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Full text of "Dictionnaire de thâeologie catholique : contenant l'exposâe des doctrines de la thâeologie catholique, leurs preuves et leur histoire"

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in  2012  with  funding  from 

University  of  Toronto 


http://archive.org/details/dictionnairedetv6pt2vaca 


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DICTIONNAIRE 


DE 


THÉOLOGIE  CATHOLIQUE 

CONTENANT 

L'EXPOSÉ  DES  DOCTIUNES  DE  LÀ  THÉOLOGIE  CATHOLIQUE 
LEURS     PREUVES     ET     LEUR     HISTOIRE 

COMMENCÉ     -SOUS    LA     DIRECTION    DE 

A.     VACANT 

DOCTEUR    EN    THÉOLOGIE.    PHOFESSEl'R  Ail    GRAND    SÉMINAIRE  DE    NANCY 
CONTINUÉ     SOUS     CELLE    DE 

E.     MANGENOÏ 

PROFESSEUR    A     L'INSTITUT    CATHOLIQUE    DE     PARIS 

AVEC    LE    CONCOURS    D UN    GRAND    NOMBRE    DE    COLLABORATEURS 


Fascicule  XLVI.  Géorgie  —  ^B-ritce   h 


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u  Ottawa 
PARIS        '**ARX* 

L1BHAIRIE    LETOUZEY    ET    ANE 

L.    LETOUZEY,    Succr 

87,    Boulevard    Raspail    —    Rue    de    Vaugirard,    82 


Imprimatur 

Parisiis,  die  31*  Martii  1914. 

j  J-eo  Ad.,  card.  AMETTF. 

Arch.  Par. 


LISTE  DES  COLLABORATEURS  DU   QUARANTE-SIXIEME  FASCICULE 


MM. 


de  patrologie  à  l'Institut 


Barkillb,  ancien   protesseui 

catholique  de  Toulouse. 
Bernard,  à  Paris. 
Bessk  (le  R.  P.  dom  ,   prieur  de  Ligugé,  à   Chevetogne 

(Belgiiiue). 
Cayré  (le  R.  P.),  desaugustins  de  l'Assomption,  à  Kadi- 

Keui,  à  Constantinople. 
Coulo.n   (le  R.   P.),   des   frères  prêcheurs,  professeur  à 

['Angelicum,  à  Rome. 
Doublet,  professeur  de  philosophie  au  lycée  de  Nice. 
Edouard  d'Alençou  (le  R.  P.),  des  frères  mineurs  capucins, 

archiviste  de  l'ordre,  à  Rome. 
Forget,  professeur  de  théologie  à  l'Université  de  Louvain 

(Belgique). 
Gatahd  (le  R.   P.  dom),  bénédictin,  à  Saint-Michel   de 

Farnborough    Angleterre). 
Godet,  à  Rosnay  (Vendée)  (f  le  2  juillet  1913). 
Heurtebize  (le  R.  P.  dom),  bénédictin   de   Solesrnes,   à 

Ryde  (ile  de  Wight). 
Ingold,  à  Colmar  .Alsace). 
Janin    le  R   P.  ,     des    augustins    de    l'Assomption,    à 

Ka<li-lveu(.Nà  Constantinople. 


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MM. 

Levesque,  professeur  d'Écriture  sainte  au  séminaire  de 
Saint-Sulpice,  à  Paris. 

Merlin  (le  R.  P.  ),  religieux  augustin,  à  Madrid  (Espagne). 

Michel,  professeur  de  théologie  à  la  Faculté  de  théologie 
de  Lille. 

Oblet,  supérieur  du  grand  séminaire  de  Nancy,  à 
Bosserville  (Meurthe-et-Moselle). 

Ortolan  (le  R.  P.),  des  oblats  de  Marie-Immaculée,  à 
Rome. 

Palmieri  (le  R.  P.),  religieux  augustin,  à  Rome.  • 

Pisanj,  chanoine  théologal,  professeur  à  l'Institut  catho- 
lique de  Paris. 

Salembier,  professeur  d'histoire  ecclésiastique  à  la  Fa- 
culté île  théologie  de  Lille  (f  le  30  octobre  1913). 

Servais  (le  R.  P.),  carme  déchaussé,  professeur  de  théo- 
logie au  scolasticat  de  Bruxelles  (Belgique). 

Toussaint,  professeur  de  droit  canonique  à  la  Faculté  de 
théologie  de  Lille. 

Van  der  Meersch,  professeur  de  théologie  au  grand 
séminaire  de  Bruges  (Belgique). 

Vkrnet,  professeur  d'histoire  ecclésiastique  au  grand 
séminaire  de  Saint-Paul-Trois-Chàteaux  et  à  l'Institut 
catholique  de  Lyon. 


CONDITIONS   ET  MODE   DE  PUBLICATION 


Le  Dictionnaire  de  Théologie  catholique  paraît  par  fascicules  in-4°  de  160  pages  (320  colonnes) 
représentant  la  valeur  de  3  vol.  in-12  de  300  pages.  —  Une  gravure  hors  texte  tient  lieu 
de  16  pages  de  texte. 

Le  prix  de  chaque  fascicule,  rendu  franco,  est  de  5  fr.  net.  payables  dans  la  quinzaine 
qui  suit  la  réception  de  chaque  fascicule. 

Les  fascicules  ne  se  vendent  pas  séparément.  Les  exemplaires  d'occasion  ou  de  seconde 
main  ne  sont  ni  complétés,  ni  continués. 


1249 


GEORGIE 


1250 


la  tutelle  des  patriarches  d'Antioche,  cela  contredit 
maint  document  historique  et  cela  paraît  invrai- 
semblable. L'Église  de  Géorgie  se  serait  alors  déclarée 
autonome  ou  bien  elle  aurait  fait  sa  soumission  à 
Constantinoplc  qui  avait  depuis  longtemps  éclipsé  tous 
les  autres  patriarcats  orientaux.  Tout  ce  qu'on  peut 
admettre,  c'est  qu'il  s'établit  dès  l'origine  des  relations 
de  bon  voisinage  entre  les  chrétientés  de  Géorgie  et 
celles  d'Arménie,  et  que  ces  dernières,  déjà  mieux 
organisées,  ont  pu  aider  celles-là,  mais  rien  de  plus. 

V.  Entre  Arméniens  et  Géorgiens.  — ■  Nous 
venons  de  voir  que  les  Arméniens  prétendent  avoir 
converti  la  Géorgie  au  christianisme.  Ils  vont  plus  loin 
encore  et  affirment  que  leurs  catholicos  ont  exercé 
une  juridiction  effective  sur  le  pays  voisin  depuis 
l'introduction  de  la  vraie  foi  jusqu'à  la  fin  du  vie  siècle, 
c'est-à-dire  pendant  près  de  trois  siècles. De  leur  côté,  les 
Géorgiens  protestent  énergiquement  qu'ils  n'ont  jamais 
eu  de  relations  intimes  avec  les  Arméniens  et  surtout 
qu'ils  n'ont  à  aucun  moment  dépendu  de  l'Église  armé- 
nienne. D'après  eux,  il  a  tout  au  plus  existé  entre  les 
deux  Églises  des  rapports  de  bonne  fraternité  chré- 
tienne, mais  pas  autre  chose.  11  n'est  pas  facile  d'opérer 
le  départ  exact  entre  le  vrai  et  le  faux  quand  on  se 
trouve  en  présence  d'assertions  aussi  opposées  qu'un 
patriotisme  jaloux  a  certainement  influencées.  Nous 
allons  cependant  essayer  d'élucider  la  question  à  l'aide 
des  documents  qui  nous  sont  parvenus  de  cette  époque 
lointaine. 

De  prime  abord,  il  semblerait  que  l'Église  de  Géorgie 
a  réellement  été  soumise  à  celle  d'Arménie.  Moïse  de 
Khorène,  Agathange,  la  version  arménienne  de  Fauste 
de  Byzance  (le  texte  primitif  a  certainement  été  rema- 
nié par  le  traducteur),  etc.,  donnent  plusieurs  exemples 
de  la  juridiction  exercée  par  les  catholicos  arméniens 
sur  la  Géorgie.  Varthanès,  fds  de  saint  Grégoire 
l'Illuminateur  et  son  second  successeur,  établit  son 
fils  aîné,  Grégoris,  âgé  de  quinze  ans,  catholicos  des 
Ibéiïens  et  des  Aghovans  ou  Albanais.  Fauste  de 
Byzance,  Histoire,  1.  III,  c.  v.  Nersès  le  Grand  (364  ?- 
384),  autre  catholicos  arménien,  envoie  pour  gouverner 
l'Église  de  Géorgie  son  diacre  Job.  Au  commencement 
du  vc  siècle,  Mesrob,  inventeur  de  l'alphabet  arménien, 
en  compose  un  de  même  genre  pour  les  Géorgiens  et 
s'occupe  de  faire  traduire  les  Livres  saints  dans  leur 
langue.  Nous  verrons  plus  loin  ce  qu'il  faut  penser  de 
cette  assertion.  Enfin,  un  certain  nombre  d'éveques 
géorgiens  assistent  au  fameux  synode  national  armé- 
nien de  Vagharchapat  (491)  qui  adopta  les  erreurs  mono- 
physites  et  condamna  le  concile  de  Chalcédoine.  Aux 
textes  arméniens  que  nous  venons  de  résumer  s'en 
ajoutent  d'autres  qui  ont  une  source  géorgienne. 
M.  Marr,  professeur  à  Saint-Pétersbourg,  a  découvert 
plusieurs  documents  qui  semblent  donner  raison  aux 
prétentions  des  Arméniens.  Un  recueil  de  Vies  de 
saints  du  xe  siècle  découvert  par  lui  au  monastère 
d'fviron,  au  mont  Athos,  nous  apprend  qu'autrefois 
les  Géorgiens  fêtaient  les  mêmes  saints  principaux  que 
les  Arméniens.  Marr,  Voyage  d'étude  au  mont  Athos, 
Saint-Pétersbourg,  1899  (en  russe),  p.  16.  De  plus,  un 
très  ancien  manuscrit  géorgien  du  Sinaï  dit  que  les 
deux  Églises  avaient  admis  les  usages  si  énergique- 
ment condamnés  par  les  prélats  byzantins,  c'est-à-dire 
les  madaghs  (sacrifices)  et  le  jeûne  d'Artchavour 
établi  en  mémoire  de  celui  des  Ninivites  et  que  les 
grecs  ont  toujours  poursuivis  de  leurs  anathèmes. 
Marr,  Rapport  préliminaire  sur  les  travaux  concernant 
le  Sinaï...  et  Jérusalem,  Saint-Pétersbourg,  1903  (en 
russe),  p.  12-13.  Le  Sinaï  possède  encore  deux  hymnes, 
l'une  en  l'honneur  de  saint  Grégoire  l'Illuminateur 
dans  laquelle  les  Géorgiens  sont  appelés  le  «  troupeau 
de  saint  Grégoire,  »  l'autre  en  l'honneur  de  sainte  Nino 
qui  cite  la  Géorgie  comme  faisant  partie  de  l'Église  de 

DICT.   DE    THEOL.    CATUuL. 


saint  Barthélémy  Marr,  op.  cit.,  p.  41.  (On  sait  que 
les  Arméniens  veulent  que  cet  apôtre  ait  évangélisé 
leur  patrie.)  Saint  Georges  Mtatsmindéli,  higouméne 
du  monastère  des  Ibères  au  mont  Athos,  un  des  prin- 
cipaux traducteurs  géorgiens  du  xie  siècle,  reconnaît 
lui-même  dans  la  préface  de  ses  ouvrages  que  les 
Arméniens  avaient  semé  la  «  zizanie  »,  c'est-à-dire 
l'erreur,  dans  les  textes  des  Livres  saints,  ce  qui 
l'obligea  à  reviser  les  traductions  existantes.  Khak- 
hanachvili,  Histoire  de  la  littérature  géorgienne,  Tiflis, 
1904  (en  géorgien),  p.  98.  Cette  infiltration  des  erreurs 
arméniennes  n'indiquerait-elle  pas  une  union  très 
étroite  entre  les  deux  Églises  ?  Il  est  à  peu  près  prouvé, 
du  reste,  qu'une  bonne  partie  des  premières  traduc- 
tions de  l'Écriture  en  géorgien  fut  faite  sur  le  texte 
arménien. 

Nous  avons  expliqué  plus  haut  les  raisons  pour 
lesquelles  il  nous  paraît  impossible  d'admettre  que  la 
conversion  de  la  Géorgie  ait  été  l'œuvre  des  Arméniens. 
Mais  il  ne  s'ensuit  nullement  qu'il  n'ait  pas  existé  dans 
la  suite  une  union  très  étroite  entre  les  deux  Églises 
et  que  la  Géorgie  n'ait  pas  dépendu  pendant  un  certain 
temps  des  catholicos  arméniens.  Devant  la  concordance 
des  textes  que  nous  venons  de  résumer  nous  devrions 
reconnaître  que  l'Église  arménienne  exerça  momenta- 
nément une  juridiction  effective  sur  tout  ou  partie  de  la 
Géorgie.  Il  faut  se  rappeler,  en  effet,  que  ce  pays  ne  for- 
mait pas  un  seul  royaume,  mais  plusieurs  principautés 
plus  ou  moins  autonomes,  en  sorte  que  certaines  pro- 
vinces ont  pu  être  soumises  aux  catholicos  arméniens 
sans  que  la  nation  tout  entière  participât  à  cette  dépen- 
dance. A  quelle  époque  se  serait  faite  cette  union  ? 
Nous  en  sommes  réduits  à  des  hypothèses.  La  partie 
orientale  de  la  Géorgie  tomba  sous  le  joug  des  Perses 
vers  498,  comme  l'Arménie  en  451.  Ce  que  nous  savons 
de  la  politique  religieuse  des  chahs  nous  porte  à  croire 
qu'ils  ont  probablement  exercé  une  pression  sur  les 
Géorgiens  pour  les  soumettre  à  l'Église  arménienne, 
afin  de  les  soustraire  par  là  à  une  autorité  spirituelle 
étrangère  à  leur  empire  et  nécessairement  suspecte  au 
gouvernement. 

Mais  aux  documents  arméniens  on  peut  opposer  ceux 
que  la  Géorgie  fournit  et  qui  ne  méritent  pas  un  moindre 
crédit.  Les  Géorgiens  se  font  fort  du  reste  d'expliquer 
ceux  que  leur  opposent  leurs  adversaires.  Il  est  donc  à 
peu  près  impossible,  dans  l'état  actuel  de  nos  connais- 
sances, de  se  faire  une  opinion  certaine  sur  la  dépen- 
dance de  la  Géorgie  tout  entière  vis-à-vis  des  catholicos 
arméniens.  Nous  aimons  mieux  laisser  en  suspens  une 
question  aussi  délicate,  plutôt  que  de  donner  dans  un 
sens  ou  dans  l'autre  une  conclusion  hâtive.  On  com- 
prend tpie  les  Géorgiens  protestent  contre  l'union  des 
deux  Églises,  car  si  elle  a  réellement  existé,  elle  a  cn- 
1  rainé  des  conséquences  très  graves  au  point  de  vue  de 
la  foi.  Les  Arméniens  ayant  peu  à  peu  admis  les  erreurs 
monophysites,  les  Géorgiens  en  auraient  fait  autant. 
Quant  aux  vingt-deux  évêques  géorgiens  qui  auraient 
assisté  au  synode  de  Vagharchapat,  les  Géorgiens  affir- 
ment que  c'était  des  Aghovans  qui  ne  sont  pas  de  même 
race  qu'eux.  Les  auteurs  arméniens  semblent  leur 
donner  raison  sur  ce  point. 

Quelles  qu'aient  été  les  relations  entre  les  deux 
Églises,  une  violente  réaction  se  produisit  vers  la  fin 
du  vi°  siècle,  plus  nationale  peut-être  que  religieuse. 
Sous  l'impulsion  du  catholicos  Kvirion  (Kiouron,  Ky- 
ron,  le  Quiricus  ou  Quirinus  des  latins)  de  Mtzkhéta, 
les  Géorgiens  secouèrent  le  joug  du  catholicos  armé- 
nien et  se  proclamèrent  partisans  du  concile  de  Chal- 
cédoine. Au  synode  de  Tvin  (596  ou  597),  le  catho- 
licos arménien  Abraham  excommunia  solennelle- 
ment les  dissidents  et  interdit  sévèrement  à  ses 
fidèles  d'aller  vénérer  la  relique  de  la  vraie  croix  à 
Mtzkhéta.  A  cette  défense,  Kvirion  répondit  en  inter- 

VI.  -  40 


1251 


GEORGIE 


1252 


disant  aux  Géorgiens  de  se  rendre  en  pèlerinage  aux 
sanctuaires  arméniens  de  Vagharchapat.  Kvirion 
écrivit  au  pape  saint  Grégoire  le  Grand  qui  lui  répondit 
par  une  lettre  de  félicitations.  Epist.,  1.  IX,  epist.  lxvii, 
/'.  /..,  t.  lxxvii,  col.  1204.  Depuis  cette  bruyante  sépa- 
ration une  haine  profonde  a  régné  entre  ces  deux  peuples 
voisins.  Elle  s'est  même  accrue  au  cours  des  âges  par 
suite  de  torts  réciproques  et  garde  encore  aujourd'hui 
toute  son  acuité.  Vincent  de  Beauvais,  Spéculum  hislo- 
riale,  t.  u.  1.  XXX,  c.  xcvm,  qui  écrivait  au  xme 
siècle,  en  donne  un  curieux  exemple  :  si  un  Géorgien, 
passant  devant  une  église  arménienne,  sent  une  épine 
lui  pénétrer  dans  le  pied,  il  ne  doit  pas  se  baisser  pour 
l'arracher  afin  de  ne  point  paraître  s'incliner  devant 
l'église  arménienne.  Un  voyageur  du  xviii0  siècle, 
Chardin,  Voyage  en  Perse,  Amsterdam,  1711,  p.  123, 
rapporte  qu'ils  s'abhorrent  mutuellement,  qu'ils  ne 
s'allient  jamais  entre  eux  et  que  les  Géorgiens  ont  un 
mépris  extrême  pour  les  Arméniens  qu'ils  considèrent 
à  peu  près  «  comme  on  fait  des  Juifs  en  Europe.  »  Cet 
antagonisme  violent  explique  les  exagérations  commises 
de  part  et  d'autre  à  propos  de  l'union  temporaire  des 
deux  Églises.  Les  Arméniens  ont  certainement  donné 
à  l'influence  qu'ils  exercèrent  en  Géorgie  une  impor- 
tance qu'elle  n'eut  pas,  non  seulement  dans  les  débuts 
du  christianisme  en  ce  pays,  mais  encore  plus  tard, 
quand  leurs  catholicos  y  jouirent  d'une  certaine  auto- 
rité. D'autre  part,  les  Géorgiens,  sans  doute  dans  le 
but  louable  de  protester  qu'ils  ne  sont  jamais  tombés 
dans  les  erreurs  monophysites,  ont  nié  systématique- 
ment touti  dépendance  de  leur  Église  vis-à-vis  de  celle 
d'Arménie.  La  vérité  se  trouve  peut-être  entre  ces 
deux  affirmations  extrêmes.  La  conclusion  qui  semble 
s'imposer,  c'est  que  la  Géorgie  orientale  a  très  proba- 
blement dépendu  pendant  un  certain  temps  du  catho- 
licos arménien  et  qu'elle  se  laissa  alors  entraîner  dans 
le  monophysisme.  Quant  au  reste  du  pays,  il  est 
impossible  de  dire  si  oui  ou  non  il  a  participé  à  cette 
dépendance. 

VI.  Organisation  de  l'Église.  Autonomie.  — 
Les  tribulations  multiples  par  lesquelles  la  Géorgie  a 
passé  pendant  de  longs  siècles,  invasions  répétées  des 
Perses,  des  Arabes,  des  Turcs,  des  Mongols,  occupa- 
lions  étrangères,  divisions  intestines,  etc.,  ont  fait 
disparaître  un  grand  nombre  de  documents  précieux 
dont  l'absence  se  fait  vivement  sentir  aujourd'hui. 
Le  peu  qui  nous  en  reste  présente  un  laconisme  tel 
que  nous  connaissons  fort  peu  de  chose  sur  la  période 
qui  a  suivi  la  conversion  de  la  Géorgie  au  christianisme. 
Encore  faut-il  ajouter  que  ces  documents  sont  posté- 
rieurs de  plusieurs  siècles  aux  événements  qu'ils 
racontent,  ce  qui  amoindrit  singulièrement  leur  valeur, 
bien  que  la  plupart  se  basent  sur  des  textes  plus 
anciens.  En  l'absence  de  tout  autre  renseignement, 
nous  serons  cependant  obligés  de  nous  en  contenter. 

11  est  sûr  que  les  premiers  missionnaires  envoyés 
en  Géorgie  par  l'empire  byzantin  ont  introduit  dans 
.  ce  pays  la  liturgie  byzantine.  La  langue  employée 
dans  les  cérémonies  fut  d'abord  le  grec.  Mais  quand 
l'Église  fut  organisée  et  que  la  traduction  des  Livres 
saints  en  géorgien  eut  été  faite,  c'est  la  langue  natio- 
nale qui  prévalut.  On  ne  saurait,  en  l'absence  de  docu- 
ments certains,  fixer  la  date  à  laquelle  s'opéra  cette 
transformation.  Il  ne  semble  pas  cependant  qu'il 
Uiille  la  reculer  plus  loin  que  le  VIe  siècle. Certains 
indices  nous  permettent  aussi  d'affirmer  que  l'influence 
syrienne  se  fit  également  sentir,  soit  dès  le  début,  soit 
au  vi c  siècle,  à  l'arrivée  des  missionnnaires  syriens 
dont  nous  aurons  à  reparler. 

Nous  avons  vu  plus  haut  que  les  documents  géor- 
giens donnent  au  premier  évêque  le  nom  de  Jean.  Son 
apostolat,  au  dire  de  la  Chronique  de  Géorgie,  Brosset, 
op.  cit.,  1. 1,  p.  137,  fut  de  courte  durée.  L'évêque  Jacques 


continua  l'œuvre  commencée  et  fit  pénétrer  peu  à  peu 
le  christianisme  dans  la  niasse  du  peuple.  Malheureu- 
sement, les  invasions  fréquentes  des  Perses  amenèrent 
çà  et  là  le  rétablissement  du  culte  du  feu.  Au  commen- 
cement du  vc  siècle,  la  religion  chrétienne  avait  de  ce 
fait  subi  des  pertes  importantes.  Le  roi  Artchil  Ier 
(410-434)  chassa  les  Perses,  proscrivit  le  mazdéisme 
et  réorganisa  l'Église  à  laquelle  il  donna  pour  chef 
l'évêque  Mobidan.  Celui-ci,  secrètement  partisan  du 
mazdéisme,  essaya  sournoisement  de  rétablir  le  culte  du 
feu,  mais  il  fut  découvert  et  excommunié  par  un  sy- 
node auquel  le  roi  avait  convoqué  toutes  les  autorités 
religieuses  du  pays.  Quelque  temps  après,  on  fit  venir 
de  Constantinople  l'évêque  Michel  pour  présider  à  l'é- 
ducation du  roi  Vakhtang  (446-499).  Brosset,  op.  cit., 
t.  i,  p.  151.  Ce  Michel,  devenu  plus  tard  chef  de 
l'Église  géorgienne,  lutta  vaillamment  contre  les  maz- 
déistes  qui  étaient  loin  d'avoir  disparu.  A  la  suite  de 
désaccords  avec  le  roi  —  peut-être  défendait-il  simple- 
ment les  droits  de  l'Église  contre  les  empiétements 
du  pouvoir  civil  — ■  il  se  vit  remplacer  par  un  autre 
prélat  grec  venu  de  Constantinople.  Ce  serait  à  partir 
de  celte  époque,  vers  471,  que,  d'après  la  Conversion  de 
la  Géorgie,  Mtzkhéta  aurait  reçu  son  premier  catholicos 
ou  patriarche.  Taqchivili,  Trois  chroniques  historiques 
(en  géorgien),  p.  29.  La  création  de  douze  nouveaux 
diocèses,  qui  fut  la  conséquence  de  cet  acte,  amena  une 
diffusion  plus  rapide  du  christianisme.  Brosset,  op.  cit., 
t.  i,  p.  195.  Une  nouvelle  invasion  perse,  plus  terrible 
que  les  autres,  eut  lieu  vers  498,  causa  des  ruines 
innombrables  et  valut  la  palme  du  martyre  à  beau- 
coup de  fidèles.  Vers  le  milieu  du  vie  siècle,  treize 
missionnaires  vinrent  de  Syrie,  sous  la  conduite  de 
saint  Jean  Zédadznéli,  et  durent  recommencer  en 
grande  partie  l'évangélisation  du  pays.  C'est  à  cette 
époque,  de  la  fin  du  ive  au  vi"  siècle,  qu'il  faudrait 
faire  remonter  la  traduction  de  l'Écriture  sainte  en 
langue  indigène  et  l'introduction  du  géorgien  dans  la 
liturgie.  Les  plus  anciens  manuscrits  de  la  Bible  qui 
existent  actuellement  sont,  au  dire  des  archéologues, 
du  vne  siècle,  mais  ils  ont  été  copiés  sur  des  textes 
antérieurs.  Nous  étudierons  cette  question  plus  loin, 
quand  nous  parlerons  de  la  littérature  géorgienne.  Dès 
le  milieu  du  vic  siècle,  le  catholicos  fut  choisi  parmi  les 
prélats  géorgiens.  Le  premier  serait  Saba  ou  Dassaba 
(542-557). 

La  tradition  constante  en  Géorgie  veut  que  l'Église 
de  ce  pays  ait  dès  son  origine  dépendu  de  celle  d'An- 
tioche.  Nous  retrouvons  la  même  opinion  chez  les 
historiens  grecs  ou  arabes,  surtout  à  partir  du  xie  siècle. 
Aujourd'hui  encore,  les  deux  patriarches  melkites 
d'Antioche,  le  catholique  aussi  bien  que  l'orthodoxe, 
revendiquent  une  autorité  nominale  sur  l'Ibérie.  Que 
faut-il  penser  de  cette  suzeraineté  exercée  par  Antioche 
sur  la  lointaine  Géorgie  ?  Nous  avons  résumé  plus 
haut  la  tradition  relative  à  l'action  apostolique  de 
saint  Eustathe  et  au  voyage  qu'il  aurait  accompli 
dans  le  Caucase.  Si  l'on  n'admet  pas  que  ce  patriarche 
se  soit  occupé  de  la  conversion  de  la  Géorgie,  il  est  bien 
difficile  d'indiquer  à  quelle  date  a  commencé  la  dépen- 
dance. Dans  les  rares  documents  qui  nous  restent,  nous 
ne  trouvons  que  des  traces  d'une  juridiction  effective 
et  rien  de  plus.  Il  nous  est  même  impossible  de  préciser 
à  quelle  époque  elle  a  cessé.  La  tradition  géorgienne 
veut  que  ce  soit  sous  Vakhtang,  vers  471,  quand  la 
Géorgie  reçut  son  premier  catholicos  ou  patriarche. 
Un  texte  de  BaLsamon  semble  donner  raison  à  cette 
opinion.  Il  apprend,  en  efl'et,  qu'une  décision  synodale 
d'Antioche  décerna  à  l'archevêque  d'Ibérie  le  privilège 
de  l'exemption,  à  l'époque  du  patriarche  Pierre, 
décision  qui  reconnaissait  l'autocéphalie  à  l'Église 
géorgienne,  mais  sous  le  patronage  d'Antioche.  P.  G., 
t.  txxxvn,  col.  320.  Quel  est  ce  patriarche  Pierre  ? 


1253 


GÉORGIE 


1254 


Est-ce  Pierre  le  Foulon  (471)  ou  Pierre  II,  contem- 
porain de  Michel  Cérulaire  ?  D'autres  textes  que  nous 
utiliserons  plus  loin  semblent  prouver  qu'il  s'agit  du 
premier,  car  il  serait  bien  difficile  de  les  expliquer 
s'il  s'agissait  du  second.  Notons  cependant  que 
beaucoup  d'auteurs  modernes  se  prononcent  en 
faveur  de  cette  dernière  hypothèse.  La  Conversion 
de  la  Géorgie  et  les  Annales  s'accordent  à  dire  que, 
sur  la  demande  du  roi  Vakhtang,  l'empereur  Léon  Ier 
fit  désigner  par  le  patriarche  d'Antioche  un  prélat 
pour  remplacer  l'évèquo  Michel,  qui  avait  déplu  au 
souverain,  et  que  Pierre  fut  choisi  comme  catholicos. 
Les  deux  actes  ont  dû  se  produire  en  même  temps. 
Les  Annales  de  la  Géorgie  prétendent  que  l'autonomie 
complète  fut  accordée  par  le  VIe  concile  œcuménique 
(680),  Brosset,  Histoire  de  la  Géorgie,  t.  i,  p.  235-G32, 
mais  il  suffit  de  parcourir  les  actes  de  cette  assem- 
blée pour  se  convaincre  qu'elle  ne  s'est  pas  occupée 
de  la  Géorgie.  Par  contre,  le  moine  melkite  Nicon, 
Bibliothèque  Vaticane,  Codices  arabici,  n.  76,  p.  3G7, 
et  Éphrem  le  jeune,  Brosset,  op.  cit.,  t.  i,  p.  229,  tous 
deux  du  xie  siècle,  résument  un  récit  d'après  lequel 
deux  moines  géorgiens  vinrent  à  Antioche,  sous  l'em- 
pereur Constantin  Gopronyme  (741-775)  et  le  patri- 
arche Théophylacte  (745-751),  pour  y  exposer  la 
situation  lamentable  dans  laquelle  se  trouvait  leur 
pays  par  suite  de  la  conquête  arabe.  Il  n'y  avait 
plus  de  catholicos  depuis  la  mort  de  l'empereur  Ana- 
stase  Ier  (610).  Les  persécutions  des  infidèles  avaient 
jusque-là  empêché  les  Géorgiens  de  recourir  à  Antioche. 
Le  patriarche  assembla  un  synode  et  sanctionna  un 
acte  en  vertu  duquel  les  évêques  géorgiens  étaient 
autorisés  à  se  réunir  et  à  consacrer  le  catholicos  qu'ils 
auraient  élu.  Celui-ci  n'avait  plus  d'autre  obligation 
vis-à-vis  d'Antioche  que  de  faire  mention  du  patriarche 
dans  la  liturgie  et  de  payer  une  redevance  annuelle. 
Cette  somme  fut  constamment  acquittée  jusqu'à 
l'époque  du  patriarche  Jean  III  (987-1010)  qui  céda 
son  droit  à  son  collègue  de  Jérusalem.  Le  patriarche 
d'Antioche  se  réserva  aussi  le  droit  d'intervenir  dans 
les  troubles  suscités  par  l'hérésie  et  d'envoyer  dans  ce 
but  un  exarque  en  Géorgie.  C'est  ainsi  qu'un  patriarche 
du  nom  de  Théodore,  Théodore  Ier  (751-753)  ou  Théo- 
dore II  (970-975)  ou  encore  Théodore  III  (1034-1042), 
envoya  Basile  le  grammairien  pour  combattre  l'hérésie 
des  Akakhtiens,  dont  nous  ne  connaissons  que  le  nom. 
En  résumé,  on  peut  admettre  qu'après  avoir  été  gou- 
vernée par  un  catholicos  qui  tenait  son  autorité  du 
patriarche  d'Antioche,  l'Église  géorgienne  a  obtenu 
son  autonomie  religieuse  vers  le  milieu  du  vm6  siècle, 
peut-être  même  auparavant. 

VII.  Histoire  politique  du  Ve  au  xme  siècle.  — 
Quand  le  roi  Vakhtang  Gourgaslan,  c'est-à-dire  Loup- 
Lion  (446-499),  monta  sur  le  trône,  la  Géorgie  était  la 
proie  de  ses  voisins,  surtout  des  Perses.  Il  battit  les  uns 
après  les  autres  les  ennemis  de  son  pays  et  le  croyait 
complètement  libre  lorsqu'il  succomba  glorieusement 
avec  son  armée  sous  les  coups  des  Perses.  Ses  succes- 
seurs ne  conservèrent  qu'une  autorité  fort  diminuée. 
L'un  d'entre  eux,  Bacour  III  (557-570),  laissa  des  fils 
mineurs  qui,  par  peur  des  Perses,  furent  obligés  de  se 
réfugier  dans  les  montagnes.  La  famille  des  Bagratides, 
appuyée  par  l'étranger,  en  profita  pour  reprendre  le 
gouvernement  du  pays  et  se  substituer  à  la  dynastie 
sassanide.  Ce  sont  les  Bagratides  qui  ont  régné  sur 
la  Géorgie  jusqu'à  la  fin  du  xvme  siècle,  au  moment 
où  s'accomplit  l'annexion  à  la  Russie.  Les  Byzantins 
avaient  déjà  réussi  à  s'emparer  de  la  Géorgie  occiden- 
tale. L'empereur  Maurice  obtint  la  cession  complète  de 
tout  le  pays  et  nomma  curopalate,  c'est-à-dire  maré- 
chal du  palais,  le  roi  Gouram  (575-600),  un  Bagratide. 
Cette  suzeraineté  de  Byzance  dura  un  demi-siècle 
environ.  Héraelius  traversa  la  Géorgie  dans  sa  marche 


victorieuse  contre  Chosroès.  Dès  642,  les  Arabes  firent 
leur  apparition  sous  la  conduite  de  l'émir  Merwàn-Qrou 
et  semèrent  les  ruines  un  peu  partout.  En  717,  un  autre 
émir,  Iazîd,  conquit  à  son  tour  la  Géorgie,  réduisant 
les  rois  indigènes  au  rôle  de  simples  exécuteurs  de  ses 
ordres.  Le  Turc  Bougha,  venu  de  Bagdad,  défit  les 
Arabes  et  ravagea  le  pays  en  851.  La  Géorgie  ne 
retrouva  son  indépendance  momentanée  que  sous 
David  le  Curopalate  dont  l'intervention  rendit  à 
Byzance  un  service  précieux  par  la  défaite  du  rebelle 
Scléros  (976).  Il  avait  à  peine  réorganisé  son  royaume 
que  les  Turcs  Seldjoukides  fondirent  dessus  et  le 
ruinèrent  (seconde  moitié  du  xie  siècle).  David  II,  le 
Restaurateur  (1089-1125),  les  chassa  et  fonda  un 
royaume  qui  allait  de  la  mer  Caspienne  à  la  mer  Noire, 
de  la  chaîne  du  Caucase  à  la  province  de  Kars.  La 
Géorgie  connut  son  complot  épanouissement  sous  la 
reine  Thamar  (1185-1212),  dont  le  nom  est  resté  juste- 
ment célèbre  dans  son  pays. 

VIII.  L'Église  géorgienne  du  vi°  au  xme  siècle. 
—  Les  épreuves  multiples  par  lesquelles  passa  la 
Géorgie  durant  cette  époque  troublée  firent  nécessai- 
rement sentir  leur  contrecoup  dans  l'Église.  Les  musul- 
mans usèrent  de  tous  les  moyens  pour  répandre  leur 
religion  parmi  le  peuple.  La  constance  des  chrétiens 
fut  assez  bonne  pour  que  de  nombreux  martyrs  répan- 
dissent leur  sang  pour  défendre  leur  foi.  Les  plus 
célèbres  sont  saint  Daniel  et  saint  Constantin,  mis  à 
mort  vers  715,  après  avoir  vaillamment  combattu 
pour  leur  pays,  Brosset,  op.  cit.,  t.  i,  p.  262,  le  saint  roi 
Artchil,  qui  trouva  une  mort  glorieuse  vers  727,  en 
réclamant  à  l'émir  Dchidchoun  la  liberté  pour  sa 
patrie,  et  saint  Gobroni,  vers  912.  Brosset,  op.  cit., 
1. 1,  p.  275.  On  a  conservé  la  vie  de  deux  autres  martyrs, 
saint  Abo  de  Tiflis,  vers  786,  et  saint  Constantin,  prince 
royal,  mis  à  mort  à  l'âge  de  quatre-vingt-cinq  ans  par 
le  chef  turc  Bougha,  en  853.  Lebeau,  Histoire  du  Bas- 
Empire,  t.  xiii,  p.  47,  note  3.  Enfin,  il  faut  signaler  le 
martyre  de  saint  Néophyte,  évêque  d'Urbnissi 
(ixe  siècle),  ancien  chef  mulsuman  converti  au  chris- 
tianisme par  le  spectacle  de  la  vie  religieuse.  Acta 
sanclorum,  octobris  t.  xn,  1885,  p.  642. 

Heureusement  pour  l'Église  géorgienne,  la  puissance 
musulmane  décrut  beaucoup  vers  la  fin  du  xe  siècle, 
sans  quoi  elle  aurait  peut-être  subi  le  sort  d'autres 
chrétientés  orientales  et  disparu  entièrement.  Quand 
les  Bagratides  reprirent  le  gouvernement  du  pays,  une 
réforme  profonde  s'imposait.  Le  clergé,  cupide  et 
corrompu,  se  montrait  inférieur  à  sa  tâche  au  milieu 
des  églises  en  ruines.  L'arrivée  des  Turcs  Seldjoukides, 
dans  la  seconde  moitié  du  xie  siècle,  sema  une  fois  de 
plus  la  désolation  en  Géorgie.  Brosset,  op.  cit.,  t.  i, 
p.  347.  La  persécution  s'abattit  terrible  sur  les  fidèles 
qui  n'avaient  pas  pu  trouver  un  refuge  dans  les  mon- 
tagnes. David  II  le  Restaurateur  (1089-1125)  réussit  à 
repousser  l'envahisseur  et  songea  à  profiter  de  ses 
victoires  pour  rétablir  l'ordre  dans  l'Église  et  dans 
l'État.  C'est  pendant  son  règne  que  parurent  les  pre- 
mières écoles  régulièrement  organisées,  où  l'on  enseigna 
la  religion,  la  grammaire,  les  mathématiques  et  le 
chant.  L'école  d'Arsène,  dans  la  ville  d'Icalto,  forma 
une  génération  d'hommes  célèbres,  entre  autres  le 
fameux  poète  Chota  Roustavéli,  l'auteur  de  la  Peau 
de  léopard.  Pour  compléter  l'instruction  des  jeunes 
gens,  David  II  en  envoya  quarante  au  mont  Athos, 
où  ils  devinrent  de  remarquables  traducteurs  de  livres 
ecclésiastiques.  Il  fut  lui-même  bon  théologien  et  bon 
chrétien.  Il  organisa,  en  plusieurs  points  de  son  vaste 
royaume,  des  hôpitaux  et  des  asiles.  C'est  à  lui  qu'on 
doit  la  célèbre  cathédrale  de  Guélati,  un  des  plus  beaux 
monuments  de  l'architecture  géorgienne.  Khakhanofï, 
Histoire  de  Géorgie,  Paris,  1900,  p.  42.  Il  réunit  aussi 
un   concile   dans   le   but   d'amener   les    Arméniens    à 


1255 


GEORGIE 


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renoncer  au  schisme  et  à  l'hérésie.  Brosset,  op.  cit.,  t.  i, 
p.  375.  Cette  tentative  généreuse  échoua  complètement, 
ainsi  que  toutes  celles  que  les  Géorgiens  essayèrent  dans 
la  suite. 

La  reine  Thamar  (1184-1212)  s'occupa,  elle  aussi,  de 
réformes  ecclésiastiques.  Elle  réunit  un  concile,  princi- 
palement dans  le  but  de  mettre  fin  aux  abus  introduits 
par  le  catholicos  Michel.  Nous  ne  connaissons  malheu- 
reusement pas  les  décisions  que  prit  cette  assemblée, 
car  ses  actes  ne  nous  sont  point  parvenus.  Brosset, 
op.  cit.,  t.  i,  p.  405.  Beaucoup  d'églises  actuelles 
remontent  au  règne  de  la  reine  Thamar  qui  se  plut  à 
orner  les  sanctuaires.  Parmi  les  chefs  de  l'Église  de 
cette  époque,  deux  se  rendirent  célèbres  par  leurs 
ouvrages,  Arsène  II  (946-976)  et  Nicolas,  démission- 
naire en  1170. 

IX.  La  vie  religieuse  en  Géorgie.  —  Il  est 
impossible  de  préciser  la  date  à  laquelle  la  vie  reli- 
gieuse fit  sa  première  apparition  en  Géorgie.  Cepen- 
dant, nous  ne  croyons  pas  que  le  monachisme  ait 
attendu  plus  tard  que  le  vc  siècle  pour  faire  des 
conquêtes  parmi  les  Ibères.  En  effet,  il  jouissait  à 
cette  époque  d'une  popularité  très  grande  dans  tout 
l'Orient.  De  plus,  les  apôtres  et  les  organisateurs  de 
l'Église  en  Géorgie  n'avaient  sans  doute  pas  manqué 
d'utiliser  un  moyen  aussi  propre  à  assurer  la  diffusion 
de  la  vraie  foi.  Enfin,  dès  ce  moment  on  signale  des 
moines  géorgiens  en  Palestine.  En  tout  cas,  la  vie  reli- 
gieuse était  en  pleine  floraison  au  vie  siècle.  Les  treize 
missionnaires  venus  de  Syrie,  vers  le  milieu  de  ce 
siècle,  lui  imprimèrent  un  élan  merveilleux.  Le  pays 
se  couvrit  de  monastères  que  la  piété  des  princes  et 
des  simples  fidèles  se  plut  à  doter  richement.  Les  plus 
célèbres  furent  ceux  qu'établirent  trois  des  mission- 
naires syriens,  Jean,  David  et  Chio.  Saint  Jean,  chef 
de  la  mission,  s'établit  sur  la  montagne  de  Zaden, 
ce  qui  lui  valut  le  nom  de  Zédadznéli.  Son  monastère 
fut  détruit  au  xne  siècle  par  les  Turcs  Seldjoukides. 
.lordania,  Chroniques,  t.  i,  p.  73.  Plus  heureux  que 
celui-là,  ceux  que  fondèrent  saint  David  Garedjéli  à 
Garedja  et  saint  Chio  Mgviméli  à  Mgvimé,  survécurent 
malgré  les  vicissitudes  par  lesquelles  ils  durent  passer, 
à  la  suite  des  différentes  invasions.  Celui  de  Saint- 
Chio,  très  peuplé,  fut  de  tous  les  couvents  géorgiens 
le  plus  important,  principalement  à  cause  de  l'in- 
fluence  qu'il  exerça  sur  le  développement  de  la  science 
ecclésiastique  et  de  la  vie  de  piété.  Celui  de  Guélati, 
près  de  Routais,  fondé  au  xe  siècle,  peut  seul  être 
considéré  comme  son  rival  sur  ce  point.  La  vie 
religieuse  devint  tellement  intense  en  Géorgie  que, 
non  contente  de  couvrir  le  pays  de  couvents,  elle 
déborda  encore  sur  l'empire  byzantin,  ainsi  que  nous 
le  verrons  un  peu  plus  loin.  En  1765,  le  prince  Vak- 
houcht,  fils  de  Vakhtang  VI,  comptait  dans  sa  Descrip- 
tion de  la  Géorgie,  79  monastères,  ruinés  pour  la 
plupart  :  16  dans  le  Samtzkhé,  48  dans  la  Karthlie, 
11  dans  la  Kakhétie  et  4  dans  l'Imérétie.  Cf.  Vak- 
lioucht,  Description  géographique  de  la  Géorgie,  trad. 
de  Brosset,  Saint-Pétersbourg,  1842.  Pour  être  complet, 
il  faudrait  ajouter  à  cette  liste  les  couvents  des  autres 
parties  du  pays,  comme  la  Mingrélie  et  le  Lazique.  Ces 
chiffres  sont  une  preuve  évidente  de  l'intensité  que  la 
vie  chrétienne  avait  reçue  au  cours  des  siècles  et  de  la 
ténacité  avec  laquelle  les  fidèles  relevaient  de  leurs 
ruines  sans  cesse  renouvelées  les  sanctuaires  du  mona- 
chisme.  Nous  ne  possédons  malheureusement  que  fort 
peu  de  chose  sur  ces  nombreux  monastères.  Les 
bibliothèques  de  Tiflis  et  des  autres  villes  de  la  Géorgie 
montrent  bien  avec  orgueil  un  grand  nombre  de  manu- 
scrits qui  en  proviennent,  mais  ils  ne  contiennent  que 
de  très  minimes  détails  sur  la  vie  religieuse  du  pays. 

X.  Les  Géorgiens  dans  l'empire  byzantin.  — ■ 
Les  (zéorgiens  suivirent  le  mouvement  qui  entraînait 


les  populations  orientales,  principalement  celles  de  la 
Cappadoce,  vers  les  Lieux  saints.  Dès  la  fin  du  ive  siècle, 
un  des  leurs,  Évagre,  faisait  déjà  retentir  l'Orient  de 
ses  démêlés  théologiques  avec  saint  Jérôme.  Un  siècle 
plus  tard,  Pierre  l'Ibère,  évêque  de  Maïouma,  près  de 
Gaza,  qu'on  accuse  à  tort  ou  à  raison  d'avoir  favorisé 
l'hérésie  eutychienne,  faisait  de  nouveau  connaître 
en  Palestine  la  race  géorgienne.  Baabe,  Pctrus  der 
lberer,  Leipzig,  1895.  Les  pèlerinages  amenèrent  tout 
naturellement  la  fondation  des  monastères.  Procope, 
De  asdiftciis,  1.  V,  c.  ix,  apprend  que  Justinien  répara 
le  couvent  des  Ibères  dans  la  Ville  sainte  et  celui  des 
Lazes  dans  le  désert  de  Jérusalem.  Celui  de  la  ville 
aurait  été  fonde  sous  le  roi  Vakhtang  (446-499). 
Quant  à  celui  des  Lazes,  on  a  voulu  l'identifier  avec 
le  célèbre  monastère  de  Sainte-Croix.  S'il  faut  en  croire 
les  historiens  géorgiens,  c'est  Pierre  l'Ibère,  fils  du  roi 
Bacour,  qui  fonda  le  couvent  de  Saint-Sabas.  En  tout 
cas,  le  nom  de  ce  monastère  revient  à  chaque  instant 
sous  la  plume  des  chroniqueurs  nationaux;  les  princes 
lui  envoient  de  riches  présents,  ce  qui  indique  au 
moins  qu'il  y  avait  là  des  moines  géorgiens.  Il  semble 
même  qu'ils  y  possédaient  une  église  particulière, 
comme  les  Arméniens.  La  conquête  arabe  arrêta 
forcément  le  mouvement  qui  portait  les  Géorgiens  vers 
les  Lieux  saints.  Le  Commemorcdorium  de  casis  Dei  cl 
monaslcriis,  dans  Itincra  Hierosolymilana,  Genève, 
1880,  t.  i,  p.  302,  signale  cependant,  vers  808,  plusieurs 
de  leurs  moines  au  mont  des  Oliviers  et  à  Gethsémani. 
Vers  1050,  le  roi  Bagrat,  curopalate,  aurait  reçu, 
grâce  à  l'empereur  byzantin,  la  moitié  du  Calvaire  et  y 
aurait  établi  un  évêque  de  sa  nation.  Palestine  explo- 
ration fund,  Quarterly  statement,  1911,  p.  185.  Un  peu 
avant  la  fin  du  même  siècle,  les  Géorgiens  bâtissent  le 
couvent  de  Saint-Jacques  le  Majeur  qui  est  depuis 
passé  aux  Arméniens.  Quant  au  monastère  de  Sainte- 
Croix,  il  fut  restauré  (peut-être  simplement  fondé) 
vers  1040  par  le  moine  Prokhoré,  ruiné  par  les  Turcs 
Seldjoukides  trente  ans  plus  tard  et  rebâti  aussitôt 
après  l'arrivée  des  croisés.  Une  légende,  qui  s'est  très 
probablement  formée  à  cette  époque,  y  place  le  lieu 
où  fut  coupé  l'arbre  dont  on  fit  la  croix  du  Sauveur. 
Sainte-Croix  fut  un  foyer  de  science  ecclésiastique  dont 
l'influence  se  faisait  sentir  fortement  en  Géorgie  où 
ce  monastère  possédait  de  nombreuses  propriétés. 
La  bibliothèque  patriarcale  grecque  de  Jérusalem 
possède  147  manuscrits  géorgiens  qui  en  viennent. 
L'église  est  encore  couverte  de  peintures  et  d'inscrip- 
tions laissées  par  les  moines  géorgiens.  Ceux-ci  conser- 
vèrent le  couvent  jusqu'en  1685,  époque  à  laquelle  ils 
durent  le  céder  aux  grecs.  Leur  conduite  relâchée  et 
les  dépenses  excessives  qu'ils  firent  les  obligèrent,  en 
effet,  à  vendre  successivement  le  Calvaire  où  ils  avaient 
été  les  maîtres  pendant  trois  siècles,  le  couvent  de 
Saint-Jacques  et  huit  ou  dix  autres  qu'ils  possédaient 
dans  la  ville  de  Jérusalem.  B.  Janin,  Les  Géorgiens  à 
Jérusalem,  dans  les  Échos  d'Orient,  1913,  p.  32,  211. 
On  trouve  encore  des  Géorgiens  dans  plusieurs 
autres  monastères  de  Palestine,  mais  nous  avons  trop 
peu  de  renseignements  sur  eux  pour  en  parler  avec 
plus  de  détails.  Nous  avons  vu  que  celui  de  Saint- 
Sabas  eut  toujours  à  leurs  yeux  une  importance  consi- 
dérable. Poussant  plus  loin  encore  leur  désir  de  la 
solitude,  les  Géorgiens  allèrent  jusqu'au  mont  Sinaï 
où  leur  présence  se  révèle  encore  de  nos  jours  par  un 
bon  nombre  de  manuscrits.  En  Syrie,  ils  peuplaient 
plusieurs  monastères,  dans  les  environs  d'Antioche. 
Ils  s'y  montrèrent  même  assez  frondeurs  vis-à-vis  des 
patriarches  pour  que  le  pape  Grégoire  IX  leur  écrivît 
en  même  temps  qu'aux  Arméniens  et  aux  grecs  pour 
les  faire  rentrer  dans  l'obéissance,  en  1239.  Archives 
Vaticanes,  Rcg.  19,  fol.  40,  n.  199.  On  trouve  encore 
des  moines  géorgiens  en  Chypre,  au  mont  Olympe  de 


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GEORGIE 


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Bithynie,  dans  les  environs  de  Constantinople  et  de 
Thessalonique.  Tamarati,  Église  géorgienne,  Rome, 
1910,  p.  315  sq. 

Le  mont  Athos  ne  pouvait  manquer  de  les  attirer 
nombreux.  Ils  y  occupèrent  pendant  longtemps  le 
monastère  qui  porte  encore  leur  nom,  celui  d'Iviron  ou 
des  Ibères  (xûv  'I6riptov).  D'après  un  vieux  manuscrit 
géorgien  de  1074,  ce  couvent  fut  fondé  vers  971  par 
un  des  seigneurs  de  la  cour  de  David  le  Guropalate, 
nommé  Jean,  qui  avait  d'abord  pratiqué  la  vie  reli- 
gieuse au  mont  Olympe.  Le  nouvel  higoumène  vit 
bientôt  accourir  auprès  de  lui  une  foule  de  ses  compa- 
triotes de  toute  condition,  parmi  lesquels  plusieurs 
personnages  officiels.  Tel  ce  Tornic,  ancien  général, 
qui  sortit  momentanément  de  sa  solitude  pour  com- 
battre le  rebelle  Scléros  (976).  Le  couvent  des  Ibères 
au  mont  Athos  devint,  lui  aussi,  un  foyer  de  science 
ecclésiastique  où  l'on  s'occupait  surtout  de  traduire  les 
œuvres  des  Pères  de  l'Église  grecque  et  de  reviser  les 
anciennes  versions  de  l'Écriture  sainte  et  des  livres 
liturgiques.  Ce  fut  même  lui  qui  exerça  le  plus  d'in- 
fluence sur  toute  la  nation.  Les  plus  célèbres  de  ses 
higoumènes  furent,  après  Jean,  saint  Euthyme  (964- 
1028)  et  saint  Georges  Mtatsmindéli  (1014-1066)  qui 
traduisirent  en  géorgien  de  nombreux  ouvrages  grecs. 
Journal  asiatique,  6e  série,  1867,  t.  i,  p.  333  sq.  Au 
xvie  siècle,  le  monastère  tomba  aux  mains  des  grecs 
qui  en  ont  depuis  lors  jalousement  interdit  l'entrée  aux 
Géorgiens,  mais  sans  tirer  aucun  profit  de  la  riche 
collection  de  manuscrits  laissée  par  les  partants. 

XI.  Histoire  politique  du  xme  au  xixe  siècle. 
—  Après  les  règnes  glorieux  de  David  le  Restaurateur 
et  de  la  reine  Thamar,  la  Géorgie  commença  à  con- 
naître la  décadence,  à  cause  de  la  corruption  de  la 
noblesse  et  des  divisions  nombreuses  qui  affaiblissaient 
le  pays.  Les  Mongols  de  Gengis-Kban  ne  tardèrent  pas 
à  lui  infliger  un  châtiment  terrible  en  1220-1221.  Puis 
ce  fut  le  tour  de  Djélal-ed-Din,  sultan  du  Khorassan, 
qui  ravagea  la  Géorgie  de  1226  à  1230.  Les  Mongols 
revinrent  en  1236.  La  reine  Roussoudane  implora 
alors  contre  eux  le  secours  du  pape  Grégoire  IX  (1240), 
qui  ne  put  malheureusement  rien  entreprendre  pour  la 
secourir.  Finalement,  les  Géorgiens  se  résignèrent  à 
accepter  la  domination  des  Mongols  dont  ils  devinrent 
tributaires,  vers  la  fin  du  xme  siècle.  Ils  servirent 
même  pendant  longtemps  dans  les  armées  de  leurs 
vainqueurs.  Georges  V,  dit  le  Brillant  (1318-1346), 
réussit  à  se  débarrasser  de  la  tutelle  des  Mongols  de 
Perse,  alors  très  affaiblis,  et  reconstitua  son  royaume. 
Quarante  ans  après  sa  mort,  Timour-Leng  (Tamerlan) 
fit  une  première  apparition  en  Géorgie  en  1386  et 
renouvela  à  plusieurs  reprises  ses  dévastations  pendant 
une  vingtaine  d'années.  Brosset,  op.  cit.,  t.  i,  p.  652. 
Le  pays  se  releva  un  peu  sous  Alexandre  Ier  (1413-1442). 
Le  partage  du  royaume  entre  les  fils  de  ce  prince  mit 
de  nouveau  la  division  et  accéléra  la  ruine.  Cependant, 
plusieurs  rois  cherchèrent  à  s'allier  avec  l'Occident 
pour  une  croisade  contre  les  Turcs,  mais  ces  démarches 
n'obtinrent  pas  de  résultat.  La  chute  de  Constantinople 
(1453)  eut  pour  conséquence  un  encerclement  plus 
redoutable  de  la  Géorgie.  Turcs  et  Persans  s'immis- 
cèrent dans  les  querelles  intérieures  pour  s'en  attri- 
buer les  lambeaux.  En  1469,  le  pays  se  démem- 
bra en  trois  royaumes  et  cinq  principautés.  Les 
princes  qui  gouvernaient  cette  malheureuse  contrée 
durent  accepter  officiellement  l'islamisme  pour  conser- 
ver leur  trône.  Quelques-uns  restèrent  secrètement 
fidèles  à  la  religion  chrétienne,  mais  ce  ne  fut  qu'une 
exception.  La  Géorgie  fut  souvent  dès  lors  le  champ 
de  bataille  où  les  deux  puissants  empires  musulmans 
se  disputèrent  la  prédominance.  Les  Turcs  pénétrèrent 
dans  la  Géorgie  occidentale  en  1577  et  la  soumirent 
tout  entière.  De  leur  côté,  les  Persans,  conduits  par 


Abbas  le  Grand  (1577-1628),  s'attaquèrent  à  la  Géorgie 
orientale  et  la  mirent  au  pillage.  Abbas  emmena 
vers  1615  un  million  d'habitants  environ  qui  furent 
dispersés  clans  les  différentes  provinces  de  l'empire  et 
qu'il  remplaça  par  des  Arméniens  et  des  Persans. 
Nouvelle  invasion  en  1633  pour  châtier  le  roi  Téimou- 
raz  Ier  qui  avait  relevé  la  tète.  La  Géorgie  sembla 
renaître  sous  Vakhtang  VI  (1703-1737),  bien  que  ce  roi 
fût  obligé  de  vivre  assez  longtemps  loin  de  sa  patrie.  Le 
relèvement  s'accentua  encore  sous  Héraclius  II  (1744- 
1798)  dont  les  victoires  assurèrent  pendant  quelque 
temps  la  tranquillité  au  royaume.  Cependant  le  danger 
de  plus  en  plus  pressant  lui  fit  conclure  une  alliance 
qui  eut  des  conséquences  funestes  pour  la  Géorgie.  En 
1783,  il  se  reconnut  vassal  de  la  Russie,  ce  qui  lui  attira 
les  vengeances  du  chah  de  Perse,  Agha-Moliammed 
Khan  (1795).  Son  fils  Georges  XII  (1798-1800)  fut  le 
dernier  roi  de  Géorgie.  En  1801,  l'empereur  Alexan- 
dre Ier  proclama  l'annexion  de  la  Grousie  ou  Géorgie 
proprement  dite.  La  Mingrélie  fut  occupée  en  1803, 
la  Gourie  en  1810  et  l'Imérétie  enfin  en  1814.  Tout 
le  pays  devint  alors  une  simple  province  de  l'empire. 
La  tyrannie  des  Russes  remplaça  dès  lors  celle  des  Turcs 
et  des  Persans. 

XII.  L'Église  géorgienne  du  xnie  au  xixe  siècle. 
—  Nous  venons  de  voir  par  quelles  tribulations  passa 
la  Géorgie  du  xme  au  xixc  siècle.  Cette  période  de 
troubles  intérieurs  et  d'invasions  de  la  part  des  musul- 
mans fut  pour  l'Église  des  plus  funestes.  Cependant  il  se 
produisit  pour  elle  une  cause  nouvelle  de  relèvement 
intérieur.  Ce  sont  les  relations  assez  étroites  que  les 
rois  et  les  catholicos  entretinrent  avec  Rome  à  partir 
du  règne  de  Roussoudane  (1223-1247).  Comme  ces 
rapports  ont  reçu  dans  la  suite  un  développement 
considérable,  nous  préférons  leur  consacrer  une  étude 
spéciale. 

Une  question  se  pose  tout  d'abord.  A  quelle  époque 
la  Géorgie  s'est-elle  séparée  de  l'Église  catholique  ?  On 
n'a  encore  trouvé  aucun  document,  ni  chez  les  écri- 
vains indigènes  ni  chez  les  étrangers,  qui  puisse  donner 
quelques  précisions  sur  ce  point.  On  sait  du  moins  que 
les  Géorgiens  restèrent  en  général  étrangers  aux  que- 
relles suscitées  à  Rome  par  la  sophistique  byzantine. 
Cependant,  les  moines  du  mont  Athos  durent  très 
probablement  y  prendre  part  et  leur  influence  a  pu 
contribuer  à  détacher  la  Géorgie  de  l'Église  universelle. 
Leur  indépendance  ecclésiastique  vis-à-vis  des  pa- 
triarches byzantins  atténua  certainement  l'animosité 
des  Géorgiens  contre  Rome,  car  il  ne  s'agissait  pas  pour 
eux  d'une  question  nationale.  Les  guerres  interminables 
qu'ils  avaient  à  soutenir  contre  des  ennemis  sans  cesse 
renouvelés  ne  leur  permettaient  pas  d'ailleurs  de  se  mêler 
beaucoup  à  ces  querelles  de  théologiens.  Jusqu'à  la  fin 
du  xiic  siècle,  ils  continuèrent  de  faire  mention  du  pape 
dans  leurs  offices,  au  même  titre  que  des  patriarches 
grecs.  Brosset,  op.  cit.,  t.  i,  p.  457;  Jordania,  op.  cit., 
t.  i,  p.  140,  142,  152.  Il  est  probable  que  la  séparation 
s'est  faite  insensiblement,  à  cause  du  manque  de  rela- 
tions entre  la  Géorgie  et  le  monde  occidental.  Hono- 
rius  III,  dans  une  lettre  adressée  en  1224  à  la  reine 
Roussoudane,  ne  considère  pas  celle-ci  comme  schis- 
matique,  puisqu'il  lui  accorde  ainsi  qu'à  son  peuple 
l'indulgence  apostolique.  Grégoire  IX  ne  parle  pas  non 
plus  de  séparation  dans  une  bulle  de  1233.  Archives 
Vaticanes,  Reg.  Val.,  17,  fol.  6.  Toutefois,  dans  une 
lettre  que  Roussoudane  écrit  au  pape,  elle  lui  promet, 
si  elle  reçoit  du  secours  contre  les  Mongols,  de  s'unir  avec 
tout  son  peuple  à  l'Église  catholique.  C'est  la  première 
fois  qu'on  entend  parler  du  schisme  des  Géorgiens. 
Dans  la  réponse  qu'il  fit  en  1240  à  la  reine  et  à  son  fils 
David,  Grégoire  IX  constate  la  séparation  en  ces 
termes  :  «  Aussi  faut-il,  très  chers  fils,  que  vous  et  vos 
sujets  reconnaissiez  humblement  le  pontife  romain, 


1259 


r.rcoRGTE 


1200 


successeur  de  Pierre  et  vicaire  du  Christ,  comme  le 
Père  et  le  chef  de  notre  foi.  Regrettez  de  n'avoir  pas 
suivi  dans  le  passé  cette  ligne  de  conduite  et  efforcez- 
vous  de  vous  réunir  à  lui  et  à  l'Église  romaine 
et  de  lui  obéir  en  ce  qui  regarde  le  salut  de  votre 
âme.  »  Archives  Vaticanes,  Beg.  Val.,  lu,  n.  198, 
fol.   142. 

Dans  l'impossibilité  de  tracer,  faute  de  documents 
remontant  à  cette  l'époque,  une  histoire  complète  de 
l'Église  géorgienne  pendant  les  six  siècles  qui  nous 
occupent,  nous  nous  bornerons  à  signaler  les  faits  les 
plus  saillants  qui  sont  parvenus  jusqu'à  nous  Le  catho- 
licos Nicolas  11  n'hésita  pas,  vers  1245,  à  se  présenter 
devant  le  chef  mongol  Houlagou  pour  lui  demander 
d'empêcher  le  pillage  des  églises  et  des  monastères  que 
ses  chefs  pratiquaient  couramment  sous  prétexte  de 
lever  l'impôt.  Cette  démarche  hardie  réussit  pleine- 
ment. Brosset,  Histoire  de  la  Géorgie,  t.  i,  p.  541.  En 
1280,  le  même  catholicos  réunit  un  synode  de  tous  les 
évêques  pour  réprimer  les  abus  du  roi  Démétrius  II 
(1273-1289)  qui  dissipait  les  biens  ecclésiastiques.  Ce 
fut  en  vain,  car  le  prince  continua  ses  rapines.  Son 
exemple  ne  fut  que  trop  imité  par  les  seigneurs  géor- 
giens. Le  clergé  était  loin  d'ailleurs  de  se  montrer  à  la 
hauteur  de  sa  tâche  et  ne  manifestait  pas  une  moindre 
avidité  de  richesses.  Cependant,  Démétrius  revint  à 
des  sentiments  plus  chrétiens.  Comme  il  avait  cherché 
à  se  soustraire  au  joug  du  redoutable  Houlagou,  celui- 
ci  lui  ordonna  de  venir  à  son  camp  pour  rendre  compte 
de  sa  conduite.  Démétrius  s'y  rendit,  malgré  les  sup- 
plications du  clergé  et  des  fidèles,  afin  d'épargner  à 
son  peuple  un  châtiment  terrible  et  mourut  dans  les 
supplices  en  victime  volontaire.  Brosset,  op.  cil., 
t.  i,  p.  608.  L'Église  géorgienne  l'honore  comme  un 
martyr. 

Georges  V  le  Brillant  (1318-1346)  réunit,  lui  aussi, 
le  catholicos  et  les  évêques  en  un  synode  qui  réforma 
le  clergé,  rétablit  la  discipline  ecclésiastique,  ramena 
les  moines  à  l'observation  de  leurs  règles  et  mit  fin 
aux  désordres  qu'avait  causés  la  domination  des 
infidèles.  La  période  de  calme  et  de  tranquillité  que 
ses  victoires  avaient  assurée  à  son  pays  ne  dura 
pas  longtemps.  En  1386,  Timour-Leng  commençait 
les  redoutables  incursions  qui  devaient  se  renouveler 
pendant  une  vingtaine  d'années.  La  religion  fut  de 
nouveau  persécutée,  les  chrétiens  martyrisés,  les 
églises  et  les  monastères  pillés  et  dévastés.  Alexan- 
dre Ier  (1414-1442)  travailla  à  relever  de  leurs  ruines 
et  l'Église  et  l'État.  A  partir  du  milieu  du  xve  siècle, 
nous  ne  savons  à  peu  près  rien  de  l'Église  géorgienne 
jusqu'aux  premières  années  du  xvnc  siècle,  sauf  les 
tentatives  de  rapprochement  avec  Rome  et  le  succès 
de  la  mission  catholique.  Nous  en  reparlerons  plus  loin. 
Les  luttes  des  Turcs  et  des  Perses  dont  la  Géorgie  fut 
longtemps  la  victime  accumulèrent  les  ruines  et  aug- 
mentèrent malheureusement  aussi  le  nombre  des 
apostats.  En  beaucoup  d'endroits,  le  christianisme  fit 
place  à  la  religion  du  Prophète.  Les  rois  et  les  nobles 
donnèrent  d'ailleurs  un  exemple  funeste  en  acceptant 
l'islamisme  pour  conserver  leur  situation.  La  religion 
nouvelle,  mêlée  aux  restes  du  paganisme  ancien  et  au 
christianisme, produisit  cette»  triple  foi  »  dont  parlent 
les  missionnaires  catholiques  et  les  ambassadeurs 
russes.  Khakhanoff,  Histoire  de  Géorgie,  Paris,  1900, 
p.  61.  La  corruption  des  grands  fut  bientôt  égalée 
par  celle  du  clergé.  Les  catholicos  eux-mêmes  n'étaient 
plus  qu'un  jouet  entre  les  mains  des  rois  imposés  au 
pays  par  les  Turcs  ou  les  Persans.  Vers  1625,  les  habi- 
tants de  la  principauté  de  Samtzkhé,  dans  la  Géorgie 
occidentale,  passèrent  presque  tous  à  l'islamisme  qu'ils 
pratiquent  encore  aujourd'hui.  Dubois  de  Monpéreux, 
Voyage  autour  du  Caucase,  Paris,  1839,  t.  i,  p.  299.  Un 
peu  avant  cette  date,  un  certain  nombre  de  catholiques 


de  la  même  province,  voyant  que  les  Turcs  ne  persé- 
cutaient pas  les  Arméniens  parce  que  ceux-ci  leur 
rendaient  de  grands  services  en  leur  servant  d'espions, 
embrassèrent  le  rite  arménien  pour  se  mettre  à  l'abri 
des  vexations.  Tamarati,  op.  cit.,  p.  478.  Dans  la 
Géorgie  orientale,  les  Persans  se  conduisaient  à  peu 
près  de  la  même  façon  que  les  Turcs  dans  la  Géorgie 
occidentale.  Abbas  le  Grand  (1557-1628)  surpassa 
tous  les  autres  chahs  par  sa  tyrannie  et  sa  haine  contre 
les  chrétiens.  Un  jour  de  Pâques,  il  massacra  plu- 
sieurs centaines  de  moines  (5  000,  s'il  faut  en  croire  les 
documents  géorgiens)  dans  le  monastère  de  Saint- 
David  de  Garédja.  Pour  mieux  ruiner  la  Géorgie,  il 
déporta  dans  les  différentes  provinces  de  la  Perse  un 
million  environ  de  chrétiens  qui,  petit  à  petit,  perdirent 
leur  foi  pour  embrasser  l'islamisme  (vers  1615). 
Archives  de  la  Propagande,  Pcrsia,  Giorgia,  Mengrelia 
e  Tarlaria,  t.  ccix,  p.  321;  Pietro  délia  Valle,  Viaggi, 
Bologne,  1687,  p.  198  sq.  Parmi  les  martyrs  les  plus 
célèbres  qui  moururent  victimes  de  la  persécution 
d' Abbas,  il  faut  citer  le  roi  Louarsab  (1623),  Brosset, 
Histoire  moderne  de  la  Géorgie,  t.  il,  p.  51,  et  la  reine 
Kétévan  de  Kakhétie  (1624),  Archives  de  la  Propa- 
gande, Scritlurc  riferite,  Giorgia,  t.  i,  p.  14,  et  le 
confesseur  de  cette  reine,  le  moine  Moïse.  Figueroa 
D.  Garcias  de  Silvia,  L'ambassade  en  Perse,  de  1617 
à  1627,  Paris,  1667,  p.  134,  346. 

A  partir  de  cette  époque  jusqu'au  rattachement  de 
la  Géorgie  à  la  Russie,  nous  ne  connaissons  plus  guère 
l'Église  de  ce  pays  que  par  les  relations  qu'elle  entretint 
avec  les  missionnaires  latins.  Un  des  catholicos  qui 
ont  le  plus  fait  pour  assurer  l'union  avec  Rome, 
Antoine  Ier  (1744-1788),  travailla  d'abord  à  réformer 
le  clergé  et  le  peuple.  Dans  un  synode  qui  réunit  tous 
les  évêques  de  Karthlie  et  de  Kakhétie,  il  fit  prendre 
les  plus  sages  décisions  pour  améliorer  les  mœurs 
publiques,  particulièrement  en  ce  qui  concerne  les 
empêchements  de  mariage.  Le  zèle  avec  lequel  il  pro- 
tégeait la  mission  catholique  fut  la  cause  de  sa  perte. 
A  l'instigation  du  patriarche  grec  de  Constantinople, 
Cyrille  V,  qui  voyait  d'un  très  mauvais  œil  toute 
tentative  de  rapprochement  avec  le  monde  catholique, 
le  roi  Téïmouraz  le  destitua  et  le  chassa  du  pays, 
en  1755.  Archives  de  la  Propagande,  Monte  Caucaso, 
t.  iv,  p.  72.  On  lui  donna  pour  successeur  un  certain 
Joseph  (1755-1763),  sous  le  pontificat  duquel  le  roi 
Héraclius  II  réunit  une  assemblée  d'évêques  pour 
rétablir  la  discipline  parmi  le  clergé.  Le  roi  présenta 
onze  articles  de  lois  à  l'assemblée  qui  les  approuva  à 
l'unanimité.  La  charte  se  trouve  au  Musée  ecclésias- 
tique de  Tiflis,  sous  le  n.  856.  Antoine  Ier,  réfugié  en 
Russie,  sembla  oublier  pendant  son  exil  la  faveur  qu'il 
avait  accordée  au  catholicisme,  car  il  fit  constamment 
profession  de  foi  orthodoxe.  Cependant  il  écrivit  à  la 
même  époque  un  ouvrage  sur  le  Miserere,  dans  lequel  il 
se  prononce  ouvertement  pour  la  primauté  du  pape.  Il 
revint  en  Géorgie  à  la  mort  du  roi  Téïmouraz,  en  1781, 
et  occupa  de  nouveau  le  siège  patriarcal  jusqu'à  sa 
mort,  en  1788.  Il  fut  le  premier  prélat  géorgien  à  se 
rapprocher  de  l'Église  russe  et  à  en  introduire  les 
usages  dans  sa  patrie.  Ce  zèle  russophile  lui  valut 
même  l'honneur  de  prendre  place  parmi  les  membres 
du  saint-synode.  Malgré  cette  conduite  équivoque,  il 
paraît  cependant  être  toujours  resté  attaché  à  la  foi 
catholique  et  les  missionnaires  latins  nous  affirment 
qu'il  la  confessa  encore  sur  son  lit  de  mort.  Tamarati, 
op.  cit.,  p.  384.  Très  érudit  lui-même,  Antoine  I" 
donna  une  grande  impulsion  aux  études  ecclésiastiques 
en  rétablissant  les  séminaires  et  les  écoles.  Son  succes- 
seur, Antoine  II  (1788-1811),  fut  le  dernier  catholicos 
que  la  Géorgie  ait  connu. 

XIII.  La  Géorgie  occidentale.  —  De  bonne 
heure,  la  Géorgie  occidentale,  appelée  aussi  Colchide, 


12fit 


GEORGIE 


1262 


s'était  détachée  du  royaume  pour  former  plusieurs 
petits  États,  soumis  d'abord  aux  Romains,  puis  aux 
empereurs  byzantins.  Elle  prit  alors  le  nom  de  Lazique, 
sous  lecpiel  on  comprend  toutes  les  tribus  géorgiennes 
qui  habitaient  au  sud  de  l'Ingour  et  le  long  des  côtes 
de  la  mer  Noire.  La  seule  marque  de  dépendance  de 
ces  États  vis-à-vis  de  la  cour  de  Byzance  était  une 
espèce  d'investiture  que  les  basileis  accordaient  aux 
nouveaux  rois  en  leur  envoyant  les  insignes  de  leur 
dignité.  L'empire  byzantin  avait  fait  des  habitants 
de  ces  provinces  des  garde-frontière  destinés  à  barrer 
la  route  aux  envahisseurs.  Les  Perses  virent  dans  la 
conquête  de  Lazique  un  moyen  sûr  d'atteindre  plus 
facilement  Constantinople.  C'est  pourquoi  ils  entre- 
prirent contre  les  Byzantins  une  guerre  longue  et 
acharnée,  surtout  à  partir  du  règne  de  Justinien.  Le 
Lazique  resta  néanmoins  sous  la  dépendance  de 
Constantinople  jusqu'au  commencement  du  xe  siècle. 
A  cette  époque,  il  fit  son  union  au  royaume  de  Géorgie 
d'Abkhasie  (Aphkhazétie  en  géorgien).  Cette  union 
dura  pendant  plus  de  cinq  siècles,  jusqu'au  partage  de 
la  Géorgie  entre  les  trois  fils  d'Alexandre  Ier  (1442). 

De  quel  patriarcat  dépendait  l'Église  du  Lazique  ? 
Au  moins  depuis  628,  année  qui  marqua  l'écrasement 
des  Perses  par  Héraclius,  sinon  plus  tôt,  la  Géorgie 
occidentale  fut  soumise  à  la  juridiction  de  Constan- 
tinople. Dans  une  Notilia  episcopatuum,  composée 
vers  650  et  publiée  par  Gelzer,  Ungedrucklc  und 
ungenùgend  verôffentlichle  Texte  der  Notiliœ  episco- 
patuum,  dans  Abhandlungen  der  k.  bayer.  Académie 
der  Wissenschaflen,  Munich,  1900,  p.  542  sq.,  le  Lazi- 
que forme  une  province  ecclésiastique,  dont  le  chef, 
le  métropolite  de  Phasis,  étend  sa  juridiction  sur 
quatre  suffragants,  les  évèques  de  Rhodopolis,  de 
Saésines,  de  Pétré  et  de  Ziganes.  On  signale  aussi 
dans  la  même  liste  un  évèché  autocéphale  en  Abasgie. 
Nous  ne  savons  pas  combien  de  temps  dura  la  juri- 
diction de  Constantinople  sur  cette  province  lointaine. 
En  tout  cas,  le  lien  de  dépendance  n'existait  plus  au 
début  du  xe  siècle.  Dans  une  autre  Notitia  episco- 
patuum de  cette  même  époque,  Gelzer,  op.  cit.,  p.  357, 
on  trouve  bien  encore  une  province  ecclésiastique 
portant  le  nom  de  Lazique,  mais  elle  ne  comprend  pas 
des  territoires  vraiment  géorgiens.  La  métropole, 
Trébizonde,  commande  à  sept  évêchés  suffragants 
situés  à  peu  près  tous  en  Arménie.  Les  sièges  indi- 
qués vers   650  n'y    figurent  plus. 

Du  xc  siècle  à  la  fin  du  xive,  la  Géorgie  occidentale 
releva  probablement  du  catholicos  de  Mtzkhéta.  Mais 
en  1390  nous  la  voyons  gouvernée  par  un  catholicos 
particulier,  du  nom  d'Arsène.  Le  domaine  de  ce 
dernier  comprenait  l' Aphkhazétie,  c'est-à-dire  l'Imé- 
rétie,  la  Mingrélie,  le  Gouria,  le  Samtzkhé,  la  Svanétie 
et  l'Aphkhazétie  proprement  dite.  Le  catholicos  rési- 
dait ordinairement  à  Bidchvinta  ou  Btunsta,  dont 
l'église  célèbre  passait  pour  avoir  été  bâtie  par  l'apôtre 
saint  André  lui-même  (1).  L'origine  de  ce  catholicat  de- 
meure plus  obscure  que  celle  du  catholicat  de  Mtzkhéta. 
Il  est  impossible  de  trouver  dans  les  documents  qui 
nous  restent  de  cette  époque  aucune  indication  ni  sur 
la  date  de  son  érection,  ni  sur  les  circonstances  qui  l'ont 
accompagnée,  ni  sur  le  nombre  des  titulaires.  La 
division  politique  de  la  Géorgie  en  plusieurs  princi- 
pautés ne  semble  pas  avoir  été  la  cause  principale  de 
cette  séparation  ecclésiastique.  Tamarati,  op.  cit., 
p.  397.  Il  est  probable  que  les  patriarches  d'Antioche 
regrettaient  d'avoir  reconnu  l'autonomie  à  l'Église 
géorgienne,  surtout  depuis  que  les  conquêtes  arabes 
avaient  singulièrement  amoindri  leur  puissance.  On 
a  des  preuves  certaines  qu'ils  cherchèrent  à  profiter 
des  divisions  qui  existaient  en  Géorgie  pour  reprendre 
au  moins  une  partie  de  leur  juridiction  ancienne.  On 
peut  citer, entre  autres, des  lettres  adressées  au  catho- 


licos de  Mtzkhéta  par  des  évoques  du  Samtzkhé, 
dans  lesquelles  ils  avouent  s'être  laissé  entraîner  par 
les  émissaires  grecs.  Ils  promettent  de  ne  plus  en  rece- 
voir et  de  ne  plus  même  faire  mention  du  patriarche 
d'Antioche  à  la  liturgie.  Jordania,  Chroniques,  t.  iv, 
p.  227,  265,  315.  De  même  une  charte  de  Dorothée, 
patriarche  d'Antioche  (1484-1523),  adressée  à  Mzéd- 
chabouc,  prince  du  Samtzkhé,  fait  les  plus  grands 
éloges  de  lui  et  des  évêques  de  la  région,  tandis  qu'elle 
traite  d'impie  et  d'infidèle  le  roi  de  Géorgie,  ce  qui 
semble  indiquer  une  flatterie  intéressée.  Jordania,  op. 
cit.,  p.  316.  Michel,  patriarche  d'Antioche,  serait  venu 
dans  la  Géorgie  occidentale  vers  1470  pour  régler  diffé- 
rentes affaires  ecclésiastiques.  Il  aurait  aussi  sacré  le 
catholicos  Joachim,  qui  n'est  pas  autrement  connu. 
Jordania,  op.  cit.,  p.  294.  Un  autre  patriarche  d'An- 
tioche, Macaire  III  (1643-1672),  vint  plusieurs  fois  en 
Géorgie  au  cours  du  xvne  siècle.  Jordania,  op.  cit., 
p.  482. 

Le  catholicos  le  plus  célèbre  de  l'Aphkhazétie  est 
Evdémon  Tchkhétidzé,  mort  en  1605,  auteur  de  vingt- 
trois  canons  ecclésiastiques  qui  sont  entrés  dans  le 
code  géorgien  compilé  par  le  roi  Vakhtang  VI  au 
xvmc  siècle.  Malachie,  qui  était  en  même  temps  prince 
de  Gouria,  demanda  au  pape  Urbain  VIII  des  mis- 
sionnaires et  les  reçut  avec  faveur.  Tamarati,  op.  cit., 
p.  401-403.  Plusieurs  de  ses  successeurs  se  montrèrent 
également  très  accueillants  pour  les  missionnaires 
latins.  Le  dernier  fut  Maxime  (1776-1795)  qui  mourut 
à  Kiev,  au  cours  d'une  ambassade  auprès  de  Cathe- 
rine II  pour  lui  demander  du  secours  contre  les  Turcs. 
Maxime  ne  fut  pas  remplacé. 

XIV.  Organisation  de  l'Église  géorgienne. 
Liste  des  évêchés.  —  La  Géorgie  conserva  jusqu'à 
la  fin  de  son  indépendance  un  système  politique  et 
social  semblable  sur  beaucoup  de  points  à  celui  de  la 
féodalité  occidentale.  Le  clergé  formait  un  corps  indé- 
pendant et  privilégié,  une  société  régie  par  ses  propres 
lois.  Le  catholicos,  chef  spirituel  du  pays,  les  métro- 
polites, les  archevêques,  les  évêques,  les  archimandrites, 
les  prêtres  séculiers  et  les  moines  constituaient  la 
hiérarchie  ecclésiastique.  Brosset,  Histoire  de  la  Géor- 
gie, Introduction,  Saint-Pétersbourg,  1859,  p.  lxxix. 
Comme  pour  les  autres  classes  de  la  société,  tout  dom- 
mage commis  au  détriment  d'un  ecclésiastique  était 
frappé  d'une  amende  ou  prix  du  sang,  qui  variait  natu- 
rellement suivant  la  dignité  de  la  victime.  Les  tarifs 
n'ont  pas  changé  du  vmc  au  xvie  siècle.  Les  évêques 
se  mêlaient  intimement  à  la  vie  nationale.  Tout  comme 
ceux  du  moyen  âge  en  Occident,  ils  accompagnaient 
les  armées  sur  le  champ  de  bataille  et  il  est  probable 
qu'ils  tirèrent  plus  d'une  fois  l'épée. 

Le  catholicos  est  reconnu  «  roi  spirituel  »  du  pays, 
Brosset,  op.  cit.,  Introduction,  p.  cix,  dans  les  chartes 
royales  et  dans  les  différents  articles  du  code.  Cela  n'em- 
pêchait pas  les  princes  séculiers  de  le  maltraiter,  de  le 
déposer  ou  de  le  chasser  au  gré  de  leur  caprice.  Us 
donnaient  même  souvent  sa  charge  à  des  personnages 
indignes,  mais  qui  appartenaient  soit  à  leur  propre 
famille,  soit  à  une  famille  noble  dont  ils  voulaient  se 
concilier  les  faveurs.  Les  intérêts  spirituels  étaient  né- 
cessairement négligés  par  ces  prélats  de  cour,  plus 
occupés  d'affaires  temporelles,  voire  même  militaires, 
que  du  soin  des  âmes.  Le  titre  de  «  roi  spirituel  •> 
n'était  cependant  pas  un  vain  mot.  Il  donnait  au 
catholicos  une  autorité  réelle  sur  les  citoyens  et  même 
sur  l'armée,  au  temporel  comme  au  spirituel.  Brosset, 
op.  cit.,  Introduction,  p.  cx-cxn. 

Il  ne  semble  pas  que  la  Géorgie  ait  été  divisée  en 
provinces  ecclésiastiques  bien  déterminées.  Du  moins, 
nous  ne  connaissons  pas  de  document  qui  le  prouve. 
Il  est  probable  que  les  diocèses  se  groupaient  par  pro- 
vince civile,  sans  avoir  eux-mêmes  de  limites  exactes. 


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GEORGIE 


1264 


La  plupart  des  évèchés  se  trouvaient  dans  les  cam- 
pagnes ou  dans  les  montagnes,  parce  que  la  résidence 
de  leurs  titulaires  était  ordinairement  dans  les  monas- 
tères. Les  évoques  et  les  évèchés  tiraient  leur  nom  du 
lieu  de  la  résidence,  ou  du  titre  que  portait  l'église 
cathédrale.  Le  nombre  des  évèchés  varia  suivant  les 
époques.  Nous  donnons  ici  la  liste  dressée  au  xvne  siè- 
cle par  un  missionnaire  théatin,  le  P.  A.  Lamberti,  qui 
séjourna  en  Géorgie  de  1630  à  1649.  Sacra  sloria  dei 
Colchi  (Colc h ide sacra).  Naples,  1657,  p.  27-35.  A  l'époque 
où  écrivait  cet  auteur,  beaucoup  de  ces  évèchés  avaient 
déjà  disparu  à  la  suite  des  multiples  épreuves  qu'avait 
subies  la  Géorgie. 

Géorgie  orientale. 
Évèchés  de  la  province  de  Karthlie. 
1.  Église     patriarcale     de        11.  Tbiléli  (de  Tiflis). 


Mtzkhéta. 

12. 

Maganéli. 

2. 

Zalkéli. 

13. 

(métropolitaine) 

:î. 

Iassiréli. 

14. 

Gerghitéli. 

4. 

Manéli. 

15. 

Santamléli. 

5. 

Coucouséli. 

16. 

Nicoséli. 

6. 

Pamboukélil. 

17. 

Ourbnéli. 

7. 

Actaléli. 

18. 

Nozouéli. 

8. 

Nakhidouréli. 

19. 

Rouéli. 

9. 

Bonéli. 

20. 

Ertatsmindéli. 

10. 

Siniskavéli. 

Évèchés  de 

la  province 

de  Kakhêlic. 

1. 

Allaverdéli  (archevêché). 

11. 

Bodbéli. 

2. 

Zédadznéli. 

12. 

Lertéli. 

3. 

Djvaréli. 

13. 

Vanéli. 

4. 

Samébéli. 

14. 

Arimatéli. 

5. 

Roustvéli. 

15. 

Kiziqéli. 

6. 

Martkoféli. 

16. 

Cabaléli. 

7. 

Catatsnéli. 

17. 

Gaématéli. 

8. 

Pouznaréli. 

18. 

Ninotsmindéli. 

9. 

Nécresséli. 

19. 

Chéqéli. 

10. 

Tchiarambéli. 

20. 

Viginéli. 

Évèchés  de 

la  province 

de  Samtzkhé. 

1. 

Scaltéli. 

11. 

Anéli. 

2. 

Euphratéli. 

12. 

Ichkhnéli. 

3. 

Azilakéli. 

13. 

Ispiréli. 

4. 

Angéli. 

14. 

Artona. 

5. 

Scatbéli. 

15. 

Iskméli. 

6. 

Etbéli. 

16. 

Ortéli. 

7. 

Surskaléli. 

17. 

Arzérouméli. 

8. 

Matsqvréli. 

18. 

Koumourdoéli. 

9. 

Dadasnéli. 

19. 

Erousméli. 

10. 

Caréli. 

GÉORGIE    OCCIDENTALE. 

Évèchés  de  la  province  de  Mingrélie. 


1.  Dandréli. 

2.  Cagéli. 

3.  Moqvéli. 

4.  Bédiéli. 

5.  Tzaichéli. 


6.  Tchipouriasséli. 

7.  Khoféli. 

8.  Obougéli. 

9.  Tsqondidéli. 
10.  Saalindjaqéli. 


Évèchés  de   la  province    d' Abkhasie. 

1.  Btsunta,  résidence  du  ca-       2.  Djikéli   (archevêché), 
tholicos  de  la  Géorgie       3.  Blaéli. 
occidentale.  4.  Anacopéli. 

Évèchés  de  la   province  de   Gouria. 

1.  Schiamomcmédéli.  3.  Ninotsmindéli. 

2.  Blaéti. 

Il  y  avait  donc  en  tout  soixante-dix-sept  évèchés 
en  Géorgie.  Peut-être  le  P.  Lamberti  en  a-t-il  omis 
qui  avaient  déjà  disparu  depuis  longtemps.  Remar- 
quons en  passant  qu'il  n'y  avait  pas  moins  de  vingt- 


cinq  églises  cathédrales  consacrées  à  la  sainte  Vierge, 
ce  qui  indique  chez  les  Géorgiens  une  grande  dévotion 
pour  la  Mère  de  Dieu. 

L'Église  géorgienne  possédait  d'immenses  richesses 
qui  lui  venaient  des  donations  faites  par  les  princes 
ou  par  les  simples  lidèles.  Mourier,  L'art  religieux  au 
Caucase,  Paris,  1887,  p.  43.  Ces  donations  étaient 
presque  toujours  grevées  de  certaines  charges,  ordi- 
nairement des  messes  à  dire  ou  des  agapes  à  servir. 
On  entend  par  agapes,  en  Géorgie,  un  repas  que  l'Église 
ou  les  fidèles  doivent  payer  aux  clercs,  aux  pauvres, 
aux  passants,  en  un  mot  à  tous  ceux  qui  se  présentent, 
en  l'honneur  des  morts.  Brosset,  Histoire  de  la  Géorgie, 
Introduction,  p.  exiv.  Cette  pratique,  qui  est  proba- 
blement d'origine  païenne,  est  toujours  en  honneur  et 
cause  la  ruine  des  familles.  L'Église  avait,  tout  comme 
l'État,  des  vassaux  et  aussi  des  serfs  qui  faisaient 
valoir  ses  propriétés.  Brosset,  op.  cit.,  p.  cxxvi.  Ses 
richesses  étaient  considérables  à  la  fin  du  xvme  siècle, 
malgré  les  malheurs  du  pays  et  les  pillages  des  grands, 
puisque  le  gouvernement  russe  lui  a  enlevé  pour  plus 
de  350  millions  de  francs  d'immeubles.  Issari,  journal 
géorgien  de  Tiflis,  1907,  n.  110. 

XV.  Le  régime  russe  en  Géorgie.  L'exarchat.  — 
Par  le  traité  du  24  juillet  1783,  conclu  entre  le  roi 
Héraclius  II  et  l'impératrice  Catherine  II,  le  gouver- 
nement russe  s'engageait  à  maintenir  sur  le  trône  de 
Géorgie  la  dynastie  régnante  et  à  garantir  l'indépen- 
dance de  l'Église  nationale  vis-à-vis  du  saint-synode 
de  Pétersbourg.  Dans  un  nouveau  traité  passé  le 
23  novembre  1799  entre  le  tsar  Paul  Ier  et  le  roi 
Georges  XII,  fils  d'Héraclius,  il  revenait  déjà  sur  ses 
concessions.  En  effet,  Georges  XII  devait  abdiquer 
et  laisser  la  place  à  son  fils  David  qui  porterait  le 
litre  de  régent  de  Géorgie,  dignité  qui  devait  se  trans- 
mettre d'aîné  en  aîné  à  ses  descendants.  Rothiers, 
Itinéraire  de  Tiflis  à  Constantinople,  Bruxelles,  1829, 
p.  64-70.  Or,  dès  le  18  janvier  1801,  le  tsar  Alexandre  Ier 
proclamait  l'annexion  pure  et  simple  de  la  Géorgie  à 
l'empire  russe.  La  Géorgie  occidentale  conserva  encore 
pendant  quelques  années  une  autonomie  illusoire, 
après  quoi  elle  subit  le  sort  des  autres  provinces.  Nous 
n'avons  pas  à  nous  occuper  ici  de  la  manière  brutale, 
coutumière  aux  Russes,  avec  laquelle  s'opéra  le  chan- 
gement de  régime,  ni  des  haines  terribles  que  le  gou- 
vernement moscovite  s'est  attirées  depuis  plus  d'un 
siècle  par  les  vexations  qu'il  a  infligées  aux  Géorgiens. 
Nous  nous  contenterons  d'indiquer  l'attitude  qu'il 
prit  vis-à-vis  de  l'Église. 

L'annexion  de  la  Géorgie  entraînait  logiquement  à 
ses  yeux  la  disparition  de  la  dignité  de  catholicos 
dont  l'existence  semblait  une  injure  au  saint-synode  de 
Pétersbourg  et  une  grave  atteinte  portée  à  son  auto- 
rité. Pouvait-il,  en  effet,  y  avoir  deux  Églises  ortho- 
doxes dans  l'empire  des  tsars  ?  C'est  pourquoi  l'em- 
pereur Alexandre  Ie1  écrivit  au  catholicos  Antoine  II, 
le  10  juin  1811,  pour  lui  déclarer  que  l'Église  géor- 
gienne ne  pouvait  pas  rester  autonome  et  que  sa 
dignité  à  lui  n'avait  plus  aucune  raison  d'être  depuis 
l'annexion.  Il  le  priait  en  conséquence  de  se  rendre 
en  Russie  où  il  conserverait  les  honneurs  dus  à  sa 
dignité,  jouirait  d'une  pension  convenable  et  prendrait 
place  parmi  les  membres  du  saint-synode.  Tamarati, 
L'Église  géorgienne,  p.  384.  Antoine  II  fut  obligé  de 
se  rendre  à  cette  invitation  qui  n'était  qu'un  ordre 
déguisé.  Il  mourut  en  Russie  en  1828.  Pour  ne  pas 
trop  blesser  la  susceptibilité  des  Géorgiens,  le  gou- 
vernement russe  nomma  d'abord  un  exarque  indigène, 
Varlaam  Eristavi,  pour  succéder  au  catholicos.  Six  ans 
après,  quand  il  vit  son  autorité  fortement  établie 
dans  le  pays,  il  jeta  le  masque  et  remplaça  Varlaam 
par  un  exarque  russe,  Théophylacte  Roussanov  (1817- 
1821).  Depuis  cette  époque,  l'Église  géorgienne,  incor- 


1265 


GEORGIE 


1266 


porée  de  force  à  l'Église  officielle  de  Saint-Pétersbourg, 
a  constamment  été  gouvernée  par  des  exarques  russes, 
dont  nous  donnerons  la  liste  un  peu  plus  loin.  Bien 
qu'elle  jouisse  d'une  organisation  un  peu  spéciale, 
elle  n'est  rien  moins  qu'autonome,  comme  on  pourra 
s'en  rendre  compte  en  étudiant  sa  situation  canoni- 
que. 

La  réforme  ne  se  fit  pas  sans  tiraillements.  Un  pre- 
mier règlement,  élaboré  en  1811  par  l'exarque  Varlaam 
Eristavi  et  le  général  Tornasov,  gouverneur  du  Caucase, 
n'eut  pas  de  succès  et  fut  remplacé  par  un  autre  en 
1814,  après  la  conquête  de  l'Imérétie.  L'Église  géor- 
gienne tout  entière,  comprenant  les  diocèses  de  la 
Géorgie  proprement  dite,  de  l'Imérétie,  de  la  Mingrélic 
et  de  la  Gourie,  était  placée  sous  l'autorité  d'un  seul 
exarque  résidant  à  Tiffis  et  assisté  non  d'un  consistoire, 
mais  d'un  bureau  synodal  pour  la  Géorgie  proprement 
dite,  tandis  qu'un  consistoire  était  créé  à  Koutaïs  pour 
l'Imérétie,  la  Mingrélie  et  la  Gourie.  Il  y  avait  cinq 
éparchies  et  un  vicariat.  Tous  les  autres  évêchés  furent 
supprimés.  Le  bureau  synodal  entra  en  fonctions  le 
8  mai  1815. 

Après  trois  ans  d'expérience,  on  s'aperçut  que  la 
nouvelle  organisation  n'était  pas  viable  et  ne  répon- 
dait pas  suffisamment  aux  vues  bureaucratiques  du 
saint-synode.  En  1818,  Théophylacte  Roussanov,  pre- 
mier exarque  russe,  se  chargea  de  rédiger  un  nouveau 
règlement  qui  établissait  en  Géorgie  une  seule  éparchie 
portant  les  noms  de  Karthlie  et  Kakhétie,  et  donnait 
un  évêque  à  chacune  des  autres  provinces  :  Imérétie, 
Mingrélie  et  Gourie.  Les  évêques  dépendaient  direc- 
tement de  l'exarque  qui  résidait  à  Tiffis  et  gouvernait 
l'éparchie  de  Karthlie  et  Kakhétie.  En  même  temps,  on 
essaya  d'introduire  la  procédure  ecclésiastique  pra- 
tiquée en  Russie.  Jusque-là,  on  avait  observé  dans  le 
pays  des  coutumes  ecclésiastiques  tout  à  fait  patriar- 
cales. Les  curés  étaient  à  la  fois  juges,  conseillers, 
administrateurs  et  propriétaires.  D'après  un  usage 
ancien,  le  prince  de  Mingrélie  et  les  seigneurs  de  la 
province  se  réunissaient  chez  le  métropolite  pour 
délibérer  sur  les  affaires  de  la  principauté.  La  plupart 
des  évêques  appartenaient  aux  familles  seigneuriales 
et  administraient  leurs  diocèses  sans  recourir  aux 
complications  d'une  chancellerie  bureaucratique.  Une 
taxe  sur  le  clergé,  quelques  contributions  prélevées 
sur  la  population  par  manière  d'amendes  judiciaires 
et  canoniques,  suffisaient  à  les  faire  vivre  avec  les 
revenus  des  biens  ecclésiastiques.  Les  prêtres  étaient 
trop  nombreux;  un  village  de  cent  foyers  en  comptait 
jusqu'à  huit.  Ajoutez  à  cela  que  les  moines  employaient 
les  nonnes  comme  servantes  dans  leurs  couvents  et 
que  les  évêques  s'occupaient  plus  de  ramasser  les 
impôts  que  de  célébrer  les  offices  liturgiques.  S'il  faut 
en  croire  les  rapports  russes,  un  évêque  officiait  en 
moyenne  dix  fois  en  trente  ans  !  On  devine  que  les 
projets  de  réformes  de  l'exarque  ne  pouvaient  plaire 
au  clergé.  Celui-ci  se  révolta  et  entraîna  avec  lui  toute 
la  population.  On  vit  les  ecclésiastiques  s'enfuir  avec 
les  femmes  et  les  enfants  dans  les  montagnes  et  les 
forêts,  emportant  tout  le  matériel  du  culte,  tandis  que 
les  guerriers  tenaient  la  campagne.  Théophylacte, 
aidé  des  Cosaques,  réussit  à  grand'peine  à  imposer  ses 
réformes  dans  la  Géorgie.  La  Mingrélie,  l'Imérétie  et 
la  Gourie  ne  les  acceptèrent  que  plus  tard  à  la  suite  de 
répressions  sanglantes. 

Le  saint-synode,  fidèle  à  ses  procédés  de  russifica- 
tion, travailla  méthodiquement  à  diminuer  l'impor- 
tance de  sa  nouvelle  acquisition.  Après  avoir  réduit  à 
cinq  les  nombreux  évêchés  qui  existaient  encore  au 
moment  de  l'annexion  (une  trentaine  environ),  il 
éloigna  les  ecclésiastiques  zélés,  parce  qu'il  les  soup- 
çonnait de  nourrir  de  l'antipathie  contre  le  régime 
russe,  et  les  remplaça  par  des  ecclésiastiques  venus  de 


Russie  qui  occupèrent  bientôt  les  postes  les  plus 
importants.  Ces  immigrés,  dont  le  saint-synode  se 
servait  pour  arriver  à  ses  fins  de  dénationalisation, 
étaient  loin  d'avoir  tous  de  hautes  qualités.  C'était 
parfois  de  véritables  agents  de  police  qui  espionnaient 
les  Géorgiens  pour  le  compte  du  gouvernement  de 
Saint-Pétersbourg.  Leur  zèle  s'employa  surtout  à 
faire  disparaître  tout  ce  qui  avait  un  caractère  national 
géorgien,  comme  la  langue  et  les  usages  particuliers. 
C'est  ainsi  que  le  staro-slave,  langue  liturgique  des 
Russes,  fut  imposé  dans  les  villes  et  dans  les  centres 
un  peu  importants.  Tamarati,  op.  cit.,  p.  385.  Exarques 
et  simples  prêtres  acquirent  en  peu  de  temps  des 
fortunes  scandaleuses,  principalement  en  vendant  les 
biens  d'Église,  les  riches  ornements,  les  livres  et  vases 
précieux  dont  la  piété  des  fidèles  avait  enrichi  les 
églises  et  les  monastères.  On  trouvera  rénumération 
de  ces  pillages,  d'après  un  journal  géorgien,  l'Issari, 
de  Tiflis,  n.  110,  dans  Tamarati,  op.  cit.,  p.  386-387. 
A  lui  seul,  le  gouvernement  russe  enleva  à  l'Église 
géorgienne  tous  ses  biens  immeubles,  d'une  valeur 
de  137  600  000  roubles,  c'est-à-dire  plus  de  350  millions 
de  francs. 

A  maintes  reprises,  le  clergé  géorgien  éleva  la  voix 
pour  défendre  le  bien  des  âmes  compromis  par  les 
pasteurs  indignes  que  la  «  sainte  Russie  »  envoyait  de 
plus  en  plus  nombreux.  Les  plaintes  qu'il  adressait  au 
saint-synode  restaient  ordinairement  sans  réponse,  à 
moins  qu'elles  ne  valussent  toutes  sortes  de  vexations 
à  leurs  auteurs  qu'on  accusait  de  vues  intéressées  ou 
d'entente  avec  les  éléments  révolutionnaires.  En  1901, 
à  l'occasion  du  premier  centenaire  de  l'annexion  de  la 
Géorgie  à  l'empire  russe,  quatre  évêques  indigènes 
virent  dans  cette  circonstance  une  occasion  favorable 
pour  obtenir  quelque  adoucissement  au  régime  odieux 
que  subissait  leur  Église.  Ils  adressèrent  un  rapport  au 
saint-synode  pour  lui  demander  l'institution  d'une 
chaire  d'histoire  ecclésiastique  géorgienne  à  l'Académie 
ecclésiastique  de  Saint-Pétersbourg.  Le  texte  se  trouve 
dans  Tamarati,  op.  cit.,  p.  387.  Cette  requête,  bien 
modeste  cependant,  n'obtint  pas  plus  de  succès  que 
les  précédentes.  Quatre  ans  plus  tard,  sous  la  pression 
du  mouvement  révolutionnaire  auquel  la  guerre  mal- 
heureuse contre  le  Japon  donnait  une  force  plus 
grande,  le  gouvernement  russe  se  décida  à  publier,  le 
17  avril  1905,  le  fameux  «  oukase  de  liberté  »,  qui 
accordait  la  liberté  de  conscience  à  tous  les  sujets  de 
l'empire.  En  Géorgie,  clergé,  noblesse,  peuple,  tout  le 
monde  vit  dans  cet  acte  un  encouragement  à  renou- 
veler les  revendications  nationales.  Le  tsar  et  le  saint- 
synode  reçurent  de  multiples  pétitions  qui  demandaient 
le  rétablissement  de  l'autonomie  ecclésiastique  pour 
la  Géorgie.  Les  nobles  présentèrent,  le  11  octobre  1905, 
au  vice-roi  du  Caucase  une  lettre  collective  réclamant 
la  même  faveur.  Tamarati,  op.  cit.,  p.  393-395.  L'espoir 
de  tous  fut  trompé.  Le  gouvernement  s'étant  un  peu 
raffermi,  il  fit  la  sourde  oreille.  De  son  côté,  le  saint- 
synode,  pour  tromper  le  public  et  pour  gagner  du 
temps,  confia  l'étude  de  la  question  à  une  commission 
de  vingt  membres,  qui  étaient  tous,  sauf  deux,  des 
ennemis  acharnés  des  Géorgiens.  Les  deux  membres 
favorables,  deux  Géorgiens,  ne  furent  jamais  convo- 
qués aux  séances,  sinon  pour  entendre  des  paroles 
blessantes  à  l'égard  de  leur  patrie.  Comme  il  fallait  s'y 
attendre,  la  commission  conclut  que  le  projet  de  réta- 
blissement d'une  autonomie  ecclésiastique  en  Géorgie 
était  absolument  inacceptable.  Les  auteurs  des  péti- 
tions se  virent  traiter  de  rebelles  par  le  saint-synode 
et  plusieurs  d'entre  eux  payèrent  cher  leur  audace 
La  première  victime  fut  Mgr  Kirion,  ancien  vicaire  de 
l'exarque,  inculpé  de  délits  imaginaires  inventés  par 
la  police  impériale.  Il  fut  envoyé  d'abord  en  Russie  en 
1909,  puis  enfermé  l'année  suivante  dans  un  monastère 


1207 


GKORGIR 


12G8 


de  Crimée,  qu'il  n"avait  pas  encore  reçu  l'autorisation 
de  quitter,  au  commencement  de  1914. 

L'exaspération  des  Géorgiens  fut  à  son  comble  quand 
ils  virent  sombrer  l'espoir  trop  naïvement  conçu  d'une 
autonomie  à  la  fois  politique  et  religieuse.  L'action 
énergique  des  partis  révolutionnaires  amena  bientôt  des 
faits  très  graves.  L'exarque  Nicon  fut  assassiné  en  1908; 
le  meurtrier,  arrêté  peu  de  temps  après,  réussit  à  s'en- 
fuir avec  la  connivence  de  la  population  et  à  faire  dis- 
paraître toutes  les  pièces  du  procès.  Le  saint-synode 
attendit  deux  ans  que  les  esprits  fussent  un  peu  calmés 
pour  donner  unsuccesseurà  Nicon.  L'exarque  Innocent, 
nommé  en  1910,  mourut  subitement  en  septembre 
1913  et  fut  remplacé  dès  le  mois  d'octobre  suivant 
par  Mgr  Alexis,  évêque  de  Tobolsk.  De  1905  à  1914, 
plus  de  30  000  Géorgiens  ont  été  condamnés  pour  crimes 
politiques.  C'est  dire  que  la  répression  russe  a  été 
terrible. 

XVI.  Situation  actuelle.  —  Le  règlement  de 
1818  a  subi  divers  remaniements,  qui  ne  présentent  pas 
grand  intérêt.  L'organisation  fondamentale  est  restée 
la  même.  L'Église  géorgienne  est  gouvernée  par  un 
exarque  soumis  directement  au  saint-synode  de  Péters- 
bourg  et  assisté  d'un  bureau  synodal  dont  il  est  le 
président  de  droit.  Ce  bureau  comprend  ordinaire- 
ment cinq  membres,  dont  un  évêque,  trois  archiman- 
drites et  un  archiprêtre.  L'exarque,  qui  réside  à  Tiflis, 
porte  les  titres  de  Karthlie  et  Kakhétie,  administra 
personnellement  l'éparchie  de  Géorgie  et  a  la  haute 
surveillance  sur  les  trois  autres  diocèses  qui  font 
partie  de  l'exarchat.  Il  est  de  droit  membre  du  saint- 
synode  russe.  L'éparchie  d'Imérétie  (siège  à  Koutaïs), 
l'éparchie  de  Gourie-Mingrélie  (siège  à  Poti)et  l'éparchie 
de  Soukhoum  (siège  à  Souhkoum-Kalé)  sont  les  seuls 
diocèses  suffragants  de  l'exarque.  On  a  parlé  dernière- 
ment de  distraire  de  l'exarchat  l'éparchie  de  Soukhoum, 
jugée  assez  russifiée,  pour  en  faire  un  diocèse  autonome, 
mais  ce  n'est  là  qu'un  projet,  de  sorte  qu'aujourd'hui 
encore  l'exarque  de  Géorgie  étend  sa  juridiction  sur 
le  territoire  des  six  provinces  ou  gouvernements  civils 
de  Tiflis,  Bakou,  Erivan,  Elisabethpol,  Koutaïs  et 
de  la  mer  Noire.  C'est  à  lui  que  revient  la  haute  direc- 
tion des  établissements  ecclésiastiques,  à  lui  qu'appar- 
tient de  régler,  soit  par  lui-même,  soit  par  un  recours 
au  saint-synode  et  à  son  procureur  général,  les  conflits 
qui  surgissent  entre  le  haut  et  le  bas  clergé  ou  parmi  le 
personnel  des  établissements  ecclésiastiques.  Notons 
aussi  que  l'évêque  russe  de  Bakou,  bien  que  son  diocèse 
ne  soit  pas  géorgien,  prend  une  part  active  au  gouver- 
nement de  l'exarchat.  Il  assiste  souvent  aux  délibé- 
rations du  bureau  synodal,  et  c'est  lui  cjui  remplace 
l'exarque,  en  cas  d'absence  ou  de  mort.  Comme 
dans  les  autres  diocèses  de  la  Russie,  on  trouve  dans 
l'exarchat  géorgien,  à  côté  des  évêques  proprement 
dits  qui  administrent  un  diocèse,  plusieurs  évêques- 
vicaires.  L'éparchie  de  Géorgie  (Karthlie-Kakhétie)  en 
compte  deux,  dont  l'un  porte  le  titre  de  Gori,  et  l'autre 
celui  d'Allaverdi.  Ils  aident  l'exarque  dans  le  gouver- 
nement de  son  vaste  diocèse.  Par  contre,  les  éparchies 
géorgiennes  ne  possèdent  pas  de  consistoires;  ils  sont 
remplacés  par  des  chancelleries.  A  ces  particularités 
près,  l'administration  de  ces  diocèses  est  calquée  sur 
celle  des  autres  diocèses  de  l'empire  russe. 

Deux  séminaires,  celui  de  Tiflis  et  celui  de  Koutaïs, 
pourvoient  au  recrutement  du  clergé.  Le  séminaire  de 
Tiflis,  fondé  en  1817  par  l'exarque  Théophylacte 
Roussanov,  comptait,  en  1902,  177  élèves,  dont 
52  n'appartenaient  pas  à  la  caste  sacerdotale.  Celui  de 
Koutaïs  ne  date  que  de  1894.  Il  a  spécialement  pour 
but  de  fournir  des  vocations  ecclésiastiques  à  la  Géorgie 
occidentale.  Il  comptait,  en  1902,  206  élèves,  dont 
58  n'appartenaient  pas  à  la  caste  sacerdotale.  Il  faut 
noter  cette  proportion  de  28,7  0/0  de  jeunes  gens  dont 


les  parents  ne  sont  point  membres  du  clergé;  dans 
le  reste  de  la  Russie  elle  est  infiniment  moindre.  En 
dehors  des  séminaires,  il  y  a  dans  l'exarchat  six  écoles 
diocésaines  de  garçons  et  deux  écoles  diocésaines  de 
filles  pour  l'instruction  des  enfants  des  familles  cléri- 
cales. 

Les  monastères  existants  sont  au  nombre  de  34, 
dont  27  d'hommes  et  7  de  femmes.  Ils  remontent  pour  la 
plupart  à  une  haute  antiquité,  ainsi  que  nous  l'avons 
vu  précédemment.  Établis  loin  de  toute  habitation, 
et  d'accès  peu  facile,  ils  ne  voient  point  affluer  les 
aumônes  des  dévots  pèlerins  et  végètent  dans  une 
pauvreté  voisine  de  la  misère.  Citons  parmi  les  prin- 
cipaux :  1°  le  monastère  de  moniales  de  Bodbissi, 
fondé  au  xne  siècle,  près  du  tombeau  de  sainte  Nino, 
apôtre  delà  Géorgie;  plusieurs  fois  détruit  et  relevé, 
ce  monastère  ne  remonte,  dans  sa  forme  actuelle, 
qu'à  1889;  2°  le  monastère  d'hommes  de  Gaétat,  en 
Imérétie,  qui  date  du  commencement  du  xnc  siècle; 
3°  le  monastère  d'hommes  de  Saint-David  Carédjéli, 
à  Garédja,  dans  le  voisinage  de  Tiflis,  fondé  au 
vie  siècle  par  un  des  missionnaires  venus  de  Syrie;  il 
fut  pendant  longtemps  un  centre  monastique  très 
important,  qui  faisait  la  loi  à  onze  autres  couvents 
disséminés  dans  les  environs;  il  conserve  les  tombeaux 
du  fondateur  saint  David,  et  de  son  disciple,  saint  Dido; 
4°  le  monastère  d'hommes  de  Kvarbtakct,  placé  sous 
le  vocable  de  l'Assomption,  fondé  au  xe  ou  au  xnc  siècle 
dans  les  environs  de  Gori;  5°  le  monastère  de  femmes 
de  Mtzkhet-Samtavro,  consacré  à  sainte  Nino,  et  dont 
l'église  remonterait,  s'il  fallait  en  croire  les  traditions 
locales,  aux  origines  mêmes  du  christianisme  en 
Géorgie;  cette  église  servit  de  cathédrale  aux  arche- 
vêques de  Samtavro  jusqu'en  1811;  6°  le  monastère 
de  la  Transfiguration  établi  à  Tiflis,  où  les  moines 
dirigent  une  école  paroissiale;  7°  le  monastère  de  Bid- 
chvinto  près  de  Soukhoum-Kalé,  que  les  Russes  appel- 
lent le  «  Nouvel  Athos.  » 

En  1900,  le  personnel  monastique  comptait  1  379 
membres,  dont  1 098  moines  dans  27  couvents,  et 
281  moniales,  novices  en  majorité,  dans  7  mona- 
stères. Les  Géorgiens  ne  sont  pas  les  seuls  à  peupler 
les  34  couvents  de  leur  pays.  Les  Russes  en  occupent 
un  certain  nombre  et  forment  même  la  majorité  de  la 
population  monastique.  Les  Géorgiens  perdent  de 
plus  en  plus  le  goût  de  la  vie  religieuse  pour  se  lancer 
dans  les  intrigues  politiques.  Pendant  la  période  révo- 
lutionnaire qui  agita  le  pays  de  1904  à  1910,  les  moines 
géorgiens  maniaient,  dit-on,  plus  volontiers  la  bombe 
que  le  psautier.  En  tout  cas,  par  haine  de  race,  Russes 
et  Géorgiens  habitent  des  monastères  séparés.  Le  cou- 
vent de  Bodbissi,  qui  renferme  le  tombeau  de  sainte 
Nino,  est  depuis  vingt-cinq  ans  entre  les  mains  des 
Russes  qui  en  ont  fait  sauter  la  vieille  église  à  la  dyna- 
mite en  1889  pour  en  rebâtir  une  nouvelle  qui  ne 
rappelât  en  rien  le  glorieux  passé  de  ce  couvent.  Cet 
acte  de  vandalisme  a  justement  irrité  les  Géorgiens. 

Quant  au  clergé  séculier  ou  clergé  blanc,  il  compre- 
nait, en  1900,  62  archiprêtres,  1  647  prêtres,  231  diacres, 
1 805  clercs  inférieurs,  ayant  tous  un  poste  fixe,  et 
3  archiprêtres,  68  prêtres,  8  diacres,  et  17  clercs  infé- 
rieurs, en  disponibilité.  Les  Russes  entraient  dans 
ces  différents  nombres  dans  la  proportion  d'un  tiers 
environ.  Cependant,  ils  ont  une  tendance  marquée  à 
s'attribuer  les  postes  les  plus  importants.  Le  nombre 
des  paroisses  était  de  1527,  celui  des  églises  de  2  455, 
celui  des  chapelles  privées  de  9.  La  population  ortho- 
doxe montait  à  1  278  487  âmes,  en  immense  majorité 
de  race  géorgienne,  ainsi  réparties  :  374  405  dans 
l'éparchie  de  Géorgie  (Karthlie-Kakhétie),  478  290 
dans  celle  d'Imérétie,  321  952  dans  celle  de  Gourie- 
Mingrélie,  103  750  dans  celle  de  Soukhoum.  Les  sectes 
étaient  représentées  par  50  000  membres,  à  peu  près 


12P.0 


GEOROTE 


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tous  d'origine  russe,  dont  32  000  aux  seuls  Molokans. 
On  comptait  060  écoles  paroissiales  instruisant 
26  070  élèves,  dont  7  201  filles,  plus  13  écoles  établies 
à  côté  des  monastères,  avec  546  élèves.  Ces  chiffres 
donnés  par  les  autorités  russes  sont  fortement  sujets  à 
caution,  parce  que  le  saint-synode  a  tout  intérêt  à 
diminuer  l'importance  d'une  Église  qu'il  n'arrive  pas 
à  russifier.  Tous  les  Géorgiens  que  nous  avons  pu  con- 
sulter affirment  qu'il  y  a  au  moins  2  500  000  chré- 
tiens de  leur  race  dans  la  région  du  Caucase.  En  1913, 
il  y  avait  2  055  paroisses.  Le  gouvernement  russe  leur 
donnait  809  868  roubles  (2  105  000  francs)  dont 
400  000  seulement  aux  paroisses  géorgiennes  qui  sont 
au  moins  les  deux  tiers,  et  le  reste  aux  paroisses  russes. 
L'exarchat  eut,  pendant  quelque  temps,  son  périodi- 
que, le  «  Messager  ecclésiastique  de  Géorgie  »,  qui  parut 
fous  les  mois  depuis  le  1er  juillet  1864  jusqu'en  1903.  Le 
manque  de  lecteurs  fut  la  raison  mise  en  avant  pour 
justifier  sa  suppression.  La  rédaction  était  établie  au 
séminaire  de  Tiflis.  La  revue,  rédigée  en  géorgien,  com- 
prenait deux  parties,  une  officielle  et  une  non  officielle, 
avec  un  supplément  en  russe.  Cf.  C.  Rounkéviteh, 
L'exarchat  de  Géorgie,  dans  l'Encyclopédie  théologique 
orthodoxe  de  Lopoukine-Gloubovski,  Saint-Pétersbourg, 
1903,  t.  in,  col.  717-753. 

Ainsi  que  nous  l'avons  déjà  remarqué,  le  clergé 
russe  immigré  s'est  tout  naturellement  attribué  les 
postes  les  plus  importants  et  de  meilleur  rapport.  11 
agit  de  même  façon  envers  les  ecclésiastiques  géorgiens 
qui  se  montrent  favorables  aux  entreprises  de  saint- 
synode  et  que  leurs  compatriotes  s'obstinent  à  regarder 
comme  des  traîtres  à  la  patrie.  L'exarque  est  toujours 
un  Russe  de  race  et  de  tendances.  Pour  qui  connaît  les 
procédés  de  gouvernement  employés  par  le  cabinet  de 
Saint-Pétersbourg  vis-à-vis  des  autres  races  de  l'empire, 
il  n'y  a  rien  d'étonnant  à  ce  que  le  saint-synode  le 
choisisse  parmi  les  plus  fermes  champions  de  l'ortho- 
doxie officielle,  sans  trop  s'inquiéter  de  l'accueil  que 
lui  réservent  les  fidèles.  De  plus  en  plus,  le  clergé  russe 
proscrit  tout  ce  qui  est  purement  géorgien.  Le  staro- 
slave  ou  slavon  est  seul  admis  dans  les  cérémonies  du 
culte,  au  moins  dans  les  villes  et  les  centres  les  plus 
importants.  La  langue  et  le  chant  géorgien  ont  été 
refoulés  dans  les  campagnes  dont  les  paroisses  moins 
riches  ne  tentent  pas  la  cupidité  des  Russes.  Elles  sont 
d'ailleurs  presque  toujours  attribuées  aux  ecclésias- 
tiques géorgiens  qui  se  montrent  opposés  à  la  politique 
religieuse  de  l'exarque,  malgré  le  désir  sincère  de  conci- 
liation qui  anime  ses  trois  suffragants.  Ces  derniers 
sont  presque  toujours  choisis  parmi  les  ecclésias- 
tiques géorgiens.  Actuellement,  l'évêque  de  Soukhoum 
est  cependant  un  Russe.  Il  n'est  point  besoin  de  noter 
que  le  gouvernement  russe  ne  nomme,  pour  gouverner 
les  éparchies,  que  des  gens  dont  il  est  sûr. 

La  proscription  des  coutumes  nationales,  les  procédés 
vexatoires  du  clergé  russe  et  la  «  trahison  »  de  certains 
prêtres  géorgiens  ont  eu  pour  résultat  la  désertion  en 
masse  des  églises.  Le  peuple  préfère  s'abstenir  de  toute 
pratique  publique  de  religion  plutôt  que  de  pactiser 
avec  les  «  ennemis  de  la  nation  ».  Les  préoccupations 
politiques  contribuent  plus  à  accentuer  cet  éloigne- 
ment  systématique  que  le  souci  de  la  dignité  de  l'Église. 
Il  y  a  quelques  années,  l'exarque  Innocent  se  plaignait 
même  qu'un  certain  nombre  de  villages  avaient 
demandé  qu'on  leur  construisît  des  mosquées  1  C'était 
là  sans  aucun  doute  des  gens  mal  convertis.  Il  y  a 
aussi  des  montagnards  indépendants  qui  sont  encore 
à  moitié  païens,  bien  qu'ils  reçoivent  le  baptême;  ils 
vont  jusqu'à  offrir  des  sacrifices  de  moutons  dans  les 
grandes  circonstances  et  à  certains  jours  déterminés. 
C'est  à  peine  s'ils  voient  un  prêtre  de  temps  en  temps. 
On  voit  par  ce  rapide  aperçu  que  la  situation  est  loin 
d'être  brillante  en  Géorgie  au  point  de  vue  de  la  reli- 


gion. Il  est  probable  qu'elle  ira  même  en  empirant,  si 
le  régime  politique  ne  change  point. 

La  persécution  entreprise  par  les  Russes  contre  tout 
ce  qui  est  géorgien  s'étend  non  seulement  aux  chrétiens, 
mais  encore  aux  musulmans.  Les  Hadjarélis,  tribu 
montagnarde  des  environs  de  Batoum,  ayant  demandé 
récemment  au  gouvernement  la  permission  de  revenir 
au  christianisme  à  condition  de  pouvoir  prier  en  géor- 
gien, se  sont  vu  refuser  cette  faculté.  Les  autorités 
russes  ont  retiré  aux  Géorgiens  musulmans  le  droit 
d'enseigner  leur  langue  nationale  dans  les  écoles  qu'ils 
possèdent;  elles  leur  imposent  le  turc  pour  les  déna- 
tionaliser. Il  est  vrai  que  ces  musulmans  passent  outre 
aux  défenses  du  gouvernement  et  que  celui-ci  n'ose 
pas  les  inquiéter.  Il  est  difficile  d'évaluer  le  nombre 
des  Géorgiens  qui  sont  passés  à  l'islamisme  pendant 
la  domination  turque  ou  persane.  Ils  seraient  de  600  à 
800  000.  Après  la  conquête  russe,  bon  nombre  d'entre 
eux  ont  émigré  en  Turquie  où  on  les  confond  souvent 
avec  les  Tcherkesses  ou  Circassiens,  sans  doute  parce 
qu'ils  portent  le  même  costume.  Il  y  en  a  30  ou 
40  000  dans  la  seule  région  d'Ismidt-Sabandja. 

XVII.  Liste  des  catholicos  et  des  exarques.  — 
Xous  donnons  ici  la  liste  des  catholicos  et  des  exarques 
qui  ont  gouverné  la  Géorgie  du  ve  siècle  jusqu'à  nos 
jours,  telle  que  l'a  dressée  le  P.  Tamarati  dans  son 
Église  géorgienne,  Rome,  1910,  p.  408-410.  Cette  liste 
est  forcément  incomplète  pour  les  catholicos,  caries 
documents  font  presque  entièrement  défaut  pour 
certaines  époques.  Il  semble  aussi  qu'il  y  ait  eu  à 
diverses  reprises  plusieurs  catholicos  à  la  fois.  Les 
dates  indiquées  par  le  P.  Tamarati  sont  quelquefois 
incertaines,  ainsi  qu'il  l'avoue  lui-même.  La  liste  sera 
du  moins  précieuse  à  consulter,  parce  qu'elle  est  la 
seule  qu'on  ait  dressée  jusqu'à  nos  jours.  Dans  celle 
des  catholicos  de  la  Géorgie  occidentale  notamment, 
on  remarquera  des  vacances  considérables  qui  n'ont 
peut-être  pas  eu  lieu;  mais  l'auteur  n'a  évidemment 
pu  noter  que  les  titulaires  dont  l'histoire  nous  a  con- 
servé le  nom. 


Catholicos  de  la  Géorgie  proprement  dite. 


1°  Pierre  I",  471. 

33° 

Talalé. 

2°  Samuel  I",  513-528. 

34° 

Samuel  VIII. 

3°  Pierre  II. 

35° 

Sarméan. 

4»  Samuel  II. 

36° 

Cyrille. 

5°  TaphtchiagI'r,T>28-:>42. 

37° 

Grégoire  II. 

6°  Tchimag. 

38° 

Samuel  IX. 

7°  Dassaba,  542-557. 

39° 

Georges  II. 

8"  Evlalé,  555-557. 

40° 

Gabriel    I". 

9°  Macaire,  557-570. 

41° 

1  lil.iiïiui 

10°  Simon-Pierre    ou    K\i- 

42° 

Arsène  Ier. 

rion,  590-604. 

43° 

Eussouki. 

11°  Samuel  III. 

44° 

Basile  Ier. 

12°  Samuel   IV. 

45° 

Michel  I",  947. 

13°  Samuel  V. 

46° 

David  Ier. 

14»  Barthélémy,    610-642. 

47° 

Arsène  II,  946-976. 

15°  Jean  Ier. 

48° 

Samuel  X. 

16°  Babila. 

49° 

Simon. 

17°  Thabor. 

50° 

Melchisédcch  I",  1035 

18°  Samuel  VI. 

51° 

Chrysostome,  1042. 

19°  Evnon,  634-663. 

52° 

Georges  III. 

20°  Taphtchiag  II. 

53° 

Gabriel  II,  1073. 

21°  Evlalé  II. 

54° 

Jean  III,  1105. 

22°  Jovel. 

55° 

Basile  II. 

23°  Samuel  VII. 

56° 

Épiphane. 

24°  Georges  Ier. 

57° 

Nicolas  Ier,  1170. 

25°  Kvirion  II. 

58° 

Michel  II,  1185. 

26°  Izdobosid. 

59» 

Théodore  I",  1186. 

27»  Tév. 

60° 

Jean  IV. 

28°  Pierre    III. 

61° 

Arsène   III,   1218-1226 

29°  Mania. 

62° 

Georges  IV,  1226. 

30°  Jean  II. 

63° 

Nicolas    II,   1245-1282 

31°  Grégoire  Ier. 

64° 

Abraham  I",  1282. 

32°  Clément, 

65° 

Euthyme, 

1271 


GEORGIE 


1272 


66» 
67° 
68° 
69° 
70° 
71° 
72° 
73° 
74° 
7;>° 
76° 
77° 
78° 
79° 

80° 
81° 
82° 
83° 
84° 
85° 

86° 

87° 
88° 


Basile  III,  1318-1346.  89° 

Nicolas  III,  1337  90° 

Georges  V,  1393-139S.  91° 

Elioz  I",  1399-1419.  92° 

Michel   III,   1419-1428.  93° 

David    II,   142S.  94° 

Théodore  II,  1429-1438.  95° 

David    III,   1439.  96° 
Chio  I",  1441-1446. 

David   IV,  1  117-1  156.  97° 

Marc,  1460-1464.  98° 
David  V,  1464-1479. 

Évagre  Ier,  1488.  99° 

Ablac-Abraham,    1492-  100 

1499.  101 

Éphrem  I",  1498-1500.  102 

Évagre    II,    1499-1502.  103 

Dorothée  I",1503-1516.  104 
Jean  V,  1516-1517. 

Basile   IV,  1518-1529.  105 
Melchisédeeh   II,   1524- 

1540.  106 

Jean  VI,  1534-1548.  107 

Simon   I",  1544-1548.  108 
Nicolas  IV,  1552. 


Domenti  I",  1557-1560. 
Nicolas  V,  1562-1517. 
Evdomios  Ier,  1578. 
Dorothée  II,  1583-1585. 
Domenti  II,  15S3-1602. 
Zébédée,   1610. 
Jean   VII,   1610-1615. 
Christophore   I",  1622- 

1662. 
Zacharie  I",  1624-163::. 
Evdomios      II,      1631- 

1649. 
Domenti  111,1660-1675. 

>  David  VI,  1672. 

'  Nicolas  VI,  1676-1693. 
'  Jean  VIII,  1688-1699. 
'  Bessarion,  1724-1735. 
»  Domenti  IV,  1705- 
1742. 

>  Nicolas     VII,      1742- 

1744. 
•  Antoine  P  ',1744-1 788. 
'  Joseph,  1755-1763. 

>  Antoine  11,1788-1811. 


Catholicos   de  la   Géorgie  occidentale. 


1°  Arsène,  1390. 
2°  Joachim,  1470-1474. 
3°  Malachie  P',1519-1533. 
4°  Evdémon      Ier,      1558- 

1578. 
5°  Malachie  II,  1605-1639. 
6°  Maxime,  1640-1657. 
7°  Zacharie,   1656-1659. 
8°  Simon,  1659-1666. 
9°  Evdémon  11,1666-1675. 


10°  Hilarion,  1672. 
11°  David,  1682-1696. 
12°  Grégoire    Ier,   1690. 
13°  Nicolas,  1705. 
14°  Grégoire  II,  1712-1742. 
15°  Germain,  1742-1750. 
16°  Bessarion,    1750-1761. 
17°  Joseph,  1761-1776. 
18°  Maxime  II,  1776-1795. 


Liste  des  exarques. 

Exarque  géorgien. 
1°  Varlaam  Eristavi,  1811-1817. 

Exarques  russes. 


1°  Théophylacte    Boussa- 

nov,  1817-1821. 
2°  Jonas  Vasilievsky,1821- 

1832. 
3°  Moïse     Bogdanov-Pla- 

tonov,  1832-1834. 
4°  Eugène  Bajénov,  1834- 

1844. 
5°  Isidore  Nikolsky,  1844- 

1858. 
6°  Eusèbe    Ilinsky,    1858- 

1877. 
7°  Joannice         Boudniev, 

1877-1882. 


8°  Paul     Lébédev,     1882- 

1887. 
9°  Pallade    Baïev,     1887- 

1892. 
10°  Vladimir     Bogoiavlen- 

sky,  1892-1898. 
11°  Flavien    Gorodetzky, 

1898-1903. 
12°  Alexandre     Opotzky, 

1903-1905. 
13°  Nicolas,   1905-1906. 
14°  Nicon,  1906-1908. 
15°  Innocent,  1910-1913. 
16°  Alexis,  1913. 


XVIII.  Le  rite  gréco-géorgien.  —  Les  mission- 
naires grecs  qui  évangélisèrent  la  Géorgie  au  ive  siècle 
introduisirent  tout  naturellement  le  rite  de  leur  pays 
d'origine  et  la  langue  grecque  dans  les  cérémonies  du 
culte.  Il  est  probable  aussi  qu'il  y  eut  au  début  mélange 
de  rite  grec  et  de  rite  syriaque,  parce  que  la  Syrie 
exerça  une  influence  certaine  en  Géorgie.  Quand 
I '  1  ; Li li s e  fut  organisée  et  que  la  traduction  de  l'Écriture 
sainte  eut  favorisé  la  réforme,  la  langue  géorgienne 
remplaça  peu  à  peu  le  grec,  pour  le  supplanter  défini- 
tivement. Il  est  fort  difficile  de  préciser  la  date  à 
laquelle  s'opéra  ce  changement  important;  il  est  pro- 
bable toutefois  qu'il  s'acheva  au  vie  siècle.  Dès  lors, 
les  Géorgiens,  qui  étaient  en  relations  suivies  avec 
l'empire  byzantin,  adoptèrent  les  modifications 
introduites  dans  la  liturgie  à  Constantinople,  du 
ive  au  xie  siècle.  Le  monastère  des  Ibères,  au  mont 
Athos,    et    celui    de    Sainte-Croix,    à    Jérusalem,    qui 


jouissaient  d'une  très  grande  influence  en  Géorgie, 
servirent  pendant  longtemps  de  trait  d'union  entre 
l'Église  nationale  et  celle  de  l'empire  byzantin.  Il  ne 
faut  donc  pas  s'étonner  que  ce  qu'on  appelle  parfois  le 
rite  géorgien  ne  soit  pas  autre  chose  que  la  traduction 
pure  et  simple  du  rite  byzantin,  vulgairement  appelé 
rite  grec.  Liturgie,  office  rituel,  calendrier,  tout  est 
identique  chez  les  Géorgiens  et  chez  les  Gréco-Slaves. 
A  peine  peut-on  signaler  quelques  coutumes  particu- 
lières de  peu  d'importance,  comme  on  peut  en  trouver 
aussi  dans  certaines  Églises  grecques,  en  Syrie,  par 
exemple.  Seul,  le  chant  est  différent.  Au  lieu  d'adopter 
les  compositions  musicales  byzantines,  les  Géorgiens 
ont  conservé  leur  chant  national  dont  les  mélodies  ont 
un  cachet  tout  à  fait  spécial.  Aujourd'hui,  ce  chant, 
proscrit  par  les  autorités  religieuses  russes  au  profit 
du  chant  moscovite,  s'est  réfugié  dans  les  églises  des 
campagnes.  Ainsi  que  nous  l'avons  dit  un  peu  plus 
haut,  le  staro-slave  ou  slavon  tend  aussi  à  supplanter 
le  géorgien  dans  les  cérémonies  du  culte,  de  même  que 
les  usages  particuliers  de  l'Église  russe  font  peu  à  peu 
disparaître  ceux  qui  sont  communs  aux  grecs  et  aux 
Géorgiens. 

Il  n'est  pas  jusqu'à  l'architecture  religieuse  que  les 
Géorgiens  n'aient  empruntée  aux  grecs.  Les  premiers 
monuments  construits  dans  le  Caucase  semblent  avoir 
été  l'œuvre  d'architectes  byzantins.  Ceux  de  la  meil- 
leure époque,  du  xie  au  xvc  siècle,  reproduisent  les 
principaux  éléments  de  la  construction  byzantine  : 
plan  en  forme  de  croix  grecque,  coupole,  etc.;  ils 
offrent  une  ressemblance  frappante  avec  les  églises  de 
la  Grèce  dans  la  dernière  période  du  moyen  âge.  On 
retrouve  aussi  de  nombreuses  affinités  avec  les  églises 
des  premiers  siècles  élevées  en  Asie  Mineure,  en  Syrie 
et  particulièrement  dans  le  Hauran.  L'architecture 
géorgienne,  qui  a  subi  tant  d'influences  diverses,  est 
donc  essentiellement  composite.  Elle  présente  toute- 
fois des  caractères  originaux  qui  la  distinguent  nette- 
ment de  l'architecture  arménienne,  sa  voisine,  qui  a 
subi  les  mêmes  influences.  On  en  trouvera  une  excel- 
lente étude  dans  l'ouvrage  de  M.  Mourrier,  L'art  au 
Caucase,  Bruxelles,  1907,  p.  8  sq. 

XIX.  Hagiographie.  —  Bien  qu'ils  aient  adopté 
le  calendrier  byzantin  et  qu'ils  célèbrent  les  mêmes 
fêtes  que  les  grecs,  les  Géorgiens  y  ont  cependant 
réservé  une  place  à  leurs  saints  nationaux.  Nous  les 
indiquerons  d'après  l'étude  que  le  P.  N.  Nilles,  S.  J., 
a  publiée  dans  la  Zeitschrifl  fur  katholische  Théologie, 
1903,  p.  660  sq. 

Janvier.  6.  Saint  Abo,  martyr.  —  14.  Sainte  Nino.  — 
14.  Saints  Louarsab  et  Artchil,  rois  et  martyrs.  — 
19.  Saint  Antoine  le  Stylite.  —  27.  Saint  David  le 
Bestaurateur,  roi. 

Février.  21.  Saint  Pierre,  ermite. 

Mars.  20.  Saint  Louarsab  le  Jeune,  roi  et  martyr. 

Mai.  7.  Saint  Jean  Zédadznéli.  —  9.  Saint  Chio, 
ermite.  —  13.  Saint  Euthyme,  higoumène.  —  14.  Saint 
Chalva,  martyr. 

Juin.  1.  Saints  Chio  et  ses  compagnons,  martyrs.  — 
27.  Saint  Georges,  higoumène. 

Juillet.  12.  Saint  Jean,  higoumène.  — ■  29.  Saint 
Eustathe,  martyr. 

Août.  11.  Saint  Bajden,  martyr.  —  11.  Saint  Jean, 
missionnaire. 

Septembre.  13.  Les  six  ermites,  martyrs.  —  13. 
Sainte  Kétévan,  reine  et  martyre.  —  14.  Saints 
Joseph  et  ses  compagnons,  martyrs.  —  18.  Saints  Biz- 
dina,  Elisbar  et  Chalva,  princes  et  martyrs.  —  26. 
Saints  Isaac  et  Joseph,  martyrs. 

Octobre.  11.  Sainte  Chouchanike  ou  Suzanne, 
reine  et  martyre.  —  28.  Saint  Néophyte,  évêque  et 
martyr.  —  31.  Saints  David  et  Constantin,  princes  et 
martyrs. 


1273 


GEORGIE 


1274 


Novembre.  6.  Les  dix  martyrs.  —  10.  Saint  Con- 
stantin, prince  et  martyr. —  17.  Saint  Michel  Gobroni 
et  ses  compagnons,  martyrs.  —  19.  Saint  Hilarion, 
ermite. 

Décembre.  2.  Saint  Issé,  évèque. 

Fêtes  mobiles.  —  3°  férié  après  Pâques,  les  saints 
martyrs  de  Garedja.  —  5e  dimanche  après  Pâques, 
saint  Abib,  évèque  et  martyr.  —  6e  dimanche  après 
Pâques,  saint  David  de  Garedja. 

Nous  donnerons  quelques  détails  sur  chacun  de  ces 
différents  saints.  On  trouvera  la  Vie  de  la  plupart 
d'entre  eux  dans  Martinov,  Annus  ecclesiasticus  grœco- 
slavicus.  Remarquons  en  passant  que  la  plupart  sont 
morts  dans  les  multiples  incursions  que  la  Géorgie 
eut  à  subir  de  la  part  des  Perses,  des  Arabes,  des  Turcs, 
des  Mongols  et  des  Persans. 

Saint  Abo  fut  martyrisé  à  Tiflis  par  les  Sarrasins 
en  890.  Nous  avons  résume  plus  haut  la  vie  de  sainte 
Nino,  en  racontant  la  conversion  de  la  Géorgie  dont 
elle  fut  le  premier  apôtre.  Les  saints  Louarsab  et 
Artchil,  rois  de  Géorgie,  moururent  pour  la  foi  chré- 
tienne lors  de  la  dévastation  de  leur  patrie  par  Merwàn- 
Qrou  ou  le  Sourd,  en  741.  Saint  Antoine  le  Stylite, 
surnommé  Martqoph  ou  le  Solitaire,  est  un  des  mis- 
sionnaires venus  de  Syrie  au  vie  siècle  sous  la  conduite 
de  saint  Jean  Zédadznéli.  Il  mourut  vers  620.  Saint 
David  III,  roi  de  Géorgie  (1089-1125),  surnommé  le 
Restaurateur,  travailla  à  relever  de  leurs  ruines  l'É- 
glise et  l'État  et  se  fit  remarquer  par  son  zèle  pour 
la  reconstruction  des  églises  et  des  monastères.  Saint 
Pierre  de  Maïouma,  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec 
Pierre  l'Ibère,  un  autre  Géorgien  qui  fut  évèque  de  la 
même  ville,  pratiqua  la  vie  religieuse  à  Maïouma, 
près  de  Gaza,  et  mourut  vers  452.  Saint  Louarsab  le 
Jeune,  roi  de  Géorgie,  fut  étranglé  par  les  Persans  en 
1622,  après  un  cruel  exil  de  sept  ans.  Saint  Jean 
Zédadznéli  fut  le  chef  des  douze  missionnaires  venus 
de  Syrie  au  vie  siècle  pour  achever  l'évangélisation 
de  la  Géorgie.  Saint  Chio,  le  Thaumaturge,  un  des 
compagnons  du  précédent,  ermite  à  Mgvimé,  est  un 
des  patrons  de  la  Géorgie.  Saint  Euthyme,  higoumène 
du  monastère  des  Ibères,  au  mont  Athos,  était  le  chef 
des  traducteurs  des  Livres  saints  et  des  écrits  des 
Pères,  au  xi°  siècle.  Il  mourut  en  1028.  Saint  Chalva, 
prince  d'Akhaltzkhé,  mourut  victime  des  Arabes  après 
avoir  longtemps  souffert  en  prison  (1227).  Saint  Chio 
et  ses  cinq  compagnons  périrent  à  une  date  non  encore 
précisée,  sous  les  coups  des  Leskines,  montagnards 
musulmans  du  Caucase.  Saint  Georges,  higoumène  du 
monastère  des  Ibères  au  mont  Athos,  fut  un  des 
disciples  et  des  successeurs  de  saint  Euthyme,  dans  la 
traduction  des  Livres  saints. 

Le  fondateur  de  ce  monastère  célèbre  fut  saint  Jean, 
père  de  saint  Euthyme,  qui  s'établit  sur  le  mont  Athos 
vers  970  et  mourut  en  998.  Saint  Eustathe  de  Mtzkhéta 
périt  sous  le  fer  des  Perses  en  581.  Saint  Rajdem,  le 
premier  martyr  géorgien,  fut  cruellement  mis  à  mort 
par  le  chah  Piros,  en  457.  Saint  Jean  Zédadznéli 
aurait  été  un  des  premiers  missionnaires  envoyés  en 
Géorgie  par  l'empereur  Constantin,  à  la  demande  du 
roi  Mirian,  et  serait  mort  en  356.  Les  données  histo- 
riques sérieuses  relatives  à  sa  vie  font  complètement 
défaut.  Les  six  martyrs  honorés  le  13  septembre  furent 
mis  à  mort  à  Tiflis  par  les  Perses.  Ce  sont  :  Etienne  de 
Hirsa,  Zenon  d'Icalto,  Tbaddée  de  Stépan-Zminda, 
Isidore  de  Samtva,  Pyrrhus  de  Bréta  et  Michel  dl'lnia. 
Sainte  Kétévan,  reine  de  Géorgie,  emmenée  en  capti- 
vité par  les  Persans,  mourut  victime  de  son  attache- 
ment à  la  religion  chrétienne  et  à  la  chasteté  (1622). 
Saint  Joseph  d'AUaverdi,  ermite,  fut  massacré  avec 
plusieurs  de  ses  compagnons,  durant  une  incursion 
des  Perses  en  650.  Les  princes  Bizdina,  Elisbar  et 
Chalva,  faits  prisonniers  par  les  Persans,  préférèrent 


mourir  plutôt  que  d'embrasser  l'islamisme  (1615). 
Les  saints  Isaac  et  Joseph  périrent  à  Tiflis,  durant  une 
incursion  des  musulmans  (808).  Sainte  Chouchanike 
ou  Suzanne  refusa  d'imiter  son  mari  qui  avait  aban- 
donné la  foi  catholique,  et  mourut  martyre  après  six 
ans  de  la  plus  dure  captivité,  en  458.  Saint  Néophyte 
fut  d'abord  un  chef  musulman  du  nom  d'Omar.  Après 
sa  conversion,  il  entra  dans  un  monastère  et  devint 
évèque  d'Urbnissi.  Il  mourut  martyr  des  Sarrasins, 
vers  825.  Les  saints  David  et  Constantin  furent  au 
nombre  des  victimes  faites  par  Merwân-Qrou  ou  le 
Sourd  à  Routais,  en  741.  Les  dix  martyrs  honorés 
le  6  novembre  périrent  au  vie  siècle.  Leur  vie  et  leur 
office  ont  malheureusement  disparu.  Saint  Constantin, 
prince  et  martyr,  fut  mis  à  mort  par  le  khalife  Djafar, 
en  849.  Saint  Michel  Gobroni,  d'Akhaltzikhé,  com- 
mandait les  armées  géorgiennes  lorsqu'il  fut  tué  par 
les  infidèles  avec  deux  cents  de  ses  soldats,  en  920. 
Saint  Hilarion  Vatchinazé,  originaire  de  la  Kakhétie, 
prêtre  et  ermite,  mourut  à  Thessalonique,  vers  882. 
Saint  Issé,  évèque  de  Cilcan,  fut  un  des  compagnons 
de  saint  Jean  Zédadznéli.  Les  saints  martyrs  de  Garedja 
périrent  la  nuit  de  Pâques  1621,  massacrés  dans  l'église 
de  leur  monastère  par  le  fameux  chah  Abbas  le  Grand. 
La  tradition  veut  qu'ils  aient  été  cinq  mille.  Saint 
Abib,  évèque  de  Nécressi  et  martyr,  fut  un  des  com- 
pagnons de  saint  Jean  Zédadznéli.  Saint  David  de 
Garedja,  ermite,  fonda  la  solitude  monastique  appelée 
plus  tard  la  Thôbaïde  géorgienne.  Il  mourut  vers 
587. 

XX.  Langue  et  littérature  géorgiennes.  — - 
Les  linguistes  n'ont  pas  encore  pu  se  mettre  d'accord 
pour  dire  à  quel  groupe  appartient  la  langue  géorgienne. 
Bopp  et  Brosset  la  rattachent  à  la  famille  indo-euro- 
péenne; Max  Millier  veut  qu'elle  soit  de  la  famille 
touranienne;  P.  A.  Trombetti,  L' imita  d'origine  del 
Hnguaggio,  Bologne,  1905,  p.  5,  216,  voit  dans  le 
géorgien  et  le  basque  l'anneau  qui  unit  les  langues 
chamito-sémitiques  aux  langues  indo-européennes; 
d'autres  enfin,  comme  Frédéric  Millier,  désespérant 
de  classer  cette  langue  ainsi  que  d'autres  qui  appar- 
tiennent à  des  peuples  voisins  des  Géorgiens,  en  font 
provisoirement  un  groupe  à  part,  le  groupe  des  «  langues 
caucasiques  ».  Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  question  que 
des  études  plus  approfondies  éclairciront  probable- 
ment un  jour,  la  langue  géorgienne  est  une  des  plus 
anciennes  du  monde.  Beaucoup  de  savants,  après 
A.  Gatteyra,  Revue  de  linguistique,  juillet  1881,  t.  xiv, 
p.  285,  et  F.  Lcnormant,  Lettres  assyriologigues,  t.  i, 
p.  124-127,  admettent  une  parenté  étroite  entre  le 
géorgien  et  l'idiome  ourartique  révélé  par  les  inscrip- 
tions de  Van.  Dans  la  suite  des  temps,  la  langue  pri- 
mitive s'est  scindée  en  plusieurs  dialectes  locaux,  tels 
que  le  gouri-imérète,  le  karthli-kakhète,  le  pchav- 
khevsour,  le  mesque,  l'inguiloï.  De  même,  un  certain 
nombre  de  mots  étrangers,  d'origine  sanscrite,  perse, 
arménienne,  grecque,  latine,  turque,  russe,  etc.,  se 
sont  peu  à  peu  introduits  dans  la  langue.  La  Géorgie 
occidentale  a  principalement  subi  l'influence  de  la 
Turquie,  la  Géorgie  orientale  celle  de  la  Perse. 

Le  géorgien  dispose  de  deux  alphabets  de  trente- 
huit  lettres  chacun,  l'alphabet  mkhédrouli  ou  civil, 
introduit  probablement  par  le  roi  Pharnavaz  à  la  fin  du 
ivc  siècle  avant  Jésus-Christ,  et  que  J.  L.  Okromt- 
cheldi  croit  emprunté  à  l'alphabet  zend,  et  l'alphabet 
khoutsouri,  ou  religieux,  qui  ne  serait  qu'une  trans- 
formation du  mkhédrouli.  Les  Arméniens  prétendent 
que  Mesrob  a  envoyé  aux  Géorgiens  cet  alphabet 
religieux,  après  qu'il  en  eut  composé  un  pour  ses 
compatriotes.  Bien  qu'il  y  ait  plus  d'une  analogie 
entre  l'écriture  géorgienne  et  l'écriture  arménienne, 
cette  paternité  est  fort  contestable,  car  il  n'est  même 
pas  démontré  que  Mesrob  ait  inventé  l'alphabet  armé- 


127:. 


GEORGIE 


1270 


nicn.  Cf.  Lynch,  Armenia,  Travels  and  éludes,  Londres, 
1901,  t.  i,  p.  312.  Le  Dr  R.  von  Aricht,  Ist  die  JEhnlicli- 
kcit  des  glagolitisehen  mit  dem  grusinischen  Alphabet 
Zu/all  ?  Leipzig,  1895,  admet  que  l'alphabet  slave 
primitif  dit  glagolitique  est  un  emprunt  fait  à  l'al- 
phabet civil  géorgien,  ce  qui  est  une  nouvelle  preuve 
de  l'antiquité  de  celui-ci. 

La  littérature  géorgienne  ne  s'est  pas  bornée,  comme 
certaines  autres,  aux  sciences  ecclésiastiques;  elle  s'est 
essayée  également  dans  le  domaine  purement  profane 
e1  a  donné  de  véritables  chefs-d'œuvre  en  prose  et  en 
vers.  Malgré  les  vicissitudes  de  la  vie  nationale,  on 
peut  dire  qu'elle  n'a  pas  cessé  de  produire  un  seul 
instant  depuis  le  commencement  jusqu'à  nos  jours. 
Alors  que  d'autres  peuples  orientaux  se  bornent  à  peu 
près  exclusivement  aujourd'hui  à  des  traductions  d'ou- 
vrages européens,  les  Géorgiens  sont  restés  fidèles  à 
leurs  traditions  et  ne  subissent  que  faiblement  l'in- 
fluence occidentale. 

On  divise  ordinairement  l'histoire  de  la  littérature 
géorgienne  en  quatre  périodes  :  la  période  primitive 
ou  préparatoire,  du  ve  au  xe  siècle,  la  période  classique, 
du  xe  au  xmc  siècle,  la  période  nouvelle,  du  xme  au 
xix1",  enfin,  la  période  moderne,  du  xixe  siècle  à  nos 
jours.  Cette  histoire  est  encore  imparfaitement  connue. 
Il  reste  dans  les  diverses  bibliothèques  de  la  Géorgie  et 
de  l'étranger  une  masse  de  manuscrits  non  encore 
étudiés,  dont  la  publication  jettera  certainement  une 
lumière  nouvelle  sur  les  siècles  passés.  Malgré  ces 
lacunes,  nous  pourrons  donner  de  la  littérature  géor- 
gienne un  aperçu  suffisant. 

1°  Période  primitive.  —  11  est  tout  naturel  que  les 
premières  productions  littéraires  de  la  Géorgie  aient 
été  des  traductions  de  l'Écriture  sainte.  On  comprend 
que  dès  le  début  les  missionnaires  eurent  à  cœur  de 
rendre  intelligible  aux  fidèles  le  texte  des  Livres 
sacrés.  Un  manuscrit  du  ixe  siècle,  conservé  au  musée 
de  la  Société  pour  la  diffusion  de  la  littérature  géor- 
gienne, intitulé  YÉpttre  des  apôtres  —  il  renferme 
toutes  les  Épîtres  apostoliques  —  porte  en  suscription 
qu'il  a  été  copié  sur  un  manuscrit  plus  ancien  qui 
remonte  à  la  troisième  année  du  règne  d'Arcadius, 
c'est-à-dire  vers  398-399.  Nous  savons  aussi  que  le 
roi  Pharsman  (542-557)  donna  à  Évagre,  du  monastère 
de  Saint-Chio,  un  Évangile  qui  avait  appartenu  au  roi 
Vakhtang  (446-499).  C'était  peut-être  celui  que  le  roi 
Artchil  I"  (410-434)  fit  traduire  pour  sa  belle-fille, 
la  princesse  perse  Sagadoukte,  mère  de  Vakhtang. 
C'est  très  probablement  dans  l'idiome  de  la  Perse  que 
fut  faite  cette  traduction,  mais  elle  prouve  assez 
clairement  que  l'Écriture  sainte  était  déjà  connue  et 
appréciée  en  Géorgie.  Il  ne  manque  pas  d'autres 
documents  qui  prouvent  l'activité  littéraire  des  Géor- 
giens dans  les  premiers  siècles  du  christianisme.  Un 
manuscrit  de  897,  appelé  1'  <■  Évangile  d'Adiche  »  en 
Svanétic,  semble  avoir  été  copié  sur  un  texte  beaucoup 
plus  ancien.  Parmi  les  livres  de  la  bibliothèque  de 
Saiiil-Sabas,  il  existe  un  synaxaire  géorgien  du  vne  siè- 
cle. Le  Sinaï  possède  de  nombreux  manuscrits  géorgiens 
sur  papyrus,  menées,  psautiers,  etc.,  que  l'on  fait 
également  remonter  au  vne  siècle,  mais  qu'on  n'a  pas 
encore  suffisamment  étudiés,  Vn  ordo  de  messes  trouvé 
par  Tischendorf  fut  copié  en  941  sur  un  autre  qui  est 
resté  inconnu.  Les  quatre  Evangiles  de  Xnissa,  docu- 
ment à  peine  recensé,  portent  la  date  de  la  créa- 
tion 0110,  ce  qui  revient  à  l'an  506  de  notre  ère,  d'après 
le  système  géorgien.  Les  Evangiles  d'Urbnissa  sont 
du  mi'  siècle;  ceux  de  Parkalissa  et  de  Tbétissa  ne 
sont  que  des  copies  faites  en  973  et  995  sur  des  manu- 
scrits plus  anciens. 

Sur  quel  texte  fuient  faites  ces  traductions  primi- 
tives ?  II  est  difficile  d'admettre  que  l'Épître  des 
apôtres,  qui  remonte  à  398-399,  ait  été  traduite   sur 


un  texte  arménien,  car  Mesrob  et  Sahag  n'avaient 
pas  encore  entrepris  de  traduire  les  Livres  saints  dans 
leur  langue.  Il  est  toutefois  hors  de  doute  que  beaucoup 
de  ces  traductions  subirent  l'influence  des  Arméniens. 
Nous  en  avons  pour  preuve  l'aveu  de  saint  Georges 
Mtatsmindéli.  Khakhanachvili,  Histoire  de  la  littéra- 
ture géorgienne,  Tiflis,  1904,  p.  98.  Il  reconnaît  que  la 
zizanie,  c'est-à-dire  les  erreurs  des  Arméniens,  s'était 
introduite  dans  le  texte  sacré.  La  Syrie  exerça  éga- 
lement une  certaine  influence,  surtout  au  vie  siècle. 
Mais,  à  partir  du  vne  siècle,  c'est  du  côté  de  Constan- 
tinople  que  les  Géorgiens  vont  principalement  chercher 
la  lumière.  L'influence  grecque  pénètre  déplus  en  plus 
et  domine  bientôt  seule.  Les  importants  monastères 
géorgiens  répandus  dans  l'empire  byzantin  dirigent 
ce  mouvement  qui  atteint  son  apogée  aux  Xe  et 
xie  siècles.  Livres  saints,  livres  liturgiques,  œuvres 
des  Pères,  toutes  les  richesses  ecclésiastiques  des  grecs 
pénètrent  donc  après  celles  des  Arméniens  et  des 
Syriens. 

Il  ne  faudrait  pas  croire  cependant  que  le  mouve- 
ment littéraire  se  borna  uniquement  aux  sciences 
religieuses.  Dès  le  début,  l'histoire  occupe  une  place 
importante.  L'ouvrage  intitulé  :  la  Conversion  de  la 
Géorgie,  dont  la  première  partie  au  moins  remonterait 
au  vne  siècle,  fait  connaître  une  masse  d'écrits  plus 
anciens  fort  précieux  sur  les  premiers  siècles  du 
christianisme  en  Géorgie  et  qui  ont  malheureusement 
disparu.  Une  autre  chronique  importante  de  cette  épo- 
que paraît  subsister  dans  une  traduction  arménienne 
du  xvine  siècle.  Le  sujet  principal  de  cet  ouvrage 
est  la  description  de  la  Géorgie  au  temps  du  roi 
Vakhtang  Ier  (446-499),  composée  par  un  certain  Gou- 
amber  qui  la  continua  jusqu'au  règne  d' Artchil  II 
(688-718).  Enfin,  les  Annales  géorgiennes,  vaste  compi- 
lation exécutée  au  xviii0  siècle  sous  le  roi  Vakhtang  VI 
(1703-1738),  sont  basées  sur  une  foule  d'écrits  histo- 
riques très  anciens  qui  relatent  les  origines  et  l'histoire 
de  la  nation.  Comme  il  y  a  une  différence  considérable 
entre  le  récit  de  la  Bible  et  celui  des  Annales,  certains 
auteurs  veulent  que  ces  documents  soient  antérieurs 
à  l'introduction  du  christianisme  en  Géorgie.  Tamarati, 
Église  géorgienne,  p.  28. 

2°  Période  classique.  ■ —  La  seconde  période  ou 
période  classique  manifeste  clairement  l'influence 
grecque,  mais  non  point  dans  tous  les  genres  littéraires. 
Les  couvents  géorgiens  de  l'empire  byzantin,  parti- 
culièrement celui  du  mont  Athos,  ceux  d'Opisi,  de 
Chatbéri,  de  Saint-Chio  Mgvimé,  de  Garedja  et  de 
Guélati,  en  Géorgie,  concentrent  à  eux  seuls  presque 
tout  le  mouvement  littéraire  de  l'époque.  Au  mont 
Athos,  saint  Euthyme  (964-1028)  et  saint  Georges 
Mtatsmindéli  (1014-1066)  dirigent  une  école  de  tra- 
ducteurs qui  font  profiter  leur  patrie  des  ouvrages 
grecs  les  plus  importants.  La  Bible  et  les  livres  litur- 
giques sont  minutieusement  revisés  sur  le  texte  grec. 
Saint  Euthyme  publie  à  lui  seul  la  traduction  de 
52  ouvrages  et  saint  Georges  de  17.  On  trouvera  la 
liste  de  191  manuscrits  géorgiens  du  mont  Athos, 
qui  sont  pour  la  plupart  de  cette  époque,  dans  le 
Journal  asiatique,  6e  série,  1867,  t.  i,  p.  333-350.  Elle 
fut  dressée  en  1836  par  le  P.  Hilarion,  confesseur  du 
roi  Salomon  II.  On  y  voit  les  œuvres  de  saint  Atha- 
nase,  de  saint  Basile,  de  saint  Grégoire  de  Nazianze, 
de  saint  Jean  Chrysostome,  de  saint  Jean  Damascène, 
les  vies  d'une  foule  de  saints,  des  synaxaires,  des 
ouvrages  apocryphes,  etc.  M.  Tsagarelli  a  publié  dans 
le  Sbornik,  revue  de  la  Société  russe  de  Palestine, 
Saint-Pétersbourg,  1883,  t.  iv,  p.  144-191,  la  liste 
des  147  manuscrits  géorgiens  conservés  dans  la  biblio- 
thèque patriarcale  de  Jérusalem  et  qui  viennent  pour 
la  plupart  du  monastère  de  Sainte-Croix.  Le  Sinaï 
possède  aussi  un  certain  nombre  de  manuscrits.  Tous 


1277 


GÉORGIE 


1278 


ces  ouvrages  et  même  une  bonne  partie  de  ceux  qui  se 
trouvent  en  Géorgie  n'ont  pas  encore  été  suffisamment 
étudiés. 

Vers  le  milieu  du  xc  siècle,  le  catholicos  Arsène  II 
(94(3-976)  écrit  sous  le  titre  l'Abeille  une  histoire  de  la 
séparation  des  Géorgiens  et  des  Arméniens;  il  aurait 
aussi  travaillé  à  une  collection  de  vies  de  saints, 
particulièrement  de  saints  nationaux.  Baumstark, 
Die  christlichen  Lileralurcn  des  Orients,  Leipzig,  1911, 
t.  ii,  p.  104.  A  la  même  époque,  Jean  Pétrissy  traduisait 
les  œuvres  de  Platon  et  d'Aristote. 

A  l'influence  byzantine  vint  bientôt  se  joindre 
l'influence  des  Arabes  et  des  Perses.  Les  premiers 
importèrent  les  sciences  positives  :  mathématiques  et 
astronomie  (ils  avaient  déjà,  au  vme  siècle,  établi  un 
observatoire  à  Tiflis).  Les  Perses  enrichissent  la  litté- 
rature géorgienne  d'une  série  de  compositions  en  prose 
et  en  vers.  Le  règne  de  Thamar  (1184-1212)  est  marqué 
par  l'éclosion  d'oeuvres  remarquables  dues  à  cette 
influence.  Les  poètes  Tchakhroudzé  et  Chota  Rous- 
tavéli  célèbrent  la  reine  dans  leurs  poèmes;  Sarghis 
Tmogvéli  compose  le  poème  héroïque  intitulé  :  Amiran- 
Darédjuniani  et  le  roman  Visramiani.  Mais  de  tous 
les  écrivains  de  cette  époque,  le  plus  remarquable  est 
sans  contredit  le  poète  Chota  Roustavéli.  Les  Géorgiens 
lisent  et  étudient  toujours  avec  une  respectueuse 
admiration  son  œuvre  principale,  la  Peau  de  léopard 
ou  mieux  l'Homme  revêtu  de  la  peau  de  léopard,  com- 
posée sous  la  reine  Thamar  et  que  certains  évoques 
trop  zélés  du  xvinc  siècle  condamnèrent  comme  impie. 
Leist  en  a  publié  une  traduction  en  allemand,  Leipzig, 
1880,  et  Achas  Borin  une  autre  en  français,  Paris,  1885. 
3°  Période  nouvelle.  —  Après  la  période  classique, 
la  littérature  géorgienne  tomba  dans  une  décadence 
profonde  causée  par  les  désastres  extérieurs  et  les 
troubles  intérieurs  qui  bouleversèrent  le  pays  :  inva- 
sions des  Mongols,  de  Timour-Leng,  des  Persans,  etc. 
La  prise  de  Constantinople  par  les  Turcs  en  1453 
affaiblit  pour  toujours  l'influence  grecque  qui  était 
déjà  sur  le  déclin.  La  renaissance  littéraire  ne  se  pro- 
duisit qu'au  xviie  siècle;  elle  se  continua  pendant  le 
siècle  suivant. 

Même  l'époque  la  plus  troublée  de  cette  période, 
du  xm°  au  xvne  siècle,  nous  a  laissé  de  nombreuses 
traductions  et  des  écrits  originaux,  entre  autres  une 
quinzaine  de  poèmes  épiques.  On  rencontre  aussi 
quelques  monuments  de  la  législation  civile  et  ecclé- 
siastique, tels  que  les  lois  du  roi  Georges  V  le  Brillant 
(xive  siècle),  les  lois  de  Béka,  complétées  au  xv°  siècle 
par  le  prince  Aghbougua,  suzerain  du  Samtzkhé  Saata- 
bago.  Au  xiiic  siècle,  le  catholicos  Arsène  publie  des 
règlements  ecclésiastiques;  au  xive,  l'archimandrite 
Georges  traduit  en  géorgien  les  canons  de  l'Église; 
au  xve,  sur  la  proposition  du  catholicos  Malachie,  un 
concile  publie  des  ordonnances  obligatoires  pour  tous 
et  confirmées  par  la  signature  de  onze  archevêques. 
Ces  ordonnances  et  les  lois  du  roi  Georges  V,  ainsi  que 
celles  de  l'atabek  Béka  et  d'Aghbougua,  firent  plus 
Lard  partie  du  code  du  roi  Vakhtang  VI.  Comme 
œuvres  historiques,  citons  :  l'Histoire  des  rois  d'Jmé- 
rétic  par  le  catholicos  Arsène  (xive  siècle);  la  Des- 
cription du  Samlzklié-Saatabago  par  le  moine  Jean 
Mangléli  (xv°  siècle),  la  Destruction  de  la  Géorgie  par 
Ismacl  du  catholicos  Domenti  (xvie  siècle),  la  Vie  et 
les  actes  des  princes  d'Imérétie,  par  le  moine  Evdémon. 
La  renaissance  des  xvn°  et  xvme  siècles,  sous  les 
rois  Art chil,  Téimouraz  Ier,Téimouraz  II,  Vakhtang  VI, 
Iléraclius  II,  produisit  des  œuvres  plus  remarquables. 
Artchil,  roi  de  Géorgie  et  d'Imérétie,  a  laissé  plusieurs 
ouvrages  poétiques,  dont  l'Arlchiliani,  œuvre  épique 
qui  retrace  la  vie  et  les  actes  de  Téimouraz  Ier.  Ce 
souverain  occupe  une  place  importante  dans  la  litté- 
rature géorgienne;  il  a  traduit  l'Histoire  d'Alexandre 


le  Grand  du  pseudo-Callisthènes.  Plusieurs  autres 
princes  de  la  famille  royale  écrivirent  aussi  des  traités 
sur  la  théologie,  la  philosophie  et  l'histoire,  ainsi  que 
des  poésies.  L'œuvre  la  plus  importante  est  le  poème 
de  David  Gouramichvili  qui  raconte  les  malheurs  de 
la  Géorgie  au  xvme  siècle.  Le  prince-moine  Saba 
Soulkan  Orbéliani,  converti  au  catholicisme,  et  qui 
avait  voyagé  en  Europe,  compose  un  dictionnaire  et 
un  recueil  de  fables  intitulé:  Livre  de  la  sagesse  et  du 
mensonge.  Vakhoucht,  fils  de  Vakhtang  VI,  rédigea 
une  géographie  et  une  histoire,  la  Vie  de  la  Géorgie 
ou  Annales  géorgiennes,  d'après  les  riches  matériaux 
recueillis  par  le  comité  historique  qu'avait  formé  son 
père.  Vakhoucht  fit  imprimer  une  édition  complète 
de  la  Bible  à  Moscou  en  1742-1753.  Enfin  le  catholicos 
Antoine  Ier,  outre  diverses  traductions  d'ouvrages 
profanes,  composa  une  théologie,  un  martyrologe, 
des  biographies  de  saints,  etc. 

4°  Période  moderne.  —  Cette  période  a  produit  un 
grand  nombre  d'auteurs  distingués,  mais  qui  ne  se 
sont  guère  occupés  que  d'œuvres  profanes.  Dans  la 
première  moitié  du  xixe  siècle,  la  littérature  est  à  peu 
près  exclusivement  d'inspiration  géorgienne;  dans  la 
seconde  au  contraire,  l'influence  étrangère,  russe  ou 
autre,  se  fait  vivement  sentir,  sans  exclure  complè- 
tement le  nationalisme  littéraire. 

Citons  dans  la  première  moitié  du  siècle  :  le  prince 
Georges  Eristavi,  le  premier  dramaturge  géorgien, 
fondateur  du  journal  Tsiscari  (l'Aurore),  les  princes 
Alexandre  Tchavtchavadzé,  Grégoire  Orbéliani,  Nico- 
las Baratchvili,  Vakhtang  Orbéliani,  Raphaël  Eristavi, 
les  princesses  Nino  Orbéliani  et  Barbare  Djordjadzé, 
tous  poètes  remarquables,  et  le  romancier  Djonkadzé. 
Cette  première  période  est  signalée  par  les  travaux 
littéraires  et  scientifiques  des  fils  du  dernier  roi, 
Georges  XII;  le  prince  David  écrit  un  abrégé  de 
l'histoire  de  la  Géorgie,  son  frère  Jean  recueille  les 
actes  diplomatiques  de  Georges  XII;  Téimouraz 
compose  une  excellente  Histoire  de  la  Géorgie;  Bagrat 
réunit  les  proverbes  et  dictons  populaires.  Le  seul 
auteur  ecclésiastique  à  mentionner  à  cette  époque  est 
l'évêque  Gabriel  d'Imérétie,  prédicateur  célèbre,  dont 
les  sermons  ont  été  traduits  en  anglais  par  Mahun, 
évêque  anglican  de  Broad-Windsor. 

Après  1850,  on  remarque  le  prince  Ilia  Tchavl- 
chavadzé,  poète  et  romancier,  fondateur  du  journal 
Sakarloelos  Moambé  (le  Messager  géorgien),  les  princes 
Akaki  Tsérétéli  et  Mamia  Gouriéli,  poètes  lyriques, 
l'économiste  N.  Nicolatzé,  le  romancier  Georges  Tséré- 
téli, auteur  d'ouvrages  d'archéologie  et  d'histoire, 
Catherine  Gabachvili,  auteur  de  romans,  le  prince 
Jean  Matchabéli,  traducteur  des  œuvres  de  Shakes- 
peare. Parmi  les  dramaturges  citons  :  le  prince  Raphaël 
Eristavi,  Eugène  Tsagaréli  et  Alexandre  Kazbek.  Les 
frères  Rasikachvili  consacrèrent  leur  talent  poétique 
à  la  description  de  la  vie,  des  mœurs,  des  coutumes 
des  montagnards.  Les  historiens  les  plus  connus  sont 
Platon  Josséliani,  Dimitri  Bakradzé  et  F.  M.  Brosset, 
orientaliste  français,  qui  consacra  une  grande  partie 
de  sa  vie  à  l'histoire  de  la  littérature  géorgienne. 
David  Tchoubinof  a  composé  de  nombreux  ouvrages 
classiques  ;  A.  Khakhanachvili  s'est  occupé  de  l'histoire 
littéraire 

Une  partie  de  l'activité  littéraire  des  Géorgiens  se 
dépense  depuis  longtemps  en  de  nombreux  journaux  et 
revues  malgré  les  tracasseries  de  la  censure  officielle 
russe  qui  supprime  ou  condamne  impitoyablement 
toute  feuille  dont  les  appréciations  lui  paraissent  quel- 
que peu  libres.  Il  convient  de  citer  les  principaux 
organes  de  la  presse  géorgienne  pour  montrer  combien 
est  vivante  et  active  l'élite  intellectuelle  du  pays. 

Les  principaux  journaux  sont  :  Imereli  (l'Irémétie), 
qui  se  publie  à  Koutaïs;  Khma  Kakhetissa  (la  Voix  de 


1279 


GEORGIE 


1280 


Kakhétie)  à  Télav;  Karthli  (la  Karthlie)  à  Cori; 
Iialoumi  Gazcli  (le  Journal  de  Batoum);  Sassoplo 
Journali  (le  Journal  du  village);  Coopcratsia  (la  Coopé- 
ration), à  Koutaïs;  Sakhalkho  Gazcti  (le  Journal  du 
peuple),  à  Tiflis  :  c'est  le  plus  répandu;  enfin  Taviscou- 
pali  Sakarihlo  (la  Géorgie  indépendante)  qui  se  publie 
en  Europe.  Citons  parmi  les  revues  :  Ganatlcba  (l' Illu- 
mination), revue  mensuelle;  Kldé  (le  Rocher),  revue 
hebdomadaire,  à  Tiflis;  Gantiadi  (l'Aube),  revue  ecclé- 
siastique, à  Koutaïs;  deux  revues  pour  l'enfance  : 
Djidjeli  (la  Germinaison)  et  Naghdouli  (le  Ruisseau); 
Mossavali  (la  Récolte),  revue  mensuelle  agricole,  à 
Tiflis:  Samkhournalo  Pourlsêli  (Feuille  de  médecine), 
à  Tiflis. 

Le  gouvernement  russe  a  supprimé  ces  dernières 
années  plusieurs  journaux  importants,  dont  quelques- 
uns  très  anciens,  parce  qu'ils  publiaient  des  articles  qui 
n'avaient  pas  le  don  de  lui  plaire.  Citons  :  lveria 
(l'Ibérie),  Droc ba  (le Temps),  Issari  (la  Flèche), Moambé 
(le  Messager),  Tsnobis  Pourlsêli  (la  Feuille  de  nouvel- 
les), Tsiscari  (l'Aurore),  Crébouli  (le  Recueil),  Eri  (la 
Nation). 

Enfin,  on  rencontre  en  Géorgie  une  dizaine  de 
sociétés  qui  s'occupent  de  répandre  dans  le  peuple  le 
culte  de  la  tradition  littéraire  nationale  ou  de  la  civili- 
sation en  général.  1.  La  plus  importante  est  sans  con- 
tredit, la  Société  pour  la  diffusion  de  la  littérature 
géorgienne,  fondée  à  Tiflis  en  1877.  Elle  vit  des  coti- 
sations de  ses  membres,  de  donations  et  de  fondations; 
son  budget  annuel  est  de  200  000  roubles,  c'est-à-dire 
de  520  000  francs.  La  Société,  dont  le  siège  est  à  Tiflis, 
a  des  succursales  un  peu  partout,  principalement  à 
Gori,  Télav,  Koutaïs,  Batoum,  Soukhoum-Kalé,  Sam- 
trédi,  Bakou,  Vladicavcase,  etc.  Elle  possède  à  Tiflis 
un  musée  historique  et  une  bibliothèque  de  manuscrits 
et  de  documents  concernant  la  Géorgie.  Son  but  est 
d'éditer  des  manuels  populaires  et  scientifiques  et  de 
créer  des  bibliothèques  populaires  dans  les  villes  et  les 
villages.  Elle  entretient  aussi  15  écoles  primaires.  2.  La 
Société  des  nobles  du  gouvernement  de  Tiflis  s'occupe 
de  l'instruction  de  la  jeunesse.  Elle  possède  deux 
gymnases  à  Tiflis,  un  pour  les  garçons  et  un  pour  les 
filles.  3.  11  existe  une  société  semblable  à  Koutaïs, 
où  elle  dirige  un  gymnase;  elle  a  de  plus  une  école  se- 
condaire à  Akhalisénaki.  4.  La  Société  d'illumination 
(d'instruction  et  d'éducation)  à  Tiflis;  elle  y  possède 
une  école  secondaire  de  filles.  5.  La  Société  des  dames 
géorgiennes  dirige  à  Tiflis  une  école  professionnelle 
gratuite  pour  les  jeunes  filles.  6.  La  Société  géorgienne 
d'histoire  et  d'ethnographie  possède  un  musée  à 
Tiflis.  Elle  édite  des  manuscrits  anciens  et  les  œuvres 
de  ses  membres.  7.  Il  existe  une  société  semblable  à 
Koutaïs.  8.  La  Société  de  haute  littérature  vient  en 
aide  aux  écrivains  géorgiens  et  publie  leurs  œuvres. 
Citons  encore  une  société  pour  l'enseignement  commer- 
cial, une  autre  pour  l'enseignement  agricole,  trois  so- 
ciétés dramatiques  à  Tiflis,  Koutaïs  et  Batoum;  enfin 
une  société  philharmonique  à  Tiflis,  qui  recueille  les 
chants  populaires  et  qui  dirige  à  Tiflis  une  école  de 
musique. 

Terminons  cet  aperçu  de  la  littérature  géorgienne 
en  disant  quelques  mots  sur  les  premiers  livres  im- 
primés. En  1027,  la  Propagande  publie  un  paroissien 
et  un  catéchisme.  Le  roi  Artchil  fait  ouvrir  à  Moscou 
la  première  imprimerie  géorgienne  importante  (1705) 
qui  édite  tout  d'abord  le  Psautier,  puis  la  Bible  tout 
entière.  L'évêque  Anthime  de  Valachie,  géorgien  de 
naissance,  en  fonde  une  autre,  vers  1710,  à  Rimnic; 
il  la  transfère  ensuite  à  Targovncin,  puis  à  Sviagov, 
près  de  Bucarest,  et  l'envoie  finalement  en  Géorgie 
avec  les  ouvriers,  après  avoir  imprimé  le  Kontakion. 
Deux  imprimeries  s'établissent  bientôt  en  Géorgie, 
celle  de  Tiflis  et  celle  de  Koutaïs.  Tiflis  édite  l'Évangile 


en  1709,  l'Horologion  et  le  Kontakion  en  1710.  On 
trouve  encore  des  imprimeries  géorgiennes  dans  diverses 
villes  russes,  à  Wladimir,  à  Krementchouk,  à  Saint- 
Pétersbourg,  à  Novgorod,  etc.  Samébéli  fait  imprimer 
a  Novgorod  (1739-1740)  l'Horologion,  la  Paraclitiki 
et  l'Évangile.  Moscou  édite  la  Bible  en  1733;  le  prince 
Vakhoucht  la  révise  et  en  fait  une  nouvelle  édition 
en  1742-1543;  en  175G,  le  catholicos  Antoine  1er 
imprime  tous  les  livres  ecclésiastiques;  en  1765, 
paraissent  les  Épîtres,  le  Psautier  et  un  nouvel 
Horologion.  La  Bible  géorgienne  fut  réimprimée  de 
1848  à  1884.  Sur  l'ordre  du  saint-synode,  on  travaille 
actuellement  à  une  nouvelle  édition  des  Livres  saints, 
basée  non  sur  le  texte  grec,  mais  sur  la  traduction 
slave  qui  est  connue  pour  ses  fautes.  Aussi  l'accueil 
que  les  Géorgiens  font  à  cette  œuvre  est-il  plutôt  froid. 

XXI.  Mission  latine.  Du  xme  au  xvne  siècle.  — 
Les  premiers  missionnaires  latins  qui  pénétrèrent  en 
Géorgie,  vers  1230,  étaient  des  franciscains.  Une  lettre 
du  pape  Grégoire  IX  au  roi  de  ce  pays  (avril  1233) 
nous  apprend  qu'il  envoyait  ces  apôtres  non  dans  le  but 
de  ramener  les  Géorgiens  à  l'unité  qu'ils  n'avaient 
peut-être  point  encore  rejetée,  mais  de  convertir  les 
populations  païennes  des  environs.  Archives  Vaticanes, 
Reg.  Val.  17,  fol.  6.  Quelques  années  plus  tard,  huit 
frères  prêcheurs  envoyés  par  le  même  pape  établis- 
saient à  Tiflis  un  monastère  qui  devint  le  centre  de 
leurs  missions  (1240).  Tamarati,  Église  géorgienne, 
p.  430.  Malgré  les  calamités  qui  continuaient  de  fondre 
sur  la  Géorgie,  les  papes  ne  cessaient  pas  de  lui  envoyer 
des  missionnaires.  Nicolas  IV  écrit  à  deux  reprises 
(1289,  1291)  au  roi  et  au  catholicos  pour  leur  recom- 
mander des  franciscains.  Langlois,  Registre  de  Nico- 
las IV,  Paris,  1893,  t.  i,  p.  391  ;  t.  n,  p.  393,  904. 

Au  début  du  xivc  siècle,  les  papes  se  préoccupent  de 
nouveau  du  sort  religieux  de  la  Géorgie.  Jean  XXII 
écrit  en  1321  au  roi  Georges  V  le  Brillant  (1318-1364) 
pour  le  presser  de  revenir  à  l'unité  romaine.  Archives 
Vaticanes,  Ioan.  XXII  com.  Reg.  Val.  62,  fol.  5. 
Sept  ans  plus  tard,  il  transférait  à  Tiflis  l'évèché  de 
Smyrne,  ruiné  par  les  Turcs,  puis  il  érigeait  la  capitale 
de  la  Géorgie  en  siège  épiscopal  latin  (1329).  Le 
premier  titulaire  de  ce  nouveau  siège  fut  un  ancien 
apôtre  de  la  Géorgie,  le  dominicain  Jean  de  Florence, 
qui  gouverna  la  mission  pendant  dix-neuf  ans.  Tama- 
rati, op.  cit.,  p.  442.  Les  missionnaires  latins,  francis- 
cains et  dominicains,  continuaient  de  venir  nombreux 
en  Géorgie  et  de  travailler  à  la  conversion  des  païens 
et  au  retour  des  schismatiques  à  l'union.  Ch.  de  Saint- 
Vincent,  L'année  dominicaine,  Amiens,  1702,  p.  cvn; 
Henrion,  Sloria  univcrsale  dclle  missioni  catlolichc, 
Turin,  1746, 1. 1,  p.  125.  Jean  de  Florence  fut  remplacé 
en  1349  par  Bertrand  Colletti  que  Clément  V  transféra 
à  Ampurie  et  auquel  il  donna  comme  successeur 
l'évêque  Bertrame  (1356).  Le  grand  schisme  d'Occident 
fit  sentir  jusqu'en  Géorgie  ses  funestes  effets.  Bertrame, 
ayant  pris  parti  pour  le  pape  de  Rome,  Urbain  VI, 
se  vit  destituer  par  son  rival  d'Avignon,  Clément  VII, 
qui  le  remplaça  par  un  de  ses  partisans,  le  franciscain 
Henri  Ratz.  Archives  Vaticanes.  Clem.  VII  com.  Reg. 
Vat.  228,  fol.  39.  Quelques  années  plus  tard,  Bertrame 
fut  rétabli  sur  son  siège  de  Tiflis  où  il  mourut  en  1391. 
Il  eut  pour  successeur  Léonard  de  Villaco,  nommé 
par  Boniface  IX,  Archives  Vaticanes,  Boni/.  IX, 
ann.  n,  1.  XVII,  fol.  168,  puis  par  un  certain  Jean, 
nommé  à  une  date  inconnue.  En  1425,  Martin  V 
choisit  comme  évêque  de  Tiflis  le  dominicain  Jean  de 
Saint-Michel.  Archives  Vaticanes,  Reg.  Vat.,  Alarl.  V, 
1.  XXXII,  fol.  207.  Nicolas  V  nomma  un  autre  domi- 
nicain, Alexandre,  en  1450,  et  Pie  II,  en  1462,  Henri 
qui  mourut  la  même  année,  puis  Henri  Wonst,  un 
franciscain.  Le  siège  passa  le  10  juillet  1469  à  un 
augustin,  Jean  Ymmink,  et  revint  ensuite  aux  fran- 


1281 


GEORGIE 


1282 


ciscains  qu  comptèrent  parmi  eux  les  deux  derniers 
titulaires  du  siège  de  Tiflis,  Albert  Engel  en  1493  et 
Jean  Schneider  de  Dortmund  en  1507.  Tamarati, 
Église  géorgienne,  p.  450.  Il  y  eut  donc  quatorze 
évêques  latins  de  Tiflis  depuis  la  création  du  siège  en 
1329,  jusqu'à  sa  disparition  au  début  du  xvi°  siècle 

A  partir  de  ce  moment,  les  missionnaires  latins  se 
firent  de  plus  en  plus  rares  en  Géorgie  jusqu'à  dis- 
paraître tout  à  fait  pendant  un  siècle  environ.  C'est 
alors  qu'ils  furent  momentanément  remplacés  par  les 
frères  unis  ou  uniteurs,  branche  arménienne  de  la 
famille  de  saint  Dominique.  Nous  voyons,  en  effet,  le 
pape  Paul  III  recommander  deux  de  ces  missionnaires 
au  roi  de  Géorgie,  Louarsab  (juin  1545).  Archives 
Vaticanes,  Paul.  III,  ann.  xi-xn,  t.  v,  1.  CCXLV, 
fol.  104.  La  mission  des  frères  uniteurs  semble  avoir 
eu  un  plein  succès,  puisque  le  pape  envoya  l'année 
suivante  un  nonce  en  Géorgie,  l'archevêque  arménien 
Etienne  de  Natchitchévan.  Archives  Vaticanes, 
Paul.  III,  ibid.,  fol.  286. 

XXII.  Mission  des  Pères  théatins  (1626-1700). 
—  Pendant  près  d'un  siècle,  les  Géorgiens  furent  privés 
de  missionnaires  catholiques.  Au  début  du  xvnc  siècle, 
ils  en  demandèrent  d'eux-mêmes.  Les  deux  princes 
Manukar  et  Alexandre  s'adressèrent  à  ceux  qui  évan- 
gélisaient  la  Perse,  mais  ils  n'en  obtinrent  aucun. 
Antoine  de  Govvea,  Relation  des  grandes  guerres  cl 
victoires  obtenues  par  le  roij  de  Perse  Cha  Abbas,  p.  477. 
Les  princes  de  la  Géorgie  occidentale  les  imitèrent 
bientôt.  Le  prince  Dadian  réussit  à  faire  venir  un 
Père  jésuite  de  Constantinople,  le  P.  Louis  Granger, 
qui  partit  pour  la  Mingrélie  en  1614  et  commença  un 
apostolat  fructueux  que  le  manque  de  missionnaires 
obligea  d'abandonner.  En  1624,  la  Propagande  envoya 
en  Orient  quatre  Pères  dominicains  pour  étudier  la 
situation.  L'un  d'eux  visita  la  Géorgie  et  promit  aux 
princes  de  ce  pays  de  leur  faire  envoyer  des  mission- 
naires. On  ne  put  malheureusement  tenir  ces  pro- 
messes. Archives  de  la  Propagande,  Persia,  Giorgia, 
Mengrelia  e  Tartaria,  t.  ccix,  fol.  439  sq.  Plusieurs 
rapports  favorables  ayant  été  envoyés  à  la  Propagande 
par  divers  missionnaires,  cette  Congrégation  se  décida 
à  entreprendre  le  retour  des  Géorgiens  à  l'unité 
calholique.  Elle  choisit  pour  cela  l'ordre  des  théatins. 

Le  P.  Pierre  Avitabille  partit  de  Rome  en  1626  avec 
deux  autres  Pères.  En  route,  ils  rencontrèrent,  à 
Messine,  un  moine  géorgien,  Nicolas  Erbachi,  envoyé 
comme  ambassadeur  par  le  roi  Téimouraz  auprès  du 
pape  et  des  autres  souverains  d'Europe.  Silos,  Historia 
clericorum  rcgularium,  Rome,  1655,  t.  il,  p.  588. 
Nicolas  Erbachi,  après  s'être  converti  à  Rome,  fit 
fondera  la  Propagande  une  imprimerie  pour  la  langue 
géorgienne  et  imprima  dans  cette  langue  un  petit 
livre  de  prières  et  un  dictionnaire  italo-géorgien. 
Tamarati,  op.  cit.,  p.  505.  Les  missionnaires  théatins 
n'arrivèrent  en  Géorgie  qu'en  décembre  1628.  Leur 
prédication  et  l'exercice  de  la  médecine  leur  attirèrent 
bientôt  la  sympathie  générale,  malgré  les  calomnies 
répandues  sur  eux  par  des  prêtres  grecs  venus  de 
Jérusalem  pour  quêter  en  faveur  du  Saint-Sépulcre. 
Le  retour  de  Nicolas  Erbachi  accentua  encore  cette 
sympathie.  Cependant  le  roi  Téimouraz  n'osa  point 
faire  publiquement  profession  de  foi  catholique. 
Deux  nouveaux  missionnaires  théatins  partirent  pour 
la  Géorgie  en  1630.  Ils  rencontrèrent  à  Malte  le 
1'.  Pierre  Avitabile,  envoyé  à  Rome  pour  y  exposer  la 
situation  de  la  Géorgie  et  qui  repartit  bientôt  avec 
quatre  nouveaux  missionnaires,  parmi  lesquels  le 
P.  Christophore  Castelli  qui  joua  un  grand  rôle  dans 
la  suite.  Il  semblait  que  la  mission  allait  se  développer, 
mais  les  dispositions  du  roi  ayant  complètement  changé 
sur  le  refus  des  Pères  de  lui  verser  une  forte  somme 
qu'ils  n'avaient  pas  d'ailleurs,  tout  espoir  d'une  conver- 

DICT.   DE  THi.OL.  CATHOL. 


sion  en  masse  de   a  nation  fut  perdu.  Le  pays  tomba 
bientôt  sous  la  domination  des   Persans,   ce  qui  ne 
facilitait  pas  la  tâche  des  missionnaires.  A  la  suite  de 
cette    conquête,    la    Propagande   plaça,    en    1633,    la 
mission   de  Géorgie,  sous  la  juridiction   de  l'évêque 
latin  d'Ispahan.  En  même  temps,  on  créait  à  Rome  le 
collège  urbain  de  la  Propagande,  dont  l'cvangélisation 
de  la  Géorgie  avait  été  l'occasion,  et  on  y  réserva  deux 
places  pour  les  jeunes  gens  de  ce  pays.  La  mission 
reprit  une  certaine  importance,  puis  la  peste  et  les 
guerres  qui  désolaient  la  Géorgie  orientale  ne  tardèrent 
pas  à  la  ruiner  presque  complètement.  C'est  alors  que 
plusieurs    Pères    théatins    allèrent    s'établir   en    Min- 
grélie (1633)  et  deux  autres  en  Gouric,  l'année  suivante. 
Malheureusement,    l'ordre    ne    sut    pas    borner    son 
apostolat  à  la  Géorgie.  Les  résultats  merveilleux  que 
les  augustins  obtenaient  dans  les  Indes  décidèrent  le 
P.  Avitabile  et  plusieurs  de  ses  compagnons  à  se  rendre 
dans   ces   missions   lointaines.   Ce  fut  la  cause  pour 
laquelle  fut  abandonnée  la  mission  de  Gori,  en  Géorgie 
(1638).  Archives  de  la  Propagande,  Persia,   Giorgia, 
Mengrelia  e  Tartaria,  t.  ccix,  fol.  391.  Les  mission- 
naires  de   Gourie   avaient  reçu  un   excellent  accueil 
du  prince  Malachie,  qui  était  en  même  temps  catholicos 
de  la  Géorgie  occidentale.   Ils  établirent  une  école  et 
firent  beaucoup  de  bien,  malgré  l'hostilité  des  prêtres 
grecs.    Galanus,    Concilialio  Ecclesiœ   armense,   t.    m, 
p.  169.  La  plus  célèbre  conversion  opérée  par  un  des 
leurs,  le  P.  Castelli  dont  nous  avons  parlé  plus  haut, 
fut  celle  d'une  princesse  géorgienne,  nommée  Hélène, 
que  le  prince  de  Mingrélie,  Dadian,  obligea  à  épouser 
le  chah  de  Perse,  mais  qui  resta  toujours  catholique. 
Cottono,  De  scriploribus  clericorum  rcgularium,  p.  93. 
La  mort  du  prince-catholicos  Malachie  nuisit  beaucoup 
à  la  mission.  L'hostilité  du  nouveau  titulaire.  Vakh- 
tang,  obligea  le  P.  Castelli  et  son  compagnon  à  quitter 
le  pays  pour  se  réfugier  en  Mingrélie.  Le  missionnaire 
persécuté  fut  bientôt  appelé  par  Alexandre,  roi  d'Imé- 
rétie.  Là  encore  il  fut  en  butte  aux  poursuites  des 
prêtres  grecs.  Le  patriarche  d'Alexandrie  vint  même 
à  Routais  au  nom  de  son  collègue  de  Constantinople 
demander  au  roi  l'éloignement  du  P.  Castelli,  mais  sa 
démarche  demeura  sans  succès.  Le  prestige  des  Pères 
s'accrut  beaucoup  aux  yeux  du  peuple  par  suite  de 
l'échec  des  grecs.  Malheureusement,  le  prince  Dadian 
réclama  le  missionnaire  et  recourut  même  aux  menaces 
de  guerre  pour  obliger  le  roi  Alexandre  à  le  laisser 
partir.  Archives   de  la  Propagande,   Persia,    Giorgia, 
Mengrelia  e  Tartaria,  t.  ccix,  fol.  204.  Cependant  la 
mission  de  Mingrélie  que  le  P.  Castelli  venait  renforcer 
voyait  grandir  son  influence.  Le  prince  Dadian  donna 
aux    théatins  une  belle  église  à  Cipourias  et  douze 
enfants    à   élever   dans   la   foi   catholique.    Lamberti, 
Isloria  sacra  dei  Colchi,  p.  323  sq.  Ils  réussirent  à  faire 
défendre  par  le  prince  le  trafic  honteux   des  esclaves, 
très  important  dans  tout  le  pays,  puisque  les  mar- 
chands   grecs   et   arméniens    en   emmenaient   chaque 
année  une  moyenne  de  deux  mille  de  la  seule  Min- 
grélie,  pour  les   vendre   aux    Turcs.    Archives    de   la 
Propagande,  Persia,    Giorgia,  Mengrelia  e    Tartaria, 
t.  ccix.fol.  393  sq.  De  même,  ils  réussirent  à  rebaptiser 
nombre  de  personnes  dont  le  baptême,  conféré  par  des 
prêtres  ignorants  et  d'après  des  rituels  fautifs,  était 
invalide.  Ils    firent  disparaître  les  fautes  qui  s'étaient 
glissées  dans  le  rituel  et  instruisirent  le  clergé  de  ses 
devoirs  par  rapport  à  l'administration  des  sacrements. 
Cottono,  op.  cit.,  p.  96.  Pour  pouvoir  donner  le  bap- 
tême,   ils    durent    recourir    à    des    subterfuges,    et   le 
conférer  souvent  sous  prétexte  de  médecine.  Silos,  op. 
cit.,  t.  il,  p.  631.   Plusieurs   conversions  importantes 
récompensèrent    les    missionnaires    de    leurs    efforts. 
L'archevêque  grec  de  Trébizonde,  Macaire,  en  tournée 
de    quêtes    en    Mingrélie,    et    l'archevêque    géorgien 

VI.  —41 


1283 


GEORGIE 


1284 


Allaverdéli,  tous  deux  farouches  adversaires  des 
latins,  se  laissèrent  loucher  par  la  grâce  et  se  firent 
catholiques.  Archives  de  la  Propagande,  Lcllere  délia 
Mengrelia,  etc.,  t.  cxxm,  fol.  7;  Lamberti,  op.  cit., 
p.  353.  Puis  ce  fut  le  tour  du  prince  Dadian  que  les 
missionnaires  baptisèrent  et  qui  envoya  des  ambas- 
sadeurs au  pape  Urbain  VIII  pour  lui  témoigner  son 
entière  soumission.  Archives  de  la  Propagande,  Lcllere 
di  Polonia,  Moscovia,  Valachia,  Moldavia,  Palestina, 
Soria,  Armcnia,  Persia  cl  Tartaria,  t.  xi.ii,  fol.  109.  La 
mort  du  prince  en  1657  et  la  pénurie  de  sujets  entraîna 
la  ruine  de  la  mission  des  Pères  théatins.  Archives  de 
la  Propagande,  Lcllere  délia  Sacra  Congregazione, 
t.  xxx,  fol.  111.  Dès  1660,  un  des  leurs,  le  P.  Galano, 
établi  à  Constantinople,  proposait  à  la  Propagande 
d'envoyer  en  Géorgie  des  religieux  d'un  autre  ordre. 
Archives  de  la  Propagande,  Asia  e  Cipro,  t.  ccxxvn, 
fol.  33.  Cependant  la  S.  C.  hésitait  à  enlever  aux 
théatins  cette  mission  où  ils  avaient  si  bien  travaillé. 
Elle  demanda  à  leur  général  de  choisir  de  nouveaux 
missionnaires  aussi  nombreux  que  possible.  Archives 
de  la  Propagande,  Scritlure  riferite,  Giorgia,  t.  i,  p.  12. 
Le  dernier  départ  de  théatins  eut  lieu  en  1691.  Pendant 
le  court  espace  de  temps  que  les  religieux  de  cet  ordre 
ont  évangélisé  la  Géorgie,  ils  ont  produit  un  bien 
immense  par  leur  zèle  apostolique,  leur  charité  et 
leur  vaste  érudition. 

XXIII.  Mission  des  Pères  capucins  (1661-1845). 
—  Nous  avons  vu  que  les  théatins  avaient  dû,  faute 
de  sujets,  abandonner  petit  à  petit  la  Géorgie  propre- 
ment dite  pour  se  replier  sur  la  Mingrélie.  La  Propa- 
gande décida,  le  16  juin  1661,  de  leur  attribuer  défini- 
tivement cette  dernière  province  et  de  confier  le  reste 
du  pays  aux  capucins.   Michaël  a  Turio,  Bullarium 
capuccinorum,  t.  vu,  p.  237.  Le  premier  envoi  compie- 
nait    cinq  Pères  et  deux   frères   convers   qui  eurent 
beaucoup  de  difficulté  à  pénétrer  en  Géorgie,  à  cause 
des  guerres  avec  les  Turcs.  Au  commencement  de  1663, 
trois  Pères  arrivèrent  à  Tiflis,  où  ils  s'installèrent.  Un 
d'entre  eux,  le  P.  Carlo-Maria  de  Saint-Marin,  retourna 
bientôt  à  Rome  pour  exposer  la  situation  difficile  où 
se  trouvaient  les  nouveaux  missionnaires  au  point  de 
vue  matériel  et  pour  demander  de  prompts  secours  en 
hommes  et  en  argent.  Après  bien  des  pourparlers,  il 
obtint  gain  de  cause.  La  mission  put  dès  lors  exercer 
une  influence  considérable,  d'autant  plus  que  les  Pères 
capucins    furent    autorisés,    comme    les    théatins,    à 
exercer  la  médecine  avec  prudence.  Archives   de  la 
Propagande,    Lcllere   délia    S.    Congregazione,    t.    m, 
fol.   209;  t.   lv,  fol.  39.    Ils  établirent  une  école  et 
bâtirent  une  église  qui  attira  beaucoup  de  monde. 
Archives  de  la  Propagande,  Atli  délia  S.  Congregazione, 
3  agosto  1671,  p.  260.  Ils  traduisirent  en  géorgien  le 
catéchisme  de  Bellarmin  et  prièrent  la  Propagande 
de  le  faire  imprimer,  ce  qui  n'eut  lieu  que  dix  ans  plus 
tard,  en  1681.  Leur  apostolat  ne  s'exerçait  pas  unique- 
ment dans  la  ville  de  Tiflis,  il  rayonnait  encore  dans  les 
régions   environnantes.   Archives   de   la   Propagande, 
Scritlure  riferite,  Giorgia,  t.  i,  n.  27.  Un  moment,  ils 
crurent  pouvoir  conclure  l'union  de  la  nation  tout 
entière  avec  l'Église  catholique,  mais  le  projet  ne  put 
être  exécuté,  parce  que  Mgr  Piquet,  délégué  en  Perse, 
fut  empêché  de  se  rendre  en  Géorgie  pour  traiter  cette 
grave  affaire.   Archives   de  la   Propagande,   Scritlure 
rijcrilc,  t.  i,  n.  88. 

Cependant  les  retours  partiels  à  l'unité  consolèrent 
les  missionnaires  de  cet  échec.  Le  roi  Georges  embrassa 
la  foi  catholique  en  1686.  Archives  de  la  Propagande, 
Acla  S.  Congregationis,  feb.  1686,  fol.  23.  Il  fut  bientôt 
imité  par  Euthyme,  archevêque  de  la  Géorgie,  par  son 
propre  frère,  par  plusieurs  prêtres,  Missionari  l'oscani, 
1. 1,  fol.  737,  et  par  le  prince  Barzim,  dont  la  conversion 
produisit   une  impression  profonde.   Le   roi  Georges, 


chassé  de  ses  États  par  une  révolution,  eut  pour 
successeur  son  neveu  Cosrov-Khan,  qui  abjura  le 
mahométisme  et  se  fit  catholique.  Parmi  les  autres 
princes  qui  embrassèrent  la  cause  de  l'union,  il  faut 
citer  Soulkan,  de  l'illustre  famille  des  Orbéliani,  qui 
se  fit  religieux  sous  le  nom  de  Saba,  et  qui  rendit  les 
plus  grands  services  à  la  cause  catholique  en  Géorgie. 
Archives  de  la  Propagande,  Acla  S.  Congregationis, 
an.  1714,  n.  32,  Giorgia,  fol.  442.  En  1714,  le  prince- 
moine  Saba  se  rendit  en  France  et  à  Rome  pour  de- 
mander la  délivrance  de  son  oncle,  le  roi  Vakhtang, 
prisonnier  en  Perse  depuis  plusieurs  années,  et  pour 
presser  l'envoi  de  missionnaires,  lazaristes  ou  jésuites. 
Cette  dernière  démarche  déplut  aux  capucins.  Archi- 
ves de  la  Propagande,  Acla  S.  Congregationis,  an.  1714, 
n.  32,  Giorgia,  fol.  442.  La  Propagande  décida  de 
passer  outre,  d'accord  avec  le  gouvernement  français. 
Les  lazaristes  étaient  sur  le  point  de  s'embarquer  à 
Marseille,  lorsque  la  mort  de  Louis  XIV  remit  tout 
en  question  (1715).  Tamarati,  Église  géorgienne,  p.  605. 
L'arrivée  de  nouveaux  capucins  en  Géorgie  diminua 
le  regret  de  cet  échec.  Le  retour  du  prince-moine  Saba 
fut  aussi  une  circonstance  favorable  au  développe- 
ment du  catholicisme,  à  cause  de  l'influence  dont  il 
jouissait  dans  son  pays. 

Depuis  le  commencement  de  leur  mission,  les  capu- 
cins étaient  en  butte  aux  persécutions  des  Arméniens 
que  les  vexations  des  Persans  obligeaient  de  plus  en 
plus  à  émigrer  vers  le  nord.  Tous  les  missionnaires 
s'en  plaignaient  dans  leurs  lettres.  Cf.  Archives  de  la 
Propagande,  Acla  S.  Congregationis,  an.  1709,  n.  43, 
Armenia,  Giorgia,  fol.  203.  En  1669,  il  fallut  l'inter- 
vention personnelle  du  roi  pour  empêcher  l'expulsion 
des  capucins  de  Tiflis.  Archives  de  la  Propagande, 
Acla  S.  Congregationis,  an.  1669,  n.  20  b,  Giorgia, 
fol.  257.  Une  vingtaine  d'années  plus  tard,  les  Armé- 
niens, profitant  de  l'absence  du  roi,  usèrent  de  violences 
sur  les  capucins  et  tentèrent  de  détruire  leur  établisse- 
ment. Le  prince  Barzim  délivra  les  missionnaires.  Le 
renversement  du  roi  Georges,  protecteur  de  la  mission 
(1697),  et  les  bouleversements  politiques  qui  en  furent 
la  conséquence  permirent  aux  Arméniens  de  recom- 
mencer leurs  persécutions.  Rome  dut  recourir  au  chah 
de  Perse  et  faire  intervenir  les  puissances  catholiques 
pour  protéger  la  mission  menacée.  P.  Raphaël  du  Mans, 
Estât  de  la  Perse,  Paris,  1890,  p.  376.  La  persécution 
reprit  bientôt,  car  les  Arméniens  avaient  réussi  à 
s'entendre  avec  les  Géorgiens  dévoués  aux  grecs  et 
avec  les  envoyés  des  patriarches  de  Constantinople  et 
de  Jérusalem.  Archives  de  la  Propagande,  Scritlure 
riferite,  t.  dlxvi,  n.  43.  En  1717,  quelque  temps  après 
le  retour  du  prince-moine  Saba  en  Géorgie,  les  Armé- 
niens se  montrèrent  encore  plus  hardis  qu'auparavant. 
Missionari  Toscani,  part.  II,  fol.  762  sq.  Bientôt 
cependant  la  situation  changea.  Le  roi  Vakhtang  étant 
rentré  de  Perse  dans  son  royaume,  il  prit  les  mission- 
naires sous  sa  protection  et  le  prince-moine  Saba 
seconda  leurs  efforts  de  tout  son  pouvoir.  Archives  de 
la  Propagande,  Litière  délia  S.  Congregazione,  t.  cvn, 
fol.  335;  t.  cviii,  fol.  368,  377;  t.  cix,  fol.  389.  De 
nouveaux  troubles  agitèrent  le  pays,  mais  n'empê- 
chèrent point  les  capucins  de  développer  leurs  œuvres, 
surtout  en  Imérétie  et  à  Akhaltzkhé,  alors  occupée 
par  les  Turcs.  Plusieurs  princes,  comme  les  deux 
Orbéliani,  Jean  et  Vakhtang,  parents  de  Saba,  l'évêque 
Chrislophore  et  d'autres  personnages  importants 
embrassèrent  alors  le  catholicisme.  Une  nouvelle  per- 
sécution des  Arméniens  chassa  les  capucins  de  Géorgie 
et  ferma  leur  église  de  Tillis  (1742).  Archives  de  la 
Propagande,  Monte  Caucaso,  Giorgia,  t.  n,  n.  43,  44. 
Grâce  aux  démarches  de  Rome,  les  missionnaires 
purent  rentrer  quelques  mois  après. 

L'évêque  latin  d'Ispahan,  qui  étendait  toujours  sa 


1285 


GÉORGIE 


1286 


juridiction  sur  la  Géorgie,  vint  à  Tiflis  vers  la  même 
époque  et  crut  nécessaire  d'y  établir  un  vicaire  épis- 
copal.  Il  choisit  pour  cela  le  P.  Niccolo  de  Girgenti, 
des  capucins,  ce  qui  déplut  au  P.  Claudio,  préfet  de  la 
mission,  alors  en  voyage  en  Europe.  A  son  retour,  le 
P.  Claudio  quitta  la  mission  de  Tiflis  pour  celle  d'Akhal- 
tzikhé,  La  querelle  s'envenima  à  cause  du  manque 
d'esprit  de  conciliation  dont  fit  preuve  le  P.  Niccolo 
et  de  l'indépendance  qu'il  montra  vis-à-vis  du  Père 
préfet.  Rome  essaya  en  vain  de  calmer  les  esprits. 
Archives  de  la  Propagande,  Lcltcrc  dclla  S.  Congrc- 
gazionc,  t.  clxxi,  fol.  191;  t.  clxxiii,  fol.  156.  Les 
démarches  tentées  de  1742  à  1750  pour  faire  nommer 
un  évêque  latin  à  Tiflis  n'aboutirent  pas.  En  1742, 
une  partie  de  la  Géorgie  occidentale,  Akhaltzikhé 
avec  son  district,  alors  sous  la  domination  de  la  Tur- 
quie, fut  détachée  du  diocèse  d'Ispahan  et  confiée 
au  délégué  apostolique  résidant  à  Constantinople.  Ar- 
chives de  la  Propagande,  Scritlure  non  rifcrilc,  Monte 
Caucaso,  Giorgia,  t.  Il,  n.  29  a.  Cet  expédient,  imaginé 
pour  remédier  aux  difficultés  que  présentait  la  visite 
de  la  Géorgie  par  l' évêque  d'Ispahan,  n'obtint  point 
le  succès  qu'on  en  attendait.  Les  délégués  apostoliques 
n'allèrent  jamais  au  Caucase  et  ne  purent  pas  mettre 
fin  aux  démêlés  qui  eurent  lieu  entre  le  clergé  et  les 
fidèles  et  au  sein  même  du  clergé.  L'absence  d'un 
évêque  fut  toujours  funeste  aux  développements  de  la 
mission  catholique.  En  1757,  les  capucins  obtinrent  de 
Rome  la  permission  de  chanter  en  langue  géorgienne 
l'épître,  l'évangile,  le  Gloria  et  le  Credo  à  la  messe 
solennelle.  En  1784,  la  même  faveur  fut  étendue  aux 
Géorgiens  qui  suivent  le  rite  arménien. 

Les  frères  Orbéliani,  dont  nous  avons  parlé  plus  haut, 
se  faisant  apôtres  comme  leur  parent,  le  prince-moine 
Saba,  portèrent  la  foi  catholique  dans  l'Imérétie  ou 
Géorgie  occidentale,  où  ils  convertirent  le  catholicos 
Bessarion,  le  roi  Alexandre,  le  prince  de  Ratcha,  Ros- 
tom,  frère  du  catholicos,  et  d'autres  personnages  impor- 
tants, Archives  de  la  Propagande,  Miscellanee  varie.  1. 1, 
cahier  xm.  Les  capucins  y  établirent  aussi  une  mission 
que  les  envoyés  du  patriarche  grec  réussirent  à  ruiner 
complètement.  Archives  de  la  Propagande,  Scrillnre 
non  riferite,  Monte  Caucaso,  Giorgia,  t.  n,  n.  63.  Les 
Arméniens  essayèrent  d'en  faire  autant  à  Tiflis,  mais 
ils  n'y  parvinrent  pas,  même  en  promettant  une  somme 
de  51  000  écus  au  catholicos  Antoine  Ier  (1753).  Ar- 
chives de  la  Propagande,  Scritlure  non  riferite,  Monte 
Caucaso,  t.  n,  n.  69.  Entre  1750  et  1755,  le  catholi- 
cisme prit  à  Tiflis  une  importance  considérable.  Le 
catholicos  Antoine,  plusieurs  prêtres  et  religieux,  une 
soixantaine  de  princes  et  un  grand  nombre  de  fidèles, 
étaient  unis  à  Rome.  Archives  de  la  Propagande,  ibid., 
n.  71.  Les  grecs  et  les  Arméniens  coalisés  finirent 
cependant  par  obtenir  du  roi  l'expulsion  des  capucins, 
vers  1757.  Rome  réussit  par  ses  démarches  auprès  des 
gouvernements  français,  autrichien  et  ottoman  à  faire 
revenir  les  missionnaires  à  Tiflis,  mais  ils  ne  purent 
pas  rentrer  en  possession  de  leur  église.  Archives  de  la 
Propagande,  ibid.,  n.  76. 

La  Propagande  forma  alors  le  projet  de  fonder  une 
nouvelle  mission  auprès  des  montagnards  du  Caucase 
et  en  confia  la  direction  aux  religieux  de  la  congréga- 
tion de  Saint- Jean-Baptiste,  malgré  l'opposition  des 
capucins  (1760).  Archives  de  la  Propagande,  Lettcrc 
dclla  S.  Congrcgazione,  t.  exevi,  fol.  433.  Les  nouveaux 
missionnaires,  au  nombre  de  cinq  (trois  religieux  de  la 
congrégation  et  deux  prêtres  géorgiens  élèves  de  la 
Propagande),  ne  réussirent  pas  à  atteindre  leur  desti- 
nation et  restèrent  à  Akhaltzikhé.  Ils  finirent  par 
abandonner  leur  projet  primitif  pour  se  fixer  dans  cette 
nille  où  ils  commencèrent  leur  apostolat.  Ils  n'y 
vemeurèrent  du  reste  pas  très  longtemps.  Les  Armé- 
diens    ne    désarmaient    toujours    pas.    En    17G9,    ils 


confisquèrent  tous  les  biens  ecelésiastiques  de  la  mis- 
sion et  les  mirent  sous  séquestre;  puis,  ils  emmenèrent 
les  capucins  en  divers  lieux  où  ils  les  retinrent  prison- 
niers. Archives  de  la  Propagande,  Scritlure  non  riferite, 
Giorgia,  t.  ni,  n.  1.  L'intervention  énergique  de  l'am- 
bassadeur de  France  à  Constantinople  fit  relâcher  les 
missionnaires,  mais  les  simples  fidèles  ne  cessaient  pas 
d'être  molestés.  La  mission  d'Imérétie,  d'où  les  capu- 
cins avaient  été  chassés,  reprenait  vie,  et  le  roi  lui- 
même,  Salomon,  s'y  montrait  favorable  au  catholi- 
cisme (1780).  Pendant  ce  temps,  le  roi  de  Géorgie, 
Héraclius  II,  écoutant  les  mauvais  conseils  des  Armé- 
niens, persécutait  cruellement  les  convertis  (1775).  Il 
en  vint  même  à  interdire  à  ses  sujets  de  se  faire  catho- 
liques, sous  peine  de  deux  mois  de  prison,  de  la  bas- 
tonnade, de  la  confiscation  et  de  l'exil.  Archives  de  la 
Propagande,  Scritlure  non  riferite,  Giorgia,  t.  m,  n.  60. 
Héraclius,  ayant  fait  alliance  avec  la  Russie,  les  Per- 
sans dévastèrent  la  Géorgie  en  1795  et  détruisirent 
complètement  la  mission  de  Tiflis.  Archives  de  la  Pro- 
pagande, Scritlure  riferite,  Giorgia,  t.  v,  n.  16.  L'an- 
nexion du  pays  à  la  Russie  en  1800  porta  le  dernier 
coup  à  l'œuvre  des  capucins  dans  le  Caucase.  Ils 
avaient  à  compter  dès  lors  avec  le  fanatisme  moscovite 
qui  interdisait  de  se  faire  catholique. 

Les  archevêques  latins  de  Mohilev,  probablement  à 
l'instigation  du  gouvernement  de  Pétersbourg,  préten- 
dirent dès  1783  exercer  leur  juridiction  sur  la  Géorgie, 
à  cause  du  traité  d'alliance  conclu  avec  la  Russie. 
Archives  de  la  Propagande,  Scriliure  riferite,  t.  iv,  n.  28. 
Tant  que  les  capucins  restèrent  dans  le  pays,  ils  empê- 
chèrent l'exécution  de  ce  projet.  En  1807,  ils  réussirent 
à  rebâtir  l'église  de  Tiflis,  Archives  de  la  Propagande, 
ibid.,  t.  iv,  n.  42,  46,  puis  ils  en  construisirent  une 
autre  à  Gori.  Ibid.,  n.  69.  Si  la  persécution  n'était 
plus  autant  à  craindre,  le  manque  de  missionnaires 
menaçait  de  ruiner  l'œuvre  commencée.  En  1813,  il 
n'y  avait  plus  que  deux  c  apucins  dans  toute  la 
Géorgie.  On  leur  donna  comme  préfet  un  prêtre  armé- 
nien, le  pro-vicaire  d' Akhaltzikhé.  Archives  de  la  Pro- 
pagande, Letlere  délia  Sacra  Congre gazione,  t.  ccxciv, 
18  et  24  mai  1813;  t.  ccxv,  fol.  70.  Ils  étaient  trois  en 
1823.  Quelques  autres  vinrent  les  aider  plus  tard, 
mais  en  nombre  insuffisant.  Comme  on  avait  omis 
de  former  un  clergé  indigène,  c'était  à  bref  délai  la 
ruine  de  la  mission.  Elle  fut  de  plus  violemment  atta- 
quée par  un  prêtre  d' Akhaltzikhé,  ancien  élève  de  la 
Propagande,  Paul  Sciagulianti,  qui  fit  cause  commune 
avec  les  Arméniens  contre  les  latins  et  s'appuya  sur  le 
gouvernement  russe.  Archives  de  la  Propagande, 
Scriliure  riferite,  t.  v,  n.  66.  Ce  dernier  profita  des 
dissensions  survenues  entre  le  clergé  arménien  catho- 
lique et  les  capucins  pour  expulser  ceux-ci.  sous 
prétexte  qu'ils  étaient  étrangers  (février  1845).  Tama- 
rati,  op.  cit.,  p.  658.  Les  missionnaires,  chassés  bruta- 
lement de  leurs  diverses  maisons,  se  réfugièrent 
à  Trébizonde,  d'où  ils  espéraient  toujours  pouvoir 
pénétrer  en  Géorgie.  Ils  n'ont  jamais  pu  réaliser  leur 
désir. 

XXIV.  Les  catholiques  géorgiens  de  1845  a 
nos  .tours.  —  Après  le  départ  des  capucins,  les 
catholiques  géorgiens  restèrent  plusieurs  années  sans 
autre  prêtre  qu'un  ancien  élève  de  la  Propagande. 
L'intrigant  Sciagulianti  leur  envoya  en  vain  des  prêtres 
arméniens  catholiques,  les  fidèles  déclarèrent  qu'ils 
étaient  de  rite  latin  et  qu'ils  n'en  suivraient  pas  d'autre. 
Le  gouvernement  russe  dut  lui-même  demander  des 
prêtres  polonais  qui  administrèrent  les  églises  sans 
connaître  la  langue  du  pays.  Le  Saint-Siège  conclut 
en  1848  une  convention  avec  le  tsar  Nicolas  Ier,  en 
vertu  de  laquelle  tous  les  catholiques  de  Géorgie,  de 
rite  latin  et  de  rite  arménien,  furent  soumis  à  l'évêque 
latin   de   Tiraspol,   dont   le  siège  venait   d'être   créé. 


1287 


GÉORGIE 


1288 


Acla  PU  IX,  1. 1,  p.  110  sq.  Les  Arméniens  calholiques 
cherchèrent  dès  cette  époque  à  s'emparer  des  églises 
latines  et  de  leurs  biens,  allant  pour  cela  jusqu'à 
prétendre  qu'il  n'y  avait  jamais  eu  de  Géorgiens 
catholiques,  mais  seulement  des  Arméniens.  L'empe- 
reur Alexandre  III  travaillait  du  reste  à  faire  dispa- 
raître le  caractère  national  des  Géorgiens  au  profit 
de  leurs  ennemis  :  il  interdit  en  janvier  188G  de 
se  servir  de  la  langue  géorgienne  dans  les  cérémonies 
du  ciille  catholique;  on  ne  pouvait  plus  ni  prêcher  ni 
prier  publiquement  dans  l'idiome  national.  En  1893, 
il  enleva  aux  Géorgiens,  pour  la  donner  aux  Arméniens, 
l'ancienne  église  de  Tiflis,  qui  ne  fut  rendue  que  sur 
les  énergiques  représentations  du  Saint-Siège.  Malgré 
ces  persécutions  de  la  part  des  Arméniens  catholiques 
soutenus  par  les  pouvoirs  publics,  le  nombre  des 
Géorgiens  unis  à  Rome  n'a  pas  cessé  d'augmenter. 
En  1903,  ils  ont  pu  construire  une  magnifique  église 
a  Batoum.  On  en  compte  actuellement  40  000  environ, 
dont  <S  000  suivent  le  rite  arménien,  souvent  malgré 
eux,  et  32  000  le  rite  latin.  Le  rite  gréco-géorgien  "est 
sévèrement  interdit  aux  catholiques,  bien  qu'ils  aient 
une  dizaine  de  prêtres  de  leur  race.  Les  fidèles  dé- 
pendent toujours  de  l'évêque  de  Tiraspol  qui  réside 
à  Saratov. 

Depuis  une  dizaine  d'années,  il  se  produit  en  Géorgie 
un  mouvement  assez  puissant  qui  porte  la  nation 
tout  entière  à  se  détacher  de  l'Église  officielle  de 
Saint-Pétersbourg.  La  plupart  des  séparatistes  vou- 
draient s'unir  ù  Rome,  des  démarches  avaient  même 
été  commencées  dans  ce  but.  Malheureusement,  elles 
ont  cessé,  à  cause  de  la  difficulté  que  Rome  semble 
mettre  à  reconnaître  le  rite  gréco-géorgien,  peut-être 
à  cause  de  l'opposition  irréductible  des  Russes.  Si  les 
pouvoirs  ecclésiastiques  compétents  se  ne  décident 
pas  à  admettre  la  légitimité  de  ce  rite,  qui  a  une 
douzaine  de  siècles  au  moins  d'existence,  il  est  bien  à 
craindre  que  le  mouvement  d'union  n'échoue  complè- 
tement. Outre  que  les  préoccupations  politiques  n'en 
sont  pas  absentes,  il  y  a  aussi  une  minorité  qui  pré- 
omise l'entente  avec  l'Église  anglicane.  Cette  idée  n'a 
cependant  pas  jusqu'ici  obtenu  beaucoup  de  faveur. 

C'est  pour  venir  en  aide  à  ses  compatriotes  catholi- 
ques qu'un  prêtre  d'Akhaktzikhé,  le  P.  Pierre  Caris- 
chiaranti  (f  1890),  fonda  à  Constantinople  en  18G1 
la  congrégation  de  l' Immaculée-Conception.  La  nou- 
velle famille  religieuse  s'établit  dans  le  quartier  de 
Féri-Keuy,  où  l'église  de  Notre-Dame  de  Lourdes 
qu'elle  y  construisit  est  devenue  un  lieu  de  pèlerinage 
très  fréquenté.  L'œuvre  avait  surtout  pour  but  de 
former  un  clergé  national  qui  pût  travailler  effica- 
cement à  l'extension  du  catholicisme  en  Géorgie.  C'est 
pour  cela  qu'au  début  les  Pères  suivirent  le  rite  ar- 
ménien ou  le  rite  latin,  suivant  qu'ils  s'adressaient  à 
des  Géorgiens  de  l'un  ou  de  l'autre  de  ces  rites.  On 
devait  aussi  adopter  le  rite  gréco-géorgien,  mais  l'au- 
torité ecclésiastique  n'en  a  pas  encore  permis  l'usage, 
au  moins  pour  la  messe.  En  effet,  les  Pères  récitent 
l'office  en  géorgien,  administrent  le  baptême  dans  le 
rite  géorgien,  mais  ils  disent  tous  la  messe  latine, 
sauf  un  vieillard  qui  célèbre  en  géorgien.  Notons 
cepen  lant  que  leur  supérieur  actuel  a  obtenu  de 
chanter  quelquefois  la  messe  dans  le  rite  national, 
pour  certaines  solennite's.  La  congrégation,  qui  suit 
la  règle  de  saint  Benoit,  comptait,  au  début  de  1914, 
1.»  prêtres,  dont  7  étaient  missionnaires  en  Géorgie! 
2  frères  convers,  7  no  virus,  2  postulants  convers  et 
11  petits  séminaristes  originaires  du  Caucase.  Outre 
le  cuvent  de  Féri-Keuy,  elle  possède  encore  a  Con- 
stanlinople  uneécole  du  langue  française  dans  Je  quar- 
tier de  Papas-Keupru . 

Le  P.  Carischiaranti  a  fondé  aussi  une  communauté 
de  femmes  sous  le  vocable  de  l'Immaculée-Conception. 


La  maison-mère  esl  à  Fcry-Keuy.  La  congrégation 
possède  encore  une  école  de  langue  française  aux  Dar- 
danelles et  une  autre  en  Géorgie.  Il  y  a  15  à  20  sœurs 
en  tout. 

I.  Ouvrages  généraux.  —  Bacradzé,  Histoire  de  la 
Géorgie  (en  géorgien),  Tiflis,  1889;  Brosset,  Histoire  de  la 
Géorgie,  3  vol.,  Saint-Pétersbourg,  1849-1858;  Additions 
à  l'histoire  de  la  Géorgie,  Saint-Pétersbourg,  1851;  Biblio- 
graphie analytique  des  ouvrages  de  M.  M.-l'\  Brosset, 
Saint-Pétersbourg,  1S87;  Djanachvili,  Histoire  de  l'Église 
géorgienne  (en  géorgien),  Tidis,  1866;  Histoire  de  la  Géorgie 
(en  géorgien),  Tiflis,  1904;  Jordania,  Chroniques  (en  géor- 
gien), 2  vol.,  Tidis,  1893;  Khakhanoff,  Aperçu  géographique 
et  abrégé  de  l'histoire  et  de  la  littérature  géorgiennes,  Paris, 
1900;  Tamarati,  L'Église  géorgienne,  Rome,  1910,  ouvrage 
très  documenté,  mais  qui  ne  se  dégage  pas  toujours  du 
parti  pris  national. 

II.  Origines  et  notions  géographiques,  ethnogra- 
phiques, etc.  —  E.  Babelon,  Histoire  ancienne  de  l'Orient, 
Paris,  1885,  t.  iv;  Bergeron,  Relation  des  voyages  en  Tartarie, 
Paris,  1034;  Brosset,  outre  les  deux  ouvrages  cités  plus 
liant,  Rapports  sur  un  voyage  archéologique  dans  la  Géorgie 
et  dans  l'Arménie,  3  vol.,  Saint-Pétersbourg,  1849-1851  ; 
divers  articles  dans  les  Mélanges  asiatiques,  t.  ir  et  v; 
P.  C.  de  Cara,  Gli  Hycsos  o  Re  Paslori,  Rome,  1889;  Gli 
Helhei,  Rome,  1894;  E.  Chantre,  Recherches  anthropolo- 
giques dans  le  Caucase,  5  vol.,  Paris,  1855-1856;  Dubois  de 
Montpéreux,  Voyage  autour  du  Caucase,  6  vol.,  Paris,  1839- 
1840;  Quelques  notices  sur  la  race  caucasique,  Paris,  1889; 
P.  de  Lagarde,  Gesammtlischcs  Abhandlung;  V.  Langlois, 
Essai  de  classification  des  suites  monétaires  de  la  Géorgie, 
Paris,  1860;  F.  Lenormant,  Les  premières  civilisations, 
2  vol.,  Paris",  1874;  Les  origines  de  l'histoire  d'après  la  Bible 
et  les  traditions  des  peuples  orientaux,  3  vol.,  Paris,  1880-1882  ; 
Recherches  sur  les  populations  primitives,  2  vol.,  2e  édit., 
Paris,  18S1-1887;  Histoire  ancienne  de  l'Orient,  6  vol., 
Paris,  1881;  Sur  l'ethnographie  et  l'histoire  de  l'Arménie 
avant  les  Achéménides,  dans  Lettres  assyriologiques  et  épi- 
graphiques,  2  vol.,  Paris,  1892;  Maspero,  Histoire  ancienne 
des  peuples  de  l'Orient,  Paris,  1907;  H.  Rawlinson,  On  the 
Alarodians  oj  Raynaldi,  Annales  ccclesiastici,  t.  v,  x,  xi,  xiv  ; 
Elisée  Reclus,  Nouvelle  géographie  universelle,  Paris,  1881, 
t.  iv,  vi,  ix  ;  L'homme  et  la  terre,  2  vol.,  Paris,  1905;  Tli. 
Reinach,  Milhridate  Eupator,  roi  de  Pont,  Paris,  1890; 
Vakhoucht,  Description  géograpliique  de  la  Géorgie  (en 
géorgien),  trad.  franc,  par  Brosset,  Saint-Pétersbourg,  1812. 

III.  Histoire  du  christianisme  en  Géorgie.  —  En 
dehors  des  ouvrages  généraux  cités  plus  haut,  signalons  : 
Grégoire  Abulpharage,  Chronicon  syriacum,  Leipzig,  1749; 
Baronius,  Annales  ccclesiastici,  Rome,  1583-1588,  t.  i,  ix  ; 
Martyrologium  romanum  cum  notis,  Rome,  1536;  Fauste 
de  Byzance,  Histoire,  dans  Collection  des  historiens  anciens 
et  modernes  de  l'Arménie,  de  V.  Langlois,  Paris,  1867,  t.  i; 
S.  Grégoire  le  Grand,  Epist.,  P.  L.,  t.  lxxxvii;  Karbé- 
lachvili,  Hiérarchie  de  l'Église  géorgienne  (en  géorgien), 
Tiflis,  1904;  R.  Janin,  Origines  chrétiennes  de  la  Géorgie, dans 
les  Échos  d'Orient,  Paris,  1912,  p.  289  sq.;  Les  Géorgiens 
à  Jérusalem,  ibid.,  1913,  p.  32,  211;  Macairc  III  Za 'in 
d'Antioche,  Histoire  de  la  conversion  de  la  Géorgie,  publiée 
par  Mme  Olga  de  Lébédev,  Rome,  1905;  Moïse  de  Khorène, 
Histoire  d'Arménie,  Venise,  1865;  Palmieri,  La  conversione 
ufjicialc  dcgl'lbcri  al  crislianismo,  dans  Oriens  christianus, 
1902,  p.  130;  1903,  p.  148;  La  Chicsa  georgiana  e  le  suc 
iirigini,  dans  Bcssarione,  2e  série,  1901,  t.  vi;  L.  Petit,  art. 
Arménie,  t.  i;  Rufin,  II.  E.,  P.  L.,  t.  xxi;  Sabinini,  Éden 
cL  la  Géorgie  (en  géorgien),  Saint-Pétersbourg,  1852;  Socratc 

et  Sozomène,  IL  E.,  P.  G.,  t.  lxvii;  Taqischvili,  Trois 
chroniques  historiques  (en  géorgien),  Tiflis,  1890;  Vie  de 
sainte  Nino  (en  géorgien),  Tiflis,  1891  ;  Rounkévitch,  L'exar- 
chat de  Géorgie,  dans  l'Encyclopédie  tliéologique  orthodoxe, 
Lopoukinc-GIoubovski,  Saint-Pétersbourg,  1903,  t.  m, 
col.  717-753. 

IV.  Missions  catholiques  en  Géorgie.  —  L.  Auvray, 
Les  registres  de  Grégoire  IX,  Paris,  1896,  t.  i;  P.  A.  Carayon, 
DiiciiiiKiits  inédits  concernant  ta  Compagnie  de  Jésus, 
Poitiers,  1869,  t.  xx;  <i.  M.  Coltono,  De  scriptoribus  cleri- 
corum  regulurium,  Païenne,  1753;  Part.  Ferro,  Istoria  délie 
missione  dei  chierici  regolari,  2  vol.,  Rome,  170  1;  1).  Garcias 
de  Silvia  Figueroa,  L'ambassade  en  Perse,  Paris,  1667; 
Fontana,  Sacrum  thèatrum  dominicanum,  Rome,  1666, 
t.  u;  C.  Galanus,  Conciliatio  Ecclesiœ  Armenœ  cum  romana, 
3  vol.,  Rome,  1650-1654;  Antoine  de  Gouvea,  Relation  des 


1289 


GÉORGIE  —  GERBERON 


1290 


grandes  guerres  el  victoires  obtenues  par  le  roij  de  Perse, 
Chah  Abbas,  Rouen,  1646;  F.  de  Gubernalis,  Orbis  sera- 
phicus.  De  missionibus  inter  infidèles,  Rome,  1089;  Henrion, 
Histoire  générale  des  missions  catholiques,  2  vol.,  Paris, 
18-12;  J.  Juvencus,  Historia  Societatis  Jesu,  Rome,  1710, 
t.  xvn  ;  A.  Lamberti,  Relazione  délia  Colchide,  Naples, 
1654;  Sacra  istoria  dei  Colchi  (Colchida  sacra),  Naples, 
1675;  E.  L:\nglois,  Les  registres  de  Nicolas  IV,  Paris,  1S93, 
t.  i;  Marcellino  da  Civezza,  Storia  univcrsale  délie  missioni 
jrancescane,  11  vol.,  Rome,  1857;  Potthast,  Regcsta  ponti- 
flcum  romanorum,  2  vol.,  Rerlin,  1873;  Pressuli,  Regesla 
Honorii  papte  III,  Rome,  1895;  Raphaël  du  Mans,  Estât 
de  la  Perse,  Paris,  1890;  Rocco  da  Cesinale,  Storia  délie 
missioni  dei  cappuccini,  Rome,  1878,  t.  ni;  Rottiers,  Iti- 
néraire de  Ti/lis  à  Constantinople,  Bruxelles,  1829;Rubru- 
quis,  Voyage  en  Tartarie,  dans  Bergeron,  Relations  des 
voyages  en  Tartarie,  Paris,  1054;  Ch.  de  Saint-Vincent, 
L'année  dominicaine,  Paris,  1702;  H.  Sbaralea,  Bullariiim 
franciscanornm,  Rome,  1749,  t.  i,  n,  iv;  J.  Silos,  Historia 
clericorum  regulariurn,  3  vol.,  Rome,  1655;  P.  délia  Valle, 
Viaggi,  3  vol.,  Bologne,  1677;  Annales  de  la  Propagation 
de  la  foi,  Lyon,  t.  xvu,  Mémoires  du  Levant,  Lettres  édi- 
fiantes et  curieuses  écrites  des  Missions  étrangères,  Paris, 
1780.  On  trouvera  aussi  de  multiples  renseignements  aux 
Archives  de  la  Propagande,  lettres,  rapports,  décisions,  etc. 
V.  Langue  et  littérature.  — ■  R.  von  Arich,  Ist  die 
JEhnlichkeit  des  glugolitisehen  mit  dem  grusinisclien  Alphabet 
Zufall  ?  Leipzig,  1895;  A.  Baumstark,  Die  christlichen 
Literaluren  des  Orients,  Leipzig,  1911,  t.  n;  Khakhanoff  ou 
Khakhanachvili,  Aperçu  géographique  et  abrégé  de  l'histoire 
et  de  la  littérature  géorgiennes,  Paris,  1900;  Histoire  de  la 
littérature  géorgienne  (en  géorgien),  Titlis,  1904;  Chota 
Roustavéli,  La  peau  de  léopard  (en  géorgien);  trad.  alle- 
mande par  Leist,  Der  Mann  in  Tigerelle,  Leipzig,  1880; 
trad.  franc,  par  Achas  Borin,  La  peau  de  léopard,  Paris, 
1885;  A.  Trombetti,  L'unità  d'origine  dcl  linguaggio, 
Bologne,  1905. 

R.  Janin. 
1.  GERARD  André,  jésuite  français,  né  à  Gap,  le 
30  mars  1608,  admis  au  noviciat  de  la  Compagnie  de 
Jésus  le  26  septembre  1626,  professa  les  humanités  et 
la  rhétorique  au  collège  de  Dôle,  la  philosophie  a  Aix, 
puis  l'Écriture  sainte,  devint  recteur  des  collèges 
d'Arles  et  d'Embrun,  tout  en  se  livrant  au  ministère 
de  la  prédication  et  en  s'occupant  avec  ardeur  de 
controverses  avec  les  protestants.  Appelé  à  Rome 
comme  secrétaire  du  P.  général  pour  les  provinces  de 
France,  il  mourut  dans  cette  ville  le  26  décembre  1686. 
On  a  de  lui  un  Traité  de  controverses  où  il  est  démontré 
par  les  propres  principes  de  la  religion  prétendue  qu'elle 
n'est  pas  la  bonne,  Grenoble,  1661.  En  outre,  un  résumé 
de  son  enseignement  scripturaire  :  Medulla  omnium 
Epislolarum  S.  Pauli  et  Epislolarum  eanonicarum  san- 
elorum  ad  varias  ratiocin.ation.es  contracta,  Lyon,  1672. 
Cf.  Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  C'°  de  Jésus,  t.  m, 
eol.  1342  sq.  ;  Hurter,  Nomenclator,  3"  édit.,  t.  ni,  col.  58, 

P.  Bernard. 
2.  GÉRARD  DE  BOLOGNE,  carme  italien, 
docteur  et  professeur  de  Paris,  se  signala  par  sa  piété, 
son  érudition  et  son  éloquence.  Appelé  par  les  voix 
unanimes  de  ses  confrères  à  la  charge  de  général  de 
son  ordre,  il  s'employa,  pendant  les  20  ou  21  années 
qu'il  l'occupa,  à  promouvoir  parmi  les  siens  l'amour 
des  études  sacrées.  Il  mourut  à  Avignon,  le  17  avril 
1318,  sans  avoir  pu  achever  son  vaste  ouvrage  :  Summa 
theologiœ  notabilis.il  laissait  manuscrites  les  leçons  qu'il 
avait  données  à  Paris  :  Quœstiones  variée,  et  Quodlibeta 
varia.  Grâce  aux  soins  du  canne  Léonard  Priulo,  nous 
avons  de  lui  :  In  libros  IV  Sentcntiarum  commentaria, 
in-fol., Venise,  1622.  Quoique  fidèle  à  saint  Thomas  dans 
l'ensemble  de  son  enseignement,  l'auteur  s'en  écarte 
cependant  quelque  peu  et  se  rapproche  plutôt  de  Duns 
Scot  dans  la  question  des  universaux. 

J.  Trisse,  Catalogus  priorum  generalium  ord.  carmel., 
dans  Archiv  fiir  Literalur  und  Kirclicngcschiclite,  t.  v,  p.  379; 
Raphaël  de  Saint-Joseph,  Prolegomena  in  S.  iheologiam, 
Gand,  1882,  p.  80;  Cosme  de  Villiers,  Bibliotheca  carme- 
lilana,  Orléans,  1752,  t.  i,  col.  548-550;  Richard  et  Giraud, 


Bibliothèque  sacrée,  Paris,  1824,  t.  xn,  p.  49;  Daniel  de  la 
Vierge-Marie,  Spéculum  carmelilanum,  Anvers,  1680,  t.  i, 
P^  134;  Petrus-Lucius,  Carmelitana  bibliotheca,  Florence, 
1593,  fol.  31;  Hurter,  Nomenclator,  1906,  t.  i,   col.  487-488. 

P.  Servais. 
GERBAIS  Jean,  théologien,  né  vers  1629  à  Rupois 
dans  le  diocèse  de  Reims,  mort  à  Paris  le  14  avril  1699. 
Il  se  fit  recevoir  en  1661  docteur  en  théologie  de  la 
maison  de  Sorbonne  et  l'année  suivante  fut  nommé 
professeur  d'éloquence  au  collège  royal.  L'Assemblée 
du  clergé  le  choisit  pour  réunir  et  publier  les  règle- 
ments portés  précédemment  sur  les  réguliers.  L'ou- 
vrage parut  avec  les  commentaires  de  François  Ilallier 
sous  le  titre  :  Ordinationes  universi  clcri  gallicani 
circa  rcgularcs  conditoe  primum  in  comitiis  gencrali- 
bus  anno  162Ô.  Renovatœ  et  promulgalœ  in  comitiis 
anni  1645  :  cum  eommenlariis  Francisci  Hallier, 
in-4°,  Paris,  1665.  Jean  Gerbais  publia  en  outre  : 
Disscrlalio  de  causis  majoribus  ad  capul  concordalo- 
rum  de  causis,  cum  appendice  quatuor  monumenlorum 
quibus  Ecclesiœ  gallicanx  liberlas  in  relinenda  antiqua 
episcopalium  judiciorum  forma  confirmalur,  in-4°,  Pa- 
ris, 1679  :  cette  dissertation  fut  condamnée  par  Inno- 
cent XI  dans  un  bref  du  18  décembre  1680;  sur 
l'ordre  de  l'Assemblée  du  clergé,  Jean  Gerbais  cor- 
rigea son  travail  qui  parut  à  nouveau  à  Lyon  en 
1685  et  à  Paris  en  1690;  Traité  pacifique  du  pou- 
voir de  l'Église  cl  des  princes  sur  les  empêchements 
du  mariage  avec  la  pratique  des  empêchements  qui 
subsistent  aujourd'hui,  in-4°,  Paris,  1690;  Lettre  d'un 
docteur  de  Sorbonne  à  une  personne  de  qualité  au  sujet 
de  la  comédie,  in-12,  Paris,  1694;  Trois  lettres  d'un 
docteur  de  Sorbonne  à  un  bénédictin  de  la  congrégation 
de  Saint-Maur  touchant  le  pécule  des  religieux  faits 
curés  ou  évoques,  in-12,  Paris,  1695  :  cet  écrit  fut  nus 
à  l'index  le  21  mars  1704;  Lettre  d'un  docteur  de 
Sorbonne  à  une  dame  de  qualité  touchant  les  dorures 
des  habits  des  femmes,  in-12,  Paris,  1696;  Traité  du 
célèbre  Panorine  (Nicolas  Tudeschi)  touchant  le  concile 
de  Basle  mis  en  français,  in-8°,  Paris,  1697,  ouvrage 
condamné  par  l'Inquisition  en  1699;  Lettre  de  l'Église 
de  Liège  au  sujet  d'un  bref  de  Pascal  II  mis  en  français, 
in-8°,  Paris,  1097. 

Nicéron,  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  des  hommes 
illustres,  t.  xiv,  p.  130;  Moréri,  Dictionnaire  historique,  1759, 
t.  v  6,  p.  164;  Journal  des  savants,  19  février  1691,  p.  89; 
28  mai  1696,  p.  385;  Acta  eriiditorum  Lipsice.  Supplemen- 
lum,  1692,  t.  i,  p.  57,  625;  Dr.  Joh.  Fr.  von  Schulte,  Die 
Geschiehte  der  Quellen  und  Literalur  des  canonischen  Rechts, 
in-8»,  1880,  t.  ni,  p.  621;  Féret,  La  faculté  de  théologie 
de  Paris  et  ses  docteurs  les  plus  célèbres.  Époque  moderne, 
Paris,  1905,  t.  iv,  p.  362-368;  Hurter,  Nomenclator,  1910, 
t.  iv,  col.  223,591. 

R.    Heurtebize. 

GERBERON  Gabriel,  bénédictin,  né  le  12  août 
1628  à  Saint-Calais,  dans  le  diocèse  du  Mans,  mort  à 
l'abbaye  de  Saint-Denis  le  29  mars  1711.  Ses  études 
de  philosophie  chez  les  Pères  de  l'Oratoire  à  Ven- 
dôme terminées,  et  âgé  seulement  de  dix-neuf  ans, 
il  fut  choisi  comme  principal  du  collège  de  sa  ville 
natale.  Il  renonça  bientôt  à  cette  charge  pour  aller  de- 
mander l'habit  bénédictin  à  Saint-Melaine  de  Rennes  où 
il  fit  profession  le  11  novembre  1649.  Ordonné  prêtre 
vers  l'an  1655,  il  enseigna  la  rhétorique,  la  philosophie 
et  la  théologie  en  divers  monastères.  A  la  suite  de  plain- 
tes au  sujet  de  son  enseignement,  et  après  avoir  été  sous- 
prieur  h  Saint-Renoît-sur-Loire,  il  fut  envoyé  à  l'abbaye 
de  la  Couture  du  Mans,  d'où,  après  être  passé  dans  quel- 
ques monastères  de  Bretagne,  il  alla  à  Saint-Germain- 
des-Prés  et  s'y  employa  a  l'étude  des  Pères.  Il  fit  tous  ses 
efforts  pour  amener  les  supérieurs  de  la  congrégation  de 
Saint-Maur  à  faire  préparer  une  nouvelle  édition  des  œu- 
vres de  saint  Augustin.  Malheureusement  dom  Gerberon 
se  montrait  en  toutes  circonstances  l'ardent  défenseur 


L291 


GERBERON 


1292 


des  doctrines  jansénistes,  se  permettant  les  attaques 
les  plus   dures  contre  ses  adversaires.  Ses  supérieurs 
durent  alors  l'éloigner  de  Paris  et  l'envoyèrent  au  pri- 
euré d'Argenteuil,  puis  à  l'abbaye  de  Corbie  où  il  arriva 
au  mois    de  juin  1075.   Il  y  remplit  les  fonctions  de 
sous-prieur.  Dom  Gerberon  ne  tarda  pas  à  être  accusé 
de   défendre    et   de   propager   le   jansénisme;   on  lui 
reprocha  en  outre  d'avoir  pris  parli  contre  la  cour  dans 
l'affaire  de  la  régale.  Aussi,  le  14  janvier   1G82,   un 
exempt  arrivait  dans  la  ville  de  Corbie  avec  ordre  d'ar- 
rêter ce  religieux  et  de  le  conduire  à  Paris.  Averti 
à   temps,    dom    Gerberon    prit    la   fuite,  se   retirant 
d'abord  à  Amiens,  puis  dans  les  Pays-Bas.  Là  il  essaya 
de  se  justifier  des  accusations  portées  contre  lui  dans 
un   mémoire  qu'il  adressa  au  commencement  de  1683 
au  marquis  de  Seignelay,  secrétaire  d'État.  Afin  de 
se  mieux  cacher,  il  quitta  l'habit  religieux,    prit  le 
nom  d'Augustin  Kergré  et  s'efforça  par  ses  discours 
et  par  ses  écrits  de  répandre  les  doctrines  jansénistes. 
En  1689,  à  cause  des  guerres  entre  la  France  et  la 
Hollande,  il  se  fit  recevoir  bourgeois  de  Rotterdam. 
Toutefois  il  demeura  peu    dans  cette    ville;  car  dès 
l'année  suivante  il  était  à  Bruxelles  où  il  vécut  en 
étroites  relations  avec  Quesnel  et  les  autres  prétendus 
défenseurs  de  la  doctrine  de  saint  Augustin  et  où  il 
publia   bon   nombre   d'ouvrages.    Le  30   mai,   il   fut 
arrêté  et  mis  en  prison  par  l'ordre  de  Mgr  de  Precipiano, 
archevêque   de   Malines.    Son   procès   fut   instruit   et 
dom  Gerberon  fut  condamné  comme  défenseur  opi- 
niâtre du  jansénisme,  rebelle  à  l'autorité    du  Saint- 
Siège,  auteur  de  livres  diffamatoires  contre  le  pape  et 
les  évèques,  etc.  Il  était  banni  du  diocèse  et  renvoyé 
à  ses  supérieurs.  Sous  bonne  escorte  il  fut  conduit 
hors  du  pays  et  enfermé  à  la  citadelle  d'Amiens  où  il 
demeura   jusqu'au    commencement    de    1707.    Il    fut 
ensuite   transféré   au    donjon    de    Vincennes,  d'où    il 
sortit  en  1710  après  avoir  signé,  sur  l'ordre  de  l'arche- 
vêque de  Paris,  une  profession   de  foi  qu'il  dut  rati- 
fier devant   ses  supérieurs  à  Saint-Germain-des-Prés. 
Puis  il  fut   envoyé    à   l'abbaye  de  Saint-Denis  où  il 
mourut  non  sans  avoir  écrit  une  lettre  au  pape  où  il 
prétend  expliquer  la  signature  qu'il  avait  mise  à  sa 
profession  de  foi  lors  de  sa  sortie  de  prison.  Dom  Ger- 
beron  a   beaucoup  écrit   et    lui-même   a   donné   une 
liste  volontairement  incomplète  de  ses  ouvrages.  Mal- 
heureusement   presque  tous    furent   composés    pour 
soutenir  et  propager  les  doctrines  jansénistes  et  sont 
l'œuvre  d'un  violent  polémiste.  Apologia  pro  Ruperlo 
abbale   Tuitiensi,  in  qua  de    eucharislica  vcrilale  eum 
calholice  saisisse  et  scripsissc  dcmonslral  vindex  fraler 
Gabriel  Gerberon,  in-8°,  Paris,  1669  :  excellent  ouvrage 
dirigé   en   partie   contre   Claude   Saumaise   qui   avait 
affirmé  que  l'abbé  Bupert  était  opposé  au  dogme  de 
la    transsubstantiation;    Calécliisme    de    la    pénitence 
qui   conduit  les   pêcheurs   à   une   véritable  conversion, 
in-16,  Paris,  1672  et  1675,  traduction  d'un  ouvrage 
en  latin  de  M.  Raucour,  curé  de  Bruxelles  :  dom  Ger- 
beron l'a  corrigé  et  y  a  ajouté  deux  méditations  de 
saint  Anselme;  Acla  Marii  Mercalora,  S.   Augustini 
Ecclcsiœ  doctoris  discipuli,  cum  notis  Rigberii  thcologi 
franco- grrmani,  in-16,  Bruxelles,  1673  :  Rigbcrius  est 
un   pseudonyme   de   dom   Gerberon;   Avis  salutaires 
de  la  B.  V.  Marie  à  ses  dévols  indiscrets,  in-12,  Lille, 
1674    :    traduction   de   l'écrit   latin   Monita  salularia 
de  l'Allemand  Adam  Windelfts;  dom  Gerberon  traita 
le  même  sujet   dans   Lettre  à   M.   Abelhj,  évêque  de 
Rodez,  touchant  son  livre  de  l'excellence  de  la    sainte 
Vierge,  in-12,  1671;  La  fable  du  iems,  ou  un  coq  noir 
qui  bat  deux  renards,   1674  :   les  deux  renards  sont 
l'évêque  de  Séez,  Médavi  de  Grancé,  et  l'archevêque 
de   Rouen,    de   Harlay,   plus   tard   de   Paris;   L'abbé 
commendalaire  par  le  sieur  de  Froismont,  in-4°,  Cologne, 
1674  :  la  première  partie  de  cet  ouvrage  avait  paru 


l'année  précédente  et  est  l'œuvre  de  dom  Delfau; 
Sentiments  de  Criton  sur  l'entretien  d'un  religieux 
et  d'un  abbé  touchant  les  commendes,  in-12,  Cologne 
(Orléans),  1674;  Sancli  Anselmi  ex  Beccensi  abbale 
Cantuaricnsis  archiepiscopi  opéra  :  neenon  Eadmeri 
monachi  Canluariensis  Hisloria  novorum  cl  alia 
opuscula,  in-fol.,  Paris,  1675  (P.  L.,  t.  clviii,  eux); 
Le  combat  spirituel,  composé  en  espagnol  par  D.  Jean 
de  Casi  gniza,  religieux  de  l'ordre  de  S.  Benoit,  et 
traduit  en  français  sur  l'original  manuscrit,  in-12; 
Paris,  1675;  Catéchisme  du  jubilé  cl  des  indulgences, 
Paris,  1675;  Dissertation  sur  V Angélus,  in-12,  Paris, 
1675;  Le  miroir  de  la  piété  chrétienne,  où  l'on  considère 
avec  des  réflexions  morales  l'enchaînement  des  vérités 
catholiques  de  la  prédestination  et  de  la  grâce  de  Dieu, 
et  de  leur  alliance  avec  la  liberté  de  la  créature,  par 
Flore  de  Sainle-Foy,  in-16,  Bruxelles,  1676  :  ce  livre 
fut  censuré  par  plusieurs  évêques;  dom  Gerberon  se 
défendit  par  l'ouvrage  suivant  :  Le  miroir  sans  tache 
où  l'on  voit  que  les  vérités  que  Flore  enseigne  dans  le 
miroir  de  la  piété  sont  très  pures,  et  que  ce  qu'on  a 
écrit  pour  les  réfuter  n'est  rempli  que  d'injure:*,  de 
faussetés  et  d'erreurs,  par  l'abbé  Valentin,  in-16,  Paris, 
1680;  Mémorial  historique  de  ce  qui  s'est  passé  depuis 
l'année  1647  jusqu'en  165,'i  touchant  les  cinq  proposi- 
tions tant  à  Paris  qu'à  Rome,  Cologne,  1676;  Histoire 
de  la  robe  sans  couture  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ, 
qui  est  révérée  dans  l'église  du  monastère  des  religieux 
bénédictins  d' Argenleuil.,  avec  un  abrégé  de  l'histoire 
de  ce  monastère,  in-12,  Paris,  1676  :  cet  ouvrage  a  eu 
de  nombreuses  éditions;  Deux  lettres  d'un  théologien, 
l'une  à  M.  le  cardinal  Grimaldi,  archevêque  d'Aix, 
l'autre  à  M.  l'archevêque  de  Reims  :  ces  deux  lettres 
se  trouvent  dans  un  ouvrage  intitulé  :  Le  combat  des 
deux  clefs  ou  défense  du  miroir  de  la  piété  chrétienne, 
par  M.  Le  Noir,  théologal  de  Séez,  in-12  (Reims), 
1678;  Jugement  du  bal  et  de  la  danse,  in-12,  Paris, 
1679;  La  morale  des  jésuites  justement  condamnée 
dans  le  livre  du  P.  Moya,  jésuite,  sous  le  nom  d'Amedeus 
Guimsnius  par  la  bulle  de  N.  S.  P.  le  pape  Innocent  XI, 
in-12,  1681  ;  Manifeste  ou  Lettre  apologétique  de  dom 
Gerberon,  prêtre,  sous-prieur  de  l'abbaye  de  Corbie, 
à  M.  de  Seignelay,  1683;  La  vérité  catholique  victo- 
rieuse, Amsterdam,  1684  ;  Essais  de  la  plus  sûre  morale, 
in-12,  1686  :  traduction  de  l'ouvrage  du  P.  Gilles 
Gabrielis  :  Specimina  moredis  chrislianx  et  moralis 
diabolicœ  in  praxi;  dom  Gerberon  en  avait  publié 
en  1682  une  première  édition  qui  fut  condamnée  a 
Rome,  sous  le  titre:  Essais  de  théologie  morale;  Histoire 
du  formulaire  qu'on  fait  signer  en  France,  1686;  Lettre 
à  un  seigneur  d' Angleterre,  s'il  esl  bon  d'employer  les 
jésuites  dans  les  missions,  1686;  Défense  de  l'Église 
romaine  contre  les  calomnies  des  piotcstanls,  contenant 
le  juste  discernement  de  la  croyance  catholique  d'avec 
les  sentiments  des  protestons  et  d'avec  ceux  des  pélagiens 
touchant  le  prédestination  et  la  grâce,  mis  en  français 
par  C.  B.  R.,  et  les  Entreliens  de  Dieudonné  et  de  Romain 
sur  la  même  matière  avec  un  Abrégé  de  l'hérésie  des 
pélagiens  composés  par  G.  de  L.,  théologien,  et  mis  en 
français  par  A.  K.,  in-12,  Cologne,  1688;  les  diverses 
parties  composant  cet  ouvrage  avaient  été  publiées 
séparément  en  Hollande;  L'Église  de  France  affligée 
où  ion  voit  d'un  côté  les  entreprises  de  la  cour  contre 
les  libertés  de  l'Église,  et  de  l'autre  les  duretés  avec 
lesquelles  on  traite  en  ce  royaume  les  évêques  cl  les 
autres  personnes  de  piété  qui  n'approuvent  pas  les 
entreprises  de  l<i  cour  ni  la  doctrine  des  jésuites,  par  le 
sieur  Poitevin,  in-12,  1688;  Réflexions  sur  le  plaidoyer 
de  M.  Talon,  avocat  général,  louchant  la  bulle  de 
N.  S.  P.  le  pape  Innocent  XI  contre  les  franchises  des 
quartiers  de  Rome,  in-12;  La  règle  des  mœurs  contre 
les  fausses  maximes  de  la  morale  corrompue,  pour  ceux 
qui  veulent  suivre  les  voies  sûres  du  salut  et  faire  un 


1293 


GERBERON  --   GERBERT     DE     IIORNAU 


1294 


juste  discernement  du  bien  et  du  mal,  in-12,  Cologne, 
1G88;  Méditations  chrétiennes  sur  la  providence  de 
Dieu  à  l'égard  du  salut  des  hommes  par  le  sieur  de 
Pressigni,  in-12,  1689;  Occupations  intérieures  pendant 
la  messe!  avec  des  prières  avant  et  après  la  confession 
et  la  communion,  in-12,  Bruxelles,  1689;  La  réno- 
vation des  vœux  du  baptême,  vers  1689;  Critique 
ou  Examen  des  préjugés  du  ministre  Jurieu  contre 
l'Église  romaine,  et  de  la  suite  de  l'accomplissement 
des  prophéties,  par  l'abbé  Richard,  in-4°,  Paris,  1690; 
Instructions  courtes  et  nécessaires  à  tous  les  catholiques 
des  Pays-Bas  touchant  la  lecture  de  l'Écriture  sainte 
en  langue  vulgaire,  1690,  dom  Gerberon  prend  la 
défense  d'an  livre  de  Jean  de  Neercassel,  évoque  de 
Castorie;  Écrit  contre  la  conduite  et  la  doctrine  de 
M.  l'archevêque  de  Malines,  1690-1691;  Examen  de 
la  réponse  aux  plaintes  contre  la  conduite  de  M.  l'arche- 
vêque de  Malines,  1690  ;  La  défense  des  censures  du  pape 
Innocent  XI  et  de  la  Sorbonne.  contre  les  apologistes 
de  la  morale  des  jésuites,  soutenue  par  le  P.  Moija, 
jésuite,  sous  le  nom  d'Amcdcus  Guimenius,  par  le  P.  Oger 
Liban  Erbcrg,  in-12,  Cologne,  1690;  Decrelumarchiepi- 
scopi  Mechliniensis,  contra  Scripturse  sacrai  lectionem, 
notis  illustratum,  1691;  La  morale  relâchée,  fortement 
soutenue  par  M.  l'archevêque  de  Malines,  justement 
condamnée  par  le  pape  Innocent  XI,  1691  ;  Justifica- 
tion générale  des  plaintes  que  l'on  avait  faites  des  senti- 
ments et  de  la  conduite  de  M.  l'archevêque  de  Malines, 
Le  véritable  pénitent  ou  Apologie  de  la  pénitence, 
in-12  Cologne,  1692;  Sanctus  Anselmus  per  se  docens, 
in-12!  Delft,  1692;  Dialogus  inter  S.  Anselmum  et 
Bosonem  ejùs  discipulum  seu  difficiillales  circa  S.  An- 
sclmi  sententias  a  Bosone  propositse  et  ab  Ansclmo 
dissohdœ,  in-12,  Cologne,  1692;  Premier  entretien  d'un 
abbé  et  d'un  jésuite  de  Flandre  sur  la  signature  du 
Formulaire,  1692;  Second  entrelien  d'un  abbé  et  d'un 
jésuite  de  Flandre  sur  les  intrigues  par  lesquelles 
l'archevêque  de.  Malines  lâche  d'introduire  ta  signature 
du  Formulaire,  et  les  impostures  par  lesquelles  ont  été 
obtenues  les  bulles  de  Pie  V  et  d'Urbain  VIII  contre 
Baius  et  Jansénius,  1693;  Quœstio  juris  poniificii  circa 
decretum  ab  Inquisilione  romana  adversus  xxxi  pro- 
positions lalum,  Toulouse  (Hollande),  1693;  Quœstio 
juris  :  1°  An  Caroli  V  ediclis  leclio  Scriplurœ  sacrœ 
prohibita  sit;  2°  An  virgincs  Birchianœ  pœnas  incur- 
rerint  a  Carolo  V  stalulas,  1693;  Avis  politiques  sur 
le  Formulaire,  1693;  Difficultés  adressées  à  M.  de 
Homes,  évêque  de  Gand,  par  les  catholiques  de  son 
diocèse  touchant  la  lecture  de  l'Écriture  sainte  en  langue 
vulgaire  (1693,  en  Hollande);  Michaclis  Baii,  celeber- 
rimi  in  Lovaniensi  Academia  theologi,  opéra  :  cum 
bullis  pontiflcum,  et  aliis  ipsius  causam  speclanlibus, 
jam  primum  ad  romanam  Ecclesiam  ab  convitiis 
proleslanlium,  simul  ac  ab  arminiorum,  cœlerorumque 
hujusce  lemporis  pelagiunorum  imposturis  vindicandam, 
collecta,  expurgala,  et  plurimis,  quse  haclenus  delilue- 
rant,  opusculis  aucla  :  studio  A.  P.  theologi,  in-4°, 
Cologne,  1696  ;  à  la  fin  du  livre  il  y  a  un  écrit  intitulé  : 
Narralio  chronologica  causée  Baii  et  vindicise  Ecclesiœ 
romana:  a  domno  Gerberon;  Adumbrata  Ecclesiœ  ro- 
manœ  catholicivque  veritatis  de  gratia,  adversus  Mel- 
chioris  Leydeckeri  in  sua  historia  jansenismi  hallu- 
cinationcs,  injuslasque  criminationes,  defensio  :  vindiee 
Ignatio  Eickenboom  thcologo,  1696,  in  Batavia;  Dé- 
fense de  l'Église  romaine  et  des  souverains  pontifes, 
sur  la  grâce,  contre  M.  Leydecker,  théologien  d'Utrecht, 
avec  un  écrit  de  M.  Amauld  et  un  recueil  de  plusieurs 
autres  écrits,  pour  l'histoire  de  la  paix  de  l'Église  sur 
les  questions  du  temps,  Liège,  1697;  Abailardus  redi- 
vivus,  in  quo  exhibentur  mores  dialribœ  theologiœ 
P.  Estrix,  jesuitœ,  in-4°;  Contra  novi  Abailardi  errorcs 
Bernardus  etiamnum  exposlulat  apud  Clemenlem  X, 
in-l°  :  ces  deux  écrits  sont  dirigés  contre  Je  P.  Estrix, 


jésuite,  qui  fut  condamné  par  la  cour  de  Rome; 
dom  Gerberon  le  fut  peu  après  pour  ses  Disquisiliones 
d'usé  hisloricœ  de  prœdcstinalione  gratuila  et  gratia 
ex  se  efficaci,  1697;  Conférence  deDiodorc  et  de  Théolime 
sur  les  Entretiens  de  Cléanthe  cl  d'Eudoxc,  in-8°,  Paris, 
1697  :  défense  des  Provinciales;  La  véritable  lettre  de 
M.  l'abbé  Le  Bossu  à  un  de  ses  amis  sur  le  livre  du 
cardinal  S  foudroie,  intitulé  :  Nodus  prœdestinalionis 
dissolutus,^  in-12,  Paris,  1698;  Lettre  d'un  théologien 
à  M.  l'évêque  de  Meaux,  touchant  ses  sentiments  et  sa 
conduite  à  l'égard  de  M.  l'archevêque  de  Cambrai, 
avec  l'excellent  traité  de  S.  Bernard  de  la  grâce  et  du 
libre  arbitre,  in-12,  Toulouse,  1698;  Seconde  lettre 
à  M.  Bossuet,  évêque  de  Meaux,  pour  la  défense  de 
M.  de  Cambrai;,  où  l'on  montre  que  selon  la  plus  saine 
théologie  on  peut  aimer  Dieu  purement  pour  lui-même, 
in-12,  Toulouse,  1698;  Norisius  aul  jansenianus,  aul 
non  auguslinianus  demonstratur  a  Ludovico  Mauguin 
peninsulano,  Rouen,  1699;  Traité  historique  sur  la 
grâce  et  la  prédestination  par  l'abbé  de  Saint-Julien, 
in-12,  Paris  (Bruxelles),  1699;  Abrégé  de  la  doctrine 
chrétienne  touchant  la  prédestination  et  la  grâce,  contre 
les  semipélagiens,  calomniateurs  de  saint  Augustin, 
Utrecht,  1700;  Remontrance  charitable  à  M.  Louis 
de  Cicé,  avec  quelques  réflexions  sur  la  censure  de  l'As- 
semblée du  clergé,  in-12,  Cologne,  1700;  Histoire 
générale  du  jansénisme,  contenant  tout  ce  qui  s'est  passé 
en  France,  en  Espagne,  en  Italie,  dans  les  Pays-Bas. 
au  sujet  du  livre  intitulé  :  Auguslinus  Cornelii  Janscnii, 
par  M.  l'abbé***,  3  in-12,  Amsterdam,  1700;  La 
confiance  chrétienne,  in-12,  Utrecht,  1700;  Étrennes  et 
avis  charitables  à  MM.  les  inquisiteurs,  en  vers,  1700;  Le 
chrétien  désabusé,  in-12,  Leyde,  1701  ;  Lettres  de  M.  Cor- 
nélius Jansénius,  évêque  d'Yprcs,  et  de  quelques  autres 
personnes  à  M.  Jean  de  Verger  du  Hauranne.  abbé  de 
Sainl-Cyran,  avec  des  remarques  historiques  et  thêolo- 
giques,  par  François  du  Vivier,  in-12,  Cologne,  1702; 
Nouvelle  logique  en  français  par  dialogues,  Bruxelles, 
1703.  Dom  Gerberon  a  laissé  en  outre  un  certain 
nombre  d'ouvrages  inédits,  dont  le  plus  important 
est  :  Les  aventures  de  dom  Gabriel  Gerberon  où  il 
raconte  toute  sa  vie.  Parmi  les  écrits  qui  lui  ont  été 
faussement  attribués,  le  plus  célèbre  est  le  fameux 
Problème  ecclésiastique  proposé  à  M.  l'abbé  Boileau 
de  l'archevêché  de  Paris  :  à  qui  l'on  doit  croire  de  M.  Louis 
Antoine  de  Nouilles,  évêque  de  Châlons  en  1695,  ou  de 
M.  L.  A.  D.  N.,  archevêque  de  Paris  en  1696. 

Processus  officialis  seu  officii  fiscalis  curite  ecclesiastieœ 
MechUniensis  contra  Gabrielem  Gerberon,  in-4°,  Bruxelles; 
Ziegelbauer,  Historia  rei  literaria-  ordinis  S.  Benedieti, 
t.  iv,  p.  138,  153,  172,  173,  174,  175,  423,  636:  dom 
Pli.  Le  Cerf,  Bibliothèipie  historique  et  critique  des  auteurs 
de  la  congrégation  de  Saint-Maur.  in-12,  La  Haye,  1726, 
p.  157;  dom  Tassin,  Histoire  littéraire  de  la  congrégation  de 
Saint-Maur,  in-4%  Bruxelles,  1770,  p.  311;  [dom  François], 
Bibliothèque  générale  des  écrivains  de  l'ordre  de  saint  Benoit, 
t.  1,  p.  377;  de  Lama,  Bibliothèque  des  écrivains  de  la 
congrégation  de  Saint-Maur,  in-12,  Munich  et  Paris,  1882, 
p.  93,  n.  212-263;  H.  Wilhelm,  Nouveau  supplément  à 
l'histoire  littéraire  de  la  congrégation  de  Saint-Maur,  in-8", 
Paris,  1908,  t.  1,  p.  242;  Supplément  au  Nécrologe  de 
Port-Roijal,  11'  part ie,  in-4\  1735,  p.  498;  Dictionnaire  des 
livres  jansénistes,  4  in-12,  Anvers,  1755,  passim;  Hauréau, 
Histoire  littéraire  du  Maine,  in-12,  Paris,  1872,  t.  v,  p.  174. 

B.  Heubtebize. 
GERBERT  DE  HORNAU  Martin,  abbé  bénédic- 
tin, né  le  12  août  1723  à  Horb  sur  le  Nechar,  dans  le 
Wurtemberg  actuel,  mort  à  l'abbaye  de  Saint-Biaise 
le  13  mai  1793.  11  fit  ses  premières  études  à  Ehingen, 
puis  à  Fribourg-en-Brisgau,  chez  les  jésuites,  et,  à 
l'Age  de  douze  ans,  fut  conduit  au  monastère  de 
Saint-Biaise  dans  la  Forêt-Noire.  Quelques  années 
plus  tard,  il  v  revêtit  l'habit  bénédictin,  le  28  octo- 
bre 1736  :  après  un  an  de  noviciat,  il  y  fit  profession. 


1295 


GERRERT     DE     HORNAl1 


GERRET 


1296 


Ordonné  prêtre  le  30  mai  1744,  il  fut  presque  aussilùl 
chargé  du  soin  de  la  bibliothèque.  Il  parcourut  l'Alle- 
magne, l'Italie,  la  Fiance,  se  mettant  en  relations 
avec  les  savants  de  ces  divers  pays.  Le  15  octo- 
bre 1764,  il  fut  élu  prince-abbé  de  Saint-Biaise,  et  reçut 
la  bénédiction  abbatiale  des  mains  du  cardinal  Fran- 
çois de  Rodt,  évèque  de  Constance.  Aussitôt  il  s'em- 
ploya à  rétablir  la  discipline  régulière  dans  son 
monastère,  pour  lequel  il  rédigea  de  nouvelles  consti- 
tutions. Le  23  juillet  1768,  un  terrible  incendie  détrui- 
sit l'abbaye,  dont  les  religieux  durent  chercher  un 
refuge  en  divers  monastères.  L'abbé  s'occupa  sans 
retard  à  relever  son  abbaye  où,  au  bout  de  quatre  ans, 
les  moines  se  trouvèrent  réunis  de  nouveau  et  dont 
l'église  fut  consacrée  le  28  septembre  1783.  Très  estimé 
des  princes  avec  lesquels  il  eut  à  traiter  pour  la  défense 
des  droits  de  son  monastère,  il  se  montra  toujours 
le  fils  très  dévoué  et  très  soumis  du  souverain  pontife 
Pie  VI,  qu'il  visita  lors  de  son  voyage  à  Vienne. 
L'activité  de  dom  Martin  Gerbert  s'étendait  à  toutes 
les  dépendances  de  son  abbaye  et  son  intelligente 
charité  savait  aller  au-devant  des  besoins  de  tous  ceux 
qui  vivaient  dans  sa  principauté.  Il  vint  en  aide 
autant  qu'il  le  put  aux  émigrés  français  et  tout 
particulièrement  aux  prêtres  fuyant  devant  la  Révo- 
lution, dans  lesquels  il  voyait  des  confesseurs  de  la  foi. 
Malgré  les  soins  qu'il  apporta  toujours  au  gouverne- 
ment de  son  abbaye,  il  ne  négligea  jamais  l'étude  et 
publia  de  nombreux  ouvrages  qui  lui  ont  fait  prendre 
place  parmi  les  premiers  liturgisles  et  théologiens  du 
xvine  siècle.  Presque  tous  ont  été  imprimés  par  les 
presses  de  l'abbaye  de  Saint-Biaise  :  Theologia  vdus 
et  nova  circa  prœscntiam  Chrisli  in  eucharislia.  in-8°, 
Fribourg,  1756;  Principia  Ihcologiœ  exegeticœ.  Prse- 
mittunlur  prolegomcna  Ihcologiœ  christianœ  universœ. 
Accedit  mantissa  de  tradilionibus  Ecclesiœ  arcanis, 
in-8°,  Fribourg,  1757  ;  Principia  theologiœ  symbolicœ 
ubi  ordinc  symboli  aposlolici  prœcipua  doclrinœ  chri- 
stianœ capila  explicantur,  in-8°,  Fribourg,  1758;  Prin- 
cipia theologia:  mystiese  ad  renovationem  interiorem  et 
sanctificalionem  christiani  hominis,  in-8°,  typis  San- 
Blasianis,  1758;  Principia  theologiœ  canonicœ  quoad 
superiorem  Ecclesiœ  formam  cl  gubcrnalionem,  in-8°, 
1758;  Principia  Ihcologiœ  dogmalicœ  juxla  seriem  tem- 
porum  et  tradilionis  ccelcsiasticœ  digcsla,  in-8°,  1758; 
Principia  Ihcologiœ  moralis  juxla  principia  cl  legem 
evangelicam,  in-8°,  175S;  De  recto  et  perverso  usa  Ihco- 
logiœ scholasticœ,  in-8°,  1758;  De  ralione  exercitiorum 
scholaslicorum  prœcipiie  disputalionum  cum  inler  catho- 
licos,  tum  contra  adversarios  in  rébus  fidei,  in-8°, 
1758;  Principia  theologiœ  sacramenlalis,  seplcm  sacra- 
mentorum  Novi  Teslamenti  doctrinam  complexa,  in-8°, 
Fribourg,  1758;  Principia  theologiœ  liturgicœ  quoad 
divinum  officium,  Dei  cullum  et  sanclorum,  in-8°,  Fri- 
bourg, 1759;  Demonstralio  verœ  rctigionis  vcrœquc 
Ecclesiœ  contra  quasvis  fedsas,  in-8°,  typis  San-Bla- 
sianis,  1760;  De  communione  polestalis  ecclcsiaslicœ 
inler  summos  Ecclesiœ  principes,  ponlificem  cl  epi- 
scopos,  in-8°,  1760;  De  légitima  ecclesiastica  polcstate 
cirai  sacra  et  profana,  in-8°,  1761;  De  chrisliana  feli- 
cilale  hujus  vitse,  in-8°,  1762;  De  radiis  divinitalis 
in  operibus  natures  providentiœ  cl  graliœ  parles  très, 
in-8°,  1762;  De  sequa  morum  censura  adversus  rigi- 
diorem  et  remissiorem,  in-8°,  1763;  Adparalus  ad  eru- 
dilionem  Iheologicam,  inslilulioni  tironis  congregationis 
S.  Blasii  destinants,  in-8°,  1764;  De  selcclu  Iheologico 
cirai  cj fectus  sacramenlorum,  in-8°,  1764;  De  eo  quod 
est  juris  divin i  et  ecclesiastici  in  sacramenlis,  prœ- 
sertim  in  sacramento  confirmationis,  in-8°,  1764;  De 
dierum  festorum  numéro  minuendo,  celebritale  augenda, 
in-8°,  1765;  De  peccalo  in  Spiriium  Sanctum  in  hac 
et  altéra  vita  irremissibili.  Accedit  paraphrasis  cum 
nofis  selectis  in  Epistolam  S.  Pauli  ait  Hcbrœos,  in-8°, 


1766;  Consliluliones  monasterii  e  congregationis  ad 
S.  Blasium,  in-fol.,  1770;  Taphographia  principum 
Austrise  post  mortem  Palrum  M.  Ilerrgolt  et  R.  Hcer 
restitula,  mnns  accessionibus  aucla,  et  hœc  usque  iem- 
pora  deducta,  2  in-fol.,  1772;  De  translaiis  llubsburgo- 
Austriacorum  principum  cl  corum  conjugum  ex  ccclesia 
Basilccnsi  et  monasterio  Kônigs/cldcnsi  in  monaskrium 
S.  Blasii  cadaveribus,  in  fol.,  1772;  Crypta  San-Bla- 
siana  nova  principum  Auslriacorum,  translaiis  corum 
cadaveribus  ex  Helvelia  ad  condilorium  novum  mona- 
sterii S.  Blasii  in  Nigra  Sylva,  in-4°,  1772  et  1775  ;  Codex 
cpislolaris  Rudolphi  I  Romanorum  régis,  locuplelior 
ex  manuscripits  bibliolhecœ  Vindobonensis  editus  ac 
commcnlario  illustratus.  Prœmitlunlur  Fasli  Rudol- 
phini,  cum  ex  ipsis  ejus  epislolis,  tum  ex  ediis  anti- 
quis  monumentis  et  scriptoribus.  Accedunt  diplomcda, 
in-fol.,  1772;  Pinacolhcca  principum  Austriœ  post  mor- 
tem Palrum  M.  Hcrrgolt  et  R.  Heer  recognila  cl  édita, 
2  in-fol.,  1773;  Praxis  regulœ  S.  Benedicli,  ex  gallica 
lingua  versa,  in-8°,  1773;  lier  Alemanicum,  accedit 
Italicum  et  Gallicum,  in-8°,  1773  :  autre  édition  en 
1774;  une  traduction  en  allemand  parut  en  1776; 
De  caniu  et  musica  sacra  a  prima  Ecclesiœ  œtate  usque 
ad  prœsens  tempus,  2  in-4°,  1774;  Scriplorcs  ecclesia- 
stici de  musica  sacra,  polissimum  ex  variis  Haliœ,  Gal- 
liœ  et  Germanise  codicibus  manuscriplis  collecti,  et  nunc 
primum  publicaluce  donali,3  in-4°,  1774;  Velus  liturgia 
Alemannica,  disquisitionibus  prœviis,  nolis  et  observa- 
tionibus  illustrala,  2  in-4°,  1776;  Dœmonurgia  theo- 
logiee expensa,  in-4°,  1776;  Monumcnta  veleris  liturgiœ 
Alemannicœ.  Accedit  pars  ritualis  et  pars  hermeneuiica, 
2  in-4°,  1779;  Historia  Nigrœ  Sylvœ  ordinis  S.  Bene- 
dicli coloniœ.  Cum  codicc  diplomatico  et  variis  tabulis 
œri  incisis,  3  in-4°,  1783-1784  ;  Anrede  am  die  versam- 
mcltcn  Ordcnsgcisllichen  am  vorabende  der  feierlichcn 
Kircheneinwcihung  zn  Si.  Blasien,  in-8°,  Saint-Gall, 
1784;  De  Rudolpho  Suevico,  comité  de  Rhinfcldcn, 
duce,  rege,  deque  ejus  illustri  jamilia  apud  S.  Blasium 
sepulla,  cryplœ  huic  anliquœ  nova  Auslriacorum  prin- 
cipum adjuncta  cum  aopendice  diplomalum,  in-4°, 
typis  San-Blasianis,  1785;  Soliludo  sacra  siu  exer- 
citia  spiritualia  exdoclr.u't  et  exemplis  sacrœ  Scripturœ 
et  sanclorum  Palrum,  in  usum  pastorum  E'desiœ, 
in-8°,  1787;  Ecclcsia  militons,  regnum  Chrisli  in  terris, 
in  suis  fatis  reprœscnlala,  2  in -8°,  1789;  Nabuchodo- 
nosor  somnians  régna  et  regnorum  ruinas  a  thcocralia 
exorbitantium.  Prodromus  Ecclesiœ  mililantis,  1791; 
Jansenislicarum  conlroversiarum  ex  doctrina  S.  Au- 
gustini  retraclatio,  in-8°,  1791  ;  Observalioncs  in  sœcu- 
lum  Chrisli  terlium  et  quartum,  in-8°,  1791;  De  sublimi 
in  evangelio  Chrisli  juxta  divinam  Verbi  incarnati 
nconomiam.  Opus  hoc  edilum  ab  ejus  successore  abbate 
Mauritio  Ribellc,  3  in-8°,  1793;  De  périclitante  hodierno 
Ecclesiœ  slalu,  prœsertim  in  Gallia,  in-8°,  1793; 
Glossaria  theotisca  medii  œvi.  Unaquc  specimina 
codicum  M.  S.  a  sœculo  i\  usque  xm,  in-8°,  typis 
San-Blasianis,  1865. 

Scriplorcs  ordinis  S.  Benedicti  qui  1750-1880  fuerunl  in 
imperio  Anslriaco-Hungarico,  in-4°,  Vienne,  1881,  p.  115; 
J.-B.  Weiss,  Trauerredc  auf  den  verstorben  Fiirsl-Abt 
M.  Gerbert  zu  Sanct-Blasien,  in-4°,  Saint-Biaise,  1793  ; 
Bader,  Furslabl  Martin  Gerbert  von  St.  Blasien  :  ein  Lebens- 
bild  aus  dem  vorigen  Jahrhundcrt.  in-S",  Fribourg,  1875; 
Krieg,  Furslabl  Martin  Gerbert  von  St.'Blasien,  in-4°,  1896; 
G.  Pfeilschifter,  Fiirslabt  Martin  Gerbert  von  St.  Blasien, 
i.'i-8°,  Cologne,  1912;  Fétis,  Biographie  générale  des  musi- 
ciens, 2e  édit.,  in-S",  Paris,  1874,  t.  m,  p.  456;  Feller, 
Dictionnaire  historique,  1848,  t.  iv,  p.  94;  Hurter,  Nomcn- 
dator,  1912,  t.  iv,  col.  560-567. 

B.  Heurtebize. 

GERBET  Philippe-Olympe,  une  des  grandes  ligures 
de  l'épiscopat  français  au  xixc  siècle,  directeur  de 
conscience  admirable,  penseur  élevé  et  profond, 
écrivain  d'un  rare  mérite,  naquit  d'une  famille  très 


1297 


GERBET 


1298 


considérée  à  Poligny  (Juia),  le  5  février  1798.  Après 
avoir  été  l'un  des  élèves  les  plus  brillants  et  les  plus 
appréciés  du  séminaire  de  Besançon,  en  1818,  il  alla 
poursuivre  ses  études  théologiques  à  Paris,  et  s'y  lia 
d'une  étroite  et  indissoluble  amitié  avec  l'abbé  de 
Salinis,  déjà  lié  lui-même  avec  Lamennais.  Il  lut  or- 
donné prêtre  à  Notre-Dame,  le  1er  juin  1822,  par  Mgr 
de  Quélen,  et  nommé  second  aumônier  du  collège 
Henri- IV,  dont  l'abbé  de  Salinis  était  le  premier  au- 
mônier; les  deux  prêtres  avaient  à  cœur  de  se  dévouer 
à  l'apostolat  auprès  des  jeunes  gens  et  de  lutter 
contre  l'influence  persistante  des  traditions  voltai- 
riennes.  Lamennais  les  visitait  assez  fréquemment; 
c'est  dans  le  salon  des  aumôniers  de  Henri- IV  qu'est 
née,  à  la  fin  de  1822,  l'école  mennaisiennc,  cette  école 
qui  visait  dans  sa  première  étape,  sans  aucune  préoc- 
cupation politique,  à  promouvoir  une  restauration 
religieuse,  en  renversant  à  la  fois  le  rationalisme 
contemporain  et  le  gallicanisme  officiel.  Gerbet  y 
sera  bientôt  de  Lamennais  le  disciple  le  plus  intime 
et  le  plus  en  vue.  Jeune  et  fasciné  par  le  génie  d'un 
maître  aimé  autant  qu'admiré,  il  en  partagera  toutes 
les  opinions,  jusqu'aux  erreurs  philosophiques  et  aux 
doctrines  libérales,  et  il  s'emploiera,  dix  années  durant, 
à  les  servir  de  sa  parole  comme  de  sa  plume.  A  La 
Chesnaie,  où  il  avait  accompagné,  en  1825,  l'auteur 
de  YEssai  sur  l'indifférence,  parmi  les  jeunes  gens 
groupés  autour  de  lui,  son  aménité  tendre  adoucira  les 
brusques  et  pénibles  variations  de  l'humeur  du  maître. 
A  Paris,  au  lendemain  presque  de  la  révolution  de  1830, 
Gerbet  donnera,  dans  un  esprit  tout  mennaisien,  des 
leçons  de  philosophie  de  l'histoire,  qui  ne  laisseront 
pas,  nonosbtant  mainte  idée  fausse  ou  risquée,  d'être 
fort  applaudies,  et  qui  seront  publiées  par  quelques- 
uns  des  auditeurs  sous  le  titre  de  Conférences  de  philo- 
sophie catholique.  Dès  1824,  il  avait  fondé,  de  concert 
avec  l'abbé  de  Salinis,  sous  le  patronage  de  Lamennais, 
le  Mémorial  catholique,  revue  mensuelle  qui  bientôt 
acquit  une  haute  importance  littéraire,  s'adjoignit, 
à  partir  de  février  1830,  sa  Revue  catholique,  et  suggéra 
à  Pierre  Leroux  la  pensée  de  créer  le  Globe,  pour 
opposer  doctrine  à  doctrine.  A  l'initiative  de  l'abbé 
Gerbet  est  aussi  due  la  fondation,  en  1830,  de  l'Avenir, 
ce  journal  promis  à  une  si  courte  et  si  orageuse  carrière, 
et  dont  Gerbet  a  été,  de  sa  plume  toujours  prête,  l'un 
des  principaux  rédacteurs.  Gerbet,  enfin,  se  faisant  le 
champion  de  la  philosophie  du  consentement  universel 
ou  sens  commun,  y  a  consacré  trois  ouvrages,  intitulés, 
l'un,  Des  doctrines  philosophiques  sur  la  certitude  dans 
leurs  rapports  avec  les  fondements  de  la  théologie  (182G), 
l'autre,  Coup  d'œil  sur  la  controverse  chrétienne  depuis 
les  premiers  siècles  jusqu'à  nos  jours  (1828),  tous  les 
deux  désavoués  depuis  et  retirés  par  lui  du  commerce; 
le  troisième,  Sommaire  d'un  système  des  connaissances 
humaines,  qui  a  été  publié  à  la  suite  de  l'ouvrage  de 
Lamennais  sur  Les  progrès  de  la  Révolution  et  de  la 
guerre  contre  l'Église  (1829).  Entre  temps  (1829),  il 
avait  écrit  pour  le  grand  public  son  petit  livre  tendre 
et  profond  des  Considérations  sur  le  dogme  générateur 
de  la  piété  catholique,  c'est-à-dire  sur  le  mystère  de 
l'eucharistie. 

Quand  Grégoire  XVI,  par  l'encyclique  Singulari  vos 
du  13  juillet  1834,  condamna  tout  ensemble  et  les 
Paroles  d'un  croyant  et  le  système  philosophique 
de  Lamennais,  l'abbé  Gerbet,  fidèle  à  l'esprit  men- 
naisien primitif,  qu'aussi  bien  il  ne  désertera  jamais, 
se  soumit  à  la  voix  du  pape,  sans  équivoque  ni  arrière- 
pensée.  «  L'Église,  écrivait-il  le  19  juillet  1834  à  l'ar- 
chevêque de  Paris,  est  au-dessus  de  tout  dans  mon 
cœur.  »  Il  adhéra  donc  et  absolument  à  la  doctrine 
promulguée  par  l'acte  du  souverain  pontife,  et  cessa 
même  toute  relation  personnelle  avec  Lamennais 
ouvertement  révolté.  Le  collège  de  Juilly  fut  alors, 


pour  l'abbé  Gerbet,  un  port  de  refuge;-  il  y  paya  sa 
bienvenue  par  un  beau  et  bon  livre,  souvent  réédité, 
qui  a  paru  sous  des  noms  d'emprunt  (de  Salinis  et  de 
Scorbiac)  en  1834  et  qui  mérite  de  vivre,  le  Précis  de 
l'idsloirc  de  la  philosophie  ;  après  quoi,  choisi  pour 
directeur  de  la  maison  des  hautes  études  que  les  abbés 
de  Salinis  et  de  Scorbiac  avaient  fondée,  non  loin  de 
Juilly,  au  village  de  Thieux,  il  y  fera  des  conférences 
de  philosophie  durant  plusieurs  années.  Mais,  en  même 
temns  que  Gerbet,  à  Thieux  comme  à  La  Chesnaie, 
travaillait  à  éclairer  et  à  former  un  auditoire  d'élite, 
il  prenait  une  part  aelive  au  développement  et  à 
l'action  de  la  presse  catholique  en  France.  Outre  ses 
nombreux  articles  signés  ou  non  signés,  dans  l'Univers 
religieux,  créé  par  l'abbé  Migne  en  1833  pour  préparer 
les  voies  à  la  liberté  d'enseignement,  il  concourait  avec 
d'anciens  mennaisiens  en  183G  à  fonder  V  Université 
catholique,  organe  périodique  d'un  genre  tout  nouveau, 
qui  se  divisait  en  deux  parties  :  l'une  comprenant  une 
série  de  Cours,  où  la  philosophie,  l'histoire,  les  sciences 
naturelles,  l'archéologie,  les  arts  étaient  exposés  et 
enseignés  en  harmonie  avec  les  dogmes  et  les  senti- 
ments chrétiens;  l'autre  consacrée,  comme  les  revues 
ordinaires,  à  des  travaux  détachés,  à  des  appréciations 
d'ouvrages  nouveaux.  Gerbet,  qui  fut  longtemps 
l'âme  de  l'Université  catholique,  en  inaugura  le  premier 
numéro  par  un  Discours  préliminaire  sur  la  classifi- 
cation des  sciences  qui  fait  ressortir,  avec  l'étendue  de 
son  savoir  et  la  pureté  de  son  style,  sa  piété  sacerdotale, 
et  qui  est  généralement  réputé  son  chef-d'œuvre.  On 
y  remarque  aussi  notamment,  de  Gerbet,  un  article 
sur  le  Jocelyn  de  Lamartine,  afin  de  dénoncer  la  dévia- 
tion du  génie  du  poète  et  la  couleur  panthéiste  de  sa 
poésie  (1836);  des  Réflexions  (émues)  sur  la  chute  de 
M.  de  Lamennais  (183G-1837);  une  série  d'études 
sur  les  Rapports  du  rationalisme  avec  le  communisme 
(1850);  et  les  Conférences  d'Albéric  d'Assise  sur 
l'économie  politique,  au  point  de  vue  chrétien  (1810). 
A  la  fin  de  1838,  l'ébranlement  de  sa  santé  l'ayant 
forcé  d'aller  chercher  le  ciel  du  midi,  l'abbé  Gerbet 
partit  pour  Rome;  il  y  vivra  dix  ans,  de  1839  à  1849, 
estimé  et  chéri  des  membres  les  plus  éminents  de  la 
colonie  française,  honoré  de  la  bienveillance  particulière 
des  papes  Grégoire  XVI  et  Pie  IX.  Nous  devons  a 
son  séjour  de  Rome  sa  belle  Esquisse  de.  Rome  chrétienne, 
2  vol.,  Paris,  1844-1850,  où  quelques  pages  toutefois 
n'échappent  pas  au  reproche  de  solliciter  trop  fortement 
les  monuments  archéologiques.  «  La  pensée  fonda- 
mentale de  ce  livre,  a-t-il  écrit,  Préface,  p.  vi,  est  de 
recueillir  dans  les  réalités  visibles  de  Rome  chrétienne 
l'empreinte  et,  pour  ainsi  dire,  le  portrait  de  son 
essence  spirituelle.  »  «  Rome,  écrit-il  encore,  t.  i, 
p.  398,  est  par  ses  édifices  mêmes  une  cité  éminemment 
dogmatique.  »  Avec  Pie  IX,  qu'il  avait  énergique- 
ment  soutenu,  il  s'enfuit  à  Gaëte  en  1848,  et  là  il  se 
décida,  sur  les  instances  de  Mgr  Sibour,  archevêque 
de  Paris,  à  revenir  en  France.  Mgr  Sibour  lui  confia  le 
soin  de  préparer  le  concile  provincial  qui  se  tint  à 
Paris  l'année  suivante,  et  le  fit  nommer  professeur 
d'éloquence  sacrée  à  la  Sorbonne.  Mais,  bientôt  après, 
l'abbé  Gerbet  aima  mieux  se  rendre  à  l'appel  de  son 
vieil  ami,  M.  de  Salinis,  nommé  entre  temps  évêque 
d'Amiens,  qui  le  choisit  pour  vicaire  général,  et,  de 
1849  à  1854,  il  habitera  l'évêché  d'Amiens.  La  mission 
lui  échut,  en  1852,  de  préparer  et  rédiger  les  décrets 
qui  devaient  servir  de  base  aux  décisions  du  concile 
provincial  d'Amiens  touchant  le  droit  ecclésiastique 
coutumier;  et  Gerbet  eut  la  joie  de  voir  Pie  IX  ap- 
prouver pleinement  et  sanctionner,  dans  i'encyclique 
Inter  multipliées  du  21  mars  1853,  les  décrets  du 
concile.  En  1853,  la  translation  solennelle  de  Rome 
à  Amiens  des  ossements  d'une  martyre  amiénoise, 
sainte  Theudosie  ou  Thcodosie,  valut  à  la  littérature 


1209 


GERRET 


GERMAIN 


1300 


française  le  beau  Livre  de  sainte  Théodosie,  Amiens, 
1S.Y1.  Enfin,  sur  la  proposition  de  l'empereur  Napo- 
léon III,  Pie  IX  éleva  l'abbé  Gerbet,  le  16  avril  1854, 
sur  le  siège  épiscopal  de  Perpignan.  Évèquc,  Gerbet 
témoignera,  comme  toujours,  de  son  attachement 
profond  aux  doctrines  romaines  ainsi  qu'à  la  personne 
du  souverain  pontife,  et  il  prendra  vigoureusement 
part  à  la  défense  de  l'indépendance  du  Saint-Siège. 
L'acte  le  plus  important  de  son  épiscopat  fut  l'In- 
struclion  pastorale  du  23  juillet  1860  sur  les  diverses 
erreurs  du  temps  présent,  un  avant-coureur  et  un 
modèle  du  Syllabus,  qui  lui  mérita,  pendant  le  voyage 
qu'il  fit  à  Rome  en  1862,  les  éloges  publics  de  Pie  IX. 
Voir  Hourat,  Le  Syllabus,  Paris,  1904,  t.  i.  De  retour 
à  Perpignan,  il  épancha  devant  son  clergé  ses  pensées 
et  ses  impressions,  dans  la  Conférence  sur  Rome, 
Perpignan,  1863.  Ce  fut  son  testament.  Il  mourut  le 
8  août  1864,  tandis  qu'il  mettait  la  dernière  main  à 
une  brochure  intitulée  :  La  stratégie  de  M.  Renan, 
publiée  après  sa  mort  par  Mgr  de  Ladoue,  avec  préface, 
in-18,  Paris,  1866. 

Un  choix  des  Mandements  et  instructions  pastorales 
de  Mgr  Gerbet  a  paru  en  2  in-8°,  Paris,  1875.  M.  Au- 
gustin Vassal  a  publié  récemment  les  Pensées  de 
Mgr  Gerbet,  Paris,  1911, 

De  Ladoue,  Mgr  Gerbet,  sa  vie  et  ses  œuvres,  3  vol., 
Paris,  1872;  Ricard,  Gerbet  et  Salinis,  2"  édit.,  Paris,  1883; 
Kirchenlexikon,  t.  v,  col.  356-360;  abbé  Gerbet,  Mgr  Gerbet, 
évêque  de  Perpignan,  dans  G.  Bertrin,  Les  grandes  figures 
catholiques  du  temps  présent,  t.  i,  p.  175-214;  L.  de  la  Save, 
Mgr  Gerbet,  n.  87  des  Contempo.ains,  Paris,  1894;  Hurtcr, 
Nomenclator  literarius,  Inspruckr  1912,  t.  iv,  col.  1178- 
1181;  H.  Brémond,  Gerbet,  Paris,  1907;  L'épiscopat  fran- 
çais depuis  le  concordat  jusqu'à  la  séparation,  in-4°,  Paris, 
1907,  p.  474-475. 

P.    Godet. 

GERDIL.  —  I.  Vie.  II.  Œuvres. 

I.  Vie.  —  Hyacinthe-Sigismond  Gerdil,  un  des  noms 
les  plus  saillants  de  l'Église  d'Italie  du  xvnie  siècle, 
prêtre  exemplaire  de  tout  point,  apologiste  et  métaphy- 
sicien très  distingué,  mais  aussi  érudit  universel,  naquit 
à  Samoëns  de  Faucigny  (Savoie),  le  20  juin  1718,  au  sein 
d'une  pieuse  famille  de  condition  modeste,  et  entra,  dès 
l'âge  de  quinze  ans,  dans  l'ordre  des  barnabites.  Après 
son  noviciat,  il  fut  envoyé  de  Bonneville  à  Bologne 
pour  y  étudier  la  théologie  et,  par  ses  vertus  comme 
par  sa  science  précoce,  il  y  mérita  l'estime  et  la  con- 
fiance de  l'archevêque,  Prosper  Lambertini,  le  futur 
Benoît  XIV.  En  1737,  à  dix-neuf  ans,  il  fut  chargé 
d'enseigner  la  philosophie  dans  quelques  maisons  de 
son  ordre,  d'abord  à  Macerata,  puis  à  Casai,  où,  cinq 
ans  plus  tard,  il  occupa  la  chaire  de  théologie  morale. 
Sur  le  conseil  du  pape  Benoît  XIV,  le  roi  de  Sardaigne, 
Charles-Emmanuel  III,  lui  confia  l'éducation  de  son 
petit-fils,  ce  Charles-Emmanuel  IV  qui  abdiquera  sa 
couronne  en  1802,  et  mourra  sous  l'habit  de  jésuite 
à  Rome  en  1819;  Gerdil  se  montra,  dans  l'acccomplis- 
sement  de  sa  tâche,  le  digne  émule  des  Bossuet  et  des 
Fénelon.  Mandé  à  Rome  par  le  pape  Pie  VI  et  sacré 
évêque  titulaire  de  Dybonne,  il  fut  nommé  cardinal 
le  27  juin  1777,  et,  bientôt  après,  préfet  de  l'Index 
et  de  la  Propagande.  Lorsque  le  général  Berthier 
occupa  Rome  au  mois  de  février  1798,  il  fut  réduit, 
pour  être  à  même  de  quitter  la  ville,  à  vendre  sa 
précieuse  bibliothèque,  et,  séparé  malgré  lui  de  Pie  VI, 
qu'il  était  venu  retrouver  fidèlement  à  Sienne,  il  ne 
dut  qu'aux  libéralités  de  deux  amis,  le  cardinal 
espagnol  Lorenzana  et  l'archevêque  de  Séville  Despuig, 
de  pouvoir  se  retirer  en  Piémont.  A  la  mort  de  Pie  VI, 
il  assista,  en  décembre  1799,  au  conclave  de  Venise,  et 
se  vit  presque  à  la  veille  d'être  élevé  au  souverain  pon- 
tificat, si  l'exclusive  n'avait  été  prononcée  contre  lui  au 
nom  de  l'Autriche.  Il  suivit  le  pape  Pie  VII  à  Rome,  et  y 
mourut   le  12  août  1802,  à  quatre-vingt-quatrç    ans.. 


II.  Œuvres.  ■ — ■  Les  œuvres  de  Gerdil,  écrites  les 
unes  en  français,  les  autres  en  italien  ou  en  latin,  et 
toutes  d'un  style  clair,  simple  et  agréable,  ont  été 
publiées  par  Fontana  à  Rome,  1806-1821,  en  20  in-4°, 
et  à  Naples,  1853-1856,  7  vol.  Des  travaux  inédits 
ont  été  imprimés  dans  les  Analecla  juris  ponli/ïcii, 
Ve  série,  Rome,  1852.  Mais  nombre  des  manuscrits 
de  la  vieillesse  du  laborieux  écrivain  se  sont  perdus. 
La  réfutation  des  erreurs  de  son  temps  et  la  défense 
des  vérités  chrétiennes  comme  des  droits  de  l'Église, 
tel  avait  été  le  but,  inviolablement  poursuivi,  de 
l'activité  littéraire  du  cardinal  Gerdil.  Physique  et 
mathématiques,  histoire,  philosophie  spéculative  et 
morale,  droit  civil  et  droit  politique,  pédagogie,  théo- 
logie et  droit  canon,  il  a  tout  abordé;  c'est  un  esprit 
encyclopédique.  Sans  parler  ici  de  ses  études  pure- 
ment profanes,  qui  lui  valurent,  en  1754  et  en  1755. 
deux  lettres  flatteuses  de  d'Alembert,  je  rappellerai 
qu'il  a  été,  en  philosophie,  de  l'école  de  Malebranche 
et  qu'il  en  a  renouvelé  l'intuitionisme,  en  l'adoucissant 
un  peu.  Théologien  et  canoniste,  il  a  été  le  vigoureux 
et  habile  champion  de  la  primauté  du  Saint-Siège. 
Parmi  ses  écrits  théologiques,  outre  le  Saggio  d'is- 
truzione  teologica,  composé  peu  après  son  arrivée  à 
Rome,  je  citerai,  à  cause  de  l'intérêt  historique  qui 
s'y  rattache,  les  Opuscula  ad  hierarchicam  Ecclesix 
constitulionem  speclanlia,  parus  à  Parme  en  1789, 
Œuvres,  t.  iv;  puis  la  réfutation  de  deux  opuscules 
lancés  contre  le  bref  Super  soliditale,  qui  condamnait 
le  joséphiste  Eybel,  Rome,  1789,  Œuvres,  t.  v;  une 
remarquable  critique  de  la  rétractation  de  Fébronius, 
Animadûsrsiones  in  Commenlar.  J.  Febronii  in  suam 
relractationem,  Rome,  1793,  Œuvres,  t.  v;  la  critique 
des  théories  canoniques  de  Slevogt  et  de  Lakiez, 
Œuvres,  t.  iv;  des  observations  sur  la  bulle  Auctorem 
fidei  du  pape  Pie  VI,  où  il  redresse  quelques  notes 
de  Feller,  Opéra,  t.  vi,  et  dans  Migne,  Theologise  cur- 
sus completus,  t.  ix,  col.  913-940.  Dans  le  même  vo- 
lume, on  trouve  les  traités  De  pontificii  primalus 
auctoritate  in  IJetri  cathedra;  Del  malrimonio  (contre 
de  Dominis  et  Launoy),  et  dans  le  t.  vu  sa  Thcologia 
moralis,  son  De  Ecclesia  ejusque  notis  ;  le  Mcmorie 
nell'auloriià  délia  Chiesa  e  dcl  romano  ponte fice  rilcvatc 
dagli  Alli  apostolici. 

Piantoni,  Vita  del  card.  G.  S.  Gerdil  ed  analisi  délie  sue 
opère,  Rome,  1831;  Picot,  Mémoires,  3e  édit.,  Paris,  1855, 
t.  iv,  p.  113;  t.  v,  p.  47;  t.  vi,  p.  411;  t.  vu,  p.  135,  279; 
Gams,  Gescbichte  der  Kirche  Cbristi  im  XIX  Jahrhundert, 
Inspruck,  1853,  t.  i,  p.  293  sq.;  Kirchenlexikon,  t.  v,  p.  368- 
365;  Hurter,  Nomenclator  literarius,  Inspruck,  1912,  t.  v, 
col.  600,  609-615. 

P.  Godet. 
1.   GERMAIN    Saint ,  patriarche  de  Constantinople 
(715-729).  —  I.  Vie.  II.  Œuvres. 

I.  Vie.  —  1°  Avant  l'épiscopat.  —  Les  premières 
années  de  la  vie  de  saint  Germain  sont  très  peu  connues. 
Il  appartenait  à  une  des  plus  grandes  familles  de 
Byzance.  Son  père,  le  patrice  Justinien,  était  très  en 
faveur  à  la  cour  d'Héraclius  (610-641).  Il  semble  avoir 
moins  été  dans  les  bonnes  grâces  de  Constant  II 
(641-668);  il  aurait  même  trempé  dans  le  complot 
qui  mit  fin  aux  jours  de  cet  empereur.  C'est  du  moins 
pour  ce  motif  que  Constantin  IV  Pogonat  (668-685) 
le  fit  mettre  à  mort.  Son  fils,  Germain,  qui  protestait, 
comme  de  raison,  fut  fait  eunuque  et  incorporé  au 
clergé  de  Sainte-Sophie  (668).  Quel  âge  avait-il  alors  ? 
La  Vie  éditée  par  Papadapoulos-Kérameus  dit  qu'il 
était  encore  un  adolescent,  et  qu'il  n'avait  pas  plus 
de  vingt  ans.  Par  contre,  d'après  la  lettre  apocryphe 
de  Grégoire  II  à  l'empereur  Léon  III  l'Isaurien, 
Mansi,  Concil.,  t.  xn,  col.  959,  qui  lui  donne  quatre- 
vingt-quinze  ans  précis  en  729,  il  serait  né  en  634  et 
aurait  eu  exactement  trente-cinq  ans,  au  moment  où 
il  fut  fait  d'office  clerc  de  la  Grande  Église, 


1301 


GERMAIN 


1302 


Nous  n'avons  pas  de  renseignements  sur  son  éduca- 
tion. Elle  dut  être  très  soignée,  à  en  juger  par  le  rang 
de  sa  famille.  M.  Sokolof,  dans  la  Bogolovskaïa  enlsiclo- 
pediu,  croit  qu'il  suivit  une  des  plus  hautes  écoles  de 
droit  de  Byzance.  Il  aurait  aussi,  dans  sa  jeunesse,  fait 
le  pèlerinage  de  Jérusalem,  d'après  le  clVJ[j.vr]ij.a  t^ç 
Mafia;  tt]ç 'Ptojiataç, dans  1' 'ExxXirriOKmxr)  àXr^Osta,  1883, 
t.  m,  p.  213.  D'abord  simple  clerc,  il  fut  plus  tard  mis 
à  la  tète  de  tout  le  clergé  de  Sainte-Sophie.  Peut-être 
est-ce  à  ce  titre  qu'il  fut,  avec  le  patriarche  Georges, 
un  des  promoteurs  principaux  du  concile  de  681;  car 
ce  sont  eux,  si  l'on  en  croit  la  pseudo-lettre  de  Gré- 
goire II  à  Léon  III,  qui  auraient  persuadé  l'empereur 
d'écrire  à  Rome  touchant  la  convocation  d'un  concile 
œcuménique  pour  condamner  le  monothélisme.  Quelle 
fut  son  action  sur  le  synode  Quiniscxte  ?  M.  Sokolof, 
loc.  cit.,  estime  qu'elle  fut  considérable  et  que  c'est 
en  récompense  de  ses  services  qu'il  reçut  alors,  ou 
peu  après,  la  métropole  de  Cyzique.  Nous  ignorons  à 
quelles  sources  sont  puisés  ces  renseignements.  Le 
seul  document  qui,  à  notre  connaissance,  détermine 
la  date  de  la  promotion  épiscopale  de  Germain  est 
la  Vie,  qui  la  retarde  jusqu'au  retour  de  Justinien  II 
de  l'exil,  c'est-à-dîre  Vers  705-706.  Mais  elle  n'a  pas 
asseye  de  valeur  historique  pour  que  sa  seule  allirmatioa 
suffise  à  trancher  la  difficulté,  qui  persiste. 

2°  Saint  Germain  et  le  monothélisme.  —  Le  nom  de 
Germain,  en  tant  que  métropolite  de  Cyzique,  paraît 
pour  la  première  fois  avec  certitude  dans  le  récit  du 
synode  que  réunit  Philippique,  en  712,  pour  renouveler 
le  monothélisme  et  supprimer  le  concile  de  681.  Encore 
le  trouvons-nous,  avec  ceux  de  Jean  VI,  patriarche, 
et  de  saint  André  de  Crète,  dans  la  liste  des  prélats 
qui,  par  économie,  cédèrent  aux  violences  dont  usa 
l'empereur.  Théophane,  Chronographia,  édit.  Boor, 
an.  6204.  Cependant  Germain  trouvait,  dans  le  concile 
même,  de  beaux  exemples  pour  l'encourager  à  la 
résistance.  Lui-même  raconte,  dans  le  De  hœrcsibus 
et  synodis,  P.  G.,  t.  xvcin,  col.  76,  n.  38,  qu'un  certain 
nombre  d'évêques  refusèrent  de  céder,  et  il  cite  en 
particulier  avec  admiration  la  conduite  de  Zenon 
de  Sinope.  Le  Quien,  Oriens  christianus,  t.  i,  col.  235- 
237,  se  demande  s'il  ne  se  serait  pas  laissé  entraîner 
à  condamner  le  VIe  concile  par  un  reste  de  rancune 
personnelle  contre  Constantin  Pogonat  qui  avait 
convoqué  cette  assemblée.  En  tout  cas,  cette  animosité 
ne  transpire  pas  dans  le  traité  De  hœresibus  ri  synodis, 
qui  est  parfaitement  serein  à  l'égard  de  l'empereur. 

Certains  auteurs,  par  exemple,  Henschen,  P.  G., 
loc.  cit.,  col.  22-23,  se  refusent  absolument  à  admettre 
la  chute  de  saint  Germain,  qu'acceptent  Baronius, 
Pagi,  Hefele,  pour  ne  citer  que  quelques  noms.  Ils 
affirment  que  Théophane  et  Nicéphore  se  trompent, 
ce  qui  est  difficilement  acceptable  en  pareille  matière 
et  concernant  un  personnage  connu  et  vénéré  comme 
l'était  saint  Germain.  Leurs  raisons,  d'ailleurs,  ne 
paraissent  pas  sans  réplique.  La  participation  au 
concile  de  681  prouve  seulement,  ce  qui  n'est  pas 
constesté,  que  le  saint  était  partisan  de  la  doctrine 
catholique  sur  les  deux  volontés  dans  le  Christ,  mais 
n'exclut  pas  absolument  toute  concession  pratique, 
purement  extérieure,  colorée  d'économie  et  aussitôt 
réparée.  Il  en  est  de  même  du  concile  de  787.  Celui-ci, 
d'ailleurs,  entend  parler  surtout  de  la  doctrine  sur  le 
culte  des  images  qu'il  avait  pour  mission  de  définir 
et  dans  laquelle  saint  Germain  fut  toujours  impeccable. 
Le  récit  fait  par  lui,  dans  le  De  hwresibus  et  synodis, 
P.  G.,  t.  xcvm,  col.  76,  n.  38,  de  la  malheureuse 
tentative  de  Philippique,  n'exclut  pas  non  plus 
sa  faiblesse  passagère.  Si  l'on  veut  serrer  de  près  le 
texte  de  sa  narration,  on  y  remarquera  trois  parties. 
Dans  la  première,  il  mentionne  les  violences  dont  on  usa 
envers  tous  les  évêques,  pour  les  amener  à  signer  des 


écrits  composés  par  quelques-uns  contre  le  VIe  concile 
œcuménique  ;  la  deuxième  parle  des  partisans  convaincus 
de  l'empereur,  et  la  troisième  de  ceux  qui  lui  résistèrent. 
Même  si  Germain  a  été  parmi  les  faibles  qui  ont  signé, 
rien  ne  s'oppose  à  ce  que,  vingt  ans  plus  tard,  il  nomme 
avec  admiration  les  courageux  qui  restèrent  inflexibles, 
et  avec  indignation  ceux  qui  furent  peut-être  la  cause 
de  sa  chute.  Par  contre,  il  est  difficile  de  ne  pas  voir 
une  allusion  à  cette  conduite  dans  le  qualificatif 
d'homme  «  à  double  sentiment  »  (Siyvwum)),  que  le 
conciliabule  iconoclaste  d'Hiéria  (754)  lui  infligea,  en 
le  rayant  des  diptyques. 

Que  devint  Germain  dans  la  tourmente  mono- 
thélite  ?  Henschen,  n.  8,  croit  qu'il  fut  expulsé  de 
son  diocèse  par  l'empereur  et  qu'il  se  retira  au  monas- 
tère de  Chora,  où,  plus  tard,  il  fut  enterré.  Mais  tout 
ce  que  nous  venons  de  dire  détruit  cette  affirmation 
par  la  base.  M.  Sokolof  le  fait  chasser  par  ses  ouailles, 
irritées  de  sa  condescendance.  Quoi  qu'il  en  soit,  Phi- 
lippique fut  bientôt  détrôné  (713)  et  la  paix  revint 
avec  Anastase  (713-715).  Le  nouvel  empereur  étant 
orthodoxe,  tous  les  évêques  revinrent  au  devoir  : 
Jean  VI  envoya  même  au  pape  une  lettre  pour  s'ex- 
cuser. Il  expliquait  sa  conduite  et  celle  des  autres 
prélats  infidèles,  par  le  principe  de  l'économie.  Rome 
n'eut  qu'à  pardonner.  Jean,  d'ailleurs,  se  montra  digne 
de  cette  miséricorde.  Il  mourut  deux  ans  plus  tard, 
et  c'est  le  métropolite  de  Cyzique,  Germain,  qui  fut 
appelé  à  le  remplacer,  le  11  août  715. 

3°  Premières  années  de  son  patriarcal.  —  Un  synode 
avait  été  réuni  pour  légitimer  la  promotion  de  Germain, 
les  translations  d'un  diocèse  à  l'autre  étant  interdites 
par  un  canon  d'Antioche.  Mansi,  Concil.,  t.  xn,  col.  735. 
Notons  aussi,  avec  l'acte  officiel,  que  «  cette  translation 
fut  faite  en  présence  du  très  saint  prêtre  Michel, 
apocrisiaire  du  Saint-Siège.  »  Ibid.  La  Vie,  écrite  au 
ixe  siècle,  voudrait  même  qu'on  ait  demandé  expres- 
sément au  pape  Léon  (?)  la  permission  de  faire  ce 
changement.  Cela  est  évidemment  exagéré,  mais 
mérite    d'être    remarqué. 

Le  début  du  patriarcat  de  saint  Germain  doit  être 
fixé  à  l'année  715,  11  août.  Voir,  sur  cette  question, 
E.  W.  Brocks,  On  ihe  lisls  of  the  patriachs  of  Cons- 
lanlinople  jrom  63  to  715,  dans  Byzantinische  Zeit- 
schrijt,  1897,  t.  vi,  p.  33-54.  La  date  finale  a  longtemps 
fait  difficulté.  Il  faut  la  placer  au  19  janvier  729. 
Voir  Hubert,  Observations  sur  la  chronologie  de  Théo- 
phane et  de  quelques  lettres  des  papes  (726  -  774), 
ibid,,  1897,  t.  vi,  spécialement  p.  495-496.  Le  patriar- 
cat de  saint  Germain  n'a  duré  que  treize  ans  et 
demi  et  non  quatorze  et  demi,  comme  le  veut  Théo- 
phane, qui  s'est  trompé  dans  ses  calculs,  pour  n'avoir 
pas  remarqué  que  l'indiction  de  l'année  726  a  été 
doublée  par  le  gouvernement  impérial,  dans  le  but 
de  percevoir  un  double  impôt. 

L'un  des  premiers  actes  du  patriarche  fut  la  convo- 
cation d'un  synode  d'une  centaine  de  prélats,  qui 
proclama  officiellement  la  foi  reniée  en  712  et  ana- 
thématisa  les  fauteurs  du  monothélisme,  Sergius, 
Pyrrhus,  Pierre,  Paul  et  Jean.  Mansi,  Concil.,  t.  xn, 
col.  257.  Le  Quien  croit  que  le  Jean  excommunié  ici 
n'est  pas  le  prédécesseur  immédiat  de  saint  Germain, 
qui  s'était  rétracté  et  était  mort  catholique.  Oriens 
chrislianus,  t.  i,  col.  236. 

En  717-718,  la  ville  de  Constantinople  fut  assiégée 
par  les  Sarrasins  et  ne  fut  sauvée  que  par  le  feu  grégeois 
qui  incendia  la  flotte  ennemie;  l'année  d'après,  719, 
ce  sont  les  Bulgares  qui,  soulevés  par  l'empereur 
déchu,  Anastase,  viennent  mettre  le  siège  devant  la 
ville  et  ne  se  retirent  qu'au  prix  de  fortes  sommes 
versées  par  l'empereur.  Mais  le  saint  patriarche  voyait, 
au  delà  des  agissements  des  hommes,  la  main  de  Dieu 
qui  conduit  tous  les  événements  du  monde,  et  aimait 


in'. 


GERMAIN 


1304 


à  attribuer  à  Marie  cette  délivrance,  en  même  temps 
que  les  deux  autres  dont  la  ville  avait  déjà  été  l'objet, 
en  626  et  en  077.  En  reconnaissance  de  cette  triple 
préservation,  il  institua,  en  l'honneur  de  la  sainte 
\  [i  rge,  un  office  d'une  ordonnance  toute  spéciale, 
connu  sous  le  nom  :  ô  àxoéOttîTOç  Gjavoç.  Pargoire,  L'Église 
byzantine  de  527  à  847,  p.  355-356.  C'est  la  thèse 
de  Théarvic,  dans  les  Échos  d'Orient,  1904,  t.  vu, 
p.  293-300;  1905,  t.  vin,  p.  163-166.  Cet  auteur  dis- 
tingue dans  l'acathiste  i  rois  parties  distinctes  :  l'hymne 
composée  par  un  mélode,  dans  un  but  d'actions  de 
grâces,  peut-être  pour  la  fête  de  l'Annonciation;  le 
synaxaire,  discours  du  début  du  ixc  siècle,  sans  doute; 
enfui,  la  fête  elle-même,  ainsi  que  le  xovtcJxiov,  tous 
deux  œuvre  de  saint  Germain.  Il  se  base  pour  cela  sur 
un  texte  très  explicite,  publié  en  1903,  d'un  manuscrit 
latin  de  Saint-Gall,  du  ixe  siècle.  Cette  thèse,  adoptée 
depuis  lors  par  plusieurs  savants,  Krumbacher,  de 
Meester,  Bouvy,  a  été  contestée  par  M.  Papadopoulos- 
Kérameus,  qui,  ayant  déjà  fait  à  Photius  l'honneur  de 
l'institution  de  cette  fête,  dans  '()  àxâOicrcoç  G|avoS  xa: 
ô  -aToiap/riç  4><ôt'.oî,  Athènes,  1913,  a  gardé  ses  posi- 
tions dans  ' 0  -aTp-.âv//,;  <I>r.iT'.oç  xaî  6  àzàOiciTo;  Gavo;, 
1905,  et  ensuite  dans  un  long  article  du  Byzantiskii 
Yrcmennik,  1908,  t.  XV,  p.  357-383. 

En  719,  saint  Germain  baptisa  le  fils  de  Léon  III, 
Constantin.  La  cérémonie  fut  quelque  peu  troublée  par 
l'accident  qui  valut  au  futur  empereur  le  surnom 
de  Copronyme,  mais  le  patriarche  sut  immédiatement 
relever  les  esprits,  en  voyant  dans  ce  fait  le  présage 
du  mal  que  le  jeune  prince  ferait  un  jour  à  l'Église. 
Les  dix  premières  années  du  règne  de  l'Isaurien  furent 
calmes.  De  l'activité  de  saint  Germain  à  cette  époque, 
il  reste,  pour  tout  document,  quelques  modèles  des 
homélies  pleines  de  foi  et  de  piété,  qu'il  adressait  à 
son  peuple,  et  un  certain  nombre  de  poésies  ecclésias- 
tiques, conservées  dans  les  livres  liturgiques. 

4°  Saint  Germain  et  l'iconoclasme.  Dernières  années. 
—  Saint  Germain  fut  la  première  victime  de  l'icono- 
clasme après  en  avoir  été  le  premier  adversaire. 
Durant  trois  ans,  de  725,  date  du  premier  édit  icono- 
claste, jusqu'en  729,  date  de  sa  démission,  il  fut  l'âme 
de  la  résistance  en  Orient.  Quelques  évêques  s'étaient 
déclarés,  dès  le  début,  favorables  aux  doctrines  offi- 
cielles :  c'était  Théodose  d'Éphèse,  Thomas  de  Clau- 
diopolis,  Constantin  de  Nacolia.  Ce  dernier,  blâmé  par 
son  métropolite,  Jean  de  Synnada,  avait  recouru  au 
patriarche,  peut-être  dans  l'espoir  de  le  gagner  à  sa 
cause.  Le  métropolite,  de  son  côté,  porta  l'affaire  devant 
saint  Germain,  qui,  dans  sa  réponse,  P.  G.,  t.  xcvni, 
col.  156-162,  lui  résuma  l'excellente  leçon  d'exégèse 
biblique  qu'il  avait  donnée  au  prélat  novateur,  pour 
lui  prouver  que  le  culte  des  images  n'est  pas  du  tout 
contraire  au  texte  de  l'Exode,  xx,  4  :  Non  faciès 
omnem- similitudinem  ad  adorandum  eam.  L'évêque, 
devant  cette  semonce,  fit  les  plus  belles  promesses, 
mais,  de  retour  clans  son  diocèse,  se  hâta  de  les  oublier 
et  c'est  pour  l'en  blâmer  que  Germain  lui  écrivit, 
P.  G.,  t.  xcviii,  col.  161-164.  Une  troisième  lettre, 
sur  le  même  sujet,  est  adressée  à  Thomas  de  Clau- 
diopolis.  P.  G.,  t.  xevin,  col.  164-188.  Cet  autre 
iconoclaste  de  la  première  heure  semble  avoir  mis 
surtout  en  avant  les  objections  des  juifs  et  des  musul- 
mans, car  le  saint  commence  par  le  raisonner  sur  ce 
point  ;  il  lui  rappelle  ensuite  que  les  images  sont  un 
simple  souvenir  des  exemples  des  saints  et  un  encou- 
ment  à  glorifier  Dieu  avec  plus  de  zèle,  col.  172; 
en  lin  il  donne  le  vrai  sens  de  divers  passages  bibliques 
et  termine  en  l'invitant  à  la  paix.  Ces  lettres  sont 
extraites  des  actes  du  VIIIe  concile  œcuménique,  au- 
quel elles  furent  lues,  sur  la  proposition  de  saint 
Taraise,  et  qui  les  approuva  sans  restriction. 

Devant    la    résistance    qu'il    rencontrait,   dans    les 


provinces  surtout,  l'empereur  ne  pouvait  trop  exiger 
l'application  de  ses  décrets.  Même  après  la  défaite  des 
révoltés  des  Cyclades,  726,  il  devait  ménager  l'oppo- 
sition. A  Constantinople,  c'est  Germain  qui  l'arrêtait. 
On  ne  toucha  pas  aux  églises  tant  que  le  saint  fut  là. 
Tout  au  plus,  peut-être,  essaya-t-on  alors  de  détruire 
le  christ  de  la  Chalcé.  Léon  III  semble  avoir  porté  son 
premier  décret  sans  s'occuper  du  patriarche,  et  avoir 
négligé  d'abord  de  le  gagner.  Hefele,  Histoire  des  con- 
ciles,  trad.  Leclercq,  t.  ni,  p.  612.  Peut-être  comp- 
tait-il que  la  mort  le  débarrasserait  bientôt  de  ce  no- 
nagénaire. Mais,  en  728,  il  résolut  de  passer  outre  et 
d'attirer  Germain  à  ses  vues  ou  de  s'en  débarrasser. 
Il  eut,  à  cette  fin,  avec  lui  une  entrevue  qui  fut  sans 
résultat.  Théophane,  Chronographia,  édit.  Bonn,  p.  625. 
A  en  croire  saint  Jean  Damascène,  De  imag.  oral.,  n,  12, 
et  l'auteur  de  la  Vie,  18,  le  brutal  souverain  osa  même 
souffleter  le  saint  vieillard.  Il  en  était  réduit  à  éloigner 
(  iermain,  s'il  voulait  poursuivre  son  œuvre.  Pour  voiler 
l'odieux  de  cette  mesure,  il  essaya,  avec  l'appui  du 
syncelle  Anastase,  de  le  faire  passer  pour  un  révolté, 
coupable  du  crime  de  lèse-majesté. 

Le  biographe  du  saint  nous  apprend,  n.  18,  que 
Léon  III  fit  brûler  les  écrits  que  Germain  avait 
composés  en  faveur  de  la  foi  orthodoxe,  ainsi  que  ses 
discours,  mais  il  est  tout  à  fait  fantaisiste  lorsqu'il 
nous  conte,  n.  19,  que  le  patriarche,  pour  échapper 
au  tyran,  se  retira  à  Cyzique,  dans  un  couvent  de 
femmes,  où  il  prit  le  voile  et  en  devint  méconnaissable, 
parce  qu'il  ressemblait  parfaitement  à  une  «  vieille  » 
nonne.  Peut-être,  à  cette  époque,  écrivit-il  à  Grégoire  II. 
On  ne  sait  pas  avec  certitude  non  plus  si  la  lettre  du 
pape,  P.  G.,  t.  xcvni,  col.  147-155,  le  trouva  encore 
patriarche.  En  effet,  le  17  janvier  729,  Léon  III  réunit 
au  palais  un  conseil  d'État,  silenlium,  dans  lequel 
il  chercha  encore  à  gagner  Germain.  Celui-ci,  n'espérant 
rien  obtenir  de  l'Isaurien,  donna  sa  démission  en 
faisant  sa  réponse  célèbre  :  «  Si  je  suis  Jonas,  jetez- 
moi  à  la  mer;  mais,  ô  prince,  sans  un  concile  général, 
je  ne  puis  pas  innover  en  matière  de  foi.  » 

Le  départ  de  saint  Germain  était  un  vrai  désastre  pour 
la  foi:  son  successeur,  l'ambitieux  Anastase,  approuva 
les  vues  de  l'empereur  et  l'iconoclasme  triompha  en  par- 
tie. Les  remarques  suivantes  de  M.  Hubert,  Revue  histo- 
rique, 1899,  t.  lxix,  p.  17-18,  mettront  encore  en  plus 
vif  relief  l'influence  qu'exerçait  le  saint:  «  Le  nouveau 
patriarche  étant  hérétique,  il  n'y  avait  plus  maintenant 
d'intermédiaire  entre  le  pape  et  les  catholiques  orien- 
taux. L'autorité  qu'avait  eue  Germain  passa  tout  en- 
tière à  Grégoire  II.  Le  pape  fut  son  véritable  successeur. 
L'Église  romaine  devait  devenir  le  foyer  de  la  résistance 
à  l'iconoclasme.» 

Saint  Germain,  retiré  du  pouvoir,  acheva  ses  jours 
dans  le  calme,  dans  sa  propriété  de  Platanion.  C'est 
là  sans  doute  qu'il  composa  son  traité  De  hxresibus 
cl  synodis,  à  en  juger  par  les  circonstances  dans  les- 
quelles il  se  trouvait  lorsqu'il  écrivit.  Voir  n.  43.  Il 
mourut  presque  centenaire,  disent  les  anciens  sy- 
naxaires,  donc  vers  733,  si  l'on  prend  pour  base  les 
données  de  la  première  lettre  de  Grégoire  II  à  Léon  III. 
Il  fut  enterré  au  monastère  de  Chora.  Le  synode  icono- 
claste de  754  l'excommunia  et  raya  son  nom  des 
diptyques.  Il  ne  fut  définitivement  réhabilité  qu'au 
VIIe  concile  œcuménique,  en  787. 

II.  Œuvres.  — 1°  Œuvre  historique.  —  Il  ne  reste 
de  saint  Germain,  au  point  de  vue  historique,  que 
le  traité  Des  conciles  et  des  hérésies,  P.  G.,  t.  xcvm, 
col.  40-88.  Il  ne  faut  pas  le  confondre  avec  l'opuscule 
Des  six  conciles  généraux,  qui  a  été  à  tort  attribué  à 
Germain,  voir  Ceillier,  Histoire  générale  des  auteurs 
ecclésiastiques,  t.  xn,  p.  40-41,  jusqu'à  ce  que  le  cardinal 
Mai  ait  enfin  publié,  Spieilegium  romanum,  t.  vu, 
p.  3-74,  l'ouvrage  certainement  authentique,  dont  nous 


1305 


GERMAIN 


1300 


nous  occupons  ici.  SjU  lilre  complet  est  celui-ci  : 
AÔyoç  8i7]YTi[xaTty.ô;  r.iy.  tûjv  ày!<»v  auvoBtov  xai  xtov  zatà 
xaipoùç  àvéxaOev  ~w  a7ïoa"CoXixij)  xTjp-J-fjAaTi  àvaspusiatûv 
aîpsasojv.  Il  est  dédié  au  diacre  Anthime.  En  quelques 
mots,  il  présente  les  auteurs  de  chacune  des  hérésies, 
ses  partisans,  ses  adversaires  et  les  conciles  qui  l'ont 
condamnée.  Ainsi  parle-t-il  tour  à  tour  de  Simon  le 
Mage,  3,  des  manichéens,  4,  des  monlanisles,  5,  des 
gnostiques,  6,  de  Paul  de  Samosale,  7,  de  Sabellius, 
8,  d'Origène,  9,  de  l'arianisme,  10-19,  des  pneumato- 
maques,  20-22,  des  apoliinaristes,  23,  du  nestoria- 
nisnie,  24-26,  de  l'eutychianisme,  27-35,  du  mono- 
thélisme,  30-38,  et  des  débuts  de  l'iconoclasmc,  39-42. 
Sur  cet  ouvrage,  le  cardinal  Pitra  fait  les  justes 
remarques  qui  suivent  :  Haud  prœlcrea  dissimulandum 
jam  grandœvum  scnem,  omnibus  subsidiis  destitulum, 
ac  dolentem  alienis  manibus  tradi  palriarchii  libros, 
seque  suis  spoliari,  forsan  lubricse  mémorise  induisisse 
nimium,  nequc  sanam  rerum  seriem  perpeluo  serva- 
visse.  Juris  eccles.  grœcorum  historia  et  monumcnla, 
t.  n,  p.  295.  Ces  quelques  lacunes,  bien  excusables,  vu 
les  circonstances  qui  en  sont  la  cause,  De  heeresibus 
cl  synodis,  loc.  cit.,  n.  43,  ne  nous  empêcheront  pas 
d'être  de  l'avis  du  cardinal  Mai  et  de  trouver  excellent, 
cijregium,  ce  petit  traité,  de  le  regarder  même  comme 
une  perle,  gemmula. 

2°  Œuvres  théologiques.  —  1.  Le  seul  traité  en- 
tièrement théologique  qui  ait  été  conservé,  est  le 
[Isp!  toi  opou  tt,;  ÇwïJç,  P.  G.,  t.  xcvin,  col.  89- 
132.  Encore  Photius  a-t-il  tenté  d'en  dépouiller  saint 
Germain  à  son  profit,  en  le  transcrivant  dans  la 
q.  cxlix,  ad  Amphilochium,  sans  la  moindre  mention 
d'auteur,  comme  s'il  était  sien.  Le  cardinal  Mai,  qui 
l'avait  édité,  Scriptorum  velerum  nova  collectio,  t.  i, 
p.  285-315,  découvrit  plus  tard  la  fraude  et  restitua 
l'ouvrage  à  son  propriétaire  dépossédé.  Velerum  scri- 
ptorum bibliotheca  nova,  t.  n,  p.  082.  Cet  opuscule, 
d'une  lecture  agréable  et  facile  malgré  l'élévation  du 
sujet,  est  une  justification  de  la  providence  de  Dieu 
dans  la  mort,  même  subite,  des  hommes.  La  thèse  est 
nettement  posée  dans  le  n.  2;  elle  est  conduite  avec 
méthode  et  aussi  avec  vigueur  grâce  à  la  forme  dia- 
loguée,  adoptée  dans  tout  le  développement.  Un 
rationaliste  idéal,  B,  attaque  le  dogme  par  des  objec- 
tions de  toute  sorte,  prises  dans  la  nature,  la  philosophie, 
l'Écriture  sainte,  tandis  que  le  tenant  orthodoxe  de  la 
pensée  chrétienne,  A,  le  réfute  victorieusement.  Les 
théologiens  remarqueront  surtout  les  n.  10-14,  où  le 
saint  docteur  développe  ses  vues  sur  la  prescience 
divine.  C'est  là,  sans  doute,  que  le  cardinal  Mai  a 
trouvé  des  passages  favorables  à  la  science  moyenne. 

2.  D'après  le  cardinal  Mai,  Spicilegium  roinanum, 
t.  vu,  p.  74;  P.  G.,  t.  xcvm,  col.  87,  saint  Germain, 
est  aussi  l'auteur  d'un  Commentaire  sur  Denys  l'Aréo- 
pagile,  mêlé  à  celui  de  saint  Maxime,  P.  G.,  t.  iv, 
col.  14. 

3.  Des  quatre  Lettres  dogmatiques  de  saint  Germain, 
nous  avons  déjà  analysé  les  trois  qui  concernent 
l'iconoclasme.  Il  nous  reste  à  ajouter  un  mot  sur  celle 
qu'il  écrivit  aux  Arméniens  «  en  faveur  des  décrets 
du  concile  de  Chalcédoine.  »  P.  G.,  t.  xcvm,  col. 
135-140.  Nous  n'en  possédons  qu'une  traduction 
latine,  faite  sur  le  texte  arménien  que  conservent  les 
mékhitaristes  de  Venise  et  éditée  par  Mai.  Velerum 
scriptorum  bibliotheca  nova,  t.  n,  p.  082.  L'authenticité 
de  cette  lettre  est  prouvée,  en  particulier,  par  la 
citation  qu'en  fait,  au  xne  siècle,  un  concile  de  Tarse. 
Dans  le  but  de  ramener  à  l'unité  de  l'Église  le  peuple 
arménien,  séparé  à  la  suite  du  concile  de  Chalcédoine, 
saint  Germain  s'attache  à  réfuter  l'hérésie  d'Eutychès 
par  un  exposé  très  serré  de  la  doctrine  de  Chalcédoine 
et  des  Pères,  en  particulier  de  saint  Léon.  La  réponse 
dogmatique  des  Arméniens  parut  entièrement  conforme 


à  la  vraie  foi;  aussi  furent-ils  admis  à  la  communion 
sans  plus  de  difficultés. 

3°  Œuvres  oratoires.  —  Neuf  homélies  ont  été 
éditées,  P.  G.,  t.  xcvm,  sous  la  nom  de  Germain;  sept 
se  rapportent  à  la  sainte  Vierge;  des  deux  autres, 
l'une  a  pour  sujet  la  sépulture  du  corps  de  Noire- 
Seigneur,  et  la  dernière,  la  croix  vivifiante.  Avant  d'en 
examiner  le  contenu,  il  importe  de  décider  si  vraiment 
toutes  appartiennent  à  saint  Germain,  ou  si  l'on  ne 
pourrait  pas  les  attribuer  à  Germain  II,  patriarche  de 
1222  à  1240,  ou  même  à  Germain  III,  patriarche 
pendant  trois  mois,  en  1267. 

1.  Homélies  mai  iules.  —  Ballerini,  Sylloge  monu- 
mentorum,  a  étudié  longuement  la  question  de  l'au- 
thenticité des  homélies  mariales,  et  l'a  admise  pour 
toutes.  Dans  le  c.  De  homeliis  Germano  inscriplis 
disquisilio  crilica,  Paris,  1855,  t.  i,  p.  249-2S0,  appuyé 
tant  sur  des  arguments  intrinsèques  que  sur  la  date 
des  manuscrits,  en  particulier  d'après  le  codexVaticanus 
grœcus  4ô5,  il  reconnaît  à  saint  Germain  l'homélie 
in  sanctœ  Mariée  zonam,  P.  G.,  loc.  cit.,  cul.  372;  les 
deux  homélies  sur  la  Présentation,  ibid.,  coi.  292,  309; 
les  trois  sur  la  Dormilion,  ibid.:  col.  340,  348,  300.  En 
faveur  de  ces  dernières,  la  récente  édition,  faite  par 
M.  S.  Eustradiades,  des  lettres  théolog:ques  de  Michel 
Glykas,  fournit  un  nouvel  argument  irrécusable.  MiyowjX 
Toi  FÀuxà  eîç  tÔcç  à/ïopîocç  rfjç  6s£aç  rpajpijç  xscpcéÀaia, 
Athènes,  1900,  t.  i.  Cet  écrivain  du  xnc  siècle  cite, 
dans  sa  xxne  lettre  théologique,  op.  cit.,  p.  258-272,  cha- 
cun des  trois  discours  en  question  et  les  attribue  expres- 
sément au  Oeio't<xtoç  Germain,  c'est-à-dire  évidemment  à 
Germain  Ier.  Dans  le  t.  n,  p.  285-287,  Ballerini  prouve 
aussi  que  l'une  des  deux  homélies  sur  l'Annonciation 
connues  sous  le  nom  de  Germain  doit  être  attribuée 
au  premier,  c'est  celle  qu'avait  éditée  Combefis, 
Auclarium  novum,  t.  n,  p.  14-23  et  qui  est  reproduite, 
P.  G.,  toc.  cit.,  col.  320.  Quelques  auteurs  semblent 
encore  hésiter  sur  son  authenticité  ?  Ont-ils  remarqué 
qu'elle  se  trouve  dans  un  manuscrit  du  xnc  siècle  '.' 
Cf.  II.  Omont,  Manuscrits  grecs  de  la  Bibliothiqu  : 
nationale,  Paris,  1898,  t.  m,  p.  372;  cod.  542  de  la 
bibliothèque  de  Lyon.  Cela  coupe  court  à  la  plupart 
des  difficultés  et  rend  à  peu  près  sûre  l'attribution 
proposée. 

Saint  Germain  est,  avec  saint  André  de  Crète,  un 
des  grands  témoins  du  culte  de  Marie  à  son  époque; 
il  en  fut  aussi  un  des  plus  grands  propagateurs.  Dans 
les  homélies  qui  nous  restent  de  lui,  deux  pensées 
reviennent  sans  cesse  et  semblent  être  le  pivot  de  sa 
mariologie  :  la  pureté  incomparable  de  la  mère  de  Dieu 
et  son  universelle  médiation  dans  la  distribution  des 
biens  surnaturels  aux  hommes. 

Le.  premier  point,  mis  en  relief  aussi  par  saint  André 
de  Crète,  contemporain  de  notre  saint,  est  développé 
spécialement  dans  les  homélies  sur  la  Présentation 
et  l'Annonciation.  L'Église  y  a  puisé  les  leçons  de 
l'office  de  l'Immaculée  Conception  et  à  bon  droit,  car 
si  on  n'y  trouve  pas  ce  dogme  signalé  en  propres 
termes,  il  y  est  enseigné,  sans  aucun  doute  possible, 
au  moins  d'une  manière  indirecte.  Tant  dans  des 
affirmations  positives  que  dans  d'innombrables  com- 
paraisons, Marie  y  est  exaltée  pour  sa  pureté  incom- 
parable, écartant  toute  souillure,  sans  la  moindre 
restriction  ni  pour  une  tache  quelconque,  ni  pour  un 
moment  de  son  existence.  Le  péché  originel  est  évi- 
demment exclu  aussi.  On  remarquera,  d'ailleurs,  sur 
le  nombre,  certaines  expressions  qui  serrent  de  plus 
près  le  dogme  de  l'immaculée  conception  :  par  exemple, 
dans  la  nu  homélie  sur  la  Présentation,  P.  G., 
loc.  cit.,  col.  313,  Marie  est  appelée  un  dépôt  de  Dieu. 
Tf,v  ïv.  H;oj  -ap./.7.Ta0r|i'.r;v,  confié  au  sein  d'Anne;  il 
est  inadmissible  que  le  saint  l'eût  désignée  ainsi,  s'il 
l'avait  crue  souillée  par  le  péché  au  premier  instant 


1307 


GERMAIN 


1308 


de  son  existence.  Les  homélies  sur  la  Dormition 
renferment  la  même  insinuation  :  la  mort  de  la  sainte 
Vierge  n'y  est  pas  attribuée  au  péché  originel,  seule 
cause  de  la  dissolution  des  corps,  mais  à  de  hautes 
raisons  providentielles.  Voir  la  ;rc  homélie  sur  la  Dor- 
mition, toc.  cit.,  col.  345. 

Sur  l'autre  point,  la  puissance  d'intercession  de 
Marie  et  son  rôle  de  médiatrice  universelle  dans  la 
distribution  des  biens  surnaturels,  saint  Germain 
«lépasse  tous  ses  contemporains,  même  saint  André  de 
Crète,  et  annonce  saint  Bernard,  qui  l'égalera,  peut- 
être,  sans  le  dépasser.  C'est  surtout  dans  l'homélie  sur 
la  ceinture  de  la  Vierge  et  les  deux  sur  la  Dormition 
que  Germain  se  fit  le  propagateur  de  cette  doctrine. 
Voici,  entre  bien  d'autres,  un  court  extrait,  fort 
explicite  :  «  O  mère  de  Dieu,  ton  secours  est  puissant 
dans  l'ordre  du  salut;  il  n'a  pas  besoin  de  recomman- 
dation auprès  de  Dieu...  A  penser  à  toi,  on  ne  se  lasse 
pas;  ton  patronage  est  immortel,  ton  intercession 
vivifiante,  ta  protection  continue.  Si  tu  ne  prenais 
les  devants,  il  n'y  aurait  point  d'homme  spirituel  : 
personne  n'adorerait  Dieu  selon  l'Esprit...  Personne  ne 
connaît  Dieu  que  par  toi,  ô  toute  sainte.  Personne 
n'est  sauvé  que  par  toi,  ô  mère  de  Dieu;  personne 
n'échappe  aux  dangers  que  par  toi,  ô  vierge  mère  : 
personne  n'est  racheté  que  par  toi.  »  11e  homélie  sur 
la  Dormition,  t.  xcvm,  col.  349.  Dans  la  irc  sur  la 
Dormition,  il  montre  que  Marie  reste  toujours  présente 
par  son  assistance  au  milieu  des  fidèles  qui  l'invoquent. 
Voir,  par  exemple,  col.  346. 

On  remarquera  que  dans  l'homélie  sur  l'Annonciation 
saint  Germain  adopte  l'opinion  curieuse,  commune  à 
certains  Pères  grecs,  d'après  laquelle  Marie  aurait 
conçu  Jésus-Christ,  au  moment  même  où  l'ange  la 
salua,  avant  qu'elle  eût  manifesté  son  consentement. 
Voir  M.  Jugie,  dans  Byzanlinische  Zeitschri/l,  1913, 
p.  47. 

2.  Autres  homélies.  —  Nous  n'insisterons  pas  sur 
les  deux  autres  homélies  attribuées  à  saint  Germain, 
P.  G.,  loc.  cit.,  col.  223-244,  sur  la  croix  vivifiante,  et 
col.  244-290,  sur  la  sépulture  du  corps  du  Christ:  un 
trop  grand  doute  plane  sur  elles.  On  ne  les  trouve  pas 
dans  les  manuscrits  antérieurs  au  xmc  siècle;  Gretser 
et  Combefis,  P.  G.,  loc.  cit.,  col.  243,  ont  nié  l'authen- 
ticité de  cette  dernière  en  se  basant  sur  des  critères 
internes.  Les  mêmes  arguments  ont  autant  de  valeur 
pour  la  précédente.  L'attribution  n'en  sera  certaine 
que  lorsque  auront  été  édités  tous  les  discours  de 
Germain   IL 

4°  Œuvres  liturgiques.  —  Nous  avons  déjà  signalé 
l'institution  de  l'acathiste.  Il  reste  à  ajouter  quelques 

mots    sur   Y   ln-.oyy.    ÈjocX7)aiflreTUCJ]    y.oci    ixjcîTtx.r,    Secopia, 

V.  G.,  loc.  cit.,  col.  384-454,  et  les  poésies  religieuses 
de  saint  Germain.  1.  L"IoTopîa  èxxÀTjataarixT)  /.ai 
rj.j7T.zr,  Oeajpta  est,  avec  la  MuaTaytoyio:  de  saint 
Maxime,  le  document  le  plus  important  de  cette 
époque  pour  l'histoire  de  la  liturgie  byzantine.  C'est 
un  commentaire  des  messes  orientales  de  saint  Basile, 
«le  saint  Jean  Chrysostome  et  des  Présanctifiés.  Le 
texte  donné  par  Migne  est  la  reproduction  exacte  de 
la  6e  édition,  faite  par  Galland.  Velerum  Palrum 
bibliolheca,  Venise,  1765.  Ce  traité  a  été  longtemps 
attribué  à  Germain  II,  à  cause  de  nombreuses  inter- 
polations du  xie  ou  du  xne  siècle  qui  l'avaient  rendu 
suspect.  Le  cardinal  Pitra  en  disait,  en  son  style 
énergique  :  Nonne  trium  sœculorum  sannis  vapulal 
àvKJTopizï]  historia?  Nonne  risu  perilorum  explosa 
contemplalio  nujstiea  ?  Nonne  pulidis  oppletur  sequioris 
sévi  inepliis,  non  rancidulis  fœtet  urabum  vocabulis, 
non  horret  barbarie,  quœ  vix  Germanum  Nicsenum 
decet  ?  Juris  eccl.  grœc.  historia,  t.  Il,  p.  97.  11  déses- 
pérait lui-même  de  pouvoir  discerner  jamais  dans  cette 
oeuvre  la  part  authentique  des  morceaux  interpolés, 


lorsqu'il  découvrit,  au  cours  de  ses  recherches,  un 
document  qui  rendait  possible  ce  travail,  en  servant 
en  quelque  sorte  de  «  pierre  de  touche  »,  c'est  la 
traduction  latine  du  traité  original  ou  d'un  abrégé 
de  ce  traité,  faite  par  Anastase  le  bibliothécaire 
durant  son  séjour  a  Constantinople,  en  869-870.  Ce 
précieux  manuscrit  n'a  été  édité  qu'en  1905,  par  le 
P.  S.  Pétrides,  avec  une  introduction  explicative, 
dans  la  Revue  de  l'Orient  chrétien,  t.  x,  p.  287-309, 
350-364.  Voir  P.  de  Meester,  dans  les  Chrysostomika, 
Borne,  1908,  fasc.  2",  p.  290.  L'opuscule  comprend 
lxiii  chapitres,  dont  cinq,  lv,  lvi,  lvii,  lxi,  lvii, 
empruntés  à  saint  Maxime.  Brigthman,  The  journal 
of  theological  studies,  1903,  t.  ix,  p.  218-267,  387-398, 
a  reconstitué  le  texte  môme  sur  lequel  Anastase  a 
fait  sa  traduction.  Une  lettre  du  même  Anastase  à 
Charles  le  Chauve,  éditée  par  Pétrides,  ibid.,  attribue 
formellement  le  commentaire  en  question  à  saint 
Germain,  mais  en  se  basant  uniquement  sur  la  tradition 
grecque  d'alors,  ut  Grœci  ferunt,  ut  jertur.  Si,  de  ce  fait, 
il  n'est  pas  absolument  certain  que  saint  Germain 
en  soit  l'auteur,  cela  est  du  moins  fort  probable. 

2.  Pour  ce  qui  concerne  les  poésies  religieuses  de 
saint  Germain,  nous  nous  contenterons  de  résumer  ce 
qu'en  écrit  le  cardinal  Pitra,  Juris  eccl.  grœc.  historia, 
t.  ii,  p.  296  :  Cetera  canonum  sive  canticorum  ecclc- 
siaslicorum  palœstra  est,  dit-il,  in  qua  vincit  quoque 
Germanus  et  facile  princeps  eminet.  Il  compte  sous 
le  nom  de  ce  mélode,  cent  quatre  o-ctyrjpa  et  vingt- 
deux  canons,  comprenant  au  moins  cent  soixante 
odes.  Tout  cela  est  disséminé  surtout  dans  les  menées, 
du  mois  de  septembre  au  mois  de  février,  de  juin  à 
août,  beaucoup  de  ces  poésies  sont  destinées  à  la  fête 
de  Noël.  Ces  constatations  ont  leur  importance  pour 
l'histoire  de  la  liturgie  byzantine.  Le  savant  cardinal 
en  conclut  que  les  stovrctscia  et  les  oixoi  sont  encore 
inconnus  à  Sainte-Sophie,  de  même  que  rôy.tor,yo;. 
Il  ajoute  à  cette  liste  les  œuvres  liturgiques  suivantes, 
qui  se  trouvent  dans  des  manuscrits  antérieurs  au 
xme  siècle  :  sù/â;  majorum  horarum  in  natalium  vigi- 
liis;  officium  integrum  yovuxXioiaç  in  penlecostali  cursu; 
flebilia  quiedam  troparia  in  obitu  monachorum. 

5°  Œuvres  perdues.  —  Nous  ne  possédons  pas,  il 
s'en  faut,  toutes  les  œuvres,  théologiques,  pastorales 
ou  polémiques,  composées  par  saint  Germain.  Léon  III 
fit  brûler  celles  qui  lui  tombèrent  sous  la  main.  Peut- 
être  les  autres  empereurs  iconoclastes  continuèrent- 
ils  cette  besogne  de  vandale.  Un  des  traités  qui 
avait  échappé  à  ces  tempêtes,  mais  qui  s'est  perdu 
depuis,  est  l'AvTa-oooTixo;  rj  àvoOrjTo;.  Photius  le 
connaissait  et  en  a  donné  une  analyse.  Biblioth., 
cod.  233.  L'auteur  s'y  proposait  de  prouver  que 
saint  Grégoire  de  Nysse  n'a  pas  du  tout  enseigné, 
avec  Origène,  que  les  peines  des  démons  et  des  damnés 
sont  temporelles.  Il  établissait  la  fausseté  de  cette 
théorie  origéniste  par  l'Écriture  et  par  les  témoignages 
des  Pères  et  à  ce  propos  il  justifiait  saint  Grégoire 
de  Nysse  par  diverses  citations  de  ses  écrits.  Ceillier, 
Histoire  générale  des  auteurs  sacrés  et  ecclésiastiques, 
t.  xii,  p.  40. 

En  dehors  des  œuvres  de  saint  Germain,  les  principales 
sources  à  consulter  sont  :  Bt'oç  xai  noXiTei'a  xai  ixepty.r, 
OauixaTWv  oirjYr.a-t;  toO  èv  'Ayt'oiç  llaTpô;  r,|Aà>v  l'effiavoC, 
éditée  par  A.  Papadopoulos-Kérameus,  dans  Mavpoyop- 
Si-reto;  p'.6).ioQr,Xï),  t.  n,'AvéxScT«  é/\>.r(vr.xi,  p.  1-17;  Ttic- 
|j.vr|[j.a  Tr,ç  Mapia;  xf,;  Ttou.a'.a:,  édité  par  M.  Gédéon  dans 
rEx*.Xr)<Tta<TTixT|  à).r,0eia,  1883,  t.  m,  p.  211-229;  Mansi, 
Concil.,  t.  xii,  col.  255-258;  S.Jean  Damascène,  De  ima- 
ginibus,  orat.  Et,  12,  P.  G.,  t.  xciv,  col.  1298;  les  lettres  apo- 
cryphes de  Grégoire  II  à  Léon  III  l'Isaurien,  dans  Mansi, 
Concil.,t.  Xli,  col.  959,  975;  P.  G.,  t.  Lxxxix.col.  511,  521; 
voir  à  leur  sujet  L.  Guérard,  Les  lettres  de  Grégoire  II  à 
Léon  l'Isaurien,  dans  les  Mélanges  d'archéologie  et  d'histoire, 
1890,  t.  x,  p.  44-60;  Théophane,  Chronographia,  6204-6222. 


1309 


GERMAIN 


l.ild 


passim;  Nicéphorc,  Apoleget icus  minor,  n.  3;  Menées,  dans 
Sgnaxariuin  Ecclesiœ  Constantinopolilanx,  édit.  H.  Delehay e, 
dans  Acta  sanetorum,  Bruxelles,  1902,  novembris  t.  i; 
Georges  Hamartolc,  Cedrenus,  Zonaras  en  ont  aussi  parlé; 
Baronius-Pagi,  an.  712-730,  passim;  Henschenius,  dans 
Acta  sanclorum,  1680,  maii  t.  m;  P.  G.,  t.  xcvnr,  col.  19-36; 
Fabricius,  Bibliolheca  grœca,  P.  G.,  t.  xcvm,  col.  9-18; 
Ceillier,  Histoire  générale  des  auteurs  sacrés  et  ecclésiastiques, 
Paris,  1862,  t.  xii,  p.  36-43;  Galland,  Bibliotlieca  velerum 
Patrum,  dans  P.  G.,loc.  cit.,  col.  17-18;  Le  Quien,  Oriens 
cliristianus,  1740,  col.  755,  235;  Mai,  introductions  diverses 
reproduites  P.  G.,  loc.  cit.;  Pitra,  Juris  eccl.  grœcorum 
historia  et  monumenta,  Rome,  1868,  t.  Il,  p.  295-300; 
Hefele,  Histoire  des  conciles,  trad.  Leclercq,  Paris,  1910, 
t.  m,  1.  XVIII,  c.  i,  n.  352;  M.  Gédéon,  IIocTpiapxtxoï 
nivxv.it;,  Constantinople,  1890,  p.  255-258;  Kruinbacher, 
Gescliichle  der  byzantinische  Littcratur,  1897,  p.  66-67; 
Pargoire,  L'Église  byzantine  de  527  à  847,  Paris,  1905, 
p.  254,  370;  Bollandistes  Bibliolheca  hagiographica  grœca, 
Bruxelles,  1909,  p.  97.  Voir  aussi  l'art,  de  M.  Barbier  de 
Montault,  dans  la  Revue  de  l'art  chrétien,  1892,  p.  233, 
et  les  encyclopédies  :  Kirchenlexikon,  art.  de  Fechtrup, 
1830;  Dictionarg  of  Christian  biography,  1880;  Bogoslovs- 
kaia  entsiclopedia,  art.  de  M.  Sokolof,  1903;  J.  Andreef 
a  publié  sur  saint  Germain,  dans  le  Bogoslovskii  ï'eslnik, 
une  étude  d'ensemble,  qui  a  paru  en  volume,  S.  German, 
patr.  Constant.  (715-730),  in-8°,  Moscou,  1898,  et  a  été 
plus  tard  unie  à  une  autre  étude  sur  saint  Taraise,  dans 
Germani  Tarasii,  patriarchi  Constanlinopolskie,  Moscou, 
1907. 

F.  Cayré 

2.  GERMAIN,  patriarche  de  Constantinople  (1222- 
1240),  est  célèbre  par  sa  résistance  aux  latins  et  par 
ses  homélies.  Il  naquit  à  Anaplous  sur  le  Bosphore. 
Il  était  diacre  de  Sainte-Sophie,  au  moment  de  la 
prise  de  Constantinople  par  les  Francs,  en  1204.  Il  se 
retira  alors  dans  un  monastère,  jusqu'à  ce  qu'en  1222, 
Jean  III  Vatacès,  empereur  grec  de  Nicée  (1222-1254), 
l'en  tirât  pour  en  faire  un  patriarche  «  œcuménique  », 
en  résidence  à  Nicée.  C'est  dans  cette  ville  qu'il  mourut. 
1240,  et  fut  enterré.  Son  fanatisme  antilatin,  autant 
que  les  miracles  opérés  sur  son  tombeau,  lui  a  valu 
d'être  mis  sur  les  autels  par  les  grecs. 

Sous  son  pontificat  eurent  lieu  certaines  tentatives 
de  rapprochement  avec  Rome;  ce  fut  même  lui  qui  en 
eut  l'initiative.  En  1232,  en  eiîet,  à  l'instigation  de  l'em- 
pereur, Jean  Vatacès,  qui  craignait  pour  ses  États,  il 
feignit  de  vouloir  opérer  l'union  de  l'Église  grecque 
à  l'Église  latine,  et  écrivit  au  pape  Grégoire  IX.  une 
lettre,  assez  impertinente  d'ailleurs,  en  faveur  de 
l'entente  des  deux  Églises.  Mansi,  Concil.,  t.  xxm, 
col.  245.  Une  autre  épître,  adressée  en  même  temps 
aux  cardinaux,  exaltait  la  grandeur  de  l'Église  grec- 
que. Raynaldi,  an  1232,  p.  50.  Quoique  Jroissé,  le  pape 
accepta.  Sa  lettre,  ferme  mais  très  digne,  faisait 
entendre  qu'il  enverrait  bientôt  des  ambassadeurs. 
Mansi,  loc.  cil.,  col.  55.  Ils  vinrent  en  effet,  en  1234,  et 
curent  avec  les  grecs,  à  Nicée  d'abord,  puis  à  Nymphée, 
près  de  Smyrne,  sept  colloques  qui  furent  absolument 
inutiles.  On  se  sépara  en  se  jetant  mutuellement 
l'analhème.  Hefele,  H isloirc  des  conciles,  trad.  Leclercq, 
Paris,  1913,  t.  v,  p.  15G5  sq.  On  trouvera  dans 
Mansi,  loc.  cit.,  col.  277-307,  les  Actes  de  ce  concile. 
Ils  se  terminent  par  une  profession  de  foi  du  patriarche 
et  de  son  synode,  col.  307-319.  Il  existe  aussi  de  la 
même  époque,  sur  la  même  question,  un  autre  acte 
patriarcal  et  synodal  fort  intéressant,  édité  à  Vienne 
en  1796,  avec  le  Xpovixôv  rswpyioj  xo\>  <PpavrÇfj,  et 
intitulé  :  'A7:âvT7]atç  r.pôç  tijv  ToiauTT]v  ôfAoXoytav  toù' 
r.xr.r.x  rpï)Y<>ptoo  y.xl  jcpôç  tobç  û-'  èxetvou  oraXévTaç 
$pê[iivoupioy;  (frères  mineurs)  xat  toù;  Xoi-oùç  r.tpl  xrj; 
EXKOpeuaewç  to3  IlvrJ[j.aio;  âyiou. 

Depuis  lors,  Germain  put  montrer  sans  feinte  son 
vrai  caractère  et  lutta  avec  ardeur  contre  l'envahis- 
sement latin.  II  reste  quatre  lettres,  comme  témoins 
de  ses  efforts.  L'une  est  adressée  au  patriarche  latin 
de  Constantinople;  Démétracopoulos  en  a  édité  une 


partie.  'OpGdSoFoç  'EXXâ;,  Leipzig,  1872,  p.  40-43. 
Le  même  auteur,  ibid.,  p.  39-40,  résume  une  autre 
lettre  du  patriarche  adressée  aux  moines  du  couvent 
de  «  La  Pierre  »,  près  des  Blachernes,  pour  les  féliciter 
de  leur  résistance  aux  latins,  et  les  encourager  à  avoir 
toujours  la  même  horreur  des  innovations  occidentales 
sur  le  Filioque,les  azymes,  le  purgatoire,  etc.  Les  deux 
autres  lettres  ont  été  éditées  par  Cotelier,  Monumenta 
Ecclesiœ  greecœ,  t.  m,  et  sont  reproduites  clans  Migne, 
loc.  cit.,  col.  001-622.  Elles  sont  adressées  aux  fidèles 
de  Chypre,  alors  soumis  à  la  domination  franque  des 
Lusignan.  L'une  règle  les  rapports  avec  les  clercs 
latins  et  l'autre  prend  des  mesures  contre  ceux  qui 
ont  accepté  de  se  soumettre  au  pape. 

Non  content  de  combattre  le  latinisme  sur  le 
terrain  pratique,  Germain  II  ne  dédaigna  pas  de  le 
poursuivre  jusque  dans  le  domaine  thôologique. 
Allatius,  De  consensione,  p.  712,  énumère  un  certain 
nombre  de  traités  que  le  patriarche  composa  contre 
les  hérésies  latines,  et  dont  on  devine  immédiatement 
les  titres  :  Sur  la  procession  du  Saint-Esprit;  Des 
a:ymcs;  Du  jeu  du  purgatoire;  Du  baptême.  Ils  sont 
encore  inédits  et  cela  n'est  guère  à  regretter,  à  en 
juger  par  ce  que  nous  connaissons  et  dont  Le  Quien 
a  écrit  :  «  Il  reste  de  lui  quelques  opuscules  si  vides 
et  si  fades  qu'il  n'a  presque  rien  été  publié  de  pire 
par  des  grecs,  »  et  ce  n'est  point  peu  dire. 

L'œuvre  la  plus  considérable  de  Germain  II  est 
oratoire.  Le  manuscrit  de  Coislin  278  contient  de  lui 
quarante-six  homélies  et  six  catéchèses.  Fabricius 
en  donne  le  sujet  et  les  premiers  mots.  Huit  seulement 
ont  été  éditées.  On  en  trouvera  sept,  P.  G.,  t.  cxl, 
col.  601-755.  Dans  ce  nombre,  on  en  comprend  deux 
qui  ont  été  parfois  attribuées  à  saint  Germain  Ier  et 
ont  été  insérées  dans  ses  œuvres  :  ce  sont  les  homélies 
sur  l'adoration  de  la  croix,  P.  G.,  t.  xcviii,  col.  221,  et 
sur  la  sépulture  du  corps  du  Christ,  ibid.,  col.  243. 
Quoiqu'on  ne  puisse  l'aflirmer,  il  est  très  vraisemblable 
que  c'est  Germain  II  qui  en  est  l'auteur,  à  en  juger 
d'après  le  titre,  le  style,  le  sujet  et  l'âge  des  manuscrits. 
L'homélie  prononcée  contre  les  Bogomiles,  sur  l'exal- 
tation de  la  croix,  loc.  cit.,  col.  621,  a  un  certain  intérêt 
historique,  surtout  si  on  la  complète  par  VEpislula 
ad  Constantinopolitanos  contra  Bogomilos  du  même 
auteur,  que  M.  Ficker  vient  d'éditer  dans  son  livre 
Die  Phundagiagiten,  Leipzig,  1908,  p.  115-125.  Balle- 
rlni,  qui  a  édité  l'homélie  sur  l'Annonciation,  P.  G., 
loc.  cit.,  col.  677,  l'attribue  à  Germain  II  par  des 
arguments  assez  probants.  Sijllogc  monumcnlorum, 
Paris,  1857,  p.  285-295.  Les  autres  discours,  publiés 
dans  Migne,  sont  les  suivants  :  Sur  la  croix,  col.  643- 
659;  Sur  les  images,  col.  659-676;  Sur  les  saints  inno- 
cents, col.  736-758.  Avant  de  porter  un  jugement  d'en- 
semble sur  l'œuvre  oratoire  de  Germain  II,  il  paraît 
prudent  d'attendre,  avec  Ehrliard,  qu'un  plus  grand 
nombre  d'homélies  aient  été  publiées.  Dans  l'homélie 
sur  l'Annonciation,  il  enseigne  assez  clairement  le 
dogme  de  l'immaculée  conception. 

Nous  nous  contenterons  de  signaler  quelques  actes 
d'ordre  canonique,  sans  grande  importance,  concernant 
certains  monastères.  Miklosich-Miiller,  Acta  patr.,  t.  i, 
p.  87;  Acta  monasl.,  t.  r,  p,  298-303;  Rhalli-Potli, 
i]'jvtay[xa  Uftov  xavo'vcov,  t.  v,  p.  106-113.  C'est 
sous  son  patriarcat  que  Jean  III  Vatacès,  par  un 
chrysobulle  de  1228,  prit  des  mesures  nouvelles  pour 
conserver  aux  églises  les  biens  des  prélats  défunts. 
Rhalli-Potli,  loc.  cit.,  p.  324-325.  Une  recension 
nouvelle,  avec  une  étude  préparatoire,  a  été  faite  de 
cette  encyclique  par  M.  Jules  Nicole,  Revue  des  éludes 
grecques,  1894,  t.  vu,  p.  68-80. 

Nicéphore  Calliste,  Catalogus,  P.  G.,  t.  cxlvii,  col.  465; 
Éphrem  le  Chronographe,  Cœsares,  P.  G.,  t.  cxliii,  col.  373  ; 
Georges  l'Acropolite;  Allatius,  De  consensione,  1648,  p.  300, 


1311 


GE  RM/UN  -  GÉROGH 


1312 


50S,  712;  Le  Quien,  Oricns  chrislianus,  Paris,  1740,  col.  278- 
279,  reproduit  dans  /'.  G.,  t.  cxl,  col.  593-594;  Fabricius, 
Bibliotheca  grœca,  édit.  Harles,  t.  xi,  p.  162-171,  reproduit 
dans  P.  G.,  t.  cxl,  col.  593-602;  Démétracopoulos,  Grsecia 
orthodoxa,  1872,  p.  38-43;  Sathas,  Bibliotheca  grœca  mcd., 
Constant inople,  1873,  t.  n,  p.  5;  M.  Gédcon,  1  laTptap-/xol 
7tîvaxEç,  Constantinople,  1890,  p.  383-387;  Krumbacher, 
Gcschichte  der  byz.  Literatar,  1897,  p.  174;  Hcfele,  Histoire 
des  conciles,  trad.  Leclercq,  Paris,  1913,  t.  v,  p.  1565  sq.  ; 
Fcchtrup,  Kirchcnlexikon,  Fribourg,  18S8;  Sokolof,  Bogos- 
lovskaia  entsiclopedia,  Saint-Pétersbourg,  1903.  Voir  plus 
haut,  t.  ni,  col.  138S. 

F.  Cayré. 
GERMON  Barthëlemi,    jésuite   français,  né  à  Or- 
léans  le  17  juin  1GG3,  admis   au   noviciat   le   31    dé- 
cembre 1G79,  professa  les  humanités,  la  rhétorique  et 
la  philosophie  à  Orléans  avec  une  grande  réputation 
de    science,    tout    en    s'adonnant    à    des    études   fort 
approfondies,  mais  trop  peu  méthodiques  parfois,  de 
paléographie  et  de  critique  historique.  Lorsque  parut 
l'ouvrage  d'Adrien  Baillet,  De  la  dévotion  à  la  sainte 
Vierge  et  du  culte  qui  lui  est  dû,  Paris,  1693,  le  P.  Ger- 
mon intervint  aussitôt,  au  nom  de  la  théologie  et  de 
l'histoire,   pour  relever  les   interprétations   inexactes 
des  textes  et  des  faits  dans  son  livre  :  Trois  lettres  du 
P.   Germon  d'Orléans,  jésuite,  à  M.  Hideux,  curé  des 
Saints-Innocents,  sur    l'approbation  qu'il  a  donnée  au 
nouveau  livre  de  la  dévotion  à  la  sainte  Vierge,  1G93. 
11  lit  preuve  également  d'une  érudition  déjà  sûre  dans 
la  Remontrance  chrétienne  à  l'auteur  de  la  traduction  des 
homélies  de  S.  Chrysoslome,  s.  1.,   1693.  L'auteur  de 
cette  traduction  en  sept  volumes  était  Nicolas  Fon- 
taine, qui  accueillit  d'ailleurs  les  observations  qui  lui 
étaient    faites,  notamment    sur    quelques    passages 
relatifs  à  l'exégèse  de  l'Épître  aux  Hébreux.  Une  lutte 
plus  vive  s'engagea  à  propos  de  l'Histoire  des  congré- 
gations De  auxiliis  publiée  par  le  P.  Serry,  dominicain, 
sous  le  pseudonyme  de  l'abbé  Le  Blanc.  Le  P.  Germon, 
qui  avait  la  partie  belle,  entra  en  lice  par  sa  Lettre  à 
M.  l'abbé  ***  Sur  la  nouvelle  histoire  des  disputes  De 
auxiliis   qu'il  prépare,   Liège,    1698.    Le   P.    Serry  se 
défendit  vigoureusement  dans  une  brochure  publiée 
deux  ans  plus  tard.  Mais  le  P.  Germon,  s'en  tenant  aux 
faits  et  aux  textes,  lui  opposa  coup  sur  coup  deux 
ouvrages  décisifs  :   Questions  importantes  à  l'occasion 
de  la  Nouvelle  histoire  des  congrégations   De    auxiliis, 
Liège,   1701   (cf.   Mémoires  de   Trévoux,  juillet   1701, 
p.  118-124;  mai  1702,  p.  17-22)  et  Errata  de  l'Histoire 
des    congrégations    De    auxiliis    composée   par    l'abbé 
Le    Blanc,    et    condamnée    par    V Inquisition    générale 
d'Espagne,  Liège,  1702,  où  le  savant  critique  n'eut  pas 
de  peine  à  mettre  dans  son  plein  jour  la  vérité.  Cf.  Jour- 
nal îles  savants,  1702,  p.  428-433;  Mémoires  de  Trévoux, 
juin  1702,  p.  133-140;  Acla  cruditorum,  1702,  p.  442- 
449.  Le  P.  Germon  fut  moins  heureux  dans  la  polé- 
mique  engagée   a   propos    du    De  rc   diplomalica   de 
Mabillon,   malgré    les    incontestables   qualités   d'éru- 
dition   et  de   pénétration    qu'il    déploya    dans    cette 
longue  et  ardente  controverse  inaugurée  par  sa  pre- 
mière   dissertation,    De    velcribus    regum    Francorum 
diplomatibus  et  arle  secernendi  anliqua  diplomaia  vera 
a  falsis,  Paris,  1703  (cf.  Mémoires  de  Trévoux,  janvier 
1701.  p.   107-119;  Journal  des  savants,    janvier    1704, 
p.  3  sq.),  suivie  de  la  Disccplcdio  secunda,  Paris,  1706. 
Les  savants  prirent  parti  pour  et  contre.  Mais  la  diplo- 
matique  bénédictine  eut  pour  elle  les  suffrages  les 
plus  autorisés,  ceux  de  l'abbé  Fontanini,  professeur 
d'éloquence  à  Rome,  de  l'abbé  Lazzarini,  de  Giatti, 
jurisconsulte    de    Plaisance.  Dom  Coustant  intervint 
sur  la  question  des  manuscrits  de  saint  Augustin,  et 
dom    Ruinart   sur  les   principes   de  la   diplomatique. 
Le    P.    Germon    publia    de    nouvelles    Disceptaliones, 
Paris,  1707,  et  un  curieux  ouvrage  :  De  velcribus  hœre- 
ticis  ccclesiasticorum  codicum  corruptoribus,  Paris,  1713, 
et  se  retira  de  la  discussion,  fortement  ébranlé,  semble- 


t-il,  par  les  raisons  de  ses  adversaires.  Une  lutte  plus 
grave  et  plus  âpre  s'engageait  alors  dans  l'Église 
même  à  propos  de  la  bulle  Unigenilus.  Le  P.  Germon 
crut  plus  utile  de  tourner  ses  armes  contre  les  jansé- 
nistes. Des  divers  travaux  entrepris  par  lui  dans  ce 
but,  il  ne  reste  qu'un  Traité  théologique  sur  les  101 
propositions  énoncées  dans  la  bulle  Unigenilus,  publié 
après  sa  mort,  Paris,  1722.  Le  P.  Germon  mourut  à 
Orléans  le  2  octobre  1718. 

Jac.-Ph.  Lallemant,  Histoire  des  contestations  sur  la 
diplomatique,  Paris,  1708;  C.  Beretti,  Istoria  délia  guerra 
diplomatica.  Milan,  1729;  J.  P.  Ludwig,  De  bellis  diploma- 
licis,  Paris,  1708;  J.  P.  Ludwig,  De  bellis  diplomalicis  in 
Gallia  excitatis,  Leipzig,  1720;  J.  Selnvabe,  Kurze  Erzàh- 
lungcn  der  Streiligkeilen  iiber  die  alten  Urkunden,  Meidelberg, 
1785;  Journal  des  savants,  1713,  p.  209-219;  Mémoires 
de  Trévoux,  1713,  p.  795-817;  1716,  p.  989-998;  P.  Daniel, 
Histoire  de  France,  Paris,  1755,  t.  i,  p.  clxxxv  sq.;  Som- 
mervogel,  Bibliothèque  de  la  C"  de  Jésus,  t.  m,  col. 
1351-1357. 

P.  Bernard. 
GÉROCH,  né  à  Polling  (Bavière)  en  1093,  après 
avoir  fréquenté  diverses  écoles  d'Allemagne,  fut  mis 
par  l'évêque  d'Augsbourg  à  la  tète  de  l'école  de  son 
Église.  Il  prit  tout  d'abord  rang  parmi  les  défenseurs 
des  droits  du  pontife  romain  et  les  promoteurs  de  la 
réforme  ecclésiastique.  II  censura  courageusement  les 
mœurs  du  clergé,  au  milieu  duquel  il  vivait,  et  il  se 
sépara  de  l'évêque  Hermann,  qui  soutenait  l'empereur 
Henri  V  et  son  antipape  Bourdin  contre  Calliste  II. 
Il  dut  se  retirer  à  Reitenbuch,  monastère  de  chanoines 
réguliers  du  diocèse  de  Ratisbonne.  Il  fut  nommé 
en  1132  prévôt  de  la  collégiale  régulière  de  Reiches- 
perg,  fonction  qu'il  remplit  jusqu'à  sa  mort  (1169). 
Ce  fut,  en  Allemagne,  un  émule  de  saint  Bernard, 
travaillant  à  la  réforme  ecclésiastique  et  à  la  défense 
du  Saint-Siège  par  son  action  personnelle  et  par  ses 
écrits.  Eugène  III  et  ses  successeurs  lui  témoignèrent 
une  grande  confiance.  Il  entreprit  plusieurs  fois  le 
voyage  de  Rome.  Le  cardinal  légat  Gui  se  fit  accom- 
pagner par  lui  dans  sa  mission  en  Allemagne  (1143). 
Les  empereurs  le  trouvèrent  toujours  hostile  à  leurs 
entreprises  schismatiques. 

Géroch  fut  l'un  des  écrivains  les  plus  féconds  de 
son  temps.  Ses  écrits  relatifs  aux  conflits  entre  les 
empereurs  et  les  souverains  pontifes  ont  été  réédités 
parSackur  dans  les  Libelli  de  lile  imperatorum  cl  pon- 
tificum  sœeulis  si  et  xii  eonscripti,  Hanovre,  1897,  t.  in, 
p.  136-525,  des  Monumcnta  Germanise  liislorica.  Ce 
sont  des  extraits  du  Liber  de  œdificio  Dci  ;  Epislola 
ad  Innoccnlium  sur  le  clergé  séculier  et  régulier;  I.iber 
de  simoniacis  ou  De  eo  quod  princeps  hujus  mundijam 
judicatus  est  ;  De  ordinc  donorum  Spirilus  Sancti  ; 
Contra  duas  hœreses  ;  De  novilalibus  hujus  temporis  ; 
De  invesligatione  Anlichristi  ;  De  gloria  et  honore  Filii 
hominis  ;  Opusculum  ad  cardinales;  De  quarla  vigilia 
noclis  ;  des  extraits  du  Comment,  in  ps.  i  \n.  Le  recueil 
complet  de  ses  œuvres  se  trouve  P.  L.,  t.  cxcin,  exciv. 
Ce  sont,  outre  les  travaux  cités  déjà,  ses  lettres,  son 
Comenlarius  aureus  in  psalmos  et  canlica  jerialia;  son 
commentaire  du  ps.LXiv  est  traité  avec  plus  d'ampleur; 
il  est  devenu  le  Liber  de  corruplo  Ecries ise  statu,  dédié 
au  pape  Eugène  III.  On  lui  doit  encore:  Epislola  ad 
Eberhardum,  episcopum  Bambergensem  sur  l'égalité 
du  Père  et  du  Fils;  Opusculum  de  gloria  et  honore 
Filii  hominis;  Beatorum  abbalum  Formbacenseium 
Berengeri  et  Wirntonis,  ordinis  sancti  Bcnedicli,  Vitse. 
L'auteur  de  la  Chronique  de  Reichersperg,  publiée 
par  Ludwig  dans  sa  Bibliotheca  historica  medii  œvi, 
lait  connaître  les  services  que  Géroch  a  rendus  à  son 
monastère  et  ses  efforts  pour  la  restauration  de  la 
discipline  religieuse. 

Noble    Gerhoh  im   Reichersperg-  Lin   Bild  ans  dem  Lcben 


1313 


GEROCH 


GERSON 


1314 


des  Kirche  im  Ml  Jahrhundert,  in-8°,  Leipzig,  1881  ; 
Potthast,  Bibliotheca  hislorica  medii  œvi,  t.  i,  p.  502-503; 
dom  Ceillier,  Histoire  générale  des  auteurs  ecclésiasti(iues, 
2°  édit.,  Paris,  1S63,  t.  xiv,  p.  627-033;  Realencyclopàdie 
fur  protestanlische  Théologie  und  Kirche,  t.  VI,  p.  505-568 
(avec  bibliographie);  The  calholic  cncgclopedia,  New  York, 
1900,  t.  vi,  p.  472  (avec  bibliographie). 

J.  Besse. 
GERSON  (Jean    le  Charlier  de).  —  I.  Biographie. 

II.  Ses  opinions  sur  le  pape,  le  concile  et  la  hiérarchie 
ecclésiastique;     son    rôle    au    concile    de    Constance. 

III.  Sa  théologie  morale.  IV.  Sa  théologie  mystique. 
V.  Sa  prédication. 

I.  Biographie.  —  Jean  le  Charlier  dit  de  Gerson 
naquit  le  14  décembre  1303  au  hameau  aujourd'hui 
détruit  qui  portait  autrefois  ce  nom,  et  qui  dépendait 
du  village  de  Barby,  dans  le  diocèse  de  Reims,  non 
loin  de  Rethel  (Ardcnnes).  Son  père  s'appelait  Arnauld 
et  sa  mère  Elisabeth  la  Chardenière  :  tous  deux 
étaient  en  excellent  renom  de  foi  et  de  piété.  Ils  eurent 
douze  enfants  et  Jean  en  était  l'aîné.  Il  fréquenta  les 
écoles  de  Rethel,  puis  de  Reims,  et  entra  à  quatorze 
ans  (1377)  au  fameux  collège  de  Navarre  à  Paris. 
Il  y  connut  le  futur  évèque  de  Genève,  Jean  Courte- 
cnissc,  son  contemporain,  un  peu  plus  âgé  que  lui. 
Bibliothèque  de  l'École  des  chartes,  1904,  p.  471. 
II  eut  comme  condisciples  le  futur  cardinal  Pierre  de 
Luxembourg  et  l'humaniste  Nicolas  de  Clémangis,  qui 
étaient  plus  jeunes  de  quelques  années.  Ses  maîtres 
furent  Laurent  de  Chavanges,  Gilles  des  Champs  qui 
fut  aussi  honoré  de  la  pourpre,  et  surtout  le  célèbre 
Pierre  d'Ailly,  de  Compiègne,  dont  il  suivit  les  cours 
pendant  sept  ans  et  dont  il  resta  toujours  l'ami  dévoué. 
D'Ailly  assistait  parfois  à  ses  leçons  et  il  l'appelle  son 
vénérable  et  très  cher  compagnon.  Scrnio  foetus  in  sy- 
nodo  Cameraccnsi  ;  Tractatus  et  sermones.  De  son  côté, 
Gerson  lui  dédia  son  livre  intitulé  :  De  vita  spiriluali 
anima'.  Opéra,  t.  m,  col.  3,  et  lui  adressa  parfois  des 
vers  latins.  Ibid.,  I.  iv,  col.  789.  Il  le  nomma  en  plein 
concile  de  Reims  son  illustre  et  vénéré  maître  (1408) 
et  au  concile  de  Constance  (1416)  son  incomparable  pro- 
fesseur. Jean  Gerson  fut  promu  licencié  es  arts  sous 
maître  Jean  Loutrier  en  1381;  baccalarius  biblieus  en 
1388,  il  lut  les  Sentences  en  1390  et  devient  licencié 
en  1392.  Il  fut  promu  au  doctorat  en  théologie,  à 
l'âge  de  31  ans,  en  1394.  Cf.  Denifle,  Chartularium  uni- 
versilalis  Parisiensis,  t.  ni,  p.  454.  Dès  avant  son  doc- 
torat, il  avait  composé  plusieurs  écrits.  En  1387,  il 
prêcha  devant  le  pape  Clément  VII  d'Avignon,  pour 
provoquer  la  condamnation  du  dominicain  Jean  de 
Monteson  qui  niait  l'immaculée  conception  de  la  sainte 
Vierge.  Monteson  fut  condamné  en  effet  et  l'Aima 
mider  décida  de  rejeter  de  son  sein  les  frères  prê- 
cheurs qui  refuseraient  de  confesser  cette  vérité  qui 
est  aujourd'hui  un  dogme.  Notre  docteur  pense  que 
cette  sentence  prononcée  contre  les  dominicains  fut 
trop  dure  :  «  Dieu  sait,  dit-il,  et  je  l'ai  plus  d'une 
fois  montré,  que  je  ne  déteste  point  les  mendiants  et 
que  je  n'ai  point  voulu  leur  destruction.  »  Et  dans  une 
épître  adressée  aux  élèves  de  Navarre,  il  réprouve  la 
sévérité  de  l'université  dans  cette  occasion,  Opéra, 
t.  i,  p.  129;  il  regrette  aussi  les  pertes  que  la  science 
et  l'influence  de  l'université  ainsi  que  la  vertu  des 
étudiants  ont  faites  par  suite  de  l'absence  forcée  des 
dominicains  qui  ne  rentrèrent  en  grâce  qu'en  1403. 

Il  prononça  peu  après  le  panégyrique  de  saint 
Louis,  roi  de  France,  et  lit  ainsi  ses  débuts  dans  sa 
carrière  d'orateur  qui  devait  être  si  brillante.  11  avait 
conquis  le  doctorat  depuis  un  an  lorsque  son  maître 
Pierre  d'Ailly  fut  nommé  évêque  du  Puy  (1395). 
Sur  la  proposition  du  jeune  prélat,  Gerson  fut  choisi 
par  Benoît  XIII  pour  lui  succéder  dans  le  poste  éma- 
nent de  chancelier  de  Notre-Dame  et  de  l'université 
(13  avril).  C'est  à  partir  de  cette  date  qu'il  commença 

DICT.    DE  THÉOL.  CATHOL. 


à  s'occuper  d'une  manière  très  active  de  l'extirpation 
du  schisme  qui  divisait  depuis  dix-sept  ans  l'Église 
en  deux  parties  ennemies  et  numériquement  presque 
égales.  Ami  de  la  paix  et  de  l'union,  il  professa  tou- 
jours à  l'égard  du  pontife  de  Rome  et  de  celui  d'Avi- 
gnon des  opinions  très  modérées.  En  mainte  occasion, 
il  sut  montrer  sa  vive  répugnance  pour  les  procédés 
violents  préconisés  par  certains  membres  de  l'univer- 
sité. Noël  Valois,  La  France  el  le  grand  schisme,  t.  ni, 
p.  71,  180.  Aumônier  du  duc  de  Bourgogne,  il  fut 
nommé  doyen  de  l'église  de  Saint-Donatien  à  Bruges. 
Gerson  y  demeura  pendant  quatre  ans  (1397-1401)  et  il 
écrivit  à  cette  époque  le  traité  remarquable  intitulé  : 
Senlentia  de  modo  se  habendi  lemporc  schismatis. 
Schwab,  Johanncs  Gerson,  p.  97,  152. 

Dans  les  discussions  souvent  orageuses  de  ce  temps 
si  troublé,  le  théologien  trouvera  peu  de  propositions 
pratiques  où  se  rencontrent  plus  de  fermeté  doctrinale 
et  plus  de  sérénité  d'âme.  Voilà  pourquoi  il  nous 
semble  utile  de  résumer  les  points  fondamentaux 
sur  lesquels  Gerson  émet  son  avis,  salvo  semper  in 
omnibus  superiorum  et  sapicnliorum  judicio  :  «  Dans  le 
présent  schisme,  écrit-il,  en  une  matière  si  douteuse 
il  est  téméraire,  injurieux  et  scandaleux  d'affirmer 
que  tous  ceux  qui  sont  attachés  à  tel  ou  tel  parti,  ou 
tous  ceux  qui  veulent  absolument  rester  neutres,  sont 
hors  de  la  voie  du  salut,  excommuniés  ou  suspects 
de  schisme.  Il  est  licite  et  même  prudent  de  prêter 
obéissance  à  tel  ou  tel  pape,  mais  sous  condition  tacite 
ou  expresse.  Il  est  téméraire,  scandaleux  et  sapiens  hœre- 
sim  d'affirmer  que  les  sacrements  de  l'Église  n'ont  pas 
leur  efficacité  au  sein  du  parti  contraire,  que  chez  nos 
adversaires  les  prêtres  ne  sont  pas  ordonnés,  les  enfants 
ne  sont  pas  baptisés  et  l'eucharistie  n'est  pas  consacrée. 
Dans  ce  schisme,il  est  téméraire  et  scandaleux  d'affirmer 
qu'il  n'est  point  permis  d'ouïr  la  messe  des  dissidents  et 
de  recevoir  les  sacrements  de  leurs  mains.  Il  serait 
plus  utile,  plus  juste  et  plus  sûr  de  chercher  l'unité 
de  l'Église  en  agissant  sur  les  deux  compétiteurs  à  la 
papauté,  soit  en  employant  la  voie  de  cession,  soit 
celle  de  soustraction  d'obédience,  soit  tout  autre 
moyen  légitime  de  coaction.  A  quoi  sert  de  vexer  et 
de  troubler  les  âmes  par  l'excommunication  ou  autre- 
ment? A  quoi  bon  rejeter  opiniâtrement  une  partie 
des  chrétiens  de  la  communion  de  l'autre?  »  Opéra, 
t.  n,  p.  3.  D'Ailly,  son  maître,  qui  venait  d'être  nommé 
évêque  de  Cambrai  et  qui  avait  été  témoin  des  mêmes 
excès,  partageait  tout  à  fait  son  avis  et  il  s'en  expli- 
qua plus  tard  à  plusieurs  reprises.  Discours  du  11  dé- 
cembre 1406  au  concile  de  Paris,  dans  Bourgeois  du 
Chastenet,  Nouvelle  histoire  du  concile  de  Constance, 
p.  153  sq.,  et  Apologia  concilii  Pisani  (1412),  dans 
Tschackert,  Peter  von  Ailli,  appendix,  p.  31. 

En  1398,  Gerson  ne  vota  pas  la  soustraction  d'obé- 
dience à  l'égard  du  pape  d'Avignon  pour  lequel 
l'Église  de  France  s'était  dès  l'abord  déclarée.  Il  fut 
un  des  premiers  à  démontrer  que  Benoît  ne  devait 
pas  être  considéré  comme  hérétique  ou  schismatique 
et  qu'il  n'était  nullement  à  propos  d'entamer,  de  ce 
chef,  une  action  contre  lui.  Opéra,  t.  n,  passim.  Par 
suite,  il  réclama  énergiquement  la  restitution  d'obé- 
dience, c'est-à-dire  la  cessation  de  cet  état  anormal 
qui  constituait  un  schisme  dans  un  schisme.  Cette 
attitude  conciliatrice,  très  conforme  à  son  caractère, 
lui  attira  alors  et  plus  tard  bien  des  rancunes  peu 
dissimulées. 

Après  la  restitution  d'obédience  et  le  concordat  du 
30  mai  1103,  Gerson,  revenu  de  Bruges,  célébra  dans 
un  sermon  enthousiaste  la  cessation  partielle  du 
schisme,  le  triomphe  des  projets  d'union  et  la  fin  de 
ces  longues  querelles,  trop  semblables,  disait-il,  aux 
luttes  légendaires  entre  guelfes  et  gibelins.  Dans  son 
discours  du   4   juin,   il  compare  Benoît  à   Antée   qui 

VI.  —  42 


1315 


GERS ON 


1316 


reprend  de  nouvelles  forces  en  touchant  la  terre  sa 
mère  :  «  Ainsi,  poursuit-il,  le  pontife  d'Avignon,  au 
rude  contact  de  l'épreuve,  apprendra  l'humilité  et  la 
douceur.  Par  l'exercice  de  ces  deux  vertus,  il  luttera 
contre  le  schisme  et  le  fera  bientôt  disparaître.  »  Le 
bon  chancelier  a  le  privilège  des  assimilations  singu- 
lières. Plus  tard  (9  novembre),  il  comparera  Benoît, 
évadé  d'Avignon,  à  Jouas  sortant  du  sein  de  la  baleine. 
Il  ne  nous  paraît  pas  encore  connaître  à  fond  l'homme 
dont  il  se  fait  le  panégyriste  outré,  et  il  se  montre  ici 
prophète  peu  clairvoyant. 

En  récompense  de  son  dévouement,  le  souverain 
pontife  le  nomma  curé  de  Saint-Jean-en-Grève  à 
Paris,  et  unit  cette  charge  à  son  office  de  chancelier. 
Malheureusement,  cette  bonne  entente  entre  Paris 
et  Avignon  ne  devait  pas  durer,  et  les  belles  espérances 
que  Gerson  avait  conçues  ne  se  réalisèrent  point.  Les 
concessions  promises  par  Benoît  au  duc  d'Orléans 
ne  furent  pas  accordées  :  le  pape  n'exigea  guère 
avec  moins  d'àpreté  qu'autrefois  les  taxes  aposto- 
liques et  tous  les  droits  pécuniaires  qu'il  prétendait 
avoir;  il  parut  ne  songer  qu'à  reculer  les  limites  de 
son  obédience  au  détriment  de  celle  d'Innocent  VII, 
qui  venait  de  succéder  à  Urbain  VI  sur  le  siège  romain. 
Cette  mauvaise  volonté,  cette  négligence  à  tenir  de 
solennelles  promesses,  ces  faux-fuyants  sans  cesse 
renouvelés,  ces  prétentions  de  plus  en  plus  injusti- 
fiables allaient  amener  de  nouveaux  conflits. 

Gerson,  chancelier  de  l'université,  était  en  ce  temps 
une  des  voix  les  plus  écoutées  du  clergé  français. 
Le  1er  janvier  1404,  sept  mois  après  le  concordat, 
l'éloquent  docteur  avait  prêché  devant  Benoît  à 
Tarascon,  et  ne  lui  avait  point  ménagé  les  avertisse- 
ments les  plus  graves.  Son  discours  où,  comme  assez 
souvent  chez  lui,  le  vrai  se  mêle  au  faux,  avait  eu  un 
très  grand  retentissement.  Pierre  d'Ailly,  sincère 
partisan  du  pape  d'Avignon,  s'en  était  ému.  Gerson 
répondit  à  son  ancien  maître,  alors  à  la  cour  du  pape; 
il  regretta  de  voir  exagérer  la  portée  de  ses  paroles  et 
de  s'entendre  attribuer  des  propos  peu  respectueux  à 
l'égard  du  pontife.  Opcra,  t.  n,  col.  74. 

D'autre  part,  l'université  se  brouillait  avec  le  duc 
d'Orléans,  le  grand  protecteur  de  Benoit,  et  se  rappro- 
chait du  duc  de  Bourgogne,  cet  ennemi  personnel  de 
son  cousin  d'Orléans  et  qui  allait  bien  lot  devenir  son 
meurtrier.  L'Aima  mater  se  plaignit  du  prince  et 
du  pape;  elle  fit  cesser  toutes  leçons  pendant  dix 
semaines  et  Gerson  se  fit  son  porte-parole  dans  son 
fameux  discours  intitulé  :  Vivat  rcx  (7  novembre  1405). 
Aux  vœux  fails  pour  la  santé  de  Charles  VI,  il  mêla 
non  sans  audace  des  attaques  contre  les  procédés 
arbitraires    du    duc  d'Orléans. 

L'université,  de  plus  en  plus  mécontente  de  Benoît, 
voulut  renouveler  la  soustraction  d'obédience  qui 
avait  si  peu  réussi  une  première  fois  en  1398.  D'Ailly 
et  Gerson  tentèrent  de  s'y  opposer  avant  le  concile  de 
Paris,  en  1400;  ils  s'elt'orcèrent  de  ramener  leurs 
collègues  ;i  des  procédés  plus  modérés.  Au  sein  de 
l'assemblée  qui  s'ouvrit  en  novembre,  et  après  de 
très  longues  et  très  vives  discussions,  ils  ne  réussirent 
qu'en  partie;  ils  obtinrent  que  la  soustraction  adoptée 
par  les  membres  de.  l'assemblée  fût  réduite  à  certaines 
limites.  Cf.  L.  Salembier,  Le  grand  schisme  d'Occident, 
]).  221. 

D'Ailly  et  Gerson  firent  aussi  partie  de  l'ambassade 
solennelle  qui  fut  envoyée  à  Benoît  en  1407.  Tous  deux 
insistèrent  fortement  auprès  du  pontife  pour  qu'il 
se  démît  de  la  papauté  par  une  bulle  formelle.  Il 
refusa.  Plusieurs  délégués  voulurent  alors  briser 
ouvertement  avec  lui.  Ici  encore  d'Ailly  et  Gerson 
firent  triompher  des  sentiments  plus  pacifiques  et 
travaillèrent  à  retarder  la  rupture  totale.  IbiiL, 
p.  229. 


Tous  deux  furent  aussi  membres  de  la  légation 
envoyée  à  Grégoire  XII.  Ils  furent  témoins  de  !a 
pusillanimité  puérile  ou  plutôt  sénile  du  pontife,  ils 
entendirent  ses  excuses  pitoyables  pour  ne  pas  se 
trouver  au  rendez-vous  de  Savone  où  il  devait  ren- 
contrer Benoît,  et  eurent  une  noble  altitude  à  l'au- 
dience de  congé  du  28  juillet  1408.  N.  Valois,  Biblio- 
thèque de  l'École  des  chartes,  1902,  p.  232;  Bibliothèque 
nationale,  n.  7371  et  12544.  De  retour  à  Gènes,  ils 
adressèrent  de  concert  au  pape  romain  une  lettre 
très  digne  et  très  touchante  qui  est  restée  jusqu'ici 
inédite.  Au  nom  de  l'Église,  ils  le  supplièrent  une 
dernière  fois  de  tenir  ses  promesses,  15  septembre. 
Bibliothèque  Vaticane,  n.  4000  et  4192.  On  sait  que 
ce  fut  en  vain. 

L'année  suivante,  Gerson  assista  au  concile  de  Reims 
et  y  prononça  le  discours  d'ouverlure.  Il  donna  à 
ses  auditeurs  les  conseils  les  plus  pratiques  sur  l'instruc- 
tion des  fidèles,  sur  le  bon  exemple  à  leur  donner  et 
sur  l'administration  des  sacrements.  Opéra,  t.  n, 
col.  542  sq.  Au  cours  de  son  sermon,  il  demande 
qu'un  théologien  soit  nommé  pour  donner  des  leçons 
de  science  sacrée  dans  chaque  église  métropolitaine. 
A  ce  propos,  il  rend  grâces  à  son  maître,  l'illustre 
évêque  de  Cambrai,  qui  a  obtenu  de  Benoît  XIII 
que  cel  le  faculté  soit  étendue  à  toutes  les  églises  cathé- 
drales et  à  toutes  les  collégiales  notables.  «  Je  ne  sais 
pourquoi,  dit-il,  ce  projet  si  utile  n'a  pas  encore  été 
mis  à  exécution.  » 

Marlot,  l'historien  rémois,  ajoute  que  Gerson 
examina  de  concert  avec  d'Ailly  le  cas  de  la  voyante 
Ermine,  morte  à  Reims  treize  ans  auparavant.  Dans 
une  lettre  que  nous  possédons  encore,  le  chancelier 
approuva  la  relation  que  Jean  Morelle,  chanoine  de 
Saint-Denis,  avait  écrite  au  jour  le  jour  sur  les  faits 
merveilleux  qui  étaient  imputés  à  cette  prophétesse. 
Opéra,  t.  i,  col.  83. 

En  cette  même  année,  à  cause  de  son  attitude  paci- 
ficatrice, d'Ailly  encourut  l'indignation  des  univer- 
sitaires acharnés  contre  Benoît.  Le  roi  épousa  leur 
querelle  et  voulut  faire  arrêter  l'évoque  de  Cambrai. 
Clémangis  et  Gerson,  ses  élèves  toujours  fidèles,  lui 
écrivirent  de  touchantes  lettres  de  condoléances.  L. 
Salembier,  Pctrus  de  Alliacé-,  188G,  p.  75  ;  Gerson,  Opéra, 
t.  ni,  p.  429;  N.  de  Clémangis,  Opéra  omnia,  Episl., 
xliv.  Gerson  n'allait  pas  tarder  à  connaître  lui  aussi 
les  vicissitudes  humaines  et  allait  être  poursuivi  pour 
un  autre  motif.  Le  23  novembre  1407,  le  duc  d'Orléans 
était  tombé  dans  une  rue  de  Paris  sous  les  coups  de 
lâches  assassins  stipendiés  par  le  duc  de  Bourgogne. 
Jean  sans  Peur  assuma  avec  une  singulière  audace  la 
responsabilité  du  fait  accompli,  plaida  sa  propre 
cause  devant  le  roi  Charles  VI  et  chargea  de  sa  défense 
son  conseiller  Jean  Petit  (8  mars  1408).  Celui-ci  osa 
professer  ouvertement  la  théorie  immorale  du  tyran- 
nicide. 

Le  chancelier  crut  de  son  devoir  de  déférer  cette  doc- 
trine au  jugement  de  l'évêque  de  Paris  et  des  maîtres 
en  théologie.  Les  docteurs  condamnèrent  d'abord  sept, 
puis  neuf  propositions  de  Jean  Petit  comme  erronées 
et  scandaleuses:  elles  furent  livrées  au  feu.  Plus  tard, 
au  sein  du  concile  de  Constance,  Gerson  dénonça  de 
nouveau  les  articles  incriminés  (juin  1415)  et  il  le  fit 
sept  fois  en  quinze  jours.  Les  Pères  rendirent  leur  sen- 
tence sur  ce  point  le  G  juillet,  et  condamnèrent  le 
tyrannicide  d'une  manière  générale,  sans  prononcer 
le  nom  du  puissant  duc  de  Bourgogne.  Cette  demi- 
mesure  ne  contenta  point  Gerson  et  les  Armagnacs  du 
concile. 

Le  chancelier  prit  la  parole  au  nom  du  roi  de  France, 
le  5  mai  1416,  et  protesta  éloquemment  contre  la 
sentence  trop  peu  explicite  qui  frappait  Jean  sans 
Peur.  Opéra,  t.  n,  p.  328;  t.  v,  p.  353,  355,  362  sq.; 


1317 


GERSON 


1318 


Labbe-Mansi,  Concil.,  t.  xxvn,  col.  728  sq.  ;  Schwab, 
op.  cit.,  p.  G09. 

Gerson  n'avait  assisté  ni  au  concile  de  Pise  (1409) 
ni  à  celui  de  Rome  (1412-1413),  mais  il  les  avait 
hautement  approuvés.  Son  rôle  à  Constance  fut  des 
plus  considérables.  Il  y  arriva  le  21  février  1415  avec 
une  délégation  de  l'université  de  Paris.  Nous  n'entre- 
rons pas  dans  le  détail  du  procès  de  Jean  Huss, 
Schwab,  op.  cit.,  p.  540-609;  Constance  (Concile  de), 
t.  ni,  col.  1213  sq.,  delà  condamnation  des  flagellants, 
Gerson,  Opcra,  t.  n,  p.  658,  660  ;  voir  Flagellants, 
col.  16;  de  ses  démêlés  avec  les  Anglais  qui,  malgré 
leur  petit  nombre,  prétendaient  former  une  nation 
au  sein  du  concile,  N.  Valois,  op.  cit.,  t.  iv,  p.  369; 
de  ses  luttes  doctrinales  contre  Matthieu  Grabon,  ce 
grand  adversaire  des  nouveaux  ordres  religieux,  le 
Guillaume  de  Saint-Amour  du  xve  siècle.  Gerson, 
Opéra,  t.  i,  p.  467;  Hefele,  Histoire  des  conciles,  t.  xi, 
p.  103. 

Nous  parlerons  plus  bas  de  son  attitude  vis-à-vis 
des  trois  papes  qui  se  disputaient  alors  la  tiare  et  des 
théories  qu'il  eut  l'occasion  d'exposer  au  sein  du 
concile  pour  arriver  à  l'extinction  du  schisme. 

Ce  furent  surtout  ses  luttes  contre  Jean  sans  Peur 
qui  lui  attirèrent  des  disgrâces  imméritées.  Déjà, 
à  Paris,  le  duc  de  Bourgogne  avait  provoqué  une 
émeute  contre  lui.  Sa  maison  avait  été  pillée  et  il 
n'échappa  aux  assassins  qu'on  se  réfugiant  pendant 
deux  mois  sous  les  voûtes  de  Notre-Dame.  Après  le 
concile  de  Constance,  pendant  que  le  pape,  l'empe- 
reur, les  Pères  et  les  princes  s'en  retournaient  avec 
pompe  dans  leur  pays  (1418),  Gerson  apprenait  que 
Jean  sans  Peur  avait  juré  sa  perte  et  que  la  nation 
picarde,  au  sein  de  l'université,  avait  demandé  qu'il 
fût  désavoué,  rappelé  et  puni  alrociter.  Opéra,  t.  v, 
p.  374;  Denifle,  Charlul.,  t.  iv,  p.  300;  Max  Lenz, 
Revue  historique,  t.  ix,  p.  470.  Pour  éviter  un  crime  à 
son  persécuteur,  il  sortit  de  Constance  le  15  mai  1418, 
et  prit  le  chemin  de  l'exil  avec  ses  deux  secrétaires 
au  concile,  André  et  Ciresio.  Il  se  retira  en  Allemagne, 
à  l'abbaye  bénédictine  de  Mœlck,  dont  il  avait  connu 
l'abbé  à  Constance.  C'est  là  qu'il  composa,  à  l'exemple 
de  Boèce,  son  traité  :  De  consolatione  thcologiœ.  L'ar- 
chiduc d'Autriche  Frédéric  voulut  l'attirer  dans  son 
université  devienne.  Gerson  s'y  rendit,  mais  n'y  resta 
point.  Enfin,  en  novembre  1419,  le  chancelier  apprit 
la  mort  de  son  ennemi  juré  Jean  sans  Peur,  tué  par 
les  ordres  du  dauphin  sur  le  pont  de  Montereau.  Il 
prit  aussitôt  la  route  de  la  France,  mais  il  ne  rentra 
pas  à  Paris,  livré  aux  factions  et  resté  au  pouvoir  des 
Bourguignons.  Il  se  dirigea  vers  Lyon  où  l'appelaient 
son  frère,  prieur  des  célestins,  et  l'archevêque  Amédée 
de  Talaru.  Schwab,  op.  cit.,  p.  767.  C'est  là  qu'il  passa 
ses  dernières  années  dans  les  exercices  de  la  dévotion 
et  du  zèle  sacerdotal.  Il  y  composa  divers  écrits 
d'édification  et  en  particulier  son  traité  de  théolo- 
gie mystique  ou  pastorale  bien  connu  :  De  parvulis 
ad  Christum  trahendis.  Joignant  l'exemple  au  pré- 
cepte, il  aimait  à  s'entourer  de  petits  enfants  dans 
l'église  de  Saint-Paul  et  il  se  plaisait  à  leur  ensei- 
gner les  éléments  de  la  doctrine  chrétienne.  Ces  dix 
années  furent  les  plus   douces  de  sa  vie  militante. 

Il  vécut  assez  longtemps  pour  écrire  deux  opuscules 
sur  Jeanne  d'Arc,  dont  il  défend  la  mission  divine. 
Cf.  Quicherat,  Procès,  t.  v,  p.  462.  Sa  mort  arriva  le 
12  juillet  1429  et  les  regrets  de  tous  les  gens  de  bien 
le  suivirent  jusqu'au  tombeau.  On  lui  attribua  des 
miracles,  et  cinq  martyrologes  au  moins  lui  donnent 
le  titre  de  bienheureux.  Plus  de  cinquante  conciles 
particuliers  et  de  nombreux  écrivains  ecclésiastiques 
recommandent  aux  pasteurs  «  ce  grand,  pieux  et 
savant  professeur,  ce  zélateur  des  âmes,  ce  directeur 
hors  ligne,  ce  modèle  des  ministres  de  l'Évangile...  » 


Les  savants  l'ont  nommé  doclor  christianissimus  et  les 
mystiques  doctor  consolalorius.   Plusieurs   statues  lui 
ont  été  élevées  à  Paris  et  à  Lyon,  et,  dans  l'églisj  de  la 
Sorbonne,  son  image  fait  pendant  à  celle  de  Bossust. 
II.  Ses  opinions  sur  l'Église  et  la  hiérarchie; 

SON   RÔLE   AU    CONCILE   DE   CONSTANCE.   ■ —   On   le   Sait, 

ce  qui  a  manqué  le  plus  aux  théologiens  du  commen- 
cement du  xve  siècle,  c'est  une  doctrine  ferme  sur  ce 
que  les  théologiens  appellent  aujourd'hui  le  traite  de 
l'Église.  Le  gallicanisme,  dont  ils  avaient  puisé  le  germe 
dans  l'enseignement  des  grandes  écoles,  s'est  développé 
grâce  aux  expédients  arbitraires  qu'on  s'est  cru  obligé 
d'employer  au  milieu  des  événements  malheureux  du 
grand  schisme  pour  rétablir  l'unité  depuis  si  long- 
temps compromise.  On  peut  plaider  les  circonstances 
atténuantes  en  faveur  de  notre  Gerson.  Il  a  eu  des 
maîtres  peu  sûrs;  il  a  beaucoup  étudié,  en  particulier, 
Guillaume  Occam,  le  plus  mauvais  génie  du  xive  siècle. 
Sa  conduite  pratique,  nous  l'avons  vu,  est,  en  général, 
plus  modérée  et  plus  saine  que  ses   théories. 

On  accuse  d'Ailly  et  Gerson  d'avoir  été  les  pères 
du  gallicanisme  et,  à  un  certain  point  de  vue,  on  n'a 
pas  tort.  Remarquons  toutefois,  pour  être  juste,  que, 
quand  il  s'agit,  en  1398,  de  la  première  soustraction 
d'obédience,  ces  prétendus  coryphées  des  opinions 
antipontificales  n'y  eurent  aucune  part.  En  1406, 
lorsqu'on  voulut  rétablir  la  soustraction  complète 
d'obédience,  ils  opposèrent  une  résistance  acharnée 
aux  projets  de  Simon  de  Cramaud,  de  Pierre  Plaoul, 
de  Jean  Petit  et  de  Pierre  le  Roy.  Deux  ans  après, 
quand  la  révolte  contre  Benoît  XIII  se  fit  plus 
violente  et  prépara  une  sorte  de  constitution  civile 
du  clergé  au  sein  du  Ve  concile  de  Paris,  les  résolutions 
schismatiques  de  l'assemblée  furent  adoptées  sans 
eux,  malgré  eux  et,  on  peut  le  dire,  contre  eux.  N.  Valois, 
op.  cit.,  t.  iv,  p.  23.  Un  peu  plus  tard,  lorsqu'ils  aban- 
donnèrent Benoît  XIII  et  Jean  XXIII,  c'est  quand  il 
leur  fut  démontré  que  leur  présence  à  la  tête  d'une  partie 
de  l'Église  était  un  obstacle  à  l'union.  Pereat  unus,  non 
imitas,  dit  saint  Bernard. 

Enfin,  il  est  prouvé  aujourd'hui  que  plusieurs  traités 
sur  lesquels  les  adversaires  de  Gerson  se  sont  parfois  ba- 
sés pour  attaquer  sa  doctrine  théologique  ne  sont  pas  de 
lui,  par  exemple  :  De  modis  uniendi;  Oclo  conclusiones 
quorum  dogmalizatio  ulilis  videlur  ad  exlerminationcm 
moderni  schismalis;  Sermo  factus  in  die  ascensionis  an. 
1400,etc.  Enfin,  les  éditeurs  protestants  ou  gallicans, 
VonderHardt,  Flacius  Illyricus,  Richer,  Ellies  Dupin, 
ont  rendu  à  sa  mémoire  de  mauvais  services  en  en  fai- 
sant un  homme  de  parti  et  un  précurseur  pour  leurs  doc- 
trines hétérodoxes. 

Il  est  trop  certain  que  le  chancelier  a  soutenu  à  propos 
du  pape  et  du  concile  des  théories  erronées,  condamna- 
bles et  plus  tard  condamnées.  Sans  doute,  l'Église  ro- 
maine est  indéfectible,  mais,  d'après  lui,  l'évêque  de 
Rome  n'est  pas  l'évêque  universel,  jouissant  d'un  pou- 
voir immédiat  sur  tous  les  fidèles  ;  la  puissance  est  en  lui 
subjective  et  executive.  Opéra,  t.  n,  col.  259,  279.  Bien  loin 
d'être  infaillible,  il  peut  tomber  parfois  dans  l'hérésie. 
Dans  ce  cas,  s'il  reste  pape,  on  a  le  pouvoir  de  le  lier,  de 
l'emprisonner  et  même  de  le  jeter  à  la  mer.  Ibid.,  p.  221  ; 
Noël  Valois,  op.  cit.,  t.  iv,  p.  84.  Toutefois,  il  n'est  pas 
l'adversaire  du  primatus  qu'il  affirme  formellement  être 
de  droit  divin;  c'est,  dit-il,  une  primauté  monarchique 
instituée  par  le  Christ  surnaturellement  et  immédiate- 
ment. Opcra,  t.  ii,  col.  529.  Quant  au  concile  général,  sa 
doctrine  n'est  pas  plus  sûre.  Il  admet  la  supériorité 
de  l'Église  et  du  concile  œcuménique  sur  le  pape,  car 
il  ne  voit  pas  d'autre  moyen  de  sortir  du  schisme  et 
de  revenir  à  l'unité.  Les  expédients  temporaires  devien- 
nent pour  lui  des  principes  définitifs.  C'est  de  l'oppor- 
tunisme dans  l'ordre  ecclésiastique.  Gerson  se  place 
dans  l'ordre  exclusivement  rationnel  et  pratique,  et 


1319 


GERSON 


1320 


toute  son  argumentation  a  pour  but  de  justifier  les 
manières  de  procéder  les  plus   extraordinaires  pour 
arriver  au  résultat  final  désiré  par  toute  la  chrétienté. 
Le   souverain   pontife  est,  d'après   lui,  justiciable  du 
concile  qui  peut  le  corriger  et  même  le  déposer.  Opéra, 
t.  n,  col.  201,  209  sq.  Et  il  examine  avec  une  sorte  de 
complaisance  tous  les  cas  de   déposition.  Quant  à  la 
convocation  et  à  la  composition  de  cette  assemblée, 
il  affirme  avec  d'Ailly  que  les  quatre  premiers  conciles 
œcuméniques  n'ont  pas  été  réunis  par   l'autorité  du 
pape,  que  non  seulement  les  cardinaux,  les  évêques, 
mais  l'empereur  et  les  princes,  mais  même  le  premier 
chrétien  venu,   peuvent  convoquer  un   concile  pour 
l'élection  d'un  pape  unique  et  universellement  reconnu. 
De  auferlbilitale  papœ,  Opéra,  t.  n,  col.  209  sq.  Selon 
sa  doctrine,  les  curés  peuvent  être  appelés  dans  cette 
assemblée  et  avoir  voix  délibérative  aussi  bien  que  les 
évoques.  De  polcslale  ccclesiaslica,  ibid.,  t.  n,  col.  249. 
Les  pasteurs  de  second  ordre  ne  sont-ils  pas  de  droit 
divin,  d'après  lui,  les  successeurs   des  soixante-douze 
disciples  '?  Aucun  fidèle  ne  doit  être  exclu  du  concile 
général.  Opéra,  t.  n,  col.  205.  On  voit  dans  toutes  ces 
propositions    comme   un   reflet    des    thèses   les    plus 
avancées    du    franciscain    révolutionnaire    Guillaume 
Occam.  C'est  l'ensemble  de  toutes  ces  erreurs  que  l'on 
appellera  plus  tard  le  gersonisme  et  qu'au  xvne  siècle 
Edmond  Richer  et  Simon  Vigor  réduiront  en  système. 
D'ailleurs,  il  faut  le  reconnaître,  en  le  regrettant, 
les  actes  de  Gerson  au  sein  du  concile  de  Constance 
furent  en  conformité  avec  ses    dangereux  principes. 
Avec  les  délégués  de  l'université  de  Paris,  il  réclama 
que  les  trois  papes  donnassent   immédiatement  leur 
démission   (février   1415).   Partisan   convaincu   de  la 
supériorité  des  docteurs  sur  les  évêques,  il  demanda 
avec  d'Ailly  que  les  docteurs  en  théologie,  en  droit 
canon  et  en  droit  civil  eussent  voix  délibérative  et 
définitive  in  rébus  fidei  au  sein  du  concile.  C'était  la 
conséquence  de  ses  tendances  démocratiques  et  multi- 
tudinistes.  Cf.  L.  Salembier,  Le  grand  schisme,  p.  212, 
299. 

Le  parti  français  poursuivait  avec  énergie  le  pape 
Jean  XXIII  et  réclamait  sa  démission.  Schwab,  op. 
cit.,  p.  507;  Von  der  Hardt,  op.  cit.,  t.  Il,  p.  265.  Après 
bien  des  pourparlers,  Jean  lut  en  public  une  renon- 
ciation expresse  et  formelle  avec  une  seule  condition, 
c'est  que  Benoît  et  Grégoire  céderaient  à  leur  tour. 
Le  2  mars  1415,  dans  la  11e  session  solennelle,  il  répéta 
cette  importante  déclaration. 

Le  20  mars,  la  fuite  du  pape  découragea  au  sein  du 
concile  le  parti  modéré  et  déchaîna  toutes  les  récla- 
mations des  violents.  Le  22  mars  au  soir,  Gerson 
reçut  de  ses  collègues  de  l'université  mission  de  prêcher 
à  l'issue  de  la  messe  du  lendemain.  Prévoyant  la 
violence  de  ses  affirmations,  les  cardinaux,  malgré 
l'initiative  de  Sigismond,  refusèrent  d'assister  à  la 
cérémonie.  Le  chancelier,  après  avoir  paraphrasé  un 
texte  tiré  de  l'évangile  du  jour,  livra  aux  méditations 
du  concile  douze  conclusions  que  nous  résumons  : 
faculté  pour  l'Église  de  répudier  le  vicaire  de  son  divin 
Époux,  en  d'autres  termes,  de  se  séparer  du  souverain 
pontife;  obligation  stricte  pour  le  pape,  sous  peine 
d'être  réputé  païen  et  publicain,  de  se  conformer  à  la 
règle  de  l'Église  ou  du  concile  qui  la  représente;  droit 
pour  l'Église,  sinon  de  détruire  la  plénitude  de  la 
puissance  apostolique,  du  moins  d'en  circonscrire 
l'usage;  faculté,  dans  beaucoup  de  cas,  pour  le  concile 
de  se  réunir  même  sans  le  consentement  du  pape; 
obligation  pour  ce  dernier  de  suivre  la  voie  d'union 
que  le  concile  lui  aura  prescrite;  dans  le  cas  actuel, 
obligation  pour  Jean  XXIII  d'abdiquer.  Opéra,  t.  il, 
col.  201.  Cette  pièce  est  le  manifeste  des  plus  violents 
émanés  des  membres  de  l'assemblée.  Gerson  prit  part 
aux  111e,  ive  et  ve  sessions  du  concile,  c'est-à-dire    à 


cet  opus  tumultuarium  qui  engendra  les  quatre  fameux 
articles  de  Constance;  ceux-ci,  on  le  sait,  sont  le 
code  du  gallicanisme  et  ont  préparé  de  loin  les  quatre 
articles  de  1682  (du  26  mars  au  6  avril  1415). 

Le  21  juillet  1415,  eurent  lieu  à  Constance  des  pro- 
cessions solennelles  pour  obtenir  la  protection  céleste 
à  propos  du  voyage  de  Sigismond,  roi  des  Romains, 
qui  allait  s'aboucher  avec  Benoît  XIII  (Pierre  de 
Lune).  Gerson  prit  la  parole  dans  cette  circonstance 
et  vanta  les  décrets  de  la  ive  et  de  la  ve  session  du 
concile.  Il  exprima  le  désir  de  voir  ces  articles  inscrits 
sur  la  pierre  de  toutes  les  églises  :  Conscribcnda 
prorsus  esse  mihi  vidcrclur  in  eminentioribus  locis,  vel 
insculpcnda  per  omnes  ecclesias  saluberrima  hxc  Dclcr- 
minatio,  Lex  vel  Régula,  tanquam  direclio  fundamen- 
lalis,  cl  vclul  infallibilis,  adversus  monslruosum  horren- 
dumque  o/[cndiculum  quod  haclenus  positum  erat  per 
mullos  de  Ecclesia.  Opéra,  t.  n,  col.  275. 

Plus  tard,  dans  un  sermon  prononcé  à  Constance 
même,  le  second  dimanche  après  l'Epiphanie,  il  essaya 
de  nouveau  de  défendre  la  théorie  de  la  supériorité 
du  concile  sur  le  pape  et  chercha  visiblement  à  tran- 
quilliser son  âme  en  même  temps  que  celle  de  ses 
auditeurs  :  Vidi  nuper  sanctum  Thomam  cl  Bonaven- 
turam;  hic  relinquorum  libros  non  habeo;  dant  supre- 
mam  el  plcnam  summo  pontifici  polcstalcm  ecclesia- 
sticam;  recle  procul  dubio,  sed  hoc  fulciant  in  compara- 
lione  ad  singulos  fidèles,  et  ecclesias  particulares.  Duni 
el  enim  comparalio  facienda  fuisset  ad  auctorilalem  Ec- 
clesiœ  sijnodaliler  congrcgalse,  subjecissent  papam,  et 
usum  poteslatis  suie  Ecclesiœ  eidem  tanquam  mat  ri 
suœ...  Nullum  legi  prxlcr  Bonaventuram  el  Thomam  : 
cl  tamen  assero  scnlcntiam  conlrariam,  quœ  pontifici  fa- 
vet,  a  nullo  theologo,  nulloque  sanclo  doceri,  imo  hœre- 
licam  esse...  Huic  vcrilali  jundedee  supra  pclram  Scri- 
plurse  sacrœ  quisquis  a  proposito  delrahil,  cadil  in  hsere- 
sim  jam  damnatam,  quam  nullus  unquam  theologus, 
maxime  Parisiensis  et  sanctus  asscruil...  C'est  toute 
une  série  d'hypothèses  gratuites  et  de  contrevérités 
évidentes. 

En  1417,  dans  un  autre  traité,  le  chancelier  emprunte 
le  mode  lyrique  et  entonne  un  chant  de  triomphe  et 
d'actions  de  grâces  :  Bencdiclus  Deus  qui  per  hoc  sacro- 
sanclum  concilium,  illuslralum  divinse  legis  lumine, 
dante  ad  hoc  ipsum  vexationc  prœsenlis  schismalis 
inlelleclum,  libcravit  Ecclcsiam  suam  ab  hac  peslifcia 
perniciosissimaque  doctrina.  De  poleslate  ccclesiaslica, 
consid.  x,  Opéra,  t.  n,  col.  240. 

Plus  tard,  en  1418,  quand  les  ambassadeurs  du  roi 
de  Pologne  voulurent  faire  condamner  solennellement 
par  le  pape  le  dominicain  Jean  de  Falkenberg,  déjà 
reconnu  coupable  par  les  nations  (nationaliler),  Mar- 
tin Vies  en  empêcha  et  leur  répondit  qu'il  ne  voulait 
pas  aller  plus  loin.  Le  chancelier  jugea  à  propos  de 
s'élever  contre  cette  décision  et  composa  son  traité  : 
Quomodo  cl  an  liceat  in  causis  fidei  a  summo  pontifice 
appcllare,  scu  ejus  judicium  declinarc.  Dans  cet  opus- 
cule il  condamne  formellement  le  décret  du  pape  au 
nom  de  la  supériorité  du  concile  général  prononcée  à 
Constance,  et  ressasse  toutes  les  objections  du  gallica- 
nisme le  plus  avancé.  Opéra,  t.  il,  col.  303.  Martin  V 
condamna  cette  proposition  à  la  fin  de  1418. 

On  le  voit,  Gerson  persévère  dans  son  erreur,  et 
nul  acte,  nul  écrit,  durant  son  exil  et  sa  retraite  de 
onze  années,  ne  laissent  soupçonner  qu'il  ait  renié  ses 
principes  hétérodoxes.  Cf.  Bouix,  De  papa,  p.  488. 

Pourtant,  dès  1416,  il  fut  obligé  de  constater  tris- 
tement que,  même  après  la  décision  du  concile  et  la 
manière  d'agir  de  la  sainte  assemblée,  il  s'élevait 
encore  des  voix  pour  nier  la  supériorité  du  concile  sur 
les  papes.  Il  attribuait  cette  obstination  «  condam- 
nable »  au  besoin  de  flagornerie,  «  poison  mortel  dont 
l'organisme  de  l'Église  est  depuis  longtemps  imprégné 


1321 


GERSON 


1322 


jusqu'à  la  moelle.  »  Opéra,  t.  il,  col.  247;  Zaccaria, 
p.  716.  C'est  à  cause  de  ces  opinions  très  ouvertement 
énoncées  que  Gerson  passe  encore  aujourd'hui,  comme 
d'Ailly  son  maître,  pour  un  préparateur  de  la  Réforme. 
C'est  aussi  pour  cette  raison  que  des  écrivains  pro- 
testants comme  A.  Jepp  et  Winkelmann,  en  Allemagne, 
Schmidt,  de  Bonnechose  et  Jean  Muller,  en  France, 
ont  pu  le  comparer  à  Wiclef  et  à  Jean  Huss.  Tout  ce 
que  nous  avons  dit  jusqu'ici  prouve  que  ces  compa- 
raisons sont  injustes  jusqu'à  l'outrage  envers  notre 
docteur.  Cf.  Féret,  p.  272. 

D'autres  protestants,  comme  l'anglican  Burnet, 
ont  étrangement  exagéré  certaines  affirmations  de 
Gerson  et  ont  mérité  comme  lui  ce  reproche  de  Bossuet  : 
«  Peut-on  souffrir  qu'abusant  d'un  traité  que  Gerson 
a  fait  De  auferibilitale  papœ,  Burnet  en  conclût  que, 
selon  ce  docteur,  on  peut  fort  bien  se  passer  du  pape  ? 
au  lieu  qu'il  veut  dire  seulement,  comme  la  suite  de 
cet  ouvrage  le  montre  d'une  manière  à  ne  laisser  aucun 
doute,  qu'on  peut  déposer  le  pape  en  certain  cas. 
Quand  on  raconte  sérieusement  de  pareilles  choses, 
on  veut  amuser  le  inonde,  et  on  s'ôte  toute  croyance 
parmi  les  gens  sérieux.  »  Histoire  des  variations, 
1.  VII,  cxi. 

Du  côté  catholique,  nous  avons  aussi  le  devoir  de 
constater  que  certains  théologiens  ont  fait  à  notre 
docteur  des  reproches  sévères  et  qu'ils  n'ont  guère 
admis  d'excuses  en  sa  faveur.  En  France,  nous  trouvons 
Bouix,  très  monté  contre  le  chancelier,  De  papa,  t.  i, 
p.  45G  et  476,  Petitdidier  qui  estime  l'œuvre  de  Gerson 
digne  d'un  éternel  oubli.  Diss.de  concil.  Constant.,  p.  3. 
En  Italie,  il  fut  attaqué  par  Bellarmin  et  par  Carrara, 
qui  l'appelle  fanatique  et  furibond,  De  primatu  ro- 
mani poniificis,  p.  243,  en  Allemagne,  par  Ziegelbauer. 
Hurter,  Nomenclalor,  t.  n,  col.  1069. 

Presque  tous  s'appuient  surtout  pour  le  condamner 
sur  le  traité  De  modis  uniendi  qui,  on  le  croit  généra- 
lement aujourd'hui,  n'est  pas  de  lui.  C'est  l'opinion 
de  Hergenrôther,  Histoire  de  l'Église,  trad.  Belet, 
t.  iv,  p.  243;  de  Pastor,  Histoire  des  papes,  t.  i,  p.  203; 
de  Finke,  Forschungen  and  Qucllen,  et  d'Erler,  Dietrich 
von  Nieheim,  p.  473. 

Et  pourtant,  d'après  ce  que  nous  avons  dit  jusqu'ici, 
il  est  facile  de  retrouver  la  genèse  des  erreurs  de 
Gerson,  l'évolution  de  ses  fausses  doctrines  et  de 
reconstituer  l'histoire  de  ses  variations.  Découragé  par 
la  conduite  et  les  tergiversations  des  papes  rivaux, 
consterné  par  l'échec  de  la  voie  de  cession  et  des 
autres  moyens  employés  pour  rétablir  l'unité,  il  en 
est  arrivé  à  ne  voir  de  remède  nécessaire  que  dans  la 
convocation  d'un  concile  général  qui  serait,  dans  l'hypo- 
thèse, maître  général  et  souverain  infaillible  dans 
l'Église,  et  qui  imposerait  à  tous  la  paix  compromise 
depuis  près  de  quarante  ans.  De  examinatione  doclri- 
narum,  Opéra,  t.  i,  col.  8. 

Ce  sont  les  ravages  persistants  du  schisme,  dit 
Ballerini,  qui  poussèrent  Gerson  et  les  docteurs  à  pro- 
poser et  à  soutenir  la  supériorité  du  concile  général, 
et  le  chancelier  le  déclare  lui-même  ouvertement. 
Migne,  Theologise  eursus  complelus,  t.  ni,  col.  1360; 
De  poleslale  ecclesiastica,  Opéra,  t.  n,  col.  239  sq. 
«  Le  premier  ou  un  des  premiers  dans  la  tradition 
de  la  chrétienté,  le  chancelier  a  soutenu  et  fait  accepter 
le  principe  de  la  supériorité  du  concile  général  dans 
l'Église  et  la  non-infaillibilité  doctrinale  des  papes. 
Il  ne  voulut  pas  s'apercevoir  qu'il  rompait  avec  la 
tradition  unanime  des  Pères  et  des  docteurs  et  même 
avec  les  sentiments  de  toute  cette  école  de  Paris  dont 
il  était  fier  d'être  le  disciple  et  dont  il  avait  jadis 
partagé  les  opinions.  »  De  potestate  eccles.,  consid.  xn, 
Opéra,  t.  n,  col.  246  sq. 

t  Les  décisions  de  Constance,  en  effet,  inspirées  en 
partie  par  lui,  changeaient  la  constitution  essentiel- 


lement monarchique  de  l'Église  et  en  faisaient  une 
sorte  de  gouvernement  représentatif  dont  le  parlement 
aurait  été  le  concile  général  périodiquement  convoqué. 

Aussi,  sur  la  conduite  de  Gerson  en  cette  affaire, 
nous  adoptons  entièrement  le  jugement  équitable,  et 
au  fond  sympathique,  de  l'éminent  cardinal  bénédictin 
C.  Sfondrate  :  Gcrsonem  nimio  zelo,  quo  sui  lemporis 
abusus  eljlagitia  prosequebatur,  extra  justi  reclique  limites 
abreplum  esse,  ne  illi  quidem  neganl  qui  ejus  palroci- 
nium  maxime  susceperunt...  Nemo  negaveril  fuisse  Ger- 
sonem  seleclœ  doctrines  et  pietalis  et  tamen  opinionem 
imbiberai  pontificio  adversam;  idque,  ut  persuasum 
omnino  habeo,  zelo  Ecclesiam  adjuvandi  ambitione  trium 
pontificum  misère  collisam...  Ignosce  mihi,  Gerson,  non 
sunt  hxc  verba  Parisiensi  toga,  iantoque  digna  doclore, 
luimanialiquid  es  passas,  elquod  ratio  nondebuit,  impelus 
cdixil.  Gallia  vindicala,  t.  n,  p.  125-126,  128. 

Peut-être  serait-il  opportun  de  rappeler  à  ce  propos 
les  paroles  de  Léon  XIII  adressées  à  M.  Brunetière. 
Il  s'agissait  d'un  prélat  qui  a  été  lui  aussi  très  attaché 
aux  idées  gallicanes,  et  qui,  à  cause  de  cela,  a  été 
critiqué  parfois  sans  indulgence  ;  «  Ce  qui  a  vieilli 
dans  Bossuet,  a-t-il  dit,  c'est  son  gallicanisme.  On 
peut  excuser  cette  erreur  et  l'oublier  aujourd'hui,  en 
considération  de  tant  de  génie  et  de  tant  de  services 
rendus.  »  Le  grand  pape  n'aurait-il  point  parlé  de  la 
même  façon  à  propos  de  notre  chancelier  ? 

Gerson  ne  s'adonna  guère  à  la  philosophie  et  à  la 
théologie  purement  dogmatique.  Il  n'a  composé  sous 
ce  rapport  que  quelques  traités  qu'on  trouve  aux 
t.  i  et  ii  de  ses  œuvres.  Il  s'en  occupa  juste  assez  pour 
laisser  percer  quelques  opinions  nominalistes  qu'il 
tenait  de  ses  maîtres,  et  pour  manifester  ses  défiances 
et  son  dédain  à  l'endroit  des  subtilités  d'une  scolas- 
tique  de  décadence.  Qu'on  lise  la  lettre  très  courte  et 
très  substantielle  que  notre  docteur  a  écrite  à  Bruges, 
en  1400,  et  qui  a  pour  titre  De  rejormatione  Ecclesiœ. 
Opéra,  t.  i,  col.  121.  Il  se  plaint  amèrement  des  thèses 
inutiles,  sans  fruit  ni  solidité,  qui  sont  exposées  et 
défendues  au  sein  de  la  faculté  de  théologie  de  Paris. 
Il  dénonce  les  étudiants  qui  font  profession  de  mépriser 
la  Bible  et  les  docteurs,  et  qui  dédaignent  de  se  servir 
des  termes  employés  par  eux.  n  s'élève  contre  les 
erreurs  et  les  scandales  ainsi  produits  par  ceux  qu'il 
nomme  les  curiosi  et  les  phantastici.  Il  a  bien  raison 
de  réclamer  des  maîtres  la  répression  de  ce  déver- 
gondage d'idées  et  la  condamnation  de  ces  disputes 
purement  verbales  qui  montrent  une  profonde  dévia- 
tion de  l'esprit  théologique. 

Ses  préférences  sont  tout  acquises  à  la  théologie 
pratique,  soit  morale,  soit  mystique. 

III.  Sa  théologie  morale.  —  Constatons  d'abord, 
pour  le  regretter,  le  principe  faux  que  place  notre 
docteur  à  la  base  de  sa  morale.  La  cause  de  tout 
devoir,  dit-il,  est  la  volonté  divine,  qui  décide  souve- 
rainement du  bien  et  du  mal,  et  rend  nos  actions 
bonnes  ou  mauvaises,  en  permettant  les  unes  et  en 
défendant  les  autres.  Rien  de  juste  ni  d'injuste  en 
soi  :  la  justice  est  ce  qui  est  conforme  au  décret 
suprême,  l'injustice  est  ce  qui  s'en  écarte.  Comme  si 
Gerson  craignait  qu'on  ne  se  méprît  sur  sa  pensée,  il 
la  précise  de  manière  à  rendre  le  doute  impossible. 
«  Dieu  ne  veut  pas  certaines  actions,  dit-il,  Opéra, 
t.  ni,  col.  13,  parce  qu'elles  sont  bonnes;  mais  elles 
sont  bonnes,  parce  qu'il  les  veut,  de  même  que  d'autres 
sont  mauvaises  parce  qu'il  les  défend.  »  «  La  droite 
raison,  dit-il  ailleurs,  Opéra,  t.  ni,  col.  26,  ne  précède 
pas  la  volonté,  et  Dieu  ne  se  décide  pas  à  donner" des 
lois  à  la  créature  raisonnable,  pour  avoir  vu  d'abord 
dans  sa  sagesse  qu'il  devait  le  faire  ;  c'est  plutôt  le 
contraire  qui  a  lieu.  »  Il  suit  de  là  que  la  loi  du  devoir 
n'a  rien  d'absolu  ni  d'invariable,  et  que  les  actions 
que  nous  jugeons  criminelles  auraient  pu  tout  aussi 


132c 


GERSON 


1324 


bien  être  vertueuses  :  conséquence  exorbitante,  qui 
cependant  n'est  pas  désavouée  par  Gerson,  suivant 
lequel,  Opéra,  t.  i,  col.  147,  «  les  choses  étant  bonnes 
parce  que  Dieu  veut  qu'elles  soient  telles,  il  ne  les 
voudrait  plus  ou  les  voudrait  autrement  que  cela 
même  deviendrait  le  bien.  »  Ainsi  notre  docteur 
pousse  jusqu'à  ses  dernières  limites  ce  système  de 
morale  fondé  sur  le  décret  arbitraire  de  la  divinité, 
qui  avait  déjà  été  développé  parDuns  Scot  et  Occam, 
et  que  son  maître  Pierre  d'Ailly  avait  formellement 
soutenu.  Nullum  est  ex  se  peccalum,  sed  preecise  quia 
lege  prohibitum.  Principium  in  1""  Sent.,  fol.  iv. 
verso;  Principium  in  IIam  Sent.,  fol.  xiv;  cf.  Pelrus 
de  Alliaco,  p.  224.  On  le  voit,  c'est  un  système  faux 
en  lui-même,  déplorable  par  ses  résultats,  qui  n'exalte 
la  puissance  de  Dieu  qu'aux  dépens  de  sa  sagesse  et 
de  sa  bonté  et  ébranle  toute  certitude.  Il  semble 
ignorer  les  vrais  caractères  de  la  loi  éternelle  et  la 
conformité  que  doivent  avoir  avec  elle  toutes  les  lois 
positives.  Hàtons-nous  de  dire  que,  si  la  théorie  de 
Gerson  sur  les  principes  de  la  morale  fondamentale  est 
erronée,  ses  ouvrages  sont  du  moins  remplis  d'excel- 
lentes observations  de  détail,  et  de  maximes  de  con- 
duite qui  ne  sauraient  être  trop  méditées.  Jourdain, 
Dictionnaire  des  sciences  philosophiques,  2e  édit.,  p.  618; 
Schwab,  Johanncs  Gerson,  p.  286  sq. 

N'attendons  pas  de  notre  auteur  un  traité  complet 
comprenant  toutes  les  parties  de  la  théologie  morale. 
Ses  opuscules  sont  écrits  au  hasard  des  circonstances, 
des  besoins  et  des  demandes.  Ce  n'est  pas  un  cours 
suivi.  C'est  un  recueil  de  dissertations  casuistiques  et 
pratiques,  non  thcologiœ  cursus,  sed  excursus. 

11  composa  au  concile  de  Constance  (1415)  un 
traité  de  la  simonie,  alors  trop  en  honneur  dans  les 
trois  obédiences  qui  se  partageaient  l'Église.  Il  se 
tint  plus  en  garde  qu'Albert  le  Grand  et  d'Ailly  contre 
les  erreurs  de  l'astrologie  judiciaire,  dans  son  Trilo- 
gium  astrologiœ  theologizatœ.  Opéra,  t.  i,  col.  190; 
t.  m,  col.  291.  Il  poursuivit  avec  non  moins  d'ardeur 
la  magie,  Opéra,  t.  i,  col.  206  sq.,  et  les  superstitions 
de  toute  sorte.  Opéra,  t.  n,  col.  521  ;  t.  i,  col.  208, 
220. 

Nous  devons  encore  au  moraliste: les  Règles  morales; 
les  Définitions  des  termes  concernant  la  théologie  monde; 
la  Vie  spirituelle  de  l'âme;  les  Quatre  vertus  cardinales  ; 
les  Impulsions  (De  impulsibus);  les  Premiers  mouve- 
ments et  le  consentement  (De  primis  motibus  et  con- 
sensu);  les  deux  écrits  sur  les  Passions  de  l'âme;  les 
Signes  bons  et  mauvais;  le  Frein  ou  la  Garde  de  la 
langue  ;  un  Avertissement  pour  les  religieuses  ;  des  Con- 
clusions contre  une  conscience  trop  étroite  et  scrupuleuse, 
contre  la  honteuse  tentation  du  blasphème,  contre  la  fête 
des  fous;  une  Explication  de  cette  sentence  :  que  votre 
volonté  soit  faite;  des  réflexions  sur  la  prière  et  sa 
valeur,  sur  la  consolation  de  la  mort  des  amis,  sur  la 
préparation  à  la  messe;  De  pollutione  nocturna;  De 
pollulione  diurna.  Certains  autres  écrits  qui  regardent 
ou  la  doctrine  des  mœurs  ou  les  règles  de  la  discipline 
ecclésiastique  sont  :  la  Juridiction  spirituelle  avec  une 
thèse  sur  la  juridiction  spirituelle  et  temporelle;  la 
Déclarcdion  des  défauts  des  ecclésiastiques  ;  les  Excom- 
munications, irrégularités  et  leur  absolution;  Y  Art  d'en- 
tendre les  confessions;  la  Manière  de  chercher  les  péchés 
en  confession;  les  Remèdes  contre  les  rechutes  (contra 
recidivum  peccali);  le  Double  péché  véniel,  la  Différence 
entre  les  péchés  mortels  et  les  véniels  ;  Y  Absolution  dans 
la  confession  sacramentelle;  le  Pouvoir  d'absoudre  et  la 
réserve  des  péchés,  avec  une  lettre  à  un  prélat  sur  la 
modération  à  apporter  dans  la  réserve  des  cas;  les  Indul- 
gences; la  Correction  du  prochain;  le  Désir  cl  la  fuite  de 
l'épiscopat;  la  Vie  des  clercs;  la  Tempérance  pour  les 
prélats  dans  le  manger,  dans  le  boire  et  les  vêtements; 
ja  Manière  de  vivre  pour  tous  les  fidèles,  ou  règlement 


pour  tous  depuis  l'enfance  jusqu'à  la  vieillesse,  depuis 
le  simple  artisan  jusqu'aux  nobles  prélats. 

Les  enfants  furent  l'objet  de  sa  particulière  solli- 
citude surtout,  nous  l'avons  vu,  vers  la  fin  de  sa  vie. 
Remarquons  particulièrement  son  traité  De  parvulis 
ad  Christum  trahendis.  Opéra,  t.  m,  col.  277.  Il  faut 
encore  signaler  dans  ce  sens  la  Doctrine  ou  règlement 
pour  les  enfants  de  l'Église  de  Paris;  Y  Adresse  aux  pou- 
voirs publics  au  sujet  de  la  corruption  de  la  jeunesse 
par  des  images  lascives  et  autres  choses  semblables; 
De  l'innocence  de  l'enfant,  défense  du  précédent  opus- 
cule. Ce  dévouement  a  une  de  ses  explications  dans  les 
paroles  suivantes  extraites  du  Ressouvenir  de  saints 
projets  :  «  C'est  par  les  enfants  que  doit  commencer 
la  réforme  de  l'Église.  »  Opéra,  t.  n,  col.  109.  Il  ne 
s'occupa  point  seulement  des  enfants  du  peuple, 
mais  il  prit  encore  la  plume  pour  contribuer  à  l'édu- 
cation de  l'héritier  du  trône  de  France.  «  Si  enseigner 
tout  enfant,  disait-il,  est  louable  et  méritoire,  com- 
bien plus  est-on  en  droit  de  le  dire,  quand  il  s'agit 
d'  «  un  enfant  royal  appelé  à  régner  1  »  Il  s'agissait 
de  son  sérénissime  prince  et  seigneur  Charles  VII, 
puis  il  en  fit  autant  en  1429  pour  le  futur  Louis  XI. 
Opéra,  t.  m,  col.  226,  235.  Il  composa  en  outre  plusieurs 
autres  petits  traités  d'instruction  et  d'éducation 
populaire  qui  montrent  tout  son  zèle  apostolique. 

Mais  la  prédilection  du  chancelier  se  portait  tou- 
jours du  côté  des  étudiants  de  l'université.  C'est 
ainsi  que  de  Bruges  il  leur  adressa  deux  lettres  qui 
sont  comme  une  sorte  de  règlement  intellectuel  et 
moral  pour  les  élèves  de  son  ancien  et  toujours  aimé 
collège  de  Navarre.  Il  leur  recommande  d'éviter 
pomposa  super  insolitis  arroganlia,  de  réprouver  toute 
nouveauté,  surtout  en  morale,  en  même  temps  qu'il 
leur  donne  les  meilleurs  conseils  sur  les  auteurs  qu'ils 
doivent  préférer  aux  autres  et  méditer  dans  le  silence 
et  le  recueillement.  Dans  une  seconde  lettre,  il  reproche 
aux  étudiants  l'obstination  dans  les  disputes  et  aux 
maîtres  certains  défauts  scandaleux.  Il  regrette  enfin 
que  les  sermons  manquent  aux  élèves,  même  le  di- 
manche, à  cause  du  départ  des  dominicains.  Dans  une 
dernière  admonition  (1427),  il  les  met  en  garde  contre 
la  doctrine  d'Ubertin  de  Casai,  qui  était  un  faux 
spirituel  de  l'école  de  Joachim  de  Flore. 

Gerson  crut  aussi  de  son  devoir  de  prémunir,  à 
plusieurs  reprises,  la  jeunesse  studieuse  surtout, 
contre  le  livre  sceptique  et  parfois  obscène  de  Jean 
de  Meung  qui  a  pour  titre  le  Roman  de  la  Rose.  On  a 
plus  d'une  fois  analysé  cet  ouvrage  qui  peint,  non 
point  l'idéal,  mais  la  vie  réelle  dans  le  sens  le  moins 
élevé  du  mot.  C'est  un  recueil  de  dissertations  théolo- 
giques, philosophiques,  satiriques  et  en  tout  point 
révolutionnaires.  L'auteur  est  un  rationaliste  doublé 
d'un  épicurien,  précurseur  de  Rabelais  et  de  Voltaire. 
Gerson  rendit  un  grand  service  à  la  morale  et  au  bien 
public  en  réprouvant  ce  livre  qui  ad  illicitam  venerem 
et  libidinorum  amorem  excitât.  C'était  sans  doute  la 
première  fois  que  la  théologie  catholique  condamnait 
un  roman.  Celui-ci  est  véritablement  la  somme  de 
toutes  les  indisciplines  intellectuelles  et  morales 
au  xme  siècle,  et  a  amplement  mérité  toutes  les  sévé- 
rités de  notre  docteur.  Opéra,  t.  ni,  col.  297;  Bourret, 
p.  70. 

IV.  Sa  théologie  mystique.  —  Gerson  préfère 
cette  science  surnaturelle  à  toutes  et  il  en  donne 
quatre  raisons.  La  théologie  mystique  rend  le  chemin 
qui  conduit  à  Dieu  plus  facile  et  accessible  à  tous; 
elle  se  suffit  à  elle-même,  mais  on  ne  saurait  en  dire 
autant  de  la  spéculative;  elle  produit,  en  particulier, 
les  vertus  d'humilité  et  de  patience,  tandis  que  la 
spéculative  engendre  souvent  l'amour-propre,  l'orgueil 
et,  par  suite,  les  contestations;  elle  procure  ici-bas 
à  l'âme  dans  le  calme,  et  la  sérénité  enfin  dont  elle Jui 


132" 


GERSON 


1326 


assure   la    jouissance,    comme   un    avant-goût    de  la 
céleste  béatitude. 

Mentionnons  d'abord  la  Montagne  de  contem- 
plation, qui  est  son  chef-d'œuvre  en  ce  genre;  mais 
Gerson  s'est  aussi  élevé  jusqu'aux  plus  liantes  régions 
de  la  science  sacrée,  dans  la  Théologie  mystique,  à 
laquelle  il  faut  ajouter  le  travail  postérieur  :  l'Éclair- 
cissement scolasliquc  de  la  théologie  mystique;  le 
Carmen  sur  la  purification  des  sens  intérieurs;  la  Médi- 
tation, traité  qui  porte  le  nom  de  Consolatorius  ;  Y  Illu- 
mination du  cœur;  la  Simplicité  cl  la  pureté  du  cœur;  la 
Direction  et  la  droiture  du  cœur;  VŒU  et  son  objet; 
les  Remèdes  contre  la  pusillanimité,  les  scrupules,  les 
consolations  trompeuses  de  l'ennemi  et  les  subtiles 
tentations;  les  Diverses  tentations  du  diable;  Y É pitre 
à  ses  sœurs  pour  enseigner  ce  que  chacun  doit  penser 
chaque  jour;  les  Exercices  appropriés  aux  dévols  sim- 
ples (De  exercitiis  discrelis  devolorum  simplicium); 
les  Trois  traités  sur  les  cantiques;  les  Douze  considé- 
rations que  doit  faire  l'homme  à  l'égard  de  Dieu  pour 
que  la  prière  soit  exaucée;  la  Prière  du  pécheur  lors- 
qu'il a  beaucoup  d'inquiétudes  sur  ses  péchés;  les  Quel- 
ques pieuses  méditations  de  l'âme  sur  l'Ascension;  les 
Plaintes  des  défunts  dans  le  feu  du  purgatoire  à  l'égard 
des  amis  sur  la  terre;  le  Testament  quotidien  du  pèle- 
rin, suivi  de  Considérations  sur  ce  même  sujet  et  ter- 
miné par  le  Teslamcntum  mclricum  du  même  pèlerin; 
les  Conseils  évangéliques  cl  l'état  de  perfection,  où 
l'auteur  s'élève  de  l'ordre  naturel  aux  hauteurs  de 
l'ordre  surnaturel,  en  commentant  ces  mots  :  Ulrum 
aurora  mane  rutilons  solem  ediderit;  la  pièce  de  vers 
qui  est  Y Épilhalame  mystique  du  théologien  et  de  la 
théologie  sous  la  figure  de  Jacob  et  de  Rachel  et  qui 
s'ouvre  ainsi  : 

Oro  per  cervos  capreasque  campl, 
Oro  sanctos  per  amoris  ignés, 
Per  fidem  sanctam,  decus  et  honorem, 
Jacob,  amas  me? 

enfin  une  autre  pièce  de  vers  ayant  pour  titre:  M  iroir 
de  la  vie  humaine. 

Les  principes  qui  dirigent  Gerson  dans  cette  science 
si  délicate  et  si  sublime  ont  été  complètement  résumés 
par  Schwab.  D'après  notre  docteur,  la  théologie  mys- 
tique est  la  fin  et  l'achèvement  suprême  de  toute  dis- 
cipline théologique  en  général,  comme  aussi  elle  ap- 
proche beaucoup  plus  près  de  la  vision  béatiiique, 
notre  fin  tout  à  fait  dernière.  Et  de  fait,  au  lieu  que 
la  théologie  scientifique  se  meut  dans  le  domaine  des 
conceptions  abstraites  et  du  raisonnement  discursif, 
la  théologie  mystique  est  essentiellement  une  con- 
naissance expérimentale  de  Dieu  (experimentalis  Dei 
perceplio),  transcendante  à  tout  discours,  qu'on  peut 
seulement  vivre  au  dedans  de  soi-même,  et  vivre  par 
l'amour;  si  bien  que  c'est  la  vis  affectiva  qui  y  tient  le 
premier  rôle.  Pour  y  atteindre,  il  faut  laisser  absolu- 
ment de  côté  toute  détermination  empruntée  aux 
créatures,  et  c'est  en  ce  sens  que  la  théologie  mys- 
tique est  négative,  qu'elle  doit  être  ravie  dans  une 
obscurité  ou  des  ténèbres  divines  (rapi  in  divinam 
caliginem)  ;  mais  ce  qui  se  trouve  ainsi  plongé  dans  la 
nuit,  ce  sont  uniquement  les  puissances  inférieures 
de  l'âme,  soit  puissance  de  connaître,  sens,  imagina- 
tion et  raison  (dans  l'acception  scolastique  du  terme, 
c'est-à-dire  comme  faculté  de  raisonnement  ou  discur- 
sive), soit  puissance  de  désirer,  appétition  sensible  et 
même  appétition  rationnelle  (en  tant  que  subordonnée 
à  l'entendement  discursif).  Les  puissances  supérieures, 
intelligence  et  surtout  amour  purs,  ne  s'en  déploient 
que  plus  librement,  dans  un  acte  ou  plutôt  un  état 
sublime  de  surélévation  ou  de  ravissement  ou  de  trans- 
port spirituel  (supermentalis  excessus  vel  supra  spiri- 
tum),  qui  est  tout  ensemble  «  contemplation  »  et  «dilec- 


tion  extatique  »  du  souverain  bien.  Et  par  là  dépasse- 
t-il  éminemment  le  simple  savoir  théorique.  Par  où  l'on 
comprend  aussi  qu'à  la  différence  de  la  théologie  dia- 
lectique ou  argumentative,  la  théologie  mystique  ne 
requiert  pas  un  acquis  scientifique  considérable,  mais 
seulement  la  foi  en  Dieu  et  l'amour  de  Dieu  comme 
Bien  suprême,  sans  aucune  science  livresque;  d'où  il 
suit  qu'elle  est  à  la  portée  des  plus  simples  et  même 
des  ignorants.  En  troisième  lieu,  elle  a  le  privilège, 
toujours  par  rapport  à  la  théologie  d'école,  de  nous 
apporter,  par  l'adhésion  et  l'union  à  Dieu,  fruit  de 
l'amour  même,  le  parfait  contentement  de  nos  âmes 
avec  la  totale  et  définitive  pacification  de  nos  désirs. 
Cette  union  (union  mystique)  est  d'ailleurs  à  entendre 
dans  un  sens  exclusivement  moral,  c'est-à-dire  que  l'âme, 
en  s'attachant  à  Dieu  par  l'amour,  ne  fait  qu'un  avec 
lui  par  la  parfaite  conformité  du  vouloir,  mais  une 
conformité  tellement  parfaite  qu'elle  rejaillit  jusqu'à 
la  substance  même  de  l'âme,  qui  adhère  ainsi  à  Dieu 
par  son  fond;  à  cause  de  quoi  Gerson  compare  le 
rapport  de  l'âme  avec  Dieu  dans  l'union  mystique  à 
celui  de  la  même  âme  avec  la  grâce  sanctifiante  (en 
tant  que  distincte  des  vertus)  dans  la  justification. 
L'union  mystique,  enfin,  ainsi  définie,  et  par  elle  la 
théologie  mystique  elle-même,  avec  l'amour  dont  elle 
est  l'expression,  coïncide  et  s'identifie  avec  la  prière 
parfaite  ou  prière  par  excellence,  qui  ne  consiste  pas 
en  paroles,  même  imaginées  ou  intérieures,  mais  dans 
un  suprême  ravissement  de  la  pensée  et  du  cœur  au- 
dessus  d'eux-mêmes  pour  se  perdre  et  s'absorber  en 
Dieu,  sursum  corda...  ad  Dominum. 

Voilà  pour  la  partie  spéculative  de  la  théologie  mys- 
tique. Gerson,  en  effet  —  et  c'est  une  division  qui  lui 
appartient  en  propre  —  y  distingue  en  outre  une  partie 
pratique,  exposant  les  conditions  et  les  moyens  prépa- 
ratoires (industrice)  de  la  contemplation  mystique.  Ces 
induslriœ  sont  les  suivantes  :  1°  attendre  l'appel  de  Dieu; 
2°  bien  connaître  son  tempérament  individuel;  3°  avoir 
égard  à  sa  vocation  et  à  son  état;  4°  tendre  sans  cesse 
vers  une  perfection  plus  haute;  5°  éviter  autant  que 
possible  la  multiplicité  des  affaires  et,  en  tout  cas,  ne 
pas  se  laisser  absorber  par  elles;  6°  écarter  tout  vain 
désir  de  science  (toute  vaine  curiosité);  7°  se  tenir  bien 
calme  et  s'exercera  la  patience;  8° connaître  l'origine  des 
affections  et  passions  ;  9°  choisir  le  temps  et  l'endroit  qu'il 
faut;  10°  éviter  toute  exagération,  soit  en  plus,  soit  en 
moins,  dans  le  sommeil  et  la  nourriture;  ll°s'entretenir 
dans  les  pensées  qui  excitent  de  pieuses  affections;  12° 
écarter  de  son  esprit  toutes  les  images  (ce  qui  est  par  excel- 
lence modus  simplificandi  cor  in  medilationibus  et  produ- 
cendi  contemplationem).S>c\iwab,op.  cit.,  p.  325  sq.  Les  trai- 
tés  mystiques  de  Gerson  se  trouvent  surtout  dans  le  t.  ni 
de  ses  œuvres  (édition  Ellies  Dupin).  Bien  que  dans  ce  ré- 
sumé la  science  mystique  telle  qu'elle  est  exposée  par 
notre  docteur  paraisse  très  complexe,  cependant  l'auteur 
désire  que  cette  théologie  soit  mise  en  pratique  par  des 
personnes  simples,  sans  lettres,  idiolœ  (expression  que 
M.  Jourdain  a  tort  de  traduire  par  idiots.  Dictionnaire 
des  sciences  philosophiques,  p.  613). 

Ses  guides  préférés  sont  Alexandre  de  Halos  et  saint 
Bonaventure,  dont  il  loue  la  doctrine  mclliflua  et  ignea. 
Opéra,  t.  i,  col.  117.  Dans  les  grandes  discussions  sur 
la  théologie  mystique,  qui  ont  eu  lieu  entre  Bossuet 
et  Fénelon,  Gerson  est  souvent  cité  par  Bossuet. 
L'évêque  de  Meaux  combat  comme  lui  Ruysbroeck, 
ainsi  que  certains  autres  mystiques  qui  emploient 
des  enflures  de  style  et  des  expressions  exorbitantes 
ou  délibérément  obscures.  Il  se  montre  aussi  avec  lui 
l'adversaire  de  ceux  qui  s'en  rapportent  en  tous  points 
à  leur  expérience  personnelle  pour  échapper  au  juge- 
ment de  l'Église.  Préface  sur  V  Instruction  pastorale  de 
M.  de  Cambrai,  xxv;  Préface  sur  les  états  d'oraison, 
ni  et  iv. 


1327 


GERSON 


1328 


Sous  le  rapport  mystique,  Gerson  est  bien  supérieur 
à  son  maître  Pierre  d'Ailly  dont  les  théories  n'ont 
rien  d'original.  Quand  ces  deux  auteurs  traitent  les 
mêmes  questions,  ils  ne  le  font  point  de  la  même 
manière.  Lorsque,  par  exemple,  il  s'agit  du  discer- 
nement des  esprits,  l'évêque  de  Cambrai  donne  les 
règles  de  ce  discernement,  il  cherche  à  en  déterminer  la 
valeur  et  tombe  dans  ses  erreurs  et  confusions  coutu- 
mières  sur  les  notions  d'évidence  et  de  certitude.  Voir 
Discernement  des  esprits,  t.  iv,  col.  1415;  Pelrusde 
Alliaco,  p.  207.  Gerson  est  plus  pratique  dans  plusieurs 
de  ses  traités  ou  sermons,  De  examinalionc  doclrinarum. 
Il  cherche  à  distinguer  les  vraies  révélations  des 
fausses,  la  bonne  monnaie  de  la  mauvaise,  et  exa- 
mine quels  sont  ceux  qui  ont  autorité  pour  discerner 
les  doctrines,  le  concile  général,  le  pape,  les  prélats, 
les  docteurs  diplômés  ou  non  et  ceux  qui  ont  reçu  à 
cet  effet  un  charisme  spécial.  11  en  est  de  même  lors- 
que tous  deux  traitent  de  la  dévotion  à  saint  Joseph. 
D'Ailly,  dans  son  traité  De  duodecim  honoribus  sancli 
Joseph,  a  le  privilège  de  la  priorité,  son  opuscule  est 
un  résumé  de  toute  la  matière  théologique,  il  est  bref 
et  absolu  comme  un  syllogisme.  Gerson  est  plus  doux, 
plus  sympathique,  plus  orateur  et  plus  poète;  si  le 
premier  est  un  esprit,  le  second  est  un  cœur.  D'Ailly 
traite  la  question  dogmatique;  à  Gerson  revient  l'expo- 
sition morale,  mystique  et  dévote.  L'évêque  de  Cam- 
brai est  l'initiative  féconde  et  l'exposition  impecca- 
ble; Gerson  le  développement  oratoire  et  spirituel. 
Opéra,  t.  iv,  col.  732.  Chacun  dans  son  genre  a  gran- 
dement contribué  en  France  à  la  diffusion  du  culte 
du  saint  patriarche. 

Une  dernière  question  se  rapporte  à  la  théologie 
mystique  de  Gerson  :  est-il  l'auteur  de  l'Imitation 
de  Jésus-Christ  ?  Onésime  Leroy,  Thomassy,  Darche, 
Cazères  lui  attribuent  le  plus  beau  livre  qui  soit  sorti 
de  la  main  des  hommes.  Nous  ne  saurions  être  de  cet 
avis.  Sans  entrer  dans  les  discussions  toujours  épi- 
neuses sur  la  valeur  et  l'authenticité  des  manuscrits, 
nous  pensons  qu'il  y  a  trop  de  différences  de  style  et 
d'idées  entre  notre  docteur  et  l'auteur  de  l'Imitation. 
Nous  croyons  que  ce  livre  a  été  pensé  et  écrit  par  un 
Hollandais,  qu'il  reproduit  la  mystique  de  la  congré- 
gation des  augustins  de  Windesheim,  et  d'ailleurs  la 
chronique  de  cet  ordre  rédigée  par  un  contemporain 
de  Thomas  à  Kempis  (f  1471),  Jean  Busch  (f  1479), 
attribue  à  Thomas  la  paternité  de  ce  livre  sublime. 
C'était  l'opinion  d'Eusèbe  Amort  et  de  Rosweyde 
autrefois,  et  c'est  celle  qu'ont  soutenue  Mgr  Malou, 
Spitzen,  Les  hollandismes  de  l'Imitation  de  J.-C, 
1884;  Funk,  Kirchengesehichlliche  Abhandlungen  und 
Untersuchungen,  1899,  t.  u,  p.  373-374, 406-407;  Vacan- 
dard,  dans  la  Revue  du  clergé  français,  octobre  et 
décembre  1908;  Jeanniard  du  Dot,  dans  la  Revue  des 
sciences  ecclésiastiques,  janvier  1905   sq. 

Ce  rayon  manque  sans  doute  à  l'auréole  mystique 
de  Gerson,  mais  beaucoup  d'auteurs  ont  loué  ses 
théories  qu'ils  trouvent  d'autant  plus  remarquables 
que  les  faux  spirituels  pullulaient  à  son  époque.  Citons 
seulement  saint  François  de  Sales  dans  la  préface  du 
Traité  de  l'amour  de  Dieu  :  «  Quant  à  Jean  de  Gerson, 
dit-il,  il  a  si  dignement  discouru  des  cinquante  pro- 
priétés du  divin  amour  qui  sont  ça  et  là  déduites  du 
Cantique  des  cantiques,  qu'il  semble  que  luy  seul  ayt 
tenu  le  conte  des  affections  de  l'amour  de  Dieu. 
Certes,  cet  homme  fut  extrêmement  docte,  judicieux 
et  dévot.  » 

V.  Sa  prédication.  ■ —  Le  chancelier  avait  une 
imagination  féconde,  un  cœur  impressionnable,  une 
intelligence  aussi  élevée  que  compréhensive  et  par- 
dessus tout  un  zèle  ardent  pour  le  salut  des  âmes.  Il 
possédait  donc  toutes  les  qualités  qui  font  les  orateurs 
éminents.   De  fait,  il  fut  un  des  principaux  prédica- 


teurs de  son  siècle  avec  Nicolas  Oresme,  Jean  Courte- 
cuisse,  le  carme  Eustache  de  Pavilly  et  l'augustin 
Jacques  Legrand. 

Il  est  souvent  cité  par  les  orateurs  les  plus  renommés 
de  l'âge  suivant,  comme,  par  exemple,  le  célèbre 
Maillard  et  le  cordelier  Menot  quand  ils  entretiennent 
leurs  auditeurs  de  la  passion  de  Notre-Seigneur, 
sujet  que  Gerson  a  traité  plusieurs  fois.  Bibliothèque 
nationale,  n.  8188. 

Non  seulement  on  trouve  chez  lui  le  modèle  de 
l'art  oratoire,  mais  on  y  rencontre  encore  une  source 
très  féconde  de  renseignements  historiques  et  d'allu- 
sions aux  événements  politiques  et  religieux  de  l'époque. 
Ainsi,  par  exemple,  il  parle  souvent  des  malheurs  du 
temps,  de  la  maladie  du  roi,  des  souffrances  du  peuple, 
de  l'invasion  anglaise,  des  divisions  de  l'Église  (1405). 

En  1408,  comme  délégué  de  l'université,  il  émet 
ses  théories  sur  les  fondements  du  pouvoir,  les  limites 
de  l'autorité  souveraine  et  les  obligations  de  ceux  qui 
la  tiennent  en  main.  C'est  peut-être  ce  que  le  chancelier 
a  écrit  de  plus  parfait  en  ce  genre.  Bibliothèque 
nationale,  n.  515,  fol.  37.  A  la  même  époque,  il  pro- 
nonce un  discours  après  la  réconciliation  imposée 
aux  enfants  du  duc  d'Orléans  et  à  Jean  sans  Peur,  son 
meurtrier.  Après  le  concile  de  Pise  (1409),  Gerson  fut 
chargé  par  l'évêque  de  Paris,  qui  s'unit  en  cette  cir- 
constance à  l'université,  de  faire  un  discours  contre 
les  prétentions  des  frères  mendiants.  Le  jour  de  Noél 
de  cette  même  année,  il  prêcha  en  présence  du  roi  le 
sermon  sur  l'union  des  grecs,  préconisée  au  sein  du 
concile.  En  1413,  il  s'éleva  dans  un  sermon  contre  les 
factieux  connus  sous  le  nom  de  cabochiens.  Dans  son 
édition  de  1502,  Wimpheling  a  classé  à  part  les  sermons 
originairement  faits  en  latin  et  ceux  qu  i  ont  été  traduits 
en  cette  langue.  Ses  sermons  français,  au  nombre  de 
soixante-quatre,  se  trouvent  à  la  Bibliothèque  nationale 
et  à  celle  de  Tours,  et  ont  été  étudiés  spécialement 
par  l'abbé  Bourret,  devenu  depuis  évêque  de  Rodez  et 
cardinal.  Us  ont  été  prêches  dans  les  principales 
églises  de  la  capitale  et  surtout  dans  la  paroisse  de 
Saint- Jean-en-Grève. 

Le  plan  de  ces  instructions  est  à  peu  près  le  même 
que  celui  des  sermons  modernes,  mais  l'érudition  du  pré- 
dicateur manque  souvent  de  goût  et  de  critique,  et  fait 
un  étalage  parfois  trop  pompeux  de  textes  disparates. 

Au  point  de  vue  de  la  doctrine,  Gerson  traite  surtout 
les  sujets  de  morale;  il  tonne  avec  énergie  contre 
l'orgueil,  l'intempérance  et  le  débordement  des  mœurs. 
Il  travaille  avant  tout  à  la  réforme  intérieure,  il  invite 
à  la  pénitence,  pœnitemini  et  crédite  evangelio,  tel  est 
son  texte  favori  qu'il  fit  inscrire  jusque  sur  son  tom- 
beau. Il  menace  ses  ouailles  des  jugements  de  Dieu, 
sans  oublier  pourtant  les  paroles  d'espérance  et  de 
consolation,  doclor  consolatorius. 

Son  style  est  loin  d'être  uniforme,  il  diffère  selon 
les  auditoires.  Précis  et  froid  quand  il  expose  le  dogme, 
il  sait  le  plus  souvent  remuer  les  passions;  il  use 
largement  de  l'allégorie  et  de  la  mise  en  scène.  Sa 
phrase  a  le  piquant,  la  naïveté  et  l'originalité  des 
vieux  chroniqueurs  français,  mais  elle  est  toujours 
digne,  décente  et  de  bon  goût.  Les  discours  qu'il 
eut  à  prononcer  devant  la  cour  sont  pour  la  plupart 
des  œuvres  très  travaillées  dans  lesquelles  se  trouvent 
non  seulement  la  vigueur  et  la  profondeur  du  raison- 
nement, mais  encore  les  grâces  du  style  et  les  meilleurs 
ornements  du  langage. 

Nous  n'avons  pas  à  nous  occuper  ici  de  ses 
œuvres  exégétiques,  bien  que  le  P.  Cornely  trouve 
excellentes  ses  propositions  de  sensu  lilerali  Scriplurœ 
et  de  causis  errantium.  Opéra,  t.  i,  col.  n  sq.  Il  écrivit 
aussi  des  commentaires  sur  les  sept  psaumes  de  la 
pénitence  et  deux  Lectures  très  utiles  sur  saint  Marc. 
Opéra,  t.  iv,  col.  2,  203.  Un  de  ses  derniers  traités  fut 


1329 


GERSON  —  GERTMAN 


1. •:;;(! 


son  explication  du  Cantique  des  cantiques.  Comme 
saint  Thomas  d'Aquin,  il  voulut  terminer  sa  vie  en 
commentant  la  plus  belle  œuvre  de  Salomon.  Ce  fu- 
rent ses  nouissima  verba,  son  chant  du  cygne  ou  plu- 
tôt son  chant  du  départ  pour  une  vie  meilleure. 
Nous  ne  nous  appesantirons  pas  non  plus  sur  ses 
œuvres  poétiques  françaises  ou  latines.  Un  manu- 
scrit de  la  Bibliothèque  nationale,  n.  24865,  lui  attri- 
bue le  Jardin  amoureulx  de  l'âme  dévote  avec  les  vers 
qui  suivent.  Nous  pensons  que  cet  ouvrage  doit  être 
restitué  à  d'Ailly.  II  a  composé  un  bon  nombre  de 
poésies  dans  le  rythme  de  Virgile,  de  Prudence  et  de 
Eortunat.  Elles  furent,  dit-on,  peu  appréciées  par  ses 
contemporains  et  il  dut  en  prendre  la  défense  :  de  là 
Carminum  suoruin  honesta  defensio  decantaia  Lugduni. 
Il  disait  dans  son  apologie,  Opéra,  t.  iv,  col.  540  : 

Vidit  livor  edax,  ut  (et)  mea  carmina 
Despexit  :  nitida  veste  carent,  ait... 

Pour  notre  part,  nous  trouvons  qu'elles  ne  sont  pas 
sans  charme.  Son  œuvre  poétique  la  plus  longue  est  un 
poème  intitulé  :  Josephina,  qui  se  compose  de  4  800  vers 
latins.  Opéra,  t.  iv,  col.  743.  Il  a  été  traduit  par  le  P.  Avi- 
gnon, de  Toulouse,  missionnaire  du  Calvaire.  Ce  poème  a 
attiré  l'attention  et  les  éloges  du  célèbre  critique  Saint- 
Marc  Girardin,  Tableau  de  la  littérature  française  au 
XVIe  siècle,  1868,  p.  224  sq.  Cet  article  a  paru  dans  la 
Revue  des  deux  mondes,  le  15  août  1849.  La  longue  pièce 
de  Gerson  est  pleine  d'allégories  qui  ont  tout  à  la  fois  un 
sens  moral  et  un  sens  philosophique,  et  elle  emprunte 
beaucoup  aux  Évangiles  apocryphes. Enfin,  nous  ne  par- 
lerons pas  des  élucubrations  politiques  du  chancelier, 
qui  ont  été  parfois  sévèrement  jugées;  non  plus  que  d'un 
petit  volume  intitulé  :  L'esprit  de  Gerson,  pamphlet 
antipapal  publié  en  1G92.  Voici  comment  Bossuet 
juge  cet  ouvrage  dans  une  lettre  spirituelle  adressée  à 
Mme  d'Albert  de  Luynes  :  «  Je  ne  connais  de  ce  livre 
que  le  nom  de  l'auteur  (Eustache  le  Noble)  qui  est  un 
très  malhonnête  homme,  et  très  ignorant  en  théologie.  » 
Lettre  lxxiv. 

Les  œuvres  complètes  de  Gerson  furent  éditées  dès 
le  commencement  de  l'imprimerie,  d'abord  à  Cologne  : 
Operum  Johannis  Gerson,  cancellarii  Parisiensis,  in-fol., 
1483,  t.  i-m;  1484,  t.  iv. Voir  le  détail  dans  Schwab,  op. 
cit.,  p.  788,  et  pour  les  œuvres  oratoires  dans  Bourret, 
p.  20.  Les  deux  éditions  françaises,  celle  de  Bicher,4  vol., 
Paris,  1606,  et  celle  d  Ellies  Dupin,  5  in-fol.,  Anvers  ou 
plutôt  Amsterdam,  1706,  ont  été  faites  sous  l'influence 
d'idées  gallicanes  et  dans  des  vues  de  polémique  reli- 
gieuse. Elles  ont  été  composées  sans  grand  soin,  avec 
hâte  et  confusion,  et  ne  sont  pas  sans  de  graves  défauts. 

La  dernière  est  pourtant  assez  complète  et  contient 
dans  les  quatre  premiers  volumes  plus  de  quatre  cents 
traités  de  Gerson.  C'est  toujours  celle  que  nous  avons 
citée,  bien  qu'on  doive  se  mettre  en  garde  contre  le 
mauvais  esprit  de  l'éditeur. 

Vers  la  fin  de  sa  vie,  Gerson  se  plaignait  de  voir  cer- 
tains de  ses  opuscules  falsifiés  et  publiés  d'une  manière 
incorrecte  et  souhaitait  que  la  flamme  les  dévorât. 
Qu'eùt-il  dit,  s'il  avait  pu  prévoiries  manipulations  que 
ses  écrits  allaient  subir  entre  les  mains  des  éditeurs  de 
l'avenir  et  les  interprétations  parfois  fantaisistes  et  hété- 
rodoxes auxquelles  ils  seraient  livrés  ? 

Quant  à  ses  sermons, nous  espérons  que  bientôt  quel- 
que érudit  les  feraparaître  dans  leur  originalité  primitive 
et  d'après  les  manuscrits  authentiques.  Le  grand  public 
pourra  ainsi  appréciera  sa  juste  valeur  un  des  monu- 
ments les  plus  remarquables  de  notre  littérature  sacrée. 
Telle  fut  la  vie  si  agitée  et  telles  furent  les  idées  si 
complexes  de  l'illustre  chancelier  de  l'université  de 
Paris.  Nous  avons  tâché  de  les  résumer  avec  impar- 
tialité et  sans  passion,  sine  ira  et  studio. 

Il  fut  certainement  un  des  hommes  les  plus    sym- 


pathiques de  son  époque,  et  son  influence  s'étendit 
bien  au  delà  des  limites  de  son  temps  et  de  son  pays. 
Il  se  trompa  parfois,  mais,  quand  il  exposa  la  vérité, 
il  dépassa  les  meilleurs.  Appliquons  à  ses  œuvres,  en 
le  modifiant  quelque  peu,  le  vers  connu  de  Martial  : 

Sunt  mata,  sunt  quœdam  mediocria,  sunt  bona  plura. 

B.  Bess,  Johannes  Gerson  und  die  kirchenpolitisehen 
Parteien  Frankreichs  vor  dem  Konzil  zu  Pisa  (dissert.), 
in-S°,  1890;  M.  J.  Boileau,  Les  variations  doctrinales  du 
chancelier  Gerson  sur  la  souveraineté  et  l'infaillibilité  ponti- 
ficales avant,  pendant  et  après  le  concile  de  Constance,  pré- 
cédées d'an  exposé  de  sa  vie  et  de  ses  œuvres,  clans  la  Revue 
du  monde  catholique,  1881,  t.  x,  p.  60-80,  394-416,  627-645; 
Emile  de  Bonnechosc,  Les  Réformateurs  avant  la  Réforme, 
X  V*  siècle,  Gerson,  Jean  Huss  et  le  concile  de  Constance, 
2  in-8",  Paris,  1844,  avec  des  considérations  nouvelles  sur 
l'Eglise  gallicane  depuis  le  grand  schisme  jusqu'à  nos  jours, 
tbirf.,  1853;  3»  édit.,2  in-12,  ibid.,  1860;  trad.  allem., Leipzig, 
1847;  M.  Bouix,  Tractatus  de  papa,  Paris,  1870,  t.  i; 
E.  Bourret,  Essai  historique  et  critique  sur  les  sermons  français 
de  Gerson,  d'après  les  mss.  inédits  de  la  Ribliothèque  impériale 
et  de  la  bibliothèque  de  Tours,  in-8°,  Paris,  1858  ;  Jean  Darche, 
Le  R.  Jean  Gerson,  chancelier  de  Paris,  docteur  très  chrétien 
et  consolateur,  sa  vie  et  son  culte,  son  influence  pour  le  culte 
de  Marie,  etc.,  in-18,  Paris,  1880;  Dupré  Lasalle,  Éloge 
de  Jean  Gerson,  chancelier  de  l'Église  et  de  l'université 
de  Paris,  dans  Académie  franc.,  séance  publ.  (1838)  ;  discours, 
in-4°,  Paris  (1838);  dans  Chroniq.  de  Champagne  (1838), t.  iv, 
p.  125-129;  A.-P.  Faugére,  Éloge  de  Jean  Gerson,  chancelier 
de  l'Église  et  de  V université  de  Paris,  dans  Académie  franc., 
séance  publ.,  1838;  discours,  in-S°,  Paris,  1838;  ibid.,  1843; 
P.  Féret,  La  faculté  de  théologie  de  Paris  et  ses  docteurs 
les  plus  célèbres,  moyen  âge,  Paris,  1897,  t.  iv,  p.  223-273; 
Ch.  Jourdain,  Doctrina  Johannis  Gersonii  de  theologia 
mystica,  in-8°,  Paris,  1838;  art.  Gerson ,  dans  le  Dictionnaire 
des  sciences  philosophiques  (1875),  p.  616-619;  J.-B.  L'Écuy, 
Essai  sur  la  vie  de  Jean  Gerson,  chancelier  de  l'Église  et  de 
l'université  de  Paris,  sur  sa  doctrine,  ses  écrits,  et  sur  les 
événements  de  son  temps  auxquels  il  a  pris  part,  précédé 
d'une  introduction  où  sont  exposées  les  causes  qui  ont  préparé 
et  produit  le  grand  schisme  d'Occident,  2  in-8°,  Paris,  1832; 
On.  Leroy,  Corneille  et  Gerson  dans  V  «  Imitation  de  Jésus- 
Clirist  »,  in-8°,  Paris,  1841;  Valenciennes,  Paris,  1842;  ex- 
trait, Paris,  1841;  cf.  J.  (de),  dans  L'Univers  catholique 
(1842),  t.  xiv,  p.  202-211;  dans  l'Investigateur  (1844),  t.  iv, 
p.  352;  Gerson  auteur  de  l'  «  Imitation  de  J.-Ch.  »,  monument 
à  Lyon...,  in-8°,  Paris,  1845;  A.  L.  Masson,  Jean  Gerson,  sa 
vie,  son  temps,  ses  œuvres,  in-8°,  Lyon,  1894;  A.  Lafontaine, 
Jehan  Gerson,  Paris,  1906;  Ed.  Richer,  Apologia  pro  Joanne 
Gersonio,  pro  suprema  Ecclesiœ  et  concilii  generalis  auctori- 
tate...,  in-4°,  Leyde,  1676;  L.  Salembier,  Petrus  de  Alliaco, 
Lille,  1886;  Le  grand  schisme  d'Occident,  4°  édit.,  Paris,  1902; 
J.-B.  Schwab,  Johannes  Gerson,  professor  der  Théologie  und 
Kanzler  der  Universitut  Paris,  eine  Monographie,  in-8°, 
Wurzbourg,  1858;  Sfondrate,  Gallia  vindicata,  Mantoue, 
1711;  R.  Thomassy,  Jean  Gerson  et  le  grand  schisme 
d'Occident,  28  édit.,  in-18,  Paris,  1852;  Noël  Valois,  La 
France  et  le  grand  schisme,  4  in-8°,  Paris,  1896-1902; 
J.  C.  A.  Winkelmann,  Gerson,  Wiclefus,  Hussus  inter  se  et 
cum  reformatoribus  comparati,  commentatio,  in-4",  Gœt- 
tingue,  1857;  Zaccaria,  Antifebronius,  4  in-8°,  1768-1770. 

L.  Salembier. 
GERTMAN  Mathias  était  originaire  de  Turnhout, 
petite  ville  de  la  Campine  (Brabant),  où  avait  pris 
naissance,  plus  d'un  siècle  auparavant,  le  fameux 
théologien  de  Louvain,  Jean  Driedo.  Il  appartenait 
à  une  ancienne  et  noble  famille.  Né  en  1614,  il  fit 
de  brillantes  études  à  l'université  de  Douai;  il  y 
obtint  le  bonnet  de  docteur  en  théologie,  en  1640, 
après  avoir  eu  pour  professeur  l'illustre  Sylvius.  Il 
reçut  une  chaire  primaire  de  théologie  en  1654  et  il 
remplaça  probablement  Valentin  Bandour.  Il  fut 
pendant  quarante  ans  directeur  du  séminaire  du  roi. 
Prévôt  de  Saint-Pierre  à  Douai  en  1658,  puis  de  Saint- 
Amé  en  1670,  il  fut  en  même  temps  chancelier  de 
l'université.  Il  joignit  à  ces  emplois  divers  celui  de 
censeur  de  livres. 

Il  fut  mêlé  à  deux  affaires  très  importantes  dans  la 


1331 


GERTMAN 


GERTRUDE  LA  GRANDE 


l;;:i2 


lultcdc  la  faculté  contre  le  jansénisme  et  le  gallica- 
nisme. 

En  1673,  Adam  Widenfeld,  avocat  de  Cologne, 
qui  avait  fréquenté  les  jansénistes  de  Gand,  de  Louvain 
et  de  Paris,  publia  à  Gand  un  opuscule  intitulé  : 
Monita  salularia  B.  Yirginis  Mariœ  ad  cullores  suos 
indiscrclos.  L'auteur  mettait  dans  la  bouche  de  la 
Vierge  Marie  une  série  de  reproches  qu'elle  adressait 
à  ses  dévots  sur  la  forme  de  leurs  prières.  Cet  opuscule 
fut  traduit  en  français;  l'une  de  ces  traductions  était 
de  dom  Gerberon,  bénédictin  de  la  congrégation  de 
Saint-Maur,  fort  compromis  dans  les  luttes  jansénistes, 
qui  dut  plus  tard  se  réfugier  en  Hollande  et  fut  ensuite 
enfermé  à  Vincennes  jusqu'à  la  rétractation  de  ses 
erreurs.  Un  prêtre  du  diocèse  de  Tournai  demanda  à 
son  évêque  Gilbert  de  Choiscul,  janséniste  avéré,  la 
permission  de  faire  imprimer  une  traduction  dont  il 
était  l'auteur.  Le  prélat  accorda  l'autorisation.  Cette 
audacieuse  attaque  contre  la  dévotion  à  la  sainte 
Vierge  causa  une  très  vive  impression  dans  la  Flandre 
et  le  Hainaut.  Les  jésuites  et  les  récollets  firent  à 
l'évêque  de  Tournai  une  très  vive  opposition.  D'après 
Foppens,  Gertman  publia  à  Douai  une  réfutation 
péremptoire  du  livre  de  Widenfeld  sous  ce  titre  : 
Jesu  Christi  monila  maxime  salularia  de  cullu  dile- 
clissimœ  matri  Marix  débite  exhibendo  (1674).  Nous 
devons  le  dire  cependant,  Paquot  pense  que  cette 
réfutation  eut  pour  auteur  Henri  De  Cerf,  aussi 
professeur  de  théologie  à  Douai  (t  1705). 

Gertman  prit  aussi  une  part  active  à  la  protestation 
que  le  recteur  et  le  conseil  de  l'université  adressèrent 
à  Louis  XIV,  le  9  mars  1683,  à  propos  des  fameux 
articles  de  1682,  dont  le  roi  réclamait  l'enseignement 
dans  les  chaires  des  facultés.  Les  professeurs  de 
théologie  d'alors  étaient  Jacques  Randour,  neveu 
de  Valentin,  Pierre  Delalaing,  Mathias  Gertman  et 
Nicolas  de  la  Verdure.  Ces  docteurs  ne  traitèrent  point 
la  question  de  fond;  ils  n'auraient  guère  eu  de  chances 
d'être  écoutés;  mais  dans  une  lettre  très  respectueuse 
dans  la  forme,  très  ferme  et  très  fière  au  fond,  ils 
plaidèrent  l'opportunité.  Ils  firent  valoir  de  leur  mieux 
les  traditions  de  leur  illustre  école  et  du  pays,  les 
intérêts  de  la  religion  en  Flandre,  et  leurs  craintes 
pour  l'avenir  de  leur  chère  Aima  mater.  Le  succès  ne 
fut  pas  immédiat.  Louis  XIV  ne  voulut  point  d'abord 
prêter  l'oreille  à  ces  doléances,  si  légitimes  qu'elles  fus- 
sent. Les  maîtres  refusèrent  énergiquement  d'enseigner 
la  Déclaration.  On  sait  qu'en  1693,  le  roi,  vaincu  par 
la  résistance  des  souverains  pontifes  et  de  leurs  nonces, 
revint  à  résipiscence  dans  une  lettre  adressée  au  pape 
Innocent  XII.  Il  l'avertit  qu'il  avait  donné  les  ordres 
nécessaires  «  pour  que  les  choses  contenues  dans  cet 
édit,  touchant  la  Déclaration  faite  par  le  clergé  de 
France,  à  quoi  les  conjonctures  passées  l'avaient  obligé, 
ne  soient  pas  observées.  » 

Gertman  était  mort  le  29  novembre  1683;  il  ne 
vit  point  la  victoire  finale  de  l'université  de  Douai. 
I!  fut  inhumé  dans  la  collégiale  aujourd'hui  détruite 
de  Saint-Amé.  Une  splendide  épitaphe,  rapportée  par 
Foppens  et  par  Paquot,  rappelait  les  principaux  faits 
de  sa  carrière  professorale  et  signalait  ses  brillantes 
qualités.  Par  son  testament,  il  fonda  une  bourse 
d'études  de  près  de  deux  mille  florins  de  rente  en 
faveur  de  ses  parents  et,  à  défaut  d'eux,  en  faveur  des 
jeunes  gens  nés  à  Turnhout  ou  dans  un  rayon  de  huit 
lieues  de  cette  ville.  Il  légua  aussi  au  séminaire  sa 
riche  bibliothèque,  à  condition  qu'elle  restât  acces- 
sible aux  docteurs,  professeurs,  licenciés  et  étudiants 
de  l'université.  Gertman  a  composé  plusieurs  traités 
de  théologie.  Son  cours  sur  l'eucharistie,  professé  en 
1643,  se  trouve  en  manuscrit  à  la  bibliothèque  de 
Saint-Omer,  n.  160. 

Bouix,  De   papa,    t.    il,  p.    125;    Foppens,    Bibliolheca 


belgica  (1739),  t.  n,  p.  873;  Séries  doctorum  Académies 
Duacensis,  ms.  de  la  bibliothèque  de  Bourgogne  à  Bru- 
xelles, 17Ô9-;  Mgr  Hautcœur,  dans  la  Revue  des  sciences 
ecclésiastiques,  1"  série,  t.  m,  p.  359;  Paquot,  Mémoires 
]>  ur  servir  à  l'histoire  littéraire  des  dix-sept  provinces  des 
Pays-Bas,  t.  xvi,  p.  291  sq.  ;  L.  Salembier,  Hommes  et 
choses  de  Flandre,  p.  256;  Van  der  Meersch,  Biographie 
nationale,  publiée  par  l'Académie  royale  de  Belgique, 
t.  vil,  p.   079. 

L.  Salembier. 
GERTRUDE    LA    GRANDE  (Sainte).  —    I.    Vie. 
II.  Doctrine.  III.  Influence. 

I.  Vie.  —  Sainte  Gertrude  ne  nous  est  guère 
connue  que  par  les  cinq  livres  de  ses  révélations; 
encore  ne  nous  renseignent-ils  pas  beaucoup  sur  sa 
vie  extérieure  et  ne  suivent-ils  point  l'ordre  chrono- 
logique. Sa  biographie  se  réduit  donc  à  peu  de  chose. 
On  l'a  confondue  parfois  avec  sainte  Gertrude 
de  Nivelles,  fille  de  Pépin  de  Landen  (f  659).  Cf.  M.  del 
Rio,  Disiiuisilionum  magicarum,  1.  IV,  c.  i,  q.  m, 
Lyon,  1608,  p.  266.  Par  suite  d'une  confusion  autre- 
ment importante  puisque,  pendant  des  siècles,  elle 
a  été  générale  et  se  retrouve  dans  les  leçons  de  sa 
fête  au  bréviaire  romain  (15  novembre),  on  l'a  iden- 
tifiée avec  l'abbesse  de  son  monastère.  W.  Preger, 
Geschichte  der  denlschen  Mystik  im  Miltelaller,  Leipzig, 
1874,  t.  i,  p.  73-74,  et  les  bénédictins  de  Solesmes 
dans  l'introduction  des  Rcvelationcs  gerlrudianœ  ac 
mechtildianœi  Poitiers,  1875,  ont  démontré  qu'il  y  eut 
deux  Gertrude  :  Gertrude  de  Hackeborn,  née  en  1232, 
abbesse  en  1251,  morte  en  1291,  et  notre  sainte,  née 
en  1256  et  entrée  au  couvent  à  l'âge  de  cinq  ans. 
Fondé  àMansfeld  (1229),  le  monastère  avait  été  trans- 
féré à  Rodardesdorf  ou  Rossdorf  (1234),  puis  (1258)  à 
Helfta,  aux  portes  d'Eisleben.  Les  bénédictins  de 
Solesmes,  Rcvelationcs,  t.  i,  p.  xxvn,  ont  tenté  d'accré- 
diter l'opinion  que  les  moniales  adoptèrent  d'abord 
la  règle  de  saint  Benoît  et,  en  conséquence,  ont  fait 
de  Gertrude  une  bénédictine.  Le  P.  Ë.  Michael,  Die 
heilige  Mechtild  und  die  heilige  Gertrude  die  Grosse 
Bencdictinerinnen  ?  dans  la  Zeitschrijt  fur  katholische 
Théologie,  Inspruck,  1899,  t.  xxm,  p.  548-552,  et  dom 
U.  Berlière,  Sainte  M echtilde  et  sainte  Gertrude  la  Grande 
furent-elles  bénédictines  ?  dans  la  Revue  bénédictine, 
Maredsous,  1899,  t.  xvi,  p.  457-461,  ont  établi  que 
le  monastère  fut  cistercien.  Du  reste,  cistercien  ou 
bénédictin,  sous  l'habit  blanc  ou  sous  l'habit  noir, 
médiatement  par  Cîteaux  ou  de  façon  immédiate, 
Helfta  se  rattachait  toujours  à  saint  Benoît  et  à  sa 
règle. 

Passionnée  pour  les  études  littéraires,  au  point  qu'elle 
dira  plus  tard,  Revel.,  1.  II,  c.  n,  dans  une  de  ces 
énergiques  formules  d'humilité  qui  sont  habituelles 
aux  saints,  qu'elle  avait  alors  aussi  peu  de  souci  de 
son  âme  que  de  l'intérieur  de  ses  pieds,  Gertrude  subit 
une  crise  d'âme  qui  dura  quelques  semaines  et  se 
«  convertit  »  à  la  suite  d'une  vision  du  Christ  (27  jan- 
vier 1281).  Dès  ce  jour,  ce  fut  une  vie  nouvelle.  Elle 
s'adonna  à  la  lecture  des  saints  Livres,  des  Pères  et 
des  théologiens  (elle  utilise,  dans  ses  écrits,  saint 
Augustin,  saint  Grégoire  le  Grand,  saint  Bernard  et 
Hugues  de  Saint- Victor).  Ayant  un  véritable  talent 
de  parole,  elle  en  profita  pour  le  bien  des  religieuses 
d'Helfta  et  des  personnes  du  dehors  qui  venaient  de 
loin  pour  l'entendre.  Elle  n'eut  d'autre  emploi  que 
celui  de  suppléante  de  la  sœur  chantre,  sainte  Mech- 
tilde  de  Hackeborn.  Constamment  malade,  menant 
le  bon  combat  contre  ses  défauts,  en  particulier 
l'amour-propre  et  l'impatience  dont  elle  avait  peine 
à  se  défaire,  vivant  dans  un  état  d'union  habituelle 
avec  Dieu,  admirablement  pure,  détachée,  aimante, 
elle  fut  privilégiée  de  grâces  mystiques  et  reçut,  mais 
au  dedans,  non  de  façon  visible,  l'impression  des 
stigmates.  Elle  mourut,  semble-t-U,  peu  après  1300, 


1333 


GERTRUDE     LA     GRANDE 


1334 


vers  1302  ou  1303,  plutôt  qu'à  la  date  de  1310  proposée 
par  Prcgcr,  op.  cit.,  p.  78.  Cf.  G.  Ledos,  Sainte  Ger 
trude,  Paris,  1901,  p.  C4-66,  note. 

II.  Doctrine.  —  Sainte  Gertrude  écrivit,  en 
langue  vulgaire,  des  traités,  malheureusement  perdus, 
où  elle  expliquait  des  passages  obscurs  de  l'Écriture  et 
reproduisait  les  plus  belles  sentences  des  Pères. 
Cf.  ReveL,  1.  I,  c.  n,  vin.  Elle  paraît  avoir  été  l'une 
des  deux  sœurs  qui  rédigèrent  le  Livre  de  la  grâce 
spéciale  de  sainte  Mechtilde  de  Hackeborn.  Cf.  E.  Mi- 
chael,  Geschichle  des  deulschcn  Volkes  vom  drcizelinten 
Jahrhunderl  bis  zum  Ausgang  des  Mittelalters,  Fribourg- 
cn-Brisgau,  1903,  t.  ni,  p.  181.  Elle  composa  un  petit 
recueil  d'Exercices  (il  y  en  a  sept),  dont  un  bon  juge, 
Mgr  Gay,  a  déclaré,  Les  Exercices  de  sainte  Gertrude, 
dans  la  Revue  du  monde  catholique,  Paris,  1863,  t.  vi, 
p.  665  qu'  «  on  n'en  peut  dire  le  nombre,  la  plénitude, 
la  rigueur  théologique  et  en  même  temps  la  splendide 
poésie.  Il  rappelle  tout  ensemble  et  la  richesse  de 
l'Aréopagite  et  la  précision  de  saint  Thomas.  »  Enfin 
et  surtout,  nous  possédons  ses  révélations.  Écrites 
en  latin,  comme  les  Exercices,  elles  se  divisent  en 
cinq  livres  :  le  IIe  est  l'œuvre  de  la  sainte,  le  Ier  a 
été  écrit  après  sa  mort  par  une  moniale  de  son  entou- 
rage et  les  trois  derniers  l'ont  été  sur  des  notes  prises 
sous  sa  dictée.  Le  titre  est  Lcgalus  divinœ  pielalis, 
Le  héraut  ou  Le  messager  de  l'amour  divin,  ou,  selon 
la  remarque  délicate  du  P.  Bainvel,  voir  t.  m,  col.  309, 
«  pour  rendre  autant  qu'il  est  possible  la  nuance 
indéfinissable  du  mot  pielalis,  Le  héraut  de  la  bonté 
aimante  de  Dieu.   » 

On  a  dit  que  sainte  Gertrude  fut  «  la  sainte  de  l'huma- 
nité de  Jésus-Christ,  comme  sainte  Catherine  de 
Gênes  fut  la  sainte  de  la  divinité.  Ce  caractère  général 
éclaire  sa  vie  et  nous  explique  son  attrait  qui  fut  la 
familiarité.  »  E.  Hello,  Physionomie  de  saints,  Paris, 
1875,  p.  405.  On  a  dit  également  que  sainte  Gertrude 
«  a  enseigné  d'une  manière  admirable  la  théologie  de 
l'incarnation,  »  A.  Lepître,  Sainte  Gertrude  la  Grande, 
dans  L'université  catholique,  2e  série,  Lyon,  1897, 
t.  xxv,  p.  232,  qu'elle  a  été  «  la  théologienne  du  Sacré- 
Cœur,  »  Granger,  Les  archives  de  la  dévotion  au  Sacré- 
Cœur  de  Jésus  et  au  Saint-Cœur  de  Marie,  Ligugé, 
1893,  t.  i,  p.  306,  et  que,  si  elle  n'a  pas  été  choisie 
pour  être  l'apôtre  du  Sacré-Cœur,  «  elle  en  a  été,  en 
même  temps  que  l'amante  radieuse,  le  poète  exquis 
et  le  prophète.  »  Voir  t.  ni,  col.  311;  cf.  col.  309-311. 
Incarnation,  miséricorde  de  Jésus  et  intimité  con- 
fiante avec  lui.  Sacré-Cœur,  tel  est,  en  effet,  le 
domaine  de  sainte  Gertrude.  Il  convient  d'y  ajouter 
l'eucharistie;  peu  ont  poussé  à  la  communion  fré- 
quente autant  qu'elle  et  avec  un  sens  si  juste  des 
conditions  requises.  Cf.  dom  A.  Basquin,  La  doctrine 
de  l'eucharistie  dans  les  œuvres  de  sainte  Gertrude,  dans 
O  salularis  hostia,  Paris,  1903,  t.  n,  p.  10-12,  22-24. 
Et  tout  cela  baigne,  en  quelque  sorte,  dans  une  atmo- 
sphère liturgique.  «  C'est  généralement  d'un  mot,  d'une 
expression,  d'un  verset,  d'une  strophe,  d'une  pensée, 
d'une  nuance,  d'un  geste,  d'une  circonstance  de 
la  liturgie  que  naît  pour  elles  (sainte  Gertrude  et 
sainte  Mechtilde  de  Hackeborn)  le  rayon  qui  vient 
illuminer  leur  intelligence,  échauffer  leur  cœur,  fournir 
un  point  de  départ  à  leurs  visions  ou  à  leurs  extases.  » 
Dom  M.  Fcstugière,  La  liturgie  catholique,  dans  la 
Revue   de   philosophie,    Paris,  1913,  t.   xxn,   p.    773. 

Quand  clic  approuve  des  révélations,  l'Église  n'exige 
pas  qu'on  leur  accorde  un  assentiment  de  foi  catho- 
lique, mais  seulement  un  assentiment  de  foi  humaine, 
juxta  régulas  prudentise,  juxla  quas  prscdictœ.  revelationes 
sunl  probabiles  et  pie  credibiles,  dit  Benoît  XIV,  De 
servorum  Dci  bcalifualione  et  bealificalorum  canoni- 
zalione,  1.  III,  c.  ult.  (lu),  n.  15;  on  peut,  poursuit- 
il,  rejeter  ces  révélations,  dummodo  id  fiât  cum  débita 


modestia,  non  sine  ralionc  et  citra  conlcmptum.  Cette 
règle  vaut  même  pour  les  révélations  d'une  sainte 
Brigitte,  d'une  sainte  Hildegarde,  approuvées  formel- 
lement par  l'Église,  à  plus  forte  raison  pour  celles 
de  sainte  Gertrude,  qui  n'ont  pas  été  approuvées 
aussi  explicitement  :  le  martyrologe  romain  (17  no- 
vembre; cf.,  dans  le  bréviaire,  la  ve  leçon  de  l'office 
de  la  sainte)  dit  seulement  que  dono  revelationum 
clara  extitit.  Toutes  ses  affirmations  ne  s'imposent 
donc  pas  à  notre  croyance.  N'insistons  pas  sur  telle 
donnée  pseudo-historique,  par  exemple,  1.  IV,  c.  xlv, 
qui  a  pu  provenir  de  la  Légende  dorée.  Rappelons- 
nous  surtout  que  le  langage  des  saints  et  des  mystiques 
demande  à  être  bien  compris;  il  ne  faut  pas  toujours 
en  presser  à  l'excès  la  lettre;  il  importe  de  tenir 
compte  de  l'époque,  du  milieu,  des  habitudes  intellec- 
tuelles et  religieuses  du  mystique.  Puis,  comment 
raconter  dignement  les  choses  divines  ?  C'est  ce  qu'ont 
remarqué  deux  écrivains  très  «  profanes  ».  Les  mots, 
dit  M.  Maeterlinck,  L'ornement  des  noces  spirituelles, 
de  Ruysbroeck  l'admirable,  traduit  du  flamand, 
2e  édit.,  Bruxelles,  1908,  p.  18,  «  ont  été  inventés 
pour  les  usages  ordinaires  de  la  vie,  et  ils  sont  mal- 
heureux, inquiets  et  étonnés,  comme  des  vagabonds 
autour  d'un  trône,  lorsque  de  temps  en  temps  quelque 
âme  royale  les  mène  ailleurs.  »  Et,  dans  un  ouvrage 
qui,  par  ailleurs,  n'est  pas  irréprochable,  Le  verger, 
le  temple  et  la  cellule.  Essai  sur  la  sensualité  des  œuvres 
de  mystique  religieuse,  Paris,  1912,  p.  184,  C.  Oulmont, 
parlant  des  vocables  par  lesquels  s'exprime  «  l'état 
terrible  et  doux  des  cœurs  saisis  de  l'amour  divin  » 
et  des  «  saintes  folies  »  du  langage  des  mystiques, 
dit  :  «  Les  mots  sont  matériels,  sans  doute,  mais, 
illuminés  par  les  lumières  de  la  foi,  ils  deviennent 
diaphanes;  les  mots  sont  alors  comme  les  verrières 
que  traverse  le  soleil  pour  inonder  de  clarté  l'édifice, 
sans  les  briser  au  passage.  Ils  montent...,  et  les 
hommes  qui  sont  assez  déraisonnables  pour  s'attarder 
à  l'enfantillage  d'une  formule,  au  mauvais  goût  d'une 
métaphore,  sont,  disons-le,  aveuglés,  non  par  le 
brasier  ardent  mais  par  la  fumée  mauvaise  et  épaisse 
qui  cache  ce  brasier  pur  et  beau.  »  Faute  d'avoir  eu 
la  patience  de  pénétrer  l'œuvre  de  sainte  Gertrude, 
W.  James,  L'expérience  religieuse.  Essai  de  psycho- 
logie descriptive,  trad.  Abauzit,  Paris,  1900,  p.  298-299, 
a  traité  de  fadaises,  de  compliments  naïfs  et  absurdes, 
de  puériles  tendresses,  les  échanges  d'amour  entre 
sainte  Gertrude  et  le  Seigneur  Jésus.  Il  oublie  que 
ce  langage,  tout  en  revêtant  la  forme  du  temps  où 
vécut  Gertrude,  «  enveloppe  une  vérité  éternelle, 
aussi  douce  et  aussi  consolante  au  xxe  siècle  qu'elle 
put  l'être  au  xme...  Gertrude  nous  montre  à  quel 
point  l'amour  de  Dieu  daigne  s'individualiser,  entrer 
dans  les  menues  circonstances  d'une  vie...  Ces  pauvres 
et  obscures  petites  vies  que  méprisent  les  grands  de 
la  terre,  elles  sont  l'objet  de  toute  la  sollicitude 
divine...  Beaucoup  de  ceux  qui  s'étonnent  de  voir 
Gertrude  demander  à  Dieu  son  aiguille  (perdue  dans 
la  paille)  comprendront  qu'une  reine  lui  demande  sa 
couronne,  mais  la  vie  des  saints  nous  transporte  dans 
ce  monde  de  la  charité  dont  parle  Pascal,  où  le  moindre 
acte  d'amour  vaut  plus  que  toutes  les  pensées  de  tous 
les  esprits  et  que  tous  les  astres  de  toute  la  création..., 
et  nous  pouvons  songer  que,  dans  cette  naïve  et 
profonde  anecdote,  ce  qui  importe,  c'est  la  valeur  de 
l'amour  qui  accompagne  la  demande  et  l'action  de 
grâces,  et  non  celle  que  nos  expertises  humaines 
accordent  à  l'objet  demandé.  »  L.  Félix-Faurc-Goyau, 
Christianisme  et  culture  féminine,  Paris,  1914,  p.  204- 
208. 

Quant  au  fond  même  des  choses,  certains  passages 
méritent  un  examen.  E.  Amort,  De  revelalionibus, 
visionibus     et     apparilionibus     privatis,     Augsbourg, 


1335 


GERTRUDE     LA     GRANDE 


1336 


1744,  a  discuté  de  près,  et  non  sans  quelque  rigueur, 
toute  une  liste  de  textes  difTieiles;  il  conclut  qu'on 
n'en  peut  rien  tirer  ni  pour  ni  contre  l'exactitude  de 
toutes  les  révolutions.  Corneille  de  la  Pierre,  In  Canl., 
vin,  6,  cite  sainte  Gertrude,  mais  parce  et  cum  grano 
salis  ubi  res  exigit,  et  note  que  ses  révélations  mulla 
conlineanl  sijmbolica  idcoque  symbolice  interpretanda. 
Quand  on  les  replace  dans  leur  contexte,  les  expres- 
sions les  plus  capables  de  dérouter  apparaissent 
susceptibles  d'une  interprétation  bénigne.  Par  exemple, 
an  est  d'abord  surpris  d'entendre  la  sainte  s'adresser 
au  Sauveur  et  lui  demander  de  prier  pour  elle  sa  mère. 
1.  V,  c.  xxxiv.  En  réalité,  c'est  une  façon  de  marquer 
l'amour  de  Kotre-Seigneur  pour  Marie  et  la  prière 
que  Jésus  offre  à  sa  mère  pour  Gertrude  est  un  ordre 
véritable.  Il  ne  semble  pas  qu'une  seule  de  ces  diffi- 
cultés soit  inexplicable. 

En  tout  cas,  c'est  bien  à  tort  que  \V.  Preger,  Ge- 
schichle  der  Mysti!:,  t.  i,  p.  126-130,  a  essayé  de  faire  de 
sainte  Gertrude  une  aïeule  du  protestantisme  :  il  ne 
prononce  pas  ce  gros  mot,  mais  la  manière  dont  il 
parle  de  l'assujettissement  à  la  loi  cédant  la  place  à 
une  liberté  toujours  sensiblement  plus  grande,  de 
l'effacement  de  l'ascèse  monastique  devant  la  joie  et 
la  confiance,  et  de  tout  ce  qu'il  appelle  «  l'effort  de 
l'esprit  de  Gertrude  vers  une  illumination  croissante,  » 
ne  laisse  pas  de  doute  sur  sa  pensée.  Or,  la  liberté 
d'esprit  de  la  moniale  d'Helfta  est  éminemment 
orthodoxe.  Elle  proclame  volontiers  les  mérites  des 
saints,  les  mérites  des  croyants;  mais,  objecte  Preger, 
quand  il  s'agit  d'elle-même,  elle  n'entre  pas  dans  ce 
jeu,  elle  ne  met  en  avant  que  son  indignité  et  la  grâce 
divine.  Et  il  note  qu'en  matière  de  reliques  Jésus 
lui  dit  :  «  Les  plus  précieuses  reliques  sont  mes  paroles  ;  » 
qu'ayant  su  qu'on  prêchait  des  indulgences  de  plusieurs 
années,  elle  désira  avoir  des  richesses  afin  de  les  offrir 
pour  gagner  ces  indulgences  et,  par  ce  moyen,  de 
racheter  ses  péchés,  et  Jésus  de  lui  dire  :  «  Je  t'accorde, 
de  mon  autorité  souveraine,  le  pardon  de  tous  tes 
péchés,  »  1.  III,  c.  xi.  Tout  cela  c'est  le  langage  très 
catholique  des  saints,  c'est  l'humilité,  c'est  l'affir- 
mation de  l'efficacité  du  désir  et  de  l'amour,  l'affir- 
mation de  la  puissance  miséricordieuse  du  Sauveur. 
Tout  cela,  et  bien  d'autres  détails,  c'est  le  fait  d'un 
enfant  «  qui  se  sent  libre  dans  la  maison  du  Père;  » 
oui  assurément,  mais  cette  liberté  est  si  peu  d'essence 
protestante  que  le  P.  Faber,  d'une  part,  déclare, 
avec  tous  les  auteurs  spirituels,  que,  sans  la  liberté 
d'esprit  on  travaillerait  en  vain  à  la  perfection, 
qu'  «  il  n'y  a  rien  de  comparable  à  la  gloire  d'une 
âme  libre  sinon  l'adorable  magnificence  de  Dieu,  » 
Progrès  de  l'âme  dans  la  vie  spirituelle,  trad.  F.  de 
Bernhardt,  3e  édit.,  Paris,  1857,  p.  62;  cf.  tout  le 
c.  iv,  p.  49-62,  et,  d'autre  part,  désigne  sainte  Ger- 
trude comme  «  un  bel  exemple  »  de  cet  esprit  de 
liberté  qui  est  l'«  esprit  de  la  religion  catholique.  » 
Tout  pour  Jésus,  trad.  F.  de  Bernhardt,  17e  édit., 
Paris,  1867,  p.  325,326.  Entre  divers  traits  qui  servent 
«  à  faire  voir  de  quelle  délicieuse  liberté  d'esprit  elle 
jouissait,  »  il  mentionne  l'habitude  —  que  Preger, 
p.  127-128,  allègue  à  l'appui  de  sa  thèse — •  de  ne  pas 
s'abstenir  de  communier  parce  qu'elle  était  impar- 
faite ou  n'avait  pu  accomplir  tous  ses  exercices 
ordinaires,  se  reposant  sur  la  condescendance  infinie 
de  Dieu  et  ne  s'inquiétant  que  de  recevoir  l'eucha- 
ristie dans  un  cœur  brûlant  d'amour.  Et  il  conclut, 
p.  329  :  «  Oh  !  plût  à  Dieu  qu'elle  revînt  dans  l'Église 
pour  être  ce  qu'elle  fut  dans  les  siècles  passés,  le  docteur 
et  le  prophète  de  la  vie  intérieure!  »  Cf.  p.  172-85. 

III.  Influence.  —  De  son  vivant,  sainte  Gertrude 
exerça  une  notable  influence.  Après  sa  mort,  et  pour 
longtemps,  ses  révélations  demeurèrent  à  demi 
cachées;    on    n'en    connaît    que    deux    exemplaires 


manuscrits.  Probablement  elles  furent  dans  les 
mains  d'Eckart.  Cf.  E.  Ledos,  Sainte  Gertrude,  p.  m, 
note.  Au  commencement  du  xvie  siècle  (1505),  un 
dominicain  en  publia  une  traduction  allemande.  L'hon- 
neur d'avoir  procuré  leur  diffusion  appartient  au  char- 
treux Jean  Lansperge.  Il  en  prépara  la  première  édition 
latine,  qui  fut  publiée  par  l'éditeur  de  Denys  le  Char- 
treux, Thierry  Loher,  également  chartreux  (1536), 
avec  ce  titre  :  Insinuationes  divinse  pietalis.  Lans- 
perge, si  dévot  au  Sacré-Cœur,  cf.  dom  C.-M.  Boutrais, 
Un  précurseur  de  la  B.  Marguerite-Marie  Alacoque 
au  XVIe  siècle.  Lansperge  le  Chartreux:  et  la  dévotion 
au  Sacré-Cœur,  Grenoble,  1878,  p.  55-62,  n'avait  pu 
qu'être  gagné  par  la  doctrine  gertrudienne;  non  con- 
tent d'en  être  le  propagateur,  il  en  fut  l'apologiste. 
Son  contemporain,  Louis  de  Blois  (Blosius),  le  pieux 
abbé  bénédictin  de  Lessies,  en  Hainaut  (t  1566), 
contribua  aussi  beaucoup  à  la  gloire  de  Gertrude. 
Il  s'en  inspire  souvent.  En  particulier,  son  Monile 
spirituale  divinis  revelationibus  tanquam  preeclaris 
quibusdam  gemmis  exornalum  est  composé  en  bonne 
partie  d'extraits  des  écrits  de  la  sainte  qu'il  appelle 
familièrement  de  son  petit  nom,  à  l'allemande,  Ger- 
trudis  sive  Trutha,  c.  i,  dans  ses  Opéra,  édit.  A.  de 
Winghe,  Anvers,  1632,  p.  587,  et  se  termine  par  un 
appendice  (sur  les  quatre  saintes  Brigitte,  Catherine 
de  Sienne,  Mechtilde  de  Hackeborn,  Gertrude)  où 
notre  sainte  est  magnifiquement  louée,  p.  619-620. 
Louis  de  Blois,  dans  sa  dédicace  d'un  autre  ouvrage, 
l' Instilulio  spirilualis,  p.  295;  cf.  p.  621,  traite  d'ho- 
mines  superbi  et  animales  ceux  qui  condamnent  les 
révélations  de  sainte  Gertrude  et  disent  que  les  écrits 
de  ce  genre  sont  des  songes  de  bonnes  femmes.  Il  y 
eut,  en  effet,  des  contempteurs  de  cette  littérature 
mystique,  surtout  parmi  les  protestants.  Le  prémontré 
C.  Oudin,  Supplemenlum  de  scriploribus  vel  scriplis 
ecclcsiaslicis  a  Bellarmino  omissis,  Paris,  1728  (la 
lre  édition  est  de  1686),  p.  454,  qualifie  les  œuvres  de 
sainte  Gertrude  à'opus  devolioni  mulicrum  aptissimum. 
Dans  son  Commentarius  de  scriptoribus  Ecclesiœ  anli- 
quis,  composé  quand  il  eut  passé  au  protestantisme, 
il  accentue  cette  note  dédaigneuse,  Leipzig,  ,1722, 
t.  m,  p.  237  :  Opus  devolioni  mulierum  cerebro  la- 
borantium  aptissimum.  Ni  le  protestantisme,  ni  le  jan- 
sénisme ne  pouvaient  apprécier  équitablement  des 
révélations  aussi  opposées  à  leurs  principes.  On  s'est 
même  demandé  si  Bossuet,  en  critiquant  la  spiri- 
tualité d'un  Taulère  ou  d'un  Buysbroeck,  n'aurait  pas 
«  mis  en  défiance  à  l'égard  d'auteurs  beaucoup  plus 
sûrs,  telle  que  sainte  Gertrude,  mais  qui  apparte- 
naient au  même  pays.  »  A.  Lepître,  dans  L'université 
catholique,  t.  xxv,  p.  226.  Quoi  qu'il  en  soit,  malgré  les 
contradictions,  la  fortune  de  sainte  Gertrude  continua 
de  grandir,  grâce  à  des  éditions  nouvelles  du  texte 
latin  des  révélations  et  à  une  série  de  traductions 
en  langues  française,  italienne,  espagnole,  allemande; 
en  outre,  toute  une  légion  d'apologistes  prit  sa  défense. 
Voir  les  principaux  noms  dans  une  note  de  l'éditeur 
de  Louis  de  Blois,  p.  621-622.  Son  culte  fut  autorisé 
par  le  Saint-Siège,  d'abord  (1606)  pour  les  moniales 
de  Saint-Jean-1'Évangéliste  à  Lecce,  puis  pour  diverses 
maisons  religieuses,  et  enfin  (1674)  pour  tout  l'ordre 
de  saint  Benoît.  En  1678,  son  nom  fut  inscrit  dans  le 
martyrologe.  En  1738,  Clément  XII  étendit  son  culte 
à  l'Église  universelle.  Cf.  Benoît  XIV,  De  servorum 
Dci  bealificaiione,  1.  I,  c.  xli,  §  11.  Dans  ces  actes 
officiels  apparaît  et  est  consacrée  en  quelque  sorte 
l'appellation  de  sainte  Gertrude  la  Grande.  Cf.  Be- 
noît XIV,  op.  cit.,  1.  I,  c.  xli,  n.  39;  1.  IV,  part.  II, 
c.  xviii,  n.  16  :  Sanctse  Gertrudis  quœ  dicilur  la  Magna. 
A  quelle  époque  remonte  l'épithète  ?  Il  est  difficile 
de  le  dire;  manifestement  elle  vise  l'excellence  de  la 
doctrine  gertrudienne. 


1337 


GERTRUDE     LA     G  RANDE  —  GE  RVAIS     DE     BRISACH 


I;;;i8 


Après   un  arrêt  (fin    du    xvme   siècle  et  commen- 
cement du  xixe),  la  renommée  et  l'influence  de  Ger- 
trude  sont  entrées  dans  une  phase  de  développement. 
Il  faut  l'attribuer  à  trois  causes  principales.  Premiè- 
rement,   les    progrès   de  la  dévotion  au   Sacré-Cœur 
ont   appelé   l'attention   sur   les    écrits    de   la   sainte. 
Quand  on  traite  du  Sacré-Cœur,  il  est  rare  qu'elle 
ne  soit  pas  nommée  et  que  des  fragments  du  Héraut 
de  l'amour  divin  ne  soient  pas  reproduits.  Cf.,  entre 
autres,  E.  Letierce,  Le  Saeré-Cceur,  ses  apôtres  et  ses 
sanctuaires,    Nancy,    1886,    p.    28-40;    Granger,    Les 
archives  de  la  dévotion  au  Sacré-Cœur  de  Jésus  et  au 
Saint-Cœur  de  Marie,  Ligugé,  1893;  [dom  L.  Fromage], 
L'année  liturgique.  Le  temps  après  la  Pentecôte,  9e  édit., 
Paris,  1896,  t.  i,  p.  487,  494-496;  dom  E.  Vandeur, 
La  messe  du  Sacré-Cœur  préparant  à  la  communion 
eucharistique,    Louvain,    1913    (larges    emprunts    aux 
Exercices);  L.  Cros,  Le  cœur  de  sainte  Gerlrudc,  5°  édit., 
Paris,    1913.    Du    reste,   en   dehors   du   culte   qu'elle 
rend  au  Sacré-Cœur,  la  piété  chrétienne    a  compris 
les  ressources  que  lui  offrent  les  révélations  de  Ger- 
trude.  Nous  avons  vu  le  cas  que  le  P.  Faber  en  faisait. 
Parmi    de    nombreux    témoignages    qu'on    pourrait 
recueillir,  qu'il   suffise  de  signaler  celui  du  Manuale 
pietatis  ex  opcribus  B.  Gertrudis  desumplum  in   usum 
sacerdolum,  Turin,  1870,  réédition.  Deuxième  cause  : 
les  bénédictins  de  Solesmes  publièrent,  en  1875,  une 
édition  latine,  et,  en  1877,  une  traduction  française 
tics  œuvres  de  Gertrude,  l'une  et  l'autre  supérieures 
à  ce  que  l'on  possédait  jusque-là;  devenues  aisément 
accessibles  aux  lecteurs,  elles  ont  eu  une  partie  du 
succès    qu'elles    méritent.    Enfin,    le    vent    est    aux 
études  de  mystique  et  de  liturgie  et  à  ce  qu'on  a  appelé 
le   «  bénédictinisme  ».   Sainte  Gertrude  bénéficie  de 
ce  mouvement.  Voir,  par  exemple,  le  P.  Cros,  L'année 
de  sainte   Gertrude,  nouv.  édit.,  Paris,  1913  (extraits 
sur  les  principales  fêtes  et  sur  les  périodes  liturgiques 
de  l'année),  et,   parmi  les  littérateurs,  J.-K.   Huys- 
mans,  En  route,  5e  édit.,  Paris,  1895,  p.  430;  L.  Le 
Cardonnel,    Poèmes,    Paris,    1904,    p.    179.    Dans    ce 
renouveau  mystique,  tout  n'est  pas  également  bon. 
Un   livre   morbide,    publié   sous    le   pseudonyme    de 
Claude  Sylve,  et  intitulé  :  La  cité  des  lampes,  Paris. 
1912,  obtenait  naguère  un  succès  scandaleux;  l'auteur 
cite  à  tort  et  à  travers  sainte   Gertrude   «  et  croit 
pouvoir   mettre   en    petites    chansons    les   stigmates, 
l'anneau  des  fiançailles,  les  délices  de  l'Époux,  rabais- 
sant les  noces  mystiques  aux  plus  vulgaires  émotions 
humaines...  Nous  ne  saurions  trop  nous  élever  contre 
ces  irrévérences,  »  a  dit  justement  R.  Vallery-Radot, 
dans  la  Revue  de  la  jeunesse,  Paris,  1912-1913,  t.  vu, 
p.  46.  Cf.,  du  même,  L'homme  de  désir,  Paris  (1913), 
p.  13.  L'ouvrage  si   saint  et  si  aimant   de  Gertrude 
doit  être   lu  et  ne   peut  être  compris   que  s'il  est  lu 
dans  un  état  d'âme  qui  s'harmonise  avec  celui  de  la 
sainte. 

I.  Œuvres.  —  La  première  édition  fut  publiée,  dans  une 
traduction  allemande,  par  le  dominicain  Paul  de  Weida, 
sous  ce  titre  :  Das  Buch  der  Botseliaft  der  gôltlicher  Gutikeit, 
Leipzig,  1505.  La  première  édition  latine,  préparée  par 
J.  Lansperge,  et  intitulée  :  Insinuationes  divinx  pietatis, 
parut,  par  les  soins  du  chartreux  T.  Loher,  à  Cologne, 
1536.  Deux  nouvelles  éditions  latines  parurent,  en  1662, 
l'une  à  Paris,  l'autre  à  Salzbourg;  une  autre  encore  à  Paris, 
1664.  Les  bénédictins  de  Solesmes  ont  donné  une  édition 
latine  améliorée  sous  le  titre  général  :  Revelationes  gertru- 
dianx  ac  meehtildianx,  Poitiers,  1875;  les  oeuvres  de  sainte 
Gertrude  occupent  le  t.  i,  et  comprennent  les  révélations, 
avec  leur  titre  de  Legalus  diuinœ  pietatis,  et  les  Exercitia. 
Outre  la  traduction  de  Paul  de  Weida,  nous  avons,  en 
Allemagne,  celles  de  Cologne,  1674;  de  M.  Sintzel,  Ratis- 
bonne,  1847-1848,  3  vol.,  et  1876,  2  vol.;  de  J.  Weissbrodt, 
Fribourg-en-Brisgau,  1877,  et  1900  (édition  abrégée); 
des  Exercitia  par  dom  M.  Wolter,  Ratisbonne,  5"  édit., 
1896;  en  Italie,  celles  de  V.  Buondi,  Venise,  1562,  1588, 


1635,  1660,  1670,  1710;  de  L.  Villani,  Naples,  1879;  de 
C.  Poggiali,  Florence,  1886;  en  Espagne,  celles  de  Madrid, 
1605,  1689;  en  France,  celles  de  J.  Jarry,  Paris,  15S0,  sous 
ce  titre  :  Exercices  dévots  et  spirituels  dépendons  du  livre  de 
saincte  Gertrude  auquel  est  discouru  de  la  piété  divine;  de 
J.  Ferraige,  Lyon,  1634;  de  dom  J.  Mège,  Paris,  1671, 
1676,  1687;  Avignon,  1842;  Paris,  1866,  1879  (ces  deux 
dernières  sans  le  nom  du  traducteur),  extraits  dans  Migne, 
Dictionnaire  de  mystique  chrétienne,  Paris,  1858,  col.  557- 
571;  de  l'anonyme  Recueil  très  utile  des  plus  signalées  et 
remarquables  révélations  de  saincte  Gerlrudc,  Lyon,  1618; 
des  .Exercices,  par  dom  P.Guéranger,  Paris,  1863;  cf.  Ch.  Gay, 
dans  la  Revue  du  monde  catholique,  Paris,  1863,  t.  VI,  p.  658- 
667;  des  bénédictins  de  Solesmes  (en  fait  dom  L.  Paquelin), 
Poitiers,  1877;  en  Angleterre,  celle  de  Londres,  2e  édit., 
1871. 

IL  Sources.  —  La  source  principale  et  presque  unique 
est  le  Legatus  divinœ  pietatis.  Il  y  a  aussi  quelques  rensei- 
gnements dans  le  Liber  specialis  gratix,  au  t.  n  des  Reve- 
lationes gertrudianx  ac  meehtildianx.  Voir  encore  les  bollan- 
distes,  Bibliotlwca  hagiographica  latina  antiqux  et  medix 
xlatis,  Bruxelles,  1899,  p.  520.  Sur  le  monastère  d'Helfta, 
cf.  M.  Kruhne,  Urkundenbuch  der  Klôster  der  Grafschaft 
Mansfeld,  dans  les  Geschichtsquellen  der  Provinz  Sachsen, 
Halle,  1888,  t.  xx,  p.  127-297. 

III.  Travaux.  —  A.  de  Andrada,  Vida  de  la  gloriosa 
virgen  y  abadessa  S.  Gertrudis  de  Eyslevio  Manspheldense, 
Madrid,  1663;  trad.  italienne  par  A.  Vaiola,  Rome,  1704; 
trad.  portugaise,  Lisbonne,  1708;  A.-M.  Bonucci,  S.  Ger- 
trude vergine  la  Magna,  Rome,  1710;  Venise,  1713; 
Benoît  XIV,  De  servorum  Dei  beati ficatione  et  beatifica- 
lorum  canoni:ationc,  1.  I,  c.  xu,  §  11,  Prato,  1839,  t.  i, 
p.  299-301  ;  J.  de  Castâniza,  Vida  de  la  prodigiosa  virgen 
S.  Gertrudis  la  Magna,  Madrid,  1804;  E.-L.  Rochholz, 
Drei  Gaiigottinen,  Walburg,  Verena,  und  Gertrud  ans  dem 
grrmanischen  Frauenlebcn,  Leipzig,  1S70;  W.  Preger, 
Geschichte  der  deutschen  Myslik  im  Mitlelalter,  Leipzig, 
1874,  t.  i,  p.  71-78,  122-132;  l'introduction  des  Revelationes 
gertrudianx  ac  mcclitildianx,  Poitiers,  1875;  Kaulen, 
dans  Kirchcnlcxikon,  Fribourg-en-Brisgau,  1888,  t.  v, 
p.  473-476;  Zockler,  dans  Realeneyclopàdie,  3e  édit.,  Leipzig, 
1899,  t.  vi,  p.  617-618;  cf.  Hauck,  1913,  t.  xxm,  p.  557; 
G.  Ledos,  Sainte  Gerlrudc,  Paris,  1901;  cf.  J.  Guiraud  et 
H.  Joly,  dans  le  Bulletin  critique,  Paris,  1901-1902,  t.  vu, 
p.  633-635;  t.  vin,  p.  17-20;  E.  Michael,  Geschichte  des 
deutschen  Volkes  vom  dreizehnten  Jahrhundert  bis  zum  Aus- 
gang  des  Mittclallcrs,  Fribourg-en-Brisgau,  1903,  t.  m, 
p.  174-211;  dom  M.  Festugière,  La  liturgie  catholique,  dans 
la  Revue  de  philosophie,  Paris,  1913,  t.  xxn,  p.  769-773; 
L.  Félix-Faure-Goyau,  Une  école  de  littérature  mystique  au 
XIII'  siècle.  Le  monastère  d'Helfta,  dans  la  Revue  française, 
25  mai  1913,  p.  207-213,  reproduit,  avec  des  additions,  dans 
Christianisme  et  culture  féminine,  Paris,  1904,  p.  165-210. 
Voir,  en  outre,  les  autres  travaux  signalés  au  cours  de  cet 
article  et  ceux  qui  sont  indiqués  par  U.  Chevalier,  Réper- 
toire des  sources  historiques  du  moyen  âge.  I.  Bio-biblio- 
graphie, Paris,  1903-1904,  t.  i,  col.  1762-1763. 

F.  Vernet. 
1.  GERVA9S  DE  BRISACH,  frère  mineur  capucin 
de  la  province  de  Suisse,  se  nommait  Brunk,  et  il 
était  docteur  en  philosophie  et  en  droit  quand  il  se 
fit  religieux.  On  le  chargea  d'enseigner  la  philosophie 
et  la  théologie,  ce  dont  il  s'acquitta  avec  honneur, 
comme  le  prouvent  les  deux  ouvrages  qu'il  laissa  en 
ces  matières.  Le  premier  est  un  Cursus  philosophicus 
breoi  et  clara  melhodo  in  1res  tomulos  dislribulus, 
3  in-8°,  Soleure,  1687;  Cologne,  1711.  Le  second  est 
un  Cursus  theologicus  brevi  et  clara  methodo  in  très 
parles  et  sex  tomulos  distribulus,  in  quo  omnes  materise 
Ihcologicse  tain  speculalivœ  quam  praclicœ  :  imo  et 
controversisticœ  cum  varictale  senlenliarum  contincnlur, 
6  in-8°,  Soleure,  1689-1690;  5e  édit.,  Cologne,  1716; 
6e,  ibid.,  1733.  Le  P.  Gervais,  après  avoir  été  trois  fois 
provincial  de  Suisse,  visiteur  et  commissaire  général 
en  Flandre,  mourut  à  Lucerne  le  29  septembre  1717. 

Bernard    de    Bologne,    Bibliotheca    scriptor.    ord.    min. 

capuccinorum,    Venise,    1747;    Pie    de    Lucerne,    Chronica 

prov.  Helvelicœ  ord.  S.  P.  Fr.  capucinorum,  Soleure,  1885, 

p.  421;  Hurter,  Nomenclalor,  Inspruck,  1910, t.  îv,  col.  618. 

P.  Edouard  d'Alençon. 


1339 


GERVAIS     DE     SAINT-ÉLIE  —  GEZON 


1340 


2. GERVAIS  DESAINT-ELIE(BIZOZERO),carme 

déchaussé  de  la  province  de  Lombardie,  était  né  à 
Milan  le  21  octobre  1631.  Il  avait  à  peine  quinze  ans 
quand  il  entra  en  religion.  Il  ne  tarda  pas  à  s'y  distin- 
guer par  sa  science  autant  que  par  sa  piété.  Profes- 
seur et  prédicateur  éminent,  il  remplit,  pendant  de 
longues  années,  les  charges  d'examinateur  synodal 
et  de  consulteur  du  Saint-Office  à  Bologne.  Il  mourut 
à  Milan, le  8  juillet  1696,  après  avoir  publié  :  Il  falso 
cd  il  vzro,  in-4°,  Bologne,  1680;  4  in-12,  Monti,  1686. 
Il  laissait  en  outre  trois  manuscrits  in-fol.  qui,  mal- 
heureusement, ne  sont  pas  encore  retrouvés  :  Tra- 
ctalus  de  jure  publico  et  jure  privalo,  melhodo  théologien 
eonjeclus;  Universi  juris  canoniei  compendium;  De 
thcologia  parochorum. 

Cosme  de  Yilliers,  Bibliotheca  carmeliiana,  Orléans, 
1752,  t.  I,  col.  558-559;  Henri  du  Très-Saint-Sacrement, 
Collectio  scriptorum  ordinis  carmelilarum  excalceatorum, 
Savone,   18S4,   t.   i,  p.   239-240. 

P.  Servais. 

GERVAISE  Armand-François,  né  à  Paris  en  1660, 
entra  chez  les  carmes  déchaussés,  où  il  reçut  le  nom 
d'Agalhange.  On  lui  donna  dans  la  suite  une  chaire 
de  théologie.  Bossuet  eut  occasion  de  l'apprécier 
pendant  qu'il  gouverna  le  couvent  de  Grézy  dans  le 
diocèse  de  Meaux.  Au  retour  d'une  mission  à  Rome, 
il  entra  à  la  Trappe  pour  mener  une  vie  plus  austère 
(1695).  Sa  vie  exemplaire  lui  attira  la  confiance  de 
Bancé,  qui,  encouragé  par  Bossuet,  le  fit  nommer 
abbé  régulier  de  sa  maison  après  la  mort  de  dom 
Zosime.  L'expérience  fut  malheureuse.  Gervaise, 
après  avoir  bouleversé  la  communauté,  dut  donner 
sa  démission  en  1698.  Saint-Simon  parle  de  lui  en 
termes  fort  sévères.  11  se  retira  à  Longpont,  au  diocèse 
de  Soissons.  Le  reste  de  sa  vie  fut  employé  à  travailler 
et  à  publier  des  ouvrages  historiques  :  Histoire  de 
Boèce,  avec  l'analyse  de  ses  ouvrages  et  quatre  disser- 
tations théologiques,  in-12,  Paris,  1715;  La  vie  de 
saint  Cyprien,  dans  laquelle  on  trouvera  l'analyse 
de  ses  ouvrages,  des  notes  critiques  et  historiques  et 
des  dissertations  théologiques,  in-4°,  Paris,  1717; 
La  vie  de  Pierre  Abélard,  abbé  de  Saint-  (iildas  de  Rhuys, 
et  celle  d'Héloïse,  son  épouse,  première  abbesse  du 
Paraelet,  2  in-12,  Paris,  1720;  Lettres  d'Héloïse  et 
d' Abélard,  traduites  en  français,  2  in-12,  Paris,  1723; 
Histoire  de  Sugcr,  abbé  de  Saint-Denis,  2  in-12,  Paris, 
1721;  Défense  de  la  nouvelle  histoire  de  Suger,  avec 
l'apologie  pour  feu  M.  l'abbé  de  la  Trappe  contre  les 
calomnies  de  dom  Vincent  Thuillicr,  in-12,  Paris,  1725  ; 
La  vie  de  saint  Irénéc,  second  évêque  de  Lyon,  2  in-12, 
Paris,  1723;  Vie  de  Rufin,  prêtre  de  l'église  d'Aquilée, 
2  in-12,  Paris,  1725;  Vie  de  saint  Paul,  3  in-12,  Paris, 
1734;  L'histoire  de  la  vie  de  saint  Épiphane,  in-4°, 
Paris,  1738;  Vie  de  saint  Paulin,  in-4°,  Paris,  1743; 
Histoire  de  l'abbé  Joachim,  de  l'ordre  de  Cileaux,  sur- 
nommé le  prophète,  2  in-12,  Paris,  1745.  Comme  les 
biographes  de  l'abbé  de  Bancé,  de  Marsollier  et 
Maupeou,  l'avaient  fort  malmené,  il  publia  sa  justifica- 
tion :  Jugement  critique,  mais  équitable,  des  Vies  de 
M.  l'abbé  de  la  Trappe,  in-12,  Troyes,  1742.  Sa  Vie 
de  M.  de  Rancé,  abbé  et  réformateur  de  la  Trappe, 
ne  put  être  publiée.  Son  Histoire  générale  de  la  réforme 
de  l'ordre  de  Cîlcaux,  qui  contient  ce  qui  s'y  est  passé 
de  plus  curieux  depuis  son  origine  jusqu'en  1728, 
in-4°,  Avignon,  1746,  t.  i,  lui  attira  de  gros  ennuis 
de  la  part  des  cisterciens  non  réformés,  qui  obtinrent 
contre  lui  une  lettre  de  cachet  en  vertu  de  laquelle  il 
fut  enfermé  à  l'abbaye  du  Beclus,  au  diocèse  de  Troyes. 
Ses  Lettres  d'un  théologien  à  un  ecclésiastique  de  ses 
amis  sur  une  dissertation  touchant  la  validité  des 
ordinations  des  Anglais,  qui  avaient  paru  à  Paris 
en  1724,  furent  supprimées  par  ordre  de  l'autorité. 
11  publia  une  réplique  à  la  traduction  de  VHisloire  du 


concile  de  Trente  de  Fra  Paolo  Sarpi  par  le  P.  Courayer 
et  aux  notes  qu'il  y  avait  ajoutées  sous  ce  titre  : 
L'honneur  de  l'Église  catholique  cl  des  souverains  pon- 
tifes défendu  contre  les  calomnies,  les  impostures  et  les 
blasphèmes  du  P.  Le  Courayer,  2  in-12,  Nancy,  1747. 
Dom  Gervaise  est  mort  à  l'abbaye  du  Beclus  en  1751. 
Ce  fut  un  écrivain  fécond,  ayant  des  connaissances 
étendues.  Sa  critique  est  souvent  prise  en  défaut. 
Il  manque  de  mesure.  Ses  appréciations  se  ressentent 
trop  de  la  passion  du  moment. 

Dubois,  Histoire  de  l'abbé  de  Rancé  cl  de  sa  réforme, 
in-8°,  Paris,  1866,  t.  n,  p.  482,  594-616;  de  Boislisle, 
Mémoires  de  Saint-Simon,  t.  v,  p.  386-409;  dom  François, 
Bibliotlièquc  générale  des  écrivains  de  l'ordre  de  saint  BenoU, 
t.  i,  p.  386-388;  Picot,  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  da 
XVIW  siècle,  3e  édit.,  Paris,  1853,  t.  n,  p.  429;  Ingold,  Un 
document  inédit  sur  la  querelle  de  Mabillon  et  de  l'abbé 
de  Rancé,  dans  Mélanges  Mabillon,  in-8°,  Paris,  1908, 
p.  177-192;  Hurter,  Nomenclalor,  1910,  t.  iv,  col.  1444, 
1445;  The  catholic  encyclopedia,  New  York,  1909,  t.  vi, 
p.  535-536. 

J.  Besse. 

GESVRES  François,  bénédictin,  né  à  Soindres, 
dans  l'ancien  diocèse  de  Chartres,  mort  près  de  Saint- 
Pourçain,  en  mai  1705.  Après  quelques  années  passées 
au  collège  des  Grassins,  à  Paris,  François  Gesvres  alla 
étudier  la  théologie  en  Sorbonne.  On  lui  offrit  une 
chaire  de  rhétorique  à  l'université  de  Paris.  Il  la 
refusa  pour  aller,  âgé  de  vingt-quatre  ans,  se  consacrer 
au  Seigneur  dans  l'abbave  de  Saint-Faron  de  Meaux 
(13  février  1681).  Il  fut"  ordonné  prêtre  en  1687  et, 
pendant  quinze  années,  enseigna  la  philosophie  et  la 
théologie  à  Saint-Bénigne  de  Dijon  et  à  Saint-Denis. 
Ses  supérieurs  lui  demandèrent  alors  de  travailler  à 
une  théologie  dogmatique  pour  les  jeunes  religieux 
de  leur  congrégation.  Il  se  mit  à  ce  travail  avec  une 
telle  ardeur  que  bientôt  il  tomba  malade.  Il  se  rendait 
à  Vichy  sur  l'ordre  des  médecins,  lorsque  la  mort  le 
surprit  à  une  faible  distance  du  monastère  de  Saint- 
Pourçain,  où  il  fut  enseveli,  le  13  mai  1705.  Pendant 
qu'il  enseignait  à  l'abbaye  de  Saint-Denis,  ses  thèses 
furent  attaquées  dans  un  libelle  attribué  aux  jésuites, 
et  qui  parut  sous  le  titre:  Thcologiœ  scholasticœ  tumu- 
lus  inlhesibus  sandionysianis  anni  1699;  dom  Gesvres 
y  répondit  aussitôt  par  un  très  court  écrit  :  Philo- 
sophix  sophisticœ  in  thesibus  sandionysianis  tumulus 
sincerior,  in-4°  de  cinq  pages.  L'année  suivante, 
il  publia  :  Dcfcnsio  Arnaldina,  seu  analytica  synopsis 
de  correptionc  et  gratia  ab  Antonio  Arnoldo  doclore  cl 
socio  Sorbonico  anno  1664  édita,  ab  omnibus  reprehen- 
siirum  calumniis  vindicala,  in-12,  Anvers  (Beims), 
1700.  L'auteur,  après  avoir  exposé  la  doctrine  de 
saint  Augustin  sur  la  grâce,  s'efforce  de  justifier  les 
bénédictins  d'avoir  introduit  dans  le  t.  x  de  l'édition 
des  œuvres  de  ce  saint  docteur  l'analyse  de  son  traité 
De  correptionc  cl  gratia  par  Antoine  Arnauld. 

Ziegelbauer,  llisloria  rei  literaria;  ordinis  S.  Benedicti, 
t.  il,  p.  106;  dom  Ph.  Le  Cerf,  Bibliothèque  historique  et 
critique  des  auteurs  de  la  congrégation  de  Saint-Maur, 
in-12,  La  Haye,  1726,  p.  172-174;  dom  Tassin,  Histoire 
littéraire  de  la  congrégation  de  Saint-Maur,  ln-4°,  Bruxelles, 
1770,  p.  195;  [dom  François],  Bibliothèque  générale  des 
écrivains  de  l'ordre  de  saint  Benoit,  t.  i,  p.  388;  Diction- 
nairc  des  livres  jansénistes,  in-12,  Anvers,  1755,  t.  i,  p.  386; 
Moréri,  Dictionnaire  historique,  in-fol.,  1759,  t.  v  b,  p.  180; 
Hurler,  Nomcnclator,  1910,  t.  iv,  col.  826,  note. 

B.    Heurtibize. 

GEZON,  premier  abbé  de  Saint-Pierre  et  de  Saint- 
Marien  de  Tortone,  en  Lombardie,  a  écrit  son  traité  de 
l'eucharistie,  comme  il  le  dit  dans  sa  préface,  sous 
le  pontificat  de  Giselprand  vers  950.  Voir  Ughelli, 
Ilalia  sacra,  t.  iv,  p.  855.  Il  était  prêtre  de  son  diocèse, 
quand  cet  évêque  le  revêtit  de  l'habit  bénédictin, 
pour  le  mettre  à  la  tête  du  monastère  qu'il  venait 
de  fonder.  Son  traité,  De  corpore  et  sanguine  Christi, 


1341 


GEZON 


GHIL1M 


1342 


n'est  guère  qu'une  transcription  de  celui  de  saint  Pas- 
chaseRadbert,  auquel  il  a  emprunté  23  chapitres.  Manil- 
lon, qui  en  avait  trouvé  deux  manuscrits,  n'a  publié  que 
la  préface  et  les  titres  des  chapitres.  Musœum  ilalieum, 
t.  i,  p.  89-95.  Cf.  p.  164,  207.  Muratori,  qui  disposait 
d'un  troisième  manuscrit  de  l'Ambrosienne  de  Milan, 
en  a  édité  la  plus  grande  partie  du  texte,  en  omettant 
seulement  les  chapitres  empruntés  à  Radbert  et  les 
passages  cités  des  Pères,  saint  Cyprien,  saint  Ambroise, 
saint  Augustin  et  saint  Grégoire.  Anccdota,  1713,  t.  ni, 
p.  237  sq.  Migne  a  reproduit  cette  édition.  P.  L., 
t.  cxxxvn,  col.  371-406. 

Ziegclbauer,  Historia  rei  literariœ  ordinis  S.  Benedicti,  t.  in, 
p.  662;  t.  iv,  p.  71  ;  (doni  François),  Bibliothèque  générale  des 
écrivains  de  l'ordre  de  S.  Benoit,  t.  i,  p.  390;  Mabillon,  An- 
nalcs  ordinis  S.  Benedicti,  in-fol., Lucques,  1739,  t.  ni,  p.  467; 
Muratori,  P.  L.,  t.  cxxxvn,  col.  369-372;  Hurter,  Nomencla- 
tor,  1903,  t.  i,  col.  S73,  note. 

E.  Mangenot. 

1.  GHEZZ9  François,  dominicain  italien,  né  à  Cùme 
vers  le  commencement  du  xvne  siècle.  Il  appartenait 
à  la  province  dominicaine  de  Lombardie,  mais  nous 
ne  savons  à  quel  couvent.  Après  avoir  enseigné  la 
théologie  en  plusieurs  maisons  de  son  ordre,  à  Cré- 
mone, Vicence,  Pavie,  Plaisance,  nous  le  retrouvons 
tector  primarius  à  Casale,  en  1630;  puis  au  studium 
générale  de  Bologne,  où  il  remplit  les  fonctions  de 
bachelier,  puis  de  régent  des  études.  C'est  là  aussi 
qu'il  reçut  le  grade  de  maître  en  théologie.  Échard 
dit  que  Ghezzi  fut  préposé  au  gouvernement  de  la 
province  de  Lombardie.  C'est  peut-être  une  erreur;  1 
nous  trouvons,  en  effet,  pour  cette  époque  la  liste 
complète  des  provinciaux,  sans  que  nous  y  voyions  ] 
figurer  Ghezzi.  Il  fut  en  plusieurs  endroits  consulteur  | 
du  tribunal  de  l'Inquisition.  Mais  il  s'adonna  surtout 
à  l'étude  de  saint  Thomas  et  des  questions  de  théo- 
logie morale.  On  a  de  lui  :  1°  Théologies  moralis  sive 
casuum  conscienlix  e  D.  Thomœ  Aquinalis  docloris  an- 
gclici,  ac  diuinœ  volunlalis  interprelis  doctrina,  2  in-4°, 
Plaisance,  1628-1629;  2"  Arcana  Ihcologiœ  sclccliora 
de  Dco,  de  Verbo  încarnato,  de  sacramenlis  et  de  statu 
scparalorum,  in-4°,  Pavie,  1030;  Milan,  1630;  3°  Thé- 
saurus animx  ex  morali  thcologia  ad  sensum  D.  Thomœ 
Aquinalis  explicala  colleclus,  etc.  In  hoc  opère  theologia 
moralis  omniscii  D.  Th.  Aq.  diuinœ  volunlalis  inlerprelis 
in  formam  redigilur  scholasticam,  dilucidatur,  ab  objeclis 
recenliorum  omnium  uindicalur,  et  quod  sil  fons  omnium 
summislurum  manijcslalur,  4  in-fol.,  Milan,  1639.  Le 
même  ouvrage  parut  sous  une  forme  plus  abrégée,  avec 
ce  titre  :  Summa  Ihcologiœ  moralis  doctoris  angelici 
D.  Thomœ  ex  omnibus  ipsitts  operibus  deprompla  el  ad 
commodiorem  usum  ordine  alphabetico  digestet,  2  in-4°, 
Plaisance,  1628-1629 ;in-8°,  Avignon,  1668;  in-12,  Bor- 
deaux, 1671  ;  in-8°,  Lyon,  1677  ;  Anvers,  1681,  etc.  Louis 
Bancel,  dominicain,  mort  en  1685,  donna  à  son  tour  une 
édition  de  la  théologie  morale  de  Ghezzi, mais  considéra- 
blement modifiée,  comme  l'annonce  le  litre  lui-même  ; 
Moralis  D.  Thomœ  doctoris  angelici  ordinis  prœdicaiorum 
ex  omnibus  ipsius  operibus  ita  exacte'  deprompla,  ulcen- 
seri  pessit  opus  novum,  omnibus  cujusque  conditionis 
personis,  sed  maxime  confessariis  cl  concionaloribus 
iitilissimum,  in  eo  enim  nedum  casus  conscientiœ  resol- 
vunlur,  sed  omnia  cliam  quœ  ad  mores  speclant,  mirum 
in  modum  cxplicanlur.  Adjecla  sunt  variis  in  locis  décret  i 
summorum  ponlificum,  quibus  juxla  doclrinam  S.  docto- 
ris plures  opinioncs  morales  damnalœ  fucrunl.  Accedil 
quoque  opusculum  de  caslilale,  in  quo  novum  ac  singu- 
lare  tradilur  remedium,  lam  facile  quam  efficax  ad  hanc 
virtulcm  conjerens  el  etiam  ad  sanilalem,  2  in-4°,  Avi- 
gnon. Voir  t.  ii,  col.  139. 

Echard,  Scriplores  ordinis  pra'dicatorum,  Paris,  1719- 
1721,  t.  it,  p.  501,  506;  Richard  et  Giraud,  Dictionnaire 
universel  des  sciences  cédés.,  art.  Glic'Ti  ;  Hurter,  Norncn- 
clator,  Inspruck,  1907,  t.  ni,  col.  889.      R.   CoCLON. 


2.  GHEZZI  Nicolas,  jésuite  italien,  né  à  Domaso, 
sur  le  lac  de  Côme,  le  13  mars  1683,  admis  dans  la 
Compagnie  de  Jésus  le  20  octobre  1729.  Successivement 
professeur  d'humanités,  de  rhétorique  et  de  philosophie, 
il  se  consacra  bientôt  à  la  théologie  et  acquit  un 
grand  renom  par  ses  travaux  sur  l'histoire  du  pro- 
babilisme  qui  lui  valurent  aussi  de  très  vives  attaques 
et  de  sérieux  ennuis.  Son  premier  ouvrage  Saggio  de' 
Supplcmenti  tcologici,  morali  c  crilici,  di  cui  abbisogna 
la  Sloria  dcl  probabilismo  c  dcl  rigorismo,  Lucques, 
1745,  lui  attira  les  critiques  acerbes  de  Daniel  Concina 
dans  YEsame  leologico  del  libro  intitolato  Saggio..., 
Venise,  1745.  Le  P.  Zaccaria  avait  déjà  pris  la  défense 
de  son  confrère,  quand  celui-ci  publia  ses  Riflcssioni 
su  l'Esame  leologico  del  Saggio  de'  Supplcmenti..., 
Lucques,  1745.  Le  champ  de  la  dispute  s'étendit 
aussitôt  entre  probabilistes  et  antiprobabilistes.  Les 
Pères  C.  Noceti,  J.  Sanvitale,  J.  François  Richelmi 
publièrent  alors  leurs  traités  en  faveur  du  probabi- 
lisme  et  la  lutte  devint  ardente  entre  les  deux  camps. 
Le  P.  Ghezzi  crut  devoir,  pour  la  clarté  de  la  discus- 
sion, ramener  la  question  aux  principes  premiers  de  la 
morale  philosophique.  Il  publia  ses  deux  volumes 
De'  principi  delta  morale  filosofia  risconlrali  co'  principi 
delta  catlolica  religione,  Milan,  175S,  ouvrage  qui 
souleva  des  tempêtes.  Cf.  Nova  acla  eruditorum  Lipsiœ, 
1754,  p.  616  sq.  Les  adversaires  du  P.  Ghezzi  essayèrent 
vainement  de  faire  mettre  l'ouvrage  à  l'Index.  L'au- 
teur crut  opportun  toutefois  de  publier  une  déclaration 
sur  quelques  points  plus  vivement  contestés,  elle  se 
trouve  dans  la  Storia  letl.  d'Italia,  du  P.  Zaccaria, 
t.  ix,  p.  72-82.  Les  antiprobabilistes  firent  paraître 
à  leur  tour  cette  déclaration  illustrée  de  commentaires 
défavorables  sous  ce  titre  tendancieux  :  Ritratlazione 
/alla  dal  P.  Ghezzi  per  ordine  delta  S.  C.  dell' Indice. 
Cf.  Zaccaria,  op.  cit.,  p.  68;  Nouvelles  ecclésiastiques, 
1754,  p.  185;  1755,  p.  116  ;  1758,  p.  17.  Le  P.  Ghezzi 
mourut  à  Côme,  au  milieu  de  ces  âpres  discussions, 
le  19  décembre  1766,  fort  ému  du  bruit  qui  se  faisait 
en  Italie,  en  France  et  en  Espagne  autour  de  son  nom 
et  des  attaques  violentes  dont  les  doctrines  de  la 
Compagnie  de  Jésus  étaient  l'objet  à  cause  de  lui. 
Voir  t.  ii,  col.  683-681. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  C"  de  Jésus,  t.  ni, 
col.  1377  sq. ;  Zaccaria,  Storia  letl.  d'Italia,  t.  ix,  p.  72  sq.; 
t.  v,  p.  134-148;  t.  vi,  p.  142-164;  Mémoires  de  Trévoux, 
1744,  p.  1032  sq.  ;  Mémoires  pour  servir  de  suite  «  l'histoire 
de  la  morale  des  jésuites,  1762,  p.  67;  Hurter,  Nomenclator, 
3"  édit.,  t.  iv,  col.  1627. 

P.  Bernard. 
GH1L  Joseph,  jésuite  autrichien,  né  à  Prague 
le  1er  mars  1692,  admis  au  noviciat  de  la  Compagnie 
de  Jésus  le  9  octobre  1707,  enseigna  les  humanités,  la 
philosophie,  puis  pendant  de  longues  années  la  théo- 
logie morale  et  le  droit  canonique  à  Prague  et  devint 
préfet  des  études  et  chancelier  à  l'université  d'Olmutz. 
Il  reste  de  lui  les  ouvrages  suivants  :  1°  Prodromus 
malrimonii  sive  contractas  sponsdlium,  Prague,  1730; 
2°  Vulgatum  virtutum  cardinalium  quaiernarium  do- 
ctrina spcculalivo-morali  compendiose  clucidalum,  01- 
mutz,  1735;  3°  Amussis  vilœ  moralis  sive  conscientia 
proxima  el  interna  actionum  humanarum  régula, 
Olrnutz,  1737;  4°  Homo  mortalis  resurgens  ad  immor- 
talitatem  methodo  scolaslica  theologice  expensus,  Olrnutz, 
1758;  5°  Immaculata  virgo  Maria,  ibid.,  1742.  Le  P. 
Joseph  Ghil  mourut  à  Prague  le  22  septembre  1746. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  O  de  Jésus,  t.  ni, 
col.  1410  sq.;  Hurter,  Nomenclator,  3°  édit.,  t.  iv,  col.  1641. 

P.  Bernard. 
GHILBN1     Jérôme,     jurisconsulte,    né    à     Monza, 
le   19  mai   1589,  mort  à  Alexandrie  vers   1675.   Ses 
premières    études    terminées    au    collège    des    jésuites 


L343 


GHILINI —  GIAGOMELLI 


1344 


de  Milan,  il  alla  à  Panne  suivre  les  cours  de  droit. 
Devenu  veuf,  il  entra  dans  les  ordres  et  se  fit  recevoir 
docteur  en  droit  canon.  Il  fut  abbé  de  Saint-Jacques 
de  Cantalupo,  clans  le  diocèse  de  Naples,  protonotaire 
apostolique  et  chanoine  de  Saint-Ambroise  de  Milan. 
Il  ne  resta  que  cinq  années  dans  cette  ville  et  vint 
habiter  à  Alexandrie,  où  il  termina  sa  vie.  J.  Ghilini 
a  publié,  outre  un  volume  de  poésies  :  Dcl  theatro  d' uo- 
mini  klkrati,  in-8°,  Milan,  1633;  in-4°,  Venise,  1647; 
Annali  d' Alessandria  délia  suo  origine  flno  ail'  anno 
MDCLIX,  in-fol..  Milan,  1636;  Praclabilcs  casuum 
conscienliœ  resoluliones  brevissimis  conclusionibus  cx- 
plicalœ,  in-8°,  Milan,  1636. 

Ph.  Argelati,  Bibliothcca  scriptorum  Mediolanensium, 
in-fol.,  Milan,  1745,  t.  i,  col.  CS1  ;  Tiraboschi,  Sloria  dcUa 
Mlcralura  italiana,  in-8°,  Milan,  1824,  t.  vm,  p.  603,  624; 
Nicéron,  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  des  hommes 
illustres,  t.  xxxix,  p.  123;  Moréri,  Dictionnaire  historique, 
in-fol.,  1759,  t.  v  b,  p.  184. 

B.    Heurtebize. 

GIACOBAZZI  (JACOBATIUS)  Dominique  appar- 
tenait à  la  noble  famille  romaine  des  Iacobacci  de 
Faceschi,  dont  il  fut  le  premier  cardinal.  Né  vers  le 
milieu  du  xve  siècle,  il  s'était  plus  spécialement  appli- 
que à  l'étude  du  droit  et  en  1485  il  obtenait  une  place 
d'avocat  consistorial.  Quelques  années  plus  tard,  on  le 
trouve  auditeur  de  Rote;  en  1503,  il  est  chanoine  de 
Saint-Pierre,  avec  une  dispense  pour  le  cumul  des 
bénéfices.  Le  8  novembre  1511,  Jules  II  lui  confère  le 
siège  épiscopal  de  Nocera  de'  Pagani  et,  comme  tel 
Giacobazzi  prend  part  au  concile  du  Latran.  En  1513, 
nous  le  voyons  revêtu  du  titre  et  des  fonctions  de  rec- 
teur du  Collège  romain,  de  référendaire  de  la  Signature 
et  de  vicaire  du  pape  pour  le  gouvernement  spirituel 
de  Rome.  Le  16  juillet  1517,  Léon  X  le  créait  cardinal 
du  titre  de  Saint-Laurent  in  Panispcrna,  qu'il  aban- 
donnait quatre  jours  après  pour  celui  de  Saint-Barthé- 
lemy-en-rile.  Le  14  août  de  la  même  année,  il  résignait 
son  évèché  de  Nocera  en  faveur  de  son  frère  André,  qui 
lui  succédait  également  comme  vicaire  de  Rome,  et  le 
20  du  même  mois  il  optait  pour  le  titre  cardinalice  de 
Saint-Clément.  Le  2  décembre  1519,  il  était  pourvu  du 
siège  épiscopal  de  Cassano,  dont  il  se  démit  en  faveur 
de°son  neveu  Christophe,  le  23  mars  1523,  pour 
reprendre  celui  de  Nocera  devenu  vacant  par  la  mort 
du  titulaire.  La  date  du  décès  de  Giacobazzi  est  incer- 
taine; celle  du  2  juillet  1527  paraît  la  plus  vraisem- 
blable, car  le  13  janvier  1528  il  avait  un  successeur  à 
Nocera;  on  sait  seulement  qu'il  mourut  hors  de  Rome, 
ce  qui  a  contribué  à  rendre  douteux  le  lieu  de  sa 
sépulture.  On  vante  sa  piété,  sa  science,  sa  courtoisie 
et  son  habileté  dans  le  maniement  des  hommes  et  des 
affaires.  Le  cardinal  Colonna  le  portait  comme  pape 
au  conclave  où  fut  élu  Clément  VII.  On  attribue  à 
Giacobazzi  des  écrits  De  donalione  Conslantini  impe- 
raloris  et  De  ulroquc  gladio  in  Eeclesia.  Son  neveu 
Christophe,  devenu  cardinal  à  son  tour,  édita  et  dédia 
à  Paul  III  un  volumineux  ouvrage  qu'il  avait  laissé 
manuscrit,  De  concilia  traclalus,  in-fol.,  Rome,  1538. 
Divisé  en  dix  livres,  cet  ouvrage  a  mérité  de  trouver 
place  dans  les  grandes  collections  des  conciles  :  Labbe 
et  Cossart,  Apparatus  II;  Mansi,  Paris,  1903,  Intro- 
ductio.  Il  avait  déjà  été  réédité  dans  les  Traclalus 
uniuersi  juris  in  untun  collecli,  Venise,  1581,  t.  xm,  et 
en  partie,  1.  III-X,  par  Roecabcrti,  Bibliulhcca  maxima 
pontificia,  Rome,  1698,  t.  ix. 

Ciacconio-Oldoini,  Vite  et  rcs  gcslœ  ponliflcum  roma- 
norum,  Rome,  1677,  t.  m,  col.  383;  Jos.  Carafa,  De  gijm- 
nasio  romano  et  ejus  pro/essoribus,  Rome,  1751;  Moroni, 
Dizionario  di  erudizione  storico-ecclesiastica,  Venise,  1846, 
t.  xxvi  ;  Ilurter,  Nomenclator,  Inspruck,  1906,  t.  n,  col.  1225; 
Paslor,  Geschichle  der  Pàpste,  Fribourg,  1906-1907,  t.  iv  a 
et  6;  G.  Van  Gulik  et  C.  Eubel,  llierarchia  cathoUca  medii 
sévi,  Munster,  1910,  t.  tu.        P.  Edouard  d'Alençon. 


GIACOMELLI  michei-Ange  était  né  à  Pistoie  le 
11  septembre  1695.  Après  avoir  appris  dans  sa  ville 
natale  tout  ce  que  ses  maîtres  lui  pouvaient  enseigner, 
il  obtint  en  1714  une  place  de  boursier  au  collège  de 
Pise,  et  là  se  perfectionna  dans  les  lettres  et  les  sciences, 
sans  négliger  la  théologie,  dont  il  couronna  l'étude  par 
le  grade  de  docteur  en  1718.  Son  évêque  lui  offrait  une 
situation  dans  son  diocèse,  on  lui  proposait  une  chaire 
à  l'université  de  Pise;  comme  il  préférait  étudier,  il 
accepta  avec  empressement  le  poste  de  bibliothécaire 
près  de  son  compatriote  le  cardinal  Fabroni,  qui  lui 
permettrait  de  vivre  au  milieu  des  livres.  Il  travailla 
avec  le  cardinal,  qu'il  seconda  dans  sa  lutte  énergique 
contre  le  jansénisme  et  on  lui  attribue  la  rédaction  de 
certains  Avvisi  dali  al  crislianesimo  intorno  gli  errori  dcl 
(jianscnismo  c  quesnellismo.  Après  la  mort  de  Fabroni 
(1727),  Giacomelli  passa  au  service  du  cardinal  Colli- 
gola,  qui  mourut  en  1730;  il  s'attacha  ensuite  à  la 
famille  Sacchetti,  s'occupant  de  l'instruction  des 
enfants.  En  1737,  Clément  XII  le  mit  au  nombre  de  ses 
chapelains  secrets  et  deux  ans  après  il  le  faisait  béné- 
ficier de  Saint-Pierre.  Ces  faveurs  étaient  méritées, 
car  tout  en  cultivant  les  belles-lettres,  Giacomelli 
mettait  sa  plume  au  service  de  l'Église  et  l'employait  à 
défendre  ses  intérêts,  comme  le  montrent  les  Ragioni 
délia  sede  aposlolica  ncllc  presenti  controversie  colla 
Corte  di  Torino,  4  in-fol.,  Rome,  1732.  IJ  fut  également 
apprécié  par  Benoît  XIV,  dont  il  traduisit  en  latin  les 
Commentant  de  D.  N.  Jesu  Chrisli  Matrisquc  ejus  jeslis 
et  de  missse  sacrificio,  retraclali  atque  aucti,  in-fol., 
Padoue,  1745.  Clément  XII  le  nommait  en  1759  secré- 
taire pour  les  lettres  latines  et  en  1762  secrétaire  des 
brefs  aux  princes.  Quatre  ans  plus  tard,  il  lui  donnait 
une  stalle  de  chanoine  à  Saint-Pierre  et  bientôt  après, 
le  3  octobre  1766,  il  le  créait  archevêque  titulaire  de 
Chalcédoine.  Ce  fut  la  fin  de  la  carrière  de  Giacomelli  : 
Clément  XIV,  en  elîet,  circonvenu,  dit-on,  par  des 
jaloux,  ne  lui  continua  pas  la  confiance  de  ses  prédé- 
cesseurs. On  a  voulu  voir  dans  cette  mise  à  la  retraite 
une  disgrâce  causée  par  l'attachement  du  prélat  aux 
jésuites,  mais  peut-être  fut-elle  simplement  motivée 
par  ses  soixante-quatorze  ans.  Son  esprit  de  foi  et  son 
amour  pour  les  livres  lui  firent  oublier  ce  que  la  déci- 
sion pontificale  pouvait  avoir  de  fâcheux,  et  il  continua 
ses  travaux  sur  Platon,  mais  la  mort  ne  lui  laissa  pas 
le  loisir  de  publier  les  Réflexions  dont  il  avait  préparé 
le  manuscrit.  Elle  arriva  presque  subitement,  à  la 
suite  d'un  débordement  de  bile,  le  17  avril  1774. 

Très  versé  dans  l'étude  des  classiques,  Giacomelli 
traduisit  et  publia  en  italien  les  Mémorables  de  Xéno- 
phon,  les  Amours  de  Chéreas  et  de  Callirhoé  de  Chariton, 
1752,  réédités  dans  la  Collezione  degli  crolici  greci,  Flo- 
rence, 1833,  Y  Electre  de  Sophocle,  et  le  Promélhéc  en- 
chaîné d'Eschyle,  1754;  il  écrivit  en  un  latin  classique 
des  Prologues  aux  comédies  de  Piaule  et  de  Térence,  Rome. 
1738;  Pistoie,  1774.  Ce  n'étaient  là  que  les  délasse- 
ments d'un  humaniste  qui  avait  fondé  à  Rome  avec 
des  amis  un  Giornale  de'  lellerali,  auquel  il  collabora 
pendant  les  dix-huit  années  de  son  existence  (1742- 
1760).  Il  s'occupait,  en  effet,  en  même  temps  de  tra- 
vaux plus  ecclésiastiques  :  au  mois  de  juillet  1741,  il 
lisait,  dans  une  séance  au  palais  apostolique  du  Qui- 
rinal,  une  dissertation  historique  De  Paulo  Samosa- 
teno  deque  illius  dogmatc  cl  hœrcsi.  Dans  la  suite,  il 
édita  Di  S.  Giovanni  Crisostomo  dcl  saccrdo:io  libri 
sei  volgarizzali  e  con  annolazioni  illuslrali,  Rome,  1747, 
puis  S.  Patris  noslri  Modesli  archiepiscopi  Ilierosoly- 
milani  encomium  in  dormitioncm  SS.  Deiparœ  e  grœco 
latine  reddilum  cl  notis  illuslralum,  in-4°,  Rome,  1760; 
P.  G.,  t.  lxxxvi,  col.  3277-3312.  Son  dernier  ouvrage, 
Philonis  episcopi  Carpasii  enarralio  in  Canticum  canti- 
corum  grœcum  texlum  adhuc  inedilum  quamplurimis  in 
locis    depravaturn    cmendavil    et    nova    interprétation 


1345 


GIACOMELLI     —     GIBERT 


1346 


adjccla  nunc  primum  in  lucem  profert  Michael  Angélus 
Giacomellus  archiepiscopus  Chalccdonensis,  in-4°,  Rome, 
1772;  P.  G.,  t.  xl,  col.  9-154,  montre  que  jusqu'à  la 
fin  il  conserva  la  verdeur  de  sa  belle  intelligence,  car 
il  avait  alors  plus  de  soixante-quinze  ans.  On  dit 
qu'étant  jeune,  Giacomelli  étudia  spécialement  la 
géométrie;  il  avait  aussi  cultivé  la  poésie  et  sa  pre- 
mière œuvre  fut  une  Raccolta  di  poésie  per  la  solenne 
coronazione  délia  S.  immaginc  di  Maria  Vergine  dell' 
Umiltà,  Pistoie,  1715.  Il  n'avait  pas  non  plus  négligé 
les  beaux-arts,  et  il  pouvait  à  bon  droit  prononcer  au 
Capitole,  en  1739,  une  Orazione  in  Iode  délie  belle  arti, 
car  il  connaissait  au  moins  la  musique;  on  en  a  la 
preuve  dans  La  pace  universale,  componimento  in 
musica,  Rome,  1751,  publiée  à  l'occasion  de  la  nais- 
sance du  duc  de  Rourgogne.  Parmi  les  manuscrits 
qu'il  laissa,  on  mentionne  un  Ragionamento  epislolarc 
a  monsignore  Ignazio  Buoncompagni  Ludovisi  sul 
metodo  da  lenersi  per  impararc  la  lingua  greca. 

A.  Matani,  Elogio  di  Michel  Angelo  Giacomelli,  Pise, 
1775;  Michaud,  Biographie  universelle,  t.  xvn,  p.  293; 
Richard  et  Giraud,  Dizionario  universale  délie  scienze  eccle- 
siastiche,  Naples,  1846;  Picot,  Mémoires  pour  servir  à  l'Iiis- 
toire  ecclésiastique  du  XYlll"  siècle,  3e  édit.,  Paris,  1855, 
t.  iv,  p.  479;  Moroni,  Dizionario,  t.  xxx,  p.  200;  Hurter, 
Nomenclator,  t.  v,  col.  87,  note;  Feller,  Dictionnaire  his- 
torique. 

P.  Edouard  d'Alençon. 

GIBALIN  (Joseph  de),  jésuite  français,  né  dans  le 
Gévaudan,  au  diocèse  de  Mende,  le  22  février  1592, 
reçu  dans  la  Compagnie  de  Jésus  le  22  octobre  1607. 
Après  avoir  enseigné  la  grammaire,  les  humanités, 
la  rhétorique  et  la  philosophie,  il  occupa  pendant 
dix-huit  ans  la  chaire  de  droit  canonique  au  scolasticat 
de  Lyon  avec  une  grande  réputation  de  science  que 
la  publication  de  ses  divers  traités  sur  des  matières 
canoniques  alors  spécialement  discutées  répandit  bien- 
tôt dans  toute  la  France  et  à  l'étranger.  Le  cardinal 
de  Richelieu  lui  demanda  de  rédiger  un  écrit  «  sur  la 
justice  des  armes  de  Louis  XIII  »  et  les  juristes  les 
plus  renommés  le  consultaient  avec  déférence  dans  les 
cas  embarrassants.  Voici  la  liste  de  ses  principaux 
ouvrages  :  1°  Disquisitioncs  canonicœ  de  clausura 
regulari  ex  veleri  et  novo  jure,  Lyon,  1648;  2°  De 
irregularilalibus  et  impedimcnlis  canonicis  sacrorum 
ordinum  susccptionem  et  usum  prohibcnlibus,  Lyon, 
1752;  3°  Disquisitiones  canonicœ  et  theologicœ  de  sacra 
jurisdictione  in  ferendis  pœnis  et  censuris  ccclesiaslicis 
ex  veleri  et  novo  jure,  Lyon,  1656;  4°  De  usuris,  commer- 
ças, deque  œquilale  et  usu  fori  Lugdunensis,  cum  accu- 
rala  usurarum,  ejus  quod  inlerest,  annorum  rcdiluiim, 
cambioriim,  socictatum  cl  contracluum  omnium  explica- 
lione,  ex  jure  nalurali,  ecclesiastico  et  civili,  gallico  et 
romano,  ibid.,  1656.  Ce  traité,  curieux  par  la  nature 
des  problèmes  soulevés  et  des  solutions  fournies, 
contient  les  plus  précieux  renseignements  sur  les 
opérations  financières  de  l'époque;  la  II0  partie 
instamment  réclamée  parut  l'année  suivante,  sous  ce 
titre  :  Pars  secunda  complectens  prœslanliorcs  annuas 
societates  et  cambia,  ibid.,  1657;  5°  De  simonia  universel 
traclalio  thcologica  cl  canonica,  in  qua  innumerœ 
quœslioncs  de  sacris  junclionibus  sacramentorum  admi- 
nislratione,  missarum  slipendiis,  dolibus  monialium, 
collatione,  resignalionc  et  commulationc  beneficiorum 
ad  usum  utriusque  fori  explicanlur,  ibid.,  1659;  6°  De 
universa  rerum  humanarum  negoliatione  traclalio 
scicnliftca  utrique  foro  perutilis,  2  in-fol.,  ibid.,  1663; 
c'est  un  des  premiers  traités  de  droit  canonique  qui 
ait  cherché  à  élucider  les  questions  d'économie  poli- 
tique et  sociale;  il  mérite  à  ce  point  de  vue  le  plus 
grand  intérêt;  7°  Senlenlia  canonica  et  lùerapolilica, 
opus  in  quo  singula  qwz  toto  corpore  juris  ponlificii 
sparsa  sunt,  ad  certa  et  indubitata  principia  reducuntur, 
privati  Galliz  niores  ac  jura  cum  romanis  conciliantur, 

DlCf.  DE   THEOL.  CATHOL. 


3  in-fol.,  ibid.,  1670.  Le  P.  Joseph'de  Gibalin  mourut 
à  Lyon  l'année  suivante,  14  décembre  1671,  au  mo- 
ment oi'i  il  entreprenait  la  rédaction  d'un  ouvrage  de 
droit  canonique  et  de  morale  dont  la  matière,  rigou- 
reusement divisée,  devait  comprendre  quinze  volumes. 
Ses  immenses  travaux  n'absorbaient  point  toute  son 
activité;  il  gouvernait  en  même  temps  le  collège  et  le 
noviciat  de  Lyon,  dirigeait  plusieurs  communautés 
religieuses  qu'il  réforma  très  heureusement  en  leur 
donnant  des  règles  qui  furent  sans  le  moindre  change- 
ment approuvées  par  le  Saint-Siège.  La  sainteté  du 
P.  de  Gibalin,  non  moins  que  sa  science  et  la  prudence 
de  sa  direction,  lui  avait  valu  la  confiance  et  la  pro- 
fonde amitié  de  l'archevêque  Camille  de  Neuville. 

Sommcrvogel,  Bibliothèque  de  la  C'°  de  Jésus,  t.  ni, 
col.  1400-1402;  Hurter,  Nomenclator,  3e  édit.,  t.  iv,  col. 
1657  sq. 

P.  Bernard. 

GIBBONS  Jean,  jésuite  anglais,  né  en  1544  près 
de  Wels,  dans  le  Sommersetshire.  Après  de  solides 
études  théologiques  faites  à  Rome  au  Collège  romain, 
il  devint  chanoine  de  Bonn,  mais  renonça  bientôt  à 
cette  dignité  qui  en  présageait  d'autres  pour  entrer  au 
noviciat  de  la  Compagnie  de  Jésus  à  Trêves  en  1578. 
Professeur  de  théologie  fort  remarquable,  il  ne  tarda 
pas  à  être  nommé  recteur  du  collège  de  cette  ville  où  il 
était  vénéré  de  tous,  mais  sans  renoncer  pour  cela  aux 
travaux  de  controverse  concernant  plus  spécialement 
l'anglicanisme.  Il  nous  reste  de  lui  :  1°  Concerlalio 
Ecclesiœ  calholicœ  in  Anglia  adversus  calvinopapislas 
et  puritanos,  Trêves,  1583,  ouvrage  qui  contient  une 
fort  émouvante  et  solide  apologie  des  martyrs  anglais 
et  de  la  valeur  de  leur  témoignage  ;  2°  De  sacrosancla 
communione  sub  una  specie,  ibid.,  1583;  3°  Disputalio 
Ihcologica  de  sanctis  complectens  omnes  fere  quaslioncs 
noslri  temporis  controversas  de  illorum  origine,  canonisa- 
lione,  veneratione,  vocationc,  diebus  festis,  votis,  peregri- 
nationibus,  rcliquiis  cdque  miraculis,  ibid.,  1583.  Atteint 
d'une  grave  maladie,  le  P.  Jean  Gibbons  fut  envoyé 
à  Willich  pour  se  rétablir,  puis  transporté  mourant 
à  l'abbaye  d'Himmerod  où  il  rendit  saintement  le 
dernier  soupir  le  3  décembre  1589. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  C"  de  Jésus,  t.  m,  col. 
1402-1404;  Hurter,  Nomenclator,  3"  édit.,  t.  m,  col.  170. 

P.  Bernard. 
GIBERT  Jean-Pierre,  issu  d'une  bonne  famille  de 
robe,  naquit  à  Aix  au  mois  d'octobre  1660.  Joseph 
Gibert,  son  père,  était  conseiller  du  roi  et  référendaire 
au  parlement  de  Provence.  Jean-Pierre  entra  dans  la 
cléricature,  sans  toutefois  vouloir  monter  aux  ordres. 
Muni  de  ses  grades  en  théologie  et  in  utroque  jure,  il  fut 
invité,  par  l'évêque  de  Toulon,  a  enseigner  dans  son 
séminaire;  au  bout  de  peu  d'années,  il  revint  à  Aix,  sur 
les  instances  de  sa  famille,  où  il  remplit  les  mêmes 
fonctions.  En  1703,  Gibert  se  rendit  à  Paris;  bénéfices 
et  emplois,  il  refusa  tout,  vivant  simplement  et  secou- 
rant généreusement  les  pauvres.  Sa  réputation  de 
canoniste  le  faisait  consulter  par  tous  et  il  mettait  sa 
science  à  leur  disposition,  tout  en  travaillant  à  la  com- 
position de  nombreux  ouvrages,  conçus,  cela  se  com- 
prend, dans  un  esprit  gallican  très  accentué,  ce  qui  ne 
l'empêchait  pas  d'être  un  prêtre  pieux  et  zélé.  Une 
attaque  d'apoplexie  l'emporta  le  2  novembre  1736.  Il 
laissait  un  bon  nombre  d'ouvrages  dont  voici  la  liste  : 
Les  devoirs  du  chrétien  renfermés  dans  le  psaume  cxvni, 
in-12,  Paris,  1705;  Cas  de  pratique  concernant  les  sacre- 
ments en  général  et  en  particulier,  in-12,  Paris,  1709; 
Doclrina  canonum  in  corpore  juris  inclusorum  circa  con- 
sensum  parentum  requisitum  ad  malrimonium  filiorum 
minorum  disquisitio  hislorica.  in-12,  Paris,  1709;  mal- 
gré le  décret  du  concile  de  Trente,  sess.  xxiv,  c.  i, 
De  reform.,  il  y  soutient  que  les  mariages  des  mineurs, 
contractés  sans  le  consentement  des  parents,  sont  nuls, 

VI.  -  4a 


1347 


GIBERT     —     GILBERT 


1348 


ou  tout  au~moins  annulables  par  l'autorité  compé- 
tente,  civile  ou   ecclésiastique;   Mémoires   concernant 
l'Écriture  sainte,  la  théologie  scholaslique  et  l'histoire  de 
l'Église,    pour   servir   aux   conférences    ecclésiastiques, 
in-i'2,   Luxembourg,   1710;   Institutions  ecclésiastiques 
et  bénéficiâtes  suivant  les  principes  du  droit  commun  et 
les  usages  de  France,  in-4°,  Paris,  1720;  2°  édit.,  2  in-4°, 
ibid.,  1736;  Dissertations  sur  l'autorité  du  second  ordre 
dans'  le  synode  diocésain,  in-4°,  Rouen,  1722;   Usages 
de  l'Église  gallicane  concernant  les  censures  et  irrégu- 
larités, in-4°,  Paris,  1724;  on  trouve  aussi  des  exem- 
plaires avec  la  date  de  1750;  Consultations  canoniques 
sur  les  sacrements  en  général  et  en  particulier,  12  in-12, 
Paris,  1725  ;  Tradition  ou  histoire  de  l'Église  sur  le  sacre- 
ment 'de  mariage,  3  in-4°,  Paris,  1725;  il  y  démontre,  dit 
1  lurter,  que  le  mariage  a  été  de  tout  temps  soumis  à  la 
juridiction  de  l'Église;  Corpus  juris  canonici  per  régulas 
nalurali  ordine  digestas  usuque    temperatas,  ex  eodem 
jure  et  conciliis,  Patfibus  atque  aliunde  desumptas  expo- 
sili,  3  in-fol.,  Cologne,  1735;  Genève,  1756;  Lyon,  1737. 
Gibert  se  proposait,  dit-on,  de  traduire  cet  ouvrage  en 
français,  quand  il  fut  surpris  par  la  mort:  Les  tendances 
gallicanes,  dont  il  cherche  à  se  départir,  se  retrouvent 
cependant  dans  cet  ouvrage  important  et  par  la  ma- 
nière nouvelle  employée  par  l'auteur  et  par  la  vaste 
érudition  juridique  qui  remplit  ces  pages.  Après  sa 
mort  parurent  les  Conférences  de  ledit  de  1695  (sur  la 
juridiction  ecclésiastique)  avec  les  ordonnances  précé- 
dentes et  postérieures  sur  la  même  matière,  2  in-12,  Paris, 
1757.  Gibert  enrichit  de  notes  et  de  la  vie  de  l'auteur 
l'édition  du  Traité  de  l'abus  de  Charles  Févret,  Paris, 
1736,  et  celle  de  la  Theoria  et  praxis  juris  canonici  de 
Jean  Cabassut,  Lyon,  1738,  bien  qu'il  s'y  éloigne  des 
sentiments  de  l'auteur.  On  trouve  aussi  une  editio  novis- 
sima  du  Jus  ecclesiasticum  universum  de  van  Espen, 
bien  postérieure  à  sa  condamnation  (26  avril  1734), 
annolationibus  Joannis  Pétri  Giberli  nuperrime  aucla 
et  illuslrala,  Venise,  1769  et  1781-1782.   Il  existe  un 
Éloge  de  Gibert  par  l'abbé  Goujet,  Paris,  1736;  et  on 
trouve  un  Abrégé  de  sa  vie  dans  la  Lettre  à  M.  Gibert, 
professeur  de  rhétorique  au  collège  Mazarin  du  P.  Bou- 
gerel,  Paris,  1737. 

P.  Bougerel,  Mémoires  sur  les' hommes  illustres  de  Pro- 
vence, Paris,  1752;  Mémoires  de  Nicéron,  t.  xl:  Michaud, 
Biographie  universelle,  t.  xvn,  p.  317;  Hurter,  Nomenclator, 
Inspruck,  1910,  t.  iv,  col.  1285-1287,  où  l'on  trouve  de 
nombreux  renvois  au  Journal  des  savants  et  aux  Mémoires 
de  Trévoux  de  l'époque. 

P.  Edouard  Alençon. 

GIBIEUF  Guillaume,  né  à  Bourges  à  la  fin  du 
xvie  siècle,  fut  un  des  premiers  membres  de  l'Oratoire 
où  il  entra  en  1612,  quittant  la  maison  de  Sorbonne, 
ce  qui  occasionna  la  levée  de  boucliers  du  fameux 
Edmond  Richer  contre  la  nouvelle  congrégation. 
Homme  de  tête  et  de  grand  bon  sens,  il  fut  le  bras 
droit  du  P.  de  Bérulle,  spécialement  pour  les  affaires 
des  carmélites  de  France  dont,  après  la  mort  du 
fondateur  de  l'Oratoire,  il  resta  l'un  des  supérieurs. 
Il  publia  en  1630  un  traité:  De  liberlalc  Dei  et  creaturœ, 
qui  fut  vivement  attaqué  par  les  jésuites  Th.  Raynaud 
et  Annat,  et  où,  a-t-on  écrit,  il  se  montre  précurseur 
du  jansénisme.  Mais  s'il  semble  bien,  en  effet,  que  ses 
idées  sur  la  liberté  se  rapprochent  de  celles  qu'allait 
soutenir  Jansénius  dans  l'A ugusl inus,  jamais  Gibieuf 
ne  donna  son  adhésion  à  une  doctrine  condamnée 
par  l'Église,  et  comme  dit  Hurter,  sincère  doctrinam 
calholicam  amavil,  et,  erroribus  Jansenii  damnatis,  eas 
i  i  corde  reprobavit.  En  1644,  il  écrivit  une  circulaire 
aux  carmélites  pour  les  prémunir  contre  les  erreurs 
«le  Port-Royal  et  leur  interdire  la  lecture  des  ouvrages 
de  la  sixte.  En  1637,  il  publia  un  ouvrage  sur  les  Gran- 
deurs de  la  sainte  Vierge,  «  qui  passa  plus  paisiblement,  » 
comme  dit  Batterel.     Un  dernier  ouvrage,  Catéchèse 


de  la  vie  parfaite,  composé  pour  les  carmélites,  ne  fut 
publié  qu'en  1653.  Le  P.  Gibieuf  était  ami  de  Descartes 
et  de  Mersenne.  Premier  supérieur  du  séminaire 
archiépiscopal  de  Saint-Magloire,  il  y  mourut  le 
6  juin  1650. 

Cloyseault,  t.  i,  p.  138;  Batterel,  Mémoires,  t.  i,  p.  233: 
Ingold,  Supplément  ù  la  bibliographie  oralorienne  ;  P.  Féret, 
La  faculté  de  théologie  de  Paris  et  ses  docteurs  les  plus  célè- 
bres. Époque  moderne,  Paris,  1907,  t.  v,  p.  324-330. 

A.  Ingold. 
GIBONAIS  (Jean  Artur  de  la),  jurisconsulte,  né 
à  Saint-Malo.  le  16  février  1049,  mort  à  Paris  en  jan- 
vier 1728.  Il  commença  par  l'étude  de  la  théologie 
qu'il  abandonna  bientôt  pour  celle  du  droit.  Au  mo- 
ment de  sa  mort,  il  était  doyen  de  la  chambre  des 
comptes  de  Bretagne.  Il  publia  :  De  l'usure,  interest  et 
profit  qu'on  tire  du  presl,  ou  l'ancienne  doctrine  sur  le 
presl  usuraire  opposée  aux  nouvelles  opinions,  in-12, 
Paris,  1710  :  ouvrage  contre  un  écrit  de  René  de  la 
Bigottière,  président  aux  enquêtes  du  parlement  de 
Bretagne  qui  avait  paru  trop  favorable  à  l'usure. 
On  doit  encore  à  Jean  de  la  Gibonais  :  Maximes  pour 
conserver  l'union  dans  les  compagnies,  in-8°,  Nantes, 
1714;  Recueil  des  édits,  ordonnances  et  règlements  con- 
cernant les  fondions  ordinaires  de  la  chambre  des  comptes 
de  Bretagne,  tiré  des  titres  originaux  estant  au  dépôt 
de  ladite  chambre,  divisé  en  quatre  parties  cl  mis  en 
ordre  suivant  la  nature  des  matières,  in-fol.,  Nantes, 
1721  ;  Succession  chronologique  des  ducs  de  Bretagne 
avec  quelques  observations  et  actes  principaux,  in-fol., 
Nantes,  1723. 

De  Kerdanet,  Notices  chronologiques  sur  les  théologiens, 
jurisconsultes...  de  la  Bretagne,  in-8°,  Brest,  1818,  p.  223; 
Ropartz,  Études  sur  quelques  ouvrages  rares  et  peu  connus 
du  XVIIe  siècle,  écrits  par  des  Bretons  ou  imprimés  en  Bretagne, 
in-8°,  Nantes,  1878,  p.  217;  dans  la  Revue  de  Bretagne  et 
de  Vendée,  1863,  t.  i,  p.  417;  Levot,  dans  Revue  celtique, 
1871,  t.  I,  p.  447;  R.  Kerviler,  Répertoire  général  de  bio- 
bibliographie  bretonne,  in-8°,  Rennes,  1880,  t.  i,  p.  300; 
Quérard,  La  France  littéraire,  t.  iv,  p.  426. 

B.  Heurtebize. 
GIL  Christophe,  jésuite  portugais,  né  à  Braga 
en  1555,  admis  dans  la  Compagnie  de  Jésus  le  10  no- 
vembre 1569.  Professeur  de  théologie  à  l'université 
de  Coïmbre,  puis  à  Évora,  il  se  fit  remarquer  par  la 
profondeur  de  ses  aperçus  et  la  rigueur  de  sa  méthode. 
Porté  de  préférence,  par  la  nature  de  son  esprit  et  le 
caractère  de  son  éducation  première, vers  les  questions 
d'ordre  spéculatif,  il  a  laissé  un  important  ouvrage  sur 
l'essence  et  l'unité  de  Dieu,  très  répandu  dans  les  écoles 
au  début  du  xvue  siècle  :  Commcntalionum  theologi- 
carum  de  sacra  doclrina  et  essentia  atque  unilale  Dei  libri 
duo,  Lyon,  1500;  Cologne,  1610;  1619;  1641.  Nommé 
censeur  des  livres  à  Rome,  le  P.  Gil  intervint  dans  les 
discussions  religieuses  soulevées  par  les  décrets  de 
la  république  de  Venise  relatifs  aux  biens  d'Église  et 
écrivit  une  défense  du  monitoire  de  Paul  V  :  Scritlo  in 
difesa  de  procedimenti  di  papa  Paolo  V  contro  i  Decreli 
délia  republica  di  Vcnezia  sopra  i  béni  acquistati  dalle 
religiosi.  Le  P.  Christophe  Gil  mourut  à  Salamanque 
le  7  janvier  1608. 

P.  Franco,  Imagem  da  Virtuâ  em  o  novic.  de  Coimbra, 
p.  459-469;  Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  C'°  de  Jésus, 
t.  m,  col.  1411  sq. 

P.  Bernard. 

1.  GILBERT  Jacques,  professeur  de  théologie  à 
l'université  de  Douai,  est  surtout  connu  par  son  atta- 
chement au  parti  janséniste  et  par  le  rôle  qu'il  a  joué 
dans  la  fameuse  Fourberie  de  Douai.  Né  à  Arras,  il 
lit  toutes  ses  études  sur  les  bancs  de  l'université  douai- 
sienne.  Il  était  curé  de  Beaumetz-en-Cambrésis,  lors- 
qu'eut  lieu  à  Paris  l'Assemblée  de  1682,  et  quand  furent 
moclamés  les  quatre  articles.  Le  roi  voulut  forcer  les 


1349 


GILBERT   —   GILBERT     DE     LA     PORRÉE 


1350 


professeurs  de  Douai  de  les  enseigner.  Ceux-ci  protestè- 
rent avec  énergie.  L'intendant  Le  Peletier  suspendit 
alors  les  cours  et  les  traitements  des  maîtres,  et  cher- 
cha quelqu'un  qui  acceptât  la  Déclaration,  afin  de  lui 
donner  la  première  chaire  vacante.  L'évêque  d'Arras, 
Guy  de  Sèva  de  Rochechouart,  qui  était  ami  des  jan- 
sénistes, proposa  Gilbert,  alors  simple  licencié,  et  le  fit 
accepter.  Le  nouveau  maître,  devenu  docteur  en  1684, 
fut  nommé  vers  la  même  date  prévôt  de  Saint-Amé  et 
chancelier  de  l'université,  et  fit  des  adeptes  parmi  ses 
élèves.  En  1687,  il  publia,  on  devine  dans  quel  esprit, 
son  Traclalus  tlicologico-canonicus  de  scdis  apostolicse 
primatu,  de  conciliorum  cecumenicorum  auclorilate  et 
infallibiliiale,  de  regum  in  lemporalibus  ab  omni  potestate 
humana  libertate,  in-8°,  Douai,  1687.  Ce  fut  probable- 
ment vers  la  même  date  qu'il  composa  ses  Thèses  theolo- 
gicse  quas  exponit  eximius  D.  ac  mag.  nosler  Jacob  us 
Gilbert  S.  Th.  doctor  in  Aima  Duacena  univcrsilatc. 

On  s'émut  de  ces  doctrines  publiquement  enseignées. 
Cinq  docteurs  de  Sorbonne,  par  ordre  de  Louis  XIV, 
censurèrent  ses  erreurs  jansénistes  à  propos  de  la 
grâce  et  déclarèrent  que  ce  docteur  ne  pouvait  continuer 
à  enseigner  sans  préjudice  grave  pour  l'université. 
L'évêque  d'Arras  fut  obligé  de  ratifier  ce  jugement 
le  13  août  1687.  Gilbert  fut  forcé  de  descendre  de  sa 
chaire  et  envoyé  en  exil  à  Saint-Quentin  par  l'inten- 
dant de  Flandre,  Dugué  de  Bagnols.  Il  persévéra  malgré 
tout  à  agir  dans  le  sens  janséniste. 

C'est  en  1690  qu'il  reçut  une  lettre  tout  à  la  fois  singu- 
lière et  flatteuse.  Elle  demandait  à  Gilbert  des  explica- 
tions et  des  directions  de  conscience, et  elle  lui  conseil- 
lait, en  retour,  de  rester  dans  ses  emplois  académiques 
pour  faire  triompher  le  bon  parti.  «  Gardez  le  silence, 
ajoutait-on  ;  confiez  vos  lettres,  vos  livres  et  vos  papiers 
les  plus  secrets  à  un  exprès  sûr,  qui  les  transmettra  à 
nos  amis.  Vous  attirerez  aussi  sur  vous  la  protection 
de  personnes  très  haut  placées.  »  La  lettre  était  signée  : 
Antoine  A.  Point  de  doute  pour  Gilbert,  il  s'agissait 
du  grand  Antoine  Arnauld,  du  pape  janséniste.  Après 
avoir  reçu  quelques  communications  du  même  genre, 
Gilbert  se  dessaisit  de  tous  ses  documents.  La  réponse 
ne  se  fit  pas  attendre;  une  lettre  de  cachet  l'exila  à 
Saint-Flour,  puis  à  Thiers  et  à  Pierre-Encise,  non  loin 
de  Lyon. 

Gilbert  ne  fut  pas  la  seule  victime  de  ce  mystificateur. 
Deux  professeurs  à  la  faculté  de  théologie,  Rivette  et 
Delaleu,  et  deux  licenciés,  Malpaix  et  de  Ligny,  reçurent 
en  même  temps  et  par  les  mêmes  voies  des  communica- 
tions analogues.  Quand  le  maître  fourbe  eut  rassemblé 
toutes  les  pièces  à  conviction,  il  envoya  à  la  faculté  de 
théologie,  en  juin  1691,  une  dénonciation  en  règle  sous 
ce  titre  :  Lettre  d'un  docteur  de  Douaij  sur  les  affaires  de 
son  unioersilé.La  cause  fut  portée  au  conseil  du  roi,  puis 
à  la  Sorbonne  (26  décembre),  et  bientôt  après  des  lettres 
de  cachet  envoyèrent  Delaleu  au  Mans,  Rivette  à  Cou- 
tances,  Malpaix  à  Saintes,  et  de  Ligny  à  Tours,  puis  à 
Carhaix  en  Bretagne. 

Qui  fut  l'auteur  de  ces  intrigues  peu  loyales  ? 
Arnauld  accusa  successivement  le  P.  de  Waudripont, 
jésuite,  puis  les  Pères  Payen,  Desruelles,  Beckman, 
Tellier  et  Rayer.  Presque  de  nos  jours,  Sainte-Beuve 
imputa  la  Fourberie  au  P.  Lallemant.  Il  paraît  certain 
pourtant  que  les  jésuites  doivent  être  mis  hors  de 
cause.  D'autre  part,  Picot  accuse  le  théologien  Honoré 
Tournély,  professeur  à  Douai,  d'avoir  monté  le  coup, 
ce  qui  paraît  tout  aussi  invraisemblable.  Pour  nous, 
nous  pensons  que  le  coupable  est  un  étudiant  ecclé- 
siastique dont  le  style  trahit  l'origine  wallonne  et 
dont  plus  tard  peut-être  on  connaîtra  le  nom. 

Quoi  qu'il  en  soit,  Gilbert,  même  dans  son  exil, 
continua  à  exercer  au  sein  des  facultés  de  Douai  son 
influence  malsaine.  En  1702,  Fénelon  écrivait  au 
duc  de   Chevreuse   :  «   L'université   est  fort  affaiblie 


et  fort  gâtée...  M.  Gilbert  donne  les  canonicats  de 
Saint-Amé  qui  sont  à  sa  nomination  aux  sujets  les 
plus  ardents  pour  le  jansénisme  de  sorte  que  Douay 
est  rempli  des  plus  forts  sujets  de  ce  parti.  Aussi  toute 
la  jeunesse  s'élève-t-elle  dans  ces  sentiments  sans 
garder  de  mesure...  Tout  ce  qui  a  un  peu  de  talent  et 
d'étude  se  trouve  prévenu.  » 

En  1711,  les  alliés  s'étant  emparés  de  Douai, 
Jacques  Gilbert  adressa  une  requête  aux  députés 
Hop  et  Geldermalsen  du  conseil  d'État  de  La  Haye, 
disant  que  depuis  vingt-quatre  ans  il  est  tombé  en 
disgrâce  à  la  cour  de  France,  qu'il  a  été  exilé  dans 
diverses  villes  du  royaume  et  finalement  interné  dans 
le  château  de  Lyon;  il  demandait  qu'à  l'occasion  du 
changement  de  domination  à  Douai,  il  pût  rentrer 
dans  cette  ville,  où  il  était  prévôt  du  chapitre  de  Saint- 
Amé.  Cette  démarche  ne  paraît  pas  avoir  eu  de  succès. 

Gilbert  mourut  en  1712,  et  son  corps  repose  à 
Pietat,  près  de  Condom.  Obscur  émule  des  Gerberon, 
des  Soanen  et  des  Quesnel,  il  fit  grand  mal  à  l'uni- 
versité de  Douai.  Il  fut,  presque  seul  heureusement, 
ardent  propagateur  des  idées  jansénistes  et  antiinfaillibi- 
listes  quela  faculté  dans  son  ensemble  répudia  toujours. 

D'Avrigny,  S.  J.,  Mémoires  chronologiques  et  dogmatiques, 
t.  m,  année  1691  ;  Brou,  S.  J.,  Les  jésuites  de  la  légende, 
t.  il,  p.  32;  Desmons,  Gilbert  de  Clioiseul,  évéque  de  Tournai, 
p.  360-301  ;  Foppens,  Historia  et  séries  doctorum  academiœ 
Duacensis,  ras,  de  la  Bibliothèque  royale  de  Bruxelles  17592; 
J.  Hild,  Honoré  Tournély  und  seine  Stelluug  zum  Janse- 
nismus,  p.  xx,  2S8;  Le  Glay,  Cameracum  chrislianum, 
p.  110;  Mémoires  sur  le  chapitre  de  Saint-Amé  à  Douai, 
p.  16;  Th.  Leuridan,  Essai  sur  l'histoire  religieuse  de  la 
Flandre  wallonne,  p.  326;  Nouvelles  ecclésiastiques  du  24  mai 
1737;  Plouvain,  Soiwenirs,  p.  280,  492,  798;  Quesnel,  Mé- 
moires importants  pour  servir  à  l'histoire  de  la  faculté  de 
théologie  de  Douai;  Bcusch,  Beitrâge  zur  Geschiehte  des 
Jesuilenordens,  Munich,  1904,  p.  69;  L.  Salembier,  Hommes 
et  choses  de  Flandre,  Lille,  1912,  p.  267  sq.;  H.  Tour- 
nély, Prwlec.  theolog.  de  gratia  Chrtsti,  1725,  t.   i,  p.  452. 

L.  Salembier. 
2.  GILBERT  Nicolas-Alain,  théologien  français, 
né  à  Saint-Malo  en  1762,  mort  en  1821.  Il  se  destina 
d'aboi  d  aux  missions  étrangères,  mais  obligé,  à  cause 
de  la  faiblesse  de  sa  santé,  de  rentrer  dans  son  diocèse, 
il  devint  curé  de  Saint-Pern.  Après  avoir  été  incarcéré 
quelque  temps  à  l'époque  de  la  Révolution,  il  passa 
en  Angleterre,  et  s'établit  à  Whitby,  dans  le  Yorkshire, 
où  il  fonda  une  mission.  En  1815,  il  rentra  en  France, 
et  eut  le  premier  l'idée  des  missions  à  l'intérieur. 
Il  évangélisa  ainsi  les  environs  de  Saint-Malo,  et 
porta  son  zèle  dans  une  grande  partie  de  la  Bretagne. 
C'est  en  Angleterre  qu'il  exerça  son  activité  littéraire, 
en  publiant  quelques  ouvrages  de  controverse  dont 
voici  les  titres  :  A  vindication  of  Ihe  doctrine  of  the 
calholic  Church  on  the  eucharist,  Londres,  1800;  An 
enquiry  if  the  marks  of  the  (rue  Church  are  applicable 
lo  ihe  presbyterian  Churches,  Berwick,  1801;  The 
calholic  doctrine  of  baplism  proved  bij  Scriplures  and 
tradition,  Berwick,  1802;  A  replu  lo  the  falsc  interpré- 
tations lhat  John  Wesley  has  put  on  calholic  doctrine, 
Whitby,  1811. 

Hoefer,  Nouvelle  bibliographie  générale,  Paris,  1857; 
Dictionarg  o/  national  biography,  Londres,  1908. 

A.   Gatard. 

3.  GILBERT  DE  LA  PORRÉE.  —  I.  Vie.  II.  Œu- 
vres. III.  Doctrines.  IV.  Influence. 

I.  Vie.  —  Gilbert  de  la  Porrée  (Gilberlus  ou  Gilli- 
bertus  ou  Gisleberlus  Porrelanus)  naquit  à  Poitiers, 
vers  1076.  Passionné  pour  l'étude,  il  suivit  les  leçons 
d'Hilaire,  à  Poitiers,  de  Bernard  de  Chartres,  plus 
connu  sous  le  nom  de  Bernard  Sylvestris,  à  Chartres 
(vers  1100),  puis,  à  Laon,  des  deux  frères  Anselme  et 
Raoul.  De  là  il  rentra  probablement  à  Poitiers,  et  y 
ouvrit  une  école.  C'est  à  ce  moment,  d'après  A.  Clervaï. 


1351 


GILBERT     DE     LA     PORRÉE 


1352 


Les  écoles  de  Chartres  au  moyen  âge,  Chartres,  1895, 
p.  164,  qu'il  aurait  adressé  à  Bernard  de  Chartres  la 
lettre  que  l'on  a  supposée,  mais  à  tort,  écrite  par  lui 
en  1141,  lors  de  son  dernier  retour  en  sa  patrie,  et  dans 
laquelle  il  manifestait  le  vœu  de  revenir  auprès  de  son 
ancien  maître.  Nommé  chancelier  de  l'église  et,  à  ce 
titre,  préposé  aux  écoles  chartraines,  Bernard  le  manda. 
Gilbert  apparaît  comme  chanoine  de  Chartres  dans  un 
document  de  1124,  et  comme  chancelier  dans  des  textes 
qui  s'échelonnent  de  1126  à  1137.  Sur  sa  résidence  de 
plus  de  douze  ans  à  Chartres  les  détails  précis  sont 
rares.  C'est  alors  qu'il  écrivit  la  plupart  de  ses  ouvrages 
sur  l'Écriture  sainte,  la  théologie  et  la  philosophie.  Il 
fut  vite  un  maître  en  renom;  une  brillante  foule  de 
disciples  se  groupa  autour  de  sa  chaire.  Il  s'éleva 
contre  les  cornificiens,  paresseux  ou  arrivistes,  qui 
protestaient  contre  la  longueur  du  temps  consacré  aux 
études.  Jean  de  Salisbury,  Mctalogicus,  i,  5,  P.  L., 
t.  cxcix,  col.  832,  dit  qu'il  avait  coutume  de  leur  con- 
seiller le  métier  de  boulanger,  «  le  seul  qui  accepte 
tous  ceux  qui  n'ont  pas  d'autre  métier  ou  d'autre 
travail,  un  métier  très  facile  à  exercer  et  propre  surtoul 
à  ceux  qui  cherchent  plutôt  leur  pain  que  leur  instruc- 
tion. »  Il  s'occupa  d'améliorer  la  bibliothèque.  En  1140. 
il  était  au  concile  de  Sens,  où  fut  condamné  Abélard. 
Celui-ci,  qui  avait  pu  le  connaître  à  Laon  auprès  d'An- 
selme, et  qui  avait,  le  premier  de  tous,  signalé  le  péril 
de  ses  théories  philosophiques  appliquées  à  la  Trinité, 
lui  prédit  qu'il  serait  condamné  à  son  tour.  En  1141. 
nous  trouvons  Gilbert  écolàtre  à  Paris.  Il  n'y  resta 
guère;  il  y  eut  pour  élève  Jean  de  Salisbury.  En  1142,  il 
fut  nommé  évéque  de  Poitiers. 

Là,  ses  idées  soulevèrent  des  contradictions.  Comme  il 
exposait,  en  plein  synode  diocésain  (1146),  ses  doctrine 
trinitaires,  ses  deux  archidiacres,  Calon  et  Arnaud, 
surnommé  «  Qui  ne  rit  pas  »,  protestèrent  vivement; 
bien  plus,  ils  allèrent  le  dénoncer  au  pape  Eugène  III. 
L'affaire  fut  renvoyée  à  un  concile  qui  se  tint  à  Paris 
en  1147.  Saint  Bernard  y  prit  la  parole  contre  Gilbert, 
et,  avec  le  saint,  trois  docteurs  insignes  :  Adam  du  Petit- 
Pont,  Hugues  de  Champfleury,  et  Hugues  d'Amiens, 
archevêque  de  Bouen.  Gilbert  n'avait  pas  moins  de 
souplesse  intellectuelle  qu'eux;  il  s'expliqua  si  habi- 
lement et,  d'autre  part,  l'absence  de  ses  écrits  et  les 
affirmations  contradictoires  de  ses  adversaires  et  de  ses 
partisans  rendaient  la  question  si  obscure  que  le  pape 
ajourna  son  jugement  au  concile  de  Beims  (1148). 

Pour  l'histoire  de  ce  concile  nous  avons  quatre  écri- 
vains, de  tendances  diverses  :  Geoffroy  d'Auxerre,  qui 
fut  secrétaire  de  saint  Bernard,  et  qui  assista  au  concile  ; 
l'auteur  (peut-être  Jean  de  Salisbury)  de  YHistoria 
ponlificalis,  également  présent  au  concile;  Othon  de 
Fïeïsing,  et  l'anonyme  qui  écrivit  le  Liber  de  vera  philo- 
sophia.  Le  premier  est  naturellement  pour  saint 
Bernard;  les  trois  autres  sont,  avec  des  nuances,  pour 
Gilbert.  A  rapprocher  leurs  textes,  on  est  autorisé  à 
conclure  ce  qui  suit,  cf.  P.  Fournier,  Éludes  sur  Joachim 
de  Flore  et  ses  doctrines,  Paris,  1909,  p.  64-05  :  1°  Une 
profession  de  foi  en  quatre  articles,  contraire  à  Gilberl, 
fut  rédigée  par  Geoffroy  d'Auxerre,  au  nom  de  quelques 
évêques  français  ;  elle  fut,  d'abord,  assez  mal  reçue  par 
les  cardinaux,  qui  y  virent  une  tentative  de  saint 
Bernard  et  des  Français  en  vue  d'imposer  à  l'Église 
romaine  une  déclaration  doctrinale.  2°  Cette  profession 
de  foi  fut  publiée  à  Beims  dans  la  salle  de  l'archevêché 
dite  salle  du  Tau  —  et  non  dans  l'église  Notre-Dame, 
où  s'était  tenu  le  concile  —  après  la  fin  du  concile,  en 
présence  seulement  d'un  certain  nombre  des  évêques, 
ce  qui  explique  qu'elle  ne  figure  point  dans  les  actes 
conciliaires.  3°  Mais  elle  fut  pleinement  sanctionnée 
par  le  pape.  4°  Gilbert  désavoua  les  propositions  incri- 
minées, en  disant  au  pape,  à  l'énoncé  de  chacune 
d'elles  :  «  Si  vous  croyez  autrement,  je  le  crois  comme 


vous.  »  Cette  rétractation  dispensa  le  pape  d'une  con- 
damnation directe  de  l'évêque  de  Poitiers.  Tout  se 
borna  à  l'interdiction  de  lire  ou  de  transcrire  les 
ouvrages  de  Gilbert  sur  Boèce  avant  qu'ils  n'eussent  été 
corrigés  par  l'Église  romaine. 

Gilbert  fut  sans  doute  loyal  dans  sa  soumission, 
mais  non  sans  croire  qu'il  avait  été  mal  compris.  Ne 
parlons  pas  de  son  accueil  dédaigneux  à  une  demande 
d'entrevue  que  lui  adressa  saint  Bernard,  afin  d'exa- 
miner ensemble,  amicalement  et  sans  esprit  de  conten- 
tion, les  passages  de  saint  Hilaire  que  Gilbert  avait 
allégués  en  faveur  de  ses  doctrines  :  il  répondit  que,  si 
l'abbé  de  Clairvaux  voulait  discuter  les  textes  de  saint 
Hilaire,  il  devait  commencer  par  aller  à  l'école  et 
prendre  des  leçons  de  dialectique.  C'était  là  rancune 
de  théologien  et  d'évêque  contre  un  rival  qui  avait 
triomphé,  plus  encore  que  mépris  pour  un  moine  sans 
lettres  d'un  homme  «  qui  n'avait  pas  son  égal  dans  les 
lettres,  dit  Jean  de  Salisbury,  ayant  passé  soixante  ans 
dans  les  études  et  les  exercices  littéraires.  »  Mais,  au 
rapport  de  ce  même  Jean  de  Salisbury,  il  refit  le  pro- 
logue de  son  commentaire  sur  Boèce.  «  Il  est  juste  et 
nécessaire,  disait-il,  de  changer  les  expressions  qui 
causent  du  scandale;  rien  ne  nous  oblige  à  modifier  le 
sens  de  propositions  qui,  sainement  entendues,  ne  sont 
point  contraires  à  la  doctrine  de  l'Église.  »  La  sincérité 
de  l'obéissance  n'est  pas  incompatible  avec  cet  état 
d'esprit;  à  coup  sûr,  ce  n'est  pas  l'obéissance  des 
humbles. 

Gilbert  mourut  le  4  septembre  1154,  suivi,  dans  sa 
tombe,  par  un  concert  d'éloges  que  lui  valurent  son 
savoir  et  ses  vertus  épiscopales.  Le  plus  touchant  fut 
celui  de  Laurent,  doyen  de  son  église.  Cf.  L.  Delisle, 
Rouleaux  des  morts,  Paris,  1866,  p.  362-363. 

II.  Œuvres.  —  Les  principaux  ouvrages  de  Gilbert 
de  la  Porrée  sont  les  Commentaires  sur  les  ouvrages 
tliéologiques  de  Boèce  ou  qui  portent  son  nom  et 
le  Liber  sex  principiorum.  L'Histoire  liltéraire  de  la 
France,  Paris,  1763,  t.  xn,  p.  475,  lui  attribue  deux 
traités  inédits  De  duabus  naturis  et  una  persona  Chrisli 
et  De  hebdomadibus  seu  De  dignitate  theologiœ,  qui  ne 
sont  en  réalité  que  le  Commentaire,  celui-ci  (sous  un 
titre  différent)  du  IIe,  celui-là  du  IVe  traité  de  Boèce. 
Cf.  B.  Hauréau,  Histoire  de  la  philosophie  scolasliquc, 
Paris,  1872,  t.  i.  p.  451-452.  Le  Liber  sex  principiorum 
complète  l'œuvre  d'Aristote,  lequel,  dans  son  Organon, 
n'a  expliqué  suffisamment  que  les  quatre  premières 
catégories;  il  s'attache  aux  six  dernières  catégories. 
L'attribution  à  Gilbert,  par  l'Histoire  littéraire  de  la 
France,  du  Liber  de  causis,  quoique  renforcée  par  Ber- 
thaud,  Gilberl  de  la  Porrée,  évèque  de  Poitiers,  1892. 
p.  11,  129-190,  et  par  Clerval,  Les  écoles  de  Chartres  au 
moyen  âge,  p.  169,  est  encore  discutée. 

Les  travaux  scripturaires  de  Gilbert  sont  des  Sermons 
sur  le  Cantique  des  cantiques,  des  Commentaires  sur  les 
Psaumes,  Jérémie,  peut-être  saint  Matthieu  et  l'Évan- 
gile de  saint  Jean,  saint  Paul,  l'Apocalypse.  Nous  pos- 
sédons de  lui  deux  lettres.  Une  prose  rimée  sur  la 
Trinité,  qui  lui  fut  reprochée  au  concile  de  Beims,  est 
perdue.  Il  y  a  des  chances  pour  que  les  sermons  d'un 
Gilbert,  que  Pierre  de  Celle,  Epist.,  clxvii,  P.  L.,  t.ccu, 
col.  610,  met  à  côté  de  saint  Bernard,  d'Hugues  de 
Saint-Victor  et  de  Pierre  (probablement  Pierre  le  Man- 
geur), aient  eu  pour  auteur  Gilbert  de  la  Porrée  plutôt 
que  Gilbert  d'Auxerre,  évêque  de  Londres,  dit  l'uni- 
versel, dont  le  nom  a  été  mis  en  avant  par  l'éditeur  de 
Pierre  de  Celle. 

III.  Doctrines.  —  Des  quatre  propositions  de  Gil- 
bert qui  furent  condamnées  à  Beims,  et  que  rapporte 
Geoffroy  d'Auxerre,  Libcllus  contra  capitula  Gilberti 
Piclaviensis  episcopi,  P.  L.,  t.  clxxxv,  col.  617-618,  la 
première  affirmait  une  différence  réelle  entre  Dieu, 
d'une  part,  et,  d'autre  pari,  l'essence  et  les  attributs 


1353 


GILBERT     DE     LA     PORREE 


1354 


divins;  la  seconde  affirmait  une  différence  également 
réelle  entre  l'essence  divine  et  les  personnes  divines; 
la  troisième,  que  seules  les  trois  personnes  sont  éter- 
nelles, et  que  les  relations,  propriétés,  singularités  ou 
unités,  etc.,  qui  sont  en  Dieu,  ne  sont  pas  éternelles  et 
ne  sont  pas  Dieu.  Voir  t.  iv,  col.  1165-1167,  1173- 
1174,  1298;  t.  i,  col.  2232-2233. 

La  quatrième  proposition  condamnée  portait  que  la 
nature  divine  ne  s'est  pas  incarnée;  à  quoi  le  concile  de 
Reims  opposa  cet  article  :  Credimus  ipsam  divinitatem, 
sive  substantiam  divinam  sive  natwam  dicas,  incarna- 
tam  esse,  sed  in  Filio.  Attribuant  l'incarnation  à  la  per- 
sonne du  Fils,  non  à  la  divinité,  Gilbert  tombe  dans  un 
«  demi-nestorianisme    »,    dans    un  adoptianisme,   qui 
aboutit  à  cette  conclusion  que  les  fidèles  ne  peuvent  en 
conscience  rendre  le  culte  de  latrie  à  l'enfant  de  Beth- 
léem ni  au  crucifié  du  Calvaire.  Cf.  J.  Bach,  Die  Dog- 
mengcschichlc    des    Mittelalters     vom     christologischen 
Slandpunkle,  Vienne,  1875,  t.  il,  p.  145-150,  455-460. 
L'autorité  de  Gerhoch  de  Reichersberg  qui  accuse  Gil- 
bert d'adoptianisme  n'est  pas  de  tout  repos,  voir  1. 1, 
col.  415-416;  mais  les  textes  de  Gilbert  lui-même  sem- 
blent probants.  Othon  de  Freising,  Gesia  Friderici  im- 
peraloris,  1. 1,  c.  i.v,  dans  Monumenta  Germanise  histo- 
rica.  Scriplores,  Hanovre,  1868,  t.  xx,  p.  380,  mentionne 
deux  autres  erreurs  imputées  à  Gilbert,  à  savoir  que  le 
Christ  seul  a  mérité,  et  que  le  baptême  n'est  conféré 
qu'à  ceux  qui  doivent  être  sauvés.  L'étude  de  la  doc- 
trine de  Gilbert  sur  le  péché  originel,  d'après  son  Com- 
mentaire (inédit)  sur  les  Épîtres  de  saint  Paul,  a  permis 
d'établir  que  «  le  fameux  maître  n'a  fait  que  reproduire, 
la  plupart  du  temps  presque  littéralement,  les  vues  de 
saint  Augustin  sur  la  question.  »  R.-M.  Martin,  dans  la 
Revue  d  histoire  ecclésiastique,   Louvain,  1912,  t.   xm, 
p.  684.  Dans  sa  lettre  à  Matthieu,  abbé  de  Saint- Florent 
de  Saumur,  P.  L.,  t.  clxxxviii,  col.  1255-1258,  Gilbert 
donne  à  deux  consultations  eucharistiques  des  conclu- 
sions qui  ont  été  admises  par  d'autres  théologiens  et  qui 
ne  le  sont  plus,  Un  prêtre,  s'apercevant,  au  moment  de 
la  communion,  que  le  calice  était  vide,  avait  versé  dans 
le  calice  du  vin  et  de  l'eau,  et  avait  réitéré  les  paroles  de 
la  consécration  non  seulement  sur  le  calice  mais  encore 
sur  l'hostie  consacrée;  Gilbert  fut  d'avis  que,  le  Christ 
étant  tout  entier  sous  chaque  espèce,  le  prêtre  n'aurait 
pas  dû  consacrer  de  nouveau  l'hostie  —  ce  qui  est  vrai 
—  et —  ce  qui  est  faux — qu'il  aurait  pu  s'abstenir  de  la 
consécration  du  vin.  Que  la  communion  sous  une  seule 
espèce  soit  complète  en  elle-même  et  dans  ses  effets, 
comme  l'ajoute  Gilbert,  c'est  exact,  au  contraire,  et  il 
est  intéressant  de  relever  ce   témoignage   et  l'usage  de 
l'Église,  que  Gilbert  cite  en  preuve,  de  ne  communier  les  - 
enfants  que  sous  l'espèce  du  vin  et  les  malades,  souvent, 
que  sous  l'espèce  du  pain.  Interrogé  également  sur  le 
cas  d'un  condamné  à  mort  qui  demanderait  la  commu- 
nion, Gilbert  dit   qu'on  devrait  la  lui  refuser  propter 
reverentiam  corporis    et  sanguinis    Christi.   Dans  son 
Ralionale  divinorum  officiorum,  c.  liv,   cxxx,   cxlii, 
P.  L.,  t.  ccn,  col.  60, 135, 151,  Jean  Beleth  allègue  l'au- 
torité de  Gilbert,  qui  avait  été  son  maître. 

En  philosophie,  Gilbert  n'est  ni  un  esprit  très  original 
ni  «  un  esprit  entier  :  à  côté  de  doctrines  d'un  pur  sco- 
lasticisme,  on  rencontre  des  illogismes  et  des  défail- 
lances. »  Ses  erreurs  trinitaires  ont  leur  point  de  départ 
dans  la  distinction  qu'il  exagère  entre  l'essence  com- 
mune et  l'essence  individualisée,  entre  l'essence  que 
l'être  possède  et  qui  se  retrouve  semblable  chez  d'autres 
êtres  (subsistent ia  id  quo  est)  et  la  détermination  indivi- 
duelle qui  pose  1  être  dans  l'existence  réelle  (substanlia, 
id  quod  e*t)  :  t  il  semble  faire  de  celle-ci  une  partie  réel- 
lement distincte  de  celle-là.  Cédant  à  la  même  fâcheuse 
tendance,  il  considère  comme  des  subsislentia  propres 
dans  l'individu  certains  attributs  transcendentaux  — 
l'unité,  par  exemple  —  qui  ne  sont  pas    réellement 


distincts  de  l'être  même.  »  M.  de  Wulf,  Histoire  de  la 
philosophie  médiévale,  2e  édit.,  Louvain,  1905,  p.  207. 
Sur  la  question  des  universaux,  il  ne  s'est  pas  prononcé 
d'une  manière  ferme.  Un  texte  ambigu  de  Jean  de 
Salisbury,  Metalogicus,  n,  17,  P.  L.,  t.  cxcix,  col.  875- 
876,  ajoute  à  la  confusion.  Aussi  les  historiens  de  la 
philosophie  ont-ils  jugé  diversement  sa  théorie.  Il 
paraît  professer  un  réalisme  modéré,  qu'il  n'a  pas  réussi 
à  exprimer  dans  une  formule  décisive. 

Il  serait  intéressant  de  connaître  toutes  les  sources  de 
Gilbert.  L'école  chartraine  se  caractérise  par  des  préoc- 
cupations littéraires,  un  alliage  d'Aristote  et  de  Platon 
et  l'étude  des  sciences  physiques.  Il  y  a  tout  cela  dam 
Gilbert,  et,  en  outre,  la  familiarité  avec  les  Pères  latins, 
particulièrement  saint  Hilaire,  cf.  Philippe  de  Harveng, 
EpisL,  v,  P.  L.,  t.  ccin,  col.  45-46,  et  même  l'emploi  des 
Pères  grecs.  A  Reims,  il  accumula,  pour  sa  défense,  les 
textes  patristiques  :  faciebat  episcopus,  dit  Geoffroy 
d'Auxerre,  Epislola  ad  Albinum  cardinalem,  vi,  P.  L., 
t.  clxxxv,  col.  591,  in  libris  beedi  Hilarii  cl  de  corpore 
canonum  in  quorumdam  Grœcorum  epistolis  verba  minus 
inUlligibilia.  prtesertim  in  lanta  feslinalione  et  in  lanla 
ac  tali  multitudine,  lectitari.  S'il  est  l'auteur  du  Liber 
de  causis,  Gilbert  fréquenta  aussi  les  néo-platoniciens, 
puisque  cet  écrit  n'est  qu'un  remaniement  d'un  ou- 
vrage de  Proclus.  Quant  aux  sciences  physiques,  le 
Liber  sex  principiorum  dépend  de  la  physique  péripa- 
téticienne. «  Tout  ce  que  nous  trouvons  d'aristotéli- 
cien en  ce  que  Thierry  de  Chartres  et  Gilbert  de  la 
Porrée  ont  dit  du  lieu,  du  mouvement  du  ciel,  de  la 
fixité  de  la  terre,  est  inspiré  du  IVe  livre  de  la  Physique 
et  des  deux  premiers  livres  du  De  cœlo  et  mundo;  il  est 
donc  permis  de  voir  dans  les  traductions  de  Dominique 
Gondisalvi  et  de  Jean  Avendeath  les  sources  d'où  sont 
issues  ces  pensées  péripatéticiennes.  »  P.  Duhem,  Du 
temps  où  la  scolaslique  latine  a  connu  la  Physique 
d'Aristote,  dans  la  Revue  de  philosophie,  Paris,  1909, 
t.  xv,  p.  178;  cf.  p.  175-176;  et  Le  mouvement  absolu  elle 
mouvement  relatif,  1907,  t.  xi,  p.  557. 

IV.  Influence.  —  Gilbert  de  la  Porrée  eut  des  adver- 
saires et  des  disciples.  Son  école  est  en  train  de  sortir 
de  la  pénombre  ou  elle  est  restée  longtemps  trop  ina- 
perçue. 

Parmi  ses  adversaires,  citons,  avec  ceux  qu'il  eut  au 
concile  de  Paris,  ceux  qui  le  combattirent  à  Reims  : 
saint  Bernard,  Robert  de  Melun,  Pierre  Lombard,  et 
probablement  l'abbé  Suger.  Il  fut  attaqué  violemment, 
en  compagnie  d'Abélard,  de  Pierre  Lombard  et  de 
Pierre  de  Poitiers,  par  Gautier  de  Saint- Victor,  dans  le 
Contra  quatuor  labyrinthos  Franciae.  Gerhoch  de  Rei- 
chersberg le  prit  à  partie  dans  sa  campagne  contre 
l'adoptianisme.  D'autres  encore  le  réfutèrent,  parfois 
sans  le  désigner  par  son  nom  :  tel  le  pseudo-Bède 
(d'après  Bach,  op.  cit.,  t.  n,  p.  151,  note,  ce  serait  Achard 
de  Saint- Victor),  In  librum  Boelhii  de  Trinitate  commen- 
larius,  P.  L.,  t.  xcv,  col.  393.  Sur  les  allusions  à  l'ensei- 
gnement de  Gilbert  dans  les  Sententise  (inédites)  de 
Gandulphe  de  Bologne,  cf.  J.  de  Ghellinck,  Le  mouve- 
ment théologique  du  xne  siècle,  Paris,  1914,  p.  186. 

Les  adversaires  de  Gilbert  dénoncent  un  groupe  de 
ses  partisans,  qui  se  réclament  plus  ou  moins  des  doc- 
trines condamnées  au  concile  de  Reims.  Saint  Bernard, 
In  Canl.,  serm.  lxxx,  n.  9,  P.  L.,  t.  clxxxiii,  col.  1170- 
1171,  ayant  rappelé  cette  condamnation,  ajoute  :  «  Je 
ne  parle  pas  contre  l'évèque  de  Poitiers,  car,  dans  ce 
concile,  il  s'est  humblement  soumis  à  la  sentence  des 
évêques,  et  a  lui-même  formellement  réprouvé  ces  propo- 
sitions et  d'autres  dignes  de  censure.  Je  parle  pour  ceux 
qui,  contrairement  à  l'interdit  apostolique  promulgué 
dans  cette  assemblée,  copient  et  lisent  ce  livre  (sans 
doute  les  Commentaires  de  Gilbert  sur  Boèce),  s'obs- 
tinent à  suivre  cet  évêque  en  des  idées  qu'il  a  aban- 
données  et  préfèrent  en  lui  le  maître  qui  enseigne 


1355 


GILBERT     DE     LA     PORRÉE 


1356 


l'erreur  au  maître  qui  leur  apprend  a  se  corriger.  »  Ces 
«  porrétains  »  se  recrutèrent  en  partie  parmi  les  dis- 
ciples que  Gilbert  forma  à  Chartres  ou  à  Paris.  Il  en 
vint  d'ailleurs.  Nous  sommes  mal  renseignés  sur  leur 
compte.  C'était  un  disciple  ce  Nicolas  d'Amiens,  qui 
nous  était  connu  par  son  De  arce  fidei,  et  en  qui  des 
travaux  récents  ont  révélé  un  commentateur  des  Com- 
mentaires de  Gilbert  sur  Boèce  et  sur  saint  Paul.  Cf. 
M.  Grabmann,  Geschichle  der  scholaslischen  Méthode, 
Fribourg-en-Brisgau,  1911,  t.  n,  p.  431-432.  Un  manu- 
scrit des  Commentaires  de  Gilbert  sur  Boèce  donne, 
avec  l'image  de  Gilbert,  celles  de  Nicolas  et  de  trois 
autres  disciples,  quorum  nomina  suscripla  sunl  quia 
digni  sunt  :  Jourdain  Fantasma,  un  Anglais;  Ives,  qui 
fut  doyen  de  Chartres;  Jean  Belelh,  l'auteur  du  natio- 
nale divinorum  offleiorum.  Jean  Beleth,  nous  l'avons  vu, 
cite  Gilbert  en  matière  liturgique.  Bien  ne  prouve  que 
ni  lui,  ni  le  doyen  de  Chartres,  ni  Fantasma,  aient 
adhéré,  après  le  concile  de  Beims,  aux  erreurs  de  Gil- 
bert. Bien  ne  le  prouve  non  plus  pour  ce  Guillaume 
Corborcnsis,  qui  dédia  ù  Gilbert  une  Explicatio  quorum- 
dam  vocabulorum  grsecorum,  surtout  si  on  doit  l'iden- 
tifier avec  Guillaume  de  Corbeil  ou,  comme  le  propose 

A.  Clerval,  Les  écoles  de  Chartres  au  moyen  âge,  p.  187, 
231,  avec  Guillaume  de  Combourg,  abbé  de  Marmou- 
tier,  morts  le  premier  en  1136  et  l'autre  en  1124,  donc 
avant  le  concile,  et  il  n'est  pas  sûr  que  Guillaume  ait 
suivi  les  leçons  de  Gilbert.  D'Ébrard  de  Béthune  nous 
savons  seulement  qu'il  se  rattache  au  «  porrétanisme  » 
philosophique  :  ne  simus  nominales  in  hoc  sed  polius 
porrelani,  dit-il.  Anlilurresis,  c.  i,  Max.  bibl.  vct.  Pa- 
trum,  Lyon,  1677,  t.  xxiv,  p.  1529.  Un  anonyme,  dans 
une  épitaphe  conservée  à  la  fin  d'un  manuscrit  des 
Commentaires  sur  Boèce,  cf.  Berthaud.  Gilbert  de  la 
Porrée,  p.  318,  fait  de  Gilbert  un  éloge  enthousiaste  qui, 
par  delà  le  «  maître  très  célèbre,  intrépide,  sage,  et  supé- 
rieur à  tous  les  maîtres,  »  pourrait  bien  viser  le  théo- 
logien hétérodoxe.  Dans  certains  cercles  du  clergé  sécu- 
lier malveillants  pour  saint  Bernard,  on  qualifiait  Gil- 
bert de  la  Porrée  de  prsesul  prwsulum.  Cf.  Walter  Mapes, 
De  nugis  curialium,  édit.  T.  Wright,  Londres,  p.  40; 
The  latin  poems  commonly  altributed  to  Walter  Mapes, 
Londres,  1851,  p.  54.  Etienne  de  Alinerra,  qui  avait 
assisté  au  concile  de  Beims,  déclarait,  au  rapport  d'Hé- 
linand  de  Froidmont,  Chronic,  an.  1148,  P.  L.,  t.  ccxn, 
col.  1038,  qui  l'avait  entendu  souvent  de  sa  bouche, 
Bernardum  nihil  adversus  Gislebertum  prœvaluisse. 
Jean  de  Salisbury,  manifestement  sympathique  à  Gil- 
bert dans  son  Mctalogicus,  est  tout  à  fait  pour  lui  si 
YHistoria  ponlificalis  est  son  œuvre.  Othon  de  Freising 
lui  est  si  favorable  que,  au  moment  de  mourir  (1158),  il 
craignit  d'avoir  outré  l'éloge  et  demanda  à  son  frère  d'y 
changer  ce  qui  paraîtrait  excessif. 

11  y  a,  dans  ce  qui  précède,  parmi  diverses  incerti- 
tudes, des  preuves  de  l'existence  d'un  parti  fidèle  à 
Gilbert,  à  sa  mémoire  et  à  ses  doctrines.  Des  précisions 
importantes  sur  le  caractère  de  cette  petite  église  se 
sont   produites    au   cours    de   ces    dernières    années. 

B.  Geyer  a  publié  les  Senlcntiœ  divinitatis.  Munster, 
1909,  d'un  anonyme  de  l'école  de  Gilbert,  qui  dut  écrire 
entre  1140  et  1148.  Cf.  p.  62.  L'auteur  ne  suit  pas  exclu- 
sivement Gilbert;  il  fait  des  emprunts  à  la  Summa 
attribuée  à  Hugues  de  Saint- Victor,  et  il  s'inspire  d' Abé- 
lard.  Sur  la  question  du  péché  originel  notamment,  il 
dépend,  ainsi  que  Nicolas  d'Amiens,  des  théories  abé- 
lardiennes.  Cf.  B.-M.  Martin,  dans  la  Revue  d'histoire 
ecclésiastique,  t.  xm,  p.  684-691.  Mais  l'ensemble  de  ses 
idées,  surtout  son  enseignement  trinitaire  et  sa  christo- 
logie,  cf.  Geyer,  p.  10-28,  est  gilbertin.  Un  autre  sen- 
tencier  de  l'école  de  Gilbert  fut  Baoul  Ardent,  qu'on 
avait  placé  à  tort  au  xie  siècle  et  qui  est  de  la  fin  du 
XIIe.  Cf.  B.  Geyer,  Radulphus  Ardens  und  das  Spéculum 
universale, dans  la  Tluologische  Quarlalschrif  l,Tubing,ue, 


1911,  t.  xcm,  p.  63-89.  Un  écrit  anonyme,  mis  en  lu- 
mière par  P.  Fournier,  Éludes  sur  Joachim  de  Flore, 
Paris,  1909,  et  intitulé  :  Liber  de  vera  philosophia, 
reprend  les  thèses  fondamentales  de  Gilbert,  sauf  son 
adoptianisme,  p.  81-86.  Écrit  après  le  IIIe  concile  œcu- 
ménique de  Latran  (1179),  il  paraît  avoir  pour  auteur 
un  religieux  de  la  Provence  ou  du  Languedoc,  probable- 
ment un  supérieur  écrivant  pour  l'instruction  de  ses 
moines,  très  savant  et  tenant  en  défiance  le  savoir 
humain,  au  courant  de  la  langue  et  de  la  patristique 
grecques.  Il  s'en  prend  à  saint  Bernard,  à  Hugues  de 
Saint- Victor  et  à  Pierre  Lombard.  Contre  eux  il  mul- 
tiplie les  citations  des  Pères.  La  tâche  lui  a  été  facilitée 
par  un  de  ses  amis,  maître  A.,  chanoine  de  Saint-Buf, 
un  gilbertin  lui  aussi,  lequel,  pendant  plus  de  trente  ans, 
a  colligé,  et  publié  ensuite  sous  le  titre  de  Collcctio,  les 
autorités  quas  vidil  ad  doctrinam  sancte  Trinilatis  et 
ejusdem  unilalis  et  Verbi  incarnationis  et  corporis  et  san- 
guinis  Domini  necessarias  fore.  Quel  serait  l'auteur  du 
Liber  de  vera  philosophia?  P.  Fournier  avait  d'abord 
pensé  à  Joachim  de  Flore.  P.  Mandonnet,  Bulletin 
critique,  2e  série,  Paris,  1901,  t.  vu,  p.  70-73,  a  fait 
valoir  contre  cette  identification  des  raisons  si  fortes 
que  P.  Fournier  a  nettement  abandonné  l'hypothèse 
qu'il  avait  proposée.  Cf.  p.  99-100,  note.  Mais,  que  ce 
soit  par  le  chanoine  de  Saint-Buf,  ou  par  le  Liber  de 
vera  philosophia,  ou  par  un  autre  canal,  ou  directement, 
il  est  certain  que  Joachim  de  Flore  recueillit  les  doc- 
trines de  Gilbert  de  la  Porrée.  Son  ouvrage  contre 
Pierre  Lombard,  le  De  unitate  Trinilatis,  qui  fut  solen- 
nellement condamné  au  IVe  concile  œcuménique  de 
Latran,  et  divers  passages  de  son  Psallcrium  decem  chor- 
darum  et  de  son  Commentaire  de  l'Apocalypse,  sont 
comme  une  réédition,  assez  conforme  à  l'exposé  du 
Liber  de  vera  philosophia,  de  la  grande  erreur  de  Gilbert. 
Tout  le  système  de  Joachim  de  Flore  semble  avoir  été 
influencé  par  cette  vue.  Après  avoir  séparé  les  trois 
personnes  dans  le  dogme,  il  divisa  leur  action  dans 
l'histoire,  distinguant  les  trois  âges  de  l'humanité  sou- 
mis à  l'action  distincte  de  chacune  des  trois  personnes 
divines  :  l'âge  du  Père,  inauguré  à  la  création;  l'âge  du 
Fils,  commencé  à  la  rédemption;  l'âge  du  Saint-Esprit, 
qui  allait  s'ouvrir.  «  C'est  ainsi,  dit  P.  Fournier,  p.  80, 
que  toute  la  postérité  mystique  de  Joachim  de  Flore, 
les  spirituels  et  les  fraticelles  du  xme  siècle  et  du  xive, 
et,  avec  eux,  tant  d'âmes  ardentes  qui  attendirent  la 
régénération  de  l'Église  d'un  avènement  nouveau  de 
l'Esprit  divin,  descendent,  par  l'intermédiaire  de  l'abbé 
de  Flore,  d'un  théologien  fort  peu  mystique,  Gilbert 
de  la  Porrée.  » 

En  dehors  de  son  école,  Gilbert  n'a  pas  affecté  beau- 
coup, de  façon  directe,  l'œuvre  de  Pierre  Lombard 
Cf.  B.  Geyer,  Die  Scntentiœ  divinitatis,  p.  21-23;  J.  de 
Ghellinck,  Le  mouvement  théologique  du  XIIe  siècle, 
p.  108-109.  A.  Lasson,  dans  Ueberweg-Heinze.  Grun- 
driss  der  Geschichle  der  Philosophie  der  palrislischen  und 
scholaslischen  Zeit,  9e  édit.,  Berlin,  1905,  p.  358,  et 
S.  M.  Deutsch,  Realcncijklopâdie,  3e  édit.,  Leipzig, 
1898,  t.  v,  p.  151,  ont  signalé  à  tort  une  dépendance 
d'Eckart  vis-à-vis  de  Gilbert  de  la  Porrée  relativement 
à  la  différence  entre  Dieu  et  la  divinité;  sur  ce  point 
Eckart  s'exprime  correctement.  Voir  t.  iv,  col.  2064. 
Où  l'influence  de  Gilbert  fut  réelle  et  durable  ce  fut 
dans  l'enseignement  scolaire.  Son  Liber  sex  principio- 
rum  devint  classique  ;  il  eut  cet  honneur,  qu'aucun 
autre  traité  produit  par  la  scolastique  n'a  connu,  d'être 
rangé  auprès  des  écrits  logiques  d'Aristote,  de  Por- 
phyre et  de  Boèce.  Il  fut  commenté,  entre  autres,  par 
Albert  le  Grand  et  saint  Thomas  d'Aquin,  au  xme  siè- 
cle, le  carme  Geoffroy  de  Cornouailles  et  le  franciscain 
Antoine  Andréa,  au  xive,  et  le  dominicain  Buonagrazia 
d'Ascoli,  au  xv». 

I.  Œuvres.  —  Ont  été  imprimés  :  le  Commentaire  sur 


1357 


f.ILBERT     DE     LA     POR  RÉ  E  —  GILLES     DE     ROME 


1358 


Boèce,  Bâle,  1570,  et  P.  L.,  t.  lxiv,  col.  1255-1300,  1301- 
1310,  1313-1331,  1353-1412;  le  prologue  de  ce  Commentaire 
dans  le  ms.  latin  18094  de  la  Bibliothèque  nationale  de 
Paris,  en  partie  par  B.  Hauréau,  Notices  et  extraits  de 
quelques  manuscrits  latins  de  la  Bibliothèque  nationale,  Paris, 
1893,  t.  vu,  p.  19-21,  et  en  entier  par  M.  Grabmann,  Die 
Geschichte  der  scolatischen  Méthode,  t.  H,  p.  417-419,  note; 
le  Liber  sex  principiorum  souvent,  cl.  Berthaud,  Gilbert  de 
la  Porrée,  p.  10,  et  finalement  P.  L.,  t.  clxxxviii,  col.  1257- 
1270  (les  éditions  antérieures  à  149G  offrent  un  texte  con- 
forme a  celui  des  manuscrits;  l'édition  de  Venise,  en  1496, 
substitua  au  rude  latin  de  l'original  une  sorte  de  para- 
phrase en  latin  élégant,  due  à  l'humaniste  Ermolao  Bar- 
baro;  c'est  le  texte  qui  se  lit  dans  la  Patrologie  latine);  les, 
Sermones  super  Canticum  eanticorum,  Strasbourg,  1497;  le 
Commentaire  sur  l'Apocalypse,  Paris,  1512  (cf.  des  extraits 
dans  le  prologue  des  Po^tillœ  de  Nicolas  de  Lire  sur  l'Apoca- 
lypse); la  letlre  à  l'abbé  de  Saint-Florent,  P.  L., t.  clxxxviit, 
col.  1255-1258;  une  lettre  à  Bernard  de  Chartres,  par  L.  Mer- 
let,  Lettres  d'Yves  de  Chartres  et  d'autres  personnages  de  son 
temps,  dans  la  Bibliothèque  de  l'École  des  chartes,  4e  série, 
Paris,  1855,  t.  I,  p.  461  des  fragments  du  Commentaire  sur 
saint  Paul  par  R.-M.  Martin,  dans  la  Reuue  d'histoire  ecclé- 
siastique, Louvain,  1912,  t.  xm,  p.  677-683,  notes. 

II.  Principales  sources.  —  S.  Bernard,  In  Cant.,  serm. 
lxxx,  n.  8-9,  P.  L.,  t.  clxxxiii,  col.  1170-1171;  Geoffroy 
d'Auxerre,  moine  de  Clairvaux  et  secrétaire  de  saint  Bernard, 
Sancli  Bernardi  vita  prima,  1.  III,  c.  v,  n.  15;  Episl.  ad 
Albinum  cardinalem  et  episcopum  Albancnscm  de  condem- 
natione  errorum  Gilberli  Porretani  (cette  lettre  et  un 
certain  nombre  de  textes  relatifs  aux  conciles  de  Paris  et  de 
Reims  se  lisent  dans  Labbe,  Concilia,  Paris,  1671,  t.  x, 
p.  1105-1108,  1113-1128);  Libellus  contra  capitula  Gilberli, 
P.  L.,  t.  clxxxv,  col.  312,  587-596,  595-618;  Othon  de 
Freising,  Gesta  L'riderici  imperatoris,  1.  I,  c.  l-lxi,  Monu- 
menta  Germanise  hislorica.  Scriptores,  Hanovre,  1868,  t.  xx. 
p.  379-384;  Historia  poniificalis,  Monumenta  Germaniœ 
historica,  t.  xx,  p.  522-527;  des  extraits  de  Gautier  de 
Saint- Victor,  Contra  quatuor  labyrinthos  Francia',  P.  L., 
t.  cxcix,  col.  1129-1172;  le  1.  II  dans  B.  Geyer,  Die  Sententiœ 
divinilatis,  p.  175*-199*;  les  SenlentUc  divinitatis,  publiées 
par  B.  Geyer,  dans  les  Beiiràge  zur  Geschichte  der  Philosophie 
des  Miltelallers,  Munster,  1909,  t.  vu  b-c;  des  fragments  du 
Liber  de  vera  philosophia,  dans  P.  Fournier,  Études  sur 
Joachim  de  Flore  et  ses  doctrines,  Paris,  1909,  p.  59-77  ;  la 
fin  du  prologue  du  Commentaire  de  Nicolas  d'Amiens  sur 
le  Commentaire  de  Boéce  par  Gilbert,  publié  par  M.  Grab- 
mann, op.  cit.,  p.  433-434,  note. 

III.  Travaux.  — ■  IL  Ritter,  Geschichte  der  Philosophie, 
Hambourg,  1844,  t.  m,  p.  437-474;  B.  Hauréau,  Histoire  de 
ta  philosophie  scolastique,  2e  édit.,  Paris,  1872,  t.  i,  p.  447- 
478;  IL  Beuter,  Geschichte  der  religiôsen  Aufkldrung  im 
Mittelaller,  Berlin,  1877,  t.  n,  p.  11-12,  309-311;  J.  Bach, 
Die  Dogmengeschichle  des  M ittelalters  vom  christoloqischen 
Standpunkte,  Vienne,  1875,  t.  n,  p.  133-168,  457-460;  IL 
Usener,  Gislebert  de  la  Porrée,  dans  le  Jahrbuch  fur  proles- 
tantische  Théologie, Leipzig,  1879, t. v,  p.  183-192;  J.Schwane, 
Dogmengcschichte  der  mitlleren  Zeit,  Fribourg-en-Brisgau, 
1882,  p.  122-124;  trad.  A.  Degert,  Paris,  1903,  t.  iv,  p.  190- 
193;  R.-L.  Poole,  Illustrations  of  the  history  of  mediœval 
thoughl  in  theology  and  ecclesiaslical  politics,  Londres,  1884; 
Braunmùller,  Kirchcnlcxikon,  2e  édit.,  Fribourg-en-Brisgau, 
1888,  t.  v,  p.  599-601  ;  Auber,  Histoire  générale,  civile,  reli- 
gieuse et  littéraire  du  Poitou,  Poitiers.  1891,  t.  vin,  p.  219- 
220,  225,  237-238,  242-246,  272-274;  T.  de  Régnon,  Études 
de  théologie  positive  sur  la  Trm«é,  Paris,  1892,  t.  n,  p. 87-108; 
Berthaud,  Gilbert  de  laPorrée,  évéque  de  Poitiers,  et  sa  philoso- 
phie (1070-1 154),  Poitiers,  1892;  cf.  B.  Hauréau,  Journal  des 
savants,  Paris,  1894,  p.  752-760;  P.  Féret,  La  faculté  de  théo- 
logie de  Paris  et  ses  docteurs  les  plus  célèbres.  Moyen  âge,  Paris, 
1894, 1. 1,  p.  153-  164;  A.  Glerval,  Les  écoles  de  Chartres  au 
moyen  âge  du  \  '  au  XVI"  siècle,  Chartres,  1895,  p.  163-169, 
185-188,261-264;  E.  Vacandard.  Viedesaint  Bernard, Paris, 
1895,  t.  n,  p.  328-343;  R.  Schmid,  Realeneyklopàdie,  3»  édit., 
Leipzig,  1899,  t.  vi,  p.  665-667  ;  Ueberweg-Heinze,  Grundriss 
der  Geschichte  der  Philosophie  der  patristischen  und  scholas- 
tischen  Zeit,  9°  édit.,  Berlin,  1905,  p.  213-214,  218-219; 
M.  de  Wulff,  Histoire  de  la  philosophie  médiévale.  2P  édit., 
Louvain,  1905,  p.  204-207,  216-217;  P.  Fournier,  Études  sur 
Joachim  de  Flore  et  ses  doctrines,  Paris,  1909;  B.  Geyer,  Die 
Sententin'  divinitatis,  p.  48-53;  T.  Heitz,  Essai  historique  sur 
les  rapports  entre  la  philosophie  et  la  foi,  de  Bérenger  de  Tours 
à  saint-Thomas  d'Aquin,  Paris,  1909,  p.  36-41  ;  Dehove,  Qui 
prœcipui  fuerint  labente  XII  sœculo  anie  introductam  Arabum 


philosophiam  lemperali  realismi  anlecessores,  Paris,  1909, 
p.  90-104;  M.  Grabmann,  Geschichte  der  scholastischen 
Méthode,  Fribourg-en-Brisgau,  1911,  t.  n,  p.  40S-438; 
R.-M.  Martin,  Le  péché  originel  d'après  Gilbert  de  la  Porrée 
(j-  1154)  et  son  école,  dans  la  Revue  d'histoire  ecclésiasti- 
que, Louvain,  1912,  t.  xm,  p.  674-691  ;  Hefele,  Histoire 
des  conciles,  trad.  Leclercq,  Paris,  1912,  t.  v,  p.  812-817, 
832-838;  J.  de  Ghellinck,  Le  mouvement  théologique  du 
XII'  siècle.  Études,  recherches  et  documents,  Paris,  1914 
p.  108-109,  159-163. 

F.  Vernet. 
1.  GILLES  (de  son  nom  de  religion)  RICHARD, 
carme  belge,  du  couvent  de  Gand,  docteur  en  théo- 
logie et  lecteur  apostolique  a  la  Sapience,  a  laissé 
plusieurs  traités  imprimés  à  Venise  en  1540  :  De 
romano  ponlifice,  discours  prononcé  en  présence  du 
pape  Paul  III  et  de  la  cour  pontificale;  De  regno 
Clwisii;  De  gloria  Hierosohjmœ;  De  dignitule  hominis; 
De  ccclcsiaslica  tinione;  De  dignitate  sacerdotali;  De 
divinœ  vocis  virtute;  De  sapienlia  spirilus;  De  insern- 
labilibus  Dei  viis;  De  fœcunda  Ecclesiœ  slerililate. 

Cosme  de  Villiers,  Bibliotheca  carmelilana,  Orléans, 
1752,  t.  i,  col.  9-10;  Le  Mire,  Bibliotheca  ecclesiaslica, 
Anvers,  1649,  part.  II,  p.  36;  Richard  et  Giraud,  Biblio- 
thèque sacrée,  Paris,  1825,  L  xxi,  p.  92;  Hurter,  Nomen- 
clatoi;  1906,  t.  n,  col.  1225-1226. 

P.    Servais. 

2.  GILLES  DE  CESARO,  ainsi  nommé  du  nom  de 
son  pays  près  de  Messine,  mineur  conventuel,  très  versé 
dans  la  connaissance  de  l'histoire  ecclésiastique  et  de 
la  patristique,  fut  de  longues  années  missionaire  en 
Roumanie.  Les  manœuvres  des  grecs  réussirent  à  le 
faire  rappeler  en  Italie  et  il  était  à  Venise  en  1678 
s'occupant  de  la  publication  de  son  dernier  ouvrage. 
On  possède  de  lui  :  Controversise  Marcephesislarum 
hserclicorum  cum  orthodoxa  Ecclesia,  ac  nonnullorum 
domesliconun  cum  aposlalica  missione,  opus  in  quo 
hœreses,  errorcs  et  novitates  omnes  a  Marccphnsistis  et 
Photianis  olim  et  novilcr  inventa;  contra  latinos  refcl- 
luntur,  in-4°,  Messine,  1C64;  la  seconde  partie  de  cet 
ouvrage  est  consacrée  à  la  mission  de  Roumanie  et  à 
sa  nécessité;  Casuumconscicnlixbrcvissimaacoriginalis 
expositio,  in-4°,  Venise,  1678;  Apologise  in  Catalalinon 
Nalhanaclis  Xhichse  Alheniensis  in  quibus  53  propo- 
sitiones  hœrelicalcs  vel  erroneœ  ad  hominem  con/utunliir, 
in-4°,  Venise,  1678.  Cet  ouvrage,  imprimé  sur  trois 
colonnes,  en  grec,  en  latin  et  en  italien,  avait  été 
composé  dès  1660  contre  un  certain  Xhica,  venu  à 
Rome  en  compagnie  d'un  évêque  grec. 

Mongitore,  Bibliotheca  Sicida,  Palerme,  1707,  t.  i,  p.  3; 
Franchini,  Bibliosofia  e  memorie  di  scriltori  conventuali, 
Modène,  1693,  p.  162;  Sbaralea,  Supplementum  et  casti- 
gatio  ad  scriptores  ord.  minorum,  Rome,  1806. 

P.  Edouard  d'Alençon. 

3.  GILLES  DE  ROME,  plus  connu  peut-être  sous 
son  nom  latin  JEgidius  Romanus,  de  l'ordre  des  frères 
ermites  de  Saint-Augustin,  ordinairement  appelés,  en 
France  les  grands  augustins,  mort  archevêque  de 
Bourges,  fut  sans  nul  doute,  tant  à  cause  de  la  profon- 
deur de  son  esprit  que  de  l'abondance  de  ses  ouvrages, 
l'un  des  plus  célèbres  disciples  de  saint  Thomas 
d'Aquin  A  la  fin  du  xme  et  au  commencement  du 
xive  siècle.  Mais  sa  renommée  même  ayant  offert  un 
aliment  facile  à  la  fantaisie  des  chroniqueurs,  l'on  doit 
constater  avec  regret  que,  jusqu'à  ces  derniers  temps, 
la  plupart  des  données  biographiques  qui  le  concernent, 
en  particulier  celles  qui  ont  trait  à  sa  jeunesse,  sont 
restées  enveloppées  de  doute  et  ont  même  donné  prise 
à  de  véritables  contradictions.  Dans  le  but  de  remettre 
les  choses  au  point,  pour  autant  que  nous  le  permet 
l'état  actuel  des  recherches  critiques,  nous  nous  ser- 
virons principalement  d'une  étude  du  P.  Mattioli, 
augustin,  appuyée  elle-même  en  grande  partie  sur  la 
notice  de  notre  auteur  insérée  au  t.  xxx  de  l'Histoire 
littéraire  de  la  France.  —  I.  Vie.  II.  Ouvrages. 


1359 


GILLES     DE     ROME 


1300 


I.  Vie. —  Le  premier  point  sujet  à  discussion  est  la 
détermination  de  la  famille  à  laquelle  Gilles  aurait 
appartenu.  La  plupart  des  biographes  de  son  ordre, 
pour  ne  pas  dire  tous,  le  donnent  comme  étant  issu 
de  la  noble  lignée  des  Colonna  qui,  à  son  époque, 
compta,  entre  autres,  deux  cardinaux  fameux  pour  la 
part  qu'ils  prirent  à  la  révolte  contre  Boniface  VIII. 
A  cet  accord  s'oppose,  au  moins  négativement,  le 
silence  complet  de  tous  les  documents  contemporains 
qui  ne  le  nomment  jamais  autrement  que  Âïgidius 
Romanus.  Toutefois,  sans  trop  insister  sur  l'usage 
constant,  à  cette  époque,  parmi  les  religieux,  de  ne  se 
désigner  officiellement  que  par  leur  prénom  suivi  du 
nom  de  leur  pays  d'origine,  il  convient  de  ne  pas 
perdre  de  vue  que  le  premier  historiographe  des  augus- 
tins, le  B.  Jourdain  de  Saxe,  qui  le  donne  comme  étant 
«  de  la  noble  race  des  Colonna,  »  mourut  octogénaire 
en  1380,  et  par  suite  peut  être  considéré  de  son  côté 
comme  à  peu  près  contemporain. 

Pour  ce  qui  regarde  la  date  précise  de  la  naissance 
de  Gilles,  également  laissée  incertaine,  des  calculs 
basés  sur  l'année  de  sa  promotion  au  doctorat  per- 
mettent d'affirmer  qu'elle  eut  lieu  en  1247  ou  tout 
au  plus  en  1246.  Il  entra  très  jeune  et  contre  le  gré 
de  ses  parents  dans  l'ordre  des  augustins  qui  venait 
tout  récemment  d'être  reconstitué  ou  unifié.  Le 
biographe  mentionné  écrit  que  ce  fut  in  setate  adolc- 
scenluli.  Si  l'on  confronte  ces  paroles  avec  l'expression 
dont  se  sert  Gilles  lui-même  dans  son  testament  dont 
nous  parlerons  plus  loin,  où  il  affirme  qu'il  a  été  élevé 
dès  son  enfance  au  couvent  de  Paris,  de  cujus  uberibus 
a  puerilia  nutrilus  fui,  tout  en  tenant  compte  de  la 
législation  d'alors  sur  l'âge  canonique  de  la  profession 
religieuse,  il  est  permis  de  conjecturer  qu'il  fut  envoyé 
à  la  capitale  de  la  France  vers  l'âge  de  quinze  ans,  en 
partie  sans  doute  pour  être  soustrait,  comme  saint 
Thomas,  à  l'influence  de  ses  parents,  dangereuse  pour 
sa  vocation.  Tous  les  historiens  sont  du  moins  d'accord 
pour  remarquer  que,  s'étant  consacré  aux  études 
régulières,  il  y  fit  immédiatement  des  progrès  merveil- 
leux, grâce  à  son  extraordinaire  lucidité  d'esprit,  à 
laquelle  il  dut  plus  tard  le  surnom  de  doclor  funda- 
tissimus.  Les  cours  préliminaires  une  fois  terminés, 
il  eut  l'heureuse  fortune  de  pouvoir  suivre  avec  avidité 
l'enseignement  théologique  de  l'ange  de  l'École,  en  sa 
seconde  période  de  1269  à  1271,  c'est-à-dire  pendant 
trois  ans  au  plus,  et  non  treize,  comme  l'affirment  erro- 
nément  de  nombreuses  notices  biographiques.  Appelé 
ensuite  à  enseigner  à  son  tour,  d'abord  la  carrière  des 
arts,  puis,  à  son  couvent,  le  Maître  des  Sentences  et  la 
Bible,  le  règlement  de  l'université  à  laquelle  on  s'était 
empressé  de  l'immatriculer  lui  aurait  permis  de  prendre 
le  doctorat  dès  1279  ou  1280,  si  l'évèque  de  Paris, 
Etienne  Tempier,  ne  s'y  était  alors  résolument  opposé. 
C'est  que  notre  théologien,  fort  de  ses  qualités  intel- 
lectuelles, avait  pris  une  part  active  aux  discussions 
de  l'époque,  se  déclarant  sans  réserves  partisan  de 
saint  Thomas  d'Aquin.  Or,  comme  certaines  opinions 
de  ce  dernier  n'avaient  pas,  comme  on  sait,  l'approba- 
tion d'Etienne  Tempier,  celui-ci  n'hésita  pas  à  censurer 
officiellement  plusieurs  propositions  soutenues  en 
classe  par  Gilles  de  Rome,  sans  qu'on  ait  encore  pu 
savoir  au  juste  en  quoi  elles  consistaient.  Ce  qui  est 
certain,  c'est  que  le  religieux  augustin  ne  voulut  pas 
alors  se  rétracter.  Ayant  donc  été  appelé  à  Rome  par 
son  supérieur  général,  il  semble  qu'il  réussit  à  per- 
suader ce  dernier  de  la  légitimité  de  sa  cause  :  de  fait, 
il  resta  plusieurs  années  en  Italie,  ainsi  qu'on  le 
déduit  de  différents  chapitres  de  son  ordre  où  on  le  voit 
figurer  à  cette  époque  en  qualité  de  bachelier  de  Paris. 
Survint  la  mort  de  l'évèque.  Le  temps  et  l'éloignement 
ayant  diminué  d'autre  part  l'ardeur  combative  de 
Gilles,  ses  supérieurs,   désireux  de  favoriser  de  leur 


mieux  la  renommée  du  jeune  savant,  le  recomman- 
dèrent à  Ilonorius  IV  en  vue  du  doctorat.  Celui-ci, 
après  s'être  assuré  préalablement  des  bonnes  disposi- 
tions du  théologien,  envoya  alors  un  rescrit  au  nouvel 
évêque  de  Paris,  daté  du  1er  juillet  1285,  dans  lequel 
il  constate  que  Gilles  est  prêt  à  révoquer  ce  que 
l'autorité  académique  jugerait  opportun  de  révoquer, 
et  par  suite  se  montre  digne  d'être  admis  aux  hon- 
neurs du  doctorat.  Raynaldi,  Annales,  an.  1285,  n.  76; 
F.  Ehrle,  dans  les  Slimmen  aus  Maria  Laach,  1880. 
t.  xviii,  p.  309;  H.  Denifle,  Chariularium  universitalis 
Parisiensis,  1. 1,  p.  633.  Ces  mesures  ne  durent  guère 
tarder  à  être  exécutées,  car  à  la  fin  de  cette  même 
année  l'on  voit  le  religieux  augustin  chargé  de  compli- 
menter le  nouveau  roi  Philippe  le  Bel,  à  son  retour  de 
Reims  où  il  venait  de  se  faire  sacrer,  au  nom  du  corps 
universitaire.  Quoiqu'on  ne  possède  pas  de  preuve 
positive  qu'il  fût  déjà  docteur  à  cette  date  (la  pre- 
mière nous  étant  fournie  par  les  Actes  d'un  chapitre 
général  tenu  à  Florence  en  1287),  l'on  fait  remarquer 
à  bon  droit  que  cette  désignation  officielle  serait 
étrange  dans  la  supposition  qu'il  n'eût  pas  encore  ob- 
tenu ce  grade,  tandis  qu'elle  s'explique  à  merveille  s'il 
était  le  dernier  de  la  promotion.  Il  est  vrai  que,  du 
consentement  des  biographes,  confirmé  par  l'introduc- 
tion de  l'ouvrage  De  regimine  principunt,  Philippe 
le  Hardi  l'avait  autrefois  chargé  de  l'éducation  du 
jeune  prince,  mais  si  ce  fait  suffit  à  motiver  la  fami- 
liarité du  théologien  avec  le  monarque,  il  n'en  va 
plus  de  la  sorte  lorsqu'il  s'agit  d'une  représentation 
officielle.  Enfin  les  termes  mêmes  dont  se  sert  le  cha- 
pitre général  des  augustins,  auquel  nous  venons  de 
faire  allusion,  ne  sauraient  s'harmoniser  que  très 
difficilement  avec  l'hypothèse  d'une  promotion  toute 
récente.  C'est  alors,  en  effet,  que  fut  promulguée  la 
fameuse  décision  qui  impose  à  tous  les  professeurs  de 
l'ordre  de  suivre  en  tout  avec  fidélité  la  doctrine  et 
même  les  opinions  du  frère  Gilles,  vu  que  celui-ci 
«  éclaire  le  monde  entier  de  sa  splendeur.  »  Voici  du 
reste  le  texte  de  cet  important  document  :  Quia 
uenerabilis  magislri  nostri  fratris  Egidii  doctrina 
mundum  universum  illustrai,  diffinimus  et  mandamus 
inviolabililcr  observari  ut  opinioncs,  posiliones  et 
sententias  scriplas  et  SCiHBEifbAS  prœdicti  magislri 
nostri,  omnes  ordinis  nostri  lectores  et  studentes  reci- 
piant  eisdem  prœbenles  assensum  et  ejus  doetrinœ  omni 
qua  poierunt  sollicitudine,  ut  et  ipsi  illuminali,  alios 
illuminare  possint,  sicul  seduli  defensores.  Acta  cap. 
gen.  Florentiœ  an.  12S7,  dans  Analecl.  augusl.,  t.  il, 
p.  275.  La  liste  des  ouvrages  composés  par  Gilles  de 
Rome  suffit  à  expliquer  l'espèce  d'engoùment  que 
semble  indiquer  cette  décision. 

Guillaume  de  Thoco,  dominicain,  dit  que  Gilles  inter- 
vint, bien  qu'indirectement,  en  faveur  du  droit  des 
évèques  dans  la  question  des  privilèges  dont  se  pré- 
valaient certains  réguliers  au  sujet  de  l'administration 
des  sacrements.  En  1292,  au  chapitre  tenu  à  Rome, 
il  fut  élu  par  acclamation  supérieur  général  des 
augustins.  Bien  que  les  actes  de  son  généralat  fassent 
défaut,  l'on  sait  néanmoins  que  son  principal  souci 
consista,  après  la  réglementation  des  études,  à  étendre 
son  ordre  par  l'érection  de  nouveaux  couvents.  C'est 
ainsi  qu'on  lui  deit  l'acquisition,  sur  intervention  per- 
sonnelle du  roi  de  France,  des  domaines  occupés 
jusqu'alors  par  les  Frères  de  la  pénitence  ou  Frères 
Sacchets,  tombés  en  décadence  à  cette  époque,  où 
fut  bâtie  peu  après  la  maison  qu'on  appela  le  Grand 
couvent  des  augustins  à  Paris.  Sur  la  fin  de  son  géné- 
ralat, Boniface  VIII,  d'accord  en  cela  avec  Philippe 
le  Bel,  le  nomma  archevêque  de  Bourges,  signe  évident 
de  la  haute  estime  en  laquelle  il  était  alors  tenu, 
quand  on  réfléchit  soit  à  sa  qualité  d'étranger,  soit  à 
l'importance  d'un  tel  siège,  à  l'époque  où  il  lui  fut 


1361 


GILLES     DE     ROME 


1HG2 


conféré.  Voir  Moroni,  Dizionario  liistorico  ccclesias- 
tico,  au  mot  Bourges.  Une  autre  preuve  de  la  signifi- 
cation de  ce  choix,  ce  sont  les  plaintes  de  certains 
membres  de  l'aristocratie  française  adressées  à  cette 
occasion  au  collège  des  cardinaux,  plaintes  qui  don- 
nèrent lieu  à  l'un  des  plus  beaux  éloges  qui  aient  été 
fait  de  Gilles  de  Rome.  Voir  Gallia  christiana,  t.  n, 
p.  76.  Il  est  vrai  que  plus  tard  Philippe  le  Bel  parut 
regretter  cette  nomination,  mais  le  véritable  motif  en 
est  tout  à  l'honneur  de  l'archevêque,  puisqu'il  s'agit 
de  la  fermeté  avec  laquelle  celui-ci  défendait  les  droits 
de  la  papauté  contre  les  empiétements  de  l'autorité 
civile. 

Si  l'on  ajoute  quelques  rescrits  pontificaux  par  les- 
quels sont  accordés  à  Gilles  certains  privilèges  admi- 
nistratifs en  récompense  de  son  dévouement  au  Sainl- 
Siège,  une  ordonnance  par  laquelle  il  communique  à 
ses  sufiragants  l'avis  d'avoir  à  célébrer  la  fête  de  saint 
Louis  dans  leurs  diocèses  respectifs,  son  intervention 
dans  la  condamnation  de  certaines  thèses  risquées  du 
docteur  Jean  de  Paris  sur  l'eucharistie,  une  lettre  par 
laquelle  il  accuse  réception  de  la  bulle  contre  les 
templiers,  son  assistance  au  concile  de  Vienne  où  il 
prit  personnellement  parti  contre  ces  derniers,  enfin 
des  documents  faisant  allusion  à  des  synodes  provin- 
ciaux présidés  par  lui  à  Bourges  et  une  condamnation 
à  payer  trente  livres  de  Tours  pour  n'avoir  pas  fait 
a  temps  sa  visite  ad  limina  du  vivant  de  Clément  V, 
l'on  aura  les  principaux  traits  que  l'histoire  nous  ait 
légués  à  son  sujet  depuis  son  élévation  à  l'épiscopat. 
Il  convient  pourtant  de  signaler  encore  les  deux  testa- 
ments qu'il  rédigea  quelque  temps  avant  de  mourir, 
l'un  du  25  mars  1315  et  l'autre  du  19  décembre  1316, 
conservés  tous  les  deux  aux  Archives  nationales  de 
Paris,  sous  la  cote  13694,  n.  3  et  4.  Il  est  question, 
dans  le  premier,  d'une  certaine  propriété  ou  maison 
de  campagne  qu'il  lègue  à  la  province  augustinienne 
de  France,  en  témoignage  de  sa  gratitude  pour  avoir 
été  élevé  à  Paris  depuis  son  enfance;  l'autre,  daté  de 
trois  jours  avant  sa  mort,  contient  un  acte  de  donation 
au  couvent  de  Paris  des  nombreux  et  précieux  livres 
qu'il  possédait  à  Bourges,  soit  au  palais  archiépis- 
copal, scit  au  couvent  des  augustins  de  la  même  ville. 
Il  mourut  le  22  décembre  à  Avignon  où  résidait  alors 
la  curie  pontificale.  Ses  frères  en  religion  lui  érigèrent 
un  monument  dans  leur  église  de  Paris  avec  l'épitaphe 
suivante  :  Hic  jacet  aula  morum  vitse  mundilia  | 
Archi-philosophiœ  Arislotelis  perspicacissimus  |  com- 
mentator  |  Clavis  el  Doclor  Theologiœ  lux  in  lucem  \ 
reducens  dubia  \  Frater  JEgidius  de  Roma  Ord.  Fra- 
Irum  Eremil.  S.  Augustini  |  Archicpiscopus  Biluri- 
censis  qui  obiil  \  Anno  D.  MCCCXVI  die  xxn  Men- 
sis  Deccmbris. 

II.  Ouvrages.  —  1°  Ouvrages  de  dialectique.  —  1.  In 
artem  vétéran  commenlarius,  Venise,  1507,  1582;  Ber- 
game,  1594;  2.  In  libros  Priorum  commenlarius,  Venise, 

1499,  1504,  1516,  1522,  1598;  3.  In  libros  Posteriorum 
commenlarius,  Padoue,  1478;  Venise,  1488,   1491,  1494, 

1500,  1513,  1530;  de  nombreux  manuscrits  en  sont 
conservés  en  diverses  bibliothèques  :  à  la  Nationale 
de  Paris,  à  celles  de  Toulouse,  Bordeaux,  Bruxelles, 
n.  2911(5426),  Florence,  etc.;  4.  In  libros Elenchorum 
sophislicorum  commenlarius,  Venise,  1496,  1499,  1500, 
1530  (mss.  à  la  Bibliothèque  nationale  de  Paris,  à  Bàle, 
Bruges,  Oxford,  Cambridge,  Florence,  Vatican,  n.  93 3)  ; 
5.  De  medio  demonstrationis  traclatus,  Venise,  1499, 
1504  (mss.  à  la  Nationale,  n.  16170,  à  la  Vaticane, 
n.  772),  cf.  Aug.  de  Biella,  augustin,  Questio  de  medio 
demonstrationis,  defensiva  opinionis  domini  lEgidii 
Romani,  Venise,  1496;  6.  In  libros  Rhetoricorum  com- 
menlarius, Venise,  1481,  1555;  Rome,  1482  (mss.  à 
la  Nationale,  à  l'Arsenal,  à  la  Sorbonne,  à  Padoue  et 
au  Vatican,  n.  775);  7.  De  differenlia  rhetoricœ,  poli- 


licœ  et  ethicœ,  Naples,  1525;  8.  In  poesim  Arislotelis, 
dont  on  ne  connaît  qu'une  copie  manuscrite  à  la 
bibliothèque  Bodléienne  d'Oxford. 

2°  Ouvrages  de  philosophie.  —  1.  In  libros  Physico- 
rum  commenlarius,  Padoue,  1483;  Venise,  1491,  1496, 
1502  (mss.  à  la  Nationale,  à  la  Sorbonne,  à  Bruges, 
Lisbonne,  à  Vienne,  à  Venise,  à  Turin,  au  Vatican); 
2.  In  libros  de  generationc  et  corruplione  commenlarius, 
libri  duo,  Naples,  1480;  Venise,  1493,  1498,  1500, 
1518,  1520,  1555,  1567  (mss.  à  la  Nationale,  à  Saint- 
Marc  de  Venise,  à  la  Bibliothèque  royale  de  Turin,  au 
Vatican,  n.  2182);  3.  De  intenlionibus  in  medio  tra- 
clatus, Naples,  1525  (ms.  au  Vatican,  n.  10):  4.  In 
libros  île  anima  commenlarius,  Pavie,  1491;  Venise, 
1496,  1499,  1500  (mss.  à  la  Nationale  de  Paris,  à 
la  bibliothèque  Mazarine.  à  l'Arsenal,  à  l'Université, 
etc.);  5.  In  parva  naturalia  commenlarius,  ouvrage 
donné  comme  douteux  par  les  auteurs  de  VHisloire 
littéraire  de  la  France,  mais  taxé  comme  étant  de  Gilles 
de  Rome  par  l'ancienne  université  et  cité  par  les 
biographes  augustins;  6.  De  bona  jortuna,  Venise,  1496, 
1551  (mss.  à  la  Bibliothèque  nationale  de  Paris,  à 
Vienne,  à  Bruges,  à  Oxford,  à  Cambridge  et  à  la 
bibliothèque  Ambrosienne  de  Milan);  7.  In  librum  de 
causis  commenlarius,  Venise,  1550  (mss.  à  la  Biblio- 
thèque nationale  de  Paris,  à  Bordeaux  et  à  Saint- 
Marc  de  Venise);  8.  De  jormatione  corporis  humani 
tractalus,  Paris,  1515;  Venise,  1523;  Rimini,  1626 
(mss.  à  la  Bibliothèque  nationale  de  Paris,  sous  le 
titre  :  De  embnjonc  seu  /œ/o;à  la  Sorbonne,  deux  au 
Vatican,  un  à  la  bibliothèque  Palatine,  n.  1086); 
9.  In  XII  libros  Melaphgsicorum  quœslioncs,  Venise, 
1499,  1500,  1552;  cet  ouvrage  fut  commenté  par  J.-B. 
de  Tolentino,  à  Venise  1505  (mss.  au  Vatican);  10.  7a 
cosdem  libros  quœslioncs  dispulabiles,  Venise,  1500; 
1505;  11.  De  primo  principio,  seu  de  esse  el  essentia 
quœsliones,  traclatus,  Leipzig,  1413;  Venise,  1493, 
1503,  1504;  12.  De  esse  el  essentia  anrea  theoremata 
XXII,  s.  1.,  1493;  Venise,  23  mai  1503;  Bologne,  1522 
(mss.  à  la  bibliothèque  de  Bourgogne,  à  Bruxelles, 
sous  le  titre  :  Positiones  de  ente  et  essentia;  à  Florence, 
Venise,  Vienne,  n.  3513,  au  Vatican,  fonds  Ottoboni, 
n.  201);  13.  De  gradibus  formarum,  sioe  de  pliiralitate 
jormarum,  seu  Contra  gradus  cl  pluralilalem  formarum 
traclatus,  Padoue,  1493;  Venise,  1500,  1502;  Naples, 
1525;  Venise,  1552  (mss.  à  la  Nationale  de  Paris); 
14.  De  gradibus  formarum  accidentalium  in  ordine  ad 
Chrisli  opéra  traclatus,  Naples,  1525;  Vienne,  1641 
(mss.  au  Vatican,  n.  773,  et  à  la  bibliothèque  Angelica 
à  Rome,  n.  619,  3);  15.  De  deceptione  traclatus  et  quo- 
modo  sciens  polest  mala  facere,  cité  par  Ange  Rocca 
et  Gandolfi;  16.  De  materia  cœli  contra  averroistas 
traclatus,  Padoue,  1493;  Venise,  1500,  1502  (ms.  au 
Vatican,  n.  201);  17.  De  inlelleclus  possibilis  pliirali- 
tate contra  averroistas,  Venise,  1502  (mss.  à  la  Biblio- 
thèque nationale  de  Paris,  à  Oxford,  à  Cambridge 
et  au  Vatican,  n.  86,  sous  le  titre  :  De  unilale  intclte- 
clus);  18.  De  erroribus  philosophorum  traclatus,  ou- 
vrage d'authenticité  douteuse;  éditions  qui  l'attri- 
buent à  Gilles  de  Rome,  Vienne,  1482;  Venise,  1581 
(sans  nom  d'auteur  à  la  Bibliothèque  nationale  de 
Paris,  n.  16195);  19.  De  parlibus  philosophiœ  essen- 
lialibus,  ac  aliarum  scientiarum  differenlia  et  distin- 
ctione,  s.  1.  n.  d.  ;  s.  1.,  1493;  20.  In  libros  Politicorum 
commenlarius  :  attribué  à  Gilles  par  les  historiens  de  son 
ordre;  21.  In  Œconomia  Arislotelis  commentarius,  attri- 
bué par  les  mêmes  historiens  (mss.  à  l'Ambrosienne 
et  à  la  bibliothèque  augustinienne  de  Milan);  22.  In 
Boelium  de  philosophiœ  consolatione  expositio  (mss.  au 
Vatican  et  ù  la  bibliothèque  Ottoboni,  n.  612,  au  nom 
de  Gilles  de  Rome);  23.  Super  libros  ethicorum  (mss.  à 
Cambridge,  sans  nom  d'auteur);  24.  De  cometis  vel 
de  significatione  comclarum,  dont  l'authenticité  est  niée 


13G3 


GILLES     DE     ROME 


1364 


par  les  auteurs  de  YHisloire  littéraire  de  la  France,  mais 
qui  est  appuyée  par  un  manuscrit  du  Vatican,  n.  803, 
et  un  autre  de  Bàle. 

3°  Ouvrages  sur  l'Écriture  sainte.   —   1.    In   tolum 
canonem  Bibliœ  cl  sufflcientiam   librorum  et  excellen- 
tiam  sacrœ  Scripturœ  traclatus,    signalé  par  les  bio- 
graphes, bien  qu'inconnu  de  nos  jours;  2.  In  librum  Can- 
ticorum  commentarius,  Rome,  1555   (mss.  au  Vatican, 
169,  803);3.  De laudibus  divinœ  sapientise  super  Psal- 
mum   xi.n      Eructavil,  etc.,  traclatus,  Padoue,   1553; 
Rome,  1555  (mss.  à  la  Bibliothèque  nationale  de  Paris, 
à  Bàle,  à  Oxford,  à  Vienne  et  au  Vatican,  n.   803); 
4.   In  Epistolam  ad  Romanos    commentarius,  Rome, 
!  555;  5.  In  Epislolas  ad  Corinthios,  poslillœ  seu  libri  II, 
mentionné  par  l'auteur  lui-même  dans  son  commen- 
taire   sur   les    Sentences    G.    In   Epistolas    canonicas, 
inceptus     commentarius;  7.    In   Evangelium    Joannis 
traclatus  duo;  8.   In  illud  canonicœ.  Joannis  :  Omne 
quod  est  in  mundo,  etc.,  interpretatio.  Ces  trois  derniers 
ouvrages  sont  mentionnes  par  les  anciens  biographes. 
4°  Ouvrages  de  théologie.  —  1.  In  I""  Scntentiarum 
volumen  unum,  Venise,  1492,  1521  (mss.  à  la  Biblio- 
thèque nationale  de  Paris,  à  Laon,  à  la  bibliothèque 
Angelica,  n.  624,  et  au  Vatican,  194,  n.  4331);  2.  In  IIum 
Senlenliarum  distincliones  XXXIV,  dédié  à    Robert, 
roi  de  Sicile,  s.  1.  n.  d.;  Venise,  1482,  1581  (mss.  à  la 
bibliothèque     Mazarine    provenant    du    couvent    des 
augustins  de  Paris,  et  au  Vatican,  n.  197);  3.  In  IIP"' 
Sentcntiarum  commentarius,    Rome,    1623;    avec    les 
précédents,    à    Rome,    1623    (ms.    à   la    bibliothèque 
Angelica,  n.  197);  4.  In  IVm  Scntentiarum,  mentionné 
par  Philippe  de  Bergame,   mais  probablement  apo- 
cryphe  ou   confondu   avec  les   précédents;   il   existe 
néanmoins    un    ouvrage    intitulé    :    Pétri    Lombardi 
sententiœ...     cum    commentariis    Henrici     Gorichenii, 
jEgidii  de  Roma  et  Henrici  de   Urimaria,  par  Daniel 
Agricola,  O.  M.,  in-fol.,  Bâle,  1510;  seulement  il  ne 
contient  que  des  extraits  des  deux  premiers  livres  de 
Gilles  de  Rome  sur  le  livre  des  Sentences  ;  5.  De  corpore 
Christi    theoremata,    Bologne,    1481;    Cologne,    1490; 
Venise,   1502;    Rome,    1555   (mss.   à  la  Bibliothèque 
nationale  de  Paris,  à  Florence,  à  Bruxelles,  à  Padoue, 
au  Vatican,  n.   594,  à  Troyes,  à  Poitiers,  à  Bâle,  à 
Venise);   6.  De  characlerc  tractedus,   Rome,    1555;   7. 
De   prœdestinatione,    prœscientia,  paradiso  cl   in/erno 
traclatus,   Naples,   1525;   Rome,    1555;   Vienne,    1641 
(mss.  au  Vatican,  n.  367,  196);  8.  De  subjcclo  theologiœ 
quœslio,  Venise,  1503,  1504;  9.  De  arliculis  fidei,  sive 
de    dislinclionc    arliculorum,    sive    exposilio    symboli, 
liber,  Naples,  1525;  Rome,  1555  (ms.  à  la  bibliothèque 
Angelica,  n.  1 97);  10.  Compcndium  theologicœ  veritatis 
traclatus,    d'une    authenticité    douteuse,    bien    que  de 
nombreux  mss.  portent  le  nom  de  Gilles,  entre  autres 
celui  du  Vatican,  n.  805;  11.  De  carecre  liber  I,  éga- 
lement douteux,  si  même  il  n'est  pas  identique  au 
traité  De  characlere  indiqué  plus  haut;  12.  De  peccato 
originali    Iructalus,     Oxford,     1479;     Naples,     1525; 
Rome,  1555  (mss.  à  la  Bibliothèque  nationale  de  Paris, 
à  l'Arsenal,  à  Cambrai,  à  Troyes,  à  Bàle,  à  Vienne,  à 
Munich  et  au  Vatican,  n.  813,  4545,  855,  196);  13.  De 
arca  Noe  traclatus,  Naples,  1525;  Rome,  1555;  Vienne, 
1641;    14.    De    divina    influentia    in    beatos  traclatus; 
15.  De  mensura  angelorum  quœslioncs,  Venise,  1505; 
Rome,  dans  le  recueil  de  Blado,  1555  (mss.  au  Vatican, 
Ottoboni,  n.  201,  613);  16.  De  cognitionc  angelorum 
quœstiones,  Venise,  1503  (mss.  au  Vatican,  Ottoboni, 
n.  201);  17.  De  compositione  angelorum  quœstiones;  d'a- 
près Ossinger,  il  en  existait  un  manuscrit  au  couvent  des 
augustins  de  Saint-Jacques  de  Bologne;  18.  De  molu 
angelorum  quœstiones;  19.  De  loco  angelorum  queestiones, 
Venise,  1503,  et,  avec  les  deux  traités  précédents,  1521  ; 
20.  De  resurrectione  morluorum  quœstiones  VU,  ou  Quee- 
stiones dispulalœ  Parisiis,  Naples,  1525;  Vienne,  1641 


(mss.  à  laBbiliothèque  nationale  de  Paris,  trois  copies, 
et  à  Oxford,  collège  Merton,  n.  137); 21.  Quodlibeta sex, 
Bologne,  1481;  Venise,  1496, 1502,  1504,  1513;  Naples, 
1525;  Louvain,  1646  (mss.  à  la  Bibliothèque  nationale, 
à  l'Arsenal,  à  Paris,  à  Bruxelles,  bibliothèque  de  Bour- 
gogne, à  Bâle,  à  Venise,  à  Padoue  et  au  Vatican,  n.  805)  ; 
22.  Quodlibeta  XXIV  sive  XXV  (mss.  à  la  bibliothèque 
Angelica  à  Rome,  ainsi  qu'à  la  Bibliothèque  nationale 
de  Paris  sous  le  titre  :  Quodlibeta  JEgidii  de  Roma);  23. 
Contra  expositioncm  Pétri  Joannis  de  Narbona  super 
Apocalijpsim,  de  mandata  Bonijacii  VIII,  mentionné 
par  l'auteur,  In  III'""  Sent.,  part.  II,  q.n,  a.  4;  aucun 
exemplaire  n'est  connu;  24.  Exposilio  super  orationem 
dominicain;  25.  In  salutalionem  angelicam  :  Ave;  ces 
deux  traités  furent  imprimés  à  Rome  en  1555  et  à  Ma- 
drid en  1648;  le  premier  est  parfois  attribué  à  Gerson 
(ms.  au  Vatican,  n.  1277);  26.  De ccclesiaslica  potestate 
libri  1res,  composé  à  l'occasion  des  dissensions  entre 
Boniface  VIII  et  Philippe  le  Bel,  voir  Ch.  Jourdain, 
Un  ouvrage  inédit  de  Gilles  de  Rome...  en  faveur  de  la 
papauté,  1858;  F.  X.  Kraus,  dans  Œsier.  Vicrteljahr- 
schri/t  jùr  kath.  Théologie,  1862,  p.  1  sq.  ;  édité  à  Flo- 
rence, en  1908  (mss.  à  la  Bibliothèque  nationale  de 
Paris,  n.  4229,  à  la  bibliothèque  des  dominicains  de 
Florence,  au  Vatican,  n.  4107,  5612,  à  l'Angelica,  n.  130, 
181,  367);  cet  ouvrage  porte  quelquefois  le  titre  suivant: 
Qusestio  in  utramque  partem,  sive  de  polestate  ccclcsiastica 
(Bibliothèque  nationale  de  Paris,  n.  15004)  ;  la  première 
partie  est  alors  d'un  autre  auteur;  27.  In  jus  cano- 
nicum  desumma  Trinilaleel  fide  calholica,  cap.  Firmilcr 
et  cap.  Damnamus,  cl  super  Decrclalem  :  Cum  Marlham, 
de  celcbralione  missarum  exposilio,  Rome,  1555  (mss.  au 
Vatican,  n.  779,  et  à  la  bibliothèque  Angelica,  n.  197); 
28.  Sermones  ad  clerum  et  ad  populum,  inédits  et  dissé- 
minés en  diverses  bibliothèques,  entre  autres  à  Dresde, 
sous  le  titre  :  De  vitiis  mundi,  et  au  Vatican  :  De  vitiis 
et  virtulibus,  3S9,  n.  1277;  29.  De  rationibus  seminalibus, 
annoncé  par  l'auteur  dans  son  commentaire  sur  l'Épître 
aux  Romains,  xve  leçon,  et  mentionné  par  quelques 
biographes,  mais  sans  exemplaire  actuellement  connu; 

30.  In  ofjîcium  missœ  liber,  sans  exemplaire  connu; 

31.  De  defeetu  et  deviatione  malorum  culpse  et  pecca- 
lorum  a  Verbo  Iraclalus,  Rome,  1555;  32.  Hcxameron 
siue  mundo  sex  diebus  condito,  Padoue,  1544;  Rome, 
1555;  Venise,  1521  (mss.  à  la  Bibliothèque  nationale 
de  Paris);  33.  De  rcminlialionc  papœ  traclatus,  Rome, 
1554,  dans  le  recueil  de  Blado  et  de  Roccaberti,  t.  n, 
p.  1-64;  34.  Contra  exemplos  liber,  Rome,  1555;  ms.  au 
Vatican,  n.  562;  attaqué  par  Jacques  des  Termes, 
abbé  de  Charlieu  et  de  Pontigny,  Contra  impugnalores 
libcrlalum,  dans  Bibliolheca  Palrum  cisterciensium, 
t.  iv,  p.  261-315;  35.  Correctorium  contra  impugnantes 
S.  Thomam  seu  Defensorium,  ouvrage  attribué,  comme 
on  sait,  à  différents  auteurs,  parmi  lesquels  certains 
critiques  se  prononcent  ouvertement  pour  Gilles  de 
Rome,  voir,  pour  une  discussion  détaillée,  Fernandez, 
dans  la  Revista  agusliniana,  Valladolid,  1882,  t.  ni, 
p.  141-151,365-371;  Venise,  1516;  Naples,  1644;  36. 
Quomodo  reges  et  principes  possunt  possessioncs  et 
bona  regni  pcculiaria  ecclesiis  elargiri,  Rome,  1555 
(mss.  à  la  Bibliothèque  nationale  de  Paris,  n.  6786. 
et  à  l'Angelica  de  Rome,  n.  367  et  417);  37.  De  œvo, 
extrait  du  commentaire  sur  les  livres  des  Sentences; 

38.  De  gratiarum  aclione  ad  Bonijacium  VIII,  men- 
tionné par  les  biographes,  mais  sans  exemplaire  connu; 

39.  De  corpore  Christi  compendium,  Rome,  1555  (mss. 
au  Vatican,  n.  594,  et  à  l'Angelica,  n.  104);  40.  De 
regiminc  principum,  composé  à  la  demande  de  Philippe 
le  Hardi  pour  l'éducation  de  son  fils  Philippe  le  Bel, 
qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  l'ouvrage  similaire 
attribué  à  saint  Thomas,  lequel  est  beaucoup  plus 
Lref  et  d'authenticité  douteuse.  Cette  œuvre,  peut- 
être  la  plus  notoire  de  Gilles  de  Rome,  fut  traduite  : 


i3o; 


GILLES     DE     ROME  —  GILLES     DE     VITERRE 


1366 


u)  en  français  par  Henri  des  Gauches,  dont  il  existe 
des  manuscrits  à  la  Bibliothèque  nationale  de  Paris; 
b)  en  italien,  éditée  par  Fr.  Corazzini  en  1858,  mais 
entreprise  dès  1288;  c)  en  hébreu,  dont  on  posséderait 
un  manuscrit  à  Leyde;  d)  en  espagnol  par  Bernardo 
ou  Bernabe.évêque  d'Osma,  à  la  requête  d'Alphonse  XI 
de  Castille,  Comienza  cl  Ubro  inlitulado  :  Regimiento  de 
principes  jecho  y  ordenado  por  Fr.  Gil  de  Rome,  de 
la  orden  de  S.  Agustin,  e  fizolo  trasladar  en  romance 
D.  Bernardo,  obispo  de  Osma,  por  honra  e  ensena- 
micnlo  del  mmj  noble  infante  D.  Pedro,  fijo  primero, 
heredero  del  miuj  allô  e  muy  noble  D.  Alonso  rey  de 
Castilla,  de  Toledo  y  Léon,  in-fol.,  Séville,  1494.  L'on 
dit  que  d'autres  traductions  furent  faites  en  por- 
tugais, en  catalan  et  en  anglais.  Quant  à  l'édition 
latine  originale,  elle  a  été  réimprimée  à  différentes 
reprises  :  s.  1..  1473;  Rome,  1482;  Venise,  1498,  1502; 
Rome,  1556;  Venise,  1585,  1598;  Rome,  1607;  avec 
biographie  de  l'auteur,  Venise,  1617.  D'après  l'His- 
toire littéraire  de  la  France,  p.  525,  les  mss.  en  sont 
tellement  nombreux  qu'on  en  rencontre  à  peu  près 
dans  toutes  les  bibliothèques  publiques  de  l'Europe; 
l'augustin  Léonin  de  Padoue  en  a  fait  un  résumé, 
publié  par  H.  Mùller,  dans  Zeilschrijl  fur  die  gesamte 
Slaaisivissenschaft,  Tubingue,  1888,  t.  xxxi,  p.  loi  sq. 
(mss.  à  Munich,  bibliothèque  royale,  n.  8809,  et  à 
l'Angelica,  n.  750);  présenté  comme  ouvrage  de  Gilles 
de  Rome  à  YAcademia  dei  Lincci  en  1885  par 
M.  Narducci.  Cf.  V.  Courdaveaux.  JEgidii  romani  de 
regimine  principum  doctrina,  Paris,  1857. 

Les  idées  de  Gilles  de  Rome,  principalement  en  théologie, 
ont  été  exposées  d'une  manière  synthétique  dans  Sehola 
.Egidiana,  sive  theologia  exantiquata  juxta  doctrinaux 
S.  Augustini  ab  JEgidio  Columna  expositam.  C'est  un  cours 
complet  de  théologie  tiré  en  grande  partie  des  œuvres  de 
Gilles  et  publié  d'abord  à  Naples  en  1683-1690,  puis  à  Rome 
en  1692-1696,  par  le  P.  Fred.  Nicolas  Gavardi,  augustin. 
N.  Mattioli,  O.  S.  A.,  Studio  crilico  sopra  Egidio  Romano 
Cnlonna  arcivescovo  di  Bourges  dell'  ordine  Romitano  de 
sant'  Agostino,  dans  V Anlologia  agost iniana,  Rome,  1896, 
t.  i;  Histoire  littéraire  de  la  France,  t.  xxx,  au  mot  :  Gilles 
de  Rome;  Analecta  augustiniana,  1 907-1 908,;t.  n,  p.  278  sq.; 
G.  Boffito,  Saggio  di  bibliograpa  Egidiana,  Florence,  1911; 
Ossinger,  Bibliotheca  augustiniana,  Ingolstadt,  1768,  p.  237- 
250;  Féret,  La  faculté  de  théologie  ci  ses  principaux  doc- 
teurs. Moyen  âge,  Paris,  1895,  t.  n,  p.  168-169;  Scheeben, 
dans  Kircbenlexikon,  t.  m,  p.  690;  Werner,  Der  Augustinis- 
mus  im  spàteren  Miitelaltcr,  "Vienne,  1883,  p.  225  sq.  ;  Hurter, 
Nomenclator,  1906,  t.  n,  col.  481-486. 

N.  Merlin. 

4.  GILLES  DE  V1TERBE,  un  des  plus  illustres 
savants  et  cardinaux  de  l'ordre  de  Saint-Augustin. 
Un  historien  de  Viterbe,  Bussi,  Istoria  délia  citlà  di 
Vilerbo,  Rome,  1742,  t.  i,  p.  291,  l'appelle  Antonini 
de  son  nom  de  famille,  Ughelli,  Caninius. 

Ces  renseignements  sont  erronés.  Son  père  s'appelait 
Antonin  Canisio,  et  sa  mère  Maria  del  Testa.  Plusieurs 
de  ses  biographes,  même  Mgr  Grana,  déclarent  que  sa 
famille,  dépourvue  des  biens  de  la  fortune,  était  d'une 
condition  très  modeste;  Gandolfo  cite  plusieurs  docu- 
ments pour  révoquer  en  doute  cette  assertion,  p.  16. 
Gilles  naquit  vers  1465,  cf.  Fiorentino  qui  cite,  p.  254, 
un  passage  de  l'Historia  XX  sseculorum,  dans  lequel 
Gilles  dit  qu'il  était  enfant  en  1469,  à  Viterbe,  ou, 
selon  d'autres  écrivains,  à  Canepina,  et  l'an  1488  il  em- 
brassa la  vie  religieuse  dans  l'ordre  de  Saint-Augustin. 
Dans  une  lettre  à  Nicolas  Mannio,  publiée  par  Martène, 
il  raconte  qu'il  étudia  la  théologie,  la  philosophie,  le 
latin,  le  grec  et  l'hébreu  dans  plusieurs  couvents  de 
l'ordre,  a  Amélia,  à  Padoue,  dans  l'Istrie,  à  Florence 
et  à  Rome.  Velcrum  scriplorum  colleclio,  t.  m,  col.  1242. 
Le  P.  Mariano  de  Genazzano,  général  des  augustins, 
l'appela  à  Rome  et  lui  conféra  le  diplôme  de  maître 
en  théologie.  Il  lui  témoigna  une  telle  confiance 
qu'il    voulut    se    l'associer    dans    le    gouvernement 


de  l'ordre.  Lorsqu'il  fut  envoyé  par  Alexandre  VI 
comme  ambassadeur  auprès  du  roi  de  Naples,  il  se  fit 
accompagner  de  Gilles  et,  à  leur  retour,  celui-ci 
assista,  à  Sessa,  le  général  à  ses  derniers  moments,  au 
mois  de  décembre  1498,  et  dans  la  suite,  il  en  fit  trans- 
porter les  dépouilles  mortelles  au  couvent  des  augus- 
tins de  Lecceto.  Le  P.  Gilles  s'était  déjà  rendu 
célèbre  dans  toute  l'Italie  par  son  éloquence  et  son 
érudition.  Il  avait  prêché  à  Florence,  Bologne,  Ferrare, 
Venise,  Sienne,  Naples,  et  partout  il  avait  remporté 
des  triomphes.  Sa  renommée  était  si  grande  qu'Alexan- 
dre VI  voulut  entendre  ses  sermons  à  plusieurs  reprises. 
Jules  II  lui  écrivait  le  4  novembre  1505  :  Romam 
est  redeundum;  tantum  enim  lui  desiderium  reliquisli, 
ut  ab  omnibus  in  lege  Domini  cl  salulcm  animarum 
quœrentibus  expecteris.  Pastor,  Gcschichte  der  Pdpstc 
seil  dem  Ausgang  des  Miltclallcrs,  Fribourg,  1895, 
t.  m,  p.  856.  Le  même  pape  l'envoyait  à  Venise. 
en  1506,  pour  obtenir  de  la  république  qu'elle  rendît 
au  Saint-Siège  la  ville  de  Faenza.  Pastor,  loc.  cit., 
p.  588.  La  même  année,  à  la  mort  du  P.  Augustin 
Faccioni  de  Terni,  général  des  augustins,  il  le  nom- 
mait vicaire  général  de  l'ordre.  C'est  alors  que  commen- 
cèrent ses  premiers  rapports  avec  Staupitz.  Voir 
Kolde,  Die  deutsche  Augusliner  Congrégation  und 
Johan  von  Staupitz,  Gotha,  1879.  L'année  suivante, 
au  chapitre  général  tenu  à  Naples,  le  P.  Gilles 
était  appelé  au  gouvernement  de  sa  famille  religieuse. 
Son  humilité  l'engagea  à  fixer  son  séjour  dans  un 
couvent  solitaire  du  Mont-Cimino,  près  de  Viterbe.  Il  y 
vivait  avec  un  petit  nombre  de  religieux  dans  l'obser- 
vance de  la  règle,  et  par  ses  lettres  et  ses  exhortations 
il  s'efforçait  de  relever  et  vivifier  l'esprit  de  son  ordre. 
Le  2  mai  1512,  en  présence  de  Jules  II  et  des  cardinaux, 
il  prononça  le  discours  d'ouverture  du  concile  de 
Latran.  Il  y  indiqua  les  maux  dont  l'Église  soutirait,  et 
les  bénédictions  que,  par  le  moyen  des  conciles,  Dieu 
fait  pleuvoir  sur  elle.  Pastor,  loc.  cit.,  p.  661.  Ce  dis- 
cours excita  la  plus  vive,  admiration,  et  le  cardinal 
Sadolet,  dans  une  lettre  au  cardinal  Bembo,  ne  taris- 
sait pas  d'éloges  sur  son  auteur.  Au  concile,  le  général 
des  augustins  prit  la  défense  des  ordres  mendiants, 
qu'on  menaçait  de  dépouiller  de  leurs  privilèges  et 
exemptions.  Dans  ses  lettres,  surtout  dans  une  lettre 
aux  augustins  de  Paris,  il  demandait  aux  religieux  de 
prier  pour  éloigner  la  tourmente,  et  les  engageait  à 
réformer  leur  vie.  Martène,  loc.  cit.,  col.  1262-1261. 
A  la  mort  de  Jules  II,  Léon  X  témoigna  à  Gilles 
la  même  bienveillance  que  son  prédécesseur.  En  1515, 
il  l'envoya  à  l'empereur  Maximilien  pour  l'amener  à 
traiter  la  paix  avec  Venise  et  à  combattre  les  Turcs. 
En  1517,  il  le  chargea  d'une  légation  auprès  du  duc 
d'Urbin.  U  lui  écrivait  familièrement  et  l'invitait  à 
quitter  sa  solitude  de  Cimino  et  à  rentrer  à  Rome,  où  il 
l'aurait  revêtu  de  la  pourpre  romaine.  Mais  le  P.  Gilles, 
qui  avait  été  confirmé  dans  sa  charge  de  prieur  général 
aux  chapitres  généraux  de  Viterbe  (1511)  et  de  Rimini 
(1515),  préférait  l'humilité  du  cloîlie  aux  dignités  ecclé- 
siastiques. Cependant,  au  mois  de  juillet  1517  Léon  X 
le  nomma  cardinal,  et  l'envoya,  l'année  suivante, 
comme  ambassadeur  à  Charles-Quint,  poui  l'engager 
à  se  mettre  à  la  tête  d'une  nouvelle  croisade  contre 
les  Turcs,  enorgueillis  de  leurs  victoires  en  Perse.  Les 
charges  que  lui  imposait  sa  nouvelle  dignité  obligèrent 
Gilles  à  renoncer  au  gouvernement  de  son  ordre,  et  à 
le  remettre  entre  les  mains  du  P.  Gabriel  de  Venise.  U 
annonça  cette  démarche  à  ses  religieux  dans  une  lettre 
très  touchante,  qui  est  un  véritable  monument  d'humi- 
lité chrétienne.  Martène,  op.  cit..  t.  m,  p.  xxn.  Au 
retour  de  sa  légation,  le  cardinal  Gilles  fut  nommé 
par  Clément  VII  protecteur  de  l'ordre  en  1523,  pa- 
triarche de  Constantinople  et  évêque  de  Viterbe.  On 
lui  confia  l'administration  des  églises  épiscopales  de 


1367 


GILLES     DE     VITERRE 


13fi8 


Castro,  Lanciano,  Zara,  Sutri  et  Népi.  A  Viterbe,  le 
cardinal  donna  l'hospitalité  aux  chevaliers  de  Rhodes, 
que  les  Turcs,  en  1522,  avaient  forcés  à  quitter  leur 
boulevard  et  il  présida,  comme  légat  du  pape,  leur 
chapitre  général  (1527).  La  même  année,  au  pillage  de 
Rome  par  les  troupes  impériales,  il  perdit  sa  riche 
bibliothèque.  La  douleur,  que  cette  perte  lui  causa  fut 
si  vive  et  si  forte  qu'il  tomba  malade  et  resta  une 
année  entière  à  Padoue.  Clément  VII  le  rappela  à 
Rome  et,  par  une  lettre  très  élogieuse,  il  l'engagea  à 
publier  ses  œuvres  pour  le  bien  de  l'Eglise  et  les  pro- 
grès des  sciences  sacrées.  Gilles  se  refusait  par  humilité 
à  mettre  au  jour  ses  écrits.  Suivant  les  désirs  du  pape, 
il  travaillait  avec  le  P.  Nicolas  Scutelli,  augustin,  à 
traduire  en  latin  plusieurs  manuscrits  grecs.  La  mort 
vint  le  frapper  au  milieu  de  son  travail  le  12  ou  le 
21  novembre  1532.  D'après  l'opinion  commune,  il  aurait 
été  le  successeur  de  Clément  VII  sur  le  siège  pontifical. 
11  avait  été,  dès  le  début,  un  adversaire  déclaré  de 
Luther. 

Tous  les  contemporains  de  notre  cardinal  sont 
unanimes  à  exalter  ses  mérites,  ses  talents  et  ses  vertus. 
Dans  sa  lettre  à  l'empereur  Maximilien,  Léon  X 
esquissait  ainsi  la  physionomie  morale  de  l'illustre 
cardinal  :  Is  quoniam  est  eximia  integritate,  riïigione, 
doctrina,  onmiumque  propelinguariim  qux  nunc  quidem 
excohmlur,  usum  atquc  scientiam,  omnium  bonarum 
arlium  disciplinas  cognitas,  et  explicatas  habel,  le 
hortor  ut  eum  libcraliter  excipias.  cum  mea.  tum  ipsius 
eliam  causa.  Dans  une  lettre  au  cardinal  Bembo,  le 
cardinal  Sadolet  ne  peut  se  retenir  de  lui  exprimer  son 
admiration  pour  l'éloquence  du  savant  augustin  : 
Scimus  enim  experli  pluries  illam  hujus  viri  mul- 
centem  omnium  aures  alque  animos  eximiam  eloquen- 
tiam  vernacula  quidem  lingua  elruscorum,  quse  Mi 
palria  est,  abundantem,  sed  ex  uberrimis  et  grœcœ 
et  latinœ  erudilionis  /ontibus  deduclam.  Magno  enim 
hic  studio  thcologiœ  ac  philosophie  altissimis  artibus 
comités  literas  poliliores  adjunxit.  Labbe,  Sacrosancta 
concilia,  t.  xix,  col.  668.  Malheureusement,  la  plupart 
de  ses  écrits  sont  encore  inédits.  Voici  d'abord  la  liste 
de  ceux  qui  ont  été  imprimés  :  1°  Oratio  ad  lateranense 
concilium,  habita  in  sede  lateranensi  quinto  nonas 
maias  1512,  Rome,  1512,  dans  Hardouin,  Acta  conci- 
liorum,  Paris,  1714,  t.  ix,  col.  1576-1581;  Labbe, 
Sacrosancta  concilia,  Venise,  1732,  t.  xix,  col.  225-235. 
Elle  a  été  résumée  par  Hefele,  Conciliengeschichle, 
t.  vin,  p.  501-506.  L'édition  donnée  par  Torelli,  Secoli 
agostiniani,  t.  vin,  p.  G27-629,  reproduite  par  Curtius, 
est  incomplète  et  très  fautive.  Cf.  Gandolfo,  De  ducentis 
eeleberrimis  augustinianis  scriploribus,  p.  20.  2°  Oratio 
habita  post  terliam  sacri  laleranensis  concilii  sessionem 
in  ccclrsia  dive  Maria  Virginis  de  populo,  de  fédère 
inilo  inler  Julium  II  ponlificem  maximum  et  M. 
Maximilianum  imperatorem,  Rome,  1512  ;  3°  Epi- 
stolœ  selectse,  recueillies  par  Mabillon  dans  un  manu- 
scrit de  l'ancienne  bibliothèque  de  San  Giovanni  à 
Carbonara  (Naples),  et  éditées  par  Martène,  Veterum 
scriptorum  et  monumenlorum  amplissima  collcclio, 
Paris,  1724,  t.  ni,  col.  1232-1268.  Une  lettre  de  Gilles 
au  P.  Staupitz,  datée  du  26  juin  1510,  concernant 
Luther,  a  été  publiée  parHohn,  Chronologia  provinciœ 
rheno-suevicœ  ordinis  jratrum  eremilarum  S.  Auguslini, 
Wurzbourg,  1744,  p.  154,  reproduite  par  Ossinger. 
Quelques  extraits  de  sa  correspondance  inédite  ont  paru 
dans  l' Archivio  storico  per  le  provincie  napolilanc,  t.  ix 
(1884).  p.  430-452.  Une  lettre  de  Gilles  au  P.  Gaspar 
Ammon  de  Hasselt,  O.  S.  A.,  a  paru  dans  Henke  et 
Brun,  Annales  litlerarii,  Helmstadt,  1782,  t.  i.  p.  193. 
Trois  autres  lettres,  dont  deux  à  Jean  Reuchlin, 
l'autre  à  Jean,  Denis  et  Elisabeth  Reuchlin,  ont  été 
insérées  dans  Illustrium  virorum  epistolœ  hebraicœ, 
grœcœ  et  latinœ,  ad  Johannem  Reuchlin   Phorcensem, 


virum  nostra  selalc  doctissimum  diversis  temporibus 
missiv,  Hagenoe,  1519,  fol.  96-98,  reproduites  ou  men- 
tionnées par  Geiger,  Johan  Reuchlins  Bricfweehscl 
gesammclt  und  herausgegeben,  dans  Bibliothek  des 
litlcrarischen  Vereins  in  Stuttgart,  Tubingue,  1875, 
t.  cxxvi,  p.  260-261,  276.  Les  trois  lettres  sont  datées 
des  années  1516  et  1517. 

Gilles  a  laissé  un  nom  dans  l'histoire  de  la  littérature 
italienne  comme  poète  latin  et  italien,  aussi  bien  que 
comme  philosophe.  Deux  de  ses  pièces  italiennes  ont 
été  publiées  un  grand  nombre  de  fois.  Nous  citons 
l'édition  du  P.  Gandolfo.  Fiori  poelici  dell'eremo  agos- 
tiniano  raccolti ed  illuslrati  con  un  saggio  délia  vita  di  cia- 
scun  produltore  dei  medesimi,  Gènes,  1682,  p.  81-107.  La 
première  pièce  traite  de  l'excellence  de  la  chasteté  (La 
Ludizia),  et  comprend  52  strophes.  Elle  a  été  reproduite 
parCrescimbeni  dans  les  Commentarii  intorno  alla  istoria 
délia  volgar  pocsia,  Rome,  1711,  t.  ni,  p.  225-235;  cf. 
ibid.,  Rome,  1710,  t.  n  b,  p.  204-205.  La  seconde  pièce  est 
intitulée:  Caccia  bellissima  di  amore,et  dans  une  poé- 
tique allégorie  met  en  garde  la  jeunesse  contre  les  égare- 
ments de  l'amour.  Elle  comprend  aussi  52  strophes, 
et  a  été  publiée  un  grand  nombre  de  fois,  Venise,  1537, 
1538,  dans  les  recueils  de  Dolce,  d'Arrivabene,  etc., 
par  le  P.  Gandolfo,  op.  cit.  Mais  quelques  historiens 
de  la  littérature  italienne  sont  d'avis  que  l'auteur  de 
cette  pièce  est  Jean-Baptiste  Lapini  de  Sienne. 
Fontanini,  Bibliotcca  dell'  cloquenza  ilaliana,  Venise, 
1753,  t.  i,  p.  291,  dans  les  notes  d'Apostolo  Zeno. 
Elle  a  paru  sous  le  nom  de  Lapini  dans  la  Scella  di 
slanze,  par  Augustin  Ferentillo,  Venise,  1572.  Le 
P.  Gandolfo  a  publié  deux  poésies  latines  du  même 
auteur,  une  ode,  in  JEgidii  Romani  cardinalis  laudes, 
et  une  épigramme  Domino  Pctro  mémorise  magislro, 
p.  79-80.  Le  Cod  Ang.  1001,  Narducci,  p.  417,  contient 
trois  églogues  latines  de  Gilles  :  Paramellus  et  JEgon; 
De  ortu  Domini;  In  resurrectionem  Domini.  La  troi- 
sième est  en  distiques;  les  deux  premières  en  hexa- 
mètres. Gilles  serait  aussi  l'auteur  d'une  version  latine 
très  élégante  et  fidèle  de  la  célèbre  pièce  de  Pétrarque 
sur  la  sainte  Vierge,  Fontanini,  op.  cit.,  t.  n,  p.  46; 
plusieurs  madrigaux  de  Gilles  en  italien,  à  l'adresse  de 
Vittoria  Colonna,  tirés  du  manuscrit  Magliabec- 
chiano  720,  ont  paru  dans  le  recueil  de  Trucchi,  Poésie 
italiane  inédite  di  dugento  autori  dall  origine  délia 
lingua  infino  al  secolo  decimosettimo,  raccolte  ed  illus- 
trate,  Prato,  t.  m,  1847,  p.   126-129; 

D'autres  ouvrages  de  Gilles  ont  été  encore  publiés  :  1° 
Promemoria  ad  Hadrianum  papam  VI  de  depravato  statu 
romanœ  Ecclesiœ,  et  quomodo  rejormari  possilac  debeat, 
publiée  par  Ho  fier,  Analecten  zur  Geschichle  Deutsch- 
lands  und  Italiens,  dans  Abhandlungen  der  historischen 
Classe  der  K.  Bayer.  Akad.  der  Wissenschafl,  Munich, 
1846,  t.  iv,  n.  3,  p.  62-89.  Gilles  conseille  au  pape  de 
s'adjoindre  des  hommes  expérimentés  et  prudents  dans 
le  gouvernement  de  l'Église,  de  frapper  l'avarice  et 
l'ambition  du  clergé,  de  défendre  l'abus  des  indul- 
gences, le  cumul  des  bénéfices,  de  renouveler  l'organi- 
sation administrative  et  ecclésiastique  de  la  curie 
romaine,  de  limiter  les  droits  des  princes  temporels 
dans  la  collation  des  bénéfices.  2°  Cajetani  Thiennensis 
exposilio  in  libros  de  cœlo  et  mundo,  cum  jEgidii 
Romani  eremit.  aug.  quœstione  de  materia  cseli,  casti- 
gante  JEgidio  Vilerbiensi,  erem.  augustiniano,  Venise, 
1502.  Cette  édition  est  mentionnée  par  Gandolfo  dans 
la  liste  des  ouvrages  de  Gilles  de  Rome,  p.  29.  Le 
P.  Ange  Gabriel  de  Sainte-Marie  ne  la  cite  pas  dans  le 
catalogue  des  écrits  de  saint  Cajétan  de  Tiene,  Biblio- 
tcca e  storia  degli  scriltori  di  Vicenza,  Vicence,  1772, 
t.  n,  p.  xxx-xxxm.  Tomassini  se  borne  à  citer  les 
Commenlaria  in  libros  de  cœlo  sans  spécifier  où  ils  ont 
été  imprimés.  Bibliolhecœ  patavinœ,  Udine,  1639, 
p.    55. 


1369 


GILLES     DE     VITERBE 


1370 


Parmi  ses  œuvres  inédites  citons  :  1°  Arislotelis 
operum  index  ordine  alphabetico  digeslus,  cod.  Par. 
65S9,  Colalogus  codicum  manuscriptorum  bibliotheese 
regiœ,  t.  iv  c,  p.  260;  2°  Arislotelis  monumenta  et 
index  de  Arislotelis  erroribus,  ibid.  ;  3°  Liber  Zohar 
super  libros  Mosis,  interprète  JEgidio  Vilerbiensi,  cod. 
Paris.  527,  op.  cit.,  t.  m  c,  p.  43;  4°  Liber  qui  dicilur 
Temuna,  eodem  interprète,  ibid.  ;  5°  Horlus  nucis,  eodem 
interprète,  ibid.  ;  6°  Annotaliones  in  librum  Raziel, 
ibid.;  7°  Vocabulariurn  linguse  sanclœ,  cod.  Paris.  596, 
op.  cit.,  t.  m  c,  p.  50;  8°  Diversorum  librorum  hebrai- 
eorum  vocabula,  cod.  Paris.  597,  ibid.,  p.  50;  9°  Inter- 
pretalio  et  annotaliones  in  librum  decem  Scphirot,  cod. 
Paris.  598,  ibid.,  p.  50;  10°  Inlerprelalio  et  annotaliones 
in  librum  Magerchet  haeloit  ibid.;  11°  Racanatensis 
alias  Recanalensis  expositio  in  libros  Mosis,  ibid.  ; 
12°  De  arcana  judœorum  doclrina  traclatus,  cod.  Paris. 
3363,  ibid.,  p.  402;  13°  Ren  Hacane  liber  qui  Pelia 
dicilur  interprète  JEgidio  Vilerbiensi,  cod.  Paris.  3367, 
ibid.,  p.  445;  14°  Informalio  contra  lulheranam  seclam, 
attribué  à  Gilles  par  Mabillon,  Ribliothcca  bibliothc- 
carum,  Paris,  1739,  t.  il,  p.  779,  n.  14;  15°  Liber  de 
revolutione  23  litcrarum  hebraicarum  secundum  viam 
Ihcologicam  in  lingua  hebrœa,  interprète  JEgidio 
Vilerbiensi,  ibid.,  n.  37;  10°  Opus  contra  hebrxos  de 
adventu  Messiee  et  de  nominibus  divinis  contra  eosdem, 
ibid.,  n.  53;  17°  Dictionnarium  sive  liber  radicum,  cod. 
Àng.  3.  Cf.  Narducci,  Calalogus  codicum  manuscriplo- 
runi  in  bibliolheca  Angelica,  Rome,  1893,  t.  i,  p.  1.  Je 
ne  sais  pas  si  le  contenu  de  ce  manuscrit  est  identique 
avec  le  contenu  des  ouvrages  marqués  aux  numéros  7 
et  8.  Il  est  l'ébauche  d'une  traduction  en  latin  du  dic- 
tionnaire de  David,  lils  de  Joseph  Kimchi,  rédigée 
d'après  les  notes  de  Gilles,  Pélissier,  Manuscrits  de 
Gilles  de  Viterbe  à  la  bibliothèque  Angélique,  Rome, 
tirage  à  part  de  la  Revue  des  bibliothèques,  p.  4-5; 
18°  Hisloria  vigi,nti  sœculorum  per  lolidem  psalmos 
digesta,  ad  Leoncm  X,  cod.  Ang.  351,  Narducci,  op. 
cit.,  p.  177;  cod.  502.  Le  premier  manuscrit  renferme 
aussi  les  additamenla  du  cardinal  Seripando  sur  les 
papes  Léon  X,  Adrien  VI,  Clément  VII,  Paul  III, 
Jules  III,  Marcel  II  et  Pie  IV.  Au  jugement  du  car- 
dinal Ilergenrôther  et  du  P.  Laemmcr,  ce  travail,  qui 
esquisse  vingt  siècles  de  l'histoire  de  l'humanité  avant 
et  après  le  Christ,  peut  soutenir  la  comparaison  avec 
le  Discours  sur  l'histoire  universelle  de  Bossuet.  L'au- 
teur y  fait  preuve  d'une  grande  connaissance  de 
l'Écriture  sainte,  des  auteurs  sacrés  et  profanes,  et  de 
profondes  vues  philosophiques.  Pastor  l'a  souvent 
utilisé  dans  son  Histoire  des  papes.  Vittorelli,  Manni, 
Georgius,  Baluze,  Ilôfler,  Laeminer  s'en  étaient  servis 
avant  lui.  Le  manuscrit  original  de  cette  oeuvre  se 
trouvait  autrefois  à  la  bibliothèque  du  couvent  de 
San  Giovanni  di  Carbonara  à  Naples.  Le  cod.  Ang. 
a  été  décrit  par  Pélissier,  p.  11-13,  qui  a  donné  une 
analyse  critique  soignée  de  l'Historia  viginti  sœculorum, 
dans  sa  thèse  latine  de  doctorat  :  De  opère  historico 
JEgidii  cardinalis  Viterbiensis,  quod  manuscriplum 
lalet  in  bibliolheca  quse  est  in  urbe  augustinianorum 
Angelica  ejusdemque  operis  cui  tilulus  pneesl  «  Hisloria 
viginti  sœculorum  »  vera  indole,  Montpellier,  1896  :  il 
relève  l'importance  de  cet  ouvrage  pour  l'histoire  de 
l'Eglise  au  xve  siècle;  19°  In  librum  primum  Senlcn- 
tiarum,  ad  mentem  et  doclrinam  Plalonis,  cod.  Ang. 
636,  Narducci,  op.  cit.,  p.  281;  20°  Senlentiarum  liber 
primus  usque  ad  XVII  dislinclionem  ad  mentem  Pla- 
lonis, ibid.;  21°  De  laudibus  cnngregalionis  ilicclanx, 
cod.  Ang.  1156,  Narducci,  op.  cit.,  p.  487;  22°  Epislolœ 
jamiliares.  Trois  manuscrits  de  la  bibliothèque 
Angelica  contiennent  des  lettres  de  Gilles  ou  de  ses 
correspondants.  Le  cod.  688,  Narducci,  op.  cit., 
p.  292,  renferme  85  lettres  (1494-1517),  adressées  la 
plupart  à  Gabriel  de  Venise,  général  des  augustins;  le 


cod.  762,  Narducci,  op.  cit.,  p.  316,  renferme  10  lettres 
en  italien,  adressées  au  P.  Jean  François  Liberta,  du 
18  juillet  au  6  août  1532,  cf.  Torelli,  Secoli  agosliniani, 
Bologne,  1866,  t.  vin,  p.  568;  et  une  lettre  du  3  avril 
1531  au  P.  Sébastien  de  Rimini.  Le  cod.  1001,  Nar- 
ducci, op.  cit.,  p.  416-41S,  est  le  recueille  plus  riche  des 
lettres  de  Gilles.  Elles  y  sont  divisées  en  8  livres.  Le 
compilateur  de  ce  recueil,  d'après  le  P.  Gandolfo, 
serait  le  P.  Séraphim  Ferri  de  Castellina,  op.  cit.,  p.  19. 
P.  Xiste  Schier,  dans  les  Addenda  (inédits)  ad  Ossingcri 
Eibliothecam  auguslinianam,  cod.  Ang.  353,  p.  203.  Cette 
correspondance  de  Gilles,  d'après  Pélissier,  qui  a 
décrit  les  manuscrits  ci-dessus  mentionnés,  est  très 
curieuse  pour  reconstituer  les  relations  littéraires  du 
cardinal,  et  son  action  comme  chef  de  l'ordre,  p.  11. 
La  bibliothèque  Vaticane  possède  en  outre,  un  cer- 
tain nombre  de  lettres  adressées  à  Gilles,  entre  autres 
à  Aléandre.  23°  Iragion,seu  explanalio  lillerarum  hebrai- 
carum,cod.  Vat.  5808;  24° Dcmoribus  Turcarum,  perdu; 
25°  De  Ecclesiœ  incremenlo  ad  Julium  II;  26°  Annota- 
liones in  tria  priora  cupita  Gencseos;  27°  Liber  dialo- 
gorum.  Ces  trois  ouvrages  sont  mentionnés  par  Ciac- 
conius  et  Ellsius,  sans  aucune  indication. 

Pontanus,  Opéra  omnia,  Venise,  1519,  t.  n;  l'auteur  y 
publie  Sermo  JEgidii  ad  populum,  fol.  156-158,  et  un  dia- 
logue dédié  à  vEgidius  (Mgidius  dialogus),  p.  155-173, 
qui  renferme  des  notices  biographiques  et  littéraires  sur 
le  savant  cardinal;  Ambr.  Flandini,  Sermo  de  triplai  vita 
in  festo  divi  Aurelii  Augustini,  Quadragesimaliam  concio- 
num  liber  qui  gentilis  inscribitar,  ex  elhnicorum  christia- 
norumque  erudimentis  collectus,  Venise,  1523,  p.  481-482; 
Bembo,  Epistohr,  Venise,  1552,  p.  261-264,  343-344,  486-487, 
489-490,  492-493,  520-523;  Jovius,  Elogia  virorum  litteris 
illustrium,  Baie,  1577,  p.  159-160;  Giraldi,  De  poetis  nostro- 
rum  temporum  dialogi  duo,  Bille,  1580,  t.  u,  p.  415;  Panfilo, 
Chronica  /ratrum  ordinis  eremUarum  S.  Augustini,  Rome, 
1581,  p.  73-80;  Ferronus,  De  rébus  gestis  Gallorum,  Bàle, 
1601,  p.  73-80;  Galatini,  De  arcanis  catholicœ  veritatis, 
Francfort,  1612,  p.  22;  Curtius,  Virorum  illustrium  ex 
ordine  eremUarum  D.  Augustini  elogia,  Anvers,  1636, 
p.  93-107;  Corentini,  De  episcopis  Viterbii  summa  chrono- 
logica,  Viterbe,  1640,  p.  100-168;  Aubéry,  Histoire  générale 
des  cardinaux,  Paris,  1645,  t.  m,  p.  289-293;  Landucci, 
Sacra  Leccetana  selua,  Rome,  1647,  p.  126;  Ellsius,  Enco- 
miasticon  augustinianum,  Bruxelles,  1654,  p.  14-15;  Conte- 
lori,  Elenclius  S.  R.  Ecclesiœ  cardinalium  ab  anno  1430 
ad  annum  1459,  Rome,  1659,  p.  124-125  ;  Oldoino,  Athenœum 
romanum,  Pérouse,  1676,  p.  32-33;  Ciacconius,  Vitx  et  res 
gestse  pontificum  romanorum  et  S.  R.  Ecclesiœ  cardinalium, 
Rome,  1677,  t.  m,  col.  395-399;  Gandolfo,  Fi'ori  poetici 
dell'  eremo  agostiano,  Gênes,  1682,  p.  71-78;  Le  porpore 
agostiniane,  Additione  al  dispaccio  istorico  curioso  et  erudito, 
Mondovi,  1695,  p.  36-43;  Dissertatio  hislorica  de  ducenlis 
celeberrimis  auguslinianis  scriptoribus.  Rome,  1704,  p.  16- 
•20;  Palatio,  Easti  cardinalium  omnium  sanctœ  romanœ 
Ecclesiœ,  Venise,  1703,  t.  n,  col.  682-689;  Piazza,  La 
gerarchia  cardinalizia,  Rome,  1703,  p.  528  ;  Eggs,  Purpura 
docta,  Munich,  1714,  t.  u,  p.  396-400;  Le  Mire,  Auctarium  de 
scriptoribus  ecclesiasticis,  dans  Fabricius,  Bibliotheca  eccle- 
siaslica,  Hambourg,  1718,  p.  132-133;  Colomiès,  Ita- 
lia  et  Hispania  oricntalis,  Hambourg,  1730,  p.  41-46; 
Michel  de  Saint-Joseph,  Bibliographia  critica  sacra  et 
prophana,  Madrid,  1740,  t.  i,  p.  113-114;  Bussi,  Storia  délia 
citta  di  Viterbo,  Rome,  1742,  p.  291,  304  ;  Jocher,  Allgemeines 
Gelehrten-Lexikon,  Leipzig,  1750,  t.  I,  p.  1624;  Elogia 
S.  R.  E.  cardinalium  pietate  et  doclrina  illustrium,  Rome, 
1751,  p.  106;  Fabricius-Mansi,  Bibliotheca  latina,  Padoue, 
1754,  t.  i,  p.  24;  Sadolet,  Epistolœ,  vu  et  lxxxh,  Rome, 
1760,  t.  i,  p.  18-20,  230;  Ossinger,  Bibliotheca  augusliniana, 
p.  190-198;  Laurence  Grana,  évoque  de  Segni,  Oralio  in 
(ancre  JEgidii  Viterbiensis,  card.  S.  R.  E.,  ex  ms.  codice 
membranaceo  bibliothecœ  Marii  Compagnonii  Marcluscii 
S.  Iï.  E.  cardinalis  amplissimi,  eruta  et  a  Johanne  Christo- 
phoro  Amadutio  nunc  primum  in  lucem  édita,  Rome,  1781  ; 
cette  oraison  funèbre  ne  contient  presque  pas  de  détails 
biographiques  sur  Gilles;  Cardella,  Memorie  storiche  dei 
cardinali  délia  santa  romana  Chiesa,  Rome,  1793,  t.  iv, 
p.  47-50;  Moroni,  Dizionario  ecclesiastico,  Venise,  1841, 
t.  vu,  p.  211-215;  Lnntori,  Postrema  sœcala   sex  religionis 


13/1 


GILLES     LE     VITERËE  —  GINOULHIAC 


1372 


auguslinian.se,  Tolcntin,  1859,  t.  n,  p.  4-10;  Eremus  sacra 
augustiniana,  Rome,  1874,  t.  i,  p.  191-196;  Laemmer,  Zut 
Kirchengeschichte  des  sechzehnten  und  siebenzehntcn  Jahr- 
hundcrts,  Fribourg,  1S63,  p.  65-67;  Geiger,  Johan  Reuchlin, 
sein  Leben  und  seine  Werke,  Leipzig,  1871,  p.  399,  404, 
437,  450;  A.  \V.,  Wor  der  Reformation,  dans  Historisch- 
politische  Blitter,  1877,  t.  lxxix,  p.  203;  Kôlde,  Die  deulsche 
Augustiner  Congrégation  und  Johan  von  Staupitz;  ein 
lu  ilrag  zur  Ordens  und  Re/ormationsgeschielUe,  Gotha, 
1879,  p.  124,  197-198,  231-232,  238,  257,  272,  312,  324; 
Hôaer,PapstAdrianVI,  Vienne,  1880,  p.  210-214;  Fioren- 
tino,  Egidioda  Viterbo  ei  Pontanianida  Napoli,  dans  Archiuio 
storico  per  le  provincie  napolitane,  t.  ix,  1884,  p.  430-452; 
ITcfele,  Conciliengeschichte,  t.  vin,  p.  501-506,  676,  692, 
765,  768,  788;  1890,  t.  ix,  p.  5,  177;  Fiorentino,  Risorgi- 
mcnto  fdosofwo  nel  Quattrocento,  Naples,  1885,  p.  251; 
Gregorovius,  Gescliichle  der  Sladt  Rom  im  Millelalter, 
Stuttgart,  1888,  t.  vin,  p.  55;  Kjrchenlexikon,  2°  édit., 
Fribourg,  1890,  t.  i,  p.  255-256;  Pélissier,  De  opère  historico 
/Egidii  cardinalis  Viterbicnsis,  Historia  viginli  sseculorum, 
Montpellier,  1896;  Pastor,  GeschicMe  der  Papsle,  Fribourg, 
1906,  t.  iv  a,  p.  141,  470-471;  Paquier,  Jérôme  Aléandrc, 
Paris,  1900,  passim. 

A.  Palmieri. 
GILLOT  Jacques,  érudit  français,  né  à  Langres, 
dans  la  première  moitié  du  xvie  siècle,  mort  à  Paris 
en  janvier  1619.  Il  entra  de  bonne  heure  clans  les  ordres 
et  prit  rang  parmi  les  conseillers  clercs  du  parlement, 
dont  il  devint  le  doyen.  Il  était  en  même  temps 
chanoine  de  la  Sainte-Chapelle  de  Paris  et  doyen  du 
chapitre  de  Langres.  Très  érudit,  il  était  lié  avec  les 
savants  les  plus  estimés  de  son  époque.  On  lui  doit  une 
édition  des  œuvres  de  saint  Ambroise,  3  in-fol., 
Paris,  15C9,  et  de  saint  Hilaire,  in-fol.,  Paris,  1572. 
Lors  des  troubles  qui  marquèrent  la  fin  du  règne  de 
Henri  III,  il  prit  parti  contre  la  Ligue  et  fut  un  des 
principaux  auteurs  de  la  Satyre  Ménipée.  Parmi  ses 
autres  écrits  nous  mentionnerons  :  Actes  du  concile  de 
Trente  en  1562  et  1563  pris  sur  les  originaux,  in-12, 
Paris,  1607;  Instructions  et  missives  des  rois  très 
chrétiens  de  France  et  de  leurs  ambassadeurs  ;  cl  autres 
pièces  concernant  le  concile  de  Trente  prises  sur  les 
originaux,  in-8°,  Paris,  1608.  Cet  ouvrage  eut  plusieurs 
éditions  :  la  plus  complète  est  celle  qui  fut  donnée  par 
Pierre  et  Jacques  Dupuy,  in-4°,  Paris,  1654;  Traites 
des  droits  et  libertés  de  l'Église  gallicane,  in-4°,  Paris, 
1609. 

Dupin,  Table  des  auteurs  ecclésiastiques  du  XVII»  siècle, 
in-8°,  Paris,  1704,  t.  n,  col.  1575;  Roussel,  Le  diocèse  de 
Langres,  in-8°,  Langres,  1873,  t.  i,  p.  172;  Hurter,  Nomen- 
clator,  1907,  t.  m,  col.  87-88. 

B.  Heurtebize. 

GINOULHIAC  Jacques-Wlarie-Achille,  né  à  Mont- 
pellier, le  3  décembre  1806,  fit  de  fortes  études, 
surtout  de  sciences  et  de  philosophie.  Ordonné  piètre 
le  27  mars  1830,  il  fut  aussitôt  après  nommé  professeur 
au  grand  séminaire  de  sa  ville  natale.  Le  19  jan- 
vier 1835,  il  prononça  YOraison  funèbre  de  Mgr  Four- 
nier,  in-8°,  Montpellier,  1835.  Chanoine  honoraire 
en  1836,  il  devint  aumônier  du  couvent  de  la  Provi- 
dence en  1837.  L'archevêque  d'Aix  le  prit,  en  1839, 
pour  son  vicaire  général.  Durant  cette  période,  il 
rédigea  en  grande  partie  les  conférences  ecclésiastiques 
d'Aix.  Il  publia  son  Histoire  du  dogme  catholique 
pendant  les  trois  premiers  siècles  de  l'Église  el  jusqu'au 
concile  de  Nicêe.  Ire  partie.  De  Dieu  considéré  en  lui- 
même.    Unité  de  sa    nature,  Trinité  de  ses  personnes, 

2  in-8°,   Paris,   1852;  2e  édit.,  revue  et  augmentée, 

3  in-8°,  Paris,  1866.  Il  y  déployait  une  grande  érudi- 
tion et  il  y  montrait  que  les  dogmes  catholiques  de 
Dieu  et  de  la  Trinité  n'étaient  pas  des  produits 
de  la  raison  humaine,  mais  qu'ils  appartenaient  au 
dépôt  de  la  révélation  chrétienne  et  que  seule  leur 
explication  avait  pris  plus  de  clarté  et  de  précision 
au  cours  des  trois  premiers  siècles.  L'introduction 
de  la  seconde  édition,  datée  du   1er  décembre    1865, 


indique    les  corrections  et  les    additions  faites  à  la 
première.    Mgr    Braillard,    évêque    de    Grenoble,    lui 
offrit,  le  2  juin  1852,  sa  succession.  Nommé  le  9  dé- 
cembre,  préconisé  le   7   mars    1853,  Mgr  Ginoulhiac 
fut  sacré  à  Aix,  le  1er  mai.  Il  écrivit  aux  évêques  une 
lettre  sur  les  apparitions  de  la  sainte  Vierge  à  la  Salette 
et  adressa  au  pape,  en  1854,  un  Mémoire  lithographie. 
Il  se  prononçait  en  faveur  de  leur  réalité.  Plus  tard, 
en  1869,  il  approuva  la  fondation  des  religieuses  de 
Notre-Dame  de  la   Salette.   En   1860,   il  écrivit  une 
Lettre  circulaire  sur  la  situation  actuelle  des  Étals  de 
l'Eglise,  et  le  20  décembre,  il  prononça  une  Allocution 
aux  obsèques  de  son  prédécesseur.  En  1861,  il  publia 
le  Catéchisme  à  l'usage  du  diocèse  de  Grenoble.  En  1863, 
il  écrivit  une  Lettre...  à  l'un  de  ses  vicaires  généraux, 
sur  la  Vie  de  Jésus  par  M.  Renan.  Il  tint  un   synode 
pour  préparer  les  Statuts  du  diocèse,  qui  furent  publiés 
en  1864.  Il  expédia  à  ses  prêtres  une  Lettre  circulaire 
sur  les  accusations  portées  dans  la  presse  contre  l'ency- 
clique du  8  décembre  1864  el  le  Syllabus,  Grenoble,  1865; 
il  y  en  eut  trois  éditions.  Elle  est  reproduite  dans 
Baulx,    Encyclique    cl    documents,    Bar-le-Duc,    1865, 
t.   ii,  p.  437-487.    Il  publia  :   Les  Épîtres  pastorales 
ou  réflexions  dogmatiques  et  morales  sur  les  Épîtres 
de  saint  Paul  à  Timothèc  et  à  Tile,  in-12,  Paris,  Gre- 
noble, 1866.   Il  fonda  la  Semaine  religieuse  en  1868, 
et  rétablit  la  liturgie  romaine  en  1869.  II  écrivit  dans 
la  Semaine  religieuse,  sous  la  signature  J.,  des  articles 
sur   Le   concile   œcuménique,   qui   furent   réunis   avec 
des  éclaircissements   et  des  notes,  in-8°,   Paris,   1869. 
Le  1er  juillet  1867,  il  avait  signé,  au  centenaire  de 
saint  Pierre  à  Rome,  l'adresse  des  évêques  présents  à 
Pie  IX  pour  lui  manifester  leur  joie  de  la  convocation 
du  concile  du  Vatican.  Il  prit  plusieurs  fois  la  parole 
au  concile  :  le  jeudi  30  décembre  1869,  à  In  5e  congré- 
gation, sur  le  schéma  de  la  doctrine  chrétienne  opposée 
aux  erreurs  du  rationalisme;  le  mardi,  22  mars  1870, 
à  la  31e  congrégation,  sur  le  c.  iv  de  ce  schéma;  le 
mardi  28  juin,  à  la  78e  congrégation,  sur  le  schéma  de 
l'Église.  Au  consistoire  de  la  veille,  il  avait  été  préco- 
nisé archevêque  de  Lyon.  Il  signa  différents  postulata  : 
le  12  décembre  1869  et  le  2  janvier  1870,  sur  la  bulle 
Multipliées  inler  et  l'ordre  à  suivre  au  concile;  le  12  jan- 
vier, pour  la  non-définition  de  l'infaillibilité  pontificale; 
le  1"  mars,  à  propos  du  décret  du  20  février  touchant 
l'ordre  des  matières  à  traiter  sur  l'Église;  le  4  mai,  les 
plaintes  sur  la  violation  du  concile;  le  8  mai,  contre  la 
préférence  donnée  à  la  primauté  et  à  l'infaillibilité  du 
pape   dans    le  schéma  De  Ecclesia;  le  4  juin,  contre 
l'ordre  donné  de   finir  la  discussion  générale  sur  le 
schéma;  le  9  juillet,  contre  des  additions  faites  à  ce 
schéma.  Le  13  juillet,  à  la  congrégation  générale,  il 
dit:  Non  placel  au  sujet  de  la  définition  de  l'infailli- 
bilité. Le  17,  il  signa  la  lettre  adressée  à  Pie  IX  par  les 
antiinfaillibilistes  pour  lui   annoncer  qu'ils  n'assiste- 
raient pas  à  la  iv»  session  du  concile,  qui  se  tiendrait 
le  lendemain.  Il  n'y  assista  pas,  en  effet;  il  était  rentré 
à  Grenoble  le  20;  mais  de  Lyon,  où  il  s'était  rendu  le 
3  août  et  où  il  fut  intronisé  le  11,  il  adressa,  le  16,  au 
pape,  une  lettre  par  laquelle  il  adhérait  au  dogme  de 
l'infaillibilité  pontificale.  Voir  Acta  el  décréta  sacrosancli 
cecumcnici  concilii  Valicani,  dans  Collcclio  lacensis,  Fri- 
bourg-en-Brisgau,  1890,  t.  vu,  p.  715,  731,  736,  754, 
917,  920,  946,  962,  980,  9S4,  987,  992,  995,  996,  1039; 
Granderath,  Histoire  du  concile  du  Vatican,  trad.  franc., 
Bruxelles,  1909,  t.  n  a,  p.  58-60,  88,  note,  93, 125, 161, 
185,  345;  1911,  t.  n  b,  p.  33-37,  76,  115-121  (discours 
sur  la  liberté  la  plus   grande  à  laisser  à  la  science).  Il 
publia  ensuite  :  Le  sermon  sur  la  montagne,  avec  des 
réflexions   dogmatiques   morales,   in-12,   Lyon,  1872. 
En  1873,  il  réunit  un  synode  et  publia  les  Statuts  syno- 
daux, in-8°,  Lyon,  1874.  Son  mandement  de  carême 
de  1874  traitait  la  question  sociale  sous  ce  titre  :  Du 


1373 


GINOULHI'AC  —  GIOBERTI 


1374 


riche  qui  se  perd  et  du  pauvre  qui  se  sauve.  Ses  forces 
et  sa  raison  déclinèrent  bientôt,  et  il  mourut  à  Mont- 
pellier, le  17  novmbre  1875.  Ses  héritiers  éditèrent  un 
ouvrage  qu'il  laissait  manuscrit  :  Les  origines  du  chris- 
tianisme, 2  in-8°,  Paris,  1878,  dont  le  t.  i  contient  les 
documents  et  le  t.  n  expose  les  faits  et  la  doctrine. 

Mgr  Thibaudier,  Mandement  à  l'occasion  de  la  mort  de 
Mgr  J.-M.-A.  Ginoulhiac,  Lyon,  1875;  Lettre  de  Mgr  l'évêque 
de  Montpellier  au  clergé  de  son  diocèse  au  sujet  de  la  mort 
et  des  funérailles  de  Mgr  l'archevêque  de  Lyon,  20  novem- 
bre 1875,  Montpellier,  1875;  Mgr  Cotton,  Oraison  funèbre 
de  Mgr  Ginoulhiac,  14  janvier  1876,  Lyon,  1876;  L.  Maret, 
dans  la  France  ecclésiastique  pour  1876,  Paris,  p.  765-769; 
L'èpiscopat  français  depuis  le  concordat  jusqu'à  la  séparation, 
in-4°,  Paris,  1907,  p.  263-264,  316-318;  Catholic  eneyelopedia, 
New  York,  1909,  t.  vi,  p.  562;  Hurter,  Nomenclalor,  1913, 
t.  vfc,  col.  1520-1521. 

E.  Mangenot. 
GIOANNETTI  André,  cardinal  de  la  sainte  Église 
romaine,  né  à  Bologne   le   6  janvier   1722,   reçut   au 
baptême  les  noms  de  Melchior-Benoît-Lucidor,  qu'il 
changea  pour  celui  d'André,  alors  qu'il  revêtit  l'habit 
des  camaldules  au  monastère  de  Ravenne.  En  1740, 
après  sa  profession,  ses  supérieurs  l'envoyèrent  à  Rome 
pour  y  faire  ses  études;  quand  il  fut  docteur,  ils  le 
rappelèrent  et  le  chargèrent  d'enseigner  la  théologie  au 
monastère  de  Bertinoro.  La  renommée  de  sa  science 
franchit  les  murs  du  couvent  et  l'archevêque  de  Ra- 
venne, Guiccioli,  mort  en  17G3,  le  choisit  pour  théo- 
logien. Cette  même  année,  il  était  nommé  abbé  du 
célèbre  monastère  de  son  ordre  à  Classe,  aux  portes  de 
Ravenne.   Il  enrichit  son  église,  augmenta  la  biblio- 
thèque, accrut  le  musée;  il  fit  dessécher  les  marais  qui 
l'environnaient  et  le  rendaient  insalubre.   Toutefois, 
les  soins  matériels  ne  lui  faisaient  pas  négliger  les  autres 
devoirs  de  sa  charge  :  donnant  l'exemple  à  tous,  il 
enseignait  les  novices,  prêchait  ses  religieux,  instrui- 
sait les  âmes  et  en  dirigeait  beaucoup,  même  au  dehors 
de  l'abbaye.   Pendant  une  disette,  en   1766,  bientôt 
suivie  d'une  épidémie,  il  fut  la  providence  de  toute  la 
région,   distribuant   sans   compter  les   provisions   du 
monastère  et,  quand  les  greniers  et  la  caisse  furent 
vides,  il  emprunta  pour  payer  le  grain  qu'il  faisait 
venir  par  mer.  Après  l'expiration  de  sa  charge  à  Classe, 
le  P.  Gioannetti  fut  appelé  à  Rome  pour  gouverner  le 
monastère   de   Saint-Grégoire   au    Cœlius   (1773).    Le 
cardinal  Braschi,  le  futur  Pie  VI,  en  était  alors  com- 
mendataire;  il  eut  occasion  de  connaître  l'abbé,  et 
devenu  pape  il  le  créa,  le  30  janvier  1772,  évêque  titu- 
laire d'Imeria  et  administrateur  de  l'archidiocèse  de 
Bologne.  Le  23  juin  de  l'année  suivante,  il  le  faisait 
archevêque  et   lui   donnait  le  chapeau.    Le  cardinal 
André  Gioannetti  déploya  dans  l'administration  de  son 
diocèse  le  même  zèle  que  jadis  à  Classe;  il  en  reste 
comme  preuves  écrites  de  nombreuses  lettres  pasto- 
rales aux  fidèles  et  au  clergé.  En  1784,  il  en  publiait 
dix-huit  réunies  en  un  seul  volume  et  qui  forment  un 
cours  raisonné  de  religion,  dans  lequel  il  s'applique  à 
combattre  les  objections.  Elles  sont  complétées  par  un 
Appendice  sur  la  suprématie  du  Saint-Siège,  contre 
Tamburini,   Eybel  et  autres  partisans  des   doctrines 
joséphistes.  En  septembre  1788,  il  réunit  un  synode 
dont  les  actes,  Synodus  diœcesana  Bononicnsis,  in-4°, 
furent  publiés  la  même  année.  Lorsque  la  Révolution 
chassa  en  Italie  beaucoup  de  prêtres  et  de  religieux 
français,  le  cardinal  de  Bologne  leur  fut  très  hospita- 
lier. Quand  les  États  pontificaux  furent  envahis  par 
les  armées  de  la  Révolution,  il  ne  craignit  pas  de  rap- 
peler avec  fermeté,  dans  une  lettre  au  sénat  de  Bologne 
du9  janvier  1797  les  droits  et  les  lois  de  l'Église.  L'année 
suivante,   Pie   VI,   emmené  en   captivité,   passa  par 
Bologne;  le  cardinal  accourut  pour  le  consoler  et  put 
l'entretenir  pendant  de  courts  instants.   Il  devait  se 
rappeler,  alors,  comment  en  1782  il  avait  eu  la  joie  de 


lui  faire  un  tout  autre  accueil,  alors  qu'il  revenait  de 
Vienne  et  l'accompagnait  à  Imola  pour  la  consécration 
de  la  cathédrale.  Les  troupes  autrichiennes  ne  tardè- 
rent pas  à  chasser  les  envahisseurs  et  l'archevêque 
s'employa  à  réparer  les  ruines  matérielles  et  morales 
qu'ils  laissaient  après  eux.  Il  se  rendit  au  conclave  de 
Venise  qui  nomma  Pie  VII  et  revint  dans  son  diocèse 
pour  y  mourir  le  9  avril  1800. 

Ami  de  la  religion  du  28  septembre  1825,  reproduit  dans 
le  Dictionnaire  des  cardinaux  de  Migne,  Paris,  1857;  Moroni, 
Dizionario  di  erudizione  slorico-ecclesiastica,  Venise,  1845, 
t.  xxx,  art.  Gioannetti;  Hurter,  Nomenclator,  1912,  t.  v, 
col.   327-328. 

P.  Edouard  d'Alençon. 
GIOBERTI     Vincent,     philosophe     et     publiciste 
italien,  né  à  Turin  le  5  avril  1801,  appartenait  à  une 
famille  très  pauvre,   et,   devenu   orphelin    de   bonne 
heure,  il  ne  dut  qu'à  la  générosité  d'une  bienfaitrice 
de  pouvoir  arriver  au  sacerdoce;  en  1852,  il  était  reçu 
docteur  en  théologie,  avec  une  thèse,  De  Deo  el  rcligione 
nalurali,  qui  déjà  trahit  un  certain  penchant  de  l'auteur 
à  l'idéalisme.  Esprit  élevé  et  vigoureux,  quoique  peu 
sûr,  cœur  chaud  et  imprégné  de  la  foi  chrétienne,  mais 
sans  la  douceur  et  la  mesure  qui  conviennent  au  prêtre, 
Gioberti  remplira  plus  tard  l'Italie  de  son  nom.  Les 
imprudences  de  son  langage  en  matière  politique  le 
feront  arrêter  en  1833  et  bannir  après  quatre  mois  de 
détention.  Expulsé  du  Piémont,  il  se  réfugiera  d'abord 
en  France,  à  Paris,  puis  à   Bruxelles,  où   il   occupera 
un  modeste  emploi  de  professeur  dans  une  institution 
fondée  par  un  de  ses  compatriotes.  Pendant  les  quinze 
années  que  dura  son  exil,  de  1833  à  1858,  il  s'adonna 
principalement  à   l'étude  de  la  philosophie.  Ce  fut  à 
Bruxelles  qu'il  écrivit  la  Teoria  delsovranaturale,  1838, 
livre  dans  lequel  la  philosophie,  la  théologie,  la  politique 
se  mêlent  et  se  confondent;  Inlroduzione  allô  studio 
délia  filosofia,  1839-1840;    Errori   fdosofici  d'Antonio 
Rosmini,  1841,  attaque  aussi  violente  qu'inattendue 
des    théories    rosminiennes.    En    même    temps    qu'il 
accuse  l'idéologie  du  prêtre  de  Rovereto  d'être  un 
pur  psycbologismc,  qui  rend  impossible  une  ontologie 
vraie  et  qui  repose  sur  un  principe  rationaliste,  Gioberti 
se  rattache  à  l'ontologisme  de  Malebranche,  dont  il 
modifie  seulement  la  forme,  et  il  professe  la  doctrine 
de  la  vision  intuitive  de  Dieu.  Par  son  idée  que  toute 
chose  est  un  concept  et  tout    concept  une   chose,  il 
tend  la  main  en  quelque  sorte  au  système  hégélien 
de  l'identité  des  concepts  et  des  corps,  c'est-à-dire  au 
panthéisme  et  au  matérialisme  idéaliste.  Quelques-uns 
des  ouvrages  de  Gioberti  ont  été  traduits  en  français; 
ses  deux  écrits,  intitulés  :   Filosofia   délia    rivelazione, 
et  Protologia,  n'ont  été  publiés  qu'après  sa  mort  à 
Turin,  l'un  en  1856,  l'autre  en  1857. 

Mais,  plus  encore  que  la  philosophie,  les  questions 
politiques  et  religieuses  passionnaient  Gioberti  et  lui 
apportaient  la  célébrité;  de  Bruxelles  il  s'adressa,  en 
termes  émouvants,  aux  Italiens,  pour  leur  prêcher 
l'idée  de  l'indépendance  nationale  et  les  adjurer  de 
revenir  aux  traditions  chrétiennes  de  leur  pays.  Des 
écrits  politiques  de  Gioberti,  on  la  diffusion  n'étouffe 
pas  l'éloquence,  je  n'en  citerai  que  deux  :  le  Primalo 
morale  e  policilo  degli  Flaliani,  1842,  rêve  d'une  papauté 
idéale,  placée  à  la  tête  de  la  confédération  italienne 
et  exerçant  sur  tous  les  peuples  un  arbitrage  respecté; 
le  Gesuila  moderno,  1847,  diatribe  amère  contre  la 
Compagnie  de  Jésus. 

Les  événements  de  1848  ramenèrent  Gioberti  en 
Italie.  Le  roi  de  Sardaigne,  Charles-Albert,  ne  se 
contenta  pas  de  lui  rouvrir  les  portes  de  son  pays,  il 
le  nomma  sénateur  du  royaume.  Lorsque  le  pauvre 
exilé  de  1833  revint  à  Turin  le  29  avril  1818,  il  fut 
accueilli  avec  des  transports  de  joie  et  célébré  dans 
des   discours   enthousiastes.    Il   parcourut  comme   en 


1375 


GIOBERTI     —     GIRARDEL 


1376 


triomphe  les  villes  de  la  Haute-Italie  et  de  l'Italie 
centrale,  Milan,  Novare,  Crémone,  Plaisance,  Parme, 
Brescia,  etc.;  à  Rome,  le  pape  Pie  IX  lui  accorda 
trois  audiences,  le  serra,  paraît-il,  dans  ses  bras  et 
I  appela  le  Père  de  la  patrie.  Gioberti  était  alors  à 
l'apogée  de  sa  popularité  et  de  son  prestige  politique. 
\piLS  avoir  été  ministre  sans  portefeuille  le  29  juil- 
let 1848,  il  rentrait  dans  le  ministère  le  12  décembre, 
avec  le  titre  de  président  du  conseil.  Tombé  du  pouvoir 
le  21  février  1849  à  la  suite  d'intrigues  secrètes  de 
Mazzini.  il  revint  à  Paris,  avec  une  mission  diploma- 
tique; puis,  il  y  vécut  en  simple  particulier,  dans  une 
profonde  et  laborieuse  retraite,  comme  dans  une 
fière  pauvreté,  ayant  refusé  la  pension  que  lui  avait 
offerte  le  gouvernement  sarde.  Il  y  mourut  subitement 
d'une  congestion  cérébrale  dans  la  nuit  du  26  octo- 
bre 1852,  et  fut  honoré  à  Turin  de  splendides  funérailles. 
Les  vives  attaques  de  son  Rinnovamcnto  d'Italia, 
paru  en  1851,  contre  le  pouvoir  temporel  des  papes, 
avaient  entraîné,  le  14  janvier  1852,  la  mise  à  l'index 
par  le  Saint-Office  de  tous  ses  écrits  sans  exception. 

Massari,  Ricordi  biografici  e  carleggio  di  V.  Gioberti, 
Turin,  1869;  Kraus,  Essays,  V  série,  p.  85  sq.,  Berlin, 
1896;  Louis  Ferri,  Essai  sur  l'histoire  de  la  philosophie 
en  Italie  au  A/A"  siècle,  Paris,  1869,  t.  I,  p.  387;  t.  Il,  p.  140; 
Mariano,  La  philosophie  contemporaine  en  Italie,  Paris, 
1866. 

P.  Godet. 
GIORGI  Augustin,  philologue  et  théologien  italien 
de  l'ordre  des  ermites  de  Saint-Augustin,  naquit  à 
Saint-Maur,  près  de  Rimini  en  1711.  Entré  en  religion 
à  l'âge  de  seize  ans,  il  se  distingua  rapidement  parmi 
ses  condisciples  par  la  promptitude  et  la  sûreté  de  son 
jugement.  Ayant  obtenu  successivement  tous  les 
grades  qu'on  peut  acquérir  dans  la  carrière  de  l'ensei- 
gnement ecclésiastique,  il  fut  chargé  de  cours  d'abord 
à  Aquila,  puis  à  Florence,  à  Milan,  à  Padoue  et  à 
Bologne.  Dans  celte  dernière  ville,  il  se  lia  d'amitié 
avec  le  savant  Prosper  Lambertini  qui,  une  fois  devenu 
pape  sous  le  nom  de  Benoît  XIV,  l'appela  à  Rome 
pour  lui  confier  la  chaire  d'Écriture  sainte  au  collège 
do  la  Sapience.  C'est  en  cette  qualité  qu'il  reçut  la 
mission  de  prouver  victorieusement  la  parfaite  ortho- 
doxie du  cardinal  Noris  dont  YHistoria  pclagiana 
continuait  à  ne  pas  être  du  goût  de  certains  théologiens 
espagnols  qui,  malgré  l'approbation  romaine,  persis- 
taient à  vouloir  l'insérer  dans  leur  Index  des  livres 
prohibés.  S'étant  acquitté  de  cette  tache  d'une  manière 
très  satisfaisante,  le  même  pape  le  choisit  peu  après 
comme  directeur  de  la  bibliothèque  Angelica.  Il  fut 
aussi  procureur  général  de  son  ordre  pendant  dix-huit 
ans  consécutifs,  puis,  à  la  mort  de  François  Vasquez, 
vicaire  général  pendant  plusieurs  mois.  Toutefois  ce 
qui  le  caractérise  le  plus,  c'est  son  érudition  et  sa 
connaissance  de  nombreuses  langues  orientales  :  on 
affirme  qu'il  savait  au  moins  douze  idiomes  étrangers 
parmi  lesquels  l'hébreu,  le  chaldéen,  le  samaritain  et 
le  syriaque.  Il  mourut  à  l'âge  de  quatre-vingt-six  ans, 
en  1797,  estimé  et  respecté  de  tous,  tant  pour  son  désin- 
téressement et  ses  vertus  religieuses  que  pour  son 
savoir. 

On  a  de  lui  :  1°  Alphabetum  thibeianum,  missicnum 
aposlolicarum  eonvnodo  editum,  Rome,  17G2  :  c'est 
une  collection  de  dissertations  souvent  très  curieuses 
sur  l'alphabet,  l'orthographe  et  la  syntaxe  de  la 
langue  du  Thibet,  ainsi  que  sur  la  religion,  la  cosmo- 
gonie et  l'histoire  civile  et  religieuse  du  même  pays; 
2°  Fragmcntum  Evangelii  S.  Joannis  greco-copto- 
thebaicum  sœculi  m  et  liturgica  alia  fragmenta  veteris 
thebaidensium  Ecclesiee  in  lalinum  visa  cl  illustrata, 
Rome,  L789;  3°  une  série  de  lettres  et  autres  élucu- 
brations  plus  courtes  dont  voici  l'indication  générale  : 
De   arabicis    interprelulionibus  Veteris  Teslamenti  epi- 


stola;  De  versionibus  syriacis  Novi  Teslamenti  rpislola; 
Inscripliones  Palmyren.se  mussei  capitolini  explicatœ; 
Judiciiim  de  Alexandri  Sardii  iheognnia;  Fragmcntum 
coplicum  ex  Actis  S.  Colulhi  erutum  ex  membranis 
vetustissimis  sœc.  v  ac  latine  redditum;  Anlirrheticus 
advenus  epislolas  duas  ab  anongmo  censore  in  disserla- 
tionem  commonitoriam  Camilli  Rlasii  de  feslo  SS.  Cordis 
Jesu  vulgatus;  De  miraculis  S.  Colulhi  et  reliquiis 
aclorum  S.  Pancsnia  martyris  thebaica  fragmenta  duo  : 
accedunl  fragmenta  varia  notis  inserla,  omnia  ex  musœo 
Borgiano  Velitcrno  dcprompla  et  illustrata,  etc.  Un 
certain  nombre  de  ces  travaux  furent  publiés  sous 
le  titre  :  Doclrina  Ecclcsise.  et  praxis  cullus  calholici, 
Rome,  1782. 

Fontani,  Etogio  del  P.  Giorgi,  in-4°,  Florence,  1798; 
Fabronius,  Vite  Ralorum  doctrina  excellentium,  Pise,  1804, 
t.  xvin,  p.  1-50;  J.  Lanteri,  Postrema  sxcula  sex  religionis 
augustinianœ,  Rome,  1860,  t.  m,  p.  213-219;  Kliipfel, 
Necrologium,  p.  165-178;  Biographie  universelle  de  Mi- 
chaud,  t.  xvii,  p.  412-417;  Picot,  Mémoires  pour  servir  à 
l'histoire  ecclésiastique  du  XVIIIe  siècle,  3e  édit.,  Paris,  1855, 
t.  vu,  p.  336-337;  Diccionario  enciclopedico  Hispano- 
Americano  de  lilcratura,  ciencias  y  artes,  Barcelone,  1892, 
t.  ix,  p.  429;  Hurter,  Nomenelator,  1912,  t.  v,  col.  466-468. 

N.  Merlin. 
GIRARDEAU  Nicolas,  né  à  Blois,  docteur  en 
i  théologie  de  la  faculté  de  Paris,  chanoine,  officiai  et 
grand-vicaire  d'Évreux,  mourut  vers  1750.  On  a  de  lui  : 
Prolegomena  seu  prselecliones  theologicee  de  religione, 
de  verbo  Dei  seu  scriplo  seu  tradito,  de  Ecclesia  et 
conciliis  cum  appendice  de  jure  ecclesiastico,  3  in-8°, 
Paris,  1743. 

Quérard,  La  France  littéraire,  t.  ni,  p.  368;  Hurter, 
Nomenelator,  1910,  t.  iv,  col.  1405. 

B.  Heurtebize. 

GIRARDEL  Pierre,  né  en  1575,  à  Chameroy,  au 
diocèse  de  Lan  grès.  Après  ses  premières  études  à 
Langres,  il  vint  à  Paris.  Il  y  fit  la  connaissance  du 
P.  Joseph  Bouruignoris,  dominicain,  du  couvent  de 
Toulouse,  qui,  après  avoir  soutenu  les  épreuves  de  la 
licence  à  Paris  se  disposait  à  retourner  dans  sa  pro- 
vince (159G).  Il  persuada  au  jeune  Girardel de  le  suivre; 
il  devait  enseigner  la  langue  latine  aux  novices.  En 
1599,  il  demanda  à  être  reçu  dans  l'ordre  et  y  fit 
profession  le  8  septembre  1600.  Après  avoir  consacré 
quelque  temps  à  l'étude  de  la  théologie,  il  enseigna 
d'abord  la  philosophie  dès  1602,  puis  la  théologie.  Il 
prit  ses  grades  à  l'université  de  Toulouse  en  1G10. 
Il  avait  été  nommé  inquisiteur  de  Toulouse  et  conserva 
cette  charge,  sa  vie  durant.  Deux  ans  après,  en  1612, 
il  fut  élu  prieur  du  couvent  de  Toulouse  et  le  gouverna 
pendant  trois  années.  Il  remplit  la  même  charge  clans 
les  couvents  de  Saint-Honoré  à  Paris  (1620),  à  Bor- 
deaux (1623).  Par  deux  fois,  il  fut  fait  vicaire  général 
de  la  congrégation  dominicaine,  dite  Occitaine,  en 
1617  et  1626.  Le  maître  général  de  l'ordre,  Nicolas 
Ridolfi,  voulut  se  l'attacher,  en  qualité  de  compagnon, 
et  le  fit  venir  à  Rome,  où  il  prit  part  aux  délibé- 
rations du  chapitre  général  de  1629  en  vertu  d'une 
permission  spéciale  du  pape.  Le  P.  Girardel  revint  en 
France  en  1631  pour  y  accompagner  Nicolas  Ridolfi. 
De  retour  à  Rome,  l'année  suivante,  il  y  mourut  le 
8  février  1633,  âgé  de  57  ans.  On  a  du  P.  Girardel  : 
1°  Réponse  à  l'avertissement  donné  par  les  pasteurs  de 
l'Église  prétendue  réformée  de  Castres,  louchant  ceux 
qui  sont  sollicités  à  s'en  retirer  et  se  rendre  à  la  religion 
catholique,  Toulouse,  1618.  Cet  ouvrage  parut  sans 
nom  d'auteur.  2°  Le  P.  Girardel  avait  composé  sept 
méditations  sur  le  Pater,  qui  furent  attribuées  à 
sainte  Thérèse.  Voici  comment  cela  se  fit.  Selon  son 
habitude,  le  P.  Girardel  ne  signait  point  ses  ouvrages; 
ces  méditations  furent  imprimées  d'abord  en  latin  à 
Cologne,  puis  traduites  en  français  par  Arnauld 
d'Andilly,  qui  les  fit  paraître  en  1670.  Elles  étaient 


1377 


GIRARDEL 


GIRY 


1378 


données  comme  ayant  été  trouvées  parmi  les  œuvres 
de  sainte  Thérèse.  Dans  son  Hisl.  reformat.  S.  Theresiœ, 
t.  ii,  1.  VI,  c.  vin,  n.  5,  le  carme  François  de  Sainte- 
Marie  reconnut  que  ces  méditations  n'étaient  point  de 
sainte  Thérèse.  D'autre  part,  le  P.  Rey,  qui  avait 
connu  le  P.  Girardel  et  qui  a  laissé  des  mémoires  sur 
sa  vie,  affirme  péremptoirement  que  ces  méditations 
sont  bien  de  lui  et  non  pas  de  sainte  Thérèse.  Le  style 
d'ailleurs  le  montre  assez.  On  attribue  encore  au 
P.  Girardel  un  certain  nombre  d'écrits  ascétiques,  dont 
les  titres  sont  rapportés  par  Echard.  Il  avait  aussi 
entrepris  sur  la  Somme  de  saint  Thomas  un  grand 
travail.  Nous  ne  savons  au  juste  de  quoi  il  s'agissait. 
Rien    n'en    parut 

Echard,  Scriptores  ordinis  prsedicalorum,  Paris,  1719- 
1721,  t.  ii,  p.  477;  Année  dominicaine,  Amiens,  février 
1679,  p.  216;  nouvelle  édit.,  Lyon,  février  1884,  p.  215-228. 

R.   Coulon. 

GIRARDIN  Jean-Baptiste,  théologien,  prêtre  du 
diocèse  de  Besançon,  mort  le  13  octobre  1783  à  Mali- 
lencourt-Saint-Pancras,  où  il  était  curé.  Il  a  publié  : 
Réflexions  physiques  en  forme  de  commentaires  sur  le. 
chapitre  vin  du  livre  des  Proverbes  depuis  le  verset  22 
jusqu'au  verset  31,  in-12,  Paris,  1758;  pour  faire  suite 
à  cet  ouvrage,  il  fit  paraître  :  L'incrédule  désabusé 
par  la  considération  de  l'univers  contre  les  spinosisles 
et  les  épicuriens,  2  in-12,  Épinal,  1766.  On  lui  attribue 
en  outre  :  Lettre  d'un  gentilhomme  à  un  docteur  de  ses 
amis  pour  savoir  s'il  est  obligé  de  se  confesser  au  temps 
de  Pâques  à  son  curé  ou  d'obtenir  de  lui  la  permission 
de  s'adresser  à  un  autre  confesseur,  avec  la  réponse  du 
docteur,  in-12,  Épinal,  1762. 

Quérard,  La  France  littéraire,  t.  ni,  p.  369;  Hurter, 
Nomenclalor,  1912,  t.  v,  col.  302. 

B.  Heurtebize. 

GSRDBALDI  Sébastien,  théologien  de  la  congréga- 
tion des  barnabites,  naquit  à  Porto  Maurizio  en  1654. 
Ordonné  prêtre,  il  s'adonna  à  l'enseignement  et  se 
rendit  célèbre  dans  les  divers  collèges  de  sa  famille 
religieuse,  à  Milan,  à  Macerata,  à  Bologne,  et  à  Rome. 
Ici,  il  fut  nommé  pénitencier  et  s'acquit  une  grande 
renommée  par  sa  connaissance  approfondie  de  la 
casuistique.  Sa  mort  eut  lieu  au  mois  de  mars  1720. 

Voici  la  liste  de  ses  écrits  :  1°  De  seplem  Ecclesise 
sacramenlis,  Bologne,  1706;  l'ouvrage  entier  esL  divisé 
en  dix  traités;  c'est  une  vaste  encyclopédie  de  théo- 
logie morale  touchant  les  sacrements;  l'auteur  y 
traite  un  grand  nombre  de  questions  particulières 
qu'il  est  difficile  de  trouver  dans  les  manuels  de 
théologie  morale;  2°  De  principiis  moralitatis  actuum 
humanorum  deccmve  prœceptis  decalogi,  Bologne,  1760; 
cet  ouvrage  contient  de  savantes  dissertations  sur  les 
actes  humains,  le  péché,  les  lois  et  les  préceptes  du 
décalogue;  3°  Juris  naturalis,  contractuum  et  censu- 
rarum  discussio,  Bologne,  1717;  on  y  trouve  quatre 
traités  sur  la  justice  et  le  droit  général,  la  restitution, 
les  contrats,  les  censures  et  les  peines  ecclésiastiques. 
Ces  ouvrages  ont  paru  en  trois  volumes  sous  ce  titre 
général  :  Universel  moralis  theologia  fuxla  sacros  canones, 
Venise,  1735.  Ils  ont  été  réédités  en  5  in-fol.  parle  prêtre 
vénitien  Antoine  Giandolini  :  Sebastiani  Giribaldi  Opéra 
moralia,  additis  in  nuperrima  hac  edilione,  pluribus 
suis  signanter  locis  distribuas,  ex  edictis,  decrelis,  seu 
institutionibus,  atquc  bullis  Bcnedicti  XIV,  Bologne, 
1756,  1758,  1760,  1762. 

Pezzi,  Scriplorum  ex  clericis  regularibus  congregationis 
divi  Paati  catalogus  per  eorwndem  cognomina  alpliabetico 
ordine  digestus  (inédit  aux  archives  des  barnabites  à  Rome). 

A.  Palmieri. 

GIRY  François  naquit  à  Paris  le  15  septembre 
1635.  Louis  Giry,  son  père,  avocat  général  près  les 
chambres  d'amortissement  et  les  francs-fiefs,  était  un 
littérateur  distingué,   célèbre  par  ses   traductions,   et 

DICT.   DE  ÏI1LOL    CATIIOL. 


membre  du  petit  cénacle  d'où  sortit  l'Académie  fran- 
çaise, dont  il  fut  un  des  premiers  membres.  Avec  un  tel 
père  l'éducation  de  François  ne  pouvait  manquer  d'être 
soignée;  elle  fut  également  chrétienne,  et  le  désir  de 
servir  Dieu  l'emporta  dans  le  cœur  de  notre  adolescent 
sur  celui  de  se  faire  une  situation  avantageuse.  A  dix- 
sept  ans,  il  quittait  furtivement  sa  famille  pour  entrer 
au  noviciat  des  minimes  à  Chaillot.  Son  père  se  munit 
d'un  ordre  du  parlement  et  fit  ramener  le  fugitif  à  la 
maison,  espérant  le  faire  changer  de  résolution.  Fran- 
çois fut  inébranlable  et  finit  par  emporter  le  consente- 
ment paternel;  il  put  revêtir  l'habit  religieux  le  19  no- 
vembre 1652  et  il  prononça  ses  vœux  le  30  novembre 
de  l'année  suivante.  Sous  la  sage  direction  du  pieux 
P.  Barré,  le  fondateur  des  écoles  charitables  du  Saint- 
Enfant  Jésus,  notre  jeune  religieux  fit  de  rapides  pro- 
grès dans  la  vertu  et  la  science;  celle-ci  se  manifesta 
dans  ses  leçons  comme  professeur  et  dans  deux  soute- 
nances publiques,  la  première  à  Amiens  et  la  seconde 
à  Avignon,  en  présence  du  chapitre  de  son  ordre  et  sous 
la  présidence  du  cardinal-légat;  celle-là  lui  valut  le 
poste  de  confiance  de  maître  des  novices,  qu'il  ne 
quitta  que  pour  exercer  les  premières  charges  dans  sa 
province.  Le  P.  Barré,  qui  avait  apprécié  les  mérites  de 
son  ancien  élève,  le  désigna  avant  de  mourir,  31  mai 
1686,  pour  le  remplacer  comme  directeur  des  écoles 
charitables.  Ce  soin  occupa  une  bonne  part  des  deux 
dernières  années  de  sa  vie,  car  il  mourut  saintement 
le  20  novembre  1688.  Une  preuve  de  son  zèle  éclairé, 
dans  la  direction  des  filles  spirituelles  que  lui  avait 
léguées  son  confrère,  se  trouve  dans  un  petit  opuscule 
intitulé  :  Méditations  pour  les  sœurs  maîtresses  chari- 
tables du  Saint-Enfant  Jésus,  in-12,  Paris,  1687.  Son 
nom  comme  auteur  est  plus  connu  par  ses  publications 
hagiographiques;  une  des  premières  fut  sa  Disscrtalio 
chronologica  qua  commuais  et  anliqua  scnlenlia  de  anno 
nalali  cl  œiale  S.  Francisci  de  Paula  dcfendiliir,  in-8°, 
Paris,  16S0.  Il  travaillait  déjà,  pendant  les  loisirs  que 
lui  laissaient  ses  devoirs,  à  la  préparation  de  son  œuvre 
magistrale,  dont  le  titre  un  peu  long  indique  suffisam- 
ment l'importance  :  Les  vies  des  saints  dont  on  fait  l'office 
dans  le  cours  de  l'année,...  composées  d'après  Lipoman, 
Surius,  Ribadeneira  et  quelques  autres  auteurs  par  le 
R.  P.  Simon  Martin,...  nouvellement  recherchées  dans 
leurs  sources,  corrigées  sur  les  actes  originaux,  qui  ont 
depuis  paru  au  public,  cl  mises  dans  la  pureté  de  notre 
langue.  Avec  des  discours  sur  les  mystères  de  Noire- 
Seigneur  et  de  la  sacrée  Vierge,...  grand  nombre  de  vies 
nouvelles,...  le  Martyrologe  romain  traduit  en  français... 
et  un  Martyrologe  des  saints  de  France,  2  in-fo!.,  Paris, 
1683.  Il  ne  cessa  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie  de  revoir  et  de 
corriger  cette  œuvre  et  de  l'augmenter  pour  une  nou- 
velle édition,  3  in-fol.,  1687;  elle  parut  encore  après  sa 
mort,  Paris,  1715,  1719,  et  elle  sert  toujours  de  base 
aux  recueils  hagiographiques.  On  a  vite  fait  de  dire  que 
ce  travail  manque  de  critique.  Pour  le  juger  impar- 
tialement, il  faut  se  reporter  à  l'époque  où  vivait  l'au- 
teur, car  on  ne  saurait  vraiment  prétendre  qu'il  fût 
arrivé  à  un  point  que  recherche  encore  la  saine  critique. 
Il  déclare  lui-même  avoir  élagué  bon  nombre  de  fables, 
tout  en  cherchant  à  garder  un  juste  milieu,  car  il  aimait 
mieux  passer  pour  trop  crédule  que  de  s'associer  à  ceux 
qui  ont  peur  du  surnaturel.  Il  revit  donc  l'ouvrage  de 
son  confrère,  le  P.  Simon  Martin,  le  corrigeant  au  point 
de  vue  de  la  langue,  refondant  certaines  légendes,  en 
ajoutant  d'autres  et  le  complétant  par  la  biographie 
des  personnages  contemporains  morts  en  réputation  de 
vertu  éminente.  Quelques-unes  de  ces  esquisses  bio- 
graphiques ont  été  imprimées  séparément.  Le  Journal 
des  savants,  rendant  compte  de  la  Vie  du  P.  Giry  par 
le  P.  Claude  Baiïron,  Paris,  1691,  écrivait  qu'après 
avoir  enseigné  la  théologie  de  saint  Thomas.  «  il  se 
dévoua  à  la  théologie  mystique,  et  prit  la  plume  pour 

VI.  -  44 


i:i7i» 


GIRY 


GISMONDI 


1380 


consacrer  son  premier  travail  à  l'enfance  de  Jésus- 
Christ.  Cet  ouvrage,  continue  le  Journal,  n'a  pas  encore 
vu  le  jour.  Peu  après,  il  composa  l'Entretien  de  Jésus- 
Christ  avec  l'âme  chrétienne,  qu'il  joignit  à  une  poésie 
d'Aspirations  saintes,  dont  il  y  eut  plusieurs  éditions 
à  Paris  et  dans  les  provinces.  Son  petit  Livre  des  cent 
points  d'humilité  est  entre  les  mains  de  tout  le  monde, 
et  la  duchesse  de  Ventadour  l'a  fait  imprimer  à  ses 
dépens  à  Moulins.  Les  Explications,  les  notes  et  les 
lions  qu'il  a  faites  sur  la  règle  du  tiers-ordre  de 
saint  François  de  Paulc,  sont  recherchées  par  plusieurs 
personnes  de  piété.  »  On  lit  encore  au  même  endroit 
qu'on  retrouva  dans  ses  manuscrits  le  dessein  d'un 
ouvrage  en  quarante  chapitres,  sous  le  titre  de  Sin- 
gulttis  animée  pœnitentis,  qui  aurait  été  tout  différent 
de  celui  de  Bellarmin  De  gemitu  columbœ.  Il  laissait 
aussi  de  nombreuses  dissertations  qui  auront  probable- 
ment disparu,  ainsi  que  ses  restes  ensevelis  dans  une 
tombe  de  pierre  en  l'église  du  couvent  de  la  place 
Royale,  rasée  en  1803. 

Journal  des  savants,  1698,  t.  xix,  p.  444,  d'après  la  Vie 
du  R.  P.  François  dry,  par  le  P.  Claude  Raffron,  Paris, 
1691;  Morérl,  Le  grand  dictionnaire  historique,  Paris,  1745; 
Henri  de  Grczes,  Vie  du  R.  P.  Barré,  fondateur  de  l'Institut 
des  Écoles  charitables  du  Saint-Enfant-Jésus  dit  de  Saint- 
Maur,  Bar-le-Duc,  1892. 

P.  Edouard  d'Àlençon. 
GISBERT  Jean,  jésuite  français,  hé  à  Cahors 
en  1630,  admis  au  noviciat  de  la  Compagnie  de  Jésus, 
le  2  octobre  1654,  enseigna  la  philosophie  et  la  théo- 
logie à  Tournon,  puis  la  théologie  dogmatique  à 
Toulouse  pendant  dix-huit  années  avec  un  succès  dû 
à  l'excellence  de  sa  méthode  et  au  caractère  original 
de  son  enseignement.  Défenseur  ardent  de  la  scolas- 
tique,  le  P.  Gisbert  chercha  dès  le  début  à  renouveler 
la  théologie  de  son  temps  en  donnant  à  la  positive 
et  spécialement  à  l'étude  des  faits  en  connexion  avec 
le  dogme  une  importance  qui  semblait  excessive  à 
plusieurs  et  qui  constituait  vraiment  ime  intéressante 
et  hardie  nouveauté.  Son  premier  ouvrage  où  il 
exposait  et  appliquait  tout  ù  la  fois  sa  méthode  : 
Vera  idea  theologiœ  cum  historia  ccclesiaslica  socialse, 
sive  quœsliones  juris  et  facti  theologiœ,  Toulouse,  1676, 
eut  un  immense  succès.  Réimprimé  à  Paris,  à  Gratz,  a 
Vienne,  à  Passau,  à  Augsbourg  et  dans  d'autres  villes, 
il  exerça  une  influence  incontestable  sur  l'orientation 
des  méthodes  théologiques  en  Allemagne  dans  tout 
le  cours  du  xvnie  siècle.  L'introduction  contenait 
une  longue  dissertation  sur  la  méthode  en  théologie. 
L'auteur  gardait  à  la  scolastique  tous  ses  droits,  mais 
il  s'élevait  contre  les  excès  de  la  dialectique  et  les 
vaines  subtilités  d'école;  il  entendait  ramener  la 
théologie  à  l'étude  des  questions  vraiment  fonda- 
mentales de  la  religion  et  des  vérités  dogmatiques  en 
s'appuyant  tout  d'abord  sur  la  base  solide  des  textes 
et  des  faits.  La  scolastique  ne  doit  pas  être  une 
métaphysique  du  dogme,  mais  une  connaissance 
raisonnée  des  matières  de  la  religion,  une  dialectique 
serrée,  mais  portant  sur  l'Écriture,  les  Pères,  l'his- 
toire de  l'Église  et  l'antiquité  sacrée.  Dans  le  même 
ordre  d'idées  et  de  tendances,  le  P.  Jean  Gisbert 
entreprit  bientôt  une  série  de  conférences  théologiques 
à  l'Académie  de  Toulouse  sur  des  matières  historico- 
dogmatiques.  Les  principales  :  Petrus  Paulo  concors 
seu  discordia  Pclrum  inlcr  cl  Paulum;  De  Zozimo 
pontiflee  in  causa  Pelagii  et  Cseleslii;  Defensio  Ecclcsiie 
in  negotio  trium  capitulorum;  De  Ilonorio  pontiflee  in 
casu  monothelilarum,  furent  publiées  sous  ce  titre  : 
Disserlaliones  Academicse  seleclœ,  ad  ornatum  chri- 
slianse  theologise  cum  historia  ccclesiaslica  nova  methodo 
•ocialse,  Paris,  1688,  et  plusieurs  fois  rééditées.  Il 
serait  intéressant  de  suivre  dans  les  écrits  du  temps 
l'impression    produite    par    cette    méthode    alors    si 


nouvelle,  mais  qui  ne  semble  pas  avoir  exercé  sur  les 
études  théologiques  en  France  une  influence  compa- 
rable  à  celle   qu'elle  obtint   peu  à  peu  à  l'étranger. 
Le  Journal  des  savants,  dans  un  article  approfondi  du 
19   septembre    1689,    avait   attiré   l'attention    sur   la 
méthode  théologique  du  P.  Gisbert,  dont  il  louait  sans 
réserve  les  mérites.  «  Il  est  difficile  de  former,  disait-il, 
une   plus    belle   idée   de   théologie   que   celle   que   le 
P.  Gisbert  vient  de  donner.  »  C'est  seulement  dans  le 
cours  du  xviii0  siècle  que  ces  idées  alors  très  neuves 
pénétrèrent  en  Sorbonne,  sans  toutefois  rénover  son 
enseignement.  Le  P.  Gisbert  avait  conçu  le  projet  de 
publier  une  théologie  complète,  en  une  vingtaine  de 
volumes,  suivant  cette  méthode  à  la  fois  scolastique, 
historique  et  critique,  dont  il  revendiquait  à  bon  droit 
la  paternité  et  qui  marque  un  étonnant  effort  dans 
l'histoire  de  la  théologie  au  xvnc  siècle.  Le  Ier  volume 
parut  en  1699  :  Scicnlia  religionis  universel,  sive  chri- 
stiana    Iheologia    historiœ    ccclesiaslicœ    nova    methodo 
sociala,  quœstiones  juris  cl  facti  thcologicas  complcctens, 
Paris,  1789,  suivi  aussitôt  du  ne  volume  :  Dcus  in  se 
unus  cl  trinus,   ibid.,  lorsque,   pour  des   causes   peu 
connues,    la    publication    cessa   brusquement.   Il  est 
vraisemblable  que  la  méthode  souleva    des  critiques 
en  haut  lieu,  car  nous  voyons  à  partir  de  cette  date 
le  P.   Gisbert  abandonner  ses  chères  études  dogma- 
tiques pour  prendre  part  aux  discussions  soulevées 
par  la  question  du  probabilisme.  Le  dernier  ouvrage 
sorti    de    sa  plume  a  pour  titre  :  Antiprobabilismus 
seu    tractatus    Iheologicus    fidelem    lolius    probabilismi 
stalcrum  conlinens,  in  qua  ex  ralionibus  divinis  accuratc 
examinalur  seu  veriias  seu  falsilas  ulriusquc  probabi- 
lismi in  maleria  morali,  Paris,  1703.  Le  titre  indique 
exactement  l'objet  et  la  méthode  de  cet  important 
ouvrage  dont  le  cardinal  de  Noailles  avait  accepté  de 
grand  cœur  la  dédicace  en  ferme  tenant  de  la  doctrine 
exposée.    L'ouvrage    souleva    un    vif    émoi    dans    la 
Compagnie  de  Jésus  et  au  dehors,  car,  à  la  suite  du 
P.    Thyrse  Gonzalez,  l'auteur  combattait  résolument 
le  probabilisme,  en  déclarant  qu'il  rétractait  ses  pre- 
miers sentiments  et  un  enseignement  de  vingt  années, 
pour  se  ranger  à  l'opinion  des  probabiliorisles.  Pour  lui, 
il  existe  deux  espèces  de  probabilisme  :  le  probabi- 
lisme rigide  qui  fait  valoir  la  probabilité  de  la  loi  contre 
la  liberté,  et  le  probabilisme  mitigé  qui  soutient  la 
probabilité  de  la  liberté  contre  la  loi.  Ces  deux  théories 
lui  paraissent  également  irrecevables.   Sa  conclusion 
est  que,  soit  en  jugeant,  soit  en  agissant,  il  est  permis 
de  suivre  le  sentiment  le  plus  probable,  même  quand 
il  est  le  moins  sûr.  Il  ajoute  que  le  surplus  de  proba- 
bilité doit  être  considérable.  Mais  le  critérium  qu'il 
propose  pour  régler  sa  conduite  est  fort  complexe  et 
indécis.  Pour  lui  le  degré  de  probabilité  requis  pour 
agir  consiste  dans  une  vraisemblance  si  grande  que, 
tout   bien   examiné,    elle   suffise   pour   persuader   un 
homme    prudent,    et    elle    le    persuadera    si    l'esprit 
s'aperçoit  qu'elle  n'a  pas  coutume  de  le  tromper  dans 
de  pareilles   circonstances.   Le  système  est  jugé  par 
là  même.  Le  P.  Gisbert  mourut  à  Toulouse  le  5  août 
1710,  après  avoir  rempli  pendant  les  dernières  années 
de  sa  vie  la  charge  de  provincial. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  C"  de  Jésus,  t.  III, 
col.  1463-1466;  Hurter,  Nomenclalor,  3e  édit.,  t.  iv,  col.  956, 
1285;  Zaccaria,  Thésaurus  tlwologicus,  t.  vu,  p.  776-795, 
1409-1413  ;  Lambert,  Histoire  littéraire  du  siècle  de  Louis  XIV, 
Paris,  1776,  t.  i,  p.  116  sq.;  Acla  eruditor.  Lipsise,  1707, 
p.  373  sq. 

P.  Bernard. 

GISMONDI  Henri,  théologien  de  la  Compagnie  de 
Jésus.  Né  à  Rome,  le  29  avril  1850,  il  entre  dans  la 
Compagnie  le  1er  janvier  1869,  à  Rome,  achève  ses 
études  classiques  à  Eppan  en  Tyrol,  étudie  la  philo- 
sophie à  Maria-Laach,  puis  à  Louvain,  la  théologie  à 


1381 


GISMONDI 


GLANVILLE 


1382 


Laval,  puis  à  Poyanne.  Il  est  envoyé  en  Syrie  pour 
apprendre  les  langues  orientales  en  1881-1883,  et  en- 
seigne la  théologie  dogmatique  à  Beyrouth,  qu'il  quitte 
en  1885,  pour  revenir  un  an  à  Manrèse.  Il  fait  ensuite 
un  nouveau  séjour  à  Beyrouth,  où  il  continue  l'étude 
des  langues  orientales;  redevient  professeur  de  théo- 
logie dogmatique  en  1888.  A  la  fin  de  cette  année,  il 
rentre  à  Rome,  où  il  enseigne,  à  l'université  grégo- 
rienne, les  langues  orientales,  et,  à  partir  de  1890, 
l'Écriture  sainte.  En  1904,  il  cesse  d'enseigner  l'Écri- 
ture sainte.  Consulteur  de  l'Index  en  1902,  puis  exa- 
minateur apostolique  pour  le  clergé  romain,  il  devient 
enfin  consulteur  de  la  Commission  biblique,  reviseur 
îles  livres.  En  1910,  il  est  nommé  professeur  de  langues 
orientales  à  l'Institut  biblique  et  meurt,  le  7  février 
1912.  lia  publié  :  Lingum  hebraicœ  grammatica,  Rome; 
2e  édit.,  Disciplina  linguse  hebraicœ  tironibus  accom- 
modala,  Rome,  1907;  Linguœ  syriacœ  grammatica  et 
chreslomatiu  cum  glossario,  4  e  édit.,  Rome,  1913; 
Ebed-Jesu  Sobcnsis  carmina  selecla  ex  libro  Paradisus 
Eden,  textus  syriacus  et  versio  latina;  S.  Grcgorii 
Theologi  liber  carminum  iambicorum,  versio  syriaca 
ecodice  Londinensi  Musai  Britannici  (édit.  commen- 
cée par  le  P.  I.  Bollig,  S.  J.);  Maris,  Amri  et  Slibœ 
de  patriarchis  nestorianorum  commcnliiria,  e  codicc 
Vuticano  cum  versionc  latina,  Rome,  1896-1897. 

A.     Michel. 

1.  GIUSTIN1ANI  Benoît,  jésuite  italien,  né  à  Gènes 
vers  1550,  admis  au  noviciat  de  la  Compagnie  de  Jésus 
à  Rome  en  1567,  enseigna  d'abord  la  rhétorique  au 
Collège  romain,  puis  la  théologie  à  Toulouse,  à  Messine 
et  à  Rome,  et  fut  pendant  plus  de  vingt  ans  recteur 
de  la  Pônitencerie  du  Vatican.  Sur  l'ordre  de  Clé- 
ment VIII,  il  accompagna  le  cardinal  Cajctan  pendant 
sa  légation  de  Pologne  en  qualité  de  théologien. 
Célèbre  surtout  comme  exégète  par  ses  commentaires 
des  Épîtres  de  saint  Paul  et  des  Épîtres  catholiques  : 
In  omnes  B.  Pauli  apostoli  Episiolas  explanationes, 
2  in-fol.,  Rome,  1612,  1613;  In  omnes  eatholicas 
Epistolas  explanationes,  in-fol.,  Lyon,  1621,  il  a  laissé 
quelques  ouvrages  de  controverse  et  de  théologie  : 
Ascanii  Torrii,  theologi  romani,  pro  libertatc  ccclcsia- 
slica  ad  Gallo-Francos  apologia,  Rome,  1607;  Ducento 
e  più  calumne  opposte  da  Gio.  Marsilio  ail'  lit.  ec. 
cardinale  Bellarmino,  confutate  dal  D.  Ollaviu  dc'Fran- 
ceschi  theologo  Mèssinese,  Macerata,  1607;  Risposta 
al  Parère  di  Marcanlonio  Cappella  sopra  le  conlroversic 
Ira  il  sommo  ponte [ice  e  la  republica  di  Venczia,  Rome, 
1697;  Dispulalio  de  matrimonio  injidelium.  Le  P.  Gius- 
tiniani  était  doué  d'un  remarquable  talent  oratoire. 
A  la  mort  d'Innocent  IX,  c'est  lui  qui  fut  chargé, 
par  un  commun  assentiment,  de  prononcer  l'oraison 
funèbre  du  pontife  devant  le  collège  des  cardinaux. 
Il  mourut  saintement  à  Rome  le  19  décembre  1622. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  C'°  de  Jésus,  t.  ni, 
col.  1439-1491;  Hurter,  Nomenclator,  38  édit.,  1911,  t.  n, 
col.  234. 

P.  Bernard. 

2.  GIUSTINIANI  Horace  naquit  le  28  février  1585 
dans  l'île  de  Chlo,  que  ses  parents  administraient  pour 
le  compte  de  la  république  de  Gènes.  Envoyé  à  Rome 
encore  enfant,  il  s'y  donna  à  l'étude  et  à  la  piété.  A 
vingt-cinq  ans,  suivant  en  cela  l'exemple  de  son  frère 
Julien,  il  entra  à  l'Oratoire  et  continua  ses  études,  tout 
en  se  livrant  à  la  prédication;  ses  sermons  étaient 
l'emplis  d'exemples  empruntés  a  l'histoire,  qu'il  recueil- 
lait au  courant  de  ses  lectures.  Le  P.  Giustinianifutun 
des  plus  actifs  promoteurs  du  culte  de  saint  Philippe  de 
Néri,  placé  sur  les  autels  par  Urbain  VIII  (6  août  1623). 
Sa  vertu  et  sa  science  attirèrent  sur  lui  les  regards  du 
cardinal  François  Barberini,  neveu  du  pape  susdit,  et 
en  1632  il  le  nomma  custode  de  la  bibliothèque  Vati- 
cane  à  laquelle  il  était  lui-même  préposé.  Ces  fonctions 


lui  permirent  de  retrouver  et  de  publier  les  Actes  du 
concile  de  Florence.  Il  était  encore  consulteur  de  la 
Propagande,  du  Saint-Oiïîce  et  faisait  partie  de  la  Visite 
apostolique.  Le  cardinal  Barberini,  titulaire  de  la 
célèbre  abbaye  de  Farfa,  lui  en  avait  déjà  confié  le 
gouvernement  et  il  obtint  encore  pour  lui  de  son  oncle 
le  siège  de  Montalto  (10  septembre  1640).  Ne  se  con- 
tentant pas  du  titre  et  des  revenus,  le  nouvel  évêque 
se  rendit  dans  son  diocèse  et  se  fit  le  pasteur  du  trou- 
peau confié  à  son  zèle;  la  construction  du  palais  épis- 
copal  fut  le  gage  de  la  paix  heureusement  rétablie  par 
lui  entre  le  clergé  et  la  commune.  Comme  le  climat  lui 
était  contraire,  Innocent  X,  dont  la  famille  était  alliée 
aux  Giustiniani,  le  transféra  au  siège  de  Nocera  en 
Ombrie,  le  16  janvier  1645,  et  le  6  mars  suivant  il  le 
créait  cardinal  du  titre  de  Saint-Onuphre.  Cette  pro- 
motion lui  fit  interrompre  la  visite  pastorale  de  son 
nouveau  diocèse,  et,  ne  pouvant  le  diriger  lui-même,  il 
se  démit  l'année  suivante.  Nommé  bibliothécaire  de  la 
sainte  Église,  il  s'occupa  activement  du  précieux  dépôt 
soumis  à  sa  vigilance;  il  le  fit  mieux  ordonner  et  établir 
des  catalogues,  prenant  part  au  travail  et  contribuant 
généreusement  aux  frais.  Grand-pénitencier,  il  se 
montra  admirable  de  patience  et  de  bénignité,  ne 
permettant  jamais  qu'une  supplique  demeurât  sans 
réponse.  Indulgent  et  pieux,  savant  et  prudent,  on  le 
nommait  tout  bas  comme  le  pape  futur,  quand  la  mort 
vint  détruire  les  espérances  que  l'on  fondait  sur  lui. 
Après  avoir  reçu  les  derniers  sacrements  en  pleine 
connaissance,  il  se  fit  déposer  sur  le  pavé  de  sa  chambre 
et  c'est  ainsi  qu'il  mourut  le  25  juillet  1649.  Pour 
sépulture  il  n'en  avait  demandé  d'autre  que  la  tombe 
commune  des  prêtres  de  l'Oratoire  en  l'église  de  Sainte- 
Marie  de  la  Vallicella.  Les  Acta  sacri  œcumenici  concilii 
Florentini  ab  Horalio  Jusliniano,  bibliolhecœ  Valicanœ 
custode  primario,  collecta,  disposita  et  notis  illuslrala, 
in-fol.,  Rome,  1638,  furent  reproduits  dans  les  collec- 
tions générales  des  conciles.  La  bibliothèque  Valli- 
celliana  de  Rome,  ancienne  bibliothèque  des  oratoriens, 
conserve  plusieurs  manuscrits  de  Giustiniani;  l'un  a 
pour  titre  :  Varia  de  collcclionibus  summorum  ponli- 
ficum;  les  autres,  donnés  comme  autographes  par  le 
catalogue,  sont  les  suivants  :  Notula  de  invcnlione  cor- 
porum  sanctorum  Sardiniic  ;  Adnolationes  philosophiez 
et  iheologicœ  ;  De  juslilia  cl  jure  Iraclalus  ;  Scrmoncs 
morales  ;  Collcctio  resolutionum  morulium  et  canoni- 
carum.  Ces  Adnolationes  sont  peut-être  celles  qu'on  lui 
attribue  sur  la  Somme  de  saint  Thomas.  On  dit  aussi 
qu'il  en  écrivit  d'autres  sur  un  Traclalus  de  angelis, 
composé  en  grec  par  Démétrius  de  Cydon,  ainsi  que 
des  traités  sur  la  primauté  de  saint  Pierre  et  les 
sacrements  des  grecs. 

La  Vie  du  cardinal  Giustiniani  se  trouve  dans  le  manu- 
scrit de  son  confrère  Paul  Aringhi,  te  vite  e  detli  dei  Padri  c 
fratelli  délia  congregazione  deW  Oratorio,  t.  i,  n.  5,  Bibl. 
Vallicelliana,  O.  5S;  Ciacconio-OUloini,  Vite  et  res  gestœ 
pontifîeum  roman,  et  S.  R.  E.  cardinalium,  Rome,  1077,  t.  IV, 
col.  675;  Hurter,  Nomenclator,  1907,  t.  ni,  col.  1107-1108. 
P.  Edouard  d'Alençon. 

GLANVILLE  (Barthélémy  de)  était,  rapporte 
Wadding,  un  docte  frère  mineur  qui  vivait  dans  la 
seconde  moitié  du  xiv8  siècle.  Qu'il  y  ait  eu  à  cette 
date  un  franciscain  appartenant  à  la  famille,  normande 
d'origine,  des  barons  de  Glanville,  comtes  de  Sufîolk. 
nous  pouvons  le  concéder  à  l'annaliste  et  aux  auteurs 
sur  lesquels  il  s'appuie,  mais  que  ce  Barthélémy  puisse 
être  identifié  avec  le  frère  Bartholonueus  Anglicus, 
auteur  du  De  proprielatibus  rerum,  il  est  impossible  de 
l'admettre.  Celui-ci,  en  effet,  vivait  cent  ans  plus  tôt  et 
son  livre  était  écrit  et  fort  répandu  dans  la  seconde 
moitié  du  xme  siècle.  Salimbene  de  Parme,  dont  les 
Chroniques  datent  de  1283,  renvoie,  à  propos  des  élé- 
phants de  Frédéric  II,  au  livre  de  Barthélémy  d'Angle- 


1383 


GLANVILLE  --  GLAS 


1384 


terre,  et  la  citation  est  exacte.  En  1286,  l'université  de 
Paris  fixait  les  prix  de  location  de  certains  manuels; 
un  de  ceux-ci  est  le  De  proprietatibus  rcrum.  Il  serait 
facile  de  multiplier  les  preuves,  mais  à  quoi  bon  ?  On 
a  de  la  peine  à  s'expliquer  l'erreur  de  Wadding,  car  à 
la  date  de  1231  il  mentionne  dans  ses  Annales  ce  frère 
Barthélémy  Anglais,  qui  arrivait  comme  lecteur  à 
Magdebourg,  où  il  était  envoyé  par  Jean  Parcnti, 
ministre  général.  Est-ce  avant  ou  après  son  leclorat  en 
Allemagne  que  Barthélémy  expliqua  toute  la  Bible  à 
Paris,  tolum  Biblium  cwsorie  Parisius  legil,  comme 
écrit  le  même  Salimbene?  Nous  croyons  que  ce  fut  à 
son  retour,  car  au  bout  de  quelques  années  il  dut 
revenir  dans  la  province  de  France  à  laquelle  il  appar- 
tenait, ainsi  que  nous  l'apprend  l'auteur  des  Confor- 
mités :  qui  librum  edidit  De  proprietatibus  rerum  de 
provincia  Francise  fuit.  Pierre  Bidolfî  de  Tossignano 
l'appelle  Burgundus  sive  Anglicus  et  Sbaraglia  a  relevé 
cette  appellation  de  Bwgundia,  sur  un  manuscrit 
aujourd'hui  disparu  de  la  bibliothèque  du  sacré 
couvent  d'Assise;  toutefois  il  fait  remarquer  que  ce 
n'était  qu'une  addition  postérieure.  Léopold  Delisle  a 
voulu  qu'il  fût  français,  mais  sans  apporter  de  preuves 
suffisantes,  car  Barthélémy  ne  fut  pas  le  seul  Anglais 
entré  chez  les  mineurs  à  Paris.  Barthélémy  d'Angle- 
terre écrivit  donc  un  Opus,  dit  aussi  traclatus,  snmma, 
de  proprietatibus  rerum;  et  cet  ouvrage,  remarquait 
judicieusement  Salimbene,  était  divisé  en  dix-neuf 
livres,  quem  ctiam  tractation  in  XIX  libellas  divisil. 
Notre  auteur  est  donc  par  le  fait  le  premier  grand 
encyclopédiste  du  moyen  âge,  car  il  parcourt  en  en- 
tier le  domaine  scientifique  de  son  temps.  «  Dieu,  les 
anges;  l'âme  raisonnable;  la  substance  corporelle;  le 
corps  humain  et  ses  parties;  les  différents  âges  de  la 
vie;  les  maladies  et  les  poisons;  le  monde  et  les  corps 
célestes; le  temps  et  ses  divisions  :1a  matière  et  la  l'orme; 
l'air;  les  oiseaux;  leurs  genres  et  leurs  espèces;  l'eau, 
son  utilité  et  ses  habitants;  la  terre  et  ses  parties;  la 
géographie  des  différentes  provinces:  les  pierres  et  les 
métaux;  les  herbes  et  les  plantes;  les  animaux;  les 
accidents  :  couleur,  goût,  etc.,  tels  sont  les  titres  des 
dix-neuf  livres  de  cette  encyclopédie  Comme  on  le  voit, 
c'est  surtout  la  physiographie  qui  en  fait  le  fond;  les 
questions  géographiques  y  sont  traitées  de  main  de 
maître,  et  sur  ce  point,  on  peut  aujourd'hui  encore 
consulter  avantageusement  le  De  proprietatibus  rerum  » 
(Felder).  11  ne  faut  donc  pas  s'étonner  de  la  grande 
dillusion  que  l'œuvre  de  Barthélémy  eut  au  moyen  àgc  : 
on  en  trouve  des  exemplaires  dans  presque  toutes  les 
grandes  bibliothèques,  et  la  Nationale  de  Paris  en 
possède  à  elle  seule  dix-huit  exemplaires.  Elle  fut  aussi 
un  des  premiers  ouvrages  que  l'on  imprima  et  les  édi- 
tions incunables  sont  trop  nombreuses  pour  être  men- 
tionnées; la  première  semble  être  celle  de  Cologne, 
vers  1473;  viennent  ensuite  celles  de  Lyon.  1480  et 
1482,  de  Strasbourg,  1485,  etc.  De  bonne  heure  le  De 
proprietatibus  rerum  fut  traduit  en  diverses  langues  : 
frère  Jehan  Corbichon,  de  l'ordre  de  saint  Augustin, 
l'avait  «  translaté  de  latin  en  françois  l'an  de  grâce 
Mil  CCCLXXII  parle  commandement  de  très  puissant 
et  noble  prince  Charles  le  Quint.  »  Philippe  le  Hardi. 
duc  de  Bourgogne,  payait  quatre  cents  écus  d'or  un 
exemplaire  de  celle  traduction,  aujourd'hui  à  la  biblio- 
llièque  de  Bruxelles.  J.e  propriétaire  des  choses  fut  im- 
primé à  Lyon  dès  1482  et  réimprimé  plusieurs  fois. 
Citons  encore  la  traduction  flamande,  Boeck  van  dru 
proprieteyten  dtr  dingken,  Harlem,  1485;  la  traduction 
espagnole,  El  libro  de  las  propriedades  de  las  cosas, 
transladado  par  jraij  Yiccnte  de  Burgos,  Toulouse,  1494; 
une  traduction  anglaise  par  Jean  Trevisa,  imprimée 
a  Londres  avant  la  fin  du  x\ e  siècle.  Le  livre  De  rcrum 
accidentibus,  que  quelques  bibliographes  ont  mentionné 
à   part,   esl    le   dix-neuvième   du   précédent    ouvrage. 


Un  autre  livre,  De  proprietatibus  apum,  que  l'on  a 
indiqué  comme  de  Barthélémy,  est,  d'après  Sbaraglia,  de 
Thomas  de  Cantimpré.  On  cite  encore  parmi  les  ouvra- 
ges de  Barthélémy  des  Allegorise  Veteris  et  Xovi  Tesla- 
menli,  que  Wadding  croit  reconnaître  dans  les  Allc- 
goriiv  simul  el  tropologise  in  ulrumque  Teslamenium, 
Paris,  1574.  Cette  édition  n'est  que  la  reproduction,  si 
même  elle  en  diffère  autrement  que  par  la  feuille  du 
titre,  de  celle  que  donnait  en  1550  le  chartreux  Gode- 
froid  Tilman,  qui  la  publiait  comme  la  seconde  de  ce 
livre,  paru  près  de  trente  ans  auparavant  chez  Josse 
Bade.  Il  y  ajouta  les  Allegorise  Psalmorum  d'Othmar 
Luscinus,  ce  qui  a  fait  attribuer  l'ouvrage  entier  à  ce 
dernier  par  Lelong.  Les  Allegorise  imprimées  sont-elles 
de  Barthélémy  d'Angleterre  ?  Nous  en  doutons  très 
fort,  car  leur  auteur  fait  des  emprunts  à  des  écrivains 
postérieurs  en  date  à  Barthélémy,  par  exemple,  il 
cite  un  Guillaume  «  de  Cailloe  »,  que  nous  croyons  être 
Guillaume  de  Cayeux,  qui  vivait  à  la  fin  du  xivc  siècle, 
et  un  Pierre  de  Ravenne,  qui  pourrait  bien  être  celui 
qui  écrivait  un  siècle  plus  tard.  Tilman  considérait  ce 
livre  comme  un  ouvrage  récent.  Peut-être  l'ouvrage 
authentique  de  Barthélémy  se  retrouverait-il  dans  le 
manuscrit  14S  de  la  bibliothèque  communale  d'Assise, 
jadis  du  sacré  couvent,  où  se  trouve  un  traité  intitulé  : 
Allegorise  Veteris  et  Xovi  Testament/' ;  toutefois  V Incipil 
qu'en  donne  Sbaraglia  nous  en  fait  douter.  Quant  aux 
Sermones,  Postillœ,  Chronicon  de  sànctis,  etc.,  qu'on 
attribue  encore  à  Barthélémy,  les  indications  sont  trop 
sommaires  pour  permettre  un  jugement.  Enfin  le  livre 
Contra  Laurentium  Vallam,  que  Wadding  inscrit  encore 
sous  son  nom,  ne  peut  être  ni  du  vrai  Barthélémy 
d'Angleterre,  ni  du  problématique  Barthélémy  de 
Glan ville,  qui  aurait  vécu  en  13(50,  car  Valla  lui  est  de 
cent  ans  postérieur.  Il  fut  écrit  par  un  autre  Barthélémy 
Fado  de  Gènes.  Le  vrai  et  authentique  Bartholomseus 
Anglicus  ne  serait-il  l'auteur  que  du  Propriétaire  des 
choses,  cela  suffit  à  sa  mémoire,  car  cela  lui  a  valu  le 
titre  honorifique  de  Magister  de  propriclcdibus. 

Wadding,  Annales  minorant,  an.  1231  et  1367;  Scriptores 
ord.  minorant,  Rome,  1650;  Sbaraglia,  Supplemenlum  el 
castigalio  ad  scriptores  ord.  min.,  Rome,  1807;  nouv.  édit., 
Rome,  1908;  Hilarin  Felder  de  Lucernc,  Histoire  des  études 
dans  l'ordre  de  S.  François,  Paris,  1908,  p.  259-286;  L.  De- 
lisle, Histoire  littéraire  de  la  France,  Paris,  1888,  t.  xxx, 
p.  352;  Servais  Dirks,  Histoire  littéraire  et  bibliographique  des 
Irèrcs  mineurs  de  l'observance  en  Belgique,  Anvers,  1886, 
p.  29;  Pierre  Ridolfi  de  Tossignano,  Ilistoriarum  seraphicx 
religionis  libri  1res,  Venise,  1536,  col.  311;  Leto  Alessandri, 
Inventario  delV  antica  bibliolheca  del  S.  convenlo  di  Assisi, 
compilalo  nel  1381,  Assise,  1906. 

P.  Edouard  d'Alençon. 

GLAS  Jean,  sectaire  écossais  (f  1773),  naquit  en 
1695  dans  le  comté  de  Fifeshire,  et  exerça  quelque 
temps  le  ministère  dans  une  paroisse  presbytérienne. 
11  forma  parmi  ses  paroissiens  une  sorte  de  confrérie 
dont  les  membres  se  réunissaient  pour  célébrer  la 
cène  une  fois  par  mois.  Ce  fut  probablement  dans  ces 
réunions  qu'il  exposa  des  principes  sur  la  consti- 
tution de  l'Église  qui  le  firent  déposer  du  ministère 
par  l'assemblée  générale  des  presbytériens,  en  1730. 
D'après  lui,  chaque  Église  particulière  était  indé- 
pendante et  pouvait  se  gouverner  à  sa  guise;  il  niait 
en  particulier  que  l'État  eût  aucun  droit  de  se  mêler 
des  affaires  de  l'Église.  Sa  doctrine  théologique  était 
une  sorte  de  calvinisme.  Il  établit  à  Dundee  une  Église 
séparée,  dont  les  membres  se  faisaient  remarquer  par 
des  pratiques  spéciales.  Leur  principal  acte  de  culle 
était  la  cène,  qu'ils  célébraient  tous  les  dimanches, 
et  ils  s'appliquaient  à  reproduire  ce  qui  se  faisait  aux 
temps  apostoliques.  Ils  célébraient  des  agapes,  et 
avaient  le  baiser  de  paix:  ils  s'abstenaient  de  sang  et 
de  la  chair  des  animaux  étouffés  ;  ils  pratiquaient  autant 
que  possible  la  communauté  des  biens.  Glas  mourut 


i::s:. 


GLAS      -  GLOIRE 


1386 


en  1773.  Ses  disciples,  qui  existent  encore  en  petit 
nombre,  portent  en  Ecosse  le  nom  de  glassistes.  On 
les  appelle  sandemaniens  en  Angleterre  et  en  Amé- 
rique, où  la  secte  fut  introduite  par  son  gendre  San- 
deman.  Ses  ouvrages  parurent  à  Edimbourg  en  17G1; 
une  seconde  édition  en  5  vol.  fut  publiée  à  Dundee 
en  1782.  Son  Trealisc  on  ihe  Lord's  supper,  Edim- 
bourg, 1743,  a  été  réimprimé  à  Londres  en  18S3. 

Dictionary  of  national  biography,  Realencyclopàdie  fiir 
protestant  ische  Théologie  und  Kirche,  3e  édit.,  art.  Sande- 
manier;  Hunt,  Religious  Ihought  in  England. 

A.  Gatard. 

GLEY  Gérard,  né  à  Gérardmer  (Lorraine),  le 
24  mars  1761,  de  parents  pauvres,  reçut  les  premières 
leçons  de  latinité  du  vicaire  de  la  paroisse,  qui  avait 
été  frappé  de  la  justesse  de  ses  réponses  au  caté- 
chisme. Entré  au  collège  deColmar  en  1777,  il  y  donna 
des  leçons  pour  subvenir  à  son  entretien;  il  y  fit  la 
philosophie  et  y  commença  la  théologie,  qu'il  alla 
terminer  à  Strasbourg  en  1781.  Dès  lors,  il  fut  ré- 
pétiteur, et  en  1783,  il  enseigna  la  philosophie  et  les 
mathématiques.  En  1785,  il  présenta  une  thèse  pour 
la  licence  en  philosophie.  Ordonné  prêtre,  le  24  sep- 
tembre 1785,  il  fut  nommé  vicaire  à  la  paroisse  Saint- 
Martin  de  Saint-Dié.  Il  fut  professeur  de  philosophie 
et  de  théologie  au  grand  séminaire  de  la  même  ville, 
en  1787.  Il  était  aussi  examinateur  synodal.  Il  refusa 
de  prêter  le  serment  de  fidélité  à  la  constitution  civile 
du  clergé  en  1791  et  il  s'expatria  en  1792  en  Allemagne. 
Après  avoir  fait  l'instruction  de  quelques  enfants  à 
Cologne,  il  s'établit,  en  1794,  à  Bamberg,  où  il  obtint 
une  chaire  de  langues  étrangères  à  l'université.  A  la 
demande  de  l'évêque  du  diocèse,  il  fonda,  en  1795, 
un  journal  allemand  qui  eut  une  grande  diffusion.  Il 
trouva  dans  les  archives  de  la  cathédrale  une  para- 
phrase des  Évangiles  en  langue  francique  de  l'époque 
de  Louis  le  Pieux,  qui  fut  transférée  à  Munich  en  1802, 
quand  Bamberg  fit  partie  de  la  Bavière,  puis  en  1806 
à  Paris,  où  elle  se  trouve  à  la  bibliothèque  de  l'Institut. 
On  lui  refusa  l'autorisation  d'en  publier  une  traduc- 
tion allemande.  Le  maréchal  Davoust,  passant  à  Bam- 
berg au  mois  d'octobre  1806,  voulut  que  l'abbé  Gley 
l'accompagnât  dans  la  campagne  de  Prusse  et  de  Po- 
logne. Dans  ses  courses  à  la  suite  de  l'armée  française, 
Gley  visita  les  bibliothèques  de  diverses  contrées.  Au 
nom  du  maréchal,  il  administra  la  principauté  polo- 
naise de  Lowicz  en  Mazovie,  et  il  fut  choisi  par  le 
gouverneur  de  Varsovie  comme  inspecteur  de  l'ins- 
truction publique.  Au  mois  d'octobre  1809,  il  lit  le 
voyage  de  Cracovie  et  de  Vienne.  Il  revint  en  1811 
en  Pologne  qu'il  quitta  en  1812,  lors  de  la  retraite  de 
Moscou,  pour  rentrer  en  France.  II  avait  traduit  en  fran- 
çais Y  Histoire  de  Pologne  d'Adam  Naréiswicz.  Le  22  sep- 
tembre 1813,  il  fut  nommé  principal  du  collège  de  Saint- 
Dié  et  il  travailla  avec  zèle,  mais  sans  succès,  à  l'établis- 
sement d'un  petit  séminaire  dans  cette  ville.  Voir  sa 
correspondance  avec  Grégoire  à  ce  sujet,  dans  le  ms.  958 
de  la  bibliothèque  municipale  de  Nancy.  Il  fut  mis  à  la 
tête  des  collèges  d'Alençon  (1815),  de  Moulins  (1817) 
et  de  Tours  (1818).  Révoqué  en  1823,  il  se  retira  à 
Paris,  au  séminaire  des  Missions  étrangères.  En  1824, 
il  fut  nommé  chapelain  des  Invalides,  et  il  mourut 
le  11  février  1830.  Il  était  membre  de  la  Société  royale 
des  amis  des  sciences  de  Varsovie  et  chanoine  hono- 
raire de  Gap. 

Sans  parler  de  ses  ouvrages  de  grammaire,  de 
littérature  et  d'histoire  profanes,  il  a  publié  :  In 
Elcmenla  philosophiez  lentamen,  in-8°,  Paris,  1817; 
Historia  philosophiœ,  in-12.  Tours,  1822;  Philosophiœ 
Turonensis  instituliones  ad  usum  collegiorum  el  semi- 
nariorum,  3  in-12,  Paris,  1823-1824;  Histoire  de  noire 
Sauveur  exposée  d'après  le  texte  des  saints  Évangiles 
selon    l'ordre    chronologique    des    faits,    distribuée    en 


60  instructions  cl  précédée  d'une  harmonie  des  quatre 
evangélistes,  2  in-12,  Tours,  1819;  Doctrine  de 
l'Église  de  France  sur  l'autorité  des  souverains  pontifes 
et  sur  celte  du  pouvoir  temporel  conforme  à  l'enseigne- 
ment de  l'Église  catholique  sur  les  lettres  de  M.  d'Aviau, 
archevêque  de  Bordeaux,  in-8°,  Paris,  1827;  Journée  du 
soldai  chrétien,  sanctifiée  par  les  bonnes  œuvres  et  par 
la  prière,  offerte  à  l'armée,  in-32,  Paris,  1827;  Obser- 
vations  où  l'on  examine  les  faits  et  principes  exposés 
dans  le  Mémoire  présenté  au  roi  par  les  évêques  de 
France  au  sujet  des  ordonnances  du  16  juin  1S2S,  in-12, 
Paris,  1828;  M.  l'abbé  Dumonleil.  sa  cause  devant  les  tri- 
bunaux, ses  défenseurs,  leurs  plaidoyers.  Mémoire  pour 
l'Église  catholique  présenté  à  M.  le  premier  président  el 
MM.  les  conseillers  de  la  cour  royale  de  Paris,  les 
premières  el  troisièmes  chambres  réunies,  in-8°,  Paris, 
1828.  L'abbé  Gley  a  donné  aussi  plusieurs  biographies 
historiques  à  la  Biographie  universelle  de  Michaud  et 
au  Bulletin  des  sciences  de  Férussac. 

A.  G.,  Notice  sur  l'abbé  Gley,  in-18,  Épinal,  183G;  Bio- 
graphie universelle,  t.  lxv,  p.  430-434;  Nouvelle  biographie 
générale,  t.  xx,  col.  818-820;  Feller,  Dictionnaire  historigne, 
Paris,  1848,  t.  iv,  p.  135;  Hurter,  Nomenclator,  1912,  t.  v, 
col.  944-945;  E.  Martin,  Histoire  des  diocèses  de  Tout,  de 
Nancy  et   de  Saint-Dié,  Nancy,  1903,  t.  m,  p.  52,297,  461. 

E.  Mangenot. 

GLOIRE.  On  appelle  gloire  l'éclat  qui  s'attache  à 
quelqu'un  à  cause  de  l'excellence  bien  connue  de  son 
élat,  de  ses  mérites,  de  ses  actions.  De  là.  cette  défi- 
nition  empruntée  par  saint  Thomas  à  saint  Augustin  : 
clara  cum  lande  nolilia  de  bono  alicujus,  ou  encore  cette 
autre,  empruntée  par  saint  Augustin  à  Cicéron,  De 
invenlionc,  1.  II,  c.  i.v  :  frequens  de  aliquo  fama  cum 
liude.  Cf.  S.  Augustin,  Cont.  Maximinum,  1.  II, 
c.  xiii,  P.  L.,  t.  xlii,  col.  770;  In  Joannis  evangelium, 
tr.  C,  n.  1;  CV,  n.  2,  P.  L,  t.  xxxv,  col.  1891,  1905;  De 
diversis  quœstionibus,  q.  xxxi,  n.  3,  P.  L.,  t.  xl,  col.  22; 
S.  Thomas,  Sum.  thcol.,  I»  IF,  q.  n,  a.  3;  P  IF,  q.  cm, 
a.  1,  ad  3"";  q.  cxxxn,  a.  1;  Cont.  gentes,  1.  III, 
c.  xxix;  De  malo,  q.  ix,  a.  1.  Lcssius,  In  /""  /F  Sum. 
S.  Thomœ,  q.  i,  deullimo  fine.  a.  8,  ne  fait  que  reproduire 
la  définition  de  saint  Thomas, en  faisant  toutefois  ressor- 
tir l'élément  spécifique,  la  connaissance.  La  gloire,  dit-il, 
est  NOT1T1A  de  alicujus  excellentia  pamens  amorem,  vene- 
rationem  el  laudem. 

La  gloire  peut  être  tout  d'abord  interne,  gloria 
inlrinscca,  ou  extérieure,  gloria  exlrinseca.  La  gloire 
est  interne,  quand  elle  résulte  de  la  connaissance  et  de 
l'estime  que  l'être  intelligent  a  de  lui-même,  de  sa  propre 
excellence.  Elle  est  extérieure,  quand  elle  résulte  de  la 
manifestation  faite  a  autrui  des  dites  perfections. 

De  plus,  gloire  interne  et  gloire  extérieure  peuvent 
être  envisagées  sous  leur  aspect  objectif  ou  fondamental 
ou  sous  leur  aspect  formel.  La  gloire  objective  ou 
fondamentale  est  constituée,  comme  l'indique  le  nom, 
par  l'objet  lui-même,  fondement  de  la  gloire  formelle. 
Cet  objet,  fondement  de  la  gloire  formelle,  c'est 
l'excellence  môme  de  l'être  glorifié,  excellence  qui,  une 
fois  connue,  lui  attire  louanges,  honneur,  amour,  soit 
de  lui-même,  soit  des  autres  êtres.  La  gloire  est  formelle 
lorsqu'elle  procède  de  l'intelligence,  c'est-à-dire  lors- 
qu'à la  gloire  fondamentale  s'ajoute  la  connaissance 
qui  entraîne  à  sa  suite  louanges  et  honneur.  Clara  cum 
laude  nolilia  se  rapporte  donc  à  la  gloire  formelle, 
de  bono  alicujus  indique  le  fondement  de  cette  gloire. 
Lessius,  loc.  cit.,  et  De  perfectionibus  moribusque 
divinis,  1.  XIV,  c.  i,  n.  7. 

Ces  principes  généraux  rappelés,  il  faut  examiner 
successivement  :  I.  La  gloire  de  Dieu.  II.  La  gloire  des 
élus.  III.  La  gloire  humaine. 

I.  GLOIRE  DE  DIEU. —  L  Dans  la  théologie.  II.  Dans 
l'Écriture  et  chez  les  juifs. 


1387 


GLOIRE 


1388 


I.  Dans  la  théologie.  —  La  théologie  s'occupe  de 
la  gloire  interne  et  de  la  gloire  extérieure  de  Dieu. 

r°  Gloire  interne  de  Dieu.  —  Le  fondement  de  cette 
gloire,  c'est  l'essence  même  divine,  laquelle  est  la 
peifec'tion  absolue.  La  connaissance  que  Dieu  a  de 
lui-même  et  de  ses  perfections  in  Unies  engendre  la 
gloire  divine  interne,  prise  dans  son  acception  formelle. 
Et  comme  tout  est  un  en  Dieu,  Dieu  est  sa  gloire,  il 
est  la  Gloire,  comme  il  est  l'Être,  la  Vérité,  l'Éternité. 
Il  est  la  gloire  à  l'exclusion  de  tout  autre  être,  parce 
que  seul  il  est  le  bien  absolu  et  que  seul  il  peut  avoir  de 
ce  bien  absolu  une  connaissance  parfaite  qui  entraîne 
une  louange  et  un  honneur  adéquats.  S.  Thomas, 
Expositio  omnes  S.  Pauli  epistolas,  in  Epist.  ad 
Hebneos,  c.  i,  lecl.  n, 

La  gloire,  ayant  sa  raison  formelle  dans  la  connais- 
sancefqui  procède  de  l'intelligence,  c'est  au  Fils,  qui 
procède  du  Père  selon  l'intelligence,  que  l'on  rapporte 
plus  spécialement  la  gloire  dans  la  Trinité.  Il  est  le 
rayonnement  de  la  gloire  du  Père,  Heb.,  i,  2  ;  cf.  Sap.,  vu  ; 
26,  et  le  ps.  messianique  xxm,  7,  10.  Voir  F.  Prat, 
La  théologie  de  saint  Paul,  Paris,  1908,  t.  i,  p.  520; 
J.  Lebreton,  Les  origines  du  dogme  de  la  Trinité, 
Paris,  1910,  t.  i,  p.  346  sq. 

Cette  gloire  interne  de  Dieu  est  nécessaire  :  Dieu  ne 
peut  pas  ne  pas  la  vouloir  ni  la  chercher,  puisque  cette 
gloire,  c'est  lui-même,  nécessairement  connu  et  aimé 
de  lui-même.  Cf.  S.  Thomas,  Sum.  Iheol,  I»,  q.  xix, 
a.  3  ;  De  veritate,  q.  xxm,  a.  4. 

2°  Gloire  extérieure  de  Dieu.  --La  gloire  interne 
eût  pu  suffire  à  Dieu,  car,  comme  Dieu,  elle  est  infime  et 
on  ne  lui  peut  rien  ajouter.  Lessius,  De  perlectionibus 
moribusque  divinis,  loc.  cit.  Mais  cependant,  sans  rien 
ajouter  au  bonheur  de  Dieu,  la  gloire  peut  se  mani- 
fester à  l'extérieur  par  des  créatures  qui  rendent  témoi- 
gnage à  la  bonté  du  créateur.  Cette  gloire  extérieure 
n'est  pas  nécessaire  d'une  nécessité  absolue,  la  création 
étant  un  acte  essentiellement  libre,  voir  Création, 
t.  m,  col.  2139-2150;  mais  elle  est  nécessaire  d'une 
nécessité  hypothétique.  Voir  Absolument,  1. 1,  col.  137- 
138.  Étant  donné  qu'il  existe  des  créatures,  ces  der- 
nières ne  peuvent  pas  ne  pas  être  ordonnées  à  la  gloire 
extérieure  de  Dieu  comme  à  leur  fin  dernière.  Voir 
Création,  t.  m,  col.  21G7  sq.;  Fin  dernière,  t.  v, 
col.  2485.  C'est  là  une  vérité  de  foi,  définie  par  le 
concile  du  Vatican,  sess.  m,  De  Deo,  rerum  omnium 
crealore,  can.  5,  Denzinger-Bannwart,  n.  1805. 

1.  Gloire  extérieure  objective  ou  fondamentale.  — 
Les  créatures  inintelligentes  ne  peuvent  être  ordonnées 
qu'à  la  gloire  extérieure  fondamentale  ou  objective, 
puisqu'elles  resteront  toujours  un  simple  reflet  des 
perfections  divines  et  ne  pourront  apporter  par  elles- 
mêmes  à  Dieu  le  tribut  d'une  louange  ou  d'un  amour 
voulus  et  conscients.  Elle  manifesteront  donc  simple- 
ment la  bonté  et  l'excellence  de  Dieu  au  regard  des 
créatures   intelligentes. 

2.  Gloire  formelle  extérieure.  Les  créatures 
intelligentes  —  il  faut  se  rappeler  que  leur  existence, 
même  dans  l'hypothèse  de  créatures  intelligentes 
déjà  existantes,  n'est  pas  certainement  nécessaire, 
voir  Création,  t.  m,  col.  2168  —  sont  données  à  la 
gloire  extérieure  formelle  de  Dieu,  parce  qu'étant 
douées  de  raison,  elles  peuvent  et  doivent  reconnaître 
la  bonté  du  créateur,  reflétée  dans  les  créatures,  et 
en  exprimer  à  Dieu  leurs  louanges  et  leur  gratitude. 
Cf.  I  Cor.,  xi,  7.  Voir  les  textes  des  Pères,  t.  m,  col. 
2165-2166.  Citons  toutefois  ou  rappelons,  comme  se 
rapportant  plus  directement  à  la  question  présente, 
S.  Grégoire  de  Nazianze,  Orat.,  xxxvm,  c.  ix,  P.  G., 
t.  xxxvi,  col.  320;  Tertullien,  Apologeticus,  c.  xvn, 
/'.  L.,  t.  i,  col.  375  sq.;  S.  Théophile,  Ad  Aulol.,  1.  I, 
c  iv  sq.,  P.  G.,  t.  vi,  col.  1029  sq.;  S.  Jean  Chryso- 
stome,  In  Epist.  1  ad  Cor.,  homil.  v,  n.  2,  P.  G.,  t.  lxi, 


co!.  41-42;  S.  Grégoire  de  Nysse.  In  verba  :  Faciamus 
homincm,  homil.  n,  P.  G.,  t.  xliv,  col.  277  sq.  ;  surtout 
Athénagore,  voir  Création,  t.  m,  col.  2165-2166,  et 
Lactance,  De  via  Dei,  c.  xiv,  P.  L.,  t.  vu,  col.  122  sq. 

La  distinction  entre  la  gloire  fondamentale,  fin  des 
créatures  inintelligentes,  et  la  gloire  formelle,  fin  des 
créatures  intelligentes,  est  esquissée  par  saint  Thomas, 
Sum.  theol.,  I",  q.  lxv,  a.  2,  et  mieux  marquée  par 
Lessius,  loc.  cil.  Cf.  A.  Ferretti,  Institutiones  philo- 
sophie moralis,  Rome,  1899,  t.  i,  th.  m;  D.  Palmieri, 
Traclatus  de  creatione,  Prato,  1910,  th.  xi. 

A.    Michel. 

IL  Dans  l'Écriture  et  chez  les  juifs.  —  Un  coup 
d'œil  même  rapide  sur  une  concordance  montre  la 
grande  place  qu'occupe  l'expression  gloire  de  Dieu  dans 
la  littérature  biblique.  Peu  de  mots  se  trouvent  aussi 
souvent  répétés  dans  les  saints  Livres,  surtout  dans 
l'Ancien  Testament.  Il  en  est  peu  aussi  qui  aient  une 
valeur  comparable  pour  qui  veut  approfondir  l'histoire 
de  la  théodicée  dans  la  religion  d'Israël.  C'est  à  ce 
point  de  vue  que  nous  nous  placerons  de  préférence, 
sans  négliger  toutefois  l'usage  parallèle  qu'en  ont  fait 
les  auteurs  du  Nouveau  Testament.  D'une  façon 
générale,  le  mot  gloire  de  Dieu,  tel  qu'on  le  trouve  dans 
la  Bible,  peut  se  ramener  à  deux  significations  prin- 
cipales, l'une  sortant  de  l'autre  par  voie  d'analogie 
d'attribution.  Le  premier  sens,  Vanalogue  principal, 
s'identifie  avec  la  manifestation  de  Dieu  à  ses  créatures, 
dans  la  nature  et  dans  l'histoire;  le  second,  analogue 
dérivé,  avec  la  manifestation  de  la  créature  à  l'égard  de 
Dieu.  Les  deux  sens  s'appellent  et  se  répondent  ainsi 
d'une  manière  symétrique.  L'intérêt  se  porte,  de  toute 
évidence,  vers  la  première  signification,  l'autre  n'étant 
qu'accessoire.  On  va  en  suivre  les  diverses  vicissitudes 
à  travers  l'Ancien  Testament,  la  théologie  juive 
postexilienne  et  le  Nouveau  Testament. 

1°  Dans  l'Ancien  Testament.  —  L'expression  gloire 
de  Dieu  correspond  à  ce  que  les  anciens  Hébreux 
appelaient  kâbôd  Yehôvâh,  c'est-à-dire  la  lumière 
éblouissante  qui,  dans  les  théophanies,  révélait  la 
présence  de  Jahvé.  Cette  conception  fut  empruntée,  dès 
l'origine,  aux  éclairs  et  aux  traits  de  feu  de  l'orage.  La 
tradition  israélite,  aussi  loin  qu'on  puisse  la  saisir, 
a  coutume  d'associer  les  apparitions  divines  aux 
phénomènes  météréologiques.  Jahvé  est  essentielle- 
ment, pour  les  Hébreux,  un  Dieu  de  flamme,  Exod., 
xix,  19;  le  tonnerre  est  sa  voix,  à  ce  point  que  l'hébreu 
n'a  pas,  pour  désigner  la  foudre,  d'autre  mot  que  celui 
de  qôl  lahvê,  voix  de  Jahvé.  Ce  Dieu  a  pour  vêtement 
la  nuée  sombre,  Ps.  cxvi,  21,  pour  armes  de  vengeance, 
la  grêle  et  les  traits  de  la  foudre.  Exod.,  ix,  23,  24,  29; 
Ps.  xvn,  13.  Il  n'apparaît  jamais  sans  orage  et  sans 
tremblement  de  terre.  Sa  demeure  principale,  même 
après  le  séjour  des  Israélites  dans  le  désert,  est  toujours 
le  Sinaï.  Jud.,  v,  5.  Là,  il  réside  au  sein  de  la  foudre; 
de  là,  il  accourt  avec  fracas  quand  son  peuple  a  besoin 
de  lui.  Il  vient  du  sud,  du  côté  de  Séïr  et  de  Pharan, 
Deut.,  xxxm,  2;  il  éclate  comme  une  aurore  boréale; 
la  terre  tremble,  c'est  le  signal  des  jugements  qu'il 
va  exercer  pour  venger  Israël.  Cf.  Jud.,  v,  4;  Ps.  lxvii. 
Deux  psaumes,  xvn  et  xxviii,  d'une  très  haute 
antiquité,  réunissent  à  merveille  toutes  ces  images 
et  ces  conceptions;  les  lire  in  extenso  dans  la  belle 
traduction  de  M.  Pannier,  Le  nouveau  psautier  du  bré- 
viaire romain,  Lille,  1913,  p.  70,  82.  On  les  retrouve 
éparses,  mais  toujours  les  mêmes,  dans  tout  le  cours 
de  l'histoire  sacrée.  Ainsi,  sur  le  seuil  du  paradis 
terrestre,  c'est  un  feu  vengeur  qui  en  interdit  l'accès 
à  Adam  et  Eve  après  leur  faute.  Geu.,  ni,  24.  C'est 
sous  l'apparence  d'une  flamme  que  Dieu  se  révèle  à 
Abraham.  Act,  vu,  2;  Gen.,  xv,  17.  Au  temps  des 
patriarches,  on  se  représente  Jahvé  mangeant  le  sa- 
crifice, au  moment  où  la  flamme  dévore  la  victime, 


1389 


GLOIRIÎ 


1390 


humant    la  fumée  de  l'holocauste,  y  prenant    plaisir. 
Gen.,  vm,  21.  Parfois,  on  voit  Dieu  monter  dans  la 
flamme  du  sacrifice  et  disparaître  avec  la  langue  de 
feu  qui  s'élève  de  l'autel.  Jud.,  xm,  15  sq.  C'est  peut- 
être    parce    que    Dieu    apparaissait    comme    un     feu 
dévorant  et  un   Dieu  de  foudre,  qu'on   craignait  de 
mourir  si  l'on  venait  à  le  voir  ou  à  s'approcher  de  lui. 
Exod.,  m,  G;  xix,  12;  xxiv,  2;  Jud.,  vu,  22;  xm,  22. 
Sa   lumière  est  si  vive  qu'on  n'osait  pas  regarder  sa 
face,  Exod.,  xxxm,  20-23;  Is.,  vi,  2;  III  Reg.,  xix, 
13;  et  que  ceux  qui,  comme  Moïse,  avaient   vu   seu- 
lement une  partie  de  sa  gloire,  en  gardaient  un  reflet 
qui  éblouissait  les  autres  mortels.  Exod.,  xxxiv,  29, 
35.  C'est  surtout  à  l'époque  sinaïtique  que  se  multiplie 
ce  genre  d'apparitions,  toutes  qualifiées  de  gloire  de 
Dieu.  Le  Dieu  du  Sinaï  est  un  Dieu  de  foudre.  Les 
théophanies  se  font  dans  l'orage  au  milieu  des  vives 
et   fulgurantes   clartés    de   l'éclair.    La   première  fois 
qu'il  apparaît  à  Moïse,  c'est  sous  la  forme  d'un  feu. 
Exod.,  m,  1  sq.  Quand  Moïse  voulut  le  voir,  Dieu  la 
prit,  le  plaça  dans  un  trou  de  rocher,  où  il  le  fit  tenir 
debout,  le  couvrit  de  sa  large  main  ouverte  et  passa; 
il  retira  alors  sa  main,  si  bien  que  Moïse  le  vit  par 
derrière.  Exod.,  xxxm,  18-23.  D'autre  fois,  la  gloire 
de  Dieu  produisait  l'éblouissement  de  l'azur.  Un  joui- 
Moïse,  Aaron  et  les  principaux  d'Israël  gravirent  la 
montagne    et    virent    Dieu.    Sous    ses    pieds,    c'était 
comme  un  dallage  de  saphir,   comme  l'éclat  du  ciel 
même.  Exod.,  xxiv,  1,  2.  9-11,  Dans  la  marche  des 
Israélites  à  travers  le  désert,  .lahvé  accompagne  son 
peuple  sous  la  forme  d'une  colonne,  sombre  pendant 
le  jour,  comme  la  colonne  de  fumée  des  caravanes, 
lumineuse  pendant  la  nuit,  comme  les  falots  enflammés 
qui   servent   de   signe   de  ralliement   aux  tribus   qui 
voyagent  de  nuit  dans  ces  immensités.  Exod.,  xm, 
21  ;    cf.    xxxm,    9.    A   plusieurs   reprises,    durant   ce 
voyage,  la  gloire  de  Dieu  apparut  pour  réprimer  les 
murmures  du  peuple  et  punir  ses  rébellions.  Exod.,  xvi, 
7-10;  Num.,  xiv,  10;  xvi,  19-42.  Après  la  construction 
du  tabernacle,  Jahvé,  ou  plutôt  sa  gloire,  siège  sur 
l'arche,  entre  les  ailes  des  deux  chérubins,  formant 
socle  et   lui  servant  de  trône.  I   Reg.,  iv,  4;  II  Reg., 
vi,  2;  Ps.  lxxix,  2;  xcvm,  1.  Au   temps   des   juges, 
Jahvé  se  révèle  de  préférence  par  une  sorte  de  double 
qu'on   appelle    le  male'âk   Jahvé,  sans   doute  l'ange 
chargé  de  porter  ses  ordres.  Souvent  il  est  difficile  de 
savoir  si  ce  male'âk  se  distingue  de  Jahvé  lui-même. 
Voir  vision   de  Manuel.  Jud.,  xm.  Le  male'âk  Jahvé, 
en  tous  cas,  était  alors  l'agent  divin,  toutes  les  fois 
que  Dieu  entrait  en  rapport  avec  l'homme.  Ce  mode 
de  révélation  n'était  pas  tout  à  fait  nouveau  et  s'élait 
produit,  mais  plus  rarement  peut-être,  au  temps  des 
patriarches.  Gen.,  xxn,  15-18.  A  partir  delà  construc- 
tion du  temple  par  Salomon,  Jahvé  est  dit  demeurer 
dans  le  debir,  assis  entre  les  ailes  des  anciens  chérubins 
de  l'arche  :  là  siégeait,  dans  une  ombre  mystérieuse, 
la  gloire  de  Jahvé;  une  nuée  permanente  remplissait 
le  sanctuaire  et  rappelait  ceDe  du  tabernacle.  Lev.,  xvi, 
2.  Jahvé  résidait  là;  aucun  œil  humain  ne  le  voyait. 
Plus  tard,  il  ne  fut  permis  qu'au  grand-prêtre  d'entrer 
dans  le  debir,  une  fois   l'an.   Les   prophètes,  dans  le 
récit   de  leurs  visions,   décrivent  la  gloire    de  Dieu, 
telle  qu'elle  leur  est  apparue,  avec  un  appareil  d'images 
à  peu  près  le  même  :  lumière  éclatante,  gerbes  de 
flammes,  chars  de  feu,  nuées,  orages,  éclairs.  Isaïe  et 
Ézéchiel  surtout  fournissent  ces  descriptions   :   qu'on 
relise,  par  exemple,  la  vision  inaugurale  d' Isaïe,  vi,  ?,, 
et    celle    de  l'annonce  du  jugement,   n,  10-21.    Une 
mise  en  scène  analogue  se  retrouve  dans  la  première 
vision   d'Lzéchiel,  i,  28;  m,  23.  La  gloire  de  Dieu  s'y 
présente,  sur  les  bords  du  fleuve   Chobar,  avec  l'éclat 
de  l'arc-en-ciel.  Le  prophète  la  vit  ensuite  se  diriger 
vers  le  temple  sous  forme  de  nuée,  vm,  4;  x,  4, 18.  Plus 


tard,  il  en  reparle  à  propos  des  plans  de  restauration 
du  nouveau  temple  :  la  gloire  de  Dieu  s'avance  du 
levant  et  elle  entre  par  la  porte  orientale  pour  remplir 
tout  l'édifice  de  sa  splendeur,  xliii,  45.  Aggée  fait  à 
peu  près  la  même  prédiction,  n,  8.  De  là,  chez  les 
juifs,  les  expressions  classiques  :  le  temple  de  la  gloire, 
Dan.,  m,  53;  la  gloire  du  temple.  Esther,  xiv,  9.  Un 
des  derniers  chapitres  d' Isaïe,  îx,  1,  2,  prédit  enfin 
que  la  gloire  de  Dieu  se  lèvera  sur  Jérusalem  restaurée. 
Le  livre  des  Psaumes  et  l'Ecclésiastique  comptent 
aussi  parmi  les  livres  de  l'Ancien  Testament  où  l'ex- 
pression gloire  de  Dieu  se  retrouve  le  plus  grand  nombre 
de  fois,  mais,  la  plupart  du  temps,  avec  le  sens  dérivé, 
par  exemple,  quand  ils  exhortent  toutes  les  créatures 
à  louer  Dieu,  à  l'honorer,  à  le  remercier,  Ps.  xxvm, 
2,  9;  lxvii,  35;  lxx,  8;  xcv,  3,  8;  cm,  31,  etc.;  quand 
ils  parlent  de  la  gloire  des  saints,  reflet  et  participation 
de  celle  de  Dieu,  Ps.  xx,  6;  lxxxiii,  12;  cxlix,  5; 
Eccl.,  xlv,  2,  8;  li,  23;  ou  quand  ils  montrent,  dans 
les  perfections  des  créatures,  un  effet  et  une  image  de 
lagloiremêmedeDieu.Ps.  vm,  6;  xvm,  1,  2;  cvn,  6. 

2°  Dans  la  théologie   juive   poslexilienne.  —  On  sait 
qu'à  partir  de  l'exil,  la  notion  de  Dieu  revêtit,  dans 
les   targums  et,  plus  tard,  dans  l'enseignement  oral 
des  rabbins,  un  caractère  plus  prononcé  de  transcen 
dance  et  de  spiritualisation.  Dieu  n'a  plus  les  formes 
et  les  passions  humaines.  A  Alexandrie  d'abord,  en 
Palestine  ensuite,  on  aime  à  se  représenter  en  Dieu 
un   être  transcendant,   vivant   au-dessus   du  monde, 
agissant  du  haut  du  ciel,  inaccessible  à  l'œil  humain. 
Chez    Philon,    ce    mouvement    aboutit    à    son    point 
extrême    et    vient    remplacer,  par   d'ingénieux  sens 
allégoriques,   ce   que  les   anthropomorphismes   et  les 
théophanies  avaient  de  choquant  pour  des  esprits  grecs, 
habitués   au  spiritualisme    de   Platon  ou    d'Aristote. 
La  version  des  Septante  porte  elle-même  des  traces 
évidentes  et  nombreuses  de  ce  soin  à  faire  disparaître 
ou  à  atténuer  le  plus  possible,  dans  le  texte  sacré,  les 
théophanies   et   les   images   anthropomorphiques.    La 
même   préoccupation   se  fait  jour  dans   les   targums 
d'Onkelos  et  de  Jonathan.   Un    des  procédés  auquel 
on  eut  recours,  pour  adoucir  ce  que  les  apparitions 
sensibles  et  les  révélations  de  Jahvé  avaient  de  trop 
matériel,  fut  de  transformer  en  sortes   d'hypostases, 
plus    ou    moins    distinctes    de    Dieu,  certains    de   ses 
al  tributs  qu'on  détachait  du   Dieu  inaccessible    pour 
remplir,  auprès  des  hommes,  certaines  missions.   On 
personnifia  ainsi,  tour  à  tour,  la  Sagesse,  la  Parole, 
l'Esprit,  la  Demeure,  enfin,  la  Gloire  et  la  Splendeur 
de  Dieu.  Eux  seuls  étaient  censés  être  entrés  en  contact 
direct  avec  le  monde  extérieur.  Parmi  tous  ces  repré- 
sentants de  la  divinité,  la  gloire  de  Dieu  fut  un  de  ceux 
dont  le  rôle  eut  le  plus  d'action  :  c'est,  en  effet,  un 
de  ceux  dont  le  nom  revenait  le  plus  souvent  dans  les 
théophanies.  Seulement,  les  targumistes  se  mirent  à 
l'appeler  d'un  nouveau  nom;    ils  créèrent,  à  cet  effet, 
une  expression  araméenne:  la  gloire  de  Dieu,  ou  plutôt 
sa  présence,  fut  désignée  par  le   mot  Sekînâh,  tiré  du 
verbe  sâkan,  habiter,  sans  doute  en  raison  des  nombreux 
textes   de   l'Ancien   Testament,  qui   faisaient  résider 
la  gloire  de  Jahvé  dans  le  temple,  et  qui,  dans  l'hébreu, 
repèrent  chaque  fois  le  mol   Sâkan.  Cf.   Exod.,  xxv, 
8;  xxix,  45;  Num.,  v,  3;  Ps.  lxxiv,  2,  etc.  Cependant 
on  ne  susbtitua  pas  purement  et  simplement  le  mot 
sekînâh  au  mol  kâbôd  ;  ce  dernier,  à  part  une  exception, 
Zaeh.,   il,  9,   servit   encore    à   désigner  l'éclat   de  la 
présence  divine.  Les  targumistes,  en  effet,  se  mirent  à 
distinguer  ht  majesté  de  Dieu  d'avec  la  lumière  éblouis- 
sante qui  l'accompagne;  la  première  s'appela  sekînâh; 
la  seconde  retint  le  nom  primitif  de  kâbôd.  Cf.  Buxtorf, 
Lexicon  chald.  talmud.,  au  mot  Sekînâh.  Les  targums 
abondent  en  interprétations  de  ce  genre.  Ainsi,  à  propos 
du  passage  si  connu,  Is.,  lx,  2,  là  où  l'hébreu  lit  :  le 


1391 


GLOIRE 


1302 


Seigneur  se  lèvera  sur  toi  et  on  verra  sa  gloire  sur 
toi,  le  targum  traduit  :  la  Sekînâli  ilu  Seigneur  résidera 
en  toi  et  sa  gloire  (kâbôd)  brillera  sur  toi.  Là  où 
l'hébreu  semblerait  localiser  Dieu,  les  targuais  rem- 
placent le  mot  Dieu  par  l'expression  Sekînâh.  Dans  le 
Ps.  lxxiii,  2,  au  lieu  de  :  le  mont  Sion  où  lu  habites, 
les  targums  écrivent  :  où  ta  Sekînâh  habite.  Ce  n'est  pas 
Dieu,  ainsi  que  le  porte  l'hébreu,  Deut.,  xxm,  14,  qui 
se  promène  dans  le  camp  d'Israël,  comme  une  senti- 
nelle vigilante;  c'est,  d'après  Onkelos,  sa  sekînâh  qui 
est  chargée  de  ce  soin.  Lorsque  Jacob,  Gen.,  xxvm.  l(i, 
s'écrie  :  Dieu  est  dans  ce  lieu,  le  targum  lit  :  la  gloire 
de  la  sekînâh  est  dans  ce  lieu.  Quand  l'Éternel  ordonne 
aux  Israélites  de  lui  dresser  un  sanctuaire,  c'est,  d'après 
l'hébreu,  Exod.,  xxv,  8,  pour  qu'il  puisse  résider  au 
milieu  d'eux,  tandis  que,  d'après  le  targum,  c'est  pour 
que  sa  sekînâh  y  réside.  C'est  la  sekînâh  qui  siège  sur 
les  chérubins.  I  Reg.,  iv,  4;  II  Reg.,  vi,  2.  Les  targums, 
obéissant  toujours  aux  mêmes  scrupules,  n'osent  même 
pas  dire  que  Dieu  habite  dans  les  cieux;  au  lieu  de  : 
Dieu  liabite  dans  les  hauteurs  des  cieux,  Is.,  xxxm,  53, 
ils  préfèrent  :  Dieu  a  placé  sa  sekînâh  dans  les  cieux. 
Cf.  Is.,  xxxn,  15;  xxxvm,  14.  Même  procédé  là  où 
le  texte  hébreu  dit  qu'on  a  vu  Dieu,  qu'il  est  apparu  à 
quelqu'un.  Ce  n'est  pas  Dieu  qu'on  a  vu,  ou  qui  est 
apparu,  c'est  sa  sekînâh.  Is.,  vi,  5;  Exod..  ni,  G; 
Ezech.,  i,  1;  Lev.,  ix.  4.  Les  juifs  voisins  de  l'ère 
chrétienne  croyaient  que  la  gloire  de  Dieu  n'habiterait 
le  second  temple  qu'à  la  venue  du  Messie.  Ezech., 
xliii,  7,  9;  Agg.,  i,  8;  il,  9;  Zach.,  n,  10.  Le  Talmud, 
Yoma,  9b,  l'explique  par  ce  fait  que  ce  second  temple  a 
été  bâti  sous  Cyrus,  descendant  de  Japheth,  alors  que 
Dieu  n'habite  que  sous  la  tente  de  Sem.  En  somme, 
la  sekînâh  sert  aux  targumistes  chaque  fois  qu'il  y  a 
une  théophanie  réaliste  à  atténuer,  un  anthropomor- 
phisme à  supprimer.  Elle  semble  avoir  remplacé,  dans 
le  Talmud,  la  Memra  (le  verbe)  des  targums  et 
remplir  à  peu  près,  dans  la  théologie  palestinienne, 
les  mêmes  fonctions  que  le  Logos  de  Philon.  Toutefois, 
alors  que  la  Memra  des  targums  et  le  Logos  alexandrin 
sont  actifs,  la  sekînâh  est  presque  réduite  à  un  r<">le 
passif.  Mais,  quand  on  passe  des  targums  aux  Midra- 
schim  et  au  Talmud,  il  en  est  autrement  :  la  sekînâh 
cesse  d'être  inactive  et  elle  agit  comme  le  Logos  ou  le 
Rûah  (l'Esprit).  Ainsi,  le  passage  du  Lev.,  xxvi,  12  : 
«  Je  marcherai  au  milieu  de  vous  et  je  serai  votre  Dieu  » 
devenait  dans  le  targum  :  «  Je  placerai  la  gloire  de  ma 
sekînâh  parmi  vous  ;  et  ma  Memra  (parole)  sera  avec 
vous.  »  Pour  les  Midraschim  et  le  Talmud,  la  Memra 
disparait  complètement  :  il  ne  reste  que  la  sekînâh 
qui  hérite  de  son  emploi  et  de  ses  attributions.  C'est 
elle  qui  parle  à  Amos  et  aux  prophètes,  Pcsaehim,  73, 
et  l'expression  mizmôr  ledavid  laisse  entendre  que  la 
sekînâh  est,  dans  le  Talmud,  la  source  régulière  de 
l'inspiration  divine.  Si  le  grand-prêtre  Élie  s'est 
mépris  sur  Anne,  mère  de  Samuel,  c'est  que  la  ëekînâh 
s'était  retirée  de  lui.  La  Mischna  a  été  donnée  par  Moise 
sous  les  auspices  de  la  sekînâh.  Le  Pirké  Aboth,  ni,  3, 
dit  que,  si  deux  ou  plusieurs  hommes  se  réunissent 
pour  s'occuper  de  la  Loi,  la  sekînâh  est  au  milieu  d'eux, 
sentence  qui  rappelle  Matth.,  xvm,  20.  Les  rabbins 
enseignaient  que  la  sekînâh  était  toujours  présente 
dans  les  synagogues,  dans  les  écoles,  dans  les  maisons 
des  hommes  pieux.  Sota,  17  a.  On  croyait  généra- 
lement fine  la  sekînâh  n'habitait  point  le  second 
temple,  mais  on  disait  qu'elle  était  partout  inséparable 
d'Israël;  elle  avait  accompagné  les  tribus  dans  l'exil 
à  Babylone  et  elle  était  présente  dans  la  Diaspora, 
partout  où  il  y  avait  une  colonie  d'enfants  d'Israël. 
Les  juifs  croient  encore  aujourd'hui  que  la  sekînâh, 
après  la  destruction  du  temple  par  Titus,  ne  s'est  pas 
retirée  de  Jérusalem  et  qu'elle  continue  à  couvrir  le 
mur  ouest.  Cf.  Weber,  Altsyn.  Theol.,  2e  édit.,  p.  (12. 


L'activité  de  la  sekînâh  s'étendait  jusqu'au  sehôl; 
c'est  elle,  d'après  certains  rabbins,  qui,  au  dernier  jour, 
délivrera  de  la  géhenne  les  Juifs  que  leurs  fautes  y 
auront  tenus  enchaînés;  ils  sortiront  de  là  ayant  à 
leur  tête  la  sekînâh.  Weber,  op.  cit.,  p.  3G8.  Voir  t.  v, 
col.  2374-2375. 

3°  Dans  le  Nouveau  Testament.  —  En  passant  de 
l'hébreu  ou  de  l'araméen  au  grec,  la  kâbôd  Yehôvâh 
et  la  sekînâh  deviennent  la  3oEa  tou  8eo3,  avec  les 
mêmes  sens  et  les  mêmes  acceptions;  toutefois  cette 
gloire  de  Dieu  est  mise  en  relation  spéciale  avec  le 
Christ.  Citons  d'abord  les  passages  où  l'allusion  à  la 
sekînâh  est  à  peu  près  certaine  ou  tout  au  moins 
transparente.  Entre  tous,  le  célèbre  passage  de  saint 
Jean,  i,  14  :  Et  il  a  habité  parmi  nous,  èascïjvwMV, 
et  nous  avons  vu  sa  gloire.  Le  rapprochement,  du 
verbe  grec  Èffîsr[vto<TEv  avec  le  verbe  hébreu  sâkân, 
habiter,  racine  de  sekînâh,  n'est  pas  purement  fortuit, 
mais  voulu  ou  du  moins  pensé  par  l'auteur.  L'Épître 
de  saint  Jacques,  n,  1,  identifie  le  Christ  avec  la 
sekînâh,  evexs  tt,v  t:î<jxiv  tou  xupîou  f,atôv  'Iirjao'j 
XptoToQ  [tt,ç  î'Jçr,;]  :  ayez  la  foi  de  Noire-Seigneur 
Jésus-Christ,  la  gloire.  On  peut  aussi  mettre  en 
parallèle  les  paroles  du  Pirké  Aboth  avec  Matth., 
xvm,  20;  Jésus  serait  la  sekînâh.  Cf.  I  Cor.,  n,  8,  tou 
x.'jo'.oj  Tfjç  oôEr,;.  Un  autre  texte,  tiré  de  la  I  Pet.,  iv, 
14,  semble  renfermer  la  même  idée,  mais  son  interpré- 
tation est  plus  contestable  :  to  tïjç  cdEr,;  /al  to  tou 
OsoC  nvsû'[i.a  :  l'Esprit  de  gloire  et  l'Esprit  de  Dieu. 
L'Esprit  de  gloire  serait  ici  le  Christ.  Toutefois  ce  sens 
est  douteux.  Ailleurs,  Heb.,  i,  3,  le  Christ  est  donné 
comme  la  splendeur  delà  gloire  du  Père,  à-a'j-faa;j.a  tv,; 
3d?7jç  et  ici  la  3o':a  signifie  la  divinité,  au  sens  de  la 
sekînâh  du  Talmud.  Il  est  probable  qu'en  plusieurs 
autres  endroits  du  Nouveau  Testament,  les  opinions  des 
rabbins  sur  la  sekînâh  ont  une  répercussion  sensible. 
Entre  autres  privilèges  d'Israël,  saint  Paul  énonce 
avec  emphase,  dans  l'Épître  aux  Romains,  ix,  4, 
f,  8o?a,  la  gloire,  évidemment  la  sekînâh.  La  voix 
qui  rend  témoignage  au  Christ,  sur  le  Thabor,  et  qui 
émane  ûtzÔ  tt,ç  [j.£ya).o^p;j:oCi;  SoEr,:,  voir  II  Pet., 
r,  17;  Matth.,  xvn,  15,  reproduit  l'interprétation 
du  targum  de  Jérusalem  à  propos  de  Gen.,  xxvm,  13; 
la  gloire  de  Jahvé  dit  :  Je  suis  le  Dieu  d'Abraham. 
Il  y  a  peut-être  comme  un  reflet  des  opinions  d'écoles 
sur  l'activité  de  la  sekînâh  dans  Rom.,  vi,  4,  où 
saint  Paul  dit  que  le  Christ  est  ressuscité  d'entre  les 
morts,  par  (8tà)  la  gloire  du  Père.  Les  miracles  sont, 
dans  saint  Jean,  xi,  40,  attribués  à  la  gloire  de  Dieu. 
Tout  ce  qui  se  rapporte  au  Christ  reçoit  aussi  en 
épilhète  le  mot  gloire  :  l'évangile  de  gloire,  II  Cor., 
iv,  4;  le  ministère  de  gloire,  II  Cor.,  m,  8;  les  richesses 
de  sa  gloire,  Eph..  m,  16;  son  royaume,  le  royaume  de 
gloire.  Marc,  x,  37.  Dans  les  apparitions,  c'est  encore 
la  gloire  de  Dieu  qui  projette  ses  rayons  éblouis- 
sants, Luc,  il,  9,  /.y.\  Sofa  xupïou  7T£pi£Àajj.'|ev  aùxo-jç  ; 
c'est  elle  qui  environne  Paul  sur  la  route  de  Damas, 
qui  le  jette  à  terre  et  lui  parle.  Act.,  ix,  3-5;  xxn,  11. 
Noter  à-ô  rr,ç  So'Çtiç  tou  ç<oto;  èxsîvou.  C'est  avec 
elle  que  le  Christ  réapparaîtra  à  la  parousie  quand  il 
viendra  juger  le  monde.  Matth.,  xvi,  27;  Marc,  vm, 
38;  xin,  26.  Par  cette  énumération  de  textes,  on  a  pu 
s'apercevoir  que  l'expression  gloire  de  Dieu  n'a  pas, 
dans  la  littérature  néo-testamentaire,  un  sens  spéci- 
fiquement différent  de  celui  de  l'Ancien  Testament  et 
de  la  théologie  juive  des  siècles  qui  précèdent  immé- 
diatement l'ère  chrétienne. 

Lesêtre,  art.  Gloire  de  Dieu,  dans  le  Dictionnaire  de  lu 
Bible  de  M.  Vigouroux;  Hastings,  A  dictionarij  o/  the 
Bible,  art.  Shekinah;  Kitto,  Biblical  encyclopœdia,  t.  m, 
p.  820;  Hamburger.  Beat-Encyctopàdie  fur  Bibel  und 
Talmud,  p.  1080;  Weber,  Jiid.  Theol.  ans  Grund  des  Talmud, 
p.    182;   Gfrorer,     Urclirislenthum,    t.    i,   p.   301;   Skinner, 


L393 


GLOIRE 


1394 


Dissertation     on     the    Shekinali  ;    Vatt,     Ghry    o/    Christ; 
Lcxicons  de  Lcvy  et  de  Buxtorf. 

C.  Toussaint. 

II.  GLOIRE  DES  ÉLUS.  —  En  soi,  la  béatitude  des 
élus  dans  le  ciel  est  l'effet  immédiat  de  la  gloire  que 
Dieu  leur  communique.  Voir  S.  Thomas,  Sum.  Iheol., 
ï"  IIœ,  q.  m,  a.  3.  L'usage  autorisé  par  la  sainte  fiori- 
ture, cf.  Job,  xxn,  29;  Prov.,  m,  35;  Rom.,  v.  18; 
I  Cor.,  xv,  43;  II  Cor.,  iv,  17;  Col.,  ï,  27;  ni,  4;  I  Pet., 
v,  1,  4,  10,  veut  cependant,  Salmanticenses,  Cursus 
ineologicus,  De  beetliludinc,  a.  3,  n.  4,  que  l'on  identifie 
gloire  et  béatitude  des  élus.  L'existence  de  cette  gloire 
ou  béatitude  a  été  déjà  suffisamment  démontrée  dans 
ses  fondements  scripturaires  et  développements  patri- 
stiques,  à  l'art.  Ciel,  t.  n,  col.  2474  sq.  Cette  gloire 
n'est  pas  simplement  humaine,  puisque  essentielle- 
ment elle  est  une  participation  de  la  gloire  divine, 
participation  qui  rejaillit  même  sur  ses  éléments  ac- 
cidentels. I  Joa..  m,  2;  II  Pet.,  ï,  4.  Tout  en  lais- 
sant aux  articles  Béatitude,  Benoit  XII,  Ciel,  t.  n, 
col.  497-515,  657-690,  2474-2511;  Corps  glorieux, 
t.  m,  col.  1879-1906;  Intuitive  (Vision),  Mérite, 
Prédestination,  ce  qui  les  concerne  dans  la  question 
complexe  de  la  gloire  des  élus,  il  est  nécessaire  de  faire 
ici  comme  une  synthèse  de  tout  ce  qui  se  rapporte  à  ce 
sujet,  en  exposant  les  points  qui  ne  seront  pas  envisagés 
ailleurs.  —  I.  Gloire  essentielle.  IL  Gloire  accidentelle. 
III.  Gloire  consommée.  IV.  Degrés  de  la  gloire. 
V.  Gloire  et  grâce,  et  questions  connexes. 

I.  Gloire  essentielle  des  élus.  —  1°  Enseignement 
de  l'Église.  —  On  peut  résumer  cet  enseignement  en 
quatre  points,  lesquels  ont  déjà  été  exposés  :  1.  La 
gloire  ou  béatitude  essentielle  réside  dans  la  posses- 
sion du  souverain  bien,  Dieu.  Voir  Béatitude,  t.  n, 
col.  511,  512;  Fin  dernière,  t.  v,  col.  2496.  2.  Cette 
possession  n'est  pas  une  absorption  de  la  substance 
de  l'âme  dans  l'unité  de  la  nature  divine,  comme  l'ont 
rêvé  certains  mystiques  à  tendances  panthéistiques, 
aux  xme  et  xive  siècles.  Voir  Hckart,  t.  iv,  col.  2063, 
et  prop.  10  d'Eckart,  condamnée  par  Jean  XXII, 
Denzinger-Bannwart,  n.  510.  3.  Cette  possession 
n'exige  pas  la  réunion  du  corps  à  l'âme.  On  a  donné 
de  cette  vérité  les  preuves  scripturaires  et  patris- 
tiques  à  Benoit  XII,  t.  n,  col.  673-696.  La  preuve 
philosophique,  tirée  de  la  psychologie,  est  indiquée 
par  saint  Thomas,  Sum.  Iheol. ,  P  IIa',  q.  iv,  a.  5; 
l'intelligence,  dans  l'opération  de  la  vision  béatifique, 
sera  indépendante  de  l'imagination.  Cf.  Suarez,  De 
ullimo  fine  hominis,  disp.  XIII;  Lessius,  De  ullimo  fine 
hominis.  q.  iv,  a.  5,  n.  1.  C'est  parce  qu'ils  exigeaient 
la  réunion  du  corps  à  l'âme  pour  la  béatitude  essen- 
tielle, que  quelques  Pères  et  théologiens,  voir 
Benoit  XII,  t.  n,  col.  657,  reculaient  jusqu'au  juge- 
ment l'entrée  des  élus  dans  la  gloire.  4.  Les  témoi- 
gnages de  l'Écriture  et  de  la  tradition,  voir  Ciel, 
t.  n,  col.  2474  sq.,  indiquent  que  cette  possession 
comporte  la  vision,  l'amour  et  la  jouissance  de  Dieu 
par  l'âme  élue.  Benoit  XII  a  résumé  l'enseignement 
scripturaire  et  traditionnel  touchant  la  gloire  essen- 
tielle des  élus,  en  affirmant  qu'ils  «  voient...  la  divine 
essence  d'une  façon  intuitive  et  même  faciale  »  et  que, 
«  par  le  fait  de  cette  vision,  les  âmes  de  ceux  qui  sont 
déjà  morts  jouissent  de  la  divine  essence  et  par  le 
fait  même  de  cette  vision  et  de  cette  jouissance,  elles 
sont  vraiment  bienheureuses  et  possèdent  la  vie  et  le 
repos  éternel.  »  Denzinger-Bannwart,  n.  530.  Le  concile 
de  Florence,  dans  le  décret  pour  les  grecs,  rappelle 
cette  doctrine  en  modifiant  la  formule  de  Benoît  XII; 
les  élus  a  verront  clairement  Dieu  lui-même,  dans  son 
unité  et  sa  trinilé,  tel  qu'il  est.  »  n.  693. 

Tel  est  l'enseignement  authentique  de  l'Église; 
la  nature,  l'objet,  les  propriétés  des  actes  béatifiants, 
constituant  l'état  de  gloire,  seront  étudiés  à  Intuitive 


(  Vision).  Dans  le  présent  article,  qui  concerne  la  gloire 
essentielle  des  élus  prise  en  général,  il  suffira  de  com- 
pléter cette  vue  d'ensemble,  en  rappelant  les  systèmes 
théologiques  greffés  sur  l'enseignement  authentique 
de  l'Église. 

2°  Les  systèmes  théologiques.  —  Le  magistère  de 
l'Église  ayant  précisé  le  dogme  de  la  gloire  essentielle 
des  élus  en  indiquant  que  cette  gloire  comportait  la 
vision  et  la  jouissance  de  Dieu,  le  travail  de  la  pensée 
théologique  a  été,  depuis  le  xme  siècle,  de  vouloir  pré- 
ciser davantage  encore  cet  enseignement,  et  de  recher- 
cher l'élément  formel  ou  spécifique  de  la  gloire  essentielle 
des  élus.  De  là  des  opinions,  les  unes  communément 
abandonnées,  les  autres,  librement  encore  disputées. 

1.  Opinions  abandonnées.  —  a)  Henri  de  Gand, 
Quodlibel,  XIII,  q.  xn;  cf.  VI,  q.  vi;  Summa  quœstio- 
num  ordinari«rum  Iheologite,  Paris,  1520,  a.  45,  q.  v; 
a.  49,  q.  ï,  tout  en  reconnaissant  à  l'intelligence  et  à!a 
volonté  leurs  opérations  propres,  même  dans  l'état  de 
gloire,  ne  voit  dans  la  vision  et  la  jouissance  béatifiques 
qu'une  voie  vers  la  gloire,  mais  non  la  gloire  elle-même, 
laquelle  consisterait,  selon  lui,  dans  une  irruption  immé- 
diate de  la  divinité  dans  l'âme,  illapsus  divinilalis  in 
substantiam animœ.  Vasquez,  In  I'""  1IV  Sum.  S.Tho- 
mœ,  disp.  VIII,  c.  n;  Suarez,  De  fine  ullimo  hominis, 
disp.  VI,  sect.  n,  n.  7,  nient  que  toile  soit  la  doctrine 
d'Henri  de  Gand.  Mais  elle  est  bien  telle;  voir  Jean 
de  Saint-Thomas,  Cursus  théologiens,  Paris,  1885,  t.v, 
In  II-""  /■''  Sum.  S.  Thomiv,  q.  v,  de  adeptionc  bealitudi- 
nis,  a.  2,  n.  1,  quoique  difficile  à  comprendre,  à  cause  du 
mysticisme  exagéré  de  l'auteur;  Salmanticenses,  Cursus 
theologicus,  Paris,  1878,  t.  v,  De  bealitudinr,  disp.  I,  dub. 
i,  §  3.  Parce  qu'Henri  de  Gand  maintient  les  opérations 
de  l'intelligence  et  de  la  volonté  dans  la  béatitude 
céleste,  quoique  à  titre  secondaire,  sa  théorie  échappe  à 
la  note  d'erreur  que  semblerait,  au  premier  abord, 
devoirlui  infliger  la  définition  de  Benoît  XII.  Médina, 
O.  P.,  In  !■""  IV  Sum.  S.  Thomse,  Salamanque,  1582, 
q.  m,  a.  1,  pense  toutefois  qu'elle  mérite  la  note  de  témé- 
rité. Gilles  de  la  Présentation,  Dispulaliones  de  animœ  et 
corporis  beatitudine,  Coimbre,  1609,  1.  IV,  q.  iv,  a.  1,  §  3. 
n.  11,  l'absout  complètement,  et,  n.  16,  donne  le  motif 
de  son  assertion  :  le  pape  Benoît  XII  n'aurait  pas  voulu 
définir  autre  chose  que  l'entrée  immédiate  au  ciel  des 
âmes  justes  ou  justifiées;  il  ne  définit  pas  que  la  béati- 
tude essentielle  de  ces  âmes  est  constituée  formelle  par 
une  opération  de  l'âme.  Jean  de  Saint-Thomas,  loc.  cit., 
n.  5,  est  hésitant  et  avoue  ne  pas  comprendre  suffisam- 
ment la  pensée  d'Henri  de  Gand  pour  se  prononcer. 

b)  Jean  de  Ripa,  au  dire  de  Capréolus  qui  le  cite, 
//:  IV  Sent.,  1.  III,  dist.  XIV,  q.  ï,  a.  2,  3,  aurait  admis 
que  l'âme  possède  Dieu  par  la  vision  de  Dieu  lui-même, 
sans  aucun  intermédiaire  créé.  La  gloire  de  l'âme 
serait  donc  comme  une  illumination  projetée  sur  elle 
par  l'intelligence  divine  se  connaissant  et  se  glorifiant 
elle-même.  Cf.  Suarez,  De  incarnalione,  disp.  XXIV, 
sect.  n.  Cette  théorie,  empreinte  de  mysticisme 
comme  la  précédente,  semble  s'inspirer  du  pseudo- 
Denys,  De  hier,  ceci.,  c.  vu,  P.  G.,  t.  m,  col.  559. 
Elle  est  professée  par  Hugues  de  Saint- Victor,  De 
sapienlia  animœ  Chrisli,  P.  /..,  t.  clxxvi,  col.  851, 
et  cet  auteur  applique  sa  théorie  à  l'âme  du  Christ. 
Summa  sententiarum,  tr.  I,  c.  xvi,  col.  74.  Saint  Bona- 
venture,  Jn  IV  Sent.,  1.  III,  dist.  XIV,  a.  1,  q.  ï,  rap- 
porte que  cette  doctrine  mystique  plaisait  à  beaucoup, 
et  Grégoire  de  Rimini,  Exposilio  in  II  Sent., Milan.  1494, 
dist.  VII,  q-  n,  nous  apprend  qu'elle  fut  publiquement 
soutenue  par  des  docteurs  de  Paris.  Saint  Thomas 
semble  la  viser  dans  la  Sum.  Iheol.,  P  II-1',  q.  ni,  a.  1, 
lorsque,  se  demandant  si  la  béatitude  est  quelque  chose 
d'incréé,  il  conclut  négativement,  distinguant  l'objet 
de  la  béatitude  de  sa  possession,  c'est-à-dire  la  gloire 
fondamentale  de  la  gloire  formelle. 


1395 


GLOIRE 


1396 


L'opinion  de  Ripa  et  des  docteurs  Je  Faris  n'a 
jamais  été  censurée  directement.  Elle  mérite  cepen- 
dant d'elle  thêologiquement  notée  :  Médina,  loc.  cit., 
la  condamne  comme  hérétique;  Zumel,  In  /•""  II'' 
Sum.  S.  Thomse  commentaria,  Salamanque,  1594, 
q.  m,  a.  1  ;  Suarez,  De  incarnalione,  loc.  cit.  ;  Grégoire  de 
Rimini,  loc.  cil.,  la  trouvent  périlleuse  en  matière  de 
Toi.  Martinez,  O.P.,  Commcntari.i super I /:""J>|;  d.Thomœ, 
Valladolid,  1617,  q.  m,  a.  4,  dub.  i,  concl.  2,  la 
note  comme  téméraire  et  contraire  à  la  foi.  Gilles 
de  la  Présentation,  op.  cil.,  1.  IV,  q.  î,  a.  4,  §  41, 
pense  qu'elle  est  simplement  téméraire;  c'est  aussi 
l'avis  de  Curiel,  l.ecturœ  scu  qusesliones  in  diui  Thomas 
.\qainalis  I*m  II*,  Douai,  1618,  q.  iv,  §  5.  Vasquez, 
tout  en  condamnant,  ne  se  prononce  pas  sur  la  note 
a  infliger.  Op.  cit.,  disp.  VII,  c.  n.  La  raison  de  cette 
sévérité  des  théologiens  est  un  double  danger  :  l'absorp- 
tion humaine  dans  l'opération  divine,  ce  qui,  indirecte- 
ment, revient  aux  erreurs  christologiques  condamnées 
à  Chalcédoine  et  à  Constantinople;  la  négation 
implicite  de  la  nécessité  du  lumen  gloriœ,  affirmation 
condamnée  au  concile  de  Vienne.  Denzinger-Bannwart, 
n.  475.  Voir  Intuitive  (Vision). 

c)  Saint  Bonaventure,  In  IV  Sent..  1.  IV,  dist.  XLIX, 
a.  1,  q.  i,n.  5;  q.  iv,  n.  17;  cf.  1.  III,  dist.  XIV,  a.  1,q.  i, 
cherche  ce  que  peut  être  celte  modification,  cette 
forme  nouvelle  ajoutée  à  l'âme.  Étant  spirituelle,  elle 
sera  nécessairement  ou  un  habitus,  ou  une  opération. 
Pour  lui,  elle  sera  l'un  et  l'autre  :  elle  est  comme 
partagée  entre  les  actes  de  l'âme  bienheureuse  —  et 
cette  formule  restera  chez  beaucoup  de  théologiens 
postérieurs  —  et  les  habitus  dont  procèdent  ces  actes. 
L'auteur  attribue  toutefois  l'élément  formel  de  la 
gloire  aux  habitus,  et,  en  cela,  sa  théorie  est  complète- 
ment abandonnée.  Voir  S.  Thomas,  loc.  cit.,  a.  2.  Les 
habitus  en  efîet,  ayant  leur  sujet  soit  dans  l'essence, 
soit  dans  les  facultés  de  l'âme,  sont  présupposés  à  la 
gloire,  mais  ne  la  constituent  pas. 

d)  Quelques  théologiens  nominalistes  avaient 
enseigné  que  la  béatitude,  dans  son  élément  formel, 
était  constituée  par  une  opération,  dans  laquelle  l'âme 
serait  entièrement  passive.  Dieu  seul  agirait  en  elle. 
Gonet,  Clypcus  theologiiv  thomislicœ,  Paris,  1876, 
t.  m,  tr.  VIII,  75e  homine,  disp.  III,  a.  1,  n.  1.  Gonet 
rapproche  de  cette  opinion,  en  soi  contradictoire, 
toute  opération  étant  un  acte,  l'hypothèse  de  quelques 
théologiens  catholiques,  Grégoire  de  Valence,  In  /"'" 
II*  Sum.  S.  Thomœ,  disp.  I,  q.  m,  p.  n;  Vega,  O.  M., 
Erpositio  et  defensio  tridentini  deertti,  etc.,  Venise, 
1548,  ].  VI,  c.  vm ;  Gilles  de  la  Présentation,  op.  cit., 
q.  i,  a.  4,  affirmant  qu'il  ne  répugne  pas,  en  soi,  que, 
par  la  puissance  absolue  de  Dieu,  l'âme  soit  constituée 
dans  l'état  de  gloire  par  une  opération  qu'elle  n'élici- 
terait  pas  elle-même.  Gonet,  loc.  cit.,  §  7,  fait  remarquer 
que  cette  passivité  ne  semble  pas  pouvoir  s'accorder 
avec  les  décisions  portées  par  le  concile  de  Trente 
contre  Luther  relativement  à  la  part  active  que  l'âme 
doit  prendre  aux  opérations  de  l'ordre  surnaturel. 
Cf.  sess.  VI,  iv,  c.  4,  Denzinger-Bannwart,  n.  814.  Voir  la 
théorie  de  Luther  exposée  par  Denifle,  Luther  et  le 
luthéranisme,  trad.  franc.,  Paris,  1912,  t.  ni,  p.  261-308. 
D'ailleurs  une  telle  façon  de  concevoir  la  gloire  des  élus 
va  directement  contre  les  procédés  habituels  de  la 
providence  qui  agit  en  tout,  non  d'une  façon  violente 
et  contraire  à  la  nature  des  êtres  qu'elle  gouverne, 
mais  d'une  façon  connaturelle  à  leurs  facultés. 

2.  Opinions  librement  discutées.  —  a)  Opinion 
thomiste.  —  Pour  les  thomistes,  l'élément  formel  de  la 
gloire  essentielle  est  constitué  par  la  vision  béatifique. 
L'élément  formel  de  la  gloire,  c'est,  en  effet,  disent-ils, 
la  possession  du  souverain  bien  :  toute  opération 
concomitante  ou  complétive  de  l'acte  de  possession 
ne  peut  appartenir  au  concept  constitutif  de  l'essence 


même,  prise  en  ce  sens  strict,  de  la  béatitude.  Jean  de 
Saint-Thomas,  op.  cit.,  q.  v,  disp.  II,  a.  3,  n.  12. 
Or  la  prise  de  possession  du  souverain  bien  ne  peut 
se  faire  que  par  un  seul  acte,  par  un  acte  de  l'intelli- 
gence, reine  de  nos  facultés,  et  faculté  de  l'appréhen- 
sion. La  volonté  intervient  avant  par  le  désir,  après, 
par  la  jouissance;  mais  son  opération  propre  ne  peut 
constituer  cette  prise  de  possession  du  souverain  bien, 
laquelle  est  l'élément  formel,  et,  au  sens  thomiste, 
essentiel,  de  la  béatitude.  D'ailleurs,  la  béatitude 
étant  l'objet  même  de  la  volonté  ne  saurait  être 
constituée  par  l'acte  même  de  la  volonté.  S.  Thomas, 
loc.  cit.,  a.  4  et  ad  2"".  L'opération  de  la  volonté  n'est 
pas  pour  autant  exclue  de  la  félicité  suprême;  mais 
I  elle  n'est  que  le  corollaire  et  le  complément  obligé 
de  l'opération  de  l'intelligence  :  «  Quand  il  s'agit  de 
Dieu,  il  n'y  a  point  d'intermédiaire,  pour  le  connaître 
comme  il  est,  il  faut  qu'il  soit  lui-même  dans  notre 
esprit;  aucune  image  ne  peut  le  représenter,  et,  par 
conséquent,  la  contemplation  de  Dieu  et  l'union  à 
l'être,  à  la  réalité,  à  la  substance  de  Dieu  se  confondent. 
C'est  pourquoi  voir  Dieu  comme  il  est,  c'est  saisir  Dieu 
en  lui  ;  posséder  la  pleine  idée  de  Dieu,  c'est  posséder 
Dieu  lui-même.  Et  alors  il  y  a  entre  Dieu  et  nous 
l'union  très  haute,  très  étroite,  très  intime  qu'il  y  a 
entre  une  idée  certaine,  lumineuse  et  l'esprit  qui  l'a 
conçue.  Mais  cette  union  ne  se  produit  pas  entre 
l'esprit  qui  est  la  partie  la  plus  intime  de  l'âme, 
sans  que  l'âme  soit  toute  pénétrée  de  la  divinité. 
L'âme  n'est  point  pénétrée  dans  ces  noces  de  lumière, 
sans  être  imprégnée  et  débordée  de  perfection,  sans 
être  ravie  dans  l'amour,  sans  être  enivrée  dans  la  joie, 
sans  devenir  semblable  à  Dieu  même,  gardant  sa 
nature  comme  le  fer  rouge  garde  la  sienne,  mais 
rayonnant  de  splendeur,  d'amour,  de  béatitude 
divine,  comme  le  fer  revêt  les  propriétés  du  feu  qui 
l'a  embrasé.  De  sorte  qu'avant  tout,  la  béatitude, 
c'est  connaître,  c'est  voir,  c'est  vivre  par  l'extase  de  la 
science  cl  de  la  lumière  :  Hœc  est  vita  œterna,  ut  cogno- 
scant  le.solum  Deum  verum.  »  Janvier,  Carême  de  1903, 
la  béatitude,  p.  122-123.  C'est  le  sentiment  de  saint 
Thomas,  Sum.  theol.,  V  IL1',  q.  m,  a.  4  et  8;  P, 
q.  xxvi,  a.  2;  In  IV  Sent.,  1.  IV,  dist.  XLIX,  q.  i,  a.  1, 
q.  n;  Conl.  génies,  l.  III.  c.  xxv,  xxvi,  xxvn;  Quodl, 
VIII,  a.  19.  Tous  les  thomistes  et  beaucoup  d'autres 
théologiens  ont  adopté  sa  thèse.  Citons  les  principaux  : 
clans  leurs  commentaires  sur  la  q.  ni  de  la  Id  II''', 
Cajétan,  Capponi  de  Porrecta,  Médina,  Curiel,  Mar- 
tinez, Alvarez,  O.  P.,  Granado,  S.  J.,  et,  loc.  cit., 
disp.  XIII,  c.  ni,  Vasquez;  Lessius,  De  beatitudine, 
q.  ni,  a.  4,  dub.  n,  penche  vers  cette  solution  qu'il 
essaie  de  concilier  avec  la  troisième  opinion  qui  sera 
exposée  plus  loin;  dans  son  commentaire  In  Sum. 
cont.  génies,  1.  III,  c.  xxv,  xxvi,  Sylvestre  de  Ferrare: 
dans  leurs  commentaires  In  IV  Sent.,  Durand  de 
Saint-Pourçain,  1.   IV,  dist.  XLIX,  q.  iv;  Capréolus, 

I.  I,  dist.  I,  q.  i,  a.  1,  concl.  6;  1.  IV,  dist.  XLIX,  q.  i; 
Soncinas,  1.  I,  dist.  I,  q.  i,  a.  1,  concl.  6;  Melchior  Cano 
défend  la  même  thèse,  De  locis  theol.,  1.  XII,  c.  xiv; 
Fonseca,  In  I  Mclaph.,  c.  i,  q.  i,  sect.  vi:  Conimbricen- 
ses,  Ethic,  disp.  III,  q.  m,  a.  2;  Bellarmin,  Conlrov., 
De  sanclorum  beatitudine,  c.  n;  Becan,  S.  J.,  Thco- 
logia  scholaslica,  Paris,  1724,  part.  IL  tr.  I,  c.  i,  q.  m. 
On  trouvera  l'exposé  et  la  justification  de  l'opinion 
thomiste   dans   Jean   de   Saint-Thomas,  op.  cit..  disp. 

II,  a.  3,  n.  15-61,  a.  4;  Salmanticcnses,  op.  cit.,  dub. 
iv;  Gonet,  op.  cit.,  disp.  III,  a.  2;  Billuart,  Cursus 
theotogiœ,  Paris,  1878,  t.  iv,  De  nltimo  fine,  diss.  II, 
a.  2.  Parmi  les  théologiens  plus  récents,  citons 
Mazzella,  De  Dco  créante,  disp.  VI,  a.  1,  §  2,  n.  1179; 
C.  Pesch,  Prœlcclioncs  ihcologicie,  t.  m,  n.  449;  Hurter, 
Theol.  dogm.  eompendium,  t.  ni,  tr.  X,  c.  v;  et,  par  un 
simple   mot   jeté   en   passant.   Billot,   De    novissimis 


1397 


GLOIRE 


1398 


Rome,  1903,  q.  v,  thés,  ix,  p.  118.  Beaucoup  d'autres 
se  contentent  de  proposer  les  éléments  constitutifs 
de  la  gloire,  vision,  amour,  joie  béatifiques,  sans 
discuter  la  question  de  l'élément  formel;  voir,  par 
exemple,  Perrone,  Jungmann,  etc. 

Sans  vouloir  trouver  leur  opinion  formellement 
exprimée  dans  la  sainte  Écriture  et  chez  les  Pères,  les 
thomistes  prétendent  cependant  appuyer  leur  doctrine 
sur  l'Écriture  et  la  tradition.  Bien  que  les  textes 
allégués  par  eux  n'aient  de  force  démonstrative  com- 
plète que  pour  garantir  le  fait  de  la  vision  héatiflque, 
et  qu'ils  doivent  nécessairement  trouver  leur  place 
à  l'art.  Intuitive  {Vision),  nous  rappellerons  briève- 
ment ici  les  principaux,  ceux  que  les  théologiens 
thomistes  ont  l'habitude  d'opposer  à  leurs  adversaires  : 
a.  Sainte  Écriture  :  Joa.,  xvn,  3;  I  Cor.,  xm,  12; 
II  Cor.,  v,  G,  7;  I  Joa.,  ni,  2;  Apoc,  xxn,  3,  4;  et, 
moins  directement,  Joa.,  xiv,  8;  Matth.,  v,  8;  Ps.  xvi, 
15;  lxxix,  4;  lxxxiii,  8;  Is.,  xxxm,  17;  Exod., 
xxxm,  18,  19;  b.  Pères  :  saint  Augustin,  plus  que  tout 
autre,  a  étudié  la  question  de  la  béatitude.  Voir  les 
textes  cités,  t.  i,  col.  2115;  t.  il,  col.  506,  n.  5.  On 
trouve  chez  ce  Père  d'autres  expressions  très  fortes  en 
faveur  de  la  thèse  thomiste  :  Tota  merces  noslra  visio 
est,  Ennr.  in  ps.  mu,  serm.  n,  P.  L.,  t.  xxxvn, 
col.  1170;  .Eterna  est  ipsa  cognitio  verilatis,  De  moribas 
Ecclesiœ,  1.  I,  c.  xxv,  P.  L.,  t.  xxxn,  col.  1331;  Illos 
beatissimos  facil,  quod  scriplum  est  :  tune  jade  ad 
jaeicm;  qui  enim  hoc  invenerunt,  illi  sunt  in  beatitu- 
dinis  possessione,  De  libero  arbilrio,  1.  II,  c.  xiv, 
P.  L.,  t.  xxxn,  col.  1261;  Illa  cognilionc,  illa  visionc, 
illa  conlcmplalione  satiabitur  in  bonis  animée  desi- 
derium,  De  spiritu  et  liltera,  c.  xxxm,  P.  L.,  t.  xi.iv, 
col.  240.  Cf.  De  Trinitale,  1.  I,  c.  vin,  P.  L.,  t.  xlii. 
col.  957.  On  cite  également,  parmi  les  Pères  qui 
représentent  la  tradition  des  premiers  siècles,  S.  Irénée, 
Conl.  hœr.,  1.  IV,  c.  xx,  n.  6,  7;  c.  xxxvn,  n.  7;  1.  V, 
c.  xxxvi,  n.  1,  P.  G.,  t.  vu,  col.  1035-1037,  1104,  1222; 
S.  Ambroise  :  Scriptura  divina  vilain  bealam  posuil 
in  cognilione  divinitatis,  De  o[Jiciis  ministrorum,  \.  II, 
c.  n,  P.  L.,  t.  xvi,  col.  104;  S.  Cyrille  d'Alexandrie, 
pour  qui  la  félicité  réside  dans  la  souveraine  contempla- 
tion,Co/if.  Julianum,  1.  III,  P.  G.,  t.  i.xxvi,  col.  628-629; 
S.  Grégoire  de  Nazianze,  Oralio  in  laudcm  Cœsarii  ira- 
tris,  n.  17,  P.  G.,  t.  xxxv,  col.  775  ;  S.  Grégoire  de  Nyssc, 
De  beatiludinibus,  orat.  vi,  P.  G.,  t.  xi.iv,  col.  1264  sq.  ; 
pseudo-Jérôme  :  Deum  videre,  infinila  corona  est,  Breu. 
in  ps.  lx.xxiv,  p.  L.,  t.  xxv,  col.  1073;  S.  Jean  Damas- 
cène,  De  fuie  orlhodoxa,  1.  IV,  c.  xxvi,  P.  G.,  t.  xciv,  col. 
1228;  le  concile  de  Francfort,  à  la  fin  de  sa  lettre  Adepi- 
seopos  hispanos,  P.L.,  t.  ci,  col.  1316.  On  s'appuie  égale- 
ment sur  l'autorité  de  S.  Anselme,  Monol.,  c.  lxvi,  n.  7. 
8;  Cur  Deus  homo,  1.  II,  c.  i,  P.  L.,  t.  clviii,  col.  212, 
214,  401;  de  S.  Bernard  ('?),  Scrm.,\,  de  Assumplione  : 
Hase  est  merces,  hic  est  finis  fructus  nostri  laboris,  visio 
seilicet  Dei,  P.  L.,  t.  clxxxiv,  col.  1003. 

Maldonat,  Comment,  in  IV  evangelistas,  a  propos 
de  Joa.,  xvn,  3,  reconnaît  que  la  plupart  des  scolas- 
tiques  se  sont  appuyés  sur  ce  verset  pour  se  rallier 
à  l'opinion  de  saint  Thomas.  Il  croit  devoir  s'en  écarter, 
parce  qu'il  y  voit  un  argument  indirect,  mais  réel, 
en  faveur  de  la  thèse  protestante,  de  la  justification 
par  la  foi  seule.  Les  Salmanticenses,  loc.  cit.,  n.  56, 
repoussent  cette  injure  imméritée  et  semblent  bien 
indiquer  que  non  seulement  les  scolasliqucs,  mais  les 
Pères  eux-mêmes  ont  enseigné  l'opinion  thomiste, 
en  sorte  que  cette  opinion  aurait  ainsi  une  consécration 
officielle.  C'est  exagéré.  Jean  de  Saint-Thomas  reste  dans 
des  limites  plus  sages  en  afïirmant  que  l'opinion  de 
son  école  relève  de  la  métaphysique  et  non  du  do-me. 
loc.  cit.,  n.  10  :  Quidditates  rerum,  dit-il,  n.  6,  rimari  et 
speculari  ad  scholasticas  disputationes  perlinel,  non  ml 
dogmala    fidei.    Voir    aussi    Gonet,  toc.  cit.,  n.  68. 


Pour  être  complet,  il  faudrait  faire  l'exposé  des  sub- 
tilités qui  divisent  l'école  thomiste  elle-même.  L'élé- 
ment formel  de  la  gloire  essentielle  est-il  la  vision  de 
l'essence  une  ou  de  la  trinité  des  personnes  '?  de  l'es- 
sence prise  en  soi  ou  considérée  dans  les  attributs 
divins  ?  Voir  Suarez,  De  diuina  subslantia  cjusque 
altributis,  1.  II,  c.  xxn,  xxm;  Gonet,  op.  cit.,  disp.  II, 
a.  2,  §1.  En  grande  majorité,  les  thomistes  pensent 
que  la  vue  de  la  trinité  et  des  attributs  divins  est  de  l'es- 
sence même  de  la  gloire  des  élus.  La  vision  b°atifique 
est-elle  à  ce  point  l'élément  formel  de  la  béatitude,  que 
même  sans  amour  les  élus  seraient  heureux  ?  Suarez, 
De  fine  ullimo,  disp.  VII,  sect.  i,  n.  31;  Gonet,  op.  cit., 
disp.  III,  a.  1,  répondent  avec  la  plupart  des  thomistes 
que  l'amour  est  le  complément  nécessaire  de  la  vision. 
S'agit-il  d'une  vision  de  l'intelligence  spéculative  ou 
pratique,  d'un  acte  simple  ou  composé?  Voir  S.  Thomas, 
Sum.  theol.,  I»  IP',  q.  m,  a.  6,  et  ses  commentateurs 
sur  cet  article.  De  ces  subtilités  que  signale  en  passant 
Ripalda,  De  ente  supernalurali,  1.  IV,  dip.  C,  sect.  n, 
n.  6,  le  théologien  ne  retiendra  que  ce  qui  est  utile  pour 
expliquer  l'objet  et  les  propriétés  de  la  vision  intuitive. 

b)  Opinion  scotisle.  —  Le  principe  fondamental  de 
cette  opinion  est  que  l'élément  formel  de  la  béatitude 
essentielle  réside  uniquement  dans  une  opération  de 
la  volonté.  Mais  cette  opération  peut  être  ou  l'amour, 
et  c'est  l'opinion  de  Scot,  ou  la  joie  béatifique  et  c'est 
l'opinion   d'Auriol. 

Scot,  In  IV  Sent.,1.  IV,  dist.  XLIX.  q.  iv,  v,  pense 
que  l'élément  formel  de  la  gloire  essentielle  des  élus 
réside  dans  l'acte  d'amour  d'amitié,  opération  de  la 
volonté  humaine  s'attachant  a  Dieu  pour  lui-même. 
On  peut  citer,  comme  partisans  de  cette  doctrine,  Gilles 
de  Rome,  Quodl.,  III,  a.  19;  Auriol,  au  témoignage  de 
Capréolus,  In  IV  Sent.,  dist.  I,  q.  i,  a.  2,  et  de  Médina, In 
I""  II'\  q.  iv,  a.  4,  aurait  enseigné  que  l'acte  de  volonté 
procéderait  non  de  l'amour  d'amitié,  mais  de  l'amour 
de  concupiscence  et  consisterait  dans  la  délectation, 
dans  la  jouissance  de  l'âme  possédant  Dieu,  son  bien 
suprême.  De  fait,  à  part  le  texte  de  saint  Paul,  I  Cor., 
xm,  13,  oii  la  charité  est  exaltée  par-dessus  toute 
autre  vertu,  parce  que  vertu  subsistant  dans  la  gloire, 
on  ne  peut  guère  trouver  dans  la  sainte  Écriture  que 
des  textes  désignant  sous  les  noms  de  joie,  de  volupté 
la  gloire  des  élus,  et  appuyant  ainsi  l'opinion  parti- 
culière d'Auriol.  Cf.  Matth.,  xxv,  21;  Ps.  xxvi.  1; 
xxxv,  9,  10;  Joa.,  xv,  11;  xvi,  22;  I  Joa.,  iv,  16; 
Luc,  xxn,  29,  30;  Apoc,  II,  7,  17.  L'opinion  de  Scot 
et  celle  d'Auriol,  bien  que  se  retrouvant  dans  toute 
l'école  scotiste  avec  des  nuances  diverses  dont  les 
subtilités  n'ont  rien  à  envier  à  celles  de  l'école  thomiste, 
voir  Ripalda,  loc.  cit.,  n.  8,  ont  peu  de  partisans,  si  on  les 
considère  sous  leur  aspect  exclusiviste.  Les  textes 
qu'elles  peuvent  apporter  en  leur  faveur,  soit  de  la 
sainte  Écriture,  soit  des  Pères,  voir  plus  loin,  ne 
suppriment  pas  ceux  que  l'opinion  thomiste  revendique 
pour  elle.  Aussi,  une  troisième  opinion  s'est  peu  à  peu 
formée  dans  la  théologie  catholique,  qui  prétend 
expliquer  la  gloire  essentielle  des  élus  par  l'opération 
de  l'intelligence  et  de  la  volonté  réunies. 

La  raison  fondamentale  de  l'opinion  sotiste  est 
celle-ci  :  Dieu  est  notre  béatitude,  parce  que  notre 
souverain  bien.  Or,  en  tant  que  souverain  bien,  il  est 
l'objet  de  la  volonté  et  non  de  l'intelligence.  L'opinion 
d'Auriol,  fait  remarquer  Suarez,  De  ultimo  fine,  disp. 
VII,  sect.  i,  n.  43;  cf.  disp.  IX,  sect.  ni.  n.  7,  ne  peut 
se  soutenir  psychologiquement;  la  joie  béatifique 
n'est  qu'une  conséquence  de  la  possession  du  souverain 
bien;  son  objet  est,  non  le  souverain  bien,  mais  la 
possession  qu'on  en  a;  elle  ne  peut  donc  être  la  fin 
dernière  de  l'homme.  Cf.  S.  Thomas,  Sum.  theol., 
P  II*,  q.  iv,  a.  2;  Cont.  gentes,  1.  III,  c.  xxvi.  Quant 
à  l'opinion  de  Scot  elle  ne  paraît  pas  davantage  admis- 


1399 


G  L  0 1  R  E 


1400 


sible,  parce  que  l'amour  ne  cause  pas  nécessairement 
la  possession  de  l'objet  aimé.  Les  thomistes  distinguent 
l'objet  dr  la  volonté,  le  souverain  bien,  objet  de  désir 
ou  de  jouissance,  de  la  formalité  sens  laquelle  l'âme 
est  mise  en  possession  de  ce  bien  suprême.  C'est  par 
l'appréhension  de  l'intelligence  seule  que  cette  pos- 
session peut  être  réalisée.  Salmanticenses,  loc.  cit., 
dub.  iv,  S  6-9;  Jean  de  Saint-Thomas,  loc.  cit.,  a.  3,  4. 
C'est,  au  fond,  toujours  la  distinction  de  la  gloire 
objective  et  de  la  gloire  formelle  :  cette  dernière  sup- 
pose essentiellement  un  acte  de  connaissance.  Voir  plus 
haut,  col.  1387. 

c)  Opinion  éclectique.  —  Combinant  les  deux  opinions 
précédentes,  un  grand  nombre  de  théologiens,  tant 
anciens  que  modernes,  voient  dans  l'opération  de 
l'intelligence  (vision)  et  dans  celle  de  la  volonté 
(amour  et,  par  voie  de  conséquence,  jouissance)  les 
éléments  essentiels  de  la  gloire  des  élus  :  Tertia  sententia 
asserit  essenliam  bealiludinis  jormalis  complecii  adœ- 
quate  tum  visionem,  lum  amorcm,  negans  eam  vcl  in  sola 
visione,  vel  in  solo  amore,  sed  in  ulroque  simul  mil  esse 
aut  apprehendi,  Ripalda,  op.  cit..  disp.  C,  sect.  n,  n.  9; 
c'est  à  cette  opinion  que  se  rallie  Dante,  Paradiso, 
Cant.  xxx,  vs.  40,  décrivant  ainsi  la  gloire  des  élus  : 

Luce  intellectual  piena  d'amore, 
Amor  di  vero  ben  pien  di  letizin, 
Letizia,  che  trascende  ogni  dolciorc. 

Tant  qu'il  ne  s'agit  que  d'affirmer  la  pluralité  des 
opérations  comme  élément  formel  de  la  gloire  des  élus, 
les  partisans  de  l'opinion  éclectique  sont  d'accord. 
Certains  d'entre  eux  prétendent  même  que,  sous  cet 
aspect  général,  leur  opinion  s'impose  comme  une 
vérité  définie  par  le  décret  de  Benoît  XII  :  ex  lali 
visione  et  foi  irioXE...  ncre  beatœ,  Denzinger-Bann- 
wart,  n.  530,  et  par  suite  de  la  condamnation  de 
l'erreur  suivante  des  beghards  :  Quod  quselibet  intel- 
leclualis  natura  in  se  ipsa  naturaliter  est  beala,  quodque 
anima  non  indigel  lumine  gloriœ,  ipsam  élevante  ad 
Deum  vwexdum  et  ex  eo  beale  t-ruenduh.  Denzinger- 
Bannwart,  n.  475.  Ces  exagérés  sont,  au  dire  de  Jean 
de  Saint-Thomas,  loc.  cit.,  n.  6,  Thomas  de  Strasbourg, 
In  IV  Sent.,  Strasbourg,  1490,  dist.  XL1X,  q.  m,  iv; 
André  Véga,  op.  cit.,  1.  VII,  c.  m;  Corduba,  O.  M., 
Quœstionarium,  Tolède,  1578,  1.  I,  q.  xui,  prop.  1, 
arg.  10;  Alphonse  de  Tolède,  In  IV  Sent..  1.  I,  dist.  I, 
q.  n,  a.  3,  ad  3"".  Sont  mieux  inspirés  ceux  qui  défen- 
dent cette  doctrine  à  titre  de  simple  opinion  :  S.Bona- 
venture,  dans  le  sens  indiqué  plus  haut,  In  IV  Sent., 
dist  .XL  IX,  a.  1,  q.  i;  Alexandre  de  Aies,  Sum.  ihcol., 
part.  III,  q.  xxm,  m.  i,  ad  1"";  Albert  le  Grand, 
Richard  de  Middletown,  le  Supplément  de  Gabriel 
Biel,  Pierre  de  la  Palu,  Holchot.  Marsile  d'Inghem, 
Jean  Major  [Lemaire],  Bassolis  et  même  Occam,  dans 
leurs  commentaires  In  IV  Sent.,  l.IV,  dis  t.  XL  IX;  Gilles 
de  Rome,  Quodl.,  III,  q.  ult.  Voir,  sur  ces  anciens 
théologiens,  Gilles  de  la  Présentation,  op.  cit.,  I.  IV, 
q.  vu,  a.  2,  §  1.  Il  faut  ajouter  les  noms  de  Salas,  S.  J., 
Disputationes  in  V""  //''  Sum.  d.  Thomse,  Barcelone, 
1607,  tr.  II,  disp.  II,  sect.  v;  Tanner,  S.  J.,  In  !■""  77*., 
disp.  I,  q.  m;  Gilles  de  la  Présentation  op.  cit.,  et  sur- 
tout les  grands  théologiens  de  la  Compagnie  de  Jésus  : 
Suarez,  De  ultimo  fine  hominis,  disp.  VII,  sect.  i,  n.  24-63; 
Grégoire  de  Valence,  In  I"m  Sum.  S.  Thomœ.  q.  xxvi, 
disp.  I,  q.  m,  p.  iv;  Tolet,  In  IV  Sent.,  1.  I,  dist.  I, 
q.  ii,  a.  2,  3;  et  même  Lessius,  De  ultimo  fine  hominis, 
([.  m,  a.  4,  dub.  i;  De  summo  bono  et  beatitudine  sem- 
piterna,  1.  II,  c.  v.  Le  P.  Neubauer  dans  la  Théologie  de 
Wurzbourg,  Paris,  1852,  t.  in,  p.  2,  s'exprime  ainsi  : 
Ilnitiludo  jormalis  consistil  initiative  in  visione  Dei, 
perfective  in  amore  Dei,  complétive  in  gaudio,  quiète  et 
puce  animi.  Ripalda,  loc.  cit.,  et  sect.  m,  professe  cette 
opinion  avec  une  note  particulière.  Pour  lui,  la  vision 


de  Dieu  et  l'amour  de  Dieu,  pris  ensemble  ou  pris 
séparément,  sont  l'élément  formel  adéquat  de  la  gloire 
des  élus  ;  et  il  explique  son  sentiment  en  se  représentant 
la  béatitude  essentielle  comme  composée  de  parties 
quasi  homogènes  qui,  prises  séparément,  forment 
chacune  une  béatitude  complète  en  son  espèce.  Voir 
n.  13,  11.  D'ailleurs,  ici  encore,  les  tenants  de  la  même 
opinion  se  divisent  sur  des  points  d'une  extrême 
subtilité.  La  question  qui  domine  toutes  les  divergences 
est  celle-ci  :  l'opération  de  la  volonté  doit-elle  avoir 
une  priorité  sur  celle  de  l'intelligence  '?  Controverse 
justement  qualifiée  par  Ripalda,  après  Occam. 
J.  Major  et  Vasquez,  de  arbilrariam  et  vocalem.  Voir 
Lessius,  De  summo  bono,  !.  II,  c.  vi. 

Les  principales  raisons  sur  lesquelles  s'appuient  les 
partisans  de  ce  troisième  système  sont  les  suivantes  : 
a.  L'autorité  de  l'Écriture  qui  s'affirme  autant  en 
faveur  de  l'opération  de  la  volonté  qu'en  faveur  de 
l'opération  de  l'intelligence.  Voir  les  textes  plus  haut, 
col.  1397  et  1398.  b.  L'autorité  des  Pères  :  les  thomistes 
peuvent  citer  un  certain  nombre  de  Pères  qui  appuient 
leur  opinion;  mais  on  peut  en  citer  un  aussi  grand 
nombre  attribuant  à  l'amour  et  à  la  jouissance  une 
partie  prépondérante  dans  la  gloire  des  élus.  Pour 
saint  Augustin,  voir  t.  n,  col.  506,  507;  Epist., 
clv  (lu),  n.  12  :  Una  ibi  virlus  erit  et  id  ipsum  cril 
virtus,  pnvmiiimquc  virtulis,  quod  dicit  in  sanclis 
colloquiis  homo  QUI  AMAT  :  mihi  autem  AVBMRERE  Di:i> 
BONUA1  est.    Hoc  illi   erit  plcna    pcrfcctaquc  sapientia, 

EADEMQUE   DEATITUDIN'tS  VITA  BEAT A,    P.    L.,   t.    XXXIII, 

col.  671;  De  doctrina  chrisliana.  1.  I,  c.  xxxn  :  Hsec 
merces  summa  est  ut  ipso  Dco  per/ruamur,  P.  L.,X.  xxxiv, 
col.  32;  Con/cssiones,  1.  X,  c.  xxi,  xxn,  xxm,  P.  L., 
t.  xxxn,  col.  792,  793;  De  moribus  Ecclcsiie,  1.  I, 
c.  m  :  Bcalus,  quantum  existimo,  nec  Me  dici  polcst, 
qui  non  habel  quod  amal...  quid  enim  est  aliud  quod 
dicimus  frui,  nisi  prœslo  habere  quod  diligis,  P.  L., 
t.  xxxiii,  col.  1312;  cf.  c.  xv,  col.  1322;  De  civitalc  Dei, 
1.  XII,  c.  I  :  Beatiludinis  igitur  illorum  (bonorum 
angelorum)  causa  est  adhxrere  Deo,...  quamobrem  cum 
quœrîtur  quarc  illi  beali  sinf,  ccrle  respondetur,  qui 
adhœrenl  Deo,  P.  L.,  t.  xli,  col.  349,  350.  Cette  adhésion 
à  Dieu,  source  de  la  félicité,  saint  Augustin  l'explique 
ailleurs,  Epist.,  cxvm,  ad  Dioscorum,  n.  13,  P.  L., 
t.  xxxm,  col.  438,  ou  encore  De  moribus  Ecelesiiv. 
1.  I,  c.  xiv  :  Quid  erit  aliud  optimum  hominis,  nisi  cui 
inhœrere  est  bealissimum  ?  Id  autem  est  solus,  cui 
inhserere  certe  non  valemus,  NISI  dilectione,  amore 
caritate.  P.  L.,t.  xxxm,  col.  1321,  1322.  Cf.  Suarez, 
De  ultimo  fine,  loc.  cit.,  n.  1.  5,  26;  Ripalda,  op.  cit., 
sect.  iv,  n.  22.  On  apporte  encore  l'autorité  de  saint 
Fulgence,  Ad  Monimum,  1.  I,  c.  xvm,  P.  L.,  t.  lxv, 
col.  166;  de  saint  Anselme,  qui  professe  que  la  béati- 
tude ex  eommodis  constat,  De  casu  diaboli.  c.  iv;  cf., 
Monol.,  c.  lxviii;  Cur  Dcus  homo,  1.  II,  c.  i,  P.  L  . 
t.  cLvm,  col.  211,332,  401  ;  de  saint  Bernard,  Epist., 
xvm,  P.  L.,  t.  clxxxii,  col.  121,  122,  et  de  plusieurs 
théologiens  du  moyen  âge,  dont  Pierre  Lombard, 
Sent..  1.  II,  dist.  I.  c.  Les  deux  principaux  arguments, 
théologiques  sont  l'un,  la  définition  de  Benoît  XII, 
où  se  trouve  l'incise  quod  ex  lali  visione  et  fsvjtione; 
cf.  prop.  5  des  beghards,  Denzinger-Bannwart,  n.  530, 
475;  l'autre,  le  texte  du  catéchisme  ad  parochos,  où 
on  lit  :  Solida  quidem  beatitudo  quam  esses n.u. lu 
communi  nomine  lied   vocare,  in  eo  sila  est,  ut  devm 

VIDEAMVS    EJUSQUE    PULCHR1TUD1NE     l  MIAMI  R,     C.     XIII, 

n.  7.  d.  La  raison  elle-même  appuie  cette  opinion. 
La  gloire  n'est-elle  pas  la  souveraine  perfection  des 
élus  ?  Or,  la  souveraine  perfection  ne  peut  être  réalisée 
en  une  seule  opération,  d'autant  plus  que  la  possession 
de  Dieu  est  le  fait  de  la  volonté  aussi  bien  que  de 
l'intelligence. 

3.  Jugement    d'ensemble.    —     Ces     trois     dernières 


1401 


GLOIRE 


14U2 


opinions,  librement  discutées  dans  l'Eglise,  ont  la 
valeur  d'opinion,  rien  de  plus.  11  est  clair  que  ni  le 
catéchisme  du  concile  de  Trente,  ni  le  pape  Benoit  XII, 
ni  le  concile  de  Vienne,  pas  plus  que  le  concile  de  Franc- 
fort dans  sa  lettre  aux  évèques  espagnols,  n'ont  voulu 
trancher  la  question,  toute  scolastique  et  d'ordre 
métaphysique,  de  l'élément  formel  de  la  béatitude 
essentielle.  Qu'on  attribue  cette  qualité  à  la  vision  de 
Dieu  ou  qu'on  l'attribue  à  l'amour  ou  à  la  jouissance 
béatifique,  peu  importe;  ce  qui  est  important,  c'est 
qu'on  ne  sépare  point  ces  opérations,  en  soi  insépa- 
rables. Et  quand  on  parle  de  gloire  essentielle,  il  faut 
rester  dans  la  limite  dogmatique  très  nettement  tracée 
par  le  cardinal  Billot  :  Hic  a  substantiel  beatitadinis 
contradislinguuntur  solum  Ma  quse  ab  ea  possunt  sepa- 
rari,  ut  per  modum  unius  accipianlur  lum  visio  Dci, 
tum  concomilans  amor  et  jruilio.  De  novissimis,  Borne, 
1903,  q.  v,  thés,  ix,  p.  118. 

QuanL  à  l'autorité  des  Pères,  on  constate  ici  une  fois 
de  plus  ce  qui  a  été  dit  à  l'art.  Béatitude,  t.  il,  col.  504. 
Seul  ou  à  peu  près  seul,  saint  Augustin  a  formulé  une 
véritable  théorie  de  la  béatitude.  C'est  à  lui  seul  qu'il 
appartiendrait  donc  de  patronner  une  opinion  de  pré- 
férence aux  autres.  Or,  on  a  vu  (pie  toutes  se  réclament 
de  lui.  Les  textes  accumulés  par  Suarez  et  Bipalda  ne 
sont  pas  sans  faire  impression,  mais  il  faut  signaler 
l'explication  satisfaisante  que  Jean  de  Saint-Thomas, 
op.  cit.,  q.  v,  disp.  II,  a.  3,  n.  22-28;  a.  4,  n.  4-G,  donne 
de  la  pensée  de  saint  Augustin.  L'amour,  la  jouissance 
béati tiques  ne  sont,  pour  saint  Augustin  comme  pour 
saint  Thomas,  que  le  complément  nécessaire  de  la 
vision.  Cette  explication  s'appuie  surtout  sur  De 
diversis  quœsl.  i.xxxm,  q.  xxxv,  P.  L.,  t.  xl,  col. 
23,  24,  et  De  libero  arbilrio,  1.  I,  c.  xn-xiv,  P.  /.., 
t.  xxxiii,  col.  1134-1137. 

Concluons  donc  que,  pour  définir  la  gloire,  essentielle 
selon  l'enseignement  de  l'Église?,  il  faut  faire  abstrac- 
tion de  toutes  les  controverses  d'école  et  en  retenir 
indistinctement  les  éléments  inséparables,  vision, 
amour,  jouissance  béati  tiques.  C'est  ainsi  qu'avant 
d'en  venir  à  l'examen  des  opinions,  le  P.  C.  Pesch, 
Prselection.es  dogmatiese,  t.  ni,  tr.  II,  prop.  40,  expose 
la  question  au  point  de  vue  doctrinal.  Ce  point  servira 
plus  tard  de  point  de  départ  quand  on  exposera  la 
nature,  l'objet  et  les  propriétés  de  ces  actes,  à  l'art. 
Intuitive  (Vision). 

S.  Thomas  d'Aquin,  Sum.  (licol.,  I  >  II  '' ,  q.  ni;  I1,  q.  xxvi; 
Cont.  gentes,  1.  III,  e.  xxv,  xxvn;  Opusc,  II  (I),  c.  cv-cvn; 
In  IV  Sent.,  1.  IV,  dist.  XLIX,  q.  i,  n;Cajétan,  Sum.  theol. 
S.  Thomiv,  I"  II1',  q.  ni;  Suarez,  De  fine  hominis,  disp.  VI, 
VII,  dans  Opéra  oninia,  Paris,  183(>,t.  iv;  Lcssius.De  summo 
bono  et  wterna  beatiludine,  1.  II,  III,  dans  Opnsciita,  Anvers, 
107(5;  Jean  de  Saint-Thomas,  De  a  leptinne  beatitadinis, 
disp.  II,  a.  1-4,  dans  Cursus  theologicus,  Paris,  1885,  t.  v, 
q.  v;  Gilles  de  la  Présentation,  Disputationes  de  anima  et 
eorporis  beatitudine,  Coïmbre,  1609;  Gonet,  De  ultiino 
fine  hominis,  disp.  III.  dans  Clypeus  théologien  thomistiac, 
Paris,  1870,  t.  m;  Hipalda,  De  ente  supernatarali,  disp.  C, 
Paris,  1871,  t.  m;  Salmanticenses,  De  beatitudine,  disp.  I, 
dans  Cursus  llieologicus,  Paris,  1878,  t.  v;  Pègues,  Com- 
mentaire littéral   de  la  Somme  théologique,  t.  vi,  q.  l-vi. 

II.  Gloire  accidentelle.  —  Le  principe  général 
qui  nous  sert  de  guide  dans  l'exposé  de  la  gloire 
accidentelle  est  celui  que  Gonet  a  formulé,  op.  cit., 
disp.  III,  a.  2,  n.  09  :  Pree  oculis  semper  habendum 
essentiam  beatitadinis  formalis  esse  assecutionem  finis 
ultimi  seu  objecli  beat i [ici  :  unde.  Ma  actio  vel  illœ 
actiones  censendse  sunt  cd  formalem  beatitudinem 
perlinere,  quœ  essentialiler  et  formaliler  sunt  assecuiio 
finis  ultimi  :  ■■  contra  vro  illœ  qiuv  ad  rationem  assc- 
culionis    finis    ultimi    cl   objectiva:    beatitadinis    mate- 

RI ALITER,  (  OXCOMITAb  TER  VEL  ACCIDENT  UAIEHse  liabcnl, 

non  speclant  ad  rationem  formalem  beatitadinis  sed 
cjns  essentiam  comilantur  vel  subsequunlur.  Donc,  tout 


|  ce  qui  n'est  pas  l'élément  formel  de  la  béatitude 
doit  être  considéré  comme  clément  étranger  à  la  gloire 
essentielle,  et  en  quelque  façon  comme  élément  acci- 
dentel. Mais  il  convient  d'apporter  une  distinction  : 
ce  peut  être  un  élément  matériel  ou  concomitant  de 
la  gloire  essentielle;  on  pourra  l'appeler  alors  gloire 
accidentelle,  mais  dans  un  sens  tout  à  fait  impropre; 
ce  peut  être  aussi  un  élément  strictement  accidentel  : 
accidentalia  beatitudinis  duplieiter  sumi  possunt  :  vel 
pro  iis  quiv  ab  essentiel  sunt  non  modo  dislinela,  verum 
elium  separabilia;vel  pro  iis  quœ  distinela  quidem  sunt, 
tamelsi  essentiam  necessario  et  semper  comilcnlur.  Billot, 
De  novissimis,  p.  118. 

Aussi,  pour  être  complet,  nous  distinguerons  la 
gloire  accidentelle  improprement  dite  de  la  gloire 
accidentelle  proprement  dite. 

lu  Gloire  accidentelle  improprement  dite.  — Sous  ce 
nom  générique,  on  peut  grouper  les  différents  éléments 
de  la  béatitude,  qui,  inséparables  de  la  gloire  essentielle, 
s'en  distinguent  cependant  formellement.  Bappelons, 
pour  éviter  toute  équivoque,  que,  dans  le  langage  com- 
mun,celte  gloire  accidentelle  rentre  dans  la  gloire  essen- 
tielle, selon  la  remarque  du  card.  Billot.  Voir  col.  1401. 

1.  Conditions  ou  compléments  nécessaires  de  la  gloire 
essentielle.  —  C'est  la  contrepartie  de  l'élément  formel 
de  la  gloire.  Dans  l'opinion  thomiste,  amour  et  jouis- 
sance béatitiques  sont  le  complément  nécessaire  de  la 
vision,  élément  formel,  c'est-à-dire  essentiel  de  la 
gloire.  Dans  l'opinion  scotiste,  c'est  la  vision,  au 
contraire,  qui  n'est  que  la  condition  nécessaire  de  la 
gloire,  lin  un  sens,  ce  seraient  donc  des  éléments 
accidentels  ou  quasi  accidentels  de  la  gloire.  Cf. 
S.  Thomas,  Sum.  theol.,  D  IL',  q.  m,  a.  4  :  *\</  beati- 
tudinem duo  requiruntur  :  unum  quod  est  esse  beatitu- 
dinis, aliud  quml  est  quasi  per  >i:  accidlss  /;.//>, 
scitieel  delectatio   ci   adjuncta. 

2.  Propriétés  de  la  gloire  essentielle.  —  La  perpé- 
tuité de  la  gloire,  l'impeccabilité  de  l'âme  humaine 
sont  des  propriétés  intrinsèquement  dérivées  de  la 
vision  béatifique.  A  ce  litre,  elles  seront  étudiées  à 
l'art.  Intuitive  (Vision);  mais  elles  doivent  être 
signalées  ici  comme  appartenant  au  complément  de 
la  gloire  essentielle. 

3.  Qualités  glorieuses  de  l'âme  béatifiée.  —  De  même 
que  les  corps  glorieux  ont  des  qualités  propres,  dont  la 
source  est  la  gloire  même  de  l'âme  rejaillissant  sur  le 
corps,  voir  Corps  glorieux,  t.  ni,  col.  1900  sq.,  de 
même  l'âme  bienheureuse  sera  dotée  de  qualités  glo- 
rieuses qui  correspondront  aux  opérations  spécifiques 
de  la  gloire,  vision,  amour,  jouissance  béatitiques. 
Les  théologiens  appellent  ces  qualités  dotes  animée 
beulœ,  par  une  métaphore  empruntée  au  terme  du 
droit,  la  dot  de  l'épouse.  La  gloire  éternelle  est  comme 
un  mariage  de  l'âme  avec  Dieu  :  il  est  convenable  que 
l'épouse  s'approche  de  l'époux  ornée  de  qualités  qui 
la  disposeront  à  jouir  en  paix  de  son  mariage,  en  la 
rehaussant  aux  yeux  de  son  époux.  Les  théologiens 
fondent  leur  doctrine  des  dotes  animœ  sur  l'Écriture, 
Apoc,  xxi,  2.  Cf.  II  Cor.,  xi,  2;  Eph.,  v,  23-32.  Pour 
saint  Thomas,  les  qualités  sont,  en  soi,  des  habilus  dispo- 
sant l'âme  à  la  parfaite  béatitude.  Ils  sont  donc  distincts 
des  opérations  qui  constituent  la  gloire.  Sum.  theol., 
IIP  SuppL.q.  xcv,  a.  1,  2.  Ces  qualités  existent  dans 
l'âme  du  Christ  et  chez  les  esprits  angéliques,  mais  non 
à  titre  de  dotes  anima:',  l'âme  du  Christ  et  les  esprits 
angéliques  n'ayant  pas  la  qualité  d'épouses  vis-à-vis 
de  Dieu  et  du  Christ  lui-même,  a.  3,  4.  Il  y  a  trois  dotes, 
l'une,  répondant  à  la  vertu  de  foi,  rend  l'acte  de  vision 
délectable,  et,  du  nom  de  l'opération  à  laquelle  elle 
dispose  l'âme,  se  nomme  vision;  les  deux  autres 
établissent  la  convenance  de  l'objet  au  sujet  et  la 
possession  de  celui-là  par  celui-ci;  la  convenance  est 
établie    par    la  dilection,    la    jouissance    (jruilio),    ou 


1403 


GLOIRE 


1404 


la  délectation  qui  expriment,  sous  des  noms  dilïé- 
rents,  la  qualité  répondant  à  la  charité;  la  possession 
de  l'objet  est  réalisée  par  la  jouissance  dans  le  sens 
d'appréhension  ou  compréhension  ou  tension  vers 
l'objet;  toutes  dénominations  pour  exprimer  la  même 
qualité  répondant  à  l'espérance,  a.  5.  Cf.  S.  Thomas, 
In  IV  Sent.,  1.  IV,  dist.  XLIX,  q.  iv.  Ontologiquement, 
ces  qualités  sont  les  habilus  de  l'âme  bienheureuse;  or, 
ces  habitus  sont  au  nombre  de  deux,  le  lumen  gloritv 
et  la  charité  consommée.  La  qualité  nommée  vision, 
c'est  donc  la  lumière  de  la  gloire  élevant  l'intelligence, 
au-dessus  de  toute  obscurité,  dans  les  régions  de 
l'évidence  et  de  la  clarté  ;  la  compréhension,  c'est  encore 
la  lumière  de  la  gloire,  éloignant  tout  obstacle  à  l'union 
de  l'âme  avec  Dieu;  la  dileclipn  ou  jouissance,  c'est 
toujours  la  lumière  de  la  gloire  jointe  à  la  charité 
consommée  et  disposant  l'âme  à  jouir  pleinement 
de  Dieu.  Mazzella,  De  Deo  créante,  disp.  VI,  a.  4,  n.  1240. 
Cf.  S.  Thomas,  III*  SuppL,  q.  xcv,  a.  5,  ad  3"  '  ; 
Salmanticenses,  op.  cit.,  disp.  II,  dub.  m;  Billuart, 
op.  cit.,  diss.  II,  a.  5,  §  1.  Mais  pour  bien  comprendre 
comment  ces  habilus  peuvent  revêtir  la  formalité  de 
qualités  glorifiant  l'âme  au  titre  de  dots  surnaturelles, 
il  faut  leur  restituer  leur  double  aspect  :  en  tant 
que  principes  des  opérations  qui  constituent  la  gloire 
essentielle,  ils  ne  peuvent  être  appelés  dotes  animer, 
puisque,  loin  d'être  la  dot  du  mariage  spirituel  de  l'âme 
avec  Dieu,  ils  sont  ce  mariage  lui-même  consommé 
entre  Dieu  et  l'âme.  Mais,  par  le  fait  même,  ils  élèvent 
l'âme  à  un  état  glorieux,  très  supérieur  à  l'état  présent, 
et  dans  lequel  sont  supprimées  toutes  les  imperfections  : 
en  tant  que  ces  habitus  de  la  lumière  de  gloire  et  de  la 
charité  consommée  élèvent  ainsi  l'âme  et  la  rendent 
apte  à  entrer  en  commerce  direct  avec  Dieu,  sans 
aucune  des  obscurités  de  la  foi,  dans  la  pleine  clarté 
de  la  vision  faciale,  dans  la  pleine  sécurité  de  la  pos- 
session de  la  divinité,  ils  lui  donnent,  vis-à-vis  de  Dieu, 
une  relation  toute  particulière  qui  fait  véritablement 
que  l'âme  est  l'épouse  dotée  en  vue  de  plaire  à  son 
époux  et  de  jouir  pleinement  de  son  union.  A  ce  titre, 
ils  deviennent  les  dotes  anima'.  Jean  de  Saint-Thomas, 
op.  cil.,  q.  v,  disp.  II,  a.  8,  n.  18. 

Richard  de  Middletown,  In  IV  Sent.,  1.  IV,  dist. 
XLIX,  a.  3,  q.  vu,  a  substantiellement  la  même 
doctrine  que  saint  Thomas  :  pour  lui,  les  dotes  sont 
vision,  amour  et  sécurité,  dont  il  fait  un  habilus  spécial. 
Pierre  de  la  Palu,  ibid.,  q.  vin,  a.  3,  tout  en  maintenant 
une  thèse  identique  à  celle  du  docteur  angélique, 
emploie  les  dénominations  de  vision,  délectation, 
dilection. 

Avec  saint  Bonaventure,  In  IV  Sent.,  I,  IV,  dist. 
XLIX,  a.  1,  q.  v;  D.  Soto,  ibid.,  q.  îv,  a.  3,  nous  avons 
des  dotes  animée  une  conception  différente.  Ce  ne  sont 
plus  des  habitus,  mais  des  opérations,  car  la  lumière  delà 
gloii  e,  qui  est  V habilus  des  âmes  élues,  ne  peut  être  iden- 
tifiée avec  ces  qualités  glorieuses.  Suarez,  op.  cit.,  disp. 
XI,  sect.i,  n.  4,  fait  remarquer  à  juste  titre  que  c'est  là 
une  pétition  de  principe  et  que  saint  Thomas  enseigne 
le  contraire,  IIP'  SuppL,  q.  xcv,  a.  5,  ad  3"'".  Si  ces 
habilus  sont  désignés  par  l'opération,  vision,  compré- 
hension, délectation,  etc.,  c'est  parce  que  la  perfection 
de  la  béatitude,  perfection  à  laquelle  l'âme  est  par  eux 
disposée,  réside  en  cet  acte  dernier,  l'opération. 
Vasquez,  op.  cit.,  disp.  XVIII,  c.  n;  Montesinos, 
Commenlaria  in  /""  IV  Sum.  S.  Thomœ,  Alcala,  1622, 
q.  iv,  a.  3,  disp.  VI,  q.  vi,  maintiennent  la  thèse  de 
saint  Bonaventure. 

Ces  controverses  sont  de  minime  importance  et 
renferment  trop  de  subtilités.  Une  fois  admis  que 
l'expression  :  dotes  animx,  est  une  métaphore  pour 
désigner  l'élévation  de  l'âme  à  un  état  supérieur,  peu 
importe  que  cette  élévation  réside  en  des  opérations 
ou  des  principes  d'opérations.  Les  théologiens  actuels 


n'accordent  presque  plus  d'attention  à  cette  question. 

Parmi  les  théologiens  contemporains,  voir  Mazzelki» 
De  Deo  créante,  Woodstock,  1877,  disp.  VI,  a.  4,  n.  1231- 
1240;  Pesch,  Pnvlecliones  donmatiew,  Fribourg-en-Brisgau, 
1899,  t.  in,  n.  153.  Anciens  auteurs  plus  complets,  Sal- 
manticenses, De  beatitudine,  disp.  II;  Suarez,  De  ultimo  fine 
hominis,  disp.  XI,  sect.  i;  Jean  de  Saint-Thomas,  De  ade- 
ptionè  beatitudinis,  disp.  II,  a.  8;  Gonet,  Clypeus  tlieologiœ 
Ihomisticse,  De  Deo  uHimo  fine,  disp.  V,  a.  1;  Lessius, 
De  beatitudine,  a.  3,  dub.  n;  De  sunimo  bono  et  œterna 
beatitudine  hominis,  1.  II,  c.  xx;  S.  Thomas,  Sum.  theol., 
III»'  SuppL,  q.  xcv;  In  IV  Sent.,  1.  IV,  dist.  XLIX,  q.  iv. 

2°  Gloire  accidentelle  proprement  dite.  —  1.  Existence  d 
caractère  spécifique  de  la  gloire  accidentelle  proprement 
dite.  —  Qu'en  dehors  de  la  gloire  essentielle,  vision, 
amour,  jouissance  béatifiques,  il  y  ait  une  autre  gloire 
pour  les  élus,  c'est  là  une  doctrine  communément 
admise:  a)  l'Écriture  la  suppose  expressément,  Luc,  xv, 
7,  10;  Ps.  exix,  5,6;  Sap.,  m,  7;  Matin.,  xix,  28;  b)  la 
raison  demande  qu'une  essence  créée  reçoive  le  complé- 
ment de  sa  perfection  dans  ses  accidents.  Gloire  essen- 
tielle et  gloire  accidentelle  sont  ontologiquement  des 
accidents  physiques  de  l'âme  bienheureuse;  le  mot 
accidentel  est  donc  employé  ici  analogiquement  pour 
désigner  une  gloire  qui  s'ajoute  à  la  gloire  essentielle. 
Suarez,   op.   cit.,  disp.  XI,  sect.  il,  n.  3. 

Saint  Thomas,  Sum.  theol. ,  I",  q.  xcv,  a.  4,  place 
le  principe  de  la  gloire  accidentelle  dans  le  mérite  lui- 
même,  non  en  tant  qu'il  procède  de  la  charité,  mais 
en  tant  qu'il  est  proportionné  à  la  nature  ou  à  la 
difficulté  de  l'œuvre  méritoire  accomplie.  Envisagé 
sous  son  premier  aspect,  le  mérite  est  récompensé 
par  la  gloire  essentielle  ;  sous  son  second  aspect, 
par  la  gloire  accidentelle.  Cf.  In  Epist.  D.  Pauli  ad 
Romanos,  c.  vin,  lect.  v;  I"°  ad  Cor.,  c.  m,  lect.  n. 
Suarez,  loc.  cit.,  n.  5-8,  accepte  difficilement  cette 
explication  et,  n.  9,  lui  substitue  celle  de  la  bonté 
divine  qui  récompense  les  élus,  non  seulement  dans  les 
limites  de  la  justice,  mais  au  delà,  selon  une  mesure 
bonam  et  confcrlam  et  coagilalam  et  superejjluentem. 
Luc,  vi,  38.  Les  deux  conceptions  peuvent  se  com- 
pléter l'une  l'autre.   Pesch,   op.  cit.,  n.   474. 

On  peut  toutefois  se  demander  quel  caractère 
spécifique  distingue  la  gloire  accidentelle  de  la  gloire 
essentielle.  Certains  théologiens,  Richard  de  Middle- 
town, In  IV  Sent.,  I.  IV,  dist.  XLIX,  a.  5,  q.  i; 
Gabriel  Biel  (suppl.),  ibid.,  q.  m,  et  même  saint  Tho- 
mas, Sum.  theol.,  P,  q.  xcv,  a.  4;  cf.  In  IV  Sent.,  1.  IV, 
dist.  XII,  q.  n,  a.  1,  q.  n,  placent  cette  raison  dans  la 
nature  de  l'objet  de  la  béatitude  :  la  béatitude  essen- 
tielle se  rapporte  à  un  objet  incréé,  la  béatitude  acci- 
dentelle a  un  objet  créé  :  gaudium  (est)  de  bono  crealo 
(S.  Thomas).  Suarez,  loc.  cil.,  fait  remarquer  que  cette 
raison  n'est  pas  complète,  car  la  connaissance  et 
l'amour  de  Dieu,  en  dehors  de  la  vision  béatifique, 
font  partie,  pour  les  élus,  de  la  gloire  accidentelle;  au 
contraire,  la  connaissance  et  l'amour  des  créatures, 
vues  et  possédées  dans  l'essence  divine,  font  partie  de 
la  gloire  essentielle,  dont  les  créatures,  vues  et  possé- 
dées en  Dieu,  forment  l'objet  secondaire.  Voir  Intui- 
tive (Vision).  C'est  donc  au  moyen  de  connaissance, 
plutôt  qu'à  Vobjet  connu,  qu'il  faut  s'attacher  pour 
distinguer  la  gloire  accidentelle  de  la  gloire  essentielle. 
Aussi  Suarez  la  définit-il  exactement,  semble-t-il  : 
Quwlibct  perjectio  bcali  quœ  versalur  extra  objecium 
primarium  et  essenliale  beatifitum,  quod  est  Deus  prout 
bcali  ficus  est,  id  est  claie  visus.  Remarquons  d'ailleurs 
que  l'élément  formel  de  la  gloire,  la  connaissance,  entre 
ici  en  jeu  pour  en  donner  la  définition  exacte. 

2.  Détermination  des  différentes  gloires  accidentelles. 
—  a)  Gloire  accidentelle  particulière  ci  certains  élus.  — 
Cette  gloire  accidentelle,  d'après  les  scolastiques, 
est  réalisée  par  les  auréoles  et  les  fruits  spirituels  ou 


1405 


GLOIRE 


1406 


évangêliques,  auxquels  il  faut  ajouter  les  caractères 
sacramentels.  Toutes  les  âmes  ne  les  posséderont  pas  : 
ce  sera  le  privilège  de  certains  élus.  Les  auréoles  ont 
déjà  élé  étudiées.  Voir  Auréole,  t.  i,  col.  2571  sq. 
Quant  aux  fruits  spirituels  ou  évangéliques,  il  ne  faut 
pas  les  confondre  avec  les  fruits  du  Saint-Esprit, 
éhumérés  dans  l'Épître  aux  Galates,  v,  22,  23.  Voir 
Fruits  du  Saint-Esprit,  col.  944  sq.  D'une  manière 
générale,  la  gloire  essentielle  peut  être  considérée  en 
elle-même  comme  le  fruit  de  notre  travail  de  sancti- 
fication. Rom.,  vi,  22.  Mais,  plus  spécialement,  les 
fruits  spirituels  désignent  métaphoriquement,  comme 
les  auréoles,  une  gloire  accidentelle  que  Dieu  accorde  à 
certains  élus.  La  métaphore  est  empruntée  à  la  para- 
bole, du  semeur.  Matth.,  xm,  3-9.  Les  semences  jetées 
en  terre  produisent,  les  unes  100,  les  autres  60,  d'autres 
en  lin  seulement  30.  C'est  en  se  dégageant  des  liens 
de  la  chair,  pour  progresser  dans  la  vie  spirituelle, 
que  l'homme  obtiendra  ces  fruits  :  Fructus  est  quoddam 
prxmium  quod  debelur  homini  ex  hoc  quod  ex  carnali 
vila  in  spirilualem  transit.  S.  Thomas,  IIP''  Suppl.. 
q.  xevi,  a.  3.  Plus  l'homme  se  dégagera  des  liens  de 
la  chair,  et  plus  son  fruit  sera  abondant  :  le  fruit  est 
donc  la  gloire  accidentelle  proportionnée  aux  dispo- 
sitions mêmes  de  l'âme  s'engageant  dans  les  voies 
de  la  spiritualité,  et  par  là  il  se  distingue,  non  seule- 
ment de  la  gloire  essentielle,  mais  de  l'auréole  qui  est 
la  récompense  accidentelle  de  certaines  œuvres  excep- 
tionnellement méritoires  :  Secundum  ergo  hoc  fructus 
dijfcrt  ab  aurea  et  ab  auréola  :  quia  aurca  consislit  in 
ijaudio  quod  habelur  de  Deo,  auréola  vero  in  gaudio 
quod  habelur  de  operum  perfeelione;  sed  fructus  in 
gaudio  quod  habelur  de  ipsa  disposilione  operanlis 
secundum  gradum  spiritualitatis  in  quem  proficit 
ex  semine  verbum  Dei.  S.  Thomas.  In  IV  Sent., 
1.  IV,  dist.  XLIX,  q.  v,  a.  2,  q.  i.  Cf.  IIP  Suppl., 
q.  xevi,  a.  2.  Les  fruits  spirituels  sont  attachés  prin- 
cipalement à  la  vertu  de  continence  qui  seule  nous 
fait  fructifier  dans  le  sens  du  détachement  de  la  vie 
charnelle;  les  proportions  de  100,  60  et  30  indiquées 
par  saint  Matthieu  représentent  les  trois  sortes  de 
continence,  celle  des  vierges,  celle  des  veuves  et  celle 
des  gens  mariés.  S.  Thomas,  loc.  cil.,  q.  il,  et  in,  a.  3,  4. 
Cf.  Gonet,  op.  cit.,  disp.  V,  a.  4. 

Tous  les  anciens  théologiens,  et  Scot  lui-même, 
In  IV  Sent.,  1.  IV,  dist.  XLIX,  q.  v,  admettent  que 
l'auréole  diffère  ontologiquement  des  fruits  spirituels, 
et  voient  sous  ces  expressions  métaphoriques  des 
réalités  représentant  certaines  béatitudes  accidentelles. 
Des  théologiens  plus  récents,  Suarez  tout  particulière- 
ment, op.  cit.,  disp.  XII,  sect.  m,  considèrent  que  les 
trois  degrés  exprimés  par  saint  Matthieu  ne  signifient 
pas  nécessairement  des  degrés  de  gloire  accidentelle. 
La  métaphore  des  fruits  spirituels  pourrait  bien  ne 
désigner  que  les  degrés  de  la  gloire  essentielle  elle- 
même.  S.  Thomas,  In  Evangel.  Midlhœi,  c.  xm,  adopte 
ce  sentiment.  Cf.  Pesch,  op.  cit.,  n.  511. 

D'ailleurs,  les  Pères  se  sont  prononcés  en  des  sens  si 
divers  qu'on  ne  peut  trouver  chez  eux  d'interpréta- 
tion authentique.  Saint  Jérôme,  In  Matlh.,  P.  L.,  t. 
xxvi,  col.  39,  favorise  l'interprétation  de  saint  Thomas; 
saint  Augustin,  Quœslioens  in  Evangel.  sec.  Matlh.,  ix, 
P.  L.,  t.  xxxv,  col.  1325;  Paschase  Radbert.  In  Matlh., 
part.  VII,  P.  L.,  t.  cxx,  col.  490;  Bruno  d'Asti,  ibid., 
P.  L.,  t.  clxv,  col.  189,  appliquent  la  parabole  aux 
martyrs,  aux  vierges,  aux  gens  mariés.  Bruno  d'Asti, 
loc.  cit.,  entend  également  parler  des  contemplatifs, 
des  actifs  et  de  ceux  qui  mènent  une  vie  commune. 
Cf.  S.  Grégoire  le  Grand,  In  Ezcchiclem,  1.  I,  homil. 
v,  n.  12,  P.  L.,  t.  lxxvi,  col.  826.  Saint  Augustin,  De 
sanela  virginilale,  c.  xlv,  P.  L.,  t.  xl,  col.  423,  expose 
d'abord  l'opinion  que  reprend  saint  Thomas,  mais 
conclut  que  ces  différents  fruits  représentent  plus  gé- 


néralement les  différents  degrés  de  vertu.  Même  inter- 
prétation chez  l'auteur  de  VOpus  imperfeetum  in 
Matlh.,  P.  G.,  t.  lvi,  col.  705.  Théophylacte,  In  Matlh., 
P.  G.,  t.  cxxv,  col.  284,  applique  la  parabole  aux 
contemplatifs,  aux  actifs  et  à  ceux  qui  débutent  dans 
la  perfection  de  la  foi.  Les  incipienles,  proficienlcs  et 
perfecti  se  retrouvent  chez  Denys  le  Chartreux,  In  IV 
Evangelia,  Paris,  1555.  La  liturgie  de  l'Église  fait  allu- 
sion, avec  une  application  différente,  à  la  parabole  de 
Matth.,  xm,  3,  9,  dans  l'hymne  des  laudes  de  saint 
Jean-Baptiste,  vierge,  docteur,  martyr,  Secta  1er  dénis 
alios  coronant,  etc.  Voir  aussi  :  S.  Jérôme,  Adu.  Jovin., 
1.  I,  n.  1;  Epist.,  xlviii,  n.  2,  P.  L.,  t.  xxm,  col.  212; 
t.  xxn,  col.  495;  S.  Cyprien,  Epist.,  lxxvi,  n.  6,  P.  L., 
t.  iv,  col.  418,  qui  appliquent  ces  degrés  aux  degrés  de 
la  gloire  essentielle  niés  par  les  hérétiques  de  leur 
temps.  Cette  dernière  interprétation  est  la  plus  com- 
mune chez  les  exégètes  plus  récents  et  correspond 
mieux  à  la  pensée  de  Notre-Seigneur.  Les  théologiens 
font  remarquer  à  bon  droit  que  le  caractère  sacramentel 
sera  lui  aussi  un  sujet  de  gloire  accidentelle  pour  les 
élus,  parce  qu'il  restera  la  marque  indélébile  de  leur 
fidélité.  Cf.  S.  Thomas,  Sum.  Iheol.,  III",  q.  xlv,  a.  5, 
ad  3"". Voir  Caractère  sacramentel,  t.  il,  col.  1706. 

S.  Thomas,  In  IV  Sent.,  1.  IV,  dist.  XLIX,  q.  v,  a.  2;  Sum. 
thcol.,  î  Suppl.,  q.  xevi,  a.  2,  3,  4;  Suarez,  De  ultitno  fine 
hominis,  disp.  XI,  sect.  m,  n.  5;  Gonet,  De  ultimo  fine 
hominis,  disp.  V,  a.  4;  Knabenbauer,  Evangelium  secun- 
dum Matllœum,   Paris,   1892,   p.  524,   525. 

b)  Gloire  accidentelle  commune  à  tous  les  élus.  — 
a.  Dans  l'âme. —  Nous  laissons  présentement  de  côté 
les  biens  d'ordre  surnaturel  que  Dieu  accorde,  dès 
ici-bas,  à  l'âme  ornée  de  la  grâce  sanctifiante  et  qui 
la  suivront,  pour  sa  gloire,  dans  le  ciel.  Il  y  a  corres- 
pondance entre  la  grâce  et  la  gloire,  et  rénumération 
de  ces  biens  sera  logiquement  à  sa  place  plus  loin, 
quand  nous  traiterons  de  la  grâce  et  de  la  gloire. 
Bappelons  toutefois  que  ces  perfections  d'ordre  sur- 
naturel sont  un   motif   de   gloire  accidentelle. 

a.  Biens  de  V intelligence.  —  La  foi  ne  nous  enseigne 
rien  directement  en  dehors  de  la  vision  béatifique. 
touchant  les  perfections  de  l'intelligence  glorifiée. Les 
Pères  enseignent  communément,  voir  Intuitive  (Vi- 
sion), que  l'ignorance  et  l'erreur  ne  peuvent  trouver 
place  dans  la  connaissance  des  élus.  Il  faut  entendre 
cette  ignorance  dans  un  sens  privatif,  non  négatif; 
les  élus,  en  elîet,  auront  toutes  les  connaissances 
que  comporte  leur  état;  mais  n'étant  pas,  par  le  fait 
de  la  béatitude,  omniscients,  ils  resteront  dans  la 
nescience  à  l'égard  de  beaucoup  de  choses.  S.  Thomas, 

In    IV  Sent.,  dist.    XLIX,    q.  Il,    a.  5,    ad    8 .Mais 

comme,  d'autre  part,  la  gloire  doit  être  le  comble  de 
tous  les  biens  et  la  satisfaction  de  tous  les  désirs, 
exige-t-elle,  en  plus  de  la  vision  intuitive,  un  mode 
de  connaissance  d'ordre  naturel  qui  en  est  comme 
le  complément  et  l'accessoire  ? 

Nous  n'avons,  sur  ce  point,  que  les  opinions  des 
théologiens. —  On  admet  communément  contre  Albert 
le  Grand,  In  IV  Sent.,  1.  III,  dist.  XXXI,  a.  10,  avec 
saint  Thomas,  Sum.  theol.,  P,  q.  lxxxix,  a.  5,  6,  que 
les  habiius  et  les  actes  de  la  science  acquise  ici-bas 
demeurent  dans  les  âmes  séparées,  bien  que  le  mode 
d'agir  de  l'intelligence,  tant  que  l'âme  sera  séparée  du 
corps,  ne  s'exercera  plus  par  une  conversion  vers  les 
images  sensibles,  1°  IIa\  q.  lxvii,  a.  2.  Cf.  Capréolus,  In 
IVSenl..\.  XXXI  et  XXXII,  dist.III,  q.un.,a.2,§  2; 
Durand  de  Saint-Pourçain,dist.  XXXI,  q.  ni.  La  parole 
de  saint  Paul,I  Cor.,  xm,  S.  scienlia  deslruelur,  ne  s'ap- 
plique qu'à  une  grâce  gratuitement  donnée,  analogue 
aux  dons  de  prophétie  et  des  langues.  Voir  Estius,  Bis- 
ping,  dans  leurs  commentaires  sur  ce  passage.  Le  sou- 
venir des  événements,  des  personnes,  des  affections,  des 
luttes  d'ici-bas  suivra  donc  les  âmes  dans  la  gloire  et 


1407 


GLOIHE 


1408 


sera  pour  elles  un  sujet  de  gloire  complémentaire,  | 
si  tout  cela  a  été  une  occasion  de  mérite  pour  elles. 
Cf.  S.  Thomas,  ibid.,  a.  4,  8.  Elles  se  réjouiront  du  j 
bien  accompli  ici-bas.  q.  xxm,  a.  6,  ad  1"".  —  Les  âmes, 
comme  les  anges,  peuvent  se  communiquer  leurs 
pensées,  quelles  que  soient  d'ailleurs  les  différentes  | 
explications  scolastiques  du  langage  angélique.  Voir 
Angéloi.ogie,  t.  i,  col.  1241  sq.;  S.  Thomas,  ibid.,  \ 
a.  2.  C'est  d'ailleurs  une  vérité  que  nous  pouvons  j 
déduire  de  la  gloire  accidentelle  que  donne  aux  élus 
la  société  des  bienheureux.  Cette  société,  voir  plus 
loin,  ne  peut  contribuer  à  la  gloire  des  élus  qu'à  la 
condition  d'être  véritablement  telle  et  de  comporter 
la  communication  des  élus  entre  eux.  —  Outre  ces  deux 
sciences,  l'une  acquise  ici-bas,  l'autre  reçue  des  esprits 
ou  des  âmes  séparées,  il  est  très  probable  que  l'in- 
telligence des  élus  recevra  une  nouvelle  perfection 
d'une  troisième  science,  directement  infusée  par  Dieu. 
Certains  théologiens,  Grégoire  de  Valence,  In  /,'"  Sum. 
S.  Thomas,  disp.  I,  q.  n,  p.  vi,  q.  iv,  assert.  1;  Les- 
sius,  De  summo  bono,  1.  II,  c.  xix,  n.  155,  tout  en  ad- 
mettant, en  paroles,  une  science  infuse  chez  les  élus, 
la  nient  en  réalité.  Les  autres  admettent  communé- 
ment cette  science  d'ordre  naturel,  mais  infuse,  chez 
les  élus,  comme  ils  l'admettent  dans  l'humanité  du 
Christ.  Cf.  S.  Thomas,  Sum.  theol.,  I",  q.  lxxxix,  a.  1; 
Suarez.  op.  cit.,  disp.  VIII,  sect.  i,  n.  9. Voir  un  bon 
résumé  de  la  question  dans  Billot,  De  Verbo  incar- 
nedo,  Rome,  1912,  thes.  xx,  §  1.  —  La  vision  béati- 
tique  n'empêche  pas  les  autres  opérations  naturelles 
à  l'intelligence.  La  preuve  théologique  de  cette  as- 
sertion se  trouve  dans  la  personne  même  du  Verbe 
incarné,  en  qui  la  vision  béatifique  s'alliait  au  fonction- 
nement normal  non  seulement  de  l'intelligence  et  de  la 
volonté  humaine,  mais  encore  des  facultés  inférieures. 
Cf.  S.  Thomas,  De  veriiate,  q.  xm,  a.  3,  4;  Billot, 
De  Vcrbo  incarnalo,  thes.  xx,  §3.  Si  cette  alliance  paraît 
impossible  dans  le  cas  d'un  ravissement  où  Iransiloire- 
ment  un  simple  mortel  serait  élevé  à  la  vision  intuitive, 
comme  le  pensent,  de  saint  Paul,  saint  Augustin, 
Ad  Paulinam,  Epist.,  cxlvii  (cxn),  c.  xm,  n.  31,  P.  L., 
t.  xxxm,  col.  G10,  et  saint  Thomas,  Sum.  theol.,  IL  IV, 
q.  clxxv,  a.  3,  4;  De  veriiate,  q.  xm,  a.  2,  3;  In 
Epist.  II""  ad  Cor.,  c.  xn,  lect.  n,  la  même  incompa- 
ti bilité  n'existe  plus  lorsqu'il  s'agit  de  l'état  de 
béatitude.  S.  Thomas,  Sum.  theol.,  loc.  cit.,  a.  4, 
ad  1'""  et  2"ra;  Terrien,  La  grâce  et  la  gloire,  Paris, 
s.  d.  (1897),  t.  n,  p.  292,  293. 

Ces  principes  rappelés,  on  comprendra  plus  facile- 
ment les  hypothèses  suivantes  des  grands  théolo- 
giens. —  L'état  de  gloire  étant  l'état  de  la  perfection  qui 
convient  à  chacun  des  élus,  il  semble  nécessaire  que 
les  intelligences  qui  n'ont  pas  reçu  ici-bas  la  perfection 
qu'elles  eussent  naturellement  comportée,  la  reçoivent 
connaturcllement  de  Dieu  dès  le  premier  instant  de  la 
béatitude.  L'intelligence  doit  être,  sous  ce  rapport, 
aussi  favorisée  que  le  corps,  voir  Corps  glorieux, 
l.  m,  col.  1898;  donc  elle  doit  recevoir  de  Dieu  le 
supplément  de  perfection  qui  lui  manque.  Elle  ne  le 
pourra  recevoir  que  par  une  science  infuse  per  aceidens 
des  choses  de  l'ordre  naturel.  Suarez,  op.  cit.,  sect.  il, 
n.  5,  appliquant  les  principes  de  saint  Thomas, 
Sum.  Ihcl.,  L  IL',  q.  m,  a.  C,  7.  —  La  vision  intuitive 
ne  procurant  pas  l'omniscience,  et  n'étant  d'ailleurs, 
quant  à  son  intensité  et  à  son  extension,  accordée 
qu'en  proportion  de  la  grâce  et  des  mérites  de  chaque 
élu,  laisse  supposer  que  Dieu  suppléerait,  le  cas  échéant, 
à  l'insuffisance  de  la  vision  béatifique  par  une  révéla- 
tion nouvelle,  appartenant  par  là-même  à  la  gloire 
accidentelle  :  Certc  diccre  possumus  quœ  in  hoc  capite 
diximus  (l'objet  secondaire  de  la  vision  intuitive) 
cum  limilalione  esse  aecipienda  cl  quasi  sub  condilione, 
si  talia  fuerint  mérita  bcaii  in  hac  vila,  ul  per  eu  mcrueril 


prœdicta  omnia  obtinerc  cl  videre  per  suam  csscntialem 
beatiludinem.  Quod  si  talia  non  fuerint,  salis  erit,  quod 
PEU  Gi.oniAM  ACCIDEXTALEir,  seu  per  novas  rcvcla- 
tioncs  aligna  videat.  Suarez,  De  dioina  substanlia 
ejusque  atlribulis,  1.  II,  c.  xxvnr,  n.  20.  —  Il  semble 
même  qu'un  certain  nombre  de  choses  ou  d'événe- 
ments ou  d'actions  ne  doivent  être  connus  cpie  par 
une  science  distincte  de  la  vision  intuitive  et  se  rappor- 
tant, par  conséquent,  à  la  gloire  accidentelle.  La  vision 
intuitive,  en  effet,  comporte  une  connaissance  tou- 
jours actuelle  de  son  objet,  tant  primaire  que  secondaire, 
Sum.  theol.,  1",  q.  xn,  a.  10,  et  cette  connaissance, 
parce  que  toujours  en  acte,  est  immuable  et  éternelle. 
Voir  plus  loin,  col.  1414.  Or,  il  est  peu  admissible  que 
des  actes  comme  les  prières,  les  vœux,  les  fêtes, 
les  honneurs  rendus  et  autres  semblables  concernant 
les  élus  soient  connus  par  les  bienheureux  par  la 
vision  intuitive  au  même  titre  que  l'essence  divine 
elle-même.  En  comparaison  de  la  gloire  essentielle,  ce 
sont  événements  de  peu  d'importance,  surtout  lors- 
qu'ils sont  déjà  passés.  D'ailleurs,  il  n'est  point  dans 
l'ordre  d'avoir  constamment  l'attention  fixée  sur  les 
honneurs  et  les  hommages  reçus.  Et  il  faut  ranger 
aussi,  au  nombre  des  objets  d'une  science  distincte 
de  la  vision  intuitive,  les  soucis  de  la  prospérité  des 
œuvres  fondées,  les  préoccupations  matérielles,  etc. 
Lessius,  De  summo  bono,  1.  II,  c.  x,  n.  69.  Voir  l'opi- 
nion contraire  dans  Suarez,  De  atlribulis  negalivis  Dei, 
c.  xxviii,  n.  18. — Enfin,  les  théologiens  qui  admettent 
la  simultanéité  de  la  vision  béatifique  et  de  la  science 
infuse,  portant  toutes  deux  sur  les  mêmes  objets, 
acceptent  volontiers  que  les  mêmes  connaissances 
concourent  à  la  fois,  selon  le  mode  qui  les  produit,  à 
la  gloire  essentielle  et  à  la  gloire  accidentelle.  C'est  la 
thèse  de  saint  Augustin  dans  la  double  connaissance, 
matinale  et  vespérale,  des  anges.  Voir  t.  i,  col.  1200; 
cf.  S.  Thomas,  Sum.  theol.,  L,  q.  lviii,  a.  G,  7.  La 
sécurité  et  la  continuité  de  la  gloire  accidentelle  de 
l'intelligence  sont  suffisamment  sauvegardées  en  ce 
que  les  élus  pourront  considérer  quand  et  comme 
ils  le  voudront  les  objets  de  cette  gloire  et  passer  sans 
discontinuer  de  l'un  à  l'autre.  Suarez,  De  ullimo  fine 
hominis,  disp.  XIV,  sect.  i,  n.  4.  —  Telles  sont  les 
hypothèses  générales  que  l'on  peut  rappeler.  L'art. 
Intuitive  (Vision)  exposera,  avec  les  détails  voulus, 
quels  objets  les  élus  atteignent  par  leur  connaissance. 

Outre  les  auteurs  cités,  consulter  C.  Pcsch,  Pnelcctioncs 
dogmaticœ,  t.  m,  prop.  11,  n.  476-484. 

[j.  Biens  de  la  volonté.  —  Les  perfections  de  l'intel- 
ligence entraînent  celles  de  la  volonté,  dans  la  béati- 
tude accidentelle,  comme  dans  la  béatitude  essen- 
tielle. Il  suffit  donc,  d'une  manière  générale,  de  dire 
que  la  connaissance,  dans  l'une  et  l'autre  béatitude, 
se  complète  par  l'amour  et  la  jouissance.  Cf.  Joa.,  xvi, 
24;  Ps.  xiv,  15.  Saint  Augustin  résume  la  doctrine 
catholique  en  quelques  mots  :  Omncs  bcali  hubcnl 
quod  volunt.  De  Trinilate,  1.  XIII,  c.  v;  cf.  c.  vu, 
P.  L.,  t.  xlii,  col.  1020  sq. 

Nulle  contrariété  de  la  volonté,  dans  la  possession 
et  la  jouissance  des  objets  qu'elle  peut  désirer,  aussi 
bien  dans  la  gloire  accidentelle  que  dans  la  gloire 
essentielle.  Nulle  tristesse  possible,  Is.,  xxv,  8;  Luc, 
vi,  24;  Apoc,  vu,  10,  17;  xxi,  4;  xxn,  3-5;  car  les 
bienheureux  n'en  ont  aucun  motif,  n'envisageant 
toutes  choses  que  selon  l'ordre  de  la  gloire  divine, 
laquelle  est  toujours  réalisée  par  la  manifestation 
d'un  des  attributs  divins,  miséricorde  ou  justice. 
Au  sujet  de  la  gloire  accidentelle  de  la  volonté,  deux 
problèmes  se  posent.  D'abord,  l'âme  sainte  désire  se 
réunir  à  son  corps  afin  de  faire  participer  celui-ci  à  sa 
gloire.  Ce  désir,  ne  devant  être  satisfait  qu'à  la  résur- 
rection générale,  n'entraîne-t-il  pas  à  sa  suite  une 
certaine    tristesse   présente?  Ensuite,  l'âme  sainte  ne 


1409 


GLOIRE 


1410 


souflïira-t-elle  pas  du  souvenir  de  ses  péchés  ou  de 
la  perte  éternelle  de  ses  amis  et  proches? 

Saint  Thomas  a  indiqué  la  solution  du  premier 
problème.  Sum.  theol.,  F  IF',  q.  iv,  a.  5,  ad  4"'"  et  5"m. 
L'âme  n'éprouve  aucune  tristesse  :  ayant  tout  ce  qu'elle 
peut  désirer,  elle  est  satisfaite,  quoiqu'elle  ne  possède 
pas  encore  la  gloire  de  toutes  les  façons  dont  il  lui 
serait  possible  de  la  posséder  :  elle  attend  donc  qu'un 
nouvel  état  lui  permette  de  faire  participer  le  corps 
à  sa  gloire;  mais  elle  ne  souffre  pas  de  cette  attente, 
ayant  tout  ce  qu'elle  peut  avoir  et  désirer  pour  son 
état  présent.  D'ailleurs,  parler  d'attente,  c'est  mal 
s'exprimer.  La  gloire  de  l'âme  est  éternelle,  c'est-à- 
dire  tout  en  acte,  voir  Éternité,  t.  v,  col.  919  : 
le  temps  n'existe  plus,  et  c'est  notre  imagination  qui 
nous  trompe  lorsque  nous  nous  figurons  l'âme  attendant 
la  résurrection.  Cf.  Billot,  De  novissimis,  thés,  ix,  §  1, 
in  fine. 

Le  second  problème  a  sa  solution  générale  dans  ce 
que  nous  avons  dit  plus  haut  :  les  élus  n'envisagent 
toutes  choses  que  selon  l'ordre  de  la  gloire  divine  : 
ils  jugeront  les  pécheurs  comme  tels,  c'est-à-dire 
comme  ennemis  de  Dieu  et,  à  ce  titre,  seront  heureux 
de  les  rejeter  :  Si  homines  nolunl  salvari,  sed  in  suis 
peccatis  obslinali  sunt,  beati  eos  considérant  ut  hostes 
Dei  et  suos,  et  volunl  eos  débitas  pœnas  subire,  etiamsi 
in  vila  peccalores  eorum  amici  et  propinqui  fuerunt, 
quia  non  caro  et  sanguis  regnum  Dei  obtinenl,scd  amor 
spiritualis,  quo  omnia  in  Dco  et  propter  Deum  amanlur. 
S.  Thomas,  In  IV  Sent.,  1.  IV,  dist.  L,  q.  xi,  a.  4. 
Cf.  Lessius,  De  summo  bono,  1.  II,  c.  xn,  n.  88.  Mais 
cette  solution  ne  pourra  être  pleinement  comprise  que 
lorsqu'on  aura  exposé  comment  la  vision  béatifique 
règle  toutes  les  pensées,  toutes  les  volontés,  toutes 
les  affections  des  élus.  Aussi,  pour  éviter  les  redites, 
on  voudra  bien  se  reporter  à  Intuitive  (Vision). 

b.  Dans  le  corps  ressuscité.  —  La  gloire  de  l'âme 
rejaillira  sur  le  corps  :  de  là,  une  nouvelle  gloire  acci- 
dentelle, qui  a  été  étudiée  à  Corps  glorieux,  t.  ni, 
col.  1879.  Mais  la  réunion  de  l'âme  au  corps  reconsti- 
tuera les  facultés  organiques,  qui,  dans  l'âme  séparée, 
ne  subsistaient  qu'à  l'état  virtuel.  S.  Thomas,  Sum. 
theol.,  r,  q.  lxxvii,  a.  8.  La  gloire  accidentelle  trouvera- 
t-elle  un  nouvel  élément  dans  l'exercice  de  ces  facul- 
tés sensibles?  Cf.  Job,  xix,  27;  Apoc,  xn,  1;  vu,  9, 
pour  les  yeux;  Apoc.,  iv,  10,  11;  xiv,  3,  4;  Tob.,  xni, 
22,  pour  les  oreilles.  On  adapte  à  l'odorat  Cant.,  iv, 
10,  15;  au  goût  Apoc,  n,  17.  Les  scolastiques  ont 
émis  beaucoup  d'hypothèses.  Voir  S.  Thomas,  Sum. 
theol.,  IH,e  Suppl.,  q.  lxxxii,  a.  4;  et  surtout  Les- 
sius, De  summo  bono,  1.  III,  c.  vin,  n.  101-103.  Le 
P.  de  Smet,  Notre  vie  surnaturelle,  Bruxelles,  1910, 
t.  i,  p.  293,  a  bien  résumé  la  doctrine  de  ces  deux 
théologiens  en  montrant  que,  si  les  jouissances  pro- 
pres aux  trois  sens  plus  matériels  de  la  nature  ani- 
male, goût,  odorat,  toucher,  devaient  être  spirituali- 
sécs  pour  concourir  à  la  gloire  accidentelle  des  élus, 
la  chose  est  plus  facile  à  expliquer  pour  la  vue  et 
l'ouïe.  La  musique  qui  ravira  les  oreilles  des  élus, 
après  la  résurrection,  sera  non  seulement  mentale, 
mais  vocale.  S.  Thomas,  Sum.  theol.,  IIP3  Suppl., 
q.  lxxxii,  a.  4;  In  IV  Sent.,  1.  II,  dist.  II,  q.  n,  a.  2, 
ad  5"";  Lessius,  op.  cit.,  c.  vin,  n.  99.  La  principale 
gloire  des  yeux  sera  de  contempler  le  corps  glorieux 
du  Sauveur.  S.  Thomas,  In  IV  Sent.  1.  IV,  dist. 
XLIX,  q.  n,  a.  2. 

En  plus  des  auteurs  cités  :  Suarez,  De  îmjsteriis  vilce 
Chrisli,  disp.  XLVII,  sect.  vi. 

c.  Dans  les  biens  extérieurs.  —  ■/..  Terre  et  deux 
renouvelés.  —  Si  le  monde  doit  être  renouvelé  après 
la  résurrection  générale,  les  cieux,  la  terre  ainsi  res- 
taurés apporteront,  par  leur  perfection  même,  un  nou- 

DICT.    DE  TllÉOL.  CATHOL. 


veau  motif  de  gloire  accidentelle  aux  élus.  Le  ciel 
empyrée  où  habitent  les  bienheureux  est  à  lui  seul 
un  ravissant  spectacle  pour  leurs  yeux.  Cf.  Grégoire 
de  Valence,  In  I'm  Sum.  S.  Thomœ,  disp.  V,  q.  n, 
p.  n,  q.  v;  S.  Thomas,  Sum.  theol.,  I",  q.  lxvi,  a.  3; 
Suarez,  De  mijsleris  vitse  Chrisli,  disp.  LVIII,  sect.  n; 
Lessius,  De  summo  bono,  1.  III,  n.  98,  99.  Nous 
ne  nous  attarderons  pas  à  développer  une  doctrine 
dont  les  fondements  ont  été  suffisamment  explorés 
aux  art.  Fin  du  monde,  t.  v,  col.  2516  sq.,  et  Ciel, 
t.  n,  col.  2504.  Voir  aussi  de  Smet,  op.  cit.,  p.  295,  note. 

(3.  La  société  des  élus.  —  Les  élus  se  retrouveront 
et  se  reconnaîtront  au  ciel,  non  seulement  par  la 
vision  intuitive,  mais  par  les  communications  directes 
qu'ils  pourront  avoir  entre  eux.  Nier  qu'ils  puis- 
sent communiquer  directement  entre  eux  serait  leur 
enlever  un  exercice  légitime  de  leurs  facultés,  ce  qui 
est  contre  le  concept  même  de  la  gloire,  qui  doit  être 
le  comble  de  tous  les  biens  et  le  rassasiement  de  tous 
les  désirs.  Cette  société  n'est  pas  requise  sans  doute  à 
la  gloire  essentielle,  mais  elle  fera  partie  de  la  gloire 
accidentelle  des  élus.  S.  Thomas,  Sum.  theol.,  F  IF', 
q.  iv,  a.  8.  Les  élus  s'aimeront  au  ciel  «  par  l'effet  de 
la  vertu  de  charité  infuse  qui  demeurera  en  nous  à 
un  degré  de  suprême  perfection,  de  l'amour  le  plus 
tendre  et  le  plus  ardent,  qui  sera  encore  nourri  et 
constamment  accru  par  la  connaissance  toujours  plus 
parfaite  que  nous  aurons  de  leurs  perfections  naturelles 
et  surnaturelles,  bien  supérieures  à  tout  ce  que  nous 
pouvons  rencontrer  ici-bas  de  plus  ravissant  parmi 
nos  semblables,  et  sans  aucun  mélange  d'imperfection 
positive  déplaisante.  »  De  Smet,  op.  cit.,  p.  303. 
Cf.  S.  Thomas,  Sum.  theol.,  IF    IF',  q.    xxvi,  a.  13. 

L'Écriture,  parlant  du  ciel,  le  désigne  souvent  comme 
le  lieu  de  rendez-vous  des  élus,  lieu  où  ils  régneront 
ensemble  avec  le  Christ.  Voir  Ciei  ,  t.  n,  col.  2470, 
2477.  Ils  formeront  donc  une  société,  où  ils  se  retrou- 
veront et  se  connaîtront.  Voir  également  Communion 
des  saints,  t.  m,  col.  430,  et,  en  particulier,  ce  qui 
concerne  l'Église  triomphante,  col.  467  sq.  Rappelons 
simplement  ici  que  l'Écriture  présente  le  séjour  des 
élus  comme  une  société,  un  royaume,  où,  en  compagnie 
de  Jésus,  Luc,  xxm,  43,  et  des  anges,  Matth.,  xvm, 
10,  les  justes  seront  la  joie  du  Seigneur,  Matth.,  xxv, 
21,  23,  pour  la  vie  éternelle.  Matth.,  xxv,  46;  xix,  17; 
Marc,  ix,  43-45.  C'est  encore  un  festin,  où  se  réu- 
nissent les  convives,  Luc,  xxn,  30;  Matth.,  vin,  11; 
xxn,  1-14;  xxvi,  29.  Cf.  Frey,  Royaume  de  Dieu, 
dans  le  Dictionnaire  de  la  Bible  de  M.  Vigouroux, 
t.  v,  col.  1248,  1249.  Les  anges  portent  Lazare  dans 
le  sein  d'Abraham,  Luc,  xvi,  22;  les  habitants  du 
ciel  se  réjouissent  à  la  conversion  d'un  pécheur,  Luc, 
xv,  7,  10;  Marthe  espère  bien  retrouver  plus  tard  son 
frère,  Joa.,  xi,  24;  Jésus,  ripostant  aux  Sadducéens, 
Matth.  xxn,  30,  dégage  la  société  des  élus  des  appé- 
tits grossiers  que  l'état  de  gloire  ne  comporte  plus; 
mais  suppose  expressément  que  les  élus  se  retrou- 
veront. 

La  tradition  propose  également  cette  vérité.  On 
peut  en  trouver  les  témoignages  explicites  aux  art. 
Ciel  et  Communion  des  saints.  La  société  des 
saints  et  des  anges,  comme  faisant  partie  du  bonheur 
des  élus,  est  insinuée  ou  affirmée  dans  la  Didachè, 
xvi,  7;  par  S.  Clément,  !■'  Cor.,  xxxiv,  xxxv;  par 
Hermas,  Paslor,  Sim.,  ix,  27,  3;  Vis.,  n,  7;  par  S.  Po- 
lycarpe,  Ad  Phil. ,n,  l;v,  2;  dans  Y  É  pitre  àDiognèie, 
vi,  3;  v,  5,  9;  par  S.  Justin,  Apol.,  n,  1;  Dial.  cuni 
Tryph.,  56  ;  LTepl  àvaaTaasfoç,  7,  P.  G.,  t.  vi,  col.  441, 
612,  1589;  par  S.  Hippolyte,  De  Aniichristo,  31,  59, 
P.  G.,  t.  x,  col.  752,  780  (voir,  sur  la  vraie  pensée 
de  S.  Hippolyte,  d'Alès,  La  théologie  de  S.  Hippolyi'e, 
Paris,  1906,  p.  179  sq.);  Clément  d'Alexandrie,  Pwd., 
n,  12;  Strom.,  VII,  2,  P,  G.,  t.  ix,  col.  541;  t.  vin, 

VI.  -  13 


1411 


GLOIRE 


1412 


col.  40S;  Origène,  De  princ,  1.  II,  c.  xi,  n.  6;  1.  I, 
c,  vi,  n.  2;  De  oraiione,  n.  11,  P.  G.,  t.  xi,  col.  246, 
1G6,  419;  Terlullien,  De  anima,  55,  P.  L.,  t.  n, 
col.  712-714;  S.  Grégoire  le  Thaumaturge,  Sermo  pa- 
ncgyricus  in  honorera  sancli  Siephani,  2,  dans  Pitra, 
Analecla  sacra,  t.  iv,  p.  409.  Mais  déjà,  à  cette  époque, 
plusieurs  Pères  envisagent  cette  vérité  sous  l'aspect 
qui  nous  occupe,  à  savoir  que  la  société  du  ciel 
sera  la  continuation  des  liens  delà  terre  et  contribuera 
de  ce  chef  à  procurer  aux  élus  une  nouvelle  gloire 
accidentelle.  Saint  Irénée,  commentant  l'histoire  du 
mauvais  riche  et  de  Lazare,  rappelle  que  «  les  âmes 
continuent  de  se  connaître  et  de  se  rappeler  les 
choses  qui  sont  ici-bas.  »  Conl.  hxr.,  1.  II,  c.  xxxiv, 
n.  1,  P.  G.,  t.  vu,  col.  831.  Saint  Cyprien,  arrêtant  son 
regard  sur  le  ciel,  assure  que  «  nous  y  sommes  atten- 
dus par  un  grand  nombre  de  personnes  qui  nous 
sont  chères,  que  nous  y  sommes  désirés  par  une  foule 
considérable  de  parents,  de  frères  et  d'enfants  qui, 
désormais  assurés  de  leur  immortalité,  conservent 
encore  de  l'inquiétude  pour  notre  salut.  »  De  morta- 
lilalc,  c.  xxvi  ;  cf.  Epist.,  lvi,  ad  Thibarilanos,  P.  L., 
t.  iv,  col.  601,  357. 

De  beaucoup  d'ouvrages  de  saint  Ambroise,  voir 
Ciel,  t,  n,  col.  2181,  se  dégage  l'union  mystique  des 
élus  entre  eux  et  avec  le  Christ.  Mentionnons  tout 
particulièrement  les  espérances  du  saint  évêque, 
pleurant  son  frère  Satyrus,  mais  auquel  il  espère 
pouvoir  bientôt  se  réunir,  De  excessu  fralris  Salijri, 
1.  I,  n.  79;  1.  II,  n.  135;  cf.  n.  53  sq.,  P.  L.,  t.  xvi, 
col.,  1311,  1354,  1329.  Saint  Jérôme  (voir  t.  n, 
col.  2485),  réfutant  Vigilance,  n'admet  pas  que  les 
saints  ne  puissent  plus  maintenir  au  ciel  les  relations 
d'affection  qu'ils  ont  pu  avoir  ici-bas.  Epist.,  lxxv, 
n.  2,  P.  L.,  t.  xxn,  col.  686.  Saint  Augustin,  quelles 
que  soient  les  hésitations  de  sa  pensée  sur  la  nature 
du  ciel  (voir  t.  n,  col.  2485-2486),  affirme  que  les  élus 
o  se  connaîtront,  non  pas  parce  qu'ils  verront  la  face 
les  uns  des  autres  (avant  la  résurrection),  mais  parce 
qu'ils  verront  comme  les  prophètes  ont  coutume  de 
voir  ici-bas  et  même  d'une  manière  bien  plus  excel- 
lente. »  Serm.,  ccxliii,  c.  vi;  cf.  cccxvi,  c.  v,  P.  L., 
t.  xxxvm,  col.  1146,  1434.  Cette  certitude  de  la 
réunion  des  élus  au  ciel  est  un  thème  de  consolation. 
Epist.,  xcn,  n.  1,2,  P.  L.,  t.  xxxm,  col.  136.  Pour 
éviter  les  répétitions,  notons  simplement  encore  la 
doctrine  de  saint  Grégoire  :  «  (Les  bienheureux), 
dit-il,  reconnaissent  ceux  qu'ils  ont  connus  en  ce 
monde,  agnoscunl  quos  in  hoc  mundo  noverant;  ils 
reconnaissent  aussi,  comme  s'ils  les  avaient  vus  et 
connus,  les  bons  qu'ils  ne  virent  jamais  »,  velut  visos 
ac  cognilos  agnoscunl.  Dial.,  1.  IV,  c.  xxxm;  cf. 
c.  xxxiv,  P.  L.,  t.  lxxvii,  col.  373-376.  Voir,  repro- 
duisant la  doctrine  de  saint  Grégoire,  saint  Julien 
de  Tolède,  Prognoslicon,  1.  II,  c.  xxiv,  P.  L.,  t.  xevi, 
col.  486;  Haymon  d'Halberstadt,  De  varietate  libro- 
rum,  1.  I,  c.  vm,  P.  L.,  t.  cxvin,  col.  882;  Honorius 
d'Autun,  Elacidarium,  1.  III,  n.  7,  8,  P.  L.,  t.  clxxii, 
col.  1161-1162.  Dans  un  sens  plus  strictement  philo- 
sophique, signalons  saint  Paulin  de  Noie,  pour  qui 
J'âmc,  en  vertu  de  sa  céleste  origine,  survit  au  corps 
et  doit  nécessairement  conserver  ses  affections  et  ses 
sentiments  comme  elle  conserve  sa  vie.  Poemata, 
xviii,  xxiv,  P.  L.,  t.  lxi,  col.  492,  620. 

En  ce  qui  concerne  les  Pères  des  Églises  grecque 
et  syrienne,  nous  n'avons  que  peu  de  chose  à  ajouter 
à  l'art.  Ciel,  col.  2488-2492.  De  saint  Jean  Chryso- 
stome,  signalons  tout  particulièrement  In  Matlhxum, 
homil.  xxxi,  n.  4,  5,  P.  G.,  t.  lvii,  col.  374  sq.,  et  les 
si  touchantes  consolations  qu'il  adresse  île,  vêcixepav 
/jripEuaaaav,  P.  G.,  t.  i.xvm,  col.  600  sq.  Cf.  pseudo- 
Athanase,  Quxsliones  ad  Antiochum  ducem,  q.  xxir, 
P.  G.,  t.  xxvin,  col.  609-612.  Saint  Théodore  Studite 


développe  la  même  vérité  en  l'appuyant  sur  le  fait 
du  jugement  dernier.  Ce  jugement  ne  peut  avoir  lieu 
qu'à  la  condition  que  tous  les  chrétiens  se  recon- 
naissent; les  douze  apôtres,  assis  sur  douze  trônes, 
Matth.,  xix,  28,  ne  pourront  juger  les  nations  qu'à 
la  condition  de  les  connaître;  Job  ne  pourra  recevoir 
le  double  de  ses  enfants,  cf.  Job,  xlii,  10,  13,  qu'à  la 
même  condition  de  les  reconnaître  pareillement. 
Il  faut  donc  croire  que  «  le  frère  reconnaîtra  son  frère, 
le  père  ses  enfants,  l'épouse  son  époux,  l'ami  son  ami...  ; 
tous  nous  nous  connaîtrons,  afin  que  l'habitation  de 
tous  en  Dieu  soit  rendue  plus  joyeuse  par  ce  bienfait, 
ajouté  à  tant  d'autres,  celui  de  nous  connaîlrc  les 
uns  les  autres.  »  Serm.  calech.,  xxn,  P.  G.,  t.  xcix, 
col.  538,539;  cf.  Epislolarium,  1.  I,  epist.  xxix;  1.  II, 
epist.  clxxxviii,  ibid.,  col.  1005,  1573,  1577.  Voir  aussi 
Photius,  Epist.,  1.  III,  epist.  lxiii,  Tarasio  palricio, 
jralri,  P.    G.,  t.  en,  col.  969  sq. 

L'hagiographie,  l'épigraphie,  l'iconographie  et  plus 
encore  la  liturgie  fournissent  de  nombreux  témoi- 
gnages concernant  cette  société  céleste  qui  sera  l'une 
des  gloires  accidentelles  des  élus.  Voir  Ciel.  On  lira, 
avec  fruit,  sur  le  même  sujet,  S.  Bernard,  Serm.,  n, 
in  nalali  sancti  Victoris,  n.  3,  P.  L.,  t.  clxxxiii, 
col.  374-375;  Bossuet,  Sentiment  du  chrétien  louchant 
la  vie  cl  la  mort,  Œuvres  complètes,  Besançon,  Paris, 
1840,  t.  iv,  p.  692  sq.  ■ —  Les  élus  pourront-ils  trouver 
quelque  joie  accidentelle  du  côté  des  habitants  des 
limbes  ?  «  On  peut  regarder  comme...  probable  qu'il 
y  aura  des  rapports  d'amitié  humaine  entre  (les 
enfants  morts  sans  baptême)  et  les  bienheureux, 
citoyens  de  la  patrie  céleste.  Ceux-ci  pourraient  venir 
converser  avec  eux,  les  consoler,  les  instruire  de  bien 
des  choses  qui  leur  feront  mieux  connaître  et  aimer 
Dieu...  Cette  croyance,  si  elle  ne  peut  s'appuyer  sur 
aucun  texte  positif  de  la  révélation  divine,  n'y  ren- 
contre non  plus  aucune  contradiction  positive.  » 
De  Smet,  op.  cit.,  t.  i,  p.  304,  note. 

S.  Thomas,  Sum.  theol,  1>  II*',  q.  iv,  a.  8;  II»  II», 
q.  xxvi,  a.  13;  In  IV  Sent,  I.  III'  dist.  XXXI,  q,  n,  a.  3; 
et  les  commentateurs;  Muratori,  De  paradiso  regnique  cœle- 
slis  gloria,  Vérone,  1738;  et,  parmi  les  auteurs  récents,  Mon- 
sabré,  Carême  de  1SS9,  Le  ciel,  nc  point;  Élie  Méric, 
L'autre  vie,  Paris,  1912,  t.  n,  c.  ix;  Blot,  Au  ciel  on  se 
reconnaît,  Paris,  1909. 

III.  Gloire  consommée  et  accroissement  de  la 
gloire.  —  La  gloire  ou  béatitude  consommée  consiste 
dans  l'épanouissement  complet  de  la  gloire  dans  la 
nature  humaine  totalement  reconstituée.  La  gloire 
consommée  n'existera  donc  qu'après  la  résurrection. 
Cette  vérité  se  trouve  affirmée  dans  la  tradition, 
mais  non  sous  une  forme  toujours  identique.  Quelques 
Pères  et  écrivains  ecclésiastiques,  jugeant  que  le  corps 
doit  être  réuni  à  l'âme  pour  que  celle-ci  puisse  jouir 
de  la  gloire,  ont  reculé  la  vision  béatifique  elle-même 
jusqu'après  la  résurrection.  Cette  erreur  a  été  con- 
damnée par  Benoît  XII.  Voir  ce  mot.  Les  autres, 
tout  en  admettant  la  doctrine  catholique  que  Be- 
noît XII  devait  promulguer,  varient  dans  leur  façon 
de  s'exprimer  touchant  les  rapports  entre  ce  que  nous 
appelons  maintenant,  avec  nos  formules  théoloçiques 
précises,  la  gloire  consommée  et  la  gloire  essentielle. 
La  gloire  consommée  ajoute  quelque  chose  à  la  gloire 
essentielle,  voilà  ce  que  tous  sentaient  et  exprimèrent 
en  des  formules  parfois  équivoques  et  qu'on  a  tâché 
d'expliquer  ailleurs.  Voir  Benoit  XII,  t.  n,  col.  684-688. 

Ce  qui  nous  reste  à  faire  ici,  c'est  donc  la  mise  au 
point  théologique  de  la  différence  qui  existe  entre 
l'une  et  l'autre  gloire.  Cette  mise  au  point  peut  se 
résumer  en  deux  propositions,  dont  la  première  est 
nécessaire  à  l'intelligence  de  la  seconde  : 

V?  proposition  :  L'accroissement  de  la  gloire  acci- 


GLOIRE 


1414 


dentelle  dans  l'âme  séparée  du  corps  n'ajoute  rien  for- 
mellement à  la  gloire  essentielle.  —  1.  Il  peut  y  avoir,  dans 
i  âme  séparée  du  corps,  accroissement  de  gloire  accidentelle. 
—  Saint  Thomas,  7/i  IV  Sent.,  1.  IV,  dist.  XII, q.  h,  a.  1, 
q.  n,  prend  occasion  de  la  collecte  de  la  inesse  de  saint 
Léon,  pape  :  Annue  nobis,  Domine,  ut  animas  famuli 
tui  Leonis  hsec  prosil  oblalio,  pour  expliquer  comment 
nos  prières,   nos  sacrifices,   nos  hommages   peuvent 
concourir  à  la  gloire  des  saints.   «  La  gloire,   dit-il, 
c'est  la  récompense  des  saints:  or,  cette  récompense 
est    double  :  c'est    d'abord    la   joie    essentielle    qu'ils 
reçoivent  de  la    divinité;  c'est  ensuite  une  joie  acci- 
dentelle qu'ils  reçoivent  de  n'importe  quel  bien  créé. 
Quant  à  la  joie  essentielle,  selon  l'opinion  plus  pro- 
bable, ils  ne  peuvent  recevoir  d'accroissement;  quant 
à  la  joie  accidentelle,  cela  leur  est  possible,  du  moins 
jusqu'au  jour  du  jugement.  Comment,  s'il  n'en  était 
pas  ainsi,  leur  joie  s'accroîtrait-t-elle  de  la  gloire  de 
leur  corps  ?   Aussi  leur  gloire  s'accroît  par  tous  les 
bienfaits  qu'ils  nous  procurent,  les  anges  du  ciel  se 
réjouissant    eux-mêmes    de    la    pénitence    d'un    seul 
pécheur,  Luc,  xv,  10;  et  ainsi  les  saints  se  réjouissent 
de  tout  ce  qui  se  fait  en  l'honneur  de  Dieu,  et  surtout 
de  tout  ce  par  quoi  nous  rendons  grâces  à  Dieu  de 
leur  gloire.  »  Et  le  saint  docteur  conclut  qu'il  ne  peut 
s'agir,  lorsqu'on  parle  de  l'accroissement  de  la  gloire 
des  élus,  que  d'un  accroissement  de  gloire  accidentelle. 
Cf.  Sum.  thcol.,    I*,    q.    lxii,  a.  9,  ad   3"'°.  La  raison 
théologique  démontre  la  possibilité  d'un  tel  accroisse- 
ment. La  gloire  a  son  principe  formel  dans  la  con- 
naissance, clara  cum  laude  nolitia.   Or,  nous  l'avons 
vu,   l'intelligence  de  l'âme  séparée  garde,  même  con- 
comitamment  avec  la  vision  béatifique,  ses  opérations 
propres.  D'une  part,  tant  de  sujets  de  gloire,  en  dehors 
de  Dieu,  subsistent  sur  lesquels  l'intelligence  pourra 
s'arrêter.    Ces    sujets    sont   multiples.    Sans    compter 
le  souvenir  de  ses  bonnes  actions  accomplies  ici-bas, 
l'âme  bienheureuse  pourra  connaître,  par  une  révéla- 
tion progressive,  voir  plus  haut,  col.  1407,  les  choses 
qui  la  concernent,  les  témoignages  qu'on  rend  à  son 
mérite,  les  prières  qu'on  lui  adresse,  les  hommages 
qu'on  lui  rend.  Cf.  Lessius,    De  summo    bono,    1.   II, 
c.  ix,  x.  Sa  gloire  accidentelle  croîtra  donc  en  propor- 
tion de  ces  révélations.  Elle  croîtra  surtout  en  raison 
des  joies  qu'apportera  aux  élus  la  société  des  saints, 
S.  Augustin,  Enarr.  in  ps.  CXLVII,  n.   6,  9,  13,  P.  L., 
t.  xxxvn,  col.  1918,  1920,  1922;  S.  Bernard,  In  festo 
omnium  sanclorum,  serm.  v,  n.   6,  P.  L.,  t.  clxxxiii, 
col.  478;  cf.  Billot,  op.  cit.,  §2;  et  dans  cette  société 
tout  particulièrement  la  vue  du  corps  glorieux  de  Notre- 
Seigneur.  S.  Thomas,  In    IV  Sent.,  1.  I,  dist.  I,  q.  i, 
a.   1,  ad  3am;  1.  III,  dist.  I,  q.  i,  a.  3,  ad  6um.  D'autre 
part,  l'éternité  participée,  qui  est  celle  des  saints,  si 
elle  exclut  la  multiplicité  de  la  succession  des  opéra- 
tions de  la  béatitude  essentielle,  voir  Éternité,  t.  v, 
col.  919,  et  Intuitive  (Vision),  n'exclut  pas  la  multi- 
plicité et  la  succession  des  opérations  naturelles,  qui 
sont  la  béatitude  accidentelle.  Donc,  rien  ne  s'oppose, 
chez  les  âmes  séparées,  à  un  accroissement  de  béatitude 
accidentelle. 

Les  théologiens  discutent  pour  déterminer  le  prin- 
cipe de  cet  accroissement.  Les  uns  prétendent  que,  par 
rapport  à  la  gloire  accidentelle,  les  élus  sont  encore 
capables  de  mérite.  Les  autres  rejettent  cette  opinion 
comme  moins  probable,  cf.  S.  Thomas,  Sum.  theol., 
T,  q.  lxii,  a.  9,  ad  3"";  In  IV  Sent.,  1.  IV,  dist.  L, 
q.  n,  a.  1,  q.  vi,  et  placent  le  principe  de  cet  accroisse- 
ment dans  la  vertu  même  de  la  béatitude. Voir  Mérite. 

2.  L'accroissement  de  gloire  accidentelle  n'ajoute 
rien  formellement  à  la  gloire  essentielle.  —  C'est  la  doc- 
trine commune,  empruntée  à  saint  Thomas  par  tous 
les  théologiens  qui  ont  étudié  la  question.  Tous  les 
biens  créés  qui  peuvent  être  un  sujet  de  gloire  acci- 


dentelle pour  les  élus  sont  renfermés  en  Dieu,  qui  est 
la  source  de  tous  biens,  n'ont  de  valeur  pour  les  élus 
que  parce  qu'ils  valent  en  Dieu,  et,  de  même  que 
Dieu  n'ajoute  rien  à  sa  gloire  et  à  sa  béatitude  en 
donnant  l'être  aux  créatures  qui  le  glorifient,  de 
même  l'élu  n'ajoutera  rien  à  l'élément  formel  de  sa 
gloire  essentielle,  c'est-à-dire  à  la  vision  et  à  l'amour 
béatifique,  par  l'accroissement  de  sa  gloire  acciden- 
telle :  Cum  bcaliludo  nihil  sil  aliud  quam  adeplio 
boni  perfecti,  quodeumque  aliud  bonum  supcraddalur 
divinse  visioni  aul  jruilioni,  non  faciet  mugis  beatum; 
alioquin  Dcus  esscl  foetus  bcalior  condendo  creaturas. 
S.  Thomas,  De  malo,  q.  v,  a.  1,  ad  4"m.  Et  In  IV 
Sent.,  1.  IV,  dist.  XLV,  q.  n,  a.  2,  q.  iv,  ad  3"",  le 
même  auteur  explique,  à  cause  du  même  principe, 
que  les  saints  du  ciel,  quamvis  de  omnibus  bonis 
noslris  gaudeant,  non  tamen  sequitur  quod  mulliplicalis 
nostris  gaudiis  eorum  gaudium  augmentelur  forma- 
lilcr,  sed  materiediter  lanlum.  Il  n'y  aura  pas  plus  de- 
joie,  il  y  aura  plus  de  sujets  de  joie.  L'accroissement 
de  gloire  ne  fera  donc  qu'augmenter  les  motifs  de 
gloire,  mais  non  la  gloire  elle-même  :  c'est  là  ce 
que  les  théologiens  veulent  dire,  en  affirmant  que 
l'accroissement  de  gloire  accidentelle  est  purement 
matériel  par  rapport  à  la  gloire  essentielle. 

2e  proposition  :  L'accroissement  de  gloire  qui  résultera 
de  la  réunion  de  l'âme  au  corps  sera  un  accroissement 
de  gloire  purement  accidentelle.  —  En  ce  qui  concerne 
la  gloire  du  corps  ressuscité,  la  question  ne  se  pose  plus 
de  la  même  façon  que  pour  la  gloire  accidentelle  de 
l'âme  séparée.   Nous   n'avons  pas   à  rappeler  ici  les 
opinions  et  les  discussions  des  théologiens  touchant 
le  principe  des  qualités  des  corps  des  élus.  Voir  Jean 
de  Saint-Thomas,  De  adcplione  bcatitudinis,  disp.  II, 
a.  9,  n.  4-15.  A  l'art.  CoRrs  glorieux,  t.  m,  col.  1900- 
1902,  on  a  exposé  la  doctrine  communément  admise, 
que  la  gloire  essentielle  de  l'âme,  la  vision  béatifique, 
rejaillissant  sur  le  corps,  lui  conférait  ces  qualités  : 
Quod  corpus  gloriosnm  crit  omnino  subjeelum  animée 
rationali,  non  solum   ut  nihil   in  eo  sit  quod  résistât 
spirilui,  quia  hoc  juil  ctiam  in  corpore  Adœ,  sed  eiiam 
ut  sit  in  eo  aliqua  perfeclio  ef/lucns  ab  anima  glori- 
ficata  in  corpus,  per  quam  habile  redditur  ad  prsedictam 
subjeelionem,  quœ  quidem  perfeclio,  dos  glorificali  cor- 
poris  dieilur.  S.  Thomas,  In  IV  Sent.,  1.  IV,  dist.  XLIV, 
q.  n,  a.  3,  q.  i.  Mais  si  la  gloire  du  corps  n'est  qu'un 
rejaillissement  de  la  gloire  de  l'âme,  n'apportera-t-elle 
pas    un    accroissement   réel    à    la    gloire   essentielle  ? 
Benoît  XII,  voir  t.  il,  col.  68G,  n'a  pas  tranché  dogma- 
tiquement la  question.   On  ne  peut  dire  cependant 
que  ce  soit  un  problème  librement  débattu  :  aujour- 
d'hui la  réponse  négative  est  la  doctrine  communé- 
ment admise.  Mais  il  n'en  a  pas  été  toujours  ainsi. 
1.  Ancienne   opinion   de   saint   Augustin,    de   saint 
Bernard  cl  de  quelques  scolasliques.  —  Saint  Augustin 
a  proposé  une  théorie  assez  différente.  Pour  lui,  les 
anges  seuls  jouissent  pleinement  de  la  gloire  essentielle, 
les   âmes   n'auront   cette   gloire   pleinement  qu'après 
la  résurrection;  jusque-là,  retardées  par  leur  attrait 
naturel   vers    le    corps,    elles    jouissent   de   la   vision 
intuitive,  mais  d'une  façon  incomplète.  Voir  Augustin 
(Saint),  t.  i,  col.  2447,  et  Benoit  XII,  t.  n,  col.  686. 
Saint  Bernard  a  une  doctrine  analogue.  Voir  Bernard 
(Saint),  t.  n,  col.  781  ;  Benoit  XII,  t.  n,  col.  689-690, 
et  la  note  de  Mabillon  dans  la  P.  L.,  t.   clxxxiii, 
col.  465.  On  en  trouve  des  échos  jusque  chez  les  doc- 
teurs du  moyen  âge,  Haymond  d'Halberstadt,  Exposilio 
in  Apocalypsim,].  II,  c.  xvi,  P.  L.,  t.  cxvn,  col.  1027; 
Pierre  Lombard,  Sent.,  1.  IV,  dist.  XIXL,  n.  5,  P.  L., 
t.  cxcn,  col.  959;  S.  Bonaventurc,  In  IV  Sent.,  dist. 
XLIX,  part.  II,  a.  1,  q.  i,  lequel  affirme  que  la  glorifi- 
cation des  corps  apportera  un  accroissement  de  gloire 
essentielle  ex  conscqucnli;  S.  Thomas  lui-même,  ibid., 


1415 


GLOIRE 


1416 


q.  i,  a.  4,  q.  I,  et  IIP  Suppl.,  q.  xcm,  a.  1  :  Anima 
separata  naluraliter  appétit  corporis  conjunclionem 
et  propter  hune  appelitum...  ejus  operalio  qua  in  Dcum 
jertur  est  mjxus  intensa...  Cependant,  In  IV  Sent., 
1.  IV,  dist.,  XII,  q.  ii,  a.  1,  q.  n,  saint  Thomas  appelle 
l'opinion  opposée  probabiliorcm.  Cf.  Richard  de 
Middletown,  In  IV  Sent.,  dist.  XLIX,  a.  2,  q.  vu; 
Marsile  d'Inghem,  ibid.,  q.  xm,  a.  3;  Henri  de  Gand, 
Quodl.,  VII,  q.  vi.  Suarez,  De  ultimo  fine  hominis,  disp. 
XIII,  sect.  ii,  n.  2,  fait  remarquer  que  les  lettres 
d'union  du  concile  de  Florence  pourraient  être  inter- 
prétées en  ce  sens;  voir  les  Actes  concernant  la  question 
du  purgatoire  dans  Mansi,  Concil.,  t.  xxxi,  col.  488- 
489.  Tous  ces  auteurs  s'appuient  sur  l'autorité  de 
saint  Augustin. 

2.  Opinion  singulière  d'A.  Toslal.  —  Notons  en 
passant,  sur  ce  point,  l'opinion  assez  singulière  d'Al- 
phonse Tostat,  dans  son  commentaire  sur  l'Évangile 
de  saint  Matthieu,  c.  v,  q.  lxiii  :  l'âme  dégagée  du 
corps  est,  pour  lui,  plus  apte  à  la  vision  béatifique 
qu'unie  au  corps  qui  l'alourdit  et  la  retarde.  La  gloire 
essentielle  subirait  donc  une  espèce  de  diminution  au 
moment  de  la   résurrection. 

3.  Doctrine  aujourd'hui  communément  reçue.  — 
Saint  Thomas  s'est  rétracte  dans  la  Somme  théo- 
logique. Cf.  Cajélan,  In  I"'"  II",  q.  iv,  a.  5.  Essentielle- 
ment, la  gloire  des  élus  demeure  la  même  avant  et 
après  la  résurrection  des  corps  :  il  y  a  accroissement 
en  extension,  mais  non  en  intensité,  P  IIœ,  q.  iv,  a.  5, 
ad  5"m;  l'âme,  avant  la  résurrection,  jouit  pleinement 
de  Dieu,  mais  avec  le  désir  que  cette  plénitude 
rejaillisse,  lorsque  ce  sera  possible,  sur  le  corps. 
Ibid.,  ad  4U".  Ont  enseigné  la  même  doctrine  parmi 
les  scolastiques,  Durand  de  Saint-Pourçain,  In  IV 
Sent.,  1.  IV,  dist.  XLIX,  q.  vu;  Pierre  de  la  Palu,  ibid., 
q.  vi ;  J.  Major,  ibid.,  q.  xm;  Gabriel  Biel,  Suppl., 
q.  v,  a.  2;  D.  Soto,  q.  n,  a.  4,  etc.  La  gloire  consommée, 
dans  cette  opinion,  n'ajoute  donc  à  la  gloire  essentielle 
qu'un  accroissement  d'extension,  c'est-à-dire  un  ac- 
croissement tout  accidentel  par  rapport  à  la  vision 
béatifique,  qui  est  l'essence  même  de  la  gloire. 

Cette  controverse  est  depuis  longtemps  oubliée; 
les  plus  grands  commentateurs  de  saint  Thomas  n'en 
parlent  pas  ou  la  notent  à  peine  en  passant.  Bellarmin 
la  signale,  De  sanclorurn  beatiludine,  c.  v;  Suarez  lui 
consacre  une  brève  discussion,  De  fine  ultimo  hominis, 
disp.  XIII,  sect.  n;  et  les  manuels  de  théologie  la 
passent  ordinairement  sous  silence.  Le  cardinal  Billot, 
De  novissimis,  Rome,  1903,  thés,  ix,  §  1,  a  résumé  en 
quelques  lignes  les  raisons  qu'apportent  en  faveur  de 
la  doctrine  aujourd'hui  reçue  Bellarmin  et  Suarez,  loc. 
cit.,  n  4-6,  et  Lessius,  De  summo  bono,  1.  III,  c.  n.  Si  le 
corps  pouvait  influencer  par  sa  présence  ou  son  absence 
l'intensité  de  la  vision  béatifique,  il  faudrait,  en  pre- 
mier lieu,  admettre  avec  Tostat  une  diminution  de 
gloire  plutôt  qu'un  accroissement,  au  moment  de  la 
résurrection;  la  même  diminution  se  produirait  chez 
les  anges,  envoyés  en  mission  sur  terre.  La  coexistence 
de  la  douleur  et  de  la  joie  béatifique  serait  aussi 
impossible  dans  le  Christ.  Il  faudrait  admettre  que  la 
vision  intuitive  peut  recevoir  un  accroissement 
d'intensité;  or,  cela  n'est  possible  ni  ex  parie  objecli, 
ni  ex  parle  luminis  gloriœ,  ni  ex  parte  potentiœ,  comme 
on  le  démontrera  à  l'art.  Intuitive  (Vision).  Donc 
l'âme  possède,  dès  le  premier  instant  de  la  béatitude, 
toute  la  substance  de  la  gloire,  selon  le  mode  propre 
a  l'éternité  participée. 

3°  Conclusion.  —  En  rapprochant  les  deux  propo- 
sitions précédentes  nous  arrivons  à  cette  conclusion 
que  la  gloire  consommée  est  substantiellement  la 
même  que  la  gloire  essentielle.  Sans  doute,  elle  y 
ajoute  quelque  chose  de  très  réel,  à  savoir  la  gloire 
accidentelle  des  corps   glorifiés.   Mais   celte   addition 


est  purement  matérielle;  c'est  un  objet  de  plus  auquel 
le  même  élément  formel,  toujours  identique  à  lui- 
même,  de  la  gloire  essentielle,  c'est-à-dire  la  vision 
béatifique,  apporte  son  rayonnement  et  sa  splendeur. 
Si  notre  raison  trouve  quelque  difficulté  à  admettre 
ces  explications,  c'est  que,  le  corps  faisant  partie 
intégrante  de  la  nature  humaine,  il  nous  semble  que 
la  gloire  de  cette  nature  ne  soit  complète  que  par  la 
glorification  du  corps.  Mais  il  suffira,  pour  dissiper 
celle  équivoque,  de  se  reporter  aux  principes  philo- 
sophiques exposés  à  l'art.  Béatitude,  t.  il,  col.  511; 
la  béatitude  parfaite  ne  pouvant  consister  que  dans 
une  opération  de  l'âme,  le  corps  n'est  pas  requis  pour 
elle.  Cf.  S.  Thomas,  Sum.  thcol.,  I"  IIœ,  q.  iv,  a;  5,  6. 

IV.  Degrés  de  la  gloire.  —  Le  mot  fin  dernière 
peut  être  pris  dans  deux  acceptions  différentes  : 
lin  dernière  objective,  ou  souverain  bien  dont  la 
possession  assure  aux  élus  la  gloire  ou  béatitude;  fin 
dernière  subjective  formelle,  ou  relative,  c'est-à-dire 
la  possession  elle-même  du  souverain  bien  par  les  élus. 
Voir  Fin  dernière,  t.  v,  col.  2496.  Sous  le  premier 
aspect,  tous  les  élus  ont  la  même  fin  dernière,  et, 
par  conséquent,  participent  à  la  même  gloire;  sous  le 
second  aspect,  la  possession  de  la  fin  dernière  comporte 
différents  degrés  proportionnés  aux  moyens  de  chacun 
des  élus.  S.  Thomas,  Sum.  theol.,  P  II*  q.  v,  a.  2. 
Les  théologiens  envisagent  les  degrés  de  la  gloire  à 
un  double  point"  de  vue  :  1°  dogmatique,  existence 
même  de  ces  degrés,  et  c'est  la  question  qui  rentre 
dans  l'objet  de  cet  article;  2°  théologique,  explication 
de  la  différence  qui  existe  au  ciel  entre  les  élus  et  qu'on 
rapporte  à  la  vision  intuitive  et  à  la  lumière  de  la 
gloire  qui  accompagne  nécessairement  cette  vision, 
considérées  soit  seules,  soit  par  rapport  à  l'intelligence 
qu'elles  perfectionnent.  Cette  deuxième  question  sera 
traitée  à  Intuitive  (Vision). 

L'existence  de  différents  degrés  dans  la  gloire  des 
élus,  niée  directement  par  Jovinien,  au  ive  siècle, 
indirectement  par  Luther  au  xvie,  a  été  authentique- 
ment  définie  par  le  concile  de  Florence,  dans  le  décret 
d'union,  Denzinger-Bannwart,  n.  693;  elle  est  supposée 
par  le  concile  de  Trente,  De  juslificalione,  can.  32, 
n.  842.  Elle  est  affirmée  :1°  par  l'Écriture;  2°  par  la 
tradition;  3°  par  la  raison  théologique.  Mais  cette 
affirmation  a  été  exagérée  par  certains  auteurs  dans 
le  sens  d'une  inégalité  nécessaire  entre  chacun  des  élus. 

I-     DÉMONSTRATION   HE    LA    DOCTRINE   CATHOLIQUE.    — 

î  °  L'Écriture.  —  On  trouve  l'inégalité  des  degrés  de  la 
gloire  des  élus  :  1.  explicitement  enseignée  par  Joa., 
xiv,  2;  I  Cor.,  xv,  41,  rappelant  qu'il  y  a  «  plusieurs 
demeures  dans  la  maison  du  Père  céleste  »  et  que  les 
différences  de  gloire  des  élus  ressucités  sont  compa- 
rables aux  différences  d'éclat  du  soleil,  de  la  lune,  des 
étoiles;  2.  expressément  supposée,  chaque  fois  qu'il  est 
question  de  rendre  à  chacun,  au  dernier  jour,  dans  la 
proportion  de  ses  bonnes  œuvres,  Matth.,  xvi,  27; 
I  Cor.,  ni,  8;  II  Cor.,  ix,  6;  la  gloire  au  ciel  est,  en 
effet,  un  véritable  salaire,  Matth.,  v,  12;  x  42;  xix,  17; 
xx,  8;  II  Tim.,  iv,  8;  II  Joa.,  8;  Apoc.,  xxn,  12; 
3.  indiquée  sous  forme  d'analogie  dans  certaines 
comparaisons  et  paraboles,  Dan.,  xn,  3;  Is.,  lvi,  5; 
Matth.,  vu,  1 , 2  ;  x,  41  ;  xm,  3-9,  cf.  col.  1405  ;  Marc,  iv 
24;  Luc,,  vi,  38;  xix,  16-20  4.  implicitemenl  affirmée 
dans  l'inégalité  des  peines  de  l'enfer.  Luc,  xn,  47,  48 
Apoc,  xvn,  7;  cf.  Enfer,  t.  v,  col.  113 

Jovinien,  au  dire  de  saint  Jérôme,  Adversus  Jovi- 
nianum,  1.  II,  n.  3,  P.  /,.,  t.  xxm,  col.  285,  286, 
enseigna  l'égalité  de  la  récompense  pour  tous  les  élus, 
en  prétendant  s'appuyer  sur  l'autorité  de  Matth.,  xx, 
1-16.  11  s'agit  de  la  parabole  où  les  ouvriers,  venus 
dans  la  vigne  du  père  de  famille  à  différentes 
heures  de  la  journée,  reçoivent  indistinctement  le 
même  salaire  pour  des  durées  fort  inégales  de  travail. 


1417 


GLOIRE 


1418 


On  n'a  pas  à  faire  ici  l 'exégèse  de  celte  parabole  :  il 
suffit  d'expliquer  le  sens  allégorique  du  denier,  salaire 
dé  tous  les  ouvriers  sans  exception.  Sans  s'arrêter  à 
l'interprétation  singulière  de  Vasquez,  In  I"1  Sum. 
S.  Thomie,  disp.  XLVII,  c.  ni,  lequel  n'admet  la 
récompense  que  pour  les  derniers  venus,  et  veut  que 
les  premiers  «  appelés  »  n'aient  pas  été  «  élus  »,  c'est-à- 
dire  sauvés,  on  peut  dire  avec  l'unanimité  morale  des 
Pères  et  des  théologiens  que  le  denier  représente  la 
béatitude  objective,  égale  pour  tous,  et  non  la  béatitude 
subjective,  formelle  ou  relative,  dans  laquelle  seule  les 
inégalités  peuvent  se  produire.  Cf.  S.  Thomas,  Sum. 
theol.  I1,  II'1',  q.  v,  a.  2,  ad  1'"";  Bellarmin,  De  sanctorum 
bcoliludine,c.  v.  Voir  l'explication  de  la  parabole,  à  ce 
point  de  vue  théologique,  dans  Suarez,  De  Deo  uno, 
1.  II,  c.  xx,  n.  8-20;  cet  auteur  trouve  même  dans  la 
différence  de  traitement  indiquée  par  les  termes  primi 
et  novissimi  une  preuve  directe  de  l'inégalité  de  la 
gloire  chez  les  élus,  n.  20.  D'ailleurs,  dans  l'explication 
d'une  parabole,  il  n'est  pas  nécessaire  que  chacune  des 
phrases  de  la  parabole  trouve  son  application  parti- 
culière; il  suffit  que  l'enseignement  général  soit  donné. 
S.  Jean  Chrysostome,  In  Maith.,  homil.  lxiv,  n.  3, 
P.  G.,  t.  lvii-lviii,  col.  612.  Or,  dans  la  parabole  des  ou- 
vriers, il  n'entre  pas  dans  la  pensée  de  Jésus  d'enseigner 
la  répartition  des  récompenses  proportionnellement  aux 
mérites  de  chacun,  mais  de  rappeler  que  la  gloire  du 
ciel  ne  doit  pas  se  mesurer  à  l'ancienneté  de  la  vocation, 
ni  à  la  durée  du  travail,  mais  à  la  fidélité  à  cette  voca- 
tion et  à  la  ferveur  avec  laquelle  on  remplit  son  devoir. 
Suarez,  loc.  cit.;  cf.  Salmanticenses,  De  visione  Dci, 
disp.  V,  n.  4;  Becan,  Theologiœ  scholaslicœ,  part.  I, 
tr.  I,  c.  ix,  q.  ix,  n.  3;  Petau,  De  Deo  Deique  propric- 
lalibus,  I.  VII,  c.  xi,  n.  5.  Les  murmures  des  ouvriers, 
la  réponse  du  père  de  famille  expliquant  l'égalité 
du  salaire  par  son  seul  bon  plaisir,  ne  s'opposent 
pas  à  cette  interprétation  générale  du  denier,  Maldo- 
nat,  In  h.  I.  ;  Suarez,  loc.  cit.,  et  n'ont  été  introduits 
dans  la  parabole  que  pour  provoquer  la  réponse  du 
père  de  famille.  Knabenbauer,  In  Evangelium  Malthsei, 
Paris,  1892,  p.  176-177.  Ces  murmures  n'indiquent 
donc  pas  une  tristesse  ou  une  envie  quelconque  chez 
les  élus.  S.  Jean  Chysostome,  loc.  cit.  Cf.,  pour  l'in- 
terprétation de  la  parabole,  Jean  de  Saint-Thomas, 
Cursus  théologiens,  disp.  XV,  a.  6,  n.  39;  Hurter, 
Theologise  dogmaticx  compendium,  t.  ni,  n.  840;  Petau, 
op.  cit.,  c.  xi,  en  entier;  Knabenbauer,  op.  t/7.,p.  171  sq. 
Il  faut  se  rappeler  que  la  leçon,  avec  la  menace  qu'elle 
renferme,  est  donnée  directement  aux  juifs,  les  appelés 
de  la  première  heure;  voir,  dans  leurs  commentaires, 
Corneille  de  la  Pierre;  dom  Calmet,  Van  Steenkiste, 
Schegg;  mais  elle  doit  s'appliquer  également  à  tous 
les  hommes,  S.  Jean  Chrysostome,  loc.  cit.,  n.  4,  et 
aux  apôtres  eux-mêmes.  Cf.  Fillion,  Évangile  selon 
S.  Matthieu,  Paris,  1898,  p.  390. 

2°  La  tradition.  —  L'erreur  de  Jovinien  fut,  dès 
son  apparition,  notée  comme  telle.  Quelques  scolas- 
tiques,  et,  en  particulier,  les  Salmanticenses,  loc.  cit., 
n.  1,  affirment  que  cette  erreur  fut  condamnée  au 
concile  de  Télepte.  C'est  une  erreur.  Voir  Hefele, Histoire 
des  conciles,  trad.  Leclercq,  t.  n,  p.  73.  Il  s'agit  d'une 
lettre  synodale  du  concile  de  Milan,  en  390,  lettre  très 
probablement  écrite  par  saint  Ambroise  et  adressée 
au  pape  Sirice.  Hefele,  loc.  cit.,  p.  78;  Mansi,  Concil., 
t.  m,  col.  689.  Cette  lettre  décrit  ainsi  l'hérésie  de 
Jovinien,  en  ce  qui  concerne  la  gloire  des  élus  :  Agreslis 
ululatus  est...  diversorum  gradus,  abrogare  meritorum 
et  pauperlalem  qu.amd.am  cœlestium  remuneralionum 
inducere,  quasi  Chrislo  una  sit  palma,  quam  tribuit,  ac 
non  plurimi  abundcnl  tituli  prœmiorum,  n.  2,  P.  L., 
t.  xvi,  col.  1124.  Cette  lettre  est,  du  moins,  un  témoi- 
gnage authentique  de  la  tradition  catholique.  Jovinien 
d'ailleurs   avait  été  condamné  pour  cette  erreur  au 


concile  de  Rome  de  la  même  année  et  le  concile  de 
Milan  ne  faisait  que  renouveler  la  condamnation 
portée  à  Rome.  Voir  Hefele,  loc.  cit.  Le  témoignage 
de  saint  Jérôme,  Adversus  Jovinianum,  1.  II,  n.  34, 
P.  L.,  t.  xxm,  col.  333,  est  tout  aussi  concluant. 
L'argumentation  du  saint  docteur  est  fondée,  non 
seulement  sur  la  raison  théologique;  mais  sur  l'autorité 
de  l'Écriture.  Matth.,  xx,  25,  26;  Joa.,  xiv,  2;  I  Cor., 
xv,  41. 

C'est  surtout  en  commentant  Joa.,  xiv,  2,  et  I  Cor., 
xv,  41,  que  les  Pères  ont  proposé  la  doctrine  authen- 
tique sur  ce  point.  —  1.  Sur  Joa.,  xiv,  2,  voir  S.  Au- 
gustin, In  Joanncm,  tr.  LXVIII,  n.  2,  P.  L.,  t.  xxxv, 
col.  1812;  cf.  De  sancta  virginitale,  c.  xxvi,  P.  L., 
t.  xl,  col.  410;  S.  Cyrille  d'Alexandrie,  In  Joannis 
Evangelium,  P.  G.,  t.  lxxiv,  col.  181  sq.;  Tertullien, 
Adversus  gnosticos  scorpiace,  c.  vi,  P.  L.,  t.  n,  col.  134; 
De  monogamia,  c.  x,  P.  L.,  t.  n,  col.  942;  S.  Cyprien, 
De  habilu  virginum.  n.  23,  P.  L.,  t.  iv,  col.  463,  qui 
ajoute  à  son  commentaire  cette  remarque,  que  si  le 
Christ  a  dit  qu'il  y  a  plusieurs  demeures  dans  la  maison 
de  son  Père,  c'est  pour  nous  exciter  à  mériter  les 
meilleures;  cf.  De  exhortatione  marlyrii,  c.  xn,  xin, 
P.  L.,  t.  iv,  col.  673  sq.  ;  S.  Hilaire,  Tract,  in  ps.  lxi  v, 
n.  5,  P.  L.,  t.  ix,  col.  415;  S.  Ambroise,  De  bono  mortis, 
c.  xn,  n.  53,  P.  L.,  t.  xiv,  col.  564;  cf.  In  Lucam,  1.  V, 
n.  62,  P.  L.,  t.  xv,  col.  1653;  S.  Prosper,  Senlenliarum, 
364,  P.  L.,  t.  li,  col.  846;  S.  Grégoire  le  Grand, 
Moral.,  1.  IV,  c.  xxxvi,  P.  L.,  t.  lxxv,  col.  677; 
1.  XXXV,  c.  xix  ;  cf.  In  Ezechielcm,  1.  II,  homil.  iv, 
n.  6,  P.  L.,  t.  lxxvi,  col.  777,  977.  —  2.  Sur  I  Cor., 
xiv,  41,  voir  S.  Basile,  De  Spirilu  Sanclo,  c.  xvi,  P.  G., 
t.  xxxn,  col.  133  sq.  ;  S.  Cyrille  d'Alexandrie,  In  Episl. 
I  ad  Cor.,  P.  G.,  t.  lxxiv,  col.  905;  S.  Jean  Chryso- 
stome, In  I"m  ad  Cor., homil.  xli,  n.  2,  3,  P.  G.,  t.  lxi, 
col.  358  sq. ;  Théodoret,  Interpretatio  Episl.  Ie  ad 
Cor.,  P.  G.,  t.  lxxxii,  col.  365;  Tertullien,  Adversus 
gnosticos  scorpiace,  loc,  cit.  ;  De  resurreclione  carnis, 
c.  lii,  P.  L.,  t.  n,  col.  872;  S.  Hilaire,  Tract,  in  ps.  lxiv, 
P.  L.,  t.  ix,  col.  416;  S.  Augustin,  De  sancta  virginitatc, 
loc.  cit.;  In  Joannem,  tr.  LXVTI,  n.  1,  P.  L.,X.  xxxv, 
col.  181;  S.  Jérôme,  Adversus  Jovinianum,  loc.  cit.; 
S.  Fulgence,  Ad  Trasimundum,  1.  III,  c.  iv,  De  Trinitale, 
c.  xni,  P.  L.,  t.  lxv,  col.  271,  508;  S.  Grégoire  le 
Grand,  Moral.,  l.XXXV.c.xix,  P.  L.,  t.  lxxvi,  col.  778  ; 
S.  Bernard,  Apologia  ad  Gullielmum,  c.  iv,  n.  9,  P.  L.. 
t.  clxxxii,  col.  904.  S.  Thomas  explique  le  texte  île 
saint  Paul  des  différences  des  seuls  corps  glorifiés. 
In  7""  ad  Cor.,  c.  xv,  lect.  vi. 

Le -P.  Petau,  De  Deo  Deique  proprietalibus,  1.  VII, 
c.  x,  se  demande  si  Origène  ne  serait  pas  tombé  dans 
l'erreur  de  Jovinien.  Voici  la  traduction  latine  du 
texte  incriminé  :  Ego  exislimo  in  ipso  statim  initio 
bcatitudinis,  qua  jruuntur  ii  qui  salvi  fiunt,  quoniam 
nondum  purgali  sunt  gui  taies  non  sunl,  inde  oriri  illam 
luminis  bealorum  diflcrcntiam;  sed  postquam  a  loto 
Chrisli  regno  omnia  collecta  jueriid  scandala,  quemad- 
modum  supra  a  nobis  traditum  est,  parientesque  iniqui- 
latem  cogilaliones  in  fornacem  ignis  fuerinl  conjectie 
delerioraque  absorpta  et  intérim  ad  se  redierinl  hi  qui 
sermones  mali  filios  admiserant,  tune  fulurum  est  ut 
in  Palris  sui  regno  fulgeanl  justi,  unum  solare  facti. 
In  Matth.,  tom.  x,  n.  3,  P.  G.,  t.  xin,  col.  841.  Ce  texte 
semble  plutôt,  et  c'est  aussi  la  remarque  de  Petau,  loc. 
cit.,  refléter  l'erreur  de  \'apocalastase.  Voir  Enfer,  t.  v, 
col.  58.  Entre  les  élus  et  les  damnés,  qui  taies  non  sunt, 
il  y  a  au  début  du  bonheur  des  élus,  une  différence; 
mais  après  la  purification  des  damnés,  la  même 
lumière  resplendira  en  tous.  Il  s'agit  de  la  gloire 
objective  et  non  de  la  gloire  formelle.  Entre  les  élus 
eux-mêmes,  parce  qu'ils  sont  tous  soumis  à  une 
purification  au  jugement,  il  y  a  au  début  une  différence. 
Voir  Feu  du  jugement,  t.  v,  col.  2241.  Cf.  A.  Michel, 


1419 


GLOIRE 


1420 


Origène  et  le  dogme  du  purgatoire,  dans  les  Questions 
ecclésiastiques,  1913,  t.  il,  p.  407. 

3°  La  raison  théologique  s'appuie  sur  cette  vérité 
que  la  gloire  correspond  à  la  grâce  et  que  grâce  et 
gloire  sont  l'objet  du  mérite.  A  des  mérites  égaux,  à 
des  degrés  de  grâce  différents  correspondront  par 
conséquent  des  degrés  de  gloire  différents. Cf.  S.  Thomas, 
Sum.  thcol..  V  IV,  q.  exiv,  a.  3,  ad  3"";  In  IV  Sent., 
1.  II,  dist.  XXVII,  q.  i,  a.  3;  a.  5,  ad  1 

Cette  raison  théologique  n'a  aucune  valeur  pour 
Luther  et  ses  disciples,  à  cause  du  système  protestant 
touchant  le  principe  de  la  justification.  Voir  ce  mot. 
En  résumé,  pour  Luther,  il  n'y  a  pas  de  véritable 
justice  en  nous-mêmes;  nous  ne  méritons  d'être 
appelés  justes  que  par  l'imputation  des  mérites  du 
Christ.  Or  la  justice  du  Christ  est  égale  pour  tous.  La 
conclusion  d'un  tel  principe  est  que  les  élus,  ne  devant 
rien  à  leur  propre  mérite,  mais  tout  au  Christ,  jouiront 
tous  et  chacun  du  même  degré  de  gloire  dans  le  ciel. 
On  exposera  et  réfutera  à  Justification  le  faux  prin- 
cipe adopté  par  Luther. 

Jean  de  Saint-Thomas,  loc.  cit.,  n.  2,  ajoute  à  la 
raison  théologique  générale,  une  raison  particulière 
tirée  de  la  liturgie  :  «  L'Église,  dit-il,  rend  des  honneurs 
très  différents  aux  différents  saints;  elle  vénère  la 
bienheureuse  Vierge  par-dessus  les  anges  et  les  saints; 
elle  accorde  aux  apôtres  un  honneur  plus  élevé,  et 
elle  en  agit  de  même  à  l'égard  de  quelques  élus  qu'elle 
paraît  mettre  à  part.  »  Il  y  a  là  une  simple  indication, 
non  un  argument  véritable. 

;/.      EXAGÉRATION     DE     LA     DOCTRINE    CATHOLIQUE.    - 

Quelques  théologiens,  notamment  Pierre  de  la  Palu, 
cité  par  Suarez,  De  allribulis  negalivis  Dei,  c.  xx,  n.  2, 
prétendent  que  l'inégalité  des  degrés  de  gloire  chez  les 
élus  est  telle  que  le  même  degré  de  gloire  ne  pourra  pas 
être  commun  à  plusieurs  élus.  Une  telle  opinion,  en  soi 
plausible,  paraît  cependant  devoir  être  rejetée  comme 
exagérée  et  trop  absolue.  En  ce  qui  concerne  les  adultes 
en  effet,  nous  ne  pouvons  rien  affirmer  de  précis;  mais 
rien  ne  s'oppose  à  ce  que  deux  âmes  se  présentent  au 
tribunal  de  Dieu  avec  les  mêmes  mérites  et  le  même 
degré  de  grâce  et,  par  conséquent,  reçoivent  le  même 
degré  de  gloire.  Quant  aux  enfants  morts  avec  le 
baptême  ou  martyrisés  avant  l'âge  de  raison,  on  ne 
voit  pas  quel  pourrait  être,  entre  eux,  le  principe  d'une 
inégalité  de  gloire. 

L'argument  de  Pierre  de  la  Palu  repose  sur  Luc,  xx, 
36  :  Si  les  hommes  sont  égaux  dans  le  ciel  aux  anges, 
les  anges  différant  entre  eux  spécifiquement,  il  doit 
en  être  de  même  des  hommes.  Tout  d'abord,  il  n'est  pas 
certain  que  les  anges  soient  tous  inégaux  en  gloire, 
Suarez,  loc.  cit.,  n.  7;  la  différence  spécifique  des  anges 
entre  eux  n'est  qu'une  opinion  et  ne  concerne  que 
l'ordre  naturel.  Voir  Angélologie,  t.  i,  col.  1230. 
Ensuite,  la  prédestination  des  hommes  à  la  gloire 
peut  être  indépendante  du  fait  de  la  chute  des  anges  ; 
si  les  hommes  tiennent  dans  le  ciel  la  place  des  anges 
déchus  et  sont  par  là  les  égaux  des  bons  anges,  c'est 
peut-être  simplement  per  accidens;  d'où  il  suit  que, 
même  en  admettant  comme  vérité  certaine  l'inégalité 
des  anges  entre  eux,  aussi  bien  dans  l'ordre  surnaturel 
que  dans  l'ordre  naturel,  la  même  conclusion  ne 
s'imposerait  pas  pour  les  hommes. 

D'autres  théologiens  s'emparent  de  I  Cor.,  xv,  41, 
et  prétendent  qu'aucune  égalité  n'existant  entre  le 
soleil,  la  lune  et  les  étoiles,  il  ne  peut  en  exister  dans 
les  degrés  de  la  gloire  céleste,  dont  l'éclat  de  ces  astres 
est  l'image.  C'est  trop  presser  la  comparaison  de  saint 
Paul;  la  grandeur  mathématique  et  l'éclat  respectif 
des  astres  n'ont  rien  de  commun  avec  les  degrés  de 
gloire  des  élus.  Suarez,  loc.  cit. 

S.  Thomas,  In  Evangelium  Joannis,  c.  xiv,  lect.  i;  Sum. 
theol.,  la  II-'',  q.  v,  a.  2;  q.  exiv,  a.  3;  In  IV  Sent.,  1.  II, 


dist.  XXVII,  q.  i,  a.  3,  5;  et  surtout  1.  IV,  dist.  XLIV, 
q.  i,  a.  4,  q.  n,  m,  iv;  Suarez,  De Deo  uno,  1.  II,  De  atlri- 
butis  negalivis  Dei,  c.  xx;  Jean  de  Saint-Thomas,  Cursus 
tlieologicus,  q.  xn,  part.  I,  disp.  XV,  a.  6;  Salmanticenses, 
Cursus  tlieologicus.  De  visione  Dei,  tr.  II,  disp.  V,  dub.  i; 
Pctau,  Theologica  dogmata,  De  Deo  Deique  proprictatibus, 
I.  VII,  c.  x,  xi;  C.  Pesch,  Prwlectiones  dogmaticiv,  t.  m, 
n.  517-520;  Hurter,  Thcologùv  dogmaticœ  compendium,  t.  m, 
tlies.  ccLxxvi,n.  838  ;  Jungmann,  De  novissimis,  Ratisbonne, 
1871,  n.  140,  141,  142,  154, 

V.  Gloire  et  grâce,  et  questions  connexes.  — 
Nous  ne  donnerons  ici  que  quelques  brèves  indications, 
toutes  les  questions  touchées  devant  être  exposées  aux 
art.   Grâce,   Mérite   et  Prédestination. 

1°  Gloire  et  grâce.  ■ —  1.  Existence  d'un  rappoil 
entre  la  gloire  et  la  grâce.  — ■  Rappelons  les  principes, 
qui  seront  développés  à  l'art.  Grâce.  La  grâce  est  la 
vie  éternelle  dans  son  principe,  Rom.,  vi,  23;  la 
participation  à  la  nature  même  de  Dieu,  II  Pet.,  i,  3-11, 
et,  par  conséquent,  le  principe  d'une  activité,  d'une 
vie  nouvelle  d'un  ordre  surnaturel,  créé  en  nous  à 
l'image  même  du  Christ  Homme-Dieu,  Rom.,  vi,  4: 
II  Cor.,  v,  17;  Col.,  ni,  3,  et  qui  doit  aboutir  à  l'état 
de  gloire  dans  la  société  des  élus.  Rom.,  vi,  22;  I  Cor., 
i,  9;  cf.  I  Joa.,  i,  3;  Terrien,  La  grâce  cl  la  gloire,  t.  i, 
1.  II,  c.  n.  La  grâce  est  donc  le  principe  de  la  gloire, 
puisqu'elle  est  le  principe  des  opérations  d'ordre 
surnaturel,  vision,  jouissance,  amour,  qui  constituent 
voir  col.  1395  sq.,  la  gloire  essentielle  des  élus  et  c'est 
pourquoi  dès  ici-bas  la  pratique  des  vertus  est  déjà 
en  quelque  sorte  une  gloire.  Eccli.,  i,  11;  xxin,  38. 
Plus  le  principe  sera  puissant,  plus  les  opérations 
seront  intenses  :  plus  la  grâce  sera  abondante,  plus  la 
gloire  sera  parfaite.  Il  y  a  donc  correspondance  entre 
l'une  et  l'autre;  grâce  et  gloire  «  se  rapportent  [donc] 
au  même  genre,  la  grâce  n'étant  en  nous  que  le  com- 
mencement de  la  gloire,  »  S.  Thomas,  Sum.  thcol.,  II" 
1P',  q.  xxiv,  a.  3,  ad  2"'";  la  gloire  <•  étant  une  grâce  à 
son  état  d'achèvement  et  de  perfection,  »  Catechismus 
concil.  Trid.,  De  oral,  dom.,  p.  iv,  le  degré  de  gloire 
sera  proportionné  au  degré  de  grâce,  et  tout  accrois- 
sement de  grâce  comportera  un  accroissement  de  gloire. 
Concile  de  Trente,  De  justificatione,  can.  32,  Denzinger- 
Bannwart,  n.  842. 

2.  Nature  de  ce  rapport.  —  a)  Dans  cette  vie.  — 
a.  Ce  n'est  évidemment  pas  un  rapport  d'identité  ;  dans 
cette  vie,  en  effet,  il  n'y  a  pas  de  gloire,  parce  que  c'est 
la  demeure  qui  passe,  le  voyage  vers  la  patrie,  II  Cor., 
v,  1-3;  cf.  I  Cor.,  xm,  9,  12;  Rom.,  vin,  18,  23; 
Heb.,  xm,  14;  le  temps  du  labeur  et  du  combat,  que 
doit  suivre  l'éternité  de  récompense  dans  la  gloire. 
I  Pet.,  i,  3  sq.;  II  Tim.,  n,  1  sq.;  cf.  I  Cor.,  xv,  19; 
vu,  27  sq.  La  gloire  n'est  ici-bas  le  partage  de  per- 
sonne, du  moins  d'une  façon  permanente;  l'erreur 
des  béghards  sur  ce  point  a  été  condamnée  au 
concile  de  Vienne,  Denzinger-Bannwart,  n.  474;  voir 
lh';r,HARDs,  t.  n,  col.  532;  ce  n'est  qu'au  ciel,  après  la 
mort,  que  la  gloire  pourra  être  possédée  dans  la  vision 
béatifique.Denzinger-Bannwart,n.530;voirBENOiTXII, 
t.  n,  col.  657  sq.  Sur  les  exceptions  possibles  de  la 
sainte  Vierge,  de  Moïse,  de  saint  Paul,  de  saint  Benoit, 
et  sur  la  gloire  dont  le  Christ  jouissait  nonobstant  sa 
condition  mortelle,  voir  Intuitive  (Vision).  D'ailleurs 
la  théologie  de  la  gloire  et  celle  de  la  grâce  nous  mon- 
trent l'identification  de  la  gloire  et  de  la  grâce  comme 
impossible.  L'ordre  de  la  grâce  est  constitué  par 
l'habilus  qu'on  appelle  substanlivus  (non  qu'il  soit 
ontologiquement  une  substance,  mais  parce  qu'il  réside 
dans  l'essence  même  de  l'âme)  de  la  grâce  habituelle, 
d'où  découlent,  perfectionnant  les  puissances  de  l'âme, 
les  habitas  operativi  des  vertus  infuses,  lesquels  dis- 
posent l'âme  aux  actes  surnaturels,  et  les  dons  du 
Saint-Esprit.  Or,  la  gloire  est  formellement  constituée, 


1121 


GLOIRE 


1422 


non  par  un  habitus,  mais  par  une  opération  de  l'âme. 
Voir  plus  haut,  col.  1401.  —  b.  Étant  donné  que  l'opéra- 
tion qui  constitue  la  gloire  est  causée  par  la  puissance 
d'agir,   perfectionnée   ici   par   les    habilus   de   l'ordre 
surnaturel,  la  gloire  se  trouve  donc,  par  rapport  à  la 
grâce,  dans  un  rapport  qu'on  peut  ramener  au  rapport 
d'elîet  à  cause.   La  grâce  est  donc  vraiment  cause 
physique  de  la  gloire,  dans  l'ordre  de  la  cause  vraiment 
efficiente,  à  la  différence  des  bonnes  œuvres  qui  ne 
causent  la  grâce  et  la  gloire  que  méritoirement.  Il  n'est 
pas  besoin  d'une  nouvelle  acceptation  de  l'âme  par 
Dieu  à  la  gloire;  cf.  S.  Thomas,  Sum.  theol.,  V'   IV, 
q.  exi,  a.  5;  q.  exiv,  a.  3,  à  la  filiation  naturelle  cor- 
respond le  droit  â  l'héritage;  mais  la  grâce  constitue 
l'homme  fils  adoptif  de  Dieu  et  lui  confère  un  droit 
connaturel   à  l'héritage   du   ciel;  et,  comme  l'homme 
n'est  pas  naturellement  capable  d'hériter  du  ciel,  la 
grâce   lui   confère   par   elle-même   cette   capacité,   en 
communiquant  â  l'âme  une  qualité  surnaturelle  que 
l'âme  ne  possédait  point,  et  qui  la  rend  formellement, 
quoique   analogiquement,    participante   à   la    nature 
divine.  Cf.  Rom.,  vin,  16-18;  Billot,  De  gralia,  Rome, 
1912,  p.  136-137;  Salinanticenses,  Cursus  theologicus, 
tr.  XIV,  De  gralia  Dei,  disp.  IV,  dub.  n,  §  2,  n.  29.— 
c.  Mais  si  la  grâce  contient  la  gloire  comme  la  cause 
contient  l'effet,  il  faut  cependant  dire  que  le  rapport 
de  cause  à  effet  n'est  encore  ici-bas  que  virtuel,  d'autant 
plus  que,  si  la  grâce  rend  par  elle-même,  sans  accep- 
tation nouvelle  de  Dieu,  l'homme  apte  à  la  gloire, 
l'obtention  actuelle  de  la  gloire  nécessitera  une  nouvelle 
intervention  de  Dieu.  La  gloire  est  constituée  par  une 
opération  qui  requiert,  dans  l'âme  glorifiée,  l'infusion 
d'un    nouvel    habilus,   voir    col.    1401,    et    Intuitive 
(Vision),  la  lumière  de  la  gloire.  Dieu  peut,  de  puissance 
absolue,  refuser  cette  intervention  et  de  même  qu'il 
produit  et  conserve  la  grâce  dans  l'homme  sur  cette 
terre  sans  la  gloire,  il  pourrait  à  la  rigueur  le  faire  dans 
l'autre  vie.  A  l'inverse,  on  peut  concevoir  la  possibilité 
absolue   d'une   gloire  conférée  par  Dieu   à  une  âme 
dépourvue    de   la    grâce,    parce    que   l'opération    qui 
naturellement  provient   de  Yhabitus  surnaturel,  peut 
provenir  d'une   simple   motion   actuelle  par   laquelle 
Dieu  élèverait  transitoirement  les  facultés  de  l'âme; 
mais    un    tel    mode    d'agir     serait    violent     et     en 
dehors  des  voies  posées  par  la  sagesse  et  la  justice 
divines.  Suarez, De  gratia,\.  VIII,  c.  m,  n.  12;  Salman- 
ticenses,  loc.  cit.  Il  faut  conclure  avec  saint  Thomas, 
Sum.  theol.,  Ia  IIœ,  q.  exiv,  a.  3,  ad  3'"",  que,  dès  cette 
vie,  la   grâce  contient  virtuellement  la   gloire  et  se 
trouve  par  rapport  à  cette  gloire  dans  la  relation  de 
cause  à  effet  et  que,  par  là  même,  elles  sont  l'une  et 
l'autre  dans  le  même  genre  ou  plutôt,  comme  il  s'agit 
ici  de  l'ordre  surnaturel  qui  échappe  à  nos  classifications 
scolastiques,  qu'on  peut  les  réduire  au  même  genre. 
Cf.  Cont.  génies,  1.  IV,  c.  xxiv. 

b)  Dans  l'autre  vie.  —  Le  rapport  de  la  grâce  à  la 
gloire  restera  substantiellement  le  même,  mais  il  ne 
s'agira  plus  ici  d'un  rapport  virtuel  de  causalité, 
puisque  la  grâce  produira  actuellement  la  gloire. 
L'union  physique  de  l'une  et  de  l'autre  n'en  sera  que 
plus  affirmée.  La  gloire  actuellement  possédée  appor- 
tera-t-elle  des  modifications  à  la  grâce  ou  plutôt  à 
l'ordre  surnaturel  de  la  grâce  ?  c'est  ce  qu'il  convient 
de  rechercher  brièvement  en  exposant  ce  que  l'état 
de  gloire,  par  rapport  à  l'ordre  présent  de  la  grâce, 
ajoute,  supprime,  conserve  en  le  modifiant. 

a.  Ce  que  l'état  de  la  gloire  ajoute.  —  La  vision  béati- 
fique  requiert  l'infusion  d'un  nouvel  habitus  surnaturel, 
la  lumière  de  la  gloire,  dans  l'intelligence  glorifiée, 
voir  Intuitive  (Vision);  dans  la  volonté,  nul  habitas 
nouveau  ;  pour  aimer  Dieu  et  en  jouir  dans  la  gloire, 
la  charité  consommée  dans  cette  gloire  suffira  par 
elle-même.  Voir  Charité,  t.  n,  col.  2226,  n.  4.  Comment 


toutes  les  opérations  qui  constituent  la  gloire  procèdent 
de  ces  deux  habitas,  on  l'expliquera  à  l'art.  Intuitive 
(Vision);  mais  on  l'a  déjà  rappelé  brièvement  dans 
le  présent  article,  à  propos  des  dotes  animée  bealse.  Voir 
col.  1402. 

Il  est  inutile  donc  d'admettre,  avec  quelques  rares 
théologiens  scolastiques,  la  nécessité,  dans  la  gloire, 
d'autres  habilus  ou  qualités  similaires  pour  expliquer 
la  sécurité  dont  jouissent  les  élus,  Richard  de  Middle- 
tov,n,  In  TV  Sent,  1.  IV,  dist.XLIX,  a.  3,  q.  vu,  la 
tension  ou  la  compréhension  de  leur  connaissance 
béatifique.  S.  Bonaventure,  ibid.,  a.  1,  q.  v;  D.  Soto, 
ibid.,  q.  iv,  a.  3;  Occam  et  plusieurs  autres.  Voir  plus 
haut,  loc.  cit.  Cf.  Suarez,  De  ultimo  fine  hominis,  disp. 
X,  sect.  n,  n.  9,  10. 

b.  Ce  que  l'étal  de  gloire  supprime.  —  Encore  une 
fois  il  ne  s'agit  que  des  suppressions  dans  l'ordre  de  la 
grâce,  le  seul  dont  nous  ayons  à  préciser  le  rapport 
avec  la  gloire  actuellement  possédée.—  a.  La  foi  est 
supprimée  par  la  gloire.  I  Cor.,  xm,  8.  L'inccrr possi- 
bilité de  la  claire  vue  de  Dieu  et  de  la  foi  a  été  expliquée 
à  l'art.  Foi,  col.  449;  elle  est  admise  communément 
par  les  théologiens,  cf.  Suarez,  De  fide,  disp.  V I,  sect.  ix, 
n.  6,  mais  pour  des  raisons  différentes.  Les  thomistes 
n'y  voient  qu'une  application  particulière  de  leur  doc- 
trine de  l'incompossiblité  delà  science  et  de  la  foi  par 
rapport  au  même  objet.  Voir  Foi,  col.  450.  Or,  disent-ils, 
si  la  claire  vue  deDieu  ne  rend  pas  les  élusoirniscients  et 
laisse  à  Eieu  la  possibilité  de  faire  à  ses  élus  de  r  ou"\  elles 
révélations,  l'état  glorieux  s'oppose  à  ce  que  ces  révé- 
lations se  fassent  d'une  façon  obscure  :  tout  ce  que 
les  bienheureux  désireront  savoir,  ils  le  sauront  et  le 
verront,  sinon  dans  l'essence  divine,  du  moins  par  le 
moyen  d'une  science  divinement  infuse.  Voir  col.  1407. 
Tout  autre  moyen  que  la  science  (laquelle  satisfait 
pleinement  les  légitimes  exigences  de  l'esprit  humain) 
serait  imparfait  et,  par  conséquent,  indigne  de  1  état 
glorieux.  S.  Thomas,  Sum.  theol.,  Ia  II*,  q.  ixvii,  a.  3, 
5;  11°  IL1',  q.  i,  a.  4,  5;  In  IV  Sent.,  1.  Ill.dist.  XXXI; 
Capréolus,  In  IV  Sent.,  1.  III,  dist.  XXX I,  a.  1  ;  cf.  Les- 
sius,  De  summo  60/10, 1.  II.  c.  x,  n.  81,  82.  Les  théologiens 
qui,  comme  Suarez  et  ses  disciples,  n'admettent  pas 
l'incompossibilité  de  la  science  et  de  la  foi,  recourent 
à  une  autre  explication,  tirée  uniquement  de  l'imper- 
fection de  la  connaissance  obscure  par  la  foi.  Suarez, 
De  fide,  disp.  III,  sect.  ix,  n.  23;  disp.  VI,  sect.  ix,  n.  7; 
disp.  VII,  sect.  v,  n.  5;  cf.  Lessius,  De  summo  bono, 
1.  II,  c.  xix,  n.  159  sq. 

En  censéquence,  l'état  de  gloire  supprime  chez  les 
bienheureux  non  seulement  la  vertu  surnaturelle 
infuse  de  foi,  mais  encore  tout  habitus  surnaturel, 
infus  ou  acquis,  se  rappertant  à  la  foi,  en  particulier, 
le  don  de  science  prophétique,  tous  les  objets  de 
connaissance  étant  actuellement  présents  aux  intel- 
ligences glorifiées.  Voir  S.  Thomas,  Sum.  theol.,  IP  II*, 
q.  clxxiv,  a.  5;  Suarez,  De  ultimo  fine  hominis,  disp. 
VIII,  sect.  1,  n.  3  ;  cf.  De  allributis  negativis  Dei,  c.  xxvm. 
Il  faut  en  dire  autant  de  la  science  de  la  foi,  c'est-à-dire 
de  la  théologie;  toutefois,  les  espèces  intelligibles 
acquises  demeurent  et  resteront  présentes  à  la  mémoire 
des  élus  qui,  voyant  clairement  les  mystères,  y  trou- 
veront un  sujet  nouveau  de  gloire  accidentelle  par 
rapport  aux  efforts  méritoires  qu'ils  auront  faits  ici-bas 
pour  les  atteindre  moins  imparfaitement.  Suarez,  De 
ultimo  fine  hominis,  loc.  cit.,  n.  4-6,  12.  L'opinion 
contraire,  improbable,  est  défendue  par  Cajétan, 
Comment,  in  I"m  Sum.  theol.  S.  Thomic,  q.  1,  a.  2,  et 
Melchior  Cano,  De  locis  theol.,  1.  XII,  c.  n.  Ces  auteurs 
assurent  que  l'obscurité  n'est  pas  inhérente  à  la 
théologie  en  tant  épie  science  de  la  foi,  mais  en  tant 
qu'elle  a  ici-bas  pour  sujets  des  intelligences  non  encore 
parvenues  à  la  claire  vision  des  mystères.  Saint  Thomas 
n'a  pas  traité  la  question. 


142c 


GLOIRE 


1424 


Cette  conséquence  n'est  elle-même  qu'une  opinion, 
la  plus  probable,  mais  combattue  cependant  par  quel- 
ques théologiens.  Autre,  en  effet,  est  l'affirmation  de 
saint  Paul  qui  peut  s'expliquer  d'une  façon  orthodoxe 
en  disant  que  la  foi  ne  s'exercera  plus  dans  la  gloire, 
autre  l'affirmation  des  théologiens  qui  nient,  dans  la 
gloire,  l'existence  de  la  vertu  même  de  la  foi.  Aussi 
Durand  de  Saint-Pourçain,  In  IV  Sent,,  1.  III,  dist. 
XXXI,  q.  m,  iv,  croit-il  pouvoir  affirmer  que,  si  la  foi 
ne  s'exercera  plus  dans  la  gloire,  du  moins  l'habitas 
surnaturel  de  la  foi  demeurera,  tout  comme  demeure 
le  caractère  sacramentel.  Même  thèse  chez  Alexandre 
de  Aies,  Sum.  theol.,  III",  q.  i.xiv.  m.  vu;  Thomas 
de  Strasbourg,  In  IV  Sent.,  1.  111,  dist  XXXI,  a.  3,  et 
chez  Sent.  In  IV  Sent.,  1.  III,  dist.  XXXI,  q.  m,  sauf 
que  Scot,  tout  en  admettant  que  ïhabitns  puisse  être 
conservé,  dit  qu'en  fait,  il  ne  l'est  pas,  parce  qu'inutile. 
On  en  trouve  des  traces  dans  saint  Irénée,  Conl.  hœr., 
1.  II,  c.  xxvin,  n.  3,  P.  G.,  t.  vu,  col.  806;  cf.  la  note 
de  Feuardent,  col.  1580;  les  remarques  de  Massuet, 
col.  361;  dans  Tertullien,  De  patientia,  c.  xn,  xm, 
P.  L.,  t.  i,  col.  1269;  et  le  Maître  des  Sentences,  1.  III, 
dist.  XXIII,  n.  4,  P.  L.,  t.  exen,  col.  805,  semble 
l'appuyer.  Cette  opinion  n'est  pas  à  rejeter  entière- 
ment. Suarez,  De  fide,  disp.  VI,  sect.  ix,  n.  7,  remarque, 
conformément  à  ses  principes  antithomistes,  qu'un 
acte  de  foi  reste  possible,  absolument  parlant,  aux 
élus  dans  la  gloire,  mais  que  cela  n'est,  en  fait,  jamais 
réalisé,  il  ajoute  :  «  Cette  impossibilité  de  fait  doit 
s'entendre  de  l'acte  même  de  l'intelligence,  l'acte 
de  croire,  et,  conséquemment,  de  l'acte  efficace  de  la 
volonté  commandant  l'adhésion  de  l'intelligence. 
Mais  si  nous  parlons  du  simple  acte  de  pieuse  affection 
de  la  volonté,  par  lequel  cette  dernière  se  montre  prête, 
si  besoin  en  est,  à  incliner  l'intelligence  vers  la  sou- 
mission de  la  foi,  un  tel  acte  peut  se  retrouver  chez  les 
bienheureux,  parce  qu'il  est  simplement  un  acte  de 
vertu,  ne  renfermant  aucune  imperfection  qui  répugne 
à  l'état  de  béatitude.  D'où  cette  locution  condition- 
nelle :  Si  Dieu  me  commandait  de  croire,  je  le  ferais,  et 
autres  semblables,  peuvent  exister  chez  les  élus;  elles 
impliquent,  non  la  réalisation  d'un  acte  de  foi  quel- 
conque, mais  simplement  une  pieuse  disposition  de 
l'âme,  possible  chez  les  élus.  »  hoc.  cit.,  n.  7.  Cf.  disp. 
VII,  sect.,  v,  n.  4;  De.  incarnatione,  disp.  XVIII, 
sect.  iv.  Suarez  s'appuie  sur  saint  Thomas,  Sum.  theol., 
IIIa,  q.  vil,  a.  3,  ad  2""\  et  sur  le  commentaire  de 
Cajétan.  —  (3.  L' 'espérance,  dont  l'objet  est  la  béatitude 
désirée  comme  notre  propre  bien,  voir  Espérance, 
t.  v,  col.  631,  636,  ne  petit  également  coexister  avec 
la  gloire.  I  Cor.,  xm,  13,  et  surtout  Rom.,  vm,  24-25, 
Mais  sur  ce  point,  plus  encore  qu'au  sujet  de  la  foi, 
il  y  a  divergence  parmi  les  théologiens  pour  expliquer 
cette  cessation  de  l'espérance  au  ciel.  Saint  Thomas, 
.S'»77i.  theol.,  I1  IT",  q.  lxvii,  a.  4,  5;  IF  II*,  q.  xvin, 
a.  2,  et  ses  disciples  semblent  l'entendre,  non  seule- 
ment de.  l'acte  d'espérance,  mais  encore  de  la  vertu  et 
de  tout  habitas  se  référant  à  l'espérance.  Comment, 
en  effet,  assigner  une  place  à  une  vertu  dont  l'objet 
propre  est  une  béatitude  absente,  alors  que  cette 
béatitude  est  non  seulement  présente,  mais  toujours, 
et,  dans  sa  substance,  tout  entière  actuellement 
présente  ?  S'il  y  a  encore,  dans  le  ciel,  place  pour  un 
certain  amour  intéressé  à  l'égard  de  Dieu,  cf.  Lessius, 
De  summo  bono,  1.  II,  c.  xix,  n.  163  sq.,  cet  amour  pro- 
cède de  la  charité  consommée,  la  communication  du 
souverain  bien  à  notre  âme,  laquelle  est  l'objet  de  cet 
amour  de  concupiscence,  étant  la  condition  nécessaire 
de  L'acte  de  charité,  par  lequel  nous  aimons  Dieu  pour 
lui-même.  Cf.  Esparza,  Quœstioncs  disputandse,  Rome, 
1664,  De  actibus  humanis,  q.  iv,  a.  5;  Billot,  De  virtu- 
libus  infusis,  proœmium  de  charitate;  C.  Pesch,  De 
virtutibus  theologicis,  n.  492  sq.,  537  sq.  Voir  Charité, 


t.  n,  col.  2220-2221.  Tout  différent  est  l'avis  de  Suarez  : 
Dico...  in  beatis  mancre  habitum  spei  quoad  substan- 
tiam  ejus,  quamvis  non  clicial  in  cis  actus  spei  bcalitu- 
dinis  esscnlialis.  De  virlulc  spei,  disp.  I,  sect.  vm,  n.  5. 
Les  arguments  de  Suarez  sont  l'autorité  de  quelques 
Pères  (ceux  que  l'on  a  cités  à  propos  de  l'opinion  de 
Durand  de  Saint-Pourçain  au  sujet  de  la  permanence 
de  la  vertu  de  foi)  ;  la  nécessité  de  rapporter  à  la  vertu 
d'espérance  l'acte  d'amour  intéressé  de  Dieu,  insépa- 
rable de  l'amour  et  de  la  jouissance  béatifiques, 
cf.  Lessius,  De  summo  bono,  1.  II,  c.  xix,  n.  163  sq.; 
Mastrius,  De  virlule  spei.  q.  xvm,  acte  qui  ne  renferme 
en  lui-même  aucune  répugnance  vis-à-vis  de  la  gloire 
essentielle;  la  nécessité  d'expliquer  les  actes  d'espérance 
louchant  l'objet  secondaire  de  cette  vertu,  glorifi- 
cation des  corps,  béatitude  des  amis  et  des  proches. 
Les  thomistes,  avec  saint  Thomas,  Sum.  theol.,  I"  IL1', 
q.  lxvii,  a.  4,  ad  3uœ,  répondent  que  la  vertu  d'espérance 
ne  saurait  exister,  même  vis-à-vis  de  son  objet  secon- 
daire, lorsque  cet  objet  se  présente  sans  être  enveloppé 
de  difficulté,  sine  ralione  ardui  :  Non  proprie  dicilur 
ediquis  qui  habel  pecuniam,  sperare  se  habilurum  aliquid 
quod  statim  in  potestale  ejus  est  ut  emat.  Et  similiier 
illi  qui  jam  possident  gloriam  animœ,  non  proprie 
dicenlur  sperare,  sed  solum  desiderare  gloriam 
corporis  quœ  ad  gloriam  animœ  se  habet  ut  inevilabile 
accessorium.  Billot,  De  virtutibus  injusis,  c.  i,  q.  lxvii. 
Voir  la  discussion  dans  Suarez,  loc.  cit.,  n.  6;  Cajétan, 
In  Sum.  S.  Thomœ,  III\  q.  vu,  a.  4. 

c.  Ce  que  la  gloire  conserve  en  le  modifiant.  ■ —  La 
grâce  habituelle,  principe  de  la  gloire,  est  évidemment 
supposée  chez  les  élus;  c'est  la  grâce  consommée,  qui 
ne  s'identifie  pas  cependant  avec  la  gloire  formelle  des 
élus.  Cf.  Billuart,  Cursus  tl.eologiœ,  De  gralia,  diss.  IV, 
a.  5.  Elle  acquiert,  par  son  épanouissement  dans  la 
gloire,  une  perfection  qu'elle  ne  peut  atteindre  ici-bas; 
c'est  la  filiation  divine  dans  un  degré  suréminent  : 
«  les  fils  qui  marchent  encore  dans  la  voie...  sont,  aux 
glorieux  habitants  de  la  patrie,  ce  qu'est  à  l'homme 
parfait  un  enfant  à  peine  sorti  des  langes.  »  Terrien, 
La  grâce  et  la  gloire,  t.  n,  1.  IX,  c.  I.  Cf.  I  Cor.,  xm, 
11-13.  Cette  suréminence  de  la  grâce  s'épanouis- 
sant  dans  la  gloire  ne  se  manifeste  que  médiatement, 
c'est-à-dire  par  les  perfections  qui  en  découlent  et 
forment  l'état  surnaturel  des  âmes  glorifiées.  Outre 
l'addition  de  la  vision  intuitive  avec  le  lumen  gloriœ 
qui  en  est  la  condition  nécessaire,  l'état  de  gloire 
conserve,  en  les  perfectionnant  :  a.  la  vertu  (infuse  et 
acquise)  de  charité,  qui  devient  la  charité  consommée. 
Voir  l'explication  à  l'art.  Charité,  t.  il,  col.  2226,  n.  4; 
cf.  S.  Thomas,  Sum.  theol.,  V  IL*',  q.  lxvii,  a.  6; 
IL  II*,  q.  xxiv,  a.  7,  avec  le  commentaire  de  Cajétan, 
et  In  IV  Sent.,  1.  III,  dist.  XXXI,  q.  n,  a.  2;  p. les 
dons  du  Saint-Esprit,  voir  t.  iv,  col.  1747-1748;  y.  les 
vertus  mondes,  infuses  et  acquises.  Les  vertus  morales 
infuses,  supposé,  selon  l'opinion  la  plus  probable, 
leur  existence,  demeurent  dans  l'état  de  gloire, 
quoique  ne  s'exerçant  plus  par  les  mêmes  actes, 
matériellement  considérés,  qu'ici-bas  :  leur  objet  formel 
reste  toujours  le  même,  à  savoir  rectum  et  mensura- 
tum  in  quolibet  génère  motuum  humanorum.  Pour 
la  prudence  et  la  justice,  qui  ont  leur  sujet  dans  l'intel- 
ligence et  dans  la  volonté,  pas  de  difficulté;  pour  les 
deux  autres  vertus  qui,  en  tant  que  vertus  infuses, 
ont  pour  sujet  dans  la  volonté,  mais  avec  une  relation 
essentielle  à  l'appétit  irascible  et  concupiscible,  elles 
ne  demeureront  que  virtuellement  dans  les  âmes 
séparées,  et  réapparaîtront  formellement  après  la 
résurrection.  S.  Thomas,  Sum.  theol.,  V'  II3*,  q.  lxvii, 
a.  1,  ad  3"m;  cf.  a.  2;  Suarez,  De  ultimo  fine  ho- 
minis,  disp.  X,  sect.  n,  n,  3.  Cf.  Billot,  De  virtutibus 
infusis,  q.  LXin,  thés,  n,  §  2;  q.  lxvii,  §  2.  Étant  donné 
cette    doctrine    touchant    la    permanence    des    vertus 


1425 


GLOIRE 


1426 


infuses,  la  permanence  des  vertus  acquises  est  facile- 
ment démontrable.  La  vertu  acquise  n'est  pas  autre 
que  l'habitude  d'où  résulte  une  plus  grande  facilité 
de  produire  des  actes  vertueux.  Or,  si  la  possibilité 
d'actes  vertueux  provenant  des  vertus  morales 
infuses  est  démontrée  dans  l'état  de  gloire,  il  faut  con- 
clure que  non  seulement  les  vertus  acquises  subsiste- 
ront, mais  même  que  là  où  elles  seront  ou  nulles  ou 
dans  un  état  d'insuffisance  et  d'infériorité,  Dieu  les 
infusera  per  accidens,  conformément  aux  principes  rap- 
pelés plus  haut  à  propos  de  la  science  infuse  per  accidens 
dans  l'âme  des  bienheureux.  Cf.  col.  1407.  Enfin,  il  faut 
dire  que  la  gloire  ne  supprime  pas  le  caractère  sacra- 
mentel, qui  demeurera  chez  les  élus  comme  une  marque 
perpétuelle  de  leur  fidélité  à  leur  vocation.  Voir  Carac- 
tère sacramentel,  t.  il,  col.  1706.  Cf.  S.  Thomas, 
Sum.  IheoL,  III',  q.  lxv,  a.  5,  ad  3"m. 

L'ordre  surnaturel,  ici-bas,  comporte  aussi  le  secours 
de  la  grâce  actuelle.  La  grâce  actuelle  subsistera-t-ellc 
chez  les  élus?  Il  semble  qu'on  doive  répondre  affir- 
mativement, quoique  non  plus  pour  les  mêmes  effets 
pour  lesquels  elle  est  donnée  dans  l'état  de  voie,  non 
plus  bien  entendu  pour  éviter  le  mal  et  faire  le  bien, 
mais  pour  d'autres  effets  convenables  à  l'état  de  béa- 
titude, en  appliquant  ici,  toute  proportion  gardée,  la 
distinction  qu'on  a  coutume  de  faire  là  où  il  est  question 
de  la  durée  des  vertus  morales  dans  l'autre  vie.  La 
principale  raison  qui  appuie  cette  réponse,  c'est  que 
les  dons  du  Saint-Esprit  demeurent  chez  les  élus, 
comme  ils  existaient  clans  l'âme  bienheureuse  de  Notre- 
Seigneur.  Voir  t.  iv,  col.  1748.  Or,  les  dons  sont  des 
habitudes  passives,  c'est-à-dire  des  dispositions  à  rece- 
voir les  motions  du  Saint-Esprit;  habitudes  qui  doivent 
nécessairement,  partout  où  elles  existent,  avoir  leur 
emploi  et  conserver  leur  raison  d'être.  Nous  voyons 
dans  l'Évangile  que  Jésus-Christ  était  conduit  par  son 
Esprit,  Matth.,  iv,  1;  qu'il  tressaillait  sous  l'action  du 
Saint-Esprit.  Luc,  x,  21,  etc.  Ainsi  en  sera-t-il  dans  le 
royaume  de  la  gloire,  quoique  nous  ne  puissions  nous 
faire  une  idée  des  mouvements  que  le  Saint-Esprit 
imprimera  à  ces  heureux  citoyens  du  ciel,  des  accents, 
des  cantiques  que  lui,  le  divin  citharœdus,  tirera  de  ces 
âmes  glorieuses.  Apoc,  xiv,  2-4.  Or,  ces  motions,  aux- 
quelles sont  ordonnés  les  dons,  ont  tout  ce  qu'il  faut 
pour  vérifier  la  notion  de  grâce  actuelle.  D'autre  part, 
si  l'on  entend  par  grâce  actuelle  le  concours  divin 
nécessaire  pour  le  jeu  régulier  des  vertus  surnaturelles, 
ce  concours  sera  aussi  nécessaire  dans  le  ciel  qu'ici-bas. 
Voir  Grâce.  Cf.  Billot,  De  gratta,  Prato,  1912, 
th.  v,  §  2. 

Pour  la  première  partie,  voir  la  bibliographie  complète 
à  l'art.  Grâce  :  consulter  spécialement  Salmantiecnses, 
De  gratia,  disp.  IV,  dans  Cursus  theologicus,  Paris,  1878, 
t.  ix.  —  Pour  la  seconde  partie,  consulter  les  auteurs  cités 
au  cours  de  l'exposition,  mais  particulièrement  S.  Thomas, 
Sum.  theol.,  I"  II»,  q.  lxvii;  In  IV  Sent,  I.  III,  dist.  XXXI, 
q.  il;  Suarez,  De  ultimo  fine  hominis,  disp.  XIII,  sect.  x,  et 
les  différents  traités  De  fide  et  De  spe  auxquels  cet  au- 
teur renvoie  lui-même;  parmi  les  auteurs  modernes, 
C.  Pesch,  Pnvleetiones  théologien*,  t.  m,  n.  476-480,  485, 
486. 

2°  Questions  connexes.  —  Il  suffit  de  les  indiquer 
brièvement  :  ce  sont  celles  qui  se  rapportent  au  mérite 
et  à  la  prédestination. 

La  distinction  fondamentale  qui  éclaire  les  discus- 
sions relatives  au  mérite  et  à  la  prédestination  est, 
du  côté  de  la  gloire,  la  distinction  entre  gloire  première 
et  gloire  seconde.  La  gloire  première  est  celle  qui 
correspond  à  la  première  grâce  justifiante,  que  le 
pécheur  ne  mérite  pas,  sinon  de  congruo.  Voir  t.  m, 
col.  1138  sq.  Cf.  Ripalda,  De  ente  supcrnaturali,  disp. 
LXXXIX.  C'est  sur  cette  distinction  qu'est  construite 
la    théologie    de    beaucoup    d'auteurs    touchant    la 


prédestination.  Voir  ce  mot.  Quant  au  mérite,  on 
exposera,  à  l'art.  Mérite,  comment  la  gloire  essen- 
tielle est  son  objet  tout  comme  la  grâce,  et  dans  quelle 
mesure  l'accroissement  de  gloire  répond  à  l'augmenta- 
tion des  mérites.  On  a  d'ailleurs  déjà  touché  cette 
question  à  propos  de  l'accroissement  de  la  charité.  Voir 
t.  n,  col.  2230-2231.  Ces  questions  sont  connexes  au 
rapport  de  la  gloire  à  la  grâce,  parce  que  le  problème 
de  la  prédestination  à  la  gloire  et  celui  du  mérite  de  la 
gloire  dépendent  intimement  de  la  question  de  la 
grâce,  qui,  dans  l'ordre  ontologique,  précède  et  pro- 
duit la  gloire. 

A.  Michel. 

III.  GLOIRE  HUMAINE.  La  gloire  purement  humaine 
est  celle  qui  se  conçoit  par  rapport  à  une  connaissance 
purement  humaine  de  notre  excellence.  Objective- 
ment, elle  est  constituée  par  cette  excellence  elle-même, 
abstraction  faite  de  la  connaissance  dont  elle  peut  être 
ou  devenir  l'objet,  et  de  l'honneur  qui  résulte  de  cette 
connaissance.  Elle  existe  soit  dans  l'ordre  naturel, 
soit  dans  l'ordre  surnaturel.  C'est  ainsi  que  la  femme 
est  la  gloire  de  l'homme,  I  Cor.,  xi,  7;  l'âme  humaine, 
la  partie  la  meilleure  de  notre  être,  est  nommée  dans 
l'Écriture  kâbôd,  gloire,  de  kâbâd,  être  illustre,  Gen., 
xlix,  16;  Ps.  vu,  6;  xxix,  13;  evi,  9;  evi,  2;  les 
nobles  d'une  nation  sont  appelés  sa  gloire.  Is.,  v,  13; 
vin,  7;  x,  6;  xvi,  14;  xvn,  3,  4;  Mien.,  i,  15;  Judith,  xv, 
10.  Voir  Gloire,  dans  le  Dictionnaire  de  la  Bible  de 
M.  Vigouroux,  t.  m,  col.  251.  Formellement,  la  gloire 
humaine  est  constituée  par  l'honneur  humain  qui 
rejaillit  sur  nous  de  la  connaissance  qu'on  peut  avoir 
de  notre  excellence.  Selon  l'acception  stricte  du  mot 
«  gloire  »,  cette  connaissance  doit  être  le  fait  du  grand 
nombre,  la  gloire  ne  se  concevant  facilement  qu'en 
rapport  avec  une  louange  rejaillissant  sur  nous  par 
l'estime  que  la  multitude  fait  de  nos  qualités.  Mais, 
dans  un  sens  plus  large,  la  gloire  s'entend  encore  de 
l'honneur  qui  rejaillit  sur  nous  à  la  suite  de  la  con- 
naissance que  peu  de  personnes  ou  même  une  seule 
personne  ont  de  notre  excellence;  bien  plus,  la  connais- 
sance personnelle  que  nous  pouvons  avoir  de  notre 
valeur  peut  suffire  à  nous  constituer,  à  nous-mêmes, 
une  certaine  gloire.  Cf.  II  Cor.,  i,  12;  S.  Thomos, 
Sum.  theol.,  IIa  II*,  q.  cxxxn,  a.  1;  Demalo,  q.  ix,  a.  1. 
Cette  gloire  humaine  peut  être  :  1°  légitime  et  bonne; 
2°  désordonnée.  En  ce  dernier  cas,  on  l'appelle  la 
vaine  gloire. 

I.  Gloire  humaine  légitime.  —  1°  Sa  possibilité 
morale.  —  Il  semble  difficile  que  la  recherche  de  la 
gloire  humaine  puisse  être,  moralement  parlant, 
légitime  :  «  La  louange,  l'honneur  et  la  gloire  ne  se 
donnent  pas  aux  hommes  pour  une  simple  vertu, 
mays  pour  une  vertu  excellente.  Car  par  la  louange 
nous  voulons  persuader  aux  autres  d'estimer  l'excel- 
lence de  quelques-uns;  par  l'honneur,  nous  protestons 
que  nous  l'estimons  nous-mesmes;  et  la  gloire  n'est 
autre  chose,  à  mon  advis,  qu'un  certain  esclat  de 
réputation  qui  rejaillit  de  l'assemblage  de  plusieurs 
louanges  et  honneurs  :  si  que  les  honneurs  et  louanges 
sont  comme  des  pierres  précieuses,  de  l'amas  desquels 
reùscit  la  gloire  comme  un  esmail.  Or,  l'humilité  ne 
pouvant  souffrir  que  nous  ayons  aucune  opinion 
d'exceller  ou  devoir  estre  préférés  aux  autres,  ne  peut 
aussi  permettre  que  nous  recherchions  la  louange, 
l'honneur,  ni  la  gloire,  qui  sont  deues  à  la  seule  excel- 
lence... »  S.  François  de  Sales,  Introduction  à  la  vie 
dévote,  part.  III,  c.  vu.  Il  y  a  cependant  des  limites 
raisonnables,  dans  lesquelles  la  recherche  de  l'estime 
des  autres  ou  de  sa  propre  estime  —  ce  qu'avec  saint 
Thomas,  dans  un  sens  large,  nous  avons  appelé  gloire 
humaine  —  est  légitime  au  point  de  vue  de  la  morale. 
En  effet,  il  est  légitime  et  naturel  à  l'homme  de 
rechercher  la  connaissance  de  la  vérité  :  l'homme  peut 


1427 


GLOIRE 


1428 


donc  légitimement  connaître  et  approuver,  faire 
connaître  et  faire  approuver  ce  qui  est  bien  en  lui. 
S.  Thomas,  loc.  cit.  Mais  pour  rester  dans  les  limites  de 
la  vérité,  nous  ne  devons  en  premier  lieu  attacher 
à  la  gloire  humaine  qu'une  valeur  humaine,  c'est-à- 
dire  une  valeur  incertaine,  non  définitive,  et  infiniment 
inférieure  à  celle  que  comporte,  par  exemple,  la  gloire 
promise  par  Dieu  aux  élus  :  Quœrere  gloriam  ab 
homine,  ut  homine,  non  est  secundum  se  pravum,  ut 
ctllala  ratio  (celle  apportée  par  saint  Thomas  au  corps 
de  l'article)  probal  :  sed,  si  quseratur  gloria  humana 
ultra  humanos  limites,  vel  quia  quœritur  ab  homine 
lanquam  a  certo,  vel  magno  testimonio,  aul  etiam  ullima 
teslimonio,  tune  vitium  est  inanis  gloriœ.  Cajétan,  Com.  in 
jjum  jjœ  g  Thomœ,  loc.  eit.  En  second  lieu,  il  faut  que 
cette  gloire  humaine  ne  s'oppose  pas  à  notre  fin  der- 
nière et  puisse  être,  au  moins  médiatement,  rapportée 
à  Dieu.  C'est  le  cas  de  tous  les  biens  particuliers, 
considérés  comme  mobiles  de  nos  actions.  Voir  Fin 
dernière,  t.  v,  col.  2491-2492.  Or,  lorsqu'on  recherche 
la  gloire  humaine  dans  les  limites  convenables,  même  si 
l'on  ne  pense  pas  explicitement  à  rapporter  cette  gloire 
à  Dieu,  l'acte  posé  est  cependant  bon  moralement, 
parce  que  la  gloire  humaine  recherchée  légitimement 
en  faveur  d'une  vertu  qui  existe  réellement  en  nous, 
se  rapporte  médiatement  à  Dieu,  fin  de  la  vertu. 
Cajétan,  loc.  cit.,  à  la  fin.  A  plus  forte  raison,  sera 
bonne,  et  même  méritoire,  la  recherche  de  la  gloire 
humaine  qui  se  propose  immédiatement  pour  fin, 
ou  la  gloire  de  Dieu,  ou  l'utilité  du  prochain,  ou  notre 
utilité  personnelle  :  1.  la  gloire  de  Dieu,  cf.  Matth.,  v. 
16;  I  Pet.,  ii,  12,  en  provoquant  les  autres  à  honorer 
Dieu  par  l'exemple  que  nous  leur  donnerons,  en  leur 
faisant  connaître  notre  vertu  personnelle  et  en  les 
entraînant  à  nous  imiter;  c'est  ainsi  que  saint  Paul 
agit  vis-à-vis  des  Romains,  Rom.,  xv,  17  sq.  ;  2.  l'utilité 
du  prochain.  Cf.  Rom.,  xn,  17;  xv,  2;  I  Cor.,  x,  32-33; 
II  Cor.,  xn,  1  sq.  Saint  François  de  Sales,  continuant 
sa  pensée,  s'exprime  ainsi  :  «  elle  (l'humilité)  consent 
bien  neantmoins  à  l'advertissement  du  Sage,  qui  nous 
admoneste  d'avoir  soin  de  nostre  renommée  (Eccl., 
xli,  15),  parce  que  la  bonne  renommée  est  une  estime, 
non  d'aucune  excellence,  mais  seulement  d'une  simple 
et  commune  preud'homie  et  intégrité  de  vie,  laquelle 
l'humilité  n'enpesche  pas  que  nous  ne  reconnaissions 
en  nous-mesmes,  ni  par  conséquent  que  nous  en 
desirions  la  réputation.  Il  est  vraij  que  l'humilité 
mespriseroil  la  renommée,  si  la  charité  n'en  avait  besoin; 
mays,  par  ce  qu'elle  est  l'un  des  fondemens  de  la  société 
humaine,  et  que  sans  elle  nous  sommes  non  seulement 
inutiles,  mays  dommageables  au  public  à  cause  du 
scandale  qu'il  en  reçoit,  la  charité  requiert  et  l'humilité 
a  g  grée  que  nous  la  desirions  et  conservions  précieusement.  » 
Loc.  cit.  Envisagée  sous  cet  aspect,  la  gloire  humaine 
ou  plutôt  l'estime  des  autres  est  un  lien  de  concorde 
et  de  charité,  et  «  le  mépris  formel  et  complet  de 
l'estime  des  autres  est  le  plus  souvent  une  marque 
d'orgueil,  une  manifestation  de  mépris  pour  ceux  qui 
nous  entourent,  et  il  nous  est  inspiré  par  le  sentiment 
exagéré  et  déréglé  de  notre  supériorité.  »  De  Smet, 
Noire  vie  surnaturelle,  t.  il,  p.  325-326.  3.  Notre  utilité 
personnelle,  dum  considérât  (homo),  dit  saint  Thomas, 
bona  sua  ab  aliis  laudari,  de  his  gralias  agit,  et  firmius 
in  cis  persislit,  De  malo,  loc.  cit.;  ainsi,  pour  affermir 
les  premiers  chrétiens,  saint  Paul  les  encourage  en 
publiant  le  bien  qu'ils  font,  ou  en  les  proclamant 
la  gloire  de  l'Église.  Rom.,  n,  10;  xv,  14,29;  xvi,  2-12; 
I  Cor.,  xvi,  10;  II  Cor.,  i,  14;  vin,  2sq.;  IThes.,n,  20, 
etc.  Saint  François  de  Sales,  loc.  cit.,  exprime  cette 
fin  de  la  gloire  humaine  d'une  façon  charmante  : 
«  Outre  cela,  comme  les  feuilles  des  arbres,  qui  d'elles- 
mesmes  ne  sont  pas  beaucoup  prisables,  servent 
neantmoins    de    beaucoup,    non   seulement   pour   les 


embellir,  mais  aussi  pour  conserver  les  fruitz  tandis 
qu'ilz  sont  encor  tendres  :  ainsy  la  bonne  renommée, 
qui  de  soy-mesme  n'est  pas  une  chose  fort  désirable, 
ne  laisse  pas  d'estre  très-utile,  non  seulement  pour 
l'ornement  de  nostre  vie,  mays  aussi  pour  la  conser- 
vation de  nos  vertus,  et  principalement  des  verluz  encor 
tendres  et  joibles.  L'obligation  de  maintenir  ncslre 
réputation,  et  d'estre  tclz  que  l'on  nous  estime,  force  un 
courage  généreux  d'une  puissante  et  douce  violence.  » 

Aussi  les  maîtres  de  la  vie  spirituelle  recommandent- 
ils  de  travailler  à  conserver  la  juste  estime  des  autres 
et  à  écarter  ce  qui  pourrait  injustement  y  faire  tort, 
comme  seraient  des  accusations  fausses,  des  reproches 
mal  fondés  qui  pourraient  détruire  ou  diminuer  cette 
estime.  Mais  cette  recherche  de  l'estime  d'autrui  doit 
s'allier  toujours  au  plus  grand  calme  et  à  la  plus 
grande  modération;  dépasser  les  limites  convenables 
en  cette  matière,  manifester  des  sentiments  de  colère 
ou  d'indignation  serait  témoigner  qu'on  accorde  à  la 
gloire  humaine  plus  qu'elle  ne  mérite  et  tomber  dans 
la  faute  de  la  vaine  gloire.  N'oublions  pas,  comme  dit 
encore  saint  François  de  Sales,  que  «  la  réputation  n'est 
que  comme  une  enseigne  qui  fait  connoistre  où  la 
vertu  loge  :  la  vertu  doit  donq  être  en  tout  et  partout 
préférée...;  il  faut  estre  jaloux,  mays  non  pas  idolâtre, 
de  nostre  renommée;  et  comme  il  ne  faut  offenser 
l'œil  des  bons,  aussi  ne  faut-il  pas  vouloir  arracher 
celuy  des  malins.  »  Loc.  cit.  L'humilité  véritable  est 
la  condition  même  de  la  magnanimité  et  de  la  modestie 
qui  doivent  gouverner  notre  désir  instinctif  de  la 
gloire.  Cf.  S.  Thomas,  Sum.  iheol,  IP  IP,  q.  cxxix, 
a.  1,  2;  Hugueny,  Humilité,  dans  le  Dictionnaire 
apologétique  de  la  foi  catholique,  t.  il,  col.  526.  On  con- 
naît, sur  ce  point,  le  texte  de  saint  Grégoire  le  Grand, 
conciliant  Matth.,  vi,  1,  avec  v,  16  :  Sic  aulem  sit  opus 
in  publico,  quatenus  intentio  maneat  in  occullo  ut  et 
de  bono  opere  proximis  pricbeamus  exemplum,  cl  tamen 
per  inlentionem  qua  Dco  soli  placere  quaerimus,  semper 
optemus  secretum.  Homil.  in  evangel.,  1.  I,  homil.  xi, 
n.  1,  P.  L.,  t.  lxxvi,  col.  1115.  En  résumé  :  «  L'amour 
des  louanges  n'est  pas  en  lui-même  un  sentiment 
condamnable;  il  est  même  un  acte  vertueux,  lorsqu'il 
réunit  les  quatre  conditions  suivantes  :  1.  que  ce  qui 
donne  lieu  à  la  louange  soit  une  qualité  vraiment 
estimable,  constitue  une  véritable  perfection  pour 
l'être  intelligent;  2.  que  cette  qualité  se  trouve  réelle- 
ment en  nous  ;  3.  qu'il  n'y  ait  pas  dans  la  louange  un 
caractère  d'exagération  qui  fait  qu'elle  manque  de 
sincérité  ou  de  justesse;  4.  que  le  témoignage  d'estime 
soit  rapporté  par  celui  qui  le  reçoit  à  une  fin  digne 
d'un  être  intelligent  éclairé  des  lumières  de  la  foi, 
fin  qui  doit  être  en  dernière  analyse  la  gloire  de  Dieu, 
le  bien  du  prochain  ou  sa  propre  utilité.  »  De  Smet, 
op.  cit.,  p.  333. 

2°  Sa  possibilité  psychologique.  —  Difficulté.  — 
Pour  obtenir  l'estime  des  autres,  on  veut  paraître 
parfait.  Comment  allier  psychologiquement  ce  désir 
de  paraître  parfait  à  l'extérieur  avec  la  réalité  de  nos 
imperfections  intérieures  ?  Ne  sera-ce  pas  l'hypo- 
crisie ?  Et  lorsque  nous  nous  montrerons,  dans  les 
moments  de  surprise  et  d'oubli,  tels  que  nous  sommes 
réellement,  c'est-à-dire  remplis  de  faiblesses  et  peut- 
être  de  défauts,  n'allons-nous  pas  scandaliser  davan- 
tage et  détruire  notre  prestige  ? 

Réponse.  —  Si  l'on  voulait  se  contenter  de  parai  tic 
parfait,  sans  l'être  réellement,  la  difficulté  n'aurait 
pas,  au  point  de  vue  psychologique,  d'autre  solution 
que  dans  l'hypocrisie.  Il  faut  supposer  que  l'on  désire 
mériter  l'estime  d'autrui  plus  encore  que  l'obtenir. 
«  Dès  lors,  la  préoccupation  de  nous  montrer  parfaits 
sera  d'un  puissant  secours  pour  nous  prémunir  contre 
les  mouvements  irréfléchis  des  passions  humaines. 
Il  nous  arrive  trop  souvent  de  nous  faire  illusion  sur 


1429 


GLOIRE 


1430 


le  désordre  de  certains  sentiments  et  de  certains  actes 
et  d'être  tentés  ainsi  de  les  justifier  à  nos  propres  yeux 
et  de  nous  encourager  à  nous  y  entretenir.  Il  est  beau- 
coup plus  facile  de  comprendre  l'impression  que  ces 
sentiments  et  ces  actes  doivent  faire  sur  les  autres,  de 
constater  qu'ils  doivent  leur  apparaître  comme  des 
manifestations  d'idées  et  de  sentiments  tout  à  fait 
naturels,  dans  le  mauvais  sens  du  mot,  c'est-à-dire 
opposés  aux  idées  et  aux  sentiments  surnaturels  qui 
doivent  être  la  règle  de  notre  conduite.  »  De  Smet, 
op.  cit.,  p.  330-331.  Lorsque  nos  défauts  apparaîtront, 
l'estime  qu'on  aura  de  nous  diminuera  peut-être; 
nous  ne  devons  pas  nous  tourmenter  de  cette  diminu- 
tion, autrement  que  pour  réparer  le  mal  que  nous 
auront  fait  en  nous  abandonnant  au  mal.  Nous 
porterons  ainsi  le  poids  et  la  responsabilité  de  notre 
faute,  sans  que  pour  cela  il  y  ait  le  moindre  sentiment 
d'hypocrisie. 

Instance.  —  Mais  enfin,  n'affichons-nous  pas  des 
perfections    que    nous    n'avons    pas    réellement  ? 

Réponse.  —  Non,  ce  n'est  pas  exact;  car  nous 
possédons  toujours,  au  moins  dans  l'intelligence  et  la 
volonté,  ces  perfections  dont  on  constate,  à  l'exté- 
rieur, la  manifestation.  Et  cela  suffit  pour  que  notre 
vertu  soit  réelle.  Qu'il  y  ait,  au  dedans  de  nous,  des 
luttes  et  des  révoltes  contre  les  idées  élevées  et  les 
nobles  tendances  que  nous  manifestons  aux  autres, 
c'est  possible;  mais  cela  ne  détruit  en  rien  notre  vertu 
et  «  personne  ne  dira  sérieusement  que  la  sincérité 
que  nous  nous  devons  les  uns  aux  autres  exige  que 
nous  manifestions  à  tous  les  tentations  et  les  résis- 
tances intérieures  qui  rendent  l'exercice  de  la  vertu 
plus  ou  moins  difficile  et  nous  font  même  tomber 
parfois  dans  certaines  faiblesses  intérieures  ou  exté- 
rieures. »  De  Smet,  op.  cit.,  p.  331,  note.  On  peut  sans 
doute  nous  juger  trop  favorablement,  en  nous  estimant 
exempt  de  ces  révoltes  et  de  ces  luttes.  Mais  de  ce 
jugement  logiquement  défectueux  ne  résulte  ni  de 
notre  côté  l'hypocrisie,  ni,  de  la  part  de  ceux  qui 
nous  voient,  une  louange  fausse.  11  nous  suffira 
d'estimer  cette  louange  à  sa  vraie  valeur,  qui  est  tout 
humaine,  c'est-à-dire  essentiellement  incertaine  et 
relative. 

II.  Vaine  gloire.  ■ —  1°  Définition  et  nature.  ■ — 
La  vaine  gloire  est  la  gloire  purement  humaine 
recherchée  d'une  façon  désordonnée.  Or  le  désordre 
peut  s'introduire  ici  de  trois  façons  :  la  vanité  de  la 
gloire  peut  résider  :  1.  dans  une  erreur  d'apprécia- 
tion touchant  le  bien  qui  en  est  le  fondement,  lorsqu'il 
s'agit,  par  exemple,  d'un  bien  périssable  comme  les 
biens  de  la  fortune,  d'une  qualité  morale  qui  n'existe 
qu'en  apparence  et  dont  l'hypocrisie  contredit  le  vrai 
bien;  2.  dans  l'estime  exagérée  que  l'on  fait  de  la 
louange  des  hommes,  lesquels  ne  méritent  pas  un 
crédit  considérable;  3.  dans  la  complaisance  de  notre 
amour-propre  excité  par  les  louanges  d'autrui,  et 
qui  retient  ces  louanges  pour  lui-même,  sans  les 
ordonner  à  Dieu,  au  bien  du  prochain  ou  à  notre 
utilité  personnelle.  S.  Thomas,  Sum.  theol.,  IP  IVe, 
q.  cxxxu,  a.  1;  cf.  De  malo,  q.  ix,  a.  1.  C'est  ce  que 
saint  François  de  Sales  résume  ainsi  :  «  Nous  appelons 
vaine  la  gloire  qu'on  se  donne  ou  pour  ce  qui  n'est 
pas  en  nous,  ou  pour  ce  qui  est  en  nous,  mays  pas  à 
nous,  ou  pour  ce  qui  est  en  nous  et  à  nous,  mais  qui 
ne  mérite  pas  qu'on  s'en  glorifie.  »  Op.  cit.,  part.  III, 
c.  iv.  Les  autres  sortes  de  désordres,  par  exemple,  la 
recherche  d'une  gloire  personnelle  au  détriment  de 
celle  d'autrui;  le  trop  grand  désir  d'être  glorifié,  se 
ramènent  à  la  complaisance  de  l'amour-propre  qui 
refuse  d'ordonner  la  gloire  humaine  à  une  fin  digne  de 
notre  qualité  d'enfants  de  Dieu  et  de  frères  en  Jésus- 
Christ.  Cf.  Cajétan,  loc.  cit. 

La  vaine  gloire  s'oppose  formellement  à  la  vertu  de 


magnanimité,  bien  que  matériellement  elle  puisse 
se  produire  à  l'occasion  d'actes  opposés  à  d'autres 
vertus,  par  exemple,  la  cupidité,  l'imprudence,  etc., 
cf.  S.  Thomas,  Sum.  theol.,  loc.  cit.,  a.  2,  ad  1"", 
parce  que  la  magnanimité  est  cette  partie  de  la  vertu 
de  force  qui  règle  l'usage  des  honneurs  et  de  la  gloire. 
Ibid.,  q.  cxxix,  a.  1,  2;  In  IV Sent.,  1.  II,  dist.  XLII, 
q.  ii,  a.  4. 

2°  Culpabilité.  —  Que  la  vaine  gloire  soit  une  faute, 
la  sainte  Écriture  l'atteste;  cf.  Is.,  xl,  6-8;  Matth.,  vi, 
1;  Joa.,  v,  41;  I  Cor.,  iv,  7;  Gai.,  iv,  26;  Phil.,  n, 
3,  etc.,  et  les  Pères  de  l'Église  ne  manquent  pas  d'en 
détourner  les  fidèles.  Voir  à  la  bibliographie.  Les 
théologiens  considèrent  qu'en  soi  la  vaine  gloire  n'est 
qu'une  faute  vénielle,  parce  qu'elle  ne  s'oppose  pas  à 
la  charité  envers  le  prochain,  ni  à  l'amour  de  Dieu. 
Cependant  saint  Thomas  admet  qu'elle  peut  devenir 
péché  mortel  s'il  s'agit  de  tirer  gloire  d'une  chose 
offensant  gravement  Dieu,  ou  de  préférer  à  Dieu, 
par  vaine  gloire,  un  bien  périssable  et  l'estime  des 
hommes,  ou  encore  de  faire  de  la  vaine  gloire  sa  fin 
dernière.  Loc.  cit.,  a.  3.  Les  théologiens  trouvent  ces 
sortes  de  péchés  indiqués  dans  Ezech.,  xxvm,  2; 
I  Cor.,  iv,  7.  Saint  Alphonse  de  Liguori  dit  de  la  vaine 
gloire  comme  de  l'ambition  qu'elle  devient  per 
accidens  péché  mortel,  vel  ratione  materiœ  ex  qua, 
vel  ratione  damni  quod  proximo  injertur.  Theologia 
moralis,  édit.  Gaudé,  Rome,  1907,  t.  m,  1.  V,  c.  in, 
n.  66.  Lcisque  la  vaine  gloire  porte  sur  une  chose 
offensant  gravement  Dieu,  certains  auteurs  pensent 
qu'on  doit  expliquer  en  confession  de  quelles  choses 
mauvaises  on  a  tiré  vaine  gloire,  parce  que  la  vaine 
gloire  prend  la  gravité  spécifique  de  ces  choses; 
ainsi  l'enseignent  Sanchez,  Opus  morale  in  prœcepta 
dccalogi,  Parme,  1723,  1.  I,  c.  ni,  n.  13;  L.  Lopez, 
Inslruclorium  conscientiœ,  Salamanque,  1592,  cité  par 
Busenbaum,  mais  à  tort,  car,  part.  I,  c.  v,  q.  ni, 
il  tient  l'opinion  communément  enseignée;  la  spé- 
cification des  choses  mauvaises  dont  on  a  tiré  vaine 
gloire  n'est  requise  que  quando  quis  gloriam  et 
laudem  quœrit  de  peccalis  morlalibus  CUM  COMPLA- 
CENTIA  earum.  C'est  l'opinion  de  saint  Alphonse  de 
Liguori,  loc.  cit.;  de  Navarrus,  Manuole  confessariorum, 
Venise,  1616,  prœlud.  iv,  n.  4;  de  Castropalao,  Opus 
morale,  Venise,  1721,  tr.  II,  disp.  II,  p.  n,  n.  5;  de  Diana, 
Diana:  concorduti,  Venise,  1698,  t.  vin,  tr.  X,  resol.  vi, 
et  même,  quoi  qu'en  dise  encore  Busenbaum,  Mcdulln 
theologia:  moralis.  Tournai,  1848, 1.  V,  c.  m.  dub.  i,  n.  1 . 
de  Rodriguez,  Summa  casuum  conscientiœ,  Venise, 
1628,  part.  I,  c.  lui,  n.  14.  Cf.  de  Lugo,  Disputationcs 
scholaslicœ  et  morales,  Lyon,  1633-1654,  De  pœnilcniia, 
disp.  XXVI,  n.  267.  Il  suffirait  donc,  s'il  n'y  a  pas 
complaisance  aux  péchés,  de  dire  :  «  J'ai  péché  tant 
de  fois  en  cherchant  louange  et  gloire  de  péchés 
mortels,  »  sans  spécifier  de  quels  péchés  il  s'agit, 
péchés  que  peut-être  on  n'a  pas  commis,  ou  qu'on  a 
déjà  confessés,  ou  qu'on  confessera  plus  loin.  Navarrus, 
loc.  cit. 

Les  moralistes,  appliquant  les  principes  concernant 
la  gravité  per  accidens  de  la  vaine  gloire,  en  déduisent 
qu'il  y  a  péché  mortel  de  vaine  gloire  :  1.  chaque 
fois  qu'entendant  louer  quelqu'un  ou  soi-même  à 
cause  d'une  chose  gravement  coupable,  on  accueille, 
on  approuve  cette  louange,  Sanchez,  loc.  cit.;  Baldelli, 
Disputationcs  ex  morali  theologia,  Lyon,  1637-1661, 
1.  III,  disp.  V,  n.  12;  2.  quand  on  blâme  quelqu'un 
de  n'avoir  pas  commis  un  acte  gravement  coupable, 
vengeance,  fornication  ;  c'est  le  péché  grave  de 
jactance  joint  à  l'approbation  du  mal,  Baldelli,  loc. 
cit.,  n.  11;  3.  quand,  introduisant  par  son  influence 
des  modes  nouvelles,  on  impose  aux  autres  la  nécessité 
morale  de  se  conformer  à  des  usages  dispendieux 
qui  les  ruineront  ou  les  empêcheront  de  payer  leurs 


1431 


GLOIRE    -   GNOSE 


1432 


dettes,  Baldelli,  loc.  cit.  n.  18;  4,  quand  on  simule 
la  sainteté  avec  la  volonté  de  ne  point  l'acquérir, 
Baldelli,  loc.  cit.,  n.  19;  5.  quand  on  simule  le  mal, 
à  cause  du  scandale  grave  qui  en  résulte;  les  saints, 
pour  s'humilier,  n'ont  jamais  fait  que  des  actes  en 
soi  indifférents,  et  n'ont  jamais  positivement  provoqué 
des  jugements  en  leur  défaveur.  S.  Alphonse,  édit. 
Gaudé,  loc.  cit.,  n.  67. 

Mais  puisqu'en  soi  la  vaine  gloire  n'est  qu'un  péché 
véniel  —  la  coquetterie,  par  exemple,  en  est  une 
manifestation,  Baldelli,  loc.  cit.,  n.  23  —  une  conclusion 
s'impose,  c'est  qu'un  motif  de  vaine  gloire  ne  vicie 
pas  substantiellement,  dans  les  cas  ordinaires,  la 
moralité  d'une  bonne  action.  En  effet,  la  vaine  gloire 
ne  s'opposant  pas  à  la  vertu  de  charité,  laisse  subsis- 
ter l'influence  d'autres  motifs  louables.  Lehmkuhl. 
Thcologia  moralis,  t.  i,  n.  34,  donne  plusieurs  exemples 
de  ce  principe  touchant  les  pratiques  de  dévotion 
et  la  réception  des  sacrements.  Si  le  motif  de  vaine 
gloire  ne  vient  qu'en  second  lieu  et  laisse  la  place 
principale  à  un  motif  louable,  la  valeur  de  l'acte 
posé  en  est  d'autant  moins  diminuée.  Lehmkuhl,  loc. 
cit.  Si  c'est  l'inverse,  et  que  prédomine  le  motif  de 
vaine  gloire,  pourvu  que  cependant  ce  motif  ne  soit 
pas  exclusif,  l'acte  posé  ne  sera  pas  encore  vicié 
substantiellement,  du  moins  selon  l'avis  d'auteurs 
sérieux,  tels  que  Silvestre  Prierias,  Summa,  Venise, 
1612,  au  mot  Varia  gloria;  Navarrus,  op.  cit.,  c.  xxm, 
n.   13. 

3°  Péchés  dérivés.  —  La  recherche  de  la  vaine  gloire, 
étant  une  manifestation  de  l'orgueil,  doit  être  considé- 
rée, au  même  titre  que  l'orgueil,  comme  un  vice 
capital.  S.  Thomas,  loc.  cil.,  a.  4.  Certains  auteurs 
distinguent  même  la  vaine  gloire  de  l'orgueil  et 
comptent  ainsi  huit  vices  capitaux.  Cassien,  Collaliones, 
V,  c.  ii,  P.  4.,  t.  xlix,  col.  611;  S.  Jean  Damascène, 
De  oclo  passionibus,  n.  1,  P.  G.,  t.  xcv,  col.  80.  Voici 
comment  le  docteur  angélique  expose  tous  les  dérivés 
de  la  vaine  gloire,  a.  5  :  «  La  fin  de  la  vaine  gloire 
est  de  montrer  sa  propre  excellence;  ce  que  l'homme 
peut  faire  de  deux  façons  :  d'abord,  d'une  manière 
directe,  en  se  vantant  dans  ses  paroles,  comme  fait 
la  jactance.  Si  ce  sont  des  choses  qui  provoquent 
l'étonnement,  on  l'appelle  présomption  des  nouveautés, 
ce  que  les  hommes  admirent  beaucoup  d'ordinaire; 
si  ce  sont  des  choses  fausses,  c'est  l'hypocrisie.  Il  y  a 
encore  une  autre  manière  de  manifester  sa  supériorité, 
mais  indirectement,  en  ne  voulant  pas  paraître  infé- 
rieur aux  autres.  Cela  peut  avoir  lieu  de  quatre  façons  : 
1.  quant  à  l'intelligence,  en  refusant  d'abandonner 
son  sentiment  pour  se  rendre  à  un  avis  meilleur,  et 
c'est  ce  que  l'on  appelle  Y  opiniâtreté;  2.  quant  à  la 
volonté,  en  ne  voulant  pas  céder  pour  faire  la  paix, 
et  c'est  ce  qu'on  appelle  la  discorde;  3.  dans  les  paroles, 
en  se  disputant  avec  bruit,  et  c'est  ce  qu'on  appelle- 
la  contention  ;  4.  dans  ses  actions,  en  refusant  d'exécuter 
l'ordre  d'un  supérieur,  et  c'est  ce  qu'on  appelle  la 
désobéissance.  »  Cf.  S.  Alphonse,  loc.  cit.  Saint  Thomas 
emprunte  sa  nomenclature  à  saint  Grégoire  le  Grand, 
Moral.,  1.  XXXI,  c.  xlv,  n.  88.  P.  L.,  t.  lxxvi,  col.  621. 

S.  Thomas,  Sum.  IheoL,  II*»  II;P,  q.  cxxxn;  De  mdlo, 
q.  i\  ;  Cajétan,  Comment,  sur  la  q.  cxxxii  de  la  II11  II*; 
S.  Alphonse  de  Liguori,  Thcologia  moralis,  édit.  Gaudé, 
Rome,  1907,  t.  ni,  1.  V,  c.  ni,  dub.  i,  et  les  moralistes  cités 
au  cours  de  l'article;  Billuart,  Cursus  théologies,  Paris, 
1878,  t.  vin,  diss.  II,  a.  3,  §  3;  S.  François  de  Sales,  Intro- 
ductiotl  à  la  vie  dévote,  part.  IIP,  c.  m,  vu;  Imitation  de 
Jésus-Christ,  1.  I,  c.  vu;  1.  III,  c.  xl;  De  Smet,  Notre  vie 
spirituelle,  Bruxelles,  1911,  t.  n,  p.  324-335;  les  auteurs 
spirituels,    à     la    question    de    l'humilité. 

Chez  les  Pères  de  l'Église,  sur  la  vraie  gloire  et  la  vaine 
gloire  :  Clément  d'Alexandrie,  Pwd.,  1.  I,  c.  vi;  Strom.,  I, 
c.  xi,  P.  G.,  t.  vin,  col.  293,  748;  Origène,  De  oralione, 
n.  19;  Conl.  Cehum,  1.  VII,  n.  24,  P.  G.,  t.  xi,  col.  476  sq., 
1456  sq.  ;  In  Jeremiam,  homil.  xi,  n.  4,  7,  8,  P.  G.,  t.  xiii, 


col.  372  sq.,  388  sq.;  In  Episl.  ad  Romanos,  1.  II,  n.  5, 
P.  67.,  t.  xiv,  col.  879;  S.  Basile,  In  Hexaemeron,  homil.  v, 
n.  2.  P.  G.,  t.  xxix,  col.  96-100;  In  ps.  l.Xl,  n.  4,  col.  476  sq.; 
Epist,  1.  I,  epist.  xlii,  n.  4,  t.  XXXII,  col.  354;  cf.  Homil.,  xx. 
De  humilitale.t.  xxxi,  col.  525;  Constitutiones  monastiese, 
c.  x,  col.  1372;  c.  xvi,  col.  1378;  S.  Grégoire  de  Nazianze, 
Oral.,  n,  apologeliea,  n.  51,  P.  G.,  t.  xxxv,  col.  461;  Oral., 
xix,  theologica,  n.  4  sq.,  col.  1041;  S.  Grégoire  de  Nysse, 
Oratio  de  morluis,  P.  G.,  t.  xlvi,  col.  497.  Mais,  parmi  les 
Pères  grecs,  c'est  surtout  saint  Jean  Chrysostome  quî  a 
parlé  le  plus  et  le  mieux  de  la  vraie  et  de  la  vaine  gloire. 
Entre  mille  passages,  on  lira  avec  huit  les  suivants  :  Homil. 
in  kalendas,  P.  G.,  t.  xlvii,  col.  953  sq.  ;  Adversus  oppu- 
gnantes  vitee  monastieiv,  1.  II,  n.  5,  6,  col.  337  sq.;  Ad  Theo- 
dorum  lapsum,  1.  II,  n.  3,  col.  311  sq.  ;  De  compunctione, 
1.  I,  n.  4,  col.  399,400;  Ad  Stagirium  a  dœmone  vc.vatum, 
I.  I,  n.  9,  col.  445  sq.  ;  Ad  viduam  juniorcm,  n.  5,  6,  col.  605- 
608;  De  sacerdolio,  1.  III,  n.  9;  cf.  1.  VI,  n.  12,  col.  646  sq., 
688;  De  Anna,  serm.  iv,  n.  3,  t.  liv,  col.  663-664;  In  Gen., 
homil.  v,  n.  5,  6;  homil.  xxn,  n.  7,  col.  53,  54;  195;  Expo- 
sitio  in  ps.  Y,  n.  6,  t.  lv,  col.  69  :  in  ps.  XLVIII,n.  8,  col.  234; 
cf.  col.  510;  in  ps.  XLIX,  n.  11,  col.  240  :  in  ps.  VIII,  n.  7, 
col.  116  sq.;  in  ps.  CXX,  col.  377-379;  In  Matthœum, 
homil.  xix,  t.  lvii-lviii,  col.  273  sq.  ;  homil.  lviii  (lix), 
n.  4,  col.  570  sq.;  homil.  iv,  col.  51;  homil.  lxv  (lxvi), 
n.  4,  col.  621  sq.;  homil.  XI,  n.  8,  col.  201;  homil.  lxxii 
(lxxiii),  col.  667  sq.  ;  In  Joa.,  homil.  ni  (n),  n.  5,  t.  lix, 
col.  43  sq.  ;  homil.  xxvm  (xxvn),  n.  3,  col.  165  ;  homil.  xxix 
(xxvm),  n.  3,  col.  170  sq.  ;  homil.  xxxvni  (xxxvn),  n.  5, 
col.  218  sq.  ;  In  Acta  apostolorum,  homil.  xxvm,  n.  3, 
t.  lx,  col.  212;  In  Epist.  ad  Rom.,  homil.  xvn,  n.  3,  col.  567; 
In  Epist.  I  ad  Cor.,  homil.  xxxv,  n.  4-6,  t.  lxi,  col.  300-306; 
cf.  In  Epis.  II  ad  Cor.,  homil.  xxix,  n.  4,  col.  601  sq. ; 
In  Epist.  I  ad  Tim.,  homil.  n,  n.  2,  3,  t.  lxii,  col.  511-516; 
In  Epist.  ad  Phil.,  homil.  v,  col.  213  sq.  ;  cf.  homil.  xiv, 
col.  281  ;  In  Epist.  ad  Titum,  homil.  n,  n.  3,  4,  col.  673  sq.  ; 
Tertullien,  De  cultu  fœminarum,  1.  II,  c.  m,  P.  L.,  t.  i, 
col.  1319;  Ad  martyres,  c.  iv,  v,  col.  625-626;  S.  Cyprien, 
Epist.,  xxx,  P.  L.,  t.  iv,  col.  303-307  :  il  s'agit  d'une  exhor- 
tation aux  martyrs  de  placer  toute  leur  gloire  en  Dieu  seul  ; 
S.  Jérôme,  In  Epist.  ad  Gai.,  1.  III,  c.  vi,  n.  26,  P.  L., 
t.  xxvi,  col.  423  sq.;  Epist.,  xxn,  n.  27;  cvin,  n.  3,  t.  xxn, 
col.  412,  879;  S.  Augustin,  dans  ses  polémiques  antipéla- 
giennes,  a  souvent  parlé,  en  passant,  de  la  vaine  gloire; 
voici  cependant  quelques  endroits  où  il  en  traite  plus  direc- 
tement :  De  civitate  Dei,  I.  V,  c.  xn,  xiii,  xix,  xx,  P.  L., 
t.  xli,  col.  154, 158, 165-167;  Serm.,  cxxix,  n.  2,  t.  xxxvm, 
col.  721;  Enarr.  in  ps.  VII,  n.  4,  t.  xxxvi,  col.  99-100; 
in  ps.  XXV,  n.  12,  col.  194;  in  ps.  CXUX,  n.  11,  t.  xxxvn, 
col.  1955;  Epist.,  clxxxviii,  surtout  c.  n,  t.  xxxin,  col. 
848  sq.  ;  De  correptione  et  gratia,  c.  xn,  n.  37,  38,  t.  xliv, 
col.  938-939;  Contra  duas  epistolas  pelagianorum,  1.  IV, 
c.  xix,  ibid.,  col.  626-628;  De  dono  perseverantiœ,  c.  xxiv, 
t.  xlv,  col.  1033-1034;  In  Joannis  evangelium,  tr.  LVIII, 
n.  3,  t.  xxxv,  col.  1795;  S.  Grégoire  le  Grand,  Moral.,  1.  VI, 
c.  vi,  n.  3;  1.  X,  c.  xxn-xxvn;  1.  XIV,  c.  lui,  n.  64,  P.  L., 
t.  lxxv,  col.  753,  945,  1073;  1.  XVII,  c.  vu,  vin,  t.  lxxvi, 
col.  945  ;  S.  Bernard,  De  diligendo  Deo,  c.  n,  P.  L.,  t.  clxxxii. 
col.  975  sq.  ;  De  conversione  ad  clericos,  c.  vin,  col.  811; 
In  dedicatione  Ecclesin?,  serm.  IV,  t.  clxxxiii,  col.  526  sq.  ; 
Scrmones  de  diversis,  serm.  vu,  col.  558  sq. 

A.  Michel. 
GNOSE,  yvwatç,  est  en  elle-même  la  connaissance 
explicite  des  vérités  révélées,  la  science  de  la  foi. 
Le  mot,  avec  l'idée  qui  s'y  rattache,  se  trouve  dans 
l'Évangile,  Luc,  xi,  52,  et  dans  les  Épîtres  des  apôtres, 
I  Cor.,  vin,  7;  xiii,  8,  etc.,  pour  désigner,  à  côté  de 
la  foi  qui  adhère  à  la  révélation  sur  l'autorité  du 
témoignage  divin,  l'étude  approfondie  des  dogmes 
à  l'aide  des  lumières  de  l'Écriture  et  de  la  tradition. 
La  gnose  est  donc  le  naturel  et  légitime  exercice  de 
la  raison  chrétienne  :  c'est  un  besoin  pressant,  pour 
quiconque  pense,  de  chercher  à  éclaircir  les  vérités 
révélées,  à  pénétrer  les  motifs  et  l'objet  de  la  foi. 
Nombre  des  recrues  les  plus  anciennes  du  christia- 
nisme, les  Aristide,  les  Justin,  les  Tatien,  les  Pantène, 
les  Clément  d'Alexandrie,  etc.,  ne  pouvaient  qu'exciter 
et  développer  cet  impérieux  besoin.  Convertis  à  la 
foi,  ils  ne  laissaient  pas  de  rester  des  philosophes 
jusqu'à  en  porter  d'ordinaire  le  manteau;  ils  con- 
tinuaient d'allier  avec  la  foi  l'aspiration  à  la  science, 


1433 


GNOSE 


GNOSTICISME 


1434 


et  ils  avaient  à  cœur  de  montrer  par  leur  exemple 
qu'entre  la  foi  chrétienne  et  la  raison,  il  y  a  en  défi- 
nitive parfait  accord.  Mais  bientôt,  en  face  de  la 
vraie  gnose,  qui  prend  la  foi  pour  règle  et  pour  guide, 
l'Église  vit  s'élever,  notamment  dans  les  11e  et 
me  siècles,  sous  des  noms  divers  et  en  diverses  con- 
trits, la  fausse  gnose,  qui  se  sépare  entièrement  de 
la  foi,  et  n'offre  après  tout  qu'un  amalgame  de  la 
plupart  des  doctrines  du  vieux  monde,  juives  ou 
païennes,  avec  les  dogmes  de  la  révélation. 

Devant  cette  gnose  hérétique,  yikoaoyia  où  /.z-.z. 
Xpiaxdv,  les  Pères,  jaloux  de  la  saper  par  la  base 
et  de  maintenir  les  droits  de  la  gnose  orthodoxe, 
çiÂoioiia  /.7.-X  XpioTo'v,  ne  se  lassent  pas  de  mettre 
en  lumière  le  principe  fondamental  de  la  connais- 
sance chrétienne;  à  la  prétention  de  construire 
un  système  scientifique  en  dehors  de  la  foi,  par  les 
seules  forces  de  la  raison,  unanimement  ils  opposent 
l'absolue  souveraineté  de  la  foi  prèchée  par  les  apôtres 
et  gardée  par  la  tradition  vivante;  anathème  à  qui 
puise  à  des  sources  étrangères  et  fait  œuvre  de  syncré- 
tisme religieux  1  II  fallait,  à  rencontre  de  l'orgueil 
des  sectaires,  exposer  la  vérité  et  l'autorité  de  la  doc- 
trine chrétienne,  à  l'exclusion  de  toute  autre,  puis 
justifier  les  dogmes  aux  yeux  de  l'intelligence  et  les 
coordonner  entre  eux  dans  une  vaste  synthèse  scienti- 
fique. De  cette  double  tâche  la  première  fut  celle  en 
particulier  de  saint  Irénée  dans  son  traité  Contre  les 
hérésies,  P.  G.,  t.  vu,  et  de  Tertullien,  soit  en  général 
dans  son  bel  ouvrage  Des  prescriptions  des  hérétiques, 
soit  dans  ses  livres  Contre  les  valcntiniens,  Contre 
Hermogène,  Contre  Marcion,  et  le  Scorpiaque,  P.  /.., 
t.  i-ii.  La  seconde  tâche  échut  principalement,  en 
raison  de  leur  tournure  d'esprit  personnelle  et  aussi  de 
leur  ambiance,  aux  deux  Alexandrins,  Clément,  P.  G., 
t.  viii-ix  (voir  1. 1,  col.  188  sq.),  et  Origène,  ibid.,  t.  xi- 
xvn,  qui  ne  la  remplirent  pas  toutefois  sans  accrocs. 
Ces  Pères  n'hésitèrent  point  à  recourir  dans  ce  but  à 
la  philosophie,  surtout  à  la  platonicienne,  dont  ils  goû- 
taient spécialement  la  langue,  voire  dans  une  certaine 
mesure  la  métaphysique;  mais  jamais,  en  aucune  façon, 
ils  n'ont  témoigné  d'un  éclectisme  sans  principe,  qui 
eut  admis  pêle-mêle  christianisme  et  paganisme.  En- 
tendue en  ce  sens,  l'accusation  de  platonisme,  que  l'on 
a  parfois  intentée  aux  Pères  de  l'Église,  est  absurde 
à  la  fois  et  démentie  par  l'histoire.  Selon  eux,  la  gnose 
repose  essentiellement  sur  l'étude  de  l'Écriture,  faite 
avec  l'esprit  des  apôtres  et  suivant  la  croyance  de 
l'Église.  «  Le  nom  de  gnoslique,  écrit  Clément  d'Alexan- 
drie, n'est  mérité  que  par  celui-là  seul  qui,  ayant 
blanchi  dans  l'étude  de  l'Écriture,  garde  la  règle  des 
dogmes  apostoliques  et  ecclésiastiques.  »  Slrom.,  VI I. 
Entre  la  foi  commune  et  la  foi  plus  haute  ou  scienti- 
fique, les  Pères  ne  reconnaissent  qu'une  différence  de 
degré,  non  de  nature. 

Kuhn,  Einleitung  in  die  katholische  Dogmatik,  Tubingue, 
1850,  p.  309  sq.;  Freppel,  Saint  Ircnée,  Xe  leçon,  Paris, 
188'j;  Kraus,  Histoire  de  l'É/jlise,  nouv.  édit.  franc.,  Paris, 
1905,  1. 1,  p.  143  sq. 

P.   Godet. 

GNOSIMAQUES,  hérétiques  du  vu6  siècle,  ainsi 
appelés,  comme  le  nom  l'indique,  yvûa'.ç,  f**"/*),  yveuat- 
ux/o:,  celui  qui  combat  la  science,  parce  qu'ils  repous- 
saient toute  connaissance  ou  science  de  la  religion 
chrétienne  comme  inutile.  A  leurs  yeux,  vain  est  le 
travail  de  ceux  qui  étudient  les  Écritures  et  se  livrent 
à  des  spéculations  quelconques;  car  ce  n'est  point  la 
science  que  Dieu  exige,  mais  seulement  les  bonnes 
œuvres;  ce  n'est  point  le  savoir  qui  sauve,  c'est  le  bien- 
vivre.  Tertullien,  pour  blâmer  la  manie  intempérante 
des  gnostiques,  qui  consistait,  sous  prétexte  de  science, 
à  multiplier  les  recherches  et  les  spéculations,  avait 
bien  pu  dire  avec  quelque  apparence  de  paradoxe  : 


Nobis  curiositate  opus  non  est,  posl  Christum  Jesum; 
nec  inquisitione,  posl  Evangelium.  Cum  credimus,  nihil 
desideramus  ultra  credere,  Prœscript.,  67,  P.  L.,  t.  il, 
col.  20-21  ;  mais  il  ne  se  refusait  pas  pour  autant  à  faire 
œuvre  scientifique.  Plus  radicaux,  les  gnosimaques 
condamnaient  toute  curiosité  intellectuelle, tout  tra- 
vail d'exégèse  ou  d'interprétation  scripturaire,  tout 
essai  de  systématisation  théologique.  Non  sans  raison, 
saint  Jean  Damascène  les  range  parmi  les  hérétiques  ; 
mais  il  ne  nous  fait  connaître  ni  le  lieu  et  l'époque 
où  ils  vécurent,  ni  le  rôle  et  l'importance  deleur  secte. 

S.  Jean  Damascène,  Hœr.,  lxxxviii,  P.  G.,  t.  xciv, 
col.  757. 

G.  Bareille. 

GNOSTICISME.  —  I.  Sources.  IL  Histoire.  III. 
Doctrine. 

I.  Sources.  —  Le  meilleur  moyen  de  se  faire  une 
idée  exacte  du  gnosticisme  serait  évidemment  de  con- 
sulter les  ouvrages  où  les  gnostiques  ont  exposé  leurs 
doctrines;  car  ils  ont  beaucoup  écrit.  Mais,  dans  l'état 
actuel  de  la  science,  ce  moyen  n'est  pas  à  notre  dispo- 
sition; car  de  toute  leur  production  littéraire  il  ne 
reste  que  très  peu  de  chose.  Nous  sommes  d'abord  loin 
de  connaître  tout  ce  qui  est  sorti  de  leur  plume  sous 
forme  de  lettres,  de  chants,  de  psaumes,  d'homélies, 
de  traités,  de  commentaires.  La  plupart  de  leurs  tra- 
vaux ne  nous  sont  connus  que  par  leurs  titres.  Et  c'est 
à  peine  si  nous  possédons  quelques  fragments,  grâce 
aux  écrivains  ecclésiastiques  qui  les  ont  cités  pour  les 
réfuter,  et  quelques  rares  ouvrages  qui  ont  échappé 
aux  injures  du  temps.  Signalons  du  moins  ces  titres, 
ces  fragments  et  ces  ouvrages.  Car,  outre  qu'ils  sont 
un  témoignage  d'une  grande  activité  littéraire,  ils 
offrent  un  spécimen  du  genre  adopté  et  de  quelques 
sujets  traités. 

1°  Ouvrages  gnostiques  dont  le  litre  est  connu.  — 
Sans  être  complète,  voici  la  liste  de  ces  ouvrages,  dont 
le  titre  et  l'existence  sont  attestés  par  les  Pères. 

De  Simon  de  Gitton,  une  'A-rJsxai;  [AsystÀT],  Philoso- 
phoumena,  Vf,  1,  édit.  Cruice,  Paris,  1860,  p.  249;  des 
'AvTtppï]Tixâ,  pseudo-Denys,  De  div.  nom.,\i,  2,  P.  G., 
t.  m,  col.  857. 

De  Basilide,  un  évangile,  to  xaxà  Ba<jt/.£:8r,v  eùayyl- 
Xiov,  Origène,  In  Luc,  homil.  i,  P.  G.,  t.  xm,  col.  1083; 
S.  Ambroise,  In  Luc,  i,  2,  P.  L.,  t.  xv,  col.  1533; 
S.  Jérôme,  In  Matth.,  prolog.,  P.  L.,  t.  xxvi,  col.  17; 
des  '  Eç7]yr]T'.xà  il;  to  EÙayysXiov,  en  24  livres,  d'après 
Agrippa  Castor,  Eusèbe,  //.  E.,  iv,  7,  P.  G.,  t.  xx. 
col.  317;  l'auteur  de  la  Disputatio  Archclai  cum  Mancle 
en  cite  deux  passages  du  XIIIe  livre,  Disput.,  55,  P.  G., 
t.  ix,  col.  1524;  et  Clément  d'Alexandrie  en  cite  un 
autre  tiré  du  XXIIIe,  Slrom.,  IV,  12,  P.  G.,  t.  vin, 
col.  1289;  des  Hymnes,  d'après  un  fragment  d'Ori- 
gène. 

D'Isidore, un  Qepi  repo<r»uouç<j/'j^T]ç,  Clément  d'Alexan- 
drie, Slrom.,  II,  20,  P.  G.,'  t.  viii,  coi.  1057;  des  'KÇrjr,- 
Ti/.à  tou  ;:po<prJTOu  llap/iôp,  dont  Clément  d'Alexandrie 
cite  un  passage  tiré  du  Ier  livre,  Slrom.,  VI,  6,  P.  G., 
t.  ix,  col.  276;  des  'Hôtxa  ou  7:apaiv&Tissâ,  sortes  d'homé- 
lies. Clément  d'Alexandrie,  Slrom.,  III,  1,  P.  G., 
t.  vin,  col.  1101. 

D'Épiphane,  un  LTepi  3uaio<ruv7]ç.  Clément  d'Alexan- 
drie, Slrom.,  III,  2,  P.  G.,  t.  vin,  col.  1105. 

De  Valentin,  des  Hymnes  ou  Psaumes,  Tertullien, 
De  came  Chrisli,  17,  P.  L.,  t.  n,  col.  781;  des  Épîlres, 
entre  autres  celle  à  Agathopode,  Clément  d'Alexandrie, 
Slrom.,  III,  7,  P.  G.,  t.  vin,  col.  1161;  des  Homélies, 
entre  autres  une  Ilepî  tpîXtov,  Clément  d'Alexandrie, 
Slrom.,  VI,  6,  P.  G.,  q.  ix,  col.  276;  un  De  mali  origine, 
dont  les  Dialogues  contre  les  marcioniles  contiennent  un 
fragment,  P.  G.,  t.  vu,  col.  1273. 

De  Ptolémée,  une  'E^taToXr)  7:po;  «JXaSpav,  conservée 
par  saint  Épiphane,  Hier.,  t.  xxxin,  3-7,  P.  G.,  t.  vu, 


1435 


GNOSTICISME 


1436 


col.  1281-1292;  un  commentaire  In  Joa.  S.  Irénée, 
Cont.  liœr.,  i,  8,  5,  P.  G.,  t.  vu,  col.  532. 

D'Héracléon,  des  commentaires  In  Luc,  Clément 
d'Alexandrie,  Slrom.,  IV,  9,  P.  G.,  t.  vin,  col.  1281;  et 
In  Joa.,  dont  Origène  a  discuté  42  passages,  P.  G., 
t.  vu,  col.  1293-1322.  Voir  A.  E.  Brooke,  The  frag- 
ments of  Hcraclcon,  dans  Tcxls  and  studics,  Cambridge, 
1891,  t.  i. 

D'Alexandre,  des  Syllogismi.  Tertullien,  De  canif 
Christi,  17,  P.  L.,  t.  n,  col.  781. 

De  Théotime,  un  traité,  dont  Tertullien,  sans  en 
donner  le  titre,  qualifie  le  caractère  allégorique  :  mul- 
lum  circa  imagines  legis  operatus  est.  Adv.  valent.,  4, 
P.  L.,  t.  ii,  col.  546. 

D'Apelles,  un  commentaire  des  «havrjpiôcjsi;  de  Philu- 
niène,  et  des  y>jAÀoyi<j[j.oi.Pseudo-Tertullien,  De  prœ- 
scripl.,  51,  P.  L.,  t.  n,  col.  71. 

De  Marcion,  des  Épîtrcs,  Tertullien,  Cont.  Marc.,  i,  1  ; 
iv,  4,  P.  L.,  t.  ii,  col.  248,  366;  un  Psalmorum  liber, 
d'après  le  fragment  de  Muratori,  P.  L.,  t.  in,  col.  193; 
un  Liber  propositi  finis,  d'après  la  préface  des  canons 
arabes  du  concile  de  Nicée,  Mansi,  Concil.,  t.  n, 
col.  1057;  et  des  'AvT'.Ofaa:,  réfutées  par  Tertullien, 
Cont.  Marc.,  i,  19;  iv,  1,  P.  L.,  t.  n,  col.  267,  363,  366. 

De  Cassien,  des  'EÇr^Ti/â,  Clément  d'Alexandrie, 
Slrom.,  1,21,  P.  G.,  t.  vin,  col.  820;  un  Ilspi  iyxoaTEÎa; 
ou  -i<-À  EÙvou^îaç.  Strom.,  III,  13,  P.  G.,  t.  vin, 
col.  1192. 

2°  Fragments  gnostiques.  —  De  toute  cette  produc- 
tion gnostique  il  ne  reste  que  quelques  fragments  épars 
dans  les  œuvres  des  Pères.  Clément  d'Alexandrie  avait 
fait  un  recueil  de  86  extraits  valentiniens  attribués  à 
un  Théodote,  personnage  d'ailleurs  inconnu.  Ce  recueil 
porte  le  titre  suivant  :  'E/.  tûv  fckoSrjto'j  xal  ttjç  àva- 
ïoXw.7Jç  xaXou[i£vï)ç  BiBaaxaXîa;  /.axa  xobç  OùaÀevrivou 
ypôvovç  ïr.'.-o[xai.  P.  G.,  t.  ix,  col.  653-697.  Ruben  en 
a  donné  une  édition  critique  :  Clemenlis  Alcxandrini 
excerpta  ex  Thcodoto,  Leipzig,  1881. 

Dans  son  édition  des  œuvres  de  saint  Irénée,  doin 
Massuet  a  inséré  un  recueil  de  fragments  gnostiques 
appartenant  à  Basilide,  à  Épiphane,  à  Isidore,  à 
Valentin  et  à  Héracléon.  P.  G.,  t.  vu,  col.  1263-1322. 
Mais  cette  liste  est  loin  d'être  complète.  Il  y  manque 
notamment  sept  passages  des  Syllogismes  d'Apelles. 
conservés  par  saint  Ambroise  dans  son  De  paradiso,  et 
recueillis  par  Harnack,  Sieben  Bruchstùcke  der  Syllo- 
gismen  des  Appelles,  dans  Texte  und  Untersuchungen, 
Leipzig,  1890,  t.  vi,  3,  p.  110-120,  il  y  manque  aussi 
ceux  qu'on  trouve  d'autres  auteurs  gnostiques,  soit 
dans  les  Philosophoumena,  soit  ailleurs.  Beaucoup  plus 
complet  est  le  recueil  fait  par  Harnack,  Allchristliche 
Literalur,  Die  Ueberlieferung,  t.  i,  p.  144-231. 

3°  Ouvrages  gnostiques.  —  A  part  la  lettre  de  Pto- 
lémée  à  la  femme  ebrétienne  Flora,  mentionnée  plus 
haut,  ou  ne  possède  encore  aucun  ouvrage  entier  d'un 
gnostique  connu.  Mais  depuis  quelques  années,  les 
manuscrits  d'Egypte  nous  ont  donné,  en  des  versions 
coptes,  quelques  livres  gnostiques.  Ceux  qu'on  a  décou- 
verts jusqu'ici  proviennent  des  sectes  d'origine  syrienne 
et  non  des  écoles  alexandrines  de  Basilide,  de  Valentin 
et  de  Carpocrate. 

Un  spécimen  curieux  de  livre  gnostique  est  la  Pistis 
Sophia,  trouvée  en  copte,  et  publiée  par  Schwartze 
et  l'etermann,  en  1851,  à  Berlin.  C'est  un  véritable 
roman  gnostique,  divisé  en  quatre  livres,  dont  les 
trois  premiers  ont  été  identifiés  avec  l'apocryphe  connu 
sous  le  nom  de  'EptoTrJceiç  Mapîaç  et  signalé  par 
saint  Épiphane  comme  une  pièce  ophite. 

Dans  le  papyrus  de  Bruce  se  trouvent  deux  traités 
gnostiques  traduits  du  grec,  qui  appartiennent  au 
même  milieu  gnostique  que  la  Pistis  Sophia.  Le  pre- 
mier a  été  identifié  avec  les  Livres  de  Jeu  que  la  Pistis 
Sophia  attribue  à  Enoch;  le  second  est  sans  titre  et 


mutilé  au  commencement  et  à  la  fin.  Cf.  E.  Amélineau, 
Notice  sur  le  papyrus  de  Bruce,  Paris,  1891,  texte  copte 
et  traduction  française;  C.  Schmidt,  Gnostiche  Schrij- 
len  in  koplische  Sprache  aus  dem  Cod.  Bruc,  Leipzig, 
1892;  Koplisch-gnostischc  Schriflen,  Leipzig,  1905,  t.  i, 
dans  Die  griechischen  chrisllichcn  Schrillstcllcr  der  ersten 
drei  Jahrhunderle. 

M.  C.  Schmidt  a  découvert  dans  une  autre  papyrus 
du  vc  siècle,  actuellement  à  Berlin,  trois  autres  pièces 
gnostiques  coptes  :  un  EjayyiAiov  y.axà  Mapiâu,  dont  on 
trouve  textuellement  quelques  passages  dans  saint 
Irénée,  Cont.  hser.,  i,  21,  P.  G.,  t.  vu,  col.  661-669;  une 
y>jç:x  'Ij]<jou  XpidTOu,  véritable  apocalypse  dans  le 
genre  de  la  Pistis  Sophia,  totalement  inconnue  jus- 
qu'ici; et  une  Ilpaït;  IIîtcoj. 

4°  Ouvrages  des  auteurs  ecclésiastiques  contre  le  gnos- 
ticisme.  —  Si  on  était  réduit,  pour  traiter  le  gnosticisme, 
à  n'utiliser  que  les  renseignements  de  source  purement 
gnostique,  on  voit  combien  la  tâche  serait  malaisée. 
Heureusement  une  telle  pénurie  se  trouve  compensée 
par  les  éléments  d'information  qu'on  rencontre  dans 
les  Pères;  non  certes  que  tous  les  ouvrages  patristiques 
contre  la  gnose  nous  soient  parvenus,  mais  ceux  qui 
restent  sont  des  plus  précieux. 

Il  n'est  guère  d'auteur  ecclésiastique  du  nc  siècle 
ou  du  commencement  du  m0  qui  n'ait  écrit  contre  les 
hérésies  en  général,  contre  telle  ou  telle  hérésie,  contre 
tel  ou  tel  chef  de  la  gnose  ou  sur  quelque  sujet  parti- 
culièrement attaqué  par  les  gnostiques.  Nous  savons, 
par  exemple,  que  saint  Justin  avait  composé  un  Euv- 
toty;j.a  /.arà  -aaôiv  Ttov  ysyEvr,p.Évojv  aipeaécov,  comme 
il  nous  l'apprend  dans  sa  première  Apologie,  26,  et  un 
IIooç  Mapxûova,  d'après  saint  Irénée,  Cont.  hœr.,  iv, 
G,  2,  P.  G.,  t.  vu,  col.  987.  Agrippa  Castor  avait  com- 
battu et  réfuté  Basilide  dans  un  ouvrage  dont  Eusèbe 
signale  l'existence  sans  en  dire  le  titre,  H.  E.,  iv,  7, 
P.  G.,  t.  xx,  col.  317.  Eusèbe  signale  de  même  un 
autre  ouvrage  de  Rhodon  contre  l'hérésie  de  Marcion, 
H.  E.,  iv,  13,  P.  G.,  t.  xx,  col.  460;  mais  il  donne  les 
titres  de  ceux  de  Philippe  de  Gortyne  et  de  Modestus, 
Koct«  MapxCcovo;,  H.  E.,  iv,  25,  col.  389;  de  saint 
Hippolyte,  un  Katà  Mapxttovo;  et  un  IIpoç  à-âaa;  Ta; 
aipsasiç,  H.E.,  vi,  22,  col.  576;  de  saint  Théophile 
d'Antioche,  un  Katà  Mapxîwvo;  et  un  IIpoç  tr,v  aïpsaiv 
'Epjj.oysvoj5,  H.  E.,  iv,  24,  col.  389;  et  de  Bardesane, 
un  Ka^à  Map/icova  BiâXoyo;.  H.  E.,   iv,  30,   col.  401. 

Parmi  les  ouvrages  antignostiques  qui  ne  nous  sont 
pas  parvenus,  il  convient  de  signaler  un  Dialogue 
contre  Candide  le  valentinien,  d'Origène,  mentionné 
par  saint  Jérôme,  Apol.  adv.  lib.  Rufini,  n,  19,  P.  L., 
t.  xxin,  col.  442-443;  un  EUpî  [Aovapyîaç,  comme  quoi 
Dieu  n'est  pas  l'auteur  du  mal,  et  un  Ihp;  ôySoàSo:, 
contre  la  gnose  valentinienne,  attribués  à  saint  Irénée 
par  Eusèbe,  //.  E.,  v,  20,  P.  G.,  t.  xx,  col.  484.  Ter- 
tullien nous  apprend  lui-même  qu'il  avait  composé  un 
De  censu  animée  contra  Hermogenem,  De  anima,  3, 
P.  L.,  t.  ii,  col.  016,  652;  et  un  Adversus  Appellicianos, 
De  carne  Christi,  8,  P.  L.,  t.  n,  col.  769.  Pareillement 
l'auteur  des  Philosophoumena  fait  allusion  à  deux 
écrits  sortis  de  sa  main,  dont  il  ne  donne  pas  les  titres, 
Philosoph.,  I,  1,  p.  2;  et  il  signale  un  Katà  (/.âycov  et  un 
Ilspi  Tf,c  to'j  r.avxôi  oJaîaç.  Philosoph.,  VI,  40;  X,  32, 
p.  305,  515. 

Mais  à  défaut  de  tous  ces  traités,  dont  nous  ne  con- 
naissons que  le  titre  ou  l'existence,  nous  possédons  un 
poème  en  vers  hexamètres,  en  cinq  livres,  qui  ont  pour 
titre  :  De  Deo  unico,  De  concordia  velcris  et  novse  legis, 
De  concordia  Palrum  Velcris  et  Novi  Tcslamenli,  De 
Marcionis  antilhesibus  et  De  variis  Marcionis  hsere- 
sibus.  Ce  poème  Adversus  Marcionem,  P.  L.,  t.  ir, 
col.  1053-1090,  est  loin  d'avoir  l'intérêt  et  l'importance 
des  Dialogues  contre  les  marcionites,  insérés  parmi  les 
œuvres  d'Origène,  P.  G.,  t.  xi,  col.  1713-1814,  et  connu 


1437 


GNOSTICISME 


1438 


sous  le  titre  de  De  recta  in  Deum  fide;  c'est  un  travail 
de  science  dialectique  et  théologique  en  même  temps 
qu'une  source  de  premier  ordre  pour  l'histoire  des 
Églises  marcionites. 

5°  Saint  Irénée.  —  Le  premier  en  date  et  l'un  des 
principaux  adversaires  du  gnosticisme  est  saint  Irénée. 
De  toute  sa  controverse,  une  seule  œuvre  a  survécu 
dans  une  version  latine;  on  ne  possède  que  quelques 
fragments  de  l'original  grec.  C'est  la  fausse  gnose 
démasquée  et  réfutée,  ''EXE-f/o;  xai  àvateo-r,  tf); 
'is'j8'ovj;j.o'j  yvoSastoc,  citée  sous  le  titre  de  Contra 
hœreses.  L'évèque  de  Lyon  estimait  que  le  seul  fait 
de  dévoiler  les  doctrines  ésotériques  constitue  une 
victoire  sur  les  gnostiques  :  adversus  cos  Victoria  est  sen- 
tentix  corum  manifcslatio.Cont.  hœr.,  i,  31,  3,  P.  G., 
t.  vu,  col.  705.  C'en  était  une,  en  effet,  mais  dont  il  ne 
s'est  pas  contenté,  car  il  a  pris  soin  de  contrôler  leurs 
systèmes,  tels  qu'il  les  connaissait,  avec  l'enseignement 
de  l'Eglise  et  de  les  réfuter  au  nom  de  la  raison,  de 
l'Écriture  et  de  la  tradition,  donnant  ainsi,  le  pre- 
mier, l'exemple  de  la  méthode  dialectique  qui  sera 
celle  de  la  théologie.  Quelles  que  soient  les  réserves 
à  faire  sur  le  défaut  d'ordre  de  son  traité,  il  reste 
l'une  des  principales  sources  de  renseignements  sur 
la  plupart  des  chefs  gnostiques,  plus  spécialement  sur 
les  valentiniens  de  l'école  italique  et  sur  les  essais  de 
liturgie    gnostique  de  Marc. 

G0  Tcrlullicn.  —  Après  saint  Irénée  et  à  sa  suite,  car 
il  l'a  pris  pour  modèle  dans  son  De  prxscriplionibus  et 
son  Adversus  valentinianos,  Tertullien  a  fait  valoir 
d'une  manière  très  originale  contre  les  gnostiques 
l'argument  de  prescription.  Dans  quelques  traités 
spéciaux,  comme  Adversus  Hermogcncm,  De  anima, 
De  carne  Christi,  De  resurrcclionc  carnis,  il  a  discuté 
certains  points  de  doctrine  niés  ou  travestis  par  les 
gnostiques,  tels  que  les  dogmes  de  la  création,  l'anthro- 
pologie, l'incarnation  et  la  résurrection  de  la  chair; 
dans  le  Scorpiacc,  il  a  réfuté  les  idées  erronées  des  basi- 
lidiens  et  des  valentiniens  sur  le  martyre,  un  sujet  qui 
a  été  repris  par  Clément  d'Alexandrie.  Mais  c'est 
surtout  Marcion  qu'il  a  pris  à  partie  dans  ses  cinq  livres 
Adversus  Marcionem,  où  il  suit  pas  à  pas  et  discute 
les  Antithèses  de  ce  chef  gnostique,  montrant  que  la 
différence  imaginée  entre  le  Dieu  bon  et  le  Dieu  créa- 
teur est  arbitraire  et  inexistante,  et  que  le  Dieu  créa- 
teur, tant  dénigré  par  ce  «  Loup  du  Pont,  »  est  le 
vrai  Dieu,  le  Dieu  unique.  Tertullien  complète  saint 
Irénée  et  constitue  à  son  tour  une  source  abondante  de 
renseignements. 

7°  Les  Philosophoumena.  —  Ni  l'évoque  de  Lyon, 
ni  le  prêtre  de  Carthage  n'ont  négligé  les  rapports  du 
gnosticisme  avec  la  philosophie;  ils  les  ont  signalés. 
Mais,  à  vrai  dire,  c'est  l'auteur  des  Philosophoumena 
qui  les  a  fait  ressortir.  «  Nous  voulons  montrer,  dit-il, 
Philosoph.,  I,  prol.,  p.  5-6,  d'où  les  hérétiques  ont  tiré 
leurs  doctrines;  ce  n'est  pas  sur  le  fondement  des 
Écritures  qu'ils  ont  bâti  ces  systèmes,  ni  en  s'attachant 
à  la  tradition  de  quelque  saint  qu'ils  sont  arrivés  à  ces 
opinions.  Leurs  théories  dérivent  au  contraire  de  la 
sagesse  des  Grecs,  des  dogmes  philosophiques,  des 
mystères  mensongers  et  des  contes  des  astrologues 
errants.  Nous  exposerons  donc  d'abord  les  théories  des 
philosophes  grecs  et  nous  montrerons  qu'elles  sont  plus 
anciennes  et,  relativement  à  la  divinité,  plus  respec- 
tables que  les  doctrines  des  hérétiques.  Nous  mettrons 
ensuite  en  regard  les  uns  des  autres  les  systèmes  divers 
des  philosophes  pour  faire  voir  comment  l'hérétique 
a  pillé  le  pbilosophe,  s'est  approprié  ses  principes,  en 
a  tiré  des  conséquences  plus  condamnables  et  a  formé 
ainsi  sa  doctrine.  »  Il  n'est  question  là  que  des  héré- 
tiques en  général,  mais  la  suite  de  l'ouvrage,  quelque 
incomplet  qu'il  soit,  est  une  mine  très  riche  sur  les 
divers  personnages  et  les  diverses  sectes  du  gnosticisme. 


8°  Autres  écrivains.  —  Après  saint  Irénée,  Tertullien 
et  l'auteur  des  Philosophoumena,  il  convient  de  citer 
Clément  d'Alexandrie,  non  qu'il  ait  traité  spécialement 
du  gnosticisme,  mais  parce  que,  loin  de  redouter  les 
termes  de  gnose  et  de  gnostique,  il  s'en  est  emparé  en 
leur  donnant  une  signification  chrétienne  en  en  reven- 
diquant la  propriété  exclusive  pour  les  fidèles  disciples 
du  Christ,  et  parce  que,  le  cas  échéant,  chaque  fois 
que  s'en  offrait  l'occasion,  il  a  signalé  et  discuté,  lui 
aussi,  certains  points  de  doctrine  ou  de  morale  sur 
lesquels  les  partisans  de  la  fausse  gnose  étaient  parti- 
culièrement répréhensibles. 

Beaucoup  plus  tard,  au  ive  siècle,  saint  Épiphane  de 
Salamine,  marchant  sur  les  traces  de  saint  Justin,  de 
saint  Irénée  et  de  saint  Hippolyte,  a  utilisé  leurs  hérésio- 
logies,  qu'il  ne  fait  souvent  que  transcrire,  mais  les  a 
enrichies,  notamment  en  ce  qui  touche  aux  nombreuses 
sectes  gnostiques,  de  renseignements  dont  il  faut  tenu- 
compte,  qu'il  a  puisés  à  d'autres  sources,  et  qui  con- 
stituent une  mine  historique  précieuse. 

IL  Histoire.  —  1°  Observations  préliminaires.  — 
Au  moment  où  parut  le  christianisme,  le  monde 
romain  était  en  pleine  fermentation  intellectuelle, 
religieuse  et  morale.  Les  esprits  étaient  curieux  de 
toute  idée  nouvelle,  avides  de  tout  savoir,  prêts  à 
s'initier  à  tous  les  mystères,  à  essayer  tous  les  cultes,  à 
pratiquer  tous  les  rites.  Les  faux  oracles,  les  prestiges, 
les  sortilèges,  les  incantations  et  opérations  magiques 
jouissaient  d'une  grande  vogue  et  donnaient  un  puis- 
sant crédit  aux  devins,  aux  astrologues,  aux  mages 
aux  imposteurs  et  aux  charlatans  qui  exploitaient 
habilement  la  crédulité  publique.  Malgré  les  prohibi- 
tions de  la  législation  romaine,  les  cultes  étrangers 
étaient  à  la  mode  et  pénétraient  peu  à  peu,  entourés 
du  mystère  de  leurs  initiations  secrètes  et  de  leurs  fêtes 
nocturnes.  C'est  ainsi  que  s'étaient  introduits  le  pan- 
théisme égyptien  avec  le  culte  d'Isis  et  d'Osiris,  le 
naturalisme  syrien  avec  le  culte  d'Astarté  et  de  la 
Bonne  Déesse,  le  dualisme  persan  avec  le  culte  de 
Mithra  et  le  mysticisme  phrygien  avec  les  Galles. 

Au  milieu  de  cette  fermentation  religieuse,  le  chris- 
tianisme ne  devait  pas  manquer  d'être  exploité  à  son 
tour.  Mais  comme  il  était  la  condamnation  radicale  de 
l'idolâtrie  et  du  sensualisme  sous  toutes  leurs  formes, 
il  ne  pouvait  pas  être  accepté  tel  quel  par  les  agitateurs 
de  l'époque.  Ceux-ci,  n'en  pouvant  méconnaître  l'im- 
portance et  la  valeur,  se  gardèrent  bien  de  le  négliger, 
sauf  à  l'accommoder  aux  goûts  du  temps  par  une 
contrefaçon  ou  un  escamotage  qui  le  rendait  mécon- 
naissable, avec  la  prétention  d'en  être  l'expression 
scientifique  et  de  détenir  ainsi  authentiquement  la 
vérité  absolue,  la  vérité  qui  sauve.  Entreprise  assuré- 
ment audacieuse,  car  l'Église  ne  pouvait  pas  permettre 
et  ne  devait  pas  tolérer  un  tel  travestissement  et  une 
telle  exploitation,  mais  entreprise  appelée  à  quelque 
succès  dans  certains  milieux  cultivés  et  corrompus  de 
l'époque.  Elle  se  dessina  peu  à  peu  et,  sous  l'action 
de  quelques  chefs  sans  scrupule,  elle  prit  au  ne  siècle 
une  ampleur  extraordinaire,  qui  constitua  pour  le 
christianisme  un  très  grave  danger.  Sans  la  vigilance 
et  l'activité  des  chefs  de  l'Église  et  des  auteurs  ecclé- 
siastiques, elle  aurait  complètement  faussé  le  mouve- 
ment chrétien  et  paralysé  pour  longtemps  l'œuvre  du 
Christ  et  des  apôtres.  Il  importe  donc  d'en  signaler  la 
nature  et  l'origine,  d'en  esquisser  la  marche  et  les 
succès  et  de  noter  les  causes  de  son  échec  définitif. 

2°  Premières  manifestations  gnostiques  en  Asie  Mi- 
neure. —  C'est  en  Orient,  dans  l'Asie  proconsulaire, 
et  dès  les  temps  apostoliques,  autour  d'Éphèse  et  dans 
la  vallée  du  Méandre,  dans  ce  milieu  de  culture  intel- 
lectuelle sans  ordre  et  sans  frein,  de  curiosité  éveillée, 
de  sensualisme  et  de  mysticisme  maladif,  que  se  pro- 
duisirent    les    premières    manifestations    gnostiques. 


1439 


GNOSTICISME 


1440 


Parmi  les  nouveaux  chrétiens,  plusieurs  conservèrent 
des  habitudes  païennes;  natures  faibles,  à  convictions 
peu  profondes,  quelques-uns  apostasièrent,  comme 
Phygelle  et  Hermogène;  âmes  inquiètes,  tourmentées, 
impatientes  de  la  vraie  doctrine,  très  sensibles  aux 
tables  et  aux  nouveautés;  esprits  mal  tournés,  orgueil- 
leux et  brouillons,  tels  que  Philète,  Hyménée  et 
Alexandre.  On  agitait  sans  discrétion  les  matières 
religieuses;  questions,  hypothèses,  systèmes,  tout  deve- 
nait prétexte  à  discussions,  et  tout  servait  aux  agita- 
teurs  de  conscience,  à  de  prétendus  sauveurs  de 
l'humanité.  Timothée,  à  Éphôse,  Epaphras.  à  Colosses, 
jetèrent  le  cri  d'alarme.  A  l'influence  persistante  du 
judaïsme  s'ajoutait  celle  du  dieu  Lunus,  du  mysti- 
cisme phrygien,  de  l'ascétisme  des  Galles;  il  était 
question  de  certaines  abstinences,  de  pratiques  d'humi- 
lité, de  néoménies;  on  usait  d'artifices  de  langage,  on 
visait  à  la  sublimité,  on  faisait  appel  à  la  philosophie. 
Et  voici  déjà  quelques  traits  caractéristiques  du  gnos- 
ticisme.  En  outre,  on  essayait  de  rabaisser  la  grande 
idée  qu'on  devait  avoir  du  Sauveur;  on  réduisait  son 
rôle  dans  l'Église  et  dans  le  monde;  on  prétendait  que 
le  Fils  est  trop  grand  pour  s'être  fait  le  médiateur,  et 
que  c'est  par  les  anges  que  doit  s'opérer  le  salut. 

Aussi,  entre  autres  choses,  saint  Paul,  pour  cou- 
per court  à  ces  difficultés  naissantes,  proclame-t-il 
le  Christ  l'image  du  Père;  il  le  place  au-dessus  des 
anges  et  affirme  qu'il  renferme  tous  les  trésors  de  la 
sagesse  et  de  la  science;  il  le  dit  créateur  de  tout  ce  qui 
existe,  rédempteur  des  hommes  par  son  sang,  possédant 
la  plénitude  de  la  divinité.  Sous  ces  expressions  de 
î'Épître  aux  Colossiens,  nul  doute  que  l'apôtre  ne  vise 
des  prétentions  à  caractère  gnostique,  comme  celles 
de  faire  du  Sauveur  un  éon,  de  placer  la  sagesse  et  la 
science,  non  dans  la  foi,  mais  dans  la  gnose,  de  défi- 
gurer l'incarnation  et  la  rédemption,  d'attribuer  la 
création  à  un  démiurge  et  l'œuvre  rédemptrice  à  un 
Christ  fantôme.  A  remarquer  surtout  cette  formule 
singulièrement  révélatrice  :  Iv  côtiô  xa-roixei  ~àv  tô 
-Àrjffoaa   0ëOTT]TO;   atoaaTizw;.  Col.,  II,  9. 

L'hérésie  gnostique,  avec  son  plérome  et  son  docé- 
tisme,  est  saisie  là  dans  ses  premières  manifestations. 
Dans  les  Pastorales,  le  tableau  n'est  plus  une  esquisse  ; 
sans  viser  tel  ou  tel  système,  sans  citer  tel  ou  tel  nom, 
saint  Paul  trace  un  portrait  ressemblant  du  gnostique. 
Il  écrit  à  Timothée  :  «  Garde  le  dépôt,  en  évitant  les 
discours  vains  et  profanes,  et  tout  ce  qu'oppose  une 
science  qui  n'en  mérite  pas  le  nom,  àvriOéu-i;  -ft;  ^£u8to- 
vju.o'j  yvtoîjsto;;  quelques-uns,  pour  en  avoir  fait  pro- 
fession, ont  erré  dans  la  foi.  »  I  Tim.,  vi,  20  II  met 
ainsi  son  disciple  en  garde  contre  les  vaines  disputes 
de  mots,  contre  les  entretiens  profanes  qui  profitent  à 
l'impiété  et  gagnent  comme  le  cancer.  Sans  doute  il  fait 
allusion  aux  fables  juives,  aux  préceptes  humains,  ce 
qui  rappelle  le  pharisaïsme  judaïsant,  mais  aussi  aux 
anges  et  aux  généalogies  sans  fin,  ce  qui  fait  penser  à 
la  théorie  gnostique  des  éons.  Et  comme  l'erreur  a  un 
caractère  doeète  nettement  marqué,  il  insiste  de  nou- 
veau sur  la  nature  humaine  du  rédempteur,  sur  la 
réalité  sanglante  de  la  rédemption.  Il  annonce  enfin 
l'action  néfaste  de  ces  «  calomniateurs,  enflés  d'orgueil, 
amis  des  voluptés  plus  que  de  Dieu,  ayant  les  dehors  de 
la  piété  sans  en  avoir  la  réalité,  qui  toujours  appren- 
nent sans  pouvoir  jamais  arriver  à  la  connaissance  de 
la  vérité,  et  qui,  viciés  d'esprit  et  pervertis  dans  la  foi, 
s'opposent  à  la  vérité.  »  II  Tim.,  ni,  3-9. 

Semblahlement  les  Épitres  catholiques  nous  mettent 
en  présence  de  doginatiseurs,  de  révélateurs  ou  d'adep- 
tes de  systèmes  qui  sont  aussi  opposés  à  la  foi  qu'à  la 
morale  :  même  prétention  impudente  de  posséder  le 
secret  et  la  certitude  du  salut  dans  une  science  supé- 
rieure; même  opposition  de  la  gnose  à  la  foi;  même 
tendance  à  rabaisser  la  personne  et  l'œuvre  du  Christ. 


Mais  de  plus  ces  faux  docteurs  nient  la  divinité  du 
Sauveur,  II  Pet.,  n,  1,  l'incarnation,  la  réalité  de  la 
nature  humaine  du  Christ,  regardant  les  œuvre; 
comme  complètement  indifférentes  devant  Dieu  et 
abusant  de  l'Écriture  pour  justifier  leurs  erreurs. 

Avec  saint  Jean  nous  touchons  à  la  fin  du  Ier  siècle 
et,  dans  cette  fermentation  de  systèmes  de  la  province 
d'Asie,  à  la  double  émancipation  de  la  foi,  dans  la 
personne  de  Cérinthe,  et  des  mœurs,  dans  celle  de 
nicolaïtes.  Cérinthe,  voir  t.  n,  col.  2151-2155,  était 
d'Antioche,  contemporain  de  Saturnin;  il  connaissait 
la  gnose  syrienne  et  aussi,  pour  avoir  séjourné  à 
Alexandrie,  la  gnose  égyptienne;  il  considérait  la 
matière  comme  une  chute,  dégradation  de  l'esprit  ou 
de  l'idée,  fille  des  ténèbres,  et  donc  mauvaise.  Avec 
les  nicolaïtes,  on  constate  l'aboutissement  logique  et 
pratique  du  gnosticisme,  qui  s'abîme  dans  la  boue;  ils 
prétendaient,  en  effet,  échapper  aux  misères  humaines 
et  ne  point  contracter  de  souillure  dans  les  œuvres  de 
la  chair,  l'âme  étant  bien  au-dessus  par  la  possession 
de  la  gnose.  Saint  Jean  combattit  énergiquement  ces 
erreurs. 

Et  lorsque,  au  commencement  du  ue  siècle,  saint 
Ignace  d'Antioche  passa  à  Smyrne,  il  profita  de  l'oc- 
casion, dans  les  quelques  lettres  qu'il  écrivit,  pour  dé- 
noncer les  dangers  de  la  gnose  judaïsante,  du  docétisme, 
et  pour  insister  avec  force  sur  la  réalité  de  l'incarnation 
et  de  la  rédemption,  contre  ceux  qu'il  qualifiait  d'em- 
poisonneurs publics  et  de  patrons  de  mort,  Ad  Smyrn., 
v,  1;  d'athées  et  d'apparence  saine,  Ad  TralL,  x,  qui 
«  s'abstiennent  de  l'eucharistie  et  de  la  prière  parce 
qu'ils  ne  confessent  pas  que  l'eucharistie  est  la  chair 
de  notre  Sauveur  Jésus-Christ,  qui  a  souffert  pour  nos 
péchés  et  que  le  Père,  dans  sa  bénignité,  a  ressuscitée.  » 
Ad  Symrn.,  vu,  1,  Funk,  Opéra  Pair,  aposl.,  Tubingue, 
1881,  t.  i,  p.  208,  238,  240. 

3°  Le  gnosticisme  en  Syrie.  —  Quand  saint  Jean  et 
saint  Ignace  réprouvaient  la  gnose  judaïsante,  et  no- 
tamment le  docétisme,  il  y  avait  déjà  longtemps 
qu'Antioche,  la  capitale  de  la  Syrie,  était  devenue  un 
foyer  de  gnosticisme;  elle  le  devait  à  Ménandre,  dis- 
ciple de  Simon  le  Magicien. 

1.  Simon  le  Magicien.  —  Avant  de  se  faire  baptiser  à 
Samarie,  Simon  de  Gitton  avait  pratiqué  la  magie  et 
conquis  ainsi  un  puissant  ascendant  sur  les  Samaritains 
qui  l'appelaient  Aûvaiu;  toj  0eo3  r\  xaXe>'j;juv7j  Mîyâ/r,. 
Act.,  vm,  10.  Le  miracle  et  les  grands  prodiges  dont 
il  fut  le  témoin,  lors  de  la  visite  du  diacre  Philippe 
à  Samarie,  le  frappèrent  d'étonnement.  Et  lorsque,  à 
l'arrivée  des  apôtres,  Pierre  et  Jean,  il  vit  que  le  Saint- 
Esprit  était  donné  par  l'imposition  des  mains,  il 
n'hésita  pas  à  offrir  de  l'argent  pour  posséder  un  tel 
pouvoir  .  On  sait  la  réponse  sévère  que  lui  fit  saint 
Pierre.  Mais  sans  rompre  aussitôt,  puisqu'il  demanda 
aux  apôtres  de  prier  pour  lui,  il  ne  tarda  guère  à  se 
séparer  de  l'Église.  A  Tyr,  il  trouva  son  Hélène, 
femme  de  mauvaise  vie,  mais  qu'il  dit  être  la  brebis 
perdue  dont  il  avait  assuré  le  salut.  Et  il  se  mit  à 
répandre  sa  doctrine,  sans  qu'on  sache  rien  d'histori- 
quement certain  sur  les  lieux  qu'il  visita  et  sur  la  ville 
qu'il  choisit  pour  y  tenir  école. 

Autant  qu'on  en  peut  juger  par  l'analyse  de  son 
œuvre,  dans  saint  Irénée  et  les  Philosophoumcna,  ce 
dut  être  un  homme  cultivé,  connaissant  et  citant  les 
poètes  grecs,  Philosoph.,  VI.  11, 15, 19,  p.  249,  256,  263; 
connaissant  aussi  les  philosophes,  notamment  Platon, 
Philosoph.,  VI,  9,  p.  246;  et  ayant  emprunté  à  Philon 
la  méthode  exégétique  qui  consista  à  substituer,  dans 
l'interprétation  de  l'Écriture,  le  sens  allégorique  au 
sens  historique.  Avec  cela  pratiquant  la  magie  pour 
éblouir  les  simples  et  se  faire  une  clientèle.  Esprit 
remuant  et  ambitieux,  voulant  jouer  un  rôle  religieux 
cl  se  flattant  peut-être  de  supplanter  l'Église.  Avait-il 


1441 


GNOSTICISME 


1442 


conçu  et  fixé  sa  doctrine  au  moment  de  demander  et 
de  recevoir  le  baptême  ?  Le  fait  qu'il  était  déjà  alors 
qualifié  comme  nous  l'avons  vu  et  que  la  Grande  Vertu 
de  Dieu  est  le  dernier  mot  et  comme  la  raison  d'être  de 
son  système,  pourrait  autoriser  à  le  croire. 

Quoi  qu'il  en  soit,  ce  n'est  pas  sans  raison  qu'il  a 
passé  aux  yeux  des  écrivains  ecclésiastiques  pour  le 
père  des  hérésies  qui,  pendant  les  premiers  siècles, 
menacèrent  le  christianisme;  car  toutes  ont  quelque 
rapport  avec  son  système,  pour  le  fond  ou  pour  la 
forme.  C'est,  en  effet,  Simon  qui,  le  premier,  a  tracé  le 
cadre  et  indiqué  les  sujets  du  gnosticisme,  en  traitant 
les  questions  relatives  à  la  théogonie,  à  la  cosmologie, 
à  l'anthropologie,  à  la  sotériologie  et  à  l'eschatologie. 
Et  c'est  toujours  dans  ce  cadre  et  autour  de  ces  ques- 
tions que  chaque  nouveau  chef  a  brodé  dans  la  suite 
de  nombreuses  variantes,  au  gré  d'une  imagination  et 
d'une  métaphysique  sans  frein.  Il  importe  donc  d'en 
avoir  une  idée  succincte. 

Sans  entrer  dans  des  détails  qui  trouveront  mieux 
leur  place  à  l'article  qui  lui  sera  consacré,  rappelons  à 
grands  traits  son  système,  d'après  les  données  des 
Philosophoumena.  —  a)  Théogonie.  —  Simon  place  en 
tête  de  toutes  choses  le  feu,  non  le  feu  matériel  que 
nous  connaissons,  mais  un  premier  principe  dont  la 
nature  est  si  subtile  qu'on  ne  peut  la  comparer  qu'au 
feu.  Tel  est  le  principe  universel,  la  puissance  infinie, 
selon  ces  mots  de  Moïse  :  «  Dieu  est  un  feu  dévorant.  » 
Deut.,  iv,  24.  Ce  feu  n'est  pas  simple,  mais  double, 
ayant  un  côté  évident  et  un  autre  secret,  l'un  visible, 
l'autre  invisible;  ce  qui  n'est  autre  chose  que  la  théorie 
de  l'intelligible  et  du  sensible,  d'après  Platon,  ou  de  la 
puissance  et  de  l'acte,  d'après  Arislote.  Ce  feu  est  la 
parfaite  intelligence,  le  grand  trésor  du  visible  et  de 
l'invisible,  le  grand  arbre  que  Nabuchodonosor  avait 
vu  en  songe.  D'un  autre  nom,  Simon  l'appelle  Celui 
qui  est,  a  été  et  sera,  quelque  chose  comme  la  stabilité 
permanente,  l'immutabilité  personnifiée  :  6  éatôi;,  utot:, 
aTr,aoaevoç.  Ce  Dieu  qui  est,  a  été  et  sera,  ayant  en 
partage  l'intelligence  et  la  raison,  passe  de  la  puissance 
à  l'acte  :  il  pense,  il  parle  sa  pensée,  il  raisonne.  Et 
c'est  chaque  fois  deux  par  deux,  par  couples  ou 
syzygies,  qu'il  se  manifeste.  De  là,  dans  le  monde 
supérieur  de  la  divinité,  six  éons  :  vo3ç  et  Ircivoia,  çcovrj 
et  ovoaa,  XoYWjio'ç  et  Êv8ujA7]atç ;  et  dans  chaque  syzy- 
gie,  l'un  est  mâle  et  l'autre  femelle.  Ces  six  éons  res- 
semblent au  premier  principe,  passent  comme  lui  de 
la  puissance  à  l'acte  et  produisent  à  leur  tour,  par  voie 
d'émanation,  de  nouveaux  couples  d'éons  mâles  et 
femelles  dans  le  monde  du  milieu.  Mais,  ici,  dans  ce 
monde  du  milieu,  paraît  un  nouveau  personnage,  lui 
aussi  appelé  Celui  qui  est,  a  été  et  sera,  et  de  plus  Père, 
à  la  fois  mâle  et  femelle,  sans  commencement  ni  fin, 
et  qui  joue  un  rôle  semblable  à  celui  du  Premier 
Principe  dans  le  monde  supérieur;  c'est  le  Silence,  la 
Erpi,  nommé  père  par  l'È-ivoiot,  émanée  de  lui;  c'est  la 
septième  puissance  mêlée  aux  six  éons.  Dans  ce  monde 
intermédiaire,  de  formation  semblable  à  celle  du  monde 
supérieur,  trois  nouvelles  syzygies  paraissent,  exacte- 
ment correspondantes  aux  trois  syzygies  du  monde 
supérieur  :  ce  sont  oùpavoç  et  yrj,  rjXioç  et  teX^vt),  àrjo 
et  jS'op.  Six  éons  et  une  septième  puissance,  parce  que, 
selon  la  Bible,  Dieu  a  créé  le  monde  en  six  jours  et 
s'est  reposé  le  septième;  et  cette  septième  puissance 
n'est  autre  que  l'Esprit  dont  il  est  écrit  qu'il  était 
porté  sur  les  eaux. 

On  surprend  là  un  exemple  de  l'exégèse  capricieuse 
dont  abusèrent  les  gnostiques  ;  on  y  surprend  aussi  la  thé- 
orie de  l'existence  de  trois  mondes  superposés,  qui  se  dé- 
veloppent avec  une  parfaite  similitude,  comme  on  vient 
de  le  voir  pour  les  deux  premiers.  Mêmes  hypothèses  et 
mêmes  procédés  dans  tous  les  systèmes  gnostiques,  dont 
on  connaît  la  théogonie  ou  éonologie  et  la  cosmologie. 

DICT.  DE  THÉOL.    CATHOL. 


b)  Cosmologie.  —  C'est  la  partie  la  moins  nettement 
accusée  du  système  de  Simon.  Saint  Irénée  nous  ap 
prend  du  moins,  Conl.  hœr.,  i,  23,  P.  G.,  t.  vu,  col.  671, 
que  la  pensée,  Ijstvota,  abandonnant  le  père,  se  tourna 
vers  les  créatures  inférieures  et  fit  exister  les  anges  et 
les  puissances  qui  ont  créé  le  monde  inférieur  que  nous 
habitons.  Ces  anges  et  ces  puissances,  produits  par  la 
pensée  divine  descendue  jusqu'à  eux,  voulurent  Ja 
retenir,  parce  qu'ils  ignoraient  l'existence  du  père  et 
qu'ils  ne  voulaient  pas  être  nommés  le  produit  d'un 
autre  être  quelconque.  Ce  fut  là  le  principe  de  leur 
faute,  la  cause  de  leur  chute;  et  ce  fut  aussi  ce  qui 
nécessita  la  rédemption.  Mais  créèrent-ils  réellement 
le  monde  ?  Il  n'est  nullement  question  de  la  création 
de  la  matière,  chose  inconnue  des  philosophes,  mais 
de  l'organisation  de  cette  matière  attribuée  à  un 
démiurge,  que  Simon  et  tous  les  gnostiques  appellent 
Dieu. 

c)  Anthropologie.  —  Les  Philosophoumena  abondent 
en  détails  sur  la  création  de  l'homme,  mais  assez  dif- 
ficiles à  saisir.  Dieu,  dit  Simon,  forma,  sjcÀacrê,  l'homme 
en  prenant  de  la  poussière  de  la  terre;  il  le  forma 
double  et  non  simple,  selon  l'image  et  la  ressemblance. 
Phitosoph.,  VI,  14,  p.  253.  Laissons  de  côté  tout  ce  qui 
a  trait  à  la  propagation  de  l'espèce,  à  la  formation  et 
au  développement  du  fœtus,  pour  ne  retenir  que  ce  fait, 
c'est  que  l'homme,  étant  l'œuvre  des  anges  et  puissances 
prévaricateurs,  était  vicié  dans  son  origine  même, 
participant  ainsi  à  leur  faute  et  soumis  à  leur  pouvoir 
tyrannique,  et  par  suite  avait  besoin  d'un  sauveur. 

d)  Sotériologie. — ■  Les  anges  qui  retenaient  ènîvoia 
prisonnière  la  maltraitaient  pour  l'empêcher  de 
retourner  vers  le  père.  Ils  lui  firent  souffrir  tous  les 
outrages  jusqu'à  ce  qu'ils  eussent  réussi  à  l'enfermer 
dans  un  corps  humain.  Depuis  lors  cette  è^îvoia  n'a  pas 
cessé,  à  travers  les  siècles,  de  passer  de  femme  en 
femme.  Ce  fut  à  cause  d'elle  qu'éclata  la  guérie  de 
Troie,  car  elle  se  trouvait  alors  dans  le  corps  d'Hélène. 
Le  poète  Stésichore,  pour  l'avoir  maudite  dans  ses  vers, 
devint  aveugle;  mais  s'étant  repenti  et  ayant  chanté 
la  palinodie,  il  recouvra  la  vue.  Enfin  de  femme  en 
femme,  â-îvoia,  au  temps  de  Simon,  se  trouvait  dans 
le  corps  d'une  prostituée  de  Tyr.  Philosoph.,  VI,  19, 
p.  263.  Il  s'agissait  de  la  délivrer.  Le  père  envoya  alors 
un  sauveur  pour  délivrer  i-ivoiaet  pour  soustraire  en 
même  temps  les  hommes  à  la  tyrannie  des  anges.  Ce 
sauveur  descendit  du  monde  supérieur  et  changea  de 
forme  pour  passer  au  milieu  des  anges  et  des  puissances 
sans  en  être  reconnu  :  c'était  Simon  lui-même  qui,  en 
Judée,  se  montra  aux  juifs  comme  fils,  en  Samarie, 
aux  Samaritains,  comme  père,  et  ailleurs,  aux  gentils, 
comme  Saint-Esprit.  Son  arrivée  dans  le  monde  infé- 
rieur avait  été  prédite  par  les  prophètes,  qui  avaient 
été  inspirés  par  les  anges  créateurs.  Et  il  s'était  mis  à 
la  recherche  de  la  brebis  perdue,  èrtvoia;  il  la  trouva  à 
Tyr,  dans  une  maison  de  prostitution,  et  l'avait  déli- 
vrée dans  la  personne  d'Hélène  dont  il  avait  fait  sa 
compagne.  Pour  sauver  les  hommes,  il  était  apparu 
comme  l'un  d'eux,  tout  en  n'étant  pas  l'un  d'eux,  et  il 
avait  paru  souffrir,  bien  qu'il  n'eût  pas  réellement 
souffert.  Croire  en  Simon  et  Hélène,  c'était  conquérir 
la  liberté  et  être  assuré  du  salut.  S.  Irénée,  Conl.  hier., 
i,  23,  3,  P.  G.,  t.  vu,  col.  672;  Philosoph.,  VI,  29, 
p.  263-264. 

c)  Morale.  —  La  seule  condition  de  salut  étant  la 
croyance  en  Simon  et  Hélène,  la  question  des  œuvres 
bonnes  ou  mauvaises  ne  se  posait  pas  ou  se  résolvait 
dans  la  libre  action.  Simon  étant  venu  délivrer  les 
hommes  de  la  tyrannie  des  anges,  et  la  loi  étant 
l'œuvre  de  ces  anges,  la  conclusion  pratique  s'imposait  : 
il  n'y  avait  qu'à  mépriser  la  loi.  Aussi,  au  rapport  des 
Philosophoumena,  VI,  19,  p.  264,  la  morale  de  Simon, 
fondée  sur  l'indifférence  des  œuvres,  était-elle  crimi. 

VI.  —  46 


1443 


GNOSTICISME 


1444 


nellc;  la  promiscuité  était  admise;  elle  constituait  la 
parfaite  dilection,  la  sanctification  réciproque,  tcXsia 
àyâjîr),  ryiov   ocyiwv. 

Tel  est  le  cadre  et  telle  est  la  méthode  du  gnosticisme. 
Les  gnostiques  qui  suivront  n'auront  qu'à  utiliser 
cette  méthode  et  à  remplir  ce  cadre;  ils  ont  désormais 
à  leur  portée  tout  ce  qu'il  faut  pour  séduire  et  tromper, 
et  ils  vont  agir  en  conséquence. 

2.  Ménandre.  —  Les  disciples  de  Simon  usèrent, 
comme  lui,  de  la  magie,  recoururent  à  l'usage  des 
philtres,  interprétèrent  les  songes,  eurent  des  statuettes 
de  Simon  et  d'Hélène,  qu'ils  adoraient.  Saint  Irénée 
dit  :  Ilonim  mystici  sacerdotes  lidibinose  quidam  vivunt, 
magias  autem  perfi.ciu.nt,  quemadmodum  polest  unus- 
quisque  corum.  Exorcismis  et  incanlalionibus  ulunlur. 
Amatoria  quoque  et  agogima,  et  qui  dicuntur  paredri  cl 
oniropompi,  et  qu.secu.mque  sunl  alia  perierga  apud  cos 
studiose  exerceniw.  Imaginem  quoque  Simonis  hdbent 
factam  ad  figuram  Jouis,  et  Helense  in  figuram  Minervse, 
et  has  adorant.  Conl.  hser.,  i,  23,  4,  P.  G.,  t.  vu,  col.  672, 
673. 

L'un  des  ses  disciples  fut  Ménandre,  également  de 
Samarie.  L'auteur  des  Philosophoumena  se  borne  à 
dire  qu'il  avait  enseigné  la  création  du  monde  par  les 
anges,  l'hilosoph.,  VII,  28,  p.  367;  et  voici  ce  que  nous 
apprend  saint  Irénée,  Conl.  hser.,  i,  23,  5,  P.  G.,  t.  vu, 
col.  673.  «  Ménandre,  dit  l'évêque  de  Lyon,  parvint  au 
sommet  de  la  science  magique.  Il  disait  que  la  Première 
Vertu  était  inconnue  de  tous  et  qu'il  était  lui-même  le 
Sauveur  envoyé  par  les  puissances  invisibles  afin  de 
sauver  les  hommes.  Selon  son  système,  le  monde  avait 
été  créé  par  les  anges  qui,  comme  Simon  l'avait  dit 
avant  lui,  n'étaient,  aflirme-t-il,  qu'une  émanation  de 
evvoioc.  Cette  svvoict  communiquait  la  science  de  la 
magie  qu'il  enseignait  lui-même  et  qui  apprenait  à 
vaincre  les  anges  créateurs  du  monde.  Ses  disciples 
ressuscitaient  en  recevant  son  baptême,  disait-il;  ils 
ne  vieillissaient  pas  et  demeuraient  immortels.  »  Ibid. 
Eusèbe  spécifie  ce  qu'il  faut  entendre  par  cette  magie. 
«  Personne,  dit-il,  ne  pouvait,  selon  Ménandre,  arriver 
à  être  supérieur  aux  anges  créateurs  du  monde,  s'il 
n'acquérait  l'expérience  de  la  magie  que  lui,  Ménandre, 
enseignait,  et  s'il  ne  participait  à  son  baptême.  Ceux 
qui  en  étaient  devenus  dignes  y  trouvaient  l'immorta- 
lité, ils  ne  mouraient  pas,  restaient  sans  vieillesse 
dans  une  vie  immortelle.  »  //.  E.,  m,  26,  P.  G.,  t.  xx, 
col.  272. 

A  la  différence  de  Simon  qui  exigeait  pour  le  salut 
la  croyance  en  sa  propre  divinité  et  en  celle  d'Hélène, 
Ménandre  exigeait  la  réception  de  son  baptême  et  la 
connaissance  de  la  magie.  Parla,  il  se  substituait  à  son 
maître.  Et  tandis  que  Simon  n'avait  fait  que  recourir 
à  la  magie  comme  à  un  moyen  d'en  imposer  aux 
simples,  il  l'avait  élevée  au  rang  d'un  moyen  néces- 
saire au  salut. 

3.  Saturnin  ou  Satornilus.  —  Ménandre  compta 
parmi  ses  disciples  Saturnin  et  Basilide.  Saturnin 
enseigna  à  Antioche  et  fut  le  chef  du  gnosticisme 
syrien.  Philosoph.,  VII,  28,  p.  367.  Sa  doctrine  n'était 
autre  que  celle  de  Ménandre  et  de  Simon.  Sans  en 
changer  l'économie  générale,  il  y  ajouta  quelques  dif- 
férences caractéristiques.  La  voici  résumée  dans  les 
Philosophoumena,  VII,  28,  p.  367-369  :  «  Saturnin 
enseigne  qu'il  y  a  un  père  inconnu  de  tous  et  qui  a  créé 
les  anges,  les  archanges,  les  vertus  et  les  puissances. 
Le  inonde  et  tout  ce  qu'il  renferme  a  été  créé  par  les 
anges.  L'homme  est  une  création  des  anges  qui,  après 
avoir  vu  paraître  l'image  brillante  qui  était  descendue 
de  la  suprême  puissance,  ne  purent  la  retenir  parce 
qu'elle  remonta  aussitôt  vers  celui  qui  l'avait  envoyée. 
Alors  ils  se  dirent  en  s'exhortant  les  uns  les  autres  : 
Faisons  l'homme  à  l'image  et  à  la  ressemblance.  Cet 
homme  fut  créé,  mais  il  ne  pouvait  se  tenir  droit  à 


cause  de  la  faiblesse  des  anges  :  il  rampait  à  terre 
comme  un  ver.  La  puissance  d'en  haut  en  eut  pitié, 
parce  qu'il  avait  été  créé  à  son  image;  elle  envoya  une 
étincelle  de  vie  qui  releva  l'homme  et  lui  donna  la  vie. 
Après  la  mort,  celte  étincelle  retourne  vers  ce  qui  est 
de  la  même  espèce,  et  le  reste  se  dissout,  chaque  partie 
d'après  la  nature  des  éléments  dont  elle  est  formée. 
11  démontre  que  le  Sauveur  n'était  pas  né,  qu'il  était 
incorporel,  sans  forme  ni  figure,  qu'il  n'était  apparu 
comme  homme  qu'en  apparence,  et  que  le  Dieu  des 
juifs  était  l'un  des  anges.  Puis  il  ajoute  que  le  père 
ayant  la  volonté  de  détruire  tous  les  princes,  le  Christ 
vint  parmi  nous  pour  la  destruction  du  Dieu  des  juifs 
et  le  salut  de  ceux  qui  croient  en  lui  :  ce  sont  ceux  qui 
ont  en  eux-mêmes  l'étincelle  de  vie.  Saturnin  dit  qu'il 
y  a  deux  genres  d'hommes  formés  par  les  anges  :  l'un 
bon  et  l'autre  mauvais.  Et  parce  que  les  démons 
venaient  en  aide  aux  mauvais,  le  Sauveur  est  venu 
pour  la  destruction  des  mauvais  et  des  démons,  et  pour 
le  salut  des  bons.  Ils  appellent  le  mariage  et  la  pro- 
création des  œuvres  de  Satan.  Un  grand  nombre  de 
ses  disciples  s'abstiennent  de  manger  de  la  chair,  et, 
par  cette  feinte  continence,  en  séduisent  plusieurs. 
Quant  aux  prophéties,  les  unes,  disent-ils,  ont  été 
faites  par  les  anges  créateurs  du  monde,  les  autres  par 
Satan,  que  Saturnin  nomme  un  ange  et  dont  il  fait 
l'adversaire  des  créateurs  du  monde  et  surtout  du  Dieu 
des  juifs.  » 

On  voit  les  différences  introduites  dans  le  système 
gnostique  de  ses  prédécesseurs  par  Saturnin.  Pour 
expliquer  la  faute  première  qui  sert  d'origine  ou  de 
cause  au  mal  physique  et  moral,  Simon  avait  ima- 
giné l'emprisonnement  de  ri^ivcua  par  les  anges  dans 
le  corps  humain;  Saturnin  se  contente  de  dire  que  les 
anges  ont  bien  voulu  retenir  l'étincelle  de  vie  envoyée 
par  le  père,  mais  que,  ne  l'ayant  pas  pu,  ils  se 
sont  résolus  à  faire  l'homme  à  son  image  et  à  sa 
ressemblance.  Dans  l'anthropologie,  Saturnin  introduit 
un  élément  nouveau,  l'envoi  par  le  Père  de  l'étincelle 
de  vie  pour  redresser  l'homme,  cette  œuvre  informe 
des  anges  créateurs.  Dans  la  sotériologie,  c'est  le  même 
docétisme;  le  salut  est  limité,  quant  aux  hommes,  à 
ceux  qui  possèdent  l'étincelle  de  vie,  apparemment 
aux  seuls  disciples  de  Saturnin.  Le  Christ  venant 
combattre  le  Dieu  des  juifs,  c'est  l'antinomisme  qui 
paraît  et  qui  ira  en  s'accentuant  chez  un  certain  nombre 
de  représentants  de  la  gnose  et  dans  plusieurs  sectes 
gnostiques.  Mais  il  vient  combattre  aussi  les  démons 
et  Satan,  personnages  dont  il  n'a  pas  encore  été  ques- 
tion, et  qui,  ne  pouvant  être  la  manifestation  du 
premier  principe  parce  que  ce  premier  principe  est  bon, 
représentent  nécessairement  le  principe  mauvais.  Et 
l'on  trouve  là  l'influence  du  dualisme  qui  aboutira  au 
système  de  Marcion.  Il  est  encore  question,  au  moins 
parmi  les  disciples  de  Saturnin,  de  la  condamnation 
du  mariage  et  de  la  procréation  comme  œuvres  de 
Satan,  et  d'un  certain  ascétisme  qui  sera  systématisé 
dans  l'encratisme.  L'eschatologie  enfin,  sans  être  com- 
plètement traitée,  se  dessine  déjà  :  c'est,  pour  l'homme 
sauvé,  le  retour  de  l'étincelle  de  vie  dans  le  monde 
supérieur,  et  la  dissolution  tout  au  moins  de  son  corps. 

4°  Le  gnosticisme  à  Alexandrie.  —  1.  Basilide.  —  Ce 
fut  Basilide,  voir  Basilide,  t.  il,  col.  465-475,  le  condis- 
ciple de  Saturnin  et  le  disciple  de  Ménandre  qui  d' An- 
tioche alla  à  Alexandrie  enseigner  la  gnose  et  fut  le 
premier  gnostique  égyptien  connu.  S.  Irénée,  Conl.  hser., 
i,  24,  P.  G.,  t.  vu,  col.  674.  Sans  abandonner  les  pra- 
tiques magiques  de  ses  prédécesseurs,  Cont.  hœr.,  i.  24, 
5,  col.  678;  voir  Abraxas,  t.  i,  col.  121-124,  et  sans  se 
séparer  complètement  de  leur  enseignement,  il  voulut 
faire  œuvre  nouvelle  et  imagina  le  système  le  plus 
compliqué,  le  plus  abstrait,  le  plus  métaphysique  et 
le  moins  facile  à  comprendre.  Il  admit,  lui  aussi,  trois 


1445 


GNOSTICISME 


1446 


mondes  superposés,  le  monde  hypercosmique,  le  monde 
intermédiaire  ou  supralunaire  et  le  monde  ordinaire  ou 
sublunaire.  Dans  le  premier  il  plaçait  le  Dieu-néant; 
le  Néant  qui  existe,  le  Dieu-devenir,  qui  renferme  tous 
les  germes,  7:à<jav  ir,v  îiavcr;i6p(uav,  Philosoph.,  VII,  22, 
p.  349,  qui  évolue  ou  passe  de  la  puissance  à  l'acte, 
grâce  à  une  triple  uîott)ç,  dont  le  rôle  est  singulière- 
ment expliqué.  Dans  le  second,  qu'il  nomme  le  monde 
de  l' Esprit-limite,  revsîîfja,  ucOopiov,  Philosoph.,  VII,  23, 
p.  353,  il  plaçait  365  cieux,  dont  le  premier,  le  plus 
rapproché  du  monde  supérieur,  est  appelé  Vogdoade, 
et  dont  le  dernier,  le  plus  rapproché  du  monde  sub- 
lunaire, est  appelé  l' hebdomade,  chacun  avec  un  chef 
nommé  Archon,  et  tous  peuplés  d'éons,  qui  procèdent 
du  Dieu-néant,  par  une  voie  qui  ne  peut  être  que  celle 
de  l'émanation,  bien  que  Basilide  n'emploie  pas  ce 
terme  et  semble  répudier  un  pareil  mode  d'origine. 
Le  grand  Archon  de  l'ogdoade,  ignorant  l'existence  des 
trois  uîot7)ç  et  du  Dieu-néant,  se  croit  le  premier  de 
tous  les  êtres  et  commet  ainsi  une  faute  d'ignorance  et 
d'orgueil  qui  aura  besoin  d'être  rachetée.  Il  se  donne 
un  fils  qui  est  plus  grand  que  lui.  L' Archon  de  l'heb- 
domade  passe  exactement  par  les  mêmes  errements 
que  le  grand  Archon;  d'où  l'on  peut  conclure  que  les 
choses  se  passèrent  de  manière  semblable  dans  chacun 
des  363  autres  cieux.  A  noter  que  l' Archon  de  l'hebdo- 
made,  qui  n'est  autre  que  Jéhovah,  le  Dieu  des  juifs, 
est  le  créateur  du  monde  sublunaire,  et  notamment  de 
l'homme,  composé  d'un  corps,  qui  est  destiné  à  périr, 
d'une  âme  qui  est  descendue  du  monde  intermédiaire, 
de  l'un  des  365  cieux.  Cette  âme  connaît  Dieu  naturel- 
lement; elle  est  élue  à  raison  même  de  sa  nature, 
Clément  d'Alexandrie,  Slrom.,  V,  1,  P.  G.,  t.  ix,  col.  12- 
13;  son  élection  s'est  faite  en  dehors  de  ce  monde 
terrestre.  Slrom.,  IV,  26,  P.  G.,  t.  vin,  col.  1376.  Et 
du  fait  qu'elle  est  élue,  elle  possède  naturellement  la 
foi,  véritable  substance  qui  lui  est  inhérente  et  qui  lui 
permet  de  connaître  la  vérité  sans  démonstration 
préalable  et  de  posséder  toute  la  gnose  par  simple 
intuition.  Slrom.,  II,  4,  P.  G.,  t.  vin,  col.  941.  Nulle- 
ment libre,  elle  est  portée  au  péché  et  succombe  fata- 
lement quand  l'occasion  se  présente;  elle  n'a  donc 
pas  le  droit  de  se  glorifier  de  n'avoir  pas  péché.  Etran- 
gère à  ce  monde,  elle  n'y  est  descendue  que  pour  être 
honorablement  punie  par  le  martyre,  en  vue  d'expier 
des  fautes  commises  dans  une  autre  vie.  Slrom.,  IV, 
12,  P.  G.,  t.  vm,  col.  1292. 

Dans  le  système  de  Basilide,  le  rachat  se  fait  dans 
le  monde  intermédiaire  par  un  sauveur  nommé  Évan- 
gile, qui  appartient  au  monde  supérieur  et  se  confond 
avec  la  première  uiôrr,;.  Descendu  dans  l'ogdoade,  il 
porte  le  salut  et  la  science,  c'est-à-dire  la  connaissance 
du  Dieu-néant  et  de  la  triple  uîott);,  qu'il  manifeste  au 
fils  du  grand  Archon;  et  par  le  fils  il  illumine  le  père, 
qui  reconnaît  alors  son  ignorance,  cause  de  son  erreur, 
la  confesse  et  est  par  là  même  racheté.  Pareillement 
tous  les  éons  de  l'ogdoade  sont  alors  illuminés  et  ra- 
chetés. Ce  procédé  de  rédemption  dut  être  appliqué  à 
chacun  des  365  cieux  et  de  la  même  manière,  puisque 
nous  le  voyons  appliqué  ainsi  au  ciel  de  l'hebdomade. 
Cela  fait,  tout  rentre  dans  l'ordre  au  milieu  du  monde 
intermédiaire.  Reste  à  racheter  le  nombre  sublunaire, 
où  se  trouvait  égarée  la  troisième  uiott,;.  Ici,  nouveau 
personnage;  car  la  lumière  qui  avait  lui  sur  le  fils  de 
l'Archon  de  l'hebdomade  descendit  en  Jésus,  le  fils  de 
Marie,  l'illumina  et  le  remplit  de  ses  feux.  Et  alors  la 
troisième  wJxr^  devint  tellement  subtile  qu'elle  put 
prendre  son  essor,  s'élever  à  travers  et  au-dessus  de  tous 
les  cieux  de  l' Esprit-limite  jusqu'au  Dieu-néant.  Dès 
lors  plus  de  larmes  ni  de  soulfrances  dans  le  inonde 
sublunaire;  tous  les  hommes  de  la  troisième  uio'ir); 
s'élèveront  à  la  suite,  et  leur  âme  réintégrera  le  lieu  de 
son  origine.  Philosoph.,  VII,  27,  p.  363.  La  rédemption 


terrestre  achevée,  soit  par  un  semblant  d'expiation, 
ainsi  que  le  rapporte  saint  Irénée,  Conl.  hser.,  i,  24,  4, 
P.  G.,  t.  vu,  col.  677,  ce  qui  paraît  plus  conforme  au 
docétisme  gnostique,  soit  par  une  expiation  réelle 
selon  ce  qui  est  écrit  dans  les  Évangiles,  comme 
lindique  l'auteur  des  Philosophoumcna,  VII,  27,  p.  365, 
une  ignorance  complète  et  universelle  doit  s'emparer 
de  tous  les  mondes  et  de  tous  leurs  habitants.  «  Quand 
tout  cela  sera  définitivement  accompli,  quand  tous  les 
germes  confondus  auront  été  dégagés  et  rendus  à  leur 
place  primitive,  Dieu  répandra  une  ignorance  absolue 
sur  le  monde  entier,  afin  que  tous  les  êtres  qui  les 
composent  restent  dans  les  limites  de  leur  nature  et 
ne  désirent  rien  d'étranger  ou  de  meilleur;  car,  dans 
le;  mondes  inférieurs,  il  n'y  aura  ni  mention,  ni  con- 
naissance de  ce  qui  se  trouve  dans  les  mondes  supé- 
rieurs, afin  que  les  âmes  ne  puissent  désirer  ce  qu'elles 
ne  peuvent  posséder  et  que  ce  désir  ne  devienne  pas 
pour  elles  une  source  de  tourments;  car  il  serait  la 
cause  de  leur  perte.  »  Philosoph.,  VII,  27,  p.  363. 

Tel  est  le  système  du  premier  gnostique  égyptien. 
L'influence  du  gnosticisme  syrien  s'y  fait  sentir;  mais 
ce  n'est  pas  la  seule.  Basilide  a  tenu  compte  tout  parti- 
culièrement du  dogme  de  la  rédemption  enseigné  par 
le  christianisme,  sauf  à  le  modifier  ou  à  le  transformer 
à  sa  guise.  Mais  il  a  introduit  dans  la  gnose  des  éléments 
nouveaux,  tels  que  la  nature  de  son  Dieu-néant,  la 
manière  de  multiplier  les  cieux  dans  le  inonde  intermé- 
diaire, la  propriété  des  fils  des  Archons  d'être  plus 
grands  que  leurs  pères,  l'ignorance  qui  doit  envelopper 
chaque  monde  à  la  fin  des  temps;  et  sur  ces  divers 
points  il  est  tributaire,  soit  de  la  cabbale,  soit  des 
doctrines  de  l'ancienne  Egypte,  comme  l'a  démontré 
Amélineau,  Essai  sur  le  gnosticisme  égyptien,  Paris, 
1887,  p.  139-152. 

2.  Isidore.  ■ — ■  Fils  et  disciple  de  Basilide,  Isidore 
continua  l'enseignement  de  son  père.  Philosophoumena, 
VII,  20,  p.  344.  Nous  ne  savons  pas  s'il  le  maintint 
dans  son  intégrité  ou  s'il  lui  fit  subir  quelque;  trans- 
formations. C'est  aux  disciples  de  Basilide  que  Clément 
d'Alexandrie  attribue  la  théorie  des  appendices  de 
l'âme,  d'après  laquelle  les  désirs  de  l'âme  sont  rendus 
semblables  aux  désirs  des  animaux,  loup,  singe,  lion, 
bouc,  dont  elles  possèdent  les  propriétés.  Strom.,  IL 
20,  P.  G.,  t.  vm,  col.  1056.  Théorie  fort  commode  pour 
la  libéra  lion  des  instincts  sans  avoir  de  reproche  à  se 
faire.  Isidore  en  a  combattu  les  conséquences  immo- 
rales, quand  il  a  dit  :  «  Si  vous  persuadez  à  quelqu'un 
que  l'âme  n'est  pas  d'une  seule  pièce,  mais  que  les 
affections  mauvaises  viennent  des  appendices  ajoutés 
à  celte  âme,  vous  donnez  aux  criminels  un  excellent 
prétexte  pour  dire  :  j'ai  été  forcé,  j'ai  été  entraîné. 
je  l'ai  fait  malgré  moi.  j'ai  fait  l'action  sans  le  vouloir. 
Et  cependant,  c'est  l'homme  qui  est  le  maître  de  sa 
passion  qui  l'a  vaincu  parce  qu'il  n'a  pas  lutté  contre 
les  appendices.  »  Cité  par  Clément  d'Alexandrie, 
Slrom.,  II,  20,  P.  G.,  t.  vm,  col.  1057.  Il  est  certain 
toutefois  que,  sciemment  ou  non,  Basilide  avait  posé 
les  principes  d'où  devait  découler  logiquement  la 
libre  action  ou  l'immoralité.  Et  il  est  certain  égale- 
ment qu'Isidore,  dans  la  question  du  mariage  qu'il 
permet  aux  uns  et  qu'il  déconseille  aux  autres,  écrit 
cette  phrase  équivoque  et  dangereuse  :  SëXTjffOCTcj 
[xo'vov  à-apTîjaai  to  xaXov  /.al  é-fCêûEiTai.  Slrom.,  III, 
i,  P.  G.,  t.  vm.  col.  1101.  S'il  sulfit,  en  effet,  de 
vouloir  le  bien  pour  le  posséder,  on  pourra  le  vouloir 
même  en  faisant  le  mal.  Et  telle  est  bien  la  consé- 
quence pratique  qu'en  tiraient  les  basilidiens,  puisque 
Clément  d'Alexandrie  rapporte  le  passage  d'Isidore  où 
elle  se  trouve,  pour  accuser  leur  inconduite.  Ils  pré- 
tendaient, en  effet,  avoir  toute  licence  pour  pécher 
puisqu'ils  étaient  parfaits,  et  être  assurés  de  leur 
salut,    quelque    faute    qu'ils    commissent,    puisqu'ils 


1447 


GNOSTICISME 


1448 


étaient  élus.  Ibid.,  col.  1104.  Cela  prouve  que  déjà 
le  système  du  Basilide  et  d'Isidore  se  traduisait  prati- 
quement en  immoralité.  11  ne  restera  plus  qu'à  jus- 
tifier dogmatiquement  l'immoralité  :  ce  fut  l'œuvre  de 
Carpocrate. 

3.  Carpocrate.  —  Originaire  d'Alexandrie  et  gnos- 
tique  égyptien,  Carpocrate,  voir  Cmipocrate,  t.  n, 
col.  1880-1803,  s'est  beaucoup  moins  occupé  de  la 
partie  métaphysique  du  gnosticisme  que  de  son  appli- 
cation pratique.  11  reste  apparenté  avec  la  gnose 
syrienne,  car  c'est  à  Saturnin  qu'il  a  emprunté  celte 
haine  du  Dieu  des  juifs  et  de  sa  loi,  qui  est  l'une  des 
caractéristiques  de  son  système.  11  doit  à  Basilide  les 
principes  dont  il  tire  rigoureusement  les  conséquences 
logiques  sans  reculer  devant  l'abîme  d'immoralité  où 
elles  conduisent.  11  s'empare,  sauf  à  la  dénaturer  étran- 
gement, de  l'hypothèse  pythagoricienne  de  la  métemp- 
sycose pour  pousser  jusqu'à  épuisement  la  série  des 
actes  immoraux  que  toute  âme  doit  commettre  avant 
d'être  sauvée.  Et  il  devient  avec  son  fils  Épiphane, 
mort  à  dix-sept  ans  et  adoré  comme  un  dieu  dans  l'île 
de  Céphalénie,  Clément  d'Alexandrie,  Slrom.,  III,  2, 
P.  G.,  t.  vin,  col.  1105,  un  professeur  systématique 
d'impudicité. 

L'idée  de  rédemption  n'est  pas  étrangère  à  son  sys- 
tème, et  on  va  voir  comment  il  l'entend.  Le  Sauveur 
envoyé  par  le  Père  inconnu,  qui  ne  pouvait  supporter 
l'intolérante  domination  des  anges,  et  notamment 
celle  de  Jéhovah,  eut  pour  mission  la  défaite  de  ces 
tyrans  :  ce  fut  Jésus,  vrai  fils  de  Joseph  et  de  Marie, 
né  d'un  père  et  d'une  mère  à  la  manière  des  autres 
hommes,  simple  mortel,  qui,  se  rappelant  ce  qu'il 
avait  vu  dans  une  vie  antérieure,  s'éleva  au-dessus 
des  autres  hommes  grâce  à  la  fermeté  de  son  âme,  et 
se  prit  d'un  profond  mépris  pour  la  loi  et  les  coutumes 
des  juifs.  Et  ce  mépris  fut  le  salut  du  monde.  Quicon- 
que le  professe  à  l'égard  des  fabricateurs  du  monde 
peut  égaler  et  même  surpasser  Jésus  et  ses  apôtres, 
Pierre  et  Paul.  Philosoph.,  VII,  32,  p.  386. 

Le  mépris  des  anges  et  de  Jéhovah,  auteurs  de  la  loi 
qui  règle  l'ordre  social  et  moral,  entraîne  le  mépris 
nécessaire  de  cette  loi.  La  violer  est  dès  lors  un  devoir 
et  un  moyen  de  salut.  Car  la  justice,  d'après  Épiphane, 
n'est  qu'une  scoivwviot  [j.e-'  îarJTrj-oç,  un  droit  égal  pour 
chacun  de  participer  à  tous  les  biens,  particulièrement 
au  nécessaire  exercice  des  rapports  sexuels.  Clément 
d'Alexandrie,  Strom.,  III,  2,  P.  G.,  t.  vin,  col.  1105- 
1108.  La  communauté  des  femmes  s'impose.  Ibid., 
col.  1112.  Et  c'est  dans  un  sens  d'une  obscénité  révol- 
tante que  Carprocate  interprète  ce  mot  de  saint  Luc, 
vi,  30  :  -oevù  Gcî-O'jvtt  as  SiSoj.  Slrom.,  III,  6,  P.  G., 
t  vm,  col.  1157.  De  là,  dans  les  réunions  nocturnes, 
des  scènes  de  promiscuité  et  de  débauche  qualifiées  du 
mot  chrétien  d'àyâ-r;.  Slrom.,  III,  2,  P.  G.,  t.  VIII, 
col.  1112.  Et  si  par  malheur  une  âme  n'avait  pas 
épuisé  toute  la  série  des  turpitudes,  elle  était  condamnée, 
après  la  mort,  à  habiter  un  autre  corps  pour  satisfaire, 
par  la  révolte  complète  contre  la  loi,  à  la  nécessité  de 
son  salut.  Et  c'est  ainsi  que  Carpocrate  entendait  ce 
mot  de  l'Évangile  :  A'on  exies  inde  donec  reddas  novis- 
simum  quadrantem.]M.atth.,\,2&.S.  Irénée,  Cont.  hœr., 
i,  25,  4,  P.  G.,  t.  vu,  col.  682-683.  Voilà  où  en  était 
arrivé  le  gnosticisme  égyptien  à  peine  naissant.  Et 
il  n'est  pas  étonnant  que,  dans  ce  courant  d'antino- 
misme  outré,  les  sectes  gnostiques  se  soient  multipliées 
pour  honorer  tous  les  révoltés  de  l'Ancien  Testament. 

I.  Valentin.  — Bien  au-dessus  de  Carpocrate,  d'Isi- 
dore et  de  Basilide,  se  trouve  l'un  des  chefs  célèbres  et 
les  plus  influents  du  gnosticisme,  Valentin.  Avec  lui 
on  touche  à  l'apogée  de  la  gnose.  Né  dans  la  Basse- 
Egypte,  Valentin  suivit  les  cours  des  écoles  d'Alexan- 
drie, où  il  apprit  la  philosophie  platonicienne  et 
s'initia  à   toutes   les   doctrines  de  l'ancienne  Egypte. 


S'il  ne  fut  pas  le  disciple  de  Basilide,  il  put  entendre 
ses  leçons;  il  connaissait  en  tout  cas  son  système  ainsi 
que  celui  de  ses  prédécesseurs,  et  resta  fidèle  au  cadre 
et  à  la  méthode  des  gnostiques,  en  parant  le  tout 
d'images  et  de  conceptions  nouvelles,  qui  donnent  à 
son  enseignement  un  caractère  à  part.  Sa  réputation 
et  son  influence  furent  grandes.  Après  avoir  enseigné 
à  Alexandrie,  il  se  transporta  à  Rome  du  temps  du 
pape  Ilygin,  y  séjourna  longtemps  et  y  forma  de 
nombreux  disciples,  avant  d'aller  mourir  en  Chypre 
où,  au  dire  de  saint  Épiphane,  il  aurait  fait  le  dernier 
naufrage  dans  la  foi.  Ses  disciples  se  partagèrent  en 
deux  écoles,  l'école  orientale  et  l'école  italique,  diffé- 
rentes d'opinion  sur  la  nature  du  corps  du  Sauveur.  Sa 
doctrine  personnelle  ne  se  trouve  exposée  nulle  part, 
bien  que  l'auteur  des  Philosophoumcna  entende  parler 
de  son  système  qu'il  dit  emprunté,  non  aux  Évangiles, 
mais  à  Pythagore  et  à  Platon,  et  qu'il  qualifie  d'hérésie. 
Philosoph.,  VI,  29,  p.  279.  On  ne  peut  que  la  recon- 
stituer en  étudiant  celle  de  ses  disciples,  soit  dans 
l'école  orientale  au  moyen  des  Extraits  de  Théodote, 
des  renseignements  du  pseudo-Tertullien,  de  Philas- 
trius  et  des  Philosophoumcna,  soit  dans  l'école  italique 
au  moyen  du  Contra  hœrcses  de  saint  Irénée.  Et  l'on  y 
retrouve,  malgré  la  différence  des  détails,  une  économie 
semblable  à  celle  de  ses  devanciers  dans  la  théogonie, 
la  cosmologie,  l'anthropologie,  la  sotériologie  et  l'escha- 
tologie. 

a)  École  orientale  de  Valentin.  —  a.  Théogonie.  —  Dans 
le  monde  supérieur  du  plérome  se  trouve  le  Dieu 
principe,  le  Un,  le  Père,  seul  d'après  les  uns,  avec  Eifij 
pour  compagne  d'après  les  autres,  doué  de  vertu  pro- 
lifique ou  susceptible  de  développement.  Ne  voulant 
pas  rester  seul,  il  engendre  une  dyade,  le  couple  vouç 
et  àlr'fiv.y.,  d'où  sort  un  second  couple,  Àoyoc  et  Çtorj, 
qui  lui-même  produit  avOpw-oç  et  i/.y.\rtai<x.  En  action 
de  grâces  envers  le  Père  incréé,  l'Esprit  et  la  Vérité 
produisent  dix  nouveaux  éons,  la  décade.  A  cette  vue, 
le  couple  Verbe  et  Vie  voulant  honorer  la  dyade  d'où 
il  émane,  produit  douze  éons,  la  dodécade.  Pourquoi 
dix  éons  d'abord  et  douze  ensuite  '?  Ce  choix  est  dû  à 
une  influence  pythagoricienne.  Voilà  donc  28  éons  ou 
30  si  l'on  y  comprend  le  Père  et  le  Silence,  qui  consti- 
tuent le  plérome,  le  monde  supérieur.  Au  dernier  degré 
de  la  dodécade  se  trouve  l'éon  femelle  aoiia  à  l'esprit 
curieux  et  au  désir  ardent.  A  la  vue  des  merveilles  du 
plérome,  de  la  série  des  émanations  et  de  la  puissance 
des  éons,  elle  voudrait  connaître  les  mystères  qui  lui 
restent  cachés  et  devenir  à  son  tour  principe  d'émana- 
tion. Constatant  que  le  Père  seul  a  procréé  sans  épouse, 
elle  désire  imiter  le  Père  et  engendrer  seule.  Mais 
n'étant  pas  incréée  comme  le  Père,  elle  ne  réussit  qu'à 
produire  un  être  informe,  kV.tpwpi*,  qui  est  le  fruit  de 
son  péché  d'ignorance  et  d'orgueil.  Un  tel  être  n'est  pas 
de  nature  à  réjouir  les  éons  du  plérome;  ceux-ci 
craignent  de  devenir  générateurs  d'êtres  difformes  et 
imparfaits  et  supplient  le  Père  de  secourir  l'audacieuse 
et  infortunée  aoiia,  qui  se  lamente  d'avoir  produit  un 
avorton.  Philosoph.,  VI,  29-31,  p.  279-285. 

Le  Père  exauce  leur  prière;  il  a  pitié  de  croiia  et 
confie  à  vouç  et  à  akr'fîivx  le  soin  de  tout  arranger. 
L'Esprit  et  la  Vérité  produisentalors  un  nouveau  couple 
d'éons,  le  Christ  et  l'Esprit-Saint,  Xptordç  et  IIvîùux 
ayiov,  qui  sont  chargés  de  parfaire  la  forme  incomplète 
d'k'*Tp(D[j.a  et  de  consoler  aoçia.  Le  Christ  et  l'Esprit- 
Saint  commencent  par  séparer  kV.tpwpia,  afin  que  les 
autres  éons  ne  soient  plus  troublés  par  la  vue  de  sa 
difformité.  Et  pour  rendre  définitive  cette  séparation 
nécessaire,  le  Père  produit  un  nouvel  éon,  nommé 
Limite,  ô'poç,  parce  qu'il  doit  limiter  le  plérome;  Croix. 
crraupû'ç,  parce  qu'il  ne  laisse  approcher  du  plérome 
rien  d'imparfait;  et  Participation,  <j.£to/£jç,  parce  qu'il 
participe  à  la  fois  du  plérome  et  de  la  partie  extérieure. 


1449 


GNOSTICISME 


1450 


"ExTptouLa,flls  de  uo^ta  et  nommé  aussi  aocpin  extérieure, 
se  trouve  désormais  dans  l'ogdoade.  Le  Christ  et 
l'Esprit-Saint  rentrent  dans  le  plérome,  rejoignent  vouç 
et  àÀY)'8=ta  pour  glorifier  le  Père.  Philosoph.,  VI,  31, 
p.  286-287. 

Ainsi  délivrés  d'une  présence  importune  et  pacifiés 
à  jamais,  les  éons  du  plérome  veulent  témoigner  leur 
reconnaissance  au  Père  incréé;  et  à  eux  tous,  en  donnant 
chacun  le  plus  pur  de  leur  essence,  comme  fruit  de 
l'unité,  de  la  paix  et  de  la  concorde  rétablies,  ils  pro- 
duisent l'éon  Jésus,  le  grand  pontife,  'Itjctou;. 

Cette  théogonie  ou  éonologie  de  l'école  orientale  de 
Valentin  est  appuyée  de  la  manière  la  plus  extraor- 
dinaire qu'il  soit  possible  d'imaginer  sur  la  Genèse  et 
les  Évangiles.  On  y  retrouve  les  éléments  déjà  connus 
de  Simon  et  de  Basilide  :  un  premier  principe  d'éma- 
nation, les  syzygies,  l'éon  limite,  la  chute  due  à  l'igno- 
rance et  à  l'orgueil,  l'ogdoade;  seuls,  diffèrent  le  nom 
et  la  distribution  des  éons,  les  péripéties  de  ao^ta  et 
d'k'xiptoaa. 

b.  Cosmologie.  — ■  La  sagesse  extérieure,  ïx.zpu>[j.a,, 
abandonnée  par  le  Christ  et  l'Esprit-Saint,  se  met  à 
leur  recherche,  remplie  de  frayeur,  et  aspire  vers  eux; 
elle  se  met  à  les  prier.  Philosoph.,  VI,  32,  p.  288.  La 
Pislis  Sophia  donne  douze  de  ces  prières  qui  ne  sont 
que  la  paraphrase  de  certains  psaumes  appliquée  aux 
malheurs  d'IxTpcofjLa.  Les  éons  du  plérome  lui  envoient 
l'éon  Jésus  qui  doit  apaiser  ses  douleurs  et  la  prendre 
pour  épouse.  L'éon  Jésus  trouve  la  sagesse  extérieure 
en  proie  à  la  crainte,  au  chagrin,  à  l'anxiété;  il  lui 
enlève  ces  passions  qu'il  convertit  en  essences  perma- 
nentes :  de  la  crainte,  il  fait  l'essence  psychique;  du 
chagrin,  l'essence  hylique;  de  l'anxiété,  l'essence  des 
démons.  Et  chaque  essence  devient  démiurge.  Il  y  a 
ainsi  le  démiurge  de  l'essence  psychique,  qui  a  l'esprit 
faible  et  grossier,  ne  comprend  rien  à  ce  qu'il  fait,  car 
c'est  la  sagesse  qui  agit  à  sa  place;  et  il  se  croit  Dieu. 
Et  cette  sagesse,  de  l'ogdoade  où  elle  se  trouve,  agit 
partout  dans  le  monde  intermédiaire  jusqu'à  l'hebdo- 
made.  Le  diable  est  le  démiurge  de  l'essence  hylique, 
et  Béelzébub  celui  de  l'essence  démoniaque.  Philo- 
soph., VI,  32-33,  p.  289-291.  Il  est  à  remarquer  que  le 
démiurge  de  l'essence  psychique  se  trouve  dans  l'heb- 
domade;  et  c'est  très  vraisemblablement  le  Dieu  des 
juifs.  Dans  ce  monde  intermédiaire  il  n'est  question 
que  de  l'ogdoade  et  de l'hebdomade,  dont  a  parlé  Basi- 
lide. L'école  valentinienne  admettait-elle  les  365  cieux  ? 

c.  Anthropologie.  ■ —  C'est  la  partie  sacrifiée  du  sys- 
tème. L'homme  étant  un  composé  d'âme  et  de  corps, 
il  s'ensuit  que  son  âme  vient  du  démiurge  de  l'es- 
sence psychique,  et  son  corps  du  démon,  le  démiurge 
de  l'essence  hylique.  Ce  dualisme  d'origine  est  une  con- 
ception bizarre.  Mais  Valentin  partageait  les  hommes 
en  trois  catégories  :  l'homme  hylique  l'homme  psy- 
chique, et  l'homme  pneumatique.  L'hylique  est  ma- 
tériel et  sert  d'hôtellerie  au  diable,  à  tous  les  ap- 
pétits grossiers  :  c'est  le  païen  dont  le  sort  est  fatale- 
ment voué  à  la  destruction.  Le  psychique,  bien  que 
possédant  une  âme  supérieure,  est  ignorant  comme  le 
démiurge  dont  il  est  la  création  :  c'est  le  chrétien,  qui 
peut  descendre  vers  l'hylique  ou  s'élever  jusqu'au 
pneumatique,  se  perd  dans  le  premier  cas,  se  sauve 
dans  le  second.  Il  ne  possède  que  la  foi,  il  n'a  pas  la 
gnose,  et  c'est  celle-ci  qui  est  le  moyen  du  salut.  Le 
pneumatique  est  l'homme  parfait  par  excellence;  il 
reçoit  du  Verbe,  de  Jésus  et  de  la  sagesse  des  semences 
d'immortalité,  c'est-à-dire  la  gnose;  il  est  élu  dès  le 
principe;  il  est  assuré  de  son  salut.  Philosoph.,  VI,  34, 
p.  291-249. 

d.  Solériologie. —  Le  système  valentinien  comporte 
une  triple  rédemption  :  celle  du  plérome,  du  monde 
intermédiaire  et  du  monde  terrestre.  Dans  le  plérome, 
nous  l'avons  déjà  indiqué,  le  trouble  avait  été  intro- 


duit par  aosîa;  ses  désirs  indiscrets,  fruits  de  l'igno- 
rance et  de  l'orgueil,  avaient  abouti  à  la  production 
d'un  avorton.  Et  ce  fut  le  couple  Christ  et  Saint-Esprit 
qui  réparèrent  sa  faute  et  rétablirent  la  concorde  et 
la  paix.  Dans  le  monde  intermédiaire,  soit  dans  l'og- 
doade où  a  été  relégué  Vh-o">[j.a,  soit  dans  l'hebdo- 
made où  se  trouve  le  démiurge,  la  rédemption  s'opère 
par  le  fruit  commun  du  plérome  l'éon  Jésus,  qui  épouse 
Iy.-pro;xa,  la  sagesse  extérieure,  et  lui  communique  la 
gnose  supérieure.  Et  eV.Tptoua,  à  son  tour,  communique 
cette  science  supérieure  au  démiurge  ignorant  de  l'heb- 
domade. Reste  notre  monde.  Le  Sauveur  est  ici  un 
autre  Jésus,  bien  différent  de  celui  qui  rachète  le  monde 
intermédaire.  Le  Jésus  qui  rachète  notre  monde  ne  doit 
rien  au  plérome;  il  est  uniquement  redevable  de  sa  for- 
mation d'abord  à  ey.Tp<ojji«,  l'épouse  du  premier  Jésus, 
qui  lui  communique  quelque  chose  de  l'ogdoade,  et  en- 
suite au  démiurge,  qui  lui  communique  quelque  chose 
de  l'hebdomade,  et  enfin  à  la  Vierge  Marie,  qui  lui  com- 
munique quelque  chose  de  la  création  terrestre.  Ce 
Jésus,  sauveur  de  notre  monde,  qu'est-il  en  réalité  ? 
Sur  la  nature  de  son  corps,  on  ne  s'entendait  pas  parmi 
les  disciples  de  Valentin.  Pour  ceux  de  l'école  italique, 
c'était  un  corps  psychique,  c'est-à-dire  ne  renfermant 
qu'une  âme  psychique;  pour  ceux  de  l'école  orientale, 
c'était  un  corps  pneumatique,  c'est-à-dire  animé  par 
une  âme  pneumatique.  Philosoph.,  VI,  35,  p.  296. 
Quelle  était  la  véritable  pensée  de  Valentin  ?  On 
l'ignore.  Quels  hommes  ce  Jésus  est-il  venu  sauver  ? 
Apparemment  les  seuls  psychiques,  puisque  d'une 
part  les  hyliques  sont  fatalement  perdus  par  leur  nature 
et  que,  d'autre  part,  les  pneumatiques  sont  certaine- 
ment sauvés  par  leur  qualité  de  gnostiques.  Et  com- 
ment les  a-t-il  sauvés  ?  Par  la  réalité  des  souffrances, 
par  une  expiation  sanglante  ?  Ce  n'est  pas  à  croire, 
el  bien  que  rien  ne  fasse  ici  allusion  au  docétisme,  le 
docétisme  était  trop  dans  l'esprit  du  gnosticisme  pour 
que  le  système  valentinien  ait  fait  exception.  Selon 
toute  vraisemblance,  et  conformément  au  principe 
de  similitude  qu'on  trouve  dans  chaque  système,  le 
Jésus  terrestre  a  sauvé  les  hommes  comme  le  Jésus 
du  inonde  intermédiaire  et  comme  le  couple,  Christ- 
Saint-Esprit,  du  monde  supérieur,  par  la  simple  com- 
munication de  la  gnose,  par  l'illumination  de  la  science. 
c.  Eschatologie.  —  Il  ne  saurait  être  question  du 
corps,  mais  seulement  de  l'âme.  «  Si  l'homme  psychique, 
dit  l'auteur  des  Philosophoumcna,  VI,  32,  p.  290,  se 
rend  semblable  à  ceux  qui  sont  dans  l'ogdoade,  il 
devient  immortel,  il  monte  dans  l'ogdoade,  qui  est  la 
céleste  Jérusalem.  Si,  au  contraire,  il  se  rend  semblable 
à  la  matière,  il  se  corrompt  et  périt.  »  Et  voici,  d'après 
un  extrait  de  Théodote,  Excerpta  Thcodoli,  63,  P.  G., 
t.  ix,  col.  689,  la  nature  de  ce  bonheur  dans  l'ogdoade  : 
«  Les  pneumatiques  se  reposeront  dans  le  monde  du 
Seigneur,  c'est-à-dire  dans  l'ogdoade  qui  est  appelée 
Seigneur.  Les  autres  âmes  (celles  des  psychiques  sauvés) 
demeureront  dans  l'hebdomade  avec  le  démiurge 
jusqu'à  la  fin  des  temps;  alors  elles  monteront  aussi 
dans  l'ogdoade,  et  là  se  fera  un  festin  splendide,  le 
festin  des  noces  de  tous  ceux  qui  auront  été  sauvés 
jusqu'à  ce  que  toutes  choses  soient  devenues  égales 
pour  tous,  et  que  tous  les  élus  se  connaissent  les  uns 
les  autres.  »  Les  psychiques  sauvés  ne  seront  donc 
admis  au  bonheur  de  l'ogdoade  qu'après  un  long  séjour 
dans  l'hebdomade,  séjour  qui  est  épargné  aux  pneu- 
matiques. «  Alors  les  pneumatiques,  ayant  dépouillé 
l'âme  psychique,  recevront  les  anges  pour  époux, 
comme  leur  mère  elle-même  a  reçu  un  époux,  ils  entre- 
ront dans  la  chambre  nuptiale  qui  se  trouve  dans 
l'ogdoade  en  présence  de  l'Esprit  (c'est-à-dire  de 
Sophia  et  de  Jésus);  ils  deviendront  les  éons  intelli- 
gents, ils  participeront  à  des  noces  spirituelles  et 
éternelles.  »  Excerpta  Theodoti,  64,  P.  G.,  t.  ix,  col.  689. 


1451 


GNOSTICISME 


1452 


Nous  sommes  loin  de  l'eschatologie  de  Basilide;  et  si 
le  langage  rappelle  un  peu  celui  de  l'Évangile,  nous 
sommes  encore  loin  de  la  félicité  chrétienne,  de  la 
vision  intuitive  et  de  la  jouissance  de  Dieu.  Ces  noces 
où  les  âmes  pneumatiques  seront  les  épouses  des  anges 
et  formeront  avec  eux  des  syzygies,  reproduiront  sans 
doute  l'image  du  plérome  et  de  ses  couples  d'émana- 
tii  ns.  et  c'est  en  cette  imitation,  mais  en  dehors  du 
plérome,  que  consistera  la  ressemblance  avec  la  divinité. 

/.  Murale.  —  Que  devient  la  liberté  humaine  dans  ce 
système  ?  Il  n'y  a  guère  de  place  pour  elle,  du  moment 
qu'on  est  fatalement  sauvé  ou  condamné  d'après  la 
nature  que  l'on  a.  Elle  ne  s'expliquerait  que  pour  les 
psychiques  qui  peuvent  se  sauver  ou  se  perdre.  Les 
Extraits  de  Théodote  nous  apprennent  que  l'école 
valentinienne  orientale  enseignait  le  fatalisme  astro- 
logique. Excerpla  Theodoti,  69-72,  P.  G.,  t.  ix,  col.  692. 
Et  si  tout,  dans  la  vie  de  l'homme,  est  réglé  par  le 
mouvement  des  astres,  leur  lever  et  leur  coucher,  leur 
entrée  et  leur  sortie  de  l'un  des  signes  du  zodiaque,  leur 
conjonction,  la  liberté  n'est  qu'un  vain  mot.  Cependant 
d'après  un  autre  extrait,  78,  col.  093,  l'influence  des 
astres  ne  se  faisait  sentir  que  jusqu'au  baptême.  Le 
baptême,  étant  la  purification,  l'illumination  de  l'âme 
par  la  gnose,  n'enseignait  pas  seulement  à  l'homme 
ce  qu'il  avait  été,  ce  qu'il  était  devenu,  où  il  se  trouvait, 
d'où  il  venait,  où  il  allait,  comment  il  avait  été  racheté 
et  ce  que  sont  la  génération  et  la  régénération,  mais 
encore  il  donnait  à  l'homme  la  liberté,  non  toutefois 
d'une  manière  certaine  et  infaillible;  car  il  pouvait  se 
faire  qu'au  moment  de  descendre  dans  la  piscine 
baptismale,  des  esprits  impurs  descendaient  avec  le 
catéchumène  et  en  remontaient  avec  lui,  mais  en 
détenant  devers  eux  le  sceau  de  la  gnose  et  en  laissant 
les  catéchumènes  inguérissables  pour  toujours,  lbid., 
col.  696.  C'était  donc  une  liberté  illusoire,  et  cela  se 
comprend  du  moment  que  la  gnose  était  une  œuvre 
d'élection.  D'après  Clément  d'Alexandrie,  Slrom.,  III, 
1,  P.  G.,  t.  vin,  col.  1097,  les  disciples  de  Valentin 
qui  ont  enseigné  l'émanation  par  syzygie  tenaient  le 
mariage  pour  honorable.  Il  n'en  est  pas  moins  vrai 
qu'ils  ont  donné  lieu,  eux  aussi,  à  des  accusations 
d'immoralité.  L'inutilité  des  œuvres  pour  le  salut 
faisant  partie  de  leur  doctrine  ouvrait  la  porte  à  tous 
1rs  débordements. 

b)  École  italique  de  Valenlin.  —  Parmi  les  partisans 
de  l'école  orientale,  l'auteur  des  Philosophoumena, 
VI,  35,  p.  296,  ne  signale  qu'un  certain  Axionicus, 
d'ailleurs  inconnu,  et  Bardesane,  qui  échappa  à  la 
gnose  et  revint  à  une  orthodoxie  presque  complète. 
Voir  Bardesane,  t.  n,  col.  391-398.  Parmi  ceux  de 
l'école  italique,  il  range  Ptolémée  et  Héracléon,  Se- 
cundus  et  Épiphane,  Marc  et  Colorbasus.  Philosoph., 
VI,  35,  38,  39,  40,  56,  p.  296,  302,  303,  304,  332.  Voir 
Bassus,  t.  n  col.  476.  C'est  contre  ceux-ci,  particulière- 
ment contre  Ptolémée,  celui  qu'il  appelle  la  «  fine  fleur  » 
de  l'école  valentinienne,  que  saint  Irénée,  très  au  cou- 
rant du  mouvement  gnostique  qui  s'était  produit  peu 
avant  lui  dans  les  vallées  du  Tibre  et  du  Rhône,  a  écrit 
sa  réfutation.  Et  voici,  d'après  lui,  le  résumé  du  gnos- 
ticisme  valentinien  de  l'école  italique;  on  y  remarquera 
facilement  les  différences  légères  qui  le  distinguent  du 
gnosticisme  de  l'école  orientale. 

a.  Théogonie.  ■ —  L'école  italique  place  au  sommet  et 
au  commencement  de  tout  une  syzygie,  composée  du 
principe  mâle  nommé  tour  à  tour  le  Premier  Principe, 
^poapyrj,  le  Premier  Père,  -oo^ât'op,  ou  l'Abîme,  [JjOoç, 
et  du  principe  femelle  désigné  sous  le  nom  de  Pensée, 
k'vvota,  de  Grâce,  yâpiç,  ou  de  Silence,  «rcp).  Ce  premier 
donne  naissance  à  la  syzygie  Esprit  et  Vérité,  voO;  ou 
[!',,',■■:•//[:  et  y.///ua,  de  laquelle  émanent  le  Verbe  et  la 
Nie,  AcJyoç  et  'l">r[,  et  de  ces  derniers  l'Homme  et  l'Église, 
stvOpwjto?  et  laxA-rçaia.  Tel  est  le  premier  groupe  d'éons 


du  plérome.  Mais  ici  ce  n'est  pas  la  syzygie  voue  et 
àÀr^Js'.x  qui  forme  la  décade,  c'est  Xo'yo;  et  X^;  et 
c'est  la  syzygie  «vGowtïoç  et  Èy.xArjaîa,  qui  forme  la 
dodécade.  Mais  le  dernier  de  tous  ces  éons,  c'est  encore 
la  Sagesse,  aopta,  dont  le  rôle  n'est  pas  tout  à  fait  le 
même  que  dans  l'école  orientale.  S.  Irénée,  Cont.  hœr., 
i,  1,  1-2,  P.  G.,  t.  vu.  col.  445-449. 

La  Sagesse,  éon  femelle,  transportée  de  plaisir,  veut 
s'élancer  sans  le  secours  de  personne  à  la  recherche  de 
la  sublime  connaissance.  Mais,  d'après  les  uns,  elle  est 
détournée  de  son  dessein  par  Féon-limite,  ô'po;,  qui  lui 
apprend  que  le  Père  est  incompréhensible  et  ineffable; 
et  dès  lors  elle  revient  à  elle  et  abandonne  son  témé- 
raire projet.  D'après  les  autres,  au  contraire,  elle  pro- 
duit, en  punition  de  sa  faute,  un  fruit  informe,  qui  ne 
s'appelle  pas  ïxTpwpa,  comme  dans  l'école  orientale, 
mais  la  Passion  de  la  sagesse  ou  la  Sagesse  Achamoth, 
ÈvOjar^'.ç  -fi',  aoepia;  ou  aoçia  àxa>j.(oO.  A  la  vue  d'un  tel 
avorton,  la  Sagesse  est  prise  de  tristesse,  de  honte  et  de 
crainte  de  le  voir  détruit;  de  là  sa  prière  et  la  prière  de 
tous  les  éons  du  plérome  à  Dieu  le  Père,  qui  produit 
alors  l'éon  à  la  fois  mâle  et  femelle,  la  Limite,  6'poc, 
chargé  de  purifier  so^ia  et  de  la  rendre  à  l'époux 
qu'elle  a  quitté.  Un  nouveau  couple  paraît  alors,  le 
Christ  et  le  Saint-Esprit,  qui  enseigne  aux  autres  éons 
à  respecter  les  limites  de  leur  nature  et  à  ne  pas  cher- 
cher à  comprendre  l'incompréhensible.  Pénétrés  de 
cette  doctrine,  tous  les  éons  n'ont  plus  qu'un  désir, 
celui  de  rendre  grâce  au  Père;  et  chacun  d'eux,  faisant 
émaner  de  lui-même  ce  qui  est  le  meilleur  de  sa  nature, 
collabore  à  la  production  d'un  nouvel  éon,  Jésus, 
l'Astre,  le  Sauveur,  le  Fruit,  le  Verbe,  le  Tout.  S.  Irénée, 
Cont.  hœr.,  i,  2,  P.  G.,  t.  vu,  col.  452-465. 

b.  Cosmologie.  — Comme  IstTpw|j.a,  Ivôûjujaiç  ou  àya- 
p.wO  reste  à  l'extérieur  du  plérome,  dans  l'obscurité  et  le 
vide.  L'éon  Christ  en  a  pitié  et  par  l'intermédiaire  de 
l'éon  Limite,  dpoç,  lui  donne  une  forme.  'AyaiitôO,  bien 
que  restaurée,  se  trouve  saisie  des  mêmes  angoisses  que 
sa  mère,  aoyia  :  de  chagrin,  parce  qu'elle  n'a  pas  com- 
pris; de  crainte,  parce  qu'elle  a  peur  de  ne  plus 
retrouver  la  lumière  ou  de  perdre  la  vie;  et  d'ignorance, 
parce  qu'elle  ne  connaît  pas  les  mystères  du  monde 
supérieur.  Mais  c'est  de  ces  souffrances  que  dérive 
l'essence  prochaine  de  la  matière,  l'âme  du  monde,  le 
démiurge.  Le  Christ  envoie  à  sa  place  un  autre  éon, 
le  Consolateur,  le  Paraclet,  le  Sauveur  Jésus,  revêtu 
par  le  Père  de  la  toute-puissance  nécessaire  pour  créer 
les  choses  visibles  et  invisibles.  Jésus  est  accompagné 
d'anges.  A  son  approche,  ày  a;xtôO  se  voile  la  face,  puis 
jette  un  regard  furtif  et  accourt  vers  le  Sauveur  qui 
complète  définitivement  sa  forme  et  la  délivre  de  ses 
passions  et  de  ses  souffrances.  Rendue  joyeuse,  ày  auiôO 
n'a  qu'à  contempler  les  anges,  qui  accompagnent 
Jésus,  pour  concevoir  et  enfanter  des  fruits  spirituels, 
qui  deviennent  les  créatures  spirituelles.  On  a  dès  lors 
les  trois  natures,  matérielle,  animale  et  spirituelle;  il 
n'y  a  plus  qu'à  leur  donner  une  forme.  Et  c'est  à  quoi 
s'applique  àyaurôQ.  Laissant  de  côté  la  nature  spiri- 
tuelle, dont  l'information  échappe  à  son  action  trop 
peu  puissante,  elle  forme  de  la  substance  animale  le 
démiurge,  père  et  mère  de  tous  les  êtres  créés.  Or  ce 
démiurge  ignore  tout  ce  qui  est  au-dessus  de  lui;  il  agit 
sans  trop  savoir  ce  qu'il  fait;  il  crée  les  sept  cieux  sur 
lesquels  il  domine,  les  sept  mondes  ou  l'hebdomade. 
Puis  se  servant  de  la  matière  qui  est  sortie  des  passions 
d'àya;j.tôO,  il  crée  tout  ce  qui  se  trouve  dans  l'univers. 
Et  il  se  croit  seul  auteur  et  seul  maître.  S.  Irénée, 
Cont.  hœr.,  i,  4-5,  P.  G.,  t.  vu,  col.  477-504. 

c.  Anthropologie.  —  L'homme  se  trouve  composé 
d'une  âme  et  d'un  corps.  Le  corps  sort  de  la  matière; 
la  chair  n'est  que  de  la  matière  organisée;  l'âme  psy- 
chique vient  du  démiurge;  mais  certains  hommes  ont 
une  âme  pneumatique  ;  ils  l'ont  reçue  d'àyajxoSÔ  à  l'insu 


1453 


GNOSTIGISME 


1454 


du  démiurge.  Et  selon  la  prédominance  de  l'un  des 
éléments,  les  hommes  sont  divisés  en  trois  catégories  : 
celle  des  hyliques,  fatalement  condamnés  à  périr 
comme  la  matière;  celle  des  psychiques,  qui,  ne  possé- 
dant qu'une  foi  simple  et  nue,  et  non  la  gnose,  peuvent 
pourtant  se  sauver  par  la  gnose;  et  celle  des  pneuma- 
tiques, assurés  du  salut  par  leur  nature  même.  Pour  ces 
derniers,  les  œuvres  ne  sont  pas  nécessaires,  car  l'or 
tombé  dans  la  boue  n'en  conserve  pas  moins  son  éclat 
et  sa  valeur.  S.  Irénée,  Cont.  hser.,  i,  5-6,  P.  G.,  t.  vu, 
col.  500-512. 

rf.  Solériologie.  —  Le  Sauveur  est,  selon  les  uns,  le 
fils  du  Christ  et  de  Marie;  selon  d'autres,  le  composé 
d'une  quadruple  essence.  Il  est  la  forme  visible  du 
quaternaire  primitif,  c'est-à-dire  de  pûOoç  et  de  aiyrj, 
de  vou;  et  d'àXrJOaa;  il  tient  d'àya[uiO  l'essence  pneu- 
matique; du  démiurge  l'essence  psychique;  et  de  l'éco- 
nomie divine,  l'art  avec  lequel  tout  a  été  préparé.  Au 
moment  du  baptême  il  est  descendu  en  Jésus  sous 
forme  de  colombe;  il  n'a  nullement  souffert,  mais  a 
laissé  souffrir  Jésus.  S.  Irénée,  Cont.  hser.,  i,  7,  P.  G., 
t.  vu,  col.  512-520. 

e.  Eschatologie.  —  La  rédemption  opérée,  ce  monde 
doit  subsister  jusqu'à  la  fin  de  toute  chose  matérielle, 
c'est-à-dire  jusqu'au  moment  où  toute  essence  spiri- 
tuelle sera  parfaite.  Alors  àyapS8  entrera  dans  le  plé- 
rome  et  y  sera  l'épouse  de  l'éon  Jésus,  ce  fruit  du 
plérome  entier;  elle  formera  avec  lui  une  syzygie  et 
célébrera  ses  noces  mystiques.  Les  pneumatiques  la 
suivront  et  deviendront  les  épouses  des  anges.  Le 
démiurge  quittera  l'hebdomade  et  montera  dans  l'og- 
doade,  suivi  des  psychiques  qui  auront  atteint  leur 
fin.  Et  alors  le  feu  du  centre  de  la  terre  fera  éruption; 
toute  matière,  et  donc  les  hyliques,  sera  consumée  et 
anéantie.  S.  Irénée,  Cont.  hœr.,  i,  7,  1-2,  P.  G.,  t.  vu, 
col.  512-516. 

5°  La  gnose  marcionite.  —  1.  Cerdon.  —  Certains 
germes  dont  nous  avons  déjà  signalé  l'existence,  tels 
que  ceux  d'une  opposition  systématique  au  Jéhovah 
de  la  Bible,  au  Dieu  des  juifs,  se  trouvent  complète- 
ment développés  dans  la  première  moitié  du  IIe  siècle. 
La  responsabilité  d'un  tel  développement  remonte  au 
Syrien  Cerdon,  accouru  à  Rome  sous  le  pontificat 
d'Hygin,  où  il  put  rencontrer  Valentin  et  ses  disciples. 
Voir  Cerdon,  t.  n,  col.  2138-2139.  Cerdon  ne  paraît 
guère  s'être  complu,  à  l'exemple  de  la  plupart  des  gnos- 
tiques,  ses  prédécesseurs  ou  ses  contemporains,  dans 
les  spéculations  de  haute  métaphysique  ou  dans  les 
rêves  d'une  imagination  sans  frein;  mais  il  a  retenu 
du  gnosticisme  l'antagonisme  entre  la  matière  et 
l'esprit  et  le  caractère  nettement  docète  de  l'incarna- 
tion et  de  la  rédemption;  et  il  a  puissamment  insisté 
sur  l'opposition  de  deux  Dieux,  le  Dieu  bon,  dont  il  fait 
le  père  de  Jésus-Christ,  et  le  Dieu  de  la  Bible,  le  Dieu 
de  la  loi  et  des  prophètes,  qu'il  qualifie  simplement 
de  juste.  A  ses  yeux,  le  Dieu  bon  doit  contrecarrer  le 
Dieu  juste,  et  c'est  pour  cela  qu'il  envoie  le  Sauveur. 
De  telle  sorte  que  le  salut  consiste,  pour  les  hommes, 
dans  la  répudiation  du  Dieu  des  juifs  et  de  sa  loi  :  c'est 
l'antinomisme  posé  en  principe  de  salut.  Sans  doute 
Cerdon  répudie  le  mariage  comme  une  source  de  cor- 
ruption et  semble  condamner  théoriquement  les  œuvres 
de  la  chair;  mais  pratiquement  son  système,  comme 
tant  d'autres,  aboutit,  en  haine  du  Dieu  créateur,  au 
cynisme  le  plus  effronté,  xuvtxtoTÉpw  j3£io,  comme  dit 
l'auteur  des  Philosophoumena,  X,  19,  p.  502.  Son  sou- 
venir pâlit  auprès  de  Marcion,  dont  il  fut  le  maître, 
ô  otoctaxaÀoç,  Philosoph.,  X.  19,  p.  501,  et,  comme  ajoute 
Tertullien,  V informalor  scandait.  Adv.  Marcion.,  i,  2, 
P.  L.,  t.  ii,  col.  249. 

2.  Marcion.  —  Le  «  Loup  du  Pont,  »  comme  l'appelle 
Tertullien  pour  marquer  à  la  fois  le  lieu  de  son  origine 
et  la  nature  de  son  rôle  dans  le  bercail  de  l'Église,  a  été 


l'un  des  plus  célèbres,  sinon  le  plus  grand,  parmi  les 
chefs  de  la  gnose.  Il  connaissait  les  philosophes. 
L'auteur  des  Philosophoumena,VU,29,  30,  p.  370,  380, 
le  rattache  à  Empédocle;  plus  explicite  encore,  Ter- 
tullien indique  les  principales  sources  philosophiques 
où  il  a  puisé  les  divers  éléments  de  sa  doctrine  :  Mar- 
cionis  Dais  a  stoicis  venerat.  El  ut  anima  interire  dicatur 
ab  epicurcis  observatur.  Et  ut  carnis  rumilulio  negetur, 
de  una  omnium  philosophorum  schola  sumilur.  El  ubi 
maleria  cum  Deo  œquatur,  Zcnonis  disciplina  est.  El 
ubi  aliquid  de  igneo  deo  allegalur,  Hcraclitus  intervenit. 
Prœscript.,  7,  P.  L.,  t.  n,  col.  19.  Marcion  connaissait 
aussi  les  gnostiques,  Valenlin  entre  autres,  et  Cerdon 
en  particulier,  puisqu'il  systématisa  sa  doctrine.  Mais 
il  avait  d'abord  été  chrétien  ;  de  Sinope,  où  il  était  né, 
il  vint  à  Rome  vers  la  fin  du  règne  d'Hadrien.  Il  fit  un 
don  considérable  à  la  caisse  ecclésiastique.  Tertullien, 
Adv.  Marcion.,  iv,  4,  P.  L.,  t.  n,  col.  365.  Il  chercha  à 
justifier  les  idées  de  son  maître  en  se  servant  des 
comparaisons  évangéliques  sur  le  vieux  vêtement  et 
les  pièces  neuves,  les  vieilles  outres  et  le  vin  nouveau. 
Son  hétérodoxie  le  fit  chasser  de  l'Église;  et  le  vrai 
Dieu  qu'il  avait  adoré  tout  d'abord,  il  le  perdit  en 
perdant  la  foi.  Tertullien,  Adv.  Marcion.,  i,  1,  P.  L., 
t.  ii,  col.  247.  Il  fut  dès  lors  tenu  en  suspect,  combattu 
et  réfuté  par  les  écrivains  ecclésiastiques.  Quand  saint 
Polycarpe,  le  vieil  évêque  de  Smyrne,  vint  à  Rome,  il 
osa  se  présenter  devant  lui,  en  lui  demandant  :  Me 
reconnaissez-vous  ?  L' évêque  lui  répondit  :  Je  connais 
le  premier-né  de  Satan.  S.  Irénée,  Cont.  hœr.,  ni,  3,  4, 
P.  G.,  t.  vu,  col.  853.  Tertullien  raconte,  Prœscript., 
30,  P.  L.,  t.  n,  col.  42,  que,  sur  la  fin  de  sa  vie,  il  chercha 
à  rentrer  en  grâce  avec  l'Église,  qu'on  lui  aurait  imposé 
pour  condition  de  ramener  à  la  foi  ceux  qu'il  avait 
égarés,  mais  qu'il  fut  prévenu  par  la  mort.  Le  mal  qu'il 
avait  fait  était  considérable;  car  outre  le  grand  nombre 
de  disciples  qu'il  eut,  parmi  lesquels  sont  nommés 
Apelles,  voir  Apelles,  t.  i,  col.  1455-1457,  Lucien, 
Potitus  et  Basiliscus,  il  fonda  des  communautés  orga- 
nisées comme  celles  de  l'Église,  avec  des  évêques,  des 
prêtres  et  des  diacres;  et  cette  organisation  fut  assez 
forte  pour  se  maintenir  très  longtemps,  malgré  les 
persécutions  pendant  lesquelles  les  marcionites  ne 
reculèrent  pas  devant  le  témoignage  du  sang,  et  pour 
ne  pas  se  confondre,  malgré  des  affinités  particulières, 
avec  le  manichéisme.  Dans  la  première  moitié  du 
ve  siècle,  Théodoret  trouvait  encore  dans  son  seul 
diocèse  de  Cyr  dix  mille  marcionites. 

Dans  sa  conception  de  deux  divinités,  l'une  bonne, 
l'autre  juste,  Cerdon  dépendait  de  la  théogonie  gnos- 
tique  qui  distinguait  le  Premier  Principe  du  Démiurge. 
Marcion  en  dépend  tout  autant.  Mais,  à  ses  yeux,  le 
Dieu  juste,  c'est-à-dire  le  Dieu  de  la  Bible,  le  créateur 
et  le  législateur,  l'inspirateur  des  prophètes,  devient  le 
Dieu  mauvais,  l'auteur  du  mal,  l'ami  des  guerres, 
absolument  inconsistanl  et  en  contradiction  avec  lui- 
même.  S.  Irénée,  Cont.  hœr.,  i,  27,  2,  P.  G.,  t.  vu, 
col.  688;  Philosoph.,  VII,  29,  p.  370;  Tertullien,  Adv. 
Marcion.,  i,  2;  iv,  1,  P.  L.,  t.  n,  col.  248,  361.  Le  Dieu 
bon  est  le  Dieu  de  l'Évangile,  en  opposition  radicale 
avec  le  Démiurge,  dont  il  a  pris  soin  de  combattre 
l'œuvre  néfaste.  Tertullien,  Adv.  Marcion.,  i,  6;  iv,  1, 
P.\L.,  t.  n,  col.  252,  363.  De  là  l'opposition  si  accentuée 
entre  le  Nouveau  Testament  et  l'Ancien.  De  là  aussi 
la  caractéristique  du  rôle  confié  au  Sauveur. 

Ce  Sauveur  Jésus  ne  pouvait  donc  avoir  rien  reçu 
du  créateur.  En  conséquence,  Marcion  nia  la  réalité 
de  son  incarnation,  de  sa  naissance  et  de  sa  chair 
humaine.  Tertullien,  De  carne  Christi,  1,  3,  P.  L.,  t.  H, 
col.  751,  757.  Jésus  est  l'envoyé  du  Dieu  bon,  de  celui 
qui  est  supérieur  au  Démiurge;  il  est  venu  en  Judée 
sous  Ponce  Pilate;  il  s'est  manifesté  sous  forme 
d'homme  et  a  combattu  énergiquement  la  loi,  les  pro- 


L455 


GNOSTICISME 


145G 


phètes  et  loutes  les  œuvres  du  Dieu  de  la  Bible.  S.  Irénée, 
Conl.  hii-r.,  i,  27,  2,  P.  G.,  t.  vu,  col.  088.  Et  c'est  à 
son  exemple  que  les  disciples  de  Marcion  doivent  lutter 
de  même  :  docétisme  et  antinomisme.  Après  sa  mort 
apparente,  ce  Sauveur  Jésus  est  descendu  aux  enfers 
pour  y  appeler  les  justes.  Mais  à  sa  voix,  qu'ils  prennent 
pour  celle  de  Jéhovah  qui  les  a  si  souvent  trompés, 
Abel,  Enoch,  Noé,  Abraham,  les  patriarches,  les  pro- 
phètes et  tous  les  saints  de  l'Ancien  Testament  restent 
sourds.  Par  contre,  Caïn  et  tous  les  maudits,  les 
sodomites,  les  Égyptiens  et  tous  les  gentils  qui  avaient 
marché  dans  la  voie  du  mal  se  présentent;  le  Sauveur 
les  délivre  et  les  emmène  avec  lui  dans  son  royaume. 
S.  Irénée,  Cont.  hœr.,  i,  27,  3,  P.  G.,  t.  vu,  col.  689. 

Dans  un  pareil  système,  il  ne  pouvait  pas  être 
question  de  la  résurrection  de  la  chair;  car  la  chair, 
œuvre  détestable  du  Démiurge,  du  Dieu  de  la  Bible, 
doit  être  exterminée  autant  que  possible.  S.  Irénée, 
Cont.  hœr.,  i,  27,  3,  P.  G.,  t.  vu,  col.  689.  Le  mariage 
est  donc  condamné,  car  il  servirait  à  perpétuer  les 
œuvres  de  la  chair.  Terlullien,  Prsescript,  33;  Adv. 
Marcion.,  n,  29  ;  iv,  7,  P.  L.,  t.  n,  col.  46,  281  sq.,  486. 
Aussi  Marcion  ne  conférait-il  le  baptême  qu'à  des 
célibataires  ou  à  des  eunuques.  Adv.  Marcion.,  n,  29; 
iv,  U,  P.  L.,  t.  ii,  col.  280,  382.  Il  donna  lui-même 
l'exemple  d'un  ascétisme  rigoureux  et  conquit  ainsi 
une  haute  réputation  d'austérité.  Théoriquement  sa 
morale  était  sévère.  Et  tandis  que,  autour  de  lui, 
carpocratiens,  valentinicns,  morcosiens  et  autres  se 
livraient  aux  plus  honteux  débordements,  ses  disciples 
affichèrent  des  prétentions  à  la  sainteté  par  l'ascé- 
tisme et  ne  reculèrent  pas  devant  le  martyre.  Mais, 
pratiquement,  le  principe  de  l'opposition  à  la  loi  et 
aux  œuvres  du  Dieu  de  la  Bible  devait  entraîner  à 
des  désordres  et  aboutir,  comme  l'a  indiqué  l'auteur 
des  Philosophoumena,  à  la  vie  la  plus  cynique. 

Pour  échafauder  un  tel  système,  s'il  est  vrai,  comme 
l'a  remarqué  Mgr  Duchesne,  Les  origines  chrétiennes, 
Paris,  1886,  p.  165,  que  Marcion  a  écarté  les  rêveries 
plus  ou  moins  philosophiques,  fauche  sans  pitié  à 
travers  les  romans  théogoniques  et  renoncé  au  fatras 
linguistique,  au  bric-à-brac  des  Basilide  et  des  Valentin, 
il  est  également  vrai  que,  dans  l'usage  de  l'Écriture,  il 
a  procédé  d'une  manière  toute  contraire  à  celle  des 
gnostiques  alexandrins.  Au  lieu  d'allégoriser,  il  a 
supprimé  d'abord  tout  l'Ancien  Testament,  et  il  n'a 
conservé  du  Nouveau  que  dix  Épîtres  de  saint  Paul,  à 
l'exclusion  des  Pastorales,  et  le  seul  Évangile  selon 
saint  Luc.  Et  encore  dans  ce  reste  a-t-il  eu  soin  de 
retrancher  tout  ce  qui  allait  contre  sa  propre  doctrine, 
comme  les  éloges  de  l'Ancien  Testament,  la  généalogie 
du  Sauveur,  les  textes  favorables  à  l'incarnation  et  à 
la  rédemption.  C'est  ce  que  saint  Irénée  appelait 
circumtidere  Scripluras,  Evangelium,  decurtare  epislo- 
las.  Cont.  heer.,  m,  11,  7,  9,  12,  P.  G.,  t.  vu,  col.  884, 
890,  906.  Mais,  en  dépit  de  ces  habiles  mutilations, 
Terlullien  a  pris  soin  de  prouver  que  ce  qu'il  lui  avait 
plu  de  retenir  suffisait  pour  le  condamner,  et  de 
conclure  :  Cliristus  Jésus  in  Evangelio  tuo  meus  est. 
Adv.  Marcion.,  iv,  43,  P.  L.,  t.  il,  col.  468. 

La  doctrine  de  Marcion  fut  loin  de  rester  intacte 
parmi  ses  partisans.  «  Il  y  eut  des  hérésies  à  côté  de  la 
doctrine  du  maître.  C'est  naturellement  la  théologie 
qui  en  fut  le  prétexte.  Tandis  que  Potilus  etBasiliseus 
demeuraient  fidèles  au  dualisme  primitif,  Synéros  et 
Prépon  dédoublaient  le  Démiurge  et  obtenaient  ainsi 
trois  dieux,  le  bon,  le  juste,  le  mauvais.  On  donna 
aussi  un  rôle  à  la  matière,  SXi\,  au  feu,  nupivôç  ©so';, 
«  e  i  a-dire  au  Dieu  qui  parla  dans  le  buisson  ardent. 
Satan  lui-même  fut  un  thème  à  dogmatisme.  Le  plé- 
rome  se  reconstituait.  Vers  la  fin  du  ne  siècle,  Apelles 
dirigea  un  mouvement  de  sens  inverse  qui  ramena  une 
fraction  du  marcionisme  à  la  monarchie,  c'est-à-dire 


au  monothéisme.  »  Duchesne,  Les  origines  chrétiennes, 
p.   166. 

6°  Les  diverses  sectes  gnostiques.  —  Il  est  difficile 
d'imaginer  le  nombre  des  sectes  qui  se  multiplièrent 
sous  le  couvert  du  gnosticisme.  Chaque  chef  forma  la 
sienne  ou  du  moins  donna  son  nom  à  ses  partisans. 
Mais  à  côté  ou  au  sein  même  des  foyers  les  plus  puis- 
sants, des  écoles  les  plus  célèbres,  que  de  confréries, 
que  de  groupes,  que  de  divisions  1  C'était  un  grouille- 
ment dans  l'anarchie.  Il  suffisait  que  le  premier  venu 
émît  quelque  prétention  nouvelle,  la  moindre  diffé- 
rence ou  la  plus  légère  nuance  doctrinale  ou  pratique, 
pour  voir  surgir  de  nouveaux  groupements.  A  défaut 
de  noms  propres,  empruntés  aux  nouveaux  docteurs, 
on  prenait  le  nom  d'un  patriarche  ou  d'un  personnage 
de  l'Ancien  Testament,  au  besoin  celui  d'un  acte  ou 
d'une  attitude.  Les  Pères  en  signalent  un  grand 
nombre.  On  trouve,  dans  saint  Irénée  et  le  pseudo- 
Tertullien,  les  ophites,  les  caïnites,  les  séthites,  Cont. 
hœr.,  i,  30-34,  P.  G.,  t.  vu,  col.  694  sq.;  Prsescript.,  47, 
P.  L.,  t.  ii,  col.  63-66;  dans  les  Philosophoumena,  V, 
p.  138-224  :  les  naasséniens  ou  ophites,  les  pérates,  les 
séthiens  ou  séthites  ;  dans  Clément  d'Alexandrie,  Slrom., 
111,4;  VII,  17,  P.  G.,  t.  vin, col.  1137;  t.  ix,  col.  552  : 
les  antitactes  et  les  pérates  ;  dans  Origène,  Cont.  Celsum, 
vi,  28,  30,  P.  G.,  t.  xi,  col.  1137-1138  :  les  pérates  et 
les  naasséniens.  Mais  c'est  surtout  saint  Épiphane  qui, 
à  côté  des  caïnites,  Hœr.,  xxxvm,  et  des  adamites, 
Hœr.,  lu,  signale  toute  une  série  de  gnostiques  sous 
des  noms  bizarres  :  les  borboriens,  les  coddéens,  les 
stratiotes,  les  phibionites,  les  zachéens.les  barbélites, 
Hœr.,  xxvi,  3,  P.  G.,  t.  xli,  col.  336-337,  653,  959, 
qui  pourraient  bien  n'être,  comme  l'a  suggéré  Améli- 
neau,  Le  gnosticisme  égyptien,  Paris,  1887,  p.  240-243, 
que  des  termes  servant  à  marquer  les  divers  degrés  de 
l'initiation  gnostique.  Le  gnosticisme  a  déterminé  ou 
plutôt  précipité  le  détraquement  des  esprits  et  la  cor- 
ruption des  cœurs,  particulièrement  dans  les  milieux 
de  culture  médiocre,  où  la  curiosité  et  l'avidité  de 
savoir  se  laissent  prendre  au  seul  nom  de  la  science,  de 
la  gnose,  et  dans  les  bas-fonds  de  la  société,  où  les 
instincts  et  les  passions  ne  demandent  qu'une  appa- 
rence de  prétexte  pour  se  déchaîner.  Libre  pensée  et 
libre  action  devinrent,  grâce  à  lui,  pendant  plus  d'un 
siècle,  un  grave  danger  pour  l'Église;  mais  l'Église,  par 
la  plume  de  ses  écrivains,  qui  démasquèrent  et  com- 
battirent le  gnosticisme.  par  la  décision  de  ses  chefs  qui 
sauvegardèrent  l'intégrité  et  la  pureté  de  la  foi,  en 
condamnant  les  erreurs  et  en  excommuniant  les  héré- 
tiques, parvint  à  enrayer  le  mouvement,  de  telle  sorte 
que  l'apogée  du  gnosticisme  fut  bientôt  suivie  d'un 
rapide  déclin  et  qu'à  partir  du  me  siècle  les  sectes 
gnostiques,  sauf  les  marcionites,  ne  firent  plus  que 
végéter,  sans  éclat  et  sans  force,  en  attendant  de  dis- 
paraître. 

III.  Doctrine.  —  1°  Procédés  et  méthode.  —  Ce 
n'est  point  au  hasard,  mais  par  un  procédé  bien  arrêté, 
que  les  chefs  de  la  gnose  sont  arrivés  à  constituer 
leurs  systèmes.  Et  ce  procédé  se  laisse  facilement 
entrevoir  dans  les  emprunts  qu'ils  ont  faits  à  la  philo- 
sophie et  dans  leur  manière  de  plagier  l'Église  dans  sa 
méthode  d'enseignement,  dans  ses  rites  et  son  orga- 
nisation. Nous  devons  le  relever  brièvement. 

1.  Relativement  à  la  philosophie.  —  Malgré  l'extrême 
complication  de  leurs  systèmes  et  l'éclatante  parure 
dont  quelques-uns  les  ont  revêtus,  les  gnostiques  ont 
été,  au  point  de  vue  philosophique,  beaucoup  moins 
des  inventeurs  originaux  que  des  éclectiques  intem- 
pérants. C'est  à  des  sources  multiples,  en  effet,  qu'ils 
ont  puisé  tous  les  éléments  de  leur  métaphysique; 
et  sans  faire  connaître  ces  sources,  ils  ont  amalgamé 
de  façon  disparate  des  idées  étrangères  les  unes  aux 
autres  et  n'ont  abouti  en  fin  de  compte  qu'à  un  syncré- 


1457 


GNOSTICISME 


1458 


tisme  inconsistant.  Les  Pères  n'ont  pas  manqué  de 
signaler  la  dépendance  où  ils  sont  vis-à-vis  des  princi- 
paux représentants  delà  pensée  hellénique  :  Pythagore, 
Platon,  Aristote,  Empédocle,  Heraclite,  Épicure.  En 
outre,  les  gnostiques  furent  tributaires  des  religions  de 
la  Chaldée,  de  la  Perse,  de  l'Egypte  et  très  vraisem- 
blablement de  l'Inde. 

Le  premier  à  indiquer  quelques-unes  de  leurs  atta- 
ches avec  la  philosophie  grecque  a  été  saint  Irénée. 
A  sa  suite,  Tertullien,  caractérisant  leur  procédé,  y  a 
vu  une  manie  de  discourir  à  perte  de  vue,  un  abus  de 
la  dialectique  :  artificem  struendi  et  destruendi,  versi- 
pellem  in  sentenliis,  coaclam  in  conjecturis,  duram  in 
argumenlis.  operariam  contentionum,  molesiam  etiam 
sibi  ipsi.  omnia  rclractantem,  ne  quid  omnino  tractaverit. 
PrœscripL,  7,  P.  L.,  t.  n,  col.  20.  Et  l'auteur  des 
Philosophoumena  a  remarqué  que,  quelque  inconsi- 
stantes que  soient  les  fables  et  les  pensées  grecques, 
elles  sont  dignes  de  foi  si  on  les  compare  à  l'immense 
folie  de  ces  hérétiques.  Plùlosoph.,  I,  prol.,  p.  2.  Dépen- 
dants des  Grecs,  les  gnostiques  leur  sont  inférieurs 
pour  les  avoir  follement  et  maladroitement  plagiés  : 
telle  est  l'appréciation  des  Pères. 

2.  Relative  me  ni  à  l'Écriture  et  à  la  tradition.  —  Les 
gnostiques,  il  est  vrai,  ont  vu  dans  cette  utilisation  de 
la  philosophie  grecque  et  dans  l'appareil  scientifique 
dont  ils  ont  cherché  à  l'entourer,  non  un  but,  mais  un 
moyen  d'influence  et  de  propagande  pour  faire  valoir 
et  imposer  leur  spéculation  religieuse.  Car  le  but  qu'ils 
ont  réellement  visé  et  poursuivi  était  d'exploiter  le 
christianisme  à  leur  profit  et  au  détriment  de  la  reli- 
gion chrétienne.  Ne  pouvant  méconnaître  l'importance 
prise  par  le  christianisme  naissant  dans  le  monde,  ils 
ont  voulu  le  surpasser  pour  le  supplanter.  Et  c'est 
pourquoi  ils  n'ont  pas  hésité  à  emprunter  sa  méthode 
d'enseignement  appuyé  sur  l'Écriture  et  la  tradition, 
quelques-uns  de  ses  dogmes,  ses  rites  et  son  organisa- 
tion, sauf  bien  entendu  à  leur  faire  subir  les  transfor- 
mations jugées  nécessaires  par  eux  et  à  n'en  plus 
oITrir  dès  lors  qu'une  odieuse  caricature. 

C'est  ainsi,  par  exemple,  qu'ils  firent  appel,  eux 
aussi,  au  témoignage  de  l'Écriture  et  de  la  tradition. 
Ils  connaissaient  les  Livres  sacrés,  tant  ceux  de  l'An- 
cien Testament  que  ceux  du  Nouveau.  Mais  ils  ne  les 
acceptaient  pas  tous,  ni  tout  entiers.  Dans  leur  choix 
intéressé,  ils  pratiquaient  d'habiles  suppressions.  Et 
quant  aux  textes  sacrés  qu'ils  consentaient  à  retenir, 
ils  savaient  les  solliciter  par  une  interprétation  allégo- 
rique, qui  touche  souvent  à  l'extravagance  et  quel- 
quefois à  l'impudeur,  pour  en  faire  les  garants  de 
leurs  erreurs.  Où  -âaaiç,  observe  justement  Clément 
d'Alexandrie,  Slrom.,  VII,  16,  P.  G.,  t.  ix,  col.  533, 
où  rcâijai;,  ETîêita  où  têXeiai;  eîprjuéva  eî;  tàç  ioiaç 
fj.ETâyo'jjt  oôfaç.  Clément  blâme  leur  moyen  déshon- 
nète  d'altérer  la  vérité  et  de  piller  arbitrairement 
le  canon  de  l'Église  :  où  yàp  yp7J  tcots,  xaOâ;:sp  oî 
làç  a[pÉU£iç  [aétiÔviêç  Tïoioùai,  jjloi/eûeiv  Trjv  àXrjOeiav, 
où8è  (i.fjv  y.lêr.xew  tÔv  xavova  ifjç  'ExxXt)<jÎocç,  xat;  î8iat; 
È-iOuaiatç  xaï  çiXo8o?iai;  yapiropiÉvouç.  Strom.,  VII,  16, 
P.  G.,  t.  ix,  col.  545.  Déjà  signalée  et  combattue  par 
saint  Irénée  et  Tertullien,  cette  audacieuse  exploita- 
tion de  la  sainte  Écriture  nous  a  valu  la  formule  du 
grand  argument  de  prescription  et  la  mise  au  point, 
dès  le  iie  siècle,  des  rapports  de  l'Écriture  avec  la 
tradition  orale,  ainsi  que  de  la  nécessité  de  la  tradi- 
tion pour  authentiquer  et  interpréter  légitimement  le 
texte  sacré.  Nous  y  reviendrons  plus  loin.  «  Un  témoi- 
gnage qu'il  n'est  pas  permis  de  négliger,  dit  Mgr 
Duchesne,  Les  origines  chrétiennes,  édit.  lith.,  Paris, 
1886,  p.  170,  c'est  celui  que  les  grands  gnostiques  don- 
naient aux  livres  du  Nouveau  Testament,  surtout  à 
l'Évangile  et  aux  Épîtres  de  saint  Jean.  Soit  par  des  ci- 
tations formelles,  soit  par  des  altérations   reconnais- 


sablés,  soit  par  l'emploi  de  certains  termes,  Basilide 
et  Valentiu  se  montrent  tributaires  de  ce  que  l'on 
appelle  parfois  la  théologie  johannique.  Il  est  difficile 
qu'un  livre  ait  des  témoins  plus  rapprochés  que  ceux- 
là.  »  On  en  peut  dire  autant  pour  l'Évangile  de  saint 
Luc,  dont  Marcion  s'est  servi,  en  ajoutant  que  ces 
témoins  si  rapprochés  sont  des  plus  probants  en 
faveur  du  Nouveau  Testament. 

Parallèlement  à  la  tradition  ecclésiastique,  mais  en 
opposition  avec  elle,  les  gnostiques  en  faisaient  valoir 
une  autre,  la  leur;  car  ils  prétendaient  en  posséder 
une;  bonne  preuve  de  l'importance  attachée  par  eux  à 
l'enseignement  oral,  à  la  tradition  vivante.  Basilide 
disait  suivie  la  doctrine  de  Matthias  et  avoir  eu  pour 
maître  un  certain  Glaucias,  interprète  de  saint  Pierre. 
Clément  d'Alexandrie,  Strom.,  VII,  17.  P.  G.,  t.  ix, 
col.  549.  Valentin  s'autorisait  pareillement,  tout 
comme  Basilide  et  Marcion,  de  ce  même  Matthias, 
ibid.,  col.  552,  et  se  donnait  en  outre  pour  disciple 
d'un  Théodas,  familier  de  saint  Paul.  Ibid.,  col.  549. 

3.  Relativement  aux  apocryphes.  —  Ce  n'est  pas  tout; 
car  à  l'usage  répréhensible  de  l'Écriture,  les  gnostiques 
joignirent  celui,  non  moins  répréhensible,  d'apocryphes 
suspects,  dont  ils  furent,  sinon  les  auteurs,  du  moins 
les  exploiteurs  intéressés.  C'est  le  reproche  que  l'au- 
teur des  Constitutions  apostoliques  adresse  à  ces  hommes 
«  qui  calomnient  la  création,  les  noces,  la  providence, 
la  procréation  des  enfants,  la  loi,  les  prophètes.  » 
Const.  apost.,  VI,  16,  P.  G.,  t.  i,  col.  956.  Ces  apo- 
cryphes, pour  mieux  surprendre  la  bonne  foi  des 
simples,  portaient  pour  la  plupart  des  titres  sembla- 
bles à  ceux  des  livres  de  l'Ancien  Testament  et  du 
Nouveau.  Il  y  eut  ainsi  des  prophéties,  telle  que  la 
Prophétie  de  Barcoph  ou  Barcobas  et  Parchor,  Clément 
d'Alexandrie,  Strom.,  VI,  6,  P.  G.,  t.  ix,  col.  276; 
Eusèbe,  H.  E.,  iv,  7,  P.  G.,  t.  xx,  col.  317;  des  apo- 
calypses, telles  que  V Apocalypse  d'Adam,  d' Abraham, 
de  Moïse,  d' Élie;  des  assomptions,  telles  que  VAssomp- 
lion  de  Paul,  d'isaïe;  des  Évangiles  en  très  grand 
nombre.  Tous  ces  apocryphes  n'existaient  pas  sans 
doute  dans  la  première  moitié  du  ne  siècle;  mais  plu- 
sieurs circulaient  déjà  à  cette  époque,  saint  Irénée 
affirme  qu'ils  étaient  nombreux,  bien  qu'il  ne  nomme 
que  l'Évangile  de  Judas.  Cont.  hier.,  i,  20,  1;  30,  1, 
P.  G.,  t.  vu,  col.  653,  704.  D'une  manière  générale, 
Tertullien  reprochait  de  même  aux  valentiniens  et 
aux  marcionites,  non  seulement  d'altérer  et  d'inter- 
préter mensongèrement  l'Écriture,  mais  encore  d'ajou- 
ter aux  textes  sacrés  areana  apocryphorum,  blasphemise 
fabulas.  De  resurrectione  carnis,  63,  P.  L.,  t.  n,  col.  886. 
L'auteur  des  Philosophoumena  signale  parmi  les  gnos- 
tiques les  Évangiles  xat'  Aîyj^Ttojç  et  xatà  <~)'.>tj.àv, 
V,  7,  p.  144,  148.  D'après  Origène,  In  Luc.,  homil.  i, 
P.  G.,  t.  xm,  col.  1803,  il  faut  ajouter  à  ces  deux  évan- 
giles apocryphes  déjà  cités  ceux  de  Matthias,  des  Douze 
apôtres  et  de  Basilide.  Et  saint  Jérôme,  après  avoir 
énuinéré  les  Évangiles  des  Égypiens,  de  Thomas,  de 
Matthias,  de  Barthélémy,  des  Douze  apôtres,  de  Basilide 
et  d'Apelles,  donne  à  entendre  qu'il  y  en  avait  encore 
d'autres.  In  Matth.,  prol.,  P.  L.,  t.  xxvi,  col.  17.  Mais 
c'est  à  saint  Épiphane  qu'on  doit  une  énumération  plus 
complète  de  toute  cette  littérature  apocryphe  utilisée 
dans  les  milieux  gnostiques  :  les  Prophéties  de  Barcobas, 
l'Évangile  d'Eve,  les  '  EptoTr^stç  Mapia;,  l'Apocalypse 
d'Adam,  les  Livres  de  Seth,  le  PÉvva  Mapia;,  User., 
xxvi,  2,  8-3;  les  Livres  de  Moïse,  Y  Apocalypse  d' Abra- 
ham. Hœr.,  xxxix,  5,  P.  G.,  t.  xli,  col.  333, 344,  352, 369. 

4.  Relativement  à  l'Église.  —  Les  gnostiques  n'ont 
pas  emprunté  seulement  à  l'Église  sa  méthode  d'en- 
seignement oral  appuyé  sur  l'Écriture,  ils  l'ont  encore 
imitée  dans  ses  cérémonies,  ses  rites,  ses  sacrements,  ses 
réunions.  Si,  dans  quelques-unes  de  leurs  sectes,  cer- 
tains termes  spécialement  consacrés  par  la  langue  chré- 


1459 


GNOSTICISME 


1460 


tienne  pour  désigner  d'augustes  mystères,  furent  dé- 
tournés de  leur  sens  pour  signifier  des  actes  de  luxure 
ou  de  promiscuité,  tels  que  TeXsîa  à.yâr.7\,  àyiov  àyitov. 
Philosoph.,  VI,  19,  p.  264»  et  y.otvtuvia,  Clément 
.1  Alexandrie,  Strom.,  III,  4,  7'.  r,.,  t.  vin,  col.  1133, 
d'autres  termes  de  cette  même  langue  chrétienne 
devinrent  courants  dans  le  style  gnostique  pour  dé- 
signer des  objets  différents  ou  pour  exprimer  des  con- 
cepts complètement  étrangers  au  christianisme  :  tels, 
les  mots  de  foi.  de  salut,  de  rédemption.  Cela  prêtait 
à  l'équivoque,  permettait  de  s'adresser  à  des  fidèles  et 
préparait  l'insinuation  de  la  gnose.  Car  les  gnostiques 
faisaient  du  prosélytisme.  Le  but  de  leur  prédication 
n'était  nullement  de  convertir  les  païens,  mais  de  per- 
vertir les  chrétiens  :  non  ctlmicos  convertendi,  sed  nostros 
evertendi,  dit  Tertullien.  Prœscripl.,  42,  P.  L.,  t.  n, 
col.  57.  Ils  élevaient  leur  propre  édifice  aux  dépens  de 
la  vérité;  opus  eorum  non  de  suo  proprio  œdificio  venil, 
sed  de  veritatis  destructione.  Nostra  suffodiunt,  ut  sua 
œdificent.  Ibid.,  col.  57.  Aussi  point  de  schismes  parmi 
eux.  ou  plutôt  c'est  le  schisme  qui  fait  leur  unité.  Ils 
varient  pourtant  et  à  qui  mieux  mieux  :  dam  unus- 
quisque  suo  arbitrio  modulatur  quœ  accepit,  quemad 
modum  de  suo  arbitrio  ea  composuit  ille  qui  tradidil.Ibid., 
col.  58. 

Les  gnostiques  pratiquaient  le  baptême,  avaient 
leurs  catéchumènes,  leurs  initiés,  leurs  prêtres.  Ils 
tenaient  des  assemblées,  qui  étaient  loin  de  représenter 
l'ordre  et  la  discipline  des  réunions  chrétiennes.  Et 
voici  ce  qui  s'y  passait  :  Quis  catechumenus,  quis  fidelis 
incerlum  :  pariler  adeunl,  pariter  audiunt,  pariler  oranl; 
cliam  ethnicis,  sisupervenerint,  sanclum  canibus  et  porcis 
margarilas,  licet  non  veras,  jaclabu.nl...  Pacem  quoque 
cum  omnibus  miscenl  :  nihil  enim  interesl  illis.  licet 
diversa  traclanlibus,  dum  ad  unius  veritatis  expugna- 
tioncm  conspirent.  Omnes  tument,  omnes  scienliam  polli- 
cenlur.  Ante  suid  perfeeli  catechumeni,  quam  edocti. 
Ipsœ  mulieres  Iwreticœ,  quam  procaces  !  quœ  audeant  do- 
ccre,  conlendere,  exorcismos  agere.  curationcs  repromitlere, 
forsitan  et  iingere.  Ordinationes  eorum  temerariœ,  levés, 
inconstantes  :  nunc  neophglos  conlocanl,  mine,  sa'culo 
obstrictos,  nunc  apostedas  nostros...  Itaquc  alius  hodie 
episcopus,  crus  alius;  hodie  diaconus,  qui  cras  leclor; 
hodie  presbyter,  qui  cras  laicus;  nam  et  laicis  sacer- 
dotalia  mimera  injungunt.  Prœscripl.,  41,  P.  L.,  t.  u, 
col.  56-57.  Dans  ce  tableau,  Tertullien  ne  parle  que  des 
réunions  publiques;  la  peinture  des  conciliabules 
secrets  et  des  réunions  nocturnes  défie  toute  plume 
honnête.  Il  y  est  fait  mention  de  deux  sacrements,  le 
baptême  et  l'ordre.  D'autre  part,  saint  Irénée  fait 
allusion  au  sacrement  de  l'eucharistie,  quand  il  raconte 
les  supercheries  de  Marc  dans  la  contrefaçon  du  mys- 
tère eucharistique.  Cont.  hœr.,  I,  13,  2,  P.  G.,  t.  vu, 
col.  580-581.  Rappelons  enfin  l'organisation  de  la  hié- 
rarchie dans  les  églises  marcionites,  dont  il  a  déjà  été 
question.  Ces  quelques  détails,  fort  intéressants  pour  la 
connaissance  des  origines  chrétiennes,  sullisent  à 
montrer  la  nature  et  la  gravité  du  danger  que  le  gnos- 
ticisme  créait  à  l'Église. 

2°  Théorie  générale  du  gnusticisme.  —  1.  Problème  à 
résoudre.  —  A  négliger  les  différences  de  détail  qui  dis- 
tinguent, comme  nous  l'avons  vu,  les  systèmes  gnos- 
tiques les  uns  des  autres,  et  à  ne  tenir  compte  que  de 
leur  fond  commun,  une  théorie  générale  se  dégage,  qui 
a  pour  point  de  départ  la  conciliation  de  l'existence  de 
Dieu  avec  l'existence  de  la  matière.  Dieu  ne  peut  être 
que  parfait;  et  la  matière  passait  aux  yeux  des  gnos- 
tiques comme  d'essence  mauvaise  et  comme  le  siège  du 
mal;  elle  ne  pouvait  donc  pas  être  l'œuvre  immédiate 
de  Dieu.  Le  difficile  problème  à  résoudre  était  d'expli- 
quer l'existence  de  ce  monde  matériel  en  sauvegardant 
la  perfection  divine.  Les  philosophes  s'y  étaient  essa\  es 
et  y  avaient  échoué;  les  gnostiques,  en  dépit  de  leurs 


efforts,  n'y  réussirent  pas  davantage.  Le  christianisme 
donnait  une  solution  nette  et  parfaitement  raisonnable  : 
ce  monde  a  été  directement  créé  par  Dieu  ex  nihilo;  il 
n'est  donc  pas.  et  il  ne  peut  pas  être  essentiellement 
mauvais.  Quant  à  l'existence  du  mal,  qui  est  indéniable, 
ce  n'est  point  le  fait  de  la  puissance  créatrice;  le  mal 
est  d'origine  créée;  il  a  été  introduit  dans  l'œuvre 
divine  par  la  créature  intelligente  et  libre;  il  est  le 
résultat  d'un  abus  coupable  de  la  liberté,  d'une  déso- 
béissance; il  est  fils  du  péché.  Cette  solution,  connue 
des  gnostiques,  ne  fut  pas  acceptée  par  eux.  De  là  leur 
conception  erronée  de  la  divinité;  leur  distinction  arbi- 
traire, dans  le  monde  divin,  d'une  double  sphère,  celle 
du  Dieu  suprême  et  celle  du  démiurge.  Cette  erreur 
fondamentale  vicie  tout  leur  système. 

2.  Théogonie.  —  L'existence  de  Dieu  ne  fait  pas  de 
doute;  et  pour  la  plupart  des  gnostiques,  Dieu,  quel  que 
soit  le  nom  qu'ils  lui  donnent,  est  unique  en  principe. 
Mais  ce  Dieu  unique  n'est  qu'une  puissance  capable 
de  se  développer.  Il  se  développe,  en  effet,  par  un  épa- 
nouissement de  lui-même,  par  émanations  successive;;. 
Le  nombre  de  ces  émanations  n'est  pas  le  même  dans 
tous  les  systèmes  ;  mais  dans  tous  les  systèmes  il  y  a 
deux  groupes  d'émanations,  l'un  qui  compose  le  monde 
supérieur,  l'autre  qui  compose  le  monde  intermédiaire; 
l'un,  au  sommet  duquel  réside  le  Premier  Principe; 
l'autre,  où  se  trouve  le  créateur,  le  démiurge.  Cette 
dualité  du  monde  divin,  dégagée  de  la  multiplication 
fantastique  des  éons  qui  la  plupart  procèdent  par  syzy- 
gies,  se  réduit,  dans  le  système  de  Marcion,  à  l'existence 
et  à  l'opposition  tranchée  du  Dieu  bon  et  du  Dieu  juste, 
le  Dieu  bon  ne  pouvant  être  l'auteur  du  monde  matériel, 
qui  est  l'œuvre  du  Dieu  juste.  A  cette  distinction  arbi- 
traire, mais  commandée  par  l'erreur  fondamentale  du 
gnosticisme  sur  la  nature  de  la  matière,  les  Pères  répon- 
daient par  la  proclamation  de  l'unité  absolue  de  Dieu, 
le  même  Dieu  étant  l'auteur  immédiat  de  la  création. 
Ipse  a  semelipso  jecit  libère  et  ex  sua  poteslale,  et  dis- 
posait, et  per/ecil  omnia...  Ipse  fabricator,  ipse  conditor, 
ipse  inventor,  ipse  factor,  ipse  Dominus  omnium;  cl 
neque  prœtcr  ipsum,  ncque  super  ipsum,  neque  Mater... 
nec  Deus  aller...  Hic  jecit  ea  per  semetipsum,  hoc  est  per 
Verbum  et  per  Sapienliam  suam,  cselum,  et  lerram,  et 
maria,  et  omnia  quœ  in  eis  sunt  :  hic  juslus,  hic  bonus; 
hic  est  qui  jormavit  hominem.  S.  Irénée,  Cont.  hœr.,  n,  30, 
9,  P.  G.,  t.  vu,  col.  822.  Revenant  à  la  charge  et 
discutant  point  par  point  les  arguties  de  Marcion, 
Tertullien  épuise  ce  sujet.  Il  n'y  a  pas,  il  ne  saurait  y 
avoir  deux  dieux,  l'un  bon,  tel  qu'on  l'imagine,  l'autre 
juste,  dont  on  fait  le  démiurge  et  que  l'on  confond  ou 
que  l'on  identifie  avec  le  Jéhovah  de  la  Bible.  De  la 
notion  même  de  Dieu,  Tertullien  conclut  à  son  unité,  et 
il  prouve  que  le  seul  vrai  Dieu  est  précisément  le  Dieu 
créateur,  le  Jéhovah  de  la  Bible,  tant  dénigré  par  les 
gnostiques.  Ce  Dieu  unique  est  à  la  fois  bon  et  juste, 
bon  en  lui-même  et  par  lui-même,  juste  à  cause  de  nous, 
et  juste  parce  qu'il  est  bon  :  c'est  l'admirable  formule 
de  Clément  d'Alexandrie  :  àyaôo;  jxèv  6  ©soç  ot'  éautov, 
Btxaioç  S;  7;3t]  Si'  f,!j.à;  scaî  touto  o'ti  àyaOoç.  Strom.,  I, 
9,  P.  G.,  t.  vin,  col.  356.  L'argumentation  des  Pères 
contre  le  dualisme  de  Marcion  vaut  tout  autant. 
mulalis  mulandis,  contre  l'hypothèse  gnostique  des 
deux  inondes  supérieurs.  Quant  à  la  multiplication 
fantaisiste  des  couples  d'éons  qui  peuplent  le  monde 
supérieur  du  plérome  et  le  monde  intermédiaire  du 
démiurge,  elle  n'a  fait  l'objet  d'aucune  réfutation  sys- 
tématique; les  uns  en  jugeant  l'exposé  suffisant  pour 
en  montrer  l'absurdité,  les  autres,  comme  Tertullien 
dans  son  Adversus  valentinianos,  se  contentant  de  la 
railler. 

3.  Cosmologie  et  anthropologie.  —  Le  Dieu  suprême 
imaginé  par  les  gnostiques  n'a  pu  créer  la  matière,  à 
cause  de  l'incompatibilité  absolue  qui  existe  entre  lui, 


1461 


GNOSTICISME 


1462 


qui  est  bon,  et  elle,  qui  est  mauvaise.  Il  y  a  donc,  entre 
ce  Dieu  et  la  matière,  place  pour  un  créateur  :  ce  créa- 
teur, c'est  le  démiurge.  Et  voici  comment  les  gnos- 
tiques  en  ont  expliqué  l'existence,  la  nature  et  la  fonc- 
tion. En  Dieu  et  par  Dieu  s'est  opérée  une  première 
manifestation  divine  :  c'est  un  couple  d'éons.  mâle  et 
femelle,  une  syzygie;  de  ce  couple  est  sorti  un  second 
couple,  et  de  celui-ci  un  troisième;  et  la  série  s'est  con- 
tinuée au  gré  de  chaque  constructeur  de  système,  for- 
mant le  plérome  divin.  Or,  au  fur  et  à  mesure  que  les 
éons  s'éloignent  du  Premier  Principe,  source  de  l'éma- 
nation, se  produit  une  diminution  ou  une  dégradation 
proportionnelle  de  l'être  divin,  si  bien  qu'à  l'extrême 
limite,  le  dernier  éon  ne  possède  que  le  minimum  de 
divinité.  Il  en  possède  pourtant  assez  pour  rendre 
encore  la  création  impossible.  Ici  survient  une  hypo- 
thèse nouvelle,  celle  d'une  déviation  dans  l'intérieur 
du  plérome.  Un  éon,  méconnaissant  les  devoirs  de  sa 
nature,  commet,  par  ignorance  ou  par  orgueil,  l'imper- 
tinence de  vouloir  connaître  ce  qui  est  au-dessus  de  lui 
ou  de  se  croire  le  premier  et  le  plus  puissant  de  tous  les 
êtres  :  il  dévie.  En  punition,  il  est  aussitôt  exclu  du 
plérome  divin,  et  va  dans  le  monde  intermédiaire,  qui 
se  peuple,  à  l'exemple  du  monde  supérieur  et  d'une 
manière  semblable,  d'une  foule  d'éons,  dont  le  nombre 
varie  au  gré  des  constructeurs  de  systèmes.  Cet  éon 
prévaricateur  chassé  du  plérome  est  maintenant  ca- 
pable de  faire  œuvre  de  démiurge,  c'est-à-dire  de  créer 
le  monde  matériel  et  l'homme.  Sa  nature  ayant  été 
viciée  par  sa  faute,  son  œuvre  naturellement  ne  peut 
être  que  viciée.  Et  voilà  comment  s'explique  l'imper- 
fection de  ce  monde  et  la  présence  du  mal  ici-bas. 
L'idée  chrétienne,  comme  on  le  voit,  n'est  pas  tout  à 
fait  étrangère  à  cette  étrange  conception,  mais  comme 
elle  est  défigurée  !  Car  ce  n'est  là  que  substituer  à  la 
chute  des  anges  et  de  l'homme,  telle  que  l'enseigne  la 
Bible,  la  chute  d'un  Dieu;  remplacer  un  mystère,  pro- 
fond sans  doute  mais  raisonnable,  par  une  énormité 
blasphématoire;  c'est  introduire  au  sein  même  de  la 
divinité  la  réalité  d'une  déchéance  beaucoup  plus  cho- 
quante que  celle  d'une  créature,  et  finalement  faire 
quand  même  de  Dieu  l'auteur  du  mal. 

4.  Sotériologic.  — Un  autre  dogme  chrétien,  celui  de 
la  rédemption,  a  été  aussi  défiguré  que  celui  de  la  créa- 
tion. La  rédemption  s'explique  raisonnablement  dans 
la  doctrine  chrétienne  :  c'est  Dieu  prenant  en  pitié  la 
misère  de  l'homme  et  venant  à  son  secours  par  l'incar- 
nation et  la  mort  du  Sauveur.  Mais  dans  le  gnosticisme? 
Il  y  a  là,  il  est  vrai,  l'éon  coupable,  le  démiurge,  qui 
a  jeté  le  trouble  dans  le  plérome.  Quel  que  soit  le 
mobile  qui  l'a  poussé,  il  n'en  a  pas  moins  commis  une 
faute;  il  a  donc  besoin  d'être  guéri,  relevé,  sauvé,  en 
reprenant  conscience  de  sa  vraie  nature,  en  se  conten- 
tant de  sa  position  dans  l'échelle  des  éons;  et  c'est  en 
cela  que  consistera  son  rachat. 

Mais  dans  l'œuvre  du  démiurge,  qui  est  une  œuvre 
mauvaise  et  destinée,  assure-t-on,  à  périr,  à  quoi  bon 
la  rédemption  ?  Il  en  est  pourtant  question,  mais  avec 
cette  nuance  significative  qu'il  s'agit,  non  de  la  rédemp- 
tion de  ce  monde,  mais  de  la  rédemption  dans  ce  monde. 
Car  ce  n'est  pas  ce  monde,  en  tant  que  monde,  qui  est 
racheté,  c'est  quelque  chose  d'étranger  à  ce  monde  et 
qui  se  trouve  dans  ce  monde.  Ce  monde,  en  effet, 
d'après  les  gnostiques,  est  le  séjour  ou  la  prison  d'un 
élément,  qui,  abîmé  dans  la  matière,  y  gémit  et  y 
souffre,  comme  un  pauvre  être  désorbité,  que  tour- 
mentent le  regret  du  séjour  céleste  et  le  désir  de 
retourner  à  son  lieu  d'origine,  mais  qui  est  réduit  à 
l'impuissance  tant  qu'un  secours  ne  lui  vient  pas  d'en 
haut. Qu'on  appelle  cet  élément  divin,  Pensée,  Étincelle, 
Filiation,  Pneuma,  peu  importe;  c'est  uniquement  cet 
élément  divin  engagé  dans  la  matière  ou  retenu  pri- 
sonnier par  les  anges  qu'il  s'agit  de  délivrer  et  qui  est 


délivré;  le  monde  matériel  n'est  que  le  théâtre  passager 
de  cette  délivrance  et  doit  être  anéanti. 

11  en  est  pareillement  pour  l'homme;  car,  en  dépit 
de  son  origine  et  de  sa  dépendance  du  démiurge, 
l'homme  se  trouve  aussi  en  possession  d'un  élément 
supérieur,  Image,  Ressemblance,  Étincelle  divine  ou 
Élément  pneumatique.  Et  dans  l'homme  c'est  exclu- 
sivement cet  élément  divin  qui  est  racheté;  car  son 
corps,  formé  de  matière,  est  destiné  à  périr  pour 
toujours.  La  distinction  gnostique  de  l'humanité  en 
trois  catégories  d'hommes,  les  hyliques,  les  psychiques 
et  les  pneumatiques,  ne  doit  pas  donner  le  change.  Les 
pneumatiques  sont  des  élus;  ils  possèdent  déjà  l'élé- 
ment divin  et,  quoi  qu'ils  fassent,  ils  sont  assurés  de 
leur  salut.  Les  psychiques  ne  le  possèdent  pas,  mais  ils 
peuvent  l'acquérir  s'ils  embrassent  la  gnose,  et  dès 
lors  ils  bénéficient  du  salut  comme  les  pneumatiques; 
sinon  ils  partagent  le  sort  des  hyliques  qui,  eux,  à 
raison  même  de  leur  nature  matérielle,  sont  irrémé- 
diablement exclus  du  salut.  De  la  sorte  la  rédemption 
gnostique  n'embrasse  pas  toute  l'humanité;  elle  tst 
une  certitude  absolue  pour  les  pneumatiques,  un  espoir 
problématique  pour  les  psychiques,  une  impossibilité 
radicale  pour  les  hyliques.  En  outre,  elle  laisse  de  côté, 
dans  ceux  qu'elle  atteint,  la  partie  matérielle  de  la 
personne  humaine,   le  corps. 

Dans  ces  conditions,  le  rôle  du  Sauveur  est  loin  de 
ressembler  à  celui  du  Jésus  de  l'Évangile;  et  la  gnose, 
ici,  aboutit  au  docétisme,  c'est-à-dire  à  la  contrefaçon, 
ou  plutôt  à  la  suppression  des  mystères  de  l'incarnation 
et  de  la  rédemption.  Voir  Docétisme,  t.  iv.  col.  1480- 
1501.  L'éon  sauveur  appartient  à  l'un  des  premiers 
rangs  du  monde  supérieur.  Pour  accomplir  sa  mission, 
il  descend  à  travers  les  habitants  du  plérome  et  du 
monde  intermédiaire,  sans  se  faire  connaître  d'eux, 
mais  en  leur  communiquant  dans  la  mesure  de  leurs 
besoins  ce  qui  doit  constituer  leur  bonheur  définitif. 
Arrivé  à  l'homme,  comme  il  ne  peut  pas  contracter 
d'union  avec  la  matière,  il  se  contente  d'habiter 
quelque  temps  en  Jésus,  du  baptême  jusqu'à  la  passion 
exclusivement.  Ce  n'est  point  lui  qui  souffre  et  meurt, 
c'est  Jésus  seul.  Il  n'a  donc  eu  de  l'humanité  que  les 
apparences.  Le  Jésus  terrestre,  le  Jésus  de  l'Évangile, 
n'a  été  que  son  réceptacle  passager,  son  masque; 
autrement  dit,  ce  Jésus  n'est  pas  Dieu.  Et  c'était  là 
ruiner  le  christianisme  par  sa  base. 

5.  Eschatologie.  —  La  rédemption,  selon  les  gnos- 
tiques, étant  accomplie  dans  ce  sens  et  de  cette  manière, 
sans  qu'il  soit  question  de  la  résurrection  de  la  chair, 
cet  autre  dogme  chrétien  inscrit  au  symbole,  chacun 
des  éléments  divins  reprendra  sa  place;  l'ordre,  la  paix, 
l'harmonie  régneront  dans  les  mondes  supérieurs. Ce  sera 
la  reconstitution  de  l'état  primitif,  une  àjroy.aTcxa-aau. 
Ainsi  sera  réparée  la  déviation  de  l'éon  prévaricateur, 
l'œuvre  du  démiurge.  Nous  sommes  loin  des  fins 
dernières,  telles  que  les  enseigne  le  christianisme. 
L'enfer  est  remplacé  par  l'anéantissement;  le  ciel  n'est 
plus  une  récompense.  La  terre  n'est  que  le  théâtre  où 
l'envoyé  du  plérome  sauve  uniquement  ce  qui  appar- 
tient au  monde  supérieur. 

3°  La  morale  du  gnosticisme.  —  Il  est  facile  d'entre- 
voir la  morale  qui  peut  sortir  d'une  pareille  métaphy- 
sique. La  plupart  des  chefs  gnostiques  ont  négligé 
l'éthique  dans  leurs  systèmes;  mais  ils  ont  posé  des 
principes,  gros  de  conséquences  fâcheuses.  Et  il  s'est 
trouvé  parmi  eux  des  logiciens  déterminés  qui  ont  tiré 
de  ces  principes  ces  conséquences  abominables  et  ont 
réduit  leur  doctrine  à  n'être  qu'une  justification  de 
l'immoralité.  Du  reste,  à  défaut  de  théorie  spéciale, 
chaque  gnostique,  pour  son  compte,  devait  fatalement 
aboutir  au  même  résultat.  Et  cela  se  comprend;  car  du 
moment  que  la  possession  de  la  gnose  assure  absolu- 
ment le  salut,  il  était  bien  superflu  de  s'inquiéter  de  la 


\\r,\ 


GNOSTICISME 


14G4 


qualité  morale  des  actes.  Pour  les  uns,  le  monde  et  la 
chair  passant  pour  essentiellement  mauvais,  le  mariage, 
la  procréation  des  enfants,  la  famille,  la  propriété 
devaient  être  condamnés  comme  autant  d'œuvres 
mauvaises.  Pour  les  autres,  le  gouvernement  de  ce 
monde,  appartenant  à  celui  qui  l'a  créé,  au  démiurge, 
n'était  plus  qu'une  tyrannie  intolérable  contre  laquelle 
la  révolte  était  un  devoir;  de  ce  côté  on  tomba  en  plein 
antinomisme.  Voir  Antinomisme,  t.  i,  col.  1391-1399. 

Pratiquement,  à  quoi  bon  parler  de  vertus  ou  de 
vices  là  où  les  actes  sont  indifférents  ?  Les  vrais  gnos- 
tiques  ne  sauraient  rien  commettre  de  mauvais;  les 
hyliques  sont  incapables  de  faire  des  actes  bons. 
Survienne  une  épreuve,  une  mise  en  demeure  sous 
peine  de  mort  de  proclamer  sa  foi,  le  parjure  est  permis 
pour  éviter  le  martyre.  Quant  à  ce  qui  regarde  la  chair, 
il  n'y  a  que  deux  partis  à  prendre,  celui  de  la  sévérité, 
d'un  ascétisme  rigoureux,  dont  l'excès  pratiquement 
ne  met  guère  à  l'abri  de  l'excès  contraire,  ou  celui  du 
relâchement  qui  facilite,  autorise  ou  ordonne  toutes 
les  dépravations.  Le  premier  de  ces  partis  n'a  guère  élé 
qu'une  exception  parmi  les  gnostiques  qui  ne  reculèrent 
point  devant  le  martyre;  mais  c'est  le  second  qui  a 
compté  un  beaucoup  plus  grand  nombre  de  partisans. 
Quelques  chefs,  Marcion  entre  autres,  ont  pu  pratiquer 
personnellement  une  certaine  austérité  et  recomman- 
der à  leurs  disciples  la  gravité  des  mœurs;  ils  ont  pu 
même  protester  contre  l'accusation  d'immoralité.  Mais 
les  principes  posés  par  eux  justifiaient  d'avance 
tous  les  excès.  Et,  en  fait,  le  gnosticisme  est  devenu 
finalement  une  école  de  débauches  et  d'infamies.  Cela 
suffit  pour  le  condamner. 

4°  Résultats  du  mouvement  gnostique.  —  1.  Danger 
pour  l'Église.  —  Dès  son  apparition  aux  temps  apos- 
toliques, à  Samarie  et  en  Asie  Mineure,  la  gnose  avait 
éveillé  des  craintes  pour  l'orthodoxie  de  la  foi,  la  pureté 
de  la  morale  et  l'unité  de  l'Église.  Elle  n'était  pourtant 
pas  encore  systématisée  en  un  corps  de  doctrine,  ni 
organisée  en  écoles  et  en  sectes.  Mais  elle  menaçait 
déjà  le  christianisme  d'un  triple  danger  :  d'un  danger 
doctrinal,  qui  n'était  autre  que  l'exaltation  de  la 
science  au  détriment  de  la  foi  et  la  contrefaçon  des 
principaux  dogmes  chrétiens;  d'un  danger  moral,  qui 
n'allait  à  rien  moins  qu'à  supprimer  la  responsabilité 
et  à  débrider  les  passions;  et  d'un  danger  social,  qui 
jetait  le  trouble  dans  les  communautés  chrétiennes  et 
tendait  à  ruiner  l'unité  de  l'Église.  Ce  triple  danger 
alla  s'accentuant  au  fur  et  à  mesure  que,  favorisée  par 
le  succès,  la  gnose,  passant  de  l'état  amorphe  à  l'état 
organisé,  s'exprima  dans  un  corps  de  doctrines  et  se 
manifesta  en  écoles  et  en  sectes.  Dans  la  première 
moitié  du  ne  siècle,  le  danger  fut  des  plus  graves.  Sans 
la  vigilance  et  l'activité  des  écrivains  ecclésiastiques, 
tels  que  Hermas,  l'auteur  de  la  II"  Clemenlis  et  saint 
Justin  dès  la  première  heure;  sans  l'attitude  énergique 
des  chefs  de  l'Église  qui  n'hésitèrent  pas  à  condamner 
et  à  excommunier  les  principaux  représentants  de  la 
gnose,  quels  maux  n'aurait  pas  suscités  le  gnosticisme  ? 
Vinrent  alors  les  grands  docteurs,  saint  Irénée,  Ter- 
tullien,  saint  Hippolyte,  Clément  d'Alexandrie,  Ori- 
gène,  qui  firent  la  critique  des  divers  systèmes,  en 
révélèrent  les  inconséquences  et  les  absurdités  et, 
montrant  ce  qu'ils  avaient  d'opposé  à  l'enseignement 
catholique,  achevèrent  de  les  vaincre.  Si  bien  qu'à 
partir  du  mc  siècle  le  danger  de  la  gnose  était  conjuré. 
Renan,  qui  n'a  pas  été  sans  montrer  quelque  sympathie 
pour  les  gnostiques  et  leur  œuvre,  n'a  pu  s'empêcher 
de  faire  cet  aveu  :  «  Tout  cela,  dit-il  en  parlant  du 
gnosticisme,  L'Église  chrétienne,  Paris,  1879,  p.  176- 
177,  était  inconciliable  avec  le  christianisme.  Cette 
métaphysique  de  rêveurs,  cette  morale  de  solitaires, 
cet  orgueil  brahmanique  qui  aurait  ramené,  si  on 
l'avait  laissé  faire,  le  régime  des  castes,  eussent  tué 


l'Église,  si  l'Église  n'eût  pris  les  devants.  »  «  Ce  qu'il  y 
avait  de  réellement  grave,  ajoute-t-il  plus  bas,  p.  183- 
184,  c'était  la  destruction  du  christianisme  qui  était 
au  fond  de  toutes  ces  spéculations.  On  supprimait  en 
réalité  le  Jésus  vivant:  on  ne  laissait  qu'un  Jésus  fan- 
tôme sans  efficacité  pour  la  conversion  du  cœur:  on 
remplaçait  l'effort  moral  par  une  prétendue  science; 
on  mettait  le  rêve  à  la  place  des  réalités  chrétiennes, 
chacun  se  donnant  le  droit  de  tailler  à  sa  guise  un 
christianisme  de  fantaisie  clans  les  dogmes  et  les  livres 
antérieurs.  Ce  n'était  plus  le  christianisme,  c'était  un 
parasite  étranger  qui  cherchait  à  se  faire  passer  pour 
une  branche  de  l'arbre  de  vie.  »  Par  sa  contrefaçon  de 
l'Église,  dont  il  s'était  posé  en  concurrent  et  en  adver- 
saire, le  gnosticisme  «  eût  tué  l'Église,  si  l'Église  n'avait 
pas  pris  les  devants.  » 

2.  Témoignages  du  gnosticisme  favorables  à  l'Église. 
—  D'une  manière  générale  le  mouvement  gnostique, 
par  l'ampleur  de  son  développement,  par  son  extension 
rapide  et  finalement  par  son  insuccès,  atteste  l'impor- 
tance du  christianisme,  la  force,  l'autorité  doctrinale 
et  sociale  de  l'Église.  S'il  n'a  pas  suscité  une  œuvre  de 
synthèse  théologique,  encore  prématurée  à  cette  épo- 
que, que  de  travaux  n'a-t-il  point  provoqués,  qui 
restent,  sur  tant  de  points  particuliers  relatifs  au 
dogme,  à  la  morale,  aux  croyances  et  aux  usages 
chrétiens,  une  source  précieuse  de  renseignements  !  Ces 
réfutations  de  la  gnose,  nous  les  avons  signalées  ;  nous 
avons  noté  aussi,  en  passant,  quelques-uns  des  services 
Involontaires  rendus  par  le  gnosticisme  au  christia- 
nisme. 

Les  dogmes  chrétiens  niés  parles  gnostiques,  comme, 
par  exemple,  celui  de  la  résurrection  de  la  chair,  ont  été 
catégoriquement  affirmés,  conformément  aux  données 
du  symbole  apostolique,  et  appuyés  sur  le  témoignage 
de  l'Écriture.  Les  dogmes  chrétiens  étrangement  défi- 
gurés par  eux,  comme  ceux  de  la  création,  de  l'incar- 
nation et  de  la  rédemption,  ont  été  vengés  de  leurs 
attaques  et  maintenus  dans  leur  réalité.  A  noter  que 
«  tous  les  systèmes  gnostiques  font  à  Jésus-Christ  une 
place  de  premier  ordre.  Sans  doute  ils  méconnaissent 
la  rédemption  en  réduisant  le  Sauveur  à  n'être  qu'un 
modèle  au  lieu  d'une  victime,  mais  sa  préexistence 
céleste  et  sa  filiation  divine  ne  font  point  doute  pour 
eux.  Cette  croyance,  lorsqu'ils  l'on  empruntée  à  l'Église, 
était  puissante,  arrêtée,  parfaitement  en  vue.  On  peut 
en  dire  autant  de  la  doctrine  relative  à  la  divinité  du 
Saint-Esprit.»  Duchesne.Les  origines  chrétiennes,  p.  170. 

De  même  la  morale,  particulièrement  maltraitée  par 
les  gnostiques,  a  été  maintenue  dans  l'intégrité  de 
ses  principes  et  la  pureté  de  ses  pratiques.  Par  l'affir- 
mation de  l'unité  de  la  Loi  et  de  l'Évangile,  par  l'iden- 
tification du  Dieu  bon  et  du  Dieu  juste,  par  la  procla- 
mation que  le  Dieu  de  la  Bible  est  le  seul  vrai  Dieu,  on 
a  prouvé  que  le  décalogue  est  l'expression  de  la  volonté 
divine,  à  laquelle  l'homme  n'a  pas  le  droit  de  se  sous- 
traire. Assurément  les  gnostiques  cherchaient  à  se 
justifier  à  l'aide  des  textes  sacrés,  qu'ils  interprétaient 
souvent  d'une  façon  abominable,  mais  ils  ont  dû  être 
ramenés  à  une  interprétation  orthodoxe,  telle  que 
l'entendait  l'Église,  et  qui  était  la  condamnation  de 
leur  exégèse.  Ils  s'autorisaient  aussi  d'autres  textes, 
empruntés  aux  apocryphes,  dans  un  même  but  de 
dépravation;  ces  textes  furent  rejetés  comme  inaccep- 
tables, et  parfois  expliqués  dans  un  sens  tout  différent 
de  celui  qu'ils  lui  donnaient. 

Sans  aller  jusqu'à  prétendre,  comme  l'a  fait  Renan, 
L'Église  chrétienne,  p.  155-156,  que,«  tout  en  repoussant 
les  chimères  des  gnostiques  et  en  les  anathématisant, 
l'orthodoxie  reçut  d'eux  une  foule  d'heureuses  idées 
de  dévotion  populaire;  »  que  «  du  théurgique  l'Église  fit 
le  sacramentel;  »  et  que  «  ses  fêtes,  ses  sacrements,  son 
art  vinrent,  pour  une  grande  partie,  des  sectes  qu'elle 


1465 


GNOSriCISME 


1466 


condamnait,  »  il  importe  de  constater  qu'en  matière  de 
sacrements  tout  particulièrement,  ce  sont  les  gnos- 
tiques  qui  ont  emprunté  à  l'Église.  Ils  conféraient  le 
baptême,  et  voici  la  formule  employée  par  certains 
d'entre  eux  :  Ecç  ovo(j.a  àyvoiffTou  Ilocrpôç  xwv  oXtov,  eîç 
àW0eiav  p]i£pa  nâvTwv,  xal  eîç  y.aTsX8ovT<X  eî;  '  I^aouv, 
s!;  ïvwffiv  xaî  à-oAuTpfoj'.v  xai  xoivcovîav  TtSv  6uva;j.scov. 
S.  Irénée,  Conl.  ha>r.,  i,  28,  3,  P.  G.,  t.  vu,  col.  661. 
Mais  à  quoi  bon  un  baptême,  faisait  observer  Tertul- 
lien,  Adv.  Marcion.,  i,  28,  P.  L.,  t.  n,  col.  280,  quand  on 
exclut  le  corps  du  salut  ?  Cui  enim  rei  baptisma  quoque 
upud  eum  (Marcionem)  exigilur  ?  Et  in  hoc  iotum  salutis 
sacramentum  carnem  mcrgit  exsorlem  scriulis.  Ils  avaient 
leur  clergé  :  des  lecteurs,  des  diacres,  des  prêtres,  des 
évêques,  comme  le  rappelle  Tertullien,  Prœscript.,  41, 
/'.  /..,  t.  n,  col.  57;  c'était  du  moins  le  cas  des  marcio- 
nites.  Ils  célébraient  l'eucharistie  :  tel  le  gnostique 
Marc,  qui,  pour  imiter  ce  que  faisait  l'Église,  prenait 
des  calices  pleins  d'eau  et  de  vin,  et,  après  de  longues 
prières  qu'il  prononçait  en  forme  de  consécration  pour 
faire  croire  qu'il  consacrait  réellement  et  changeait  ce 
mélange  en  sang  de  Jésus-Christ,  faisait  paraitrc  ces 
mêmes  calices  pleins  d'une  liqueur  rouge.  S.  Irénée. 
Cont.  hœr.,  i,  13,  2,  P.  G.,  t.  vu,  col.  580.  Ces  imitations 
ou  ces  contrefaçons  sacrilèges,  dûment  stigmatisées 
par  les  Pères,  montrent  où  étaient  les  vrais  sacrements. 
3.  Service  occasionnel  rendu  à  l'Eglise  par  le  gnosli- 
(isme.  —  C'est  le  propre  de  l'hérésie  en  général  de 
provoquer,  sur  les  points  dogmatiques  qu'elle  attaque, 
une  défense  appropriée  et  un  progrès  dans  la  connais- 
sance. La  gnose  n'a  pas  échappé  à  ce  genre  de  service 
rendu  à  l'Église. 

D'une  part,  en  effet,  sa  méthode  empruntée  à  la 
philosophie  et  à  l'enseignement  chrétien  a  mis  en  avant 
la  raison,  l'Écriture  et  la  tradition.  Et  c'est  justement 
par  ce  procédé  que  les  Pères  ont  réfuté  la  gnose.  Saint 
Irénée  a  ainsi  inauguré,  dans  son  traité  contre  les 
hérésies,  la  méthode  théologique,  qui  donne,  comme  il 
convient,  la  première  place  aux  données  scripturaires 
et  traditionnelles,  mais  qui  emprunte  aussi  à  la  raison 
ses  lumières  pour  la  défense  de  la  foi.  Dès  le  IIe  livre 
de  son  traité,  il  se  place  sur  le  terrain  philosophique,  et 
c'est  au  nom  de  la  raison  qu'il  réfute  les  gnosliques; 
au  troisième  et  au  quatrième,  c'est  sur  le  terrain  ecclé- 
siastique, au  nom  de  l'Écriture  et  de  la  tradition.  Et 
ici,  comme  il  constatait  ce  procédé  arbitraire  de  la  part 
de  Marcion  et  des  autres  de  faire  un  choix  parmi  les 
Livres  sacrés  ou,  comme  il  dit,  de  circumeidere  Scri- 
pluras,  de  decurlare  Evaiujelium  secundum  Lucam  et 
Epislolas  Pauli,  Cont.  hœr.,  i,  27,  4;  m,  12,  12,  P.  G., 
t.  vu,  col.  689,  906,  comme  aussi  celui  d'interpréter  à 
leur  façon  les  textes  qu'il  leur  plaisait  de  retenir,  il  eut 
soin  de  faire  remarquer  que  l'Écriture  ne  se  lit,  ne 
s'expose  et  ne  s'interprète  sans  mélange  d'erreur  et 
sans  danger  que  dans  l'Église,  où  elle  s'est  conservée 
fidèlement,  sans  additions  ni  soustractions,  depuis  les 
apôtres.  Cont.  hœr.,  iv,  33,  8,  col.  1077.  La  vraie  gnose, 
dit-il,  car  il  ne  recule  pas  devant  ce  terme  tant  vanté 
par  les  gnostiques,  la  véritable  règle  de  foi,  la  formule 
de  l'orthodoxie,  la  note  caractéristique  de  la  vérité, 
c'est  la  tradition  orale  et  vivante  de  l'Église;  et  cette 
tradition  se  trouve  dans  la  succession  ininterrompue 
des  évêques  dans  les  Églises  fondées  par  les  apôtres,  et, 
pour  ne  parler  que  d'une  seule,  «  la  plus  grande  et  la 
plus  ancienne,  connue  de  tous,  dans  l'Église  fondée  et 
établie  à  Home  par  les  très  glorieux  apôtres  Pierre 
et  Paul.  »  C'est  là  qu'est  la  tradition  qui  confond  tous 
les  novateurs;  et  il  conclut  :  Ad  hanc  igitur  Ecclesiam, 
propter  potiorem  principulilatcm,  necesse  est  omnem 
convenire  ecclesiam.,  hoc  est  cas  qui  sunt  undique  fidèles, 
in  qua  semperab  his,  qui  sunt  undique,  conservala  est 
quœ  est  ab  apostolis  traditio.  Cont.  hœr.,  ni,  3,  2, 
col.  848-849. 


La  force  d'un  tel  argument  n'échappa  point  à  Ter- 
tullien. Tertullien  sut  la  faire  valoir  d'une  manière 
originale  dans  son  fameux  argument  de  la  prescription. 
Les  gnostiques,  pour  justifier  leur  manie  de  construire 
des  systèmes  à  grand  renfort  de  spéculations  et  de 
recherches,  invoquaient  ce  texte  :  Quœrilc  et  invenielis, 
Matth.,  vm,  7.  Prœscript.,  8,  P.  L.,  t.  il,  col.  21.  Sans 
nul  doute,  réplique  Tertullien,  il  faut  chercher  pour 
trouver,  et  pour  croire  dès  qu'on  a  trouvé,  et  pour  s'en 
tenir  à  la  foi.  Ibid.,  9,  col.  23.  Car  à  chercher  toujours, 
on  ne  trouve  jamais,  et  on  ne  croit  jamais.  Ibid.,  10, 
col.  24.  Ne  cherche  que  celui  qui  n'a  pas  encore  trouvé 
ou  qui  a  perdu.  Ibid.,  11.  col.  25.  Mais  s'il  faut  chercher, 
c'est  chez  nous,  auprès  des  nôtres,  et  non  chez  les  héré- 
tiques :  Quœranms  ergo  in  nostro,  et  anoslris,  etdenostro; 
idquc  dumtaxat  quod,  salua  régula  fidei,  polest  in  quœ- 
stionem  devenire.    Ibid.,  12,  col.  26. 

Dans  leurs  recherches,  les  gnostiques  s'appuient 
sans  doute  sur  la  Bible  et  allèguent  l'Écriture;  mais  ils 
ne  sont  pas  recevables.  Ibid.,  15,  col.  28.  Leurs  re- 
cherches sont  sans  profit,  parce  qu'ils  n'admettent  pas 
tous  les  Livres  sacrés,  parce  qu'ils  font  subir  des  retran- 
chements ou  des  additions  à  ceux  qu'ils  reçoivent,  et 
parce  qu'ils  interprètent  à  leur  gré  ceux  dont  ils  citent 
les  textes,  17,  col.  30.  Dès  lors,  l'unique  question  à 
trancher  préalablement  est  celle-ci  :  Quibus  competat 
fuies  ipsa  ?  Cujus  sint  Scriplurœ  ?  A  quo,  et  per  quos, 
et  quando,  et  quibus  sil  tradila  disciplina  qua  fiunt 
chrisliani  ?  Ibid.,  19,  col.  31.  Or,  dit-il,  le  Christ  a 
confié  la  doctrine  de  la  foi  aux  apôtres,  et  les  apôtres 
l'ont  donnée  aux  Églises  qu'ils  ont  fondées.  Dès  lors., 
toute  doctrine  qui  s'accorde  avec  les  Églises  aposto- 
liques, matrices  et  sources  de  la  foi,  est  la  véritable, 
puisque  c'est  celle  que  ces  Eglises  tiennent  des  apôtres, 
que  les  apôtres  ont  reçue  du  Christ  et  le  Christ  de  Dieu. 
Par  contre,  toute  doctrine  en  opposition  avec  l'ensei- 
gnement de  ces  Églises  est  également  en  opposition 
avec  celui  des  apôtres,  du  Christ  et  de  Dieu;  et  par  là 
même,  elle  doit  être  répudiée. 

Les  apôtres,  prétendaient  les  gnostiques,  n'ont  pas 
tout  connu;  et  s'ils  ont  tout  connu,  ils  n'ont  pas  tout 
enseigné;  et  s'ils  ont  tout  enseigné,  leur  enseignement 
a  été  altéré  par  les  Églises.  C'est  à  réfuter  cette  triple 
hypothèse  que  s'applique  Tertullien.  1.  Ceux  que  Jésus- 
Christ  a  établis  maîtres,  qu'il  a  instruits  lui-même,  et 
auxquels  il  a  envoyé  le  Saint-Esprit  pour  parfaire 
leur  instruction,  ne  peuvent  pas  ne  pas  avoir  reçu  la 
révélation  complète.  Prœscript.,  23,  P.  L.,  t.  il,  col.  34- 
35.  Alléguer  l'exemple  de  Pierre  repris  par  Paul,  c'est 
confondre  une  faute  de  conduite  avec  une  erreur  de 
doctrine  :  Utique  conversationis  juit  vilium  non  prœ- 
dicationis.  Ibid.,  col.  36.  2.  Les  apôtres  auraient  eu  un 
enseignement  public  et  un  enseignement  secret;  c'est 
une  erreur  :  point  d'Évangile  occulte  chez  eux.  Ibid., 
25,  col.  37.  Ils  ont  prêché  publiquement,  mais  avec  la 
prudence  requise  et  selon  leurs  auditoires.  Ibid.,  26, 
col.  38.  Ils  ont  toujours  été  conformes  à  eux-mêmes, 
dans  leurs  écrits  particuliers  comme  dans  leur  parole 
publique.  3.  Les  Églises  auraient-elles,  par  leur  faute, 
altéré  ou  diminué  l'enseignement  apostolique  "?  Saint 
Paul  a  bien  repris  les  Galates  et  les  Corinthiens. 
Reprises  ou  non,  les  Églises  apostoliques  n'ont  reçu 
qu'une  seule  et  même  règle  de  foi.  Ibid.,  27,  col.  40. 
Cet  accord  des  Églises  apostoliques  est  un  fait  indé- 
niable et  caractéristique  de  la  vérité  :  Quod  apud 
multos  unum  invenilur,  non  est  erratum,  sed  traditum. 
Ibid.,  28,  col.  40.  Et  revenant  ad  principolitalem  vcrila- 
lis  cl  posteritatem  mendacitatis,  c'est-à-dire  à  ce  carac- 
tère de  la  vérité  d'être  antérieure  au  mensonge,  il 
conclut  :  Id  esse  dominicumel  verum,  quod  sit  prius  tra- 
ditum: id  autem  extraneum  et  falsum,  quod  sit  potier  lus 
immissum.  Ibid.,  31,  col.  44.  Or  les  gnostiques  sont  de 
nouveaux  venus;  ils  ont  été  chassés  de  l'Église     tels 


1467 


GNOSTICISME  — GOAR 


1468 


Valentin  et  Marcion.  Us  cherchent  bien  à  se  rattacher 
aux  apôtres,  mais  ils  ne  remontent  jusqu'à  eux  que 
par  des  sectes  que  les  apôtres  ont  condamnées,  ibid., 
33,  col.  45;  et  par  là  même  ils  sont  condamnés,  eux 
aussi.  Ibid.,  34,  col.  47.  Voyez,  dit-il,  les  Églises  apos- 
toliques de  Corinthe,  de  Philippes,  de  Thessalonique, 
d'Éphèse.  Voyez  Rome,  cui  totam  doclrinam  aposloli 
cum  sanguine  suo  pro/uderunt.  Ibid.,  36,  col.  49.  Et  ici 
il  rejoint  saint  Irénée,  après  avoir  opposé  aux  gnos- 
tiques  une  fin  de  non-recevoir,  et  forgé  ce  qu'il  appelle 
si  bien  ce  cuneus  veritalis.  Admirable  argument  qui 
montre  que  l'Ecriture  elle-même,  l'une  des  sources  de 
la  révélation,  dépend,  pour  son  interprétation  légitime 
et  authentique,  de  la  tradition.  Il  sera  repris,  complété, 
mais  il  a  été  formulé  par  saint  Irénée  et  par  Tertullien 
pour  combattre  le  gnosticisme;  et  il  vaut  contre  toute 
hérésie. 

Pour  les  points  de  détail,  spécialement  traités  par 
Clément  d'Alexandrie  contre  les  gnostiques  relative- 
ment à  la  foi  et  à  la  gnose,  à  la  recherche  philosophique, 
rrJ7r|<jtç,  au  vrai  gnostique,  à  l'Écriture,  à  la  tradition, 
à  la  règle  de  foi,  à  l'Église,  à  la  morale,  à  l'ascétisme,  au 
martyre  et  à  l'eschatologie,  voir  Clément  d'Alexan- 
drie, t.  ni)  col.  137-200. 

Massuet,  Disserlationes  in  quinque  Irenwi  libros,  P.  G., 
t.  vu,  col.  23-382;  Le  Nourry,  Disserhdiones  de  omnibus 
Clcmentis  Alcxandrini  operibns,  P.  G.,  t.  ix,  col.  797-1481; 
Tillemont,  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  ecclésiastique 
des  six  premiers  siècles.  Paris,  1(593-1712;  Ceillier,  His- 
toire générale  des  auteurs  sacrés  et  ecclésiastiques,  Paris, 
1729-1763,  1858-1863;  Matter,  Histoire  critique  du  gnosti- 
cisme, Paris,  1828;  Strasbourg,  1843;  Baur,  Die  christlichc 
Gnosis,  TuNngue,  1835;  N'eander,  Gnosliche  Entwickelung 
der  vornehensten  gnostisebische  System,  Berlin,  1815;  Lèques, 
Les  caractères  du  gnosticisme  (thèse),  Toulouse,  1850; 
Lipsius,  Der  Gnosticismus,  Leipzig,  1860;  Laurin,  Du 
gnosticisme  (thèse),  Aix,  1878;  Harnack,  Zur  Quellenkritik 
der  Geschichle  des  Gnosticismus,  Leipzig,  1873,  dans  Zeil- 
schrift  furdiehistorische  Théologie,  1874,  t.  xliv,  p.  143-226; 
Geschichle  der  altchristlichen  l.itleratur  bis  Eusebius,  Leipzig, 
1893-1897;  Die  Ueberlie/erung,  Leipzig,  1882,  t.  i,  p.  144- 
231;  Th.  Mansel,  The  gnostic  luvresies,  édit.  J.  Lightfoot, 
Londres,  1875;  Mœhler,  Gesammelte  Sehriften,  Batisbonne, 
1839,  t.  i,  p.  403  sq.;  Hilgenfeld,  Die  Ketzergeschichle  des 
Vrchristenlhums,  Leipzig,  1884;  E.  Amélineau,  Essai  sur 
le  gnosticisme  égyptien,  Paris,  1887;  Kunze,  De  historiée 
gnoslicismi  fontibus  noviv  qua'sliones  critica.',  Leipzig,  1894; 
L.  Duchesne,  Les  origines  chrétiennes  (édit.  lith.),  Paris, 
1886,  p.  130-170,  248-251;  Histoire  ancienne  de  l'Église, 
Paris,  1906,  t.  i,  p.  153-194;  Dôllinger,  Beitrâge  zur  Sektcn- 
geschichte  des  Mittelalters,  Munich,  1890;  E.  de  Faye, 
Gnostiques  et  gnosticisme.  Etude  critique  des  documents  du 
gnosticisme  chrétien  aux  IIe  et  IIIe  siècles,  Paris,  1913; 
Kirchcnlcxiknn,  l.  v,  p.  765-775;  Realencyklopàdic  fiir 
proteslanlische  Théologie  und  Kirche,  t.  vi,  p.  728-738; 
Dulionary  oj  Christian  biographg,  Londres,  1877-1887; 
U.  Chevalier,   Répertoire.  Topo-bibliograhie,  col.  1312-1313. 

G.    Bareille. 

GOAR  Jacques,  dominicain  français  et  célèbre 
helléniste  du  xvnc  siècle.  Il  naquit  à  Paris  en  1601; 
après  des  études  très  approfondies  surtout  en  grec  et 
en  latin,  il  entra  dans  l'ordre  de  saint  Dominique  au 
couvent  de  l'Annonciation,  sis  faubourg  Saint-Honoré. 
Il  y  prit  l'habit,  le  2  mai  1619;  le  24  mai  de  l'année 
suivante,  il  y  fit  profession  entre  les  mains  du  P.Georges 
Laugier,  vicaire  général  de  la  congrégation  occitaine. 
Ses  études  de  philosophie  et  de  théologie  achevées,  il 
devint  lecteur  au  couvent  de  Toul.  Il  n'avait  pas 
cessé  de  s'adonner  à  l'étude  de  la  littérature  grecque 
et  désirait  en  faire  sa  principale  occupation.  Il  profila 
de  la  visite  du  maître  général,  Nicolas  Ridolfi,  en 
France  et  de  son  séjour  à  Paris,  pour  demander 
d'aller  en  Grèce  dans  le  but  de  se  perfectionner  clans 
la  connaissance  de  la  langue.  Ridolfi  le  lui  permit  et  il 
partit  en  1631  pour  l'île  de  Chio;  il  fut  nommé  prieur 
du   couvent  de   Saint-Sébastien  de    la  ville    de  Chio, 


1  charge  qu'il  conserva  pendant  six  années.  Là,  tout  en 
exerçant  les  fonctions  de  missionnaire  apostolique,  il 
étudiait  de  près  les  rites  de  l'Église  grecque,  s'enqué- 
rant  des  usages,  entrant  en  rapport  avec  les  personnes 
le  plus  capables  de  le  renseigner.  Cependant,  il  ne 
semble  pas  qu'il  ait  pu  séjourner  dans  l'île  après  mars 
1637,  ainsi  que  le  montre  une  lettre  du  25  mars. 
Probablement  cette  même  année  1637,  il  revint  à 
Rome  où  il  fut  fait  prieur  du  couvent  de  Saint-Sixte; 
il  eut  alors  l'occasion  d'entrer  en  relations  avec  un 
certain  nombre  de  personnages,  savants  hellénistes, 
tels  que  Léon  Allatius,  Basile  Falasca,  procureur  géné- 
ral des  basiliens,  Georges  Coresio,  Pantaléon  Ligaridio, 
etc.  En  1642,  il  était  de  retour  à  Paris,  où  il  est  chargé 
de  la  formation  des  novices  ;  mais  dès  l'année  suivante,  il 
reprend  le  chemin  de  Rome,  où  il  arrive  dans  le  mois  de 
novembre  1643.  En  route,  il  visite  toutes  les  bibliothè- 
ques qu'il  peut,  pourexaminerleurs  collections  grecques. 
Ce  n'est  qu'à  son  retour  à  Paris,  le  24  juillet  1644, 
qu'il  décida  de  se  mettre  à  la  composition  d'ouvrages, 
pour  lesquels  il  recueillait  des  matériaux  depuis  si 
longtemps.  Le  20  avril  1653,  au  chapitre  d'Amiens, 
il  fut  élu  vicaire  général  de  la  congrégation  occitaine; 
confirmé  à  Rome  dans  cette  charge  le  10  juin,  il 
inaugura  son  gouvernement  le  19  septembre.  Malheureu- 
sement il  mourait  dès  l'année  suivante,  le  23  septembre. 
Les  travaux  de  Goar  sur  la  liturgie  et  les  cérémonies 
de  l'Église  grecque  sont  des  plus  importants,  surtout 
par  l'érudition  et  les  recherches  minutieuses  qu'ils 
révèlent.  Ils  ont  servi  de  base  à  tous  les  autres  travaux 
de  ce  genre.  Voici  les  principaux  ouvrages  de  Goar, 
dont  les  titres  un  peu  longs  sont  pourtant  d'un  grand 
intérêt:  1°  Ej/oAciytov,  sive  Riluale  grwcorum  complc- 
ctens  rilus  et  ordines  divinœ  lUurgiœ,  officiorum,  sacra- 
mentorum,  consecralionum,  benediclionum,  junerum, 
oralionum,  etc.,  cuilibel  personœ  stalui  vd  tempori  con- 
gruens.  juxta  usum  orientalis  Ecclcsiœ  :  cum  scleclis  biblio- 
theeee  regiœ,  barberinœ,  Cryptœ-Ferratœ,  sancli  Marci 
Florenlini,  lilliunœ,  allaiian.se,  corcsianœ.  et  aliis  proba- 
lis  ms.  cl  edilis  exemplaribus  collatum.  Inlerprelationc 
lalina,  nec  non  mixlo  burbararum  vocum  brevi  glos 
sario,œneis  figuris  et  observationibus  ex  antiquis  PP. 
et  maxime  grœeorum  thcologorum  expositionibus  illu- 
stration, Paris,  1647;  1676,  avec  un  nouveau  titre; 
Venise,  1530  (2e  édit.);  2°  Georgii  Ccdreni  compendium 
hisloriarum  ex  v;rsione  Guilielmi  Xilandri  cum  cjus- 
dem  annotationibus.  Accedunt  huic  edilioni  prœtcr  la- 
eunas  1res  ingénies  et  alias  expletas,  in  Ccdrenum 
P.  Jacobi  Goar  ord.  prœd.  notœ  posteriores,  et  Caroli 
Annibalis  Fabrolti  J.  C.  glossarium  ad  eumdem.  Item. 
Joanncs  Scylitzes  Curopalates  excipiens  ubi  Ccdrenus 
desinit,  nunc  primum  grœce  edilus  ex  bibliotheca  regia, 
in-fol.,  Paris,  1647;  2  in-fol.,  Venise,  1729;  3°  Georgius 
Codinus  Curopalala,  de  officiis  magnœ  Ecclcsiœ  el  Aulœ 
Conslantinopolilanœ.  Ex  versionc  P.  Jacobi  Grclseri,  Soc. 
Jesu,  cum  ejusdem  in  Codinum  commenlariorum  libris 
tribus,  cl  de  Imaginibus  non  manujaclis  opère.  In  hac 
edilionc  pruier  comparalum  cum  regiis  mss.  grircum 
lexlum,  cl  reparatam  latinam  versionem,  accedunt  ine- 
dili  ex  regia  et  Mazarina  bibliotheca  offlcialium  catalogi, 
et  ad  Codini  menlem  locuplctcs  notœ.  Adjungunlur  rc- 
centiores  orienlalium  episcopatuum  nolilia',  voces  hono- 
rariœ,  appcllaliones,  dignilalum  indices,  quibus  postremis 
sœculis  ecclesiaslici  vel  aulici  proccres  salulabanlur,  in- 
fol.,  Paris,  1648.  Cf.  Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  C10 
de  Jésus,  t.  m,  col.  1802.  4°  Georgii  monachi  el  S.  J'.  N, 
Tarasii  palriarchœ  C.P.  quondam  syneelli  Chronographia 
ab  Adamo  usque  ad  Dioclclianum  (nunc  primum)  el 
Niccphori  palriarchœ  C.  P.  breviarium  chronographi- 
cum  ab  Adamo  ad  Michaelis  cl  cjus  P.  Theophili 
lempora.  Ilis  tabulœ  ehronologicœ.  et  annolaliones 
addilse,  in-fol.,  Paris,  1652.  5°  .S.  P.  N.  Theophanis 
Chronographia  et  Leonis  grammatici  ville  recentiorum 


1469 


GOAR  — GODEAU 


1470 


imperatorum  interprète  eedem  Goario.  Goar  ne  put 
mener  à  bout  ce  travail;  il  fut  terminé  par  Combefis 
qui  mit  les  notes  de  Goar  à  la  fin,  en  y  ajoutant  les 
siennes  propres,  in-fol.,  Paris,  1655.  Lorsqu  il  entreprit 
ce  travail,  Goar  était  déjà  atteint  d'une  maladie  d'yeux, 
de  sorte  qu'il  laissa  s'y  glisser  pas  mal  de  fautes,  qui 
furent  relevées  par  le  jésuite  Pouisines  dans  son 
retuspYÎou  toj  Ha/j;j.ÉpT|  ...,  1666.  A  son  tour,  celui-ci 
mérita  d'être  corrigé  par  Combefis.  6°  Collectio  elemen- 
taris  materiarum  omnium  saeris  et  divinis  canonibas 
eontentarum  a  minimo  sacerdote  et  monacho  Malthseo 
Blaslare  elucubrata  simul  et  compacta.  Cette  version 
latine  du  ms.  grec  conservé  dans  la  bibliothèque  royale 
était  enrichie  de  notes.  Elle  ne  fut  jamais  publiée  et  se 
conservait  au  couvent  de  Saint-Honoré,  ainsi  que  l'ou- 
vrage suivant.  7°  Synodi  Florentines  ejus  nimirum  eau- 
sarum  Grœcorum  pro/ectionis,  et  ad  eam  apparalus,  cele- 
bralionis,definitionis,  reditus  et  evenluum  ex  ea  subse- 
quulorum  in  Ecclcsia  Conslanlinopolilana,  Grœconicse 
videlicet  adversus  eam  perducllionis  accurata  narredio  : 
auctorc  Sylv^stro  Syropulo  magno  ecclcsiarcha  et  dicœo- 
phylace.  Goar  avait  fait  lui-même  une  copie  du  ms. 
grec  de  la  bibliothèque  royale  n.  1369,  dont  le  commen- 
cement manquait.  Il  en  fit  une  traduction  latine,  mais 
il  n'eut  pas  le  temps  de  l'annoter,  non  plus  que  de  le 
collationner  sur  d'autres  manuscrits.  La  copie  grecque 
de  Goar  se  conservait  aussi  au  couvent  de  Saint-Honoré, 
de  même  que  le  texte  latin,  celui-ci  écrit  sous  sa  dictée. 
Il  avait  aussi  songé  à  donner  une  nouvelle  édition  de 
l'Historia  universalis  Joannis  Zonarœ  cum  emendala 
Hicronymi  Wolphii  Oclingensis  versione  Basilœ  liô7 
olim  édita.  Il  mourut  avant  d'avoir  pu  réaliser  son 
désir.  Combefis,  qui  avait  eu  la  même  pensée,  ne  put 
non  plus  en  venir  à  bout.  C'est  Du  Cange  qui  pourvut 
à  cette  nouvelle  édition,  2  in-fol.,  Paris,  1687.  Enfin 
nous  pouvons  encore  signaler  de  Goar  :  Altestalio  Jacobi 
Goariord.privd.de  communione  orienlalium  sub  specie 
unica.  Elle  se  trouve  insérée  dans  Allatius,  De. ..perpétua 
consensione,  col.  1659.  Les  œuvres  historiques  de  Goar 
ont  trouvé  place  dans  le  Corpus  scriptorum  hisloriœ 
Byzantinse,  Bonn,  1878.  Bon  nombre  des  manuscrits 
grecs  rapportés  par  Goar  de  ses  voyages  en  Orient  pas- 
sèrent à  la  Bibliothèque  nationale. 

Echard,  Scriptores  ordinis  prœdicatorum,  Paris,  171'.), 
t.  il,  p.  574-575;  Feller,  Dictionnaire  historique,  Paris,  1818, 
t.  iv,  p.  138;  Xieéron,  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  des 
hommes  illustres  dans  la  république  des  leltres,  Paris,  1724- 
1745,  t.  xix,  p.  384  sq.;  Renaudot,  Collectio  liturqiarum 
orienlalium,  Paris,  1716,  t.  i;  Perpétuité  de  la  foi,  t.  jv, 
1.  I,  c.  i,  édit.  Migne,  t.  ni,  p.  21;  Hurler,  Nomenclalor 
literarius,  Inspruck,  1907,  t.  IV,  col.  1210-1212;  Sommer- 
vogel,  Bibliothèque  de  la  Cle  de  Jésus,  art.  Poussines  et 
Gretzer;  L.  Delisle,  Le  cabinet  des  manuscrits,  Paris,  1874, 
t.  il,  p.  245;  Danielis  Miehaelis  Inlroductio  ad  hislor.  litlcr., 
1721,  p.  99  et  100;  Baudelot,  De  l'utilité  des  voyages,  édit. 
de  1727,  t.  n,  p.  419;  Touron,  Histoire  des  hommes  illustres 
de  l'ordre  de  saint  Dominique,  Paris,  1748,  t.  v,  p.  357-363; 
quelques  lettres  de  Goar  aux  archives  de  l'ordre. 

R.  CouLON. 

GOBAT  Georges,  un  des  principaux  moralistes  et 
casuistes  du  xvne  siècle.  Né  à  Charmoille,  dans  la 
principauté  de  Porrentruy,  le  1er  juillet  1600,  il  fut 
reçu  dans  la  Compagnie  de  Jésus  le  1er  juin  1618,  et, 
après  avoir  professé  la  littérature  et  la  philosophie,  se 
livra  exclusivement  à  l'étude  et  à  l'enseignement  de  la 
théologie  morale,  où  il  ne  tarda  point  à  acquérir  la 
réputation  d'un  maître.  Sa  haute  vertu  et  la  sagesse 
de  ses  conseils  lui  firent  confier  d'importantes  missions. 
Après  vingt-sept  années  d'enseignement  théologique,  le 
P.  Gobât  fut  chargé  delà  direction  du  collège  de  Hall, 
puis  de  celui  de  Fribourg,  et  mourut  à  Constance  le 
23  mars  1679,  en  préparant  une  édition  complète  cle  ses 
œuvres,  qui  ont  toutes  pour  objet  la  théologie  morale. 
1°  Sensuset  consensus  doctorum  de  jubilco  duplici  etsus- 


pensione  indulgentiarum  propositus,  Inspruck,  1619;  ce 
dernier  ouvrage  qui  contenait,  avec  une  étude  sur  les 
bulles  d'Innocent  X,  une  foule  d'aperçus  originaux  et 
quelques  solutions  nouvelles,  attira  aussitôt  l'attention 
du  monde  ecclésiastique  sur  le  brillant  professeur;  le 
traité  fut  réimprimé  à  Cracovie  en  1651;  2°  Thésaurus 
ecclesiasticus  indulgentiarum  in  quo  omniadubia  mora- 
lin...  proponunlur,  ibid.,  1650;  Munich,  1650;  Con- 
stance,  1670;  c'était  le  recueil  le  plus  complet  qui  eût 
alors  paru  sur  ces  matières  ;  il  était  précédé  d'une  re- 
marquable dissertation  sur  la  nature  des  indulgences 
où  abondaient  encore  les  vues  nouvelles;  3°  Alphabe- 
ticum  communicantium,  Constance,  1659;  Inspruck, 
1652;  Munich,  1662:  recueil  de  cas  de  conscience  et 
traité  pratique  sur  la  réception  et  l'administration  de 
la  sainte  eucharistie;  4°  Clypeus  elemenlium  judicum 
ulriusque  fori,  Constance,  1659;  Munich,  1662;  Con- 
stance, 1663;  cette  dernière  édition  est  de  beaucoup  la 
meilleure;  5°  Alphabeticum  sacrificantium,  Constance, 
1660;  Munich,  1663  :  traité  pratique  etrecueil  de  cas  de 
conscience  sur  la  célébration  de  la  sainte  messe; 
i3"Thcologia  juridico-moralis,  seu  accusai io  canonica 
ebriosi,  ad  divortium  compellcndi,  Munich,  1663; 
l°Alphabetum  baplizantium  et  confirmantium,  Munich, 
1663;  8"  Alphabelum  sacri  audiendi  et  breviarii  reci- 
landi,  Constance,  1664;  9°  Alphabelum  ordinis  cl 
exlremse  unctionis,  ibid.,  1664;  10°  Alphabctum  matri- 
moniede,  2  vol.,  ibid.,  1665;  11°  Alphabelum  confessa- 
riorum,  ibid.,  1666;  12°  Alphabelum  confitcntium, 
ibid.,  1667;  tous  ces  ouvrages  qui  épuisent  sur  chaque 
point  la  matière  sont  conçus  d'après  le  même  plan, 
cher  à  l'auteur,  des  cas  de  conscience  suivi  de  l'exposé 
théorique  de  chaque  question;  13°  Clavis  alphabclieo- 
sacramcnlalis,  id  est,  tractatus  moralis  de  sacrameniii 
in  génère,  ibid.,  1667;  14°  Alphabelum  quadruplex  quo... 
explicalur  materia  voti,  juramcnli,  blasphcmix  cl 
superslilionis,  ibid.,  1672.  Le  P.  Gobât  avait  entrepris 
l'édition  définitive  de  ses  œuvres  dans  les  Opéra 
moralia,  dont  le  rr  tome  parut  à  Ingolstadt  en  1678, 
lorsqu'il  succomba  à  la  tâche,  au  collège  de  Constance, 
le  23  mars  1679.  Dans  les  dernières  années  de  sa  vie, 
il  avait  été  recteur  des  collèges  de  Hall  et  de  Fribourg 
en  Suisse  où  sa  mémoire  resta  longtemps  en  véné- 
ration. L'édition  de  ses  œuvres  fut  reprise  aussitôt  par 
le  collège  de  Constance,  et  les  deux  derniers  volumes, 
publiés  avec  une  apparente  précipitation,  parurent  à 
Munich  en  1681.  L'édition  de  Douai,  1700,  en  3  in-fol., 
fut  revue  avec  le  plus  grand  soin  et  servit  aux  éditions 
de  Venise  de  1710  et  1744.  Les  œuvres  de  Gobât 
attirèrent  l'attention  de  l'évèquc  d'Arras,  fort  mal 
disposé  en  faveur  des  doctrines  de  la  Compagnie  de 
Jésus.  Il  les  censura  dans  un  écrit  paru  à  Arras  en  1703, 
et  qui  provoqua  une  assez  vive  polémique.  Plusieurs 
ouvrages  parurent  en  réponse  pour  justifier  les  doc- 
trines incriminées  :  Justification  des  jésuites  de  Douai, 
s.  1.  n.  d.;  Apologie  pour  la  doctrine  des  jésuites  par  le 
P.  Gabr.  Daniel,  Liège,  1703;  Vindicise  Gobaliamv, 
17(16,  important  ouvrage  du  P.  Christophe  Rassler. 
La  doctrine  de  Gobât  ne  méritait  point  cette  censure 
sévère.  Bien  que  certains  points  de  détail  ne  puissent 
plus  être  retenus  aujourd'hui,  «  l'ensemble  de  sa 
doctrine  est  solidement  établi  et,  de  son  temps,  il 
était  partout  consulté.  »  Lehmkuhl,  Theologia  moralis, 
Fribourg-en-Brisgau,  1888,  t.  n,  p.  806. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  C'°  de  Jésus,  t.  ni, 
col.  1505-1512;  Hurter,  Nomenclator,  3»  édit.,  1912,  t.  ni, 
col.  234;  A.  Valrey,  Histoire  du  collèqe  de  Porrcntrug. 
Porrentruy,  1868,  p.  116  sq. 

P.  Bernard. 

GODEAU  Anioine,  né  à  Dreux  le  24  septembre  1605, 
mort  à  Vence  le  21  avril  1672.  Après  une  jeunesse 
mondaine,  où  il  fut  très  remarqué  à  l'hôtel  de  Ram- 


1*71 


GODEAU  —  GODOY 


1472 


bouillet  et  surnommé  «  le  nain  de  la  princesse  Julie  ». 
avocat  au  parlement  de  Paris,  membre  de  l'Académie 
française  dès  son  origine,  il  reçut  le  sous-diaconat 
en  mai  1635  et  la  prêtrise  en  1636.  Nommé  évèque  de 
Grasse  le  21  juin  1636,  préconisé  le  22  septembre  et 
sacré  à  Paris  le  14  décembre,  il  arriva  le  28  septem- 
bre 1637  dans  sa  ville  épiscopale.  Sans  cesser  de  s'oc- 
cuper de  littérature  et  de  suivre  de  loin  la  vie  mondaine 
où  il  avait  brillé,  il  s'occupe  activement  de  son  diocèse, 
tM  chargé  par  Louis  XIII  de  cbasser  les  cassinistes 
de  Lérins  et  de  les  remplacer  par  les  mauristes  en  1638, 
est  nommé  le  20  décembre  1639  évèque  de  Vence  dont 
le  diocèse  est  réuni  au  sien,  ce  qui  ne  fut  ratifié  que 
par  Innocent  X  le  7  décembre  1644.  Godeau  joua  un 
rôle  important  en  Provence  et  dans  les  Assemblées 
.générales  du  clergé  en  1645-1646  et  1653.  Louis  XIV 
avant  demandé  au  Saint-Siège  la  désunion  des  deux 
diocèses  en  1653,  Godeau  résigna  Grasse  et  garda  Vence. 
Il  reparut  à  l'Assemblée  générale  de  1655-1657,  admi- 
nistra le  diocèse  d'Aix  en  1660  durant  l'absence  du  car- 
dinal Grimaldi,  continua  à  être  remarqué  en  Provence, 
surtout  lors  du  voyage  de  la  cour.  Il  fut  un  instant 
question  de  lui  comme  précepteur  du  Dauphin.  En  1761, 
sur  sa  demande,  Louis  de  Thomassin  lui  fut  donné 
comme  coadj ut eur,  après  avoir  été  préconisé  le  14  dé- 
cembre au  titre  de  Rhodiopolis  et  sacré  le  25  février 
1672  à  Paris;  Godeau  mourut  deux  mois  après  le  sacre 
de  Mgr  de  Thomassin.  11  a  laissé  un  nombre  considé- 
rable d'ouvrages  en  prose  et  en  vers.  Parmi  les  premiers, 
on  peut  mentionner  ses  Paraphrases  sur  les  Épîtres  de 
saint  Paul  et  les  Épitres  canoniques,  ses  Oraisons  funèbres 
(Louis  XIII,  Listolfi  Maroni,  évèque  de  Bazas,  J.-B. 
Camus,  ancien  évèque  de  Belley,  Mathieu  Mole,  Jean  IV, 
roi  de  Portugal),  ses  Ordonnances  et  Instructions 
synodedes,  ses  Instructions  et  prières  chrétiennes,  son 
Histoire  de  l'Église,  ses  Vies  des  saints  Paul,  Augustin 
et  Charles  Borromée,  ses  Tableaux  de  la  pénitence,  ses 
Œuvres  chrétiennes  et  morales,  son  Traité  des  séminaires, 
ses  Éloges  de  divers  évêques,  empereurs,  rois,  etc.,  son 
Nouveau  Testament.  Dans  ses  ouvrages  posthumes,  ses 
Homélies,  sa  Morale  chrétienne,  ses  Lettres.  Dans  les 
documents  possédés  par  les  archives  départementales 
des  Alpes-Maritimes,  divers  mandements,  lettres,  etc. 
Parmi  les  œuvres  envers  de  Godeau,  on  peut  signaler 
ses  Œuvres  chrétiennes,  ses  Poésies  chrétiennes,  sa  Para- 
phrase  des  Psaumes,  ses  Hymnes  (en  l'honneur  de  sainte 
Geneviève  et  de  saint  Charles  Borromée),  son  Saint  Paul. 
En  outre,  un  poème  posthume,  Les  jasles  de  l'Église. 
Protégé  par  Richelieu,  mal  vu  par  Mazarin,  Godeau  a 
été  mêlé  aux  querelles  du  jansénisme.  Cousin  deConrart, 
il  ne  réussit  pas  à  le  convertir  au  culte    catholique. 

P.  Tourtoureau,  Oraison  funèbre  de  Godeau  (1672); 
abbé  Tisserand,  Antoine  Godeau,  Paris,  1870;  Histoire  de 
\'ence,  Paris,  1860;  R.  Kerviler,  Antoine  Godeau,  Paris, 
1879;  abbé  Cognet,  Antoine  Godeau  (thèse  de  doctorat), 
Paris,  1900  :  un  index  bibliographique  et  une  table  des 
ouvrages  de  l'evêque  s'y  trouvent;  G.  Doublet,  Godeau, 
èvèijue  de  Grasse  et  de  Vence,  2  in-8°,  Paris,  1912,  1913 
(le  reste  sous  presse). 

G.  Doublet. 

GODFROY  ciaude-Eusèbe,  jésuite  français,  né  le 
15  décembre  1817  à  Armaucourt  (Meurlhe),  enseigna  la 
phvsique  (1841-1845),  l'Écriture  sainteet  l'hébreu  (1845- 
1853)  au  grand  séminaire  de  Nancy,  où  son  influence 
contribua  pendant  dix  ans  à  former  une  génération 
de  prêtres  qui  furent  l'honneur  du  diocèse,  et  se  fit 
admettre  dans  la  Compagnie  de  Jésus,  au  noviciat  de 
Saint-Acheul,  le  8  septembre  1853.  D'abord  pro- 
fesseur de  philosophie  au  collège  Saint-Clément  de 
Metz,  il  ne  tarda  pas  à  être  envoyé  à  Paris  à  la  rédac- 
tion des  Éludes  religieuses  que  venaient  de  fonder  les 
Pères  Daniel  et  Gagarin.  Il  s'occupa  surtout  de  ques- 
tions exégétiques  et  s'attacha  à  réfuter  les  principales 
erreurs  de  Renan.  On  a  de  lui  une  assez  longue  série 


d'ouvrages  qui  traitent  surtout  de  questions  ascétiques 
ou  de  l'enseignement  de  la  religion  au  peuple.  Parmi 
ses  écrits  apologétiques,  il  convient  de  citer  :  De  l'exé- 
gèse rationaliste,  Paris,  1856;  Motifs  et  précis  de  la  foi 
catholique  contre  tes  erreurs  du  temps  présent,  Nancy, 
1859;  Voltaire  :  Son  centenaire,  Troyes,  1878.  Son 
zèle  se  dépensa  dans  les  vingt  dernières  années  de  sa 
vie  à  des  œuvres  d'apostolat  qu'il  sut  rendre  floris- 
santes et  qui  rendirent  son  nom  particulièrement  cher 
à  la  ville  de  Troyes.  Il  mourut  à  Flavignv-sur-Moselle, 
le  4  avril  1889.  * 

Sommervogel,    Bibliothèque   de   la    C'e    de   Jésus,    t.    m, 
col.  1518  sq.  ;  Lettres  de  Jersey,  t.  vin,  p.  200  sq. 

P.  Bernard. 
GODOY  (Pierre  de)  fut  un  des  meilleurs  théolo- 
giens que  fournit  au  xvne  siècle  l'école  dominicaine 
espagnole.  Il  naquit  à  Aldeanneva,  dans  l'Estramadure, 
diocèse  de  Plasencia.  Il  entra  dans  l'ordre  dominicain 
au  couvent  de  San  Esteban,  à  Salamanque,  et  y  fit 
profession.  Il  fut  envoyé  ensuite,  pour  y  poursuivre 
ses  études,  au  collège  Saint-Grégoire  de  Valladolid.  Il 
revint  à  Salamanque  où  il  enseigna  avec  éclat  dans 
la  première  chaire  de  théologie  de  l'université.  Comme 
prédicateur,  il  eut  aussi  le  plus  grand  renom.  Après 
vingt-cinq  ans  d'enseignement,  Philippe  IV  voulut  le 
récompenser  et  le  fit  nommer  à  l'évêché  d'Osma,  choix 
que  ratifia  Alexandre  VII,  le  31  mars  1664.  Après  avoir 
gouverné  cette  église  pendant  plusieurs  années,  il  fut 
transféré  à  celle  de  Siguenza,  en  1672.  Voir  Gams, 
Séries  episcoporum.p.  75.  C'est  sur  ce  siège  qu'il  mourut, 
le  2  novembre  1687.  Il  ne  semble  pas  pourtant  que  l'on 
doive  retenir  cette  date  de  1687  donnée  par  Gams.  En 
effet,  le  12  juillet  1677,  Innocent  XI  nomme  à  l'évêché 
de  Siguenza  Thomas  Carbonel,  lui  aussi  dominicain, 
et  le  donne  comme  successeur  à  un  certain  Pierre,  qui 
ne  peut  être  que  Godoy.  D'autre  part,  des  relations 
circonstanciées  fournies  à  Cavalieri  prouvent  que  Pierre 
Godoy  dut  mourir  dans  le  courant  de  la  même  année 
1677.  Les  auteurs  espagnols  ont  célébré  sa  générosité  et 
son  amour  des  pauvres.  On  a  de  lui  :  1°  Dispulationes 
theologicœ  in  IIP"  partent  D.  Thomœ,  3  in-fol.,  Osma, 
1666-1668;  Venise,  1686;  2°  Disputationcs  theologicie 
in  I'm  partem  D.  Thomœ,  3  in-fol.,  Osma,  1669-1671; 

3°  Disputationcs  théologien-  in  I IIœD.  Thomsc,'m-îo\., 

Osma,  1672.  Plus  tard  ces  ouvrages  furent  réunis  et 
parurent  ensemble,  in-fol.,  Venise,  1686;  7  in-4°.  1696; 
7  in-fol.,  1763.  Cette  édition  contient  des  appendices 
par  J.-B.  Gonet.  Plusieurs  écrits  philosophiques  de 
Pierre  Godoy  parurent  sous  d'autres  noms,  ainsi  que 
le  déclare  Cavalieri,  Galleria  dei  sommi  ponte fici,  etc., 
1. 1,  p.  699.  Il  faut  noter  aussi  comment  il  peut  se  faire 
que  l'on  retrouve  exactement  les  mêmes  passages  à 
la  fois  dans  Godoy,  surtout  dans  ses  commentaires 
sur  la  I",  et  dans  Gonet,  Clypcus,  etc.  Voici  comment 
Echard  explique  la  chose.  L'enseignement  de  P. 
Godoy  à  Salamanque  eut  un  tel  succès  qu'aussitôt 
l'on  compta  plus  de  mille  exemplaires  manuscrits 
de  ses  leçons,  qui  non  seulement  se  répandirent  par- 
tout en  Espagne,  mais  aussi  en  Italie  et  en  France. 
Sans  doute  un  exemplaire  tomba  entre  les  mains 
de  Gonet  qui,  en  ce  temps-là,  préparait  l'édition 
de  son  Clypcus.  Trouvant  dans  l'exposition  du  théo- 
logien espagnol  l'expression  exacte  de  sa  propre 
pensée,  il  l'adopta  et  la  fit  ainsi  passer  dans  son  propre 
travail.  Néanmoins,  on  ne  saurait  sans  injustice 
accuser  Gonet  de  plagiat,  car  lui-même,  dans  son 
prologue  au  lecteur,  t.  i,  s'est  prévalu  de  son  autorité 
et  l'a  dit  clairement.  Il  en  est  résulté  que  ces  passages 
de  Godoy  parurent  dans  l'ouvrage  de  Gonet,  1659  sq.. 
avant  que  l'auteur  lui-même  les  ait  publiés  pour  son 
propre  compte.  Malgré  cet  aveu,  il  paraît  que  Godoy 
fut  peu  satisfait  du  procédé  de  Gonet  et  deux  de  ses 


1473 


GODOY 


GŒRRES 


1474 


amis  et  censeurs,  François  de  Ayllon  et  Hyacinthe 
de  Parra,  le  lui  reprochèrent,  le  premier  dans  le  pro- 
logue ad  leclorem  du  traité  De  Trinitale,  le  second 
dans  la  censure  des  Disputationcs  in  1-""  1PV.  Echard 
excuse  Gonet,  en  disant  que  peut-être  sans  le  stimulant 
que  Godoy  reçut  de  la  publication  du  CUjpeus,  il  ne  se 
serait  point  décidé  à  faire  paraître  son  travail,  qui  eût 
été  ainsi  perdu  ou   qui  eût  paru  sous  d'autres  noms. 

Echard,  Scriptores  ordinis  pnvdicatorum,  Paris,  1719, 
1721,  t.  ii,  p.  073-671;  Fontana,  Theatrum  dominicanum, 
Rome,  1666,  p.  256;  Mich.  Cavalieri,  Gallcria  de'  sommi 
ponteflei,  etc.,  Bénévent,  1696,  t.  i,  p.  699;  Ilurter,  Nomen- 
clator  Uterarius,  Inspruck,  1910,  t.  IV,  col.  7;  Gams,  Séries 
episcoporum,  p.  75. 

R.  Coulon. 

GOEPFFERT  Georges,  jésuite  allemand,  né  à 
Bischofsheim,  dans  le  duché  de  Bade,  le  8  décembre 
1G35,  entra  dans  la  Compagnie  de  Jésus  le  16  dé- 
cembre 1656.  Après  avoir  enseigné  les  humanités  à 
Mayence,  la  philosophie  à  Heiligenstadt  et  à  Wurz- 
bourg,  il  professa  successivement  la  théologie  à 
Bamberg,  à  Wurzbourg,  à  Molslieim,  à  Fulda,  devint 
chancelier  de  l'université  de  Bamberg  et  mourut  à 
Wurzbourg  le  14  septembre  1704.  Il  reste  de  lui  quel- 
ques thèses  de  théologie  :  Dux  et  lux  divini  judicii  siv 
Verbum  incarnalum  ex  be(dissima  Virgine  natum, 
Bamberg,  1697;  JEnigma  theologicum  ex  1"  parle 
Summœ  theologiœ  desumptum.  Deus  unus  et  trinus, 
ibid.,  1698;  Thèses  theologicœ  de  inearnati  Verbi 
mysterio,  ibid.,  1698;  De  prolegomenis  et  principiis 
juris  canonici,  ibid.,  1698. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  C'°  de  Jésus,  t.  ni, 
col.  1527  sq.;  Group,  Collectio  scriptoram  Wircebwgentiwn, 
Francfort,  1754,  t.  n,  p.  511-526. 

R.  Coulon. 

GŒRRES  (Jean-Joseph  de),  né  le  25  janvier  1776 
à  Coblentz,  mort  à  Munich  le  29  janvier  1848,  est  un 
des  hommes  de  son  temps  qui  ont  le  mieux  mérité 
à  la  fois  de  l'Église  et  de  leur  patrie;  personne,  au 
xixe  siècle,  ne  s'est  voué  à  la  défense  des  droits  de 
l'Église  et  de  la  liberté  politique  et  religieuse  du 
peuple  allemand  avec  plus  de  persévérance  et  d'éclat. 
Esprit  universel,  qui  embrassait  dans  le  vaste  cercle 
de  ses  connaissances  les  parties  les  plus  diverses  du 
savoir  humain,  l'histoire  et  les  sciences  exactes,  la  théo- 
logie et  les  sciences  naturelles;  âme  de  feu;  plume 
fertile  autant  que  ferme  et  hardie,  Gœrres  a  été,  par 
ses  facultés  puissantes  comme  par  ses  talents  variés, 
le  second  Leibniz  de  son  pays,  et  il  a  exercé  en  Alle- 
magne une  influence  considérable  sur  l'étude  des 
sciences  ecclésiastiques.  On  distingue  dans  sa  vie  trois 
phases,  ayant  chacune  son  caractère  et  sa  physionomie 
propre. 

7re  période:  1776-1800.  Issu  d'une  famille  bourgeoise 
aisée,  Gœrres  fut  élevé  dans  le  gymnase  de  sa  ville 
natale,  mais  ne  put,  en  raison  des  événements  politiques, 
suivre  les  cours  de  l'université  de  Bonn,  où  il  avail 
projeté  d'abord  d'aller  étudier  la  médecine;  le  docte, 
l'infatigable,  le  généreux  Gœrres  sera,  par-dessus  tout, 
un  autodidacte.  En  1794,  lorsque  les  victoires  de  la 
République  française  l'eurent  rendue  maîtresse  de  la 
rive  gauche  du  Rhin  et  lui  eurent  ouvert  Coblentz,  le 
jeune  Gœrres  se  fit  le  champion  enthousiaste  des  idées 
républicaines  et  les  célébra  tant  par  sa  vive  parole  dans 
les  clubs  de  sa  patrie  que  par  de  spirituels  et  mordants 
écrits,  brochures  ou  articles  de  journaux;  l'Église 
catholique  et  ses  institutions  n'y  furent  même  pas  épar- 
gnées. Cette  exaltation  juvénile,  néanmoins,  tomba 
vite;  le  mirage  des  idées  républicaines  dura  peu;  à  la 
clarté  de  l'orage  qui  était  venu  fondre  sur  Coblentz, 
Gœrres  entrevit  bientôt  l'immense  vanité  de  ses  illu- 
sions et,  profondément  désabusé,  il  laissa  de  côté  la 
politique,  pour  se  tourner  vers  la  science  et  vers  l'art. 

DICT.  DE  THÉOL.  CATHOL. 


On  le  vit  s'adonner  surtout  à  l'étude  des  sciences  natu- 
relles, et  y  rester  plus  ou  moins  enlacé  dans  les  for- 
mules panthéistes  de  Schelling,  dont  la  philosophie 
avait  fasciné    sa  jeunesse. 

2e   période   :    1801-1826.    Pourvu   de   la   chaire   de 
physique  à  l'école  secondaire  de  Coblentz,  le  publiciste 
d'hier,  le  laborieux  et  pénétrant  écrivain,  après  avoir 
traduit  en  1801  les  Tableaux  synoptiques  de  chimie  de 
Fourcroy,  faisait  paraître,  en  1803,  ses  Aphorismen  ùb':r 
die  Organonomic,  en  1805,  une  Exposition  de  la  physio- 
logie, et  des  Aphorismen  ïiber  die  Organologie,  en  1806, 
les  Aphorismen  ùber  Glaube  und  Wissen.  Cette  année 
même,  sur  la  chaude  recommandation  d'un   savant 
jurisconsulte,  le  professeur  Thibaut,  Gœrres  était  trans- 
féré à  l'université  de  Heidelberg,  et  y  entamait  une 
série  de  leçons  d'histoire  et  de  littérature.  Dans  son 
livre  des  Teulschen  Volksbùcher,  il  excita  l'intérêt  pour 
les   obscurs  et  lointains   domaines   de  la  vieille  Alle- 
magne, et  noua  d'étroites  relations  avec  les  membres 
de  l'école  romantique  allemande,  dont  il  fut  l'un  des 
promoteurs.  Mais  l'animosité  des  protestants  contre 
cette  école  décida  Gœrres  en  1808  à  quitter  Heidelberg, 
et,  le  projet  de  l'appeler  à  Landshut  ayant   échoué, 
il  reprit  sa  chaire  à  l'école  secondaire  de  Coblentz. 
Là,  en  poursuivant  ses  travaux  sur  le  passé  de  l'Alle- 
magne, il  pénétra  dans  les  mythes  du  monde  asiatique 
et  publia,  en   1810,  son  célèbre  livre   :  Die  Mylhcn- 
(jcschichtc  der  asialischen  Well,  qui  depuis  a  été  dépassé, 
mais  qui  fut  alors  pour  les  esprits  cultivés  une  révéla- 
tion. Quelques  années  plus  tard,  au  commencement 
de  1814,  le  patriotisme  de  Gœrres   le    ramena  dans 
l'arène  politique.  Quand  l'Allemagne  se  souleva  contre 
la  domination  de  l'empereur  Napoléon  Ier,  Gœrres  mit 
sa  plume  au  service  de  l'œuvre  d'indépendance  natio- 
nale, et  fonda,  pour  rallumer  par  son  éloquence  enflam- 
mée le  patriotisme  des  Allemands,  une  feuille  hebdo- 
madaire, le  Rheinisehe  Merkur.  Ce  journal  acquit  très 
vite  une  importance  extraordinaire,  et  telle  que  Napo- 
léon put   le  tenir  pour  «  la  cinquième  des  puissances 
coalisées  contre  lui    »  Mais,  la  guerre  terminée,  l'intré- 
pide journaliste  ne  désarma  pas;  obstinément  il  demeu- 
ra l'apôtre  de  la  cause  de  la  liberté  des  peuples.  L'âpreté 
de  langage  avec   laquelle   il  dénonçait  et  flagellait  les 
plaies  de  l'époque,  sans  ménager  les  plus  hauts  person- 
nages, blessa  et  irrita  les  hommes  au  pouvoir  :  le  10  jan 
vier  1816,  le  Mercure  rhénan  était  supprimé;  Gœrres 
fut  révoqué  de  ses  fonctions  d'inspecteur  de  l'instruc- 
tion publique.  En  1819,  il  ne  laissa  pas,  dans  sa  bro- 
chure :   Teutschland  und  die  Révolution,  de  stigmatiser 
l'attitude  des  gouvernements  envers  l'Église  et  de  leur 
rappeler  avec  sa  force  coutumière  leurs  engagements 
sacrés   envers   leurs   sujets  catholiques.   Rien   ne  put 
arrêter  la  difïusion  de  la  brochure  ;  l'écho  que  ces  arden- 
tes revendications  trouvèrent  dans  toute  l'Allemagne, 
en  YVestphalie  notamment  et  clans  les  pays  du  Rhin, 
fit  sentir  aux  plus  hautes  régions  du  pouvoir  la  néces- 
sité d'une  entente  religieuse  avec  Rome.  Devant  les 
menaces  et  les  tracasseries  de  la  police,  Gœrres  s'enfuit 
de  Coblentz  et  fixa  sa  résidence  à  Strasbourg.  Ce  fut  à 
Strasbourg  qu'il  écrivit,  en  1820,  He'ldenbuch  von  Iran, 
et  l'année  d'après,  son  Apologie  personnelle  contre  les 
procédés  du  bureaucratisme  prussien,  In  Sachen  des 
Rheinprovinz    und   in    cigener  Angelegenheit,   laquelle 
parut  à  Stuttgart  en   1822;  il  y  prit  aussi  congé  défi- 
nitivement de  la  politique  par  une  étincelante  et  patrio- 
tique brochure:  Europa  und  die  Révolution  ;  désormais, 
il  sera  tout   à  la  science  et  a  l'Église.  Pendant  son 
séjour  à   Strasbourg,   en   effet,   il  apporta  une  colla- 
boration active  et  très  remarquée  à  la  revue  :  Der 
Kalholik,  que  Bœss  et  Weiss  avaient  fondée  à  Mayence 
en   1821.   De   cette   époque   date,   pour  Gœrres,   sous 
l'influence  de  ses  relations  avec  les  Liebermann,  les 
Rœss,  les  Weiss,  etc.,  un  pas  décisif  dans  l'évolution 

VI.  —47 


1475 


GŒRRES    —    GOLDHAGEN 


1476 


chrétienne.  Gœrres  n'avait  jamais  fait  la  guerre  à 
l'Église;  mais  il  n'avait  pas  su  dans  ses  premiers  écrits 
en  apprécier  le  vrai  caractère  et  le  vrai  rôle.  Comme 
ses  idées  politiques,  ses  idées  religieuses  allèrent  tou- 
jours se  redressant  et  s'assagissant;  elles  finirent  par 
gouverner  tout  à  fait  sa  pensée.  Déjà,  dans  le  Mercure 
rhénan,  il  avait  parlé  en  faveur  du  pape,  et,  dans  sa 
brochure  :  Teutschland  und  die  Révolution,  il  avait  dé- 
fendu la  liberté  de  l'Église,  la  hiérarchie  ecclésiastique, 
les  jésuites,  etc.  Dans  ses  brillants  articles  du  Catho- 
lique, il  eut  pour  but  avant  tout  de  servir  la  cause  de 
la  religion;  il  en  fut  le  puissant  et  généreux  athlète. 

<?e  période  :  1827-1848.  Appelé  par  le  roi  Louis  I" 
de  Bavière,  en  1827,  à  la  chaire  d'histoire  de  l'univer- 
sité de  Munich,  afin  d'en  accroître  le  lustre,  Gœrres 
eut  à  cœur,  dans  ses  cours  publics,  dans  ses  conversa- 
tions privées,  dans  ses  ouvrages,  de  rendre  à  la  science, 
à  la  politiqu:  et  à  l'art  la  base  chrétienne  que  l'incré- 
dulité frivole  du  xvin»  siècle  avait  sapée.  Il  ensei- 
gnera dans  Munich  avec  un  immense  éclat,  endoctri- 
nant une  foule  de  disciples,  d'auditeurs  bénévoles  de 
toutes  nations;  il  sera  le  centre  du  groupe  d'hommes 
éminents  qui  y  présidaient  à  la  grande  rénovation  reli- 
gieuse et  artistique,  les  Dœllinger,  les  Mœhler,  les 
Phillips,  les  Cornélius,  etc.;  il  écrira  avec  sa  verve 
coutumière  dans  le  journal  catholique,  YEos.  Il  s'occupa 
de  l'Hexaméron  et  de  la  table  des  peuples  de  la  Genèse  : 
Ueber  die  Grundlage,  Gliederung  und  Zeitenfolge  der 
Weltgeschichte,  Breslau,  1830;  2''  édit.,  1880;  Die  Vôl- 
kertafel  des  Pentaleuch.  I.  Die  Japheliden  und  ihr  Aus- 
zug  aus  Arménien,  Ratisbonne,  1845.  Mais  son  œuvre 
capitale,  sera  sa  Mystique  chrétienne,  qu'il  méditait 
depuis  Strasbourg  et  qu'il  publia  de  1836  à  1842,  en 
quatre  volumes  :  monument  de  vaste  érudition,  où 
l'auteur,  resté  fidèle  à  Schelling  sur  le  terrain  de  la 
physiologie  et  de  la  psychologie,  veille  soigneusement 
à  ne  pas  s'écarter  du  vrai  point  de  vue  chrétien;  pro- 
testation énergique  contre  le  rationalisme  des  temps 
modernes,  et  qui  produisit  au  delà  du  Rhin  une  vive 
sensation.  La  Mystique  a  été  traduite  en  français  par 
M.  Sainte-Foi,  5  vol.,  Paris,  1854-1855.  Lorsque,  en 
1837,  l'archevêque  de  Cologne  fut  jeté  en  prison,  les 
idées  de  toute  sa  vie  sur  les  rapports  de  l'Église  et 
de  l'État.,  comme  sa  vieille  haine  de  l'absolutisme  poli- 
tique, inspirèrent  à  Gœrres  son  Athanasius  :  défense 
éloquente  et  vigoureuse  de  Mgr  de  Droste-Vischering 
en  même  temps  que  lumineux  exposé  des  principes  de 
droit  engagés  dans  l'alïaire;  l'Allemagne  catholique  y 
applaudit.  Aux  attaques  des  trois  hommes  de  talent 
qui  se  firent  les  avocats  du  gouvernement  prussien, 
H.  Léo.  Marheinecke  et  Bruno  Bauer,  Gœrres  rispota 
victorieusement  par  son  livre  :  Die  Triarier,  qui  donna 
un  mouvement  singulier  aux  esprits  en  Allemagne 
et  que  consacre  l'approbation  de  Grégoire  XVI.  Sous 
l'impression  des  affaires  de  Cologne,  une  revue  nou- 
velle avait  été  fondée  :  Die  hislorisch-politischcn  Blutler, 
pour  combattre  les  préjugés  et  les  erreurs  hostiles  à 
l'Église  et  à  son  histoire  dans  le  monde.  Gœrres  en  fut  le 
zélé  collaborateur;  pas  un  numéro  de  cette  revue  dans 
lequel  il  n'ait  inséré  quelque  article  jusqu'à  sa  mort.  En 
1  s  l"),  il  poussa  un  dernier  cri  pour  l'honneur  de  l'Église 
dans  son  livre:  Die  Wallfalui  nach  Trier,  à  l'occasion 
des  attaques  lancées,  l'année  précédente,  contre  le  pèle- 
rinage national  à  la  Sainte  Tunique.  Le  soir  de  sa  vie 
fut  assombri  par  les  désordres  que  provoqua  le  séjour 
de  Lola  Montez  à  Munich,  et  qui  amena,  sans  atteindre 
Gœrres  lui-même,  l'exil  de  plusieurs  de  ses  amis.  Gœrres 
mourut  à  l'âge  de  72  ans.  «  Priez  pour  les  peuples,  qui 
ne  sont  plus  rien,  »  avait-il  dit  sur  son  lit  de  mort;  et 
encore  :  «  La  conclusion  est  tirée,  l'État  gouverne, 
l'Église  proteste.  » 

Les  œuvres  politiques  de  Gœrres  ont  paru  à  Munich 
en  (i  vol.,  de  1854  à  18G0;  on  a  publié  aussi  à  Munich 


ses  lettres  en  3  vol.,  de  1858  à  1874.  Une  société 
savante  a  pris  son  nom,  Die  Gœrres- Gesellschaft,  et 
continue  son  œuvre  par  des  publications  importantes. 

J.  Galland,  Joseph  von  Gœrres,  Fribourg-en-Brisgau,  1876; 
Sepp,  Gœrres  und  seine  Zeitgenossen,  Nordlingen,  1877; 
Kirchenlexikon,  t.  v,  p.  794-802;  Realencyclopiidie  fur 
protestantische  Théologie  und  Kirche,  t.  vi,  p.  744-748; 
Hurtcr,  Nomenclator  literarius,  Inspruck,  1912,  t.  v, 
col.  1125-1128;  H.  Briick,  Geschichte  der  katholischen Kirche 
im  XIX  Jahrhundert,  2e  édit.,  Munster,  1903,  t.  Il,  p.  488  sq. 
et  passim;   Gœrres,  n.  938  des  Contemporains,  Paris,  1910. 

P.   Godet. 

GOETHALS.  Voir  Henri  de  Gànd. 

GOLDHAGEN  Herman,  jésuite  allemand,  né  à 
Mayence  le  14  avril  1713,  entré  dans  la  Compagnie 
de  Jésus  le  13  juillet  1735,  se  fit  remarquer  de  bonne 
heure  par  ses  savants  travaux  sur  l'histoire  de  Mayence 
et  par  ses  nombreux  ouvrages  sur  la  philologie  grecque 
et  latine,  en  particulier  par  ses  Insliluliones  linguee 
latinœ  et  grsecœ,  Manheim,  1750, si  souvent  réimprimées. 
Nommé  professeur  de  théologie  à  Mayence,  il  mit  à 
profit  ses  vastes  connaissances  linguistiques  pour 
rétablir  le  texte  grec  du  Nouveau  Testament  contre 
les  interpolations  protestantes  ou  les  leçons  arbitrai- 
rement choisies  et  publia,  avec  un  spicilège  apo- 
logétique, Kaivri  BiaOrj/r,  sive  Novum  D.  N.  J.  C. 
Tcslamcnlum  grœcum  cum  variantibus  lectionibus  quee 
démonstratif  Vulgalam  lalinam  ipsis  e  grœcis  N.  T.  codi- 
cibus  hodiedum  exlantibus  authenticam,  Mayence,  1753. 
Cf.  Zaccaria,  Saggio  critico,  t.  n,  p.  462-473.  L'ouvrage 
a  été  réédité  à  Liège,  en  1839,  par  Pierre  Kersten.  Cf. 
Journal  de  Kersten,  t.  v,  p.  594  sq.  Comme  suite  à  ce 
travail  d'ordre  exégétique  et  apologétique,  Goldhagen 
releva  toutes  les  erreurs  matérielles  et  les  transforma- 
tions de  textes  recueillies  dans  les  écrits  protestants 
et  publia  un  ouvrage  de  controverse  qui  fit  grand 
bruit  en  Allemagne  :  Betrugsanzcige  in  Rcligionschrijtcn 
als  in  der  Teutschcn  Uebersctzung  der  allgemeincn  Kir- 
chengeschichlen,  Francfort, 1756  ;  Puis.  Exegesis  calholica 
in  prsecipuas  voces  sacrœ  Scripturœ  ab  acatholicis  alieno 
sensu  maie  explicatas,  Mayence,  1757,  et  un  ouvrage 
de  circonstance  fort  remarquable  par  la  richesse  de 
l'érudition  et  la  sûreté  de  la  méthode:  Meletema  bibli- 
cophilologicum  de  religione  Hebreeorum  sub  lege  naturedi, 
ibid.,  1759,  réimprimé  dans  le  Thésaurus  iheologicus  de 
Zaccaria,  t.  vin,  et  dans  le  Cursus  théologies  de  Migne, 
t.  xv.  Désormais  c'est  surtout  contre  le  philosophisme 
et  le  théisme  que  Goldhagen  dirigera  son  effort;  il 
s'attachera  surtout  à  réfuter  les  erreurs  du  temps  et 
à  défendre  les  bases  mêmes  de  la  foi,  préoccupé  spéciale- 
ment de  prémunir  la  jeunesse  des  universités  et  défaire 
parvenir  jusqu'à  elle  la  substance  intacte  des  saines 
doctrines.  C'est  dans  ce  but  qu'il  écrivit  son  Inlro- 
ductio  in  sacram  Scripluram  Vetcris  ac  Novi  Tcslamcnli 
maxime  contra  theislas  et  incredulos,  ibid.,  1765,  t.  i; 
1766,  t.  n  ;  1768,  t.  m,  puis  divers  ouvrages  destinés 
à  une  diffusion  plus  grande  :  Nôthiger  Unterricht  in 
den  Religionsgruden  gegen  die  Gefahren  der  heuligen 
Freidenkerei,  Manheim,  1769;  Denkbùchlein  gegen  die 
Gefahren  der  Zeil,  Mayence,  1772;  Grundlehren  des 
Chrislenlums  aus  gôttlicher  heiliger  Schrifl,  ibid.,  1771, 
1773;  Schriflmâssigc  Moral  in  einem  kurzen  Auszug  der 
hierzu  dienlichen  und  erklàrten  Schriftstellen,  ibid.,  1774. 
Ce  traité  contient  d'importantes  remarques  sur  les 
leçons  de  morale  de  Gellert  parues  à  Leipzig,  en  1770. 
Toujours  contre  les  protestants  libéraux  et  les  incré- 
dules de  l'époque,  l'infatigable  travailleur  publiait  ses 
Vindicise  harmonico-critiac  etexegelicœ  in  sacram  Scri- 
pluram.. contra  recentiorcs  bibliomachosel  varii  nominis 
incredulos,  ibid.,  1774, 1775,  puis  un  ouvrage  apologéti- 
que contre  les  Juifs  :  Tralaetus  Rabbi  Samuclis  errorum 
Judseorum  indicans  circaobservalioncmlegis  mosaicœ  cl 


1477 


GOLDHAGEN 


GOMAR 


1478 


Messiam  qucm  venturum  esxpectant,  ibid.,  d'après  les 
manuscrits.  A  ces  travaux  de  pure  érudition,  le  P.  Gol- 
dhagen  ajoutait,  pour  ranimer  en  Allemagne  le  senti- 
ment religieux,  un  solide  traité  spirituel  sur  la  dévotion 
au  Sacré-Cœur  de  Jésus  :  Anweisung  zu  der  hoehwichli- 
gen  Andacht  zum  heiligsten  Hcrzen  Jesu  Chrisli,  Saint- 
Gai],  1767;  Bamberg,  1763;  Mayence,  1769,  etc.  Enfin, 
dans  le  but  de  répondre  plus  rapidement  et  plus  réguliè- 
rement aux  attaques  pour  ainsi  dire  quotidiennes  diri- 
gées contre  la  religion,  le  P.  Goldhagen  fondait  la 
première  revue  apologétique  sous  ce  titre  :  Religions- 
Journal,  oder  Auszùgc  aus  den  beslen  allen  und  neuen 
Schriflslellern  undVertheidigern  der  christlichen  Religion 
mil  Anmerkungen.  Cette  revue  paraissait  tous  les  deux 
mois  et  contenait,  outre  le  périodique,  des  suppléments 
et  des  pièces  d'actualité  imprimées  à  part.  Goldhagen 
la  dirigea  pendant  dix-neuf  ans,  de  l'année  1776  jus- 
qu'en 1794.  Cette  publication  fut  reprise  en  1797  à  1804, 
sous  le  titre  de  Journal  der  Religion,  Wahreit  und 
Litleralur.  Elle  rendit  à  la  religion  d'éminents  services. 
Ces  multiples  et  absorbants  travaux  n'épuisaient 
pas  toutefois  l'activité  prodigieuse  du  P.  Goldhagen. 
En  1766,  il  était  nommé  procureur  de  la  province  du 
Rhin  supérieur  et,  en  1773,  il  recevait  la  charge  de 
conseiller  ecclésiastique  à  Mayence,  puis  à  Munich, 
où  il  mourut  à  la  tâche,  le  28  avril  1794,  au  milieu 
des  tristesses  et  des  appréhensions  que  suscitaient 
en  Allemagne  dans  le  monde  religieux  les  horreurs 
et  les  menaces  de  la  Révolution  française. 

Sommcrvogel,  Bibliothèque  de  la  Cle  de  Jésus,  t.  in, 
col.  1538-1544;  Hurter,  Nomenelator,  3'  édit.,  t.  IV,  col. 
444  sq. 

P.  Bernard. 
GOMAR  et  GOMARISME  —  I.  Gomar.  II.Goma- 
risme. 

I.  Gomar  ou  Gomarus,  et,  d'après  l'orthographe  ori- 
ginelle, Gomaer,  François,  théologien,  exégète  et  polé- 
miste protestant,  naquit  à  Bruges,  le  30  janvier  1563. 
Ses  parents,  ayant  embrassé  les  principes  de  la  religion 
dite  réformée,  émigrèrent  en  1578  dans  le  Palatinat, 
afin  de  pouvoir  professer  plus  librement  leur  foi  nou- 
velle. Ils  firent  donner  à  leur  fils  une  éducation  soignée, 
en  rapport  avec  ses   dispositions   naturelles   et  avec 
leurs  propres  convictions.  Pendant  trois  ans,  il  suivit, 
à  Strasbourg,  les  leçons  de  Jean  Sturm.  De  là,  en  1580. 
il  passa  à  Neustadt,  où  les  professeurs  de  la  faculté 
d'Heidelberg,  principaux  représentants  et  défenseurs 
des  opinions  de  Calvin,  avaient  été  relégués  par  l'élec- 
teur palatin,  adepte  fervent  du  luthéranisme.  Il  y  eut 
pour  maîtres  Zacharie  Ursinus,  Jérôme  Zanchius  et 
Daniel  Tossanus,  tous  trois  très  attachés  à  l'orthodoxie 
calviniste.  Vers  la  fin  de  1582,  il  se  rendait  en  Angle- 
terre. Il  y  fréquenta,  à  Oxford,  les  cours  de  théologie 
de  Jean  Reynold,  et,  à  Cambridge,  ceux  de  Guillaume 
Whitaker.  C'est  dans  cette  dernière  ville  qu'il  prit, 
en  juin  1584,  le  grade  de  bachelier.  Il  revint  ensuite  à 
Heidelberg,  où  la  faculté  avait  été  réinstallée  et  où  il 
employa  deux  ans  à  se  perfectionner  dans  la  connais- 
sance du  grec  et  de  l'hébreu.  De  1587  à  1593,  nous  le 
trouvons  remplissant  à  Francfort  les  fonctions  de  pas- 
teur du  groupe  hollandais  de  l'Église  réformée.  Mais 
en  1593  la  communauté  qu'il  dirigeait  fut  dispersée,  et 
on  lui  offrit  une  chaire  de  théologie  à  Leyde.  Il  l'accepta, 
après  avoir  conquis  le  bonnet  de  docteur  à  Heidelberg. 
Il  était  tout  entier  à  sa  tâche  professorale  quand,  en 
1603,  on  lui  donna  comme  collègue,  à  son  grand  déplai- 
sir, Jacques  Arminius,  déjà  connu  par  ses  tendances  à 
mitiger  les  effrayantes  théories  du  prédestinatianisme 
calviniste.  Dès  l'année  suivante,  il  commençait  contre 
lui  cette  lutte  âpre  et  sans  merci,  empreinte  d'un  véri- 
table  fanatisme,   qui   devait  aboutir  au   partage   de 
l'Église  néerlandaise  en  deux  factions  ennemies.  Armi- 
nius (voir  ce  mot)  s'écartait,  en  effet,  des  sentiments 


qui  dominaient  alors  dans  les  écoles  et  dans  les  Églises 
réformées  de  la  Hollande.  Il  rejetait  les  dogmes  de  la 
prédestination  absolue  et  de  la  grâce  irrésistible,  et 
rendant  à  Dieu  la  bonté  et  à  l'homme  la  liberté,  il 
enseignait  que  la  miséricorde  divine  et  les  mérites  de 
Jésus-Christ  s'étendent  à  tout  le  genre  humain,  et  que 
la  grâce  n'entraîne  pas  au  bien  par  une  force  nécessi- 
tante sans  le  libre  concours  de  la  volonté  à  laquelle  elle 
est  offerte.  Gomar  lui  reprochait  de  ruiner  ainsi  non 
seulement  la  doctrine  prédestinatienne,  mais   encore 
toute  l'économie  protestante  du  salut,  toute  la  doctrine 
de  la  justification  par  la  foi,  et  d'incliner  vers  la  thèse 
catholique  de  la  justification  par  les   œuvres.    «   Je 
n'oserais  pas,  disait-il,  paraître  devant  Dieu  après  avoir 
fait  miennes  les  opinions  d' Arminius.  »  Il  eut  la  bonne 
fortune  de  rencontrer,  dès  le  début  de  sa  campagne, 
un  fidèle  allié  et  un  solide  appui  en  la  personne  de 
Jean  Bogermann,  qui  fut  plus  tard  professeur  de  théo- 
logie à  Franeker  et  président  du  synode  de  Dordrecht. 
Ses  partisans  portèrent  d'abord  le  nom  de  gomaristes,  au- 
quel vint  se  joindre  ensuite  celui  de  contre-remontrants. 
Les  dissensions  entre  gomaristes  et  arminiens  s'enveni- 
mèrent bientôt  au  point'de  faire  craindre, dans  certaines 
provinces,  qu'elles  ne  dégénérassent  en  une  véritable 
guerre  civile.  La  masse  du  peuple  tenait  généralement 
pour  les  croyances  calvinistes  pures,  tandis  que  bon 
nombre   de  théologiens   et  de  personnages   influents 
étaient  favorables  aux  idées  nouvelles  et  plus  indul- 
gentes. Diverses  tentatives  de  conciliation  furent  faites 
à  la  demande  ou  avec  l'assentiment  du  gouvernement. 
11  y  eut  entre  les  adversaires  plusieurs  colloques  ou 
discussions  publiques.  En  1608,  à  deux  reprises,  Gomar 
personnellement  soutint  un  débat  de  ce  genre  devant 
l'assemblée  des  États  généraux;  et  l'année  suivante, 
une  dispute  plus  solennelle  encore  mit  aux  prises  deux 
groupes  de  cinq  champions  chacun,  Gomar  figurant 
toujours  en  tète  des  défenseurs  de  sa  cause.  La  mort 
d' Arminius,  survenue  en  1609,  ne  mit  fin  ni  à  la  contro- 
verse dont  il  avait  été  la  cause  ou  l'occasion,  ni  à 
l'ardeur  avec  laquelle  les  héritiers  de  ses  vues  théo- 
logiques furent  poursuivis  partout  où  l'on  crut  les  ren- 
contrer.   Pourtant,   en   1611,   Gomar  eut  comme  un 
moment  de  découragement  et  sembla  vouloir  aban- 
donner  le   champ    de   bataille.    Il   s'était   vainement 
remué  pour  empêcher  qu'on  confiât  la  chaire  délaissée 
par  son  rival  à  un  des  amis  de  celui-ci,  Conrad  Vorstius. 
Dépité  de  son  échec  et  cle  cette  nomination,  il  donna 
sa  démission,  quitta  Leyde  et  se  retira  à  Middelbourg, 
où  il  se  livra  à  la  prédication,  tout  en  faisant  des  leçons 
de  théologie  et  d'hébreu  dans  un  établissement  qu'on 
venait  de  fonder  sous  le  nom  d'Illustre  Schule.  Mais, 
en  1614,  il  consentit  à  reprendre  une  chaire  de  théo- 
logie à  la  faculté  protestante  de  Saumur,  en  France;  et, 
quatre  ans  plus  tard,  rentrant  dans  les  Pays-Bas,  il 
devenait  premier  professeur  de  théologie  et  d'hébreu 
à  Groningue.  Ce  fut  la  dernière  étape  de  sa  carrière 
errante,  et  elle    embrasse  une  période  de  vingt-trois 
années.  On  a  noté,  comme  indice  de  son  application 
et   de   son   prosélytisme   scientifiques,    qu'il    n'avait, 
durant  tout  ce  temps,  interrompu  son  enseignement 
que  deux  fois,  et  cela  pour  se  rendre  aux  assemblées 
ecclésiastiques  de  Dordrecht  et  de  Leyde.  Au  synode 
national  de  Dordrecht  (1618-1619),  où  il  représentait  les 
États  de  Groningue,  il   fut,  sinon   le  premier  chef  et 
l'unique  inspirateur,  du  moins  l'un  des  principaux  cory- 
phées  de   la   faction   étroitement   conservatrice,   l'un 
des  ennemis  les  plus  acharnés  de  ceux  qu'il  traitait 
volontiers  de  novateurs,  voire  de  papistes.  C'est  à  lui, 
en    grande   partie,   qu'est  due  l'extrême    rigueur  des 
décrets  portés  pour  enlever  aux  arminiens  toute  pos- 
sibilité de  rattacher  leurs  théories  particulières  à  la 
doctrine  officielle  de  l'Église  réformée.  Si  entier  était 
son  attachement  à  son  propre  système,  si  irréductible 


1479 


GOMAR 


1480 


son  opposition  au  système  contraire,  qu'il  fit  écarter 
plus  d'une  expression  dogmatique  qu'il  jugeait  admis- 
sible en  soi,  mais  dont  il  craignait  que  les  adversaires 
ne  pussent  se  prévaloir.  Il  ne  tint  pas  à  lui  que  le  synode 
ne  se  prononçât  formellement  en  faveur  du  supralapsa- 
risme,  qui  regarde  la  chute  d'Adam  et  la  déchéance  ori- 
ginelle de  tout  le  genre  humain  comme  une  conséquence 
du  décret  de  la  prédestination.  Mais  s'il  avait  pu  grou- 
per autour  de  lui  une  poignée  d'amis  disposés  à  le 
suivre  jusqu'à  cette  affirmation  extrême  de  l'idée  pré- 
destinatienne,  la  plupart  des  membres  du  synode,  et 
surtout  les  députés  d'Angleterre  et  d'Allemagne,  s'y 
refusèrent  obstinément.  Force  lui  fut  donc  de  se  con- 
tenter de  formules  qui  proclamaient  la  toute-puissante 
efficacité  de  l'élection  divine  en  reléguant  parmi  les 
questions  d'école,  librement  discutables,  le  différend 
entre  supralapsaires  et  inl'ralapsaires.  Après  1619,  il 
continua  à  s'adonner  à  ses  travaux  de  théologie  et 
d'exégèse,  et,  en  1633,  il  fut  de  ceux  qui  collaborèrent, 
à  Leyde,  à  la  revision  de  la  version  flamande  de  l'An- 
cien Testament,  souvent  citée  sous  le  nom  de  Bible 
hollandaise.  Il  mourut,  le  11  janvier  1641,  âgé,  à 
quelques  jours  près,  de  soixante-dix-huil  ans.  Il  avait 
été  marié  trois  fois  et  avait  eu  la  douleur  de  voir  son 
unique  fils  le  précéder  dans  la  tombe. 

Gomar  fut  un  homme  érudit  et  ardent  au  labeur  stu- 
dieux, presque  aussi  versé  dans  la  connaissance  de 
l'hébreu  que  dans  les  querelles  les  plus  subtiles  de  la 
théologie;  mais,  au  jugement  de  ses  coreligionnaires 
même,  il  manquait  de  critique,  et  l'ensemble  de  ses 
actes  nous  révèle  en  lui  une  âme  opiniâtre  jusqu'à 
l'entêtement,  autoritaire  et  hautaine  jusqu'à  la  raideur 
et  à  la  dureté.  Albert  Réville,  tout  en  plaidant  pour 
lui  les  circonstances  atténuantes,  apprécie  son  rôle 
doctrinal  avec  assez  de  justesse  et  de  profondeur  : 
«  Ce  fut,  dit-il,  un  caractère  froidement  et  dogmatique- 
ment passionné,  intolérant,  étroit,  qui  pour  nous  au- 
jourd'hui n'a  rien  de  sympathique,  mais  qu'il  faut  ju- 
ger dans  son  cadre  historique.  Là  il  a  sa  grandeur 
imposante  et  sombre,  et  il  est  de  ceux  qui  aident  à 
comprendre  le  pouvoir  étrange,  ou  plutôt  le  charme 
indicible  qu'exerça  sur  des  esprits  profondément  reli- 
gieux, inaccessibles  à  tout  autre  intérêt  que  celui  de  la 
religion,  le  dogme  calviniste  de  la  prédestination.  » 
Dans  les  œuvres  qui  nous  restent  de  Gomar  on  peut, 
comme  dans  sa  vie,  faire  deux  parts  :  celle  du  théolo- 
gicn-exégète  doublé  d'un  hébraïsant  ;  celle  du  polé- 
miste et  du  sectaire.  Quelques-unes  seulement  avaient 
paru  de  son  vivant.  L'ensemble,  publié  d'abord  en  1644 
à  Amsterdam,  par  les  soins  des  trois  gomaristes,  Jean 
Vereem,  Adolphe  .Sibelius  et  Martin  Ubbenius,  fut 
réimprimé,  au  même  lieu,  dès  1664.  Il  est  intitulé  : 
Fr.  Gomari  opéra  theologica  oinnia,  maximam  partent 
posthuma,  suprema  aulhoris  volunlatc  a  discipulis  edila. 
Cet  énorme  in-folio,  qui  embrasse  la  matière  de  plu- 
sieurs volumes  ordinaires,  a  été  distribué  par  les  édi- 
teurs en  trois  parties  avec  pagination  distincte,  dont 
deux  principalement  exégétiques,  et  la  IIIe,  de  contenu 
fort  mélangé.  A  la  Ire  (in-folio  de  500  pages)  appar- 
tiennent :  llluslrium  ac  selcctorum  ex  Evangelio  Malthsei 
locorum  explicatio;  Selcctorum  Evangelii  Lucœ  (cap.  i 
et  n)  locorum  illustrât io;  Selcctorum  Evangelii  Joannis 
locorum  illuslralio.  Chacun  de  ces  titres  nous  présente 
un  commentaire  étendu  et  approfondi  d'un  certain 
nombre  de  passages  spécialement  intéressants  ou 
spécialement  difficiles  et  discutables.  Les  explications 
de  tel  ou  tel  verset  particulier  sont  parfois  développées 
jusqu'à  constituer  une  véritable  dissertation.  Mais  on 
y  retrouve  trop  souvent  le  polémiste  et  le  calviniste 
sous  l'exégète.  Ainsi  à  Matthieu,  xxm,  37,  est  rattachée 
une  longue  étude,  De  gralia  conversionis,  où  l'auteur 
s'est  proposé  de  combattre  cette  assertion  des  «  semi- 
pélagiens,  des  papistes  et  des  novateurs  :  »  Fidei  origo 


non  est  a  solo  Deo  vocanle  et  régénérante,  sed  cliam  a  libero 
volunlaiis  concursu.  De  même,  à  propos  de  Luc,  i.  77, 
Gomar  pose  cette  question  :  An  remissio  peecalorum  sil 
lola  fidelium  coram  Deo  justificatio  ad  vitam  œternam 
oblinendam,  et  sa  réponse  tend  à  prouver  qu'aucune 
obligation  de  peine  ou  expiation  temporelle  ne  survit 
au  pardon  de  la  faute. 

Dans  la  IIe  partie  (in-folio  de  544  pages)  sont  rangés 
les  ouvrages  suivants  :  Analysis  cl  explicatio  Episto- 
larum  Pauli;  Explicatio  Epistolœ  Jacobi;  Explicatio  l-r 
Pétri;  Explicatio  1  l-v  Pétri;  Explicatio  I''  Joannis  ; 
Explicatio  ly  Joannis;  Explicatio  Epistolœ  Judœ  ;  Expli- 
catio quinque  priorum  librorum  Apocalypseos.  Huit 
Épîtres  seulement  figurent  sous  le  nom  de  saint  Paul; 
les  lettres  aux  Corinthiens,  aux  Lphésiens,  à  Timothée 
et  à  Tite  ne  sont  pas  même  mentionnées.  Mais,  qu'il 
s'agisse  des  écrits  de  saint  Paul  ou  d'autres  livres,  les 
commentaires  de  cette  série  sont  plus  complets,  plus 
suivis  que  ceux  de  la  première,  et  toujours  cependant 
entrecoupés  de  longs  excursus  tendancieux.  On  trou- 
vera un  nouvel  échantillon  de  ces  retours  incessants  au 
genre  polémique  dans  l'annexe  aux  c.  xi  et  xn  de 
l'Épître  aux  Hébreux  :  De  fidei  per  quam  justificamur 
natura. 

La  IIP  partie  (in-folio  de  467  pages),  dans  laquelle 
on  a  inséré  des  ouvrages  ou  opuscules  déjà  publiés  à 
part  antérieurement,  se  subdivise  elle-même  en  deux 
sections,  dont  l'une  est  formée  de  Disputationes  ou 
Discussions  théologiques,  et  l'autre,  de  Traités  théo- 
logiques.  Les  Disputationes,  au  sens  qu'on  a  ici  en  vue, 
ne  sont  pas  autre  chose  que  des. suites,  des  nomencla- 
tures de  thèses  ou  de  propositions  plus  ou  moins  expli- 
cites, qui  se  rapportent  à  différents  points  de  croyance 
ou  de  controverse  religieuse  et  qui  ont  été  développées 
ou  défendues  par  l'auteur  «  en  diverses  académies.  » 
Elles  sont  au  nombre  de  trente-neuf.  Il  y  en  a  une  De 
theologia,  une  autre  De  Scriptura  sacra,  plusieurs  sur 
Dieu  et  les  personnes  divines,  d'autres  De  œtemo  Dei 
deercto;  De  divina  hominum  prœdcslinatione ;  De  crea- 
tione  mundi;  De  angelis;  De  legis  divinœ  et  pontifuiœ 
doctrinœ  repugnanlia;  De  morte  Jcsu  Christi;  De  merilis 
Chrisli  c  jusque  beneficiis  erga  nos;  De  Pétri  aposloli  et 
papœ  romani  repugnanlia  ;  De  fide  salviftca;  De  arti- 
culorum  fidei  aposlolicœ  et  fidei  romanse  Ecclesiœ  repu- 
gnanlia; De  hominis  coram  Deo  juslificatione;  De 
justificalione  contra  ponlificiorum  errores;  De  Ecclesia 
Dei;  De  baplismi  sacra;  Scripturœ  et  Ecclesiœ  romanœ 
repugnanlia;  De  cœnœ  Domini  doctrina,  S.  Scripturœ  et 
Ecclesiœ  Romœ  repugnanlia;  De  sacerdolio  Christi  et 
Melchisedech,  et  missifici  sacerdotii  cum  ulroque  repu- 
gnardia;  De  cœnœ  dominicœ  et  missœ  repugnanlia;  De 
quinque  falsis  ponlificiorum  sacramentis,  etc.  A  la 
différence  des  Disputationes,  les  Tractatus  thcologici 
comportent  une  étude  plus  ou  moins  fouillée,  un  exposé 
plus  ou  moins  complet  de  chaque  sujet.  Parmi  les 
travaux  les  plus  importants  présentés  sous  ce  dernier 
titre,  nous  notons  :  Conciliatio  doctrinœ  orthodoxœ  de 
providenlia  Dei,  déjà  imprimé  à  Leyde,  in-8°,  en  1597; 
Anticoslcri  libri  très.  Dirigés  contre  l'Enchiridion  con- 
troversiarum,  l'œuvre  maîtresse  de  Fr.  Coster,  ces  trois 
livres  traitent  successivement  :  1.  De  discrimine  hœre- 
ticorum  et  calholicorum,  partie  déjà  publiée  in-8°,  à 
Anvers,  en  1599;  2.  De  sacra  Scriptura,  in-8°,  Leyde, 
1600;  3.  De  Ecclesia  Christi,  in-8°,  Hanovre,  1603. 
Viennent  ensuite  :  Examen  conlroversiarum  de  genealo- 
gia  Christi,  in-8°,  Groningue,  1631  ;  Disserlatio  de  Evan- 
gelio  Mallhœi,  quanam  ling.ua  sit  scriptum,  in-8°,  Gro- 
ningue, 1632;  et  l'auteur  opine  pour  la  langue  grecque, 
tout  en  avouant  qu'il  a  contre  lui  le  sentiment  de  la 
plupart  des  anciens;  Investigatio  scnlcntiœ  cl  originis 
sabbedi;  Judicium  de  primo  arliculo  remonslrantium 
de  clectione  et  rcprobalionc  ;  Defensio  doctrinœ  de  perse- 
véranda  sanclorum;    Davidis   Lyra,  seu   nova  hebrœa 


1481 


GOMAR 


1482 


sacrée  Scriplurœ  ars  poetica,  canonibus  suis  descripta, 
et  exemplis  sacris  et  Pindari  ac  Sophoclis  parallclis 
demonslrala,  in-4»,  Leyde,  1637  :  Gomar  pensait 
trouver  la  clef  de  la  poésie  hébraïque  dans  la  quantité 
des  syllabes;  mais  cette  thèse,  complètement  aban- 
donnée aujourd'hui,  fut  victorieusement  combattue, 
dès  1643,  par  Louis  Cappel,  professeur  à  Saumur,  dans 
ses   Animadversiones  ad  Novam  Davidis  Lyram. 

II.  Gomarisme. —  1°  Gomarisme  strict  ou  supralap- 
suirc.  —  On  pourrait  prendre  le  terme  de  gomarisme 
dans  un  sens  rigoureusement  étymologique  et  comme 
désignant  les  opinions  propres  de  Gomar  sur  la  pré- 
destination, celles  qui  eurent  toujours  ses  sympathies, 
auxquelles  il  a  rendu  témoignage  en  toute  occasion, 
qu'il  a  souhaité  et  tâché  de  propager  autant  que  les 
circonstances  le  lui  ont  permis,  sans  cependant  jamais 
parvenir  à  les  faire  triompher  complètement.  Ainsi 
entendu,  le  gomarisme  est  moins  un  système  publi- 
quement et  historiquement  accepté  sous  ce  nom  qu'une 
conviction  personnelle,  et  il  se  confond  de  fait  avec  le 
supralapsarisme.  C'est  donc  la  doctrine  d'après  laquelle 
le  péché  originel  et  la  déchéance  du  genre  humain 
rentrent  tout  aussi  bien  que  la  rédemption  dans  le 
décret  de  l'élection  divine.  Que  tel  ait  été  le  sentiment 
extrémiste  de  Gomar,  tous  ses  écrits  en  font  foi.  Son 
commentaire  du  c.  ix  de  l'Épître  aux  Romains,  Opéra 
thcolog.  omnia,  part.  II,  p.  58  sq.,  peut  donner  une  idée 
de  la  franchise  avec  laquelle  il  le  proposait  et  des 
arguments  sur  lesquels  il  prétendait  l'appuyer.  «  On 
se  demande,  dit-il,  quelle  est  la  portée  des  termes 
massa  et  lutum  (du  y.  21).  Ceux-là  les  ont  mieux 
pénétrés,  qui  les  entendent,  non  de  l'argile  et  de  la 
masse  argileuse,  mais  de  la  masse  humaine.  Seulement 
cette  interprétation  se  divise  elle-même,  suivant  qu'on 
rapporte  les  deux  expressions  au  genre  humain  à 
créer  ou  au  genre  humain  déjà  créé  et  déchu.  C'est  la 
première  opinion  que  les  théologiens  les  plus  remar- 
quables défendent  comme  vraie  et  cadrant  parfaite- 
ment avec  le  contexte.  Pour  eux  donc,  Yargile  et  la 
masse  désignent  la  matière  informe  ou  la  terre,  de 
laquelle,  pour  des  fins  déterminées,  le  bon  plaisir  de 
Dieu,  c'est-à-dire  du  potier  céleste,  a  tiré  le  genre  humain. 
Que  si  quelques-uns  soutiennent  que  ce  sont  les  hommes 
déchus  en  Adam  qui  deviennent  l'objet  d'une  prédes- 
tination à  leurs  propres  fins,  en  d'autres  termes,  d'une 
élection  pour  la  vie  ou  d'une  réprobation  pour  la  ruine, 
cette  manière  de  voir  ne  plaît  point  à  un  bon  nombre 
de  théologiens  des  plus  distingués  de  l'univers  chrétien, 
et  cela  pour  divers  motifs.  Et  d'abord,  elle  répugne  à 
un  principe  universel  de  raison,  ainsi  qu'à  la  sagesse 
de  Dieu.  Par  là  même,  en  etîet,  qu'elle  se  définit  ce  en 
vue  de  quoi  une  chose  se  fait,  la  fin  est  première  dans 
l'intention  et  dernière  dans  l'exécution.  Par  consé- 
quent, il  n'est  point  d'ouvrier  sage  dans  l'esprit  duquel 
elle  ne  précède  le  début  même  de  son  activité.  Cette 
vérité  a  pour  elle  le  consentement  unanime  des  philo- 
sophes sans  nulle  exception.  C'est  pourquoi  le  très 
sage  auteur  du  genre  humain,  Dieu,  bien  qu'il  ait 
décidé  toutes  choses  en  même  temps,  a  cependant,  au 
point  de  vue  de  l'ordre,  fixé  d'abord  la  fin  de  l'homme 
à  créer  avant  de  décider  sa  création.  Autrement, 
il  aurait,  contrairement  à  l'ordre  de  la  sagesse  et  à 
la  nature  de  la  fin,  décrété  les  moyens  tendant  à 
la  fin  avant  cette  fin  elle-même.  A  bon  droit  tiendrait- 
on  pour  insensé  un  potier  qui  déciderait  d'abord 
la  fabrication  d'un  vase  et  ne  se  demanderait  qu'en- 
suite quel  en  sera  l'usage.  Pareille  absurdité,  qui 
ne  se  conçoit  pas  chez  un  potier  sage,  se  conçoit  bien 
moins  en  Dieu,  source  unique  de  toute  sagesse  et  de 
tout  ordre  stable.  De  plus,  si  le  terme  massa  désignait 
le  genre  humain  déchu,  on  ne  pourrait  plus  dire  du 
potier  divin  qu'il  fabrique  des  vases,  les  uns  pour 
l'honneur,  les  autres  pour  l'ignominie;  mais  on  dirait 


que,  des  vases  pleins  d'ignominie,  c'est-à-dire  assu- 
jettis au  péché  et  à  la  malédiction,  il  a  remis  une  partie 
en  honneur,  laissant  le  reste  dans  son  ignominie.  »  Un 
peu  plus  loin,  ibid.,  p.  61,  62,  le  commentateur  ajoute  : 
«  Si  maintenant,  parce  qu'il  s'agit  d'une  question  non 
encore  tranchée,  l'un  ou  l'autre,  tenant  ferme  par 
ailleurs  à  l'analogie  de  la  foi,  soutient  que  l'objet  de  la 
prédestination'est  l'homme  déchu  et  que  c'est  celui-ci 
qui  est  visé  en  cet  endroit  par  le  terme  massa,  ainsi 
que  le  pensent  quelques  personnes  même  pieuses  et 
doctes,  je  ne  m'y  oppose  point.  Mais  je  me  range,  quant 
à  moi,  à  l'avis  de  Bèze,  de  Whitaker  et  d'un  très  grand 
nombre  d'autres  théologiens  illustres;  et  les  raisons 
qui  m'y  portent,  je  les  ai,  eu  égard  à  mon  dessein, 
suffisamment  indiquées  pour  qui  voudra  confronter 
thèse  avec  thèse,  arguments  avec  arguments.  Ce  sen- 
timent ne  blesse  aucun  des  attributs  de  Dieu.  En 
revanche,  comment  le  sentiment  opposé  ne  va  pas  à 
rencontre  de  la  sagesse  divine  en  plaçant,  dans  l'ordre 
de  la  pensée  et  de  l'intention,  les  moyens  avant  leur 
fin,  c'est  ce  que  je  n'ai  pas  encore  pu  saisir.  Si  quelqu'un 
me  démontre  qu'il  y  a  moyen  de  concilier  ces  choses, 
je  me  rendrai,  comme  je  le  dois,  à  l'évidence.  » 

2°  Gomarisme  historique.  —  Ces  dernières  réflexions 
de  Gomar  nous  montrent  qu'il  saura,  le  cas  échéant, 
sans  renoncer  réellement  à  aucune  de  ses  idées,  se 
rallier  à  des  formules  transactionnelles,  et,  s'accommo- 
dant  aux  circonstances,  se  contenter,  dans  l'affirmation 
publique  du  dogme  prédestinatien,  de  ce  qui  sera  mora- 
lement possible.  Le  cas  s'est  réalisé,  on  l'a  vu  plus  haut, 
au  synode  de  Dordrecht;  et  c'est  ce  qui  a  donné  nais- 
sance au  gomarisme  historique  et  pratique,  à  celui  dont 
l'expression  officielle  a  pu  devenir  le  centre  et  le  point 
de  départ  d'un  parti.  Comme  tel,  le  gomarisme  s'op- 
pose directement  à  l'arminianisme.  De  là  vient  que, 
pour  l'historien,  gomaristes  et  contrc-remontranls  sont  les 
deux  noms  appliqués  indifféremment  aux  adversaires 
des  remontrants  ou  arminiens.  II  s'ensuit  qu'au  point 
de  vue  doctrinal,  on  peut  définir  brièvement  ce  goma- 
risme comme  le  système  qui,  le  supralapsarisme  mis  à 
part,  maintient  la  rigueur  primitive  des  dogmes  cal- 
vinistes, à  rencontre  des  mitigations  proposées  par 
l'arminianisme  et  condensées  dans  les  cinq  fameuses 
propositions.  Voir  Arminius.  Le  synode  de  Dordrecht 
s'est  prononcé  sur  chacun  des  cinq  chefs.  Quant  à  la 
prédestination,  de  même  qu'il  en  proclame  le  décret 
absolu,  immuable,  unique  cause  pour  laquelle  les  uns 
reçoivent  la  foi,  tandis  que  les  autres  ne  la  reçoivent 
pas,  Dieu  donnant  cette  foi  vive  et  vraie  à  tous  ceux 
qu'il  veut  retirer  de  la  damnation  commune,  et  à  eux 
seuls,  la  donnant  du  reste  gratuitement  et  exclusive- 
ment en  vertu  de  son  bon  plaisir,  sans  supposer,  «  ni 
comme  cause  ni  comme  condition,  soit  la  foi  et  l'obéis- 
sance de  la  foi,  soit  la  sainteté,  soit  une  autre  bonne 
qualité  ou  disposition  quelconque,  »  Acta  synodi  nation. 
Drodrechti  habitée,  sess.  cxxxv,  a.  6-10,  p.  249-250; 
de  même  il  condamne  la  thèse  d'après  laquelle  «  la  cer- 
titude  du  salut  dépendrait  d'une  condition  incertaine  » 
et  serait  subordonnée  à  la  persévérance  dans  le  bien. 
Ibid.,  a.  7,  p.  254.  La  rédemption,  ajoute-t-il,  ainsi  que 
la  grâce  qui  en  découle,  «  est  annoncée  indifféremment 
à  tous  les  peuples;  mais  les  élus  sont  les  seuls  à  qui 
Dieu  a  résolu  de  donner  la  foi  justifiante,  par  laquelle 
ils  sont  infailliblement  sauvés.  »  Acta,  sess.  cxxxvi, 
a.  7,  8,  p.  257.  On  voit  comment, dans  tout  cela,  la  doc- 
trine de  la  prédestination  particulariste  est  maintenue 
et  la  possibilité  du  salut  restreinte  aux  prédestinés. Pour 
ce  qui  est  de  la  nature  déchue  et  du  rôle  de  la  grâce, 
assurément  celle-ci  est  indispensable  à  celle-là,  d'au- 
tant que  l'homme,  dépouillé  par  sa  chute  de  tous  les 
dons  divins,  n'est  que  ténèbres  et  aveuglement  dans 
l'esprit,  malice,  dureté  et  corruption  dans  la  volonté  et 
dans  le  cœur,  impuissance  complète  à  l'égard  du  salut. 


1 ÎSS 


G  OMAR 


1484 


D'ailleurs,  Dieu  appelle  sérieusement  tous  ceux  à  qui 
l'Évangile  est  annoncé,  en  sorte  que,  s'ils  périssent,  on 
ne  peut  en  rejeter  la  faute  sur  lui.  Il  se  fait  pourtant 
quelque  chose  de  particulier  dans  ceux  qui  se  conver- 
tissent Dieu  les  appelant  efficacement,  en  leur  donnant 
la  foi  et  la  pénitence.  La  grâce  suffisante  des  arminiens, 
«  par  laquelle  le  libre  arbitre  se  discernerait  lui-même,  » 
est  rejetée  comme  une  erreur  pélagienne.  La  régénéra- 
tion est  représentée  comme  se  faisant  «  sans  nous,  non 
par  la  parole  extérieure  ou  par  une  persuasion  morale,  » 
mais  par  une  opération  qui  ne  «  laisse  pas  au  pouvoir 
de  l'homme  d'être  régénéré  ou  non,  »  d'être  converti 
ou  non.  Néanmoins,  ajoute-t-on,  la  volonté  renouvelée 
n'est  pas  seulement  poussée  et  mue  par  Dieu,  mais  elle 
agit,  étant  mue  par  lui;  et  c'est  l'homme  qui  croit  et 
qui  se  repent.  La  manière  même  dont  s'accomplit  en 
nous  cette  opération  de  la  grâce  régénérante  est  incom- 
préhensible; tout  ce  qu'on  peut  en  dire,  c'est  que  le 
fidèle  «  sait  et  sent  qu'il  croit  et  aime  son  Sauveur.  » 
Ibid.,  a.  1,  p.  263;  a.  12,  13,  p.  265.  Ceci  nous  amène 
naturellement  à  la  doctrine  du  synode  concernant  la 
persévérance.  Elle  se  résume  surtout  en  deux  points  : 
l'inamissibilitô  de  la  justification,  et  sa  certitude  par- 
faite dans  l'âme  justifiée.  Sur  l'un  comme  sur  l'autre 
elle  est  très  catégorique.  Touchant  l'inamissibilité, 
voici  la  substance  de  ce  qui  est  enseigné.  Sans  doute. 
«  dans  certaines  actions  particulières,  les  vrais  fidèles 
peuvent  se  soustraire  parfois  et  se  soustraient  en  effet, 
par  leur  faute,  à  la  conduite  de  la  grâce,  poursuivre 
la  concupiscence,  jusqu'à  tomber  dans  des  crimes 
atroces.  Par  ces  péchés  énormes,  ils  offensent  Dieu,  se 
rendent  passibles  de  mort,  interrompent  l'exercice  de 
la  foi,  font  une  grande  blessure  à  leur  conscience,  et 
quelquefois  perdent  pour  un  temps  le  sentiment  delà 
grâce.  »  Dieu  cependant  ne  permet  pas  qu'ils  en 
viennent  jusqu'à  «  déchoir  de  la  grâce  de  l'adoption 
et  de  l'état  de  justification,  jusqu'à  commettre  le 
péché  à  mort  ou  contre  le  Saint-Esprit,  jusqu'à  être 
damnés.  La  semence  immortelle,  par  laquelle  les  vrais 
fidèles  sont  régénérés,  demeure  toujours  en  eux  malgré 
leur  chute.  »  En  un  mot,  ils  ne  peuvent  «  ni  perdre 
totalement  la  foi  et  la  grâce,  ni  demeurer  finalement 
dans  leur  péché  jusqu'à  périr.  »  Ibid.,  a.  4-8,  p.  271,  272. 
En  ce  qui  regarde  la  certitude  du  salut,  le  synode  n'est 
pas  moins  explicite  :  «  Les  vrais  fidèles,  dit-il,  peuvent 
être  et  sont  assurés  de  leur  salut  et  de  leur  persévé- 
rance, selon  la  mesnre  de  la  foi  par  laquelle  ils  croient 
avec  certitude  qu'ils  sont  et  demeurent  membres 
vivants  de  l'Église,  qu'ils  ont  la  rémission  des  péchés  et 
la  vie  éternelle.  Cette  certitude  ne  leur  vient  pas  d'une 
révélation  particulière,  mais  de  la  foi  aux  promesses 
divines,  du  témoignage  du  Saint-Esprit,  d'une  bonne 
conscience  et  d'une  sainte  et  sérieuse  application  aux 
bonnes  œuvres.»  Ibid.,  a.  9,  10,  p.  272,  273.  Enfin,  la 
détermination  positive  des  vérités  à  croire  est  com- 
plétée et  confirmée  par  la  condamnation  des  erreurs 
opposées,  et  l'on  repousse  notamment  l'assertion 
d'après  laquelle  «  les  vrais  fidèles  peuvent  déchoir  et 
déchoient  souvent  totalement  et  finalement  de  la  foi 
justifiante,  de  la  grâce  et  du  salut;  •>  celle  aussi  qui 
soutient  «  l'impossibilité  d'avoir  durant  cette  vie,  sans 
révélation  spéciale,  aucune  assurance  de  notre  persé- 
vérance finale.  »  Ibid.,  a.  3,  p.  274. 

Nous  avons,  dans  ce  qui  précède,  esquissé  la  quin- 
tessence doctrinale  du  gomarisme.  Pour  le  faire  con- 
naître complètement,  il  nous  reste  à  dire  un  mot  de 
l'illogisme  de  ses  procédés,  de  ses  inconséquences  pra- 
tiques. Or,  c'est  encore  dans  l'histoire  du  synode  de 
Dordrecht  qu'il  se  révèle  à  nous  sous  cet  autre  aspect. 
On  sait  la  manière  non  seulement  hautaine  et  autori- 
taire, mais  dure,  dont  les  arminiens  y  furent  traités. 
Depuis  longtemps  ils  demandaient  à  pouvoir 'discuter 
les  points  en  litige  devant  une  grande  assemblée  de 


leurs  coreligionnaires  calvinistes.  Cette  satisfaction 
leur  avait  été  refusée  de  longues  années  durant.  Enfin, 
en  1618,  les  gomaristes,  qui  se  sentaient  de  loin  les 
plus  forts  par  le  nombre  et  par  la  protection  du  sta- 
thouder  Maurice  de  Nassau,  consentirent  à  l'entrevue 
projetée.  Mais,  convoqués  à  Dordrecht  et  réunis,  ainsi 
qu'ils  le  déclarèrent  eux-mêmes,  Acla,  p.  1,  «  par 
l'ordre  et  l'autorité  »  des  États  généraux,  ils  ne  vou- 
lurent admettre  leurs  adversaires  qu'à  titre  d'accusés 
et  en  les  avertissant  qu'après  avoir  rendu  compte  de 
leurs  doctrines  au  synode,  ils  devraient  se  soumettre  à 
sa  sentence.  Cette  consigne,  intimée  elle  aussi  par  les 
États,  fut  suivie  avec  tant  de  rigueur  que  les  trois 
ministres  remontrants  qui  siégeaient  comme  députés 
d'Utrecht  se  virent  obligés  d'échanger  leurs  sièges 
contre  le  banc  des  prévenus  et  de  se  joindre  au  groupe 
des  suspects  qui  occupaient  une  place  à  part,  au  milieu 
de  la  salle  des  séances.  Les  arminiens  eurent  beau  pro- 
tester, par  la  bouche  d'Épiscopius,  qu'ils  n'enten- 
daient comparaître  que  librement  et  qu'ils  n'accep- 
taient point  d'être  jugés  par  leurs  accusateurs  et  leurs 
ennemis  ;  ils  eurent  beau  réclamer  un  débat  contradic- 
toire et  demander  qu'il  leur  fût  permis,  en  justifiant 
leurs  assertions,  d'y  comparer  et  de  critiquer  les  asser- 
tions opposées,  comme  aussi  de  discuter  la  réprobation 
des  infidèles  avec  l'élection  des  fidèles.  Vainement  in- 
sistèrent-ils pour  n'avoir  du  moins  à  répondre  qu'à 
des  questions  formulées  par  écrit.  Toutes  ces  demandes, 
si  naturelles,  si  légitimes  entre  partisans  du  libre 
examen,  furent  brutalement  écartées.  On  ne  craignit 
pas,  pour  se  débarrasser  d'insistances  opiniâtres  et 
gênantes,  de  solliciter  publiquement,  sur  les  problèmes 
et  difficultés  posés  devant  le  synode,  l'avis  des  États 
généraux  et  de  l'exécuter  ensuite  docilement.  C'est 
d'ailleurs  en  invoquant  la  même  autorité  séculière 
qu'on  ferma  définitivement  la  bouche  à  tous  les  récla- 
mants. On  leur  répondit  «  que  le  synode  trouvait  fort 
étrange  que  les  accusés  voulussent  faire  la  loi  à  leurs 
juges  et  leur  prescrire  des  règles;  que  leur  conduite 
était  injurieuse  non  seulement  au  synode,  mais  encore 
aux  États  généraux,  qui  l'avaient  convoqué  et  lui 
avaient  commis  le  jugement;  que,  par  conséquent,  ils 
n'avaient  qu'à  obéir.  »  Acta  synodi,  sess.  xxv  et 
xxvi,  p.  80,  82,  83.  Et  lorsque  enfin  les  arminiens, 
poussés  à  bout,  se  refusèrent  formellement  à  accepter 
des  conditions  qui  étaient  la  négation  de  tous  leurs 
droits,  on  les  exclut  de  l'assemblée,  mais  non  sans  les 
avoir  au  préalable  accablés  de  solennelles  injures.  C'est 
dans  la  Lvne  séance,  le  14  janvier  1619,  que  cette 
expulsion  eut  lieu;  et  ce  jour,  si  nous  en  croyons  des 
historiens  protestants,  mérite  d'être  marqué  comme 
un  jour  néfaste,  comme  une  date  peu  glorieuse  pour  le 
protestantisme.  Alors,  en  effet,  le  président  Boger- 
mann,  qui  ne  s'était  jamais  montré  très  tendre  pour  les 
récalcitrants,  se  surpassa,  et,  donnant  libre  cours  à  son 
indignation  contre  eux,  il  prononça  une  philippique 
passionnée,  qu'il  termina  par  cette  apostrophe  : 
«  Vous  avez  menti  au  début.  Vous  mentez  encore  à  la 
fin.  Dimitlimini.  Ile  !  Ile  !  »  Des  témoins  de  cette 
scène,  dignes  de  toute  confiance,  s'en  déclarèrent 
écœurés.  Jacques  Trigland,  député  de  la  Hollande  sep- 
tentrionale, connu  d'ailleurs  par  son  zèle  pour  la  cause 
des  contre-remontrants,  a  écrit  que,  plusieurs  années 
après  l'événement,  il  n'y  repensait  point  sans  en  res- 
sentir une  sorte  de  frisson.  Un  autre,  le  savant  Matthias 
Martini,  député  de  Brème,  souhaitait  de  n'avoir  ja- 
mais mis  le  pied  sur  le  sol  des  Pays-Bas.  Après  la  crise 
du  14  janvier,  le  synode  poursuivit,  en  l'absence  des 
intéressés,  l'examen  de  leurs  doctrines,  pour  aboutir  à 
la  condamnation  qui  fut  officiellement  ratifiée,  le 
23  avril,  dans  la  cxxxve  et  la  cxxxvic  séance. 
Une  fois  les  doctrines  proscrites,  on  n'en  resta  pas  là, 
mais  on  procéda  contre  lçs  personnes,  sans  s'arrêter 


1485 


G  OMAR 


1486 


aux  scrupules  de  plusieurs  députés  étrangers,  qui  refu- 
saient de  s'associer  à  ce  débat  supplémentaire.   Le 
résultat  de  la  nouvelle  action  fut  une  seconde  sentence 
qui,  clouant  les  insoumis  au  pilori,  marquait  les  prin- 
cipaux d'entre  eux  comme  victimes  d'une  prochaine 
et  cruelle  persécution  :  tous  furent,  sur  la  proposition 
de  Bogermann,  déclarés  perturbateurs  de  l'Église  et 
déchus  de  toute  fonction  ecclésiastique;  deux  cents 
lurent    destitués    de    leurs    fonctions,    quatre-vingts 
furent  exilés.  Ne  parlons  pas  même  de  deux  hommes 
illustres,  Olden  Barneveldt  et  Hugo  Grotius,  que  le 
prince  d'Orange  parvint  à  faire  condamner  comme 
criminels  politiques,   mais   qui  expièrent  surtout,   le 
premier  par  sa  mort  sur  l'échafaud,  le  second  par  un 
long  emprisonnement,  leur  attachement  à  Farminia- 
nisme  et  aux  franchises  dont  il  était  devenu  le  symbole. 
Il  est  à  peine  besoin  de  remarquer  combien  tous  ces 
agissements  sont  en  contradiction  avec  le  principe  qui 
est  à  la  base  du  protestantisme  et  avec  l'histoire  de  ses 
origines.  Les  arminiens  n'ont  pas  manqué  de  souligner 
ce  trait  et  d'en    faire  grief  à  leurs  persécuteurs.  La 
grande  révolution  religieuse  du  xvie  siècle  s'est  ac- 
complie au  nom  de  la  liberté  des  consciences  indivi- 
duelles :  la  Bible,  que  chacun,  aidé  ou  non  directement 
par  l'Esprit-Saint,  interprétera  à  sa  guise  et  de  son 
mieux,  voilà  pour  tout  protestant  l'unique  règle  de  foi, 
l'unique  autorité.  Et  ici,  où  deux  systèmes  sont  en 
présence,  se  réclamant  l'un  et  l'autre  de  la  Bible,  nous 
voyons  la  faction  dominante  revendiquer  pour  elle  le 
droit  absolu  d'imposer  sa  manière  de  voir  et  ne  recon- 
naître aux  membres  de  la  minorité  d'autre  droit  que 
celui  de  se  soumettre.  Il  y  a  plus.  Luther  et  les  siens 
avaient-ils  assez  déclamé  contre  Borne  et  contre  le  con- 
cile de  Trente,  sous  prétexte  qu'on  n'y  admettait  point 
la  discussion  contradictoire,  que  les  mêmes  personnes 
y  étaient  juges   et  partie,   qu'on  y   condamnait  des 
absents  sans  avoir  entendu  leur  défense,   qu'on  s'y 
prévalait  de  l'appui  du  bras  séculier  !  Ce  qui  précède 
nous  montre  comment  tous  ces  reproches  atteignent  en 
plein  les  gomaristes  de  Dordrecht;  et  ils  n'atteignent 
qu'eux.  L'  Église  catholique,  et  le  concile  de  Trente  en 
particulier,  en  rejetant  les  doctrines  nouvelles,  en  exi- 
geant des  novateurs  qu'ils  se  soumettent  sans  restric- 
tion à  la  sentence  conciliaire,  en  frappant  de  peines 
ecclésiastiques    les    défenseurs    obstinés    de    l'erreur, 
restent  dans  la  logique  de  leurs  principes  :  du  point  de 
vue  catholique,  la  parole  de  Dieu,  norme  souveraine  de 
la  foi,  se  manifeste  à  nous  par  la  tradition  aussi  bien 
que  par  l'Écriture;  ou  plutôt  l'Écriture  n'est  qu'un? 
forme  et  une  partie  de  la  tradition,  et  la  tradition 
trouve  son  expression  authentique  dans  le  magistère 
des   pasteurs,   c'est-à-dire   du   pape   et   des   évêques. 
Quant  au  concours   du  pouvoir  civil,  si  l'Église  l'a 
utilisé,  si  elle  l'a   parfois   réclamé   comme  un   droit, 
jamais  elle  n'a  renoncé  à  agir  dans  les  affaires  ecclésias- 
tiques par  son  autorité  propre,  jamais  elle  n'a,  comme 
nous  avons  vu  le  synode  de  Dordrecht  le  faire,  demandé 
aux  rois  ou  aux  princes  de  lui  tracer  une  ligne  de  con- 
duite dans  des  matières  relevant  de  sa  juridiction  et 
soumises  à  son  tribunal,  de  manière  à  se  réduire,  en 
face  de  l'État,  au  rôle  de  servante  ou,  tout  au  plus,  de 
pouvoir   exécutif.    Concluons   que   les    gomaristes    de 
Dordrecht  n'ont  pu  défendre  leur  point  de  vue  et  leurs 
thèses  calvinistes  qu'en  reniant  les  principes  essentiels 
et  générateurs  du  protestantisme  et  en  tournant  le  dos 
à  tout  le  passé  de  la  Béforme.  Que  penser  de  gens  qui 
déclament  contre  les  idées  et  les  méthodes  de  l'Église 
catholique,  quand  on  les  voit,  au  beau  milieu  de  leurs 
déclamations,  non  seulement  appliquer  ces  idées  et  ces 
méthodes,  mais  les  exagérer  au  delà  de  toute  mesure, 
les  dépasser  en  les  dénaturant  de  la  façon  la  plus  ab- 
surde ?    L'assemblée   de    Dordrecht   et   ses    meneurs 
pouvaient  bien,  après  cela,  se  faire  gloire  de  l'affran- 


chissement des  consciences  par  le  protestantisme;  ils 
avaient  sans  doute  le  droit  d'être  pris  au  sérieux  lors- 
qu'ils félicitaient  «  l'Église  belgique  d'être  délivrée  de  la 
tyrannie  de  l'Antéchrist  romain  et  de  l'horrible  ido- 
lâtrie du  papisme.  »  Cf.  Gomari  opéra,  Dedicat.,  p.  1,  2; 
Acla  synodi  nationalis  Dordrechti  habiUv,  Prœjat.,  p.  1 
et  passim. 

Ajoutons  que  le  gomarisme,  ainsi  établi  historique- 
ment sur  une  suite  d'inconséquences  flagrantes,  ayant 
sacrifié  toute  logique,  et  l'on  peut  dire  toute  raison 
et  toute  pudeur,  au  désir  de  triompher  de  l'arminia- 
nisme,  n'eut  pas  même  l'honneur  d'atteindre  ce  but. 
Mosheim  constate  que  les  décrets  de  Dordrecht,  loin 
de  détruire  le  système  d'Arminius,  ne  servirent  qu'à 
le  répandre  davantage  et  à  indisposer  les  esprits  contre 
les  opinions  rigides  de  Calvin.  Les  arminiens,  dit-il, 
attaquèrent  leurs  adversaires  avec  tant  d'habileté, 
de  courage  et  d'éloquence  qu'une  multitude  de  gens 
demeura  persuadée  de  la  justice  de  leur  cause.  Assuré- 
ment, les  fameux  décrets  furent  reçus  officiellement  par 
les  États  généraux  des  Pays-Bas  et  par  les  Églises 
calvinistes  de  Suisse,  de  France  et  d'autres  pays  étran- 
gers. Mais,  en  Hollande  même,  quatre  provinces  refu- 
sèrent d'y  souscrire;  ils  furent  mal  accueillis  par  l'opi- 
nion publique  en  Angleterre,  où  l'on  restait  attaché 
à  la  doctrine  unanime  des  Pères,  qui  n'ont  jamais 
mis  des  bornes  à  la  miséricorde  divine;  et,  au  bout 
de  quelques  années,  à  la  mort  de  Maurice  de  Nassau, 
le  protecteur  et  promoteur  officiel  du  gomarisme,  les 
arminiens  reprirent  pied  dans  leur  pays  d'origine,  s'y 
reconstituèrent  en  corps  et  y  bâtirent  des  églises. 
D'ailleurs  leurs  idées  se  répandirent  insensiblement. 
C'est  un  fait  constant  qu'elles  ont  fini  par  s'implan- 
ter dans  les  meilleurs  esprits  du  calvinisme  et  par 
s'y  développer,  au  point  qu'aujourd'hui  elles  y  sont 
souvent  poussées  jusqu'au  pélagianisme  et  au  soci- 
nianisme,  voire  jusqu'au  rationalisme  le  plus  franc. 
Ce  qu'est  devenue,  au  milieu  de  tout  cela,  l'interpréta- 
tion du  c.  ix  de  l'Épître  aux  Bomains,  sur  laquelle 
Gomar  et  les  siens  fondaient  principalement  leur  sys- 
tème, on  pourra  s'en  rendre  compte  en  parcourant  le 
tableau,  très  long  et  très  bigarré,  des  dissentiments 
actuels,  tel  qu'il  est  esquissé  par  J.  Holtzmann,  Lehr- 
buch  der  neustestamentlichen  Théologie,  2e  édit.,  Tu- 
bingne,  1911,  t.  Il,  p.  188  sq. 

Sur  Gomar,  voir  surtout  Van  der  Aa,  Biographiseh 
Woordenboek  van  Nederlanden,  Harlem,  1862,  t.  vu,  p.  281- 
285;  Foppens,  Bibliotheca  belgica,  Bruxelles,  1739,  p.  293- 
294;  J.  Hegenboog,  Historié  van  de  Remonslranten,  Amster- 
dam, 1774;  trad.  allemande,  Lengo,  1781;  Realencyclopàdie 
iiir  prolestantische  Théologie  und  Kirclie,  3e  édit.,  Leipzig, 
1899,  t.  vi,  p.  763-764;  The encyclopsedia  brilannica,  11"  édit., 
Cambridge,  1910,  t.  xu,  p.  228;  Vitœ  et  effigies  professorum 
Groningensium,  p.  76  sq. 

Sur  le  gomarisme,  outre  les  ouvrages  indiqués  ci-des- 
sus, Francisci  Gomari  Brugensis  Opéra  theologica  ornnia, 
maximum  portera  posthuma,  suprema  authoris  voluntate  a 
discipulis  édita,  Amsterdam,  1644;  2e  édit.,  Amsterdam, 
1664;  Acla  synodi  nationalis  Dordrechti  habitée,  Dordrecht, 
1620;  trad.  hollandaise,  Dordrecht,  1621  ;  trad.  française, 
Lcyde,  1624;  Bossuet,  Histoire  des  variations  protestantes, 
1.  XIV,  c.  xvii-cxiv;  Haselius,  Historia  concilii  Dordraccni, 
1724;  G.  Brandt,  Historia  reformalionis  belgica;  La  Haye, 
1726;  Upey  et  Dermont,  Gescbiedenis  der  Nederl.  herv.  Kerk, 
Breda,  1819;  Graf,  Beitrag  zur  Geschicbte  der  Synode  von 
Dordrecht,  Bâle,  1825;  Mosheim,  De  auctoritate  concilii 
Dordrechtani,  paci  sacrœ  noxia,  Helmstaedt,  1726;  Schaff, 
A  history  of  the  creeds  of  christendom,  New  York,  1884, 
t.  m,  p.  551  sq.;  Augusti,  Corpus  librorum  symbolicorum, 
p.  198-240;  Bergier,  Dictionnaire  de  théologie,  aux  mots 
Arminius  et  Gomar;  Lichtenberger,  Encyclopédie  des  sciences 
religieuses,  Paris,  1878,  t.  v,  p.  626-628;  Mcehler,  La 
symbolique,  trad.  franc.,  Besançon,  1836,  t.  n,  p.  387-402; 
Hergenrother,  Histoire  de  l'Église,  trad.  franc.,  Paris, 
1891,  t.  v, 

J.     Forget. 


1487 


GO  NET 


1488 


GONET  Jean-Baptiste,  dominicain,  né  à  Béziers, 
entra  dès  l'âge  de  dix-sept  ans  dans  le  couvent  des 
prêcheurs  de  sa  ville  natale  vers  1633.  Docteur  de 
l'université  de  Bordeaux  en  1640,  il  y  enseigna  la 
théologie  jusqu'en  1671,  se  faisant  remarquer  par 
la  sûreté  de  sa  doctrine,  en  même  temps  que  par  son 
ardeur  à  défendre  l'école  thomiste  contre  les  attaques 
de  ses  adversaires.  En  1671,  au  chapitre  provincial 
tenu  à  Béziers,  il  fut  élu  provincial  et  exerça  cette 
charge  jusqu'en  1675.  Il  revint  à  Bordeaux  pour  y 
reprendre  son  enseignement  qu'il  continua  deux  ans; 
mais,  en  1677,  lorsque  l'on  détruisit  l'ancien  couvent 
du  Chapelet  pour  agrandir  le  Château-Trompette, 
Gonet  éprouva  de  cette  suppression  un  tel  chagrin 
qu'il  ne  voulut  plus  demeurer  à  Bordeaux.  Il  retourna 
à  Béziers,  sa  patrie,  où  il  s'occupa  à  reviser  ses  ouvrages, 
et  où  il  mourut  le  24  janvier  1681,  âgé  d'environ 
soixante-cinq  ans.  L'enseignement  de  Gonet  à  l'univer- 
sité de  Bordeaux  avait  été  marqué  de  quelques  inci- 
dents, qui  intéressent  l'histoire  de  la  théologie.  En 
efïet,  le  6  juin  1660,  la  faculté  de  théologie  de  Bordeaux 
avait  déclaré  exempter  d'hérésie  les  Lettres  provinciales 
de  Pascal,  ainsi  que  les  Notes  de  Nicole  caché  sous  le 
nom  de  Wendrock.  Toute  l'université  avait  fait  sienne 
cette  déclaration  de  la  faculté  de  théologie  représentée 
par  les  trois  professeurs,  le  prêtre  séculier  Hiérome 
Lopez,  l'augustin  Arnal  et  le  dominicain  J.-B.  Gonet. 
La  déclaration  avait  été  consignée  dans  les  Actes  et 
les  archives  de  l'université.  Elle  se  trouve  à  la  suite 
des  Motifs  pour  faire  voir  que  l'arrest  du  5  novembre  1660, 
qui  interdit  les  professeurs  en  théologie  de  l'université 
de  Bordeaux,  a  esté  rendu  par  surprise,  in-4°  de  4  pages. 
Elle  est  signée  des  trois  professeurs  de  théologie. 
Mais,  quelques  mois  après,  quatre  évèques  et  neuf 
docteurs  de  la  faculté  de  Paris,  «  après  avoir  diligem- 
ment examiné  ledit  livre,  »  déclarèrent  à  leur  tour  «  que 
les  hérésies  de  Jansénius  condamnées  par  l'Église  y 
sont  contenues  et  défendues...,  ce  qui  est  si  manifeste, 
ajoutent-ils,  que  si  quelqu'un  le  nie,  il  faut  nécessai- 
rement ou  qu'il  n'ait  pas  lu  ledit  livre  ou  qu'il  ne 
l'ait  pas  entendu,  ou  ce  qui  pis  est,  qu'il  ne  croie  pas 
hérétique  ce  qui  est  condamné  comme  hérétique  par 
le  souverain  pontife,  par  l'Église  gallicane  et  la  sacrée 
faculté  de  Paris.  »  Voir  Dumas,  Histoire  des  cinq  propo- 
sitions de  Jansénius,  Liège,  1699,  t.  i,  p.  251.  252.  Il  est 
clair  que  par  ces  paroles  la  faculté  de  théologie  de  Paris 
visait  surtout  celle  de  Bordeaux.  La  conséquence 
de  cette  déclaration  fut  que,  le  23  septembre,  intervient 
un  Arrest  du  Conseil  d' Estât  portant  que  le  livre  intitulé  : 
Ludovici  Montaltii  lillerse  provinciales,  sera  lacéré  et 
bruslé  par  les  mains  de  l'exécuteur  de  la  haute  justice, 
puis  la  sentence  du  lieutenant  civil  donnée  (le  8  octo- 
bre 1660)  en  conséquence  dudil  Arrest.  C'est  le 
titre  d'une  plaquette  in-4n  de  11  pages,  imprimée 
en  1660,  à  Paris,  par  les  imprimeurs  ordinaires  du  roi 
et  où  se  trouve  aussi  le  Procès-verbal  d'exécution,  avec 
l'avis  et  jugement  des  prélats  et  autres  docteurs  de  la 
sacrée  faculté  de  théologie  de  Paris,  qui  ont  examiné 
ledit  livre.  Cette  sentence  fut  exécutée  le  14  octobre, 
à  la  Croix  du  Trahoir.  Le  tour  de  la  faculté  de  théo- 
logie de  Bordeaux  arriva  bientôt.  En  effet,  le  5  no- 
vembre 1660,  le  roi  fait  aux  professeurs  «  très  expresses 
inhibitions  et  deffenses  de  faire  aucune  leçon  de  théo- 
logie dans  ladite  université  de  Bourdeaux,  ni  ailleurs.  » 
Voir  doni  Devienne,  Histoire  de  la  ville  de  Bordeaux. 
t.  il,  p.  142.  Il  faut  noter  pourtant,  et  les  trois  pro- 
fesseurs de  théologie  le  faisaient  remarquer  dans  les 
Motifs  cités  plus  haut,  p.  4  :  «  Ils  n'ont  pas  loué 
ledit  livre,  ils  ne  l'ont  pas  approuvé,  ils  ne  l'ont  pas 
exempté  des  notes  de  témérité,  de  scandale,  et  autres 
dont  il  était  accusé;  mais  ils  ont  simplement  dit  qu'ils 
n'y  avaient  point  trouvé  d'hérésie  :  Nullam  in  eo 
hseresim  a  nobis  repertam    fuisse    declaramus.   »  Trois 


ans  déjà  s'étaient  écoulés  sans  que  les  professeurs  de 
théologie  aient  pu  reprendre  leurs  cours,  lorsqu'au 
mois  d'août  1663  parvint  au  parlement  de  Bordeaux 
la  déclaration  des  six  propositions  enregistrées  au 
parlement  de  Paris  le  30  mai  1663,  et  qui  avaient 
pour  but  d'attaquer  l'autorité  du  pape.  Elles  étaient 
comme  l'esquisse  des  articles  qui  seraient  arrêtés 
dans  l'Assemblée  du  clergé  de  1682.  Le  4  août  1663, 
Louis  XIV  ordonna  que  les  propositions  seraient 
«  lues,  publiées  et  enregistrées  n  dans  tous  les  parlements 
et  dans  toutes  les  universités  du  royaume.  D'Argentré, 
Collcctio  judiciorum,  Paris,  1755,  t.  m,  p.  93.  Les 
volontés  du  roi  furent  exécutées,  le  20  septembre  1663, 
et  les  différentes  facultés  de  l'université  de  Bordeaux 
souscrivirent  aux  six  propositions.  Gonet  fut  du 
nombre.  Le  P.  Michel  Camain,  jésuite,  ne  voulut  pas 
souscrire.  Voir  le  décret  de  l'université  dans  Ant.  de 
Lantenay,  Mélanges  de  biographie  cl  d'histoire,  Bor- 
deaux, 1885,  p.  53,  note  2.  On  voit  donc  que  Gonet 
partageait  les  idées  régnantes  du  gallicanisme.  C'est 
qu'à  cette  époque  on  ne  croyait  nullement  la  foi 
engagée  ou  même  compromise.  Déjà  en  1660,  en  ne 
condamnant  pas  les  Lettres  provinciales,  les  docteurs  de 
l'université  de  Bordeaux  n'avaient  nullement  entendu 
défendre  une  doctrine  qu'ils  avaient  eux-mêmes 
condamnée  en  acceptant  deux  ans  auparavant,  le 
28  février  1658,  les  bulles  d'Innocent  X  et  d'Alexan- 
dre VII,  décidant  la  double  question  de  droit  et  de 
fait  dogmatique  et  le  caractère  hérétique  des  propo- 
sitions de  Jansénius,  entendues  au  sens  de  l'auteur. 
Même  ils  avaient  fait  «  un  décret  par  lequel  ils  avaient 
résolu  de  ne  donner  aucun  degré  à  ceux  qui  seront 
suspects  de  jansénisme,  ou  qui  voudront  mettre  en 
dispute  quelques-unes  des  dites  propositions.  »  Motifs, 
p.  5.  De  plus,  en  1665,  deux  ans  après  avoir  signé  les 
six  propositions,  les  mêmes  docteurs,  et  Gonet  est  du 
nombre,  signent  le  Formulaire  d'Alexandre  VIL  On 
voit  donc  que  le  gallicanisme  de  ces  docteurs  n'avait 
pas  le  caractère  d'opposition  au  pape  qu'on  se  plaît 
souvent  à  lui  prêter.  Les  cours  de  la  faculté  de  théo- 
logie de  l'université  de  Bordeaux  ne  furent  repris 
qu'en  1669  et  non  pas  en  1662  comme  l'écrit  dom 
Devienne,  Histoire  de  la  ville  de  Bordeaux,  t.  Il,  p.  142. 
Ils  ne  le  furent  qu'en  vertu  d'un  Arrest  du  conseil 
d'état  portant  le  rétablissement  de  l'exercice  de  la 
faculté  de  théologie  en  l'université  de  Bourdeaux,  le 
15  mai  1669.  Voir  cet  arrêt  très  intéressant  dans  Ant. 
de  Lantenay,  Mélanges,  p.  59  sq.  Il  suit  de  tout  cela 
que  l'enseignement  de  Gonet  à  l'université  de  Bordeaux 
subit  une  interruption  de  près  de  neuf  années,  à  dater 
du  5  novembre  1660.  D'après  une  lettre  adressée  à 
Arnaud  d'Andilly,  le  30  novembre  1660,  on  lu:  annon- 
çait le  départ  du  P.  Gonet  et  celui  de  Lopez,  théologal 
de  Bordeaux,  pour  Paris,  probablement  pour  tenter  de 
faire  rapporter  le  décret  du  5  novembre.  Nous  ne  savons 
pas  si,  de  fait,  il  le  rendit  à  Paris.  Voir  Ant.  de  Lante- 
nay, Alélanges,  p.  103.  Après  les  événements  que  nous 
venons  de  rapporter,  Gonet  n'occupa  plus  guère  la 
chaire  de  théologie  de  Bordeaux  que  deux  ans,  de 
1669  à  1671,  date  de  son  élection  comme  provincial. 
En  quittant  l'enseignement  en  1671,  Gonet  proposa, 
pour  le  suppléer,  le  P.  J.-B.  Maderan,  lui  aussi  de  la  pro- 
vince dominicaine  de  Toulouse.  Maderan  occupa  la 
chaire  de  théologie  jusqu'à  ce  que  Gonet  eût  achevé 
son  provincialat.  Sur  Maderan,  voir  Scriptores  ordinis 
prœdicalorum,  édit.  Coulon,  xvme  siècle,  p.  125-127. 
Lorsqu'on  1677,  Gonet  se  retira  définitivement  de  l'en- 
seignement, Maderan  revint  prendre  sa  place.  Parmi 
les  ouvrages  théologiques  qui,  à  cette  époque,  eurent  le 
plus  de  vogue  se  place  en  première  ligne  le  Clypeus  theo- 
logiœ  thomislicse  contra  novos  ejus  impugnatores,  16  in- 
12,  Bordeaux,  1659-1669.  C'est  un  traité  complet  de 
théologie  dogmatique.  Il  eut  de  nombreuses  éditions.  En 


1489 


GONET    —  GONNELIEU 


1490 


1080,  il  comptait  déjà  9  éditions.  Citons  en  plus  de  l'édi- 
tion princeps  parue  à  Bordeaux,  celle  de  Cologne,  1671, 
en  5  in-fol.;  celle  de  Paris,  1669.  Une  édition  plus 
parfaite  parue  à  Lyon  en  1681  sous  la  surveillance 
du  P.  Jean-Baptiste  Gonneau,  en  5  in  fol.  Cette  édition 
porte  le  titre  de  4e  édition.  Gonneau  ne  fit  aucune 
modification  qu'il  n'en  ait  reçu  chaque  fois  l'autori- 
sation formelle  de  l'auteur;  de  sorte  que  cette  édition 
peut  passer  comme  donnant  la  pensée  définitive  de 
Gonet.  Après  la  mort  de  l'auteur  il  y  eut  encore  d'autres 
éditions  du  Cli/peus  :  G  in-4°,  Paris,  1686;  5  in-fol.. 
Anvers,  1725;  1744-1753;  Venise,  1753;  3  in-fol.,  1772; 
6  in-4°,  Paris.  1876.  Gonet  mourut  sans  pouvoir 
donner  la  partie  morale  de  son  cours  de  théologie;  ce 
fut  le  P.  Maderan  qui  entreprit  de  le  compléter  sous 
ce  titre  :  Supplementum  Clypei  Iheologiœ  thomistiese, 
sive  Dissertationes  morales  de  officiis  justitiiv,  quibus 
rcsolvuntur  selecli  casus  conscicnliœ  juxta  doctrinam 
D.  Thomas,  ex  sacris  canonibus,  scnlenliis  sanctorum 
Patrum  et  theologicis  ralionibus  comprobatam  et  expla- 
natam.  Cet  ouvrage  en  5  in-4°  était  conservé  avant  la 
Révolution  chez  les  dominicains  de  Bordeaux;  il  se 
trouve  aujourd'hui  parmi  les  manuscrits  de  la  biblio- 
thèque municipale,  sous  la  cote  154.  On  peut  en  voir 
le  détail  dans  l'article  sur  J.-B.  Maderan.  Scriptores 
ordinis  prœdicalorum,  édit.  Coulon,  xvme  siècle,  p.  126. 
L'ouvrage  est  demeuré  manuscrit.  Gonet  publia 
encore  Manuale  thomistarum  scu  breuis  theologiœ 
thomisticœ  cursus  in  graliam  et  commodum  sludenlium, 
ut  facilius  ac  citius  inspicere  possint,  quœ  in  Clijpeo 
jusius  cl  laliori  calamo  conscripsil,  6  in-12,  Béziers,  1680  ; 
Lyon,  1680;  2  vol.,  Cologne,  1682;  6  in-12,  Bolo- 
gne, 1681;  Padoue.  1704-1718,  édition  préparée  par 
Serry  et  portant  aussi  la  marque  de  Venise  (Hurter, 
Nomenclalor,  t.  iv,  col.,  319,  déclare  cette  édition 
moins  fidèle  que  les  autres,  mais  sans  dire  pourquoi, 
probablement  à  cause  des  notes  de  Serry);  6  in-12, 
Padoue,  1729;  Anvers,  1742;  in-fol.,  Venise,  1778. 
Dans  son  histoire  des  congrégations  De  auxiliis, 
Venise,  1740,  col.  569,  Serry  félicite  l'auteur  du 
Manuel  d'avoir  corrigé  dans  sa  4e  édition,  Lyon,  1681, 
ce  qu'il  avait  enseigné  touchant  les  effets  du  péché 
originel,  rc  malurius  discussa  et  altenlius  ponderata, 
p.  218,  et  d'avoir  ainsi  échappé  à  l'accusation  de 
molinisme,  en  proclamant  cette  doctrine  chère  aux 
thomistes  :  hominem  nedum  originali  peecalo  spolia- 
tum  gratuitis,  verum  etiam  in  naturalibus  vulneratum  : 
algue  ideirco  longe  minores  esse  vires  in  homine  lapso, 
quam  fuissent  in  homine  puro.  Un  dernier  ouvrage  de 
Gonet  est  intitulé  :  Dissertatio  iheologica  ad  tractation 
de  moralilate  actuum  humanorum  perlinens  de  probabi- 
litate,  in  qua  novorum  casuislarum  laxilates  cl  janse- 
nianorum  excessus  ex  doctrina  D.  Thomœ  conjulanlur, 
in-12,  Bordeaux,  1664. 

Echard,  Scriptores  ordinis  prsedicatorum,  Paris,  1719- 
1721,  t.  il,  p.  692-693;  Ant.  de  Lantenay  [Bertrand!,  Mé- 
langes de  biographie  et  d'histoire,  Bordeaux,  1885,  p.  50-55, 
56,  90,  92,  103;  Laurent  Josse  Le  Clerc,  Remarques  sur  le 
Dictionnaire  de  Bayle,  art.  Gonet;  Hurter,  Nomenclator 
literarius,  Inspruck,  t.  n,  col.  308  sq.;  on  y  trouve  l'épi- 
taphe  composée  par  Jos.  Gourgas  et  qui  a  disparu  de 
la  3e  édition,  1910,  t.  iv,  col.  317-319;  Dollingcr-Beusch, 
Geschichte  der  Moralstreitigkeilen,  Nurdlingen,  1889,  t.  i, 
p.  43,  100;  t.  ii,  p.  67,  71;  Serry, Historiée  congregationum 
de  auxiliis,  Venise,  1740,  col.  569;  Contenson,  Theologia 
mentis  et  cordis,  II.  Probabilitatis  commentant,  p.  163, 
et  passim.  Voir  Godoy. 

R.  Coulon. 
GONNELIEU  (Jérôme  de),  jésuite  français,  né  à 
Soissons,  le  8  septembre  1640,  entré  au  noviciat  de  Pa- 
ris le  4  octobre  1657.  Après  avoir  enseigné  dans  divers 
collèges  la  grammaire  et  les  humanités,  il  fut  appliqué 
à  la  prédication  et  aux  fonctions  du  saint  ministère. 
Le  caractère  simple,  mais    chaleureux  et  tout   apos- 


tolique de  son  éloquence,  atlira  de  grandes  foules  au 
pied  de  sa  chaire  et  la  bonté  aimable  de  cet  homme 
pénétré  de  l'esprit  de  Dieu  lui  gagna  les  cœurs.  Il 
opéra  dans  toutes  les  classes  de  la  société  de  nom- 
breuses conversions  et  dirigea  dans  les  voies  de  la 
piété  des  âmes  d'une  sainteté  éminente.  Aussi  les 
ouvrages  de  spiritualité  composés  parle  P.  de  Gonnelieu 
et  qui  ont  porté  si  haut  sa  réputation  d'ascète,  se  font 
remarquer  par  une  connaissance  approfondie  des  voies 
intérieures  et  de  la  conduite  des  âmes  non  moins  que 
par  l'élévation  et  la  solidité  de  la  doctrine.  Il  convient 
de  citer  parmi  ses  principaux  écrits  :  1°  Les  exercices 
de  la  vie  intérieure  ou  l'espril  intérieur  dont  on  doit 
animer  ses  actions  durant  le  jour,  Paris,  1684;  2°  Mé- 
thode pour  bien  entendre  la  sainte  messe  et  mener  une 
vie  chrétienne  dans  le  monde,  Paris,  1690;  3°  Pratiques 
de  la  vie  intérieure,  2  in-12,  Paris,  1693, 1694;  plusieurs 
éditions  ont  pour  titre  :  Sentiments  de  la  vie  intérieure; 
4°  Instruction  sur  la  communion  et  la  confession,  Paris, 
1694;  5°  De  la  présence  de  Dieu  qui  renferme  tous  les 
principes  de  la  vie  intérieure,  Paris,  1703;  6°  Méthode 
pour  bien  prier,  Paris,  1710;  7°  Le  sermon  de  Noire- 
Seigneur  à  ses  apôtres  après  la  Cène,  essai  d'une  expli- 
cation littérale  et  morale  du  texte  évangélique  sous 
forme  d'homélies,  Paris,  1712;  8°  Nouvelle  retraite  de 
huit  jours  à  l'usage  des  personnes  du  monde  cl  du  cloître, 
Paris,  1734.  La  plupart  de  ces  ouvrages  ont  eu  de 
très  nombreuses  éditions  jusque  dans  la  seconde 
moitié  du  siècle  dernier.  L'ouvrage  le  plus  souvent 
réédité  sous  le  nom  du  P.  de  Gonnelieu  :  L'Imitation 
de  Jésus-Christ,  traduction  nouvelle,  Nancy,  1712, 
n'est  pas  de  lui,  mais  de  Jean  Cusson,  imprimeur  et 
avocat  au  parlement.  Dans  son  Essai  bibliographique 
sur  le  livre  de  l'Imitation  et  dans  la  Bibliothèque  des 
écrivains,  2<~  édit.,  t.  i,  col.  2179-2182,  le  P.  de  Backer 
a  relevé  plus  de  250  éditions  qui  attribuent  cette 
traduction  au  P.  de  Gonnelieu  et  Barbier  n'a  pas 
manqué  d'en  faire  un  grief  aux  jésuites.  Dissertation, 
p.  64.  Dom  Calmet,  Bibliothèque  lorraine,  p.  318,  a 
donné  l'explication  historique  de  ce  fait  étrange. 
L'édition  de  Nancy,  faite  en  1712  par  Jean-Baptiste 
Cusson,  contenait  des  réflexions  et  pratiques  attribuées 
au  P.  de  Gonnelieu.  Elle  parut  sous  ce  titre  :  L'Imi- 
tation de  Jésus-Christ,  traduction  nouvelle,  dédiée  à  la 
duchesse  de  Lorraine  et  de  Bar,  avec  une  pratique  et  une 
prière  èi  la  fin  de  chaque  chapitre,  par  le  R.  P.  Gonne- 
lieu, de  la  Compagnie  de  Jésus,  Nancy,  J.-B.  Cusson, 
1712.  Trompé  sans  doute  par  le  titre,  le  Journal  des 
savants  attribua  dès  1713  la  traduction  elle-même  au 
P.  de  Gonnelieu  et  la  disposition  typographique  du 
titre  dans  les  éditions  suivantes  ne  fit  que  confirmer 
l'erreur  :  L'Imitation  de  Jésus-Christ,  traduction  nou- 
velle. Avec  une  pratique  et  une  prière  à  la  fin  tic  chaque 
chapitre.  Par  le  R.  P.  Gonnelieu,  de  la  Compagnie 
de  Jésus.  Paris,  1712,  etc.  Les  Mémoires  de  Trévoux, 
janvier  1716,  p.  183,  ont  vainement  réclamé  contre  cette 
attribution.  Quant  aux  Réflexions  et  pratiques,  extraites 
des  œuvres  du  P.  de  Gonnelieu,  elles  reflètent  le  plus 
pur  esprit  janséniste,  avec  toutes  les  atténuations  vou- 
lues, et  comme  l'observait  en  1738  le  P.  Patouillet, 
auteur  de  la  préface  du  Dictionnaire  des  livres  jansé- 
nistes, si  elles  sont  «  dans  le  genre  de  celles  de  Gonne- 
lieu, »  elles  ne  peuvent  à  aucun  titre  lui  être  attribuées. 
Mémoires  de  Trévoux,  janvier  1738,  p.  123.  Néanmoins 
d'innombrables  traductions  du  livre  de  J.-B.  Cusson, 
publiées  dans  toutes  les  langues  de  l'Europe,  continuent 
a  porter  en  titre  le  nom  du  P.  de  Gonnelieu.  Épuisé 
par  ses  travaux  apostoliques,  le  saint  religieux  mourut 
à  la  maison  professe  de  Paris,  le  28  février  1715. 

La  France  littéraire,  1778,  IIe  partie,  p.  143;  Journal 
des  savants,  1713,  p.  123;  Mémoires  de  Trévoux,  1713, 
p.  1403;  1716,  p.  183;  Sommervogel,  Bibliothèque  de  la 
Cle  de  Jésus,  t.  m,  col.  1560-1567.         P.   Bernard. 


1491 


GONON 


GONZALEZ  DE  ALBELDA 


1492 


GONON  Benoît,  célestin,  originaire  de  Bourg, 
fit  profession  au  monastère  de  Lyon  le  4  avril  1608. 
Il  s'est  applique  à  l'hagiographie,  à  la  littérature 
ascétique  et  à  l'histoire  de  son  ordre.  On  a  de  lui  : 
Chronicon  Deiparae  Virginis,  in-4°,  Lyon,  1637,  ou 
recueil  de  miracles  opérés  par  la  Vierge;  Viridctrium 
bealse  Yirginis  Mariée,  in-12,  Lyon;  Histoire  de 
Notre-Dame  de  Bonne-Nouvelle,  révérée  dans  l'église 
des  célestins,  in-12,  Lyon,  1639;  Les  illustres  pénitents 
cl  les  charitables  envers  les  pauvres,  in-12,  Lyon,  1641; 
Histoires  véritables  et  curieuses  où  sont  représentées 
les  aventures  étrangères  des  personnes  illustres,  in-12, 
Lyon,  1644;  La  chasteté  récompensée  en  l'histoire  des 
sept  pucellcs,  in-8°,  Bourg,  1643;  Historia  sanclissimx 
eucharistise,  in-8°,  Lyon,  1635;  et  Schola  sanclorum 
J'atrum,  in-8°,  Lyon.  Sa  Brevis  historia  ecleslinorum 
Gallise  n'a  pas  vu  le  jour.  Il  mourut  à  Lyon  en  1656. 

Elogia  viroruin  illustrium  galliav  congregationis  celesti- 
norum,  p.  203;  dom  François,  Bibliotlièque  générale  des 
écrivains  de  l'ordre  de  saint  Benoit,  t.  i,  p.  403-404. 

J.  Besse. 

GONTERY  Jean,  jésuite  italien,  né  à  Turin  en  1562, 
entra  le  28  avril  15S4  au  noviciat  de  la  Compagnie 
de  Jésus  à  Borne,  et  de  bonne  heure  professa  la  phi- 
losophie et  la  théologie.  Becteur  d'Agen  en  1592,  puis 
de  Toulouse  en  1598,  il  devint  en  1603  premier  recteur 
de  Béziers  et  s'adonna  vivement  aux  polémiques 
religieuses  de  son  temps.  Ses  écrits  méritent  une  place 
marquante  dans  l'histoire  de  la  controverse.  Nous 
devons  nous  borner  à  citer  ici  la  liste  de  ses  principaux 
ouvrages.  1°  Correction  fraternelle  {aile  à  M .  du  Moulin, 
ministre  du  Pontcharanlon,  sur  le  baptême  cl  les  limbes, 
Paris,  1607;  2°  La  vraie  procédure  pour  terminer  le 
différend  en  matière  de  religion,  ibid.,  1607;  3°  La 
réponse  du  P.  Gontery  à  la  demande  d'un  gentilhomme 
de  la  religion  prétendue  réformée  touchant  l'usage  des 
images  avec  une  copie  de  la  lettre  gue  le  roi  lui  a  envoyée 
audit  P.  Gontery,  ibid.,  la  lettre  d'Henri  IV  est 
du  10  avril  1608;  voir  le  Journal  de  l'Étoile  sur  la 
discussion  entre  Gontery  et  Dumoulin  et  l'intervention 
du  chancelier;  4°  Lettre  au  même  gentilhomme  touchant 
la  sainte  eucharistie,  ibid.,  1608,  traité  qui  provoqua 
chez  les  réformés  une  active  campagne  de  presse; 
5°  Réplique  à  la  réponse  que  les  ministres  ont  faite 
sous  le  nom  d'Eusèbe  Philalèthe  contre  le  traité  des 
images,  Bouen,  1609;  cet  écrit  est  signé  Antoine  de 
Bahastre;  il  fut  le  signal  d'une  nouvelle  et  violente 
polémique  dirigée  surtout  par  le  ministre  Guéroud 
et  menée  parallèlement  à  Paris,  en  Hollande  et  à 
Bouen;  elle  se  poursuivait  encore  en  1613;  cf.  Barbier, 
Examen  critigue...,  p.  397  sq.  ;  6°  Les  conséquences 
auxquelles  a  été  réduite  la  religion  prétendue  réformée 
après  avoir  recogneu  qu'elle  n'avoil  aucun  fondement  dans 
la  sainte  Écriture,  voire  après  y  avoir  renoncé,  Bouen, 
1609;  Dieppe,  1609;  Paris,  1610;  Lyon,  1610,  etc.; 
7°  La  réfutation  du  faux  discours  de  la  conférence 
entre  le  R.  P.  Gontery,  S.  J.,  et  le  sieur  Du  Moulin, 
ministre  de  la  religion  prétendue  réformée,  Paris,  1609; 
la  conférence  entre  Gontery  (nommé  souvent  Gontier 
dans  les  écrits  du  temps)  et  Dumoulin,  ménagée  par 
les  soins  de  la  baronne  de  Salignac,  avait  eu  un 
immense  retentissement,  comme  on  peut  le  voir  par 
la  relation  adressée  à  Henri  IV  par  Gontery  et  repro- 
duite dans  le  Mercure  françois  de  1609,  p.  335  sq.,  et 
dans  d'autres  recueils;  cf.  Baoul  Bouthrays,  Hislo- 
riopolitographia,  Francfort,  1610,  p.  333;  Mémoires  de 
Trévoux,  1714,  p.  1312;  8°  Déclaration  de  l'erreur  de 
notre  temps  et  du  moyen  qu'il  a  tenu  pour  s'insinuer, 
Bouen,  1609;  Paris,  1610;  9°  Réfutation  d'un  libelle 
sur  la  conférence  du  P.  Gonlery  avec  un  ministre, 
Paris,  1609;  l'écrit  ne  mentionne  point  le  lieu  de  la 
conférence;  mais  il  est  vraisemblable  qu'il  s'agit  de 
la  conférence  d'Amiens,  qui   eut  lieu   cette  année-là 


même  et  dont  l'objet  fut  discuté  en  divers  opus- 
cules ou  traités;  10° Relation  d'une  conférence  sur  des 
points  de  controverse  entre  Georges  Frédéric,  marquis 
de  Bade,  et  François,  duc  de  Lorraine,  Nancy,  1613; 
c'est  du  colloque  de  Durlach  qu'il  est  question; 
l'ouvrage  publié  sous  le  pseudonyme  de  Simonin  et 
traduit  en  allemand  par  le  P.  Conrad  Vetter,  souleva 
parmi  les  protestants  du  Wurtemberg  et  du  Palatinat 
une  série  de  répliques  et  de  diatribes  contre  les  catho- 
liques en  général  et  les  jésuites  en  particulier;  11°  Let- 
tres du  P.  Gontery.  jésuite,  à  M.  le  Conte,  gouverneur 
de  Sedan,  Sedan,  1613;  12°  Fuite  honteuse  des  ministres 
luthériens  d'Allemagne,  Pont-à-Mousson,  1613;  13° Ex- 
position des  sublilitez  qui  se  font  dans  les  disputes  sur 
la  foy,  Paris.  1613;  14°  Réfutation  complète  des  erreurs 
de  ce  siècle,  Charleville,  1613;  15°  La  pierre  de  touche 
ou  la  vraie  méthode  pour  désabuser  les  esprits  trompez 
sous  couleur  de  Réformation,  Bordeaux,  1613,  t.  i; 
Paris,  1615,  t.  n  et  m;  16°  Du  juge  des  controverses 
en  général,  Paris,  1616;  17°  Application  du  traité 
général  à  la  controverse  des  vœux  de  la  sainte  religion, 
ibid.,  1616;  18°  La  ruine  entière  de  la  Confession  de 
foy  des  ministres,  Caen,  1616;  19°  Instruction  du 
procès  de  la  religion  prétendue  réformée,  Paris,  1617. 
Le  P.  Gontery,  qui  s'était  fait  un  grand  renom  de 
prédicateur,  était  en  même  temps  un  habile  et  péné- 
trant directeur  des  âmes.  Ses  œuvres  de  spiritualité 
portent  la  marque  d'une  science  théologique  profonde 
et  d'une  éminente  sainteté.  Il  mourut  à  Paris,  le 
11   novembre  1616. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  C'"-  de  Jésus,  t.  m, 
col.  1567-1574;  Hurter,  Nomenclator,  3e  édit.,  t.  ni,  col.  555. 

P.  Bernard. 

1.  GONZALEZ  DE  ALBELDA  Juan,  dominicain 
espagnol,  né  à  Navarrete,  diocèse  de  Calahorra,  entra 
dans  l'ordre  au  couvent  de  San  Esteban  de  Salamanque, 
où  il  fit  profession  le  18  janvier  1585.  Après  avoir 
enseigné  la  théologie  en  plusieurs  collèges  de  son  ordre, 
en  Espagne,  il  fut  appelé  à  Borne  en  qualité  de  régent 
du  collège  Saint-Thomas  de  la  Minerve  en  1608,  par  le 
général  Augustin  Galamini.  On  voit  que  les  auteurs  se 
trompent  qui  font  de  Juan  Gonzalez  le  compagnon  de 
Thomas  Lemos  dans  les  disputes  De  auxiliis.  Elles 
étaient  terminées  depuis  le  mois  de  février  1606,  donc 
deux  ou  trois  ans  avant  l'arrivée  de  Gonzalez  à  Borne. 
Après  avoir  enseigné  trois  ans  à  la  Minerve,  il  revint 
en  Espagne.  En  1612,  il  commença  son  enseignement 
à  l'université  d'Alcala  de  Henarès,  dans  la  chaire 
fondée  pour  son  ordre  par  le  duc  de  Lerma.  Il  occupa 
cette  charge  jusqu'à  sa  mort  survenue  en  1622. 
Gonzalez  de  Albelda  a  composé  Commenlariorum  et 
disputalionum  in  I""'  partent  Summœ  S.  Thomse  de 
Aquino  volumina  duo,  Alcala,  1621;  Naples,  1637. 
Quelques  auteurs,  en  particulier  Ortega  et  d'autres  de 
la  même  école,  ont  voulu  établir  une  opposition  entre 
la  doctrine  de  Gonzalez  sur  la  grâce  efficace  et  la 
doctrine  courante  de  l'école  thomiste,  prétendant  que 
le  professeur  d'Alcala  était  favorable  à  la  théorie  de 
Molina.  Pour  appuyer  leur  assertion,  ils  rapportaient 
un  passage  de  Gonzalez,  part.  I, disp.  LVIII,sect.  u,n.  1, 
ainsi  conçu  :  Dico  primo,  contra  primam  senlentiam 
thomislarum  recenlium  :  Non  oporlet  quod  gralia  prœve- 
niens  inlrinsccc  inhœrens,  quse  in  uno  est  efficax,  sil 
ctiam  efficax  in  alio  majori  tenlalione  tentalo.  Ac  proinde 
non  csl  verum  dicere,  quod  gralia  prœvcniens  intrinsece 
inhserens,  quse  aliquando  est  efficax,  debcat  esse  efficax 
semper,  cl  in  quoeunque  supposito  œgualiter  tentato... 
Ainsi  que  le  fait  remarquer  Serry,  Historia  congreg.  de 
auxiliis,  col.  609,  bien  que  cette  notion  de  la  grâce 
efficace  ne  soit  pas  celle  généralement  admise  par  les 
thomistes,  elle  n'en  est  pas  moins  aussi  éloignée  que 
possible  du  molinisme  et  se  ramène  à  la  grâce  intrin- 
sèquement efficace.  Gonzalez  n'entend  dire  autre  chose 


1493 


GONZALEZ  DE  ALBELDA  —  GONZALEZ  DE  SANTALLA 


1494 


que  ceci  :  que  la  ;;râce  n'est  accordée  à  l'homme  qu'en 
proportion  du  besoin  personnel  qu'il  en  peut  avoir  et  son 
efficacité  est  toujours  en  rapport  avec  le  sujet;  de 
sorte  que  l'on  peut  dire  avec  raison  que  la  môme  grâce 
ne  saurait  avoir  la  même  efficacité  en  deux  sujets 
distincts,  parce  que  le  tempérament,  la  tentation,  etc., 
ne  sont  pas  les  mêmes  dans  les  deux.  D'ailleurs, 
toute  la  disp.  LVII  est  consacrée  à  l'exposé  de  la  notion 
de  la  grâce  efficace  et  Gonzalez  s'y  montre  fidèle  aux 
enseignements  de  l'école  thomiste.  Pour  la  concor- 
dance de  sa  doctrine  avec  celle  de  toute  l'école,  voir 
Massoulié,  In  D.  Thoma  sui  interprète,  t.  il,  diss.  III, 
q.  vi.  D'autre  part,  Liévin  de  Meyer  (Eleutherius), 
dans  son  Hisloriœ  controversiarum,  s'appuyant  sur  un 
passage  qu'il  interprète  mal  de  Gonzalez,  part.  I, 
q.  xix,  a.  8,  disp.  LIX,  sect.  n,  n.  15,  prétendait 
qu'il  était  opposé  à  la  notion  de  la  predétermination 
physique,  telle  qu'elle  est  admise  par  les  thomistes. 
Serry,  op.  cit.,  col.  767-768,  rétablit  le  vrai  sens  de  la 
doctrine  de   Gonzalez. 

Echard,  Scriptores  ordinis  prœdicalorum,  Paris,  1719- 
1721,  t.  n,  p.  427;  Serry,  Hist.  congreg.  de  auxiliis,  Venise, 
1740,  col.  609,  767-768;  Hurter,  Nomenclator  literariu.t, 
Inspruck,  1907,  t.  m,  col.  657. 

R.  Coulon. 

2.  GONZALEZ  DE  'LÉON  Juan,  dominicain 
espagnol,  régent  du  collège  Saint-Thomas  d'Aquin 
du  couvent  de  la  Minerve,  à  Rome.  Il  laissa  manuscrite 
une  relation  des  controverses  de  son  temps,  qui  parut 
après  sa  mort,  à  Liège,  en  1708,  sous  ce  titre:  Conlro- 
versiœ  inter  defensorcs  liberlalis  et  prœdicctlorcs  gratiœ 
de  auxiliis  divins'  gratiœ,  tam  excitantis  quam  adju- 
vantis,  tam  operanlis  quam  cooperantis,  tam  su/ficientis 
quam  effieacis,  et  de  extremis  hœreticorum  erroribus 
circa  camdem,  Romœ  anno  1635  et  1636  publicœ  catholi- 
corum  utililali  exposilœ.  In  quibus  nec  unum  exlal 
v.'rbum,  quod  non  vel  summorum  ponlificum  et  sacrorum 
eonciliorum  definitionibus,  vel  sanetorum  Patrum  prœ- 
cipue  Augustini,  Prosperi,  Fulgentii,  Anselmi,  Hilarii 
et  D.  Thomœ  aucloritatibus  julcialur,  roboretur.  appro- 
betur,  in-4°,  Liège,  1708.  L'auteur  déclare  avoir  fait 
toutes  les  recherches  désirables  sur  ce  qui  s'est  passé 
dans  les  congrégations  De  auxiliis  tenues  sous  Clé- 
ment VIII  et  Paul  V  :  Novi,  vidi  et  expendi,  quomodo  se 
gesserint  arguenles  e  respondenles  consideravi,  etc.  Étant 
régent  de  la  Minerve,  il  fit  soutenir  au  mois  de  mai 
1638,  par  P.  Raymond  Capisucchi,  plus  tard  maître 
du  sacré  palais  et  cardinal  (t  1696),  une  thèse  ainsi 
énoncée  :  Verilales  principes  ex  universa  theologia  ma/jni 
Thomœ  Aquinalis  angelici  docloris  Ecclesiœ  publiée 
disputandas  proponit  Pr.  Raijm.  Capisuccus,  in-fol., 
Rome,  1638. 

Echard,  Scriptores  ordinis  prœdieatorum,  Paris,  1719- 
1721,  t.  n,  p.  486;  Hurter,  Nomenclator,  Inspruck,  1907, 
t.  m,  col.  670. 

R.    Coulon. 

3.  GONZALEZ  DE  SANTALLA  Thyrse,  jésuite 
espagnol,  né  à  Arganza,  dans  la  province  de  Léon,  le 
18  janvier  1624,  admis  au  noviciat  de  la  Compagnie 
de  Jésus  le  3  mars  1643,  enseigna  d'abord  la  grammaire 
et  la  philosophie,  puis  la  théologie  à  Salainanque 
(1655-1665),  avec  un  éclatant  succès  justifié  par  la 
lucidité  de  son  exposition,  la  force  pénétrante  de  son 
argumentation  et  un  don  de  parole  chaleureuse  et 
incisive  qui  souleva  plus  d'une  fois  l'enthousiasme 
de  l'auditoire.  Adonné  ensuite  au  ministère  des 
missions  (1665-1670)  et  à  la  théologie  ascétique,  il 
édita  les  Senlimcnlos  y  avisos  espirituales  du  P.  Louis 
de  la  Puente,  Madrid,  1671;  le  Tesoro  escondido  en  las 
enfermedades  du  même  auteur,  Madrid,  1672.  Nommé 
professeur  de  théologie  à  l'université  de  Salamanque 
en  1676,  il  porta  de  préférence  son  enseignement  sur 
les    questions    controversées    entre    néo-thomistes   et 


jésuites,  sans  négliger  pourtant  les  grandes  discussions 
dogmatiques  ouvertes  par  les  écrits  jansénistes  ou 
les  problèmes  spéciaux  d'apologétique  posés  en 
Espagne  par  la  conversion  des  musulmans  à  la  foi 
catholique.  En  1680,  commence  la  publication  de 
ses  grands  ouvrages  théologiques  :  1°  Sclcelarum 
dispulationum  ex  universa  theologia  lomus  primus, 
Madrid,  1680,  ouvrage  qui  traite  exclusivement  des 
thèses  et  positions  du  néo-thomisme  sur  l'essence  et 
les  attributs,  la  science  nécessaire,  l'éternité  et  la 
puissance  de  Dieu,  la  vision.  Un  traité  intégral  est 
réservé  à  la  volonté  divine,  et  un  autre  à  la  science  des 
futurs  contingents  et  tout  particulièrement  à  la  science 
moyenne  avec  un  essai-fort  ingénieusement  conçu  et 
lumineusement  exposé  dans  sa  concise  précision  sur 
l'accord  de  la  liberté  humaine  avec  l'infaillibilité 
de  la  science  et  de  la  prédestination  divines  et  avec 
l'efficacité  des  motions  de  la  grâce.  Le  P.  Thyrse 
Gonzalez  se  mit  par  ce  traité  au  premier  rang  des 
adversaires  du  néo-thomisme.  Les  volumes  suivants 
parurent  simultanément  à  Madrid  en  1686;  ils  se 
bornent,  comme  le  premier,  à  un  choix  de  questions 
d'ordre  métaphysique  controversées  dans  l'école  sur 
la  Trinité,  la  prédestination,  etc.  Le  t.  iv  contient  un 
choix  fort  intéressant  de  controverses  sur  l'état  de 
I  pure  nature  et  sur  les  thèses  jansénistes  concernant 
:  l'ignorance  invincible  du  droit  naturel.  La  théorie 
des  théologiens  de  Louvain  sur  l'efficacité  de  la  grâce 
dans  l'état  de  nature  déchue  est  également  soumise 
j  à  une  pénétrante  et  incisive  critique  qui  embrasse  à 
ce  propos  tout  le  système  théologique  et  les  procédés 
de  combat  des  Lovaniens.  2°  Manuduclio  ad  conver- 
sionem  Mahumclanorum,  2  in-8°,  Madrid,  1687;  Dil- 
lingen,  1688.  La  I"  partie,  plusieurs  fois  réimprimée 
à  part,  Dillingen,  1691;  Lille,  1696;  Madrid,  1097; 
Naples,  1702,  etc.,  est  une  démonstration  serrée  et 
méthodique  de  la  vérité  de  la  religion  catholique. 
Elle  a  été  utilisée  contre  les  protestants.  La  IIe  est 
une  critique  complète  de  la  religion  musulmane. 
Cf.  Acta  crudilor.,  1697,  p.  272-281;  A.  Mai,  Scriplorum 
veterum  nova  collcctio  e  Valicanis  codicibus  édita, 
Rome,  1831,  t.  v,  p.  77.  3°  Traclatus  théologiens  de 
certitudinis  gradu  quem  infra  /idem  nunc  habet  senlenlia 
pia  de  immaculalœ  B.  Virginis  conceptione,  Dillingen, 
1690  ;  4°  De  infallibililate  romani  ponlificis  in  dcfinicndis 
fîdei  et  morum  conlroversiis  extra  concilium  générale 
cl  non  exspectalo  Ecclesiœ  consensu  contra  récentes 
hujus  injallibilitatis  impugnalores,  Rome,  1089.  Rédigé 
contre  les  propositions  de  l'Assemblée  du  clergé  de 
France  en  1082,  ce  traité,  fort  complet  et  d'une  haute 
importance,  fut  imprimé  par  ordre  d'Innocent  XI 
qui  mourut  avant  la  publication  de  l'ouvrage.  Son 
successeur  Alexandre  VIII,  l'ayant  fait  examiner  de 
nouveau,  craignit  de  s'attirer  de  graves  ennuis  avec 
la  cour  de  France  et  donna  ordre  de  supprimer  tous 
les  exemplaires.  Très  peu  échappèrent  à  la  destruction. 
Un  extrait  de  ce  grand  ouvrage  parut  à  Barcelone, 
en  1091,  sous  le  même  fifre.  5°  Fundamentum  theologix 
moralis,  id  est,  traclatus  theologicus  de  recto  usu  opi- 
nionum  probabilium,  Rome,  1694;  trois  éditions  à 
Rome  la  même  année;  neuf  autres  éditions  à  Anvers, 
Naples,  Dillingen,  Paris,  Cologne,  etc.,  presque 
aussitôt  épuisées.  Rarement  ouvrage  eut  un  pareil 
retentissement.  Il  excita  au  sein  même  de  la  Compagnie 
de  Jésus,  dont  le  P.  Thyrse  Gonzalez  était  alors 
général,  la  plus  vive  opposition,  car  il  combattait 
directement  la  doctrine  du  probabilisme  presque 
universellement  admise  jusqu'alors  et  très  vaillamment 
défendue  par  les  thélogiens  de  la  Compagnie.  Com- 
mencé en  1671  et  achevé  en  1676,  l'ouvrage  était 
depuis  près  de  vingt  ans  soumis  à  l'approbation  des 
supérieurs  sans  avoir  obtenu  l'imprimatur.  Nommé 
général  de  la  Compagnie  de  Jésus  le  6  juillet  1687, 


U495 


GONZALEZ  DE  SANTALLA 


GORDON 


1496 


le  P.  Thyrse  Gonzalez,  qui  regardait  le  probabilisme 
comme  une  théorie  dangereuse  et  funeste  dont  il 
importait  de  préserver  son  ordre,  fit  approuver  son 
traité  par  le  P.  Philippe  de  Saint-Nicolas,  vicaire 
général  de  l'ordre  des  carmes  déchaussés,  et  par  le 
P.  Marie  Gabriel,  visiteur  général  des  cisterciens, 
tous  deux  qualificateurs  du  Saint-Office.  Les  appro- 
bations des  deux  réviseurs  sont  de  janvier  1694. 
L'ouvrage  parut  aussitôt.  Le  premier  soin  et  le  prin- 
cipal souci  de  l'auteur  sont  d'établir  que  le  probabi- 
lisme. dont  il  fait  remonter  l'origine  à  Antoine  de 
(  m. loue,  religieuxde  l'ordre  de  saint  François,  en  1571, 
n'a  pas  pour  auteurs  les  théologiens  de  la  Compagnie, 
ce  qui  est  rigoureusement  exact,  qu'il  n'est  pas  non 
plus  une  doctrine  particulière  à  la  Compagnie,  ce  qui 
est  vrai  encore,  et  il  note  avec  soin  que  les  premiers 
adversaires  de  ce  système  sont  précisément  des  jésui- 
tes, les  PP.  Ferd.  Rebelle,  Paul  Comitolus  et  André 
Bianchi.  Le  fait  est  exact  pour  Comitolus  (1609)  et 
pour  Bianchi  (1612).  Mais  ce  sont  les  seuls  que  l'on 
puisse  citer  parmi  les  adversaires  du  probabilisme 
jusqu'en  1656  et  le  P.  Thyrse  Gonzalez  se  trouvait  en 
opposition  avec  la  doctrine  alors  unanimement 
admise  par  les  membres  de  la  Compagnie.  Aussi  les 
cinq  reviseurs  nommés  en  1673  par  le  Père  général 
Paul  Oliva,  à  qui  l'ouvrage  était  dédié,  s'étaient-ils 
énergiquement  prononcés  contre  la  publication  du 
manuscrit  dans  leur  Jugement  du  18  juin  1674.  Cf.  Con- 
cilia, Dijesa  délia  Compagnici  di  Gesù,  Venise,  1767, 
t.  ii,  p.  31.  Quand  parut  le  décret  de  l'Inquisition  du 
2  mars  1679  condamnant  par  ordre  d'Innocent  XI 
les  65  propositions  entachées  de  laxisme,  le  nonce 
de  Madrid,  Mellini,  manda  au  pape  qu'un  professeur 
de  Salamanque  avait  combattu  quelques  années 
auparavant  des  propositions  condamnées,  en  parti- 
culier la  troisième,  dans  un  écrit  qui  n'avait  pu  obte- 
nir l'imprimatur.  Le  pape  demanda  une  copie  de 
l'ouvrage,  qu'il  fit  examiner  par  deux  théologiens. 
Sur  le  rapport  du  P.  Lorenzo  Brancacci  di  Laurea, 
les  cardinaux  membres  du  Saint-Office  décidèrent 
en  séance  du  26  juin  1680  que  le  cardinal  secrétaire 
d'État  enjoindrait  au  nonce  de  Madrid  de  transmettre 
au  P.  Gonzalez  la  satisfaction  du  souverain  pontife 
avec  ordre  d'enseigner  et  de  prêcher  ses  doctrines. 
Thyrse  Gonzalez  n'eut  connaissance  de  ce  décret 
qu'en  1693.  Envoyé  par  la  province  de  Castille  à  la 
13e  congrégation  générale  chargée  d'élire  le  successeur 
du  P.  Charles  de  Noyelle,  Thyrse  Gonzalez  fut  nommé 
général  de  la  Compagnie,  et  cette  élection  répondait 
au  vœu  publiquement  exprimé  d'Innocent  XI.  Le 
nouveau  général,  dès  la  première  audience  accordée 
par  le  pape,  reçut  ordre  de  faire  enseigner  le  probabi- 
liorisme  au  Collège  romain:  le  P.  Jos.  de  Alfaro  fut 
chargé  de  cette  mission.  En  même  temps,  la  13e  congré- 
gation rendait  un  important  décret  permettant  aux 
membres  de  la  Compagnie  d'enseigner  le  probabilio- 
risme.   Instilulum  S.  J.,  t.  i,  p.  667. 

Aucun  auteur  jésuite  ne  soutenant  cette  doctrine, 
le  P.  Thyrse  Gonzalez  se  décida,  après  quatre  années 
d'attente,  à  publier  lui-même  en  faveur  du  probabi- 
liorisme  un  écrit  qui,  dans  sa  pensée,  servirait  de 
préface  à  son  traité  encore  manuscrit  du  Fundamcn- 
lum  theologiœ  moralis.  Cet  écrit  dont  les  assistants 
n'eurent  point  connaissance,  mais  qui  fut  soumis  à 
l'examen  de  quelques  jésuites,  sans  doute  Alfaro  et 
Estrix,  et  approuvé  par  deux  théologiens  d'autres 
ordres,  fut  imprimé  à  Dillingen  sous  ce  titre  :  Traelatus 
succinclus  de  reelo  usu  opinionum  probabilium,  en  1691. 
La  nouvelle,  aussitôt  répandue,  combla  de  joie  les 
jansénistes  et  les  ennemis  de  la  Compagnie,  qui 
voyaient  dans  ce  livre  la  condamnation  officielle  «  de  la 
morale  relâchée  des  jésuites  »  et  qui  espéraient  bien 
tirer   profit   des   discussions   et   des   conflits   que   cet 


ouvrage  ne  pouvait  manquer  de  susciter  au  sein  de 
l'ordre.  Mais  comme  ce  traité  n'avait  ni  l'approbation 
de  la  Compagnie  ni  celle  du  maître  de  sacré  palais, 
les  assistants  intervinrent  au  nom  des  constitutions 
et  ni  le  pape  Innocent  XII  ni  le  maître  du  sacré  palais 
ne  se  montrèrent  favorables  à  cette  publication. 
L'édition  fut  tout  entière  supprimée.  Mais  dans  les 
premiers  mois  de  1694,  avec  l'approbation  du  maître 
du  sacré  palais  Ferrari,  le  P.  Thyrse  Gonzalez  put 
faire  paraître  enfin  son  manuscrit  de  1671.  Tel  est, 
réduit  a  ses  points  essentiels,  l'historique  de  cette 
publication  qui  a  donné  lieu  à  tant  de  controverses 
et  de  jugements  souvent  peu  fondés.  Voir,  en  particulier, 
l'important  ouvrage  de  Dôllinger  et  Reusch,  Geschi- 
chle  der  Moralstreiligkeiten  in  der  romisch-katholischen 
Kirche,  Nordlingen,  1889,  t.  i,  p.  123  sq.,  et  l'article 
de  Reusch  dans  Prcussischc  Jahrbùcher,  1888,  t.  lxviii  : 
Ein  Krisia  in  Jcsuitenorden,  p.  52-83. 

Le  P.  Segneri,  qui  avait  employé  son  crédit  auprès 
d'Innocent  XII  pour  empêcher  la  publication  de 
l'édition  de  Dillingen,  fut  le  premier  à  attaquer  la 
doctrine  du  Fundamenlum  theologiœ.  moralis  sous 
forme  de  lettre  adressée  à  son  ami  Lattanzio  Vajani  : 
Lettera  terza  nella  quale  si  abbatono  i  fondamenli  d'un 
nuovo  sistema,  dans  Opère,  t.  iv,  p.  816-854.  Rassler, 
professeur  à  Dillingen,  combattit  avec  plus  d'énergie 
encore  l'ouvrage  de  Gonzalez  dans  sa  Controversia 
théologien  tripartita  de  recto  usu  opinionum  probabi- 
lium, soutenue  publiquement  à  l'Académie  de  Dillingen 
et  publiée  en  1694.  Les  ennuis  causés  au  P.  Thyrse 
Gonzalez  par  la  publication  de  cet  ouvrage  ne  firent 
que  s'accroître  et  les  dernières  années  de  sa  vie  furent 
attristées.  Dans  ses  Vindiciœ  Socictatis  Jesu  hiscc 
lemporibus  cjusque  doctrinarum  purgatio,  Venise,  1769, 
ouvrage  très  important  pour  cette  question  et  très 
curieux,  le  dominicain  Concilia  a  recueilli  vingt-deux 
documents  relatifs  au  P.  Gonzalez  qui  les  avait  remis 
lui-même  au  cardinal  Ferrari.  Voir  t.  ni,  col.  701-702. 
Le  P.  Thyrse  Gonzalez  mourut  à  Rome  le  22  oc- 
tobre 1701. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  C"  de  Jésus,  t.  m, 
col.  1591-1602;  Hurter,  Nomenclator,  3e  édit.,  1910,  t.  iv, 
col.  951  sq.;  Crétineau  Joly,  Histoire  de  la  Cle  de  Jésus, 
t.  IV,  p.   345. 

P.  Bernard. 

GOODWIN  Ignace-Jacques,  jésuite  anglais,  né 
dans  le  Somerset  en  1601,  entré  au  noviciat  de  la 
Compagnie  de  Jésus  en  1623,  fut  employé  durant 
trente  années  dans  les  missions  d'Angleterre  et  de 
Hollande,  où  son  aménité,  sa  sainteté  douce  et  atti- 
rante non  moins  que  sa  science  profonde  et  son  art 
merveilleux  d'exposer  dans  toute  leur  force  et  leur 
clarté  les  vérités  de  la  foi  catholique  ramenèrent  une 
foule  de  protestants  à  l'Église  romaine.  Il  enseigna 
la  controverse,  science  dans  laquelle  il  était  passé 
maître,  et  la  théologie  morale  à  Liège  et  mourut  à 
Londres  le  26  novembre  1667.  Il  a  laissé  un  ouvrage 
de  controverse  fort  estimé  :  Lapis  Lydius  eontrover- 
siarum  modernarum  catholicos  intcr  et  acatholicos, 
Liège,  1656.  Cet  ouvrage,  destiné  aux  controversistes 
de  profession,  et  spécialement  aux  maîtres  de  cette 
science,  fut  souvent  réimprimé  en  Allemagne,  en 
Bohême,  en  Pologne. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  C"  de  Jésus,  t.  m, 
col.  1007  sq.  ;   Hurter,  Nomenelator,  3e  édit.,  t.  iv,   col.   92. 

P.  Bernard. 
1.  GORDON  Huntley  Jacques,  jésuite  écossais, 
né  en  1541.  entré  à  Rome  au  noviciat  de  la  Compagnie 
de  Jésus  le  20  septembre  1563.  Il  enseigna  pendant 
près  de  cinquante  ans  la  philosophie,  la  théologie  et 
l'hébreu  à  l'université  de  Pont-à-Mousson,  à  Paris  et 
à  Bordeaux.  Sa  haute  réputation  de  sainteté,  de 
science  et  de  prudence  le  firent  choisir  par  le  pape 


1497 


GORDON    —  GOSSELIN 


1498 


Paul  V  comme  nonce  apostolique  en  Irlande;  mais 
dénoncé  et  découvert  au  cours  de  ses  voyages,  il  fut 
appréhendé  et  jeté  en  prison  en  Ecosse  où  il  travaillait 
à  propager  la  foi  catholique  et  à  relever  le  courage  des 
fidèles.  Enfin  libéré  grâce  à  l'intervention  de  la  cour 
de  France,  il  revint  à  Paris  où  il  mourut  le  16  avril  1620, 
après  avoir  mis  la  dernière  main  à  son  grand  ouvrage  de 
controverse  :  Controversiaram  epitome  in  qua  de 
guœslionibus  theologicis  hac  nostra  setate  controvcrsis 
disputatur.  Le  i"  volume,  publié  à  Paris  en  1612,  a 
pour  objet  les  notes  de  la  véritable  Eglise  et  l'obliga- 
tion de  conscience  qui  s'impose  à  l'homme  de  recher- 
cher la  vérité  et  de  l'embrasser  une  fois  connue.  Le 
t.  i,  paru  en  1018,  traite  presque  exclusivement  de 
la  sainte  eucharistie  contre  les  calvinistes.  Le  t.  m, 
publié  à  Paris  en  1620  et  dédié  par  reconnaissance 
à  Paul  V,  discute  quelques  points  particuliers  de 
dogme  et  d'histoire  ecclésiastique.  Cf.  L.  Allatius, 
De  Ecclesiœ  orientatis  et  occidentalis  consensione, 
Cologne,  1648,  col.  1642  sq. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  Cu  de  Jésus,  t.  m, 
col.  1610-1613 ;  Hurter,  Nomenda/or,  31,  édit.,t.m,  col. 460 sq. 

P.  Bernard. 

2.  GORDON  Lesmoir  Jacques,  théologien  écos- 
sais, né  dans  le  comté  d'Aberdeen,  entré  au  noviciat 
de  la  Compagnie  de  Jésus  en  1573,  à  Paris,  où  il  avait 
achevé  ses  études  universitaires.  Professeur  de  théo- 
logie morale,  il  publia  une  Theologia  moralis  universel, 
2  in-fol.,  Paris,  1634,  qui  dénote  une  rare  lucidité 
d'esprit,  un  sens  précis  des  réalités  et  une  science 
profonde  soutenue  et  éclairée  encore  par  l'expérience 
d'une  longue  vie  et  par  une  grande  habitude  des 
Ames.  Le  P.  Gordon  n'oubliait  point  ses  compatriotes. 
Dans  les  discussions  théologiques  qui  occupaient 
alors  et  passionnaient  les  esprits  en  Angleterrre,  il 
intervint  à  son  tour  par  un  solide  traité  d'apologétique 
qui  eut  un  certain  retentissement  :  De  catholica  veritate 
dialriba,  Paris,  1623,  dédié  au  prince  de  Galles.  Il  est 
également  l'auteur  d'une  Histoire  universelle  en  3  in- 
fol.,  plusieurs  fois  réimprimée,  et  d'une  série  de  com- 
mentaires sur  la  Bible  dont  Richelieu  avait  accepté 
la  dédicace.  Après  avoir  rempli  la  charge  de  recteur 
à  Toulouse  et  à  Bordeaux,  le  P.  Jacques  Gordon 
fut  choisi  comme  confesseur  par  Louis  XIII  et  mourut 
à  la  maison  professe  de  Paris  le  17  novembre  1641. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  Clc  de  Jésus,  t.  m, 
col.  1011-1614;  Ilurter,  Notncnclator,  3e  édit.,  t.  m,  col. 
1032;  Will.  Forbes-Leith,  Narrationes  o/  Scoitish  Calholicas, 
Londres,  1889,  p.  232  sq.,  243  sq.,  etc. 

P.  Bernard. 

GORITZ  (François-Antoine  de)  était  entré  chez  les 
frères  mineurs  capucins  de  la  province  de  Styrie  le 
1  1  février  1730.  Ses  mérites  le  firent  successivement 
arriver  aux  diverses  charges  de  lecteur,  gardien,  déli- 
niteur  et  provincial.  Le  P.  François-Antoine  consacrait 
à  l'étude  tout  le  temps  que  lui  laissaient  ses  diverses 
fonctions  et  il  composa  des  ouvrages  de  théologie, 
d'histoire  tant  sacrée  que  profane,  et  une  exposition  de 
la  règle  franciscaine,  sans  toutefois  rien  publier  de  ses 
travaux.  Quand  Pie  VI,  se  rendant  à  Vienne  (1782), 
passa  par  Goritz,  le  bon  vieillard  alla  se  jeter  à  ses  pieds 
et  il  aimait  à  rappeler  avec  quelle  bonté  le  pape  l'avait 
aidé  à  se  relever.  Il  mourut  dans  sa  patrie  au  mois  de 
mars  1784.  Parmi  ses  manuscrits  il  en  était  un  que  l'on 
désirait  voir  imprimé  :  c'était  un  abrégé  de  théologie 
canonique  et  morale  sous  forme  de  tableaux  synop- 
tiques. Le  soin  en  fut  confié  à  un  compatriote  de  l'au- 
teur, le  P.  Jérôme  de  Goritz,  qui  revit  l'ouvrage,  le 
compléta  par  une  citation  plus  précise  des  autorités 
invoquées  et  le  publia,  en  le  dédiant  à  Pie  VI,  sous  ce 
titre  :  Epitome  theologiœ  canonico-moralis  omnes  seor- 
sim  in  bis  ceniis  triginta  tribus  lubulis  dure,  distincte  ac 
breviler   malerias    practicas    exhibais,    confessariorum, 


examinatorum,  neenon  examinandorum  usibus  accommo- 
data,  in-4°,  Rome,  1796.  L'ouvrage  fut  accueilli  avec 
faveur  et  les  éditions  se  succédèrent  rapidement;  nous 
pouvons  citer  :  Venise,  1805;  3e,  1822;  4e,  1832;  Naples, 
1833;  Sienne,  1837;  Bassano,  1838;  Paris-Lyon,  1821, 
1825,  1829,  1841,  1845. 

Jean-Marie  de  Ratisbonne,  Appendix  ad  bibliothecam 
scriplorum  capuccinorum,  Rome,  1852;  Hurter,  Notncnclator, 
Inspruck,  1912,  t.  y,  col.  544. 

P.  Edouard  d'Alençon. 
GORMAZ  Jean-Baptiste,  théologien  espagnol,  né 
à  Miedes  le  24  juin  1650,  admis  au  noviciat  de  la 
Compagnie  de  Jésus  le  17  juillet  1668,  professa  les 
humanités  au  collège  de  Gandie,  puis  la  philosophie 
à  Calatayud.  Chargé  de  l'enseignement  de  la  théologie 
dogmatique  à  Valence,  il  fut  bientôt  appelé  à  l'uni- 
versité grégorienne  où  l'avait  précédé  sa  haute  répu- 
tation de  théologien  érudit  et  sage,  ami  des  solutions 
positives,  frappées  au  coin  du  bon  sens.  Ce  sont  les 
qualités  qui  distinguent,  entre  toutes,  ses  grands 
ouvrages  :  1°  Traetatus  de  pœnilenlia,  2  in-8°,  Rome, 
1697;  2°  Traetatus  de  Deo,  de  beatiludine,  de  actibus 
humanis,  de  virlulibus  theologicis  in  génère  et  in  specic, 
de  fide,  spe  cl  charitale  theologica,  Augsbourg,  1707; 
3°  Traetatus  de  justitia  et  jure,  de  sanclissimo  incarna- 
lionis  mysterio,  de  saeramenlis  in  génère,  et  in  specic  de 
sacramento  baptismi,  de  confirmatione,  de  venerabili 
cucharistia,  de  pœnilenlia  virtulc  et  de  pœnilenlia 
sacramento,  Augsbourg,  1709.  Rappelé  dans  sa  province 
où  ses  remarquables  dons  d'administrateur  trouvaient 
un  vaste  champ  d'action,  il  gouverna  successivement 
les  collèges  de  Huesca,  de  Calatayud,  de  Saragosse, 
puis  la  province  d'Aragon  où  il  s'elTorça  de  promouvoir 
à  un  degré  intense  le  goût  des  hautes  études  théolo- 
giques. Le  P.  J.-B.  Gormaz  mourut  à  Saragosse  le 
9  mars  1708. 

Mémoires  de  Trévoux,  1708,  p.  1191-1204;  Journal  des 
savants,  1708,  p.  524  sq.;  Sommervogel,  Bibliothèque  de  la 
C1"  de  Jésus,  t.  ni,  col.  1617;  Hurter,  Nomenclator,  1910, 
t.  iv,  col.  674. 

P.  Bernard. 

GOSSELIN  Jean-Edme-Auguste,  né  à  Rouen,  pa- 
roisse Saint-Jean,  le  28  septembre  1787,  suivit  ses 
parents  à  Paris  où  ils  étaient  venus  s'établir,  et  y  fit 
ses  études  classiques.  Entré  en  philosophie  au  sémi- 
naire Saint-Sulpice  le  10  décembre  1806,  il  se  fit 
remarquer  par  ses  talents,  sa  régularité  et  sa  piété. 
Tonsuré  le  20  décembre  1800,  il  reçut  le  sous-diaconat 
le  22  décembre  1810.  Les  sulpiciens  ayant  été  expulsés 
du  séminaire  par  Napoléon  en  1811,  M.  Gosselin  fut 
choisi  pour  occuper  la  chaire  de  dogme  :  il  y  resta 
deux  ans  jusqu'à  ce  que  la  faiblesse  de  sa  santé  l'obligeât 
de  quitter.  C'est  durant  cet  intervalle  qu'il  reçut  le 
diaconat  et  la  prêtrise.  Il  ne  voulut  point  recevoir  cette 
dernière  ordination  des  mains  du  cardinal  Maury,  mais 
il  s'adressa  à  M.  André,  ancien  évêque  de  Quimper,  qui 
la  lui  donna  dans  l'église  paroissiale  de  Saint-Cloud  le 
22  février  1812.  Les  sulpiciens  étant  rentrés  en  1814, 
et  le  nombre  des  élèves  s'étant  accru  au  point  de  ne 
pouvoir  tous  tenir  dans  le  séminaire  de  la  rue  du 
Pot-de-Fer,  on  fut  obligé  de  transporter  à  Issy  le  cours 
de  philosophie  et  la  Solitude.  M.  Gosselin  admis  dans 
la  Compagnie  fut  chargé  dans  cette  nouvelle  maison 
de  remplir  les  fonctions  de  directeur  et  en  même  temps 
de  donner  aux  solitaires  quelques  leçons  particulières 
de  théologie.  En  1818,  ces  derniers  ayant  été  placés 
dans  un  local  séparé,  il  n'eut  plus  que  la  charge  de  direc- 
teur du  séminaire  d'Issy,  où,  depuis  1816  jusqu'à  1830, 
des  théologiens  furent  réunis  aux  philosophes.  La  révo- 
lution de  1830  ayant  diminué  le  nombre  des  étudiants 
ecclésiastiques  qui  venaient  de  province  à  Paris  et 
le  nouveau  séminaire  de  la  place  Saint-Sulpice, 
quoique   non  encore  achevé,   étant  assez  vaste  pour 


1499 


GOSSELIN 


GOTESCALE 


1500 


contenir  tous  les  élèves  de  théologie,  il  ne  resta  plus 
à  Issy  que  des  philosophes,  dont  M.  Gosselin  devint 
en  1831  le  supérieur.  En  1844,  le  délabrement  de  sa 
santé  l'obligea  de  donner  sa  démission  et  d'aller  passer 
l'hiver  à  Nice.  A  son  retour,  il  dut  se  borner  à  rendre 
comme  directeur  quelques  services  à  la  maison  dans 
la  mesure  de  ses  forces.  Grâce  à  sa  prudence  et  à  sa 
régularité,  il  put  achever  cependant  divers  travaux 
qu'il  avait  entrepris  pendant  qu'il  était  directeur  ou 
supérieur.  Il  écrivait  les  dernières  pages  de  la  Vie  de 
M.  Émery,  lorsqu'il  mourut  le  27  novembre  1858. 

Les  ouvrages  de  sa  composition  sont  :  1"  Méthode 
courte  et  facile  pour  se  convaincre  de  la  vérité  de  la  reli- 
t/ion catholique,  d'après  les  écrits  de  Bossuet,  Fénelon, 
Pascal  et  Bullet,  2  in-12,  Paris,  1822.  Ce  petit  ouvrage, 
rédigé  sur  le  plan  de  la  cinquième  lettre  de  Fénelon 
à  un  protestant,  a  eu  plusieurs  éditions,  revues  et 
augmentées  en  1824,  1833,  1840,  1847.  Une  dernière 
édition  en  fut  faite  en  1876,  suivie  d'une  lettre  pas- 
torale de  Mgr  Darboy,  sur  la  divinité  de  Jésus-Christ  ; 
2°  Police  historique  et  critique  sur  la  sainte  couronne 
d'épines  de  N.-S.  J.-C.  et  sur  les  autres  instruments 
de  sa  passion  qui  se  conservent  dans  l'église  métro- 
politaine de  Paris,  in-8°,  Paris,  1828;  3°  Pouvoir  du 
pape  sur  les  souverains  au  moyen  âge  ou  Recherches 
historiques  sur  le  droit  public  de  celle  époque,  relative- 
ment à  la  déposition  des  princes,  in-8°,  Paris,  1839; 
la  2e  édition  considérablement  augmentée  porte  pour 
titre  :  Pouvoir  du  pape  au  moyen  âge,  ou  recherches 
historiques  sur  l'origine  de  la  souveraineté  temporelle  du 
Saint-Siège,  et  sur  le  droit  public  au  moyen  âge  relative- 
ment à  la  déposition  des  souverains,  précédées  d'une 
Introduction  sur  les  honneurs  et  les  prérogatives  tem- 
porelles accordées  à  la  religion  et  à  ses  ministres  chez 
les  anciens  peuples,  particulièrement  sous  les  premiers 
empereurs  chrétiens,  in-8°,  Paris  et  Lyon,  1845; 
3e  édit.,  2  in-8°,  Louvain,  1845.  L'ouvrage  fut  traduit 
en  allemand  à  Munster,  1847,  en  2  in-8°;  4°  Instructions 
historiques,  dogmatiques  et  morales  sur  les  principales 
(êtes  de  l'Église,  par  un  directeur  de  séminaire,  2  in-12, 
Paris,  1848;  nouvelle  édition  augmentée  d'une  Médi- 
tation pour  chaque  jour  de  fête  et  de  plusieurs  ins- 
tructions, 3  in-12,  Paris,  1850;  l'ouvrage  fut  réédité 
en  1861  et  en  1880.  Un  bon  nombre  d'instructions  de 
cet  ouvrage  ont  été  reproduites  dans  Les  magnifi- 
cences de  la  religion,  par  l'abbé  Henry;  5D  il  composa 
aussi  la  Vie  de  M.  Émery,  neuvième  supérieur  de  Saint- 
Sulpice,  qui  n'a  été  éditée  qu'après  la  mort  de  M.  Gos- 
selin, par  MM.  Philpin  et  Renaudet,  2  in-8°,  Paris, 
1861-1862;  6°  Histoire  littéraire  de  Fénelon  ou  Revue 
historique  et  analytique  de  ses  œuvres  pour  servir  de 
complément  à  son  histoire  et  aux  différentes  éditions 
de  ses  œuvres,  in-8°,  Paris  et  Lyon,  1843,  et  en  tête 
de  l'édition  des  Œuvres  de  Fénelon  de  1842;  cette  étude 
revue  et  augmentée  a  été  mise  en  tête  de  l' édition 
de  1850;  7°  M.  Gosselin  a  laissé  en  manuscrits  des 
Instructions  sur  la  prédication,  un  vol.  in-4°;des  Disser- 
tations sur  l'Écriture  sainte,  3  in-4°;  et  surtout  des 
Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  de  la  Compagnie  de 
Saint-Sulpice  sous  forme  de  notices  sur  les  supé- 
rieurs généraux  et  sur  les  principaux  actes  de  leur 
administration  depuis  M.  Olier  jusqu'à  M.  Émery, 
ainsi  que  sur  les  successeurs  de  M.  Olier  dans  la  cure 
de  Saint-Sulpice  jusqu'à  la  Révolution,  3  in-4°. 

Outre  les  livres  de  sa  composition,  M.  Gosselin  a 
édité,  seul  ou  en  collaboration,  plusieurs  ouvrages  im- 
portants :  1°  Il  a  donné  son  concours  à  l'édition 
de  Versailles  des  Œuvres  de  Bossuet  publiée  par 
MM.  Hémcy  et  Caron  et  y  a  composé  plusieurs  aver- 
tissements, par  exemple,  celui  qui  est  en  tète  des  Élé- 
vations, des  Méditations  sur  V Évangile;  2°  c'est  lui  qui 
fut  le  principal  éditeur  des  Qiuvrcs  de  Fénelon,  arche- 
vêque de   Cambrai,   publiées   d'après   les   manuscrits 


originaux  et  les  éditions  les  plus  correctes,  avec  un 
grand  nombre  de  pièces  inédites,  22  in-8°,  Versailles, 
1820-1824;  auxquelles  furent  ajoutées  la  Correspon- 
dance de  Fénelon,  11  in-8°,  Paris,  1827-1829,  et  la 
Table  des  Œuvres,  in-8°,  Paris,  1830;  autre  édi- 
tion un  peu  abrégée  en  1842,  4  in-8°;  et  une  autre 
plus  complète  de  1848-1852  en  10  in-8°;  3°  il  donna 
d'après  l'original,  en  1834,  le  Traité  de  l'existence  et 
des  attributs  de  Dieu  et  lettres  sur  la  religion  par 
Fénelon;  il  y  eut  une  2e  édition  en  1845,  in-12,  Lyon 
et  Paris;  4°  en  1850,  il  publia  une  nouvelle  édition  de 
l'Histoire  de  Fénelon,  par  le  cardinal  de  Bausset, 
corrigée  et  augmentée  d'après  les  manuscrits  de 
Fénelon  et  de  nombreuses  pièces  authentiques,  4  in-8°, 
Paris;  5"  on  lui  doit  également  une  nouvelle  édition 
du  Traité  de  l'obéissance  de  M.  Tronson,  in-12,  Paris, 
1822  et  1846;  une  édition  des  Examens  particuliers 
de  M.  Tronson,  dans  laquelle  il  ajouta  des  examens 
pour  les  principales  fêles  de  l'année  el  pour  le  temps  des 
vacances,  in-12  ;  Paris,  1852  ;le  Manuel  du  séminariste 
ou  entretiens  sur  la  manière  de  sanctifier  ses  principales 
actions  par  M.  Tronson,  2  in-12,  Paris,  1823  ;  Lyon,  1832  ; 
le  Manuel  de  piété  à  l'usage  des  séminaires,  in-32,  Paris, 
1825;  en  1895,  cet  ouvrage  était  à  la  24e  édition;  les 
Méditations  sur  les  principales  obligations  de  la  vie 
chrétienne  cl  de  la  vie  ecclésiastique  de  l'abbé  Chenart, 
docteur  de  Sorbonne,  directeur  au  séminaire  Saint- 
Su)pice,  2  in-18,  Paris,  1826;  L'esprit  de  saint  François 
de  Soles,  extrait  du  recueil  publié  sous  le  même  titre 
par  Jean-Pierre  Camus,  évêque  de  Belley;  édition 
corrigée  et  disposée  dans  un  ordre  plus  méthodique, 
in-12,  Paris,  1841;  La  vraie  et  solide  piété  expliquée 
par  saint  François  de  Sales,  par  Collot,  disposée  dans 
un  ordre  plus  méthodique,  in-12,  Paris.  Dans  l'Ami 
de  la  religion,  19  et  21  juillet  1838,  il  donna  une 
Notice  sur  les  Pensées  de  Pascal  et  sur  leurs  prin- 
cipales éditions.  Dans  la  même  revue,  il  a  public 
plusieurs  comptes  rendus  ou  critiques  d'ouvrages,  sous 
la  signature  G.,  ou  anonymes.  Il  avait  préparé  une 
édition  disposée  dans  un  ordre  plus  méthodique  du 
Catéchisme  spirituel  du  P.  Lorin. 

Notice  sur  M.  l'abbé  Gosselin,  par  M.  l'abbé  Tresvaux, 
dans  l'Ami  de  la  religion  du  14  mai  1859  (dans  le  tirage  à 
part,  elle  est  suivie  d'une  lettre  du  cardinal  Matthieu, 
archevêque  de  Besançon);  Notice  sur  M.  Gosselin,  par 
M.  Philpin  en  tête  de  la  Vie  de  M.  Émery;  L.  Bertrand, 
Bibliothèque  sulpicienne  ou  Histoire  littéraire  de  la  C'e  de 
Saint-Sulpice,  in-8°,  1900,  Paris,  t.  n,  p.  244-260.  Ce  dernier 
ouvrage  corrige  quelques  erreurs  des  deux  précédentes 
notices. 

E.   Levesque. 

GOTESCALE  ou  GOTTSCHALK,  esprit  inquiet, 
faux  et  opiniâtre,  qui  troublera  l'Église  gallo-franque 
du  ixe  siècle  par  sa  doctrine  de  la  prédestination 
absolue,  était  saxon  d'origine.  Dès  son  bas  âge.  il 
fut  offert  par  son  père,  le  comte  Bernon,  à  l'abbaye 
de  Fulda,  et  voué  en  conséquence  à  la  vie  du  cloître. 
Homme  fait,  il  attaqua  pour  défaut  de  consentement 
la  validité  de  son  engagement  monastique  et  en 
obtint  l'annulation  du  concile  de  Mayence  de  829. 
Toutefois,  son  nouvel  abbé,  Raban  Maur,  ayant 
protesté  contre  la  décision  du  concile  devant  l'empe- 
reur Louis  le  Débonnaire,  cette  décision  fut  rapportée; 
Gottschalk  ne  fut  autorisé  qu'à  changer  de  couvent, 
sans  pouvoir  changer  de  condition;  il  quitta  Fulda 
pour  l'abbaye  d'Orbais,  au  diocèse  de  Soissons, 
province  ecclésiastique  de  Reims.  Là  s'appliquanl 
passionnément  à  l'étude  des  ouvrages  de  saint 
Augustin  et  de  saint  Fulgence,  il  se  plut  à  recueillir 
et  à  répandre  parmi  ses  confrères  d'Orbais  les  pas- 
sages qui,  détachés  de  leur  contexte,  ont  une  couleur 
prédestinatienne.  Il  noua  aussi  des  relations  épisto- 
laires  avec  les  savants  les  plus  célèbres  de  son  temps, 
avec   Jonas,    évêque   d'Orléans,    Servat   Loup,    abbé 


1501 


GOTESCALE 


GOTHER 


1502 


de  Ferrières,  Ratramme,  moine  de  Corbie,  dans  le 
diocèse  d'Amiens,  etc.  Ordonné  prêtre  à  l'insu  de 
son  évêque,  Rothade  de  Soissons,  par  le  chorévêque 
Rigbold  de  Reims,  il  alla  vers  847  en  pèlerinage  à 
Rome.  L'année  suivante,  à  son  retour,  il  eut  dans 
une  vallée  du  Piémont,  chez  le  comte  Eberhard 
de  Frioul,  de  longues  conversations  théologiques 
avec  l'évêque  de  Brescia,  Nothing,  et  il  s'efforça 
de  le  gagner  par  son  système  de  la  double  prédes- 
tination :  bons  et  mauvais,  élus  et  réprouvés,  sont 
également  et  de  tout  temps  prédestinés,  par  la  pré- 
science et  l'omnipotence  divine,  à  leur  sort  actuel 
et  futur.  Mais  Nothing  rencontra  peu  après  en  Alle- 
magne le  nouvel  archevêque  de  Mayence,  Raban 
Maur,  et  lui  dénonça  les  opinions  de  Gottschalk  dont 
il  avait  été  choqué;  un  concile  de  Mayence  condamna 
le  moine  en  848  et  le  renvoya,  pour  être  châtié,  à 
Hincmar  de  Reims,  son  métropolitain.  Celui-ci  fit 
aussitôt  condamner  Gottschalk,  au  printemps  de  849, 
par  le  concile  de  Kiersy-sur-Oise,  comme  hérétique 
incorrigible;  Gottschalk  fut  en  même  temps  dégradé, 
et,  conformément  aux  prescriptions  de  la  règle  de 
saint  Benoît  contre  les  moines  vagabonds  et  indociles, 
publiquement  fouetté;  le  cruel  supplice  ne  cessa, 
selon  le  récit  indigné  de  l'archevêque  de  Lyon,  saint 
Rémi,  qu'au  moment  où  le  novateur  à  demi-mort 
jeta  de  ses  mains  dans  le  feu  ses  écrits,  avec  les  pièces 
justificatives  qu'il  avait  rassemblées.  Puis,  crainte 
que  sa  propagande  ne  nuisît  aux  âmes,  on  l'enferma 
dans  les  prisons  du  monastère  de  Hautevilliers,  au 
diocèse  de  Reims,  où  on  le  traita,  du  moins  au  com- 
mencement, avec  assez  de  douceur.  L'inflexible 
Gottschalk  ne  se  laissera  pas  abattre.  Il  composera 
dans  sa  captivité  deux  professions  de  foi,  P.  L., 
t.  cxxi,  col.  346-350,  349-366,  de  longueur  inégale, 
et  qui,  sur  les  principaux  points  en  litige,  manqueront 
de  précision.  Il  dira  vrai  en  assurant  que  Dieu  ne 
prédestine  personne  au  péché,  mais  il  prétendra  que 
Dieu  prédestine  semblablement,  similiter  omnino, 
les  bons  à  la  vie,  les  mauvais  à  la  mort.  En  oulre, 
il  écrira  une  lettre  à  l'archevêque  de  Lyon,  Amolon, 
pour  lui  exposer  sa  doctrine  et  la  recommander  du 
nom  de  saint  Augustin,  et  un  petit  livre,  intitulé  : 
Pilacium  (Pitlacium),  dont  il  nous  reste  quelques 
fragments,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  271-365,  370,  371,  372; 
l'auteur  y  nie  que  Jésus-Christ  soit  mort  pour  tous. 
Il  avait  demandé,  tant  sa  conviction  et  son  exaltation 
étaient  grandes,  que,  pour  démontrer  la  vérité  de  sa 
doctrine,  on  le  soumît  à  l'épreuve  du  feu.  Son  défi 
ne  fut  pas  accepté;  mais  un  certain  intérêt  s'éleva 
en  faveur  du  moine  infortuné,  contre  le  puissant 
archevêque.  Hincmar,  soucieux  de  démasquer  entière- 
ment les  erreurs  de  Gottschalk,  combattra,  vers  le 
milieu  de  l'année  849,  la  prédestination  à  la  mort 
dans  un  opuscule  qui  a  péri,  Ad  reclusos  cl  simplices. 
Des  hommes  très  influents  dans  l'Église  gallo-franque, 
saint  Prudence,  évêque  de  Troyes,  Servat  Loup  de 
Ferrières,  Ratramme  de  Corbie,  Florus,  diacre  de 
Lyon,  et  saint  Rémi,  évêque  de  la  même  ville,  atta- 
quèrent presque  à  la  fois  l'opuscule;  sans  prendre 
positivement  parti  pour  Gottschalk,  ils  s'apitoyaient 
sur  ses  souffrances  et  soutenaient,  en  demeurant 
dans  les  bornes  de  l'orthodoxie,  la  doctrine  de  la  double 
prédestination.  En  présence  de  cet  orage  inattendu, 
Hincmar  était  à  peu  près  seul;  Raban  Maur,  qui 
aussi  bien  mourra  en  856,  prétextant  son  grand  âge 
et  ses  infirmités,  s'était  retiré  de  la  lice,  et  le  concours, 
sollicité  par  Hincmar,  du  philosophe  rationaliste 
Jean  Scot  Érigène,  le  compromettait  au  lieu  de  le 
servir.  Il  y  eut  alors  conciles  contre  conciles,  ana- 
thèmes  contre  anathèmes,  et  le  dogme  de  la  double 
prédestination  fut  tour  à  tour  proscrit  et  proclamé; 
aux  décrets  du  concile  tenu  à  Kiersy  en  853,  et  fidèle 


écho  des  idées  d'Hincmar,  s'opposèrent,  en  855,  les 
décrets  du  concile  de  Valence,  confirmés  en  859  par 
le  concile  de  Langres,  et  qui  se  prononçaient  contre 
les  thèses  d'Hincmar.  Malgré  les  efforts  du  concile 
national  de  Savonnières,  en  859,  pour  rétablir  l'union 
entre  les  deux  partis,  la  lutte  se  prolongea  jusqu'en 
860,  au  concile  de  Tuzey,  près  de  Toul,  qui  se  contenta, 
sans  mentionner  les  points  de  dissentiment,  d'indiquer 
les  principes  sur  lesquels  tous  les  esprits  étaient 
d'accord.  La  lettre  synodale  rend  hommage  à  cette 
vérité  que  le  Christ  est  mort  pour  tous  et  précise, 
en  l'adoucissant,  la  notion  de  la  prédestination.  Le 
conflit  alla  dès  lors  s 'attiédissant,  et  peu  à  peu  il 
s'apaisa.  De  son  côté  toutefois,  Gottschalk  captif 
n'abandonnait  pas  ses  opinions  et  s'acharnait  contre 
Hincmar.  Dans  l'hymne  des  vêpres,  au  commun  de 
plusieurs  martyrs,  l'archevêque,  en  860,  avait  rem- 
placé l'expression  trina  deitas,  qui  lui  semblait  à 
juste  titre  impliquer  la  distinction  arienne  des  trois 
personnes,  par  celle  de  summa  deitas;  Gottschalk, 
aveuglé  par  la  haine  et  par  une  idée  fausse  de  l'unité 
divine,  accusa  Hincmar  de  sabellianisme.  Homme 
de  talent,  mais  violent  de  caractère  et  nullement 
mesuré  dans  son  langage,  Gottschalk  sera  entraîné, 
dans  ses  dernières  années,  par  les  mauvais  traitements 
qu'il  subissait,  à  des  extravagances  qui  avoisineront 
la  folie.  Par  exemple,  il  assurait  que  Dieu  lui  avait 
défendu  de  prier  pour  Hincmar,  que  le  Saint-Esprit 
même  était  descendu  en  lui  et  lui  avait  brûlé  la  barbe 
et  la  bouche.  Il  refusait  de  recevoir  aucun  vêtement 
des  moines  de  Hautvilliers,  à  cause  de  leurs  relations 
avec  Hincmar,  et,  pendant  quelque  temps,  il  resta 
presque  nu,  jusqu'à  l'entrée  de  l'hiver.  Il  prédit  la 
mort  d'Hincmar  et  sa  propre  élévation  sur  le  siège 
de  Reims  dans  un  délai  de  deux  ans  et  demi.  Ce  délai 
passe,  comme  Hincmar  s'obstinait  à  vivre,  il  écrivit 
que  Dieu  amait  mieux  appeler  plus  tard  à  lui  «  ce 
voleur,  ce  brigand,  »  fur  et  latro.  Ni  promesses  ni 
menaces  n'eurent  raison  de  l'indomptable  Gott- 
schalk; il  persista  sur  son  lit  de  mort  et  mourut  dans 
sa  résistance  le  30  octobre  868  ou  869. 

Indépendamment  de  ses  écrits  en  prose,  composés 
pour  sa  défense  personnelle,  Gottschalk  a  laissé 
quelques  rares  poésies,  P.  L.,  t.  cxxi,  col.  345  sq., 
dont  on  ne  saurait  méconnaître  l'importance  dans 
l'histoire  littéraire.  Ebert,  Histoire  de  la  littérature 
du  moyen  âge  en  Occident,  trad.  franc.,  Paris,  1884, 
t.  il,  p.  186-190. 

Ilefelc,  Histoire  des  conciles,  trad.  Leclercq,  Paris,  1911, 
t.  iv,  p.  137-186,  199-235  (voir  la  bibliographie,  p.  138, 
note);  Gaudarci,  Gottsclialk,  moine  d'Orbais,  Saint-Quentin, 
1888;  Gorini,  Défense  de  l'Église,  1866,  t.  m,  p.  78-97; 
B.  Hauréau,  Histoire  de  la  philosophie  scolastique,  1872, 
t.  i,  p.  176-179;  Schrôrs,  Hinknwr,  Erzbischof  von  Reims, 
Fribourg,  1884,  p.  88-174;  J.  Tunnel,  La  controverse  pré- 
destinatienne  au  IX"  siècle,  dans  la  Revue  d'histoire  et  de 
littérature  religieuses,  1905,  t.  x,  p.  47-69. 

P.  Godet. 

GOTHER  Jean,  théologien  et  controversiste  anglais, 
mort  en  1704.  Né  à  Southampton  de  parents  presby- 
tériens, il  devint  catholique  de  bonne  heure;  en  1668,  il 
était  au  collège  anglais  de  Lisbonne,  où  il  fut  nommé 
préfet  des  études  après  son  ordination  au  sacerdoce. 
Envoyé  en  Angleterre  en  1682,  il  exerça  d'abord  le 
ministère  à  Londres,  et  se  fit  remarquer  par  son  zèle 
pour  l'évangélisation  des  pauvres  et  des  enfants. 
L'avènement  de  Jacques  II,  en  1685,  qui  réveilla 
l'espoir  des  catholiques  en  même  temps  que  les  craintes 
des  protestants,  fut  le  signal  d'une  grande  activité 
littéraire  parmi  les  théologiens  anglicans;  les  dogmes 
et  les  pratiques  de  l'Église  catholique  furent  attaqués 
de  toutes  parts.  Plusieurs  écrivains  catholiques 
défendirent  leur  foi  et  leurs  usages  sur  des  points 
particuliers;  Gother  entreprit  une  réfutation  générale 


1503 


GOTHER 


GOTTI 


1504 


des  calomnies  des  adversaires.  Il  intitula  son  livre  :  A 
papist  misrcprcscnted  and  représentée  ■  or  a  twofold 
character  of  popery.  D'un  côté,  il  y  décrivait  les  catho- 
liques tels  qu'ils  étaient  dépeints  par  leurs  ennemis; 
de  l'autre,  il  les  représentait  tels  qu'ils  étaient  en 
realité.  Ce  livre  eut  un  succès  immense,  et  s'attira  de 
la  part  des  anglicans  de  nombreuses  réponses,  que 
Gother  ne  laissa  pas  sans  répliques,  de  sorte  qu'il  se 
mit  au  premier  rang  des  apologistes  catholiques.  Il 
avait  l'esprit  vif,  des  connaissances  étendues,  et  son 
style  excitait  l'admiration  de  Dryden.  «  Avec  moi, 
disait  le  poète,  il  est  le  seul  individu  cjui  sache  écrire 
en  anglais.  »  Challoner  publia  un  abrégé  de  l'ouvrage 
de  Gother  qui  eut  de  trente  à  quarante  éditions. 

La  révolution  de  1688  obligea  les  catholiques  à 
rentrer  dans  l'ombre;  Gother  devint  alors  chapelain 
du  château  de  Warkworth,  dans  le  comté  de  North- 
ampton;  il  s'y  livra  au  ministère  parmi  les  catho- 
liques des  environs,  et  il  eut  la  gloire  d'instruire  et  de 
recevoir  dans  l'Église  Challoner,  plus  tard  vicaire 
apostolique  du  district  de  Londres.  Voir  t.  n,  col.  2208. 
C'est  là  qu'il  composa  un  grand  nombre  d'ouvrages 
tle  spiritualité,  qui  eurent  plusieurs  éditions  en  16  vo- 
lumes, de  1718  à  1810. 

En  1704,  il  fut  nommé  président  du  collège  de  Lis- 
bonne, tandis  que  son  nom  était  proposé  à  Rome 
pour  la  charge  de  vicaire  apostolique  du  district 
occidental.  Il  s'embarqua  pour  le  Portugal  et  mourut 
en  mer;  le  capitaine  du  navire  fut  tellement  frappé  de 
sa  sainteté,  qu'il  ne  voulut  pas  qu'on  jetât  son  corps 
dans  les  flots;  il  l'emporta  jusqu'à  Lisbonne,  où  il 
fut  enseveli  dans  la  chapelle  du  collège  anglais;  on  y 
voit  encore  son  tombeau. 

Migne,  Catéchismes,  t.  n  :  vie  de  Goter;  Diclionary  of 
national  biography,  Londres,  1908  ;  Hurter,  Nomenelatur 
literarius,  1910,  t.  rv,  col.  698;  Burton,  The  life  and  limes  of 
bishop  Challoner,  2  vol.,  Londres,  1909. 

A.   Gatard. 

GOTTHARD  Georges,  théologien  allemand,  né 
à  Ingolstadt,  a  étudié  au  Collège  germanique  à  Rome, 
de  1573  à  1576,  et  y  a  pris  les  grades  de  docteur 
en  philosophie  et  théologie.  Il  était  bon  théologien 
et  il  a  laissé  plusieurs  ouvrages  composés  contre  les 
hérétiques  de  son  époque  :  De  bonorum  operum  cl 
saeramcnlorum  necessilate  (deux  discours),  Ingolstadt, 
1777;  De  confessione  quœ  altéra  pars  sacramcnli  pœni- 
lentiœ,  ibid.,  1572;  Defensio  Ecclcsiœ  calholicœ  (contre 
les  calomnies  de  Jacques  Heerbrand  et  d'autres 
sectaires),  ibid.,  1586;  Apologia  (contre  la  défense  de 
Heerbrand),  ibid.,  1588;  Disputaliones,  1587.  A  son 
retour  en  Allemagne,  il  fut  nommé  chanoine  de  Passau, 
en  1570.  Il  assistait  régulièrement  au  chœur,  ce  qui 
était  exceptionnel  alors,  et  il  régit  les  écoles  de  la 
cathédrale.  En  1584,  il  fut  délégué  par  le  chapitre 
à  Sirninga  pour  y  soutenir  les  catholiques  contre 
les  protestants.  Il  n'y  obtint  pas  beaucoup  de  succès, 
y  eut  beaucoup  à  souffrir  et  y  courut  même  le  risque 
de  sa  vie.  Il  quitta  la  paroisse  et  reprit  ses  études. 
Bien  plus,  par  suite  d'une  calomnie  portée  contre  lui, 
il  lui  privé  de  son  titre  curial  par  l'évèque  et  le  chapitre. 
Il  machina  contre  la  vie  de  l'évèque,  et  il  fut  empri- 
sonné, le  3  février  1589,  et  accusé  du  crime  de  lèse- 
majesté.  Il  tua  son  gardien  pour  tenter  de  fuir. 
Condamné  à  mort,  il  fut  dégradé  et  il  périt,  le 
6  mars  1589. 

Dupin,  Table  des  auteurs  ecclésiastiques  du  XVIe  siècle 
col.  1323;  Lauchert,  dans  Der  Katholik,  1904,  t.  xxix, 
p.  321-349;  t.  xxx,  p.  41-01  ;  Allgcmeine  deutsche Biographie, 
t.  xlix,  p.  490;  Hurter,  Nomenclaior,  1907,  t.  ni,  col.  204, 
note  2. 

B.  PIeurtebize. 

GOTTI  Vincent-Louis,  dominicain,  patriarche  de 
Jérusalem  et  cardinal-prêtre  du  titre  de  Saint-Sixte, 


est  un  des  représentants  les  plus  marquants  de  la 
science  apologétique  au  xvmc  siècle.  Il  naquit  à 
Bologne  le  5  septembre  1664;  son  père,  Jacques  Gotti, 
était  professeur  de  droit  à  l'université  de  la  même  ville. 
A  l'âge  de  seize  ans,  il  prit  l'habit  dominicain  au 
couvent  de  Saint-Dominique,  en  1680,  et  après  son 
noviciat  qu'il  lit  à  Aucune,  il  fut  reçu  à  la  profession 
en  1681.  11  commença  ses  études  philosophiques  sous 
la  direction  du  P.Jean-Marie  délia  Torre,  voir  Scripio- 
res  ordinis  prœdicatorum,  édit.  Coulon,  xvtii0  siècle, 
p.  289,  à  Forli  d'abord,  puis  il  fut  envoyé  à 
Salamanque,  où  l'enseignement  théologique,  qui  se 
donnait  au  collège  dominicain,  jouissait  alors  d'un 
grand  renom.  Après  avoir  achevé  son  cours  de  théo- 
logie, il  soutint  publiquement  des  thèses  qui  furent 
très  remarquées;  on  lui  offrit  même  de  demeurer  à 
Salamanque  en  qualité  de  professeur,  honneur  qu'il 
déclina.  C'est  pendant  son  séjour  à  Salamanque  qu'il 
se  lia  avec  le  nonce  Durati.  Après  avoir  été  ordonné 
prêtre,  vers  la  fin  de  1688,  des  mains  d'Antoine 
de  Monroy,  archevêque  de  Compostelle  et  qui  aupa- 
ravant avait  été  général  de  l'ordre  des  frères  prêcheurs, 
voir  Scriplores  ord.  preed.,  édit.  Coulon,  xvme  siècle, 
p.  222,  Gotti  revint  en  Italie  et,  après  un  très  court 
séjour,  comme  lecteur  de  philosophie,  à  Mantoue,  il 
fut  assigné  au  collège  de  la  Minerve,  à  Rome,  pour  y 
enseigner  également  la  philosophie.  Regest.  Mag.  Gen. 
Ant.  Cloche.  Il  y  demeura  jusqu'en  1692,  date  à  laquelle 
il  fut  envoyé  à  Bologne,  toujours  avec  les  mêmes 
fonctions  de  professeur  de  philosophie.  Après  un  court 
séjour  au  couvent  de  Faenza,  où  il  commença  l'ensei- 
gnement de  la  théologie,  il  fut  choisi  en  1695,  pour 
succéder  au  P.  Jérôme  Bassano,  O.  P.,  dans  la 
première  chaire  de  théologie  de  l'université  de 
Bologne.  En  même  temps  il  enseignait  la  métaphysique 
dans  le  collège  de  son  ordre,  du  moins  à  partir  de  1698. 
A  Bologne,  Gotti  avait  retrouvé  la  protection  du 
cardinal  Durati,  qui  avait  été  nommé  légat  a  latere. 
En  1708,  il  fut  nommé  prieur  du  couvent  de  Bologne 
et  après  avoir  rempli  cette  charge  pendant  deux 
années,  il  fut  élu  provincial  de  la  province  domini- 
caine de  Lombardie.  De  nouveau,  en  1714,  il  fut  élu 
prieur  de  Bologne,  mais  au  bout  d'un  an,  il  dut  résigner 
sa  charge,  car  Clément  XI  venait  de  le  nommer 
inquisiteur  général  de  Milan.  C'est  de  son  séjour  à 
Milan  que  date  son  premier  ouvrage  :  La  vera  Chicsa 
di  Cristo  dimostrala  da  segni  e  da'  dogmi,  contra  i  duc 
libri  di  Giacomo  I'ieenino  intitolati  Apologia  per  i 
riformatori,  e  per  la  rcligione  riformala,  c  trionfo  délia 
vera  rcligione,  2  in-4°,  Bologne,  1719;  Milan,  1734. 
Cette  édition  de  Milan  corrigée  fut  traduite  en  latin  par 
le  P.  Vincent-Thomas  Covi,  O.  P.,  et  parut  à  Bologne 
en  1750,  3  in-4°.  Cet  ouvrage,  qui  est  un  traité  complet 
d'apologétique,  fut  composé  pour  réfuter  les  erreurs 
contenues  dans  deux  écrits  du  ministre  calviniste 
Jacques  Picenini.  Le  premier  de  ces  ouvrages  : 
Apologia  per  i  rijormalori  e  per  la  rcligione  riformata, 
contro  le  inveltive  di  P.  Panigarolo  c  P  Scgncri,  in-4°, 
Coire,  1706,  avait  déjà  été  réfuté  par  le  P.  André 
Semery,  jésuite,  Brève  difesa  délia  vera  rcligione  contro 
il  grosso  volume  di  Giacomo  Picenino  apologisla  de' 
pretesi  riformalori  e  riformali,  in-4°,  Brescia,  1710. 
Le  ministre  avait  répliqué  par  le  second  ouvrage  : 
//  trionfo  délia  vera  rcligione,  in-4°,  Genève,  1712, 
auquel  le  P.  Tonti,  augustinien,  avait  répondu  par  un 
autre  ouvrage  paru  à  Padoue,  en  1713,  sous  le  titre 
de  Dogmi  délia  Chicsa  romana.  Reprenant  toutes  les 
propositions  de  Picenini,  Gotti  en  fit  une  réfutation 
systématique  qui,  au  dire  de  Fontanini,  constitue  la 
défense  de  la  religion  catholique  la  plus  complète  et  la 
plus  exacte,  qu'on  eût  encore  écrite  en  langue  italienne. 
Cf.  Ricchini,  De  vita  et  siudiis  card.  Gotlii,  p.  20. 
Cependant,  quelqu'un  à  l'insu  de  Gotti  avait  glissé  dans 


1505 


GOTTI 


1506 


son  manuscrit,  à  l'adresse  de  Picenini  et  de  ses  col- 
lègues,   quelques   expressions   qui   furent   considérées 
comme  injurieuses  et  que  lui  reprocha  un  défenseur  de 
Picenini,    Thomas    Manella.    Le    P.    Gotti    désavoua 
facilement  des  paroles  qui  étaient  tout  à  fait  opposées 
à  sa  modération  ordinaire.  Il  ne  demeura  que  deux  ans 
inquisiteur  de  Milan.   En   1717,  il  était  de  retour  à 
Bologne  et  était  appelé  à  succéder  à  Benoît  Bacchini, 
abbé  du  Mont-Cassin,  qui  occupait  à   l'université  la 
chaire  d'apologétique.  De  nouveau,  en  1720,  il  fut  élu 
prieur  de  son  couvent  de  Bologne  et,  l'année  suivante, 
il  fut  choisi  pour  la  seconde  fois  pour  provincial.  C'est 
en  cette  qualité  qu'il  prit  part  au  chapitre  général  de 
Borne,  1er  juin  1721,  réuni  pour  donner  un  successeur 
au   général  de  l'ordre,  le  P.  Antonin  Cloche;   Gotti 
réunit  sur  son  nom  un  certain  nombre  de  suffrages. 
En  1725,  an  chapitre  général,  réuni  à  Bologne  pour 
remplacer  le  P.  Augustin  Pipia,  nommé  cardinal,  de 
nouveau  le  provincial  de  Lombardie  eut  beaucoup  de 
voix,  sans  être  pourtant   élu.   Pendant  ce  temps,  il 
continuait  ses  travaux  d'apologiste  et  de  controver- 
siste.  En   1727,  il   fit  paraître  :  Colloquia    thcologico- 
pokmica,  in  1res  classes  distributa  :  in  prima,  sacrorum 
minislrorum  eœlibatus;  in  secundo    romanorum    pon- 
tificum  auctoritas  in  conciliis  cl  definilionibus ;  in  tertio 
aliœ   calholicœ    veritales    propugnanlur  ;  adjectis    Grc- 
rjorii    VII   vindiciis  advjrsus  Jacobi  Picenini  concor- 
diam  matrimonii  cum  ministerio,  in-4°,  Bologne,  1727. 
L'occasion  de  ce  nouvel  écrit,  ainsi  que  le  note  dans  la 
préface  l'auteur  lui-même,  fut  la  découverte  qu'il  fit 
au  cours  d'une  de  ses  visites  comme  provincial  d'un 
livre  de  Picenini,  paru  en  1709  sous  forme  de  dialogue, 
en  faveur  du  mariage  des  prêtres.  Le  ministre  protes- 
tant avait  eu  soin  de  répandre  son  écrit  à  profusion 
à  Saint-Moritz,  lieu  déjà  très  fréquenté,  afin  que  de  là 
il  passât  plus  facilement  en  Italie.  C'est  aussi  dans  ce 
lieu  que  Gotti  plaça  les  interlocuteurs  de  ses  dialogues. 
Il  donne  à  ses  personnages  les  noms  choisis  déjà  par 
saint  Jérôme  pour  son  dialogue  contre  les  lucifériens. 
Critobule   défend  les   opinions   de  Picenini;   Attique, 
la  doctrine  de  l'Église.  Gotti  nous  apprend  aussi  qu'il 
avait  eu  dessein,  dans  un  but  apologétique,  d'écrire 
ces  dialogues  en  italien,  mais  il  lui  a  paru  plus  conve- 
nable de  traiter  ces  matières  en  latin;  plusieurs  savants 
lui  ont  témoigné  le  même  désir.  Le  volume  contient 
trente-huit   conférences,    où   l'auteur   se    révèle    non 
seulement  en  parfaite  possession  de  la  doctrine,  mais 
aussi  très  bien  renseigné  au  point  de  vue  historique  sur 
les  lois  et  les  anciens  usages  de  l'Église.  Pendant  son 
séjour  à  Bologne,  le  P.  Gotti  réunit  sous  le  titre  de 
Bullarium  Bononiense  tous  les  diplômes,  bulles,  etc., 
concernant  le  couvent  de  Bologne.   Ce  travail  resté 
manuscrit  fut  d'une  grande  utilité  au  P.  Brémond,  qui 
éditait  alors  le  bullaire  de  l'ordre.   Il  rend  hommage 
au  travail  du  P.   Gotti  dans   la  préface   au   t.   i  du 
bullaire,  p.  lx.  Mais  le  principal  ouvrage  de  Gotti  est 
son  traité  de  théologie,  publié  sous  ce  titre  :  Theologia 
schoïasiico-dogmalica  juxla  incident  D.  Thomse  Aquinatis 
ad  usum  discipidorum,  16  in-4°,  Bologne,   1727-1735; 
6  in-fol.,  Venise,  1750;  3  in-fol.,  1783.  L'avertissement 
placé  par  l'auteur  en  tête  du  icr  volume  est  des  plus 
précieux,   montrant   que  la   théologie  de  l'École  doit 
être  complétée  par  une  étude  plus  attentive  soit  des 
sources  propres  de  la  théologie,  soit  des  hérésies   à 
combattre.  Les  paroles  de  Gotti  méritent  d'être  citées  : 
«  On  voit,  dit-il,  entre  les  mains  des  maîtres  et  des 
disciples,  un  assez  grand  nombre  de  cours  théologiques, 
les  uns  déjà  imprimés  et  les  autres  en     manuscrit; 
mais  la  plupart  de  ces  traités,  tout  remplis  de  questions 
purement  scolastiques,  instruisent  peu  les  jeunes  gens 
sur  le  fond   de  la  religion,  et  ils  ne  paraissent  destinés 
qu'à  leur  remplir  l'esprit  de  subtilités  métaphysiques, 
ou  d'une  infinité  de  disputes,  qui  ne  regardent  ni  la 

D!CT.    DE  THÉOL.   TATUOL. 


foi,   ni   la   science   ecclésiastique,   ni   par  conséquent 
aucune  de  ces  vérités  qui  font  aujourd'hui  l'objet  de 
nos  controverses  avec  les  luthériens,  les  calvinistes, 
les  anabaptistes,  les  sociniens  et  les  autres  sectaires 
des  derniers  siècles;  trop  souvent  ceux  mêmes  qui  se 
vantent    d'avoir   fait   leurs    études    de    théologie    se 
trouvent  hors  d'état  d'expliquer  quels  sont  précisé- 
ment les   dogmes   de   ces   différentes   sectes   :   ils   ne 
sauraient  dire  ni  ce  qu'elles  ont  de  commun,  ni  ce 
qui  les  divise  et  entre  elles  et  avec  nous...  Quelques 
savants  ont  déjà  traité  les  vérités  de  la  foi,   d'une 
manière  purement  dogmatique  et  plusieurs  autres  ont 
agité  les  questions  de  l'École,  seulement  en  scolas- 
tiques.  On  pouvait  encore  désirer  qu'un  théologien 
entreprît  d'unir  l'un  et  l'autre,  et  c'est  ce  que  je  me 
suis  proposé  de  faire...  »  On  le  voit,  c'est  encore  une 
idée  d'ordre  apologétique  et  d'utilisation  immédiate  qui 
est  à  la  base  de  la  méthode  de  Gotti.  A  ce  point  de  vue 
elle  marque  une  évolution  intéressante  de  la  méthode 
théologique.  Il  a  soin  d'ailleurs  de  faire  remarquer,  et 
en  cela  il  est  vraiment  traditionnel,  que  «  dans  toute 
la  Somme  théologique  il  ne  se  trouve  pas  une  seule 
question,  ni  un  seul  article,  qui  ne  serve  en  sa  manière 
ou  à  réfuter  quelques  erreurs,  ou  à  prouver  quelque 
vérité  utile  à  la  religion.  »  Ce  grand  ouvrage  attira  plus 
encore  l'attention  sur  Gotti.  Alors  qu'il  n'était  encore 
qu'archevêque  de  Bénévent,  le  cardinal  Vincent-Marie 
Orsini  avait  su  apprécier  les  rares  qualités  d'esprit  et 
de  cœur  du  provincial  de  Lombardie  ;  aussi,  devenu 
pape  sous  le  nom  de  Benoît  XIII,  dans  le  consistoire 
secret  du  30  avril  1728,  il  nomma  le  P.  Gotti  patriarche 
titulaire  de  Jérusalem  et  l'agrégea  au  Sacré-Collège. 
Le  7  mai,  il  recevait  ses  insignes  cardinalices  des  mains 
du  cardinal-légat  de  Bologne,  Gregorio  Spinola,  et  le 
19  du  même  mois,  il  fut  sacré  par  le  cardinal  Buon- 
compagni,  archevêque  de  Bologne,  assisté  des  évêques 
de  Forli  et  de  Faenza.  Il  reçut  le  chapeau   à    Rome 
le    10    juin.    Le    pape    le    fit    entrer    aussitôt    dans 
presque   toutes   les    Congrégations   romaines.    Malgré 
tout  le  travail  que  lui  donnait  le  soin  de  tant  d'affaires, 
le  cardinal  Gotti  ne  cessa  jamais  d'écrire  contre  les 
ennemis  de  l'Église.  En  1734,  il  fit  paraître  son  traité  : 
De    eligenda    inlcr    dissenlientcs    chrislianos    sententia 
seu  de  vera  inler  chrislianos  religione  eligenda.  Liber 
adversus  Joannem  Clcricurn  reformata-,  al  ainnt,  reli- 
gionis  hominem,  in-8°,  Rome,  1734;  Ratisbonne,  1740; 
Vienne,  1749,  avec  les  thèses  soutenues  par  le  P.  Keri, 
S.  J.  L'occasion  de  ce  nouvel  écrit  du  cardinal  Gotli  fut 
le    traité    que    fit   paraître    Jean    Le   Clerc,    écrivain 
prolestant  de  Hollande,  sous  le  titre  :  Du  choix  il' un 
sentiment.  Ce  livre  avait  été  ajouté  à  la  nouvelle  édition 
du  traité  de  Grotius  :  De  verilale  religionis  chrislianrc 
liber,  in-8°,  Amsterdam,  1709.  Dans  cet  écrit,  l'Église 
telle    que    les    protestants     l'avaient    faite,    surtout 
d'après  les  doctrines  de  Calvin,  était  donnée  pour  la 
véritable  Église  de  Jésus-Christ.  L'ouvrage  du  cardinal 
Gotti  détruit  ces  prétentions  et,  en  quatorze  chapitres, 
expose  les  caractères  de  la  véritable  Église.  Peu  après 
la  publication  de  cette  réfutation,  il  fit  paraître  une 
autre  démonstration  de  la  vérité  de  la  religion  chré 
tienne  sous  ce  titre  :  Veritas  religionis  christian.se  et  libro- 
rum,  quibus  innililur  contra  atheos,  polyiheos,  idololalras, 
mohammedanos et Judseos demonslrala,  12  in-4",  Rome, 
1735-1740;  2  in-fol.,  Venise,  1750.  Cette  édition  contient 
en  plus  les  Colloquia  theologico-polemica  et  le  De  eligenda. 
Le  cardinal  Gotli  jouissait  de  la  faveur  du  roi  de  Sardai- 
gne,  Victor-Amédée,etde  son  fils  Charles-Emmanuel; il 
fut  également  directeur  de  laprincesseClémentineSo- 
bieski.  Pendant  le  conclave  de  1740,  qui  fit  monter  sur  la 
chaire  de  saint  Pierre  Benoît  XIV,  le  cardinal  Gotti  con- 
tracta une  maladie  de  poitrine,  qui  bientôt  dégénéra. 
Néanmoins  il  ne  se  relâcha  pas  de  son  assiduité  à  l'étude, 
et  c'est  dans  la  dernière  période  de  sa  vie  qu'il  commença 

VI.   —  48 


1507 


GOTTI 


GOUDIN 


1508 


un  commentaire  sur  la  Genèse  qu'il  conduisit  jusqu'au 
xxv  chapitre;  c'est  le  seul  de  ses  ouvrages,  dit-on. 
qui  n'ait  pus  été  imprimé.  Cependant  à  partir  de  1742 
ses  forces  diminuèrent  de  plus  en  plus  et,  après  quelques 
jours  de  maladie,  il  mourut  le  18  septembre  1742, 
âgé  de  78  ans.  après  quinze  ans  de  cardinalat.  Il  fut 
enterré  dans  l'église  de  son  titre,  à  Saint-Sixte,  sur  la 
voie  Appia. 

Facihini;  De  vita.  et  studiis  Fr  Vincentii  Ludoiiu  Gzttii 
commentarius,  Rome,  1742;  paru  encore  dans  la  Raccollà 
d'opuscoli  scientifici  e  filologici,  édit.  Calogerà,  t.  xxviii, 
p.  351-405;  Echard,  Scriptores  ordinis  prœdicatorum,  Paris, 
1719-1721, 1. 1,  p.  814;  Acta  in  Congregatîone...  Casanatensi 
ms.  (Arch.  génér.  de  l'ordre),  t.  i,  p.  28,  29;  Touron,  Histoire 
des  hommes  illustres  de  l'ordre  de  saint  Dominique,  Paris,  1749, 
t.  VI,  p.  040-687;  Thomas  Ripoll,  Epist.  eneyel.  in  obitu  card. 
Ci, ltii,  Rome,  27  septembre  1742 ;  Richard  et  Giraud,  Diction- 
naire universel  des  sciences  ecclésiastiques,  Paris,  1760;  Bullar. 
ordinis preed.,  Rome, t.  i  (1729),  p.  Lx;t.  vi  (1735), p.  657,658, 
659,  707  ;  Hurter,  Nomenclator  lilcrarius,  Inspruck,  1910, 
t.  îv,  col.  1353-1358;  Guarnacci,  Hist.  rom.  pontif.  et  card., 
Rome,  1751,  t.  II,  p.  525;  Alexandre  de  Saint-Jean  de  la 
Croix,'  Hist.  eccl.  de  Fleury,  t.  i,  p.  234,  59;  Vita  audoris 
edilioni  venetœ  1750  prœmissa;  Fantuzzi, Notiziedegli  scriltori 
bolognesi,  Bologne,  1784-1794,  t.  IV,  p.  191-205;  Streber, 
dans  Kirchenle.vikon,  t.   v,   p.   939. 

R.  Coulon. 

GOTTRAW  Pierre,  né  à  Fribourg,  en  Suisse, 
en  1577,  reçu  dans  la  Compagnie  de  Jésus  en  1595. 
Il  enseigna  successivement  la  littérature,  la  philosophie, 
la  controverse,  l'Écriture  sainte,  la  théologie  morale 
et  dogmatique  à  Munich  et  à  l'université  de  Dillingen 
dont  il  fut  recteur  et  pendant  plusieurs  années  chan- 
celier. Il  mourut  à  Luceme,  en  avril  1640.  Le  P.  Got- 
traw  a  laissé  divers  ouvrages  de  philosophie  et,  sous 
forme  de  thèses,  quelques  monographies  dogmatiques: 
1°  De  honorandis  bcatis  bcatorumque  reliquiis  ac 
imaginibus,  Munich,  1612;  2°  De  Ecclcsia  mililanle 
ejusque  proprietalibus,  Dillingen,  1615;  3°  De  fide, 
ibid.,  1615;  4°  De  judicio,  ibid.,  1616;  5°  De  jejunio 
ecclcsiastico,  ibid.,  1617  ;  6°  De  decimis,  ibid.,  1618; 
7°  De  necessariis  ad  valorem  voii,  ibid.,  1623;  8°  De 
obligationc  voli,  ibid.,  1523;  9°  De  volo  religionis,  ibid., 
1523. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  Clc  de  Jésus,  t.  in, 
col.  1626-1623;  Hurter,  Nomenclator  lilerarius,  3e  édit., 
t.  m,  col.  638. 

P.  Bernard. 
GOTTSCHL1CH  Charles,  jésuite  autrichien,  né  à 
Neurode,  le  23  décembre  1703,  reçu  dans  la  Compagnie 
de  Jésus  le  24  septembre  1719,  enseigna  quelque  temps 
les  humanités  et  la  philosophie,  puis  fut  définitivement 
appliqué  à  la  théologie,  qu'il  professa  aux  universités 
de  Prague  et  d'Olmulz  avec  un  extraordinaire  succès. 
Son  esprit  subtil  et  curieux  le  portait  volontiers  à 
l'étude  des  questions  les  moins  accessibles,  qu'il 
savait  pourtant  serrer  de  près  et  auxquelles  il  apportait 
d'ingénieuses  solutions.  Voici  la  liste  de  ses  ouvrages  : 
1"  Angélus  naturœ  sublimit/de,  muncris  exccllcntia, 
attribulorum  varielale  admirandus,  Prague,  1750; 
2°  Scieniia  divina  simplicis  intelligeniise,  visionis  et 
média  theologice  proposita,  cum  disserlalione  dogmalico- 
critica  de  providentia,  prœdeslinatione  et  réprobation/', 
ibid.,  1750;  3°  Vialor  per  fidem  ambulans,  ibid.,  1571; 
4"  Continualio  quseslionum  theologicarum  dogmalico- 
critico-hisioricarum  in  Geneseos  caput  I,  ibid.,  1751; 
5  Dispensalio  in  lege  et  leges  dispensalionum,  Prague, 
1752;  6°  De  deerclis  divinis  opus  thcologieo-scholaslieum 
cum  lucubradone  apologetica,  Olmutz,  1753;  7°  Falsa 
inonda  Cundidi  Zahler  ad  slateram  veritalis  examinala. 
Opus  apologelicum,  ibid.,  1753.  Après  avoir  exercé  la 
charge  «le  chancelier  de  l'université  d'Olmutz,  le 
P.  Gottschlich  acheva  sa  belle  carrière  au  collège  de 
Telez  (huit  il  était  recteur  et  où  il  mourutlelO  avril  1770. 


Sommervogel,  Bibliotlièque  de  la  C"  de  Jésus,  t.  m, 
col.  1630;  Hurter,  Nomenclator,  t.  iv,  col.  666. 

P.  Bernard. 

GOUDA  (Jean  de),  né  à  Utrecht  le  29  janvier  1571, 
était  issu  de  la  noble  famille  de  Gouda  van  Swindrecht. 
Entré  au  noviciat  des  jésuites,  à  Tournai,  le  21  mai 
1588,  il  enseigna  successivement  dans  divers  collèges 
de  la  Compagnie  :  professeur  de  latin  à  Tournai, 
de  philosophie  à  Douai  ;  de  théologie  morale  à  Anvers. 
Il  se  distingua  en  outre  comme  prédicateur  et  comme 
champion  de  la  foi  catholique  contre  l'hérésie  calvi- 
niste, qui,  après  avoir  envahi  les  provinces  septen- 
trionales des  Pays-Bas,  cherchait,  par  tous  moyens, 
à  s'étendre  vers  le  sud.  Durant  une  période  de  vingt- 
cinq  ans,  il  combattit  les  sectaires  sans  trêve  ni  merci. 
par  la  parole  et  par  la  plume,  employant  générale- 
ment, pour  atteindre  plus  sûrement  son  but,  la  langue 
flamande,  qui  était  la  langue  du  peuple.  Le  17  juin 
1610,  il  soutint,  contre  François  Lansberge,  ministre 
évangélique  à  Rotterdam,  une  discussion  publique 
sur  la  transsubstantiation.  Toutes  les  œuvres  qui  nous 
restent  de  lui,  livres  ou  brochures,  au  nombre  d'une 
vingtaine  environ,  se  rapportent  à  des  sujets  de  con- 
troverse religieuse.  Il  y  expose  et  justifie  les  dogmes 
de  la  présence  réelle  et  de  la  transsubstantiation,  le 
culte  et  l'invocation  des  saints,  les  points  principaux 
de  la  croyance  traditionnelle  attaqués  par  les  nova- 
teurs du  xvie  siècle,  en  réponse  aux  prédicants  les 
plus  remuants  de  l'époque,  notamment  à  François  et 
Samuel  Lansberge,  Henri  Boxhorn,  Henri  Brand 
Willemssen,  Guillaume  Perkinson,  Jean  Uytcnbo- 
gaert,  Daniel  Castellan,  Michel  Hogius,  ministres  de 
l'Église  réformée  à  Botterdam,  à  Bréda,  à  Zicriksec, 
à  La  Haye,  à  Middelbourg,  à  Zevenbergen.  Il  y  a  un 
volume  où,  prenant  à  partie  François  Gomar,  l'auteur 
de  la  secte  des  gomaristes  (voir  ce  mot)  ou  contre- 
remontrants,  il  met  en  lumière  l'inanité  des  thèses  et 
des  arguments  avancés  par  lui  dans  sa  polémique 
avec  Arminius.  Un  autre,  bien  qu'écrit  en  flamand  lui 
aussi,  nous  annonce  son  objet  en  ce  titre  latin  :  Examen 
de  officio  et  auclorilale  magistratus  christiani  in  rebus 
fidei  ccclesiasticis.  La  plupart  de  ces  ouvrages  ou  opus- 
cules ont  été  publiés  à  Anvers,  chez  Verdussen  ou 
chez  Plantin,  de  1610  à  1615.  Jean  de  Gouda  mourut 
à  Bruxelles,  le  28  décembre  1630.  A  son  heure  dernière, 
il  eût  pu,  comme  saint  Paul,  se  rendre  le  témoignage 
qu'il  avait  vaillamment  soutenu  le  bon  combat.  Il 
s'était,  en  tout  cas,  montré  le  digne  émule  de  son  con- 
frère et  compatriote  François  Coster,  surnommé  le 
maliens  hsereticoriim,  l'auteur  de  YEnchiridion  contro- 
versiarum. 

C.  Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  C'°  de  Jésus,  t.  m, 
col.  1631-1635;  Hurter,  Nomenclator  literarius,  1907,  t.  m, 
col.  724  ;  Foppens,  Bibliotheca  belgica,  p.  650. 

J.    FORGET. 

GOUDIN  Antoine,  un  des  professeurs  de  philo- 
sophie et  de  théologie  les  plus  remarquables  de  la 
seconde  moitié  du  xvn°  siècle,  prit  l'habit  dominicain 
au  couvent  de  Limoges,  en  1657.  Il  n'était  âgé  que  de 
dix-huit  ans.  Ses  études  achevées,  il  commença  par 
enseigner  dans  son  couvent  d'origine,  où  il  se  fit  bien- 
tôt remarquer  par  sa  doctrine  et  son  érudition.  Vers  le 
même  temps,  le  siège  archiépiscopal  d'Avignon  était 
occupé  par  Dominique  de  Marinis.  Pour  restaurer  dans 
son  diocèse  les  études  théologiques  et  particulièrement 
l'étude  de  saint  Thomas,  il  avait  fondé  à  l'université 
deux  chaires  :  l'une  de  philosophie  et  l'autre  de  théo- 
logie. Informé  du  rare  mérite  du  jeune  professeur  de 
Limoges,  il  demanda  et  obtint  qu'il  vînt  à  Avignon. 
Le  succès  de  son  enseignement  fut  considérable  et  il 
demeura  à  Avignon  jusqu'à  la  mort  de  l'archevêque, 
c'est-à-dire  jusqu'en  1669.  Ayant  été  élu  prieur  du 
couvent  de  Brives,  le  P.  Goudin  quitta  la  Provence;  il 


1509 


GOUDIN 


l.S  10 


occupa  cette  charge  pendant  trois  ans.  Le  temps  de 
son  gouvernement  étant  révolu,  au  lieu  de  retourner  à 
Avignon,  il  fut  assigné  par  le  général  de  l'ordre,  Tho- 
mas de  Roccaberti,  au  noviciat  général  de  Paris,  au 
faubourg  Saint-Germain.  C'est  là  qu'il  enseigna  la 
théologie  pendant  plusieurs  années.  Dans  la  suite,  il 
fut  admis  à  faire  partie  du  collège  de  Saint- Jacques. 
D'après  Echard,  Scriptores  ord.  prxd.,  t.  n,  p.  740,  il 
aurait  pris  le  grade  de  docteur  en  théologie  de  l'uni- 
versité de  Paris,  dignité  qu'il  n'avait  pas  eu  l'occasion 
d'obtenir  encore.  Cependant  le  nécrologe  du  couvent 
de  Saint-Jacques  ne  lui  donne  que  le  titre  de  bachelier; 
dans  le  livre  des  Conseils,  il  signe  Magister  et  se  trouve 
souvent  nommé  sapientissimus  magister.  Peut-être 
était-il  licencié  sans  avoir  pris  le  bonnet  de  docteur. 
De  plus,  il  fut  élu  prieur  de  Saint- Jacques,  c'est  dans 
l'exercice  de  cette  charge,  dans  la  force  de  l'âge,  qu'il 
mourut  le  25  octobre  1695.  Le  P.  Goudin  a  laissé  des 
ouvrages  philosophiques  et  théologiques.  Son  traité 
de  philosophie  intitulé  :  l'hilosophia  juxla  inconcussa 
lutissimaque  divi  Thomse  dogmala  lom.  iv  comprehensa, 
a  eu  de  nombreuses  rééditions  jusqu'à  notre  époque. 
La  première  est  celle  de  Lyon,  1671,  in-12;  puis  cor- 
rigée et  augmentée  par  l'auteur,  in-12,  Paris,  1674; 
Bologne,  1680;  Cologne,  1681,  1685;  Trévise,  1706; 
Cologne,  1724,  1726;  Venise,  1744;  Cologne,  1764; 
Paris,  1851;  Orvieto,  1859.  Comme  il  s'en  explique 
lui-même  dans  la  préface  au  lecteur,  ce  sont  ses  leçons 
d'Avignon  qu'il  a  ordonnées  à  l'usage  des  étudiants. 
Aujourd'hui  encore,  ce  manuel  rend  des  services  et 
contient  un  excellent  exposé  des  théories  fondamen- 
tales de  la  philosophie  scolastique. 

Le  P.  Goudin  n'avait  pu  manquer  de  s'intéresser 
vivement  aux  graves  questions  théologiques  débattues 
de  son  temps  et  en  avait  traité.  Son  contemporain, 
le  P.  Echard,  nous  apprend,  en  effet,  Scriptores,  t.  n, 
p.  740,  que  le  P.  Goudin  avait  préparé  un  cours  de 
théologie,  mais  qui  se  conservait  manuscrit  au  couvent 
de  Saint- Jacques.  Il  ne  donnait  là-dessus  aucune  expli- 
cation. Mais  dans  une  lettre  plus  confidentielle  adres- 
sée par  Echard  à  la  date  du  1er  septembre  1721  à  son 
ami  et  correspondant  Laurent  Josse  Le  Clerc,  prêtre 
de  Saint-Sulpice,  il  disait  :  «  On  n'a  pas  pu  juger  à 
propos  de  faire  imprimer  la  théologie  du  P.  Goudin 
pour  de  bonnes  raisons.  »  Quelles  pouvaient  être  ces 
raisons  ?  Il  pouvait  y  en  avoir  de  deux  sortes  :  les 
unes  prises  des  circonstances  du  temps  où  cet  ouvrage 
aurait  paru;  d'autres  plus  personnelles  à  l'auteur  et 
intéressantes  à  connaître.  Bertrand,  dans  son  ou- 
vrage sur  Laurent  Josse  Le  Clerc,  Paris,  1878,  p.  87, 
en  note,  conjecture  que  ces  raisons  furent  entièrement 
extrinsèques  à  l'ouvrage.  Ce  n'est  qu'en  partie  vrai.  En 
effet,  lorsque  Goudin  mourut,  les  disputes  sur  la  grâce 
étaient  dans  toute  leur  effervescence.  La  tactique  des 
jansénistes  était  de  cacher  leur  hérésie  sous  le  nom  de 
nouveau  thomisme  et.  par  conséquent  d'appeler  moli- 
niste  quiconque  ne  pensait  pas  comme  eux;  d'un  autre 
côté,  les  intérêts  de  la  vérité  outragée  par  Jansénius 
et  aussi  le  souci  de  faire  prévaloir  les  opinions  d'une 
école  théologique  opposée  à  celle  des  thomistes  por- 
taient certains  esprits  à  confondre  clans  une  même 
réprobation  thomisme  et  jansénisme.  Comme  on  le  sait, 
pour  pacifier  les  esprits,  l'autorité  civile  était  interve- 
nue et  sur  la  fin  du  xvne  siècle,  sous  Louis  XIV  et  sous 
la  Régence,  les  discussions  publiques  et  les  publications 
étaient  défendues  en  matière  de  grâce.  Ainsi  que  le 
fait  remarquer  Bertrand,  loc.  cit.,  c'est  ce  qui  fait  que 
l'on  trouve  fort  peu  de  renseignements  sur  ces  ques- 
tions dans  les  ouvrages  qui  parurent  alors,  au  contraire 
la  plupart  des  pièces  de  polémique  restaient  anonymes. 
De  là  vient  aussi  que  l'ouvrage  d'Echard  est  relative- 
ment si  pauvre  en  renseignements  sur  ces  disputes, 
alors  que  personne  n'était  mieux  qualifié  que  lui  pour 


nous  donner  de  ces  luttes  doctrinales  une  relation  abon- 
dante et  fidèle.  Bertrand  pourtant  n'a  donné  qu'une 
raison  extrinsèque  de  la  non-publication  des  traités  de 
théologie  du  P.  Goudin  dès  leur  composition.  N'y  eut- 
il  que  cela  ?  S'il  avait  eu  connaissance  d'une  lettre  de 
Richard  Simon  à  Goudin  lui-même,  qui  était  d'ailleurs 
son  ami  intime,  il  aurait  pu  compléter  son  jugement  par 
quelques  autres  considérations,  qui  y  sont  touchées. 
Cette  lettre  capitale  pour  l'histoire  de  la  publication 
de  sa  théologie  fut  adressée  au  P.  Goudin,  alors  qu'il 
était  prieur  du  couvent  de  Saint-Jacques  de  Paris. 
Elle  est  datée  de  Rouen,  1695,  donc  l'année  même  de 
la  mort  de  notre  auteur.  Elle  figure  dans  le  recueil  des 
lettres  de  Richard  Simon,  édit.  d'Amsterdam,  1730, 
t.  iv,  p.  228-236.  D'après  ce  document,  il  semblerait 
que,  dans  les  disputes  de  ce  temps,  entre  jésuites  et 
dominicains,  le  P.  Goudin  n'ait  pas  pris  une  attitude 
aussi  tranchée  que  plusieurs  autres  de  ses  confrères, 
R.  Simon  nous  apprend,  en  effet,  qu'ayant  besoin  d'un 
livre  qui  se  trouvait  dans  la  bibliothèque  des  Pères 
jésuites,  le  P.  Goudin  ne  se  hasarde  pas  à  l'aller  cher- 
cher, de  peur  que  sa  visite  ne  soit  tenue,  dit-il  plaisam- 
ment, pour  suspecte  à  Saint-Jacques  «  et  qu'il  ne  vienne 
à  passer  pour  un  fauteur  du  molinisme,  »  parce  que  les 
juifs  ne  doivent  avoir  aucun  commerce  avec  les  Sama- 
ritains. D'après  le  sens  de  la  lettre  de  Richard  Simon, 
qui,  lui,  était  du  parti  moliniste,  on  pourrait  conclure 
que  Goudin  penchait  vers  une  doctrine  adoucie,  tout 
en  restant  fermement  thomiste.  «  Il  faut  avouer,  dit 
Richard  Simon,  que  ceux  de  votre  ordre  sont  d'étran- 
ges gens.  Ils  veulent  que  tout  le  monde  se  soumette 
aveuglément  aux  opinions  de  leur  école,  comme  si 
c'était  des  décisions  de  quelque  concile  général.  Vous 
savez  vous-même  qu'il  n'est  pas  aisé  de  marquer  pré- 
cisément, sur  plusieurs  articles,  en  quoi  consiste  le  pur 
thomisme.  Il  y  a  de  la  variété  là-dessus  même  parmi 
les  vôtres.  Je  vous  loue  d'avoir  bien  voulu  adoucir  quel- 
ques sentiments  durs  de  vos  thomistes  sur  la  prédestina- 
lion  et  la  grâce  efficace.  Ils  prétendent  que  cette  grâce  tire 
son  efficace  de  la  seule  toute-puissance  de  Dieu  :  ce  qui 
me  parait  fort  dur.  El  en  effet  dans  les  écrits  que  vous 
m'avez  communiqués,  vous  lirez  cette  efficace  de  plusieurs 
autres  moyens  dont  Dieu,  qui  par  sa  science  infinie  con- 
naît tout  ce  qui  se  passe  dans  le  cœur  de  l'homme,  se  sert, 
sans  que  vous  favorisiez  pour  cela  les  sentiments  de 
Suarcz  ou  de  Molina.  Cette  opinion  est  d'autant  plus 
raisonnable  que  vous  l'avez  appuyée  sur  des  textes 
formels  de  saint  Thomas.  »  Si  le  prieur  de  Saint- 
Jacques  ne  semblait  pas,  à  en  juger  par  Richard 
Simon,  partager  certaines  opinions  plus  rigoureuses 
de  quelques  théologiens  thomistes,  ce  n'était  encore 
qu'un  premier  pas;  et  Richard  Simon  espère  le  voir 
renier  la  prédétermination  physique,  au  sens  des  purs 
thomistes.  Il  ne  craint  nullement  de  l'encourager  à 
faire  ce  dernier  pas  :  «  Mais  après  tout  j'ose  vous  dire 
que  vous  n'avez  encore  fait  que  la  moitié  du  chemin. 
J'aurois  souhaité  qu'en  parlant  de  la  grâce  efficace, 
vous  n'eussiez  point  ajoute  par  elle-même,  terme  qui 
est  de  ces  derniers  siècles,  et  qui  est  inconnu  à  toute 
l'antiquité.  Ce  ternie  renferme  je  ne  sais  quoi  qui 
semble  détruire  notre  liberté,  aussi  bien  que  le  mot 
de  physique  ajouté  à  celui  de  prédétermination.  » 
Et  pour  convertir  tout  à  fait  le  P.  Goudin  au  sys- 
tème opposé,  il  le  conseillait  dans  ses  lectures.  «  Je 
vous  communiquerai  là-dessus,  lui  mandait-il,  un 
petit  livre  fort  rare  et  curieux,  qui  a  pour  titre  : 
De  religionc  bestiarum.  C'est  un  dialogue  on  l'on  met 
en  évidence  les  sentiments  de  ces  thomistes  rigou- 
reux, qui  font  agir  les  hommes  en  bêtes.  L'auteur 
est  Théophile  Raynaud,  fameux  jésuite,  que  vous 
avez  connu  particulièrement.  Quoi  qu'il  y  fasse  le 
plaisant  à  son  ordinaire,  il  y  dit  de  très  bonnes 
choses  :   Ridendo  dicerc  quid  vclat  ?  »  Jusqu'ici,  nous 


1511 


GOUDIN 


1512 


pouvons  deviner  que  le  P.  Goudin,  sans  verser  dans 
le  système  théologique  opposé  à  l'école  thomiste, 
n'était  pas  loin  de  se  frayer  une  voie  de  milieu  entre  les 
opinions  plus  rigoureuses  d'un  certain  groupe  et  les 
théories  nouvelles.  Mais  il  y  a  plus,  dans  la  même 
lettre,  Richard  Simon  nous  renseigne  sur  la  nature  des 
difficultés  qui  pouvaient  s'opposer  à  la  publication  des 
traités  théologiques  du  P.  Goudin.  Ainsi  qu'il  avait  été 
statué  par  le  général  de  l'ordre,  qui  était  alors  le 
P.  Antonin  Cloche,  tout  ouvrage  paraissant  sur  ces 
matières  controversées  de  la  grâce  ou  de  la  prémotion 
physique,  devait  être  envoyé  à  Rome,  où  il  serait 
examiné  attentivement.  Richard  Simon,  qui  avait  des 
intelligences  dans  la  place,  avait  aussitôt  été  averti  des 
difficultés  que  l'on  ne  manquerait  pas  de  faire  à  la 
publication  de  cet  ouvrage.  «  J'ai  appris,  dit-il,  de 
plusieurs  endroits,  que  vos  Pères  de  Rome,  qui  font 
profession  d'être  du  nombre  de  ces  rigoureux  thomistes, 
s'opposent  à  la  publication  de  votre  nouvel  ouvrage,  et 
qu'ils  ont  nommé  un  de  vos  théologiens  de  Paris,  pour 
l'examiner  et  leur  en  rendre  compte.  »  Il  est  certain 
qu'à  Rome,  sous  le  gouvernement  d'un  homme  tel  que 
le  général  Antonin  Cloche,  il  n'y  avait  que  très  peu  de 
chances,  pour  que  des  doctrines  opposées  fussent  ou- 
vertement soutenues  au  sein  d'un  ordre  qui  avait 
toujours  fait  profession  d'une  unité  doctrinale  parfaite. 
Surtout,  le  P.  Goudin  et  Richard  Simon  n'ignoraient 
pas  que  depuis  quelques  années  se  trouvait,  à  Rome, 
un  théologien,  qui  dans  leur  pensée  représentait  bien 
le  parti  de  ces  rigoureux  thomistes,  dont  ils  craignaient 
si  fort  l'ingérence  dans  leurs  affaires  :  c'était  le  P.  An- 
tonin Massouillé.  Voir  Coulon,  Scriptores  ord.  preed., 
nouv.  édit.,  sœc.  xvm,  p.  75  sq.  C'est  pourquoi  Richard 
Simon  prend  la  peine  d'avertir  Goudin  :  «  Le  P.  Mas- 
souillé, qui  a  publié  depuis  peu  à  Rome  un  très  gros 
ouvrage  sur  cette  matière  —  il  s'agit  de  son  Divus 
Thomas  sui  inlerpres  de  divina  motione  et  libcrtate 
creata,  2  in-fol.,  Rome,  1692-1693  —  ne  vous  sera  pas 
favorable.  Il  est  persuadé,  dit-on,  que  de  s'opposer 
aux  opinions  des  jésuites  sur  la  prédestination  et  sur 
la  grâce,  c'est  rendre  un  grand  service  à  l'Église.  » 
C'est  à  croire  vraiment  que  Richard  Simon  avait  reçu 
mission  de  tenter  et  de  décourager  le  P.  Goudin.  Sur- 
tout, il  a  grand'peur  que  l'ouvrage  ne  paraisse  pas  et 
lui,  qui  n'est  guère  gêné  par  les  scrupules  de  l'anony- 
mat, engage  son  ami  à  se  passer  de  toute  approbation. 
«  En  vérité,  je  vous  plains,  continue-t-il,  votre  habit 
et  votre  profession  ne  vous  permettent  pas  de  publier 
librement  vos  pensées.  Le  seul  remède  que  je  trouve 
pour  vous  tirer  de  cet  esclavage,  est  de  faire  imprimer 
votre  nouvel  ouvrage  sans  mettre  votre  nom  à  la  tête. 
Je  me  chargerai  volontiers  du  soin  de  cette  impression. 
L'on  ferait  ensuite  connoitre  par  le  moyen  des  jour- 
naux le  nom  de  l'auteur  et  son  dessein.  L'avis  que 
j'aurais  à  vous  donner  dans  cette  conjoncture,  seroit 
de  ne  rien  dire  en  particulier  de  l'ouvrage  du  P.  Mas- 
souillé, tant  à  cause  du  rang  qu'il  lient  à  Rome  auprès 
du  P.  Cloche,  votre  général,  que  parce  qu'il  y  est 
estimé.  Ce  qui  ne  vous  empêchera  pas  de  le  réfuter, 
comme  vous  avez  fait,  sans  le  nommer.  »  D'ailleurs, 
Richard  Simon  ne  s'arrêtait  pas  là  dans  les  conseils 
qu'il  donnait  au  P.  Goudin;  il  lui  conseillait  l'innocent 
stratagème  que  voici,  afin  d'établir  une  doctrine  sans 
avoir  l'air  de  battre  directement  en  brèche  une  autre 
doctrine  reçue.  Il  y  avait  alors  dans  la  bibliothèque 
du  couvent  de  Saint-Jacques  un  manuscrit  de  Thomas 
Rradwardin,  qui  fut  archevêque  de  Cantorbéry  (f  13 49). 
Un  certain  nombre  d'auteurs  dominicains  l'avaient 
donné  comme  un  des  leurs,  à  tort  d'ailleurs,  comme 
devait  le  montrer  Echard  dans  ses  Scriptores  quelques 
années  après,  t.  i,  p.  744.  Richard  Simon  le  savait  aussi 
et  l'avait  fait  remarquer  au  P.  Goudin.  Cet  auteur 
avait   écrit   un   traité  contre  les   pélagiens,  intitulé   : 


De  causa  Dei  contra  Pclagium  et  de  virtule  causarum, 
Londres,  1618.  L'ouvrage  avait  été  composé,  ainsi  que 
le  portait  le  manuscrit  de  Saint- Jacques,  en  1344. 
L'édition  de  Londres  avait  été  faite,  au  dire  de  Richard 
Simon,  par  les  soins  des  protestants,  qui  y  retrouvaient 
la  doctrine  de  Calvin  et  regardaient  Bradwardin 
comme  un  des  héros  de  leur  parti.  Le  P.  Goudin  natu- 
rellement connaissait  cet  écrit  et  ne  faisait  pas  diffi- 
culté d'avouer  que  l'auteur  n'avait  pas  toujours  gardé 
une  juste  mesure.  Pour  Bradwardin,  et  de  son  temps, 
le  monde  était  pélagien,  lotus  cniin  mundus  posl  Pela- 
gium  abiit.  Prœfal.  Même  le  Maître  des  Sentences, 
selon  lui,  ne  serait  point  indemne  en  quelques  endroits 
de  pélagianisme,  bien  qu'il  reconnaisse  en  même  temps 
qu'il  ait  été  un  des  principaux  sectateurs  de  saint 
Augustin.  Bradwardin,  1.  II,  c.  x.  Toujours  d'après 
Simon,  qui  veut  exciter  Goudin  à  entrer  dans  ses  vues, 
le  théologien  anglais,  en  matière  de  grâce,  fait  tout 
remonter  à  saint  Augustin,  «  il  abandonne  facile- 
ment saint  Chrysostome,  saint  Jérôme,  et  saint  Jean 
de  Damas,  qu'il  croit  être  favorables  aux  pélagiens.  » 
Bref,  cet  auteur  offrait  un  merveilleux  terrain  pour 
combattre,  sans  en  avoir  l'air,  ce  qui  aux  yeux  de  Simon 
passait  pour  excessif  dans  les  théories  thomistes  en 
pareille  matière.  «  Le  parti  qu'il  serait  à  prendre,  dit-il, 
en  s'adressant  au  P.  Goudin,  dans  cette  occasion  pour 
rendre  votre  ouvrage  plus  spécieux  et  plus  utile  au 
public,  seroit  d'attaquer  vivement  Bradwardin,  ar- 
chevêque de  Cantorbéry,  outré  thomiste  s'il  en  fût 
jamais.  »  Selon  lui,  aussi,  l'idée  de  Bradwardin,  que 
toute  la  tradition  catholique  sur  la  grâce  se  trouve 
représentée  par  saint  Augustin,  doit  être  combattue, 

car,  dit-il  :  tous  ces  anciens  docteurs,  dont  il  rejette 

l'autorité,  n'ont  pas  prétendu  s'opposer  aux  divins 
écrits  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament  sur  la 
grâce  et  sur  la  prédestination.  Au  contraire,  ils  ont 
combattu  par  l'Écriture  sainte  les  erreurs  des  gnosti- 
ques  et  des  manichéens  sur  ces  matières.  Il  est  bon  que 
vous  observiez  que  l'archevêque  de  Cantorbéry,  aussi 
bien  que  les  jansénistes  de  notre  temps,  ne  commencent 
la  tradition  de  l'Église  que  par  saint  Augustin,  après 
lequeî  suivent  ses  disciples  :  comme  si  saint  Chrysostome 
et  toute  son  école,  ou  plutôt  toute  l'Église  orientale 
devoit  être  comptée  pour  rien,  lorsqu'il  s'agit  de  tradi- 
tion. Bradwardin  est  assez  hardi,  pour  ne  pas  dire  témé- 
raire, d'abandonner  aux  pélagiens  les  quatre  premiers 
siècles  de  l'Église.  Je  souhaite,  concluait  Richard 
Simon,  que,  dans  votre  nouvel  ouvrage,  vous  examiniez 
ce  fait,  qui  est  d'une  bien  plus  grande  importance  que 
la  science  moyenne  de  Molina,  sur  laquelle  vous  vous 
êtes  étendu  fort  au  long.  C'est  un  jésuite  particulier 
qui  n'a  pas  été  même  avoué  de  sa  Société,  au  lieu  qu'ici 
il  s'agit  de  la  croyance  de  l'ancienne  Église  sur  des 
matières  très  importantes.  »On  voit  que  l'adversaire  que 
Bossuet  combat  tait  s'en  tendait  à  merveille  à  pousser  son 
monde.  Richard  Simon,  qui  paraît  ainsi  avoir  été  parfai- 
tement au  courant  des  choses  de  Saint- Jacques,  ne  perd 
pas  de  vue  le  précieux  manuscrit  du  P.  Goudin,  que  son 
auteur  lui  a  communiqué  et  qu'il  aura  lu  avec  attention, 
puisqu'il  y  trouve  des  longueurs  sur  cette  question  de 
Molina.  Dans  une  autre  lettre  de  la  même  année, 
adressée  au  P.  Goudin,  de  Saint-Crespin,  dans  la  forêt 
de  Lions,  Lettres  choisies  de  Monsieur  Simon.  Amster- 
dam, 1730,  t.  iv,  p.  246,  il  termine  par  ces  mots  : 
«  Tâchez  de  vous  bien  porter,  surtout  mettez  vos  papiers 
en  sûreté.  Si  je  puis  vous  rendre  quelque  service  en  cela, 
soyez  persuadé  que  je  ferai  de  mon  mieux.  » 

Il  serait  du  plus  grand  intérêt  de  savoir  comment 
Goudin  accueillit  les  conseils  de  Richard  Simon.  Ce  qui 
est  certain,  c'est  que  l'auteur  lui-même  ne  put  de  son 
vivant  s'occuper  soit  de  l'examen,  soit  de  la  publication 
de  son  ouvrage.  La  lettre  de  Richard  Simon  est  du  cou- 
rant de  1695;  cette  même  année,  lorsque  le  P.Goudin  se 


1513 


GOUDIN 


1514 


vit  frappé  à  mort,  il  laissa  son  travail  entre  les  mains  du 
P.  Maisonneuve,  religieux  du  même  ordre  et  son  ami. 
Celui-ci,  désirant  le  publier,  demanda  l'autorisation 
du  général  de  l'ordre,  qui  la  lui  refusa,  à  moins  qu'il 
ne  fût  très  exactement  revu  et  corrigé  en  conformité 
avec  le  bon  thomisme  et  d'après  le  livre  du  P.  Massouillé. 
Nous  n'avons  pu  jusqu'ici  retrouver  les  documents 
ayant  trait  aux  pourparlers  qui  durent  s'échanger 
entre  Paris  et  Rome  à  ce  sujet.  Il  nous  paraît  pourtant 
fort  plausible  de  penser  que  le  manuscrit  du  P.  Goudin 
ou  une  copie  ait  été  envoyée  à  Rome,  conformément 
aux  décisions  prises  pour  l'examen  de  tout  ouvrage 
sur  les  matières  de  la  grâce.  D'ailleurs,  le  P.  Mas- 
souillé se  trouvant  lui-même  à  Rome  —  il  y  mourut 
en  1706  — •  il  pourrait  plus  facilement  indiquer  ce  qu'il 
pouvait  y  avoir  à  changer  ou  à  reprendre  dans  l'ouvrage 
en  question.  Quoi  qu'il  en  soit,  ce  n'est  qu'en  1723  que 
l'on  songea  à  faire  paraître  ce  travail.  Parmi  les  exami- 
nateurs députés  par  le  général  de  l'ordre,  Augustin 
Pipia,  qui  avait  succédé  au  P.  Cloche,  nous  remarquons 
un  Allemand,  le  P.  Adolphe  Schleipen.  Ce  n'est  qu'un 
indice  de  plus  de  ce  que  nous  avancions  tout  à  l'heure, 
à  savoir  que  l'ouvrage  fut  examiné  à  Rome.  Nous 
savons,  en  effet,  que  le  P.  Schleipen  avait  été  appelé 
à  Rome,  en  1722,  comme  théologien  de  la  Casanate. 
Voir  Coulon,  Le  mouvement  thomiste  au  XVIIIe  siècle, 
dans  la  Revue  thomiste,  juillet-août  1911.  C'est  sans 
doute  en  cette  qualité  de  membre  du  collège  des  doc- 
teurs de  la  Casanate  qu'il  eut  à  juger  l'ouvrage  du 
P.  Goudin,  avec  un  autre  dominicain  allemand,  le 
P.  Tholen.  Il  est  probable  d'ailleurs  qu'il  ne  restait 
guère  de  corrections  à  faire  et  que  le  P.  Massouillé 
avait  longuement  examiné  des  écrits  qui  l'intéres- 
saient plus  particulièrement  à  raison  de  leur  auteur  et 
des  matières  traitées.  On  avait  cru  bon  d'attendre 
quelque  temps,  avant  de  faire  paraître  un  ouvrage 
qui  ravivait  des  polémiques  regrettables.  Bien  qu'en 
1723,  la  sévérité  fût  moindre  en  France  à  l'endroit  du 
thomisme,  ce  ne  fut  pourtant  pas  à  Paris,  mais  à 
Cologne,  que  les  manuscrits  de  Goudin  furent  édités. 
La  théologie  posthume  parut  sous  ce  titre  :  Traclalus 
theologici  poslhumi  juxta  inconcussa  luiissimaque  dog- 
mala  divi  Thomse  Aquinatis  docloris  angelici.  De 
seienlia  et  volunlutc  Dei,  de  providentia,  preedestinationc 
et  reprobalione  atque  de.  gratia  in  duas  parles  divisi, 
2  in-8°,  Cologne,  1723.  L'ouvrage  paraissait  avec 
toutes  les  approbations  des  docteurs  de  l'ordre  et  était 
dédié  au  général,  Augustin  Pipia.  Une  2e  édition  de  la 
théologie  de  Goudin  a  été  donnée  de  nos  jours  :  Traclalus 
theologici  juxta  inconcussa  tutissimaque  dogmata  divi 
Thomas  Aquincdis  docloris  angelici.  Nova  edilio  emen- 
dala  cura  et  studio  P.  F.  A.  M.  Dummcrmuth  O.  P., 
2  in-8°,  Louvain,  1874.  Dans  cette  édition,  on  a  sup- 
primé, à  tort,  la  dédicace  à  Pipia  ainsi  que  la  préface 
du  premier  éditeur.  Naturellement,  jamais  on  n'avait 
essayé  d'élever  le  moindre  doute  sur  la  parfaite  authen- 
ticité des  traités  de  Goudin. 

La  question  très  nette  que  nous  pouvons  nous  poser 
et  qui  intéresse  l'histoire  de  la  théologie,  est  celle-ci  : 
Les  traités  de  théologie  de  Goudin  que  nous  possédons 
aujourd'hui  représentent-ils  absolument  la  pensée 
théologique  de  l'auteur  ou  ont-ils  été  corrigés  ?  Nul 
jusqu'ici  n'en  avait  douté.  Tout  d'abord,  nous  devons 
remarquer  que  même  eût-on  fait  des  corrections  no- 
toires, ceux  qui  les  avaient  ordonnées  n'avaient  nulle- 
ment outrepassé  leurs  droits.  Vivant,  Goudin  n'aurait 
pas  davantage  échappé  à  la  censure  de  ses  ouvrages,  et 
certes  il  aurait  grandement  répugné  à  prendre  le  moyen 
suggéré  par  Richard  Simon  pour  échapper  à  une  revi- 
sion de  ses  écrits;  l'auteur  mort,  ses  écrits  pouvaient 
également  paraître  avec  les  corrections  jugées  bonnes. 
D'ailleurs,  dans  toutes  les  patentes  délivrées  par  les 
supérieurs  de  l'ordre  des  prêcheurs  auquel  appartenait 


le  P.  Goudin,  on  avait  soin  de  spécifier  que  l'ouvrage, 
dont  on  sollicitait  V imprimatur,  ne  pourrait  paraître 
qu'une  fois  toutes  les  corrections  faites  par  des  re- 
viseurs impartiaux.  Rien  de  plus  juste,  car  chaque 
ouvrage  en  une  certaine  manière  pouvait  engager 
l'ordre  dont  il  émanait.  Nous  avons  d'ailleurs  la  cer- 
titude qu'Echard  était  au  courant  des  difficultés  que 
pouvait  offrir  la  publication  de  la  théologie  du  P.  Gou- 
din. Il  avait  même  été  pressenti  sur  ce  point  par  son 
correspondant,  Josse  Le  Clerc,  dans  une  lettre  datée 
du  21  août  1721  et  à  laquelle  nous  avons  déjà  fait 
allusion.  Nous  voyons,  d'une  part,  par  la  réponse  dis- 
crète que  fait  Echard,  le  1er  septembre,  que  c'est  là  un 
sujet  délicat.  «  Je  crois  avoir  marqué  dit-il,  parlant  de 
Goudin,  tous  ses  ouvrages  théologiques  en  gros  (voir 
Scriptores,  t.  n,  p.  740),  disant  qu'il  avait  composé  une 
théologie,  qu'il  aurait  imprimée,  s'il  n'eût  pas  été 
prévenu  de  la  mort  œtate  jlorente,  car  apparemment  ce 
monitum  dont  vous  me  faites  l'honneur  de  me  parler 
est  un  extrait  de  ses  sentiments  sur  ces  matières,  aussi 
bien  que  ce  que  dit  M.  Simon  dans  ses  lettres  est  une 
partie  de  sa  théologie,  savoir  son  traité  de  la  grâce,  et 
un  bibliothécaire  ne  peut  pas  faire  mention  de  ces  minu- 
ties. On  n'a  pas  pu  juger  à  propos  de  faire  imprimer 
celte  théologie  du  P.  Goudin  pour  de  bonnes  raisons.  » 
Ainsi  donc  Echard  connaissait  parfaitement  la  lettre 
de  Richard  Simon  à  Goudin  et  par  conséquent  les 
tendances  que  ce  critique  lui  prêtait.  Mais  chose  remar- 
quable, alors  qu'Echard,  dans  la  même  lettre,  prend 
soin  de  défendre  la  mémoire  de  Nicolai  contre  l'accusa- 
tion d'avoir  versé  tout  à  fait  dans  le  molinisme,  il  se 
garde  de  rien  dire  de  semblable  touchant  Goudin.  Il 
eût  été  fort  désirable  pourtant  que  cet  auteur  nous  ait 
donné  son  appréciation.  Il  écrivait  avant  la  publication 
de  la  théologie,  qui  ne  parut  que  deux  ans  plus  tard. 
Pensait-il  que  les  remarques  de  Richard  Simon  répon- 
daient vraiment  à  l'état  d'esprit  de  Goudin?  Sa  réserve 
à  l'égard  d'un  auteur  mort  depuis  bien  des  années 
nous  le  laisserait  presque  soupçonner.  Mais  en  réalité 
quelle  attitude  Goudin  prenait-il  dans  les  questions 
signalées  par  Richard  Simon  ?  Celui-ci  l'affirme  nette- 
ment :  «  Je  vous  loue  d'avoir  bien  voulu  adoucir  quel- 
ques sentiments  durs  de  vos  thomistes  sur  la  prédestina- 
tion et  la  grâce  efficace.  Ils  prétendent  que  cette  grâce  tire 
son  efficace  de  la  seule  toute-puissance  de  Dieu  :  ce  qui 
me  paraît  fort  dur.  Et,  en  effet,  dans  les  écrits  que  vous 
m'avez  communiqués,  vous  tirez  celle  efficace  de  plu- 
sieurs autres  moyens  dont  Dieu,  qui  par  sa  science 
infinie  connaît  tout  ce  qui  se  passe  dans  le  cœur  de 
l'homme,  se  sert,  sans  cpie  vous  favorisiez  pour  cela 
les  sentiments  de  Suarez  ou  de  Molina.  »  D'autre  part, 
nous  avons  appris  tout  à  l'heure  d'Echard  qu'il  avait 
paru  un  monitum,  qui  était  un  extrait  des  sentiments 
de  Goudin  sur  ces  matières  de  la  grâce.  Il  s'agit  bien 
ici,  semble-t-il,  d'opinions  au  moins  différentes  des 
opinions  reçues.  Or,  si  nous  ouvrons  la  théologie  de 
Goudin  au  traité  de  la  grâce  et  précisément  au  passage 
visé  par  Richard  Simon,  nous  n'y  trouvons  rien  que  de 
très  conforme  avec  la  doctrine  reçue  dans  l'école  tho- 
miste. C'est  également  de  là  toute-puissance  de  Dieu 
que  Goudin  fait  dériver  l'efficacité  de  la  grâce  et  nous 
ne  voyons  nullement  qu'il  la  fasse  dériver  d'autres 
moyens,  ainsi  que  l'en  félicitait  Richard  Simon  lui- 
même.  Nous  ne  pouvons  que  citer  les  paroles  même 
de  notre  auteur.  Tractatus  de  gratia,  Louvain,  1874, 
p.  294  :  Tertia  senlcnlia  statuit  infallibilcm  gratix  e/fi- 
caciam  oriri  ex  omnipotentia  divina,  et  supremo  dominio 
quod  Deus  habet  supra  corda  hominum,  sicut  supra 
omnia  quœ  in  cœlo  et  sub  ceelo  sunt,  uti  eam  expressere 
Patres  nostri,  in  congregationibus  De  auxiliis.  Unde  non 
est  infallibilitas  prœscicnlise  ut  vult  secundo  senlcnlia, 
sed  causalitatis.  Non  enim  infallibilitas  operationis 
gratiee  fundatur  in  prœscientia  nostri  consensus,  sed 


1515 


GOUDIN    —   GOUJET 


1516 


e  contra  infallibilis  cerlitudo  prœscientiœ  fundatur  in 
infallibilitate  divinee  virtutis  et  causalitatis.  Hanc  sen- 
lentiam  tolus  prsedicatorum  ordo  ut  germanam  S.  Au- 

guslini  et  S.  Thomœ  semper  amplexus  est,  et  pro  ea  ut 
pro  aris  cl  focis  contra  oppositam  semper  pugnavit,  ut 
merilo  transfuga  et  proditor  dominicanse  doctrines  dica- 
lur,  quisquis  eam  deserit.  Eamdem  esse  calholicam  do- 
étrillant  ab  apostolo  traditam  etab  Ecclcsia  deineeps  con- 
tra pelagianum  errorcm  de/ensam  omnino  eensemus;  et 
licet  opposilum  nulla  hwreseos  nota  inuramus,  ne  sedis 
apostolicœ  nondum  propalatum  contra  eam  judicium 
anteverlamus,  nulhdenus  tamen  cum  doctrina  gralia- 
uli  a  S.  Auguslino,  et  a  pontifïcibus,  ci  a  conciliis  contra 
pelagianos  explicala  est,  posse  cohœrcre,  arbitramur. 
Assurément,  par  une  déclaration  si  nette  d'orthodoxie 
thomiste,  nous  ne  voyons  pas  en  quoi  Goudin  aurait 
apporté  un  adoucissement  à  la  doctrine  communé- 
ment reçue  dans  l'école.  Il  est  ici  aussi  ferme  cpie  n'im- 
porte quel  champion  des  congrégations  De  auxiliis. 
Il  n'y  a  pas  trace  dans  le  traité  de  la  grâce  de  Goudin, 
tel  que  nous  pouvons  le  lire,  je  ne  dis  pas  d'une  autre 
explication  de  l'eflicacité  de  la  grâce  divine  en  dehors 
de  la  toute-puissance  de  Dieu,  ce  qui  serait  assuré- 
ment très  grave  de  la  part  d'un  thomiste,  mais  même 
une  allusion  à  d'autres  moyens  qu'aurait  Dieu,  en  plus 
de  sa  toute-puissance,  d'assurer  en  nous  l'efficacité 
de  sa  grâce.  Avouons-le  sincèrement,  le  traité  de  la 
grâce  lu  par  Richard  Simon  ne  paraît  point  être  abso- 
lument celui  que  nous  avons  sous  les  yeux.  Bien  loin 
d'ailleurs  d'obtempérer  â  l'invitation  de  son  ami  d'atté- 
nuer la  rigueur  de  sa  théorie  de  la  prémotion  ou  pré- 
destination physique,  Goudin  l'affirme  à  chaque  page 
et  la  donne  comme  le  principe  même  de  l'efficacité  de 
la  grâce.  En  effet,  p.  306,  après  avoir  énuméré  les  diffé- 
rentes explications  de  l'efficacité  de  la  grâce  et  en 
avoir  fait  ressortir  l'insuffisance,  il  en  vient  à  l'explica- 
tion thomiste  :  Quinlus  modus  graliœ  cfjlcaciam  in  prœ- 
molione  physica  polissimurn  reponit.  Hune  communiter 
tend  schola  thomistica...  Atque  ex  ea  nolione  physica' 
prœmotionis  (quam  ctium  in  ordine  supcrnalurali  locum 
indubilatum  esse  débet,  vel  sallem  hic  supponimus  ex 
alibi  diclis),  jam  facile  intelligitur,  eam  non  immerito 
adhiberi  ad  explicandam  divinœ  graliœ  efjicaciam... 
Ainsi  donc  des  deux  points  signalés  par  Richard  Simon, 
sur  lesquels  Goudin  aurait  adouci  la  doctrine  commu- 
nément reçue  chez  les  thomistes,  nul  ne  paraît  établi, 
d'après  le  texte  que  nous  possédons.  Inutile  de  dire 
que  les  autres  remarques  de  la  lettre  ne  se  trouvent  non 
plus  vérifiées  dans  l'ouvrage  de  Goudin.  Ainsi,  Richard 
Simon  félicitait  Goudin  d'avoir  bien  voulu  adoucir 
quelques  sentiments  durs  des  thomistes  sur  la  prédestina- 
tion... Ici  encore  les  propositions  établies  par  Goudin, 
telles  du  moins  qu'elles  nous  ont  été  transmises, 
n'offrent  aucun  «  adoucissement  »  de  la  théorie  tho- 
miste visée  par  Richard  Simon.  En  effet,  Goudin  y 
soutient  nettement  les  deux  propositions  suivantes  : 
1°  Prœdeslinatio  sumpta  pro  œterno  Dci  proposilo,  quo 
aliquos  prie  aliis  clegil  ad  gloriam  certissime  perducen- 
dos  non  csl  ex  aliquibus  meritis  aul  alio  motivo  ex  parte 
crealurœ  prœviso,  sed  ex  graluita  Dei  misericordia,  illos 
prœ  aliis  specialius  dilectos  eligentis.  Tractatus  thcol., 
t.  i,  p.  303.  2°  Gloria  cl  gredia  in  dccrelo  prœdcslina- 
tionis  ita  disponuntur,  ut  Deus  primo  gratis  quibusdam 
prœ  aliis  gloriam  efficaciter  dandam  voluerit;  deinde  vero 
ex  illa  intentionc  ipsis  média  ad  gloriam  rerlo  perducentia 
prœparaverit  :  unde  prœdeslinatio  etiam  ad  gloriam 
fuit.  Ibid.,  p.  315. 

Que  conclure  de  tout  cela  ?  Pour  quiconque  est  tant 
soit  peu  familiarisé  avec  l'histoire  de  la  théologie  de 
cette  époque,  fort  mal  connue  d'ailleurs,  il  n'y  a  rien 
là  qui  doive  surprendre  beaucoup.  Nous  pouvons  fort 
bien  admettre  que  le  P.  Goudin  ait  pu  avoir  quelques 
opinions  particulières  à  rencontre  dç  celles  régnantes 


dans  l'école  thomiste,  qu'il  les  ait  exposées  dans  sa 
théologie;  à  l'examen,  après  sa  mort,  ces  opinions 
auront  été  corrigées  et  éliminées  avec  soin  de  ses  manu- 
scrits et  c'est  ainsi  que  ses  traités  de  théologie  ont  pu 
paraître.  Tels  quels,  ils  sont  du  thomisme  le  plus  ortho- 
doxe et  ne  pourraient  en  aucune  façon  attirer  à  l'au- 
teur la  lettre  qui  a  donné  lieu  à  l'examen  que  nous 
venons  de  faire.  Nous  pourrions  peut-être  avancer  que 
Goudin  corrigea  lui-même  le  texte  de  sa  théologie  et 
que  c'est  vraiment  sa  pensée  intacte  qui  se  trouve 
encore  exprimée  dans  ses  traités.  A  cela  il  y  a  bien 
quelques  objections  sérieuses,  les  voici  :  la  lettre  de 
Richard  Simon  est  de  l'année  même  de  la  mort  de 
Goudin  et  tout  nous  porte  à  croire  qu'elle  est  de  l'été 
de  1G95;  or  nous  nous  rappelons  que  Goudin  mourut 
le  25  octobre  de  la  même  année.  De  plus,  la  façon  dont 
parle  Echard  montre  assez  que  sa  théologie  n'offrait 
point  toute  garantie  au  point  de  vue  thomiste.  L'ex- 
plication des  corrections  posthumes  nous  paraît  plus 
fondée.  Ramenés  ainsi  dans  les  limites  du  plus  pur 
thomisme,  les  traités  théologiques  de  Goudin  méri- 
taient assurément  les  louanges  qu'on  lui  décernait  dans 
les  différentes  approbations,  mises  en  tète  de  l'édition 
de  1723.  Parmi  les  raisons  qu'il  donne,  dans  son  épître 
dédicatoire,  d'avoir  placé  cet  ouvrage  sous  le  patronage 
du  général  de  l'ordre  lui-même,  l'éditeur  signale  celle 
d'avoir  voulu  protéger  la  mémoire  de  Goudin  contre 
ses  détracteurs,  contre  les  minus  œquos  rcrum  œstima- 
lores,  qui  injurie  carpunl  quod  non  capiunt...  De  même, 
dans  l'approbalio  terlia,  datée  de  Cologne,  23  mars 
1723,  les  docteurs  faisaient  de  l'œuvre  de  Goudin  cette 
apologie,  dont  le  sens  désormais  nous  est  connu  : 
...  nunc  jure  meritissimo  in  lueem  prodeunt  tractatus 
de  scientia  et  voluntale  Dei,  de  abseonditis  mysleriis 
prii'destinationis,  reprobationis  et  graliœ,  ab  hoc  viro  per 
omnia  eximio  compositi,  ex  quorum  studiosa  lectionc 
nobiscum,  etiam  invitas,  agnosces  et  faleberis  super  cum 
vere  requievisse  spiritum  sancti  Thomœ  Aquinalis  do- 
cloris  angelici,  a  quo  ne  vel  ad  apieem  recessit,  sed  quoi 
ponit  eonclusiones,tot  refert  probutque  dogmala  angelica, 
loi  steduit  fidei  catholicœ  propugnacula,  lot  opponil 
hœresi  elypeos  thomislicos,  etc. 

Ainsi  se  trouve,  pensons-nous,  soulevé  et  élucidé  un 
point  d'histoire  qui  n'est  pas  sans  intérêt.  Seule  la  dé- 
couverte des  manuscrits  originaux  des  traités  de  Goudin 
ou  quelque  relation  faite  à  Rome  sur  cet  ouvrage  pour- 
rait nous   donner  pleine  satisfaction. 

Echard,  Scriplores  ord.  prwd.,  Paris,  1719-1721,  t.  il, 
p.  740;  Lettres  choisies  de  M.  Simon,  Amsterdam,  1730,  t.  IV, 
p.  228-236;  L.  Bertrand,  Vie,  écrits  et  correspondance  litté- 
raire de  Laurent  Josse  Le  Clerc,  Paris,  1878.  p.  87  (il  ne  cite 
qu'une  phrase  relative  à  Goudin  extraite  de  la  lettre 
(l'Echard;  texte  complet  d'après  Bibliothèque  nationale, 
fonds  français  [Bouhier],  n.  24411,  p.  20);  Nécrologe  de  Saint- 
Jacques  de  Paris,  ms.  (Arch.  gén.  de  l'ordre),  p.  324;  Beg.  des 
maîtres  généraux  de  l'ordre  (ibid.);  Hurter,  Nomenclator, 
Inspruck,  1910,  t.  iv,  col.  320;  citant  Der  Katholik,  1857, 
t.  n,  p.  426,  et  Scheeben,  1.  VI,  n.  18. 

R.    Coulox. 

GOUJET  Claude-Pierre,  érudit,  né  â  Paris,  le 
19  octobre  1097,  mort  dans  cette  même  ville  le 
1er  février  1767.  Il  fit  ses  premières  études  chez  les 
jésuites  et  au  collège  Mazarin.  Il  entra  ensuite  chez  les 
Pères  de  l'Oratoire,  où  il  resta  peu,  et  obtint  en  septem- 
bre 1720  un  canonicat  à  Saint- Jacques-l'Hôpital. 
Très  attaché  aux  doctrines  jansénistes,  il  se  montre  en 
toutes  circonstances  l'adversaire  des  jésuites.  Membre 
de  plusieurs  académies  de  province,  l'abbé  Goujet  a 
beaucoup  écrit  et  sur  des  sujets  bien  divers.  Parmi 
ses  nombreux  ouvrages,  nous  mentionnerons  :  Traité 
de  la  vérité  de  la  religion  chrétienne,  traduit  du  latin 
de  Grotius  avec  des  remarques,  in-12,  Paris,  1724; 
Vie  de  Rufin,  prêtre  de  l'église  d'Aquilée,  par  dom 
Gervaise,  refondue  par  l'abbé  Goujet,  2  in-12,  Paris, 


1517 


GOUJET   —   GOULU 


1518 


1724;  Maximes  sur  la  pénitence  avec  la  solide  dévotion 
du   rosaire,   in-12,    Paris,    1717;    Principes   de   la   vie 
chrétienne,  traduits  du  latin  du  cardinal  Bona,  avec  une 
pré/ace,  in-12,  Paris,  1728;  Les  vies  des  saints  pour  tous 
les  jours  de  l'année  avec  l'histoire  des  mystères  de  Noire- 
Seigneur,   7   in-12,   Paris,    1730   :   eurent   part   à   cet 
ouvrage   l'abbé   Mésengui   et   le   professeur   Roussel; 
Gémissements    d'un    cœur    chrétien    exprimés    dans  les 
paroles  du  psaume  cxrm,  traduit  des  Soliloques    écrits 
en  latin  par  M.  Hamon,  in-12,  Paris,  1731;  Continua- 
tion des  Essais  de  morale  contenant  la  vie  de  M.  Nicole 
et  l'histoire  de  ses  ouvrages,  in-12,  Luxembourg,  1732: 
Supplément  au   grand  dictionnaire  historique,   dit  de 
Moréri,  2  in-fol.,  Paris,  1735  :  de  nombreux  cartons 
furent  mis  dans  ces  volumes  sans  la  participation  de 
l'abbé  Goujet,  qui  publia  plus  tard  :  Nouveau  supplé- 
ment au  grand  dictionnaire  historique,  dit  de  Moréri, 
2  in-fol.,  Paris,  1749,  et  un  volume  d'Additions   à  ce 
Nouveau  supplément,   1750;   Bibliothèque  des  auteurs 
ecclésiastiques  du  XVIIIe  siècle,  pour  servir  de  continua- 
tion à  celle  de  M.  du  Pin  (avec  deux  lettres  sur  S.  Denys 
l'Aréopagile  et  les  ouvrages  qu'on  lui  attribue),  3  in-8°, 
1736  et  1737  :  le  ive  volume  est  demeuré  manuscrit; 
Vie  de  M.  Singlin,  directeur  des  religieuses  de  Port- 
Royal,  in-12,  Utrecht  (Paris),   1736;   Dissertation  sur 
l'état  des  sciences  en  France  depuis  la  mort  de  Charle- 
magne  jusqu'à  celle  du  roi  Robert,  in-12,  Paris,  1737; 
La  vie  de  messire  Yialarl  de  Herse,  évèque  et  comte  de 
Chdlons   en    Champagne,   in-12,    Utrecht,  1738    :    une 
Relation  de  miracles  accompagne  les  éditions  de  1740 
et  1741  :  l'abbé  Goujet  n'eut  aucune  part  à  la  rédaction 
de  cette  dernière  partie;  Prières  cl  a/ f celions  chrétiennes, 
avec  des  gravures  qui  représentent  les  actions  du  prêtre 
célébrant  la  messe,   ouvrage   laissé   impartait  par  jeu 
M.   Guijonncl   de  Verlron,  mis  en  ordre,  considérable- 
ment augmenté  et  avec  une  préface,  in-12,  Paris,  1738; 
Épîtres  et  Evangiles  avec  des  réflexions,  3  in-12,  Paris, 
1738;  Bibliothèque  française,  ou  histoire  de  la  littérature 
française  depuis  l'origine  de  V imprimerie    jusque    au- 
jourd'hui, avec  un  catalogue  des  ouvrages  dont  on  parle 
dans    cette    bibliothèque    et    un    discours    préliminaire, 
18  in-12,  Paris,   1740-1759  :  plusieurs  volumes  sont 
demeurés    manuscrits;    Vie   de    M.    Duquel,    avec   le 
catalogue  de  ses  ouvrages,  in-12,  Paris,  1741;  Mémoires 
historiques  et  littéraires  sur  le  collège  rouai  de  France, 
fondé  par  le  roi  François  I",  in-4°,  ou  3  in-12,  Paris, 
1758;  Crevier  dans  son  Histoire  de  l'université  ayant 
critiqué    certains    passages    de    son    ouvrage,    l'abbé 
Goujet  lui  répondit  par  une  Lettre  de  l'auteur  de  l'his- 
toire du  collège  royal  de  France  à  l'auteur  de  l'histoire 
de  l'université  de  Paris  au   sujet  du  collège  royal  de 
France,  in-12,  Amsterdam,  1761  ;  Histoire  des  inquisi- 
tions,  avec   un   discours  sur  quelques  auteurs  qui  ont 
traité  de  l'inquisition,  2  in-12,  Cologne,  1759;  Relation 
abrégée  de  la  vie  et  de  la  mort  de  Madame  Marie- 
Élisabclh  Tricalet,  veuve  de  M.  Lcbceuf,  in-12,  Paris, 
1761;   Abrégé  de  la  vie  de  M.    Tricalet,  directeur  du 
séminaire  de  Saint-Nicolas  du  Chardonnet,  in-12,  Paris, 
1762;    Éloge  historique  du  cardinal   Passionei,   in-12, 
La  Haye,    1763;   Histoire  du   pontificat  de   Paul    V, 
2  in-12,   Amsterdam.    1765;   Mémoires  historiques   cl 
littéraires  de  l'abbé   Goujet,  ouvrage  posthume  publié 
par  l'abbé  Barrai,  in-12,  La  Haye,  1767.  En  outre, 
l'abbé  Goujet  publia  divers  écrits  dans  les  journaux 
ou  Mémoires  littéraires  pour  lesquels  il  composa  des 
éloges    historiques    de    personnages    illustres    de  son 
époque.   Il  collabora  à  un  grand  nombre  d'ouvrages 
qu'il  annota  ou  pour  lesquels  il  écrivit  des  préfaces, 
par  exemple,   une  édition   des   Cas  de  conscience  de 
Lainet  et  Fromageau,  1735;  l'Histoire  de  la  nouvelle 
édition  des  œuvres  de  saint  Augustin  par  les   bénédic- 
tins; la  traduction  des  Actes  des  martyrs  par  Drouet 
de  Maupertuis;  les   Mémoires  pour  servir  à  l'histoire 


de  Port-Royal,  etc.  Il  prit  part  à  la  continuation  de 
I  Histoire  ecclésiastique  de  Fleury  par  le  P.  Fabre,  et 
dom  Ceillier  lui  dut  diverses  notes  pour  son  Histoire 
des  auteurs  sacrés  et  ecclésiastiques. 

^  Barrai,  dans  les  Mémoires  historiques  et  littéraires  de 
l'abbé  Goujet;  Dague  de  Clairefontaine,  Essai  sur  la  mort 
de  l'abbé  Goujet,  a  la  suite  de  l'édition  de  l'Histoire  de  la 
vie  de  Nicole  de  1767  ;  Dictionnaire  des  livres  jansénistes,  in-12 
Anvers,  1755,  t.  iv,  p.  20,  209;  Picot,  Mémoires  pour  servir 
a  l'histoire  ecclésiastique  pendant  le  XVIII'  siècle,  in-8°, 
Paris,  1855,  t.  iv,  p.  453;  Moréri,  Dictionnaire  historique] 
in-fol.,  1759,  t.  v  b,  p.  300;  Quérard,  La  France  littéraire, 
t.  in,  p.  423;  Huiter,  Nomenelator,  1910,  t.  iv,  col.  1084 
1175;   1912,   t.   v,   col.   184-186. 

B.  Heurtebize. 
GOULD  Thomas,  né  à  Cork  en  Irlande  en  1657, 
mort  à  Thouars  en  1734.  Il  passa  en  France  vers  1678, 
et  après  avoir  fait  sa  théologie  à  Poitiers,  fut  nommé 
aumônier  des  ursulines  de  Thouars.  Il  s'appliqua 
surtout  à  la  conversion  des  protestants;  son  zèle 
fut  récompensé  par  de  magnifiques  succès.  Ses  prin- 
cipaux ouvrages  sont  :  Lettres  à  un  gentilhomme  du 
Bas-Poitou,  louchant  la  véritable  croyance  de  l'Église 
catholique,  contre  les  dogmes  qui  lui  sont  faussement 
imputés  dans  les  écrits  des  ministres,  1705  ;  4e  édit.,  1720  ; 
Traité  du  sacrifice  de  la  messe,  avec  l'explication  des 
cérémonies  qui  s'y  observent  et  la  manière  d'y  assister 
dévotement,  selon  l'esprit  de  la  primitive  Église,  Paris, 
1724;  Entretiens  où  l'on  explique  la  doctrine  de  l'Église 
catholique  par' l'Écriture  sainte,  Paris,  1727;  Recueil  de 
différentes  objections  que  font  les  protestants  contre  les 
catholiques...,  et  des  réponses  des  catholiques,  Paris,  1735. 

Dictionanj  of  national  biography,  Londres,  1908;Hœfer, 
Nouvelle  bibliographie  générale,  Paris,  1857;  Hurtcr,  No- 
menelator literarias,  Inspruck,  t.  iv,  col.  1059. 

A.    Gatard. 
GOULU   Jean,  né  à  Paris  en  1576,  entra  chez  les 
feuillants  en  1604,  où  on  lui  donna  le  nom  de  Jean 
de  Saint-François.   Il  remplit  dans  son  ordre  à  deux 
reprises  les  fonctions  de  supérieur  général.  Son  père, 
qui  était  un  helléniste  connu,  l'avait  familiarisé  de 
bonne   heure   avec  la  langue   grecque.    Ses   premiers 
travaux  furent  des  traductions.   Il  corrigea  une  tra- 
duction du  traité  de  saint  Grégoire  de  Nysse  contre 
Eunomius  ;    il  traduisit  les   œuvres   de  saint   Denis, 
Paris,  1608,  les  Homélies  de  saint  Basile  sur  l'Hexa- 
méron,  in-8°,   Paris,   1616,   et   le  Manuel  d'Épictète, 
in-8°,   Paris,    1609.   Ce   dernier  travail   lui   avait  été 
demandé  par  Henri  IV  pour  la  reine  Marie  de  Médicis. 
Une    nouvelle    traduction    latine    des    Opéra    sancli 
Dionysii,   qu'il   avait   soigneusement    préparée,  parut 
après   sa  mort,   in-8°,   Paris,   1629.   On   lui   doit   une 
édition    du    traité    De    œlerna    bealitudine    de    saint 
Anselme,  in-8°,  Paris,  1615,  une  traduction  française 
des  Exercices  spirituels  du  P.  Augustin  Manna,  orato- 
rien  de  Rome,  in-16,  Paris,  1613.  II  publia  :  La  vie  du 
bienheureux    François    de    Sales,    évèque    de     Genève, 
in-4°,    Paris,    1624,    qui    lui    avait   témoigné    autant 
d'estime  que  d'affection.  Il  écrivit  le  Discours  funèbre 
sur  le  trépas  de  Nicolas  Le  Fèvre,  évèque  de  Chartres, 
conseiller  et  précepteur  de  Louis  XIII,  in-8°,  Paris,  1612, 
et  une  Exhortation  au  chapitre  des  feuillants,   Paris, 
1616.  Ses  Lettres  de  Fyllarque  à  Ariste,  in-8°,  Paris,  1627, 
firent  grand  bruit  au  moment  de  leur  apparition;  il 
s'en  prenait,  à  la  suite  de  dom  André  de  Saint-Denis, 
à  Balzac,  lequel  était  de  taille  à  se  défendre.  Dom  Jean 
Goulu    se    lit    apprécier    comme    controversiste.     11 
réfuta  le  traité  sur  la  vocation  des  gentils  du  théologien 
protestant    Pierre     du    Moulin,    in-8°,    Paris,    1620. 
Il    donna    quelques    années    plus    tard   ses    Vindicim 
theologicœ  ibero-polilicte  ad  catholicum  regem    Philip- 
pum  IV  contra  pscudo-theologi  admoniloris  caluinnias, 
in-8°,   Paris,    1628.    Son   intervention   contre  Balzac, 


1519 


GOULU  —  GOURMANDISE 


1520 


qui  avait  parlé  librement  des  moines,  déchaîna  une 
tempête  littéraire.  Tous  les  ennemis  de  Balzac  s'en 
donnèrent.  Il  y  eut  une  littérature  pour  et  contre. 
La  plume  ne  suffisait  pas,  on  se  servit  de  l'épée. 
Le  P.  Goulu  fut  très  apprécié  du  cardinal  Du  Perron, 
du  duc  César  de  Vendôme  et  de  sa  femme  Françoise 
de  Lorraine,  et  du  pape  Urbain  VIII,  qui  l'avait  connu 
à  Rome.  Il  mourut  à  Paris  le  5  janvier  1629  et  fut 
enterré  dans  l'église  des  feuillants. 

Montius,  Cislercii  rejlorescenlis,  in-fol.,  Turin,  1690, 
p.  73;  Bayle,  Dictionnaire  historique  et  critique,  3°  étlit.,  t.  Il, 
p.  1291-1293;  dom  François,  Bibliothèque  générale  des 
écrivains  de  l'ordre  de  saint  Benoit,  t.  i,  p.  408-409;  Éloge 
de  Jean  Goulu,  dit  de  Saint-François,  in-4°,  Paris,   1629. 

J.  Besse. 
GOURLIN  Pierre -Sébastien  ou  Jean  -  Etienne, 
théologien  janséniste,  né  à  Paris  le  2(5  décembre  1695, 
mort  dans  cette  même  ville,  le  15  avril  1775.  Ses 
études  terminées,  il  entra  dans  les  ordres  et  fut  ordonné 
prêtre  en  1721.  Vicaire  à  Saint-Benoît,  il  refusa  de 
se  soumettre  à  la  bulle  Unigenitus,  et  prit  rang  parmi 
les  appelants.  Pour  ce  fait,  il  fut  interdit  par  Mgr  de 
Vintimille,  archevêque  de  Paris.  Il  persista  dans  sa 
révolte  jusqu'à  la  mort,  renouvelant  son  appel  dans 
son  testament.  Ses  supérieurs  légitimes  durent  en 
conséquence  lui  refuser  les  derniers  sacrements  qui 
ne  lui  furent  administrés  qu'en  vertu  d'un  arrêt  du 
parlement.  Disciple  du  célèbre  docteur  Boursier,  il 
prit  part  à  presque  tous  les  ouvrages  publiés  alors  par 
les  appelants,  et,  à  l'exemple  de  son  maître,  composa 
divers  écrits  pour  plusieurs  évêques  ou  curés  qui 
avaient  recours  à  lui.  De  cet  auteur  nous  mentionne- 
rons :  Lettre  de  plusieurs  curés,  chanoines  et  autres 
ecclésiastiques  du  diocèse  de  Sens  à  Mgr  leur  arche- 
vêque, 1er  juillet  1731;  Lettre  des  curés,  chanoines  et 
autres  ecclésiastiques  du  diocèse  de  Sens  ù  Mgr  l'arche- 
vêque, avec  un  Mémoire  pour  servir  de  réponse  à  la 
lettre  pastorale  du  15  août  1731;  Acte  d'appel  de  la 
constitution  Unigenitus  et  du  nouveau  catéchisme 
donné  par  M.  Languet,  archevêque  de  Sens,  au  futur 
concile  général  interjeté  par  plusieurs  curés,  chanoines 
et  autres  ecclésiastiques  de  la  ville  et  du  diocèse  de  Sens, 
cl  Mémoire  justificatif  où  l'on  fait  voir  les  innovations 
du  nouveau  catéchisme  par  rapport  à  la  doctrine,  son 
opposition  avec  la  doctrine  commune  des  catéchismes, 
la  liaison  de  ces  innovations  avec  la  constitution  Uni- 
genitus, les  pressants  motifs  qui  ont  obligé  d'en  inter- 
jeter appel  et  la  validité  dudil  appel,  2  in-4°,  1742-1755; 
Instruction  pastorale  de  Monseigneur  l'archevêque 
de  Tours  sur  la  justice  chrétienne,  in-12,  Paris,  1749; 
Les  appelants  justifiés,  in-12;  Observations  sur  la  thèse 
de  l'abbé  de  Prudes,  in-12,  1752;  Lettres  d'un  théo- 
logien aux  éditeurs  des  œuvres  posthumes  de  M.  Petit- 
pied,  2  in-12,  Paris,  1756;  Mandement  et  instruction 
pastorale  de  Monseigneur  l'évêque  de  Soissons  portant 
condamnation  :  1°  du  commentaire  latin  du  Fr.  Har- 
douin,  de  la  Compagnie  de  Jésus,  sur  le  Nouveau  Testa- 
ment; 2°  des  trois  parties  de  l'Histoire  du  peuple  de 
Dieu,  par  le  P.  Isaac  Bemujer;  3°  de  plusieurs  libelles 
publiés  pour  la  défense  de  la  seconde  partie  de  cette 
histoire,  7  in-12,  Paris,  1760;  Examen  d'un  nouvel 
ouvrage  du  P.  Berruyer,  intitulé  «  Réflexions  sur  la  foi  », 
in-12,  Paris,  1762;  Catéchisme  cl  symbole  résultans  de  la 
doctrine  des  PP.  Ilardouin  et  Berruyer,  in-12,  Avignon, 
1762;  Ordonnance  et  instruction  de  Mgr  de  Beauleville 
contre  les  Assertions,  1764;  Requête  d'un  grand  nombre 
de  fidèles  contre  l'assemblée  de  1765;  Lettre  d'un  théo- 
logien ù  un  évêque  député  à  l'assemblée  de  1765;  Œuvres 
posthumes  de  Mgr  le  duc  de  Filz-James.  évêque  de 
Soissons,  concernant  les  jésuites,  3  in-12,  Avignon, 
1769-1770  :  presque  toutes  les  pièces  sont  de  Gourlin; 
De  la  préparation  à  la  sainte  communion,  in-12; 
Institution  cl  instruction  chrétienne,  dédiée  ù  la  reine 


des  Deux-Sicilcs,  3  in-12,  Naples  (Paris),  ouvrage 
réimprimé  sous  le  titre  de  Catéchisme  de  Naples. 
Après  la  mort  de  Gourlin,  l'abbé  Pelvert  publia  : 
Tractatus  theologicus  de  gralia  Chrisli  Salvaloris,  ac 
de  prœdestinationc  sanctorum  in  sex  libros  distribuais, 
3  in-4°,  s,  1.,  1781.  Dans  les  trente  dernières  années 
de  sa  vie,  Gourlin  fut  un  des  principaux  rédacteurs 
des  Nouvelles  ecclésiastiques.  Il  fut  également  l'éditeur 
de  l'ouvrage  de  l'abbé  Antoine-Martin  Roche  :  Traité 
de  la  nature  de  l'âme  cl  de  l'origine  de  ses  connaissances, 
2  in-12,  Amsterdam,  1759. 

Quérard,  La  France  littéraire,  in-8°,  Paris,  1829,  t.  m, 
p.  433;  Picot,  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  ecclésias- 
tique pendant  le  XVII I"  siècle,  in-8°,  Paris,  1855,  t.  v,  p.  442- 
443;  Sommervogcl,  Bibliothèque  de  la  C"  de  Jésus,  in-4°, 
Bruxelles,  1890,  t.  i,  col.  1366,  1368,  1369. 

B.  Heurtebize. 

GOURMANDISE.  —  I.  Définition.  II.  Moralité. 
III.  Péchés  dérivés.  IV.  Remèdes. 

I.  Définition.  —  La  gourmandise,  désir  désordonné 
du  manger  et  du  boire,  est  un  vice  opposé  aux  vertus 
spéciales  d'abstinence  et  de  sobriété,  lesquelles  se  rat- 
tachent à  la  vertu  générale  de  tempérance  et  modèrent 
en  nous,  selon  les  données  d'une  sage  raison,  le  désir  et 
l'usage  de  la  nourriture  et  des  boissons. 

De  là,  deux  sortes  de  gourmandise  :  1°  celle  qui  porte 
à  des  excès  dans  le  manger  (gula,  ingluvies,  crapula); 
2°  celle  qui  porte  à  des  excès  clans  le  boire  {ebriclas). 

II.  Moralité.  —  1°  Excès  dans  le  manger.  —  La 
gourmandise  (gula),  considérée  comme  tendance,  est 
un  vice,  parce  qu'elle  porte  l'homme  à  violer  les  pres- 
criptions de  la  loi  naturelle  réglant  l'usage  de  la  nour- 
riture et  de  la  boisson.  Il  faut  manger  pour  vivre,  dit  le 
proverbe.  Pour  entretenir  la  vie  du  corps,  réparer  ses 
forces,  être  en  état  d'accomplir  sa  tâche  quotidienne, 
l'homme  doit  manger  et  boire.  Le  plaisir  naturel  qui 
accompagne  ces  actes  est  destiné  à  les  lui  faire  aimer  et 
désirer,  et  à  rendre  facile  une  opération  qui  autrement 
lui  répugnerait.  Jouir  de  ce  plaisir,  lorsqu'on  mange 
et  qu'on  boit  raisonnablement,  n'est  pas  interdit;  mais 
le  rechercher  pour  lui-même,  manger  et  boire  sans 
nécessité,  ou  plus  qu'il  ne  convient  est  un  désordre 
et  une  faute.  L'excès,  en  matière  de  gourmandise,  peut 
venir  de  ce  que  l'on  mange  ou  trop  tôt  et  avant  le  temps 
raisonnable  (prœpropere),  ou  trop  abondamment  (ni- 
mis),  ou  trop  avidement  (ardenter),  ou  des  mets  trop 
délicats  (laule)  ou  une  nourriture  apprêtée  avec  un  soin 
exagéré  (sludiose). 

L'excès  dans  le  manger,  ou  l'acte  proprement  dit  de 
gourmandise,  est  gravement  ou  légèrement  coupable. 
Gravement,  lorsque,  dit  saint  Thomas,  Sum.  theol.,  II" 
IF",  q.  cxlviii,  a.  2,  delcctationi  inhwret  homo  tanquam 
fini  propler  quem  Deum  conlemnit,  paralus  sciliect 
contra  prœcepta  Deiagere,  ut  delectalion.es  hujusmodi  con- 
sequatur.  C'est  le  cas  de  ceux  qui  font  passer  les  exi- 
gences de  leur  gourmandise  avant  celles  de  la  conscience 
et  qui,  pour  satisfaire  à  leur  appétit,  seraient  disposés  à 
manquer  gravement  aux  lois  de  Dieu  ou  de  l'Église. 
Tels  sont  ceux  qui.  par  leurs  excès  de  table,  et  par  les 
dépenses  exagérées  qui  en  sont  la  conséquence,  se 
mettent  dans  l'impossibilité  de  payer  leurs  dettes,  dis- 
sipent une  fortune  qu'ils  ont  le  devoir  de  conserver  ou 
de  protéger,  ruinent  leur  santé,  ou  ceux  qui  par  gour- 
mandise négligent  le  précepte  ecclésiastique  du  jeûne 
et  de  l'abstinence. 

Véniellcmenl,  quand,  dit  encore  saint  Thomas,  in 
vitio  guise  inlelligitur  inordinatio  concupiscenliœ  lanlutn 
secundum  ea  qux  sunt  ad  finem,  ulpole  quia  nimis  con- 
cupiscil  deleclaliones  ciborum,  non  tamen  ita  quod  propler 
hoc  facial  aliquid  contra  legem  Dei,  c'est-à-dire  quand 
il  y  a  disproportion  entre  le  besoin  raisonnable  de  nour- 
riture et  la  quantité  exagérée  d'aliments  consommés. 
Si  le  désir  immodéré  des  plaisirs  de  la  table  ne  va  pas 


1521 


GOURMANDISE 


1522 


jusqu'à  faire  transgresser  un  précepte  grave,  il  n'y  a 
que  faute  de  soi  légère.  Alors,  en  effet,  il  y  a  seulement 
excès  clans  l'usage  d'une  chose  en  elle-même  bonne  et 
permise,  c'est-à-dire  faute  simplement  vénielle. 

C'est  pourquoi,  au  sentiment  de  saint  Liguori,  que 
suivent  les  théologiens  actuels,  le  fait  de  manger  avec 
excès,  usque  ad  vomitum,  n'est  pas  une  faute  mortelle  : 
ce  n'est  que  l'usage  immodéré  d'une  chose  en  soi  per- 
mise. Même  le  fait  de  provoquer  le  vomissement  au 
milieu  d'un  repas,  afin  de  pouvoir  manger  encore, 
si  répugnant  qu'il  soit,  n'a  pas  une  malice  spécifique- 
ment différente  et  reste  de  soi  faute  vénielle. 

2°  Excès  dans  le  boire.  —  Si  cet  excès  ne  va  pas 
jusqu'à  l'ivresse,  il  doit  être  apprécié  selon  les  principes 
qui  viennent  d'être  exposés;  s'il  va  jusqu'à  l'ivresse,  il 
ajoute  à  la  malice  de  la  simple  gula  une  circonstance 
qui  l'aggrave,  la  perte  volontaire  de  la  raison. 

L'ivresse  est  parfaite  ou  imparfaite,  selon  qu'elle 
fait  perdre  totalement  ou  non  l'usage  de  la  raison.  La 
première  se  reconnaît  pratiquement  à  certains  signes 
non  équivoques  qui  accompagnent  nécessairement  la 
disparition  de  la  faculté  de  se  diriger,  abolition  momen- 
tanée du  sens  moral,  inconscience  pendant  laquelle  on 
ne  sait  plus  ce  qu'on  fait,  extravagances  contrastant 
violemment  avec  les  habitudes  normales,  hésitations 
caractéristiques  dans  la  parole,  marche  titubante  et 
équilibre  impossible  à  conserver,  illusions  des  yeux  qui 
voient  double  ou  ne  voient  pas,  révoltes  de  l'esto- 
mac, etc.  La  seconde  existe  quand  l'excès  ne  va  pas 
jusqu'à  la  perte  de  la  raison. 

1.  Caractère  moral  de  l'ivresse  en  général.  —  Parfaite 
ou  imparfaite,  l'ivresse  est  évidemment  mauvaise,  puis- 
qu'elle suppose  des  libations  immodérées,  que  ne  justi- 
fient nullement  les  besoins  du  corps  et  de  la  vie,  dont 
le  seul  but  est  la  satisfaction  d'une  passion  désor- 
donnée, qui  menacent  ou  troublent  gravement  l'usage 
de  la  raison,  dégradent  l'homme  et  le  mettent  dans 
l'impossibilité  de  connaître  et  de  remplir  ses  devoirs. 

L'ivresse  imparfaite,  n'étant  que  l'abus  légèrement 
excessif  d'une  chose  permise  et  ne  troublant  pas  com- 
plètement l'usage  de  la  raison,  n'est  de  soi  que  faute 
vénielle.  Par  accident,  elle  serait  mortellement  cou- 
pable, si  elle  était  la  cause  prochaine  de  quelque  grave 
désordre  ou  scandale,  ruineuse  pour  la  santé  du 
buveur,  pour  sa  fortune  ou  celle  des  siens,  si  elle  le 
menait  à  la  débauche  ou  si  elle  provoquait  de  sérieuses 
discordes  dans  sa  famille. 

2.  Moralité  de  l'ivresse  par/aile.  —  L'ivresse  parfaite 
est  une  faute  mortelle  de  soi.  Elle  est  expressément 
qualifiée  comme  telle  par  saint  Paul.  I  Cor.,  vi,  10; 
Gai.,  v,  21.  A  cause  de  ses  tristes  effets  pour  le  corps 
et  pour  l'âme,  elle  est  énergiciuement  blâmée  dans 
l'Écriture.  Eccli.,  xxx,  40;  xxxi,  38-40;  Ose.,  iv,  11  ; 
Prov.,  xx,  1  ;  Matth.,  xxix,  49.  Voir  dans  le  Diction- 
naire de  la  Bible  de  M.  Vigoureux,  art.  Ivresse.  Elle 
est  stigmatisée  comme  telle  par  les  Pères,  et  entre 
autres,  par  saint  Basile,  Serm.,  xvi,  de  ingluvit  et  ebrie- 
tatc,  P.  G.,  t.  xxxn,  col.  1315-1327,  qui,  après  avoir 
décrit  toutes  les  hontes  et  toutes  les  misères  réservées 
à  l'homme  ivre,  conclut  son  dicours  en  ces  termes  : 
Dominum  non  recipit  ebrielas,  Spiritum  Sanction  pro- 
pcllil.  Fnmus  quidem  abigil  apes,  dona  vero  spiritualia 
fugat  crapula.  Ut  autem  id  minime  paliamur,  careamiis 
ne  illi  ingralo  venlri  obsequamur,  ut  seterna  Ma  bona 
adipiscamur;  par  saint  Ambroise,  De  Elia  et  jejunio, 
P.  L.,  t.  xiv,  col.  697-728;  par  saint  Jean  Chrysostome, 
Homil.  advenus  ebriosos  et  de.  resurreclione,  P.  G.,  t.  h, 
col.  433-436. 

Cet  excès,  qui  prive  l'homme  de  sa  raison,  le  dégrade, 
fait  de  cette  créature  formée  à  l'image  de  Dieu  un  être 
inférieur  à  la  brute  et  l'expose  sans  défense  aux  pires 
dangers  comme  aux  plus  mauvaises  tentations,  ne  peut 
être  une  faute  seulement  légère,  sauf  le  cas  où  elle  ne 


durerait  qu'un  temps  très  court,  moins  d'une  heure, 
selon  Lchmkuhl,  Theologia  moralis,  t.  i,  n.  456,  et 
Noldin,  Summa  theologise  moralis,  t.  i,  n.  313,  restric- 
tion d'ailleurs  plus  spéculative  que  pratique,  car  celui 
qui  s'enivre  ne  sait  pas  combien  de  temps  durera 
l'ivresse. 

Mais  d'où  vient  cette  malice  grave  du  péché 
d'ivresse?  Selon  plusieurs  théologiens  dont  l'opinion 
est  aujourd'hui  communément  abandonnée,  l'ivresse 
volontaire  est  gravement  coupable  parce  qu'en  provo- 
quant la  perte  de  la  raison,  elle  est  cause  directe  d'un 
désordre  que  rien  ne  peut  excuser  ni  justifier.  Arbitra- 
mur  eum  qui  répugnante  potu  biberel  usque  ad  privatio- 
nem  ralionis  fore  proprie  ebrium,  sicut  puella  foret  proprie 
fornicaria  qu.se  meta  morlis  consentiret  jornicalioni,  dit 
Billuart.  Summa  Summœ  S.  Thomse,  tr.  De  temperantia, 
diss.  III,  a.  2.  D'après  saint  Thomas,  elle  vient  avant 
tout  du  double  désordre  dont  l'ivrogne  se  rend  cou- 
pal  de  :  a)  en  absorbant  uniquement  par  plaisir  une  bois- 
son dont  il  devait  user  pour  un  autre  but;  b)  en  l'absor- 
bant avec  excès,  jusqu'à  en  perdre  momentanément 
l'usage  de  la  raison,  sans  qu'aucun  motif  vienne  justifier 
cet  abus  en  le  rendant  en  quelque  façon  nécessaire. 

La  solution  des  cas  particuliers  variera,  selon  que 
l'on  adopte  la  première  ou  la  seconde  de  ces  opinions. 

3.  Solutions  de  quelques  cas  particuliers.  —  a)  Usage 
immodéré  de  liqueurs  enivrantes.  —  Est-il  toujours 
interdit  de  boire  jusqu'à  l'ivresse  complète,  ou  bien 
est-il  accidentellement  et  exceptionnellement  permis 
de  le  faire,  pour  se  guérir  de  quelque  maladie,  pour 
supporter  les  douleurs  d'une  opération  chirurgicale, 
pour  échapper  à  la  mort  dont  on  est  menacé  si  l'on 
refuse  de  s'enivrer  ? 

Les  théologiens  qui  considèrent  l'ivresse  volontaire 
comme  intrinsèquement  mauvaise  le  nient,  parce  qu'il 
n'est  pas  permis  de  faire  le  mal  pour  arriver  au  bien. 
Mais  selon  d'autres,  l'ivresse  est  coupable  dans  la 
mesure  où  elle  implique  un  excès  que  rien  ne  légitime, 
ce  qui  est  le  cas  ordinaire.  Pourtant  si  boire  plus  que 
ne  le  permet  habituellement  la  vertu  de  sobriété  n'est 
pas  le  moyen  d'assouvir  une  passion  désordonnée  et 
brutale  mais  seulement  le  remède  efficace  du  mal  dont 
on  souffre  et  dont  on  a  le  droit  de  se  guérir,  cet  acte 
ne  peut  plus  être  qualifié  de  déraisonnable.  Il  devient 
légitime,  parce  que,  dans  une  certaine  mesure,  il  devient 
nécessaire.  Ce  qui  est  superflu  pour  l'homme  en  bonne 
santé,  remarque  saint  Thomas,  Sum.  Iheol.,  II;,  II', 
q.  ci.,  a.  2,  peut  être  nécessaire  au  malade,  donc  inter- 
dit au  premier  et  permis  au  second.  Ainsi  ce  qui,  en 
temps  ordinaire,  est  excessif  et  répréhensible.  en  cas 
de  maladie,  cesse,  par  hypothèse,  délie  immodéré  et 
n'est  pas  objectivement  une  faute.  Mais,  dira-t-on, 
l'état  dégradant  qui  résulte  de  l'ivresse  suffit-il  pour 
rendre  absolument  illicite  l'usage  d'un  tel  remède  ? 
Non,  parce  que  l'on  peut  justement  le  considérer  comme 
voulu  d'une  manière  indirecte  et  l'on  peut  appliquer 
ici  les  règles  générales  de  volontaire  indirect  :  la  santé 
à  recouvrer  est  un  bien  réel  qui  compense  l'effet  mau- 
vais de  l'ivresse  simplement  toléré  et  permet  qu'on  le 
provoque.  La  boisson  alcoolique  serait  donc,  à  ce  point 
de  vue,  assimilée  aux  substances  pharmaceutiques 
produisant  un  effet  analogue.  Ainsi  pense  saint  Liguori, 
Theologia  moralis,  1.  V,  tr.  De.  peccalis,  dub.  v,  n.  Tii.  à 
qui  cette  opinion  paraît  probable  en  elle-même,  et 
mieux  prouvée  que  l'opinion  opposée,  à  condition 
toutefois,  dit-il,  que  l'on  ne  cherche  pas  directement 
dans  l'alcool  l'effet  abrutissant  de  l'ivresse,  car  ce  serait 
vouloir  directement  le  mal,  mais  l'effet  physiologique 
excitant  ou  fortifiant  l'organisme.  Selon  d'autres  théo- 
logiens, cette  condition  même  n'est  pas  requise,  puis- 
que ce  qui  est  excessif  et  déraisonnable  dans  les  cas 
ordinaires  ne  l'est  plus  ici  et  puisqu'il  y  a  une  raison 
suffisante  de  tolérer  les  suites  dégradantes  de  l'ivresse. 


L523 


GOURMANDISE 


1524 


Mêmes  opinions  et  mêmes  raisons  en  ce  qui  concerne 
le  deuxième  cas.  Est-il  permis  de  boire  jusqu'à  l'ivresse 
pour  échapper  totalement  ou  partiellement,  par  ce 
moyen,  à  la  douleur  d'une  opération  chirurgicale?  Les 
théologiens  qui  regardent  l'ivresse  volontaire  comme 
intrinsèquemenl  mauvaise  le  nient.  Saint  Liguori  se 
range  à  leur  sentiment,  parce  que,  selon  lui,  ce  serait 
provoquer  la  perte  de  la  raison  pour  arriver  à  l'incon- 
science et  à  l'insensibilité,  donc  faire  le  mal  pour  arriver 
au  bien.  Mais  cette  raison  est  loin  d'être  démonstrative. 
Ce  que  l'on  cherche  en  réalité,  c'est,  avant  tout,  l'effet 
physiologique  de  l'alcool  qui,  absorbé  à  forte  dose,  peut 
diminuer  ou  détruire  la  sensibilité.  Le  reste  n'est  qu'in- 
directement voulu.  Et  il  semble  bien  que  la  raison  soit 
suffisante.  On  arrive  au  même  résultat  par  l'emploi  de 
substances  pharmaceutiques  produisant  des  effets  ana- 
logues dont  l'usage  est  universellement  regardé  comme 
licite.  A  ce  point  de  vue,  remarque  Génicot,  Theologia' 
moralis  instilutiones,  tr.  IV,  n.  185,  iwltum  discrimen 
morale  vidclnr  inter  hoc  médium  et  alia,  ex.  gr.  chlorofor- 
mium,  quir  adhiberi  soient.  Mais  enivrer  un  moribond 
pour  lui  procurer  l'avantage  de  mourir  sans  souffrance 
n'est  point  permis  parce  que,  à  ce  moment  surtout, 
l'homme  a  besoin  de  toute  sa  raison  pour  se  préparer 
au  jugement  de  Dieu. 

Le  dernier  cas,  plutôt  théorique  que  pratique,  est 
encore  résolu  de  diverses  manières.  Un  homme,  menacé 
de  mort  s'il  refuse  de  boire  avec  excès,  est-il  coupable 
si,  pour  échapper  au  danger,  il  consent  à  s'enivrer  ? 
Les  théologiens  qui  regardent  comme  intrinsèquement 
mauvaise  toute  ivresse  volontaire  l'affirment  et  saint 
Liguori,  s'appuyant  sur  un  passage  très  clair,  mais  non 
authentique  de  saint  Augustin,  se  range  à  cette  opinion 
et  la  juge  plus  probable.  Mais,  au  sentiment  de  Lessius, 
les  raisons  pour  lesquelles,  d'après  saint  Thomas,  l'excès 
dans  le  boire  est  moralement  coupable,  n'existent  plus 
ici  :  ce  n'est  plus,  en  effet,  le  plaisir  seul  qui  fait  agir  le 
buveur,  mais  la  nécessité  qui  le  contraint  malgré  lui,  et 
si  l'ivresse  doit  provoquer  un  résultat  déplorable,  il  y  a 
un  motif  grave  qui  autorise  à  le  tolérer  :  c'est  la  vie  qui 
est  menacée  et  qu'il -s'agit  de  sauver.  Cette  manière  de 
voir  est  acceptable  dans  le  cas  où  la  violence  est  desti- 
née à  provoquer  un  simple  excès  de  boisson;  si  elle 
avait  pour  but  de  porter  a  une  violation  formelle  de  la 
loi  de  Dieu,  il  serait  toujours  interdit  d'y  céder,  dût-on 
y  perdre  la  vie.  Ce  serait,  en  effet,  consentir  au  péché 
formel. 

b)  Coopération  à  l'ivresse  d'antrui.  —  Il  y  a,  sans 
aucun  doute,  péché  mortel  dans  le  fait  de  provoquer 
sans  raison  l'ivresse  chez  autrui.  On  commet  ce  péché 
par  imprudence,  en  fournissant  largement  au  buveur 
les  liqueurs  fortes  dont  on  sait  qu'il  abusera  certaine- 
ment, en  l'excitant  par  des  paris  ou  des  provocations 
à  boire  le  plus  et  le  plus  longtemps  possible,  ou  encore 
en  multipliant,  sous  prétexte  d'amitié  ou  de  politesse, 
ces  instances  obsédantes  qui  forcent  les  gens  à  boire 
plus  que  de  raison.  Autre  chose  est  pourtant  le  fait 
de  donner  abondamment,  dans  un  repas,  des  vins  ou 
des  liqueurs  fortes,  au  risque  d'occasionner  par  là  cer- 
tains abus  et  quelques  ivresses.  C'est  un  cas  de  coopé- 
ration éloignée  à  la  faute  d'autrui  :  une  raison  légère 
suffit  à  la  rendre  licite,  à  condition  que  l'intention  soit 
droite. 

Mais  s'il  y  a  faute  grave  à  provoquer  sans  raison 
l'ivresse  chez  autrui,  est-il  permis  de  la  provoquer  pour 
empêcher  un  mal,  par  exemple,  pour  empêcher  l'ivro- 
gne de  commettre  quelque  crime,  plus  grave  que  le 
péché  de  l'ivresse  ? 

(  lui,  selon  Lessius,  dont  l'opinion  semble  vere  proba- 
bilis  à  saint  Liguori,  parce  qu'il  est  juste,  donc  permis, 
de  préférer  un  moindre  mal  à  un  plus  grand;  or  c'est 
le  cas. 

Non,  disent  Ltolzmann,  Arsdekin  et  le  continuateur 


de  Tournély,  parce  que  pousser  quelqu'un  à  l'ivresse, 
c'est  le  porter  directement  au  péché,  ce  qui  est  toujours 
interdit. 

On  peut  du  moins  le  penser  pour  le  cas  où  le  buveur 
s'enivre  sciemment  et  volontairement;  car  on  le  pousse 
directement  au  péché  formel.  Mais  en  serait-il  de  même 
au  cas  où  le  buveur  serait  surpris  sans  qu'il  s'en  doute  ? 
Alors  il  n'y  aurait  plus  que  péché  matériel  et  il  y  aurait, 
dans  le  fait  qu'on  évite  par  ce  moyen  un  crime  ou  un 
mal  grave,  une  raison  suffisante  de  le  permettre  (Lay- 
mann,  Bonacina,  Salmanticenses). 

Serait-il  permis  d'enivrer  quelqu'un  pour  procurer 
un  bien,  par  exemple,  pour  lui  arracher  un  secret,  pour 
échapper  à  sa  surveillance  et  recouvrer  sa  liberté,  ou 
pour  quelque  motif  analogue  ? 

Non,  évidemment,  si  l'on  n'a  pas  le  droit  d'exter 
quer  le  secret  que  l'on  veut  arracher  ou  si  l'on  n'a  pas 
le  droit  de  prendre  la  fuite. 

Dans  le  cas  contraire,  si,  par  exemple,  on  a  le  droit  de 
faire  parler  le  dépositaire  du  secret,  ou  le  droit  d'échap- 
per par  la  fuite  à  une  injuste  détention,  les  moralistes 
distinguent  encore.  Ou  bien  on  peut  user  et  provoquer 
l'ivresse  sans  que  le  buveur  s'en  aperçoive  :  en  ce  cas,  il 
n'y  a  que  faute  matérielle  et  une  raison  sérieuse  per- 
mettra de  la  provoquer,  ou  bien  il  faut  provoquer  une 
ivresse  volontaire  et  coupable.  Il  serait  encore  permis 
de  la  provoquer,  selon  Lessius,  du  moins  si  par  là  on 
empêche  un  mal  plus  grand.  Laymann  le  nie,  parce  que 
ce  serait  porter  directement  quelqu'un  au  péché. 

4.  Dans  quelle  mesure  l'homme  est-il  moralement  res- 
ponsable des  péchés  commis  en  état  d'ébriété  parfaite  ?  — 
Dans  la  mesure  où  il  les  a  prévus  et  voulus  en  en 
posant  la  cause.  En  cas  d'ivresse  involontaire,  rien 
n'est  voulu  ni  prévu;  donc  rien  d'imputable.  En  cas 
d'ivresse  volontaire,  les  fautes  sont  imputables  dans  la 
mesure  où  elles  sont  prévues  et  dès  l'instant  où  elles  le 
sont. 

Toutefois  quelques  théologiens  remarquent  nue 
l'homme  en  état  d'ivresse  ne  sachant  plus  ce  qu'il  dit, 
des  paroles  qu'il  profère  nul  ne  tient  compte.  Par  con- 
séquent, ses  insultes  et  ses  injures  n'atteignent  per- 
sonne, du  moins  généralement  parlant,  parce  que  cha- 
cun les  dédaigne.  On  ne  lui  imputera  donc  pas  comme 
une  faute  les  expressions  grossières  qui  chez  un  autre 
seraient  coupables,  parce  qu'en  fait  elles  ne  consti- 
tuent pas  une  injure  efficace.  Il  n'en  est  pas  de  même 
des  paroles  obscènes  ou  des  blasphèmes  et  des  impiétés 
qui  lui  échapperaient,  qui  gardent  leur  malice  propre. 

III.  Péchés  dérivés.  —  Saint  Grégoire,  Moral., 
1.  XXXI,  c.  xlv,  P.  L.,  t.  lxxvi,  col.  621,  attribue  cinq 
fdles  à  la  gourmandise  :  de  venlris  ingluvie  inepta 
kvlitia,  scurrililas,  immunditia,  multiloquium,  hebe- 
ludo  sensus  propagantur.  Très  sensible  au  plaisir  du 
manger  et  du  boire,  le  gourmand  apprécie  trop  ces 
jouissances  vulgaires  quand  il  les  possède  et  laisse  alors 
paraître,  dans  ses  paroles  et  son  attitude,  une  joie 
niaise  et  déplacée  (inepta  leetiiia);  trop  gai  pour  sur- 
veiller ses  discours  et  ses  actes,  il  se  laisse  aller  à  des 
paroles  irréfléchies,  à  un  verbiage  ridicule  (stullilo- 
quium),  auquel  se  joint  souvent  le  burlesque  des  gestes 
ou  des  manières  (scurrilitas).  Cependant  l'estomac  se 
charge  outre  mesure  et  l'on  est  menacé  de  ses  révoltes, 
comme  aussi  des  révoltes  de  la  chair  surexcitée  (im- 
munditia). Les  excès  de  table  alourdissent  le  corps, 
rendent  difficile  le  travail  de  l'esprit,  en  diminuent  la 
facilité  et  le  goût  et  finissent  par  émousser  l'intelligence 
(hebetudo  sensus). 

Ces  conséquences  fâcheuses  de  la  gourmandise,  déjà 
fort  sensibles  en  celui  qui  mange  immodérément,  sont 
plus  fortement  accentuées  chez  quiconque  abuse  des 
liqueurs  enivrantes.  Une  lamentable  expérience,  sur 
laquelle  il  serait  superflu  d'insister  ici,  l'a  démontré 
avec  une  triste  évidence.  Lorsque  l'excès  dégénère  en 


1525 


GOURMANDISE 


GOUSSET 


1526 


habitude  et  devient  l'ivrognerie  proprement  dite,  il  est 
la  cause  de  maux  incalculables  pour  l'individu,  la  fa- 
mille et  la  société.  Par  l'alcoolisme,  santé,  fortune,  in- 
telligence, moralité  sont  menacées  ou  compromises  chez 
les  individus.  Pour  la  famille  et  la  société,  les  suites 
sont  aussi  désastreuses  :  c'est  la  fin  de  la  paix  domes- 
tique, le  commencement  d'une  foule  d'attentats  et  de 
crimes  de  toute  nature  et  le  début  d'une  dégénérescence 
de  la  race,  qui,  à  chaque  nouvelle  génération  d'ivro- 
gnes, s'accentuera  de  plus  en  plus.  Voir  Mgr  Turinaz, 
Lettre  pastorale  sur  trois  fléaux  de  la  classe  ouvrière, 
Nancy,  1900;  Mgr  Gibier,  Nos  plaies  sociales  :  la  pro- 
fanation du  dimanche,  l'alcoolisme,  la  désertion  des  cam- 
pagnes, Paris,  1903. 

IV.  Remèdes.  —  Les  remèdes  efficaces  capables  de 
guérir  ce  vice  ne  manquent  pas,  mais  il  est  plus  facile  de 
les  indiquer  que  de  les  faire  adopter. 

1°  Remèdes  individuels.  —  Qui  veut  se  guérir  de  la 
gourmandise  ou  de  l'ivrognerie  :  1.  doit  éviter  toutes  les 
occasions  du  péché  et  fuir  les  milieux  où  la  tempérance 
n'est  pas  strictement  observée;  2.  doit  fortifier  en  lui- 
même  la  vertu  de  tempérance  par  la  pratique  fréquente 
de  la  mortification  chrétienne,  par  la  frugale  simplicité 
de  ses  repas,  par  le  jeûne  et  par  le  retranchement  de 
quelques  mets  superflus;  3.  doit  la  fortifier  encore  par 
la  considération  des  motifs  naturels  et  surtout  des  mo- 
tifs surnaturels,  qui  le  portent  si  fortement  à  combattre 
ce  vice,  et  par  la  prière  qui  obtient  toutes  les  grâces. 

2°  Remèdes  généraux.  —  La  plaie  grandissante  de 
l'alcoolisme  préoccupe  en  France  et  ailleurs  tous  ceux 
qui  pensent  à  l'avenir.  Les  moyens  proposés  pour  com- 
battre efficacement  le  terrible  fléau  sont  ou  des  mesures 
législatives  rendant,  soit  par  une  réglementation  plus 
sévère,  soit  par  des  impôts  plus  élevés,  l'abus  de  l'alcool 
plus  difficile  ou  plus  coûteux,  ou  des  campagnes  de  con- 
férences et  de  presse  destinées  à  éclairer  l'opinion 
publique  sur  les  méfaits  et  les  crimes  de  l'alcool,  ou 
les  sociétés  de  tempérance.  Voir  Dr  Bertillon,  L'alcoo- 
lisme et  les  moyens  de  le  combattre  jugés  par  l'expérience, 
Paris,  1904;  Vanlaev,  Du  fléau  social;  l'alcoolisme  et 
ses  remèdes,  Paris,  1897. 

S.  Thomas.  Sum.  lheot.,ll<  IIœ,  q.  cxlix,  cl  ;  S.  Liguori, 
Theologia  moralis,  1.  V,  tr.  De  peccalis,  c.  m,  dub.  v.  Tous 
les  théologiens  moralistes  cités  au  cours  de  l'article  et  spé- 
cialement Jaugey,  Preeleciiones  théologies  moralis,  tr.  De 
quatuor  virtulibus  curdinalibus,  sect.  iv,  c.  in,  Langres,  1875; 
Ribet,  Les  vertus  et  les  dons  dans  la  vie  chrétienne,  I'  partie, 
c.  xi.iv,  xlv,  Paris,  1912. 

V.     Ohlet. 

GOUSSET  Thomas,  l'une  des  gloires  théologiques 
de  l'épiscopat  français  du  xix°  siècle,  l'adversaire 
heureux  du  rigorisme  et  l'ardent  promoteur  de  la 
réaction  antigallicane  en  France,  né  le  1er  mai  1792 
à  Montigny-lès-Cherlieu,  dans  le  diocèse  de  Besançon, 
appartenait  à  une  famille  de  modestes  et  pieux  la- 
boureurs. Il  avait  dix-sept  ans,  lorsque  ses  parents 
consentirent,  en  1809,  à  se  séparer  de  lui  et  à  le  laisser 
commencer  ses  études  classiques;  mais  la  vivacité 
de  son  esprit  et  sdii  application  au  travail  le  mirent 
en  mesure  d'entrer,  dès  l'automne  de  1812,  au  grand 
séminaire  de  Besançon,  et,  cinq  ans  plus  tard,  le 
22  juillet  1817,  il  était  ordonné  prêtre.  L'année 
suivante,  après  neuf  mois  de  vicariat  à  Lure  (Haute- 
Saône),  il  était  appelé  au  grand  séminaire,  pour  y 
professer  successivement,  treize  années  durant,  le 
dogme  et  la  morale.  L'abbé  Gousset  sera  merveilleux 
comme  professeur;  l'étendue  et  la  précocité  de  son 
savoir,  ses  idées  nettes  et  fortes,  son  langage  limpide 
et  toujours  correct,  sa  voix  mâle  que  relevait  encore 
un  accent  persuasif,  produisaient  sur  les  élèves  une 
impression  profonde,  et  leur  inspiraient  une  admira- 
tion presque  passionnée.  Avec  cette  première  phase 
de  sa  longue  et  laborieuse  carrière  s'ouvre  son  action 


réformatrice  sur  l'enseignement  français  de  la  théologie. 
On  voit  l'abbé  Gousset  tour  à  tour  annoter  les  Confé- 
rences ecclésiastiques  d'Angers,  0  in-8°,  Besançon,  1823, 
dans  le  sens  romain,  éloigné  à  la  fois  des  excès  du 
rigorisme  et  des  abus  du  relâchement;  soutenir  dans 
sa  brochure  :  Exposition  de  la  doctrine  de  l'Église  sur 
le  prêt  à  intérêt,  Besançon,  1824,  que  la  loi  civile  ne 
suffit  point  à  défaut  de  tout  autre  titre  extrinsèque, 
pour  légitimer  l'intérêt:  rééditer  les  Instructions  sur 
le  rituel  de  Toulon,  6  in-8°,  ibid  ,  1827,  en  en  comblant 
par  ses  notes  les  lacunes  et  en  en  adoucissant  où  il 
convient  la  sévérité;  améliorer  et  compléter  dans  le 
même  esprit  le  Dictionnaire  théologique  de  Bergicr, 
8  in-8°,  ibid,,  1827;  publier  enfin  le  Code  civil  commenté 
dans  ses  rapports  avec  la  théologie  morale,  Paris,  1827, 
livre  clair  et  précis,  qui  obtint  en  Belgique  comme  en 
France  un  succès  prodigieux  et  répandit  au  loin  le 
nom  de  son  auteur.  Depuis  quelque  temps  déjà,  bien 
qu'élevé  lui-même  dans  les  principes  du  rigorisme 
qui  prévalaient  partout  au  sein  des  séminaires  de 
France,  l'abbé  Gousset,  à  son  étude  personnelle  des 
vieux  théologiens,  avait  entrevu  les  défectuosités  et 
les  erreurs  du  système  janséniste.  La  découverte 
inattendue,  en  1829,  dans  une  librairie,  d'un  exem- 
plaire de  la  Théologie  morale  du  bienheureux  Alphonse 
de  Liguori,  alors  peu  connue  et  calomniée,  lui  révéla 
toute  la  doctrine  que  sa  science  et  son  rare  bon  sens 
lui  faisaient  pressentir.  L'ébranlement  de  sa  santé 
l'ayant  obligé,  sur  l'ordre  des  médecins,  à  partir  pour 
l'Italie  en  1830,  l'abbé  Gousset  fit  à  Rome,  devant  la 
Confession  de  saint  Pierre,  le  vœu,  entre  autres,  de  se 
consacrer  tout  entier  à  la  défense  et  à  la  propagation 
de  la  théologie  liguorienne;  il  y  demeurera  inviolable- 
ment  fidèle.  De  retour  à  Besançon,  il  s'empressa  de 
poser  à  la  Pénitencerie,  par  l'entremise  du  cardinal 
de  Rohan,  son  archevêque,  les  deux  questions  ci- 
dessous  :  1°  Un  professeur  de  théologie  peut-il  suivre 
et  enseigner  les  opinions  professées  par  le  bienheureux 
A. -M.  de  Liguori  dans  sa  Théologie  monde  ?  2°  Doit-on 
inquiéter  le  confesseur  qui,  dans  la  pratique  du  tribunal 
de  la  pénitence,  suit  toutes  les  opinions  du  bienheureux 
A.  de  Liguori,  par  cette  seule  raison  que  le  Saint-Siège 
n'a  rien  trouvé  dans  ses  ouvrages  qui  fût  digne  de 
censure  ?  La  réponse  de  la  Pénitencerie,  confirmée 
par  Grégoire  XVI,  fut,  on  le  sait,  affirmative  sur  la 
première  question,  négative  sur  la  seconde.  Bientôt 
après,  l'abbé  Gousset,  que  le  cardinal  de  Rohan  avait 
nommé  vicaire  général  du  diocèse  en  1831,  lançait  sa 
Justification  de  la  théologie  morale  du  bienheureux 
A.  de  Liguori,  Besançon,  1832.  Ce  fut  un  coup  de 
foudre  sur  l'école  rigoriste;  le  livre  fit  grand  bruit; 
on  l'a  traduit  en  italien,  réimprimé  en  Belgique, 
annexé  en  diverses  éditions  aux  œuvres  de  l'évèque 
de  Sainte-Agathe. 

Les  écrits  de  l'abbé  Gousset  avaient  mis  son  nom, 
sa  science  et  son  esprit  en  pleine  lumière.  Grégoire  XVI 
le  nommera,  le  1er  février  1836,  évèque  de  Périgueux 
et  relèvera,  le  13  juillet  1840,  sur  le  siège  archiépiscopal 
de  Reims;  enfin,  le  30  septembre  1850,  Pie  IX  le 
créera  cardinal.  Évèque,  Mgr  Gousset  méritera  le 
titre  de  père  des  pauvres,  tant  ses  libéralités  envers 
eux  seront  inépuisables  !  Dans  toutes  les  questions 
où  l'intérêt  de  l'Église  est  en  jeu.  il  déploiera  un  zèle 
éclairé;  en  1841.  il  réclamera  la  liberté  de  l'enseigne- 
ment avec  énergie,  et,  trois  ans  après,  de  concert  avec 
ses  suffragants,  renouvellera  ses  réclamations;  il  ap- 
plaudira aux  efforts  de  dom  Guéranger  pour  ramener 
en  France  l'unité  liturgique,  et  décrétera,  le  15  juinl848, 
le  rétablissement  dans  son  diocèse  du  rite  romain; 
jaloux  de  relever  et  d'affermir  la  discipline  ecclésias- 
tique, il  convoquera  et  présidera  trois  conciles  pro- 
vinciaux, l'un  en  1849  à  Soissons,  qui  ne  fut  pas  sans 
retentissement  et  sans  effet  sur  le  reste  de  la  France, 


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GOUSSET  —  GOUTTES 


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l'autre  en  1853  à  Amiens,  qui  marquera  aussi  dans 
L'histoire  «lu  mouvement  catholique,  le  troisième  en 
1857  à  Reims,  dirigé,  comme  les  deux  précédents, 
par  un  dévouement  absolu  à  l'Église. 

Mais  les  honneurs  et  les  devoirs  de  la  charge  épis- 
copale  n'interromperont    ni   ne   ralentiront   l'activité 
littéraire    de   Mgr   Gousset;    l^aversion    du    rigorisme 
janséniste,    l'attachement    au   Saint-Siège,    la    piété 
envers  la  Vierge  Marie  continueront  de   provoquer  et 
d'inspirer  sa  plume.  Pour  déraciner  l'usage  implanté- 
dans  notre  pays  de  refuser  le  viatique  aux  individus 
frappés  de  la  peine  capitale,  il  écrit  sa  Lettre  à  M.  l'abbé 
Blanc  sur  la  communion  des  condamnes  à  mort,  Reims, 
1841.    Il   publie,  en   1844,  la  première  édition  de  sa 
Théologie  morale  à  l'usage  des  curés  et  des  confesseurs, 
2  vol.,  livre  écrit  en  français,  clairet  solide,  qui,  venant 
à  son  heure  et  répondant  aux  besoins  de  l'époque,  a 
eu  le  plus  grand  et  le  plus  légitime  succès;  il  a  été 
traduit  en  diverses  langues,  et  on  en  comptait   dans 
la  France  seule,   à  la  mort  de  Mgr  Gousset,   treize 
éditions.    L'auteur,    quatre   ans   après,   complète  son 
œuvre  par  la  publication  de  sa  Théologie  dogmatique, 
2  vol.,  Paris,  1848,  destinée  aux  fidèles  autant  qu'aux 
prêtres,    et    qui    battait    en    brèche   le    gallicanisme, 
comme  la  Théologie  morale  avait  sapé  le  jansénisme. 
En  1852,  il  dénonce  au  public  par  ses  Observations  le 
Mémoire  clandestin  sur  le  droit  coutumier  et  en  réfute 
avec    fermeté    la    doctrine    réellement    schismatique 
dans  ses  tendances  et  dans  sa  direction.  Après  la  pro- 
mulgation   du  dogme    de    l'immaculée     conception, 
Mgr   Gousset   fait   paraître   son    livre   :    La  croyance 
générale   et   constante  touchant  l'immaculée   conception 
de  la   bienheureuse   Vierge  Marie,   Paris,   1855,   et  y 
relève    dans    l'introduction    l'infaillibilité    doctrinale 
du   souverain   pontife.    Son   Exposition   des   principes 
du    droit    canonique,    Paris,    1859,    est    une    apologie 
courageuse    et    opportune    de   la   vraie   doctrine   sur 
la  primauté  du  pape  et  les  prérogatives  du  Saint-Siège. 
Enfin,  dans  son  ouvrage  :  Des  droits  de  l'Église  tou- 
chant la   possession  des   biens   destinés   au  culte  et  la 
souveraineté  temporelle  du  pape,  Paris,  1862,  il  dresse 
un  véritable  monument  canonique  et  historique  en 
l'honneur  du   droit,   de  l'inaliénabilité   des   biens   de 
l'Église  et  du  domaine  temporel  de  la  papauté.  Outre 
les  écrits  susmentionnés,  il  en  a  laissé  d'autres,  composés 
sous  sa  direction  et  avec  sa  collaboration,  notamment 
les  Statuts  synodaux  de  Périgueux,  in-4°,  1837,  et  les 
Actes  de  la  province  ecclésiastique  de  Reims,  4  in-4°, 
1842-1844.  Esprit  supérieur  par  ses  initiatives  et  par 
ses  ouvrages  en  même  temps  que  bon,  simple,  cordial, 
attachant,  Mgr  Gousset  mourut  à  Reims  le  22  décem- 
bre 18G6,  entouré  d'hommages  sincères  et  emportant 
d'universels  regrets;  il  les  méritait  à  tous  les  titres. 

Deglaire,  Le  cardinal  Gousset,  archevêque  de  Reims,  Paris 
(1865);  H.  Menu,  Notice  biographique  sur  Mgr  le  cardinal 
Thomas  Gousset,  Reims  (1866);  I-'èvre,  Histoire  de  son 
Éminence  Mgr  Gousset,  archevêque  de  Reims,  Paris,  1882; 
Th.  Neveu,  Le  cardinal  Gousset,  dans  les  Contemporains, 
n.  50,  Paris,  1892;  Besson,  Panégyriques  et  oraisons  funèbres, 
Paris,  1870,  t.  n;  llurter,  Nomcnclator  litcrarius,  Inspruck, 
11)12,  t.  v,  col.  1351-1353;  Gousset,  Le  cardinal  Gousset, 
sa  vie,  ses  oeuvres,  son  influence,  Besançon,  1003;  L'épis- 
copat  français  depuis  le  concordai  jusqu'à  la  séparation, 
in-1",  Paris,  1907,  p.  469,  500-503. 

P.  Godet. 

GOUTTES  Jean-Louis,  évêque  constitutionnel, 
né  à  Tulle,  le  21  décembre  1739.  Avant  d'embrasser 
l'état  ecclésiastique,  il  avait  servi  dans  un  régiment 
de  dragons  et  ses  détracteurs  ont  raconté  qu'il  en 
était  mal  sorti,  mais  ils  n'en  ont  fourni  aucune  preuve. 
Ordonné  prêtre,  l'abbé  Gouttes  exerça  d'abord  dans 
le  diocèse  de  Bordeaux,  puis  fut  attaché  à  l'église 
du  Gros-Caillou,  à  Paris,  après  quoi  il  alla  à  Montauban, 
où  il  avait  obtenu  un  petit  bénéfice.  Ces  divers  emplois 


ne  l'empêchaient  pas  de  séjourner  de  temps  à  autre 
dans  sa  ville  natale,  où  sa  famille  tenait  un  rang 
honorable  dans  la  bourgeoisie  aisée.  C'est  là  qu'il 
fut  mis  eu  relations  avec  Turgot,  alors  intendant. 
de  la  province. 

Ce  jeune  prêtre  à  l'esprit  éveillé  et  hardi  plut  au 
célèbre  administrateur,  qui  l'encouragea  à  étudier 
les  problèmes  économiques  et  finit  par  en  faire  son 
collaborateur  habituel.  Il  n'eut  pas  de  peine  à  le 
gagner  à  toutes  ses  idées;  il  semble  même  que  l'abbé, 
dont  le  jugement  n'était  pas  aussi  solide  cjue  son 
intelligence  était  vive,  exagéra  les  enseignements  du 
maître,  comme  il  arrive  à  bien  des  disciples  et  se  fit 
le  défenseur  des  opinions  les  plus  audacieuses.  Turgot 
lisait  attentivement  ses  mémoires,  le  chargeait  d'en 
composer  sur  certaines  questions  à  l'ordre  du  jour, 
s'appropriait  ce  qu'il  y  trouvait  d'original  et  utilisait 
cet  écrivain  à  la  plume  bien  taillée  pour  mettre  en 
circulation  les  idées  neuves  auxquelles  il  fallait  que 
l'opinion  du  public  s'habituât. 

C'est  certainement  sous  l'inspiration  de  Turgot 
que  Gouttes  rédigea  sa  Théorie  de  l'intérêt  de  l'argent 
tirée  des  principes  du  droit  naturel,  de  la  théologie  et  de 
la  politique,  contre  l'abus  de  l'imputation  d'usure, 
Paris,  1780;  2e  édit.,  augmentée  d'une  Défense,  1782. 
Dans  ce  livre,  il  rompait  ouvertement  avec  l'ensei- 
gnement, alors  unanime,  des  écoles;  en  prenant  la 
défense  du  prêt  à  intérêt,  il  était  en  avance  d'un 
demi-siècle  et  les  arguments  qu'il  présentait  ne  sont 
peut-être  pas  ceux  qui  ont  amené  les  théologiens  à  se 
départir  des  principes  rigoureux  qu'ils  avaient  long- 
temps soutenus. 

Par  cette  publication,  l'abbé  Gouttes  se  rangeait 
parmi  les  écrivains  qui  travaillaient,  plus  ou  moins  con- 
sciemment, à  précipiter  la  Révolution,  mais  les  projets 
de  réformes  économiques  et  sociales  étaient  tellement 
dans  l'esprit  du  temps  que  nul  ne  songeait  à  lui  tenir 
rigueur  de  ses  audaces.  Au  contraire,  mis  en  évidence 
par  ses  écrits,  l'abbé  Gouttes  en  tira  pour  lui-même 
un  profit  matériel  très  appréciable.  L'évèque  de  Tarbes, 
M.  de  Gain-Montaignac,  était  lui  aussi  limousin  d'origine 
et  s'intéressa  à  son  brillant  compatriote.  Commenda- 
taire  de  l'abbaye  de  Quarante,  au  diocèse  de  Narbonnc, 
le  prélat  disposait  de  plusieurs  cures  relevant  de  cette 
maison  religieuse;  celle  d'Argilliers  était  fort  désira- 
bîle,  car,  située  dans  un  pays  riche,  elle  valait,  en  dîmes 
sur  les  grains,  l'huile  et  le  vin,  un  revenu  qui  allait,  sui- 
vant les  années,  de  3  000  à  6  000  livres.  Recommandé  à 
l'évèque,  Gouttes  fut  nommé  et  triompha  d'un  com- 
pétiteur qui  avait  usé  de  la  procédure  de  «  prévention 
en  cour  de  Rome  »  et  était  soutenu  par  l'archevêque 
de  Narbonne.  Il  fallut  aller  jusqu'au  parlement  de  Tou- 
louse et  Gouttes  en  conserva  rancune  contre  ce  que  les 
gallicans  appelaient  «  les  empiétements  de  la  cour 
romaine.  » 

Le  nouveau  curé  d'Argilliers  jouissait  d'une  situation 
très  enviable  :  son  physique  noble,  sa  bonne  grâce, 
sa  réputation  de  publiciste,  la  nouveauté  des  opinions 
qu'il  développait  avec  verve,  les  perspectives  sédui- 
santes qu'il  ouvrait  devant  ses  auditeurs  faisaient  de 
lui  l'oracle  du  clergé;  on  lui  pardonna  bien  vite  ses 
origines  étrangères.  Aux  fidèles,  il  tenait  des  discours 
tout  remplis  des  idées  en  vogue,  il  parlait  rarement  du 
dogme,  estimant  que  les  paysans  en  savent  toujours 
assez  sur  ce  point;  il  n'encourageait  pas  les  dévotions, 
ayant  peu  de  goût  pour  ce  qu'il  appelait  les  supersti- 
tions. Ses  prônes  étaient  des  leçons  d'économie  rurale 
et  domestique;  il  vantait  les  progrès  de  la  science, 
recommandait  les  procédés  d'assolement,  les  fumures 
et  les  méthodes  d'élevage;  il  préconisait  la  plantation 
des  pommes  de  terre,  la  vaccine  et  l'allaitement  mater- 
nel ;  il  racontait  les  prouesses  des  aéronautes  et  les  décou- 
vertes des  savants.  Parfois,  il  lui  arrivait  de  donner  des 


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GOUTTES 


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conseils  de  tempérance,  d'ordre  et  de  probité  et  semblait 
se  souvenir  alors  qu'il  était  prêtre  et  curé.  Ses  parois- 
siens le  suivaient  docilement,  conquis  par  son  vaste 
savoir,  et,  se  détachant  petit  à  petit  de  leurs  croyances 
traditionnelles,  s'acheminaient  insensiblement  vers  la 
totale  indifférence  religieuse. 

Quand  le  clergé  de  la  sénéchaussée  de  Béziers  eut 
à  désigner  son  député  aux  États  généraux,  le  curé 
d'Argilliers  fut  élu.  A  Versailles,  comme  à  Paris,  il  fut 
l'un  des  meneurs  du  parti  des  curés  qui  apporta  son 
appoint  au  Tiers-État  et  lui  assura  la  victoire.  Dans 
le  travail  quotidien,  Gouttes  déployait  une  activité 
infatigable,  prêt  à  parler,  à  rédiger,  à  mettre  au 
service  des  comités  la  compétence  que  lui  valaient  ses 
études  spéciales.  Ses  opinions  était  celles  d'un  royaliste 
libéral,  mais  son  loyalisme  monarchique  ne  l'empê- 
chait pas  de  réclamer  l'égalité  civile,  l'abolition  des 
privilèges  et  le  contrôle  effectif  des  dépenses  publiques 
par  les  représentants  de  la  nation.  Passionnément 
modéré,  il  ne  sortait  de  sa  mansuétude  coutumière 
que  lorsqu'on  s'avisait  de  contester  les  thèses  qui  lui 
étaient  chères.  Comme  un  certain  nombre  de  ses 
collègues,  il  avait  tenu  à  figurer  dans  les  rangs  de  la 
garde  nationale  et  il  lui  arriva  de  siéger  dans  un 
costume  moitié  clérical  et  moitié  militaire;  personne 
ne  s'avisa  d'en  rire,  car  à  cette  époque  les  grands 
mots  et  les  grands  gestes  étaient  pris  au  sérieux  par 
une  génération  qui  avait  été  nourrie  des  récits  de 
Plutarque. 

Quand  fut  discutée  la  nouvelle  organisation  de 
l'Église  de  France,  Gouttes,  qui  faisait  partie  du 
«  Comité  ecclésiastique  »,  soutint  quelques-unes  de 
ses  théories  paradoxales  et  en  fit  accepter  plusieurs; 
aussi,  quand  la  constitution  civile  entra  en  vigueur, 
il  sembla  équitable  de  lui  réserver  un  siège  épiscopal 
et,  à  défaut  d'autre,  il  obtint  celui  d'Autun  que  la 
retraite  de  Talleyrand  rendait  disponible.  Une  der- 
nière fois,  le  24  février  1791,  l'évêque  d'Autun,  démis- 
sionnaire depuis  plus  d'un  mois,  avait  consenti  à  user 
de  ses  pouvoirs  d'ordre  pour  donner  des  évêques  à 
une  Église  à  laquelle  il  ne  croyait  pas,  puis  il  était 
rentré  définitivement  dans  l'état  séculier  et  s'était 
regardé  comme  délié  de  toute  obligation  sacerdotale. 

Gouttes,  élu  le  15  février  1791,  fut  sacré  à  Paris 
par  Lamourette,  le  nouveau  «  métropolitain  »  du 
Rhône;  il  partit  aussitôt  pour  organiser  son  diocèse. 
Le  département  dont  il  devenait  le  chef  spirituel 
était  un  groupement  artificiel  de  régions  qui  diffé- 
raient par  la  nature  de  leur  sol  autant  que  par  le 
caractère  de  leurs  habitants.  Le  clergé  n'avait  aucune 
unité,  mais  l'élément  assermenté  y  était  pauvrement 
représenté;  ne  trouvant  nulle  part  le  vicaire  épiscopal 
qui  devait  être  son  principal  auxiliaire  et  même  son 
remplaçant  pendant  qu'il  siégeait  à  l'Assemblée, 
Gouttes  appela  près  de  lui  son  ami  Victor  de  Lanneau; 
c'était  un  Champenois,  qui,  après  avoir  été  chanoine, 
était  entré  dans  l'ordre  des  théatins;  ses  talents 
d'éducateur  l'avaient  fait  mettre  à  la  tête  du  collège 
de  Tulle  où  Gouttes  l'avait  connu  et  apprécié.  Ayant 
confié  son  diocèse  à  un  homme  de  son  choix,  l'évêque 
retourna  à  Paris. 

A  la  séparation  de  la  Constituante,  Gouttes  voulut 
reprendre  la  direction  de  son  clergé,  mais  il  dut  bien 
vite  reconnaître  qu'on  avait  pris  l'habitude  de  se 
passer  de  lui;  les  vicaires  épiscopaux  avaient  acquis 
une  autorité  qui  neutralisait  la  sienne;  de  plus,  les 
idées  avaient  marché,  et  tout  en  essayant  de  se  hausser 
jusqu'au  diapason  révolutionnaire,  Gouttes  resta 
toujours  un  attardé.  Il  publia  quelques  mandements 
dans  lesquels  il  prêcha  «  le  respect  des  lois  »  et  enseigna 
qu'il  faut  obéir  «  alors  même  qu'elles  seraient  injustes.  » 
Ce  fanatisme  de  légalité  devait  bientôt  le  placer  dans 
le   plus    cruel    embarras.    Littérairement    parlant,    la 


prose  épiscopale  de  Gouttes  n'existe  pas  :  la  compo- 
sition est  alourdie  par  d'interminables  digressions;  la 
phrase  est  sans  élégance,  la  pensée  est  vulgaire  et  se 
traduit  dans  une  forme  où  la  banalité  s'allie  à  la  trivia- 
lité. Quelles  comparaisons  ont  pu  faire  ceux  qui  se 
souvenaient  du  style  aristocratique  de  Maurice 
de  Talleyrand  !  de  ces  lettres  vraiment  épiscopales  où, 
en  termes  nobles  respirant  une  hautaine  déférence 
pour  ses  lecteurs  et  souvent  une  onction  qu'on  eût  pu 
croire  sincère,  il  cachait  sous  les  fleurs  d'une  brillante 
rhétorique  la  causticité  de  son  esprit  incisif  1  Auprès 
de  lui,  Gouttes  écrivait  comme  un  lourdaud. 

Lanneau  s'était  emparé  du  premier  rôle  politique  : 
Gouttes  fut  bien  obligé  de  le  lui  laisser.  S'eiïaçant, 
il  assista  sans  protester  à  la  déprédation  du  patrimoine 
de  son  Église  et  au  pillage  méthodique  de  tout  ce  que 
la  générosité  et  le  goût  avaient  accumulé  de  trésors 
dans  les  sanctuaires  du  diocèse.  Pendant  que  Lanneau 
trônait  à  la  municipalité,  au  club,  au  comité  révolu- 
tionnaire et  trouvait  moyen  de  cumuler  ces  fonctions 
avec  celles  de  principal  du  collège,  Gouttes  parcourait 
les  campagnes  et  donnait  la  confirmation  aux  enfants 
des  paysans. 

Au  mois  de  novembre  1793,  un  vent  d'anticléri- 
calisme parcourut  la  France  comme  une  tempête 
furieuse  :  par  ordre  du  comité  révolutionnaire,  les 
prêtres  devaient  renoncer  à  leur  titre  pastoral,  livrer 
leurs  lettres  de  prêtrise  et  répudier  leur  sacerdoce. 
Lanneau  conduisait  ce  mouvement  :  depuis  près  d'un 
an,  il  s'était  marié,  et,  en  remettant  ses  papiers  ec- 
clésiastiques, il  annonce  que  dans  quelques  jours  il 
va  être  père.  Gouttes  avait  été  profondément  offensé 
par  ces  scandales;  il  s'en  était  senti  humilié  dans  sa 
dignité  sacerdotale,  mais  il  n'avait  pas  eu  le  courage 
de  manifester  son  indignation.  La  loi  autorisait  le  ma- 
riage des  prêtres;  elle  encourageait  l'apostasie;  en  ser- 
viteur aveugle  de  la  loi,  Gouttes  en  subissait  les  dispo- 
sitions  les   plus   odieuses. 

Quelques  jours  plus  tard,  la  cathédrale  d'Autun 
allait  être  dédiée  au  culte  de  la  Raison;  on  organisait 
des  mascarades  infâmes  au  cours  desquelles  Gouttes 
savait  qu'il  serait  invité  à  déposer  ses  insignes  épisco- 
paux et  à  abjurer  sa  foi.  C'en  était  trop  !  Cette  fois,  sa 
conscience  se  souleva  et,  à  la  veille  de  la  cérémonie 
impie,  il  quitta  la  ville  pour  se  réfugier  dans  une  pro- 
priété, propriété  d'église,  qu'il  avait  achetée  pour  en 
faire  sa  maison  de  campagne.  Ce  fut  son  premier  acte 
de  courage,  et  qui  lui  coûta  la  tète. 

Les  fureurs  antireligieuses  du  début  s'étaient 
calmées;  se  faisant  tout  petit,  Gouttes  était  rentré 
à  Autun  et  il  avait  pensé  se  faire  bien  venir  en  ofïrant 
ses  services  au  comité  révolutionnaire  qui  l'employait 
à  écrire  des  lettres;  le  malheureux  s'essayait  à  les 
rédiger  dans  le  style  furibond  qui  était  alors  de 
rigueur,  mais  sa  bonne  volonté  ne  désarma  pas  ceux 
qui  avaient  juré  sa  perte. 

La  lettre  et  l'esprit  de  la  loi  ne  permettaient  pas 
d'intenter  des  poursuites  criminelles  contre  un  prêtre 
parce  qu'il  n'avait  pas  apostasie.  Il  fallut  prendre  un 
détour  :  on  se  souvint  que,  le  9  avril  1793,  au  cours 
d'une  des  tournées  pastorales,  l'évêque  avait  passé 
une  soirée  au  presbytère  de  Mont-Arroux  (ci-devant  : 
Saint-Didier-sur-Arroux);  dans  l'abandon  d'une  con- 
versation amicale,  Gouttes  avait  rappelé  les  souvenirs 
de  sa  carrière  politique;  il  avait  évoqué  les  grandes 
journées  révolutionnaires,  raconté  les  luttes  auxquelles 
il  avait  été  mêlé;  il  concluait  en  exprimant  son  admi- 
ration pour  les  hommes  de  89,  pour  la  Constituante 
où  il  avait  travaillé  à  fonder  la  liberté.  «Les  Consti- 
tuants valaient  mieux  que  les  membres  de  la  Légis- 
lative et  surtout  que  ceux  de  la  Convention  1  »  Ces 
réminiscences  un  peu  chagrines  étaient  sans  grande 
portée   :    il   se   trouva   pourtant   parmi   les   convives 


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GOUTTES  —  GOUVERNEMENT     ECCLÉSIASTIQUE 


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quelqu'un  pour  dénoncer  Gouttes  comme  coupable 
d'avoir  s  excité  au  mépris  de  la  représentation  natio- 
nale. »  On  avait  désormais  un  motif  de  le  poursuivre 
et,  le  7  janvier  1794,  il  était  incarcéré  au  couvent, 
devenu  prison,  de  la  Visitation.  Tous  les  convives  du 
fâcheux  souper  de  Mont-Arroux  furent  arrêtés  à  leur 
tour;  ils  étaient  accusés  de  complicité  par  non-révé- 
lation et  le  délateur  lui-même  fut  poursuivi  pour 
dénonciation  tardive  ! 

Si  amoindris  que  fussent  les  caractères  sous  le 
régime  de  la  Terreur,  l'opinion  se  montra  favorable 
à  l'évèque  :  Lanneau  en  convient;  il  constate  «  l'effer- 
vescence, l'apitoyement  que  l'ex-grand-prètre  incarcéré 
occasionne  dans  le  sexe  dévot  »;  pour  y  mettre  fin, 
il  ordonne  de  transférer  le  prisonnier  à  Mâcon,  puis 
à  Paris.  Le  10  mars,  Gouttes  entrait  à  la  Conciergerie, 
précédé  d'une  lettre  où  Lanneau  le  «  recommandait  » 
à  Fouquier-Tinville  et  concluait  en  disant  :  «  J'espère 
que  l'exécution  sera  prompte.   » 

Ce  fut  en  effet  par  un  «  tour  de  faveur  »  que  la  cause 
fut  appelée,  le  26  mars,  devant  le  tribunal  révolu- 
tionnaire; auprès  de  Gouttes  étaient  ses  prétendus  com- 
plices. Ces  prêtres  constitutionnels  avaient  fait  piètre 
figure  :  tous  avaient  plus  ou  moins  apostasie  et  cepen- 
dant il  s'en  trouva  deux  qui  eurent  le  cœur  de  défen- 
dre leurévêque  en  rétablissant  les  faits  et  en  montrant 
le  peu  de  portée  des  rêveries  dont  on  avait  mécham- 
ment exagéré  la  gravité.  Ces  deux  témoins  furent 
immédiatement  inculpés  pour  avoir  voulu  soustraire 
un  coupable  à  la  justice  révolutionnaire  et  renvoyés 
en  prison;  quant  aux  autres,  ils  étaient  suffisamment 
intimidés  et  ils  répondirent  ce  qu'on  voulut  leur  faire 
dire. 

Gouttes  se  défendit  piteusement  :  «  Mon  arrestation 
a  eu  pour  cause  mon  refus  de  donner  ma  démission 
d'évêque;  je  ne  l'ai  pas  donnée,  cette  démission, 
parce  que  j'aurais  cru  insulter  le  peuple  en  prévenant 
son  vœu,  parce  que  lui  seul  m'ayant  nommé,  lui  seul 
pouvait  me  renvoyer;  son  opinion  une  fois  co/.nue,  tout 
contrat  cessait  entre  nous  et  il  en  eût  été  de  moi  comme 
d'un  valet  renvoyé  par  son  maître..  »  Un  valet  !  J'étais 
un  valet  !  Voilà  la  conception  que  ce  fonctionnaire  se  fait 
de  l'épiscopat  I  En  1791,  le  corps  électoral  s'est  mêlé 
de  singer  l'opération  de  l'Esprit-Sainf  en  conférant 
la  juridiction  à  un  individu  dont  il  a  cru  faire  un 
évêque;  il  n'a  fait  qu'un  valet  !  En  dépit  de  ses  pro- 
testations, Gouttes  fut  condamné  à  mort,  et  le  soir 
même  du  26  mars,  il  était  guillotiné. 

On  a  prétendu  que  dans  sa  prison  l'intrus  avait  été 
visité  par  M.  Émery  et  s'était  réconcilié  avec  l'Église. 
M.  Émery  énumère  les  prêtres  qui  ont  recouru  à  son 
ministère,  mais  Gouttes  n'est  pas  de  ce  nombre. 
Gouttes  était  un  esprit  faux,  faussé  par  les  paradoxes 
philosophiques  de  son  école.  Sa  vie  était  pure,  son 
cœur  resta  fermé  à  tout  sentiment  abject;  sa  per- 
version résidait  dans  l'intelligence,  mais  son  obstina- 
lion  était  invincible.  Il  est  à  craindre  qu'il  ne  soit  mort 
comme  il  avait  vécu,  en  caressant  sa  chimère  de 
ramener  «  les  beaux  jours  de  la  primitive  Église.  » 
L'Église  des  constitutionnels  n'a  rappelé  celle  des 
temps  apostoliques  que  par  la  persécution  qu'elle 
suscita  d'abord  contre  le  clergé  fidèle  à  Rome,  mais 
qui,  se  retournant  contre  elle,  la  fil  misérablement 
périr. 

Œuvres  de  Gouttes,  —  Son  Traité  de  l'intérêt  de  l'argent 
a  été  publié  sans  nom  d'auteur  en  1780;  la  2e  édition,  qui 
est  de  1782,  est  précédée  d'une  réponse  aux  critiques  faites 
à  l'ouvrage.  Barbier  dit  que  ce  traité  n'est  qu'une  refonte 
d'un  livre  paru  sous  le  même  titre  et  dont  l'auteur  serait 
l'abbé  Rullié.  Il  ajoute  que  Turgot  collabora  à  l'œuvre  de 
Gouttes.  — -  Les  travaux  parlementaires  de  Gouttes  sont 
reproduits  ou  analysés  dans  le  Moniteur  et  dans  les  Archives 
parlementaires;  on  les  trouvera  en   consultant  les  tables  de 


ces  deux  recueils.  —  Les  mandements  de  Gouttes  sont 
énumérés  et  appréciés  dans  le  livre  de  M.  de  Charmasse, 
O.-L.  Gouttes,  évêque  constitutionnel  de  Saône-cl-Loire,  Au- 
tan, 1898,  qui  a  dépouillé  et  utilisé  avec  beaucoup  de 
soin  tout  ce  qui  avait  paru  à  Autun  et  toutes  les  pièces 
contenues  aux  archives  de  Maçon  et  d'Autun  sur  ce  per- 
sonnage. 

Pour  le  procès  de  Gouttes,  voir  Archives  nationales, 
W,  340-623,  et  Bulletin  du  tribunal  révolutionnaire,  n.  9; 
Pisani,  Répertoire  de  l'épiscopat  constitutionnel,  Paris,  1907* 
p.  317-320;  Bliard,  Jurcurs  et  insermentés,  Paris,  1910; 
Nouvelles   ecclésiastiques,   1791,   p.    127. 

P.  Pisani. 
GOUVERNEMENT  ECCLÉSIASTIQUE I.  Pro- 
position. II.  Erreurs.  III.  Doctrine  catholique. 

I.  Proposition.  —  1°  Comme  nous  l'établirons  dans 
cet  article,  le  divin  fondateur  de  l'Église  n'a  pas  voulu 
qu'elle  fût  une  république,  ni  une  oligarchie  ou  aris- 
tocratie; mais  il  lui  a  donné  un  gouvernement  essen- 
tiellement monarchique.  Les  théologiens  s'attachent 
donc  à  démontrer  la  sagesse  de  ce  choix,  car  il  est  hors 
de  doute  que  le  Fils  de  Dieu  a  pu  et  a  voulu  gouverner 
son  Église,  par  celui  des  moyens  qui  est  le  meilleur  et 
le  plus  fructueux. 

La  concentration  du  pouvoir  suprême  dans  les  mains 
d'un  seul,  disent-ils,  est  une  garantie  d'ordre,  d'unité, 
et,  par  suite,  de  force  et  de  stabilité.  La  pluralité  des 
chefs,  au  contraire,  ne  peut  engendrer  que  le  désordre, 
la  confusion,  la  division,  la  faiblesse  et  l'instabilité.  La 
chose  est  si  évidente  qu'elle  fut  admise  par  toute  l'an- 
tiquité, aussi  bien  chez  les  Grecs  et  les  Latins  que  chez 
les  Hébreux.  Les  philosophes,  les  orateurs,  les  histo- 
riens et  les  poètes  même  n'ont  qu'une  voix  pour  le  pro- 
clamer. On  connait  le  vers  célèbre  d'Homère,  formulant 
cet  aphorisme  :  où*  àyaOov  rcoXuzotpavÎT]  :  eîc  zoioxvo; 
ïatto,  etç  paaiXtue,  I.  VII,  c.  n.  Cf.  Platon,  Polit.  ; 
Aristote,  Ethic,  1.  VIII,  c.  x;  Polit.,  I.  III;  Senèque,  De 
beneftciis,  I.  II;  Plutarque,  De  monarchia ;  Isocrate,  A/i- 
coclcs;  Stobée,  Florilegium,  45.  Dans  ce  chapitre,  cet 
écrivain  cite  à  l'appui  de  son  sentiment  de  nombreux 
passages  d'auteurs  anciens,  entre  autres,  d'Hésiode, 
d'Euripide,  etc.,  qui  tous  concourent  à  confirmer 
la  vérité  de  la  thèse  qu'il  a  entrepris  de  défendre,  et 
qu'il  résume  dans  le  titre,  dont  il  fait  comme  un 
axiome  :   '6t.  xâXXiorov   îj   u.ovapyta. 

Tel  fut  aussi  l'enseignement  de  l'antiquité  chrétienne 
Il  nous  suffira  de  citer  parmi  les  Pères  grecs  :  saint  Justin; 
Cohortalio  ad  Grœcos  :  la  monarchie,  dit-il,  est  une  ga- 
rantie plus  grande  contre  la  discorde  et  les  divisions, 
P.  G.,  t.  vi,  col.  241;  saint  Athanase,  Contra  génies, 
c.  xxxvm  :  De  même  que  la  multitude  des  dieux  con- 
duit à  l'athéisme,  ainsi  la  multitude  des  princes  conduit 
à  l'anarchie,  et  quand,  dès  lors,  il  n'y  a  plus  de  chef,  se 
produisent  la  confusion,  les  perturbations  et  la  ruine  de 
la  société.  P.  G.,  t.  xxv,  col.  75. 

Les  Pères  latins  parlent  de  même.  Saint  Cyprien,  De 
idolorum  vanitate,  c.  vm,  démontre,  par  l'unité  de  Dieu 
gouvernant  le  monde,  que  la  monarchie  est  le  meilleur 
et  le  plus  naturel  des  gouvernements  :  Ad  divinum  im- 
perium  cliam  de  terris  mutuemur  exemplum.  Quomodo 
unquam  regni  societas,  aut  cum  fuie  ecepit,  aul  sine  cruorc 
desiil  ?  P.  L.,  t.  iv,  coi.  576.  Saint  Jérôme,  Episl.  ad 
Ruslicum  monaehum,  c.  xv  :  Unus  impcralor  ;  judex 
iinus.  Huma,  ut  condila  est,  simul  habere  duos  fralres 
reges  non  poluil.  P.  L.,  t.  xxn,  col.  1080. 

Aux  Pères  font  écho  les  théologiens.  Cf.  S.  Thomas, 
Contra  génies,  1.  IV,  c.  lxxvi,  n.  3-4;  Sum.  theol.,  I» 
II"',  q.  cm,  a.  3;  Suarez,  De  legibus,  I.  III,  c.  iv,  n.  1, 
Opéra  omnia,  28  in-4°,  Paris,  1856-1878,  t.  v,  p.  184; 
Bellarmin,  Conlrov.  gencralis,  De  summo  ponlifice,  1.  I, 
c.  i,  Opéra  omnia,  8  in-4°,  Naples,  1872,  t.  i,  p.  311; 
Mazzella,  De  religione  et  Ecclesia,  disp.  III,  a.  8,  §  2, 
in-8°,  Rome,  1885,  p.  438;  Billot,  De  Ecclesia  Christi, 
part.  II,  c  m,  q.  xm,  §  1,  in-8°,  Rome,  1903,  p.  528  sq. 


1533 


GOUVERNEMENT     EGGLÉSI  ASTIQUE 


Les  mêmes  auteurs  font  remarquer  avec  raison  que  si 
l'oligarchie  est  déjà  une  cause  de  ruine,  puisque  la  plu- 
ralité des  chefs  engendre  la  division,  et  que,  selon  le 
mot  du  Sauveur,  omne  regnum  in  seipsum  divisum  deso- 
labitur,  Luc,  xi,  17;  Matth.,  xn,  25;  la  démocratie,  qui 
plus  encore  multiplie  le  nombre  des  chefs,  divise  la 
société  davantage,  et  l'expose  aux  pires  dangers.  En 
outre,  un  monarque,  de  qui  dépend  tout  un  royaume, 
que,  dans  son  ensemble,  il  est  porté  à  considérer  comme 
sien,  recherchera  et  procurera  plus  le  bien  de  la  société 
entière,  que  ne  le  fera  une  réunion  de  chefs,  plus  ou 
moins  nombreux,  dont  chacun  croira  devoir  s'occuper 
plus  spécialement  de  la  province,  de  la  circonscription, 
ou  de  la  ville  dont  il  est  chargé,  et  mettra  au  second 
plan,  et  peut-être  au  dernier  rang  de  ses  soucis,  le  ; 
questions  d'intérêt  général.  A  fortiori,  si  la  multitude 
commande,  comme  cela  est  dans  le  régime  démocra- 
tique :  alors,  chaque  individu,  l'expérience  ne  le  dé- 
montre que  trop,  cherchera  avant  tout  son  avantage 
personnel,  ou  celui  de  ses  amis  et  de  ses  proches,  sans 
s'inquiéter  beaucoup  du  reste,  si  tant  est  qu'il  s'en 
inquiète. 

2°  La  monarchie,  cependant,  est  de  plusieurs  sortes. 
Elle  est  simple,  ou  mixte  et  tempérée,  suivant  que  le 
monarque  a  ou  n'a  pas  la  plénitude  de  la  puissance 
suprême,  soit  législative,  soit  judiciaire,  soit  executive, 
indépendamment  de  tout  autre  individu  ou  assemblée. 
Il  est  évident  que  si,  en  théorie,  le  gouvernement 
d'un  seul  est  chose  préférable  dans  l'intérêt  général  de 
la  communauté,  et  pour  les  raisons  alléguées  plus  haut 
néanmoins,  en  pratique,  vu  la  corruption  de  la  nature 
humaine,  ou  même  son  infirmité  native,  des  inconvé- 
nients graves  et  nombreux  peuvent  en  résulter.  N'est- 
il  pas  à  craindre  que  le  pouvoir  suprême  ainsi  concen- 
tré dans  les  mains  d'un  seul,  dont  les  caprices  ne  ren- 
contreront aucun  obstacle,  ne  dégénère  en  tyrannie, 
en  égoïsme  démesuré,  et,  par  conséquent,  n'entraîne  de 
très  graves  dommages  pour  le  corps  social  ?  A  cette 
omnipotence,  ne  faut-il  pas  un  contrepoids  ?   Où  le 
trouver,  si  ce  n'est  dans  l'aristocratie  et  la  démocratie, 
quoique  à  des  degrés  divers  ?  Il  semblerait  donc  oppor- 
tun de  donner  à  l'une  ou  à  l'autre,  ou  peut-être  à  l'une 
et  à  l'autre,  un  rôle  à  jouer  dans  le  gouvernement  de  la 
société.  Ce  serait,  en  un  certain  sens,  limiter  l'autorité 
du  monarque;  mais  ce  serait,  tout  en  conservant  les 
avantages  de  la  monarchie,  poser  une  salutaire  barrière 
devant  elle,  pour  l'empêcher  de  tomber  dans  de  regret- 
tables excès,  et  de  conduire  le  royaume  aux  abîmes. 
En  quoi  consisterait  ce  rôle  concédé  à  l'aristocratie  et 
à  la  démocratie  ?  Cela  dépend,  en  principe,  des  cir- 
constances et  des  milieux;  mais  on  pourrait,  par  exem- 
ple, tout  en  laissant  au  monarque  le  rôle  prépondérant, 
demander  pour  la  confection  des  lois,  ou  du  moins, 
de  quelques-unes,  les  plus  importantes,  le  consente- 
ment des  citoyens  les  plus  haut  placés,  et  celui  des 
délégués  du  peuple.  Par  cette  division  des  pouvoirs,  il 
ne  resterait  plus  au  monarque  que  la  plénitude  du 
pouvoir  exécutif.  Ce  serait  bien  pour  lui  une  diminution 
d'autorité —  un  tempérament  ;  — -  mais  aussi  une  néces- 
sité pour  l'intérêt    de  tous.  Cf.  Suarcz,  Defensio  fldei 
calholicee  adversus  anglic.  secl.  errores,  1.  III,  c.  ni,  n.  3, 
Opéra  omnia,  t.  xxiv,  p.  213.  Nos  itaque  B.  Thomam 
aliosque  theologos  catholicos  scquuti,  ex  tribus  simpli- 
cibus  formis  gubernationis,  monarchiam  cœteris  ante- 
ponimus,  quamquam  propler  naturœ    humetnœ  corru- 
ptionem,   utiliorem    censemus  hominibus    hoc  tempore 
monarchiam  lemperatam    ex  aristocratie!  et  dimocralia 
quam  simpliciter  monarchiam  :  modo  tamen  primœ  par- 
tes monarchise  sinl,  secundas  habeal  arislocratia,  pos- 
tremo  loco  sil  dimocralia.  Bellarmin,  op.  cit.,  t.  i,  p.  311. 
Si,  cependant,  il  existait  une  monarchie  dans  la- 
quelle, en  vertu  de  l'assistance  divine,  le  prince  ne 
pourrait  abuser  de  sa  puissance,  cette  diminution  d'au- 


torité ne  paraîtrait  nullement  nécessaire,  ni  même  con- 
venable, et  la  monarchie  retiendrait,  alors,  en  pratique, 
toute  sa  perfection  intrinsèque  et  ses  avantages,  tels 
qu'elle  les  a  en  théorie. 

3°  On  divise  la  monarchie  en  absolue  et  non  absolue. 
Quoique  cette  dernière  semble,  au  premier  abord,  se 
confondre  avec  la  précédente,  elle  en  diffère,  néan- 
moins, sensiblement.  Toute  monarchie  absolue,  en 
effet,  est  une  monarchie  dans  le  sens  strict  du  mot; 
mais  non  réciproquement.  Le  mot  absolue  implique 
quelque  chose  de  plus  que  la  monarchie  simple  ou 
pure  :  c'est-à-dire  l'exclusion  de  tout  autre  cogouver- 
nement,  même  subordonné,  comme  le  serait,  par  exem- 
ple, celui  de  princes  inférieurs,  qui.  sous  la  suzeraineté 
du  monarque  suprême,  gouverneraient  des  provinces, 
des  circonscriptions,  ou  des  villes,  par  une  autorité  qui 
leur  serait  propre  et  ordinaire.  Dans  la  monarchie 
absolue,  le  monarque  a  non  seulement  l'autorité  su- 
prême, mais  totale,  et  tous  ceux  qui  gouvernent,  sous 
lui,  des  étendues  de  territoire  plus  ou  moins  considéra- 
bles, ne  sont  que  ses  délégués,  ses  commissaires,  ou  ses 
représentants,  en  un  mot,  ses  vicaires  qu'il  peu1', 
révoquer  à  volonté.  Cf.  Palmieri,  De  romano  ponlifice, 
part.  II,  c.  i,  a.  1,  thés,  xvm,  in-3°,  Rome,  1377, 
p.  437  sq. 

Cette  plénitude  de  puissance  dans  la  monarchie  pure, 
ou  non  tempérée  par  les  limites  dont  nous  avons  énu- 
méré  quelques-unes,  n'implique  pas,  cependant,  chez 
le  monarque,  le  pouvoir  de  faire  dans  le  royaume  tout 
ce  qu'il  veut,  au  point  de  changer  même  la  constitution 
du  pays.  Si,  par  exemple,  la  constitution  statuait  que, 
sous  l'autorité  pleine  et  complètement  indépendante 
du  chef  suprême,  existât  une  hiérarchie  dont  les  mem- 
bres, quoique  nommés  par  le  chef  lui-même,  auraient 
la  charge  d'administrer  certaines  parties  de  territoire 
avec  une  autorité  qui  leur  serait  propre  et  ordinaire, 
cette  clause  ne  pourrait  être  détruite  par  le  monarque. 
La  monarchie  n'en  resterait  pas  moins  vraie  monarchie, 
quoique  non  absolue.  Elle  ne  serait  pas,  en  effet,  une 
monarchie  tempérée  par  l'aristocratie,  mais  plutôt  une 
monarchie  pure  unie  à  l'aristocratie  :  monarchie,  car 
elle  en  aurait  le  décorum,  la  souveraine  indépendance, 
la  prééminence  et  la  stabilité;  mais  unie  à  l'aristocratie, 
pour  éviter  l'inconvénient  qui  est  le  plus  à  redouter 
dans  une  monarchie  absolue  :  une  centralisation  exa- 
gérée qui  enlève  à  chaque  province  ou  à  chaque  ville 
son  caractère  propre,  rend  impossible  toute  initiative 
individuelle,  et  détruit  presque  entièrement  l'activité 
régionale,  en  s'opposant  à  la  diffusion  égale  de  la  vie 
dans  tous  les  organismes  du  corps  social.  Avec  de  véri- 
tables princes  à  la  tête  des  provinces,  chacune  de  celles- 
ci,  quoique  toujours  dépendante  du  pouvoir  suprême, 
conserve  son  caractère  spécial,  et,  pour  ainsi  dire,  sa 
personnalité,  de  sorte  que,  sans  détriment  pour  l'unité 
de  l'ensemble,  chaque  province  devient  également  un 
centre  de  vie  qui  rayonne  dans  toutes  les  directions. 

4°  C'est  cette  forme  de  gouvernement  que  le  Christ 
a  donnée  à  son  Église  :  monarchie,  non  pas  absolue,  ni 
tempérée  par  une  aristocratie,  mais  unie  à  une  aristo- 
cratie, puisque,  comme  nous  le  rappellerons  plus  bas, 
les  évêques  ne  sont  pas  de  simples  vicaires  du  pape, 
mais  de  vrais  princes  de  l'Église,  avec  puissance  propre 
et  ordinaire.  En  outre,  non  seulement  la  monarchie 
ecclésiastique  est  unie  à  l'aristocratie,  mais  aussi,  en 
un  certain  sens,  à  la  démocratie,  puisque  le  suprême 
monarque  et  les  autres  princes  de  la  hiérarchie  sacrée 
n'obtiennent  pas  leur  charge  et  leurs  dignités  par  un 
héritage  qui  en  fasse  comme  l'apanage  de  certaines 
familles  privilégiées,  mais  par  une  élection  qui  n'exclut 
de  ces  dignités  aucune  classe  de  citoyens.  Cf.  Pesch, 
Prœlectiones  dogmalicœ,  De  Ecclesia  Christi,  part.  II, 
sect.  n,  prop.  34,  schol.  i,  n.  376,  9  in-8°,  Fribourg-en- 
Brisgau,  1897-1903,  t.  i,  p.  235. 


L535 


GOUVERNEMENT     ECCLÉSIASTIQUE 


1536 


Assurément,  dit  Bellarmin,  c'est  la  meilleure  forme 
de  gouvernement  qu'on  puisse  souhaiter,  et  qui  puisse 
exister  dans  ce  monde  pervers  ;  c'est,  en  même  temps, 
la  plus  agréable  et  la  plus  utile,  car  tous  s'attachent 
davantage  à  une  forme  de  gouvernement  à  laquelle 
ils  peuvent  participer;  optima,  cl  in  hac  mortali  vita 
maxime  expetenda;...  et  prseterea  in  hac  vita  gralior  cl 
utilior.  Bona  quidem  monarchise  in  hac  inesse,  pla- 
num  est...  juluram  aulem  in  omnibus  yraliorem  ex  eo 
perspici  polcst,  quod  omnes  illud  genus  regiminis  magis 
amant  cujus  participes  esse  possunl  :  quale  sine  dubio 
est  hoc  nostrum.  De  romano  pontifice,  1.  I.  c.  m,  Opéra 
omnia,t.  i,  p.  31G.  Cf.  S.  Thomas,  Sum.  theol.,  V  II'', 
q.  cv,  a.  1. 

5°  De  quel  nom  spécial  faudrait-il  appeler  cette  mo- 
narchie, qui,  quoique  vraie  monarchie,  n'est  ni  ahsolue, 
ni  tempérée,  au  sens  strict  du  mot  ?  Il  faudrait  un  mot 
spécial  qui  n'existe  pas  :  nescio  utruni  unquam  istud 
nomen  inventum  sit,  seu  etiam  possil  aliquando  inveniri. 
Card.  Billot,  De  Ecclesia  Chrisli,  part.  II,  c.  m,  q.  xm, 
S  2.  p.  535.  Elle  constitue,  en  effet,  une  monarchie  tout 
à  fait  sui  generis,  à  laquelle  on  pourrait  appliquer,  non 
sans  raison,  la  parole  liturgique,  nec  primàm  sihilem 
\  />  i  EST  nec  habere  sequentem.  Billot,  toc.  cit.;  Mazzella, 
De  rcligionc  cl  Ecclesia,  disp.  III,  a.  8,  n.  535,  p.  426. 
Cette  considération  préliminaire  suffirait  déjà,  à  elle 
seule,  à  montrer  dans  quelles  graves  erreurs  sont  tom- 
bés tous  ceux  qui  ont  imaginé  que  l'Église  fût  bâtie 
sur  le  modèle  des  gouvernements  humains,  qu'ils 
fussent  monarchiques,  aristocratiques  ou  démocrati- 
ques, tempérés  ou  non.  Cf.  Wilmers,  De  Chrisli  Eccle- 
sia, Proleg.,  a.  3,  in-8°,  Batisbonne,  1897,  p.  17  sq. 

II.  Erreurs.  —  1°  Erreurs  de  ceux  qui  voudraient 
jaire  du  gouvernement  ecclésiastique  une  sorte  de  mo- 
narchie bicéphale.  —  Les  premiers  qui  paraissent  avoir 
sérieusement  combattu  la  forme  monarchique  du  gou- 
vernement ecclésiastique  sont  les  grecs.  Cette  préten- 
tion se  fit  jour  peu  après  l'ère  des  persécutions,  dès  que, 
avec  la  paix  rendue  à  l'Église,  des  avantages  temporels 
commencèrent  à  entourer  les  dépositaires  du  pouvoir 
spirituel.  Ils  voulurent  la  traduire  en  loi  reconnue 
par  toute  la  catholicité,  au  IIe  concile  œcuménique, 
Ier  de  Constantinople,  en  381.  Non  seulement  ils  s'effor- 
cèrent de  placer  au-dessus  de  toutes  les  Églises  d'O- 
rient celle  de  Constantinople  qui,  auparavant,  n'était 
pas  même  patriarcale,  étant  un  simple  suffragant  de 
l'exarque  d'Héraclée,  en  Thrace;  mais  ils  affirmèrent 
qu'elle  est  l'égale  de  Borne,  et  n'est  inférieure  à  celle-ci 
que  par  l'ancienneté.  Quant  aux  privilèges,  elle  les 
possède  à  un  titre  égal,  par  la  raison  qu'elle  est  la 
seconde  Borne,  oià  to  sivai  aûirjv  vÉav  'Pwjaïiv,  motion 
et  motif  qu'ils  insérèrent  frauduleusement  dans  le 
troisième  canon  de  ce  concile.  Cf.  Mansi,  Concil.,  t.  m, 
col.  578.  On  voit  sans  peine  toute  la  portée  de  ce  simple 
membre  de  phrase.  C'était  proclamer  que  l'Église  de 
l'ancienne  Borne  jouit  de  son  privilège  d'être  la  mère 
et  maîtresse  des  Églises  de  l'univers  entier,  non  de 
par  la  volonté  de  Dieu  manifestée  par  l'apôtre  saint 
Pierre  qui  voulut  y  établir  son  siège,  mais  par  une 
raison  d'ordre  purement  politique,  presque  par  simple 
hasard  :  la  majesté  de  la  ville  elle-même,  siège  de  la 
résidence  impériale,  du  sénat  et  des  grandes  institutions 
de  l'empire.  Donc,  comme  cela  était  possible  et  comme 
les  grecs  en  voyaient  déjà  le  prélude  dans  les  événe- 
ments d'alors,  si  les  révolutions  humaines  enlevaient 
un  jour  à  l'ancienne  Borne  sa  prééminence  politique, 
et  la  faisaient  descendre,  sous  ce  rapport,  au-dessous 
de  Constantinople  qui  marchait  ostensiblement  vers 
un  accroissement  de  splendeur,  tandis  que  Borne  dé- 
clinait visiblement,  l'Église  de  l'ancienne  Borne  suivrait 
cette  marche  descendante  par  rapport  à  celle  de  Con- 
stantinople, la  Borne  nouvelle,  qui  s'élèverait  d'autant. 
La  monarchie  ecclésiastique  avait  donc,  à  ce  moment, 


deux  têtes  :  l'une  dans  l'ancienne  Borne,  et  l'autre  dans 
li  Borne  nouvelle.  A  l'avenir,  si  elle  n'en  avait  qu'une 
seule,  ce  serait  évidemment  celle  de  Constantinople, 
appelée  à  supplanter  complètement  sa  rivale. 

On  sera  moins  surpris  de  cette  ambition  exorbitante, 
si  l'on  se  rappelle  que  les  grecs  avaient  une  tendance 
très  prononcée  à  classer  les  évêchés  d'après  l'impor- 
tance politique  des  villes  qui  en  étaient  le  siège,  et  à 
calquer  la  division  des  provinces  ecclésiastiques  sur 
les  divisions  des  provinces  civiles.  Ils  en  avaient  fait 
déjà  comme  une  règle,  quarante  ans  auparavant,  par 
le  9e  canon  du  concile  d'Antioche,  en  341.  Cf.  Mansi, 
t.  il,  col.  1039.  Nous  les  verrons,  plus  tard,  insister 
encore  sur  ce  point,  et  persister  à  ne  pas  vouloir  s'écarter 
de  ce  principe,  dans  les  12e  et  17e  canons  du  IVe  concile 
œcuménique  de  Chalcédoine.  Cf.  Mansi,  t.  vu,  col.  362; 
Maassen,  Der  Primat  des  Bischofs  von  Rom  und  die 
altcn  Patriarcalkirchen,  in-8°,  Bonn,  1853,  p.  3. 

L'authenticité  de  ce  3e  canon  du  IIe  concile  général 
de  Constantinople  a  été  niée  par  Baronius,  Annal, 
cccles.,  a.  381,  n.  35,  36,  12  in-fol.,  Borne,  1593-1607, 
t.  îv,  p.  342  sq.  ;  mais  il  figure  dans  les  anciennes  collec- 
tions de  Socrate,  H.  E.,  1.  V,  c.  vm,  P.  G.,  t.  lxvii, 
col.  576,  et  de  Sozomène,  H.  E.,  1.  VII,  c.  ix,  ibid.,  col. 
1436. 

Au  sens  littéral,  ce  3e  canon  n'accorde,  cependant,  à 
l'évcque  de  Constantinople  qu'une  prééminence  d'hon- 
neur, TTûsayjsïa  -7J;  tijxtjç;  mais  les  grecs  l'entendirent 
autrement  et  y  virent  une  primauté  égale,  sous  tous 
rapports,  à  celle  du  pape.  Cf.  Mansi,  t.  vi,  col.  607.  Les 
légats  du  pape  saint  Léon  le  Grand,  au  concile  œcumé- 
nique de  Chalcédoine,  en  451,  le  désavouèrent  dans  la 
session  xvi",  Mansi,  t.  vu,  col.  442;  Hardouin,  Colle- 
clio  conciliorum,  t.  n,  col.  635  sq.,  et  le  pape  le  dénonça 
comme  le  fait  d'un  petit  nombre  d'évèques,  quorum- 
dam  episcoporum  conscriptio,  fait  qu'on  n'avait  jamais 
porté  officiellement  à  la  connaissance  du  Siège  aposto- 
lique, ni  soumis  à  son  approbation,  comme  cela  était 
nécessaire.  Episl.,  evi,  n.  2-5,  P.  L.,  t.  liv,  col.  997  sq.. 
1003,  1005,  1007;  Mansi,  t.  vi,  col.  204.  Cf.  S.  Grégoire 
le  Grand,  Epist.,  1.  VII,  epist.  xxxiv,  P.  L.,t.Lxxvn,  col. 
892  sq.  Néanmoins,  ce  3e  canon  fut,  dans  la  suite,  inséré 
dans  le  Décret  de  Gratien,  part.  I,  dist.  XXII,  c.  3, 
mais  avec  cette  rectification  des  censeurs  romains  : 
Canon  hic  ex  iis  est  quos  apostolica  romana  Scdes  a  prin- 
cipio  et  longo  posl  lempore  non  recepil...  idque  tandem, 
pacis  ac  tranquilliiatis  causa  fuit  Mis  concessus,  en 
bien  spécifiant,  toutefois,  qu'il  ne  s'agissait  que  d'une 
primauté  d'honneur.  Cf.  Mansi,  t.  xvi,  col.  174;  t.  xxn, 
col.  991;  Hardouin,  t.  vu,  col.  24  sq.;  Denzinger,  En- 
chiridion,  n.  362. 

Ces  tendances  schismatiques  des  grecs  et  leur  habi- 
tude de  s'appuyer  sur  le  bras  séculier  leur  étaient  trop 
naturelles  et  trop  profondément  enracinées  dans 
l'esprit  pour  que  les  désaveux  venus  de  Borne  pussent 
les  en  détourner.  Ils  persévérèrent  dans  ces  errements, 
après  le  concile  de  Constantinople,  mais  en  les  accen- 
tuant de  plus  en  plus.  Cf.  Socrate,  H.  E.,  1.  VII, 
c.  xxvm,  xlviii,  P.  G.,  t.  lxvii,  col.  801,  840;  Théo- 
doret,  H.  E.,  1.  V,  c.  xxvn,  P.  G.,  t.  lxxxvi,  col.  1256; 
Tillemont,  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  ecclésias- 
tique des  six  premiers  siècles,  16  in-4°,  Paris,  1693-1712, 
t.  xv,  p.  700  sq. 

Au  IVe  concile  œcuménique  de  Chalcédoine,  en  451, 
les  grecs,  vers  la  fin,  profitèrent  de  l'absence  des  légats 
du  Saint-Siège,  pour  définir,  sous  l'influence  de  la  cour 
de  Byzance,  dans  la  xv°  session,  can.  28,  que  l'évo- 
que de  Constantinople,  quoique  le  second  par  rang 
d'ancienneté  après  le  pape  de  l'Église  universelle,  a 
cependant  les  mêmes  privilèges  que  lui.  Us  revenaient 
ainsi  sur  le  3e  canon  du  concile  précédent,  mais  en  le 
précisant  davantage.  Cf.  Mansi,  t.  vu,  col.  246,  443  sq., 
452  sq.  ;  Hardouin,  Collcctio  conciliorum,  t.  u,  col.  626, 


1537 


GOUVERNEMENT   ECCLÉSIASTIQUE 


1538 


638,  642.  Ils  ne  craignirent  pas  d'y  affirmer  hautement 
cette  énormité,  qu'ils  n'avaient  osé  qu'insinuer  au  con- 
cile de  Constantinople,  à  savoir  :  que  les  Parcs  ont 
accordé  au  siège  de  l'ancienne  Rome  les  privilèges  de 
la  primauté,  parce  que  cette  ville  était  la  ville  impé- 
riale :  Kaî  yào  Ttii  Oprjvo)  -fj;  ^psaSuispa;  'Pwjatjç,  oià  to 
BaaiXeûeiv  tt)v  zôXw  èy.eivr[v,  oî  -n-épi;  àr.rjùiOiMavi. 
Ta  -oîjSîix.  Il  était  donc  logique  que,  pour  le  même 
motif,  la  nouvelle  Rome,  honorée  par  la  résidence  de 
l'empereur,  du  sénat  et  des  grands  dignitaires  de  l'em- 
pire, et  jouissant  des  mêmes  privilèges  politiques  que 
l'ancienne  ville  impériale,  reçût  les  mêmes  avantages 
dans  l'ordre  ecclésiastique.  Ainsi  ce  n'est  pas  à  saint 
Pierre  qu'ils  attribuaient  d'avoir  placé  le  siège  du  sou- 
verain pontificat  dans  la  ville  de  Rome,  mais  aux  Pères. 
Lesquels  ?  ils  ne  le  disaient  pas.  Or,  ou  bien  ces 
Pères  étaient  considérés  en  cela  comme  les  témoins  de 
la  tradition  apostolique  et  divine  et,  alors,  on  ne  pou- 
vait étendre  à  Constantinople  les  privilèges  spirituels 
qu'ils  reconnaissaient  à  l'ancienne  Rome;  ou  bien,  ils 
avaient  agi  par  eux-mêmes,  de  leur  propre  autorité, 
par  un  consentement  commun;  mais  alors,  avant  qu'ils 
eussent  attribué  à  Rome  les  privilèges  de  la  primauté, 
elle  ne  les  aurait  pas  eus.  Où  donc,  avant  cette  con- 
cession des  Pères,  résidait  le  chef  de  l'Église,  d'après 
les  grecs  ?  Était-elle  acéphale  ?  Fut-elle  une  république 
avant  de  devenir  une  monarchie  ?  Et  si  les  Pères,  dont 
il  est  ici  question,  furent  les  apôtres  eux-mêmes,  il  est 
impossible  de  s'appuyer  sur  leur  autorité  pour  formuler 
quelque  chose  de  semblable  à  l'égard  de  Constantinople 
dont  l'Église  n'est  pas  de  fondation  apostolique,  vérité 
historique  tellement  certaine  à  l'époque  du  concile  de 
Chalcédoine,  que  les  grecs  pour  soutenir  leur  prétention 
n'osèrent  pas  invoquer  le  fait  de  la  présence  d'un  apô- 
tre à  Byzance,  au  Ier  siècle  de  l'ère  chrétienne,  mais 
seulement  celui  de  la  présence  de  l'empereur,  depuis 
Constantin,  c'est-à-dire  trois  siècles  plus  tard.  Affirmer 
aussi  catégoriquement  que  Rome  est  redevable  de  sa 
situation  ecclésiastique  à  son  caractère  de  capitale  de 
l'empire,  c'est  se  mettre  en  contradiction  avec  la  vérité 
historique.  On  ne  trouve,  dans  les  écrits  des  apôtres, 
rien  qui  justifie  cette  manière  de  voir.  La  tradition 
aussi  est  muette  sur  ce  point,  et  le  Ier  concile  géné- 
ral, celui  de  Nicée,  en  325,  n'a  pas  donné  les  préroga- 
tives de  la  primauté  au  siège  de  Rome,  mais  déclare, 
dans  son  6e  canon,  qu'il  a  trouvé  déjà  établie,  durant 
les  siècles  précédents,  cette  situation  privilégiée  de  la 
ville  de  Rome.  Cf.  Mansi,  t.  n,  col.  668,  687,  955,  1127; 
Hardouin,  1. 1,  col.  325,  463,  919;  Maassen,  Der  Primai 
des  Bischofs  von  Rom...,  p.  71,  76  sq.,  90-95,  140. 

Ce  sentiment  des  grecs  que  !e  rang  d'un  évêque  dans 
la  hiérarchie  sacrée  devait  être  fixé,  selon  l'importance, 
au  point  de  vue  civil,  de  la  ville  où  est  son  siège,  fut 
réprouvé  par  le  pape  saint  Léon  le  Grand,  auquel  il 
appartenait  d'approuver  les  canons  du  concile  de  Chal- 
cédoine. Dans  sa  lettre,  il  fit  remarquer  la  profonde 
différence  qui  existe  entre  ce  qui  est  du  monde  et  ce 
qui  est  de  Dieu  :  alia  ratio  est  rerum  sœcularium,  alia 
diuinarum.  Il  rappelle  nettement  que  ce  qui  assure  à 
une  ville  un  rang  élevé  dans  la  hiérarchie  ecclésiastique 
n'est  pas  la  présence  d'un  prince  séculier,  mais  l'origine 
apostolique  d'une  Église,  sa  fondation  par  les  apôtres, 
et  le  rang  dans  lequel  eux-mêmes  ont  voulu  l'établir. 
Episl.,  civ,  n.  3,  P.  L.,  t.  liv,  col.  995.  Or,  dit  le  même 
pape  à  l'empereur  Marcien,  l'évêque  de  Constantinople 
ne  peut  pas  faire  que  cette  ville,  résidence  impériale, 
soit  de  fondation  apostolique  :  regiam  civilalem  apo- 
stolicam  non  polesl  lacère  sedem.  Epist.,  cv.  Cf.  Mansi, 
t.  vi,  col.  187  sq.;  Epist.,  evi,  n.  2,  P.  I -,  t  liv,  col. 
1003. 

Il  est  certain  que  les  apôtres  avaient  fondé  des  églises 
de  préférence  dans  les  villes  les  plus  considérables,  afin 
qu'elles  constituassent  comme  des  centres,  d'où  le  chris- 


tianisme pourrait  plus  facilement  rayonner.  C'est  ainsi 
qu'il  arriva  que,  de  fait,  les  métropoles  ecclésiastiques 
furent,  d'ordinaire,  établies  dans  les  métropoles  civiles  ; 
mais  il  n'y  avait  là  qu'une  concomitance  et  nullement 
une  relation  de  cause  à  effet.  Ces  sièges  épiscopaux 
furent  donc  des  métropoles  ecclésiastiques,  non  parce 
qu'ils  se  trouvaient  dans  des  villes  importantes,  mais 
parce  que  les  apôtres,  pour  des  raisons  d'utilité,  les 
avaient  placés  là.  C'est  ce  que  note  avec  soin  saint  Cy- 
prien,  dans  une  de  ses  lettres  rapportée  par  Mansi,  t.  m, 
col.  40  :  Roma  est  Ecclesia  principalis,  quia  est  cathedra 
Pétri.  Le  concile  de  Sardique  s'exprime  de  même  :  Ad 
capul,  id  est  ad  sedem  Pétri,  de  singulis  quibusque  pro- 
vinciis  Domini  référant  sacerdoles.  Hardouin,  Collectio 
conciliorum,  t.  i,  col.  653.  Saint  Augustin,  en  divers 
endroits,  rappelle  la  même  vérité.  Contra  lilleras  Peli- 
liani,  c.  li,  P.  L.,t.  xliii,  col.  300;  Epist.,  clxii,  n.  7, 
P.  L.,  t.  xxxm,  col.  707.  Le  pape  Pelage  Ier,  dans  sa 
lettre  Ad  episcopos  Tusciee,  en  556,  expose,  à  son  tour, 
le  même  principe.  Cf.  Mansi,  t.  ix,  col.  716. 

Cependant  le  28e  canon  du  IV0  concile  de  Chalcé- 
doine, ainsi  subrepticement  voté,  avait  provoqué  une 
dernière  session,  la  xvie.  Mansi,  t.  vu,  col.  423-454; 
Hardouin,  t.  n,  col.  623-644.  Les  légats  du  Saint-Siège 
y  protestèrent  contre  ce  qui  avait  été  tramé  en  leur 
absence.  Néanmoins,  sous  la  pression  des  commissaires 
impériaux,  ce  28e  canon  qui  portait  si  gravement  atteinte 
aux  droits  inaliénables  de  la  chaire  de  saint  Pierre,  fut 
maintenu  par  le  servilisme  des  évêques  grecs  encore 
présents;  plusieurs,  en  effet,  étaient  déjà  partis.  Le 
pape  saint  Léon  le  Grand,  par  lequel  on  chercha  à  le 
faire  confirmer,  non  seulement  ne  l'approuva  pas, 
mais  le  rejeta  formellement,  et  le  cassa,  en  vertu  de 
l'autorité  du  prince  des  apôtres,  comme  il  le  dit  dans  sa 
lettre  à  l'empereur  Marcien  citée  plus  haut,  dans  celle 
à  l'impératrice  Pulchérie,  dans  celles  à  l'évêque  de 
Constantinople  lui-même  et  à  plusieurs  autres  évêques 
d'Orient.  Cf.  Mansi,  t.  vi,  col.  195  sq.,  198  sq.,  207,  220, 
234  sq. 

L'absence  des  légats  du  pape  et  le  refus  de  confir- 
mation de  la  part  du  souverain  pontife  furent  la  cause 
que  ce  28e  canon  fut  considéré  comme  non  avenu,  et 
manque  dans  beaucoup  de  manuscrits  des  procès- 
verbaux  des  sessions  du  concile  de  Chalcédoine,  soit 
latins,  soit  même  grecs,  soit  arabes.  Ils  ne  renfer- 
ment que  les  27  premiers  canons.  Cf.  Mansi,  t.  vi, 
col.  1169;  t.  vu,  col.  370,  380,  400;  Hergenrôther,  Pho- 
lius  Patriarch  von  Conslanlinopcl,  3  in-80,  Ratisbonne, 
1867-1869,  t.  i,  p.  74  sq. 

Malgré  ces  protestations  de  saint  Léon  le  Grand, 
ainsi  que  celles  de  plusieurs  de  ses  successeurs,  les 
papes  Simplicius,  Félix  III  et  saint  Gélase,  les  évêques 
de  Constantinople,  soutenus  par  les  empereurs,  ne 
cessèrent  d'exercer  les  prétendus  droits  que  leur  con- 
férait ce  28e  canon.  Ils  allèrent  même  plus  loin  dans 
leurs  visées  ambitieuses.  Au  temps  du  pape  Pelage  II 
et  de  son  successeur  saint  Grégoire  le  Grand,  à  la  fin 
du  vie  siècle  et  au  commencement  du  vne,  ils  s'attri- 
buèrent le  titre  de  patriarche  œcuménique,  non  dans 
un  sens  restreint,  comme  on  le  trouve  parfois  déjà 
dans  les  manuscrits  antérieurs,  mais  en  étendant  la  por- 
tée de  cette  expression,  au  point  qu'elle  signifiait  pa- 
triarche de  l'Église  universelle,  de  même  que  les  con- 
ciles œcuméniques  représentent  la  totalité  des  évêques 
du  monde  entier.  Leur  prétention  effrénée  força  le 
pape  saint  Grégoire  le  Grand  à  écrire,  à  intervalles 
rapprochés,  de  nombreuses  lettres  sur  ce  sujet,  soit  à 
Jean,  évêque  de  Constantinople,  soit  à  l'empereur 
Marcien,  soit  à  l'impératrice  Constance  et  aux  autres 
métropolitains  de  l'Orient.  Cf.  P.  L.,  t.  lxxvii, 
col.  758,  962,  995,  1047,  etc. 

Pour  réprimer  cette  ambition  démesurée  de  l'évêque 
de  Constantinople,  saint  Grégoire  le  Grand  refusa  ce 


DICT.    DE   THÉOL.  CAI'HOL. 


VI.  -  19 


1  :.:i!i 


GOUVERNEMENT   ECCLÉSIASTIQUE 


1540 


titre  pour  lui-même,  quoiqu'il  y  eût  droit,  et  ne  con- 
sentit à  porter  que  celui  de  serviteur  des  serviteurs  de 
Dieu,  titre  qu'il  légua  à  ses  sucesseurs  sur  la  chaire  de 
saint  Pierre.  Cf.  Mansi,  t.  ix,  col.  1210,  1214,  1217; 
Ilardouin,  t.  vi,  col.  932;  Palmieri,  De  romano  ponli- 
fice,  part.  II,  c.  i,  a.  1,  thés,  xix,  p.  446-453. 

Les  évêques  de  Constantinople  n'en  continuèrent  pas 
moins  à  garder  le  titre  prétentieux  de  patriarche 
œcuménique.  Puis,  ils  en  vinrent  à  cet  excès  d'aberra- 
tion de  considérer  Févêque  de  cette  ville,  non  seule- 
ment comme  l'égal  du  pape,  mais  comme  son  supérieur, 
ou  plutôt  le  seul  pape,  lorsque,  Constantinople  conti- 
nuant à  être  la  résidence  impériale,  l'ancienne  Rome 
fut  tombée  aux  mains  des  barbares,  ou  de  ceux  que  les 
grecs  persistèrent  à  appeler  dédaigneusement  de  ce 
nom.  Ils  en  voulaient  à  ce  monde  barbare  qui,  en 
s'arrachant  à  la  domination  des  empereurs,  reconnut, 
dès  qu'il  se  fit  catholique,  la  primauté  des  successeurs 
de  saint  Pierre.  Les  conséquences  de  cet  état  d'esprit 
furent  une  série  de  schismes  temporaires,  qui,  en  der- 
nière analyse,  aboutirent  au  schisme  définitif,  con- 
sommé dans  le  milieu  du  xie  siècle. 

2°  Erreurs  de  ceux  qui  voudraient  faire  du  gouverne- 
ment ecclésiastique  une  monarchie  tempérée  d'aristocratie. 
—  On  voit  ce  sentiment  paraître  au  grand  jour,  pour  la 
première  fois,  à  la  fin  du  xe  siècle,  en  quelques  cas 
isolés,  cependant,  et  qui  n'eurent  pas  de  suites  immé- 
diates. Ce  furent,  par  exemple,  en  991,  les  pages  véhé- 
mentes d'Arnould,  évoque  d'Orléans,  contre  ce  qu'il  ap- 
pelait les  prétentions  pontificales.  Cf.  P.  L.,  t.  cxxxix, 
col.  287-338.  Gerbert,  le  futur  Sylvestre  II,  partagea 
aussi,  quelque  temps,  ces  idées.  Cf.  P.  L.,  t.  cxxxix, 
col.  289.  Mais,  pendant  les  trois  siècles  subséquents,  tous 
les  auteurs,  théologiens  ou  canonistes,  reconnaissent 
encore,  sans  la  moindre  restriction,  la  forme  pleine- 
ment monarchique   du   gouvernement  ecclésiastique. 

Au  commencement  du  xivc  siècle  seulement  reparut 
l'opinion  que  cette  monarchie  doit  être,  en  vertu  même 
de  son  institution,  tempérée  par  l'aristocratie  épisco- 
pale.  Ces  doctrines  erronées  sont  clairement  et  longue- 
ment exposées  dans  le  principal  ouvrage  de  Guillaume 
Durand  le  Jeune,  évêque  de  Mende,  qu'il  ne  faut  pas 
confondre  avec  son  oncle  paternel,  Guillaume  Durand 
l'Ancien,  qui  le  précéda  sur  le  siège  épiscopal  de  cette 
ville.  Celui-ci,  mort  en  1296,  avait  professé  ouverte- 
ment, comme  les  grands  théologiens  de  son  époque, 
entre  autres  saint  Thomas  et  saint  Bonaventure,  la 
thèse  catholique  de  la  monarchie  pontificale.  Dans  son 
célèbre  Ralionale  divinorum  ofjiciorum,  1.  II,  De  per- 
sonis,  c.  i,  n.  17,  il  avait  dit  :  Sicut  oslium  cardine 
regiiur,  sic  illias  (papœ)  auctoritale  omnes  Ecclesise 
rcgunlur...  Papa,  id  est,  paler  palrum...  caput  est  om- 
nium ponti/icum.  a  quo  illi  lanquam  a  capile  membra 
descendant,  et  de  cujus  pleniludine  omnes  accipiunt, 
quos  vocal  in  parlcm  solliciludinis,  non  in  plenitudincm 
potestalis.  Son  neveu  écrivit,  en  1307,  comme  prépara- 
tion au  concile  œcuménique  de  Vienne  le  Traciatus  de 
modo  concilii  generalis  celebrandi,  et  corruptelis  in 
Ecclesia  reformandis.  Il  ne  se  contente  pas  d'y  dé- 
peindre en  couleurs  extrêmement  sombres  les  désor- 
dres dont  soufirait  l'Église;  mais  il  propose  le  remède 
à  tant  de  maux.  D'après  lui,  on  n'en  saurait  trouver 
d'autre  que  celui  d'un  remaniement  profond  du  gou- 
vernement ecclésiastique,  par  une  forte  limitation  ap- 
portée au  pouvoir  du  pape,  et  une  large  extension 
accordée  à  celui  des  évêques,  successeurs  légitimes  des 
apôtres,  qu'il  s'attache  à  montrer  en  tout  égaux  à  saint 
Pierre  :  qui  parem  cum  Petro  honorcm  et  poteslatem 
accepcrunl  a  Deo,  part.  III,  tit.  xxxvn.  Les  évêques, 
dit-il,  doivent  être  pratiquement,  comme  ils  le  sont 
de  droilt  divin,  maîtres  absolus  dans  leur  diocèse.  En 
outre,  ils  doivent  participer  effectivement  au  gouverne- 
ment de  l'Église  universelle,  et,  pour  cela,  se  réunir 


tous  les  dix  ans,  en  conciles  généraux,  souverains  dans 
leurs  attributions,  et  dont  le  pape  sera  chargé  de  faire 
observer  les  décrets. 

C'est  bien  là,  à  n'en  pas  douter,  le  concept  d'une 
monarchie  tempérée  d'aristocratie.  Le  pape  n'a  plus 
que  le  pouvoir  exécutif.  Le  pouvoir  législatif  lui 
échappe,  et,  comme  tous  les  autres  chrétiens,  il  est 
soumis  aux  lois  portées  par  l'épiscopat. 

Cette  doctrine  n'eut  aucun  succès  au  concile  de 
Vienne,  1311-1312.  Elle  provoqua,  au  contraire,  des 
protestations  nombreuses  et  l'affirmation  réitérée  que 
le  pape  a  pleine  autorité  sur  l'Église  entière,  dispersée 
ou  réunie,  et  qu'il  a  juridiction  immédiate  et  ordinaire 
sur  tous  les  chrétiens. 

Mais  les  choses  se  passèrent  autrement,  un  siècle 
plus  tard,  au  concile  de  Constance,  réuni  pour  mettre 
fin  au  grand  schisme  d'Occident.  En  face  de  cette 
situation  douloureuse  et  si  profondément  troublée  de 
l'Église  partagée  en  deux,  puis  trois  obédiences;  à  la 
vue  de  trois  pontifes  se  disputant  la  tiare,  et  s'excom- 
muniant  publiquement  les  uns  les  autres,  les  esprits 
s'étaient  agités,  et  l'on  se  demandait  de  toutes  parts 
quel  était  le  meilleur  moyen  de  remédier  à  un  mal  si 
funeste,  dont  les  conséquences  étaient  si  déplorables. 
Dès  1381,  Pierre  d'Ailly,  professeur  de  théologie  à  l'uni- 
versité de  Paris,  avait  proclamé,  dans  un  discours  so- 
lennel prononcé  devant  une  assemblée  nombreuse, 
qu'il  n'y  en  avait  pas  d'autre  que  la  convocation  d'un 
concile  général.  Mais  le  concile  général  ne  pouvait 
atteindre  ce  but  si  désirable,  qu'à  la  condition  d'être 
supérieur  au  pape  et  de  pouvoir  lui  imposer  son  auto- 
rité. L'orateur  ne  recula  pas  devant  cette  proposition. 
Il  la  développa  longuement,  l'étayant  de  toutes  les 
preuves  possibles,  affirmant  que  le  Christ  ayant  fait 
son  Église  immortelle  avait  dû  lui  donner  la  puissance 
de  sortir  d'un  tel  abîme.  Donc,  le  concile  général  tenait 
sa  juridiction  immédiatement  du  Christ,  et  avait  plein 
pouvoir  pour  légiférer  et  juger,  tandis  que  le  pape 
n'était  que  le  ministre  du  concile  et  l'exécuteur  de  ses 
décrets.  Si  le  pape  venait  à  faillir  dans  la  foi  et  à 
s'écarter  de  la  voie  droite,  le  concile,  son  supérieur, 
pouvait  juger  sa  doctrine  aussi  bien  que  sa  conduite, 
le  condamner  et  même  le  déposer,  si  le  coupable  persé- 
vérait dans  ses  errements,  scandalisait  l'Église  et 
devenait  un  danger  pour  elle,  au  lieu  de  l'édifier,  de 
la  soutenir  et  d'étendre  son  action  sur  les  âmes.  Voir 
Ailly  (Pierre  d'),  1. 1,  col.  647  sq. 

Dans  ces  hardiesses  de  langage  se  reflètent  les  pen- 
sées et  les  préoccupations  d'un  grand  nombre  des  con- 
temporains de  l'orateur,  et  non  des  moins  haut  placés. 
Professeurs  de  théologie,  docteurs  des  universités,  pré- 
lats, abbés  mitres,  évêques  et  cardinaux  même  abon- 
daient dans  ce  sens.  Leur  excuse  est  leur  vif  désir  de 
sortir  de  la  situation  inextricable  dans  laquelle  on 
se  trouvait.  Plusieurs  même  étaient  plus  radicaux 
encore  dans  leur  manière  de  concevoir  l'essence  du 
gouvernement  ecclésiastique,  afin  de  découvrir  dans 
sa  constitution  le  pouvoir  qu'il  avait  de  se  réformer 
lui-même.  Un  des  plus  illustres  élèves  de  Pierre  d'Ailly, 
et  son  successeur  dans  la  chaire  de  théologie  de  l'univer- 
sité de  Paris,  quand  le  maître  eut  été  promu  à  l'épis- 
copat, le  pieux  Gerson,  comme  nous  le  verrons  plus  bas, 
non  seulement  adopta  ses  principes  sur  le  gouverne- 
ment ecclésiastique,  mais  en  poussa  les  conséquences 
extrêmement  loin,  au  point  d'admettre  que,  le  concile 
pouvant  faillir  lui  aussi  dans  la  foi,  comme  le  concédait 
Pierre  d'Ailly,  l'infaillibilité  promise  par  le  Christ  à  son 
Église  ne  reposait  que  sur  la  multitude  des  fidèles, 
dont  les  évêques  n'étaient  que  les  mandataires  ou  les 
délégués. 

Les  principes  de  Pierre  d'Ailly  furent  appliqués  par 
le  concile  de  Pise,  qui,  le  5  juin  1409,  déposa  les  deux 
papes,  comme  convaincus  d'être  schismatiques,  héré- 


1541 


GOUVERNEMENT    ECCLÉSIASTIQUE 


1542 


tiques,  opiniâtres  et  incorrigibles.  En  conséquence,  il 
autorisa  les  cardinaux  à  procéder  à  une  nouvelle  élec- 
tion pontificale.  De  ce  conclave  singulier  sortit 
Alexandre  V;  mais  comme  le  concile  de  Pise  était  loin 
d'être  œcuménique,  il  ne  fut  pas  reconnu  par  une 
grande  partie  de  la  chrétienté,  et,  au  lieu  de  deux  papes, 
on  en  eut  trois.  Le  remède  était  pire  que  le  mal. 

Nous  ne  raconterons  pas  ici  comment  et  en  vertu  de 
quel  prétendu  droit  le  concile  de  Constance,  convoqué 
en  1414,  en  arriva  à  déposer  deux  papes,  reçut  la  démis- 
sion du  troisième,  et,  le  11  novembre  1417,  applaudit 
à  l'élection  de  Martin  V.  Cette  épreuve,  une  des  plus 
terribles  que  l'Église  ait  traversées,  se  terminait  enfin 
par  le  retour  du  monde  chrétien  à  l'unité;  mais  de 
sérieuses  tentatives  avaient  été  faites  par  les  membres 
de  cette  tumultueuse  assemblée  contre  la  divine  con- 
stitution du  gouvernement  ecclésiastique.  On  y  avait 
affirmé,  à  diverses  reprises,  la  supériorité  du  concile  sur 
le  pape,  et  on  avait  proclamé  la  nécessité  de  la  convo- 
cation périodique  des  conciles  généraux,  pour  con- 
trôler, réglementer  et  diriger  même  l'administration 
du  chef  de  l'Église.  Ces  prescriptions  furent  arrêtées 
dans  la  xxxixe  session,  celle  du  9  octobre  1417,  un 
mois  avant  l'élection  du  pontife  légitime,  auquel  on  se 
proposait  de  les  imposer.  Suivant  le  décret  Frcquens, 
le  premier  de  cette  session,  les  conciles  généraux 
devaient  être  réunis  périodiquement,  avec  cette  clause, 
cependant,  que  le  premier  se  tiendrait  cinq  ans  après 
celui  de  Constance;  le  second,  sept  ans  après  le  premier, 
et  ensuite  régulièrement  de  dix  en  dix  ans.  Chaque 
concile,  avant  de  clore  ses  travaux,  fixerait  le  lieu  et  la 
date  des  prochaines  assises  générales  de  l'épiscopat. 
Mais  si  un  schisme  se  produisait,  le  concile  devrait,  de 
plein  droit,  se  réunir  dans  l'année  même,  et  aucun  des 
prétendants  à  la  papauté  ne  le  présiderait,  tous  étant 
suspendus,  ipso  facto. 

Dans  la  xl«  session,  30  octobre,  le  concile  décréta 
et  ordonna,  au  nom  de  l'Église  universelle,  que  le  futur 
pape,  à  l'élection  duquel  on  allait  procéder,  serait 
obligé,  de  concert  avec  le  concile,  ou  les  représentants 
de  celui-ci,  à  travailler  à  la  réforme  de  l'Église  dans  son 
chef  et  dans  ses  membres,  avant  même  la  dissolution  du 
concile,  et  d'après  un  programme  élaboré  par  le  con- 
cile lui-même.  Ainsi  le  concile  usait  à  l'avance  de  sa 
prétendue  autorité  sur  le  pape  futur,  et  lui  signifiait 
impérieusement  ses  volontés,  auxquelles  l'élu  devrait 
se  conformer  fidèlement.  Si  ces  dispositions  draco- 
niennes laissaient  subsister,  en  principe,  la  monarchie 
pontificale,  elles  y  apporteraient  une  notable  restric- 
tion D'aucuns  y  verront  même  plus  qu'un  simple  tem- 
pérament, et  plutôt  une  véritable  et  gênante  tutelle. 
C'était  bel  et  bien,  au  sens  juridique  du  mot,  une  dimi- 
nulio  capilis.  Mesures  fort  graves,  ne  tendant  à  rien 
moins  qu'à  modifier,  dans  ses  lignes  essentielles,  la 
constitution  du  gouvernement  ecclésiastique,  telle  que 
l'avait  établie  le  divin  fondateur  de  l'Eglise.  Elles  ne 
furent,  d'ailleurs,  jamais  approuvées  ou  confirmées 
par  le  pape,  ni  par  Martin  V,  ni  par  aucun  de  ses  suc- 
cesseurs. Voir  Constance  (Concile  de),  t.  m,  col.  1200  sq. 

Elles  n'en  eurent  pas  moins  des  conséquences  extrê- 
mement regrettables,  et  qui  exposèrent  l'Église  aux 
plus  redoutables  dangers.  On  s'en  aperçut  bien  dans  le 
concile  de  Bàle  que  l'on  prétendit  imposer,  en  vertu 
des  décrets  du  concile  de  Constance,  au  pape  Eugène  IV, 
successeur  de  Martin  V,  et  qui  finit  par  dégénérer  en 
conciliabule  schismatique.  Là  se  manifestèrent  de  plus 
en  plus  ces  tendances,  ou  plutôt  ces  intentions  bien 
arrêtées  d'une  partie  de  l'épiscopat  de  faire  du  concile 
général  un  rouage  permanent,  ordinaire  et  nécessaire 
du  gouvernement  ecclésiastique,  et  transformer  ainsi 
l'Église  en  monarchie  parlementaire. 

Ce  mouvement  d'opinion  occasionna  d'abord,  cinq 
ans  après  le  concile  de  Constance,  la  réunion  de  celui 


de  Pavie-Sienne,  qui  se  tint  de  1423  à  1424  et  fut 
dissous  prématurément,  et  comme  à  l'improvistc. 
Mais,  avant  de  se  séparer,  les  membres  de  l'assemblée 
eurent  le  temps  d'indiquer  un  nouveau  concile,  qui, 
suivant  les  prescriptions  conciliaires  de  Constance, 
devait  se  tenir  en  1431.  La  ville  de  Bàle  fut  choisie  à  cet 
effet,  et  Martin  V,  quoique  à  regret,  avait  acquiescé  à 
cette  sorte  de  sommation.  Mansi,  t.  xxvni,  col.  1071  sq.  ; 
t.  xxix,  col.  11  sq.  ;  Hardouin,  t.  vin,  col.  895,  1109, 
1113.  Il  mourut  au  moment  où  le  concile  allait  s'ouvrir, 
20  février  1431.  Le  jour  même  de  cette  ouverture, 
3  mars  1431,  Eugène  IV  était  élu;  mais  il  avait  dû, 
avant  l'élection,  comme  les  autres  cardinaux,  pro- 
mettre de  se  conformer  en  tout  aux  prescriptions  du 
concile  de  Constance,  et  de  ne  prendre  aucune  mesure 
importante  pour  le  bien  de  l'Église,  non  seulement 
sans  le  conseil,  mais  aussi  sans  l'approbation  formelle 
du  Sacré-Collège.  C'était  toujours  la  papauté  mise 
sous  tutelle;  une  monarchie  fortement  tempérée  d'aris- 
tocratie, et  un  état  de  choses  en  opposition  avec  la 
divine  constitution  du  gouvernement  ecclésiastique, 
car  le  pouvoir  suprême  ne  résidait  plus  dans  le  pape, 
mais  était  partagé  entre  lui  et  le  collège  des  cardinaux. 
Le  concile  de  Bàle  renchérit  encore  sur  ces  préten- 
tions cardinalices.  Par  ses  exigences  et  ses  menaces,  en 
effet,  quoique  le  concile  comptât  encore  peu  d'évêques 
présents,  il  manifesta  une  hostilité  très  marquée  contre 
le  pape,  et  afficha  la  prétention  de  gouverner  l'Église. 
Les  choses  en  vinrent  à  tel  point  que,  vers  la  fin  de 
l'année,  le  18  décembre,  Eugène  IV,  par  une  bulle, 
prononça  la  dissolution  du  concile.  Cf.  Mansi,  t.  xxix, 
col.  564.  A  cet  acte  du  souverain  pontife,  le  concile 
répondit  en  renouvelant  les  décrets  conciliaires  de 
Constance,  alfirmant  expressément  et  formellement 
qu'il  ne  pouvait  être  dissous  par  aucune  puissance, 
même  papale,  laquelle,  au  contraire,  devait  lui  obéir, 
sous  peine  d'être  punie,  même  par  la  déposition;  et  que, 
si  le  pape  ne  voulait  pas  réformer  l'Église,  en  son  chef 
et  en  ses  membres,  le  concile  y  pourvoirait  de  sa  propre 
et  souveraine  autorité.  C'était  la  révolte.  Les  évêques 
qui  prirent  de  si  graves  décisions  n'étaient  pas  nom- 
breux encore,  il  est  vrai;  mais  ils  se  sentaient  soutenus 
par  l'opinion  publique,  et  surtout  par  le  personnel  des 
grandes  universités  d'Europe.  Des  livres  furent  écrits 
pour  démontrer  la  prétendue  supériorité  du  concile 
œcuménique  sur  le  pape;  et  ce  qui  n'avait  été  imaginé 
à  Constance  que  comme  un  expédient  pour  terminer 
le  grand  schisme,  devint  l'objet  d'un  enseignement 
doctrinal,  proposé  comme  vérité  de  foi  catholique, 
sapant  dans  sa  base  l'institution  même  de  la  papauté, 
puisqu'il  tendait  à  détruire,  en  fait,  la  primauté  du 
souverain  pontife,  en  lui  enlevant  l'administration  de 
l'Église.  Cf.  Mansi,  t.  xxix,  col.  90  sq.,  409,  564;  Har- 
douin, t.  vni,  col.  1183,  1465,  1578.  Nous  n'entrerons 
pas  dans  le  récit  de  ces  douloureux  débats  qui  abou- 
tirent à  un  nouveau  schisme,  lequel  heureusement  ne 
fut  pas  de  longue  durée.  Voir  Bale  (Concile  de),  t.  n, 
col.  113  sq.  Mais  ces  mauvaises  doctrines  persistèrent, 
comme  un  virus  dans  le  corps  social.  Elles  engen- 
drèrent le  gallicanisme,  survécurent  grâce  à  lui,  s'éten- 
dirent, et  se  formulèrent  plus  tard,  dans  les  quatre 
articles  de  la  trop  fameuse  déclaration  du  clergé  de 
France,  en  1682.  Voir  Gallicanisme.  Cf.  Palmieri,  De 
romano  pontificc,  part.  II,  c.  i,  a.  1,  thes.  xvi,  p.  396  sq.  ; 
Mazzella,  De  religione  cl  Ecclcsia,  disp.  III,  a.  8,  §1, 
n.  537,  p.  428;  Pesch,  De  Ecclcsia  Christi,  part.  II, 
sect.  ii,  prop.  34,  n.  373  sq.,  Prœlcclioncs  thcologicœ, 
t.  i,  p.  233  sq.  ;  Wilmers,  De  Ecclcsia  Christi,  1.  II,  c.  m, 
n.  134,  p.  239  sq.  ;  Billot,  De  Ecclesia  Christi,  part.  II, 
c.  ni,  q.  xni,  §  2,  p.  532-535.  Ces  erreurs  se  firent  jour 
encore  à  l'époque  du  concile  du  Vatican.  Cf.  Mgr  Maret, 
Le  concile  général  et  la  paix  religieuse,  2  in-8°,  Paris, 
1869;  Le  pape  et  les  évrqucs,  in-8°,  Paris,  1869. 


1543 


GOUVERNEMENT    ECCLESIASTIQUE 


1544 


3°  Erreurs  de  ceux  qui  voudraient  jaire  du  gouverne- 
ment ecclésiastique  une  simple  aristocratie  sans  aucun 
chef  suprême.  —  Tel  est  le  sentiment  de  plusieurs  sectes 
qui,  séparées  de  la  véritable  Église,  gardent,  néanmoins, 
une  certaine  hiérarchie,  et  affirment  que  l'Église  catho- 
lique se  compose  des  diverses  Églises  nationales,  qui 
ont  leurs  évêques  et  leur  clergé,  mais  ne  reconnaissent 
pas  la  primauté  du  souverain  pontife.  Ces  Églises, 
ainsi  séparées  du  centre  de  la  catholicité,  se  prétendent 
égales  entre  elles,  et  sur  le  même  pied  que  l'Église 
romaine.  Elles  affirment  appartenir  aussi  bien  que 
celle-ci  au  bercail  du  Christ,  le  seul  suprême  pasteur, 
qui  aurait  voulu,  s^lon  elles,  donner  à  son  Église  un 
gouvernement  simplement  aristocratique,  par  le  moyen 
des  évêques  successeurs  des  apôtres,  évoques  tous 
égaux  entre  eux,  comme  le  furent  les  apôtres.  Toutes 
ces  Églises  nationales,  quel  que  soit  leur  nom,  seraient 
donc  des  parties  ou  des  branches  de  l'Église  universelle; 
des  Églises-sœurs  qui,  étant  filles  du  même  Père, 
doivent  être  unies  entre  elles  par  la  sympathie  et  le 
respect  mutuel,  quoiqu'il  n'y  ait  entre  elles  aucun  lien 
de  subordination  et  d'obéissance.  Elles  vivent  côte  à 
côte,  et  forment  une  sorte  de  fédération  spirituelle. 

Parmi  les  anglicans  surtout,  ce  concept  du  gouverne- 
ment ecclésiastique  trouve  un  grand  nombre  de  parti- 
sans. On  rencontre  parmi  eux,  et  se  disant  appartenir 
à  l'Église  catholique  :  l'Église  épiscopalienne  d'Angle- 
terre, ou  haute  Église,  la  High  Church  oj  England; 
celle  d'Irlande,  Church  of  Ircland;  celle  d'Ecosse, 
Scollish  cpiscopal  Church.  Celle  des  États-Unis  s'appe- 
lait, d'abord,  Protestant  cpiscopal  Church;  mais,  depuis 
plus  d'un  quart  de  siècle,  elle  a  affirmé  plus  clairement 
sa  prétention  d'appartenir  à  l'Église  catholique,  en  se 
faisant  appeler  American  brandi  of  (lie  calholic  Church. 
Ces  diverses  branches  ne  refuseraient  pas  de  s'unir  à 
l'Église  romaine,  si  celle-ci  consentait  à  les  reconnaître 
comme  des  portions  de  la  véritable  Église  du  Christ. 
Voir  Catholicité,  t.  n,  col.  2010  sq.  Cf.  Dôllinger, 
L'Église  cl  les  Églises,  in-8°,  Paris,  1861. 

Quand  ces  diverses  Églises  séparées  se  réunissent  en 
congrès,  sortes  de  conciles  «  pananglicans  »,  où  l'on 
compte  parfois  de  deux  cents  à  trois  cents  évêques  de 
tous  les  pays  soumis  à  la  domination  anglaise  :  îles 
Britanniques,  colonies,  Indes,  Australie,  Afrique  et 
même  des  États-Unis  de  l'Amérique  du  Nord,  elles 
n'osent  point  formuler  des  décrets  de  foi,  mais  se 
bornent  à  échanger  des  vues,  chacun  étant  à  peu  près 
libre  de  croire  ce  qu'il  veut,  et  d'interpréter  la  Bible 
à  sa  façon.  Il  n'y  a,  parmi  elles,  aucune  autorité  con- 
stituée, apte  à  prendre  une  décision  dogmatique  ou  dis- 
ciplinaire, au  sujet  des  points  controversés  qui  les 
divisent.  Ces  congress  oj  the  bishops  of  ihe  Anglican  com- 
munion, malgré  le  décor  brillant  qui  les  entoure  d'ordi- 
naire, prouvent,  chaque  fois,  avec  une  évidence  nou- 
velle, l'impuissance  radicale  d'une  Église  dont  la 
forme  de  gouvernement  serait  simplement  aristocra- 
tique, corps  social  sans  tète,  et  démontrent  plus  claire- 
ment, par  voie  de  contrasta,  la  divine  sagesse  du  Christ, 
qui  a  voulu  que  le  gouvernement  de  son  Église  fût 
nettement  monarchique,  avec  une  autorité  suprême 
pleine  et  entière  résidant  en  un  chef  incontesté  au- 
quel tous  doivent  obéir.  Voir  Anglicanisme,  t.  i, 
col.  1281  sq.;  Amérique,  t.  i,  col.  1050,  1074;  Épisco- 
palienne (Église),  t.  v,  col.  365  sq.  Cf.  W.  Palmer, 
A  trealise  on  the  Church  oj  Christ,  2in-8°,  Londres, 1850, 
l.  i,  p.  229,  237,  276,  286,  383,  455;  Lichtenberger, 
Encyclopédie  des  sciences  religieuses,  aux  nu  ts  Vieux 
catholiques,  Église  anglicane,  Église  orientale  orthodoxe, 
13  in-8°,  Paris,  1877-1882,  t.  Il,  p.  725  sq.;  t.  iv, 
p.  295  sq.,  324  sq.;  Wilmers,  De  Ecclcsia  Christi,  1.  V, 
c.  m,  §2,  p.  561  sq.,  570-572;  The  calholic  encijclo- 
pedia,  au  mot  Proteslanl  episcopal  Church  in  the  United 
States  oj  America,  15  in-4°,  New  York,  1907-1913,  t.  xi, 


p.  436;  t.  xn,  p.  493  sq.  ;  Coleman,  The  Church  in 
America,  in-8°,  New  York,  1895. 

On  trouve  ces  audacieuses  doctrines  enseignées  ex 
professo  clans  le  De  republica  christiana,  publié  par  le 
trop  fameux  Marc-Antoine  de  Dominis,  archevêque  de 
Spalatro,  successivement  catholique,  anglican,  do  nou- 
veau catholique,  puis  encore  hérétique,  3  in-fol., 
Londres,  1617,  1620,  ouvrage  plusieurs  fois  réédité,  en 
Allemagne  surtout.  L'auteur  prétend  y  démontrer  que 
le  vrai  gouvernement  ecclésiastique,  tel  qu'il  a  été 
institué  par  le  Fils  de  Dieu,  n'est  pas  une  monarchie, 
mais  une  république  aristocratique,  car  les  apôtres, 
dit-il,  furent  tous  égaux,  et  les  évêques  le  sont  aussi. 
Tous  sont  également  les  vicaires  du  Christ.  Leur  juri- 
diction n'est  pas  restreinte  à  tel  ou  tel  lieu,  mais  s'étend, 
de  soi,  à  l'Église  universelle.  La  seule  monarchie  qu'on 
pourrait  admettre  dans  l'Église  serait  celle  de  l'évèque 
dans  son  propre  diocèse,  ou  celle  d>;  l'ensemble  des 
évêques  des  Églises  particulières,  qui,  par  leur  union 
en  concile,  forment  la  première  autorité  de  l'Église  uni- 
verselle. Mais,  de  droit  divin  il  n'existerait  entre  les 
évêques  aucune  hiérarchie.  I  a  primauté  du  pape  ne 
serait  donc  qu'une  flagrante  usurpation,  qui  ne  peut 
apporter  que  la  confusion  et  le  trouble  dans  le  gouver- 
nement ecclésiastique,  par  l'abaissement  des  évêques, 
et  l'oppression  injuste  des  autres  Églises  nationales  ou 
régionales,  l'Eglise  romaine  n'étant  qu'une  Église  par- 
ticulière au  même  titre  que  les  autres.  Le  pape  ne 
serait  pas  plus  le  successeur  de  saint  Pierre  que  ne  le 
sont  les  évêques  des  autres  Églises  fondées  par  lui.  Ce 
serait  donc  faux  que  l'Église  universelle  ait  une  tête,  et 
que  son  gouvernement  soit  celui  d'une  monarchie.  Une 
telle  prétention  ne  serait  que  le  résultat  de  l'ambi- 
tion  papale,  source  de  tant  de  maux,  at  obstacle  prin- 
cipal à  la  paix  de  l'Église.  Voir  Dominis,  t.  iv, 
col.  1670  sq.  L'auteur  s'efforça  de  propager  ses  idées 
schismatiques  et  hérétiques  dam  plusieurs  autres  de 
ses  ouvrages,  entre  autres  le  Papatus  romanus,  in-4°, 
Londres,  1617,  où  il  tâche  de  démontrer  l'origine 
humaine  du  pontificat  suprême,  son  développement  et 
son  extinction.  Cf.  Kirchenlexikon,  t.  ni,  col.  1949  sq.  ; 
The  calholic  cncyclopcdia,  au  mot  Anglicanism,  t.  i, 
p.  499  sq. ;W.  Palmer,  Harmonij  oj  Anglican  doctrine 
ii'ith  the  doctrine  oj  the  Easlcrn  Church,  in-8°,  Aherdeen, 
1846;  An  appeal  to  the  Scollish  bishops  and  clcrgij, 
in-8°,  Edimbourg,  1849;  Dissertations  on  subjecls  rela- 
ling  lo  the  Orlhodox  or  Easlern  calholic  communion,  in-8°, 
Londres,  1853. 

4°  Erreurs  de  ceux  qui  voudraient  faire  du  gouverne- 
ment ecclésiastique  une  institution  démocratique.  —  Le 
premier  auteur  qui  soutint  cette  doctrine  qui,  plus 
encore  que  les  précédentes,  s'éloigne  de  la  vérité  catho- 
lique, semble  avoir  été  Marsile  de  Padoue,  né  en  1270, 
mort  en  1343,  et  qui  dogmatisa  au  commencement  du 
xive  siècle.  Dans  sa  De/ensio  pacis,  publiée  vers  1324,  il 
enseigna  que,  dans  l'Église  comme  dans  l'État,  l'au- 
torité réside  dans  le  peuple,  qui  par  les  élections,  la 
délègue  à  ses  représentants,  la  retire,  ou  la  modifie. 
Le  vote  de  la  majorité  est  la  loi  souveraine.  Même  au 
concile,  le  peuple  chrétien  reste  juge  suprême  de  la  foi 
et  de  la  discipline.  Toute  la  hiérarchie  sacrée,  institu- 
tion proprement  humaine  dépend  de  lui.  Il  peut  la 
changer,  la  transformer  l'abroger  même.  Marsile  de 
I'adouc  admet,  cependant,  encore  le  sacerdoce,  mais 
égal  chez  tous  les  prêtres,  et  avec  cette  clause  que  la 
juridiction  leur  vient  du  peuple  chrétien,  ou  de  l'empe- 
reur, en  tant  que  celui-ci  représente  le  peuple.  Vers  la 
même  époque,  les  fraticelles  admettaient  pratiquement 
la  même  doctrine,  sauf  la  soumission  aux  princes  sécu- 
liers. Voir  Fraticelles,  col.  771  sq.  Ces  erreurs  mani- 
festement hérétiques  furent  condamnées  par  le  pape 
Jean  XXII  Cf.  Denzinger-Bannwart,  n.  423  sq. ; 
Mazzella,  De  religione  et  Ecclcsia,  disp.   III,  a.  7,  §  1, 


1545 


GOUVERNEMENT    ECCLÉSIASTIQUE 


1546 


n.  517  sq.,  p.  413  sq.  ;  Pesch,De  Ecclesia  Christi,  part. II, 
sect.  n,  prop.  33,  schol.  n,  n.  357,  Prœkctiones  theo- 
logicœ,  t.  i,  p.  220. 

Guillaume  Occain,  franciscain,  mort  en  1347,  pro- 
fessa les  mêmes  idées  dans  son  Dialogus  sur  la  consti- 
tution de  l'Église.  Parfois,  cependant,  il  semble  ad- 
mettre une  certaine  primauté  de  Pierre  et  de  ses  suc- 
cesseurs, mais  à  laquelle  il  est  permis  de  se  soustraire, 
quand  on  s'aperçoit  que  celui  qui  en  est  honoré,  en  use 
contre  le  bien  général  de  l'Église,  contre  les  droits  tem- 
porels des  princes  et  contre  ceux  du  peuple.  Le  pape 
serait  donc  inférieur  au  concile,  parce  que  celui-ci  est 
le  représentant  des  fidèles.  D'ailleurs,  selon  Occam,  le 
concile  lui-même  peut  se  tromper. 

Durant  le  xiv°  siècle,  une  série  de  théologiens  s'en- 
gouèrent de  l'enseignement  hétérodoxe  d'Occam,  et 
leur  influence  ne  se  fit  que  trop  sentir  aux  conciles  de 
Pise,  de  Bàle  et  de  Constance.  Si  Pierre  d'Ailly  n'alla 
pas  jusque-là,  le  pieux  Gerson,  son  élève,  ne  recula 
point  devant  ces  énormités.  Il  se  montra  partisan 
déclaré  du  système  démocratique,  et,  même  multitu- 
diniste,  pour  le  gouvernement  ecclésiastique.  On  voit 
ces  tendances  très  accentuées  dans  plusieurs  de  ses 
ouvrages,  tels  que  De  polestate  ecclesiaslica;  De  auje- 
ribililate  papse,  etc.,  Opéra,  t.  n,  col.  249,  216,  436. 
Cf.  Palmieri,  De  romano  pontifice,  Prolegomen.,  12, 
p.  66  sq.  Voir  col.  1318  sq. 

Les  hérésiarques  du  xvi°  siècle  embrassèrent  avec 
ardeur  ces  doctrines.  Dans  son  livre  De  abrogalione 
missœ  privalte,  part.  II,  Luther  proclame  que,  parmi 
le  peuple  chrétien,  il  ne  doit  y  avoir  aucune  différence 
de  personnes  et  de  dignités  :  ni  clercs,  ni  laïques,  ni 
consécration,  ni  profession  monacale,  ou  religieuse,  etc. 
Calvin  tient  un  langage  analogue  dans  son  Institutio 
chrisliana,  1.  IV,  c.  vi,  §  9;  c.  xx,  n.  6-8;  c.  xli,  n.  6, 
in-fol.,  Bâle,  1536,  1559;  Leyde,  1454;  trad.  franc., 
in-fol.,  Strasbourg,  1541  ;  3  in-8°,  Genève,  1818.  D'après 
lui,  tous  les  chrétiens  sont  également  prêtres.  Les  di- 
gnités ecclésiastiques  ne  seraient  pas  d'institution 
divine,  mais  proviendraient  uniquement  de  la  libre 
élection  du  peuple  chrétien.  Le  peuple,  dans  son  ensem- 
ble, en  effet,  ne  pouvant  s'occuper  de  la  prédication, 
ou  de  l'administration  des  choses  religieuses,  a  élu, 
par  lui,  ou  par  le  ministère  des  princes  séculiers,  quel- 
ques individus  pour  qu'ils  s'en  occupassent.  Mais 
l'autorité  de  ces  ministres  sacrés  ne  leur  provient  que 
de  l'élection  librement  faite  par  le  peuple  chrétien. 
Les  puritains  d'Angleterre  voulurent  imiter  ce  qu'ils 
admiraient  à  Genève,  et  établirent  le  gouvernement 
ecclésiastique  sur  la  base  du  presbytérianisme.  Selon 
eux,  ce  régime  était  le  seul  conforme  au  Nouveau  Tes- 
tament. 

Au  conciliabule  de  Bàle,  où  les  évoques  furent  rela- 
tivement peu  nombreux,  mais  où  les  simples  prêtres  se 
comptèrent  par  centaines,  et  où  des  laïques  furent 
appelés  à  siéger,  les  réunions  prirent,  vers  la  fin  surtout, 
un  caractère  nettement  démocratique;  disons  plus,  net- 
tement révolutionnaire. 

Le  concile  de  Trente,  sess.  xxiv,  can.  4,  7,  Den- 
zinger-Bannwart,  n.  837,  844,  condamna  ces  aberra- 
tions; mais  elles  n'en  furent  pas  détruites  pour  cela. 
Elles  continuèrent  à  infecter  certains  esprits,  qui, 
néanmoins,  se  disaient  catholiques.  Beaucoup  de  galli- 
cans, en  effet,  en  vinrent  là.  Après  avoir  conçu  le  gou- 
vernement ecclésiastique  comme  une  monarchie  forte- 
ment tempérée  d'aristocratie,  ils  descendirent,  par  une 
conséquence  naturelle,  jusqu'à  transformer  cette  mo- 
narchie aristocratique  en  pure  démocratie. 

Edmond  Bicher,  professeur  de  théologie  à  l'univer- 
sité de  Paris,  et  syndic  de  la  Sorbonne,  divulgua  ces 
idées  dans  son  opuscule,  De  ecclesiaslica  et  politica 
polestate  libellus,  petit  livre  de  peu  de  pages,  mais  de 
beaucoup  d'erreurs,  in-4°,  Paris,  1611,  souvent  réédité, 


mais  qui,  un  an  après  son  apparition,  fut  condamné 
en  France  par  le  cardinal  Du  Perron,  dans  le  concile 
provincial  de  Sens,  tenu  à  Paris.  Borne  aussi  le  con- 
damna, le  10  mai  1613.  Si  Bicher  se  rétracta,  ce  qui  est 
douteux,  il  le  fit  seulement  in  articulo  mortis.  Après  son 
premier  ouvrage,  en  effet,  il  en  avait  publié  une  sorte 
d'apologie  :  Demonstratio  libri  de  ecclesiastica  et  poli- 
tica polestate,  cum  aucloris  lestamento,  in-4°,  Paris,  1622; 
ouvrage  mis,  lui  aussi,  à  l'index.  Ce  qui  laisse  craindre 
que  sa  rétractation  in  extremis  n'ait  pas  été  sincère, 
c'est  que  plusieurs  de  ses  ouvrages  posthumes,  tirés  de 
ses  manuscrits  après  sa  mort,  renferment  les  mêmes 
erreurs  :  Traité  des  appellations  comme  d'abus,  in-4°, 
Cologne,  1701;  Historia  conciliorum  generalium,  in-8°, 
Cologne,  1683;  Vindiciœ  doctrinse  majorum  scholse  pa- 
risiensis,  in-4°,  Cologne,  1683,  ouvrage  directement 
composé  contre  les  tenants  de  la  monarchie  ponti- 
ficale, etc. 

Parmi  les  jansénistes,  les  richéristes  furent  nom- 
breux. Leur  influence  néfaste  se  maintint  jusqu'à  la 
grande  Révolution  de  1789.  Les  richéristes  formaient 
un  groupe  compact  à  l'Assemblée  nationale  qui  s'ap- 
puya sur  leurs  principes  pour  forger  la  Constitution 
civile  du  clergé.  Cf.  Feller,  Biographie  universelle,  t.  vu, 
p.  261.  Il  ressort  clairement,  en  effet,  de  l'enseignement 
de  Richer,  que  Notre-Seigneur  aurait  conféré  la  plé- 
nitude de  l'autorité  à  l'ensemble  de  l'Église,  ou  collec- 
tivité. Les  membres  de  la  hiérarchie  sacrée  :  prêtres, 
évêques  et  le  souverain  pontife  lui-même,  n'ont  d'au- 
tres pouvoirs  que  ceux  qu'ils  tiennent  de  la  délégation 
que  l'Église  leur  donne,  en  les  élisant  comme  ses  repré- 
sentants, ou  députés.  De  soi,  la  puissance  est  égale  chez 
les  prêtres  et  chez  les  évoques.  La  différence  ne  provient 
que  de  l'élection  faite  par  le  peuple  chrétien,  qui 
nomme  quelques-uns  de  ses  membres,  les  évêques,  pour 
succéder  aux  apôtres,  et  quelques  autres,  les  prêtres, 
pour  succéder  aux  soixante-douze  disciples.  À  tous, 
prêtres  et  évêques,  la  communication  du  sacerdoce  de 
Jésus-Christ  est  égale,  quoique,  pour  le  bon  ordre  et 
hors  des  cas  de  nécessité,  une  partie  des  pouvoirs  inhé- 
rents au  sacerdoce  soit  liée  et  comme  paralysée  dans 
les  simples  prêtres.  Ceux-ci  n'en  sont  pas  moins  juges 
de  la  foi,  et  conseillers  nécessaires  des  évêques  pour  la 
discipline.  Même  remarque  pour  le  pape.  Il  n'a,  en  plus 
des  évêques,  que  l'autorité  dont  ceux-ci  consentent  à 
ne  pas  user,  et  qu'ils  lui  délèguent,  pour  mieux  assurer 
l'unité.  Mais  ils  demeurent  libres  de  lui  retirer  cette 
concession  quand  ils  le  croient  opportun  pour  le  bien 
de  l'Église.  Ce  qui  est  ainsi  délégué  au  pape,  c'est  sur- 
tout le  pouvoir  exécutif;  mais  le  pouvoir  législatif 
s'exerce  par  les  synodes  de  prêtres,  ou  les  conciles 
épiscopaux.  Le  pape  est  une  sorte  de  doge  exécuteur 
des  ordres  du  sénat;  mais  il  ne  possède  aucune  espèce 
d'autorité  propre  dans  les  évêchés,  où  le  moindre  des 
fonctionnaires  locaux  en  a  plus  que  lui.  Pour  exprimer 
sa  pensée,  Richer  se  sert  d'une  comparaison  singulière. 
L'autorité  ecclésiastique,  dit-il,  est  dans  le  corps  entier 
de  l'Église,  comme  la  puissance  de  voir,  ou  d'entendre, 
est  dans  l'homme  vivant  tout  entier,  quoiqu'elle  ne 
puisse  s'exercer,  pour  le  bénéfice  du  corps  entier,  de 
par  sa  volonté  et  sous  sa  dépendance,  que  par  le  minis- 
tère des  sens,  doués  d'organes  appropriés.  Or,  le  corps 
n'existe  pas  pour  l'œil,  mais  l'œil  existe  pour  le  corps. 
Donc. 

Notons,  parmi  ceux  qui  embrassèrent  et  propagèrent 
ces  doctrines  subversives,  Ellies  Dupin,  De  anliqua 
Ecclcsiœ  disciplina  disserlationes  hisloricœ,  disp.  III, 
c.  i;disp.  VI,  §  1,  etc.,  in-4°,  Paris,  1686;  Cologne,  1691; 
Noël  Alexandre;  Ricci,  évêque  de  Pistoie  et  Prato; 
Van  Espen;  Nicolas  de  Hontheim,  son  élève,  ou  Fébro- 
nius,  qui,  cependant,  a  souvent  noyé  sa  pensée  dans 
une  foule  de  contradictions.  Voir  Fébronius,  t.  v, 
col.  2118  sq.   Cf.   Mazzella,    De  religione  et  Ecclesia, 


L547 


GOUVERNEMENT   ECCLESIASTIQUE 


1548 


disp.  111,  a.  7,  §  1,  n.  519  sq.,  p.  414  sq.;  Pesch,  De 
Christi  Ecclesia,  part.  Il,  sect.  il,  prop.  38,  schol.  n, 
n.  357,  Prœlectiones  theologieœ,  t.  i,  p.  220-225;  Wil- 
îiKis,  De  Chrisli  Ecclesia,  1.  II,  c.  vin,  n.  135,  p.  239- 
242;  Palmieri,  De  romano  pontijlce,  part.  II,  a.  1, 
thés,  xvin,  p.  438  sq. 

Au  xixe  siècle,  ces  théories  furent  encore  soutenues 
en  Allemagne,  à  l'occasion  du  concile  du  Vatican.  Les 
évêques,  disait  Dôllinger,  Allgemeine  Zeitung,  11  mars 
1870,  ne  sont  que  les  représentants  du  peuple  chrétien, 
ses  députés,  ses  chargés  d'affaire,  ayant  la  mission  de 
déclarer,  en  son  nom,  ce  que  le  peuple  chrétien  croit, 
en  matières  religieuses,  comme  l'ayant  reçu  de  la  tra- 
dition. Simples  mandataires,  ils  ne  peuvent  outre- 
passer leurs  pouvoirs  sans  s'exposer  à  être  blâmés  par 
ceux  qui  les  ont  élus  et  rejetés  par  eux.  Cf.  Lichten- 
lierger,  Encyclopédie  des  sciences  religieuses,  t.  it. 
p.  725  sq. 

5°  Erreur  de  ceux  qui  voudraient  faire  du  gouverne- 
ment ecclésiastique  un  régime  monarchique  sous  l'autorité 
suprême  d'un  prince  séculier.  —  C'est  par  l'attestation 
publique  de  cette  suprématie  royale,  ctiam  in  spirilua- 
libus,  que  débuta  le  schisme  anglican.  Henri  VIII, 
n'ayant  pu  obtenir  du  souverain  pontife  l'annulation 
de  son  mariage  avec  Catherine  d'Aragon,  résolut  de  se 
passer  du  pape.  Il  fit  donc  déclarer,  d'abord,  par  l'as- 
semblée du  clergé  à  Cantorbéry  et  par  les  universités 
anglaises,  en  1534,  qu'on  ne  trouvait  pas  de  preuves, 
dans  l'Écriture  sainte,  que  le  pape  eût  reçu  de  Dieu 
sur  le  royaume  d'Angleterre  plus  d'autorité  et  de  juri- 
diction que  n'en  possèdent  les  autres  évêques.  Il  lit 
déclarer  ensuite  aux  mêmes  prélats  courtisans  que  le 
roi  est,  après  le  Christ,  le  seul  chef  de  l'Église  dans  son 
royaume.  Étant  le  chef  de  la  nation  au  temporel,  il 
doit  l'être  et  il  l'est  au  spirituel  aussi;  et,  de  même 
qu'il  a  le  pouvoir  d'établir  des  officiers  civils  pour  l'ad- 
ministration de  ses  États,  il  a  aussi  le  droit  d'instituer 
des  ecclésiastiques  et  des  dignitaires  de  divers  rangs 
pour  administrer  l'Église,  prêcher  la  parole  sainte  et 
conférer  les  sacrements  aux  fidèles.  Les  évêques  eurent 
la  complaisance  coupable  de  reconnaître  formellement 
que  toute  leur  autorité  spirituelle  leur  venait  du  roi,  et 
dépendait  absolument  de  sa  volonté.  Ceci  convenu,  le 
roi  se  nomma  un  vicaire  général,  et,  soit  par  lui-même, 
soit  par  cet  auxiliaire,  adressa  fréquemment  des  ins- 
tructions aux  prêtres  pour  leur  désigner  quels  sujets 
ils  devaient  traiter  en  chaire,  ou  quelles  catégories  de 
personnes  ils  pouvaient  admettre  à  la  communion. 
Ainsi  ne  pouvaient  prêcher  dans  les  églises  que  ceux 
qui  en  recevaient  le  mandat  ou  l'autorisation  du  pou- 
voir civil.  La  chaire  ne  devenait  plus  autre  chose  que 
l'organe  de  transmission  des  volontés  gouvernemen- 
tales. Sous  le  règne  d'Edouard  VI,  roi-enfant,  suces- 
seur  d'Henri  VIII,  prêcher  sur  des  sujets  non  autorisés, 
comme,  par  exemple,  la  messe,  les  images,  le  carême, 
etc.,  c'était  s'exposer  à  la  prison.  Ce  fantôme  de  roi 
envoya  des  commissaires  pour  procéder,  en  son  nom, 
à  la  visite  canonique  des  églises  et  des  sacristies, 
s'assurer  que  ses  ordres  étaient  exécutés,  et  que  l'on 
prêchait  réellement  suivant  ses  volontés  enfantines. 
Les  dogmes  à  croire,  la  morale  à  pratiquer,  les  céré- 
monies liturgiques,  les  formulaires  de  prières,  tout 
était  réglé  sans  appel  par  le  roi,  ou  le  parlement.  Un 
livre  d'homélies  fut  même  publié  par  l'autorité  royale, 
pour  suppléer  à  l'insuffisance  des  prédicateurs. 

Voilà  à  quel  degré  de  servilisme  et  d'abaissement 
peut  en  venir  un  clergé  qui  consent  à  se  séparer  du 
vicaire  de  Jésus-Christ.  Il  peut  même  descendre  plus 
bas.  Ce  n'était  pas  assez  pour  le  schisme  d'avoir  un 
pape  civil,  il  eut  bientôt  une  papesse,  la  reine  Elisabeth, 
fille  adultérine  d'Henri  VIII  et  d'Anne  de  Boleyn. 
Consciente  de  sa  supériorité,  et  prétendant  à  l'infailli- 
bilité  doctrinale,   elle   persécuta   cruellement,   durant 


tout  son  règne,  les  catholiques  qui  refusaient  de  prêter 
le  serinent  de  suprématie  spirituelle  à  sa  personne. 
Cf.  The  calholic  cncyclopcdia,  au  mot  Anglicanism,  t.  i. 
p.  499  sq.  ;  Lichtenberger,  Encyclopédie  des  sciences 
religieuses,  au  mot  Angleterre,  t.  i,  p.  318  sq. 

Le  protestantisme,  en  général,  s'est  également  sou- 
mis presque  partout  à  la  suprématie  civile.  C'est  là, d'ail- 
leurs, comme  une  loi  de  l'histoire,  ou  plutôt  comme  une 
réponse  de  la  providence  à  ceux  qui  veulent  secouer  le 
joug,  si  paternel  pourtant,  du  père  commun  des  fidèles. 
La  Russie  a  imité  l'Angleterre,  dans  la  constitution 
d'un  gouvernement  ecclésiastique  national  sous  la  su- 
prématie impériale.  Cf.  Lichtenberger,  op.  cit.,  au  mot 
Églises  protestantes,  t.  IV,  p.  342  sq.;  The  catholic  cncy- 
clopcdia, au  mot  Orthodox  Church  oj R ussia,  t.  xin,  p.  261 
sq.  L'Autriche  fut  longtemps  menacée  d'un  malheur 
semblable,  à  la  suite  des  infiltrations  dans  son  sein  des 
doctrines  de  Fébronius,  dont  la  divulgation  était  puis- 
samment secondée  par  l'orgueilleuse  ambition  de 
Joseph  II  et  sa  prétention  de  supplanter  le  pape  dans 
les  États  soumis  à  sa  couronne  impériale.  Voir  Fébro- 
nius, t.  v,  col.  2020.  Ce  danger  ne  fut  pas  complètement 
évité. 

Au  conciliabule  de  Bàle,  plusieurs  voix  s'étaient 
élevées  déjà  pour  conseiller  de  recourir  aux  princes 
séculiers,  afin  de  s'affranchir  plus  sûrement  du  pape; 
mais  le  conciliabule  se  contenta  d'être  révolutionnaire, 
et  de  prononcer  la  suspense  contre  le  pape  Eugène  IV. 

III.  Doctrine  catholique.  —  1°  Le  gouvernement 
ecclésiastique  institué  par  le  Christ  n'est  pas  une  démo- 
cratie. —  Il  n'est  démocratie,  ni  aclu,  ni  radicalilcr. 
Qu'il  ne  le  soit  pas  aclu,  c'est-à-dire  que,  de  fait,  la 
multitude  ne  gouverne  pas,  c'est  évident;  tous  recon- 
naissent que  la  chose  est  impossible  et  absurde.  Un 
gouvernement-multitude  ne  serait  que  l'anarchie,  la 
confusion,  le  désordre  et  la  ruine.  Il  est  facile  de  démon- 
trer aussi  que,  clans  l'Église,  le  gouvernement  n'est 
pas  une  démocratie  radicalilcr,  en  ce  sens  que  la  puis- 
sance suprême  vienne  du  peuple,  auquel  elle  aurait  été 
conférée  par  Dieu,  de  façon  que  le  peuple  lui-même 
choisisse  le  ministre  qui  doit  l'exercer. 

Ceux  qui  ont  enseigné  cette  erreur,  comme  Richer  et 
autres,  ont  confondu  le  sujet  en  qui  l'autorité  réside, 
et  celui  pour  le  bien  duquel  l'autorité  a  été  constituée. 
La  puissance  sociale  qui  est  conférée  à  certains  indi- 
vidus ne  l'est  pas  pour  leur  avantage  personnel,  il  est 
vrai,  mais  pour  celui  de  la  communauté.  Si  donc  l'on 
demande  en  faveur  de  qui  la  puissance  ecclésiastique 
a  été  constituée,  il  faut  répondre  évidemment  qu'elle 
l'a  été  en  faveur  de  tous  les  fidèles,  c'est-à-dire  de 
l'Église  et  de  la  communauté.  Le  grand  apôtre  le 
disait  d'une  manière  formelle  :  Omnia  veslra  sunl,  sive 
Paulus,  sive  Apollo,  sive  Cephas...,  vos  autem  Chrisli. 
Chrislus  autem  Dei.  I  Cor.,  ni,  22,23.  Mais  ceci  est  vrai 
de  toute  forme  gouvernementale,  qu'elle  soit  démo- 
cratique, aristocratique  ou  monarchique.  Le  monarque, 
en  effet,  est  un  pasteur,  un  guide,  un  pilote,  un  père. 

Néanmoins,  affirmer  que  la  puissance  sociale  est  en 
faveur  de  la  multitude,  et  prétendre  que  cette  multi- 
tude est  le  sujet  en  qui  réside  radicalement  celle 
puissance,  sont  deux  propositions  absolument  diffé- 
rentes. La  fin  n'est  pas  le  sujet.  La  fin  de  la  lumière 
solaire,  par  exemple,  est  de  permettre  à  l'œil  de  voir 
les  objets  extérieurs;  il  ne  s'ensuit  pas  évidemment 
que  l'oeil  soit  la  source  même  de  la  lumière  solaire.  Le 
fait  que  la  puissance  sociale  est  en  faveur  Ce  la  commu- 
nauté ne  prouve  donc  pas  que  cette  communauté  soit 
le  sujet  radical  de  cette  puissance,  et  que,  la  possédant 
en  elle-même,  elle  ait  la  faculté  de  la  transmettre  à 
qui  bon  lui  semble;  ce  fait  ne  prouve  qu'une  chose  : 
c'est  que  la  communauté  a  droit  à  ce  que  cette  puis- 
sance soit  exercée  pour  son  utilité  propre,  par  une  sage 
administration.  Or  ce  but  si  désirable  peut  être  atteint, 


1549 


GOUVERNEMENT    ECCLÉSIASTIQUE 


U..V) 


non  seulement  aussi  bien,  mais  incomparablement 
mieux,  quand  le  sujet  possédant  l'autorité,  loin  d'être 
élu  par  la  multitude  qui,  le  plus  souvent,  n'a  pas 
conscience  de  ses  vrais  besoins,  l'est  au  moyen  d'un 
mode  d'élection  moins  exposé  à  être  vicié  par  l'igno- 
rance ou  les  passions  populaires. 

Rien  donc  de  plus  faible  que  l'argument  invoqué 
par  Richer,  à  savoir  que  la  partie  étant  pour  le  tout,  et 
non  le  tout  pour  la  partie,  la  divine  sagesse  du  Christ, 
on  fondant  son  Église,  a  dû  le  pousser  à  donner  la  puis- 
sance de  juridiction  plutôt  à  l'Église  elle-même,  qu'à 
tel  ou  tel  individu  déterminé,  et  qu'il  a,  par  conséquent, 
donné  la  puissance  des  clefs  à  l'Église  universelle,  afin 
que  celle-ci  en  usât  par  le  ministère  de  Pierre  et  de  ses 
successeurs.  C'est  là  un  grossier  sophisme,  basé  uni- 
quement sur  la  confusion  de  la  fin  et  du  sujet.  Pour  en 
revenir,  en  effet,  à  la  comparaison  chère  à  Richer  et 
par  laquelle  il  prétend  étayer  solidement  son  système, 
la  puissance  de  vision  n'a  pas  été  donnée  à  l'homme 
de  manière  que  le  sujet  premier  en  qui  résidât  cette 
puissance  fût  l'ensemble  de  l'homme,  âme  et  corps  et 
toutes  les  parties  de  celui-ci,  au  point  que  l'œil  ne 
serait  que  le  mandataire,  le  délégué,  ou  le  représentant 
de  toutes  les  parties  du  corps  pour  l'exercice  de  cette 
puissance  visuelle,  hypothèse  des  plus  ridicules;  mais 
la  puissance  de  vision  a  été  placée  par  le  créateur 
immédiatement,  ianquam  in  subjecto,  dans  l'âme  et 
l'œil,  quoique  l'exercice  de  la  puissance  de  vision  soit 
une  aclio  hominis  et  proplcr  hominem  et  cœtera  ejus 
membra,  suivant  l'axiome  classique,  actiones  sunl  sup- 
positorum. 

On  ne  serait  pas  plus  en  droit  d'invoquer  pour  cette 
thèse  au  autre  aphorisme  de  l'école  :  Propterquod  unum- 
quodque  laïc,  cl  illud  majus  !  Ce  principe,  en  général,  ne 
s'applique  que  dans  les  relations  d'effet  à  cause  effi- 
ciente, mais  nullement  dans  celles  de  finalité,  car,  par 
exemple,  si  un  professeur  est  savant,  afin  de  pouvoir 
instruire  ses  élèves,  il  ne  s'ensuit  nullement  que  ceux-ci 
le  soient  plus  que  lui  ;  au  contraire.  De  même,  si  la  puis- 
sance des  clefs  a  été  donnée  à  saint  Pierre  pour  l'avan- 
tage de  l'Église,  il  ne  s'ensuit  nullement  que  l'Église, 
dans  son  ensemble,  ait  plus  de  puissance  que  Pierre. 

Il  ne  s'agit  donc  pas  de  savoir  à  quel  sujet  le  Christ  a 
voulu  confier  l'exercice  de  la  puissance  des  clefs,  mais 
à  qui  il  a  voulu  confier  cette  puissance  elle-même.  On 
ne  peut  pas  prétendre  que  cette  puissance  ait  été 
conférée  par  le  Christ  à  d'autres  que  ceux  qu'il  désigne 
lui-même.  Or,  d'après  ses  paroles  les  plus  explicites, 
il  conste  que  le  Christ  l'a  conférée  à  des  personnes 
bien  déterminées,  c'est-à-dire  aux  apôtres,  et  plus 
spécialement  à   saint   Pierre. 

La  majeure  de  l'argument  est  évidente,  car  la  puis- 
sance par  laquelle  le  Christ  gouvernait  les  fidèles, 
durant  sa  vie  mortelle,  était  bien  propre  à  lui,  et 
souverainement  indépendante  de  toute  concession  ou 
consentement  de  la  foule.  Cette  puissance  lui  venait, 
non  des  hommes,  mais  de  Dieu,  son  Père  :  Data  est  mihi 
omnis  potestas  in  cœlo  et  in  terra,  Matth.,  xxvm,  18; 
Dabo  tibi  génies  hœreditatcm  tuam.  Ps.  n,  8.  Cette 
puissance  était  la  même  que  celle  de  Dieu,  son 
Père,  auquel  il  est  égal  par  sa  divinité.  Mais,  en  quit- 
tant ce  monde,  le  Christ  était  bien  libre  de  commu- 
niquer cette  puissance  à  qui  il  voulait,  de  manière 
que  nul  autre  ne  la  possédât  que  ceux  auxquels  il 
l'aurait  communiquée.  C'est  un  testament  que  le  Christ 
a  fait  à  ses  apôtres,  en  leur  léguant  sa  puissance.  Or,  il 
est  de  l'essence  du  testament  que  seules  peuvent  s'en 
prévaloir  les  personnes  expressément  désignées  par  le 
testateur.  Nul  n'a  le  pouvoir  d'étendre  cet  acte  au  delà 
de  la  volonté  bien  exprimée  de  celui  qui  l'a  fait. 

La  mineure  de  l'argument  n'est  pas  moins  évidente. 
Il^conste  clairement  par  le  texte  évangélique  que  la 
puissance  de  gouverner  son  Église  a  été  donnée  par  le 


Christ  principalement  à  Pierre,  et,  avec  Pierre,  aux 
autres  apôtres,  que  le  Christ  s'était  attachés  par  des 
liens  spéciaux,  et  qu'il  avait  placés  dans  une  catégorie 
à  part,  bien  distincte  de  celle  des  simples  fidèles,  et 
même  des  soixante-douze  disciples.  Cf.  Matth.,  xvi, 
18  sq.  ;  xxvm,  20;  Luc,  vi,  13  sq.;  Joa.,  xxi,  15, etc.; 
vérités  mises  en  lumière  par  saint  Paul.  Rom.,  x,  15; 
I  Cor.,  v,  3,  4;  xn,  29;  Eph.,  iv,  11. 

La  tradition  constante  de  l'Église  manifeste  bien 
aussi  que  tel  fut  le  sentiment  des  Pères  et  du  peuple 
chrétien.  Est-ce  que  jamais,  durant  le  long  espace  de 
vingt  siècles,  furent  convoqués  des  conciles  œcumé- 
niques de  fidèles  ?  Où,  dans  l'histoire,  rencontre-t-on  la 
moindre  trace  de  semblables  assemblées  ?  Dans  quel 
concile  général  l'épiscopat  a-t-il  jamais  sollicité  l'avis 
ou  le  vote  des  simples  fidèles,  et  même  des  prêtres  ? 
Oh  n'a  jamais  reconnu  non  plus  aux  fidèles  le  droit 
d'instituer  les  prélats  ou  les  évêques,  droit  qui  appar- 
tient incontestablement  à  la  suprême  autorité  du  gou- 
vernement ecclésiastique.  Cette  autorité  ne  réside  donc 
pas  dans  l'ensemble  des  fidèles,  ianquam  in  subjeclo. 
On  n'accordait  aux  fidèles  que  la  faculté  d'exprimer 
un  désir,  ou  de  porter  témoignage  sur  les  qualités  in- 
tellectuelles et  administratives  des  candidats,  et  sur 
la  réputation  dont  ils  jouissaient.  Mais  exprimer  un 
désir,  ou  porter  un  témoignage  sur  l'idonéité  d'un  can- 
didat, et  élire,  ou  instituer,  sont  deux  choses  totalement 
différentes.  Voir  Élection  des  évêques;  Élection 
des  papes,  t.  iv,  col.  2256  sq.,  2282  sq.  Cf.  Act.,  xv,  23. 
La  vérité  de  la  proposition  ressort  également  de  cette 
vérité  catholique  que  l'ordre  qui  constitue  les  prêtres 
et  les  évêques  est  un  véritable  sacrement,  imprimant 
un  caractère  spécial  et  ineffaçable,  et,  par  suite,  dis- 
tinguant profondément  et  formellement  ceux  qui  en 
sont  honorés  des  simples  fidèles  qui  ne  l'ont  pas  reçu. 
Voir  Ordre,  Sacrement,  Caractère  sacramentel. 
Que  le  Christ  ait  voulu  que  cette  puissance  conférée 
à  Pierre  et  aux  apôtres  fût,  après  eux,  transmise  à  des 
personnes  bien  déterminées,  comme  à  leurs  légitimes 
successeurs,  cela  ressort  aussi  de  ses  propres  paroles. 
Matth.,  xxvm,  1C-20.  Jésus-Christ  parlant  spécia- 
lement à  ses  apôtres,  leur  dit  :  Eunles,  docele  omnes 
génies...  ecce  ego  vobiscum  sum,  omnibus  diebus,  usque  ad 
consummationem  sœculi.  Cf.  Marc,  xvi,  14-20.  D'après 
les  paroles  de  son  divin  fondateur,  l'Église  doit  durer 
jusqu'à  la  fin  des  siècles,  mais  elle  doit  durer  telle  qu'il 
l'a  constituée  lui-même,  et  avec  la  même  forme  de 
gouvernement  qu'il  lui  a  donnée.  Cf.  Bellarmin,  De 
romano  ponlifice,  1.  1,  c  vi,  p.  317-319;  Palmieri,  De 
romano  pontijice,  Prolegomen.,  §  12-15,  p.  64-96  ;  part.  1 1, 
thés,  xvin,  n.  11,  p.  438  sq.  ;  Wilmers,  De  Christi 
Ecchsia,  1.  I,  c.  v,  a.  2,  prop.  27,  n.  75,  p.  123-133. 

2°  Le  gouvernement  ecclésiastique  institué  par  te  Christ 
n'est  pas  une  monarchie  sous  l'autorité  suprême  d'un 
prince  séculier.  —  La  multitude  des  fidèles  n'étant  pas 
le  sujet  en  qui  réside  la  suprême  puissance,  comme  nous 
venons  de  l'établir,  il  est  évident  qu'elle  n'a  pu  déléguer 
cette  autorité  aux  princes  séculiers.  La  thèse  des  pro- 
testants, des  anglicans,  des  russes  et  des  joséphistes, 
relativement  à  la  suprématie  royale,  ou  impériale,  dam 
le  domaine  spirituel,  croule  donc  par  la  base.  Cf.  Bel- 
larmin, De  romano  ponti/lcc,  1.  I,  c.  vu,  p.  317-322; 
Mazzella,  De  religione  et  Ecclesia,  disp.  III,  a.  7,  §2, 
p.  415-425;  Wilmers,  De  Cliristi  Ecclesia,  1.  I,  c.  v,  a.  3 
prop.  29,  p.  134-140. 

3°  Le  gouvernement  ecclésiastique  institué  par  le  Chrisl 
n'esl  pas  une  aristocratie  dont  les  membres  posséderaient 
une  puissance  égale  en  tous,  ou  dont  les  conciles  généraux 
seraient  comme  le  sujet  en  qui  résiderait  la  suprême  puis- 
sance, supérieure  au  pape.  —  Cela  ressort  des  privilèges 
et  delà  primauté  d'honneur  et  de  juridiction  conférée  à 
Pierre  et  à  ses  successeurs  relativement  à  l'Église  uni- 
verselle. Voir  Pape,  Infaillibilité  du  pape.  Cf.  Bel- 


1551 


GOUVERNEMENT    ECCLÉSIASTIQUE 


1552 


larmin,  De  romano  pontifice,  1.  I,  c.  vm-xi,  p.  322-334; 
Franzelin,  De  Ecclesia  Christi,  sect.  il,  c.  n,  thés,  x, 
p.  124  sq.;  Mazzella,  op.  cit.,  disp.  III,  a.  8,  §  2,  p.  431- 
43S;  Wilmers,  op.  cit.,  p.  18S  sq.;  Palmieri,  De  romano 
pontifice,  part.  1 1,  thés,  xvm,  n.  3,  p.  439-443  ;  thcs.xix, 
xx,  p.  443-471;  Pesch,  De  Ecclesia  Christi,  part.  II, 
sect.  n,  prop.  24,  Prœlecliones,  t.  i,  p.  227-233;  Billot, 
De  Ecclesia,  part.  II,  c.  m,  thés,  xxv,  xxx,  p.  536-563; 
C35-652. 

4°  Le  gouvernement  ecclésiastique  institué  par  le  Christ 
est  une  monarchie.  —  En  effet,  le  gouvernenu'iit  est 
monarchique  lorsque  :  1.  le  chef  suprême  est  unique; 

2.  quand   il   possède  la   plénitude   de   la   puissance: 

3.  quand  tous  les  autres  dignitaires  ou  magistrats 
dépendent  de  lui  ;  4.  quand  il  peut  juger  tous  les  autres 
memhres  de  la  société  et  n'être  jugé  par  aucun  d'eux; 
5.  quand  tous  ceux  qui  veulent  appartenir  à  cette 
société  et  jouir  des  biens  qu'elle  renferme,  sont  obligés 
d'adhérer  et  d'obéir  à  ce  chef  suprême,  comme  étant 
le  principe  et  le  centre  de  l'unité  sociale. 

Tous  ces  points  devant  faire  l'objet  d'articles  spé- 
ciaux, il  nous  suffira  ici  de  les  énoncer,  et  de  renvoyer 
le  lecteur  aux  articles  Pape,  Infaillibilité. 

Pour  le  concept  de  monarchie,  il  n'est  pas  requis 
cependant  que  le  chef  suprême  puisse,  à  sa  volonté, 
abolir  dans  la  société  des  magistratures  qu'il  n'a  pas 
instituées  lui-même,  comme  nous  l'avons  établi  au 
commencement  de  cet  article.  La  monarchie  pontifi- 
cale est  donc  vraiment  monarchique,  quoique  le  pape 
ne  puisse  point  abolir  l'épiscopat  qui  est  d'institution 
divine,  ni  remplacer  tous  les  évêques  par  de  simples 
vicaires  apostoliques.  Cf.  Pesch,  op.  cit.,  n.  234  sq.  Voir 
Évêques,  t.  v,  col.  1656  sq. 

5°  Le  gouvernement  ecclésiastique  institué  par  le  Christ 
est  donc  une  monarchie,  non  pas  tempérée  par  l'aristo- 
cratie, mais  unie  à  l'aristocratie.  —  La  monarchie 
pontificale  n'est  pas  tempérée  par  l'aristocratie  épis- 
copale,  puisque  le  pape  a  la  puissance  suprême,  pleine 
et  entière,  propre,  ordinaire  et  immédiate  sur  l'Église 
universelle,  comme  sur  chaque  chrétien  en  particulier, 
voir  Pape;  mais  cette  monarchie  est  divinement  unie 
à  l'aristocratie  épiscopale,  puisque  les  évêques  sont 
d'institution  divine,  et  que,  de  parla  volonté  du  Christ, 
ils  sont,  non  pas  de  simples  vicaires  du  pape,  mais  de 
vrais  princes  dans  l'Église,  avec  autorité  propre  et 
ordinaire  dans  leurs  diocèses.  Voir  Évêques,  t.  v, 
col.  1702  sq. 

Les  auteurs  qui,  depuis  le  conciliabule  de  Baie  et  la 
diffusion  du  protestantisme,  ont  écrit  sur  la  nature  du 
gouvernement  ecclésiastique  et  sa  divine  institution,  sont 
innombrables.  Nous  indiquerons  ici  les  principaux  et,  pour 
plus  de  clarté,  nous  les  rangerons  par  périodes. 

1°  Au  XV  et  au  v  Vf  siècle.  —  J.  de  Turrecremata,  Summa 
de  Ecclesia,  in-fol.,  Rome,  1489;  Salamanque,  1560;  les  IIe  et 
IIIe  livres,  De  primaiu  pontificis,  furent  insérés  dans  la 
Bibliotheca  maxima  pontificia  de  Roccaberti,  21  in-fol., 
Rome,  1691-1699,  t.  xm,  p.  283-611;  Flores  sententiarum 
D.  Thomœ,  de  auctoritate  summi  pontificis,  Augsbourg,  1496; 
Traclalus  contra  avisamentum  ijuoddam  basiliensium  quod 
non  liceat  appellare  a  concilio  ad  papam,  inséré  dans  Mansi, 
Concil.,  t.  xxx,  col.  1072-1094;  Traclatus  in  /avorem 
Eugenii  IV  contra  décréta  concilii  Constantiensis  in  quo  fuit 
depositus  Joannes  XXIII,  et  contra  gesta  in  concilio  basileensi 
adversus  Eugenium  I V,  in-4°  Venise,  1503;  Mansi,  t.  xxx, 
fol  550-590;  Cajétan,  De  auctoritate  papes  et  concilii,  ulraque 
invicem  comparata,  in-fol.,  Rome,  1511;  De  divina  ponti- 
ficatus  romani  pontificis  constitutione  et  auctoritate,  in-fol., 
Cologne,  1521;  Thomas  Netter,  Doctrinale  antiquitatum 
fidei  catholicœ,  3  in-fol.,  Paris,  1521-1532;  Eck,  De  primatu 
Pelri  adversus  Luderum  (Lutherum),  in-fol.,  Ingolstadt, 
1520;  Paris,  1521;  Alphonse  de  Castro,  Adversus  hsereses, 
1.  XIII,  in-fol.,  Paris,  1534;  Faber,  De  poteslate  papœ 
adversus  Lutherum,  in-fol.,  Rome,  1529;  Quod  Petrus  Romse 
fuerit,  et  ibidem  primus  episcopalum  gesseril,  atque  sub 
Ncrone  marlyrium  passas  fuerit,  in-4°,  Dillingen,  1516,  1553; 
Melchior  Cano,  De  locis  theologicis,  1.  VI,  in-l",  Salamanque, 
150:',:   Driedo,   De  locis  theologicis,  in-fol.,   Louvain,   1550; 


Dobenek  (Cochkeus),  l'hilippicœ  adversus  Philippuni 
Mclanchlon,  in-4°,  Leipzig,  1534;  Hosius,  De  loco  et  aucto- 
ritate romani  pontificis  in  Ecclesia  Christi  et  conciliis,  in-fol., 
Cologne,  1567;  Pighius,  Asserlio  hiérarchise  ecclesiastica-, 
ad  Paulum  III,  in-fol.,  Cologne,  1538,  ouvrage  de  haute 
valeur;  Masson  (Jacobus  Latomus),  Tractatus  de  primaiu 
romani  pontificis,  dans  la  Bibliotheca  maxima  pontificia 
de  Roccaberti,  t.  xm;  Lindanus,  De  vera  Christi  Ecclesia, 
in-fol.,  Cologne,  1572;  Jean  van  den  Rundere.  Compendium 
rerum  tlwologicarum  quœ  hodie  in  conlroversiam  agitantur, 
in-fol.,  Anvers,  1562;  Reginaldus  Polus  (Pôle,  Poole),  Pro 
ccclesiasticœ  unilatis  defensione  libri  quatuor,  in-fol.,  Rome, 
1538;  Pro  primatu  romanœ  Ecclesia-,  in-fol.,  Strasbourg, 
1555;  De  summo  pontifice  Christi  in  terris  vicario  ejusque 
officio  et  poteslate,  ad  regem  Henricum  VIII,  in-fol.,  Louvain, 
1569;  Re/ormatio  Anglica-  an.  1SS6,  in-fol.,  Rome,  1562; 
Nicolas  Harpsfield,  Sex  dialogi  contra  SS.  pontificatus 
oppugnalorcs,  in  quibus  auctorum  anglicanœ  apologiœ 
mendacia  detegunlur,  in-fol.,  Anvers,  1566;  P.  de  Soto, 
Defensio  assertionis  catholicœ  fidei,  c.  lxxiv,  in-fol.,  Anvers, 
1557;  Fr.  Horantius  (Orantés),  De  locis  catholicis  pro  romand 
fuie  adversus  Calvini  institutiones,  !.  VI,  in-fol.,  Venise, 
1564;  Fr.  Turrianus  (Torrès),  De  summi  pontificis  supra 
concilium  auctoritate,  in-fol.,  Florence,  1551;  Campeggi, 
De  auctoritate  et  poteslate  romani  pontificis,  in-fol.,  Venise, 
1562,  inséré  par  Roccaberti,  dans  sa  Bibliotheca  maxima 
pontificia,  t.  xix,  p.  568  sq.  ;  Cantarini,  De  poteslate  pontificis, 
in-4»,  Paris,  1571;  Venise,  1589;  Gr.  de  Valentia,  Analyste 
fidei  catholicœ,  in-fol.,  Ingolstadt,  1585;  Th.  Stapleton, 
Prineipiorum  fidei  doclrinalium  demonstratio  melhodica, 
in-fol.,  Paris,  1579;  De  ntagnitudine  Ecclesiœ  romanœ, 
in-fol.,  Anvers,  1599;  Rellarmin,  IIP  Conlroversia  generalis, 
De  summo  pontifice,  in-fol.,  Ingolstadt,  1586,  Opéra  omnia, 
8  in-4°,  Naples,  1872,  t.  i,  p.  305-325;  Suarez,  Defensio  fidei 
catholicœ  adversus  anglicanœ  sertœ  errores,  Opéra  omnia, 
23  in-4°,  Lyon  et  Cologne,  1594-1655,  t.  xxm;  28  in-4°, 
Paris,  1856-1878,  t.  xxiv. 

2°  Au  XVII' siècle.  —  André  du  Val,  Elenchus  libelli  de 
ecclesiastica  et  politica  poteslate  pro  suprema  romanorum 
pontificum  in  Ecclesia  auctoritate,  in-8°,  Paris,  1612,  1613; 
l'auteur  s'y  montre  un  des  plus  grands  adversaires  de  Richer 
et  du  richérisme,  dont  il  prévoit  toutes  les  conséquences 
désastreuses;  De  suprema  romani  pontificis  in  Ecclesiam 
poteslate,  in-4»,  Paris,  1614;  Traclatus  de  SS.  pontificis 
auctoritate,  in-4°,  Évreux,  1622,  sous  le  pseudonyme  de 
Jean  Lejan;  Eudémon,  Admonitio  ad  lectores  librorum 
Marci  Antonii  de  Dominis,  in-8°,  Cologne,  1619;  Boudot, 
Pijthagorica  Marci  Antonii  de  Dominis  nova  metempsy- 
chosis,  in-8°,  Paris,  1621;  Beaulieu  (Théophraste  Bouju), 
Défense  pour  la  hiérarchie  de  l'Église  et  de  Notre  Saint-Père 
le  pape,  in-8°,  Paris,  1613;  Ramon,  De  primatu  S.  Pétri  et 
SS.  pontificum  romancrum  ejus  successorum,  in-4°,  Toulouse, 
1617;  Martin  Bécan,  De  republica  ecclesiastica  libri  quatuor, 
contra  M.  Anlonium  de  Dominis,  in-8°,  Mayence,  1618; 
Nardi,  Assertio  suprema-  poteslatis  romani  pontificis  adversus 
Ant.  de  Dominis,  in-4°,  Anvers,  1619;  Coeffeteau,  Pro  sacra 
monarchia  Ecclesiœ  catholicœ,  apostolicœ  et  romanœ  adversus 
rempublicam  Marci  Antonii  de  Dominis,  libri  quatuor  apo- 
logetici,  2  in-fol.,  Paris,  1623;  Maucler,  De  monarchia  divina, 
ecclesiastica,  et  seculari  christiana,  in-fol.,  Paris,  1622; 
Fénelon,  De  summi  pontificis  auctoritate  dissertatio.  Œuvres 
complètes,  10  in-8°,  Paris,  1853,  1851,  t.  n,  p.  1-127;  Petau, 
De  Photino  ha-rctico  ejusque  damnatione  dissertatio,  in-8", 
Paris,  1636;  De  poteslate  consecrandi  et  sacrificandi  sacer- 
dotibus  a  Deo  concessa...  diatriba  adversus  novam  asserlionem 
anonymi  cujusdam  (Grotii)  qui  christiani  sacrificii  conse- 
crandi offerendique  poleslatem  eliam  laicis  atlribuit,  in-8°, 
Paris,  1639;  Londres,  1685;  Dissertationum  ecclesiasticarum 
libri  duo,  in-8",  Paris,  1641;  De  ecclesiastica  hierarchia  libri 
quinque,  in-8°,  Paris,  1643;  Sirmond,  De  Photino  luvretico 
ejusque  damnatione  in  quinque  synodis,  in-8°,  Paris,  1651  ; 
Concilia  antiqua  Galliœ  a  seculo  IV  ad  -Y,  3  in-fol.,  Paris, 
1629;  Charlas,  Tractatiis  de  libertalibus  Ecclesiœ  gallicanœ, 
Liège,  1684;  3  in-4°,  Rome,  1720;  De  la  puissance  de  l'Eglise, 
ou  réponse  au  traité  historique  de  M.  Maimbourg  de  l'éta- 
blissement et  des  prérogatives  de  l'Eglise  de  Rome  et  de  ses 
évesques,  1687;  Primatus  juridictionis  romani  pontificis 
assertio,  seu  responsio  ad  dissertationem  EU.  Dupin  de 
primatu  romani  pontificis,  in-4°,  Cologne,  1700. 

3°  Au  XVII f  siècle.  —  Busaeus,  Poleslas  jurisdictionis 
sacra-  a  supremo  Ecclesiœ  capite  Christo  in  Petrum  ejusque 
successores  romanos  pontifices,  ab  his  in  episcopos  immédiate 
transfusa  dissertatio  hislorico-dogmatico-theologica,  in-4°, 
Fulda,    1758;    Hiérarchise    ecclesiasticœ   ordo,    dignitate    et 


1353 


GOUVERNEMENT   ECCLÉSIASTIQUE    —    GRACE 


1554 


potestate  primus,  seu  episcopatus  poteslate  ordinis  et  juris- 
dictionis  simplici  presbytero  jure  divino  superior...  asserlus  et 
vindicatus,  in-4°,  Fulda,  1758;  Krupp,  De  verso  ac  geminoa 
Christo  instiluto  societatis  ac  poteslatis  ecclesiastica'  systcmale, 
in-8°,   Bonn,    1782,   ouvrage   singulier  :    l'auteur,    tout    en 
admettant  la  primauté  du  pape,  nie  que  le  gouvernement 
ecclésiastique  soit  une  monarchie;  Glœtzge,    Traclatus  de 
variis  in  hierarchia  ecclesiastica  ordinibus,  in-8",  Augsbourg, 
1782;  Molinelli,   Del  primate  dell'  aposlolo  sait  l'ietro  e  dei 
romani   ponte  fie  i  suoi   snecessori,   in-8°,    Rome,   1784;   De 
Stracutio,  In  ponlificii  primatus  jurisdictionem  exercitatio, 
in-8°,  Palerme,  1784;  Mozzi  de'Capitani,  Storia  compendiosa 
dello  scisma  délia  nuova   Chiesa  d'Utrecht,   in-8°,   Ferrai  e, 
1785, 1786,  livre  que  Pie  VI  loua  par  son  bref  du  8  juin  1785, 
mais  qui  fut  attaqué  par  Bossi,  chanoine  de  Milan,   Del 
cattolicismo    délia    Chiesa    d'Utrecht     in-8°,     Milan,     1780, 
libelle  mis  à  l'Index,  l'année  suivante;  Mozzi  répondit  par 
une    réfutation    victorieuse    dans    un    ouvrage    de    longue 
haleine,    Storia    délie    revoluzioni    délia    Chiesa    d'Utrecht, 
3  in-8°,  Venise,  1787;  Bossi  ayant  répliqué  par  ses  Lellcre 
Ultrajetline,  Mozzi  lui  répondit  encore  par  la  Riposta  paci- 
fica   al  cavalière   Milanese,   in-8°,   Bergame,   1788;   et   par 
Cinquanta  ragioni  e  motivi pé'quali  la  Chiesa cattolica  romana 
deve  essere  pre/erita  a  tutte  le  odiose  setle  del    cristianesimo, 
in-8",    Bassano,    1789;    Cuccagni,    De   mutais    Ecclesiee   cl 
imperii  officiis  erga  religionem  et  publicam  Iranquillilatcm, 
in-8°,  Pérouse,  1785,  ouvrage  contre  le  joséphisme;  Lettere 
paci fiche,  in-8°,  Rome,  1786;  Ragionamento  sulla  podeslà  del 
romano  pontefwc    e  sulla  obbidienza  che  gli  debono  tutti    i 
cristiani,  in-8°,  Rome,  1787;  Délia    autorità  c  délia  juris- 
dizione  del  romano   ponte  fiée  sulla  crezionc  e  dislribuzione 
de'  vescovadi,  sulla  elezione  e  consecrazionc  de'   vescovi,   c 
sulla  disciplina  délia  Chiesa,  in-8°,  Rome,  1788;  Bianucci, 
Libellas  de  concilio  hierosolgmitano,  et  quod  ex  illo  jus  voti 
decisivi    in    conciliis    intuitu    simplicium    sacerdotum    non 
eruatur,  in-8°,  Rome,  1787;  Pecci,  De  statu  quœstionis  circa 
jura  episcopalia,  in-8°,  Rome,  1787;  Franceschi,  An  parochi 
ad  synodum  diocesanum   vocati,  admittendi   sini   ad   votum 
decisivum,  spectalo  proprio  ipsorum  ac  primitivo  charactere, 
in-8°,  Pise,  1787;  Martini,  Responsio  alque  declaralio  contra 
librurn   ab   episcopo    Collensi  circa   qua'slionem   de   decisivo 
parachorum  voto  pra'lcctum,  in-8°,  Florence,   1787;  Borgo, 
Lettere  ad  un  prelato  romano  sulla   idea  falsa,  scismatica, 
erronea,  eretica,  contradiltoria,  ridicola,  délia  Chiesa  formata 
al  modo  di  Pistoja,  in-8°,  Assise,  1788,    1790;  Fuensalida 
(Antoine  Rasier),  Analisi  del  concilio  diocesano   di  Pistoja, 
in-4°,  Assise,  1790;  Prediche  polemiche  sopra  san  Pietro  e  i 
suoi  successori  e  il  divin  loro  i>rimato,  in-S°,  Foligno,  1784; 
Muzzarini,  Quale  totalilà  di  consenso  décida  la  controversia 
nelle  materic  di  fede,  in-4°,  Pérouse,  1790;  l'auteur  prouve 
avec  une  grande  solidité  de  doctrine  qu'il  n'est  pas  besoin 
du    consentement    de    l'Église    universelle    pour    trancher 
définitivement  les  controverses  en  matière  de  foi;  Vannucci, 
De  originariis  episcoporum  juribus,  de  parochorum  voto  in 
conciliis,   et  de  suffragiorum   in   eisdem  pluralitate,   in-8°, 
Rome,  1787;  D.  Foppoli,  I.'ultimo  tribunale  degli  appelli, 
2  in-8°,  Côme,  1784;  I  fondamanli  délia  dignità  pontificia, 
in-8°,  Côme,  1789;  Fontana,  Difesa  dell'  episcopato  contra 
le  moderne  pretensioni  di  alcuni  paroclii,  in-8",  Venise,  1789; 
Moliner,  Sobre  cl  primado    del  papa,  in-8",  Madrid,  1790; 
Du  Doyar,  Lettres  d'un  chanoine  pénitencier  de   la  métropole 
de...  à   un  chanoine  théologal  de  la  cathédrale  de...  sur  les 
affaires  de  la  religion,  in-8°,  Rouen,  1790,  solide  réfutation 
du  joséphisme,  rééditée  plus  de  vingt  fois;  Recco,  Ragiona- 
mento  polemico   délia   esistenza   di   vera   jurisdizione   nella 
Chiesa  cattolica,  stabilita  nell'  autorità  del   romano  pontefice 
e  délia  sua  sede,  in-8°,  Rome,  1791  ;  Sanna,   Il  peccato   in 
religione  ed  in  logica  degli  atti  e  decreti  del  concilio  diocesana 
di    Pistoja,    2    in-4°,    Assise,    1791,    l'une    des    meilleures 
réfutations  des  nombreuses  erreurs  du  concile  de  Pistoie; 
Rérardier,  Les  principes  de  la  foi  sur  le  gouvernement   de 
l'Église,  en  opposition  avec  la  constitution  civile  du  clergé, 
in-8°,  Paris,  1791,  dont  il  parut  jusqu'à  quatorze  éditions 
en  un  seul  mois;   L'Église  constitutionnelle  confondue  par 
elle-même,  in-8°,  Paris,  1792;  Guasco,  Dizionario  Ricciano  ed 
anliricciano,   in-4",   Sora,   1793,    réfutation   de     toutes    les 
erreurs  des  partisans   de   Ricci   et   du   synode   de  Pistoie; 
Marchetti,  Testimoniale  délia  Chiesa  di  Francia  sopra  la 
Costituzione  civile   del  clero,  in-8°,  Rome,  1793;  L'autorità 
suprema  del  romano  pontefice  dimostrata,  in-8°,  Rome,  1787; 
/  Ire  capilali,  in-8°,  Rome,  1796;  Bonola,  Originarii  diritli 
episcopali,  in-4°,  Foligno,  1794,  contre  le  synode  de  Pistoie; 
Gerdil,  De  sacri   regiminis  ac  praesertim  pontificii  primatus 
proprio  ac  singulari  jure,   in  omnis  ecclesiasticx  jioteslatis 


communicandai  ralione,  in-4°,  Rome,  1800;  l'auteur  publia 
aussi  un  grand  nombre  d'opuscules  sur  le  même  sujet,  les- 
quels se  trouvent  dans  les  t.  v-vn  de  ses  œuvres  complètes, 
7  in-S°,  Florence,  1844-1850. 

4°  Au  XIX'  siècle.  —  Muzzarelli,  De  auctoritate  romani 
pontificis  in  conciliis  generalibus,  2  in-8°,  Gand,  1815; 
Infaillibilité  du  pape  prouvée  par  les  principes  mêmes  et  le 
sentiment  universel  de  l'Église  gallicane,  in-12,  Avignon,  1820, 
1846;  Anfossi,  Difesa  délia  bolla  Auctorem  fidei,  in-8°, 
Rome,  1816;  De  Maistre,  Du  pape,  2  in-8»,  Lyon,  1818, 
1821,  1830,  1845;  Bruges,  1882;  De  l'Église  gallicane  dans 
son  rapport  avec  le  souverain  pontife,  pour  servir  de  suite  à 
l'ouvrage  intitulé  :  Le  pape,  in-8°,  Lyon,  1821,  1822,  1829, 
1845,  etc.;  Adorno  Hinijosa,  El  sinodo  de  Pistoya  como  es 
en  si  o  sea  los  jansenistas  modernos  convencidos  de  irreligion 
y  de  anarquia,  publié  dans  le  t.  xx  de  la  Bibliotheca  de 
religion,  20  in-8°,  Madrid,  1826-1829;  Weith,  Edmundi 
Richcrii  systema  de  ecclesiastica  et  politica  poteslate  confu- 
Uitum,  in-8<\  Malines,  1825;  Giudetti,  Difesa  contro  la  falsa 
dottrina  del  sinodo  di  Pistoja,  in-8°,  Lucques,  1827;  Bouix, 
De  papa,  3  in-8°,  Paris,  1809-1870;  Guéranger,  La  monarchie 
pontificale  à  propos  du  livre  de  Mgr  l'évêque  de  Sura,  Le  pape 
et  les  évêques,  in-8",  Paris,  1870;  Puyol,  Étude  historique  et 
critique  sur  le  renouvellement  du  gallicanisme  au  XVW  siècle, 
2  in-8",  Paris,  1876;  Palmieri,  De  romano  ponlifice,  Prole- 
gomen.,  §  12-15;  part.  II,  thés,  xv-xx,  in-8°,  Rome,  1877, 
p.  64-107,  387-471  ;  Gréa,  De  l'Église  et  de  sa  divine  consti- 
tution, in-8°,  Paris,  1885;  Mazzella,  De  religione  et  Ecclcsia, 
disp.  III,  a.  7,  8,  in-8°,  Rome,  1885,  p.  408-438;  Franzelin. 
De  Ecclesia  Christi,  sect.  il,  c.  n,  thés,  x-xi,  in-8°,  Rome, 
1887,  p.  124-163;  Wilmers,  De  Christi  Ecclesia,  Prolegomen., 
a.  3;  1.  II,  c.  v,  a.  2;  1.  III,  c.  i,  a.  2,  in-8°,  Ratisbonne,  1897, 
p.  17  sq.,  115-133,  188  sq.;  Pesch,  Prœlectiones  iheologica- 
dogmatica',  De  Ecclesia  Christi,  part.  II,  sect.  i,  prop.  3:;,  ::  I. 
9  in-8",  Fribourg-en-Brisgau,  1897-1903,  t.  n,  p.  202-237; 
Billot,  De  Ecclesia  Christi,  part.  II,  c.  ni,  q.  Xll-xm,  in-S", 
Rome,  1903,  p.  498-586;  Turmel,  Histoire  de  la  théologie 
positive,  2  in-8°,  Paris,  1906,  t.  n. 

T.  Ortolan. 
GOZZE  Ambroise,  d'une  noble  famille  dalmate  de 
Raguse,  entra  clans  l'ordre  de  saint  Dominique  au 
couvent  de  sa  ville  natale.  Maître  en  théologie  et 
religieux  zélé,  Paul  V  le  choisit  pour  évoque  des  églises 
réunies  de  Mercana  et  Trébigna  en  Dalmatie,  le 
25  juin  1609.  Il  fut  sacré  à  Rome  dans  l'église  de 
Saint- Jean  des  Florentins  par  le  cardinal  Aquaviva, 
le  5  juillet  suivant.  Il  fut  ensuite  transféré  au  siè?4p  de 
Stagno,  toujours  en  Dalmatie,  le  23  mars  1615.  C'est  là 
qu'il  mourut  le  13  juillet  1632.  Gozze  a  public  : 
1  °  Rejormationcm  calendarii  perpetui  juxla  calendarium 
Gregorianum:  2"  Tabulant  ordinationum  capitulorum 
generalium  ordinis  ab  anno  Domini  1542  usque  ad 
annum  1601,  ms.,  aux  archives  de  Raguse;  3°  Lc- 
ctiones  super  logicam  Pétri  Hispani;  4°  Librum  simi- 
liludinum  cl  cxcmplorum  1090  pro  prœdicaloribus; 
5°  Correciionem  in  commenlarios  Ludovici  Vives  ml 
libros  S.  Augustini  De  civitale  Dei;  6°  Correcliones  in 
figuras  F.  Antonii  de  Rcmpelogis  eremitani  ;  7°  Cala- 
logus  virorurn  ex  familia  preedicatorum  in  lileris 
insignium,  Venise,  1005,  essai  de  bibliothèque  domi- 
caine  qui  trouvera  son  développement  dans  Alta- 
mura,   Fontana  et  surtout  Echard. 

Echard,  Scriplores  ordinis  prœdicatorum,  Paris,  1719- 
1721,  t.  n,  p.  414;  Fontana,  Sacrum  theatrum  dominicanum, 
Rome,  1006,  p.  234  et  299,  a  tort  il  donne  1020  pour  date 
de  sa  mort;  M.  Cavalieri,  Galleria  de  sommi  pontefici,  etc., 
Bénévent,  1696,  t.  i,  p.  554;  même  erreur  que  Fontana, 
faite  d'ailleurs  par  Echard  lui-même;  Gliubich,  Diziona- 
rio biografico  degli  uomini  illustri  délia  Dalmazia,  Vienne, 
1856,  p.  167  ;  Gains,  Séries  episcoporum,  p.  421;  Bullar. 
ordinis  prœdicatorum,  Rome,  1733,  t.  v,  p.  721-726. 

R.  COULON. 

GRACE.  Nous  étudierons  successivement  :  I.  la 
grâce  considérée  en  général;  II.  la  grâce  habituelle  ou 
sanctifiante;  III.  la  grâce  actuelle. 

I.    GRACE  CONSIDÉRÉE   EN   GÉNÉRAI I.  Notion. 

II.  Existence.  III.  Nécessité.  IV.  Distribution. 


L555 


GRACE 


1556 


1.  Notion.  —  1°  Signification  du  mot.  —  Le  mot 
grâce,  en  latin  gratia,  en  grec  "/.«p'5,  a  différentes  signi- 
fications :  nous  en  indiquerons  les  principales,  qui  se 
rencontrent  dans  le  Nouveau  Testament. 

Grâce  signifie  :  1.  bienveillance,  faveur  que  l'on  a 
à  l'égard  de  quelqu'un,  par  exemple,  gratia  Dei  eral  in 
illo,  Luc,  ii,  40,  spécialement  la  bienveillance  et  la  libé- 
ralité de  Dieu  à  l'égard  des  hommes,  par  exemple,  gratia 
vobis  et  pax  a  Deo  Pâtre  nostro,  I  Cor.,  i,  3;  sed  non  sicul 
delictum  ita  et  donum.  Si  enim  unius  deliclo  multi  mortui 
sunt  :  multo  magis  gratia  Dei  et  donum...  abundavit. 
Rom.,  v,  15. 

2.  Grâce  signifie  aussi  la  conséquence  ou  l'effet  de  la 
bienveillance,  c'est-à-dire  le  bienfait,  le  don  gratuit, 
spécialement  l'ensemble  des  dons  concédés  par  Dieu 
aux  hommes  en  vue  de  leur  sanctification  et  de  leur 
salut,  un  état  de  sainteté  :  exhorlamur  ne  in  vacuum  gra- 
tiam  Dci  recipiatis,  II  Cor.,  vi,  1  ;  habemus  accessum  per 
fidem  in  gradam  istam  in  qua  slamus,  Rom.,  n,  5; 
obsecrans  et  obleslans  hanc  esse  veram  graliam  Dei  in 
qua  statis,  I  P.  t.,  v,  12;  crescitc  in  gratia  Dci,  II  Pet., 
m,  18;  ou  bien  un  don  spécial  concernant  le  salut,  par 
exemple,  cl  obslupucrunl  ex  circumeisione  fidèles,  qui 
vénérant  cum  Pelro  :  quia  et  in  nalione  gratia  Spirilus 
Sancti  cjfusa  est,  Act.,  x,  45;  secundum  gratiam  Dei, 
quse  data  est  mihi,  ut  sapiens  architectus  fiindamentum 
posui,  I  Cor.,  in,  10;  gratia  Dei  sum  id  quod  sum  et 
gratia  ejns  in  me  vacua  non  fuit,  sed  abundanlius  Mis 
omnibus  laboravi;  non  ego  autem,  sed  gratia  Dei  mecum. 

I  Cor.,  xv,  10.  Cf.  I  Tim.,  iv,  14;  I  Cor.,  xn,  4  sq.  ; 

II  Cor.,  vin,  6;  xn,  19. 

Le  mot  grâce  est  aussi  employé  pour  désigner  la  con- 
dition de  l'homme  juste  après  la  venue  de  Jésus-Christ 
et  la  caractéristique  de  l'œuvre  accomplie  par  le  Christ  : 
dans  ce  sens,  grâce  est  opposée  à  la  loi  (mosaïque)  : 
peccabimus,  quoniam  non  sumus  sub  lege,  sed  sub  gra- 
tia ?  Rom.,  vi,  15 ;  lex  per  Moysen  data  est,  gratia  cl  veri- 
tas  per  Jesum  Christum  facla  est.  Joa.,  i,  17. 

3.  La  grâce  est  une  qualité  d'une  personne  ou  d'une 
chose,  qui  la  rend  aimable  ou  agréable  aux  autres,  par 
exemple,  ut  dci  (serino)  gratiam  audientibus,  Eph.,  iv, 
20;  ha-c  est  gratia  apud  Deum.  I  Pet.,  n,  20. 

4.  Enfin  grâce  signifie  la  reconnaissance  pour  le  bien- 
fait reçu,  par  exemple,  numquid  gratiam  habet  servo 
illi?  Luc,  xvn,  9;  gratia  Dei  per  Jcsum  Christum, 
Rom.,  vu,  25;  gratias  ago  Deo  meo  semper  pro  vobis. 
I  Cor.,  i,  4. 

Sur  les  significations  du  mot  grâce,  voir  Wahl,  Clavis  Novi 
Teslamenti,  Leipzig,  1843;  Grimm,  l.exicon  grœco-latinum  in 
libros  Novi  Tcstamenti,  Leipzig,  1903;  Hagcn,  Lexicon  bibli- 
cum,  Paris,  1907, t.  n  ;  Zorell,  Novi  Teslamenti  lexicon  grœcum, 
Paris,  1911. 

2°  Signification  spéciale  dans  le  langage  théologique 
—  Il  faut  étudier  spécialement  le  sens,  indiqué  en  se- 
cond lieu,  celui  de  bienfait,  de  don  gratuit,  de  chose 
donnée  par  pure  bienveillance,  tout  gratuitement,  sans 
qu'il  y  ait,  de  la  part  de  celui  qui  la  reçoit,  un  droit  ou 
une  exigence.  C'est  la  signification  formelle,  expliquée 
par  saint  Paul,  Rom.,  xi,  6  :  il  y  parle  des  Israélites  qui 
sont  arrivés  au  christianisme;  ils  ont  été  sauvés  par  le 
choix  divin,  absolument  gratuit,  dû  uniquement  à  la 
bienveillance  de  Dieu  à  leur  égard  :  «  Si  c'est  par  grâce, 
dit  saint  Paul,  ce  n'est  plus  par  les  œuvres;  autrement 
la  grâce  cesse  d'être  une  grâce.  »  Le  don,  en  tant  qu'il 
est  gratuit,  est  une  grâce. 

Tout  don,  fait  par  Dieu  à  ses  créatures,  est  gratuit; 
mais  il  y  a  une  gratuité  spéciale  qui  est  propre  à  cer- 
tains bienfaits  et  n'affecte  pas  les  autres,  c'est  celle  des 
bienfaits  surnaturels.  Bien  que  le  mot  grâce  désigne 
souvent,  chez  les  Pères,  les  dons  naturels,  cependant  la 
signification  spéciale  de  don  surnaturel,  distinct  de  la 
nature,  est  attachée  par  certains  Pères  au  mot  grâce, 
même  avant  saint  Augustin.  Cf.  Hurter,  Compendium 


thcologise  dogmalicœ,  Inspruck,  1890,  t.  m,  n.  0,  p.  5  sq. 

Tertullien,  Adversus  Marcionem.  1.  V,  c  xvn,  expli- 
que le  texte,  Eph.,  n,  10,  et  dit  qu'autre  chose  est  signi- 
fiée par  facerc,  autre  chose  par  condere  :  c'est  le  même 
créateur  qui  est  la  cause  des  deux  opérations,  mais 
l'effet  en  est  différent;  l'une  (facerc)  a  pour  terme  la 
substance  ou  nature,  l'autre  la  grâce.  Quantum  enim  ad 
subslantiam  fccil  (Deus),  quantum  ad  gratiam  condidit. 
Tertullien  attribue  à  l'influence  prépondérante  de  la 
grâce  les  bonnes  œuvres,  la  conversion,  et  dit  :  Hsec  erit 
vis  divines  gratiœ,  potentior  utique  natura,  habens  in 
nobis  siibjacentem  sibi  liberi  arbilrii  polestalem...  quœ 
cum  sil  et  ipsa  naturalis  alque  mulabilis,  quoquo  vertitur, 
natura  converlilur.  De  anima,  n.  21,  P.  L.,  t.  n,  col.  G85. 
Voir  d'Alès,  La  théologie  de  Tertullien,  Paris,  1905, 
p.  264  sq.,  326  sq.  Saint  Cyrille  de  Jérusalem,  Cal., 
m,  enseigne  que  ce  n'est  pas  par  nature  que  nous 
sommes  fils  de  Dieu,  mais  par  adoption  :  cette  adop- 
tion, il  l'appelle  :  ta  grâce.  P.  G.,  t.  xxxm,  col.  444. 
Saint  Ambroise  enseigne  que  celui  qui  n'est  pas  Dieu 
par  nature,  l'est  par  grâce,  comme  l'homme,  ou  ne  l'est 
pas  du  tout,  comme  les  démons.  De  incarnalionis 
Domini  sacramento,  c.  vin,  n.  83,  P.  L.,  t.  xvi,  col.  839. 
Saint  Jérôme,  Adversus  Jovinianum,  1.  II,  n.  29,  P.  L., 
t.  xxm,  col.  326,  parle  de  l'unité  morale,  qui  constitue 
la  société  chrétienne,  la  met  en  rapport  avec  Dieu  et 
fait  en  sorte  que  les  hommes  soient  unis  à  Dieu  :  cette 
union  avec  Dieu  n'est  pas  le  résultat  de  la  nature,  mais 
bien  de  la  grâce.  Saint  Augustin  montre  Dieu  créant 
dans  les  anges- la  nature  et  leur  faisant  en  même  temps 
largesse  de  la  grâce.  Simul  in  eis  et  condens  naturam  et 
largiens  graliam.  De  civilale  Dei,  1.  XII,  c.  ix,  P.  L., 
t.  xli,  col.  357.  En  défendant  contre  les  pélagiens  la 
nécessité  de  la  grâce,  il  est  plus  d'une  fois  amené  à  dire 
ce  qu'il  entend  par  ce  mot  :  c'est  un  ensemble  de  dons, 
se  rapportant  au  salut,  et  réellement  distincts  de  la 
nature  et  des  perfections  qui  lui  sont  propres;  si  l'on 
peut  appeler  grâce  le  don  de  la  création,  si  l'on  peut 
appeler  grâce  ce  par  quoi  l'homme  se  distingue  de  l'être 
inanimé,  de  la  plante  et  de  la  bête,  cependant  c'est  une 
grâce  différente  de  celle  par  laquelle  nous  sommes  pré- 
destinés, justifiés,  glorifiés.  Celle-ci  est  propre  aux  chré- 
tiens, elle  n'est  pas  la  nature,  mais  elle  la  sauve,  elle 
n'est  pas  un  secours  extérieur  à  l'homme,  mais  une 
forme  interne.  Epist.,  clxxvii,  n.  7;  cf.  Epist.,  cxciv, 
n.  8;  ccxvn,  n.  11,  P.  L.,  t.  xxxm,  col.  767,  877,  982. 
Le  même  docteur,  De  spiritu  et  littera,  c.  xxxm, 
n.  57,  P.  L.,  t.  xliv,  col.  257,  sedemandesi  la  volonté 
de  croire  est  un  acte  naturel  ou  un  don  de  Dieu  :  il 
marque  ainsi  la  distinction  entre  nature  et  grâce.  Saint 
Cyrille  d'Alexandrie  exprime  très  clairement  et  de  façon 
tout  à  fait  explicite  la  surnaturalité  de  la  grâce  : 
par  le  Christ  nous  sommes  élevés  à  une  dignité  surna- 
turelle :  v.i  xo  j-Èp  çuaiv  à?i<oaa...  La  créature,  qui  par 
elle-même  est  esclave,  est  appelée  à  jouir  de  biens  sur- 
naturels par  la  seule  volonté  de  Dieu.  In  Joa.,  1.  I, 
c.  ix,  P.  G.,  t.  lxxiii.  col.  153;  cf.  1.  XI,  c.  xi,  t.  lxxiv, 
col.  553;  De  sancla  et  consubslanliali  Trinilale,  diaL  iv, 
t.  lxxv,  col.  882,  908.  Dans  les  prières  liturgiques  le 
caractère  surnaturel  de  la  grâce  est  exprimé  principale- 
ment par  l'effusion  du  Saint-Esprit  :  Effunde,  qusesu- 
mus,  Domine,  Spirilum  gratias  super  familiam  tuam; 
Spirilum  nobis,  Domine,  tuit  charilatis  infunde,  et  par 
l'opération  du  Saint-Esprit  en  l'âme  :  Mentes  nostras 
quxsumus,  Domine,  Sanctus  Spirilus  divinis  prseparel 
sacramenlis.  Adsit  nobis..,  virtus  Spirilus  Sancli  qui  et 
corda  noslra  clcmenter  expurget.  Sacramentarium  leoni- 
num,  édit.  Feltoe,  Cambridge,  1890,  p.  80,  134,27. 

Les  scolastiques  ont  approfondi  cette  notion  et  saint 
Thomas  explique  que  les  dons  naturels  sont  gratuits 
parce  qu'on  ne  peut  pas  les  mériter.  Les  dons  surna- 
turels sont  gratuits  à  double  titre,  parce  qu'on  ne  peut 
pas  les  mériter  et  parce  qu'ils  sont  positivement  indus 


1557 


GRACE 


1558 


à  la  nature  à  laquelle  ils  sont  conférés.  Gntia,  secundum 
quod  gratis  datur,  excluait  rationem  debiti.  Potest  autem 
inlelligi  duplex  debilum,  unum  quidem  ex  mcrito  pro- 
venions, quod  refertur  ad  personam  cujus  est  agcre  meri- 
toria  opéra...  Aliud  est  debilum  secundum  condilionem 
nalurse;  puta  si  dicamus  debitum  esse  homini  quod 
habeat  rationem  et  alla  quse  ad  Iiumanam  pertinent 
naturam.  Dona  naluralia  curent  primo  debito,  non 
aulem  carent  secundo.  Sed  dona  supernaluralia  ulroquc 
debilo  carent  et  ideo  spccialius  sibi  nomen  gratiœ  vindi- 
cant.  Sum.  thcol.,  V  IF'1,  q.  exi,  a.  1,  ad  2'"". 

Les  théologiens  définissent  la  grâce,  considérée  en 
général  :  un  don  surnaturel  (ou  l'ensemble  des  dons 
surnaturels)  concédé  par  Dieu  à  une  créature  douée 
d'intelligence  en  vue  du  salut  éternel. 

Il  faut  cependant  observer  que  chez  les  scolastiques 
anciens,  tels  que  saint  Bonaventure,  saint  Thomas,  le 
mot  gratia,  employé  sans  épithète,  signifie,  ordinaire- 
ment, non  la  grâce  considérée  en  général,  mais  la  grâce 
sanctifiante  ou  habituelle,  en  tant  qu'elle  se  distingue 
et  des  vertus  infuses  et  du  secours  transitoire  ordonné 
immédiatement  à  l'opération.  Cf.  S.  Thomas,  In  IV 
Sent.,  1.  II,  dist.  XXVI;  De  veritale,  q.  xxiv,  a.  14; 
Cont.  génies,  1.  III,  c.  clvi;  Sum.  thcol.,  P  IIœ,  q.  cix, 
ex,  a.  3,  ad  3"";  Capréolus,  In  IV  Sent.,  1.  II,  dist. 
XXVIII,  q.  i. 

3°  Division  de  la  grâce.  —  Saint  Thomas,  In  IV 
Sent.,  1.  II,  dist.  XXVI,  q.  i,  a.  1,  dit  que  le  Saint- 
Esprit  lui-même,  parce  qu'il  est  gratuitement  donné  à 
l'homme,  peut  être  appelé  grâce,  bien  qu'il  faille 
admettre,  en  l'homme  justifié,  un  effet  distinct  de 
Dieu  et  produit  par  lui  :  c'est  la  grâce  créée.  Cf.  De 
veritale,  q.  xxix,  a.  1  ;  Sum.  theol.,  I»,  q.  xliii,  a.  3. 

1.  De  là  la  distinction  entre  grâce  incréée  et  grâce 
créée.  La  grâce  incréée  est  Dieu  lui-même,  en  tant  que 
par  son  amour  il  se  donne  surnaturellement  à  l'homme. 
La  grâce  créée  est  le  don  surnaturel  produit  en  l'homme. 
Cf.  Suarez,  De  gratia,  proleg.  III,  c.  ni,  n.  2,  Opéra 
omnia,  Paris,  1856,  t.  vu,  p.  137.  Le  même  auteur,  De 
gratia,  1.  VIII,  c.  n,  t.  ix,  p.  313  sq.,  explique  que  la 
grâce  sanctifiante,  bien  qu'elle  soit  produite  immédia- 
tement par  Dieu,  a  cependant  une  cause  matérielle, 
c'est-à-dire  un  sujet  dans  lequel  elle  est  infuse;  c'est 
pourquoi  l'action  divine,  qui  produit  la  grâce  sancti- 
fiante, n'est  pas  une  action  créatrice  ou  une  création 
au  même  sens  où  l'est  l'action  de  Dieu  produisant  de 
rien  une  substance  ou  un  être  qui  existe  en  lui-même, 
sans  qu'il  soit  inhérent  à  un  autre  être.  Cette  considé- 
ration, qui  concerne  l'exactitude  de  la  terminologie, 
n'infirme  en  rien  la  notion  vraie  de  la  surnaturalité  et 
de  l'extrinsécisme  de  la  grâce.  Cf.  Maupréaux,  Revue 
auguslinienne,  1909,  t.  xv,  p.  106  sq.,  753  sq. 

2.  Quand  on  considère  l'origine  de  la  grâce,  on  peut 
distinguer  la  grâce  de  Dieu  et  la  grâce  du  Chriit 
rédempteur.  Grâce  de  Dieu  est  tout  don  surnaturel 
concédé  indépendamment  des  mérites  du  Christ  ré- 
dempteur. La  grâce  du  Christ  rédempteur  est  tout  don 
surnaturel  concédé  dépendamment  de  ces  mérites. 
Ainsi  toutes  les  grâces  proprement  dites  (nous  ne 
parions  pas  des  bienfaits  purement  naturels)  accordées 
à  l'homme  après  la  chute  d'Adam  sont  des  grâces  du 
Christ  rédempteur;  les  grâces,  au  contraire,  concédées 
aux  anges  et  à  nos  premiers  parents,  avant  le  péché, 
sont  des  grâces  de  Dieu.  Nous  avons  dit  du  Christ 
rédempteur  :  la  distinction  reste  établie  même  si  l'on 
admet  l'opinion  de  certains  théologiens,  suivant  les- 
quels l'incarnation  du  Verbe  aurait  eu  lieu,  en  vertu  du 
décret  actuel  de  la  providence,  même  si  Adam  n'avait 
pas  péché,  et,  par  conséquent,  toutes  les  grâces  auraient 
été  octroyées  dépendamment  du  Christ,  alors  même 
qu'il  n'y  eût  pas  eu  de  rédemption.  C'est  l'opinion  de 
Duns  Scot,  In  IV  Sent.,  1.  III,  dist.  VII,  q.  m;  voir 
Duns  Scot,  t.  iv,  col.  1890  sq.;  autre  est  l'opinion  de 


saint  Thomas,  Sum.  thcol.,  III»,  q.  i,  a.  3.  Suarez,  De 
gratia,  I.  I,  proleg.  III,  c.  n,  n.  9,  t.  vu,  p.  135  sq., 
défend  l'opinion  de  Scot. 

3.  Par  rapport  au  sujet  qui  reçoit  la  grâce,  celle-ci 
est  externe  ou  interne.  Externe  est  tout  don  surnaturel 
qui  est  en  lui-même  et  reste  extrinsèque  à  l'homme,  par 
exemple,  la  prédication  de  la  vérité  révélée,  la  loi 
divine  révélée  par  Dieu,  les  exemples  des  saints,  les 
miracles.  Certains  théologiens  étendent  fort  loin  cette 
dénomination  et  l'appliquent  à  des  effets,  en  soi  natu- 
rels, mais  ordonnés  par  Dieu  à  la  sanctification  sur- 
naturelle ou  au  salut  éternel  des  hommes.  Ad  gratiam 
externam,  prxter  prœdicationem  Evangelii,  cxemplum 
Chrisli  aliaque  facla  supernaluralia  recte  revocantur 
bénéficia  per  se  naluralia,  quibus  Deus  ulitur  ad  nos 
supernaturaliler  movendos,  ut  rcmolio  occasionis  pec- 
candi,  societas  bonorum  hominum,  felices  rerum  eventus, 
cliam  morbi,  inforlunia  cl  ipsa  mors.  IIœ  quidem  res  per 
se  sunl  iiidijjerentcs,  sed  nihilominus  Deus  ex  benevo- 
lenlia  potest  cas  disponere,  ut  simul  cum  gratia  interna 
salutem  conducant.  Pesch,  Prœlcctiones  dogmaticœ, 
Fribourg-en-Brisgau,  1908,  t.  v,  n.  25.  Mais  nous  ne 
comprenons  pas  comment  on  peut  appeler  grâces 
actuelles  ces  réalités  qu'on  vient  d'énumérer  :  c'est 
donner  lieu  à  des  confusions.  La  grâce  interne  est  tout 
don  surnaturel  qui  se  trouve  dans  le  sujet  qui  le  reçoit. 
Cf.  Suarez,  De  gratia,  proleg.  III,  c.  ni,  n.  10  sq., 
t.  vu,  p.  139  sq. 

4.  Saint  Thomas,  Cont.  génies,  1.  III,  c.  cl,  cliv; 
Sum.  thcol.,  I"  IIœ,  q.  cxr,  a.  1,  expose  la  distinction 
entre  la  grâce  gralum  faciens  et  la  grâce  gratis  data.  La 
première  unit  à  Dieu  et  lui  rend  agréable  l'homme  qui 
la  reçoit  :  c'est  un  don  qui  sanctifie  celui  auquel  il  est 
octroyé.  Pour  saint  Thomas,  c'est  la  grâce  sanctifiante 
seule.  La  grâce  gratis  data  est  un  don  par  lequel  celui 
qui  la  reçoit  coopère  à  amener  les  autres  au  salut  :  c'est 
donc  un  bienfait  concédé  principalement  en  vue  du 
salut  d'autrui.  A  ce  genre  de  dons  se  rapportent  les 
charismes,  indiqués  par  saint  Paul,  I  Cor.,  xn,  8. 
Alexandre  de  Halès,  Sum.  theol.,  part.  III,  q.  lxxiii, 
m.  n,  et  saint  Bonaventure,  In  IV  Sent.,  1.  II,  dist. 
XXVIII,  a.  2,  q.  i,  Opéra  omnia,  Quaracchi,  1882  sq., 
t.  ii,  p.  682  sq.,  désignent  par  l'expression  gratis  dala, 
non  seulement  les  dons,  que  nous  venons  d'indiquer, 
mais  encore  ce  que  nous  appelons  maintenant  la  grâce 
actuelle.  Suarez,  op.  cit.,  c.  iv,  n.  15,  p.  147  sq.,  et  les 
théologiens  modernes  classent  sous  le  genre  gratum 
faciens  tout  don  surnaturel  interne  concédé  à  l'homme 
en  vue  de  son  salut  personnel,  et  sous  le  genre  gratis 
data  tous  les  secours  accordés  à  quelqu'un  en  Mie  du 
salut  des  autres.  Cf.  Jungmann,  De  gratia,  6e'  édit., 
Batisbonne,  1896,  n.  9;  Hurter,  op.  cit.,  n.  10. 

5.  La  grâce  actuelle  est  un  secours  transitoire  par 
lequel  l'homme  est  mû  par  Dieu  à  une  opération  salu- 
taire; la  grâce  habituelle  est  un  don,  qui  est  infus  dans 
l'âme  et  y  demeure  inhérent,  à  la  manière  d'une  qua- 
lité permanente.  Saint  Thomas  n'emploie  pas  l'expres- 
sion actualis  gratia,  mais  il  connaît  la  réalité  indiquée 
maintenant  sous  cette  dénomination.  Cf.  Sum.  theol., 
P   IIœ,  q.  ex,  a.  2. 

D'autres  distinctions  sont  encore  en  usage  :  nous  en 
parlerons  plus  loin,  quand  nous  expliquerons  l'essence 
de  la  grâce  habituelle  et  de  la  grâce  actuelle. 

II.  Existence.  —  Avant  de  démontrer  l'existence 
de  la  grâce,  il  faut  préciser  la  notion  de  la  réalité 
désignée  par  ce  mot. 

Nous  avons  dit  plus  haut  que  nous  entendions  par 
grâce  tout  don  surnaturel  fait  par  Dieu  à  une  créature 
intellectuelle  en  vue  du  salut  éternel.  La  grâce,  consi- 
dérée sous  ce  concept  générique,  existe  :  en  effet,  l'état 
du  premier  homme,  tel  qu'il  est  décrit  au  livre  de  la 
Genèse,  implique  des  dons  positivement  indus  à  la 
nature  humaine.  La  révélation,  proprement  dite,  c'est- 


1559 


GRACE 


1560 


à-dire  la  manifestation  d'une  vérité  failc  directement 
par  Dieu  à  une  créature,  est  un  bienfait  surnaturel. 
Toute  créature  douée  d'intelligence  est  par  là  même 
positivement  ordonnée  à  connaître,  notamment  à 
connaître  Dieu  et,  jusqu'à  un  certain  point,  ses  œuvres. 
(  '.cl  l  e  connaissance  naturelle  est  proportionnée  au  degré 
d'intellectualité  de  la  créature  et  s'obtient  par  des 
moyens  à  sa  portée.  Mais  aucune  créature  ne  peut 
avoir  d'elle-même  une  exigence  ou  un  droit  à  ce  que 
Dieu  lui-même  lui  parle  ou  l'instruise.  Cf.  Mercier, 
O.  P.,  dans  la  Revue  thomiste,  1902,  t.  x,  p.  30(5  sq.  ; 
1908,  t.  xvi,  p.  525. 

La  révélation  divine,  alors  même  qu'elle  ne  com- 
prendrait pas  des  mystères  proprement  dits,  est  tou- 
jours une  communication  surnaturelle  de  Dieu  avec  la 
créature  :  elle  est  une  grâce  externe  par  rapport  à  celui 
auquel  elle  s'adresse.  La  révélation,  considérée  objec- 
tivement, c'est-à-dire  l'ensemble  de  vérités  révélées 
par  Dieu  et  proposées  avec  les  motifs  suffisants  de  cré- 
dibilité, peut  avoir  pour  conséquence  la  foi;  cette  foi 
peut  être  naturelle;  il  n'y  a  aucune  impossibilité  physi- 
que à  ce  que  l'homme,  par  la  seule  activité  de  ses 
facultés,  admette  sincèrement  pour  vrai  ce  qu'il  sait 
être  révélé  par  Dieu  et  qu'il  acquière  cette  conviction, 
par  son  intelligence  et  par  sa  volonté,  sans  qu'il  y  ait 
en  lui  un  principe  surnaturel  et  subjectif  d'action. 
Ainsi,  en  supposant  l'incarnation,  c'est-à-dire  l'union 
hypostatique  d'une  nature  humaine  avec  une  personne 
divine,  cette  humanité  pourrait  avoir  pour  principale 
fonction  de  susciter,  dans  les  âmes,  comme  objet  de 
connaissance  et  d'amour,  des  actes  de  foi,  d'espérance, 
de  charité,  de  reconnaissance,  etc.  Ces  actes  internes 
pourraient  être,  quant  à  leur  entité  ou  substance,  pure- 
ment naturels  ;  mais  ils  seraient  surnaturels  quant  à 
leur  origine,  quant  à  leur  dépendance  d'une  union 
surnaturelle,  l'incarnation,  quant  à  leur  dépendance  de 
l'homme-Dieu  :  ces  actes  rentreraient  dans  la  catégorie 
de  ces  effets  que  les  théologiens  appellent  surnaturels 
quoad  modum,  c'est-à-dire  quant  à  la  manière  dont  ils 
furent  produits.  Nous  sommes  d'avis  que  l'homme 
peut,  avec  ses  seules  forces  naturelles,  croire  des  mystè- 
res proprement  dits,  des  vérités  cjui  surpassent  la 
portée  naturelle  de  son  intelligence  :  en  ce  cas,  cette  foi 
serait  naturelle  quant  à  son  entité  et  à  sa  substance,  et 
elle  serait  surnaturelle,  non  seulement  quant  au  mode 
dont  elle  a  été  produite,  mais  encore  à  un  titre  nouveau 
parce  que  son  objet  matériel  lui-même  est  au-dessus 
de  l'ensemble  des  vérités  que  l'intelligence  créée  peut 
d'elle-même  atteindre.  Cf.  Mercier,  dans  la  Revue 
thomiste,  1907,  t.  xv,  p.  43  sq.  ;  David,  De  objecto 
formait  actus  supernaluralis,  Bonn,  1913. 

On  prouve  donc  déjà  l'existence  de  la  grâce,  consi- 
dérée en  général,  quand  on  démontre  l'incarnation  du 
Verbe,  l'enseignement  de  Jésus  par  ses  paroles  et  ses 
exemples,  ses  miracles,  l'institution  de  l'Église  et  de 
ses  sacrements  ;  quand  on  démontre  les  effets,  produits 
dans  les  âmes,  par  l'activité  du  Christ  :  la  foi,  la  per- 
fection des  chrétiens  :  ce  sont  des  effets  internes, 
surnaturels  au  moins  quant  à  leur  mode  de  production, 
et,  par  là-même,  des  grâces.  Ils  seraient  de  plus  une 
grâce,  à  un  titre  nouveau,  si  l'on  démontrait  qu'ils  sont 
le  résultat  d'une  providence  spéciale  de  la  part  de  Dieu, 
d'une  élection,  d'un  acte  particulier  d'amour  et  de 
bienfaisance  en  vertu  de  laquelle  Dieu  concède  de  fait 
ces  effets  salutaires  aux  uns,  et  non  aux  autres.  Il  était 
nécessaire  de  distinguer  ces  différentes  raisons  for- 
melles de  surnaturalité  pour  définir  la  réalité  dont  nous 
voulons  démontrer  l'existence  :  il  s'agit  maintenant  de 
la  grâce  interne,  c'est-à-dire  d'une  entité  surnaturelle, 
permanente  ou  transitoire,  infuse  par  Dieu  à  l'âme, 
surajoutée  à  son  essence  ou  à  ses  facultés,  devenant 
principe  d'opération  surnaturelle  et  salutaire.  Nous 
prouverons  cette  doctrine  par  l'Écriture  sainte,  puis 


par  l'autorité  des   Pères,   nous  indiquerons   enfin  les 
hérésies  contraires. 

1°  Preuve  tirée  de  V  Écriture  sainte.  —  1.  Enseignement 
de  Jésus-Christ.  —  Nous  y  trouvons  énoncée  l'assertion 
fondamentale  concernant  l'origine  et  le  maintien  de 
la  vie  nouvelle,  surnaturelle  et  salutaire.  Cette  vérité 
est  rapportée  par  saint  Jean.  Sur  l'historicité  de  ces 
paroles,  voir  Lepin,  La  valeur  historique  du  quatrième 
Evangile,  Paris,  1910,  t.  n,  p.  8  sq.,  240  sq. 

Nicodème  vient  interroger  le  Christ  sur  le  royaume 
de  Dieu,  que  prêchait  Jésus  ;  Jésus  lui  dit  :  «  En  vérité, 
en  vérité,  je  vous  le  dis,  nul,  s'il  ne  naît  de  nouveau,  ne 
peut  voir  le  royaume  de  Dieu...  Nul,  s'il  ne  renaît  de 
l'eau  et  de  l'Esprit,  ne  peut  entrer  dans  le  royaume  de 
Dieu.  Ce  qui  est  né  de  la  chair  est  chair  et  ce  qui  est  né 
de  l'Esprit  est  Esprit.  »  Joa.,  m,  3,  5.  Le  Christ  enseigne 
donc  que  l'homme,  pour  être  admis  au  royaume  de 
Dieu  et,  par  conséquent,  pour  être  sauvé,  doit  renaître 
d'une  manière  immatérielle;  cette  naissance  est  le 
commencement  d'une  vie  nouvelle  :  de  même  que  la 
naissance  selon  la  chair  donne  la  vie  physique  et 
matérielle,  ainsi  la  naissance  selon  l'Esprit  donne  la 
vie  spirituelle.  «  Le  royaume  de  Dieu  est  spirituel  : 
pour  y  entrer  il  faut  être  esprit;  mais  être  esprit,  c'est 
avoir  un  autre  être;  on  ne  peut  l'acquérir  que  par  une 
nouvelle  naissance  et  ce  ne  peut  être  que  par  une 
naissance  selon  l'Esprit,  car  de  même  que  ce  qui  est  né 
de  la  chair  est  chair,  ainsi  ce  qui  est  né  de  l'Esprit  est 
Esprit.  »  Lepin,  op.  cit.,  p.  179.  Le  Christ  parle  donc  ici 
d'une  transformation  de  l'âme,  d'une  vie  produite  en 
elle  directement  par  un  rite  sacré  et  l'action  immaté- 
rielle de  l'Esprit,  et  non  d'une  vie  réalisée  naturelle- 
ment par  l'activité  humaine. 

La  vie,  dont  parle  ici  Jésus,  est  la  même  que  celle 
qu'il  nomme,  lorsqu'il  dit  :  «  Je  suis  le  pain  de  vie.  » 
Joa.,  vi,  48.  En  effet,  la  renaissance  spirituelle  est  le 
commencement  de  la  vie  propre  à  ceux  qui  font  partie 
du  royaume  de  Dieu,  royaume  qui  se  réalise  déjà  sur 
cette  terre  et  se  continue  éternellement  dans  l'autre 
vie;  la  vie  dont  parle  Jésus,  quand  il  dit  :  Je  suis  le 
pain  de  vie,  est  aussi  celle  de  ceux  qui  font  partie  du 
royaume,  cette  vie  qui  commence  sur  la  terre  et  con- 
tinue éternellement  :  «  Je  suis  le  pain  vivant  qui  est 
descendu  du  ciel...  et  le  pain  que  je  donnerai,  c'est  ma 
chair,  pour  le  salut  du  monde...  En  vérité,  en  vérité, 
je  vous  le  dis,  si  vous  ne  mangez  la  chair  du  Fils  de 
l'homme,  et  ne  buvez  son  sang,  vous  n'aurez  pas  la  vie 
en  vous-mêmes.  Celui  qui  mange  ma  chair  et  boit  mon 
sang  a  la  vie  éternelle...  Je  suis  le  pain  vivant  descendu 
du  ciel.  »  Joa.,  vi,  51-54.  La  manne  était  une  nourriture 
miraculeuse,  destinée  à  entretenir  la  vie  corporelle,  et 
elle  ne  suffisait  pas  à  la  maintenir  sans  fin,  à  empêcher 
la  mort.  La  chair  du  Christ  est  aussi  une  nourriture;  il 
est  évident  qu'elle  n'est  pas  destinée  à  entretenir  la 
vie  corporelle  des  hommes,  mais  bien  la  vie  spirituelle 
et  salutaire;  cette  vie  qui,  par  sa  nature,  dure  éternel- 
lement. L'enseignement  de  Jésus  peut  se  résumer 
ainsi  :  «  Pour  avoir  part  à  la  vie  éternelle,  il  faut  com- 
munier au  Christ,  manger  sa  chair  et  boire  son  sang; 
cette  communion  fait  passer  en  nous  sa  vie,  lui-même, 
si  bien  que  nous  sommes  en  lui  et  lui  en  nous,  en  vertu 
de  quoi  nous  avons  droit  à  être  par  lui  ressuscites  au 
dernier  jour  pour  vivre  éternellement.  »  Lepin,  op.  cit.. 
p.  250.  Si  nous  rapprochons  cette  doctrine  de  celle  qui 
faisait  l'objet  de  l'entretien  de  Jésus  avec  Nicodème, 
nous  conclurons  :  la  vie,  commencée  dans  l'âme  par 
la  renaissance  spirituelle,  a  une  nourriture  qui  lui 
convient;  cette  nutrition  se  fait  par  la  manducation 
réelle  du  corps  de  Jésus  et  la  susception  réelle  de  son 
sang;  la  vie  dont  nous  parlons,  est  ainsi  caractérisée  : 
elle  est  la  vie  du  Christ  en  nous.  Cette  vie  n'est  pas  la 
vie  charnelle  du  Christ,  mais  une  vie  d'ordre  spirituel; 
cette  vie  n'est  pas  le  résultat  d'actes  humains;  elle 


1561 


GRACE 


1562 


n'est  pas  une  perfection  morale  acquise  par  l'activité 
de  l'homme,  mais  elle  est  l'effet  immédiat  et  de  la 
renaissance  spirituelle  et  de  la  nutrition  opérée  par  la 
communion.  Voir  Communion,  Eucharistie.  Cette  vie 
est  encore  décrite  par  le  Christ  comme  étant  l'influence 
vivifiante  émanée  de  lui  dans  l'âme  des  fidèles,  in- 
fluence qui  est  le  principe  des  actes  salutaires  :  «  Je 
suis  la  vigne,  vous  êtes  les  sarments.  Celui  qui  demeure 
on  moi,  et  en  qui  je  demeure,  porte  beaucoup  de  fruits  : 
car,  séparés  de  moi,  vous  ne  pouvez  rien  faire.  »  Joa., 
xv,  5  sq.  Cette  union  avec  ie  Christ  inclut  la  charité 
et  celle-ci  fait  que  la  Trinité  entière  habite  dans  l'âme 
du  juste,  xiv,  23. 

2.  Enseignement  de  saint  Paul.  —  II  n'entre  pas 
dans  notre  plan  de  faire  un  exposé  complet  de  la  doc- 
trine de  saint  Paul  concernant  la  grâce;  nous  nous 
contenterons  d'indiquer  ce  qui  est  requis  à  la  démon- 
stration que  nous  avons  en  vue.  Pour  saint  Paul  aussi, 
l'origine  de  la  justification  de  l'homme  est  sa  renais- 
sance au  baptême.  Tit.,  m,  5  sq.  Cette  renaissance  est 
une  résurrection.  Le  baptême  a  pour  effet  immédiat  la 
mort  au  péché  et  la  vie  dans  le  Christ,  a)  «  Ignorez-vous 
(lue  nous  tous  qui  fûmes  baptisés  dans  le  Christ  nous 
fûmes  baptisés  en  sa  mort.  Nous  fûmes  donc  ensevelis 
avec  lui  par  le  baptême  (qui  est)  en  sa  mort,  afin  que 
comme  le  Christ  ressuscita  des  morts  par  la  gloire  du 
Père,  de  même  aussi  nous  marchions  dans  la  nouveauté 
de  vie.  Si,  en  effet,  nous  fûmes  greffes  sur  lui  par  la 
ressemblance  de  sa  mort,  nous  le  serons  aussi  par  (celle 
de)  sa  résurrection,  sachant  que  notre  vieil  homme  fut 
crucifié  avec  lui  afin  que  le  corps  du  péché  fût  détruit, 
pmr  que  nous  ne  soyons  plus  esclaves  du  péché;  car 
celui  qui  est  mort  est  affranchi  du  péché.  »  Rom.,  vi, 
3-7.  Mourir  au  péché,  c'est  être  séparé  du  péché,  c'est 
être  délivré  de  la  culpabilité  du  péché,  c'est  être  délivré 
de  sa  tyrannie  et  être  mis  en  mesure  de  résister  à  ses 
assauts.  Le  baptême  délivre  complètement  de  tout  ce 
qui  est  péché  :  «  Plus  de  condamnation  pour  ceux  qui 
sont  dans  le  Christ  Jésus.  »  Rom.,  vin,  1.  Hier,  ils 
pouvaient  être  idolâtres,  impudiques,  voleurs,  détrac- 
teurs, blasphémateurs;  ils  ont  été  «  purifiés,  sanctifiés, 
justifiés  au  nom  du  Seigneur  Jésus-Christ.  »  I  Cor.,  vi, 
11.  L'affranchissement  du  péché  n'est  pas  l'effet  d'actes 
ou  efforts  moraux  de  l'homme,  par  lesquels  il  corri- 
gerait peu  â  peu  ses  vices  et  deviendrait  maître  de  ses 
passions;  mais  il  est  l'eiïet  immédiat  et  instantané  du 
baptême  lui-même,  en  tant  qu'il  symbolise  la  mort  de 
Jésus  et  reçoit  une  efficacité  spéciale  â  rendre  les 
hommes  participants  aux  fruits  salutaires  de  la  mort 
de  Jésus  :  c'est  l'efficacité  religieuse  et  transcendante 
du  baptême  même.  Cf.  Tobac,  Le  problème  de  la  justi- 
fication dans  saint  Paul,  Louvain,  1908,  p.  246  sq. 
b)  La  vie  nouvelle  est  une  participation  de  la  vie  du 
Christ.  Cette  participation  consiste  à  revêtir  le  Christ  : 
«  Vous  tous,  en  effet,  qui  avez  été  baptisés  dans  le 
Christ,  vous  avez  revêtu  le  Christ.  Plus  de  juif  ni  de 
grec...,  tous  vous  êtes  un  dans  le  Christ.  »  Gai.,  ni, 
27,  28.  «  Le  baptême  nous  revêt  du  Christ  :  revêtus  du 
Christ,  nous  sommes  fils  de  Dieu;  revêtus  du  Christ, 
nous  ne  sommes  qu'un  en  lui.  Pour  que  le  raisonnement 
tienne,  il  faut  que  le  Christ,  dans  lequel  nous  sommes 
plongés  et  que  nous  revêtons,  soit  conçu  comme  une 
forme  qui  nous  enveloppe,  nous  pénètre  et  nous 
unifie.  »  Prat,  La  théologie  de  saint  Paul,  Paris,  1912, 
t.  il,  p.  373  sq. 

La  vie  nouvelle,  reçue  au  baptême,  consiste  dans  une 
influence  réelle  (physique)  et  surnaturelle  (comme  nous 
le  démontrerons)  du  Saint-Esprit  dans  l'âme  :  cette 
assertion  ressort  très  bien  du  texte  de  saint  Paul  :  «  Dieu 
nous  a  sauvés  par  le  bain  de  régénération  et  de  renou- 
vellement de  l'Espiït-Saint,  qu'il  a  répandu  sur  nous 
avec  abondance  par  Jésus-Christ  notre  Sauveur,  afin 
que,  justifiés  par  la  grâce  de  celui-ci,  nous  devenions 


héritiers,  en  espérance,  de  la  vie  éternelle.  »  Tit., 
m,  5-7.  «  En  négligeant  les  points  accessoires,  le 
baptême  est  un  bain  de  régénération  et  de  renouvel- 
lement :  un  bain  qui  purifie  l'âme  de  toutes  les  souil- 
lures passées;  de  rég'n'ration,  parce  qu'il  est  une 
seconde  naissance  par  l'eau  et  le  Saint-Esprit,  qui  nous 
rend  enfants  de  Dieu,  comme  la  première  nous  a  consti- 
tués enfants  de  colère  :  de  renouvellement,  parce  que, 
sous  l'influence  de  l'Esprit  créateur,  le  néophyte  dé- 
pouille le  vieil  homme,  revêt  le  nouveau,  se  trans- 
forme dans  tout  son  être...  Le  baptême,  c'est  aussi  le 
don  du  Saint-Esprit  répandu  dans  nos  cœurs...  avec 
l'abondance  de  ses  dons.  »  Prat,  op.  cit.,  p.  374  sq. 
Le  baptême  produit  donc  dans  l'âme  une  transformation 
réelle;  elle  est  comme  une  naissance  nouvelle  qui  donne 
une  vie  nouvelle  et  celle-ci  consiste  dans  l'influence 
interne  du  Saint-Esprit  qui  est  répandu  dans  l'âme  et 
y  est  imprimé  comme  un  sceau,  arrhes  de  notre  héri- 
tage. Eph.,  i,  13-14;  II  Ccr.,  i,  21.  Cette  transformation 
physique,  que  nous  venons  d'indiquer,  s'actualise  et 
s\xprime  dans  une  transformation  morale,  l'exercice 
des  œuvres  bonnes  et  salutaires.  Le  baptisé  est  une 
nouvelle  créature  :  «  Quiconque  est  en  Jésus-Christ  est 
une  nouvelle  créature.  »  II  Cor.,  v,  17;  un  être  nouveau 
qui  est  destiné  à  des  opérations  nouvelles  :  «  Nous 
sommes  son  ouvrage,  ayant  été  créés  en  Jésus-Christ 
pour  faire  de  bonnes  œuvres,  que  Dieu  a  préparées 
d'avance  afin  que  nous  les  pratiquions.  »  Eph.,  n,  10. 
Le  principe  de  cette  activité  nouvelle  est  l'influence  du 
Saint-Esprit  :  influence  permanente  qui  fait  du  chré- 
tien le  temple  où  habite  l'Esprit-Saint,  I  Cor.,  m,  16- 
17;  vi,  19;  influence  aussi  qui  est  une  source  d'action  : 
l'Esprit  nous  métamorphose  graduellement  en  l'image 
du  Seigneur  glorieux,  II  Cor.,  m,  18;  il  nous  fait  prier, 
Rom.,  vin,  lô  sq.  ;  il  est  cause  de  toutes  les  manifesta- 
tions de  la  vie  salutaire  dans  les  chrétiens.  Cf.  Tobac, 
Dictionnaire  apologétique  de  la  foi  catholique,  t.  n, 
art.  Grâce,  col.  336;  Prat,  op.  cit.,  p.  240.  Ce  dernier 
auteur,  op.  cit.,  p.  421  sq.,  expose  l'analogie  qui  existe 
entre  la  vie  dans  le  Christ  et  la  vie  dans  l'Esprit. 

Ce  qu'il  importe  de  démontrer  maintenant,  c'est  la 
surnaturalilé  de  cette  réalité  interne  conférée  à  l'âme 
par  le  baptême.  Cet  effet  est  surnaturel  d'abord  quant 
au  mode  dont  il  est  produit  :  ce  n'est  pas  une  perfection 
acquise  par  l'activité  humaine,  mais  infuse  du  dehors  : 
c'est  le  baptême  (une  ablution  avec  une  formule)  qui 
fait  exister  dans  l'âme  l'influence  vivifiante,  caracté- 
risée par  la  présence  de  l'Esprit-Saint;  cet  effet  n'est 
pas  naturel  à  un  rite  humain,  considéré  comme  tel. 
L'influence  vivifiante  dont  nous  parlons  est  encore 
surnaturelle  en  elle-même,  dans  sa  réalité  physique;  en 
effet,  elle  est  une  participation  â  la  vie  qui  est  propre  à 
Dieu  lui-même.  La  communication  naturelle  entre  le  cré- 
ateur et  la  créature  consiste  en  ce  que  Dieu  produise  les 
substances  finies  avec  les  accidents  qu'elles  réclament, 
leur  conserve  l'être,  qui  leur  est  propre,  les  meuve  aux 
actions  qui  leur  conviennent  et  les  dirige  ou  gouverne 
toutes  d'après  le  plan  divin.  De  cette  façon  Dieu  reste 
infiniment  élevé  au-dessus  de  tout  le  créé  et  n'a  aucune 
communication  personnelle  avec  la  créature.  Celle-ci,  si 
elle  est  douée  d'intelligence,  peut,  au  moyen  des  autres 
créatures,  connaître  le  créateur  ainsi  que  les  obliga- 
tions morales  qui  résultent  et  de  la  dépendance  des 
êtres  créés  vis-à-vis  du  créateur  et  des  relations  qu'ils 
ont  entre  eux.  Mais  aucune  créature  ne  peut  réaliser 
ni  exiger  une  communication  immédiate  avec  Dieu  tel 
qu'il  est  en  lui-même.  Toute  communication  de  Dieu 
tel  qu'il  est  eu  lui-même  est  surnaturelle;  or  c'est  ce 
qui  se  réalise  dans  le  baptême.  L'influence  vivifiante, 
qu'elle  produit,  est  surajoutée  à  la  nature  et  l'unit  direc- 
tement à  Dieu;  elle  fait  résider  Dieu  en  l'âme,  y  fait 
surgir  une  activité  vitale  particulière,  due  à  l'influence 
de  l'Esprit-Saint,  Gai.,  v,  25,  et  qui  consiste  dans  le 


IV,,; 


GRACE 


1561 


règne  du  Saint-Esprit  vivant  dans  l'àmc,  Rom.,  vin, 
2,  14  :  elle  est  donc  une  participation  directe  à  la  vie 
qui  est  propre  à  Dieu. 

Cette  surnaturalité  se  démontre  encore  par  cette 
considération  que  l'homme,  en  recevant  l'influence 
vivifiante,  dont  nous  parlons,  devient  fils  adoplif  de 
Dieu.  Gai.,  iv,  46;  Rom.,  vm,  14-17.  L'homme,  et 
toute  créature,  est,  en  vertu  de  sa  nature,  serviteur  de 
Dieu,  et  ne  peut  avoir  d'autre  rang  auprès  de  lui.  Si 
donc  l'homme  est  élevé  à  la  dignité  de  fils  de  Dieu, 
celle-ci  est  absolument  surnaturelle,  comme  aussi  la 
qualité  qui  réalise  en  lui  cette  filiation.  De  plus, 
l'adoption  comporte  le  droit  à  l'héritage,  à  jouir  des 
biens  qui  sont  propres  à  Dieu  et  ne  correspondent  pas 
à  l'exigence  de  la  nature  créée.  Voir  Adoption  subna- 
turelle, t.  i,  col.  431  sq. 

Nous  avons  donc  trouvé,  dans  la  doctrine  de  saint 
Paul,  l'affirmation  de  l'existence  de  la  grâce  interne 
proprement  dite  :  une  réalité  physique,  infuse  dans 
l'âme,  essentiellement  surnaturelle,  ordonnée  au  salut. 

3.  Enseignement  d'autres  apôtres.  —  Saint  Jacques 
alfirme  aussi  la  génération  spirituelle,  i,  18,  et  l'habi- 
tation du  Saint-Esprit  en  nous,  iv,  5. 

Saint  Pierre  enseigne  aussi  que  les  élus  de  Dieu  sont 
sanctifiés  par  l'Esprit-Saint,  I  Pet.,  i,  2;  qu'ils  sont 
régénérés,  3,  non  d'une  semence  corruptible  (comme 
dans  la  génération  naturelle),  mais  par  une  semence 
incorruptible,  par  le  Verbe  vivant  de  Dieu  et  perma- 
nent. I  Pet.,  i,  23.  La  seconde  Épître  de  saint  Pierre 
contient  un  texte  célèbre,  i,  4,  dont  l'interprétation  est 
malheureusement  difficile.  Il  est  assurément  très  proba- 
ble que  le  texte  contient  l'attestation  de  la  participation 
des  chrétiens,  dès  cette  vie,  à  la  nature  divine.  Cette 
affirmation  n'aurait  rien  de  surprenant  après  ce  que 
nous  a  dit  saint  Paul  touchant  la  communication  aux 
fidèles  de  l'Esprit  de  Dieu  et  la  Ire  Épître  de  saint 
Pierre  touchant  la  sanctification  par  l'Esprit,  i,  2. 
Toutefois  le  texte  allégué  est  obscur  et  le  sens  n'en  est 
pas  définitivement  fixé.  Cf.  Tobac,  Dictionnaire  apolo- 
gétique de  la  foi  catholique,  art.   Grâce,  col.  339. 

Saint  Jean  enseigne  que  la  pratique  de  la  justice  est 
la  conséquence  d'une  naissance  spirituelle  :  le  juste  est 
engendré  par  Dieu  et  porte  en  lui  une  semence  divine; 
il  est  enfant  de  Dieu.  Joa.,  i,  12  sq.  ;  I  Joa.,  n,  29;  m, 
1  sq.  Déjà  sur  cette  terre  le  juste  est  engendré  à  la  vie 
éternelle  et  cette  génération  se  réalise  dans  l'union 
avec  le  Fils,  I  Joa.,  v,  11  ;  cf.  Joa.,  xv,  5  sq.  ;  elle  a  pour 
conséquence  l'imitation  du  Christ,  I  Joa.,  n,  6,  mais 
elle  ne  reçoit  son  complément  qu'après  la  mort,  lorsque 
le  juste  voit  Dieu  tel  qu'il  est  :  c'est  alors  que  le  juste 
acquiert  la  parfaite  ressemblance  avec  Dieu,  m,  1-3.  Le 
juste  demeure  en  Dieu  et  Dieu  en  lui  :  l'Esprit-Saint, 
qui  nous  a  été  donné,  rend  témoignage  de  notre  union 
avec  Dieu,  m,  24.  C'est  la  même  idée  exprimée  par 
saint  Paul  :  «  L'esprit  lui-même  rend  témoignage  à 
notre  esprit  que  nous  sommes  enfants  de  Dieu.  »  Rom., 
vm,  16.  L'influence  divine  dans  l'âme  est  appelée 
onction;  elle  est  principe  de  connaissance  vraie  :  celle-ci 
unit  à  Dieu,  au  Père  et  au  Fils,  n,  20-28.  La  vraie 
charité  aussi  est  une  conséquence  de  notre  connaissance 
spirituelle,  iv,  6-8. 

La  doctrine  de  saint  Jean,  comme  celle  des  autres 
apôtres,  aboutit  donc  à  la  même  conclusion  que  nous 
avons  tirée  des  Épîtres  de  saint  Paul  :  il  existe  une 
grâce  interne.  Car  de  l'exposé  que  nous  avons  fait,  il 
résulte  que  la  sainteté  spécifiquement  chrétienne  n'est 
pas  une  simple  orientation  nouvelle  de  la  vie  morale 
déterminée  par  la  foi  en  la  révélation  ;  elle  n'est  pas  for- 
mellement une  perfection  morale  acquise  par  l'activité 
humaine  soutenue  par  un  secours  de  Dieu  ainsi  que  par 
l'exemple  du  Christ,  et  caractérisée  par  l'imitation  des 
vertus  du  Sauveur,  mais  elle  consiste  formellement 
dans  une  renaissance  spirituelle  et  surnaturelle  réalisée 


dans  l'âme  par  l'infusion  d'une  entité  physique  qui 
transforme  l'âme  et  fait  de  l'homme  un  fils  de  Dieu, 
un  membre  du  Christ,  un  temple  du  Saint-Esprit.  De 
ce  principe  transcendant  dérive  l'activité  morale  du 
juste  et  son  progrès  en  sainteté.  Joa.,  xv,  4-5;  Eph., 
n,  8-10;  iv,  20-24;  I  Pet.,  n,  1-2;  II  Pet.,  m,  18. 

C'est  la  même  conclusion  qu'exprime  M.  Tobac  dans 
l'article  très  érudit,  que  nous  avons  cité  plusieurs  fois  : 
on  y  trouve  un  exposé  complet  des  fondements  scrip- 
turaires  de  la  doctrine  de  la  grâce. 

2°  Preuve  tirée  de  la  tradition.  —  1.  Les  Pères  aposto- 
liques expriment  occasionnellement  les  vérités  que  nous 
venons  d'exposer  et  en  accentuent  l'une  ou  l'autre. 
Nous  nous  servirons  du  texte  et  de  la  traduction 
publiés  sous  la  direction  de  MM.  Hemmcr  et  Lejay,  Les 
Pères  apostoliques.  Paris,  1907  sq. 

Saint  Clément  de  Rome,  dans  la  Irc  Épître  aux 
Corinthiens,  enseigne  que  c'est  le  sang  de  Jésus-Christ 
qui  a  mérité  au  monde  entier  la  grâce  de  la  pénitence  : 
celle-ci  est  accordée  à  tous  les  hommes  qui  ne  la  re- 
fusent pas,  vm,  4.  La  grâce  de  la  pénitence  est  une 
influence  interne,  qui  transforme  l'homme,  xxxvm,  3, 
et  elle  est  évidemment  surnaturelle,  puisqu'elle  dépend 
de  l'effusion  du  sang  du  Christ.  C'est  la  grâce  de  Dieu 
qui  revêt  l'homme  de  vertus,  xxx,  3,  qui  donne  notam- 
ment la  vie  dans  l'immortalité,  la  splendeur  dans  la 
justice,  la  vérité  dans  la  franchise,  la  foi  dans  la  con- 
fiance, la  continence  dans  la  sainteté,  xxxv,  1  sq.,  la 
charité,  l.  Les  chrétiens  forment  une  portion  sainte, 
un  peuple  particulier  à  qui  il  est  donné  de  pratiquer  la 
sainteté,  xxx,  et  où  chaque  âme  peut  plaire  à  Dieu, 
lxiv;  les  chrétiens  constituent  un  seul  corps  sur  lequel 
est  répandu  un  seul  esprit  de  grâce,  xlvi,  4  sq.  Les 
justes  sont  les  élus  de  Dieu,  ibid.  :  leur  justice  ne  résulte 
pas  formellement  de  leurs  œuvres,  ni  de  leur  conduite, 
mais  elle  dépend  de  la  volonté  de  Dieu  ;  celle-ci  a  pour 
effet  la  vocation  et  l'homme  y  répond  par  la  foi, 
xxxn.  Cette  foi  et  ce  qui  en  résulte  est  l'effet  de  la 
grâce,  xxx,  xxxv,  lxiv.  Cependant  la  foi  seule  ne 
suffit  pas  à  la  sainteté  :  il  faut  la  coopération  énergique 
de  l'homme,  xxxiii,  lix,  lxii,  lxiii.  Voir  Clément  I", 
t.  m,  col.  52  sq. 

Saint  Ignace  d'Antioche  enseigne  aussi  que  c'est  à 
la  mort  de  Jésus  que  nous  devons  notre  vie,  Ad  Magn., 
ix,  1  ;  Ad  Smyrn.,  i,  2;  c'est  par  la  vigueur,  donnée  par 
son  sang,  que  les  chrétiens  exercent  la  charité.  Ad 
Eph.,  i,  1  sq.  C'est  à  la  grâce  de  Jésus  qu'est  dû  l'effet 
de  la  pénitence  salutaire.  Ad  Philad.,  vm,  1.  «  A  qui- 
conque fait  pénitence  et  se  rallie  à  l'unité  de  Dieu 
autour  du  siège  épiscopal,  la  grâce  de  Jésus-Christ 
assure  la  délivrance  de  tout  lien.  De  cette  métaphore 
de  lien,  Ignace  tire  un  double  effet  :  la  grâce  de  Dieu 
fera  tomber,  pour  les  vrais  pénitents,  les  liens  du  péché; 
d'autre  part  elle  resserre  ces  liens  de  la  charité  chré- 
tienne qui  sont  l'honneur  des  enfants  de  Dieu  et  le 
gage  du  salut.  »  A.  d'AIès,  La  discipline  pénilenlicllc, 
iic  siècle,  dans  les  Recherches  de  science  religieuse,  1913, 
t.  iv,  p.  205.  Jésus  habite  en  l'âme  chrétienne,  il  y  est 
Dieu  résidant  en  elle,  l'amour  que  nous  lui  portons  est 
un  signe  de  sa  présence  en  nous.  Ad  Eph.,  xv,  3.  Jésus 
est  notre  éternelle  vie,  qui  nous  unit  à  Jésus  et  à  son 
Père.  C'est  avec  l'aide  de  Jésus  que  nous  repousserons 
victorieusement  tous  les  assauts  du  prince  de  ce  monde, 
pour  jouir  enfin  de  Dieu.  Ad  Magn.,  i,  2.  Saint  Ignace 
insiste  sur  la  nécessité  des  bonnes  œuvres  :  l'apostolat 
du  bon  exemple,  Ad  Eph.,  x;  c'est  par  les  bonnes 
œuvres  que  l'on  reconnaît  ceux  qui  appartiennent  au 
Christ,  ibid.,  xiv,  xv;  c'est  aux  bonnes  œuvres  que  sera 
proportionnée  la  récompense.  Ad  Pohjc,  vi,  2.  Cf.  Tixe- 
ront,  Histoire  des  dogmes.  Paris,  1905,  t.  i,  p.  139  sq.; 
Lelong,  Les  Pères  apostoliques,  Paris,  1910,  t.  m. 

Saint  Polycarpe  est  moins  explicite,  Il  rappelle  l'as- 
sertion de  saint  Paul  :  c'est  de  la  grâce  et  non  des 


1565 


GRACE 


i:.h; 


œuvres  que  nous  vient  le  salut,  il  dépend  de  la  volonté 
de  Dieu  par  Jésus-Christ.  Ad  Phil.,  i,  3.  Dans  les  cha- 
pitres suivants,  il  exhorte  vivement  les  Philippiens  à 
l'exercice  des  vertus,  mais  c'est  à  Dieu  qu'il  attribue  le 
repentir  et  l'accroissement  des  vertus,  xi,  xn. 

L'Épître  de  Barnabe  dit  que  c'est  à  la  mort  du 
Seigneur  que  nous  devons  la  rémission  des  péchés,  y,  1, 
cette  rémission  des  péchés  est  une  rénovation  inté- 
rieure de  l'âme;  le  Seigneur  nous  y  donne  une  autre 
empreinte,  comme  s'il  nous  créait  à  nouveau,  vi,  11; 
alors  nous  sommes  créés  à  nouveau  de  fond  en  comble  : 
c'est  ainsi  que  Dieu  habite  réellement  en  nous,  en  notre 
intérieur,  xvi,  8.  Suit  la  description  des  effets  salu- 
taires de  l'habitation  de  Dieu  en  nous.  Au  commence- 
ment de  sa  lettre,  l'auteur  attribue  à  l'intensité  de  la 
grâce  la  perfection  de  ceux  auxquels  il  s'adresse  :  «  Je 
me  réjouis  plus  que  tout  autre  chose  et  au  delà  de 
toute  mesure  de  votre  vie  spirituelle,  bienheureuse  et 
illustre,  tant  est  bien  implantée  la  grâce  du  don  spiri- 
tuel que  vous  avez  reçu,  »  i,  2. 

Ces  textes  permettent  de  conclure  que  leurs  auteurs 
ont  la  conviction  suivante  :  l'homme  devient  saint 
dépendamment  de  l'influence  de  la  mort  de  Jésus- 
Christ;  cette  influence  efface  les  péchés  et  rend  juste. 
Cette  justification  est  une  rénovation  intérieure;  elle 
fait  habiter  Dieu  en  l'âme  et  donne  à  celle-ci  une  acti- 
vité nouvelle.  C'est  la  grâce,  considérée  en  général;  elle 
est,  en  effet,  intérieure,  comme  il  est  évident,  et,  en 
réalité,  surnaturelle,  car  elle  est  bien  distincte  de  l'in- 
fluence que  Dieu,  comme  créateur,  exerce  à  l'égard  de 
toute  créature;  elle  met  l'âme  en  communication  spé- 
ciale et  directe  avec  Dieu,  en  lui  conférant  une  vie 
nouvelle,  caractérisée  en  ce  qu'elle  est  une  participa- 
tion à  la  vie  divine;  la  grâce  est  donc  une  réalité  sur- 
ajoutée à  la  nature  humaine,  une  réalité  qui  surpasse 
celle-ci  et  l'élève  au-dessus  d'elle-même. 

2.  Cette  même  conviction  est  exprimée  et  expliquée 
par  les  Pères  des  siècles  suivants.  Selon  saint  frénée, 
le  Christ  nous  a  rachetés  par  son  sang  :  il  a  donné  son 
âme  pour  notre  âme,  sa  chair  pour  notre  chair  :  en  ré- 
pandant sur  nous  l'Esprit-Saint,  il  a  rétabli  l'union 
entre  l'homme  et  Dieu  ;  il  a  fait  descendre  Dieu  vers 
l'homme  par  l'Esprit.  Conl.  hœr.,  1.  V,  c.  i,  P.  G.,  t. 
vu,  col.  1121.  C'est  par  l'effusion  du  Saint-Esprit  que 
l'homme  est  rendu  spirituel  et  parfait,  qu'il  acquiert  la 
similitude  (distincte  de  l'image  naturelle)  avec  Dieu, 
qu'il  devient  le  temple  de  Dieu,  c.  VI,  col.  1137  sq.  ; 
cette  influence  de  l'Esprit  est  intime  et  de  sa  nature 
permanente,  de  telle  sorte  que  l'homme  parfait  se 
compose  de  trois  éléments  :  le  corps,  l'âme  et  l'Es- 
prit. Loc  cit.  L'âme,  docile  au  Saint-Esprit,  le  garde, 
est  purifiée  par  lui  et  élevée  à  la  vie  de  Dieu;  l'âme, 
au  contraire,  qui  cède  aux  appétits  charnels,  perd  l'Es- 
prit, c.  ix,  col.  1144  sq.  La  similitude  avec  Dieu  est 
ce  que  nous  avons  perdus  en  Adam,  1.  III,  c.  xvm, 
col.  932.  C'est  pourquoi  nous  avons  besoin  de  renaître 
par  le  baptême,  1.  V,  c.  xv,  col.  1166;  tous  peuvent 
être  sauvés  parce  que  tous  peuvent,  par  le  baptême, 
renaître  en  Dieu,  les  enfants,  les  jeunes  gens  et  les 
vieillards,  1.  II,  c.  xxn,  col.  784.  Assertion  remarquable, 
qui  exprime  la  conviction  que  le  baptême  produit  son 
effet  surnaturel,  même  dans  les  enfants,  et  par  consé- 
quent, indépendamment  d'actes  du  sujet  qui  reçoit  le 
sacrement. 

Clément  d'Alexandrie  enseigne  aussi  la  renaissance 
spirituelle  par  le  baptême,  où  l'on  devient  fils  adoptif 
de  Dieu;  l'habitation  du  Saint-Esprit  dans  l'âme  du 
juste;  la  similitude  divine  (distincte  de  l'image),  simi- 
litude donnée  par  une  qualité  mystérieuse,  inhérente  à 
l'âme;  la  nécessité  de  la  grâce  dans  l'ordre  du  salut. 
Voir  Clément  d'Alexandrie,  t.  ni,  col.  171  sq., 
174  sq. 

Origène  prouve  aussi  l'existence   de  la   grâce  :   la 


sainteté  est  une  grâce,  une  participation  du  Saint- 
Esprit.  De  principiis,  1.  I,  c.  i,  n.  3,  P  G  .  t.  xi,  col.  122; 
In  Epist.  ad  Rom.,  I.  V,  n.  3,  P.  G.,  t.  xiv,  col.  1038. 
Quant  à  l'exercice  de  la  perfection,  il  est  une  œuvre 
commune  au  secours  de  Dieu  et  au  libre  arbitre  :  il 
faut  à  l'homme  une  force  divine  pour  qu'il  puisse  être 
honnête  et  persévérer  dans  le  bien.  De  principiis, 
1.  III,  c.  i,  n.  1,  18,  22,  P.  G.,  t.  xi,  col.  249,  289  sq., 
301  sq.  Origène  ne  dit  rien  sur  la  nature  de  ce  secours 
divin,  mais  il  parle  de  l'influence  spéciale  que  Dieu 
exerce  en  vue  du  salut,  influence  attestée  par  diffé- 
rents textes  de  l'Écriture  sainte;  cette  influence  laisse 
intacte  la  liberté  :  c'est  la  thèse  que  défend  Origène. 

Tertullien  «  signale,  d'après  les  expressions  mêmes  de 
la  Genèse,  une  double  ressemblance  de  l'homme  avec 
Dieu,  une  ressemblance  de  nature  (ad  imaginem  Dci) 
et  une  ressemblance  de  grâce  (ad  simililudinem  ejus). 
La  première  est  indélébile,  la  seconde,  ruinée  par  le 
péché  originel,  peut  revivre  par  le  baptême  :  le  sacre- 
ment rend  à  l'âme  l'Esprit-Saint,  principe  de  cette 
ressemblance.  »  De  baptismo,  c.  v.  Cf.  d'Alès,  La  théo- 
logie de  Tertullien,  Paris,  1905,  p.  264.  A  propos  du 
texte  :  DU  estis,  Ps.  lxxxi,  6,  Tertullien  montre  dans 
la  vie  de  la  grâce  une  participation  de  la  créature  à  la 
vie  divine.  Advcrsus  Hermogenem,  c.  v.  A.  d'Alès, 
op.  cit.,  p.  263;  cf.  p.  326  sq.  Tertullien  enseigne  aussi 
l'influence  de  la  grâce  sur  le  libre  arbitre.  Op.  cit., 
p.  268  sq. 

Saint  Cyprien,  sans  s'arrêter  à  exposer  une  doctrine 
sur  la  grâce,  en  atteste  cependant  l'existence  :  il  en- 
seigne notamment  cjue  le  baptême  donne  à  l'homme 
une  nouvelle  naissance,  une  transformation  complète; 
qu'alors  l'homme  commence  à  appartenir  à  Dieu  et  à 
être  animé  par  le  Saint-Esprit.  Ad  Donalum,  n.  4, 
P.  L.,  t.  iv,  col.  200.  Les  enfants  aussi  peuvent  et 
doivent  être  baptisés,  parce  que  l'on  ne  peut  priver 
aucun  homme  de  la  grâce  de  Dieu.  Epist.,  lix,  P.  L., 
t.  ni,  col.  1015. 

La  doctrine  de  saint  Athanase  a  été  exposée  à  l'art. 
Athanase,  t.  i,  col.  2174.  Remarquons  que  saint 
Athanase  dit  qu'Adam,  après  avoir  perdu,  par  son 
péché,  les  dons  reçus,  fut  réduit  à  sa  condition  natu- 
relle, col.  2168. 

Saint  Basile  a  sur  la  grâce  sanctifiante  et  surna- 
turelle une  doctrine  qui  mérite  d'être  signalée.  L'Esprit- 
Saint  a  comme  propriété  personnelle  d'être  la  puis- 
sance sanctificatrice.  Epist.,  ccxxxvi,  n.  6,  P.  G., 
t.  xxxn,  col.  884.  Les  trois  personnes  divines  sont 
saintes  par  nature;  les  anges  ne  le  deviennent  que  par 
participation  de  l'Esprit.  Cette  sainteté,  communiquée 
du  dehors,  est  un  accident,  distinct  de  la  nature,  peut 
se  perdre,  bien  qu'elle  soit  intimement  unie  à  l'être. 
Advcrsus  Eunomium,  1.  III,  n.  2-3,  P.  G.,  t.  xxix, 
col.  657  sq.  La  même  assertion  doit  s'entendre  de  toute 
créature  :  aucune  n'est  sainte  par  nature,  elle  ne  le 
devient  que  par  participation.  Epist.,  clix,  P.  G., 
t.  xxxn,  col.  621.  Les  anges  ont  reçu  leur  nature  par  le 
Verbe;  leur  sainteté  y  a  été  ajoutée  par  le  Saint-Esprit. 
Ce  n'est  pas  par  l'exercice  progressif  des  vertus  que  les 
anges  sont  devenus  dignes  de  recevoir  le  Saint-Esprit, 
mais  c'est  par  un  don  gratuit  qu'ils  ont  reçu  la  sainteté, 
un  don  ajouté  à  leur  nature,  au  moment  même  de  leur 
création,  et  pénétrant  leur  être;  c'est  pourquoi  ils  ne 
peuvent  que  difficilement  pécher.  In  ps.  xxxn,  n.  4, 
P.  G.,  t.  xxix,  col.  333.  C'est  par  un  acte  volontaire  et 
libre  que  les  anges  sont  déchus  de  la  condition  dans 
laquelle  ils  avaient  été  crées.  Homil.  quod  Deus  non  est 
causa  malorum,  n.  8,  P.  G.,  t.  xxxi,  col.  345.  C'est  aussi 
par  l'abus  de  sa  liberté  que  le  premier  homme  est 
déchu  de  son  état,  qu'il  a  été  soumis  aux  maladies  et  à 
la  mort.  Op.  cit.,  col.  344.  Adam  a  transmis  aux  autres 
le  péché.  Homil.  dicta  tempore  famis  et  siccitalis,  n.  7, 
P.   G.,  t.  xxxi,  col.  324.  Les  hommes  se  sauvent  en 


1567 


GRACE 


1568 


tant  qu'ils  sont  régénérés  par  la  grâce  qu'ils  reçoivent 
au  baptême  :  c'est  là  que  commence  leur  vie,  De 
Spiritu  Sanclo,  c  vin,  n.  26,  P.  G.,  t.  xxxn,  col.  113; 
c'est  là  qu'ils  reçoivent  la  rémission  du  péché  et  la 
force  vivifiante  du  Saint-Esprit,  c.  xv,  n.  35,  col.  129; 
suit  une  belle  description  des  effets  du  baptême,  où 
saint  Basile  signale,  entre  autres,  la  confiance  d'appeler 
Dieu  du  nom  de  Père,  la  participation  à  la  grâce  du 
Christ,  n.  36,  col.  132.  C'est  à  l'influence  active  du 
Saint-Esprit,  à  son  secours,  que  saint  Basile  attribue 
les  œuvres  saintes  des  anges,  notamment  le  culte  qu'ils 
rendent  à  Dieu  et  l'ordre  qui  règne  entre  eux,  c.  xvi, 
col.  136  sq.  C'est  aussi  à  l'influence  du  Saint-Esprit 
qu'est  attribué  l'exercice  delà  perfection  chez  l'homme  : 
saint  Basile  enseigne  que  l'Esprit-Saint  est  toujours 
présent  clans  les  justes,  mais  qu'il  n'y  opère  pas  tou- 
jours, c  xxxvi,  n.  61,  col.  180.  C'est  là,  croyons-nous, 
l'affirmation  implicite  de  l'existence  de  ce  que  nous 
appelons  la  grâce  actuelle.  Cette  assertion  est  corro- 
borée par  d'autres  textes  :  c'est  par  le  Saint-Esprit  que 
nous  sommes  rendus  capables  de  rendre  grâces  à  Dieu, 
n.  63,  col.  184.  Saint  Basile  exhorte  à  prier  afin  d'ob- 
tenir de  Dieu  de  bonnes  pensées,  Epist.,  vu,  P.  G., 
t.  xxxn,  col.  244;  il  rend  grâces  à  Dieu  pour  le  secours 
spirituel  accordé  par  Dieu  au  milieu  des  luttes  pour  la 
piété.  Episl.,  lxxix,  col.  453.  Le  secours  donné  par 
Dieu  à  celui  qui  se  relève  de  la  chute  du  péché  est 
comparé  à  l'action  de  celui  qui  soutient  sur  les  eaux 
un  enfant  qui  ne  sait  pas  nager.  In  ps.  x.\jx,  n.  2, 
P.  G.,  t.  xxix,  col.  309.  Voir  Schwane,  Histoire  des 
dogmes,  trad.  Degert,  Paris,  1903,  p.  77  sq.  ;  Scholl, 
Die  Lehre  des  heiligen  Basilius  von  der  Gnade,  Fribourg- 
en-Brisgau,  1881. 

L'existence  de  la  grâce  interne  (considérée  en  géné- 
ral) est  exposée  en  maints  endroits  des  écrits  des  autres 
Pères.  Cf.  Hummer,  Des  hl.  Gregor  von  Nazianz  Lehre 
von  der  Gnade,  Kempten,  1890;  Cyrille  de  Jéru- 
salem, t.  m,  col.  2555,  2561  sq.  ;  Ambroise,  t.  i, 
col.  499.  Quant  à  saint  Jean  Chrysostome,  voir  notam- 
ment Calèches,  ad  illuminandos,  i,  n.  3,  P.  G.,  t.  xlix, 
col.  227;  In  Joa.,  homil.  xlvi,  n.  1,  P.  G.,  t.  lix, 
col.  257;  In  Malthxum,  homil.  lxix,  P.  G.,  t.  lviii, 
col.  650;  In  Epist.  I  ad  Cor.,  homil.  xxiv,  P.  G., 
t.  lxi,  col.  198;  cf.  t.  li,  col.  51;  Cyrille  d'Alexan- 
drie, t.  m,  col.  2517  sq.  ;  cf.  Mahé,  Revue  d'histoire 
ecclésiastique  (Louvain),  1909,  t.  x,  p.  30  sq.,  467  sq.; 
De  Groot,  Sludien  (Nimègue),  1913,  t.  xlv,  p.  343  sq., 
501  sq. 

Au  début  du  ve  siècle  surgit  l'hérésie  pélagienne. 
Voir  Pélagianisme.  Il  semble  bien  que  l'erreur  de 
Pelage  concerne  directement  la  nécessité  d'un  secours 
divin  pour  observer  les  commandements  et  exercer  la 
vertu  :  Pelage  nie  que  la  grâce,  en  tant  qu'elle  est  un 
secours  interne,  soit  nécessaire,  et  affirme  que  la 
volonté  humaine  a,  par  elle-même,  assez  de  vigueur 
pour  accomplir  tous  ses  devoirs  et,  par  conséquent, 
rendre  l'homme  juste. 

Mais  nous  croyons  devoir  insister  sur  ce  point  : 
Pelage  ne  s'attaquait  pas  formellement  à  ce  que  nous 
appelons  maintenant  la  grâce  actuelle,  en  tant  qu'elle 
se  distingue  de  la  grâce  habituelle;  il  s'attaquait  à  la 
grâce  considérée  en  général,  telle  que  la  notion  en  était 
répandue  dans  l'Église,  comme  il  ressort  de  la  doctrine 
des  Pères,  que  nous  avons  exposée  plus  haut.  Saint 
Augustin,  de  son  côté,  défend  avant  tout  la  nécessité 
de  la  grâce,  notamment  sa  nécessité  absolue  en  tant 
qu'elle  est  un  secours  ajouté  à  la  volonté  libre  :  l'in- 
fluence de  la  grâce  sur  Yaclivité  humaine  est  ainsi  mise 
en  lumière.  Mais  cette  influence  n'est  pas  due  seule- 
ment à  ce  que  nous  appelons  la  grâce  actuelle,  elle  est 
aussi  due  à  ce  que  nous  appelons  la  grâce  habituelle, 
les  vertus  infuses,  les  dons  du  Saint-Esprit.  Quand 
saint  Augustin  parle  de  la  grâce,  requise  à  l'observation 


des  commandements,  il  ne  parle  pas  exclusivement  de 
la  grâce  actuelle.  Voir,  par  exemple,  Epist.,  clxxxvi, 
n.  3;  De  natura  et  gralia,  1.  I,  c.  i,  iv;  De  gralia  et  libero 
arbilrio,  c.  xiv,  n.  27;  Opus  imperjeclum  contra  Julia- 
num,  1.  II.  n.  226,  P.  L.,  t.  xxxm,  col.  317;  t.  xliv, 
col.  247,  249,  897;  t.  xlv,  col.  1247  sq.  Il  faut  entendre 
le  mot  gralia,  ou  l'expression  auxilium  graliœ,  dans  un 
sens  large  :  ils  peuvent  désigner  ou  l'ensemble  des  dons 
accordés  pour  le  salut  ou  l'un  de  ceux-là.  Cf.  Jacquin, 
dans  la  Revue  d'histoire  ecclésiastique  (Louvain),  1904, 
t.  v,  p.  742.  Il  faut  tenir  compte  de  la  même  remarque 
pour  interpréter  les  documents  qui  contiennent  la 
condamnation  du  pélagianisme  et  du  semi-pélagia- 
nisme.  La  doctrine  de  saint  Augustin,  voir  Augustin, 
t.  i,  cri.  2380  sq.,  constitue  un  événement  important 
dans  l'histoire  du  maintien  et  du  développement  de  la 
foi  chrétienne.  Saint  Augustin  a  défendu  l'existence 
de  la  grâce,  sa  nécessité,  sa  surnaluralité,  sa  compati- 
bilité avec  la  liberté  humaine. 

Cette  même  doctrine  fut  officiellement  approuvée 
d'abord  par  le  pape  Innocent  Ier,  ensuite  par  le  pape 
Zosime  en  418,  et  par  le  pape  Célestin  Ier  en  431.  Elle 
est  exposée  dans  le  document  intitulé  :  De  gralia  Dei 
indiculus  ou  prœleritorum  sedis  apostolicœ  episcoporum 
aucloritatis.  Denzinger-Bannwart,  Enchiridion,  1911, 
n.  129  sq.  Sur  l'origine,  la  valeur  et  la  doctrine  de  ce 
document,  voir  Célestin,  t.  n,  col.  2502  sq.  On  y 
affirmait  surtout  la  nécessité  de  la  grâce  pour  la  rémis- 
sion des  péchés,  pour  la  résistance  aux  tentations,  pour 
l'observation  des  préceptes,  pour  toute  œuvre  salu- 
taire, notamment  depuis  le  commencement  de  la  foi. 

La  même  doctrine  fut  de  nouveau  sanctionnée  au 
concile  d'Orange  en  529.  Denzinger-Bannwart,  n.174  sq. 
Mais  la  discussion  d'un  siècle  a  eu  pour  résultat 
une  plus  grande  précision  :  dans  ce  concile  on  a  surtout 
déclaré  la  nécessité  de  la  grâce  prévenante  pour  tout 
acte  qui  commence  la  conversion,  pour  toute  pensée 
ou  toute  affection  par  lesquelles  l'homme  adhère,  comme 
il  le  faut,  à  l'Évangile.  Nous  aurons  à  revenir,  dans  la 
suite  de  cet  article,  sur  les  principales  assertions  émises 
dans  ces  conciles. 

3°  Les  hérésies.  —  On  comprend  mieux  une  doctrine 
en  étudiant  les  erreurs  qui  y  sont  opposées;  de  plus,  les 
hérésies  successives  ont  été  pour  l'autorité  ecclésias- 
tique les  occasions  de  préciser  la  doctrine  catholique. 
Nous  indiquerons  sommairement  les  grandes  hérésies 
concernant  la  grâce  et  nous  ferons  voir  ainsi  les  princi- 
pales étapes  du  développement  de  la  pensée  chrétienne 
sur  ce  sujet. 

1.  Le  pélagianisme,  insistant  sur  la  liberté,  essen- 
tielle à  l'homme,  a  nié  que  la  volonté  humaine  avait  été 
affaiblie  par  suite  du  péché  d'Adam  et  se  trouvait 
inclinée  au  mal.  Il  a  nié  aussi  qu'Adam  fut  créé  dans 
un  état  supérieur  à  celui  où  naissent  maintenant  tous 
les  hommes.  Pelage  a  nié  encore  la  nécessité  de  la  grâce 
interne,  en  tant  qu'elle  est  un  secours,  qu'elle  est  une 
vigueur  ajoutée  à  la  volonté.  L'homme  peut  toujours, 
disait-on,  par  la  vigueur  esscntitlle  ou  naturelle  de  sa 
volonté  libre,  résister  au  mal  et  faire  le  bien  :  la  nécessité 
morale  de  la  grâce  n'existait  donc  pas  pour  Pelage  et 
ses  adeptes.  Ont-ils  nié  de  fait  l'existence  de  toute 
grâce  interne  ?  Les  auteurs  ne  s'accordent  pas  sur  la 
réponse  à  donner  à  cette  question.  Sur  le  pélagianisme, 
voir  Tixeront,  Histoire  d"s  dogmes,  Paris,  1909,  t.  n, 
p.  436  sq.  Quoi  qu'il  en  soit,  les  documents  ecclésias- 
tiques, condamnant  les  erreurs  de  Pelage,  ont  affirmé 
l'existence  de  la  grâce  interne,  notamment  dans  l'asser- 
tion de  la  justice  originelle,  et,  ensuite,  dans  les  canons 
qui  concernent  la  nécessité  de  la  grâce  interne,  notam- 
ment la  nécessité  d'un  secours  accordé  à  l'infirmité 
actuelle  de  l'homme,  sans  lequel  il  lui  est  impossible 
d'observer  les  commandements  divins,  et  la  nécessité 
d'une  impulsion  interne  pour  faire  des  actes  salutaires. 


1569 


GRACE 


1570 


2.  Luther  et  Calvin  sont  à  l'opposé  de  Pelage.  Ils 
enseignent  que  la  nature  humaine,  depuis  le  péché 
d'Adam,  est  essentiellement  viciée;  la  nature  humaine 
maintenant  est  inévitablement  sujette  au  désordre  de 
la  concupiscence,  la  volonté  est  radicalement  incapable 
de  faire  un  acte  moralement  bon,  le  libre  arbitre 
n'existe  plus.  L'homme  ne  peut  donc  pas,  en  lui-même, 
être  ou  devenir  juste  devant  Dieu.  Sa  justification  ne 
peut  provenir  que  d'un  principe  extrinsèque,  mais 
cette  justification  ne  consiste  pas  dans  l'infusion  d'un 
don  surnaturel,  qui  pénètre  les  âmes  et  leur  devient 
inhérent.  Cf.  Realencyklopâdie  fur  protestantische  Théo- 
logie, Leipzig,  1899.  t.  VI,  p.  722.  C'est  une  simple  impu- 
tation de  la  justice  du  Christ;  la  condition  requise  à 
cette  imputation  est  la  foi  (fuies  fidueialis)  :  seule  elle 
est  requise  et  seule  elle  suffit.  Cette  foi  n'est  pas  une 
vertu  infuse,  une  qualité  surnaturelle;  on  ne  parvient 
pas  à  déterminer  quelle  est,  d'après  Luther,  son  essence. 
Luther  a  parlé  fréquemment  de  la  grâce  et  emprunte 
ses  expressions  à  l'Écriture  sainte  et  à  la  prédication 
catholique;  cependant  il  n'admet  pas  l'existence  de  In 
grâce  interne  proprement  dite,  ni  habituelle,  ni  actuelle. 
Elle  est  d'ailleurs  logiquement  exclue  de  son  système 
doctrinal  et  inconciliable  avec  lui  :  en  effet,  Luther  ne 
connaît  qu'une  justification  extrinsèque  à  l'homme, 
simplement  imputée;  il  n'y  a  pas  de  dépendance  réelle, 
pas  d'enchaînement  interne  entre  l'activité  vitale  et  la 
justification  :  l'homme  est  au  point  de  vue  moral 
radicalement  vicié;  toutes  ses  œuvres  sont  mauvaises, 
que  l'homme  soit  juste  ou  qu'il  ne  le  soit  pas;  dès  lors 
la  grâce  n'a  aucune  raison  d'être,  elle  n'a  aucun  rôle 
à  remplir;  elle  n'est  pas  requise  comme  un  secours 
interne,  surajouté  aux  facultés  naturelles  et  corrobo- 
rant l'homme  dans  l'observation  des  préceptes  et 
l'exercice  de  la  vertu  ;  car  Luther  n'admet  pas  la  liberté 
et  nie  que  la  perfection  morale  soit  connexe  avec  la 
justification;  la  grâce  n'est  pas  requise  non  plus  comme 
un  principe  de  surnaturalisation,  car  Luther  nie  que  la 
nature  humaine,  dans  l'état  actuel,  puisse  être  intrin- 
sèquement surnaturalisée  et  positivement  ordonnée 
vers  Dieu.  La  négation  de  la  grâce,  dans  la  doctrine  de 
Luther,  est  confirmée  par  son  enseignement  sur  l'étal 
du  premier  homme  :  cet  état  de  rectitude  vis-à-vis  de 
Dieu  était  naturel,  dû  aux  facultés  simplement  na- 
turelles de  l'homme,  comme  la  lumière  est  exigée  par 
l'œil,  dû  à  la  connaissance  et  à  l'amour,  qui  appar- 
tiennent en  propre  à  la  nature  humaine.  Cf.  Ripalda, 
De  enlc  supernaliirali,  1.  I,  disp.  XX,  sect.  i,  Paris,  1870, 
t.  i,  p.  194.  Le  concile  de  Trente  a  défini  la  réalité  de 
la  grâce  interne,  habituelle  et  actuelle,  sess.  vi,  c.  v- 
vn.  Denzinger-Bannwart,  n.  797  sq.,  et  mis  en  lumière 
son  caractère  surnaturel.  Sur  la  doctrine  de  Luther 
concernant  les  points  exposés,  voir  Denifle,  Luther  el 
luthéranisme,  trad.  Paquier,  Paris,  1910  sq.,  t.  n,  p.  451 
sq.  ;  t.  m,  p.  176  sq.,  246  sq.,  281  sq.  ;  Hartmann  Grisar, 
Luther,  Fribourg,  1911-1912,  t.  i,  p.  737  sq.;  t.  m, 
p.  40  sq.  ;  Ilefner,  Die  Enlslehungsgeschichte  des  Trien- 
ter  Rechl/ertigungsdekret,  Paderborn,  1909,  p.  4  sq.  Sur 
la  doctrine  de  Calvin,  qui  est  d'accord  avec  Luther 
pour  nier  la  grâce,  voir  Calvinisme,  t.  n,  col.  1400. 

3.  Baius  n'a  pas  nié  que  Dieu,  dans  l'ordre  du  salut, 
agisse  immédiatement  sur  l'âme,  il  admet,  au  con- 
traire, l'influence  réelle  du  Saint-Esprit  produisant 
l'acte  de  charité  :  cet  acte,  qui  dépend  de  la  foi,  est  le 
principe  de  tout  acte  moralement  bon,  de  telle  façon 
qu'aucun  acte  moralement  bon  n'est  possible  sans  la 
charité  provenant  du  Saint-Esprit.  Baius,  De  charilole, 
c.  iii-iv.  Ce  qui  constitue  l'erreur  propre  à  Baius,  c'est 
qu'il  considère  l'influence  salutaire  de  Dieu  comme  due 
a  la  nature  humaine  et  par  conséquent  naturelle;  ce 
qu'il  appelle  dons  du  Saint-Esprit  sont  surajoutés  à  la 
nature  en  ce  sens  que  celle-ci  ne  peut  pas  les  produire, 
mais  ils  ne  sont  pas  surajoutés  en  ce  sens  qu'ils  sont 

DICT.  DT.  TI1ÉOL.  CATHOL. 


positivement  indus  ou  surnaturels.  Cf.  Baius,  De  prima 
hominis  justifia,  c.  i-iv,  x-xi;  De  meritis  operum,  c.  iv, 
vi,  ix  ;  Apologia  summo  ponlifici  Pio  V,  n.  20.  L'Église, 
en  condamnant  la  doctrine  de  Baius,  a  donc  surtout 
affirmé  la  surnaluralité  de  ces  réalités  qui  constituent 
l'ordre  des  dons  salutaires,  elle  a  affirmé  l'existence  de 
la  grâc'e  en  tant  que  celle-ci  est  surnaturelle.  Sur  la 
doctrine  de  Baius  et  l'interprétation  des  documents 
ecclésiastiques  à  son  sujet,  voir  Baius,  t.  n,  col.  41; 
cf.  Colladoncs  Brugenses,  1913,  t.  xvm,  p.  09,  133,  207. 

Pour  la  doctrine  de  Jansénius  et  de  Quesnel,  nous 
renvoyons  aux  articles  qui  leur  seront  consacrés. 

4.  Le  rationalisme,  né  du  protestantisme,  rejette 
tout  surnaturel,  toute  influence  surnaturelle  de  Dieu 
sur  l'âme;  et  tout  surnaturel  externe  à  l'homme,  tel 
que  la  révélation.  Le  principe  fondamental  du  ratio- 
nalisme est  exprimé  dans  la  3e  proposition  du  Syllabus 
de  Pie  IX  :  «  La  raison  humaine,  sans  avoir  aucune- 
ment égard  à  Dieu,  est  le  seul  arbitre  du  vrai  et  du 
faux,  du  bien  et  du  mal,  elle  est  à  elle-même  sa  loi,  et, 
par  ses  seules  forces  naturelles,  elle  suffit  à  procurer  le 
bien  des  individus  et  des  peuples.  »  Denzinger-Bann- 
wart. n.  1703.  Le  modernisme  n'a  pas,  semble-t-il, 
défendu  des  thèses  qui  contiennent  explicitement  la 
négation  de  la  grâce,  mais  son  système  est  radicale- 
ment incompatible  avec  la  doctrine  catholique  de  la 
grâce.  En  effet,  d'abord,  le  modernisme  ne  peut 
admettre  aucun  ordre  surnaturel  :  celui-ci  est  exclu  et 
par  l'agnosticisme  et  par  l'immanentisme  vital. L'agnos- 
ticisme rejette  la  connaissance  de  tout  être  imma- 
tériel et  nie  qu'on  en  puisse  démontrer  l'existence. 
Dieu,  l'âme  ne  sont  plus  objet  de  connaissance  pro- 
prement dite,  ni  de  science;  seulement  les  phénomènes, 
c'est-à-dire  les  manifestations  externes  des  êtres,  sont 
connaissables;  dès  lors,  pour  le  modernisme,  toute 
entité  surnaturelle,  parce  qu'elle  est  immatérielle,  est 
considérée  comme  inconnaissable;  on  n'en  peut  pas 
tenir  compte  dans  l'explication  de  la  vie  des  individus. 
L'immanentisme  va  plus  loin  encore  et  nie  positive- 
ment tout  ordre  surnaturel  :  en  effet,  pour  lui,  toute 
religion  est  l'effet  de  l'évolution  du  sentiment  religieux 
inhérent  à  l'homme;  en  tout  homme  il  y  a  un  besoin  du 
divin,  de  là  surgit  le  sentiment  religieux  qui  est  une 
adhésion  du  divin  (à  l'inconnaissable);  cette  adhésion 
est,  en  quelque  sorte,  une  intuition,  en  tant  qu'elle  est 
nécessaire  et  spontanée,  mais,  d'autre  part,  elle  est 
obscure  et  aveugle,  parce  qu'elle  ne  constitue  pas  une 
connaissance  nette  et  raisonnée  de  son  objet,  qui  est  le 
divin  :  cette  adhésion  s'appelle  la  foi.  Or  l'homme 
réfléchit  sur  cette  foi,  forme  et  exprime  d'abord  des 
assertions  vulgaires  et  simples,  ensuite  il  trouve  des 
assertions  plus  nuancées  et  plus  distinctes  :  quand 
celles-ci  sont  sanctionnées  par  l'autorité  religieuse,  elles 
sont  des  dogmes.  Mais  ces  dogmes  sont  nécessairement 
liés  au  sentiment  religieux  et  lui  correspondent;  or  ce 
sentiment  religieux,  parce  qu'il  est  vital,  est  changeant 
et  se  modifie  réellement  avec  le  temps  et  les  événe- 
ments; il  en  résulte  que  les  dogmes  aussi  sont  muables. 
Par  conséquent,  toutes  les  religions,  et  tout  ce  qu'elles 
contiennent  en  fait  de  dogmes,  ne  sont  pas  autre  chose 
qu'un  effet  naturel  de  l'évolution  naturelle  du  senti- 
ment religieux,  qui  lui  aussi  est  naturel.  Dans  cette 
théorie,  on  nie  évidemment  toute  influence  surna- 
turelle de  Dieu,  notamment  toute  révélation  propre- 
ment dite,  et  on  affirme  que  toute  foi,  toute  vertu, 
surgit  spontanément  de  l'âme  et  correspond  à  son 
besoin  naturel. 

Quant  à  la  grâce  interne,  proprement  dite,  soit 
habituelle,  soit  actuelle,  elle  est  exclue  par  le  moder- 
nisme :  d'abord,  si  l'on  rejette  toute  révélation  pro- 
prement dite,  on  ne  peut  plus  connaître  l'existence 
d'une  entité  immatérielle  et  en  soi  surnaturelle;  ensuite, 
si  toute  foi  religieuse,  toute  vertu  n'est  que  l'évolution 

VI.  -  50 


1571 


GRACE 


1572 


naturelle  «lu  besoin  divin,  il  n'y  a  plus  de  place  pour  la 
grâce  dans  la  sainteté  humaine;  enfin  si  l'on  disait  que 
l'examen  dos  tendances  psychologiques  de  l'homme 
conduit  à  la  conclusion  qu'un  secours  de  Dieu  est 
nécessaire,  ce  secours  serait  naturel,  puisqu  il  est  exigé 
par  la  nature  humaine. 

Les  passages  de  l'encyclique  Pascendi,  qui  concernent 
ce  que  nous  venons  d'indiquer,  se  trouvent  dans  Den- 
zinger-Bannwart,  n.  2072,  2074,  2077,  2079,  2089,  2094. 
Pour  un  exposé  plus  développé,  on  pourra  consulter  ce 
que  nous  avons  écrit  dans  les  C^'lationes  Brugcnscs, 
1908,  t.  xiii.  p.  111, 195,  275;  outre  les  auteurs  cités  là, 
voir  Miehelet,  Dieu  et  l'agnosticisme  contemporain, 
Paris.  1909;  Rosa,  L'enciclica  Pascendi  e  il  modernismo, 
Rome,  1909;  Bessmer.  Philosophie  und  Théologie  des 
Modernismus,  Fribourg-en-Brisgau,  1912;  Valensin, 
dans  le  Dictionnaire  apologétique  de  la  foi  catholique, 
art.  Immanence,  col.  569  sq. 

5.  Nous  avons  indiqué  plus  haut  la  théorie  de 
Luther  et  de  Calvin  :  les  protestants  croyants  ont, 
semble-t-il,  abandonné  peu  à  peu  la  doctrine  de  leur 
maître  et  se  sont,  en  plusieurs  points,  rapprochés  de 
la  foi  catholique.  Cf.  Krogh-Tonningh,  Die  Gnadcn- 
lehre  unit  die  slillc  Reformation,  Christiania,  1894;  De 
gratia  Chrisli  et  de  libero  arbitrio,  Christiania,  1898. 

Les  protestants  libéraux,  qui  au  fond  sont  rationa- 
listes, n'admettent  pas  la  réalité  de  la  grâce.  M.  Har- 
nack,  Dogmengeschichle,  Fribourg-en-Brisgau,  3e  édit., 
1897,  t.  m,  p.  75  sq.,  reconnaît  que  saint  Augustin 
admet  que  la  grâce  est  une  réalité,  une  force  agissante, 
mais  il  dit  que  c"est  une  erreur.  Nous  avons  démontré 
plus  haut  que  saint  Paul  et  les  Pères,  tant  grecs  que 
latins,  ont  enseigné  la  réalité  de  la  grâce,  la  transfor- 
mation réelle  de  l'homme,  transformation  physique  et 
morale,  sous  l'inHuence  interne  du  Saint-Esprit  dans 
l'âme.  Nous  n'avons  pas  à  nous  occuper  ici  du  subjec- 
tivisme  qui,  en  M.  Harnack,  préside  à  l'interprétation 
de  l'origine  des  dogmes.  Voir  Dogme,  t.  iv.  col.  1582  sq. 
III.  Nécessité.  —  Nous  ne  parlons  pas  ici  de  la 
nécessité  d'une  révélation  divine,  mais  de  la  nécessité 
de  la  grâce  interne.  Nous  exposerons  les  questions 
indiquées  par  saint  Thomas  d'Aquin,  Sum.  theol.,  Ia 
II  '.  q.  cix.  Mais  il  faut  d'abord  exposer  la  notion  de 
nécessité  :  il  y  a  nécessité  physique  et  nécessité  morale. 
Quand  on  considère  ce  qui  est  requis  à  l'opération 
humaine,  on  distingue  une  double  nécessité  :  ce  que  la 
faculté,  en  elle-même,  prise  dans  son  entité,  exige  pour 
que  l'opération  puisse  se  produire,  est  nécessaire  physi- 
quement, par  exemple,  pour  connaître  naturellement, 
l'intelligence  humaine  exige  en  elle  une  image  de  l'objet 
à  connaître  (species  intelligibilis  impressa);  ce  qui  est 
requis,  non  pour  mouvoir  ou  déterminer  telle  faculté  à 
tel  acte,  mais  pour  que  les  hommes,  dans  les  conditions 
ordinaires  de  la  vie  et  d'après  la  commune  manière  de 
vivre,  agissent  de  telle  ou  telle  manière,  est  nécessaire 
moralement,  par  exemple,  pour  que  les  entants  par- 
viennent au  développement  normal  de  leur  intelli- 
gence, il  leur  faut  l'enseignement. 

Cette  distinction  est  différente  d'une  autre,  admise 
aussi  en  théologie  :  nécessité  de  précepte,  et  nécessité 
de  moyen.  Une  chose  est  nécessaire  au  salut,  de  néces- 
sité de  précepte,  quand  elle  est  nécessaire  précisément 
parce  qu'elle  est  imposée  ou  ordonnée  :  ainsi  entendre 
la  messe  le  dimanche  est  nécessaire  de  nécessité  de 
précepte,  parce  que  cet  acte  nous  est  imposé;  si,  sans 
raison  suffisante,  on  l'omet  volontairement  on  trans- 
gresse la  loi,  on  commet  le  péché  et  ainsi  on  met 
obstacle  au  salut.  Une  chose  est  nécessaire  de  nécessité 
de  moyen,  quand  elle  est  requise  formellement  comme 
moyen  pour  atteindre  un  lait,  c'est-à-dire  quand  elle  y 
ordonne  positivement  et  en  est  cause  formelle  ou 
efficiente  ou  dispositive  et  qu'elle  est  précisément 
requise  à  ce  Litre  :  ainsi  la  grf'ce  sanctifiante,  comme 


nous  le  démontrerons  plus  loin,  est  nécessaire  au  salut, 
de  nécessité  de  moyen. 

1°  Nécessité  de  la  grâce  pour  connaître  le  vrai.  — 
L'homme,  menu-  dans  l'état  actuel  du  genre  humain, 
est  physiquement  apte  à  connaître  chacune  des  vérités 
d'ordre  naturel,  et  leurs  divers  ensembles,  qui  consti- 
tuent les  sciences  diverses.  Cette  assertion  se  prouve 
en  philosophie  et  se  déduit  de  l'essence  même  de  l'in- 
telligence humaine.  Cf.  S.  Thomas,  Sum.  theol.,  F  IF', 
q.  cix,  a.  1.  Cette  conclusion  n'est  pas  infirmée,  en 
théologie,  par  la  doctrine  du  péché  originel,  car  par 
suite  de  ce  péché  l'homme  n'a  pas  été  intrinsèquement 
déformé  dans  ses  facultés  naturelles. 

Il  nous  faut  noter  spécialement  que  l'homme,  môme 
dans  l'état  actuel  du  genre  humain,  est  physiquement 
capable  de  connaître  les  vérités  fondamentales  de 
l'ordre  moral,  telles  que  l'existence  de  Dieu,  l'existence 
de  la  loi  naturelle  et  de  sa  sanction,  l'immortalité  de 
l'âme.  Cette  assertion  est  contenue  dans  divers  docu- 
ments émanés  de  l'autorité  ecclésiastique.  Voir  la 
6e  proposition,  souscrite  par  Bautain,  t.  n,  col.  483; 
la 2e  proposition,  souscrite  parBonnetty.  Ibid.,  col. 1022. 
La  capacité  physique  de  l'homme  à  connaître  avec 
certitude,  par  la  force  naturelle  de  son  intelligence, 
l'existence  de  Dieu,  a  été  définie  au  concile  du  Vatican 
et  cette  déclaration  a  été  reprise  et  expliquée  dans  le 
serment  antimoderniste.  Voir  t.  iv,  col.  824  sq. 

Enfin,  toutes  les  vérités  qui  constituent  les  préam- 
bules rationnels  de  la  foi  surnaturelle  peuvent  être 
connues  par  la  seule  raison  naturelle.  Voir  Foi,  col. 
188  sq. 

Nous  concluons  donc  qu'aucune  grâce  interne  n'est 
physiquement  requise  pour  que  l'homme  connaisse  les 
vérités  d'ordre  naturel.  On  ne  peut  affirmer  non  plus 
que  la  foi  surnaturelle  est,  clans  l'ordre  actuel  de  la 
providence,  moralement  nécessaire  pour  que  l'homme 
échappe  aux  erreurs  même  dans  le  domaine  de  la 
connaissance  naturelle;  mais  il  est  incontestable  que 
l'adhésion  aux  vérités  révélées  donne  à  la  raison 
humaine  des  principes  qui  la  guident  et  la  raffermissent 
dans  l'acquisition  de  connaissances  d'ordre  naturel, 
notamment  en  métaphysique.  Comme  nous  l'expose- 
rons plus  loin,  une  grâce  interne  (soit  actuelle,  soit 
habituelle)  est  physiquement  nécessaire  à  tout  acte 
positivement  salutaire;  il  en  résulte  la  nécessité  physi- 
que de  la  grâce  pour  le  jugement  de  crédibilité  ou,  au 
moins,  de  crédentité,  et  pour  l'acte  de  foi  lui-même; 
mais  cette  assertion  générale  soulève  des  questions 
spéciales,  nombreuses  et  difficiles,  exposées  à  l'article 
Foi,  col.  237  sq.  ;  la  question  se  pose  aussi  si  l'acte  de 
foi  divine,  c'est-à-dire  l'adhésion  inielectuellc  à  une 
vérité  révélée  par  Dieu,  adhésioa  ui  a  pur  objet 
formel  l'autorité  de  Dieu-révélateur,  peut  se  faire 
naturellement  ou  bien  exige  physiquement  une  grâce 
interne  :  c'est  la  question  de  l'objet  formel  des  actes 
salutaires.  Voir  Billot,  De  virlutibus  injusis,  Rome, 
1901,  p.  68  sq.;  David,  De  objecta  formait  aclus  salu- 
laris,  Bonn,  1913. 

2°  Nécessité  de  la  grâce  pour  faire  le  bien.  —  Nous 
nous  occupons  ici  des  actes  faits  par  l'homme  en  cette 
vie  :  un  acte  moralement  bon  est  un  acte  libre,  con- 
forme avec  la  règle  déterminant  l'activité  humaine  en 
tant  qu'elle  mène  à  l'obtention  de  la  fin  dernière;  la 
conformité  de  l'acte  libre  avec  cette  règle  est  formel- 
lement la  moralité. 

Mais,  dans  l'ordre  actuel  de  la  providence,  la  fin 
dernière,  considérée  subjectivement,  c'est-à-dire  la 
possession  menu  de  Dieu,  qui  constitue  la  béatitude, 
est  absolument  surnaturelle  :  elle  consiste,  en  elîet, 
dans  la  vision  intuitive  de  l'essence  divine;  tous  les 
actes  au  moyen  desquels  l'homme  tend  positivement 
(soit  médiatement,  soit  immédiatement)  vers  cette  fin, 
sont    appelés   salutaires.   Mais   l'homme  peut   ignorer 


1573 


GRACE 


1574 


cette  fin,  et  peut  s'en  détourner,  et  cependant  con- 
naître et  faire  librement  des  actes  conformes  à  la  loi 
naturelle  ou  à  certaines  lois  positives.  De  là,  il  faut 
distinguer  les  actes  salutaires  et  les  actes  simplement  et 
uniquement  honnêtes. 

Une  double  question  se  pose  maintenant  :  la  "race 
est-elle  nécessaire  pour  que  l'homme  fasse  des  actes 
simplement  honnêtes;  est-elle  nécessaire  pour  que  l'on 
puisse  faire  des  actes  salutaires  ? 

1.  Nécessité  de  la  grâce  pour  les  actes  salutaires.  — 
Nous  entendons  ici,  par  salut,  la  sainteté  ou  la  nerfec- 
lion  morale,  telle  qu'elle  est  exigée  dans  l'ordre  actuel, 
les  fruits  de  la  rédemption  du  Christ,  le  bonheur  éternel 
dans  l'autre  vie;  salutaire  est  toute  action  qui  conduit 
positivement  l'homme  à  cet  ordre  de  choses  ou  qui 
émane  de  l'homme  en  tant  qu'il  y  participe  déjà. 

Jésus  Christ  enseigne  que  rien  n'est  possible  dans 
l'ordre  du  salut  sans  la  grâce.  Après  avoir  exposé  la 
perfection  morale  que  doivent  réaliser  ses  disciples, 
Matth.,  v,  1-vn,  6,  il  indique  le  moyen  d'y  parvenir  : 
c'est  la  prière  persévérante  qui  obtient  le  secours 
divin,  Matth.,  vu,  7-11;  ce  secours,  ce  principe  de 
perfection  morale,  c'est  le  Saint-Esprit.  Luc,  xi,  13. 
Ceux  qui  sont  les  disciples  du  Christ  possèdent  le 
royaume  de  Dieu.  Luc,  vu,  32.  Personne  ne  peut 
entrer  dans  le  royaume  de  Dieu  sans  renaître  par  l'eau 
et  le  Saint-Esprit,  Joa.,  in,  5;  cette  vie  nouvelle  est 
mystique  et  surnaturelle,  puisqu'elle  a  le  Saint-Esprit 
pour  principe.  Il  existe  une  union  intime  et  mystique 
entre  le  Christ  et  ses  disciples  :  il  est  la  vigne  et  ses 
disciples  en  sont  les  branches;  c'est  du  Christ  qu'ils 
doivent  recevoir  la  vie  qui  les  rend  capables  de  faire 
des  œuvres  saintes  ;  sans  le  Christ  ils  ne  peuvent  accom- 
plir aucune  œuvre  qui  appartient  à  cet  ordre,  Joa.,  xv, 
1-5;  il  s'agit  ici  de  la  même  vie  surnaturelle,  de  cette 
vie  qui  s'obtient  dans  une  seconde  naissance  par  le 
Saint-Esprit.  Cette  vie  dans  le  Christ  a  pour  consé- 
quence l'observation  des  préceptes  divins,  qui  a  son 
principe  dans  l'amour  envers  le  Christ,  ibid.,  8-10,  et 
avec  cet  amour  coexiste  l'habitation  de  la  sainte 
Trinité  dans  l'âme.  Joa.,  xiv,  23.  Ces  textes  ensei- 
gnent donc  la  nécessité  d'une  influence  surnaturelle, 
interne,  vitale  pour  toute  autre  œuvre  salutaire.  Le 
Christ,  parlant  du  commencement  de  la  vie  chrétienne 
chez  les  adultes,  c'est-à-dire  de  la  foi  en  lui,  affirme  que 
cette  foi  est  un  don  de  Dieu  ;  que  personne  ne  croit  sans 
qu'il  n'y  soit  attiré  par  le  Père,  Joa.,  vi,  44,  G5-6G;  il 
s'agit  ici  encore  d'une  influence  surnaturelle. 

Saint  Paul,  I  Cor.,  ni,  4-6,  parle  de  ceux  qui  prêchent 
l'Évangile  et  dit  que  ce  n'est  pas  à  leur  prédication 
qu'est  due  la  foi  de  ceux  qui  les  écoutent,  mais  à  l'in- 
fluence divine.  C'est  aussi  à  l'influence  divine  que  les 
prédicateurs  doivent  d'avoir  des  pensées  opportunes 
dans  leur  prédication,  II  Cor.,  m,  5;  on  peut  en 
conclure  que  les  fidèles  aussi  n'ont  pas  de  pensées  salu- 
taires sans  l'influence  divine.  Le  salut,  le  fait  d'être 
participants  de  la  rédemption  du  Christ,  est  indépen- 
dant des  actions  humaines,  comme  telles,  même  de 
l'observation  de  la  loi  comme  telle  :  il  est  un  don 
gratuit  de  Dieu;  ceux  qui  le  reçoivent  sont  créés  dans 
le  Christ,  c'est  une  nouvelle  existence  qu'ils  reçoivent. 
Rom.,  m,  22-28;  Eph.,  n,  8-10.  C'est  donc  à  la  grâce 
qu'est  due  l'activité  salutaire  tout  entière.  Le  travail 
personnel,  que  l'homme,  déjà  justifié,  doit  faire  pour 
persévérer,  est  encore,  en  dernière  analyse,  dû  à  l'in- 
fluence divine  :  c'est  Dieu  qui  opère  en  l'homme  le 
vouloir  et  l'exécution  de  l'œuvre  salutaire.  Phil.,  n,  12, 13. 
Cf.  Prat,  La  théologie  de  saint  Paul,  t.  n,  p.  125  sq. 
La  nécessité  de  la  grâce  pour  être  délivré  de  la  servi- 
tude du  péché,  pour  être  capable  de  l'éviter,  est  aussi 
clairement  exprimée  par  saint  Paul,  par  exemple,  Rom., 
vi,  17;  vu,  7-vin,  2;  Eph.,  n,  3;  le  fait  d'obtenir  la 
justification  est  un  effort,  non  des  actions  volontaires 


comme  telles,  mais  de  la  miséricorde  divine,  Rom.,  ix. 
16;  cet  effet,  comme  il  résulte  de  l'ensemble  de  la 
doctrine  de  saint  Paul,  est  la  grâce  interne  :  celle-ci 
est  donc  absolument  nécessaire  à  tout  ce  qui  mène 
l'homme  à  l'état  de  justification.  Cf.  Hartmann, 
Lchrbuch  der  Dogmalik,  Fribourg-en-Rrisgau,  1911, 
p.  423  sq. 

Quant  à  la  tradition,  remarque  le  même  auteur,  il 
y  a  différence,  au  point  de  vue  qui  nous  occupe,  entre 
les  Pères  avant  et  après  l'hérésie  pélagienne,  et,  pour 
l'époque  qui  précède  Pelage,  entre  les  Pères  grecs  et  les 
Pères  latins,  p.  424  sq. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  ce  dernier  point,  on  ne  trouve 
chez  les  Pères,  avant  saint  Augustin,  aucune  négation 
de  la  nécessité  de  la  grâce;  au  contraire,  beaucoup 
l'affirment,  par  exemple,  S.  Irénée,  Conl.  hœr.,  I.  III, 
c.  xvn,  n.  2,  P.  G.,  t.  vu,  col.  930;  Tertullien,  De  anima, 
c.  xxi,  P.  L.,  t.  n,  col.  685;  Origène,  De  principiis, 
1.  III,  c.  i,  xvni,  xxii,  P.  G.,  t.  xi,  col.  289,  291,  301; 
S.  Ambroise,  In  Lucam,  1.  II,  84,  P.  L.,  t.  xv,  col.  1583; 
Marius  Victorinus,  In  Epist.  ad  Phil.,  n,  12  sq.,  P.  L,, 
t.  vin,  col.  1212;  S.  Grégoire  de  Nazianze,  Orat.,  xxxvn, 
13,  P.  G.,  t.  xxxvi,  col.  297;  S.  Grégoire  de  Nysse, 
Orat.,  iv,  de  oratione  dominica,  P.  G.,  t.  xliv,  col.  1166; 
De  instilulo  chrisliano,  P.  G.,  t.  xlvi,  col.  304;  S.  Jean 
Chrysostome,  In  Genesim,  homil.  xxv,  7,  P.  G.,  t.  lui, 
col.  228.  Cf.  Tixeront,  op.  cit.,  t.  n,  sur  les  Pères  grecs, 
p.  145  sq.,  sur  les  Pères  latins,  p.  280  sq. 

La  doctrine  de  Pelage,  développée  par  Celestius  et 
défendue  avec  ardeur  par  Julien  d'Éclane,  voir 
Augustin,  t.  i,  col.  2280  sq.,  contenait  la  négation  de 
la  nécessité  de  la  grâce;  on  y  affirmait  que  l'homme 
peut,  par  sa  libre  volonté,  vouloir  et  réaliser  tous  les 
préceptes  divins  et,  par  conséquent,  être  juste  devant 
Dieu.  On  ne  distinguait  pas  entre  les  préceptes  de  la 
loi  naturelle  et  ceux  qui  sont  surajoutés  par  la  révéla- 
tion; on  considérait  tout  l'ensemble  des  obligations 
qui  incombent  à  l'homme,  et  on  affirmait  leur  obser- 
vation possible  par  l'énergie  de  la  volonté. 

Contre  cette  thèse  générale  Augustin  écrivit,  à  la  fin 
de  l'année  412,  le  livre  De  spirilu  cl  littcra,  où,  après 
avoir  indiqué  l'erreur,  c.  n,  n.  4,  il  expose  la  doctrine 
catholique  :  l'homme,  bien  qu'il  soit  libre,  alors  même 
qu'il  connaisse  ses  devoirs,  doit  cependant  recevoir  le 
Saint-Esprit,  qui  lui  donne  l'amour  requis  à  l'accom- 
plissement du  bien  moral,  c.  m;  c'est  lui  qui  est  la 
source  de  la  perfection  morale,  c.  v,  de  la  délivrance 
du  péché,  c.  vi,  de  la  justice  ou  de  la  vie  réellement 
bonne  au  point  de  vue  moral,  c.  vu,  P.  L.,  t.  xlii, 
col.  202-207.  Cette  même  doctrine  fut  défendue  par 
Augustin  dans  divers  écrits  subséquents,  voir  Augus- 
tin, 1. 1,  col.  2296  sq.,  dans  divers  conciles,  voir  Hefele, 
Histoire  des  conciles,  trad.  Leclercq,  t.  n,  p.  168  sq., 
et  dans  les  lettres  du  pape  Innocent  Ier,  de  417,  P.  L., 
t.  xx,  col.  584,  586,  587,  591.  L'important  concile  de 
Carthage,  qui  s'ouvrit  le  1er  mai  418  et  où  plus  de  deux 
cents  évèques  se  trouvaient  réunis,  proclama  la  néces- 
sité de  la  grâce  notamment  dans  trois  canons  :  la  grâce 
divine,  par  laquelle  l'homme  est  justifié,  ne  procure 
pas  seulement  la  rémission  des  péchés  commis,  mais 
elle  est  un  secours  donné  pour  que  l'homme  évite  les 
péchés,  can.  3;  cette  même  grâce  est  un  secours,  non 
seulement  en  ce  sens  qu'elle  nous  fait  connaître  ce  que 
nous  devons  faire  et  éviter,  mais  en  ce  sens  qu'elle  nous 
fait  aimer  et  nous  rend  aptes  à  réaliser  nos  devoirs, 
can.  4;  cette  grâce  n'est  pas  donnée  pour  que  nous 
puissions  avec  elle  accomplir  plus  facilement  ce  qui 
nous  est  ordonné,  mais  elle  est  donnée  pour  que  nous 
devenions  capables  d'accomplir  les  préceptes  divins  : 
ce  que  nous  ne  pouvons  pas  sans  elle.  Denzinger- 
Bannwart,  n.  103-105.  Ces  canons  furent  approuvés 
par  le  pape  Zosime,  dans  sa  célèbre  Epislola  tracloria. 
Ces  décisions  proclament  donc  la  nécessité  absolue 


1575 


GRACE 


1576 


de  la  grâce  interne  (considérée  en  général),  pour  obtenir 
la  justification  et  pour  ne  pas  la  perdre  par  le  péché. 
Innocent  Ier  avait  déjà  déclaré  la  nécessité  de  la  grâce 
pour  la  persévérance  du  juste,  P.  L.,  t.  xx,  col.  587,  et 
Zosime,  dans  la  lettre  citée,  attribue  à  l'influence  divine 
sur  le  cœur  des  hommes  et  sur  leur  libre  arbitre  toute 
pensée  sainte,  tout  pieux  dessein  et  tout  bon  mouve- 
ment de  la  volonté  :  l'influence  divine,  dont  il  est 
question  ici,  est  la  grâce.  Ce  texte  est  emprunté  au 
document  appelé  Prœtcrilorum  scdis  apostolicx  episco- 
porum  aaclorilalis,  publié  probablement  sous  Sixte  III 
i  132-440)  et  admis  comme  l'expression  de  la  foi  de 
l'Église.  La  doctrine  de  ce  document  est  bien  résumée 
dans  sa  conclusion  :  «  Nous  professons  hautement  que 
tous  les  bons  sentiments  et  toutes  les  bonnes  œuvres, 
tous  les  efforts  et  toutes  les  vertus,  par  lesquels,  depuis 
le  premier  début  de  la  foi,  nous  nous  dirigeons  vers 
Dieu,  ont  vraiment  Dieu  pour  auteur;  nous  croyons 
fermement  que  tous  les  mérites  de  l'homme  sont  pré- 
cédés par  la  grâce  de  celui  à  qui  nous  devons  et  de 
commencer  à  vouloir  le  bien  et  de  commencer  à  le  faire.  » 
Voir  Célestin,  t.  n,  col.  2058.  Les  arguments  donnés 
pour  prouver  cette  nécessité  sont  la  doctrine  scriplu- 
raire,  exprimée  dans  les  textes  que  nous  avons  cités 
plus  haut;  ensuite  la  pratique  établie  dans  l'Église, 
de  prier  pour  obtenir  de  Dieu  la  foi  et  tout  ce  cjui  aide 
au  salut;  de  là  le  principe  :  ut  legem  credendi  lex  statuai 
supplicandi.  Denzinger  Bannwart,  n.  139.  On  ne  peut 
pas  exagérer  la  portée  de  cet  axiome,  on  ne  peut  pas 
considérer  toute  prière  liturgique  comme  expression  de 
la  foi  de  l'Église.  L'auteur  des  Capitula  parle  ici  de 
prières  que  font  les  ministres  de  l'Église  pour  que  la 
foi  soit  donnée  aux  infidèles,  pour  que  les  idolâtres 
soient  délivrés  de  leurs  erreurs,  que  les  juifs  voient  la 
lumière  de  la  vérité,  etc.  Cf.  dom  Cabrol,  dans  le  Dic- 
tionnaire d'archéologie  chrétienne  et  de  liturgie,  art. 
Célestin  Ier,  t.  n,  col.  2795  sq.  Mais  remarquons  que 
l'auteur  des  Capitula  indique  le  principe  d'où  résulte 
la  valeur  de  son  argument  :  ce  sont  des  prières  sacer- 
dotales, que  les  apôtres  nous  transmirent,  que  toute 
l'Église  catholique  emploie  uniformément  dans  tous 
les  lieux  du  monde;  c'est  l'universalité  et  l'antiquité  de 
l'emploi  de  ces  prières  qui  en  fait  un  témoignage 
authentique  de  la  foi  de  l'Église  et  la  loi  de  la  croyance. 
Cette  doctrine,  avant  d'être  exprimée  dans  les  Capi- 
tula, avait  été  exposée  par  saint  Augustin,  De  dono 
perseveranlise,  c.  xxm,  n.  63,  P.  L.,  t.  xliv,  col.  1051. 
Quand  ce  document  fut  publié,  l'erreur,  désignée 
plus  tard  sous  le  nom  de  semi-pélagianisme,  avait  déjà 
fait  son  apparition.  Sur  son  origine,  voir  Jacquin,  dans 
la  Revue  d'histoire  ecclésiastique  (Louvain),  1904,  t.  v, 
p.  266  sq.  Il  semble  que  ce  soit  la  doctrine  de  saint 
Augustin  sur  la  prédestination  qui  ait  donné  lieu  au 
déliât;  mais  ici  nous  avons  à  considérer  la  nécessité  de 
la  grâce,  et  spécialement  la  doctrine  de  Cassien.  Celui- 
ci  paraît  d'abord  admettre,  d'une  manière  générale,  la 
nécessité  de  la  grâce  pour  tout  acte  qui  appartient  au 
salut,  même  pour  le  commencement  de  la  bonne 
volonté.  Collât.,  III,  c.  xvi,  xix,  P.  L.,  t.  xi.ix,  col. 
578  sq.,  581.  Mais  bientôt  Cassien  précise  son  ensei- 
gnement. Il  pense  que  de  nous-mêmes  nous  pouvons 
avoir  parfois  du  moins  un  commencement  de  bonne 
volonté  :  In  his  omnibus  cl  gralia  Dci  cl  libellas  noslri 
declaralur  arbitrii  cl  quia  suis  inlerdum  motibus  homo 
ad  virtutum  appelilus  possil  extendi,  semper  vero  indi- 
gent adjuvari...  Etiam  per  nalurw  bonum  quod  bcneficio 
crealoris  indultum  est,  nonnunquam  bonarum  volun- 
tatum  prodire  principia,  quœ  lumen  nisi  a  Domino  diri- 
gantur,  ad  consummationem  virtutum  peivenire  non 
possunt,  Collât.,  XIII,  c.  ix,  col.  918-920.  Aussi  Dieu, 
pour  dispenser  sa  grâce  exige-t-il,  ou  attend-il  quelque- 
fois de  nous  tles  efforts  préalables  d'une  bonne  volonté. 
Ibid.,  c.  xm,  col.  932.  Voir  Cassien',  t.  n,  col.  1823  sq.  ; 


I  Fauste  de  Riez,  t.  v,  col.  2103  sq.  ;  Jacquin,  dans  la 
Revue  d'histoire  ecclésiastique,  1904,  t.  v,  p.  280  sq.  ; 
1900,  t.  vin,  p.  294  sq.  ;  Hefele,  op.  cil.,  t.  n,  p.1090  sq.; 
Tixeront,  op.  cit.,  t.  m,  p.  276  sq.,  auquel  nous  avons 
emprunté  l'exposé  précédent. 

Cette  doctrine  fut  réfutée  par  saint  Augustin  dans 
deux  traités,  De  pnvdestinatione  sanclorum,  P.  L., 
t.  xliv,  col.  959-992;  De  dono  perseverantiœ,  P.  L., 
t.  xlv,  col.  993-1034;  plus  tard  par  saint  Prosper 
d'Aquitaine  dans  son  livre  Contra  collatorem,  P.  L., 
t.  li,  col.  215-276.  Signalons  quelques  assertions  :  saint 
Augustin  insiste  sur  ce  point  que  le  commencement  de 
la  foi  est  dû  à  la  grâce,  De  prœdcstinalionc  sanclorum, 
c.  ii,  3,  P.  L.,  t.  xliv,  col.  961  sq.  ;  plus  loin,  vin,  n.  10, 
il  dit  :  Fides  igitur  et  inchoata  et  perfecla,  donum  Dci 
est  :  et  hoc  donum  quibusdam  dari.  quibusdam  non  dari, 
<  mnino  non  dubitcl,  qui  non  vult  mani/eslissimis  sacris 
Lilleris  repugnarc,  col.  972;  cf.  c.  xvn,  col.  983;  c.  xxi, 
col.  992.  Dans  le  traité  De  dono  perscveranliœ,  il 
enseigne  que  nul  mérite  humain  n'existe  avant  la  grâce, 
c.  xix,  n.  49,  P.  L.,  t.  xlv,  col.  1023.  Cf.  c.  x:xiv, 
col.  1033.  Dans  ces  textes  il  s'agit  de  la  grâce  propre- 
ment dite,  c'est-à-dire  du  secours  divin  spécifique- 
ment salutaire.  Sur  la  distinction  des  deux  ordres  de 
grâce,  voir  Augustin,  1. 1,  col.  2387.  Saint  Prosper  nie 
que  les  pensées  pieuses  viennent  de  la  seule  volonté 
libre,  elles  proviennent  de  l'inspiration  de  Dieu,  Contra 
collai.,  c.  xn,  P.  L.,  t.  li,  col.  244;  la  bonne  volonté, par 
laquelle  on  adhère  à  Dieu,  appartient  à  l'homme,  mais 
elle  naît  sous  l'inspiration  divine,  col.  245  sq.  L'homme 
ne  peut  pas  par  son  énergie  propre  s'élever  aux  com- 
mencements de  sa  sanctification,  col.  216;  aucune 
œuvre  salutaire  ne  peut  se  faire  sans  la  grâce;  bien 
qu'on  rencontre  des  actions  louables  chez  les  impies, 
elles  ne  sont  pas  véritablement  vertueuses  :  Ergo 
cmnia  quœ  ad  vilam  et  pietatem  pertinent,  non  per 
naluram,  quse  vitiala  est,  habemus,  sed  per  graliam, 
qua  nalura  reparalur,  accepimus.  Sec  ideo  œslimarc 
debemus  in  naturalibus  Ihesauris  principia  esse  virtu- 
tum, quia  multa  laudabilia  rcperiunlur  etiam  in  ingeniis 
impiorum.  Quœ  ex  nalura  quidem  prodeunt,  sed  quoniam 
ab  eo  qui  naluram  condidit  recesserunt,  virlutes  esse  non 
possunt,  col.  250;  la  liberté  reste  entière  sous  l'action 
de  la  grâce,  celle-ci  porte  la  volonté  au  bien  et  l'y 
affermit  :  opitulatioms  divinœ  gratiœ  stabilinunta  sunl 
voluntatis  humanœ,  col.  255.  Cf.  les  définitions  de  Cas- 
sien  jugées  par  saint  Prosper,  col.  255  sq.  Voir  Ful- 
gence  de  Ruspe,  col.  970  sq. 

La  nécessité  de  la  grâce,  étendue  à  tous  les  actes 
salutaires,  était  donc  enseignée  par  ceux  qui  étaient 
les  mieux  en  situation  d'exposer  la  doctrine  catho- 
lique; elle  fut  proclamée  officiellement  au  IIe  concile 
d'Orange,  en  529,  convoqué  par  saint  Césaire  d'Arles, 
voir  Césaipe,  t.  n,  col.  2168  sq.  ;  Tixeront,  op.  cit., 
t.  m,  p.  304  sq.,  et  confirmée  par  le  pape  Boniface  IL 
Au  point  de  vue  doctrinal,  il  faut  remarquer  que  ce 
concile  décrit  davantage  les  actes  qui  peuvent  précéder 
la  foi,  notamment  le  pius  credulilalis  a/fectus,  et  sur- 
tout qu'il  précise  la  raison  de  la  nécessité  absolue  de 
la  grâce,  par  ces  expressions  sicut  oporlel  ad  salutem. 
Ce  n'est  plus  la  raison  générale  qu'on  invoque,  à 
savoir  que  la  nature  humaine  est  viciée,  que  le  libre 
arbitre  est  infirme,  mais  on  affirme  l'incapacité  de  la 
nature  à  tout  acte  salutaire  comme  tel.  Les  canons  les 
plus  importants  sont  les  suivants;  nous  les  résumons  : 

Ce  n'est  pas  à  la  prière  humaine  que  la  grâce  est 
concédée,  mais  c'est  la  grâce  qui  fait  que  nous  la 
demandions,  can.  3;  Dieu  n'attend  pas  que  par  notre 
propre  volonté  nous  désirions  être  purifiés  de  nos 
péchés,  niais  c'est  par  l'infusion  et  l'opération  du 
Saint-Esprit  en  nous  que  nous  concevons  ce  désir, 
can.  4.  Le  commencement  de  la  foi,  le  désir  de  croire 
(credulitatis  affectas)  est  un  don  de  la  grâce,  c'est-à-dire 


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GRACE 


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une  inspiration  de  l'Esprit-Saint,  et  n'est  pas  un  effet 
naturel,  can.  5.  C'est  par  l'infusion  et  l'opération  du 
Saint-Esprit  en  nous  que  nous  pouvons  réaliser  la  foi, 
les  désirs,  les  efforts,  les  prières  comme  il  faut  (sicul 
oportcl)  ;  sans  la  grâce  nous  ne  le  pouvons  pas,  can.  6. 
Par  la  seule  énergie  de  la  nature,  on  ne  peut  ni  conce- 
voir, ni  choisir,  comme  il  convient  (ut  expedit),  aucun 
bien  qui  appartient  à  l'ordre  du  salut  de  la  vie  éter- 
nelle; on  ne  peut,  sans  l'illumination  et  l'inspiration  du 
Saint-Esprit,  consentir  à  la  prédication  salutaire  de 
l'Évangile (sive salulari,  id  est,  evangelicœ  prœdicalioni 
consentire...  Le  sens  semble  bien  être  celui-ci  :  on  ne 
peut,  sans  la  grâce  du  Saint-Esprit,  consentir  à  la  pré- 
dication de  l'Évangile,  précisément  parce  qu'elle  est 
salutaire),  can.  7.  Voir  les  textes  dans  Denzinger- 
Bannwart,  n.  176-180.  Le  concile  de  Trente  a  établi 
la  même  doctrine,  sess.  vr,  c.  i,  v-vi,  can.  1-6.  Den- 
zinger-Bannwart,  n.  793,  797-798,  811-816. 

Ces  textes  contiennent  l' affirmation  de  la  nécessité 
de  la  grâce  pour  tout  acte  salutaire;  cette  nécessité 
résulte  donc,  non  d'une  difficulté  que  l'homme  éprouve 
à  se  vaincre  (car  il  s'agit  aussi  d'actes  faciles),  mais  de 
l'incapacité  complète  de  la  nature  humaine  à  produire, 
par  elle-même,  un  acte  salutaire.  Cette  idée  se  confirme 
par  le  19e  canon,  Denzinger-Bannwart,  n.  192,  où  il 
est  dit  :  «  Si  la  nature  humaine  demeurait  dans  cet  état 
d'intégrité,  dans  lequel  elle  a  été  établie  (par  Dieu,  en 
Adam),  elle  ne  pourrait  s'y  maintenir  par  elle-même, 
sans  le  secours  de  son  créateur.  Par  conséquent,  puis- 
qu'elle ne  peut,  sans  la  grâce  de  Dieu,  conserver  le 
salut,  comment  pourrait-elle,  sans  la  grâce  de  Dieu, 
recouvrer  ce  qu'elle  a  perdu?  »  L'homme,  qui  n'est  pas 
sujet  au  désordre  de  la  concupiscence,  ne  peut  pas,  par 
la  seule  perfection  de  sa  nature,  accomplir  le  bien  qu'il 
doit  réaliser  pour  rester  juste  devant  Dieu;  la  nécessité 
de  la  grâce,  dont  il  s'agit  ici,  ne  correspond  donc  pas  â 
cette  difficulté  morale  d'éviter  le  péché  qui  est  due  au 
désordre  de  la  concupiscence;  elle  ne  correspond  pas 
non  plus  à  une  difficulté  morale  d'un  autre  genre,  car 
saint  Augustin,  auquel  est  emprunté  le  texte  dont  il 
s'agit,  enseigne  qu'Adam  pouvait  sans  difficulté  et  sans 
lutte  éviter  le  péché,  De  correptione  et  gratia,  n.  29, 
35,  P.  L.,  t.  xliv,  col.  954,  937;  la  nécessité,  dont  il 
s'agit,  semble  donc  correspondre  à  une  incapacité  phy- 
sique de  la  nature  humaine  à  accomplir  le  bien  salutaire, 
à  agir  salutairement  :  d'où  la  nécessité  physique  de 
la  grâce.  Saint  Augustin,  Episl.,  clxxxvi,  n.  37,  P.  L., 
t.  xxxin,  col.  830;  cf.  De  natura  et  tjralia,c.  xlviii,  n.56, 
P.  L.,  t.  xliv,  col.  271  ;  Enchiridion,  c.  evr,  P.  L.,  t.  xl, 
col.  282  sq.,  ne  précise  pas  davantage  cette  nécessité. 

Les  théologiens  ont  expliqué  plus  tard  cette  donnée 
et  ont  notamment  reconnu  à  la  grâce  une  double 
fonction  :  celle  de  guérir  de  l'infirmité  morale,  prove- 
nant du  désordre  introduit  par  le  péché  originel;  la 
grâce,  en  tant  qu'elle  est  ordonnée  à  cet  elïet,  est 
appelée  medicinalis  ou  sanans;  l'autre  fonction  consiste 
à  être  un  principe  d'activité  qui  surpasse  absolument 
la  nature  humaine  et  à  élever,  par  conséquent,  l'opé- 
ration humaine  à  un  ordre  nouveau,  l'ordre  surna- 
turel; la  grâce,  en  tant  qu'elle  produit  cet  effet,  est 
appelée  élevons. 

De  ce  que  l'Église  a  défini  que  la  grâce  est  requise  à 
tout  acte  salutaire,  comme  tel,  même  à  une  simple 
pensée-  ou  à  un  désir  salutaires,  les  théologiens  ont 
logiquement  conclu  que  cette  nécessité  est  physique  et 
que  la  grâce  a  pour  fonction  de  rendre  formellement  sa- 
lutaire l'opération  dont  elle  est  le  principe.  Mais  qu'est- 
ce  qui  fait  que  l'acte  soit  salutaire?  C'est  qu'il  est  dans 
l'ordre  de  la  fin  dernière  à  laquelle  l'homme  tend  par 
cette  opération.  Or,  nous  savons,  d'autre  part,  que  cette 
fin  dernière,  la  vision  intuitive  de  Dieu,  est  absolument 
surnaturelle;  pour  qu'un  acte  soit  réellement  propor- 
tionné â  cette  fin,  il  doit  donc  être  aussi  surnaturel  ;  c'est 


donc  à  surnaluraliser  l'acte  que  consiste  la  fonction  de 
la  grâce  élevante  et  cette  surnaturalisation  est  la  raison 
de  sa  nécessité  absolue  et  physique.  Cf.  S.  Thomas, 
In  IV  Sent.,1.  II,  dist.  XXIX,  a.  1  ;  Sum.  IheoL,  P  II* 
q.  cix,  a.  2,  5;  Sylvestre  Ferrariensis,  Comm.  in  Sum- 
mum conl.  genl.,  1.  III,  c.  cxlvii. 

Notons  encore  que  la  thèse  de  la  nécessité  absolue  de 
la  grâce  pour  tout  acte  salutaire  contient  implicite- 
ment l'assertion  que  l'homme  a  besoin  de  la  grâce  pour 
se  préparer  positivement  à  la  justification.  Saint  Thomas 
en  indique  la  raison  intrinsèque  :  Dieu,  qui  meut  tous 
les  êtres  au  bien  considéré  en  général,  et  par  consé- 
quent les  meut  vers  lui,  meut  à  une  fin  spéciale  les 
hommes  qu'il  mène  à  la  justification;  cette  fin  spéciale, 
c'est  Dieu  lui-même,  possédé  surnaturellement;  c'est 
pourquoi  Dieu  doit  mouvoir  d'une  manière  spéciale, 
surnaturellement,  les  hommes  vers  la  justification. 
Sum.  theol.,  V  IV,  q.  cix,  a  6.  Le  concile  de  Trente, 
sess.  vi,  c.  vi,  décrit  cette  préparation.  Denzinger- 
Bannwart,  n.  798. 

2.  Nécessité  de  la  grâce  pour  les  actes  simplement 
honnêtes.  —  a)  Dans  l'état  actuel  de  l'humanité,  l'homme 
esl  capable,  sans  le  secours  de  la  grâce  interne,  de  faire 
certains  actes  moralement  honnêtes.  —  Cette  thèse  est 
théologiquement  certaine,  comme  il  ressort  de  l'ensei- 
gnement commun  des  théologiens  et  des  documents 
ecclésiastiques,  que  nous  indiquerons.  Le  démonstra- 
tion repose  sur  le  principe  qu'après  le  péché  d'Adam,  le 
libre  arbitre  n'a  pas  été  détruit,  bien  qu'il  ait  été 
affaibli.  Concile  de  Trente,  sess.  vr,  c.  i,  Denzinger- 
Bannwart,  n.  793.  Voir  une  note  sur  cette  formule 
dans  la  Revue  thomiste,  1912,  t.  xx,  p.  70  sq.  Ce  prin- 
cipe admis,  la  conclusion  s'impose.  En  effet,  l'homme  a 
la  capacité  physique  de  poser  des  actes  moralement 
honnêtes,  car  il  est  obligé  d'observer  la  loi  naturelle; 
de  plus,  les  actes  moralement  honnêtes  ne  sont  pas 
toujours  plus  difficiles  que  les  actes  moralement  mau- 
vais :  c'est  une  constatation  d'expérience;  l'homme 
est  donc,  même  dans  l'état  actuel  du  genre  humain, 
physiquement  et  moralement  capable  de  poser,  par  les 
seules  forces  de  sa  nature,  des  actes  moralement  bons. 
Cf.  S.  Bonaventure,  In  IV  Sent.,  1.  II  dist.  XXVIII, 
a.  2,  q.  ni;  dist.  XLI,  dub.  n,  Opéra  omnia,  Quaracchi, 
t.  n,  p.  689,  956;  S.  Thomas,  Sum.  theol.,  P  II* 
q.  cix,  a.  2;  IP  II*,  q.  x,  a.  4;  Soto,  De  natura  et 
gratia,  Paris,  1549,  1.  I,  c.  xxi;  Suarez,  De  gratia,  1.  I, 
c.  vm,  n.4,  Opéra  omnia,  t.  vu,  p.  403;  Bellarmin,  De 
gratia  et  libero  urbilrio,  1.  V,  c.  ix,  De  eontroversiis, 
Prague,  1721,  t.  iv,  p.  337. 

C'est  surtout  en  condamnant  les  erreurs  de  Baius 
que  l'autorité  ecclésiastique  a  déclaré  la  doctrine  catho- 
lique concernant  la  capacité  naturelle  de  l'homme  à 
faire  des  œuvres  moralement  honnêtes.  Voir  Baius, 
t.  il,  col.  83  sq.  Au  même  objet  se  rapportent  plusieurs 
propositions  condamnées  de  Quesnel  et  du  synode  de 
Pistoie.  Denzinger-Bannwart,  n.  1351,  1352,  1355, 
1389,  1390,  1394,  1523,  1524. 

Baius  invoquait  surtout  l'autorité  de  saint  Augustin 
pour  défendre  l'incapacité  de  l'homme  à  faire  des  actes 
honnêtes  sans  la  grâce.  Telle  n'était  pas  la  doctrine  de 
l'évêque  d'Hippone  :  il  admet  que  l'homme  puisse,  par 
ses  propres  moyens,  poser  des  actes  moralement  bons 
(encore  qu'en  règle  très  générale,  à  de  pareils  actes 
s'ajoutent  des  circonstances  qui  les  rendent  moins  bons 
ou  mauvais).  Cf.  De  spiritu  et  lillera,  c.  xxvn  sq., 
P.  L.,  t.  xliv,  col.  229  sq.  ;  S.  Prosper,  Conl.  collât, 
c.  xin,  n.  5,  P.  L.,  t.  l,  col.  250.  Sur  la  doctrine 
de  saint  Augustin  concernant  ce  point,  voir  Faure, 
Enchiridion  S.  Aurelii  Augustini,  Naples,  1847,  p.  1  sq.  ; 
Neveu,  dans  Divus  Thomas,  1905,  p.  372  sq.;  Hefele, 
Histoire  des  conciles,  t.  n,  p.  1101:  Schwane,  op.  cit., 
t.  m,  p.  175;  Tixeront,  op.  cit.,  t.  n,  p.  486  sq.  ;  Au- 
gustin, t.  i,  col.  2376  sq.  Spécialement  sur  le  sens  de 


1379 


GRACE 


1580 


cette  formule  :  omne  quod  non  est  ex  fide,  pcccatum  est, 
voir  Pesch,  Prxlection.es  dogmalicœ,  t.  v,  n.  144  sq. 
Nous  croyons  utile  de  signaler  ici  certaines  expres- 
sions de  saint  Augustin,  qui,  à  première  vue,  semblent 
s'opposer  à  la  doctrine  que  nous  venons  d'indiquer. 
Dans  son  Contra  duas  cpislolas  pelagianorum,  1.  I. 
c.  ii,  n.  7,  P.  L.,  t.  xliv,  col.  553,  l'évèque  d'Hippone 
dit,  par  exemple,  ceci  :  nec  potest  homo  boni  aliquid 
vdlc,  nisi  adjuvetur  ab  co  qui  malum  non  potesi  velle, 
hoc  est  gralia  Dei  per  Jcsum  Chrislum.  Il  affirme  ici  la 
nécessité  d'un  secours  divin  pour  tout  acte  bon;  et  ce 
secours  est  la  grâce  proprement  dite,  c'est-à-dire  le  don 
gratuit  qui  rend  la  volonté  juste,  et  qui  suppose  la  foi, 
qui  elle-même  est  un  don  gratuit.  Dans  le  passage,  d'où 
la  phrase  susdite  est  tirée,  Augustin  enseigne  que  le 
libre  arbitre  n'a  pas  été  détruit  par  le  péché  originel, 
n.  5,  col.  532,  mais  que  cette  liberté  (cette  parfaite 
indépendance  pour  faire  le  bien),  qui  existait  au 
paradis  terrestre  et  qui  permettait  à  l'homme  de 
réaliser  pleinement  la  justice,  n'existe  plus;  il  résulte 
de  là  :  a)  que  l'homme  peut  faire  librement  des  actes 
mauvais,  et,  par  conséquent,  être  véritablement  cou- 
pable; b)  qu'il  n'a  plus,  pour  réaliser  le  bien,  la  même 
aptitude  qu'il  a  pour  réaliser  le  mal;  il  se  trouve  dans 
un  état  où  il  est  dominé  par  la  concupiscence  et  dans 
lequel  il  ne  peut  plus  éviter  tout  péché;  il  ne  peut  être 
délivré  de  cet  état  que  par  la  grâce  du  Christ.  Après 
cela  Augustin  ajoute  :  Sed  hsec  voluntas  quœ  libéra  est 
in  malis,  quia  delectalur  malis,  ideo  libéra  in  bonis  non 
est,  quia  liberata  non  est;  nec  potest  homo  boni  aliquid 
velle  nisi  adjuvAur  ab  co  qui  malum  non  potest  velle, 
hoc  est  gratia  Dei  per  Jcsum  Chrislum.  Cet  aliquid  boni 
désigne  donc  un  bien  qui  est  dans  l'ordre  du  salut,  un 
bien  qui  appartient  à  cet  état  où  l'homme  est  délivré 
de  la  domination  de  la  concupiscence. 

Il  ne  s'agit  donc  pas  ici  de  tout  acte  simplement 
honnête,  au  point  de  vue  purement  naturel.  Et  à 
Julien  d'Éclane  qui  s'attaque  au  passage  en  question, 
Augustin  répond  :  «  C'est  la  charité  qui  veut  le  bien,  et 
la  charité  vient  de  Dieu;  ce  n'est  pas  par  la  lettre  de  la 
loi  (qu'on  fait  le  bien),  mais  par  l'esprit  de  la  grâce.  » 
Opus  imper/ectum  contra  Julianum,  1.  I,  n.  94,  P.  L., 
t.  xlv,  col.  1111. 

Plus  loin,  au  1.  III,  n.  110,  col.  1295,  saint  Augustin 
dit  :  Nemo  est  liber  ad  agendum  bonum  sine  adjutorio 
Dei.  D'après  le  contexte,  l'adjulorium  Dei  indique  la 
grâce  du  Christ;  cependant  il  ne  s'agit  pas  ici  du  libre 
arbitre  et  d'une  bonne  action  en  particulier,  mais  de 
la  vigueur  habituelle  de  la  volonté  à  faire  le  bien,  à 
éviter  tout  péché;  cette  vigueur  habituelle  ne  s'obtient 
que  par  la  grâce;  elle  seule  guérit  l'infirmité  qui  a 
atteint  la  nature  humaine  par  suite  du  péché  originel. 
Au  1.  VI,  n.  15,  col.  1535,  il  est  dit  :  Si  ergo  hi, 
quorum  contra  carnem  jeun  spirilus  concupiscil,  ad  sin- 
gulos  aclus  indigent  Dei  gratia,  ne  vincantur,  qualcm 
libcrtalem  volunlatis  haberc  possunt,  qui  nondum  de 
polestalc  eruti  lencbrarum,  dominante  iniquilale,  nec 
eerlarc  cceptrunl,  aut,  si  certarc  volucrunt,  nondum 
liberalœ  voluntatis  servitute  vincuntur.  Dans  ce  passage, 
le  saint  docteur  parle  de  ceux  qui  possèdent  la  grâce 
divine  et  sont  délivrés  de  l'esclavage  de  la  concu- 
piscence; cependant  ils  doivent  encore  lutter,  et  ce 
n'est  qu'avec  le  secours  de  la  grâce  de  Dieu  qu'ils 
remporteront  la  victoire,  qui  les  fera  jouir  du  royaume 
éternel.  Dans  ce  combat,  la  prière  est  plus  importante 
que  la  force,  car  c'est  par  la  prière  qu'on  obtient  la 
force  dont  on  a  besoin.  Les  chrétiens  ont  constam- 
ment besoin  du  secours  de  la  grâce  pour  n'être  pas 
vaincus  dans  la  lutte  contre  la  concupiscence  et  le 
secours  de  la  grâce  affecte  chacun  de  leurs  actes.  Saint 
Augustin  semble  bien  avoir  dans  l'idée  la  victoire 
salutaire,  celle  qui  est  propre  au  chrétien  et  méritoire 
de  la  vie  éternelle. 


S'il  en  est  ainsi,  ceux  qui  ne  sont  pas  chrétiens,  et 
n'ont  pas  la  grâce,  n'auront  pas  la  vigueur  de  la 
volonté  (libertatem  voluntatis)  requise  à  la  victoire; 
ceux-ci  ne  luttent  même  pas,  ou  s'ils  veulent  lutter,  ils 
sont  vaincus.  Saint  Augustin  n'affirme  donc  pas  qu'il 
faut  le  secours  de  la  grâce  pour  toute  victoire  sur  une 
tentation,  même  si  cette  victoire  est  simplement 
honnête,  non  salutaire;  de  plus,  il  dit  que  ceux  qui  ne 
sont  pas  encore  sous  le  régime  de  la  grâce  peuvent 
vouloir  lutter.  Ce  vouloir  lutter  est  un  acte  moralement 
bon  et  il  semble  bien  que  saint  Augustin  admet  que 
cet  acte  peut  se  faire  sans  le  secours  de  la  grâce. 
Remarquons  encore  que  saint  Augustin  parle  ici  de  la 
grâce  considérée  en  général  et  que  l'influence  dont  il 
parle  ne  peut  être  restreinte  à  la  grâce  actuelle;  de 
l'endroit  cité  on  ne  peut  pas  conclure  que  saint  Au- 
gustin enseigne  qu'il  faut,  dans  les  hommes  justes,  une 
grâce  actuelle  pour  chaque  acte  salutaire.  Suarez,  De 
gratia,  1.  I,  c.  n  sq.,  expose  longuement  une  série  de 
questions  se  rapportant  à  la  nécessité  de  la  grâce  pour 
l'opération  moralement  bonne;  quelques-unes  seront 
traitées  dans  la  suite. 

Nous  avons  affirmé  la  capacité  de  l'homme  à  faire, 
sans  le  secours  de  la  grâce,  des  actions  moralement 
bonnes;  il  ne  s'ensuit  pas  rigoureusement  que  de  fait 
les  hommes  accomplissent,  sans  le  secours  de  la  grâce, 
des  actes  moralement  bons.  Voir  Baius,  col.  85.  Bien 
que  cette  dernière  assertion  ne  soit  pas  établie  par 
une  déclaration  officielle  de  l'Église,  elle  est  admise 
cependant  par  la  plupart  des  théologiens.  Nous 
n'adhérons  donc  pas  à  l'opinion  de  Vasquez,  ni  à  celle 
de  Ripalda,  dont  il  sera  parlé  plus  loin. 

La  doctrine,  que  nous  avons  exposée,  a  pour  corol- 
laires les  deux  assertions  suivantes  :  les  infidèles  peu- 
vent faire  des  actions  qui  ne  sont  pas  des  péchés; 
l'homme,  en  état  de  péché  mortel,  ne  pèche  pas  néces- 
sairement dans  tous  les  actes  qu'il  pose.  Voir  Pal- 
mieri,  De  gratia  actuali,  Wulpen,  1885,  thés,  xxi, 
p.  99  sq.;  Baius,  t.  n,  col.  83  sq. 

Une  autre  conséquence  est  la  distinction  qui  con- 
cerne la  manière  dont  on  peut  observer  la  loi  :  l'obser- 
vation quant  à  la  substance  des  actes,  quoad  subslan- 
tiam  operum,  et  l'observation  quant  au  mode  d'agir, 
ce  qui  revient  à  une  qualité  accidentelle  de  ces  actes. 
quoad  modum  agendi.  Par  substance  des  actes,  nous 
entendons  ici  l'essence  de  l'acte  humain  au  point  de 
vue  de  la  moralité,  par  exemple,  ce  qui  est  requis  pour 
qu'une  action  soit  réellement  un  acte  de  religion,  un 
acte  de  justice,  etc.  Par  le  mode  d'agir  on  peut  entendre 
toute  qualité  accidentelle  de  l'acte,  par  exemple,  la 
facilité  avec  laquelle  il  se  fait,  son  intensité;  mais,  en 
théologie,  on  entend  sa  surnaturalité ;  saint  Thomas  et 
saint  Bonaventure  désignent  par  le  modus  agendi  la 
surnaturalité  qui  rend  l'acte  méritoire  de  condigno. 
Cf.  S.  Thomas,  In  IV  Sent.,  1.  II,  dist.  XXVIII,  q.  i, 
a.  3;  Sum.  theol.,  F  II-1',  q.  cix,  a.  4;  S.  Bonaven- 
ture, In  IV  Sent.,  1.  II,  dist.  XXVIII,  a.  1,  q.  m, 
Quaracchi,  t.  n,  p.  680;  Billot,  De  virlutibus  infusis, 
proleg.,  c.  m,  §  1,  n.  4,  Rome,  1901,  p.  78;  De  gralia 
Chrisli,  Rome,  1912,  p.  68  sq. 

Cette  distinction  a  été  violemment  attaquée  par 
Luther,  parce  qu'elle  était  incompatible  avec  son 
opinion  sur  la  corruption  essentielle  de  la  nature 
humaine  et  son  incapacité  radicale  de  faire  un  acte 
moralement  bon.  Cf.  Denifle,  Luther  und  Lulhertum, 
t.  i,  p.  519;  Grisar,  Luther,  t.  i,  p.  110,  115,  160.  Elle 
est  encore  incompatible  avec  la  doctrine  de  Baius, 
parce  qu'il  tient  que  tout  acte  moralement  bon  est  aussi 
méritoire  de  la  vie  éternelle.  De  meritis  operum,  1.  II, 
c.  ii,  vi.  C'est  pourquoi  l'on  trouve,  parmi  les  propo- 
sitions condamnées  de  Baius,  la  61e  qui  dit  :  «  La 
distinction  que  font  les  docteurs  d'une  double  manière 
d'accomplir  la  loi  divine,  l'une  se  bornant  à  la  sub- 


i:,si 


GRACE 


1.582 


stance  de  l'œuvre  commandée,  l'autre  ajoutant  un 
certain  mode  ou  caractère  méritoire  qui  rend  les 
œuvres  dignes  de  conduire  le  sujet  au  royaume  des 
cieux,  est  une  distinction  chimérique  qu'il  faut  rejeter.  » 
De  îzinger-Bannwart,  n.  1061.  Voir  Baius,  t.  n,  col.  79. 

b)  Les  théologiens  se  sont  occupés  spécialement  de 
la  capacité  de  l'homme  déchu  à  vaincre  les  tentations. 
Il  s'agit  ici  d'une  victoire  moralement  honnête,  non 
salutaire. 

La  plupart  admettent  que  l'homme  peut,  sans  le 
sec  mrs  de  la  grâce,  résister  à  certaines  tentations,  au 
moins  aux  tentations  légères.  Cf.  Soto,  De  nalura  et 
gratin,  1.  I,  c.  xxi,  Paris,  1549,  fol.  83;  Suarez,  De 
ijratia,  1.  I,  c.  xxin,  n.  13,  Opéra  omnia,  t.  vu,  p.  483; 
Gotti,  Thcologia  scholaslico-dogmatica,  t.  n,  tr.  VII,  De 
divina  gratia,  dub.  ix,  n.  5,  Venise,  1750,  p.  318. 

Mais  beaucoup  enseignent  que  l'homme  ne  peut  pas, 
sans  le  secours  de  la  grâce,  résister  à  aucune  tentation 
grave  :  tel  est  l'énoncé  de  la  thèse  défendue  par  Suarez, 
cp.  eit.,1  I,  c.  xxiv,  n.  8,  p.  492  ;  Gotti,  loc.  cit.,  n.  15  ;  Maz- 
zella,  De  gratia  Christi,  Rome,  1892,  n.  390.  La  raison 
qu'ils  apportent  pour  soutenir  cette  thèse  est  l'infirmité 
de  la  nature  humaine  concernant  le  bien  moral;  aussi  le 
texte  de  saint  Paul,  I  Cor.,  x,  13.  Cependant  ce  texte 
et  les  textes  des  conciles  concernant  la  nécessité  de  la 
grâce  ne  permettent  pas  d'établir  que  l'homme  ne 
peut,  sans  le  secours  de  la  grâce,  résister  à  aucune 
tentation  grave.  C'est  pourquoi  d'autres  théologiens, 
par  exemple,  Hurter,  op.  cit.,  n.  47,  parlent  de  la 
victoire  sur  toutes  les  tentations  qui  assaillent  l'homme. 
Le  P.  Pesch,  op.  cit.,  n.  157,  fait  une  remarque  très 
opportune  :  il  semble,  que  l'on  a  tort  de  proposer 
cette  thèse  :  l'homme,  sans  te  secours  de  ta  grâce,  ne 
peut  vaincre  aucune  tentation  grave.  Qu'est-ce,  en  effet, 
qu'une  tentation  grave  ?  On  ne  pourra  guère  donner 
d'autre  réponse  que  celle-ci  :  une  tentation  grave  est 
celle  qui  sollicite  l'homme  avec  tant  de  force  que,  sans 
la  grâce,  il  est  moralement  incapable  de  résister.  Cette 
explication  contient  une  tautologie.  Si  l'on  veut  décrire 
la  nature  même  d'une  tentation  grave,  on  ne  par- 
viendra pas  à  la  déterminer  de  telle  façon  que  l'on 
puisse  alors  démontrer  la  thèse;  les  documents  de  la 
révélation  ne  donnent  aucune  description  de  cet  objet. 
Il  est  donc  plus  exact  de  proposer  la  thèse  suivante  : 
Tout  homme,  qui  pendant  un  temps  considérable  jouit 
de  l'usage  de  la  raison,  rencontre  des  tentations  si  graves 
qu'il  ne  peut  les  vaincre,  sans  le  seccurs  de  la  grâce. 
Cette  assertion  est  alors  une  explication  de  la  thèse 
générale,  que  nous  exposerons  plus  loin.  Pour  les 
arguments,  voir  Pesch,  op.  cit.,  n.  159  sq. 

La  question,  que  nous  venons  d'exposer,  a  donné 
lieu  à  diverses  opinions  qui  ont  une  portée  plus  géné- 
rale; nous  les  exposerons  ici  afin  de  mieux  faire  ressortir 
le  lien  logique  qui  les  unit. 

Vasquez,  In  /""  II*,  q.  cix,  a.  2,  disp.  CLXXXIX, 
c.  vm  sq.,  Anvers,  1622,  p.  401  sq.,  a  soutenu  une 
opinion  qui  n'a  guère  été  suivie  par  les  théologiens. 
Il  enseigne  que  l'homme  ne  peut  vaincre  aucune  ten- 
tation, même  la  plus  légère,  sans  le  secours  de  la  grâce 
du  Christ.  Il  s'efforce  d'abord  de  montrer  que  cette 
opinion  est  contenue  dans  la  doctrine  des  Pères  et  des 
conciles,  c.  vm-xiii. 

Nous  ne  pouvons  entrer  dans  cette  discussion,  mais 
il  nous  faut  noter  comment  Vasquez  explique  sa  thèse  : 
les  êtres  privés  de  raison  agissent  nécessairement, 
leur  opération  est  toujours  déterminée  par  leur  nature, 
et  Dieu,  en  tant  que  créateur,  les  meut  à  produire 
l'opération  telle  qu'elle  est  contenue  in  actu  primo  dans 
leur  nature.  Mais  l'homme  est  libre,  et  par  conséquent 
indifférent  :  l'action  volontaire,  qu'il  pose  librement, 
n'est  pas  déterminée  par  la  nature  humaine;  mais 
cette  action  dépend  d'une  pensée  et  cette  pensée  n'est 
pas  au  pouvoir  de  l'homme;  cette  pensée  dépend  de 


Dieu,  non  pas  en  ce  sens  qu'elle  est  toujours  produite 
par  Dieu  dans  l'intelligence,  mais  en  ce  sens  qu'elle 
dépend  de  la  proscience  et  de  la  providence  divines. 
C'est  donc  de  Dieu  qu'il  dépend  que  l'homme  ait  telle 
pensée  en  vertu  de  laquelle  il  résiste  à  la  tentation, 
plutôt  que  telle  autre  pensée  à  laquelle  il  succom- 
berait; si  Dieu,  qui  connaît  de  toute  éternité  l'in- 
flumce  de  telle  pensée  sur  tel  homme  dans  telles  condi- 
tions, l'ait  en  sorte  que  l'homme  ait,  de  fait,  la  pensée 
en  vertu  de  laquelle  il  résiste  à  la  tentation,  c'est  là 
un  bienfait  de  Dieu,  c.  xv  sq.  Cette  cogitalio  congrua 
est  donc  un  bienfait  spécial  de  Dieu  (il  aurait  pu 
donner  une  cogitalio  non  congrua)  et  parce  que,  dans 
l'ordre  actuel  de  la  providence,  tous  les  bienfaits  sont 
accordés  conséquemment  aux  mérites  du  Christ,  cette 
cogitalio  congrua  peut  donc  s'appeler  auxitium  gratiœ 
per  Chrislum,  c.  xvn  sq.  Cette  cogitalio  congrua  n'est 
pas  seulement  un  secours  dû  à  la  protection  externe 
de  Dieu,  mais  c'est  une  inspiration  interne,  qui  produit 
une  bonne  affection  par  laquelle  nous  résistons  à  la 
tentation;  rien  n'empêche  que  cette  pensée  opportune 
soit  produite  en  nous  par  des  causes  secondes  externes; 
c'est  Dieu  qui  les  a  disposées  par  sa  providence,  c.  xvi, 
n.  142,  p.  423.  Cette  grâce,  ajoute  Vasquez,  n'est  pas 
un  secours  qui,  quant  à  sa  nature  ou  substance,  est 
surnaturel,  comme  est  le  secours  qui  nous  est  donné 
pour  faire  des  actes  salutaires;  le  secours,  dont  il 
s'agit,  est  en  soi  d'ordre  naturel,  proportionné  à  la 
nature,  il  ne  requiert  aucun  principe  nouveau  pour  le 
produire;  il  est  cependant  une  grâce  parce  qu'il  procède 
de  la  libéralité  et  de  la  miséricorde  de  Dieu  à  notre 
égard  et  que  Dieu  aurait  pu  ne  pas  nous  l'accorder, 
c.  xvi,  n.  144,  p.  424.  Bellarmin,  De  gratia  cl  libero 
arbitrio,  1.  V,  c.  vu,  p.  334,  semble  défendre  la  même 
thèse.  Son  explication  cependant  ne  coïncide  pas  avec 
celle  de  Vasquez. 

L'opinion  de  celui-ci  diffère  de  celle  qui  fut  défendue 
par  Baius  et  condamnée  dans  la  30°  proposition.  Voir 
Baius,  t.  ii,  col.  88.  Vasquez,  en  effet,  n'exigeait  pas 
la  grâce  proprement  dite  et  ne  fondait  pas  son  opinion 
sur  une  fausse  idée  de  la  connexion  de  la  grâce  avec  la 
nature,  telle  qu'elle  se  trouve  chez  Baius. 

Cependant  le  sentiment  de  Vasquez  n'a  guère  de 
partisans.  C'est  à  juste  titre,  nous  semble-t-il,  car, 
d'abord,  dans  les  textes  des  conciles,  réunis  contre  le 
pélagianisme,  on  ne  trouve  pas  cette  distinction  entre 
la  grâce,  quant  à  son  être,  surnaturelle,  et  la  grâce, 
([liant  à  son  être,  naturelle;  ensuite  la  cogitalio  congrua, 
dont  parle  Vasquez,  bien  qu'elle  soit  un  bienfait  de 
Dieu,  ne  peut  pas  s'appeler  grâce,  parce  qu'elle  n'appar- 
tient pas  à  l'ordre  surnaturel;  une  bonne  pensée  natu- 
relle, prévue  et  donnée  par  Dieu,  n'est  pas  une  grâce 
proprement  dite,  au  sens  théologique  du  mut,  alors 
même  qu'elle  devient  l'occasion  d'un  acte  salutaire, 
qui  s'opère  après  la  grâce  proprement  dite.  Cf.  Suarez, 
op.  cit.,  c.  xm,  n.  3  sq.,  p.  436  Pesch,  op.  cit.,  n.  126  ; 
Billot,  De  gratia  Christi,  p.  80. 

L'opinion  de  Vasquez,  que  nous  venons  d'exposer, 
est  intimement  connexe  avec  une  assertion  plus 
générale,  défendue  par  le  même  auteur  :  il  faut  un 
secours  spécial  de  Dieu,  au  sens  expliqué,  pour  tout 
acte  moralement  bon.  Op.  cit.,  disp.  CXC,  c.  xn, 
n.  117  sq.,  p.  462  sq. 

Ripalda,  De  ente  supernalurali,  t.  n,  1.  V,  disp.  CXIV, 
sect.  iv-v,  p.  541  sq.,  réfute  cette  opinion,  en  ce  sens 
que  le  secours  requis  par  Vasquez  ne  peut  pas  s'appeler 
la  grâce  et  n'appartient  pas  à  l'ordre  surnaturel,  ni  â 
l'ordre  des  secours  proprement  salutaires.  Mais  Ri- 
palda, tout  en  admettant  que  la  nature  humaine  est, 
par  ses  propres  forces,  capable  de  faire  des  actes  mora- 
lement bons,  soutient  que  de  fait,  dans  l'ordre  actuel, 
d'après  le  plan  établi  par  Dieu,  aucun  acte  morale- 
ment bon  ne  s'accomplit  sans  qu'il  soit  aussi  surnaturel 


15S 


GRACE 


1584 


et  par  conséquent  l'effet  d'une  grâce  proprement  dite 
et  intrinsèquement  surnaturelle.  Dieu,  dit-il,  en  desti- 
nant la  nature  humaine  à  la  fin  surnaturelle  et  aux 
œuvres  qui  conduisent  vers  elle,  a  décidé  de  toute 
éternité  qu'aucun  elîort  pour  accomplir  un  acte  de 
vertu  ne  serait  accordé,  sans  que  la  volonté  créée  ne 
soit  prévenue  par  un  secours  intrinsèquement  surna- 
turel. Op.  cit.,  sect.  xin,  n.  123,  p.  556.  L'auteur  expose 
et  défend  longuement  cette  thèse.  Op.  cit.,  t.  i,  1.  I, 
disp.  XX,  sect.  n.  Elle  est  liée  chez  lui  à  une  autre 
explication  concernant  la  foi.  Op.  cit.,  t.  iv,  De  virtu- 
tibus,  sect.  xvn.  D'après  Ripalda,  comme  nous  venons 
de  le  voir,  même  chez  les  païens,  tous  les  actes  sont  ou 
bien  mauvais,  ou  bien  surnaturellement  bons.  Dès  lors, 
les  actes  par  lesquels  les  païens  s'efforcent  de  connaître 
Dieu  sont  aussi  surnaturels.  Ces  actes  sont  méritoires 
de  congruo  et  les  païens  peuvent  ainsi  arriver  à  l'amour 
de  Dieu  au-dessus  de  tout;  cet  amour  sera  surnaturel 
et  pourra  ainsi  obtenir  la  justification.  L'homme  serait 
ainsi  justifié  sans  connaître  la  révélation  et  sans  avoir 
la  foi  proprement  dite.  Op.  cit.,  t.  i,  1.  I,  disp.  XX, 
sect.  xii,  xxii,  xxm.  Nous  n'avons  pas  à  réfuter  cette 
opinion  concernant  la  foi.  Voir  Schifïini,  De  virlutibus 
in/usis,  Fribourg-en-Brisgau,  1901,  n.  168  sq.  ;  Pesch, 
op.  cit.,  t.  vin,  De  virlutibus,  1908,  n.  468  sq. 

Mais  l'opinion  de  Ripalda,  concernant  la  nécessité 
de  la  grâce  surnaturelle,  ne  nous  semble  pas  prouvée. 
Nous  ne  trouvons  pas  valides  les  arguments  exposés 
pour  établir  que  Dieu  donnerait  à  chaque  homme  une 
grâce  proprement  dite  chaque  fois  qu'il  doit  poser  un 
acte  moral;  nous  pensons  qu'il  y  a  des  actes  morale- 
ment bons  et  simplement  naturels.  Cf.  Palmieri,  De 
gralia  actuali,p.  254;  Schifnni.De  gralia  divina,  n.  105. 

Mais  nous  considérons  comme  très  probable  le  sen- 
timent du  cardinal  Billot,  De  gratia,  p.  79  sq.,  qui 
n'admet  pas  qu'il  existe  deux  espèces  de  grâces  :  l'une 
naturelle,  quoad  modum,  l'autre  surnaturelle,  quoad 
substantiam;  il  enseigne  que  Dieu,  dans  l'ordre  actuel, 
ne  donne  que  des  grâces  intrinsèquement  surnatu- 
relles, de  façon  que  tous  les  actes  qui  procèdent  d'une 
grâce  sont,  dans  leur  entité,  surnaturalisés.  Cette 
thèse  s'appuie  sur  les  deux  arguments  suivants  :  a)  les 
Pères  et  les  conciles,  en  affirmant  la  nécessité  de  la 
grâce,  ne  parlent  que  d'une  sorte  de  grâce,  la  grâce  de 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  qui  est  la  grâce  que  nous 
devons  au  Christ  en  tant  qu'il  est  notre  rédempteur 
et  sauveur,  c'est  la  grâce  qui  nous  conduit  au  salut; 
or,  la  grâce,  qui  nous  conduit  au  salut,  est  intrinsè- 
quement surnaturelle,  nous  l'exposerons  en  parlant  de 
l'essence  de  la  grâce;  b)  cet  argument  est  confirmé  par 
la  considération  suivante  :  la  grâce  actuelle  est  ordonnée 
à  l'opération.  Si  la  grâce,  que  certains  auteurs  appel- 
lent surnaturelle  quant  au  mode  seulement,  faisait 
partie  de  ce  que  les  conciles  appellent  la  grâce  de  Notrc- 
Seigncur  Jésus-Christ,  il  y  aurait  donc  des  actes 
salutaires,  qui,  dans  leur  entité,  seraient  naturels. 
Mais  comment  admettre  cette  assertion?  Si  l'on  dit 
que  ces  actes  ne  conduisent  pas  positivement  au  salut, 
mais  négativement,  alors  surgit  la  question  :  que  signifie 
conduire  négativement  ?  Ce  conduire  négativement,  par 
exemple,  ne  pas  commettre  un  péché  nouveau,  peut 
obtenir  un  moyen  positif  de  salut,  c'est-à-dire  la  grâce 
intrinsèquement  surnaturelle,  ou  il  ne  le  peut  pas.  S'il 
ne  le  peut  pas,  il  ne  conduit  donc  pas  au  salut,  et  l'on 
devrait  conclure  que  la  grâce  du  Christ  ne  conduit  pas 
;;u  salut.  Si,  au  contraire,  il  le  peut,  il  faudra  admettre 
qu'un  acte,  naturel  quant  à  sa  substance,  est  le  com- 
mencement de  la  vie  éternelle.  Cette  conclusion  ne 
semble  pas  conciliable  avec  les  données  de  la  foi. 

c)  Dans  l'état  actuel  de  l'humanité,  l'homme  (dans  les 
conditions  ordinaires  et  normales)  est  incapable,  sans 
le  secours  de  la  grâce,  d'observer  tous  les  préceptes  de  la 
loi,  mi  d'éviter  tout  péché  mortel.  —  Cette  thèse  appar- 


tient à  la  doctrine  catholique,  mais  quant  à  la  note 
théologique  qu'il  faut  lui  assigner,  le  cardinal  Billot 
fait  une  remarque  importante,  De  gralia  Chrisli, 
p.  69  sq.  :  certains  théologiens  distinguent  les  préceptes 
de  la  seuie  loi  naturelle  et  les  préceptes  ajoutés  par  la 
loi  de  la  grâce  (par  exemple,  le  précepte  de  croire,  de 
recevoir  les  sacrements),  et  établissent  une  différence 
entre  ces  deux  catégories  de  préceptes  au  point  de  vue 
de  la  nécessité  morale  de  la  grâce.  Cette  distinction 
semble  tirer  son  origine  de  l'opinion  d'après  laquelle 
les  actes  surnaturels,  comme  tels,  auraient  un  objet 
formel  différent  ;  il  s'en  suivrait  que  ces  actes  seraient 
surnaturels  quant  à  la  substance  même  de  l'opération, 
et  que,  par  conséquent,  l'homme  serait  physiquement 
incapable,  sans  le  secours  de  la  grâce,  d'accomplir  les 
œuvres  prescrites  par  la  loi  de  la  grâce.  Dès  lors,  la 
question  de  la  nécessité  monde  de  la  grâce  a  été  res- 
treinte à  l'accomplissement  de  la  seule  loi  naturelle. 
Mais,  dans  les  documents  ecclésiastiques,  on  ne  trouve 
pas  de  définition  explicite  concernant  la  nécessité 
morale  de  la  grâce  pour  l'observation  des  préceptes  de 
la  seule  loi  naturelle;  d'où  les  théologiens  concluent 
que  cette  thèse  est  au  moins  théologiquement  certaine. 
Mais  si  on  n'adhère  pas  à  l'opinion,  qui  assigne  un 
objet  formel  spécifiquement  différent  aux  actes  surna- 
turels comme  tels  —  et  il  semble  bien  que  cette  opinion 
doive  être  rejetée  —  il  n'y  a  plus  de  raison  de  limiter 
la  nécessité  morale  de  la  grâce  à  l'observation  de  la 
seule  loi  naturelle.  Les  déclarations  de  l'Église  faites 
au  temps  de  la  controverse  pélagienne  ne  contiennent 
pas  la  distinction  susdite,  et  affirment,  sans  restric- 
tion, la  nécessité  de  la  grâce  pour  que  l'homme  puisse 
observer  la  loi  et  éviter  le  péché.  En  ce  sens,  la  propo- 
sition est  de  foi. 

Néanmoins,  l'assertion  restreinte  à  l'observation  de 
la  seule  loi  naturelle  est  vraie,  et  elle  se  déduit  des 
arguments   que  nous  indiquerons. 

Les  théologiens,  qui  considèrent  uniquement  l'inca- 
pacité morale  de  l'homme  à  observer  la  loi  naturelle, 
ajoutent  d'ordinaire,  dans  l'énoncé  de  leur  thèse,  les 
mots  :  du  moins  pendant  un  temps  considérable.  On  ne 
peut  pas  préciser  cette  durée,  mais  il  est  certain  que  la 
difficulté  d'éviter  tout  péché  mortel  devient  plus  forte 
avec  le  temps  ;  pour  l'homme,  privé  du  secours  de  la 
grâce,  la  lutte  contre  les  tentations  devient  plus  pénible, 
quand  elle  se  prolonge,  la  probabilité  d'être  sujet  à  des 
tentations  particulièrement  difficiles  à  vaincre  aug- 
mente, la  persévérance  exige  des  efforts  continus,  une 
vigueur  d'âme  croissante. 

Enfin,  pour  nous  rendre  pleinement  compte  du  sens 
de  la  thèse,  il  faut  observer  que,  d'après  le  cardinal 
Billot  et  d'autres  auteurs,  il  s'agit  ici  de  l'homme  qui 
connaît  toute  la  loi;  on  fait  donc  abstraction  de  ceux 
qui  ne  connaissent  que  les  tout  premiers  principes  de 
la  loi  naturelle,  comme  il  en  est  beaucoup,  semble-t-il, 
parmi  les  peuples  non  civilisés.  Cf.  card.  Billot,  De 
gratia  Christi,  p.  68. 

Pour  démontrer  la  thèse,  l'argument  principal  est 
tiré  de  l'Épître  de  saint  Paul  aux  Romains,  vu,  7- 
vm,  2.  Nous  supposons  admis  que  le  moi,  dont  saint 
Paul  décrit  la  misère  morale,  représente  l'homme  aux 
prises  avec  la  concupiscence  sous  le  régime  de  la  loi  et 
succombant  dans  cette  lutte  inégale.  Cf.  Tobac,  Le 
problème  de  la  justification  dans  saint  Paul,  Louvain, 
1908,  p.  102  sq.  ;  Prat,  La  théologie  de  saint  Paul,  Paris, 
1908,  t.  i,  p.  316  sq.  Voici  donc  renseignement  de 
saint  Paul  :  la  loi  mosaïque,  bien  qu'elle  soit  bonne  en 
elle-même,  est  devenue  occasion  de  péché  et  de  mort; 
le  juif,  constitué  sous  ce  régime  comme  tel,  est  l'esclave 
du  péché,  vendu  au  péché;  la  raison  de  cette  captivité 
est  la  concupiscence,  d'où  résulte  la  lutte,  décrite  par 
saint  Paul,  qui  a  pour  issue  la  défaite  de  l'homme  et  sa 
captivité;  c'est  seulement  par  la  grâce  du  Christ  que  le 


1585 


GRACE 


158(1 


juif  est  délivré  de  cette  misérable  situation  morale  et 
devient  capable  de  réaliser  la  vertu  à  laquelle  il  ne 
pouvait  atteindre  sous  le  régime  de  la  loi  mosaïque. 

Cette  doctrine  nous  amène  à  faire  le  raisonnement 
suivant  :  si  le  juif,  constitué  sous  le  régime  de  la  loi 
mosaïque,  ne  peut  pas  échapper  au  péché  mortel,  et 
cela  par  suite  de  la  concupiscence,  le  païen,  et  tout 
homme  qui  n'est  pas  régénéré  dans  le  Christ,  ne  pourra 
pas  non  plus,  et  pour  la  même  raison,  éviter  pendant 
longtemps  tout  péché  mortel;  le  secours  de  la  grâce  est 
donc  nécessaire,  dans  l'état  actuel  de  l'humanité, 
pour  que  l'homme  puisse  observer  toute  la  loi  ou 
éviter  tout  péché  mortel. 

Si  nous  considérons,  en  outre,  la  raison  de  cette 
infirmité,  c'est-à-dire  la  concupiscence,  et  l'obstacle 
qu'elle  met  à  l'observation  de  la  loi  naturelle,  si,  de 
plus,  nous  considérons  ce  que  l'expérience  nous  apprend 
sur  la  difficulté  d'accomplir  tout  ce  qui  est  commandé 
par  cette  loi,  nous  pouvons  conclure  que  la  doctrine 
générale  de  l'apôtre  s'applique  aussi  en  particulier  à 
l'observation  de  la  seule  loi  naturelle,  que,  par  consé- 
quent, l'homme  est  incapable,  sans  le  secours  de  la 
grâce,  d'observer  tous  les  préceptes  de  la  loi  naturelle, 
même  quant  à  la  seule  substance  des  actes,  et  d'éviter 
tout  péché  mortel. 

Cette  même  explication  vaut  pour,  les  documents 
ecclésiastiques  et  la  doctrine  des  Pères.  Parmi  ceux-ci, 
il  faut  citer  surtout  saint  Augustin,  De  spiritu  et  littera, 
c.  iv,  n.  6;  c.  xix,  n.  32,  P.  L.,  t.  xliy,  col.  203,  220; 
Opus  imperjedum  centra  Julianum,  1.  I,  n.  85  sq., 
P.  L.,  t.  nia,  col.  1105  sq.  Cf.  les  canons  3-5  du  concile 
de  Carthage,  Denzinger-Bannwart,  n.  103-105.  Remar- 
quons que  ces  documents  exigent  la  grâce  pour  l'ac- 
complissement même  des  préceptes  et  ne  limitent  pas 
explicitement  cette  exigence  à  l'accomplissement  salu- 
taire de  la  loi. 

Saint  Thomas,  Sum.  Iheol.,  P  IV,  q.  cix,  a.  2,  4, 
expose  la  nécessité  de  la  grâce,  a.  D'abord,  la  grâce 
est  nécessaire  pour  que  l'homme  puisse  accomplir  toutes 
ses  obligations  et  éviter  tout  péché  :  c'est  la  nécessité 
morale  delà  grâce.  Cette  nécessité  n'existait  pas  avant 
le  péché  d'Adam,  car  alors  l'homme  était  dans  l'état 
d'intégrité  de  nature  (sur  cet  état  d'intégrité,  voir 
Collationes  Brugenses,  1913,  t.  xviii,  p.  356,  434, 
492);  dans  cet  état,  l'homme  n'éprouvait  aucune 
difficulté  à  accomplir  tous  ses  devoirs  et  il  avait,  en 
lui,  la  vigueur  suffisante  pour  éviter  tout  péché;  dans 
cet  état,  la  grâce  n'était  pas  nécessaire  à  l'observation 
de  la  loi,  quant  à  la  substance  des  actes;  mais  la  grâce 
était  alors  requise  pour  surnaturaliser  la  substance  des 
actes,  ou,  comme  l'on  dit,  pour  l'observation  de  la  loi, 
quant  au  mode  d'agir.  Après  la  chute  d'Adam,  l'homme 
a  perdu  l'état  d'intégrité,  sa  nature  est  devenue  infirme, 
viciée,  il  est  sujet  à  une  lutte  pénible  entre  l'esprit  et 
la  chair,  il  n'a  plus  la  vigueur  requise  pour  résister 
aux  tentations,  et,  par  conséquent,  pour  accomplir 
toujours  ce  qui  lui  est  prescrit  :  la  grâce  est  nécessaire 
maintenant  comme  remède  à  cet  étal  maladif,  elle  est 
requise  pour  guérir  la  nature  :  c'est  la  gratia  sanans. 
b.  De  plus,  la  grâce  est  encore  requise  pour  surnatura- 
liser les  actions  des  hommes;  en  tant  que  la  grâce 
produit  cet  effet,  elle  est  la  gratia  elevans;  à  ce  titre, 
elle  est  requise  de  nécessité  physique,  car  aucune  faculté 
opérative  n'est  capable  de  produire  par  elle-même  un 
acte  intrinsèquement  surnaturel. 

3.  La  thèse  de  la  | nécessité  morale  de  la  grâce 
a  suscité  différentes  questions,  qu'il  nous  faut  indi- 
quer. 

a)  D'abord,  la  grâce  est-elle  nécessaire  à  l'homme 
pour  aimer  Dieu  par-dessus  toutes  choses  ?  Il  ne  s'agit 
point  de  la  charité  essentiellement  surnaturelle,  mais 
d'un  amour  naturel.  Nous  venons  de  démontrer  que 
l'amour  parfait  effectif,  qui  consiste  dans  l'observation 


intégrale  de  la  loi  divine,  n'est  pas  possible  sans  la 
grâce.  Il  s'agit  donc  de  l'amour  affectif,  c'est-à-dire 
d'un  acte  intérieur  de  bienveillance  et  de  complai- 
sance envers  Dieu,  non  point  une  simple  velléité,  non 
point  un  désir  vague  et  conditionnel,  mais  un  acte 
d'attachement  explicite  si  sincère  que  l'on  préfère  le 
créateur  à  toutes  choses.  Voir  Charité,  t.  n,  col.  2234. 

Cet  acte,  car  il  s'agit  d'un  acte,  et  non  d'un  habilus 
acquis,  peut-il  être  le  produit  de  nos  énergies  naturel- 
les? Suarez,  De  gratia,  1.  I,  c.  xxxm,  Opéra,  t.  vu, 
p.  549  sq.  ;  Bellarmin,  De  gratia  el  libero  arbitrio, 
1.  VI,  c.  vu,  De  conlroversiis,  t.  iv,  p.  381;  Sylvius, 

In  I II',  q.  cix,  a.  3,  concl.  6»,  Anvers,  1696, p.  0  11  : 

Billuart,  De  gratia,  diss.  III,  a.  I,  Summa,  Paris,  s.  d., 
t.  in,  p.  87  ;  Hugon,  Hors  de  V  Église  point  de  salut,  Paris, 
1907,  p.  148  sq.,  adoptent  l'opinion  négative;  l'opinion 
affirmative  est  défendue  par  beaucoup  de  théologiens, 
parmi  lesquels  Cajétan,  In  7anl  //'',  q.  cix,  a.  3;  Soto, 
De  nalura  et  gratia,  1.  I,  c.  xxii,  Paris,  1549,  fol.  90  b; 
Molina,  Concordia,  q.  xiv,  a.  13,  disp.  XIV,  m.  m; 
Mazzella,  Ds  gratia  Christi,  Rome,  1892,  n.  417  sq.  ; 
Huiler,  Compendium  theologiœ  dogmaticœ,  t.  ni,  n.  66; 
Pesch,  op.  cit.,  n.  128.  Billot,  De  gratia  Christi,  p.  68, 
ne  tranche  pas  la  question. 

Nous  adhérons  à  l'opinion  qui  admet  la  capacité 
naturelle  de  l'homme  à  faire,  même  dans  l'état  actuel 
de  la  nature  déchue,  un  acte  d'amour  parfait  naturel  à 
l'égard  de  Dieu,  mais  avec  une  restriction  cependant; 
nous  ne  parlons  pas  de  l'adulte  qui  déjà  a  commis 
personnellement  le  péché  mortel  et  est  demeuré  dans 
cet  état.  Nous  considérons  l'adulte  qui  n'a  pas  encore 
commis  un  péché  mortel  personnel.  On  ne  peut  pas 
nier  que  l'homme  ait  la  capacité  physique  de  produire 
un  acte  d'amour  parfait  envers  Dieu,  puisque  cet  acte 
rentre  dans  l'objet  du  premier  précepte  de  la  loi 
naturelle,  et  que  la  nature  humaine  n'a  pas  été  radi- 
calement déformée  par  le  péché  originel;  de  plus, 
l'homme  ne  subit  pas  constamment  l'assaut  de  tenta- 
tions graves,  et  quand  il  pense  explicitement  qu'il  est 
obligé  à  observer  tous  les  commandements  de  Dieu,  il 
peut  vouloir  sincèrement  éviter  tous  les  péchés  mortels, 
vouloir  résister  à  toutes  les  tentations,  vouloir  s'im- 
poser les  sacrifices  exigés  par  là  ;  il  peut  donc  avoir 
aussi,  au  moins  de  temps  en  temps,  la  capacité  morale 
de  faire  l'acte  d'amour  dont  il  s'agit.  Soto,  op.  cit., 
fol.  91  b,  exprime  la  thèse,  que  nous  défendons,  en  ces 
termes  :  Aclus  ilte  singularis  quo  objective...  Deus  dili- 
gilur,  habere  quis  polesl  extra  gratiam,  imo  extra  fidem. 
Potest  enim  quis  naluraliler  illam  habere  animi  affe- 
ctionem,  quœ  est  :  Volo  Deo  in  omnibus  el  per  omnia 
placerc.  Le  même  auteur  déduit  de  cette  thèse  le  corol- 
laire suivant,  digne  d'attention  :  «  Dans  l'homme 
justifié,  il  n'y  a  aucun  acte  dont  le  semblable,  quant  à 
la  substance  de  l'acte,  ne  puisse  se  trouver  dans 
l'homme  qui  n'a  pas  la  grâce.  •<  Op.  cit.,  fol.  92. 

Le  P.  Hugon,  op.  cil.,  p.  150,  propose  contre  cette 
thèse  l'argument  suivant  :  une  faculté  malade  et 
blessée  n'arrivera  jamais  à  l'acte  parfait  de  la  nature 
saine;  or  l'acte  d'amour  de  Dieu  par-dessus  toutes 
choses  est  l'acte  le  plus  noble  de  la  volonté  saine;  donc 
dans  l'état  actuel  de  la  nature  déchue  et  malade,  la 
volonté  n'arrivera  jamais  à  faire  l'acte  d'amour  parfait 
envers  Dieu. 

Nous  répondrons  que  la  majeure  est  vraie  quand  il 
s'agit  d'une  faculté,  qui  agit  nécessairement  et  est 
intrinsèquement  déformée,  mais  on  ne  peut  pas 
l'affirmer  quand  il  s'agit  d'une  faculté  qui  est  libre  et 
n'est  pas  intrinsèquement  déformée.  Il  s'agit  ici  notam- 
ment de  la  volonté;  or  cette  faculté  n'est  pas  intrinsè- 
quement déformée  par  suite  du  péché  originel;  elle 
est  capable  de  vouloir  tout  bien  qui  lui  est  présenté 
par  l'intelligence;  or  l'intelligence  peut  naturellement 
connaître  que   Dieu  est  en  lui-même  le  bien  infini, 


1587 


GRACE 


1588 


qu'il  doit  être  aimé  par-dessus  toute  chose,  que  l'on 
doit  renoncer  à  tout  ce  qui  n'est  pas  conforme  à  sa 
volonté;  dés  lors  la  volonté  est  physiquement  capable 
de  produire  cet  acte  d'amour.  Ce  que  l'on  appelle  la 
vulnrratio  naturse  est  la  rupture  de  l'harmonie  qui 
existait  entre  les  différentes  facultés  de  l'homme,  cf. 
S.  Thomas,  Sum.  theoi,  P  IF,  q.  lxxxv,  a.  3;  la 
volonté,  il  est  vrai,  éprouve  de  la  difficulté  à  vouloir 
le  bien,  mais  cette  difficulté  n'est  pas  toujours  actuelle 
et  ne  s'oppose  pas  à  un  acte  particulier  de  vertu  ;  nous 
ne  voyons  pas  comment  elle  s'opposerait  toujours  à 
l'acte  d'amour  parfait. 

Nous  ne  pouvons  pas  admettre  non  plus  cette  autre 
considération  :  <■  Si  l'homme  ne  réalise  jamais  et  ne 
peut  même  pas  réaliser  sans  la  grâce  son  intention  de 
plaire  toujours  à  Dieu,  et  de  ne  jamais  l'offenser,  c'est 
une  preuve  que  ce  ferme  propos  n'existe  pas  sans  la 
grâce.  »  Hugon,  op.  cit.,  p.  150.  D'abord,  l'homme  peut 
ignorer  qu  il  ne  peut  pas,  sans  la  grâce,  éviter  tout 
péché  mortel,  et  penser  qu'il  a  assez  d'énergie  pour 
résister  toujours  aux  tentations.  De  plus,  un  homme 
peut  sincèrement  faire  un  propos,  que  plus  tard,  par 
faiblesse,  il  n'exécute  pas.  Sylvius,  loc.  cit.,  fait  juste- 
ment observer  que,  pour  que  l'acte  d'amour  de  Dieu  par- 
dessus tout  et  le  propos  absolu  d'observer  tous  les 
commandements  soit  considéré  comme  ferme,  il  n'est 
pas  requis  que  l'homme  évite  de  faire  tout  péché  mortel 
pendant  sa  vie;  on  peut  avoir  un  acte  sincère  et  parfait 
d'amour,  qui  cependant  ne  fasse  éviter  tout  péché 
mortel  que  pendant  un  certain  temps. 

Enfin  si  l'homme  fait  naturellement  un  acte  d'amour 
parfait,  cet  acte  ne  le  justifie  pas,  précisément  parce 
qu'il  est  naturel;  il  n'y  a  en  cela  aucune  difficulté 
spéciale,  nous  semble-t-il  :  il  n'est  pas  démontré  que 
l'homme  ne  puisse  pas,  pendant  un  certain  temps, 
avant  la  justification,  rester  exempt  de  tout  péché 
mortel  personnel,  pourquoi  lui  serait-il  moralement 
impossible  de  faire  un  acte  d'amour  parfait  naturel, 
tout  en  étant  encore  dans  l'état  où  l'a  mis  le  péché 
originel?  Sylvius,  loc.  cit.,  soutient  qu'il  faut  une  grâce 
pour  l'acte  d'amour  parfait,  mais  admet  qu'une  grâce 
actuelle  suffit.  Si  l'on  dit  que  Dieu,  dans  l'ordre  actuel, 
ne  permettra  jamais  que  l'homme  fasse  un  acte  d'amour 
parfait  purement  naturel,  on  ne  prouve  pas  par  là  que 
cet  acte  est  moralement  impossible  à  l'homme  :  la  néces- 
sité de  la  grâce  requise,  dans  cette  hypothèse,  serait 
d  un  ordre  différent  que  celui  de  la  nécessité  morale 
de  la  grâce. 

Quant  à  l'opinion  de  saint  Thomas,  Sum.  theol., 
F  IF\  q.  cix,  a.  3,  elle  n'est  pas  facile  à  saisir  parce 
qu'il  n'explique  pas  ce  qu'il  entend  par  diligere  Deum 
super  omnia  :  s'agit-il  d'un  simple  acte  transitoire 
d'amour  parfait  ou  bien  d'un  acte  d'amour  qui  oriente 
tellement  la  volonté  vers  Dieu  et  rend  cette  orienta- 
tion si  ferme  que  l'homme  en  devient  capable  d'éviter 
tous  les  péchés,  môme  véniels?  Nous  pensons  qu'il 
s'agit  de  cette  dernière  disposition  :  c'est  ainsi  que 
l'interprète  Cajétan.  In  /•'""  //■'',  q.  cix,  a.  3.  S'il  en  est 
ainsi,  saint  Thomas  enseignerait  donc  ceci  :  l'homme, 
dans  l'état  de  nature  déchue,  ne  peut  aimer  Dieu 
efficacement  de  façon  à  éviter  tout  péché,  sans  le 
secours  de  la  grâce,  mais  il  peut  faire  par  ses  seules 
forces  naturelles  un  acte  d'amour  parfait  transitoire, 
correspondant  à  sa  nature. 

C'est  bien  cela  que  saint  Thomas  avait  admis,  In 
IV  Sent.,  1.  II,  dist.  XXVIII,  a.  3,  ad  2"m,  où  il  met 
au  même  rang,  quant  à  ce  qui  nous  occupe  l'acte  de 
charité  et  celui  des  autres  vertus  :  Sicut  aliarum  vir- 
lulum  actus  dupliciter  considerari  possunl,  vcl  secundum 
quod  sunl  a  virtule,  vel  secundum  quod  antecedunt  vir- 
lutem;  ita  eliam  est  de  caritate;  potesl  enim  aliquis,  ctiam 
curitatem  non  habens,  diligere  proximum  et  Deum, 
eliam  super  omnia,  ut  quidam  dicunl;  et  hoc  diligere 


inti  lliyitur  actus  caritatis  sub  preecepto  directe  cadere, 
et  non  solum  secundum  quod  a  caritate  procedil. 

Quant  à  la  suite  logique  des  idées  de  saint  Thomas 
dans  la  question  citée  de  la  Somme,  voici  comment 
nous  la  comprenons  :  à  l'art.  3,  il  a  donc  enseigné 
que  l'homme,  dans  l'état  actuel  de  nature  déchue, 
peut,  par  ses  seules  forces  naturelles,  poser  l'acte 
(quoad  substantiam  actus)  commandé  par  le  premier 
précepte,  mais  qu'il  ne  peut  pas  accomplir  complète- 
ment ce  commandement,  parce  qu'il  ne  peut  pas  éviter 
tout  péché  et  que  tout  péché  est  contraire  au  premier 
précepte,  étant  contraire  à  l'amour  de  Dieu.  Ensuite 
saint  Thomas,  à  l'art.  4,  se  demande  d'une  manière 
générale  si  l'homme  peut,  par  ses  seules  forces  natu- 
relles, accomplir  les  préceptes  de  la  loi,  c'est-à-dire 
tous  les  préceptes.  Il  répond  que  l'homme,  clans  l'état 
de  nature  déchue,  laissé  à  ses  seules  énergies  natu- 
relles, ne  peut  observer  tous  les  préceptes,  même 
1  seulement  quant  à  la  substance  des  œuvres  com- 
mandées :  le  sens  est  que  l'homme,  dans  l'état  de 
natuie  déchue,  livré  à  ses  seules  forces  naturelles,  ne 
peut  pas,  au  moins  pendant  un  temps  considérable, 
éviter  tout  péché  mortel.  Ceci  est  confirmé  à  l'art.  8,  où 
saint  Thomas  enseigne,  en  outre,  que  l'homme,  dans 
l'état  de  nature  déchue,  s'il  a  déjà  commis  un  péché 
mortel,  ne  peut  pas,  sans  le  secours  de  la  grâce,  s'abs- 
tenir longtemps  de  tomber  dans  de  nouveaux  péchés 
mortels. 

b)  Ces  assertions  définissent  l'impuissance  morale 
à  faire  le  bien,  à  laquelle  l'homme  est  sujet  dans  l'état 
de  nature  déchue.  Une  autre  question  se  pose  main- 
tenant :  quel  est  le  secours  requis  pour  remédier  à  celle 
infirmité  ? 

Cette  infirmité  consiste,  en  réalité,  dans  la  difficulté 
à  faire  le  bien;  cette  difficulté  provient,  d'une  part,  du 
désordre  de  la  concupiscence,  en  vertu  duquel  surgis- 
sent des  excitations  à  des  actes  mauvais,  et,  d'autre 
part,  du  manque  de  vigueur  mentale  (intellectuelle  et 
volontaire),  d'où  il  résulte  que  l'homme  cède  aux 
impulsions  désordonnées  et  donne  librement  son  con- 
sentement à  un  objet  moralement  mauvais.  Pour 
remédier  à  cela,  quand  il  s'agit  de  la  seule  loi  naturelle, 
il  suffirait  que  Dieu  donne  des  secours  naturels  et 
transitoires;  qu'il  suscite,  par  exemple,  des  pensées 
qui  éclairent  vivement  l'intelligence  sur  le  bien  à  faire 
ou  le  mal  à  éviter,  qu'il  suscite  des  affections  puissantes 
vers  le  bien,  des  aversions  fortes  vers  le  mal.  Ces 
secours  seraient  donc,  quant  à  leur  entité,  naturels. 
Par  conséquent,  à  ne  considérer  que  ce  qui  est  requis 
ex  natura  rei  à  l'accomplissement  de  la  seule  loi  natu- 
relle, on  doit  conclure  qu'il  suffirait  d'avoir  des  secours 
qui  en  eux-mêmes  sont  d'ordre  naturel  :  je  crois  que 
les  théologiens  sont  d'accord  sur  ce  point. 

Mais  si  l'on  pose  la  question  de  fait,  si  l'on  demande  : 
Dieu,  dans  l'ordre  actuel  de  la  providence,  accorde-t-il 
des  secours  entitativement  surnaturels  pour  l'obser- 
vation de  la  loi  naturelle  ?  la  réponse  des  auteurs  n'est 
plus  unanime.  Remarquons  d'abord  qu'il  ne  s'agit  pas 
ici  de  dons  purement  naturels  qui,  au  moyen  de  la 
grâce  surnaturelle,  peuvent  contribuer  à  l'exercics  de 
la  perfection,  ou  bien  peuvent  y  contribuer,  comme  on 
dit,  négativement  ou  removendo  prohibais:  telles  sont,  par 
exemple,  une  intelligence  puissante  et  bien  formée,  une 
volonté  énergique, une  heureuse  complexion  corporelle; 
nous  ne  parlons  pas  non  plus  des  dons  externes,  par 
exemple,  les  bons  exemples,  la  prédication  de  l'Évan- 
gile. La  distinction  qui  nous  occupe  concerne  les 
grâces  actuelles  internes.  Les  grâces  actuelles  surnatu- 
relles quoad  substantiam  sont  des  motions  dont  l'en- 
tité même  est  surnaturelle,  et  les  grâces  actuelles  sur- 
naturelles quoad  modum  tantum  sont  des  motions 
dont  l'entité  est  naturelle,  mais  qui  sont  données,  ou 
bien  comme  par  miracle,  ou  bien  qui  sont  positivement 


1589 


GRACE 


1590 


ordonnées  par  Dieu  à  des  grâces  ultérieures,  surnatu- 
relles quoad  substanliam.  Sur  cette  notion  de  la  grâce 
naturelle  quoad  inodum  tanlum,  voir  Suarez,  op.  cit., 
1.  I,  c.  xxiv,  n.  20  sq.,  p.  495  sq.;  Ripalda,  op.  cit., 
1.   I,  disp.   I,  sect.  iv,  p.  5  sq. 

Certains  théologiens  posent  la  question  d'une  ma- 
nière générale  :  quel  secours  est  requis  à  l'observation 
de  la  lui  naturelle?  Les  uns  répondent  :  il  faut  la  grâce 
surnaturelle  quoad  substanliam,  ainsi  répond  la  Theo- 
logia  Wirceburgensis,  Paris,  1853,  t.  iv,  n.  313,  p.  315; 
d'autres  répondent  :  il  suffît  de  la  grâce  surnaturelle 
quoad  modum,  ainsi  Mazzella,  op.  cit.,  n.  384,  390, 
p.  258,  265. 

Mais  il  est  nécessaire  de  distinguer  ici  diverses 
questions.  D'abord,  la  grâce  sanctifiante  est-elle,  de  fait, 
requise  à  l'observation  de  toute  la  loi  naturelle,  pro- 
longée pendant  un  temps  considérable  ?  Saint  Thomas 
répond  affirmativement,  Sum.  Iheol.,  l"  IV,  q  cix, 
a  8;  et  après  lui  Cajétan,  In  /""  77",  q.  cix,  a.  8; 
Suarez,  op.  cit.,  1.  I,  c.  xxvn,  n.  3  sq.,  p.  511,  qui 
remarque  :  cette  opinion  est  celle  que  défendent  main- 
tenant le  plus  grand  nombre  de  théologiens  ;  Gotti, 
Theologia  scholastico-dogmatica,  Venise,  1750,  t  il, 
tr.  VI,  dub.  vu,  n.  31,  p.  313;  Hugon,  op.  cit.,  p.  133 sq.; 
Schiffîni,  73c  gratia,  n.  98;  Billot,-  De  gralia,  p.  101  sq. 
Ce  sentiment  est  solidement  étayé  par  les  arguments 
suivants  :  a.  la  doctrine  de  saint  Paul,  Rom.,  vu, 
24-vin,  2,  établit  ce  qui  suit  :  l'homme  sous  le  régime 
de  la  loi  mosaïque,  comme  tel,  ne  peut  pas  éviter  le 
péché  mortel;  pour  être  délivré  de  cet  état,  l'homme  a 
besoin  de  la  grâce  du  Christ.  La  grâce,  dont  il  est  ici 
question,  semble  bien  être  celle  qui  constitue  pour 
l'homme  un  état  différent,  l'état  de  l'homme  justifié; 
c'est  donc  la  grâce  justifiante  qui  est  exigée,  b.  Les 
conciles  semblent  parler  dans  le  même  sens  :  le  concile 
de  Carthage  de  418  exige  la  grâce  de  la  justification  pour 
que  l'homme  puisse  accomplir  les  commandements  de 
Dieu,  can.  5,  Denzinger,  n.  105;  le  concile  d'Orange  de 
529  enseigne  que  le  libre  arbitre,  affaibli  dans  le  premier 
homme,  ne  peut  être  guéri  que  par  la  grâce  du  baptême, 
can.  13.  Denzinger,  n.  180.  La  raison  qu'indiquent  ces 
conciles  pour  expliquer  la  nécessité  de  la  grâce  est  l'infir- 
mité de  l'homme  déchu,  c'est  1  impuissance  morale  à 
faire  le  bien  et  cette  impuissance,  comme  nous  l'avons 
dit  plus  haut,  s'étend  à  l'observation  continue  de  la 
seule  loi  naturelle,  c.  Le  sentiment  est  corroboré  par  un 
argument  de  raison  théologique  :  pour  que  l'homme 
soit  capable  d'éviter,  pendant  longtemps,  le  péché  mor- 
tel, il  faut  que  sa  volonté  soit  orientée  habituellement  et 
fermement  vers  le  bien  moral,  qu'elle  soit  donc  animée 
d'un  amour  constant  pour  Dieu,  ou  bien  soutenue  par  la 
crainte  habituelle  des  peines  dues  au  péché  ou  par 
l'espoir  des  biens  promis  par  l'exercice  de  la  vertu;  or, 
dans  l'ordre  actuel  de  la  providence,  c'est  la  grâce 
sanctifiante  avec  les  dons  connexes  qui  sont  le  moyen 
établi  par  Dieu  pour  obtenir  cet  état  que  nous  avons 
décrit. 

De  ce  que  nous  venons  d'exposer  on  conclura  que 
l'observation  continue  des  préceptes  divins  exige, 
avec  la  grâce  sanctifiante,  la  foi  et  la  charité  surna- 
turelle. Cf.  Suarez,  loc.  cit.,  n.  14-21. 

Vasquez,  op.  cit.,  disp.  CXCVI,  c.  ni,  p.  524,  émel 
une  opinion  singulière  :  il  n'admet  pas  la  nécessité 
morale  de  la  grâce  sanctifiante  en  ce  sens  que  l'homme 
en  a  besoin  pour  être  délivré  de  son  infirmité  à  l'égard 
du  bien  ;  mais,  dit-il,  si  l'homme  observe  de  fait  la  loi 
naturelle,  avec  le  secours  de  la  grâce  actuelle,  il  se  fera 
qu'il  obtiendra  de  Dieu  l'esprit  de  pénitence  et  de 
componction,  et  sera  ainsi  justifié.  Donc  l'observation 
durable  de  la  loi  naturelle  ne  se  réalisera  pas  de  fait, 
sans  que  l'homme  ait  la  grâce  sanctifiante.  Cette 
assertion  ne  résout  pas  la  question  qui  nous  occupe  et 
qui  concerne  la  nécessité  morale  de  la  grâce. 


Avec  la  grâce  sanctifiante  sont  requises  aussi  des 
grâces  actuelles,  nous  l'exposerons  plus  loin.  C'est  au 
sujet  de  ces  grâces  actuelles  que  Suarez  se  demande 
si  elles  sont  toutes  surnaturelles  quoad  subslanliam,  ou 
s'il  y  en  a  aussi  qui  ne  sont  surnaturelles  que  quoad 
modum  :  il  admet  l'existence  de  ces  dernières,  loc.  cit., 
n.  22-24;  Gotti  est  du  même  avis,  loc.  cit.,  n.  38, 
p.  314.  Mais  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  nous 
estimons  bien  plus  probable  l'opinion  qui  soutient 
que  toutes  les  grâces  actuelles,  que  Dieu  accorde,  sont 
surnaturelles  quoad  substanliam.  Cf.  Billot,  De  gratin, 
p.  79  sq. 

Saint  Thomas,  De  vcrilale,  q.  xxiv,  a.  12;  Sum. 
Iheol,  P  IP',  q.  cix,  a.  8,  examine  la  question  de 
l'homme  qui  a  déjà  commis  le  péché  mortel  :  il  montre 
qu'il  y  a  pour  lui  une  raison  spéciale  qui  requiert  la 
grâce  sanctifiante;  en  effet,  l'adhésion  à  une  créature, 
comme  à  une  fin  dernière,  constitue  une  disposition 
positive  à  des  péchés  nouveaux;  il  faut  la  grâce  sancti- 
fiante avec  la  charité  pour  enlever  cette  inclination 
perverse,  et  orienter  fixement  le  cœur  de  l'homme  vers 
Dieu. 

4.  Objections.  —  La  doctrine  concernant  la  nécessité 
morale  de  la  grâce  a  fait  surgir  quelques  objections 
dont  il  nous  reste  à  parler. 

La  première  concerne  la  liberté.  Ce  qui  est  nécessaire 
n'est  pas  libre;  or  la  transgression  de  la  loi  naturelle  est, 
d'après  ce  que  nous  avons  exposé,  nécessaire  pour 
l'homme  déchu;  donc  cette  transgression  n'est  pas 
libre,  et,  par  conséquent,  ne  constitue  pas  un  péché 
formel.  La  difficulté  trouve  sa  solution  dans  la  dis- 
tinction entre  nécessité  physique  et  nécessité  morale  : 
ce  qui  est  nécessaire  de  nécessité  physique  n'est  pas 
libre,  c'est  vrai;  ce  qui  est  nécessaire  de  nécessité 
morale,  s'il  s'agit  d'une  nécessité  morale  concernant 
certains  actes  en  particulier,  pourrait  n'être  pas  libre 
de  cette  liberté  suffisante  au  péché;  mais  ce  qui  est 
nécessaire  d'une  nécessité  morale  indéterminée,  n'affec- 
tant aucun  acte  en  particulier,  cela  peut  être  parfaite- 
ment libre.  La  nécessité  morale  de  pécher,  dont  nous 
avons  parlé,  est  une  nécessité  indéterminée;  nous 
disons  que  l'homme  ne  peut  pas  éviter  tous  les  péchés, 
mais  qu'il  garde  sa  liberté  physique  vis-à-vis  de  l'obser- 
vation de  chacun  de  ses  devoirs.  Saint  Thomas  exprime 
cette  assertion  en  ces  termes  :  L'homme...,  avant 
d'être  réparé  par  la  grâce  justifiante,  peut  éviter 
chaque  péché  mortel  (polesl  singula  peccala  mortalia 
vilarc)  et  les  éviter  tous  pendant  un  certain  temps...; 
mais  il  ne  peut  se  faire  qu'il  reste  longtemps  sans 
commettre  un  péché  mortel.  Sum.  Iheol.,  P  IP 
q.  cix,  a.  8.  Le  P.  PalmJeri,  De  gratia  actuali,  p.  239 
sq.,  expose  très  bien  l'impuissance  morale  d'éviter  le 
péché  :  il  parle  directement  de  l'impuissance  du  juste 
à  éviter  les  péchés  véniels,  mais  son  explication  vaut 
aussi  pour  l'impuissance  morale  de  l'homme  non  jus- 
tifié à  éviter  le  péché  mortel.  Parce  que  cette  impuis- 
sance morale  est  indéterminée,  au  sens  expliqué,  il 
n'est  pas  exact  de  dire  que  l'homme,  sans  le  secours  de 
la  grâce,  ne  peut  vaincre  aucune  tentation  grave. 

Une  autre  objection  est  celle  qui  résulte  de  l'état  de 
pure  nature.  Nous  admettons  cette  possibilité  sans 
aucune  restriction  :  Dieu  aurait  pu  créer  l'homme  sans 
lui  donner  aucun  don  préternaturel  ou  surnaturel,  et 
en  le  laissant,  par  conséquent,  sujet  à  la  concupiscence, 
à  l'ignorance,  à  la  maladie  et  à  la  mort.  Cf.  S.  Thomas, 
7n  IV  Sent.,  dist.  XXXI,  q.  i,  a.  1  et  a.  2,  ad  3"m.  Sur 
la  doctrine  condamnée  de  Baius,  voir  Baius,  t.  n, 
col.  71  ;  sur  l'opinion  des  augustiniens,  voir  Augusti- 
nianisme,  t.  i,  col.  2487,  2490.  Voici  donc  la  difficulté  : 
nous  avons  dit  que  la  nécessité  morale  de  la  grâce 
s'explique  par  la  concupiscence,  d'où  résulte  la  diffi- 
culté d'observer  les  préceptes  divins;  or,  la  concu- 
piscence est  naturelle  et  elle  ne  semble  pas  être  plus 


1591 


GRACE 


1592 


intense  dans  l'ordre  actuel  qu'elle  n'eût  été  dans 
l'ordre  de  pure  nature;  par  conséquent,  la  grâce  eût  été 
aussi  nécessaire  dans  l'ordre  de  pure  nature  :  ce  qui 
répugne,  puisque  la  grâce  ne  peut,  à  aucun  titre, 
appartenir  à  l'ordre  de  la  nature.  Voici  les  principes 
qui  donnent  la  solution  de  cette  difficulté  :  nous 
admettons  que  la  concupiscence  est  naturelle,  cf. 
S.  Thomas,  Sum.  IheoL,  1°  II-1',  q.  lxxxv,  a.  6;  on  ne 
peut  affirmer  que  la  concupiscence  eût  été,  dans  tout 
ordre  de  pure  nature,  aussi  intense  qu'elle  est  mainte- 
nant :  tout  en  restant  dans  l'ordre  de  nature  pure, 
l'homme  aurait  pu  avoir  une  perfection  plus  ou  moins 
giande,  cf.  Canisius,  Quid  est  homo,  édit.  Scheeben, 
Mayence,  18G2,  p.  184;  cependant  un  grand  nombre 
de  théologiens  admettent  que  l'homme,  dans  l'état 
actuel,  n'est  pas  intrinsèquement  plus  faible  au  point 
de  vue  moral,  qu'il  n'eût  été  dans  un  ordre  possible 
de  pure  nature.  Cf.  Cajétan,  In  I-""  IIK,  q.  lxxxv,  a.  3; 
q.  cix,  a.  2;  Soto,  De  nalnra  et  gratia,  1.  I,  c.  xm, 
cl.  48;  Suarez,  De  gratia,  proleg.  IV,  c.  vin,  Opéra, 
t.  vu,  p.  206;  Bellarmin,  De  gratia  primi  hominis, 
c.  v.  n.  12,  p.  8;  Billuart,  De  gratia,  diss.  II,  a.  3; 
Palmieri,  De  Deo  créante,  Rome,  1878,  thés,  lxxviii; 
Collationes  Brugenses,  1905,  t.  x,  p.  462  sq.  En  admet- 
tant cela,  nous  nions  qu'on  en  puisse  conclure  la 
nécessité  de  la  grâce  dans  l'ordre  de  pure  nature.  En 
effet,  si,  dans  cet  ordre,  les  hommes,  livrés  à  leurs  seules 
énergies  naturelles,  eussent  été  moralement  incapables 
d'observer,  pendant  un  temps  considérable,  la  loi 
naturelle,  Dieu  aurait  dû  leur  donner  un  secours,  mais 
ce  secours  n'eût  pas  été  la  grâce  :  Dieu  aurait  disposé 
les  conditions  extérieures  de  la  vie  de  façon  que 
les  hommes  fussent  moralement  capables  d'éviter  le 
péché  mortel  ou  il  aurait  agi  intérieurement  sur  les 
pensées  et  les  tendances  de  l'homme  ;  mais  cette 
influence  divine  eût  été  naturelle.  C'est  la  réponse 
commune  des  théologiens. 

5.  Une  autre  question  est  intimement  connexe  avec 
la  thèse  que  nous  expliquons  :  Comment  connaissons- 
nous  la  nécessité  morale  de  la  grâce  ?  Est-ce  par  la  révé- 
lation ou  est-ce  par  la  raison  naturelle?  C'est  par  la 
révélation.  En  effet,  c'est  elle,  et  elle  seule,  qui  nous 
fait  connaître  l'existence  de  la  grâce  et  l'influence 
qu'elle  exerce;  c'est  aussi  par  le  texte  de  saint  Paul  et 
par  les  déclarations  des  conciles  que  nous  avons  prouvé 
la  nécessité  morale  de  la  grâce  et  la  raison  de  cette 
nécessité,  c'est-à-dire  l'impuissance  morale  des  homme:, 
à  éviter  le  péché  mortel.  Quand  on  considère,  à  la 
lumière  de  la  seule  raison  naturelle,  l'état  général  de 
l'humanité,  on  constate  que  les  hommes,  en  général, 
éprouvent  une  grande  difficulté  à  observer  les  pré- 
ceptes divins,  que  beaucoup  les  transgressent;  mais 
on  ne  peut  pas  établir,  avec  certitude,  l'impuissance 
morale  dont  il  a  été  question.  De  plus,  il  importe  de 
le  remarquer,  on  ne  peut  pas  considérer  la  nécessité 
morale  de  la  grâce  comme  si  elle  était  une  exigence 
psychologique,  constatée  par  la  conscience.  En  effet, 
quand  l'homme  rentre  en  lui-même  et  examine  ce 
qui  se  passe  en  lui,  il  découvre  des  désirs  désordonnés, 
des  passions  violentes  vers  des  délectations  prohibées, 
des  péchés,  une  lutte  continuelle  entre  l'esprit  et  la 
chair;  mais  il  découvre  aussi  qu'il  est  physiquement 
libre,  qu'il  peut  résister  aux  tentations  s'il  le  veut 
fermement,  que.  s'il  a  péché,  c'est  qu'il  a  librement 
cédé,  qu'il  a  librement  voulu  ce  qu'il  savait  être  mora- 
lement mauvais.  La  constatation  de  la  difficulté  à 
faire  le  bien,  la  constatation  des  péchés,  est  donc  la 
constatation  de  la  concupiscence  et  de  la  liberté;  or 
les  passions  qui  surgissent,  l'opposition  entre  les 
désirs  vers  le  bien  et  les  désirs  vers  le  mal,  sont  choses 
naturelles  à  l'homme,  la  liberté  est  une  propriété  de 
la  volonté  et  son  exercice  appartient  à  l'homme,  comme 
tel;    en    constatant    tous    ces    faits    psychologiques, 


l'homme  connaît  sa  nature  dans  sa  réalité  et  en  cela  il 
ne  peut  pas  découvrir  qu'il  lui  manque  un  principe 
d'activité.  L'homme  peut  savoir  aussi  qu'il  est  capable 
de  décisions  fermes,  d'efforts  énergiques  de  volonté, 
que  la  répétition  de  tels  actes  engendre  Vhabitus  et  que 
celui-ci  donne  la  facilité  et  la  vigueur  dans  l'opéra- 
tion; il  saura  aussi  qu'il  a  en  lui-même  de  quoi  pro- 
duire ces  habitus  ;  encore  une  fois,  l'homme  ne  pourra 
pas  constater  en  lui  le  besoin  d'un  principe  d'activité 
qu'il  n'a  pas. 

Si  l'homme  ne  se  contente  plus  de  la  connaissance 
que  lui  fournissent  la  conscience  psychologique  et  les 
raisonnements  qu'il  fait  à  propos  de?  faits  constatés 
en  lui-même,  mais  s'il  examine  ce  qui  se  passe  chez  les 
autres,  et  que,  par  induction,  il  apprenne  à  connaître 
que  les  hommes,  en  général,  éprouvent  une  grande 
difficulté  à  faire  le  bien,  que  beaucoup  tombent 
fréquemment  dans  le  péché  mortel,  que  beaucoup 
s'adonnent  à  des  vices  honteux,  il  constatera  que  le 
genre  humain  est  de  fait  dans  une  situation  misérable; 
mais  il  comprendra  aussi  que  cette  situation  est 
naturelle  ;  que  les  maux  physiques,  l'ignorance,  le  péché 
et  les  vices  s'expliquent  par  l'activité  proprement 
humaine,  qui  est  celle  d'un  être  composé  de  corps  et 
d'âme.  Mais  si,  pensant  à  la  providence  et  aux  per- 
fections divines,  l'homme  conjecture  que  l'état  misé- 
rable du  genre  humain  est  la  conséquence  et  le  châti- 
ment d'un  péché  primitif  (sur  cette  conjecture,  voir 
S.  Thomas,  Conl.  gent.,  1.  IV,  c.  lu;  Jungmann,  De  Deo 
crealore,  4eédit.,  Ratisbonne,  1883,  n.  339  sq.  ;  Mgr  Waf- 
felaert,  Méditations  théologiques,  Bruges,  1910,  p.  71), 
il  pourra  conjecturer  que  l'homme  a  perdu  une  situa- 
tion meilleure;  mais  il  ne  saura  pas  si  actuellement 
existe  encore  un  de  ces  dons  que  Dieu  aurait  concédés 
à  l'homme  primitif.  Si  enfin  l'homme  est  frappé  de  la 
sainteté  de  l'Église  catholique  ou  d'une  autre  de  ses 
propriétés,  et  finit  par  savoir  qu'elle  est  la  déposi- 
taire de  la  vérité,  alors  il  pourra  connaître  et  l'exis- 
tence de  la  grâce  et  sa  nécessité;  ce  sera  par  la  foi  et 
non  par  une  constatation  de  la  conscience  psycho- 
logique. 

Même  quand,  selon  les  procédés  ordinaires  de  la 
providence  (je  ne  parle  pas  des  influences  extraordi- 
naires que  Dieu  peut  exercer),  Dieu  agit  en  nous  par 
la  grâce,  celle-ci  n'est  pas  objet  de  conscience  :  ni  le 
païen,  ni  le  chrétien  ne  peuvent,  par  la  conscience 
psychologique,  constater  en  eux-mêmes  l'existence  d'une 
grâce,  soit  actuelle,  soit  habituelle;  les  actions,  produi- 
tes par  la  grâce,  dans  l'intelligence  ou  dans  la  volonté, 
sont  objet  de  conscience;  nous  pouvons  constater  en 
nous  de  bonnes  pensées,  de  bons  désirs,  mais  nous  ne 
connaissons  pas  ces  actes  comme  surnaturels,  nous  ne 
les  distinguons  pas  d'actes  naturels  semblables;  les 
impulsions  salutaires,  c'est-à-dire  les  illuminations  et 
les  inspirations  du  Saint-Esprit,  ne  permettent  pas  à 
l'homme  de  constater,  par  la  conscience  psychologique, 
que  la  grâce  existe  en  lui,  et  l'absence  de  ces  impul- 
sions ne  permet  pas  à  l'homme  de  constater  qu'il  en  a 
un  besoin  psychologique  ou  que  la  nature  appelle  le 
surnaturel.  La  nécessité  morale  de  la  grâce  appartient 
à  l'ordre  surnaturel  et  nullement  à  l'ordre  des  exigences 
psychologiques  naturelles;  car  l'homme  n'est  pas 
physiquement  incapable  d'observer  toute  la  loi  natu- 
relle, d'éviter  tout  péché;  il  éprouve  à  cela  une  diffi- 
culté grande,  différente  chez  les  divers  individus,  telle 
cependant  que  les  hommes,  considérés  en  général,  ne 
la  surmontent  pas  de  fait,  mais  y  succombent.  De  ce 
que  nous  avons  exposé  il  résulte  qu'elle  est  sophistique 
et  erronée,  cette  transposition,  établie  par  certains 
auteurs,  en  vertu  de  laquelle  ils  transportent  dans 
l'ordre  psychologique,  en  les  considérant  comme  faits 
subsistants  dans  la  raison  et  la  conscience,  les  faits  de 
l'ordre  historique,  connus  par  la  révélation,  tels,  par 


1593 


GRACE 


1594 


exemple,  que  la  nécessité  morale  de  la  révélation,  la 
nécessité  morale  de  la  grâce.  Cette  transposition  a 
donné  lieu  à  une  méthode  d'apologétique,  que  nous 
n'avons  pas  à  apprécier  ici  :  on  en  peut  voir  l'exposé 
par  le  P.  Le  Bachelet,  Dictionnaire  apologétique  de  la 
foi  catholique,  art.  Apologétique,  t.  i,  col.  232  sq. 

La  «race  interne,  proprement  dite,  est  essentiellement 
surnaturelle  et,  par  conséquent,  positivement  indue  à 
la  nature  humaine;  d'où  il  résulte  que  la  grâce  ne 
correspond  pas  à  une  indigence  psychologique  de  cette 
nature  et  qu'elle  n'est  pas  le  terme  auquel  tende  une 
faculté  quelconque  propre  à  la  nature  humaine;  qu'elle 
entre  dans  l'âme,  c'est-à-dire  qu'elle  y  est  produite 
immédiatement  par  Dieu,  sans  qu'elle  corresponde  à 
un  besoin  d'expansion  de  la  nature  humaine,  connu" 
telle.  Voir  le  développement  de  ces  assertions  dans  les 
Collationes  Brugenses,  t.  xiv  (1912),  p.  678  sq.;  t.  xix 
(1914),  p.  103,  170. 

G.  Nécessité  spéciale  de  la  grâce  pour  certaines  œuvres 
salutaires.  —  En  nous  occupant  de  la  grâce,  considérée 
en  "encrai,  nous  avons  exposé  jusqu'ici  d'abord  ce  qui 
concerne  la  nécessité  de  la  grâce  pour  les  œuvres 
salutaires,  comme  telles,  ensuite  ce  qui  concerne  la 
n  eessité  de  la  grâce  pour  les  œuvres  simplement 
honnêtes  au  point  de  vue  moral  ;  il  nous  reste  à  indiquer 
brièvement  quelques  questions  spéciales.  Saint  Tho- 
mas, Sum.  theol.,  I"  II1',  q.  cix,  a.  5,  se  demande  si 
la  grâce  est  requise  pour  que  l'homme  puisse  mériter 
la  vie  éternelle,  et  il  répond  affirmativement.  L'argu- 
ment qui  établit  cette  assertion  est  celui-ci  :  aucune 
opération  ne  peut  surpasser  la  faculté  d'où  elle  pro- 
cède, ni  produire  un  effet  qui  soit  d'un  ordre  supérieur  à 
celui  du  principe  actif  qui  opère.  Or  la  vie  éternelle  est 
une  fin  qui  n'est  pas  en  proportion  avec  la  nature 
humaine,  mais  qui  surpasse  son  activité  propre.  Donc 
l'homme  ne  peut  pas,  par  ses  propres  forces  naturelles, 
produire  des  opérations  qui  soient  proportionnées  à  la 
vie  éternelle,  par  conséquent,  il  ne  peut  pas,  par  ses 
forces  naturelles,  produire  des  œuvres  méritoires,  au 
sens  propre  du  mot.  C'est  la  grâce  qui  doit  donner  à 
nos  œuvres  cette  qualité  qui  les  transporte  dans  l'ordre 
de  la  (in  dernière.  Nous  ne  nous  occupons  pas  ici  des 
conditions  diverses  requises  à  l'acte  méritoire.  Voir 
Mérite.  Cf.  S.  Thomas,  op.  cit.,  q.  exiv.  La  nécessité 
de  la  grâce  pour  le  mérite  fut  affirmée  au  concile 
d'Orange,  Denzinger-Bannwart,  n.  191,  plus  explicite- 
ment dans  la  condamnation  de  diverses  propositions  de 
Baius,  Denzinger-Bannwart,  n.  1012, 1013, 1015, 1017  : 
l'Eglise  y  enseigne  que  c'est  par  la  grâce  que  l'acte 
humain  est  rendu  formellement  méritoire  et  non  par  sa 
seule  conformité  avec  la  loi  morale.  Il  s'agit  ici  de  la 
grâce  sanctifiante.  Voir  Baius,  t.  n,  col.  78  sq. 

L'homme  déjà  justifié  et  mis  en  possession  de  la 
grâce  sanctifiante  a  besoin,  en  outre,  de  grâces  ac- 
tuelles pour  vivre  vertueusement  et  éviter  le  péché  : 
c'est  ce  qu'enseigne  saint  Thomas,  Sum.  theol.,  I'  II*, 
q.  cix,  a.  9;  mais  ici  surgit  la  question  controversée 
entre  les  théologiens  :  faut-il,  dans  l'homme  justifié, 
une  grâce  actuelle  pour  chaque  acte  salutaire  ?  La  ré- 
ponse ne  se  trouve  pas,  à  notre  avis,  dans  les  documents 
officiels  de  l'Église,  mais  dépend  de  la  notion  que  l'on 
a  sur  l'essence  de  la  grâce  actuelle  ;  c'est  pourquoi  nous 
réserverons  cet  exposé  à  la  partie  où  nous  traiterons  de 
l'essence  de  la  grâce  actuelle. 

L'homme  justifié  a  besoin  de  grâces  actuelles  pour 
persévérer  dans  le  bien  pendant  un  temps  considérable; 
c'est  la  doctrine  exprimée  dans  le  document  intitulé  : 
De  gratia  Dci  indiculus,  Denzinger-Bannwart,  n.  132  : 
><  Aucun  homme,  même  après  avoir  été  renouvelé  par  la 
grâce  du  baptême,  n'est  capable  de  vaincre  les  pièges 
du  démon  et  de  résister  aux  désirs  de  la  chair,  à  moins 
que,  par  un  secours  quotidien  de  Dieu,  il  ne  reçoive  de 
persévérer  dans  sa  bonne  conduite.  »  II  s'agit  donc  ici 


de  la  difficulté  d'éviter  le  péché;  pour  la  vaincre  il  ne 
suffit  pas  que  l'homme  soit  en  état  de  grâce;  il  faut  un 
autre  secours.  Le  texte  cité  n'en  indique  pas  la  nature; 
mais  les  théologiens  enseignent  qu'il  s'agit  de  grâces 
actuelles,    notamment    d'illuminations    intellectuelles, 
qui    dissipent   l'ignorance,    et    d'inspirations    dans   la 
volonté,  qui  s'opposent  aux  mouvements  désordonnés 
de  la  concupiscence.  Cf.  S.  Thomas,  loc.  cil.  Comme 
nous  l'avons  exposé  plus  haut,  cette  difficulté  morale 
n'est  pas  telle  que  l'homme,  même  sans  la  grâce  sanc- 
tifiante,  ne  puisse  résister  à  certaines  tentatioi.s  et 
éviter  pendant  un  certain  temps  tout  péché  mortel; 
cette   difficulté   morale   n'est   pas    plus    grande   chez 
l'homme  justifié;  par  conséquent  la  nécessité  de  grâces 
actuelles,   dont   nous   parlons   maintenant,   doit  s'en- 
tendre d'une  nécessité  morale  et  d'une  nécessité  qui 
concerne  l'observation  de  tous  les  devoirs  qui  obligent 
sous  peine  de  péché  mortel  pendant  un  temps  consi- 
dérable. Saint  Augustin,  dans  son  traité  De  dono  persc- 
mranliœ,  parle  de  la  persévérance  finede,  de  celle  qui 
fait  que  l'homme  meurt  en  état  de  grâce  et  est  sauvé 
pour  l'éternité;  à  ce  titre,  la  persévérance  est  un  don 
spécial  de  Dieu,  et  l'effet  propre  de  la  prédestination  : 
c'est  pourquoi  l'homme  est  de  lui-même  incapable  de 
réaliser  cette  persévérance  finale,  et  tous  les  bienfaits 
par  lesquels  Dieu  amène  l'homme  à  ce  résultat  sont, 
par  là  même,  spécialement  gratuits.  Cf.  op.  cit.,  surtout 
c.  m,  vin,  ix,  xvn,  xxiv,  P.  L.,  t.  xlv,  col.  997,  1004, 
1014  sq.,  1018,  1033.  C'est  aussi  de  la  persévérance 
finale  qu'il  faut  entendre  le  can.  10  du  concile  d'Orange. 
Denzinger-Bannwart,  n.  183.  Ce  don  ne  consiste  pas 
dans  une  grâce  habituelle,  ni  dans  une  entité  d'un 
genre  spécial,  mais  dans  un  ensemble  de  bienfaits  et  de 
grâces  efficaces,  qui  sont  l'effet  d'une  protection  parti- 
culière de  Dieu.  Cf.  S.  Thomas,  Sum.  theol.,    V   IP1', 
q.  cix,  a.  10.  Le  concile  de  Trente  définit  aussi  que  la 
persévérance  finale  est  un  don  spécial  de  Dieu.  Den- 
zinger-Bannwart, n.  806,832.  Cf.  Suarez,  De  gratia,  I.  X, 
c.  v  sq.,  Opéra  omnia,   t.ix,  p.  590  sq.,  où  l'on  trouve 
exposées  différentes  questions  qu'il  n'est  pas  nécessaire 
de  détailler  ici.  Notons  seulement  que  la  persévérance 
n'est  pas  ce  don  qu'on  appelle  la  confirmation  dans  la 
grâce.  Op.  cit.,  c.vm,  p.  607  sq.  Dans  l'ordre  actuel  de  la 
providence,  l'homme,  qui  est  justifié  et  qui  persévère 
dans  cet  état,  ne  peut  pas  cependant,  sans  un  privilège 
tout  spécial,  éviter,  pendant  toute  sa  vie,  tout  péché 
véniel.  C'est  l'assertion  définie  par  le  concile  de  Trente, 
sess.    vi,   can.   23.   Denzinger-Bannwart,   n.  833,   qui 
déclare  en  même  temps  que  le  privilège  susdit  a  été 
accordé  à  la   Vierge  Marie.  La  doctrine  mentionnée 
repose   sur    l'interprétation   des    paroles    du    Pater    : 
dimilte  nobis  débita  nostra,  demande  qui  doit  être  faite 
par  tous  les  justes  et  qui  suppose  qu'ils  commettent 
réellement  des  péchés.  Un  autre  fondement  est  l'asser- 
tion de  saint  Jacques,  ni,  2  :  «  Nous  péchons  tous  en 
beaucoup  de  choses  »  et  celle  de  saint  Jean,  I  Joa.,  i,  8  : 
«  Si  nous  disons  que  nous  sommes  sans  péché,  nous  nous 
séduisons  nous-mêmes.  »  Ces  textes  expriment  l'inca- 
pacité morale  de  l'homme  juste  à  éviter  tout  péché;  il 
s'agit  du  péché  véniel  qui  ne  fait  pas  déchoir  l'homme 
de  l'état  de  justification.  Cette  doctrine  fut  déclarée  au 
concile  de  Carthage,  qui  l'appuie  sur  les  textes  cités, 
can.  6-8.  Denzinger-Bannwart,  n.  106-108.  Saint  Augus- 
tin, comme  le  remarque  le  P.  Hurter,  Theologise  dog- 
matiese  compendium,  t.  m,  n.  4  1,  avait  été  d'abord 
moins  affirmatif  sur  ce  point,  mais,  après  le  concile 
mentionné,  il  n'hésite  plus  à  défendre  l'impossibilité 
pour  le  juste  d'éviter  tous  les  péchés  véniels.  Contra 
tliias  epislolas  pclagianorum,  I.  IV,  c.  x,  n.  27,  P.  L., 
t.  xliv,  col.  629  sq.  Cf.  S.  Jérôme,  Dialogus  adversus 
pelagianos,  1.  II,  n.  4,  P.  L.,  t.  xxm,  col.  537;  S.  Léon, 
Serin.,  XV,  c.   i,  P.  L.,  t.  liv,  col.  174;  S.  Gélase   Ier, 
Dicta   adversus    pelagianam   hœrcsim,    P.    L.,    t.    lix, 


1595 


GRACE 


1596 


col.  110  sq.  L;i  raison  de  cette  infirmité  morale  est  bien 
expliquée  par  saint  Thomas.  Sum,  theol.,  P  IF', 
q.  cix,  a.  8  :  <  L'homme  (justifié)  ne  peut  pas  éviter 
tout  péché  véniel  à  cause  de  la  corruption  de  l'appétit 
inférieur  de  la  sensualité;  l'homme  peut  bien  (physi- 
quement) par  sa  raison  réprimer  chacun  des  mouve- 
ments (désordonnés);  c'est  pourquoi  ils  deviennent  (si 
on  ne  les  réprime  pas)  volontaires  et  sont  péché;  mais 
il  ne  peut  pas  (moralement)  les  réprimer  tous  :  quand  il 
s'efforce  de  résister  à  l'un  d'eux,  il  arrive  qu'un  autre 
surgisse,  et  la  raison  ne  peut  pas  toujours  veiller  de 
façon  à  les  réprimer  tous.  »  Cf.  S.  Thomas,  De  vcrilalc, 
q.  xxiv,  a.  12. 

Saint  Thomas  examine  encore  une  autre  question 
concernant  la  nécessité  de  la  grâce  :  est-elle  nécessaire 
pour  que  l'homme  puisse  se  relever  de  l'état  de  péché  ? 
11  répond  qu'à  cet  effet  sont  requises  et  la  grâce  actuelle 
et  la  grâce  habituelle  :  la  grâce  actuelle  pour  mouvoir 
la  volonté  à  se  soumettre  à  Dieu;  la  grâce  habituelle 
pour  rendre  à  l'âme  la  splendeur  surnaturelle  qu'elle 
a  perdue  par  le  péché.  Sum.  Ihcol.,  F  IF',  q.  cix,  a.  7. 
Déjà  le  IIe  concile  d'Orange  avait  exprimé  la  nécessité 
de  la  grâce  pour  la  délivrance  du  péché  :  «  Un  malheu- 
reux ne  peut  être  délivré  de  sa  misère  que  par  la  misé- 
ricorde divine  qui  le  prévient.  —  Si  la  nature  humaine 
ne  peut  sans  la  grâce  conserver  le  salut  qu'elle  a  reçu, 
elle  peut  encore  bien  moins  le  recouvrer  si  elle  l'a 
perdu.  »  Can.  14,  19,  Denzingcr-Bannwart,  n.  187,  192. 

IV.  Distribution  de  la  grâce.  —  Ce  titre  nous 
amène  à  parler  d'un  des  plus  grands  mystères  du 
traité  de  la  grâce.  En  effet,  remarque  le  P.  Hurter, 
op.  cit.,  n.  73,  si  l'on  se  demande  pourquoi  Dieu  a 
distribué  moins  libéralement  ses  grâces  avant  l'avè- 
nement du  Christ  qu'après  celui-ci,  pourquoi  main- 
tenant il  l'accorde  avec  parcimonie  à  tant  de  peuples 
plongés  jusqu'à  ce  jour  dans  les  ténèbres  et  dans 
l'ombre  de  la  mort,  pourquoi  tel  homme  est  appelé 
par  Dieu,  efficacement,  de  façon  à  ce  qu'il  réponde  à 
sa  vocation,  et  tel  autre  ne  l'est  pas  de  cette  façon, 
alors  qu'il  eût  été  possible  à  Dieu  d'obtenir  cet  effet; 
pourquoi  de  deux  hommes,  coupables  des  mêmes 
crimes,  l'un  en  vient  à  se  repentir  et  l'autre  reste  en- 
durci dans  le  mal,  on  ne  peut  donner  d'autre  réponse 
que  celle  de  saint  Paul  :  «  O  profondeur  inépuisable  et  de 
la  sagesse  et  de  la  puissance  de  Dieu  1  Que  ses  juge- 
ments sont  insondables  et  ses  voies  incompréhensibles.» 
Rom.,  xi,  33.  Nous  ne  chercherons  donc  pas  à  con- 
naître le  pourquoi  de  la  distribution  inégale  des 
bienfaits  divins,  nous  nous  contenterons  de  la  persua- 
sion que  toute  l'œuvre  de  Dieu  est  réglée  par  son  infinie 
sagesse  et  sainteté,  que,  de  sa  part,  il  n'y  a  aucun 
manque  d'équité,  que  sa  bénignité  et  miséricorde  sont 
infinies. 

Mais  cette  conviction  n'empêche  pas  d'examiner  s'il 
y  a  des  règles  générales  d'après  lesquelles  Dieu  accorde 
de  fait  ses  dons  salutaires.  Nous  passerons  successive- 
ment en  revue  différentes  classes  de  personnes  :  les 
justes,  ceux  qui  sont  déjà  en  état  de  grâce;  les  pécheurs, 
ceux  qui,  par  leur  faute  personnelle,  ont  perdu  l'état 
de  grâce;  les  infidèles,  notamment  ceux  à  qui  la  révéla- 
tion chrétienne  semble  n'être  pas  parvenue.  Nous  ne 
parlerons  pas  des  enfants  et  de  ceux  qui  ne  sont  jamais 
parvenus  à  l'usage  de  la  raison  :  ceux-ci  ne  peuvent 
et  c  sauvés  que  par  le  baptême,  voir  Baptême,  t.  n, 
col.  192  sq.  ;  la  question  de  savoir  comment  à  leur 
égard  se  réalise  la  volonté  salvifique  de  Dieu  doit  être 
exposée  à  l'art.  Prédestination. 

1°  Tous  les  justes  reçoivent  les  ejrûccs  suffisantes 
pour  qu'ils  puissent  observer  tous  les  commandements, 
l>ar  conséquent  persévérer  dans  la  justification  et  se. 
sauver.  - —  Cette  assertion  est  un  point  de  foi,  comme 
nous  le  verrons  dans  les  documents  que  nous  citerons. 
Elle    est    contenue    d'abord    dans    l'enseignement    de 


Jésus  :  «  Car  mon  joug  est  doux  et  mon  fardeau  léger.  » 
Matth.,  xi,  30.  «  Le  joug  est  une  image  rabbinique  qui 
exprime  la  direction  ou  la  discipline.  »  Rose,  Évangile 
selon  saint  Matthieu,  Paris,  1906,  p.  91.  Le  Christ  parle 
donc  ici  de  l'ensemble  de  ses  préceptes  que  ses  disciples 
doivent  mettre  en  pratique  :  la  réalisation  de  cette  per- 
fection est  à  leur  portée  et  n'est  pas  une  discipline 
insupportable  comme  était  celle  des  Pharisiens.  Mais, 
comme  nous  savons,  d'autre  part,  que  l'homme,  même 
justifié,  a  besoin  de  grâces  actuelles  pour  observer  les 
commandements  divins,  nous  concluons  de  la  parole  de 
Jésus  que  tous  les  justes  auront  ces  grâces,  de  telle 
sorte  que  le  fardeau  imposé  par  le  Christ  leur  sera  réel- 
lement léger.  C'est  dans  le  même  sens  qu'il  faut  en- 
tendre les  paroles  de  saint  Jean  :  «  Car  c'est  aimer  Dieu 
que  de  garder  ses  commandements.  Et  ses  commande- 
ments ne  sont  pas  pénibles,  parce  que  tout  ce  qui  est  né 
de  Dieu  remporte  la  victoire  sur  le  monde,  et  la  victoire 
qui  a  vaincu  le  monde,  c'est  notre  foi.  »  I  Joa.,  v,  3,  4. 
C'est  par  la  foi  que  l'homme  devient  fils  de  Dieu,  qu'il 
reçoit  la  grâce  sanctifiante  et  a  droit  aux  grâces  ac- 
tuelles au  moyen  desquelles  il  peut  vaincre  les  assauts 
de  l'esprit  mondain;  c'est  grâce  à  cette  force  que  les 
commandements  divins  ne  sont  pas  pénibles  pour  celui 
qui  est  né  de  Dieu,  c'est-à-dire  justifié. 

Saint  Paul  enseigne  que  les  justes,  comme  tels,  sont 
dans  la  condition  voulue  pour  être  sauvés,  que  par 
conséquent  rien  ne  leur  manque  pour  atteindre  ce  but. 
Rom.,  v,  8-10;  vin.  Spécialement  il  leur  promet  le 
secours  divin  requis  pour  résister  aux  tentations.  I  Cor., 
x,  13. 

Saint  Augustin  inculque  cette  assertion  :  que  Dieu 
n'abandonne  pas  le  juste  si  celui-ci  ne  se  sépare  pas  de 
lui,  que  Dieu  accorde  à  l'homme  tout  ce  qu'il  lui  faut 
pour  persévérer.  Enarr.  in  ps.  xxxix,  n.  27,  P.  L., 
t.  xxxvi,  col.  450  sq.  ;  De  nalura  et  gratia,  n.  29,  P.  L., 
t.  xliv,  col.  261. 

Le  IIe  concile  d'Orange  a  porté  cette  définition  : 
«  D'après  la  foi  catholique  nous  croyons  qu'après  avoir 
reçu,  parle  baptême,  la  grâce,  tous  les  baptisés,  par  le 
secours  et  la  coopération  du  Christ,  peuvent  et  doivent, 
s'ils  veulent  fidèlement  coopérer,  accomplir  tout  ce  qui 
est  requis  au  salut  de  leur  âme.  »  Denzinger-Bannwart, 
n.  200.  Le  concile  de  Trente  définit  aussi  que  l'obser- 
vation des  commandements  n'est  pas  impossible  à 
l'homme  justifié.  Sess.  vi,  c.  xi,  Denzinger-Bannwart, 
n.  804,  et  can.  18,  n.  828.  Ensuite  Innocent  X  a  déclaré 
hérétique  cette  proposition  de  Jansénius  :  «  Certains 
préceptes  de  Dieu  sont  impossibles  aux  hommes  justes, 
(même)  s'ils  veulent  (les  observer)  et  s'y  efforcent,  avec 
les  forces  qu'ils  ont  clans  cette  vie  :  il  leur  manque  aussi 
la  grâce  au  moyen  de  laquelle  l'(observation)  en  devien- 
drait possible.  »  Denzinger-Bannwart,  n.  1092.  Enfin  le 
concile  du  Vatican  affirme  de  nouveau  que  les  justes, 
par  la  grâce  de  Dieu,  peuvent  persévérer.  Sess.  m, 
c.  m,  Denzinger-Bannwart,  n.  1794. 

La  providence  divine  dispose  donc  les  événements 
et  distribue  ses  secours  de  façon  que  tous  les  justes 
soient  en  état  d'éviter  toujours  le  péché  mortel;  ceci 
est  vrai  de  tous  les  justes,  même  de  ceux  qui  se  trou- 
veraient en  dehors  de  la  vraie  Église  du  Christ;  néan- 
moins ceux  qui  sont  réellement  incorporés  à  la  société 
instituée  par  Jésus  reçoivent,  en  général,  plus  de  grâces 
que  les  autres,  et  c'est  dans  cette  société  que  le  Sauveur 
choisit  ces  hommes  dans  lesquels  il  réalise,  avec  leur 
libre  coopération,  la  sainteté  héroïque.  L'abondance 
des  secours  divins  internes  et  leur  efficacité  se  mani- 
festent dans  cette  sainteté,  qui  est  la  note  caractéristique 
de  la  vraie  Église    du  Christ. 

2°  Les  pécheurs  doivent,  dans  la  matière  qui  nous 
occupe,  être  l'objet  d'une  mention  spéciale  et  les  théo- 
logiens leur  consacrent  une  thèse  qui,  communément, 
s'énonce  dans  les  termes  suivants  :  Aux  pécheurs  qui 


1597 


GRACE 


1598 


ont  la  foi,  marrie  à  ceux  qui  sont  obstinés  dans  le  mal. 
Dieu  accorde  le  secours  suffisant  pour  qu'ils  puissent  se 
convertir. 

1.  La  première  partie  de  la  proposition  est  considérée 
comme  étant  de  foi;  la  seconde,  celle  qui  concerne  les 
obstinés,  comme  théologiquement  certaine.  Cependant, 
remarque  M.  Van  Noort,  De  gralia,  Amsterdam,  1903, 
n.  90,  à  considérer  les  déclarations  des  conciles  et  la 
prédication  ordinaire  et  universelle,  telle  qu'elle  se 
fait  de  nos  jours,  on  ne  voit  pas  comment  la  seconde 
partie  de  la  thèse  ne  soit  pas  de  foi  aussi  bien  que  la 
première. 

La  démonstration  de  la  thèse  a  son  point  de  départ 
dans  les  assertions  scripturaires  concernant  la  miséri- 
corde divine  à  l'égard  des  pécheurs.  Celle-ci  est  décrite 
en  des  termes  qui  en  font  ressortir  l'étendue,  qui  nous 
montrent  Dieu  voulant  la  conversion  des  pécheurs, 
même  des  plus  misérables;  il  faut  donc  admettre  que 
I  )ieu  donne  les  moyens  (c'est-à-dire  les  grâces  actuelles) 
requis  à  la  conversion.  «  Je  suis  vivant,  dit  Jéhovah;  je 
ne  prends  pas  plaisir  à  la  mort  du  pécheur,  mais  à  ce 
que  le  méchant  se  détourne  de  sa  voie  et  qu'il  vive.  » 
Ezcch.,  xxxin,  11.  La  sollicitude  spéciale  du  Christ 
pour  les  pécheurs  est  attestée  par  le  fait  qu'il  accepte 
de  prendre  part  à  leur  repas  et  par  la  réponse  qu'il  fait 
à  ceux  qui  s'en  étonnent  :  «  Je  ne  suis  pas  venu  appeler 
à  la  pénitence  les  justes,  mais  les  pécheurs.  »  Luc,  v,  32. 
Saint  Paul  exalte  la  longanimité  de  Dieu  qui  invite  les 
pécheurs  à  la  pénitence.  Rom.,  n,  4.  Saint  Pierre  parle 
de  même  et  assure  que  Dieu  ne  veut  pas  qu'aucun 
pécheur  périsse,  mais  veut  que  tous  viennent  à  la 
pénitence.  II  Pet.,  ni,  9. 

Quant  à  la  doctrine  des  Pères  sur  ce  point,  voir  les 
indications  de  Bellarmin,  De  gratia  et  libero  arbitrio, 
1.  II,  c.  v;  de  Pesch,  Prœleclioncs  dogmaticœ,  t.  v,  n.  224, 
292,  297;  de  Rouët  de  Journel,  Encluridion  palrisli- 
cum,  Fribourg-en-Brisgau,  1911,  n.  346  de  l'Index  theo- 
logicus. 

Suarez,  De  gralia,  1.  IV,  c.  x,  n.  1,  Opéra  omnia, 
t.  vin,  p.  305,  invoque,  à  l'appui  de  la  thèse  dont  il 
s'agit,  deux  déclarations  du  concile  de  Trente;  mais 
il  semble  qu'elles  ne  constituent  pas  un  argument 
valide.  En  effet,  l'une,  sess.  vi,  c.  xiv  et  can.  29, 
Denzinger-Bannwart,  n.  807,  839,  affirme  que  ceux 
qui,  par  leur  péché,  ont  perdu  la  grâce  de  la  justification 
peuvent  récupérer  celle-ci  sous  une  excitation  divine 
au  moyen  du  sacrement  de  la  pénitence.  L'autre  décla- 
ration, sess.  xiv,  c.  i,  Denzinger-Bannwart,  n.  894, 
établit  la  nécessité  du  sacrement  de  pénitence  pour 
obtenir  le  pardon  des  péchés  commis  après  le  baptême. 
Certains  théologiens  proposent  l'argument  suivant  : 
Tout  pécheur  a  l'obligation  de  se  convertir;  or,  s'il  ne 
recevait  aucune  grâce,  il  ne  pourrait  avoir  cette  obliga- 
tion; donc  il  n'est  pas  privé  de  toute  grâce.  Je  concède 
la  majeure;  mais  je  distingue  la  mineure;  s'il  ne  recevait 
aucune  grâce,  parce  que  lui-même  met  obstacle  à  la 
réception  de  cette  grâce,  je  nie  la  mineure;  s'il  ne  rece- 
vait aucune  grâce  alors  même  qu'il  n'y  met  pas  ob- 
stacle, je  concède.  Je  distingue  de  la  même  façon  la 
conclusion.  Voici  comment  se  justifie  la  distinction  : 
un  homme  qui  a  la  foi,  en  état  de  péché  mortel,  peut 
naturellement,  c'est-à-dire  sans  une  excitation  interne 
et  surnaturelle,  penser  à  l'obligation  qu'il  a  de  se  con- 
vertir; il  peut,  par  exemple,  rencontrer  quelqu'un  qui 
lui  rappelle  l'obligation  de  faire  la  confession  pascale 
et  il  peut  immédiatement  refuser  de  satisfaire  à  ce 
devoir;  cet  homme  n'en  reste  pas  moins  obligé  à  se 
convertir  et  il  a  pensé  à  cette  obligation,  sans  qu'une 
grâce  surnaturelle  soit  intervenue.  Cet  homme  cepen- 
dant a  eu  l'occasion  de  faire  un  acte  bon,  au  moins 
naturel;  s'il  l'avait  fait,  il  n'aurait  pas  mis  obstacle 
à  la  grâce  interne.  L'homme  peut  donc  transgresser  la 
loi  de  Dieu  et  être  formellement  coupable  sans  qu'une 


grâce  surnaturelle  ne  l'ait  auparavant  excité  à  satis- 
faire à  la  loi;  par  le  péché,  et  par  la  répétition  des 
péchés,  l'homme  met  un  obstacle  à  la  réception  de  la 
grâce.  Dans  ces  lignes  nous  avons  apprécié  l'argument 
proposé  et  montré  qu'il  ne  répugne  pas  que,  dans  un 
cas  particulier,  l'homme  soit  oblige  de  se  convertir, 
même  hic  et  nunc,  et  que  néanmoins  il  ne  soit  pas 
excité  surnaturellement  à  cet  acte,  parce  qu'il  a  lui- 
même  mis  obstacle,  par  un  nouveau  péché,  à  l'effusion 
de  la  grâce  divine.  Nous  ne  pouvons  pas  déterminer  les 
cas  particuliers  où  Dieu  concède  des  grâces  actuelles, 
mais,  d'une  manière  générale,  nous  pouvons  dire  qu'il 
le  fait  surtout  lorsque  l'homme  doit  observer  un  pré- 
cepte surnaturel  et  principalement  au  moment  de  la 
mort.  Y  a-t-il  des  hommes  qui,  après  avoir  passé  un 
long  temps  dans  le  désordre  moral,  après  avoir  multi- 
plié leurs  péchés  et  résisté  fréquemment  aux  grâces 
divines,  n'en  reçoivent  plus?  Nous  ne  saurions  donner 
à  cette  question  une  réponse  péremptoire.  Dieu  peut 
permettre  qu'un  homme,  dans  l'acte  même  du  péché 
mortel,  perde  l'usage  de  la  raison,  ou  meure.  II  semble 
que  Dieu  pourrait  aussi  permettre  qu'un  homme,  tout 
en  conservant  l'usage  de  la  raison,  ne  reçoive  plus  de 
grâces  actuelles  internes;  notre  thèse  ne  dit  pas  plus 
que  ceci  :  à  tous  les  pécheurs  Dieu  donne  les  grâces 
suffisantes  à  leur  conversion.  Quoi  qu'il  en  soit  de  la 
question  posée,  il  faut  éviter  certaines  assertions,  qu'on 
entend  parfois,  comme  celle-ci  :  il  y  a  pour  chaque 
individu  un  nombre  déterminé  de  péchés  au  delà 
duquel  Dieu  n'accordera  plus  de  grâces.  Cf.  Tanquerey, 
Synopsis  theologise  dogmaticœ,  2e  édit.,  Tournai,  1895, 
De  gralia,  n.  88. 

2.  Il  n'y  a  aucun  nombre  de  péchés,  aucun  degré  de 
malice  qui,  considéré  objectivement,  pose  une  limite  à 
l'exercice  de  la  miséricorde  divine;  c'est  pourquoi  les 
théologiens  enseignent  que  Dieu  accorde  aux  pécheurs, 
même  obstinés,  les  grâces  suffisantes  à  leur  conversion. 
L'obstination  consiste  dans  une  certaine  fermeté  de  la 
volonté  dans  son  adhésion  au  mal  moral.  L'obstination 
est  complète,  quand  il  n'y  a  plus  possibilité  de  conver- 
sion; c'est  le  cas  pour  les  démons  et  les  hommes 
damnés.  L'obstination  est  incomplète  quand  il  y  a  pos- 
sibilité, mais  grande  difficulté  pour  la  volonté  à  changer 
son  orientation.  Sur  cet  état,  voir  S.  Bernard, De  considé- 
ration^ 1.  I,  c.  n,  n.  3,  P.  L.,  t.  clxxxii,  col.  738;  S.Tho- 
mas, De  verilale,  q.  xxiv,  a.  11;  Sum.  theol.,  Ia  IL'', 
q.  lxxix,  a.  3;  Lessius,  De  divinis  perfectionibus, 
1.  XIII,  c.  xiv,  n.  31;  Billot,  De  personali  et  originali 
peccato,  Prato,  1910,  p.  90  sq.  L'obstination  incomplète, 
celle  à  laquelle  l'homme  peut  être  sujet  sur  cette  terre, 
a  pour  cause  efficiente  l'homme  lui-même  qui,  par  la 
répétition  des  péchés,  engendre  en  lui  l'habitude  per- 
verse, d'où  dérivent  l'inclination  intense  ainsi  que  la 
promptitude  à  commettre  de  nouveaux  actes  mauvais 
et  la  difficulté  à  renoncer  aux  habitudes  invétérées; 
l'homme  devient  aussi  cause  méritoire  (causa  meriloria), 
parce  que,  par  l'abus  qu'il  fait  des  grâces  précédentes, 
il  s'attire,  comme  peine,  la  diminution  de  grâces  ulté- 
rieures. Cf.  Van  Noort,  op.  cit.,  n.  90.  Il  pourrait  se 
faire  aussi  qu'il  résulte  une  certaine  obstination  d'un 
seul  péché  commis  avec  une  malice  extraordinaire. 

Nous  disons  que  Dieu  accorde  des  grâces  suffisantes 
même  aux  pécheurs  obstinés,  a)  parce  qu'il  n'est  aucun 
péché,  ni  aucun  nombre  de  péchés  dont  l'homme  ne 
puisse  obtenir  le  pardon,  cf.  S.  Thomas,  Sum.  theol.,  D 
IIœ,  q.  lxxxvi,  a.  1;  b)  parce  que  la  miséricorde  divine 
est  décrite  dans  l'Écriture  et  par  les  Pères  comme  s'éten- 
dant  jusqu'aux  extrêmes  misères;  c)  parce  que  Dieu 
donne  aux  pécheurs,  môme  obstinés,  tant  d'occasions  de 
conversion,  tant  de  secours  externes  :  nous  ne  pouvons 
douter  que  Dieu  n'accorde  en  même  temps  les  excita- 
tions internes  suffisantes  à  la  conversion. 

3°   Tous  les   infidèles  négatifs  reçoivent  de   Dieu  le 


1.MH1 


GRACE 


1600 


secours  suffisant  pour  qu'ils  puissent  se  sauver.  —  1.  Nous 
parlons  ici  des  infidèles  négatifs,  c'est-à-dire  de  ceux 
qui  n'ont  pas  la  foi,  mais  sans  Eaute  de  leur  part,  de 
ceux  qui  n'ont  pas  refusé  d'admettre  la  révélation 
chrétienne,  mais  n'ont  pas  eu  l'occasion  d'y  adhérer. 
Les  infidèles  positifs  rentrent  dans  la  catégorie  des 
pécheurs. 

Nous  disons  aussi  le  secours  suffisant,  admettant  que 
ce  secours  peut  être  ou  remote  ou  proxime  sufficiens,  et 
nous  abstenant  de  préciser  plus  loin  la  nature  de  ce 
secours.  Dans  ce  sens,  la  proposition  est  défendue  com- 
munément par  les  théologiens  et  tenue  pour  theolo- 
giquement  certaine. 

Sa  démonstration  repose  d'abord  sur  le  texte  de 
saint  Paul  :  «  Avant  tout  j'exhorte  donc  à  faire  des 
prières...  pour  tous  les  hommes...  Cela  est  bon  et  agréa- 
ble aux  yeux  de  Dieu  notre  Sauveur,  qui  veut  que  tous 
les  hommes  soient  sauvés  et  parviennent  à  la  connais- 
sance de  la  vérité.  »  I  Tim.,  n,  1-4.  Ce  texte,  tel  qu'il 
est  aujourd'hui  communément  expliqué,  contient 
l'affirmation  de  la  volonté  salvifique  de  Dieu,  étendue 
du  moins  à  tous  les  adultes.  Cette  volonté  salvifique  ne 
peut  être  véritable  et  sérieuse  que  si  Dieu  accorde  à 
ious  les  adultes  le  secours  suffisant,  au  moins  remote 
sufficiens,  pour  le  salut  de  chacun.  La  concession  du 
secours  suffisant  est  confirmée  par  ces  paroles  de  saint 
Jean:  «Il  (le  Verbe)  était  la  vraie  lumière  qui  éclaire  tout 
homme.  »  Joa.,  i,  9.  Sans  entrer  ici  dans  l'exposé  des 
divergences  d'opinions  concernant  le  texte  original  lui- 
même  et  son  interprétation,  nous  pouvons  affirmer  que 
des  Pères  et  des  commentateurs  en  très  grand  nombre 
virent  dans  ces  paroles  l'affirmation  que  Dieu,  de  son 
côté,  accorde  une  lumière  surnaturelle  à  tout  homme 
adulte,  qui,  d'autre  part,  ne  met  pas  d'obstacle  a  la 
réception  de  son  concours.  L'enseignement  des  Pères 
concernant  ce  point  a  été  étudié  récemment  avec  beau- 
coup de  soin  et  de  compétence  par  M.  Capéran,  Le  pro- 
blème du  salut  des  infidèles.  Essai  historique,  Paris,  1912. 
C'est  une  doctrine  traditionnelle  que  tous  les  hommes 
peuvent  se  sauver  et  qu'ils  reçoivent  ce  qui  leur  est 
requis  pour  atteindre  ce  but.  C'est  dans  ce  sens  que  les 
Pères,  avant  le  pélagianisme,  ont  interprété  le  texte  de 
saint  Paul.  I  Tim.,  n,  1-4.  Saint  Augustin  l'a  expliqué 
d'une  autre  façon,  mais  n'a  pas  été  suivi.  Cf.  Capéran, 
op.  cit.,  p.  49,  93,  97-103;  pour  saint  Augustin,  p.  11G  sq. 
Parmi  les  Pères,  dont  le  témoignage  est  particulière- 
ment important,  il  faut  citer  Orcse,  Liber  apologeticus 
contra  Pelagium  de  arbitra  liberlale,  n.  19-21,  P.  L., 
t.  xxxi,  col.  1188-1190,  et  surtout  l'auteur  du  De  voca- 
lione  omnium  geniium  qui  cherche  explicitement  la 
solution  de  cette  question  :  Quseritur  ulrum  velit  Dcus 
omnes  homines  salvos  fieri  et  quia  negari  hoc  non  polcst, 
cur  volunlas  omnipolenlis  non  implealur,  inquirilur. 
L'auteur  enseigne,  comme  saint  Augustin,  que  les 
vertus  des  païens  ne  sont  pas  des  vertus  véritables,  que 
la  foi,  nécessaire  au  salut,  est  un  don  absolument  gra- 
tuit, que  cependant  Dieu  veut  sincèrement  sauver  tous 
les  hommes,  qu'il  donne  à  tous  les  grâces  générales, 
mais  qu'il  ne  donne  pas  à  tous  les  grâces  spéciales.  De 
vocatione  omnium  gentium,  1.  II,  c.  xi,  xxv,  P.  L.,  t.  li, 
col.  706,  710  sq.  «  La  distinction  entre  les  dona  generalia 
et  les  munera  specialia  est  très  heureuse,  dit  M.  Capé- 
ran, op.  cil.,  p.  141.  L'originalité  du  De  vocatione 
omnium  geniium  consiste  justement  en  ce  que  l'auteur 
s'en  est  servi  pour  expliquer  le  passage  de  saint  Paul 
dont  les  pélagiens  se  prévalaient  contre  les  augus- 
tiniens.  »  C'est  par  celte  distinction  que  se  dissipe 
l'antinomie  apparente  de  la  question  que  l'auteur  s'est 
proposé  de  résoudre  et  il  l'a  trouvée  implicite  dans  le 
texte  de  saint  Paul  :  Sidvalor  omnium  liominum,  ma- 
xime fulelium,  I  Tim.,  iv,  10  :  «  cette  maxime,  très  simple 
dans  sa  concision  et  très  énergique,  si  on  la  considère 
d'un  regard  calme,  dirime  toute  la  controverse  en  ques- 


tion. En  disant  :  Qui  est  salvalor  omnium  hominum, 
l'apôtre  confirme  que  la  bonté  de  Dieu  s'étend,  univer- 
selle, sur  tous  les  hommes.  Mais  en  ajoutant  :  maxime 
fulelium,  il  montre  qu'une  portion  du  genre  humain, 
moyennant  le  mérite  d'une  foi  divinement  inspirée,  est 
élevée  par  des  bienfaits  spéciaux  au  suprême  et  éter- 
nel salut.  Cela  se  passe  sans  aucune  iniquité  de  la  part 
d'un  Dieu  très  juste  et  très  miséricordieux,  dont  le 
jugement  en  ces  dispensations  de  grâce  ne  doit  pas  être 
discuté  avec  arrogance  mais  loué  avec  tremblement.  » 
De  vocatione  omnium  geniium,  1.  II,  c.  xxxi,  col.  71G. 
Dans  un  second  synode  tenu  à  Arles,  vers  475,  on  con- 
damna l'opinion  d'après  laquelle  le  Christ  n'est  pas 
mort  pour  tous,  et  n'a  pas  voulu  le  salut  de  tous  les 
hommes;  on  ne  peut  admettre  non  plus  que  le  damné 
n'a  pas  reçu  les  secours  nécessaires  au  salut.  Cf.  Hefele, 
Histoire  des  conciles,  trad.  Leclercq,  t.  n,  p.  909  sq.  Les 
seolastiques  ont  accentué  l'enseignement  de  la  volonté 
salvifique  étendue  à  tous  les  hommes  et  mis  en  lumière 
cette  loi  providentielle  :  des  moyens  de  salut  sont 
olïerts  à  tous  les  hommes.  Ils  ont  aussi  rencontré  les 
diverses  objections  que  suscite  cette  assertion,  notam- 
ment celle  qui  concerne  la  nécessité  de  la  foi  et  la  néces- 
sité d'appartenir  à  l'Église.  Ce  n'est  pas  ici  l'endroit 
d'exposer  en  détail  ce  qui  concerne  ces  matières.  Cf. 
Capéran,  op.  cit.,  p.  109-218.  Voir  Église,  t.  iv,  col. 
2155-2175;  Foi,  t.  vi,  col.  512. 

Parmi  les  erreurs  jansénistes  condamnées  en  1690 
par  Alexandre  VIII  nous  trouvons  cette  proposition  : 
«  Les  païens,  les  juifs,  les  hérétiques  et  d'autres  sem- 
blables ne  reçoivent  aucune  influence  de  Jésus-Christ, 
d'où  l'on  conclut  logiquement  qu'il  n'y  a  en  eux  qu'une 
volonté  nue  et  impuissante,  sans  aucune  grâce  suffi- 
sante. »  Denzinger-Bannwart,  n.  1295.  Il  faut  donc  ad- 
mettre que  l'influence  du  Christ  s'étend  aussi  aux 
païens,  etc.,  que  la  grâce  suffisante  est  donnée  aussi  aux 
personnes  infidèles,  etc.;  on  ne  pourrait  cependant  pas 
conclure  de  ce  texte  que  tous  les  païens,  juifs,  héré- 
tiques, etc.,  reçoivent  de  fait  la  grâce  suffisante.  Le  texte 
ne  fait  pas  plus  qu'énumérer  des  catégories  de  per- 
sonnes auxquelles  la  grâce  est  accordée.  Mais  la  doc- 
trine qui  a  dicté  la  condamnation  est  celle  qui  concerne 
la  volonté  salvifique  de  Dieu  et  qui  affirme  que  Dieu 
donne  à  tous  les  hommes  le  secours  suffisant  au  salut. 
C'est  ce  principe  qui  constitue  la  raison  théologique  de 
la  proposition  que  nous  avons  démontrée. 

2.  Mais  la  difficulté  surgit  quand  il  faut  expliquer 
comment  Dieu  réalise  sa  volonté  salvifique,  notamment 
comment  il  rend  possible  la  foi  nécessaire  au  salut,  étant 
donné  que  tant  d'hommes  semblent  privés  de  toute 
connaissance  concernant  la  révélation  divine.  Ce  n'est 
pas  cette  question  qu'il  nous  faut  traiter  ici.  M.  Capé- 
ran. dans  l'Essai  théologique,  qui  fait  suite  à  son  Essai 
historique,  nous  paraît  avoir  bien  exposé  et  défendu  la 
solution  de  ce  problème,  voir  surtout  p.  83  sq.  Mais  la 
foi  n'est  pas  la  première  grâce,  il  y  a  des  grâces  qui 
précèdent  la  foi,  cf.  Denzinger-Bannwart,  n.  1376, 
1377,  1379;  il  peut  y  avoir  des  secours,  destinés  immé- 
diatement à  donner  à  l'homme  le  moyen  d'éviter  le 
péché  et  qui  ne  sont  pas  encore  un  moyen  immédiat 
d'arriver  à  la  foi.  Pour  expliquer  la  proposition  démon- 
trée plus  haut,  nous  devons  donner  des  éclaircissements 
sur  le  terme  secours  suffisant. 

Remarquons  d'abord  que  les  théologiens  se  conten- 
tent d'enseigner  que  tous  les  hommes  auront  le  secours 
au  moins  remole  sufficiens  ad  salutem.  Que  faut-il 
entendre  par  là?  Plusieurs  admettent,  sous  cette  déno- 
mination, des  motions  surnaturelles  quoad  modum  lan- 
tum,  c'est-à-dire  des  impulsions,  en  elles-mêmes  natu- 
relles, mais  ordonnées  par  Dieu  à  des  secours  surna- 
turels dans  leur  entité,  que  l'homme  recevra  s'il 
coopère  aux  premières  motions.  Nous  avons  exposé 
ci-dessus    que    l'existence    des  secours   quoad   modum 


If.nl 


GRACE 


1602 


surnaturels  n'est  pas  certaine.  De  plus,  nous  pensons 
qu'on  ne  pourrait  condamner  l'opinion  qui  dirait  qu'un 
païen  a  eu  le  secours  remole  suffleiens  ad  salutem,  même 
sans  recevoir  des  illuminations  ou  inspirations  inter- 
nes, quoad  modum  surnaturelles.  Voici  pourquoi  :  un 
adulte  a  la  capacité  morale  d'observer,  sans  la  grâce, 
la  loi  naturelle  pendant  un  certain  temps  et  d'éviter 
tout  péché  mortel;  pendant  ce  temps  néanmoins  il 
peut  pécher  mortellement  et  multiplier  les  péchés. 
Si  donc  un  adulte  s'adonne  au  péché,  il  met  lui-même 
obstacle  à  la  bienveillance  divine  à  son  égard,  il  semble 
que  Dieu  peut  permettre  qu'il  reste  dans  cette  misère 
et  qu'il  y  meure;  alors  il  sera  damné  pour  ses  propres 
péchés  personnels,  nullement  pour  le  seul  péché  origi- 
nel, ni  pour  l'absence  delà  foi  en  lui.  Dans  le  casque 
nous  venons  d'indiquer,  l'homme  semble  avoir  eu  le 
secours  suffisant;  car,  comme  le  dit  saint  Thomas, 
Conl.  gent.,  1.  III,  c.  clxiii,  Dieu  aide  l'homme  à  éviter 
le  péché  aussi  au  moyen  de  la  lumière  naturelle  de  la 
raison  et  au  moyen  d'autres  biens  naturels  qu'il  con- 
fère. Cette  remarque  est  encore  confirmée  par  Sylvestre 
le  Ferrarais,  Commcnlurius  in  Summum  contra  gcnliles, 
1.  III,  c.  clix,  Lyon,  1586,  p.  600,  qui,  parlant  du 
pécheur,  dit  qu'il  doit  attribuer  à  lui-même  de  rester 
privé  de  la  grâce  (sanctifiante),  même  s'il  n'a  pas 
le  secours  divin  requis  pour  se  préparer  à  la  grâce 
(sanctifiante)  :  eliam  déficiente  sibi  divino  auxilio  ad 
gralise  pra'paralioncm  necessario.  Cet  auteur  admet, 
donc  que  le  pécheur  puisse,  en  raison  de  sa  culpabilité, 
rester  privé  de  grâces  actuelles  ordonnées  à  la  prépa- 
ration à  la  justification;  ne  peut-on  pas  dire  la  même 
chose  du  païen,  dont  il  est  question  ? 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  est  une  doctrine  de  saint  Thomas, 
Suni.  theol.,  Iil  If,  q.  lxxxix,  a.  61,  dont  il  faut  tenir 
compte.  Il  y  enseigne  que  tout  homme,  même  le  païen, 
quand  il  est  arrivé  au  plein  usage  de  la  raison  et  est  par 
conséquent  capable  de  délibérer,  doit  ou  bien  s'ordonner 
lui-même  à  sa  véritable  fin  qui  est  Dieu,  ou  bien  s'en 
détourner  en  plaçant  sa  fin  dernière  ou  son  bonheur 
définitif  en  des  biens  créés;  dans  le  premier  cas, 
l'homme,  d'après  saint  Thomas,  est  justifié,  c'est-à-dire 
qu'il  a  la  grâce  sanctifiante;  dans  le  second  cas,  il 
commet  un  péché  mortel.  Cf.  Pègues,  Commentaire 
français  littéral  de  la  Somme  théologique  de  saint  Thomas, 
Toulouse,  1913,  t.  vm,  p.  816  sq.  De  cette  doctrine,  il 
résulte  que  tout  homme,  au  moment  où  il  doit  poser 
l'acte  décrit  ci-dessus,  est  ]>révcnu  d'une  grâce  propre- 
ment dite,  qu'il  peut,  au  moins,  par  inspiration  divine 
interne,  faire  un  acte  de  foi  surnaturelle;  il  faut  donc, 
d'après  cette  opinion,  admettre  que  Dieu  accorde  de  fait 
à  tous  les  hommes  les  grâces  actuelles  suffisantes  à  l'acte 
de  foi  et  à  l'acte  de  charité  par  lequel  ils  puissent  s'or- 
donner vers  leur  fin  dernière  surnaturelle.  D'après  cette 
donnée  le  secours  suffisant  au  salut  comprendrait  donc 
toujours  des  grâces  actuelles  proprement  dites,  c'est-à- 
dire  des  illuminations  et  des  inspirations  surnaturelles. 
Tous  les  commentateurs  n'interprètent  pas  de  même 
façon  la  pensée  de  saint  Thomas.  Le  cardinal  Billot, 
par  exemple.  De  virtulibus  infusis,  Rome,  1901,  thés. 
vu,  p.  172,  admet  aussi  que,  pour  l'adulte,  il  n'y  a 
pas  de  milieu  entre  l'état  de  grâce  et  l'état  de  péché 
mortel  personnel,  mais  avec  cette  restriction  régula- 
riter  saltem  loquendo,  et  par  cela  il  entend  le  cas  de 
l'adulte  auquel  est  parvenue  déjà  la  connaissance  de  la 
révélation  et  de  la  fin  surnaturelle.  D'autres  auteurs 
entendent  la  doctrine  exposée  d'une  façon  absolue,  en 
ce  sens  qu'elle  concerne  tout  adulte  sans  exception.  Voir 
aussi  Schifflni,  De  gratia  divina,  n.  310,  315.  Mais  alors 
à  l'enseignement  de  saint  Thomas,  on  pourrait  opposer 
ce  que  saint  Thomas  dit  lui-même,  De  vcrilale,  q.  xiv, 

a-  H,  ad  1 :      Il  n'\  a  aucun  inconvénient  à  admettre 

que  tout  homme  doit  croire  explicitement  certaines 
vérités,  même  s'il  s'agit  de  quelqu'un  qui  est  élevé  dans 
DICT.  DE  THÉOL.  C.VIHOL. 


les  bois  ou  au  milieu  des  animaux  :  car  c'est  une  fonc- 
tion de  la  providence  divine  de  procurer  à  chacun  les 
moyens  nécessaires  au  salut,  pourvu  qu'il  n'y  mette  pas 
obstacle.  Si  quelqu'un,  élevé  comme  nous  l'avons  dit, 
se  conforme  à  ce  que  dicte  sa  raison  naturelle  dans  la 
poursuite  du  bien  et  la  fuite  du  mal,  il  faut  tenir  abso- 
lument que  Dieu,  ou  bien  par  une  inspiration  interne 
révélerait  à  cet  homme  les  vérités  qu'il  doit  croire,  ou 
bien  lui  enverrait  un  prédicateur  de  la  foi,  comme  il  a 
envoyé  Pierre  à  Corneille.  »  Ce  qui  attire  ici  notre 
attention,  c'est  l'assertion:  si  quelqu'un,  élevé  comme 
nous  l'avons  dit,  se  conforme  à  ce  que  dicte  sa  raison 
naturelle;  il  semblerait,  à  première  vue,  que  saint  Tho- 
mas veut  dire  :  si  un  homme,  éclairé  par  sa  raison  natu- 
relle, observe  pendant  un  certain  temps  la  loi  naturelle 
et  évite  tout  péché  mortel,  Dieu  lui  accordera  d'arriver 
à  la  foi  proprement  dite  et  surnaturelle.  Si  telle  était 
la  pensée  de  saint  Thomas,  elle  ne  s'accorderait  pas 
avec  la  thèse  qu'il  défend  dans  la  Somme  et  où  il  dit  que 
tout  homme,  arrivé  à  l'âge  de  discrétion  proprement 
dite,  se  trouve  dans  la  nécessité  de  s'orienter  dans  la 
recherche  de  son  bonheur,  et  d'être  justifié  ou  de  com- 
mettre le  péché  mortel.  Voici  une  solution  qu'on  nou , 
a  proposée  :  dans  la  réponse  du  livre  De  vcritale,  les 
paroles  :  si  ductum  naluralis  ralionis  scquereliir  in  appe- 
litu  boni  et  fuga  mali,  peuvent  s'entendre  du  premier 
moment  où  la  raison  naturelle  s'éveille  et  où  l'homme 
délibère.  C'est  alors  même  que  Dieu  intervient,  et  cet 
homme,  allant  à  Dieu,  conduit  par  sa  raison  naturelle, 
atteint,  par  l'inspiration  intérieure  et  par  la  foi,  Dieu 
sous  sa  raison  de  fin  surnaturelle.  Tout  en  suivant  les 
préceptes  que  dicte  la  raison  naturelle,  cet  homme 
aurait  cependant  de  Dieu  une  connaissance  surna- 
turelle, la  foi  suivie  d'un  amour  surnaturel,  et  serait 
justifié  par  l'infusion  de  la  grâce  sanctifiante.  On  pour- 
rait encore  proposer  une  autre  interprétation  :  cet 
homme,  à  supposer  même  que  dans  son  premier  acte 
il  n'eût  pas  été  à  Dieu  comme  il  devrait  et  que  par 
suite  il  se  trouvât  en  état  de  péché  mortel,  pourrait 
cependant,  dans  la  suite  de  sa  vie,  observer  les  pré- 
ceptes de  la  loi  naturelle,  et,  sous  le  coup  de  grâces 
actuelles  suffisantes  que  Dieu  accorde  à  tout  homme, 
s'orienter  vers  Dieu  au  moins  tel  qu'il  peut  le  connaître 
par  sa  raison;  s'il  fait  cela,  Dieu  complétera  dans  ce 
mouvement  (soit  par  inspiration  interne,  soit  par  un 
prédicateur)  tout  ce  qu'il  faudra  pour  que  ce  mouve- 
ment soit  surnaturel  et  puisse  aboutir  à  la  sanctifi- 
cation du  sujet.  Nous  croyons  donc  que  la  réponse  de 
saint  Thomas  ne  s'oppose  pas  à  sa  doctrine  exposée 
plus  haut.  L'interprétation  que  donne  de  cette  réponse 
M.  Capéran,  op.  cit.,  Essai  théologique,  p.  49,  semble 
difficile  à  admettre  :  «  Estimant  que  la  foi  explicite  à 
l'incarnation,  à  la  rédemption  et  à  la  trinité  est  indis- 
pensable à  partir  de  la  promulgation  de  l'Évangile, 
Thomas  d'Aquin  enseigne  que  tout  infidèle  qui  fait  de 
son  mieux  ne  mourra  pas  sans  avoir  connu  ces  mys- 
tères, cela  ne  veut  pas  dire  que  l'infidèle  n'obtienne  la 
grâce  de  la  justification  qu'après  les  avoir  connus.  » 
Mais  si  l'homme  est  déjà  sanctifié,  il  peut  donc  être 
sauvé  :  il  n'encourra  donc  pas  nécessairement  la  dam- 
nation, comme  le  disait  l'objection  à  laquelle  répond 
saint  Thomas.  Sur  la  doctrine  de  saint  Thomas,  con- 
cernant le  point  qui  nous  occupe  on  lira  aussi  avec  uti- 
lité un  article  de  M.  de  Guibert,  dans  le  Bulletin  de  titté- 
rature  ecclésiastique,  Toulouse,  1913,  p.  337  sq. 

Le  P.  Schifflni,  op.  cit.,  n.  313,  indique  ainsi  les 
étapes  par  lesquelles  le  païen  adulte  peut  parvenir  à  la 
foi  et  à  la  conversion  :  quand  l'infidèle  arrive  à  l'usage 
de  la  raison,  son  intelligence  lui  dicte  l'existence  de 
Dieu.  Dieu  alors,  par  des  grâces  actuelles,  l'illumine  et 
l'inspire  pour  qu'il  reconnaisse  l'existence  de  l'Être 
suprême  et  conçoive  le  désir  d'une  connaissance  plus 
parfaite  de  la  vraie  religion  et  de  la  morale.  Si  l'infidèle 

VI.  —  51 


1603 


GRACE 


1604 


ne  correspond  pas  à  cette  première  vocation,  Dieu  ne 
donne  pas  des  secours  proximc  sufficienlcs  à  la  foi  surna- 
turelle. Mais  plus  tard  Dieu  renouvelle  ses  motions 
salutaires.  Si  le  païen  y  consent  et  y  coopère,  Dieu 
donne  des  secours  ultérieurs  pour  qu'il  puisse  concevoir 
la  foi  formelle  et  parfaite.  Si  le  païen  consent  a  cela, 
Dieu  donne  la  grâce  pour  qu'il  puisse  recevoir  le  sacre- 
ment de  baptême  ou  le  sacrement  de  désir. 

4°  La  doctrine,  que  nous  avons  exposée,  est  parfois 
exprimée  par  l'adage  :  Facicnti  quod  in  se  est,  Deus  non 
dclî  gai  ïjrutiafii.  Les  scolastiques  anciens  ont  donné 
cette  formule  d'après  des  expressions  analogues  trou- 
vées chez  les  Pères.  Cf.  Tabarelli,  De  gratia  Christi. 
Rome,  1908,  p.  132.  La  plupart  des  anciens  scolastiques 
ont  entendu  cette  assertion  en  ce  sens  :  à  celui  qui,  au 
moyen  du  secours  de  grâces  actuelles,  fait  ce  qu'il  peut, 
Dieu  ne  refuse  pas  la  grâce  sanctifiante.  Voir,  à  ce  sujet, 
S.  Bonavcnturc,  In  IV  Sent.,  1.  II,  dis  t.  XXVIII,  a.  2, 
q.  1,  Opéra,  t.  n,  p.  G82;  S.  Thomas,  Sum.  theol.,  I»  II' . 
q.  cix,  a.  6;  q.  cxn,  a.  3;  l'auteur  de  l'opuscule,  Com- 
pendium  totius  theologicœ  veritalis,  cf.  la  note  du  Dr  Bit- 
tremieux,  dans  Paslor  bonus,  1913,  t.  xxv,  p.  650  sq.  : 
Cajétan,  In  Sum.  theol.,  Ia  II"',  q.  cix,  a.  6;  sur  d'autres 
auteurs,  voir  Palmieri,  De  gratia  actuali,  thés,  xxxiv, 
n.  5,  p.  302  sq.  Mais  Molina,  Concordia,  q.  xiv,  a.  13, 
disp.  X,  Paris,  1876,  p.  43,  explique  l'adage  en  ce  sens  : 
à  celui  qui  fait  ce  qu'il  peut  par  ses  énergies  naturelles 
Dieu  donne  toujours  les  secours  actuels  suffisants  pour 
qu'il  arrive  à  la  foi  et  ultérieurement  à  la  justification. 
Cette  explication  est,  pour  Molina,  l'expression  d'une 
thèse  concernant  la  distribution  de  la  grâce.  Quoiqu'il 
enseigne  que  les  bonnes  œuvres  naturelles  ne  peuvent 
d'aucune  manière  exiger  ou  mériter  une  grâce,  il  sou- 
tient cependant  que  le  Christ  a  obtenu  que  fût  établie 
par  Dieu  cette  règle  :  à  tout  homme  qui,  par  ses  seules 
forces  naturelles,  fera  le  bien  moral  qu'il  peut,  le  secours 
de  la  grâce  sera  accordé,  de  façon  que  le  salut  de 
l'homme,  aussi  longtemps  qu'il  vit  sur  la  terre,  dépend 
de  son  libre  arbitre;  Molina  établit  ainsi  une  connexion 
infaillible  entre  une  vie  naturellement  honnête  et  la 
concession  de  la  première  grâce.  La  même  opinion  est 
défendue  par  Suarez,  De  gratia,  1.  IV,  c.  xv  sq.,  Opéra, 
t.  vm,  p.  310;  Lessius,  De  gratia  efficaci,  c.  x;  par 
Mazzella,  op.  cit.,  n.  863;  Jungmann,  De  gratia,  h.  212 
sq.;  Pesch,  op.  cit.,  t.  v  n.  215;  Mgr  WalTelaert,  Mé- 
ditations lliéologiques,  t.  i,  p.  79  sq.  L'opinion  ne  peut 
pas  être  taxée  de  semipélagianisme;  cette  hérésie  en- 
seignait au  fond  que  les  bonnes  œuvres  naturelles 
étaient  d'elles-mêmes  un  titre  exigitif  à  recevoir  la 
grâce;  Molina,  et  ceux  qui  le  suivent,  nient  cela  et 
tiennent  que  les  bonnes  œuvres  naturelles  ne  sont 
pas  autre  chose  qu'une  disposition  négative  à  la  grâce, 
en  ce  sens  qu'elles  empêchent  l'homme  d'y  mettre  posi- 
tivement obstacle  par  le  péché.  C'est  pourquoi  l'opinion 
de  Molina  ne  méritait  pas  la  censure  que  lui  infligeait 
l'Assemblée  du  clergé  de  France,  en  1700.  Cf.  Hugort, 
Hors  de  f  Église  point  de  salut,  Paris,  1907,  p.  91.  Néan- 
moins l'opinion  de  Molina  ne  semble  pas  solidement 
étayée,  parce  qu'il  admet  une  connexion  infaillible  entre 
la  vie  honnête  naturelle  et  la  concession  de  la  grâce. D'où 
Vient  celle  infaillible  connexion  '?  Elle  vient  d'un  pacte 
que  Dieu  aurait  fait  avec  le  Christ,  ou  d'une  règle  que 
Dieu  se  serait  tracée,  d'après  lesquels  il  accorderait  la 
grâce  à  tout  homme  qui  évite  le  péché  mortel.  Mais 
nous  n'avons  aucun  argument  par  lequel  on  puisse 
démontrer  l'existence  de  ce  pacte  ou  de  cette  règle.  De 
plus,  il  nous  semble  que  ce  décret,  que  l'on  attribue  à 
Dieu,  n'est  pas  conciliable  avec  la  gratuité,  sainement 
en  tendue,  qui  appartient  à  la  notion  de  la  grâce.  Cette 
gratuité,  en  elfet,  implique  que  dans  l'homme  et  dans 
ses  (envies  naturelles  il  n'y  a  de  fait  aucun  titre  à  rece- 
voir la  première  grâce.  Or  si  l'on  dit  que  la  vie  honnête 
naturelle  est  de  fait  une  condition  à  laquelle  Dieu  a 


infailliblement  rattaché  la  concession  de  la  grâce,  on 
doit  logiquement  conclure  que  la  vie  honnête  naturelle 
esl  devenue  en  réalité,  par  une  disposition  divine,  un 
titre  à  recevoir  la  grâce  :  d'où  contradiction. 

lui  fin  il  est  impossible  de  déterminer  ce  que  com- 
porte la  vie  honnête  pour  qu'elle  soit  la  condition  à 
laquelle  Dieu  donnerait  la  grâce.  On  trouvera  ces  argu- 
ments développés  par  Ilugon,  op.  cit.,  p.  84  sq. ; 
Schifhni,  De  gratia  divina,  n.  306  sq.,  313,  319;  Taba- 
relli, op.  cit.,  p.  128-136;  Billot,  De  gratia  Christi, 
p.  198-204.  Nous  dirons  donc  avec  saint  Thomas  : 
«  Le  seul  fait  de  ne  pas  mettre  obstacle  à  la  grâce  est 
déjà  l'œuvre  de  la  grâce.  »  In  Epist.  ad  Hcbrœos,  c.  xn, 
lect.  m,  Comment,  in  omnes  S.  Pauli  Epistolas,  Turin, 
1896,  t.  n,  p.  436.  Qu'on  ne  nous  oppose  pas  un  texte  de 
Pie  IX  dans  sa  lettre  adressée  aux  évêques  d' Italie,  le  10 
août  1863,  Denzinger-Bannwart,  n.1677  :  car  Pie  IX  n'y 
dit  pas  que  ceux  qui  ignorent  invinciblement  notre  reli- 
gion observent  la  loi  naturelle  sans  le  secours  de  la  grâce. 
Il  se  peut  que  les  infidèles,  avec  le  secours  de  la  grâce, 
observent  la  loi  naturelle  pendant  un  certain  temps, avant 
d'arriver  à  la  foi  surnaturelle.  Notons  en  dernier  lieu 
que  les  bonnes  dispositions  naturelles,  les  bonnes  habi- 
tudes acquises,  surtout  un  jugement  droit  et  une  natu- 
relle connaissance  vraie  concernant  Dieu,  sans  être 
un  titre  à  recevoir  la  grâce,  sont  cependant  utiles  au 
salut;  car  elles  rendent  plus  facile  la  coopération  à  la 
grâce,  parce  qu'elles  enlèvent  chez  l'homme  ce  qui  est 
un  obstacle  à  cette  coopération,  en  particulier  les  faux 
préjugés  et  les  vices. 

II.  GRACE  HABITUELLE  OU  SANCTIFIANTE  —  Dans 
l'article  précédent,  nous  avons  établi  l'existence  de  la 
grâce  considérée  en  général,  en  tant  qu'elle  est  une 
réalité  interne  à  l'homme  et  surnaturelle;  nous  avons 
constaté  aussi  une  double  fonction  de  la  grâce  :  elle  est 
une  force  permettant  à  l'homme  d'éviter  le  péché  mortel 
et  d'accomplir  ses  devoirs  ;  elle  est  aussi  un  principe  de 
surnalurcdisalion,  rendant  formellement  scdulairc  l'acti- 
vité qui  dérive  d'elle.  Nous  devons  maintenant  recher- 
cher l'essence  de  la  grâce  et  nous  divisons  la  matière  de 
cette  enquête  en  deux  grandes  parties  :  l'une  a  pour 
objet  la  grâce  habituelle  ou  sanctifiante,  l'autre,  la 
grâce  actuelle.  Sur  la  grâce  sanctifiante:  I.  Existence 
II.  Essence.  III.  Effets.  IV.  Propriétés.  V.  Dispositions 
requises  pour  la  recevoir.  VI.  Causes. 

1.  Existence.  —  1°  Données  scripluraires.  —  1.  Le 
Christ,  comme  nous  l'avons  indiqué  plus  haut,  a  ensei- 
gné que  l'homme,  pour  être  sauvé,  doit  renaître  spiri- 
tuellement, être  par  conséquent  vitalement  transformé. 
Ioa.,m,  3,  5.  Le  principe  de  cette  vie  est  une  influence 
vivifiante,  qui  part  du  Christ,  vivifie  l'homme  et  l'unit 
au  Christ.  Joa.,  xv,  1-5. 

2.  Saint  Paul  enseigne  que  l'homme  est  rendu  juste 
et  saint,  non  par  ses  propres  efforts  ou  ses  œuvres  per- 
sonnelles, mais  par  un  don  gratuit  de  Dieu.  Rom.,  m, 
21-22;  Tit.,  m,  4-7.  Cf.  Prat,  op.  cit.,  t.  n,  p.  350-366. 
Voir  Justification.  Ce  don  comporte  la  rémission  des 
péchés  :  du  péché  originel,  Rom.,  v,  18-19,  des  péchés 
personnels,  I  Cor.,  VI,  11,  et  une  réelle  rénovation  de 
l'homme,  une  naissance  nouvelle,  Tit.,  m,  4-7;  cette 
naissance  nouvelle  donne  une  nouvelle  nature,  car  par 
cette  naissance  l'homme  est  une  nouvelle  créature, 
Eph.,  ii,  8-10;  Gai.,  vi,  15,  et  ce  par  quoi  il  est  créature 
nouvelle  est  aussi  ce  par  quoi  il  devient  capable  d'une 
activité  salutaire,  Eph.,  ii,  8-10,  qui  est  une  vie  nou- 
velle. Rom.,  vi,  3-6;  Gai.,  n,  20. 

Il  s'agit  donc  ici  d'un  étal  de  sainteté  et  il  est  réalisé 
par  une  réalité,  une  nature  permanente  infuse  dans 
l'âme  humaine.  Cet  état  de  sainteté  (et  la  réalité  qui  la 
constitue)  est  caractérisé  ultérieurement  par  une  triple 
relation  qui  lui  est  indissolublement  inhérente  :  une 
relation  avec  Dieu  le  Père,  dont  le  juste  est  le  fils  adop- 


1603 


GRACE 


1606 


iif,  une  relation  avec  le  Saint-Esprit  qui  habite  dans  le 
juste,  une  relation  avec  Jésus-Christ,  une  union  mys- 
tique avec  le  Christ  dont  le  juste  est  un  membre  vivant 
recevant  de  lui  l'influx  vital,  comme  les  membres  du 
corps  vivant  de  la  tète.  Rom.,  vin.  15-17;  (lai.,  iv.  1!»; 
Rom.,  vin,  9-11  ;  Eph.,  IV,  14  sq.;  Col.,  il,  18.  Cf.  Prat, 
op.  cit.,  p.  450  sq.  Nous  avons  réuni  ici  ces  diverses 
données  pour  permettre  de  jeter  un  coup  d'oeil  d'en- 
semble sur  la  doctrine  de  l'apôtre  :  ces  notions  diverses 
expriment  une  même  réalité  que  nous  appelons  grâce 
sanctifiante,  et  ont  été  ultérieurement  analysées  et 
expliquées  par  les  Pères  et  les  théologiens,  comme  nous 
l'exposerons  dans  la  suite.  Mais  pour  l'objet  qui  nous 
occupe,  à  savoir,  l'existence  de  la  grâce  sanctifiante, 
nous  devons  encore  insister  sur  ce  point  :  la  sainteté, 
dont  parle  l'apôtre,  n'est  donc  pas  une  perfection 
morale  acquise  par  les  opérations  de  l'homme,  elle  n'est 
pis  le  produit  naturel  de  l'activité  humaine,  elle  est 
infuse  par  Dieu  dans  l'âme,  notamment  au  moyen  du 
baptême.  Tit.,  m,  4-7.  De  plus,  cette  sainteté  infuse 
n'est  nullement  due  à  l'homme  comme  tel,  car  Dieu  la 
donne  aux  uns  et  non  pas  aux  autres;  enfin  les  opéra- 
tions naturelles  de  l'homme  ne  sont  pas  un  titre,  ne 
constituent  pas  une  exigence  à  recevoir  ce  don  :  «  Nul 
homme  ne  sera  justifié  devant  lui  (Dieu)  par  les  œuvres 
de  la  loi...  Maintenant,  sans  la  loi...  ceux  qui  sont  jus- 
tifiés le  sont  gratuitement  par  sa  grâce.  »  Rom.,  m,  20- 
24.  La  sainteté  est  un  efïet  de  la  prédestination  divine; 
celle-ci  dépend  d'une  libre  décision  de  Dieu,  Rom.,  vin, 
20;  Eph.,  i,  4-11,  qui  a  pour  dernière  raison  la  miséri- 
corde divine  :  «  L'élection  (à  la  sainteté  et  au  salut)  ne 
dépend  ni  de  la  volonté  ni  des  efforts  (de  l'homme), 
nuis  de  Dieu  qui  fait  miséricorde.  »  Rom.,  ix,  16;  xi,  5. 
i.  Mais  lorsque  Dieu  notre  Sauveur  a  fait  paraître  sa 
bonté  et  son  amour  pour  les  hommes,  il  nous  a  sauvés, 
non  à  cause  des  œuvres  de  justice  que  nous  faisons, 
mais  selon  sa  miséricorde,  par  le  bain  de  régénération 
et  en  nous  renouvelant  par  le  Saint-Esprit,  qu'il  a 
répandu  sur  nous...  »  Tit.,  m,  4-6. 

Saint  Paul  nous  enseigne  donc  l'existence  d'un  don 
sanctifiant  et  sa  complète  gratuité. 

Les  textes  cités  en  dernier  lieu  nous  apprennent 
explicitement  la  gratuité  du  don  sanctifiant,  en  mon- 
trant que  les  bonnes  œuvres  comme  telles,  ou  naturelles, 
ne  constituent  pas  l'homme  saint  ou  juste;  déplus,  que 
ces  œuvres  ne  sont  pas,  devant  Dieu,  un  litre  exigeant 
ce  don  sanctifiant,  qu'elles  ne  sont  donc  pas  méritoires. 
C'est  la  première  raison  pour  laquelle  le  don  sanctifiant 
est  positivement  indu  à  l'homme.  Mais  ceci  implique 
déjà  que  le  don  sanctifiant  n'est  pasuneentiténaturelle: 
car  s'il  l'était,  il  serait  le  résultat  nécessaire  des  bonnes 
œuvres  naturelles  opérées  par  l'homme.  L'essence  de  ce 
don  nous  est  ultérieurement  expliquée  par  ses  effets,  no- 
tamment, par  ceci  que  l'homme  en  le  possédant  devient 
fils  adoplif  de  Dieu,  temple  du  Saint-Esprit:  cette 
dignité  est  absolument  surnaturelle  :  d'où  il  résulte  que 
l'entité,  qui  confère  cette  dignité,  est  en  elle-même 
surnaturelle,  positivement  indue  à  toute  créature. 

3.  Saint  Jacques  enseigne  aussi  que  la  justification 
s'obtient  par  une  naissance,  due  à  la  bienveillance 
divine,  i,  18;  pour  saint  Jean,  l'homme  juste  est  né  de 
Dieu  et  la  semence  de  Dieu  demeure  en  lui.  I  Joa.,  m,  9. 
L'état  de  sainteté  est  aussi  appelé  par  saint  Jean  une 
onction  reçue,  qui  demeure  dans  l'homme,  il,  27. 

2°  Les  Pères  reprennent  et  expliquent  le  même  ensei- 
gnement. L'auteur  de  l'Epître  de  Barnabe  présente 
deux  assertions  très  significatives  :  «  lui  nous  renouve- 
lant par  la  rémission  des  péchés,  il  nous  a  mis  une  autre 
empreinte,  au  point  d'avoir  l'âme  de  petits  enfants, 
justement  comme  s'il  nous  créait  à  nouveau;  car  c'est 
de  nous  que  parle  l'Ecriture  lorsque  (Dieu)  dit  au  Fils  : 
Faisons  l'homme  à  notre  image  et  ressemblance,  »  vi, 
11-12.  Plus  loin  :  «  C'est  en  recevant  la  rémission  de  nos 


péchés...  que  nous  devenons  des  hommes  nouveaux, 
que  nous  sommes  recréés  de  fond  en  comble,  »  xvi,  8 
(traduction  Laurent-IIemmer,  Les  Pères  apostoliques, 
Paris,  1007,  t.  i,  p.  51  sq.,  91).  Tertullien  enseigne  qu'au 
baptême  l'âme  acquiert  une  ressemblance  spéciale  avec 
Dieu,  différente  de  la  similitude  qu'elle  a  par  sa  nature. 
De  baplismo,  n.  5.  Cf.  d'Alès,  La  théologie  de  Tertullien, 
Paris,  1005,  p.  264.  Saint  Basile  décrit  la  présence  du 
Saint-Esprit  dans  l'âme  et  la  compare  à  la  présence  de 
la  forme  dans  la  matière,  de  la  faculté  de  vision  dans 
l'œil,  de  l'art  dans  l'artiste  :  le  Saint-Esprit  est  toujours 
uni  aux  justes,  mais  il  n'opère  pas  toujours  en  eux  des 
effets  tels  qu'il  en  produit  chez  les  prophètes,  ou  dans 
les  guérisons  ou  dans  d'autres  opérations  miraculeuses. 
De  Spiritu  Sanclo,  c.  xxxvi,  n.  61,  P.  G.,  t.  xxxn, 
col.  180.  Saint  Grégoire  de  Nazianze  décrit,  sous  des 
noms  divers,  la  grâce  reçue  au  baptême  et  enseigne 
qu'il  faut  baptiser  les  enfants,  quand  ils  sont  en  danger, 
bien  qu'ils  ne  puissent  pas  s'apercevoir  de  la  grâce  qui 
les  sanctifie.  Orat.,  xl,  in  sanctum  baplisma,  n.  3  sq.,  28, 
P.  G.,  t.  xxxvi,  col.  361  sq.,  399.  Saint  Jean  Chrysos- 
tome  explique  pourquoi  le  baptême  est  appelé  un  bain  de 
régénération  :  c'est  parce  que  l'homme  y  est  de  nouveau 
créé  et  formé  ;  il  y  reçoit  cette  beauté,  que  Dieu  avait 
accordée  au  premier  homme,  et  qui  est  produite  par  la 
grâce  du  Saint-Esprit.  Calechesis,  i,  ad  illuminandos, 
n.  3,  P.  G.,  t.  xlix,  col.  226  sq.  Cf.  Cat.,  n,  n.  1, 
col.  232  sq.  Saint  Cyrille  d'Alexandrie  est  encore 
plus  explicite  sur  la  réalité  de  la  grâce  interne 
et  sanctifiante  :  «  Il  y  a  pour  l'homme  une  for- 
mation simple;  comme  lorsque  notre  premier  père 
Adam  fut  formé  de  la  terre...  Après  ce  mode  de  création, 
il  y  a  la  formation  qui  nous  est  propre  â  chacun  de  nous  : 
chacun  est  formé  dans  le  sein  de  la  mère  ;  c'est  par  cette 
voie  que  tous  nous  venons  à  l'existence.  Il  y  a  ensuite 
cette  formation  par  laquelle  nous  devenons  enfants  de 
Dieu,  élevés  intellectuellement  par  la  connaissance  des 
lois  divines  à  une  beauté  surnaturelle,  celle  qui  pro- 
cure â  nos  âmes  l'ornement  des  vertus  :  cette  beauté  est 
la  beauté  spirituelle.  11  y  a  en  même  temps  la  formation 
dans  le  Christ  â  l'image  du  Christ  par  la  participation 
au  Saint-Esprit.  Le  Christ  est  formé  en  nous  grâce  au 
Saint-Esprit  qui  introduit  dans  nos  âmes  une  certaine 
forme  divine  par  la  sanctification  et  la  justice.  C'est 
ainsi  que  s'imprime  en  nous  le  caractère  de  l'hypostase 
de  Dieu  le  Père,  grâce  au  Saint-Esprit  qui  nous  assimile 
à  lui  par  la  sanctification.  »  In  Jsaiam,  1.  IV,  orat.  Il, 
P.  G.,  t.  lxx,  col.  936-937  (traduction  du  P.  Mahé, 
dans  la  Revue  d'histoire  ecclésiastique,  Louvain,  1909, 
t.  x,  p.  485).  Cf.  Weigl,  Die  Heilslehre  des  hl.  Cyrill  von 
Alexandrien,  Mayence,  1905,  p.  181  sq.  Nous  aurons  à 
revenir  plus  tard  sur  la  doctrine  de  saint  Cyrille.  Saint 
Augustin  enseigne  que  la  justification  est  due  à  une 
réalité  interne,  à  une  forme,  dont  Dieu  revêt  l'homme. 
De  spiritu  et  littera,  c.  ix,  n.  15,  P.  L.,  t.  xliv,  col. 
208  sq.;  De  Trinilate.  I.  XV,  c.  vm,  n.  14,  P.  L.,  t.  xlii, 
col.  1068.  Cette  justice  est  de  Dieu,  parce  qu'elle 
est  donnée  par  lui,  mais  elle  est  nôtre  parce  qu'elle  est 
en  nous.  De  gratia  Chrisli,  c.  xm,  P.  L..  l.xi.iv,  col.  367. 
Le  docteur  Pohle,  Lehrbuch  der  Dogmatik,  Paderborn, 
1011,  t.  il,  p.  546  sq.,  indique  les  principaux  textes  de 
saint  Augustin  et  en  conclut  qu'ils  établissent  que  la 
grâce  sanctifiante  est  la  cause  formelle  de  notre  justi- 
fication. Saint  Augustin  enseigne  aussi  que  le  Saint- 
Esprit  habile  dans  les  enfants  baptisés,  bien  qu'ils  ne  le 
sachent  pas.  Epist.,  c.i.xxxvn,  n.  26,  P.  L.,  t.  xxxm, 
col.  841. 

3°  Les  scolasliques  supposent  l'existence  de  la  grâce 
admise  comme  un  dogme  de  foi;  ils  en  recherchent  sur- 
tout la  réalité  :  ils  établissent  qu'elle  est  une  chose  créée, 
infuse  dans  l'âme  humaine,  surnaturelle;  cette  notion 
d'une  grâce  qui  informe  l'âme  a  été  mise  en  lumière, 
d'abord  par  Alexandre  de  Haies  d'après  Heim,  Das 


ItiOT 


GRACE 


iros 


Wesen  der  Gnade  bei  Alexander  Halesius,  Leipzig,  1905, 
p.  lu  sq.  Cf.  Albert  le  Grand,  Summa  iheologiœ,  part.  II, 
tr.  XVI,  q.  xcvm,  m.  i.  Ils  en  étudient  l'essence.  Ils 
en  recherchent  le  pourquoi,  la  raison  d'êlre;  celle-ci  se 
déduit  de  la  connaissance  d'autres  vérités  :  nous  avons 
ainsi,  pour  confirmer  la  thèse  de  l'existence  de  la  grâce, 
les  arguments  de  raison  théologique:  ils  consistent  en  ce 
que  d'une  vérité  révélée,  au  moyen  d'une  autre  pré- 
misse non  révélée,  on  conclut  à  l'existence  de  la  grâce. 
Nmis  indiquerons  trois  arguments  de  ce  genre,  et  nous 
voulons  directement  démontrer  la  réalité  de  l'influence 
surnaturelle  de  Dieu  en  l'âme. 

1.  Argument  tiré  de  la  fin  dernière  surnaturelle.  — 
L'homme  est  appelé  à  posséder  Dieu  surnaturellement 
par  la  vision  béatifique;  or  l'homme  doit  tendre  à  cette 
lin  par  ses  propres  actes  et  ceux-ci  doivent  être  propor- 
tionnés à  la  fin  qu'ils  doivent  obtenir;  pour  que  ces 
actes  soient  proportionnés  à  cette  fin,  il  faut  qu'ils 
soient  surnaturels;  pour  que  ces  actes  puissent  être 
surnaturels,  ils  doivent  provenir  d'un  principe  surna- 
turel, par  conséquent  d'une  forme  surnaturelle,  infuse 
dans  l'âme.  Cet  argument  est  précisé  par  cette  consi- 
dération qu'obtenir  sa  fin  dernière  est,  pour  l'homme, 
la  mériter  :  un  acte  n'est  formellement  et  adéquatement 
méritoire  (aclus  mcrilorius  de  condigno)  que  pour 
autant  qu'il  est  intrinsèquement  proportionné  au  bien 
auquel  il  donne  droit,  à  la  récompense  qu'il  exige  : 
pour  qu'un  acte  soit  intrinsèquement  proportionné  a 
la  vision  béatifique,  il  faut  qu'il  soit  intrinsèquement 
surnaturel,  par  conséquent,  intrinsèquement  surnatu- 
ralisé  par  un  principe  surnaturel  dont  il  procède.  Il  faut 
donc  qu'à  la  nature  humaine  soit  surajoutée  une  forme 
qui  soit  principe  d'opération  surnaturelle.  Cet  argu- 
ment est  indiqué  par  Pierre  Lombard,  Sent.,  1.  II, 
dist.  XXIV,  c.  i;  développé  par  Alexandre  de  Halès. 
Summa  theologica,  part.  III,  q.  lxix,  m.  v,  a.  2; 
cf.  Heim,  op.  cit.,  p.  59  sq.  ;  par  Albert  le  Grand, 
Summa  Iheologiœ,  part.  II,  tr.  XVI,  q.  xcvm,  m.  n; 
par  saint  Thomas  d'Aquin,  In  IV  Sent.,  1.  II,  dist. 
XXVIII,  q.  i,  a.  1;  Summa  cont.  yent.,\.  III,  c.  cli;  De 
virtulibus  in  communi,  q.  i,  a.  10;  Sum.  theol.,  Ia  IF', 
q.  cix,  a.  2,  5.  C'est  là  une  doctrine  constante  et,  on 
peut  dire,  fondamentale  chez  saint  Thomas. 

2.  Argument  tiré  de  la  bienveillance  spéciede  de  Dieu 
à  l'égard  de  l'homme  juste.  —  Saint  Bonaventure,  In 
IV  Sent,  1.  II,  dist.  XXXVI,  q.  i,  a.  1,  Opéra  omnia, 
Quaracchi,  t.  n.  p.  G31,  expose  très  clairement  cette 
démonstration  :  Dieu  est  juge  équitable;  il  ne  donne 
approbation  et  bienveillance  que  pour  autant  que 
l'homme  est  réellement  digne  d'approbation  et  de  bien- 
veillance; s'il  approuve  et  a  pour  agréable  un  homme 
de  préférence  à  l'autre,  c'est  que  dans  le  premier  il  y  a 
un  bien,  un  don,  qui  n'existe  pas  dans  l'autre.  Cette 
considération  est  expliquée  de  la  manière  suivante  :  la 
connaissance  divine  ne  peut  être  en  défaut;  par  consé- 
quent Dieu  ne  juge  l'un  meilleur  que  l'autre,  sinon 
parce  que  le  premier  a  en  lui  une  réalité,  cjui  le  rend 
digne  d'approbation,  et  qui  ne  se  trouve  pas  chez 
l'autre.  La  bienveillance  divine  n'est  pas  une  affection 
nouvelle,  qui  surgit  et  est  causée  en  Dieu,  mais  c'est  la 
production  d'un  effet,  et  par  conséquent  il  y  a  un  efïet 
produit  dans  celui  qui  est  le  terme  de  la  bienveillance 
divine.  Saint  Bonaventure  ajoute  :  la  volonté  divine,  en 
tant  qu'elle  donne  son  approbation,  ne  subit  aucun 
changement  ;  dès  lors,  quand  quelqu'un  commence  à 
être  l'objet  de  l'approbation  ou  de  la  bienveillance 
divine,  c'est  en  lui  qu'a  dû  se  produire  un  changement; 
ce  changement  m-  lient  être  qu'un  don  reçu  de  Dieu: 
par  conséquent  ce  par  quoi  un  homme  est  agréable  à 
Dieu,  la  grâce,  est  une  réalité  infuse  par  Dieu  en  l'homme. 
Saint  Thomas,  Sum.  theol.,  Ia  IF',  q.  ex,  a.  1,  expose 
le  même  argument  :  il  fait  ressortir  explicitement  la 
différence  entre  l'amour  qui  est  dans  la  créature  et 


l'amour  qui  est  en  Dieu  ;  l'amour,  qui  est  en  la  créature, 
est  causé  en  elle  par  un  bien  préexistant;  l'amour  qui 
est  en  Dieu,  est  lui-même  cause  du  bien  qui  est  le 
terme  de  cet  amour.  C'est  pourquoi  toute  dilection  en 
Dieu  a  pour  conséquence  un  bien  produit  dans  la  créa- 
ture. La  dilection  spéciale  de  Dieu  à  l'égard  de  la  créa- 
ture raisonnable  élevée  à  l'ordre  surnaturel  produit  en 
elle  un  don  surnaturel.  Cf.  In  IV  Sent.,].  II,  dist.  XXVI, 
q.  i,  a.  1;  Summa  cont.  gent.,  1.  III,  c.  clv;  De  veritale, 
q.  xxvn,  a.  1;  Bellarmin,  De  justificatione  impii,  1.  II, 
c.  ni,  n.  26,  31,  32. 

3.  L'existence  de  la  grâce  est  confirmée  par  le  dogme 
du  péché  originel.  D'après  la  doctrine  de  l'apôtre,  Boni., 
v,  12  sq.,  définie  au  concile  de  Trente,  Denzinger-Bann- 
wart,  n.  787  sq.,  tous  les  hommes  qui  naissent  d'Adam 
(à  moins  qu'un  privilège  ne  les  en  exempte)  sont,  par 
le  seul  fait  de  leur  origine,  constitués  pécheurs  devant 
Dieu,  sujets  d'une  culpabilité  originelle.  D'après  le  prin- 
cipe indiqué  ci-dessus,  Dieu,  dont  la  connaissance  est 
infaillible,  ne  peut  pas  considérer  comme  coupables 
ceux  qui  ne  le  sont  pas  :  il  faut  que  chez  les  enfants  il  y 
:ùt  réelle  culpabilité.  Celle-ci  ne  peut  pas  être  constituée 
en  eux  par  un  acte  moral  mauvais,  ni  être  un  habitus 
résultant  d'une  faute  personnelle.  Cette  culpabilité  ne 
peut  donc  être  que  la  privation  d'une  perfection  qui 
ordonnerait  positivement  l'âme  vers  Dieu.  Mais  cette 
perfection  ne  peut  pas  être  purement  naturelle,  car  la 
nature  humaine,  telle  qu'elle  se  trouve  chez  les  enfants, 
n'est  pas  essentiellement  viciée  et  elle  possède  les  fa- 
cultés requises  pour  que  l'homme  tende  naturellement 
à  Dieu;  ces  facultés  sont  l'intelligence  et  la  volonté. 
Dès  lors  le  péché  originel  ne  se  conçoit  que  par  la  pri- 
vation d'une  perfection  surnaturelle,  d'une  perfection 
qui,  ajoutée  à  la  nature,  ordonne  habituellement  et 
positivement  celle-ci  vers  Dieu.  Il  faut  donc  que,  dans 
l'ordre  actuel  de  la  providence,  un  don  surnaturel  ait  été 
accordé,  en  Adam, à  la  nature  humaine  un  don  surnatu- 
rel dont  la  privation  constitue  précisément  ce  désordre 
moral,  cette  culpabilité,  qui  est  le  péché  originel.  Celui-ci 
peut  maintenant  encore  être  enlevé  de  l'âme  des  enfants, 
notamment  par  le  baptême,  qui  rend  les  hommes  justes 
et  saints,  en  produisant  en  eux  la  perfection  réelle  qui 
constitue  la  sainteté  surnaturelle.  Cette  explication  de 
l'essence  du  péché  originel  est  celle  de  saint  Thomas. 
Sum.  theol.,  D  IF',  q.  lxxxi  sq.  Cf.  Ia,  q.  xcv;  card. 
Billot,  De  pcrsonali  et  originali  peccato,  Prato,  1910, 
p.  177  sq.  Saint  Thomas,  dans  ses  premières  œuvres, 
avait  admis  l'opinion  de  Pierre  Lombard  d'après  la- 
quelle le  premier  homme  n'avait  reçu,  au  moment  de  la 
création,  que  des  dons  préternaturels,  et  non  la  grâce 
sanctifiante,  gralia  grulum  faciens  :  celle-ci,  dès  lors, 
n'était  pas  un  élément  constitutif  de  la  justice  originelle. 
mais  plus  tard  saint  Thomas  a  rejeté  cette  explication 
et  a  enseigné  que  la  gralia  gralum  faciens  était  un  élé- 
ment constitutif,  et  le  principal,  de  la  justice  originelle. 
Cf.  de  Baets,  De  ralione  et  naturel  peccati  originedis, 
Louvain,  1899,  p.  19  sq. 

4°  Définitions  de  l'Église. — ■  II  en  est  deux  qui  con- 
cernent la  grâce  sanctifiante  :  le  concile  de  Vienne 
(1311-1312)  déclare  plus  probable  le  sentiment  qui  tient 
qu'au  baptême  tous  les  hommes,  aussi  bien  les  enfants 
que  les  adultes,  reçoivent  la  grâce  informante  (gratiam 
informanlem)  et  les  vertus.  Denzinger-Bannwart,  n.  410. 
La  controverse  ne  portait  pas  sur  l'existence  de  la  grâce 
informons,  mais  sur  le  point  de  savoir  si  elle  était 
donnée  ainsi  que  les  vertus  aux  enfants.  Le  concile  sup- 
pose la  croyance  à  l'existence  de  la  gralia  informons  et 
confirme  cette  conviction.  Le  concile  de  Trente,  sess.  vi, 
c.  vu,  définit  que  «  la  justification  ne  consiste  pas  seu- 
lement dans  la  rémission  des  péchés,  mais  encore  dans 
la  sanctification  et  rénovation  de  l'homme  intérieur 
par  la  réception  volontaire  (chez  les  adultes)  de  la 
grâce  et  des  dons...  L'unique  cause  formelle  de  celte 


1609 


GRACE 


1610 


justification  est  la  justice  de  Dieu,  non  celle  par  la- 
quelle il  est  lui-même  juste,  mais  celle  par  laquelle  il 
nous  rend  justes  :  par  cette  justice,  reçue  de  Dieu,  nous 
sommes  renouvelés,  et  en  réalité  nous  sommes  justes; 
nous  recevons  en  nous  la  justice  et  chacun  la  reçoit 
dans  la  mesure  que  le  Saint-Esprit  détermine,  d'après 
son  vouloir  et  aussi  selon  la  disposition  et  la  coopéra- 
lion  propre  à  chaque  individu.  »  Denzinger-Bannwart, 
n.  799-800.  C'est  la  théorie  de  Luther  sur  la  justification 
imputative  qui  fut  l'occasion  de  la  définition  citée.  Le 
concile  inculque  ce  point  doctrinal  :  que  la  justification 
n'est  pas  un  acte  forinsèque  (une  sentence  judiciaire), 
par  lequel  Dieu  déclare  l'homme  juste,  mais  un  acte 
par  lequel  Dieu  le  rend  réellement  juste,  en  infusant 
dans  son  âme  un  nouveau  principe  de  vie  surnaturelle. 
Cf.  Hefner,  Die  Enstehungsgeschichte  des  Trienter  Rech- 
fertigungsdekretes,  Paderborn,  1909,  p.  263;  pour  l'his- 
toire de  ce  décret,  voir  op.  cit.,  p.  165  sq. 

II.  Essence.  —  Le  concile  de  Trente  ne  s'est  pas 
prononcé  sur  les  controverses  théologiques  concernant 
l'essence  de  cette  grâce,  notamment  il  n'a  pas  donné  de 
solution  à  cette  question  :  si  la  grâce  sanctifiante  est 
réellement  distincte  de  la  charité  infuse,  si  la  grâce 
sanctifiante  a  pour  sujet  immédiat  l'essence  même  de 
l'âme  ou  la  volonté,  comment  il  faut  entendre  l'habita- 
tion du  Saint-Esprit  dans  l'homme  juste.  Cf.  Hefner, 
op.  cit.,  p.  260,  264.  Nous  exposerons  succinctement  les 
sentiments  des  théologiens  sur  ces  questions. 

1°  D'abord,  c'est  une  assertion  au  moins  théologi- 
quement  certaine  que  la  grâce  sanctifiante  est  une 
réalité  distincte  de  Dieu  et  produite  par  lui.  Cela 
ressort  clairement  du  décret  du  concile  de  Trente  :  la 
cause  formelle  de  notre  justification  n'est  pas  la  justice 
même  de  Dieu,  ce  n'est  pas  par  elle  que  nous  sommes 
rendus  justes;  c'est  donc  par  une  justice  réellement 
distincte  de  celle-là,  par  une  justice  créée  et  infuse  dans 
l'âme.  Ce  qui  confirme  cette  affirmation,  c'est  que  la 
justice,  par  laquelle  les  hommes  sont  rendus  justes,  a 
des  degrés  différents  chez  les  divers  individus  et  est 
proportionnée  à  leur  disposition.  On  peut  d'ailleurs 
démontrer  qu'il  est  impossible  que  Dieu  soit  uni  à 
l'homme  comme  une  forme  à  une  matière,  ou  plus  géné- 
ralement, comme  l'acte  à  la  puissance;  en  effet,  puisque 
Dieu  est  l'être  subsistant  en  lui-même,  il  est  impossilde 
qu'il  informe  un  autre  être  comme  un  accident  informe 
et  modifie  une  substance,  dans  laquelle  il  est  inséré. 
(Remarquons  que  l'union  hypostatique  du  Verbe  avec 
la  nature  humaine  ne  consiste  nullement  en  ce  que  le 
Verbe  devienne  la  cause  formelle  de  l'humanité,  mais 
l'être  de  celle-ci.  Voir  Incarnation.)  Le  sentiment  de 
Pierre  Lombard  n'a  plus  de  partisans,  il  n'en  avait  pas 
beaucoup  de  son  temps,  comme  il  l'avoue  lui-même. 
Sent,  1.  I,  dist.  XVII,  c.  i,  n.6.  Il  soutenait  que  la  charité 
surnaturelle,  qu'il  identifiait  avec  la  grâce  sanctifiante, 
n'était  pas  une  réalité  créée  et  infuse  dans  l'âme,  mais 
l'Esprit-Saint  lui-même,  produisant  en  nous  l'amour  de 
Dieu.  Le  Saint-Esprit  était  donc,  d'après  cette  opinion, 
la  cause  formelle  de  notre  justification;  ce  qui  ne  peut 
se  concilier  avec  le  décret  du  concile  de  Trente  et  notam- 
ment avec  le  canon  11e  de  la  vie  session  :  «  Si  quelqu'un 
affirme  que  les  hommes  sont  justifiés  ou  bien  par  la  seule 
imputation  de  la  justice  du  Christ,  ou  bien  par  la  seule 
rémission  des  péchés  sans  la  grâce  et  la  charité  qui  est 
infuse  dans  leur  âme  par  V Esprit-Saint  et  qui  leur  est 
inhérente...,  qu'il  soit  anathème.  »  Denzinger-Bann- 
wart, n.  821.  Sur  l'exposé  et  la  réfutation  de  l'opinion 
de  Pierre  Lombard,  voir  S.  Thomas  d'Aquin,  Sum. 
theol.,  II»  If,  q.  xxiii,  a.  2;  S.  Bonaventure,  In 
IV  Sent.,  1.  I,  dist.  XV II,  part.  I,  q.  i,  Opéra,  Quaracchi, 
t.  i,  p.  292  sq. 

2°  La  grâce  sanctifiante  est  donc  une  réalité  dis- 
tincte de  Dieu,  créée,  infuse  et  inhérente  en  l'âme;  elle 
ne  peut  pas  être  une  substance,  ni  complète  ni  incom- 


plète; car  une  substance  créée,  complète,  ne  peut  pas 
communiquer  son  être  à  une  autre  substance  complète, 
telle,  par  exemple,  que  l'homme;  la  substance  incom- 
plète s'unit  à  un  autre  élément  de  façon  à  constituer 
avec  lui  une  substance  complète,  d'une  espèce  déter- 
minée :  il  est  évident  que  la  grâce  sanctifiante  ne  con- 
stitue pas  avec  l'homme  une  nouvelle  substance  ou 
nature,  une  espèce  d'être  substantiel.  Il  reste  donc  que 
la  grâce  sanctifiante  est  un  accident;  si  l'on  considère 
les  divers  genres  d'accidents,  on  conclut  qu'elle  ne  peut 
appartenir  qu'à  la  qualité.  Cf.  Casajoana,  Disquisi- 
tiones  scholastico-dogmaticœ,  Barcelone,  1888,  t.  iv, 
p.  581.  La  grâce  sanctifiante  est  donc  une  qualité, 
c'est-à-dire  une  forme  modifiant  intrinsèquement  l'âme 
ou  lui  conférant  une  perfection  déterminée,  acciden- 
telle. Cf.  S.  Thomas,  Sum.  theol. ,  D  If",  q.  xxix,  a.  2. 
Les  théologiens  expliquent  ultérieurement  l'essence  de 
la  grâce  sanctifiante  en  disant  qu'elle  est  un  habitus 
entitalivus.  Cf.  S.  Thomas,  De  veritate,  q.  xxvn,  a.  2, 
ad  7"m;  Suarez,  De  gratin.  1.  VI.  c.  iv,  n.  1,  Opéra,  t.  ix, 
p.  20;  Bellarmin,  De  gratia  et  libero  arbitrio,  1.  I,  c.  ni, 
p.  227;  Pesch,  Prielecliones  dogmatiese,  t.  v,  n.  312  sq. 

3°  L'opinion  de  beaucoup  la  plus  probable  soutient 
que  la  grâce  sanctifiante  est  réellement  distincte  de  la 
vertu  infuse  de  charité.  Ce  sentiment  est  défendu  par 
Alexandre  de  Halès,  Sum.  theol.,  part.  III,  q.  lxix, 
m.  ii,  a.  4;  cf.  Heim,  op.  cit.,  p.  48,  50-52;  S.  Bonaven- 
ture, In  IV  Sen(.,l.  I,  dist.  XVII,  part.  I,  q.  m,  Opéra, 
t.  i,  p.  299;  1.  II,  dist.  XXVI,  dub.  n;  dist.  XXVII,  a. 
1,  q.  ii,  Opéra,  t.  n,  p.  648,  656;  S.  Thomas,  Sum.  theol., 
I*  II35,  q.  ex,  a.  3;  Capréolus,  In  IV  Sent.,  1.  II,  dist. 
XXVI,  a.  \.De/ensiones  theologiœ,  Tours,  1900  sq.,  t.  ni, 
p.  256  sq.  ;  Denys  le  Chartreux,  Summa  fidei  orlhodoxœ, 
1.  II,  a.  118,  Opéra  omnia,  Montreuil-sur-Mer,  1896  sq., 
t.  xvn,  p.  326;  Cajétan,  In  I""  II'',  q.  ex,  a.  35;  Suarez, 
De  gratia,  1.  VI,  c.  xn,  Opéra,  t.  ix,  p.  70  sq.  ;  Ripalda, 
De  ente  supernaturali,  1.  VI,  disp.  CXXXII,  sect.  iv, 
n.  53,  t.  n,  p.  702  sq.  ;  Mazzella,  De  gratia,  n.  958  ; 
Schiffini,  De  gratia  divina,  n.  203,  3;  Van  Noort, 
De  gratia  Chrisli,  Amsterdam,  1908,  n.  142;  card. 
Billot,  De  gratia  Chrisli,  p.  140;  de  Baets,  De  gratia 
Christi,  Gand,  1910,  p.  62  sq.  L'opinion  contraire  a  été 
soutenue  par  Duns  Scotjn  IV  Sent.,].  II,  dist.  XXVII; 
par  Molina,  Concordia,  in  q.  xiv,  a.  13,  disp.  XXXVIII, 
Paris,  1876,  p.  221;  par  Bellarmin,  De  gredia  et  libéra 
arbitrio,  1.  I,  c.  vi,  p.  232  sq. 

La  distinction  réelle  se  déduit  de  la  considération 
suivante  :  la  charité  est  un  habitus  opérations,  un  prin- 
cipe immédiatement  ordonné  à  la  production  de  l'acte 
de  charité;  or,  ce  principe  prochain  d'opération,  qui  est 
à  l'instar  d'une  faculté,  suppose  un  principe  éloigné 
(principium  remotum)  qui  soit  à  l'instar  d'une  nature. 
Cet  argument  est  développé  par  saint  Thomas,  De  veri- 
tate, q.  xxvn,  a.  2,  où,  se  basant  sur  l'analogie  entre 
l'ordre  naturel  et  l'ordre  surnaturel,  il  montre  que 
l'homme,  qui,  par  sa  nature  propre,  est  radicalement 
ordonné  à  sa  fin  naturelle,  doit  recevoir  aussi  une  réalité 
qui  élève  sa  nature  et  lui  confère  une  dignité  propor- 
tionnée à  la  lin  surnaturelle  à  laquelle  il  est  destiné. 
Cette  dignité  spéciale  est  conférée  par  la  grâce  sanc- 
tifiante, tandis  que  la  charité  infuse  est  ce  par  quoi  la 
volonté  est  inclinée  vers  la  fin  surnaturelle,  et  les 
autres  vertus  sont  données  pour  que  l'homme  soit 
capable  d'exécuter  les  œuvres  surnaturelles  par  les- 
quelles il  acquiert  la  fin  surnaturelle.  La  distinction 
réelle  des  divers  dons  naturels  et  la  connexion  qui 
existe  entre  eux  est  aussi  clairement  décrite  par  saint 
Thomas,  De  virlulibus  in  communi,  q.  i,  a.  10.  Un  autre 
argument  est  donné  par  M.  de  Baets,  op.  cit.,  p.  63  :  la 
charité  est  une  faculté  appétitive  intellectuelle  surna- 
turelle ;  elle  suppose  donc  une  connaissance  propor- 
tionnée; celle-ci  (sur  la  terre)  est  la  foi.  Par  conséquent 
la  foi  est  de  par  sa  nature  antérieure  à  la  charité;  mais 


1611 


GRACE 


1612 


nous  savons  que  la  foi  est  distincte  de  la  grâce:  il  faut 
néanmoins  admettre  entre  la  grâce  (qui  donne  l'être 
surnaturel)  et  la  foi  (qui  est  le  principe  immédiat  de 
connaissance  surnaturelle)  une  relation,  qui  ne  peut 
être  que  V antériorité  de  la  grâce  par  rapport  à  la  foi.  La 
grâce  est  donc  (par  sa  nature)  antérieure  à  la  foi  et  réel- 
lement distincte  de  celle-ci;  la  foi  est  antérieure  à  la 
charité;  il  est  donc  impossible  que  la  grâce  soit  la  même 
réalité  que  la  charité,  puisque  celle-ci  est  (par  sa  nature) 
postérieure  à  la  foi  et  que  la  grâce  est,  par  sa  nature, 
antérieure  à  la  foi. 

Corollaires.  —  1.  Puisque  la  grâce  sanctifiante  est 
réellement  distincte  de  la  charité  et  qu'elle  est  le  prin- 
cipe éloigné  de  toute  l'activité  surnaturelle,  elle  est  donc 
comme  une  nouvelle  nature  et  elle  a  son  siège  propre 
dans  l'essence  même  de  l'âme  humaine,  tandis  que  les 
vertus  infuses  ont  leur  siège  propre  dans  les  facultés 
opératives  de  l'âme.  Voir  saint  Thomas,  Sum.  theol., 
I»  II®,  q.  ex,  a.  4;  Ia,  q.  c,  a.  1,  ad  2"",  où  il  enseigne 
que  la  grâce  sanctifiante  est  la  radix  jusiilise  originalis ; 
c'est  pourquoi  la  justice  originelle  avait  primordiale- 
ment  son  siège  dans  l'essence  même  de  l'âme.  Cf.  Ia  II®, 
q.  lxxxiii,  a.  2,   ad  2"m;  De  malo,  q.  iv,  a.  4,  ad   1"™. 

2.  La  grâce  sanctifiante  est  formellement  une  parti- 
cipation de  la  nature  divine.  Nous  avons  exposé  que  la 
grâce  sanctifiante  est  une  qualité  surnaturelle,  le  prin- 
cipe éloigné  de  l'activité  surnaturelle,  et  une  réalité  qui 
se  trouve  dans  l'essence  même  de  l'âme  humaine.  Pour 
préciser  ultérieurement  ce  que  cette  grâce  est  en  elle- 
même,  il  faut  considérer  quelle  est  sa  fonction  propre  : 
elle  consiste  à  ordonner  l'essence  de  l'âme  à  la  fin  sur- 
naturelle, en  d'autres  termes,  elle  rend  l'âme  radica- 
lement apte  à  la  vision  intuitive  de  Dieu  et  à  l'amour  qui 
en  résulte;  par  cette  vision  et  cet  amour  l'âme  participe 
elle-même  à  l'opération  qui  est  propre  à  Dieu;  car  se 
connaître  et  s'aimer  en  lui-même  est  pour  Dieu  l'opé- 
ration qui  lui  est  propre.  Or  par  nature  divine  nous  en- 
tendons formellement  ce  que  nous  concevons  en  Dieu 
comme  le  principe  radical  de  l'opération  qui  est  propre  à 
Dieu  :  la  nature  est  donc  le  principe  radical  de  l'opé- 
ration par  laquelle  Dieu  se  connaît  et  s'aime  lui-même; 
mais  puisque  l'homme,  par  la  vision  béalifique,  parti- 
cipe à  l'opération  cognoscitive  qui  est  propre  â  Dieu,  et 
par  l'amour  béatifique  à  l'opération  appétitive  qui 
est  propre  à  Dieu,  il  en  résulte  que  la  grâce  sanctifiante, 
principe  radical  en  l'homme  de  cette  double  opération, 
est  formellement  une  participation  de  la  nature  divine. 
Cf.  Terrien,  La  grâce  et  la  gloire,  Paris,  1897,  t.  i, 
p.  80  sq.,  252  sq.  ;  card.  Billot,  De  virtutibus  in/usis, 
Rome,  1901,  prolog.,  p.  30;  Mazzella,  De  gratia, 
n.  1000  sq.,  qui  expose  aussi,  n.  1002,  une  opinion  diffé- 
rente défendue  par  Ripalda,  De  ente  supernaturali, 
disp.  CXXXII,  n.  105.  La  participation,  dont  nous 
venons  de  parler,  est  physique,  comme  les  vertus  infuses 
et  la  vision  béatifique  sont  des  réalités  physiques;  mais 
cette  participation  physique  est  analogue  comme  l'est 
nécessairement  toute  participation  d'une  perfection 
divine.  Cf.  de  Baets,  op.  cit.,  p.  45. 

3.  D'après  ce  qui  précède,  l'on  comprend  pourquoi 
la  grâce  sanctifiante  est  pour  l'homme  à  l'instar  d'une 
nouvelle  nature  :  ce  n'est  pas  une  nature,  au  sens  strict, 
parce  que  c'est  un  accident,  mais  elle  est  comme  une 
nouvelle  nature  parce  qu'elle  rend  l'âme,  dans  son 
essence,  radicalement  apte  à  l'activité  surnaturelle  et 
parce  que  les  vertus  infuses  sont  comme  les  facultés 
opératives  de  la  grâce.  Cf.  S.  Thomas,  Sum.  theol.,  I" 
II10,  q.  ex,  a.  4,  ad  4"™. 

4.  La  grâce  sanctifiante,  bien  qu'elle  soit  unique 
dans  son  espèce,  a  été  considérée  notamment  sous  deux 
aspects  différents,  d'après  les  effets  qu'on  lui  assigne: 
les  anciens  scolastiques  l'ont  distinguée  en  grâce  opé- 
rante et  grâce  coopérante.  Quand  l'homme  justifié  pro- 
duit, par  une  vertu  infuse,  une  opération  surnaturelle, 


la  grâce  sanctifiante  en  est  le  principe  éloigné  et  le  rend 
méritoire  :  à  ce  titre  la  grâce  sanctifiante  est  dite  coopé- 
rante; quand  l'homme  n'agit  pas,  la  grâce  sanctifiante 
le  rend  cependant  formellement  agréable  à  Dieu  :  à  ce 
titre  elle  est  dite  opérante.  Voir  S.  Bonaventure,  In  IV 
Sent.,  1.  II,  dist.  XXVII,  a.  1,  q.  i,  et  dub.  i,  Opéra, 
l.  n,  p.  651,  068;  S.  Thomas,  In  IV  Sent.,  1.  II,  dist. 
XXVI,  q.  i,  a.  5;  Sum.  theol.,  P  II®,  q.  exi,  a.  2; 
Capréolus,  In  IV  Sent.,  1.  I,  dist.  XVII,  q.  i,  concl.  3», 
op.  cit.,  t.  n,  p.  73;  Denys  le  Chartreux,  Summa  fidei 
orthodoxie ,  I.  II,  a.  119,  op.  cit.,  t.  xvn,  p.  327. 

5.  Nous  avons  exposé  ce  qui  concerne  l'essence  de  la 
grâce  sanctifiante  et  sa  surnaturalité;  considérons-la 
en  relation  avec  la  nature,  et  plus  précisément,  avec 
l'essence  de  l'âme  où  elle  a  son  siège.  L'âme  humaine 
est  une  forme  substantielle  immatérielle;  c'est  pour 
cela  qu'elle  est  capable  de  recevoir  en  elle  cette  forme 
accidentelle,  immatérielle,  qui  est  à  l'instar  d'une  nou- 
velle nature.  Cette  capacité  de  l'âme  humaine  est  ce 
qu'on  appelle  une  puissance  obédicnlielle  :  c'est  la  simple 
capacité  de  recevoir,  de  la  part  de  Dieu,  une  forme 
surnaturelle,  une  forme  à  laquelle  la  nature  n'a  aucune 
exigence  ni  aucune  disposition  positive.  Sur  la  notion 
de  la  puissance  obédientielle,  voir  S.  Thomas,  De  veri- 
tate,  q.  xxiv,  a.  3,  ad  3"n;  De  virtutibus  in  communi, 
q.  i,  a.  10,  ad  13"";  Sum.  theol.,  IIP,  q.  xi,  a.  l;Cajétan, 
Com.  in  Dm,  q.  i,  a.  1  (n.  9);  Sylvestre  le  Ferrarais, 
Com.  in  Sum.  cont.  gent.,  1.  IV,  c.  lxxxi,  Lyon,  1586, 
p.  753. 

La  grâce  sanctifiante,  par  conséquent,  ne  répond  pas 
à  un  besoin  d'expansion  de  la  nature,  ne  complète  pas 
celle-ci  dans  son  ordre,  mais  elle  l'élève  intrinsèquement  à 
un  ordre  de  perfection  supérieure,  elle  l'élève  à  un  ordre 
d'activité  qui  est  absolument  au-dessus  de  la  sphère 
d'activité  de  la  créature,  elle  rend  l'âme  participante  à 
la  nature  divine  et  positivement  disposée  ou  ordonnée 
à  la  vision  béatifique.  De  tout  cela  il  résulte  que  la  grâce 
sanctifiante  c/i/re  dans  l'homme,  bien  qu'elle  ne  corres- 
ponde pas  à  un  besoin  de  la  nature  humaine  (ce  qui  se 
conçoit  clairement  quand  on  pense  à  l'infusion  de  la 
grâce  chez  les  enfants,  par  le  baptême),  que  la  grâce 
sanctifiante  y  est  un  principe  premier  d'activité  vitale 
et  surnaturelle;  ce  principe  est  complété,  dans  son 
ordre,  par  les  vertus  infuses,  qui  ont  leur  siège  dans  les 
facultés  de  l'âme  et  qui  sont  les  principes  immédiats 
des  actes  surnaturels.  Il  en  résulte  enfin  que  la  grâce 
sanctifiante  est,  en  même  temps,  une  forme  absolu- 
ment surnaturelle  et  une  vraie  perfection  de  l'homme. 
Voir  S.  Thomas,  De  virtutibus  in  communi,  q.  i,  a.  10, 
et  le  commentaire  de  Mgr  Waffelaert,  Méditations  théo- 
logiques, Bruges,  1910,  p.  508,  note  1.  C'est  dans  la 
capacité  de.  la  nature  à  recevoir  de  Dieu  le  surnaturel 
que  se  trouve  le  point  d'insertion  du  surnaturel,  c'est 
par  là  qu'il  pénètre  dans  la  vie  de  la  créature.  Cf.  de 
Tonquédec,  L'immanence,  Paris,  1913,  p.  169;  Colla- 
tiones  Brugenses,  t.  xix  (1914),  p.  103  sq. 

III.  Effets.  — •  Nous  considérons  ici  l'effet  formel 
de  la  grâce  en  l'âme  et  ce  qui,  sans  être,  d'après  certains 
théologiens,  l'effet  formel,  en  est  cependant  une  consé- 
quence nécessaire. 

1°  L'effet  formel  de  la  grâce  en  l'âme  est  la  déi/or- 
mité,  c'est-à-dire  que  l'âme,  en  recevant  la  grâce  sanc- 
tifiante, est  transformée  et  acquiert  une  ressemblance 
toute  spéciale  avec  Dieu,  précisément  parce  qu'elle 
est  rendue  participante  de  la  nature  divine. 

2°  L'effet  formel  de  la  grâce  sanctifiante  est  aussi 
l'ablation  ou  rémission  du  péché  mortel,  comme  le  dit 
saint  Thomas  :  formaliter  enim  gratia  inhœrendo  expellit 
culpam.  De  veritate,  q.  xxvm,  a.  7,  ad  4"m.  Il  n'est  pas 
possible  que  l'homme  soit,  en  même  temps,  parla  g.'àce 
(et  la  charité  qui  lui  est  indissolublement  unie),  positi- 
vement ordonné,  orienté  vers  Dieu,  et,  par  le  péché 
mortel,  positivement   détourné  de  Dieu.   Suarez,   De 


1613 


GRACE 


1614 


gratia,  1.  VII,  c.  xviv,  Opéra,  t.  ix,  p.  250,  dit  qu'il  n'y 
a  pas  de  répugnance  physique  à  ce  que  la  grâce  soit 
conservée  par  Dieu  dans  une  âme  qui  commet  actuel- 
lement le  péché  mortel;  cette  assertion  est  vraie.  Mais 
nous  n'admettons  pas  ce  que  Suarez  dit,  c.  xx,  n.  7, 
p.  254  :  «  Malgré  l'opposition  et  la  répugnance  conna- 
turelle  (entre  le  péché  mortel  et  la  grâce),  Dieu,  de  sa 
puissance  absolue,  peut  passer  outre  et  conserver  la  grâce 
dans  celui  qui  a  péché  (mortellement)  sans  lui  remettre 
le  péché.  »  Nous  sommes  d'avis  qu'une  telle  attitude 
répugne  absolument  à  la  sagesse  divine  et  que,  par  con- 
séquent, il  est  absolument  impossible  qu'elle  se  réalise 
en  Dieu.  Cf.  Pesch,  Praeleetiones  dogmatieœ,  t.  v,  n.  335  ; 
Schiffmi,  De  gratia,  n.  178;  spécialement  le  cardinal 
Billot,  De  gratia  Christi,  p.  221  sq.,  où  réminent  auteur 
réfute  l'opinion  de  Duns  Scot. 

3°  Beaucoup  de  théologiens  enseignent  que,  dans  une 
pure  créature  (homme  ou  ange),  la  grâce  sanctifiante 
la  rend  formellement  fils  adoptif  de  Dieu.  Voici  pour- 
quoi :  la  grâce  sanctifiante  rend  le  sujet  où  elle  réside 
formellement  participant  de  la  nature  divine,  confère 
le  droit  à  la  vision  béatifique  et  amène  d'autres  dons 
qui  déjà  mettent  le  sujet  en  communication  avec  Dieu, 
priait  est  in  semelipso.  Par  là,  la  créature  devient  partici- 
pante du  bien  qui  est  propre  à  Dieu  lui-même,  et  comme 
elle  est,  vis-à-vis  de  Dieu,  une  personne  exlranea,  il  en 
résulte  que,  par  la  grâce  sanctifiante,  elle  est  constituée 
fils  adoptif;  car  l'adoption  se  définit  :  Persouie  extraneœ 
in  filium  et  hœredem  graluita  assumptio.  D'après 
la  doctrine  que  nous  exposons,  l'adoption  n'emporte 
aucune  réalité  distincte  de  la  grâce  sanctifiante  et  n'est 
pas  autre  chose  que  la  dignité  qui,  dans  une  pure  créa- 
ture, résulte  immédiatement  et  nécessairement  de  la  grâec 
sanctifiante.  Nous  adhérons  à  cette  doctrine,  mais  nous 
croyons  plus  exact  de  dire  que  l'adoption  surnaturelle 
est,  dans  la  créature,  la  résultante  immédiate  et  néces- 
saire de  la  grâce  sanctifiante  :  d'abord  parce  que  l'effet 
formel  de  la  grâce  sanctifiante  est,  à  proprement  parler, 
la déiformilé.  Cf.  card.  Billot,  De  Vcrbo  incarnalo,  5e  édit., 
Prato,  1912,  thés,  xvi,  ad  l""1,  p.  201.  Ensuite,  dans 
l'humanité  du  Christ,  où  il  y  a  la  grâce  sanctifiante,  il 
n'y  a  pas  l'adoption  ;  la  raison  en  est  que,  pour  qu'il  y 
ait  adoption,  il  faut  qu'il  y  ait  une  personne  étrangère. 
Or  l'humanité  du  Christ  n'est  pas  une  personne,  elle 
n'est  et  ne  peut  pas  être  fils;  par  conséquent  elle  ne 
peut  pas  être  un  fils  adopté.  Il  n'y  a  en  Jésus-Christ 
qu'une  seule  personne  et  celle-ci  est  le  fils  naturel  de 
Dieu,  elle  n'est  donc  pas  une  personne  étrangère.  «  Ce 
défaut  d'extranéiié  exclurait  également  l'adoption,  si  le 
Père  ou  le  Saint- Esprit  s'étaient  incarnés  :  car  ils  n'ont 
pas  le  titre  de  Fils  naturel,  ils  ne  sont  pas  des  personnes 
étrangères  à  la  Trinité.  »  Portalié,  art.  Adoptianisme. 
t.  i,  col.  420;  cf.  col.  411. 

Mais  Lessius,  qui  a  été  suivi  par  Petau  et  par  quel- 
ques théologiens,  peu  nombreux,  défend  une  autre  opi- 
nion :  il  soutient  que  la  grâce  sanctifiante  rend  l'homme 
formellement  juste,  mais  ne  le  constitue  pas  fils  adoptif 
de  Dieu;  cette  dernière  dignité  est  constituée  par  la 
présence  du  Saint-Esprit  dans  l'âme  sanctifiée.  Cette 
opinion  a  été  exposée  et  critiquée  à  l'art.  Adoption 
surnaturelle,  t.  i,  col.  428  sq.  434  sq.  Bien  que  nous 
admettions  que  la  notion  de  fils  adoptif  de  Dieu  est 
réalisée  par  la  grâce  sanctifiante  infuse  dans  l'homme, 
nous  admettons  aussi  que  la  présence  du  Saint-Esprit 
est  inséparable  de  la  grâce  sanctifiante  créée  et  que  la 
participation  11  la  nature  divine,  telle  qu'elle  existe 
maintenant,  comprend  deux  éléments  que  l'on  peut 
distinguer,  à  savoir,  la  grâce  créée  et  la  grâce  incréée. 
L'on  peut  dire  aussi  que  la  grâce  créée  est  une  dispo- 
sition  par  rapport  à  la  grâce  incréée.  Cf.  Weigl,  Die 
Heilslehre  des  hl.  Cyril  von  Alexandrien,  p.  221  sq. 

4°  Ceci  nous  amène  à  un  autre  point  de  doctrine  : 
V inliabilalion  ou  la  présence  de   Dieu  dans  l'âme  du 


juste.  Il  est  de  foi  que  Dieu  est  présent  d'une  façon 
spéciale  dans  l'âme  du  juste;  cette  vérité  est  énoncée 
plus  d'une  fois  dans  l'Écriture  sainte,  notamment  Joa., 
xiv,  23;  I  Cor.,  m,  16;  vi,  10;  Boni.,  vm,  9-11.  Les 
Pères  aussi  l'ont  fréquemment  exposée  :  citons,  à  titre 
d'exemple,  S.  Athanase,  Epist,  i,  ad  Serapionem,  n.  26, 
P.  G.,  t.  xxvi,  col.  586;  S.  Basile,  De  Spiritu  Sanclo, 
c.  ix,  n.  23;  c.  xxvi,  n.  61,  P.  G.,  t.  xxxn,  col.  109, 
180  sq. ;  S.  Cyrille  d'Alexandrie,  De  sancla  et  consub- 
siantiali  Trinitate,  dial.  vu,  P.  G.,  t.  lxxv,  col.  1089; 
cf.  Weigl,  op.  cit.,  p.  184  sq.;  S.  Augustin,  Epis/.. 
clxxxvii,  n.  26,  P.  L.,  t.  xxxm,  col.  841. 

11  n'y  a  aucun  doute  sur  le  fait  de  l'inhabitation  du 
Saint-Esprit  dans  l'âme  du  juste,  aucun  doute  non  plus 
quant  à  l'inhabitation  des  trois  personnes  de  la  très 
sainte  Trinité,  mais  il  existe  une  controverse  entre  les 
théologiens  sur  la  manière  d'expliquer  la  présence 
divine  qui  est  propre  à  l'homme  justifié. 

Petau,  Theologia  dogmalica,  t.  n,  De  Trinitate,  1.  VIII, 
c.  vi,  Anvers,  1700,  p.  471  sq.,  enseigne  que  l'union  de 
Dieu  avec  le  juste  est  propre  et  spéciale  au  Saint- 
Esprit  en  ce  sens  que  le  juste  est  uni  immédiatement  à 
la  troisième  personne  seule  cl,  par  elle,  médialement, 
aux  deux  autres.  Voici  ses  paroles  :  lllam  eum  juslnrum 
animis  conjunclionem  Spiritus  Sancti,  sive  statum  adop- 
tiviun  filiorum,  communi  quidem  personis  tribus  oonve-t 
nire  divinilati  :  sed  qualenus  in  hypostasi,  sive  persona 
incsl  Spiritus  Sancti  :  adeo  ut  cerla  qusedam  ratio  sit  qua 
se  Spiritus  Sancti  persona  sanctorum  juslorumque  men- 
tibus  applicat,  qu.Be  civleris  personis  eodem  modo  non 
competit.  Op.  cit.,  p.  473.  Sur  l'opinion  de  Petau,  voir 
le  judicieux  article  du  P.  Mahé,  dans  la  Revue  d'histoire 
ecclésiastique  (Louvain),  t.  x  (1909),  p.  470-477.  Le 
même  auteur  expose  ensuite  la  doctrine  de  saint 
Cyrille  d'Alexandrie  et  fait  voir  qu'elle  ne  coïncide  pas 
avec  l'opinion  de  Petau  :  saint  Cyrille  n'enseigne  pas 
que  la  personne  du  Saint-Esprit  est  elle-même  spéciale- 
ment appliquée  ou  unie  à  l'âme  des  justes,  de  façon  à 
ce  que  cette  union  soit  propre  à  la  troisième  personne  de 
la  Trinité;  mais  il  enseigne  que  l'œuvre  de  la  sancti- 
fication, réalisée  dans  l'âme  par  les  trois  personnes,  et  lu 
présence  des  trois  personnes  en  l'âme,  convient  à  un 
titre  spécial  à  la  personne  du  Saint-Esprit  :  ce  litre  est 
en  réalité  ce  qui  caractérise  le  Saint-Esprit  en  vertu 
même  du  mode  dont  il  procède  du  Père  et  du  Fils. 
Bien  qu'il  ne  faille  pas  «  chercher  chez  saint  Cyrille  la 
distinction  entre  propriétés  et  appropriation,  »  op.  cit., 
p.  480,  il  nous  semble  que  la  doctrine  de  saint  Cyrille 
est  objectivement  la  même  que  celle  des  théologiens 
qui  enseignent  que  la  présence  divine  dans  l'âme  du 
juste  est  attribuée  au  Saint-Esprit  par  appropriation. 
mais  saint  Cyrille  fait  mieux  ressortir  le  fondement 
ontologique  de  cette  appropriation,  c'est-à-dire  le 
caractère  personnel  du  Saint-Esprit  :  c'est  précisément 
la  raison  pour  laquelle  on  peut  et  on  doit  attribuer  au 
Saint-Esprit  l'œuvre  de  notre  sanctification.  La 
connexion  objective  entre  la  personnalité  du  Saint- 
Esprit  et  l'œuvre  de  notre  sanctification  semble  être  ce 
qui  distingue  la  doctrine  de  saint  Cyrille  de  l'opinion 
de  Petau,  d'une  part,  et  de  l'opinion  des  autres  théolo- 
giens, d'autre  part. 

Chez  les  scolastiques,  comme  le  fait  observer  Weigl, 
op.  cit.,  p.  126,  le  rôle  de  la  grâce  incréée  est  au  second 
plan,  et  l'attention  est  surtout  portée  sur  la  filiation 
divine  conférée  par  la  grâce  créée  elle-même.  Le  senti- 
ment de  saint  Thomas  concernant  la  présence  divine  en 
l'âme  juste  se  résume  en  ceci  :  dans  l'ordre  naturel,  Dieu 
est  présent  en  toute  créature,  Sum.  thcol.,  I\  q.  vin, 
a.  1,  3;  Dieu  est  présent  dans  les  créatures  raisonnables 
d'une  façon  spéciale,  c'est-à-dire  en  tant  qu'il  est 
l'objet  de  leur  connaissance  et  de  leur  amour,  a.  3. 
Dans  l'ordre  surnaturel,  il  y  a  d'abord  l'infusion  de  la 
grâce  (grâce  sanctifiante  et  vertus  connexes);  ensuite 


ît-.n 


GRACE 


1616 


la  grâce  fait  que  l'homme  atteigne  Dieu  par  une  con- 
naissance surnaturelle  et  par  un  amour  surnaturel  : 
c'est  en  cela  précisément  que  consiste  l'habitation  de  ] 
Dieu.  Et  qui't  cognoscendo  et  amando,  crcatura  rationalis 
sua  operatione  attingit  ml  ipsum  Deum,  secundum  islum 
specialem  modum  Deus  non  solum  dicitur  esse  in  crcatura 
ralionali  sed  habilare  in  ca  sicut  in  tcmplo  suo.  Sam. 
theol.,  I'.  q.  xi. m,  a.  3.  La  gratia  gralum  faciens  est  for- 
mellement ce  qui  dispose  l'âme  à  posséder  en  elle-même 
Dieu,  le  Saint-Esprit.  Ibid.,  ad  3'"".  Saint  Thomas  en- 
seigne aussi  que  l'union  surnaturelle  de  l'âme  avec  Dieu 
est  commune  aux  trois  personnes  de  la  sainte  Trinité, 
non  seulement  en  ce  sens  que  les  trois  personnes  sont 
cause  efficiente  de  l'union,  mais  encore  en  ce  sens 
qu'elles  sont  également  le  terme  de  cette  union.  Sum. 
theol.,  III»,  q.  m,  a.  4,  ad  3"'".  Cette  conclusion  suit 
logiquement  du  principe  énoncé  plus  haut  :  en  effet,  si 
l'habitation  divine  consiste  en  ce  que  Dieu  est  objet  de 
connaissance  et  d'amour  surnaturels,  et  si,  comme  tous 
les  théologiens  l'admettent,  c'est  la  même  connaissance 
et  le  même  amour  surnaturels  par  lesquels  nous  possé- 
dons les  trois  personnes  de  la  sainte  Trinité,  il  en 
résulte  que  les  trois  personnes  sont  de  même  manière  le 
terme  de  notre  union  surnaturelle  avec  Dieu.  Aussi 
saint  Thomas  admet  que  c'est  par  appropriation  que 
l'inhabitation  divine  est  attribuée  au  Saint-Esprit,  en 
raison  de  la  charité,  qui  a  une  ressemblance  spéciale 
avec  cette  personne  divine.  De  verilale,  q.  xvn,  a.  3, 
ad  3"u.  Le  sentiment  de  saint  Thomas  peut  se  carac- 
tériser, nous  semble-t-il,  en  disant  que  l'inhabitation 
de  Dieu  dans  l'âme  du  juste  consiste  fondamentalement 
dans  l'infusion  et  la  conservation  de  la  grâce  sancti- 
fiante, et  formellement  dans  la  possession  de  Dieu  par  la 
connaissance  et  l'amour  surnaturels  :  cette  possession 
est  d'ordre  intentionnel. 

Les  auteurs  qui  ont  adhéré,  avec  des  nuances  diverses 
d'interprétation,  à  l'opinion  de  Petau  ont  été  indiqués 
à  l'art.  Adoption  surnaturelle,  t.  i,  col.  429  sq.  ;  il 
faut  y  ajouter  Mgr  Waffelaert  cjui  a  repris  l'examen  de 
cette  question  et  défendu  le  sentiment  de  Petau  en  la 
développant.  Collaliones  Brugenscs,  t.  xv  (1909), 
p.  441,  513,  625,  673;  t.  xvi  (1910),  p.  5.  Voici  le  résumé 
de  cette  opinion  :  l'union  du  juste  avec  Dieu  n'a  pas 
pour  cause  formelle  la  grâce  créée,  qui  ne  se  trouve  que 
dans  l'âme  et  n'est  que  la  cause  dispositive  de  l'acte 
par  lequel  on  jouit  de  Dieu;  mais  l'union,  dont  il  s'agit, 
consiste  formellement  en  ce  que  la  troisième  personne 
de  la  sainte  Trinité  est  appliquée  à  la  personne  humaine 
tout  entière,  la  rend  participante  de  la  nature  divine, 
lils  adoptif  de  Dieu  et  l'unit  avec  l'objet  de  la  fruilion, 
c'est-à-dire  avec  Dieu.  Le  Père  et  le  Fils  sont  aussi 
l'objet  de  notre  fruition,  mais  le  Saint-Esprit  est  seul 
le  terme  de  l'union;  celle-ci  est  une  union  personnelle, 
c'est  la  personne  humaine  qui  est  immédiatement  unie 
à  la  personne  du  Saint-Esprit,  et  c'est  par  lui  et  en  lui 
que  le  Père  et  le  Fils  habitent  dans  le  juste.  L'union 
susdite  consiste  dans  une  relation  réelle,  d'ordre  inten- 
tionnel, dont  le  terme  est  le  Saint-Esprit  en  tant  qu'il 
est  une  personne  distincte  du  Père  et  du  Fils,  et  qui, 
par  cette  application  du  Saint-Esprit,  donne  à  l'homme 
une  dignité  morale  nouvelle,  une  personnalité  morale, la 
dignité  de  fils  adoptif  de  Dieu.  Collai. Brug.,X.xvi,i).  9-14. 

Parmi  les  auteurs  récents  qui  se  sont  prononcés 
contre  l'opinion  de  Petau,  il  faut  signaler  Ilugon, 
Revue  thomiste,  1912,  t.  xx,  p.  1  sq.;  Prat,  Théologie  de 
saint  Paul,  IIe  partie,  Paris,  1912,  p.  418  sq.  ;  Blondiau, 
dans  les  Collaliones  Namurcenses,  t.  xn  (1912-1913), 
p.  333  sq. 

5°  Un  autre  effet  de  la  grâce  sanctifiante  consiste  à 
rendre  formellement  méritoires  les  actes  de  l'homme 
justitié  :  comme  il  est  établi  par  la  condamnation  de 
Baius.  Dënzinger-Bamrwart,  n.  1013,  1015.  Mais  cette 
question  doit  être  exposée  à  l'art.  Mérite. 


IV.  Propriétés.  —  Les  théologiens  en  considèrent 
généralement  trois  :  la  cognoscibilité,  V inégalité  et  l'aug- 
mentation possible,  l'amissibilité. 

1°  La  cognoscibilité.  —  De  ce  que  nous  avons  précé- 
demment exposé,  il  résulte  que  la  notion  de  la  grâce 
sanctifiante  nous  vient  de  la  révélation  divine  et  que 
c'est  en  raisonnant  sur  les  données  révélées  que  nous 
avons  pu  déterminer  davantage  l'essence  de  cette  entité 
surnaturelle. 

La  question  qui  se  pose  maintenant  est  celle-ci  : 
l'homme  peut-il  savoir  qu'il  a  en  lui-même  la  grâce 
sanctifiante  ? 

1.  h' Écriture  sainte,  nous  semble-t-il,  ne  donne 
aucune  réponse  certaine  à  cette  question.  Les  textes, 
qu'on  invoque  généralement  pour  prouver  que  l'homme 
ne  peut  pas  savoir  qu'il  est  en  état  de  grâce,  n'ont  pas 
de  valeur  démonstrative.  En  efïet,  le  texte  :  sunt  justi 
ttltjue  sapientes  et  opéra  eorum  in  manu  Dei  sunt  :  et 
iamen  nescit  homo  utrum  amorc  an  odio  dignus  sit, 
Eccle.,  ix,  1,  si  on  le  considère  dans  son  contexte, 
signifie  :  l'homme,  sur  cette  terre,  ne  peut  conclure  des 
événements  qui  le  concernent,  de  sa  prospérité  ou  de 
son  malheur,  qu'il  est  agréable  à  Dieu  ou  qu'il  ne  l'est 
pas  ;  car  les  événements  heureux  et  malheureux  arri- 
vent aussi  bien  à  l'homme  juste  qu'à  celui  qui  ne  l'est 
pas.  On  ne  peut  donc  pas  expliquer  ce  texte  de  l'incer- 
titude de  l'état  de  grâce.  Cf.  Gietmann,  Commentarius 
in  Ecclcsiastcn,  Paris,  1890,  p.  275;  E.  Podechard, 
L'Ecclésiasle,  Paris,  1912,  p.  408.  Le  texte  :  De  propi- 
tialo  peccalo  noli  esse  sine  metu,  Eccli.,  v,  5,  ne  signifie 
pas  que  l'homme  doive  douter  de  la  rémission  de  ses 
péchés,  mais  qu'il  ne  peut  s'enhardir  à  multiplier  ses 
péchés,  en  escomptant  leur  pardon.  Cf.  Knabenbauer, 
Commentarius  in  Ecclcsiasticum,  Paris,  1902,  p.  82  sq. 
Saint  Paul,  I  Cor.,  iv,  4,  dit  :  Pour  moi,  il  m'importe 
fort  peu  d'être  jugé  par  vous  ou  par  un  tribunal  humain  : 
je  ne  me  juge  pas  moi-même;  car,  quoique  je  ne  me  sente 
coupable  de  rien,  je  ne  suis  pas  pour  cela  justifié;  mon 
juge,  c'est  le  Seigneur  .  D'abord,  quand  l'apôtre  dit  :  je 
ne  suis  par  pour  cela  justifié,  il  ne  s'agit  pas,  au  moins 
directement  et  littéralement,  de  la  justification  interne 
par  la  grâce;  mais  il  dit  :  quoique  je  me  sois  acquitté  de 
ma  mission  apostolique  de  telle  façon  que  ma  con- 
science ne  me  reproche  rien,  cependant  je  n'ose  pas  me 
juger  et  me  déclarer  un  ministre  fidèle.  Quelques  théo- 
logiens, qui  admettent  ce  sens  littéral,  en  déduisent  une 
conclusion,  concernant  l'incertitude  de  l'état  de  grâce; 
l'apôtre,  disent-ils,  affirme  qu'il  ne  peut  pas,  avec  cer- 
titude, savoir  s'il  n'a  pas  manqué  à  son  devoir  dans 
l'exercice  du  ministère  apostolique.  Or  ce  qu'il  dit  ici 
de  lui-même,  doit  pour  la  même  raison,  ou  a  fortiori, 
se  dire  de  tous  les  chrétiens,  quant  aux  obligations  qui 
leur  incombent;  par  conséquent  personne  ne  peut 
savoir  avec  certitude  s'il  est  exempt  de  péché.  Cette 
conclusion  s'entend  du  péché  mortel  et  on  en  déduit 
que  l'homme  ne  peut  pas  connaître  avec  certitude  s'il 
est  en  état  de  grâce.  A  notre  avis,  cette  conclusion  n'est 
pas  contenue  dans  les  prémisses;  en  effet,  l'apôtre  ne 
parle  pas  nécessairement  du  péché  mortel,  comme  s'il 
disait  :  je  ne  me  reconnais  pas  coupable  d'un  péché 
mortel  dans  l'exercice  de  mon  ministère  apostolique. 
L'apôtre  parle  en  général  :  ma  conscience  ne  me 
reproche  rien,  cependant  il  se  peut  que  j'aie  manqué  à 
mon  devoir.  On  ne  peut  pas  interpréter  sa  parole  ainsi  : 
ma  conscience  ne  me  reproche  rien,  cependant  il  se 
peut  que  j'aie  commis  un  manquement  qui  constitue 
un  péché  mortel.  L'assertion  de  l'apôtre  se  vérifie  s'il 
s'agit  d'un  simple  péché  véniel,  qui  n'empêche  pas 
l'état  de  grâce.  Remarquons  enfin  que  l'apôtre  ne  dit 
pas  :  quoique  ma  conscience  ne  me  reproche  rien, 
cependant  il  se  peut  que  je  sois  actuellement  coupable 
d'un  péché;  mais  il  parle  du  jugement  à  porter  sur  sa 
manière  d'agir  antérieure  :  de  ce  qu'il  ne  puisse  pas 


1617 


GRACE 


1618 


savoir  avec  certitude  qu'il  n'a  commis  aucune  faute 
dans  son  ministère,  il  ne  résulte  pas  nécessairement 
qu'il  ne  peut  pas  savoir  avec  certitude  s'il  est  main- 
tenant en  état  de  grâce.  Ses  paroles  contiennent  néan- 
moins un  conseil  de  prudence  concernant  le  jugement 
de  chacun  sur  sa  valeur  morale  et  conséquemment  sur 
son  état  de  grâce  :  c'est  ce  qu'insinue  le  concile  de 
Trente  en  employant  les  mêmes  mots  dont  s'est  servi 
saint  Paul.  Sess.  vi,  c.  xvi,  Denzinger-Bannwart, 
n.  810.  Cf.  Cornely,  Commenlarius  in  priorem  Episto- 
lam  ad  Corinthios,  Paris,  1890,  p.  103  sq. 

Dans  son  Épître  aux  Romains,  vm,  16,  l'apôtre  a 
un  passage  qu'on  a  invoqué  en  faveur  de  la  certitude 
que  chacun  doit  avoir  de  son  état  de  grâce  :  «  Cet 
esprit  lui-même  rend  témoignage  à  notre  esprit  que 
nous  sommes  enfants  de  Dieu.  »  Le  sens  n'est  pas  que 
l'Esprit-Saint  fait  savoir  à  chaque  homme  justifié  qu'il 
est  réellement,  maintenant,  enfant  de  Dieu.  Le  texte 
grec  est  celui-ci  :  TJv;j.aoTjp;ï  ~£o  7zvsÛ[a3ti  t)jj.<jûv;  ce  qui 
signifie  :  l'Esprit  divin  témoigne  avec  notre  esprit  que 
nous  sommes  enfants  de  Dieu.  C'est  une  confirma- 
tion du  verset  précédent  :  «  Vous  avez  reçu  un  esprit 
d'adoption  en  qui  nous  crions  :  Père.  »  L'apôtre  con- 
firme ici  la  coopération  de  l'Esprit  à  notre  oraison, 
dans  laquelle  nous  invoquons  Dieu  comme  notre  Père. 
Cette  coopération  n'est  pas  une  révélation  sur  l'état  de 
notre  âme.  De  plus,  cette  coopération  ne  peut  pas  être 
connue  par  la  conscience  psychologique.  Enfin,  l'Es- 
prit-Saint  peut  exciter  un  croyant,  en  état  de  péché 
mortel,  à  crier  vers  Dieu  :  notre  Père. 

2.  Les  Pères  ne  semblent  pas  avoir,  sur  la  question 
qui  nous  occupe,  un  enseignement  précis,  ni  unanime. 
On  cite  un  passage  de  saint  Jérôme,  commentant 
l'Ecclésiaste,  ix,  1,  P.  L.,  t.  xxm,  col.  1080  :  «  Les 
œuvres  des  justes  sont  dans  les  mains  de  Dieu,  et 
cependant  ils  ne  peuvent  pas  savoir  maintenant  s'ils 
sont  aimés  par  Dieu  ou  s'ils  ne  le  sont  pas,  ils  ne  savent 
discerner  si  les  peines,  qu'ils  endurent,  sont  l'épreuve 
de  leur  vertu  (qui  en  triomphera)  ou  l'occasion  de  leur 
supplice.  »  Saint  Jérôme  exprime  ici  une  certaine  incer- 
titude des  justes  concernant  leur  état  moral  vis-à-vis 
de  Dieu.  L'incertitude  de  l'homme  juste  concernant  son 
immunité  de  tout  péché  est  exprimée  par  saint  Au- 
gustin. De  per/eelione  justitise,  c.  xv,  n.  33,  P.  L., 
t.  xliv,  col.  309.  Enfin  saint  Grégoire,  répondant  à  la 
question  que  lui  avait  faite  une  personne  angoissée  par 
le  doute  concernant  la  rémission  de  ses  péchés,  dit  que 
sa  question  est  inutile  :  «  Il  ne  faut  pas  que  vous  soyez 
sûre  de  la  rémission  de  vos  péchés,  avant  le  dernier 
jour  de  votre  vie,  où  vous  ne  pourrez  plus  déplorer  vos 
fautes.  Avant  ce  jour,  il  faut  toujours  craindre  les 
fautes  et  les  expier  par  vos  larmes  quotidiennes.  » 
Episl.,  1.  VII,  epist.  xxv,  P.  L.,  t.  lxxvii,  col.  878.  Ces 
textes  s'opposent  à  la  doctrine  de  Luther,  dont  nous 
parlerons  plus  loin,  mais  ne  permettent  pas  de  définir 
la  nature  de  la  connaissance  que  chaque  homme  peut 
avoir  de  sa  justification,  ni  de  déterminer  à  quel  degré 
de  persuasion  peut  arriver  cette  connaissance. 

3.  Les  scolastiques  ont  explicitement  posé  la  ques- 
tion et  y  ont  répondu.  Alexandre  de  Halès,  Sum.  theol., 
part.  III,  q.  lxxi,  m.  m,  a.  1-3,  enseigne  que  l'homme 
ne  peut  pas  connaître  son  état  de  grâce,  par  cette  con- 
naissance scientifique,  qui  est  un  moyen  infaillible  de 
savoir  :  en  effet,  la  grâce  est  l'effet  de  la  bienveillance 
divine  à  notre  égard  ;  et  l'on  ne  peut  obtenir  une 
connaissance  scientifique  de  cette  bienveillance.  Mais 
l'homme,  qui  a  la  foi,  peut  acquérir  une  connaissance 
expérimentale  de  son  état  de  grâce  :  il  peut,  en  effet, 
éprouver  en  lui  les  signes  de  cette  grâce,  notamment  la 
lumière  dans  l'intelligence,  et  dans  la  volonté,  la  joie  et 
lapaix.  Albert  le  Grand, /n  IVSent.,\.  I,  dist.  XVII,  a.5, 
Opéra  omnia,  Paris,  1893,  t.  xxi,  p.  473,  parle  explici- 
tement de  la  charité  et  dit  :  aucun  homme,  sans  révé- 


lation spéciale,  ne  peut  savoir  s'il  a  la  charité;  cela, 
pour  deux  raisons  :  d'abord,  parce  que  la  charité,  bien 
qu'elle  soit  connaissable  en  elle-même,  ne  se  manifeste 
cependant  pas  suffisamment  à  nous,  à  cause  du  tumulte 
de  la  concupiscence  et  de  l'imagination;  ensuite,  parce 
que  l'amour  naturel  a  parfois  un  acte  tout  semblable  à 
l'acte  de  la  charité  (infuse)  :  ainsi  on  pourrait  prendre 
l'un  pour  l'autre.  Saint  Bonaventure  est  plus  précis  : 
l'homme,  sans  révélation  spéciale,  ne  peut  pas  savoir 
certiludinaliter  s'il  a  en  lui  la  charité,  mais  il  peut  le 
savoir  conjecluraliter,en  se  fondant  sur  différents  signes; 
la  première  raison  qu'il  expose  pour  prouver  que 
l'homme  ne  peut  pas  connaître  ccrlitudinalilir  la  pré- 
sence de  la  charité  en  lui,  est  celle  qui  était  indiquée 
par  Alexandre  de  Halès  :  on  ne  peut  pas  connaître 
eertitudinaliter  qu'on  est  agréable  à  Dieu.  La  seconde 
raison  est  celle  qui  fut  indiquée  par  Albert  le  Grand  : 
on  ne  peut  pas  avec  certitude  discerner  toujours  l'acte 
de  charité  infuse  de  l'acte  de  charité  naturelle,  notam- 
ment de  l'acte  qui  est  l'effet  d'une  vertu  acquise, 
In  IV  Sent.,  1.  I,  dist.  XVII,  part.  I,  q.  m,  Opéra  omnia, 
Quaracchi,  t.  i,  p.  299;  cf.  1.  III,  dist.  XXIII,  dub.  iv, 
op.  cit.,  t.  m,  p.  503,  où  il  est  enseigné  que  l'homme  ne 
peut  pas  avoir  une  connaissance  expérimentale  certaine 
de  la  présence  de  la  grâce  sanctifiante  et  de  la  charité 
en  lui.  Saint  Thomas  d'Aquin  expose,  en  divers  endroits 
de  ses  œuvres,  la  question  qui  nous  occupe,  notamment 
In  IV  Sent.,  1.  I,  dist.  XVII,  q.  i,  a.  4;  1.  IV,  dist.  IX, 
q.  i,  a.  3,  sol.  2a;  dist.  XXI,  q.  u,  a.  2,  ad  2am;  De  veri- 
tate,  q.  x,  a.  10;  Quudlibelum  VIII,  a.  4;  Sum.  theol., 
Ia  II'1',  q.  cxn,  a.  5  :  nous  y  trouvons  la  même  doctrine, 
que  nous  avons  signalée,  et  les  mêmes  raisons  pour 
l'étayer.  Dans  la  Somme  théologique,  loc.  cit.,  il  indique 
trois  signes  d'où  l'homme  peut  conjecturer  son  état  de 
grâce  :  se  délecter  en  Dieu,  mépriser  les  choses  mon- 
daines, n'avoir  pas  conscience  d'être  coupable  d'un 
péché  mortel.  Duns  Scot  enseigne  la  même  doctrine, 
In  IV  Senl.,\.  IV,  dist.  I,  q.  m;q.  iv,  a.  5;  q.  xiv,  a.  4, 
ainsi  que  Cajétan,  In  Sum.  theol.,  Ia  II1*',  q.  cxn,  a.  5. 
4.  Le  concile  de  Trente.  —  Luther  avait  expose  s;i 
théorie  de  la  /ides  (iducialis  et  en  était  arrivé  à  ensei- 
gner que  chaque  homme  doit  croire  fermement,  avec 
une  certitude  inébranlable,  qu'il  est  justifié.  Cf.  Hart- 
mann-Grisar,  Luther,  Fribourg,  1911-1912,  t.  i,  p.  3113 
sq.  ;  que  si  l'homme  doute  de  son  état  de  grâce,  il 
perd,  par  le  fait  même,  sa  justification.  Cette  doctrine 
fut  condamnée  en  1547,  en  la  session  vi  du  concile,  de 
Trente,  qui  déclare  notamment  les  points  suivants  :  a) 
on  doit  croire  que  la  rémission  des  péchés  ne  s'obtient 
que  gratuitement  par  la  miséricorde  divine  à  cause  du 
Christ;  cependant  la  confiance  ou  la  certitude  qu'on 
prétendrait  avoir  de  la  rémission  de  ses  péchés  n'est 
pas  ce  qui  en  réalité  procure  celte  rémission;  b)  on  ne 
peut  dire  que  ceux  qui  sont  réellement  justifiés  doivent 
affirmer,  sans  aucune  hésitation,  qu'ils  sont  justifiés,  ni 
que  personne  est  absous  de  ses  péchés  ou  justifié  à 
moins  qu'il  ne  croie  fermement  qu'il  est  absous  et  jus- 
tifié... c)  Car,  si  aucun  homme  pieux  ne  doit  douter  de 
la  miséricorde  divine,  du  mérite  du  Christ,  de  la  vertu 
et  efficacité  des  sacrements,  tout  homme  d'autre  part, 
s'il  se  considère  tel  qu'il  est  en  lui-même,  s'il  considère 
sa  propre  faiblesse  et  indisposition,  peut  craindre  et 
trembler  pour  son  état  de  grâce,  puisque  personne  ne 
peut  savoir  par  une  certitude  de  foi,  sous  laquelle  ne 
peut  se  cacher  l'erreur,  s'il  a  reçu  la  grâce  divine.  Den- 
zinger-Bannwart, n.  802.  Quant  à  l'histoire  de  ce  dé- 
cret, et  aux  discussions  qui  l'ont  précédé,  voir  Hefner, 
Die  Enlslehungsg  eschichle  des  Trienler  Rechtfertigungs- 
dekretes,  Paderborn,  1909,  p.  297  sq.  ;  Merkle,  Concilii 
Tridentini  diariorum  pars  I"-,  Fribourg-en-Brisgau, 
1901,  p.  98,  101,  109,  593,  000;  Elises,  Concilii  Triden- 
tini Actorum  pars  altéra,  Fribourg-en-Brisgau,  1911, 
p.  727  sq.;  Gaucher,  La  certitude  théologique  de  l'étal  de 


Ifil9 


GRACE 


1620 


grâce  et  le  concile  de  Trente,  dans  les  Etudes  francis- 
caines, 1910,  t.  xxiii.  p.  353 sq-,  600  sq. 

Le  concile  a  condamné  la  doctrine  luthérienne,  mais 
n'a  pas  voulu  atteindre  les  opinions  divergentes  qui 
s'étaient  manifestées,  au  sein  même  du  concile,  entre 
les  catholiques;  il  est  donc  établi  :  a)  qu'aucun  fidèle 
n'est  obligé  de  croire  qu'il  est  justifié,  c'est-à-dire  que 
sa  propre  justification  n'est  pour  personne  un  objet  de 
celte  foi  qui  est  nécessaire  au  salut;  b)  que  tout  fidèle 
peut  légitimement  (sans  faute  morale)  craindre  pour 
son  état  de  grâce  et  qu'il  peut  avoir  des  raisons  logique- 
ment fondées  pour  avoir  un  doute  à  ce  sujet.  Le  concile 
alors  ajoute  le  motif  de  cette  dernière  assertion  :  c'est 
là,  à  proprement  parler,  un  argument  qui  ne  peut  pas 
être  mis  au  mime  rang  que  la  définition  elle-même, 
mais  qui  cependant  a  grande  autorité,  parce  qu'il  est 
l'expression  de  la  pensée  commune  des  Pères  du  concile. 
Cet  argument  est  le  suivant  :  «  Puisque  personne  ne 
peut  savoir  par  une  certitude  de  foi,  sous  laquelle  ne 
peut  se  cacher  l'erreur,  s'il  a  reçu  la  grâce  divine.  »  Des 
controverses  qui  ont  eu  lieu,  avant  qu'on  ne  soit  arrivé 
à  cette  formule,  voir  Hefner,  op.  cit.,  p.  304  sq.,  il 
résulte  que  le  concile  ne  semble  pas  avoir  entendu  dire 
autre  chose  que  ceci  :  la  connaissance  que  l'homme  peut 
avoir  de  sa  justification  n'est  pas  de  telle  nature  qu'elle 
soit  objectivement  incompatible  avec  l'erreur,  comme 
l'est  notre  foi,  et  par  conséquent  l'homme  ne  peut 
jamais  logiquement  avoir,  concernant  sa  propre  justi- 
fication, une  certitude  égale  à  celle  avec  laquelle  il 
adhère  aux  vérités  révélées  par  Dieu. 

C'est  pourquoi  cette  assertion  n'exclut  même  pas 
l'opinion  de  Catharin.  Cf.  Pallavicini,  Concilii  Triden- 
tini  historié/,  1.  VIII,  c.  xn,  n.  10-12,  Anvers,  1677, 
p.  762  sq.  Catharin  distinguait  la  foi  catholique  ou  uni- 
verselle, par  laquelle  tous  les  fidèles  croient  les  vérités 
révélées  par  Dieu  et  proposées  à  tous  comme  telles,  el 
la  foi  privée  ou  particulière,  par  laquelle  un  homme 
croit  une  proposition,  ou  bien  parce  qu'elle  lui  a  été 
personnellement  révélée  par  Dieu,  ou  bien  parce 
qu'elle  est  déduite  d'une  autre  proposition  de  foi. 
L'homme,  d'après  Catharin,  peut  connaître  avec  cer- 
titude sa  propre  justification  par  cette  foi  privée.  Voici 
pourquoi  :  celle-ci  suppose,  en  dehors  des  cas  de  révé- 
lation divine,  que  l'homme  juge  exactement  ses  pro- 
pres actes  et  il  se  peut  que  l'homme  se  trompe  en  cela  : 
donc  cette  foi  privée  n'est  pas  celle  que  le  concile  a 
indiquée  par  ces  mots  :  [ides,  cui  non  potest  subesse  fal- 
snm.  Somme  toute,  le  concile  de  Trente  n'a  rien  changé 
à  la  doctrine  des  théologiens  catholiques,  sur  le  point 
en  question. 

5.  Après  la  définition  du  concile  de  Trente.  —  L'opi- 
nion de  Catharin  a  été  combattue  par  Soto,  Apologia 
Fr.  Dominici  Solo,  etc.,  dans  son  livre  De  natura  et 
gratia,  Paris,  1549,  fol.  269  sq.,  et  ne  semble  pas  avoir 
trouvé  beaucoup  de  partisans.  Les  théologiens  se  sont 
plutôt  rangés  du  côté  de  Soto,  et  ont  défendu  sa  thèse, 
mais  avec  des  nuances  diverses  assez  notables.  De  nos 
jours,  on  tend  à  accentuer  l'assertion  qu'on  peut  avoir 
de  sa  propre  justification  une  véritable  certitude. 

Soto,  op.  cit.,  1.  III,  c.  xi,  fol.  247,  exprime  sa  thèse 
en  ces  termes  :  Quamvis  possil  homo  in  hac  vita  per- 
grandes  habere  conjecturas  status  sui  in  conspectu  Dei, 
nemo  lamen  prieler  spéciale  revelationis  privilegium 
potest  tantam  obtinere  ccrlitudinem  légitima:  suœ  ac- 
tionis,  qua  cooperamur  moventi  Deo,  aul  légitima-  recep- 
lionis  sucramenti,  ut  œquo  assensu  judicel  se  esse  in  gra- 
tia illo  quo  chrisiianm  asseniitur  articulis  fidei.  Soto 
parle  de  certitude  considérée  au  point  de  vue  de  l'objet, 
fol.  239,  et  affirme  que  l'homme  ne  peut  pas,  si  sa  ma- 
nière de  penser  est  correcte  et  si  elle  correspond  à  son 
objet,  être  persuadé  de  sa  propre  justification  avec  la 
même  fermeté  qu'il  est  persuadé  des  articles  de  foi. 
Cette  assertion,  est,  au  fond,  contre  celle  de  Catharin; 


car  celle-ci  n'excluait  pas  que  la  foi  privée,  dont  il 
s'agissait,  pût  avoir  une  fermeté  d'adhésion  égale  à 
celle  de  la  foi  universelle.  Remarquons  ensuite  que  la 
raison  invoquée  par  Soto  est  celle-ci  :  l'homme  ne  peut 
pas  avoir  une  certitude  absolue  de  la  valeur  morale  de 
ses  propres  opérations  ou  de  la  réception  fructueuse  des 
sacrements.  Le  manque  de  certitude  absolue  quant  à 
cela  empêche  la  certitude  absolue  quant  à  l'état  de 
grâce.  Pour  déterminer  le  degré  de  la  fermeté  dans 
L'adhésion,  dont  il  s'agit,  Soto  dit  que  l'homme  peut 
avoir,  à  ce  sujet,  de  très  fortes  conjectures  :  pergrandes 
conjecturas,  aussi,  une  opinion  très  intense  :  intentis- 
sima  opinio,  fol.  248,  verso.  Il  admet  qu'on  pourrait 
avoir  de  sa  justification  une  persuasion  égale  à  celle 
que  l'on  a  de  l'existence  de  la  ville  de  Constantinople, 
quand  on  n'a  jamais  été  en  cette  ville.  C'est  là  une 
persuasion  de  foi  humaine  et,  bien  que  Soto  n'emploie 
pas  le  mot,  cette  foi  est  susceptible  d'une  véritable 
certitude.  Bien  plus,  elle  est  telle  que  la  plupart  des 
théologiens  n'admettent  pas  qu'elle  puisse  être  égalée 
par  la  certitude  qu'on  peut  avoir  de  son  état  de  grâce, 
comme  nous  le  dirons  plus  loin. 

Bellarmin,  De  justificatione,  1.  III,  c.  xi,  n.  24-27, 
dans  Controu.,  Prague,  1721,  t.  iv,  p.  501,  note  qu'il  y 
a  parmi  les  catholiques  trois  opinions  :  celle  de  Catha- 
rin, qui  non  seulement  exclut  tout  doute,  mais  ajoute 
que  les  justes  peuvent  avoir  de  leur  justification  une 
certitude  de  foi  divine...;  la  seconde  opinion  n'admet 
pas  la  certitude  de  foi  divine,  mais  affirme  cependant 
que  les  justes  peuvent  arriver,  et  en  général  arrivent 
(notamment  les  hommes  parfaits)  à  une  telle  sécurité, 
qu'ils  n'aient  aucune  crainte  au  sujet  de  leur  justifica- 
tion, absolument  de  la  même  manière  que  nous  croyons 
sans  aucune  hésitation  que  César  a  régné  en  Italie,  que 
Constantinople  est  une  ville  de  Thrace.  Bellarmin  n'ap- 
prouve pas  cette  opinion.  La  troisième,  qui  est  plus 
communément  admise,  n'enlève  pas  toute  crainte, 
mais  cependant  toute  anxiété  et  hésitation,  même  tout 
doute,  si  l'on  désigne  par  ce  mot  l'état  de  celui  qui 
n'ose  pas  adhérer  à  l'une  des  deux  assertions  contra- 
dictoires. Il  y  a  pour  les  fidèles,  au  sujet  de  leur  justi- 
fication, une  certitude  morale  pour  l'intelligence,  l'es- 
pérance et  la  confiance  pour  la  volonté.  Cette  certitude 
morale  a  son  origine  dans  l'expérience  ou  la  conscience 
qu'on  a  de  la  charité  el  des  bonnes  œuvres  :  c'est  pour- 
quoi on  peut  l'appeler  une  certitude  morale  et  conjec- 
turale. Op.  cit.,  p.  502,  n.  31. 

Suarez,  De  gratia,  1.  IX,  c.  xsq.,  Opéra,  t.  ix,  p.  539 
sq.,  distingue  d'abord  la  certitude  théologique  et  la  cer- 
titude de  foi.  Le  certitude  de  foi  repose  immédiatement 
sur  la  révélation  divine,  tandis  que  la  certitude  théo- 
logique  n'\  est  fondée  que  médiatement,  c'est-à-dire 
au  moyen  d'un  raisonnement;  en  effet,  la  certitude 
théologique,  proprement  dite,  se  trouve  dans  une  con- 
clusion tirée  d'un  principe  divinement  révélé,  et  d'un 
autre  principe  qui  est  évident  de  connaissance  natu- 
relle, ou  qui  est  absolument  certain  par  l'expérience 
naturelle,  n.  1,  p.  539.  Suarez  n'admet  pas  que  le  juste, 
sans  une  révélation  spéciale,  ou  une  inspiration  équi- 
valente, puisse  avoir  cette  certitude  théologique  de  sa 
justification,  et  il  dit  cjue  presque  tous  les  théologiens 
sont  d'accord  en  cela;  il  démontre  ensuite  pourquoi 
l'homme  ne  peut  pas  avoir  cette  certitude  thôologique, 
n.  6-19,  p.  510-546.  Au  c.  xi,  il  se  demande  si  l'homme 
peut  obtenir  une  vraie  certitude  concernant  son  état  de 
grâce.  Après  avoir  énuméré  plusieurs  auteurs,  qui  le 
nient, et  d'autres  qui  l'affirment, il  exprime  sen  opinion  : 
il  peut  y  avoir  un  degré  de  fermeté  dans  l'adhésion,  que 
l'on  appelle  certitude,  non  seulement  parce  qu'il  exclut 
le  doute  négatif  ou  suspensif  de  l'assentiment  intel- 
lectuel, mais  encore  parce  qu'il  exclut  aussi  tout  doute 
prudent  ou  moral.  Dans  cette  certitude-là  il  peut  y 
avoir  des  degrés  différents.  Le  degré  suprême  de  fer- 


1621 


GRACE 


1622 


meté  semble  s'obtenir  quand  on  a  un  témoignage  con- 
stant et  universel  concernant  un  fait,  par  exemple, 
l'existence  de  Rome.  Le  degré  infime  semble  s'obtenir 
quand  on  a  le  témoignage  de  plusieurs  ou  d'un  grand 
nombre  de  témoins  occulaires,  dignes  de  foi,  surtout 
quand  il  n'y  a  aucune  raison  probable  de  soupçonner  le 
mensonge,  ou  bien  quand  la  qualité  des  personnes  qui 
témoignent  augmente  leur  crédit.  Entre  ces  deux  degrés, 
qui  viennent  d'être  décrits,  il  y  a  place  pour  plusieurs 
degrés  intermédiaires,  n.  1-2,  p.  546  sq.  Après  cela 
Suarez  établit  que  l'homme  peut  avoir  une  certitude 
morale  de  son  état  de  grâce,  bien  qu'elle  ne  se  trouve 
pas  ordinairement  chez  tous  les  justes,  n.  3-8,  p.  547- 
549.  Quant  au  degré  de  fermeté,  n.  9,  qu'il  faut  recon- 
naître à  cette  certitude,  il  semble  être  un  intermédiaire 
entre  le  degré  suprême  et  l'infime  degré,  dont  il  a  été 
parlé  ci-dessus;  notamment  il  peut  exister  sans  aucune 
crainte  actuelle  de  se  tromper,  sans  aucun  doute  actuel, 
n.  10;  cependant  il  ne  semble  pas  pouvoir  atteindre  le 
degré  de  certitude  que  peut  avoir  de  l'existence  de 
Rome  celui  qui  n'y  a  jamais  été.  Soto  cependant  ad- 
mettait, pour  l'état  de  grâce,  ce  degré  de  certitude, 
n.  11  sq.  Parmi  les  théologiens  récents,  les  uns  défen- 
dent la  thèse  de  Suarez.  Hurter,  Compendium  théologie 
dogmatiese,  t.  m,  n.  217,  admet  la  certitude  conjectu- 
rale et  morale,  plus  ou  moins  ferme,  mais  qui  exclut 
toute  crainte  actuelle  et  tout  doute  prudent.  La  même 
assertion  est  défendue,  semble-t-il,  par  le  P.  Pesch, 
Prœleclioncs  dogmatiese,  t.v,  n.  369  ;  Tabarelli,  De  gratîa, 
Rome,  1908,  p." 349;  Pohle,  Lerbueh  (1er  Dogmatik,  t.  n, 
p.  589;  je  l'ai  défendue  dans  mon  traité  :  De  gratia 
divina,  Rruges,  1910,  n.  199  sq.  Cependant,  Schifiini, 
De  gratia  divina,  n.  319,  et  le  cardinal  Billot,  De  gratia 
Chrisli,  p.  200  sq.,  n'admettent  pas  que  l'homme  puisse 
avoir,  sans  révélation  spéciale,  une  certitude  quelconque 
proprement  dite,  concernant  son  état  de  grâce;  ils  n'ap- 
pellent certitude  que  l'adhésion  d'une  connaissance 
qui,  de  sa  nature,  ne  peut  jamais  être  sujette  à  l'erreur, 
qui  exclut  donc  tout  doute  logiquement  possible.  Il 
nous  faut  mentionner  encore  l'opinion  exposée  par 
M.  Gaucher,  dans  son  opuscule  :  Le  signe  infaillible  de 
l'état  de  grâce,  le  Perreux  (Seine),  1907.  L'opinion  de 
l'auteur  peut  se  résumer  ainsi  :  a)  tout  acte  surnaturel 
de  charité  parfait  implique  la  justification  :  b)  or,  dans 
l'ordre  providentiel  actuel,  tout  acte  d'amour  de  Dieu 
pour  lui-même  et  par-dessus  tout  est  un  acte  surnaturel 
de  charité  parfaite,  tout  au  moins  chez  celui  qui  a  la 
connaissance  et  la  certitude  de  la  révélation  chrétienne. 
c)  Mais  il  est  possible  au  chrétien  adulte  d'avoir  la  cer- 
titude absolue  d'avoir  émis  un  acte  d'amour  de  Dieu 
pour  lui-même  et  par-dessus  tout,  d)  Donc  il  est  possible 
au  chrétien  adulte  d'avoir  la  certitude  absolue,  théolo- 
gique, d'être  actuellement  en  état  de  grâce.  Cette  thèse, 
quant  à  son  fond,  n'est  pas  condamnée  par  la  définition 
du  concile  de  Trente,  mais  appelle  cependant,  à  notre 
avis,  des  réserves.  En  effet,  d'abord  l'expression  signe 
infaillible  est  inexacte  :  il  s'agit  du  jugement  que 
l'homme  adulte  doit  porter  sur  son  propre  acte  de 
volonté  et  ce  jugement  peut  être  fréquemment  erroné, 
parce  que  les  hommes  se  font  facilement  illusion  sur 
leurs  propres  dispositions;  ensuite  des  théologiens  émi- 
nents  sont  d'avis  que  l'homme  ne  peut  guère  savoir 
avec  une  certitude  absolue  s'il  a  fait  un  acte  d'amour 
parfait,  par  lequel  il  aime  Dieu  apprêt ialive  par-dessus 
tout.  Dans  ces  conditions,  on  ne  peut  présenter  l'acte 
d'amour  comme  un  signe  infaillible  de  l'état  de  grâce; 
considéré  objectivement,  cet  acte  n'est  pas  un  élément 
de  connaissance  suffisamment  significatif;  de  plus,  la 
conclusion  qu'on  en  tire  suppose  plusieurs  assertions, 
concernant  la  sumaturalité,  le  degré  requis  pour  qu'il 
y  ait  acte  d'amour  parfait,  etc.,  assertions  sur  lesquelles 
existent  des  controverses,  qui  empêchent  de  présenter 
comme  infaillible  le  moyen  de  connaître  l'état  de  grâce. 


Qnant  au  fond  de  la  thèse  :  a)  la  première  proposition  : 
«  tout  acte  surnaturel  de  charité  parfaite  implique  la 
justification  »  n'est  pas,  à  proprement  parler,  définie, 
mais  elle  est  certaine  et  la  conviction  des  Pères  du 
concile  de  Trente  sur  cet  objet  est  exprimée  dans  un 
considérant  du  décret  concernant  le  sacrement  de  péni- 
tence. Sess.  xiv,  c.  iv,  Denzinger-Bannwart,  n.  898; 
voir  Charité,  t.  n,  col.  2236  sq.  b)  La  seconde  propo- 
sition est  celle-ci  :  dans  l'ordre  actuel  de  la  providence 
tout  acte  d'amour  de  Dieu  pour  lui-même  et  par-dessus 
tout  est  un  acte  surnaturel  de  charité  parfaite,  tout  au 
moins  chez  celui  qui  a  la  connaissance  et  la  certitude 
de  la  révélation  chrétienne  (je  suppose  que  l'auteur  veut 
dire  :  chez  celui  qui  a  la  foi).  Cette  assertion  n'est  pas 
théologiquement  certaine,  c)  La  proposition  suivante  : 
«  il  est  possible  au  chrétien  adulte  d'avoir  la  certitude 
absolue  d'avoir  émis  un  acte  d'amour  de  Dieu  pour 
lui-même  et  par-dessus  tout  »  est  controversée;  elle 
est  niée  ou  mise  en  doute  par  des  théologiens  de  grande 
valeur  et  elle  est  connexe  avec  d'autres  questions  con- 
troversées, notamment  avec  la  question  de  savoir  ce 
qui  est  réellement  requis  pour  qu'il  y  ait  acte  d'amour 
parfait  à  l'égard  de  Dieu,  comme  avec  la  question  de 
savoir  si  un  acte  d'amour  parfait  peut  s'accomplir  par 
les  seules  forces  de  la  nature.  Si  donc  l'on  tient  compte 
de  l'enseignement  théologique,  tel  qu'il  existe  aujour- 
d'hui, on  ne  peut  pas  admettre  cette  conclusion  :  l'acte 
do  charité  est  un  moyen  pour  le  fidèle  adulte  d'avoir  la 
certitude  absolue,  théologique,  d'être  actuellement  en 
état  de  grâce. 

Après  cet  exposé  de  la  doctrine  défendue  par  les  théo- 
logiens, nous  exprimons  brièvement  notre  conclusion. 

1.  L'homme  adulte,  sans  révélation  spéciale,  ne  peu! 
pas  croire  de  foi  divine  et,  par  conséquent,  ne  peut  pas 
connaître  avec  la  certitude  qui  est  propre  à  cette  foi, 
c'est-à-dire  infailliblement,  qu'il  est  en  état  de  grâce. 
Cette  proposition  est  la  doctrine  même  qui  fut  établie 
au  concile  de  Trente  ou,  du  moins,  en  résulte  immédia- 
tement. Sur  l'infaillibilité  de  l'acte  de  foi,  voir  Foi. 
col.  369  sq.,  387  sq.  Ici  il  convient  de  remarquer  la  dif- 
férence entre  l'objet  qui  nous  occupe  et  un  autre  objet 
qui  peut  être  connu  de  foi  divine.  Les  théologiens  en- 
seignent que  l'homme  qui  a  baptisé  un  enfant  peut 
croire  de  foi  divine,  et  avec  une  certitude  absolue,  que 
l'enfant  baptisé  est  en  état  de  grâce.  Voici  pourquoi  : 
il  est  révélé  que  si  quelqu'un  reçoit  validement  le  bap- 
tême et  ne  met  aucun  obstacle  à  son  effet,  il  est  justifié; 
or,  l'enfant  ne  peut  pas  mettre  obstacle  à  l'effet  de 
baptême;  celui  qui  baptise,  d'autre  part,  peut  con- 
naître, avec  certitude  absolue,  qu'il  a  eu  l'intention 
requise  au  baptême  valide,  qu'il  a  bien  prononcé  les 
paroles  de  la  forme  sacramentelle  et  qu'il  a  versé  de 
l'eau  véritable  sur  le  corps  de  l'enfant;  par  conséquent, 
dans  le  cas  indiqué,  celui  qui  a  baptisé  peut  savoir  de 
certitude  absolue  que  la  condition  exprimée  dans  la 
proposition  révélée  est  vérifiée  et  dès  lors  il  peut  croire 
de  foi  divine  que  la  conséquence  est  réalisée  aussi  :  si 
cet  enfant  est  validement  baptisé,  il  est  justifié;  or  cet 
enfant  est  validement  baptisé  par  moi;  donc  il  est 
justifié.  Remarquons  bien  que  la  mineure  est  connue 
par  la  conscience  psychologique  de  celui  qui  a  baptisé; 
en  effet,  son  intention,  la  prononciation  des  paroles, 
l'acte  de  verser  de  l'eau  sont  objet  immédiat  de  la  con- 
science psychologique.  C'est  pourquoi  l'homme  peut  en 
avoir  une  certitude  absolue.  Je  dis  que  l'homme  peut 
en  avoir  une  certitude  absolue,  et  j'admets  qu'il  peut 
aussi  ne  pas  l'avoir.  Cette  certitude  ne  s'obtient  plus 
quand  il  s'agit  de  l'adulte,  comme  nous  le  verrons  plus 
loin  :  ce  qui  est  requis  et  suffit  à  son  état  de  grâce  n'est 
pas  l'objet  immédiat  de  sa  conscience  psychologique. 

2.  L'adulte  ne  peut  pas  avoir  une  certitude  scienti- 
fique, au  sens  propre  du  mot,  de  son  état  de  grâce. 
D'abord,  nous  excluons  cette  certitude  qui  est  propre 


1623 


GRACE 


1024 


à  la  conclusion  théologiquement  certaine.  Celle-ci 
s'obtient  par  un  raisonnement  dont  l'une  des  pré- 
misses est  une  vérité  révélée,  et  l'autre,  une  proposition 

de  connaissance  naturelle,  mais  absolument  certaine, 
telle  qu'elle  n'admet  pas  la  possibilité  de  l'erreur,  vu  la 
nature  de  la  connaissance  à  laquelle  elle  appartient.  Or, 
pour  le  cas  qui  nous  occupe,  la  prémisse  révélée  revient 
à  une  proposition  conditionnelle,  par  exemple,  si 
l'homme  reçoit  tel  sacrement,  dans  telles  conditions,  il 
est  justifié;  mais  les  propositions  qui  affirment  la 
réalisation  de  la  condition  sont  ou  absolument  cer- 
taines, comme  dans  le  cas  expliqué  plus  haut  du 
baptême  de  l'enfant,  et  alors  la  conclusion  est  de  foi, 
ou  bien  les  propositions,  dont  il  s'agit,  ne  sont  pas 
absolument  certaines,  et  alors  la  conclusion  ne  peut 
pas  l'être  :  on  n'aura  donc  pas  une  conclusion  théolo- 
giquement certaine.  Sur  la  différence  à  établir  entre  une 
conclusion  révélée  implicitement  et  formellement  et  une 
conclusion  théologique,  voir  Foi,  col.  383,  et  les  auteurs 
cités. 

Pour  mieux  comprendre  pourquoi  l'on  ne  peut  avoir, 
au  sujet  de  sa  propre  justification,  une  certitude  scien- 
tifique, au  sens  propre  du  mot,  ou  une  certitude  équi- 
valente, quant  à  la  fermeté,  il  faut  considérer  de  quelle 
manière  l'état  de  grâce  pourrait  être  un  objet  de  notre 
connaissance.  Voici  l'exposé  succinct  et  clair  du  car- 
dinal Billot,  De  gralia  Christi,  p.  208  sq.  :  l'existence  de 
la  grâce  sanctifiante  serait  connue  avec  certitude  ou 
bien  en  elle-même,  ou  bien  dans  ses  effets,  ou  bien 
dans  ses  causes,  ou  bien  dans  les  conditions  auxquelles, 
d'après  la  révélation,  est  nécessairement  lié  l'état  de 
grâce.  Or,  aucun  de  ces  éléments  ne  permet  d'obtenir 
une  certitude  proprement  dite.  En  effet,  a)  la  grâce  ne 
peut  pas  être  perçue  par  nous  en  elle-même,  c'est-à-dire 
par  intuition;  car  ni  l'âme  elle-même,  ni  ses  facultés 
opératives,  ni  ses  habitudes  acquises  naturellement,  ne 
peuvent  être  connues  immédiatement  en  elles-mêmes;  à 
plus  forte  raison,  ne  pourra-t-on  avoir  cette  connais- 
sance d'un  habitus  surnaturel,  tel  qu'est  la  grâce  sancti- 
fiante, b)  Les  effets  de  la  grâce  sanctifiante  seraient  les 
actes  dans  lesquels  elle  exerce  une  influence;  les  actes 
sont  l'objet  immédiat  de  notre  conscience  psychologi- 
que; mais  nous  ne  pouvons  pas  en  percevoir  la  surna- 
luralité  :  la  conscience  ne  perçoit  directement  que  la 
substance  de  l'acte,  qui,  dans  cette  vie,  est  la  même  et 
dans  l'acte  naturel  et  dans  l'acte  surnaturel  corres- 
pondant, c)  Les  causes  de  la  grâce  sanctifiante  sont 
Dieu,  qui  en  est  la  cause  principale,  et  les  sacrements, 
qui  en  sont  cause  instrumentale  :  quant  à  Dieu,  sa 
présence  ou  son  absence  en  nous  ne  nous  sont  pas 
connaissables.  Quant  aux  sacrements,  la  validité  de 
leur  administration  ne  peut  jamais  être  connue,  par 
l'adulte  qui  les  reçoit,  avec  une  parfaite  certitude;  car 
cette  validité  dépend  d'actes  internes  du  ministre  et 
(si  on  excepte  le  baptême)  de  la  validité  de  son  ordi- 
nation sacerdotale.  Ensuite  un  sacrement  validement 
administré  ne  produit  pas  toujours  la  grâce  sancti- 
fiante dans  celui  qui  ne  la  possède  pas  :  celui-ci,  en 
effet,  peut  n'avoir  pas  les  dispositions  requises,  d)  Les 
conditions  auxquelles  est  lié,  pour  l'adulte,  l'état  de 
grâce,  sont  la  foi  surnaturelle,  l'espérance  surnaturelle, 
la  charité  surnaturelle  ou  l'attrition  surnaturelle;  or 
ces  habitus  surnaturels  ne  sont  pas  connaissables  en 
eux-mêmes;  les  actes  non  plus,  parce  qu'on  ne  peut  pas 
les  discerner  d'actes  naturels  correspondants.  De  plus, 
peut-on  avoir  une  conscience  parfaitement  claire  du 
degré  de  l'amour  envers  Dieu  et  du  degré  de  la  contri- 
tion ?  En  d'autres  termes,  peut-on  connaître  avec  une 
certitude  parfaite  que  l'acte  que  l'on  produit  actuel- 
lement, est,  quant  à  sa  substance,  un  acte  parfait 
d'amour  pour  Dieu,  tel  qu'il  est  la  disposition  ultime  à 
la  justification  ?  Tel  est  le  doute  exprimé  par  l'émi- 
nciit     théologien;    nous    admettrions    cependant    que 


l'homme  peut  avoir  conscience  d'un  acte  parfait 
d'amour  de  Dieu,  tel  qu'il  est,  quant  à  la  substance  de 
l'acte,  la  disposition  dernière  à  la  justification.  Mais 
nous  ne  pourrons  jamais  savoir  avec  certitude  parfaite 
que  cet  acte  est  surnaturel,  puisque,  d'une  part,  nous 
ne  pouvons  en  percevoir  immédiatement  la  surnatu- 
ralité  et  que,  d'autre  part,  la  distribution  des  grâces 
ne  nous  est  pas  suffisamment  connue  pour  que  nous 
puissions  affirmer,  dans  les  cas  particuliers,  que  tel 
acte  e.t  certainement  surnaturel.  Nous  concluons  donc 
que  l'homme  ne  peut  pas  avoir  de  son  état  de  grâce 
une  certitude  scientifique  proprement  dite  ou  une 
certitude  qui,  quant  au  degré  de  fermeté,  équivaut  à 
celle-là. 

3.  L'homme  peut  avoir,  concernant  sa  propre  justi- 
fication, une  connaissance  conjecturale,  qui  exclut  tout 
doute  prudent,  et,  par  conséquent,  il  peut  avoir  une  certi- 
tude au  sens  large  du  mot,  qui  équivaut  à  une  certaine 
certitude  morale. 

Dans  les  deux  propositions  précédentes,  nous  avons 
parlé  de  la  certitude  qui  est  propre  à  l'acte  de  foi  divine 
et  de  la  certitude  qui  est  propre  à  l'acte  de  science  ou  à 
la  conscience  psychologique.  Il  nous  reste  à  considérer 
la  certitude  morale,  celle  qui  a  son  motif  unique  ou 
principal  dans  ie  témoignage  des  hommes.  Mais  cette 
certitude,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut  avec 
Suarez,  admet  les  degrés  différents  de  fermeté  :  le 
degré  suprême  se  trouve  dans  cette  certitude  que 
l'homme,  qui  n'a  jamais  été  à  Rome,  peut  avoir  de 
l'existence  de  cette  ville;  cette  certitude  est  telle  qu'elle 
exclut,  chez  l'homme  normal,  tout  doute  possible.  Nous 
n'admettons  pas  que  l'homme  puisse  avoir  une  telle 
certitude  concernant  sa  justification.  Cependant  cette 
opinion  n'a  pas  été  condamnée  par  l'Église.  Nous 
admettons  que  l'homme  vertueux,  surtout  après  avoir 
passé  un  temps  considérable  dans  l'exercice  d'une  vie 
vraiment  chrétienne,  peut  logiquement  et  raisonnable- 
ment exclure  tout  doute  prudent,  c'est-à-dire  tout 
doute  objectivement  probable,  concernant  sa  propre 
justification,  et,  par  conséquent,  juger  qu'il  est  en 
état  de  grâce  sans  craindre  actuellement  de  se  tromper  : 
c'est  là  un  jugement  certain,  au  sens  large  du  mot, 
par  opposition  au  jugement  qui  est  seulement  probable. 

Nous  avons  déjà  vu  plus  haut  que  cette  proposition 
est  défendue  par  Suarez,  qui  a  été  suivi  en  cela  par 
beaucoup  de  théologiens.  Mais  il  nous  faut  montrer 
d'abord  que  cette  assertion  n'est  pas  opposée  à  celle  du 
concile  de  Trente  qui  dit  :  quilibel,  dum  seipsum 
suamque  propriam  infirmitatem  et  indispositionem 
respicil,  de  sua  gralia  jormidare  et  limere  polest,  cum 
nullus  seirc  valeai  eerlitudine  fidei,  cui  non  polest 
subesse  falsum,  se  gratiam  Dei  esse  conseculum.  Denzin- 
ger-Bannwart,  n.  802.  Le  concile  condamne  ici  l'hérésie 
luthérienne  et  affirme  que  chaque  homme  peut  (raison- 
nablement et  licitement)  craindre  qu'il  ne  soit  pas  en 
état  de  grâce;  la  raison  est,  d'une  part,  la  faiblesse  de 
l'homme,  d'autre  part,  l'impossibilité  d'avoir  concer- 
nant sa  justification  une  certitude  de  foi;  cette  der- 
nière certitude  exclut  tout  doute  possible;  l'homme  ne 
peut  jamais  (ni  raisonnablement  ni  licitement)  douter 
un  seul  instant  d'une  vérité  révélée  par  Dieu,  il  ne 
peut  jamais  craindre  de  se  tromper  quand  il  adhère  à 
une  vérité  révélée.  Cette  absence  de  crainte  ne  peut  se 
vérifier  pour  la  connaissance  de  l'homme  concernant 
son  état  de  grâce  et,  en  ce  sens-là,  chaque  homme  peut 
(raisonnablement  et  licitement)  douter  de  son  état  de 
grâce,  concevoir  la  crainte  de  n'être  pas  justifié;  il 
peut  consentir  à  cette  crainte  et  l'entretenir.  Cepen- 
dant le  concile  ne  dit  pas  que  l'homme  ne  peut  pas, 
après  un  examen  sérieux,  faire  disparaître  tout  doute 
prudent  et  toute  crainte  réellement  fondée.  Le  doute 
reste  toujours  possible,  comme  dans  beaucoup  de  cas 
de  certitude  morale. 


1(325 


GRACE 


Iti'iii 


L'assertion,  que  nous  défendons,  est  appuyée  sur  les 
considérants  que  voici  :  a)  L'homme  peut  connaître, 
sans  douter  prudemment,  qu'il  a  les  disposition; 
requises  quant  à  la  substance  des  œuvres  pour  recevoir 
validement  et  fructueusement  le  sacrement  de  péni- 
tence :  la  foi,  l'espérance,  la  charité  au  moins  imparfaite 
ou  attrition,  l'intégrité  formelle  dans  l'accusation  des 
péchés;  il  ne  peut  pas  avoir  un  doute  fondé  que  Dieu 
lui  refuse  les  grâces  nécessaires  pour  que  les  actes  exigés 
soient  surnaturels,  soient  sicut  oporlct  ad  salutem.  Il 
peut  aussi  exclure  tout  doute  prudent  concernant  la 
validité  de  l'ordination  sacerdotale  du  prêtre  et  celle 
de  l'administration  du  sacrement;  il  entre  ici  diverse? 
choses  en  considération;  mais  si  l'on  tient  compte  et 
de  la  providence  spéciale  avec  laquelle  Dieu  conduit 
son  Église  et  des  lois  morales  qui  régissent  la  manière 
d'agir  des  hommes,  il  semble  bien  que  l'on  puisse,  en 
beaucoup  de  cas,  exclure  le  doute  prudent  sur  la  vali- 
dité de  l'administration  du  sacrement  de  pénitence,  en 
le  considérant  de  la  part  du  prêtre.  Dans  ce  cas,  le 
jugement  repose  sur  les  témoignages  ou  des  signes  équi- 
valents à  l'attestation  par  la  parole,  et,  s'il  y  a  certitude, 
c'est  une  certitude  morale,  b)  L'homme  qui  a  la  foi 
peut  avoir  conscience  qu'il  fait  un  acte  d'amour  parfait 
à  l'égard  de  Dieu,  un  acte  d'amour  parfait,  quant  à  la 
substance  de  l'acte;  il  ne  peut  pas  penser  prudemment 
que  Dieu  lui  refuse  la  grâce  requise  à  la  surnaturalité 
de  cet  acte.  Remarquons  que  cette  connaissance  est, 
aussi  dans  ce  cas,  conjecturale  :  c'est  d'un  signe,  l'acte 
de  charité,  que  l'on  part  pour  arriver,  au  moyen  d'autres 
considérations,  à  la  conclusion  :  cet  acte  de  charité  est 
surnaturel.  Dans  ce  cas,  la  certitude  n'est  pas  du  même 
ordre  que  dans  le  cas  précédent;  mais  le  degré  de  fer- 
meté ne  semble  guère  surpasser  la  certitude  morale 
exposée  ci-dessus  c)  Il  y  a  certaines  dispositions  habi- 
tuelles qui  permettent  à  l'homme  de  conjecturer  son 
état  de  grâce  :  n'avoir  conscience  d'aucun  péché  mortel, 
expérimenter  qu'on  a  la  délectation  de  l'amour  de  Dieu, 
qu'on  a  le  mépris  des  choses  mondaines,  etc.  De  ces 
dispositions,  que  l'on  connaît  directement  quant  à  la 
substance  de  leurs  actes,  on  conjecture,  au  moyen  de 
divers  principes,  qu'elles  sont  un  effet  de  la  grâce  sanc- 
tifiante et  des  grâces  que  Dieu  donne  à  ceux  qui  vivent 
dans  son  amitié.  Cette  conjecture  peut  arriver  à  la 
certitude  morale,  dont  nous  parlons,  cl)  Enfin  la  manière 
d'agir  et  la  conviction  des  lidèles  pieux  confirment 
notre  thèse  :  ceux-ci,  en  effet,  notamment  ceux  qui  se 
confessent  régulièrement  et  communient  fréquem- 
ment, qui  se  préparent  avec  grand  soin  à  la  réception 
de  ces  sacrements,  s'ils  ne  sont  pas  scrupuleux,  ne 
pensent  pas  qu'ils  sont  probablement  en  état  de  péché 
mortel;  on  les  troublerait  violemment  si  on  devait  leur 
imposer  celte  conviction.  Je  ne  vois  pas  comment  ils 
échapperaient  à  une  angoissante  tristesse,  s'ils  devaient 
toujours  aboutir  à  ce  jugement  :  il  est  probable  que  je 
suis  en  état  de  péché  mortel.  Quand  une  âme  a  bien 
compris  tout  le  désordre  qu'implique  le  péché  mortel 
(même  en  faisant  abstraction  de  la  crainte  de  la  peine 
éternelle),  quand  cette  âme  est  réellement  dominée  par 
l'amour  de  bienveillance  à  l'égard  de  Dieu,  elle  ne 
pourrait  trouver  du  repos  si  elle  devait  penser  :  il  est 
probable  que  je  suis  en  état  de  péché  mortel,  en  d'autres 
ternies  :  pour  penser  prudemment  je  dois  penser  que 
peut-être  je  suis  en  état  de  péché  mortel.  Remarquons 
bien  que  la  confiance  ne  peut  rien  contre  ce  jugement  : 
la  confiance  réside  dans  la  volonté,  elle  a  pour  objet  les 
secours  à  obtenir  de  Dieu  et  elle  est  basée  sur  la  foi 
concernant  la  miséricorde  divine;  aussi  l'on  peut  tou- 
jours avoir  confiance  qu'on  sera  sauvé,  qu'on  échap- 
pera à  l'enfer,  pourvu  qu'on  n'entretienne  pas  dans  sa 
volonté  une  affection  positivement  contraire  à  son  état 
de  grâce.  Mais  la  confiance  ne  peut  changer  en  rien  le 
jugement  que  l'on  porte  sur  l'état  actuel  de  son  âme. 


Ce  jugement  dépend  de  l'examen  sérieux  et  loyal  de  ses 
propres  dispositions  et  actions,  de  la  connaissance  des 
moyens  établis  par  Dieu  pour  obtenir  sa  grâce  et  de 
l'usage  que  l'on  fait  de  ces  moyens.  Si,  après  un  examen 
fait  logiquement  et  prudemment,  on  aboutit  à  un 
doute  prudent  sur  son  état  de  grâce,  ce  doute  ne  peut 
pas  être  dissipé  par  la  confiance  :  celle-ci  ne  peut  rien 
changer  à  la  rectitude  des  opérations  intellectuelles  qui 
ont  précédé  le  jugement  en  question,  et  ne  peut  pas 
apporter  un  élément  nouveau  de  connaissance  ;  elle  ne 
concerne  que  les  biens  à  obtenir. 

2°  Inégalité.  —  1.  Doctrine  catholique.  —  a)  Nous 
avons  démontre  que  l'état  de  justice  était  réalisé  par  la 
grâce,  c'est-à-dire  par  un  don  (ou  un  ensemble  de  dons) 
interne,  infus  dans  l'âme,  permanent  en  elle,  de  plus, 
surnaturel  et,  quant  à  son  obtention,  indépendant  des 
œuvres  naturelles  de  l'homme,  notamment  de  l'obser- 
vation, comme  telle,  de  la  loi  mosaïque  ou  de  la  loi 
naturelle  :  en  ce  sens,  nul  homme  ne  sera  justifié  devant 
Dieu  par  les  œuvres  de  la  loi.  Rom.,  ni,  20.  L'homme 
adulte,  pour  recevoir  la  grâce  sanctifiante  ou  justifiante, 
doit  s'y  disposer  par  certains  actes,  comme  nous  l'expo- 
serons plus  loin.  Mais  quand  l'homme  adulte  est  jus- 
tifié, qu'il  a  donc  reçu  en  lui  cet  état  nouveau,  il  doit 
agir  conformément  à  cet  état  et  il  doit  s'efforcer  de 
l'augmenter  en  lui.  C'est  la  doctrine  de  saint  Paul, 
Eph.,  iv,  11-16  :  la  perfection  morale  croissante  de  la 
société  chrétienne  doit  s'obtenir  par  la  coopération  de 
chaque  individu  à  l'influence  qu'il  reçoit  du  Christ;  la 
charité  et  l'union  au  Christ  peuvent  et  doivent  aug- 
menter dans  chaque  individu,  mais  dépcndamnient  de 
sa  propre  activité,  de  sa  coopération  à  l'influence  du 
Christ.  Une  exhortation  semblable  au  progrès  est 
adressée  aux  justifiés  par  saint  Pierre.  I  Pet.,  n,  1-2; 
II  Pet.,  m,  18.  Ce  par  quoi  l'homme  est  rendu  juste  et 
saint  (notamment  la  charité,  Eph.,  iv,  15)  est  donc  sus- 
ceptible d'augmentation  en  lui  et  croît  de  fait  d'après 
l'activité  morale  et  salutaire  de  chaque  individu. 

Si  l'on  désigne  l'état  de  grâce  par  l'habitation  de 
Dieu  en  l'homme,  l'on  dira  aussi  que  Dieu  habite  iné- 
galement dans  les  âmes  :  Non  œque  Dcus  omnes  inha- 
bitat :  nec  ad  camdem  mensuram  omnibus  infunditur. 
C'est  l'assertion  de  saint  Jérôme,  Adversus  Jovinianum, 
I.  Il,  n.  29,  P.  L.,  t.  xxni,  col.  325,  et  l'explication, 
qui  suit,  montre  qu'il  s'agit  de  l'inégalité  de  ce  qui 
rend  l'homme  fils  de  Dieu,  participant  de  la  nature 
divine. 

b)  Les  scolastiques  ont  enseigné  que  la  grâce  sanc- 
tifiante et  les  vertus  infuses,  qui  en  sont  réellement  dis- 
tinctes, se  trouvent  inégalement  dans  les  hommes  et 
sont  susceptibles  d'augmentation.  Saint  Thomas,  Sum. 
theol.,  I»  IF',  q.  exil,  a.  4,  explique  que  la  grâce  sanc- 
tifiante est  plus  grande  chez  l'un  que  chez  l'autre; 
cette  diversité  peut  dépendre  immédiatement  des  dis- 
positions dans  lesquelles  se  trouve  l'homme  au  moment 
où  il  reçoit  la  grâce.  Mais  ce  n'est  pas  la  raison  princi- 
pale de  l'inégalité;  cette  raison  est  la  providence  divine 
qui  distribue  inégalement  ses  dons  et  produit  ainsi  la 
beauté  morale  dans  l'Église.  Cf.  Suarez,  De  gratia, 
I.  Vf  II,  c.  i,  Opéra,  t.  ix,  p.  453  sq. 

c)  Luther  n'admet  pas  que  la  grâce  soit  une  réalité 
infuse  dans  l'âme,  il  ne  reconnaît  que  la  bienveillance 
intrinsèque  de  Dieu,  qui  consiste  uniquement  dans  la 
rémission  des  péchés  et  qu'on  obtient  par  la  foi  (fuies 
fiducialis).  L'état  de  justice,  chez  l'adulte,  ne  requiert 
aucune  disposition  autre  que  la  foi,  et  l'état  de  justice 
se  maintient  par  la  foi,  indépendamment  des  actions 
bonnes  ou  mauvaises;  il  n'y  a  chez  l'homme  aucun 
mérite.  Dès  lors,  il  n'y  a  chez  lui  aucun  titre  à  ce  que  sa 
justice  augmente;  elle  ne  le  pourrait  pas  d'ailleurs, 
car  elle  n'est  pas  autre  chose  que  l'imputation  de  la 
justice  du  Christ,  qui,  elle,  est  évidemment  toujours  la 
même.  Le  concile  de  Trente,  dans  la  session  vi,  a  con- 


1627 


GRACE 


1628 


damné  cette  hérésie  et  a  défini  que  la  justice  infuse  a 
des  degrés  différents  chez  les  hommes  et  que  sa  mesure 
dépend  notamment  des  dispositions  de  celui  qui  la 
reçoit;  que  les  hommes  justiliés,  par  l'exercice  d'ac- 
tions vertueuses  et  l'observation  des  préceptes  divins, 
croissent  en  cette  justice  conférée  par  la  grâce;  que  les 
bonnes  actions  de  l'homme  justifié  sont  méritoires  et 
méritent    notamment    l'augmentation    de    la    grâce. 
Denzinger-Bamrwart,   n.  800,  803,  834,  842.  Remar- 
quons ici  que,  pour  l'objet  qui  nous  occupe,  Baius  est 
radicalement  opposé  à  Luther  et  à  Calvin  :  pour  Baius, 
la  justice  consiste,  à  proprement  parler,  dans  l'obser- 
vation des  commandements,   et   la  justice   augmente 
à  mesure  que  la  fidélité  à  l'exercice  des  œuvres  com- 
mandées est  plus  parfaite;  il  réfute  longuement  la  doc- 
trine de  la  justification  sans  les  œuvres.  Baius,  De  ju- 
slitio,  c.  i-x.  Ce  qui,  en  ce  point,  rendait  suspecte  la  doc- 
trine de  Baius,  c'est  qu'il  ne  tenait  pas  compte  de  la 
grâce  sanctifiante  infuse  dans  l'âme,   ni   des  vertus 
infuses,  et  que  sa  théorie  ne  permettait  pas  d'admettre 
que  les  enfants  fussent  réellement,  par  le  baptême, 
justes  et  saints.  C'est  pourquoi  fut  condamnée  la  pro- 
position 42e  :  <•  La  justice  qui  justifie  l'impie  par  la  foi 
consiste  formellement  dans  l'obéissance  à  la  loi,  qui 
est  la  justice  des  œuvres,  et  non  pas  dans  une  grâce 
infuse  qui  fait   l'homme  enfant   adoptif  de  Dieu,   le 
renouvelle  intérieurement  et  le  rend  participant  de  la 
nature  divine,  de  sorte  qu'étant  ainsi  renouvelé  par 
le  Saint-Esprit,  il  puisse  ensuite  vivre  saintement  et 
obéir  à  la  loi  divine.  »  Denzinger-Bannwart,  n.  1042. 
Voir  Baius,  t.  n.  col.  100.  Cette  condamnation  con- 
firme la  doctrine  du  concile  de  Trente,  c'est  la  rénova- 
tion intérieure,  obtenue  par  l'infusion  de  la  grâce,  qui 
est  le  principe  de  la  perfection  morale  salutaire;  c'est 
après  avoir  reçu  la  grâce  et  par  elle  que  l'homme  peut 
exercer  les  vertus,  et  les  œuvres  qu'il  fait,  sous  l'in- 
fluence de  la  grâce,  méritent  l'augmentation  de  celle-ci. 
</)  C'est   en   tant   qu'elles   sont   méritoires   que   les 
bonnes  œuvres  causent  l'accroissement  de  la  grâce.  En 
elTct,  la  grâce  est  un  accident  surnaturel;  c'est  pour- 
quoi il  est  produit  immédiatement  par  Dieu  en  l'âme 
et  ne  peut  avoir  que  Dieu  pour  cause  efficiente  prin- 
cipale ;    s'il  existe,  pour  la  production  de  la  grâce,  des 
causes  secondes,  celles-ci  ne  peuvent  être  qu'instrumen- 
tales. Les  actes  de  l'homme  ne  peuvent,  en  aucune  façon, 
produire  physiquement  la  grâce.    L'entité  de  celle-ci 
dépend  de  Dieu  qui  l'infuse.  C'est  pourquoi  les  actes 
salutaires,    que   l'homme   fait   sous   l'influence   de   la 
grâce,    n'augmentent    pas    physiquement    l'entité    de 
celle-ci.  mais  sont  seulement  un  titre  exigitif  de  cet 
accroissement     qui     est    physiquement    produit    par 
Dieu. 

2.  Deux  points  controversés  pcirmi  les  théologiens.  — 
'/)  Le  premier  concerne  en  quoi  consiste  l'augmentation 
intrinsèque  de  la  grâce.  Saint  Thomas,  Sum.  Ihcol., 
IIa  II"',  q.  xxiv,  a.  5,  enseigne  que  la  charité  surnatu- 
relle augmente  essentiellement  par  le  fait  qu'elle  s'im- 
prime plus  profondément  dans  l'âme  et  par  conséquent 
rend  celle-ci  plus  semblable  au  Saint-Esprit;  il  nie  que 
l'augmentation  de  la  charité  se  fasse  par  addition  d'une 
nouvelle  entité  à  l'entité  préexistante.  Voir  aussi  In 
I  V  Sent.,  1.  II,  dist.  XVII,  q.  n,  a.  1.  Cf.  Capréolus, 
Defensiones  theologiee  divi  Thomœ  Aquinalisjn  IV Sent., 
1.  I.  dist.  XVII,  q.  n.  Tours,  19(10  sq.,  t.  n,  p.  94  sq.  La 
même  explication  doit  être  appliquée  a  l'augmentation 
delà  grâce  sanctifiante.  Saint  Bonaventure,  In  IV  Sent., 
I.  II,  dist.  XXVII,  a.  2,  q.,  Opéra,  t.  il,  p.  064,  préfère 
l'opinion  qui  explique  l'augmentation  de  la  grâce  par 
adjonction  (per  additionem),  c'est-à-dire  par  l'infusion 
d'une  nouvelle  grâce  ajoutée  à  la  préexistante  et  se 
fondant  avec  elle,  de  façon  à  constituer  une  seule  qua- 
lité augmentée.  Sur  cette  opinion,  voir  les  scholia  des 
éditeurs    des    œuvres    de   saint   Bonaventure,    Opéra, 


Quaracchi,  t.  i,  p.  309,  313;  t.  n,  p.  665.  Cette  question 
regarde  (dus  directement  les  vertus  infuses.  Voir 
Vertus. 

b)  La  grâce  sanctifiante  reçoit-elle  immédiatement 
une  augmentation,  chaque  fois  que  l'homme  justifié 
accomplit  une  œuvre  surnaturelle  quelconque,  fût-elle 
très  faible  au  point  de  la  ferveur  '?  Saint  Thomas  répond 
négativement,  et  exige  que  l'homme  soit  positivement 
disposé  à  recevoir  l'augmentation  par  un  acte  propor- 
tionné â  cette  augmentation.  Sum.  theol.,  I»  II"", 
q.  exiv,  a.  8,  ad  3"".  Cf.  Billot,  De  gratin  Christi,  thés. 
xxi,  p.  274  sq.  L'opinion  contraire  est  défendue  par 
Suarez,  De gratia,  1.  IX,  c.  m,  n.  15  sq. ;  1.  XII,  c.  vm, 
n.  4.  Cette  question  rentre  dans  l'art.  Mérite. 

e)  Il  semble  communément  admis  aujourd'hui  que 
la  grâce  sanctifiante  ne  s'augmente  jamais  sans  que  ne 
s'augmente  aussi  toutes  les  vertus  infuses,  qu'aucune 
vertu  infuse  ne  s'augmente  sans  que  ne  s'augmente 
aussi  la  grâce  sanctifiante,  enfin  qu'il  y  a  toujours  pro- 
portion entre  l'intensité  de  la  grâce  sanctifiante  et  celle 
des  vertus  infuses.  Cf.  Mazzella,  De  virlulibus  infusis, 
Borne,  1884,  n.  133  sq.;  Billot,  De  virlulibus  in/usis, 
Rome,  1901,  p.  14  sq.,  160  sq. 

3.  Diminution.  —  La  grâce  sanctifiante  est  suscep- 
tible d'augmentation  et,  de  fait,  augmente  intrinsè- 
quement en  l'homme,  soit  par  la  réception  des  sacre- 
ments, soit  par  les  œuvres  méritoires.  Diminue-t-elle 
aussi  parfois  intrinsèquement  ?  Non,  répondrons-nous 
avec  Suarez,  De.  gratia,  1.  XI,  c.  vm,  n.  1  sq.,  Operu, 
t.  ix,  p.  679  sq.,  qui  n'admet  pas  la  probabilité  de  l'opi- 
nion contraire.  En  effet,  la  grâce  sanctifiante,  dans  son 
être,  dépend  uniquement  de  Dieu,  qui  la  produit  et  la 
conserve.  Son  entité  physique  ne  dépend  pas  de  nos 
actes,  et  ceux-ci  ne  peuvent  physiquement  ni  la  produire, 
ni  la  détruire,  ni  l'augmenter,  ni  la  diminuer.  Il  reste 
à  demander  si  Dieu  ne  la  diminue  pas  en  raison  directe 
de  nos  actes  moralement  mauvais  :  nous  répondons 
négativement.  Car,  quand  l'homme  commet  le  péché 
mortel,  la  grâce  lui  est  immédiatement  enlevée,  comme 
nous  l'exposerons  ci-après.  Quant  au  péché  véniel, 
«)  il  n'est  pas  cause  méritoire  de  cette  diminution  :  en 
effet,  il  n'est  pas  une  aversion  de  Dieu,  cf.  Billot,  De 
nulura  et  ralione  peccnli  personalis,  Rome,  1894,  thés,  ix, 
p.  105  sq.,  par  conséquent  il  n'est  pas  contraire  à  l'or- 
dre moral  qui  subordonne  l'homme  à  Dieu;  c'est  pour- 
quoi il  n'exige  pas  que  Dieu  diminue  le  principe  radical 
qui  ordonne  l'homme  â  sa  fin  dernière  surnaturelle;  b)  il 
n'introduit  pas  en  l'homme  une  disposition  qui  s'oppose 
à  l'intensité  de  la  grâce,  car  il  n'est  pas  contraire  à  la 
grâce.  Les  péchés  véniels,  bien  qu'ils  ne  produisent 
pas  la  diminution  de  la  grâce,  s'opposent  cependant  à 
l'exercice  des  vertus  et  empêchent  l'augmentation  de  la 
grâce.  Ensuite  les  péchés  véniels,  fréquemment  com- 
mis, produisent  une  habitude  mauvaise  qui  dispose 
l'homme  au  péché  mortel.  Cf.  Billot,  De  virtutibus  in- 
fusis, p.  47  sq. 

3°  Amissibililé.  —  1.  L'Écriture  sainte  enseigne  que 
l'homme  peut  pécher  et  perdre  par  là  son  état  de 
justice.  Cf.  Ezech.,  xxvin,  24;  xxxm,  12;  Joa.,  xv,  6; 
I  Cor.,  ix,  27.  Jovinien,  d'après  saint  Jérôme,  enseignait 
que  ceux  qui  ont  reçu  le  baptême  ne  sont  plus  sujets  à 
la  tentation;  saint  Jérôme  réfute  cette  doctrine,  Ad- 
versus  Joviniunum,  1.  II,  n.  1,  P.  L.,  t.  xxm,  col.  281  sq. 
Saint  Augustin,  De  correptione  et  gralia,  c.  vm,  n.  17  sq., 
/'.  L.,  t.  xliv,  col.  925  sq.,  enseigne  que  le  juste  peut 
pécher,  que  tous  ne  persévèrent  pas.  Luther  enseignait 
que  la  justification  demeurait  aussi  longtemps  que 
l'homme  conservait  la  foi,  que  la  justification  était 
conservée  indépendamment  des  œuvres,  même  concur- 
remment avec  le  péché.  Cf.  Hartmann-Giïsar,  Luther, 
t.  n,  p.  152  sq.  Calvin  enseignait  aussi  l'inamissibilité 
de  la  grâce.  Voir  Calvinisme,  t.  il,  col.  1405  sq.  Ces 
hérésies  furent  condamnées  au  concile  de  Trente,  dans 


1629 


GRACE 


1630 


la  session  vi,  c.  xv,  Denzinger-Bannwart,  n.  «08,  et 
notamment  dans  ces  deux  canons  :  «  Si  quelqu'un 
affirme  que  l'homme,  une  fois  qu'il  est  justifié,  ne  peut 
plus  pécher,  ni  perdre  la  grâce  et  que,  par  consé- 
quent, celui  qui  tombe  dans  le  péché,  n'a  jamais 
été  justifié,  qu'il  soit  anathème.  — Si  quelqu'un 
affirme  qu'il  n'y  a  pas  d'autre  péché  mortel  que 
l'infidélité,  ou  bien  que  la  «race,  une  fois  reçue,  ne 
se  perd  par  aucun  péché,  quelque  grave  et  énorme 
qu'il  soit,  excepté  par  le  péché  d'infidélité,  qu'il  soit 
anathème.  »  Denzinger-Bannwart,  n.  833,  837.  Nous 
devons  signaler  ici  aussi  l'erreur  de  Michel  de  Molinos 
qui,  parti  de  principes  tout  différents  de  ceux  des  protes- 
tants, était  arrivé  à  soutenir  des  conclusions  contraires 
à  la  doctrine  de  l'amissibilité  de  la  grâce  :  il  enseignait 
que  l'homme  pouvait  parvenir  à  un  degré  tel  d'union 
avec  Dieu  que  les  actes  mauvais  ne  lui  étaient  plus 
imputés  et  qu'il  ne  pouvait  plus  perdre  la  grâce.  Cette 
erreur  fut  condamnée  par  Innocent  XI  en  1687.  Cf. 
Denzinger-Bannwart,  notamment  n.  1272-1281. 

2.  I.a  raison  intrinsèque  de  l'amissibilité  de  la  grâce 
se  trouve  :  </)  dans  la  possibilité  de  commettre  le  péché 
mortel,  ce  qui  est  une  conséquence  nécessaire  de  la 
liberté  de  l'être  créé,  qui  n'a  pas  atteint  sa  fin  dernière; 
b)  dans  la  contrariété  ou  opposition  entre  le  péché 
mortel  et  la  grâce  sanctifiante.  Celle-ci,  comme  nous 
l'avons  exposé,  est  le  principe  radical,  qui  ordonne  ou 
oriente  l'homme  vers  Dieu,  et  elle  est  inséparablement 
unie  à  la  charité  infuse,  de  façon  que,  si  elle  dis- 
parait, la  grâce  sanctifiante  ne  peut  plus  demeurer. 
Saint  Thomas,  Sum.  theol.,  IIa  IIœ,  q.  xxiv,  a.  12, 
démontre  que  le  péché  mortel  doit  nécessairement 
chasser  la  charité  de  l'âme  :  «  dans  un  même  sujet,  une 
entité  disparaît  quand  celle  qui  lui  est  contraire  sur- 
vient. Or,  tout  acte  de  péché  mortel  est  directement 
contraire  à  la  charité,  quant  à  ce  qui  lui  est  essentiel, 
c'est-à-dire  qu'elle  fait  aimer  Dieu  par-dessus  tout 
et  qu'elle  fait  que  l'homme  se  soumet  entièrement  à 
Dieu,  lui  rapportant  tout  ce  qu'il  a.  Il  est  donc  de 
l'essence  de  la  charité  qu'elle  aime  Dieu  de  façon  à  vou- 
loir se  soumettre  à  lui  en  toutes  choses  et  suivre  en  tout, 
comme  règle  d'action,  les  préceptes  divins;  car  tout  ce 
qui  est  opposé  aux  préceptes  divins  [c'est-à-dire  le 
péché  mortel]  est  contraire  à  la  charité,  et  par  consé- 
quent, est  tel,  en  lui-même,  qu'il  s'opposa  à  la  coexis- 
tence de  la  charité.  Si  la  charité  était  une  vertu  acquise 
dépendamment  de  l'activité  de  l'homme,  elle  ne  serait 
pas  nécessairement  expulsée  par  un  seul  acte  qui  lui 
est  contraire...  Mais  la  charité,  puisqu'elle  est  une 
vertu  infuse,  dépend  de  l'action  divine  qui  la  produit  : 
Dieu  se  comporte  dans  l'infusion  et  la  conservation  de 
la  charité  comme  le  soleil  dans  l'illumination  de  l'air. 
De  même  que  la  lumière  cesserait  d'être  dans  l'air  si 
un  obstacle  s'opposait  à  l'action  illuminatrice  du  soleil, 
ainsi  aussi  la  charité  cesse  d'exister  dans  l'âme  dès 
qu'un  obstacle  s'oppose  à  l'action  divine  qui  produit 
la  charité  dans  l'âme.  Or,  il  est  évident  que  tout  péché 
mortel,  qui  est  contraire  aux  préceptes  divins,  est  un 
obstacle  à  l'action  divine,  dont  nous  avons  parlé;  car 
par  le  fait  même  que  l'homme,  dans  un  acte  libre,  pré- 
fère l'objet  du  péché  à  l'amitié  de  Dieu  (qui  exige  que 
nous  suivions  la  volonté  divine),  immédiatement  par 
un  seul  acte  de  péché  mortel  la  charité  se  perd.  » 

Remarque.  a)  De  ce  qui  précède  on  peut  conclure 
que  les  œuvres  bonnes  sont  nécessaires  à  la  conserva- 
tion de  la  grâce,  non  pas  en  ce  sens  que  les  actions 
exerceraient  une  influence  physique  qui  maintiendrait 
l'entité  de  la  grâce,  mais  en  ce  sens  qu'elles  sont  la  condi- 
tion requise  à  cette  conservation.  En  elîet,  il  y  a  poul- 
ies adultes,  des  actions  obligatoires,  dont  l'omission 
constitue  un  péché  mortel.  «  Si  quelqu'un  affirme  que 
l'homme  justifié,  quelque  soit  le  degré  de  perfection 
auquel  il  est  arrivé,  n'est  pas  tenu  à  l'observation  des 


commandements  de  Dieu  et  de  l'Église,  mais  n'est 
tenu  qu'à  croire,  qu'il  soit  anathème.  »  Concile  de 
Trente,  sess.  vi,  can.  20,  Denzingcr-Iiannwart,  n.  830. 
De  plus,  il  est  d'autres  œuvres  qui  sont  requises,  per 
accidens,  et  indirectement  :  en  effet,  des  prières,  des 
œuvres  de  miséricorde  peuvent  être  la  condition  sine 
qua  non,  à  laquelle  Dieu  a  rattaché  l'octroi  de  grâce; 
actuelles  ultérieures,  plus  abondantes,  par  lesquelles 
l'homme  surmonte  les  tentations,  qu'il  ne  vaincrait 
pas  sans  ce  secours  :  c'est  la  juste  remarque  du  P.  Hur- 
ter,  Theol.  dogm.  comp.,  t.  m,  n.  222. 

b)  Saint  Thomas,  Sum.  theol.,  II»  IIœ,  q.  xxiv,  a.  10, 
dit  :  Peccatum  mortale  totaliter  corrumpit  charitalem  et 
effective,  quia  omne  peccatum  mortale.  contrariatur  cha- 
rilali,  ut  infra  dicelur,  et  eliam  meritorie,  quia  cum  pec- 
cando  morlaliler  aliquis  contra  charitalem  agit,  dignum 
est  ut  Dcus  ei  subslrahal  charitalem.  On  comprend  pour- 
quoi le  péché  mortel  soit  cause  méritoire  de  la  dispari- 
tion de  la  charité  :  en  effet,  le  péché  mortel,  étant 
l'aversion  volontaire  de  l'homme  à  l'égard  de  Dieu,  a 
pour  peine  connaturelle  que  Dieu  cesse  d'influer  en 
l'homme  cette  vertu  par  laquelle  l'homme  aime  Dieu 
par-dessus  toutes  choses.  Mais  comment  faut-il  en- 
tendre que  le  péché  mortel  soit  cause  efficiente  de  la 
disparition  de  la  charité?  Certes,  ce  n'est  pas  en  ce 
sens  que  l'action  de  pécher  détruirait  physiquement 
Ventilé  surnaturelle,  qui  est  la  vertu  infuse  de  charité, 
cf.  S.Bonaventurc,  In  IV  Sent.,  1.  îf,  dist.  XXVf,  a.  1, 
q.  v,  Opéra,  Quaracchi,  t.  n,  p.  641;  mais  en  ce  sens 
que  le  péché  mortel  est  une  disposition,  d'ordre  inten- 
tionnel, essentiellement  contraire  à  la  charité  et  à  la 
grâce  sanctifiante,  et,  par  conséquent,  incompatible  avec 
elles  :  celte  disposition  a  donc  pour  effet  nécessaire  que 
Dieu  cesse  d'influer  et  de  conserver  la  charité  et  la 
grâce  dans  l'âme;  c'est  en  ce  sens  que  le  péché  est  une 
cause  efficiente  de  la  destruction  de  la  charité  et  de  la 
grâce.  Voir  l'explication  de  Cajétan,  In  Sum.  theol., 
ID  If,  q.  xxiv,  a.  10;  de  Suarez,  De  gratin,  1.  XI, 
c.  iv,  Opéra,  t.  ix,  p.  655. 

V.  Dispositions  a  la  grâce.  —  Les  enfants  et  ceux 
qui  ne  sont  jamais  parvenus  à  l'usage  de  la  raison  ne 
doivent  avoir  aucune  disposition  pour  recevoir,  par  le 
baptême,  la  grâce  sanctifiante.  Nous  nous  occupons 
donc  uniquement  des  adultes,  c'est-à-dire  de  ceux  qui 
ont  atteint  l'usage  de  la  raison. 

Remarquons  d'abord  qu'on  distingue  disposition 
négative  et  disposition  positive  :  on  appelle  disposition 
négative  ce  qui  écarte  ou  détruit  un  obstacle  à  recevoir 
un  effet  ou  à  poser  un  acte;  on  appelle  disposition 
positive  ce  qui  ordonne  positivement  un  être  à  recevoir 
une  perfection  ou  à  poser  un  acte.  Considérons,  par 
exemple,  un  morceau  de  bois  humide  :  l'humidité  est 
un  obstacle  à  ce  que  le  bois  s'enflamme;  si  le  bois  est 
séché,  cet  obstacle  est  enlevé  :  le  bois  aura  ainsi  une 
disposition  négative  à  brûler;  mais  supposons  qu'on 
mette  dans  ce  bois  une  matière  facilement  inflam- 
mable, cescra  pour  lui  une  disposition  positive  à  brûler. 
Quant  à  l'homme,  la  connaissance  naturelle  de  Dieu 
et  de  ses  perfections  détruit  l'obstacle  qui  consiste  dans 
l'erreur:  cette  connaissance  naturelle  est  une  disposi- 
tion négative  à  la  foi  surnaturelle;  l'illumination  interne 
du  Saint-Esprit  est  une  disposition  positive  à  la  foi. 
Faisons  observer,  en  passant,  qu'on  ne  peut  pas  logi- 
quement distinguer  besoin  positif  et  négatif;  le  besoin 
d'une  chose  est  formellement  l'exigence  de  cette  chose, 
c'est-à-dire  la  nécessité  d'une  chose  due  à  l'être  auquel 
elle  fait  défaut  ;  quelle  que  soit  l'origine  du  besoin, 
celui-ci  suppose  toujours  une  disposition  positive  (soit 
prochaine  soit  éloignée)  à  la  perfection  qui  fait  défaut. 

Personne  ne  nie  qu'il  puisse  y  avoir  des  dispositions 
négatives  à  la  justification  et  à  la  grâce  :  telles  sont  la 
connaissance  naturelle  des  choses  divines,  les  bonnes 
qualités  naturelles,  l'absence  de  vices. 


llvil 


GRACE 


1632 


1.  Il  n'y  a  pas,  sans  la  grâce  actuelle,  de  dispositions 
positives  à  la  justification  :  cette  assertion  est  contenue 
dans  la  définition  générale  du  IIe  concile  d'Orange,  où 
il  est  dit  que  l'homme,  par  la  seule  vigueur  naturelle,  et 
vins  l'illumination  ou  l'inspiration  du  Saint-Esprit,  ne 
lient  ni  concevoir  ni  choisir  aucun  bien,  connue  il  le 
faut  pour  le  salut.  Denzinger-Bannwart,  n.  180. 

2.  Les  adultes  doivent  se  disposer  positivement  à  rece- 
voir la  grâce  sanctifiante  par  des  actes  surnaturels.  — 
Telle  l'ut  toujours  la  foi  de  l'Église  catholique  :  on  peut 
s'en  convaincre  en  considérant  ce  qu'elle  a  toujours 
exigé  des  adultes  avant  de  les  admettre  au  baptême. 
Noir  Baptême,  t.  n,  col.  212  sq.  ;  Catkchuménat, 
col.  1971.  Cf.  dom  de  Puniet.  art.  Calêchuménat,  dans 
le  Dictionnaire  d'archéologie  chrétienne  et  de  liturgie, 
t.  n,  col.  2579;  Rituale  romanum,  t.  il,  c.  iv.  Saint  Tho- 
mas expose  la  raison  intrinsèque  de  cette  nécessité, 
Sum.  thcol.,  Ia  II*,  q.  cxiii,  a.  3,  4  :  la  nature  humaine, 
douée  d'intelligence  et  de  volonté  libre,  exige  que 
l'homme  obtienne  la  sainteté  et  atteigne  sa  fin  dernière 
par  des  actes  conscients  et  délibérés;  ces  actes  doivent, 
en  outre,  être  surnaturels  pour  qu'ils  soient  propor- 
tionnés à  la  fin  à  laquelle  ils  tendent.  Il  en  résulte  que 
ces  actes,  physiques  et  surnaturels,  sont  formellement 
dans  l'ordre  moral,  et  non  dans  l'ordre  physique.  Celte 
conclusion  se  déduit  aussi  de  ce  que  l'infusion  de  la 
grâce  a  lieu  chez  les  enfants  sans  (pie  ces  actes  existent, 
(.'est  au  concile  de  Trente  que  fut  explicitement 
définie  la  doctrine  catholique  concernant  les  disposi- 
tions des  adultes  à  la  justification.  Sess.  vi,  c.  VI, 
Denzinger-Bannwart,  n.  797-780.  Pour  les  détails,  nous 
renvoyons  à  l'art.  Justification. 

3.  îl  est  une  autre  question  qui  concerne  directement 
l'infusion  de  la  grâce  sanctifiante.  Les  anciens  scolas- 
tiques  et  notamment  saint  Thomas  enseignent  que  la 
justification  de  l'impie  en  dehors  de  la  réception  des 
sacrements,  c'est-à-dire  que  la  justification  de  l'adulte 
(en  état  de  péché  mortel  personnel)  au  moyen  de  l'acte 
de  contrition  parfaite,  se  fait  instantanément  :  ils 
entendent  par  là  que  l'acte  libre  est  en  même  temps  la 
détestation  du  péché  et  l'amour  à  l'égard  de  Dieu,  et 
que  la  grâce  sanctifiante  est  infuse  au  même  instant 
que  se  produit  cet  acte.  Cf.  le  scholion  des  éditeurs  des 
Opcra  sancti  Bonuvcnlurœ,  t.  IV,  p.  427.  Saint  Thomas 
cnseigne,en  outre,  que  l'infusion  de  la  grâce  sanctifiante 
et  de  la  charité  infuse  est,  quant  à  la  nature,  antérieure 
à  l'acte  de  contrition  et  que  cet  acte  est  élicité  par  la 
vertu  infuse  elle-même.  Sum.  Iheol.,  I»  II*,  q.  cxm, 
a.  S;  De  veritalc,  q.  xxvn,  a.  8;  Cajétan,  Di  Sum.  Iheol., 
I1  II'.  q.  cxm,  a.  8;  Soto,  De  natura  cl  gratia,  I.  II, 
c.  xviii,  fol.  172;  Vasquez,  Commenlaria  et  disputa- 
tior.es  in  Summam  S.  Thomœ,  Anvers,  1621,  In  Dm  II', 
I.  ii,  disp.  CCII,  c.  m.  p.  711  sq.  ;  card.  Billot,  De  gratia 
Chrisli,  thés,  xvn,  p.  231  sq.  Suarez,  au  contraire,  De 
gratia,  1.  VIII,  c.  XII,  Opéra,  t.  ix,  p.  366  sq.,  enseigne 
que  cet  acte  surnaturel,  par  lequel  le  pécheur  se  dispose 
proxime  à  recevoir  la  grâce  sanctifiante,  ne  procède 
pas  effective  de  la  grâce  habituelle  ou  de  Y  habitas  infu- 
sus  charilatis,  mais  est  produit  par  un  autre  secours, 
c'est-à-dire  par  une  grâce  actuelle  adjuvante,  et 
qu'alors  seulement  arrive  l'infusion  de  la  grâce  sanc- 
tifiante. La  même  opinion  est  soutenue  par  Lugo,  Dis- 
putationes  scholasticœ  et  morales,  Paris,  1868  sq.,  t.  iv, 
/).  pœnilentia,  disp.  VIII,  sect.  vu,  p.  490  sq. ;  par 
Gotti,  Thcologia  scholaslico-dogmatica,  Venise,  1750, 
t.  n,  tr.  VII,  q.  il,  dub.  IV,  §  6,  p.  390  sq.;  par  Pesch, 
/Va*/.  dogm.,t  v,  n.  360;  par  Mgr  Wafïclaert,  Anno- 
lationes  in  tractation  de  virlulibus  theologicis,  Bruges, 
l'ion,  p.  155. 

Certes,  il  n'y  a  pas  de  répugnance  à  ce  que  l'acte  de 
contrition  parfaite  soit  produit  par  une  grâce  actuelle, 
et  que,  dès  que  cet  acte  est  produit,  soit  produite  en 
l'âme  la  grâce  sanctifiante,  avec  les  vertus  qui  lui  sonl 


connexes.  Mais  il  ne  semble  pas  y  avoir  une  raison  suf- 
fisante d'admettre  ce  secours  actuel,  comme  nous  le 
dirons  plus  loin.  La  principale  objection  que  l'on  pré- 
sente à  l'opinion  de  saint  Thomas  est  celle-ci  :  Si 
l'acte  de  contrition  parfaite  est  la  disposition  ultime 
à  la  justification,  il  s'ensuit  que  la  grâce  sanctifiante 
et  la  vertu  infuse  de  charité  sont  données  parce  que 
1  homme  est  contrit  et  elles  sont  natura  postérieures 
à  l'acte;  mais  si  la  grâce  sanctifiante  et  la  vertu  de  cha- 
rité infuse  sont  le  principe  efficient  d'où  procède  l'acte 
de  contrition  parfaite,  il  s'ensuit  cpie  la  grâce  sancti- 
fiante et  la  vertu  infuse  de  charité  sont  données  pour 
que  l'homme  soit  contrit,  et  elles  sont  nalura  antérieures 
à  l'acte.  Or,  il  est  impossible  que  la  grâce  sanctifiante 
et  la  charité  infuse  soient  données  et  parce  que  l'homme 
est  contrit  et  pour  qu'il  le  soit;  il  est  impossible  que  ces 
dons  soient  et  antérieurs  à  l'acte  et  postérieurs  au 
même  acte.  On  répond  à  cela,  logiquement,  nous  sem- 
ble-t-il,  en  distinguant  la  mineure,  c'est-à-dire  en  dis- 
tinguant diverse;  raisons  formelles  d'après  lesquelles 
la  grâce  et  la  vertu  infuse  influent  dans  le  même  acte 
et  exercent  ainsi  des  causalités  formelles  différentes; 
d'après  l'une  de  ces  raisons  formelles,  les  dons  dont  il 
s'agit  sont  nalura  antérieurs  à  l'acte,  d'après  l'autre, 
ils  lui  sont  postérieurs. 

Voici  comment  le  cardinal  Billot,  op.  cit.,  p.  233  sq., 
explique  el  défend  l'opinion  de  saint  Thomas.  D'abord, 
l'on  admet  communément  que  l'acte  de  contrition  par- 
faite et  l'infusion  de  la  grâce  sanctifiante  se  font  au 
même  instant.  Dés  lors,  si  l'acte  de  contrition  parfaite 
était  produit  (elicilus)  par  la  seule  grâce  actuelle,  et  non 
par  la  grâce  habituelle,  il  faudrait  admettre  la  coexis- 
tence d'une  double  élévation  de  la  même  faculté  opé- 
ralive,  l'une  habituelle,  l'autre  transitoire  :  ce  qui  est 
impossible;  car  l'élévation  transitoire,  qui  se  fait  par  la 
grâce  actuelle,  ne  peut  exister  qu'en  l'absence  de  l'élé- 
vation habituelle,  au  défaut  de  laquelle  la  première 
supplée. 

Maintenant  quant  aux  raisons  diverses  de  causalité, 
voici  d'abord  un  exemple  emprunté  à  Soto  :  le  vent 
ouvre  la  fenêtre  et  pénètre  par  là.  L'entrée  du  vent  est 
la  cause  efficiente  de  l'ouverture  de  la  fenêtre,  et  l'ou- 
verture de  la  fenêtre  est  la  cause  dispositive  de  l'entrée 
du  vent.  Si  vous  considérez  l'ordre  de  la  cause  effi- 
ciente, la  fenêtre  s'ouvre  parce  que  l'air  entre.  Si  vous 
considérez  l'ordre  de  la  causalité  dispositive,  l'air 
entre  parce  que  la  fenêtre  s'ouvre.  D'après  la  première 
considération,  l'entrée  de  l'air  est  nalura  antérieure, 
et  l'ouverture  de  la  fenêtre  est  nalura  postérieure; 
d'après  la  seconde  considération,  c'est  l'ouverture  de  la 
fenêtre  cpii  est  nalura  antérieure,  et  l'entrée  qui  est 
nalura  postérieure.  On  aura  la  même  chose  dans  la 
matière  que  nous  étudions  :  l'infusion  de  la  grâce  cor- 
respond par  analogie  à  l'entrée  du  vent,  et  la  produc- 
tion de  l'acte  de  contrition  à  l'ouverture  de  la  fenêtre. 

Pour  mieux  le  comprendre,  distinguons  par  la  raison 
un  double  moment  dans  un  seul  et  même  instant  phy- 
sique, et  distinguons  une  double  formalité  aussi  bien 
dans  la  grâce  qui  est  infuse  que  dans  l'acte  de  contri- 
tion qui  est  produit.  Au  premier  moment,  on  doit 
considérer  la  grâce  habituelle  dans  son  infusion,  en 
tant  qu'elle  meul  et  élève  l'âme,  étant  ainsi  grâce  opé- 
rante, principe  de  l'acte  de  contrition,  qui  est  disposi- 
tion ultime  à  la  justification.  Au  second  moment,  on 
doit  considérer  la  même  grâce  habituelle  dans  sa  pos- 
session (c'est-à-dire  en  état  d'être  possédée  parl'homme) 
en  tant  cpie  déjà  elle  informe  l'âme  et  exerce  l'effet  qui 
lui  est  propre;  ainsi  elle  est  grâce  coopérante,  principe 
de  l'acte  de  contrition  en  tant  qu'il  est  méritoire  de  la 
vie  éternelle.  Si  donc  nous  considérons  l'acte  de  con- 
trition précisément  en  tant  qu'il  est  disposition  ultime 
à  la  justification,  il  procède  réellement  de  la  vertu 
infuse  de  la  charité;  mais  en  tant  (pie  celle-ci  tient  lieu 


1633 


GRACE 


1634 


d'une  simple  motion  à  l'acte  (et  cette  simple  motion, 
transitoire,  à  l'acte  serait  donnée,  si  la  disposition 
ultime  à  une  forme  ne  devait  exister  au  même  instant 
physique  que  cette  forme).  Si  nous  considérons  l'acte 
de  contrition  comme  méritoire  de  la  vie  éternelle,  il 
procède  de  la  vertu  infuse  en  tant  qu'elle  est  possédée 
par  l'âme  et  l'informe.  Ce  n'est  donc  pas  sous  la  même 
formalité  que  l'on  considère  la  grâce  sanctifiante 
quand,  d'une  part,  l'on  dit  que,  dans  son  infusion,  elle 
est  nalura  antérieure  à  l'acte  de  contrition,  et,  d'autre 
part,  que,  dans  sa  possession,  elle  est  natura  posté- 
rieure à  ce  même  acte;  de  même,  ce  n'est  pas  sous  la 
même  formalité  que  l'on  considère  l'acte  de  contrition 
quand  on  dit,  d'une  part,  que  cet  acte,  en  tant  qu'il  est 
disposition  ultime  à  la  justification,  est  nalura  antérieur 
à  l'obtention  de  la  grâce,  et,  d'autre  part,  que  ce  même 
acte,  en  tant  qu'il  est  méritoire,  est  natura  postérieur  à 
la  grâce.  Enfin  le  bien-fondé  de  la  distinction  apparaît 
clairement  quand  on  fait  attention  à  ceci  :  l'acte  de 
contrition  parfaite  en  tant  qu'il  est  disposition  ultime 
à  la  justification,  et  à  ce  peint  de  vue  antérieur  à  la 
grâce  sanctifiante,  se  trouve  être  une  cause  maté- 
rielle ;  la  grâce  en  tant  qu'elle  est  le  principe  de  cet 
acte,  et  à  ce  point  de  vue  antérieure  à  l'acte  de  contri- 
tion, se  trouve  être  une  cause  efficiente.  Ainsi  donc  dis- 
paraît la  contradiction  qui  s'exprimait  dans  l'objection 
exposée  plus  haut:  il  n'est  pas  vrai  que  la  grâce  sanc- 
tifiante soit,  en  même  temps,  et  sous  le  même  aspect, 
antérieure  et  postérieure  au  même  acte  de  contrition. 

VI.  Causes.  —  Le  concile  de  Trente,  sess.  vi, 
c.  vu,  Denzinger-Bannwart,  n.  799  sq.,  énumère  les 
causes  de  la  justification  :  nous  y  trouvons  indiquées 
celles  qui  concernent  la  grâce  sanctifiante  elle-même. 
Sur  les  différents  genres  de  causes,  voir  Cause,  t.  a, 
col.  2019  sq.  —  1°  La  cause  finale  de  la  grâce,  c'est-à- 
dire  le  bien  à  l'obtention  duquel  est  ordonnée  la  grâce, 
est  double  :  d'abord,  la  fin  dernière,  et  celle-ci  encore 
est  double  :  absolue  :  c'est  la  gloire  extrinsèque  de  Dieu  ; 
relative,  subjective,  c'est  la  béatitude  (subjective)  éter- 
nelle de  la  créature,  c'est-à-dire  la  vision  intuitive  de 
Dieu.  Voir  Intuitive  (Vision).  Sur  la  notion  de  fin 
dernière,  voir  Fin,  t.  v,  col.  2481-2499.  La  lin  immé- 
diate est  la  sanctification  surnaturelle  de  la  créature, 
car  l'effet  formel  de  la  grâce  sanctifiante  est  la  déi- 
formité,  c'est-à-dire  une  ressemblance  spéciale  et  sur- 
naturelle avec  Dieu,  une  participation  surnaturelle  et 
formelle  à  la  nature  divine.  Celte  entité  est  produite 
par  Dieu  dans  l'essence  de  l'âme  afin  de  rendre  celle-ci 
apte  à  agir  surnaturcllement  au  moyen  des  vertus 
infuses,  et  notamment  a  aimer  Dieu  surnaturcllement  ; 
c'est  en  cette  charité  que  consiste  essentiellement  la 
perfection  morale  ou  sainteté.  Voir  S.  Thomas,  De  vir- 
lutibus  in  communi,  q.  i,  a.  10;  Sum.  theol.,  IIa  IIœ, 
q.  xxiii,  a.  1-8;  Charité,  t.  n,  col.  2225  sq.  La  grâce 
habituelle  dont  nous  parlons  est  à  juste  titre  appelée 
sanctifiante,  parce  qu'elle  est  le  principe  radical  de  la 
sainteté  surnaturelle  (qui  seule  est  la  sainteté  véritable 
dans  l'ordre  actuel  de  la  providence)  et  qu'elle  est  insé- 
parablement unie  à  la  charité  surnaturelle  en  laquelle 
consiste  formellement  la  rectitude  parfaite  de  la  vo- 
lonté à  l'égard  de  Dieu,  c'est-à-dire  la  sainteté. 

2°  La  cause  efficiente  principale  de  la  grâce  sancti- 
fiante est  Dieu  seul  :  seul,  il  peut  la  produire  et  l'in- 
troduire dans  l'âme.  Voir  S.  Thomas,  Sum.  theol.,  I» 
II'1',  q.  c.ix,  a.  7:  q.  cxn,  a.  1;  Suarez,  De  gratta, 
1.  VII,  c.  xxv,  Opéra,  t.  ix,  p.  301  sq.  La  cause  effi- 
ciente instrumentale  est,  à  titres  divers,  le  sacrement 
et  l'humanité  du  Christ  :  sur  la  causalité  propre  aux 
sacrements,  voir  Sacrements;  sur  la  causalité  propre 
à  l'humanité  du  Christ,  voir  S.  Thomas,  Sum.  theol.. 
IIIa,  q.  xlviii,  a.  6.  C'est  ici  que  vient  la  question  :  la 
justification  de  l'homme  ou  l'infusion  de  la  grâce  est- 
elle  un  miracle  '.'  Si  par  miracle  on  entend  un  effet  sen- 

D1CT.  DE  THEOL.    CATHOL. 


sible  produit  par  Dieu,  en  dehors  du  cours  naturel  des 
choses,  déterminé  par  les  lois  physiques,  alors  il  est 
évident  que  l'infusion  de  la  grâce  n'est  pas  un  miracle. 
Si  l'on  considère  que  l'infusion  de  la-  grâce  se  fait  par- 
fois d'après  des  règles  générales,  établies  par  la  provi- 
dence, et  parfois  en  dehors  de  ces  règles,  par  exemple, 
au  cas  d'une  conversion  subite  et  parfaite  d'un  pécheur, 
la  justification  dans  ce  cas  pourra  être  dite  miracu- 
leuse :  ce  sera  un  effet  miraculeux,  quoad  modum  fa- 
ciendi,  et  dans  l'ordre  moral. Voir  S.  Thomas,  Sum.  theol., 
1*11*,  q.  cxiii,  a.  10;  Suarez, op.  cit.,n.  7 sq., p. 303 sq. 
3°  La  cause  matérielle  de  la  grâce  est  l'âme  humaine, 
en  ce  sens  que  l'essence  de  l'âme  est  le  sujet  immédiat 
dans  lequel  ce  don  est  infus.  Nous  avons  vu  plus  haut 
que  chez  l'adulte  sont  requises  des  dispositions  posi- 
tives à  la  réception  de  la  grâce,  ce  sont  des  actes  divers, 
tels  que  la  foi,  l'espérance,  l'attrition  dans  le  sacrement 
de  la  pénitence  et  dans  les  autres  sacrements,  voir 
Attrition,  t.  i,  col.  2239,  2245  sq.  ;  la  contrition  ou  la 
charité  parfaite  en  dehors  des  sacrements.  Voir  Con- 
trition, t.  m,  col.  1684.  Mais  ces  actes  ne  sont  pas 
absolument  nécessaires,  puisque,  dans  les  enfants, 
incapables  de  ces  opérations,  la  grâce  sanctifiante  est 
produite  par  le  baptême.  Cf.  S.  Thomas,  De  verilale. 

q.  xxviii,  a.  3,  ad  11 L'âme  humaine  est  donc  par 

elle-même  en  état,  c'est-à-dire  en  puissance  obédien- 
tielle,  de  recevoir  la  grâce  :  celle-ci  est  produite  immé- 
diatement par  Dieu,  et  comme  elle  est  absolument 
surnaturelle,  elle  ne  sort  pas  ex  polcnlia  nalurali  mate- 
;/.c.  Dès  lors,  puisque  la  création  se  définit  :  produciio 
ex  nihilo  sui  et  subjeeti,  on  peut  dire  que  la  grâce  est 
créée,  produite  de  rien.  Mais  ici  intervient  une  distinc- 
tion concernant  la  terminologie  et  provenant  non  du 
mode  dont  est  produite  la  grâce,  mais  de  son  essence 
même.  En  effet,  la  grâce  est  un  accident,  par  consé- 
quent elle  n'existe  pas  en  elle-même,  mais  seulement 
en  une  substance  dans  laquelle  elle  est  infuse.  Or,  être 
créé  convient  à  proprement  parler  aux  êtres  qui  exis- 
tent en  eux-mêmes,  c'est-à-dire  aux  substances  et  non 
aux  accidents.  De  même  que  ceux-ci  ne  sont  pas  exis- 
tants, mais  coexistants,  ainsi  les  accidents  ne  sont  pas 
créés,  mais  concréés.  Ceci  s'applique  avant  tout  a 
l'acte  par  lequel  Dieu  crée  une  substance  en  même 
temps  que  ses  accidents,  par  exemple,  pour  Adam, 
d'après  l'opinion  la  plus  probable,  son  âme  fut  au 
même  instant  créée,  ornée  de  la  grâce  et  infuse  au 
corps.  Mais  alors  même  que  la  production  de  l'accident 
vient  après  la  production  de  la  substance,  quand  la 
production  de  l'accident  est  une  produciio  ex  nihilo  sui 
cl  subjeeti,  on  dit  encore  correctement  que  cet  accident 
es1  concréé.  Cf.  S.  Thomas,  Sum,  theol.,  [»,  q.  xlv,  a.  1  ; 
De  potentiel,  q.  m,  a.  8,  ad  3""'.  A  cet  endroit  saint 
Thomas  explique  très  nettement  sa  pensée;  voici  ses 
paroles  que  nous  commenterons  :  Gratia,  cum  non  sil 
forma  subsistens,  nec  esse  nec  fiai  ci  proprie  per  se  corn- 
petit  :  unde  non  propric  crealur  per  modum  illum  quo 
substantiœ  per  se  subsislenles  ercanlur.  Infusio  tamen 
gratiœ  accedit  ad  rationem  crealionis  in  quantum  yralia 
non  habet  causam  in  subjeclo,  nec  efficientem,  nec  lalem 
materialcm  in  qua  sit  hoc  modo  in  polentia,  quod  per 
agens  naturale  educi  passif  in  actum,  sicut  est  de  aliis 
formis  naturalibus.  La  grâce  sanctifiante  n'est  pas  une 
forme  subsistante,  c'est-à-dire  une  forme  qui  existe  en 
elle-même  (elle  n'est  qu'un  accident);  c'est  pourquoi  il 
ne  lui  convient  pas,  à  proprement  parler,  d'exister  ou 
de  devenir;  par  conséquent  il  ne  lui  convient  pas,  à 
proprement  parler,  d'être  créée;  les  substances  seules, 
les  êtres  existants  en  eux-mêmes  sont,  à  proprement 
parler,  créés.  La  grâce  cependant  est  produite,  et  Dieu 
seul  peut  être  la  cause  efficiente  principale  de  cette 
production  comme  le  dit  explicitement  saint  Thomas, 
Sum.  theol..  III»,  q.  lxii,  a.  1  :  Hoc  modo  (lanquam  causa 
principalis)  nihil  potest  causare  graliam  nisi  Deus  quia 

VI.  —  5> 


1635 


GRACE 


1636 


gralia  nihil  est  ciluul  quant  quœdam  paiticipata  simi- 
liludo  divins  natures.  La  «race,  qui  est  produite  immé- 
diatement par  Dieu,  est  ainsi,  et  au  même  instant. 
infuse  dans  l'âme  :  cette  production-infusion  est  une 
opération  qui  doit  être  rapportée  au  genre  de  l'opéra- 
tion créatrice,  parce  que  la  grâce  n'a  pas,  dans  lesujel 
où  elle  est  infuse  (c'est-à-dire  dans  l'âme),  sa  cause 
efficiente,  ni  la  cause  matérielle  d'où  elle  est  tirée  ou 
extraite;  la  grâce  ne  peut  pas  être  produite  de  l'âme, 
comme  les  formes  naturelles  peuvent  sortir  de  leur 
(anse  matérielle  par  l'action  d'un  agent  naturel.  Saint 
Thomas  oppose  ici  l'action  divine,  qui  produit  la  grâce 
et  l'infuse  à  l'âme,  à  l'action  d'une  cause  naturelle  qui 
l'ait  sortir  une  forme  d'un  sujet  où  elle  était  en  puis- 
sance  :  parce  que  ce  dernier  point  ne  se  réalise  pas  dans 
la  production  de  la  grâce,  celle-ci  n'est  pas  educlio 
jormse  ex  potentiel  materiœ,  mais  appartient  au  genre  de 
la  création.  Suarez,De  gratta,  1.  VIII,  c.  n,  n.  16,  Opéra, 
t.  ix,  p.  318,  dit  aussi  que  la  production  de  la  grâce 
n'est  pas  de  même  espèce  ou  de  même  ordre  que  réduc- 
tion d'une  forme  faite  par  un  agent  naturel,  et,  quant  à 
la  manière  réelle  dont  est  produite  la  grâce,  il  n'y  a  pas 
de  différence  entre  cet  auteur  et  saint  Thomas.  Mais  il  y 
a  divergence  quant  à  la  terminologie:  d'après  saint 
Thomas,  la  production  de  la  grâce  doit  être  rapportée 
au  genre  de  l'opération  créatrice;  d'après  Suarez,  au 
contraire,  elle  doit  être  rapportée  au  genre  de  l'opération 
qui  fait  sortir  la  forme  de  la  matière  :  gralia  educilur  de 
potenlia  obedientiali  animée  seu  subjecli  in  quo  immé- 
diate fit.  Op.  cit.,  n.  13,  p.  317.  Cette  manière  de  parler 
est  inexacte;  en  effet,  la  grâce  est  bien  produite  dans 
l'âme  et  y  est  inhérente;  mais  l'âme  humaine  n'est  par 
elle-même  aucunement  ordonnée  à  recevoir  la  grâce, 
celle-ci  n'est  pas  contenue  en  puissance  dans  l'âme, 
n'en  sort  point  et  n'est  pas  faite  de  l'âme  :  la  grâce, 
étant  essentiellement  surnaturelle,  est  tout  simple- 
ment surajoutée  à  l'âme,  qui  par  elle-même  n'a  aucun 
rapport  avec  la  grâce  et  n'a  que  la  possibilité  de  la 
recevoir  ;  cette  possibilité  n'est  pas  distincte  de  l'es- 
sence de  l'âme  et  se  réalise  tout  entière  dans  la  seule 
immatérialité  de  l'âme.  Saint  Bonaventure,  Inl  V  Sent, 
I.  Il.dist.  XXVI.  q.  m;  dist.  XXVIII,  dub.  i,  Opéra, 
t.  n.  p.  638  sq.,690,  fait  bien  ressortir  que  la  grâce  est 
dans  l'âme,  comme  dans  son  sujet,  mais  qu'elle  vient  de 
Dieu  comme  de  sa  cause  :  elle  ne  tire  pas  son  origine 
des  principes  de  l'âme.  Il  expose  aussi  qu'il  y  a  deux 
sortes  d'habilus  :  les  uns  ont  leur  origine  dans  la 
faculté  opérative  et  sont  produits  par  la  répétition  des 
actes;  ils  donnent  à  la  faculté,  dans  laquelle  ils  se 
trouvent,  une  aptitude  à  agir.  Mais  il  y  a  un  habitas 
qui  nous  vient  du  ciel;  qui  ne  dépend  pas  uniquement 
du  sujet  dans  lequel  il  se  trouve,  mais  beaucoup  plus 
de  celui  d'où  il  vient.  Cet  liabilus,  la  grâce,  ennoblit  la 
faculté  et  l'élève  au-dessus  d'elle-même. 

4°  La  cause  méritoire  de  la  grâce  est  le  Verbe  in- 
carné :  par  les  œuvres  faites  dans  son  humanité  en 
l'honneur  de  Dieu,  surtout  par  sa  passion  et  par  sa 
mort,  il  a  obtenu  une  nouvelle  concession  de  la  grâce 
en  faveur  du  genre  humain.  Voir  S.  Thomas,  Sum. 
theol.,  III*,  q.  xi.vni,  a.  1;  card.  Billot,  De  sacramentis, 
Rome,  1893,  l.  i,  p.  49.  L'homme  ne  peut  pas  mériter 
de  condigno  la  grâce  sanctifiante;  voici  ce  que  dit  le 
concile  de  Trente,  sess.  vi,  c.  vin,  Denzinger-Bann- 
wart,  n.  809  :  «  C'est  gratuitement  que  nous  sommes 
justifiés,  parce  que  rien  de  ce  qui  précède  la  justifica- 
t  ion,  soit  la  foi,  soit  les  œuvres,  ne  peut  mériter  la  grâce 
de  la  justification.  »  L'acte  de  charité  parfaite  surna- 
turel, qui  est,  comme  nous  l'avons  exposé,  la  disposi- 
tion ultime  à  la  justification,  ne  peut  être  la  cause  méri- 
toire de  la  justification,  bien  qu'il  puisse  être  cause 
méritoire  de  la  vie  éternelle.  L'homme  qui,  avant  d'être 
justifié,  coopère  aux  grâces  actuelles,  et  par  elles  se 
dispose  positivement  a  la  justification,  peut  la  mériter 


de  congruo.  Ces  questions 
ticle  Mérite. 


bavent  être  traitées  à  l'ar- 


lll.  GRACE  ACTUELLE.  —  I.  Existence.  IL  Essence. 
III.  Division.  IV.  Efficacité.  V.  Nécessité  de  la  grâce 
actuelle  pour  l'homme  justifié. 

I.  Existence.  —  Dans  la  première  partie  de  cet 
article  nous  avons  démontré  l'existence  de  la  grâce 
considérée  en  général,  en  entendant  par  là  tout  don 
interne  et  surnaturel,  par  lequel  l'homme  est  rendu 
capable  de  faire  des  œuvres  salutaires  et  de  mettre  en 
pratique  les  préceptes  divins,  dont  l'observation  est 
requise  à  l'obtention  de  la  béatitude  éternelle.  Dans 
la  seconde  partie  nous  avons  considéré  en  particulier  ce 
don,  qui  est  appelé  la  grâce  sanctifiante  :  elle  est  habi- 
tat Ile  et  permanente,  elle  est  pour  l'homme  à  l'instar 
d'une  nouvelle  nature,  d'où  dérive,  au  moyen  des 
vertus  infuses,  l'activité  surnaturelle.  Nous  recherchons 
maintenant  s'il  existe  des  influences  surnaturelles  qui 
sont  des  impulsions  dont  toute  la  raison  d'être  consiste 
à  mouvoir  l'homme  immédiatement  et  exclusivement 
à  des  actions  salutaires. 

1°  L'Écriture  sainte  nous  fait  connaître  l'existence 
1  de  telles  entités.  —  1.  Le  Christ,  parlant  des  adultes  et 
de  leur  adhésion  à  son  œuvre,  dit  :  «  Nul  ne  peut  venir 
à  moi,  si  le  Père  qui  m'envoie  ne  l'attire.  »  Joa.,  vi,  44. 
Venir  au  Christ  signifie  ici  croire,  comme  le  Sauveur 
l'explique  :  «  Il  y  en  a  parmi  vous  quelques-uns  qui  ne 
croient  pas...  C'est  pourquoi  je  vous  ai  dit  que  nul  ne 
peut  venir  à  moi,  si  cela  ne  lui  a  pas  été  donné  par  mon 
Père.  »  Joa.,  vi,  64,  65.  Donc  pour  que  l'homme  croie 
au  Christ  il  ne  lui  suffit  pas  d'entendre  la  prédication 
de  la  doctrine  chrétienne,  ni  d'avoir  cette  connaissance 
et  ces  désirs  qui  peuvent  résulter  naturellement  de 
cette  audition,  mais  il  faut  que  le  Père  l'attire.  Il  y  a 
donc  ici  une  influence  divine,  qui  s'exerce  dans  l'inté- 
rieur de  l'homme.  Elle  est  expliquée  par  Jésus  :  «  Qui- 
conque a  entendu  le  Père  et  qui  a  reçu  son  enseigne- 
ment vient  à  moi.  »  Joa.,  vi,  45.  L'influence  divine,  qui 
attire  l'homme  à  la  foi,  comporte  un  elfet  produit  dans 
son  intelligence  et  l'éclairant  sur  la  vérité.  Cette  con- 
clusion est  confirmée  par  cette  parole  :  «  Il  est  écrit 
dans  les  prophètes  :  Ils  seront  tous  enseignés  par  Dieu. 
Quiconque  a  entendu  le  Père  et  reçu  son  enseignement 
vient  à  moi.  »  Joa.,  vi,  45.  Les  assertions  prophétiques, 
auxquelles  Jésus  fait  allusion,  se  trouvent  dans  Isaïe, 
liv,  13,  et  dans  Jérémie,  xxxi,  34,  et  elles  enseignent 
que  l'économie  messianique  aura  pour  prérogative 
l'influence  immédiate  de  Dieu,  éclairant  les  intelli- 
gences humaines  sur  la  vérité. 

Cette  même  influence  est  affirmée  encore  dans  les 
Actes,  xvi,  13  sq.  :  «  Le  jour  du  sabbat,  nous  nous  ren- 
dîmes hors  de  la  porte,  sur  le  bord  d'une  rivière,  où 
nous  pensions  qu'était  le  lieu  de  la  prière.  Nous  étant 
assis,  nous  parlâmes  aux  femmes  qui  s'étaient  assem- 
blées. Or,  dans  l'auditoire  était  une  femme  nommée 
Lydie  :  c'était  une  marchande  de  pourpre....  craignant 
Dieu,  et  le  Seigneur  lui  ouvrit  le  cœur  pour  qu'elle  fût 
attentive  à  ce  que  disait  Paul.  »  Ici  donc  aussi  la  pré- 
dication est  nettement  distinguée  de  l'influence  pro- 
duite immédiatement  par  Dieu  sur  l'âme  de  Lydie  : 
c'est  cette  influence  qui  la  rend  efficacement  attentive 
et  fait  qu'elle  comprend  ce  qui  lui  est  prêché.  Sans  exa- 
miner à  fond  l'essence  de  cette  influence  divine,  nous 
pouvons  dire  qu'elle  est  surnaturelle,  d'abord  pane 
qu'il  s'agit  d'une  communication  spéciale  et  d'un  secours 
spécial  de  Dieu,  secours  qui  n'est  pas  compris  dans  le 
concours  général  que  Dieu  doit  à  sa  créature,  ensuite 
parce  que  ce  secours  interne  et  spécial  est  donné  pré- 
cisément pour  un  acte  salutaire  et  par  conséquent 
appartient  à  l'ordre  des  dons  surnaturels,  comme  nous 
l'avons  démontré  en  établissant  la  nécessité  de  la  grâce 
pour  tout  acte  salutaire.  Remarquons  enfin  cpie  lin- 


1637 


GRACE 


luis 


iluence  décrite  est,  de  sa  nature,  transitoire,  car  elle 
est  tout  entière  ordonnée  à  Yack  de  foi.  Elle  est  encore 
réellement  distincte  de  la  grâce  sanctifiante,  puisqu'elle 
est  donnée  avant  la  justification. 

2.  L'influence  divine,  interne  et  intime,  requise  à  la 
foi  salutaire,  est  enseignée  par  saint  Paul  :  «  Moi  j'ai 
planté,  Apollos  a  arrosé,  mais  Dieu  a  fait  croître. 
Ainsi  celui  qui  plante  n'est  rien,  ni  celui  qui  arrose; 
Dieu,  qui  fait  croître  (est  tout).  »  1  Cor.,  m,  6.  Paul  a 
rempli  à  Corinthe  le  rôle  de  celui  qui  plante  :  il  a  le 
premier  prêché  l'Évangile  aux  Corinthiens  et  a  mis 
dans  leurs  âmes  la  semence  de  la  foi;  après  son  dépari 
est  arrivé  Apollos,  qui  par  sa  prédication  a,  pour  ainsi 
dire,  arrosé  ce  que  Paul  avait  planté.  Mais  de  même 
que,  pour  la  moisson  naturelle,  ceux  qui  plantent  et 
ceux  qui  arrosent  ne  font  pas  autre  chose  que  réaliser 
les  conditions  externes  requises  à  la  croissance,  ainsi 
en  est-il  des  prédicateurs  pour  la  moisson  spirituelle; 
ils  proposent  ce  qui  est  nécessaire  à  la  foi,  mais  ils  ne  la 
produisent  pas.  La  cause  véritable  de  la  croissance  de 
la  plante  est  sa  force  vitale  interne  qui  lui  est  donnée 
par  Dieu;  c'est  encore  l'influence  interne  et  vitale 
donnée  par  Dieu,  ou  la  grâce.  Cf.  Cornely,  Commen- 
tarius  in  priorem  Epislolam  ad  Corinlhios,  Paris,  1890, 
p.  78.  Dans  la  pensée  de  saint  Paul,  les  prédicateurs  de 
l'Évangile  sont  les  coopérateurs,  ayvepyoî,  de  Dieu  dans 
l'œuvre  de  la  sanctification  des  hommes  :  leur  activité 
se  termine  à  ce  qui  est  extérieur  à  la  foi  et  à  la  sancti- 
fication; celles-ci  sont  l'effet  du  secours  interne  qui 
vient  de  Dieu.  Ce  secours  n'est  pas  le  concours  général 
de  Dieu,  car  il  est  dans  l'ordre  de  la  foi  et  de  la  justifi- 
cation, qui  sont  des  dons  gratuits  et  qui  dépendent  des 
mérites  de  Jésus-Christ,  comme  l'expose  l'apôtre,  Rom., 
m,  22-24;  Eph.,  il,  8-10;  ce  sont  des  dons  surnaturels 
comme  nous  l'avons  démontré  en  exposant  l'existence 
de  la  grâce  considérée  en  général.  Enfin  ce  secours  sur- 
naturel est  actuel,  c'est-à-dire  qu'il  est  essentiellement 
ordonné  et  qu'il  se  termine  à  des  actes  qui  sont  requis 
préalablement  à  l'état  de  justification. 

Dans  les  justes  il  est  aussi  une  influence  du  Saint- 
Hsprit,  qui  détermine  des  actes,  notamment  des  sup- 
plications. Rom.,  vin,  15,  26.  C'est  encore  par  cette 
influence  que  l'homme  peut  résister  volontairement 
aux  assauts  de  la  concupiscence.  Rom.,  vu,  5-vm,  5. 
La  coopération  des  prédicateurs  à  l'œuvre  de  la  con- 
version des  hommes  est,  elle  aussi,  un  cfïet  d'une  in- 
fluence divine  spéciale  :  «  Ce  n'est  pas  que  nous  soyons 
par  nous-mêmes  capables  de  concevoir  quelque  chose 
comme  venant  de  nous-mêmes,  mais  notre  aptitude 
vient  de  Dieu.  »  Il  Cor.,  m.  5.  Dieu,  qui,  parsa  grâce 
interne,  produit  la  foi  dans  les  âmes,  exerce  encore  son 
influence  sur  l'intelligence  des  prédicateurs  et  la  rend 
apte  à  concevoir  les  pensées  opportunes.  De  ce  texte 
on  peut  conclure  que  l'aptitude  à  penser  salutairemenl, 
chez  ceux  qui  arrivent  à  la  foi,  est  aussi  l'effet  de  la  grâce 
divine  actuelle.  Saint  Paul  compare  les  Corinthiens 
convertis  à  une  lettre  écrite,  par  son  ministère,  non 
avec  de  l'encre,  mais  par  l'Esprit  du  Dieu  vivant,  3  : 
l'interprétation  la  plus  probable  de  ces  paroles  les 
explique  de  l'action  interne  et  surnaturelle  que  l'Es- 
prit-Saint  exerce  sur  les  âmes  et  par  laquelle  il  pro- 
duit en  elles  des  actes  salutaires;  en  ce  sens,  le  texte 
confirme  l'existence  des  grâces  actuelles. 

Le  texte  de  l'Épître  aux  Philippiens,  n,  13  sq.  : 
«  Ainsi,  mes  bien-aimés,  comme  vous  avez  toujours 
été  obéissants,  travaillez  à  votre  salut  avec  crainte  et 
tremblement...,  car  c'est  Dieu  qui  opère  en  vous  le 
vouloir  et  le  faire,  selon  son  bon  plaisir,  »  n'est  pas 
expliqué  de  la  même  manière  par  tous  les  interprètes, 
notamment  pour  ce  qui  concerne  la  portée  des  mots 
avec  crainte  et  tremblement.  Cf.  Prat,  Théologie  de  saint 
Paul,  t.  ii,  p.  125  sq.  ;  Knabenbauer,  Commentarius  in 
Epislolas  ad  Ephesios,  ad  Philippenses  et  ad  CoLossenses, 


Paris,  1912,  p.  225  sq.  Quoi  qu'il  en  soit,  les  paroles  de 
l'apôtre  contiennent  l'affirmation  d'une  influence  in- 
terne et  surnaturelle  sur  l'activité  mêmes  par  laquelle 
les  justes  se  sanctifient,  notamment  sur  l'acte  de  vou- 
loir le  bien  et  son  exécution,  sur  la  résolution  de  bien 
faire  et  sa  mise  en  pratique.  L'apôtre  n'explique  pas 
en  quoi  consiste  cette  influence  sur  la  volonté,  mais, 
d'après  sa  doctrine  générale,  nous  devons  comprendre 
que  c'est  un  effet  de  l'Esprit-Saint  qui  habite  dans  les 
justes.  On  ne  peut  pas  conclure  de  ce  texte  qu'une 
influence  spéciale  et  surnaturelle  est  requise  pour  cha- 
cun des  actes  salutaires  dans  l'homme  justifié  :  l'apôtre 
considère  en  général  l'activité  par  laquelle  l'homme  se 
sanctifie  :  il  doit  agir  lui-même  et  opérer  son  salut, 
mais  il  ne  peut  pas  le  faire  seul;  il  doit  être  aidé  par 
Dieu  qui  agit  intimement  en  lui,  suscite  de  bonnes  réso- 
lutions et  renforce  la  volonté  dans  leur  exécution.  Ainsi 
l'activité  salutaire  de  l'homme  dépend  réellement  de 
Dieu,  et  l'homme  doit  craindre  parce  qu'il  peut  perdre 
ce  secours  divin. 

2"  Les  Pères,  avant  le  pélagianisme,  enseignent  aussi 
l'existence  d'une  influence  surnaturelle  affectant  direc- 
tement les  actes  salutaires  et  l'existence  d'un  secours 
divin  surajouté  à  l'énergie  humaine  pour  résister  aux 
tentations  ou  pour  réaliser  les  actes  vertueux.  Saint 
Ignace  d'Antioche  dit  que  c'est  avec  l'aide  de  Jésus 
que  nous  repousserons  victorieusement  tous  les  assauts 
du  prince  de  ce  monde.  Ad  Magn.,  i,  2.  Clément 
d'Alexandrie  connaît  l'influence  de  la  grâce  sur  les 
actes  de  la  volonté  et  y  voit  deux  forces  conjuguées. 
Voir  Clément  d'Alexandrie,  t.  m,  col.  174  sq. 
Origène  connaît  aussi  cette  influence  divine  qui  se 
surajoute  à  l'énergie  volontaire  et  la  renforce,  sans 
cependant  détruire  la  liberté.  De  principiis,  1.  III, 
c.  i,  n.  22,  P.  G.,  t.  xi,  col.  289,  301.  La  nécessité  du 
secours  divin,  qui  laisse  intacte  la  liberté  humaine,  est 
aussi  affirmée  par  saint  Éphrem.  Cf.  Tixeront,  Histoire 
des  dogmes,  t.  n,  p.  213.  Tertullien  décrit  la  puissance 
de  la  grâce  divine  qui  surpasse  l'énergie  naturelle  et 
fléchit  le  libre  arbitre.  De  anima,  n.  21,  P.  L.,  t.  n, 
col.  285.  Cf.  d'Alès,  La  théologie  de  Tertullien,  p.  270  sq. 
Marius  Victorinus,  In  Epist.  ad  Phil.,  n,  12,  13,  P.  L., 
t.  vin,  col.  1212,  expose  très  bien  aussi  comment  notre 
activité  salutaire  dépend  et  de  nous  et  de  Dieu  :  c'est 
nous  qui  voulons,  mais  c'est  Dieu  qui  opère  en  nous 
l'acte  de  vouloir  et  qui  donne  l'efficacité  au  vouloir 
salutaire.  Saint  Cyrille  de  Jérusalem,  Cal.,  xvi.  P.». 
P.  G.,  t.  xxxm,  col.  244,  décrit  comment  le  Saint- 
Esprit  illumine  l'intelligence  par  de  bonnes  pensées. 
L'influence  spéciale  de  Dieu  sur  les  actes  salutaires 
de  connaissance  et  de  volition  se  trouve  maintes  fois 
affirmée  par  saint  Basile,  De  Spiritu  Sancto,  c.  xxvi, 
n.  61  sq.  ;  Epist.,  vu.  lxxix,  P.  G.,  t.  xxxn,  col.  180, 
184,  244,  453  ;  par  saint  Grégoire  de  Nysse,  cf.  Tixeront, 
op.  cit.,  p.  145;  par  saint  Grégoire  de  Nazianze,  cf. 
Hummer,  Des  hl.  Gregor  Nazianz  Lehre  von  der  Gnade, 
Kempten,  4890,  p.  6G  sq.  ;  par  saint  Jean  Chrysostome, 
In  Joa.,  homil.  xlvi,  1;  In  Epist.  7ara  ad  Cor.,  homil. 
xxiv,l ,P.  G.,  t.  lix,  col.  257  ;  t.  i.xi,  coï.  198.  Saint  Cyrille 
d'Alexandrie  montre  la  grâce  agissant  dans  les  actes  par 
lesquels  l'homme  se  prépare  à  la  justification.  Gf.Weigl, 
Die  Heilslehre  des  hl.  Cyrill  von  Alexandrien,  p.  138  sq. 

C'est  surtout  dans  les  œuvres  de  saint  Augustin 
écrites  contre  le  pélagianisme  et  dans  les  documents 
des  conciles  réunis  contre  cette  hérésie,  qu'il  faut 
chercher  la  doctrine  catholique  concernant  la  grâce 
actuelle,  c'est-à-dire  du  secours  donné  précisément 
pour  les  actes  qui  sont  salutaires  en  celui  qui  les  pro- 
duit; nous  ne  parlons  pas  de  ce  qu'on  appelle  mainte- 
nant les  charismes  ou  graliœ  gratis  datœ. 

L'homme,  de  lui-même,  peut  pécher;  mais  il  ne  peut 
pas  produire  des  œuvres  de  justice  (opéra  justa)  ou 
observer  tout  ce  qui  comporte  la  justice  sans  le  secours 


K;-> 


GRACE 


1640 


de  Dieu  :  ce  secours  est  interne,  mais  c'est  un  secours 
et  il  faut  que  l'homme  y  ajoute  l'effort  spontané  de 
sa  volonté;  c'est  ainsi  que  Dieu  opère  en  nous  notre 
salut.  Ce  secours,  la  grâce  divine,  non  seulement  nous 
fait  voir  ce  que  nous  devons  faire,  mais  nous  aide  à 
réaliser  ce  qu'il  nous  a  montré.  Ce  secours  consiste  dans 
la  connaissance  certaine  du  bien  à  faire  et  dans  la 
délectation  victorieuse  (scientia  cerla,  delectatio  victrix); 
c'est  Dieu  qui  nous  fait  connaître  ce  qui  nous  était 
caché,  et  qui  rend  agréable  ce  qui  ne  nous  plaisait  pas. 
De peccalorum  meritis  et  remissione,  1.  II,  c.  v,  xix,  P.  L., 
t.  xi.iv,  col.  153  sq.,  170.  La  nécessité  du  secours  divin 
pour  éviter  le  péché  est  affirmée  dans  De  naliira  cl 
gralia,  c.  xxvi,  P.  L.,  t.  xliv,  col.  261.  Ces  livres 
furent  écrits  par  Augustin  avant  le  concile  de  Carthagc 
en  418.  Là  on  définit  que  la  grâce  est  un  secours  donné 
à  l'homme  pour  qu'il  puisse  éviter  le  péché,  can.  3  ;  que 
ce  secours  consiste  et  dans  la  connaissance  et  dans 
l'amour  de  ce  que  nous  devons  faire,  can.  4;  que  ce 
secours  est  nécessaire  pour  accomplir  les  préceptes 
divins,  can.  5.  Denzinger-Bannwart,  n.  103-105.  Dans 
les  canons,  que  nous  venons  de  citer,  il  est  question  de 
la  gralia  justificalionis  :  ce  tenue  ne  désigne  pas  uni- 
quement la  grâce  sanctifiante;  il  désigne  aussi  ces 
secours  qui  influent  sur  l'intelligence  et  la  volonté  et 
aident  ainsi  surnaturellement  l'homme  à  faire  le  bien; 
cette  portée  du  terme  ressort  de  la  description  même 
qui  est  donnée  de  la  gralia  justificationis  dans  ces 
décrets.  Saint  Augustin,  De  gratia  Christi,  écrit  en  418, 
indique  très  clairement  que,  sous  le  nom  de  grâce,  il 
faut  entendre  un  secours  surajoute  aux  facultés  natu- 
relles, 1.  I,  c.  m,  P.  L.,  t.  xliv,  col.  361  sq.,  qui  influe 
sur  l'acte  même  par  lequel  nous  voulons  le  bien,  c.  v,  vi, 
col.  363,  qui  est  une  connaissance  et  une  dilection 
infuses  par  Dieu  dans  l'âme,  c.  xm,  xiv,  xxvi,  col.  367, 
368,  374,  notamment  aliquod  adjutorium  bene  ageiidi 
adjunctum  naturse  alque  doctrinœ  per  inspirationem 
flagrantissimx  cl  lnminosissirn;v  charitatis,  c.  xxxv, 
col.  378.  On  sait  que  le  mot  charilas  ne  désigne  pas 
toujours,  chez  saint  Augustin,  la  vertu  infuse  de 
charité,  ni  l'acte  de  charité  parfaite.  Souvent  il  désigne 
généralement  toute  inspiration  vers  le  bien,  par  oppo- 
sition à  l'amour  des  choses  inférieures,  à  la  concu- 
piscence. Cf.  'fixeront,  Histoire  des  dogmes,  t.  n, 
p.  486.  C'est  ce  dernier  sens  qu'a  le  mot  charilas  dans 
le  texte  que  nous  venons  de  citer. 

Quand  il  s'agit  d'actes  salutaires,  c'est-à-dire  d'actes 
par  lesquels  l'homme  se  prépare  positivement  à  la 
justification  ou  exerce  la  sainteté  chrétienne,  il  esl 
toujours  question  d'un  secours  surnaturel.  Voir  Augus- 
tin', t.  i,  col.  2387.  La  grâce  surnaturelle  et  interne, 
qui  influe  sur  les  actes  salutaires,  sans  détruire  le 
libre  arbitre,  est  aussi  affirmée  dans  le  document  Indu- 
culus,  c.  12.  Denzinger-Bannwart,  n.  141.  Cf.  Célestin, 
t.  n,  col.  2058  sq.  Saint  Prosper,  Contra  Collatorcm, 
c.  vu,  n.  2,  3,  P.  L.,  t.  li,  col.  230  sq.,  décrit  les  diverses 
allections,  produites  par  le  Saint-Esprit,  par  lesquelle 
les  hommes  sont  attires  au  Christ,  d'après  le  texte, 
Joa.,  vi,  44.  Le  IIe  concile  d'Orange  affirme  plus  caté- 
goriquement encore  l'existence  de  la  grâce  actuelle  et 
sa  nécessité  :  personne  ne  peut  avoir  une  pensée  salu- 
taire, ni  croire,  sans  une  illumination  et  une  inspira- 
tion du  Saint-Esprit,  can,  7. Denzinger-Bannwart,  n.180. 

3°  Les  scolasliques  anciens  se  sont  occupés  de  la 
grâce  sanctifianle  plus  que  de  la  grâce  actuelle;  ils  nous 
ont  néanmoins  exposé  l'existence  et  la  nécessité  de 
celle-ci.  Cf.  S.  Bonaventure,  In  IV  Sent.,  1.  II,  dist. 
XXVIII,  a  2,  q.  i,  Opéra  omnia,  Quaraechi,  t.  m. 
p.  682;  S  Thomas,  Quodl.,  I,  a.  7;  Sum.  theol.,  I'  II', 
q  cix,  a.  fi;  q.  exi,  a.  2;  q.  cxn,  a.  2.  Dans  ces  passages 
saint  Thomas  parle  d'un  secours  intérieur  et  gratuit, 
c'est-à-dire  surnaturel,  qui  meut  l'âme  au  bien  salu- 
taire; il  ne  s'agit  donc  pas  de  la  coopération  naturelle 


de  Dieu;  de  plus, saint  Thomas  distingue  explicitement 
une  double  grâce  :  le  secours  divin  qui  nous  meut  à 
vouloir  et  à  exécuter  le  bien,  et  le  don  habituel  infus. 
Sum.  theol.,  I"  II*',  q.  exi,  a.  2.  Ces  passages  sont  tout 
différents  de  celui  qu'on  lit  In  IV  Sent.,  1.  II,  dist. 
XXVIII,  q.  i,  a.  4,  où  le  saint  docteur  semble  ne  pas 
exiger,  pour  la  conversion  de  l'adulte,  la  grâce  actuelle 
proprement  dite.  Sur  la  grâce  actuelle,  voir  aussi  Duns 
Scot,  t.  iv,  col.  1899  sq.  ;  Capréolus,  In  IV  Sent.. 
1.  II,  dist.  XXVIII,  a.  l.concl.  6,  t.  vi,  p.  286;  Dcnys 
le  Chartreux,  Summa  fidei  orthodoxœ,  1.  II,  a.  117, 
118,  t.  xvn,  p.  325  sq. 

1°  Le  concile  de  Trente  a  repris  la  définition  du 
IIe  concile  d'Orange,  Denzinger-Bannwart,  n.  813, 
mais  de  plus  a  exposé  ce  qu'il  entend  par  grâce  pré- 
venante et  quels  sont  les  effets  qu'il  lui  faut  attribuer. 
C'est  à  la  grâce  prévenante  qu'il  faut  attribuer  le 
commencement  de  toute  activité  salutaire,  notamment 
de  toute  l'activité  par  laquelle  l'homme  adulte  par- 
vient à  la  justification.  La  grâce  prévenante  comporte 
avant  tout  la  vocation  ;  Dieu  touche  le  cœur  de  l'homme 
par  l'illumination  ou  l'inspiration  (ces  deux  termes  sont 
synonymes)  du  Saint-Esprit,  l'homme  la  reçoit  en  lui. 
et  peut  librement  y  consentir  ou  la  rejeter;  il  doit 
agir,  c'est-à-dire  coopérer  à  cette  impulsion  pour 
arriver  à  la  justification,  de  façon  que  l'activité  salu- 
taire soit  reflet  et  de  la  grâce  de  Dieu  et  de  la  libre 
volonté  de  l'homme.  Les  différents  actes  par  lesquels 
les  adultes,  excités  et  aidés  par  la  grâce,  se  disposent  à 
la  justification,  sont  notamment  la  foi,  la  crainte, 
l'espérance,  la  charité  initiale,  la  détestation  des  péchés, 
le  propos  de  recevoir  le  baptême,  de  commencer  une 
vie  nouvelle  et  d'observer  les  commandements  divins. 
Sess.  vi,  c.  v  et  vi,  Denzinger-Bannwart,  n.  797-798. 
On  trouvera  une  explication  plus  détaillée  du  sens  de 
ce  décret  dans  Hefner,  Die  Enlslehungsgeschichte  des 
rTrienter  Rechl/erligungsdekretes,  p.  139  sq.,  qui  cite  à 
propos,  p.  154,  une  remarque  d'André  de  Vega,  Tri- 
denlini  decrcli  de  justificationc  expositio  et  defensio, 
Cologne,  1572,  p.  89  :  «  Les  Pères  du  concile,  en  énu- 
mérant  ces  six  dispositions,  n'ont  pas  eu  l'intention 
d'affirmer  qu'elles  soient  toujours  toutes  nécessaires,  et 
que  personne  ne  peut  être  justifié  si  l'une  ou  l'autre 
fait  défaut.  Quant  à  l'ordre  de  succession  d'après  lequel 
elles  sont  exprimées,  ils  n'ont  pas  voulu  établir  qu'il 
est  toujours  observé  soit  par  Dieu  soit  par  l'homme 
dans  la  préparation  à  la  justification.  » 

Les  hérésies  et  les  controverses  qui,  après  le  concile  de 
Trente,  ont  surgi  au  suj  et  de  la  grâce  actuelle,  concernen  t 
non  pas  son  existence,  niais  sa  nature  et  sou  efficacité. 

II.  Essence.  —  1°  Doctrine  catholique.  —  1.  Les 
textes,  que  nous  avons  cités  pour  démontrer  l'existence 
de  la  grâce  actuelle,  nous  ont  déjà  fait  connaître  que 
celle-ci  consiste  dans  une  influence  divine,  surajoutée  à 
l'énergie  naturelle,  influence  qui  fait  que  l'homme 
connaît  ce  qu'il  doit  savoir,  aime  et  veut  ce  qu'il  doit 
vouloir  pour  être  sauvé.  Mais  comme  cette  connais 
sance  et  cette  volition  se  réalisent  dans  des  actes  d'in- 
telligence et  de  volonté,  tous  les  théologiens  enseignent 
que  le  concept  de  grâce  actuelle  comprend  des  actes 
et  des  actes  d'intelligence  et  de  volonté  :  sous  cette 
forme,  la  thèse  est  un  dogme  de  foi,  exprimé  dans  le 
can.  7  du  IIe  concile  d'Orange.  Denzinger-Bannwart. 
n.  180.  En  précisant  davantage,  on  donne  le  nom 
d' illumination  à  l'influence  exercée  par  Dieu  sur  lin 
telligence,  et  le  nom  d'inspiration  à  l'influence  exercée 
par  Dieu  sur  la  volonté.  Cependant,  chez  les  Pères,  ces 
termes  sont  souvent  synonymes,  et  l'un  des  deux 
s'emploie  fréquemment  pour  désigner  les  deux  effets. 
On  admet  aussi  que  Dieu,  en  vue  d'aider  l'homme  à 
bien  agir,  opère  parfois  sur  les  facultés  sensibles,  notam- 
ment sur  l'imagination,  l'appétit  sensitif  :  ces  influences 
(Usines   peuvent    rentrer  aussi   dans   la  catégorie   des 


lfi'il 


GRACE 


1642 


grâces  actuelles.  Cf.  Palmieri,  De  gratia  actuali,  thés. 
xn,  p.  44.  Le  même  auteur,  thés,  xm,  p.  46,  applique 
encore  le  concept  de  grâce  actuelle  anx  influences 
exercées  sur  nous  par  les  créatures,  qui  sont  en  dehors 
de  nous,  mais  dont  l'action  est  réglée  par  la  providence. 
Ce  sont  là  des  grâces  externes.  Celles-ci  sont,  dans  le 
cours  ordinaire  des  choses,  l'occasion  ou  la  condition 
requises  à  l'octroi  des  grâces  internes;  nous  ne  nous 
occupons  que  des  dernières. 

2.  Les  actes,  que  nous  considérons  maintenant,  sont 
avant  tout  des  actes  indélibérés,  qui  se  produisent 
indépendamment  d'une  délibération  et  d'une  élection 
libre,  qui  préviennent  notre  activité  libre  et  auxquels 
nous  pouvons  consentir  ou  que  nous  pouvons  rejeter. 

u)  Comme  l'homme  ne  peut  rien  vouloir  sans  qu'il  ne 
connaisse  l'objet  de  sa  volition,  il  est  évident  que  le 
commencement  de  l'activité  salutaire  se  trouve  dans 
un  acte  d'intelligence;  comme  cet  acte  est  l'effet  de 
la  grâce  divine,  il  est  évident  qu'il  y  a  des  illumina- 
tions immédiates  et  surnaturelles,  c'est-à-dire  que  Dieu 
suscite  directement  en  l'homme  des  pensées  salutaires, 
les  actes  cognoscitifs  par  lesquels  l'homme  perçoit  sicul 
nporlet  ce  qui  est  requis  à  l'obtention  de  la  foi  ou  à 
l'exercice  subséquent  de  cette  vertu  ou  à  la  pratique  de 
la  perfection  chrétienne.  Les  textes  cités  plus  haut, 
Joa.,  vi,  44;  Act.,xvi,  13;  I  Cor.,  m,  6,  ne  s'expliquent 
qu'en  admettant  des  illuminations  immédiates.  C'est 
d'elles  que  parlent  les  Pères  dans  les  passages  indiqués 
ci-dessus.  Nous  y  ajouterons  une  déclaration  impor- 
tante de  saint  Augustin  :  «  Tous  les  hommes  de  ce 
règne  (du  règne  du  Christ)  seront  enseignés  par  Dieu, 
ils  ne  recevront  pas  la  doctrine  de  la  part  des  hommes. 
Ou  s'ils  la  reçoivent  par  eux,  ce  qu'ils  en  comprennent 
leur  est  révélé  intérieurement  :  Et  si  ab  hominibus 
audiunt,  tamen  quod  intelligiint  inlus  datur,  inlus 
coruscat,  inlus  revclalur.  Que  font  les  hommes  qui 
parlent  du  dehors?  Que  fais-je  moi  qui  vous  parle  '?... 
Celui  qui  plante  et  qui  arrose  agit  extérieurement  : 
c'est  ce  que  nous  faisons.  Mais  ni  celui  qui  plante  n'est 
quelque  chose  ni  celui  qui  arrose,  mais  celui  qui  donne 
la  croissance,  Dieu.  C'est  cela  (qui  est  exprimé  par  ces 
mots)  :  ils  seront  tous  enseignés  par  Dieu.  »  In  Joannis 
Evang.,  tr.  XXVI,  n.  7,  P.  L.,  t.  xxxv,  col.  1610. 

b)  Nous  avons  vu  que  Dieu  influe  aussi  sur  la  volonté 
pour  la  mouvoir  au  bien  salutaire.  Or  on  se  demande 
s'il  y  a  des  inspirations  immédiates,  c'est-à-dire  si  Dieu 
produit  immédiatement  dans  la  volonté  des  actes 
indélibérés  comme  il  en  produit  clans  l'intelligence.  La 
raison  pour  laquelle  se  pose  cette  question  est  celle-ci  : 
quand  dans  l'intelligence  se  produit  la  perception 
d'un  objet,  et  quand  celui-ci  est  représenté  comme  bon, 
aimable,  désirable  ou  comme  mauvais,  haïssable,  il 
surgit  connaturellement  dans  la  volonté  des  actes 
correspondants  d'amour,  de  désir,  d'aversion,  de  répu- 
gnance; Dieu  pourrait  donc,  en  produisant  immédia- 
tement des  pensées  salutaires,  faire  naître,  par  ce 
moyen,  donc  médiatement,  des  mouvements  salu- 
taires dans  la  volonté  :  ce  seraient  des  inspirations 
médiates.  Les  textes  de  l'Écriture  sainte  et  ceux  des 
conciles  peuvent,  à  la  rigueur,  s'interpréter  en  n'admet- 
tant que  des  inspirations  médiates;  aussi  les  théolo- 
giens tiennent  que  ce  n'est  pas  un  dogme  de  foi  qu'il 
y  a  des  inspirations  immédiates;  mais  aujourd'hui  ils 
admettent  leur  existence  comme  certaine.  Cf.  Jung- 
mann,  De  gratia,  n.  34;  Palmieri,  op.  cit.,  thés,  vin; 
Hurter,  op.  cit.,  t.  ni,  n.  19;  Einig,  De  gratia.  Trêves, 
1896,  thés,  i;  Pesch,  Prœl.  dogm.,  t.  v,  n.  19.  Cette 
thèse  est  beaucoup  plus  conforme  au  texte  de  saint 
Paul.  Phil.,  il,  13,  aux  canons  des  conciles,  notam- 
ment à  celui  qui  dit  :  Cum  sit  vtrvuqoe  donum  Dei 
il  s<  iiie  quid  facere  debeamus  et  diligEDE  ut  faciamus, 
Denzinger-Bannwart,  n.  104,  et  à  celui-ci  :  Quod  ila 
Deus  in  cordibus  liominum  atque  in  ipso  libero  operetur 


arbilrio,  ut  sancla  cogitatio...  omnisque  motus  voluirlatis 
t  x  Deo  sit,  op.  cit.,  n.  135  ;  ici  encore  le  bon  mouvement 
de  la  volonté  est  présenté  comme  venant  immédia- 
tement de  Dieu  aussi  bien  que  de  la  bonne  pensée.  La 
même  doctrine  est  exprimée  dans  les  prières  liturgi- 
ques; par  exemple,  dans  le  Sacramenlarium  leonianum, 
édit.  Feltoe,  Cambridge,  1896,  p.  81,  on  lit  l'oraison 
suivante  :  prœsta  nobis,  Domine,  quœsumus,  auxilium 
gratin'  tiuv,ul  sine  qua  nihil  boni  possumus  eadem  lar- 
gienle  digne  quœ  tua  sunt  et  <  OGITAKE  valeamus  et  FACERE. 
Dans  le  Missel  romain,  l'oraison  du  vme  dimanche 
après  la  Pentecôte  dit  :  Largire  nobis  semper  spirilum 
cogitandi  quœ  recta  sunt  propitius  et  AGEND1  :  ut  qui  sine 
t,:  esse  non  possumus,  secundum  te  vivere  valeamus.  C'est 
aussi  la  doctrine  de  saint  Augustin  qui  insiste  spécia- 
lement sur  l'influence  divine  dans  la  volonté,  notamment 
sur  Yinspiratio  charitatis. -Voir  les  textes  cités  plus  haut. 

L'assertion  se  prouve  par  un  argument  de  raison 
théologique  :  la  nécessité  de  la  grâce,  nous  l'avons 
établi  dans  la  première  partie  de  notre  article,  est  une 
nécessité  physique,  celle  d'élever  nos  actes  à  l'ordre 
surnaturel.  Par  les  illuminations  immédiates,  l'intel- 
ligence est  élevée,  mais  non  la  volonté;  or  il  y  a  aussi 
des  actes  salutaires  dans  la  volonté,  et,  à  un  certain 
point  de  vue,  c'est  en  elle  qu'ils  se  trouvent  surtout;  il 
faut  donc  encore  dans  la  volonté  des  inspirations  im- 
médiates et  surnaturelles  pour  qu'il  puisse  exister  en 
elle  des  actes  surnaturels,  en  l'absence  des  vertus  infuses. 

2°  Controverse  théologiquc.  —  C'est  à  la  fin  du 
xvr-  siècle  qu'a  commencé  la  grande  controverse  sur 
l'essence  et  sur  l'efficacité  de  h:  ^ràce  actuelle.  L'occa- 
sion en  a  été  la  publication  de  l'ouvrage  de  Molina, 
Concordia  liberi  arbilrii  cum  graliœ  donis,  etc.,  en  1588. 
II  semble  que  ce  n'est  pas  Molina  qui  le  premier  a 
conçu  et  enseigné  la  doctrine  qui  caractérise  cette 
œuvre,  cf.  de  Scorraille,  François  Suarez,  Paris,  1912, 
t.  i,  p.  356  sq.  ;  mais  c'est  à  l'apparition  de  ce  livre 
qu'a  commencé  l'opposition  menée  principalement 
par  Banez.  Voir  Banez,  t.  n.  col.  143;  de  Scorraille, 
np.  cit.,  p.  363  sq. 

La  question  controversée  en  ce  qui  concerne  l'es- 
sence de  la  grâce  actuelle  est  avant  tout  celle-ci  :  la 
grâce  excitante  consiste-t-elle  uniquement  dans  les 
actes  vitaux  indélibérés,  ou  bien  faut-il  admettre  des 
entités  ou  motions  transitoires,  qui,  produites  dans  la 
faculté  opéralivc,  appliquent  celle-ci  à  son  acte,  et  ont 
par  conséquent  pour  terme  immédiat  l'acte  vital  indé- 
libéré. D'après  la  première  opinion,  Dieu  produit  im- 
mèdiatement  l'acte  vital  lui-même,  l'influence  divine 
tombe  sur  l'acte  lui-même,  non  sur  la  faculté  opérative, 
il  est  absolument  simultané  à  l'opération  de  la  créa- 
ture qui  vitalement  produit  le  même  acte.  D'après  le 
second  sentiment,  Dieu  agit  immédiatement  dans  la 
faculté  opérative  et  la  meut  physiquement  à  produire 
vitalement  son  acte  :  cette  motion  physique  qui  fait 
produire  l'action  de  la  faculté  opérative  est  parsa  nature, 
nulura  (non  tempore),  antérieure  à  l'opération  à  laquelle 
elle  se  termine  et  est  pour  cela  une  prémotion  physique. 

Certains  théologiens  disent  que  dans  la  Bible,  dans 
les  écrits  des  Pères,  dans  les  documents  de  l'Église,  il 
n'est  pas  fait  mention  de  ces  entités  transitoires  ou 
motions,  qu'on  n'y  parle  que  d'actes  (bonnes  pensées, 
bonnes  affections)  attribués  à  une  influence  spéciale  et 
immédiate  de  Dieu;  que  par  conséquent  il  ne  faut  pas 
admettre  l'existence  de  ces  entités  (enlilales  fluentes). 

Cet  argument  ne  vaut  rien.  On  ne  peut  pas,  en  effet, 
présupposer  qu'il  faille  trouver  dans  la  Bible  ou  dans 
les  documents,  contenant  la  révélation,  l'explication 
scientifique  de  toutes  les  réalités  dont  ils  nous  appren- 
nent l'existence.  L'Écriture  sainte  et  les  documents  de 
la  révélation  enseignent  que  Dieu,  pour  nous  aider  à 
agir  salutairement,  produit  en  nous  des  actes  indéli- 
bérés, mais  ils  ne  disent  pas  comment  Dieu  les  produit. 


GRACE 


1644 


Cette  question  esi  laissée  à  notre  investigation  et  c'est 
par  la  métaphysique  qu'il  nous  faut  déterminer  l'es- 
sence de  ces  effets  divins  dont  nous  parlons.  Aussi  c'est 
à  la  question  métaphysique  du  concours  divin  que  se 
rattache  logiquement  et  historiquement  la  controverse 
indiquée.  On  a  exposé,  dans  ses  grandes  lignes,  la  doc- 
trine de  la  coopération  divine  à  l'art.  Concours  divin, 
t.  m,  col.  781  sq.  ;  niais  il  faut  que  nous  insistions  da- 
vantage sur  l'opinion  de  saint  Thomas  pour  la  com- 
parer à  celle  de  Molina. 

1.  Aclcs  indélibérés.  —  11  nous  faut  parler  premiè- 
rement de  la  coopération  divine,  en  général,  ensuite  de 
la  coopération  surnaturelle  de  Dieu,  ou  de  la  grâce 
actuelle.  Nous  indiquerons  hrièvcment  la  doctrine  de 
saint  Thomas,  celle  de  Molina,  ((.'lie  que  nous  défendons 
avec  ses  arguments. 

a)  Doctrine  de  saint  Thomas.  —  a.  Ce  docteur  en- 
seigne que  Dieu  coopère  à  toute  opération  de  la  créa- 
ture. In  IV  Sent.,  1.  II,  dist.  XXXVII,  q.  n,  a.  2;  Sum. 
Iheol.,  Ia,  q.  cv,  a.  5;  I:l  IIœ,  q.  cix,  a.  1,  9.  Il  distingue 
quatre  manières  diverses  selon  lesquelles  se  fait  cette 
coopération  et  les  énumère  dans  :ette  conclusion  :  Sic 
ergo  Deus  est  causa  aclionis  cujuslibet  inquanlum  dot 
l'irlulem  agendi,  et  inquanlum  conservai  eam,  cl  inquan- 
tum applicat  aclioni,  et  inquanlum  cjus  virilité  omnia 
alia  virlus  agit.  De  polentia,  q.  m,  a.  7.  Voir  Concours 
divin,  t.  m,  col.  785  sq.  11  nous  faut  considérer  davan- 
tage le  troisième  mode  exprimé  par  ces  mots  :  inquan- 
tum applicat  aclioni.  Saint  Thomas,  dans  le  corps  de 
l'article  cité,  fait  observer  que  ce  troisième  mode  est 
distinct  des  deux  premiers  :  Sed  quia  nulla  res  perscip- 
sam  movet  vel  agit,  nisi  movens  non  molum.  tertio  modo 
dicitur  una  res  esse  causa  aclionis  altcrius  inquantum 
movet  ad  agendum  :  in  quo  non  intelligitur  collaiio  aul 
conservai io  virtutis  aclivœ,  sed  applicatio  virtutis  ad 
actioxeh'-  Cette  application  à  agir  est  une  entité  phy- 
sique reçue  dans  la  faculté  opérative,  un  être  incomplet  : 
Virtus  naluralis  (c'est-à-dire  la  faculté  opérative),  quw 
est  in  rébus  naluralibus  in  sua  inslitulione  collata,  inesl 
eis  ut  quœdam  forma  habens  esse  ralum  et  firmum  in 
natura.  Sed  lu  quod  a  deo  fit  in  rc  nalurali,  quo  actua- 
i.iter  agat,  est  ut  intentio  sola  habens  esse  quodua  m 
INCOMPLEI'I  i/  T.oe.  cil.,  ad  3'm.  Il  y  a  donc  une  im- 
pulsion physique,  qui  n'est  qu'impulsion  et,  pour  cette 
raison,  un  être  incomplet;  cette  impulsion  est  produite 
par  Dieu  dans  la  faculté  et  elle  constitue  celle-ci  émettant 
son  opération.  Cette  impulsion  est  la  motion  à  agir. 
motion  que  ne  peut  pas  avoir  d'elle-même  la  faculté 
opérative  :  nec  virtuti  nalurali  conferri  poluit  ut  moveret 
seipsam.  Ibid.  La  faculté  opérative  est  passive  quant 
à  la  réception  en  elle  de  ladite  motion  :  In  operatione 
qua  Deus  operatur  movendo  naturam  non  operatcii 
natura.  Loc  cit.,  ad  2"m.  La  même  doctrine  est  ex- 
primée dans  l'opuscule  Compendium  Iheologiœ,  c.cxxx  : 
Necesse  est  quod  omnia  agentia  per  quœ  Deus  ordincm 
sux  gubernationis  adimplct,  virtute  ipsius  Dei  agant. 
ageue  igilur  cujuslibet  ipsorum  a  Deo  causatub,  sicul 

et  MOTUS  MOB1L1S  A  MOTIONE  MOVENTIS.    Cf.   Sum.   thcol., 

I»,  q.  cv,  a.  5.  Il  résulte  donc  que  saint  Thomas  ensei- 
gne la  prémolion  physique,  c'est-à-dire  que,  selon  lui,  la 
coopération  divine  implique  une  entité  physique  pro- 
duite par  Dieu  dans  la  faculté  opérative,  cette  entité 
est  essentiellement  l'impulsion  à  agir  et,  par  conséquent 
par  sa  nature  même,  antérieure  à  l'opération  dont  elle 
est  le  principe,  d'où  son  nom  :  prémotion. 

t>.  Quant  à  l'ordre  surnaturel,  saint  Thomas  dis- 
tingue ce  que  nous  appelons  grâce  habituelle  de  ce  que 
nous  appelons  grâce  actuelle  :  Dupliciter  ex  gratuita 
Dei  volunlate  homo  adjuvalur.  Uno  modo,  inquanlum 
anima  hominis  movetur  a  Deo  ad  aliquid  cognoscendum 
vel  volendum  vel  agendum.  Et  hoc  modo  ipse  graluilus 
effectus  non  est  qualitas,  sed  motus  quidem  animée  : 
exclus  enim  movenlis  in  moto  est  moins.   Sum.  Iheol.,  I» 


IIœ,  q.  ex,  a.  2.  Si  l'on  met  ce  texte  en  relation  avec 
la  doctrine  de  saint  Thomas  concernant  la  coopération 
divine  avec  toute  créature  agissante,  on  ne  peut  douter 
que  le  docteur  angélique  admet  une  prémotion  aux 
actes  salutaires  de  connaissance  et  de  volonté  :  Dieu, 
en  effet,  meut  l'âme  à  connaître  et  à  vouloir;  c'est  un 
effet  gratuit,  c'est-à-dire  surnaturel,  et  il  n'est  que 
motion,  impulsion  à  agir;  c'est  pourquoi  il  n'est  pas,  à 
proprement  parler,  une  qualité  :  il  n'est  qu'un  être 
incomplet,  purement  transitoire,  qui  n'a  pas,  en  l'âme, 
esse  ralum  ae  firmum.  Cf.  Sum.  Iheol.,  Ia  IVe.  q.  cix, 
a.  G  et  0,  où  saint  Thomas  indique  comme  première 
raison  de  la  nécessité  de  Vauxilium  graliœ  :  nulla  res 
ci  râla  polcst  in  quemeumque  actum  prodire,  nisi  virtute 
molionis  divinse.  A  la  doctrine,  telle  que  nous  l'avons 
exposée,  ne  s'oppose  pas  le  texte  de  saint  Thomas. 
In  IV  Sent.,  1.  I,  dist.  XLV,  q.  î,  a.  3  :  Inomnibus  quo- 
rum potentiel  activa  determinata  est  ad  unum  effeclum 
nihil  requiritur  ex  parle  agentis  adagendum  supra  polen- 
tiam  complétant,  dummodo  non  sit  impedimentum  ex 
defeetu  rccipienlis  ad  hoc  quod  sequatur  effectus.  Saint 
Thomas  parle  ici  des  actions  nécessaires  naturelles, 
c'est-à-dire  des  opérations  qui  sont  déterminées  ou 
spécifiées  par  une  forme  reçue  dans  la  nature  ou  dans 
la  faculté  opérative;  quand  la  faculté  opérative  est 
déterminée  par  une  forme  à  produire  un  effet  déterminé, 
la  faculté  est  alors  complète  au  point  de  vue  de  la 
spécification  de  l'acte;  rien  n'est  requis  ultérieurement 
dans  cet  ordre.  Mais  cela  n'exclut  pas  la  nécessité  de  la 
prémotion  physique,  qui  ne  spécifie  pas  l'opération, 
mais  la  fait  sortir  de  la  faculté.  La  nécessité  de  la  pré- 
motion physique  est  d'un  ordre  différent  de  celui  de 
la  spécification  de  l'acte;  cette  motion  est  requise  pour 
que  la  créature  puisse  passer  de  l'état  de  repos  à  l'état 
d'action,  a  non  agendo  ad  agendum.  Quantumcumque 
natura  aliqua  corporalis  vel  spiritualis  ponatur  perfecta, 

NON  POTEST  ]N   SUUM  ACTUM    PBOCEDEliE  NISI  MOYEATUIl 

a  deo.  Sum.  thcol.,  Ia  IL'*,  q.  cix,  a.  1.  La  prémotion 
tion  physique  est  donc  requise  aussi  dans  la  volonté  à 
chaque  fois  qu'elle  commence  à  vouloir,  cf.  Sum.  thcol. , 
I1  IP',  q.  ix,  a.  4;  elle  est  donc  requise  pour  cet  acte 
indélibéré,  qu'on  appelle  voluntas  ut  natura.  Cf.  In  IV 
Sent.,  1.  III,  dist.  XVII,  q.  i,  a.  1,  q.  m,  ad  lu";  Sum. 
Iheol.,  IIIa,  q.  xvin,  a.  3.  Nous  parlerons  plus  loin  de 
l'acte  libre. 

b)  Doctrine  de  Molina.  —  Elle  est  radicalement  di- 
fférente de  celle  de  saint  Thomas. 

a.  Dans  l'ordre  naturel,  le  concours  divin  est  une 
influence  divine  qui  ne  tombe  pas  immédiatement  sur 
la  faculté  opérative,  et  qui  n'atteint  que  l'opération  elle- 
même,  émise  par  la  faculté  :  il  n'admet  pas  que  Dieu 
meuve  la  créature  à  agir,  qu'il  y  ait,  de  la  part  de  Dieu, 
une  impulsion,  par  sa  nature,  antérieure  à  l'opération 
et  véritablement  cause  efficiente  de  l'émission  de  l'acte  : 
il  rejette  donc  toute  prémotion  physique.  L'opinion  de 
Molina  est  exposée,  Concordia,  a.  13,  q.  xiv,  disp.  XXVI, 
Paris,  1876,  p.  152  sq.  Après  avoir  indiqué  l'opinion 
de  saint  Thomas  concernant  l'influence  divine  qui 
applique  la  créature  à  l'opération,  et  avoir  avoué  que 
cette  doctrine  lui  semble  difficile  à  admettre,  Molina 
expose  son  opinion  :  De  même  que  la  cause  seconde  (la 
créature)  émet  immédiatement  son  opération  et  par 
celle-ci  produit  le  terme  ou  l'effet,  ainsi  Dieu,  par  un 
concours  général,  in  Hue  immédiatement  dans  la  même 
opération  et  par  celle-ci  produit  le  terme  ou  l'effet. 
C'est  pourquoi  le  concours  général  de  Dieu  n'est  pas 
une  influence  sur  la  cause  seconde,  comme  si  celle-ci 
était  d'abord  mue  à  opérer  :  Quo  fit  ut  concursus  Dei 
generalis  non  sit  influxus  Dei  in  CAUSAM-  SECUNDAM, 
quasi  ili.a  pmus  eo  mot  a  AGAi...  Cette  assertion  est 
nettement  contradictoire  à  la  thèse  de  saint  Thomas  et 
exclut  précisément  toute  prémotion  physique.  A  la 
lin  de  sa  dissertation,  p.  158,  Molina  dit  encore  que 


1645 


GRACE 


1646 


l'effet  est  produit  et  par  Dieu  et  par  la  créature,  mais 
la  causalité  est  partagée;  ni  Dieu,  ni  la  cause  créée 
n'est  cause  entière,  complète  de  l'effet.  Pour  expliquer 
cela,  Molina  introduit  l'exemple  resté    célèbre  :  nox 

SECUS  W  CUM  DUO  VRAHUNT  NAVIMTOTUS  MOTUS  PROF1- 
SClCITUn  Ail  UNOQUOQUE  TRABENTIUM,  SED  NON  TANQUAM 
A    IOTA     CAUSA    MOTUS,    SIQUIDE.V    QUIVIS    EOIiUM   SIMUL 

EFFICIT  CUM  altero  omnes  ac  singulas  partes  ejusdem 
motus.  Ceci  encore  est  inconciliable  avec  la  doctrine 
de  saint  Thomas  :  pour  lui,  en  effet,  Dieu  est  cause 
entière,  totale,  de  l'opération  de  la  créature,  et  la 
créature  aussi  est  cause  entière  et  totale,  chacune  dans 
son  ordre;  l'activité  de  la  créature  est  tout  entière 
subordonnée  à  l'activité  de  Dieu;  par  conséquent  la 
coopération,  dont  il  s'agit,  ne  peut  pas  être  comparée 
à  celle  des  hommes  qui,  en  tirant,  font  avancer  un 
navire;  dans  ce  dernier  cas,  l'activité  de  chacun  est, 
en  soi,  indépendante  de  celle  de  l'autre,  non  subor- 
donnée, et  par  suite,  au  vrai  sens,  simultanée,  tandis 
que,  pour  saint  Thomas,  l'activité  de  la  créature  est 
subordonnée  à  celle  de  Dieu,  et  celle-ci,  en  consé- 
quence, est  par  nature  antérieure  à  celle-là.  Cf.  Contra 
gent.,  1.  III,  c.  lxvii,  lxx;  voir  aussi  Molina,  op.  cit., 
disp.  XXX,  p.  178. 

b.  Quant  à  l'ordre  surnaturel,  Molina  fait  consister 
la  grâce  actuelle  prévenante  uniquement  dans  les  actes 
vitaux,  op.  cit.,  disp.  XLV,  p.  25G;  ces  actes  vitaux 
sont  produits  par  Dieu,  mais  il  n'y  a  qu'une  distinc- 
tion de  raison  entre  l'influence  de  la  créature  dans  le 
même  acte,  disp.  XXXVIII,  p.  215  sq. ;  quand  il  s'agit 
d'actes  posés  par  l'homme  avant  qu'il  n'ait  les  habitus 
infus,  Dieu  influe  en  tant  qu'il  possède  lui-même  émi- 
nemment Vhabiius  de  la  foi  infuse,  et  en  tant  qu'il 
supplée  la  causalité  qui  est  propre  à  cet  habitus, 
p.  219  sq.  Molina  n'admet  donc  pas  d'entité  physique, 
transitoire  et  surnaturelle,  qui  physiquement  surna- 
turalise l'acte,  et,  en  ce  sens,  produit  l'effet  que  pro- 
duirait Vhabiius  infus.  Suarez  défend  la  même  opinion 
que  Molina  :  pour  le  concours  naturel,  voir  Opuscula 
theologica,  opusc.  I,  1.  I,  c.  v-vn,  Opéra  omnia,  t.  xi, 
p.  22-35;  pour  la  grâce,  voir  De  gratia,  1.  III,  c.  i, 
n.  12;  c.  iv,  n.  2,  Opéra  omnia,  t.  vin,  p.  8,  16.  Notons 
ses  paroles  :  Ego  vero  nullum  taie  auxilium  internum, 
polenliisque  anima-  inhœrens,  prœter  aclus  vitales  et 
acliones  corum,nec  alias  qualilates  perse  infusas  agnosco, 
p.  8;  Ego  vero  censco  nullam  ialcm  enlitatcm  infundi, 
quœ  sit  prior,  lempore  vcl  nalura,  ipso  aclu  graliœ  exci- 
tanlis,  vel  principium  proximum  ejus,  sed  solum  Spi- 
ritum  Sanclum  immédiate  ac  per  seipsum  infundere  hos 
actus  elevando  polentiam  ad  conficiendum  illos,  p.  16. 
Cependant  quant  à  l'explication  ultérieure  de  la 
manière  dont  ces  actes  indélibérés  et  surtout  les  actes 
délibérés  sont  rendus  surnaturels,  il  y  a  divergence 
entre  Molina  et  Suarez.  Cf.  Mazzella,  De  gratia,  n.  148- 
153.  Bellarmin  n'adhère  pas  à  l'opinion  de  Molina  ni 
pour  le  concours  divin  naturel,  ni  pour  la  grâce  actuelle 
qui  a  pour  terme  l'acte  indélibéré;  il  admet  la  prémo- 
tion physique  et  dit  que  le  sentiment  qui  la  défend 
est  celui  de  saint  Thomas.  Cf.  De  gratia  et  libero  arbi- 
trio,  1.  IV,  c.  xvi,  p.  324';  De  novis  conlroversiis  inter 
Patres  quosdam  ex  urdinc  pnvdicalorum  cl  P.  Ludovicum 
Molinam  ex  Societate  Jcsu,  §  3,  publié  par  le  P.  Le 
Hachelet,  Auctarium  Bellarminianum,  Paris.  1913, 
p.  107;  voir  aussi,  p.  10,  19  sq.,  31,  34,  92.  Mais  Bellar- 
min rejette  la  prédétermination  physique  dans  l'acte 
d'élection.  Voir  op.  cit.,  p.  109  sq.,  179  sq.  ;  De  gratia  d 
libero  arbilrio,  1.  I,  c.  xn. 

c)  En  ces  dernières  années,  notamment  après  la 
publication  de  l'encyclique  JEterni  Patris  (1879)  par 
Léon  XIII,  plusieurs  philosophes  et  théologiens  ont 
défendu  la  doctrine  qui  établit  la  nécessité  de  la  prémo- 
tion physique,  mais  qui  rejette  la  prédétermination  phy- 
sique de  l'acte  d'élection.  Voici  comment  ils  raisonnent. 


a.  Tout  être  créé  qui  passe  de  la  capacité  d'agir  à 
l'acte,  c'est-à-dire  qui  passe  de  l'état  potentiel  ou  de 
repos  à  l'état  d'activité  ou  d'exercice  actuel,  donc  tout 
être  qui  commence  à  agir,  doit  être  physiquement 
appliqué  à  agir  par  un  autre  être;  or  cet  autre  être  est 
Dieu;  donc  toute  créature  est  appliquée  par  Dieu  à 
l'opération.  La  majeure  n'est  que  l'explication  du  prin- 
cipe analytique  :  omne  quod  movelur  ab  alio  movetur; 
c'est-à-dire  que  tout  changement  qui  se  produit  dans 
un  sujet  exige  l'action  d'un  être  en  acte.  Cf.  card. 
Mercier,  Ontologie,  Louvain,  1902,  n.  186  sq.,  p.  375  sq. 
L'agir  ou  l'opération  est  une  perfection  physique  que 
n'a  pas  en  soi  l'être  qui  n'agit  pas,  et  que,  par  consé- 
quent, il  ne  peut  pas  se  donner  à  lui-même,  car  aucun 
être  ne  peut  donner  ce  qu'il  n'a  pas;  la  capacité  de 
recevoir  une  perfection  ne  peut  pas  la  réaliser;  donc  la 
capacité  d'agir  ne  peut  pas  être  cause  efficiente  de 
l'action  et  le  sujet  qui  est  uniquement  capable  d'agir, 
qui  est  en  puissance  vis-à-vis  de  son  opération,  ne  peut 
pas  seul  et  par  soi-même  s'élever  à  l'ordre  de  perfec- 
tion qui  constitue  l'opération  actuelle.  La  mineure 
s'explique  :  la  perfection,  dont  il  est  question,  est  l'opé- 
ration, c'est  une  perfection  transcendentale,  dont  la 
cause  première  est  l'être  qui,  par  essence,  est  l'action, 
c'est-à-dire  Dieu.  Un  être  corporel  peut  recevoir  d'un 
autre  corps  une  application  immédiate  à  l'action,  mais 
cet  autre  corps,  pour  appliquer  le  premier,  a  besoin 
d'une  application  provenant  d'un  troisième  corps,  et 
ainsi  de  suite;  il  faut  donc  nécessairement  arriver,  dans 
cet  ordre  de  causalité,  au  premier  être  qui  meut,  sans 
être  mû  lui-même,  c'est-à-dire  Dieu.  Les  êtres  imma- 
tériels et  les  êtres  vivants,  comme  tels,  ne  peuvent  être 
appliqués  immédiatement  et  physiquement  à  leurs 
actes  vitaux  que  par  Dieu  seul.  Outre  cette  influence 
divine,  qui  consiste  formellement  à  appliquer  l'agent  à 
son  action,  il  faut  l'influence  divine  dans  l'opération 
elle-même,  en  tant  que  celle-ci  est  aussi  un  pur  être. 
Cette  dernière  influence  n'est  pas  non  plus  un  concours 
purement  simultané.  Voir  card.  Billot,  De  gratia, 
proleg.,  i,  p.  25  sq. 

b.  La  coopération  divine,  dont  nous  venons  de 
démontrer  la  nécessité,  est  réalisée  par  la  prémolion 
physique.  Tout  être  créé,  qui  commence  à  agir,  passe 
réellement  et  physiquement  de  puissance  à  acte, 
acquiert  une  perfection.  Ce  passage,  comme  nous 
l'avons  vu,  se  fait  par  une  impulsion  divine  qui  préci- 
sément fait  sortir  l'acte  de  la  puissance;  il  faut  donc  que 
cette  impulsion  soit  une  entité,  reçue  dans  la  faculté 
opérative  et  mouvant  physiquement  celle-ci  à  émettre 
l'opération,  à  émettre  l'action;  cette  entité  est  donc, 
par  son  essence,  antérieure  à  l'action  et  est  donc  une 
pré/nul  ion  /thi/sique. 

c.  Dans  l'ordre  surnaturel,  il  faut  une  prémotiuii 
physique  surnaturelle,  qui  détermine  physiquement  les 
actes  indélibérés  d'intelligence  et  de  volonté,  par  les- 
quels l'homme  est  excité  et  aidé  à  poser  des  actes  déli- 
bérés salutaires.  Nous  avons  démontré  précédemment, 
d'après  la  doctrine  catholique,  l'existence  de  ces  actes 
indélibérés.  Nous  en  cherchons  maintenant  l'explica- 
tion. Or,  il  faut  remarquer,  d'abord,  que  ces  actes  indé- 
libérés sont  produits  immédiatement  par  Dieu,  qu'ils  ne 
dépendent  pas  d'actes  précédents;  qu'ils  constituent 
une  influence  spéciale,  par  laquelle  l'homme  connaît  et 
aime  sicul  oporlet  ad  salulem.  En  quoi  consiste  cette 
influence  ?  Les  actes  dont  il  s'agit  sont  vitaux,  c'est-à- 
dire  des  actes  qui  émanent  de  la  faculté  opérative  et 
qui  y  restent  :  il  faut  donc  que  Dieu  applique  la  faculté 
à  agir,  qu'il  la  fasse  entrer  en  activité,  ce  qui  se  fait  par 
la  prémotion  physique.  Cette  prémotion  appartient  à 
l'ordre  surnaturel,  car  elle  est  produite  immédiatement 
par  Dieu,  elle  est  mise  dans  une  créature  qui  n'a  aucune 
exigence  h  être  mue  ainsi;  car,  avant  d'avoir  cette  pré- 
motion,  la  créature  n'est  pas  constituée  en  acte  premier 


[647 


GRACE 


1048 


vis-à-vis  de  cette  opération:  enfin  cette  prémotion  se 
termine  à  une  opération  surnaturelle.  Dans  l'homme, 
qui  n'a  pas  encore  les  valus  infuses,  ni  les  dons  du 
Saint-Esprit, la  prémotion  physique  doit  être  en  même 
temps  une  entité  surnaturelle  qui  transitoirement  élève 
ou  surnaturalise  intrinsèquement  la  faculté  opérative 
et  rende  ainsi  l'acte  lui-même  intrinsèquement  surna- 
turel. En  effet,  bien  qu'il  ne  soit  pas  de  loi  que  les  actes 
indélibérés  salutaires  sont  intrinsèquement  surnaturels 
celte  assertion  est  communément  admise  par  les  théo- 
logiens et  elle  se  déduit  de  la  nécessité  absolue  de  la 
grâce  pour  tout  acte  salutaire.  Or,  pour  que  l'acte  vital 
indélibéré  soit  intrinsèquement  surnaturel,  il  faut  que 
la  faculté,  d'où  il  procède,  soit  en  elle-même  surnatu- 
ralisée, car  l'opération  n'est  pas  autre  chose  que  l'actua- 
tien  ou  l'actualité  de  la  faculté  opérative,  cf.  S.  Tho- 
mas, Sum.  theol,  I\  q.  liv,  a.  1  ;  De  polcntia,  q.  m, 
a.  1:  l'acte  donc  est  émis  tel  qu'il  est  contenu  dans  la 
faculté  qui  l'émet;  si  alors  la  faculté  est  intrinsèque- 
ment naturelle,  l'acte  le  sera  aussi.  Il  faut  donc  que  la 
faculté  soit  intrinsèquement  .surnaturalisée  par  une 
entité  transitoire,  virlus  fluens,  qui  fait  transitoire- 
ment ce  que  l'habitus  surnaturel  fait  d'une  façon  per- 
manente. Dans  le  cas  exposé,  la  prémotion  physique 
apporte  donc  aussi  la  surélévation  de  la  faculté.  Bien 
qu'il  y  ait  là  deux  fonctions  distinctes,  elles  peuvent 
être  exercées  par  la  même  entité.  Voir  Guillermin, 
dans  la  Revue  thomiste,  1902,  t.  x,  p.  386;  Salmanti- 
censes,  Cursus  theologicus,  tr.  XIV,  disp.  V,  dub.  vi, 
§  3,  n.  125,  p.  486.  Quand  l'homme  possède  déjà  les 
vertus  infuses  et  les  dons  du  Saint-Esprit,  la  prémo- 
tion physique  à  l'acte  indélibéré  ne  sera  que  la  motion 
appliquant  à  l'acte  une  faculté  habituellement  surna- 
turalisée et  déterminant  celle-ci  à  son  objet.  Les  théo- 
logiens récents  qui,  sans  admettre  la  prédétermination 
physique  dans  l'état  d'élection,  admettent  la  pré- 
motion physique  à  l'acte  indélibéré  sont  :  H.  Gut- 
berlet,  Dogmatische  Théologie,  Mayence,  1897,  t.  vin, 
j).  25sq.,415  sq.  ;  Pignataro,  De  gratin  (lith.).  thés,  xv, 
p.  170;  Terrien,  La  grâce  et  la  gloire,  t.  ii,  p.  365;  Del 
Val,  Sacra  thcologia  dogmatica,  Madrid,  1906,  t.  u, 
p.  499;  Herrmann,  Institutioncs  theologiœ  dogmaticœ, 
Rome,  1908,  t.  n,  p.  207,  n.  1130;  Tabarelli,  De 
gralia  Christi,  Rome,  1908,  p.  244;  card.  Billot,  De 
gratia  Christi,  p.  148;  Van  der  Meersch,  De  divina 
gratia,  Bruges,  1910,  n.  279,  281;  Manzoni,  Compen- 
dium  theologiœ  dogmalicœ,  Turin,  1911,  t.  m,  n.  290, 
302.  L'entité  qui  est  prémotion  physique  et  suréléva- 
tion de  la  faculté  appartient  reduclive  (par  réduction) 
au  genre  d'accident  qui  est  la  qualité  et  se  nomme 
exactement  qualitas  fluida.  Cf.  Guillermin,  dans  la 
Revue  thomiste,  t.  x,  p.  392;  card.  Billot,  De  gratia 
Christi,  p.  154. 

Corollaire.  —  a.  La  prémotion  physique  surnaturelle 
est  donc  ce  en  quoi  consiste  essentiellement  la  grâce 
excitante  :  elle  est  la  motion  divine,  l'influence  pro- 
duite immédiatement  par  Dieu  dans  l'âme  et  elle  a 
pour  terme  l'acte  vital  :  celui-ci  est  l'effet  immédiat  de 
la  motion. 

Telle  est  la  thèse  exprimée  par  le  cardinal  Billot, 
op.  cit.,  p.  142,  en  ces  termes  :  Gratia  actualis  dupliciter 
consideratur  :  primo  quidem  SECl  vdi  v  se,  deinde  vero 
in  sua  proximo  et  necessario  EFFECTU.  Considerata  in 
suo  proximo  et  necessario  EFFEcru  nihil  aliud  es/  quam 
actus  supernaturalis  indeliberalus  polcntia;  a  Deo  motic, 
qui  quidam  vero  sensu  in  nobis  esse  dicitur  sine  nobis.  Al 
sumpta  secundumSE  est  motio  in  facultate  recepta, 
principians  ejusmodi  actus.  Les  théologiens  récents,  que 
nous  avons  cités,  en  sont  donc  revenus,  pour  les  actes 
indélibérés,  à  l'opinion  défendue  parBaiïez  et  son  école. 
Cf.  Alvarez,  De  auxiliis.  1.  VII,  disp.  LVII,  n.  1, 
p.  497;  1.  VIII,  disp.  LXXIV,  p.  618. 

Les  auteurs,  qui  n'admettent  pas  cette  opinion,  sont 


d'avis  que  la  grâce  excitante  consiste  essentiellement  et 
uniquement  dans  l'acte  vital  lui-même  et  que  cet  acte 
lui-même  est  produit  immédiatement  par  Dieu.  Cepen- 
dant ils  ne  donnent  pas  tous  la  même  explication  du 
mode  dont  cet  acte  est  produit  et  est  rendu  surnaturel. 
Ces  uns  disent  que  Dieu  lui-même  supplée  l'élévation 
qui  est  produite  par  la  vertu  infuse  dans  l'acte  qui 
émane  d'elle  :  c'est  ce  qu'on  appelle  élévation  externe  ou 
extrinsèque.  Voir  cette  opinion  dans  Mazzella,  De  gratia 
Christi,  n.  149  sq.  ;  Lahousse,  De  gralia,  n.  105;  Pesch, 
Prselection.es  dogmatica',  t.  v,  n.  57.  Le  P.  Palmieri,  De 
gratia  actuali,  thés,  xvi  et  xvn,  croit  que  l'acte  est 
surnaturalisé  par  un  mode  qui  n'est  pas  réellement 
distinct  de  la  faculté,  ni  de  l'âme.  Cette  opinion  est 
réfutée  par  Lahousse,  op.  cit.,  n.  100.  Mgr  Waffelaert, 
Méditations  théologiques,  t.  r,  p.  637  sq.,  enseigne  que 
l'acte  vital  est  surnaturel  parce  que  Dieu  s'unit  transi- 
toirement la  faculté  créée  comme  un  instrument  par 
lequeî  et  dans  lequel  il  produit  une  action  déterminée;  il 
la  produit,  non  seulement  en  tant  qu'il  lui  donne  l'être, 
mais  en  tant  qu'il  la  fait  être  telle.  Xous  avouons  ne  pas 
comprendre  comment,  d'après  ces  explications,  on 
aurait  un  acte  qui  serait  en  même  temps  vital  et  surna- 
turel dans  son  entité.  Cf.  Billot,  op.  cit.,  p.  150  sq. 
Certains  théologiens  invoquent,  contre  notre  thèse,  ce 
principe  :  Dieu  peut  produire  immédiatement  par  lui- 
même  tout  effet  qu'il  peut  produire  aussi  par  une 
cause  seconde;  ils  en  concluent  que  Dieu  peut  pro- 
duire immédiatement  par  lui-même  un  acte  surnaturel 
sans  employer  pour  cela  une  cause  seconde,  une  entité 
créée,  une  virtus  fluens.  Nous  nions  le  principe  et  la 
conclusion;  Dieu  ne  peut  pas  faire  l'impossible;  il  ne 
peut  pas  produire  un  acte  intellectuel  sans  une  faculté 
qui  est  l'intelligence;  il  ne  peut  pas  produire  un  acte 
vital  sans  une  faculté  vivante  d'où  il  procède  et  dans 
lequel  il  reste.  Ainsi  encore  il  ne  peut  pas  réaliser  un 
acte  vital  surnaturel  sans  que,  dans  la  faculté  d'où 
cet  acte  émane  vitalement,  il  y  ait  un  principe  réel 
de  surnaturalisation;  si  cela  n'y  est  pas,  l'acte  éma- 
nera vitalement  et  non  surnaturalisé. 

b.  Le  rôle  de  la  grâce  excitante  se  conçoit  donc 
ainsi  :  Dieu,  au  moins  dans  les  conditions  ordinaires, 
dispose  par  sa  providence  les  événements  extérieurs  à 
l'homme,  par  exemple,  la  prédication,  la  lecture,  cer- 
lains  faits  particuliers  comme  la  maladie,  la  mort 
d'une  personne  chère,  etc.,  et  puis  il  prédétermine  lui- 
même  l'intelligence  à  des  pensées  opportunes  d'ordre 
pratique  et  la  volonté  à  des  affections  correspondantes. 
Ainsi  la  volonté  se  trouve  être  affectionnée  vers  un 
bien  salutaire,  par  exemple,  vers  un  acte  vertueux  à 
poser,  ou  elle  conçoit  de  l'horreur  pour  un  acte  mau- 
vais. C'est  ainsi  que  la  volonté  est  aidée  à  faire  l'acte 
délibéré,  à  choisir  librement  de  vouloir  ce  bien  vers 
lequel  elle  est  actuellement  poussée  ou  de  ne  pas  vou- 
loir ce  mal  à  l'égard  duquel  elle  a  actuellement  horreur. 
Les  auteurs  ascétiques  nous  donnent  la  description  des 
effets  de  la  grâce  dans  l'âme.  Voir,  par  exemple,  De 
imitatione  Christi,  1.  III,  c.  n  sq. ;  S.  François  de 
Sales,  Traité  de  l'amour  de  Dieu,  I.  VIII,  c.  x  sq., 
Œuvres  complètes,  Annecy,  1894,  t.  v,  p.  89  sq.  ;  Jan- 
vier, La  grâce  (conférences  de  N.-D.  de  Paris),  Paris, 
1 910,  p.  99  sq.  Sur  la  connexion  entre  les  grâces  actuelles 
et  les  dons  du  Saint-Esprit,  cf.  Dons,  t.  iv,  col.  1735 
sq.,  1775  sq.  ;  Billot,  De  virlulibus  in/usis,  p.  178  sq. 
tue  autre  opinion  est  défendue  par  Mgr  Waffelaert, 
Collationes  Brugenscs,  1913,  t.  xvm,  p.  6  sq. 

2.  Actes  délibérés.  —  Nous  avons  parlé  jusqu'ici  des 
actes  vitaux  d'intelligence  et  de  volonté,  qui  sont  les 
termes  immédiats  des  prémotions  surnaturelles,  des 
impulsions  ou  mouvements  instinctifs  de  l'Esprit-Saint 
sur  notre  âme  :  ces  actes-là  sont  indélibérés,  c'est-à- 
dire  indépendants  de  toute  délibération  de  notre  part. 
U  nous  faut  considérer  maintenant  les  actes  délibérés  : 


1649 


GRACE 


lfifW 


ce  sont  les  actes  de  volonté  qui,  consécutivement  à 
la  délibération  intellectuelle,  constituent  l'élection,  le 
choix  libre,  et  aussi  les  actes  qui  sont  commandés  par 
l'élection.  Mais  la  controverse  dont  nous  nous  occu- 
pons porte  uniquement  sur  l'acte  libre  de  la  volonté. 

a)  Doctrine  de  saint  Thomas.  —  a.  Il  faut  distinguer 
deux  genres  de  motion  dans  la  volonté  :  l'une  est  celle 
qui  procède  de  l'objet,  c'est-à-dire  du  bien  connu  par 
l'intelligence;  le  bien  connu  meut,  en  ce  sens  qu'il 
excite  l'appétit;  l'autre  motion  est  celle  qui  procède 
de  la  cause  efficiente,  c'est-à-dire  de  ce  qui  agit  physi- 
quement dans  la  volonté,  de  ce  qui  l'incline  intérieure- 
ment et  lui  fait  exercer  l'opération.  «  La  volonté  peut 
être  mue  par  deux  principes  :  par  l'objet,  et  c'est  ainsi 
qu'on  dit  que  ce  qui  est  aimable  meut  l'appétit  (appe- 
tibile  apprehensum  movet  appelitum);  et  d'une  autre 
manière  par  ce  qui  met  intérieurement  la  volonté  en 
mouvement  (alio  modo  ab  eo  quod  inlerius  inclinai 
volunlatem  ad  volendum).  »  S.  Thomas,  Sam.  thcol.,  F 
IIœ,  q.  lxxx,  a.  1.  Cf.  Ia,  q.  xcv,  a.  4;  q.  evi,  a.  2;  De 
verilate,  q.  xxn,  a.  9;  De  malo,  q.  ni,  a.  3;  Del  Prado, 
De  gratta  et  libéra  arbitrio,  Fribourg  (Suisse),  1907,  t.  i. 
p.  xvin  ;  t.  il,  p.  143  sq.  ;  t.  m,  p.  13,  98  sq. 

Ces  deux  genres  de  motions  ont  chacun  une  fonction 
propre  :  la  motion  qui  procède  de  l'objet  concerne  la 
spécification  de  l'acte,  la  motion  qui  procède  de  la 
cause  efficiente  concerne  l'exercice  de  l'acte,  c'est  la 
doctrine  explicite  de  saint  Thomas,  Sum.  theol.,  F  II11', 
q.  ix,  a.  1.  I.a  volonté,  comme  toute  autre  faculté, 
quand  elle  commence  à  agir,  doit  être  mue  ou  appliquée 
à  agir  :  c'est  la  prémotion  physique  dont  nous  avons 
parlé  plus  haut.  Cf.  Sum.  thcol.,  loc.  cit.,  a.  4  et  9. 

b.  Il  faut  distinguer  aussi,  dans  la  volonté,  deux 
genres  d'actes  :  l'un  est  l'acte  spontané,  naturel,  qui 
suit  nécessairement  l'appréhension  intellectuelle  d'un 
objet  sous  la  formalité  de  bien  ou  de  mal  :  c'est  la 
voluntas  ut  nalura.  L'autre  est  l'acte  par  lequel  la  vo- 
lonté choisit,  veut  un  bien  alors  qu'elle  pourrait  en 
vouloir  un  autre,  c'est  la  voluntas  ut  ratio  ;  c'est  l'acte 
qui  suit  la  délibération  ou  le  conseil.  Cf.  Sum.  thcol.,  F 
IF,  q.  xiv,  a.  1,  2;  II»  II11',  q.  xlvii,  a.  1,  ad  2""';  III», 
q.  xvm,  a.  4,  ad  2"m;  De  malo,  q.  xvi,  a.  4.  L'acte  dont 
nous  parlons  est  décrit  par  saint  Thomas  en  ces  termes  : 
Proprium  liberi  arbitrii  est  cleclio.  Ex  hoc  enim  liberi 
arbitrii  esse  dicimur  quod  possumus  unum  recipere  alio 
recusalo,  quod  est  eligere.  Sum.  thcol.,  F,  q.  lxxxiii,  a.  3. 
Parmi  les  biens  particuliers  qui  sont  l'objet  de  l'élec- 
tion humaine,  se  trouve  aussi  le  vouloir  même  :  la 
volonté  peut  vouloir  ne  pas  vouloir  ou  vouloir  consi- 
dérer tel  bien,  prendre  une  décision  sur  telle  question, 
etc.  Potcst  autem  ratio  apprehendere  ut  bonum  non 
solum  hoc  quod  est  vellc  aut  agere,  sed  hoc  eliam  quod  est 
non  velle  et  non  agere.  Sum.  thcol.,  Ia  IF1',  q.  xm,  a.  6. 
Mais  l'acte  par  lequel  la  volonté  choisit  est  toujours  un 
acte  positif,  alors  même  qu'elle  choisit  ne  pas  vouloir 
quelque  chose  ou  ne  pas  consentir  à  une  inclination. 
Cette  négation  est  l'objet  de  l'acte  libre.  Sum.  thcol., 
F  IF',  q.  i.xxi,  a.  5.  Il  s'agit  de  voir  maintenant 
comment  cet  acte  procède  de  la  volonté.  Nous  suppo- 
sons que  cette  faculté  est  en  acte  de  vouloir  un  bien 
comme  une  fin  :  alors  elle-même  se  meut  à  vouloir  ce 
qui  est  ordonné  à  cette  fin,  c'est-à-dire  elle  se  meut  à 
l'élection,  à  l'acte  de  choisir  :  Inlclleclus  per  hoc  quod 
cognoscit  principium,  redurit  scipsum  de  potenlia  in 
actum  quantum  ad  cognilionem  conclusionum;  et  hoc 
modo  movet  seipsum:  et  simililer  voluntas  per  hoc  quod 
inilt  finem,  movet  scipsam  ad  volendum  ca  quœ  sunt  ad 
finem.  Op.  cit.,  q.  ix,  a.  3.  Il  s'agit  d'un  passage  de  la 
puissance  à  l'acte  :  l'intelligence  qui  est  en  acte  de 
comprendre  un  principe  est  capable  (est  en  puissance) 
d'avoir  la  connaissance  des  conclusions  contenues  dans 
ce  principe;  or  l'intelligence  se  meut  elle-même  à  cet 
acte.  De  même  la  volonté  qui  actuellement  veut  une 


fin  est  capable  (est  en  puissance)  de  poser  l'acte  par 
lequel  elle  choisit  les  moyens  à  cette  fin;  or  la  volonté 
se  meut  elle-même  à  cet  acte.  Il  s'agit  ici  de  tout  acte 
d'élection,  quel  que  soit  son  objet,  qu'il  soit,  au  point 
de  vue  moral,  bon  ou  mauvais,  et  il  s'agit  de  l'émana- 
tion physique  de  cet  acte  :  la  volonté  elle-même  en  est 
cause  efficiente.  Cette  causalité  concerne  l'exercice 
même  de  l'acte  de  choisir  et  elle  dépend  de  l'activité 
par  laquelle  la  volonté  veut  la  fin  :  c'est  cette  fin  qui 
constitue  la  volonté  principe  actif  ou  moteur  de  tout 
ce  qui  doit  servir  à  réaliser  cette  fin.  Loc.  cit.,  ad  1'"" 
et  3"'".  Saint  Thomas,  après  avoir  expliqué  comment 
la  volonté  se  meut  elle-même,  examine  à  l'art.  4  si  la 
volonté  est  mue  par  quelque  principe  extérieur.  11 
répond  affirmativement  :  la  volonté  est  mue  par  Dieu. 
La  raison  est  celle-ci  :  pour  commencer  à  agir,  pour 
poser  le  premier  acte  de  vouloir,  celui  qui  concerne  la 
fin,  la  volonté  doit  être  mue,  doit  être  appliquée  à  agir, 
cette  application  vient  de  Dieu.  Quant  à  cet  acte,  la 
volonté  ne  se  meut  pas  elle-même,  elle  est  mue  :  Dieu 
est  la  cause  efficiente  de  cet  acte.  On  voit  clairement  la 
différence,  au  point  de  vue  de  la  causalité  efficiente, 
entre  l'acte  qui  est  motion  spontanée,  nécessaire,  à  un 
bien  comme  une  fin  (voluntas  ut  natura)  et  l'acte  qui 
est  l'élection  (voluntas  ut  ratio)  :  au  premier  acte  la 
volonté  est  appliquée  physiquement  par  Dieu,  au 
second  acte  elle  s'applique  physiquement  elle-même. 
A  l'art.  G  de  la  même  question,  saint  Thomas  se  de- 
mande si  la  volonté  est  mue  par  Dieu  seul  comme  par 
un  principe  extérieur.  Il  répond  que  Dieu  seul  peul 
mouvoir  la  volonté.  Il  explique  la  nature  de  cette 
motion  dans  la  réponse  à  la  troisième  objection.  Nous 
l'interprétons  ainsi  :  Dieu  meut  la  volonté  au  bien, 
c'est-à-dire  que  la  nature  de  la  motion  divine  consiste 
à  mouvoir  la  volonté  vers  l'objet  représenté  (par  l'in- 
telligence) comme  bon  :  c'est  l'objet  formel  général  de 
la  volonté.  Sans  cette  motion  l'homme  ne  peut  rien 
vouloir,  il  ne  peut  pas  passer  de  l'état  de  non-activité 
à  l'activité  actuelle.  Mais  l'homme,  au  moyen  de  la 
raison,  au  moyen  de  la  délibération,  se  détermine  à 
vouloir  ceci  ou  cela,  qui  est  vraiment  un  bien  ou  un 
bien  apparent.  Deus  movet  volunlatem  hominis  sicut 
universalis  molor  ad  universale  objectum  volunlalis,  quod 
est  bonum,  et  sine  hac  universali  molione  homo  non  potesl 
aliqùid  velle,  sed  homo  per  rationem  déterminât  se  ad 
volendum  hoc  vel  illud,  quod  est  verc  bonum  vel  apparens 
bonum.  Remarquons  que  saint  Thomas  explique  par 
là  pourquoi  l'homme  peut  pécher  :  c'est  parce  que  lui- 
même  se  détermine  à  vouloir  ceci  ou  cela. 

Saint  Thomas  n'enseigne  donc  pas  qu'il  faut  une 
seconde  prémotion  physique,  une  application  physique 
spéciale  pour  l'acte  d'élection;  il  semble  au  contraire 
l'exclure  en  montrant  nettement  la  différence,  au  point 
de  vue  de  l'émanation  de  l'acte,  entre  la  volition  spon- 
tanée d'un  bien  comme  fin  et  l'élection  des  moyens. 
Ceci  n'exclut  pas  évidemment  l'influence  divine  sur 
l'élection,  en  tant  que  cet  acte  reçoit  de  Dieu  l'être  : 
cette  influence  se  ramène  au  quatrième  mode  d'après 
lequel  Dieu  agit  en  toute  créature,  et  elle  n'est  pas  un 
concours  simplement  simultané,  mais  elle  est  aussi, 
par  sa  nature,  antérieure  à  l'acte;  seulement  elle  ne 
constitue  pas  formellement  cette  application  à  l'acte 
qui  est  requise  quand  une  faculté  opérative  à  l'état  de 
repos  passe  à  l'agir  actuel.  Ce  que  nous  venons  de 
dire  concerne  à  proprement  parler  l'exercice  de  l'acte 
électif.  Mais  cet  acte  est  d'une  nature  spéciale,  il  n'est 
pas  spécifié  objectivement  par  une  forme  qui  est  impri- 
mée dans  la  faculté  comme  l'est  l'espèce  intelligible 
dans  l'intelligence.  La  spécification  vient  de  l'objet 
représenté  par  l'intelligence.  La  volonté  ne  peut  vouloir 
actuellement  que  ce  qui  est  présenté  actuellement 
comme  bon  par  l'intelligence.  Mais  pour  le  cas  de 
l'acte  libre,  la  volonté   n'est   pas  déterminée  nécessai- 


L651 


CRACE 


10.r>2 


renient  par  l'objet  représenté  dans  l'intelligence.  La 
déterminât  ion  tant  objective  que  physique  de  la  voli- 
tion  libre,  c'est-à-dire  le  vouloir  ceci  plutôt  que  cela, 
provient  de  la  volonté.  La  réponse  de  saint  Thomas 
citée  ci-dessus  dit  que  l'homme  se  détermine  à  vouloir 
ceci  ou  cela:  parce  que  cette  détermination  vient  de 
l'homme,  et  non  de  Dieu,  l'homme  peut  pécher.  L'es- 
sence même  de  la  liberté  exige  que  la  détermination 
de  l'acte  vienne  de  l'homme  :  non  enim  esset  homo 
liberi  arbitrii,  nisi  ad  cum  determinalio  sui  operis  perli- 
nerel,  ut  ex  proprio  judicio  eligerct  hoc  aut  illud.  In  IV 
Sent.,  1.  II,  dist.  XXVIII,  q.  i,  a.  1.  C'est  parce  que 
cette  détermination  provient  de  l'homme,  que  l'acte 
libre  lui  est  imputé  et  que  cet  acte  peut  être  méritoire. 
Sum.  theol.,  Ia  II-1',  q.  xxi,  a.  4,  ad  2'"".  Remarquons 
cette  assertion  concernant  la  liberté  dans  la  nature 
humaine  du  Christ  :  Voluntas  Christi,  liccl  sit  delcrmi- 
nata  ad  bonum,  non  est  tamen  determinala  ad  hoc  vel 
illud  bonum.  El  ideo  perlinet  ad  Chrislum  eligere.  Op. 
cit.,  IIIa,  q.  xvm,  a.  4,  ad  1"°.  Cf.  De  veritate,  q.  xxix, 
a.  G,  ad  l"m;  De  malo,  q.  vi,  a.  unie.  L'indétermination 
ou  indifférence  physique  concernant  tel  ou  tel  bien  à 
choisir  est  donc  de  l'essence  même  de  l'élection.  Cette 
indifférence  physique  disparaît  par  l'acte  physique 
d'élection,  et  cet  acte,  comme  tel,  vient  de  l'homme; 
c'est  pourquoi  il  reste  toujours  contingent  :  ce  n'est  pas 
Dieu  qui  par  sa  prémotion  fait  disparaître  l'indéter- 
mination, mais  c'est  l'homme  lui-même.  Sum.  theol., 
I1  II a',  q.  x,  a.  4.  C'est  encore  parce  que  l'homme  se 
détermine  lui-même  à  vouloir  qu'il  a  la  maîtrise  (domi- 
nium)  sur  son  acte  :  cl  ideo  determinalio  actus  relin- 
quitw  in  potcstale  rationis  et  voluntatis.  De  polenlia, 
q.  m,  a.  7,  ad  13"m.  D'après  ces  textes  donc,  l'homme, 
en  acte  de  vouloir  un  bien  final,  choisit  un  bien  comme 
moyen,  et  en  choisissant  il  détermine  formellement  et 
physiquement  son  propre  acte  d'élection;  c'est  pour- 
quoi il  en  est  maître  et  il  en  est  responsable.  Dieu 
laisse  à  la  volonté  l'indifférence  physique,  qui  est  essen- 
tielle à  l'acte  libre  ou  contingent.  Dieu  n'infuse  donc 
pas  une  entité  physique  dont  l'effet  formel  et  immédiat 
serait  d'enlever  l'indifférence  physique  de  ia  volonté  et 
de  prédéterminer  physiquement  l'acte  d'élection.  Par 
conséquent  saint  Thomas  n'enseigne  pas  la  prédéter- 
mination physique  à  l'acte  d'élection. 

L'interprétation  que  nous  venons  de  proposer  est 
conforme  à  celle  de  Capréolus,  In  IV  Sent.,  1.  II, 
dist.  XXIV,  q.  i,  a.  1,  concl.  5%  et  a.  2,  §  3;  dist.  XXV, 
q.  i,  a.  3,  Opéra,  t.  iv,  p.  202,  208  sq.,  233,  224,  249  sq.  ; 
de  Cajétan,  In  Sum.  theol.,  I\  q.  LX,  a.  2.  Elle  est 
explicitement  défendue  par  Jean  de  Gonzalez  de 
Albeda,  O.  P.,  Comment,  in  Sum.  theol.,  Naples,  1037, 
disp.  LVIII,  sect.  il,  t.  il,  p.  86;  par  Boniface  Grandi, 
O.  P.,  Cursus  theologicus,  Ferrare,  1692,  t.  i,  p.  46  sq.  : 
par  d'autres  auteurs  de  l'ordre  des  frères  prêcheurs 
cités  par  le  P.  Guillermin,  qui  lui-même  a  exposé  cette 
doctrine  avec  une  spéciale  compétence,  dans  la  Revue 
thomiste,  1902,  t.  x,  p.  655;  par  le  P.  Jeiler,  Sancli 
Bonavenlune  principiu  de  concursu  Dei  generali,  Qua- 
racchi,  1897,  p.  69  sq.;  par  le  P.  Pignataro,  De  Deo 
crealore,  Rome,  1905,  p.  517  sq.;  par  le  cardinal  Billot, 
De  gratia  Christi,  p.  21  sq.  Parmi  les  auteurs  récents  qui 
n'admettent  pas  cette  explication,  il  faut  citer  le 
P.  Pègues,  Commentaire  français  littéral  de  la  Somme 
théologique,  Toulouse,  1907  sq.,  t.  v,  p.  304  sq.;  t.  vi, 
p.  300  sq. 

b)  Doctrine  de  Molina.  —  Comme  nous  l'avons 
exposé  plus  haut,  Molina  n'admet  qu'un  concours 
divin  simplement  simultané,  et  cela  pour  toute  opé- 
ration de  la  créature  :  il  n'établit,  sous  ce  rapport, 
aucune  dilférence  entre  l'acte  indélibéré  et  l'acte  déli- 
béré, entre  l'acte  appelé  voluntas  ut  nulura  et  l'acte 
appelé  voluntas  ut  ratio.  Cf.  Concordia,  disp.  XXVII  sq., 
p.  158  sq.  De  plus,  il  faut  remarquer  la  définition  qu'il 


donne  de  l'acte  libre  ou  élection  :  Agens  liberum  dicilur 
quod  posilis  omnibus  requisitis  ad  agendum  potcsl  agere 
vel  non  agerc,  aut  ila  agere  unum  ut  contrarium  agere 
possit.  Concordia,  disp.  II,  p.  10.  Si  l'on  met  cette 
définition  en  rapport  avec  la  doctrine  de  Molina,  il  en 
résulte  (pie  la  liberté  consisterait  aussi  en  ce  que  la 
volonté,  quand  toutes  les  conditions  requises  à  son 
opération  sont  vérifiées,  peut  agir  ou  n'agir  pas,  choisir 
ou  ne  pas  choisir.  Nous  ne  nous  rangeons  pas  à  cet 
avis  :  la  liberté  ne  consiste  pas  en  ce  que  la  volonté 
puisse  agir  ou  n'agir  pas,  mais  en  ce  qu'elle  peut 
choisir,  c'est-à-dire  vouloir  ceci  plutôt  que  cela.  Quand 
les  conditions  requises  à  cet  acte,  l'élection,  sont  véri- 
fiées, l'acte  se  produit  nécessairement;  mais  il  peut 
avoir  pour  objet  de  ne  pas  penser  à  telle  chose,  de  ne 
rien  vouloir  concernant  telle  chose. 

c)  D'après  la  doctrine  de  saint  Thomas,  telle  que 
nous  l'avons  exposée,  nous  admettons  les  propositions 
suivantes  :  a.  quand  la  volonté  commence  à  agir, 
c'est-à-dire  à  vouloir  indélibérément,  elle  doit  être 
mise  en  acte,  ou  appliquée  à  agir  par  une  prémotion 
physique  de  la  part  de  Dieu;  b.  quand  la  volonté  est 
ainsi  en  état  d'activité  et  veut  un  bien  final,  elle  se 
détermine  physiquement  elle-même  à  vouloir  ceci  ou 
cela;  une  seconde  prémotion  physique  ou  application  à 
l'acte  n'est  plus  requise.  Mais  nous  le  répétons,  l'in- 
fluence divine,  qui  constitue  le  quatrième  mode  d'après 
lequel  Dieu  opère  en  toute  créature,  est  nécessaire. 
Cf.  Billot,  De  gratia  Christi,  p.  19  sq.  c.  La  prédéter- 
mination  physique  à  l'acte  d'élection  est,  à  notre  avis, 
inconciliable  avec  la  liberté  d'indifférence  et  avec  la 
sainteté  de  Dieu.  a.  La  prédétermination  serait  une 
entité  physique,  infuse  à  la  volonté,  antérieure  par  sa 
nature  à  l'acte  d'élection  et  déterminant  physiquement 
et  intrinsèquement  celui-ci,  c'est-à-dire  faisant  physi- 
quement vouloir  ceci  plutôt  que  cela,  en  d'autres 
termes  enlevant  précisément  l'indifférence  physique  de 
la  volonté  par  rapport  à  l'objet  à  vouloir;  dès  lors 
l'homme  lui-même  n'aurait  rien  à  déterminer  physi- 
quement dans  cet  acte,  il  n'aurait  aucune  maîtrise  sur 
le  choix,  il  ne  pourrait  pas  en  être  responsable,  il  ne 
serait  pas  libre.  p.  Si  la  prédétermination  physique 
était  nécessaire,  elle  le  serait  à  tout  acte  d'élection, 
quel  que  soit  son  objet.  Dès  lors  Dieu  prédéterminerait 
physiquement  et  de  la  même  manière  l'acte  qui  a  pour 
objet  un  bien  dans  l'ordre  moral,  et  l'acte  qui  a  pour 
objet  un  bien  apparent  qui,  dans  l'ordre  moral,  est  un 
mal;  donc  Dieu  serait  cause  physique  et  immédiate  du 
péché  comme  il  l'est  de  l'acte  vertueux.  Il  serait  cause 
du  péché,  non  pas  seulement  en  tant  qu'il  est  une 
opération  physique,  mais  encore  en  tant  qu'il  est  un 
acte  moralement  désordonné,  car  c'est  Dieu  qui  aurait 
déterminé  la  volonté  à  vouloir  ceci  (le  mal  moral) 
plutôt  que  cela  (le  bien  moral). 

d.  Dans  l'ordre  surnaturel,  la  grâce  actuelle  excitante 
consiste,  comme  nous  l'avons  exposé  plus  haut,  dans  la 
prémotion  physique  surnaturelle  qui  a  pour  terme  l'acte 
indélibéré  de  l'intelligence  et  l'acte  indélibéré  de  la 
volonté.  Quand  l'homme  est  ainsi  excité  à  vouloir  un 
bien  salutaire,  il  ne  faut  plus  une  nouvelle  application 
à  l'acte  d'élection  pour  le  consentement  à  la  grâce  : 
l'homme  se  détermine  lui-même  à  vouloir  ceci,  par 
exemple,  l'objet  salutaire  vers  lequel  il  est  porté  par 
l'impulsion  de  la  grâce  excitante,  ou  cela,  un  objet 
différent.  Quand  l'homme  est  en  état  de  grâce  et 
possède  par  conséquent  les  vertus  infuses,  il  est  clair 
qu'il  ne  faut  aucune  virlus  fluens  supernaluralis  pour 
surnaturaliser  intrinsèquement  l'acte  libre  de  consen- 
tement :  il  émane  d'une  faculté  intrinsèquement  surna- 
turalisée par  V habitas .  Mais  quand  il  s'agit  de  l'homme 
|  privé  des  vertus  infuses,  faut-il  alors  une  virlus  fluens 
i  supernaluralis  nouvelle  pour  surnaturaliser  intrinsè- 
!   quement  l'acte  libre  du  consentement  ?  Les  molinistes 


1653 


GRACE 


1654 


et  d'autres  théologiens  répondent  que  non;  ils  disent 
que  la  surnaturalisation,  produite  par  la  motion  à 
l'acte  indélibéré  et  restée  encore  dans  la  volonté  quand 
celle-ci  se  détermine  au  consentement,  suffit  à  surna- 
turaliser cet  acte  de  consentement.  Cf.  Guillermin,  dans 
la  Reuue  thomiste,  1902,  p.  657  sq.;  Billot,  De  gralia 
Chrisli,  p.  155  sq.  Il  y  a  cependant  à  cette  thèse  une 
réelle  difficulté  :  la  virlus  fluens  de  l'acte  indélibéré  se 
termine  à  cet  acte  et  semble  ne  pas  pouvoir  surna- 
turaliser un  autre  acte,  l'acte  d'élection.  Le  P.  Pigna- 
laro,  De  gratin  (lith.),  p.  221  sq  ,  enseigne  qu'il  faut 
une  nouveile  virtus  fluens  supernaturalis  pour  l'acte 
d'élection. 

III.  Division.  —  Saint  Thomas,  Sum.  theol.,  I»  IIœ, 
q.  exi,  indique  une  triple  division,  a  savoir  :  gratia 
(jratum  /aeiens  et  gratia  gratis  data,  operans  et  coopérons, 
prœveniens  et  snbsequens.  Nous  avons  expliqué  déjà  le 
sens  de  la  première;  il  nous  reste  à  parler  des  deux 
suivantes,  ainsi  que  d'autres  dont  saint  Thomas  ne 
parle  pas  à  l'endroit  cité. 

1°  Grâce  opérante  et  coopérante.  —  Cette  distinction 
a  son  fondement  dans  la  doctrine  de  l'Écriture  sainte  : 
on  y  montre  Dieu  excitant  l'homme  au  bien  salutaire, 
Eph.,  v,  14;  II  Tim.,  i,  9;  Apoc,  m,  20,  et  l'aidant  à 
réaliser  ce  bien.  Rom.,  vin,  26.  30;  Apoc,  m,  20. 
Saint  Augustin  explique  clairement  ce  double  effet  dû 
à  la  grâce  divine  :  Ipse  ut  velimus  operatur  incipiens, 
qui  volcntibus  eooperalur  perficiens...  Ut  ergo  velimus 
sine  nobis  operatur;  cum  aulem  volumus  et  sic  volumus 
ut  faciamas,  nobiscum  cooperalur  :  tamen  sine,  illo  vel 
opérante  ut  velimus,  vel  coopérante  cum  volumus,  ad 
bona  piclalis  opéra  nihil  valemus.  De  gralia  cl  libéra 
arbitrio,  c.  xvn,  n.  33,  P.  L.,  t.  xliv,  col.  901.  Le 
IIe  concile  d'Orange  exprime  aussi  la  distinction 
susdite  :  Mull  t  Deus  facit  in  homine  bona  quœ  non  facit 
homo  (c'est  la  grâce  opérante).  Nulla  vero  facit  homo 
bona  quœ  non  Deus  prœslat  ut  facial  homo  (c'est  la 
grâce  coopérante).  Quoties  bona  agimus  Deus  in  nobis 
tdquc  nobiscum  ut  operrmur  operatur.  Denzinger- 
Bannwart,  n.  192,  182. 

Saint  Thomas,  loc.  cit.,  a.  2,  explique  cette  distinc- 
tion en  disant  qu'elle  exprime  divers  effets  de  la  grâce, 
et  non  diverses  entités  :  c'est  la  même  grâce  qui  est 
tantôt  opérante  et  tantôt  coopérante.  Cette  diversité 
d'effet  se  trouve  réalisée  aussi  bien  pour  la  grâce  sancti- 
liante  que  pour  la  grâce  actuelle.  La  grâce  sancti- 
fiante est  opérante  (non  effective,  sed  formaliler),  en 
tant  qu'elle  rend  formellement  l'âme  agréable  à  Dieu, 
et  coopérante  en  tant  qu'elle  est  principe  de  l'acte 
méritoire,  qui  est  un  acte  libre;  c'est-à-dire  quand 
l'homme  justifié  opère  librement  un  acte  salutaire, 
c'est  la  grâce  sanctifiante  qui  est  ie  principe  du 
caractère  méritoire  de  cet  acte  :  c'est  en  ce  sens  qu'elle 
est  coopérante.  La  grâce  actuelle  est  opérante  en  tant 
qu'elle  a  pour  effet  une  opération  salutaire  au  point 
de  vue  de  laquelle  notre  âme  est  seufement  mue  et 
Dieu  seul  est  moteur;  elle  est  coopérante  quand  elle 
a  pour  effet  une  opération  à  laquelle  notre  âme  se 
meut  elle-même  en  même  temps  qu'efle  y  est  mue. 
Cette  définition  oiïre  quelque  diffieufté  dans  son 
application.  Il  paraîtrait  à  première  vue  que  la  grâce 
est  opérante  quand  elle  se  termine  à  l'acte  indélibéré, 
et  coopérante  quand  elle  se  termine  à  l'acte  délibéré, 
c'est-à-dire  au  consentement  libre  donné  à  l'impulsion 
divine.  Mais  tel  ne  semble  pas  être  le  sens  de  saint 
Thomas  :  d'après  lui.  la  grâce  est  opérante  par  rapport 
à  l'acte  indéliiéré  et  aussi  par  rapport  à  l'acte  délibéré, 
par  rapport  au  consentement  librement  donné;  mais 
quand  l'homme  par  ce  consentement  s'est  fixé  une 
fin  à  atteindre  et  qu'il  y  tend  par  des  actes  commandés 
par  la  volition  de  cette  fin,  alors  la  grâce  qui  soutient 
l'homme  dans  l'exécution  de  sa  volonté  est  coopé- 
rante. Cf.  Cajétan,  In  Jam  Il'\  q.  exi,  a.  2;  Soto,    De 


nalura  et  gratia,  1.  I,  c.  xv,  fol.  62;  Alvarez,  De  auxiliis, 
disp.  LXXXII,  c.  xlvii;  Billot,  De  gratia  Christi, 
p.  101  sq.  Il  faut  remarquer  encore  que  la  distinction 
susdite  peut  s'appliquer  à  une  opération  salutaire 
particulière  ou  bien  à  l'œuvre  totale  de  la  sanctifi- 
cation personnelle. 

2°  Grâce  prévenante  et  subséquente.  —  Cette  termi- 
nologie a  son  origine  dans  les.  Psaumes  lviii,  11,  et 
xxii,  6  :  Misericordia  ejus  prœveniet  me;  misericordia 
ejus  subsequetur  me.  Saint  Augustin,  invoquant  ces 
textes,  enseigne  que  tous  les  actes  salutaires  de 
l'homme  sont  un  effet  de  la  grâce  divine  et  il  la  décrit 
en  ces  termes  :  Ubi  quidem  operamur  et  nos,  sed  illo  (Deo) 
opérante  cooperamur.  Prœvenit  aulem  ut  sanemur,  qui  cl 
subsequetur  ut  eliam  sanali  vegetemur ;  prœvenit  ut  vo- 
cemur,  subsequetur  ut  glorificemur;  prœvenit  ut  pic  vi- 
vamus,  quia  sine  illo  nihil  facere  possumus.  De  nalura 
et  gralia,  c.  xxxi,  n.  35,  P.  L.,  t.  xliv,  col.  264.  De 
même  dans  l'écrit  Contra  duas  c/iislolas  pelagianorum, 
1.  II,  c.  ix,  n.  21,  P.  L.,  t.  xliv,  col.  586,  il  attribue 
le  commencement  de  l'amour  du  bien  à  la  grâce  par 
laquelle  Dieu  nous  prévient,  et  l'achèvement  à  la  grâce 
qui  suit.  Sous  cette  terminologie  saint  Augustin  dé- 
signe donc  des  effets  différents  de  la  grâce  considérée 
en  général.  C'est  dans  le  même  sens  que  s'exprime 
l'Église  dans  certaines  oraisons  liturgiques  :  Tua  nos, 
quœsumus,  Domine,  gratia  semper  et  prœveniat  et  sc- 
qualur.  Orat.  dom.  XVI  po?l  Penlescosten.  Aetiones  no- 
slras...  adspirando  prœveni  cl  adjuvando  prosequere  ut 
cuncta  nostra  operatio  et  oratio  a  le  semper  incipial  et 
per  te  cœpta  finiatur.  Oral,  in  sabbato  quai.  temp.  Qua- 
dragesimœ. 

Saint  Thomas,  loc.  cit.,  a.  3,  enseigne  la  même 
chose  :  cette  distinction  ne  considère  que  l'ordre  de 
priorité  ou  de  postériorité  qui  s'établit  entre  les 
divers  effets  attribués  à  la  grâce,  soit  habituelle  soit 
actuelle;  par  exemple,  vouloir  délibérément  un  bien 
salutaire  et  puis  exécuter  cette  détermination  sont 
deux  effets  de  la  grâce;  quant  au  premier,  elle  est 
prévenante,   quant    au    second,  elle  est  subséquente. 

Saint  Thomas  indique  d'autres  applications,  et  dans 
sa  réponse  ad  2""',  il  affirme  de  nouveau  que  cette 
distinction  ne  concerne  pas  l'essence  de  la  grâce, 
mais  seulement  ses  effets  :  la  grâce  en  tant  qu'elle  est 
prévenante  n'est  donc  pas,  de  ce  chef,  réellement 
distincte  de  la  grâce  subséquente;  la  grâce  subsé- 
quente, en  tant  qu'elle  appartient  à  la  gloire  céleste, 
ajoute  saint  Thomas,  n'est  pas  réellement  distincte 
de  la  grâce  prévenante  par  laquelle  nous  sommes 
justifiés  en  celte  vie.  La  chanté  de  cette  vie  ne  dispa- 
raît pas  au  ciel,  mais  elle  y  est  perfectionnée:  de 
même  la  lumière  de  grâce  (c'est-à-dire  la  grâce  sancti- 
fiante) est  fa  même  en  cette  vie  et  clans  l'autre;  il  en 
est  ainsi  parce  que  la  charité  et  la  grâce  sanctifiante 
n'incluent,  dans  leur  concept,  aucune  imperfection. 

La  doctrine  de  saint  Thomas  est,  quant  à  sa  sub- 
stance, la  même  qu'expose  Pierre  Lombard,  Sent., 
1.  Il,  dist.  XXVI,  et  que  tenaient  les  scolastiques 
anciens.  Cf.  S.  Bonaventure,  In  IV  Sent.,  1.  II,  dist. 
XXVI,  q.  vi,  Opéra  omnia,  t.  n,  p.  615  sq.,  et  les 
Scholia,  p.  646,  655. 

3°  Grâce  excitante  et  adjuvante.  —  Nous  trouvons 
ces  termes  chez  saint  Augustin  :  Quocirca  quoniam 
quod  a  Deo  nos  averlimus  nostrurn  est,  et  hsec  est  voluntas 
mala;  quod  vero  ad  Dcum  nos  convertimus,  nisi  ipso 
excitante  et  adjuvante  non  possumus,  et  hœc  est  voluntas 
bona.  De  piccaliiriim  merilis  et  remissione,  1.  II,  c.  xvm, 
n.  31,  P.  L.,  t.  xliv,  col.  169.  Le  concile  de  Trente  s'est 
servi  des  mêmes  termes  pour  décrire  la  conversion  de 
l'adulte  et  les  dispositions  requises  à  sa  justification  ; 
c'est  depuis  lors  que  la  distinction  susdite  a  été  uni- 
versellement employée  par  les  théologiens.  Le  concile 
parle  des  grâces  actuelles  :  chez  les  adultes,  le  commen- 


1655 


GRACE 


1656 


cernent  de  la  justification  doit  provenir  de  la  grâce 
prévenante,  c'est-à-dire  de  la  vocation;  par  la  grâce 
excitante  et  adjuvante,  s'ils  y  consentent  librement  et 
y  coopèrent,  ils  sont  disposés  à  la  conversion  et  à  la 
justification;  l'opération  de  Dieu  et  la  coopération  de 
l'homme  sont,  en  outre,  expliquées  comme  il  suit  :  c'est 
Dieu  qui  touche  le  cœur  de  l'homme  par  l'illumina- 
tion du  Saint-Esprit;  l'homme  peut  librement  accepter 
cette  inspiration  en  y  consentant  (assentiendo), il  peut 
aussi  la  rejeter  en  voulant  autre  chose  (dissenliendo). 
Sess.  vi,  c.  v,  et  can.  3,  4,  Denzinger-Bannwart, 
n.  797,  8t3,  814.  Le  concile  établit  ici,  contre  les  pro- 
testants, la  nécessite  de  la  grâce  et  de  la  libre  coopéra- 
lion  de  l'homme  :  dans  l'œuvre  de  la  conversion,  la 
première  part  revient  à  la  grâce  qui  prévient,  meut, 
excite;  sous  l'empire  de  cette  excitation,  l'homme  peut 
librement  y  consentir  ou  refuser  le  consentement;  s'il 
consent,  il  coopère  avec  la  grâce.  La  grâce  divine 
produit  l'illumination  et  l'inspiration  :  ce  sont  des  actes 
indélibérés;  le  consentement  ou  le  dissentiment,  de  la 
part  de  l'homme,  sont  des  actes  délibérés. 

Le  concile  ne  dit  rien  sur  une  distinction  réelle  entre 
la  milice  excitante  et  la  grâce  adjuvante;  sous  cette 
double  dénomination  il  désigne  le  principe  d'où 
dépend  et  auquel  répond  le  libre  consentement  et  la 
libre  coopération  de  l'homme;  mais  ce  consentement 
peut  aussi  ne  pas  être  donné  :  c'est  alors  le  dissenti- 
ment. C'est  le  libre  choix  de  l'homme  qui  détermine 
l'un  ou  l'autre  effet.  Après  le  concile,  beaucoup  de 
théologiens,  tant  de  l'école  moliniste  que  de  l'école 
banésienne,  ont  appliqué  principalement,  sinon  exclu- 
sivement, les  termes  expliqués  plus  haut  à  la  grâce 
actuelle,  et  leur  ont  donné  un  sens  restreint  :  ils 
entendent  par  grâce  excitante  la  grâce  en  tant  qu'elle 
suscite  l'acte  indélibéré  dans  l'intelligence  et  dans  la 
volonté;  par  grâce  adjuvante,  la  grâce  en  tant  qu'elle  est 
principe  de  l'acte  délibéré.  De  plus,  ils  considèrent 
comme  synonymes,  d'une  part,  les  termes  opérante, 
prévenante,  excitante;  d'autre  part,  les  termes  coopé- 
rante, subséquente,  adjuvante.  VoirMolina,  Concordia, 
q.  xiv,  a.  13,  disp.  XVII,  p.  37;  disp.  XXXIX, 
p.  223;  Suarez,  De  gratta,  1.  III,  c.  xx,  n.  8,  p.  90;  c.  xxi, 
n.  14,  p.  94;  c.  xxm,  n.  3,  p.  100;  c.  xxiv,  n.  6,  p.  104; 
Goudin,  De  gratia  Dei,  q.  v,  a.  1,  p.  252  sq.  ;  Billuart, 
Tractatus  de  gratia,  diss.  V,  a.  1,  Summa  S.  Thomte, 
Paris,  s.  d.,  t.  ni,  p.  123  sq. 

Molina,  Concordia,  q.  xiv,  a.  13,  disp.  XXXIX, 
p.  222  sq.  ;  disp.  XL,  p.  229  sq..  enseigne  que  la  grâce 
excitante,  prévenante,  opérante  est  la  même  réalité 
que  la  grâce  adjuvante,  coopérante,  subséquente;  la 
première  consiste  dans  les  actes  vitaux  indélibérés;  si 
l'homme  consent  (ce  qui  se  fait  par  le  seul  acte  délibéré 
de  la  volonté),  cette  même  grâce  est  adjuvante.  Bellar- 
min,  De  gratia  et  libero  arbiirio,  1.  I,  c.  xn,  n.  29,  p.  244, 
n'admet  pas  cette  assertion;  pour  lui,  la  grâce  coopé- 
rante est  efficace  ab  intrinseco;  mais  non  pas  au  sens 
où  l'explique  l'école  banésienne,  c'est-à-dire  en  admet- 
tant la  prédétermination  physique;  Bellarmin  réfute 
cette  opinion.  Loc.  cit.,  n.  8  sq.  ;  cf.  Le  Bachelet,  Aucta- 
rium  Bellarminianum,  p.  101  sq.  Notons  encore  que 
Bellarmin,  De  gratia  et  libero  arbitrio,  c.  xiv,  n.  8, 
p.  249,  n'admet  pas  que  la  grâce  opérante  concerne 
uniquement  l'acte  indélibéré,  mais  elle  a  pour  effet  le 
premier  acte  délibéré  de  la  conversion;  tandis  que  la 
grâce  coopérante  a  pour  effet  les  actes  subséquents. 
C'est  pourquoi  Bellarmin  donne  cette  distinction 
comme  une  subdivision  de  la  grâce  efficace.  Mais  cette 
opinion  est  connexe  avec  la  grande  question  de  l'effi- 
cacité de  la  grâce  actuelle  que  nous  exposerons  plus 
loin. 

4°  Grâce  suffisante  et  efficace. —  Sur  le  sens  qu'avaient 
ces  mots  avant  les  controverses  du  xvie  siècle,  voir 
Schneeman,     Weiterc    Entwiclaiung    des    thomistisch- 


molinischcn  Controverse,  Fribourg-en-Bri=gau,  1880, 
p.  124  sq.  Actuellement  ces  termes  indiquent  une 
division  adéquate  de  la  grâce  actuelle.  Certains  théo- 
logiens en  donnent  une  explication  qui  suppose  le 
système  auquel  ils  adhèrent  et  proposent  par  consé- 
quent une  définition  réelle.  Pour  le  moment  nous  ne 
donnons  qu'une  définition  purement  nominale  :  la 
grâce  est  efficace  quand  elle  est  infailliblement  connexe 
avec  l'acte  salutaire  délibéré;  elle  est  seulement  suffi- 

I  ante  quand  elle  procure  à  l'homme  le  pouvoir  d'agir 
salutairement,  mais  n'obtient  pas  ce  résultat.  En  disant 
de  la  grâce  efficace  qu'elle  est  infailliblement  connexe 
avec  l'acte  volontaire  délibéré,  nous  faisons  abstrac- 
tion de  la  manière  dont  se  réalise  cette  infaillibilité; 
nous  faisons  abstraction  de  la  question  de  savoir  si  la 
raison  de  cette  infaillible  connexion  se  trouve  dans  la 
grâce  elle-même  ou  seulement  en  Dieu,  c'est-à-dire 
dans  sa  science  infaillible. 

L'existence  de  la  grâce  seulement  suffisante  et  celle  de 
la  i^ràce  efficace  est  un  point  de  doctrine  admis  par  tous 
les  catholiques  et  contenu  dans  le  dépôt  de  larévélation. 

1.  Écriture  sainte.  —  En  effet,  elle  nous  révèle  que 
la  grâce  est  nécessaire  pour  tout  acte  salutaire,  qu'avant 
la  justification  il  n'est  donné  que  des  grâces  actuelles, 
qu'après  sa  justification  l'homme  a  encore  besoin  de 
grâces  actuelles  pour  persévérer.  D'autre  part,  Dieu 
donne  à  ceux  qu'il  appelle  les  grâces  réellement  et 
pleinement  suffisantes  pour  qu'ils  puissent  suivre  cet 
appel;  il  donne  aux  justes  toutes  les  grâces  véritable- 
ment suffisantes  pour  qu'ils  puissent  persévérer  dans 
leur  état  et  éviter  le  péché  mortel.  Cependant  il  est 
des  hommes  qui,  de  fait,  refusent  de  faire  ce  à  quoi 
Dieu  les  pousse,  qui  résistent  à  la  grâce;  d'autres,  au 
contraire,  consentent  aux  impulsions  divines  et  les 
suivent.  Il  y  a  donc  des  grâces  simplement  suffisantes, 
et  il  y  a  des  grâces  efficaces.  L'existence  des  premières 
est  affirmée  dans  la  plainte  du  Christ  :  «  Jérusalem, 
Jérusalem...,  que  de  fois  j'ai  voulu  rassembler  tes 
enfants,  comme  une  poule  rassemble  ses  poussins  sous 
ses  ailes,  et  vous  ne  l'avez  pas  voulu.  »  Matth.,  xxin,  37. 

II  y  a  donc  des  juifs  qui  ont  reçu  des  grâces  suffisantes 
à  la  foi,  mais  qui  librement  et  coupablement  y  ont 
résisté.  Saint  Paul  dit  aux  juifs  :  «  Ou  méprises-tu  les 
richesses  de  sa  bonté,  de  sa  patience  et  de  sa  longani- 
mité ?  et  ne  sais-tu  pas  que  la  bonté  de  Dieu  t'invite  à 
la  pénitence  ?  Par  ton  endurcissement  et  l'impéni- 
tence  de  ton  cœur,  tu  t'amasses  un  trésor  de  colère 
pour  le  jour  de  la  colère  et  de  la  manifestation  du  juge- 
ment de  Dieu,  qui  rendra  à  chacun  selon  ses  œuvres.  » 
Rom.,  n,  4-5.  Saint  Etienne  s'écrie  :  «  Hommes  à  la 
tête  dure,  vous  résistez  toujours  au  Saint-Esprit.  » 
Act.,  vu,  51. 

2.  Les  Pares.  —  Saint  Irénée,  en  interprétant 
Matth.,  xxm,  37,  enseigne  que  ceux  qui  ont  opéré  le 
bien  (il  s'agit  du  bien  salutaire)  en  seront  récompensés 
parce  qu'ils  ont  opéré  le  bien  alors  qu'ils  auraient  pu  ne 
pas  l'opérer;  et  ceux  qui  n'auront  pas  opéré  le  bien 
seront  punis,  parce  qu'ils  n'ont  pas  opéré  le  bien  alors 
qu'ils  auraient  pu  le  faire.  Cont.  hier.,  1.  IV,  c.  xxxvn, 
n.  1,  P.  (!.,  t.  vu,  col.  1099.  Saint  Irénée  décrit  ici 
la  liberté  (libertas  clectionis)  vis-à-vis  de  la  grâce  cjue 
Dieu  concède  à  tous  :  les  uns  y  coopèrent  librement  et 
font  ce  bien  dont  la  grâce  les  a  rendus  capables;  les 
autres  librement  ne  coopèrent  pas  et  ne  font  pas  ce 
dont  la  grâce  les  a  rendus  capables;  il  y  a  donc  une 
grâce  suffisante  et  inefficace  et  une  grâce  efficace.  Cette 
efficacité  dépend,  au  moins  partiellement,  de  l'exer- 
cice du  libre  arbitre.  Une  doctrine  semblable  est  exposée 
par  saint  Jean  Chrysostome,  Homil.,  vin,  n.  1,  P.  C.. 
t.  liv,  col.  65.  Pour  la  doctrine  des  autres  Pères, 
cf.  Habert,  Theologia  Patrum  grœcorum,  1.  II,  c.  vi  sq.  ; 
Tournély,  De  gratia  Chrisli,  Paris,  1724,  t.  n,  q.  vu, 
a.  2,  p."  369  sq. 


1657 


GRACE 


1658 


La  doctrine  de  saint  Augustin  doit  spécialement 
attirer  l'attention.  Il  ne  s'est  pas  appliqué  à  démon- 
trer ex  professo  l'existence  de  ce  que  nous  appelons 
grâce  suffisante;  il  est,  au  contraire,  plus  préoccupé 
de  l'efficacité  de  la  «race  :  ce  qui  s'explique  par 
le  fait  que  sa  mission  était  de  défendre  la  nécessité 
de  la  grâce.  Néanmoins  Augustin  montre  clairement 
qu'il  admet  une  grâce  suffisante,  c'est-à-dire  une  grâce 
donnée  par  Dieu  pour  que  l'homme  puisse  agir  salu- 
tairement  et  cependant  frustrée  de  cet  effet  parce  que 
l'homme  résiste  à  ce  secours  divin.  a)  Quant  au  pre- 
mier point,  c'est-à-dire  que  la  grâce  est  un  secours 
donné  pour  que  l'homme  puisse  agir  salutairement, 
notons  les  textes  suivants  :  Sanat  Drus  non  solum  ut 
deleat  quod  peccavimus,  sed  ut  prsestet  etiam  ne  peecemus. 
De  naturel  et  gratia,  c.  xxvi,  n.  29,  P.  L.,  t.  xliv, 
col.  261.  Le  secours  dont  parle  saint  Augustin  est  la 
grâce  du  Christ  et  celle-ci,  notamment  quand  il  s'agit 
d'éviter  le  péché,  comprend  des  grâces  actuelles.  Ce 
secours  dont  il  est  ici  question  est  encore  requis  pour 
persévérer  dans  la  justice,  pour  vivre  dans  la  rectitude 
morale  :  ce  secours  est  de  fait  accordé  aux  justes,  parce 
que  Dieu  ne  les  abandonne  pas  lorsqu'eux-mêmes 
n'abandonnent  pas  Dieu  :  non  deserit,  si  non  deseratur. 
Loc.  cit.  Ce  secours  divin  ne  détruit  pas  le  libre  arbitre, 
mais  il  n'est  utile  qu'à  celui  qui  veut,  qui  veut  humble- 
ment, et  qui  ne  s'enorgueillit  pas,  comme  si  les  énergies 
de  sa  seule  volonté  suffisaient  à  pratiquer  la  justice. 
Op.  cit.,  c.  xxxn,  n.  36,  col.  265.  La  nature  humaine  est 
blessée;  elle  est,  par  suite  de  la  concupiscence,  dans  un 
état  où  elle  ne  peut  éviter  tout  péché;  pour  la  délivrer 
de  cet  esclavage,  il  faut  la  charité  qui  est  infuse  dans 
nos  âmes  par  le  Saint-Esprit,  op.  cit.,  c.  liii-lin, 
col.  276-281;  par  cette  charité  l'homme  est  délivré  de 
la  nécessité  morale  de  pécher.  Op.  cit.,  c.  lxvi,  n.  7'.». 
col.  280.  Par  conséquent  au  degré  de  charité  corres- 
pond le  degré  de  justice  :  charitas  ergo  inehoata,  inchoata 
justitia  est;  charitas  provecla,  provecla  juslitia  est; 
charitas  magna,  magna  justitia  est  ;  charitas  perfecla, 
pcrjccii  justitia  est.  Cette  charité  n'est  pas  le  résultat 
de  notre  nature,  ni  de  nos  œuvres,  mais  elle  est  l'effet 
du  Saint-Esprit,  qui  par  là  porte  remède  à  notre  infir- 
mité et  coopère  à  notre  guérison  :  c'est  en  cela  que 
consiste  la  grâce  de  Dieu  par  Jésus-Christ.  Op.  cit., 
c.  i.xx.  n.  84,  col.  290.  Cf.  De  gratia  Chrisli,  1.  I,  c.  xxxv. 
n.  38,  P.  L..  t.  xliv,  col.  378.  Saint  Augustin  décrit 
ici  la  grâce  divine  considérée  en  général,  en  tant  qu'elle 
est  secours  ajouté  à  la  nature.  «  Il  ramène  toutes  les 
affections  humaines  à  l'amour  de  Dieu...,  mais  il 
n'entend  pas  alors  par  charité  la  vertu  théologale  de 
ce  nom,  ni  même  l'amour  de  Dieu  en  général;  il  étend 
le  sens  du  mot  charité  à  tout  amour  honnête,  à  tout 
acte  de  vertu,  à  toute  bonne  volonté  conforme  à 
l'ordre  éternel.  »  Le  Bachelet,  Baius,  t.  n,  col.  91.  La 
grâce  ainsi  entendue  est  opposée  à  la  concupiscence  : 
celle-ci  est  la  force  qui  incline  l'homme  au  mal  et 
l'entraîne;  la  charité  est  la  force  opposée  par  laquelle 
l'homme  peut  éviter  le  péché,  mais  il  ne  l'évite  que 
librement.  Cf.  aussi  De  gratia  Christi,  c.  xlvii,  n.  52, 
col.  383;  Contra  duas  epistolas  pclagianorum,  1.  IV, 
c.  vi,  n.  12,  col.  617  sq.  ;  De  gratia  et  libero  arbilrio,  c.  iv, 
n.  6  sq.,  col.  885  sq. 

b)  Saint  Augustin  enseigne  donc  que  la  grâce  est  le 
secours  suffisant  pour  que  l'homme  puisse  éviter  le 
péché  et  augmenter  en  lui  la  justice;  mais  la  grâce 
n'obtient  son  effet  que  par  la  libre  coopération  de 
l'homme,  et  quand  celle-ci  fait  défaut,  la  grâce 
n'obtient  pas  l'effet  auquel  elle  est  ordonnée. Ce  point  de 
doctrine  a  été  clairement  enseigné  par  saint  Augustin 
après  que,  par  la  grâce  divine,  il  avait  bien  compris 
que  la  grâce  est  distribuée  à  titre  gratuit  et  qu'elle  est 
nécessaire  également  au  commencement  de  la  foi. 
Cf.   De  prsedestinatione  sanctorum,  c.  iv,  n.  8,  P.  L., 


t.  xliv,  col.  965;  De  dono  perseverantise,  c.  xx,  n.  52, 
/'.  /..,  t.  xlv,  col.  1026.  C'est  en  écrivant  sa  disserta- 
lion  a  Simplicien  que  cette  lumière  lui  est  venue. 
Dans  cet  écrit  le  saint  docteur  parle  notamment  de  la 
vocation  :  il  y  a  une  vocation  efficace,  qui  obtient 
infailliblement  son  effet,  parce  qu'elle  est  si  bien 
adaptée  aux  dispositions  du  sujet  qu'elle  obtient  de 
fait  le  consentement;  une  autre  vocation  n'est  pas 
ainsi  adaptée  aux  dispositions  du  sujet  et  n'obtient 
pas  le  consentement.  Cf.  Augustin,  t.  i,  col.  2390. 
La  même  idée  est  exprimée  dans  la  lettre  ccxvn 
écrite  vers  427  :  saint  Augustin  y  réfute  celui  qui 
lient  que  le  commencement  de  la  foi  n'est  pas  dû  à  la 
grâce,  mais  au  libre  arbitre,  c'est-à-dire  au  consente- 
ment naturel  que  l'homme  donne  après  qu'il  a  entendu 
proposer  la  doctrine  et  la  loi  divine.  Saint  Augustin 
enseigne  la  nécessité  de  l'influence  divine  interne,  qui 
prévient  l'homme,  prépare  sa  volonté  et  fait  que 
i  homme  consente;  cet  effet  s'obtient  parce  que  cette 
grâce  interne  est  apte,  accommodée  au  consentement 
qu'elle  doit  obtenir;  l'effet  ne  serait  pas  obtenu  si  Dcus 
non  vocalione  illa  atta  alque  sécréta  sic  agerrt  sensum  ut 
(  idem  accommodarct  assensum.  P.  L.,  t.  xxxm,  col.  980. 
Saint  Augustin  enseigne  donc  que  l'efficacité  de  la 
grâce  consiste  à  obtenir  le  consentement  de  l'homme. 
Pour  l'objet  qui  nous  occupe  maintenant,  le  texte  du 
De  spiritu  et  litlera,  c.  xxxm,  xxxiv,  P.  L..  t.  xliv, 
col.  257  sq.,  est  de  la  plus  haute  importance.  Saint 
Augustin  y  pose  la  question  :  «  L'acte  de  volonté  par 
lequel  nous  croyons  est-il  un  don  de  Dieu,  ou  bien 
procède-t-il  naturellement  du  libre  arbitre  ?  Il  répond 
d'abord  que  le  libre  arbitre  reste,  que  par  lui  l'homme 
peut  croire  et  aussi  ne  pas  croire,  employer  bien  ou 
mal  sa  liberté.  Néanmoins  l'acte  par  lequel  nous 
croyons  doit  être  attribué  à  Dieu;  non  en  ce  sens  qu'il 
sort  du  libre  arbitre  reçu  par  Dieu  dans  la  création, 
mais  bien  en  ce  sens  que  cet  acte  est  l'effet  de  l'in- 
fluence divine  sur  notre  âme;  c'est  cette  influence  cpii 
produit  l'acte  de  croire;  cependant  il  reste  toujours 
vrai  que  le  consentement  (à  la  grâce  prévenante)  ou 
le  dissentiment  appartient  à  la  volonté  de  chacun  : 
profeclo  cl  ipsum  vellc  crederc  Deus  operatur  in  liominc 
et  in  omnibus  miscrieordia  cjus  prœvcnil  nos;  consentire 
autem  vocalioni  Dei.  pet  ab  ea  dissenlire,  sicut  dixi, 
propriœ  voluntatis  est.  P.  L.,  t.  xliv.  col.  240  sq.  Saint 
Augustin  explique  ensuite  comment  cette  assertion 
n'est  pas  en  opposition  avec  le  principe  qui,  pour  lui, 
est  fondamental  dans  I;;  doctrine  de  la  grâce  :  Quîd 
habes  quod  non  accepisli  ?  Les  dons  qui  sont  désignés 
ici,  l'âme  ne  peut  ni  les  recevoir,  ni  les  avoir  qu'en 
consentant  :  elle  consent  aux  dons  divins;  c'est  pourquoi 
ce  qu'elle  a  et  ce  qu'elle  reçoit  est  de  Dieu,  mais  rece- 
voir et  avoir  est  le  fait  de  sa  propre  volonté.  Si  l'on 
demande  pourquoi,  parmi  les  hommes,  l'un  est  tra- 
vaillé parla  grâce,  de  façon  à  arriver  à  la  persuasion 
et  à  l'acte  de  foi,  et  pourquoi  l'autre  ne  l'est  pas  ainsi, 
il  ne  reste  qu'à  répondre  :  O  allitudo  divitiarum. 
Rom.,  xi,  33.  Loc.  cit.  Saint  Augustin  enseigne  donc 
ici  que,  sous  l'influence  actuelle  de  la  grâce,  l'homme 
peut  y  donner  ou  refuser  son  consentement  :  il  peut 
consentir;  la  grâce  est  donc  suffisante  à  obtenir  cet 
effet;  il  peut  refuser  ce  consentement,  la  grâce  est 
alors  inefficace.  Nous  avons  ici  la  notion  de  la  grâce 
véritablement,  mais  exclusivement  suffisante,  non 
efficace.  Nous  parlerons  plus  loin  de  la  pensée  de  saint 
Augustin  sur  la  nature  de  l'efficacité  de  la  grâce. 

Beaucoup  d'auteurs  croient  trouver  la  notion  de  la 
grâce  suffisante  et  inefficace  dans  le  livre  De  corre- 
ptionc  et  gratia,  c.  x  sq.,  P.  L.,  t.  xliv,  col.  931  sq., 
où  saint  Augustin  distingue  le  secours  sans  lequel 
l'homme  ne  peut  pas  persévérer,  adjuiorium  sine  quo 
non,  et  le  secours  par  lequel  l'homme  persévère  en 
réalité,    adjutovium    quo.    Ces    auteurs    identifient    la 


1659 


GRACE 


1660 


grâce  suffisante  avec  Vadjutorium  sine  quo  non,  et  la 
grâce  efficace  avec  Vadjutorium  quo.  Cela  n'est  pas 
exact.  D'abord,  pour  saint  Augustin,  Vadjutorium  sine 
quo  non  est  l'ensemble  des  dons  concédés  à  Adam 
avant  son  péché,  c'est  l'ensemble  des  dons  par  les- 
quels Adam  pouvait  persévérer  dans  l'état  d'intégrité 
dans  lequel  il  avait  été  créé.  Cet  ensemble  de  dons 
comporte-t-il  des  grâces  internes  actuelles  excitantes  ? 
On  ne  peut  l'affirmer  avec  certitude,  comme  nous 
L'exposerons  plus  loin.  En  supposant  qu'on  l'admette, 
on  ne  pourrait  pas  en  conclure  que  saint  Augustin 
enseigne  qu'il  existe  maintenant,  dans  l'état  de  nature 
déchue,  des  grâces  purement  suffisantes.  Car  le  secours 
qu'il  oppose  au  premier  est  l'ensemble  des  dons  qui 
réalisent  de  fait  la  persévérance  finale  chez  les  pré- 
destinés, dans  l'état  actuel  de  la  nature  déchue  :  c'est 
pourquoi  il  appelle  cet  adjulorium  quo  une  gratta 
potenlior  parce  qu'elle  a  pour  effet  de  faire  surmonter 
de  grandes  difficultés  qui  n'existaient  pas  pour  Adam. 
L'adjulorium  quo  est  donc  l'ensemble  de  dons  qui  est 
efficace  en  ce  sens  qu'elle  réalise  la  persévérance  finale; 
Vadjutorium  sine  quo  est  un  ensemble  de  dons  qui  eût 
été  suffisant  pour  obtenir  la  persévérance  d'Adam  dans 
l'état  d'intégrité;  mais  il  n'est  pas  question  ici  de  la 
grâce  actuelle  excitante,  accordée  après  la  chute 
d'Adam,  et  qui  peut  être  ou  bien  seulement  suflisante 
ou  bien  efficace.  Cf.  Palmieri,  De  gratia  acluali,  thés. 
xlvi,  n.  8,  p.  409  sq. 

3.  Les  conciles  et  actes  officiels  de  l'Église.  —  Le 
IIe  concile  d'Orange  déclare  :  «  Conformément  à  la 
foi  catholique,  nous  croyons  que  tous  les  baptisés, 
après  avoir  reçu  la  grâce  au  baptême,  peuvent  par  le 
secours  et  la  coopération  du  Christ,  s  ils  veulent  fidè- 
lement travailler,  remplir  tout  ce  qui  est  requis  au 
salut.  »  Denzinger-Bannwart,  n.  200.  Tous  les  baptisés 
ont  donc  le  secours  surnaturel  suffisant,  et  par  consé- 
quent les  grâces  actuelles  nécessaires  pour  satisfaire 
à  toutes  leurs  obligations;  comme  en  réalité  tous 
n'évitent  pas  le  péché,  il  y  a  donc  des  grâces  actuelles 
vraiment  mais  exclusivement  suffisantes. 

La  même  doctrine  est  exprimée  au  concile  de 
Trente.  Denzinger-Bannwart,  n.  804.  De  plus,  ce 
concile  a  employé  à  peu  près  les  mêmes  termes  dont 
s'est  servi  saint  Augustin,  dans  son  livre  De  spiritu  et 
litlera,  c.  xxxiv,  pour  exprimer  la  liberté  de  l'homme 
sous  l'influence  de  la  grâce  excitante,  et  le  pouvoir 
qu'il  a  d'opposer  son  dissentiment  â  l'impulsion  divine  : 
le  concile  ne  dit  pas  explicitement  que  cette  motion  est 
vraiment  suffisante  à  obtenir  le  consentement,  mais 
cette  motion  est  implicite  dans  ce  qu'il  dit;  sans  la 
grâce  l'homme  ne  peut  pas  se  préparer  à  la  justifi- 
cation; sous  l'influence  de  la  grâce  l'homme  peut  y 
refuser  son  assentiment  (illam  ab/icerc  polcst);  il  doil 
y  consentir  pour  qu'il  se  convertisse.  11  s'agit  ici  de 
grâces  internes  actuelles  excitantes,  données  avant  la 
justification.  Denzinger-Bannwart,  n.  797,  814. 

Luther  et  Calvin,  ainsi  que  Baius,  niaient  l'existence 
de  la  liberté,  et  dès  lors,  au  moins  implicitement,  la 
grâce  vraiment  et  seulement  suflisante.  Voir  Baius, 
t.  ii,  col.  81  sq.  ;  Calvinisme,  t.  n,  col.  1401  sq.  Les 
calvinistes,  appelés  postlapsaires,  au  synode  de  Dor- 
drecht  (1618-1619),  rejetèrent  explicitement  la  distinc- 
tion de  la  grâce  en  suffisante  et  efficace,  et  n'admi- 
rent que  la  grâce  efficace.  Cf.  Guillermin,  Revue  thomiste, 
1901,  t.  ix,  p.  509  sq. 

Mais  c'est  surtout  Jansénius  et  ses  disciples  qui  ont 
nié  la  distinction  susdite,  et  ont  soutenu  que,  dans 
l'état  actuel  de  la  nature  déchue,  il  n'y  avait  pas  de 
grâce  suffisante  qui  ne  fût  en  même  temps  efficace,  et 
que,  lorsque  l'homme  n'opérait  pas  le  bienetn'accom 
plissait  pas  les  préceptes,  c'était  parce  que  la  grâce  qui 
les  eût  rendus  possibles  lui  avait  manqué.  Jansénius, 
Augustinus, t.  ni.  D&gralia  Chrisli,  I.  III,  c.  i.  Louvain, 


1640,  col.  249  sq.  Innocent  X  en  1653  condamna  cinq 
propositions  de  Baius,  parmi  lesquelles  il  déclarait  héré- 
tique celle-ci  :  «  Dans  l'état  de  la  nature  déchue  on  ne 
résiste  jamais  à  la  grâce  intérieure.  «  Denzinger-Bann- 
wart, n.  1093.  Les  jansénistes  continuèrent  à  défendre 
la  même  doctrine,  au  moins  quant  à  sa  substance; 
ils  furent  condamnés  à  différentes  reprises.  Alexan- 
dre VI IL  en  1690,  condamna  cette  assertion  :  «  La 
grâce  suffisante,  dans  l'état  où  nous  sommes,  est  plus 
pernicieuse  qu'utile,  de  façon  â  ce  qu'on  puisse  légiti- 
mement faire  cette  prière  :  De  la  grâce  suffisante 
délivrez-nous,  Seigneur.  »  Denzinger-Bannwart,  n.  1296. 
Voir  t.  i,  col.  754.  En  1713,  Clément  IX  condamna  les 
erreurs  de  Quesnel,  et  notamment  celle-ci  :  «  Quand 
Dieu  veut  sauver  une  âme  et  qu'il  la  touche  de  sa 
grâce  intérieure,  aucune  volonté  humaine  ne  lui  résiste.» 
Op.  cit.,  n.  1363.  La  même  erreur,  renouvelée  au  synode 
de  Pistoie,  fut  condamnée  en  1794  par  Pie  VI.  Op.  cit., 
n.  1521. 

4.  Après  les  discussions  que  nous  venons  d'indiquer, 
les  théologiens  ont  clairement  défini  la  notion  de  la 
grâce  véritablement  et  seulement  suffisante.  Voici  en 
quels  termes  l'expose  Tournély,  De  gratia  Chrisli,  t.  n, 
q.  vu,  p.  309  :  Nomine  gratiœ  sufficienlis  eam  Ecclesia 
intelligit  quie  expedilam  cl  relalivam  ad  présentes  sub- 
jccli  circumstanlias  conferl  voluntati  ad  opus  bonum 
polenliam,  ac  vires  pares  et  xquales  superandœ  opposila' 
concupiscenliœ;  nec  aliter  etiam  intelligit  gratiœ  inte- 
riori  rcsisti,  quam  quod  co  privalur  e/fcclu,  quem  relative 
ad  oppositam  actualem  coneupiscenliam  ex  ordinalione 
et  voluntale  Dei  hic  et  nunc  habere  potesl.  Certains  théo- 
logiens, pour  démontrer  l'existence  de  cette  grâce, 
emploient  l'argument  suivant  :  Dieu  veut  le  salut  de 
tous  les  hommes;  or  sans  la  grâce  suffisante,  l'homme 
ne  peut  pas  se  sauver;  donc  Dieu  donne  à  tous  les 
hommes  les  grâces  suffisantes  au  salut;  mais  il  y  a  des 
hommes  qui  ne  se  sauvent  pas;  donc  il  existe  des 
grâces  vraiment  et  seulement  suffisantes.  Cette  argu- 
mentation n'est  pas  concluante;  la  première  conclusion 
ne  découle  pas  strictement  des  prémisses.  Nous  admet- 
tons cjue  Dieu  veut,  de  volonté  conditionnée  (non 
absolue),  le  salut  de  tous  les  hommes,  et  que  par  consé- 
quent il  donne  à  l'homme  le  secours  suffisant,  c'est-à- 
dire  au  moins  le  secours  remote  sufficiens  au  salut.  Mais 
il  n'est  pas  démontré  que  ce  secours  remole  sufficiens 
est  nécessairement  la  grâce  actuelle  proprement  dite, 
c'est-à-dire  l'illumination  surnaturelle  de  l'intelligence 
et  l'inspiration  surnaturelle  de  la  volonté.  Dès  lors  il 
n'est  pas  démontré  par  là  que  tous  les  hommes  reçoi- 
vent, de  fait,  des  grâces  proprement  dites  et  qu'il  y  en 
a  qui  ne  sont  que  suffisantes.  En  effet,  d'après  ce  que 
nous  avons  exposé  en  parlant  de  la  distribution  de  la 
grâce,  il  ne  répugne  pas  qu'un  homme  adulte  puisse 
mourir  sans  avoir  reçu  des  grâces  proprement  dites, 
car  les  théologiens  admettent  que  l'homme  peut,  pen- 
dant un  certain  temps,  observer  la  loi  naturelle,  sans 
la  grâce;  il  a  donc  alors  le  secours  suffisant,  l'énergie 
naturelle  pour  éviter  tout  péché  mortel.  Mais  si  pen- 
dant ce  laps  de  temps  il  commet  le  péché  mortel  et 
le  multiplie,  il  met  obstacle  à  l'effusion  des  grâces  de 
Dieu  sur  lui  :  peut-on  affirmer  que  Dieu  lui  donnera 
encore  des  grâces  actuelles  proprement  dites  ? 

5.  La  notion  de  la  grâce  suflisante  que  nous  avons 
exposée  soulève  une  difficulté  :  Comment  la  grâce  suffi- 
sante, mais  inefficace,  peut-elle  être  un  bienfait  de 
Dieu  ? 

Quand  on  considère  cette  grâce  en  elle-même,  elle 
est  un  don  de  Dieu,  un  secours  gratuit,  conférant  à 
l'homme  le  pouvoir  d'agir  salutairement.  Cette  notion 
essentielle  ne  change  pas  par  le  fait  cjue  cette  grâce 
n'obtient  pas  son  effet,  car  ceci  dépend  de  la  liberté 
humaine;  l'homme  pourrait  consentir,  mais  il  choisit 
le  dissentiment,  c'est  lui  qui  n'use  pas  comme  il  faut 


1661 


GRACE 


1662 


du  bien  qui  lui  est  oclroyé  par  Dieu;  mais  l'excitation 
surnaturelle  à  l'acte  surnaturel  est  et  reste  un  réel 
secours  concédé  par  Dieu. 

Cependant,  dira-t-on,  Dieu  prévoit  que  l'homme  ne 
consentira  pas  à  cette  grâce;  il  prévoit  qu'en  maintes 
circonstances  l'octroi  de  la  grâce  seulement  suffisants 
devient  une  occasion  de  péché  et  de  damnation  éter- 
nelle. Par  conséquent,  au  moins  dans  ces  cas,  la  grâce 
seulement  suffisante  n'est  pas  un  bienfait  de  Dieu.  A 
cela  on  répond  que  l'octroi  des  grâces  suffisantes  est  et 
reste  toujours  l'effet  de  la  volonté  salvitique  de 
Dieu,  de  cette  volonté  par  laquelle  Dieu  veut  sincère- 
ment, bien  que  conditionnellement,  le  salut  de  tous  les 
hommes  et  l'octroi  des  moyens  nécessaires  à  leur  salut; 
chaque  fois  que  Dieu  accorde  une  grâce  suffisante,  il 
le  fait  afin  que,  par  elle,  l'homme  puisse  agir  salutaire- 
ment  et  il  donne  ce  pouvoir  parce  qu'il  veut  le  salut  de 
cet  homme.  La  prévision  de  l'absence  d'effet  de  cette 
grâce  (absence  qui  est  duc  à  la  libre  résistance  de 
l'homme)  ne  change  pas  la  disposition  bienveillante 
d'où  procède  la  concession  de  la  grâce,  et  ne  lui  enlève 
pas  sa  raison  de  bienfait.  Si  l'on  dit  :  cependant  il 
vaudrait  mieux  pour  l'homme  n'avoir  pas  reçu  la 
grâce  suffisante;  cela  est  vrai,  mais  ce  mal  dépend, 
non  de  la  grâce  suffisante  comme  telle,  mais  du  libre 
refus  d'y  coopérer  de  la  part  de  l'homme.  On  peut  dire 
aussi  que,  pour  l'homme  damné,  il  vaudrait  mieux 
n'avoir  jamais  vécu,  cf.  Matth.,  xxvi,  24;  cependant 
la  vie  est  toujours  un  bienfait  de  Dieu.  Cf.  Mazzella, 
De  gralia  Christi,  n.  525  sq.  L'explication  de  la  conci- 
liation de  la  volonté  salvitique  de  Dieu  avec  la  pré- 
destination et  la  réprobation  doit  être  donnée  ailleurs. 

6.  Ce  que  nous  avons  exposé  jusqu'ici,  en  prenant 
comme  point  de  départ  la  définition  nominale  de  la 
grâce  suffisante  et  efficace,  fait  partie  de  la  doctrine 
catholique  elle-même.  La  controverse  entre  les  théo- 
logiens catholiques  concerne  la  réalité  de  la  grâce, 
l'entité  dans  laquelle  se  vérifie  la  notion  expliquée 
jusqu'ici.  Ainsi  les  auteurs  de  l'école  bafiésienne  défen- 
dent l'existence  d'une  grâce  véritablement  suffisante 
quoique  inefficace,  et  la  disent  réalisée  dans  les  motions 
divines  internes  qui  se  terminent  aux  actes  indélibérés  ; 
c'est  ainsi  que  l'homme  a  le  pouvoir  d'agir  salutairc- 
ment;  c'est  la  grâce  suffisante;  mais  pour  que  l'homme 
produise  de  fait  l'acte  libre  du  consentement,  il  faut 
une  nouvelle  grâce  actuelle,  qui  prédétermine  physi- 
quement l'acte  délibéré;  cette  seconde  motion  est  la 
grâce  efficace.  Cf.  Billuart,  De  gralia,  diss.  V,  a.  2, 
p.  130.  De  ce  que  nous  venons  de  dire  il  résulte  que, 
pour  toutes  les  écoles  catholiques,  la  grâce  actuelle 
excitante  exerce  toujours  une  causalité  objective  ou 
intentionnelle  ;  en  effet,  les  illustrations  intellectuelles, 
qui  sont  produites  physiquement  par  Dieu  dans  l'in- 
telligence, exercent  une  influence  en  tant  qu'elles  pré- 
sentent dans  la  connaissance  le  bien  ou  le  mal  et 
qu'elles  sont  connaturellement  accompagnées  de  l'af- 
fection correspondante  dans  la  volonté,  amour  ou 
aversion;  c'est  ainsi  que  ces  actes  intellectuels  meuvent 
objectivement  ou  intentionnellement  la  volonté.  Cf.  S. 
Thomas,  Sam.  theol.,  P  II1",  q.  ix,  a.  1;  Billuart, 
op.  cit.,  diss.  V,  a.  5,  p.  141.  L'all'cction  elle-même, 
produite  aussi  par  Dieu,  et  constituant  un  acte  indé- 
libéré, ne  détermine  pas  physiquement  le  consente- 
ment; elle  le  rend  possible  et  y  incline;  mais  cette 
inclination  vis-à-vis  de  la  détermination  de  l'acte 
libre,  est  formellement  une  influence,  qui  appartient  à 
la  motion  objective.  Cette  assertion  est  commune  à 
l'école  moliniste,  à  l'école  bafiésienne  et  à  l'école  augus- 
tinienne,  au  moins  à  celle  qui  professe  l'augustia- 
nisme  modéré.  Ce  que  nous  venons  de  dire  au  sujet  de 
la  motion  objective  ne  tranche  pas  une  autre  question, 
celle-ci  :  la  grâce  prévenante  exerce-t-elle  sur  l'acte  du 
consentement  une  influence  d'ordre  purement  objectif 


ou  moral,  comme  est  l'influence  de  persuasion  qu'on 
exerce  sur  la  volonté  d'un  homme  par  les  conseils,  les 
exhortations,  ou  bien  exerce-t-elle  aussi  une  influence 
physique.  Les  auteurs,  même  dans  l'école  moliniste,  ne 
semblent  pas  d'accord  pour  répondre  à  cette  question. 
Voir  sur  ce  point  quelques  indications  dans  Schifiini, 
De  gralia  divina,  n.  154;  une  note  du  P.  Guillermin, 
dans  la  Revue  thomiste,  1902,  t.  x,  p.  68.  On  peut 
admettre  que  la  grâce  excitante  exerce  une  influence 
physique  sur  le  libre  arbitre  sans  en  conclure  que  cette 
influence  entraîne,  par  son  efficacité  intrinsèque,  le 
consentement,  l'acte  bon  délibéré. 

IV.  Efficacité.  —  r.  AVANT  i  \  CONTROVERSE  m 
\  vi>  siècle.  —  Les  théologiens  ne  semblent  pas  avoir 
fait,  avant  cette  époque,  de  l'efficacité  de  la  grâce 
actuelle  un  objet  spécial  de  leurs  recherches.  Nous 
indiquerons  brièvement  ce  que  l'on  peut  trouver  sur 
ce  sujet  dans  saint  Augustin  et  dans  saint  Thomas. 

1°  D'après  saint  Augustin.  —  Dans  l'exposé  doc- 
trinal concernant  la  grâce,  on  peut,  distinguer  chez 
saint  Augustin  trois  périodes  :  d'abord  celle  qui  va 
jusqu'à  l'année  396,  pendant  laquelle  il  s'était  repré- 
senté la  grâce  comme  un  salaire  que  l'homme  doit 
mériter  par  sa  foi,  comme  une  récompense  que  Dieu 
octroie  à  ceux  qui  s'en  sont  rendus  dignes;  ensuite  vers 
la  fin  de  l'année  396  ou  au  plus  tard  au  cours  de  l'an- 
née 397,  par  la  méditation  des  paroles  :  Quis  enim  te 
disccrnil  ?  I  Cor.,  iv,  7,  il  reconnaît  qu'il  a  fait  fausse 
route,  et  il  comprend  que  ce  n'est  pas  par  la  foi  que 
l'homme  mérite  la  miséricorde  divine,  mais  que  c'est 
la  miséricorde  divine  qui  donne  la  foi,  en  d'autres 
termes,  que  tout  acte  salutaire,  tout  commencement 
du  salut,  dépend  de  la  grâce  divine,  d'un  don  accordé 
gratuitement  par  Dieu;  enfin  la  troisième  période 
commence  en  416-417  avec  le  commentaire  d'Augus- 
tin sur  l'Évangile  de  saint  Jean  ;  il  y  expose  la  gra- 
tuité absolue  de  la  grâce,  en  connexion  avec  la  prédes- 
tination; celle-ci  est  absolument  certaine  en  Dieu  et 
indépendante  de  la  présence  des  œuvres  faites  par  les 
hommes  en  dehors  de  la  grâce;  d'où  il  résulte  que  le 
salut  de  tout  homme  est  un  effet  entièrement  pro- 
duit par  la  grâce  divine,  et  celle-ci  le  réalise  indecli- 
nabiliter  cl  insuperabiliter.  De  correplionc  cl  gralia, 
c.  xii,  n.  38;  cf.  c.  xiv,  n.  43,  P.  L.,  t.  xliv,  col.  839, 
942;  cf.  Opus  imperfection  contra  Julianum,  1.  III, 
c.  clxvi,  P.  L.,  t.  xlv,  col.  1217.  Nous  donnons  ce 
résumé  d'après  Weinand,  Die  Gotlcsidee  der  Grundzug 
der  Wellansehauung  des  ni.  Augustinus,  Padcrborn, 
1910,  c.  ix,  p.  115  sq. 

Tels  sont  les  principes  généraux  d'Augustin  sur 
l'efficacité  de  la  grâce  considérée  en  général.  Il  enseigne 
donc  que  le  salut  de  l'homme  est  un  effet  inéluctable 
de  la  prédestination  divine,  mais  l'activité  divine  sur 
l'âme  ou  la  grâce  infuse  dans  l'âme  ne  détruit  pas 
la  liberté  humaine  :  la  coopération  de  l'homme  reste 
libre.  Ce  point  a  été  démontré  à  l'art.  Augustin,  t.  i, 
col.  2387  sq.  Nous  n'avons  pas  à  exposer  ici  la  notion 
augustinienne  de  la  prédestination  :  sur  ce  sujet  on 
lira  l'art.  Augustin,  t.  i,  col.  2390  sq.,  mais  aussi  les 
observations  et  réserves  exposées  par  M.  Van  Crom- 
brugghe  et  par  le  P.  Jacquin  dans  la  Revue  d'histoire 
ecclésiastique  (Louvain),  t.  iv  (1903),  p.  534;  t  v  (1904), 
p.  732  sq.  Sur  la  notion  augustinienne  de  la  volonté 
salvitique  en  Dieu,  voir  les  mêmes  auteurs,  loc.  cit., 
t.  v,  p.  498  sq.,  740  sq.  La  question  qui  nous  occupe 
est  celle-ci  :  saint  Augustin  a-t-il  expliqué  le  mode  de 
causalité  exercée  par  la  grâce  actuelle  excitante  sur 
le  consentement  libre  ?  Saint  Augustin  enseigne  qu'il 
y  a  une  action  de  la  grâce  sur  la  volonté,  que  néanmoins 
celle-ci  demeure  fibre,  et  que  cependant  c'est  à  l'in- 
fluence de  la  grâce  divine  qu'il  faut  attribuer  le  fait 
du  consentement  libre  de  l'homme. 

Mais  celte  influence  est  elle  physique  ou  consiste- 


1663 


GRACE 


166^ 


t-elle  dans  une  motion  inorale  '?  Saint  Augustin  ne  le 
dit  pav  Pans  son  ouvrage  De  diversis  quœslionibus 
ad  Simplicianum,  1.  I,  q.  n,  n.  13,  P.  L.,t.  xl,  col.  118 
sq.,  en  parlant  de  la  vocation  à  la  foi  et  du  consente- 
ment qui  suit,  il  dit:  Xon  potest  cffcclus  misericordia' 
Dei  esse  in  hominis  poleslule,  ut  frustra  Me  misereatur 
si  homo  nolit  ;  l'efficacité  de  la  vocation  dépend  de 
Dieu,  et  cette  efficacité  consiste  en  ce  que  la  vocation 
est  congrue,  c'est-à-dire  bien  adaptée,  proportionnée 
aux  dispositions  de  celui  dont  elle  obtiendra  le  con- 
sentement libre  :  Mi  enim  eleeli  qui  eongrucnler  vocali  ; 
Dieu  connaît  comment  il  doit  agir  sur  l'homme  pour 
que  celui-ci  consente  :  nullius  Deus  frustra  miserelur  : 
cujus  autrui  miserelur,  sie  eum  vocat,  quomodo  seit 
ci  congruere,  ut  vocantem  non  respuat.  C'est  la  même 
explication  qu'il  donne  dans  ses  œuvres  postérieures, 
quand  il  dit  :  Prœparalur  voluntas  a  Domino.  De  gratia 
et  libero  arbilrio,  c.  xvi,  n.  32  ;  De  prœdcstinatione 
sanctorum,  c.  v,  n.  10;  c.  vi.  n.  11;  c.  xx,  n.  42,  P.  L., 
t.  xliv,  col.  900,  968,  990.  Cf.  Rotmanner,  DerAugu- 
stinismus,  Munich,  1892,  p.  23  sq.  L'influence  exercée 
par  Dieu  est  interne  :  agit  enim  omnipolens  in  cordibus 
hominum  etiam  motum  Doluntatis  eorum,  ut  per  eos 
agat  quod  per  eos  agere  voluerit.  His  et  talibus  testimoniis 
divinorum  cloquiorum  salis,  quantum  existimo,  mani- 
jestalur  operari  Deum  in  eordibus  hominum  ad  incli- 
nandas  eorum  volunlaies  quoeumque  voluerit.  De  gratia 
et  libero  arbilrio,  c.  xxi,  n.  42,  43,  P.  L.,  t.  xliv,  col.  908. 
909.  Cf.  Jacquin,  loc.  cit.,  p.  746.  Celte  influence  divine 
produit  des  illuminations  dans  l'intelligence  et  des 
inspirations  dans  la  volonté.  De  pecealorum  meritis  et 
remissione,  1.  II,  c.  xix;  De  gratia  Chrisli,  1.  I,  c.  xxiv, 
n.  25,  P.  L.,  t.  xliv,  col.  170,  373. 

De  tout  ce  qui  précède,  il  résulte  que,  pour  saint 
Augustin,  la  grâce  est  efficace  parce  qu'elle  agit  d'une 
façon  bien  adaptée  aux  dispositions  du  sujet,  et  parce 
qu'elle  obtient  ainsi  le  libre  consentement  de  l'homme; 
cet  effet  est  infaillible,  parce  que  Dieu  sait  comment 
il  doit  préparer  la  volonté  humaine  au  consentement 
à  donner.  Mais  saint  Augustin  n'explique  pas  davan- 
tage le  mode  de  causalité  exercée  par  la  grâce  actuelle: 
en  particulier  il  n'explique  pas  en  quoi  consiste  préci- 
sément l'influence  de  cette  grâce  sur  l'acte  libre  et  la 
connexion  qui  existe  entre  les  deux. 

2°  D'après  saint  Thomas.  —  Ce  saint  docteur  ne 
semble  pas  non  plus  avoir  traité  cette  question.  11 
expose  les  principes  généraux  d'après  lesquels  on 
connaît  l'activité  de  Dieu  en  la  créature;  nous  avons 
exposé  plus  haut  qu'il  enseigne  qu'une  prémotion 
physique  est  nécessaire  à  l'opération  de  la  créature,  à 
chaque  fois  que  celle-ci  commence  à  agir.  Nous  avons 
expliqué  aussi  pourquoi  nous  sommes  d'avis  que  saint 
Thomas  n'admet  pas  une  nouvelle  prémotion  physique, 
e'est-à-dirc  une  nouvelle  application  à  l'acte  pour  l'acte 
libre,  c'est-à-dire  pour  l'élection;  nous  avons  spéciale- 
ment nié  que  sa  doctrine  implique  la  prédétermination 
physique  à  l'acte  libre,  prédétermination  qui  consiste- 
rait à  déterminer  physiquement  la  volonté  à  un  objet 
de  son  choix  plutôt  qu'à  l'autre.  Les  mêmes  principes 
doivent  être  appliqués  pour  expliquer  l'action  surna- 
turelle de  Dieu  sur  l'âme.  Quant  à  la  prédestination  et 
à  la  science  divine,  nous  n'avons  pas  à  en  parler  ici. 
Billuart,  De  gratia.  diss.  V,  a.  4,  p.  138,  cite  en  faveur 
de  son  sentiment  les  paroles  suivantes  de  saint  Tho- 
mas :  Tungil  aposlolus  auxilium  sibi  prœslilum  ad 
minisleriorum  execulionem;  hujusmodi  autem  auxilium 
duplex  fuit  :  unum  quidem  ipsa  facullas  excquendi,  aliud 
ipsa  operatio  seu  aclualitas.  Facultalem  autem  dut 
Deus  infundendo  virtulem  et  giatiam,  per  quas  efficilur 
homo  polens  et  aplus  ad  operandum.  Sed  ipsam  opera- 
lionem  confert  in  quantum  m  nobis  intérim  operatur 
movendo  et  instigando  ad  bonum...,  in  quantum  virtus 
cjus  operatur  in  nobis  velle  et  perficcre  pro  bona  volun- 


tale.  In  Episl.  ad  Eph.,  c.  ni,  lect.  n,  p.  35.  De  ce  texte 
Billuart  conclut  qu'outre  la  grâce  suffisante  qui  donne 
le  pouvoir  de  bien  agir,  il  faut  une  autre  grâce,  la  grâce 
efficace,  pour  que  l'homme  de  fait  agisse  bien,  et  il 
entend  parler  de  la  grâce  actuelle.  Cette  assertion  ne 
se  trouve  pas  dans  le  texte  de  saint  Thomas  :  d'abord, 
il  parle  explicitement  de  l'exécution  du  ministère  apos- 
tolique; mais  admettons  que  l'on  puisse  expliquer  de  la 
même  manière  tous  les  actes  salutaires.  Saint  Thomas 
distingue  la  faculté  d'agir  et  l'opération  elle-même;  la 
faculté  d'agir  doit  s'entendre  ici  de  dons  habituels, 
infus;  l'opération  est  produite  par  Dieu  en  tant  qu'il 
meut  intérieurement  et  porte  au  bien;  c'est  la  grâce 
actuelle  excitante  par  laquelle  est  obtenue  la  coopé- 
ration de  l'homme;  saint  Thomas  ne  dit  pas  élu  tout 
qu'au  delà  de  la  motion  par  laquelle  l'homme  est 
excité  au  bien  il  faut  une  nouvelle  grâce  actuelle  qui 
détermine  physiquement  le  consentement.  Ce  saint,  De 
nialo,  q.  vi,  a.  un.,  ad  3"",  enseigne  que  Dieu  meut 
immuablement  (immulabililer)  la  volonté  à  cause  de 
l'efficacité  de  l'énergie  qui  la  meut.  On  peut  appliquer 
cela  à  la  grâce  et  dire  que  l'effet,  l'acte  salutaire,  est 
obtenu  infailliblement  à  cause  de  l'efficacité  de  la 
grâce;  on  en  conclurait  que  la  grâce  est  efficace  ab 
inlrinseco.  Cette  conclusion  ne  tranche  pas  la  ques- 
tion :  on  peut  dire  que  c'est  à  la  causalité  propre  de  la 
grâce  qu'est  dû  l'acte  salutaire,  mais  il  reste  à  expli- 
quer en  quoi  consiste  cette  causalité;  est-ce  une 
influence  physique,  est-ce  une  influence  morale,  com- 
ment atteint-elle  l'acte  libre  '?  L'article  du  R.  P.  Guil- 
lermin,  Revue  thomiste,  t.  x,  p.  658  sq.,  nous  indique 
plusieurs  auteurs,  appartenant  à  l'ordre  des  frères 
prêcheurs,  qui  interprètent  la  doctrine  de  saint  Tho- 
mas tout  autrement  que  ne  l'a  fait  Bafiez.  Cf.  aussi 
Wagner,  De  gratia  sufficienli,  Gratz,  1911. 

//.  depuis  la  fin  du  xvi'  siècle.  --  C'est  Molina 
qui  a  posé  explicitement  la  question  de  l'efficacité  de 
la  grâce  sanctifiante. 

1°  Doctrine  de  Molina.  —  1.  Exposé.  —  Cette  doc- 
trine comprend  de  multiples  assertions  connexes  entre 
elles,  mais  concernant  directement  des  objets  diffé- 
rents, par  exemple,  le  concours  général  de  Dieu  dans 
les  opérations  des  créatures,  la  prescience  divine,  la 
prédestination;  nous  ne  considérerons  ici  que  ce  qui 
concerne  directement  l'efficacité  de  la  grâce  actuelle. 

a)  D'après  Molina,  le  secours  de  la  grâce  actuelle 
implique  une  double  différence  avec  le  concours  géné- 
ral de  Dieu  dans  les  actes  libres  ;  d'abord,  le  secours 
de  la  grâce  actuelle,  comme  telle,  consiste  en  ce  que 
par  elle  la  volonté  humaine  est  positivement  inclinée 
ou  mue  à  un  acte  salutaire  délibéré;  ainsi  cette  grâce 
(c'est-à-dire  l'acte  indélibéré)  est  cause  efficiente  de 
l'acte  délibéré  et  de  la  surnaturalisation  de  celui-ci; 
dans  le  concours  général,  au  contraire,  il  n'y  a  pas  d'in- 
fluence divine  qui  applique  la  volonté  à  agir,  ni  qui 
soit  cause  efficiente  de  l'acte  libre;  ce  concours  n'af- 
fecte que  le  libre  arbitre  en  acte  :  influxus  immedialus 
una  eum  libero  arbilrio  in  aclu.  Ensuite,  le  secours  de 
la  grâce  actuelle  est  antérieur  à  l'acte  libre  auquel  il 
lui  est  ordonné  et  il  a  sur  lui  une  priorité  de  temps 
ou  au  moins  de  nature;  tandis  que,  pour  le  concouis 
général,  dans  l'ordre  naturel,  il  n'y  a  aucune  priorité  : 
ce  concours  est  absolument  simultané,  n'existe  que 
dans  l'acte.  Concordia,  q.  xiv,  a.  13,  disp.  XLI,  p.  239. 

La  grâce  actuelle  consiste  essentiellement  en  des 
actes  vitaux  indélibérés,  produits  surnaturellement 
par  Dieu  dans  l'intelligence  et  la  volonté;  quand 
l'homme  est  sous  l'influence  de  ces  actes,  il  peut  tou- 
jours y  consentir  ou  y  refuser  son  consentement;  s'il 
consent,  la  grâce  obtient  l'effet  pour  lequel  elle  esl 
donnée  et  devient  efficace;  si,  au  contraire,  l'homme  ne 
consent  pas,  la  grâce  n'est  que  suffisante  et  inefficace; 
par  conséquent  l'efficacité  de  la  grâce  consiste  formel- 


1665 


GRACE 


1666 


lement  en  l'acte  d'élection,  le  choix  du  libre  arbitre. 
Concordiez,  disp.   XII,  XXXVI,  XXXVII,  XL,  XLV, 

p.  55,  206,  208,  230,  256.  D'où  il  résulte  qu'entre 
la  grâce  efficace  et  la  grâce  seulement  suffisante,  il  n'y 
a  aucune  différence  entitalive,  ni  essentielle,  ni  quali- 
tative, ni  quantitative  (ou  d'intensité);  il  en  résulte 
encore  que,  si  deux  hommes  sont  influencés  par  une 
grâce  prévenante  égale,  il  pourra  se  faire  que  l'un  se 
convertisse  et  que  l'autre  ne  se  convertisse  pas;  même 
il  est  possible  qu'un  homme  se  convertisse  avec  un 
secours  inférieur  à  celui  qui  est  accordé  à  un  autre 
homme  qui  ne  se  convertit  pas.  Concordia,  disp.  XII, 
p.  51;  XXXIX,  p.  222.  Cf.  Lessius,  Opusc.  De  gralia 
efficaci,  c.  xvm,  n.  7.  L'infaillibilité  de  la  connais- 
sance divine  concernant  l'eflicacité  de  la  grâce  provient 
de  la  science  moyenne  par  laquelle  Dieu,  antérieure- 
ment à  tout  acte  libre  de  sa  propre  volonté,  connaît 
quel  sera  le  choix  de  toute  volonté  libre  placée  dans 
des  conditions  déterminées.  Concordia,  disp.  LUI, 
m.  m,  p.  364  sq. 

b)  Les  arguments  sur  lesquels  s'appuie  ce  système 
sont  principalement  l'existence  de  la  liberté  sous 
l'influence  de  la  grâce  actuelle  et,  en  particulier,  l'ex- 
pression de  cette  vérité  contenue  dans  le  décret  du 
concile  de  Trente  :  il  y  est  dit  que  l'homme  peut  libre- 
ment recevoir  et  rejeter  l'inspiration  divine,  qu'il  peut 
librement  y  consentir  et  y  refuser  son  consentement. 
Denzinger-Bannwart,  n.  797,  814.  Quant  à  la  connais- 
sance divine,  ce  qu'on  appelle  science  moyenne  est 
celle  qui  a  pour  objet  les  actes  libres  qui  seraient  réa- 
lisés si  une  condition  se  vérifiait  qui  cependant  ne  se 
vérifiera  jamais.  L'existence  de  cette  connaissance 
en  Dieu  se  démontre  par  le  texte  :  «  Malheur  à  toi,  Coro- 
zaïn  1  Malheur  à  toi,  Bethsaïde  1  Car  si  les  miracles  qui 
ont  été  faits  au  milieu  de  vous  avaient  été  faits  dans 
Tyr  et  dans  Sidon,  il  y  a  longtemps  qu'elles  auraient 
fait  pénitence  sous  le  cilice  et  la  cendre.  »  Matth.,  xi, 
21.  Quant  au  mode  d'après  lequel  Dieu  connaît  cet 
objet,  Molina  assigne  la  perfection  infinie  de  Dieu  qui, 
dans  son  essence,  voit  toutes  les  déterminations  pos- 
sibles de  toutes  les  volontés  possibles.  Concordia, 
disp.  XLIX,  L,  LU,  p.  289,  303,  317,  330. 

2.  Critique.  —  o)  L'explication  proposée  concer- 
nant le  concours  général  divin  nie  toute  prémotion 
physique  et,  d'après  ce  que  nous  avons  exposé  plus 
haut,  est  inadmissible.  Le  concours  simultané,  appli- 
qué à  l'ordre  surnaturel,  n'explique  pas  comment  un 
acte  vital  puisse  être  intrinsèquement  surnaturel  dans 
l'homme  qui  n'a  pas  les  vertus  infuses. 

L'eflicacité  attribuée  à  la  grâce  elle-même,  quand 
on  parle  de  grâce  efficace,  est  attribuée  par  Molina, 
non  à  la  grâce,  mais  au  libre  arbitre  et  dès  lors  la  cau- 
salité de  la  grâce  semble  ne  pas  atteindre  le  terme 
auquel  elle  est  ordonnée,  c'est-à-dire  l'acte,  libre. 

La  science  moyenne,  qui  doit  être  admise  en  Dieu 
si  l'on  ne  considère  que  l'objet  spécial  qui  lui  est  assi- 
gné, c'est-à-dire  les  futuribles,  n'est  pas  suffisamment 
démontrée  si  l'on  considère  le  mode  de  celle  connais- 
sance, notamment  ce  qui  est  en  Dieu  le  médium  obje- 
ctivum  dans  lequel  il  perçoit  les  futuribles. 

b)  Quant  aux  arguments,  l'existence  du  libre  arbitre 
doit  être  maintenue  et  elle  est  parfaitement  sauvegardée 
dans  le  système  de  Molina.  Le  P.  Guillermin,  Revue 
thomiste,  1902,  t.  x,  p.  66,  écrit  très  judicieusement  : 
«  Avouons-le  sans  détour  :  l'avantage  du  molinisme  est 
de  présenter  sur  notre  responsabilité  dans  le  péché- 
une  explication  en  apparence  très  simple  et  qui  dégage 
facilement  la  responsabilité  de  Dieu.  Ce  n'est  pas, 
comme  certains  se  l'imaginent,  que  le  molinisme  ouvre 
plus  abondantes  les  sources  de  la  miséricorde  et  de  la 
grâce  divines  et  qu'il  propose  une  grâce  suffisante 
plus  agissante.  Non.  C'est,  au  contraire,  parce  qu'il 
demande  moins  de  Dieu  et  qu'il  laisse  davantage  à  la 

DICT.    Dli  THÉOL.  CATHOL. 


part  de  l'homme.  Quand  Dieu  a  concouru  à  susciter 
en  notre  âme  les  connaissances  et  les  impulsions  indé- 
libérées, il  a  fini  sa  tâche.  A  l'homme  maintenant 
d'achever  l'œuvre,  en  ajoutant  son  consentement, 
comme  aussi,  en  ne  l'ajoutant  point,  de  rendre  la  grâce 
vaine  et  stérile.  »  De  plus,  l'explication  de  Molina  est 
plus  conforme  que  les  autres  au  texte  du  concile  de 
Trente,  sess.  vi,  c.  v,  Denzinger-Bannwart,  n.  797, 
814,  où  il  enseigne  que  l'homme  peut  et  consentir  à 
l'excitation  divine  et  n'y  pas  consentir;  c'est  en  con- 
sentant qu'il  coopère  à  l'excitation  divine.  C'est  donc  à 
une  même  grâce  que  l'homme  peut  librement  consentir 
ou  refuser  le  consentement;  dès  lors  à  la  grâce  suffi- 
sante il  ne  faut  ajouter  que  le  consentement  libre  pour 
que  la  grâce  soit  efficace;  la  notion  de  celle-ci  n'impli- 
c[ue  donc  pas  une  grâce  spécifiquement  ou  numérique- 
ment distincte  de  la  grâce  suffisante.  Pour  ce  qui 
concerne  la  science  divine,  la  connaissance  qui  a  pour 
objet  les  futuribles  est  affirmée  dans  le  texte  de  Matth., 
xi,  21,  mais  de  cette  assertion  on  ne  peut  tirer  aucune 
conclusion  concernant  le  mode  dont  cette  connais- 
sance se  réalise  en  Dieu. 

2°  Doctrine  de  Banez  cl  de  son  école.  —  1.  Exposé.  — 
a)  Elle  enseigne,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  ejuc  la 
grâce  actuelle  consiste  essentiellement  en  une  motion 
surnaturelle  qui  se  termine  à  un  acte  vital  d'intelli- 
gence ou  de  volonté.  Mais  il  faut  distinguer  deux  espè- 
ces de  grâces  actuelles  :  l'une  qui  a  pour  terme  l'acte 
indélibéré,  c'est  la  grâce  excitante;  l'autre  qui  a  pour 
terme  l'acte  délibéré  de  la  volonté,  l'acte  du  consen- 
tement à  l'excitation  divine,  c'est  la  grâce  adjuvante. 
11  y  a  donc  une  différence  réelle  et  intrinsèque  entre  la 
grâce  excitante  et  la  grâce  adjuvante.  Remarquons 
cependant  qu'il  y  a  connexion  entre  l'influence  morale, 
exercée  par  les  actes  indélibérés,  et  l'acte  délibéré;  il 
serait  erroné  de  penser  que  la  grâce  adjuvante  est 
infuse  à  la  volonté,  indépendamment  des  dispositions 
réalisées  par  les  actes  indélibérés.  De  plus,  il  importe 
de  noter  encore  que  «  la  grâce  efficace  prise  dans  sa 
totalité  ne  consiste  pas  dans  un  don  unique  et  simple 
qui  par  lui  seul  obtienne  tout  l'effet,  par  exemple, 
l'acte  salutaire  de  foi  et  de  charité.  Non.  Pour  que  cet 
acte  soit  effectivement  posé,  il  faut  le  concours  de 
plusieurs  choses,  de  plusieurs  grâces  partielles,  sans 
lesquelles  le  libre  arbitre  ne  pourrait  jamais  le  pro- 
duire :  grâces  extérieures  de  prédication,  d'événements, 
de  faits  impressionnants...,  illuminations  intérieures  de 
l'intelligence,  souvenir  des  bienfaits  de  Dieu,  pieuses 
émotions  de  la  volonté,  etc.  Cependant  toutes  les  grâces 
extérieures  ou  intérieures  n'aboutiraient  à  rien  si,  fina- 
lement, la  volonté  ne  se  déterminait  à  produire  l'acte 
salutaire.  Or,  pour  procéder  à  cet  acte,  elle  a  besoin 
d'une  motion  subjective  actuelle...  »  Guillermin,  Revue 
thomiste,  1902,  t.  x,  p.  382  sc[.  C'est  précisément  cette 
dernière  impulsion  qui  est  appelée  grâce  efficace.  Dans 
le  système  de  Banez,  cette  dernière  impulsion  consiste 
précisément  dans  une  prédétermination  physique  de 
la  volonté  à  l'acte  délibéré,  c'est  une  entité  physique, 
transitoire,  infuse  par  Dieu  dans  la  volonté  et  elle  a 
pour  fonction  de  faire  physiquement  que  la  volonté 
veuille  hic  et  ruine  consentir  à  la  grâce  excitante.  Donc 
la  grâce  excitante  est  la  même  que  la  grâce  suffisante, 
et  la  grâce  efficiente  est  la  même  que  la  grâce  adju- 
vante. La  grâce  efficace  est  donc  une  entité  numéri- 
quement et  spécifiquement  distincte  de  la  grâce  sulli- 
sante,  et  elle  doit  nécessairement  y  être  ajoutée  pour 
cpi'il  y  ait  consentement  libre.  D'après  cela,  la  grâce 
est  intrinsèquement  efficace  (efflcax  ab  intrinseco)  : 
quand  l'homme  consent,  ce  n'est  pas  lui  qui  rend  effi- 
cace la  grâce,  mais  son  acte  est  un  signe  qu'il  a  eu  la 
grâce  efficace.  Il  en  résulte  encore  que,  si  l'on  compare 
entre  elles  la  grâce  suffisante  et  la  grâce  efficace,  on 
peut  dire  que  la  grâce  suffisante  est  celle  qui  confère 

VI.  -  53 


kii'.T 


GRACE 


lues 


à  l'homme  le  pouvoir  de  bien  agir;  mais  pour  que,  de 
fait,  il  agisse  bien,  c'est-à-dire  pour  qu'il  utilise,  de 
fait,  le  pouvoir  qui  lui  est  conféré,  il  faut  une  nouvelle 
grâce,  plus  puissante,  c'est-à-dire  la  grâce  efficace.  Sur 
ce  système,  voir  Alvarez,  De  auxiliis,  disp.  XXII, 
p.  177  sq.;  disp.  LXXII,  n.  3,  p.  611;  disp.  LXXI1I, 
n.  2,  p.  (.1  1:  disp.  LXXXIII,  p.  660  sq.;  Goudin,  De 
gratia  Dei,  q.  v,  a.  4,  §  4.  p.  306;  Billuart,  De  gratia, 
diss.  V,  a.   I.  Opéra,  t.  m,  p.  138. 

Quant  à  la  connaissance  divine  concernant  le  con- 
sentement de  l'homme,  elle  s'explique  précisément 
par  cette  prédétermination  physique:  Dieu  a  décidé, 
de  toute  éternité,  de  donner  telles  et  telles  prédéter- 
minations physiques;  c'est  dans  le  décret  ayant  pour 
objet  ces  prédéterminations  que  Dieu  connaît  tous  les 
actes  délibérés  salutaires. 

b)  Les  arguments  sur  lesquels  s'appuie  cette  doc- 
trine sont  d'abord  la  nécessité  d'admettre  la  complète 
dépendance  de  l'homme  et  de  toutes  ses  opérations  vis- 
à-vis  de  l'influence  divine;  si  l'on  rejette  la  prédéter- 
minât ion  physique,  il  faut  admettre  que  l'acte  libre, 
comme  tel,  est  indépendant  de  l'influence  divine  et 
lui  échappe;  l'homme  serait  lui-même  cause  première 
de  cet  acte.  Ensuite,  on  dit  encore  que  la  prédéter- 
mination physique  explique  seule  l'infaillible  con- 
nexion entre  la  uiàce  et  le  consentement  humain,  que, 
par  conséquent,  il  faut  que  cette  prédétermination 
physique  se  démontre  par  la  science  infaillible  que 
Dieu  doit  avoir  de  tous  les  actes  de  l'homme. 

2.  Critique.  —  a)  Les  théologiens,  qui  appartiennent 
;i  l'école  dont  nous  venons  d'esquisser  l'enseignement, 
professent  sincèrement  la  doctrine  catholique  sur  la 
grâce  suffisante  et  la  liberté  humaine,  mais  l'expli- 
cation qu'ils  proposent  de  ces  dogmes  est,  à  notre  avis, 
logiquement  inconciliable  avec  eux. 

a.  Quant  à  la  grâce  suffisante,  elle  est  telle,  d'après 
ces  théologiens,  parce  qu'elle  donne  le  pouvoir  d'agir 
salutairement,  parce  qu'elle  met  l'homme  dans  la 
condition  où  il  peut  poser  l'acte  libre  du  consentement; 
cependant  une  autre  grâce,  réellement  et  spécifique- 
ment distincte,  est  requise  pour  que  l'homme  émette, 
de  fait,  le  consentement;  ainsi  donc  la  grâce  suffisante 
ne  perfectionne  la  faculté  opérative  que  dans  l'ordre 
potentiel  et  la  laisse  à  l'état  statique,  elle  ne  fait  pas 
passer  à  l'exercice  le  libre  arbitre  considéré  strictement 
en  lui-même  et  n'atteint  pas  l'acte  second.  Cf.  Billuart, 
loc.  cit.;  Guillermin,  Revue  thomiste,  1902,  t.  x,  p.  671  sq. 
Si  l'on  objecte  que  l'on  ne  peut  appeler  suffisante  une 
grâce  à  côté  de  laquelle  une  autre  grâce  est  requise 
pour  que  l'effet  soit  obtenu,  ces  théologiens  répondent  : 
cela  est  vrai  si  l'on  tient  au  sens  grammatical  du  mot, 
mais  ce  n'est  plus  vrai  si  l'on  considère  le  sens  théo- 
logique. Car  cette  grâce  est  suffisante  dans  son  genre; 
la  grâce  requise  en  outre  est  dans  un  autre  genre.  Voici 
comment  s'exprime  Billuart,  op.  cit.,  p.  139  :  Equidem 
non  est  sufficiens  in  omni  génère  et  ordine,  cum  requirahir 
(ilm  allerius  generis  et  ordinis,  sed  est  sufficiens  in  suo 
génère  et  ordine  :  et  dicimus  quod  sic  loqui  sit  loqui  in 
sensu  proprio  cl  prout  communiter  loquimur.  Billuart 
cite  ensuite  divers  exemples  pour  montrer  que,  d'après 
la  façon  ordinaire  de  parler,  on  peut  appeler  suffisante 
la  grâce  dont  il  a  indiqué  la  nature.  En  admettant 
qu'on  puisse  justifier  l'expression  au  point  de  vue  de  la 
terminologie,  on  ne  peut  nier  que  la  notion  de  grâce 
suffisante,  défendue  par  ces  théologiens,  ne  répond  pas 
a  la  réalité  qui  fait  l'objet  de  notre  étude.  En  effet, 
il  s'agit  de  l'acte  délibéré  salutaire;  or,  la  doctrine 
catholique  enseigne  qu'il  existe  vis-à-vis  de  cet  acte-là 
une  grâce  réellement  suffisante  et  cependant  inefficace, 
une  grâce,  par  conséquent,  qui  confère  réellement  à 
l'homme  tout  ce  qui  lui  est  nécessaire  pour  le  consen- 
lomenl  cl  qui  cependant  ne  l'obtient  pas.  Mais  dans 
l'opinion,  que  nous  critiquons,  une  telle  grâce  n'existe 


pas,  car  celle  qui  est  appelée  suffisante  finit  à  l'acte 
premier,  elle  n'atteint  pas  physiquement  l'acte  second, 
c'est-à-dire  l'acte  salutaire  délibéré;  mais  celui-ci  ne 
peut  pas  se  produire,  si  Dieu  n'ajoute  à  la  grâce,  dite 
suffisante,  une  autre  qui  physiquement  et  immédiate- 
ment cause  le  consentement;  donc  si  cette  seconde 
grâce,  la  grâce  efficace,  n'y  est  pas,  l'homme  ne  peut 
pas  consentir  à  la  première  grâce;  celle-ci  n'est  donc 
pas  réellement  suffisante  à  obtenir  l'effet  auquel  elle 
est  destinée.  Non  seulement  le  consentement  de 
l'homme  est  requis,  mais  ce  consentement  ne  peut  pas 
se  produire  avec  cette  grâce;  il  en  faut  une  autre  plus 
puissante  d'un  autre  ordre.  Donc,  dans  ce  système, 
il  n'y  a  pas  de  grâce  réellement  suffisante,  qui  soit 
inefficace  par  la  libre  résistance  de  l'homme. 

A  cette  dernière  assertion,  les  théologiens  bafïé- 
siens  répondent  :  Dieu  est  prêt  à  donner  la  grâce  effi- 
cace à  tous  ceux  à  qui  il  donne  la  grâce  suffisante;  il 
ne  la  refuse  qu'à  celui  qui,  par  sa  faute,  résiste  à  la 
première  grâce,  faute  qui  est,  par  sa  nature,  antérieure 
à  la  dénégation  de  la  grâce  efficace.  Cette  explication 
ne  résout  pas  la  difficulté.  En  elîet,  on  dit  :  Dieu,  en 
concédant  la  grâce  suffisante,  offre  en  même  temps  de 
donner  la  grâce  efficace,  et  la  donnera  si  l'homme  n'y 
met  pas  obstacle  par  sa  résistance.  Mais  dans  la  doc- 
trine banésienne,  cette  résistance  est  un  acte  libre, 
délibéré;  cet  acte  ne  se  produit  que  par  une  prédé- 
termination physique  infuse  par  Dieu  dans  la  volonté; 
l'homme  ne  peut  résister  à  la  grâce  suffisante  que 
pour  autant  que  Dieu  le  prédétermine  physiquement  à 
cet  acte  de  résistance;  on  devrait  donc  admettre  que 
Dieu,  en  même  temps,  offre  la  prédétermination  phy- 
sique au  consentement  et  cependant  prédétermine  phy- 
siquement l'homme  au  dissentiment,  c'est-à-dire  à 
l'obstacle  qui  empêche  la  concession  de  cette  grâce 
qu'on  dit  offerte.  Il  en  résulte  cjue  ce  qu'on  appelle 
offrir  la  grâce  efficace  ne  correspond  pas  à  la  réalité. 
Ce  qui  confirme  cette  conclusion,  c'est  que,  d'après 
l'opinion  critiquée,  les  décrets  de  Dieu  concernant 
l'octroi  des  grâces  efficaces  ne  présupposent  par  notre 
choix,  mais  le  précèdent;  donc  on  ne  peut  pas  dire: 
Dieu  prédétermine  physiquement  la  volonté  de  tel 
homme  à  la  résistance  de  telle  grâce  parce  qu'il  a 
prévu  que  l'homme  refuserait  son  consentement;  mais 
c'est  Dieu  qui  est  cause  de  cette  prédétermination 
antérieurement  à  la  prévision  de  l'acte  humain. 

b.  La  liberté  humaine  n'est  pas  mieux  sauvegardée 
que  la  grâce  suffisante.  La  liberté  humaine  consiste 
essentiellement  dans  la  propriété  que  l'homme  possède 
de  choisir,  c'est-à-dire  de  vouloir  ceci  plutôt  que  cela. 
A  cet  effet,  il  faut  que  la  volonté  humaine  elle-même 
détermine  physiquement  cet  acte  qui  est  choisir,  c'est- 
à-dire  qu'à  l'instant  où  émane  cet  acte,  existe  cette 
indifférence  active,  au  moyen  de  laquelle  la  volonté 
elle-même  émet  et  détermine  le  choix.  Cette  indiffé- 
rence active  est  absolument  requise  pour  qu'il  y  ait 
imputabilité  du  choix;  en  effet,  si  la  volonté  ne  peut 
pas  se  déterminer  elle-même  à  vouloir  ceci  ou  cela, 
l'acte  de  volition  ne  peut  pas  lui  être  imputé,  elle  ne 
peut  pas  être  responsable,  elle  ne  peut  pas  mériter  ou 
démériter.  Par  exemple,  si  Dieu,  par  une  grâce  actuelle 
excitante,  meut  moralement  ou  objectivement  un 
homme  à  entendre  la  messe  le  dimanche,  cet  homme 
doit  vouloir  ou  bien  aller  à  la  messe,  ou  bien  ne  pas 
aller  à  la  messe  (soit  directement,  soit  indirectement, 
en  voulant,  par  exemple,  ne  pas  songer  à  cela,  ou  en 
voulant  autre  chose);  pour  que  le  choix  lui  soit  impu- 
table, il  faut  qu'à  l'instant  où  il  émet  la  volition,  il  soit 
réellement  et  physiquement  indifférent  à  l'un  et  à 
l'autre  objet;  si  une  cause  qui  lui  est  extrinsèque 
produit  physiquement  la  détermination  du  choix, 
sa  détermination  ne  peut  pas  lui  être  imputée.  Par  con- 
séquent, dans  le  système  banésien,  la  liberté  humaine, 


1669 


GRACE 


1670 


avec  l'imputabilité  qui  lui  est  propre,  n'est  pas  logi- 
quement défendable,  car  c'est  Dieu  qui  par  la  prédé- 
termination physique  cause  immédiatement  le  choix 
de  l'homme  et  cette  causalité  divine  est,  par  sa  nature, 
antérieure  à  la  coopération  humaine;  la  prédétermi- 
nation physique  enlève  donc  précisément  cette  indiffé- 
rence physique  qui  est  essentielle  à  l'émision  de  l'acte 
libre  et  la  condition  sine  qua  non  de  son  imputabilité. 
Si  donc  l'efficacité  de  la  grâce  consiste  précisément 
en  cette  prédétermination,  il  en  résulte  que  l'efficacité 
de  la  grâce  enlève  la  liberté,  l'imputabilité  et  le  mérite. 
Qu'on  ne  dise  pas  :  la  volonté  humaine  se  détermine 
elle-même  en  vertu  de  la  prédétermination  divine, 
comme  la  cause  seconde  qui  agit  sous  l'influence  de 
la  cause  première.  Il  s'agit  ici  d'une  opération  spéciale 
qui  diffère  de  toutes  les  autres  précisément  en  ce  qu'elle 
n'est  pas  déterminée  physiquement  ni  par  son  objet, 
ni  par  une  forme,  qui  fasse  que  l'acte  émis  soit  préci- 
sément tel  :  pour  l'intelligence,  par  exemple,  c'est 
l'espèce  intelligible  qui  détermine  entièrement  l'acte 
cognoscitif;  dans  ce  cas,  la  motion  divine  a  pour  fonc- 
tion de  faire  sortir  l'acte  de  sa  faculté,  la  motion  divine 
se  termine  formellement  à  l'exercice  de  l'acte.  Il  en  est 
de  même  de  toutes  les  autres  opérations.  Mais  l'acte 
libre  seul  a  pour  propriété  d'être  déterminé  subjective- 
ment par  la  faculté  elle-même  qui  l'émet,  en  tant  qu'elle 
a  maîtrise  sur  son  acte;  les  objets  présentés  par  l'intel- 
ligence spécifient  l'acte  en  ce  sens  que  c'est  à  l'un  ou 
à  l'autre  que  l'acte  se  terminera,  mais  aucun  d'eux  pris 
isolément  (dant  l'hypothèse  de  l'acte  libre)  nesulfit  à 
déterminer  le  choix.  Dès  lors,  si  Dieu  par  une  entité  phy- 
sique détermine  la  volonté  humaine  à  vouloir  hic  et 
nunc,eeci  plutôt  que  cela,  la  volonté  humaine  subit  cette 
détermination,  elle  est  déterminée  et  ne  peut  pas  sedéter- 
miner  elle-même  sous  l'influence  de  la  prédétermination 
divine;  il  n'y  a  pas  une  double  prédétermination,  l'une 
divine,  l'autre  humaine.  Dans  l'hypothèse  de  laprédé- 
termination  physique,  il  est  vrai  que  cet  acte  est  émis 
vitalement  par  la  volonté,  mais  cela  ne  réalise  pas  l'es- 
sence de  l'acte  libre  ;  celui-ci  doit  sortir  vitalement  de  la 
volonté  de  telle  façon  qu'il  soit  déterminé  quant  à  son 
objet  (vouloir  ceci)  par  la  volonté  elle-même,  et  que  pré- 
cisément pour  cela  il  soit  imputable  à  celui  qui  l'a  émis. 
Si  l'on  exigeait  une  prémotion  physique  non  détermi- 
nante quant  à  l'objet  du  choix,  mais  produisant  le  seul 
exercice  de  l'acte  libre,  on  ne  détruirait  pas  la  notion 
de  liberté. 

On  dira  peut-être  :  la  nécessité  de  l'acte  vient  tout 
entière  de  ce  que  la  faculté  qui  le  produit  est  remplie 
par  lui;  si  elle  n'était  pas  remplie  par  l'objet  de  cet 
acte,  si  elle  est  plus  vaste  que  son  objet,  elle  pourra 
être  mue,  prémue  déterminément  à  ce  choix,  elle  ne 
sera  en  rien  nécessitée.  Or,  dans  le  cas  qui  nous  occupe, 
la  volonté  n'est  pas  remplie  par  son  objet,  puisque  le 
bien  qu'elle  choisit  est  un  bien  particulier.  Donc  si  elle 
choisit  sous  la  détermination  de  Dieu,  la  volonté  n'est 
pas  nécessitée,  elle  reste  libre.  Cf.  Revue  thomiste,  191 1, 
p.  393.  Nous  répondons  que  cette  explication  ne  sau- 
vegarde pas  la  notion  de  liberté  qui,  à  notre  avis,  doit 
être  admise.  En  effet,  de  ce  qu'une  faculté  n'est  pas 
remplie  par  son  objet,  il  résulte  que  son  objet  ne  suffit 
pas  à  déterminer  l'acte  de  cette  faculté,  que,  par  con- 
séquent, cet  acte  n'est  pas,  d'une  manière  absolue, 
nécessité  par  son  objet.  Mais  l'absence  de  cette  néces- 
sité-là ne  suffit  pas  à  la  liberté  d'indifférence  qui  impli- 
que l'imputabilité  du  choix;  pour  que  celle-ci  soit 
réalisée,  il  faut  que  la  volonté  elle-même  se  détermine 
activement  à  vouloir  ceci  plutôt  que  cela,  il  faut  qu'un 
principe  extrinsèque  (par  exemple,  Dieu)  ne  vienne 
pas  enlever  à  la  volonté  cette  causalité  qui  est  précisé- 
ment la  raison  de  la  maîtrise  sur  son  propre  choix 
et  de  l'imputabilité  de  celui-ci.  Il  y  a  donc  à  distinguer 
une  double  nécessité  vis-à-vis  d'un  acte  :  celle  qui  pro- 


vient de  l'objet  (ainsi  l'homme  qui  jouit  de  la  vision 
intuitive  de  Dieu  est  nécessité  à  aimer  cet  objet  qui 
remplit  sa  faculté),  et  celle  qui  provient  d'une  déter- 
mination physique  de  la  faculté  de  volonté  à  un  acte 
qui  a  pour  objet  un  bien  qui  ne  remplit  pas  toute  la 
faculté.  Quand  cette  dernière  détermination  physique 
se  réalise  par  un  principe  extrinsèque  à  la  volonté, 
celle-ci  n'a  plus  la  maîtrise  sur  son  acte  et  celui-ci  ne 
lui  est  pas  imputable. 

Enfin  il  reste  la  distinction  classique  des  baiïésiens  : 
in  sensu  divisa,  et  in  sensu  composito.  La  volonté 
serait  libre  m  sensu  divisa,  c'est-à-dire  quand  la  pré- 
détennination  physique  n'est  pas  encore  dans  la 
volonté;  celle-ci  ne  serait  pas  libre  in  sensu  composito, 
c'est-à-dire  quand  la  prédéterminalion  physique  est 
produite.  Cette  distinction  ne  lève  pas  la  difficulté; 
elle  ne  laisse  pas  subsister  ce  qui,  à  notre  avis,  est  essen- 
tiel à  l'acte  libre,  à  savoir  l'indifférence  active  de  la 
volonté  se  déterminant  au  choix.  En  effet,  dans  le 
système  banésien,  si  l'on  considère  la  volonté  en  acte 
premier,  elle  ne  peut  pas  physiquement  se  déterminer 
au  choix,  parce  que  la  prédétermination  physique 
divine  n'existe  pas  ;  dès  que  celle-ci  existe,  la  volonté 
est  physiquement  déterminée  à  vouloir  ceci  plutôt  que 
cela.  Il  n'y  a  donc  pas  de  place  pour  l'indifférence 
active  et  la  maîtrise  de  la  volonté  sur  son  acte.  Ce  qui 
ressort  plus  clairement  quand  on  considère  ce  que  nous 
avons  dit  plus  haut  ;  il  faut,  dans  le  système  banésien, 
une  prédétermination  physique  à  tout  acte  d'élection. 
Considérez  la  volonté  en  acte  premier,  supposez-la 
mue  par  une  grâce  actuelle  excitante  (qui  a  pour  terme 
l'acte  indélibéré)  à  un  acte  délibéré  de  vertu;  si  aucune 
prédétermination  physique  ne  survient  (hypothèse 
impossible),  elle  ne  peut  physiquement  émettre  aucun 
choix,  si  survient  la  prédétermination  physique  au 
consentement  elle  est  physiquement  déterminée  à 
consentir,  si  survient,  au  contraire,  la  prédétermina- 
tion physique  au  dissentiment,  elle  est  physiquement 
déterminée  à  vouloir  ne  pas  consentir.  Il  n'y  a  donc 
aucune  indifférence  physique  active,  aucune  maîtrise 
de  la  volonté  sur  son  acte.  Et  —  il  faut  bien  que  nous 
le  répétions  ici  —  la  prédétermination  physique  infuse 
par  Dieu  ne  dépend  pas  de  la  prévision  qu'il  a  des  dis- 
positions de  l'homme  d'après  lesquelles  il  consentirait 
ou  refuserait  le  consentement,  indépendamment  de  la 
prédétermination  physique. 

b)  Quant  aux  arguments  généraux  proposés  pour 
étayer  la  doctrine  banésienne,  a.  le  premier  est  celui 
de  la  dépendance  complète  de  l'homme  vis-à-vis  de 
Dieu.  Certes  l'on  doit  admettre  (pie  toute  créature  et 
quant  à  son  être  et  quant  à  ses  opérations  dépend 
réellement  et  absolument  de  Dieu;  il  faut  admettre 
encore  que,  dans  l'ordre  du  salut,  tout  acte  salutaire 
dépend  de  la  grâce  et  de  Dieu  qui  est  seule  cause  de 
celle-ci.  Mais  le  système  banésien  n'est  pas  la  seule 
explication  possible  de  cette  dépendance.  Nous  ne 
pensons  pas  que  pour  la  sauvegarder  il  faille  admettre 
la  prédétermination  physique.  En  effet,  Dieu,  en  créaul 
les  êtres  doués  de  volonté  libre,  leur  a  donné  une  faculté 
dont  l'opération,  qui  lui  est  propre,  l'élection,  est  essen- 
tiellement diverse  de  toutes  les  autres  opérations;  celle 
dilTércnce  consiste  précisément  en  ceci,  que  la  volonté 
veut  ceci  plutôt  que  cela,  alors  qu'elle  pourrait  vou- 
loir cela  plutôt  que  ceci;  or  il  y  a  dans  ce  choix  une 
réelle  indépendance  physique  qui  ne  peut  pas  être 
enlevée  sans  que  périsse  l'essence  même  de  l'acte  libre. 
Cette  indépendance  physique  soustrait-elle  la  volonté 
à  la  souveraine  domination  de  Dieu  ?  Non,  parce  que 
Dieu  peut  mouvoir  la  créature  intelligente  à  tout  acte 
volontaire  sans  détruire  cette  indépendance  qui  est 
le  propre  de  l'acte  d'élection.  Cette  assertion  est  pour 
nous  une  conclusion  nécessaire  de  la  connaissance 
de  la  nature  humaine  et  de  la  connaissance  de  la  nature 


L671 


GRACE 


1672 


divine;  nous  savons  que  l'homme  est  libre,  que  cette 
liberté  consiste  essentiellement  dans  le  pouvoir  de 
choisir:  d'autre  pari,  que  Dieu  ne  détruit  pas  son 
œuvre,  niais  qu'il  meut  toute  créature  de  la  manière 
qui  convient  à  sa  nature;  nous  concluons  donc  que 
celle  liberté,  que  cette  indépendance  qui  lui  est  essen- 
tielle, doivent  subsister,  que  par  conséquent  Dieu  ne 
meut  pas  l'homme  de  façon  à  ce  que  cette  liberté  dis- 
paraisse. Si  donc  la  prédétermination  physique  est 
incompatible  avec  la  liberté  que  nous  connaissons,  nous 
devons  logiquement  nier  la  prédéterminât  ion  physique. 
Cette  négation  doit  être  maintenue  alors  même  que 
nous  ne  parviendrions  pas  à  trouver  une  explication 
adéquate  de  la  manière  intime  dont  Dieu  agit  clans  ses 
créatures.  Dans  ce  cas,  il  faudrait  se  contenter  du  prin- 
cipe général  énoncé  par  saint  Thomas  :  «  La  provi- 
dence divine  ne  détruit  pas  la  nature  des  choses,  mais 
la  conserve.  Puis  donc  que  la  volonté  est  un  principe 
actif  qui  n'est  pas  déterminé  à  un  objet,  mais  qui  est 
indifférent  vis-à-vis  d'un  grand  nombre  (principium 
aclivum  non  détermination  ad  unum,  sed  indifferenter 
se  habens  ad  mulla),  Dieu  la  meut  de  telle  façon  qu'il 
ne  la  détermine  pas  nécessairement  à  un  objet,  mais 
son  mouvement  (son  acte)  reste  contingent  et  ne 
devient  pas  nécessaire,  si  ce  n'est  quand  il  s'agit  des 
objets  vers  lesquels  elle  est  mue  naturellement  » 
Snm.  theol.,  F  IV,  q.  x,  a.  4.  Saint  Thomas,  en  répon- 
dant à  la  question  concernant  le  mode  d'après  lequel 
Dieu  agit  dans  la  volonté,  exclut  avant  tout  ce  qui 
serait  inconciliable  avec  la  liberté,  notamment  une 
détermination  physique  qui  enlèverait  la  contingence 
île  l'acte,  c'est-à-dire  l'indifférence  active  qui  est  le 
propre  de  la  liberté. 

b.  Nous  donnons  une  réponse  semblable  à  l'argu- 
ment tiré  de  la  connaissance  divine.  Il  faut  admettre 
e1  l'on  démontre  que  Dieu  doit  connaître  tous  les  actes 
libres  de  l'homme,  qu'il  les  connaît  en  lui-même,  in 
semelipso;  mais  la  difficulté  surgit  quand  il  faut  assi- 
gner le  moyen  objectif  dans  lequel  Dieu  connaît  les 
actes  libres.  On  propose  comme  moyen  de  connais- 
sance les  décrets  déterminants,  c'est-à-dire  les  décrets 
de  la  volonté  divine  qui  décident  de  donner  à  tel 
homme  dans  de  telles  conditions  telle  prédétermina- 
tion physique  qui  produit  l'acte  de  volonté;  ce  moyen 
de  connaissance,  nous  le  rejetons  comme  inconciliable 
avec  la  liberté  humaine.  Celte  incompatibilité  étant 
démontrée,  il  faut  la  maintenir  alors  même  que  l'on  ne 
parviendrait  pas  à  assigner  d'une  manière  absolument 
satisfaisante  le  moyen  objectif  dans  lequel  Dieu  con- 
naît les  actes  libres.  Il  ne  serait  pas  logique  d'affirmer 
a  priori  que  nous  devons  connaître  ce  qui,  dans  l'es- 
sence divine,  est  le  moyen  objectif  dans  lequel  Dieu 
connaît  les  actes  libres.  Quant  à  nous,  nous  ne  voyons 
aucune  contradiction  dans  la  science  moyenne,  bien 
que  cette  explication  ne  résolve  pas  pleinement  toutes 
les  difficultés.  Mais  ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'exposer  ce 
cpii  concerne  la  science  divine. 

:;■■  Doctrine  de  Bellarmin.  —  1.  Exposé.  —  Cet  émi- 
nent  théologien  n'est  ni  moliniste  ni  banésien  dans 
son  enseignement  concernant  l'efficacité  de  la  grâce 
actuelle.  11  tient  pour  fausse  l'opinion  de  Molina  qui 
dit  tpie  l'efficacité  de  la  grâce  dépend  de  la  volonté 
humaine,  et  il  n'admet  pas  sans  restriction  l'assertion 
d'après  laquelle  une  même  grâce  obtiendrait  chez  un 
individu  la  conversion  et  ne  l'obtiendrait  pas  chez  un 
autre,  ni  l'assert  ion  d'après  laquelle  une  grâce  moindre 
obtiendrait  la  conversion  chez  l'un,  alors  qu'une  grâce 
plus  puissante  ne  l'obtiendrait  pas  chez  l'autre.  Il  lient 
pour  fausse  l'opinion  de  Banez  qui  dit  cpie  la  grâce  clïï- 

ice  prédétermine  physiquement  la  volonté  au  con- 
sentement. 

Il  enseigne  que  l'efficacité  de  la  grâce  dépend  d'elle, 
c'est-à-dire  que  la  grâce  est  efficace  «6  inlrinseco.  Celte 


efficacité  consiste  dans  la  congruité  du  secours  donné, 
et  ce  secours  détermine  moralement  la  volonté  au 
consentement,  de  façon  que  le  consentement  suive 
immanquablement,  non  nécessairement,  mais  libre- 
ment. Quand  Dieu  veut  que  quelqu'un  se  convertisse, 
il  lui  parle  intérieurement,  l'exhorte  et  l'inspire  de  la 
façon  qui  lui  convient,  de  sorte  que  cet  homme  ne 
repousse  pas  l'appel  divin.  Cette  opinion,  ajoute  Bel- 
larmin, est  incontestablement  celle  de  saint  Augustin. 
Cette  opinion,  dit-il,  sauvegarde  et  l'efficacité  de  la 
grâce  et  la  liberté  humaine;  parce  que  la  grâce  ne 
détermine  pas  physiquement  la  volonté,  elle  laisse 
l'homme  réellement  libre  de  consentir  ou  de  ne  pas 
consentir;  parce  que  la  grâce  détermine  moralement  la 
volonté,  elle  fait  que  l'homme  y  consente  immanqua- 
blement. Cette  explication  sauvegarde  encore  la  pré- 
destination, lui  conserve  la  certitude,  la  gratuité  en 
même  temps  que  l'indépendance  de  la  prévision  des 
œuvres  humaines.  Bellarmin  admet  aussi  la  science 
moyenne.  L'exposé  de  la  doctrine  de  Bellarmin  se 
trouve  principalement  dans  son  écrit  :  De  novis  con- 
troversiis  inter  patres  quosdam  ex  ordine  prœdieatorum 
et  P.  Ludovicum  Molinam,  dans  Le  Bachelet,  Aucla- 
rium  BeUarminianum,  p.  101  sq.  Voir  aussi  Bellarmin, 
De  (jratia  et  libéra  arbitrio,  1.  I,  c.  xn,  p.  243  sq. 

2.  Critique.  —  Cet  exposé  dans  ses  grandes  lignes  nous 
semble  vrai  et  exact  ;  il  resterait  à  déterminer  davan- 
tage en  quoi  consiste  la  congruité  de  la  grâce. 

4°  Doctrine  de  Sucerez.  —  1.  Exposé.  —  Suarez  ensei- 
gne que  la  grâce  est  efficace  ab  extrinseco,  c'est-à-dire 
que  la  grâce  est  rendue  efficace  par  le  consentement 
humain.  Il  admet  aussi  que  la  grâce  ne  sera  efficace  que 
si  elle  est  congrue;  mais  cette  congruité  semble  réalisée 
principalement  par  des  circonstances  externes  à  la 
grâce  et  non  par  la  qualité  ou  l'intensité  intrinsèques 
de  la  grâce;  d'où  il  résulte  qu'un  homme  se  convertira 
avec  une  grâce  en  elle-même  inférieure,  mais  donnée 
à  un  moment  opportun  pour  le  sujet  auquel  elle  est 
concédée.  Opuscula  theologica,  opusc.  I,  1.  III,  c.  xxi, 
n.  5  sq.,  Opéra  omnia,  t.  xi,  p.  284  sq.  Cette  congruité 
n'est  pas  telle  qu'elle  soit  par  elle-même  la  cause  de  la 
connexité  objective  entre  la  grâce  actuelle  excitante 
et  le  consentement;  cette  connexion  n'est  réalisée  que 
pour  autant  que  Dieu  connaît  que  tel  homme  consen- 
tira de  fait  à  telle  grâce.  Sur  la  doctrine  de  Suarez  et 
les  autres  opinions  qui  appartiennent  au  congruisme, 
voir  Congruisme,  t.  ni,  col.  1120  sq.,  mais  l'opinion 
de  Bellarmin  concernant  l'efficacité  de  la  grâce  n'est 
pas  la  même  que  celle  de  Molina. 

2.  Critique.  —  En  faisant  abstraction  de  ce  qui  dans 
la  doctrine  de  Suarez  concerne  le  concours  général 
de  Dieu,  la  science  divine  et  la  prédestination,  la  notion 
qu'il  donne  du  congruisme  et  de  la  connexion  entre  la 
L;iàce  excitante  et  le  consentement  semble  insuffisante. 
Dans  ce  système  sont  sauvegardés  le  libre  arbitre  et 
la  réalité  d'une  grâce  suffisante  quoique  inefficace. 

5°  Doelrinc  des  augustiniens.  —  Elle  a  été  exposée 
et  critiquée  à  l'art.  Augustinianisme,  1. 1,  col.  2485  sq. 
6°  Doctrine  de  Tournély.  —  1.  Exposé.  —  Elle  se 
sépare  de  la  précédente,  notamment  en  ce  qu'elle  dis- 
tingue la  grâce  accordée  pour  les  oeuvres  faciles  et  la 
grâce  donnée  pour  les  œuvres  difficiles  :  il  y  a  une  grâce 
actuelle  excitante  qui  par  elle-même  suffit  à  obtenir 
le  consentement  libre  :  c'est  la  grâce  qui  est  donnée 
pour  des  œuvres  faciles  et  aussi  pour  la  prière.  Si 
['homme  consent  à  cette  grâce,  il  en  obtiendra  d'autres 
qui  seront  alors  suffisantes  pour  l'accomplissement 
d'oeuvres  difficiles.  De  gratia  Christi,  t.  n,  q.  vu,  a.  4, 
concl.  5,  p.  448  sq.  Saint  Alphonse  de  Liguori  admet 
la  même  opinion  en  la  précisant  :  pour  les  œuvres 
difficiles,  il  faut  une  grâce  efficace  ab  inlrinseco,  qui 
détermine  la  volonté  au  consentement  et  qui  ordinaire- 
ment consiste  en  une  délectation  victorieuse,  parfois  en 


1673 


GRACE 


1674 


un  acte  d'espérance,  de  crainte,  etc.  Pour  les  œuvres 
faciles,  il  y  a  une  grâce  qui  n'est  pas  efficace  ab  intrin- 
seco relativement  à  l'œuvre  salutaire;  notamment 
cette  grâce  suffisante  donne  à  chacun  le  pouvoir  de 
prier  (l'acte  de  la  prière  est  parmi  les  œuvres  faciles), 
et  celui  qui  prie  obtient  la  grâce  efficace  ab  inlrinseco. 
Opéra  dogmatica,  tr.  V,  §  7,  édit.  Walter,  Rome,  1903, 
t.  i,  p.  528.  Voir  son  article,  t.  i,  col.  916.  Le  P.  Jean 
Hermann  a  proposé  et  adopté  le  sentiment  de  son  père 
saint  Alphonse.  Trachrfus  de  divina  gratta  secundum 
S.  Alphonsi  de  Ligorio  doclrinam  et  mentem,  Rome, 
190-1,  p.  337-501. 

2.  Critique.  —  Cette  doctrine  ne  répond  pas  direc- 
tement à  la  question  posée  par  les  théologiens,  â  savoir 
si  la  grâce  est  efficace  ab  intrinseco  ou  ab  extrinseco. 
Elle  contient  de  justes  considérations  sur  la  doctrine 
de  la  distribution  des  grâces,  et  notamment  elle  met 
en  relief  l'importance  de  la  prière;  c'est  par  elle  que 
l'homme  obtient  de  fait  des  grâces  plus  nombreuses 
et  plus  influentes;  on  peut  dire  que,  en  règle  générale, 
c'est  par  la  prière  que  l'homme  reçoit  les  grâces  effi- 
caces par  lesquelles  il  se  sauve;  mais  cette  connexion 
entre  la  prière  et  les  grâces  subséquentes  ne  résout 
pas  la  question  du  mode  selon  lequel  la  grâce  produit 
le  consentement;  en  particulier,  elle  ne  résout  pas  la 
question  du  mode  selon  lequel  la  grâce  qui  excite  à  la 
prière  est  efficace.  De  plus,  la  théorie  de  Tournély  a 
d'autres  inconvénients.  Voir  art.  Augustinianisme, 
t.  i,  col.  2498.  Dans  le  même  article,  col.  2496,  on  a 
indiqué  l'opinion  du  P.  Guillermin,  qui  mérite  d'atti- 
rer l'attention  des  théologiens. 

Conclusion.  —  1°  D'après  l'exposé  succinct  de  ces 
diverses  doctrines,  il  semble  qu'on  peut,  quant  à  leur 
substance,  les  ramener  à  trois  catégories,  en  ne  tenant 
pas  compte  des  divergences  qui  concernent  l'explica- 
tion ultérieure  des  principes  et  leur  application. 

1.  D'après  Baftez,  l'efficacité  de  la  grâce  consiste 
dans  la  prédétermination  physique  :  c'est  la  grâce 
adjuvante  (réellement  distincte  de  la  grâce  excitante) 
qui,  surajoutée  à  la  grâce  excitante,  cause  physique- 
ment l'acte  du  consentement  ;  il  y  a  donc  une  connexion 
physique  et  nécessaire  entre  cette  grâce  et  l'acte  déli- 
béré; c'est  là,  au  plein  sens  du  mot,  une  grâce  efficace 
par  elle-même,  efficax  ab  intrinseco. 

2.  D'après  Molina,  il  n'y  a  pas  île  prédétermination 
physique  et  par  conséquent  pas  de  connexion  physique 
et  nécessaire  entre  la  grâce  et  l'acte  délibéré.  La  cau- 
salité physique  de  la  grâce  actuelle  se  trouve  tout 
entière  dans  l'acte  indélibéré  d'intelligence  et  de 
volonté.  Ces  actes  disposent  l'homme  au  consente- 
ment, l'y  inclinent,  mais  ce  consentement  est  produit, 
causé  par  la  volonté  se  déterminant  elle-même  libre- 
ment; précisément  pour  cela  il  n'y  a  pas  de  connexion 
physique  et  nécessaire  entre  la  grâce  et  l'acte  délibéré 
du  consentement,  et  par  conséquent  il  n'y  a  pas  de 
grâce  efficace  par  elle-même;  dans  ce  système  on 
a,  au  sens  plein  du  mot,  une  grâce  efficace  ab  extrin- 
seco. 

Pour  préciser  le  sens  de  l'expression  effleax  ab  extrin- 
seco, remarquons  que  Molina  parle  de  la  grâce  exci- 
tante, et  que,  par  son  efficacité,  il  entend  l'émanation 
de  l'acte  du  consentement;  comme,  d'après  lui,  cette 
émanation  est  causée  physiquement  par  la  volonté 
sans  aucune  prémotion  physique  divine,  il  résulte  que 
cet  acte  est  surajouté  à  la  grâce  excitante  qui  en  est 
réellement  distincte  et  par  conséquent  l'efficacité  dont 
il  s'agit  est  extrinsèque  à  la  grâce  excitante.  Les  bané- 
siens  appellent  aussi  efficacité  de  la  grâce  l'émanation 
même  de  l'acte  du  consentement  ;  comme,  d'après 
eux,  cette  émanation  est  causée  physiquement  par  la 
prédétermination  divine,  il  résulte  que  cet  acte  est 
l'effet  immédiat  et  physique  de  la  grâce  et  que  la  cau- 
salité physique  de  celle-ci  atteint  l'être  et  la  détermi- 


nation de  cet  acte;  c'est  pourquoi  on  dit  que  cette 
grâce  est  par  elle-même  ou  intrinsèquement  efficace. 
Mais  il  faut  remarquer  que  la  grâce  qui  est  efficace  au 
sens  expliqué  n'est  pas  la  grâce  excitante,  mais  une 
grâce  réellement  et  essentiellement  distincte  de  celle- 
là  et  surajoutée. 

3.  D'autres     théologiens     défendent    une    opinion 
moyenne.    Ils   n'admettent   pas   la  prédétermination 
physique,  mais  ils  n'admettent  pas  non  plus  l'absence 
de  toute  connexion  intrinsèque  entre  la  grâce  et  l'acte 
du   consentement;   la   grâce   excitante,    d'après    eux, 
produit   une   disposition,   une   inclination   qui,   parce 
qu'elle  est  telle  (c'est-à-dire  parce  qu'elle  produit  tel 
acte  déterminé,  indélibéré,  ou  bien  parce  qu'elle  pro- 
duit une   inclination   de  telle   intensité),  obtient,  de 
fait,  le  consentement;  c'est  donc  dans  la  congruité  de  la 
grâce  excitante  relativement  au  sujet  que  consiste  la 
connexion  de  la  grâce  avec  le  consentement;  d'après 
cette  opinion,  la  grâce  est  dite  aussi  efficace  ab  intrin- 
seco, mais  cette  efficacité  intrinsèque  diffère  radica- 
lement  de   l'efficacité   intrinsèque    défendue   par   les 
banésiens.  La  première  n'est  pas  physique,  elle  est 
morale  :    aussi    l'appelle-t-on    une    prédétermination 
morale.  La  congruité  ou  prédétermination  morale  est 
susceptible  d'explication  plus  développée,  mais  il  est 
essentiel  à  la  doctrine  exposée  que  la  volonté  est  cause 
physique  efficiente  de  son  acte  délibéré  ainsi  que  de  la 
détermination  de  celui-ci,  de  plus  que  cette  détermi- 
nation est  réellement  contingente,  c'est-à-dire  que  la 
volonté  qui,  sous  l'influence  de  la  grâce  excitante,  se 
détermine  au  consentement,  aurait  pu  physiquement 
se  déterminer  au  non-consentement,  à  la  résistance. 
Cette  opinion  est  donc  toute  différente  de  celle  de 
Jansénius  qui  concevait  l'appétit  volontaire  comme 
une  balance  qui  penche  nécessairement  du  coté  ou  la 
pression  est  plus  forte,  cf.  Guillermin,  Revue  thomiste, 
1903,  p.  22  sq.  ;  elle  est  aussi  différente  de  l'opinion  des 
augustiniens  rigides  chez  lesquels  la  délectation  vic- 
torieuse semble  bien  causer  physiquement    la  prédé- 
termination de  l'acte  du  consentement,  bien  que  cette 
prédétermination    exerce    une    causalité    toute    diffé- 
rente de  celle  qui  est  exposée  dans  le  système  bahésien. 
Sur  l'opinion  des  augustiniens  rigides,  voir  Augusti- 
nianisme, t.   i,  col.  2485  sq.  ;  dans  le  même  article, 
col.  2495  sq.,  est  exposée  la  doctrine  de  la  prédéter- 
mination morale.  Si  l'on  exclut  l'opinion  de  Tournély, 
qui  introduit  une   distinction  sans   fondement,   et  si 
l'on  s'en  tient  à  admettre  une  congruité  intrinsèque, 
mais  relative  aux  dispositions  des  individus,  auxquels 
est  donnée  la  grâce  excitante,  et  dont  l'effet  propre  est 
de  mettre  le  sujet  dans  telle  disposition  où  de  fait  il 
consentira  librement,  cette  opinion  nous  semble  sau- 
vegarder la  liberté  humaine  et  l'efficacité  de  la  grâce. 
Les  hommes,  par  leurs  paroles  et  leurs  actes,  peuvent 
persuader  aux  autres  de  faire  ou  d'omettre  telle  chose  ; 
ils  sont  parfois  si  puissants  qu'ils  peuvent  faire  chan- 
ger les  résolutions  des  autres;  Dieu  qui  agit  à  son  gré 
dans  l'intérieur  même  de  l'âme  pourra  donc  obtenir 
toujours  le  consentement  de  l'homme  ;  il  pourra  par 
conséquent  réaliser  chez  les  divers  individus  la  sain- 
teté surnaturelle  telle  qu'il  la  désire.  Nous  ne  voyons 
pas  sur  quoi  est  fondée  l'assertion  du  P.  Portalié,  art. 
Augustinianisme,  t.  i,  col.  2497  :   «  De  fait,  l'expé- 
rience prouve  que  Dieu  n'emploie  pas  universellement 
ce  moyen   (la  prédétermination   morale).    Il   n'est   ni 
vrai,  ni  vraisemblable  que  Dieu  donne  à  tous  ceux 
qui  font  bien  (même  dans  les  plus  petites  choses,  une 
légère  aumône,  etc.)  une  abondance  de  grâces  mora- 
lement irrésistible,  en  sorte  qu'il  leur  serait  non  seule- 
ment plus   difficile,   mais  moralement  impossible   de 
résister;  l'expérience  de  chaque  âme  semble  établir 
qu'il  n'en  va  point  ainsi.   »  Cette  assertion  suppose 
d'abord  qu'il  faut  pour  tout  acte  salutaire,  même  chez 


1G75 


GRACE 


1676 


l'homme  juste,  une  grâce  spéciale  excitante  ou  une 
série  de  grâces;  cette  thèse  n'est  pas  démontrée  et  nous 
ne  l'admel  I  on:  pas,  comme  nous  l'exposerons  plus  loin. 
Le  P.  Portalié  s'appuie  sur  l'expérience;  nous  nous 
demandons  en  vain  ce  que  l'expérience  pourrait  établir 
concernant  le  mode  de  l'influence  de  la  grâce  actuelle 
excitante  sur  l'acte  de  consentement.  L'homme  a  la 
conscience  psychologique  de  ses  actes  cognoscitifs 
et  appétitifs,  qu'ils  soient  indélibérés  ou  délibérés. 
L'homme  peut  donc  avoir  conscience  d'une  inclina- 
tion puissante  vers  un  bien,  ou  d'inclinations  répétées 
vers  telle  bonne  action,  il  pourra  avoir  conscience  de  sa 
délibération  et  du  lait  qu'il  pose  un  consentement 
pleinement  délibéré,  il  pourra,  par  la  foi  et  par  une  con- 
naissance conjecturale,  savoir  cpie  telle  inclination  est 
l'effet  d'une  grâce  actuelle,  et  que,  par  conséquent,  il  a 
librement  consenti  à  une  grâce;  mais  il  ne  pourra  pas 
avoir  conscience  de  la  nature  intime  de  la  connexion 
de  la  grâce  actuelle  excitante  avec  le  consentement  qui 
a  suivi.  Il  en  est  de  même  lorsque,  délibérément,  il 
refuse  le  consentement  à  une  inclination  puissante  ou 
à  une  série  de  motions  vers  un  bien;  il  aura  conscience 
et  de  l'inclination  et  de  sa  résistance  délibérée,  mais 
son  regard  ne  pourra  pas  pénétrer  davantage  dans 
son  activité  psychologique  et  savoir  pourquoi  il  a 
refusé  son  consentement;  il  ne  peut  que  constater  le 
fait  de  son  refus  délibéré  et  la  possibilité  du  consente- 
ment. Il  en  est  de  même  pour  les  actions  faciles,  qui 
ne  sont  précédées  d'aucune  lutte;  quand  Dieu,  par 
une  grâce  actuelle,  fait  surgir  dans  un  homme  bien 
disposé  la  pensée  d'une  bonne  action  et  que  cet 
homme  immédiatement,  bien  que  délibérément,  con- 
sent et  pose  l'acte  vertueux,  il  pourra  savoir  qu'il  a 
librement  consenti  à  l'impulsion  susdite,  mais  sa  con- 
science ne  lui  manifestera  pas  quelle  est  précisément 
l'influence  exercée  par  cette  grâce;  il  n'y  a  pas  de 
raison  de  nier  que  c'est  de  la  congruité  de  cette  impul- 
sion que  dépend  le  consentement,  et  que,  par  consé- 
quent, cette  grâce  excitante  a  été  une  prédétermina- 
tion morale.  La  notion  de  celle-ci  n'implique  pas 
nécessairement  l'idée  d'inclination  véhémente  ou 
d'impulsion  irrésistible  ou  victorieuse  d'une  opposi- 
tion. La  prédermination  morale  ne  dit  pas  autre  chose 
qu'une  inclination  vers  le  bien  telle  qu'elle  obtient  de 
fait  le  consentement  libre. 

Mais  ici  surgit  la  question  de  l'infaillibilité  de  la 
connexion  entre  la  grâce  excitante  et  le  consentement. 
Quand  on  parle  d'infaillibilité  on  parle  d'une  connais- 
sance :  il  ne  peut  s'agir  ici  que  de  la  connaissance 
divine.  Car  lorsque  l'homme  consent  librement,  il  a 
conscience  qu'il  pourrait  ne  pas  consentir  et  que  son 
consentement  est  contingent.  Quand  il  s'agit  de  l'in- 
fluence exercée  par  un  homme  sur  un  autre,  le  premier 
ne  peut  avoir  qu'une  connaissance  conjecturale  du 
consentement  ou  non-consentement  du  second.  Dieu 
connaît  infailliblement  tous  les  actes  libres  que  pose- 
raient tous  les  hommes  dans  toutes  les  circonstances  où 
ils  pourraient  se  trouver;  nous  tenons  que  Dieu  con- 
naît cela  en  lui-même  et  notamment  dans  sa  causa- 
lité divine.  Mais  quel  est  précisément  le  moyen  objec- 
tif dans  lequel  Dieu  connaît  ses  actes  ?  Ce  n'est  pas  le 
lieu  de  traiter  cette  question.  Nous  dirons  simple- 
ment que  la  congruité  de  la  grâce  excitante,  cette 
congruité  qui  est  relative  à  chaque  individu  et  qui  con- 
stitue  la  prédétermination  morale,  est  pour  Dieu  un 
moyen  de  connaître  infailliblement  le  consentement, 
il  la  non-congruité,  qui  suppose  toujours  la  suffisance 
de  la  grâce,  est  le  moyen  de  connaître  infailliblement 
le  non-consentement.  I.a  prédestination  est  donc  infail- 
lible et  les  moyens  dont  elle  se  sert  obtiennent  imman- 
quablement leur  effet. 

2°  De  ce  que  nous  venons  d'exposer,  il  résulte  que 
la  différence  entre  la  grâce  seulement  suffisante  et  la 


grâce  efficace  n'est  pas  une  différence  essentielle;  que, 
si  l'on  considère  la  grâce  d'une  manière  absolue,  cette 
différence  n'est  ni  qualitative,  ni  quantitative;  la  con- 
gruité,  propre  à  la  grâce  efficace,  est  une  congruité 
relative  au  sujet  auquel  elle  est  donnée;  il  peut  donc  se 
faire  que  telle  inspiration  soit  efficace  chez  tel  individu 
dans  telles  circonstances  et  ne  le  soit  pas  chez  un 
autre;  il  peut  se  faire  aussi  qu'une  inspiration  plus 
intense  soit  inefficace  chez  tel  homme,  alors  qu'une 
grâce  moins  intense  soit  efficace  chez  un  autre. 

3°  Il  faut  rappeler  encore  qu'entre  le  terme  de  la 
causalité  physique  et  efficiente  de  la  grâce  excitante, 
c'est-à-dire  l'acte  indélibéré,  et  le  consentement  déli- 
béré il  y  a  nécessairement,  si  on  peut  parler  ainsi,  solu- 
tion de  continuité.  Le  P.  Guillermin,  Revue  thomiste, 
1902,  t.  x,  p.  673,  explique  très  bien  cette  assertion  : 
"  Il  y  a  une  grande  différence  entre  la  manière  d'agir 
de  la  volonté  libre  sous  la  motion  divine  et  la  manière 
d'agir  des  facultés  d'ordre  purement  physique.  En 
celle-ci,  l'action  divine  A  produit  toujours  une  motion 
passive  A'  de  laquelle  découle  ensuite  nécessairement 
l'effet  corrélatif  a.  Les  agents  physiques,  en  effet,  agis- 
sent toujours  conformément  aux  modifications  qu'ils 
ont  subies;  un  corps  soumis  à  l'action  de  la  chaleur 
communiquera  la  chaleur  au  même  degré  où  il  l'aura 
lui-même  reçue.  Aussi  dit-on  des  agents  physiques 
qu'ils  sont  dans  leurs  opérations  plutôt  passifs  qu'ac- 
tifs, potius  aguntur  quam  agunt.  Il  en  va  tout  autre- 
ment pour  la  volonté  libre.  Sans  doute  ici  encore  l'ac- 
tion divine  A  produit  dans  la  faculté  une  impulsion 
une  motion  passive  A'.  Mais  la  liberté  de  la  volonté 
consiste  précisément  en  ce  qu'entre  la  motion  passive 
A'  et  l'acte  a  correspondant  il  n'y  a  qu'un  lien  contin- 
gent et,  puisque  la  volonté  créée  est  défectible,  il  peut 
arriver,  Dieu  le  permettant  ainsi,  qu'elle  entrave  le 
résultat  de  la  motion  et  que  l'acte  a  soit  intercepté. 
Pour  mieux  entendre  comment  la  défection  peut  se 
produire  sous  la  motion  actuelle  de  Dieu,  on  doit  se 
rappeler  que,  d'après  l'enseignement  thomiste,  il  faut 
considérer  dans  la  motion  physique  naturelle  ou  sur- 
naturelle un  double  aspect.  Sous  le  premier  aspect,  elle 
est  un  effet  de  Dieu,  une  motion  passive  reçue  dans 
la  volonté;  sous  le  second  aspect,  elle  est  principe  actif, 
ou  plutôt  la  faculté  activée  par  la  motion  divine  passi- 
vement reçue  devient,  par  elle  et  avec  elle,  principe 
actif  d'opération  :  Aclus  procedil  ab  agente  in  aclu.  Or, 
l'agent  libre  se  distingue  de  l'agent  nécessaire  en  ce 
que  celui-ci,  une  fois  activé,  procède  fatalement  à  la 
production  de  l'acte,  tandis  que  l'agent  libre  y  procède 
librement  et  suivant  ce  qu'il  lui  plaît  de  vouloir.  Si  cet 
agent  libre  est  indéfectiblement  parfait  dans  ses  choix, 
il  procédera  immanquablement,  quoique  librement, 
à  la  production  de  l'acte  auquel  l'active  la  motion 
divine.  Mais  si  cet  agent  libre  est  défectible,  il  pourra 
toujours  défaillir,  et  sûrement  il  défaillira  quelquefois, 
à  moins  que  Dieu  par  une  protection  gratuite  particu- 
lière, ne  le  préserve  et  ne  le  soutienne  actuellement;  et 
sa  défaillance  consistera  précisément  en  ce  qu'il  choi- 
sira de  ne  pas  procéder  activement  à  l'acte  auquel  il 
est  mû  et  actionné  par  la  motion  passive  reçue  de 
Dieu.  »  Donc  la  motion  divine  qui  est  passivement 
reçue  et  qui  a  pour  terme  l'acte  indélibéré  ne  prédé- 
termine pas  physiquement  l'acte  délibéré;  celui-ci  est 
contingent.  De  plus,  il  ne  faut  pas,  outre  l'impulsion 
indiquée  A,  une  nouvelle  impulsion  divine  qui,  phy- 
siquement, cause  et  détermine  l'acte  délibéré;  celui-ci 
émane  de  la  volonté  déjà  en  acte  par  l'impulsion  A'  et 
c'est  la  volonté  elle-même  qui  le  détermine.  Nous  con- 
cluons (pic  la  division  de  la  grâce  actuelle  en  suffisante 
et  en  efficace  concerne  formellement  la  grâce  excitante; 
si  celle-ci  est  congrue,  au  sens  expliqué,  c'est-à-dire 
si  elle  est  telle  qu'elle  obtient  immanquablement  le 
consentement,  elle  est  efficace;  elle  est,  au  contraire, 


1077 


GRACE 


1G78 


seulement  suffisante,  si  elle  n'a  pas  cette  congruité  qui 
est  suivie  du  consentement. 

Nous  n'avons  guère  cité  d'auteurs  dans  l'expose  de 
notre  conclusion,  et  nous  ne  saurions  faire  le  triage  des 
théologiens  en  déterminant  exactement  quelles  sont 
les  propositions  admises  par  les  uns  et  par  les  autres, 
car  il  y  a,  à  ce  point  de  vue,  des  divergences  nom- 
breuses et  souvent  il  est  impossible  de  saisir  exacte- 
ment la  pensée  d'un  auteur  sur  l'explication  de  la  cau- 
salité de  la  grâce.  Nous  croyons  cependant  que  notre 
conclusion  est  conforme  à  la  doctrine  de  Bellarmin, 
dans  son  écrit  De  novis  controversiis,  cité  plus  haut,  et 
que  ce  théologien  souscrirait  à  ces  trois  assertions  : 
1°  l'efficacité  de  la  grâce  actuelle  excitante  ou  la  con- 
nexion immanquable  entre  la  grâce  excitante  et  le  con- 
sentement libre  de  la  grâce  consiste  formellement  en  sa 
congruité  relative,  relative  au  sujet  auquel  elle  est 
conférée  et  en  ce  sens  l'efficacité  est  intrinsèque;  2°  il 
n'y  a  pas  de  différence  essentielle  entre  la  grâce  simple- 
ment suffisante  et  la  grâce  efficace;  même  il  n'y  a  pas 
entre  elles  de  différence  qualitative  ou  quantitative,  si 
on  considère  la  grâce  interne  en  elle-même,  abstrac- 
tion faite  des  dispositions  du  sujet  dans  lequel  elle 
entre;  3°  la  division  entre  grâce  seulement  suffisante 
et  la  grâce  efficace  est  une  subdivision  de  la  grâce  exci- 
tante, et  pour  que  la  grâce  excitante  soit  efficace,  il 
n'est  pas  requis  qu'une  nouvelle  grâce  prévenante  soit 
ajoutée  à  la  première. 

V.  NÉCESSITÉ  DE  LA  GRACE  ACTUELLE  POUR  L'HOMME 

justifié.  —  1°  Doctrine  de  l'Église.  —  Il  ne  peut  être 
question  ici  que  des  adultes,  arrivés  à  l'usage  de  la 
raison;  les  autres  ne  peuvent  par  poser  d'actes  salu- 
taires. Nous  parlons  ici  de  la  conservation  de  l'état 
de  justice  :  elle  requiert  des  actes  délibérés  salutaires, 
notamment  l'observation  des  commandements  divins. 
Nous  n'exposons  pas  ici  ce  qui  concerne  la  persévé- 
rance finale.  Voir  Persévérance. 

L'homme  adulte  justifié  ne  peut  pas,  sans  le  secours  de 
grâces  actuelles,  éviter,  pendant  un  temps  considérable, 
tout  péché  mortel.  —  1.  Cette  assertion  est  contenue 
implicitement  dans  ces  textes  de  l'Écriture  sainte  où 
l'on  mentionne,  d'une  part,  les  grandes  difficultés  que 
rencontre  le  juste  dans  l'exercice  de  sa  perfection 
morale,  et,  où  on  indique,  d'autre  part,  que  l'énergie, 
requise  à  la  persévérance,  est  duc  au  secours  divin  ;  ce 
secours  ne  peut  pas  être  uniquement  l'ensemble  des 
dons  habituels;  il  s'agit  donc  de  grâces  actuelles.  Les 
textes,  auxquels  nous  faisons  allusion,  sont  les  sui- 
vants :  «  Au  reste,  mes  frères,  forlifiez-vous  dans  le 
Seigneur  et  dans  sa  vertu  toute-puissante.  Revètez- 
vous  de  l'armure  de  Dieu,  afin  de  pouvoir  résister  aux 
embûches  du  diable.  Car  nous  n'avons  pas  à  lutter 
contre  la  chair  et  le  sang,  mais  contre  les  princes,  con- 
tre les  puissances,  contre  les  dominateurs  de  ce  monde 
de  ténèbres,  contre  les  esprits  (répandus)  dans  l'air. 
C'est  pourquoi  prenez  l'armure  de  Dieu  afin  de  pouvoir 
résister  au  jour  mauvais  et,  après  avoir  tout  surmonté, 
rester  debout.  »  Eph.,  vi,  10-13.  «Ainsi  donc  que  celui 
qui  croit  être  debout  prenne  garde  de  tomber.  Aucune 
tentation  ne  vous  est  survenue,  qui  n'ait  été  humaine; 
et  Dieu,  qui  est  fidèle,  ne  permettra  pas  que  vous 
soyez  tentés  au  delà  de  vos  forces;  mais,  avec  la  ten- 
tation, il  ménagera  aussi  une  heureuse  issue  en  vous 
donnant  le  pouvoir  de  la  supporter.  »  ICor.,x,  12,13. 
«Travaillez  à  votre  salut  avec  crainte  cl  tremblement..., 
car  c'est  Dieu  qui  opère  en  vous  le  vouloir  et  le  faire, 
selon  son  lion  plaisir.  »  Phil.,  n,  12,  13. 

2.  Dans  le  document  nommé  Indiculus  de  gratia,  le 
c.  ni  ou  vi  dit  :  «  Personne,  même  renouvelé  par  la 
grâce  du  baptême,  n'est  capable  de  surmonter  les 
embûches  du  démon  et  de  vaincre  les  convoitises  de  la 
chair,  s'il  n'a  reçu,  par  un  secours  de  Dieu,  chaque  jour 
renouvelé,  la  persévérance  dans  une  bonne  vie,  »  Den- 


zinger-Bannwarl,  n.  132.  Voir  Célestin,  l.  n,  col.  2054. 
Le  IIe  concile  d'Orange  enseigne  que  le  secours  divin 
doit  être  toujours  demandé  même  par  ceux  qui  déjà 
sont  régénérés  et  sanctifiés,  pour  qu'ils  puissent  arriver 
à  une  fin  heureuse  ou  pour  qu'ils  puissent  persévérer 
dans  l'exercice  du  bien.  Denzinger-Bannvvart,  n.  183. 
Le  concile  de  Trente  affirme  aussi  la  nécessité  de  la 
grâce  pour  que  les  justes  puissent  être  victorieux  dans 
leur  lutte  contre  la  chair,  le  monde  et  le  démon,  et  la 
nécessité  d'un  secours  spécial  pour  qu'ils  puissent  per- 
sévérer dans  la  justice  reçue.  Denzinger-Bannwart, 
n.  806,  832.  Quant  au  sens  de  l'expression  secours 
spécial,  nous  pensons  qu'elle  désigne  les  grâces  actuelles 
qui  procurent  à  l'homme  l'énergie  suffisante  à  éviter  le 
péché  mortel  et  que,  par  conséquent,  l'expression 
auxilium  spéciale  ne  désigne  pas  la  même  chose  que 
celle  qui  est  signifiée  par  l'expression  :  magnum  per- 
severantise  donum,  qui  indique  la  persévérance  finale 
obtenue.  Cf.  Hefncr,  Die  Enslehungsgeschichle  des 
Trienter  Rechtfertigungsdekretes,  p.  352;Straub,  Ueber 
den  Sinn  des  22  Canons  der  6  Siszung  des  Concils  von 
Trient,  dans  Zcilschrift  fur  katholische  Théologie,  189  7, 
t.  xxi,  p.  188  sq.,  221  sq. 

3.  Les  scolastiques  exposent  la  raison  de  la  nécessité 
des  grâces  actuelles  chez  les  justes.  Il  s'agit  de  la  diffi- 
culté qu'éprouve  l'homme  à  remplir  fous  ses  devoirs, 
à  résister  à  toutes  les  tentations.  Cette  difficulté  a  son 
origine  psychologique  dans  la  concupiscence,  d'où 
résultent  l'ignorance  et  les  passions  désordonnées. 
L'homme  justifié  est,  par  le  fait  même,  rectifié  dans  le 
fond  de  son  âme  :  il  possède  la  grâce  sanctifiante,  il  a  la 
vertu  infuse  de  foi,  par  laquelle  son  intelligence  est 
intrinsèquement  et  surnaturellement  soumise  et  ordon- 
née à  Dieu,  il  a  la  charité  infuse  par  laquelle  sa  volonté 
est  intrinsèquement  et  surnaturellement  orientée 
vers  Dieu;  mais  néanmoins  il  reste  en  lui  le  désordre  de 
la  concupiscence  et  ce  qui  en  résulte;  c'est  pour  y 
remédier  qu'il  a  besoin  d'être  éclairé  dans  son  esprit, 
fortifié  dans  sa  volonté  :  cet  effet  s'obtient  par  les  grâces 
actuelles,  c'est-à-dire  par  les  illuminations  de  l'intelli- 
gence et  les  inspirations  de  la  volonté;  au  moyen  de  ces 
impulsions  Dieu  dirige  l'homme  justifié  dans  l'exer- 
cice de  la  sanctification  et  le  protège  contre  les  tenta- 
tions. Les  impulsions,  dont  nous  parlons,  sont  surna- 
turelles; car  elles  disposent  et  aident  positivement 
l'homme  à  accomplir  des  actes  salutaires.  Non,  venons 
de  résumer  la  doctrine  de  saint  Thomas,  Sum.  theol., 
D  IF,  q.  cix,  a.  9.  10.  Cf.  S.  Bonaventure,  In  IV  Sent., 
1.  II,  disl.  XXVIII,  a.  2,  ([.  ii,  Operaomnia.  t.  n.  p.  685 
sq.  ;Cajétan,  In  Sum.  theol.,  D  If.  q.  cix,  a.  9.  Ainsi 
s'explique  la  nécessité  morale  des  grâces  actuelles  chez 
l'homme  juste  :  celle-ci  comporte  donc  que  l'homme 
juste  a  besoin  d'être,  au  moins  de  temps  en  temps, 
secouru   par  des  grâces  actuelles. 

2°  La  controverse  théologique  concerne  la  nécessité 
physique  de  la  grâce  actuelle  et  a  pour  objet  cette 
question  :  l'homme  juste  doil-il  recevoir  une  grâce 
actuelle  pour  tout  acte  salutaire  ?  La  question  se  pose 
spécialement  pour  l'homme  juste,  car  celui-ci  possède 
les  dons  surnaturels,  habituels,  notamment  les  vertus 
infuses;  on  se  demande  donc  si.  dans  l'homme  juste, 
ces  principes  habituels  suffisent  à  surnaturaliser  intrin- 
sèquement les  actes  de  vertu  et  si,  par  conséquent,  une 
grâce  actuelle  est  encore  requise. 

Un  grand  nombre  de  théologiens  enseignent  la  néces- 
sité de  la  grâce  actuelle  pour  chaque  acte  salutaire  du 
juste;  l'opinion  contradictoire  cependant  a  des  défen, 
seurs  autorisés,  notamment  Cajétan,  In  Sum.  theol., 
D  II'11,  q.  cix,  a.  9;  Soto,  De  natura  et  gratia,  1.  III, 
c.  iv,  fol.  207;  Molina,  Concordia,  q.  xiv,  a.  13,  disp.  IV, 
p.  20;  disp.  VIII,  p.  38;  Bellarmin,  De  gratia  cl  libero 
arbilrio,  1.  VI,  c.  xv,  n.  51,  p.  399;  Billuart,  De  gratia, 
diss.  III,  a.  9,  p.  110;  Terrien,  La  grâce  et  lu  gloire,  t.  i, 


1679 


GRACE 


1G80 


p.  180:  t.  ii.  ]).  58;  Pignataro,  De  gratin  (lithogr.)i 
p.  127:  Billot,  Or  virlulibus  in/usis,  thés,  vu,  p.  173; 
De  gralia  Chrisli,  thés,  v,  §  2,  p.  109;  Konings,  De 
gralia  divina,  Louvain,  1907,  prop.  0a,  p.  20;  Merkel- 
bach,  Revue  ecclésiastique  de  Liège,  t.  vin  (1912-1913), 
p.  237  sq.  Celte  seconde  opinion,  que  j'ai  défendue 
dans  mon  traité  De  gralia  divina,  n,  338,  exige  d'abord 
quelques  éclaircissements. 

a)  Saint  Thomas,  Sum.theol.,  Ia  IIœ,  q.  cix,  a.  9, 
parlant  de  la  nécesstié  de  la  grâce  actuelle,  enseigne 
que  l'homme  juste  en  a  un  double  besoin  :  d'abord,  il 
a  la  nécessité  générale  en  vertu  de  laquelle  aucune 
créature  ne  peut  commencer  à  agir  sans  une  motion 
divine;  ensuite  il  a  une  nécessité  spéciale  qui  dépend 
de  la  condition  présente  de  la  nature  humaine  :  cette 
nécessité  est  l'impuissance  morale  de  l'homme  à  faire 
le  bien,  impuissance  qui  a  son  origine  dans  la  corrup- 
tion de  la  chair  et  l'ignorance  de  l'intelligence.  D'après 
cela  il  semblerait,  à  première  vue,  que  pour  tout  acte 
salutaire  chez  le  juste  il  faut  une  grâce  actuelle  et  que 
celle-ci  consiste  dans  la  prémotion  physique  requise  à 
l'opération.  Mais  il  nous  faut  considérer  les  choses  de 
plus  près.  Saint  Thomas  distingue  ici  la  ^ràce  sancti- 
fiante :  habituale  donum  per  quod  nalura  humana  cor- 
rupla  sanelur,  et  etiam  sanata  elevclur  ad  operanda 
opéra  meriloria  vitiv  seternse  quœ  exeedunt  proportionem 
naturœ,  et  la  grâce  actuelle  :  auxiltum  gratiœ  ut  a  Deo 
moveatur  [homo]  ad  agendum.  Ce  qui  est  appelé  moveri 
a  Deo  est  une  motion  générique;  cette  motion  divine 
comprend  deux  espèces  bien  distinctes  :  la  motion  par 
laquelle  Dieu  applique  à  l'action  la  faculté  opérative, 
et  la  motion  spéciale  par  laquelle  Dieu,  suscitant  des 
actes  indélibérés  dans  l'intelligence  et  dans  la  volonté, 
excite  l'homme  à  des  actes  délibérés  salutaires.  La 
motion  de  la  première  espèce  a  sa  raison  d'être  dans 
l'incapacité  physique  où  se  trouve  toute  créature  de 
passer,  par  elle-même,  de  la  puissance  à  l'acte,  de 
passer  de  l'état  de  repos  à  l'état  d'activité.  Cette 
nécessité  est  la  même  pour  tout  commencement  d'opé- 
ration, et  par  conséquent  l'homme  justifié  a  besoin,  lui 
aussi,  de  cette  prémotion  divine;  car  les  habitus  sur- 
naturels, pas  plus  que  les  habitus  naturels,  ne  mettent 
la  faculté  opérative  en  mouvement,  ne  lui  font  pro- 
duire un  acte.  Si  l'on  donne  le  nom  de  grâce  actuelle 
à  cette  motion,  que  nous  venons  de  décrire,  on  dira 
qu'il  faut  une  grâce  actuelle  pour  toute  opération  salu- 
taire de  l'homme  juste,  mais  elle  n'est  pas  entitative- 
ment  surnaturelle,  cf.  Billot,  De  viriutibus  in/usis, 
p.  174,  et  ne  mérite  le  nom  de  grâce  que  parce  que  cette 
motion  se  termine  à  un  acte  surnaturel,  à  un  acte  sur- 
naturalisé par  Yhabilus  infus  et  dépendant  de  Dieu  en 
tant  qu'il   est  l'auteur  de  l'ordre  surnaturel. 

Cette  motion  n'est  pas  un  secours  spécial  :  elle  est 
exigée  par  la  faculté  qui  (étant  donné  les  conditions 
dans  lesquelles  elle  se  trouve)  doit  émettre  son  acte; 
mais  elle  n'ajoute  rien  à  l'énergie  de  l'homme  au  point 
de  vue  de  l'acte  salutaire.  Tandis  que,  pour  la  motion 
de  la  seconde  espèce,  il  en  va  tout  autrement  :  cette 
dernière  est  l'illumination  et  l'inspiration  du  Saint- 
Esprit,  elle  est  un  secours  spécied,  car  elle  ajoute  à 
l'énergie  de  l'homme  en  vue  des  actes  salutaires;  elle 
dissipe  les  ténèbres  de  son  esprit  :  elle  incline  sa  volonté 
à  choisir  le  bien;  elle  remédie  aux  blessures  occasion- 
nées par  le  péché  originel. 

b)  C'est  donc  de  ce  secours  spécial  qu'il  s'agit,  de  ce 
qu'on  appelle  proprement  la  grâce  actuelle  excitante. 
Nous  soutenons  l'opinion  qui  dit  qu'une  telle  grâce 
n'est  pas  requise  pour  chaque  acte  salutaire  délibéré 
dans  l'homme  justifié. 

La  démonstration  de  celle  thèse  se  résume  dans 
l'argumenl  suivant  :  Si  la  grâce  actuelle  excitante  était 
requise  pour  chaque  acte  salutaire  de  l'homme  justifié, 
elle   le  serait   ou    bien   à   cause   de  la   surnaluralité   de 


l'acte  salutaire,  ou  bien  à  cause  de  l'application  de  la 
faculté  opérative  â  son  acte,  ou  bien  à  cause  de  la  fai- 
blesse humaine  vis-à-vis  du  bien  à  accomplir,  ou  bien 
à  cause  d'une  loi  établie  par  Dieu;  or  aucun  de  ces 
litres  n'implique  celte  nécessité;  elle  n'est  donc  pas 
admissible. 

La  mineure  s'explique  :  a.  Les  facultés  opératives, 
notamment  l'intelligence  et  la  volonté,  sont,  chez  le 
juste,  intrinsèquement  élevées  et  portent  en  elles  ces 
diverses  inclinations  surnaturelles  qui  ordonnent  la 
faculté  à  émettre  les  actes  correspondants  :  ce  sont 
les  vertus  infuses  théologales  et  morales.  Celles-ci, 
quand  l'homme  justifié  émet  un  acte  de  foi,  de  charité 
ou  d'une  autre  vertu,  le  surnaturalisent  intrinsèque- 
ment, à  peu  près  comme  les  vertus  naturellement 
acquises  influent  sur  l'acte,  qui  leur  correspond,  quand 
il  est  émis.  11  n'est  donc  pas  requis  qu'un  aulre  prin- 
cipe de  surnaturalisation  soit  ajouté  à  l'instant  où 
s'émet  l'acte  correspondant  à  une  vertu  infuse. 

b.  La  grâce  actuelle  excitante  n'est  pas  requise  pour 
appliquer  la  faculté  opérative  à  son  acte.  Cette  appli- 
cation n'est  pas  autre  chose  que  la  motion  de  la  cause 
première,  motion  requise  pour  que  la  faculté  passe  de 
l'état  de  non-activité  à  l'opération  actuelle.  Mais  la 
cause  première,  comme  telle,  doit  mouvoir,  au  même 
titre,  toute  cause  seconde,  comme  telle;  que  celle-ci 
soit  dans  l'état  simplement  naturel,  ou  qu'elle  soit, 
par  les  dons  infus,  élevée  à  l'ordre  surnaturel,  la  pré- 
motion physique  remplit  la  même  fonction  :  faire  pas- 
ser la  faculté  opérative  à  l'acte  qu'elle  doit  émettre; 
cet  acte  est  spécifié  et  déterminé  entitativement,  non 
par  la  prémotion  physique,  mais  par  la  faculté  d'où 
il  sort;  c'est  la  faculté  qui  le  fait  être  tel;  cet  être  tel 
dépend  et  de  l'objet  auquel  tend  hic  et  nunc  l'activité 
de  la  faculté  et  des  habitus  dont  la  faculté  est  pourvue. 
Donc  la  surnaturalité  intrinsèque  de  l'acte  ne  provient 
pas  de  l'application  de  la  faculté  à  son  acte,  mais  de 
la  virlus  /luens  supernaluralis  (quand  il  n'y  a  pas  de 
vertu  infuse),  ou  de  Vhabitus  surnaturel  infus.  Cette 
conclusion  n'est  pas  infirmée  par  la  doctrine  qu'expose 
saint  Thomas,  Sum.  thcol.,  Ia  IL1*,  q.  lxviii,  a.  2, 
où  il  parle  de  la  nécessité  des  dons  du  Saint-Esprit.  Les 
vertus  infuses,  parce  qu'elles  sont  surnaturelles,  ne 
sont  pas  possédées  par  l'homme  aussi  parfaitement  que 
le  sont  les  habitus  naturels;  c'est  pourquoi  les  vertus 
infuses  ne  suffisent  pas  pour  que  l'homme  puisse,  d'une 
façon  aussi  sûre  que  ferme,  marcher,  en  tout  et  conti- 
nuellement, vers  sa  fin  surnaturelle;  il  faut  qu'il  ait 
en  lui  l'instinct  même  de  celui  qui  a  cette  fin  pour 
connaturelle,  c'est  la  personne  même  du  Saint-Esprit. 
Les  dons  du  Saint-Esprit  sont  concédés  précisément 
pour  que  l'homme  soit  rendu  docile  à  cet  instinct  du 
Saint-Esprit,  c'est-à-dire  à  ces  illuminations  de  l'in- 
telligence et  à  ces  inspirations  de  la  volonté,  qui  consti- 
tuent la  grâce  excitante.  La  nécessité  de  celle-ci  n'est 
donc  pas  du  tout  celle  de  la  prémotion  physique  à 
chaque  commencement  d'opération,  mais  elle  est  d'un 
ordre  tout  différent.  Quand  saint  Thomas,  dans  sa 
réponse  à  la  2e  objection  de  l'article  cité,  dit  :  per 
virtulcs  theologicas  et  mondes  non  ila  per/icitur  homo  in 
ordine  ad  ultimum  finem,  quin  semper  indigcal  moveri 
quodam  superiori  instinetu  Spirilus  Sancti,  ratione  jam 
dicta,  il  n'affirme  pas  la  nécessité  d'une  grâce  excitante 
à  chaque  acte  salutaire  du  juste,  mais  «  il  veut  dire 
simplement  qu'il  n'est  aucun  moment  ni  aucun  acte  où 
cette  motion  ne  puisse  pas  être  requise;  mais  non 
qu'elle  soit  en  effet  toujours  requise  et  pour  chaque 
acte.  C'est  pour  tout  sujet  destiné  à  la  lin  surnaturelle 
et  non  pour  chaque  acte  ordonné  à  cette  fin,  que  saint 
Thomas  requiert,  comme  une  chose  absolument  néces- 
saire, les  dons  du  Saint-Esprit.  »  Telle  est  la  remarque 
du  P.  Pègues,  qui  interprète  avec  beaucoup  de  préci- 
sion l'article  cité.   Commentaire  français  littéral  de  la 


1G81 


GRACE 


1682 


Somme  Ihéologïque,  Toulouse,  1913,  t.  vin,  p.  309- 
316.  La  même  doctrine  est  exposée  par  le  cardinal 
Billot,  De  virtuiibus  infusis,  p.  174  sq. 

c.  L'infirmité  humaine  vis-à-vis  du  bien  à  accomplir 
n'est  pas  telle  qu'elle  exige  une  grâce  excitante  pour 
chaque  acte  salutaire,  car  souvent  l'homme  ne  ren- 
contre pas  une  difficulté  considérable  à  choisir  et  à 
réaliser  l'acte  vertueux.  De  même  que  le  pécheur  peut 
agir  parfois  honnêtement,  poser  un  acte  naturel  et  bon, 
sans  le  secours  d'une  grâce,  ainsi,  a  fortiori,  l'homme 
justifié  pourra  user  des  vertus  infuses,  poser  des  actes 
surnaturels  et  bons,  sans  le  secours  de  la  grâce  exci- 
tante. 

d.  Enfin  on  n'a  pas  de  raison  solide  pour  établir 
l'existence  d'une  loi  divine  d'après  laquelle  aucun  acte 
salutaire  ne  serait  accompli  par  un  juste,  sans  qu'il  y 
ait  été  excité  par  une  grâce  actuelle.  Certes  on  nous 
propose  le  texte  où  le  Christ  dit  que  le  juste  ne  peut 
rien  faire  sans  lui,  Joa.,  xv,  5,  mais  cette  assertion  ne 
concerne  pas  exclusivement  le  secours  actuel,  dont  nous 
parlons;  il  y  est  parlé  de  la  grâce,  considérée  en  général, 
qui  comprend  la  grâce  sanctifiante,  la  charité,  etc. 
Nous  rencontrerons  les  textes  des  conciles  et  des  Pères 
dans  les  objections,  qu'il  nous  reste  à  examiner. 

c)  Objections.  —  Elles  sont  les  arguments  proposés 
par  les  auteurs  qui  défendent  la  nécessité  de  la  grâce 
excitante  pour  chaque  acte  salutaire  chez  l'homme 
juste.  Ces  objections  sont  de  deux  espèces  :  les  unes 
ont  leur  point  de  départ  dans  une  assertion  philoso- 
phique ;  les  autres  dans  un  texte  tiré  des  conciles  ou  des 
Pères. 

Objections  philosophiques.  —  a.  Pour  que  l'homme 
juste  puisse  agir  salutairement,  il  faut  qu'il  pense  à 
l'œuvre  qu'il  va  accomplir;  or,  cette  pensée  est  une 
grâce  actuelle  excitante;  donc  une  grâce  actuelle 
excitante  est  requise  à  chaque  acte  salutaire. 

Nous  concédons  la  majeure;  nous  nions  la  mineure. 
Celte  pensée  peut  être  un  acte  naturel  qui  est  l'occa- 
sion et  non  la  cause  de  l'acte  salutaire.  Supposons,  par 
exemple,  qu'un  homme  ait  pris  la  résolution  de  faire 
un  acte  d'adoration  interne  à  chaque  fois  qu'il  voit  une 
église.  L'action  de  voir  l'église  et  l'acte  de  mémoire, 
qui  en  résulte,  suffisent  pour  que  cet  homme  fasse 
l'adoration  interne.  On  ne  voit  pas  pourquoi  serait 
requise  dans  ce  cas  une  spéciale  illumination  ou  inspi- 
ration du  Saint-Esprit. 

Un  autre  exemple  :  l'homme  justifié,  en  entendant 
prêcher  les  vérités  révélées  par  Dieu  ou  en  lisant  leur 
expression,  dans  un  livre,  peut  immédiatement  faire 
un  acte  de  foi  surnaturelle,  il  peut  aussi  faire  des  actes 
d'autres  vertus  dont  la  pensée  lui  est  suggérée;  cet 
homme  possède  tous  les  principes  requis  à  l'émission 
d'actes  intrinsèquement  surnaturels  qui  sont  l'objet 
des  différentes  vertus  chrétiennes.  Par  là,  on  peut  se 
rendre  compte  de  l'importance  des  vertus  acquises 
ou  naturelles,  notamment  de  celles  qui  s'acquièrent 
par  la  répétition  d'actes  surnaturels,  voir  à  ce  sujet  de 
Ripalda,  De  ente  supernaturali,  t.  i,  disp.  LUI,  p.  499; 
Pesch,  Privlecliones  dogmatiese,  t.  vm,  De  virtutibus, 
n.  14  ;  Billot,  De  virtutibus  infusis,  Proleg.,  n,§  3,  p.  50 
sq.  ;  ces  vertus  acquises  donnent  à  l'homme  une  cer- 
taine facilité  pour  accomplir  les  actes  surnaturels,  elles 
font  aussi  diminuer  et  même  disparaître  les  obstacles 
à  l'exercice  des  vertus  surnaturelles.  Le  jugement  pra- 
tique d'où  procède  l'acte  libre,  délibéré  et  salutaire, 
doit  être,  à  notre  avis,  surnaturel;  il  le  sera  parce  qu'il 
procède  de  la  prudence  infuse,  vertu  qui  règle  l'exercice 
de  la  sainteté  chez  l'homme  juste;  il  ne  faut  pas,  à 
notre  avis,  une  grâce  actuelle  excitante  à  chaque  fois 
qu'agit  la  vertu  surnaturelle  de  prudence.  Voir  Colla- 
tiones  Brugenses,  1907,  t.  xn,  p.  25G  sq.,  395  sq.  Les 
événements,  tels  que  prédication,  lecture  pieuse,  bons 
exemples,  qui  sont  pour  l'homme  justifié  l'occasion 


d'exercer  les  vertus  surnaturelles,  doivent  être  attri- 
bués à  la  providence  divine  et  sont  des  bienfaits  et 
secours  externes;  on  ne  peut  pas  les  confondre  avec 
la  grâce  actuelle  interne. 

b.  La  vertu  infuse  est  une  qualité  potentielle  qui, 
pour  passer  à  l'acte,  requiert  une  excitation  ou  pré- 
motion; or  celle-ci  doit  être  dans  le  même  ordre  que 
Yhabitus  qu'elle  met  en  mouvement,  elle  doit  donc  être 
surnaturelle;  donc  à  chaque  fois  que  l'homme  émet  un 
acte  salutaire  par  une  vertu  infuse,  à  chaque  fois  aussi 
il  lui  faut  une  excitation  surnaturelle;  donc  une  grâce 
actuelle. 

Cette  objection  peut  recevoir  une  double  réponse  : 

Si  l'on  admettait  (ce  que  nous  n'admettons  pas)  qu'il 
faut  une  prémotion  eniilativement  surnaturelle  pour 
causer  l'émission  de  tout  acte  appartenant  à  une  vertu 
infuse,  et  si  on  appelait  grâce  actuelle  cette  prémotion, 
on  dirait  donc  qu'une  grâce  actuelle  est  requise  à 
chaque  acte  salutaire  que  fait  le  juste;  mais  on  ne 
pourrait  pas  déduire  qu'est  requis  à  chaque  acte  ce 
secours  spécial  que  nous  appelons  proprement  la  grâce 
actuelle  excitante;  ce  secours  spécial,  dont  nous  avons 
parlé  plus  haut,  consiste  en  l'influence  ou  l'instinct  du 
Saint-Esprit,  et  a  pour  terme  l'acte  indélibéré  d'intelli- 
gence et  de  volonté,  la  pensée  salutaire,  l'affection 
salutaire;  celles-ci  sont  un  secours  surajouté  à  l'énergie 
humaine  et  disposent  positivement  l'homme  à  vouloir 
délibérément  tel  acte  de  vertu.  Ce  secours  spécial  est 
donc  d'une  nature  toute  différente  de  cette  prémotion 
physique,  qui,  d'après  l'hypothèse,  mettrait  en  activité 
la  vertu  infuse;  de  plus,  d'après  la  doctrine  de  saint 
Thomas,  ce  secours  spécial,  cet  instinct,  tombe  direc- 
tement sur  les  dons  du  Saint-Esprit,  et  non  sur  les 
vertus  infuses.  Par  conséquent,  quand  les  théologiens 
énoncent  cette  proposition  :  une  grâce  actuelle  est 
requise,  même  chez  le  juste,  pour  tout  acte  salutaire, 
il  faut  qu'ils  déterminent  ce  qu'ils  entendent  par  grâce 
actuelle,  car  la  prémotion  ou  prédétermination  phy- 
sique à  l'acte  délibéré  est  une  réalité  essentiellement 
dilïérente  de  l'illumination  et  de  l'inspiration  du  Saint- 
Esprit. 

La  réponse  directe,  que  nous  donnons  à  l'objection 
proposée,  distingue  la  majeure  et  nie  la  mineure  : 
L'habitus  surnaturel...  exige  une  excitation  distincte 
de  celle  qui  est  requise  pour  l'acte  même  émis  par  la 
faculté,  je  le  nie;  l'habitus  surnaturel...  exige  l'exci- 
tation qui  est  demandée  par  l'acte  lui-même,  je  le  con- 
cède. 

Voici  l'explication  de  cette  distinction.  Il  faut 
d'abord  insister  sur  la  différence  essentielle  entre  un 
habitas  et  une  faculté  opérative  :  celle-ci  est  une  qua- 
lité essentiellement  ordonnée  à  agir,  à  émettre  une 
opération;  Yhabitus  opératif  est  une  qualité  surajoutée 
â  la  faculté  opérative,  la  modifiant  intrinsèquement 
en  lui  donnant  une  disposition  bonne  ou  mauvaise  par 
rapport  à  l'opération.  Dans  le  cas  qui  nous  occupe, 
Yhabitus  est  une  qualité  infuse  par  Dieu,  surnaturali- 
sant intrinsèquement  la  faculté  opérative  et  lui  con- 
férant proprement  une  capacité  positive  à  émettre  des 
actes  surnaturels  déterminés  (par  exemple,  les  actes 
de  charité,  de  religion,  etc.).  L'habitus  infus  n'apporte 
pas,  par  lui-même,  une  facilité  ou  une  propension  à 
exercer  des  actes  tels,  mais  son  essence  consiste  dans 
une  inclination  vers  ces  actes,  dans  une  adhésion  ù 
l'objet  de  ces  actes  vertueux.  Voir  Billot,  De'jnirtu- 
libus  infusis,  Proleg.,  n,§  1,  p.  35.  Par  conséquent,  la 
faculté  opérative  et  Yhabitus  ne  sont  pas  deux  facultés 
dont  chacune  exige  une  motion  physique  à  l'acte; 
toute  motion  physique  à  l'acte  doit  tomber  sur  la 
faculté  opérative;  c'est  elle  qui  émet  l'acte.  Cet  acte 
sera  influencé  par  l'habitus  correspondant  qui  est 
précisément  la  disposition  positive  de  la  faculté  à  telle 
espèce  d'actes;  quand  l'homme  justifié  émet  un  acte 


lus;! 


GRACE 


1684 


de  charité,  cet  acte  sera  toujours  influencé  par  la 
vertu  infuse  de  charité,  parce  que  la  charité  est  essen- 
tiellement l'inclination  surnaturelle  de  la  volonté  à 
l'acte  de  charité.  Il  en  est  de  même  des  habitus  natu- 
rels; quand  un  homme,  qui  s'est  acquis  l'habitus  d'une 
science,  applique  son  intelligence  à  l'opération  de  cette 
espèce,  l'habitus  influence  nécessairement  sa  pensée. 
Il  ne  faut  donc  pas  une  motion  ou  excitation  spéciale 
et  surnaturelle  pour  mouvoir  la  vertu  infuse;  celle-ci, 
à  proprement  parler,  ne  peut  pas  être  mue  à  l'acte, 
mais  elle  influence  toujours  l'acte  qui  lui  correspond, 
quand  il  est  émis;  elle  est  ainsi  avec  la  faculté  un  même 
principe  d'opération.  Le  concours  général  de  Dieu 
suffit  à  mettre  en  activité  la  faculté  opérative,  qui, 
elle,  agit  d'après  l'habitus  qu'elle  contient. 

Cette  thèse  nous  semble  confirmée  par  la  doctrine  de 
saint  Thomas  concernant  le  mérite  :  il  enseigne  que 
chez  l'homme  justifié  (au  moins  chez  celui  qui  a  émis 
l'acte  de  charité  parfaite)  tout  acte  humain,  qui  est 
moralement  bon,  est  aussi  méritoire  de  condigno; 
d'après  cela,  il  n'y  a  pas,  chez  le  juste,  d'acte  bon 
naturel,  mais  tout  acte  bon  est  surnaturel,  donc  émis 
par  la  faculté  en  tant  qu'elle  est  ornée  d'une  vertu 
infuse.  De  malo,  q.  n,  a.  5,  ad  7"™;  Cajétan,  In  Sum. 
theol.,  I"  II1',  q.  vin,  a.  3;  Soto,  De  natura  cl  gratia, 
1.  III,  c.  iv,  fol.  207;  Terrien,  La  grâce  et  la  gloire,  t.  n, 
p.  26;  Collaliones  Brugenses,  1907,  t.  xn,  p.  13,  321; 
Billot,  De  gratia  Christi,  thés,  xx,  p.  255. 

Saint  Thomas,  nous  l'avons  vu  plus  haut,  n'enseigne 
pas  qu'il  faut  une  grâce  actuelle  excitante  pour  chaque 
acte  bon  chez  le  juste;  il  exige  le  concours  général  de 
Dieu  pour  toute  opération  salutaire,  en  tant  qu'elle  est 
passage  de  puissance  à  acte.  Sum.  theol.,  Ia  IIœ, 
q.  cix,  a.  9. 

Un  corollaire  de  notre  thèse,  c'est  que  la  grâce 
actuelle  excitante  n'était  pas  nécessaire  en  Adam 
avant  la  chute;  parce  qu'il  n'était  pas  sujet  à  la  con- 
cupiscence et  parce  qu'il  n'était  pas  sujet  à  l'erreur  ni 
à  l'ignorance,  il  n'avait  pas  besoin  de  ce  secours  spécial 
qui  consiste  en  l'illumination  et  l'inspiration  du  Saint- 
Esprit.  Voir  Molina,  Concordia,  q.  xiv,  a.  13,  disp.  IV, 
p.  19;  Bellarmin,  De  gratia  primi  hominis,  c.  iv,  p.  0; 
De  novis  conlroversiis,  dans  Le  Bachelet,  Auclarium 
Bellarminianum,  p.  111;  Becan,  Summa  theologica, 
tr.  III,  De  angelis,  c.  n,  q.  v,  p.  108;  ColUdiones  Bru- 
genses. 1913,  l.  xvm,  p.  492. 

Objections  tirées  de  l'Écriture,  tles  Pères  et  des  con- 
ciles. —  a.  S;iint  Paul  écrit  :  »  Ainsi,  mes  frères...,  tra- 
vaillez à  votre  salut  avec  crainte  et  tremblement... 
car  c'est  Dieu  qui  opère  en  vous  le  vouloir  et  le  faire, 
selon  son  bon  plaisir.  »  Phil.,  il,  13. 

On  ne  peut  pas  conclure  de  ces  paroles  que  saint 
Paul  enseigne  la  nécessité  d'une  grâce  actuelle  exci- 
tante pour  chaque  acte  salutaire  du  juste.  D'abord, 
il  n'est  pas  certain  qu'il  parle  exclusivement  de  la 
grâce  actuelle;  il  se  peut  qu'il  entende  la  grâce  en 
général,  impliquant  et  la  grâce  habituelle  et  un  secours 
spécial  actuel  donné  de  temps  en  temps. 

Si  l'on  admet  qu'il  s'agit  exclusivement  de  la  grâce 
actuelle,  ce  qui  est  plus'probable,  nous  ne  pouvons  pas 
déterminer  quelle  est  précisément,  d'après  lui,  le  secours 
dont  le  terme  est  «  le  vouloir  et  le  faire.  »  Enfin,  et  sur- 
tout, on  ne  peut  pas  dire  que  saint  Paul  affirme  la 
nécessité  d'une  grâce  actuelle  pour  chaque  vouloir  et 
chaque  faire  ;  il  parle"  du  salut,  delà  persévérance  (au 
moins  temporaire)  dans  l'exercice  de  la  sainteté;  l'ob- 
tention de  cette  persévérance  requiert  que  Dieu  agisse 
intérieurement  en  l'homme  et  lui  fournisse  de  l'énergie 
surnaturelle  par  laquelle  il  veuille  le  bien  et  réalise  ses 
résolutions;  mais  saint  Paul  ne  dit  pas  que  le  juste  ne 
peut  émettre  aucun  bon  propos,  ni  en  exécuter  aucun, 
sans  une  grâce  actuelle  excitante. 

b.  Saint    Augustin,    De    natura    et    gratia,  c.  XXVI, 


n.  29,  P.  L..  t.  xi.iv,  col.  261,  dit:  «  De  même  que 
l'oeil  corporel,  alors  qu'il  est  parfaitement  sain,  ne 
peut  voir  sans  le  secours  de  la  lumière,  ainsi  l'homme 
parfaitement  justifié  ne  peut  vivre  dans  la  rectitude 
morale,  sans  le  secours  de  la  lumière  éternelle,  accordé 
par  Dieu.  Dieu  donc  guérit  non  seulement  pour  effacer 
nos  péchés,  mais  encore  pour  nous  donner  le  moyen  de 
ne  plus  pécher.  » 

Saint  Augustin  enseigne  que  l'homme,  déjà  pleine- 
ment justifié,  a  encore  besoin  du  secours  surnaturel 
divin  pour  éviter  le  péché,  donc  pour  se  maintenir 
dans  l'état  de  justice.  Il  n'enseigne  pas  qu'il  faille 
un  nouveau  secours  actuel  pour  chaque  acte  bon. 
Quant  à  la  comparaison  dont  il  se  sert,  on  ne  peut  pas 
dire  que  l'influence  de  la  lumière  sur  l'oeil  signifie 
nécessairement  l'influence  de  secours  actuels  renou- 
velés à  chaque  acte  salutaire;  l'influence  de  la  lumière 
dont  l'œil  a  besoin,  même  quand  il  est  sain,  est  une 
influence  continue  et  n'est  pas  une  excitation  à  l'acte. 
Saint  Augustin  semble  donc  faire  allusion  à  la  nécessité 
physique  de  la  grâce  considérée  en  général,  dont  l'in- 
fluence est  continuellement  nécessaire  à  l'exercice  de 
la  rectitude  morale  surnaturelle  et  à  la  résistance  aux 
tentations,  mais  il  ne  dit  pas  que  cette  grâce  est  un 
secours  actuel  excitant,  requis  pour  émettre  chaque 
acte  bon,  ou  éviter  chaque  péché.  C'est  dans  le  même 
sens  qu'il  faut  interpréter  les  textes  que  nous  avons 
cités  plus  haut,  col.  1579,  notamment  celui-ci  :  non 
polest  homo  boni  ediquid  relie,  nisi  adjuvetur  ab  eo  qui 
malum  non  polest  velle,  hoc  est  gratia  Dei  per  Jcsum 
Christum.  Contra  duas  epistolas  pelagianorum,  1.  I,  c.  n, 
n.  7,  P.  L.,  t.  xliv,  col.  553.  On  ne  peut  affirmer  que 
cet  adjulorium  signifie  exclusivement  la  grâce  actuelle 
excitante. 

c.  Le  pape  Zosime  dit:  Quod  ergo  tempus  intervenii 
quo  ejus  non  egeamus  auxilio  ?  In  omnibus  igitur  acti- 
bus,  causis,  cogitationibus,  motibus  adjulor  et  prolector 
orandus  est.  Dcnzinger-Bannwart,  n.  135.  Le  pontife 
enseigne  qu'il  n'est  aucun  temps,  aucune  circonstance 
où  l'homme  puisse  se  passer  du  secours  divin,  de  la 
grâce;  qu'il  faut,  par  conséquent,  la  demander  sans 
cesse.  Mais  il  ne  dit  pas  du  tout  que  l'homme  justifié  a 
besoin  d'une  nouvelle  grâce  excitante  pour  chaque 
acte  salutaire. 

d.  Le  c.  ix  de  Y  Indiculus  dit  :  «  Dieu  agit  de  telle 
façon  sur  le  cœur  des  hommes  et  sur  leur  libre  arbitre 
que  toute  pensée  sainte,  tout  propos  pieux,  tout  mou- 
vement de  la  bonne  volonté,  soit  de  Dieu.  »  Loc.  cit. 

De  nouveau  est  enseignée  ici  la  nécessité  de  la  grâce 
pour  chaque  acte  salutaire,  mais  il  s'agit  de  la  grâce 
considérée  en  général  et  l'on  ne  parle  pas  exclusive- 
ment de  ce  secours  spécial,  que  nous  appelons  la  grâce 
actuelle  excitante. 

e.  Le  II0  concile  d'Orange,  dans  le  7e  canon,  dirigé 
contre  les  semipélagiens,  parle  directement  de  la 
nécessité  de  l'illumination  et  de  l'inspiration  du  Saint- 
Esprit  pour  toute  pensée  salutaire,  toute  élection  salu- 
taire, pour  le  consentement  à  l'Évangile.  Denzinger- 
Banmvart,  n.  189.  Il  s'agit  ici,  nous  scmblc-t-il,  des 
actes  salutaires  qui  précèdent  la  justification.  De  plus, 
nous  ne  pouvons  affirmer  que  le  concile  entend  par 
illumination  et  inspiration  du  Saint-Esprit  précisé- 
ment et  exclusivement  ce  que  nous  appelons  mainte- 
nant grâce  actuelle  excitante.  D'autant  plus  que  dans 
le  canon  précédent  le  concile  désigne  la  grâce  néces- 
saire aux  actes  salutaires  par  les  mots  :  per  injusionem 
d  inspirationem  Spiritus  Sancti  in  nobis.  Le  canon  10e, 
op.  cit.,  n.  183,  enseigne  la  nécessité  de  la  grâce  pour 
la  persévérance  des  justes. 

/.  Le  concile  de  Trente,  sess.  vi,  c.  xvi,  op.  cit., 
n.  809,  dit  :  «  Le  Christ  Jésus,  comme  la  tète  à  l'égard 
des  membres  et  comme  la  vigne  à  l'égard  des  branches, 
exerce  incessamment  son  influence  sur  les  hommes 


1685 


GRACE 


1686 


justifies  eux-mêmes;  celte  influence  précède  toujours 
et  accompagne  et  suit  leurs  bonnes  actions;  sans  cette 
influence  ces  œuvres  ne  peuvent  en  aucune  façon  être 
agréables  à  Dieu,  ni  méritoires.  » 

Le  concile  enseigne  en  cet  endroit  que  c'est  par  l'in- 
fluence du  Christ  que  les  justes  accomplissent  leurs 
bonnes  actions,  observent  la  loi  et  méritent  la  vie  éter- 
nelle. Cette  influence  est  ce  qui  rend  leurs  œuvres  salu- 
taires et  méritoires.  En  quoi  se  réalise  cette  influence  ? 
Il  semble  qu'il  s'agit  ici  d'une  grâce  opérant  constam- 
ment et  résidant  habituellement  en  l'homme,  à  la 
manière  d'une  source  de  vie,  c'est-à-dire  de  la  grâce 
sanctifiante  et  des  vertus  et  des  dons  connexes  avec 
elle;  de  ces  liabitus  se  vérifie  ce  qui  est  dit  dans  le  texte 
cité  :  toujours  cette  influence  précède  et  accompagne 
et  suit  les  bonnes  actions. 

On  peut  admettre  aussi  que  le  concile  entend  parler 
de  la  grâce  considérée  en  général,  comprenant  l'en- 
semble des  dons  habituels  et  actuels  dont  le  juste  a 
besoin  pour  vivre  persévéramment  de  la  vie  chré- 
tienne. Mais  on  ne  peut  absolument  pas  trouver  dans 
ce  texte  l'assertion  qu'une  grâce  actuelle  excitante  est 
requise  à  chaque  œuvre  salutaire  de  l'homme  justifié. 
Le  concile  affirmerait-il  jamais  que  ce  secours  spécial 
suit  toujours  chaque  bonne  action  ?  Que  pourrait-il 
signifier  par  là  ? 

Au  cours  de  notre  article  nous  avons  indiqué,  au  sujet  des 
diverses  questions  et  des  opinions,  les  principaux  auteurs 
à  consulter.  Nous  n'en  dresserons  pas  ici  la  liste  complète, 
mais  nous  exposerons  une  vue  d'ensemble  sur  la  bibliogra- 
phie du  sujet,  pour  que  chaque  lecteur  puisse  en  acquérir 
facilement  une  connaissance  détaillée. 

1°  La  doctrine  des  Pères  concernant  la  grâce  n'est,  pour 
l'époque  antérieure  au  Ve  siècle,  que  fragmentairement 
exposée  :  Habcrt,  Théologies  gra'corum  Patruni  vindicatx 
circa  universam  materiam  gratia',  Wurzbourg,  1863; 
Schwane,  Histoire  des  dogmes,  trad.  Degcrt,  Paris,  1904, 
voir  la  table  au  mot  Grâce;  Tixeront,  Histoire  des  dogmes, 
t.  i,  Théologie  anténicéenne,  Paris,  1905;  t.  ri,  De  suint 
Athunase  à  saint  Augustin,  Paris,  1909  :  voir  les  tables  au 
mot  Grâce.  —  Ouvrages  spéciaux  :  Kœrber,  S.  Irenœus  de 
gratin  sanctificante,  Wurzbourg,  1865;  Scholl,  Die  Lettre  des 
heiligen  Basilius  von  der  Gnade,  Fribourg-en-Brisgau,  1881  ; 
Hummer,  Des  ht.  Gregor  von  Nazianz  Lettre  von  der  Gnade, 
Kempten,  1890;  Weigl,  Die  Heilslehre  des  ht.  Cgrill  von 
Alexandricn,  Mayence,  1905;  Mahé,  La  sanctification  d'après 
saint  Cyrille  d'Alexandrie,  dans  la  Revue  d'histoire  ecclésias- 
tique (Louvain),  1909,  t.  x,  p.  30,  469.  Voir  aussi  dans  ce 
dictionnaire  les  articles  consacrés  à  chacun  des  Pères. 

Saint  Augustin  a  exercé  une  influence  prépondérante  sur 
l'expression  de  la  doctrine  catholique  ;  ses  écrits  au  sujet  de  la 
grâce  se  trouvent  indiqués  â  l'art.  Augustin,  t.  i,  col.  2313, 
sa  doctrine,  col.  2375  sq.,  la  bibliographie  qui  la  concerne, 
col.  2460;  il  faut  y  ajouter  :  Jacquin,  La  question  de  la  pré- 
destination aux  Ve  et  VIe  siècles,  dans  la  Revue  d'histoire  ecclé- 
siastique  (Louvain),  1901,  t.  v,  p.  265,  725;  Weinand,  Die 
Gollesidee,  der  Grundzug  der  Weltanschauung  des  ht.  Augus- 
linus,  Paderborn,  1910,  p.  114.  Sur  les  conciles  au  sujet  du 
pélagianisme  :  Hefele,  Histoire  des  conciles,  trad.  Leclercq, 
Paris,  1908,  t.  n,  p.  168.  La  doctrine  des  Pères  après  saint 
Augustin  est  brièvement  indiquée  par  Tixeront,  op.  cit., 
t.  m,  La  fin  de  l'âge  patristique,  Paris,  1912,  p.  274  sq.;  voir 
aussi  la  table  au  mot  Grâce.  —  Sur  la  doctrine  des  Pères 
concernant  la  distribution  de  la  grâce  :  Capéran,  Le  problème 
dit  salut  îles  infidèles,  Essai  historique,  Paris,  1912.  Saint 
Anselme  a  un  ouvrage  intitulé  :  De  concordia  prfescientiœ, 
prœdeslinalionis  et  gratta  tum  libero  arbitrio,  P.  L  t,  ;  ivni 
col.  507.  Voir  Anselme,  t.  i,  col.  1340.  Saint  Bernard  a  un 
Tractatus  de  gralia  et  libero  arbitrio.  P.  L.,  t.  clxxxii, 
col.  1001  sq.  Voir  Bernard,  t.  n,  col.  753,  776  sq. 

2°  Pierre  Lombard  dans  son  Sentenliarum  libri  IV  (Lou- 
vain, 1546),  1.  II,  dist.  XXVI-XXVIII,  donne  un  court 
traité  De  gratia.  Les  scolastiques,  qui  ont  commenté  l'œuvre 
du  Maître,  ont,  au  même  endroit,  développé  la  doctrine 
susdite. 

Saint  Thomas  l'expose  aussi  dans  la  Summa  theologica, 
T-'  If'.q.  cix-cxrv;  c'est  au  même  endroit  que  les  commen- 
tateurs ont  placé  l'examen  des  questions  concernant  la 
grâce.  Capréolus  mérite  une  mention  spéciale,  parce  qu'il 


indique  les  opinions  des  scolastiques  antérieurs  et,  s'il  y  a 
lieu,  défend  contre  elles  la  doctrine  de  saint  Thomas  : 
Johannis  Capreoli  Defensiones  theologiœ  divi  Thomœ,  édit. 
Paban  et  Pègucs,  Toulouse,  1900  sq.,  voir  t.   iv,  p.   255-316. 

Parmi  les  travaux  faits  sur  les  scolastiques  antérieurs  au 
concile  de  Trente  et  concernant  la  grâce  nous  nous  conten- 
terons de  signaler  :  Ileim,  Das  Wesen  der  Gnade...  bei 
Alexander  Ilalesius,  Leipzig,  1907;  Dummermuth,  5.  Tho- 
mas et  doctrina  prxmotionis  phgsicœ,  Paris,  1886;  Frins, 
.S'.  Thomœ  doctrina  de  cooperatione  Dei,  Paris,  1892;  Jeiler, 
S.  Bonaventurœ  prineipia  de  concursu  generali,  Quaracehi, 
1897;  Ude,  Doctrina  Capreoli  de  in/luxu  Dei  in  actus  volun- 
tatis  humanœ,  Graz,  1905  (voir  sur  ce  livre  une  note  de 
mon  traité  De  gredia  divina,  n.  327);  Krogh-Tonning,  Der 
letzte  der  Scholusliker,  Fribourg-en-Brisgau,  1904. 

3°  Le  concile  de  Trente  dans  sa  session  VIe  (13  janvier 
1547)  a  publié  le  très  important  décret  sur  la  justification  : 
voir  Hefner,  Die  Entstehungsgeschichte  des  Trienter  Recht- 
fertigungsdekretes,  Paderborn,  1909,  avec  la  bibliographie 
qui  y  est  donnée;  Ehses,  Concilii  Tridentini  Actorum  pars 
altéra,  Fribourg-en-Brisgau,  1911;  parmi  les  théologiens 
qui  ont  écrit  après  ce  décret  :  Soto,  De  natura  et  gralia, 
Paris,  1549;  Tapper,  Opéra,  Cologne,  1588,  t.  I,  a.  7,  p.  181  ; 
t.  il,  a.  8-11,  p.  1-139;  sur  la  doctrine  de  Baius,  voir  Baius, 
t.  n,  col.  63. 

4°  Sur  l'histoire  de  la  controverse  De  auxiliis  :  Schnee- 
niann,  Controversiarum  de  divina'  gratin:  liberique  arbitrii 
concordia  initia  et  progressas,  Fribourg-en-Brisgau,  1881; 
de  Bégnon,  Banez  et  Molina,  Paris,  1883;  de  Scorraille, 
Suarez,  Paris,  1912,  t.  i,  p.  402  sq.  Voir  Banez,  t.  n,  col.  145. 

5°  C'est  surtout  après  que  cette  controverse  s'est  élevée 
que  le  traité  de  la  grâce  a  été  développé  par  les  théologiens  : 
on  trouvera  leurs  écrits  cités,  dans  ce  dictionnaire,  aux 
articles  qui  leur  sont  consacrés.  Nous  signalerons  les  œuvres 
principales,  sans  distinction  d'écoles,  en  tenant  compte, 
autant  que  possible,  de  l'ordre  chronologique  de  leur  appa- 
rition :  Molina,  Concordia,  Paris,  1876;  Bellarmin,  De  contro- 
versiis,  Prague,  1721,  t.  iv;  Auctarium  Bellarminianum,  édit. 
Le  Bachelet,  Paris,  1913;  Alvarez,  De  auxiliis  divina'  gratia-, 
Lyon,  1611;  Vasquez,  Commentaria  ac  disputaiiones  in 
Summam  S.  Thotnw,  Anvers,  1621,  t.  n  ;  Suarez,  Opéra 
omnia,  Paris,  1857-1858,  t.  vu-xi;  Jean  Gonzalez  de  Albeda, 
Commentaria  in  D"'  part.  Sum.  theol.,  Naples,  1637;  de 
Bipalda,  De  ente  supernalurali,  Paris,  1870;  Gonet,  Cly- 
peus  theologiœ  thomisticœ,  Cologne,  1677;  Goudin,  De  gratia 
Dei,  Louvain,  1874;  Salmanticenses,  Cursus  theologicus, 
t.  v,  De  gratia,  etc.,  Lyon,  1679;  Grandi,  Cursus  theologicus, 
Ferrare,  1692,  t.  i;  Casinius,  Quid  est  homo,  édit.  Scheeben, 
Mayence,  1862;  Tournély,  De  gratia  Christi,  Paris,  1725; 
Gotti,  Theologia  scholastico-dogmatica,  Venise,  1750,  t.  n, 
tr.  VI;  Billuart,  Summa  sanctiThomœ  Itodientis  academiurum 
moribus  accommodata,  Paris,  s.  d.,  t.  m;  Wirceburgenscs 
(Kilber),  Theologia,  Paris,  1853,  t.  iv;  S.  Alphonse  de  Liguori, 
De  modo  quo  gratia  operattir,  De  magno  orationis  medio, 
dans  les  Opéra  dogmatica,  édit.  Waltcr,  Borne,  1903,  t.  i, 
p.  517;  t.  il,  p.  629;  Buzi,  L.  Berti  librorum  XXXVII  de 
theologicis  disciplinis  synopsis,  Wurzbourg,  1770. 

6°  Ouvrages  récents  :  Scheeben,  Natur  und  Gnade, 
Mayence,  1861  ;  Die  Herrlichkeit  der  gbltlichen  Gnade,  Fri- 
bourg-en-Brisgau, 1862;  Mazzella,  De  gratia  Cltristi,  3e  édit., 
Borne,  1892;  Palmieri,  De  gratia  actuali,  Gulpen,  1885; 
Ilurtcr,  Theologia-  dogmaticœ  compendium,  9''  édit.,  Ins- 
pruck,  1896,  t.  m;  Satolli,  De  gratia,  Borne,  1886;  Hein- 
ricli-Gutbcrlcl,  Dogmatische  Théologie,  Mayence,  1897, 
t.  vin;  Terrien,  La  grâce  et  la  gloire,  2  in-12,  Paris,  1897; 
Pesch,  Prœlectiones  dogmaticœ,  3°  édit.,  Fribourg-en-Bris- 
gau, 1907,  t.  v;  Pignataro,  De  gralia  Cltristi  (lithogr.). 
Borne,  1900;  Froget,  De  l'habitation  du  Saint-Esprit,  2e  édit., 
Paris,  1900;  Schiffini,  De  gratia  divina,  Fribourg-en-Bris- 
gau, 1901  ;  Lahousse,  De  gratia  divina,  Bruges,  1902;  L.  Hu- 
bert, Thèses  de  gratia  sanctificante,  Paris,  1902;  de  Baets, 
Quœsliones  de  operationibus  divinis,  Louvain,  1903;  Guil- 
lermin,  La  grâce  suffisante,  dans  la  Revue  thomiste,  1901-1903, 
t.  ix-xi;  Hermann,  Tractatus  de  divina  gratia,  Borne,  1904; 
Pohle,  Lehrbuch  der  Dogmatik,  5e  édit.,  Paderborn,  1912, 
t.  il; Del  Val,  Sacra  theologia  dogmatica,  Madrid,  1906,  t.  n; 
Del  Prado,  De  gratia  et  libero  arbitrio,  Fribourg  (Suisse), 
1907;  Gaucher,  Le  signe  infaillible  de  l'état  de  grâce,  Le  Per- 
reux,  1907;  Van  Noort,  De  gratia  Christi,  Amsterdam,  1908; 
Tabarelli,  De  gratia  Christi,  Borne,  1908;  Billot,  De  gralia 
Christi,  2"  édit.,  Borne,  1912;  Waffelaert,  Méditations  théo- 
logiques, Bruges,  1910;  Van  der  Meersch,  De  divina  gratia, 
Bruges,  1910;  de  Baets,  De  gratia  Christi,  Gand,  1910;  Jan- 


li.sT 


GRACE   ■-   GRADES   THÉOLOGIQUES 


IUSS 


vier,  La  grâce  (Conférences  de  Notre-Dame  de  Paris),  Paris, 
1910  :  Manzoni,  Compendium  théologies  dogmaticœ,  Turin, 
191 1 .  t.  m  ;  David,  De  objecta  formait  actus  salularis,  Bonn, 
1913;  Wagner,  Doctrina  de  gratin  sufficienti,  Graz,  1911; 
Pègues,  Commentaire  français  littéral  de  la  Somme  théolo- 
gique, Toulouse,  1907  sq.  (en  voie  de  publication)  :  ont  paru 
t.  i-viii,  jusqu'à  la  q.  lxxxix  de  la  I'  II*. 

.1.  Van  der  Meersch. 

GRADENIGO  (GRADONICUS)  Jean-Jérôme,  né 
à  Venise,  le  19  février  1708,  fit  son  éducation  chez  les 
jésuites  de  Ferrare.  A  dix-neuf  ans,  il  disait  adieu  au 
inonde,  où  la  noblesse  de  sa  naissance  lui  assurait  un 
brillant  avenir,  pour  entrer  chez  les  théatins,  dont  il 
revêtit  l'habit,  le  29  juillet  1727.  Il  y  compléta  ses 
études  sacerdotales  et  s'acquit  vite  une  réputation  de 
zèle  et  de  science,  qui  le  fit  appeler,  en  1734,  par  son 
compatriote,  le  cardinal  Quirini,  évêque  de  Brescia, 
comme  professeur  au  séminaire.  Ses  vacances  étaient 
employées  au  ministère  dans  les  campagnes  environ- 
nantes, il  se  reposait  de  l'enseignement  et  des  travaux 
scientifiques  par  la  prédication  et  de  longues  séances 
au  confessionnal.  Sa  famille  religieuse  le  nomma  visi- 
teur, et  par  trois  fois  le  choisit  comme  procureur  général. 
Cette  charge  l'amenait  à  Rome,  où  il  se  faisait  avanta- 
geusement connaître,  si  bien  que  Benoît  XIV  chercha  à 
l'y  retenir,  en  lui  proposant  un  poste  de  consultcur  dans 
les  Congrégations  romaines.  Comme  il  se  jugeait  inutile 
à  la  cour  pontificale,  il  déclina  toutes  les  offres  et 
rentra  à  Brescia.  Il  venait  d'arriver  à  Rome  pour  la 
troisième  fois,  en  qualité  de  procureur,  quand  il  apprit 
que  le  sénat  de  Venise  l'avait  proposé  au  pape  pour 
l'archevêché  d'Udine.  Clément  XIII  voulut  le  consa- 
crer lui-même,  le  2  février  1766.  Jean- Jérôme  se  rendit 
sans  retard  à  son  poste,  où  il  succédait  à  un  parent, 
qui  avait  marqué  son  passage  par  l'érection  d'une 
somptueuse  bibliothèque,  qu'il  se  plut  à  enrichir  de 
livres,  de  manuscrits  et  d'objets  antiques.  Pour  lui,  il 
attacha  son  nom  à  la  construction  d'un  nouveau  sémi- 
naire et  à  la  fondation  d'un  hôpital  qu'il  institua  son 
héritier.  Il  reste  un  monument  de  son  zèle  épiscopal 
dans  les  deux  volumes  intitulés  :  Cure  paslorali  di  Gian 
Gerolamo  Gradenigo  de'  chierici  regolari,  veseovo  di 
Udinc,  2  in-4°,  Udine,  1776;  le  icr  contient  ses  discours 
et  le  ii°  ses  mandements.  Il  venait  de  publier  sa  der- 
nière lettre  pastorale,  quand  Pie  VI  lui  écrivait,  le 
8  avril  1786  :  Dum  igilur  in  débitas  (ibi  laudes  gratula- 
tionesque  effundimur,  non  possumus  non  identidem 
exclamarc  :  utinam  talcs  tuique  similes  episcopos,  his 
prœsertim  lemporibus,  in  Ecclcsia  haberemus  quam- 
plurimos.  Cet  éloge  était  la  récompense  d'une  vie 
entièrement  consacrée  aux  devoirs  de  son  état;  elle 
s'acheva,  le  30  juin  de  la  même  année,  et  le  pieux  et 
savant  évêque  fut  enseveli  dans  sa  cathédrale. 

Il  laissait  de  nombreux  ouvrages  dont  voici  les  prin- 
cipaux :  Letlera  istorico-critica  sopra  tre  punti  eoncer- 
nenli  la  questione  del  probabilismo  c  probabiliorismo, 
in-4°,  Brescia,  1750;  De  nova  S.  Gregorii  Magni  editione 
Venetiis  procuranda  dissertatio  epistolaris,  qui  parut 
pour  la  seconde  fois,  secundis  curis  retractaia  et  aucla, 
Rome,  1753,  à  la  suite  de  son  autre  ouvrage,  S.  Grego- 
rius  Magnus  pontifex  maximus  a  criminationibus 
Casimiri  Oudin  vindicatus;  elle  fut  encore  insérée  dans 
le  t.  xvi  de  cette  édition  de  Venise,  1768-1776,  des 
œuvres  de  saint  Grégoire.  On  a  encore  de  lui  :  Brixia 
sacra.  I'onlificum  Brixianorum  séries  commentario  hi- 
slorico  illuslrata...,  accessit  codicum  mss.  elenchus  in 
arehivo  Brixiensis  cathedralis  asservalorum,  in-4°,  Bres- 
cia, 1755;  Raggionamento  islorico-critico  intorno  alla 
lettera.tu.ra  greco-ilaliana,  in-8°,  Brescia,  1759,  qui  ren- 
ferme aussi  une  lettre  au  cardinal  Quirini,  intorno 
agi' Italiani  che  dal  secolo  xi  in/ïn  verso  cdla  fine  del 
secolo  xiv  seppero  di  greco,  lettre  qui  avait  déjà  paru 
à  Venise,  en  1744,  à  la  suite  d'un  article  du  Giornale 
de'  letlerali  de   Florence;  Tiara  et  purpura  venela  ab 


anno  1379  ad  annum  1759,  in-4°,  Brescia,  1761;  la 
première  partie  de  cet  ouvrage,  consacré  aux  papes  et 
aux  cardinaux  vénitiens,  est  du  cardinal  Quirini,  les 
deux  dernières  de  Gradenigo;  De  siclo  argenleo  Brixiœ 
anno  1744  reperto  in  eu  civitatis  parle  quam  ducentos 
anle  annos  Hebrœi  incolabant,  in-8°,  Venise,  1765; 
Rome,  1766.  Plusieurs  de  ces  ouvrages  historiques  ont 
aussi  trouvé  place  dans  des  collections  d'opuscules  dont 
nous  omettons  l'indication. 

Antoine   François   Vezzozi,  Scriltori    de'   cherici  regolari 
detti   theatini,    Rome,    1780,   part.    I,    p.    410-421;    Joseph 
Cappelletti,  Le  Chiese  d' Italia,  Venise,  1851,  t.  vin,  p.  858; 
Hurter,  Nomenelatnr,  Inspruck,  1912,  t.  v,  col.  428-429. 
P.  Edouard  d'Alençon. 

GRADES  THÉOLOGIQUES.  On  donne  ce  nom  à 
des  titres  honorifiques  décernés  au  nom  et  de  par  l'au- 
torité de  l'Église,  à  ceux  qui  ont  fait  preuve,  devant  un 
jury  spécial,  d'une  certaine  science.  Ces  titres  confèrent 
parfois  certains  droits  ecclésiastiques. 

Les  grades  actuels  sont  le  baccalauréat,  la  licence,  le 
doctorat  ou  la  maîtrise. 

Ces  grades  sont  d'origine  relativement  récente  et 
leurs  plus  anciennes  traces  ne  semblent  pas  remonter 
au  delà  de  l'époque  d' Irnérius  et  de  la  restauration  des 
études  juridiques  à  Bologne  à  la  fin  du  xie  et  au  com- 
mencement du  xn"1  siècle.  C'est  le  titre  de  docteur  qui 
est  le  plus  ancien.  Encore,  à  cette  époque,  était-il  un 
qualificatif  de  fonction  plutôt  qu'un  qualificatif  de 
science  :  on  disait  doctor,  comme  on  disait  magisler  ou 
dominus,  pour  désigner  celui  qui  enseignait  réellement, 
effectivement,  qui  instruisait  des  élèves.  Pendant 
longtemps  le  titre  de  docteur  est  le  seul  grade  connu. 
Voir  Docteur,  t.  iv,  col.  1501  sq. 

Le  baccalauréat  n'est  pas,  à  l'origine,  un  titre  scien- 
tifique; le  nom  de  baccalarius,  bachelier,  apparaît  au 
ixc  siècle  pour  désigner  le  possesseur  d'une  baccalaria, 
parcelle  de  terre  soumise  au  vasselage;  plus  tard,  les 
baccalarii  sont  de  jeunes  soldats  qui  aspirent  à  devenir 
bannerets.  Par  analogie,  sans  doute,  on  donna  le  même 
titre  de  baccalarii  ou  baccalaurei  aux  jeunes  étudiants, 
et  ici,  spécialement  aux  étudiants  de  théologie  ou  de 
droit  canonique  qui  avaient  suffisamment  avancé  leurs 
études  pour  pouvoir  aspirer  au  doctorat.  On  en  distin- 
guait communément,  mais  à  Paris  surtout,  deux  caté- 
gories, les  baccedaurei  cursores  et  les  baccalaurei  for- 
mait. Les  conditions  d'accès  étaient,  au  moyen  âge, 
assez  variables  :  il  fallait,  en  tout  cas,  un  certain  nombre 
d'années  d'études  et  de  cours,  de  six  à  huit  ans.  Après 
avoir  entendu,  le  temps  requis,  les  leçons  d'un  maître, 
le  candidat  passait  un  examen  dont  le  succès  lui  per- 
mettait de  faire  sa  determinalio,  discussion  de  thèse  qui 
avait  lieu  en  carême.  Le  minimum  d'études  requis 
entre  l'immatriculation  de  l'élève  et  la  delerminatio 
était  d'environ  deux  ans.  La  determinalio  honorable- 
ment subie,  le  candidat  recevait  la  prima  laurea,  le 
droit  de  porter  4a  cappa  ronde  et  de  faire  lui-même  des 
leçons.  Ces  leçons  consistaient  soit  à  répéter  aux  étu- 
diants moins  bien  doués  ou  d'instruction  inférieure  les 
leçons  du  maître,  soit  à  expliquer  les  livres  dont  le 
maître  ne  s'occupait  pas.  En  théologie,  on  commençait 
par  être  baccalaureus  biblicus,  faisant  des  leçons  sur 
l'Écriture  sainte,  puis  on  devenait  baccalaureus  senlcn- 
tiarius  en  expliquant  les  libri  Senlenliarum  de  Pierre 
Lombard.  Ceux  qui  en  étaient  encore  à  ce  premier 
degré  du  baccalauréat  étaient  dits  baccalaurei  cursores 
ou  currcnles,  parce  qu'ils  continuaient  de  courir  comme 
leurs  cadets  aux  leçons  des  maîtres.  Ils  devenaient 
baccalaurei  formait  quand  ils  expliquaient  le  1.  III  des 
Sentences.  Les  statuts  de  l'université  de  Paris  obli- 
geaient le  bachelier  à  répondre  au  moins  une  fois,  entre 
le  premier  cours  et  les  leçons  sur  les  Sentences,  à 
l'examen  de  la  tentative  sous  la  direction  d'un  maître. 
Plus  tard,  on  réserva  le  titre  de  bachelier  formé  à  ceux 


MIS!» 


GRADES    THÉOLOGIQUES   —   GRAFF 


1690 


qui  avaient  enseigné  pendant  quatre  ans  la  théologie 
scolastique.  Au  xvme  siècle  et  depuis  quelque  temps 
déjà,  les  bacheliers  n'enseignaient  plus  la  théologie,  ni 
les  autres  sciences.  Schmalzgrueber  n'en  fait  plus  état 
dans  sa  définition  du  bachelier  :  Veniunt  baccalau- 
reorum  nomine  Mi,  qui  sui  in  scientia  profectus  primum 
lestimonium  publicum  sunt  conseculi;  il  ajoute,  d'après 
le  canoniste  Mandosi  (vers  1554),  qu'en  Italie  on  ne 
requiert  plus  le  baccalauréat  comme  préliminaire  au 
doctorat.  Jus  ecclesiasiic,  t.  v,  p.  220,  in  lit.  De  magi- 
slris,  §1,  n.  1.  Après  le  baccalauréat,  l'étudiant  conti- 
nuait de  travailler  afin  de  se  préparer  à  la  licence. 

La  licence  était  moins  un  grade  qu'un  examen  de 
passage.  C'était  l'état  du  baccaluureus  formatus  qui, 
après  un  certain  supplément  de  travail,  avait  demandé 
la  licenlia  docendi  au  chancelier,  le  permis  d'enseigner 
en  son  nom  propre  et  non  plus  sous  l'immédiate  direc- 
tion d'un  maître,  et  de  recevoir  le  doctorat.  De  fait,  le 
droit  d'enseigner  n'était  pas  réservé  exclusivement  aux 
docteurs,  et  l'on  vit,  à  Bologne  même,  le  juriste  Aldric 
enseigner  avec  grand  succès  sans  être  docteur.  Mais 
c'est  là  un  exemple  un  peu  exceptionnel.  D'ordinaire, 
la  licence  n'était  pas  à  proprement  parler  un  grade. 
Voici,  en  efïet,la  définition  qu'en  donne  encore  Schmalz- 
grueber :  Licenlicdi  ila  dicti  a  licentiaquœ  in  hoc  gradu 
concedilur  promoto,  ut,  qiiandociimque  velit,  possit  ascen- 
dere  ad  gradum  docloris  vel  magistri...  Veniunt  hoc 
nomine  illi  quibus  collata  est  licenlia,  seu  facilitas  gradum 
supremum  seu  matjislerium,  docloralum,  in  aliqua 
Jacullaie,  cum  volueriul,  capessendi.  Ibid.,  n.  2.  Ce  serait 
seulement  à  partir  du  xvii°  siècle  que,  pour  éviter  les 
frais  du  doctorat,  beaucoup  de  candidats  se  seraient 
bornés  à  la  licence. 

Ces  grades  ne  peuvent  être  conférés  es  sciences  cano- 
niques et  pour  valoir  au  point  de  vue  de  la  discipline 
ecclésiastique  que  de  par  l'autorité  de  l'Église,  qui 
seule  a  compétence  pour  examiner  et  apprécier  la 
doctrine.  Historiquement,  toutefois,  il  est  possible  que 
des  universités  de  simple  érection  royale  ou  impériale 
aient  délivré  valablement  ces  diplômes.  Aujourd'hui, 
la  discipline  est  très  ferme,  l'Église  n'a  point  reconnu 
les  grades  délivrés  par  les  facultés  de  théologie  recon- 
stituées par  la  seule  autorité  civile  de  l'État  en  France, 
et  elle  ne  confère  qu'à  des  universités  ou  à  des  sémi- 
naires qui  dépendent  d'elle  le  droit  d'accorder  ces 
grades. 

De  plus,  elle  impose  la  profession  de  foi  à  tous  ceux 
qui  sont  promus  à  un  grade  académique.  Pie  IV,  bulle 
In  sacrosancta,  13  novembre  1564. 

Mais,  comme  compensation,  elle  accorde  aux  gradués 
certains  privilèges.  On  a  indiqué  déjà,  voir  Docteur, 
les  privilèges  du  gracie  suprême;  les  autres  en  ont  reçu 
aussi  quelques-uns.  Le  concordat  de  151(3  entre  Léon  X 
et  François  Ier  faisait,  dans  la  collation  des  bénéfices, 
une  part  de  faveur  aux  baccalaurci  formati  de  théo- 
logie, et  à  tous  les  gradués  accordait  une  préférence 
dans  la  collation  des  bénéfices.  Mais,  en  général,  les 
textes  ne  parlent  que  des  licenciés  et  des  docteurs.  Aux 
églises  cathédrales  on  devra  promouvoir  des  licenciés 
ou  des  docteurs,  concile  de  Trente,  sess.  xxu,  c.  n, 
De  reform.;  licenciés  et  docteurs  seront  préférés  pour 
les  dignités  et  fonctions  d'écolàtre,  sess.  xxm,  c.  xvm, 
De  reform.;  aux  licenciés  et  docteurs  seront  autant  que 
possible  réservées  toutes  les  dignités  et  la  moitié  au 
moins  des  canonicats  dans  les  cathédrales  et  dans  les 
collégiales  insignes,  sess.  xxiv,  c.  xn,  De  reform.:  le 
chanoine  pénitencier  sera  licencié  ou  docteur,  ibid., 
c.  vm  ;  docteurs  ou  licenciés  seront  les  archidiacres, 
ibid.,  c.  xn  ;  licencié  ou  docteur,  le  vicaire  capitulaire; 
licenciés  ou  docteurs,  les  examinateurs  synodaux,  ibid., 
c.  xvm.  D'ailleurs  l'enseignement  affirmait  assez  com- 
munément que  les  licenciés  jouissaient  de  tous  les 
droits  et  privilèges  des  docteurs,  et  ce  pour  une  raison 


qu'énonce  ainsi  Schmalzgrueber  : ...  quodjura  illael pri- 
vilégia docloribiis  compelant  non  ratione  solemnilalis  adhi- 
bitse  in  promotione,  sed  ratione  excellenlis  doctrinee,  quie 
per  examina  manifcstalur,  et  per  licentiee  concessionem 
légitime  approbalur;  in  promotione  autem,  cum  ea  absque 
novo  cxperimcnlo  fiai,  non  creseil,  nec  magis  apparct.  Ce 
que  le  docte  auteur  conclut  ainsi  :  dicendum  licentialos 
jure  doclorum  censeri  in  favorabilibus,  non  ve.ro  in  odio- 
sis  :  conscqucnler,  admillendos  ad  dignitates,  bénéficia  et 
officia  ad  quse  admitlunlur  doclorcs,  nisi  expresse  requi- 
ralur  promolionis  qualitas.  Loc.  cit.,  n.  35  et  36. 

Voir  Smalzgrueber,  op.  cit.  ;  Reilïenstuel,  Jus  canonicum, 
l.V  Décret.,  in  tit.  v,  De  magistris,  et  les  commentateurs  des 
Décrétales,  à  ce  titre;  P.  Hinschius,  Das  Kirchenrecht,  t.  iv, 
p.  650,  689;  Du  Cange,  Glossarium  média'  et  infimo-  Intini- 
tatis,  au  mot  Baccalarius,  etc.;  Kirchenlexikon,  au  mot  Uni- 
versitât;  Realencyclopàdie,  ibid.;  Catholic  encgclopedia,  au 
mot  Arts  ;  Thurot,  De  l'organisation  et  de  l'enseignement  dans 
l'université  de  Paris  au  moyen  âge,  Paris,  1850;  H.  Denifle, 
Die  Univcrsitâten  des  Mitlelalters,  Berlin,  1885. 

A.   Villien. 

GRADI  Etienne,  issu  d'une  famille  noble  de  Raguse, 
fut  abbé  de  Saint-Cosme  et  Saint-Damien  et  préfet  de 
la  bibliothèque  Vaticane  sous  Alexandre  VIL  En  1664, 
il  accompagna  à  Paris  le  cardinal  Chigi,  envoyé  par  le 
susdit  pontife  son  oncle,  pour  terminer  les  difficultés 
survenues  entre  les  deux  cours.  Il  mourut  à  Rome,  le 
2  mai  1683,  âgé  de  soixante-dix  ans.  On  a  de  lui  des 
poésies  latines  éditées  à  part,  comme  le  De  laudibus 
reipubliciv  Veneise  et  cladibus  palriœ  suœ  carmen, 
Venise,  1675,  ou  bien  dans  les  recueils,  par  exemple, 
Fcstinalio  bealœ.  Virginis  Elisabclam  invisentis,  latine, 
grsece,  oralorie  ac  poelice  pertractata  a  Slcphano  Gradio 
Ragusino,  Oclavio  Cusano  Mediolancnsi,  Francesco 
Maria  Rho  Mediolancnsi,  in-4°,  Rome,  1631;  et  les 
Seplem  virorum  illuslrium  poemata,  Amsterdam,  1672; 
des  discours  :  Oratio  de  eligendo  summo  pontifice  sede 
vacante  posl  obitum  Alexandri  VII,  in-4°,  Rome,  1667; 
Amsterdam,  1672;  In  fiincrc  Cœsaris  Rasponi  S.  R.  E. 
cardinalis,  in-1",  Rome,  1676.  Il  publia,  sous  le  nom 
de  Marini  Statilii,  une  Responsio  ad  Joli.  Chrisloph. 
Wagenselii  et  Hadriani  Valesii  dissertationes  de  Tragu- 
riensi  Pelronii  fragmento,  in-8",  Paris,  1666;  Amster- 
dam, 1670.  Il  donna  à  son  compatriote,  Jean  Lucius  de 
Trau,  Appiani  Alexandrini  romanorum  hisloriarum 
île  bello  illijrico  liber  c  grœco-latinc  reddilus,  qui  parut 
avec  l'ouvrage  de  Lucius  De  regno  Dalmatiœ  et  Croatia-, 
Amsterdam,  1668.  Le  cardinal  Mai  a  édité  dans  le 
t.  vi  b  de  la  Nova  Patrum  bibliotheca,  Rome,  1853,  le 
commencement  d'une  I.eonis  Allatii  vila,  dont  il  avait 
retrouvé  le  manuscrit.  Voir  t.  i,  col.  830.  Son  dernier 
travail  fut  la  Dispulalio  de  opinione  probabili  cum 
P.  Honorato  Fabri  Socielatis  Jcsu  theologo,  in-4°,  Rome, 
1678;  Malines,  1679.  Cette  discussion  n'est  point  écrite, 
comme  le  dit  Hurter,  contre  le  Pitanophilus  de  Fabri, 
Rome,  1659,  mais  contre  V Apologeticus  doclrinœ  mora- 
lis  Socielatis  Jesu,  Lyon,  1670,  voir  t.  v,  col.  2052,  et  à 
la  suite  de  controverses  entre  eux  au  sein  de  la  S.  C. 
de  l'Index,  dont  Gradi  était  consulteur,  au  sujet  de  la 
Theologia  moralis  de  Vincent  Baron.  Voir  t.  n,  col.  425. 
Il  y  prend  la  défense  de  Baron  et  de  Fagnan,  voir  t.  v, 
coi.  2067,  contre  les  attaques  de  Fabri.  On  lui  attribue 
aussi  des  Dissertationes  phijsico-malhcmalicœ,  Amster- 
dam, 1680. 

Sébastien   Dolci,   Fasli   lillcrario-ragusini,  Venise,   1767; 
Hurter,  Nomenclator,  Inspruck,  1910,  t.  iv,  col.  613-614. 
P.  Edouard  d'Alençon. 

GRAFF  Gabriel,  jésuite  hongrois,  né  à  Pribor, 
le  20  mars  1696,  entra  au  noviciat  de  la  province 
d'Autriche  à  l'âge  de  17  ans;  après  avoir  élé  appliqué 
à  l'enseignement  des  mathématiques  et  s'être  fait 
remarquer  par  son  esprit  généralisateur,  il  occupa 
une   des  chaires    de    philosophie  à  Tyrnau,  puis     la 


1691 


GRAFF   —   GRANCOLAS 


1692 


chaire  de  théologie  dogmatique  à  Kaschau.  C'était 
l'époque  où  Jacques  Facciolati  menait  vigoureusement 
la  lutte  contre  la  philosophie  spéculative  et  répandait 
parmi  la  jeunesse  universitaire  ses  théories  spécieuses 
sur  l'enseignement  de  la  philosophie  purement  histo- 
rique. Le  P.  Gabriel  Grafl  fut  chargé  de  réfuter  le. 
sophismes  du  dangereux  novateur.  Il  publia  dans  ce 
but  son  Problema  philosophicum  orbis  literali  judicio 
proposilum,  édité  aux  frais  de  l'université  de  Kaschau, 
1731,  ouvrage  d'une  sobre  érudition,  mais  qui  met 
bien  en  relief,  à  la  lumière  des  principes,  la  nécessité 
d'une  doctrine  philosophique,  et  pratiquement  de  la 
doctrine  aristotélicienne,  l'n  appendice  résume  métho- 
diquement tout  ce  qui  pouvait  avoir  trait  alors  à 
l'histoire  du  philosophe  de  Stagire  et  à  la  critique  de 
son  œuvre.  Le  P.  Grafî  a  laissé  en  outre  dans  son 
Thésaurus  Ecclcsiœ  Chrisli  per  jiibihrum  infidèles 
dispensari  solilus,  Kaschau,  1735,  une  série  de  thèses 
sur  le  péché,  la  grâce  et  le  mérite.  Après  avoir  été 
recteur  des  collèges  de  Tyrnau  et  de  Bude,  il  fut 
nommé  censeur  des  livres  et  directeur  de  l'imprimerie 
universitaire  de  Kaschau  et  mourut  dans  celte  ville, 
le  21  avril  1759,  en  grande  réputation  de  sainteté. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  lu  C'e  de  Jésus,  t.  m, 
col.  1058;  Hurtcr,  Nomenclalor,  3>'  édit.,  Inspruck,  1907, 
t.  m,  col.  739. 

P.  Bernard. 

GRAFFIIS  (Jacques  de),  bénédictin,  d'une  noble 
famille  de  Capoue,  né  vers  1548,  mort  à  Naples  le 
19  octobre  1620.  Entré  dans  l'ordre  de  saint  Benoit, 
il  fit  profession  à  Saint-Sévérin  de  Naples  le  3  avril 
1572.  Docteur  in  utroque  jure,  il  fut  censeur  des  livres 
et  grand-pénitencier  du  diocèse  de  Naples.  Il  fut  en 
outre  pendant  quelques  années  maître  des  novices  à 
Saint-Georges-Ie-Grand  de  Venise.  Jacques  de  Grafliis 
refusa  toujours  les  dignités  ecclésiastiques  :  il  dut 
toutefois  accepter  le  titre  d'abbé  titulaire  que  Paul  V, 
qui  l'estimait  pour  sa  vertu  et  sa  doctrine,  lui  avait 
accordé.  Il  publia  les  ouvrages  suivants  :  Decisionum 
aurearurn  easuum  conseienliœ  pars  I  in  IV  libros 
divisa,  in-4°,  Venise,  1591;  une  édition  locupletata 
et  auela  fut  publiée  en  1593;  Decisionum  aurearurn 
pars  II,  tribus  libris  dislincta,  in-4°,  Venise,  1595; 
autre  édition  aucta,  purgata  et  cmendala,  en  1611; 
Appendix  lam  primi  quam  secundi  tomi  Decisionum 
aurearurn  in  qua  non  solum  mutin  in  prsedictis  tomis 
contenta  exactius  cl  diligenlius  explicantur ;  sed  eliam  alia 
plurima  de  psenitentia,  et  easuum  reservatione,  de  indul- 
genliis,  de  cxcommunicalione,  d  de  electione,  regimine 
animarum,  confessariis  ac  pœnitentibus  admodum  ulilia 
et  necessaria  adducuntur,  in-4°,  Bologne,  1603;  Addi- 
lamcnta  ad  primum  et  secundam  partem  Decisionum 
aurearurn,  in  quibus  prœter  ea  quie  alias  venlilata  et 
discussa  fucre  graviter,  nonnulla  eliam  nunc  recenter 
prioribus  auclarii  vice  apposita  et  quœdam  pariter  plane 
nova  pertractata  accesseru.nl,  in-4°,  Venise,  1610;  Consi- 
liorum  sive  responsorum  easuum  conscicnliw  t.  i  libris 
quinque  juxla  Decrelalium  numerum  et  ordinem  dislri- 
butorum,  2  in-4°,  Venise,  1610;  Practica  quinque  easuum 
summo  ponlifici  reservalorum  juxla  dccrclum  démen- 
tis VIII  cl  eliam  reservalorum  episcopis  et  archiepi- 
scopis  Ilaliœ,  et  ctiam  interprclalio  undecim  easuum 
prselcdis  rcgularibus  reservalorum,  m- A",  Naples,  1609; 
De  arbitrariis  confessariorum  quœ  atlinent  ad  casum 
conseienliœ  libri  duo,  in-4°,  Naples,  1613.  Jacques  de 
Grafliis  publia  en  outre  :  Sermones  spiriluales  lotius 
anni,  in-4°,  Venise,  1595.  Tous  ces  ouvrages  eurent  plu- 
sieurs éditions.  Parmi  les  manuscrits  qu'il  laissait  se 
trouvait  un  traité  De potestate papse que  PaulVordonna 
de  déposer  à  la  bibliothèque  Vaticane. 

Armcllini,  Bibliotheca  benedictino-casinensis,  in-fol., Assise, 
1731,  part.  II,  p.  4;  Ziegelbaucr,  Ilisloria  rei  literariie 
untinis  S.  Denedicti,  t.  iv,  p.  13G,  ICI,  249;  [dom  François], 


Bibliothèque  générale  des  écrivains  de  l'ordre  de  saint  Benoit, 
t.  i,  p.  112;  Ilurter,  Nomcnelator,  1907,  t.  m,  col.  600-601. 

B.  Heurtebize. 
GRANADO  Jacques,  théologien  espagnol,  né  à 
Cadix  en  1574,  admis  au  noviciat  de  la  Compagnie  de 
Jésus  à  Montilla  en  1589.  Professeur  de  philosophie 
au  collège  de  Saint-Herménégilde  à  Séville,  il  exerça 
une  grande  influence  sur  les  esprits  par  la  largeur  de 
ses  conceptions  et  la  sagesse  de  ses  conclusions.  On  lui 
confia  bientôt  après  la  chaire  de  théologie  et  il  ne 
tarda  pas  à  attirer  sur  lui  l'attention  des  théologiens 
de  son  temps  par  son  traité  magistral  sur  l'immaculée 
conception  de  Marie  :  De  immaculata  B.  V.  Dei  Geni- 
trieis  M.  conceplione,  sive  de  singulari  illius  immu- 
nilide  ab  originali  peccato  per  Jesu  Chrisli  filii  ejus 
cumulatissimam  redemptionem,  Séville,  1617.  Le  grand 
ouvrage  qui  a  fondé  sa  réputation  est  son  commentaire 
de  la  Somme  de  saint  Thomas,  remarquable  par  la 
profondeur  de  la  doctrine  et  la  lucidité  de  la  méthode  : 
Commcnlarii  in  Summum  thcologiœ  S.  Thomœ,  8  in-fol., 
dont  les  trois  premiers  parurent  à  Séville,  1623-1629, 
et  les  cinq  autres  à  Grenade,  1633.  Le  dernier  tome 
ci  m  tient  une  table  des  matières  et  des  textes  scriptu- 
raires  fort  précieux  pour  les  recherches.  Les  trois 
premiers  volumes  ont  été  réimprimés  à  Pont-à-Mousson 
en  1624.  Devenu  recteur  de  Séville,  le  P.  Granado  fut 
nommé  procureur  général  de  sa  province  à  Rome, 
qualificateur  du  Saint-Office  et  mourut  recteur  de 
Grenade  le  5  janvier  1632,  avant  d'avoir  pu  mener  à 
bonne  fin  l'impression  de  ses  commentaires.  Son  oraison 
funèbre  prononcée  par  le  P.  Georges  Hemelman  se 
trouve  en  tète  du  volume  :  In  IIP"  partem,  Grenade, 
1633.  La  sainteté  de  sa  vie  excita  partout  l'admiration; 
sa  mortification  rappelle  celle  des  grands  pénitents. 
Séville  garda  longtemps  le  souvenir  de  son  héroïque 
charité  lors  des  débordements  du  Guadalquivir.  Ce 
fut  le  P.  Jacques  Granado  qui  introduisit  à  Séville 
l'usage  de  célébrer,  par  une  octave  solennelle,  la  fête 
du  Corpus  Chrisli.  Alegambe,  dans  sa  Bibliothèque, 
p.  366,  le  juge  digne  d'être  mis  au  nombre  des  hommes 
les  plus  éminents  de  la  Compagnie. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  C"  de  Jésus,  t.  m, 
col.  1666  sq.;  Hurter,  Nomenclalor,  3e  édit.,  Inspruck,  1907, 
t.  m,  col.  664  sq.  ;  Nieremberg,  Firrnamento  religioso,  p.  616- 
627;  François  de  Soto,  A  la  piadosa  memoria  del  vénérable 
P.  Diego  Granado,  Séville,  1632;  Hemelman,  Panegyricus 
funebris  in  obitum  P.  Granati,  en  tête  du  t.  iv  des  Com- 
menlarii  de  Granado;  Cordara,  Historia  Socielatis  Jesu, 
part.  IV,  p.  650. 

P.  Bernard. 

GRANCOLAS  Jean,  théologien  et  liturgiste,  né  vers 
1660,  mort  subitement  à  Paris  le  1er  août  1732.  Doc- 
teur en  Sorbonne  en  1685,  il  devint  chapelain  du  duc 
d'Orléans,  frère  de  Louis  XIV,  dont  il  prononça  l'orai- 
son funèbre  publiée  à  Paris,  in-4°,  1701.  Il  fit  ensuite 
partie  du  clergé  de  l'église  Saint-Benoît  de  Paris.  Très 
versé  dans  l'étude  de  l'antiquité  chrétienne,  il  est  l'au- 
teur de  nombreux  ouvrages  qui,  pour  la  plupart,  mal- 
gré la  rudesse  du  style,  et  un  défaut  d'ordre  réel,  sont 
encore  fort  recherchés  par  les  érudits.  Grancolas  a 
publié  :  Traité  de  l'antiquité  des  cérémonies  des  sacre- 
ments, in-12,  Paris,  1692;  De  l'inlinclion  ou  de  la  cou- 
tume de  tremper  le  pain  consacré  dans  le  vin,  in-12,  Paris, 
1692;  Le  quiétisme  contraire  à  la  doctrine  des  sacrements, 
avec  l'histoire  cllaréjutcdionde  celte  hérésie,  in-12,  Paris, 
1693  ;  à  cet  écrit  il  faut  joindre  :  Lettre  de  M.  Grancolas, 
docteur  en  théologie  de  la  faculté  de  Paris,  pour  se  justifier 
du  reproche  injuste  que  lui  fait  un  auteur  d'avoir  dit  le 
pape  Innocent  XI  suspect  de  quiétisme,  Journal  des  sa- 
vants, mai  1720,  p.  506;  Instructions  sur  la  religion 
tirées  de  l'Écriture  sainte,  in-12,  Paris,  1693;  La  science 
des  confesseurs,  ou  la  manière  d'administrer  le  sacrement 
de  pénitence,  in-12,  Paris,  1696;  Histoire  de  la  commu- 


1693 


GRANCOLAS   —   GRANDE-BRETAGNE    ET    IRLANDE 


1694 


nion  sous  une  seule  espèce  avec  un  traité  de  la  concomi- 
tance, ou  de  la  présence  du  corps  cl  du  sang  de  Jésus- 
Chrisl  sous  une  seule  espèce,  in- 1 2,  Paris,  1696;  L'an- 
cienne discipline  de  l'Église  sur  la  confession,  et  sur  les 
pratiques  les  plus  importantes  de  la  pénitence,  in-12, 
Paris,  1697  ;  Heures  sacrées,  ou  l'exercice  du  chrétien  ]>our 
entendre  la  messe  et  pour  approcher  des  sacrements,  tiré 
de  l'Écriture  sainte,  in-12,  Paris,  1(197:  La  tradition  de 
l'Église  sur  le  péché  originel  et  sur  la  réprobation  des 
enfants  morts  sans  baptême,  in-12,  Paris,  1698;  L'an- 
cien pénilcnliel  de  l'Église,  ou  les  pénitences  que  l'on  im- 
posait autrefois  pour  chaque  péché  et  les  devoirs  de  tous 
les  états  tl  professions  prescrits  par  les  saints  Pères  et  par 
les  conciles,  in-12,  Paris,  1698;  Le  traité  des  liturgies  ou 
1 1  manière  dont  on  a  dit  la  sainte  messe  dans  chaque  siècle 
dans  les  Églises  d'Orient  et  d'Occident,  in-8n,  Paris,  1698; 
L'ancien  sacramenlaire  de  l'Église  où  sont  toutes  les  an- 
ciennes pratiques  qui  s'observaient  dans  l'administration 
des  sacrements  chez  les  grecs  et  les  latins,  2  in-8°,  Paris, 
1698-1699;  Traité  de  la  messe  et  de  l'office  divin  où  l'on 
trouve  une  explication  littérale  des  anciennes  pratiques 
et  des  cérémonies  de  l'Église,  in-12,  Paris,  1713;  Disser- 
tations sur  les  messes  quotidiennes  et  sur  la  confession, 
in-12,  Paris,  1715;  Les  catéchèses  de  saint  Cyrille  de 
Jérusalem  avec  des  notes  cl  des  dissertations  dogmatiques, 
in-4°,  Paris,  1715;  Le  bréviaire  des  laïques,  ou  l'office 
divin  abrégé,  in-12,  Paris,  1715;  Critique  abrégée  des  ou- 
vrages des  auteurs  ecclésiastiques,  2  in-12,  Paris,  1716; 
Instructions  sur  le  jubilé,  avec  des  résolutions  de  plusieurs 
cas  sur  celle  matière,  in-12,  Paris,  1722;  Commentaire 
historique  sur  le  bréviaire  romain  avec  les  usages  des 
autres  Églises  particulières  et  principalement  de  V  Église 
de  Paris,  2  in-12,  Paris,  1727;  dans  un  chapitre  l'auteur 
y  expose  un  projet  d'un  nouveau  bréviaire;  cet  ouvrage 
de  Grancolas  justement  estimé  malgré  quelques  idées 
singulières  fut  traduit  en  latin,  in-4°,  Venise,  1734; 
L' Imitation  de  Jésus-Christ,  traduction  nouvelle,  avec 
des  réflexions  cl  des  prières  ci  la  fin  de  chaque  chapitre,  des 
notes  cl  l'ordinaire  de  la  messe,  latin-français,  et  une  dis- 
sertation sur  l'auteur  de  ce  livre,  in-12,  Paris,  1729  :  l'au- 
teur de  l' Imitation  pourrait  être  le  franciscain  Huber- 
tin  de  Casale;  Histoire  abrégée  de  l'Eglise,  de  la  ville  cl 
de  l'université  de  Paris,  2  in-12,  Paris,  1728  :  ouvrage 
qui  fut  supprimé  à  la  demande  du  cardinal  de  Noailles. 
Après  la  mort  de  Grancolas  fut  publié  :  Liturgie  an- 
cienne et  moderne,  ou  instructions  historiques  sur  l'insti- 
tution des  prières  et  des  fêles  de  l'Église,  in-12,  Paris, 
1752. 

Nouvelles  ecclésiastiques,  6  septembre  1732;  Journal  des 
savants,  2  avril  1G96,  20  mai,  8  juillet,  16  septembre  1097, 
3  et  17  mai  1700,  7  mars  1701,  avril  1713,  p.  428,  mars  1716, 
p.  248;  Supplément  pour  les  mois  mai-août  lT2S,p.dOO;  Dupin, 
Bibliothèque  des  auteurs  ecclésiastiques  du  XVIIe  siècle,  suite 
de  la  Ve  partie,  in-8°,  Paris,  1719,  p.  335;  Moréri,  Diction- 
naire historique,  t.  v  b,  p.  327;  Walcb,  Bibliotheca  Iheolagica, 
in-8»,  Iéna,  1762,  t.  m,  p.  399,  698,  709;  Picot,  Mémoires 
pour  servir  èi  l'histoire  ecclésiastique  pendant  le  XVIll"  siècle, 
in-8°,  Paris,  1853,  t.  H,  p.  459;  Quérard,  La  France  littéraire, 
t.  m,  p.  444;  dom  Guéranger,  Institutions  liturgiques,  2°  édit., 
in-8°,  Paris,  1880,  t.  il,  p.  113,  225,  233,  357;  P.  Féret,  La 
/acuité  de  théologie  de  Paris  et  ses  docteurs  les  plus  célèbres. 
Époque  moderne,  Paris,  1911,  t.  vu,  p.  28-36;  Hurler, 
Nomenclator,  1910,  t.  iv,  col.  1317-1319. 

B.  Heurtebize. 
GRANDERATH  Théodore,  théologien  allemand, 
né  à  Giesenkirchen,  province  rhénane,  le  19  juin  1839, 
fit  ses  études  au  gymnase  de  Neuss  et  pendant  un  an 
suivit  les  cours  de  la  faculté  de  théologie  deTubingue. 
Admis  au  noviciat  de  la  Compagnie  de  Jésus  le  3  avril 
1860  à  Munster  en  Westphalie,  il  se  distingua  au  cours 
de  ses  études  philosophiques  par  la  pénétration  de 
son  esprit  et  l'étendue  de  son  savoir.  En  1874,  il  est 
chargé  de  l'enseignement  du  droit  canonique  au  sco- 
lasticat  de  Ditton  Hall,  en  Angleterre,  puis  pendant 


onze  ans,  de  1876  à  1887,  de  l'enseignement  de  la 
théologie  et  de  l'apologétique.  Entre  temps  il  publia 
dans  les  Slimmcn  d'importants  articles  sur  les  évèques, 
t.  vi,  p.  53-71;  sur  l'élection  du  pape,  t.  vi,  p.  401-415; 
t.  vu,  p.  139-156;  sur  les  gouvernements  et  l'élection 
pontificale,  t.  vm,  p.  36-53,  180-196,  389-408;  t.  ix, 
p.  117-137;  sur  l'étendue  de  l'infaillibilité  pontificale 
d'après  le  décret  du  concile  du  Vatican  et  quelques 
documents  inédits,  t.  xxxviii,  p.  49-69,  162-183.  Dans 
la  Zeilschri/t  fur  kutholischc  Théologie  d'Inspruck 
parurent  plusieurs  dissertations  savantes  qui  mirent 
en  relief  l'étendue  de  son  savoir  et  la  sûreté  de  sa 
doctrine,  notamment  sur  la  controverse  relative  à  la 
filiation  divine,  t.  v,  p.  283-319;  t.  vu,  p.  492-540, 
593-638;  sur  la  nécessité  de  la  révélation,  t.  vi,  p.  283- 
318;  sur  l'existence  des  mystères,  t.  x,  p.  497-511, 
595-602;  sur  la  valeur  doctrinale  des  décrets  des 
Congrégations  romaines,  t.  xix,  p.  623-650.  Il  collabore 
en  outre  au  Kirchenlexikon,  t.  vi,  col.  1442-1451, 
Hdrcsie. 

Après  la  mort  du  P.  G.  Schneemann,  fondateur  de 
la  Collectio  lacensis,  le  P.  Granderath  fut  appelé  à 
Exaeten,  vers  la  fin  de  1887,  pour  achever  l'impression 
du  VIIe  volume  de  la  collection,  qu'il  enrichit  d'im- 
portants documents.  Ce  sont  les  Acla  et  décréta  sacri 
(ccumenici  concilii  Vaticani,  Fribourg-en-Brisgau,  1890. 
Il  consacre  désormais  tous  ses  instants  à  réunir  les 
matériaux  pour  une  histoire  complète  du  concile  du 
Vatican.  En  1892,  paraissent  les  Constilutiones  dog- 
malicœ  SS.  cecumcnici  concilii  Vaticani  ex  ipsis  ejus 
aetis  explicaUc  alque  illustrâtes,  Fribourg-en-Brisgau. 
L'année  suivante,  il  va  s'établir  à  Borne  et  Léon  XIII 
met  à  sa  disposition  sans  nulle  réserve  tous  les  docu- 
ments des  archives  Vaticanes.  Professeur  d'apologé- 
tique à  l'université  grégorienne  en  1897-1898,  il 
s'acharne  à  sa  tâche  plus  que  jamais.  Dans  les  derniers 
mois  de  1901,  deux  volumes  étaient  prêts  pour  l'im- 
pression et  le  troisième  à  peu  près  rédigé,  quand  la 
maladie  due  à  un  excès  de  travail  obligea  le  P.  Gran- 
derath à  quitter  tout  travail  et  à  reprendre  le  chemin 
de  l'Allemagne.  Il  ne  tarda  pas  à  succomber  à  Val- 
kenberg  le  19  mars  1902.  L'histoire  du  concile  du 
Vatican  fut  éditée  par  le  P.  Conrad  Kirch  qui  avait 
aidé  l'auteur  dans  ses  travaux  et  fait  les  dernières 
collations  de  documents  aux  archives  romaines. 
L'ouvrage  parut  sous  ce  titre  :  Geschichle  des  Vatica- 
nischen  Concils  von  seiner  erslen  Ankilndigung  bis  zu 
seiner  Verlagung  nach  den  authentischen  Dokumenten, 
Fribourg-en-Brisgau,  1903-1906.  Le  ior  volume  con- 
sacré aux  préliminaires  du  concile  est  plus  complet 
que  l'ouvrage  de  Cecconi;  les  deux  derniers  volumes 
contiennent  les  discussions  de  l'assemblée;  pour  la 
première  fois  les  Actes  complets  se  trouvent  utilisés, 
surtout  les  discours  prononcés  dans  les  congrégations 
générales.  Tous  les  documents  de  premier  ordre  relatifs 
à  l'agitation  des  esprits  en  dehors  du  concile  ont  été 
mis  soigneusement  à  contribution.  L'ouvrage  est  de 
première  valeur.  Une  traduction  française  :  Histoire 
du  concile  du  Vatican  a  paru  à  Bruxelles,  1907-1910. 

Hurter,  Nomenclator,  3-  édit.,  Inspruck,  1913,  t.  v, 
col.  1988  sq.  ;  Lauchert,  Biographiscbcs  Jalirbuch,  Berlin, 
1904,  t.  vu,  p.  265. 

P.  Bernard. 

GRANDE  BRETAGNE  ET  IRLANDE.  On  étu- 
diera successivement  :  I.  la  situation  du  catholicisme 
depuis  la  Béformation;  II.  les  publications  catholiques 
sur  les  sciences  sacrées. 

I.     GRANDE-BRETAGNE     ET     IRLANDE.    SITUATION 

RELIGIEUSE.  —  Il  est  nécessaire  de  traiter  séparément 
des  trois  pays,  Angleterre,  Ecosse  et  Irlande. 

I.  Angleterre.  —  1°  Sous  Henri  VIII  et  ses  deux 
premiers  successeurs.  —  Au  moment  de  la  séparation 


î.ior. 


GRANDE-BRETAGNE    ET    IRLANDE 


um 


d'avec  Rome,  l'Angleterre  était  divisée  au  point  de  vue 
ecclésiastique  en  deux  provinces,  celle  de  Cantorbéry, 
dont  l'archevêque  avait  le  titre  de  primat,  avec  seize 
diocèses  sufïragants,  et  celle  d'York,  avec  deux  suf- 
fragants.  L'épiscopat  était  loyalement  attaché  au  Saint- 
Siège,  et  si  l'hérésie  de  AYiclef  avait  laissé  certains 
ferments  de  révolte  dans  les  esprits,  ces  ferments 
n'auraient  pas  suffi  à  séparer  l'Angleterre  de  Rome 
s'ils  n'avaient  été  habilement  mis  en  œuvre  par 
Henri  VIII  et  ceux  qui  vinrent  après  lui.  Comme  nous 
l'avons  dit  plus  haut,  voir  t.  i,  col.  1281,  le  roi  n'avait 
d'autre  dessein  que  d'enlever  l'Angleterre  à  la  juri- 
diction de  Rome,  tout  en  conservant  la  doctrine 
catholique,  et  il  persécuta  ceux  qui  pensaient  autre- 
ment que  lui,  tant  ceux  qui  voulaient  rester  fidèles  au 
pape  que  ceux  qui  avaient  des  tendances  calvinistes 
et  luthériennes.  A  la  fin  de  son  règne,  très  peu  de  ses 
sujets  étaient  satisfaits  de  l'état  de  choses  établi. 
Beaucoup  étaient  en  complète  sympathie  avec  les 
réformateurs  allemands,  tandis  que  la  grande  majorité 
désirait  revenir  à  l'obédience  du  pape.  Sous  les  deux 
règnes  suivants,  ces  deux  partis  eurent  l'ascendant 
l'un  après  l'autre.  Avec  le  jeune  Edouard  VI,  tout  ce 
qui  restait  du  papisme  fut  aboli,  et  tous  les  biens 
ecclésiastiques  qu'Henri  VIII  avait  épargnés  furent 
confisqués,  tandis  que  les  évoques  qui  avaient  conservé 
un  esprit  plus  catholique,  comme  Gardiner  et  Bonner, 
furent  envoyés  à  la  Tour.  Les  violences  qui  accom- 
pagnèrent ces  mesures  provoquèrent  une  réaction,  de 
sorte  que,  quand  Marie  monta  sur  le  trône  en  1553,  elle 
avait  avec  elle  tout  le  peuple  d'Angleterre  pour  le 
rétablissement  de  la  religion  catholique.  A  la  demande 
du  parlement,  l'absolution  fut  accordée  à  la  nation 
par  le  cardinal  Pôle  le  30  novembre  1554,  et  le  catho- 
licisme redevint  la  religion   d'État. 

2°  Sous  Elisabeth  et  Jacques  ICT.  —  Mais  bientôt,  le 
17  novembre  1558,  la  reine  et  le  cardinal  mouraient 
à  quelques  heures  d'intervalle,  et  un  des  premiers 
soins  d'Elisabeth  fut  de  détruire  tout  ce  qui  avait  été 
fait  sous  le  règne  précédent.  Les  deux  premières  lois 
qu'elle  arracha  à  son  parlement  furent  l'Acte  de  supré- 
matie et  l'Acte  de  conformité.  Le  premier  obligeait 
tous  ses  sujets  à  la  reconnaître  comme  «  le  seul  suprême 
gouverneur  de  ce  royaume  aussi  bien  dans  les  causes 
spirituelles  et  ecclésiastiques  que  dans  les  temporelles;  » 
l'autre  imposait  l'usage  dans  toutes  les  églises  du 
second  Pruijer  book  d'Edouard  VI,  et  ordonnait  à  tous 
les  laïques  d'assister  à  cet  office  dans  les  églises  parois- 
siales les  dimanches  et  fêtes.  Tous  les  évêques  refusèrent 
d'accepter  ces  lois,  sauf  un,  Kitchen,  évêque  de  Llan- 
daff,  qui  put  ainsi  conserver  son  siège,  tandis  que  les 
autres  étaient  dépossédés;  la  moitié  du  clergé  suivit 
les  évêques;  quant  aux  laïques,  ils  se  soumirent  en  ma- 
jorité, tout  comme  ils  avaient  accepté  les  changements 
faits  à  la  religion  sous  Henri  VIII,  sous  Edouard  VI  et 
sous  Marie.  Il  n'entre  pas  dans  notre  sujet  de  raconter 
comment  Elisabeth  se  procura  de  nouveaux  évêques, 
mais  il  est  bon  de  remarquer  que  c'est  ainsi  que  l'Église 
officielle  d'Angleterre  devint  un  département  de  l'État. 
Les  évêques  sont  nommés  par  la  couronne,  et  l'élection 
par  les  chapitres  n'est  qu'une  comédie.  Le  roi  envoie 
aux  chanoines  le  «  congé  d'élire  »,  mais  il  a  soin  d'en- 
voyer en  même  temps  le  nom  de  celui  qu'il  faut  élire. 
De  même  les  convocations  ou  assemblées  ecclésiastiques 
des  deux  provinces  ne  peuvent  traiter  les  questions  de 
leur  ressort  avant  d'avoir  reçu  du  roi  des  «  lettres 
d'affaires  ».  Le  roi  est  l'arbitre  souverain  dans  toutes 
les  causes  qui  intéressent  la  foi  et  les  mœurs,  et  ses 
décisions,  données  par  son  conseil  privé,  sont  irré- 
formables. 

A  partir  de  ce  moment,  les  catholiques  ne  purent 
exercer  leur  culte  qu'en  cachette,  au  risque  des  peines 
les  plus  sévères.  Beaucoup  d'entre  eux  crurent  pouvoir 


transiger  avec  leur  conscience;  ils  assistaient  aux 
services  schismaliques  avec  plus  ou  moins  de  régularité, 
tout  en  protestant  qu'ils  ne  faisaient  qu'obéir  à  une 
loi  civile,  et  ils  saisissaient  toutes  les  occasions  d'aller 
à  la  messe  célébrée  par  les  prêtres  restés  fidèles,  dont 
un  grand  nombre  était  demeuré  dans  le  pays.  Elisabeth 
et  ses  conseillers  fermaient  les  yeux,  dans  l'espoir  qu'à 
mesure  que  les  anciens  prêtres  disparaîtraient,  les 
laïques  embrasseraient  facilement  la  nouvelle  religion. 
Mais  c'était  une  erreur.  Les  catholiques  commencèrent 
bientôt  à  mieux  comprendre  leur  devoir,  et  la  dimi- 
nution du  nombre  des  prêtres  fit  songer  au  moyen  de 
recruter  un  clergé  suffisant. 

C'est  alors  (1568)  que  William  Allen,  depuis  cardinal, 
fonda  le  séminaire  de  Douai,  le  premier  de  ces  collèges 
qui  pendant  de  longues  années  furent  une  pépinière 
d'apôtres  et  de  martyrs  pour  les  lies  Britanniques. 
Elisabeth  vit  avec  déplaisir  les  nombreux  missionnaires 
qui  furent  envoyés  en  Angleterre,  et  sauvèrent  l'ortho- 
doxie parmi  les  catholiques;  la  bulle  par  laquelle  saint 
Pie  V  déliait  ses  sujets  du  serment  de  fidélité  mit  le 
comble  à  sa  colère,  et  les  sévérités  contre  les  catho- 
liques redoublèrent. 

Dans  le  désarroi  causé  par  le  changement  de  religion, 
l'Église  catholique  en  Angleterre  était  gouvernée  direc- 
tement par  le  Saint-Siège,  mais  à  cause  de  la  distance, 
chaque  missionnaire  faisait  à  peu  près  ce  qui  lui  sem- 
blait bon.  Il  en  résultait  de  graves  inconvénients,  d'au- 
tant plus  qu'il  y  avait  des  dissensions  entre  les  mis- 
sionnaires. Tout  cela  faisait  désirer  un  supérieur  demeu- 
rant dans  le  pays,  et  beaucoup  demandaient  un  évêque. 
Goldwell,  le  dernier  évêque  catholique  de  Saint-Asaph, 
qui  résidait  à  Rome,  obtint  du  pape  la  permission  de  se 
rendre  en  Angleterre,  mais  il  mourut  en  chemin.  Il  fut 
question  alors  de  nommer  deux  évêques,  mais  le  car- 
dinal Allen,  à  l'avis  duquel  se  rangea  le  jésuite  Persons, 
fit  prévaloir  l'avis  de  déléguer  un  simple  prêtre  avec  des 
pouvoirs  extraordinaires.  En  1598,  Clément  VIII,  après 
avoir  recueilli  les  votes  du  clergé  anglais,  nomma 
Georges  Blackwell,  auquel  fut  donné  le  titre  d'archi- 
prêtre.  Un  chapitre  de  douze  prêtres  assistants  lui  fut 
adjoint,  et  le  pays  divisé  en  douze  circuits,  à  la  tète  de 
chacun  desquels  était  un  de  ces  prêtres.  L'essai  ne  fut 
pas  heureux.  Cette  organisation  nouvelle  rencontra  une 
forte  opposition,  et  il  n'y  eut  que  trois  archiprêtres. 
En  1623,  Grégoire  XV  accorda  aux  catholiques  anglais 
un  évêque,  dans  la  personne  de  Guillaume  Bishop,  qui 
mourut  l'année  suivante. 

Pendant  ce  temps  Jacques  Ier  avait  succédé  à  Eli- 
sabeth en  1603,  et  les  catholiques  crurent  pouvoir 
espérer  du  fils  de  Marie  Stuart  un  traitement  plus 
bénin,  mais  ils  furent  cruellement  déçus.  Les  lois 
pénales  furent  renouvelées,  les  prêtres  bannis  du 
royaume,  et  les  catholiques  reçurent  la  défense  d'en- 
voyer leurs  enfants  à  l'étranger  pour  faire  leur  édu- 
cation, et  d'avoir  pour  eux  des  écoles  en  Angleterre. 

3°  Sous  Charles  /cr  et  les  autres  Sluarls.  —  Charles  Ier 
n'était  pas  persécuteur;  il  aurait  volontiers  laissé  les 
catholiques  tranquilles,  et  en  1625  un  successeur  fut 
donné  à  Bishop,  qui  se  nommait  Richard  Smith.  Mais 
Charles  avait  compté  sans  son  parlement,  qui  était 
tout  à  fait  protestant;  on  a  remarqué  que  les  rigueurs 
exercées  contre  les  catholiques  coïncidèrent  avec  les 
sessions  du  parlement.  Un  bon  nombre  de  prêtres  et  de 
laïques  furent  mis  à  mort.  L'évêque  Smith  dès  1628 
avait  été  obligé  de  se  retirer  en  France,  où  il  mourut 
en  1655.  De  là  il  gouvernait  l'Église  d'Angleterre  par 
l'intermédiaire  d'un  chapitre  de  dix-neuf  chanoines 
fondé  par  son  prédécesseur,  chapitre  qui  continua  à 
exercer  une  certaine  juridiction  en  Angleterre  pendant 
trente  ans  après  la  mort  de  Smith,  jusqu'à  ce  que 
quatre  vicaires  apostoliques  fussent  nommés  par  le 
Saint-Siège. 


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1697 


GRANDE-BRETAGNE  ET  IRLANDE 


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La  persécution  fit  rage  après  la  décapitation  de 
Charles  Ier  jusqu'à  la  mort  de  Cromwell.  Charles  II 
eut  d'abord  la  pensée  de  tolérer  les  catholiques,  et  de 
leur  permettre  l'exercice  de  leur  culte  dans  les  maisons 
particulières,  mais  il  céda  devant  l'intransigeance  du 
parlement,  et  les  lois  pénales  furent  de  nouveau  mises 
en  vigueur.  Plusieurs  catholiques  furent  mis  à  mort 
sous  ce  règne,  entre  autres  le  vénérable  Olivier  Plunkett, 
archevêque  d'Armagh,  qui  fut  exécuté  à  Tyburn  en 
1681.  Son  sang  fut  le  dernier  versé  pour  la  religion  en 
Angleterre.  Depuis  Henri  VIII,  trois  cent  quarante- 
deux  martyrs  avaient  scellé  leur  foi  de  leur  sang. 

Sous  Jacques  II,  qui  était  catholique,  l'exercice  de 
la  religion  n'eut  plus  aucune  entrave,  et  le  Saint-Siège 
divisa  l'Angleterre  en  quatre  districts,  à  la  tète  de 
chacun  desquels  il  mit  un  vicaire  apostolique.  Le  roi 
favorisait  ses  coreligionnaires  de  tout  son  pouvoir, 
mais  son  zèle  mal  réglé,  que  Rome  même  trouvait 
intempestif,  lui  aliéna  le  cœur  de  ses  sujets,  et  son  court 
règne  de  trois  ans  finit  par  la  révolution  de  1688. 

4°  De  la  révolution  à  la  fin  du  \ixe  siècle.  —  Le  règne 
de  Guillaume  III  s'ouvrit  par  le  Bill  oj  righls,  d'après 
lequel  aucun  prince  catholique  ou  marié  à  une  catho- 
lique ne  pouvait  régner  en  Angleterre,  et  afin  d'obvier 
à  toute  fraude,  le  souverain  fut  obligé  de  faire  publi- 
quement à  son  couronnement  et  devant  tout  le  parle- 
ment une  déclaration  que  le  parlement  de  Charles  II 
avait  exigée  de  tous  ceux  qui  recevaient  une  charge 


Cependant  un  esprit  de  tolérance  commençait  à  pré- 
valoir, à  cause  surtout  des  progrès  de  l'indifférence 
religieuse  au  xvmc  siècle.  En  1778,  une  première  loi 
fut  votée,  qui  allégeait  un  peu  le  joug  des  catholiques; 
elle  fut  complétée,  en  1791,  par  une  autre  loi  qui  pres- 
crivait aux  catholiques  un  serment  de  fidélité  compa- 
tible avec  leur  conscience.  En  retour,  ils  étaient  dis- 
pensés du  serment  de  suprématie;  plusieurs  de  leurs 
incapacités  légales  étaient  abolies,  et  on  tolérait  leurs 
écoles  et  leur  culte. 

La  Révolution  française  eut  un  bon  résultat  pour 
le  catholicisme  dans  les  Iles  Rritanniqucs.  Les  collèges 
fermés  sur  le  continent  furent  rouverts  en  Angleterre; 
les  communautés  religieuses  fondées  à  r  étranger  ren- 
trèrent dans  leur  pays,  et  les  prêtres  français  émigrés 
—  il  y  en  eut  plus  de  8  000 —  contribuèrent  à  l'exten- 
sion de  la  religion  tant  par  l'exemple  de  leur  pieuse  vie 
que  par  leurs  travaux  apostoliques. 

Enfin  les  catholiques  anglais  furent  à  peu  près  com- 
plètement émancipés  en  1829,  grâce  à  l'agitation  exci- 
tée et  entretenue  en  Irlande  par  O'Connell.  En  1840, 
Grégoire  XVI  porta  le  nombre  des  vicaires  aposto- 
liques de  quatre  à  huit,  et  dix  ans  plus  tard  Pie  IX 
rétablissait  la  hiérarchie.  L'Angleterre  fut  érigée  en 
province  ecclésiastique,  composée  du  siège  métropo- 
litain de  Westminster  et  de  douze  évêchés  sufïragants  ; 
des  dédoublements  portèrent  dans  la  suite  ce  nombre 
à  quinze. 


DIOCESES 


I.  Westminster 

Northampton 

Nottingham 

Portsmouth 

Southwark 

II.  Birmingham 

Clifton 

Menevia 

Newport 

Plymouth 

Slirewsbury 

III.  Liverpool 

Hexham  et  Newcastlc. 

Leeds    

Middlesbrough 

Salford 

Total 


PRÊTRES 

séculiers     réguliers 


391 
66 
88 
90 

271 

206 
58 
27 
13 

71 

79 

316 
208 
157 
75 
251 


:400 


ISO 

20 

47 

208 

319 

107 
73 
00 
49 
55 
12 

141 
49 
35 
37 
80 


1472 


ÉGLISES 

ÉCOLES 

et  chapel. 

publiques 

second. 

192 

76 

77 

12 

98 

13 

101 

32 

222 

78 

153 

32 

71 

19 

48 

9 

76 

4 

77 

18 

60 

12 

185 

29 

148 

11 

116 

10 

68 

11 

145 

21 

1  837 

387 

5  929 

332 

576 

1  838 

5  077 

1  036 
839 
110 
383 

451 

3  300 
880 
822 

1  027 

1  529 


24  129 


ECOLES 

primaires 


1  183 


ÉLÈVES 


117 

34  401 

25 

3  584 

47 

8  004 

53 

6  320 

110 

20  894 

122 

26  576 

30 

3  718 

16 

2  090 

1  1 

13  446 

28 

» 

43 

11  558 

181 

80  000 

114 

40  592 

67 

25  658 

45 

10  874 

141 

55  757 

POPULATION 
CATHOLIQUE 


343  472 


256  200 

14  899 

37  000 

51  388 

150  000 

85  000 

20  750 

9  987 

59  890 

23  000 

58  641 

371  767 

200  787 

119  281 

51  856 

295  000 

1  805  446 


civile  ou  militaire,  afin  d'écarter  les  papistes.  Par  cette 
déclaration  le  souverain  niait  la  transsubstantiation  et 
déclarait  que  «  l'invocation  de  la  Vierge  Marie  ou  de 
tout  autre  saint,  ainsi  que  le  sacrifice  de  la  messe, 
suivant  l'usage  actuel  de  l'Eglise  de  Rome,  sont  super- 
stitieux et  idolâtres.  »  Puis,  par  différentes  lois,  les 
catholiques  fuient  frappés  de  beaucoup  d'incapacités 
légales  qu'il  serait  trop  long  d'énumérer;  la  plus  exor- 
bitante fut  celle  qui  le.  empêchait  de  recevoir  des 
terres  en  héritage  ou  de  les  acheter,  à  moins  de  renier 
leur  foi;  s'ils  refusaient  de  le  faire,  leur  propriété 
pendant  leur  vie  passait  à  leur  plus  proche  paient 
protestant.  En  même  temps  tous  les  prêtres  étaient 
frappés  d'emprisonnement  à  vie,  et  s'ils  étaient  con- 
vaincus d'avoir  dit  la  messe,  celui  qui  les  dénonçait 
recevait  une  récompense  de  cent  livres.  Ces  lois  exor- 
bitantes furent  mises  en  force  dans  beaucoup  de  cas. 

D1CT.  DK  TIIÉOL.  CATIIOL. 


5°  /•'/(//  actuel  de  l'Église  catholique  en  Angleterre.  — 
En  191 1,  Pie  X  a  divisé  l'Angleterre  en  trois  provinces 
ecclésiastiques. 

La  province  de  Westminster  se  compose  de  l'arche- 
vêché de  Westminster,  avec  les  quatre  évêchés  suf- 
fragants  de  Northampton,  Nottingham,  Portsmouth 
et  Southwark. 

La  province  de  Birmingham  se  compose  de  l'arche- 
vêché de  Birmingham,  avec  les  cinq  évêchés  sufïragants 
de  Clifton,  Newport,  Plymouth,  Slirewsbury,  et  Mene- 
via dans  le  pays  de  Galles. 

La  province  de  Liverpool  se  compose  de  l'archevêché 
de  Liverpool,  avec  les  quatre  évêchés  sufïragants 
d'Hexham  et  Newcastle,  Leeds,  Middlesbrough  et 
Salford. 

Le  tableau  ci-dessus  donne  la  statistique  générale. 

Il  faut  remarquer  que  le  nombre  extraordinaire  des 

VI.  -  .',1 


1G99 


(,  MANDE-BRETAGNE    ET    IRLANDE 


1700 


prêtres  réguliers  dans  les  deux  diocèses  de  Portsmouth 
et  de  Soulhwark  est  dû  (en  1914)  à  la  présence  d'un 
grand  nombre  de  religieux  exilés  de  France. 

Tous  ces  chiffres  sont  extraits  du  Catltolic  dircclory 
pour  l'année  1914.  Pour  les  diocèses  où  il  y  a  des  chiffres 
ronds,  le  nombre  des  catholiques  n'est  qu'approxi- 
matif. 

L'archevêque  de  Westminster  a  en  quelque  sorte  la 
dignité  de  primat  sans  en  avoir  le  titre.  D'après  la 
constitution  du  28  octobre  1911,  c'est  lui  qui  préside 
les  assemblées  des  évoques  d'Angleterre,  et  qui  les 
convoque;  c'est  lui  qui  représente  ses  frères  dans  l'épis- 
copat  dans  les  relations  avec  le  gouvernement  civil, 
toutefois  après  avoir  demandé  leur  avis,  qu'il  est  obligé 
de  suivre;  il  a  de  plus  le  droit  d'user  du  pallium  et  de 
faire  porter  la  croix  devant  lui  dans  toute  l'Angleterre. 
La  nomination  des  évêques  se  fait  de  la  manière 
suivante.  Lorsqu'un  siège  est  vacant,  le  chapitre  se 
réunit,  et  désigne  au  scrutin  secret  trois  candidats, 
dont  les  noms  sont  transmis  par  ordre  alphabétique  à 
l'assemblée  des  évêques.  Ceux-ci  font  parvenir  à  Rome 
les  noms  désignés  par  les  chanoines,  en  y  ajoutant  leurs 
réflexions  sur  les  candidats,  souvent  même  ils  ajoutent 
un  quatrième  nom.  C'est  d'après  ces  données  que  le 
Saint-Siège  fait  te  choix  définitif;  mais  il  arrive  parfois 
que  le  pape  choisisse  en  dehors  des  noms  proposés  soit 
par  le  chapitre,  soit  par  les  évêques. 

Chaque  diocèse  possède  maintenant  un  chapitre 
dont  les  vacances  sont  remplies  par  le  pape  lorsqu'elles 
se  produisent  en  certains  mois,  et  dans  les  autres, 
alternativement  par  l'évèque  et  le  chapitre,  mais  dans 
ce  dernier  cas  les  chanoines  se  bornent  à  proposer  trois 
noms  que  l'évèque  transmet  au  pape.  La  nomination 
du  prévôt  appartient  toujours  au  souverain  pontife. 
Les  chanoines  n'ont  pas  l'office  canonial  quotidien;  la 
plupart  sont  à  la  tête  d'une  mission,  et  ils  se  réunissent 
une  lois  par  mois,  récitent  au  chœur  l'office  de  tierce, 
assistent  à  la  messe  capitulairc  et  tiennent  leur  réunion. 
En  souvenir  des  anciens  chapitres  monastiques  qui 
existaient  dans  plusieurs  cathédrales  d'Angleterre,  le 
chapitre  du  diocèse  de  Newport  est  toujours  composé 
de  bénédictins;  l'évèque  lui-même  appartient  à  cet 
ordre. 

L'évèque  est  assisté  d'un  vicaire  général  qui  est 
presque  partout  chargé  d'une  mission,  et  membre 
du  chapitre;  il  y  a  aussi  dans  chaque  diocèse  des 
vicaires  forains  ou  doyens,  qui  président  les  conférences 
ecclésiastiques,  et  jouissent  des  pouvoirs  qu'il  plaît  à 
l'évèque  de  leur  donner. 

Il  n'y  a  pas  en  Angleterre  de  paroisses  proprement 
dites;  les  diocèses  sont  divisés  en  missions  qui,  après 
tout,  diffèrent  à  peine  des  paroisses  ordinaires.  Beau- 
coup de  ces  missions  sont  confiées  à  des  religieux,  qui 
sont  nommés  après  entente  entre  les  évêques  et  les 
supérieurs  réguliers. 

Le  clergé  anglais  ne  reçoit  aucun  salaire  du  gouver- 
nement pour  le  ministère  paroissial.  Chaque  diocèse 
possède  un  fonds  destiné  au  traitement  de  l'évèque,  à 
l'ouverture  de  nouvelles  missions,  aux  subventions 
qu'il  peut  être  nécessaire  de  donner  aux  prêtres;  ce 
fonds  est  entretenu  par  des  donations  et  des  legs. 
Lorsqu'une  mission  a  été  fondée,  si  un  revenu  ne  lui  a 
pas  été  assigné  par  le  fondateur,  le  clergé  qui  en  est 
chargé  n'a  d'autres  ressources  que  la  charité  des  fidèles 
pour  son  entretien  et  l'entretien  de  la  mission.  Les 
aumônes  des  fidèles  se  recueillent  de  cinq  manières 
approuvées  par  le  quatrième  concile  de  Westminster  : 
1°  la  location  des  bancs  et  chaises; 2° le  droit  d'entrée, 
perçu  à  la  porte,  de  ceux  qui  n'ont  pas  loué  de  places; 
3°  les  quêtes  faites  à  l'église;  4°  les  quêtes  extraordi- 
naires; 5°  les  quêtes  à  domicile.  Les  prêtres  sont 
soumis  à  un  contrôle  assez  sévère  pour  l'emploi  des 
sommes  ainsi  recueillies. 


Les  possesseurs  légaux  des  biens  ecclésiastiques  sont 
toujours  des  trusts  ou  sociétés  civiles  composées  d'un 
nombre  plus  ou  moins  grand  de  membres  qui  donnent 
toutes  les  garanties  désirables;  on  évite  ainsi  les  droits 
considérables  de  mutation  qui  se  produiraient  à  la 
mort  de  chaque  évêque. 

L'éducation  en  Angleterre  est  réglementée  par  la  loi 
de  1902.  D'après  cette  loi,  l'éducation  tant  primaire 
que  secondaire  est  confiée  aux  conseils  de  comté  poul- 
ies comtés,  aux  conseils  de  ville  pour  les  villes.  Ces 
conseils  sont  soumis  pour  les  matières  d'éducation  au 
Bureau  central  de  V instruction,  qui  exerce  un  certain 
contrôle  en  envoyant  ses  inspecteurs  dans  les  écoles,  et 
en  prononçant  en  dernier  ressort  sur  les  difficultés 
locales  qui  pourraient  s'élever.  Par  ailleurs,  les  conseils 
sont  les  maîtres,  et  ils  exercent  leur  autorité  au  moyen 
d'un  comité  d'éducation  nommé  par  eux,  et  pris  en 
partie  parmi  leurs  membres,  en  partie  parmi  les  asso- 
ciations techniques,  y  compris  les  associations  des 
écoles  libres.  Le  gouvernement  fournit  les  trois  quarts 
des  dépenses. 

Ce  qui  intéresse  les  catholiques,  c'est  que  sous  cette 
loi  les  écoles  libres  peuvent  être  incorporées.  Pour  cela, 
le  gouvernement  demande  aux  administrateurs  de  ces 
écoles  :  1 .  de  fournir  gratuitement  le  terrain  et  les 
bâtiments;  2.  de  les  tenir  en  bon  état,  cependant  le 
conseil  prend  à  sa  charge  les  réparations  exigées  par 
l'usure  quotidienne;  3.  de  faire  toutes  les  améliorations 
demandées  par  l'autorité;  4.  de  se  soumettre  aux  règle- 
ments et  aux  exigences  de  la  loi. 

En  somme,  les  possesseurs  des  écoles  libres  en 
demeurent  propriétaires;  ils  gardent  aussi  l'adminis- 
tration de  leurs  écoles,  sauf  à  accepter  deux  adminis- 
trateurs sur  six,  nommés  par  le  comité  du  conseil;  ils 
peuvent  y  faire  donner  l'instruction  religieuse  de  leur 
choix,  mais  seulement  au  commencement  et  à  la  fin 
des  classes,  aux  enfants  que  leurs  parents  n'auront  pas 
retirés.  Pour  tout  le  reste,  l'école  est  semblable  aux 
écoles  publiques,  mômes  programmes,  même  ensei- 
gnement, mêmes  inspecteurs,  mêmes  subventions,  c'est- 
à-dire  que  l'État  paie  les  trois  quarts  de;  dépenses, 
tandis  que  l'autre  quart  est  payé  par  l'autorité  locale. 

Quant  à  l'engagement  ou  au  renvoi  des  maîtres  et 
maîtresses,  il  est  soumis  au  veto  de  l'autorité  locale,  qui 
ne  peut  l'exercer  que  pour  des  raisons  d'ordre  pro- 
fessionnel. 

Opposition  peut  être  faite  à  l'ouverture  d'une  école 
libre,  si  elle  est  déclarée  non  utile  par  l'autorité  locale, 
ou  par  les  administrateurs  des  autres  écoles  de  l'endroit, 
ou  par  dix  contribuables.  En  ce  cas,  c'est  le  Conseil  de 
l'instruction  publique  qui  décide  si  l'école  est  utile  ou 
non. 

Presque  toutes  les  écoles  catholiques  d'Angleterre 
vivent  et  fleurissent  sous  ce  régime  vraiment  libéral. 
Ceci  ne  veut  pas  dire  que  le  régime  soit  parfait;  il  y  a 
toujours  possibilité  d'abus,  et  les  journaux  catholiques 
rapportent  de  temps  en  temps  des  exemples  d'injus- 
tices commises  par  les  autorités  locales,  et  non  réparées 
par  le  Bureau  central.  Pour  obvier  autant  cjue  possible 
à  ces  inconvénients,  les  évêques  d'Angleterre  et  d'Ecosse 
ont  établi  un  conseil  catholique  d'éducation  composé 
de  quatre-vingt-quinze  membres,  qui  représente  offi- 
ciellement les  évêques  et  la  communauté  catholique. 
Ce  conseil  est  reconnu  par  le  gouvernement,  comme 
ayant  pouvoir  d'agir  dans  les  difficultés  qui  peinent 
s'élever  entre  les  administrateurs  des  écoles  et  le 
Bureau  d'éducation. 

Ce  conseil  s'occupe  aussi  du  recrutement  du  personnel 
enseignant,  au  moyen  d'écoles  normales.  Il  y  a  une 
école  normale  pour  les  instituteurs,  confiée  aux  prêtres 
de  la  Mission,  et  sept  pour  les  institutrices,  dont  une 
en  Ecosse,  dirigées  par  des  religieuses  de  différentes 
congrégations.  La  disproportion  s'explique  par  ce  fait 


1701 


GRANDE-BRETAGNE    ET    IRLANDE 


1702 


que  dans  la  plupart  des  écoles  l'enseignement  est  donné 
par  des  femmes,  et  ces  écoles  sont  presque  toujours 
mixtes. 

L'enseignement  secondaire  catholique  est  très  flo- 
rissant en  Angleterre.  Il  y  a  un  grand  nombre  de 
collèges  tenus  soit  par  des  prêtres  séculiers,  soit  par 
des  religieux,  soit  même  par  des  laïques  ;  quelques-uns 
d'entre  eux  peuvent  rivaliser  avec  les  plus  célèbres 
collèges  anglais.  Quant  aux  pensionnats  de  jeunes 
filles,  le  nombre  en  dépasse  deux  cents.  Les  religieuses 
du  Saint-Enfant-Jésus  ont  ouvert  à  Londres  une  école 
normale  secondaire  où  les  maîtresses  peuvent  se  pré- 
parer aux  examens  pour  le  diplôme  conféré  par  l'uni- 
versité de  Cambridge;  beaucoup  de  religieuses  de  dif- 
férents ordres  vont  y  passer  l'année  d'études  néces- 
saire, bien  que  ce  diplôme  ne  soit  pas  requis  dans 
renseignement  secondaire,  qui  est  entièrement  libre. 

Il  n'y  a  pas  d'université  catholique  en  Angleterre. 
Pendant  longtemps,  les  laïques  déplorèrent  l'impossi- 
bilité où  ils  étaient  de  donner  à  leurs  fils  l'éducation 
supérieure  qui  les  mettrait  à  la  hauteur  de  leurs  conci- 
toyens, mais  les  statuts  des  universités  s'y  opposaient, 
car  à  Oxford  tous  les  étudiants,  et  à  Cambridge  tous 
ceux  qui  se  présentaient  aux  grades  universitaires 
devaient  prêter  le  serment  de  suprématie  royale,  et 
signer  les  trente-neuf  articles.  Vers  le  milieu  du  xixe  siè- 
cle, cette  obligation  fut  supprimée;  alors  quelques 
jeunes  catholiques  commencèrent  à  fréquenter  les 
universités,  et  même  en  1861  un  terrain  fut  acheté  à 
Oxford,  où  Newman  devait  établir  un  Oratoire.  Mais 
devant  l'opposition  soulevée  par  Manning  et  Ward,  il 
dut  renoncer  à  son  projet,  et  Rome,  sollicitée  d'inter- 
dire aux  catholiques  la  fréquentation  des  universités, 
se  contenta  de  traiter  la  chose  suivant  les  règles  de  la 
théologie  à  propos  de  l'occasion  prochaine  de  pécher; 
de  fréquentes  dispenses  étaient  données  par  les  évèques 
et  par  Rome  même,  à  des  jeunes  gens  qui  donnaient 
toutes  les  garanties  de  résistance  à  l'atmosphère  pro- 
lestante et  même  irréligieuse  d'Oxford  et  de  Cam- 
bridge. Après  la  mort  de  Manning,  le  cardinal  Vaughan, 
son  successeur,  vit  qu'il  serait  préférable  de  donner 
une  permission  définitive,  et,  de  concert  avec  les  autres 
évoques,  il  présenta  au  Saint-Siège  une  pétition  des 
laïques  à  cet  effet.  La  permission  fut  accordée  en  1895, 
pourvu  que  les  précautions  nécessaires  fussent  prises 
pour  sauvegarder  la  foi  des  étudiants.  Les  jeunes 
catholiques  qui  vont  aux  universités  ne  sont  point 
réunis  dans  un  collège  spécial,  mais  ils  ont  un  aumônier 
qui  les  réunit  dans  une  chapelle  où  ils  remplissent 
leurs  devoirs  religieux,  et  où  des  conférences  leur  sont 
données  par  divers  prédicateurs.  Un  comité,  présidé  par 
un  évèque,  s'occupe  de  recueillir  les  fonds  nécessaires, 
de  nommer  l'aumônier  et  d'inviter  les  conférenciers. 

On  a  fondé  à  Cambridge  et  à  Oxford  des  maisons 
pour  les  ecclésiastiques  qui  désirent  prendre  les  grades  ; 
certains  ordres  religieux  ont  aussi  des  maisons  afin 
d'assurer  cette  facilité  à  leurs  jeunes  sujets,  les  béné- 
dictins à  Oxford  et  à  Cambridge,  les  jésuites  et  les 
capucins  à  Oxford.  Les  sœurs  du  Saint-Enfant-Jésus 
ont  aussi  ouvert  à  Oxford  une  maison  où  les  religieuses 
des  différents  ordres  peuvent  se  préparer  aux  grades. 

Il  y  a  pour  la  formation  du  clergé  divers  séminaires, 
dont  les  principaux  sont  Ushaw,  Oscott,  St.  Edmund's 
et  Wonersh;  à  l'étranger,  le  collège  anglais  à  Rome,  et 
des  collèges  à  Lisbonne  et  à  Valladolid.  Un  séminaire 
pour  les  missions  étrangères  a  aussi  été  fondé  par  le 
cardinal  Vaughan. 

Les  catholiques  en  Angleterre  ont  un  certain  nombre 
d'hôpitaux;  ils  ont  aussi  des  orphelinats,  des  écoles 
pour  les  sourds-muets  et  les  aveugles,  et  des  maisons  de 
correction.  De  plus,  ceux  qui  sont  dans  les  institutions 
publiques  analogues  ont  toute  liberté  de  pratiquer 
leur  religion.  Les  administrateurs  des  workhouses  ou 


dépôts  de  mendicité  et  des  asiles  d'aliénés  peuvent 
nommer  et  payer  des  aumôniers  catholiques,  et  en 
pratique  cela  se  fait  partout.  Les  aumôniers  des  prisons 
sont  nommés  par  le  ministère  de  l'intérieur  et  reçoivent 
un  traitement  convenable.  Il  y  a  aussi  une  quinzaine 
d'aumôniers  militaires  et  une  vingtaine  d'aumôniers 
de  la  marine  avec  traitements  fixes,  tandis  qu'environ 
cent  trente  prêtres  sont  rétribués  suivant  les  services 
qu'ils  rendent. 

En  somme,  les  catholiques  jouissent  d'une  grande 
liberté  en  Angleterre;  ils  sont  cependant  encore  frappés 
de  quelques  incapacités  légales.  Le  Bill  of  righls,  d'après 
lequel  le  souverain  ne  peut  ni  être  catholique  ni  épouser 
une  catholique,  est  toujours  en  vigueur,  mais  la  décla- 
ration blasphématoire  que  cette  loi  lui  imposait  a  été 
abolie  en  1911  grâce  à  la  fermeté  de  Georges  V;  main- 
tenant le  souverain  se  contente  de  déclarer  qu'il  pro- 
fesse «  la  religion  protestante  établie  par  la  loi.  »  On 
croit  généralement  que,  d'après  l'acte  d'émancipation 
de  1829,  aucun  catholique  ne  peut  être  lord  chance- 
lier d'Angleterre  ni  lord  lieutenant  d'Islande,  mais  il 
paraît  que  la  loi  peut  être  entendue  d'une  autre  manière. 
Enfin  les  ordres  religieux  n'ont  pas  d'existence  légale 
en  Angleterre,  mais  la  tolérance  dont  ils  jouissent 
équivaut  à  une  liberté  complète,  sauf  qu'ils  ne  peuvent 
posséder  en  tant  qu'ordres  religieux.  Leurs  propriétés, 
comme  les  biens  ecclésiastiques  dont  il  a  été  parlé  plus 
haut,  sont  gérées  par  des  trusts,  ou  sociétés  civiles.  Les 
prêtres  catholiques  ne  peuvent  faire  partie  de  la 
Chambre  des  Communes;  mais  ceci  est  à  peine  une 
incapacité,  car  les  clergymen  anglicans  sont  dans  le 
même  cas,  tandis  que  les  ministres  dissidents  peuvent 
être  élus  députés. 

La  presse  catholique  n'est  représentée  par  aucun 
journal  quotidien;  les  principaux  journaux  hebdo- 
madaires sont  le  Tablet,  le  Catholic  Times  et  l'Universe. 
Les  deux  principales  revues  catholiques  sont  la  Dublin 
rcvieiv  et  le  Month. 

Outre  les  grandes  associations  internationales,  comme 
la  Propagation  de  la  foi,  la  Sainte-Enfance,  la  Société 
de  Saint- Vincent  de  Paul,  qui  sont  florissantes  en 
Angleterre,  les  catholiques  anglais  ont  établi  un  certain 
nombre  d'œuvres  de  doctrine  et  de  bienfaisance,  dont 
les  principales  sont  :  la  Catholic  Association;  son  but 
est  d'établir  des  relations  sociales  entre  catholiques, 
et  de  promouvoir  les  intérêts  catholiques  par  tous  les 
moyens  possibles.  La  Catholic  truth  Society  qui  a  pour 
but  la  publication  de  livres  et  brochures  à  bon  marché, 
capables  d'affermir  les  catholiques  dans  la  foi,  et  de 
dissiper  les  préjugés  et  erreurs  des  protestants.  La 
Société  de  Saint- Anselme,  qui  fait  examiner  par  ses 
comités  les  livres  non  catholiques,  afin  de  signaler  ceux 
qui  peuvent  être  lus  sans  danger  pour  la  foi  ou  les 
mœurs.  La  Catholic  young  men's  Society,  qui  compte 
environ  22  000  membres  et  a  197  branches,  est  quelque 
chose  comme  l'Association  de  la  jeunesse  catholique 
en  France.  Presque  toutes  les  missions  ont  des  clubs 
pour  les  hommes,  les  jeunes  gens  et  les  enfants;  de  plus, 
il  faut  citer  la  Catholic  boy's  brigade,  dans  laquelle  les 
jeunes  garçons  de  quatorze  à  dix-sept  ans  sont  orga- 
nisés en  bataillons  et  reçoivent  une  formation  semi- 
militaire,  et  les  Catholic  boy-scouts.  La  Catholic  Union 
of  Grcat  Britain  s'applique  à  promouvoir  les  intérêts 
catholiques  de  toutes  les  manières  possibles. 

II.  Ecosse.  —  1°  Depuis  la  Réformation  jusqu'au 
rétablissement  de  la  hiérarchie.  —  L'Ecosse  demeura 
catholique  jusqu'en  1560,  et  à  ce  moment  le  pays 
comprenait  deux  provinces  ecclésiastiques,  celle  de 
St.  Andrews,  composée  du  siège  archiépiscopal  et  de 
si\  évèchés  suflïagants,  et  celle  de  Glasgow,  qui  possé- 
dait quatre  évèchés  outre  le  siège  archiépiscopal.  Le 
sort  des  catholiques  d  Ecosse  suivit  celui  des  catho- 
liques anglais,  sauf  que  la  persécution  fut  plus  intense; 


170c 


GRANDE-BRETAGNE  ET  IRLANDE 


de  sorte  que  nous  n'avons  pas  à  entrer  dans  les  détails. 
Le  dernier  évèque  écossais  fut  le  cardinal  Beaton, 
archevêque  de  Glasgow,  qui  mourut  à  Paris  en  1603; 
déjà  les  catholiques  d'Ecosse  avaient  été  mis  sous  la 
juridiction  de  l'archiprètre  d'Angleterre  (1598).  Le 
premier  vicaire  apostolique  anglais  étendit  sa  juridic- 
tion sur  l'Ecosse,  mais  ce  pays  fut  bientôt  mis  sous  la 
juridiction  de  préfets  apostoliques,  de  1629  à  1694. 
En  1694,  Innocent  XII  nomma  un  vicaire  apostolique, 
et  en  1727,  Benoît  XIII  divisa  le  pays  en  deux  vicariats 
qui  furent  portés  à  trois  par  Léon  XII  en  1827.  A  cette 
époque,  le  nombre  des  catholiques  était  d'environ 
70  000,  et  ce  nombre  s'accrut  rapidement  à  la  suite 
de  l'Acte  d'émancipation  de  1829,  qui  s'appliqua  à 
l'Ecosse  aussi  bien  qu'à  l'Angleterre. 

2°  Depuis  le  rétablissement  de  la  hiérarchie  jusqu'à 
nos  jours  (1914).  —  En  1878,  Léon  XIII  rétablit  la 
hiérarchie  ecclésiastique  en  Ecosse.  Il  y  a  maintenant 
dans  ce  pays  deux  archevêchés,  celui  de  St.  Andrews 
et  Edimbourg,  avec  quatre  évêchés  sufïragants,  et  celui 
de  Glasgow,  qui  n'a  pas  de  suffragants.  Voici  les  statis- 
tiques que  nous  avons  pu  nous  procurer  (1913-1914)  : 


persécution  commença  en  Irlande.  L'archevêque  de 
Cashel  et  l'évêque  de  Mayo  furent  torturés,  et  le  pays 
ravagé  en  grande  partie.  Mais  à  cette  époque  les  Irlan- 
dais avaient  des  chefs  qui  les  excitaient  à  la  révolte,  et 
ils  étaient  capables  de  traiter  d'égal  à  égal  avec  le 
pouvoir  royal.  Sous  Jacques  Ier,  la  persécution  devint 
plus  violente.  Le  clergé  reçut  l'ordre  de  sortir  du  pays  ; 
on  poursuivit  les  prêtres  qui  restaient,  et  il  y  eut  de; 
martyrs.  L'Acte  de  suprématie  fut  remis  en  vigueur,  et 
dans  l'Ulster,  les  propriétaires  furent  chassés  et  leurs 
biens  livres  à  des  protestants  anglais  et  à  des  presby- 
tériens écossais,  Ce  système  continua  sous  Charles  Ier 
et  sous  le  gouvernement  qui  lui  succéda,  Cromwell 
s'empara  de  l'Irlande,  et  y  établit  ce  système  des  Land- 
lords  dont  le  pays  soulîre  encore.  Les  catholiques  res- 
pirèrent un  peu  sous  Charles  II,  bien  que  les  injustices 
dont  ils  avaient  été  victimes  fussent  loin  d'être  réparées  ; 
le  court  règne  de  Jacques  II  ne  put  rien  changer  à  leur 
uiuation. 

GuillaumelII  fit  de  belles  promesses  aux  catholiques, 
mais  le  parlement  irlandais  refusa  de  les  ratifier,  et  fit 
au  contraire  de  nouvelles  lois  pénales.  Les  catholiques 


DIOCÈSES 

PRÊ1 

séculiers 

RES 

réguliers 

ÉGLISES 

ET 

CHAPELLES 

ÉCOLES 
PRIMAIRES 

ÉLÈVES 

POPULATION 
CATHOLIQUE 

St.  Andrews  et  Én'ii- 
BOURG  

Argjll 

Dunkeld 

Total ' 

1 

80 
47 
29 
38 
31 
246 

13 

28 

17 

2 

46 

93 
63 

45 

37 

56 

133 

50 
19 

32 
15 
26 
97 

11  868 
2  085 

2  004 
5  218 

3  245 
58  940 

63  000 

12  000 
12  500 
33  000 
18  469 
380  000 

471 

106 

427 

239 

83  360 

518  969 

Le  nombre  approximatif  des  catholiques  en  Ecosse 
est  de  518  969.  Comme  on  le  voit,  près  des  quatre 
cinquièmes  de  cette  population  appartient  au  diocèse 
de  Glasgow,  et  il  faut  ajouter  que  90  ou  95  pour  cent 
de  ces  catholiques  sont  irlandais  ou  d'origine  irlandaise. 

L'organisation  de  l'Église  en  Ecosse  est  la  mémo 
qu'en  Angleterre;  nous  n'avons  pas,  par  conséquent,  à 
répéter  ce  que  nous  avons  dit  au  paragraphe  précédent. 
11  y  a  en  Ecosse  deux  séminaires  pour  la  formation  du 
clergé,  l'un  à  Blairs,  près  d'Aberdeen,  l'autre  à  Kilpa- 
trick,  près  de  Glasgow.  De  plus,  il  y  a  un  collège 
écossais  à  Rome,  et  un  autre  à  Valladolid;  un  certain 
nombre  de  séminaristes  écossais  reçoivent  leur  for- 
mation en  France  dans  divers  séminaires,  aux  frais  des 
t  fondations  écossaises  ». 

111.  Irlande.  —  1"  Dci>uis  la  Réformation  jusqu'à 
l'émancipation  des  catholiques.  - —  La  hiérarchie  n'a 
jamais  été  éteinte  en  Irlande.  En  1541,  Henri  VII 1 
parvint  à  rassembler  un  parlement  à  Dublin  composé 
d'Anglo- Irlandais  et  d'Irlandais  qui  lui  donna  le  titre 
de  roi  et  imposa  à  l'Irlande  l'Acte  de  suprématie  qui 
reconnaissait  le  rci  comme  chef  de  l'Église.  Mais  ni  le 
clergé,  ni  le  peuple  ne  se  soumirent,  et  Henri  ne  put 
que  supprimer  les  monastères  comme  il  l'avait  fait  en 
Angleterre.  Plusieurs  membres  de  ces  communautés 
payèrent  leur  fidélité  de  leur  vie,  les  autres  fuient 
expulsés  et  demeurèrent  sans  ressources.  Edouard  VI 
ne  réussit  pas  mieux  à  faire  l'Irlande  protestante,  cl  à 
la  lin  du  règne  de  Marie  le  pays  tout  entier  était  encore 
catholique. 

Elisabeth  tout  d'abord  n'appliqua  ni  l'Acte  de  supré- 
matie, ni  l'Acte  de  conformité,  mais  après  son  excom- 
munication par  saint  Pie  V,  elle  devint  furieuse,  et  la 


furent  exclus  du  parlement,  du  barreau,  de  l'armée  et 
de  la  marine,  de  toutes  les  charges  civiles,  et  des  con- 
seils municipaux.  Ils  ne  pouvaient  ni  avoir  d'écoles  en 
Irlande,  ni  fréquenter  celles  de  l'étranger,  ni  hériter 
d'aucune  terre,  ni  prendre  une  propriété  à  bail;  il  leur 
était  interdit  d'avoir  des  armes,  et  de  posséder  un  che- 
val valant  plus  de  125  francs.  Ils  ne  pouvaient  épouser 
des  protestants;  si  le  fils  d'un  catholique  devenait  pro- 
testant, il  héritait  de  toute  la  propriété.  Tous  les  reli- 
gieux devaient  quitter  le  royaume,  aussi  bien  que  les 
évêques  et  les  vicaires  généraux;  quant  au  clergé  infé- 
rieur, il  pouvait  rester,  à  condition  d'être  enregistré,  et 
il  était  défendu  d'avoir  des  clochers  ou  des  cloches  aux 
églises.  Tels  sont  les  principaux  points  de  ce  code  pénal 
qui  a  pesé  sur  l'Irlande  pendant  de  longues  années 
sans  pouvoir  en  faire  un  pays  protestant. 

Cependant  le  parlement  irlandais,  qui  jusqu'alors 
avait  toujours  cédé  devant  le  parlement  anglais,  au 
point  de  se  laisser  enlever  le  droit  de  légiférer  pour 
l'Irlande,  commença  à  montrer  un  certain  esprit  d'in- 
dépendance. Un  parti  nationaliste  protestant  se  forma, 
auquel  les  catholiques  prêtèrent  leur  concours,  et  le 
résultat  fut  que  les  lois  pénales  furent  moins  stricte 
ment  appliquées.  En  1774,  un  serment  d'allégeance 
remplaça  le  serment  de  suprématie;  en  1778,  les  catho- 
liques furent  autorisés  à  prendre  des  terres  à  bail;  en 
1782,  ils  reçurent  la  permission  d'avoir  des  écoles,  avec 
l'autorisation  de  l'évêque  protestant,  et  d'assister  à  la 
messe  sans  être  obligés  de  dénoncer  le  prêtre;  les 
évêques  catholiques  furent  autorisés  à  rester  dans  le 
royaume,  et  on  cessa  de  récompenser  les  enfants  des 
catholiques  quand  ils  devenaient  protestants.  En  1792, 
ils  purent  avoir  des  écoles  sans  l'autorisation  de  l'évêque 


1705 


GRANDE-BRETAGNE  ET  IRLANDE 


1706 


protestant,  ils  furent  admis  au  barreau,  et  les  mariages 
entre  catholiques  et  protestants  furent  légalisés.  En 
1793,  ils  reçurent  le  droit  de  voter  pour  les  élections 
parlementaires  et  municipales,  ils  furent  admis  aux 
universités  et  à  toutes  les  charges  civiles,  sauf  à  quel- 
ques charges  supérieures;  ils  étaient  encore  exclus  du 
parlement,  et  ne  pouvaient  obtenir  quelques-uns  des 
plus  hauts  grades  militaires. 

En  1795,  une  loi  fut  votée  par  le  parlement  irlandais 
qui  fondait  le  séminaire  de  Maynooth,  afin  de  donner 
l'éducation  au  jeune  clergé  que  la  Révolution  française 
avait  chassé  des  séminaires  du  continent.  Une  somme 
de  800  000  francs  fut  votée  comme  frais  de  construc- 
tions, et  pendant  prés  de  cinquante  ans  la  Chambre  des 
Communes  en  Angleterre  vota  une  somme  de  200  000  fr. 
pour  l'entretien  de  ce  collège.  Le  parlement  irlandais 
fut  supprimé  en  1800,  mais  Grattan,  bien  que  pro- 
testant, continua  à  être  le  champion  des  catholiques  au 
parlement  anglais,  où  il  entra  en  1805.  Son  but  était 
d'obtenir  l'émancipation  complète  des  catholiques,  et 
ce  but  fut  enfin  atteint,  aussi  bien  pour  l'Angleterre 
que  pour  l'Irlande,  en  1829,  grâce  aux  efforts  d'  O'Con- 
nell. 

2°  Étal  actuel  de  l'Église  catholique  en  Irlande.  — 
L'Irlande  est  divisée  en  quatre  provinces  ecclésias- 
tiques :  Armagh,  avec  huit  suffragants  ;  Dublin,  avec 
trois  suffragants;  Cashel,  avac  huit  sulïragants;  Tuam, 
avec  cinq  suffragants,  ce  qui  donne  un  total  de  vingt- 
huit  diocèses.  Le  tableau  suivant  donne  la  statistique  : 


nairement  l'évèque  pour  le  diocèse,  le  curé  pour  la 
paroisse,  le  supérieur  pour  les  ordres  religieux;  les 
églises  ne  paient  pas  d'impôts,  non  plus  que  les  écoles. 
Le  gouvernement  prête  de  l'argent  à  un  taux  peu  élevé 
aux  prêtres  catholiques  comme  aux  ministres  des 
autres  religions  pour  se  bâtir  des  résidences,  mais  ces 
résidences  ne  sont  pas  exemptes  d'impôts,  et  ne  sont 
pas  la  propriété  personnelle  de  celui  qui  les  bâtit;  elles 
passent  à  ses  successeurs. 

En  1869,  eut  lieu  la  séparation  de  l'Église  protestante 
d'Irlande  d'avec  l'État;  les  catholiques  furent  ainsi 
délivrés  du  fardeau  que  faisait  peser  sur  eux  la  néces- 
sité de  payer  la  dime,  mais  en  même  temps  l'allocation 
accordée  à  Maynooth  était  supprimée,  aussi  bien  que 
celle  que  le  gouvernement  faisait  aux  presbytériens. 
Comme  compensation,  une  somme  de  près  de  25  mil- 
lions de  francs  fut  votée  pour  être  partagée  entre  les 
catholiques  et  les  presbytériens;  ceux-ci  reçurent  deux 
fois  autant  que  les  autres. 

Les  établissements  publics  ont  des  aumôniers  catho- 
liques comme  en  Angleterre,  rétribués  par  le  gouverne- 
ment pour  les  prisons,  par  les  autorités  locales  pour  les 
autres  établissements.  Les  maisons  de  correction  et  les 
écoles  industrielles  sont  presque  toutes  en  mains  catho- 
liques, mais  elles  doivent  être  approuvées  par  le  gou- 
vernement, et  sont  soumises  à  son  inspection;  elles 
sont  maintenues  en  partie  par  une  allocation  du  gou- 
vernement, et  en  partie  par  des  impôts  locaux. 

L'éducation  en  Irlande  est  soumise  à  une  législation 


DIOCÈSES 


Armagh  

Meath 

Ardagh  

Clogher 

Derry 

Down  et  Connor 

Diomore 

Kilmore 

Raphoe   

Dublin 

Kildare  et  Leighlin  . . 

Ferns    

Ossory    

Cashel  et  Emly.  '. , .  . 

Cloyne    

Cork 

Kerry 

Killaloe 

Limerick 

Ross 

Waterford  et  Lismore. 

Tuam 

Achonry  

Clonfert 

Elphin    

Galway 

Killala    

Total 


CLERGÉ 

POPULATION 

PAROISSES 

EGLISES 

,- — «w- 

^~- — 

-, 

- — 

séculier 

régulier 

catholique 

non  catholiq. 

55 

156 

149 

39 

150  033 

84  921 

66 

144 

155 

12 

132  892 

10  272 

41 

75 

101 

4 

100  819 

8  512 

40 

87 

109 

6 

101  162 

57  178 

39 

80 

114 

» 

125  387 

97  118 

60 

116 

147 

21 

156  693 

514  573 

18 

42 

51 

4 

43  014 

71  187 

42 

90 

104 

» 

109  319 

24  447 

26 

52 

80 

» 

97  515 

27  364 

76 

193 

315 

299 

428  533 

115  274 

49 

164 

133 

18 

130  377 

18  791 

41 

92 

113 

20 

99  208 

9  603 

41 

96 

108 

11 

83  519 

6  029 

46 

84 

117 

17 

111  185 

4  659 

47 

103 

136 

» 

132  518 

9  386 

35 

70 

130 

74 

171  575 

25  183 

51 

99 

121 

11 

199  948 

6  123 

57 

143 

142 

18 

127  012 

6  866 

48 

94 

115 

54 

111 170 

6  853 

11 

22 

28 

» 

31  801 

3  026 

39 

76 

115 

46 

114  494 

6  823 

56 

123 

143 

7 

193  768 

4  194 

22 

41 

51 

» 

80  553 

2  242 

24 

46 

48 

26 

41  162 

1  782 

33 

86 

100 

4 

125  743 

7  661 

30 

53 

58 

24 

70  576 

1  931 

22 

39 

39 

» 

61  876 

3  576 

1  115 

2  466 

3  022 

715 

3  331  852 

1  135  574 

Les  diocèses  sont  divisés  en  paroisses;  pour  le  reste, 
l'organisation  est  à  peu  près  semblable  â  celle  de  l'Église 
catholique  en  Angleterre.  Pour  l'élection  des  évêques, 
les  curés  prennent  part  au  scrutin  pour  le  choix  des 
trois  noms  qui  sont  soumis  à  l'assemblée  des  évêques  de 
la  province.  Douze  diocèses  n'ont  pas  de  chapitre. 

Les  propriétaires  des  biens  ecclésiastiques  sont  ordi- 


spéciale.  La  loi  de  1831  établissait  un  Conseil  national 
d'éducation,  qui  aurait  la  charge  de  l'instruction  pu- 
blique. D'abord,  les  catholiques  n'eurent  que  deux 
membres  sur  sept,  et  le  résultat  fut  que  l'enseignement 
était  entre  des  mains  protestantes.  Mais  grâce  à  leurs 
revendications,  il  fut  statué  en  1861  que  le  nombre 
des  membres  du  conseil  serait  élevé  â  vingt,  dont  la 


1707 


GRANDE-BRETAGNE  ET  IRLANDE 


1708 


moitié  devaient  être  catholiques;  l'un  des  deux  secré- 
taires est  aussi  catholique,  de  même  que  la  moitié  des 
inspecteurs.  Les  écoles  sont  de  deux  sortes.  Les  unes 
appartiennent  à  des  sociétés  composées  ordinairement 
du  curé  et  de  deux  autres  membres;  dans  ce  cas,  le  gou- 
vernement paie  les  deux  tiers  des  frais  de  construction, 
et  les  réparations  sont  à  la  charge  des  propriétaires.  Les 
autres  sont  la  propriété  du  conseil,  et  alors  le  gouver- 
nement paie  les  frais  de  construction  et  prend  les 
réparations  à  sa  charge. 

Les  maîtres  et  maîtresses  reçoivent  leur  salaire  du 
gouvernement.  Quatre  écoles  normales  les  fournissent, 
une  appartient  au  conseil,  deux  sont  catholiques,  et  la 
quatrième  dépend  de  l'archevêque  protestant  de  Du- 
blin. Beaucoup  de  ces  écoles  nationales  sont  tenues  par 
des  religieux  ou  des  religieuses.  Il  y  en  avait  en  1901 
8  569,  avec  446  827  élèves  catholiques  et  155  382  pro- 
testants. En  outre,  on  comptait  97  écoles  primaires 
appartenant  à  des  communautés  catholiques,  avec 
14  891  élèves,  et  471  autres  écoles  primaires,  qui  con- 
tenaient 10  245  élèves  catholiques  contre  9  412  pro- 
testants. Quant  à  l'enseignement  secondaire,  chaque 
année  l'intérêt  de  25  millions  de  francs  est  consacré 
à  donner  des  prix  et  des  bourses,  ainsi  que  des  alloca- 
tions aux  collèges,  sans  distinction  de  croyances,  sui- 
vant les  résultats  des  examens.  On  comptait  510  de 
ces  établissements  en  1901,  avec  38  564  élèves,  dont 
25  647  catholiques. 

Les  catholiques  d' Irlande  ont  pendant  longtemps 
réclamé  une  université  qui  leur  permît  d'avoir  part  à 
l'enseignement  supérieur  sans  sacrifier  leurs  croyances. 
Trinity  Collège  à  Dublin  leur  était  bien  ouvert,  mais  ils 
ne  pouvaient  oublier  que  cette  université  avait  été 
précisément  fondée  pour  être  le  boulevard  du  protes- 
tantisme en  Irlande.  Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  raconter 
l'essai  malheureux  tenté  en  1854  avec  l'aide  de  New- 
man.  En  1908,  une  université  fut  établie,  sous  le  nom 
d'université  nationale  d'Irlande,  qui  ne  répond  pas 
complètement  aux  désirs  des  catholiques,  mais  qu'ils 
ont  cependant  acceptée,  parce  que  les  influences  catho- 
liques y  auront  la  prédominance.  L'archevêque  catho- 
lique de  Dublin  en  est  le  chancelier,  et  elle  est  composée 
de  trois  collèges,  l'un  à  Dublin,  le  second  à  Cork,  et  le 
troisième  à  Galway. 

Outre  un  certain  nombre  de  séminaires  diocésains, 
les  jeunes  clercs  reçoivent  leur  formation  surtout  au 
collège  de  Saint-Patrick,  à  Maynooth,  magnifique  éta- 
blissement, le  plus  grand  séminaire  du  monde,  qui  con- 
tient environ  600  étudiants.  Il  y  a  aussi  le  collège  irlan- 
dais de  Paris,  celui  de  Rome,  et  un  autre  à  Sala- 
manque.  Le  collège  de  Ail  Hallows,  près  de  Dublin, 
forme  des  prêtres  qui  vont  exercer  le  ministère  dans  les 
pays  où  les  Irlandais  émigrent. 

On  a  pu  voir  dans  le  tableau  ci-dessus  que  le  nombre 
des  religieux  prêtres  est  considérable;  presque  tous  les 
ordres  y  sont  représentés.  Il  faudrait  citer  aussi  plu- 
sieurs congrégations  de  frères  qui  donnent  l'instruction 
dans  les  écoles.  Quant  aux  religieuses,  elles  sont  innom- 
brables. Les  religieux  ne  desservent  pas  de  paroisses 
en  Irlande. 

La  presse  catholique  est  bien  représentée  en  Irlande. 
11  faut  citer  surtout  le  Frecman's  journal  et  le  Daily 
indcpendcnl,  journaux  quotidiens  de  Dublin;  Ylrish 
lalholic  et  le  Leader,  hebdomadaires,  et  parmi  les 
revues,  Ylrish  monthly,  rédigée  par  les  jésuites,  Ylrish 
rosarij,  par  les  dominicains,  et  enfin  Ylrish  ecclesias- 
tical  record  et  Ylrish  theological  quarterly,  qui  parais- 
sent toutes  deux  à  Maynooth. 

Il  n'existe  pas  d'étude  historique  proprement  dite  sur 
l'organisation  de  l'Église  dans  les  Iles  Britanniques  depuis 
la  Réformation.  On  pourra  prendre  pour  guides  les  trois 
articles  England,  Scotland,  Ireland,  dans  Catholic  encyclo- 
pedia,  15  vol.,  Londres  et  New  York,  1907-1912.  Chacun  de 


ces  articles  donne  une  bibliographie  très  abondante.  On 
trouvera  beaucoup  de  détails  épars  dans  les  ouvrages  sui- 
vants :  la  collection  Calcndars  of  Slate  papers,  citée  ù  la  fin 
de  l'article  Anglicanisme  ;  Lingard,  Ilislory  o/  England, 
jusqu'en  1GS9;  Dodd,  Cluirch  hisiorg  o/  England  from  lôOO 
to  10SS,  édit.  Tierney,  Londres,  1839;  Flanagan,  A  hisiorg 
oj  the  Churcli  in  England,  jusqu'en  18f>0,  Londres,  1857; 
lîutler,  Historical  account  of  the  laws  respecling  the  Roman 
catholics,  Londres,  1795;  Lilly  et  Wallis,  A  manual  o/  the 
laiv  spccially  af/ecting  eatholics,  Londres,  1893;  et  aussi  une 
suite  de  biographies  et  monographies  parues  de  nos  jours, 
et  qui  font  honneur  à  la  génération  actuelle  des  catholiques 
anglais  :  E.  Burton,  The  li/e  and  times  o/  bishop  Challoner, 
Londres,  1909;  B.  Ward,  The  eue  of  catholic  émancipation, 
Londres,  1911-1912;  The  dawn  o/  the  catholic  revival  in 
England,  Londres,  1909;  W.  Ward,  The  life  and  times  of 
cardinal  Wiseman,  Londres,  1897;  The  life  of  John  Henry 
cardinal  Newman,  Londres,  1912;  Purcell,  Life  of  cardinal 
Manning,  Londres,  1896;  Snead-Cox,  The  life  of  cardinal 
Vaughan,  Londres,  1910;  Purcell  et  de  Lisle,  Life  and 
letters  of  Ambrose  Phillips  de  Lisle,  Londres,  1900.  Ces 
ouvrages  parlent  aussi  des  questions  intéressant  l'Ecosse 
el  l'Irlande,  car  la  législation  en  tant  qu'elle  affectait  les 
catholiques  était  la  même  pour  les  trois  pays.  Pour  l'état 
actuel,  voir  The  catholic  directory,  publié  chaque  année 
pour  l'Angleterre  a  Londres,  pour  l'Ecosse  à  Edimbourg, 
et  pour  l'Irlande  à  Dublin. 

II.  GRANDE-BRETAGNE  ET  IRLANDE.  Publications 
catholiques  sur  les  sciences  caerces.  —  I.  Période 
celtique.  II.  Période  anglo-saxonne.  III.  De  la  con- 
quête normande  au  schisme  d'Henri  VIII.  IV.  Du 
schisme  d'Henri  VIII  à  la  fin  du  xvme  siècle.  V.  Du 
commencement  du  xixc  siècle  à  nos  jours. 

I.  Période  celtique. —  1  °  Il  est  curieux  de  constater 
que  les  plus  anciens  monuments  qui  nous  restent  de 
l'activité  littéraire  des  Celtes  en  matière  de  théologie 
viennent  d'un  hérésiarque,  Pelage,  né  probablement 
en  Bretagne  de  parents  irlandais.  Ce  fut  à  Rome  qu'il 
professa  ses  erreurs  sur  la  grâce,  mais  son  hérésie  fut 
introduite  en  Bretagne  par  un  certain  Agricola,  et  s'y 
répandit  très  vite.  Son  commentaire  sur  les  Épîtres  de 
saint  Paul  y  jouit  longtemps,  aussi  bien  qu'en  Irlande, 
d'une  faveur  exceptionnelle,  et  nous  en  avons  encore 
une  traduction  irlandaise;  cependant  le  pélagianisme 
n'infecta  jamais  l'Église  d'Irlande. 

Les  Vies  des  saints  irlandais,  gallois  et  bretons  sont 
le  produit  le  plus  luxuriant  de  l'activité  littéraire 
celtique.  Malheureusement  on  doit  les  appeler  aussi 
produits  de  l'imagination.  Les  Celtes  ont  toujours  un 
goût  très  vif  pour  le  merveilleux,  et  les  auteurs  de  ces 
Vies,  écrivant  longtemps  après  la  mort  des  personnages, 
et  ayant  surtout  un  but  d'édification,  ne  résistaient  pas 
au  désir  d'entasser  sur  leur  héros  tout  ce  qui  pouvait 
frapper  les  esprits  et  provoquer  les  cœurs  à  la  véné- 
ration et  au  zèle. 

Toutefois  tout  n'est  pas  à  rejeter  dans  ces  pieux 
romans;  de  patients  travailleurs  se  sont  acharnés  à 
démêler  le  vrai  du  faux,  et  sont  arrivés  à  dégager 
de  récits  légendaires  des  faits  historiques.  On  y 
trouve  aussi  de  très  appréciables  renseignements 
sur  maints  aspects  du  monachisme  dans  les  pays 
celtiques,  en  Irlande  et  en  Ecosse  aussi  bien  qu'en 
Angleterre. 

On  croirait  facilement  qu'un  pays  si  riche  en  monas- 
tères a  produit  de  nombreuses  règles,  d'autant  plus 
qu'à  cette  époque  chaque  monastère  devait  avoir  sa 
règle  propre.  Cependant  il  nous  est  resté  très  peu  de 
chose  de  cette  littérature  qui  fut  probablement  abon- 
dante. Nous  rencontrons  bien  un  certain  nombre  de 
compositions  qui  portent  le  nom  de  règles,  mais  ces 
compositions,  écrites  en  vers  irlandais,  ne  sauraient  se 
comparer  aux  «  grandes  règles  orientales  ou  latines. 
Elles  sont  beaucoup  plus  courtes  que  celles-ci,  et  encore 
qu'elles  fournissent  incidemment  des  détails  intéres- 
sants sur  l'organisation  monastique,  la  composition  de 
l'office  divin  dans  la  liturgie  celtique,  la  vie  du  cloître 


1709 


GRANDE-BRETAGNE  ET  IRLANDE 


1710 


ou  les  occupations  des  moines,  elles  ne  consistent  le 
plus  souvent  qu'en  des  successions  de  sentences  et 
d'exhortations  ascétiques,  sans  lien  entre  elles,  et  d'un 
caractère  assez  différent  de  celles  qui  se  rencontrent 
dans  les  règles  continentales.  La  versification  a  sans 
doute  été  adoptée  pour  faciliter  la  fixation  des  préceptes 
dans  la  mémoire  du  disciple;  mais  en  revanche  elle  a  dû, 
par  ses  exigences  tyranniques  (car  les  règles  de  la  poésie 
irlandaise  sont  très  compliquées),  contrarier  le  maître 
dans  l'expression  de  sa  pensée;  puis  elle  l'a  entraîné 
souvent  à  des  développements  poétiques,  vagues  et 
superflus,  sans  même  préserver  son  œuvre  des  chances 
d'interpolation.  » 

Nous  ne  citerons  que  celles  de  ces  compositions  qui 
répondent  mieux  à  ce  que  nous  entendons  par  règlej 
monastiques.  La  Règle  en  vers  de  saint  Ailbe  d'Emlij 
([  vers  540),  très  probablement  écrite  par  un  des  suc- 
cesseurs du  saint,  se  basant  sur  les  enseignements  de 
son  maître.  Une  courte  règle  en  prose  irlandaise,  écrite 
par  saint  Columba  (f  597  ?)  d'Iona  pour  des  ermites. 
La  règle  de  saint  Mochuta,  ou  Carthach  de  Rathin 
(  f  636).  Enfin  une  règle  écrite  par  Maelruain  de 
Tallaght  (t  792  ?)  pour  les  Culdées,  espèces  de  cha- 
noines réguliers. 

Nous  ne  pouvons  passer  sous  silence  une  règle  célèbre 
écrite  en  latin  par  saint  Colomban  (f  615).  Bien  que 
composée  à  Luxeuil  pour  des  moines  gaulois,  elle  est 
un  monument  du  génie  celtique,  et  porte  l'empreinte 
des  traditions  ascétiques  et  disciplinaires  irlandaises. 
Elle  a  considérablement  influencé  la  Régula  cujusdam 
palris  ad  monachos,  dont  on  ignore  l'auteur,  et  on 
retrouve  son  influence  dans  deux  autres  règles  où  elle 
se  mélange  discrètement  à  l'élément  bénédictin,  la 
Régula  cujusdam  patris  ad  virgines,  que  dom  Gougaud 
rattache,  avec  beaucoup  de  vraisemblance,  au  monas- 
tère de  Faremoutiers,  qui  reçut  sa  règle  de  saint  Eus- 
tase,  successeur  de  saint  Colomban  à  Luxeuil,  au  com- 
mencement du  vnc  siècle.  L'autre  est  la  Régula  Magistri 
composée  par  un  auteur  inconnu  à  la  fin  du  vne  siècle 
ou  au  commencement  du  vin0. 

Les  monastères  bretons  ne  nous  ont  transmis  aucune 
règle  écrite. 

Tous  ces  monastères,  aussi  bien  bretons  qu'irlandais, 
étaient  des  foyers  de  vie  religieuse,  où  l'on  priait,  où  l'on 
menait  une  vie  ascétique  rigoureuse,  mais  aussi  où  l'on 
se  livrait  avec  ardeur  et  même  passion  aux  travaux 
intellectuels.  On  y  cultivait,  outre  la  langue  nationale, 
le  grec  et  le  latin,  de  manière  à  pouvoir  lire  non  seu- 
lement la  Bible  et  les  Pères,  mais  aussi  les  auteurs 
profanes,  dont  les  citations  et  les  réminiscences  émail- 
lent  les  œuvres  des  écrivains  celtes.  Ils  nous  ont  laissé 
de  nombreux  ouvrages  de  grammaire,  de  dialectique, 
de  métrique,  de  géographie  et  d'astronomie. 

Mais  toute  cette  culture  profane  n'avait  pour  but, 
en  principe,  que  de  rendre  les  esprits  aptes  à  la  leclio 
divina,  c'est-à-dire  à  l'étude  de  la  pensée  divine  ren- 
fermée dans  son  expression  biblique  et  dans  la  tradi- 
tion. C'est  cette  littérature  purement  ecclésiastique  qui 
doit  nous  occuper  ici. 

2°  Écriture  sainte.  —  Jusqu'au  vie  siècle,  on  cite  la 
Bible,  en  pays  celtique,  d'après  des  versions  antérieures 
à  la  Vulgate,  surtout  celles  du  type  dit  «  européen  ». 
Au  vie  siècle,  nous  voyons  la  Vulgate  prendre  pied  dans 
les  Iles  Britanniques.  Gildas  la  cite,  et  elle  gagne  du 
terrain  à  mesure  que  les  usages  romains  s'implantent 
dans  ces  régions.  Cependant  les  manuscrits  du  Nouveau 
Testament  ne  contiennent  pas  un  texte  pur;  la  Vulgate 
y  est  mélangée  soit  de  textes  appartenant  à  l'ancienne 
version,  soit  de  traductions  offrant  des  particularités 
proprement  irlandaises,  si  bien  que  dans  ces  manuscrits 
depuis  le  vne  jusqu'au  x°  siècle,  et  même  plus  récents, 
nous  avons  un  texte  spécial  dont  on  trouve  les  témoins 
même  sur  le  continent.  Pour  l'Ancien  Testament  et 


même  les  Epîtres  de  saint  Paul,  les  manuscrits  ont 
presque  complètement  disparu. 

Nous  possédons  aussi  un  nombre  considérable  de 
gloses  bibliques  en  vieil  irlandais,  mais  aucune  ne  nous 
est  parvenue  dans  les  autres  idiomes  celtiques.  Il  existe 
aussi  des  commentaires  soit  en  latin,  soit  en  irlandais, 
de  divers  livres  de  la  Bible,  surtout  des  Psaumes,  qui 
étaient  d'un  usage  courant  pour  la  prière  liturgique  et 
la  prière  privée.  Le  seul  livre  de  l'Ancien  Testament  en 
dehors  du  Psautier,  dont  il  subsiste  un  commentaire 
d'origine  irlandaise,  est  le  livre  dTsaïe,  commenté  par 
Joseph  le  Scot,  peut-être  aussi  le  livre  de  Job.  Il  y  a 
divers  travaux  sur  les  Évangiles  et  les  Épîtres  de  saint 
Paul;  et  des  fragments  d'un  commentaire  sur  l'Évan- 
gile de  saint  Jean  par  Scot  Érigène.  La  plupart  de  ces 
travaux  sont  inédits. 

La  lecture  des  manuscrits  irlandais  montre  aussi  que 
les  auteurs  de  cette  race  se  sont  abondamment  inspirés 
des  apocryphes. 

3°  La  théologie.  —  Le  principal  représentant  de  la 
théologie  celtique  est  Jean  Scot  Érigène,  voir  t.  v, 
col.  401  sq.  ;  on  peut  citer  aussi  un  certain  Dungal, 
défenseur  de  l'orthodoxie  contre  Claude,  évèque  de 
Turin,  qui  repoussait  le  culte  des  images  de  la  croix  et 
du  Sauveur,  comme  aussi  la  pratique  des  pèlerinages  et 
l'invocation  des  saints.  Deux  ouvrages  anonymes,  le 
De  tribus  habilaculis,  attribué  à  saint  Augustin,  et  le 
De  duodecim  abusionibus  sœculi,  attribué  successive- 
ment à  plusieurs  auteurs,  ont  très  probablement  été 
composés  en  Irlande.  De  ce  que  le  commentaire  de 
Pelage  était  très  lu  en  Irlande  au  vme  siècle  et  au  ixe, 
on  a  conclu  que  son  hérésie  y  était  en  faveur,  mais  tout 
porte  à  croire  que  c'est  là  une  opinion  exagérée.  Il  ne 
faut  pas  omettre  de  mentionner  la  littérature  eschato- 
logique,  très  abondante,  où  l'esprit  celte  a  donné 
carrière  à  sa  passion  pour  le  merveilleux. 

4°  Le  droit  canonique.  —  Nous  trouvons  dans  les 
pays  celtiques  deux  sortes  de  collections  canoniques,  les 
canons  disciplinaires  et  les  pénitentiels.  Les  uns  et  les 
autres  ont  une  importance  considérable;  en  effet,  ils 
ne  sont  pas  restés  dans  les  Iles  Britanniques,  mais  ils 
ont  pénétré  sur  le  continent  dans  la  seconde  moitié 
du  vme  siècle,  et  ont  contribué  puissamment  à  la 
formation  du  droit  cccléssiatique  chez  les  Franc;,  après 
avoir  été  reçus  avec  faveur  par  les  Anglo-Saxons  eux- 
mêmes. 

Parmi  les  canons  disciplinaires, nous  trouvons  d'abord 
deux  séries  dont  l'une  remonte  vraisemblablement  au 
temps  de  saint  Patrice,  tandis  que  l'autre  fut  proba- 
blement élaborée  au  sein  d'un  ou  de  plusieurs  synodes 
irlandais  du  vne  siècle.  Outre  ces  canons  procédant 
directement  de  l'autorité  ecclésiastique,  nous  rencon- 
trons en  Irlande  plusieurs  recueils  d'origine  non  offi- 
cielle, mais  d'une  grande  importance  à  cause  de  la 
vogue  qu'ils  eurent.  Tout  d'abord  VHiberncnsis,  com- 
pilation de  sentences  et  de  textes  répartis  sans  ordre 
apparent  en  soixante-sept  livres,  subdivisés  eux-mêmes 
en  un  certain  nombre  de  chapitres,  sur  tout  ce  qui 
touche  à  la  discipline  chrétienne,  à  la  vie  religieuse,  au 
gouvernement  des  âmes.  On  attribue  cette  œuvre  à 
deux  canonistes  irlandais,  Ruben,  ou  Rubin  Mac 
Conad,  qui  mourut  en  725,  et  Cucumne  ou  Cuchuimne 
le  Sage,  mort  en  745,  de  sorte  que  la  compilation 
aurait  été  faite  dans  le  premier  quart  du  vme  siècle. 
Ces  deux  auteurs  ont  des  tendances  nettement  «  roma- 
nistes »;  ils  ont  à  cœur  de  travailler  à  l'enracinement 
des  coutumes  romaines  récemment  introduites  dans 
leur  pays.  Un  caractère  spécial  de  cette  collection  est 
l'influence  que  la  Bible  a  exercée  sur  son  contenu.  Lin 
bon  nombre  des  sentences  et  des  lois  qu'elle  contient 
sont  tirées  de  la  sainte  Écriture,  et  les  auteurs  ont 
même  tenté  d'acclimater  en  Occident  plusieurs^insti- 
tutions  d'un  caractère  nettement  mosaïque,  tellesque 


1711 


GRANDE-BRETAGNE    ET    IRLANDE 


1712 


l'année  jubilaire,  la  distinction  entre  les  aliments  purs 
et  impurs,  etc.  Le  Liber  ex  lege  Moysi  est  une  brève 
série  de  textes  extraits  du  Pentateuque,  faite  en  Irlande 
au  vmc  siècle;  il  faut  y  ajouter  les  Canones  Adamnani 
qui  comprennent  des  interdictions  alimentaires,  et  une 
petite  collection  sur  les  dîmes,  De  decimis  et  primogeni- 
tis  et  primiiivis  in  lege.  le  tout  d'inspiration  hébraïque. 

Les  pénitentiels  nous  font  connaître  un  régime  sin- 
gulier, qui  prit  naissance  chez  les  Celtes,  d'où  il  se 
répandit  chez  les  Anglo-Saxons  et  sur  le  continent. 
C'est  celui  de  la  pénitence  tarifée,  suivant  lequel  une 
pénitence  en  rapport  avec  la  gravité  de  la  faute  est 
imposée  au  pécheur  par  le  ministre  du  sacrement 
d'après  des  tarifs  d'oeuvres  satisfactoires  contenus  dans 
des  opuscules  appelés  pénitentiels.  Pour  les  crimes  les 
plus  graves  :  inceste,  parricide,  parjure,  etc.,  ces  tarifs 
prescrivent  soit  l'exil,  soit  la  réclusion  dans  un  monas- 
tère pendant  un  temps  plus  ou  moins  long;  pour  les 
fautes  d'une  gravité  moindre,  la  satisfaction  consiste 
en  des  jeûnes  plus  ou  moins  prolongés,  des  prières,  des 
flagellations,  des  aumônes.  On  y  trouve  aussi  le  sys- 
tème des  équivalences  et  commutations  d'oeuvres  satis- 
factoires, qui  portaient  le  nom  d'arrea,  du  vieil  irlan- 
dais arra,  équivalent,  substitution.  Un  curieux  traité 
sur  les  arrea,  rédigé  en  vieil  irlandais  vers  le  vme  siècle, 
donne  ces  arrea  comme  applicables  aux  âmes  des  tré- 
passés. 

Les  plus  anciens  pénitentiels  paraissent  originaires 
de  la  Bretagne  celtique,  comme  l'indiquent  leurs  titres 
et  aussi  plusieurs  particularités  de  leur  contenu.  Ce 
sont  les  Excerpla  queedam  de  libro  Davidis,  les  canons 
du  Synodus  Aquilonalis  Britanniœ,  l'Altéra  synodus 
Luci  Vicloriœ,  la  Prsefatio  de  pœnilenlia  du  pseudo- 
Gildas,  tous  probablement  du  vie  siècle,  et  les  Canones 
wallici,  sans  doute  de  la  première  moitié  du  vne.  Le 
plus  ancien  pénitentiel  irlandais  est  un  recueil  du 
vie  siècle  placé  sous  le  nom  d'un  certain  Vinniaus.  Les 
pénitentiels  postérieurs,  celui  de  Colomban  et  celui  de 
Cummian,  ce  dernier  du  vne  ou  du  vme  siècle,  en  pro- 
cèdent largement. 

5°  On  peut  rattacher  à  l'histoire  le  livre  De  excidio 
Britanniœ,  composé  par  Gildas  le  Sage,  personnage 
énigmatique  qui  fut,  dit-on,  moine  de  Bangor  et  fon- 
dateur du  monastère  de  Bhuys  en  Bretagne.  C'est  une 
invective  continuelle  contre  le  peuple  breton,  ses  rois 
et  son  clergé,  un  réquisitoire  brutal  évidemment  exa- 
géré. 

Nous  pourrions  dresser  une  longue  liste  d'auteurs  à 
consulter,  mais  nous  croyons  préférable  de  renvoyer  au 
livre  de  dom  Louis  Gougaud,  Les  chrétientés  celtiques, 
Paris,  1911,  ouvrage  indispensable  à  quiconque  désire 
étudier  ces  questions.  On  y  trouvera  une  biographie  classifiée 
très  complète. 

II.  Période  anglo-saxonne.  —  Nous  n'avons  pas 
à  raconter  ici  comment  l'Église  celte  fut  refoulée  dans 
le  pays  de  Galles  par  les  invasions  anglo-saxonnes;  les 
grands  monastères  qui  étaient  en  môme  temps  des 
écoles  de  savoir  demeurèrent  dans  ce  pays,  et  plus  tard, 
lorsque  les  envahisseurs  furent  devenus  chrétiens,  nous 
les  voyons  demander  à  ceux  qu'ils  avaient  repoussés 
la  science  dont  ils  étaient  devenus  avides.  Les  étudiants 
saxons  se  pressaient  dans  les  écoles  celtiques,  soit  dans 
le  pays  de  Galles,  soit  en  Irlande,  où  ils  étaient  si  nom- 
breux qu'Aldhelm,  évêque  de  Sherborne,  s'en  plai- 
gnait, car,  disait-il,  ils  trouveraient  d'aussi  bons 
maîtres  en  Angleterre.  En  effet,  les  moines  romains  qui 
avaient  converti  les  Anglo-Saxons  furent  pour  eux  des 
éducateurs.  Sous  l'impulsion  de  saint  Augustin  et  de 
ses  successeurs,  ainsi  que  des  évêques  des  autres  sièges 
et  d'abbés  comme  Benoît  Biscop,  des  écoles  furent 
fondées  en  différents  endroits,  qui  rivalisèrent  avec  les 
écoles  celtes. 

Un  nom  éclipse  tous  les  autres  pendant  cette  période, 


c'est  celui  de  Bèdc.  Cet  humble  moine,  qui  aurait  pu 
être  original,  ne  voulut  pas  l'être;  il  se  contenta  de 
n'être  qu'un  compilateur  intelligent,  pensant  qu'il 
était  plus  utile  de  sauver  la  pensée  des  autres  à  une 
époque  où  toutes  les  traditions  classiques  et  littéraires 
étaient  menacées  de  périr.  Il  fut  comme  une  sorte  de 
réservoir  de  toutes  les  connaissances  antérieures,  et  ce 
fut  grâce  à  lui  que  le  flambeau  de  la  science  se  ralluma 
dans  l'école  d'York  qu'il  fonda,  et  illumina  le  continent 
où  il  fut  porté  par  Alcuin.  S'il  ne  peut  prétendre  au 
premier  rang  comme  exégète  et  théologien,  par  son 
histoire  d'Angleterre  et  ses  biographies  il  s'est  mis  à  la 
tête  des  historiens  et  annalistes  du  moyen  âge.  Ces 
quelques  remarques  suffiront  ici;  la  vie  et  les  œuvres 
du  grand  moine  ont  été  décrites,  t.  n,  col.  523. 

Avant  lui  nous  n'avons  à  citer  qu'Aldhelm,  évêque 
de  Sherborne,  voir  t.  i,  col.  393,  dont  le  style  de  mau- 
vais goût  recouvre  une  inspiration  élevée  et  vraiment 
chrétienne,  et  son  élève  saint  Boniface,  voir  t.  ii, 
col.  1005,  qui  par  sa  carrière  de  missionnaire  appartient 
à  l'Allemagne,  mais  qui  est  anglo-saxon  par  sa  nais- 
sance et  son  éducation.  Il  ne  faut  pas  oublier  le  moine 
bouvier  Ccedmon,  de  Whitby  (vnc  siècle),  qui,  dans 
ses  traductions  et  amplifications  en  vers  de  la  Bible, 
nous  a  laissé  un  des  plus  anciens  et  des  plus  intéressants 
monuments  de  la  langue  anglo-saxonne. 

Après  Bède,  nous  rencontrons  d'abord  son  disciple 
Egbert,  archevêque  d'York  de  735  à  766,  qui  fonda  en 
sa  ville  épiscopale  une  école  célèbre,  et  qui  nous  laissa 
un  Pontifical,  précieux  monument  de  la  liturgie  au 
ixe  siècle,  un  Dialogue  sur  l'institution  catholique,  et  un 
Pénitentiel  fort  intéressant  pour  l'histoire  du  droit 
canon.  De  l'école  d'York  sortit  Alcuin,  qui  la  dirigea 
avant  de  passer  au  service  de  Charlemagne.  Voir  t.  i, 
col.  687. 

Les  moines  que  nous  venons  de  nommer,  aussi  bien 
que  les  évêques  saxons,  étaient  d'intrépides  collection- 
neurs de  manuscrits,  et  les  bibliothèques  monastiques 
d'Angleterre  devinrent  fort  riches.  Les  moines  eux- 
mêmes  travaillèrent  à  les  enrichir  par  la  copie  et  l'en- 
luminure des  manuscrits.  Plusieurs  précieux  manuscrits 
de  la  Bible  nous  viennent  des  monastères  celtes  et 
anglo-saxons  de  cette  époque;  nous  ne  mentionnerons 
que  le  codex  Amiatinus,  le  plus  ancien  de  ceux  qui  con- 
tiennent la  Vulgate  complète,  écrit  à  Wearmouth  au 
vme  siècle  sous  la  direction  de  l'abbé  Ceolfrid,  élève  de 
Benoît  Biscop  et  maître  de  Bède. 

Nous  ne  saurions  passer  sous  silence  le  roi  Alfred  le 
Grand  (871-900),  qui,  après  avoir  délivré  son  peuple 
des  Danois,  travailla  à  le  relever  de  la  barbarie  où 
l'avait  plongé  la  destruction  des  monastères  par  les 
envahisseurs.  Il  sut  s'entourer  d'hommes  instruits  qu'il 
fit  venir  des  pays  étrangers,  et  avec  leur  aide  traduisit 
du  latin  en  anglo-saxon  les  ouvrages  qui  lui  parurent  le 
plus  propres  à  former  l'éducation  de  son  peuple.  Ce 
sont  :  la  Régula  pastoralis  de  saint  Grégoire,  l'Histoire 
de  Paul  Orose,  YHisloire  ecclésiastique  du  vénérable 
Bède,  la  Consolation  philosophique  de  Boèce;de  plus,  il 
paraît  à  peu  près  démontré  aujourd'hui  que  la  première 
idée  et  même  l'exécution  de  la  Chronique  saxonne 
remonte  à  lui.  C'était  le  premier  essai  d'une  histoire 
nationale  dans  la  langue  nationale. 

Il  y  eut  d'ailleurs  d'autres  chroniqueurs,  comme 
Asser  (t  909)  à  qui  on  attribue,  outre  la  Vie  d'Alfred, 
une  chronique  d'Angleterre  depuis  Jules  César,  et 
yEthelweard  (f  974),  qui  écrivit  aussi  une  chronique 
très  fidèle. 

Les  invasions  danoises  avaient  aussi  relâché  les  liens 
de  la  discipline.  Parmi  les  réformateurs,  nous  devons 
mentionner  saint  Dunstan,  archevêque  de  Cantorbéry, 
voir  t.  iv,  col.  1947,  et  son  ami  ^Ethelwold,  abbé 
d'Abingdon,  puis  évêque  de  Winchester,  qui  traduisit 
la  règle  de  saint  Benoît  en  anglais,  et  composa  unecon- 


1713 


GRANDE-BRETAGNE    ET    IRLANDE 


1714 


cordance  des  règles  monastiques  sur  le  modèle  de  celle 
de  saint  Benoît  d'Aniane,  mais  avec  un  caractère  natio- 
nal prononcé. 

Ici  encore  nous  nous  contenterons  île  renvoyer  à  un  seul 
livre,  celui  de  dom  Cabrol,  L'Angleterre  chrétienne  avant  les 
Normands,  Paris,  1909,  qui  contient  une  bibliographie  très 
complète  de  cette  époque.  Il  faut  aussi  lire  les  articles  sur 
les  principaux  personnages  mentionnés  dans  le  Dictionnaire 
d'histoire  et  de  géographie  ecclésiastiques. 

III.  De  la  conquête  normande  au  schisme 
d'Henri  VIII  (1066-1534).  —  La  conquête  normande 
ne  ralentit  pas  l'ardeur  pour  l'étude  que  nous  avons 
signalée  aux  deux  époques  précédentes;  elle  l'aug- 
menta plutôt  en  faisant  pénétrer  dans  les  Iles  Brita- 
niques  un  élément  nouveau  dont  la  présence  se  fit 
bientôt  sentir  dans  toutes  les  branches  de  la  science 
sacrée. 

1°  Théologie  dogmatique.  —  Nous  rencontrons  tout 
d'abord  deux  Italiens  venus  en  Normandie,  l'un,  Lan- 
franc,  pour  s'y  faire  une  carrière,  l'autre,  saint  Anselme, 
pour  y  chercher  le  moyen  de  mener  la  vie  parfaite. 
Tous  deux  se  rencontrèrent  à  l'abbaye  du  Bec,  dont  ils 
furent  prieurs  l'un  après  l'autre;  tous  deux  aussi  se 
succédèrent  sur  le  siège  de  Cantorbéry,  et  lui  donnèrent 
un  éclat  qu'il  n'avait  encore  jamais  eu.  Lanfranc,  qui 
dans  sa  jeunesse  avait  été  un  juriste  éminent,  s'occupa 
surtout  de  choses  pratiques,  et  s'appliqua  à  réformer 
l'Église  d'Angleterre  qui  en  avait  besoin;  il  se  lança 
aussi  dans  les  luttes  théologiques  en  écrivant  contre 
Bérenger,  et  son  zèle  le  porta  à  corriger  les  exemplaires 
fautifs  de  la  sainte  Écriture  et  des  écrits  des  Pères. 
Saint  Anselme,  voir  t.  i,  col.  1327,  avec  ses  mono- 
graphies qui  nous  donnent  un  cours  à  peu  près  complet 
de  théologie  dogmatique,  a  ouvert  une  nouvelle  voie  à 
la  théologie  en  l'unissant  à  la  philosophie,  et  a  mérité 
d'être  appelé  le  père  de  la  scolastique. 

Nous  ne  saurions  passer  sous  silence  Robert  Pullus 
ou  Pulleyn,  qui  brilla  surtout  à  Paris  où  son  enseigne- 
ment mérita  l'approbation  de  saint  Bernard,  mais  qui 
enseigna  aussi  la  théologie  à  Oxford,  de  1130  à  1135, 
en  un  temps  où  les  écoles  de  cette  ville  ne  portaient  pas 
encore  le  nom  d'université.  Il  fut  comme  un  précurseur 
de  Pierre  Lombard  en  publiant  avant  lui  huit  livres  de 
Sentences  où  l'on  pourrait  désirer  un  peu  plus  d'ordre. 
Un  autre  Anglais,  Robert,  évêque  de  Hereford,  écrivit 
aussi  un  Livre  des  Sentences  ou  Somme  théologique, 
encore  inédite.  Il  enseigna  à  Paris  où  il  eut  pour  élèves 
plusieurs  de  ses  compatriotes  qui  devinrent  célèbres  : 
saint  Thomas  Becket,  Jean  de  Cornouailles,  qui  attaqua 
la  célèbre  proposition  de  Pierre  Lombard  :  Chrislus 
secundum  qnod  est  homo  non  est  aliquid ;  et  surtout  Jean 
de  Salisbury,  philosophe  et  théologien  remarquable, 
peut-être  l'homme  le  plus  instruit  de  toute  l'Europe, 
qui  dans  son  Polijcralicus  attaque  d'un  style  mordant 
les  abus  qui  régnaient  dans  l'État  et  dans  l'Église, 
tandis  que  dans  le  Metalogicus  il  défend  victorieuse- 
ment la  foi  chrétienne  contre  les  sophistes  qui  abu- 
saient de  la  dialectique.  Il  mourut  évêque  de  Chartres 
en  1180.  Il  avait  eu  pour  élève  à  Paris  Pierre  de  Blois, 
qui,  après  avoir  été  précepteur  de  Guillaume  II,  roi  de 
Sicile,  vint  en  Angleterre  en  1169  et  y  remplit  diverses 
charges  ecclésiastiques  jusqu'à  sa  mort  qui  arriva  en 
1200.  Il  se  fit  remarquer  par  sa  sainteté  aussi  bien  que 
par  sa  science,  et  on  l'a  appelé  un  des  derniers  Pères 
de  l'Église.  Ses  ouvrages  abordent  tous  les  points  de  la 
science  sacrée. 

Il  faut  faire  honneur  à  l'Angleterre  du  grand  fran- 
ciscain Alexandre  de  Halès,  le  docteur  irréfragable,  voir 
t.i,  col.  772,  sq.  ;  mais  qui  ne  lui  appartient  que  par  la 
naissance.  D'autres  franciscains  devaient  bientôt  illus- 
trer l'université  d'Oxford,  qui  commença  à  sortir  de 
l'ombre   dans   les   premières    années   du   xme   siècle. 

Ils  y  arrivèrent  en  1221,  et  y  trouvèrent  un  protec- 


teur puissant  dans  Robert  Grosseteste,  chancelier  de 
l'université,  dont  la  forte  personnalité  domine  toute 
la  première  moitié  du  xm°  siècle  en  Angleterre.  Il 
ouvrit  ses  cours  publics  dans  le  couvent  des  franciscains 
en  1236,  et  consacra  toute  son  ardeur  à  la  prospérité 
de  celte  école,  qui  devint  ainsi  le  centre  de  la  faculté  de 
théologie  d'Oxford.  Il  est  impossible  de  nommer  ici 
tous  les  maîtres  qui  y  enseignèrent;  leurs  écrits  d'ail- 
leurs se  réduisent  à  des  commentaires  sur  le  livre  des 
Sentences.  Nous  citerons  Adam  de  Marisco,  voir  t.  i, 
col.  387,  élève  et  ami  intime  de  Grosseteste,  qui  con- 
tinua les  traditions  de  son  maître  à  la  tète  de  l'école,  et 
dont  les  lettres  nous  font  pénétrer  dans  la  vie  intellec- 
tuelle du  xine  siècle.  On  ne  peut  rattacher  à  cette  école 
Roger  Bacon,  voir  t.  n,  col.  8,  qui  étudia,  il  est  vrai,  à 
Oxford,  mais  qui  ne  devint  franciscain  qu'à  un  âge 
avancé;  Duns  Scot,  voir  t.  iv,  col.  1865,  au  contraire, 
lui  a  donné  un  éclat  incomparable. 

Les  dominicains  eurent  aussi  en  Angleterre  des  théo- 
logiens remarquables.  En  1248,  nous  trouvons,  à 
Oxford,  Thomas  Kilwardby,  qui,  outre  Aristote,  com- 
menta les  livres  des  Sentences  et  une  partie  de  la  Bible. 
En  1272,  il  devint  archevêque  de  Cantorbéry,  et  dans 
une  visite  qu'il  fit  à  Oxford,  condamna  plusieurs  pro- 
positions parmi  lesquelles  se  trouvait  la  doctrine  de 
saint  Thomas  sur  l'unité  de  la  forme  substantielle  dans 
l'homme.  Au  commencement  du  siècle  suivant,  Thomas 
de  Jorz,  du  même  ordre,  s'attaqua  à  Duns  Scot  dans 
son  commentaire  sur  les  livres  des  Sentences,  où  il 
donne  d'abord  la  doctrine  du  Maître,  puis  celle  de  Scot, 
qu'il  réfute  sur  tous  les  points  où  celui-ci  s'écarte  de 
saint  Thomas. 

11  est  impossible  d'énumérer  les  théologiens  de  ces 
deux  ordres  et  de  plusieurs  autres  qui  à  cette  époque 
commentèrent  les  livres  des  Sentences;  beaucoup  de 
leurs  œuvres  sont  restées  en  manuscrit.  Nous  ne  pou- 
vons cependant  passer  sous  silence  Jean  de  Galles, 
franciscain  de  Worcester,  vers  la  fin  du  xne  siècle, 
qu'on  avait  surnommé  Arbor  vitœ  à  cause  des  fruits 
d'érudition  et  d'édification  qu'il  produisait. 

Au  xive  siècle,  nous  trouvons  encore  un  grand 
nombre  de  théologiens  franciscains,  dont  plusieurs  com- 
battirent les  doctrines  de  leur  confrère  et  compatriote 
Guillaume  d'Occam,  tandis  que  le  dominicain  Robert 
Holcoth,  qui  mourut  de  la  peste  en  1379,  se  rendait 
célèbre  par  ses  œuvres  théologiques  et  scripturaires. 
Jean  Bacon  (f  1346)  illustrait  l'ordre  des  carmes;  il  se 
rapproche  des  scotistes  et  des  nominalistes,  et  fonda 
une  école  nouvelle  à  laquelle  un  chapitre  général  obligea 
tout  l'ordre  à  se  rallier,  mais  en  vain,  car  la  doctrine 
de  saint  Thomas  prévalut  dans  l'ordre  des  carmes. 
L'Irlandais  Thomas  Palmerston  (f  1330)  nous  a  laissé 
une  Somme  de  toute  la  théologie,  et  Thomas  Bradwar- 
dine  (f  1349),  archevêque  de  Cantorbéry,  combattit  le 
pélagianisme  avec  tant  d'ardeur  qu'il  sembla  tomber 
dans  l'extrême  opposé.  Un  autre  Irlandais,  Richard 
Eitzralph  (f  1360),  archevêque  d'Armagh,  a  laissé  une 
Somme  en  dix-neuf  livres  sur  les  questions  concernant 
les  arméniens  et  les  grecs.  Il  attaqua  les  ordres  men- 
diants, qui  furent  défendus  par  le  dominicain  anglais 
Henri  Bietwcll  et  le  franciscain  gallois  Roger  Conway. 

Quelques  bénédictins  commentèrent  aussi  les  livres 
des  Sentences,  parmi  lesquels  il  faut  citer  Gautier 
Bederichtwort,  et  Jean  Boekingham  (t  1378)  qui  se  fit 
moine  à  Cantorbéry  après  avoir  été  évêque  de  Lincoln. 

L'hérésie  de  Wiclef  suscita  une  légion  de  théologiens 
de  tous  les  ordres  religieux  qui  le  combattirent;  il  est 
impossible  de  les  nommer  tous.  Le  premier  qui  entra 
en  lice  fut  le  carme  Jean  Kiningham  (f  1399),  mais  le 
plus  célèbre  fut  un  franciscain,  Guillaume  de  Water- 
ford  (t  1397).  La  lutte  continua  au  siècle  suivant  où 
nous  remarquons  surtout  le  carme  Etienne  Patrington, 
qui  mourut  en  1418  évêque  de  Chichester,  et  l'augustin 


171.'. 


GRANDE-BRETAGNE    ET    IRLANDE 


1716 


Philippe  Repington,  qui,  après  avoir  soutenu  Wiclef, 
le  combattit,  et  mourut,  en  1434.  évêque  de  Lincoln  et 
cardinal.  Le  plus  rude  adversaire  de  Wiclef,  au  xvc  siè- 
cle, fut  Thomas  Netter,  de  l'ordre  des  carmes,  mort  en 
I  130,  dont  les  œuvres  furent  un  véritable  arsenal  poul- 
ies théologiens  qui,  à  l'âge  suivant,  combattirent  le 
protestantisme.  L'augustin  Jean  Bury,  vers  le  milieu 
du  siècle,  combattit  Beginald  Peacock,  évèque  de 
Saint-Asaph,  qui  enseignait  beaucoup  d'erreurs  et  qui 
fut  déposé  dans  un  synode  de  Lambeth,  en  1457. 

A  la  fin  du  siècle,  il  faut  citer  l'augustin  Thomas 
Penket,  qui  savait  Scot  par  cœur  (f  1487),  et  au  com- 
mencement du  suivant,  l'Irlandais  Maurice  O'Fihely, 
mineur  conventuel,  archevêque  de  Tuam,  qui,  lui 
aussi,  fut  un  scotiste  convaincu,  et  mourut  subitement 
en  1513. 

2°  Théologie  pratique.  — ■  C'est  à  peine  si  à  cette 
époque  on  trouve  un  théologien  qui  se  soit  appliqué 
d'une  manière  spéciale  aux  questions  de  morale.  Ces 
questions  sont  traitées  avec  la  théologie  dogmatique 
et  le  droit  canon.  Nous  citerons  ici  quelques  auteurs 
qui  n'ont  pas  traité  le  dogme  d'une  manière  expresse. 
Saint  Edmond  de  Cantorbéry,  voir  t.  iv,  col.  2103, 
nous  a  laissé  des  constitutions  synodales  et  un  Spécu- 
lum Ecclesiœ  où  il  parle  des  sacrements,  de  la  discipline 
et  des  rites;  Barthélémy,  évêque  d'Exeter  (f  1184), 
avait  composé  un  pénitentiel,  tandis  que  trois  cano- 
nistes,  Gilbert  l'Anglais,  Alain  et  Jean  de  Galles,  fai- 
saient des  collections  de  Décrétales  au  commencement 
du  xme  siècle.  Un  peu  après,  Richard  l'Anglais,  qui 
mourut  évêque  de  Durliam  en  1237  après  avoir  occupé 
plusieurs  autres  sièges,  laissait  un  Ordo  judiciarius  et 
des  Dislincliones  sur  les  décrets,  où  il  avait  rapproché 
de  chaque  décret  les  divers  endroits  où  la  même  ques- 
tion était  traitée.  Au  siècle  suivant,  Jean  de  Burgo 
(t  1386)  écrivit  un  traité  intitulé:  Pupilla  oculi,  où  il 
traite  de  l'administration  des  sacrements,  du  déca- 
logue,  et  de  plusieurs  autres  points  utiles  pour  le  minis- 
tère pastoral.  La  liturgie  est  représentée  par  saint 
Osmond  (f  1099),  évêque  de  Salisbury.  Il  nous  a 
laissé  un  Liber  ordinalis,  et  a  doté  son  Église  d'une 
liturgie  qui  s'est  répandue  dans  tout  le  sud  de  l'Angle- 
terre et  même  en  Irlande,  et  y  a  été  la  forme  de  la 
prière  publique  jusqu'à  la  Réforme.  Les  anglicans 
cherchent  maintenant  à  la  faire  revivre.  Nous  devons 
aussi  mentionner  Gilbert,  abbé  de  Bangor,  puis  évêque 
de  Limerick,  mort  quelque  temps  après  1139,  qui,  dans 
une  lettre  De  usu  ecclesiaslico,  exhorta  le  clergé  irlandais 
à  se  régler  sur  le  rite  romain. 

Enfin  nous  clorons  cette  période  par  deux  auteurs 
ascétiques,  l'Écossais  Adam,  de  l'ordre  de  Prémontré, 
voir  t.  i,  col.  389,  et  le  franciscain  irlandais  Malachic 
Mac  Aeda,  mort  en  1348  archevêque  de  Tuam,  qui  a 
écrit  Septem  peccalorum  mortalium  venena. 

3°  Écriture  sainte.  —  Les  auteurs  qui  ont  traité  de 
l'Écriture  sainte  ex  professo  sont  assez  clairsemés 
pendant  cette  période,  mais  on  doit  se  souvenir  que 
l'Écriture  sainte  formait  le  fond  de  tout  l'enseignement 
théologique.  Il  faut  dire  aussi  que  beaucoup  de  com- 
mentaires écrits  à  cette  époque  sont  encore  enfouis 
<lans  les  manuscrits,  d'où  plusieurs  mériteraient  d'être 
tirés. 

Osberne  de  Gloncester,  vers  1150,  composa  un  com- 
mentaire en  forme  de  dialogue  sur  l'Hexateuque,  sauf 
le  Lévitique;  vers  la  même  époque,  Clément  de  Llan- 
thony  faisait  une  concordance  des  Évangiles  qui  fut 
traduite  en  anglais  par  Wiclef,  et  Gilbert  de  Hoyland 
continuait  les  sermons  de  saint  Bernard  sur  le  Cantique 
des  cantiques.  Gilbert  Foliot,  mort  en  1188  évêque  de 
Londres,  commenta  aussi  le  Cantique  des  cantiques. 
Alexandre  Neckam,  chanoine  régulier  de  Saint-Au- 
gustin (j  1215),  a  laissé  une  œuvre  scripturaire  consi- 
dérable, encore  en  manuscrit:  de  même  Robert  Bacon 


(t  1248),  un  des  premiers  dominicains  anglais,  et 
Thomas  Wright  (t  1249),  trinitaire,  archevêque  de 
Tuam.  Nous  ne  saurions  oublier  Etienne  Langton, 
archevêque  de  Cantorbéry  (f  1228),  à  qui  nous  sommes 
redevables  de  la  division  de  la  Bible  en  chapitres  que 
nous  conservons  encore  avec  quelques  retouches.  Il  la 
fit  lorsqu'il  enseignait  à  Paris,  et  son  œuvre  se  trouve 
dans  le  manuscrit  14417  de  la  Bibliothèque  nationale. 
On  a  attribué,  mais  à  tort,  cette  division  à  Hugues  de 
Saint-Cher;  celui-ci  se  servit,  pour  composer  sa  concor- 
dance, de  l'aide  de  deux  dominicains  anglais,  Richard 
de  Stevenesby  et  Jean  de  Darlington,  qui  fut  depuis 
archevêque  de  Dublin.  Jean  Peckam,  franciscain,  arche- 
vêque de  Cantorbéry  (t  1292),  laissa  une  concordance 
d'une  autre  sorte,  qui  fut  publiée  à  Paris  en  1513,  et  à 
Cologne  en  1513  et  en  1541  sous  ce  titre  :  Collectarium 
diuinarum  senlenliarum  Bibliœ.  Les  textes  de  la  Bible 
y  sont  groupés  sous  certains  titres  qui  en  font  une 
compilation  utile  pour  les  prédicateurs.  Une  compila- 
tion du  même  genre,  où  les  mots  de  la  Bible  sont  dis- 
posés par  ordre  alphabétique,  et  expliqués  suivant  les 
différents  sens  qu'on  peut  donner  à  l'Écriture,  a  pour 
auteur  un  certain  Maurice  dont  on  sait  très  peu  de 
chose.  Richard  de  Hampoole  (f  1349)  traduisit  le 
Psautier  en  anglais  et  fit  un  commentaire  sur  les 
Psaumes,  traduit  en  anglais  de  nos  jours,  et  publié  à 
Oxford  en  1884.  D'autres,  comme  le  franciscain  Guil- 
laume Briton  (f  1356),  qui  pourrait  bien  avoir  été 
cistercien,  et  le  bénédictin  Roger  (vers  1360),  sur- 
nommé Computisla,  s'appliquèrent  à  donner  le  sens 
des  mots  de  la  Bible. 

Au  xve  siècle,  nous  trouvons  un  certain  nombre  de 
commentateurs  anglais,  mais  leurs  ouvrages  sont  restés 
inédits,  sauf  une  lourde  exposition  des  Lamentations 
de  Jérémie  par  le  franciscain  Jean  Lathbury,  1482,  s.  1. 
Dans  les  premières  années  du  xvie  siècle,  nous  n'avons 
à  signaler  que  le  célèbre  doyen  de  Saint-Paul,  Jean 
Colet,  voir  t.  m,  col.  362,  et  Robert  Shirwoode,  qui 
donna  des  notes  sur  l'Ecclésiaste,  Anvers,  1523. 

4°  Histoire  ecclésiastique  et  hagiographie.  —  Les  his- 
toriens sont  légion.  Il  serait  impossible  de  les  énumérer 
tous  dans  un  article  comme  celui-ci;  nous  devrons 
nous  contenter  de  nommer  les  principaux,  et  de  ren- 
voyer pour  le  reste  au  Dictionnaire  d'histoire  ecclé- 
siastique. Il  n'y  avait  guère  de  monastère  qui  n'eût  sa 
chronique;  on  y  racontait  au  jour  le  jour  les  événe- 
ments qui  intéressaient  la  communauté,  mais  le  chro- 
niqueur s'intéressait  aussi  souvent  aux  événements 
contemporains,  et  plusieurs  d'entre  eux,  qui  avaient 
vraiment  le  sens  historique,  nous  ont  donné  des  ou- 
vrages de  grande  valeur. 

Nous  rencontrons  d'abord  un  Irlandais,  Tigernach, 
abbé  de  Clonmacnois  (t  1088),  qui  composa  des 
Annales  irlandaises  vraiment  remarquables.  Il  les 
écrivit  dans  la  langue  de  son  pays,  mais  elles  furent 
traduites  en  latin  et  publiées  sous  cette  forme  par 
O'Connor,  Rerum  hibernicarum  scriplores.  Elles  furent 
continuées  par  Augustin  Mac  Grady  (f  1405),  puis 
par  un  autre  jusqu'en  1407.  Son  disciple  Marianus 
passa  en  Allemagne,  et  vécut  comme  reclus  à  Mayence 
pendant  treize  ans;  il  y  composa  un  Chronicon,  comblé 
de  louanges  par  Orderic  Vital,  qui  a  eu  de  nombreuses 
éditions.  P.  L.,  t.  cxlvii. 

En  Angleterre,  il  nous  faut  signaler,  entre  beaucoup 
d'autres  de  moindre  note,  deux  hagiographes,  moines 
de  Cantorbéry,  l'un,  Osberne,  au  temps  de  Lanfranc, 
l'autre,  Eadmer,  voir  t.  îv,  col.  1977,  au  temps  de 
saint  Anselme,  dont  il  écrivit  la  vie,  outre  celle  de 
plusieurs   autres   saints. 

Guillaume  de  Malmesbury  dépasse  les  autres  his- 
toriens anglais  du  xn°  siècle  par  ses  Gcsta  regum  anglo- 
rum,  Londres,  1840,  1887,  et  ses  Gesla  pontificum 
anglorum,  Londres,  1870.  Guillaume  de  Newburgh,  de 


1717 


GRANDE-BRETAGNE    ET    IRLANDE 


1718 


l'ordre  de  Saint-Augustin,  l'égala  presque  avec  son 
Historia  rcrum  Anglteanarum,  et  tous  deux  laissent, 
loin  derrière  eux  Geoffroy  de  Monmouth  (t  1154), 
dont  la  fabuleuse  Historia  Brilannise,  Londres,  1844, 
contient  la  plus  ancienne  forme  que  nous  connaissions 
des  romans  de  la  Table  ronde,  et  Henri  de  Huntingdon 
qui  écrivit  Historia  Anglorum,  Londres, 1596  ;  Francfort, 
1601.  En  Irlande,  Marianus  O'Gorman  composait  vers 
1170  un  Martyrologe,  tandis  qu'à  Rome  un  Anglais, 
nommé  Boson  (f  1178),  écrivait  les  Vies  de  treize 
papes  insérées  par  Baronius  dans  ses  Annales. 

Au  xme  siècle,  nous  avons  des  chroniqueurs  inté- 
ressants, comme  Roger  de  Hoveden  (f  1204),  Guil- 
laume le  Petit  (t  1208).  Giraud  de  Barri  (Giraldus 
Cambrensis),  dont  les  ouvrages  peu  critiques  con- 
tiennent cependant  des  indications  qu'on  chercherait 
vainement  ailleurs;  Gervais  de  Cantorbéry,  Ralph  de 
Diceto,  et  Roger  de  Wendover  (t  1237),  dont  la  chro- 
nique est  appelée  Flores  hisloriarum.  Mais  ils  sont  tous 
éclipsés  par  Mathieu  Paris,  qui  cependant  doit  beau- 
coup à  ses  prédécesseurs,  en  particulier  à  Roger  de 
Wendover.  A  la  même  époque,  Thomas  d'Eccleston 
racontait  l'arrivée  des  frères  mineurs  en  Angleterre,  et 
plusieurs  autres,  tels  que  Jean  de  Wallingford,  Jean 
de  Tayster  et  Thomas  Sprottus,  écrivaient  des  chro- 
niques. 

Le  xive  siècle  ne  nous  donne  pas  de  chroniqueurs  de 
marque.  Le  dominicain  Nicolas  Trivet  (f  1328),  et  le 
cistercien  Adam  de  Murcmuth  (t  1347)  nous  ont  laissé 
des  chroniques,  tandis  que  Jean  de  Tynemouth  (f  1348), 
moine  de  Saint-Alban,  compilait  un  ouvrage  important 
intitulé  :  Sanctilogium  Angliœ,  Walliœ,  Scotiœ  et  Hibcr- 
niœ,  Oxford,  1901.  Ranulphe  Higden  (f  1363)  s'élève 
au-dessus  des  autres  dans  son  Polychronicon  continué 
par  Jean  de  Malvern,  puis  par  Adam  de  Usk;  il  faut 
encore  citer  à  cette  époque  le  Chronicon  Anglise  de  Jean 
de  Peterborough  (f  1368),  et  les  Annales  Hiberniœ  de 
Jacques  Grâce  (t  1370),  meine  de  Kilkenny.  Vers  le 
même  temps,  1  Écossais  Jean  de  Fordun  (f  1386) 
écrivait  son  SeolichronicoK,  continué  par  son  secrétaire 
Walter  Bower.  Cette  chronique  eut  plusieurs  éditions, 
la  dernière  à  Edimbourg,  1872. 

Au  commencement  du  xve  siècle,  le  franciscain  Jean 
Clynn,  de  Kilkenny,  nous  donne  des  Annales  irlan- 
daises, Dublin,  1848,  tandis  que  son  confrère  anglais 
Thomas  Otterburne  (t  1411)  écrivait  une  histoire 
d'Angleterre,  Oxford,  1732.  Un  peu  plus  tard,  nous 
rencontrons  une  autre  histoire  d'Angleterre  écrite  par 
Thomas  Walsingham  (t  1422),  moine  de  Saint-Alban, 
dernière  édition,  Londres,  1863,  et  une  histoire  de  la 
fondation  de  Cambridge  par  Nicolas  Cantlow  (f  1441), 
carme  de  Bristol.  L'n  autre  carme,  Thomas  Scropus, 
(t  1491),  évèque  de  Dromore  en  Irlande,  nous  a  laissé 
un  Chronicon,  ou  histoire  de  l'ordre  des  carmes,  Anvers, 
1680.  Enfin,  au  commencement  du  xvie  siècle  nous 
trouvons  un  martyrologe  compilé  par  Richard  With- 
ford,  moine  brigittin  de  Sion,  près  de  Londres. 

IV.  Du  schisme  d'Henri  VIII  a  la  fin  du 
xviii«  siècLE  (1534-1800).  —  1°  Théologie  dogmatique. 
—  Le  schisme  d'Henri  VIII  donna  un  nouveau  carac- 
tère à  la  théologie  dogmatique.  De  scolastique  qu'elle 
était  à  l'époque  précédente,  elle  devint  surtout  polé- 
mique; les  écrivains  qui  se  bornèrent  à  traiter  les  ques- 
tions théologiques  d'une  manière  spéculative  sont  très 
rares;  au  contraire,  les  controversistes  sont  fort  nom- 
breux, et  on  peut  dire  que  la  controverse  a  absorbé 
presque  toute  l'activité  littéraire  à  cette  époque. 

Chose  étrange,  le  premier  nom  anglais  qui  se  pré- 
sente à  nous  dans  la  lutte  contre  le  protestantisme  est 
celui  d'Henri  VIII,  qui,  en  1521,  publiait  contre  Luther 
son  livre  intitulé  :  Asserlio  septem  sacranh  nlorum,  dans 
la  composition  duquel  il  fut  aidé  par  Jean  Fisher.  Voir 
t.  v,  col.  2555.  Fisher,  qui  publia  une  riposte  à  l'attaque 


que  Luther  avait  faite  contre  ce  livre,  fut  bientôt  obligé 
de  prendre  parti  contre  son  maître  en  s'opposant  au 
divorce  et  en  refusant  de  prêter  le  serment  de  supré- 
matie, ce  qui  le  conduisit  au  martyre.  Le  même  sort 
attendait  le  chancelier  Thomas  More,  qui,  lui  aussi, 
refusa  d'approuver  le  divorce.  Plusieurs  théologiens 
écrivirent  contre  ce  divorce,  qu'Etienne  Gardiner,  voir 
t.  vi,  col.  1156,  soutint  par  son  livre  De  vera  obedientia. 
Cuthbert  Tunstall,  évèque  de  Durham,  fut  plus  cou- 
rageux, et  mourut  en  prison  sous  Elisabeth  en  1555;  il 
a  laissé  une  dissertation  De  verikde  corporis  et  san- 
guinis  Domini  in  eueharistia,  Paris,  1554,  et  une  autre 
Contra  impios  blasphcmatores  Dei  pnedestinationis, 
Anvers,  1555.  Ensuite  nous  rencontrons  deux  théo- 
logiens qui  méritent  des  articles  spéciaux,  Réginald 
Pôle  (f  1558),  qui  soutint  dans  ses  écrits  la  primauté 
du  pape,  et  Richard  Smith  (f  1563),  qui  combattit 
surtout  les  calvinistes.  Thomas  Harding  (t  1572), 
converti  du  protestantisme,  et  le  dominicain  Thomas 
Heskin  défendirent  la  présence  réelle  et  le  sacrifice  de 
la  messe  contre  les  attaques  des  théologiens  protestants. 
Tous  deux  moururent  en  exil.  Pendant  ce  temps,  Jean 
Fowler  établissait  à  Louvain  une  imprimerie  d'où 
sortirent  de  nombreux  ouvrages  anglais  pour  la  défense 
de  la  foi  catholique,  et  il  faisait  lui-même  un  excellent 
résumé  de  la  Somme  théologique  de  saint  Thomas 
(t  1579). 

Le  long  règne  d'Elisabeth,  qui  vit  l'établissement 
définitif  du  protestantisme,  nous  fournit  une  période 
de  brillants  polémistes,  qui  défendirent  vaillamment  la 
religion  catholique.  Le  jésuite  Edmond  Campion,  voir 
t.  ii,  col.  1448,  paya  son  courage  de  sa  vie,  on  l'honore 
maintenant  comme  un  martyr;  après  lui  nous  citerons 
Richard  Bristow,  voir  t.  u,  col.  1133,  Nicolas  Sanders, 
voir  son  article,  dont  le  livre  De  visibili  monarchia 
Ecclesiœ,  Louvain,  1571,  eut  le  don  d'exciter  au  plus 
haut  point  les  colères  anglicanes,  et  qui  mourut  de  pri- 
vations, en  Irlande,  où  il  avait  été  envoyé  comme  nonce 
par  Grégoire  XIII;  le  bénédictin  écossais  Ninian 
Wingate,  qui  combattit  Jean  Knox  et  les  calvinistes 
dans  son  pays;  le  cardinal  Guillaume  Allen,  voir  t.  i, 
col.  215,  qui  le  premier  eut  l'idée  de  fonder  à  l'étranger 
des  collèges  pour  la  formation  de  prêtres  anglais,  et 
enfin  Thomas  Stapleton,  voir  son  article,  le  prince  des 
controversistes. 

Après  eux,  nous  citerons  encore  Archimbald  Hamil- 
lon  (f  1581),  qui  combattit  les  calvinistes  en  Ecosse; 
Jean  de  Feckenham  (t  1585),  le  dernier  abbé  de  West- 
minster, qui  passa  vingt-cinq  ans  en  prison;  le  jésuite 
Jean  Gibbons  (f  1589),  qui  publia  Concerlatio  Ecclesiœ 
eatholicœ  in  Anglia,  etc.,  voir  col.  1346,  et  son  confrère 
Arthur  Faunt,  voir  t.  v,  col.  2099,  qui  combattit  surtout 
les  protestants  d'Allemagne;  Guillaume  Rainolds, 
converti  de  l'anglicanisme,  dont  les  ouvrages  méritent 
un  article  spécial. 

Sous  Jacques  Ier,  nous  rencontrons  le  célèbre  jésuite 
Robert  Persons,  voir  son  article,  et  ses  deux  confrères 
écossais  Jean  Hay  et  Jacques  Gordon  Huntley,  qui 
écrivirent  contre  les  hérétiques,  tandis  que  l'archi- 
prêtre  Georges  Blackwell  (t  1613)  et  le  juriste  Guil- 
laume Barclay,  voir  t.  n,  col.  389,  entraient  en  contro- 
verse avec  Bellarmin  et  soutenaient  les  principes  galli- 
cans sur  les  rapports  de  l'autorité  civile  avec  l'autorité 
ecclésiastique.  A  la  même  époque,  écrivaient  Guillaume 
Bishop,  voir  t.  i,  col.  1178,  le  bénédictin  Edouard  Mai- 
hew  (t  1625),  qui  composait  en  anglais  A  trealise  of  the 
grounds  of  the  old  and  new  religion,  le  franciscain  Bona- 
venture  Jackson  (f  1627),  qui  par  son  Calvinolurcis- 
nuis  mettait  en  émoi  les  calvinistes  qu'il  comparait  aux 
niahométans;  Sylvestre  Noms  (f  1630),  qui  écrivit 
The  antidote,  or  ireatise  oj  thirty  conlroversies  againsl 
scelaries,  Saint-Omer,  1618;  et  Edouard  Weston 
(f  1633),  qui  fut  surtout  apologiste.  Pendant  ce  temps. 


1719 


C.RANDE-RRETAGNE    ET    IRLANDE 


1720 


deux  franciscains  irlandais,  Hugues  Cavcllus,  voir  t.  n. 
col.  2045,  et  Florent  Connus,  voir  t.  m.  col.  1150, 
cultivaient  la  philosophie  et  la  théologie  dogmatique. 
Il  faut  aussi  rattacher  à  ce  règne  le  jésuite  Thomas 
Fitzhcrhert,  voir  t.  v,  col.  2561,  dont  les  traités  sur  les 
rapports  de  la  politique  et  la  religion  parurent  en  1606 
et  en  1610,  et  son  confrère  Jean  Fisher  (t  1641),  dont 
le  vrai  nom  était  Percy,  qui  disputa  sur  la  foi  devant  le 
roi  Jacques  Ier,  et  qui  publia  sa  dispute  sous  ce  titre  : 
An  answerunio  the  nine  points  of  controversy,  proposée 
by  our  laie  sovereign,  Saint-Omer,  1625.  Il  a  aussi  laissé 
un  ouvrage  remarquable  intitulé  :  A  treatisc  of  failli, 
Londres.  1600. 

Les  jésuites  se  distinguèrent  encore  sous  le  règne 
suivant.  Parmi  leurs  nombreux  théologiens  nous  signa- 
lons Laurent  Anderton,  voir  t.  i,  col.  1178;  Henri 
Fitz-Simons,  voir  t.  v,  col.  2561,  et  Guillaume  Malone 
(t  1656),  qui  démontra  l'antiquité  de  la  religion  catho- 
lique romaine  contre  le  célèbre  Ussher.  Les  autres 
ordres  sont  aussi  représentés,  par  exemple,  par  le  fran- 
ciscain Bonaventure  Hocquard,  qui  a  écrit  Perspecti- 
vum  liitheranorum  et  calvinislarum,  Vienne,  1648,  et  le 
bénédictin  Guillaume  Johnson  (f  1663),  qui,  dans 
Novelly  reprcsl,  établissait  solidement  la  position  i\( 
l'Église  catholique.  Dans  le  clergé  séculier,  nous  trou- 
vons Mathieu  Kellison,  qui  mourut  en  1641,  après  avoir 
dirigé  pendant  de  longues  années  le  collège  de  Douai. 
Un  ministre  anglican  converti,  Thomas  Vane,  dans 
A  losl  sheep  returned  home,  Paris,  1648,  donna  un  excel- 
lent exposé  des  motifs  de  revenir  à  la  religion  catho- 
lique. 

Pendant  ce  temps,  les  franciscains  irlandais  ensei- 
gnaient la  théologie  scolastique  dans  les  collèges  fondés 
sur  le  continent  pour  leurs  compatriotes.  Jean  Ponce 
enseignait  à  Rome  la  doctrine  de  Scot;  Antoine  Hickey 
(t  1641)  publiait  les  œuvres  du  grand  docteur  francis- 
cain; François  Bermingham  (f  vers  1656)  écrivait  une 
Somme  théologique  de  Dco  uno  et  trino,  suivant  la  mé- 
thode du  docteur  angélique  et  l'esprit  du  docteur  sub- 
til; François  Molloy  faisait  paraître  un  traité  De  incar- 
nalione  Verbi  divini.  Patrice  Raw,  de  l'ordre  de  Saint- 
Augustin,  fit  aussi  paraître  des  traités  sur  les  fins  der- 
nières, et  sur  diverses  autres  questions  théologiques. 

A  mesure  que  les  collèges  se  développèrent  à  l'étran- 
ger, la  théologie  scolastique  fut  plus  cultivée.  Ainsi 
sous  Charles  II  nous  rencontrons  le  dominicain  Jean- 
Baptiste  Hacket  (f  1676),  Conlroversorium  Iheologicum 
sur  la  pars  secunda  du  docteur  angélique  ;  Henri  Holden 
(t  1662), Divinir  fldei  analgsis,  Paris,  1652,  dans  Mignc, 
Cursus  complctus  thcologiœ,  t.  vi  ;  Luc  Wadding  (voir  son 
article),  non  moins  savant  théologien  qu'historien  et 
exégète;  le  franciscain  irlandais  Antoine  Bruodine 
(t  1664),  Œconomia  minorilicœ  scholœ,  Prague,  1633, 
manuel  de  théologie  scolastique  dans  l'esprit  du  doc- 
teur subtil;  le  jésuite  Thomas  Compton  (f  1666),  Cursus 
theologicus,  exposition  de  la  Somme  de  saint  Thomas  ; 
le  carme  Laurent  de  Sainte-Thérèse  (voir  son  article); 
Augustin  Gibbon,  de  l'ordre  de  Saint- Augustin  (f  1676), 
qui  outre,  son  Spéculum  Iheologicum,  Mayence,  1669, 
publia  un  excellent  ouvrage  de  controverse  intitulé  : 
Lutherocalvinismus  schismedicus  quidem  sed  reconcilia- 
bilis,  Erfurt,  1663. 

La  polémique  contre  les  protestants  fut  loin  d'être 
négligée  à  cette  époque.  Outre  Thomas  Bailey,  voir 
t.  n.  col.  491,  et  Jean  Barnes,  voir  t.  n,  col.  423,  nous 
devons  signaler  plusieurs  jésuites  qui  écrivirent  soit 
en  faveur  de  la  transsubstantiation,  soit  pour  défendre 
l'autorité  et  l'infaillibilité  de  l'Église.  Pierre  Talbot 
(t  1680),  qui  devint  archevêque  de  Dublin,  après  être 
sorti  de  la  Compagnie,  publia  en  anglais  :  A  treatise  oj 
the  nature  oj  catholic  faith  and  heresy,  Rouen,  1657,  et 
en  outre  De  efficaci  remedio  contra  atheismum  et  hœre- 
sim,  Paris,  1674,  une  histoire  des  iconoclastes   et  une 


histoire  du  manichéisme  et  du  pélagianisme.  Le  plus 
remarquable  théologien  de  ce  temps  fut  le  franciscain 
Christophe  Davenport  (f  1680),  qui  trouva  moyen  au 
milieu  de  ses  travaux  apostoliques  de  composer  des 
ouvrages  nombreux  et  solides,  parmi  lesquels  nous 
mentionnerons  :  Systema  fidei,  Liège,  1648,  et  Deus, 
naturel  et  gratia,  Leyde,  1634,  où  il  traite  de  la  prédes- 
tination, des  mérites  et  de  la  justification  suivant  la 
doctrine  de  Scot;  il  y  avait  ajouté  une  critique  des 
trente-neuf  articles  de  la  confession  anglicane  dans  un 
esprit  assez  conciliant,  si  bien  que  cet  appendice  fut 
mis  à  l'Index  en  Espagne,  bien  qu'il  eût  été  autorisé 
à  Rome.  II  fut  traduit  en  anglais  et  publié  avec  une 
introduction  par  F.  G.  Lee,  Londres,  1865.  Il  faut  citer 
encore  le  franciscain  irlandais  Raymond  Caron,  voir 
t.  n,  col.  1799,  sir  Kcnelm  Digby,  voir  t.  iv,  col.  1307, 
cl   l'Irlandais   Jean   Sinnich,   fauteur  du  jansénisme. 

Sous  Jacques  H,  nous  n'avons  à  citer  que  Richard 
Archdekin,  voir  t.  i,  col.  1759,  et  Jean  Gother,  voir  t.  vi. 
col.  1502,  qui  écrivirent  des  ouvrages  de  controverse, 
et  le  franciscain  irlandais  Bonaventure  Baron  qui, 
outre  des  ouvrages  de  philosophie,  publia  des  traités 
de  théologie  où  il  défend  la  doctrine  de  Scot  :  De  Trini- 
lale,  Lyon,  1666;  De  Dco  uno,  ibid.,  1670;  De  angelis, 
Florence,  1676. 

Le  xvine  siècle  nous  présente  quelques  bons  polé- 
mistes. Edouard  Hawarden,  dont  les  écrits  sont  très 
remarquables;  Jean  Constable  (t  1740),  qui  écrivit 
contre  le  livre  de  le  Courayer  en  faveur  des  ordinations 
anglicanes,  et  critiqua  l'histoire  de  l'Église  en  Angleterre 
de  Ch.  Dodd;  le  plus  remarquable  fut  Richard  Chal- 
loner,  vicaire  apostolique  du  district  de  Londres.  Voir 
t.  ii,  col.  2208. 

La  théologie  scolastique  ne  fut  pas  négligée.  Le 
franciscain  irlandais  Antoine  Ruerk  composait  un 
Cursus  théologies  scholaslica>  d'après  les  principes  et  sur 
le  plan  de  Scot,  Valladolid,  1746,  et  le  bénédictin 
écossais  Marianus  Brockie  (f  1757)  défendait  aussi  le 
docteur  subtil  dans  son  ouvrage  :  Scotus  a  Scoto  propu- 
gnalus;  il  défendit  aussi  la  bulle  Unigenitus  contre 
Quesnel,  il  donna  en  outre  une  édition  du  Codex  regu- 
larum  de  Holsten,  avec  des  additions,  1759. 

Les  attaques  des  incrédules  contre  la  religion  révélée 
donnèrent  naissance  à  un  nouveau  genre  de  théologie, 
l'apologétique,  qui  commença  à  être  cultivée  en  Angle- 
terre vers  le  milieu  du  siècle,  et  laissa  dans  l'ombre 
l'ancienne  controverse  avec  les  protestants  :  le  nouveau 
danger  était  plus  grave  que  l'ancien,  car  il  tendait  à 
saper  par  la  base  les  fondements  même  du  christia- 
nisme, et  les  anglicans  eux-mêmes  eurent  des  apolo- 
gistes de  grande  valeur.  Nous  citerons  quelques  noms  : 
Simon  Berington  (f  1755)  disserta  sur  plusieurs  pas- 
sages de  la  Genèse;  Antoine  O'Brien  (f  1764)  écrivit 
un  traité  de  la  révélation,  Prague,  1762;  Luc  Joseph 
Hook  (f  1796)  donna  Religionis  naturalis  et  revelatœ 
prinr.ipia,  Paris,  1752;  Arthur  O'Leary,  franciscain 
irlandais,  écrivit  Défense  of  the  divinily  of  Christ  ami 
the  immortality  of  the  soûl,  1771;  Jacques  Barnard 
démontra  par  l'Écriture  et  la  tradition  The  divinily  of 
our  Lord  Jésus  Christ,  dans  une  série  de  lettres  à 
Priestly,  et  publia  un  autre  ouvrage  d'apologétique  : 
A  gênerai  view  of  the  arguments  for  the  divinily  of  Christ 
and  plurality  of  persons  in  God,  Londres,  1789  et  1793. 
Enfin  Georges  Hay,  vicaire  apostolique  en  Ecosse, 
célèbre  par  ses  travaux  apostoliques,  ne  le  fut  pas 
moins  par  ses  œuvres  d'apologétique. 

2°  Théologie  monde,  ascétique,  liturgie.  — ■  Nous 
réunissons  ces  trois  matières,  car  les  auteurs  qui  les  ont 
traitées  sont  très  peu  nombreux,  aussi  bien  d'ailleun 
que  les  exégètes  et  les  historiens;  la  nécessité  de 
défendre  l'orthodoxie  contre  le  protestantisme  fut 
la  cause  de  cette  disette.  L'ordre  de  saint  Benoît  pro- 
duisit à  cette  époque  un  casuiste  remarquable,  Grégoire 


1721 


GRANDE-BRETAGNE  ET  IRLANDE 


1722 


Sayer,  qui  mourut  à  32  ans  en  1602,  tandis  que 
Richard  Hall  (f  1604),  chanoine  et  officiai  de  Saint- 
Omer,  publiait  un  traité  De  quinqucparlita  conscientia, 
Douai,  1598.  Jean  Pits  (f  1616),  qui  fut  surtout  his- 
torien, donna  un  traité  De  legibus.  Trêves,  1592,  et  un 
autre  De  beutiludine,  Ingolstadt,  1595;  Raymond 
Caron,  voir  t.  n,  col.  1799,  s'occupa  de  théologie  pas- 
torale, ainsi  que  son  compatriote  Nicolas  Donellan 
(t  1679).  Le  jésuite  Antoine  Terill  ou  Ronville  défendit 
le  probabilisme;  le  dominicain  Michel  Mac  Quilin 
(t  1714)  écrivit  sur  la  contrition,  et  le  bénédictin  Jean 
Townson  (f  1718)  publia  un  Enchiridion  confessario- 
rum,  Hildesheim,  1705. 

L'ascétique  est  représentée  par  Richard  Whitford 
(t  1541),  de  l'ordre  de  Sainte-Brigitte,  qui  écrivit 
beaucoup  de  livres  de  piété,  mais  qui  mérite  d'être  tiré 
de  l'oubli  à  cause  de  sa  traduction  de  Y  Imitation,  la 
meilleure  des  traductions  anglaises  de  ce  livre,  qui  fut 
rééditée  à  Londres  en  1872.  La  théologie  mystique 
nous  olïre  un  grand  nom,  celui  du  bénédictin  David 
Augustin  Baker  (f  1641),  qui  dans  son  beau  livre  : 
Sancta  Sophia,  donne  de  précieuses  directions  pour 
l'oraison  de  contemplation.  11  faut  aussi  citer  sa  péni- 
tente, Gertrude  More,  bénédictine  (t  1633),  dont 
les  Confessiones  amantis  viennent  d'être  rééditées, 
Londres,  1911. 

3°  Écriture  sainte.  —  On  est  étonné  de  rencontrer 
si  peu  de  commentateurs  de  l'Écriture  sainte  à  une 
époque  où  la  Bible  devenait  officiellement  la  seule  règle 
de  foi  en  Angleterre.  Il  faut  peut-être  voir  là  une  sorte  de 
réaction  contre  le  principe  protestant,  et  il  est  à  remar- 
quer que  tous  les  ouvrages  de  controverse  qui  sont 
si  nombreux  s'appuyaient  précisément  sur  la  Bible 
pour  soutenir  la  doctrine  catholique.  Edouard  Lee, 
mort  en  1544  archevêque  d'York,  appartient  à  la 
période  précédente  par  ses  travaux  scripturaires.  Il 
publia  des  Annotationes  sur  les  deux  éditions  du  Nou- 
veau Testament  d'Érasme,  où  il  disait  trouver  plus  de 
trois  cents  erreurs.  Érasme  jugea  ses  critiques  assez 
sérieuses  pour  lui  répondre.  Raph  Baynes,  mort  en 
1560  évêque  de  Coventry  sous  le  règne  de  Marie  Tudor, 
laissa  un  bon  commentaire  du  livre  des  Proverbes, 
Paris,  1550.  Alain  Copc,  mort  en  1580  chanoine  de 
Saint-Pierre  de  Rome,  donna  une  Vie  de  Notre-Sei- 
gneur  reproduisant  le  texte  des  quatre  évangélistes. 

En  1582,  mourait  Grégoire  Martin,  le  principal  au- 
teur  de  la  version  catholique  anglaise  de  la  Bible,  dont 
le  Nouveau  Testament  parut  à  Reims  en  1582,  et 
l'Ancien  Testament  à  Douai  en  1610.  Léandre  de  Saint- 
Martin,  bénédictin,  président  de  la  congrégation  an- 
glaise, publia  :  Biblia  sacra  juxta  ediliones  ante  corre- 
ctionem  clcmentinam  vulgatas,  avec  des  notes  et  gloses 
de  toutes  sortes,  Anvers,  1634,  et  de  plus  édita  des 
ouvrages  de  théologie  et  d'Écriture  sainte  de  plusieurs 
auteurs.  Deux  jésuites  irlandais,  Paul  Sherlock  (f  1646) 
et  Pierre  Redan  (f  1651),  commentèrent  l'un  le  Can- 
tique des  cantiques,  Lyon,  1635,  et  l'autre  les  livres 
des  Macchabées,  Lyon,  1651,  et  leur  confrère  écossais 
lacques  Gordon  (t  1641)  publia  un  commentaire  de 
la  Bible  entière,  Paris,  1632,  qui  fut  loué  par  Richard 
Simon.  Il  est  aussi  l'auteur  d'une  théologie  morale,  Paris, 
1631.  Challoner,  dont  nous  avons  déjà  parlé,  avec  l'aide 
du  carme  François  Blyth,  corrigea  et  annota  le  Nou- 
veau Testament  de  Reims,  mais  on  regarde  cette  cor- 
rection comme  peu  heureuse,  Londres,  1738.  Nous  cite- 
rons enfin  la  nouvelle  version  des  Écritures  d'Alexan- 
dre Geddes,  voir  t.  vi,  col.  1176,  qui  fut  interdite  par 
les  vicaires  apostoliques;  Jean  Earle  (|  1818)  réfuta 
les  erreurs  de  Geddes. 

4°  Histoire  ecclésiastique.  —  Les  historiens  aussi  so.it 
peu  nombreux,  et  il  n'y  a  rien  à  signaler  de  bien  remar- 
quable dans  cette  période.  Hector  Boice  a  donné  une 
Hisloria  Scotorum,  Paris   1526,  qui  n'a  pas  une  grande 


valeur;  il  aida  Guillaume  Elphinstone,  évêque  d'Aber- 
deen.  à  fonder  l'université  de  cette  ville  en  1505,  et  il 
en  fut  principal  jusqu'à  sa  mort  en  1536.  Nicolas  Har- 
psfield  (f  1575)  composa  une  Hisloria  anglicana  ecclc- 
siaslica,  Douai,  1622,  et  six  dialogues  où  il  réfute  les 
mensonges  historiques  des  protestants,  Anvers,  1566. 
L'Écossais  Tyrie  écrivit  un  savant  traité  De  antiquila- 
libus  Ecclesia;  scolicœ,  Rome,  1594,  et  Jean  Pits  (f  1616) 
publia,  outre  ses  ouvrages  de  théologie  morale,  De  illu- 
slribusAnqliœscriptoribus,  Paris,  1619.  En  1627, parais- 
sait à  Bologne  YHistoria  ecclesiastica  gentis  Scotorum 
de  Thomas  Dempster,  ouvrage  peu  digne  de  foi,  où 
l'auteur  entasse  une  grande  quantité  de  fables,  et  ne 
recule  devant  aucune  exagération  pour  rehausser  l'im- 
portance de  son  pays.  Il  l'avait  fait  précéder  en  1622 
d'un  Apparatus,  cum  menologio  Scotorum,  qui  n'est  pas 
plus  digne  de  foi.  Vers  le  même  temps,  Thomas  Messin- 
gham  donnait  un  Florilcgium  insulie  sanclorum,  Paris, 
1624,  et,  quelque  temps  après,  Jacques  Colgan  publiait 
à  Louvain  Acta  sanclorum  Hiberniœ,  1645.  Le  jésuite 
Michel  Alford  (f  1652),  dans  une  suite  d'ouvrages  inti- 
tulés :  Fidcs  regia  brilannica...  anglo-saxonica...  angli- 
cana, Liège,  1663,  décrivit  l'Angleterre  catholique  des 
origines  à  l'année  1189;  il  publia  aussi  Brilannia  Mu- 
slrataoù  il  traite  des  questions  fort  intéressantes  pour 
la  théologie  :  la  Pàque  des  Bretons,  le  mariage  des  clercs, 
l'union  de  l'Église  bretonne  avec  l'Église  romaine, 
Anvers,  1641.  Richard  Smith  (t  1655),  évêque  de 
Chalcédoine,  qui  eut  maille  à  partir  avec  les  réguliers, 
composa  Florum  ccclcsiaslicœ  gentis  Anglorum  libri  VII, 
Paris,  1654.  Le  franciscain  Luc  Wadding  (j  1657) 
publia  à  Lyon  en  1625  ses  Annales  minorum,  qu'il 
compléta  par  un  autre  ouvrage  :  Scriptorcs  ordinis 
minorum,  Rome,  1650.  Il  faut  citer  encore  le  bénédictin 
Thomas  Andcrton,  voir  t.  i,  col.  1178,  avec  son  Ilistorg 
of  the  iconoclasls,  et  le  jésuite  Nathanaèl  Southweil 
(Sotvellus),  qui  revit  et  poursuivit  jusqu'en  1675  la 
Bibliotheca  scriptorum  Socielalis  Jesu,  Rome,  1676. 

Au  xvme  siècle,  nous  avons  Charles  Dodd  (|  1737), 
qui  écrivit  Church  hislonj  of  Fngland,  éditée  de  nouveau 
à  Londres  en  1839  par  Tierney;  Edouard  Burgis 
(î  1749),  The  Annals  of  the  Church,  Londres,  1738, 
comprenant  les  cinq  premiers  siècles;  le  bénédictin 
Charles  Walmesley  (t  1797),  vicaire  apostolique  du 
district  occidental,  fit  paraître  General  hislory  of  the 
Christian  Church,  1771,  qui  n'est  autre  chose  qu'un 
commentaire  de  l'Apocalypse. 

Enfin  nous  rencontrons  deux  hagiographes  de  valeur 
dans  la  personne  de  Challoner,  voir  t.  n,  col.  2208,  et 
dans  celle  d'Alban  Butler  (f  1773),  dont  les  Vies  des 
saints  sont  universellement  connues. 

V.    DU  COMMENCEMENT  DU  XIX0  SIÈCLE  A  NOS  JOURS. 

— ■  1°  Théologie  dogmatique  et  apologétique.  —  Le 
xix°  siècle  nous  fournit  un  grand  nombre  d'apologistes 
qui  écrivirent  soit  contre  les  incrédules,  soit  contre  les 
protestants.  Nous  ne  citerons  que  les  plus  remarquables. 
Tout  d'abord  deux  évèques  dont  le  nom  n'est  pas  oublié 
en  Angleterre,  Guillaume  Poynter  (f  1827),  vicaire 
apostolique  de  Londres,  qui  sut  gouverner  son  district 
avec  sagesse,  en  un  temps  de  grandes  difficultés  entre 
les  fidèles  et  les  pasteurs;  il  laissa  Chrislianitij,  or  the 
évidences  and  character  of  the  Christian  religion,  1827, 
ouvrage  excellent  admis  par  Migne  dans  ses  Dénions 
Initions  évangéliques,  t.  xm.  Le  second  est  Jean  Millier 
(t  1826),  vicaire  apostolique  du  district  du  Centre  (Mid- 
land), dont  l'œuvre  apologétique  est  encore  classique. 
Le  jésuite  Charles  Plowden  (f  1821)  défendit  l'infail- 
libilité du  Saint-Siège,  et  prit  une  part  active  aux  con- 
troverses qui  divisaient  alors  les  catholiques  anglais. 
Les  laïques  même  se  mêlèrent  à  la  lutte.  Charles  Butler 
(t  1832),  secrétaire  de  ce  comité  catholique  qui  causa 
tant  de  dilficultés  aux  vicaires  apostoliques,  écrivit 
The  book  of  the  roman  catholic  Church,  Londres,  1825, 


1723 


GRANDE-BRETAGNE    ET    IRLANDE 


172* 


que  l'on  trouve  dans  les  Démonstrations  évangéliques 
de  Migne,  t.  xn,  sous  ce  titre  :  L'Église  romaine  défen- 
due contre  les  attaques  du  protestantisme.  11  laissa  aussi 
Historicalmemoirs  of  English,  Irish  and  Scotiîsh  catho- 
lics,  Londres,  1819,  où  il  se  laisse  entraîner  par  l'esprit 
de  parti:  il  fut  corrigé  par  Millier.  On  a  aussi  de  lui  des 
Horœ  bibliar.  3V  édit.,  Londres,  1817.  Guillaume  Eusèbe 
Andrews,  voir  t.  i,  col.  1186,  simple  imprimeur  de 
Norwich,  travailla  de  concert  avec  Milner,  et  rendit  de 
grands  services  à  la  foi  catholique  par  ses  revues  et  ses 
livres.  En  Irlande,  Jacques  Doyle,  auguslin,  qui  mourut 
évêque  de  Kildarc  en  1834,  fut  un  vaillant  champion 
du  catholicisme,  qu'il  défendit  non  moins  par  l'action 
que  par  la  plume.  Il  laissa  Analysis  of  the  divine  jailli, 
Londres,  mais  il  est  célèbre  surtout  par  ses  Lettres  au 
Dr  Magee,  archevêque  anglican  de  Dublin,  où  il  fait 
un  saisissant  tableau  de  l'immutabilité  de  l'Église 
romaine,  en  contraste  avec  les  variations  des  réfor- 
mateurs. 

Deux  autres  laïques  méritent  d'être  mentionnés. 
l'Irlandais  Thomas  Moore  (t  1852),  le  célèbre  poète, 
qui  fit  œuvre  d'apologiste  très  utile  dans  son  livre  : 
Travels  of  an  Irish  gentleman  in  search  of  a  religion, 
Londres,  1833,  et  l'Anglais  Frédéric  Lucas  (f  1855), 
quaker  converti,  qui  donna  les  raisons  de  sa  conversion 
dans  l'ouvrage  :  Rcasons  for  becoming  a  catholic, 
Londres,  1839,  mais  qui  aida  surtout  le  catholicisme 
par  la  fondation  du  journal-revue  The  Tablet,  qui 
commença  à  paraître  en  1840,  et  continue  de  nos  jours 
à  combattre  pour  la  bonne  cause.  Jean  Bell  (t  1854) 
mérite  aussi  d'être  mentionné  pour  son  ouvrage  :  The 
wanderings  of  the  human  intellect,  ou  dictionnaire  des 
diverses  sectes  qui  ont  divisé  la  religion  chrétienne. 

A  cette  époque,  vécut  un  homme  qui  laisse  bien  loin 
derrière  lui  tous  ses  contemporains,  le  cardinal,  Wise- 
man  (11865),  mais  nous  ne  faisons  que  le  mentionner  ici, 
car  l'importance  de  son  action  et  de  ses  écrits  mérite 
un  article  à  part.  Nous  en  dirons  autant  du  bénédic- 
tin Guillaume  Bernard  Ullathorne  (f  1889),  évêque  de 
Birmingham,  qui  travailla  d'accord  avec  lui,  et  comme 
lui  sut  accueillir  les  hommes  éminents  que  le  mou- 
vement d'Oxford  ramena  dans  l'Église  catholique.  Les 
deux  figures  les  plus  remarquables  parmi  ces  convertis 
sont  les  cardinaux  Newman  (  t  1890)  et  Manning 
(t  1892),  qui  auront  chacun  un  article  spécial.  Frédéric 
Oakeley  (t  1880)  laissa  plusieurs  ouvrages  d'apologéti- 
que et  de  dévotion.  Guillaume  George  Ward  (f  1882) 
qui,  bien  que  laïque  et  marié,  fut  nommé  parWiseman 
professeur  de  théologie  dans  son  séminaire,  occupe  une 
place  à  part  dans  la  littérature  catholique  par  ses 
écrits  de  toute  sorte.  Edgar  Estcourt,  voir  t.  v,  col.  850, 
est  surtout  connu  par  son  étude  sur  les  ordinations 
anglicanes.  Un  autre  converti  célèbre  est  Thomas  Alliez 
(t  1903),  qui  immédiatement  après  sa  conversion  écri- 
v  it  The  Sre  of  Peter  the  rock  of  the  Church,  où  il  prouve 
que  toute  juridiction  vient  du  Saint-Siège.  Son  ouvrage 
principal  est  The  formation  of  christendom,  en  huit 
volumes  qui  parurent  successivement  à  Londres,  de 
1865  ;i  Î.S96;  il  y  traite  de  la  constitution  interne  de 
l'Église  et  de  ses  rapports  avec  la  société  civile.  Le 
rédemptoriste  Thomas  Bridgett  (t  1899),  outre  plu- 
sieurs ouvrages  d'histoire  et  de  biographie  qui  se  font 
remarquer  par  la  solidité  et  l'érudition,  a  publié  His- 
tory  of  the  holg  cucharist  in  England,  Londres,  1881. 

2°  Écriture  sainte,  histoire  ecclésiastique,  ascétique, 
liturgie.  —  Nous  avons  peu  d'auteurs  à  citer  sur  tous 
ces  sujets.  Il  est  triste  de  constater  que  les  catholiques 
anglais  n'ont  ni  introduction  à  l'Écriture  sainte,  ni 
commentaire  de  la  Bible  dans  leur  langue.  Il  y  a  eu  des 
essais;  en  1852,  paraissait  à  Dublin  A  gênerai  intro- 
duction lo  the  sacred  scriplures  par  Joseph  Dixon, 
archevêque  d'Armagh,  mais  on  ne  rencontre  ce  livre 
nulle  part   maintenant,   pas  plus   que  l'édition   de  la 


Bible  de  Douai  que  Georges  Haydock  donna  à  Man- 
chester, 1812-1814,  avec  des  notes  extraites  de  divers 
commentateurs.  Après  eux,  nous  ne  trouvons  personne 
jusqu'au  jésuite  Coleridge  (f  1893)  qui  écrivit  The  life 
of  our  life,  vie  de  Jésus-Christ  en  de  nombreux  volumes, 
qui  est  plutôt  un  ouvrage  ascétique  qu'une  explication 
de  l'Evangile,  et  qui  a  été  traduit  en  français.  La  même 
année  mourait  Guillaume  Clifford,  évêque  de  Clifton, 
dont  les  opinions  spéciales  sur  la  cosmogonie  mosaïque 
furent  publiées  en  1881  dans  la  Dublin  review. 

L'histoire  fut  un  peu  plus  cultivée  à  cette  époque. 
Joseph  Berington  (f  1827),  malgré  ses  opinions  erro- 
nées sur  beaucoup  de  sujets,  a  laissé  des  ouvrages 
historiques  de  valeur,  entre  autres,  A  lilerary  hislorg  of 
the  middle  âges,  Londres,  1814.  Jean  Daniel  (f  1823) 
écrivit  Ecclcsiastical  hislorg  of  the  Brilons  and  Saxons, 
Londres,  1815;  nous  avons  déjà  parlé  de  Charles  Butler 
et  des  corrections  que  lui  fit  Milner;  celui-ci  fit  aussi 
œuvre  d'historien  en  même  temps  que  d'apologiste 
dans  son  Hislorg  civil  and  ecctesiaslical  and  Survcij  of 
the  anliquities  of  Winchester,  1798-1801. 

L'Irlande  eut  aussi  ses  historiens  ecclésiastiques  à 
cette  époque.  Jean  Lanigan,  qui  au  siècle  précédent 
avait  été  professeur  d'hébreu  et  d'herméneutique  à 
Pavie,  revint  en  Irlande  où  il  écrivit  An  ecclesiastical 
hislorg  of  Ireland  lo  the  xm  cenlurg,  ouvrage  érudit 
d'une  sage  critique,  Dublin,  1822-1829.  Robert  King 
publiait  A  primer  of  the  history  of  the  holg  catholic 
Church  in  Ireland,  1834;  Cotton  donna  Fasli  Ecclesiœ 
hiberniese,  Dublin,  1847-1860;  d'autres  s'occupèrent  de 
diocèses  particuliers. 

Mais  le  plus  illustre  des  historiens  catholiques  an- 
glais fut  sans  contredit  John  Lingard,  dont  les  deux 
ouvrages  :  Hislorg  and  anliquities  of  the  Anglo-Saxon 
Church,  et  A  hislorg  of  England  font  autorité  même 
auprès  des  protestants,  et  sont  en  même  temps  un 
monument  d'apologétique.  Thomas  Flanagan  (f  1865) 
écrivit  A  historg  of  the  Church  in  England  depuis  les 
origines  jusqu'au  rétablissement  de  la  hiérarchie  en 
1856;  ouvrage  court,  mais  bien  fait  et  fort  utile.  Le 
jésuite  Georges  Oliver  s'occupa  surtout  du  diocèse 
d'Exeter  et  du  comté  de  Devon,  et  Marc  Tierney 
continua  l'histoire  de  l'Église  d'Angleterre  de  Dodd. 
Deux  jésuites,  Jean  Monis  (f  1893)  et  Guillaume  Water- 
worth  (f  1882),  écrivirent  divers  ouvrages  sur  des  points 
spéciaux  de  l'histoire  de  l'Église  catholique  en  Angle- 
terre. 

On  trouve  beaucoup  de  matériaux  pour  l'histoire 
ecclésiastique  d'Irlande  dans  The  pastoral  lelters  ami 
other  wrilings  of  cardinal  Cullcn,  Dublin,  1882,  et  dans 
les  Lettres,  sermons  et  discours  de  Jean  Mac  Haie, 
archevêque  de  Tuam,  Dublin,  1883  et  1888.  Le  jésuite 
Denis  Murphy,  outre  Our  martyrs,  Dublin,  1896,  où  il 
raconte  la  vie  de  ceux  qui  souffrirent  en  Irlande  sous 
les  lois  pénales,  a  publié  The  Armais  of  Clonmacnois, 
ou  histoire  d'Irlande  depuis  les  origines  jusqu'en  1408, 
Dublin,  1896. 

Parmi  les  nombreux  auteurs  de  livres  de  piété  qui 
ont  écrit  en  Angleterre,  nous  ne  signalerons  que  Faber, 
voir  t.  v,  col.  2045,  et  Ullathorne,  dont  nous  avons 
déjà  parlé. 

L'archéologie  chrétienne  et  la  liturgie  ont  été  très 
étudiées  en  Angleterre  à  notre  époque,  surtout,  il  faut 
bien  l'avouer,  par  des  anglicans.  Quelques  catholiques 
cependant  se  sont  fait  un  nom  dans  l'une  et  l'autre 
science.  Guillaume  Maskell  (t  1890),  qui  devint  catho- 
lique en  1850,  avait  publié  avant  sa  conversion  The 
ancient  liturgg  of  the  Church  of  England,  où  il  met  en 
parallèle  avec  la  liturgie  romaine  les  anciens  rites  de 
Sarum,  Bangor,  York  et  Hereford,  Londres,  1811; 
2e  édit.,  Oxford,  1882;  et  Monumenta  rilualia  Ecclcsiu- 
anglicanœ,  extraits  des  anciens  rituels,  pontificaux,  etc., 
de  Salisbury  avec  dissertations  cl  notes,  Londres,  1846; 


1725 


GRANDE-BRETAGNE    ET    IRLANDE 


GRASSI 


1726 


2e  édit.,  Oxford,  1882.  Daniel  Rock,  chanoine  de  South- 
wark  (f  1871),  écrivit  deux  ouvrages  de  valeur  :  The 
Churcli  oj  our  falhcrs,  où  il  étudie  la  foi  et  les  pratiques 
religieuses  en  Angleterre  au  moyen  du  rite  de  Saruin, 
et  Hierurgia,  or  the  hohj  sacrifice  of  the  mass,  réédités  à 
Londres,  le  premier  en  1903,  l'autre  en  1900.  Jacques 
Spencer  Northcote  publia,  en  collaboration  avec  Guil- 
laume Brownlow,  Roma  solterran^a,  intéressant  abrégé 
de  l'ouvrage  de  J.-B.  de  Rossi. 

Hurtcr,  Nomcnclator  literarius  theologiœ  calholictu,  3e  édit., 
Inspruck,  1903-1913;  Leslie  Stcphen  et  Sidney  Lee,  Diclio- 
narij  o/  national  biograpluj,  Londres,  1908-1913,  ouvrage 
excellent,  où  les  biographies  des  catholiques  sont  écrites 
avec  impartialité;  Gillow,  Literary  and  biographical  dictio- 
nanj  o/  Englisli  catholics,  Londres,  1885-1902.  Voir  aussi 
les  ouvrages  cites  a  la  fin  des  articles  spéciaux  sur  certains 
auteurs  anglais. 

A.    Gatard. 

GRANDI  Antoine-Manie,  religieux  barnabite,  né 
à  Vicence  en  1761.  Il  étudia  au  collège  d'Udine,  et, 
le  28  octobre  1777,  il  prit  l'habit  religieux  au  noviciat 
de  Monza.  Ordonné  prêtre,  après  avoir  eu  le  diplôme 
de  docteur  en  théologie  à  l'université  de  Pavie,  il 
enseigna  les  mathématiques  et  les  belles-lettres  à 
Milan,  à  Crémone,  à  Bologne.  Les  troubles  survenus 
en  Italie  à  la  suite  de  la  Révolution  française  l'obli- 
gèrent à  se  réfugier  à  Vicence  auprès  de  sa  famille. 
En  1801,  il  fut  appelé  à  Rome  par  ses  supérieurs  et  prit 
une  part  très  active  aux  travaux  de  l'Académie  de 
religion  catholique.  Le  19  avril  1807,  il  fut  nommé 
procureur  général  de  sa  congrégation;  le  10  no- 
vembre 1819,  pro-vicaire  général  et,  le  27  mars  1822. 
vicaire  général.  Il  mourut  la  même  année,  le  G  no- 
vembre. La  plupart  de  ses  ouvrages  imprimés  ne 
rentrent  pas  dans  le  domaine  de  la  théologie.  Nous 
nous  bornons  donc  à  citer  :  1°  Disserlazione  suite 
viriazioni  in  dottrina  obbicllate  al  Chicsa  catlolica,  le 
quali  non  pregnidicano  punlo  alla  verità  ed  infalli- 
bililà  di  Ici,  Rome,  1805;  2°  Opérette  divole  dcl  Rcmo 
l'adre  Franccsco  Luigi  Fonlana,  proposlo  générale  dei 
ehierici  rcgolari  di  San  Paolo,  con  la  vila  di  lui,  Rome, 
1823.  Le  P.  Piantoni  donne  la  liste  complète  de  ses 
écrits  imprimés  et  de  ses  dissertations  théologiques 
médites,  p.  117-120. 

Ccsari,  Elogio  latino  c  italiano  dcl  reuerendissimo  Padrc 
Antonmaria  Grandi,  vicentino,  vicario  générale  délia  congre- 
gazionc  di  S.  Paolo,  Vérone,  1823;  Nardurti,  Notizie  bio- 
grafiche  intorno  al  R.  P.  D.  Antonio  Maria  Grandi  vieariu 
générale  dei  PP.  barnabiti,  Rome,  1823;  A.  C.  (Cesari),  Per 
la  morte  dcl  P.  Antiono  Grandi  vicentino,  vicario  générale  dei 
barnabiti  in  Roma,  epistola,  Vérone,  1822;  Piantoni,  Elogio 
storico  al  reuerendissimo  Padre  don  Antonmaria  Grandi  bar- 
nabila,  Rome,  1858;  Colombo,  Profili  biograflei  d'insigni 
barnabiti,  Lodi,  1871,  p.  211-211. 

A.  Palmieri. 

GRANDIN  Martin,  théologien,  né  à  .Saint-Quentin 
le  11  novembre  1604,  mort  à  Paris  le  16  novembre 
1691.  Ses  premières  études  terminées  à  Noyon  et  à 
Amiens,  il  vint  âgé  de  17  ans  à  Paris,  et  s\>.donna  à  la 
théologie.  Admis  au  collège  du  cardinal  Lemoine,  il  y 
enseigna  la  philosophie.  Docteur  en  Sorbonne,  aprè; 
quelques  années  de  ministère  paroissial,  il  obtint  une 
chaire  de  théologie  en  1638,  et  la  conserva  jusqu'à  sa 
mort,  estimé  de  tous  autant  pour  sa  science  que  pour  sa 
piété.  Il  se  l'efusa  à  souscrire  à  l'enregistrement  des 
quatre  articles.  Grandin  était  principal  du  collège  de 
Dainvillc  et  supérieur  de  plusieurs  communautés  reli- 
gieuses. Après  sa  mort  parut  :  Martini  Grandini  do- 
cloris  cl  socii  Sorbonici,  sacrée  facultalis  Parisicnsis  de- 
cani,  emerili  in  thcologia  professoris,  opéra,  5  in-l°, 
Paris,  1710-1712.  Cet  ouvrage  fut  publié  par  les  soins 
de  Charles  Du  Plessis  d'Argentré,  plus  tard  évêque  de 
Tulle,  qui  y  ajouta  quelques  dissertations. 

Moréri,    Dictionnaire   historique,    t.    v  b,   p.    335;    I'icot, 


Essai  historique  sur  l'influence  de  la  religion  en  France 
pendant  le  XVII"  siècle,  in-8°,  Paris,  1824,  t.  n,  p.  314; 
Quérard,  La  France  littéraire,  t.  ni,  p.  446;  Hurter,  Nomen- 
clator,  1910,  t.  IV,  col.  322-324,  1005. 

B.  IIeurtebize. 
GRANDVILLERS  Jacques,  théologien  suisse,  né 
à  Delémont  en  1674,  entré  dans  la  Compagnie  de  Jésus 
en  1690,  enseigna  la  philosophie,  puis  la  théologie 
scolastique  à  l'université  de  Dillingen  de  1712  à  1721. 
Il  se  fit  un  nom  qui  reste  avec  honneur  dans  l'histoire 
de  l'apologétique  par  un  ouvrage  dirigé  contre  les 
athées  de  son  temps  :  Deus  argumenlis  moralibus  ab 
alhcorum  impietale  vindicalus,  Ingolstadt,  1710,  et 
surfout  par  son  Ecclesia  romana,  sola  credibilis  et  vera, 
Dillingen,  1716,  qui  est  un  des  premiers  essais  de 
systématisation  de  la  théologie  fondamentale.  Ces 
deux  ouvrages  ne  forment  d'ailleurs  qu'un  résumé 
succinct  de  son  enseignement  où  il  se  distingua  surtout 
comme  un  initiateur.  Devenu  recteur  des  collèges  de 
Fribourg  en  Suisse,  de  Soleure  et  de  Porrentrui, 
instructeur  de  la  troisième  probation,  il  mourut  à 
Ebersperg,  le  25  août  1752. 

Sommervogel,  Ribliothéque  de  la  C"  de  Jésus,  t.  m, 
col.  1672;  Hurter,  Nomenclalor,  3e  édit. .Inspruck,  1910,  t.  iv, 
col.  1376. 

P.  Bernard. 

GRAPPIN  Jean,  né  à  Vellemcnfroy  (Haute-Saône), 
au  diocèse  de  Besançon,  le  8  décembre  1791, 
entra  dans  la  congrégation  de  la  Mission  ou  des 
lazaristes  le  27  septembre  1819.  Il  fut  supérieur  du 
grand  séminaire  de  Saint-Flour,  puis  assistant  du 
supérieur  général  de  sa  congrégation.  II  mourut  le 
4  novembre  1846.  Pendant  qu'il  était  à  la  tête  du 
séminaire  de  Saint-Flour,  il  a  publié  un  livre  qui  a  été 
discuté  dans  les  controverses  où,  vers  1840,  la  presse 
irréligieuse  attaqua  violemment  l'enseignement  des 
séminaires.  C'étaient  les  Collationes  practicee  in  sexlum 
et  nonum  Decalogi  preeceptum  neenon  in  conjugatorum 
officia,  jussu  illustrissimi  et  reverendissimi  D.  D.  Fran- 
cisco Maries  Eduardi  de  Gualy  episc.  S"  Flori  éditée  et 
pro  seminario  suo  adoplatœ,  in-12,  Lyon,  1833.  Un 
ministre  protestant,  Athanase  Coquerel,  attaqua 
violemment  l'ouvrage  de  Grappin  dans  une  brochure 
intitulée  :  Lettre  à  M.  l'archevêque  de  Paris,  sur  la 
querelle  de  l'université  et  de  l'épiscopat,  et  sur  les 
Collalioncs  practiese  à  l'usage  du  séminaire  de  Sainl- 
Flour,  in-8°,  Paris,  1844.  Voir  l'Univers  du  8  fé- 
vrier 1843,  le  Journal  des  Débals  du  15  mai  de  la  même 
année,  ainsi  que  l'Ami  de  la  religion.  L'auteur  n'avait 
fait  que  reproduire  sous  une  forme  méthodique,  en 
inclinant  d'ailleurs  vers  les  opinions  un  peu  sévères 
qui  prévalaient  à  cette  époque,  l'enseignement  des 
principaux  écrivains  qui  ont  traité  cette  partie  de  la 
théologie  morale.  C'est  aussi  Grappin  qui  est  l'auteur 
d'un  petit  manuel  de  piété  intitulé  :  Veni  mecum, 
destiné  aux  élèves  du  sanctuaire,  du  séminaire  de  Saint- 
Flour,  suivi  de  l'office  de  la  sainte  Vierge,  in-32, 
Saint-Flour,  s.  d. 

Notices  bibliographiques  sur  les  écrivains  de  la  congré- 
gation de  la  Mission  par  un  prêtre  de  la  même  congrégation 
[E.  Rosset],  in-8°,  Angoulême,  1878;  Semaine  catholique 
du  diocèse  de  Saint-Flour,  3  mai   1899. 

A.     MlLON. 

GRASSI  François,  lazariste,  naquit  le  26  octo- 
bre 1715  à  Castiglione,  au  diocèse  de  Lodi  (Italie). 
Il  entra  dans  la  congrégation  des  lazaristes  à  Gênes, 
en  1731.  Saut  quelques  années  où  il  fut  supérieur  du 
collège  Albcroni  à  Plaisance  (Italie),  sa  vie  tout  entière 
fut  consacrée  a  l'enseignement.  Il  mourut  à  Plaisance 
en  1773,  âgé  de  58  ans.  Quelques  thèses  qu'il  fit  soutenir 
par  ses  élèves  au  collège  Alberoni  à  Plaisance  donnèrent 
lieu  à  d'assez  vives  polémiques.  Il  expliqua  en  détails 
sa  théorie,  sur  les  points  contestés,  dans  un  ouvrage 


1727 


GRASSI    —  G R ATI  EN 


1728 


dont  voici  le  titre  :  Dissertatio  de  principio  ralionis 
sufficicnlis  in  duas  partes  distributa ;  in  quorum  prima 
agilur  de  ipso  principio  ejusque  extensione  ad  causas 
cliam  libéras;  in  altéra  de  usa  ejusdem  prinripii  in 
theologia  rcvclata,  in-4»,  Lugano,  1773.  L'auteur, 
cédant  aux  instances  de  ses  amis,  se  décida  à  publier 
celte  dissertation  pour  répondre  aux  attaques  de  ses 
adversaires,  mais  il  fut  surpris  par  la  mort,  au  moment 
même  où  tout  était  prêt  pour  l'impression,  et  ce  fut 
un  de  ses  amis  qui  se  chargea  de  ce  soin.  Grassi  se 
montre  dans  cet  ouvrage  partisan  décidé  des  doctrines 
de  Leibnitz,  Wolf  et  Boscowich,  et  entreprend  de 
démontrer  que  le  principe  de  la  «  raison  suffisante  » 
donne  la  solution  du  grave  problème  qui  divise  les 
thomistes  et  les  molinistes  au  sujet  de  la  grâce  efficace 
et  de  la  liberté  humaine;  enfin  qu'on  peut  déduire  de 
ce  principe  un  système  complet  sur  la  grâce,  qui 
mettra  d'accord  toutes  les  écoles,  sans  exiger  d'aucune 
l'abandon  de  ses  principes  essentiels.  On  peut  douter, 
a-t-on  écrit  justement,  que  Grassi  ait  convaincu  un 
seul  de  ses  adversaires.  îl  réédita,  en  y  faisant  de 
nombreuses  additions,  le  cours  de  philosophie  du 
jésuite  Sagner  :  Instituiiones  philosophiez  in  usum 
scholarum....  a  Gasparo  Sagner,  4  in-8°,  Plaisance.  1767. 
On  lui  attribue  aussi  une  édition  de  la  Théologie  de 
Habert  publiée  à  Plaisance  en  1772. 

Notices  bibliographiques  sur  les  écrivains  de  la  congré- 
qalion  de  la  Mission  par  un  prêtre  de  la  même  congrégation 
[E.  Rosset],  Angoulême,  1S78;  La  congregazione  délia  Mis- 
sione  in  Jtalia,  Paris,  1881,  p.  374. 

A.  Milon. 

GRATANIUS  ou  DE  GRACE  Thomas,  religieux 
augustin  belge,  naquit  à  Liège  en  1554.  11  se  consacra 
principalement  à  la  prédication,  et,  dans  les  diverses 
charges  qu'il  occupa,  notamment  celle  de  provincial  à 
partir  de  1610,  à  l'extension  de  son  ordre.  La  province 
augustinienne  de  Belgique  dut  en  grande  partie  à  ses 
conseils  et  à  ses  exemples  de  s'orienter  à  cette  époque 
vers  l'instruction  de  la  jeunesse  en  acceptant  la  direc- 
tion de  nombreux  collèges  d'humanités,  ce  qui  fut  une 
des  grandes  causes  de  sa  prospérité  pendant  le  xvie  el 
le  xvne  siècle.  Ce  Pèie  mourut  à  Anvers  en  1627,  à 
l'âge  de  73  ans.  Il  avait  auparavant  donné  au  public  : 
1°  Anastasis  augustiniana  in  qua  scriplores  ordinis 
eremitarum  S.  Auguslini  qui  abhinc  sœculis  aliquot 
vixerunl,  una  cum  neolericis,  in  sericm  digesti  sunt,  An- 
vers, 1613  ;  2°  Orationcs  in  vilain  Christi,  Liège,  1626. 

Ossinger,  Bibliolheca  augustiniana,  Ingolstadt,  17GS; 
.T.  Dclaporte,  Chronique  du  couvent  de  Tournai,  manuscrit 
conservé  à  la  bibliothèque  de  ladite  ville;  J.  Wils,  Obiluaire 
des  augustins  de  Louvain,  dans  les  Analecles  pour  servir  éi 
l'histoire  de  Belgique,  t.  xxx,  p.  381. 

N.  Merlin. 
1.  GRATIEN.  On  étudiera  successivement  :   1°  la 
vie  e!    l'œuvre  de  ce  canoniste  ;  2°  la  théologie  dans 
les  sources  où  il  a  puisé  et  chez  les  glossateurs  de  son 
Décret. 

I.  GRATIEN.  VIE  ET  ŒUVRE. —I.  Vie.  —  Gratien  est  le 
nom  d'un  moine  bolonais  du  mi'' siècle  rendu  célèbre 
par  la  compilation  canonique  qui  porte  le  nom  de 
Decrelum  Gratiani,le  Décret  de  Gratien.  Nous  sommes 
peu  renseignés  sur  sa  personne.  Où  était-il  né?  Peut- 
être  à  Chiusi,  en  Toscane,  comme  l'affirme,  au  siècle 
suivant,  Martinus  Polonus  dans  sa  Chronique,  mais  sans 
donner  de  référence.  Nous  ignorons  totalement  l'année 
de  sa  naissance,  le  nom  et  la  situation  de  ses  parents, 
car  il  faut  renvoyer  aux  légendes  le  récit  qui  circula 
au  moyen  âge  et  qui  faisait  de  Gratien,  de  Pierre 
Lombard,  l'auteur  des  Sentences,  et  de  Pierre  Co- 
ine  tor,  l'auteur  de  VHistoria  scolastica,  trois  frères 
adultérins.  Cette  légende,  dont  on  trouve  trace  dans 
un  pa  sage  des  Flores  temporum,  œuvre  d'un  frère 
mineur  de  la    lin   du   xnr    siècle,   ne  repose    que  sur 


l'imagination.  11  était  italien,  moine  camaldule  au 
couvent  des  Saints-Nabor-et-Félix  à  Bologne,  où 
il  enseigna  le  droit.  D'où  venait-il  ?  Quelle  avait  été 
jusque-là  sa  vie  ?  Nous  l'ignorons.  On  ne  sait  pas 
davantage  sur  quoi  repose  l'affirmation  qu'il  serait 
devenu  évèque  de  Chiusi.  Nulle  part  on  ne  le  voit 
nommé  autrement  que  Magister  Gratianus,  sans  aucun 
qualificatif  qui  laisse  deviner  un  clerc  revêtu  de 
l'épiscopat.  Nous  ignorons  aussi  l'époque  de  sa  mort, 
sinon  qu'elle  dut  arriver  certainement  avant  le 
IIIe  concile  de  Latran  (5  mars  1179).  En  effet,  la 
Summa  Parisiensis  du  manuscrit  de  Bamberg,  et 
celle  de  Simon  de  Bisignano,  deux  commentaires  du 
Décret  de  Gratien,  compilés  avant  le  IIIe  concile  de 
Latran,  parlent  de  Gratien  comme  d'un  mort;  peut- 
être  même  sa  mort  est-elle  plus  ancienne,  car  dans  la 
Summa  ou  Stroma  de  son  disciple  Roland  Bandinelli, 
qui  fut  écrite  avant  que  Roland  ne  devînt  pape, 
en  1159,  sous  le  nom  d'Alexandre  III,  nulle  part  on  ne 
laisse  penser  que  Gratien  soit  à  cette  époque  encore 
vivant. 

II.  Œuvre.  —  Si  la  personne  est  peu  connue, 
l'œuvre  l'est  au  contraire  beaucoup,  et  son  authenti- 
cité n'a  jamais  été  et  ne  peut  pas  être  révoquée  en 
doute,  étant  affirmée  dès  les  origines  par  les  contem- 
porains. Elle  a  pour  titre  :  Concordanlia  (ou  Con- 
cordia)  diseordanlium  canonum.  Ce  titre  lui  a-t-il  été 
donné  par  Gratien  lui-même  ?  On  ne  peut  l'affirmer 
avec  une  entière  certitude;  toutefois  l'affirmation 
ne  serait  pas  improbable,  car  la  Summa  Ru  fini, 
commentaire  qui  parut  vers  1165,  peu  de  temps  donc 
après  la  mort  de  Gratien,  attribue  au  compilateur  de 
la  collection  le  choix  de  ce  titre  :  ...  universo  operi 
titulum  prœscribit  discordaktium  canonum  concor 
D1A.V,  cf.  .1.  Fr.  von  Sehultc,  Gcschichte  der  Qui  lien 
und  der  Lilcratur  des  canonischen  Rcchls,  t.  i,  p.  250, 
et,  avant  Rufin,  Roland  fait  indubitablement  allusion 
à  ce  titre  quand  il  dit  :  Cum  ergo  de  negotiis  ccclesia- 
slicis  concoroia  canonum  a  gai;  Gratien  lui-même 
semble  l'indiquer  en  divers  endroits  de  son  œuvre, 
par  exemple,  dans  ce  dictum  après  le  c.  24,  dist.  L, 
quomodo  igilur  hujusmodi  aucloriiatum  dissonantia 
ad  concordiam  revocari  valeat,  et  la  Summa  Lipsiensis, 
qui  daterait  d'environ  1186,  écrit  plus  clair  encore  : 
unde  non  sine  ralione  lilulus  tali  operi  inscribilur  : 

IXCIPir    CONCORBIA     DISCORDANTIUM     CANONUM.     Quant 

au  litre  Decrelum  Graliani,  qui  est  le  plus  employé, 
c'est  le  titre  courant  donné  dès  la  fin  du  xne  siècle 
par  les  commentateurs  et  les  écrivains,  peut-être  en 
souvenir  du  Decrelum  d'Yves  de  Chartres  et  du 
Decrelum  de  Burchard  que  le  volume  de  Gratien  était 
destiné  à  remplacer.  On  le  nomma  aussi  Décréta, 
Corpus  Decrelorum,  Liber  canonum,  voire  Corpus 
juris,  si  bien  que  les  textes  que  les  collections  posté- 
rieures, même  les  collections  officielles,  apportèrent, 
furent  déclarés  extra  (Corpus  deerctorum  ou  juris) 
vaaanles.  Gratien,  ce  fut  pendant  un  laps  de  temps 
assez  considérable,  jusqu'à  l'apparition  de  la  collection 
des  Décrétales  de  Grégoire  IX,  le  Droit. 

Qu'est-ce  au  juste  que  ce  Decrelum  ?  Nous  l'avons 
nommé  jusqu'ici  une  compilation.  C'est  plus  et  mieux. 
Ce  n'est  pas  une  pure  et  simple  collection  de  décrets 
comme  les  siècles  précédents  en  avaient  connu 
beaucoup.  Non  seulement,  comme  ces  compilations 
antérieures,  il  comprenait  le  plus  grand  nombre 
possible  de  textes  des  Pères,  décrets  des  conciles  et 
des  papes,  qui  formaient  la  base  du  droit  canonique; 
non  seulement,  comme  les  plus  récentes  de  ces  collec- 
tions antérieures,  il  avait  réparti  ces  textes  non  par 
ordre  chronologique,  mais  par  matières,  réunissant 
les  décisions  sous  certains  titres  systématiques;  ce 
par  quoi  le  Decrelum  se  distinguait  de  toutes  les 
collections  précédentes,  c'est  qu'il  était  en  même  temps 


1729 


GRATIEN 


1730 


un  traité  de  science  canonique.  Gratien  ne  se  bornait 
pas  à  mettre  bout  à  bout  les  textes  parfois  contradic- 
toires :  il  s'efforçait  de  les  accorder,  solverc  conlraric- 
tates,  d'établir  des  solutions,  par  des  observations  d'or- 
dinaire très  brèves  qui  portent  le  plus  souvent  le 
nom  de  dicta  Gratia.nL  Sans  doute  l'exposé  exprès  du 
Maître  est  réduit  au  strict  minimum,  mais  il  existe; 
chacune  de  ses  questions  ou  de  ses  distinctions  est  une 
thèse,  chacune  des  causœ  de  la  seconde  partie  est  un 
vrai  cas,  une  vraie  espèce  juridique  que  Gratien  se 
donne  à  résoudre.  Le  but  didactique  de  l'ouvrage  en 
ressort  avec  la  plus  incontestable  évidence. 

Le  Dccretum,  on  vient  de  le  dire,  se  divise  en  plu- 
sieurs parties.  La  Irc  se  subdivise  à  son  tour  en  cent 
une  distinctions  (c'est  le  nom  de  chaque  section) 
comprenant  un  plus  ou  moins  grand  nombre  de  canons 
ou  textes  séparés,  qui  se  pourraient  répartir  sous  deux 
chefs,  les  vingt  premières  distinctions  formant  un 
traité  général  De  jure  naturœ  et  conslitulionis  terminé 
par  une  étude  sur  les  sources  écrites  du  droit  :  conciles, 
décrétâtes  pontificales:  les  quatre-vingt-un  autres  un 
traité  des  ordinands  ou  De  clericis.  La  IIe  partie  est 
divisée  en  trente-six  causœ,  dont  chacune  pourrait 
former  un  tout  sous  un  titre  particulier,  comme 
causa  simoniacorum,  tractatus  conjugii,  etc.;  chaque 
cause  est  subdivisée  en  questions  réunissant  chacune 
plusieurs  canons.  Une  de  ces  questions,  la  111e  de  la 
cause  XXXIII  forme  un  traité  de  la  pénitence  en 
7  distinctions.  Enfin  la  IIIe  partie,  divisée  en  5  dis- 
tinctions, traite  des  sacrements  et  des  sacramen- 
taux.  On  cite  les  textes  delà  Ire  partie  en  indiquant 
le  numéro  du  canon  en  chiffres  arabes  et  celui  de  la 
distinction  en  chiffres  romains  :  cf.  ci-dessus  c.  24, 
dist.  (ou  D.)  L;  ceux  de  la  IIe,  en  indiquant  le  numéro 
du  canon  en  chiffres  arabes,  celui  de  la  cause  en  chiffres 
romains,  celui  de  la  question  de  nouveau  en  chiffres 
romains,  par  exemple,  c.  4,  C.  (ou  Caus.)  III  q.  (ou 
qusest.)  ii,  ce  qui  veut  dire  le  canon  4  de  la  cause  IIIe, 
question  ne,  dans  la  IIe  partie  du  Décret.  La  section 
spéciale  De  pœnitcnlia  dans  cette  partie  est  citée  fort 
brièvement,  parce  qu'il  n'y  a  aucun  danger  de  confu- 
sion :  on  écrira  ainsi  c.  24,  D.  IV,  De  pœnit.,  ce  qui 
signifie  le  c.  24  de  la  distinction  IV  clans  le  traité 
De  psenitenlia  qui  forme  la  me  question  de  la 
cause  XXXIII.  Ceux  de  la  IIIe  partie  sont  cités 
comme  dans  la  Ire,  avec  l'addition  des  mots  De 
consecralione  ou  De  cons.,  parce  que  la  Ire  distinction 
traite  en  commençant  de  la  consécration  des  églises. 

Ces  divisions  n'ont  pas  toutes  Gratien  pour  auteur. 
La  division  de  la  Ire  partie  en  deux  sections  parait  bien 
être  de  lui,  mais  non  la  répartition  en  cent  une  dis- 
tinctions :  une  preuve  sérieuse  en  est  le  l'ait  que  toute 
la  distinction  LXXIII  est  une  palea,  c'est-à-dire  qu'elle 
est  postérieure  à  Gratien.  C'est  au  contraire  à  Gratien 
lui-même  qu'on  devrait  la  division  de  la  IIe  partie 
en  trente-six  causes  :  on  ne  peut  lui  attribuer  la  sub- 
division de  chaque  cause  en  questions  ni  en  particulier 
celle  de  la  caus.  XXXIII,  q.m,  De  pwnitentia.  On  ne  peut 
même  affirmer  comme  indubitable  que  la  IIIe  partie 
ait  été  séparée  par  Gratien,  car  maintes  fois  les 
manuscrits  la  désignent  sous  la  dénomination  de 
cause  XXXVII.  On  ne  peut  non  plus  attribuer  à 
Gratien  le  sectionnement  de  tous  les  canons,  le  dénom- 
brement de  ces  canons  n'étant  pas  le  même  dans  les 
manuscrits  et  dans  les  éditions  imprimées.  Em.  Fried- 
berg,  dans  les  prolégomènes  de  son  édition  de  Gratien, 
déclare,  en  effet,  que  la  Ire  partie  du  Décret  compte 
huit  cent  quatre-vingt-dix  c.  dans  les  manuscrits  et 
neuf  cent  soixante-treize  dans  les  éditions  imprimées; 
la  IIe,  deux  mille  cent  soixante-dix-neuf  contre  deux 
mille  cinq  cent  soixante-seize;  la  IIIe  trois  cent  quatre- 
vingt-neuf  contre  Uni;  cent  quatre-vingt-seize. 

Ce  que  l'on  peut   attribuer  à  Gratien,    c'est   donc, 

DICT.    DE     llll.nl..    CATHOL. 


d'une  part,  les  grandes  lignes  de  la  division^et  son 
développement  logique,  la  Ire  partie  contenant  ce 
qu'on  pourrait  nommer  le  jus  quod  perlinct  ad  personas, 
les  deux  autres  le  jus  quod  pertinet  ad  actioncs  et  res. 
(Que  la  méthode  n'ait  pas  été  suivie  sans  défaillances, 
qu'il  y  ait  de  trop  nombreuses  digressions,  le  traité 
n'en  a  pas  moins  rendu  d'immenses  services  qui  ont 
été  la  cause  de  son  succès.)  On  peut,  d'autre  pari, 
attribuer  au  Maître  les  summaria  des  distinctions 
et  des  questions,  la  position  du  cas  qui  forme  l'intro- 
duction des  causse,  les  paragraphi  marquant  la  sous- 
division  d'une  question  en  plusieurs  parties  et  ceux 
auxquels  on  a  réservé  spécialement  le  nom  de  dicta 
Graliani,  commentaires  qui  exposent  la  thèse  du 
Maître;  de  même,  paraît-il,  le  plus  grand  nombre  des 
sommaires  des  canons,  les  rubricœ,  ainsi  nommées 
parce  qu'on  les  écrivait  autrefois  en  rouge,  et  qui 
résument  en  peu  de  mots  tout  le  sens  du  texte  cité 
au-dessous.  Mais  il  n'est  pas  certain  qu'on  doive 
toujours  à  Gratien  l'indication  des  sources  qui  lui  ont 
fourni  ses  textes;  d'ailleurs,  sauf  pour  les  canons  des 
conciles  de  Latran  de  1123  et  1139,  quelques  décré- 
tais de  Pascal  II  et  d'Innocent  II,  et  des  passages 
du  droit  romain,  qu'il  a  pu  citer  d'après  les  originaux, 
il  s'est  borné  pour  le  reste  à  le  citer  d'après  les  collec- 
tions en  cours,  en  particulier  le  Dccretum  d'Yves 
de  Chartres.  De  plus,  il  ne  faut  pas  attribuer  à 
Gratien  l'insertion  de  certains  textes,  nommés  paleœ, 
on  ne  sait  pourquoi,  peut-être  parce  qu'elles  furent 
insérées  par  un  disciple  et  commentateur  Pauca- 
palea;  de  ces  paleœ  le  nombre  est  incertain. 

Une  question  dont  la  solution  demeure  encore 
controversée  est  celle  de  la  date  où  parut  la  collection. 
Les  divers  auteurs  qui  s'en  sont  occupés  fixent  cette 
date  entre  1140  et  1150  ou  1151,  il  n'y  a  pas  à  tenir 
compte  des  dates  en  deçà  ou  au  delà.  Récemment, 
M.  Paul  Fournier,  le  savant  historien  des  sources  du 
droit  canonique,  a  cru  pouvoir  atteindre  le  maximum 
de  précision  dans  les  conclusions  suivantes  d'une 
élude  publiée  par  la  Revue  d'histoire  et  de  littérature 
religieuses,  mars-juin  1898,  et  tirée  à  part  in-8°  de 
51  p.,  sous  le  titre  :  Deux  controverses  sur  les  origines 
du  Décret  de  Gratien  :  «  1°  Le  Décret  de  Gratien  a  été 
mis  à  contribution  par  les  Sentences  de  Pierre  Lombard, 
composées  certainement  après  1145,  et  suivant  toutes 
les  apparences,  peu  après  1150.  2°  Le  Décret  de  Gra- 
tien a  été  très  vraisemblablement  rédigé  vers  1140, 
ou  tout  au  moins  à  une  époque  plus  voisine  de  1140 
que  de  1150.  » 

Quelle  est  l'autorité  du  Décret  ?  Il  n'a  comme  tel, 
c'est-à-dire  comme  collection,  aucune  autorité  légale. 
Cette  autorité,  il  ne  l'a  reçue  ni  des  papes  ni  de  la 
coutume.  Benoît  XIV  l'a  dit  avec  sa  précision  accou- 
tumée :  Graliani  dccretum,  quanlumvis  pluries  rom. 
ponlificum  cura  cmcndalum  fuisse  non  ignoretur, 
vim  ac  pondus  legis  non  habet,  quin  immo  inter  omnes 
reccplum  est,  quidquid  in  ipso  conlinclur,  tuntum 
auctoritatis  habere,  quantum  ex  se  habuisset,  si  nunquam 
in  Graliani  eollcctionc  inserlum  foret.  De  synodo  diœce- 
sana,  I.  VII,  c.  xv,  n.  G.  Les  textes  qu'il  contient 
n'acquièrent  donc  de  ce  fait  aucune  authenticité  nou- 
velle. Les  corrections  faites  au  xvie  siècle  par  la 
commission  connue  sous  le  nom  de  Corrcclorcs  romani 
ont  produit  un  texte  plus  fidèle,  mais  l'approbation 
donnée  aux  résultats  par  Grégoire  XIII  n'a  pas 
changé  le  caractère  originel  de  la  collection  :  celle-ci 
est  demeurée  ce  qu'elle  avait  toujours  été,  une  œuvre 
privée.  Toutefois,  sans  avoir  valeur  officielle,  le  Décret 
a  servi  longtemps  de  base  à  l'enseignement  des  écoles. 
11  fut  pour  le  droit  canonique,  quand  l'enseignement 
de  cette  science  se  sépara  de  celui  de  la  théologie,  ce 
que  furent  pour  la  théologie  les  Sentences  de  Pierre 
Lombard.    Il    forma    la    trame  de  l'enseignement,    le 


VI. 


55 


1731 


GRATIEN 


1732 


texte  que  les  maîtres  commentèrent  et    enrichirent 

de  aloses,  et  plus  d'un  canon  put  prescrire  ainsi  une 
valeur  légale  qu'il  ne  tenait  pas  de  son  origine,  sans 
compter  que  les  commentaires  et  gloses  nous  marquent 
très  clairement  le  sens  que  leurs  contemporains 
donnaient  à  tel  ou  tel  texte. 

On  comprend  qu'une  œuvre  de  ce  genre  fût  l'objet 
d'un  grand  nombre  de  copies.  Elle  dut  en  être  aussi 
plus  d'une  fois  la  victime,  ce  qui  explique  la  nécessité 
des  corrections  faites  au  xvic  siècle.  Dès  le  xve  siècle 
on  en  publia  trente-neuf  éditions.  Mais  elles  laissèrent 
toutes  beaucoup  à  désirer.  Les  meilleures,  sans  la 
glose,  sont  celles  de  Em.-L.  Richter,  1836,  et  de 
Em.  Friedberg,  1879  :  cette  dernière  n'est  pas  parfaite 
sans  doute,  elle  surpasse  pourtant  toutes  les  précé- 
dentes, soit  quant  à  la  correction  du  texte,  soit  quant 
aux  prolégomènes  qu'il  lui  a  donnés. 

La  bibliographie  utile  tient  en  peu  d'ouvrages,  dont 
voici  les  principaux  :  Sarti  et  Fattorini,  De  claris  archi- 
gymasii  Bononicnsis  professoribus,  édit.  de  1896,  Bologne; 
J.  Fr.  von  Schulte,  Die  Geschichte  der  Quellen  und  der  Lite- 
ratiir  des  Canonischen  Redits,  t.  i,  p.  46-75,  qui  complétera 
aussi  la  bibliographie  antérieure  à  1875;  Laurin,  Inlro- 
duetio  in  Corpus  juris  canonici,  1889;  le  travail  indiqué  plus 
haut  de  M.  Paul  Fournier,  Deux  controverses  sur  les  origines 
du  Décret  de  Gratien,  qui  conduit  jusqu'à  1898  la  biblio- 
graphie, spécialement  sur  la  date  de  composition  du  Décret; 
Em.  Friedberg,  dans  les  prolégomènes,  p.  ix-cii,  de  son 
édition  du  Décret,  Corpus  juris,  t.  i  (1879).  Commode 
résumé  dans  Ph.  Schneider,  Die  Lehrc  von  den  Kirchen- 
rechtsquellen,  2°  édit.,  1892,  p.  106-125;  plus  sommaire 
encore  dans  J.  B.  Sâgmuller,  Lchrbuch  des  kalholischen 
Kirclicnrechts,   S  41,  2e  édit.,  1909,  p.  149  sq. 

A.     VlLLIEN. 

II.  GRATIEN.  LA  THÉOLOGIE  DANS  SES  SOURCES  ET 

CHEZ  LES  GLOSSATEURS  DE  SON   DÉCRET Si  le 

Décret  de  Gratien  ouvre  aux  matières  tbéologiques  une 
place  plus  ou  moins  grande  selon  les  cas,  les  recueils 
antérieurs  auxquels  il  fait  des  emprunts,  et  les  glossa- 
teurs  subséquents  qui  le  commentent,  se  caractérisent 
par  un  mélange  analogue  de  questions  dogmatiques  et 
de  droit  canonique.  Souvent  même,  chez  ceux-ci 
comme  chez  ceux-là,  la  théologie  prend  beaucoup  plus 
d'extension  que  chez  Gratien.  Les  rapports  mutuels 
des  deux  sciences,  à  cette  époque,  influent  sur  leur 
développement.  C'est  à  ce  titre  que  ces  deux  séries  de 
recueils,  les  sources  de  Gratien,  et  les  travaux  de  ses 
glossateurs  (Glossœ,  Summiu),  doivent  intervenir  dans 
l'histoire  des  doctrines  théologiques;  à  plus  d'un  point 
de  vue,  elles  intéressent  même  l'histoire  du  dogme,  sur- 
tout dans  les  traités  De  Ecclesia  et  de  romano  pontiflee 
et  De  sacramentis  in  génère  et  in  specic;  l'histoire  de 
l'enseignement  scolaire,  de  l'élaboration  des  program- 
mes et  des  méthodes,  peut  s'éclairer  aussi  de  cette  étude. 
—  I.  Considérations  générales  sur  les  points  d'attache 
de:;  matières  théologiqucs  avec  les  recueils  canoniques. 
IL  Rapports  des  collections  canoniques  avec  la  théo- 
logie et  le  dogme,  avant  Gratien.  III.  Rapports  des 
commentaires  et  des  gloses  des  canonistes  avec  le 
dogme,  après  Gratien. 

1.  Considérations  générales.  —  Il  n'y  a  pas  lieu 
de  s'occuper  de  l'aspect  de  plus  en  plus  juridique  que 
prennen  t ,  vers  cette  époque,  le  gouvernement  de  l'Église 
et  son  organisation  hiérarchique.  Cette  question  regarde 
l'histoire  beaucoup  plus  que  la  théologie;  sa  place  est 
donc  ailleurs.  Elle  appelle  toutefois  ici  une  remarque  : 
sans  doute,  il  serait  puéril  de  vouloir  nier  la  marche 
rapide,  à  ce  moment,  du  droit  ecclésiastique  vers  la 
centralisation  gouvernementale  ;  mais,  d'autre  part, 
1'  «  amalgame  entre  dogme  et  droit,  »  dont  Harnack  fait 
si  grandement  état,  Lchrbuch  der  Dogmengcschichte, 
4e  édit.,  Leipzig,  1909,  t.  ni,  p.  347,  et  en  général, 
q.  347-354,  se  présente,  dans  son  exposé,  sous  un  jour 
qui  n'est  pas  de  nature  à  éclairer  complètement  la 
matière.  Car  l'absence  presque  complète  de  décisions 


doctrinales,  depuis  l'apparition  des  Fausses  Décrétâtes, 
s'explique,  entre  autres,  par  la  barbarie  de  la  période  : 
dans  ces  milieux  peu  cultivés,  l'hérésie  ne  trouvait  pas 
le  terrain  préparé,  et  si  elle  se  fait  jour,  elle  est  purement 
«  grossière  et  matérielle,  »  comme  le  disait  déjà  Ampère. 
Histoire  littéraire  de  la  France  avant  le  xu*  siècle,  Paris, 
1840,  t.  m,  p.  273.  Plus  tard,  par  exemple,  sous 
Alexandre  III,  les  questions  théologiques  occupent  la 
papauté  beaucoup  plus  que  ne  le  laisse  entrevoir  Har- 
nack. Op.  cit.,  p.  350.  La  manière  dont  les  canonistes 
entendent  l'interprétation  des  lois  mobiles  et  immobiles, 
par  exemple,  dit  déjà  toute  la  différence  qu'ils  mettent 
entre  les  choses  de  foi  et  les  choses  de  mœurs,  comme 
le  serait  la  dîme.  Ibid.,  p.  351.  Ce  n'est  pas  la  papauté, 
du  reste,  qui  fait  entrer  dans  les  collections  canoniques 
le  chapitre  dogmatique  le  plus  important  et  le  plus  dog- 
matiquement formulé  ;  c'est  Yves  de  Chartres,  lequel 
n'est  certes  pas  en  progrès  sur  les  canonistes  grégoriens 
dans  l'affirmation  des  droits  du  Saint-Siège.  Enfin,  pré- 
cisément au  moment  où  ce  caractère  s'accuse  davan- 
tage dans  l'Église,  le  mélange  de  la  théologie  et  du 
droit  devient  beaucoup  moins  intense,  à  en  juger  par 
les  travaux  des  représentants  des  deux  sciences.  Déjà, 
chez  Gratien,  disparaissent  beaucoup  de  ces  matières 
de  pure  foi,  en  dehors  du  De  consecralione.  Le  dévelop- 
pement que  nous  exposons  ici  ne  peut  donc  être  en 
connexion  bien  intime  avec  le  mouvement  dont  s'oc- 
cupe Harnack  et  dont,  avec  quelques  nuances,  nous 
retrouvons  l'esquisse  chez  Seeberg,  Lehrbuch  der  Dog- 
mcngeschichtc,  2e  édit.,  Berlin,  1913,  t.  ni,  p.  116-118. 
C'est  bien  plutôt  aux  conditions  de  l'enseignement 
scolaire  qu'il  faut  attribuer  les  rapports  entre  les  deux 
sciences  et  les  emprunts  qu'elles  se  font  mutuellement, 
surtout  dans  le  domaine  de  la  méthode  et  de  la  docu- 
mentation. 

Cette  revue  des  sources  ne  s'étendra  guère  au  delà  de 
l'époque  du  concile  de  Latran  en  1215,  non  pas  qu'à 
cette  date  les  rapports  entre  les  deux  sciences  aient  pris 
fin.  Loin  de  là;  les  services  rendus  aux  théologiens  par 
les  dossiers  patristiques  des  canonistes  se  perpétuent 
pendant  tout  le  moyen  âge,  jusqu'à  se  manifester  dans 
la  documentation  d'Occam,  de  Wyclif  et  de  Jean  Huss. 
Les  manuscrits  des  Sentences  de  Pierre  Lombard,  non 
moins  que  les  commentaires  des  grands  théologiens  sur 
les  Sentences,  montrent  combien  le  Décret  de  Gratien 
était  continuellement  utilisé  par  leurs  études.  Le  De 
consecralione  surtout  alimentait  de  ses  textes  l'exposé 
théologique.  Mais  tout  cela  est  déjà  bien  postérieur  à  la 
période  de  l'élaboration  des  deux  sciences  et  d'impor- 
tance à  peu  près  nulle  dans  l'histoire  des  dogmes;  c'est 
surtout  au  moment  où  la  théologie  commence  à  s'or- 
ganiser en  un  corps  de  système,  qu'il  est  utile  de  recher- 
cher quels  éléments  elle  fait  intervenir  et  à  quels  auxi- 
liaires elle  a  recours. 

II  faut  remarquer  que  tout  ce  qui  est  dogme  parmi 
ces  éléments  n'est  pas  pour  cela  hors  de  sa  place  en 
droit  canon  ;  il  est  des  manifestations  extérieures  de  la 
foi,  récitation  publique  des  divers  symboles,  serment 
de  fidélité,  profession  de  croyances,  etc.,  que  l'Église, 
société  organisée,  exige  de  ses  ministres  ou  des  chré- 
tiens en  général.  Rien  d'étonnant  doncsices  formules, 
ou  les  textes  qui  en  donnent  la  substance,  trouvent  leur 
place  dans  les  collections  canoniques,  auparavant 
comme  certains  textes  des  Pères  et  des  conciles  avaient 
trouvé  accès  dans  la  législation  impériale,  à  un  moment 
où  le  christianisme  était  devenu  religion  d'État.  Codex 
theodosianus,  I.  XVI,  1,  édit.  Mommsen  et  Meyer.Berlin, 
1905,  p.  833;  Codex  justinianus,  1.  I,  1,  édit.  Kriiger, 
Berlin,  1877,  p.  7-18;  voir  aussi  Alivisatos,  Die  kir- 
chîiche  Geselzgebung  des  Kaisers  Juslinian  I,  dans  Neue 
Studien  zur  Geschichte  der  Théologie  und  der  Kirche, 
Berlin,  1913,  t.  xvn,  p.  3  sq.,  21.  Ce  n'est  donc  pas  pro- 
prement en  cela  que  consiste  l'entrée  de  la  théologie 


173^ 


GRATIEN 


1734 


dans  les  collections  canoniques.  D'allure  plus  spéciale- 
ment théologique  est  le  développement  considérable 
que  prennent  ces  passages,  jusqu'à  se  transformer  par- 
fois en  vrais  chapitres  de  théologie  positive,  comme  l'on 
en  trouve  chez  Burchard  de  Worms,  Decrelum,  1.  XIX 
et  XX,  P.  L.,  t.  cxl,  col.  943-1058;  chez  Yves  de 
Chartres,  Decrelum,  part.  XVII,  P.  L.,  t.  clxi,  col.  967, 
et  chez  d'autres. 

Cette  intrusion  de  la  théologie  dans  les  recueils  de 
droit  canonique  provient,  en  première  ligne,  du  genre 
même  de  ces  recueils  et  du  rôle  auquel  les  destinent 
leurs  auteurs  :  ils  veulent  être  pratiques  avant  tout  et 
ont  pour  but  de  mettre  à  la  disposition  du  clergé,  sur- 
tout du  supérieur  ecclésiastique,  tous  les  renseigne- 
ments indispensables  pour  la  direction  d'un  diocèse  ou 
d'une  partie  de  diocèse.  Ils  appellent  cela  un  recueil 
manuel,  un  enchiridion,  un  codicillam  manualem.  C'est  le 
mot  qu'emploient  Réginon  de  Prum  et  d'autres  après 
lui.  YVassersehleben,  Reginonis...  libri  duo  de  synodalibus 
causis  cl  disciplinis  ecclcsiasticis,  Leipzig,  1840,  praef., 
p.  1,  2;  collection  inédite  du  Vatican,  ms.  1339,  dans 
Theiner,  Disquisitioncs  crMcie,  p.  272.  Les  peuples 
commençaient  à  peine  à  sortir  de  la  barbarie  post-caro- 
lingienne; en  de  tels  moments,  la  théologie  pouvait 
être  réduite  au  strict  nécessaire  :  ni  la  prédication,  ni 
les  connaissances  du  clergé  n'exigeaient  grand'chose 
encore,  comme  on  peut  le  voir  dans  les  canons  des 
conciles  qui  s'occupent  de  l'homélie  dominicale  et  des 
livres  nécessaires  aux  clercs.  Voir  J.  de  Ghellinck,  Le 
mouvement  théologique  du  XIIe  siècle,  Paris,  1914,  p.  34. 
Il  va  sans  dire  que  la  prédominance  est  attribuée  par 
ces  recueils  aux  parties  pratiques;  c'est  dans  celles-ci 
que  s'élargit  principalement  la  place  de  la  théologie. 
Avant  tout,  les  sacrements  et  leur  administration  font 
l'objet  d'une  attention  spéciale;  de  même,  les  chapitres 
sur  les  droits  du  Saint-Siège  à  l'obéissance,  et  sur  ses 
prérogatives  de  souveraineté,  d'universalité,  d'infailli- 
bilité, etc. 

En  outre,  les  développements  donnés  à  une  matière, 
de  préférence  à  d'autres,  seront  déterminés  par  la  nature 
même  des  sources  utilisées,  ou  par  l'objet  des  contro- 
verses agitées  à  l'époque  ou  dans  le  pays  de  l'auteur; 
c'est  le  cas  pour  la  prédestination  et  la  grâce,  chez  Bur- 
chard de  Worms;  pour  le  sacrement  de  l'eucharistie, 
chez  Yves  de  Chartres  et  chez  Gratien;  pour  la  valeur 
des  sacrements  conférés  par  les  indignes,  chez  tous  les 
auteurs  contemporains  de  la  querelle  des  investitures. 
Un  but  nettement  déterminé  et  consciemment  pour- 
suivi commande,  chez  d'autres,  le  choix  des  matières 
traitées  et  des  documents  utilisés  :  c'est  le  cas  chez 
Anselme  de  Lucques  et  chez  ceux  dont  il  dérive  ou 
auxquels  il  sert  d'exemple;  ils  veulent  tous  la  réforme 
ecclésiastique  et,  pour  l'accomplir,  la  reconnaissance 
des  droits  du  Saint-Siège.  Beaucoup  de  ces  questions 
étant  théologiques  non  moins  que  canoniques,  la  solu- 
tion qu'il  fallait  donner  sur  le  terrain  pratique,  au  for 
intérieur  comme  au  for  extérieur,  supposait  déjà, 
moyennant  la  réserve  apportée  plus  loin,  une  réponse 
sur  le  terrain  doctrinal. 

S'il  est  des  traités  qui  élaguent  une  bonne  partie  des 
matières  dogmatiques  et  se  restreignent  généralement 
au  seul  côté  canonique,  ils  ne  rompent  pas  complète- 
ment toutefois  avec  les  habitudes  régnantes  qui  ont  uni 
les  deux  sciences;  l'on  peut  citer,  comme  exemple,  la 
Panormic  d'Yves  de  Chartres;  dans  le  traité  des  sacre- 
ments, elle  fournit  sur  la  confirmation  presque  autant 
de  matières  que  la  plupart  des  œuvres  théologiques  du 
xn»  siècle,  et  sur  l'eucharistie,  elle  présente  tout  un 
agencement  de  textes  patristiques  dirigés  contre  Bé- 
renger,  et  relatifs  à  la  transsubstantiation  et  à  la  per- 
manence des  accidents.  Les  canons  formulés  dans  ce 
chapitre  et  les  inscriptions  qui  leur  servent  de  titre, 
souvent  avec  beaucoup  de  précision,  passeront  en  bloc 


dans  le  Décret  de  Gratien.  D'autres  fois,  les  développe- 
ments relatifs  au  monde  invisible  des  anges  et  des 
démons,  ou  aux  fins  dernières,  peuvent  avoir  été  ins- 
pirés par  le  désir  de  faire  cesser  un  certain  nombre  de 
croyances  et  de  coutumes  superstitieuses,  auxquelles 
le  folklore  des  peuples  enfants  ouvrait  si  large  place  : 
c'est  là,  croyons-nous,  la  raison  de  ces  chapitres  dans  le 
Décret  de  Burchard  (fin  du  1.  XX,  p.  41-55);  de  son 
recueil,  ils  ont  passé  chez  quelques-uns  de  ses  copistes, 
comme  on  le  verra  plus  loin. 

Outre  cette  communauté  de  matières,  qui  n'est  pas 
sans  influence  sur  les  essais  de  la  codification  théo- 
logique —  ceux-ci  suivent  d'assez  près  la  codification 
canonique  —  les  rapports  entre  les  deux  sciences  au 
moyen  âge  s'accusent  encore  par  l'emploi  des  mêmes 
textes  patristiques,  car  les  recueils  canoniques  servent 
souvent  de  dossier  patristique  aux  théologiens,  et  par 
la  même  méthode  dans  la  conciliation  des  autorités 
patristiques.  Jusqu'à  l'époque  de  Gratien,  la  théologie 
sera  plutôt  tributaire  des  canonistes.  Dans  ces  divers 
domaines,  à  partir  du  second  quart  du  xn°  siècle,  la 
relation  s'établit  en  sens  inverse.  Abélard,  Hugues  de 
Saint-Victor  et  Pierre  Lombard,  pour  citer  quelques- 
uns  des  principaux  noms,  trouveront  souvent  écho 
chez  les  canonistes,  et  ceux-ci  puiseront  à  pleines  mains 
chez  les  théologiens,  quand  ils  s'occupent  de  théologie. 

IL  Exposé  des  relations  entre  les  deux 
sciences  jusqu'à  Gratien.  —  1°  Matières  communes. 
— ■  1.  Collections  jusqu'à  la  fin  de  l'époque  carolingienne. 
— Ces  relations  commencent  surtout  avec  le  groupe  des 
collections  rhénanes,  représenté  par  Réginon  de  Prum 
et  Burchard  de  Worms.  Les  recueils  précédents,  comme 
le  Codex  canonum  ecclesiaslicorum  et  la  Colleclio  decre- 
lorum  romanorum  ponlificum  de  Denys-le-Petit,  P.  L., 
t.  lxvii,  col.  139,  230,  la  collection  dite  Avellana,  édit. 
Guenther,  dans  le  Corpus  scriptorum  ecclesiaslicorum  de 
Vienne,  1895,  t.  xxxv,  la  Brevialio  canonum  de  Fulgence 
Lerrand,  P.  L.,  t.  lxvii,  col.  949-962  (courte  collection 
qui  suit  l'ordre  des  matières  dans  ses  232  numéros, 
mais  ne  donne  qu'un  résumé),  le  Brcviarium  canonum, 
ou  mieux  la  Concordiu  canonum  de  Cresconius,  P.  L., 
t.  lxxxviii,  col.  829-942  (l'ordre  des  matières,  satis- 
faisant au  début,  disparaît  bientôt  de  la  suite),  plus 
tard  la  collection  Irlandaise,  édit.  Wasserschleben,  Die 
Irische.  Kanoncnsammlung,  Leipzig,  1885,  ou  se  conten- 
tent de  suivre  la  liste  chronologiques  de  textes  sans 
souci  de  l'ordre  méthodique  des  matières,  ou  sont  trop 
éloignées  des  essais  de  la  codification  théologique,  et, 
par  suite,  n'exercent  qu'une  influence  indirecte  sur  les 
prédécesseurs  de  Gratien,  ou  sont  trop  courtes  ou 
conçues  dans  un  sens  trop  spécial  pour  ouvrir  leurs 
colonnes  aux  textes  théologiques  :  Colleclio  Avellana, 
répertoire  par  ordre  historique,  précieux  surtout  pour 
l'histoire  ecclésiastique  depuis  367  jusqu'à  553;  Bre- 
vialio canonum,  court  résumé;  Concordia  canonum  de 
Cresconius,  puisée  dans  Denys-le-Petit,  donne  pas  mal 
de  textes  sur  la  rebaptisation,  can.  62  sq.,  op.  cil., 
col.  870;  la  Collection  irlandaise,  à  part  le  1.  XLVII  sur 
la  pénitence,  op.  cit.,  p.  196-203,  n'a  rien  de  théologique, 
pas  même  dans  les  1.  XXXVIII,  De  docloribus  Ecclesicc, 
chapitre  de  pastorale,  p.  141-146,  ou  LVII,  De  hœrcticis, 
p.  233.  11  y  a  bien  aussi  l'exemple  de  l'Hispana,  dou- 
blée bientôt  d'une  table  systématique  des  matières 
(voir  1.  IV,  tit.  iv,  v,  symboles  de  foi;  l.VIII,  De  Deo  et 
quœ  sunt  credenda  de  illo;  Maassen,  Geschichte  der  Qucl- 
len  und  der  Literatur  des  Canonischen  Rechls,  Gratz, 
1870,  t.  i,  p.  667-717,  813-820;  d'Aguirre,  Colleclio 
maxima  conciliorurn  omnium  Hispanise,  Rome,  1754, 
t.  iv,  p.  9-56),  et  celui  de  la  célèbre  collection  des  Fausses 
Décrétâtes  (Hinschius,  Decrekdes  pseudo-Isidorianse, 
Leipzig,  1863,  p.  99  sq.,  Trinité  et  incarnation,  etc.; 
Môhler,  Fragmente  aus  und  ûber  Pseudo-Isidor,  dans 
Thcologische  Quartalschrijt  de  Tubingue,  1829,  p.   177; 


173: 


GRATIEN 


1736 


1832,  p.  3.  ou  Schrifien  und  Aufsàtze,  édit.  Dollingcr, 
Ratisbonne,  1839,  p.  283  347;  P.  Fournier,  Élude  sur 
les  fausses  Décrétâtes,  dans  la  Reuue  d'histoire  ecclésias- 
tique, 1906,  t.  vu.  p.  36,  et  Dictionnaire  apologétique  de 
la  foi  catholique,  t.  i,  col.  903-910;  Décrétales,  t.  iv, 
toi.  212-222),  qui  font,  l'une  et  l'autre,  une  place  au 
dogme.  Mais  tout  cela  n'est  pas  comparable  à  l'impor- 
tance que  prend  la  théologie  dans  les  collections  rhé- 
nanes. Avec  Y Anselmo  dedicala  qui  leur  sert  de  source, 
celles-ci  sont  parmi  les  grandes  collections,  les  pre- 
mières  en  date  qui  abandonnent  l'ordre  chronologique 
pour  assurer  désormais  le  triomphe  à  un  groupement 
plus  méthodique  des  matières;  par  suite,  leur  plan 
logique  met  davantage  en  relief  la  part  qu'elles  font  à 
la  théologie. 

2.  Groupe  des  collections  rhénanes.  —  Au  début  du 
xe  siècle,  Réginon,  De  causis  et  disciplinis  ecclcsia- 
sticis,  P.  L.,  t.  cxxn,  col.  175,  dominé  plus  que  tout 
autre  par  des  préoccupations  d'ordre  pratique,  parle  de 
sujets  dogmatiques  dans  les  rapports  qu'ils  peuvent 
avoir  avec  la  conduite  morale;  les  matières  liturgiques 
et  sacramentelles  sont  à  citer  ici  :  eucharistie,  1. 1,  63  sq.  ; 
extrême-onction,  1.  I,  106  sq.  ;  baptême,  1.  I,  265  sq.  ; 
pénitence,  1.  I,  292  sq.  ;  ordre,  1.  I,  399  sq.  ;  mariage,  1.  II, 
101  sq.  Mais  tout  cet  ensemble  est  fort  élémentaire 
encore,  comme  du  reste  l'annoncent  les  questions 
lxxxii-xcvi  de  l'interrogatoire  placé  en  tête  de  l'oeuvre 
et  destiné  à  la  visite  des  paroisses. 

La  collection  du  nord  de  l'Italie,  V Anselmo  dedicala, 
du  nom  d'Anselme  II,  archevêque  de  Milan,  à  qui  elle 
est  dédiée  (883-897),  a  aussi  quelques  passages  relatifs 
aux  matières  théologiques,  comme  sur  le  baptême  et  la 
confirmation  dans  sa  partie  IX  ;  l'eucharistie  et  la  péni- 
tence font  défaut  ;  la  primauté  de  l'Église  romaine  inter- 
vient dans  la  lrL'  partie  (ms.  de  Bamberg,  P.  I,  12, 
fol.  106,  107,  221-227,  etc.;  Fournier,  L'origine  de  la 
collection  Anselmo  dedicala,  dans  les  Mélanges  P.  F.  Gi- 
rard, Paris,  1912,  extrait). 

Beaucoup  plus  que  Réginon  et  que  V Anselmo  dedi- 
cala, ses  deux  modèles  principaux,  Burchard  de  Worms 
augmente  la  part  des  matières  théologiques  ;  son  Decre- 
/um,  composé  avant  1023,  commence  par  la  primauté  du 
pape  et  donne  de  longs  développements  à  divers  sacre- 
ments :  1.  I,  2,  3;  1.  IV,  P.  L.,  t.  cxl,  col.  726,  baptême 
et  confirmation;  1.  Il,  col.  717,  ordre  et  devoirs  du 
prêtre;  1.  III,  56,  col.  719,  matière  de  la  catéchèse,  etc. 
Si  le  chapitre  sur  l'eucharistie,  quoi  qu'en  dise  Bur- 
chard,  laisse  beaucoup  à  désirer,  1.  V,  col.  751,  le  cha- 
pitre de  pastorale  intitulé  :  De  visilaiione  infirmorum, 
1.  XVII I,  col.  937,  parle  de  la  rémission  des  péchés  et  de 
l'extrême-onction.  Les  deux  derniers  livres,  surtout, 
intéressent  la  théologie  :  le  XIX,  Correclor  cl  medicus. 
qui  n'est  pas  à  enlever  à  Burchard,  est  un  traité  fort 
développé  de  l'administration  de  la  pénitence  au 
xic  siècle.  A.  Lagardecn  a  donné  récemment  une  analyse 
détaillée,  Le  manuel  du  confesseur  au  XIe  siècle,  dans  la 
Revue  d'histoire  cl  delillérulure  religieuses,  nouvelle  série, 
1910,  t.  i,  p.  542-550,  mais  les  conclusions  qu'il  en  tire 
appellent  des  réserves.  L'importance  de  ce  traité 
s'affirme  jusque  dans  les  copies  qu'on  en  fait  en  Alle- 
magne au  xmc  et  au  xve  siècle.  Ce  XIX'  livre  de  Bur- 
chard  ouvre  désormais  au  De  pœnilcnlia  une  place  à 
part  dans  les  collections  canoniques  ;  même  les  auteurs 
dis  recueils  canoniques  à  l'époque  de  la  réforme  gré- 
gorienne, puis  les  compilateurs  du  groupe  français, 
agiront  souvent  comme  Burchard,  jusqu'au  moment 
où  Gratien  fera  entrer  dans  son  traité  sur  la  pénitence 
diverses  questions  dogmatiques  (texte  de  Burchard 
dans  P.  L.,  t.  cxl,  loc.  cit.,  et  dans  Schmitz,  qui  fait 
intervenir  quelques  nouveaux  manuscrits,  Die  Bussbii- 
cher  und  das  kanonische  Bussverfahren,  Dusseldorf. 
1898,  t.  ii,  p.  407).  Le  1.  XXe  est  de  matière  essentiel- 
lement théologique  comme  le  dit  son  litre  Spcculatoi; 


spcculalur  enim  de  pmdestinalione,  etc.,  ibid.,  col. 
1013-1058:  âme  humaine,  chute  et  liberté,  grâce,  pré- 
destination, anges  et  démons,  fins  dernières,  prière 
pour  les  morts,  etc.,  Antéchrist. 

Les  nombreuses  collections  qui  copient  Burchard  ou 
s'inspirent  de  lui.  et  parmi  lesquelles  il  faut  citer  la  Col- 
leelio  duodeeim  partium  (inédite,  mss.  de  Bamberg,  /'.  /, 
13,  et  P.  3,  10,  etc.),  reproduisent  la  plupart  de  ces 
matières.  On  les  retrouve,  un  siècle  plus  tard,  jusque 
dans  le  Pohjcarpus  et  dans  la  collection  italienne  du 
Vatican  1346.  Theiner,  op.  cit.,  p.  345,  355,  etc.; 
de  Ghellinck,  op.  cit.,  p.  287.  Yves  de  Chartres  les  fait 
même  entrer  dans  son  Decrclum,  mais  non  plus  dans 
sa  Panormia. 

3.  Groupe  des  collections  grégoriennes.  - —  Après  le 
groupe  des  collections  rhénanes,  il  faut  mentionner  un 
groupe  plus  important  encore  :  il  doit  son  origine  à  ce 
grand  mouvement  de  réforme  auquel  est  attaché  le 
nom  de  Grégoire  VII  et  qui  est  devenu  célèbre  dans 
l'histoire  par  la  querelle  des  investitures  à  laquelle  il 
donna  lieu.  La  première  caractéristique  de  ces  collec- 
tions dans  le  développement  de  la  théologie  et  du 
dogme,  réside  dans  l'affirmation  des  droits  du  Saint- 
Siège,  primauté,  infaillibilité,  etc.  L'autre  a  trait  sur- 
tout aux  questions  sacramentaires;  la  valeur  des  sacre- 
ments conférés  par  les  indignes  y  est  l'objet  de  déve- 
loppements spéciaux.  Cela  seul  nous  dit  déjà  combien 
les  traités  théologiques  De  Ecclesia  et  romano  ponlifice 
et  De  sacramenlis  in  génère  peuvent  trouver  de  rensei- 
gnements précieux  dans  les  travaux  des  canonistes 
grégoriens.  Ceux-ci  avaient  été  précédés  dans  leurs 
essais  de  réforme  par  un  groupe  de  recueils,  qui  se  fait 
jour  surtout  au  sud  de  l'Italie;  mais  cette  tentative 
avait  été  sans  succès,  semble-t-il.  (Note  d'un  mémoire 
communiquée  à  l'auteur  par  M.  P.  Fournier,  sur  les 
collections  canoniques  du  pays  de  Bénévcnt  et  du  sud 
de  l'Italie.)  C'était  l'appui  de  la  papauté  qui  devait 
assurer  le  triomphe  à  l'œuvre  réformatrice.  Les  collec- 
tions grégoriennes  aboutissent  à  préciser,  dans  les 
points  qu'on  vient  d'indiquer,  l'expression  du  dogme 
et  de  la  théologie,  non  pas  seulement  grâce  aux  formules 
qu'elles  emploient,  ou  dont  elles  favorisent  la  diffusion. 
Elles  obtiennent  encore  ce  résultat  par  la  pratique 
qu'elles  répandent  de  plus  en  plus  clans  les  mœurs  et  qui, 
à  son  tour,  se  traduit  dans  les  exposés  didactiques.  Ces 
collections,  fort  nombreuses,  sont  surtout  représentées 
par  les  noms  suivants  :  en  tète,  vient  un  recueil  anonyme 
du  milieu  du  xic  siècle  environ,  la  Collection  en  74  titres, 
inédite  encore  (Thaner  prépare  une  édition;  bonne  étude 
et  indication  du  contenu  et  des  titres  dans  P.  Fournier, 
Le  premier  manuel  canonique  de  la  réforme  au  xi*  siècle, 
dans  les  Mélanges  d'archéologie  et  d'histoire  publiés  par 
l'École  française  de  Rome,  1894,  t.  xiv,  p.147-223;  quel- 
ques chapitres  imprimés  d'après  l'édition  de  Wendel- 
stcin,parPilhou,Corfr\rca/iom<m  velus  Ecclesiœ  romaine, 
Paris,  1687,  p.  177-180).  Ce  recueil  donne  une  place  pré- 
pondérante au  De  primalu  romaine  Ecclesiœ.  C'est  le 
titre  que  lui  donnent  divers  manuscrits  du  reste  :  Sen- 
lenliœ  Palrum  de  primalu  romaïuv  Ecclesiœ,  d'après  le 
titre  de  ses  premiers  chapitres.  La  collection  en  74  titres 
sera  imitée  par  une  vingtaine  de  collections  qui  dérivent 
d'elle.  Les  documents  qu'elle  utilise  proviennent  tous 
des  collections  antérieures,  si  bien  qu'on  a  pu  dire  de 
l'auteur  qu'il  ne  fait  pas  une  innovation,  mais  qu'il 
restaure  l'ancien  droit.  C'est  le  premier  essai  (voir  les 
titres  i,  ii,  puis  xx,  xxm,  xxv),  du  reste  encore  très 
imparfait,  d'une  codification  canonique  et  théologique 
d'un  De  Ecclesia  cl  de  romano  ponlifice.  Malheureuse- 
ment, tout  n'est  pas  de  même  valeur,  le  pseudo-Isidore 
ayant  alimenté  ce  recueil  comme  tous  les  autres  du 
moyen  âge. 

Après  la  Collection  en  14  litres,  qui  prend  l'initiative 
en  cette  matière,  il  faut  signaler  surtout  les  œuvres 


1737 


GRATIEN 


1738 


(l'Anselme  de  Lucques   (t  1080),  du  cardinal  Deusdedit 
(septembre  1087),  et  de  Bonizon  de  Sutri  (pas  avant 
1089).  Sur  d'autres  collections  encore  inédites,  l'on  peut 
consulter  la  dissertation  des  Ballerini,  De  antiquis  cano- 
inun    colleclionibus,    iv,   17,  18,  dans  leur  édition  des 
œuvres  de  saint  Léon,  P.  /...t.  lvi,  col.  346  ;  Theiner,  op. 
cit., p.  338,  341,  345,  350;  Fournicr,  mémoire  cité  des 
Mélanges  d'archéologie  el  d'histoire,  t.  xiv,   p.   209-223. 
Les  droits  du  Saint-Siège  et  divers  points  intéressant  la 
théologie  de  l'Église  et  du  pape  sont  clairement  for- 
mulés ici.  Voir  quelques  affirmations  dans  les  ouvrages 
cités,  comme  celles  de  Deusdedit,  édit.  Wolf  von  Glan- 
vell,  Die  Kanonessammlung  des  Kardinals  Deusdedit, 
Paderborn,  1905, 1.  I,  6,  18,  48,  50,  53,  54,  57,  58,  59,  63, 
65,  68,  70,  etc.  ;  Anselme  de  Lucques,  Collectio  eanonam, 
édit.  Thaner,  Inspruck,  1906, 1.  I,  12,  13,  57,  60,  65,  67, 
68;  1.  XII,  42,  47,  etc.;  Bonizon  de  Sutri,  Deerelum, 
1.  IV,  4,  7,  9,  16,  etc.,  dans  Mai,  Nova  Palrum  biblio- 
theca,  t.  vu,  part.  III,  p.  29,  47,  etc.  ;  de  Ghellinck,  op. 
cit.,  p.  292-294.  Ce  mouvement  de  réforme,  en  con- 
nexion intime  avec  les  fameuses  propositions  du  Dic- 
tatus  papa\  restitué  de  nos  jours  à  Grégoire  VII  par 
Peitz  et  d'autres  à  sa  suite,  Das  original  Regisler  Gre- 
gors  VII,  Exkurs  ni,  p.  272  sq.,  dans  Sitzungsberichle 
der  k.  Akademie  der  Wissenschafien  in  Wien,  philos.- 
histor.  Klasse,  1911,  t.  clxv,  p.  272-286,  affirme  sa  vita- 
lité jusque  dans  le  succès  même  de  ces  collections; 
celles-ci  se  répandent  rapidement  partout  et  se  multi- 
plient en  un  grand  nombre  de    manuscrits,  surtout 
celles  en  74  titres  et  celle  d'Anselme  de  Lucques,  dont 
les  copies  dépassent  six  fois  et  davantage  le  nombre 
des  manuscrits  connus  de  Deusdedit  ou  de  Bonizon. 
Mais  tandis  que  la  question  mentionnée  tantôt,  au 
sujet  des  sacrements,  entre  tout  de  suite  dans  les  ou- 
vrages de  dogmatique,  il  faut  attendre  le  xvie  siècle 
pour  que  le  traité  de  l'Église  et  du  pape  prenne  défini- 
tivement sa  place  dans  les  cours  de  théologie;  cela  ne 
veut   pas    dire   que   dans   les   siècles   précédents,    au 
xne  et  xme  siècle  surtout,  les  idées  des  théologiens  ne 
fussent  pas  nettes  et  claires  à  ce  sujet.  Voir  Grabmann, 
Die  Lehre  des  Thomas  von  Aquin,  von  der  Kirche  als 
Gotteswcrk,  Batisbonne,  1903.  Mais  la  pratique  même 
dont  on  vivait  dispensait  d'une  systématisation  théo- 
rique en  théologie.  Le  traité  De  Ecclesia  et  de  romano 
ponlificc  se  préparait  ainsi  son  entrée  d'une  double 
manière  dans  les  essais  de  la   codification  théologique, 
comme  on  l'a  dit  plus  haut;  il  y  a  d'abord  l'affirmation 
nette  et  précise  des  droits  du  Saint-Siège,  telle  que  la 
formulent  Anselme  de  Lucques,  Deusdedit  et  les  autres 
grégoriens;  il  y  a,  en  outre,  le  mouvement  des  idées 
qui  correspond  à  celui  des  faits  et  des  événements. 
Avant  de  se  formuler  en  thèse  précise  dans  les  recueils 
dogmatiques,  l'idée  de   la  suprématie  papale   et  des 
droits  du  Saint-Siège  est  en  quelque  sorte  vécue  et  pra- 
tiquée. Les  recueils  grégoriens  contribuent  pour  une 
large  part  à  la  faire  passer  dans  les  mœurs  et  préparent 
ainsi  la  voie  aux  textes  qui  entreront  dans  la  codifica- 
tion théologique.  Ce  qui  peut  servir  en  quelque  sorte  de 
contre-épreuve  à  ce  que  nous  affirmons  ici,  c'est  que 
d'autres  essais  de  réforme,  comme  ceux  dont  il  a  été 
question   plus   haut,  et  qui  s'affirment  dans  quelques 
collections  canoniques  du  sud  de  l'Italie,  n'aboutissent 
à  aucun  résultat  sérieux;  il  leur  manquait  l'appui  du 
siège  de  Borne.    Les  événements  du  xive  siècle  font 
constater  qu'un  progrès  sur  le  terrain  même  de  l'en- 
seignement universitaire  théologique  en  ce  moment, 
eût  évité  les  violents  conflits  dus  aux  idées  conciliaires 
pendant  le  siècle  qui  précède  la  réforme. 

Passons  à  la  théologie  sacramentaire  de  ces  recueils  ; 
l'on  sait  qu'à  ce  moment  même  commence  le  grand 
travail  de  la  codification  théologique,  qui  aboutira  à 
constituer  le  IIIe  livre  des  traités  de  l'école  abélar- 
dienne  et  presque  tout  le  IVe  livre  des  Sentences  de 


Pierre  Lombard,  dont  tous  Ici  centres  théologiques 
feront  leur  Liber  texlus  pendant  plus  de  trois  siècles  :  nou- 
velle manifestation  du  lien  étroit  qui  unissait  ces  deux 
branches  des  sciences  sacrées.  Plusieurs  des  recueils 
qui  s'inspirent  des  idées  grégoriennes  puisent  en  même 
temps  chez  Burchard  de  Worms;  ce  qui  garantit  la  sur- 
vivance à  divers  chapitre;  théologiques  du  Decretum 
rhénan.  Le  De  pœnilenlia,  notamment,  fait  son  entrée 
dans  les  traités  grégoriens  ou  dans  les  exemplaires 
remaniés  de  ces  collections.  Mais  ici  la  question  dogma- 
tique n'est  pas  encore  au  premier  plan;  la  question 
morale  et  l'histoire  de  l'administration  de  la  pénitence 
sont  surtout  l'objet  de  l'attention  :  de  tout  cela  la  théo- 
logie positive  peut  déjà  tirer  des  ressources,  rien  que 
pour  l'histoire  des  usages  pénitentiels,  les  formules  et 
les  conditions  de  l'absolution  et  de  la  satisfaction,  etc. 
Voir  de  Ghellinck,  op.  cit.,  p.  295.  Quelques  autre; 
parties  ne  se  haussent  pas  encore  beaucoup  au-dessus 
des  recommandations  d'ordre  pratique  données  par 
Burchard,  telle,  par  exemple,  la  collection  d'Anselme  de 
Lucques,  1.  IX,  inédit  (table  des  chapitres  dans  Mai, 
Spicilegium  romanum,  t.  vi,  p.  352-375,  d'après  la 
seconde  recension  de  la  collection).  Il  faut  attendre  la 
répercussion  de  la  controverse  de  Bérenger  sur  les 
recueils  chartrains  pourvoir  apparaître  la  note  dogma- 
tique en  cette  matière.  Par  contre,  de  nombreux  cha- 
pitres sur  la  dédicace  des  églises,  comme  dans  la. Col- 
lection en  74  litres  et  diverses  collections  italiennes  iné- 
dites (de  ecclesiis  sacrandis...  el  sacramenlis  carum,  etc.), 
préparent  déjà  les  voie;  à  la  dist.  I  du  De  consecratione 
de  Graticn.  En  même  temps,  l'emploi  fréquent  du  mot 
sacramentum,  chez  les  canonistes  et  chez  les  liturgistes, 
fournit  abondante  matière  à  l'étude  des  sacrements  et 
des  sacramentaux.  Mais  le  principal  problème  qu'agite 
en  ce  moment  la  théologie  sacramentaire  est  celui  de 
la  valeur  du  sacrement  dans  le  cas  de  sa  collation  par 
un  indigne.  Elle  commence  surtout  à  occuper  les  esprits 
après  l'apparition  de  la  Collection  en  74  titres,  c'est-à- 
dire  après  les  grandes  mesures  de  déposition  décrétées 
par  les  conciles  réformateurs  sous  Hildebrand  et  Gré- 
goire VII  :  élément  de  controverse  qui  déborde  d'ail- 
leurs des  collections  canoniques  et  des  traités  théolo- 
giques, pour  envahir  toutes  les  productions  polémiques, 
épistolaires,  historiques,  voire  exégétiques,  de  l'époque. 
Les  tenants  des  systèmes  les  plus  opposés  se  rencontrent 
parfois  dans  le  même  camp,  et  il  est  assez  curieux  de 
remarquer  que  tous  ne  voient  pas  dans  le  problème  une 
question  de  dogme  :  il  en  est  qui  veulent,  comme  Boni- 
zon, Decretum,  dans  Mai,  Nova  Palrum  bibliolheca, 
Borne,  1854,  t.  vu,  part.  III,  p.  2,  restreindre  la  ques- 
tion au  seul  terrain  disciplinaire.  Voir  de  Ghellinck,  op. 
cit.,  p.  295-297;  Saltet,  Les  réordinalions,  Paris,  1907, 
p.  173-360;  Mirbt,  Die  Publizislik  im  Zeilaller  Gre- 
gors  VII,  Leipzig,  1894,  p.  372-462. 

4.  Groupes  des  collections  charlraines.  —  Les  recueils 
du  groupe  français  qui  viennent  au  jour  ensuite  et  dont 
les  collections  chartraines  forment  le  principal  noyau, 
surtout  le  Decretum  d'Yves  et  sa  Panormia,  se  font 
remarquer,  au  point  de  vue  qui  nous  occupe  ici,  par 
une  double  caractéristique.  S'ils  ouvrent  la  place  moins 
large  aux  préoccupations  romaines  des  recueils  gré- 
goriens, ils  enrichissent  de  nouveaux  documents  la 
partie  théologique  aussi  bien  que  la  partie  canonique. 
L'on  peut  en  donner  comme  exemple  le  Decretum,  la 
première  des  œuvres  chartraines  dans  l'ordre  chronolo- 
gique (avant  la  fin  du  xie  siècle),  qui  conserve  les  parties 
dogmatiques  de  Burchard  et  les  développe  même.  Voir 
1.  I,  253;  1.  II;  1.  XVII,  1-11,  121,  etc.,  P.  L.,  t.  clxi, 
col.  120, 135,  967, 1015,  etc.  Mais  peu  après,  la  seconde 
œuvre  d'Yves  et  la  plus  parfaite,  celle  qui  allait  régner 
en  maîtresse  jusqu'à  l'apparition  du  Décret  de  Gratien, 
la  Panormia,  se  met  en  devoir  d'élaguer  une  bonne 
partie  de  ces  matières  théologiques.  Une  comparaison 


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G  R  ATI  EN 


1740 


entre  la  Panormia  et  le  Decretum  est  fort  suggestive  à 
ce  sujd  :  Yves  cependant  y  ouvre  encore  la  place  à 
divers  sujets  de  dogme,  1.  I,  1-7,  8-162,  P.  L.,  t.  clxi, 
col.  1045,  etc.  En  second  lieu,  malgré  cette  allure  plus 
exclusivement  canonique,  c'est  dans  les  collections 
cliartraines,  dans  la  Panormia  non  moins  que  dans  le 
])i  crelum,  que  fait  son  entrée  pour  la  première  fois  tout 
un  chapitre  de  théologie  dogmatique  :  celui  sur  l'eucha- 
ristie, De  corpore  et  sanguine  Domini.  11  faut  y  voir 
le  contre-coup  des  erreurs  de  Bérenger,  qui  avaient  semé 
le  trouble  un  peu  partout.  Ce  traité,  plus  soigné  peut- 
être  qu'aucun  autre,  donne  un  libellé  remarquable  aux 
inscriptions  des  canons  sur  la  transsubstantiation  et  la 
survivance  des  espèces  ;  Gratien  en  bénéficiera. Voir  Eu- 
charistie au  xne  siècle,  t.  iv,  col.  1256-1257  et  1294- 
1295.  Du  reste,  l'exemple  de  la  Panormia,  qui  s'inter- 
disait une  bonne  partie  des  sujets  dogmatiques  abordés 
jusque-là  par  les  canonistes,  ne  devait  pas  être  suivi 
partout,  et  les  tendances  représentées  par  Burchard  ne 
disparaissent  que  lentement.  Par  contre,  comme  on  le 
verra  plus  loin,  l'œuvre  maîtresse  d'Yves  aura  son 
retentissement  en  théologie  de  diverses  manières. 

Citons  ici,  parmi  les  productions  qui  subissent  l'in- 
fluence des  recueils  d'Yves  de  Chartres,  le  traité  cano- 
nico-théologique  d'Alger  de  Liège,  Liber  de  miseri- 
cordia  et  justilitia,  qui  ne  s'occupe  que  de  quelques 
sujets  pour  leur  donner  de  grands  développements  : 
questions  relatives  aux  sacrements,  aux  réordina- 
tions, etc.,  P.  L.,  t.  clxxx,  col.  857-969.  Les  cir- 
constances de  l'époque  mettaient  au  premier  plan  les 
graves  problèmes  des  sacrements  des  indignes.  Le  Pohj- 
carpus  du  cardinal  Grégoire  s'occupe  des  mêmes  matiè- 
res et  en  outre  imite  Burchard  de  Worms,  dans  son  der- 
nier livre,  qui  n'a  rien  de  canonique  :  fins  dernières, 
anges  gardiens,  etc.,  titres  des  chapitres  dans  Theiner, 
op.  cit.,  p.  342-345.  Vers  le  même  moment,  la  collection 
dite  Cœsarauguslana,  du  lieu  où  on  l'a  découverte, 
Saragosse,  contient  aussi  beaucoup  de  chapitres  dogma- 
tiques sur  l'eucharistie.  En  outre,  ces  deux  dernières 
collections  semblent  se  ressentir  des  discussions  que  les 
dialecticiens  avaient  mises  à  l'ordre  du  jour  ace  moment 
sur  le  rôle  de  la  ratio  et  de  l'auctoritas  :  nouveau  pro- 
grès sur  Yves  de  Chartres,  qui,  sans  doute,  fournit  la 
plupart  de  ces  textes,  mais  les  dispose  sans  aucun  ordre 
à  divers  endroits.  Voir  de  Ghellinck,  Dialectique  cl 
dogme  aux  Xi*-XH*  siècles,  dans  les  Mélanges  offerts  à 
Cl.  Bâumker,  Sludien  zur  Gcschichlc  der  Philosophie, 
Munster,  1913,  p.  94.  Dans  les  ouvrages  cités  plus  haut, 
l'on  pourra  trouver  encore  d'autres  collections  issues 
des  recueils  chartrains  ;  elles  font  toutes  une  place  plus 
ou  moins  grande  aux  matières  théologiques.  Voir  de 
Ghellinck,  Le  mouvement  théologique,  p.  304-306; 
P.  Fournier,  Les  collections  canoniques  attribuées  à  Yves 
de  Chartres,  dans  la  Bibliothèque  de  l'École  des  chartes, 
1897,  t.  lviii,  p.  426,  430,  624,  etc. 

5.  Gratien.  — •  L'œuvre  de  Gratien,  pour  avoir  une 
allure  beaucoup  plus  juridique,  ne  manque  pas,  elle  non 
plus,  de  laisser  une  place  aux  matières  théologiques. 
Avec  les  nombreux  passages  des  dislinctiones  et  causas, 
qui  traitent  de  divers  aspects  de  la  question  sacra- 
mentaire,  sacramenla  necessilalis,  extrême-onction  et 
sa  réitérabilité,  valeur  des  sacrements  des  indignes,  des 
excommuniés,  etc.,  rôle  de  l'Écriture  et  des  Pères  dans 
les  arguments  d'autorité,  procession  du  Saint-Esprit 
ab  ulroque,  etc.,  il  faut  mentionner  ici  deux  traités 
importants,  le  De  pxnitentia  d'abord,  puis  toute  la 
partie  III,  dite  De  consecraliom,  du  Decretum.  Là,  sont 
agitées  des  questions  essentiellement  dogmatiques. 

Dans  les  collections  précédentes,  l'on  a  pu  assister 
à  la  préparation  graduelle  de  ces  développements  de  la 
doctrine  pénitentielle,  ou  mieux  de  l'administration  de 
la  pénitence.  Mais  à  rencontre  de  Burchard,  d'Yves  et 
des  collections  italiennes  qui  fixent  une  large  place  à  la 


partie  pratique  de  la  pénitence,  le  De  pœnileniia  de 
Gratien  aborde  directement  le  côté  dogmatique  de  la 
question  et  montre  clairement  le  contre-coup  des  écoles 
de  théologie  dans  l'enseignement  du  droit  canon.  L'exa- 
men des  thèses  énoncées  alors  par  les  théologiens  et 
l'étude  du  texte  même  de  Gratien  fixe  exactement  le 
sens  de  la  célèbre  question  qui  fait  l'objet  de  la  dist.  I 
du  De  pxnitentia  :  Si  sola  contrilione  cordis...  crimen 
possit  deleri  (caus.  XXXIII,  énoncé  de  la  cause)  et  des 
quœritur  qu'elle  soulève  :  Ulrum  sola  cordis  contrilione 
et  sécréta  salis/aclione  absque.  oris  confessione,  quisque 
possit  Deo  satisfacere,  dist.  I.  Voir  Friedberg,  p.  1148, 
1159.  Ce  n'est  pas  la  nécessité,  d'une  manière  absolue, 
de  la  confession  qui  fait  l'objet  de  ce  chapitre  —  elle 
était  admise  sans  conteste  — ■  mais  le  rôle  propre  de  la 
confession  dans  le  processus  de  la  rémission.  A  ce  sujet, 
voir  Schmoll,  Die  Busslehre  der  Frùhscholastik,  dans 
les  Vero/lenllichungen  aus  dem  kirchenhistorischen  Semi- 
nar,  3e  série,  Munich,  1909,  t.  v,  p.  39  sq.  ;  de  Ghellinck, 
Le  mouvement  théologique,  p.  307,  344;  A.  Debil,  Le 
De  pœnitcntia  de  Gratien,  dans  la  Revue  d'histoire 
ecclésiastique,  avril  1914,  t.  xv. 

Le  De  consecralione  s'occupe  de  diverses  matières 
sacramentelles  et  liturgiques  :  dédicace  des  églises, 
eucharistie,  baptême,  confirmation,  etc.,  en  cinq  dis- 
tinctions de  longueur  fort  inégale.  Ici  encore,  l'on  peut 
constater  l'aboutissement  de  deux  siècles  de  codifica- 
tion. Contentons-nous  de  citer  les  nombreux  passages 
relatifs  aux  sacramentaux,  dans  les  chapitres  sur  la 
consécration  des  églises  et  ailleurs  ;  le  mot  toutefois  de 
sacramentalia  n'est  pas  employé  encore  par  Gratien  : 
c'est  Pierre  Lombard  qui  l'emploie  le  premier,  semble- 
t-il,  et  en  tout  cas,  il  se  rencontre  bien  longtemps  avant 
la  grande  époque  théologique  d'Alexandre  de  Halès 
chez  divers  glossateurs  du  canoniste  bolonais.  Voir 
Gillmann,  Die  Siebenzahl  des  Sakramente  bei  der  Glos- 
satoren  des  Gratianischen  Dekrels,  dans  Der  Katholik 
(extrait),  1909,  p.  8. 

La  partie  dogmatique,  sur  la  conversion  dans  l'eu- 
charistie et  la  permanence  des  accidents,  mérite  aussi 
une  mention  spéciale,  comme  diverses  fois  déjà  l'on  a 
eu  l'occasion  de  le  faire  remarquer.  Voir  Eucharistie  au 
xne  siècle,  où  l'on  trouvera  un  énoncé  précis  de  théo- 
logie sur  la  transsubstantiation  et  les  accidents  eucha- 
ristiques permanents  formulé  par  les  seuls  titres 
des  canons  :  ceux-ci  empruntent  beaucoup  à  Yves  de 
Chartres.  Panormia,  1.  I,  123-162,  P.  L.,  t.  clxi,  col. 
1071-1084.  La  haute  considération  dont  jouit  Gratien 
dans  toute  la  chrétienté  était  en  tout  ceci  un  sûr  garant 
de  la  fixité  du  dogme.  L'extension  prise  par  les  pro- 
blèmes sacramentaires  dans  le  De  consecralione  a  même 
décidé  les  glossateurs  de  Gratien  à  donner  à  cette  partie 
1 1 1  le  nom  de  De  sacramentis,  de  re  sacramentaria,  etc. 
Voir  les  préfaces  de  Rufin,  d'Etienne  de  Tournai,  etc., 
citées  à  la  bibliographie.  Le  même  nom,  du  reste,  sert 
de  titre  à  la  partie  III,  dans  un  des  plus  anciens  manu- 
scrits du  Décret,  utilisé  par  Friedberg  (Cologne,  chapitre 
de  la  cathédrale,  CXXV1I,  ancien  Darmstadt,  2513), 
Leipzig,  1878,  p.  xcv.  Un  bon  nombre  des  commen- 
tateurs de  Gratien  ne  manqueront  pas  de  tirer  parti  de 
ces  matières,  pour  étendre  davantage  encore  la  doctrine 
théologique  dans  leurs  écrits. 

Mais  avant  de  quitter  Gratien,  il  faut  rappeler  encore 
un  autre  passage,  dist.  XXIII,  can.  8,  Presbyter,  bien 
qu'il  n'appartienne  pas  au  De  consecralione.  La  portée 
qu'il  a  dans  une  question  dogmatique  est  indéniable; 
l'on  ne  peut,  en  effet,  perdre  de  vue  cet  enseignement 
de  Gratien  dans  le  problème  si  souvent  débattu  de  la 
matière  du  sacrement  de  l'ordre.  La  tradition  des 
instruments  a  eu,  comme  chacun  le  sait,  les  préférences 
de  beaucoup  de  théologiens,  souvent  même  d'une  ma- 
nière exclusive;  mais  le  texte  de  Gratien,  si  hautement 
respecté  dans  tout  le  cours  des  siècles,  a  fait  toujours 


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G  R  ATI  EN 


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retenir  dans  la  pratique  l'imposition  des  mains,  avec 
l'invocation  du  Saint-Esprit;  Gratien  ne  parle  pas  des 
instruments.  Voir  J.  de  Ghellinck,  Le  traité  de  Pierre 
Lombard  sur  les  sept  ordres  ecclésiastiques,  ses  modèles, 
ses  copistes,  dans  la  Revue  d'histoire  ecclésiastique,  1910, 
t.  xi,  p.  32-39.  C'est  un  des  points  où  les  anciens 
rapports  entre  la  théologie  et  le  droit  canon  auraient  dû 
amener  les  théologiens  à  jeter  un  regard  sur  le  domaine 
de  leurs  confrères. 

2°  Dossier  palristique.  —  Une  autre  matière  d'échan- 
ges entre  le  droit  canon  et  la  théologie  est  celle  des 
textes  patristiques  et  de  la  méthode  qui  préside  à  leur 
utilisation.  L'identité  ou  la  ressemblance  des  questions 
abordées  amenait  nécessairement  cet  échange  de  bons 
procédés  ;  l'on  indiquera  rapidement  ici  les  principaux 
points  de  vue  qui  intéressent  la  période  d'élaboration 
de  la  codification  théologique.  Il  est  permis  de  dire 
sans  exagération  que  les  œuvres  de  systématisation 
théologique  ont  pris  pendant  longtemps  comme  dossier 
patristique  les  anciennes  collections  canoniques;  mais 
il  ne  faudrait  pas  étendre  ce  rôle  des  recueils  canoniques 
jusqu'à  exclure  toutes  les  autres  sources  de  documen- 
tation patristique.  La  Glossa  de  Walafrid  Strabon  con- 
tinue à  alimenter  la  théologie,  et  les  citations  de  la 
patristique  grecque  des  six  premiers  siècles,  chez  Pierre 
Lombard  et  d'autres,  lui  viennent  habituellement  par 
ce  canal.  Le  Sic  et  non  d'Abélard  qui,  du  reste,  n'est 
pas  indépendant  des  collections  canoniques,  est  un 
autre  répertoire  qui  eut  son  heure  de  succès.  Puis,  sur 
des  sujets  spéciaux,  des  ressources  patristiques  pré- 
cieuses sont  fournies  aux  théologiens  par  les  opuscules 
de  Pierre  Damien  sur  les  sacrements  des  indignes,  à 
l'époque  des  investitures,  par  les  traités  eucharistiques 
de  Paschase  Radbert,  de  Lanfranc,  de  Guitmond 
d'Aversa  et  d'Alger  de  Liège,  par  les  Colleclanea  de 
Pierre  Lombard  sur  les  psaumes  et  sur  saint  Paul;  l'on 
doit  reconnaître  aussi  chez  quelques  théologiens,  comme 
le  Magisler,  la  lecture  personnelle  de  saint  Augustin. 
Mais,  même  après  ces  restrictions,  la  part  de  documen- 
tation théologique  qui  revient  aux  collections  cano- 
niques est  encore  considérable.  La  preuve  s'en  trouve 
dans  les  aveux  de  divers  théologiens,  comme  l'auteur 
des  Senlentiœ  divinilalis  :  Dicitur  enim  in  canonibus,  à 
propos  d'un  texte  de  saint  Jérôme,  édit.  Geyer,  dans  les 
Beilrùge  zur  Gcsehichle  der  Philosophie  des  Mittelallers, 
Munster,  t.  vu,  p.  119,  ou  comme  Hugues  de  Saint- 
Victor  :  Sicut  sacri  canones  deftniunt,  De  sacramenlis, 
1.  II,  part.  VII,  4,  P.  L.,  t.  clxxvi,  col.  461;  ou  comme 
Geolîroi  de  Clairvaux,  à  propos  de  Gilbert  de  la  Porée. 
Lettre  au  cardinal  d'Albano,  n.  6,  P.  L.,  t.  clxxxv, 
col.  591. 

L'étude  comparée  des  textes  des  théologiens  et  des 
collections  canoniques  fournit  une  preuve  nouvelle  : 
c'est  surtout  la  Panormia  d'Yves  de  Chartres  qui  sert 
d'arsenal  aux  théologiens;  Alger  de  Liège  y  puise  pour 
ses  Senlentiœ;  Abélard  pour  son  Sic  et  non;  Hugues  de 
Saint- Victor  pour  son  De  sacramentis;  l'auteur  de  la 
Summa  Sententiarum  en  fait  autant,  ainsi  que  celui 
des  Senlentiœ  divinitatis,  et  celui  des  Sentences  du  ma- 
nuscrit de  Sidon  (inédit,  manuscrit  du  Vatican  1345). 
Voir  Hiifïer,  Beitrage  zur  Gcsehichle,  p.  34,  35,  etc.  ; 
P.  Fournier,  Les  collections  canoniques  attribuées  à 
Yves  de  Chartres,  dans  la  Bibliothèque  de  l'École  des 
chartes,  1897,  t.  lviii,  p.  G51,  656,  661,  etc.;  Geyer,  op. 
cit.,  p.  36;  J.  de  Ghellinck,  Le  mouvement  théologique, 
p.  312-316.  Auparavant  Anselme  de  Lucques,  pour 
citer  un  des  plus  importants  recueils  grégoriens,  avait 
largement  documenté  Bernold  de  Constance  et  d'autres. 
J.  de  Ghellinck,  Theological  lileralure  during  the  inves- 
titure struggle,  dans  The  Irish  theological  quarlerly, 
1912,  t.  vu,  p.  340-341. 

Nulle  part,  peut-être,  cette  utilisation  des  ouvrages 
canoniques  pour  la  documentation  textuelle  n'est  plus 


visible  que  chez  le  contemporain  de  Gratien,  Pierre 
Lombard.  A  peine  le  Décret  est-il  terminé  que  le  Magi- 
sler sententiarum  recourt  aux  trésors  d'information  pa- 
tristique que  contient  cette  collection.  Les  études  dé- 
taillées poussées  sur  ce  terrain  ont  même  contribué  à 
fixer  définitivement  le  rapport  chronologique  des  deux 
œuvres;  nombre  de  textes,  même  en  dehors  du  De  con- 
secralione  et  du  De  pœnilenlia,  ont  passé  de  Gratien 
chez  Pierre  Lombard.  Voir  l'édition  annotée  de  Qua- 
racchi,  S.  Boncwenturse  Opéra  omnia,  1882-1889,  t.  i-iv; 
Baltzer,  Die  Sentenzen  des  Petrus  Lombardus,  dans  les 
Sludien  zur  Gcsehichle  der  Théologie  und  der  Kirchc, 
Leipzig,  1902,  t.  vin. 

3°  Harmonisation  des  «  auetoritates  »  en  cas  de  diver- 
gence. —  Outre  sa  documentation  patristique,  la  théo- 
logie doit  au  droit  canon,  à  l'époque  de  l'élaboration 
des  premiers  recueils  systématiques,  une  partie  de  sa 
méthode  d'interprétation  en  cas  de  divergence  dans  les 
textes.  Mais  tandis  que,  dans  les  matières  précédentes, 
le  droit  canon  était  le  grand  fournisseur,  ici  s'établit 
tout  un  service  de  prêts  et  d'emprunts  qui,  en  fin  de 
compte,  rend  les  canonistes  débiteurs  de  la  théologie. 
Le  conflit  des  auetoritates,  ou  ces  oppositions  appa- 
rentes des  textes  patristiques  ou  scripturaires,  n'était 
pas  nouveau  du  reste.  A  un  moment  ou  le  principal  tra- 
vail se  réduisait  à  la  compilation,  la  juxtaposition  de 
ces  textes,  dans  l'ordre  méthodique  des  matières, 
devait  faire  apparaître  ces  dissonances  dans  toute  leur 
acuité.  Les  idées  médiévales  contribuaient  à  rendre  le 
conflit  plus  délicat  :  une  haute  considération  entourait 
toujours  les  auteurs  sacrés  ou  profanes,  déclarés  au- 
thenlici,  canonici;  l'on  allait  même  jusqu'à  orner  d'une 
auréole  un  certain  nombre  d'entre  eux,  que  l'on  croyait 
éclairés  par  l' Esprit-Saint.  De  là,  des  difficultés  fort 
graves  auxquelles  se  heurtait  la  tâche  de  l'harmonisa- 
teur;  tous,  théologiens  et  canonistes,  depuis  l'auteur  de 
la  Colleclio  Hibernensis  et  Hincmar  jusqu'à  Bernold  de 
Constance,  Yves,  Abélard  et  Alger  de  Liège,  avouent 
sans  détour  la  situation  embarrassée  où  ils  se  trouvent 
et  cherchent  le  moyen  d'y  remédier;  au  début  du 
xne  siècle,  le  travail  de  l'harmonisation  aboutit  à 
faire  créer  une  formule  qui  aura  du  succès  :  non  sunt 
adversi  sed  diversi,  dit-on;  d'Anselme  de  Laon,  elle 
passe  à  Abélard,  à  Gerhoch  et  à  Arnon  de  Reichers- 
berg,  à  Hugues  Métel,  à  Robert  de  Melun,  etc.  Cela 
n'empêche  pas  toutefois  Gratien  de  donner  comme  titre 
à  son  œuvre  une  expression  antithétique,  qui  énonce  le 
mal  à  côté  du  remède,  Discordant ium  canonum  concor- 
dia,  jusqu'à  ce  que  le  nom  de  Decretum,  plus  court, 
finisse  par  supplanter  ce  premier  titre.  Les  glossateurs 
subséquents,  Paucapalea,  Roland,  etc.,  insistent  beau- 
coup sur  ce  but  de  conciliation  qui  préside  au  travail  de 
Gratien  ;  pour  les  preuves  de  ce  qui  est  dit  ici  en  résumé, 
voir  de  Ghellinck,  op.  cil.,  p.  317-326. 

Parmi  les  essais  d'harmonisation,  il  faut  citer  ceux 
qui  mettent  en  relief  les  rapports  de  la  théologie  et  du 
droit  canon  aux  siècles  de  leur  élaboration  originelle  : 
ils  se  rattachent  aux  noms  d'Isidore  de  Séville,  de  Ber- 
nold de  Constance,  d'Yves  de  Chartres  et  finalement 
d'Abélard,  dont  le  procédé  sera  immédiatement  mis  en 
pratique  par  les  représentants  les  plus  classiques  des 
deux  sciences. 

D'après  Isidore,  il  faut  donner  la  préférence  à  celui 
des  synodes  :  Cujus  anliquior  aut  polior  exslal  auctori- 
las.  Episl.,  iv,  3,  P.  L.,  t.  lxxiii,  col.  901.  Ce  principe 
que  Dôllinger  reproche  aux  grégoriens,  Der  Papsl  und 
das  Concil,  von  Janus,  Leipzig,  1869,  p.  107  sq.,  auquel 
renvoie  Harnack  Dogmengeschichle,  4e  édit.,  Leipzig, 
1910,  t.  m,  p.  350,  n.  1,  est  répété  avec  des  applica- 
tions diverses  par  la  Collection  irlandaise,  par  Alcuin, 
Raban  Maur,  la  Prisca  canonum  colleclio  de  Mai,  Bur- 
chard  de  Worms,  Anselme  de  Lucques,  Yves  de  Char- 
tres, le  cardinal  Grégoire  (Polycarpus),  Deusdedit  (pro- 


L  7  43 


G  R  A  T I  E  X 


1744 


logue),  abélard  et,  finalement.  Gratien,  dist.  L,  c.  28, 
à  la  fin.  Un  théologien  contemporain  de  la  querelle  des 
investitures,  Bernold  de  Constance,  un  des  écrivains  les 

plus  féconds  de  ce  moment  et  qui  a  le  mérite  d'être 
revenu  à  la  saine  doctrine  dans  la  question  des  sacre- 
ments des  indignes,  donne  aux  premiers  essais  d'har- 
monisation une  forme  plus  satisfaisante:  peut-être 
s'inspire-t-il  pour  ce  travail  d'un  ancien  traité  d'Hinc- 
mar  aujourd'hui  perdu.  Voir  Saltct,  Les  réordinations, 
p.  395  sq.  ;  Thaner,  dans  son  édition  de  Bernold,  Monu- 
menta  Germanise  historien,  Libelli  de  litc  imperatorum 
et  pontificum,  t.  il,  p.  112.  Bernold  pose,  comme  règle, 
la  connaissance  du  contexte  complet  et  non  de  l'extrait 
seul,  la  comparaison  avec  d'autres  décrets,  l'examen 
des  circonstances  de  temps,  de  lieu,  de  personne,  les 
causes  originelles  de  ces  canons  et  les  différences  qui 
séparent  ceux  qui  sont  d'une  portée  absolue  et 
ceux  qui  permettent  ou  qui  constituent  une  dis- 
pense. De  excommun icalis  vitandis,  dans  les  Libelli 
de  lite,  t.  n,  p.  139-140.  Ailleurs,  Bernold  ajoute 
encore  la  condition  de  l'authenticité  des  pièces.  De 
prudenti  dispensalione  ecclesiasticarum  sanclionum, 
c.  xm,  P.  L.,  t.  cxlyiii,  col.  1267.  Le  principal 
canoniste  antérieur  à  Gratien,  Yves  de  Chartres,  con- 
sacre à  la  matière  une  monographie  spéciale  qui,  sous 
le  titre  de  De  consonanlia  canonum,  sert  de  préface  à  ses 
recueils;  la  correspondance  du  grand  évèque  contient 
du  reste  un  grand  nombre  de  passages  similaires. 
Comme  nouvel  élément,  avec  la  restriction  toutefois 
que  Bernold  avait  déjà  préludé  à  cette  explication, 
Yves  fait  surtout  intervenir  la  distinction  entre  les  lois 
nécessaires  ou  immuables  et  les  lois  contingentes,  et, 
par  suite,  il  développe  sa  grande  théorie  de  la  dispense. 
P.  L.,  t.  clxi,  col.  47-49.  Abélard,  qui  reprend  toutes 
les  idées  de  ses  prédécesseurs  théologiens  ou  canonis- 
tes,  ouvre  un  nouveau  chapitre  dans  cette  histoire  :  celui 
où  la  théologie  apporte  aux  canonistes  une  contribu- 
tion de  valeur.  Comme  préface  à  son  célèbre  ouvrage 
du  Sic  et  non,  P.  L.,  t.  clxxviii,  col.  1339-1349,  il  for- 
mule ses  réflexions,  dont  plusieurs  sont  d'une  justesse 
remarquable;  quelques-unes  sont  originales,  les  autres 
avaient  déjà  été  énoncées  précédemment;  elles  ont  pour 
objet  les  circonstances  de  temps,  de  lieu,  de  personne, 
la  distinction  entre  les  lois  absolues  et  les  préceptes  dont 
on  peut  dispenser,  etc.;  mais  elles  sont  répétées  ici 
plus  nettement  dans  un  exposé  systématique,  qui  prend 
pour  point  de  départ  quelques-uns  des  principes  de  la 
sémantique  moderne.  Le  principal  apport  d'Abélard 
est  celui  qui  est  contenu  dans  la  grande  règle  suivante  : 
facilis  ciutem  plerumque  conlroversiarum  solulio  reperie- 
iur,  si  cadem  verba  in  diversis  significationibus  a  diversis 
auctoribus  posita  defendere  poterimus.  Ibid.,  col.  1344. 
Ce  principe  s'appuie  sur  de  fort  sages  considérations  qui 
tiennent  compte  du  but  des  Pères,  de  la  manière  dont 
ils  adaptaient  leur  langage  aux  destinataires  de  leurs 
écrits,  etc.  De  la  théologie,  ce  principe  allait  tout  de 
suite  passer  dans  le  droit  canon  ;  on  rencontre  son  appli- 
cation fréquente  chez  Gratien,  comme  l'a  montré 
Thaner,  Abelard  und  dus  canonische  Rechl,  Gratz,  p.  23. 
Pierre  Lombard  et  les  théologiens,  non  moins  que  Gra- 
tien et  les  glossateurs  du  Décret,  en  font  un  usage  con- 
stant. Ils  vont  même  jusqu'à  en  abuser;  ou  tout  au 
moins  négligent-ils  plus  d'une  fois  de  contrôler  sur  le 
terrain  des  faits  l'hypothèse  des  significations  multi- 
ples. Un  peu  plus  tard,  l'œuvre  de  Pierre  de  Blois  n'ap- 
porte rien  de  bien  nouveau;  c'est  un  petit  traité  qui 
résume  et  éclaire  par  beaucoup  d'exemples  ce  qui  avait 
été  dit  de  bon  précédemment.  Opusculum  de  distin- 
ctionibus  in  canonum  inlerprelalionibus  adhibendis,  édit. 
Reimarus,  Berlin,  1837,  p.  6-9.  Mais  il  n'est  pas  néces- 
saire de  poursuivre  cette  histoire  au  delà  de  la  seconde 
moitié  du  xna  siècle;  le  dossier  ne  s'enrichira  guère 
plus.  C'est  à  Yves  de  Chartres  et  à  Abélard  que  revient 


la  principale  part  des  progrès,  et  malgré  les  excès  ou  les 
applications  maladroites  des  règles  qu'ils  ont  tracées,  il 
y  a  lieu  de  leur  faire  une  place  de  choix  dans  l'histoire 
de  l'herméneutique  et  de  la  manipulation  des  textes 
palrisliques.  Voir  de  Ghellinck,  Le  mouvement  théo- 
logique  du  xne  siècle,  c.  v,  p.  320-338;  Grabmann, 
Die  Geschichte  der  scholaslischen  Méthode,  t.  i,  p.  236- 
238.  Les  théologiens  qui  les  suivent  leur  doivent  beau- 
coup. 

III.  Rapports  des  commentaires  et  des  gloses 

DES  CANONISTES    AVEC  LE    DOGME    APRÈS    GRATIEN.  

Comme  on  l'a  déjà  insinué  plus  haut  diverses  fois,  les 
œuvres  des  canonistes  continuent  toujours,  après  l'é- 
poque de  Gratien,  à  alimenter  les  écrits  des  théologiens  ; 
ceux-ci  trouvent  là  tout  un  répertoire  de  textes  patristi- 
ques.  auquel  ils  recourent  constamment.il  n'y  a  pas  lieu, 
croyons-nous,  de  développer  longuement  la  preuve  de 
cette  assertion.  Cela  nous  ferait  sortir  de  la  période  de 
l'élaboration  des  deux  sciences,  dans  laquelle  surtout  il 
esl  instructif  d'étudier  les  rapports  et  les  échanges  entre 
les  deux  groupes  d'auteurs.  Aussi  bien,  avec  Gratien,  les 
recueils  canoniques  ont  fini,  ou  peu  s'en  faut,  de  grossir 
leur  dossier  patristique;  désormais,  les  additions  de  tex- 
tes consistent  en  décrétâtes  des  papes  de  l'époque,  et  le 
travail  du  canoniste  est  avant  tout  consacré  à  la  glose 
et  au  commentaire  des  canons  livrés  par  Gratien  ou  par 
les  nouveaux  recueils  de  Compilutioncs  et  de  Décré- 
tales. Il  nous  suffira  donc  de  mentionner  ici  un  ou  deux 
exemples  de  ces  rapports  entre  les  deux  sciences,  sur  le 
terrain  de  la  documentation  patristique.  Ce  qui  nous 
retiendra  davantage  ensuite  est  le  développement  des 
matières  communes  pendant  la  période  de  l'élaboration 
théologique,  c'est-à-dire  pendant  les  cinquante  ou 
soixante  ans  qui  séparent  la  mort  de  Pierre  Lombard 
des  premières  Sommes  du  xiiie  siècle;  cet  exposé  peut 
prendre  fin  en  1215  environ,  avec  le  IVe  concile  de 
Latran. 

1°  Documentation  patristique.  —  L'utilisation  des 
recueils  canoniques  par  les  théologiens  des  siècles  sui- 
vants, surtout  l'utilisation  du  Décret  de  Gratien,  nous 
est  attestée  par  le  grand  nombre  des  exemplaires  anno- 
tés des  Sentenliie  de  Pierre  Lombard.  Cet  ouvrage 
devenu  classique  dans  toutes  les  universités,  pour  l'en- 
seignement de  la  théologie,  porte  fréquemment  dans  les 
marges  de  ses  folios  l'indication  des  endroits  du  Décret 
qui  ont  fourni  la  documentation  patristique,  ou  que 
l'on  regardait  soit  comme  les  sources,  soit  comme  des 
loci  paralleli  du  Lombard.  Avec  les  passages  pris  à  la 
Glossa  de  Walafrid  Strabon,  ou  les  loci  paralleli  de 
Hugues  de  .Saint- Victor,  ces  mentions  sont  les  plus  fré- 
quente;, parmi  celles  que  l'on  rencontre  au  moins  dans 
le  domaine  des  notes  critiques.  Des  manuscrits  de  toute 
provenance  et  de  tous  les  pays,  de  bibliothèques  monas- 
tiques ou  séculières,  portent  la  trace  de  ces  études  com- 
parées; parfois,  ce  sont  de  vraies  références  bibliogra- 
phiques qui  renvoient  les  étudiants  théologiens  aux 
recueils  canoniques.  Pour  plus  de  renseignements,  voir 
l'étude  publiée  dans  la  Revue  d'histoire  ecclésiastique, 
1913,  t.  xiv,  p.  511,  705,  sous  le  titre  :  Les  notes  març/i- 
nales  du  Liber  Senlcntiarum,  par  J.  de  Ghellinck. 

En  outre,  il  n'est  pas  rare  de  voir  les  grands  théolo- 
giens emprunter  au  droit  canon,  non  moins  qu'à  la 
Glossa  de  Strabon,  les  textes  patristiques  qui  servent 
d'appui  ou  d'objection  à  leurs  thèses.  Citons,  au  hasard 
saint  Bonaventurc,  qui  puise  chez  Gratien  tantôt  sans  le 
dire,  tantôt  en  mentionnant  le  Décret,  par  exemple, 
In  IV  Sent.,  1.  IV,  dist.  X,  part.  I,  act.  un.,  q.  n,  Opéra, 
Quaracchi,  t.  iv,  p.  219;  S.Thomas,  Sum.  theol.,  IIP' 
Supplem.,  q.  lxxxii,  a.  3  (voir  toutefois  l'édition 
vaticane,  Rome,  1900,  t.  xn,  p.  128),  etc.  ;  Duns  Scot, 
In  J  V  Sent.,  1.1  V,  dist.  X, q.  iv,  Opéra,  Lyon,  1639,  t.  vm, 
p.  532.  Plus  haut,  nous  avons  déjà  cité  l'exemple 
d'Occam   à   propos    de   l'eucharistie,  Quodlibela,  par 


174; 


G  R ATI  EN 


1746 


exemple,  II,  19;  IV,  39,  Strasbourg,  1491.  L'on  pour- 
rait encore  ajouter,  parmi  les  dissidents,  Wyclif  et 
Jean  Huss  et  d'autres.  Wyclif,  De  eucharistia  traclalus 
major,  édit.  Loserth,  dans  les  publications  de  la  Wiclif 
Society,  Londres,  1892,  c.  v,  vu,  etc.,  p.  129,  154,  163, 
172,  173,  184,  221,  etc.;  Huss,  Super  IV  Sententiarum, 
édit.  de  Wenzel  Flasjshans  et  Marie  Kominkova, 
Prague,  s.  a.  (après  1900),  1.  IV,  dist.  III,  4;  VIII,  7; 
XII,  3;  XIV,  6;  XV,  5,  p.  530,  556,  577,  590,  596,  etc. 

2°  Matières  commîmes.  —  Ce  qui  est  plus  important 
pour  l'histoire  de  la  théologie  et  même  du  dogme,  à 
l'époque  qui  suit  Gratien,  est  le  développement  que 
donnent  les  canonistes  aussi  bien  que  les  théologiens  à 
certaines  matières  théologiques.  La  haute  situation 
faite  au  Décret  de  Gratien  dans  les  écoles  amenait  néces- 
sairement ce  résultat  :  le  maître  commentait  dans  le 
Liber  lextus  les  passages  qu'il  rencontrait;  par  suite,  la 
part  faite  au  dogme  se  retrouve  dans  les  gloses  ou  dans 
les  commentaires,  avec  toute  la  différence  d'étendue  qui 
sépare  au  moyen  âge  le  texte  du  commentaire.  Il  était 
difficile  à  un  commentateur  de  passer  à  côté  de  longs 
traités,  comme  celui  de  l'eucharistie,  sans  leur  ajouter 
quelque  chose  de  son  cru;  il  en  va  de  même  pour  beau- 
coup d'autres  matières,  comme  on  le  verra  bientôt.  De 
plus,  les  habitudes  de  l'enseignement  ecclésiastique  à 
Bologne  facilitent  ce  développement  des  sujets  théo- 
logiques; l'on  passe  d'une  chaire  à  une  autre;  au 
moins  un  certain  nombre  des  maîtres  de  Bologne,  qui 
suivent  immédiatement  Gratien,  sont  théologiens  et 
canonistes,  et  ils  laissent  successivement  une  œuvre 
dans  chacune  des  deux  sciences  sacrées  :  l'on  peut  citer 
parmi  ces  maîtres  Roland  Bandinelli  (plus  tard 
Alexandre  III),  qui,  à  côté  de  ses  travaux  canoniques,  a 
fait  un  recueil  de  Sentenliœ  théologiques;  Ognibene,  si 
l'identification  faite  par  Denifle  du  canoniste  et  du  sen- 
tencier  se  vérifie,  en  fait  autant  ;  Gandulphe  de  Bologne, 
célèbre  glossateur  aux  opinions  fort  arrêtées,  s'occupe 
aussi  de  théologie  et  nous  donne,  à  son  tour,  ses  Sen- 
tentiee,  qui  sont  principalement  un  résumé  de  celles  du 
Lombard;  Sicard  de  Crémone,  outre  son  Mitrale  litur- 
gique, compose  une  Summa  de  droit  canon  et  parle  de 
ses  dissertations  théologiques,  Mitrale,  ni,  6,  P.  L., 
t.  ccx,  col.  117,  qui  ne  nous  sont  point  parvenues; 
Lothaire  de  Segni,  (plus  tard  Innocent  III),  cultive  avec 
succès  les  deux  sciences,  à  Paris  comme  à  Bologne,  et 
reste  reconnaissant  à  ses  anciens  maîtres  Huguccio  et 
Pierre  de  Corbeil.  Tout  son  traité  De  sacro  allaris 
mysterio,  P.  L.,  t.  ccxvn,  col.  773-916,  porte  la  trace  de 
ces  préoccupations,  et  donne  son  avis  en  maint  en- 
droit sur  les  questions  scolaires  discutées  par  les  théo- 
logiens et  les  canonistes,  surtout  aux  1.  II  et IV,  ibid., 
col.  851,  etc.  Les  œuvres,  autres  que  celles  des  cano- 
nistes proprement  dits,  mêlent  du  reste  assez  fré- 
quemment les  deux  branches  :  sans  nous  attarder  à 
diverses  Sommes  inédites  de  la  fin  du  xne  siècle,  il  faut 
donner  une  mention  à  l'œuvre  de  Raoul  l'Ardent, 
décrite  par  Grabmann,  Geschichte  (1er  seholaslischen 
Méthode,  t.  i,  p.  246-257,  et  située  par  Geyer,  Radalfus 
Ardens  und  das  Spéculum  universelle,  dans  la  Theologi- 
sche  Quartalschrijt,  1911,  t.  xem,  p.  63-89;  citons  aussi 
un  recueil  anonyme  de  Sententiœ  (Vatic,  ras.  1345) 
qui  voyage  jusqu'à  Sidon  en  Palestine  et  qui  consacre 
cinq  de  ses  dix-huit  parties  à  des  sujets  juridiques;  la 
Gemma  ecclesiastica  de  Giraud  le  Cambien,  composée 
vers  1197,  et  dédiée  à  Innocent  III  qui  la  lit  avec  inté- 
rêt, donne  à  la  théologie,  non  moins  qu'au  droit  canon, 
une  part  importante. 

D'autres  fois,  sans  être  officiellement  doublé  d'un 
théologien,  le  maître  en  droit  canon  fait  une  large  place 
aux  doctrines  théologiques  et  donne  même  à  divers 
chapitres  de  son  exposé  une  allure  théologique  beau- 
coup plus  que  canonique.  C'est  le  cas,  par  exemple,  pour 
Etienne  de  Tournai  (t  1203),   comme  l'avait  déjà  fait 


remarquer  von  Schulte,  Die  Geschichte  der  Quellen  und 
Literalur  des  canonischen  Rechls,  t.  i,  p.  135,  et,  cette 
fois,  la  lecture  de  la  Summa  d'Etienne  confirme  par- 
faitement ce  jugement  :  nous  y  trouvons  marne  quel- 
ques bons  renseignements  sur  les  avis  des  maîtres  con- 
temporains en  théologie,  Die  Summa  des  Stephanus 
Tornacensis  liber  das  Dccrclum  Graliani,  édit.  von 
Schulte,  Giessen,  1891,  p.  273,  et  passim.  Du  reste,  même 
chez  d'autres  auteurs,  plus  strictement  canonistes, 
la  mention  d'opinions  théologiques,  avec  l'indication 
des  auteurs  qui  les  soutiennent,  n'est  nullement  une 
exception;  en  ce  point,  Huguccio,  le  principal  glossa- 
teur du  Décret  (f  1210),  ne  fait  nullement  exception, 
bien  qu'à  son  sujet  von  Schulte  cite  des  noms  qui  n'ont 
pas  tous  été  retrouvés  dans  l'œuvre  du  grand  canoniste. 
Op.  cit.,  p.  165,  n.  27.  Sans  doute,  divers  auteurs  se 
refusent  à  faire  entrer  dans  leurs  traités  des  matières 
qu'ils  regardent  plutôt  du  domaine  de  leurs  voisins  : 
tels,  chez  les  canonistes,  Roland,  qui  supprime  le  De 
pœnilenlia,  Die  Summa  Magistri  Rolandi,  édit.  Thaner, 
Inspruck,1874,p.  193;  Simon  de  Bisiniano  (inédit),  voir 
von  Schulte,  Zur  Geschichte  der  Litcratur  liber  das  Dekret 
Grattons,  dans  les  Sit:un<jsberichlc  der  k.  Akademte 
der  Wissenschaflen,  de  Vienne,  Philos. -histor.  Klasse, 
1870,  t.  lxiii,  p.  330;  Sicard  de  Crémone  (inédit),  voir 
von  Schulte,  ibid,,  p.  352,  etc.  D'autres  fois,  c'est  une 
question  tout  entière  qu'on  laisse  à  l'examen  soit  des 
théologiens,  soit  des  canonistes,  comme  le  fait  Sicard, 
von  Schulte,  ibid.,  p.  252,  à  propos  de  l'eucharistie,  ou 
Pierre  de  Poitiers,  à  propos  de  l'ordre  et  d'autres  sacre- 
ments. Sentent»,  I.  V,  14,   P.  L.,  t.  ccxi,  col.  1257. 

Mais,  en  somme,  le  cas  est  plutôt  exceptionnel,  et  les 
mêmes  matières  continuent  à  être  traitées  par  les  deux 
séries  d'auteurs.  Il  régne,  à  ce  moment-là,  une  hésitation 
assez  singulière  à  propos  du  sens  même  du  mot  thcolo- 
gla;  tantôt,  l'on  oppose  nettement  les  matières  canoni- 
ques et  les  matières  théologiques  :  examlnl  Iheologico  reli- 
quimus,  comme  le  dit  Sicard,  loc.  cit.  ;  ou  :  in  Sententiis 
reservamus,  selon  l'expression  de  Roland,  loc.  cit.; 
tantôt  on  range  le  droit  canon  parmi  les  sciences  théo- 
logiques, comme  le  montrent  les  exemples  de  Rufin  ou 
de  ses  contemporain;.  Une  somme  qui  débute  à  peu 
près  comme  celle  de  Paucopalea,  dit  :  inter  cèleras  theo- 
logiœ  disciplinas,  sancloriun  Patrum  décréta  et  concilio- 
rum  stalula  non  postremumobtinent  locum.  Maassen,Pau- 
capalea,  Ein  Beitrag  zur  Litteraturgeschichte  des  cano- 
nischen Rechls  im  Mittelalter,  dans  les  Siztungsberichte 
déjà  cités  de  Vienne,  1859,  t.  xxxi,  p.  505.  Rufin,  ou 
un  de  ses  copistes,  reconnaît  que  tout  l'ouvrage  de 
Gratien  est  un  traité  de  théologie  complet  :  Summam 
quamdam  totius  théologien'  paginée  contineri  in  hoc 
libro,  née  hune  librum  perfecte  scienti  déesse  posse  univer- 
silatis  sacrœ  paginée  nolitiam.  Préface  de  Rufin,  dans  la 
recension  amplifiée  du  manuscrit  de  Gœttingue,  von 
Schulte,  Die  Geschichte  der  Quellen,  etc.,  p.  249;  voir 
Singer,  Die  Summa  Decrelorum  des  Magister  Ruflnus, 
Paderborn,  1902,  p.  cxlii-cxliv. 

Par  suite  même  de  cette  habitude,  l'on  peut  prévoir 
déjà  que  les  rapports  entre  les  deux  sciences  s'affirment 
surtout  parle  développement  des  matières  communes  : 
c'est  dire  que,  pour  faire  l'histoire  des  doctrines  théo- 
logiques, il  y  a  lieu  d'avoir  continuellement  l'œil 
ouvert  sur  les  écrits  des  canonistes.  L'on  rencontre  chez 
eux  un  bon  nombre  d'assertions  dites  en  passant,  ou 
d'exposés  systématiques,  qui  peuvent  rendre  service 
à  l'histoire  des  doctrines.  Parfois,  ils  fournissent  des 
renseignements  sur  des  sujets  qui  semblent,  à  première 
vue,  assez  étrangers  aux  préoccupations  des  juristes  : 
citons,  comme  exemple,  les  idées  d'Huguccio  et  d'autres 
sur  l'immaculée  conception  de  Marie.  Sur  d'autres  ma- 
tières, comme  la  valeur  de  l'argument  d'autorité,  la 
force  probante  des  textes  bibliques  et  diverses  questions 
de  principe,  ils  émettent  des  affirmations  précieuses. 


1747 


GRATIEN 


1748 


A  propos  de  l'autorité  pontificale,  leurs  commentaires 

intéressent  de  près  le  traité  De  Ecclcsia  et  de  romano 
pontip.ce.  Car  l'on  ne  peut  nier  que  ie  Décret  de  Gratien 
et  les  travaux  des  canonistes  suivants  n'aient  favorisé 
l'exercice  de  la  suprématie  romaine,  contrairement  à 
l'appréciation  défavorable  que  portait  le  cardinal  Pitra, 
Analecta  novissima,  t.  i,  p.  144,  appréciation  dont  les 
attaques  de  Luther,  des  gallicans  et  de  Dôllinger 
avaient  du  reste  fait  justice  par  avance.  L'expression 
dont  on  a  si  souvent  donné  une  interprétation  fantai- 
siste, sur  l'étendue  des  droits  du  pape  :  Romanus  pon- 
lifex  omnia  jura...  ccnselur  habcre,  remonte  en  sub- 
stance jusqu'à  l'époque  d'Huguccio.  Voir  Gillmann,  Ro- 
manus pontifex  omnia  jura  in  scrinio  peclorissui  eense- 
tur habere,  dans  YArchiv  fur  katholisches  Kirchenrecht, 
1912,  t.  xcn,  p.  3-17. 

Mais  le  traité  des  sacrements  surtout  appelle  ici  l'at- 
tention :  les  nombreux  problèmes  touchés  par  Gratien 
à  propos  de  l'ordre,  de  la  pénitence,  du  mariage  et  de 
l'extrême-onction  dans  les  deux  premières  parties,  et 
les  longs  développements  donnés  dans  le  De  consecra- 
tionc  à  divers  sacramentaux,  comme  la  dédicace  des 
églises,  à  l'eucharistie  surtout,  au  baptême  et  à  la  con- 
firmation, amènent  sans  cesse  les  glossateurs  à  faire  des 
incursions  dans  le  domaine  des  théologiens.  Ce  serait 
sortir  du  cadre  de  cette  notice  que  de  donner  l'exposé 
de  toutes  ces  questions;  qu'il  nous  suffise  d'en  indiquer 
quelques-unes  avec  leurs  sources;  à  un  moment  où  la 
systématisation  des  doctrines  sacramentaires  occupait 
principalement  l'attention  des  théologiens,  les  rensei- 
gnements offerts  par  les  écrits  des  canonistes  peuvent 
être  d'une  fort  grande  utilité;  ils  le  sont  d'autant  plus 
qu'il  y  a  divergence  entre  eux  dans  la  manière  d'envi- 
sager certaines  questions;  par  suite,  la  pleine  lumière 
ne  peut  se  faire  que  par  la  connaissance  des  productions 
de  l'une  et  de  l'autre  branche.  Il  n'est  pas  rare,  du  reste, 
qu'une  idée,  avant  tout  chère  aux  canonistes,  ait  son 
représentant  chez  les  théologiens,  et  réciproquement. 
Contentons-nous  d'en  mentionner  quelques-unes.  Pour 
le  détail  des  œuvres,  l'on  pourra  recourir  aux  travaux 
cités  dans  la  bibliographie  ;  les  sources  inédites  sont  plus 
nombreuses  encore  que  les  ouvrages  déjà  imprimés;  le 
nombre  de  ces  derniers  heureusement  ne  tardera  pas 
à  augmenter. 

3°  Développement  des  principales  questions  sacra- 
mentaires.-—  La  définition  des  sacrements,  qui  depuis 
Bérenger,  Yves  de  Chartres  et  Abélard,  a  attiré  l'at- 
tention des  canonistes  comme  des  théologiens,  tend  à 
placer  l'essence  du  sacrement  dans  l'objet  matériel; 
cette  manière  d'envisager  les  choses,  familière  aux 
canonistes  comme  Gandulphe  et  Huguccio,  par  exemple, 
se  retrouve  aussi  chez  Hugues  de  Saint- Victor;  c'est  ce 
qu'a  fait  remarquer  Pourrat,  La  théologie  sacramentaire, 
Paris,  1910,  p.  35.  La  définition  que  donne  le  célèbre 
Victorin  est  copiée  par  divers  glossateurs,  tels  qu'Hu- 
guecio  et  Rufin;  elle  a  quelque  temps  la  préférence  sur 
celle  de  Pierre  Lombard;  mais  cfUe-ci  finit  par  l'em- 
porter. 

C'est  au  canon  32  de  la  dist.  II  du  De  consécration/', 
ou  parfois  en  tête  du  De  consecralionc,  que  nous  trou- 
vons habituellement  ces  développements  sur  la  défini- 
tion des  sacrements  :  ils  se  rangent  autour  de  la  défini- 
tion succincte,  attribuée  à  saint  Augustin,  et  qui,  depuis 
Bérenger,  ne  cesse  plus  de  se  répandre  à  l'abri  de  cet 
illustre  patronage;  elle  a  de  la  vogue  avant  l'enseigne- 
ment d' Abélard;  car  Yves  de  Chartres,  un  canoniste, 
l'emploie  déjà  avant  lui.  Voir  J.  de  Ghellinck,  Le  mou- 
vement théologique,  p.  341,  note  3. 

La  nomenclature  des  sept  sacrements  se  rencontre 
fréquemment  chez  les  glossateurs  et  l'on  voit  par  là 
combien  inexacte  est  l'affirmation  de  J.  Freissen  dans 
son  ouvrage,  fort  précieux  du  reste  :  Geschichte  des 
J<anonischi  n  Eherechfs  bis  zum  Verfall  der  Glosscnli- 


teralur,  2e  édit.,  Paderborn,  1893,  p.  33  sq.,  qui  réduit 
au  seul  Rufin,  parmi  les  canonistes,  les  témoins  du 
nombre  septénaire.  Le  fait  est  d'autant  plus  à  signaler 
que,  parmi  les  successeurs  immédiats  de  Pierre  Lom- 
bard, les  théologiens  ne  sont  pas  aussi  nombreux  que 
les  canonistes  dans  la  série  de  ces  témoins.  Mais,  en 
même  temps,  se  fait  remarquer  toute  une  classification 
des  sacrements  et  des  sacramentaux,  qui  se  rattache  de 
fort  près  aux  idées  de  Hugues  de  Saint- Victor;  elle  est 
reproduite  ou  développée,  avec  des  nuances  variées, 
par  des  glossateurs  comme  Rufin,  Etienne  de  Tournai, 
Jean  de  Faenza  et  Sicard  de  Crémone,  par  l'auteur  de 
la  Summa  Lipsiensis  et  Huguccio  de  Ferrare,  par  des 
théologiens,  comme  Simon  de  Tournai,  et  par  un  anno- 
tateur anonyme  de  Pierre  Lombard.  Pour  le  détail, 
voir  J.  de  Ghellinck,  Le  mouvement  théologique,  p.  359- 
369.  Les  longues  pages  données  toujours  à  la  consécra- 
tion et  à  la  dédicace  des  églises,  d'après  une  habitude 
qui  datait  de  loin,  comme  on  l'a  vu  plus  haut,  attiraient 
l'attention  sur  cette  matière  des  sacramentaux. 

A  propos  du  caractère  sacramentel,  les  glossateurs 
offrent  une  ample  matière  :  ce  qui  montre  jusqu'à  quel 
point  l'affirmation  ancienne  était  fantaisiste,  qui  faisait 
d'Innocent  III  le  créateur  de  cette  doctrine.  Pierre 
Lombard  emploie  déjà  le  mot,  et  les  travaux  des  cano- 
nistes, inédits  ou  imprimés,  donnent  une  riche  moisson 
bien  avant  Innocent  III.  Par  suite,  le  travail  de  Brom- 
mer,  Die  Lehre  vom  Sacramcntalen  Charakler  in  der 
Scholastik  bis  Thomas  von  Aquin,  dans  les  Forschungen 
:ur  christlichen  Literatur-  und  Dogmengeschichte,  Pader- 
born, 1907,  t.  vm,  solide  d'ailleurs,  mais  uniquement 
basé  sur  les  sources  imprimées,  peut  se  compléter  par 
un  bon  nombre  de  documents  inédits. 

La  réitération  des  sacrements,  surtout  celle  de  l'ordre, 
est  fréquemment  étudiée  dans  les  recueils  canoniques  ; 
ce  qui  a  été  dit,  à  propos  des  collections  issues  pendant 
la  querelle  des  investitures,  doit  se  répéter  à  propos 
des  glossateurs;  les  discussions  sur  cette  matière  con- 
tinuent à  se  produire  dans  l'école  jusqu'au  triomphe 
de  la  théorie  de  Gandulphe  ;  Pierre  Lombard  et  d'autres 
théologiens  avec  lui  demeurent  hésitants  pour  certaines 
applications.  Voir  Saltet,  op.  cit.,  passim. 

La  terminologie  même  des  traités  théologiques  sur 
les  sacrements  peut  largement  puiser  dans  les  Glossx  et 
les  Summœ  des  canonistes.  Il  a  déjà  été  question  des 
termes  :  characlcr  et  sacramenlalia;  l'on  peut  y  ajouter 
des  expressions,  comme  opus  opcralum  ou  opérons,  etc., 
qui  donnent  l'occasion,  sous  la  plume  des  glossateurs, 
à  des  développements  instructifs,  ou  comme  forma, 
materia,  etc.,  qui  vont  se  précisant  de  plus  en  plus. 
L'on  peut  mentionner  ici  encore  le  mot  transsubstan- 
tiatio,  qui  est  fréquemment  employé  par  les  canonistes, 
si  bien  que  parmi  les  vingt  ou  trente  témoins  de  l'usage 
du  terme,  antérieurement  à  1215,  un  groupe  imposant 
est  fourni  par  les  canonistes  ;  ceux-ci  viennent  presque 
tous  en  tête  dans  la  série  chronologique.  Voir  Eucha- 
ristie au  xnc  siècle,  t.  v,  col.  1290-1293,  et  complé- 
ments dans  les  Recherches  de  science  religieuse,l9V2,{.  m, 
p.  255,  par  J.  de  Ghellinck,  A  propos  du  premier  emploi 
du  mol  transsubsluntiation.Vne  autre  formuledont  l'his- 
toire littéraire  remonte  d'ailleurs  bien  plus  haut  que 
l'époque  de  Gratien  :  sacramentononeslfacienda  injuria, 
revient  souvent  chez  tous  les  auteurs.  Dès  l'époque  des 
investitures,  elle  apparaît  dans  les  écrits  des  polémistes 
ou  des  canonistes,  comme  on  peut  le  voir  dans  les 
Libellide  lite  imperalorum  et  rom.  pontiftcum,dé'yd  men- 
tionnés ailleurs,  et  dans  l'ouvrage  de  Saltet,  Les  réor- 
dinations,  passim. 

Parmi  les  sacrements  in  specie,  il  y  aurait  trop  à  citer 
pour  que  l'on  puisse  y  songer  ici.  Les  quelques  indica- 
tions suivantes  donneront  une  idée  de  tout  ce  qu'il 
y  a  à  recueillir  chez  les  canonistes  à  côté  des  théolo- 
giens. C'est  surtout  la  théologie  de  l'eucharistie  qui  se 


1749 


GRATIEN 


1750 


trouve  avantagée  ici  :  présence  réelle,  transsubstantia- 
tion, persistance  des  espèces,  durée  de  la  présence  réelle, 
interprétation  de  la  profession  de  foi  de  Bérenger,  qui 
donne  occasion  à  des  gloses  intéressantes,  etc.,  toul 
cela  est  fortement  développé. 

Il  en  va  de  même  avec  l'extrênie-onction,  où  une 
question  revient  souvent  :  celle  de  la  réitérabilité;  elle 
est  longuement  discutée  chez  les  théologiens  dogma- 
tiques, chez  les  canonistes  et  chez  les  moralistes;  les 
cisterciens  conféraient  ce  sacrement,  en  cas  de  maladie 
prolongée,  une  fois  par  an;  partout,  les  avis  sont  par- 
tagés sur  la  réitération  ou  sur  les  raisons  théoriques  qui 
la  permettent. 

Il  a  déjà  été  question,  plus  haut,  de  la  pénitence, 
ainsi  que  du  mariage;  ici,  il  est  bon  de  mentionner  les 
idées  sur  l'essence  du  sacrement  dans  le  rite  matrimo- 
nial et  sur  les  diverses  espèces  d'empêchements,  notam- 
ment celui  qui  a  eu  son  heure  de  succès  chez  les  cano- 
nistes et  qu'on  faisait  dériver  du  sacrement  de  péni- 
tence; il  est  exposé  entre  autres  par  Fr.  Gillmann,  Das 
Ehehinderniss  der  geislliehen  Verwandtschaft  aus  der 
Busse,  dans  Der  Katholik,  1910,  t.  xc  (extrait).  A 
propos  de  l'ordre,  il  faut  encore  une  fois  rappeler  la 
tradition  des  instruments  et  les  nombreuses  contro- 
verses qui  ont  lieu  chez  les  théologiens  sur  la  matière 
de  ce  sacrement;  les  gloses  des  canonistes  sont  fort 
précieuses  pour  l'examen  dogmatique  du  problème  au 
point  de  vue  historique.  Voir  l'article  déjà  cité  :  Le 
Irailé  des  sept  ordres  ecclésiastiques  chez  Pierre  Lombard, 
ses  modèles  et  ses  copistes,  dans  la  Revue  d'histoire  ecclé- 
siastique, 1910,  t.  xi,  p.  32-39. 

La  forme  du  baptême,  à  propos  du  baptême  conféré 
in  nomine  Jesu,  ou  in  nomine  Christi,  revient  assez 
souvent  aussi.  Voir  l'étude  fortement  documentée  de 
Gillmann,  Taufe  in  Namen  Jesu  oder  im  Name  Christi, 
dans  Der  Katholik,  1912  (extrait).  Les  questions  de 
l'institution  de  divers  sacrements,  en  particulier,  la 
confirmation  et  l'extrême-onction,  se  rencontrent  assez 
souvent  chez  les  canonistes,  avec  des  affirmations  qui 
corrigent  ou  partagent  les  idées  inexactes  qui  régnent 
chez  leurs  confrères,  les  théologiens. 

Parmi  les  sacrements,  l'on  établit  aussi  quelques 
divisions  que  Gratien  et  d'autres  avant  lui  avaient  déjà 
indiquées  :  telle  la  division  en  sacramenla  necessitatis 
ou  voluntatis,  communia  ou  voluntaria,  qui  donne  occa- 
sion à  des  précisions  ou  à  des  explications  intéressant 
l'histoire  de  la  théologie. 

L'on  peut  en  dire  autant  d'un  rite  qui  revient  dans 
divers  sacrements  et  sacramentaux,  l' impositio  manuum 
dont  les  diverses  espèces  sont  décrites  dans  des  tableaux 
schématiques  fréquemment  reproduits,  comme  chez 
Sicard  de  Crémone,  dans  diverses  Summa?  anonymes, 
chez  Huguccio,  etc.  De  là,  elles  passent  assez  souvent 
dans  les  notes  marginales  des  Sentences  de  Pierre  Lom- 
bard. 

Il  est  inutile  de  prolonger  davantage  cette  nomen- 
clature, le  lecteur  trouvera  dans  la  bibliographie  ci- 
jointe  les  principaux  travaux  imprimés  qui  l' éclaire- 
ront et  le  renseigneront  davantage,  en  attendant  que 
paraisse  un  travail  d'ensemble,  en  préparation  actuel- 
lement, sur  cette  période.  Les  gloses  imprimées  dans 
les  marges  du  Corpus  juris  conservent  quelques-unes  de 
ces  formules  abrégées  et  peuvent  rendre  déjà  quelque 
service.  Il  a  fallu  se  borner  ici  à  donner  une  simple 
orientation  qui  peut  suffire  pour  le  but  poursuivi  : 
même  quand  il  s'agit  de  l'époque  où  la  théologie 
médiévale  achève  d'élaborer  son  manuel  d'enseigne- 
ment, l'histoire  du  dogme  et  des  systèmes  théologiques 
ne  peut  négliger  ces  sources  juridiques;  les  produc- 
tions canoniques  de  l'âge  qui  précède  Gratien,  ou 
des  deux  générations  qui  le  suivent,  apportent  les 
matériaux  les  plus  abondants  à  l'esquisse  du  dévelop- 
pement historique  de  la  théologie. 


Ce  n'est  pas  le  lieu  de  donner  ici  une  bibliographie  com- 
plète. Nous  nous  contenterons  de  donner  les  renseignements 
suffisants  pour  orienter  le  lecteur  dans  cette  vaste  littérature 
et  pour  lui  faciliter  le  contrôle  des  idées  développées  dans 
l'article  qui  précède. 

I.  Renseignements  généraux  sur  les  collections 
canoniques  et  les  canonistes.  —  Nomenclatures  plus  ou 
moins  détaillées  de  Pohle,  Kanonensammlungen,  dans  Kir- 
chenlexikon,  1883,  t.  n,  col.  1845-1868;  de  von  Schulte,  Kano- 
nensammlungen, dans  Realencyklopddie,  1901,  t.  x,  p.  2- 
12;  de  Besson,  Canons  (Collections  of  ancient),  dans  Catholic 
cncyclopedia,  1908,  t.  m,  p.  281-287.  Pour  la  période  qui 
précède  Gratien,  l'ouvrage  capital  est  celui  de  Maassen  (t.  i, 
seul  paru,  jusqu'au  milieu  du  ixe  siècle),  Geschichle  der 
Qnellen  und  der  Lileratur  des  Canonisclien  Rechls,  Gratz, 
1870;  excellentes  notices  dans  la  dissertation  des  Ballerini, 
De  antiquis  collectionibus  et  collecloribus  canonum, appendice 
de  leur  édition  des  Opéra  S.  Leonis  Magni,  Venise,  1757, 
t.  ni;  P.  L.,  t.  lvi,  col.  11-354;  A.  Gallandius,  De  vetustis 
canonum  collectionibus  dissertationum  Sylloge,  Venise,  1778; 
Theiner,  Disquisitiones  criticce  in  prœcipuas  canonum  et 
dccrclalium  eollecliones,  Rome,  1836  (demande  à  être  con- 
trôlé). 

Pour  la  période  qui  suit  Gratien,  le  principal  ouvrage  (à 
rectifier  en  beaucoup)  de  détails)  est  celui  de  Fr.  von  Schulte, 
Geschichte  der  Quellen  des  canonisclien  Rechts,  Stuttgart, 
1874,  t.  i.  Le  même  auteur  a  donné  de  longues  dissertations, 
souvent  fort  utiles,  sur  un  certain  nombre  de  glossateurs  ou 
de  collections  anonymes,  dans  ses  Beilràge  zur  Literatur  iiber 
das  Dekret  Grattons,  publiées  dans  les  Sitzungsbericide  der 
philosopliisch-historichen  Classe  der  kais.  Akademie  der  Wis- 
senscha/ten,  de  Vienne,  t.  lxiii,  p.  287,  299;  t.  I.xiv,  p.  93; 
1870,  t.  lxv,  p.  21  et  595;  1871,  t.  lxviii,  p.  37. 

La  période  qui  s'écoule  entre  les  fausses  Décrétales  et  le 
Décret  de  Gratien  a  fait  l'objet  d'un  grand  nombre  d'études 
de  la  part  de  P.  Fournier,  qui  prépare  un  travail  d'ensemble 
sur  les  divers  groupes  de  ces  collections.  Les  principales  de 
ces  études  ont  été  citées  dans  l'article;  voir  une  énumération 
plus  complète  dans  J.  de  Ghellinck,  Le  mouvement  théolo- 
gique  du  XII»  siècle,  Paris,  1914,  p.  276  sq.,  passim. 

Bon  résumé,  court  mais  substantiel,  de  toute  la  littéra- 
ture canonique,  dans  Tardif,  Histoire  des  sources  du  droit 
canonique,  Paris,  1887  (à  compléter  par  les  travaux  parus 
plus  récemment). 

II.  Éditions  des  œuvres.  —  Celles  qui  précèdent  Réginon 
de  Prum  jusqu'aux  Fausses  Décrétales  inclusivement  ont  été 
indiquées  déjà,  col.  1734  sq.  Voici  par  ordre  chronologique  la 
liste  des  auteurs  cités,  dont  les  œuvres  sont  imprimées  : 
Réginon  de  Prum,  Reginonis  libri  duo  de  synodalibus  causis 
et  disciplinis  ecclesiasticis,  par  Wasserschleben,  Leipzig, 
1840;  édition  préférable  à  celle  de  Baluze,  reproduite  dans 
P.  L.,  t.  cxxxn,  col.  175  sq.  ;  Burchard  de  Worms,  Decretum, 
dans  P.  L.,  t.  cxl,  col.  537  sq.  ;  Schmitz,  Die  Bussbiiclier  und 
das  kanonische  Bussver/ahren,  Dusseldorf,  1898,  t.  Il,  p.  407- 
467  (édition  du  Pénitentiel,  1.  XIX  de  Burchard)  ;  Deusde- 
dit,  Die  Kanonessammlung  des  Kardinals  Deusdedit,  par 
V.  Wolf  von  Glanvell,  Paderborn,  1905, 1. 1  (seul  paru),  texte 
sans  l'introduction  critique  et  les  tables,  que  la  mort  a 
empêché  l'auteur  de  publier  ;  l'édition  de  Martinucci,  Collectio 
canonum,  Venise,  1869,  est  fort  inférieure;  Anselme  de 
Lucques,  Collectio  canonum,  par  Fr.  Thaner,  Inspruck,  1906, 
quatre  premiers  livres  parus;  table  des  chapitres,  d'après  une 
recension  remaniée,  dans  Mai,  Spicilegium  romanum,  Rome, 
1841,  t.  vi,  p.  379;  Bonizon  de  Sutri,  extraits,  surtout  du 
1.  IV,  dans  Mai,  Noua  Patrum  bibliotheca,  Rome,  1854,  t.  vu, 
part.  III,  p.  1-76;  Yves  de  Chartres,  Decretum  et  Panormia, 
P.  L.,  t.  clxi,  col.  9  sq.,  et  1037  sq.  ;  Alger  de  Liège,  Liber  de 
misericordia  et  juslitia,  P.  L.,  t.  clxxx,  col.  857-969  ;  Gratien, 
Discordantium  canonum  concordia,  ou  Decretum,  P.  L., 
t.  c.lxxxvii,  col.  17  (édition  Bœhmer);  édition  meilleure  de 
Friedberg,  Corpus  juris  canoniei,  Leipzig,  1878,  t.  1;  Pau- 
copalea,  Die  Summa  des  Paucopalea  iiber  das  Decretum  Gra- 
tiani,  par  Fr.  von  Schulte,  Giessen,  1890;  Roland  Bandinelli, 
Die  Summa  Magistri  Rolandi,  nachmals  Papstes  Alexander 
III,  par  Fr.  Thaner,  Inspruck,  1874;  Rufin,  Die  Summa 
Decretorum  des  Mag.  Rufinus,  par  H.  Singer,  Paderborn, 
1902;  à  préférer  à  l'édition  défectueuse  de  von  Schulte, 
Giessen,  1892;  Etienne  de  Tournai,  Die  Summa  des  Stepha- 
nus  Tornacensis  iiber  das  Decretum  Gratiani,  par  Fr.  von 
Schulte,  Giessen,  1891. 

Les  autres  collections  sont  inédites:  la  Collection  en  7  4  titres, 
la  Triparlita,\a  Colleclio  duodecim  partium,  la  Collection  en 
dix  livres,  etc.,  ainsi  que  les  œuvres  canoniques  de  Simon 


1751 


G  R ATI  EN 


1752 


de  Bisiniano,  de  Sicard  de  Crémone,  de  Jean  de  Faenza, 
d'Huguccio,  etc.,  la  Summa  Coloniensis,  la  Sunmia  Parisien- 
sis,  ta  Summa  Lipsiensis,  etc.  L'édition  d'Huguccio  est  en 

préparation.  L'on  trouve  dans  les  marges  des  anciennes  édi- 
tions du  Decretum,  par  exemple,  celle  de  Lyon,  1C84  (t.  i  du 
Corpus  juris  canonici),  un  certain  nombre  de  gloses  des  pre- 
miers glossateurs;  voir  l'étude  de  von  Sclmlte,  Die  Glosse 
zum  Dekrct  Gratians  von  ihrcn  Anfàngen  bis  au/  die  jùngslen 
Ausgaben,  dans  les  Denksehriflen  der  k.  Akademie  der  Wis- 
senschaften,  de  Vienne,  1872,  t.  xxi. 

III.  Rapports  entre  la  théologie  et  le  droit  canon. 
—  Indications  précieuses  dans  les  travaux  déjà  mentionnés 
de  P.  Fournier  et  dans  Saltet,  Les  réordinations,  Paris,  1907, 
passim.  La  question  a  été  traitée  dans  une  esquisse  rapide 
par  J.  de  Ghellinck,  Le  mouvement  idéologique,  Paris,  191 1, 
p.  277-369  ;  voir  dans  cet  ouvrage  les  compléments  bibliogra- 
phiques. L'on  peut  consulter  avec  profit  les  nombreux  arti- 
cles de  Fr.Gillmann  sur  les  glossateurs  du  Décret,  parus  dans 
l'Arehtv  fur  katholischen  Kirehenreclil, Mayence,  et  dans  Der 
Katholik,  Mayence,  depuis  1906-1907.  Pourrat,  La  théologie 
sacramentaire,  Paris,  1910,  parle  surtout  des  théologiens. 
L'ouvrage  de  G.  L.  ilahn,  Die  Lehre  von  den  Sakramentcn 
in  ihrer  geschichtlichen  Entwickelung,  Breslau,  1864,  se  can- 
tonne pour  la  littérature  canonique  a  peu  prés  uniquement 
dans  le  Décret  de  Gratien. 

J.  de   Ghellinck. 

2.  GRATIEN  (ou  plus  exactement  GRAZIAN1) 
Jean-Baptiste-Guillaume,  évêque  constitutionnel, 
né  à  Saint-Philippe  de  Verceil  (Piémont)  le  24  juin 
1747.  Il  appartenait  à  la  congrégation  de  la  Mission, 
où  il  avait  été  admis  le  11  octobre  1767.  11  fit  ses  vœux, 
à  la  maison-mère  de  Paris,  le  13  octobre  1769.  Il  fut, 
pendant  les  années  cpii  précédèrent  la  Révolution, 
supérieur  du  séminaire  de  Chartres.  Il  était  profondé- 
ment attaché  aux  principes  gallicans  et  jansénistes  et, 
dans  un  Traclalus  scolaslicus  de  conlraclibus  jœnerati- 
liis,  in-12,  Chartres,  1790  (ne  se  trouve  pas  à  la  Biblio- 
thèque nationale),  il  adoptait  relativement  au  prêt  à 
intérêt  les  opinions  que  l'école  économique  soutenait 
contre  l'enseignement  commun  des  théologiens.  Ce 
prêt  n'était  contraire  ni  au  droit  naturel  ni  au  droit 
divin.  Son  opinion  fut  combattue  par  Ambroise  Rendu. 
Considérations  sur  le  prêt  à  intérêt,  par  un  jurisconsulte, 
in-8°,  Paris,  1806. 

Quand  fut  publiée  la  constitution  civile,  on  dit  que 
Gratien  avait  promis  à  son  évêque,  M.  de  Lubersac, 
de  la  combattre;  cependant  il  prêta  le  serment  et  fit 
paraître  un  écrit  pour  le  justifier  :  Exposition  de  mes 
sentiments,  etc.  ;  il  en  résulta  une  polémique  assez 
acerbe  dans  laquelle  intervint  le  janséniste  Jabinaud, 
qui,  se  séparant  de  ses  amis,  avait  pris  position  parmi 
les  adversaires  de  la  constitution  civile. 

Par  son  savoir  et  ses  vertus,  Gratien  avait  sur  le 
clergé  chartrain  une  influence  aussi  considérable  que 
justifiée  et  qu'il  mit  au  service  des  idées  nouvelles. 
Quand  le  curé  de  Saint-Michel,  Nicolas  Bonnet,  eut 
été  élu  évêque,  en  remplacement  de  M.  de  Lubersac, 
il  fut  son  principal  conseiller;  pieux  et  régulier,  l'intrus 
d'Eure-et-Loir  était  de  talents  très  médiocres  et  en  fait 
Gratien  gouverna  l'Église  de  Chartres  pendant  un  an; 
il  le  fit  avec  autorité,  montrant  une  fermeté  dont  Bonnet 
était  incapable. 

Le  26  février  1792,  Gratien  fut  élu  évêque  de  Seine- 
Inférieure  et  «  métropolitain  des  Côtes  de  la  Manche,  » 
il  succédait  à  Louis  Charrier  de  La  Roche,  qui,  décou- 
ragé par  les  mauvais  vouloirs  qu'il  avait  rencontrés, 
avait  donné  sa  démission  dès  le  mois  d'octobre  1791. 
Sacré  dans  la  cathédrale  de  Rouen  le  18  mars,  par 
Lindet,  évêque  de  l'Eure,  assisté  de  Bonnet, de  Chartres, 
et  deMassieu,  de  l'Oise,  Gratien  vint  occuper  son  siège 
usurpé  dans  des  conditions  qui  déjà  étaient  peu  rassu- 
rantes. «  Son  épiscopat,  écrit  l'abbé  Cochet,  historien 
du  diocèse  de  Rouen,  fui  triste  et  laborieux.  Charrier 
avait  connu  les  beaux  jours  de  l'enthousiasme  et  de  la 
nouveauté;  son  installation  avait  été  pompeuse;  celle 
de  Gratien  fut  lugubre.  Quand  Charrier  visitait  le  dio- 


cèse, son  passage  ressemblait  à  celui  d'un  triomphateur; 
Gratien,  au  contraire,  n'éprouve  guère  que  la  tolérance 
de  la  part  de  l'autorité  civile,  qui,  préoccupée  d'une  mul- 
titude  d'embarras  extérieurs,  faisait  à  peine  attention 
à  lui.  Aussi,  dans  ses  visites  pastorales,  plus  de  cor- 
tège, plus  de  canons,  plus  de  fêtes,  plus  de  cérémonies; 
son  entrée  à  Rouen,  à  Dieppe,  au  Havre  se  fit  sans 
bruit  et  presque  incognito.  Le  silence  des  peuples 
est  la  leçon  des  rois,  a  dit  un  ancien;  à  ce  compte,  le 
métropolitain  de  Rouen  dut  juger  quel  sort  menaçait 
son   pénible   pontificat...    » 

Gratien  s'était  fait  précéder  par  une  lettre  pastorale 
dans  laquelle  il  s'efforçait  de  justifier  son  élection  et  de 
repousser  la  qualification  d'intrus  que  lui  appliquait 
la  portion  du  clergé  restée  fidèle  au  cardinal  Dominique 
de  La  Rochefoucault.  Il  fut  réfuté  par  son  confrère, 
le  lazariste  L.  J.  François,  dans  Lettres  (trois)  sur  la 
juridiction  épiscopalc.  A  peine  installé,  il  fit  une 
ordination,  car,  dans  une  lettre  postérieure  de  douze 
jours  à  son  sacre,  il  annonce  au  district  la  nomination 
à  une  cure  d'un  prêtre  que,  dit-il,  il  vient  d'ordonner. 

En  juin  1792,  parut  un  mandement  sur  «  la  conti- 
nence des  ministres  du  culte;  »  il  était  publié  à  l'occa- 
sion du  scandaleux  mariage  du  curé  du  Havre.  Cette 
lettre  ne  fut  pas  reçue  avec  une  soumission  unanime 
par  le  clergé  constitutionnel  et  provoqua  de  violentes 
répliques.  A  l'Assemblée,  le  député  Lejosne  dénonçait 
ce  qu'il  appelait  un  dangereux  libelle  et  l'affaire  fut 
renvoyée  au  comité  des  recherches,  qui  ne  s'en 
occupa  pas.  Mais  le  25  juillet,  la  municipalité  retirait 
à  Gratien  la  jouissance  du  palais  épiscopal. 

En  octobre  de  la  même  année,  Gratien  eut  à  donner 
à  son  clergé  les  instructions  dont  il  avait  besoin  pour 
se  conformer  à  la  loi  qui  retirait  au  curé  la  tenue  des 
registres  de  l'état  civil.  Moins  intransigeant  que  son 
voisin  de  Bayeux,  Fauchet,  Gratien  invite  ses  prêtres 
à  la  soumission;  cependant,  il  leur  fait  remarquer  qu'ils 
conservent  l'obligation  de  tenir  note  de  l'administra- 
tion des  sacrements  de  baptême  et  de  mariage;  puis, 
élargissant  la  question,  il  développe  ses  théories  sur 
la  théologie  sacramentaire  et  insiste  sur  la  distinction 
chère  aux  gallicans  entre  le  mariage,  valide  en  lui-même 
comme  contrat  civil,  et  le  mariage  sanctifié  par  la 
bénédiction  nuptiale  donnée  par  le  prêtre  ministre  du 
sacrement;  il  conclut  en  protestant  en  termes  fort 
courageux,  vu  le  temps,  contre  le  divorce  des  époux 
catholiques  et  ordonne  aux  confesseurs  de  ne  pas 
accorder  l'absolution  aux  divorcés.  Il  fut  réfuté  par 
l'abbé  Baston,  M.  Gratien  invité  à  revoir  ses  assertions 
sur  le  mariage,  in-8°,  Rouen,  1792. 

La  fermeté  dont  Gratien  avait  donné  les  preuves 
attira  sur  lui  les  vengeances  révolutionnaires;  mis  en 
arrestation  en  novembre  1793,  il  refusa  avec  indigna- 
tion une  liberté  dont  le  prix  eût  été  l'apostasie;  il 
demeura  près  d'un  an  dans  la  prison  qui  avait  été 
établie  dans  la  maison  de  Saint- Yon,  ancien  établisse- 
ment des  frères  des  écoles  chrétiennes.  Vers  la  fin  de 
la  Terreur,  il  fut  éloigné  de  Rouen  comme  étranger  et 
transféré  dans  la  prison  de  Saint-Louis  à  Versailles. 
II  ne  fut  élargi  qu'à  la  fin  de  janvier  1795. 

Repoussé  de  Rouen,  d'où  il  était  légalement  expulsé, 
Gratien  s'installa  à  Paris,  dans  l'orbite  de  Grégoire, 
qui  l'invita  à  faire  partie  de  son  comité  des  «  évêques 
réunis  ».  On  voit  sa  signature  en  bas  de  la  lettre 
encyclique  des  constitutionnels  où  sont  indiquées  les 
conditions  mises  à  la  réconciliation  des  prêtres  qui 
avaient  faibli  pendant  la  persécution,  et,  dans  sa 
lettre  adressée  le  mercredi  saint  aux  fidèles  de  Rouen, 
l'évêque  renouvelle  les  mêmes  prescriptions. 

Au  mois  d'octobre  1795,  Gratien  put  rentrer  à 
Rouen  et  il  notifia  sa  «  reprise  de  possession  »  dans  une 
remarquable  lettre  intitulée  :  La  vérité  de_  la  religion 
chrétienne  démontrée  par  les  miracles  de  Jésus-Christ. 


1753 


G  R  ATI  EN  —  GRATRY 


1754 


C'est  l'œuvre  d'un  savant  professeur,  d'un  chrétien 
rempli  de  foi  et  d'un  pasteur  zélé;  on  peut  trouver 
que  son  apologétique  a  vieilli,  mais  ses  appels  ont 
gardé  leur   touchante  éloquence. 

Un  des  devoirs  des  métropolitains  était  de  veiller 
aux  intérêts  religieux  de  toute  leur  province  et  notam- 
ment des  églises  veuves.  Or,  dans  sa  circonscription, 
Bayeux  était  vacant  par  la  mort  de  Fauchet;  les 
évoques  d'Arras,  d'Évreux  et  de  Beauvais  avaient 
abandonné  leur  état.  Gratien  multiplia  les  démarches, 
et  amena  plusieurs  départements  à  reconstituer  leur 
église  schismatique  désorganisée  pendant  la  Terreur. 

En  1797,  il  avait  assisté  au  concile  réuni  à  Paris  et 
en  avait  été  l'un  des  vice-présidents.  Doux  et  pacifique 
par  tempérament,  il  n'en  était  pas  moins  entiché  des 
maximes  les  plus  avancées  du  gallicanisme  le  plus 
outrancier.  Voici  ce  qu'il  écrivait  à  Grégoire  le  17  mars 
1797  :  «  Tant  que  l'œcuménicité  du  concile  de  Trente 
et  son  infaillibilité  sur  le  dogme  passera  pour  constante, 
dans  le  concile  national,  on  n'y  fera  pas  grand'chose  ; 
on  y  sera  arrêté  à  chaque  pas  par  la  prétendue  autorité 
irréfragable  de  ce  concile.  »  Il  ne  se  faisait  d'ailleurs 
que  peu  d'illusion  sur  les  destinées  ultérieures  de 
l'Église  constitutionnelle;  il  regardait  une  réconcilia- 
tion avec  le  pape  comme  inévitable,  tout  en  traitant  la 
«  dévotion  au  pape  »  de  superstition.  «  Si  le  pape, 
écrit-il  le  13  mai  1797,  s'en  tient  aux  brefs  de  1791 
et  1792,  le  clergé  insermenté  est  bien  à  plaindre;  il 
est  impossible  de  tenir  contre  l'idée  exagérée  que  le 
peuple  a  de  l'autorité  du  pape,  et,  dans  le  peuple,  il 
faut  comprendre  la  plupart  des  ecclésiastiques; 
aussi  ceux-ci  ne  manquent-ils  pas  de  rétracter  leur 
premier  serment  à  la  constitution  civile  du  clergé  dès 
qu'ils  sont  convaincus  que  lesdits  brefs  sont  bien  du 
pape.  Tout  échoue  contre  la  dévotion  envers  le 
Saint-Siège.  »  C'est  là  un  aveu  significatif. 

Depuis  sa  rentrée  à  Rouen,  Gratien  habitait  le 
second  étage  d'une  maison  de  la  rue  de  la  Croix-de-Fer 
n.  10  (aujourd'hui  19).  Il  y  menait  une  vie  de  travail, 
et  de  prière,  de  pauvreté  et  d'austérité,  au  milieu  d'un 
groupe  restreint  de  fidèles  que  ses  doctrines  n'avaient 
pas  éloignes  et  que  retenait  la  vénération  due  à  d'incon- 
testables vertus. 

Atteint  de  cruelles  infirmités  contractées  pendant 
son  emprisonnement,  il  avait  passé  quelques  semaines 
à  Versailles,  où  son  collègue  Clément  lui  avait  offert 
une  fraternelle  hospitalité.  Il  venait  de  rentrer  à 
Rouen,  quand  il  mourut,  le  16  juin  1799,  assisté 
pendant  ses  derniers  jours  par  quelques  amis  fidèles 
qu'il  édifia  par  sa  résignation.  Telle  était  la  force  de 
ses  préjugés  qu'aucun  reimrds  ne  parut  le  troubler  à 
l'heure  suprême;  sa  mort  fut  sereine  comme  celle  d'un 
juste.  Peul-on  croire  que  Dieu  n'a  pas  usé  de  miséri- 
corde  envers   celui   qui   avait  souffert   pour  sa   foi  ? 

Œuvres  de  Gralien.  —  Exposition  de  mes  sentiments 
sur  les  vérités  auxquelles  on  prétend  que  la  constitution  civile 
du  elerg-  donne  atteinte  et  recueil  d'autorités  et  de  réflexions 
qui  la  favorisent,  Chartres,  31  mai  1790;  Défense  de  l'Expo- 
sition..., Chartres,  1790;  Lettre  théologique  sur  l'approbation 
des  confesseurs,  Paris  et  Chartres,  1791;  Contraste  de  la 
réformation  anglicane  par  Henri  VIII  et  la  réformation 
gallicane  par  l'Assemblée  nationale,  Chartres,  1792;  réim- 
primé à  Paris,  mai  1795;  Lettre  de  communion  écrite  au 
pape,  Rouen,  1792  (bibliothèque  de  Rouen);  Lettre  de  prise 
de  possession  (3  mai  1792),  Rouen  (bibliothèque  de  Rouen); 
Lettre  sur  les  cercueils  de  plomb  provenant  d'une  église 
désaffectée  (2  juin  1792)  (ibid.);  Mandement  ordonnant 
des  priera  pour  la  cessation  des  troubles  civils  et  la  prospérité 
des  armées  françaises  (21  juin  1792)  {ibid.);  Lettre  pastorale 
sur  la  continence  des  ministres  du  culte,  24  juin  1792  (biblio- 
thèque municipale  de  Pont-Audemer);  Réponse  a  cette 
lettre  par  Le  Contour,  partisan  du  mariage  des  prêtres; 
Lettre  de  deux  curés  du  département  de  Seine-Inférieure 
dans  le  même  sens:  ces  deux  piè  :  :  •  sont  :'>  la  bibliothèque  de 
Pont-Audemer;   Lettre  sur  l'administration   des   sacrements 


•  le  baptême  et  de  mariage  (19  octobre  1792)  :  prescriptions 
concernant  la  loi  sur  les  actes  de  l'état  civil;  Lettre  aux 
fidèles  de  l'église  de  Rouen  (1"  avril  1795);  La  vérité  de  la 
religion  chrétienne  démontrée  par  les  miracles  de  Jésus-Christ, 
instruction  familière,  Rouen,  1795;  réédité  à  Paris,  1796; 
Lettre  j)asU>ralc  ordonnant  un  Te  Deum  pour  la  paix  conclue 
entre  la  République  française  et  l'Empereur  (3  mai   1797). 

Nouvelles  ecclésiastiques,  1791,  p.  182,  201  ;  1792,  p.  10, 
121,  157;  1793,  p.  17;  1799,  p.  30;  1801,  p.  17;  Annales  de 
la  religion,  t.  i,  p.  58,  121,  601;  t.  ni,  p.  432,  472;  t.  v, 
p.  96,  133,  234,  402,478,  571,  599;  t.  VI,  p.  2i;  t.  vu,  p.  15; 
t.  ix,  p.  177,  235-240  (notice  nécrologique);  t.  x,  p.  191; 
Annales  catholiques  de  l'abbé  de  Boulogne,  t.  m  il 79")).  p.  662- 
076,  et  critique  du  manJement  du  lor  avril  1795;  Edouard 
Rosset,  Notices  bibliographiques  sur  les  écrivains  de  la 
congrégation  de  la  Mission,  par  un  membre  de  la  congré- 
gation, Angoulême,  1878,  p.  271-273;  Pisani,  Répertoire 
de  l'épiscopat  constitutionnel,  Paris,  1907,  p.  163-165;  Anec- 
dotes de  ce  qui  s'est  passé  dans  la  ville  de  Rouen  depuis 
l'établissement  des  États  généraux  (jusqu'au  23  octobre  1801  ), 
par  M.  d'IIorcholle,  procureur  en  la  chambre  des  Comptes 
de  Rouen  (manuscrit  de  la  bibliothèque  de  Rouen);  Rouen 
pendant  la  Révolution,  par  M.  de  La  Querrière  (manuscrit 
de  la  bibliothèque  de  Rouen);  Mémoires  de  l'abbé  Baston, 
publiés  par  A.  Vendée  et  J.  Loth;  P.  Féret,  La  faculté 
de  théologie  de  Paris  et  ses  théologiens  les  plus  célèbres. 
Époque  moderne,  Paris,  1910,  t.  vu,  p.  104-105. 

P.    Pisani. 

3.  GRATIEN  DE  MONTFORT  (BORDEY)  fit  pro- 
fession chez  les  capucins  de  la  province  de  Lyon  le 
21  janvier  1602.  Il  y  remplit  avec  honneur  les  fonctions 
de  prédicateur  et  de  lecteur,  ainsi  que  d'autres  charges, 
qui  lui  valurent  d'être  élu  comme  provincial  de  la 
Bourgogne,  quand  le  comté  fut  érigé  en  province  indé- 
pendante de  celle  de  Lyon,  en  1618.  Renommé  plusieurs 
fois,  il  l'aurait  été  encore  dans  la  suite,  si  en  1632  il 
n'avait  donné  sa  démission  à  cause  de  ses  infirmités. 
Sa  vie  cependant  se  prolongea  encore  assez  longteinp .. 
car  il  mourut  à  Salins  le  21  novembre  1650.  On  a  de 
lui  :  La  Tarentule  du  Guenon  ci-devant  nommé  Lêandre 
et  à  présent  Constance  Gucnard,  hérétique,  apostat  et 
dévoyé  de  l' Église  romaine,  contenant  une  entière  réponse 
aux  causes  impertinentes  de  sa  conversion,  in-S°,  Saint- 
Mihiel,  1620.  Ce  Guénard  était  un  malheureux  confrère 
du  P.  Gratien,  qui,  après  avoir  eu  quelque  succès  comme 
prédicateur,  sous  le  nom  de  P.  Léandre  de  Dôle,  avait 
jeté  le  froc  et  s'était  déclaré  protestant  en  publiant  la 
Déclaration  des  causes  de  la  conversion  de  Constance 
Guenard,  in-8°,  1618.  Le  P.  de  Montfort  publia  sa 
violente  et  agressive  réponse  sous  le  pseudonyme  de 
Denys  de  Fortmont.  On  a  encore  de  lui  des  Axiomata 
philosophica,  qux  passim  ex  Aristolcl  ■  circumferri  soient, 
cl  in  disputationum  circuits  venlilari,  multiplici  distin- 
clionum  génère  variœque  eruditionis  supclleclili  illuslrata, 
in-4°,  Anvers,  1626.  Il  laissa  aussi  des  Axiomala  theo- 
hgica  demeurés  manuscrits. 

Bernard  de  Bologne,  Bibliolheca  scriptorum  ord.  min. 
capuccinorum,  Venise,  1747;  Hœfer,  Nouvelle  biographie 
universelle;  Moret,  Les  capucins  en  Franche-Comté,  Paris, 
1SS2,  p.   142. 

P.  Edouard  d'Alençon. 

GRATRY.  —  I.  Vie.  IL  Doctrine. 

I.  Vie.  —  Auguste-Alphonse  Gratry,  né  à  Lille  le 
30  mars  1805,  fit  ses  études  classiques,  partie  dans  la 
maison  paternelle,  à  Tours  où  son  père,  employé  dans 
les  intendances  militaires,  avait  été  appelé  à  résider, 
partie  au  collège  de  cette  ville  dont  il  suivait  les  classts 
comme  externe.  En  1821,  à  seize  ans,  il  fut  envoyé 
dans  une  pension  de  Paris  qui  conduisait  ses  élèves 
au  collège  Henri  IV.  Il  y  fit  sa  seconde,  deux  années  de 
rhétorique  et  sa  philosophie.  A  la  fin  de  sa  première 
année  de  rhétorique  (1822),  il  obtint  le  second  prix 
d'honneur  au  concours  général;  et  en  1821,  à  la  fin 
de  son  année  de  philosophie,  il  remporta  le  premier 
prix  de  dissertation  française  et  le  second  prix  de 
dissertation   latine.   En    1825,  il  fut  admis  à  l'École 


17". 


GRATRY 


175G 


polytechnique,  où  il  demeura  deux  ans.  A  la  sortie  de 
l'École,  il  donna  sa  démission.  Alphonse  Gratry  était 
né  dans  une  famille  où  régnait  l'indifférence  religieuse 
(son  père  ne  lit  sa  première  communion  que  longtemps 
après  celle  de  son  fils)  :  il  avait  appris,  par  une  expé- 
rience douloureuse,  ce  qu'étaient  ces  collèges  du  temps 
de  la  Restauration,  dont  Lacordaire,  Montalembert 
et  lui-même  nous  ont  laissé  l'attristante  peinture. 
La  grâce  l'y  attendait  cependant,  et  le  messager  en 
fut  pour  lui  un  maitre  d'études,  d'une  éminente  vertu. 
M.  Latrèche,  cpii  mourut  prêtre  à  Lorette,  en  1882. 
Redevenu  chrétien  (sa  première  communion  avait  été 
fervente),  Alphonse  Gratry  voulut  se  donner  sans 
réserve  à  Dieu  et  aux  âmes;  et  c'est  ainsi  qu'au 
grand  chagrin  de  ses  parents,  il  renonça  à  tous  les 
avantages  que  l'Ecole  polytechnique  lui  assurait, 
pour  aller  trouver  à  Strasbourg  M.  Rautain  qui  y  avait 
groupé  les  hommes  les  plus  distingués  (MM.  de  Ronne- 
chosc,  Ratisbonne,  Cari,  de  Régny,  etc.).  Si  l'on 
excepte  un  séjour  de  quelques  mois  chez  les  rédempto- 
ristes  du  Dischenberg  qui  furent  dispersés  par  la 
révolution  de  1830,  Alphonse  Gratry  passa  dans  la 
société  de  M.  Rautain,  occupé  à  l'enseignement  secon- 
daire, les  années  qui  vont  de  1828  à  1840.  11  reçut 
à  Strasbourg  l'ordination  sacerdotale  (22  décembre 
1832).  Mais,  à  vrai  dire,  il  ne  fut  jamais  le  disciple 
de  M.  Rautain,  pas  plus  qu'à  La  Chesnaie  Lacordaire 
n'avait  été  le  disciple  de  La  Mennais;  le  fidéisme  du 
philosophe  qui  jadis  avait  étonné  Hegel  par  sa  facilité 
à  inventer  des  systèmes  (voir  la  notice  de  M.  Campaux 
sur  M.  Rautain)  l'attirait  peu;  et  le  despotisme  intel- 
lectuel d'un  maître,  dont  il  ne  méconnaissait  d'ailleurs 
ni  le  talent  ni  la  foi  profonde,  répugnait  à  ses  tendances 
et  à  sa  raison.  En  1840,  il  fut  nommé  directeur  du  col- 
lège Stanislas  qui  lui  dut  une  impulsion  bienfaisante  ; 
et  en  1846,  il  fut  appelé  à  l'aumônerie  de  l'École 
normale  supérieure.  Son  influence  fut  considérable 
sur  les  jeunes  catholiques  de  l'École  (le  futur  cardinal 
Perraud,  Heinrich,  Rarnave,  Charaux,  etc.);  les  in- 
croyants ne  refusèrent  pas  à  l'abbé  Gratry  leur  estime 
et  leur  sympathie.  «  Maîtres  et  élèves,  tous  sentaient 
en  lui  un  homme  supérieur,  admirablement  préparé 
à  remplir  le  ministère  délicat  que  lui  avait  confié 
Mgr  Affre.  »  Cardinal  Perraud,  Le  P.  Gratry,  sa  vie  et 
ses  œuvres,  p.  37.  La  publication  par  M.  Vacherot, 
directeur  de  l'École  normale,  du  me  volume  de 
V Histoire  de  l'école  d'Alexandrie,  émut  l'abbé  Gratry 
par  des  assertions  qui  sapaient  les  origines  surnaturelles 
du  dogme  chrétien,  et  ne  voyaient  dans  ses  développe- 
ments que  des  emprunts  à  la  philosophie  grecque;  il 
crut  devoir  composer,  sous  forme  de  Lettre  à  M.  Vache- 
rot,  une  réfutation  de  ce  mc  volume.  «  Non  seulement, 
il  eut  soin  d'avertir  de  son  projet  l'honorable  directeur 
de  l'École:  mais...  il  lui  omit  de  lui  remettre  son  travail 
avant  de  l'envoyer  à  l'impression...  M.  Vacherot 
refusa  de  prendre  connaissance  du  manuscrit.  Toute- 
fois, ayant  reconnu  qu'il  avait  traduit  à  faux  un  texte 
important  de  saint  Jean  Damascène...,  il  n'hésita  pas 
à  faire  reprendre  tous  les  exemplaires  qui  restaient 
en  magasin  et  à  supprimer  la  page  où  cette  erreur 
(lait  contenue.  »  Cardinal  Perraud,  op.  cit.,  p.  49,  50. 
Avant  de  publier  sa  réfutation  :  Une  étude  sur  la 
sophistique  contemporaine,  1851,  l'abbé  Gratry  donna 
sa  démission  d'aumônier.  M.  Vacherot  fut  mis  en 
disponibilité  par  un  gouvernement  qu'alarmaient  les 
doctrines  philosophiques  et  religieuses  du  directeur 
de  l'École  normale.  Entre  les  deux  adversaires,  la 
lutte  n'avait  eu  rien  de  personnel;  entre  eux  subsista 
une  mutuelle  estime  dont  ils  se  donnèrent  des  preuves 
jusqu'à  la  fin.  A.  Chauvin,  Le  P.  Gratry,  c.  vu.  Dans 
son  Élude  sur  la  sophistique  contemporaine,  Gratry 
avait  commencé  avec  éloquence  cette  guerre  qu'il 
devait  poursuivre  sans  se  lasser  contre  le  panthéisme; 


il  avait  réfuté  l'exégèse  erronée  et  l'insuffisante  érudi- 
tion palristique  de  M.  Vacherot;  mais  il  n'avait  peut- 
être  pas  fait  sa  place  légitime  à  la  doctrine  du  progrès 
dogmatique  au  sein  de  l'Église;  il  était  plus  proche  de 
Rossuet  et  de  Mgr  Ginoulhiac  que  de  Petau  et  de 
Newman. 

L'abbé  Gratry  avait  cherché  à  Strasbourg,  comme 
d'autres  à  La  Chesnaie,  un  foyer  de  vie  pieuse  et  frater- 
nelle et  un  centre  d'études  et  de  travail  en  commun; 
il   espéra    que    l'Oratoire    de   France   reconstitué   lui 
offrirait  ce  foyer  et  ce  centre;  de  concert  avec  l'abbé 
Pététot,  curé  de  Saint-Roch,  et  l'abbé  de  Valroger, 
chanoine  titulaire   de  Rayeux,  il  essaya   de  le  réta- 
blir (1852).  Le  Saint-Siège  approuva  l'entreprise.  Les 
années  qui  s'écoulèrent  entre  cette  date  et  celle  de  sa 
mort  furent  certainement  la  période  la  plus  laborieuse 
et  la  plus  féconde  de  la  vie  du  P.  Gratry.  11  publia  en 
1853  la  Connaissance  de  Dieu;  en  1855,  la  Logique  (qui 
a  été  traduite  en  allemand);  en  1858,  la  Connaissance 
de  l'âme  (elle  a  aussi  été  traduite  en  allemand);  en 
1859,   le   Mois  de  Marie  de  V Immaculée  Conception 
(le  P.  Faber,  de  l'Oratoire  de  Londres,  a  écrit  l'Intro- 
duction de  la  traduction  anglaise);  en  1861,  La  paix, 
Méditations  historiques  et  religieuses,  et  La  philosophie 
du  Credo  (cet  ouvrage  a  été  composé  pour  répondre  à 
des  questions  du  général  de  Lamoricière,  alors  exilé 
à  Rruxelles  ;  il  a  été  discuté  par  lui,  page  à  page,  avec 
le  futur  cardinal  Dechamps,  pendant  environ  vingt 
séances   de   deux  et  trois   heures   chacune.)   De  ces 
années  aussi  datent  la  plupart  des  homélies  et  confé- 
rences prêchées  dans  la  chapelle  de  l'Oratoire,  dans  celle 
des  religieuses  de  la  Retraite,  à  Saint-Éticnne-du-Mont. 
«  Jusqu'à  la  fin,  dit  le  cardinal  Perraud,  le  P.  Gratry 
a  gardé  dans  sa  parole  publique  l'exquise  simplicité 
de  forme  qui  accompagnait  la  profondeur  et  l'origina- 
lité de  la  pensée.  »  Op.  cit.,  p.  57.  Des  raisons  diverses 
l'amenèrent  en  1861  à  quitter  la  vie  commune  tout  en 
conservant  le  titre  d'oratorien.  Dans  sa  résidence  de 
la  rue  Rarbet-de-Jouy,  il  publia  à  part,  en  1862,  Les 
Sources,  conseils    pour    la    direction    de    l'esprit,    qui 
formaient  le  1.  VI  de  la  Logique.  A  l'édition  de  1864 
est    joint   un    Discours   sur  le  devoir  intellectuel  des 
chrétiens  au  xix  c   siècle  et  sur  le  devoir  des  prêtres  de 
l'Oratoire;  les  Sources  (IIe  partie)  ou  le  premier  et  le 
dernier  livre   de   la   science   du   devoir;   en   1863,  le 
Commentaire  sur  l'Évangile  de  saint  Matthieu,  et  la 
Crise  de  la  foi,  trois  conférences  faites  à  Saint-Étienne- 
du-Mont  ;  en  1864,  Les  sophistes  et  la  critique;  Jésus- 
Christ,  Réponse  à  M.  Renan;  Petit  manuel  de  critique; 
en  1866,  Henri  Perreyve.  Le  P.  Gratry,  élu  membre  de 
l'Académie  française,  le  2  mai  1867,  en  remplacement 
de  M.  de  Rarante,  fut  reçu  par  M.  Vitet,  le  26  mars  1868. 
En  cette  même  année  1868,  il  publia  La  morale  et  la 
loi  de  l'histoire,  et  en  1869,  les  Lettres  sur  la  religion. 
Pitoyable   à   toutes   les   souffrances   et   à   toutes   les 
détresses,  ennemi  des  périls  et  des  maux  que  la  guerre 
entraîne,   effrayé  des  progrès   de  ce  militarisme  que 
devaient  plus  tard  déplorer  le  cardinal  Manning  et  le 
pape  Léon  XIII,  le  P.  Gratry  avait  donné  son  adhé- 
sion à  cette  Ligue  de  la  paix  où  se  rencontraient  de 
fâcheux   voisinages   et  où   retentirent  des   paroles  à 
tout   le   moins    équivoques.    Une   grande   partie   des 
catholiques    français    s'émurent,   et    le    P.    Pététot, 
général  de  l'Oratoire,  infligea  au  P.  Gratry  un  désaveu 
public.   Univers  du  11  juillet  1869.  Ce  n'était  que  le 
commencement  des  événements  qui  allaient  troubler 
et  assombrir  les  dernières  années  du  P.  Gratry.  Le 
concile  du  Vatican  s'était  ouvert  le  8  décembre  1869; 
de  bonne  heure,  le  bruit  se  répandit  qu'il  ne  se  fer- 
merait pas  sans  avoir  défini  l'infaillibilité  pontificale. 
Telle  était  la  pensée  et  tel  aussi  le  désir  de  Mgr  De- 
champs,  archevêque  de  Malines,  pour  ne  nommer  que 
lui.  H.  Saintrain,   Vie  du  cardinal  Dechamps,  p.  165. 


1757 


G'RATRY 


1758 


Par  tout  son  passé,  le  P.  Gratry  était  étranger  à  la 
tradition  du  gallicanisme;  il  ne  l'avait  rencontrée  ni 
à  Strasbourg,  chez  M.  Bautain,  qui  avait  trouvé  Rome 
moins  sévère  que  l'évèque  Mgr  de  Trévern,  ni  dans  l'Ora- 
toire  du  P.  Pététot.  Les   études  historiques  qu'exige 
l'examen  de  cette  question   n'avaient  non  plus  jamais 
attiré  l'auteur  de  la  Connaissance  de  Dieu.  La  manière 
dont  jusqu'alors  il  avait  parlé  de  l'autorité  pontificale 
avait  toujours  été  d'une  correction   irréprochable,  et 
même  empreinte  d'une  véritable  piété  filiale.  Voir  Mois 
de  Marie,  xine  méditation.  Mais  le  P.  Gratry  s'effraya 
des  exagérations  verbales  et  même  doctrinales  de  cer- 
tains défenseurs  de  l'infaillibilité;  il  conçut  la  crainte 
peu    théologique    que    la    prérogative  pontificale   ne 
parût  franchir  ses  limites,  et  ne  prétendît  envahir  tout 
le  domaine  de  l'histoire,  de  la    science   et  de  la  poli- 
tique; excité,   encouragé  par  des  amis,  et  au  premier 
rang    par  Mgr  Dupanloup,   il  se  lança  dans  la  lutte 
antidéfinitionniste.  Ses  quatre  Lettres  à  Mgr  Dcchamps, 
l'ami  de  sa  jeunesse,  rappelèrent  à  plus  d'un  les  Provin- 
ciales; elles  en  ont  parfois  l'éloquence,  elles  en  ont  aussi 
l'injustice;  la  mc  —  littérairement  la  plus  faible,  et 
au  point  de  vue  des  résultats  probables  la  plus  répré- 
hensible  —  provoqua  la  réponse  indignée  d'un  admi- 
rateur du  P.  Gratry,  M.  Amédée  de  Margerie.  Beau- 
coup  d'évèques   français    condamnèrent    ces    lettres: 
l'Oratoire  pressa  l'auteur  de  donner  sa  démission,  et 
l'obtint.   Nonobstant   des  efforts  qui  s'opposaient  en 
vain  à  un  irrésistible  et  providentiel  courant,  l'infail- 
libilité ex  cathedra   fut   définie  le  18  juillet  1870.  Le 
P.   Gratry  y  adhéra  par  une  lettre  très  nette  et  très 
simple  à  Mgr  Guibert,  archevêque  de   Paris  (25  no- 
vembre 1871).  Cette  lettre  est  datée  de  Montreux,  sur 
les    bords    du    lac   de    Genève,   où   la  maladie  l'avait 
contraint  de  se  réfugier.  Blessé  au  cœur  par  les  mal- 
heur-; de  la  France,  atteint  d'une  tumeur  glandulaire 
qui  devint  bientôt  irrémédiable,  il  s'y  éteignit  le  7  fé- 
vrier 1872,  entouré   des   deux  frères,  Charles  Perraud 
et  le  futur  cardinal  qui  a  tracé  de  cette  agonie  aussi 
résignée  que  lente  et  douloureuse  un  récit  émouvant. 
Le  P.  Gralry,  ses  derniers  jours,  son  testament  spirituel. 
II.  Doctrine.  —  Thiers  disait   du   P.   Gratry  qui 
posait  sa  candidature   à   l'Académie  française  :    «  Il 
n'est  pas    un  philosophe.   Est-ce  comme   prédicateur 
qu'il  se  présente  ?  »  Chauvin,  Le  Père  Gratnj,  p.  192. 
Ce  trait  d'un  homme  d'esprit  que  tout  son  passé 
avait  mal  préparé  a  goûter  et  môme  à  comprendre  le 
P.  Gratry,  d'autres,  plus  compétents  sans  doute,  l'ont 
répété;  est-il  l'expression  de  la  vérité,  et  en  se  l'agré- 
geant,   l'Académie    française   n'a-t-elle  choisi    qu'un 
écrivain  ? 

Le  P.  Gratry  a  tracé  le  plan  de  son  œuvre  philo- 
sophique. «Les  parties  de  la  philosophie  sont  :  1°  la 
connaissance  de  Dieu  (théodicôe);  2°  la  connaissance 
de  l'âme,  considérée  dans  ses  rapports  avec  Dieu  et 
avec  le  corps  (psychologie);  3°  la  logique  qui  est  un 
développement  de  la  psychologie,  et  qui  étudie  l'âme 
dans  son  intelligente,  et  les  lois  de  cette  intelligence; 
4°  la  morale,  qui  est  un  autre  développement  de  la 
psychologie,  et  qui  étudie  l'âme  dans  sa  volonté,  et 
les  lois  de  cette  volonté.  Nous  exposerons  successi- 
vement ces  différentes  parties  de  la  philosophie. 
Nous  commencerons  par  la  théodicée.  Cet  ordre  est 
celui  de  Descartes,  de  Fénelon,  ds  Malebranche,  de 
saint  Thomas  d'Aquin.  Bossuet  a  suivi  l'ordre  inverse. 
Mais  nous  préférons  commencer  par  la  théodicée, 
parce  qu'à  nos  yeux  la  théodicée  implique  toute  la 
philosophie.  Elle  en  présente  l'ensemble,  l'unité;  elle 
en  renferme  toutes  les  racines.  Tout  en  sort.  C'est 
donc  le  point  de  départ.  »  De  la  connaissance  de  Dieu, 
t.  i,  Exposition.  Le  P.  Gratry  affirme  le  pouvoir  que 
possède  la  raison  de  démontrer  l'existence  de  Dieu; 
seulement,  comme  tous  les  maîtres,  il  enseigne  que, 


pour  découvrir  ou  entendre  les  preuves  de  cette 
vérité,  une  préparation  morale,  l'effort  continu  d'une 
volonté  saine  sont  nécessaires. 

D'après  le  P.  Gratry,  «  s'il  y  a  de  vraies  preuves  de 
l'existence   de   Dieu,   ces   preuves   doivent   être  à  la 
portée  de  tous  les  hommes...  Donc,  pour  trouver  les 
preuves  utiles  de  l'existence  de  Dieu,  il  en  faut  chercher 
l'origine  et  la  réalité  dans  quelque  opération  vulgaire 
et  quotidienne  de  l'esprit  humain...  Or,  cette  opération 
vulgaire  et  quotidienne  de  l'âme  humaine,  esprit  et 
cœur,  intelligence  et  volonté,   n'est  autre  chose  que  le 
fait  universel  de  la  prière;  et  j'entends,  en  philosophie, 
par  prière,  ce  que  précise  Descartes,  quand  il  dit  :  «Je 
sens  que  je  suis  un  être  borné  qui  tend  et  qui  aspiresans 
cesse  à  quelque  chose  de  meilleur  et  de  plus  grand  que 
je  ne  suis.  »  La  prière,  c'est  le  mouvement  de  l'âme  du 
fini  à  l'infini.  »  Connaissance  de  Dieu,  t.  i,  Exposition,  n. 
A  cette  preuve  «  se  ramènent  plus  ou  moins  clairement 
toutes   les  autres,  selon    qu'elles  sont  plus  ou   moins 
explicites,  solides  et  lumineuses.  »  Ibid.,  ni.  Traduit  en 
langue  philosophique,  le  procédé  que  vise  le  P. Gratry, 
c'est  l'induction;  il    se    nomme  aussi   procédé    dialec- 
tique, entendu  non  au  sens  primitif  (l'art   de   raison- 
ner),   mais  au   sens   platonicien;    «  il   consiste,  étant 
donné   par  l'expérience,  un   degré  quelconque  d'être, 
de  beauté,  de  perfection  —  ce  qui  est  toujours  donné, 
dès  qu'on  est,  qu'on  voit,  qu'on  pense  — ■  il  consiste, 
disons-nous,  à  effacer  immédiatement,  par  la  pensée, 
les  limites  de  l'être  borné  et  les  qualités  imparfaites 
qu'on  possède  ou  qu'on  voit,  pour  affirmer,  sans  autre 
intermédiaire,  l'existence   infinie  de  l'Être  et  de  ses 
perfections    correspondantes    à    celles    qu'on     voit... 
Absolument  distinct  du  syllogisme,  il  est  tout  aussi 
rigoureux;  seul  il  donne  les  majeures  qu'emploie  le 
syllogisme...  La  condition  morale  première  de    l'exis- 
tence de  ces  jugements  dialectiques  qui  vont  de  tout 
fini  à  l'infini,  c'est  ce  qu'on  doit   nommer  le  sens  de 
l'infini,  ce  sens  divin  qui  est  toujours  donné,  qui  est 
l'attrait  universel  du  souverain  Bien  ou  de  l'infini  sur 
toute   âme.    Puis,   selon   la   correspondance   libre   de 
chaque  âme  à  cet  attrait  de  l'infini,  elle  porte,  ou  elle 
ne  porte  pas,  le  jugement  vrai  qui  va  de  tout  être  fini 
à  l'infini...  »  Ibid.,  m.  Nul  n'a  décrit  d'une  manière 
plus  ingénieuse  que  le  P.  Gratry  ces  appels  incessants 
et  variés  de  la  lumière  divine  sollicitant  l'âme  humaine 
à  la  reconnaître  .  «  N'avons-nous  pas  dit...  que  l'étoile 
même  scintille,  et  que  la  lumière  sidérale  a  ses  mou- 
vements et  ses  élans  ?  Or  la  sagesse  de  Dieu,  sa  bonté, 
son  amour  ont  infiniment  plus  de  mouvements  vers 
l'âme  pour  la  sauver  et  l'élever,  que  n'en  a  le  ciel  des 
étoiles   pour  provoquer  et  relever  notre  regard.   La 
lumière    de    Dieu...    scintille    toujours,     se    voile,   se 
montre,   redouble,  s'efface,   redouble   encore,   et  cela 
selon    les    calculs    infinis    d'un    amour    infini,    d'une 
sagesse  infinie,  diversement  appliquée  à  chaque  âme 
et  à  chaque  moment  de  chaque  âme,  pour  tout  sauver.  » 
Connaissance  de  Dieu,  n,  Rapports  de  la  raison  et  de  la 
foi,  c.  v.  D'après  le  P.  Gratry,  le  procédé  dialectique, 
qui  pousse  ainsi  du  fini  à  l'infini,  peut  aider  à  entendre, 
par  voie  d'analogie,  le  passage   de  la  raison  à  la  foi. 
L'induction   —   car   c'est   aussi  le   nom   du   procédé 
dialectique  —  est  donc  le  point   capital  de  la  théo- 
dicée du  P.  Gratry;  il  ramène  à  cette  preuve  toutes 
les  autres  preuves.  Il  demande  des  témoignages  plus 
ou  moins  complets,  plus  ou  moins  précis  en  laveur  de 
cette  preuve  aux  plus  illustres  penseurs  :  Platon  et 
Aristote,  saint  Augustin,  saint  Anselme,  saint  Thomas 
d'Aquin  (il  a  regretté  plus  tard  d'avoir  omis  saint 
Bonaventure),  Descartes,  Pascal,  Malebranche,  Fénelon 
qui,  à  ses  yeux,  est  le  plus  irréprochable  de  tous  les 
philosophes    du     xvnc    siècle.    Sans    doute,  dans  la 
controverse  du  quiétisme,  il  a  erré;  mais  imputer  à 
Fénelon   des  erreurs  rétractées  par  lui,   c'est,   dit  le 


1739 


GRATRY 


1760 


P.  Gratry,  non  sans  une  pointe  d'inconscient  paradoxe, 
lui  i  imputer  les  ratures  de  ses  manuscrits.  »  11  s'arrête 
aux  Dogmes  théclogiques  de  Petau,  surtout  à  ceux  de 
Thomassin  dont  il  loue  l'orthodoxe  et  large  éclectisme; 
c'est  par  LSossuct  el  Leibniz  qu'il  termine  cette  revue 
des    théodicées. 

La  dernière  partie  de  la  Connaissance  de  Dieu 
traite  avec  ampleur  de  ce  que,  après  saint  Thomas, 
l'auteur  nomme  les  deux  degrés  de  l'intelligible  divin 
(duplici  igitur  v  ritate  divinorum  intelligibilium  exi- 
stante, etc.),  et  des  rapports  de  la  raison  qui  atteint  le 
premier  degré,  avec  la  foi  qui  seule  nous  conduit  au 
second. 

Le  P.  Gratry  aninne  que  sa  démonstration  de 
l'existence  de  Dieu  par  l'induction  «  n'est  autre  chose 
que  l'un  des  deux  procédés  de  la  géométrie,  qui 
correspondent  aux  deux  procédés  généraux  de  la 
raison  (l'induction  et  la  déduction).  Elle  est  le  procédé 
infinitésimal,  appliqué  non  plus  à  l'infini  géométrique 
abstrait,  mais  à  l'infini  substantiel  qui  est  Dieu.  » 
Connaissance  de  Dieu.  t.  n,  part.  I,  c.  ix. 

Que  le  1'.  Gratry  ait  rejeté  l'ontologisme  qui  flo- 
rissait  dans  de  brillantes  écoles  lorsque  parut  la 
Connaissance  de  Dieu,  c'est  chose  incontestable.  Il 
s'en  est  expliqué  en  maint  endroit,  particulièrement 
dans  son  étude  sur  la  théodicée  de  Malebranche. 
Malebranche,  dit-il,  croit  que  notre  idée  de  Dieu  est 
la  vue  de  Dieu  même,  directe,  immédiate.  Selon  lui, 
du  moins  selon  qu'il  le  développe  dans  la  Recherche 
de  la  vérité,  la  vue  des  créatures  et  la  vue  de  notre 
âme  ne  sont  qu'une  vue  de  Dieu,  qui  opère  en  nous,  à 
l'occasion  de  notre  âme  et  du  monde,  les  impressions, 
les  sensations,  les  sentiments  que  nous  attribuons  au 
monde  et  à  notre  âme.  Malebranche  ne  dit  pas  comme 
saint  Paul  :  «  Nous  voyons  Dieu  par  les  créatures,  » 
il  dit  à  l'inverse  :  «  Nous  voyons  les  créatures  par  Dieu.  » 
Connaissance  de  Dieu,  Théodicée  du  xvne  siècle, 
Malebranche,    iv. 

Mais  à  un  autre  point  de  vue,  des  critiques  n'ont 
pas  manqué  à  la  théodicée  du  P.  Gratry.  Certes, 
l'idée  de  Dieu  naît  avec  une  extrême  facilité  dans 
toute  âme  qui  n'est  pas  pervertie  —  l'expérience  quoti- 
dienne, l'expérience  universelle  le  prouvent  —  mais 
cette  idée  n'est  pas  primordiale,  elle  en  suppose 
d'autres,  par  exemple,  l'idée  de  la  raison  suffisante 
dont  on  la  déduit;  ce  n'est  donc  pas  sans  intermédiaire, 
comme  l'avance  le  P.  Gratry,  que  l'âme  s'élance  vers 
Dieu.  Sans  doute,  l'idée  de  l'infini  ne  naît  pas  de 
l'idée  du  fini  comme  de  sa  cause  efficiente,  mais  ne 
peut-elle  pas  naître  de  l'idée  du  fini  comme  de  sa 
cause  occasionnelle,  comme  de  sa  condition  ?  Lorsque 
le  P.  Gratry  répète  sans  se  lasser  cet  argument  qui 
lui  paraît  décisif  et  qui  l'est  en  effet  :  Tout  est  fini  sur 
la  terre,  mais  j'éprouve  une  tendance  irrésistible  vers 
l'infini  et  le  parfait,  donc  il  existe  un  Être  infini  et 
parfait,  cet  argument,  tout  inductif  qu'il  est,  ne  sup- 
pose-t-il  pas,  pour  être  valable,  un  principe  sans 
lequel  on  ne  peut  rien  conclure  des  deux  faits  d'ex- 
périence donnés  dans  les  prémisses.  L'induction  ne  vaut 
que  par  l'affirmation  préalable  d'un  principe  comme 
celui-ci  :  Toute  tendance  irrésistible  doit  avoir  son 
objet.  Et  ce  principe  lui-même,  que  vaut-il  si  nous 
n'admettons  déjà  une  loi  providentielle,  et  avec  la  loi 
le  Dieu  dont  elle  dépend  ?  «  L'induction,  dit  Royer- 
Collard,  s'appuie  sur  ce  principe  :  Dieu  étant  un  Être 
sage  doit  gouverner  le  monde  par  des  lois  stables.  » 
Le  P.  Gratry  a  subi  surtout  de  graves  critiques  sur 
l'emploi  qu'il  prétend  faire  du  calcul  infinitésimal 
pour  la  démonstration  de  l'existence  de  Dieu.  Emile 
Saissel,  Une  logique  nouvelle  à  l'Oratoire,  dans  la  Revue 
des  deux  mondes,  lir  septembre  1855;  voir  la  répons»' 
du  P.  Gratry.  dans  le  Correspondant  du  25  octobre  1855. 
Encore   que,   dit  l'abbé  de  Broglie,  des  savants  de 


premier  ordre  tels  que  Gauchy  et  Ampère  paraissent 
avoir  incliné  du  côté  des  idées  du  P.  Gratry,  »  elles 
n'ont  pas  été  admises  par  le  grand  nombre  des  mathé- 
maticiens; et,  ajoute  M.  de  Broglie,  «  la  plupart  des 
philosophes  spiritualistes  repousseraient  également 
une  assimilai  ion  entre  l'infini  mathématique  essen- 
tiellement divisible  en  parties,  et  la  simplicité  de  l'Être 
divin.  »  Le  P.  Gratry,  polytechnicien,  philosophe  cl 
apologiste,  dans  la  Quinzaine  du  1er  novembre  1804. 
M.  de  Broglie  en  faisait  cependant  l'équitable  remarque: 
«  s'il  ne  s'agissait  que  de  faire  naître  l'idée  de  Dieu, 
ou  même  de  persuader  aux  hommes  que  l'objet  de 
celte  idée  est  réel,  la  méthode  de  l'illustre  oratorien 
pourrait  avoir  son  utilité.  Tout  chemin  mène  à  Rome, 
dit  le  proverbe,  nous  pouvons  dire  de  même  que  du 
moment  qu'il  s'agit  d'âmes  droites  et  de  cœurs  sincères 
ayant  des  aspirations  religieuses,  tout  chemin  mène 
à  Dieu.  » 

Il  est  un  autre  point,  non  pas  philosophique,  mais 
théologique,  sur  lequel  le  P.  Gratry  a  aussi  été  critiqué, 
mais  il  pouvait  opposer  à  ses  adversaires  une  victo- 
rieuse réponse.  «  L'intelligence  créée,  dit-il,  a,  par  le 
fait,  le  désir  de  la  vue  intuitive  de  Dieu...  Ce  désir  tient 
à  la  nature  même  de  la  créature  raisonnable...  Or  ce 
désir,  ce  désir  négatif,  je  l'accorde,  désir  par  privation 
et  par  regret,  quelque  indirect,  aveugle  et  inefficace  qu'il 
puisse  être  en  lui-même,  suffit  pourtant  à  démontrer 
que  notre  intelligence  n'aura  son  plein  repos  et  sa 
pleine  perfection  que  dans  la  lumière  supérieure  que  lui 
apporte  la  vue  de  Dieu.  »  Connaissance  de  Dieu,  t.  n, 
part.  II,  c.  vi.  A  propos  d'une  telle  doctrine,  le  fâcheux 
souvenir  de  Quesnel  et  de  Baius  avait  été  rappelé, 
Rohrbacher,  Histoire  universelle  d°  V Église  catholique, 
1857,  t.  v,  p.  55G;  mais  le  P.  Gratry  s'était  justifié 
d'avance  :  «  Nous  voyons,  avait-il  écrit,  qu'on  ne  peut 
dire  avec  Baius  :  «  Que  l'élévation  de  la  nature  humaine 
«  à  la  participation  de  la  nature  divine  était  due  à 
«  l'intégrité  de  la  première  création,  et  doive  être 
<■■  dite  naturelle  et  non  surnaturelle.  » 

«  Le  don  de  Dieu  pouvait  s'arrêter  là,  et  donner  seu- 
lement à  l'homme  la  pleine  science  naturelle,  le  plein 
empire  sur  ses  passions,  et  dans  son  corps  l'immor- 
talité. Seulement,  comme  le  démontre  saint  Thomas, 
l'homme  alors  n'eût  pas  été  élevé  à  sa  perfection 
dernière,  c'est-à-dire  à  sa  lin  surnaturelle  qui  consiste 
à  voir  l'essence  de  Dieu  et  à  la  posséder  :  et  la  nature 
intègre,  encore  plus  que  la  nature  déchue,  eût  con- 
servé le  naturel  désir  de  voir  l'essence  de  Dieu  et  de 
la  posséder.  »  Connaissance  de  Dieu,  t.  n,  part.  II, 
c.  iv.  Au  xvnie  siècle,  les  souvenirs  de  Baius  et  de 
Jansénius  avaient. aussi  été  évoqués  contre  l'auguslin 
Berti  qui,  dénoncé  à  Benoît  XIV,  soutint  cette  pro- 
position :  Ncmo  damnandus  est  baianismi  si  dejended 
creedurœ  ralionali  inessc  neduraliler  appetilum  innalum 
ad  visionem  Dci  intuilivam;  et  n'encourut  aucune 
censure.  Voir,  à  la  fin  du  t.  n  de  la  Connaissance  de 
Dieu,  une  note  très  éruditc,  dont  les  éléments  ont  été 
fournis  au  P.  Gratry  par  l'abbé  Gillet,  vicaire  général 
de  Blois,  que  Pie  IX  désigna  plus  tard  comme  un  des 
théologiens  chargés  de  préparer  les  travaux  du  concile 
du  Vatican.  «  Tel  quel,  dit  le  cardinal  Perraud,  ce 
désir  (quoique  par  lui-même  indirect  et  négatif)  suffit 
à  produire  dans  l'âme  une  très  salutaire  impression  de 
vide,  une  conscience  de  son  ignorance  et  de  sa  misère, 
une  prédisposition  à  se  mettre  en  état  de  recevoir  ce 
qui  lui  manque,  et  tout  d'abord  d'en  sentir  le  besoin.  » 
/.<■   l'ère   Gratry,  p.   113. 

La  Logique,  qui  n'avait  pas  la  prétention  d'être  une 
Logique  nouvelle,  contient  une  vigoureuse  réfutation 
du  panthéisme  hégélien,  une  étude  du  syllogisme  el 
de  ses  lois,  laquelle  n'occupe  pas  moins  d'un  tiers 
du  Ier  volume,  de  longues  considérations  sur  le  procédé 
I    dialectique   ou    procédé   infinitésimal;   tout    un   livre 


L761 


GRATRY 


1762 


sur  les  vertus  intellectuelles  inspirées,  où  l'on  retrouve 
le  théologien  et  le  mystique;  et  cet  admirable  livre  des 
Sources,  conseils  pour  la  conduite  de  l'esprit.  De  bons 
juges  y  ont  vu  le  chef-d'œuvre  du  P.  Gratry.  L'auteur 
>  préconise  une  des  idées  qui  lui  furent  le  plus  chères, 
et  dont  l'application  exige  une  certaine  mesure.  «  Il 
vous  excite  à  la  science  comparée;  je  vous  demande, 
pour  cela,  d'étudier  tout  :  théologie,  philosophie, 
géométrie,  physique,  physiologie,  histoire.  Eh  bien  1 
je  crois  vous  moins  charger  l'esprit  que  si  je  vous  disais 
de  travailler,  de  toutes  vos  forces,  pendant  la  vie 
entière,  la  physique  seule,  la  géométrie  seule,  la  philo- 
sophie ou  la  théologie  seule.  Il  se  passe  pour  l'esprit 
ce  que  la  science  a  constaté  pour  l'eau  dans  sa  capacité 
d'absorption.  Saturez  l'eau  d'une  certaine  substance  : 
cela  ne  vous  empêche  en  rien  de  la  saturer  aussitôt 
d'une  autre  substance,  comme  si  la  première  n'y  était 
pas,  puis  d'une  troisième,  d'une  quatrième,  et  plus. 
Au  contraire,  et  c'est  là  le  fort  du  prodige,  la  capacité 
du  liquide  pour  la  première  substance  augmente  encore 
quand  vous  l'avez  en  outre  remplie  par  la  seconde,  et 
ainsi  de  suite,  jusqu'à  un  certain  point.  »  Les  Sources,  x. 

L'analogie  même  amène  le  P.  Gratry  à  compléter 
par  un  conseil  d'ordre  moral  ce  conseil  qui  semblait 
d'ordre  purement  intellectuel.  «  Il  ne  faut  point  oublier 
que  ces  capacités  de  l'eau  dépendent  principalement 
de  sa  température.  Refroidissez  :  la  capacité  diminue; 
elle  augmente  si  la  chaleur  revient.  De  même,  rien 
n'augmente  autant  la  capacité  de  l'esprit  qu'un  cœur 
ardent.  L'esprit  grandit  quand  il  fait  chaud  dans 
l'âme...  Les  esprits  les  plus  grands  sont  toujours  les 
plus  chauds.  »  Ibid. 

La  Connaissance  de  l'âme,  dont  quelques  vues  scien- 
tifiquement contestables  n'ébranlent,  pas  l'exacte  et 
forte  psychologie,  est  essentiellement  œuvre  de  mora- 
liste chrétien;  le  P.  Gratry  n'étudie  l'âme  humaine  et 
ne  l'aide  à  s'étudier  elle-même,  que  pour  lui  faciliter 
l'ascension  vers  Dieu  et  l'union  à  Dieu.  Le  moyen, 
c'est  le  sacrifice:  «  Le  sacrifice,  c'est  l'acte  libre  d'une 
volonté  aimante  et  courageuse,  qui  consent  à  sortir 
de  soi,  pour  aller  à  Dieu,  et  pour  se  retrouver  en  Dieu. 
Sortir  de  soi  ou  y  rester,  là  est  toute  la  question,  toute 
l'histoire,  tout  le  drame  de  la  vie  morale.  »  Connais- 
sance de  l'âme,  1.  IV,  c.  n.  L'obstacle,  c'est  l'égoïsme 
qui  sépare  l'âme  de  Dieu,  qui  la  divise.  «  Mais  cet 
égoïsme  en  lui-même  ne  peut  se  voir.  Il  n'est  visible 
que  par  ses  effets,  par  ses  deux  formes  et  ses  deux 
foyers.  L'un  des  deux  est  l'abus  de  la  lumière,  l'autre 
l'abus  du  feu.  L'un  dévore  la  lumière,  l'autre  le  feu. 
Les  deux  ensemble  épuisent  la  source  de  l'âme  en  la 
décomposant  sans  cesse  en  lueurs*  qui  s'évanouissent, 
en  ardeurs  qui  se  dévorent.  »  Connaissance  de  l'âme, 
1.  IV,  c.  i. 

L'immortalité  est  le  terme  auquel  tend  la  vie 
humaine.  Le  P.  Gratry  en  expose  les  preuves  avec 
chaleur;  il  montre  pourquoi  ces  preuves  ne  con- 
vainquent pas  toutes  les  âmes,  celles  qui,  autrement 
que  saint  Paul,  entendent  en  elles-mêmes  «  la  réponse 
de  mort.  »  Muni  des  données  de  la  science  et  de 
quelques  textes  de  mystiques  largement  interprétés, 
il  recherche,  il  essaie  de  décrire  le  lieu  de  l'immortalité 
future  et  de  la  vie  rassemblée.  «  C'est  un  miracle  de 
poésie  que  le  Ve  livre  de  la  Connaissance  de  l'âme  sur 
le  lieu  de  l'immortalité.  »  J.  Vaudon,  Le  P.  Gratrtj, 
Le  philosophe,  n.  Ce  livre  qui,  par  ses  certitudes, 
et  aussi  par  ses  conjectures,  donne  souvent  le  frisson 
de  l'infini,  en  précède  un  autre,  le  dernier,  celui  que  le 
P.  Gratry  intitule  la  Mort,  et  qui  la  montre  «  comme 
l'élan  suprême  et  le  procédé  principal  de  la  vie.  »  Connais- 
sance de  l'âme,  épilogue.  L'auteur  étudie  les  deux  derniè- 
res phases  de  l'existence  terrestre,  celles  qu'il  nomme 
poétiquement  l'automne  et  l'hiver.  L'observation  y  est 
sévère  et  pénétrante,  clic  ne  décourage  pas;  l'auteur 

DICT.  DE   THÉOL.  CATHOI,. 


regarde  la  mort  en  face,  et  découvre  dans  cette  contem- 
plation de  merveilleuses  ressources.  «  O  mort,  tous  mes 
malheurs,  tous  mes  chagrins  viennent  de  ne  t'avoirpas 
connue,  de  ne  t'avoirpas  pratiquée...  En  nous  envelop- 
pant de  silence,  la  morts'efforce  de  nous  transférer  dans 
la  parole  cpii  vient  de  Dieu.  En  faisant  taire  notre  pensée 
même,  elle  ôte  à  notre  esprit  le  goût,  l'estime,  la 
possibilité  de  tout  ce  qui  n'est  pas  contemplation  de 
Dieu.  En  nous  plongeant  dans  l'inaction  et  dans 
l'indifférence,  elle  veut  nous  transférer  à  un  plus  haut 
principe  d'action,  à  un  plus  haut  motif  d'amour.  > 
Connaissance  de  l'âme,  1.  VI,  c.  n.  C'est  par  un  cantique 
où  l'auteur  a  uni  Habacuc  et  saint  François  de  Sales, 
que  s'achève  ce  dernier  livre.  «  Il  faut  lire  et  relire  ces 
pages,  a  dit  un  délicat  esprit,  il  faut  laisser  passer  et 
repasser  sur  son  âme  ces  flots  d'harmonie...  La  fin  est 
triomphante.  C'est  l'orchestre  rassemblant  tous  ses 
instruments  dans  une  puissante  harmonie.  »  Souvenirs 
d'un  frère,  p.  45. 

Sous  une  forme  dramatique  (au  soir  d'une  splendide 
journée,  l'auteur  s'entretient  avec  un  maître  idéal) 
l'épilogue  résume  en  pages  éloquentes,  et  quelquefois 
brûlantes,  toute  la  pitié,  toute  la  tendresse,  tout  le  zèle 
apostolique  du  P.  Gratry,  et  toutes  ses  espérances 
pour  le  progrès  du  genre  humain.  «  A  mesure  qu'il 
avançait  en  âge,  le  P.  Gratry  était  pénétré  d'une  pitié 
de  plus  en  plus  profonde  pour  la  souffrance  humaine.  » 
Chauvin,  Le  Père  Gratry,  2e  édit.,  p.  287.  Il  redisait 
comme  Malebranche  :  «  Sciences  abstraites,  quelque 
éclatantes  et  sublimes  que  vous  soyez,  vous  n'êtes 
que  vanité,  et  je  vous  abandonne.  Je  veux  étudier 
la  religion  et  la  morale...  »  IXe  Méditation  chrétienne. 
Dans  la  dernière  période  de  sa  vie,  c'est  surtout  au 
point  de  vue  social  que  le  P.  Gratry  regardait  la  morale. 
De  là  les  œuvres  dont  nous  avons  donné  la  liste  :  La 
paix;  le  Commentaire  sur  l'Évangile  selon  saint  Mat- 
thieu; La  morale  et  la  loi  de  l'histoire.  Il  «  sait  voir  le 
mal  sous  toutes  les  formes...  il  a  de  l'injustice,  de  l'ini- 
quité dans  la  société  une  vue  poignante,  un  sentiment 
aigu;  il  la  décrit  et  la  condamne  avec  une  vigueur 
implacable...,  mais  jamais  il  ne  désespère,  parce  qu'il 
n'oublie  jamais  «  les  ressources  divines  et  humaines  » 
qui  restent  dans  le  monde,  et  ainsi...  il  travaille  de 
toutes  ses  forces,  par  le  labeur  intellectuel,  par  les 
œuvres  sociales,  à  préparer  la  cité  qu'il  a  entrevue,  «  la 
cité  dont  tous  les  habitants  s'aimaient,  »  le  règne  de 
Dieu  sur  la  terre  en  attendant  le  ciel.  »  Ollé-Laprune, 
La  vie  intellectuelle  du  calliolicisme  en  France  au 
XIXe  siècle,  dans  La  France  chrétienne  dans  l'histoire, 
189G.  Dans  les  tableaux  tracés  par  le  P.  Gratry  de 
l'avenir  terrestre  qu'il  espère  et  qu'il  appelle,  on  a  pu 
signaler  la  part  du  rêve.  Pour  l'amélioration  physique 
et  morale  du  genre  humain,  il  attendait  beaucoup  du 
progrès  des  sciences,  beaucoup  aussi  des  généreux  et 
constants  efforts  de  la  liberté,  oubliant  trop  que  cette 
liberté,  parce  qu'elle  est  la  liberté,  menace  l'avenir 
des  mêmes  désordres  dont  elle  a  affligé  le  passé  et  le 
présent;  et  que,  soumise  à  la  loi  de  l'épreuve  et 
aussi  de  l'expiation,  cette  terre,  malgré  tous  les  progrès 
accomplis,  ne  sera  jamais  un  Édeh.  Amédée  de  Mar- 
gerie  a  expliqué  certaines  lacunes  d'un  des  plus  impor- 
tants ouvrages  de  la  dernière  période  du  P.  Gratry. 
»  ...  11  avait  découvert  l'économie  politique  en  lisant 
Bas  liât  ;...  il  avait  été  très  justement  frappé  de  la  beauté 
de  ses  lois  et  de  leur  parfaite  conformité  avec  la  morale 
de  l'Évangile...  Il  était  dans  cette  phase  et  sous  ce 
charme  lorsqu'il  écrivit  La  morale  et  la  loi  de  l'histoire, 
et  comme  deux  obstacles  principaux,  la  spoliation  et  la 
violence,  empêchent  les  lois  économiques  de  produire 
librement  leurs  bienfaisants  effets,  il  lui  advint  de  voir 
tout  le  salut  des  sociétés  dans  les  deux  vertus  qui 
corrigent  ce  double  désordre.  Au  fond,  il  sait  bien  que 
cela  ne  sullit  pas,  et  que  ces  vertus  elles-mêmes  veulent 

VI.  -  56 


1763 


GRATRY  -  GRAVE 


1764 


des  racines  plus  profondes.  Quand  il  y  songe,  il  le  dit 
autant  de  force  que  jamais,  mais  à  peine  l'a-l-il 
dit.  il  m-  laisse  entraîner  de  nouveau  à  sa  préoccupation 
cl  à  sa  distraction...  »  Dans  le  Contemporain  du  1er  mai 
1872.  Et  toutefois,  nonobstant  cette  explication  d'une 
justesse  ingénieuse  et  un  peu  attristée,  on  redit  volon- 
tiers le  jugement  du  P.  Chauvin  :  «  Au  milieu  même  de 
cçs  éclipses  momentanées  et  de  ces  lacunes,  que  de  vues 
pénétrantes  ou  prophétiques,  quel  élan,  quelle  géné- 
rosité, quelle  flamme  ardente  et  communicative  !  » 
Le  Pire  Gratry,  p.  321-322.  Et  Ollé-Laprunc,  résumant 
la  philosophie  sociale  du  P.  Gratry,  a  presque  formulé 
un  arrêt  définitif  :  «  Otez-le  de  ce  siècle,  quelque  chose 
manque  à  ce  siècle.  Mais  quoi  ?  l'esprit  qu'il  y  a  souillé 
au  début  de  la  seconde  moitié.  Et  quel  esprit  ?  Un 
esprit  généreux.  »  Éloge  du  Père  Gralry,  p.  25. 

Ces  préoccupations  sociales  avaient  inspiré  au 
P.  Gratry  son  premier  ouvrage  :  Catéchisme  social  par 
demandes  cl  réponses  sur  les  devoirs  sociaux,  Paris,  1818; 
il  le  réimprima,  en  juin  1871,  sous  ce  titre  :  Les  sources 
de  la  régénération  sociale.  Disons  encore  que,  par  ses 
œuvres  et  par  les  initiatives  qu'il  a  provoquées  et 
encouragées,  le  P.  Gratry  a  été  le  défenseur  des  peu- 
ples opprimés  (Pologne,  Irlande),  et  l'infatigable  adver- 
saire de  l'esclavage.  Cardinal  Perraud,  Le  Père  Gralry, 
p.  223,  251. 

Le  P.  Gratry  écrivain  a  été  loué  par  des  maîtres, 
Caro,  Vitet,  Nisard.  Nous  reproduirons  ici  l'apprécia- 
tion d'Ollé-Laprune  :  «  Tout  entier  à  son  ol  jet  qu'il 
veut  rendre  tout  entier,  (le  P.  Gratry),  poète  et  artiste, 
a  une  manière  de  peindre  qui  n'est  qu'à  lui...  Pour 
suivre  une  idée  dans  tous  les  replis  où  elle  s'engage, 
dans  toutes  les  conséquences  qu'elle  déroule  avec  soi, 
il  ,i  je  ne  sais  quelles  richesses  et  délicatesses  d'expres- 
sion incomparables,  des  tours  variés,  hardis,  inatten- 
dus, des  formules  vives  et  frappantes,  des  phrases 
pleines,  solides,  qui  sont  superbes,  ou  des  façons  de  dire 
ténues  qui  semblent  saisir  l'insaisissable  et  rendre 
palpable  l'inflniment  petit,  et  toujours  et  partout,  le 
rythme,  un  rythme  dont  il  a  le  secret,  qui  vient  de 
l'accord  intime  de  la  pensée  et  de  la  parole  entre  elles  et 
avec  les  choses  et  avec  Dieu.  »  Éloge  du  P.  Gratry,  p.  14. 
P.  Gratry,  Œuvres,  Paris  ;  Souvenirs  de  ma  jeunesse, 
publics  en  1874  par  Adolphe  Perraud;  Méditations  inédites, 
1871  (elles  avaient  été  composées  par  A.  Gratry  de  1835 
à  1840);  cardinal  Perraud,  Le  Père  Gratry,  ses  derniers 
jours,  son  testament  spirituel,  1872;  Le  Père  Gralry,  sa  vie 
et  ses  œuvres,  Paris,  1900;  A.  Chauvin,  Le  P.  Gralry,  1805- 
1872.  L'homme  et  l'œuvre  d'après  des  documents  inédits, 
2e  édit.,  Paris,  1911;  Ollé-Laprunc,  Éloge  du  P.  Gratry, 
1S90;  K.  lUohler,  Les  derniers  jours  du  Père  Gralry,  Paris, 
1912;  Ollé-Laprune,  Etienne  Vacherol,  1898;  Caro,  L'idée 
de  Lieu;  Plnlosophie  et  philosophes;  Ferraz,  Histoire  de  la 
philosophie  au  XIX'  siècle.  Le  Père  Gralry;  P.amière,  Du 
procédé  dialectique,  dans  les  Études  de  théologie,  de  phi- 
losophie et  d'histoire,  1857;  Amédée  de  Margcrie,  Le  Père 
Gratry,  dans  le  Contemporain  du  1er  mai  1872;  Ililaire 
de  Lacombe,  Les  commencements  du  Père  Gratnj,  dans  le 
Correspondant,  1905;  Jean  Vaudon,  Une  âme  de  lumière, 
Le  l'ire  Gralry,  Paris,  1914;  "Vitet,  Réponse  au  discours 
de  réception  du  P-  Gratry  éi  l'Académie  française,  18G8; 
Saint-René  Taillandier,  Discours  de  réception  à  l'Académie 
française,  1874;  D.  Nisard,  Réponse  au  discours  de  récep- 
tion de  M.  Saint-René  Taillandier  à  l'Académie  française, 
1874;  Pontmartin,  Nouveaux  samedis,  5°  série,  1X72; 
Albert  Aubin,  Le  P.  Gratry,  Essai  de  biographie  psycholo- 
gique, avec  préface  d'Henry  Cochin,  Paris,  1912;  Gratry, 
n.  i;  m  des  Contemporains,  1905;  Chauvelot  et  Bertrln, 
Gratry,  d;ms  Les  grandes  figures  catholiques  du  temps  présent, 
1.  ii,  p.  221-270;  B.  Chauvelot,  Le  R.  P.  Gralry,  Paris,  s.  d. 
(Céli  brités  catholiques  |. 

A.     Largent. 

GRAVE  (Henri  de),  de  un  vrai  nom  Vermeulen, 
Vermolanus, mais  appelé  de  Grave  du  nom  de  sa  ville 
natale,  dans  Le  Brabant  septentrional;  c'est  là  qu'il 
naquit  vers  le  commencement  du  xvic  siècle.  Il  prit 


l'habit  dominicain  au  couvent  de  Nimègue,  apparte- 
nant à  la  province  dominicaine  de  Germanie  inférieure. 
Pendant  longtemps  il  fut  professeur  de  théologie. 
En  1548,  au  chapitre  provincial,  réuni  à  Nimègue, 
une  approbation  des  capitulaires  désigne  frère  Henri 
comme  remplissant  les  fonctions  de  sous-prieur  de  ce 
même  couvent  de  Nimègue.  Peu  après  il  fui  élu  prieur, 
mais  il  mourut  bientôt,  le  22  octobre  1552,  ;i;;é  seu- 
lement de  52  ans.  Il  était  particulièrement  versé  dans 
la  connaissance  de  l'hébreu  et  du  grec.  I.a  littérature 
patristique  l'attirait  d'une  façon  spéciale.  Il  montra 
par  son  exemple  que  les  méthodes  d'enseignement  dans 
son  ordre  étaient  hospitalières  à  toute  étude  qui 
tendait  à  donner  de  la  tradition  une  meilleure  connais- 
sance. Il  devait  avoir  des  successeurs  émériles  dans 
les  Combctis,  les  Goar,  les  Le  Quien,  etc.  Il  travailla 
surtout,  selon  ses  moyens,  à  donner  des  Pères  et  de 
leurs  œuvres  des  éditions  plus  correctes.  Pour  cela  il 
ne  s'épargna  aucune  fatigue,  visitant  les  bibliothèques 
pour  y  découvrir  les  meilleurs  manuscrits,  et  essayant 
de  restituer  le  texte  aussi  parfaitement  que  possible. 
Ainsi  préparé,  il  lit  paraître  successivement  :  1°  S.  Cy 
priani  episcopi  cl  martyris  opéra  cum  brevibus  aniw- 
lationibus  suis  ad  Erasmianas  addilis,  in-fol.,  Cologne, 
I  5  I  1  ;  ibid.,  1549.  Cette  édition  a  mérité  d'être  louée 
des  critiques,  qui  se  sont  occupés  plus  particulièrement 
de  saint  Cyprien.  2°  Sancti  palris  Juhannis  Damasccni 
philosophi  pariter  cl  theologi  suo  lemporc  facillime 
summi  universa,  quœ  oblineri  hac  vice  potucrunl  opéra 
summo  Hcnrici  Gravii  studio  parlim  ex  lencbris  cl 
situ  crula,  parlim  cum  grœcis  excmplaribus  mature 
collata,  in-fol.,  Cologne.  1546.  Dans  sa  lettre  de  dédicace 
au  prince  Oswald,  comte  de  Mons,  il  explique  comment 
l'idée  lui  vint  de  donner  une  édition  des  œuvres  de 
saint  Jean  Damascène.  C'est  à  la  lecture  de  la  tra- 
duction latine  du  traité  De  fide  orlhodoxa  que,  saisi 
par  la  beauté  de  cet  exposé  de  la  foi  catholique,  il  se 
prit  à  désirer  qu'il  fût  connu  davantage.  Le  typo- 
graphe Pierre  Quentel  de  Cologne  fit  les  frais  de  l'édi- 
tion. Il  est  intéressant  de  voir  comment  H.  de  Grave 
conduisit  cette  entreprise.  Son  édition  comprenait 
d'abord  :  1.  Vita  S.  P.  Joannis  Damasceni  per  Joan- 
ncm  palriarcham  Hicrosolymilanum  conscripta,  per 
F.  vero  Joannem  Œcolampadium  versa.  Lorsqu'il  fit 
cette  traduction  Œcolampade  n'était  point  encore 
passé  au  protestantisme;  2.  Scrmo  de  philocosmis  et  phi- 
lotheis,  ici  est  de  diversis  amaloribus  mundi  et  Dei,  conver- 
sationem  S.  Palris  Joannis  Damasccni  obilcr  narrans. 
Ce  n'était  là  que  la  traduction  par  un  inconnu  d'un 
écrit  donl  l'auteur  grec  lui  aussi  était  anonyme.  Puis 
venaient  les  œuvres  de  saint  Jean  Damascène,  réparties 
dans  l'ordre  suivant:  a)  Logica.  Inlroductio  dignitatum. 
De  duabus  in  Chrislo  voluntatibus,  et  operalionibus, 
reliquisque  naturalibus  proprictatibus.  Ces  trois  pre- 
miers traités  étaient  jusqu'alors  inédits,  b)  De  fuie 
orlhodoxa  libri  quatuor  interprète  Fabro  Stapulensi, 
cujus  cl  scholiis  iidem  illuslrantur.  H.  de  Grave  ajouta 
des  notes  à  celles  de  Lefèvre  d'Etaples,  et  lorsqu'il 
lui  sembla  que  le  texte  de  saint  Jean  Damascène 
pouvait  servir  contre  les  hérésies  courantes,  il  fit 
ajouter  par  un  savant  théologien  des  explication? 
nécessaires,  c)  De  Trisagio,  De  ccnlum  hxresibns,  De 
altercatione  christiani  cl  saraceni;  ces  trois  traités 
él aient  inédits,  d)  Fragmentum  sententiarum  ex  ser- 
monibus  Damasceni,  interprète  Bilihaldo  Pircheymero 
Norimbergcnsi.  e)  De  his  qui  in  fuie  hinc  migrarunl, 
quod  sacris  operalionibus  et  virorum  beneficiis  multum 
ju.ven.tur  liber.  L'auteur  de  cette  traduction  était 
encore  Jean  Œcolampade,  avant  son  apostasie.  /) 
Ilisloria  Barlaam  de  Josaphat.  Enfin  g)  Carmina 
Eyxalavuyla  Damasccni  et  aliorum;  le  traducteur  était 
Aide  Manuce  de  Home.  Henri  de  Grave  ne  se  faisait 
pas  illusion  sur  les  défauts  d'un  pareil  travail,  entrepris 


1765 


GRAVE  --  GHAVESON 


1766 


avec  des  moyens  d'information  malgré  tout  assez 
restreints;  aussi  dans  sa  lettre  au  comte  de  Mons, 
parlant  des  différentes  traductions,  il  ajoutait  :  Vcnan 
nihil  hic  temere  corrigera,  mutare,  aut  expungere  decre- 
tum  crat  dira  grxcorum  cxemplarium  praesidium,  qux. 
fartasse  aul  rara,  aul  nulla  hodie  extant.  Quod  si  quis  ea 
domi  habet  inclusa,  aut  alieubi  asservari  novit,  isobsecro 
castigaliora  proférât,  mecumque  idem  communem  cl 
prsesertim  theologise  sludiosorum  frugem  spectel,  etc. 
L'activité  de  Henri  de  Grave  s'exerça  aussi  sur  d'autres 
sujets.  Il  entreprit  une  édition  des  œuvres  de  saint 
Paulin  de  Noie,  mais  qu'il  ne  put  achever.  Elle  fut 
terminée  par  son  confrère  et  ami  Joannes  Anlonianus, 
lui  aussi  du  couvent  de  Nimègue,  et  elle  parut  sous  ce 
titre  :  Divi  Paulini  episcopi  Nolani  qiwtquol  cxlant 
opéra  omnia  partim  soluta  oralione,  partim  carminé 
conscripta,  D.  Henrici  Gravii  viri  trium  lingarum 
perilissimi  studio  atque  industriel  ex  v'tustissimis 
exemplaribus  restiluta,  ac  argiimenlis  illustrata,  in-8°, 
Cologne,  1560.  La  plus  grande  partie  du  travail  est 
de  Henri  de  Grave.  Antonianus  s'est  contenté  d'ajouter 
le  proœmium  et  à  la  lin  :  Epislolas  nonnullas  ad  D. 
Auguslimim,  Alypium  et  Romanianum  aliosque.  Henri 
de  Grave  avait  eu  aussi  la  pensée  de  donner  une 
édition  des  lettres  de  saint  Jérôme.  Il  avait  donc  pré- 
paré dans  ce  but  :  Scholia  et  annotationcs  in  centum 
duas  priores  S.  Hieronijmi  epislolas.  L'auteur  mourut 
sans  pouvoir  les  éditer.  Joannes  Antonianus  fit 
paraître  la  première  décade  sous  ce  titre  :  Epislolarum 
D.  Hieronijmi  Stridoniensis  decas  prima  cum  a  mendis 
plurimis  repurgala,  tum  pereruditis  scholiis  illustrata 
sludio  et  opéra  doclissimi  viri  D.  Henrici  de  Gravia, 
Anvers,  1568.  Les  remarques  sur  les  autres  lettres 
furent  utilisées  par  André  Schott,  S.  J.  Elles  prirent 
place  en  appendice  au  t.  Ier  de  son  édition  :  Bcati 
Jlicronymi  presbyleri  Slridonensis  Epislolarum  sele- 
ctarum  libri  III,  cum  argumentis,  scholiis  et  indieibus  : 
uberiorcs  quam  anlca  et  emcndaliorcs.  Echard,  Scriplores, 
t.  ii,  p.  141,  cite  les  éditions  de  Paris,  1609,  et  de 
Cologne,  1618;  l'une  et  l'autre  sont  .inconnues  de 
Sommervogel,  voir  Bibliothèque  de  la  Compagnie  de 
Jésus,  t.  vu,  col.  884.  L'appendice  en  question  porte 
le  titre  suivant  :  Henrici  Gravii  ordinis  prœdicalorum 
theologi  prioris  Noviomagensis  annotationcs  et  casli- 
galiones  in  S.  Hieronijmi  epislolas.  Nous  apprenons 
aussi  par  la  lettre  dédicatoire  de  Joannes  Antonianus, 
placée  en  tète  de  l'édition  de  saint  Paulin  de  Noie, 
qu'Henri  de  Grave  avait  collaboré  à  l'édition  des 
œuvres  de  saint  Ambroise,  in-fol.,  Bàle,  1555,  donnée 
par  Jean  de  Coster,  de  Louvain,  prieur  des  chanoines 
réguliers  du  Val  Saint-Martin.  De  même,  il  avait 
réuni  sur  plusieurs  autres  saints  personnages,  tels  que 
Clément,  Didyme  et  Eucher,  des  matériaux  importants 
que  Schott,  en  son  temps,  désirait  fort  retrouver.  Voir 
la  lettre  du  1er  avril  1607  adressée  d'Anvers  par  Schotl, 
aux  frères  Henri  et  Jacques  Yweins,  à  Nimègue,  et 
rapportée  en  partie  par  Echard,  ibid.,  p.  141.  De  son 
côté,  Joannes  Antonianus,  dans  la  préface  à  l'édition 
de  la  lrc  décade  des  lettres  de  saint  Jérôme,  averlil 
que  le  but  de  Henri  de  Grave,  dans  ses  notes,  n'avait 
point  été  de  faire  des  notes  de  critique  littéraire,  ce 
qu'Érasme  avait  fait  supérieurement,  mais  de  donner 
une  meilleure  intelligence  de  la  pensée  de  saint  Jérôme 
en  rapprochant  les  passages  similaires,  en  établissant 
une  sorte  de  concordance,  qui  permît  de  voir,  en  même 
temps  que  les  variations  de  la  pensée,  le  souci  chez 
l'auteur  d'une  expression  plus  parfaite.  Infatigable, 
Henri  de  Grave  avait  entrepris  aussi  de  donner  une 
édition  des  œuvres  de  saint  Grégoire  de  Nysse.  Dans 
ce  dessein,  il  avait  fait  lui-même  une  copie  du  livre 
IIîv.  -;/,;  ToCi  àv0poj7Toj  yêvvÉaso);,  mais  sur  un  texte 
fautif,  bien  qu'assez  ancien.  !l  n'eut  point  le  courage 
de  continuer  ce  travail  qu'il  cou  lia  à  Joannes  Anto- 


nianus, comme  nous  l'apprend  la  lettre  dédicatoire 
placée  en  tète  de  l'édition,  qui  parut  effectivement  en 
1537.  Enfin,  Henri  de  Grave  avait  préparé  Casliga- 
liones  in  Nouum  Teslamenlum,  qui,  au  dire  du  fran- 
ciscain Zegers,  s'inspiraient  trop  d'Érasme  et  du 
texte  grec,  sans  recourir  assez  aux  anciens  écrivains. 
Voir  Tacite  Nicolas  Zegers,  Epanorlholes  seu  Casli- 
galiones  in  Novum  Teslamenlum.  Richard  Simon,  à 
son  tour,  dans  son  Histoire  critique  du  Nouveau  Tes- 
tament, t.  ii,  p.  152,  rectifie  le  jugement  de  Zegers. 

Il  y  a  à  distinguer  plusieurs  personnages  du  même 
nom,  ce  que  n'ont  pas  toujours  fait  certains  auteurs. 
Deux  autres  dominicains,  plus  ou  moins  contempo- 
rains de  Henri  de  Grave,  ont  porté  le  même  nom  :  un 
certain  Henri  de  Grave,  du  couvent  de  Lille,  apparaît 
vers  1491,  est  reçu  maître  en  théologie  en  1496  et 
meurt  en  1506.  Un  autre  Henri  de  Grave,  en  1504, 
fait  partie  du  conseil  de  l'université  de  Louvain,  en 
qualité  de  maître.  Voir  Valère  André,  Fasli  academici 
Sludii  genemlis  Lovanicnsis,  28  février  1504.  Il  prétend 
que  cet  Henri  serait  le  même  que  notre  auteur,  mais 
Gilbert  de  La  Haye,  dans  son  ouvrage  manuscrit, 
Bibliothcca  belgo-dominicana,  consulté  par  Echard, 
repousse  cette  hypothèse,  pour  cette  raison  bien 
simple  que  l'un  est  déjà  déclaré  maître  en  1504  et 
siège  dans  le  conseil  de  l'université  de  Louvain,  alors 
que  l'autre  ne  sera  reçu  lecteur,  inaugurant  ainsi  sa 
carrière  professorale,  qu'en  1548;  d'autre  part,  si 
c'était  le  même  personnage,  il  faudrait  conclure  que 
déjà  maître  en  1504,  il  n'a  publié  son  premier  ouvrage 
qu'en  1544,  donc  vers  l'âge  fort  avancé  de  quatre-vingts 
ans,  qu'il  a  été  élu  prieur  de  Nimègue  à  quatre-vingt- 
huit  ans  et  qu'il  est  mort  dans  cet  office  en  1552, 
toutes  choses  inadmissibles,  surtout  lorsque  nous 
savons  qu'il  fut  enlevé  par  la  mort  assez  jeune 
encore,  prœmalura  morte  huic  sœculo  subtraclum,  dit 
Zegers.  Il  y  eut  encore  un  autre  Henri  de  Grave, 
mais  non  dominicain,  professeur  à  l'université  de 
Louvain,  et  fils  du  célèbre  imprimeur  Barthélémy 
de  Grave.  Sixte-Quint  l'appela  à  Rome  et  le  mit  à 
la  tête  de  la  bibliothèque  et  de  la  typographie  vati- 
cane.  Il  mourut  en  1591  et  fut  enterré  à  Santa  Maria 
dcll' Anima,  à  Rome.  Enfin,  pour  être  complet,  notons 
en  passant  qu'un  autre  Henri  de  Grave,  ord.  S.  Bcr- 
nardi,  figure  parmi  les  licenciés  de  la  faculté  de 
théologie  de  Louvain,  à  la  date  du  27  septembre 
1533.  Peut-être  est-ce  le  même  que  les  précédents. 
Voir  H.  de  Jongh,  L'ancienne  faculté  de  théologie  de 
Louvain  au  premier  siècle  de  son  existence  {1432-1540), 
Louvain,  1911,  Documents,  p.  62. 

Echard,  Scri'/j/orcs  ordinis  prœd.,  Paris,  1719-1721,  t.  il, 
p.  140-142;  Nie. Tacite  Zegers,  Epanorlholes  seu  Castigationes 
in  N.  T.,  etc.,  Cologne,  1555;  Richard  Simon,  Histoire 
critique  du  N.  T.,  Rotterdam,  1690,  t.  Il,  p.  152;  Hurter, 
Nomcnchdor,  t.  ii,  col.  1473;  G.  A.  Meijer,  Dominikaner 
Kloosler  en  Static  te  Nijmegen,  Nimègue,  1892. 

R.  Coulon. 

GRAVESON  (Ignace-Hyacinthe  Amat  de),  né  le 
20  juillet  1670,  à  Graveson,  près  d'Avignon,  d'Ignace 
Amat,  seigneur  de  Graveson,  et  de  Marguerite 
de  Crillon.  Il  fit  ses  premières  études  au  collège  des 
jésuites  d'Avignon  et,  vers  l'âge  de  seize  ans,  il  se  fil 
dominicain  au  couvent  d'Aix.  Après  ses  vœux,  il  fut 
envoyé  à  Paris,  au  collège  Saint-Jacques,  pour  y  faire 
ses  études  de  philosophie  et  de  théologie.  Après  avoir 
conquis  le  grade  de  bachelier  en  théologie  en  1696,  il 
fut  envoyé  à  Arles  pour  y  enseigner  la  théologie  dans 
le  collège  de  son  ordre;  l'année  suivante,  il  fut  demandé 
comme  professeur  de  théologie  au  couvent  de  Grenoble. 
Cf.  Lib.  consiliorum  conv.  Gratianopolilani,  1633-1790. 
D'après  Richard  et  Giraud,  Dictionnaire,  la  même 
année  1697,  Graveson  aurait  été  demande  aussi 
comme  professeur  de  philosophie  à  Lyon.  En  quelle 


L767 


GRAVESON 


1768 


année  rcvinl-il  à  Paris  pour  entrer  en  licence?  II  y  a 
divergence  entre  les  auteurs.  D'après  Echard,  il 
aurait  reçu  le  bonnet  île  docteur  le  26  février  1700, 
Seriplores  ord.  prsed.,  t.  il,  p.  805;  cependant  d'après 
le  registre  des  nominations  des  bibliothécaires  de  la 
Casanate,  à  Rome,  on  voit  que  Graveson  fut  élu  le 
15  décembre  17<>.">  à  la  fonction  de  second  bibliothé- 
tt  il  se  trouve  déjà  qualifie  de  doclor  sorbonicus. 
Cependant,  il  peut  se  taire  qu'il  soit  ainsi  désigné  par 
anticipation.  Pourtant  il  n'était  point  encore  arrive 
à  Rome,  lorsque  le  P.  Massoulié,  qui  occupait  dans  le 
collège  des  docteurs  de  la  Casanate  le  poste  de  théo- 
logien pour  la  nation  française,  vint  à  mourir,  23  jan- 
vier  1700;  le  10  février  suivant,  Graveson  fut  nommé 
pour  lui  succéder.  Echard,  loc.  cit.,  et  à  sa  suite  tous 
lis  auteurs  se  trompent,  lorsqu'ils  disent  que  Graveson 
fut  chargé  d'enseigner  la  Somme  de  saint  Thomas  à  la 
Casanate.  Il  ne  remplit  jamais  cet  office,  réservé  aux 
deux  chargés  de  cours.  Les  ouvrages  qu'il  publia  alors 
ne  sont  pas  le  moins  du  monde,  comme  ces  auteurs  le 
prétendent,  le  fruit  de  ses  leçons,  mais  ils  furent  com- 
posés, comme  il  le  déclare  formellement  lui-même,  en 
faveur  de  François  Eorghèse,  qui  fut  plus  tard  car- 
dinal, et  dont  Graveson  avait  accepté  de  diriger 
les  études.  C'est  de  cette  époque  que  datent  ses 
premiers  ouvrages  :  Tractatus  de  myslcriis  et  annis 
Chrisli  servaloris  noslri  dissertedionibus  dogmalicis  ci 
chronologicis,  neenon  observaiionibus  hisloricis  cl  eri- 
licis,  juxta  germanam  divi  Thomas  mentem  illuslralus 
et  <"/  usum  seholœ  accommodatus,  ad  cujus  cakcm,  in 
rem  chronologie  sac  ne  studiosorum,  attexunlur  appa- 
ralus,  cl  canon  chronologicus  per  sex  mundi  œlales  cl 
pnecipuas  periodos  ac  nobiliores  epochas  a  crealione 
mundi  usque  ad  ascensionem  Christi  Domini  digeslus, 
in-4°,  Rome,  1711,  1724;  2  in-4°,  Venise,  1728,  édition 
revue  et  augmentée  de  trois  dissertations  et  de  beau- 
coup de  notes  historiques  et  critiques;  1733,  1742, 
1761.  C'est  encore  pour  son  élève  François  Borghèse 
qu'il  publia  quatre  années  après,  en  1715  :  Tractatus 
de  Scriplura  sacra,  in  quo  ex  ipsius  revelatione,  inspi- 
ralione  et  antiquitale  evincitur  contra  ethnicos  Jcsum 
Christum  esse  verum  Messiam,  et  omnium  librorum  cum 
Veleris  huit  Novi  Teslamenti,  quos  sacro  canoni  accensu.it 
concilium  Tridenlinum.divina  auclorilas  contra  hsereticos 
asseriiurac  vindicatur.  Exhibentursacrorum  librorum  pri- 
migeniitextus,versiones,sensus,auciores,idioma,analysis 
et  oracula,  quiv  ad  Jcsum  Christum  verum  Messiam  reje- 
runtur,  in-4°,  Rome,  1715;  Venise,  1761.  Graveson  était 
plus  particulièrement  enclin  aux  recherches  historiques. 
1  Hja  Noël  Alexandre  avait  publié  son  Histoire  ecclésias- 
tique, lorsque  Graveson  entreprit  sur  un  plan  analogue, 
c'est-à-dire  en  procédant  par  centuries,  de  donner  une 
nouvelle  collection  qu'il  intitula  :  Historia  ecelesiastica 
variis  colloquiis  digcsla  ubi  pro  thcologiw  candidulis  res 
prœcipuœ,  non  solum  ad  hisloriam,  sed  eliam  ad  dogmala, 
criticam,  chronologiam,  et  Ecclcsise  disciplinam  perti- 
nentes, per  brèves  inlcrrogaliones  et  responsioncs  perstrin- 
gunlur  cl  in  prseclaro  ordine  collocantur,  9  tomes  in-8°, 
Rome,  1717-1722;  9  tomes  in-8°  en  5  vol.,  Venise, 
1720,  avec  les  notes  de  Mansi;  9  in-l'ol.,  Augsbourg, 
1728-1738;  2  in-fol.,  1752,  1756,1762,  avec  les  notes 
de  Mansi  jusqu'à  l'année  1760;  9  tomes  in-4°,  Venise, 
1771:  0  in-4°,  Venise,  1703.  L'histoire  ecclésiastique 
de  Graveson  parut  aussi  à  Lausanne  et  à  Genève  en 
12  lomes  in-l'ol.,  17IÎ7,  en  même  temps  que  l'ouvrage 
suivant  :  Historia  ecelesiastica  Veleris  Teslamenti  in 
rem  theologise  candidalorum  per  sex  mundi  niâtes  ab 
orbe  condilo  ad  natale  usque  Jesu  Christi,  seruatoris 
noslri,  conlinenti  ordine  producla  variisque  colloquiis 
digcsla.  Ubi  res  pnrcipuœquœ  vel  ad  hisloriam  sacram  et 
ejus  chronologiam,  legem  ac  disciplinam  Hebrœorum 
speclanl,  vel  quse  ad prophelarum  gcsla,  valicinia  in  Jesu 
Chrislo  ad  amussim  implela,  et  ad  divinam  sacrorum 


Librorum,  quibus  continclur  historia  Veleris  Tesla- 
menti, auctoritalem  allaient,  per  brev  s  interrogationes 
et  responsioncs  pcrslringunlur  cl  in  prseclaro  ordine 
collocantur,  3  in-8°,  Rome,  1727;  3  in-fol.,  Augsbourg, 
1727;  9  in-fol.,  1728-1738,  en  même  temps  que  V His- 
toria ecelesiastica,  4  vol.,  Venise,  1732.  Naturellement 
ces  divers  travaux  historiques  du  P.  Graveson  ne  sont 
plus  à  consulter  dans  leur  ensemble,  bien  qu'au  temps 
où  ils  parurent,  ils  méritèrent  d'être  estimés.  Le  style 
en  particulier,  bien  que  parfois  trop  oratoire,  est 
d'excellente  qualité.  Ils  furent  néanmoins  fortement 
critiqués  par  les  adversaires  de  l'école  thomiste,  qui  y 
retrouvaient  en  plusieurs  endroits  l'apologie  directe 
des  matières  alors  si  controversées  de  la  prémotion 
physique.  Graveson  jouit  de  la  faveur  particulière  du 
cardinal  dominicain  Vincent-Marie  Orsini,  qui,  une 
fois  devenu  pape  sous  le  nom  de  Benoît  XIII,  se 
plut  à  le  consulter  souvent.  11  fut  aussi  un  des 
agents  de  l'archevêque  de  Paris,  Antoine  de  Noailles, 
avec  lequel  il  entretint  une  correspondance  active.  Il 
influa  beaucoup  sur  la  décision  de  l'archevêque  de 
recevoir  enfin  la  bulle  Unigenitus.  A  raison  même  de 
ces  relations  et  aussi  à  cause  de  ses  réfutations  du 
molinisme,  il  fut  accusé  de  partialité  en  faveur  du  jan- 
sénisme et  il  dut  se  défendre  de  ces  insinuations.  Il  prit 
une  part  active  dans  les  disputes  du  temps.  Il  publia  : 
1°  Oralio  de  usu  cl  abusu  Iheologiœ  variœquc  orediones, 
quas  in  laudem  baccalaurcorum  regularium  licentian- 
dorum  in  setera  facullalc  Parisiensi  die  4  mensis  martii 
1696  habuil  R.  P.  Ignatius  Hijacinlhus  Amalus  de 
Graveson,  ordinis  priedicalorum.  Vna  cum  epislola 
qua  idem  auclor  sese  vindieal  a  cedumniis,  quas  Trivollini 
in  Gallia  crilici  perperam  ci  impcgerunl,  in-8°,  Cologne, 
1727;  2°  Epislola  apologclica,  Lyon,  1722.  Ces  deux 
écrits  furent  reproduits  dans  un  ouvrage  posthume  de 
Graveson  :  Trias  disserlationum  in  quibus  agitur  de 
recta  melhodo  addiscendi  cl  docendi  thcologiam  schola- 
sticam,  positivam  et  moralem,  s.  d.  n.  1.;  Bassano,  1773. 
11  entra  plus  avant  dans  les  polémiques  du  temps  par 
trois  séries  de  lettres  qui  parurent  successivement  en 
1728,  1729  et  1730  sous  ce  titre  :  Epistolse  ad  Amicum 
scripte  theologico-hislorico-polemicse,  in  quibus  doctrina 
de  gratia  se  ipsa  cfjicaci  cl  de  prœdestinatione  gratuita 
ad  gloriam  ante  omnem  prœvisioncm  mcrilorum  contra 
scholœ  thomislicse  adversarios  asseritur  ac  vindicatur. 
Classis  prima.  La  seconde  série  de  lettres  est  particu- 
lièrement dirigée  contre  les  Pères  Gabriel  Daniel  et 
Lievin  de  Meyer,  S.  J.,  qui  avaient  taxé  de  jansé- 
niste et  de  calviniste  la  thèse  thomiste  de  la  grâce 
efficace  per  se  et  déterminante.  Enfin  dans  la  troisième 
série  des  lettres,  Graveson  montrait  combien  les  doc- 
trines molinistes  de  scienlia  média,  de  gralia  congrua  et 
de  prœdestinatione  ad  gloriam  post  prœvisioncm  mcri- 
lorum s'écartent  de  la  doctrine  authentique  de  saint 
Augustin  et  de  saint  Thomas.  Ces  trois  recueils 
parurent  encore,  3  in-4°,  Venise,  1734,  puis  de  nouveau 
en  1761.  Hurter,  Nomenclalor,  t.  iv,  col.  1189,  paraît 
encore  attribuer  à  Graveson  un  ouvrage  anonyme 
paru  sous  ce  titre  :  Laqueus  conlritus  sous  le  pseu- 
donyme à'Em.  Picardi  a  S.  Augustino,  Lyon,  et 
auquel  J.-B.  Velle.  S.  J.,  répondit  par  un  autre 
ouvrage  :  Dcpulsio  calamniarum,  Louvain,  1740.  Cette 
attribution  n'est  point  justiliée.  Enfin,  comme  théo- 
logien de  la  Casanate,  Graveson  eut  l'occasion 
d'émettre  plusieurs  votes  sur  diverses  consultations. 
Ils  sont  demeurés  manuscrits.  Citons  :  1°  Ccnsorium 
judicium  de  proposilionibus  excerptis  ex  mandata 
illuslrissimorum  episcoporum  A'.  N.,  in  quibus  opinioncs 
theologorum  scholœ  Molinse  proponunlur  tanquam 
continentes  puram  cl  genuinam  doclrinam,  quarn 
Ecelesia  tribuil  sanclo  Augustino  dum  ipsius  opéra 
sua  auctoritate  approbavil.  Graveson  conclut  :  Qua- 
proplcr  haec  proposilio    ut  jacet,  et  ut  annexa  est  cum 


1769 


GRAVESON    —    GRAVINA 


1770 


cmteris  propositionibus  merito  damnari  débet  tanquam 
hseretica,tollens  rationem  demcriti.ct  exlinguens  penilus 
liberum  arbitrium,  ms.  autogr.  in-fol.  (xu),  bibliothèque 
Casanate  X.  VII,  56;  2°  Consultatif)  circa  conslitu- 
tionem,  quœ  his  verbis  incipit  :  Unigenitus,  etc.  Qux- 
ritur  primo  :  an  episcopi  et  alii  qui,  in  Galliarum  regno, 
obstinalis  animis  renuunt  aeceptare  conslitutionem 
Unigenitus  et  ab  ea  ad  concilium  générale  provocarunl, 
sint  rêvera  exenminunicali  ?  Resp.  Affirmative.  Secundo  : 
An  S.  pontifex  illos  tolerare  possit  cl  cum  illis  commu- 
nicarc  in  divinis  ?  Resp.  Negativ,'.  Tertio  :  Quid  facto 
opus  sit  ?  Resp.  Censet  nonnulla  a  S.  pontifi.ee  decla- 
randa,  prœsertim  circa  dijjercnliam  inter  sijstema 
jansenianum  ac  dogmala  S.  Augustini  et  S.  Thomœ,  ac 
praetensam  placilorum  Molinœ  approbalionem.  Explicit  : 
//ac,  salvo  meliori  judicio,  hactenus  dixi,  quœ  ad 
resarciendam  Ecclesix  catholiese  concordiam  haud 
parum  juvire  ac  conducerc  passe  existimavi.  lia  censco, 
12  junii  an.  1724.  Bibl.  de  Carpentras,  Miscell.  mss. 
tom.  152,  n.  13,  4  pages  in-fol.  Dans  le  même  volume, 
n.  55,  se  trouve  une  longue  lettre  du  cardinal  de 
Noailles  à  Graveson,  en  date  du  16  juillet  1725. 
Environ  cinq  ans  avant  sa  mort,  Graveson,  prévoyant 
qu'il  n'avait  plus  beaucoup  de  temps  à  vivre,  cessa 
ses  études  ordinaires  pour  s'adonner  tout  entier  à  la 
vie  contemplative.  Sur  l'avis  des  médecins  il  quitta 
Rome  et  se  retira  au  couvent  d'Arles.  C'est  là  qu'il 
mourut  le  26  juillet  1733,  âgé  seulement  de  63  ans. 
Une  édition  complète  des  œuvres  de  Graveson  parut 
sous  ce  titre  :  Rev.  Pcdris  Pr.  Ignalii  Hijacinthi  Amal 
de  Graveson  sacrée  facullatis  parisiensis  doctoris  et 
collegii  Casanalensis  theologi  ordinis  fratrum  pne- 
dicalorum  opéra  omnia  hucusque  sparsim  édita,  nunc 
vero  in  septem  tomos  tributa.  Acccssere  auctoris  vita, 
varia  opuscula  inedita  et  apologia  adversus  crimina- 
tiones,  traclulus  auctoris  de  mysleriis  et  annis  Jesu 
Christi  Servaloris  nosiri,  7  in-4°,  Venise,  1740;  Bassano, 
1774,  par  les  soins  de  Mansi. 

Echard,  Scriptores  ordinis  priedicatorum,  Paris,  1719- 
1721,  t.  n,  p.  805,  et  édit.  Coulon,  à  l'année  1733.  Joseph 
d'Azegat,  Epistola  in  obitu  Fr.  Ign.  Hyacinthi  Amat  de 
Graveson.  dut.  Arelate  d.  s.  augusti  1733;  Richard  et 
Giraud,  Dictionnaire  universel  des  sciences  ecclésiastiques; 
Acta  in  Congreg.  Casanaten.,  t.  ï,  p.  20  sq.  [Arch.  gén.  de 
l'ordre];  Hurter,  Nomenclator,  Inspruck,  1910,  t.  iv,  col. 
1186-1189;  Feller,  Biographie  universelle,  Paris,  1848, 
p.  196-197;  P.  Féret,  La  faculté  de  théologie  de  Paris.  Époque 
moderne,  Paris,  1910,  t.  vu,  p.  419-423;  Analecta  gallicanu, 
Paris,  1911,  n.  9,  p.  290. 

R.   Coulon. 

1.  GRAVINA  Dominique  peut  compter  parmi  les 
hommes  les  plus  remarquables  que  l'ordre  des  frères 
prêcheurs  produisit  au  cours  du  xvue  siècle.  Il  était 
issu  d'une  des  plus  nobles  familles  du  royaume  de 
Naples  et  plusieurs  de  ses  ancêtres  s'étaient  distingués 
soit  dans  les  armes,  soit  dans  les  lettres.  L'un  d'eux, 
Jérôme  Gravina  (1555),  appartenait  à  l'ordre  de  Malte. 
Voir  Math,  de  Goussancourt,  Le  martyrologe  des  che- 
valiers de  Sainl- Jean  de  Hierusalem,  dits  de  Malte,  etc., 
Paris,  1643,  à  la  lettre  G...  Pierre  Gravina,  sous 
Charles-Quint,  s'était  fait  la  réputation  d'un  grand 
poète.  Voir  Gaddi,  De  scriploribus,  t.  ï,  p.  317.  Domi- 
nique Gravina  naquit  à  Naples  vers  1574;  d'abord 
élève  au  séminaire  archiépiscopal  de  la  même  ville, 
vers  l'âge  de  vingt  et  un  ans,  il  prit  l'habit  dominicain 
le  8  janvier  1595,  dans  le  couvent  réformé  de  Santa 
Maria  délia  Sanilù,  de  Naples,  pour  la  congrégation 
instituée  sous  le  même  vocable  et  qui,  à  cette  époque, 
donna  un  grand  nombre  de  personnages  remarquables 
par  leur  science  et  leur  sainteté.  Voir  P. -Th.  Milante, 
De  viris  inluslribus  congregationis  S.  Mariœ  Sanikdis, 
Naples,  1745.  Ses  études  terminées,  il  enseigna  en 
plusieurs  couvents,  notamment  au  Sludium  générale 
de  Naples.  Au  chapitre  général  tenu  à  Rome,  en  1608, 


il  fut  promu,  bien  que  fort  jeune  encore,  au  grade  de 
maître  en  théologie.  Cf.  Acta  cap.  gen.,  édit.  Reichert, 
t.  vi,  p.  106.  Deux  ans  après  (1610),  le  général  de 
l'ordre,  Augustin  Galamini,  se  trouvant  à  Naples, 
enjoignait  au  P.  Gravina  de  se  mettre  à  sa  disposition, 
et  l'assigna  au  collège  Saint-Thomas  de  la  Minerve, 
à  Rome,  en  qualité  de  professeur.  Il  fut  adjoint  au 
procureur  général  de  l'ordre  Fr.  Marco  Maffei  de 
Marcianisio  (1601-1608),  en  qualité  de  socius.  Nous 
ignorons  combien  de  temps  il  demeura  cette  fois  dans 
la  ville  éternelle,  mais  au  chapitre  de  Milan  (1622)  il 
est  assigné  en  qualité  de  régent  au  collège  de  Saint- 
Pierre-Martyr  de  Tarente,  dans  la  province  domini- 
caine de  la  Pouiile.  Il  y  est  encore  en  1629.  Acta 
cap.  gen.,  t.  vu,  p.  50.  Il  remplit  aussi  dans  le  gouverne- 
ment de  l'ordre  des  charges  importantes  :  vicaire 
général  de  la  congrégation  délia  Sanilà  et  provincial 
de  la  province  du  royaume  de  Naples.  L'année  1642 
fut  pour  l'ordre  de  saint  Dominique  remplie  de  toutes 
sortes  de  tribulations.  Cf.  Mortier,  Histoire  des  maîtres 
généraux  de  l'ordre  des  frères  prêcheurs,  Paris,  1913, 
t.  vi,  p.  405.  Par  suite  d'intrigues  ourdies  par  l'ambi- 
tion et  la  vengeance,  le  maître  général  Nicolas  Ridolfi 
avait  été  d'abord  suspendu  de  sa  charge,  puis  déposé 
par  Urbain  VIII,  sans  que  ce  dernier  ait  jamais 
donné  de  raison  d'un  acte  aussi  grave.  Dès  le  moment 
où  le  général  avait  cessé  d'exercer  ses  pouvoirs,  il 
avait  fallu  le  remplacer  dans  le  gouvernement  par  un 
vicaire  général.  Le  pape  avait  d'abord  nommé  à  cet 
office  François  Gallasini,  mais  à  la  fin  de  décem- 
bre 1642,  ayant  encouru  la  défaveur  d'Urbain  VIII, 
il  dut  quitter  Rome  et  se  retirer  à  Pérouse;  c'est  alors 
que  le  pape  fit  choix  du  P.  Gravina  pour  occuper  ce 
poste  difficile,  en  des  circonstances  qui  le  rendaient 
plus  difficile  encore.  Il  arriva  à  Rome  en  février  1643. 
Déjà  avancé  en  âge,  un  pareil  office  eut  vite  raison 
de  ses  forces  et  il  mourut  au  moins  d'août  suivant. 
Du  moins,  ne  semble-t-il  pas  qu'il  ait  été  opposé  au 
P.  Ridolfi,  car  celui-ci,  dans  une  lettre  du  11  oc- 
tobre de  la  même  année,  ressent  vivement  cette  perte. 
Mortier,  ibid.,  p.  440.  Il  fut  enterré  à  la  Minerve. 
L'œuvre  littéraire  du  P.  Gravina  est  considérable. 
Parmi  les  ouvrages  imprimés,  citons  :  1°  Catholiese 
prescripliones  adversus  omnes  velcres,  et  nosiri  temporis 
hsereticos  :  quorum  controversise  ex  antiquitate,  universi- 
tate,  Palrum  consensione,  S.  Thomœ  Aqainalis  doctrina 
et  methodo  dissolvunlur  ac  confulantur.  Opus  XII  tomis 
distinction.  Quatre  tomes  parurent  seulement,  divisés 
en  sept  volumes,  Naples,  1619-1639.  Voir  le  détail  du 
contenu  dans  Echard,  Scriptores  ordinis  prœdicalorum, 
Paris,  1719-1721,  t.  n,  p.  532.  Notons  en  passant 
qu'à  la  fin  du  t.  ni,  Gravina  a  donné  en  appen- 
dice :  Séries  episcoporum  et  archiepiscoporum  Ecclesiœ 
Neapolilanœ.  Le  reste  de  l'ouvrage  était  prêt  pour 
l'impression,  mais  à  notre  connaissance,  il  ne  parut 
pas.  Echard,  loc.  cit.,  donne  le  titre  des  cinq  autres 
tomes.  2°  Le  cardinal  Bellarmin  avait  composé 
De  gemilu  columbœ  sine  de  bono  lacrymarum  libri  très, 
in-12,  Rome,  1617.  Dans  ce  livre,  qui  eut  bientôt 
plusieurs  éditions,  Bellarmin  avait  critiqué  le  relâche- 
ment de  certains  ordres  religieux  plus  anciens  que  la 
Compagnie  de  Jésus;  Gravina  voulut  répondre  à 
ces  critiques  et  publia  à  son  tour  :  Vox  lurluris  seu 
de  florcnli  usque  ad  nostra  lempora  SS.  Benedieti, 
Dominici,  Francisci,  et  ediarum  sacrarum  religionum 
statu.  Auclore  A.  R.  P.  Pr.  Dominico  Gravina  ordinis 
prœdic.  S.  T.  magislro  et  professore  in  universitale 
Regia  Ncap.  cur.  arch.  theologo  S.  Officii  consul., 
in-8°,  Naples,  1625;  in-24,  Cologne,  1627;  in-8°, 
Naples,  1628;  in-4°,  Cologne,  1628.  Le  P.  Roth,  S.  J., 
répondit  à  Gravina,  mais  seulement  six  ans  après  par  : 
Cavea  turturi  maie  contra  gcmenlem  Roberli  cardinalis 
Bellarmini    columbam    exultanti,    a    theologo    veritatis 


1771 


GRAVI  N  A 


1772 


vindice  slrucla,  etc..  in-12,  Munich,  1631.  A  son  tour 
('.ravina  répliqua  par  :  Congeminata  vox  twturis 
florentissimum  sacrorum  ordiiuun  station,  disrupia 
cavea  anonymi,  iieralo  occinenlis.  Opus  e  manuscripiis 
tractalibus  Gravinianis  ab  ill.  D.  Augustino  Ardinghello 
excerpium  et  a  facultate  thcologica  Pazlhenopsea  invi- 
clissimo  ac  potentissimo  Poloniœ  régi  (I.adislao  IV) 
dicatiun,  in-l",  Naples,  1633.  Cinq  ans  après,  une 
autre  édition  parut  Congeminata  vox,  etc.,  per 
Thomam  de  Surria,  nunc  primo  in  Germania  revisum, 
et  illuslraium,  et  copiosis  indicibus  absolutum,  in-4°, 
Cologne,  1638.  Une  autre  édition  parut  la  même  année, 
sous  ce  titre  :  Resonans  lurliiris  eoncentus.  Opus 
a  R.  P.  F.  Thoma  de  Sarria  ejusdem  ordinis  revisum 
et  illuslratum,  in-4°,  Cologne,  1638.  Ardinghelli  publia 
encore  sur  la  même  question  cet  autre  factum  : 
Augustini  Ardinghelli  Paradoxa  jesuilica,  hoc  est, 
impies,  nefartee  et  pesliferœ  jesuitorum  Germanicorum 
senlenliœ  adversus  omnes  rcligiosos  ordines,  dans  les 
Arcana  Sociclatis  Jesu,  in-8°,  1635.  Sur  ces  polémiques 
regrettables  entre  ordres  religieux,  malencontreuse- 
ment occasionnées  par  Bellarmin,  nous  ne  pouvons 
qu'adopter  pleinement  le  jugement  d'Echard  :  Certe 
quisqite  suœ  sodalitalis  vulnera  tacitus  défiera  conienlus 
esse  débet.  Nam  si  cuique  in  aliorum  mala  involarc,  cl 
ea  in  vulgus  propalare  licel,  quxnam  socictas  ab  innume- 
ris  improperiis  immunis  ait  ?  Rêvera  Bellarminus 
r  jusque  apologisla  in  his  lucu.bratiuncu.lis  suorum 
famée  parum  consuluerunt,  et  rectius  ac  felicius  abslinuis- 
sent.  Scriplorcs  ordinis  prœd.,  t.  n,  p.  533.  3°  Et  de 
fait,  le  moment  était  bien  mal  choisi  pour  de  pareilles 
disputes.  Il  y  avait  quelques  aimées  à  peine  que  le 
Dalmate  Marc-Antoine  de  Dominis,  S.  J.,  d'abord 
évoque  de  Segni,  puis  archevêque  de  Spalato,  avait 
apostasie  et  passé  à  l'anglicanisme  (1616).  Après 
avoir  publié  des  ouvrages  contre  l'Église  catholique 
et  en  particulier  contre  le  pape,  il  était  revenu  de  ses 
erreurs,  non  toutefois  sans  inspirer  des  craintes 
sérieuses  sur  son  orthodoxie  recouvrée.  Il  mérita 
même  d'être  mis  en  prison,  où  il  mourut  en  1624. 
Voir  t.  iv,  col.  1668-1675.  Cf.  Hurter,  Nomenclalor, 
t.  m,  col.  717.  C'est  pour  défendre  la  vérité  catholique 
attaquée  par  de  Dominis  que  Gravina  publia  les  deux 
ouvrages  suivants  :  Pro  sacro  fidei  catholicee  et  aposto- 
licœ  deposito,  fideliler  a  romanis  ponlificibus  cuslodilo, 
Apologeticus  adversus  novatorum  calumnias,  et  prœser- 
tim  novissimi  Marci  Anlonii  de  Dominis  archiapostatœ 
Spalaiensis,  in-4°,  Naples,  1629;  Cologne,  1638.  Cet 
ouvrage  fut  suivi  cinq  ans  plus  tard  de  cet  autre  écrit  : 
Pro  sacrosancto  ordinis  sacramento  vindicise  orthodoxse, 
adversus  Ila-rcseologias  Marci  Anlonii  de  Dominis 
archiapostatœ  Spalaiensis,  in  quibus  purilcr  Ecclcsiee 
lalinm  cum  grseca  lam  in  maleria  quam  forma,  concordia 
demonstralur,  in-4°,  Naples,  1634;  Cologne,  1638. 
Les  quatre  opuscules  qui  précèdent,  dans  leur  édition 
de  Cologne,  furent  publiés  par  P.  Thomas  de  Sarria, 
O.  P.,  régent  des  études  au  collège  de  Cologne.  Le 
J'.  (.ravina  s'exerça  encore  sur  un  grand  nombre 
d'autres  sujets.  4°  Cherubim  paradisi  S.  Thomas 
Aquinas,  characteribus  divinœ  sapienliœ  illuslralus  cum 
SS.  Palribus  ab  oppositis  paraturis  vindicatus,  in-4°, 
Naples,  1611.  En  appendice  :  Panegijris  S.  Thoma- 
et  Aqàinalum  familiœ.  5°  Ad  discernendas  veras  a 
fidsis  visionibus  et  rcvelalionibus  BacocvisTr]?,  hoc 
est  Lapis  Lydius,  pars  prima,  in-4°,  Naples,  1638. 
Pars  II  praxim  concernens,  quomodo  verœ  a  falsis 
rcvelalionibus  cl  visionibus  discerni  possint,  in-4°, 
Naples,  1638.  6"  De  indivisa  cl  unanimi  sacrosancli 
Evangelii  privdicedione  ab  orlhodoxis  et  légitime  missis 
divini  verbi  concionatoribus  disseminanda  pro  com- 
muni  gentium,  aliorumque  infulelium  culluru  et  messe, 
in-4°,  Naples,  1637.  7°  Vita  e  miraroli  di  S.  Grcgorio 
arcivescovo  e  primate  d'Armenia  cavata  du  un  antico 


esemplare  Latino  scrilto  in  lellere  Longobarde  e  da 
Simon  Metafraste,  e  délia  rclalionc  délia  christianità 
dell'Armenia,  posta  in  luce  ad  islanza  délia  M.  R.  S. 
madré  donna  Leonora  l'ignalcllô  abbadessa  di  S.  Gre- 
gorio,  Naples,  1630;  1655.  La  parte  seconda  è  dcll' ori- 
gine, del  célèbre  monaslcrio  di  San  Grcgorio  in  Napoli. 
8°  De  Ecclesia  Armcna  ejusque  devolionc  erga  aposto- 
licam  sedem,  cl  de  ehrislianitale  Ma  per  fratres  pnvdi- 
catores  in  ecclesiasticis  rilibtis  direela  et  custodita. 
Cf.  Fontana,  Monumenta  dominicana.  9°  Tolius  Sum- 
mœ  theologicx  S.  Thomx  de  Aquino  compendium 
rhylmicum.  in-12,  Naples,  1625;  in-16,  Barcelone, 
1640;  in-12,  Turin,  1879.  10°  Oralio  habita  Dominica 
prima  adventus  coram  S.  D.  N.  Paulo  V  anno  Domini 
1607,  in-4",  Rome,  1607.  11°  Oralio...  anno  Domini 
1605.  Gravina  s'occupa  aussi  de  l'édition  des  œuvres 
d'autrui.  C'est  ainsi  qu'il  publia  :  Quxsliones  quod- 
libcialcs  P.  Joannis  de  Neapoli  Sicola  nuncupati 
S.  T.  M.  Parisiensis  circa  1316  florcntis  ex  cod.  ms. 
bibl.  S.  Dominici  Neapoli,  in-fol.,  ibid.,  1618.  On  lui 
doit  également  Annalium  sacri  ordinis  prxdicalorum 
Cenluria  prima,  auclorc  A.  R.  P.  F.  Thoma  Malvenda, 
etc.,  jussu  R.  P.  F.  Seraphini  Sicci  magislri  generalis 
in  lueem  édita,  in-fol.,  Naples,  1627.  Sur  la  valeur  de  ce 
travail  voir  Echard,  Scriplorcs  ordinis.  De  plus, 
Gravina  a  laissé  un  grand  nombre  d'écrits,  qui  ne 
virent  pas  le  jour.  Thomas  de  Sarria,  dont  nous  avons 
parlé  plus  liant,  en  possédait  un  grand  nombre,  clans 
le  but  de  les  publier,  mais  lui-même  mourut  sans 
pouvoir  le  faire.  Parmi  ces  opuscules,  dont  Echard, 
op.  cit.,  p.  532,  a  dressé  la  liste,  citons  :  1°  Biga  duarum 
controversiarum  de  assumplione  Dciparse  D.  N.  et 
île  catechesi  priemiltenda  arlieuli  crucifixionis  Chrisli 
Domini  anle  baptisma  adulli;  2°  De  choro  et  cantu 
ecclesiaslico  ad  P.  M.  F.  Sigismundum  Ferrarium; 
3"  Miles  delicatus,  id  csl,  Guillelmus  de  Sancto  Amore 
in  M.  Antonio  de  Dominis  Spalatcnsi  redivivus,  in 
arenam  a  S.  Thomœ  discipulo  cxposlulatus.  Ad  M.  P. 
Pelrum  de  Cannadilla;  4°  Quinquc  dispulationes  dog- 
malicse  in  maleria  conception  is  B.  V.  adversus  calum- 
nias Lutheri,  Calvini,  Chemnilii,  Hcshusii  et  aliorum 
proleslanlium ;  5°  De  formali  constitutive)  religionis 
adversus  Spalalenscm;  6°  Panarium  contra  novis- 
simorum  scclariorum,  qui  se  illuminatos  vocabant. 
errores;  7°  Proposilioncs  nonnullx  myslicorum,  ad 
limamlheologiœ  scholaslicx  examinatx;  8°  De  simplici- 
tate  <l  prudenlia  christiana  in  columba  et  serpente  desi- 
gnata  adversus  alhcos  et  fdios  hujus  sxculi,  ad  M.  P.  F. 
Thomam  de  Sarrios  regentem  Colonicnsem;  9°  Quœrimo- 
nia  apologctica  de  adulatoribus  Palatinis  fratris  Dominici 
Gravina  Ncapolitani  F.  magistri  ord.  prœd.  provincialis 
Prov.  Regni,  qux  sanclum  Thomam  edidil.  Pro  defensione 
deereti  novissimi  S.  D.  N.  Pauli  divina  providentia  papx 
V,de  conccplione  Dciparx  Virginis  Marise,respondens 
memoriali  exhibilo  quodam  anonymo  ad  catholicum  His- 
paniarum  regem.  Incipit  :  Si  inimicus  meus  maledixissel. 
—  Explicit  :....  suam  gloriam  quxrenles,  non  Chrislum 
crucifixum  prœdicanlcs.  Finis.  Bibl.  Vatic,  lat.  1902, 
etc.  Un  certain  nombre  de  ces  éerits  inédits  se  trou- 
vent aux  Archives  générales  de  l'ordre. 

J.  Echard,  Scriptores  ordinis  prœdicatorum,  Paris, 
171H-1721,  t.  n,  p.  532-534;  P.-Th.  Milante,  De  viris 
inlustribus  congregalionis  S.  Mariée  Sanitatis,  Naples, 
1745,  p.  190-199;  P.  Th.  Masetti,  Monumenta  et  anti- 
quitates,  etc.,  Rome,  1864,  t.  il,  p.  188;  B.  Reichert,  Acta 
capitulorum  generalium,  Rome,  1902,  t.  vi,  p.  106,  152, 
341  ;  t.  vu,  p.  50,  139,  140;  A.  Mortier,  Histoire  des  mailres 
généraux  de  l'ordre  des  frères  prêcheurs,  Paris,  1913,  t.  vi, 
p.  440;  Fontana,  Monumenta  dominicana,  Rome,  1675, 
p.  572;  Hurter,  Nomenclalor,  Inspruck,  1907,  t.  m, 
col.  998;  C.  Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  C"  de  Jésus, 
t.  i,  Bellarmin,  col.  1240. 

R.    Coulon. 

2.  GRAVINA  Joseph-Marie,  moraliste  et  contro- 


G RAVINA 


GRAZIANI 


177^ 


versiste,  né  à  Païenne  le  17  mars  1702,  admis  au 
noviciat  de  la  Compagnie  de  Jésus  le  31  octobre  1716. 
Il  enseigna  d'abord  les  humanités,  puis  pendant  neuf 
ans  la  philosophie;  chargé  de  l'enseignement  de  la 
théologie  à  Païenne  pendanl  près  de  dix-huit  ans,  il 
prit  une  part  active  aux  controverses  sans  cesse  renou- 
velées sur  la  question  du  probabilisme.  La  querelle 
s'ouvrit  à  propos  des  conclusions  défendues  au  collège 
de  Païenne  touchant  l'usage  et  l'abus  de  l'opinion 
probable,  sous  la  direction  du  P.  Gravina,  préfet  des 
études  et  auteur  des  thèses  :  Conclusiones  lheologic.ee 
critico-elhicœ  de  usu  et  abusu  opinionis  probabilis, 
Païenne,  1752.  Cf.  Zaccaria,  Thésaurus  theolog.,  t.  iv, 
p.  335-350.  Le  P.  Vincent  Diez  prit  aussitôt  la  défense 
du  probabiliorisme  et  du  tutiorisme  dans  son  Anti- 
probabilismus  vindicalus,  Païenne,  1753,  et  ce  fut  pour 
répondre  aux  attaques  dont  son  enseignement  était 
l'objet  que  le  P.  Gravina  composa  son  grand  ouvrage 
sur  le  probabilisme  :  Trattenimenti  apologetici  sul 
probabilismo,  3  in-4°,  Païenne,  1755,  traité  capital  en 
la  matière.  Le  P.  Vincent  Avocati,  dominicain,  lui 
opposa  sa  Dr/ensio  scholx  thomisticœ  ordinis  prœdica- 
lorum.  Païenne,  1755,  mais  sans  rien  enlever  à  la 
solidité  des  preuves  apportées  par  le  P.  Gravina  en 
faveur  de  la  doctrine  probabiliste.  D'après  Melzi,  le 
P.  Gravina  serait  l'auteur  d'une  dernière  apologie  du 
probabilisme  :  11  probabilismo  soslenulo  c  diffeso, 
Païenne,  1757.  Cependant  l'authenticité  de  cet  ouvrage 
est  loin  d'être  établie. 

L'activité  intellectuelle  du  P.  Gravina  s'est  étendue 
avec  un  égal  succès  à  des  matières  d'ordre  fort  différent. 
On  a  de  lui  un  excellent  traité  sur  les  méthodes  d'ensei- 
gnement de  la  philosophie  scolastique  :  Ratio  tradendœ 
philosophiœ  in  scholis  provincix  Siculœ  S.J.,  Païenne, 
1754,  et  divers  ouvrages  de  spiritualité  et  de  piété, 
notamment  un  commentaire  des  Exercices  de  saint 
Ignace  à  l'usage  des  Pères  de  la  Compagnie  :  Jesuita 
rite  inslilulus  piis  exercitationibus  SS.  Patris  Ignatii 
de  Loyola,  2  in-12,  Païenne,  1746,  ouvrage  de  très  haut  c 
valeur.  La  théologie  dogmatique  lui  doit  des  Conclu- 
siones polemicse  de  quinque  jansenislarum  erroribus  in 
hœrcscs  vergentibus,  Païenne,  1755,  reproduites  dans 
le  Thésaurus  théologiens  de  Zaccaria,  t.  v,  p.  433  sq., 
et  une  Dissertalio  anagogica,  théologien,  parssnetica 
de  paradiso,  Païenne,  1762,  préparée  par  le  P.  Benoit 
Plazza,  et  achevée  par  Gravina  à  partir  du  caput  II  de 
adjunctis  resurrectionis,  p.  404-728.  Le  dernier  cha- 
pitre :  De  eleclorum  hominum,  fut  condamné  par  décret 
de  l'Index,  le  22  mai  1772,  à  une  heure  fort  critique 
pour  la  Compagnie  de  Jésus.  Les  attaques  passionnées 
que  souleva  cette  thèse  restrictive  causèrent  au  saint 
vieillard  les  peines  les  plus  vives;  il  se  confina  désor- 
mais dans  la  retraite.  Après  la  publication  du  bref 
Dominus  ac  redemptor,  le  10  août  1773,  il  se  retira 
vraisemblablement  à  Modène.  La  date  de  sa  mort  est 
incertaine.  D'après  Mira,  il  mourut  à  Rome  le  23  no- 
vembre 1775,  d'après  Caballero,  il  vécut  à  Modène 
jusque  vers  1780. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  C"  de  Jésus,  t.  ni, 
col.  1719-1722;  Hurter,  Nomenclalor,  3e  édit,,  Inspruck, 
1913,  t.  v,  col.  235  sq.;  Zaccaria,  Sloria  letler.,  t.  vi,  p.  393  sq. 

P.  Bernard. 

GRAZIANI  Antoine-Marie  naquit  à  Borgo  San 
Sepolcro,  sur  les  confins  de  la  Toscane,  le  23  octobre 
1537;  il  était  le  cinquième  enfant  d'une  famille  plus 
noble  cpie  riche.  Orphelin  à  six  ans,  il  végéta  assez  long- 
temps dans  la  maison  paternelle,  car  il  avait  dix-sept 
ans  quand  son  frère  Louis,  qui  avait  déjà  une  situation 
à  Rome,  consentit  à  s'occuper  de  lui.  Il  le  fit  étudier  les 
lettres  et  l'envoya  à  Padoue,  où  il  suivit  les  cours  de 
droit.  A  vingt-trois  ans,  il  arrivait  à  Rome  et  trouvait 
une  place  au  service  du  futur  cardinal  Jean-François 
Commendone,  qui  lui  fit  parfaire  ses  études,  lui  ensei- 


gnant lui-même  la  philosophie.  Les  heureuses  disposi- 
tions de  Graziani  le  rendirent  cher  à  son  maître,  qui  se 
l'attacha  en  qualité  de  secrétaire  et  le  prit  comme  com- 
pagnon de  ses  voyages  à  travers  l'Europe,  pour  le  ser- 
vice de  l'Église.  Commendone  mourut  en  1584  et  son 
secrétaire,  qui  avait  refusé  les  propositions  avanta- 
geuses du  roi  de  Pologne  pour  lui  rester  fidèle,  songeait 
à  quitter  la  cour  et  à  rentrer  dans  sa  patrie  afin  de  se 
livrer  aux  lettres,  pour  lesquelles  il  avait  une  passion. 
Sixte-Quint  le  retint  et  le  nomma  secrétaire  des  lettres 
latines.  Après  la  mort  du  pontife,  son  neveu  le  cardi- 
nal Montalto  le  garda  à  ses  côtés.  Clément  VIII,  qui  lui 
avait  quelques  obligations,  le  créa  évêque  d'Amelia, 
en  Ombrie,  le  17  février  1592,  et  lui  confia  peu  après 
l'importante  mission  de  travailler  à  unir  les  princes 
d'Italie  pour  une  action  commune  contre  les  Turcs.  Re- 
venu dans  son  diocèse,  Graziani  convoqua  un  synode 
diocésain,  au  mois  de  septembre  1595,  et  il  en  fit  impri- 
mer les  statuts  deux  ans  après  à  Venise,  où  le  pape 
l'avait  envoyé  comme  nonce.  On  dit  que,  sans  l'opposi- 
tion du  cardinal-neveu,  qui  ne  voulait  pas  voir  de  sujets 
du  grand-duc  de  Toscane  parmi  les  membres  du  Sacré 
Collège,  Clément  VIII  l'aurait  fait  cardinal.  Quand, 
en  1598,  l'évêque  d'Amelia  fut  contraint  par  la  maladie 
de  demander  son  rappel,  il  se  retira  donc  en  son  ôvêché, 
où  il  put  enfin  se  consacrer  à  loisir  à  ses  travaux  pré- 
férés, qui  lui  ont  mérité  de  Tiraboschi  l'éloge  d'avoir 
été  l'un  des  écrivains  les  plus  cultivés  de  son  temps. 
Graziani  mourut  à  Amelia,  le  1er  avril  1611  et  fut 
enseveli  dans  sa  cathédrale,  où  il  avait  préparé  son 
tombeau,  pour  lequel  il  avait  dicté  une  inscription 
fort  modeste.  De  son  vivant,  il  ne  publia  que  les  actes 
du  synode  diocésain  qu'il  avait  tenu,  Sgnodus  diœce- 
sana  Amcrina,  in-4°,  Venise,  1597,  auxquels  il  avait 
ajouté  un  court  appendice;  Vite  sanctorum  Amerinse 
ecclesiœ  palronorum;  Charles-Marie  Fabi,  son  succes- 
seur sur  le  siège  d'Amelia,  les  réédita,  Rome,  1792,  en 
les  faisant  précéder  d'une  notice  sur  Graziani.  L'œuvre 
manuscrite  qu'il  avait  laissée  était  importante  et  elle 
trouva  divers  éditeurs;  nous  citerons  :  De  bello  Cyprio 
libri  quinque,  in-4°,  Rome,  1624;  De  vita  Joannis 
Francisci  Commendoni  cardinalis  libri  quatuor  edcnlc 
Rogerio  Akakia,  in-12,  Paris,  1647,  1669;  Padoue,  1683, 
cl  de  nouveau  en  1685  avec  d'autres  biographies; 
Barbier  veut  que  ce  pseudonyme  cache  Fléchier,  qui 
traduisit  l'ouvrage  en  français,  La  vie  du  cardinal 
Commendon,  in-4°,  Paris,  1671;  3°  édit.,  Paris,  1702; 
Amsterdam,  1695.  Le  même  évêque  de  Ximes  publia 
aussi  un  autre  livre  de  Graziani,  De  casibus  virorum 
illustrium,  in-4°,  Paris,  1680,  réédité  l'année  suivante 
sous  le  titre  de  Thcalrum  historicum  de  virtulibus  cl 
viliis  illustrium  virorum  et  jœminarum  eorumdcmque 
casibus  maximam  partent  funeslis,  in-8°,  Francfort, 
1681  ;  on  a  extrait  de  ce  livre  Vita  e  avveniure  del  cardi- 
nale Reginaldo  Polo  inglese,  in-8°,  Gènes,  1856;  l'avocat 
Laurent  Coleschi  l'a  traduit  en  entier  :  Dci  casi  degli 
nomini  illustri,  in-8°,  San  Sepolcro,  1881.  Le  P.  Jé- 
rôme Lagomarsini,  jésuite,  publia  un  autre  ouvrage 
fort  intéressant  de  Graziani,  De  scriptis  invita  Mi- 
nerva  ad  Aloysium  fralrcm  libri  viginli,'!  in-4°,  Florence, 
1715-1746,  dans  lequel,  cédant  aux  instances  de  son 
frère  Louis,  il  écrit  l'histoire  sommaire  de  Borgo  San 
Sepolcro,  leur  patrie,  celle  de  leur  famille,  puis  raconte 
les  voyages  de  son  susdit  frère  à  travers  le  monde  et  les 
événements  principaux  qui  regardent  la  religion  depuis 
le  pontificat  de  Pie  IV  jusqu'à  celui  de  Clément  VIII. 
Il  publia  aussi  une  Epistola  ad  cardinalem  J.  F.  Com- 
mendonum  de  Julio  Pogiano  alque  ejus  lalinis  litteris, 
in-4°,  Rome,  1756;  et  Episfolarum  ad  Nicolaum  Thomi- 
cium  libri  decem.  En  1759,  on  imprima  à  Varsovie, 
d'après  un  manuscrit  de  la  bibliothèque  Zaluski, 
aujourd'hui  à  Saint-Pétersbourg,  De  Joanne  Heraclide 
despota  Vallachorum  principe  cl  de  Jacobo  Didascalo 


L775 


GRAZIANI 


GREGOIRE   1"    LE    GRAND 


1776 


Joannis  fratre,  réédité,  d'après  les  manuscrits  de  La 
Vaticane,  par  le  cardinal  Mai  dans  le  t.  vin  du  Spici- 
legium  romarium,  Home,  1842,  avec  les  lettres  de 
Graziani  ad  Nicolaum  Thomicium.  Si  le  savant  car- 
dinal connaît  la  première  édition  des  lettres  par  le 
P.  Lagomarsini,  il  semble  ignorer  l'édition  de  Varsovie. 
Nous  avons  encore  rencontré  sous  le  nom  de  Graziani 
un  volume  intitulé  :  Humanarum  liiierarum  viridarium, 
in-l°,  Naples,  1C58. 

Ughelli,  Italia  sacra,  Rome'  1644,  t.  i,  p.  343;  Moréri, 
Dictionnaire  historique,  Paris,  1745;  Tiraboschi,  Storia  délia 
letteratnra  italiana,  Rome,  1784,  t.  vu  b,  p.  302;  Richard  et 
Giraud,  Dizionario  universale  délie  scienze  ecclesiastiche, 
Naples,  1840. 

P.  Edouard  d'Alençon. 
GREBNER  Thomas,  philosophe  et   controversiste 
allemand,   né   le   1er  juillet    1718   à    Mergentheim   en 
Franconie,   admis   au   noviciat  de  la   Compagnie   de 
Jésus  le  12  juillet  1736.  Il  enseigna  d'abord  les  huma- 
nités à  Fulda,  où  il  rédigea  ses  Instilutiones  catechismi 
triplicis  de  docirina  fulei   christianœ,  ritibus  Ecclesise 
prœcipuis,   ortu  el    progressu    rcligionis   verse,  ab  orbe 
condilo,  Mannheim,  1750,  ouvrage  fort  répandu  dans 
les  établissements  d'enseignement  secondaire  en  Alle- 
magne et  qui  a  été  souvent  imité  depuis.  Professeur 
de  philosophie  à  Heidelberg,  puis  à    l'université  de 
Wurzbourg,  il  publia  divers  traités  qui  lui  acquirent 
une  solide  réputation  :  Logica  practica  in  régulas  digesta 
et  demonslrala,  Heidelberg,  1752;  Wurzbourg,   1754; 
Idea  philosophie  moralis  sive  breuis  elhicœ  institutio, 
Heidelberg,  1753;  Disscrtalio  philosophica  de  veritutc 
apparente  scu  errorc  et  sophismale  ad  usum  uîriusque 
jori,  Wurzbourg,  1754;  Philosophia  moralis  sive  eihica 
et   jus    nalurœ,    Wurzbourg,    1755;    ouvrage    bientôt 
classique   et   qui   eut,   jusqu'à   la   suppression   de  la 
Compagnie,  de   nombreuses   éditions.   L'esprit  positif 
du  P.  Grebner  s'attachait  aux  faits  et  aux  textes  plus 
encore  qu'aux  idées;  son  traité  de  la  vérité  apparente 
suppose  une  connaissance  approfondie  du  droit  cano- 
nique et  sa  Disserlalio  hislorica  de  conciliis  nalionis 
Germanicœ...  una  cum  Vindiciis  historicis  pro  Ecclesia 
et  imperio,  Wurzbourg,  1757,  porte  la  marque  d'une  éru- 
dition vaste  et  sûre.  Nommé  successeur  du  P.  Adrien 
Daude  dans  la  chaire  d'histoire  ecclésiastique,  il  publia 
un  abrégé  de  l'histoire  universelle  de  l'Église,  Compen- 
dium  hisloriœ  universalis  el  pragmaticœ  romani  imperii 
el  Ecclesia'  christianœ,  3  in-8°,  Wurzbourg,  1757-1764, 
qui  est  l'abrégé  et  la  continuation  de  l'ouvrage  du 
P.  Daude,  avec]une  part  très  large  et  alors  très  précieuse 
donnée  à  l'histoire  de  la  théologie,  du  droit  canonique 
et  des  controverses  religieuses.  Contre  les  protestants 
qui  s'attachaient,  avec  Mosheim,  J.-G.  Walch  et  Jean- 
Albert  Fabricius,  à  dénaturer  les  dogmes  el  les  insti- 
tutions   de   la   primitive   Église,    il    composa    le   plus 
remarquable    de   ses    ouvrages    :    Germania   sacra    in 
primilivo  slcdu  Ecclesiœ...  juxta  catholicorum  systema 
de  fide,  disciplina,  jure  sacrorum  cl  hierarchia  eccle- 
siastica   contra   syslemata  protestantium,   Bamberg   et 
Wurzbourg,  1767.  Après  la  publication  du  bref  Dominas 
ac  redemplor  qui  supprimait  la  Compagnie  de  Jésus,  il 
continua  d'enseigner  l'histoire  à  l'université  de  Wurz- 
bourg et  travaillait  activement  à  l'édition  d'un  grand 
ouvrage  de  numismatique,  quand  la  mort  le  surprit 
le  19  mai  1787. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  C"  de  Jésus,  t.  m, 
col.  1720-1728;  Hurter,  Nomenclator,  :i  édit.,  Inspruck, 
1913,  t.  v,  col.  405. 

P.  Bernard. 
GREGENTIUS  (Saint),  que  les  menées  grecs  disent 
originaire  de  Milan,  alla  en  Egypte  mener  la  vie  d'ana- 
chorète. Il  devint  évêque  de  Taphar  (Tzafar)  au  pays 
des  Homériles  (Hémiarites)  au  sud  de  l'Arabie  Heu- 
reuse, vers  535.  Son  élévation  à  ce  siège  se  rattache  fort 


bien  à  la  lin  de  la  persécution  des  chrétiens,  quand  le 
pays  passa  sous  la  domination  des  Éthiopiens.  11  aurait 
in  a  Taphar,  vers  540,  une  discussion  avec  le  juif  Her- 
ban,  en  présence  du  roi  du  pays,  de  quelques  évèques  et 
de  beaucoup  de  juifs,  discussion  qu'aurait  mise  par  écrit 
le  scolastique  Palladius.  Cette  AiâXsÇiç  ijtetà  IouBaiou 
'Ep6ôcv  TOJvoua  n'est  pas  d'une  authenticité  très  sûre,  et 
beaucoup  de  critiques  la  tiennent  pour  fabriquée.  Mais 
la  question  n'a  pas  encore  été  soumise  a  un  examen 
approfondi.  La  vérité  de  la  religion  chrétienne  est 
prouvée  dans  ce  dialogue  par  l'accomplissement  des 
prophéties  de  l'Ancien  Testament  et  par  les  miracles. 
Quoi  qu'il  en  soit  de  son  authenticité,  la  Dispute  se  relie 
aux  Ndfioi  tûv  'OjJ.T)piTàiv,  lois  rédigées  au  nom  d'Abra- 
ham, roi  des  Homérites,  mais  également  attribuées  à 
saint  Gregentius.  Les  deux  écrits  font  suite  l'un  à  l'autre 
et  forment  comme  un  seul  et  même  ouvrage.  La  AiaXsft; 
lut  publiée  en  grec  et  en  latin  et  annotée  par  Nicolas 
Galonius,  in-8°,  Paris,  1586,  et  reproduite  dans  la  Biblio- 
theca  Palrum,  t.  v,  p.  919  sq.,  dans  Galland,  t.  xi,  p.  599 
sq.,  et  par  Migne,  P.  G.,  t.  lxxxvi,  col.  621-784.  Les 
Nd[iot  sont  ibid.,  col.  567-620.  On  célèbre  la  fête  de 
saint  Gregentius  le  19  décembre. 

Bardenhewer,  Palroloqie,  2e  édit.,  Fribourg-en-Biisgau, 
1901,  p.  486;  trad.  franc,  par  Godet  et  Verschaffel,  Paris, 
1899,  t.  ni,  p.  29;  Krumbacher,  Geschichte  der  Inpantinischen 
Lileratur.,  2e  édit.,  Munich,  1897,  p.  59;  Dictionary  of 
national  biographu  de  Stephen  et  de  Lee,  Londres,  1885- 
1903,  t.  ii,  p.  730;  Hurter,  Nomenclator,  3e  édit.,  Inspruck, 
1903,  t.  i,  col.  520-521. 

E.  Mangenot. 
1.   GRÉGOIRE   I      LE  GRAND  (Saint).  _  i.  vie. 
II.  Écrits.  III.  Doctrine. 

I.  Vie.  —  Grégoire  Ier,  le  premier  moine  qui  soit 
monté  sur  la  chaire  apostolique,  et  l'un  des  quatre 
docteurs  par  excellence  de  l'Église  d'Occident,  naquit 
à  Rome,  en  540  selon  toute  apparence,  d'une  antique  et 
illustre  famille.  Fils  d'opulents  patriciens,  il  embrassa 
la  carrière  politique,  et  de  très  bonne  heure,  avant  571 
à  coup  sûr,  l'empereur  Justin  II  le  nomma  préteur  de 
Rome.  Mais,  séduit  d'abord  pendant  quelque  temps 
par  l'éclat  des  grandeurs  terrestres,  Grégoire  parvint  à 
s'en  déprendre,  et,  renonçant  après  de  longues  hési- 
tations aux  espérances  du  monde,  il  vendit  les  biens 
de  son  immense  héritage,  pour  en  consacrer  le  prix 
au  soulagement  des  pauvres  et  à  la  fondation  de  sept 
monastères,  six  en  Sicile  et  le  septième  à  Rome,  au 
sommet  du  viens  Scauri  (aujourd'hui  monte  Ccelio) 
dans  son  propre  palais.  Il  s'y  fit  moine  lui-même,  sui- 
vant la  règle  de  saint  Benoît;  il  poussa  si  loin  la 
rigueur  du  jeûne  que  sa  santé,  naturellement  délicate, 
s'en  trouva  ruinée,  que  sa  vie  même  en  fut  compro- 
mise. Il  ne  laissera  pourtant  pas,  dans  les  années 
qui  suivront,  de  pleurer  amèrement  le  cloître  et  de 
soupirer  après  le  retour  de  ces  jours  heureux.  Le 
pape  Benoît  Ier  l'arracha  de  sa  cellule  en  577,  pour  le 
créer,  malgré  lui,  cardinal-diacre  ou  régionnaire.  Le 
successeur  de  Benoît  I1',  Pelage  II,  l'envoya  comme 
apocrisiuire  ou  nonce,  en  578,  auprès  de  l'empereur 
Tibère,  à  Constantinople.  En  584  ou  585,  Grégoire  pou- 
vait rentrer,  à  Rome,  dans  son  monastère,  dont  les 
religieux  l'élurent  abbé,  peu  après  son  retour.  La 
vue  de  quelques  jeunes  Anglo-Saxons,  sur  le  marché 
des  esclaves,  lui  inspira  la  pensée  de  s'embarquer 
pour  l'Angleterre  et  d'aller  porter  chez  un  peuple 
non  encore  dépravé  les  bienfaits  du  christianisme  et 
de  la  civilisation.  Il  avait  déjà,  du  consentement  du 
pape,  quille  Home  en  secret,  quand  un  soulèvement 
populaire  contraignit  Pelage  II  à  rappeler  par  courrier 
le  bienfaiteur  de  la  ville  et  l'idole  du  peuple  romain. 
Pelage  mourut  le  7  février  590.  Aussitôt  Grégoire  est 
élu  pape  par  la  voix  unanime  du  sénat,  du  peuple  et 
du  clergé.  Il  n'épargna  rien  pour  se  soustraire  à  leur 


1777 


GRÉGOIRE  Ier   LE    GRAND 


1778 


choix.  Mais,  dès  que  l'empereur  d'Orient,  Maurice, 
eut  confirmé  l'élection,  le  peuple  conduisit  l'élu  en 
triomphe  à  Saint-Pierre,  et  Grégoire  fut  sacré  le  3  sep- 
tembre 590. 

Personne  n'a  jamais  eu  du  souverain  pontificat  une 
idée  plus  haute,  et,  de  fait,  Grégoire  a  été  la  plus 
noble  personnification  de  la  papauté.  Politiquement 
et  religieusement,  la  situation  ne  lui  offrait  à  son 
avènement  que  des  sujets  de  douleur  et  d'alarmes.  Il 
compare  lui-même  l'Église  à  «  une  barque  vieille  et 
vermoulue,  suspendue  sur  l'abîme,  craquant  comme 
à  l'heure  du  naufrage.  »  Regislr.  epist.,  1.  I,  epist.  iv. 
L'Italie  était  la  proie  des  inondations,  de  la  peste 
et  de  la  famine;  les  Lombards  y  mettaient  tout  à 
feu  et  à  sang;  la  province  ecclésiastique  de  Milan 
s'obstinait  dans  le  schisme  que  la  condamnation  des 
Trois  Chapitres  avait  provoqué;  de  Constantinople,  un 
pouvoir  ombrageux  et  tracassier  étendait  jusque  sur 
la  papauté  ses  exigences,  et  déjà  le  schisme  futur  de 
l'Église  grecque  se  faisait  pressentir;  le  monde  civilisé 
semblait  pencher  vers  sa  ruine.  Humble  et  charitable, 
ferme  et  tendre  de  cœur,  vigilant  et  clairvoyant,  Gré- 
goire réussira,  par  son  génie  comme  par  le  charme 
et  l'ascendant  de  sa  vertu,  à  remédier  à  ces  maux  et 
à  renouveler  en  partie  la  face  de  la  chrétienté.  Il 
luttera  sans  relâche  et  non  pas  toujours  sans  succès 
contre  les  hautaines  prétentions  et  les  menaces  du 
byzantinisme ;  il  ranimera  la  vie  chrétienne  et  soula- 
gera dans  la  mesure  du  possible  les  misères  de  son 
temps;  il  organisera  le  domaine  temporel  des  papes 
et  fondera  leur  paternelle  suprématie  sur  les  royautés 
naissantes  et  les  nations  nouvelles  qui  s'appelleront 
la  France,  l'Espagne,  l'Angleterre.  A  vrai  dire,  c'est 
lui  qui  inaugure  le  moyen  âge,  la  société  moderne  et 
la  civilisation  chrétienne.  Dans  les  dernières  années 
de  sa  vie,  Grégoire  fut  presque  toujours  aux  prises 
avec  la  maladie;  à  peine  pouvait-il,  aux  jours  des 
grandes  fêtes,  se  lever  de  son  lit  et  célébrer  la  messe 
solennelle.  Il  mourut  au  commencement  du  mois 
de  mars  604,  le  12  mars  604,  selon  l'opinion  commune; 
il  avait  reçu  du  consentement  universel  le  double 
surnom  de  Saint  et  de  Grand,  et  il  demeurait  le  per- 
pétuel modèle  de  ses  successeurs. 

II.  Écrits.  —  Saint  Grégoire  est,  de  tous  les  papes, 
Benoît  XIV  excepté,  celui  qui  nous  a  laissé  le  plus 
d'ouvrages.  Ces  travaux  dont  l'auteur  se  plaisait  à 
exagérer  les  défauts  littéraires,  reflètent  en  définitive 
la  décadence  du  style  et  du  goût  au  vie  siècle.  Mais, 
morale  ou  liturgie,  quelque  sujet  qu'aborde  la  plume 
de  l'humble  et  doux  pontife,  tout  va,  non  précisément 
à  satisfaire  aux  besoins  de  l'intelligence,  mais  plutôt 
à  relever  et  à  purifier  la  volonté  humaine,  non  à 
dévoiler  les  arguties  de  l'hérésie,  mais  à  lutter  contre 
l'épuisement  des  courages,  le  désespoir  des  vaincus  et 
le  sauvage  orgueil  des  conquérants;  tout  se  tourne  à 
la  pratique.  De  saint  Grégoire  nous  possédons  :  1°  un 
Pastoral,  Liber  regulx  pastoralis,  composé  vers  l'an  591 
et  dédié  à  Jean,  archevêque  de  Ravcnne.  Grégoire 
s'y  justifie  du  reproche  que  lui  avait  adressé  Jean  de 
s'être  dérobé  par  la  fuite  à  la  dignité  suprême,  en 
relevant  les  grandeurs  et  les  dillicultés  du  ministère 
pastoral.  Le  livre  comprend  quatre  parties  :  la  Ire  pose 
les  règles  qui  doivent  présider  à  la  vocation  sacerdotale, 
ad  ciilmen  quisque  regiminis  qualiler  veniat;  la  IL'  dé- 
peint la  vie  du  vrai  pasteur,  ad  hoc  rite  perveniens 
qualiler  vivat;  la  IIIe  qui  contient,  dit  Bossuet,  «  une 
morale  admirable  et  tout  le  fond  de  la  doctrine  de  ce 
grand  pape,  »  trace  les  règles  de  la  prédication,  bene 
vlvns  qualiler  doceal;  la  IVe  et  dernière,  en  un  seul 
chapitre,  invite  le  pasteur  à  rentrer  en  lui-même  tous 
les  jours,  recte  docens  infirmilalcm  suam  quanta  consi- 
deralione  cognoscat.  Le  succès  du  livre  fut  éclatant. 
La    traduction    grecque    d'Anastase    II,    patriarche 


d'Antioche,  ne  nous  a  pas  été  conservée;  le  roi  d'An- 
gleterre, Alfred  le  Grand,  mort  en  901,  en  a  fait  une 
version  anglo-saxonne.  2°  Un  très  vif  succès  accueillit 
aussi  un  peu  plus  tard,  vers  593,  les  quatre  livres  des 
Dialogues,  dont  le  titre,  clans  la  plupart  des  manuscrits, 
est  suivi  de  cette  addition  qui  en  détermine  le  sujet, 
De  vita  et  miraculis  patrum  Italicorum,  et  de  œternitate 
animarum.  Saint  Grégoire  y  raconte  à  un  ami  de 
jeunesse,  le  diacre  Pierre,  nombre  de  traits  «miraculeux 
des  saints  de  l'Italie,  qu'il  emprunte,  soit  à  ses  souve- 
nirs personnels,  soit  à  de  graves  autorités.  Le  I"  et 
le  IIIe  livres  sont  consacrés  au  récit  des  miracles  de 
divers  saints  personnages,  qui  tous,  sauf  saint  Paulin 
de  Noie,  sont  peu  ou  point  connus.  Le  IIe  livre,  un 
chef-d'œuvre,  s'occupe  exclusivement  des  miracles 
de  saint  Benoît  de  Nursie.  Le  IVe  livre  est  un  tissu 
de  visions  miraculeuses,  qui  vont  à  établir  la  survi- 
vance de  l'âme  après  la  mort.  Maintes  fois  traduits, 
ces  Dialogues,  qui  répondaient  si  bien  à  la  croyance 
des  contemporains  aux  miracles,  se  sont  répandus 
partout  et  ont  servi  de  type  à  l'hagiographie  du  moyen 
âge.  3°  Les  Morales,  Exposilio  in  librum  Job  sive 
Moraliumlibri  XXXV,  commencées  à  Constantinople 
par  saint  Grégoire  avant  son  élection,  et  terminées 
pendant  son  pontificat,  popularisèrent  les  secrets  de 
l'ascétisme,  en  développant  les  traditions  les  plus 
élevées  de  l'exégèse  biblique,  et  méritèrent  de  servir, 
durant  le  moyen  âge,  de  base  à  l'enseignement  de  la 
théologie  morale.  Le  livre  de  Job  y  reçoit  tout  à  tour 
une  triple  explication,  l'explication  littérale  ou  his- 
torique, reléguée  à  l'arrière-plan,  l'explication  mystique 
ou  typique,  l'explication  morale,  de  toutes  la  plus  ample 
et  la  plus  détaillée.  4°  Les  quarante  Homélies  sur 
l'Évangile  forment  très  probablement  un  cycle  de 
prédications  sur  des  textes  évangéliques,  prononcées 
en  590  et  en  591;  vingt  furent  prêchées  par  saint 
Grégoire  lui-même  et  recueillies  dans  l'église  par  des 
sténographes;  vingt  autres  furent  lues  au  peuple,  en 
sa  présence,  par  un  notaire,  à  cause  des  cruelles 
soulïrances  qui  empêchaient  le  pape  de  monter  en 
chaire.  L'auteur  les  a  publiées  en  592  ou  593,  et  divisées 
en  deux  livres.  On  trouve  ordinairement  à  la  suite, 
dans  les  éditions  modernes,  un  émouvant  sermon  sur 
la  pénitence  que  saint  Grégoire  avait  prêché  à  Rome 
pendant  la  grande  peste  de  590.  C'est  aux  Homélies 
sur  l'Évangile  qu'on  s'est  plu  dans  la  suite  à  emprunter 
les  leçons  de  l'office  liturgique  aussi  bien  que  les 
lectures  des  chapitres  ou  du  réfectoire  des  commu- 
nautés religieuses.  5°  Les  vingt-deux  Homélies  sur 
Ézéchiel  furent  prononcées  par  saint  Grégoire  devant 
le  peuple  en  593,  pendant  le  siège  de  Rome  par  les 
Lombards,  et  se  partagent  en  deux  livres  qui  inter- 
prètent, le  Ier,  Homil.,  i-xn,  les  c.  i-iv,  le  IIe,  Homil., 
xiii-xxii,  le  c.  xl.  6°  Ce  qui  fait  le  mieux  ressortir 
le  génie  de  saint  Grégoire  et  son  infatigable  activité, 
c'est  le  Registrum  epislolarum,  le  recueil  de  sa  corres- 
pondance officielle.  Mais,  du  Registre  original,  il  n'a 
survécu  que  des  débris.  On  n'en  possède  plus  aujour- 
d'hui que  trois  extraits,  indépendants  les  uns  des 
autres  et  remontant  tous  très  haut.  L'extrait  le  plus 
considérable,  puisqu'il  contient,  à  tout  prendre,  683 
lettres,  fut  adressé  par  le  pape  Adrien  Ier  (772-795) 
à  l'empereur  Charlemagne;  les  lettres  y  sont  rangées 
indiction  par  indiction  et  tout  le  pontificat  de  saint 
Grégoire  s'y  déroule.  Un  second  extrait  comprend 
200  lettres,  qui  probablement  appartiennent  toutes 
à  l'indiction  IIe,  598-599.  Dans  une  troisième  collection 
nous  ne  trouvons  guère  qu'une  cinquantaine  de  lettres, 
différentes  des  précédentes  et  qui  sont  empruntées 
aux  indictions  XIII,  IV,  X.  Ces  deux  dernières  collec- 
tions, plus  courtes  que  celle  d'Adrien  Ier,  semblent 
bien  lui  être  antérieures.  Elles  nous  offrent,  en  dehors 
du  recueil  d'Adrien    Ier,   165   lettres;   de  sorte  qu'il 


1779 


GREGOIRE    I"  LE    GRAND 


1780 


nous  est  resté,  de  compte  fait,  dans  les  trois  recueils, 
848  lettres  de  saint  Grégoire.  11  nous  est  aussi  parvenu 
par  une  autre  voie  quelques  lettres  isolées;  mais  leur 
authenticité  ne  saurait  être  admise  en  bloc.  Rède  le 
Vénérable  seul.  Hist.  ceci,  gentis  AngL,  I,  27,  nous 
a  transmis  la  réponse  de  saint  Grégoire  aux  onze 
questions  posées  par  l'archevêque  de  Cantorbéry, 
saint  Augustin,  Rcgislr.,  1.  XI,  epist.  iv;  on  la  tient 
aujourd'hui  presque  généralement  pour  apocryphe. 
P.  Ewald  et  L.  M.  Hartmunn,  Grcgorii  I  papœ  Rcgis- 
trum  epislolamm,  Berlin,  1891-1893,  dans  Monumenta 
Germanise  historica.  Epist.,  t.  i-ii;  P.  Ermini,  SnlV 
Episiolario  di  Grcgorio  Magno,  note  critichc,  Rome, 
1904.  7°  Le  Sacramentaire  grégorien  est  le  fruit  d'une 
réforme  profonde  apportée  par  saint  Grégoire  dans  le 
missel  romain.  Nous  ne  l'avons  plus  cependant  sous 
la  forme  que  le  grand  pape  lui  avait  donnée.  Tous 
nos  manuscrits  ne  sont  que  des  copies  plus  ou  moins 
authentiques  de  l'exemplaire  que  le  pape  Adrien  Ier, 
entre  784  et  791,  envoya  en  France,  à  la  prière  de 
Charlemagne.  Dans  le  chant  liturgique,  saint  Grégoire 
s'est  aussi  montré  réformateur,  en  publiant  un  nouvel 
Anliphonaire.  Le  nom  de  chant  grégorien  rappelle, 
enfin,  sa  sollicitude  pour  recueillir  les  anciennes 
mélodies  de  l'Église  et  imprimer  au  chant  ecclésiastique 
un  caractère  à  part  de  gravité  et  de  suavité.  E.  Bivell, 
Dcr  Gregorianischc  Gcsang,  Gratz,  1904. 

Les  huit  hymnes  qui  portent  le  nom  de  saint  Grégoire 
peuvent  être  toutes  regardées  comme  apocryphes. 
Dreves,  Thcol.  Quarlalschrijt,  1907,  p.  548-562;  1909, 
p.  436-445.  Sont  également  suspects  ou  plutôt  apocry- 
phes les  Commentaires  sur  le  I"  livre  des  Rois,  Y  Expli- 
cation du  Cantigue  des  cantiques,  l'Explication  des  sept 
]>saumes  de  la  pénitence,  YHarmonic  de  quelques  témoi- 
gnages de  la  sainte  Écriture. 

Saint  Patère  a  extrait  des  œuvres  de  saint  Grégoire 
le  Grand  des  explications  que  ce  pape  a  données  de 
tous  les  passages  de  la  Bible  Liber  de  expositione 
Veieris  ac  Novi  Testamenli  de  diversis  libris  S.  Grcgorii 
concinnatus,  P.  L.,  t.  lxxix,  col.  683-1136.  Alulf  a 
recueilli,  de  son  côté,  les  explications  que  saint  Grégoire 
avait  faites  des  passages  du  Nouveau  Testament. 
Gregoriale  super  Novum  Testamentum,  ibid.,  col.  1137- 
1424. 

1 1 1.  Doctrine.  —  Écrivain  et  orateur,  saint  Grégoire 
est  un  théologien  très  sûr.  Point  de  hardiesses,  point 
de  singularités  dans  sa  doctrine.  Elle  est  le  reflet 
exact  généralement,  quoique  pâli,  de  celle  de  saint 
Augustin.  Le  glorieux  pape  ramène  1er,  idées  de  son 
maître  au  niveau  des  esprits  moyens  de  son  temps,  et 
les  accommode  au  caractère  tout  pratique  que  peuple 
et  clergé  donnent  alors  à  la  religion.  Comme  saint 
Augustin,  il  relève  l'autorité  et  les  privilèges  de  la  foi 
par-dessus  la  science  et  la  philosophie,  qui  aussi  bien 
lui  sont  opposées.  Homil.  in  Evang.,  xxvn  ;  In  Ezechiel., 
homil.  v.  Comme  saint  Augustin,  il  prêche  la  nécessité 
d'une  grâce  prévenante,  même  pour  le  commencement 
de  la  foi  et  des  bones  œuvres,  Moral.,  1.  XVI,  c.  xxx, 
et  enseigne  la  prédestination  absolue  et  indépendante, 
Moral,  1.  XXVII,  c.  vu;  1.  XXIX,  c.  lvii,  lxxvii; 
1.  XXXIII,  c.  xxxvin;  peut-être  néanmoins  n'admet- 
il  la  réprobation  qu'après  la  prévision  des  fautes, 
I.  XXV,  c.  xxxii ;  1.  XXXIII,  c.  xxxix.  II  reconnaît 
à  la  passion  du  Sauveur  une  valeur  salutaire  et  pénale. 
Jésus-Christ  seul  pouvait  sauver  l'humanité  coupable 
et  il  s'est  substitué  à  elle  pour  expier  ses  fautes.  Il  a 
pavé  les  droits  du  démon,  dont  la  défaite  a  été  com- 
plète.  Voir  J.  Rivière,  Le  dogme  de  la  rédemption, 
Paris,  1905,  p.  272-276,  413-414,  439-141.  Avec  saint 
Augustin  encore,  saint  Grégoire  tient  que  les  enfants 
morts  sans  baptême  encourent  des  peines  positives  et 
le  feu  de  l'enfer.  Moral..  1.  IX,  c.  xxxn.  Sans  entrer  dans 
les  spéculations  à  la  suite  de  l'évêque  d'Hippone,  il 


proclame  simplement  la  présence  réelle  de  Jésus-Christ 
dans  l'eucharistie,  Moral.,  \.  XXII,  c.  xxvi;  In  Evang., 
homil.,  xiv,  1;  xxn,  7,  et  il  reconnaît  à  la  messe  le  carac- 
tère d'un  sacrifice  expiatoire  et  propitiatoire,  destiné 
non  seulement  à  effacer  les  péchés  des  vivants,  mais  à 
soulager  les  défunts  dans  les  peines  de  l'autre  vie,  l)ia- 
log..  1.  IV,  lv,  lviii,  clix;  7/!  Evang.,  homil.  xxxvn,  8; 
le  dogme  du  purgatoire  est  mis  ici  en  pleine  lumière. 
La  question  des  anges  a  spécialement  attiré  l'attention 
de  saint  Grégoire.  Selon  lui,  les  anges  sont  des 
créatures  entièrement  spirituelles,  sans  corps,  Moral., 
1.  II,  c.  vin  ;  1.  IV,  c.  vin  ;  Dialog.,  1.  IV,  c.  xxix  ; 
ils  sont  inégaux  en  dignité,  In  Evang..  homil. 
xxxiv,  9,  13,  et  divisés  en  neuf  ordres,  Moral., 
I.  XXXII,  c.  xlviii;  In  Evang.,  homil,  xxxiv,  7, 
ayant  chacun  ses  prérogatives  et  ses  fonctions.  Les 
bons  anges  sont  occupés  à  la  garde  de  l'Église,  des 
nations  et  des  individus;  chaque  peuple  et  chaque 
homme  a  son  ange  qui  lui  est  préposé.  Moral,  1.  IV, 
c.  lv.  Les  démons  de  leur  côté  nous  font  perpétuel- 
lement la  guerre,  Moral,  1.  II,  c.  lxxiv;  mais  ils  ne 
peuvent  nous  nuire  sans  la  permission  de  Dieu.  Moral, 
1.  II,  c.  xvi.  Saint  Grégoire  fait  aussi  ressortir,  avec  la 
maternité  de  la  sainte  Vierge,  l'enfantement  mira- 
culeux du  Sauveur,/;)  Evang., homil.  xxvi.l,  et  il  prêche 
le  culte  des  reliques,  sous  la  condition  qu'elles  soient 
authentiquement  constatées.  Moral,  1.  XVI,  c.  lxiv; 
Epist.,  1.  XL  Le  culte  des  images  n'est  point  condamné 
absolument.  Epist.,  1.  IX,  epist.  vi,  lu  ;  1.  XI,  epist.  xiii. 
L'eschatologie  de  saint  Grégoire,  enfin,  est  imprégnée 
des  idées  de  saint  Augustin.  Les  âmes  reçoivent  aussitôt 
après  la  mort  leur  récompense  ou  leur  châtiment. 
Moral,  1.  IV,  c.  lvi;  1.  XIII,  c.  xlviii;  In  Evang., 
homil.  xix,  4;  Dialog.,  1.  IV,  c.  xxvm.  Elles  tombent 
dans  l'enfer  éternel,  si  elles  sont  mortes  sans  avoir  fait 
pénitence  de  leurs  peccata  capilalia,  Moral,  1.  XV, 
c.  xxi,  ou,  si  elles  n'ont  pas  de  fautes  à  expier,  elles 
entrent  au  ciel,  pour  y  jouir  d'une  béatitude  sans  fin. 
Moral. ,1.  XVIII.  c.  xc;l.  XXX,  c.  xvn.  Les  souffrances 
du  purgatoire  attendent  les  âmes  qui  n'ont  pas  suffi- 
samment expié  leurs  menues  fautes  par  la  pénitence 
et  l'aumône.  Dialog.,  1.  IV,  c.  xxv,  xxxix.  Le  pur- 
gatoire n'est  donc  pour  l'homme  après  la  mort  qu'un 
état  temporaire;  c'est  dans  le  ciel  ou  dans  l'enfer  que 
la  vie  d'ici-bas  trouve  sa  sanction  définitive.  Cette 
sanction  ne  sera  complète  qu'après  la  résurrection 
de  la  chair  et  le  jugement  dernier.  Saint  Grégoire  croit, 
comme  on  croyait  en  général  autour  de  lui,  que  la 
fin  du  monde  et  l'avènement  du  souverain  juge  sont 
proches.  In  Evang.,  homil.,  i,  5;  iv,  2.  A  la  résurrection 
de  la  chair  succédera  le  jugement  universel,  Moral, 
1.  XVII,  c.  liv;  1.  XXXIII,  c.  xxxvn;  I.  XXVI, 
c.  l,  li;  la  sentence  de  chacun  sera  irrévocablement 
prononcée  et  son  sort  fixé  à  jamais. 

L'édition  complète  des  oeuvres  de  saint  Grégoire  par 
les  bénédictins  de  Saint-Maur,  4  in-fol.,  Paris,  1705,  se 
retrouve,  non  sans  améliorations,  dans  P.  L.,  t.  lxxv- 
i.xxix. 

L'antiquité  nous  a  laissé  trois  biographies  de  saint 
Grégoire  :  l'une  écrite  en  Angleterre  dans  les  premières 
années  du  VIIIe  siècle  et  restée  inédite;  l'autre  par  Paul 
Diacre  (Paul  Warnelried),  datant  de  la  seconde  moitié 
du  vmc  siècle,  P.  L.,  t.  lxxv,  col.  41-59;  dont  une  édition 
critique  a  été  publiée  par  le  P.  Grisar,  Zeitschrift  fur 
katholisehe  Théologie,  1887,  t.  xi,  p.  158-173;  la  troisième 
par  Jean  Diacre,  composée  à  Rome  en  872  ou  873,  P.  L., 
t.  lxxv,  col.  59-242. 

H.  Delehaye,  Saint  Grégoire  le  Grand  dans  l'hagio- 
graphie grecque,  dans  Analecla  bollandiana,  1904,  t.  XXIII, 
p.  419-454;  Lau,  Gregor  dcr  Grosse,  nach  seinem  Lebcn 
und  seiner  Lehre  gesehildert,  Leipzig,  1845;  Ed.  Clausier, 
Saint  Grégoire  le  Grand,  pape  et  docteur  de  l'Église,  Paris, 
188G-1891;  Wotfsgruber,  Die  vorpapstticlie  Lelcnspcriode 
Grcgors  des  Grosses  nach  seinen  Brie/en  dargcstellt.  Vienne, 
1880;  Gregor  der  Grosse,  Ravensburg,   1890;  A.  Inonx,  St. 


17SI 


GRÉGOIRE   Ier  LE    GRAND 


GRÉGOIRE   II 


1782 


Gregory  the  Grent,  hisworkand  his  spirit,  Londres,  1892; 
H.  Dudden,  Gregory  the  Great,  Londres,  1905;  T.  Tarducci, 
Storia  cli  Gregorio  Magno  c  del  sno  tempo,  Rome,  1909; 
H. H.  Howorth,  St.  Gregory  the  Great,  in-8°,  Londres,  1912; 
Tixeront,  Histoire  des  dogmes  dans  l'antiquité  chrétienne, 
Paris,  1912,  t.  m;  Bardenliewer,  Les  Pères  de  l'Église, 
édit.  franc.,  Paris,  1903,  t.  m,  p.  19S  sq.  ;  G.  Pi'eilschifter, 
Die  authentisclic  Ausgabc  dcr  Evangelien-Homilien  Gregors 
d.  Gr.,  Munich,  1900;  Kirehcnlexikon,  t.  v,  col.  1075-1092; 
Hurter,  Nomenelalor,  1903,  t.  i,  col.  555-565;  un  article  de 
A.  Lagarde,  Le  pape  saint  Grégoire  a-t-il  connu  la  confes- 
sion ?  dans  la  Revue  d'histoire  et  de  littérature  religieuses, 
1912,  p.  160  sq.,  appelle  les  plus  grandes  réserves.  D'heu- 
reux correctifs  se  trouvent  dans  la  brochure  de  M.  Tixe- 
ront, Le  sacrement  de  pénitence  dans  l'antiquité  chrétienne, 
Paris,  1914,  p.  9-11,  par  une  référence  à  YHomil-,  xxvi, 
sur  les  Évangiles. 

P.  Godet. 
2.  GRÉGOIRE  H  (Saint),  pape  (19  mai  715- 
10  février  731).  De  famille  romaine,  il  fut  initié  très 
jeune  à  la  pratique  des  affaires  ecclésiastiques.  Le 
palais  de  Latran  avait  abrité  ses  premières  années 
sous  les  pontificats  de  Sergius  1"  (687-701),  de  Jean  VI 
(701-705),  de  Jean  VII  (705-707),  de  Sisinnius  (708) 
et  de  Constantin  (708-715).  Instruit  aux  leçons  de 
Sergius  Ier,  sous-diacre  chapelain  au  palais  pontifical, 
et  dans  la  suite  bibliothécaire,  il  était  entré  dans 
l'ordre  des  bénédictins.  De  687  à  701,  la  papauté 
avait  été  troublée  par  le  double  schisme  des  antipapes 
Pascal  (687-vers  692)  et  Théodore  (687).  Le  réveil  de 
propagande  religieuse,  commencé  à  la  fin  du  vic  siècle 
sous  l'impulsion  de  saint  Grégoire  le  Grand,  avait 
amené  à  Rome,  pour  y  recevoir  le  baptême,  le  roi  de 
Sussex,  Ceadwalla,  et  l'évêque  Willibrord  avait  alors 
reçu  le  nom  de  Clément  afin  d'aller  évangéliser  la 
Frise.  Enfin  la  résistance  de  l'armée  de  Ravenne, 
prenant  fait  et  cause  pour  Sergius  Ier,  avait  fait 
échouer  l'exarque  impérial,  accouru  dans  la  ville  des 
papes,  pour  traîner  à  Constantinople  le  pontife  rebelle 
au  concile  quinisexte  in  Trullo  de  692.  Une  visite  à 
la  cour  byzantine  avait  complété  l'éducation  psycho- 
logique du  futur  pape  :  diacre,  il  avait  accompagné 
le  souverain  pontife  Constantin  dans  son  voyage  au 
Bosphore.  L'empereur,  en  grec  de  race,  l'avait  inter- 
rogé sur  la  tkéologie.  Des  réponses  très  aisées  firent 
dès  lors  prévoir  la  bonne  tenue  dans  la  discussion  du 
futur  défenseur  du  culte  des  images.  En  715,  Grégoire  II 
montait  sur  le  trône  de  Pierre  au  milieu  des  acclama- 
tions du  peuple  et  du  clergé,  parce  qu'il  était  armé 
pour  la  lutte. 

Trois  problèmes  s'offraient  à  son  attention.  La 
continuation  de  l'apostolat  inauguré  par  Grégoire  le 
Grand  sur  les  peuples  barbares  encore  païens  s'imposait, 
si  l'on  voulait  former  par  une  discipline  chrétienne 
des  peuplades  errantes  toujours  dangereuses  pour 
l'ancien  monde  latin.  La  Rome  pontificale  pouvait 
aussi  toujours  craindre  sa  vieille  rivale  Constantinople, 
où  l'hérésie,  depuis  quatre  siècles,  semblait  avoir  élu 
domicile.  Le  concile  quinisexte  in  Trullo  de  692  qui 
avait  repiis,  au  point  de  vue  disciplinaire,  le  VIe  concile 
œcuménique  de  Constantinople  de  680,  sans  en  garder 
l'orthodoxie,  ne  datait  que  de  vingt-deux  ans  :  l'argutie 
greccjue  n'était  pas  morte.  Enfin,  le  souverain  pontife 
devait,  pour  vivre,  pourvoir  à  la  situation  matérielle 
de  Rome,  ballottée  depuis  406  par  les  assauts  des 
Barbares,  et  pour  le  moment  tiraillée  par  les  ambitions 
lombardes,  chaque  jour  grandissantes,  et  les  récla- 
mations byzantines  de  moins  en  moins  efficaces.  Dans 
ces  trois  domaines,  l'impulsion  donnée  par  Grégoire  II 
a  marqué  un  acquis  pour  la  théologie. 

1°  La  conquête  de  la  Germanie.  —  L'action  du 
pontife  a  été  simultanée.  Elle  apparaîtra  mieux, 
étudiée  d'abord  dans  les  forêts  de  Hesse  et  de  Thu- 
ringe.  Grégoire  va  planter  la  croix  au  delà  des  frontières 
danubiennes   que  jamais   les   aigles  romaines   ne  sont 


parvenues  à  franchir.  Son  collaborateur,  à  qui  il  vient, 
suivant  l'usage,  de  donner  le  nouveau  nom  de  Boniface, 
n'est  autre  que  l'anglo-saxon  Winfrid.  Voir  t.  n, 
col.  1005-1008.  L'œuvre  d'évangélisation  commença  dès 
716  par  la  réforme  de  l'Église  de  Bavière.  En  719, 
Boniface  partait  pour  la  forêt  hercynienne,  et  le  30  no- 
vembre 722,  de  retour  à  Rome,  il  recevait  Fépiscopat. 
De  724  à  731,  l'apôtre  de  la  Thuringe,  évêque  légion- 
naire, aidé  de  moines  et  de  moniales  anglaises,  parfai- 
sait son  œuvre,  en  créant  les  monastères  d'Amœne- 
bourg,  de  Friztlaren  Hesse,  d'Ohrdrufî,  près  de  Gotha, 
deBischoffsheim  sur  Tauber,  dont  les  religieux  allaient 
défricher  et  essarter  la  région  du  mystère  païen.  Dans 
tout  ce  travail,  Grégoire  II  avait  été  la  pensée  agis- 
sante. Il  avait  commencé  la  mission  en  demandant  avec 
succès  à  Charles  Martel  l'aide  de  son  bras  puissant  pour 
l'apôtre  qui  confiait  ses  efforts  à  la  barbarie  de  la  nature 
et  des  cœurs.  La  force  devait  être  au  service  du  droit 
pour  empêcher  que  Boniface'  ne  fût  opprimé  par  les 
violents  et  les  malveillants.  Epist.,  xxi  et  xxv,  dans 
Jaffé,  Bibliotheca  rerum  germanicarum,  Berlin,  1866, 
t.  m,  p.  24-315.  Dès  les  débuts,  le  pape  avait  aussi 
félicité  les  Thuringiens.  Epist. ,  xx,  ibid.  Saint  Boni- 
face  ne  resta  jamais  seul.  Toute  une  théologie  fut  fixée 
par  la  lettre  du  22  novembre  726,  écrite  par  Grégoire  II 
à  l'évêque  de  Germanie.  Epist.,  xxvn,  ibid.  Morale, 
doctrine,  liturgie,  pastorale  y  sont  présentées  d'une 
façon   bien  ferme  à  l'action  scrupuleuse  du  légat. 

La  question  des  mariages  illégitimes,  réglée  en  721, 
par  dix-sept  anathèmes,  dans  un  synode  tenu  à  Rome, 
cf.  Labbe  et  Cossart,  Colleclio  conciliorum,  Paris,  1672, 
t.  iv,  préoccupe  à  nouveau  le  pontife.  Il  demande  que 
l'on  ne  pousse  pas  jusqu'à  l'excès  la  rigueur  des  dispo- 
sitions canoniques  sur  les  empêchements.  Vis-à-vis  de 
peuples  si  barbares,  il  suffira  d'interdire  le  mariage  jus- 
qu'au quatrième  degré  inclusivement.  Il  autorise  la 
rupture  du  lien,  quand  la  femme  ne  peut  rendre  le 
devoir  conjugal  à  son  conjoint.  Celui-ci  ferait  peut-être 
mieux  de  ne  pas  se  remarier.  Il  faudra  le  tolérer  toute- 
fois, à  la  condition  qu'il  ne  laisse  pas  sans  secours  celle 
qu'il  aura  abandonnée.  Grégoire  II  tranche  à  la  manière 
de  saint  Paul,  en  employant  ses  expressions,  la  question 
des  viandes  consacrées  aux  idoles.  Il  décide  que  les 
lépreux  doivent  être  admis  au  banquet  eucharistique, 
mais  séparément.  Le  prêtre,  accusé,  sans  témoignages 
décisifs  contre  lui,  pourra  se  laver  par  son  seul  serment. 
Les  oblats,  une  fois  donnés  à  Dieu,  ne  doivent  plus 
retourner  aux  voluptés  du  siècle. 

Sur  les  questions  doctrinales,  le  pape  est  d'une  haute 
fermeté.  Le  sacrement  a  une  valeur  absolue  qui  ne  peut 
être  diminuée  par  l'indignité  du  ministre  qui  le 
confère  :  il  n'y  a  donc  pas  lieu  de  rebaptiser  ceux  qui 
ont  reçu  le  baptême  d'un  prêtre  indigne.  Des  enfants 
enlevés  à  leurs  parents,  qui  ne  se  souviendraient  plus 
d'avoir  reçu  ce  sacrement,  devraient  à  nouveau  le 
recevoir.  Il  ne  faut  pas  administrer  deux  fois  le  sacre- 
ment  de   confirmation. 

Les  questions  de  liturgie  sont  aussi  abordées  dans 
la  lettre  de  786.  Le  pape  demande  que  l'on  ne  place 
pas  deux  ou  trois  calices  sur  l'autel,  quand  on  célèbre 
le  sacrifice  de  la  messe.  Enfin,  il  donne  à  son  mandataire 
quelques  directions  pastorales  relativement  à  sa 
conduite  vis-à-vis  des  prêtres  indignes,  qui  faute  d'une 
préparation  soignée  n'avaient  pu  maintenir  leur  tenue 
sacerdotale  dans  le  paganisme  ambiant.  Boniface 
avait  prêté  au  pape  serment  de  n'avoir  aucune  com- 
munication avec  les  prêtres  indignes.  Mais  les  nécessités 
de  son  apostolat  le  mettaient  en  contact  inévitable 
avec  de  pareils  prêtres,  surtout  à  la  cour  de  Charles 
Martel.  Devait-il  donc  s'en  tenir  à  son  serment  au 
risque  de  compromettre  sa  mission?  Grégoire  II,  avec 
une  modération  pleine  d'optimisme  chrétien,  fixe 
toute  une  conduite  :  «  Quand  ils  ne  sont  pas  formelle- 


17S:i 


GREGOIRE    II 


1784 


ment  hérétiques,  écrit-il,  il  t'est  permis  do  manger  ou 
de  parler  avec  eux.  Tu  (luis,  usant  de  l'autorité  apos- 
tolique, lis  avertir,  les  réprimander  et  les  ramener, 
si  possible,  a  la  pureté  de  la  discipline  ecclésiastique. 
S'ils  obéissent,  ils  sauveront  leurs  âmes,  et  tu  auras 
mérité  la  récompense.  En  attendant,  ne  refuse  pas  de 
t'entretenir  avec  eux  et  de  t'asseoir  à  la  même  table. 
Souvent,  il  arrive  que  ceux  à  qui  la  correction  disci- 
plinaire ne  parvient  pas  à  faire  observer  la  loi  de  la 
vérité  se  laissent  ramener  au  chemin  de  la  justice  par 
les  exhortations  familières  de  commensaux  assidus. 
Tu  observeras  la  même  règle  à  l'égard  des  grands  qui 
te  prêtent  leur  secours.  »  Epist.,  xxvn.  Grégoire  1er 
avait  ajouté  l'Angleterre  aux  peuples  catholiques. 
Grégoire  II,  en  donnant  à  l'Église  la  Thuringe  et  la 
Hesse,  le  nœud,  le  passage,  la  forteresse  des  Allemagnes, 
avait  fait  plus  que  son  prédécesseur.  Il  créait  la  Ger- 
manie dans  l'univers  civilisé.  Les  mots  qu'il  adressait 
à  Boniface,  en  726,  n'ont  rien  d'exagéré  :  «Voilà,  frère 
très  cher,  ce  que  nous  te  demandons,  en  vertu  de  notre 
autorité  apostolique,  et  cela  suffit.  Pour  le  reste,  nous 
implorons  la  miséricorde  de  Dieu,  afin  que  celui  qui 
t'a  envoyé  dans  ces  contrées  à  notre  place,  et  qui  a 
fait  par  ta  bouche  pénétrer  la  lumière  de  la  vérité 
dans  l'épaisse  forêt  du  paganisme,  t'accorde  un 
accroissement  de  sa  protection.  Nous  lui  demandons 
que  tu  reçoives  la  récompense  de  cette  œuvre  de  salut, 
et  qu'elle  nous  vaille  à  nous  même  le  pardon  de  nos 
péchés.  »  Epist.,  xxvn. 

2°  La  lutte    contre  les   iconoclastes.  —  Grégoire    II 
maintint  le  dépôt  de  la  doctrine  chrétienne.  En  717, 
l'empereur  Léon  III  l'Isaurien    inaugurait  son  règne. 
Il  commença,  en  726,  la  guerre  aux  images,  par  un 
édit  dont  on  ne  connaît  pas  exactement  le  contenu. 
En  vain,  avait-il  tenté  de  gagner  à  sa  cause  le  patriar- 
che byzantin  Germain;  le  vieil  évêque  résista  à  toutes 
les  sommations   du  tyran;  il  se  désista  de  sa  charge 
en  729,  et  mourut  peu  après, âgé  de  quatre-vingt-dix  ans, 
remplacé   d'ailleurs  par  l'iconoclaste  Anastase.   Léon 
menaçait  aussi  d'envoyer  une  armée  à  Rome,  de  ren- 
verser la  statue  de  saint  Pierre  et  de  saisir  la  personne 
du  pontife  romain.  Grégoire  II  protesta  par  une  lettre 
très    ferme;    il    soulignait    l'ignorance    impériale,    et 
excommuniait  Anastase.  La  distinction  était  formelle 
entre   le   culte   d'adoration  Q.x-c,vjtv/.wç)   et    le   culte 
de  convenance  (ay  sti/63;).  P.  L.,  t.  lxxxix,  col.  51 1-524  ; 
Labbe  et  Cossart,   Conciliorum  collectio,  Paris.   1672, 
t.  vi,  col.  1460.  Le  IIe  concile  général  de  Nicée  devait 
répéter  cette  doctrine  dans  des  termes  presque  iden- 
tiques.   Il  concède  aux  images  un  culte  honorifique, 
tiut)tixÎ]   ;:poay.uvT)atç  ;  il  en    écarte  la    véritable    ado- 
ration,   à/.r/Jtvfj    XaTfsïa.  L'attitude    de    Grégoire    II 
pouvait  exaspérer  Léon   III.  Saint  Jean  Damascène 
à  Jérusalem,  protégé   par  le   calife,  avait  soutenu  le 
pontife,   dans    trois   Discours  apologétiques.   Dans  les 
Cyclades  et  dans  la  Grèce,  les  populations  de  l'empire 
avaient    déposé   l'Isaurien    pour    proclamer    Cosmas. 
Les   représailles   de   Léon   furent  terribles.   Après   la 
défaite  de  son  adversaire  en  730,  il  publiait  un  nouvel 
édit  :  les  attentats  contre  les  images  et  leurs  défenseurs 
se  succédèrent.  Le  pape  resta    loyaliste  au  milieu  des 
pires  menaces  de  sentence  capitale.  Intransigeant  sur 
la  doctrine,  il  sut  maintenir  dans  l'obéissance  à  l'exar- 
chat de  Ravenne   les   populations  de  Rome,  révoltée 
contre  l'empereur. 

3°  L'ébauche  du  pouvoir  temporel.  —  Durant  les 
troubles  civils  qui  avaient  marqué  la  lutte  du  pape 
il  de  l'empereur,  le  roi  des  Lombards,  Liutprand 
(juin  712-744),  avait  cru  le  moment  opportun  pour 
étendre  sa  domination  dans  l'Italie  centrale.  S'em- 
parant  de  Ravenne,  puis  des  villes  de  la  Pentapole, 
(I  Osimo  (Marche  d'Ancône),  il  s'avança  jusqu'à  Sutri 
où  les  prières  de  Grégoire  II  arrêtèrent  l'envahisseur. 


En  727,  Liutprand  se  retira  de  la  ville:  il  en  lit  présent 
aux  apôtres  Pierre  et  Paul.  L'Étal  pontifical  com- 
mençait. C'était  une  nécessité.  Avec  le  meilleur 
loyalisme,  le  pape  ne  pouvait  plus  se  confier,  pour 
défendre  la  réalisation  de  sa  mission,  aux  aléas  et  à  l'im- 
puissance de  la  politique  byzantine.  Depuis  Grégoire 
le  Grand,  d'ailleurs,  les  prédécesseurs  de  Grégoire  II 
s'étaient  acquis,  en  fait,  une  influence,  qui  les  faisait 
les  maîtres  incontestés  de  Rome.  Sauf  en  cas  de 
brouille  entre  l'empereur  et  le  pape,  le  préfet  de  la 
ville,  comme  le  duc  militaire,  sont  alors  soumis  au  pon- 
tife. Cf.  Louis  Halphen,  Études  sur  l'administration  de 
Rome  au  moyen  âge  (751-1252),  Paris,  1907;  Diehl,  L'ad- 
ministration byzantine  dans  l'exarchat  de  Ravenne,  Paris, 
1888,  p.  127.  Grégoire  II  devait  continuer  la  tactique 
de  ses  devanciers.  Il  releva  les  murs  de  Rome,  restaura 
les  églises  dévastées  par  les  Lombards,  notamment 
les  basiliques  de  Saint-Paul  et  de  Saint-Laurent  hors 
des  murs;  des  monastères  abandonnés,  entre  autres 
celui  du  Mont  Cassin,  furent  aussi  repeuplés  par  le 
pontife  qui  avait  su  transformer  sa  maison  paternelle 
en  couvent  de  prière  et  de  charité.  Le  règne  de  Gré- 
goire II  apporte  ainsi  sa  contribution  à  la  réalisation 
de  l'idée  de  la  nécessité  du  pouvoir  temporel  pour  les 
papes.  Un  programme  s'affirme  sur  un  terrain  libre. 
Dans  la  déchéance  de  l'empire  grec,  par  suite  de  son 
opposition  même,  en  729,  Liutprand  et  l'exarque 
Eutychius,  réconciliés,  mettaient  le  siège  devant  Rome. 
Le  pape  n'hésita  pas.  Le  front  haut,  il  entra  dans  le 
camp  du  roi  des  Lombards;  en  persuadant  le  souve- 
rain, il  obtint  de  lui  son  manteau,  son  épée,  sa  couronne 
pour  en  faire  le  trophée  du  tombeau  de  saint  Pierre. 
Cf.  Kirsch  et  Luksch,  Gcschichle  der  katholischen  Kirche, 
Munich,  1906,  p.  196.  Sur  la  demande  du  peuple 
romain,  resté  quand  même  iconodoule,  on  conçoit  que 
Grégoire  II  se  soit  montré  à  Rome,  tout  en  relevant 
encore  de  Ravenne.  En  réservant  la  question  de  droit, 
il  prenait  en  fait  une  attitude  nécessaire.  Les  Byzantins 
avaient  abdiqué.  Du  pontife  contre  les  Lombards, 
décidaient  seuls  en  cette  occurrence  des  bienfaits  vieux 
de  trois  siècles.  Rome  en  jugeait  ainsi  quand,*  le  10  fé- 
vrier 731,  le  pape  quittait  la  terre. 

Dans  la  conquête  des  âmes,  dans  la  défense  de  la  foi, 
dans  la  résurrection  de  sa  ville  papale,  Grégoire  II 
reste  l'homme  pondéré,  aussi  ferme  sur  les  principes 
que  condescendant  pour  les  personnes.  Sa  formule 
connaît  la  mansuétude.  L'attitude  silencieuse  et 
calme,  active  partout,  réalisatrice  toujours,  lui  est 
familière.  Son  pontificat  est  au  faîte  du  vme  siècle.  11 
a  tracé  la  voie,  magistralement  suivie  par  Grégoire  III. 
On  célèbre  sa  fête  le  13  février. 

I.  Sources.  ■ —  Grégoire  II  a  laissé  quinze  lettres,  dont 
deux  adressées  à  l'empereur  Léon  sur  le  culte  des  images, 
trois  à  Boniface,  sept  à  divers  personnages  pour  recom- 
mander sa  mission;  un  capitulaire  relatif  à  la  discipline; 
dix-sept  anathèmes  contre  les  mariages  illégitimes  pro- 
noncés dans  un  synode  tenu  à  Rome  (721).  Ces  documents 
se  trouvent  dans  Labbe  et  Cossart,  Conciliorum  collectio, 
Paris,  1672;  P.  L.,  t.  lxxxix,  col.  495-534;  Jaffé,  Biblio- 
tlieca  rerum  germanicarum,  Berlin,  1866,  t.  ni,  p.  24-315; 
E.  Duemmler,  Monumenta  Germaniœ  historica.  Epistolœ, 
Berlin,  1892,  t.  m;  Jaffé,  Regesta  pont,  romanorum,  1851, 
p.  175-180,  941;  A.  Potthast,  Bibliotlieca  historica  medii 
eevi,  2e  édit.;  Mai,  Spicilegium  romamim,  1841;  l.iber 
pontlficalis,  édit.  Duchesne,  Paris,  1885,  t.  i,  p.  396-414. 
IL  Ouvrages.  —  Sur  la  conversion  de  la  Germanie, 
G.  Kurth,  Saint  Boniface,  3°  édit.,  Paris,  1902;  Seiters, 
Bonifacius,  der  Apostel  der  Deulschen,  Mayence,  1845; 
Arnheim,  1851  ;  E.  Sayous,  De  epislolis  sive  sancti  Boni/acii 
sive  ad  sancturn  Bonifacium,  Paris,  1866;  G.  Pfahler,  Sankt 
Bonifacius,  Ratisbonne,  1880;  Kuhlmann,  Der  heilige 
Bonifacius,  Apostel  der  Deutschen,  Padcrborn,  1895; 
Von  Buss,  Winfrid-Bonifacius,  édit.  von  Scherer,  Graz, 
1888;  Hauck,  Kirchcngeschichte  Deutschlands,  Leipzig, 
1887,  1899,  t.  i;  Hefele,  Histoire  des  conciles,  trad.  Lcolercq, 
Paris,  1910,  t.  m  />,  p.  861  sq. 


1785 


GREGOIRE    II  —   GREGOIRE    111 


1786 


Sur  la  controverse  des  images,  Dalilé,  De  imaginibus 
libri  IV,  1642;  Maimbourg,  Histoire  de  l'hérésie  des  icono- 
clastes, Paris,  1674-1679;  F.  Schlosser,  Geschiclite  der  bilder- 
stiirmendcn  Kaiser,  1839;  Gasquet,  L'empire  byzantin  et 
la  monarchie  franquc,  1888;  Le  Quien,  Conspectus  operum 
Joannis  Damasceni,  Paris,  1700;  Nève,  Saint  Jean  de 
Damas  et  son  influence  en  Orient,  dans  la  Revue  belge, 
1861;  Perrier,  Jean  Damascéne,  sa  vie,  ses  écrits,  Stras- 
bourg, 1863;  Grundlehncr,  Johannes  Damascenos,  Utrecht, 
1877;  Langen,  J.  von  Damaskus,  Gotha,  1879. 

Sur  le  pouvoir  temporel,  B.  J.  Ililgens,  Commen.ta.lio 
de  Gregorii  II  P.  M.  in  seditione  inter  Italiiv  populos 
adversus  Leonem  Isaurum  imperatorem  excilata  negotio, 
in-4°,  Cologne,  1849;  Dichl,  L'administration  byzantine 
dans  l'exarchat  de  Ravcnne,  Paris,  1888;  Koch,  Die  Injzan- 
tinisclien  Beamtentitel  von  400  bis  700,  Iéna,  1903;  Halphen, 
Études  sur  l'administration  de  Rome  au  moyen  âge  (751- 
1252),  Paris,  1907;  Duchesne,  Les  premiers  temps  de  l'État 
pontifical,  2e  édit.,  Paris,  1904;  J.  Gay,  L'Italie  méridionale 
et  l'empire  byzantin,  Paris,  1904,   Introduction,  p.  iv. 

P.  Moncelle. 

3.  GREGOIRE  H!  (Saint),  pape  (18  mars  731- 
27  novembre  741).  Ue  naissance  syrienne,  il  fut 
désigné  à  la  chaire  de  Pierre  par  un  de  ces  enthou- 
siasmes subits  du  clergé  et  du  peuple,  qui  relèvent 
en  langage  canonique  de  «  l'inspiration  divine  ». 
Esprit  ferme  et  très  averti,  il  avait,  pour  conquérir, 
les  dons  de  la  vertu  comme  ceux  de  la  science.  Aux 
termes  du  Liber  ponlificalis,  édit.  Duchesne,  Paris, 
1885-1890,  des  connaissances  linguistiques  latines  et 
grecques,  une  éloquence  facile  et  prenante,  une 
mémoire  aisée,  capable  d'une  assimilation  verbale  du 
psautier  tout  entier,  faisaient  du  nouvel  élu  l'homme 
d'une  situation  créée  sans  doute  par  son  prédécesseur, 
mais  qu'il  fallait  maintenir  avec  plus  de  difficultés 
peut-être.  11  faut  noter  que  Grégoire  III  est  le  dernier 
des  papes  pour  l'élection  desquels  on  ait  demandé  la 
confirmation  de  l'exarque  de  Ravenne,  représentant 
des  empereurs  byzantins.  L'affranchissement  de  la 
papauté  n'eut  d'ailleurs  alors  d'autre  cause  que  la 
personnalité  même  d'un  pontife  qui  sut  voir,  étudier 
et  conclure. 

En  731,  le  règne  de  Grégoire  II  s'était  terminé  en 
plein  travail.  La  conquête  germanique,  la  résistance 
aux  iconoclastes,  la  constitution  de  la  souveraineté 
temporelle  pontiiicale  avaient  trouvé,  à  différents 
titres,  leur  appoint  dans  le  magistère  ordinaire  plus 
encore  que  dans  de  grandes  réunions  conciliaires.  La 
force  calme  avait  été  la  caractéristique  des  puissantes 
ébauches  du  pape  défunt.  Grégoire  III  avait  pratiqué 
son  prédécesseur.  Il  définit  plus  encore  que  lui.  Mais 
la  méthode  resta  la  même.  La  théologie  lui  doit  un 
sérieux  acquis. 

1°  La  conquête  de  la  Germanie.  —  Dès  son  avène- 
ment, l'attention  du  pape  fut  sollicitée  par  la  mission 
de  saint  Boniface  comme  par  la  controverse  des 
iconoclastes.  Ces  deux  questions  nécessitaient  la  déci- 
sion immédiate.  Pour  la  première,  la  phase  d'organisa- 
tion s'imposait,  la  seconde  attendait  la  définition 
conciliaire  solennelle.  L'une  préparait  l'avenir  le  plus 
consolant,  l'autre  faisait  craindre  l'orage  de  la  destruc- 
tion. Ici  et  là,  Grégoire  III  réalisera  son  œuvre  avec- 
une  aisance  égale.  Exposées  séparément,  les  deux 
tactiques  seront  mieux  comprises. 

Dès  732.  le  pape  envoyait  le  pallium  à  Boniface. 
faisant  ainsi  dp  l'évêque  régionnaire  un  archevêque 
particulièrement  uni  avec  le  Saint-Siège.  Episl., 
xxvm,  dans  Jafîé,  Bibliolheca  rerum  germanicarum, 
t.  m,  p.  91.  Désormais,  ce  qui  avait  été  le  diocèse 
de  Germanie  devenait  une  province  ecclésiastique, 
partagée  en  plusieurs  diocèses,  gouvernés  par  autant 
d'évêques  institués  par  le  saint.  Celui-ci,  sans  siège 
fixe,  pour  pouvoir  plus  librement  s'occuper  des 
intérêts  généraux,  devenait  le  métropolitain  de  toute 
l'Allemagne  transrhénane.  Il  avait  à  créer  de  nouveaux 


diocèses,  à  choisir  les  évêques  appelés  à  devenir  ses 
collaborateurs;  le  pape  lui  recommandait  seulement 
de  n'en  ordonner  que  dans  les  localités  suffisamment 
importantes,  pour  que  le  prestige  de  la  dignité  épis- 
copale  ne  fût  pas  diminué.  Grégoire  III  se  montrait 
ainsi  l'administrateur  habile  qui  sait  qu'on  n'impro- 
vise par  les  centres  d'influence.  L'établissement 
d'une  ville  d'action  ne  peut  se  faire  qu'au  confluent 
territorial  qui  a  pu  capter  par  sa  situation  physique 
et  économique  tous  les  affluents  ethniques  qui  y 
convergent.  Un  évêché  est  un  foyer  de  lumière  intel- 
lectuelle et  morale.  Pour  rayonner,  il  lui  faut  des 
avenues.  Cette  règle  de  propagande  avait  sa  grande 
utilité  :  les  évèchés  de  Burabourg  et  d'Erfurth  en 
Hesse  et  Thuringe,  créés  un  peu  en  dehors  d'elle, 
devaient  languir  pour  être  finalement  absorbés,  sous 
Charlemagne,  par  ceux  de  Mayence  et  d'Halberstadt. 
L'œuvre  de  Grégoire  III  s'étendit  à  la  Bavière,  à  la 
Hesse,  et  à  la  Thuringe.  Dans  la  première,  qui  compre- 
nait la  Haute-Autriche,  le  pays  de  Salzbourg,  le 
Tyrol,  et  une  partie  de  la  Styrie,  le  pays  avait  été 
converti  au  christianisme  depuis  quelques  générations 
par  Rupert  à  Salzbourg  et  Corbinien  à  Frisingue.  La 
dynastie  ducale  des  Agilolfings  était  alors  foncière- 
ment chrétienne.  Mais  l'Église  de  Bavière  manquait 
du  groupement  hiérarchique  de  ses  chefs  sous  l'auto- 
rité métropolitaine,  du  fonctionnement  périodique 
des  conciles,  du  lien  avec  Rome,  centre  du  monde 
chrétien.  Isolée  dans  ses  membres,  isolée  dans  son 
ensemble,  elle  s'exposait  aux  aberrations;  à  tout  le 
moins  ne  pouvait-elle  avancer,  faute  de  coordination. 
Grégoire  II,  en  716,  avait  déjà  fixé  tout  un  programme 
de  concentration  romaine  à  une  mission  dont  faisait 
partie  Boniface.  Le  duc  Théodon  II,  venu  près  du 
pontife  pour  s'entendre  avec  lui,  avait  emmené  les 
prélats  qui  devaient  créer  un  archevêque  et  des  évêques 
bavarois  pour  les  grouper  en  conciles.  Des  querelles 
de  famille  survenues  à  la  mort  de  Théodon  II  en  717 
avaient  enlevé  toute  efficacité  à  ces  efforts.  Mais 
en  732,  Grégoire  III,  de  concert  avec  Hubert,  petit- 
fils  de  Théodon  II,  reprenant  le  programme  de  716, 
confiait  à  l'archevêque  de  Germanie  la  réforme  de 
l'Église  de  Bavière.  Boniface  ne  devait  la  parfaire 
qu'après  son  troisième  voyage  à  la  ville  éternelle 
en  738.  Les  sièges  de  Salzbourg,  Frisingue,  Ratis- 
bonne,  Passau  furent  alors  réorganisés.  Le  saint 
partit  ensuite  vers  la  Thuringe  et  la  Hesse  pour  y 
parvenir  aux  mêmes  conclusions.  Les  conditions 
n'étaient  pas  les  mêmes.  La  Bavière  était  une  terre 
d'ancienne  civilisation  romaine,  avec  de  vieilles 
villes  où  il  y  avait  eu  des  sièges  épiscopaux  de  l'époque 
impériale.  Ici,  tout  était  neuf,  et  dur,  le  sol  et  les 
hommes.  L'archevêque  réussit  pourtant  à  établir 
trois  sièges,  Burabourg  entre  Fritzlar  et  Amœnebourg 
en  Hesse,  Erfurt  près  d'Ohrdruff  en  Thuringe,  Wurz- 
bourg  sur  le  Mein  en  Franconie.  La  parole  de  Hauck 
apparaît  donc  comme  très  exacte  :  «  L'Église  de 
l'Allemagne  centrale  est  l'œuvre  de  Grégoire  III.  » 
Kirehenijeschichle  Deutschlands,  Leipzig,  1887,  t.  i, 
p.  466.  Théologiquement,  l'œuvre  du  pontife  est 
des  plus  intéressantes;  elle  apporte  un  témoignage 
traditionnel  des  plus  convaincants  à  la  thèse  fonda- 
mentalement catholique  de  la  primauté,  de  la  hié- 
rarchie, du  concile  romain.  Pour  l'appuyer,  le  pape 
n'a  rien  ménagé.  Il  a  dressé  toute  une  batterie  de 
renforcement.  Il  s'est  acquis  la  sympathie  efficace 
de  Liutprand,  roi  des  Lombards,  Epist.,  xxxv, 
Jaffé,  op.  cit.,  p.  100-101;  il  a  écrit  aux  peuples  de 
Hesse  et  de  Thuringe,  en  leur  demandant  de  répudier 
les  pratiques  païennes  ;  aux  évêques  de  Bavière  et 
d'Allemagne,  pour  leur  présenter  son  légat,  leur 
prescrire  l'obligation  du  synode  deux  fois  l'an,  les 
mettre  en  garde  enfin  contre  les  pratiques  païennes 


î:  s: 


GRÉGOIRE   III 


1788 


et  contre  les  erreurs  des  prêtres  bretons,  très  déchus 
depuis  Colomban.  EpisL,  xxxvi,  xxxvn,  Jaffé,  op. 
cit..  p.  101,  103-104.  D'autres  points  d'ordre  pratique 
et  doctrinal  furent  aussi  fixés  dans  cette  mission 
qu'on  pourrait  appeler  une  campagne. 

La  possibilité  canonique  du  mariage  entre  gens  unis 
par  des  liens  spirituels  fut  mise  au  point.  Boniface, 
soumis  à  la  papauté,  reconnaît  l'existence  d'un  empê- 
chement dirimant  entre  parrain  et  marraine  d'une 
part  et  leur  filleule  ou  filleul  d'autre  pari.  Un  cas 
bien  pratique  aussi  était  alors  à  examiner.  Un  parrain, 
après  la  mort  du  père  de  son  filleul,  peut-il  épouser  la 
mère  de  son  filleul?  Le  clergé  romain  et  franc  soute- 
nait qu'un  tel  mariage  était  illicite.  Epist.,  xxix. 
xxx,  xxxi,  Jafié,  op.  cit.,  p.  95,  96,  98.  L'arche- 
vêque de  Germanie  donne  son  avis  théologiquement 
autorisé  :  «  Si  un  tel  mariage  est  un  péché,  je  l'ai 
toujours  ignoré  et  je  ne  l'ai  jamais  appris,  ni  dans  les 
anciens  canons,  ni  dans  les  décrétâtes  des  papes,  ni 
dans  \eCakulus  peccalorum  des  apôtres.  »  Grégoire  III 
ne  l'en  blâma  point.  La  question  de  parenté  revint 
encore  en  discussion.  Depuis  Grégoire  II,  elle  semblait 
pourtant  définitivement  fixée.  Son  successeur  fut  plus 
rigoureux.  La  pratique  barbare  tolérait  l'union  à 
partir  du  second  degré.  D'après  le  vénérable  Bède, 
Hist.  eccles.  Angl.,  1.  I,  c.  xxvn,  n.  5,  saint  Grégoire 
le  Grand,  en  prohibant  le  second  degré  dans  ses  lettres 
à  saint  Augustin  de  Cantorbéry,  avait  autorisé  le  troi- 
sième. La  réponse  de  Grégoire  II,  défendant  le  qua- 
trième inclusivement,  a  été  exposée  plus  haut.  En  732, 
Grégoire  III  tient  pour  illicites  les  mariages  entre 
parents  jusqu'à  la  septième  génération.  EpisL,  xxvm, 
Jafié,  op.  cit.,  p.  93.  La  lettre  xxvne  était  plus  exclu- 
sive encore  :  Quamdiu  se  agnoseuni  afpnitate  propinquos. 
Jafié,  op.  cit.,  p.  89.  Boniface  ne  se  tint  pas  pour  battu. 
Il  allégua  la  réponse  de  Grégoire  Ier.  La  curie  romaine 
lui  répondit  que  l'article  relatif  à  cette  question  man- 
quait dans  les  manuscrits  de  saint  Grégoire,  classés 
dans  les  archives  pontificales.  Episl.,  xx.  Boniface,  peu 
satisfait  de  cet  argument  négatif,  écrivit  à  l'archevêque 
Nothelm  de  Cantorbéry,  lui  demanda  de  lui  envoyer  le 
texte  de  la  consultation  de  saint  Grégoire  le  Grand,  et 
le  supplia  de  bien  vouloir,  par  un  examen  minutieux, 
se  convaincre  de  l'authenticité  de  l'article  en  question. 
On  ne  sait  pas   ce  qu'il  advint. 

11  faut  ajouter,  à  l'honneur  de  Grégoire  III,  qu'un 
appel  à  la  vérité  catholique  fut  toujours  facile  à  ses 
subordonnés  dans  la  hiérarchie  ecclésiastique.  Avec 
une  franchise  toute  saxonne,  Boniface  lui  demande 
compte  des  bruits  relatifs  aux  saturnales  célébrées 
dans  la  ville  de  Borne  vers  la  fin  de  l'année  738. 
C'est  un  mauvais  exemple  pour  les  fidèles  d'origine 
barbare  encore  si  novices  dans  la  foi.  Epist.,  xi.ii, 
Jaffé,  op.  cit.,  p.  115,  116.  Dans  une  autre  lettre,  la 
simonie  est  suspectée  à  Rome.  Epist.,  il,  Jafié,  op. 
cit.,  p.  135.  Et  toujours  le  pape  accepte  l'inquisition 
qui  lui  est  imposée  sur  le  ton  du  justicier.  Au  fond, 
de  part  et  d'autre,  l'amour  de  la  vérité  veut  triompher. 
Sans  doute  Grégoire  III  supplie  son  légat  de  ne  plus 
lui  tenir  des  propos  aussi  durs.  Il  honore  sa  franchise 
pourtant.  En  lui  affirmant  ses  interdictions  relative- 
ment aux  saturnales,  l'inexactitude  des  rapports  sur- 
la  simonie,  le  pape  encourage  l'archevêque  de  Ger- 
manie. 

2°  La  controverse  des  iconoclastes.  —  Grégoire  111, 
simultanément  à  la  conquête  de  l'Allemagne  trans- 
rhénane, s'était  occupé  dès  les  premiers  jours  de  son 
pontificat  de  la  controverse  des  images.  En  731,  un  légat 
partit  pourByzance  afin  de  solliciter  de  l'empereur 
Léon  l'Isaurien  le  retrait  de  l'édit  contre  les  images;  le 
message  de  Grégoire  III  n'eut  d'autre  résultat  que  de 
faire  condamner  à  l'exil  celui  qui  en  était  chargé.  Le 
pape  avait  montré  les  dernières  preuves  de  patience.  Ils 


pouvait  maintenant  user  de  rigueur.  En  732,  un  concile 
se  réunit  à  Rome  ;  quatre-vingt-quinze  évêques  y  assis- 
tèrent. Le  culte  des  images  y  fut  confirmé  par  décret 
apostolique;  l'anathème  porté  contre  ses  ennemis. 
Cf.  Kirsch  et  Luksch,  Geschichlc  der  katholischen  Kirche, 
Munich,  p.  197,  où  l'on  voit  un  fragment  d'une  inscrip- 
tion de  l'année  732,  contenant  les  décisions  du  concile 
en  question.  La  solennité,  la  fermeté  de  la  condam- 
nation est  frappante. 

En  plein  orage  d'ailleurs,  Grégoire  III  restaurait  la 
vieille  basilique  vaticane  de  Saint-Pierre  ;  il  y  élevait  un 
oratoire  enrichi  d'or,  d'argent,  de  pierres  précieuses  et 
d'ornements  variés.  Les  reliques  des  apôtres  et  des  mar- 
tyrs, rassemblées  avec  soin  dans  tout  l'univers  chrétien, 
y  furent  exposées  à  la  vénération  des  fidèles.  Les  statues 
de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  de  la  sainte  Vierge  et 
de  différents  saints  ajoutèrent  encore  à  la  magnificence 
de  cette  chapelle  dite  de  «  Tous  les  Saints  n. 

La  vengeance  ne  se  fit  pas  attendre.  En  734,  Léon  III 
l'Isaurien  arma  sa  flotte  pour  réduire  les  Romains  à 
l'obéissance;  une  puissante  arhiée  devait  débarquer 
en  Italie.  Le  convoi  fut  dispersé  par  une  tempête 
dans  l'Adriatique.  L'empereur  ne  s'arrêta  point; 
détachant  l'Illyrie  du  patriarcat  romain,  il  saisit  les 
biens  du  Saint-Siège, situés  dans  l'Italie  méridionale. 
La  ville  pontificale,  fidèle  à  son  pape,  répondit  brus- 
quement. L'exarque  de  Ravenne  était  impuissant  à 
faire  prévaloir  en  Italie  l'autorité  impériale.  Rome 
chassa  son  duc  byzantin,  et  se  donna,  semhle-t-il, 
un  gouvernement  républicain.  En  fait,  Grégoire  III 
en  inspirait  les  décisions,  sans  avoir  jamais  rompu 
par  un  acte  officiel  avec  la  cour  de  Constantinople. 
En  dehors  et  au-dessus  des  partis,  il  voulait  avant  tout 
remplir  sa  mission  spirituelle.  La  suite  des  événe- 
ments lui  imposait,  pour  atteindre  son  but,  une  tac- 
tique qu'il  ne  pouvait  discuter. 

3°  L'ébauche  du  pouvoir  temporel.  —  A  la  faveur  du 
naufrage  de  l'Adriatique,  six  années  de  calme  s'étaient 
écoulées  pour  la  papauté.  Un  fait  allait  remettre  en 
question  les  difficultés  lombardes.  Les  ducs  de  Spolète 
et  de  Bénévent  se  révoltaient  vers  740  contre  leur 
roi  Liutprand.  Grégoire,  en  leur  donnant  asile,  allait 
provoquer  les  représailles  du  roi  barbare.  Pressé  de 
tous  côtés,  le  pape  pensa  sauver  son  Église  et  sa  ville 
par  un  acte  de  souveraineté.  Il  se  tourna  vers  Charles 
Martel,  le  puissant  duc  des  Francs,  qui  avait  déjà 
tant  fait  pour  la  papauté  clans  les  missions  de  Ger- 
manie, et  qui  venait  de  sauver  sa  chrétienté  en  battant 
les  Arabes  à  Poitiers  (732);  en  lui  envoyant  une 
ambassade  avec  un  souvenir  du  tombeau  de  saint 
Pierre,  il  lui  demanda  de  descendre  en  Italie  avec  ses 
guerriers  pour  porter  secours    à   l'Église  apostolique. 

Au  nom  de  Dieu  et  de  son  jugement  terrible,  ne 
rejette  point  ma  prière  et  ne  ferme  point  l'oreille  à 
ma  demande  et  le  prince  des  apôtres  ne  te  fermera 
pas  les  royaumes  célestes.  »  P.  L.,  t.  lxxxix,  col.  582- 
583;  Jaffé,  Rej.  pont,  rom.,  p.  180.  La  situation  était 
fort  délicate  pour  Charles  Martel  :  barbare  rusé  et 
utilitaire,  il  employait  alors  son  activité  guerrière 
contre  les  Sarrasins  qui  occupaient  la  Septimanic  et 
quelques  villes  de  la  Provence  :  Luitprand  lui  avait 
prêté  son  concours  dans  ces  expéditions.  Aussi  ne 
se  pressait-il  pas  de  se  brouiller  avec  un  allié  précieux. 
Il  se  décida  pourtant  à  une  intervention  à  l'amiable 
qui  fit  renoncer  les  Lombards  à  leur  attaque  contre 
Rome.  Ils  Lardaient  quatre  villes  sur  son  territoire. 
On  a  conservé  des  lettres  écrites  par  Grégoire  III  à 
Charles  Martel.  P.  L.,  t.  i.xxxix,  col.  581  sq.  Des 
historiens  ont  affirmé  qu'après  deux  ambassades,  qui 
n'avaient  produit  que  des  échanges  de  compliments 
et  de  préseuls,  le  pape  n'avait  obtenu  la  médiation 
du  duc  austrasien  qu'en  lui  promettant  de  la  part 
des    Romains    la   répudiation   de   toute  allégeance  en- 


1789 


GREGOIRE    III 


GREGOIRE   V 


1790 


vers  Constantinople,  et  leur  mise  en  tutelle  sous  le 
protectorat  des  Francs.  On  rapporte  aussi  que  Gré- 
goire III  aurait  conféré  à  Charles  les  titres  de  «  consul 
et  de  patrice  »  de  Rome.  Créé  par  Constantin,  le  titre 
de  patrice  donnait  rang  de  prince.  Depuis  la  chute 
de  l'empire  romain,  en  470,  il  constituait  une  vice- 
royauté,  s'exerçant  sur  une  région  délimitée.  Absentes 
dans  les  documents  contemporains  des  intéressés,  ces 
assertions  sont  contestées.  Exactes,  elles  ne  feraient 
point  d'ailleurs  le  procès  de  Grégoire  III;  elles  ne 
l'accuseraient  pas  de  manquer  de  loyalisme  à  l'égard 
du  pouvoir  byzantin;  elles  n'assimileraienl  pas  à  un 
vol  la  constitution  de  la  puissance  temporelle  des 
papeî.  Elles  manifesteraient,  sans  aucun  doute,  la  re- 
connaissance implicite  faite  par  le  pontife  de  sa  sou- 
veraineté sur  Rome.  Au  fond,  la  ville  éternelle  était  bien 
niillius  à  cette  époque  de  violence. 

L'empereur    byzantin    avait    conquis    Rome    par 
hasard    dans    la    personne    de    Justinien.    Depuis    ce 
moment,    le   pape   l'avait   gouvernée,    sauf   dans   les 
époques  de  crise.  Cf.  Lavisse,  L'entrée  en  scène  de  la 
papauté,  dans  la  Revue  des  deux  mondes,  15  décembre 
1886.    Mais    depuis    734,    Léon    III    l'Isaurien    avait 
pratiquement  renoncé  à  la  conquête  de  son  prédéces- 
seur. Grégoire  III  n'était  pas  tenu  d'être  plus  impé- 
rialiste et  plus  loyaliste  cjue  l'empereur,  l'ennemi  de 
la  thèse  catholique,  repoussé  par  le  peuple  romain. 
La   fonction    de   de[cnsor   civilatis   était   légale    dans 
tout  l'empire  depuis  Valentinien  Ier  en  364.  Le  défen- 
seur de  la  cité  figure  en  387  en  tête  des  magistrats 
municipaux.   Il  est  élu  pour  cinq  ans  par  toutes  les 
classes  de  la  société.  Il  n'est  plus  qu'un  curiale  comme 
les  autres,  supérieur  aux   autres,  sans  doute,  mais  non 
plus  étranger  à  eux;  il  est  absorbé  par  les  soins  du 
gouvernement  local  qui  finit   par   lui   incomber  tout 
entier.  Dans  bien  des  cités,  l'évèquc  avait  été  nommé 
de/ensor  civilatis.  Il  faut  dire  que,  partout,  il  s'était 
montré  à  la  hauteur  de  sa  tâche;  à  Rome,  il  n'avait 
pas  failli  à  son  devoir.  En  741,  devant  l'abdication  et 
l'impuissance  byzantine,  Grégoire,  sur   le  mandat  du 
peuple,    n'a  d'autre   prétention    que  de    se    montrer 
Romain  dans  ses  offres  à   Charles  Martel.  En  procla- 
mant sa  souveraineté,  il  fait  acte  de  citoyen.  Il  est  bien 
le  de/ensor  civilatis  qui  voit  dans  sa  tactique  la   sauve- 
garde même  de  ses   dogmes  religieux.    Les  monnaies 
gravées  au  nom  de  Grégoire  III,  les  années  précédentes, 
montrent  que  le  peuple  de  Rome,  depuis  longtemps, 
déjà,  lui  avait  donné  quitus.  Cf.   Kirsch  et  Luksch, 
Geschichte  der  katholischen  Kirche,  p.  196.  La  ville  des 
papes  était  maintenant  la  propriété  collective  de  tous 
ses  citoyens.  Soustraite  à  l'autocratie   des   Isauriens, 
protégée  par  la  lieutenance  franque,  désormais  patentée 
pour  la  défense  du  Saint-Siège,  elle  devait  être  bientôt 
sous  Etienne  II  (752-757)  la  propriété  même  du  pontife. 
Grégoire    III    avait    constitué    pour    beaucoup    ce 
résultat.  Si  l'on   ajoute   que,   dans   sa   vie   d'activité 
incessante,  il  avait  encore  relevé  de  leurs  ruines   de 
nombreux  monastères,  où  il  prescrivit  la  récitation  de 
l'office  divin  aux  heures  fixées  du  jour  et  de  la  nuit,  on 
conclura  que  son  pontificat  de  dix  années  a  largement 
contribué  au  fait  catholique.  Pionnier  infatigable  de  la 
civilisation  humaine  et  chrétienne,  défenseur  intègre 
de  la  doctrine  traditionnelle,    réalisateur   de  moyens 
matériels  de  vie  pour  l'idée  apostolique,  il  mourut  le 
27  novembre  741.  un  mois  après  Charles  Martel,  son 
lieutenant.  11  serait  le  plus  grand  pape  du  vm°  siècle, 
si  la  gloire  de  ses  débuts  ne  revenait  à  Grégoire  II. 

I.  Sources.  —  Il  reste  de  Grégoire  III  des  lettres  à 
l'empereur  Léon,  à  Charles  Martel,  à  saint  Boniface  et  à 
divers  personnages  pour  confirmer  l'autorité  et  seconder 
l'oeuvre  de  Boniface.  Elles  se  trouvent  dans  P.  L.,  t.  lxxxix, 
col.  575-588;  Jaft'é,  Bibliotheca  rcrurn  germanicarum,  Berlin, 
1860,  t.  m,  p.  315  sq.;  Reg.  pont.  rom.  (1851),  p.   180-181; 


Liber  pontificalis,  édit.Duchesne,  Paris,  1885, 1. 1,  p.  414-425; 
le  livre  de  «  Lettres  »  qu'il  mentionne  n'a  pas  été  retrouvé; 
Anastase  le  bibliothécaire,  P.  L.,  t.  cxxvnr,  col.  1023-1048. 
On  attribue  aussi  à  Grégoire  III  un  manuel  a  l'usage  des 
confesseurs  et  des  pénitents  :  Excerptum  ex  Palruni  diclis 
et  canonum  scnlentiis.  Les  preuves  de  cette  attribution 
font   défaut. 

II.  Ouvrages.  —  Voir  Ulysse  Chevalier,  Répertoire 
des  sources  historiques  du  moyen  âge.  Bio-bibliographie, 
Paris,  1877,  1886,  au  mot  Grégoire  III,  et  tous  les  ouvrages 
mentionnés  à  l'art,  précédent  Grégoire  II,  relativement  à 
la  conquête  de  la  Germanie  et  à  la  controverse  des  icono- 
clastes. —  Pour  ce  qui  concerne  les  relations  de  Grégoire  III 
et  de  Charles  Martel  et  l'ébauche  du  pouvoir  temporel,  voir 
Weltmann,  De  palricialu  Karoli  Martelli,  in-8°,  Munster, 
1863;  Barmby,  Gregorius  II  et  Gregorius  III,  dans  Di'c- 
tionarg  o/  Christian  biographg  de  W.  Smith  et  de  H.  Wace, 
Londres,  1877-1887,  t.  n;  Gregorovius,  Die  Stadl  Rom 
im  Mitlclalter,  8  vol.,  Stuttgart,    1859-1872. 

P.    MONCELLE. 

4.  GREGOIRE  IV,  pape  (827-844).  Romain  d'ori- 
gine, prêtre  du  titre  de  Saint-Marc,  Grégoire  fut  élu  par 
la  noblesse  romaine,  après  Valentin  qui  n'avait  régne 
que  quelques  semaines,  fin  août  827.  Pieux,  savant,  il 
fut  traîné  de  force  de  l'église  des  Saints-Cosme-ct- 
Damicn  à  celle  du  Lalran  et  fut  ordonné  seulement 
le  29  mars  828,  après  vérification  de  son  élection  par 
un  légat  de  l'empereur  Louis  le  Débonnaire.  Son  ponti- 
ficat fut  troublé  par  les  discordes  survenues  entre 
Louis  le  Pieux  et  les  fils  de  sa  première  femme,  Lolhaire, 
Pépin  et  Louis  le  Germanique.  Il  vint  en  France  pour 
amener  la  paix  entre  eux;  mais  comme  il  parut  prendre 
parti  pour  les  fils  contre  le  père  et  menacer  d'excom- 
munier les  ôvêques  partisans  de  l'empereur,  ceux-ci  lui 
répondirent  que,  s'il  venait  dans  ces  intentions,  il  serait 
lui-même  excommunié.  Il  s'en  revint,  après  avoir  man- 
qué son  but,  tout  attristé  d'avoir  contribué  involon- 
tairement à  la  scène  du  Champ-du-Mensonge  où  Louis 
le  Débonnaire  fut  capturé  par  ses  fils  (833).  11  ne 
reconnut  pas  sa  déposition.  En  Italie,  il  construisit, 
dans  ses  dernières  années,  près  d'Ostie,  une  forteresse 
appelée  Gregoriopolis,  pour  résister  aux  invasions  des 
Sarrasins.  Il  mourut  le  25  janvier  844  et  fut  inhumé  au 
Vatican.  Il  avait  étendu  au  monde  entier  la  fête  de 
Tous  les  Saints  réservée  à  Rome.  Il  eut  pour  succes- 
seur Sergius  II. 

JalTé,  Regesta  pontificum  romanorum,  2'  édit.,  1885,  t.  i, 
p.  323  327;  P.  L.,  t.  evr,  col.  841  sq.  ;  Duchesne,  Lifter 
pontificalis,  1892,  t.  n,  p.  73-85. 

A.  Clerval. 
5.  GREGOIRE  V,  pape  (996-999).  Saxon,  fils 
d'Othon,  duc  de  Carinthie,  et  petit-fils  de  Lui tgar de, fille 
d'Othon  Ier,  Brunon  était  chapelain  d'Othon  III,  son 
cousin,  et  âgé  de  vingt-trois  ans,  quand  celui-ci,  prié  par 
des  délégués  romains  à  Ravenne  de  désigner  le  succes- 
seur du  pape  Jean  XV,  le  nomma  pour  cette  haute 
fonction.  Élu  en  avril  996,  Brunon  fut  consacré  le 
3  mai  sous  le  nom  de  Grégoire  V  et  fut  le  premier  pape 
allemand.  L'un  de  ses  premiers  actes  fut  de  sacrer 
empereur  son  cousin  Othon,  le  21  mai. 

A  Rome,  après  le  dépari  de  l'empereur,  il  fut  en  butte 
d'abord  à  la  révolte  de  Crescentius,  qu'il  avait  pour- 
tant dérobé  aux  sanctions  d'Othon;  obligé  de  fuir,  il 
l'anathématisa  dans  un  concile  de  Pavie  (février  997); 
ilfut  encore  en  bulle  à  celle  du  grec  Jean  Philagathe  de 
Calabre,  archevêque  de  Plaisance,  que  ce  Crescentius 
installa  antipape  sous  le  nom  de  Jean  XVI  (avril  997). 
Mais  Othon  étant  revenu,  en  février  998,  avec  Grégoire, 
l'on  déposa  l'antipape  au  Latran,  l'on  prit  et  décapita 
Crescentius  au  château  Saint-Ange  (29  avril  998).  Eu 
France,  Grégoire  V  soutint  la  légitimité  d'Arnoul, 
archevêque  de  Reims,  contre  l'intrusion  de  Gerbert, 
contre  le  roi  Robert  et  les  évêques  français  qui  lui 
avaient  été  hostiles.  Au  concile  de  Pavie  (Pentecôte 
997),  il  demanda  compte  au  roi  Robert,  el  aux  évêques 


17:  il 


GRÉGOIRE    V 


GREGOl  RE   Vil 


1792 


qui  l'avaient  approuvé,  d'avoir  épousé  sans  dispense  sa 
parente  Berthe  11  réitéra  colle  demande  en  908  et  lui 
imposa  une  pénitence  de  sept  ans.  Il  punit  aussi  ou 
déposa  plusieurs  évoques. 

Instruit,  zélé,  Grégoire  V  était  en  relation  avec  les 
grands  hommes  de  son  temps,  entre  autres,  Bernard, 
évêque  d'Hildesheim,  Abbon,  abbé  de  Fleury,  Notker 
de  Liège  ;  il  prêchait  en  trois  langues.  Il  mourut  âgé 
de  vingt-sept  ans,  le  18  février  999,  peut-être  empoi- 
sonné, et  fut  enterré  au  Vatican  près  de  saint  Grégoire; 
son  successeur  nommé  par  Othon  III  fut  le  premier 
pape  français,  Gerbert  (Silvestre  II),  que  lui-même  avait 
fait  archevêque  de  Ravenne. 

JaiTé,  Regesla  pontificum  romanoriirn,  2e  édit.,  1885,  t.  i, 
p.  489  sq.  ;  P.  L.,  t.  cxxxvn,  col.  899  sq.;  t.  cxxix, 
col.  991  sq.;Otto,  Gregor  V  (dissert.),  Munich,  lS81;Du- 
cl-esne,  Liber  ponliflcalis,  1892,  t.  n,  p.  261-262. 

A.  Clerval. 

6.  GRÉGOIRE  VI,  pape  (1045-1046).  Jean  Gratien, 
archiprêtre  de  Saint-Jean-Porte-Latine,  n'arriva  pas 
au  siège  pontifical  par  les  voies  ordinaires.  C'était  le 
temps  où  Benoît  IX,  neveu  de  Jean  XIX  et  fils  du 
comte  Albéric,  avait  été  porté  à  la  papauté  à  l'âge  de 
douze  ans  par  les  Romains.  Ceux-ci,  s'étant  lassés  de 
lui,  le  chassèrent  en  1044,  et  lui  donnèrent  pour  succes- 
seur l'évêque  de  Sabine,  Jean,  qui  s'appela  Sil- 
vestre III.  Au  bout  de  quarante-neuf  jours,  le  parti  de 
Benoît  IX  le  réinstalla,  mais  comme  c'était  malgré 
les  Romains,  il  se  démit  du  pontificat  et  le  céda  le 
1er  mai  in |5  à  son  parrain  Jean  Gratien  pour  une 
somme  d'argent  ;  peut-être  y  eut-il  une  sorte  d'élection. 
Gratien,  qui  prit  le  nom  de  Grégoire,  était  un  homme 
d'âge,  grave,  supérieur  aux  autres  et  son  avènement 
fut  salué  par  saint  Pierre  Damien  et  par  le  moine 
Hildebrand  qui  devint  son  conseiller  et  son  chapelain; 
il  usa  des  armes  spirituelles  et,  vu  le  malheur  des 
temps,  des  armes  temporelles,  pour  rétablir  la  sécurité 
publique.  La  postérité,  sous  l'influence  des  grégoriens, 
lui  a  été  favorable. 

Mais  cette  situation  de  trois  papes,  vivants,  attira 
l'attention  d'Henri  III.  Descendu  en  Italie,  dans 
l'automne  de  1046,  il  tint  un  premier  concile  à  Pavie, 
en  octobre,  rencontra  Grégoire  VI  à  Plaisance,  et  avant 
Xoël  se  rendit  avec  lui  à  Sutri  où  ce  pape  avait  selon 
ses  désirs  convoqué  un  autre  concile  (20  décembre). 
Là,  Silvestre  III  et  Grégoire  VI  furent  déposés,  de 
leur  consentement,  semble-t-il.  Grégoire  devait  suivre 
Henri  en  Allemagne  à  son  retour,  tandis  que  Silvestre 
entrait  en  religion.  Benoît  IX  fut  déposé  aussi  dans 
un  concile  à  Saint-Pierre  les  23  et  24  décembre.  Puis 
le  roi  désigna  Suidger,  évêque  de  Bamberg,  qui  fut 
sacré  à  Noël  sous  le  nom  de  Clément  II.  Grégoire  VI 
alla  en  Allemagne  avec  Hildebrand  et  y  mourut  en  1047. 

Jafïé,  Regesla  pontificum  romanorum,  2°  édit.,  1885,  t.  i, 
p.  524-525  ;  t.  n,  p.  709  ;  P.  L.,  t .  CXLII.COI.  569  sq.  ;  Duclicsne, 
Liber  ponlificalis,  1892,  t.  Il,  p.  270-271  ;  Ileule,  Histoire  des 
conciles,  trad.  Leclcrcq,  Paris,  1911,  t.  iv,  p.  707. 

A.  Clerval. 

7-  GRÉGOIRE  VII  (Saint),  élu  pape  le  22  avril 
1073,  mort  le  25  mai  1085;  à  l'anniversaire  de  ce  jour 
le  calendrier  romain  célèbre  sa  fête.  —  L  Vie.  II.  Qui  vie 
théologique.  III.  Méthode.  IV.  Influence. 

I.  Vie.  —  1°  Avant  son  pontificat.  —  Né  entre  1013 
et  1024,  dans  le  diocèse  de  Soano,  ou  Soana,  ou  encore 
Sovana,  au  sud  de  la  Toscane,  Hildebrand  était  (ils 
d'un  petit  propriétaire  foncier.  Il  est  possible,  sans 
qu'à  ce  sujet  on  puisse  rien  affirmer  de  certain,  que  la 
famille  du  futur  pape  ait  autrefois  tiré  son  origine  des 
Allemagncs.  Le  nom  d'Hildebrand  n'est  pas  latin.  La 
phrase  de  Grégoire  VII,  encore  que  fort  exagérée  en 
dureté  par  ses  adversaires,  est  d'un  tempérament  ferme 
qui  l'ait  penser  aux  régions  d'outre-Rhin.  Hildebrand 
l'ut  élevé  au  couvent  de  Sainte-Marie  sur  l'Aven  lin. 


W.  Martens  a  d'ailleurs  démontré  que  jamais  il  n'avait 
été  moine.  Gregor  Y II,  sein  Leben  und  Wirken, 
3e  édit.,  Leipzig.  1894,  t.  i;  Kraus,  Histoire  de  l'Église', 
trad.  Godet  et  Verschalfel,  Paris,  1898,  t.  H.  La  pre- 
mière moitié  du  xie  siècle  avait  été  pour  l'Église  un 
temps  de  dures  épreuves.  Depuis  la  mort  de  l'empereur 
Henri  II  le  Saint  (1024),  le  protectorat  allemand,  très 
efficace  depuis  l'avènement  au  trône  germanique  de  la 
dynastie  de  Saxe,  avait  cessé  pour  le  siège  pontifical 
romain.  Les  comtes  de  Tusculum,  succédant  au  vieux 
parti  toscan  du  ix-  siècle,  faisaient  alors  de  la  chaire  de 
Pierre  un  véritable  fief  auquel  ils  pourvoyaient  au  gré 
de  leurs  intérêts  et  de  leurs  rancunes;  un  enfant  de 
douze  ans,  en  1033,  devenait  pape  sous  le  nom  de 
Benoît  IX.  Ses  débordements  frénétiques  furent  la 
honte  du  pontificat.  En  1045,  Jean  Gratien  lui  acheta 
li  tiare.  Des  intentions  très  droites,  une  activité  forte 
tirent  presque  oublier  chez  le  nouveau  pape,  qui  avait 
pris  le  nom  de  Grégoire  VI,  l'irrégularité  canonique  de 
son  avènement.  C'est  un  brevet  de  haute  dignité,  dans 
une  période  de  déchéance  sacerdotale,  qu'il  décerna 
au  jeune  Hildebrand,  en  le  choisissant  pour  son  chape- 
lain. Avait-il  été  son  maître  à  Sainte-Marie  de  l'Aven- 
tin  ?  La  chose  est  possible.  Mais  la  tradition  à  ce  sujet 
manque  d'une  documentation  ferme.  L'affection  la 
plus  intime  devait  dès  lors  unir  ces  deux  lutteurs. 
Quand  le  concile  de  Sutri,  convoqué  par  l'empereur 
Henri  III  (1040),  imposa  (cf.  Duchesne,  Liber  ponti- 
flcalis,  t.  n,  p.  27)  ou  accepta  (Baronius,  Annales, 
an.  1046,  n.  3)  la  démission  de  Grégoire  VI,  simoniaque 
malgré  tout,  ils  s'acheminèrent  tous  deux  vers  l'Alle- 
magne, où  l'empereur  avait  exilé  le  pontife  à  Cologne. 
La  mort  de  Grégoire  VI  ramena  vers  la  Bourgogne,  à 
l'abbaye  de  Cluny,  le  chapelain  de  l'ancien  pape.  Hil- 
debrand trouva  dans  le  saint  monastère  la  leçon  du 
jour  :  l'épiscopat  et  le  sacerdoce  féodaux  allemands 
s'étaient  montrés  à  lui  dans  la  simonie  et  l'incontinence. 
Les  moines  qui  surent  mener  le  mouvement  réforma- 
teur de  leur  temps  (cf.  Chénon,  L'ordre  de  Cluny  ri  la 
réforme  de  l'Église,  dans  La  Érancc  chrétienne,  1.  IV, 
Paris,  1896)  pratiquaient  et  prêchaient  alors  le  catho- 
licisme dans  son  intégrité.  Le  féodalisme  dictait  l'indi- 
vidualisme. Toute  dignité  ecclésiastique  était  nantie 
dans  une  terre  plus  recherchée  que  la  dignité  elle-même. 
A  Cluny,  on  était  simplement  romain  pour  la  force 
même  de  l'idée  évangélique. 

Esprit  prompt,  nature  éminemment  réceptive,  Hil- 
debrand reçut  l'empreinte.  Cf.  O.  Delarc,  Hildebrand 
jusqu'à  son  cardinalat,  dans  le  Correspondant,  1874. 
En  1048,  Henri  III,  dans  une  diète  tenue  à  Worms, 
désignait,  pour  succéder  à  Clément  II,  Brunon  d'Egis- 
heim,  évêque  de  Toul  et  son  parent.  En  se  rendant  en 
Italie,  il  rencontra  dans  son  voyage,  à  Besançon  pro- 
bablement (cf.  Kraus,  Histoire  de  l'Église,  t.  n,  p.  130), 
l'abbé  de  Cluny,  saint  Hugues,  accompagné  d'Hilde- 
brand. La  nomination  de  Léon  IX  était  irrégulière.  Les 
anciens  canons  qui  demeuraient  en  vigueur,  exigeaient 
impérieusement  que  les  fidèles  prissent  au  moins  la 
faible  part  de  l'acclamation  subséquente  à  la  nomina- 
tion des  papes.  Cf.  Kraus,  op.  cit.,  t.  n,  p.  134.  Hilde- 
brand osa  et  sut  le  faire  remarquer  à  l'évêque  de  Toul, 
qui  résolut  dès  lors  d'entrer  en  simple  pèlerin  dans  la 
ville  papale.  Le  2  février  1049,  le  peuple  et  le  clergé  de 
Rome  acclamaient  le  nouveau  pontife. 

Hildebrand  entrait  maintenant  en  scène.  Le  chroni- 
queur Bonizo  a  attribué  au  pape  Etienne  X  (1057-1058) 
sa  nomination  au  poste  d'archidiacre  et  d'administra- 
teur de  l'Église  romaine.  Cf.  Watterich,  Pontificum 
romanorum  vilse  ab  exeunlc  sœculo  ix  ad  fmem  sse- 
culi  Mil  ab  œqualibus  conscriplœ,  2  in-8°,  Braunsberg, 
1864;  Bonizo  (1085  ou  1086).  Il  est  admis  que  l'hon- 
neur de  cette  promotion  revient  à  Léon  IX.  La  charge 
était  lourde  à  porter.  Dans  les  querelles  des  partis,  au 


1793 


GRÉGOIRE    VII 


1794 


milieu  des  progrès  incessants  du  brigandage,  la  cam- 
pagne romaine  était  devenue  la  proie  d'une  hideuse 
anarchie.  Il  eut  été  imprudent  pour  un  pèlerin  de  se 
hasarder  dans  la  ville  sans  escorte;  les  bandits  volaient 
jusqu'aux  offrandes  que  des  mains  pieuses  déposaient 
sur  les  tombeaux,  des  apôtres  et  des  martyrs.  Les 
finances  pontificales  se  trouvaient  dans  un  état  déplo- 
rable et  le  désordre  physique  ne  pouvait  disparaître 
que  par  la  suppression  du  désordre  moral  d'un  clergé 
anémié  par  l'égoïsme  de  la  simonie  et  de  l'incontinence. 
Hildebrand  fut  l'âme  du  travail  réformateur.  Il  fut  le 
centralisateur  de  l'idée  catholique  dans  l'émiettement 
voulu  par  un  épiscopat  profiteur.  Cinq  pontificats 
jouirent  de  son  activité  inlassable.  Léon  IX  (1048- 
1054),  Victor  II  (1054-1057),  Etienne  X  (1057-1058), 
Nicolas  II  (1059-1061),  Alexandre  II  (1061-1073), 
trouvèrent  dans  Hildebrand  l'observateur  sagace,  tou- 
jours aux  écoutes  pour  déjouer  la  faction  tusculane  et 
tempérer  le  zèle  méritoire  sans  doute,  mais  trop  en- 
combrant, des  Allemands  dans  leurs  candidatures  à  la 
papauté.  L'archidiacre  sut  aussi  promouvoir  le  magis- 
tère de  ses  chefs  pour  la  thèse  maîtresse  qui  fut  la  rai- 
son théologique  de  sa  vie  et  pour  les  définitions  très 
spéciales  nécessitées  par  l'hérésie  consciente  ou  incon- 
sciente. Le  coefficient  théologique  de  Grégoire  VII  sera 
présenté  dans  son  ensemble.  Ce  sera  l'exposé  de  l'idée 
doctrinale. 

Pour  les  faits,  il  faut  l'ajouter  dès  maintenant,  pen- 
dant la  durée  de  son  archidiaconat,  Hildebrand,  res- 
tant sourd  aux  instances  d'un  parti  ami,  qui  dès  la 
mort  de  Léon  IX  (1054)  souhaitait  ardemment  son 
exaltation  à  la  papauté,  parvint  à  maintenir,  sur  le 
siège  de  Pierre,  toute  une  génération  de  pontifes,  pro- 
fondément épris  de  leurs  devoirs.  En  1054,  l'évèque 
d'Eichstàtt,  Gebhard,  lui  devait  son  élection  sous  le 
nom  de  Victor  II.  En  1057,  la  vacance  du  souverain 
pontificat  se  produisait  en  pleine  crise  impériale.  L'em- 
pereur Henri  III  était  mort  en  1056  dans  la  fleur  de 
l'âge,  laissant  la  régence  et  un  enfant  de  six  ans  aux 
faibles  mains  de  l'impératrice  Agnès.  Hildebrand  fai- 
sait alors  élire  par  les  Romains,  sous  le  nom  d'Etienne  X 
(1057-1058),  le  cardinal  Frédéric  de  Lorraine,  sans  at- 
tendre l'approbation  de  la  cour  de  Germanie.  Il  partait 
lui-même  vers  Ratisbonne  pour  l'obtenir.  A  son  retour, 
Etienne  X  était  mort,  et  le  parti  tusculan  venait  d'in- 
troniser une  de  ses  créatures,  Benoît  X  (1058-1059). 
La  réforme  était  compromise.  Le  gâchis  féodal  allait 
dominer  à  nouveau  la  vieille  cité.  D'accord  avec  la 
régente  Agnès,  l'archidiacre  lit  élire  à  Sienne,  par  les 
cardinaux,  Gérard  de  Bourgogne,  évêque  de  Florence, 
sous  le  nom  de  Nicolas  II.  La  lutte  fut  sanglante. 
Mais  Benoît  X  rentrait  bientôt  dans  l'obscurité.  Très 
vraisemblablement,  les  conseils  d'Hildebrand  ne  furent 
pas  étrangers  au  célèbre  décret  de  1059,  porté  par 
Nicolas  II  sur  les  élections  pontificales.  Cf.  Scheiïer- 
Boichorst,  Die  Ncuordnunrj  der  Papstwahl  durch  Nico- 
laus  II,  Strasbourg,  1879.  La  cour  de  Germanie,  en  tout 
cas,  ressentit  vivement  l'exclusion  dont  elle  était  désor- 
mais l'objet  de  la  part  de  la  curie  romaine.  La  mort 
de  Nicolas  II  (1061)  donna  le  signal  d'un  schisme. 
Les  cardinaux,  partisans  de  la  réforme,  furent  soutenus 
par  la  marquise  Béatrix  de  Canossa,  et  proclamèrent 
l'évèque  de  Lucques,  Anselme,  qui  devint  Alexandre  II 
(1061-1073).  L'évèque  de  Parme,  Cadaloùs,  lui  fut  op- 
posé sous  le  nom  d'Honorius  II  par  la  faction  de  Tus- 
culum.  D'accord  avec  les  Allemands  vexés,  Hildebrand 
fut  là  dans  la  solution  du  conflit.  L'antipape  s'était 
emparé  de  Rome.  En  1062,  le  concile  d'Augsbourg, 
convoqué  par  Annon,  archevêque  de  Cologne,  et  con- 
seiller du  jeune  roi  Henri  IV  (1056-1106),  condamnait 
l'antipape.  Le  pape  légitime  y  était  reconnu  par  de 
nombreux  évêques  d'Allemagne  et  d'Italie.  Après  deux 
années    de    résistance,    pendant    lesquelles    Cadaloùs 

D1GT.    DE   THÉOL.   CATHOL. 


s'était  retranché  dans  le  château  Saint-Ange,  Alexan- 
dre II  était  pleinement  reconnu.  Les  fortes  et  saines 
affections  de  la  maison  de  Toscane  pour  Hildebrand 
avaient  commencé  dans  cette  crise.  Elles  ne  devaient 
que  s'affirmer  au  cours  du  pontificat  de  celui  qui, 
pendant  vingt-cinq  ans  avant  son  élection,  s'était 
présenté  au  monde  catholique  comme  le  créateur  des 
papes. 

L'archidiaconat  d'Hildebrand  avait  été  aussi  pour 
lui  occasion  de  légations  à  remplir.  La  plus  célèbre  lui 
fut  confiée  par  Léon  IX  afin  de  présider  le  concile  de 
Tours,  en  1054.  Il  s'agissait  de  Bérenger  et  de  ses 
théories  sur  la  transsubstantiation.  Voir  Bérenger, 
t.  n,  col.  725.  La  mission  de  Ratisbonne,  exposée  plus 
haut,  en  vue  de  l'approbation  par  la  cour  de  Germanie 
de  l'élection  d'Etienne  X,  n'avait  pas  eu  moins  de 
succès  que  la  première. 

En  fait,  si  dans  cette  œuvre  de  relèvement  moral, 
qui  constituait  comme  le  postulat  de  la  vie  dogmatique, 
plus  exactement  de  la  vie  intégrale  de  l'Église,  Hilde- 
brand ne  s'était  pas  découragé,  des  amis  sérieux,  nour- 
ris de  pensées  très  humaines  et  très  surnaturelles, 
avaient  su  le  maintenir  en  éveil.  Le  monastère  de  Cluny 
et  sessuffragants  lui  avaient  pratiquement  répondu, 
en  portant  en  France  la  voix  du  réformateur.  Ceux  du 
Campo  di  Maldulo  et  de  Vallombreuse  avaient  agi  en 
Italie;  en  Allemagne,  la  grande  abbaye  souabe  d'Hir- 
schau  avait  aussi  travaillé.  C'était  normal.  Les  grandes 
conquêtes  desvie  et  vnc  siècles  s'étaient  opérées  par 
les  moines.  Le  rappel  était  bien  compris  par  Hilde- 
brand. Les  fondateurs  avaient  racines  et  bases  pour 
devenir  réformateurs.  Des  amitiés  princières  étaient 
venues  apporter  à  l'archidiacre  un  surcroît  de  confiance. 
Béatrix  de  Toscane,  comme  épouse  et  comme  mère, 
avait  préparé  au  futur  Grégoire  VII  le  fief  des  fortes 
résistances.  C'était  le  refuge  de  l'idée  pontificaie  cen- 
tralisatrice, menacée  et  parfois  même  écrasée  parla 
tyrannie  impériale  ou  féodale.  Mathilde,  fille  de  Béatrix, 
duchesse  de  Toscane  et  comtesse  deBriey,  ne  devait  pas 
l'oublier.  Enfin,  il  fut  une  relation  des  plus  efficaces, 
étroitement  cultivée  par  Hildebrand  :  celle  de  saint 
Pierre  Damien.  Voir  Damien  Pierre,  t.  iv,  col.  40.  Il 
est  évident  que  le  saint  religieux  de  Fonte  Avellana  du 
diocèse  de  Gubbio,  en  Ombrie,  devenu  cardinal  évêque 
d'Ostie,  de  par  la  volonté  d'Etienne  X,  avait  toutes  les 
puissances  thcologiques  et  morales,  pour  réduire  l'âme 
droite  et  catholique  d'Hildebrand.  Grégoire  VI  et 
Léon  IX  avaient  d'ailleurs  écouté  la  voix  de  Pierre 
Damien.  Il  n'en  fallait  pas  plus  pour  décider  leur  fervent 
disciple.  Ce  fut  un  véritable  assaut  de  la  part  de  l'archi- 
diacre de  Rome,  quand  il  s'agit  d'empêcher  son  ami  de 
démissionner  de  sa  charge  de  cardinal-archevêque 
d'Ostie.  Sous  Nicolas  II,  à  l'avènement  d'Alexandre  II 
surtout,  quand  les  insistances  de  l'ancien  religieux,  pour 
se  désister  d'une  charge  qu'il  n'avait  nullement  sollici- 
tée, mais  qui  lui  avait  été  imposée  de  force,  se  firent  plus 
pressantes,  Hildebrand  trouva  la  présence  de  Pierre 
Damien  à  Borne  très  utile  et  son  appui  indispensable. 
Il  demanda  au  pape  de  retenir  son  collaborateur  malgré 
lui.  Cf.  Baronius,  Annales,  an.  1061,  n.  28.  Trouvant 
l'intervention  d'un  zèle  excessif,  le  saint  s'adressa  dans 
la  suite  à  Alexandre  II  ainsi  qu'à  l'archidiacre,  en 
traitant  celui-ci  de  «  verge  d'Assur  »  et  de  sanctus 
Salarias.  La  gronderie  était  bénigne.  Elle  •était  d'ail- 
leurs bien  corrigée  par  le  distique  que  l'évèque  d'Ostie 
faisait  parvenir  à  Hildebrand  : 

Papam   rite   colo,   sed   te   prostratus   adoro; 
Tu  facis  hune  dominum,  te  facit  ipse  Dcum. 

Cf.  P.  L.,  t.  cxliv,  col.  967.  Au  fond,  le  même  zèle 
excitait  bien  les  deux  serviteurs  de  Dieu.  Leur  ciel  ne 
s'assombrit  jamais  que  pour  donner  ensuite  des  clartés 
plus  grandes.  Il  est  seulement  regrettable  que  la  mort 

VI.  -  L7 


1795 


GREGOIRE    VII 


1796 


de  saint  Pierre  Damien  en  1072  n'ait  pas  permis  à 
Grégoire  VII,  le  pontife  de  l'année  suivante,  de  jouir 
longtemps  encore  d'un  concours  efficace  et  sûr.  Le 
lutteur  se  serait  trouvé  moins  isolé;  il  aurait  surtout 
moins  souffert,  en  voyant  un  saint  préconiser  et  même 
devancer  son  programme. 

2°  Son  pontificat.  —  Les  obsèques  d'Alexandre  II 
n'étaient  pas  terminées  qu'Hildebrand  avait  été  ac- 
clamé par  le  clergé  et  le  peuple  d'une  voix  unanime. 
S'il  prit  le  nom  de  Grégoire  VII,  ce  fut  peut-être  par 
affection  pour  Grégoire  VI  qui  l'avait  désigné  vingt- 
huit  ans  plus  tôt  à  la  vie  officielle.  Le  nom,  en  toute 
hypothèse,  était  presque  un  symbole,  si  l'on  se  souvient 
des  trois  premiers  Grégoire.  Bonizo  de  Sutri  nous 
affirme  qu'Hildebrand  notifia  sa  nomination  à  l'em- 
pereur Henri  IV,  cf.  Watterich,  op.  cit.,  pour  lui  en 
demander  l'approbation.  C'était  une  façon  de  réponse 
à  une  interprétation  malveillante  du  décret  de  1059. 
Grégoire  VII  se  défendait  implicitement  d'avoir  tra- 
vaillé pour  lui-même.  Mais,  dès  1073,  la  querelle  des 
investitures  commençait.  Le  concile  de  Rome  de  1074 
fut  une  déclaration  de  guerre  à  la  simonie  et  à  l'incon- 
tinence des  prêtres.  Interdiction  était  faite  à  tous  les 
fidèles  d'assister  aux  offices  des  clercs  atteints.  Mansi, 
Concil.,  t.  xx,  col.  724,  can.  11-20.  A  l'art.  Célibat, 
col.  2086,  on  a  fait  connaître  tous  les  faux-fuyants  pris 
par  les  ecclésiastiques  sujets  à  caution.  Grégoire,  sans 
s'effrayer,  envoya  partout  ses  légats;  ils  firent  bonne 
besogne  en  gagnant  dans  les  trois  grands  pays  catho- 
liques du  temps,  France,  Angleterre  et  Empire,  la 
masse  des  fidèles  à  la  cause  de  la  réforme.  Cf.  Lambert 
d'Hersfeld,  dans  Monumenta  Germanise,  Scriplores, 
t.  v,  p.  217;  Watterich,  op.  cit.,  t.  i,  p.  363.  En  Alle- 
magne, l'évêque  de  Constance,  Otton,  enjoignit  sans 
doute  à  ses  prêtres  de  se  marier  au  plus  tôt;  mais  les 
décrets  de  1074  furent  vengés  par  l'archevêque  de 
Mayence,  Sigefroid,  et  l'évêque  de  Passau,  Altmann,  au 
péril  de  leur  vie.  Cf.  Sdralek,  Die  Slreilschri/len  All- 
manns  von  Passau,  Paderborn,  1890.  En  réalité,  c'était 
tout  un  système  politico-religieux  que  Grégoire  VII 
atteignait.  Philippe  Ier,  en  France,  Guillaume  le  Con- 
quérant en  Angleterre,  Henri  IV,  dans  le  saint  empire 
romain  germanique,  allaient  composer  ou  se  heurter 
avec  Grégoire  VII. 

En  Angleterre,  comme  en  France,  la  lutte  ne  prit 
pas  de  grandes  proportions.  Guillaume  le  Conquérant 
lit  respecter  les  décrets  du  pape  sur  le  célibat;  il 
maintint  l'investiture  laïque,  sans  encourir  l'excom- 
munication. Il  y  avait  là,  à  n'en  pas  douter,  une  tactique 
intelligente;  elle  ménageait  le  souverain  qui,  en  toute 
autre  circonstance,  savait  prendre  et  suivre  les  pieux 
avis  de  Lanfranc,  archevêque  de  Cantorbéry  et  primat 
d'Angleterre.  Philippe  Ier,  en  France,  avait  reçu,  dès 

1073,  une  lettre  très  énergique  de  Grégoire  VII;  en 

1074,  le  pape  essaya  de  soulever  contre  lui  les  évêques 
de  son  royaume.  En  fait,  les  choses  se  tassèrent  vite; 
sans  changement  dans  la  vie  même  de  Philippe  Ier, 
sans  mise  en  interdit  du  royaume  par  les  évoques, 
l'œuvre  d'épuration  se  poursuivit  sans  relâche.  Sous 
la  pression  du  célèbre  légat  Hugues  de  Die,  dont  Gré- 
goire VII  dut  parfois  tempérer  la  vigueur,  de  1076 
à  1080,  les  archevêques  de  Bordeaux  et  de  Sens, 
nombre  d'évêques  de  la  province  de  Reims,  leur  métro- 
politain Mariasses,  en  tête,  furent  déposés  ou  interdits. 
Au  nord,  comme  au  midi,  ce  fut  un  véritable  renouvel- 
lement du  corps  épiscopal.  Cf.  Giry,  Grégoire  VII  cl  les 
évêques  de  Thérouanne,  dans  la  Revue  historique  (1876), 
p.  387-409. 

Le  dur  combat  se  livra  contre  Henri  IV.  Trois  partis 
divisèrent  religieusement  l'Allemagne  :  celui  des  gré- 
goriens déclarés  :  il  eut  pour  chef  Gebhard  de  Salzbourg  ; 
Adalbert  de  Brème  dirigea  le  parti  de  l'empereur; 
enfin  la  cause  de  la  médiation  trouva  son  homme  dans 


Annon  de  Cologne.  Les  trois  protagonistes,  revêtus  du 
caractère  épiscopal,  apportaient  dans  la  lutte  les  forces 
de  leurs  Églises  réciproques.  Les  villes  et  les  bourgeois 
soutinrent  souvent  les  deux  derniers  groupes.  De  cette 
tactique,  Henri  IV  tira  quelques  succès  passagers. 

Au  début,  pourtant,  les  rapports  des  deux  adversaires 
avaient  été  excellents.  Le  concile  de  Rome  de  1074 
n'avait  trouvé  dans  Henri  IV  qu'un  sujet  docile  aux 
volontés  du  Saint-Siège.  Ses  lettres  marquaient  la  néces- 
sité d'une  entente  entre  les  deux  pouvoirs  :  les  légats 
de  Grégoire  VII  avaient  été  reçus  par  lui  avec  honneur  ;  il 
avait  renvojêses  conseillers  excommuniés  par  Alexan- 
dre II,  promis  de  renoncer  à  ses  désordres  et  de  s'amen- 
der. La  mauvaise  éducation  qui  avait  fait  du  jeune 
empereur  un  impulsif,  un  illuminé  à  froid,  reprit  le 
dessus  dès  1075.  Au  carême  de  cette  année,  Grégoire 
condamnait  l'investiture  laïque  par  la  crosse  et  l'an- 
neau ;  le  roi,  maintenant  l'abus  en  Saxe,  comme  en  Italie, 
ne  considéra  plus  ces  régions  que  comme  les  terres  de 
trafic  des  dignités  ecclésiastiques  pour  ses  créatures. 
Depuis  quelques  aimées  déjà,  le  cri  des  Saxons  avait 
été  entendu  par  Alexandre  II.   Il  avait  cité  le  roi  à 
comparaître  à  Rome  pour  s'y  justifier.  La  mort  l'avait 
surpris  dans  ces  difficultés.  Au  lendemain  du  concile 
de   1075,   Henri    IV  promouvait  anticanoniquement 
Thédald  à  l'archevêché  de  Milan.  Une  dernière  fois, 
le  pape  pressa  le  souverain  de  se  convertir  et  d'éviter 
toute  relation  avec  ses  conseillers  excommuniés.  La 
diète  de  Worms  fut  la  réponse.  Elle  déposa  le  pontife  : 
les  partisans  d'Henri,  en  particulier,  le  cardinal  excom- 
munié, Hugues  le  Blanc,  lancèrent  sur  Grégoire  les 
bruits  les  plus  désobligeants.  On  l'accusa  même  d'avoir 
avec  Mathilde  de  Toscane  des  relations  coupables.  Ces 
calomnies  ont  trouvé  leur  écho  dans  Select  history  oj  the 
loosc  and   incesluous  loves  of  pope  Grcgory  VII,  com- 
nwnly  callcd  Hildebrand,  und  of  //i«  cardinal  de  Richelieu, 
Londres,  1722.  La  sentence  de  Worms  fut  notifiée  à 
Grégoire  VII  par  Henri  IV  lui-même.  Le  pape  était  dé- 
posé «comme  hérétique,  magicien,  adultère,  flatteur  de 
la  populace,  usurpateur  de  l'Empire,  bête  féroce,  et  san- 
guinaire. »  Les  évêques  lombards  adhéraient  d'ailleurs 
à  ces  décisions  dans  les  conciles  de  Plaisance  et  de  Pavic. 
Au  carême  de  1076  (22  février),  Grégoire  VII  excom- 
muniait tous  les  évêques  qui  avaient  assisté  au  pseudo- 
concile de  Worms;  l'empereur  lui-même  était  déposé; 
ses  sujets  étaient  déliés  du  serment  de  fidélité. Une  lettre 
adressée  à  toute  la  chrétienté  sous  la  forme  d'une  invo- 
cation à  saint  Pierre  notifiait  cette  condamnation.  L'ef- 
fet produit  fut  fatal  à  l'empereur.  Le  pape  avait  conquis 
l'opinion. Les  évêques  les  uns  après  les  autres  vinrent  im- 
plorer le  pardon  du  pape.  En  octobre  1076,  les  princes 
allemands    réunis  à   Tribur    (Oppenheim)    décidèrent 
qu'une  diète  générale  serait  convoquée  à  Augsbourg 
pour  le  jour  de  la  Purification  de  l'année  suivante,  que 
Grégoire  VII  serait  supplié  de  s'y  rendre.  En  sa  présence, 
Henri  IV  devrait  se  justifier  et  se  faire  absoudre.  Si, 
dans  l'espace  d'un  an,  il  n'avait  pas  fait  la  paix  avec 
l'Église,  il  serait  déposé  juxla  palatinas  leycs.  L'attitude 
des  princes,  celle  des  Saxons  surtout,  décida  l'empereur. 
Au  creur  de  l'hiver,  en  compagnie  de  sa  femme  Bcrthe, 
il  traversa  les    Alpes.    Les    Lombards  ne  purent  le 
décider  à  marcher  contre  le  pape.  En  janvier  1077,  il 
était  au  château  de  Canossa,  où  la  comtesse  Mathilde 
de  Toscane  avait  hospitalisé   Grégoire  VII.  Après  une 
pénitence  de  trois  jours,  sur  les  instances  de  son  hôtesse, 
le  pontife  levait  l'anathème  le  28  janvier. 

Dans  la  Haute- Italie,  les  seigneurs  lombards  et  les 
évêques  simoniaques,  manquant  de  soutien,  firent 
éclater  leur  mécontentement  contre  le  souverain.  Leurs 
excitations  amenèrent  Henri  à  manquer  de  parole. 
Les  princes  allemands  ne  lui  pardonnèrent  pas;  réunis 
en  diète  à  Forcheim-sur-Regnitz  en  mars  1077,  ils  dépo- 
sèrent Henri  IV  pour  le  remplacer  par  Rodolphe,  duc 


1797 


GRÉGOIRE    VII 


1798 


de  Souabe,  son  beau-frère.  Pendant  trois  années  cepen- 
dant, Grégoire  VII  refusa  de  se  prononcer  entre  les 
partis.  En  mars  1080,  il  reconnaissait  formellement 
Rodolphe,  et  dans  un  concile,  il  excommuniait  une 
seconde  fois  Henri.  L'empereur  déchu  connaissait  ses 
bons  fiefs.  La  Lombardie  lui  avait  permis  de  relever 
quelque  peu  son  parti  en  Allemagne.  Le  concile  de 
Mayence  renouvela  la  déposition  de  Grégoire  VII;  en 
juin  1080,  une  trentaine  d'évèques,  réunis  à  Brixen. 
élisaient,  comme  antipape,  Guibert,  archevêque  de 
Ravenne,  qui  prenait  le  nom  de  Clément  III.  Le  12  oc- 
tobre 1080,  cessait  la  lutte  politique  prolongée  depuis 
Forcheim  dans  des  alternatives  de  succès  et  de  revers, 
plus  encore  dans  la  ruine  de  l'Allemagne  centrale. 
Rodolphe  de  Souabe  était  enseveli  dans  son  triomphe 
sur  le  champ  de  bataille  de  l'Elster.  Son  successeur 
choisi  par  le  parti  romain,  Hermann  de  Luxembourg, 
n'était  pas  de  taille  à  relever  l'opposition  dans  les 
Allemagnes.  L'idée  grégorienne  était  sur  le  point  de 
sombrer  en  Italie  devant  la  force  impériale.  En  1082, 
Henri  IV  présentait  à  Monde  Mario  son  antipape,  déjà 
reconnu  par  les  évoques  lombards.  Grégoire  VII  fit 
appel  au  duc  des  Normands,  Robert  Guiscard,  et  se 
retrancha  dans  le  château  Saint-Ange.  L'empereur 
avait  fait  un  impair  dans  son  empressement.  Ses  der- 
rières étaient  menacés  par  les  troupes  de  la  comtesse 
Mathilde.  Il  devait,  sinon  la  soumettre,  du  moins  la 
paralyser.  Deux  années  furent  nécessaires  à  cette  tâche. 
Au  printemps  de  1084,  Clément  III  était  sacré  dans 
Saint-Pierre  et  donnait  à  Henri  la  couronne  impériale. 
La  situation  du  pape  était  des  pires,  quand  les  Nor- 
mands accoururent.  Grégoire  VII  était  délivré.  Une  rixe 
malheureuse  entre  les  troupes  de  Robert  Guiscard  et 
les  Romains  amenait  en  même  temps  l'incendie  d'un 
vaste  quartier  de  la  ville,  s'étendant  depuis  le  Colisée 
jusqu'à  Saint-Jean  de  Latran.  Le  pontife  usé  par  tant 
d'émotions  n'était  plus  en  sûreté  chez  un  peuple  exas- 
péré par  ses  malheurs.  Suivant  Robert  Guiscard  et  ses 
Normands,  il  s'achemina  vers  le  Mont  Cassin,  et  de  là  à 
Salerne.  Il  avait  maintenu  toutes  les  excommunications 
prononcées  contre  Henri  IV  et  Guibert,  jusqu'à  leur 
résipiscence,  quand,  le  25  mai  1085,  il  s'éteignit  en 
prononçant  ces  paroles  :  «  J'ai  aimé  la  justice  et  haï 
l'iniquité;  voilà  pourquoi  je  meurs  en  exil.  »  Si  l'on 
ajoute  que  Grégoire  VII,  pendant  son  pontificat,  avait 
dû  répondre  à  d'autres  questions  dogmatiques  relati- 
vement à  l'eucharistie,  sa  carrière  nous  apparaîtra 
comme  celle  du  lutteur  infatigable  qui  croit  n'avoir 
rien  fait,  quand  il  reste  quelque  chose  à  faire.  Sa  vie 
très  forte,  très  efficace  pour  l'Église,  apparaît  mieux 
encore  au  groupement  de  ses  définitions. 

II.  Œuvre  théologique.  — ■  Au  fond,  la  pensée 
théologique  de  Grégoire  VII  fut  des  plus  simples.  Il 
voulut  réaliser  l'affranchissement  spirituel  de  l'Église 
dans  une  société  matérialisée  par  son  organisation 
même.  Il  continua  l'examen  des  questions  en  cours  : 
la  controverse  bérengarienne,  le  schisme  grec  trou- 
vèrent en  lui  le  définiteur  courtois,  mais  irréductible. 

1°  L'ai  franchissement  spirituel  de  l'Église.  — •  Le 
groupement  féodal  était  issu  de  la  faiblesse  des  Caro- 
lingiens impuissants  devant  les  invasions  normandes, 
hongroises  et  sarrasines.  Charlemagne  avait  investi 
les  évêques  dans  son  empire  de  fonctions  politiques  et 
administratives  sur  leurs  évêchés.  Le  fait  est  si  vrai 
que,  parmi  les  misai  dominici,  l'empereur  d'Occident 
plaçait  toujours  un  ecclésiastique.  Le  monde  carolin- 
gien avait  connu  l'ecclésiastique  fonctionnaire.  Lors 
de  la  grande  débâcle  des  ixe  et  Xe  siècles,  comtes,  ducs, 
évêques  et  abbés,  désolidarisés  d'un  pouvoir  central 
incapable  de  les  diriger  et  de  les  protéger,  avaient  été 
contraints  de  se  hiérarchiser  politiquement  et  territoria- 
lement.  L'hommage  était  devenu  la  formule  de  grou- 
pement des  vassaux  et  des  suzerains.  Au  rétablisse- 


ment de  la  dynastie  capétienne  en  France,  au  milieu 
des  efforts  des  plus  grands  feudataires  d'Allemagne 
pour  monopoliser  le  pouvoir  et  le  rendre  héréditaire 
dans  leur  famille,  on  conçoit  que  ces  rois  suzerains 
n'aient  trouvé  d'autres  moyens  d'imposer  leurs  pou- 
voirs que  de  profiter  de  la  déshérence  des  fiefs  épisco- 
paux.  Les  territoires  laïques  se  transmettaient  en  effet 
par  hérédité.  Il  fallait  peupler  évêchés  et  abbayes  de 
créatures,  en  soustrayant  autant  que  possible  leur 
élection  à  la  voix  des  chanoines,  des  vassaux  de  l'évêque 
et  du  peuple  lui-même.  Il  était  plus  simple  de  l'imposer. 
Dès  lors,  peu  à  peu,  l'investiture  laïque  par  le  sceptre, 
très  compréhensible  d'ailleurs,  puisque  le  titulaire  du 
fief  ecclésiastique  était  vassal  du  roi  suzerain  son  pro- 
tecteur, avait  devancé  le  sacre  et  parfois  même  l'élec- 
tion. L'ordre  normal  avait  été  interverti.  Le  roi  ou 
l'empereur  avait  nommé  et  investi  sa  créature  par  le 
sceptre,  la  crosse  et  l'anneau.  L'Église  s'était  trouvée 
devant  un  fait  accompli,  qu'elle  avait  dû  ratifier. 

Les  conséquences  ne  s'étaient  pas  fait  attendre.  La 
cérémonie  de  l'hommage  impliquait  la  remise  d'un  pré- 
sent par  le  vassal  à  son  suzerain.  Ici,  le  cadeau  d'usage 
devenait  énorme.  Il  était  le  prix  de  la  faveur  accordée 
par  le  prince  et  par  ses  conseillers.  L'incontinence 
suivait  la  simonie.  Elle  était  naturelle  chez  des  ecclé- 
siastiques entrés  dans  la  cléricature  avec  l'intérêt 
matériel  pour  toute  vue  et  vocation.  Le  livre  de 
Gomorrhe,  composé  par  saint  Pierre  Damien  sous 
saint  Léon  IX,  nous  a  fait  le  tableau  du  clergé  du  temps. 
Opuscul.  Gomorrhianus,  VII,  contra  quatrimodam  car- 
nalis  conlagionis  pollutionem,  P.  L.,  t.  cxlv,  col.  159- 
190.  Sans  être  taxé  d'exagération,  on  peut  dire  que  la 
luxure  avait  démoli  toute  vie  sacerdotale.  Voir  Cé- 
libat, col.  2084-2085;  Damien,  col.  40  sq.  Le  Iaï- 
cisme  avait  envahi  l'Église.  La  situation  était  d'autant 
plus  redoutable  que  le  pontificat  romain  subissait  à 
cette  époque  la  diminution  féodale.  Placé  au  xe  siècle 
sous  la  tutelle  du  parti  toscan,  au  xie  sous  celle  des  com- 
tes de  Tusculum,  il  avait  été  lui-même  victime  des  pali- 
nodies imposées  à  l'Italie  médiévale  par  les  invasions 
répétées  des  Sarrasins  et  des  Normands,  les  luttes 
d'influence  entre  les  principautés  de  la  péninsule,  et 
les  premières  manifestations  de  la  commune  romaine. 
Il  n'était  sorti  du  gâchis  qu'en  se  confiant  au  despo- 
tisme spirituel  de  l'empereur  Henri  III  (1046).  En 
donnant  sa  protection  au  siège  romain,  en  le  dotant,  il 
faut  le  dire,  d'une  série  de  papes  véritablement  à  la 
hauteur  de  leur  tâche,  celui-ci  avait  imposé  son  appro- 
bation à  toute  élection  pontificale.  C'était,  pour  la 
papauté,  payer  cher  un  secours  nécessaire;  c'était  sur- 
tout se  condamner  à  tolérer  des  abus  insupportables 
dans  les  fiefs  allemands.  Les  papes  du  xic  siècle  se 
débattaient  donc  dans  un  cercle  vicieux.  L'Église  pour- 
tant doit  garder  sa  dignité.  Son  idée  n'est  pas  de  ce 
monde.  Elle  est  spirituelle  avant  tout  ou  elle  n'est  plus. 
La  base  même  de  la  foi  était  alors  compromise. 

L'impérissable  honneur  d'Hildebrand  est  de  l'avoir 
compris,  sans  doute,  mais  surtout  de  l'avoir  affirmé. 
Pour  affranchir  l'épiscopat  comme  le  sacerdoce,  dès 
avant  son  pontificat,  il  a  voulu  l'indépendance  com- 
plète de  l'élection  des  papes.  Très  vraisemblablement, 
c'est  sur  ses  conseils  que  Nicolas  II  porta  le  célèbre 
décret  de  1059.  Le  choix  du  pape  était  désormais  confié 
au  collège  des  cardinaux,  le  dernier  mot  restant  aux 
cardinaux-évêques.  L'empereur  ne  conservait  plus  que 
le  droit  de  confirmation,  le  peuple  celui  d'approbation. 
L'appel  à  la  confirmation  comme  à  l'approbation  est 
une  imposition  de  consentement.  Cf.  Codex  19S4  du 
Vatican. 

Ce  n'est  pas  avec  moins  d'ardeur  que  Grégoire  VII 
poursuivit  l'épuration  du  sacerdoce  et  de  l'épiscopat. 
Archidiacre  encore,  avec  Léon  IX  il  avait  décidé  in 
plnaria  synodo  (1049),  ut   romanorum   presbyterorum 


1799 


GREGOIRE    VII 


1800 


concubinœ  ex  lune  et  deinceps  Laleranensi  palalio  adju- 
dicarentur  ancillse.  Cf.  Bernold,  Chronicon,  dans  Monu- 
menta  Gcrmaniœ.  Scriptores,  t.  v,  p.  426;  P.  L.,  t.  cxliii, 
col.  252.  11  avait  conseillé  le  pontife  qui  s'était  élevé 
contre  les  violateurs  du  célibat,  et  qui,  ne  se  contentant 
plus  de  suspendre  les  coupables  de  leurs  fonctions, 
avait  invité  le  peuple  à  déserter  les  églises  où  les  prêtres 
incontinents  exerceraient  le  ministère.  Cf.  Bonizo, 
Ad  amicum,  dans  Watterich,  t.  i,  p.  103.  On  connaît 
le  fameux  épisode  de  la  «  Pataria  ».  En  1046,  sous  l'ar- 
chevêque Guido,  la  dépravation  du  clergé  milanais  était 
arrivée  à  son  comble;  la  ville  lombarde  reprit  ses  an- 
ciennes prêt  en  lions  à  l'indépendance  vis-à-vis  du 
Saint-Siège  comme  au  temps  de  la  controverse  métro- 
politaine au  ixc  siècle.  Une  association  de  petites  gens, 
recrutée  dans  la  noblesse  et  le  clergé,  se  forma,  sous  le 
nom  de  «  Pataria  »,  contre  les  prétentions  archiépis- 
copales. Cette  société  des  <■  gueux  »  groupa  les  adver- 
saires des  simoniaques  et  des  concubinaires.  Deux 
diacres  furent  à  sa  tète  :  Ariald  et  Landulph.  Cf.  Mura- 
tori,  Rerum  itedicarum  scriptores  prxcipui  ab  anno  500 
ad  annum  1500  (1723-1738),  t.  iv.  Durant  trente  années, 
les  deux  partis  se  livrèrent  de  sanglants  combats.  En 
1066,  Ariald  y  conquit  le  martyre.  En  1059,  sous  le 
pontificat  de  Nicolas  II  (1059-1061),  saint  Pierre 
1  himien,  en  compagnie  d'Anselme  de  Lucques,  le 
futur  Alexandre  II,  avait  été  envoyé  à  Milan  pour  y 
régler  ces  difficultés,  llildebrand  dans  la  circonstance 
lit  œuvre  de  doctrine.  Il  reçut  au  nom  du  pape  le 
compte  rendu  de  la  mission.  Actus  mediolani  de  privi- 
legio  romanse.  Ecclesiœ.  Opuscul.  V,  P.  L.,  t.  cxlv, 
col.  89-98. 

Comme  pape,  Grégoire  VII  fortifia  les  décrets  de  ses 
prédécesseurs.  Un  concile  fixa  ou  rappela  chaque  année 
la  discipline  sur  le  célibat.  Les  années  1074  et  1075 
marquèrent  des  décisions  plus  générales  :  l'invitation 
à  la  désertion  des  églises  fréquentées  par  les  clercs 
concubinaires  ou  simoniaques  (1074,  can.  11-20).  l'in- 
terdiction de  l'investiture  laïque  par  la  crosse  et  l'an- 
neau furent  deux  points  fixés  alors  ne  varietur.  Cf. 
Mansi,  Concil.,  t.  xx,  col.  494  sq.,  724  sq.  ;  Bonizo,  Ad 
amicum,  dans  Watterich,  t.  i,  n.  361.  Les  conciles 
quadragésimaux  des  années  suivantes  reprirent  ces 
thèses  d'ensemble  pour  y  soumettre  tout  spécialement 
les  Églises  lombardes  et  germaniques.  Ibid. 

Une  dernière  question  de  théologie  sacramentaire 
était  à  résoudre  :  celle  de  la  validité  des  ordinations 
simoniaques.  Cf.  Saltet,  Les  rcordinations,  Paris,  1907, 
p.  150,  250.  Agitée  dans  trois  conciles  à  Rome,  en  1049, 
1050  et  1051,  elle  était  restée  sans  solution,  et  Léon  IX 
n'avait  pas  de  principe  arrêté  à  ce  sujet.  Il  acceptait 
que  les  clercs  ordonnés  gratuitement  par  des  simo- 
niaques fissent  une  pénitence  de  quarante  jours,  pour 
être  admis  ensuite  à  l'exercice  de  leurs  ordres;  il 
regarda  d'ailleurs  le  plus  souvent  comme  nulles  les 
ordinations  faites  à  prix  d'argent  et  les  fit  réitérer. 
Cf.  Actus  mediolani,  etc.,  P.  L.,  t.  cxlv,  col.  93.  En 
toute  hypothèse,  Pierre  Damien,  dans  sa  mission  de 
1059  à  Milan,  avait  appliqué  sa  propre  doctrine.  Elle 
concluait  franchement  à  la  validité  de  toutes  les  ordi- 
nations simoniaques.  Il  est  naturel  de  conclure  qu'à 
Home  la  doctrine  n'était  pas  encore  fixée.  La  prudence 
s'imposait  certes  :  une  décision  prématurée  pouvait 
Iriser  un  certain  donatisme.  Nicolas  II  se  montra  plus 
évère  que  son  légat;  il  décida  la  déposition  des  simo- 
niaci  simoniace  ordinati  vel  ordinaiores,  et  des  simo- 
niaci  simoniace  a  non  simoniacis  ordinati.  Ceux  qui 
avaient  été  ordonnés  gratuitement  par  des  évêques 
qu'ils  savaient  simoniaques  étaient  admis  par  indul- 
ice  à  l'exercice  de  leurs  ordres;  mais  le  pape  enten- 
dait qu'ils  fussent  déposés  ainsi  que  ceux  qui  les  avaient 
ordonnés.  Cf.  Hardouin,  Acta  concil.,  t.  vi  a,  col.  1063  ; 
Baronius,  Annales,  an.  1059,  p.  33,  31.  Grégoire  VII 


n'avait  qu'à  confirmer  des  décisions  aussi  nettes.  Il  le 
fit  dans  son  Ve  synode  romain  de  1078.  Cf.  Mansi, 
t.  xx,  col.  507;  P.  L.,  t.  cxlviii,  col.  800  sq.  Ordina- 
tioncs,  quee  interveniente  pretio,  vel  precibus,  vel  obse- 
quio  alicujus  personœ  (aliqui  personœ)  ca  intentione 
impenso,  vel  quœ  non  communi  consensu  cleri  et  populi 
secundum  canonicas  sanctiones  fiunl,  cl  ab  his  ad  quos 
consecratio  pcrlinct  non  comprobantur,  infirmas  cl  irritas 
esse  dijudicamus  :  quoniam  qui  taliler  ordinanlur.  mm 
per  oslium,  id  est  per  Christum  inlranl,  sed,  ut  ipsa  Ve- 
ritas testatur,  I lires  sunt  cl  lalrones  (Joa.,  x),  P.  L., 
t.  cxlviii,  col.  801.  On  s'acheminait  ainsi  vers  la  déci- 
sion d'Urbain  II,  second  successeur  du  pontife  actuel. 
«  Un  évèque  simoniaque  ne  peut  pas  faire  une  ordi- 
nation valide,  faute  d'avoir  été  lui-même  ordonné  vali- 
dement,  qui  nihil  habiiit,  nihil  darc  poluit.  »  Décret  de 
Gratien,  caus.  I,  q.  vu,  c.  21. 

2°  La  controverse  bérengarienne.  — ■  L'année  même 
où  Grégoire  VII  portait  son  décret  sur  les  ordinations 
simoniaques,  une  autre  question  de  théologie  sacra- 
mentaire attendait  de  lui  une  mise  au  point.  Depuis 
saint  Paschase  Radbert,  moine  de  Corbie  au  ixe  siècle 
(f  865),  la  présence  réelle  de  Jésus-Christ  au  sacrement 
de  l'autel  n'avait  pas  cessé  de  prêter  matière  à  dis- 
cussion. Cf.  P.  L.,  t.  cxx,  col.  1267-1351.  Vers  le  milieu 
du  xie  siècle,  la  controverse  avait  repris.  Un  des 
disciples  de  Fulbert  de  Chartres,  Bérenger,  ressuscita 
les  erreurs  idéalistes  de  Scot  Erigène.  Voir  Bérenger, 
col.  721-741.  I!  fut  choqué  du  réalisme  des  expressions 
employées  par  maints  théologiens,  entre  autres  le 
célèbre  Lanfranc,  directeur  de  l'école  claustrale  du  Bec. 
Il  nia  sûrement  la  transsubstantiation  et  peut-être  la 
présence  réelle.  Cf.  De  sacra  adversus  Lan/rancum  liber 
poslerior,  dans  Neander,  Bercngarii  Turonensis  opéra 
qux  supersunl  lam  édita  quam  inedila,  Berlin,  1834. 
Condamné  en  1050  aux  conciles  de  Rome  et  de  Verceil 
par  le  pape  Léon  IX,  il  comparut  en  1054  au  concile  de 
Tours,  devant  Hildebrand,  légat  du  Saint-Siège.  L'ar- 
chidiacre de  Rome,  qui  désirait  étouffer  ce  sujet  de 
dispute  au  milieu  des  crises  très  graves  traversées  par 
l'Église,  et  qui  désapprouvait  peut-être  le  grossier 
langage  des  adversaires  de  Bérenger,  essaya  de  s'inter- 
poser. L'écolàtre  de  Tours  ne  signa  alors  qu'une  rétrac- 
tation équivoque,  laissant  dans  l'ombre  le  point  précis 
du  débat.  Renvoyé  absous  par  Hildebrand,  il  était 
invité  à  porter  sa  cause  à  Rome  pour  qu'elle  y  fût  jugée 
souverainement. 

Le  concile  de  1059,  réuni  par  Nicolas  II,  imposa  à 
Bérenger,  sous  la  pression  du  cardinal  Humbert,  une 
profession  de  foi  circonstanciée.  Cf.  Lanfranc,  De 
corpore  cl  sanguine  Domini,  c.  n,  P.  L.,  t.  cl,  col.  410- 
111.  Bérenger  y  anathématise  l'hérésie  dont  il  a  été 
accusé,  de  qua  haclenus  infamatus  sum.  «  Le  pain  et  le 
vin  ofïerts  à  l'autel  sont  après  la  consécration,  non 
seulement  un  sacrement,  mais  encore  le  vrai  corps  et  le 
vrai  sang  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  et  ce  corps 
est  touché,  rompu  par  les  mains  des  prêtres,  mangé  par 
les  fidèles,  non  pas  seulement  en  forme  de  sacrement, 
mais  réellement  et  en  vérité.  »  De  retour  de  Rome, 
Bérenaer  désavouait  son  abjuration;  ses  disciples  se 
multipliaient.  La  transsubstantiation  était  révoquée  en 
doute;  le  mode  de  présence  du  Christ  dans  l'eucharistie 
diversement  expliqué.  Cf.  Guitmond,  De  corpore  et 
sanguine  Chrisli,  P.  L.,  t.  cxliv,  col.  1427-1494  ;  Durand 
de  Troarn,  Liber  de  corpore  et  sanguine  Christi  contra 
Berengarium  et  ejus  seclalores,  P.  L.,  t.  cxlix,  col.  1375- 
1424;  Lanfranc,  De  corpore  et  sanguine  Domini  adversus 
Berengarium  Turonensem,  P.  L.,  t.  cl,  col.  407-442. 

Dans  ces  circonstances,  Grégoire  VII  appela  Bé- 
renger à  Rome,  en  1078.  L'attitude  de  mansuétude 
qu'il  avait  su  garder,  comme  légat  du  Saint-Siège  à 
l'égard  du  sectateur,  vingt-quatre  ans  plus  tôt,  lui 
permettait  alors  d'agir  plus  encore  par  la  persuasion 


1801 


GREGOIRE   VII 


1802 


que  par  la  rigueur  :  «  II  faut,  disait  Grégoire  VII  à  sou 
entourage,  donner  aux  estomacs  faibles  du  lait,  non 
pas  des  mets  trop  lourds.  »  Il  pressa  Bérenger  de  signer 
une  formule  adoucie.  Voir  t.  il,  col.  733.  Les  zelanti 
n'étaient  pas  rassurés;  cette  profession  de  foi  ne  leur 
semblait  pas  assez  explicite.  Le  11  février  1079. 
Bérenger,  sous  la  foi  du  serment,  était  invité  par 
Grégoire  VII  à  signer  une  formule  proclamant  la  trans- 
substantiation et  la  présence  réelle.  Voir  t.  n,  col.  73  1. 

3°  Le  schisme  grec.  —  Le  pape,  qui  avait  su  travaille:- 
Bérenger  pour  l'amener  à  résipiscence,  n'avait  p  i  > 
renoncé  à  ramener  les  schismatiques  à  des  sentiments 
plus  conciliants  avec  la  papauté  romaine.  Grégoire  Vil 
pouvait  se  souvenir  des  tristes  jours  de  1054;  archi 
diacre  du  pape  Léon  IX,  il  avait  vu  les  légats  ponti- 
ficaux et  à  leur  tète  le  cardinal  Humbert  déposer  sur 
le  maître  autel  de  Sainte-Sopbie  une  bulle  solennelle 
d'excommunication  contre  Michel  Cérulaire  et  ses 
adhérents  avec  ces  mots  :  Videat  Dcus  el  judicel.  Il  ne 
pouvait  se  résoudre  à  croire  la  séparation  définitive. 
Dès  1073,  la  première  année  de  son  pontificat,  il  envoya 
vers  l'empereur  Michel  le  patriarche  de  Venise.  Les 
termes  de  la  lettre  confiée  au  légat  sont  à  citer.  Ils 
démontrent  un  besoin  d'entente  et  de  paix.  Non  aulem 
non  solum  inter  Romanam,  cui  licel  indigni  deservimus, 
Ecclesiam  et  filiam  cjus  Constantinopolilanam,  anli- 
quam,  Deo  ordinante,  concordiam  cupimus  innovare,  sed 
si  fieri  polest,  quod  ex  vobis  est,  cum  omnibus  hominibus 
pacem  habere.  Scitis  enim  quia  quantum  anleccssorum 
noslrorum  et  veslrorum  sancta  aposlolieœ  sedi  el  imperio 
palrocinium  concordia  projuil,  lantum  deinceps  nocuit 
quod  utrinque  eorumdem  charitas  friguit.  P.  L..  t.  cxlviii, 
col.  300.  Le  succès  ne  répondit  pas  à  ces  elïorts.  De 
mal  en  pis,  les  relations  de  Grégoire  VII  et  de  la  cour 
byzantine  n'aboutirent  qu'à  l'excommunication  de 
l'empereur  de  Constantinople  au  XIe  concile  romain. 
Cf.  Liber  pontificalis,  édit.  Duchesne,  Paris,  1892,  t.  n, 
p.  285. 

Rappelons,  en  terminant  qu'en  1078,  dans  son 
Ve  synode,  le  pape  avait  maintenu  l'attribution  ecclé- 
siastique de  la  dîme,  et  affirmé  la  nécessité  des  hono- 
raires de  messes,  de  même  que  l'obligation  du  maigre 
le  samedi,  à  moins  que  la  célébration  d'une  fête  ou 
une  raison  de  santé  n'en  donnât  la  dispense.  P.  L., 
t.  cxlviii,  col.  800;  Mansi,  Concil.,  t.  xx,  col.  507. 

III.  Méthode.  —  Les  laïques  ont  souvent  dépeint 
l'adversaire  d'Henri  IV  comme  l'autocrate  insupporté 
parce  qu'insupportable.  Le  gallicanisme  a  vu,  dans 
Hildebrand,  l'adversaire  irréductible  des  libertés  légi- 
times des  Églises  nationales,  le  pontife  des  excommu- 
nications per  fas  et  ne/as,  le  monopolisateur  de  l'admi- 
nistration des  États.  En  fait,  il  n'en  est  rien.  Plus  que 
d'autres,  il  a  rendu  à  César  ce  qui  est  à  César.  Sans 
doute,  il  a  voulu  l'entente  harmonieuse  dans  la  répu- 
blique chrétienne  entre  le  pouvoir  spirituel  et  la  puis- 
sance temporelle.  Son  idéal  fut  dans  l'existence  paral- 
lèle du  sacerdoce  et  de  l'empire,  chacun  dans  sa  sphère, 
étroitement  unis  dans  une  réciprocité  de  services 
mutuels;  l'État  devait  protéger  matériellement  l'Église, 
l'Église  soutenir  spirituellement  l'État.  La  sauvegarde 
même  de  cette  organisation  était  en  Dieu  qui  maintient 
l'ordre  dans  la  société  et  voilà  pourquoi  Grégoire  VII 
affirme  la  nécessité  et  la  souveraineté  de  l'Église  :  elle 
rappelait  aux  États  en  toute  mission  divine  les  prin- 
cipes de  santé  sociale,  oubliés  ou  négligés  par  eux.  S'il 
rappela  à  quelques  rois  la  donation  faite  par  leurs 
ancêtres  de  leurs  nations  à  la  papauté,  ce  ne  fut  jamais 
que  dans  un  sens  spirituel.  Nolum  autem  tibi  esse  cre- 
dimus  regum  Hungariie,  sicut  et  alia  nobilissima  régna 
in  propriœ  liberialis  statu  debere  esse,  et  nulli  régi  allerius 
regni  subjici  nisi  sancto  et  universali  matri  Romanœ 
Eccksise,  quse  subjeclos  non  habet  ut  servos,  sed  ut  fdios 
suscepit  universos.   Ad  Censam,  Hungariœ  ducem,  en 


1075,  P.  L.,  t.  cxlviii,  col.  414.  Il  faudrait  pouvoir 
citer  toutes  les  lettres  de  Grégoire  VII  aux  différents 
souverains  de  la  catholicité.  Le  protocole  le  plus  respec- 
tueux y  est  observé.  Chaque  phrase  dit  la  mansuétude; 
l'ensemble,  ignorant  la  contingence,  allirme  l'idée  néces- 
saire. Cf.  AdRoduljum,  Sueviœ  ducem,  P.  L.,  t.  cxlviii, 
col.  302-390;  Ad  Sancium,  regem  Aragonise,  col.  339; 
Ad  Alphonsum  Castcllw  et  Sancium  Aragoniœ  reges, 
col.  339;  Ad  Wralislaum,  Bohemorum  ducem,  col.  351; 
Ad  Philippum  I,  Franciœ  regem,  col.  348  (il  le  prend 
par  les  vertus  de  sa  race);  Ad  Sucnium,  regem  Dano- 
rum,  col.  426  ;  Ad  Dcmetrium,  regem  Russorum.  col. 
425;  Ad  Boleslaum,  Polonorum  ducem,  col.  423;  Ad 
Guillclmum,  regem  Anglorum,  col.  568;  Ad  Roberlum 
régis  Anglorum  fûium,  col.  570. 

Dans  son  action  contre  Henri  IV,  Grégoire  VII  ne 
défendit  pas  l'idée  catholique  avec  une  autre  méthode. 
Il  voulut  l'affranchissement  de  l'Église  avec  une  man- 
suétude évangélique.  Il  avait  à  compter,  il  faut  le  dire, 
avec  l'exaspération  des  Saxons  contre  leur  empereur 
franconien,  avec  la  fureur  des  princes  allemands  qui 
avaient  d'abord  menacé,  puis  déposé  Henri  IV. 

A  Canossa,  le  pape  n'imposa  qu'une  pénitence  nor- 
male pour  l'époque,  acceptée  d'ailleurs  avec  empres- 
sement par  les  conseillers  de  l'empereur.  Une  réduction 
de  peine  de  la  part  du  pontife  pouvait  le  compromettre 
près  de  défenseurs  loyaux.  Dans  la  suite,  malgré  l'ins- 
tance de  l'idée  théologique,  Grégoire  VII  mit  trois 
années  pour  accepter  la  démission  de  Forcheim-sur- 
Regnitz.  Le  Liber  pontificalis  est  des  plus  éloquents  à 
ce  sujet. Des  lettres  sont  envoyées  à  Rodolphe  de  Souabe 
comme  à  Henri  IV  :  Dum  vero  in  excommunicalione 
manebat,  divorlium  quoddam  inter  Henricum  regem.  cl 
Rodulfum  de  dignilate  regni  ortum  est;  quod  videlicel 
divorlium  mulli  a  domno  papa  faclum  esse  clamabant, 
sed  nullo  modo  se  illos  offendisse  prœdiclus  pontijex 
profilebalur.  Immo  ulrique  misit  ut  viam  sibi  prsepa- 
rarent  quedenus  pro  di/finiendo  lanlo  negolio  posset 
procedere,  quia  matel  millics,  si  posset,  mori  quam  sua 
occasione  loi  millia  hominum  morti  traderentur.  Cf.  Liber 
pontificalis,  édit.  Duchesne,  t.  n,  p.  284.  Dans  la 
même  lettre,  on  trouve  la  phrase  suivante  :  In  magna 
enim  tristilia  et  dolore,  cor  noslrum  fluctuât  si  per  unius 
hominis  superbiam  lot  millies  hominum  ehristianorum 
lemporali  cl  œternse  morti  Iradunlur.  Ibid.,  p.  291.  Après 
le  concile  de  1078,  deux  légats  partaient  de  Rome 
pour  conclure  une  paix  entre  Rodolphe  et  Henri...  ut 
stricte  discernèrent  quis  ex  duobus  majorem  haberel 
jusliliam;  et  cuicunque  justilia  competerel,  illi  regni 
gubernacula  tribuerent,  quia  juslior  pars  amplius  de  Deo 
confulere  polest  et  potcslale  beati  Pétri  omni  modo  crit 
ad  juta.  Ibid.,  t.  n,  p.  285.  Grégoire  VII  ignora  le  point 
de  vue  mesquin,  L'empereur  Henri  IV  resta  rebelle  à 
cette  tactique  très  ferme  pour  la  thèse,  mais  condes- 
cendante pour  la  personne. 

Avec  Bérenger,  le  pape  avait  été  plus  heureux.  Sa 
bonté  pour  le  sectateur  ne  s'était  pas  découragée.  P.  L., 
t.  cxlviii,  col.  506;  d'Achery,  Spicilegium,  Paris,  1057, 
t.  ii,  p.  508.  Elle  lui  valut  quelques  suspicions  de  la 
part  des  zelanti  sur  son  orthodoxie. Le  pseudo-synode  de 
Brixen  lui  reprocha  d'avoir  pactisé  avec  l'hérésiarque. 
Cf.  cardinal  Benno,  De  vita  cl  geslis  Hildebrandi  libri  II, 
dans  Monumental  Germaniœ,t.  xi;  Egilbert  de  Trêves, 
Epist.  adv.  Gregor.  VII,  dans  Eccard,  Corpus  historiœ 
medii  œvi,  t.  n,  p.  170.  Martens  s'est  inspiré  de  ces 
adversaires  pour  reprocher  à  Grégoire  VII  une  condes- 
cendance excessive  à  l'égard  de  Bérenger  et  de  ses 
doctrines.  Au  fond,  la  douceur  restait  bien  toujours 
la  base  même  de  la  tactique  du  pontife.  Au  lendemain 
du  concile  de  1079,  il  donnait  au  repentant,  partant 
pour  la  France,  une  lettre  de  recommandation  où  il 
défendait  sous  peine  d'anathème  qu'on  l'accusât  désor- 
mais d'hérésie.  Cf.  d'Achery,  Spicilegium,  t.  ni,  p.  43. 


,s,i: 


GRÉGOIRE  VIT    —    GRÉGOIRE  VIII 


1804 


Ce  notait  pas  une  exception.  Une  lettre  du  pontife 
au  roi  de  Danemark  s'était  déjà  prononcée  avec 
énergie  contre  les  procès  de  sorcellerie.  Episl.,  1.  VU, 
epist.  xxi,  P.  L.,  t.  cxlviii,  col.  564. 

Nous  sommes  loin  maintenant  du  pontife  autocrate. 
Attachant  dans  son  élégance,  surnaturel  toujours  dans 
l'énoncé  de  ses  thèses,  il  est  bien  l'homme  de  l'idée 
catholique,  fait,  quoi  qu'en  aient  dit  ses  adversaires, 
pour  faire  aimer  sa  doctrine  par  la  souplesse  de  son 
exposé  et  la  patience  de  ses  exhortations.  Dans  un 
temps  de  violences  et  de  brutalités,  il  a  montré  que  la 
parole  juste  et  ferme,  simple  et  droite,  élégante  et 
bonne,  fait  plus  pour  la  vérité  que  les  triomphes 
éclatants. 

IV.  Influence.  —  Son  influence  est  considérable. 
Il  est  mort,  terrassé  par  le  césarisme  teuton.  Son  idée 
lui  a  survécu.  Et  chez  Grégoire  VII  l'idée  est  tout;  elle 
vit  d'avance  pour  exister  dans  la  suite.  Grégoire  est  un 
homme  de  gouvernement.  Le  concordat  de  Worms 
qui,  signé  en  1122,  termina  la  querelle  des  investitures 
est  son  œuvre  plus  encore  que  celle  de  Calixte  II.  La 
décision  du  concile  de  Latran,  can.  3,21,  qui,  en  1123, 
déclara  nuls  les  mariages  contractés  par  les  sous-diacres 
et  les  clercs  supérieurs  après  leur  ordination.  Mansi, 
Concil.,  t.  xxi,  col.  282-286,  a  été  voulue  par  lui  bien 
avant  sa  teneur  définitive.  Dans  l'ensemble,  l'œuvre  de 
Grégoire  VII  est  avant  tout  humaine.  Il  a  inauguré  et 
fait  inaugurer  le  culte,  le  règne  de  l'idée  et  du  droit. 
Ennemi  du  féodalisme,  destructeur  du  catholicisme 
intégral  par  ses  réalisations  individuellement,  terri- 
torialement,  socialement  matérielles,  il  a  diminué  l'ère 
de  la  force  brutale  qui  étouffe  et  stérilise  la  pensée 
généreuse.  Une  idée  féconde  appelle  toujours  ses  sœurs  ; 
en  affranchissant  l'Église,  en  régénérant  le  pontificat 
et  l'épiscopat,  Grégoire  VII  a  bien  mérité  de  la  société 
médiévale.  Il  a  authentiqué  la  puissante  légion  des 
moines  de  Cluny  qui  ont  publié  sa  thèse  en  la  généra- 
lisant :  ils  ont  dit  qu'une  société  qui  veut  vivre  doit 
avoir  ses  dogmes  intangibles  dans  l'ordre,  la  dignité, 
la  hiérarchie,  l'autorité  de  la  pensée  divine  et  humaine. 
Des  hommes  de  devoir,  libérés  des  égoïsmes  humains, 
doivent  être  leurs  gardiens.  Évêques  et  prêtres,  ils  sont 
les  vassaux  de  Dieu  avant  d'être  les  féodaux  de  la 
terre.  Une  force  était  donc  née  qui  allait  transformer 
le  moyen  âge.  Du  domaine  religieux,  elle  passa  dans 
le  domaine  civil.  L'État  comme  l'Église  profitèrent  des 
instructions  du  pontife.  Désormais  la  pensée  fut  forte 
et  efficace  dans  les  deux  mondes,  parce  qu'un  jour 
elle  avait  trouvé  son  sanctuaire  et  son  défenseur. 
Grégoire  VII  a  permis  les  Innocent  III  et  les  saint 
Louis.  Les  gallicans  de  tous  les  pays  ne  se  montrèrent 
pas  hommes  de  gouvernement  en  s'opposant  à  sa  cano- 
nisation, proclamée  en  1729  par  Benoît  XIII. 

I.  Sources. —  Gregorii  registri,  sive  epistolarum  libri,  dans 
Mansi,  Concil.,  Florence,  1759,  t.  xx,  col.  60  sq.  ;  Monu- 
menta  Gregoriana,  dans  Jaffé,  Bibliotheca  rerum  Germani- 
carum,  Berlin,  1864,  t.  n,  p.  240  sq. 

Les  œuvres  de  Grégoire  VII  ont  été  rassemblées  par 
Migne,  P.  L.,  t.  cxlviii;  Giesebrecht,  De  Gregorii  registro 
emendando,  Brunswick,  1858;  Horoy,  S.  Gregorii  Vil  epi- 
slola  et  diplomata;  accédant  vita  ejusdem  pontifteis  et  appen- 
dices amplissima  velerum  et  recentiorum  monumenta  Gregorii 
apologetica  complectenles,  2  in-8",  Paris,  1877.  La  question 
de  l'authenticité  des  27  Dictalus  intitulés  :  Quid  valeanl  pon- 
tifices  romani  et  placés  dans  le  Registre  du  pape  en  1075, 
est  diversement  résolue.  Regist.,  iv,  55,  a.  Comme  ils  pré- 
sentent, pour  la  pensée  et  l'expression,  ce  que  les  autres 
écrits  de  Grégoire  font  attendre  de  lui,  il  est  vraisemblable 
qu'ils  sont  au  moins  un  extrait  systématique  de  ses  écrits, 
F.  Rocquain,  dans  le  Journal  des  savants,  1872,  t.  vu,  p.  252- 
263,  299-315,  y  voit  comme  Giesebrecht,  op.  cit.,  une  compo- 
sition authentique.  Ce  serait  pour  lui  une  œuvre  privée  du 
pape  et  non  une  déclaration  publique.  Voir  col.  1 737.  Le  pri  vi- 
lèged'Otton  I"  en  date  du  13  février  962,  cf.  Tardif,  Histoire 
des  sources  du  droit  canonique,  Paris,  1887,  p.  251,  a  été  parfois 


attribué  à  Grégoire  VII  et  a  ses  conseillers.  Le  pape  aurait 
interpolé  un  document  très  utile  pour  servir  sa  cause.  Depuis 
la  découverte  d'un  document  très  ancien  par  Sickel  dans  les 
archives  du  Vatican,  en  1SS1,  l'attribution  du  privilège  n'est 
plus  contestée  à  Jean  XII.  Cf.  Kraus,  Histoire  de  l'Église, 
t.  ti,  p.  123.  Dom  Morin  a  publié  la  Régula  canonicorum 
de  Grégoire  VII  sous  le  titre  :  Règlements  inédits  du  pape 
Grégoire  VII  pour  les  chanoines  réguliers,  d'abord  dans  la 
Revue  bénédictine,  1901,  t.  xviii,  p.  177-183,  puis  dans 
Études,  textes  et  découvertes,  Paris,  1913,  t.  i,  p.  457-465. 
Cf.  p.  70 

Quelques  écrits  sont  attribués  à  Grégoire  VII.  On  les 
trouvera  dans  Migne  dans  la  dernière  partie  du  t.  cxlviii. 
Ils  sont  intitulés  Monumenta  Gregoriana.  Les  preuves 
d'authenticité  manquent. 

Il  faut  consulter  les  œuvres  de  Pierre  Damien,  P.  L., 
t.  cxnv  et  cxlv.  Les  sources  concernant  Bérenger  de  Tours 
contribuent  à  l'histoire  de  Grégoire  VII.  Voir  t.  u,  col.  740- 
741. 

Les  auteurs  anciens,  contemporains  de  Grégoire  VII  : 
Lambert  d'Aschaffenbourg  ou  de  Hersfeld  (1077),  Berthold 
de  Beichenau  (1080),  Bruno  (1082),  Bonizo  (1085  ou  1086), 
Pandolphe  de  Pise  (sous  Pascal  II),  Hugues  de  Flavigny 
(1102),  Paul  de  Bernried  (1128),  ont  été  recueillis  dans 
Watterich,  Pontificum  romanorum  ab  exeunte  sœculo  IX 
ad  finem  seculi  X11J  ab  wqualibus  conscriplx,  2  in-8°, 
Braunsberg,  1864.  Cf.  C.  Muratori,  Scriptores  rer.  italicarum, 
t.  ni;  Monumenta  Germaniœ  hislorica,  Scriptores,  t.  v, 
p.  327-384;  Jaffé,  Bibliotheca  rerum  germanicarum,  t.  v, 
p.  1-469.  Parmi  les  adversaires  de  Grégoire  VII,  Benno, 
De  vita  et  gestis  Hildebrandi  libri  II;  Benzo,  Paneggr. 
rhythm.  in  Henricum  III,  dans  Monumenta  Germaniœ  hislo- 
rica, t.  xi.  ■ — ■  Parmi  les  défenseurs  du  pape,  Paul  Bernried, 
De  vita  Gregorii  VII;  Bonizo,  Liber  ad  amicum;  Bruno, 
Historia  belli  saxonici,  tous  trois  cités  plus  haut. 

1 1.  Ouvrages.  —  Voigt,  Hildebrand  als  Papst  Gregor  VII 
und  sein  Zeitalter  aus  den  Quellen  bearbeitet,  2  in-8°,  Weimar, 
1846;  trad.  franc,  par  Jager,  Paris,  1837  et  1854;  Cassander, 
Das  Zeitalter  Hildebrands  fur  und  gegen  ihn,  Darmstadt, 
1842;  Bowden,  The  lije  and  ponlificate  o/  Gregory  VII, 
2  in-8°,  Londres,  1840;  Helfenstein,  Gregor  nach  den  Strei- 
tenschri/len  seiner  Zeit,  Francfort,  1856;  Gfrôrer,  Papst 
Gregor  VII  und  sein  Zeitalter,  2  in-8°,  SchafThouse,  1859; 
H.  Ossenbeck,  Die  Streit  Gregors  VII  mit  Heinrich  IV, 
1866;  Baxmann,  Die  Polilik  der  Pàpste  von  Gregor  I  bis 
Gregor  VII,  2  in-8°,  Elberfeld,  1868;  Meltzer,  Papst 
Gregors  VII  Gesetzgebung  und  Beslrebungen  in  Belreff  der 
Bischofswahlen,  Leipzig,  1869;  Schober,  Vorwiirfe  und 
Anklagen  gegen  Gregor  VII  aus  den  Schrijlen  seiner  Zeitge- 
nossen,  in-4°,  Nordhausen,  1873;  Winckler,  Gregor  VII  und 
die  Normannen,  dans  Samml.  gemeinverstànde  wissench. 
Vortr.  CCXXXIV,  Berlin,  1875;  Ossenbeck,  Der  Streit  Gre- 
gors VII  mit  Heinrich  IV,  Francfort-sur-le-Mein,  1866; 
Hach,  Der  Kampf  zwischen  Papsthum  und  Konigsthum  von 
Gregor  VII  bis  Calixt  II,  Francfort,  1884;  A.  de  Vidaillan, 
Vie  de  Grégoire  VII,  2  in-8",  Paris,  1837;  Langeron,  Grégoire 
VII  et  les  origines  de  la  politique  ultramontaine,  Paris,  1874; 
15.  Nuber,  Papsl  Gregor  VII.  Sein  Zeit,  sein  Leben  und  seine 
Wir/cen,1885;  O.  Delarc, Grégoire  Vllet  laréforme  del'Église 
au  \  /«  siècle,  4  in-8",  Paris,  1889-1890;  Jager,  Saint  Grégoire 
VII,  dans  \' Université  catholique  (1845),  t.  xix,  p.  412-429; 
t.  xx,  p.  16-32,93-109,  165-180,  245-252,  325-341  ;  Jorry, 
Histoire  du  pape  Grégoire  VII  (1073-1085),  Paris,  1850; 
Philippon  de  la  Madelaine,  Le  pontificat  de  Grégoire  VII, 
Bruxelles,  1837;  Brocard,  Grégoire  VII  et  la  querelle  des 
investitures,  Paris,  1862;  Frantin,  Grégoire  VII  et  Henri  IV, 
fragment  historique  dans  les  Mémoires  de  l'Académie  de 
Dijon,  Dijon,  1848;  Vandcrmissen,  Grégoire  VII  ou  l'empire 
et  la  papauté  au  XI*  siècle,  Louvain,  1876;  Villemain,  Histoire 
de  Grégoire  VII,  précédée  d'un  discours  sur  l'histoire  de  la 
papauté  jusqu'au  XI'  siècle,  2  in-8°,  Paris,  1873;  Schirmer, 
De  Ilildebrando,  subdiacono  Ecclesix  romanœ,  Berlin,  1860; 
Manacorda,  Gregorio  VII  e  V undecimo  sec.  ragionamenlo, 
Mondovi,  1873;  Hefele,  Gregor  VII  und  Heinrich  IV  zu 
Canossa,  dans  Theolog.  Quartalschrijt  Tubing.  (1861), 
t.  xliii.  Voir  la  bibliographie  des  art.  Damien  Pierre 
et  Bérenger,  t.  IV,  col.  53-54;  t.  n,  col.  740. 

P.  Moncelle. 

8.  GRÉGOIRE  VIII,  pape  (1187).  Albert  de  Moras, 
de  Bénévent,  était  cardinal-diacre  de  Saint-Adrien 
(5  avril  1157),  cardinal-prêtre  de  Saint-Laurent  in 
Lucina  (15  juin  1158),  chancelier  de  l'Église  romaine 
(22  février  1178),  quand  il  fut  élu  pape  à  Fcrrare  le 


1805 


GRÉGOTRE    VIII  —  GRÉGOIRE  X 


1800 


21  octobre  1187  et  sacré  le  25  à  Pise,  en  remplacement 
d'Urbain  III.  La  papauté  était  en  relations  fort  ten- 
dues avec  Frédéric  Barberousse;  comme  il  avait  été 
jadis  dévoué  à  l'empereur,  il  prépara  une  réconcilia- 
tion, exhorta  l'archevêque  Volkmar  à  ne  pas  urger 
son  conflit  avec  lui,  s'occupa  activement  d'une  croisade, 
célébra  un  concile  à  Parme.  Mais  il  mourut  à  Pise,  le 
17  décembre  1187,  trop  tôt  pour  exécuter  ses  projets. 
Il  fut  remplacé  par  Clément  III. 

Jalïé,  Regesta  pontificum  romanorum,  2e  édit.,  1888,  t.  n, 
p.  528-535;  P.  L.,  t.  ccii,  col.  1535  sq.;  Duchesne,  Liber  pon- 
tificalis,  1892,  t.  il,  p.  349,  451  ;  Watterich,  Ponlificutn  roma- 
norum vite,  Leipzig,  1862,  t.  h,  p.  683-692;  Bibliothèque  de 
l'École  des  chartes,  1881,  t.  xlii,  p.  166;  Scheffer-Boichorst, 
Friederichs  1  leizter  Strcit  mit  der  Kurie,  1866,  p.  149-157; 
P.  Nadlg,  Gregors  VIII  57  tagiges  Pontifikat  (diss.),  Baie, 
1S90;  G.  Kleemann,  Papst  Gregor  VIII,  Bonn,  1913. 

A.  Clerval. 

9.  GRÉGOIRE  IX,  pape  (1227-1241).  Hugolin  de 
Conti  de  Segni,  né  à  Anagni  vers  1147,  cardinal-diacre 
de  Saint-Eustache  en  1198,  évêque  d'Ostie  et  Velletri 
le  30  avril  1206,  légat,  fut  élu  à  Rome  le  19  mars  1227, 
couronné  à  Saint-Pierre  le  21,  sous  le  nom  de  Gré- 
goire IX.  Il  était  neveu  d'Innocent  III  et  succéda  à 
Honorius  III. 

Son  pontificat,  au  point  de  vue  politique,  fut  absorbé 
par  ses  efforts,  pour  obliger  Frédéric  II  à  faire  la  croi- 
sade qu'il  avait  promise  solennellement  à  Honorius 
par  le  traité  de  Saint-Germain,  pour  préserver  les 
États  de  l'Église  et  Rome  même  de  ses  menées  et  de  ses 
attaques,  pour  défendre  les  libertés  ecclésiastiques 
partout  menacées  par  sa  tyrannie,  pour  démasquer  la 
cruauté,  l'immoralité,  l'impiété,  l'incrédulité  même  de 
cet  empereur.  Grégoire  IX  lança  contre  lui  de  nom- 
breuses excommunications,  le  29  septembre  1227,  le 
23  mars  et  le  30  août  1228,  l'année  suivante,  et  le 
contraignit  à  signer  un  nouveau  traité  de  Saint-Ger- 
main le  23  juillet  1230.  Ils  se  rencontrèrent  amicale- 
ment à  Anagni  le  1er  septembre  suivant.  Mais  la  paix 
ne  dura  guère.  Grégoire  eut  d'abord  à  lutter  contre  les 
Romains  qui,  dirigés  par  les  Savelli,  voulaient  abolir  sa 
suzeraineté  et  lui  imposèrent  un  traité  en  1233. 

La  guerre  avec  l'empereur  reprit  à  l'occasion  de  l'ins- 
tallation de  Enzio  son  fils  naturel  comme  roi  de  Sicile, 
pays  vassal  du  pape,  et  de  la  ligue  lombarde  qui  s'était 
formée  à  Brescia  en  novembre  1235,  et  contre  laquelle 
Frédéric  II,  sous  prétexte  qu'il  avait  affaire  à  des 
hérétiques,  voulut  faire  oublier  la  croisade,  entraîner 
le  pape,  et,  se  posant  ironiquement  en  défenseur  de  la 
foi,  multiplia  les  cruautés  et  les  oppressions  et  s'arrogea 
des  droits  religieux.  Le  pape  le  déclara  encore  excom- 
munié et  déposé  le  20  mars  1239  et  expliqua  sa  conduite 
à  la  chrétienté  dans  une  circulaire  du  20  juin. 

Aplusieurs  reprises,  en  1240  et  1241,  Frédéric  II  vint 
assiéger  Rome  et  d'autres  villes  des  États  pontificaux. 
Alors  le  9  août  1240  Grégoire  IX  convoqua  un  concile 
général  pour  les  fêtes  de  Pâques  de  1241  en  y  invitant  les 
évêques  et  les  seigneurs.  Son  adversaire  barra  la  route 
de  terre  aux  uns,  fit  saisir  ceux  qui  venaient  par  mer; 
saint  Louis  dut  le  menacer  pour  l'obliger  à  relâcher 
les  évêques  de  France  encore  vivants.  Il  revint  près  de 
Rome,  et  lorsque  le  cardinal  Jean  Colonna  eut  déserté 
la  cause  du  pape,  il  chercha  à  s'emparer  de  sa  personne. 
Mais  Grégoire  IX  mourut  le  21  août  1241,  âgé  d'environ 
cent  ans,  et  Frédéric  manda  sa  mort  aux  autres 
princes  en  termes  indécents. 

Ce  qu'il  y  eut  de  nouveau  dans  cette  lutte  terrible, 
ce  fut  l'appel  aux  peuples  chrétiens  que,  des  deux  parts, 
chaque  adversaire  lança  contre  son  rival,  en  l'accablant 
d'accusations  publiques  et  personnelles.  Aux  encycli- 
ques du  pape  répondaient  celles  de  l'empereur  (décem- 
bre 1227,  janvier  1232,  avril  1239);  les  unes  et  les 
autres  firent  éclore  des  diatribes  et  des  pamphlets  de 
toute  nature. 


Au  point  de  vue  théologique  et  canonique,  Gré- 
goire IX  joua  un  grand  rôle.  Le  13  avril  1231,  il 
déclara  que  la  condamnation  de  1210-1215  contre 
Aristote  était  provisoire;  le  23  avril  1231,  il  chargea 
Guillaume  d'Auxerre,  Simon  d'Authie,  Etienne  de  Pro- 
vins, de  corriger  Aristote. 

En  1230,  il  ordonna  à  Raymond  de  Pennafort, 
dominicain  espagnol,  son  pénitencier,  de  rédiger  un 
code  des  Décrétales  qui  forma  la  continuation  du 
Décret  de  Gratien,  et  il  promulgua  le  5  septembre  1234 
ce  recueil  composé  de  cinq  livres.  Défense  fut  faite 
de  rassembler  une  autre  collection  sans  l'autorisation 
spéciale  du  Saint-Siège.  Ce  fut  Boniface  VIII  qui 
publia,  en  1298,  les  Décrétales  postérieures  ou  le 
Sexte.  Voir  Décrétales,  col.  209-212. 

Ce  fut  sous  Grégoire  IX  qu'en  1229  le  concile  de 
Toulouse  organisa  l'inquisition  épiscopale.  En  1233,  il 
confia  la  charge  de  l'inquisition  des  hérétiques  aux 
dominicains  pour  l'exercer  au  nom  du  pape  et  à  per- 
pétuité, mais  sous  les  ordres  des  évêques  locaux.  Il  fit 
inscrire  sur  les  registres  pontificaux  en  janvier  1231 
la  constitution  de  Frédéric  II  (1224)  condamnant  à 
mort  les  hérétiques  de  Lombardie;  en  février  1231,  il 
appliqua  cette  loi  aux  Romains,  et  de  1232  à  1234,  il 
fit  faire  des  lois  analogues  à  Milan,  Vérone,  Plaisance 
et  en  Allemagne.  Toutefois  il  destitua  Robert  le  Bougre 
pour  ses  excès  le  19  avril  1233. 

N'étant  que  cardinal,  il  avait  été  le  protecteur  de 
saint  François  d'Assise  et  avait  contribué  à  faire 
approuver  sa  règle;  il  protégea  aussi  les  dominicains 
et  les  autres  ordres  religieux  comme  les  cluniciens 
dont  il  favorisa  la  réforme.  Il  canonisa  saint  François 
le  16  juillet  1228  et  saint  Dominique  en  1234.  Mais  il 
eut  à  intervenir  dans  les  divisions  qui  s'élevèrent  dès 
lors  entre  séculiers  et  réguliers,  surtout  dans  celles  qui 
agitaient  les  mineurs  :  il  donna  d'abord  sa  confiance  à 
Élie  et  sur  sa  demande  déclara  le  28  septembre  1230 
que  le  Testament  de  saint  François  n'était  pas  obli- 
gatoire et  que  la  pauvreté  pouvait  et  devait  se  concilier 
avec  l'usage  de  l'argent  par  l'intermédiaire  de  délégués 
des  bienfaiteurs,  et  avec  la  construction  d'églises  et  de 
couvents  somptueux.  Sur  les  protestations  des  spiri- 
tuels, il  déposa  Élie  au  chapitre  général  de  1239  et 
laissa  élire  Albert  de  Pise  qui  écrivit  les  premières 
Constitutions  de  l'ordre.  Les  dominicains  fixèrent  les 
leurs  définitivement  en  1238. 

Grégoire  IX  fit  multiplier  les  conciles,  et  travailla 
beaucoup  à  l'organisation  des  diocèses  et  spécialement 
il  affermit  l'Église  Scandinave  et  il  prôna  la  pureté  des 
mœurs  ecclésiastiques. 

Auvray,  Les  registres  de  Grégoire  IX,  2  vol.  parus,  Paris, 
1890,  1905;  Monumenta  Germanise,  Epistote  sœculi  XIII, 
1883,  t.  i;  G.  Vossius,  Gregorii  papœ  IX  acta  quœdam  insi- 
gnia,  in-4°,  Rome,  1586;  Potthast,  Regesta  pontificum  roma- 
norum (1198-1304),  Berlin,  1874,  p.  462-465,  678-680,  etc.; 
Vies,  dans  Muratori,  Rerum  italicarum  scriptores.  Milan, 
1725,  t.  vii-ix;  Watterich,  Vite  pontificum  romanorum 
(1198-1304),  Braunsberg,  1864;  P.  Balan,  Storia  di  Gre- 
gorio  IX  e  soi  tempi,3  in-4",  Modène,  1872;  La  prima  lotta 
di  Gregorio  IX  con  Frederigo  II  (1227-1230),  in-8°,  Mo- 
dène, 1871;  J.  Felten,  Papst  Gregor  IX,  Fribourg-en-Bris- 
gau,  1886;  Kohler,  Verhàltnis  Friederichs  II  zu  den  Pàpslen 
seiner  Zeit,  1888;  E.  Brem,  Papst  Gregor  IX  bis  zum  Beginn 
seines  Pontifikats,  Heidelberg,  1911. 

A.  Clerval. 
10.  GRÉGOIRE  X,pape(1271-1276),Théobald  Vis- 
conti,  né  à  Plaisance  en  1210,  chanoine  de  Lyon,  archi- 
diacre de  Liège,  était  à  Saint- Jean-d' Acre  avec  Edouard, 
prince  d'Angleterre,  quand  il  fut  élu  après  la  mort  de 
Clément  IV  et  une  vacance  de  trois  ans,  le  1er  septem- 
bre 1271;  il  entra  dans  Viterbe  le  10  février  1272,  fut 
ordonné  prêtre  le  13  mars,  sacré  et  couronné  le  27 
à  Rome.  Ses  grandes  idées  furent  le  relèvement  de 
l'empire  en  Allemagne,  la  réforme,  la  réunion  des  grecs, 


1807 


GRÉGOIRE    X  —    GRÉGOIRE   XII 


1808 


la  délivrance  de  Jérusalem.  Il  s'efforça  donc  de  récon- 
cilier en  Italie  les  Guelfes  et  les  Gibelins,  d'affaiblir 
Charles  d'Anjou,  d'obtenir  la  renonciation  d'Alphonse 
de  Castille  et  lit  élire  Rodolphe  de  Habsbourg  comme 
empereur  le  29  octobre  1273;  il  le  reconnut  comme  roi 
di  s  Allemands  et  des  Romains,  l'invita  à  venir  recevoir 
la  couronne  impériale  et  à  conclure  un  nouveau  con- 
cordat avec  l'Église  romaine,  dans  une  entrevue,  qu'il 
eut  avec  lui  à  Lausanne,  en  revenant  du  concile  de 
Lyon  (octobre  1275);  mais  la  mort  et  les  troubles  d'Al- 
lemagne empêchèrent  ces  projets. 

Ce  concile,  qu'il  avait  convoqué  quatre  jours  après 
son  couronnement,  s'ouvrit  en  1274,  sous  sa  présidence 
cl  fut  le  XIVe  concile  œcuménique.  Cinq  cents  évêques 
et  mille  abbés  s'y  trouvaient.  Saint  Bonaventure, 
créé  cardinal  peu  auparavant  avec  Pierre  de  Taren- 
taise,  mourut  pendant  sa  tenue.  Saint  Thomas  d'Aquin, 
spécialement  appelé  par  le  pontife,  partit  de  Naples  et 
mourut  en  chemin.  La  irc  session  se  tint  en  la  primatiale 
de  Saint-Jean  devant  Jacques  Ier,  roi  d'Aragon,  les 
patriarches  latins  de  Constantinople  et  d'Antioche  et 
des  délégués  de  toutes  les  nations.  On  y  prescrivit  des 
contributions  pour  la  Terre  Sainte.  Dans  la  suite,  on 
traita  de  l'élection  du  roi  d'Allemagne,  de  la  transla- 
tion du  Comtat-Venaissin  au  Saint-Siège.  On  accueillit 
la  réunion  à  l'Église  romaine  de  l'empereur  de  Con- 
stantinople, et  l'alliance  proposée  par  le  grand  chah  des 
Tartares  contre  les  Mahométans.  Le  pape  promulgua 
plusieurs  constitutions  :  dans  l'une  il  était  défini  que  le 
Saint-Esprit  procédait  du  Père  et  du  Fils,  non  comme 
de  deux  principes,  mais  comme  d'un  seul  et  par  une 
seule  spiration;  dans  une  autre  il  était  réglé  que  les 
cardinaux  se  trouvant  dans  la  ville  où  le  pape  mourrait 
attendraient  huit  jours  seulement  les  absents,  puis 
s'assembleraient  dans  le  palais  du  pontife  sans  relation 
avec  le  dehors,  et  si,  dans  les  trois  jours  suivants,  ils 
n'avaient  pas  pourvu  l'Église  d'un  pasteur,  ils  seraient 
réduits  à  un  seul  mets,  pendant  les  cinq  jours  suivants, 
et,  au  delà  de  ce  terme,  au  pain,  au  vin,  a  l'eau. 

Grégoire  envoya  des  lettres  à  l'empereur  et  aux 
évêques  grecs,  de  même  qu'au  grand  chef  des  Tartares, 
puis,  après  être  revenu  par  Milan  et  Florence,  il  mourut 
a  Pérouse  le  10  janvier  1276;  il  fut  plus  tard  inscrit  au 
catalogue  des  bienheureux.  Il  eut  pour  successeur 
Innocent  V. 

Jean  Guiraud,  Les  regislres  de  Grégoire  X,  Paris,  1892- 
1898;  A.  Potthast,  Regesta  pontifleum  romanorum,  Berlin, 
t.  il,  p.  1651-1703,  2131,  2138;  Muratori,  Rerum  italicarum 
scriplores,  t.  m;  Bonucci,  Istoria  del  pontifice  Gregorio  X, 
Rome,  1711  ;P.  Piacenza,  Compendio  delhi  sloria  del  B.  Gre- 
gorio X  papa,  Plaisance,  1876  ;  A.  Zistercr,  Gregor  X  und  Ru- 
dolf von  Habsburg,  Fribourg,  1891  ;  Walter,  Politikder  Kuric 
unter  Gregor  X,1894;0\to,  Beziehunger.  Rudolf s  von  Habsburg 
zu  PapstGregoriusX,lS9b;0.  Redlich,  Rudolf  von  Habsburg, 
1903;  Duchesne,  Liber  pontificalis,  1892,  t.  n,  p.  456-457. 

A.    Clerval. 

11.  GRÉGOIRE  XI.  pape  (1370-1378).  Pierre  Roger 
de  Beaufort,  né  au  château  de  Maumont  en  1329,  car- 
dinal-diacre de  Sainte-Marie  la  Neuve  (28  mai  1348), 
fut  élu  pape  le  30  décembre  1370,  ordonné  prêtre  le 
4  janvier  1371,  puis  sacré  et  couronné  à  Avignon  le 
lendemain.  Ce  fut  le  dernier  pape  d'Avignon.  Son  pré- 
décesseur, Urbain  V,  en  revenant  de  Rome  où  l'on 
avait  cru  un  moment  qu'il  allait  réinstaller  la  papauté, 
exilée  depuis  1305,  comme  tout  le  monde  en  Italie  le 
demandait,  avait  provoqué  dans  ce  pays  un  redouble- 
ment notable  de  réaction  contre  la  papauté  française. 
Grégoire  XI  se  vit  en  face  d'une  ligue  formidable 
constituée  entre  Barnabo  Visconti,  de  Florence,  Jeanne 
de  Naples,  et  d'autres  villes,  s'attaquant  aux  «  mauvais 
pasteurs  »  envoyés  d'Avignon  pour  gouverner  les  États 
pontificaux  et  au  pouvoir  temporel  lui-même.  Après  de 
vaines  négociations,  il  dut  excommunier  les  Florentins 
et  envoyer  des  troupes  sous  la  conduite  de  Robert  de 


Genève.  C'est  alors  que  ceux-ci  lui  adressèrent  une 
ambassade  avec  sainte  Catherine  de  Sienne.  Les  avis 
de  cette  illustre  sainte,  joints  au  grand  péril  que  la 
papauté  courait  de  perdre  les  restes  de  son  pouvoir  en 
Italie,  triomphèrent  enfin  des  hésitations  de  Grégoire  XI 
qui,  malgré  les  instances  de  son  entourage  et  du  roi  de 
France,  partit  d'Avignon  le  13  septembre  1376  et  après 
différentes  péripéties  entra  dans  Rome  le  17  janvier 
1377.  Mais  à  peine  de  retour,  le  pape  se  vit  de  nouveau 
en  bulle  à  de  grosses  difficultés  avec  les  Florentins  et  les 
Romains  toujours  hostiles  à  la  domination  de  l'Église, 
malgré  leur  promesse  :  le  massacre  de  Cesena  par 
Robert  de  Genève  (11  février  1377)  accrut  les  animo- 
sites.  Grégoire,  sur  la  fin  de  mai,  se  rendit  à  Anagni 
jusqu'au  mois  de  novembre  et  continua  de  pénibles 
négociations  avec  les  Florentins  qui  aboutirent  à  un 
congrès  fixé  à  Sarzana,  pour  les  premiers  jours  de  1378. 
Rentré  à  Rome  le  7  novembre,  chez  les  Romains  plus 
calmes,  il  mourut  le  27  mars  1378,  par  suite  du  climat 
et  des  soucis,  non  sans  avoir  craint  le  schisme  auquel 
l'élection  de  son  successeur  allait  donner  lieu,  et  que 
ses  dernières  précautions  ne  purent  prévenir.  Ce  fut  le 
dernier  pape  français. 

Il  était  bon,  instruit,  favorable  au  bon  humanisme, 
et  digne  de  l'estime  de  sainte  Catherine  de  Sienne  et  de 
sainte  Brigitte,  qui  lui  écrivirent  à  plusieurs  reprises.  Son 
grand  mérite  est  d'avoir  ramené  la  papauté  à  Rome; 
toutefois  il  eut  le  tort  de  nommer  trop  de  cardinaux 
français,  ce  qui  fut  une  cause  du  grand  schisme.  Il 
s'occupa  aussi  de  réprimer,  avec  le  roi  de  France,  des 
hérétiques  tels  que  les  vaudois,  les  bégards  et  les 
albigeois,  de  faire  tenir  des  conciles  provinciaux  et 
d'obliger  les  évêques  à  la  résidence. 

Baluze,  Vitœ  paparum  Avenionensium,  Paris,  1693,  t.  i, 
p.  425  sq.  ;  Noël  Valois,  La  France  et  le  grand  schisme  d'Occi- 
dent, Paris,  1901,  t.  m;  1902,  t.  IV;  J.  P.  Kirsch,  Ruckher 
der  Piipste,  1898;  Pastor,  Gescliichte  der  Pdpsle,  4e  édit.,  t.  i, 
p.  101-114. 

A.  Clerval. 
12.  GRÉGOIRE  XII,  pape  (1406-1415).  Ange  Cor- 
raro,  né  à  Venise,  vers  1325,  évèque  de  Chalcis,  patriar- 
che de  Constantinople,  cardinal-prêtre  de  Saint-Marc  en 
1405,  fut  élu  pape,  après  Innocent  VII,  à  Rome,  le 
30  novembre  1406  et  couronné  le  3  décembre.  C'était 
un  homme  austère  et  pieux;  les  cardinaux  italiens, 
ses  électeurs,  avaient  pris  avec  lui,  avant  l'élection, 
l'engagement  de  tout  faire  pour  arriver  à  l'union.  C'est 
dans  ce  sens  qu'il  écrivit  de  suite  aux  cardinaux  d'Avi- 
gnon et  à  Benoît  XIII,  et  comme  celui-ci  lui  répondit 
sur  le  même  ton,  on  crut  que  l'union  était  presque 
faite.  Mais  on  vit  bientôt  que  cette  espérance  était  pré- 
maturée. Après  de  longues  discussions  sur  le  lieu  de 
leur  entrevue,  discussions  où  Grégoire  XII  apporta 
des  tergiversations  extraordinaires,  les  deux  papes  arri- 
vèrent à  quelques  lieues  de  distance  l'un  de  l'autre,  et 
pourtant  l'entrevue  n'eut  pas  lieu  :  on  accusa  le  pape 
de  Rome  de  céder  à  l'influence  de  ses  neveux  et  de 
Jean  Dominici.  archevêque  de  Raguse,  et  sept  de  ses 
cardinaux  se  détachèrent  de  lui.  On  crut  de  même  en 
France  que  Benoît  XIII  ne  voulait  pas  au  fond  se 
sacrifier  à  l'union  et,  après  une  sommation,  le  roi  de 
France  déclara  sur  la  fin  de  mai  se  retirer  de  son  obé- 
dience. De  leur  côté,  les  cardinaux  français  quittant 
Benoît  XIII  s'unirent  aux  cardinaux  romains  détachés 
de  Grégoire  XII  et  convoquèrent  un  concile  à  Pise 
pour  le  25  mars  1409,  tandis  que  les  deux  papes  en 
convoquaient  aussi  chacun  un  dans  leur  obédience. 
Cette  convocation  d'un  concile  par  les  cardinaux,  tout 
à  fait  anormale,  soulevait  des  questions  graves  de  doc- 
trine sur  la  supériorité  de  l'Église  par  rapport  au  pape 
et  les  tranchait  déjà  dans  un  sens  erroné.  Les  Pères 
eurent  l'audace  de  déposer  les  deux  pontifes,  malgré 
les  efforts  de  Charles  de  Malatesta  qui  essaya  d'amener 


1809 


GREGOIRE    XII 


GREGOIRE    XIII 


1810 


une  entente  entre  eux  et  son  ami  Grégoire,  et  de  nom- 
mer un  troisième  pape,  qui  fut  Alexandre  V  (26  juin 
1409);  ce  qui  produisit,  vu  la  puissance  de  ceux  qui 
étaient  censément  déposes,  la  coexistence  de  trois  chefs 
dans  l'Église;  coexistence  qui  fut  maintenue  par  l'élec- 
tion de  Jean  XXIII  à  la  place  d'Alexandre  V  mort  le 
3  mai  1410. 

Le  concile  de  Constance,  ouvert  le  1er  novembre  1414, 
sur  les  démarches  de  l'empereur  Sigismond  et  avec  le 
concours  plus  habile  que  sincère  de  Jean  XX III,  aboutit 
à  de  meilleurs  résultats,  grâce  à  l'attitude  plus  désin- 
téressée cette  fois  et  plus  loyale  de  Grégoire  XII.  En 
effet,  après  que  Jean  XXIII  eut  été  déposé  par  les 
Pères  et  qu'il  eut  accepté  sa  sentence,  Grégoire  XII  se 
présenta  comme  le  pape  légitime,  fit  une  nouvelle  con- 
vocation du  concile,  et  le  4  juillet  1415,  par  son  ami 
Malatesta,  notifia  sa  renonciation  à  la  papauté.  Alors 
les  prélats  de  Benoît  XIII  se  rallièrent  à  la  majorité  et 
celui-ci,  déposé  le  26  juillet  1417,  dut  se  réfugier  dans  sa 
forteresse  de  Peniscola  avec  les  trois  seuls  cardinaux 
qui  lui  fussent  restés  fidèles. 

En  récompense  de  sa  condescendance,  le  concile 
décerna  à  Grégoire  XII  le  titre  de  cardinal-archevêque 
de  Porto,  la  légation  à  vie  de  la  Marche  d'Ancône  et  le 
droit  de  prendre  rang  immédiatement  après  le  pape. 
Mais  il  mourut  le  18  octobre  1417. 

Martin  V  fut  élu  le  11  novembre  suivant. 

Noël  Valois,  La  France  et  le  grand  schisme  d'Occident, 
Paris,  1901,  t.  in;  1902,  t.  iv;  Ranke,  Die  rômische  Pàpste, 
Ci'  édit.,  t.  i,  p.  273  sq.  ;  Brosch,  Geschichte  des  Kirchenstaats, 
ISSU,  t.  i,  p.  247  sq. 

A.    Clerval. 

12.  GRÉGOIRE  XIII,  pape  (14  mai  1572-10  avril 
1585).  Né  à  Bologne  en  1502,  Hugo  Buoncompagno 
y  étudia  le  droit  à  l'université.  A  28  ans,  il  était  reçu 
docteur.  Professeur  dans  sa  ville  natale,  il  sacrifia 
quelque  peu  aux  idées  mondaines.  Un  fils  naturel,  le 
futur  Giacomo,  lui  naquit  à  cette  époque.  Menant  dès 
lors  une  vie  exemplaire,  il  reçut  la  prêtrise.  En  1538, 
Paul  III  l'appelait  à  Borne,  pour  lui  confier  les  fonc- 
tions de  juge  au  Capitole  et  d'abréviateur  vice-chan- 
celier de  la  Campagna.  Sous  Paul  IV,  Hugo  fut  associé 
comme  dataire  au  neveu  du  pape,  le  cardinal  Charles 
Caraffa.  Pie  IV  le  fit  cardinal-prêtre  du  titre  de  Saint- 
Sixte  et  l'envoya  au  concile  de  Trente.  Le  14  mai  1572. 
quand,  sous  l'influence  du  cardinal  Granvelle,  alors 
vice-roi  de  Naples,  le  cardinal  Buoncompagno  devenait 
pape  avec  tous  les  suffrages,  au  troisième  jour  du  con- 
clave, il  était  préparé  à  la  tâche  de  réformation  de 
l'Église,  moins  encore  par  ses  dons  naturels  d'ailleurs 
remarquables,  que  par  le  milieu  sévère,  sérieux  et  grave 
créé  dans  la  curie  romaine  par  le  concile  de  Trente.  Le 
nouveau  pape  prit  le  nom  de  Grégoire  XIII.  L'ère  de 
la  mortification  était  ouverte  au  palais  pontifical.  Sous 
Paul  IV,  on  s'en  était  aperçu.  L'exemple  de  Pie  V 
surtout  avait  eu  un  effet  extraordinaire.  P.  Tiepolo, 
ambassadeur  de  Venise,  le  faisait  remarquer  en  1576  : 
«  Rien  n'a  fait  autant  de  bien  à  l'Église  que  cette 
succession  de  plusieurs  papes  dont  la  vie  a  été  irré- 
prochable. Tous  ceux  qui  les  ont  suivis  sont  devenus 
meilleurs,  ou  du  moins  ont  senti  la  nécessité  de  le 
paraître.  Les  cardinaux  et  les  prélats  fréquentent  la 
messe  avec  zèle  et  cherchent  avec  soin  à  éviter  tout 
scandale  dans  la  tenue  de  leur  maison.  La  ville  entière 
s'efforce  de  sortir  de  la  déconsidération  où  elle  était 
tombée,  et  elle  est  devenue  plus  chrétienne  dans  ses 
mœurs  et  sa  manière  de  vivre.  On  pourrait  en  lin 
ajouter  que  Rome,  en  matière  de  religion,  approche  de 
la  perfection,  dans  les  limites  imposées  à  la  nature 
humaine.  »  Seconda  relatione  dell' ambasciatore  di  Roma, 
clar.  M.  Paolo  Tiepolo,  ambasciatoreVeneto.  K.S.  3  mag- 
gio  1576,  cité  par  Ranke,  Histoire  delà  papauté  pendant 
les  XVI*  et  xvu»  siècles,  trad.  Haiber^  Paris,  1838,  t.  m, 


p.  332-333;  t.  iv,  p.  527.  Au  moment  où  Grégoire  XIII 
succédait  à  Pie  V,  il  y  avait  à  la  cour  un  parti  décidé  à 
défendre  cette  austérité.  Des  jésuites,  des  théatins,  et 
leurs  amis,  les  Frumento,  les  Corniglia,  l'intrépide 
prédicateur  Francesco  Toledo,  et  le  dataire  Contarell 
parvinrent  à  diriger  l'esprit  du  pape  dans  les  vues  de 
son  prédécesseur.  Le  nouveau  pontife,  cent  ans  plus 
tôt,  par  tempérament  intellectuel  et  moral,  par  édu- 
cation, aurait  régné  d'une  façon  plus  mondaine.  On 
s'attendait,  en  ell'et,  à  le  voir  orienter  le  Saint-Siège 
dans  une  direction  nouvelle  :  miliori  quodam  homi- 
numque  captui  accommodaliori  ratione.  Cf.  Commentarii 
de  rébus  Gregorii  XIII  (ms.  de  la  bibliothèque  Alberoni). 
Ranke,  op.  cit.,  t.  m,  p.  234.  De  fait,  dès  le  début  de 
son  pontificat,  s'opposant  aux  partisans  de  la  rigidité 
religieuse,  il  avait  rappelé  aux  affaires  les  ministres  de 
Pie  IV.  L'influence  de  la  curie  le  dirigea  dans  une  voie 
toute  religieuse.  Cf.  Relatione  délia  corle  di  Roma  a 
tempo  di  Gregorio  XIII  (bibliothèque  Corsini,  n.  714), 
20  février  1574,  très  instructive  à  ce  sujet.  L'auteur 
dit  de  la  disposition  du  pape  :  «  il  n'était  ni  scrupu- 
leux ni  dissolu,  mais  les  choses  mal  faites  lui  déplai 
saient.  » 

Grégoire  XIII,  se  souvenant  des  fortes  paroles  de 
son  prédécesseur,  sut  d'abord  se  maîtriser  lui-même, 
pour  gouverner  les  autres.  Rebelle  au  népotisme, 
malgré  ses  désirs  de  faire  avancer  son  fils  Giacomo  et 
de  l'élever  à  la  dignité  de  prince,  il  se  contenta  de 
le  nommer  gouverneur  du  château  Saint-Ange  et 
gonfalonnier  de  l'Église.  Les  troubles  des  dernières 
années  du  pontificat  contribuèrent  à  un  regain  d'in- 
fluence pour  le  fils  du  pape;  mais  son  pouvoir  ne 
fut  jamais  illimité.  Les  parents  de  Grégoire  XIII 
n'eurent  d'ailleurs  pas  plus  de  part  à  des  faveurs 
irrégulières.  Si  deux  des  neveux  du  pontife  furent 
nommés  cardinaux,  le  troisième  fut  irrévocablement 
écarté.  Le  frère  de  Buoncompagno  lui-même  se  plaignit 
de  la  papauté  de  Grégoire.  Elle  l'obligeait  à  des  dé- 
penses supérieures  aux  secours  que  lui  allouait  le  pape. 
Le  pontife  resta  sourd  à  ses  plaintes;  il  lui  défendit 
même  l'entrée  de  Rome.  Fort  contre  ces  abus,  Gré- 
goire XIII  sut  encore  comprendre  que  la  piété  est 
utile  à  tout.  Cherchant  à  surpasser  la  piété  de  Pie  V,  il 
dit  la  messe  trois  fois  par  semaine  sans  jamais  l'omettre 
le  dimanche  pendant  les  premières  années  de  son  ponti- 
ficat. Cf.  Seconda  relazione  dcll' ambasciatore  di  Roma, 
M.  Paolo  Tiepolo,  Car.  3  maggio  1576,  citée  par  Ranke, 
op.  cit.,  t.  m,  p.  237. 

1°  Ses  définitions.  —  1.  Contre  le  baianisme.  — Voir 
Baius.L n, col. 51-50. — 2.  La  profession  de  foi  imposée  aux 
grecs.  —  Grégoire  XIII  dut  rappeler  aux  grecs  les  princi- 
pales définitions  du  concile  de  Trente,  sur  lesquelles  l'or- 
thodoxie byzantine  était  restée  jusque-là  irréductible. 
La  constitution  Sanctissimus  Dominus  nosler,  en  même 
temps  qu'elle  demanda  l'adhésion  au  symbole  des  con- 
ciles de  Nicée  et  de  Constantinople,  fut  un  rappel  des 
canons  du  concile  de  Florence  sur  l'union  des  deux  Égli- 
ses. La  procession  du  Saint-Esprit  ex  PatreFilioque  était 
affirmée.  La  constitution  ajoutait  les  termes  suivants 
relatifs  au  concile  de  Florence  :  lllamquc  verborum 
illorum  «  Filioque  »  explicalionem,  verilcdis  deelarandee 
gralia,  et  imminente  tune  necessilale,  licite  ac  rationa- 
biliter  symbolo  fuisse  appositam.  Elle  rappelait  la 
légitimité  du  pain  azyme  et  du  pain  fermenté  pour  la 
transsubstantiation  du  corps  du  Christ  :  les  prêtres 
pouvaient  s'en  autoriser  suivant  la  coutume  de  chaque 
Église.  Grégoire  XIII  demandait  encore  la  profession 
de  l'existence  du  purgatoire,  et  de  la  valeur  des  suf- 
frages pour  les  défunts.  Il  rappelait  enfin  la  primauté 
apostolique  du  pontificat  romain  sur  toute  la  catholi- 
cité avec  une  solennité  impressionnante.  Le  dernier 
paragraphe  publiait  le  concile  de  Trente  chez  les  grecs  : 
c'était  l'adhésion  complète  à  toutes  ses   définitions. 


1811 


GRÉGOTRE    XITT 


1812 


Denzinger-Bannwart,  Enrichidion,  Wurzbourg,  1908, 
n.  1083-1085. 

2°  Grégoire  XIII  et  les  Décrétâtes.  —  Un  code  ecclé- 
siastique très  ferme  était  la  première  institution  à 
réaliser  au  lendemain  de  l'assemblée  de  Trente.  Pie  V 
avait  institué  en  1566  une  commission  composée  de 
cardinaux  et  de  quinze  docteurs  pour  préparer  une 
édition  officielle  du  Corpus  juris  canonici.  Cette  com- 
mission dite  des  Corrcclores  romani  s'occupa  d'abord 
du  Décret  de  Gratien.  Procédant  ensuite  à  la  récogni- 
tion des  autres  parties  du  Corpus,  elle  les  expurgea  de 
toutes  les  gloses  et  annotations  contraires  à  la  foi  catho- 
lique.  Grégoire  XIII,  avant  d'être  pape,  avait  fait 
partie  de  la  commission  des  Corrcclores.  A  son  avène- 
ment, il  trouva  parfait  de  continuer  le  travail  de  réor- 
ganisation juridique;  François  Pegna  et  Sixte  Fabri 
furent  ses  hommes  de  confiance.  Les  travaux  terminés, 
le  pape  voulut  donner  au  recueil  une  teneur  immuable 
et  une  valeur  officielle.  Il  ordonna  par  la  bulle  Cum  pro 
munere  pastorali  d'éditer  dans  une  imprimerie  privi- 
légiée (in  officina  populi  romani...  a  catholicis  lypo- 
graphis)  les  textes  ainsi  revisés  :  Ut  hoc  jus  canonicum, 
sic  expurgalum,  ad  omnes  ubique  Christi  fidèles  sartum, 
lectum  perveniat,  ac  ne  cuiquam  liceat  eidem  operi 
quicquam  addere,  vel  immulare  aul  invtrtere,  nullave 
inlcrprelamcnta  adjungere.  L'impression  fut  achevée 
en  1582.  Elle  parut  sous  ce  titre  :  Dccrctales  D.  Gre- 
gorii  IX  susc  integrilali  una  cum  glossis  reslitutœ, 
4  in-fol.,  Rome.  Cette  édition  a  formé  le  fonds  commun 
de  la  plupart  des  publications  postérieures  portant 
communément  la  mention  ad  exemplar  romanum  dili- 
genter  recognitœ.  (Les  partes  decisœ  des  Décrétales  non 
maintenues  dans  l'édition  de  Grégoire  XIII  sont  mar- 
quées par  une  croix  et  imprimées  en  lettres  italiques 
dans  le  Corpus  juris  de  Friedberg,2  in-4°,  Leipzig,  1879- 
1880.)  Elle  fut  surtout  un  élément  d'ordre  à  une  époque 
où  les  spécialisations  introduites  dans  la  curie  romaine 
nécessitaient  une  précision  dans  les  droits  et  pouvoirs 
de  chacun. 

3°  La  curie  romaine.  —  Grégoire  XIII  avait,  en 
effet,  voulu  doter  l'Église  d'un  état-major  de  prélats 
aussi  distingués  par  la  pureté  morale  que  par  la  com- 
pétence doctrinale.  Il  tint  une  liste  exacte  des  prêtres 
de  tous  les  pays  propres  à  l'épiscopat.  Très  bien  informé 
à  chaque  proposition,  il  dirigea  toujours  avec  un  soin 
scrupuleux  les  nominations.  Cf.  Ranke,  op.  cit.,  t.  il, 
p.  237.  C'est  dans  ce  but  d'ailleurs  qu'il  institua  la 
S.  C.  des  Évêques.  Avec  le  même  esprit  de  dignité  et 
de  tenue,  le  pontife  établit  aussi,  en  1572,  la  S.  C.  du 
Cérémonial.  Elle  fixa  les  cérémonies  dans  les  chapelles 
papales,  les  questions  de  préséances  et  de  formalités, 
les  costumes  et  armoiries  des  ecclésiastiques,  le  proto- 
cole imposé  aux  représentants  des  puissances  et  aux 
souverains  dans  leurs  visites  au  pape.  Ailleurs,  Gré- 
goire XIII  ne  fit  qu'ébaucher;  la  Propagande  lui  doit 
son  origine.  Par  ordonnance,  il  avait  chargé  trois  car- 
dinaux de  la  direction  des  missions  d'Orient  pour 
maintenir  les  grecs  catholiques  dans  l'unité  et  tâcher 
d'y  ramener  les  schismatiques.  Le  même  décret  décidait 
l'impression  de  catéchismes  dans  les  langues  les  moins 
connues.  Cf.  Ranke,  op.  cit.,  t.  iv,  p.  115,  qui  cite  Coc- 
quelines,  Prœfatio  ad  Majjei  Annales  Grcgorii  XIII, 
dans  Bullarium  romanum,  Rome,  1754-1758,  t.  IV, 
p.  v.  Ce  fut  aussi  une  idée  d'expansion  catholique  qui 
inspira  Grégoire  quand  il  maintint  la  S.  C.  du  Concile 
de  Trente,  instituée  par  Pie  V,  en  la  chargeant  de 
trancher  les  cas  qui  paraîtraient  clairs,  sauf  à  déférer 
les  autres  au  jugement  pontifical.  Cf.  Vacant,  Éludes 
théologiques  sur  les  constitutions  du  concile  du  Vatican, 
Paris,  1895,  t.  i,  p.  445-448.  Il  semble  qu'au  milieu  de 
toutes  ces  questions  théologiques,  Grégoire  X 1 1 1  ait  ap- 
porté un  soin  tout  spécial  à  la  liturgie.  C'est  pour  la  fixer, 
suivant  les  désirs  du  concile,  qu'il  réforma  le  calendrier. 


4°  Le  calendrier  grégorien.  — ■  La  réforme  était 
devenue  indispensable  par  suite  des  décrets  des  Pères 
de  Trente  qui  déplaçaient  les  grandes  fêtes  et  leurs 
rapports  avec  les  saisons  de  l'année.  L'heureuse  cor- 
rection de  Jules  César  supposait  l'année  de  365  jours 
6  heures  ;  en  réalité,  elle  n'est  que  de  365  jours,  5  heures, 
18  minutes,  11  secondes.  En  400  ans  un  retard  de  trois 
jours  25  sur  l'année  astronomique  était  donc  à  enre- 
gistrer. Depuis  la  réforme  julienne,  et  «  l'année  de  con- 
fusion »  (45  avant  J.-C),  on  avait  compté  dix  jours  de 
trop.  Un  savant  calabrais,  d'ailleurs  peu  connu,  Luigi 
Lilio,  indiqua  à  Grégoire  XIII  la  méthode  la  plus 
facile  pour  remédier  aux  inconvénients  résultant  des 
décrets  du  concile;  toutes  les  universités,  entre  autres, 
celles  d'Espagne,  Salamanque  et  Alcala,  donnèrent 
leur  avis.  Une  commission  centrale,  dont  les  membres 
des  plus  actifs  furent  l'Allemand  Clavius  et  le  cardinal 
Sirleto,  les  rassembla  à  Rome,  où  l'on  procéda  à  un 
nouvel  examen  dans  un  véritable  secret.  Le  nouveau 
calendrier  ne  fut  montré  à  personne,  pas  même  aux 
ambassadeurs,  avant  d'être  approuvé  par  les  diffé- 
rentes cours.  La  suppression  d'une  année  bissextile  à 
chaque  siècle,  dont  le  quantième  n'est  pas  divisible 
par  4,  fit  la  péréquation  de  l'astronomie  et  du  comput. 
Les  10  jours  comptés  en  trop  depuis  l'année  «  julienne 
de  confusion  »  furent  supprimés.  Le  concile  de  Nicée 
décréta  que  le  lendemain  du  4  octobre  1582  s'appelle- 
rait le  15  octobre.  En  fait,  la  mort  de  sainte  Thérèse  a 
marqué  une  date  mémorable.  La  bulle  Inter  gravis- 
simas  du  13  février  1582  publiée  solennellement  par 
Grégoire  XIII  annonça  la  réforme  à  l'univers  catho- 
lique. Le  pape  la  considérait  comme  une  preuve  de  la 
grâce  immense  de  Dieu  envers  son  Église.  Bullarium 
de  Cocquelines,  t.  iv,  p.  4-10;  Magnum  bullarium 
romanum  de  Cherubini,  t.  n,  p.  487.  Il  avait  raison. 
L'astronomie  avait  joué  son  rôle  dans  les  premiers 
siècles  chrétiens.  De  l'uniformité  de  son  interprétation 
avait  dépendu  l'unité  romaine.  Le  pape,  homme  de 
droit,  ne  laissait  rien  à  l'imprévu  de  ce  qu'il  pouvait 
lui  enlever.  Il  ne  se  contenta  pas  d'ailleurs  de  fixer 
ainsi  ne  varietur  les  principales  fêtes  chrétiennes,  en 
faisant  concorder  leurs  dates  avec  les  grandes  époques 
de  l'année  astrale.  Il  enrichit  la  liturgie  mariale  de  deux 
fêtes  nouvelles.  En  1573,  la  fête  du  très  saint  Rosaire 
(bulle  Monel  apostolus,  Magnum  bullarium  romanum, 
t.  n,  p.  398),  fixée  au  premier  dimanche  d'octobre, 
rappela  le  souvenir  glorieux  de  la  victoire  de  Lépante, 
en  même  temps  que  la  puissance  de  la  sainte  Vierge 
sur  la  vie  de  l'Église.  Après  avoir  honoré  la  fille,  Gré- 
goire XIII  n'oublia  pas  la  mère.  En  1584,  la  bulle 
Sancla  mater  Ecclesia  instituait  la  fête  de  sainte  Anne. 
Magnum  bullarium  romanum,  t.  n,  p.  484. 

5°  Les  collèges,  les  ordres  religieux,  et  les  combinai- 
sons politiques.  — •  Grégoire  XIII  a  su  créer,  pour  la 
théologie,  les  instituts  scientifiques,  capables  de  la 
défendre.  Peu  de  règnes  ont  plus  fait  que  le  sien  pour 
l'éducation  du  clergé.  Il  n'en  est  pas  qui  ait  laissé 
d'établissements  plus  durables.  En  1572,  le  Collège 
romain,  tel  qu'on  le  voit  aujourd'hui,  était  rebâti  aux 
lieu  et  place  de  maisons  achetées  et  de  rues  fermées 
par  le  pape.  «  Disposé  pour  vingt  salles  dites  auditoires, 
et  pour  trois  cent  soixante  petites  chambres  d'étu- 
diants, il  fut  appelé  le  séminaire  de  toutes  les  nations; 
pour  indiquer  cette  pensée  qui  embrassait  le  monde 
entier,  on  fit  prononcer  dès  la  première  fondation 
vingt-cinq  discours  en  différentes  langues,  et  chaque 
discours  eut  sa  traduction  latine.  »  Cf.  Ranke,  op.  cit., 
t.  il,  p.  338.  Le  Collège  germanique,  menaçant  ruines, 
fut  doté  par  le  pape  du  palais  de  Saint-Apollinaire,  des 
revenus  de  San  Stephano  sur  le  mont  Celio  et  de  dix 
mille  scudi  annuels  alloués  sur  la  Chambre  aposto- 
lique. Cf.  bulle  Postquam  Deo  placuit  de  1574,  Ma- 
gnum bullarium  romanum,  t.  n,  p.  402.  Grégoire  XIII 


1813 


GRÉGOIRE    XIII 


1814 


créait  par  là  la  pépinière  salubre  d'où  les  replants  ca- 
tholiques allaient  bientôt  porter  racines  dans  le  Saint 
Empire.  Les  Anglais,  eux  aussi,  retrouvèrent  leur 
collège  Saint-Thomas.  Bulle  Qanniam  divinœ  de  1579, 
Magnum  bullarium  romanum,  t.  n,  p.  453.  Il  n'est  pas 
jusqu'aux  grecs  qui  n'aient  eu  part  aux  libéralités 
pontificales.  Le  Collège  grec,  institué  par  le  pape  sur  les 
conseils  de  l'évêque  de  Sitia,  groupa  des  jeunes  gens 
de  treize  à  seize  ans,  venus  indifféremment  des  régions 
encore  soumises  à  la  domination  chrétienne  comme 
Corfou  et  Candie,  ou  de  Constantinople,  de  la  Morée  ou 
de  Salonique  :  «  On  leur  donna  des  professeurs  grecs; 
ils  étaient  revêtus  de  caftans  et  de  bonnets  vénitiens  ; 
on  voulait  les  élever  tout  à  fait  à  la  manière  des  grecs, 
afin  qu'ils  eussent  constamment  à  la  pensée  qu'ils 
étaient  destinés  à  retourner  dans  leur  patrie.  On  devait 
leur  laisser  leur  rite  aussi  bien  que  leur  langue  et  les 
instruire  dans  la  foi  selon  les  dogmes  du  concile  dans 
lequel  l'Église  grecque  et  l'Église  latine  avaient  été 
réunies.  »  Ranke,  op.  cit.,  t.  il,  p.  239;  bulle  In  aposlo- 
licas  sedis,  Magnum  bullarium  romanum,  t.  n,  p.  438. 
Hors  de  Rome,  l'activité  de  Grégoire  XIII  fut  aussi 
féconde;  il  favorisa  partout  les  collèges  religieux  :  en 
Lorraine,  il  transforma  le  collège  de  Pont-à-Mousson  en 
université,  cf.  Magnum  bullarium  romanum,  t.  n, 
p.  520,  bulle  In  supercmincnti  de  1572;  à  Vienne,  à 
Prague,  à  Olmùtz,  en  Autriche  et  Bohême,  à  Vilna,  en 
Lithuanie,  à  Clausenbourg  en  Hongrie,  et  même  au 
Japon,  les  efforts  de  Grégoire  XIII  ont  été  réalisateurs. 

Partout,  d'ailleurs,  le  pontife  avait  opéré  par  la 
puissante  Compagnie  de  Jésus,  qui  sous  son  règne 
compta  plus  de  5  000  religieux,  110  maisons  et  21  pro- 
vinces. Nombreuses  sont  ses  bulles  qui  attestent  sa 
haute  estime  pour  ses  habiles  et  entreprenants  auxi- 
liaires. Il  sut  aussi  garder  à  la  Compagnie  son  caractère 
catholique,  en  empêchant  qu'elle  fît  du  généralat  un 
privilège  de  la  nation  espagnole.  Depuis  1534,  les  trois 
premiers  généraux,  Ignace  de  Loyola,  Laynez,  Fran- 
çois de  Borgia,  avaient  appartenu  à  cette  nation.  Le 
23  avril  1573,  si  la  majorité  des  Pères  profès  ne  passa 
pas  au  Père  Palanque,  originaire  de  la  Péninsule  ibé- 
rique, mais  au  Père  Mercurian  qui  fut  élu,  l'interven- 
tion de  Grégoire  XIII  y  fut  pour  quelque  chose. 
Grégoire  XIII  fit  des  jésuites  ses  pionniers.  Le  pontife 
sut  d'ailleurs  se  garder  de  tout  exclusivisme  dans  ses 
affections.  Ses  bulles  nous  le  montrent  étendant  sa 
sollicitude  à  tous  les  ordres  religieux,  notamment  aux 
franciscains  et  aux  trinitaires;  on  rappellera  avec  pro- 
fit qu'en  1575  il  approuva  l'institution  de  l'Oratoire, 
société  de  prêtres  unis  par  la  prière  pour  le  travail 
intellectuel,  sans  la  pratique  d'aucun  vœu  supplémen- 
taire. Cf.  Magnum  bullarium  romanum,  t.  n,  p.  523, 
bulle  Copiosus.  Il  leur  donnait  l'église  et  la  maison 
de  Sainte-Marie  de  la  Vallicella  à  Rome.  En  1579,  il 
rétablissait  et  réorganisait  encore  l'ordre  de  Saint- 
Basile  en  Occident.  Magnum  bullarium  romanum,  t.  il, 
p.  464,  bulle  Benedictus  Dominus. 

Toutes  ces  institutions  pouvaient  échouer  par  l'op- 
position même  des  différentes  confessions  réformées. 
Dans  de  nombreux  pays,  l'hérésie  s'était  étatisée  ou 
féodalisée.  Il  importait  au  pape,  pour  maintenir  et  con- 
quérir, de  fomenter  l'opposition  catholique  dans  les 
nations  qui,  loin  de  pratiquer  la  prophylaxie  de  l'erreur, 
l'avaient  même  intronisée;  il  devait  grouper  les  souve- 
rains amis  pour  la  croisade  de  l'orthodoxie  romaine. 
Par  cette  tactique,  la  saine  théologie  pouvait  s'im- 
planter. 

Grégoire  XIII  avait  ses  jalons.  Élu  pape  en  1572, 
avec  l'appui  du  cardinal  Granvelle,  il  eut  recours,  pen- 
dant toute  la  durée  de  son  pontificat,  à  la  sympathie 
très  affective  du  roi  d'Espagne,  Philippe  II,  qui  devait 
d'ailleurs  l'amener  à  la  Ligue  française,  dès  les  pre- 
miers moments  de  sa  fondation,  Le  pontife  qui  avait 


célébré  la  Saint-Barthélémy  comme  «  journée  très 
joyeuse  pour  la  chrétienté,  »  sut  rappeler  aux  ligueurs 
leur  but  suprême  :  pour  détruire  l'hérésie,  ils  recevaient 
l'indulgence  plénière  et  les  bénédictions  papales  (15  fé- 
vrier 1585).  C'était  détruire  leurs  scrupules  de  loya- 
lisme envers  leur  souverain  Henri  III.  Grégoire  XIII 
connaissait  aussi  les  menées  d'Elisabeth  d'Angleterre 
pour  soutenir  les  calvinistes  français.  Pour  la  réduire, 
il  sut  entretenir  des  révoltes  en  Irlande.  Ses  négocia- 
tions secrètes  avec  l'Espagne  et  les  Guise  devaient 
aboutir  un  jour  à  la  grande  expédition,  si  malheureuse 
d'ailleurs,  de  l'invincible  Armada  (1588). 

La  méthode  forte  ne  lui  fut  point  familière  au  point 
de  ne  laisser  aucune  place  à  la  puissance  persuasive. 
La  tentative  de  restauration  du  catholicisme  en  Suède 
est  là  pour  le  montrer.  Au  nom  de  Grégoire  XIII,  le 
Père  Possevin,  honoré  du  titre  d'ambassadeur  extraor- 
dinaire de  l'Empire,  pour  lui  permettre  une  entrée  plus 
facile,  partit  donc  vers  le  royaume  des  Wasa  (1577).  Le 
16  mai  1578,  Jean  III  (1568-1592),  sur  les  instances  de 
sa  femme,  la  catholique  polonaise  Catherine  Jagellon, 
abjura  secrètement  l'hérésie.  Pour  amener  ses  sujets 
à  la  religion  romaine,  il  demandait  au  pape  certaines 
conditions  :  célébration  de  la  messe  en  langue  vulgaire, 
communion  sous  les  deux  espèces,  mariage  des  prêtres, 
suppression  de  l'invocation  des  saints,  des  prières  pour 
les  morts  et  de  l'eau  bénite;  conservation  par  les 
laïques  des  biens  de  l'Église  dont  ils  s'étaient  emparés. 
La  dernière  clause  seule  fut  ratifiée  par  Grégoire  XIII. 
L'Église,  comme  toujours,  sacrifiait  ses  biens  pour 
garder  l'idée  catholique,  en  ramenant  les  âmes. 
Jean  III  revint  au  luthéranisme.  Ce  fut  une  souffrance 
pour  Grégoire  XIII;  elle  n'eut  d'égale  que  celle  à  lui 
donnée  par  la  conscience  de  l'impossibilité  où  il  fut  de 
décider  Venise  et  l'Espagne  à  une  croisade  contre  les 
Turcs.  Le  jubilé  de  1575,  en  groupant  autour  de  l'autel 
de  la  confession  plus  de  trois  cent  mille  pèlerins,  mon- 
tra au  monde  que,  dans  l'Église  catholique,  le  concile 
commençait  son  action. 

6°  Le  pouvoir  temporel.  —  Dans  toutes  ces  conquêtes, 
il  avait  fallu  des  ressources.  Grégoire  XIII  a  contribué 
à  l'affermissement  du  pouvoir  temporel  en  montrant 
pratiquement  toute  son  utilité  pour  les  réalisations 
catholiques  contre  les  ambitions  calvinistes  et  luthé- 
riennes. Dans  un  temps  de  Mécénat  artistique  et  litté- 
raire, il  resta  fidèle  ù  sa  mission  en  se  faisant  le  banquier 
de  toutes  les  entreprises  vitales  de  l'Église  romaine. 
Des  sommes  énormes  partirent  du  Vatican  pour  les 
souverains  énergiques  qui  se  firent  les  champions  de 
la  doctrine  traditionnelle.  Charles  IX  reçut  400  000  du- 
cats provenant  d'une  subvention  des  villes  de  l'État 
romain.  L'empereur  et  les  chevaliers  de  Malte  eurent 
aussi  leur  part  aux  libéralités  pontificales.  On  n'a  pas 
oublié  les  collèges  construits  par  Grégoire  XIII.  L'ap- 
pui donné  à  de  nombreux  jeunes  gens  pour  faire  leurs 
études  coûta  deux  millions  au  pape  qui  dépensa  annuel- 
lement 200  000  scudi  à  des  œuvres  pies.  Cf.  Ranke, 
op.  cit.,  t.  ii,  p.  242. 

De  ce  fait,  l'administration  publique  du  pontife  eut 
une  importance  supérieure.  Elle  est  une  preuve  de  la 
capacité  de  la  papauté  à  diriger  les  intérêts  matériels 
confiés  à  sa  charge.  Condamnant  les  emprunts,  les  alié- 
nations et  les  nouveaux  impôts,  le  pape  sut  demander 
au  patrimoine  de  saint  Pierre  les  ressources  qui  lui 
furent  nécessaires.  II  fit  acte  de  souverain.  L'industrie 
minière  et  manufacturière,  l'agriculture  donnèrent 
leur  maximum  de  rendement,  sur  les  terres  du  pontife 
qui  sut  garder  ses  monopoles  et  ses  douanes.  Bulles 
Ex  incumbenliœ,  Volentes  pro  nostra  de  1577,  Magnum 
bullarium  romanum,  t.  n,  p.  449.  Cf.  Ranke,  op.  cit.,  tu, 
p.  183-232.  Grégoire  XIII,  l'homme  de  droit,  n'avait 
pas  oublié  les  principes  enseignés  à  Bologne.  En  sup- 
primant les  privilèges  injustifiés,  il  fit  rappeler  par  le 


181! 


GRÉGOIRE     XIII       -  GRÉGOIRE    XV 


1816 


secrétaire  de  la  Chambre,  Rudolf  Bonfiglivolo,  les 
droits  de  suzeraineté  de  la  papauté.  Une  grande  partie 
des  châteaux  et  des  biens  des  barons  de  l'État  de 
l'Église  lut  dévolue  au  pape,  les  uns  par  extinction 
de  la  ligne  réellement  investie,  les  autres  par  défaut 
de  versement  du  cens  hypothéquant  les  fiefs.  Le  pape, 
sans  doute,  a  été  attaqué  par  Sixte-Quint,  son  suc- 
cesseur, pour  avoir  mangé  une  partie  des  revenus  de  son 
prédécesseur  et  de  son  successeur.  L'histoire  impartiale 
croit  à  l'excellence  des  mesures  proposées  par  Gré- 
goire XIII.  Elles  furent,  c'est  vrai,  l'occasion  d'un  bri- 
gandage éhonté  de  la  part  des  féodaux  dépossédés. 
La  vieillesse  du  pontife,  sa  trop  grande  élégance  dans  la 
répression  des  coupables  furent  les  raisons  de  son  im- 
puissance finalement  découragée.  Mais  il  faut  dire 
qu'un  rappel  à  la  hiérarchisation  territoriale  et  censi- 
taire soustrayait  la  papauté  à  la  contingence  pour  lui 
donner  la  régularité  des  revenus  et  le  prestige  respecté 
d'une  puissance  étrangère  aux  agiotages  des  aliéna- 
tions et  des  emprunts. 

Dans  ce  domaine  encore,  Grégoire  XIII  n'était  pas 
inférieur  à  lui-même.  Il  restait  le  pape  du  programme 
pesé  et  réfléchi.  Si  l'acte  aisé  et  complet  a  toujours 
attesté  chez  lui  la  maîtrise  de  son  époque  et  de  son 
milieu,  c'est  qu'au  fond  l'intelligence  et  la  piété  surent 
donner  au  pontife  la  clairvoyance  et  le  dévouement. 
Ce  pontificat  de  treize  ans  a  eu  sa  très  grande  efficacité 
pour  la  vie  théologique  de  l'Église.  Il  constitue  une 
époque  dans  la  lignée  des  règnes  féconds,  réalisateurs 
du  concile  de  Trente. 

I.  Sources.  —  Magnum  biillarium  romanuni  de  Clieru- 
bini,  Luxembourg,  1742,  t.  n,  p.  387-526,  moins  complet 
que  Cocquelines,  Bullarium  romanum,  Rome,  1 754-1 758, 1. 1  v, 
p.  1-130;  Notice  préliminaire  des  papiers  a" État  du  cardinal 
de  Granvelle,  publiée  par  Ch.  Weiss,  9  in-4°,  1844-1852  (Docu- 
ments inédits  sur  l'histoire  de  France);  Poullet  et  Piot, 
Correspondance  du  cardinal  de  Granvelle,  Bruxelles,  1878  sq.  ; 
Gachard,  Correspondance  de  Philippe  II  sur  les  affaires  des 
Pays-Bas,  Bruxelles,  1851.  Voir  la  bibliographie  de  l'article 
Baius,  t.  h,  col.  62-63. 

II.  Ouvrages.  —  Steiïano  Tucci,  Oratio  in  exequiis 
Gregorii  XIII,  Paris,  1585;  Ranke,  Histoire  de  la  papauté 
pendant  les  XVI'  et  XVIIe  siècles,  trad.  Haiber,  Paris,  1838, 
t.  il  (il  cite  de  nombreux  manuscrits  contemporains); 
Linsenman,  Michael  Baius,  Tubingue,  1867;  Ferrari,  Il 
calendario  gregoriano,  Borne,  1882;  Kaltenbrunner,  Die 
Polemik  iiber  die  Kalenderreform,  Vienne,  1877;  vicomte  de 
Meaux,  La  Réforme  et  la  politique  française  en  Europe,  Paris, 
1889;  Philippson,  Les  origines  du  catholicisme  moderne, 
Bruxelles,  1884;Crétineau-Joly,  Histoire  religieuse,  politique 
et  littéraire  de  la  Compagnie  de  Jésus,  6  vol.,  Paris,  1844- 
1851;  Tempesti,  Storia  délia  vila  e  geste  di  Sislo  V,  1754; 
Schimberg,  L'éducation  morale  dans  les  collèges  de  la  Compa- 
gnie de  Jésus  en  France  sous  l'ancien  régime  (xvi%  xvne 
et  XVIIIe  siècles),  Paris,  1913;  Maassen,  Geschichle  der  Qucllen 
und  der  Literalur  des  kanonischen  Rechts,  Gratz,  1870; 
Tardif,  Histoire  des  sources  du  droit  canonique,  Paris,  1887. 

P.    Moncelle. 

14.  GRÉGOIRE  XIV,  pape  (1591).  Nicolas  Sfon- 
drate,  de  Milan,  appelé  cardinal  de  Crémone,  fut  élu 
après  Urbain  VII  et  une  vacance  de  deux  mois  et  sept 
jours,  le  5  décembre  1590,  et  couronné  dans  la  fête  de 
la  Conception;  il  prit  le  nom  de  Grégoire  XIV.  C'était 
un  homme  pieux  et  charitable,  ennemi  de  l'hérésie;  il 
soutint  la  Ligue  de  son  influence  et  de  ses  ressources  ; 
il  donna  le  chapeau  rouge  aux  cardinaux  réguliers. 
Mais  il  mourut  au  bout  de  dix  mois  et  dix  jours  le 
15  octobre  1591.  Son  successeur  fut  Innocent  V. 

Banke,  Die  rômische  Pàpste,  6e  édit.,  t.  Il,  p.  147  sq.; 
Brosch,  Geschichle  des  Kirchenstaats,  1886,  t.  i,  p.  300  sq. 

A.    Clerval. 

15.  GRÉGOIRE  XV,  pape  (9  février  1621-8  juillet 
1023).  Né  à  Bologne  en  1554,  Alexandre  Ludovisio  était 
fils  du  comte  Pompeio.  Il  passa  sa  jeunesse  à  Rome  où 
il  fit  ses  humanités  et  sa  philosophie  au  Collège  romain, 
fondé  par  Grégoire  XIII  et  dirigé  par  les  Pères  de  la 


Compagnie  de  Jésus.  Revenu  dans  sa  ville  natale,  l'étu- 
diant s'y  adonna  à  la  science  juridique,  qu'il  sut  maî- 
triser assez  pour  être  proclamé  lauréat  de  l'université. 
Ses  talents  furent  bientôt  utilisés  par  la  Curie  romaine, 
Grégoire  XIII  le  nomma  premier  juge  au  Capitole.  Clé- 
ment VIII  en  fit  un  référendaire  de  la  Signature.  Le 
même  pape  le  créait  dans  la  suite  auditeur  de  Rote  et 
l'envoyait  à  Bénévent  en  compagnie  de  Mapheo  Barbe- 
rino,  clerc  de  la  Chambre  apostolique  et  futur  pontife 
sous  le  nom  d'Urbain  VIII.  Alexandre  Ludovisio  sut 
dans  cette  ville  apaiser  les  difficultés  entre  ministres 
pontificaux  et  royaux  napolitains.  Cette,  vie  adminis- 
trative avait  eu  d'autre  part  sa  grande  utilité  pour  lui. 
Sur  de  son  expérience,  il  pouvait  dès  lors  accepter,  des 
mains  de  Paul  V,  le  poste  important  d'archevêque  de 
Bologne.  Il  était  cardinal  en  1616.  En  1621,  Paul  V, 
frappé  d'apoplexie  pendant  la  procession  célébrée  à 
Rome  en  l'honneur  de  la  soumission  de  la  Bohême  à  la 
Montagne-Blanche,  mourait  d'une  seconde  attaque  le 
28  janvier.  Labbe  et  Cossart,  Sacrosancla  concilia. 
Paris,  1672,  t.  xv,  col.  1629-1630.  Le  Sacré-Collège  avait 
été  renouvelé  presque  en  entier  pendant  ce  pontificat 
de  seize  ans,  à  la  longueur  duquel  on  n'était  plus  fait.  Le 
neveu  du  pape,  le  cardinal  Borghèse,  tenait  dans  sa 
main  la  plupart  des  cardinaux.  Il  dirigea  leur  choix  sur 
l'archevêque  de  Bologne.  Alexandre  Ludovisio  deve- 
nait pape,  à  soixante-sept  ans,  par  acclamation,  sous  le 
nom  de  Grégoire  XV,  le  9  février  1621.  «  Le  nouveau 
pape  était  un  homme  de  petite  taille,  flegmatique,  qui 
s'était  acquis  la  réputation  d'un  négociateur  habile  et 
de  savoir  parvenir  à  son  but  sans  bruit  et  sans  éclat; 
mais  maintenant  il  était  courbé  par  l'âge,  débile  et 
malade.  »  Ranke,  Histoire  de  la  papauté  pendant  les 
xrie  et  xnie  siècles,  trad.  Haiber,  Paris,  1838,  t.  iv, 
p.  113. 

Le  pontife  eut  pourtant  une  forte  carrière.  On  crai- 
gnait qu'une  santé  éprouvée  ne  lui  permît  pas  de 
dominer  les  lourds  problèmes  dont  la  solution  s'impo- 
sait alors.  Son  neveu,  Ludovico  Ludovisio,  un  jeune 
homme  de  vingt-cinq  ans,  suppléa  largement  à  l'im- 
puissance physique  qui  aurait  pu  paralyser  cet  esprit 
lumineux  et  ferme  dans  ses  réalisations  catholiques. 
Très  brillant,  sympathique  à  ses  amis  et  à  sa  famille 
qu'il  sut  ne  pas  oublier,  bon  vivant  en  somme,  Ludovico 
sut  garder  en  vue  les  intérêts  capitaux  de  l'Église  :  «  Ses 
ennemis  même  s'accordent  à  lui  reconnaître  un  véritable 
talent  pour  la  direction  des  affaires,  un  esprit  juste  et 
droit,  trouvant  toujours  un  expédient  satisfaisant  dans 
les  complications  les  plus  difficiles,  et  qui  possédait  tout 
le  courage  tranquille  et  nécessaire  pour  prévoir  la  proba- 
bilité d'un  événement  dans  les  ténèbres  de  l'avenir,  et 
marcher  droit  sur  cet  événement.  Si  l'infirmité  de  son 
oncle,  qui  ne  promettait  pas  une  longue  durée  à  son 
pouvoir,  ne  l'avait  pas  maintenu  dans  de  justes  bornes, 
aucune  considération  n'aurait  été  capable  d'exercer  de 
l'influence  sur  lui.  »  Cf.  Ranke,  op.  cit.,  p.  114. 

L'avènement  de  Grégoire  XV  marquait  l'ère  des  con- 
quêtes; premier  pape  élève  des  jésuites,  il  devait  par 
éducation  préconiser  l'expansion  catholique.  Au  fait, 
depuis  quanrante-huit  ans  déjà,  l'Église  romaine  avait 
remis  au  point  son  arsenal  théologique.  Les  pontificats 
qui  avaient  englobé  le  dernier  tiers  du  xvic  siècle 
avaient  su  constituer  dans  le  sens  du  concile  de  Trente. 
Pie  V,  Grégoire  XIII,  Sixte-Quint,  Clément  VIII 
avaient  largement  contribué  à  la  théologie  du  De  reli- 
(jione  et  du  De  Ecclesia.  Deux  hommes  comme  Bellar- 
min  dans  la  dialectique  et  Baronius  dans  les  annales 
s'étaient  alors  faits  les  marteaux  de  l'hérésie.  Ils  démon- 
trèrent l'unité,  ia  sainteté,  l'apostolicité,  la  catholicité 
de  l'Église  romaine  dans  l'histoire.  Au  début  du 
xvne  siècle,  il  fallait  faire  de  ces  marques  des  réalités 
présentement  continuées.  La  brillante  floraison  des 
âmes  institutrices  et  réformatrices  au  lendemain  du 


1817 


GREGOIRE    XV 


1818 


concile  créa  toute  une  hagiographie.  De  1564  à  1621, 
l'unité  et  l'apostolicité  furent  jalousement  gardées  par 
la  vigilance  et  la  charité  pontificales.  Grégoire  XV 
reconquit  sur  l'hérésie,  ou  acquit  sur  le  paganisme  la 
quantité  des  fidèles  nécessaire  à  la  catholicité  de 
l'Église  romaine.  A  ces  fins,  il  était  des  plus  urgents 
de  rendre  la  papauté  indiscutable  et  de  maintenir  les 
élections  pontificales  dans  la  stricte  observance  des 
règles  établies  au  xme  siècle  par  Grégoire  X;  il  fallait 
aussi  fixer  les  points  de  discipline  encore  litigieux,  déli- 
miter dans  sa  possibilité  de  discussion  certaine  ques- 
tion de  mariologie,  insuffisamment  mûre  pour  la  défi- 
nition ex  cathedra.  Grégoire  XV  suffit  à  toutes  ces 
tâches.  C'est  avec  une  élégante  aisance  qu'il  les  maî- 
trisa. 

1°  Le  conclave  et  la  papauté. —  Dans  les  années  qui  sui- 
virent le  concile  de  Trente,  l'opinion  romaine  avait  subi 
une  détente  vis-à-vis  du  conclave  et  de  sa  nécessité.  Ce 
n'était  pas  à  une  époque  où  le  rappel  de  l'Église  à  un 
examen  motivé  de  sa  doctrine,  de  sa  morale  et  de  sa 
discipline  s'était  vu  imposé  à  elle  par  les  audaces  de 
l'hérésie  qu'il  fallait  préconiser  une  réduction  de  pru- 
dence dans  l'élection  du  souverain  pontife.  Grégoire  XV 
le  comprit.  Deux  bulles  furent  données  par  lui  à  ce 
sujet.  Elles  furent  la  confirmation  solennelle  du  con- 
clave. Le  15  novembre  1621,  la  bulle  JEterni  Palris 
restait  générale.  Celle  du  12  mars  1622,  Decet  romanum 
pontifteem,  fut  très  spéciale.  Elle  détermina  avec  une 
minutie  de  précisions  très  détaillées  le  mode  de  scrutin. 
Toute  échappatoire  était  désormais  impossible.  Tout 
était  prévu  pour  le  cérémonial,  la  dignité  et  l'accepta- 
tion de  l'élection.  Les  schémas  des  bulletins  furent 
même  présentés.  Bullarium  magnum  de  Cherubini, 
Luxembourg,  1742,  t.  m,  p.  444,  454;  Cœremoniale  con- 
tinens  rilus  electionis  romani  ponlificis,  Gregorii  pa- 
pse  XV  jussu  editum,  Rome,  1621  ;  Lavadoro,  Relazione 
délia  corte  di  Roma,  Rome,  1824.  Si  la  valeur  des  con- 
ceptions d'un  homme  se  mesure  à  la  résistance  de  se:> 
œuvres  à  l'usure  des  hommes  et  du  temps,  Grégoire  XV 
reste  le  pontife  de  la  prévoyance  expérimentée  et  aver- 
tie. Ses  ordonnances  ont  largement  contribué  au  fait  de 
la  primauté  romaine.  La  force  du  pape  dans  la  circon- 
stance est  d'avoir  constitué  un  code  électoral  qui  dure 
aujourd'hui.  Une  copie  imprimée  du  cérémonial  du  con- 
clave est  encore  remise  à  chaque  cardinal,  au  moment 
de  son  entrée  dans  l'enceinte.  Voir  Conclave,  col.  714- 
716.  En  somme,  l'élection  du  souverain  pontife  n'était 
désormais  possible  que  par  «  scrutin  secret  »  complété 
par  le  second  tour  dit  «  d'accession  »  et  à  la  majorité  des 
deux  tiers  des  votants,  par  «  compromis  »,  par  «  quasi- 
inspiration  ou  acclamation  ».  Le  serment,  à  haute  et 
intelligible  voix,  exigé  de  chaque  cardinal  au  moment 
où  il  place  son  bulletin  de  vote  dans  le  calice,  est  inté- 
ressant :  Teslor  Chrisliun  Dominum,  qui  me  judicaturus 
est,  me  eligere  quem  secundum  Deum  judico  eligi  deberc, 
et  quod  idem  in  accessu  prœslabo. 

Ces  dispositions  très  fermes,  et  pourtant  suffisam- 
ment souples  pour  éviter  la  formule  trop  rigide, 
offraient  à  Grégoire  XV  de  belles  garanties  de  succès 
dans  le  rappel  de  l'immunité  ecclésiastique  qu'il  allait 
émettre  devant  la  chrétienté.  Le  pape,  qui  avait  su 
maintenir  la  dignité  du  chef  de  l'Église,  avait  une  cer- 
taine facilité  pour  réclamer  ses  droits  et  ses  privilèges. 

2°  La  Congrégation  de  l'Immunité.  — ■  Depuis  le 
xive  siècle,  l'immunité  ecclésiastique  et  la  souverai- 
neté pontificale  étaient  attaquées  en  différents  pays 
de  l'Europe,  notamment  par  la  République  de  Venise 
et  par  les  gallicans  théologiens  ou  politiques.  Pour 
répondre  à  ces  attaques,  Grégoire  XV  ne  préconisa 
d'autre  méthode  que  la  saine  et  féconde  division  du  tra- 
vail pratiquée  depuis  la  clôture  du  concile  par  Pie  V, 
Grégoire  XIII  et  Sixte-Quint.  Des  Congrégations 
avaient  été  fondées  pour  la  création  des  compétences 


calmes,  aisées  parce  qu'expérimentées.  Pour  résoudre 
la  question  de  l'immunité,  Grégoire  XV  institua  une 
commission  spéciale  qui  prit  le  nom  de  «  Sacrée  Con- 
grégation de  l'Immunité  ecclésiastique.  »  Créée  le 
22  juin  1622  par  la  bulle  Inscrutabili  diuinœ  provi- 
dentiœ,  elle  fut  provisoirement  unie  à  la  S.  C.  du  Con- 
cile. Composée  de  sept  cardinaux  et  de  quatre  consul- 
teurs,  elle  eut  pour  mission  de  défendre  l'immunité  et 
les  privilèges  de  l'Église.  Sa  fondation  coïncidait  avec 
le  retour  à  Rome,  dans  l'entente  catholique,  de  Marc 
Antoine  de  Dominis. 

3°  Décisions  dogmatiques  et  disciplinaires  spéciales. 
—  Grégoire  XV  gardait  à  l'Église  romaine  son  carac- 
tère surnaturel  et  divin.  Le  magistère  ordinaire  de 
1621  à  1623  suivit  avec  un  soin  jaloux  les  quelques 
points  qui  demandaient  encore  une  précision.  En  1622, 
le  pontife  reconnaissait  aux  frères  prêcheurs,  par  la 
bulle  Eximii  atquc  singularis,  la  faculté  de  discuter  pri- 
vatim  l'impeccabilité  de  la  Vierge  Marie;  mais  la  con- 
grégation générale  du  24  mai  1622,  écartant  désor- 
mais la  discussion  publique  à  ce  sujet,  n'admettait  plus 
que  l'affirmative.  D'ailleurs,  Grégoire  XV  avait  déclaré 
l'immaculée  conception  dans  sa  bulle  Sanclissimus  Do- 
minus  noster,  également  de  1622.  Cf.  Bullarium  magnum 
de  Cherubini,  Luxembourg,  1742,  t.  ni,  p.  478.  Le 
25  février  1622,  une  bulle  défendit  à  tous  les  ecclésias- 
tiques et  religieux,  exempts  et  non  exempts,  de  prêcher 
et  de  confesser  sans  la  permission  et  l'approbation  de 
l'ordinaire.  La  même  année,  la  bulle  Univcrsi  dominici 
gregis  reprenait  et  accentuait  les  mesures  édictées  par 
Pie  IV  contra  sacerdoles  in  confessionibus  sacramenta- 
libus  pœnilentes  ad  turpia  sollicitantes.  Bullar.  magnum, 
t.  m,  p.  484.  La  bulle  Omnipolenlis  Dei  de  1623  visait 
les  sorciers  et  faiseurs  de  maléfices,  qui,  en  s'écartant 
de  la  foi,  ébranlaient  les  croyances  de  leurs  frères.  Bul- 
lar. magn.,t.  m,  p.  498.  En  ordonnant  la  collection  de; 
décisions  de  la  Rote,  le  pape  constituait  un  code  de 
jurisprudence,  un  véritable  arsenal  dont  la  solidité 
allait  arc-bouter  les  nombreuses  institutions  des  pon- 
tifes précédents  pour  parfaire  la  grande  œuvre  qui,  en 
réalisant  un  dogme,  restera  la  gloire  de  Grégoire  XV  : 
la  Propagande. 

4°  Politique  catholique  en  Europe.  —  En  Europe,  la 
religion  romaine  s'était  partout  relevée  dans  les  vingt 
premières  années  du  xvne  siècle.  Les  armes  avaient 
confirmé  la  parole  persuasive  du  missionnaire.  Dès  son 
élévation  au  trône  pontifical,  Grégoire  XV  prononça 
le  mot  de  l'affirmation  :  «  Nous  devons  appliquer  toutes 
nos  pensées,  dit  une  de  ses  premières  instructions,  à 
tirer  autant  d'avantages  que  possible  de  cet  heureux 
changement  et  de  la  situation  victorieuse  de  nos 
affaires.  »  Ranke,  Histoire  de  la  papauté  pendant  les 
xvi"  et  x\iie  siècles,  trad.  Haiber,  Paris,  1838,  t.  iv, 
p.  117.  Le  grand  succès  du  pape  fut  de  maintenir  la 
paix  entre  les  grandes  puissances  amies  de  sa  cause.  En 
composant  avec  adresse,  il  sut  profiter  de  l'avènement 
de  Jacques  I"  Stuart  pour  entraîner  dans  la  politique 
papale  l'Angleterre  qui,  au  cours  du  siècle  précédent, 
s'était  faite  le  champion  des  réformés. 

La  guerre  de  Trente  ans  était  commencée  depuis 
1018.  Le  8  novembre  1620,  l'électeur  palatin  Frédéric  V, 
chef  de  l'Union  évangélique  calviniste,  avait  succombe 
sous  le  nombre  à  la  Montagne-Blanche.  La  Bohème 
était  écrasée  dans  ses  prétentions  à  l'indépendance 
religieuse.  Le  Haut  et  le  Bas-Palatinat  furent  occupés 
par  les  troupes  de  la  Sainte  Ligue,  dirigée  par  Maximi- 
lien  de  Bavière.  Grégoire  XV  n'attendit  pas  pour  mul- 
tiplier les  conséquences  de  ces  victoires  catholiques.  En 
doublant  les  subsides  payés  jusqu'alors  à  l'empereur 
Ferdinand  II  et  en  lui  promettant  en  même  temps  un 
présent  de  200  000  scudi,  il  lui  demandait  de  continuel- 
le plus  promptement  possible  l'unification  religieuse  de 
ses  États  héréditaires.  La  rébellion  de  ces  pays  rendait 


iSl'l 


GRÉGOIRE    XV 


1820 


plus  nécessaire  une  juste  sévérité  et  l'emploi  de  la 
force  pour  leur  faire  abandonner  leurs  impiétés.  En 
fait,  le  nonce  Charles  Caratïa  fut  inébranlable  dans  ses 
réalisations  en  Bohème  comme  en  Moravie.  Ici  les  pré- 
dicateurs calvinistes  et  luthériens,  là  les  frères  Moraves 
furent  écartés.  Les  fidèles  eurent  le  choix  entre  le  culte 
catholique  et  l'exil.  En  Hongrie,  le  livre  de  l'archevêque 
Pazmanni,  intitulé  :  Kalauz,  avait  déjà  réalisé  une 
contre-réforme.  Cf.  Hodœgus,  Igazsagra  vezcrlo  Ka- 
lauz, Presbourg,  1613-1623.  Les  élites  créèrent  le  mou- 
vement, lin  fait,  pour  1625.  le  parti  catholique  autri- 
chien  dominait  dans  la  diète  hongroise. 

Grégoire  XV  ne  fut  pas  moins  pressant  près  de  Maxi- 
milien  de  Bavière,  le  conquérant  du  Palatinat.  Dès 
avant  la  soumission  du  pays,  il  lui  avait  fait  demander 
par  le  nonce  Montorio  à  Cologne  la  bibliothèque  d'Hei- 
delberg.  Tilly  la  préserva  du  pillage  et  ce  fut  le  docteur 
Leone  Allacci,  un  des  bibliothécaires  du  Vatican,  qui 
vint  recevoir  ces  livres  et  manuscrits  de  valeur  inap- 
préciable. Le  pape  fut  enchanté  de  cette  affaire.  11 
déclara  «  qu'elle  était  un  des  événements  les  plus  heu- 
reux de  son  pontificat,  les  plus  utiles  et  les  plus  hono- 
rables pour  le  Saint-Siège,  pour  l'Église,  les  sciences  et 
même  pour  le  nom  bavarois  qui  devait  se  réjouir  de 
voir  un  butin  aussi  précieux,  éternellement  conservé  à 
Borne,  le  centre  du  monde.  »  Banke,  op.  cit.,  t.  iv, 
p.  128.  Mais  Grégoire  XV,  dont  l'humanisme  élégant 
avait  encore  su  confier  au  Dominiquin  l'architecture 
des  palais  apostoliques  (1621),  considérait  dans  la  cir- 
constance trop  sérieusement  sa  charge  pour  la  réduire 
à  un  mécénat  littéraire  et  artistique.  La  grande  affaire 
pour  lui,  pendant  que  son  légat  Charles  Caraffa,  aidé 
des  infatigables  Pères  de  la  Compagnie  de  Jésus,  con- 
tinuait à  reconquérir  les  Allemagnes  sur  l'hérésie,  était 
de  donner  à  l'empire  le  statut  légal  qui  devait  consacrer 
l'influence  du  catholicisme  dans  sa  politique  générale. 
Ferdinand  II,  avant  son  alliance  avec  Maximilien  de 
Bavière,  lui  avait  promis  eu  cas  de  succès  l'électorat  du 
Palatinat.  Cf.  lettre  de  l'empereur  à  Balthazar  de 
Zuniga  du  15  octobre  1621,  imprimée  dans  Sattler, 
Histoire  du  Wurtemberg,  t.  vi,  p.  162.  Le  nombre  des 
voix  protestantes  était  jusqu'alors  égal  à  celui  des 
voix  catholiques  dans  la  diète  électorale.  Cette  situa- 
tion avait  empêché  que  le  parti  romain  y  obtînt  la  majo- 
rité. La  translation  une  fois  effectuée,  Cologne,  Mayence 
et  Trêves  devaient  s'unir  à  la  Bavière  pour  infirmer  les 
décisions  de  la  Saxe  et  du  Brandebourg.  Grégoire  XV 
mena  l'affaire  avec  toute  la  gravité  qu'elle  comportait. 
Les  puissances  catholiques  restèrent  unies  grâce  à  sa 
médiation. 

Il  fallait  obtenir  avant  tout  l'assentiment  de  l'Es- 
pagne. Au  fait,  la  conclusion  était  des  plus  délicates. 
Moins  rigoureux  que  Paul  V,  son  prédécesseur,  le  pape 
avait  lui-même  rapproché  l'Angleterre  de  la  péninsule 
pour  confirmer  le  mariage  du  prince  de  Galles,  fils  de 
Jacques  Ier,  avec  l'infante  d'Espagne,  fille  de  Phi- 
lippe III.  Les  vues  du  pontife  n'étaient  pas  douteuses. 
La  lettre  au  jeune  prince  Charles  est  des  plus  sugges- 
tives. Il  lui  exprime  l'espérance  «  que  la  vieille  semence 
de  piété  chrétienne  qui  avait  autrefois  enfanté  de  si 
belles  fleurs  parmi  les  rois  anglais,  germerait  à  nouveau 
en  son  cœur;  en  tout  cas,  puisqu'il  songeait  à  épouser 
une  princesse  catholique,  il  ne  pouvait  penser  à  oppri- 
mer l'Église  romaine.  »  Banke,  op.  cit.,  t.  iv,  p.  149.  Ce 
mariage  était  une  conquête.  Mais  la  translation  de  l'élec- 
torat palatin  s'y  opposait  directement.  Frédéric  V. 
le  vaincu  de  la  Montagne-Blanche,  était  le  gendre  de 
Jacques  Irr,  roi  d  Angleterre.  11  fallait  donc  pour  la 
papauté  se  résoudre  à  perdre  la  majorité  électorale  dans 
l'empire,  si  elle  voulait  obtenir  les  bonnes  grâces  de 
l'Angleterre.  L'Espagne  ne  pouvait  par  elle-même 
concilier  le  dilemme.  Peut-être  même  protesterait-elle 
contre  la  première  hypothèse,  car  les  négociations  ma- 


trimoniales étaient  déjà  largement  engagées.  En  der- 
nière analyse,  le  ménagement  de  la  péninsule  s'impo- 
sait au  plus  haut  point.  Grégoire  XV  avait  engagé  Phi- 
lippe III  à  rompre  avec  les  Pays-Bas  la  trêve  de  1609. 
La  conquête  romaine  des  Provinces-Unies,  alors  dé- 
montrée très  possible  dans  le  large  coefficient  catho- 
lique des  Néerlandais,  s'annonçait  par  la  reprise  de  la 
guerre  espagnole  contre  les  États  révoltés.  Le  frère 
I  lyacinthe,  habile  capucin  envoyé  à  la  cour  d'Espagne, 
rapporta  à  celle  de  Vienne  l'acceptation  implicite  de 
sa  Majesté  catholique.  Le  nonce  Montorio  décida  les 
trois  électeurs  ecclésiastiques  par  l'entremise  de 
Schweikard,  l'archevêque  de  Mayence,  d'abord  hos- 
tile au  projet  de  translation  par  crainte  d'une  guerre 
nouvelle  et  par  respect  des  droits  du  comte  palatin  de 
Neubourg.  Le  25  février  1623,  l'empereur  déférait  l'élec- 
torat à  Maximilien  de  Bavière,  avec  réserve,  en  cas  de 
mort,  des  droits  des  héritiers  et  agnats  du  Palatinat. 
Le  prince  bavarois  sut  à  qui  il  devait  son  merci  :  «  Votre 
Sainteté,  écrivait-il  au  pape,  a  non  seulement  favorisé 
la  réussite  de  cette  affaire,  mais  elle  l'a  directement 
effectuée  par  ses  exhortations,  son  autorité,  l'activité 
de  ses  démarches;  elle  doit  être  attribuée  entièrement 
à  la  faveur  et  à  la  vigilance  de  votre  Sainteté.  »  «  Ta 
lettre,  ô  mon  fils,  lui  répondit  Grégoire  XV,  a  rempli 
notre  cœur  d'un  torrent  de  délices  semblables  à  une 
manne  céleste;  la  fille  de  Sion  peut  enfin  secouer  de  sa 
tète  les  cendres  de  deuil  et  se  revêtir  d'habits  de  fête.  » 
Banke,  op.  cit.,  t.  iv,  p.  134. 

Le  pape  avait  encore  su  faire  taire,  pour  le  moment 
au  moins,  le  vieil  antagonisme  franco-autrichien.  Dans 
son  œuvre  de  restauration  romaine,  sa  première  force 
était  dans  l'union  des  puissances  catholiques.  La 
France  devait  au  ministère  De  Luynes  une  ère  d'affir- 
mation anticalviniste.  Dans  la  plupart  des  provinces, 
dans  toutes  les  classes,  le  pape  avait  le  plaisir  d'enre- 
gistrer des  retours  sensationnels  à  la  vérité.  Le  20  oc- 
tobre 1622,  il  avait  tenu  à  reconnaître  cette  heureuse 
cfflorescence  en  érigeant  en  métropole  l'évêché  de 
Paris.  L'Espagne  et  l'Autriche  avaient  vu  dans  la 
révolte  de  la  vallée  de  la  Haute-Adda  l'occasion  d'y 
ménager  le  territoire  de  jonction  de  la  branche  aînée 
et  de  la  branche  cadette  des  Habsbourg  pour  leurs 
efiorts  catholiques  et  impérialistes.  La  Savoie  et  Venise, 
gênées  par  un  voisinage  à  tout  le  moins  inopportun, 
en  avaient  référé  à  Louis  XIII,  qui  dès  1622  décidait 
une  action  commune  pour  enlever  à  la  maison  d'Au- 
triche les  places  et  les  défilés  des  Grisons.  Grégoire  XV 
comprit  la  situation.  Il  empêcha  les  hostilités.  Son 
prestige  fut  assez  fort  pour  amener  Louis  XIII  et 
l'empereur  à  lui  demander  l'arbitrage.  La  Valteline 
fut  occupée  par  les  troupes  papales.  Un  projet  d'in- 
dépendance fut  élaboré  pour  elle.  Grégoire  XV  y  main- 
tenait pourtant  le  droit  de  passage  pour  les  Espagnols. 
Le  pape  pouvait  dès  lors  se  féliciter;  toute  l'Europe 
avait  accepté  son  pouvoir,  à  tout  le  moins  son  contact. 
En  fait  l'Église  romaine,  pour  1623,  dominait  l'hérésie. 

Les  Indes  occidentales  et  orientales,  la  Chine,  le 
Japon,  l'Abyssinie,  depuis  un  demi-siècle  déjà  avaient 
entendu  la  parole  évangélique  de  la  bouche  des  domi- 
nicains, des  franciscains  et  des  jésuites.  Grégoire  XV 
eut  à  s'occuper  spécialement  du  pays  des  Bramines 
(Hindoustan).  Depuis  1606,  le  Père  Nobili  était  à 
Madaura.  Frappé  du  peu  de  progrès  fait  par  le  christia- 
nisme dans  une  région  occupée  depuis  longtemps  par 
les  Portugais,  il  avait  conclu  que  le  Christ  y  était 
regardé  comme  le  Dieu  des  parias.  Bompant  avec  la 
tactique  de  ses  prédécesseurs,  le  Père  Nobili,  dès  son 
arrivée,  se  dit  appartenir  à  la  plus  haute  noblesse;  il 
entra  en  relation  intime  avec  les  Bramines,  en  adopta 
les  manières,  le  vêtement,  les  pratiques  religieuses, 
changeant  seulement  la  signification  de  ces  usages. 
Dans  les  églises,  il  sépara  les  classes  les  unes  des  autres. 


1821 


GRÉGOIRE   XV—  GRÉGOIRE    XVI 


1822 


Enfin,  les  expressions,  par  lesquelles  on  avait  jus- 
qu'alors désigné  les  doctrines  chrétiennes,  furent  rem- 
placées par  des  tournures  plus  élégantes  et  plus  relevées 
sous  le  rapport  littéraire.  Malgré  des  protestations  très 
compréhensibles  d'ailleurs,  Grégoire  XV  constata  les 
nombreuses  conversions  opérées  par  la  méthode  du 
missionnaire.  En  1621,  il  l'approuva  pleinement. 
D'ailleurs,  la  largeur  des  vues,  l'intelligence  des  situa- 
tions difficiles  n'exclurent  jamais  chez  lui  la  plus  grande 
prudence.  Les  précautions  minutieuses  qu'il  prit  pour 
donner  à  l'Abyssinie  un  patriarche  le  montrent  bien. 
'  Ce  n'est  que  devant  un  dévouement  sans  bornes  de 
l'empereur  Socinios  que  le  pape  nomma,  le  19  décembre 
1G22,  patriarche  d'Ethiopie,  le  docteur  Alfonso  Mendez. 
membre  de  la  Société  de  Jésus. 

5°  La  Congrégation  de  la  Propagande.  —  Elle  fut 
instituée,  en  1622,  sur  les  conseils  du  célèbre  et  pieux 
prédicateur  Girolamo  da  Narni,  dont  Bellarmin  venant 
d'écouter  un  des  sermons  a  fait  cet  éloge  :  «  Je  crois  que 
des  trois  souhaits  de  saint  Augustin,  il  m'en  a  été  ac- 
cordé un,  celui  d'entendre  saint  Paul.  »  Rankc,  op.  cit., 
t.  iv,  p.  116.  Trois  bulles  pontificales  Inscrulabili  divinse 
providentiee,  Romanum  deect  pontifteem,  Cnm  inler  mul- 
tipliées, Magnum  bullarium  de  Cherubini,  t.  m,  p.  472- 
475,  furent  données  par  Grégoire  XV.  Ses  prédéces- 
seurs, Grégoire  XIII  et  Clément  VIII,  avaient  préparé 
cette  commission,  en  lui  donnant  comme  champ  d'ac- 
tion des  missions  parmi  les  grecs  d'Orient.  Il  en  faisait 
une  Congrégation  régulière,  en  lui  assignant  de  concert 
avec  son  neveu  les  premiers  fonds  nécessaires.  Com- 
posée de  vingt-neuf  cardinaux  avec  deux  d'entre  eux, 
l'un  comme  préfet,  l'autre  comme  préfet  de  l'économie, 
chargée  de  la  propagation  de  la  foi  dans  le  monde  en- 
tier, elle  exerçait  une  autorité  administrative,  judi- 
ciaire, coercitive,  voire  même  législative  avec  le  con- 
cours papal,  dans  les  pays  où  la  hiérarchie  ecclésias- 
tique ordinaire  était  encore  à  établir  ou  à  rétablir. 
Seule  compétente  en  pays  de  missions,  la  Propagande 
y  tenait  heu  de  toutes  les  autres,  la  Pénitencerie  non 
comprise.  Elle  devait  recueillir  pour  les  missions  loin- 
taines les  libéralités  des  chrétiens  charitables  et  zélés. 
Voir  Congrégations  romaines,  col.  1113.  La  Propa- 
gande prospéra  dès  ses  premiers  débuts  d'une  façon 
très  brillante.  Son  «  collège  »  devenu  le  collège  urbain, 
quand  le  pape  Urbain  VIII,  en  1627,  lui  eut  fait  con- 
struire ses  magnifiques  bâtiments,  fut  une  pépinière 
d'apôtres  où  furent  formés  à  la  piété  et  à  la  science  des 
jeunes  gens  de  tous  les  pays.  Son  imprimerie  poly- 
glotte, en  reproduisant  dans  une  foule  de  langues  l'Écri- 
ture sainte,  les  livres  liturgiques  et  autres,  a  rendu  d'im- 
menses services  à  la  philologie  générale. 

6°  Canonisations  et  ré/ormes.  —  Cf.  Bullarium  de 
Cocquelines,  t.  v,  p.  131-137,  sainte  Thérèse  (1622), 
bulle  Omnipolens  sermo  Dci,  dans  Bullarium  magnum, 
t.  m,  p.  465,  saint  Philippe  de  Néri,  saint  Pierre  d'Al- 
cantara,  bulle  In  sede  principio,  dans  Bullarium  ma- 
gnum, t.  m,  p.  470.  Grégoire  XV  établit  la  fête  de 
saint  Joachim  (1622).  Bulle  Aposlolalus  officium,  ibid., 
t.  m,  p.  492. 

Le  8  juillet  1623,  Grégoire  XV  mourait  après  un 
pontificat  de  deux  années  et  demie. 

I.  Sources.  —  Bullarium  magnum  de  Cherubini,  Luxem- 
bourg, 1742,  t.  m,  p.  418-517;  Bullarium  de  Cocquelines, 
t.  v,  p.  110-225.  Les  manuscrits  concernant  Grégoire  XV 
sont  mentionnés  par  Ranke,  op.  cit.,  t.  iv,  p.  529-580. 

II.  Ouvrages.  —  Ranke,  Histoire  de  la  papauté  pendant 
les  XVI*  et  XYW  s tècles,  trad.  Haiber,  Paris,  1838,  t.  iv, 
p.  77-177;  Fernandès  (Bento),  Oralio  funebris  Gregorii  XV, 
Lisbonne,  1623-1624;  Philippson,  Les  origines  du  catho- 
licisme moderne,  Bruxelles,  1884;  vicomte  de  Meaux,  La 
Réforme  et  la  politique  française  en  Europe,  Paris,  1889; 
Bonacina,  Tractatus  de  légitima  summi  ponlilicis  electione 
juxtaïsummorum  pontiflcum,  prxsertim  Gregorii  XV  et 
Urbani  VIII  conslituliones,  et  de  censuris  occasione  ipsius 


electionis  a  summis  ponlificibus  ad  liane  usque  diem  impo- 
sais, in-fol„  Lyon,  1637;  Venise,  1638;  Passerini,  De  ele- 
ctione canonica,  in-fol.,  Rome,  1661-1693;  Camarda,  Consti- 
tutionum  aposlolicarum  una  cum  cxremoniale  Gregoriano 
de  pertinentibus  ad  lectionem  papœ  synopsis  accurata  et 
plena,  neenon  elucidatio  omnium  fere  difficultalum  qux 
euenire  possunl  circa  pertinenlia  ad  eleclionem  romani  pon- 
tificis,  in-fol.,  Rieti,  1732-1737;  Lucius  Lector,  Le  conclave, 
in-8»,  Paris,  1894;  L'élection  papale,  Paris,  1896;  Chrono- 
logie des  papes  et  des  élections  pontificales,  Paris,  1897; 
J.  Crétineau  Joly,  Histoire  religieuse,  politique  et  littéraire 
de  la  Compagnie  de  Jésus,  6  vol.,  Paris,  1844-1851  ;  Hough, 
Hist.  of  christianilg  in  India,  Londres,  1839;  O.  Meyer,  Die 
Propaganda,  2  in-8°,  Gcettingue,  1853;  Blumhardt,  Ver- 
such  einer  Allgemein-Missions-  Geschichte  der  Kirchc  Chrisli, 
5  vol.,  Bâle,  1828-1833  (inachevé);  \V.  Brown,  History  of  the 
Propagation  of  christianitij...  since  the  Reformation,  2°  édit., 
3  vol.,  Edimbourg,  1854;  Hahn,  Geschichte  der  kathol. 
Missionen,  5  vol.,  Cologne,  1857-1865. 

P.    Mon  celle, 

16.  GRÉGOIRE  XVI,  pape  (1831-1846).  —  I.  Avant 
son  pontificat.  IL  Pendant  son  pontificat. 

I.  Avant  son  pontificat.  —  Barthélémy  Albert 
Capellari,  qui  devait  être  pape  sous  le  nom  de  Gré- 
goire XVI,  naquit  à  Bellune  (Vénétie)  le  18  septem- 
bre 1765.  A  l'âge  de  dix-huit  ans,  il  entre  dans  l'ordre 
des  camaldules  au  couvent  de  Saint-Michel  de  Murano 
et  prend  le  nom  de  Maur.  Il  fait  profession  en  1786, 
reçoit  la  prêtrise  en  1787  et  se  fait  bientôt  remarquer 
par  ses  qualités  intellectuelles  et  ses  dispositions  mo- 
rales. En  1795,  il  est  désigné  pour  accompagner  à 
Rome  le  procureur  général  de  l'ordre.  C'est  des  pre- 
mières années  de  son  séjour  en  la  Ville  éternelle  que 
date  l'ouvrage  qui  porte  ce  titre,  si  singulièrement 
paradoxal  à  l'époque  où  il  fut  composé  :  Il  trionjo 
délia  Santa  Sede  e  délia  Chiesa  contra  gli  assaili  dm 
nouatori,  eombatluti  e  respinli  colle  slesse  loro  armi, 
Rome,  1799;  3e  édit.,  Venise,  1832;  trad.  allemande, 
Augsbourg,  1838,  1848.  Dédié  à  Pie  VI  persécuté  et 
prisonnier,  ce  livre  était  une  affirmation  tranchante 
des  doctrines  ultramontaines,  que  l'on  opposait  aux 
maximes  gallicanes,  un  cri  d'espérance  dans  le  triomphe 
prochain  et  définitif  de  l'Église.  «  Les  catholiques,  disait 
la  préface,  ne  doivent-ils  pas  apprendre  par  les  faits, 
selon  l'expression  de  Chrysostome,  qu'il  est  plus  facile 
d'éteindre  le  soleil  que  de  détruire  l'Église  ?  » 

Cette  publication  mit  en  vue  le  jeune  camaldule;  en 
1800,  il  était  nommé  vicaire  abbatial  du  monastère  de 
Saint-Grégoire  sur  le  Cœlius,  et  en  1805  Pie  VII  con- 
firmait, sa  nomination  d'abbé  de  ce  même  monastère. 
En  1807,  Maur  Capellari  devenait  procureur  général  de 
son  ordre.  Il  n'exerça  pas  longtemps  ces  fonctions; 
contraint  de  quitter  Rome  comme  tous  les  ecclésias- 
tiques étrangers  aux  États  romains,  après  l'enlèvement 
de  Pie  VII,  il  dut  se  retirer  à  Murano,  puis  à  Padoue,  et 
ne  rentra  dans  son  couvent  du  Cœlius  qu'en  1814. 
Pie  VII  le  nomma  successivement  examinateur  des 
évoques,  consultent'  du  Saint-Office  et  de  plusieurs  autres 
Congrégations,  lui  offrit  l'évèché  de  Zante,  dans  les  îles 
Ioniennes,  puis  celui  de  Tivoli  que  Capellari  refusa 
l'un  et  l'autre.  Il  était  réservé  à  de  plus  hautes  dignités  ; 
Léon  XII  en  1825  le  désigne  in  petto  comme  cardinal, 
et  le  proclame  au  consistoire  du  13  mars  1826.  Préfet 
de  la  Propagande,  le  cardinal  Capellari  donne  aux 
missions  catholiques,  bien  abandonnées  depuis  la  fin 
du  xviiic  siècle,  une  nouvelle  impulsion;  il  négocie  avec 
le  sultan  la  nomination  d'un  métropolitain  arménien 
catholique,  mettant  ainsi  fin  à  une  situation  très  dou- 
loureuse pour  les  arméniens  unis.  Membre  de  la  Congré- 
gation des  affaires  ecclésiastiques  extraordinaires,  il 
eut  à  négocier  le  concordat  avec  les  Pays-Bas  (1827). 
Enfin  il  eut  une  part  importante  dans  la  rédaction  du 
bref  de  Pie  VIII  aux  évèques  rhénans  sur  les  mariages 
mixtes. 

Pie  VIII  étant  mort  après  un  pontificat  de  quelque:» 


182:; 


GRÉGOIRE    XVI 


1824 


mois,  le  conclave  s'ouvrit  le  14  décembre  1830.  Le  cardi- 
nal Giustiniani,  ancien  nonce  à  Madrid,  allait  triompher 
quand  l'Espagne  signifia  l'exclusive  contre  lui;  Gius- 
tiniani se  mit  alors  à  la  tète  du  parti  des  zelanli,  y  rallia 
l  nalement  Albani,  chef  de  la  faction  opposée,  et  le 
conclave  élisait  Je  2  février  1831  le  cardinal  Capellari, 
qui  déclara  prendre  le  nom  de  Grégoire  XVI  en  sou- 
venir de  Grégoire  XV,  fondateur  de  la  Propagande  dont 
Capellari  avait  été  préfet. 

Cardinal,  Maur  Capellari  était  resté  religieux  dans 
la  force  du  terme,  très  austère,  très  observateur  de  la 
règle  de  son  ordre,  intransigeant  pour  lui-même  et 
pour  les  autres.  Plein  de  droiture,  mais  avec  assez  peu 
d'ouverture  d'esprit,  pas  du  tout  d'expérience  et  une 
profonde  défiance  pour  toutes  les  idées  nouvelles,  il 
portera  sur  le  trône  de  saint  Pierre  ces  mêmes  dispo- 
sitions d'esprit  qui  resteront  caractéristiques  de  son 
pontificat.  Les  difficultés  de  tout  genre  ne  devaient  pas 
lui  manquer. 

If.  Pendant  son  pontificat.  —  1°  Gouvernement 
des  Étals  pontificaux.  --  Depuis  que  le  congrès  de 
Vienne  avait  rétabli  le  pouvoir  temporel  du  Saint-Siège, 
les  embarras  ne  faisaient  que  croître  dans  les  États  de 
l'Église;  sous  la  pression  des  sociétés  secrètes,  de  nom- 
breuses émeutes  avaient  éclaté,  d'ailleurs  sévèrement 
répriméss  par  le  gouvernement.  Les  réformes  accomplies 
par  Léon  XII  dans  l'administration,  la  justice  et  les 
finances  avaient  été  insuffisantes  à  calmer  le  mécon- 
tentement profond  des  sujets  du  pape  surtout  dans 
la  partie  nord  du .  territoire  (Légations,  Romagnes, 
Marches).  La  révolution  française  de  juillet  1830  fut 
le  signal  dans  toute  l'Europe  d'une  vive  agitation,  les 
Etats  pontificaux  ne  pouvaient  pas  échapper  au 
contre-coup  que  cet  événement  produisait  partout. 

Le  6  février  1831,  au  moment  où  Grégoire  XVI 
sortait  de  la  cérémonie  où  lui  avaient  été  conférées  la 
consécration  épiscopaleet  la  tiare  pontificale,  il  appre- 
nait que  deux  jours  auparavant  Bologne  s'était  soulevée, 
avait  emprisonné  le  légat,  proclamé  la  déchéance  du 
pape  comme  souverain  temporel  et  formé  un  gouver- 
nement provisoire.  De  Bologne  le  mouvement  s'étendit 
très  vite  aux  villes  de  la  Romagne  et  aux  Marches;  un 
vieux  colonel  des  guerres  impériales  s'empara  d'Ancône 
et  se  prépara  à  marcher  sur  Rome.  En  une  semaine  les 
deux  tiers  des  États  pontificaux  étaient  en  pleine 
révolution;  le  cardinal  Benvenuti,  envoyé  comme  légat 
avec  des  pouvoirs  extraordinaires  pour  ramener  l'ordre 
dans  les  provinces  insurgées,  est  fait  prisonnier,  conduit 
à  Bologne,  puis  à  Ancône;  des  troubles  se  préparent  à 
Rome  même. 

Le  cardinal  Berne tti.  nommé  secrétaire  d'État,  était 
décidé  à  user  de  la  manière  forte  pour  réprimer  l'insur- 
rection, mais  en  même  temps  il  aurait  voulu  que  l'État 
pontifical  se  tirât  d'affaire  lui-même,  sans  faire  appel  à 
l'intervention  étrangère.  Il  fallut  bien  cependant  y 
recourir;  incapable  de  résister  par  ses  seules  forces, 
Grégoire  XVI  écrivit  à  l'empereur  d'Autriche  Fran- 
çois II  pour  lui  demander  secours.  L'Autriche  saisit 
avec  empressement  cette  occasion  qui  lui  permettait 
d'intervenir  plus  profondément  encore  dans  les  affaires 
de  fa  péninsule.  Le  25  février,  une  forte  armée  autri- 
chienne s'avance  sur  Bologne,  d'où  le  gouvernement 
provisoire  s'enfuit,  pour  se  réfugier  à  Ancône.  Pour- 
suivis par  les  Autrichiens,  les  révoltés  enfermés  dans 
cette  place  signent  avec  le  cardinal  Benvenuti,  leur 
prisonnier,  une  capitulation  accordant  une  amnistie 
générale.  Le  29  mars,  l'armée  autrichienne  entrait 
dans  Ancône,  et  le  5  avril  Grégoire  XVI  cassait  la  con- 
vention  extorquée  à  son  légal  et  prenait  des  mesures 
énergiques  de  répression. 

Cette  intervention  autrichienne  fournissait  aux 
grandes  puissances  l'occasion  <le  s'occuper  des  affaires 
pontificales;  elles  n'y  manquèrent  pas,  et  les  représen- 


tants de  l'Angleterre,  de  l'Autriche,  de  la  France,  de  la 
Prusse  et  de  la  Russie  se  mirent  d'accord  pour  signaler 
au  pape,  dans  un  Mémorandum  du  21  mars  1831,  les 
principales  réformes  de  nature  à  supprimer,  on  l'espé- 
rait du  moins,  les  plus  graves  sujets  de  mécontente- 
ment dans  les  États  de  l'Église.  On  indiquait  au  pape, 
comme  mesures  à  prendre  à  bref  délai  :  la  participation 
des  laïques  à  l'administration  et  à  la  justice,  jusque 
là  exclusivement  réservées  aux  ecclésiastiques,  l'éta- 
blissement d'une  représentation  municipale  élue,  de 
conseils  provinciaux  assistant  le  gouverneur,  enfin  d'une 
assemblée  des  notables  ayant  surtout  des  attributions 
financières.  Un  édit  du  5  juillet  1831  s'efforça  de  réaliser 
un  certain  nombre  de  ces  desidemla;  en  même  temps 
Bernetti  négociait  avec  l'Autriche  l'évacuation  com- 
plète du  territoire  pontifical,  après  avoir  obtenu  des 
puissances  qu'elles  garantiraient  la  tranquillité  de 
l'État  romain. 

L'évacuation  autrichienne  était  à  peine  terminée, 
que  les  Romagnols,  ne  se  sentant  plus  contenus  par  la 
force,  commencèrent  à  réclamer  l'application  immé- 
diate des  réformes  promises.  Bientôt  des  gardes  civiques 
s'organisent  dans  les  différentes   villes   et   entrent  en 
conflit   avec   les   troupes    suisses    envoyées   pour   les 
désarmer  (janvier  1832).  II  fallut  rappeler  les  Autri- 
chiens, qui  eurent  tôt  fait  de  rétablir  l'ordre  dans  les 
Légations  et  se  préparèrent  à  occuper  les  Marches.  Mais 
le  gouvernement  français,  irrité  de  cette  mainmise  de 
l'Autriche  sur  la  péninsule,  se  décida  brusquement  à 
faire  occuper  Ancône  (23  février  1832).  Les  débuts  de 
l'occupation  n'eurent  rien  d'amical,  et  il  fallut  quelque 
temps  à  l'ambassadeur  français  pour  la  faire  accepter 
par  le  gouvernement  pontifical.  A  toutes  les  observa- 
tions, la  France  déclara  qu'elle  resterait  à  Ancône,  tant 
que  les  troupes  autrichiennes  n'auraient  pas  évacué  le 
territoire  du  Saint-Siège. La  double  occupation  française 
et  autrichienne  ne  prit  fin  que  dans  les  derniers  jours 
de  1838;  dans  l'intervalle,  en  1836,  Grégoire  XVI  avait 
dû  sacrifier  Bernetti,  son  secrétaire  d'État,  aux   ran- 
cunes de  l'Autriche  et  l'avait  remplacé  par  Lambru- 
schini,  plus  réactionnaire  encore  que  son  prédécesseur. 
En  retirant  leurs  troupes,  les  deux  puissances  catho- 
liques   avaient    de    nouveau    demandé    au    pape    les 
réformes  et  les  améliorations,  nécessaires  à  leur  avis 
pour  le  maintien  de  l'ordre  dans  l'État  pontifical.  Mais 
rien  ne  se  lit  :  les  réformes  réclamées  par  le  Mémoran- 
dum de  1831  ne  furent  jamais  sérieusement  entreprises. 
Grégoire  XV  f   et   ses  ministres  se  défiaient  trop  des 
innovations  mises  à  la  mode  parle  libéralisme  politique; 
l'Autriche,  d'autre  part,  empêchait  de  tout  son  pouvoir 
des  réformes  qu'elle  ne  voulait  pas  appliquer  elle-même 
dans  ses  possessions  italiennes.  Bref,  malgré  un  certain 
nombre  de  mesures  de  bonne  administration  prises  par 
le  pouvoir  central,  mais  mal  appliquées  par  ses  repré- 
sentants lointains,  le  mécontentement  ne  fit  que  grandir 
dans  la  partie  septentrionale  des  États  de  l'Église.  Vers 
la  fin  de  septembre  1845  de  nouveaux  troubles  écla- 
tèrent dans  les  Romagnes  ;  la  sédition  fut  si  générale  et  si 
vive  que  le  courrier  qui  en  apportait  la  nouvelle  à  Rome 
fut  obligé  de  faire  un  long  détour  pour  y  arriver.  La 
répression  fut  sévère;  mais  la  force  soutenait  seule 
l'édifice    chancelant    de    la    souveraineté   temporelle. 
Sans  les  régiments  suisses,  le  gouvernement  pontifical 
aurait  été  culbuté  en  un  clin  d'œil  ;  mais  l'entretien  de 
ces  régiments  était  une  charge  énorme  pour  le  trésor 
pontificat.    La   situation    financière   était   loin   d'être 
brillante  et  les  deux  emprunts  que  le  gouvernement 
pontifical  fut  obligé  de  contracter  auprès  de  la  maison 
Rothschild  à  des  conditions  usuraires  ne  remédièrent 
point  à   la  situation   obérée  du  trésor.  Bref,  quand 
Grégoire  XVI  mourut,  il  laissait  à  son  successeur  une 
position  singulièrement  difficile. 

Les  événements  politiques  que  nous  venons  de  rap- 


1825 


GREGOIRE  XVI 


1826 


peler  sont  importants  à  signaler.  Ils  expliquent  en  partie 
l'attitude  du  pape  et  de  ses  conseillers  devant  les  divers 
mouvements  d'idées  plus  ou  moins  apparentés  au  libé- 
ralisme révolutionnaire. 

2°  Rapports  avec  les  puissances.  —  Grégoire  XVI  ren- 
contra des  difficultés  non  moins  graves  dans  ses  rela- 
tions avec  les  divers  gouvernements.  La  période  de 
1815  à  1830  avait  été  une  période  de  bonne  harmonie 
entre  le  Saint-Siège  et  les  principales  puissances.  Le 
contre-coup  de  la  révolution  de  Juillet  va  amener 
dans  plusieurs  États  des  troubles  civils  où  l'Église  sera 
plus  ou  moins  endommagée,  et  dans  d'autres  une 
réaction  absolutiste  non  moins  défavorable  au  catho- 
licisme. 

1.  Avec  le  Portugal.  —  C'est  en  Portugal  que  com- 
mencèrent les  difficultés.  La  guerre  civile  vient  d'éclater 
entre  dom  Pedro,  qui  se  présente  comme  le  porte- 
drapeau  des  idées  libérales,  et  dom  Miguel,  proclamé 
roi  par  le  parti  absolutiste  et  soutenu  par  le  clergé. 
Grégoire  XVI  s'était  efforcé  de  garder  la  neutralité 
la  plus  stricte.  Ayant  eu  à  régler  avec  dom  Miguel  des 
affaires  de  nominations  épiscopales,  il  avait  solennel- 
lement déclaré  par  la  bulle  Sollicitudo  ccclesiarum 
(5  août  1831)  que,  «  conformément  à  l'attitude  de  ses 
prédécesseurs,  il  entendait  bien  ne  point  porter  un 
jugement  sur  les  droits  des  personnes,  au  cas  où  plu- 
sieurs prétendants  se  disputent  le  pouvoir,  par  le  fait 
qu'il  entrait  en  rapport  d'affaires  pour  les  Églises  d'une 
contrée,  avec  ceux  qui  y  sont  de  fait  en  possession  de 
pouvoir.  »  Mais  quand  dom  Pedro  eut  définitivement 
vaincu  son  compétiteur  (1833),  il  fit  payer  cher  au 
clergé  portugais  l'appui  qu'il  avait  prêté  à  dom  Miguel. 
Il  commença  par  ordonner  au  nonce  pontifical  de 
quitter  Lisbonne  dans  les  trois  jours,  supprima  la  non- 
ciature elle-même  et  établit  une  commission  chargée 
de  prendre  des  mesures  pour  la  réforme  générale  du 
clergé.  La  commission  décréta  la  suppression  d'un 
grand  nombre  de  couvents,  la  confiscation  de  leurs 
biens,  et  le  transfert  à  l'État  de  tous  les  anciens  droits 
de  patronage;  en  même  temps  était  proclamée  la 
vacance  des  évêchés  pourvus  par  le  Saint-Siège  d'accord 
avec  l'ancien  gouvernement.  Dans  une  allocution  con- 
sistorialc  du  30  septembre  1833,  Grégoire  XVI  protesta 
contre  ces  divers  attentats  aux  droits  de  l'Église, 
déclara  tous  ces  décrets  nuls  et  de  nul  effet,  mais  ces 
protestations  n'arrêtèrent  pas  dom  Pedro,  et  le  pape 
éleva  de  nouveau  la  voix  au  consistoire  du  1er  août 
1834,  menaçant  les  coupables  des  peines  prévues  par 
les  canons  s'ils  ne  se  hâtaient  de  venir  à  résipiscence. 
Dom  Pedro  mourut  le  24  septembre  suivant,  et  la 
reine  doua  Maria  da  Gloria,  sa  fille,  continua  pendant 
quelque  temps  sa  politique.  Toutefois  on  constata 
vers  1840  une  détente  dans  les  rapports  entre  le 
Portugal  et  le  Saint-Siège;  la  reine  finit  par  reconnaître 
les  évêques  nommés  par  dom  Miguel  et  à  lever  la 
défense  de  recourir  à  Rome  pour  obtenir  les  dispenses. 
Les  relations  diplomatiques  furent  reprises,  et  en  1842 
le  pape  envoyait  à  la  reine  la  rose  d'or. 

2.  Avec  l'Espagne.  —  Les  choses  se  passèrent  sensi- 
blement de  même  en  Espagne.  La  mort  de  Ferdi- 
nand VII  (1833)  fut  le  signal  de  la  guerre  civile  entre 
les  partisans  de  don  Carlos,  frère  du  roi  défunt,  et  ceux 
delà  régente  Marie-Christine  gouvernant  au  nom  de  sa 
fille  Isabelle.  Don  Carlos  ayant  eu  l'appui  des  conserva- 
teurs et  du  parti  religieux,  Marie-Christine  se  tourna 
vers  les  libéraux.  Vainqueurs,  ces  derniers  usèrent  de 
représailles  à  l'égard  de  l'Église.  Dès  1835,  un  décret 
royal  supprimait  tous  les  couvents,  à  l'exception  de 
quelques  congrégations  enseignantes  ou  vouées  aux 
missions,  et  mettait  leurs  biens  à  la  disposition  de 
l'État;  puis  le  clergé  séculier  était  lui-même  attaqué. 
Grégoire  XVI  ordonna  au  nonce  apostolique  de  quitter 
Madrid,  et  protesta  dans  l'allocution  consisloriale  du 

DU   f.    DE   THÉOL.  CATHOL. 


1er  février  1836  contre  les  lois  espagnoles  qu'ildéclara 
nulles  et  de  nul  effet;  les  relations  diplomatiques 
furent  rompues.  Les  Cortès  modérées  de  1839  ayant 
rapporté,  du  moins  en  partie,  les  mesures  précédem- 
ment prises,  des  négociations  furent  renouées  avec  le 
Saint-Siège  pour  la  provision  des  nombreux  évêchés 
vacants  en  Espagne.  Mais  l'arrivée  au  pouvoir  d'Espar- 
tero,  qui  prit  la  régence  en  1840,  compromit  de  nou- 
veau ces  résultats.  Définitivement  vainqueur  des  car- 
listes, Espartero  aggrava  toutes  les  mesures  prises 
durant  la  guerre  civile  et  fit  conduire  à  la  frontière  le 
représentant  du  Saint-Siège.  Dans  l'allocution  consis- 
toriale  du  1er  mars  1841,  Grégoire  XVI  protesta  avec 
véhémence  contre  ces  divers  attentats,  et  rappela 
soit  au  gouvernement  espagnol,  soit  aux  prêtres  qui 
avaient  osé  entrer  dans  ses  vues  et  prendre  en  main 
l'administration  des  diocèses  vacants,  toutes  les  cen- 
sures qu'ils  avaient  encourues.  La  chute  d'Espartero 
(1843)  amena  une  détente  dans  les  relations  de  l'Espa- 
gne avec  le  Saint-Siège.  Proclamée  majeure  en  1843, 
Isabelle  II  confia  le  gouvernement  à  un  ministère 
conservateur,  les  relations  avec  le  Saint-Siège  s'amé- 
liorèrent, les  évêques  et  les  prêtres  exilés  purent 
rentrer.  En  1845,  un  ministre  plénipotentiaire  fut 
envoyé  à  Rome  pour  conclure  un  concordat,  que 
signera  Pic  IX. 

3.  Avec  la  Suisse.  —  La  révolution  de  1830  avait 
provoqué  en  Suisse  une  agitation  non  moins  vive.  Aux 
conservateurs  qui  avaient  gouverné  de  1815  à  1830 
succédaient,  dans  beaucoup  de  cantons,  les  radicaux 
les  plus  avancés,  qui  signalèrent  leur  arrivée  au  pou- 
voir par  des  mesures  oppressives  pour  les  catholiques. 
Le  20  janvier  1834,  les  délégués  des  principaux  cantons, 
réunis  à  Baden,  rédigèrent  quatorze  articles,  inspirés 
des  articles  organiques  français,  mais  qui  exagéraient 
davantage  encore  la  mainmise  du  pouvoir  civil  sur 
l'Eglise.  Sous  prétexte  d'assurer  l'indépendance  reli- 
gieuse de  la  Suisse,  les  articles  de  Baden  n'allaient  à 
rien  moins  qu'à  supprimer  l'autorité  du  pape  dans  ce 
pays;  en  même  temps  ils  prétendaient  obliger  les 
piètres,  sous  peine  d'amende  ou  de  prison,  à  assister  aux 
mariages  mixtes  et  à  les  bénir,  décrétaient  la  suppres- 
sion de  certaines  fêtes,  dedivers  jeûnes  et  de  l'abstinence 
du  samedi,  réglementaient  l'organisation  et  la  direction 
des  séminaires,  instituaient  une  commission  chargée 
d'examiner  les  jeunes  clercs  avant  l'ordination,  abo- 
lissaient l'exemption  des  couvents,  et  les  soumet- 
taient à  la  juridiction  épiscopale.  Grégoire  XVI  garda 
quelque  temps  le  silence,  espérant  que  les  articles 
resteraient  à  l'état  de  projet;  mais  le  canton  de  Berne 
les  ayant  érigés  en  loi  cantonale,  le  pape  publia  le 
14  mai  1835  l'encyclique  Commissum  divinilus.  Il  y 
rappelait  les  principes  relatifs  à  l'autorité  de  l'Église, 
la  doctrine  ecclésiastique  sur  la  primauté  du  pape, 
montrait  combien  leur  étaient  opposés  les  articles  de 
Baden  et  terminait  par  une  condamnation  solennelle  : 
«  Nous  condamnons  et  voulons  qu'on  tienne  pour  per- 
pétuellement réprouvés  et  condamnés  les  susdits 
articles,  comme  contenant  des  assertions  fausses, 
téméraires,  erronées,  attentatoires  aux  droits  du  Saint- 
Siège,  destructrices  du  gouvernement  de  l'Église  et  de 
sa  divine  constitution,  soumettant  le  ministère  ecclé- 
siastique à  la  domination  séculière,  découlant  de  prin- 
cipes déjà  condamnés,  sentant  l'hérésie  et  schisma- 
tiques.  »  C'est  le  plus  grave  réquisitoire  qui  ait  été 
prononcé  par  la  papauté  contre  les  doctrines  du  galli- 
canisme d'État.  Cette  condamnation  de  Grégoire  XVI, 
loin  d'arrêter  les  entreprises  des  radicaux,  leur  fut  une 
occasion  d'aggraver  les  mesures  de  violence  contre 
l'Église.  Mais  en  même  temps  elle  réveilla  les  catho- 
liques, qui,  dans  les  cantons  de  Lucerne,  Uri,  Schwyz, 
Unterwalden,  Zug,  Fribourg  et  du  Valais,  finirent  par 
expulser  les    radicaux  du  pouvoir.  On  sait  que  cette 

VI.  -  58 


1827 


GREGOIRE  XVI 


1828 


agitation  devait  aboutir  à  la  guerre  du  Sonderbund 
(1817).  Grégoire  XVI  ne  vit  pas  la  paix  religieuse  se 
rétablir  en  Suisse. 

4.  Avec  la  Prusse.  —  Les  puissances  absolutistes  du 
Nord  ne  causaient  pas  moins  de  difficultés  au  pape 
que  les  Étals  où  se  trouvaient  aux  prises  libéraux  et 
catholiques.  La  question  des  mariages  mixtes  abou- 
tissait en  Prusse  à  un  conllit  aigu  entre  l'Église  et  l'É- 
tat. La  loi  prusienne  de  1803  avait  stipulé  que  les 
enfants  issus  de  mariages  mixtes  suivraient,  dans  tous 
les  cas,  la  religion  de  leur  père.  C'était  une  grave 
atteinte  au  droit  canonique  qui  ne  tolère  de  tels  ma- 
riages qu'à  la  double  condition  que  le  conjoint  catho- 
lique ne  sera  pas  exposé  au  péril  de  perversion  et  que 
les  deux  futurs  promettront,  avant  la  célébration  du 
mariage,  de  faire  élever  tous  leurs  enfants  dans  la  reli- 
gion catholique.  Après  qu'en  1825  la  loi  prussienne  eut 
été  mise  en  vigueur  dans  le  pays  rhénan,  Pie  VIII  avait 
rappelé  dans  un  bref  aux  ôvêques  prussiens,  du  25  mars 
1830,  le  déplaisir  que  causent  à  l'Église  de  telles  unions, 
et,  pour  mieux  inculquer  cette  idée  aux  fidèles,  avait 
interdit  aux  curés  d'honorer  par  une  cérémonie  reli- 
gieuse de  semblables  mariages.  Le  curé  prêterait  sim- 
plement son  assistance  passive.  Grégoire  XVI,  dans 
un  bref  du  27  mars  1832  aux  évoques  de  Bavière,  et 
dans  une  instruction  du  12  septembre  1834,  complé- 
tant le  même  document,  avait  insisté  à  nouveau  sur 
cette  doctrine  de  l'Église.  Il  rappelait  avec  beaucoup 
de  force  que  l'indiflérentisme  religieux  est  le  plus 
ordinaire  résultat  de  la  multiplication  de  semblables 
mariages.  Enfin  il  négociait  avec  la  Prusse  pour 
obtenir  que  les  évêques  de  cet  État  pussent  appliquer 
les  prescriptions  édictées  par  Pie  VIII. 

Mais  le  gouvernement  prussien  comptait  avec  le 
servilisme  de  l'archevêque  de  Cologne,  Spiegel,  et  de 
ses  sufïragants,  qui  s'efforcèrent  d'empêcher  que  les 
instructions  pontificales  fussent  connues  du  clergé 
et  des  fidèles.  Il  ne  fit  rien  de  ce  qu'il  avait  promis  au 
pape.  C'est  seulement  à  la  mort  de  Spiegel  (1835), 
que  l'Allemagne  religieuse  connut  les  instructions  de 
Pie  VIII  et  de  Grégoire  XVI.  Le  nouvel  archevêque 
de  Cologne,  Clément-Auguste  de  Droste-Vischering, 
rapporta  les  ordonnances  de  son  prédécesseur  et  déclara 
ne  connaître  que  les  instructions  de  Pie  VIII.  Le  gou- 
vernement prussien  pensa  avoir  raison  de  l'archevêque 
par  la  manière  forte.  Le  20  novembre  1837,  Droste 
fut  arrêté  et  conduit  dans  la  forteresse  de  Minden. 
Dans  un  consistoire  public  du  10  décembre  1837, 
Grégoire  XVI  protesta  contre  cette  violation  des 
droits  de  l'Église,  exalta  le  courage  de  l'archevêque, 
et  déclara  «  d'une  manière  solennelle  et  en  forme 
authentique  qu'il  condamnait  toutes  les  pratiques 
relatives  aux  mariages  mixtes  introduites  en  Prusse 
contrairement  aux  prescriptions  de  son  prédécesseur.  » 
A  cet  acte  pontifical,  le  gouvernement  prussien  répondit 
en  faisant  arrêter  l'évêque  de  Posen,  qui  fut  traduit 
devant  les  tribunaux  pour  excitation  à  la  révolte  et 
à  la  désobéissance  aux  lois,  condamné  à  six  mois  de 
prison  et  maintenu  en  forteresse,  sans  jugement,  à 
l'expiration  de  sa  peine  (avril  1839).  Les  allocutions 
consistoriales  du  13  septembre  1838  et  du  8  juillet  1839 
s'élèvent  avec  véhémence  contre  ces  empiétements 
du  gouvernement  prussien  contre  la  juridiction  ecclé- 
siastique. L'avènement  de  Frédéric-Guillaume  IV 
(1840)  vint  heureusement  couper  court  à  ces  diffi- 
cultés tragiques.  L'évêque  de  Posen  put  rentrer  dans 
son  diocèse;  on  donna  à  l'archevêque  de  Cologne, 
toujours  banni  de  son  siège,  un  coadjuteur  qui  admi- 
nistrerait le  diocèse  à  sa  place.  Moyennant  ce  sacrifice, 
auquel  le  pape  eut  beaucoup  de  peine  à  consentir,  le  roi 
accordait  la  pleine  liberté  de  l'Église  de  Prusse. 

5.  Avec  la  Russie.  —  La  Russie  devait  être  beaucoup 
plus  lente  à  entrer  dans  la  voie  des  accommodements. 


Elle  comptait,  depuis  les  annexions  de  1772,  1793  et 
1795,  deux  catégories  bien  distinctes  de  sujets  catho- 
liques :  des  latins  (polonais  et  habitants  de  la  Russie 
Blanche)  et  des  ruthènes  formant  depuis  le  xvic  siècle 
une  Église  slave  uniate.  Le  pontificat  de  Grégoire  XVI 
verra  se  dérouler  en  ce  pays  de  terribles  événements 
qui  aboutirent  à  la  destruction  presque  complète  de 
l'Église  uniate,  et  à  de  rudes  persécutions  contre 
l'Église  latine.  Depuis  son  avènement  (1825),  Nico- 
las Ier  ne  dissimulait  pas  son  désir  de  ramener  à  l'or- 
thodoxie moscovite  les  ruthènes  unis  à  Rome;  il  trouva, 
parmi  les  hauts  dignitaires  uniates  des  instruments 
tout  dévoués  à  ses  desseins.  En  particulier  le  métro- 
polite Siemazko  se  chargea  de  faire  aboutir  les  projets 
schismatiques  du  tzar.  Dès  1825,  un  oukaze  interdisait 
aux  uniates  toute  correspondance  avec  Rome,  puis  des 
décrets  successifs  réorganisèrent  l'Église  ruthène;  elle 
serait  administrée  par  un  collège  grec-uni,  sous  la  sur- 
veillance du  ministre  des  cultes,  les  évêques  seraient 
nommés  par  le  tzar.  En  même  temps  les  couvents 
étaient  en  grande  partie  supprimés,  les  écoles  ecclésias- 
tiques et  les  séminaires  fermés,  les  clercs  contraints  de 
faire  leurs  études  à  l'université  de  Pétersbourg.  Puis 
des  livres  liturgiques  furent  mis  en  circulation,  qui, 
sournoisement,  prêchaient  le  schisme.  Enfin  les  évêques 
vendus  au  gouvernement  extorquèrent  à  leurs  prêtres 
des  formulaires  d'adhésion  à  l'Église  orthodoxe.  En 
février  1839,  l'œuvre  schismatique  semblait  assez  avan- 
cée pour  qu'on  pût  lever  le  masque  :  les  prélats  apos- 
tats se  réunirent  et  au  nom  de  leurs  diocésains  déclarè- 
rent abolie  l'union  signée  avec  l'Église  romaine  en  1595  ; 
ils  demandaient  au  tzar  «  la  permission  de  rentrer  dans 
l'Église  de  leurs  pères.  »  Mais  beaucoup  d'uniates  résis- 
taient à  ces  tentatives  schismatiques.  N'ayant  pas 
réussi  à  les  convaincre  par  le  mensonge,  on  mit  en 
œuvre  la  violence;  les  religieux  des  deux  sexes,  les 
prêtres  fidèles  furent  enfermés  en  des  monastères  or- 
thodoxes où  les  pires  traitements  leur  furent  infligés. 
L'abbesse  Makrana  Miezlawska,  qui  parvint  à  s'échap- 
per, révéla  plus  tard  à  Grégoire  XVI  et  à  l'Europe  les 
horreurs  qui  furent  commises.  Les  populations  fidèles 
ne  furent  pas  mieux  traitées.  Cette  dure  persécution 
produisit  ses  fruits;  en  1850  il  ne  restait  plus  d'uniates 
que  dans  la  Pologne  propre. 

Mieux  protégée  contre  le  schisme  par  ses  rites  et  sa 
langue  liturgique,  l'Église  latine  eut  néanmoins  à  subir 
les  plus  rudes  persécutions.  Dès  1827,  une  série  d'or- 
donnances entravent  le  recrutement  du  clergé  et  des 
ordres  religieux;  en  même  temps  le  gouvernement 
s'elîorce  de  faire  élever  à  l'épiscopat  des  personnages 
vieillis  ou  sans  caractère.  Les  griefs  religieux  des  Polo- 
nais catholiques  expliquent  autant  que  leurs  griefs 
politiques  l'insurrection  de  1830-1831.  Mais  Gré- 
goire XVI,  trompé  par  les  mensonges  du  gouvernement 
russe,  n'en  réprouva  pas  moins  l'insurrection  dans 
l'encyclique  Cum  primum,  adressée  le  9  juin  1832  aux 
évêques  de  Pologne.  Il  ne  voulait  voir,  dans  les  griefs 
religieux  invoqués  parles  insurgés, qu'un  prétexte  trom 
peur,  déclarait  que  c'est  un  devoir  absolu  de  se  sou- 
mettre à  la  puissance  légitimement  constituée  par 
Dieu,  sauf  au  cas,  où,  par  hasard,  elle  commanderait 
quelque  chose  de  contraire  aux  lois  de  Dieu  et  de 
l'Église.  «Les  évêques  devront  de  tout  leur  pouvoir  in- 
culquer cette  doctrine  à  leurs  peuples,  et  le  très  coura- 
geux empereur,  auprès  de  qui  le  pape  ne  manquera  pas 
d'interposer  ses  bons  offices,  recevra  toujours  avec 
bonne  grâce  les  demandes  qui  lui  seront  faites  en  fa- 
veur d'une  religion  à  qui  il  a  promis  que  sa  protection 
ne  ferait  jamais  défaut.  » 

Ce  document,  où  se  rellètent  plus  encore  les  pré- 
occupations de  Grégoire  XVI,  souverain  temporel,  que 
son  antipathie  pour  les  idées  libérales,  ne  contribua 
guère   à   adoucir  les   souffrances    de   la   malheureuse 


1829 


GRÉGOIRE   XVI 


1830 


Église  polonaise.  Les  mesures  les  plus  rigoureuses 
furent  prises  à  l'égard  des  catholiques;  les  plus  larges 
amnisties  accordées  à  ceux  qui  passaient  au  schisme. 
Ne  communiquant  avec  Rome  que  par  l'intermédiaire 
et  sous  le  contrôle  du  gouvernement,  les  évoques 
étaient  incapables  de  renseigner  exactement  le  pape. 
C'est  seulement  en  1839  que  la  défection  de  l'Église 
uniate  commença  à  ouvrir  les  yeux  du  pontife;  protes- 
tant dans  l'allocution  consistoriale  du  22  novembre 
1839  contre  la  conduite  schisniatique  des  évêques 
ruthènes,  il  flétrit  les  prélats  coupables  et  ajoute,  pres- 
que timidement,  un  mot  de  regret  sur  l'attitude  du 
gouvernement  russe.  Huit  mois  auparavant,  dans  une 
lettre  adressée  au  tzar  (G  avril  1839),  il  lui  avait  encore 
demandé  protection  pour  les  catholiques  de  son  im- 
mense empire,  et  lui  avait  promis  de  rappeler  une  fois 
de  plus  aux  fidèles  le  devoir  d'obéissance  aux  pouvoirs 
civils.  A  partir  de  1840,  les  protestations  de  Gré- 
goire XVI  commencent,  d'abord  par  une  série  de 
notes  diplomatiques  transmises  par  la  secrétairerie 
d'État,  puis  se  font  jour  avec  beaucoup  de  véhémence 
dans  l'allocution  consistoriale  du  22  juillet  1842.  Elle; 
restèrent  lettre  morte.  Lors  de  la  visite  que  le  tzar 
Nicolas  lui  fit  à  Rome,  en  1845,  le  pape  aurait  adressé 
au  tout-puissant  empereur  de  très  vifs  reproches,  qui 
l'auraient  profondément  troublé.  Le  tzar  négocia  un 
nouveau  "concordat,  qui  ne  fut  signé  qu'en  1847  et  qui 
d'ailleurs  n'améliora  pas  sensiblement  la  situation  du 
catholicisme  en  Russie. 

6.  Avec  la  France.  —  La  France  causa  moins  de 
difficultés  à  Grégoire  XVI.  Le  gouvernement  de  Louis- 
Philippe,  d'abord  hésitant  entre  la  politique  révolu- 
tionnaire et  antireligieuse  et  la  politique  conservatrice, 
dut  tenir  compte  du  renouveau  chrétien  qui  se  mani- 
festa à  partir  de  1835.  En  1837,  Grégoire  XVI  pouvait 
dire  à  Montalembert  :  «  Je  suis  très  content  de  Louis- 
Philippe,  je  voudrais  que  tous  les  rois  d'Europe  lui 
ressemblent.  »  Toutefois,  l'agitation  créée  par  les  catho- 
liques libéraux  autour  de  la  liberté  d'enseignement 
amena  quelques  légers  nuages  entre  le  Saint-Siège  et  le 
gouvernement  français.  Effrayé  de  la  violence  que 
prenait  la  campagne  menée  contre  les  jésuites,  Gui- 
zot  voulut  obtenir  du  pape  la  dissolution  de  la  Com- 
pagnie en  France.  Rossi  (le  futur  ministre  de  Pie  IX), 
accrédité  comme  ambassadeur  auprès  de  Grégoire  XVI, 
obtint  finalement  une  demi-victoire,  qu'il  transforma 
dans  ses  dépèches  en  un  succès  complet.  Le  pape, 
arrêté  par  le  S.  C.  des  Affaires  extraordinaires,  avait 
refusé  de  donner  aux  jésuites  français  l'ordre  de  se 
disperser;  mais  le  général  des  jésuites,  travaillé  par  le 
secrétaire  d'État,  se  décida  finalement  à  donner  à  ses 
religieux  le  conseil  de  disparaître  pendant  un  certain 
temps. 

En  résumé,  une  période  de  conflits  plus  ou  moins 
violents  avec  les  gouvernements  succède  à  la  période 
d'accord;  dans  plusieurs  pays  le  pape  dut  entrer  en 
lutte  avec  les  principes  du  libéralisme  révolutionnaire 
d'une  part,  du  césaro-papisme  d'autre  part,  d'accord, 
malgré  leur  opposition,  pour  imposer  à  l'Église  la  main- 
mise du  pouvoir  civil. 

3°  Gouvernement  intérieur  de  l'Église.  —  1.  Le  men- 
naisianisme.  — La  situation  créée  à  Grégoire  XVI  par 
les  conflits  que  nous  venons  d'énumérer  explique  une 
bonne  partie  de  ses  actes  doctrinaux,  et  tout  particu- 
lièrement son  attitude  dans  l'affaire  de  Lamennais.  Ce 
publiciste  voit  dans  la  séparation  de  l'Église  et  de 
l'État  le  meilleur  moyen  pour  l'Église  de  retrouver  son 
indépendance;  il  accepte,  avec  toutes  leurs  consé- 
quences, les  principes  de  la  Révolution  et  propose  à 
l'Église  de  les  utiliser  :  principe  démocratique  de  la 
souveraineté  populaire,  principe  de  la  liberté  person- 
nelle sous  toutes  ses  formes  :  liberté  de  conscience,  de 
presse,    d'enseignement,    d'association.  Ces  principes. 


l'Église  doit  non  seulement  s'en  servir,  mais  les  reven- 
diquer comme  la  condition  la  plus  favorable  de  son 
action  à  l'époque  moderne.  On  voit  assez  comment  la 
conception  mennaisienne  est  directement  opposée  à  la 
thèse  classique  de  l'alliance  des  deux  pouvoirs,  ecclésias- 
tique et  civil,  unissant  leurs  efforts  pour  promouvoir  le 
bien  spirituel  autant  que  matériel  des  peuples.  Elle  tend 
à  mettre  l'Église  du  côté  de  la  démocratie  contre  les 
pouvoirs  absolus,  à  l'associer  aux  revendications  poli- 
tiques et  sociales  surexcitées  par  la  Révolution,  à  lui 
faire  proclamer  les  droits  imprescriptibles  de  l'individu, 
en  face  de  ceux  de  l'autorité  publique.  Le  plus  para- 
doxal de  toute  cette  affaire,  c'est  que  Lamennais  avait 
la  confiance  absolue  que  non  seulement  l'Église  ne 
condamnerait  pas  une  systématisation  si  hardie  de  vues 
si  nouvelles,  mais  encore  qu'elle  la  protégerait  contre 
les  attaques  qui  lui  venaient  de  divers  côtés.  Le  voyage 
à  Rome  qu'il  entreprend  en  décembre  1831  n'est  pas 
autre  chose  qu'une  mise  en  demeure  au  souverain  pon- 
tife d'approuver  formellement  son  attitude 

Rien  ne  pouvait  davantage  offenser  Grégoire  XVI 
qu'une  pareille  démarche.  Les  idées  libérales  et  démo- 
cratiques n'apparaissaient  guère  au  pape  que  sous  la 
forme  des  insurrections  qui  venaient  d'éclater  dans  ses 
États.  Le  pape  se  sentait  menacé  par  la  Révolution  à 
laquelle  on  prétendait  lui  faire  tendre  la  main  et  se  sou- 
tenait seulement  par  l'appui  des  gouvernements  absolus 
qu'on  lui  demandait  de  maudire.  Tout  concourait  donc 
à  faire  échouer  la  démarche  de  Lamennais,  les  perma- 
nentes exigences  de  la  vérité,  comme  les  intérêts  pas- 
sagers de  la  politique,  la  sagesse  supérieure  de  l'Église 
comme  les  opinions  particulières  des  hommes  qui  le 
représentaient  en  ce  moment.  Nous  n'avons  pas  à 
raconter  ici  les  diverses  phases  de  l'alîaire  Lamennais. 
Qu'il  suffise  de  rappeler  qu'après  avoir  essayé  de  donner 
au  publiciste  français  la  délicate  leçon  du  silence, 
Grégoire  XVI  se  crut  obligé,  sur  l'avis  de  la  S.  C.  des 
Affaires  ecclésiastiques  extraordinaires,  de  signaler  dans 
son  encyclique  inaugurale  du  15  août  1832  les  erreurs 
principales  de  la  théorie  mennaisienne. 

L'encyclique  Mirari  vos  est  fort  loin  d'avoir  le  carac- 
tère magistral  et  la  haute  tenue  des  documents  con- 
sacrés par  Pie  IX  et  Léon  XIII  à  cette  question  du 
libéralisme.  La  première  partie,  où  le  souverain  pon- 
tife se  plaint  des  malheurs  des  temps  et  donne  aux 
évêques  quelques  conseils  appropriés,  n'a  rien  à  faire 
avec  la  question  mennaisienne.  C'est  seulement  dans 
la  seconde  partie  que  les  idées  de  Lamennais  sont  vi- 
sées, sans  que  d'ailleurs  le  publiciste  soit  nommé. 
«  Une  des  causes  les  plus  fécondes  de  tous  ces  malheurs 
de  l'Église,  poursuit  le  pape,  c'est  Yindijjérenlisme, 
c'est  à  savoir  cette  funeste  opinion  qui  professe  que 
toutes  les  croyances  sont  bonnes  pour  le  salut  éternel, 
à  condition  que  les  mœurs  soient  réglées  selon  la 
justice  et  l'honnêteté.  C'est  de  cette  source  corrompue 
que  dérive  l'opinion  absurde  et  erronée  d'après  la- 
quelle il  faut  affirmer  et  revendiquer  pour  n'importe 
qui  la  liberté  de  conscience.  A  cette  erreur  pestilentielle, 
la  voie  est  préparée  par  la  liberté  d'opinion,  pleine  et 
immodérée,  qui  progresse  au  grand  détriment  de  la 
société  civile  et  ecclésiastique,  et  que  plusieurs  néan- 
moins, avec  une  souveraine  impudence,  prétendent 
mettre  au  service  de  la  religion.  C'est  au  même  but  que 
tend  cette  abominable  liberté  de  la  presse,  qu'on  ne 
saurait  assez  exécrer  et  détester,  et  que  certains  pré- 
tendent réclamer  et  promouvoir  avec  tant  d'audace.  » 
Après  avoir  rappelé  les  règles  ecclésiastiques  sur  la 
matière,  le  pape  continue  :  «  Ayant  appris  que  cette 
liberté  impudente  de  la  presse  ébranle  la  fidélité  duc 
aux  princes  et  allume  partout  les  flambeaux  de  la  rébel- 
lion, nous  engageons  les  évêques  à  rappeler  aux  peu- 
ples la  doctrine  de  l'apôtre  sur  l'origine  du  pouvoir,  et 
l'exemple   des   premiers   chrétiens   acceptant   sans  se 


is.:i 


GRÉGOIRE   XVI 


1832 


révolter  les  ordres  des  empereurs  quand  ils  ne  tou- 
chaient qu'au  temporel.  »  Grégoire  XVI  condamnait 
ensuite  l'idée  de  la  séparation  de  l'Église  cl  de  l'État; 
«  il  est  bien  clair,  disait-il,  que  l'union  des  deux  pou- 
voirs,  qui  s'est  toujours  montrée  utile  à  la  société  civile 
comme  à  l'ecclésiastique,  est  partiellement  redoutée 
par  les  partisans  de  cette  impudente  liberté  dont  il  a 
ilé  parlé  plus  haut.  »  Non  moins  blâmable  est  l'alliance 
contractée  avec  les  révolutionnaires  par  certains  catho- 
liques. Et  l'encyclique  se  termine  par  une  exhortation 
adressée  aux  princes,  et  qui  témoigne  chez  le  pape 
d'une  confiance  robuste  dans  les  bonnes  dispositions 
des  gouvernements  de  droit  divin  à  l'égard  de  l'Église; 
qu'ils  veuillent  bien  considérer,  dit  Grégoire  XVI,  que 
le  pouvoir  leur  a  été  confié  non  seulement  pour  régir 
le  inonde,  mais  surtout  pour  secourir  l'Église;  et  qu'ils 
soient  bien  persuadés  que  c'est  vraiment  travailler 
pour  leur  tranquillité  que  travailler  pour  l'Église. 

Tel  est  ce  document  mémorable  où  se  synthétisent 
pour  la  première  fois  les  protestations  de  l'Église 
contre  ce  droit  public  issu  de  la  Révolution  qui  fait 
prévaloir,  plus  ou  moins  vite  suivant  les  divers  pays, 
la  conception  de  l'État  laïque.  Il  est  à  peine  besoin  de 
faire  remarquer  que  l'encyclique  ne  tient  nul  compte 
des  contingences,  qu'elle  se  borne  à  rappeler  les  prin- 
cipes incontestables  de  l'Église,  sans  se  préoccuper  des 
questions  infiniment  délicates  que  soulève  l'application. 
C'est  ce  manque  de  nuances  qui  explique  les  attaques 
dont  elle  a  été  l'objet,  surtout  quand  l'encyclique 
Quanta  cura  et  le  Sijllabus  de  1864  seront  venus  renou- 
veler les  polémiques. 

Il  ne  semble  pas,  d'ailleurs,  que  l'encyclique  Mirari 
vos  ait  produit,  à  l'heure  où  elle  parut,  une  émotion 
considérable  dans  le  public  religieux  et  même  parmi  les 
libéraux.  Le  groupe  des  catholiques  libéraux  était 
encore  trop  faible  pour  que  sa  condamnation  ait  pas- 
sionné l'opinion  publique,  et  les  libéraux  révolution- 
naires se  souciaient  trop  peu  de  l'Église  et  de  ses 
condamnations  pour  prendre  garde  à  ce  document 
ecclésiastique.  On  sait  que  Lamennais  se  soumit,  dès 
le  8  septembre  1832,  à  la  condamnation  portée  contre 
lui  par  l'encyclique.  Mais  cette  soumission  n'était  ni 
aussi  entière,  ni  aussi  profonde  que  ce  premier  acte 
aurait  pu  le  faire  croire.  Les  multiples  rétractations 
qu'on  lui  demanda  au  cours  de  1833  achevèrent  d'exas- 
pérer Lamennais,  il  finit  par  signer  tout  ce  qu'on  vou- 
lait, pour  obtenir  la  paix,  mais  il  acheva  brusquement 
une  évolution  commencée  depuis  longtemps  déjà.  Dès 
la  fin  de  1833,  il  avait  cessé  de  se  considérer  comme 
prêtre;  en  avril  1834  il  publiait  les  Paroles  d'un  croyant, 
réquisitoire  ardent  contre  les  rois  et  l'Église  qui  se  fait 
leur  alliée,  apologie  farouche  de  la  Révolution.  Le 
25  juin  1834,  l'encyclique  Singulari  nos  condamnait 
nominativement  Lamennais.  «  Les  Paroles  d'un  croyant 
montraient  jusqu'à  quel  point  l'auteur  était  en  oppo- 
sition avec  la  doctrine  de  l'encyclique  précédente  sur 
la  soumission  au  pouvoir  légitime  et  sur  la  manière 
d'écarter  du  peuple  les  conséquences  de  l'indifférence. 
Son  livre  est  un  appel  à  la  révolte,  à  la  guerre  civile, 
.m  mépris  des  magistrats  et  des  lois,  le  tout  présenté 
s  mis  l'invocation  initiale  de  la  sainte  Trinité  et  exprimé 
dans  le  style  même  de  l'Écriture.  Usant  donc  de  la 
plénitude  de  son  pouvoir  apostolique,  le  pape  condamne 
et  réprouve  le  livre  comme  contenant  des  propositions 
respectivement  fausses,  calomnieuses,  téméraires,  con- 
duisant à  l'anarchie,  contraires  à  la  parole  de  Dieu, 
impies,  erronées,  déjà  condamnées  dans  les  écrits  des 
vaudois,  de  Wiclef  et  de  Jean  IIuss.  »  Un  dernier 
paragraphe  condamnait  les  erreurs  philosophiques  de 
Lamennais  dans  la  question  de  la  certitude  et  le  sys- 
lème  du  sens  commun.  L'encyclique  se  terminait  par 
un  dernier  appel  au  prêtre  révolté;  cet  appel  suprême 
ne  devait  pas  être  entendu. 


2.  Le  libéralisme  ecclésiastique.  —  La  sévérité  de 
Grégoire  XVI  à  l'endroit  du  libéralisme  politique  se 
retrouvera  nécessairement  dans  son  attitude  à  l'endroit 
de  ce  qu'on  pourrait  appeler  le  libéralisme  ecclésias- 
tique. On  pourrait  désigner  sous  ce  mot  tout  un  mou- 
vement qui  se  manifesta  en  Suisse  et  en  Allemagne 
parmi  le  clergé  et  qui  préconisa  dans  la  discipline 
ecclésiastique  les  réformes  rendues  nécessaires,  disait- 
on,  parle  nouvel  esprit  du  siècle.  Il  s'agissait  tout  parti- 
culièrement d'affranchir  les  Églises  nationales  de  la 
suprématie  romaine,  d'y  introduire  une  sorte  de  régime 
parlementaire  par  la  tenue  régulière  de  synodes  où  les 
ecclésiastiques  du  second  ordre  auraient  soumis  aux  dé- 
cisions épiscopales  les  modifications  par  eux  réclamées  ; 
les  laïques  eux-mêmes  y  auraient  eu  voix  consulta- 
tive. Les  changements  disciplinaires  proposés  n'étaient 
pas  sans  importance;  il  fallait  modifier  le  régime  actuel 
de  la  pénitence  et  des  indulgences,  qui  favorisait  la 
paresse  du  pécheur,  supprimer  le  célibat  ecclésiastique 
qui  aboutit  au  déshonneur  du  clergé,  et  se  trouve 
contraire  à  la  nature,  revenir,  sur  la  question  des 
honoraires  de  messe,  des  fondations,  des  messes  privées, 
à  une  pratique  plus  conforme  à  l'idéal  des  premiers 
siècles,  supprimer  le  culte  de  la  Vierge,  les  pieuses 
associations,  les  prières  publiques,  etc.  On  reconnaît  ici 
toutes  les  idées  développées  au  fameux  synode  de 
Pistoie  en  matière  de  discipline  ecclésiastique.  Elles 
étaient  répandues  en  Suisse  par  un  prêtre  du  diocèse 
de  Saint-Gall,  Aloyse  Fuchs;  une  association  de  prêtres 
s'était  formée  en  Suisse  et  dans  la  province  ecclésias- 
tique du  Rhin-Supérieur,  tout  spécialement  dans  le 
diocèse  de  Rottenbourg  (Wurtemberg),  qui  créait  une 
agitation  dans  le  même  sens.  En  particulier,  une  confé- 
rence s'était  tenue  à  Ofïenbourg,  où  l'on  avait  élaboré 
le  programme  complet  des  réformes.  L'évêque  de 
Saint-Gall  en  1833  signale  cette  situation  à  Gré- 
goire XVI,  qui  lui  répond  le  26  juillet  de  la  même 
année,  approuvant  les  mesures  prises  par  lui,  et  annon- 
çant qu'il  soumet  tait  à  l'examen  de  théologiens  romains 
les  brochures  publiées  par  Fuchs  et  ses  adhérents.  Cet 
examen  ne  traîna  pas  en  longueur;  le  17  septembre  1833, 
une  lettre  apostolique  condamnait  cinq  ouvrages  expri- 
mant les  idées  synodalistes  :  Ohne  Chrislus  hein  Heil 
jùr  Menschheit  und  Slaal,  d'Aloyse  Fuchs;  Sind  Refor- 
mai in  der  katholischen  Kirchc  nolhwcndig  ?  procès- 
verbal  de  la  conférence  d'Offenbourg;  Die  kalholische 
Kirche  im  xix  Jahrhundert  und  die  zeilgemcisse  Umge- 
slaltung,  publiée  par  Kopp,  à  Mayence  en  1830;  Der 
Kampf  zwischen  Pabsthum  und  Kalholicismus  im  XV 
Jahrhundert.  publication  datant  de  1816,  mais  réim- 
primée à  Zurich  en  1832;  Die  Sicile  des  rômischen 
Stuhles  gegen  dem  Geisle  des  XIX  Jahrhunderts,  sans 
nom  d'auteur,  Zurich,  1833. 

Grégoire  XVI  réprouvait  et  condamnait  solennel- 
lement tous  ces  livres,  comme  contenant  des  propo- 
sitions respectivement  fausses,  téméraires,  scanda- 
leuses, erronées,  injurieuses  au  Saint-Siège,  dérogeant  à 
ses  droits,  détruisant  le  gouvernement  ecclésiastique  et 
la  divine  constitution  de  l'Église,  favorisant  le  schisme, 
((induisant  à  l'hérésie,  schisinatiques,  hérétiques,  déjà 
condamnées  par  l'Église  dans  Luther,  Raius,  Richer, 
Eybel  et  les  membres  du  synode  de  Pistoie.  Le  pape 
défendait  de  lire,  retenir,  réimprimer  ces  ouvrages 
sous  peine  de  suspense  a  divinis  pour  les  clercs, 
d'excommunication  majeure,  encourue  ipso  facto,  pour 
les  laïques, 

L'encyclique  Quo  graviora  du  4  octobre  1833,  adressée 
aux  évèques  de  la  province  du  Rhin-Supérieur,  déve- 
loppait cette  condamnation,  et  montrait  dans  l'indil- 
férentisme  religieux  le  principe  de  toutes  ces  erreurs. 

Grégoire  XVI  eut  à  soutenir  l'évêque  de  Rayeux 
dans  sa  lutte  contre  l'illuminé  Michel  Vintras,  se  disant 
inspiré  de  Dieu  pour  préparer  l'avènement  prochain 


183.3 


GRÉGOIRE    XVI 


1834 


d'une  nouvelle  société  chrétienne  et  renouveler  l'Église 
corrompue.  Dans  une  lettre  du  8  novembre  1843,  le  pape 
passe  en  revue  les  erreurs  étranges  du  voyant  de  Tilly- 
sur-Seulles,  et  encourage  l'évèque  à  résister  de  toutes 
ses  forces  aux  entreprises  des  sectaires  fanatisés  par 
Vintras. 

Cinq  mois  plus  tard,  dans  une  lettre  à  l'archevêque  de 
Prague  du  31  mars  1844,  Grégoire  XVI  condamnait  le 
mouvement  créé  en  Bohème  pour  détacher  de  Rome 
les  catholiques  de  ce  pays. 

3.  L' indifférentisme  religieux.  —  On  a  pu  remarquer, 
dans  les  documents  qui  précèdent,  l'insistance  du  pape 
a  signaler  Yindijférenlismc  religieux  comme  la  cause, 
avouée  ou  secrète,  des  divers  mouvements  que  nous 
avons  signalés.  Il  revint  à  diverses  reprises  sur  cette 
difficile  question.  C'est  particulièrement  à  propos  des 
mariages  mixtes  que  Grégoire  XVI  rappelle  les  principe  ; 
de  l'Église  sur  la  matière.  Nous  avons  signalé  déjà  les 
difficultés  que  cette  question  fit  naître  en  Prusse.  La 
lutte  entre  libéraux  et  catholiques  en  Hongrie  à  propos 
de  ces  mêmes  mariages  amena  le  pape  à  s'exprimer  une, 
fois  de  plus  dans  une  lettre  aux  évèques  hongrois,  du 
30  avril  1841,  à  laquelle  était  jointe  une  instruction  sur 
l'application  des  principes,  et  dans  une  lettre  aux 
évèques  d'Autriche  et  d'Allemagne,  datée  du  22  mai 
suivant.  Huit  jours  avant  sa  mort,  le  23  mai  1846, 
Grégoire  XVI  rappelait  encore  les  mêmes  principes  à 
l'évèque  de  Fribourg  en  Suisse. 

A  plus  forte  raison  le  pape  regrettait-il  tout  ce  qui  sem- 
blait accord  plus  ou  moins  tacite  avec  les  hérétiques  dans 
les  pays  mixtes.  Ayant  appris  que,  dans  l'arcnidiocèse 
de  Fribourg-en-Brisgau,  des  clercs  avaient  assisté  aux 
fêtes  civiles  données  lors  de  l'inauguration  d'un  temple 
protestant,  il  écrivit  à  l'archevêque  le  30  novembre  1839 
une  sévère  lettre  de  blâme. 

Mais  ce  qui  effrayait  surtout  Grégoire  XVI,  c'était 
les  tentatives  de  propagande  protestante  qui  se  mul- 
tipliaient en  Italie  et  dans  les  États  romains  eux- 
mêmes.  La  Société  biblique  de  Londres  d'une  part, 
d'autre  part  une  société  fondée  à  New  York  le  12  juin 

1843,  sous  le  nom  d'Alliance  chrétienne,  se  donnaient 
ouvertement  comme  tâche  de  faire  pénétrer  à  Rome, 
en  même  temps  que  des  bibles  protestantes,  des  ou- 
vrages destinés  à  promouvoir  les  idées  de  la  Réforme. 
L'encyclique  Inter  prœcipuas  machinationes  du  8  mai 

1844,  après  avoir  rappelé  les  condamnations  portées 
contre  la  Société  biblique  par  Pie  VI,  Léon  XII  et 
Pie  VIII,  et  le  décret  de  l'Index  rendu  le  7  janvier  1836, 
condamne  à  nouveau  ladite  société,  en  même  temps 
que  l'Alliance  chrétienne  et  fait  appel  aux  gouverne- 
ments italiens  pour  empêcher  le  développement  dans 
leurs  États  de  la  liberté  de  conscience  à  laquelle  suc- 
céderait bien  vite  la  liberté  politique.  La  propagande 
protestante  n'en  continua  pas  moins.  L'île  de  Malte 
parut  aux  méthodistes  anglais  un  excellent  observa- 
toire; ils  y  créèrent  un  journal  religieux  VIndicalore 
giornale  religioso  qui  causa  à  Grégoire  XVI  de  vives 
alarmes  (lettres  à  l'évèque  de  Malte  du  31  août  1843 
et  du  26  novembre  1845). 

4.  L'hermésianisme.  —  Le  rationalisme  philosophi- 
que et  théologique,  systématisé  en  Allemagne  par 
Hermès,  se  rattache,  jusqu'à  un  certain  point,  à  l'esprit 
de  libre  examen  dont  le  libéralisme  sous  toutes  ses 
formes  est  une  manifestation.  Bien  qu'il  eût  fort  peu 
écrit,  le  professeur  de  Bonn  avait  exercé,  dans  toute 
l'Allemagne  et  spécialement  dans  le  pays  rhénan,  une 
influence  considérable,  que  sa  mort,  survenue  en  1831, 
n'avait  pas  ruinée.  Mais  ceux  qui,  du  vivant  d'Hermès, 
avaient  redouté  de  l'attaquer  s'enhardirent  et  dénon- 
cèrent à  Rome,  en  1833,  les  doctrines  de  YEinleiiung 
in  die  chrisl-katholische  Théologie,  dont  les  deux  parties 
avaient  paru  successivement  en  1813  et  en  1823.  Au 
même  moment,  le  plus  qualifié  des  disciples  d'Hermès, 


Achterfeld,   publiait    la     Christ-katholische   Dogmatik, 
d'après  les  papiers  du  maître  (1833). 

L'examen  des  doctrines  hermésiennes  fut  conduit  à 
Rome  avec  beaucoup  de  prudence  et  de  lenteur.  Fina- 
lement, le  Saint-Office  déclara  en  séance  plénière  et  à 
l'unanimité  qu'Hermès  avait  erré,  qu'il  se  rencontrait 
dans  ses  écrits  bien  des  choses  absurdes  ou  étrangères 
à  la  doctrine  catholique,  et  qu'il  fallait  dès  lors  con- 
damner. Après  mûr  examen  du  tout  et  après  avoir 
entendu  le  jugement  et  le  conseil  des  cardinaux  inqui- 
siteurs, Grégoire  XVI  lança  le  26  septembre  1835  l'en- 
cyclique Dum  acerbissimas.  Elle  déclare  qu'Hermès 
s'est  audacieusement  écarté  de  la  voie  droite,  suivie 
par  la  tradition  universelle  et  par  les  saints  Pères  dans 
l'exposition  et  la  défense  des  vérités  de  foi;  que,  l'ayant 
méprisée  et  condamnée,  dans  son  orgueil,  il  a  imaginé 
une  route  ténébreuse,  menant  à  des  erreurs  de  tout 
genre,  surtout  en  faisant  du  doute  positif  la  base  de 
toute  recherche  théologique,  et  en  posant  comme 
principe  que  la  raison  est  la  règle  principale  et  l'unique 
moyen  qui  permette  à  l'homme  d'acquérir  la  connais- 
sance des  vérités  surnaturelles.  Le  pape  condamnait 
donc  les  ouvrages  publiés  du  vivant  d'Hermès,  et 
celui  qu'Achterfeld  avait  fait  ensuite  paraître.  îl  faisait 
sienne  la  sentence  du  Saint-Office  qui  découvrait  dans 
les  ouvrages  susdits  de  multiples  erreurs  sur  la  nature 
de  la  foi  et  la  règle  des  croyances,  la  sainte  Écriture, 
la  tradition,  la  révélation  et  le  magistère  de  l'Église; 
sur  les  motifs  de  crédibilité,  les  preuves  traditionnelles 
de  l'existence  de  Dieu;  sur  l'essence  même  de  Dieu,  sa 
sainteté,  sa  justice,  sa  liberté,  le  but  que  Dieu  s'est 
proposé  dans  ses  œuvres  ad  extra;  enfin  sur  la  nécessité 
de  la  grâce,  sa  distribution,  la  rétribution  future,  l'état 
de  nos  premiers  parents,  le  péché  originel  et  les  forces 
de  l'homme  déchu.  Le  Saint-Office  condamnait  donc 
ces  écrits  comme  contenant  des  doctrines  et  des  pro- 
positions respectivement  fausses,  téméraires,  cap- 
tieuses, conduisant  au  scepticisme  et  à  l'indifîéren- 
tisme,  erronées,  scandaleuses,  injurieuses  pour  les 
écoles  catholiques,  subversives  de  la  foi  divine,  sentant 
l'hérésie  et  déjà  condamnées  par  l'Église.  Le  pape,  lui, 
de  son  propre  mouvement,  condamnait  ces  livres  et 
ordonnait  de  les  mettre  au  catalogue  de  l'Index. 

Les  hermésiens  ne  se  tinrent  par  pour  battus.  Ils  ne 
contestaient  pas  sans  doute  le  caractère  condamnable 
des  propositions  visées  parle  bref;  mais  ils  prétendaient 
qu'Hermès,  s'il  eût  vécu,  n'aurait  jamais  reconnu  ces 
propositions  pour  siennes.  En  même  temps,  ils  faisaient 
remarquer  que  la  condamnation  de  Bautain  était,  au 
fond,  une  approbation  d'Hermès,  Bautain  ayant  dû 
souscrire  le  18  novembre  1835  six  propositions  concer- 
nant le  rôle  et  la  puissance  de  la  raison  humaine  dans 
la  recherche  de  la  foi.  Deux  disciples  d'Hermès,  Braun 
et  Elvenich,  obtinrent  du  pape  la  permission  de  venir 
chercher   à   Rome  de  plus   amples   informations   sur 
l'encyclique  de  1835.  Dans  l'audience  qu'il  leur  accorda, 
Grégoire  XVI  leur  dit  :  «  Hermès  était  un  homme  de 
mœurs  pures  et  je  n'ai  point  le  moindre  soupçon  sur 
l'orthodoxie  de   sa  personne,  mais  il  se  pourrait  que 
dans  ses  livres  il  ne  se  soit  pas  toujours  exprimé  correc- 
tement, ce  qui  en  théologie  est  absolument  nécessaire.  » 
Et  comme  l'un  des   interlocuteurs   faisait  allusion  au 
cas  de  Bautain  :  «  Vous  avez  tort,  reprit  le  pape,  d'en 
appeler  à  l'écrit  que  j'ai  envoyé  à  l'évèque  de  Stras- 
bourg... Ils  errent  tous  les  deux  :  ceux  qui  donnent 
tout  à  la  foi  et  ne  laissent  rien  à  la  raison,  aussi  bien 
que  ceux  qui  attribuent  tout  à  la  raison  et  ne  laissent 
rien  à  la  foi...  Je  pense,  ajouta  le  pape,  pour  conclure 
l'entretien,  que  vous  n'êtes  pas  venus  à  Rome  pour 
enseigner,  mais  pour  être  enseignés.  »  Les  deux  her- 
mésiens   comprirent  au  bout  de  quelques  mois   que 
leur  séjour  à  Rome  était  sans  objet.  Ils  rentrèrent  en 
Allemagne;  la  querelle  hermésienne  n'était  d'ailleurs 


1835 


GREGOIRE     XVI 


GRÉGOIRE   (SAINT) 


is;;(i 


pas  près  de  Unir,  elle  préoccupera  souvent  encore 
Grégoire  XVI.  se  mêlera,  en  1837  et  les  années  suivantes, 
à  l'affaire  des  mariages  mixtes  et  reprendra  de  plus 
belle  a  l'avènement  de  Pie  IX  en  1846.  C'est  le  concile 
du  Vatican  qui  résoudra  définitivement  le  problème 
difficile  des  relations  entre  la  foi  et  la  raison. 

5.  L'immaculée  conception.  —  L'action  de  Gré- 
goire XVI  nous  a  paru  jusqu'à  présent  surtout  négative  ; 
il  convient  pourtant  de  mentionner  à  son  actif  le  pro- 
grès qu'il  fit  faire  à  la  doctrine  de  l'immaculée  concep- 
tion de  Marie.  De  nombreuses  demandes  lui  furent 
adressées  au  cours  de  son  pontificat  afin  qu'il  définît 
et  proclamât  ce  dogme;  il  ne  voulut  pas  aller  si  loin, 
mais  encouragea  de  tout  son  pouvoir  la  doctrine  en 
question  et  sa  manifestation  liturgique.  En  1834,  Gré- 
goire XVI  accorda  à  l'archevêque  de  Séville  la  faveur 
d'ajouter  à  la  préface  de  la  messe  de  la  Conception  :  et 
te  in  conceptione  immaculala  B.  M.  V.  La  même  faveur 
fut  bientôt  accordée  aux  Églises  de  France,  d'Angle- 
terre, d'Allemagne,  d'Amérique;  le  pape  lui-même 
usa  de  cette  formule  et  ordonna  qu'elle  fût  employée, 
dans  la  chapelle  Sixtine,  par  le  cardinal  officiant  en  sa 
présence.  En  1843,  il  accorda  à  l'ordre  de  saint  Domi- 
nique, sur  la  demande  de  son  général,  de  célébrer  la 
fête  de  la  Conception  avec  octave  solennelle  et  d'ajouter 
le  mot  immaculala  à  la  préface.  C'est  encore  sous  son 
pontificat  que  l'on  commença  en  divers  endroits,  avec 
son  autorisation,  à  ajouter  aux  litanies  de  Lorette 
l'invocation  :  Regina  sine  labe  originali  concepta. 

Notons  enfin  que  Grégoire  XVI  inscrivit  au  rang 
des  saints,  le  26  mai  1839,  les  bienheureux  Alphonse 
de  Liguori,  Pacifique  de  San  Severino,  Joseph  de  la 
Croix,  François  de  Hieronimo,  et  la  bienheureuse 
Véronique  de  Julianis. 

G.  Missions  catholiques.  —  Mais  le  plus  beau  titre 
de  gloire  de  Grégoire  XVI,  c'est  incontestablement 
d'avoir  donné  aux  missions  catholiques,  fort  négligées 
depuis  la  fin  du  xvme  siècle,  une  vigoureuse  impulsion. 
Préfet  de  la  Propagande  sous  Léon  XII,  Maur  Capel- 
lari  avait  attiré  sur  ce  point  si  important  l'attention 
du  pontife;  devenu  pape,  il  y  consacra  tous  ses  efforts. 
C'est  lui  qui  a  vraiment  commencé  le  mouvement 
d'expansion  catholique  dans  le  monde  qui  est  caracté- 
ristique du  xixe  siècle.  Les  difficultés,  d'ailleurs,  ne 
lui  manquèrent  pas.  La  plus  grave  lui  vint  de  la  part 
de  l'archevêque  de  Goa,  qui,  soutenu  par  le  gouverne- 
ment de  Portugal,  prétendait  conserver  sur  toutes 
les  Indes,  nonobstant  les  nombreux  changements  poli- 
tiques survenus,  la  juridiction  qui  lui  avait  été  autre- 
fois accordée.  A  plusieurs  reprises,  le  clergé  portugais 
de  ces  régions  refusa  de  reconnaître  l'autorité  des 
vicaires  apostoliques  nommés  par  Grégoire  XVI;  il  y 
eut  même  des  schismes  dans  plusieurs  églises.  En 
même  temps  qu'il  se  heurtait  à  la  mauvaise  volonté 
des  Portugais,  Grégoire  XVI  voyait  la  persécution 
sanglante  décimer,  d'une  manière  épouvantable,  les 
missions  de  l'empire  d'Annam.  De  1833  à  1839,  quatre 
vicaires  apostoliques,  neuf  missionnaires,  vingt  piètres 
indigènes  et  un  grand  nombre  de  chrétiens  périrent; 
la  persécution  de  1842  fit  des  milliers  de  victimes 
parmi  les  chrétiens  indigènes.  Grégoire  XVI  à  plusieurs 
reprises  éleva  la  voix  pour  glorifier  ces  martyrs. 

Au  même  ordre  d'dées  se  rattache  la  condamnation 
solennelle  que  le  pape  porta  le  3  décembre  1839  contre 
le  trafic  des  esclaves.  Unissant  ses  efforts  à  ceux  des 
nations  civilisées,  Grégoire  XVI  déclarait,  dans  la 
lettre  In  supremo  aposlolalus  /asligio,  que  la  traite  des 
nègres,  telle  qu'elle  se  pratiquait  encore  sur  une  vaste 
échelle,  était  chose  tout  à  fait  indigne  du  nom  chrétien, 
et  qu'il  la  réprouvait  de  son  autorité  apostolique.  En 
vertu  de  cette  même  autorité,  il  défendait  stricte- 
ment à  tout  fidèle,  ecclésiastique  ou  laïque,  de  sou- 
tenir  la  licéité  de  ce  commerce  des  nègres,  sous  quel- 


que prétexte  que  ce  fût.  Il  paraît  que  cette  prohibition 
n'était  pas  inutile,  et  qu'on  avait  pu  lire  peu  de  temps 
auparavant  dans  des  feuilles  catholiques  des  apologies 
plus  ou  moins  déguisées  et  rétribuées  de  cet  infâme 
commerce. 

Grégoire  XVI  mourut  le  ltr  juin  1816,  après  une 
très  courte  maladie,  à  l'âge  de  quatre-vingt-un  ans;  il 
avait  régné  quinze  ans  et  quatre  mois. 

I.  Documents  officiels.  —  Ils  sont  loin  d'être  complè- 
tement réunis.  La  Bullarii  romani  continuatio,  Rome,  ÎSÔT, 
t.  xix,  s'arrête  au  10  janvier  1835;  le  fasc.  1  du  t.  xx.  au 
2C  septembre  1835.  La  Colleclio  lacensis  donne  les  divers 
conciles  tenus  sous  le  pontificat,  et  les  lettres  apostoliques  s'y 
rapportant.  Le  Jus  pontificium  de  Propaganda  fide,  Rome, 
1393,  t.  v,  et  le  Bidlarium  pontificium  S.  C.  de  Propagamla 
fide,  Rome,  1811,  t.  v,  donnent  les  textes  relatifs  aux  mis- 
sions. A.  M.  Bernasconi  a  essayé  de  réunir  les  actes  officiels 
de  Grégoire  XVI,  Acta  Gregorii  papœ  XVI,  scilicet  consti- 
tutiones,  bullœ,  litlerx  apostolicœ,  epistohe,  4  vol.,  Rome, 
1901-1904.  Ce  travail  fait  peu  d'honneur  à  l'entrepreneur; 
des  pièces  importantes  sont  omises,  les  dates  sont  souvent 
fausses,  l'orthographe  des  mots  allemands  illisible. 

II.  Mémoires.  — ■  Wiseman,  Recollcciions  of  the  last  four 
popes,  Londres,  1898;  Bunsen,  Mcmoir,  Londres,  18GS; 
Guizot,  Mémoires,  t.  vu. 

III.  Travaux.  —  Maynard,  J.  Crélineau-Joly,  Paris, 
1875  (Crétineau-Joly  a  été  l'intime  confident  du  pape  dans 
ses  dernières  années);  Sylvain,  Grégoire  XVI  et  son  ponti- 
ficat, Lille,  1890;  von  lielfert,  1895;  Contemporains,  1890, 
n.  351;  Kirchenlexikon,  t.  v,  p.  1148-1156. 

E.  Amann. 
17.  GRÉGOIRE  (Saint),  appelé,  en  raison  de 
son  rôle,  Grégoire  l'Illuminateur,  l'apôtre  et  le  premier 
évêque  de  l'Arménie,  appartenait  à  l'une  des  plus 
nobles  familles  du  royaume.  Élevé  chrétiennement 
en  Cappadoce,  où  il  recevra  plus  tard  la  consécration 
épiscopale  à  Césarée,  il  convertit  le  roi  Tiridate,  et 
s'employa  ensuite  avec  un  zèle  infatigable  à  instruire 
ses  compatriotes,  à  les  baptiser  et  à  fonder  des  églises. 
Il  mourut  vers  l'an  332,  après  une  carrière  longue, 
active  et  traversée  d'orages.  Voir  t.  i,  col.  1893.  Le 
pape  Grégoire  XVI,  par  un  bref  du  1er  septembre  1837, 
a  inscrit  le  nom  de  l'Illuminateur  au  martyrologe 
romain  et  a  fixé  sa  fête  au  1er  octobre.  Les  Arméniens 
modernes  vénèrent,  comme  une  relique  littéraire  de 
l'Illuminateur,  un  recueil  d'homélies  et  de  lettres, 
contenant  23  morceaux,  et  imprimé  en  arménien,  à 
Constantinople  en  1737  et  à  Venise  en  1838  Le  recueil, 
néanmoins,  est  d'une  authenticité  douteus?;  tandis 
que  F.  Nève,  L'Arménie  chrétienne  et  sa  littérature, 
Louvain,  1886,  p.  250  sq.,  lient  ces  homélies  pour 
authentiques,  P.  Vetter,  dans  Nirschl,  Lehrbuch  der 
Patrologie  und  Palristik,  18S5,  t.  m,  p.  219-222,  en 
relègue  la  composition  dans  la  première  moitié  du 
ve  siècle  et  l'attribue  à  saint  Mesrop.  Voir  1. 1,  col.  1934. 
Une  histoire  de  la  vie  et  des  travaux  de  l'Illuminateur 
et  de  l'introduction  du  christianisme  en  Arménie 
sous  le  règne  de  Tiridate  porte  le  nom  d'un  certain 
j  Agathange,  que  les  Arméniens  ont  toujours  honoré 
comme  le  premier  historien  de  leur  nation.  Il  existe 
un  texte  arménien  et  un  texte  grec  du  livre;  le  premier 
intitulé  :  Histoire  du  grand  Terdal  et  de  la  prédication 
de  saint  Grégoire  l'Illuminateur;  le  second  :  Martyre 
de  saint  Grégoire.  Le  texte  arménien  a  paru  à  Constan- 
tinople en  1709  et  en  1824,  à  Venise  en  1855  et  en 
1862;  on  en  trouve  la  traduction  française,  hormis 
les  passages  de  pure  édification,  dans  Langlois, 
Collection  des  historiens  anciens  et  modernes  de 
l'Arménie,  Paris,  1867,  t.  i,  p.  97-193.  Le  texte  grec 
a  été  publié,  d'après  un  manuscrit  de  Florence,  par 
J.  Stilting  dans  les  Acta  sanctorum  de  septembre, 
Anvers,  1762,  t.  vm,  p.  320-402.  Ce  texte  arménien 
ne  fut  rédigé  que  dans  la  première  moitié  du  ve  siècle 
sur  un  original  grec  aujourd'hui  perdu,  et,  au  vne  siècle, 
cette   rédaction    arménienne    fut   retraduite   en    grec 


1837 


GRÉGOIRE  (SAINT) 


GRÉGOIRE    DE    LYON 


1838 


par    un    Arménien.    Le    Martyre    de    saint    Grégoire 

devient,  au  x°  siècle,  les  Acta  S.  Gregorii  Armeni 
de  Siméon  Métaphraste,  P.  G.,  t.  cxv,  col.  943-990; 
il  a  fourni  aussi  le  fond  d'une  Vie  latine  de  l'Ulumi- 
nateur,  qui  semble  du  ixe  siècle,  insérée  dans  les 
Acta  sanctorum  de  septembre,  t.  vin,  p.  402-413. 
L'auteur  original,  qui  prend  lui-même  le  nom  d'Aga- 
thange,  sans  doute  parce  qu'il  apporte  la  bonne 
nouvelle  de  l'évangélisation  de  son  pays,  prétend  être 
le  propre  secrétaire  du  roi  Tiridate.  Mais,  visiblement, 
nous  sommes  en  présence  d'un  faux  littéraire.  11  y  a 
toutefois,  à  côté  de  légendes  incroyables  et  de  bévues 
énormes,  des  récits  vraiment  historiques,  dignes  de 
foi.  Voir  t.  i,  col.  558-559,  1934. 

Kraus,  Histoire  de  l'Église,  nouv.  édit.  franc.,  Paris,  1904, 
t.  i,  p.  443;  Bardenhewer,  Les  Pères  de  l'Église,  nouv. 
édit.  franc.,  Paris,  1905,  t.  in,  p.  98  sq.;  H.  Gelzcr,  Die 
Anfùnge  der  armenischen  Kirche,  dans  les  comptes  rendus 
de  l'Académie  royale  de  Saxe,  1895,  t.  xlvii,  p.  109; 
Thumaian,  Agathangelos  et  la  doctrine  de  l'Église  armé- 
nienne au  Ve  siècle,  Lausanne,  1879. 

P.  Godet. 

18.  GRÉGOIRE  D'AGRBGENTE(Saint)estnéen  Si 
cile  vers  559.  Dans  sa  jeunesse,  il  passa  en  Afrique,  puis 
à  Jérusalem,  dont  l'évèque  l'ordonna  diacre  à  l'âge  de 
vingt  ans.  Après  avoirvisité  les  monastères  de  Palestine, 
il  se  rendit  à  Antioche  et  à  Constantinople,  puis  vint  a 
Rome  en  589;  l'année  suivante,  il  fut  choisi  comme 
évêque  de  Girgenti,  sur  la  côte  méridionale  de  la  Sicile. 
Bientôt  accusé  par  ses  ennemis,  il  fut  mis  en  prison; 
mais  saint  Grégoire  le  Grand  revisa  sa  cause,  lui  rendit 
la  liberté  et  le  combla  de  bienfaits.  Il  mourut  vers  630. 
Nous  avons  sous  son  nom  un  vaste  commentaire  en 
grec  de  l'Ecclésiaste,  P.  G.,  t.  xcvm,  col.  741-1182.  Un 
de  ses  jeunes  contemporains,  «  Léonce,  prêtre,  moine 
et  supérieur  du  couvent  de  Saint-Sabas  à  Rome,  »  ainsi 
qu'il  se  désigne  lui-même,  nous  a  laissé  une  biographie 
grecque  de  saint  Grégoire  d'Agrigente  que  le  jésuite 
Cajetan  a  publiée  en  partie,  Vilee  sanctorum  Siculorum, 
Païenne,  1657,  et  qui  est  en  entier,  P.  G.,  t.  xcvm, 
col.  549-716. 

Smith  et  Wace,  A  dictionary  o/  Christian  biography, 
t.  n,  p.  776-777;  Bardenhewer,  Les  Pères  de  l'Église,  nouv. 
édit.  franc.,  Paris,  1905,  t.  m,  p.  53  sq.  ;  Kireheirfexikon, 
t.  vu,  col.  1824;  Hurtcr,  Nomenclator,  1903,  t.  i,  col.  576; 
P.  L.,  t.  xcvm,  col.  1181-1228. 

P.    Godet. 

19.  GRÉGOIRE  DATHÉVATZI  naquit  à  Vaïotz- 
tzor  en  1340.  Consacré  dès  son  enfance  à  la  vie  monas- 
tique sous  la  direction  du  grand  vartabed  (docteur) 
Jean  Orodnétzi,  il  se  signala  bientôt  comme  orateur 
et  lui  succéda  après  sa  mort  au  couvent  d'Abragouni. 
Les  troubles  qui  furent  la  conséquence  des  invasions 
de  Tamerlan  (Timour-leng)  l'obligèrent  à  quitter 
bientôt  le  couvent  et  à  mener  une  vie  errante  :  il 
trouva  enfin  un  asile  au  couvent  de  Dathèvc  (ou 
Sdathève)  dont  il  prit  le  nom.  Il  mourut  en  1411, 
âgé  de  71  ans.  Dathévatzi  fut  un  des  plus  grands 
représentants  du  parti  opposé  aux  /rares  unileurs, 
voir  1. 1,  col.  1904,  qui,  croyait-on,  latinisaient  la  langue, 
le  rituel  et  reprochaient  à  l'Église  arménienne  d'être 
hérétique.  Par  esprit  de  patriotisme  il  combattit 
dans  ses  écrits  cette  tendance,  ce  qui  lui  inspira  cette 
polémique  ardente  que  nous  rencontrons  souvent 
dans  ses  ouvrages,  dont  les  principaux  sont:  Livre  des 
questions  (Kirk  harlzmanlz),  divisé  en  dix  chapitres, 
dont  les  trois  premiers  traitent  des  hérésies;  les  autres, 
des  créatures  en  général,  de  l'homme,  de  l'incarnation, 
du  monde  et  du  jugement  dernier:  c'est  à  la  fois  une 
réfutation  et  un  commentaire  théologique,  Constan- 
tinople, 1729;  Livre  des  sermons  (Kirk  Karozoutiantz) 
en  deux  volumes  intitulés  Amar  (Été),  Tzemère  (Hiver)  : 
c'est  au  fond  l'apologie  de  toute  la  doctrine  de  l'Église 
arménienne;  le  t.  n  'Tzemère),  Constantinople.  10  jan- 


vier 1710;  t.  i  (Amar),  ibid.,  25  février  1741;  un 
Manuel  de  théologie  dogmatique  (Osképorigh),  (Con- 
stantinople probablement);  une  Explication  de  l'intro- 
duction de  Porphyre,  Madras,  21  mars  1793;  Partie 
du  rituel  (Kirk  Kavazan  dalo),  traitant  de  l'ordination 
des  vartabeds  (docteurs),   Constantinople,   1752. 

Zarpanalian,  Histoire  de  la  littérature  arménienne,  part.  II, 
2"  édit.,  Venise,  1905,  p.  177-184;  Tchamtchian,  Histoire 
de  l'Arménie,  Venise,  1786,  t.  ni,  p.  450,  455;  Arévelk 
(journal  quotidien),  1896,  n.  3619;  Iéghéghétzi  hafastanialz 
(revue),  1888,  p.  152;  sur  la  croyance  de  Dathévatzi,  voir 
Katerdjian,  Symbole,  p.  39-12;  Ghazighian,  Nouvelle  biblio- 
graphie arménienne  et  encyclopédie  de  la  vie  arminienne 
de  1512  à  1905,  Venise,  1909,  p.  501-507. 

L.  M.  Atdjian. 
20.    GRÉGOIRE    D'ELVSRE    ou    LE    BÉTOQUE 

(Saint),  évêque  d'Etvire  en  Espagne,  prés  de  Grenade, 
se  fait  après  357  l'écho  de  saint  Hilaire  de  Poitiers 
contre  Osius  de  Cordoue,  après  le  concile  d'Alexandrie 
(362)  s'oppose  avec  Lucifer  de  Cagliari  à  toute  ten- 
tative de  conciliation  avec  les  partisans  modérés  de 
l'arianisme.  devient  après  la  mort  de  Lucifer  (370- 
371)  le  chef  des  rigoristes  ou  lucifériens.  Les  deux 
prêtres  lucifériens,  Faustin  et  Marcellin,  dans  leur 
Libcllus  precum,  adressé  aux  empereurs  (383),  font 
son  apologie,  en  même  temps  qu'ils  accusent  Osius. 
II  vivait  encore  (392),  lorsque  saint  Jérôme  écrivait 
de  lui  dans  son  De  viris  illuslribus,  105  :  Gregorius, 
Bœticus,  Eliberi  episcopus,  usque  ad  exlrcmam  sene- 
clulem  diversos  mediocri  sermone  traclalus  composuit 
et  «  De  flde  »  eleganlem  librum.  Hodieque  superessc 
dicilnr.  Son  traité  De  fide  a  été  longtemps  attribué  à 
saint  Phébade,  évêque  d'Agen.  Dom  Morin  et  dom  Wil- 
mart  l'ont  revendiqué  pour  Grégoire  d'Elvire,  tandis 
que  l'abbé  Durengues  soutient  l'attribution  à  saint 
Phébade.  Dom  Morin  reconnaît  une  œuvre  de  Grégoire 
d'Elvire  dans  les  Traclalus  Origcnis  de  libris  sacrarum 
Scripturarum,  publiés  pour  la  première  fois  par 
Mgr  Batiffol  en  1900  et  attribués  ensuite  à  Novatien 
ou  à  un  novatien  du  ive  siècle.  M.  Tixeront  a  donné 
un  court  aperçu  de  leur  doctrine  à  propos  de  Novatien. 
Histoire  des  dogmes.  I.  La  théologie  anténicéenne,  Paris, 
1905,  p.  357-362.  Dom  Wilmart  a  découvert  aussi  un 
ouvrage  de  Grégoire  d'Elvire  dans  les  Traclalus  in 
Canlicis  canlicorum  insérés  par  Gotthold  Heine  dans 
sa  Bibliolheca  anecdolorum,  Leipzig,  1848. 

P.  L.,  t.  xx,  col.  31-65;  Heine,  Bibliolheca  anecdolorum 
seu  veterum  monumentorum  ccclesiasticorum  collectio  novis- 
sima,  in-8°,  Leipzig,  1848;  dom  Morin,  Les  nouveaux 
«  Tractatus  Origenis  »  et  l'héritage  littéraire  de  l'évèque  espa- 
gnol Grégoire  d'Illiberis,  dans  la  Revue  d'histoire  et  de 
littérature  religieuse*,  1900,  p.  145-161;  Ehrhard,  Die 
altchristliche  Literalur,  1900,  t.  n,  p.  328-332;  dom  Wilmart, 
Les  «  Tractaclus  «  sur  le  Cantique  attribués  à  Grégoire  d'Elvire, 
dans  le  Bulletin  de  littérature  ecclésiastique,  1908,  p.  233-214  ; 
Lejay,  L'héritage  de  Grégoire  d'Elvire,  dans  la  Revue 
bénédictine,  1908,  p.  435-457;  dom  Morin,  L'attribution 
du  «  De  fuie  »  à  Grégoire  d'Elvire,  ibid.,  1902,  p.  229-235; 
Durengues,  La  question  du  «  De  fide  »,  in-8°,  Agen,  1909; 
Bardenhewer,  Geschichte  der  allkirchlichen  Literalur,  t.  ni) 
p.  396-401  ;  Tixeront,  Histoire  des  dogmes.  II.  De  saint  Alha- 
nase  à  saint  Augustin,  Paris,  1909,  p.  258,  note  1. 

J.     Besse. 

21.  GRÉGOIRE  DE  LYON,  frère  mineur  capucin, 
mort  dans  sa  ville  natale  le  18  mars  1706,  avait  été 
maître  des  novices.  C'est  tout  ce  que  nous  savons  de 
lui;  il  mérite  cependant  une  mention  pour  un  petit 
livre  qu'il  publiait  en  1688,  croyons-nous,  et  dont  voici 
le  titre  d'après  la  5°  édition  :  Le  nouveau  catéchisme 
Ihéologiquc,  qui  donne  brièvement  et  d'une  manière  par- 
ticulière les  définitions,  et  l'explication  des  principales 
difficultés  dont  on  traite  en  théologie.  Ouvrage  très  utile 
non  seulement  à  ceux  qui  servent  aux  autels,  et  qui 
s'exercent  aux  fondions  de  l'Église,  mais  encore  à  toutes 


1839 


GRÉGOIRE    DE    LYON 


GRÉGOIRE    DE    NAZIANZE 


1840 


sortes  de  personnes,  curieuses  de  sçavoir  les  vérités  de 
nôtre  religion,  in-12,  Lyon,  169G;  ibid.,  1698  et  1704. 

Bernard  de  Bologne,  Bibliotheca  scriptorum  ord.  min. 
capuccinorum,  Venise,  1717;  Obiluaire  des  capucins  de 
Lyon,  dans  le  Bulletin  historique  du  diocèse  de  Lyon,  Lyon, 
1900,  t.  i,  p.  165. 

P.  Edouard  d'Alençon. 

22.  GRÉGOIRE  DE  NAPLES  était  docteur  in 
ulroque  et  chanoine  de  la  métropole  de  Saint- Janvier, 
quand  il  prit  l'habit  religieux  chez  les  frères  mineurs 
capucins,  en  1576.  Par  esprit  de  pénitence  il  ne  portail 
pas  même  de  sandales,  ce  qui  le  fit  nommer  le  Scalzo. 
Sa  compétence  théologique  était  si  bien  reconnue  que 
l'archevêque  de  Naples  l'avait  mis  au  nombre  des 
reviseurs  des  ouvrages  qui  s'imprimaient  dans  cette 
ville;  il  était  également  versé  dans  la  connaissance  de  la 
théologie  mystique,  donl  il  a  laissé  un  traité  manuscrit. 
Après  une  vie  édifiante  le  P.  Grégoire  mourut  dans  sa 
patrie  le  26  octobre  1601.  On  a  de  lui  :  Enchiridion  sive. 
prœparalio  quœ  pertinct  ad  sacramentum  pivnitenlice  cl 
ordinis  sacri.  Edita  a  quodam  religioso  viro,  et  tandem 
ti/pis  calcographis  tradita,...  ecclesiasticis  omnibus  ac 
u.  j.  docloribus  maxime  ulilis  ac  necessaria,  in-8°, Naples, 
1585.  Comme  il  avait  laissé  imprimer  le  livre  sans  y 
mettre  son  nom,  le  P.  Grégoire  fut  réprimandé  et  mis 
en  pénitence,  aussi  la  seconde  édition  portait  le  nom 
de  l'auteur,  in-8°,  Venise,  1588.  Il  publia  ensuite, 
comme  seconde  partie  de  Y  Enchiridion,  une  exposition 
de  la  double  règle  franciscaine  des  frères  mineurs  et 
des  clarisses,  dont  il  montrait  le  même  esprit,  sous  le 
titre  de  Regola  unica  del  serafico  S.  Franccsco,  con  la 
dichiaralione  fatta  da  diversi  sommi  pontefici  :  E  la 
Regola  délia  beata  verg.  S.  Chiara  con  l'esposilione  del- 
l'una,  e  dell'  altra,  con  sedici  Avertimenti  per  i  morienli,  e 
altri  devoti  discorsi,  in-8°,  Venise,  1589.  Les  seize  aver- 
tissements pour  les  mourants  furent  réimprimés  en 
1595  et  en  1617,  à  la  suite  du  Ricordo  del  ben  morire  du 
dominicain  Barthélémy  de  Angelo,  puis  séparément, 
avec  des  additions  à  Venise,  1600  et  1606.  Enfin  le 
P.  Grégoire  donna  une  troisième  partie  de  son  Enchiri- 
dion, qu'il  intitulait  :  Epilome  di  privilegii  cstralto 
dal  Compendio  di  privilegii  délia  rcligione  di  S.  Fran  ■ 
cesco,  in-8°,  Naples,  1594.  Cet  abrégé,  qui  avait  été 
revu  par  D.  Ferdinand  Romeo  de  Naples,  est  un  extrait 
du  Compendium  privilegiorum  jratrum  minorum  et  alio- 
rum  mendicanlium,  du  franciscain  Alphonse  da  Casa- 
rubios  (voir  t.  Il,  col.  1821),  dont  son  confrère  le 
P.  Jérôme  de  Sorbo,  avec  lequel  il  collaborait,  pré- 
parait une  nouvelle  édition.  La  bibliothèque  nationale 
de  Naples  conserve  parmi  ses  manuscrits  (VII.  E.  49) 
une  Istruttione  mystica  del  P.  Gregorio  da  Napoli,  dont 
un  petit  traité  :  Meditationi  sopra  scltc  virlu  di  Crislo 
Signor  nostro  per  imilarli,  a  été  édité  à  Sant'  Agnello 
près  Sorrente,  1887.  Il  avait  aussi,  peut-être  avant  son 
entrée  en  religion,  classé  les  archives  du  chapitre  de 
Naples  et  dans  sa  famille  religieuse  il  recueillit  des 
mémoires,  aujourd'hui  perdus,  sur  la  fondation  des 
couvents  de  la  province  de  Naples. 

Bernard   de   Bologne,    Biblioliieca   scriptorum   ord.   min. 
capuccinorum,  Venise,  1747;  Apollinaire  de  Valence,  Biblio- 
theca  /r.  min.  cap.  provinciœ  Neapolitance,  Naples,  1886. 
P.  Edouard  d'Alençon. 

23.  GRÉGOIRE  DE  NAZIANZE  (Saint).  —  I.  Vie. 
II.  Ouvrages.  III.  Doctrine. 

I.  Vie.  —  Esprit  de  haute  culture,  brillant  et  gra- 
cieux; âme  douce  et  tendre,  mal  armée,  faute  peut- 
être  de  sens  pratique,  pour  soutenir  les  luttes  dans 
lesquelles  le  hasard  de  la  vie  la  jettera;  théologien 
à  la  fois  habile,  orateur  et  poète,  Grégoire  naquit 
vers  l'an  329  au  bourg  d'Arianze,  près  de  Nazianze, 
petite  ville  du  sud-ouest  de  la  Cappadoce,  et  fut 
consacré  à  Dieu  dès  sa  naissance  par  sa  pieuse  mère 
Nonna.  Le  jeune  Grégoire  reçut  une  éducation  très 


soignée;  il  fut  envoyé  d'abord  aux  écoles  de  Césarée 
en  Cappadoce,  puis  dans  Alexandrie,  puis  dans  Athènes, 
où  l'un  de  ses  compagnons  de  Césarée,  le  futur  saint 
Basile,  ne  tarda  pas  à  le  rejoindre,  et  où  les  deux 
jeunes  gens  se  lièrent  d'une  étroite  amitié.  Il  parail 
que  Grégoire  prolongea  plus  que  Basile  son  séjour 
dans  Athènes  et  qu'il  y  donna  des  leçons  d'éloquence. 
Mais,  vers  357,  il  revint  à  la  maison  paternelle,  reçut  le 
baptême,  et  partagea  depuis  lors  sa  vie  entre  l'ascèse 
et  l'étude.  Ce  fut  probablement  vers  362  que,  sur  les 
instances  des  fidèles,  il  fut  ordonné  piètre,  un  peu 
malgré  lui,  des  mains  de  son  propre  père,  qui,  de  la 
scetc  des  hypsislariens  ou  adorateurs  de  Zeus  1  ly- 
psistos,  avait  passé,  après  sa  conversion,  sur  le  siège 
épiscopal  de  Nazianze.  Froissé  de  la  violence  qu'il 
avait  subie,  et  toujours  épris  de  l'amour  de  la  retraite, 
le  nouveau  prêtre  s'enfuit  auprès  de  son  ami  Basile 
dans  le  Pont.  Toutefois  il  n'y  resta  pas  longtemps, 
et  rentra  bientôt  à  Nazianze,  pour  y  soulager  son 
père  dans  le  gouvernement  de  son  Église.  En  363  et 
364,  un  schisme  avait  éclaté  dans  Nazianze  :  le  vieil 
évêque  ayant  signé,  par  faiblesse  ou  par  méprise,  la 
formule  semi-arienne  de  Rimini,  une  partie  des  fidèles 
s'était  déchaînée  contre  lui.  Grégoire  sut  décider  son 
père  à  faire  solennellement  une  profession  de  foi 
pleinement  catholique,  et,  grâce  à  son  heureuse  inter- 
vention, le  calme  et  la  concorde  refleurirent.  Le  père 
et  le  fils  continuèrent  quelque  temps  à  prendre  soin 
en  commun  de  l'Église  de  Nazianze.  Mais,  quand 
saint  Basile,  à  la  suite  de  ses  démêlés  avec  l'arche- 
vêque de  Tyane,  Anthime,  eut  l'idée  de  créer  plu- 
sieurs évêchés  dans  les  petites  villes  de  la  Cappadoce, 
il  contraignit  son  ami  d'être  évêque  de  Sasima, 
station  postale  sur  la  route  de  Cilicie,  triste  localité 
qui  faisait  horreur  à  l'ancien  et  brillant  élève  d'A- 
thènes. Bien  à  contre-cœur,  Grégoire  se  fit  sacrer 
dans  Nazianze  par  saint  Basile,  peu  après  Pâques  de 
l'an  372,  selon  toute  apparence.  Jamais  Sasima  ne  le 
verra  remplir  les  fonctions  épiscopales,  célébrer  le 
service  divin,  ordonner  aucun  clerc;  une  fois  encore 
il  s'enfuira  dans  la  solitude.  Seules  les  supplications 
de  son  père  le  rappelleront  à  Nazianze,  pour  l'aider 
dans  son  grand  âge  à  porter  le  poids  de  sa  charge. 
Lorsque  le  vieillard  mourra  en  374,  suivi  de  près 
dans  la  tombe  par  la  vénérable  Nonna,  Grégoire,  le 
cœur  brisé  et  la  santé  chancelante,  dira  en  375  adieu 
à  Nazianze,  et  se  réfugiera  dans  le  monastère  de 
Sainte-Thècle,  à  Séleucie  d'Isaurie,  afin  de  s'y  vouer 
à  la  vie  contemplative. 

Il  ne  devait  cependant  pas  jouir  du  repos  après 
lequel  il  soupirait.  Au  commencement  de  l'an  379, 
les  catholiques  de  Constantinople,  à  qui  l'empereur 
Valens  avait  enlevé  successivement  toutes  leurs  églises, 
mais  qui  saluaient  dans  l'avènement  de  Théodose  l'au- 
rore d'un  meilleur  avenir,  implorèrent  le  secours  de 
Grégoire,  et  celui-ci  ne  résista  point  à  l'espoir  de 
rétablir  la  vraie  foi  dans  la  capitale  de  l'Orient.  Par 
son  admirable  éloquence  et  par  ses  vertus,  il  lutta 
contre  l'ascendant  de  l'arianisme,  au  péril  de  sa  vie  et 
non  sans  succès.  L'Église  opprimée  respira  et  grandit. 
Théodose  repoussa  le  philosophe  Maxime,  qui  s'était 
fait  passer  pour  un  catholique  persécuté  et  sacrer 
secrètement  évêque  de  Constantinople,  reprit  aux 
ariens,  le  26  novembre  380,  les  églises  de  la  capitale 
et  mena  lui-même  le  lendemain  Grégoire  à  l'église 
cathédrale,  à  Sainte-Sophie.  De  fait,  Grégoire  était 
l'ôvêque  de  Constantinople;  il  attendit  néanmoins, 
pour  en  prendre  le  titre,  que  le  IIe  concile  œcumé- 
nique, ouvert  à  Constantinople,  sur  la  convocation 
de  Théodose,  au  mois  de  mai  381,  eût  reconnu  et 
affermi  ses  droits.  Ainsi  fut  fait  de  prime  abord. 
Mais  quand  Grégoire  vit  ses  efforts  pour  éteindre  le 
schisme  mélétien  d'Antioche  se  briser  contre  l'opposi- 


1841 


GREGOIRE    DE    NAZIANZE 


1842 


tion  des  plus  jeunes  membres  du  concile,  et  qu'il  vit 
en  outre  les  évêques  d'Egypte  et  de  Macédoine,  tardi- 
vement invités,  contester  sa  nomination  au  siège  de 
Constantinople,  écœuré  des  ambitions  et  des  intrigues 
de  nombre  d'évoqués,  il  se  démit  de  la  charge  qu'il 
venait  à  peine  d'assumer,  et  quitta  Constantinople, 
au  mois  de  juin  381  probablement.  Il  retourna  ensuite 
à  Xazianze,  qu'il  administra  pendant  la  vacance  du 
siège  et  défendit  des  ravages  de  l'apollinarisme.  Enfin, 
lorsque,  vers  383,  il  put  procurer  à  Nazianze  en  la 
personne  de  son  cousin  Eulalius  le  pasteur  de  ses 
vœux,  il  se  retira  près  d'Arianze,  sur  le  domaine  de 
ses  pères,  où  il  était  né.  11  y  mourut  en  389  ou  au 
plus  tard  en  390,  adonné  aux  pratiques  de  l'ascétisme 
chrétien  et  à  la  culture  des  vers  dont  la  passion  avait 
enchanté  sa  jeunesse. 

IL  Ouvrages.  —  Les  œuvres  de  saint  Grégoire 
se  divisent  en  trois  groupes  :  Discours,  lettres  et  poésies. 

1°  Discours.  —  Des  45  discours  qui  ont  survécu, 
P.  G.,  t.  xxxv-xxxvi,  les  premiers,  pour  la  célébrité 
comme  pour  l'importance,  sont  les  discours  xxvii-xxxi 
du  recueil.  Ces  cinq  discours  sur  la  Trinité,  intitulés 
par  l'orateur  lui-même  Discours  théologiques,  Oî  Tfj; 
SsoXo-fÊaç  Xo'y<h,  ont  été  prononcés  à  Constantinople,  en 
380,  contre  les  unomiens  et  les  pneumatomaques, 
et  par  leur  vigueur,  ils  ont  mérité  à  saint  Grégoire 
de  Nazianze  le  titre  de  théologien;  ce  sont  les  mor- 
ceaux classiques  de  la  théologie  grecque.  Deux  autres 
discours,  qui  datent  aussi  du  séjour  de  Constanti- 
nople, le  xxc  sur  le  sacre  et  l'intronisation  des  évêques, 
le  xxxne  sur  la  mesure  à  garder  dans  les  discussions, 
abordent  souvent  les  mêmes  sujets  que  les  discours 
théologiques  et  s'en  rapprochent  beaucoup.  Deux  dis- 
cours passionnés  contre  l'empereur  Julien,  Ào'yot  (jtt)Xi- 
TîJt'./.oî,  iv  et  v,  n'ont  été  composés  qu'après  la  mort 
de  ce  prince,  2G  juin  363,  et,  selon  toute  apparence, 
n'ont  pas  été  prononcés.  Le  discours  n,  dans  lequel 
saint  Grégoire  explique  et  justifie  sa  fuite  après  son 
ordination  sacerdotale,  n'a  sans  doute  jamais  été  porté 
dans  la  chaire  sous  sa  forme  actuelle;  il  est  fort  à 
croire  que  la  partie  purement  apologétique  en  fut 
seule  prononcée,  l'an  362  ou  363,  à  Nazianze,  et  que 
l'orateur,  remaniant  plus  tard  son  travail  primitif, 
en  fit  l'ample  traité  qui  nous  est  parvenu  sur  la 
sublimité  de  l'état  ecclésiastique.  Les  sujets  des  autres 
discours  sont  très  variés.  Le  prédicateur  s'inspire  tantôt 
d'une  fête  de  l'Église,  tantôt  d'un  article  du  symbole 
ou  d'une  obligation  de  la  vie  chrétienne.  Ailleurs,  il 
célèbre  la  mémoire  de  quelques  martyrs  fameux, 
honore  le  souvenir  de  ses  parents  et  de  ses  amis, 
Césaire,  son  jeune  frère,  vu,  Gorgonie  sa  sœur,  vm, 
Grégoire,  son  père,  xvin,  saint  Basile,  xliii,  raconte 
enfin  dans  un  but  d'apologie  les  faits  saillants  de  sa 
propre  carrière.  Nulle  part  l'éloquence  de  saint  Gré- 
goire n'est  exempte  des  recherches  et  des  artifices  de 
la  rhétorique;  partout,  même  dans  les  oraisons  funè- 
bres, le  sophiste  perce  à  côté  de  l'orateur.  En  général, 
le  faux  et  l'exagéré  se  mêlent  avec  le  grand  et  le 
beau,  une  sensibilité  délicate  et  profonde  avec  une 
froide  et  creuse  redondance.  Rufin  d'Aquilée  nous 
apprend,  P.  L.,  t.  xxi,  col.  250,  qu'il  a  traduit  en 
latin  huit  discours  de  saint  Grégoire;  mais  on  ne  trouve 
dans  P.  G.,  t.  xxxvi,  col.  735-736,  que  la  préface  de 
cette  version.  Des  éditions  spéciales  des  discours  de  saint 
Grégoire  de  Nazianze  ont  été  faites  par  Goldhorn, 
Leipzig,  1854,  et  par  J.  A.  Mason,  Cambridge,  1899. 

2°  Lettres.  —  Il  nous  est  resté  de  saint  Grégoire  244 
lettres,  P.  G.,  t.  xxxvn,  qui  datent  pour  la  plupart 
de  la  retraite  d'Arianze,  383-389.  Mercati,  Varia  sacra, 
Rome,  1903,  t.  i,  p.  53-56,  a  fait  paraître  une  nouvelle 
et  courte  lettre  de  saint  Grégoire  à  saint  Basile, 
avec  la  réponse  de  ce  dernier.  La  lettre  ccxnn6  au 
moine  Évagre,   P.    G     t.  xxxvn,   col.  383;  t.   xlvi, 


col.  1101-1108,  est  apocryphe.  Travaillées  avec  soin  et 
comme  en  vue  du  public,  ces  lettres  ont  pour  trait 
distinctif  une  énergique  brièveté.  Mais  elles  n'offrent 
point  au  fond  d'intérêt  historique;  elles  ne  nous  initient 
qu'à  des  détails  de  la  vie  de  l'auteur  ou  de  ses  amis 
et  de  ses  parents.  Il  y  est  rarement  question  de  théo- 
logie. Signalons  pourtant  sous  cet  aspect  les  deux 
lettres  au  prêtre  Cledonius,  ci  et  en,  composées  pro- 
bablement toutes  les  deux  en  382  et  dirigées  contre 
l'apollinarisme. 

3°  Poésies.  -  -  Comme  la  plupart  des  lettres  de 
saint  Grégoire  de  Nazianze,  la  plupart  de  ses  poésies 
s'échelonnent  de  l'an  383  à  l'an  389,  J'.  G.,  t.  xxxvn- 
xxxvm.  Poésies  théologiques,  traitant  tour  à  tour  du 
dogme  et  de  la  morale,  et  poésies  historiques,  celles-ci 
sur  lui-même,  celles-là  sur  les  autres.  Le  poète  s'y 
était  donné  la  tâche  de  combattre  avec  leurs  propres 
armes  les  apollinaristes,  qui  se  servaient  du  vers  pour 
répandre  leurs  doctrines  dans  le  peuple.  On  a  critiqué 
la  poésie  didactique  de  saint  Grégoire,  pour  n'être, 
a-t-on  dit,  que  de  la  prose  versifiée,  traînante  et 
redondante.  Les  élégies,  au  contraire,  où  Grégoire  a 
pleuré  ses  malheurs,  reflètent  une  tristesse  rêveuse, 
une  mélancolie  mystique  d'un  charme  singulier  et 
qui  va  au  cœur.  Les  principaux  mètres  de  la  prosodie 
classique  —  hexamètres,  trochées,  trimètres  iambiques, 
etc.  —  foisonnent  dans  l'œuvre  de  saint  Grégoire. 
On  y  remarque  toutefois  dans  quelques  vers  les  pre- 
miers avant-coureurs  de  la  poésie  moderne.  Un  Hymne 
du  soir  et  une  Exhortation  aux  vierges,  P.  G.,  t.  xxxvn, 
col.  511-514,  632-640,  sont,  dans  la  littérature  grecque, 
le  plus  lointain  exemple  de  cette  poésie  nouvelle, 
fondée  sur  l'accent  tonique  et  non  plus  sur  la  quantité. 

III.  Doctrine.  ■ —  Saint  Grégoire  de  Nazianze, 
appuyé  fermement  sur  la  double  autorité  de  l'Écriture 
et  de  la  tradition,  est  le  champion  et  le  représentant 
de  la  foi  de  l'Église  grecque  à  la  fin  du  ive  siècle. 
«  C'est  une  preuve  manifeste  d'erreur  dans  la  foi, 
écrira  Rufin  d'Aquilée,  P.  G.,  t.  xxxvi,  col.  736,  que 
de  ne  pas  s'accorder  avec  la  foi  de  Grégoire.  »  On  a 
révéré  de  tout  temps  sa  doctrine,  et  les  conciles 
œcuméniques  à  maintes  reprises  l'ont  expressément 
invoquée.  Ainsi,  au  milieu  des  hérésies  trinitaires  et 
christologiques  du  iv  sièele,  en  face  des  semi-ariens, 
des  macédoniens  et  des  apollinaristes,  l'orthodoxie 
de  saint  Grégoire  est  demeurée  sans  tache.  Continua- 
teur de  saint  Athanase,  et  partisan  fidèle,  quoi  qu'on 
ait  dit,  du  strict  ôij-ocôaio;  nicéen,  il  distingue  avec 
une  netteté  particulière  l'ojaia  et  l'ûr.otrtaaic,  per- 
mettant même  sous  une  condition  antisabellienne 
l'emploi  du  mot  rpdawjtov,  et  il  reconnaît  en  Dieu 
trois  hypostases  ou  personnes,  consubstantielles  entre 
elles,  toutes  les  trois  égales  et  également  adora- 
bles, ayant  la  même  volonté,  la  même  connaissance, 
la  même  action.  «  Il  y  a  diversité  quant  au  nombre, 
mais  non  partage  de  substance.  »  Orat.,  xxix,  2; 
xxxi,  9,  et  passim.  Voir  t.  v,  col.  2455.  Les  propriétés 
caractéristiques  de  ces  trois  personnes  divines,  par 
où  chacune  s'oppose  aux  deux  autres,  sont,  selon 
saint  Grégoire,  Orat.,  xxv,  16;  xxxi,  29,  ràysvvrisîa, 
la  ysvvTjata  ou yÉvv7]CTtç,  l'iz-opjcjt;  ou'éy.~i'x^<.:.  En  quoi 
précisément  la  procession  du  Saint-Esprit  diffère  delà 
génération  du  Fils,  notre  saint  avoue  qu'il  nous  est 
impossible  de  le  marquer.  Orat.,  xxxix,  12;  xxm, 
1 1  ;  xxxi,  8.  Du  Filioque,  de  la  procession  du  Saint-Esprit 
par  le  Fils,  il  ne  nous  dit  à  peu  près  rien;  cependant, 
bien  qu'il  n'en  parle  presque  pas,  il  la  présuppose. 
Oral.,  xlii,  15.  Voir  t.  v,  col.  787-788.  En  revanche, 
saint  Grégoire  s'élève  contre  la  mutilation  que  l'apolli- 
narisme voulait  infliger  à  la  nature  humaine  de 
Jésus-Christ,  et  il  maintient  avec  fermeté  l'existence 
de  l'âme  raisonnable,  voùç,  dans  l'humanité  du  Sau 
veur.    Orat.,   n,   23;  xxxvn,  2.   Le  principe  sotério 


L843      GREGOIRE    DE    NAZIANZE  -  -   GRÉGOIRE    DE    NÉOCÉSARÉE 


logique  sur  lequel  roule  toute  sa  discussion  est  ainsi 
formulé  :  «  Cela  seul  est  guéri,  qui  est  pris  parle  Verbe; 
cela  seul  est  sauvé,  qui  est  uni  à  Dieu.  »  Episl.,  ci, 
col.  181.  D'accord  toutefois  en  ceci  avec  Apollinaire, 
notre  saint  repousse  l'idée  de  la  dualité  des  personnes 
en  Jésus-Christ.  «  11  y  a  en  lui,  écrit-il,  deux  natures; 
il  est  Dieu  et  homme,  puisqu'il  est  âme  et  corps;  mais 
il  n'y  a  pas  deux  lils  ni  deux  dieux...  Autre  et 
autre,  àÀÀo  v.t.\  aÀ/.o,  sont  les  éléments  dont  est 
le  Sauveur...;  mais  le  Sauveur,  lui,  n'est  pas  un  autre 
et  un  autre,  aÀÀoç  /.ai  aÀÀo;,  loin  de  là  !  »  Epist., 
ci,  col.  180.  De  l'unité  personnelle  de  Jésus-Christ 
.lans  la  dualité  des  éléments  qui  le  composent, 
l'un  divin,  l'autre  divinisé,  Oral.,  xxxvm,  13,  suit, 
avec  la  communication  des  idiomes,  le  dogme  de  la 
maternité  divine  de  Marie.  Les  textes  classiques  se 
trouvent  clans  saint  Grégoire  de  Nazianze.  «  Si  quel- 
qu'un n'accepte  pas  sainte  Marie  pour  mère  de  Dieu, 
il  est  séparé  de  la  divinité.  »  Epist.,  ci,  col.  177.  Marie 
est  la  Virgo  dcipara.  Oral.,  xxix,  4. 

En  dehors  des  questions  trinitaires  et  christo- 
logiques,  où  la  foi  de  saint  Grégoire,  nonobstant  des 
imprécisions  et  des  obscurités  de  langage,  est  restée 
toujours  pure,  notre  saint  regarde  les  anges  comme 
des  créatures  immortelles,  intelligentes  et  libres. 
Oral.,  xxix,  13.  Leur  spiritualité  est-elle  absolue  ?  Il 
refuse  de  se  prononcer.  Oral.,  xxvni,  31  ;  xxxvm,  9. 
Voir  t.  i,  col.  1199,  1204.  Sanctifiés  après  leur  création, 
Oral.,  vi,  12,  13,  les  anges  prévaricateurs  ont  perdu 
la  grâce  par  l'effet  de  l'envie  ou  de  l'orgueil,  OraL, 
xxxvm,  9;  xlv,  5,  et,  précipités  du  ciel,  mais  non 
anéantis,  ils  font  actuellement  la  guerre  aux  enfants 
de  Dieu.  Carm.,  1.  I,  sect.  i,  7,  P.  G.,  t.  xxxvn, 
col.  443  sq. 

Quant  à  la  nature  de  l'homme  et  à  son  état  présent, 
saint  Grégoire,  sans  entrer  néanmoins  dans  toutes 
les  précisions  désirables  et  nécessaires,  atteste  et 
sa  béatitude  primitive  et  sa  déchéance  postérieure. 
Le  péché  d'Adam,  qui  est  aussi  le  péché  de  tous  les 
enfants  d'Adam,  OraL,  xvi,  15;  xxxvm,  4,  17,  a 
entraîné  pour  eux  la  mort,  les  misères  de  la  vie  ter- 
restre, le  dérèglement  de  la  convoitise,  la  perte  de 
la  grâce  surnaturelle  et  de  l'union  avec  Dieu.  L'image 
de  Dieu  n'est  pourtant  pas  effacée  totalement  dans 
l'homme,  ni  sa  puissance  de  coopérer  avec  la  grâce 
n'est  abolie.  L'homme  déchu  peut  s'élever  du  spec- 
tacle des  choses  créées  à  la  connaissance  de  Dieu, 
et  son  libre  arbitre  lui  a  été  conservé.  Le  libre  arbitre 
peut  donc  et  doit  concourir  avec  la  grâce  dans  l'œuvre 
du  salut;  sans  ce  concours,  pas  de  salut  possible. 
Saint  Grégoire,  en  étudiant  de  moins  près  que  saint 
Augustin  le  problème  de  la  grâce,  ne  laisse  pas  de 
maintenir  l'homme  dans  la  dépendance  de  l'action 
divine,  et  de  faire  très  large  la  part  de  la  grâce  dans  le 
bien  que  l'homme  accomplit;  la  bonne  volonté  môme 
de  l'homme  vient  de  Dieu.  Oral.,  xxxvn,  13  sq. 

Cette  grâce,  qui  nous  est  indispensable,  est  le  fruit 
de  l'incarnation  et  de  la  mort  de  Jésus-Christ;  mais 
comment  avons-nous  été  rachetés  et  délivrés  de  la 
mort  ?  Saint  Grégoire  de  Nazianze  attache  une  grande 
importance  à  la  doctrine  de  la  rédemption,  et  il 
attribue  une  efficacité  spéciale  à  la  passion,  qui  est 
un  sacrifice  réel,  dans  lequel  Jésus-Christ  s'est  sub- 
stitué aux  coupables.  Il  condamne  absolument  l'idée 
adoptée  par  saint  Basile  et  par  saint  Grégoire  de 
Nysse,  que  nous  étions  devenus  la  propriété  de  Satan 
et  que  la  vie  et  le  sang  de  Jésus-Christ  sont  la  rançon 
payée  pour  nous  au  démon.  Oral.,  xlv,  22.  Jésus- 
Christ  s'est  substitué  à  nous  et  s'est  fait,  à  notre  place, 
la  victime  de  la  justice  de  Dieu.  Oral.,  xxx,  5;  xxxvir, 
1.  Cf.  L.  Rivière,  Le  dogme  de  la  rédemption,  Paris, 
1905,  p.  103-104,  174-179,  387,  420-421. 

Pendant  que  notre  saint  rend  hommage  à  la   pri- 


mauté du  siège  de  Rome,  Carmen  de  vita  sua,  P.  G. 
t.  xxxvn,  col.  10(18,  il  proclame  la  nécessité  du 
baptême  sacramentel,  pour  nous  ouvrir,  à  défaut  du 
martyre,  l'entrée  de  l'Église  et  nous  mettre  en  posses- 
sion du  bonheur  éternel.  Oral.,  xl,  23.  En  ne  requérant 
pas  la  sainteté  dans  le  ministre  du  baptême  et  en 
prescrivant  le  baptême  immédiat  des  enfants,  s'ils 
sont  en  danger  de  mort.  Oral.,  xi,  28,  saint  Grégoire 
montre  qu'il  accorde  au  rite  lui-même  une  efficacité 
objective  pour  la  production  de  la  grâce.  Mais,  sans 
requérir  la  sainteté  du  ministre  du  baptême,  il  requiert 
que  le  ministre  ait  au  moins  la  foi  de  l'Église.  OraL,  xl, 
26.  C'était  reconnaître  la  nécessité  de  rebaptiser  les 
hérétiques,  conformément  à  la  tradition  de  Firmilien 
de  Césarée.  La  présence  réelle  de  Jésus-Christ  dans 
l'eucharistie  et  le  caractère  sacrificiel  du  mystère 
eucharistique  sont  aussi  affirmés  et  mis  en  lumière. 
OraL,  vm,  18;  n,  95;  Epist.,  cli.  Voir  t.  v,  col.  1148. 
Les  secondes  noces  et,  plus  encore,  les  troisièmes 
et  quatrièmes  noces  sont  mal  vues  ou  même  tout  à 
fait  réprouvées.  Oral.,  xxxvm,  8.  Saint  Grégoire 
n'admet  aucune  dilation  pour  les  justes  de  la  béatitude 
éternelle,  bien  que  la  chair  n'y  doive  prendre  part 
qu'après  la  résurrection.  Dans  la  question  de  la  durée 
des  peines  de  l'enfer,  l'influence  des  idées  d'Origène 
est  sensible.  Tantôt  Grégoire  enseigne  l'éternité  des 
peines,  Oral.,  xvi,  7;  tantôt  il  ne  veut  pas  se  prononcer, 
ou  il  insiste  principalement  sur  le  caractère  moral 
de  la  peine  des  damnés.  Oral.,  xl,  36;  Carm.,  1.  II, 
sect.  i,  1,  P.  G.,  t.  xxxvn,  col.  1010.  Voir  t.  v,  col.  69-70. 

Vie  de  saint  Grégoire  de  Nazianze  en  grec,  P.  G.,  t.  xxxv, 
col.  241-305,  avec  les  préfaces  des  anciens  éditeurs;  Tille- 
mont,  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  ecclésiastique,  Paris, 
1714,  t.  ix,  p.  305-5G0,  692-731;  Ch.  Clémencet,  Vita 
S.  Gregorii  theologi,  P.  G.,  t.  xxxv,  col.  147-242;  Ullmann, 
Gregorius  von  Nazianz,  der  Tlteologe,  Darmstadt,  1825; 
A.  Benoît,  S.  Grégoire  de  Nazianze,  Paris,  1885;  Dubetout, 
De  Gregorii  Nazianzeni  carminibus,  Paris,  1901  ;  Fessler- 
Jungmann,  Instituliones  patrologiœ,  Inspruck,  1890, 
t.  i,  p.  532-561  ;  P.  Batiffol,  La  littérature  grecque,  Paris, 
1897,  p.  237-240  ;  Bardenhewer,  Les  Pères  de  l'Église, 
nouv.  édit.  franc.,  Paris,  1C05,  t.  n,  p.  89-103  ;  Hurter, 
Nomenclator,  1903,  t.  i,  col.  163-172  ;  Hergenrôther,  Die 
Lehre  von  der  goltliclien  Dreieinigkeit  nach  dem  hl.  Gregor 
von  Nazianz,  Batisbonne,  1850;  Dr.iseke,  Neuplatonisches 
in  der  Gregorios  von  Nazianz  Trinitatslehre,  dans  Bgzan- 
tinische  Zcilschrijt,  1906,  t.  xv,  p.  141-190;  Hiimmer, 
Des  hl.  Gregor  von  Nazianz  des  Theologe  Lehre  von  der 
Gnade,  Kempten,  1890;  fixeront,  Histoire  des  dogmes, 
Paris,  1909,  t.  u  (voir  table  analytique,  p.  522);  Marcel 
Guignet,  Saint  Grégoire  de  Nazianze,  orateur  et  épistolier, 
Paris,  1912;  R.  Gottwald,  De  Gregorio  Nazianzeno,  phdo- 
nico,  Breslau,  1906. 

P.  Godet. 

24.  GRÉGOIRE  DE  NÉOCÉSARÉE,  ou  LE 
THAUMATURGE  (Saint).  —   I.   Vie.    II.   Ouvrages. 

I.  Vie.  —  Grégoire,  nommé  aussi  primitivement 
Théodore,  et  surnommé  plus  tard  le  Thaumaturge, 
naquit  vers  l'an  213  à  Néocésarée,  dans  le  Pont  Polé- 
moniaque,  d'une  des  plus  nobles  familles  païennes 
du  pays.  Orphelin  dès  l'âge  de  quatorze  ans,  il  étudia 
tour  à  tour  la  rhétorique  et  le  droit.  Pour  parfaire  ses 
études  juridiques,  il  se  proposait  d'aller,  avec  son  frère 
puîné  Athénodore,  à  la  célèbre  école  de  Béryte  en 
Phénicie,  lorsque  le  mariage  de  leur  sœur  avec  un 
assesseur  du  gouverneur  de  Palestine  attira  les  deux 
frères  dans  sa  résidence  à  Césarée.  Là,  probablement 
en  233,  ils  rencontrèrent  Origène,  se  laissèrent  captiver 
par  son  enseignement,  et  oublièrent  peu  à  peu  Béryte 
et  la  jurisprudence,  attachés  de  toute  leur  âme  au 
maître,  qui  réussit  à  les  tourner  vers  les  études  philo- 
sophiques et  bientôt  à  les  convertir  tout  à  fait.  Après 
avoir  suivi  pendant  cinq  ans  les  leçons  d'Origène  et 
avoir  témoigné  de  la  reconnaissance  envers  son  illustre 
maître  par  un  discours  public,  prononcé  devant  lui, 


1845 


GRÉGOIRE    DE    NEOCESAREE 


1846 


Grégoire,  vers  238,  reprit  avec  Athénodore  le  chemin 
du  l'ont.  Peu  après,  l'évêque  d'Aniasia,  Phédime, 
élevait  Grégoire,  malgré  sa  jeunesse,  sur  le  siège  de 
Néocésarée.  De  la  carrière  épiscopale  de  Grégoire  on 
ne  sait  rien  de  bien  précis.  Les  deux  biographies  qui 
nous  restent  du  saint  évêque,  l'une  en  grec  par  saint 
Grégoire  de  Nysse,  P.  G.,  t.  xi.vi,  col.  893-958, 
l'autre  en  syriaque  par  un  auteur  inconnu,  Ryssel, 
Theol.  Zeitschrift  mis  der  Schweiz,  189  1,  t.  xi,  p.  228- 
27)  1  ;  P.  Bedjan,  Acta  martyrum  et  sanctorum,  1890, 
t.  vi,  p.  83-106,  relatent  une  longue  série  de  faits 
merveilleux  qui  lui  valurent  le  surnom  de  Thauma- 
turge.  Cette  floraison  légendaire,  qui  commence  du 
vivant  de  Grégoire  et  s'épanouit  dès  le  lendemain  de 
sa  mort,  révèle  mieux  que  n'importe  quel  document 
historique  une  personnalité  rare  et  puissante,  active 
et  indomptable.  Quand  la  persécution  de  Dèce  (250- 
251)  s'abattit  sur  Néocésarée,  Grégoire  conseilla  aux 
fidèles  de  fuir,  et  il  se  déroba  lui-même  par  la  fuite 
aux  recherches  des  magistrats.  En  253-254,  les  incur- 
sions des  barbares,  Borades  et  Goths,  désolèrent  le 
Pont  avec  l'Asie  Mineure.  Grégoire  et  son  frère  Athé- 
nodore prirent  part,  en  264  ou  265,  au  synode  d'An- 
tioche  contre  Paul  de  Samosate;  peut-être  assistèrent- 
ils  également  aux  deux  synodes  suivants  contre  le  même 
hérétique.  Selon  Suidas,  Lexicon,  au  mot  Gregorius, 
Grégoire  serait  mort  sous  le  règne  de  l'empereur 
Aurélien  (270-275).  Il  avait  fait  Néocésarée  de  païenne 
chrétienne,  et  il  laissa  dans  le  Pont  tout  entier  une 
impression  profonde.  L'Église  l'a  élevé  au  rang  des 
saints  et  célèbre  sa  fête  le  17  novembre. 

II.  Ouvrages.  —  Disciple  et  ami  d'Origène,  mais 
évêque  absorbé  par  ses  occupations  pastorales,  saint 
Grégoire  a,  somme  toute,  peu  écrit,  seulement  pour 
remplir  un  devoir  de  sa  charge  et  dans  un  but  pratique. 
Dès  l'antiquité  cependant,  plus  d'un  ouvrage,  soit 
erreur  des  copistes,  soit  fourberie  des  hérétiques,  des 
apollinaristes  en  particulier,  a  emprunté  sans  droit  le 
nom  gloireux  du  Thaumaturge.  Les  ouvrages  qui 
portent  son  nom  se  divisent  donc  en  trois  classes  :  il 
y  en  a  d'authentiques  sans  conteste  ou  à  peu  près, 
il  y  en  a  de  douteux,  il  y  en  a  d'apocryphes. 

1°  Écrits  authentiques.  — ■  1.  Le  panégyrique  d'Ori- 
gine, Eîç  'Opiyev7]v  repo<;<pa)vr|'cixôç  /.*'.  Jïav7)yupixoç  Xdyoç, 
P.  G.,  t.  x,  col.  1049-1104;  Koetschau,  Des  Gregorios 
Thaumaturgos  Dankrede  an  Origencs,  Fribourg-en- 
Brisgau  et  Leipzig,  1894,  prononcé  vers  238,  et  où  le 
jeune  orateur,  avec  une  chaude  et  sincère  émotion, 
non  toutefois  sans  une  teinte  marquée  de  rhétorique, 
épanche  sa  reconnaissance  envers  Dieu,  dispensateur 
de  tout  bien,  envers  l'ange  tutélaire  qui  le  conduisit 
à  Césarée,  envers  le  maître  incomparable  qui  sut 
inspirer  à  ses  élèves  le  culte  de  la  philosophie  chré- 
tienne. —  2.  Le  symbole,  "ExOsaiç  tï,ç  jtîcjtêioç,  P. 
G.,  t.  x,  col.  983-988,  exposition  courte,  mais  très 
claire  et  très  précise,  du  dogme  de  la  trinité,  qui, 
d'après  la  légende,  fut  révélée  au  Thaumaturge,  à 
la  demande  de  la  sainte  Vierge,  par  saint  Jean  l'évan- 
géliste,  et  dont  Caspari,  Aile  und  ncue  Quellen  zut 
Geschichle  des  Taufsymbols,  Christiania,  1879,  p.  1-64, 
place  la  rédaction  entre  260  et  270.  — ■  3.  L'Épitre 
canonique,  'Etziv-zoÏ.t)  xavovt/.)]  P.  G.,  t.  x,  col.  1019- 
1048,  réponse  aux  questions  d'un  évêque  anonyme 
sur  la  conduite  à  tenir  à  l'égard  des  fidèles  qui 
avaient  transgressé  la  morale  et  la  discipline  chré- 
tiennes, lors  des  incursions  des  Goths  et  des  Borades 
ou  Boranes  dans  le  Pont  et  la  Bithynie.  Ce  très 
ancien  monument  de  la  casuistique,  d'où  ressor- 
tent  visiblement  le  tact  et  l'indulgence  de  saint 
Grégoire  dans  le  gouvernement  des  âmes,  date,  selon 
Drâseke,  Jahrbuch  fur  protestantische  Théologie,  1881, 
t.  vu,  p.  724-756,  de  l'automne  de  254.  —  4.  La  Para- 
phrasedel'pcclésiaste,  MsTCteppa.aiç  sîç  tov  'ExxXEijiaaTrjv 


Soao(iûvtoç,P.  G.,  t.  x,  col.  987-1018,  est  une  libre  ampli- 
fication du  texte  des  Septante. —  5.  L'écrit  à  ThÉopompe 
sur  l'impassibilité  et  la  possibilité  de  Dieu,  qui  n'existe 
([n'en  syriaque,  Pitra,  Analecta  sacra,  t.  iv,p.  103-120, 363- 
376, et  qui,  composé  sous  la  vive  influence  d'Origène,  est 
peut-être  antérieur  à  l'épiscopat  du  Thaumaturge  :  dia- 
logue philosophique  contre  cette  erreur  païenne  que 
l'impassibilité  de  Dieu  implique  nécessairement  l'indif- 
férence touchant  le  sort  des  hommes.  — ■  6.  Nous  avons 
perdu  le  Dialogue  avec  Élicn,  Wy'j;  'Adiavov  BiccXeÇ'.ç,  qui 
avait  pour  but  de  convertir  le  païen  dont  il  porte  le  nom 
et  qui  semble  avoir  traité  surtout  de  la  théodicée  chré- 
tienne. Le  fragment  arabe  d'un  sermon  sur  la  Trinité, 
P.  G.,  t.  ix,  col.  1123-1126,  où  le  cardinal  Mai  crut 
retrouver  un  fragment  du  Dialogue  avec  Élicn,  est 
apocryphe.  Quelques  lettres  de  saint  Grégoire  ont 
aussi  péri. 

2°  Écrits  douteux.  —  D'autres  écrits  ou  fragments 
d'écrits  attendent  un  examen  d'origine  plus  approfondi. 
l.Le  Court  traité  de  l'âme  àTatien,  /Yo'yo;  zsçaXauôÔ7];  rapt 
S/,,:  r.po?  Tcmavdv,  P.  G.,  t.  x,  col.  1137-1146,  dans 
lequel  l'auteur  étudie, indépendamment  des  textes  scrip- 
turaires,  l'existence  et  l'essence  de  l'âme,  était  con- 
damné par  la  plupart  des  critiques  et  tenu  pour  une  œu- 
vre du  moyen  âge.  Mais  on  en  a  trouvé  dernièrement  une 
version  syriaque  dans  un  manuscrit  du  vne  siècle,  et 
Procope  de  Gaza, vers  465-528,  semble  citer  le  texte  grec 
comme  du  Thaumaturge.  —  2.  Des  cinq  homélies  armé- 
niennes, publiées  par  l'abbé  Martin  sous  le  nom  de  saint 
Grégoire,  Pitra,  Analecta  sacra,  t.  IV,  p.  134-145, 
156-169,  386-396,  401-412,  les  quatre  dernières  sont 
certainement  d'une  époque  bien  plus  récente;  mais  on 
peut  tenir  la  première  pour  authentique,  en  raison 
des  nombreux  points  de  contact  avec  l'écrit  à  Théo- 
pompe.  Loofs,  Theol.  Litcraturzeitung,  1884,  p.  551-553. 
Le  dogme  de  la  perpétuelle  virginité  de  la  sainte 
Vierge  y  est  nettement  exprimé.  Conybeare,  The 
Exposilor,  1896,  t.  i,  p.  161-173,  a  traduit  en  anglais 
et  regardé  comme  authentique  une  sixième  homélie 
sur  la  Mère  de  Dieu,  qui  ne  nous  est  aussi  parvenue 
que  dans  la  version  arménienne.  —  3.  Enfin,  un  tas 
de  menus  fragments,  poussière  sans  valeur,  semble 
néanmoins  cacher  çà  et  là  quelques  vrais  grains  de 
blé.  Pitra,  Analecta  sacra,  t.  ni,  p.  589-595;  t.  iv, 
p.  133,  186;  Loofs,  op.  cit.,  1884,  p.  550  sq. 

3°  Écrits  apocryphes.  —  D'autres  écrits  ont  usurpé 
lenom  deThaumalurge.  —  1. Le textesyriaque intitulé: 
A  Philagrius  sur  la  consubslanliatité,  Pitra.  op.  cit., 
t.  iv,  p.  100-103,  360-363,  s'identifie  avec  une  épître 
grecque,  llpoç  iyjâyptov  fiovayôv  r.iy.  0;';t/,toç,  qui  se 
trouve  dans  les  œuvres  de  saint  Grégoire  de  Nazianze, 
P.  G.,  t.  xxxvn,  col.  383,  comme  dans  celles  de  saint 
Grégoire  de  Nysse,  P.  G.,  t.  xlvi,  col.  1101-1108, 
et,  quel  qu'en  soit  le  véritable  auteur,  ne  remonte 
pas  au  delà  de  la  seconde  moitié  du  ive  siècle.  —  2. 
La  foi  dans  ses  éléments,  '  11  v.y.-.k  jJ.ipo;  -\rs-\i,  P.  G., 
t.  x,  col.  1113-1124,  exposition  du  dogme  de  la  trinité 
divine  et  de  l'incarnation  du  Verbe,  est  l'œuvre 
d'Apollinaire  de  Laodicée  vers  380,  et  les  apollinaristes 
l'ont  fait  circuler  sous  le  nom  révéré  du  Thaumaturge, 
comme  sous  un  pavillon  protecteur.  Voir  Mai,  Nova 
eolleetio,  t.  vu,  p.  170-176;  Drâseke,  dans  les  Texte 
und  Unlcrsuchungen,  1892,  t.  vu,  p.  369-380.  —  3.  Les 
douze  chapitres  sur  la  foi,  Ki<pxXa.ia  irspi  rcituscoç  SioBezo , 
P.  G.,  t.  x,  col.  1127-1136,  qui  se  proposent  d'expli- 
quer la  vraie  doctrine  de  l'incarnation,  combattent 
l'apollinarisme,  et  n'ont  pas  précédé  la  fin  du  ive  siè- 
cle. Driiseke  les  attribue  à  Vital  d'Antioche,  disciple 
d'Apollinaire.  Mais  ils  sont  plutôt  antiapollinaristes. 
Funk,  A  bhandlungen,  t.  n,  p.  329-338;  Lauchcrt,  Theo- 
logischc  Quarlalschrift,  1900,  t.  lxxxii,  p.  395-418.  — 
1.  Cinq  homélies  grecques,  dont  trois  sur  l'Annoncia- 
tion,   P.    G.,    t.    x,  col.    1145-1178,  une    pour    l'Épi- 


1847 


GRÉGOIRE    DE    NÉOGÉSARÉE  —   GRÉGOIRE  DE    NYSSE 


184  S 


phanic,   col.   1177-1190,  et    une  sur   tous    les    saints, 
col.  1197-1206,  sont  également  apocryphes. 

Vie  de  saint  Grégoire  on  syriaque,  éditée  par  Ryssel, 
Theologische  Zeitschrift  aus  der  Schweiz,  1894,  t.  xi,  p.  228- 
254,  et  par  Bedjan,  Acta  martgrum  et  sanclorum,  1890,  t.  vi, 
p.  S3-106;  Ryssel,  Gregorius  Tliaumaturgus,  -sein  Leben 
und  sein  Schriften,  Leipzig,  1S80;  Koetschau,  dans  son 
édition  du  Panégyrique  d'Origène,  p.  v,  xxi,  et  dans  Zeit- 
schrift fiir  wissenschaftliche  Théologie,  1898,  t.  xli,  p.  211- 
250;  Harnaek,  Geschicbte  der  aUchristl.  Litteratur,  Leipzig, 
1S93,  t.  i,  p.  428-436;  P.  Batiffol,  La  littérature  grecque, 
Paris,  1897,  p.  180-181  ;  Bardenhewer,  Geschichte  der  all- 
kirchliche  Literatur,  Fribourg-en-Brisgau,  1903,  t.  Il, 
p.  272-289;  Les  Pères  de  l'Église,  nouv.  édit.  franc.,  Paris, 
1905,  t.  i,  p.  309-316;  Alb.  Ehrhard,  Die  altchristliche 
J.itteratur,  Fribourg-en-Brisgau,  1900,  p.  357-362;  Hurter, 
Xomenclalor,  1903,  t.  i,  col.  97-100. 

P.  Godet. 
25.    GRÉGOIRE  DE   NYSSE   (Saint).  —  I.  Vie. 
II.  Œuvres.  III.  Doctrine. 

I.   Vie.   —  Grégoire,   frère  puîné   de  saint  Basile, 
naquit  vers  l'an  335;  on  ne  connaît  pas  au  juste  la  date 
précise  de  sa  naissance.  Élevé  dans  sa  famille,  sous 
l'aile  et  par  les  soins  de  saint  Basile,  Grégoire  s'était 
voué  de  bonne  heure  au  service  de  l'Église,  et  il  rem- 
plissait déjà  l'office  de  lecteur,  quand,  séduit  par  les 
attraits   d'une   vie   séculière,    il   se    fit   professeur   de 
belles-lettres,  préférant,  selon  le  mot  de  saint  Grégoire 
de  Nazianze,  Episl.,  i,  P.    G.,  t.  xxxvn,  col.  41,  le 
nom  de  rhéteur  à  celui  de  chrétien,  et  s'avisa  de  se 
marier  avec  une  certaine  Théosébie.  Les  vives  repré- 
sentations  de   ses  amis  le  ramenèrent  à  l'état  ecclé- 
siatique.   Il  descendit  de  sa  chaire  et  alla  s'adonner, 
au  sein  du   monastère  fondé  par  Basile  sur  les  bords 
de  l'Iris  dans  le  Pont,  à  l'ascèse  et  à  l'étude  de  la  théo- 
logie Vers  la  fin  de  l'année  371,  il  se  résigna,  bien  qu'à 
contre-cœur,  à   se  laisser  sacrer  par  saint  Basile  et  à 
monter  sur  le  siège  de  Nysse,  bourgade  de  la  Cappadoce 
ressortissant  à  la  métropole  de   Césarée.    Son    fidèle 
attachement  à  la  doctrine  de  saint  Athanase  lui  valut 
la  haine  et  les  persécutions  des  ariens.  Au  printemps 
de  l'an  37G,  un  synode  d'évêques  ariens  ou  de  prélats 
courtisans,    convoqué    par    Démosthène,    gouverneur 
du  Pont,  et  tenu  à  Nysse  même,  déposa  Grégoire  en 
son    absence.    Mais    la    mort    de    l'empereur    Valens 
(9  août  378)  lui  rouvrit  les  portes  de  Nysse,  et  les 
applaudissements  de  ses  ouailles  firent  de  son  retour 
un  véritable  triomphe.  En  septembre  ou  octobre  379, 
il  prit  part  au  concile  d'Antioche,  réuni  surtout  pour 
éteindre  le  schisme  mélétien,  et  se  vit  confier  par  le 
concile  une  mission  de  grande  confiance  auprès  des 
évêques  d'Arabie  et  de  Palestine.  Pendant  qu'il  s'en 
acquittait,  il  fut  choisi,  sans  doute  au  mois  d'avril  380, 
pour  archevêque  de  Sébaste  dans  la  Petite-Arménie; 
et,   quoiqu'il  eût  protesté  contre  son   élection,   il  se 
chargea    provisoirement,    durant    quelques    mois,    de 
l'administration  religieuse  du  diocèse.   Diekamp,  Die 
Wahl  Gregors  von  Nyssa  zum  Metropoliten  von  Scbaste, 
dans  Theol.  Quarlalschrift,  1908,  p.  384-401.  On  le  voit 
siéger,  en  381,  dans  le  IIe  concile  général  de  Constan- 
tinople,  où  sa  science  théologique  assure  à  sa  parole 
une   particulière    autorité.    Ce    fut  en    exécution     du 
3e  canon  du  concile  que  l'empereur  Théodose  décida, 
par  la  loi  du  30  juillet  381,  Code  théod.,  XVI,  i,  3,  que 
ceux-là  seraient  exclus,   comme  hérétiques   notoires, 
des  Églises  de  la  province  du  Pont,  qui  ne  gardaient 
pas  la  communion  des  évêques  Helladius  de  Césarée, 
Otreius  de  Mélitène  dans  la  Petite-Arménie,  et  Grégoire 
de  Nysse.  Saint  Grégoire  devait  reparaître  plus  d'une  fois 
à  Constanlinople;  on  l'y  recherchait  pour  les  grandes 
oraisons  funèbres  et  autres  discours  d'apparat.  On  l'y 
retrouve  pour  la  dernière  fois  dans  le  concile  célébré 
en   394,   sous  la  présidence   du   patriarche   Nectaire. 
Depuis  lors,  son  nom  s'efface  de  l'histoire.  Il  est  pro- 
bable que  sa  mort  suivit  de  près. 


II.  Œuvres.  —  Esprit  peu  propre,  dans  sa  candeur 
naturelle,  au  maniement  des  affaires,  et,  dans  ses  faciles 
découragements,  aux  luttes  de  la  vie,  mais  esprit  doué 
d'une  particulière  aptitude  pour  les  recherches  méta- 
physiques et  très  versé  dans  la  philosophie  profane, 
imbu  surtout  des  idées  platoniciennes  et  néopla- 
toniciennes; à  la  fois  théologien,  exégète,  auteur 
ascétique  et  orateur,  saint  Grégoire  se  signalera,  au 
ive  siècle,  par  la  fertilité  de  sa  plume  comme  par  la 
variété  de  ses  travaux.  Il  y  a  lieu  d'être  surpris  que  ses 
œuvres  n'aient  pas  attiré  davantage  l'attention  des 
critiques  modernes  et  n'aient  pas  encore  été  publiées 
complètement  selon  toutes  les  exigences  scientifiques. 
1°  Théologie.  —  Les  écrits  que  saint  Grégoire  a 
composés  en  cette  matière  et  qui  font  sa  gloire,  sont, 
pour  la  plupart,  des  traités  polémiques  contre  Euno- 
mius  et  contre  Apollinaire.  Le  plus  considérable  qui 
nous  soit  resté  de  l'auteur  et  l'un  des  plus  importants 
qu'ait  suscités  la  querelle  de  l'arianisme,  est  le  llpo; 
Eùvofuov  àvTipp7|-uxot  Xoyoî,  P.  G.,  t.  xlv,  col.  237- 
1121.  Riposte  vigoureuse  et  brillante  à  la  seconde 
apologie  qu'Eunomius  venait  de  lancer  contre 
saint  Basile,  après  avoir  attendu  prudemment  sa 
mort.  Voir  t.  v,  col.  1505.  L'ouvrage  est  divisé, 
selon  les  uns,  en  douze,  et  selon  les  autres,  en  treize 
livres.  Saint  Grégoire,  à  la  prière  de  son  frère  Pierre, 
évêque  de  Sébaste,  y  venge  la  mémoire  de  Basile  des 
calomnies  et  des  outrages  d'Eunomius  et  y  disculpe 
pleinement  la  doctrine  de  l'évêque  de  Césarée  sur  la 
divinité  du  Fils  et  du  Saint-Esprit.  Contre  Apollinaire 
de  Laodicée,  saint  Grégoire  a  pris  la  plume  deux  fois. 
D'abord,  dans  un  court  opuscule,  postérieur  à  l'an  383 
et  dédié  à  Théophile,  évêque  d'Alexandrie,  P.  G., 
t.  xlv,  col.  1269-1277,  il  se  contente  de  réfuter  l'accu- 
sation intentée  aux  catholiques  de  reconnaître  deux 
Fils  de  Dieu.  Puis,  dans  son  Anlirrhclicus  adversus 
Apollinarem,  lequel  date  des  dernières  années  de 
saint  Grégoire,  ibid.,  col.  1123-1270,  il  s'attaque  au 
traité  de  l'incarnation  d'Apollinaire  et  en  renverse 
notamment  ces  deux  thèses,  l'une,  que  la  chair  de 
Jésus-Christ  est  descendue  du  ciel,  l'autre  qu'en 
Jésus-Christ  le  Verbe  a  tenu  la  place  et  joué  le  rôle 
de  l'entendement  humain.  Des  deux  discours  polé- 
miques retrouvés  naguère  par  le  cardinal  Mai,  le 
premier,  Sermo  adversus  Arium  et  Sabellium,  P.  G., 
t.  xlv,  col.  1281-1302,  est  apocryphe;  le  second,  Sermo 
de  Spiritu  Sancio  adversus  pneumatomachos  macedo- 
nianos,  ibid.,  col.  1301-1334,  semble  au  contraire 
authentique,  nonosbtant  les  mutilations  de  la  fin. 

En  outre,  quelques  écrits  sont  consacrés  surtout, 
sans  abjurer  néanmoins  entièrement  les  allures  et  le 
ton  de  la  polémique,  à  l'exposition  et  à  la  défense 
de  la  doctrine  chrétienne.  On  doit  notamment  à  saint 
Grégoire  un  remarquable  exposé  doctrinal,  intitulé  : 
Grande  catéchèse,  P.  G.,  t.  xlv,  col.  9-106,  et  à  l'usage 
des  maîtres  chrétiens  qui  ont  à  instruire  les  caté- 
chumènes; l'auteur  y  passe  en  revue  tour  à  tour,  en 
les  vengeant  de  toutes  les  attaques,  les  dogmes  fonda- 
mentaux du  christianisme,  la  trinité,  l'incarnation, 
la  rédemption,  les  sacrements  du  baptême  et  de 
l'eucharistie.  La  Grande  catéchèse  a  été  traduite  en 
fiançais  par  L.  Méridier,  Paris,  1908.  Quatre  courts 
opuscules  vont  spécialement  à  défendre  la  théologie 
de  la  trinité  :  l'un,  De  S.  Trinilalc,  est  dédié  à  Eusta- 
the  de  Sébaste;  l'autre,  Quod  non  sint  très  DU,  est 
adressé  à  un  certain  Abladius,  P.  G.,  t.  xlv,  col.  116- 
136;  un  autre,  sur  le  même  sujet,  en  appelle  contre  les 
païens  aux  notions  du  sens  commun,  IIpo;  'EXÀ^vaç  èx 
rûv  zoiviôv  èvvotûv,  i bid., co\.  175-186  ;  le  quatrième,  Sur  la 
foi,  dédié  au  tribun  Simplicius,  ibid.,  col.  135-146,  sou- 
tient la  divinité  du  Fils  de  Dieu  et  du  Saint-Esprit.  A 
l'exemple  et  sur  le  modèle  du  Phédon  de  Platon,  qu'il  dé- 
passe de  beaucoup  en  profondeur  et  en  hardiesse,  sans 


1849 


GRÉGOIRE    DE    NYSSE 


1850 


toutefois  en  égaler  le  charme  du  style,  l'intéressant  dialo- 
gue De  ['âme  et  de  la  résurrection,  P.  G.,  t.  xlvi,  col.  11- 
160, nous  livre  le  suprême  échange  de  pensées  entre  saint 
Grégoire  et  sainte  Macrine.  sa  sreur  aînée,  morte  au  mois 
de  décembre  379  ou  au  mois  de  janvier  380,  à  la  tête 
du  couvent  de  femmes  qu'elle  avait  fondé  dans  le  Pont, 
sur  les  bords  de  l'Iris.  La  sœur  y  confie  à  son  frère  ses 
idées  sur  l'âme,  sur  la  mort,  sur  l'immortalité,  sur  la 
résurrection  et  la  consommation  finale.  Un  second 
dialogue  bien  plus  court,  Contra  fatum,  ibid.,  t.  xlv, 
col.  145-174,  relation  d'une  dispute  de  l'évêque  avec 
un  philosophe  païen  à  Constantinople,  défend  la  liberté 
humaine  contre  le  fatalisme  astrologique.  Un  opuscule 
des  dernières  années  de  saint  Grégoire,  Sur  les  enfants 
morts  avant  l'âge,  ibid.,  t.  xlvi,  col.  161-192,  dédié 
au  préfet  de  la  Cappadoce,  Hiérius,  essaie  d'expliquer 
pourquoi  Dieu  permet  les  morts  prématurées. 

2°  En  exégèse,  Grégoire  de  Nysse,  comme  tous  les 
Cappadociens,  est  tributaire  d'Origène.  Vers  379, 
dans  ses  deux  premiers  écrits  exégétiques,  l'un  sur 
la  création  de  l'homme,  qui  complète  et  achève  l'Hexa- 
méron  de  saint  Basile,  P.  G.,  t.  xliv,  col.  125-256, 
l'autre  sur  l'œuvre  des  six  jours,  qui  défend  la 
cause  de  saint  Basile  et  dissipe  les  malentendus,  ibid., 
t.  xliv,  col.  61-124,  il  s'étudie  à  suivre  inviolablement 
le  sens  littéral;  vers  la  fin  du  second  opuscule,  col.  121, 
il  exprime  la  joie  qu'il  ressent  de  n'avoir  jamais  tourné 
violemment  le  texte  sacré  en  figures  et  en  allégories. 
Mais,  plus  tard,  vers  390  lorsqu'il  déroule  la  Vie  de 
Moïse  aux  yeux  d'un  certain  Césaire,  ibid.,  t.  xliv, 
col.  297-430,  et  fait  ressortir,  l'histoire  du  législateur 
d'Israël  à  la  main,  les  voies  mystérieuses  de  l'élévation 
de  l'âme  à  Dieu,  moins  soucieux  d'instruire  que 
d'édifier,  il  court  après  les  allégories  les  plus  subtiles 
et  les  plus  étranges.  Dans  son  opuscule  :  Sur  la  pg- 
thonissc  d'Endor,  P.  G.,  t.  xlv,  col.  107-114,  il  se  rallie 
à  l'opinion  que  ce  ne  fut  pas  Samuel  qui  apparut 
à  la  magicienne,  mais  un  démon  revêtu  de  la  forme  du 
prophète.  Les  deux  livres  où  Grégoire  explique  les 
titres  des  psaumes,  ibid.,  t.  xliv,  col.  431-608,  vont  à 
montrer,  à  grand  renfort  d'allégories,  le  premier 
(9  chap.),  qu'une  seule  et  même  pensée  a  présidé  au 
classement  des  psaumes  et  que  les  cinq  divisions  du 
psautier  actuel  nous  remettent  sous  les  yeux  les  cinq 
degrés  qui,  peu  à  peu,  nous  mènent  au  sommet  de 
l'échelle,  c'est-à-dire  à  la  perfection;  le  second  (16chap.), 
que  tout,  titres  et  psaumes,  n'a  sans  exception  qu'un 
but,  celui  de  nous  guider  dans  la  voie  du  bien.  On  y 
trouve  annexée  dans  les  éditions  une  homélie  sur  la 
suscription  du  ps.  vi,  Pro  oclava,  ibid.,  col.  607-616. 
Les  huit  Homélies  sur  l'Ecclésiasle,  c.  i-m,  13,  ibid., 
col.  615-754,  sont  imprégnées  de  l'idée  que  ce  livre, 
«  vraiment  sublime  et  divinement  inspiré,  »  a  pour 
tâche  >•  d'élever  l'âme  au-dessus  des  sens,  et,  par  le 
renoncement  aux  grandeurs  et  à  l'éclat  des  apparences 
d'ici-bas,  de  lui  rendre  la  paix.  »  Homil.,  i,  ibid., 
col.  620.  Les  quinze  Homélies  sur  le  Cantique  des 
cantiques,  r-vi,  8,  P.  G.,  t.  xliv,  col.  755-1120,  dédiées 
à  Olympius  de  Constantinople,  font  ressortir  le  sens 
mystique  du  '.exte  sacré.  «  La  lettre,  dit  saint  Grégoire, 
ne  nous  parle  que  de  noces;  mais,  sous  la  figure  d'un 
appareil  nuptial,  on  entend  l'union  de  l'âme  humaine 
avec  Dieu.  »  Homil.,  i,  ibid.,  col.  772.  Grégoire,  dans 
la  préface  de  cette  explication,  soutient  la  nécessité 
d'une  exégèse  spirituelle,  anagogique,  et,  à  la  fin,  il 
loue  chaudement  Origène  pour  son  interprétation  du 
Cantique  des  cantiques.  Pour  ce  qui  est  du  Nouveau 
Testament,  l'évêque  de  Nysse  nous  a  laissé  cinq 
homélies  sur  l'oraison  dominicale,  P.  G.,  t.  xliv, 
col.  1119-1194,  et  huit  sur  les  béatitudes,  Matth.,  v, 
1-10,  ibid.,  col.  1193-1302,  homélies  de  genre  pure- 
ment moral.  Une  homélie  sur  I  Cor.,  vi,  18,  figure, 
sous   le  titre    d'Oralio  contra  fornicarios,   parmi    les 


discours  de  saint  Grégoire,  t.  xlvi,  col.  489-489, 
1107-1110.  Le  commentaire  sur  I  Cor.,  xv,  28,  P.  G., 
t.  xliv,  col.  1302-1326,  empreint  des  erreurs  d'Origène, 
est  dirigé  contre  les  ariens.  Une  homélie  de  saint  Gré- 
goire de  Nysse. (texte  copte  et  traduction  française)  a 
été  publiée  parle  P.  Chaîne,  dans  la  Revue  de  l'Orient 
chrétien,  1912  et  1913. 

3°  Ascétisme.  —  Un  esprit  ascétique  anime  le  beau 
livre  De  la  virginité  ou  de  la  perfection,  P.  G.,  t.  xlvi, 
col.  317-416,  que  saint  Grégoire  écrivit  avant  son  épi- 
scopat,  vers  370  ou  371,  et  qui  développe  sous  une  forme 
attrayante  l'idée  que  la  virginité  fait  de  l'âme  l'épouse 
de  Jésus-Christ.  On  a  aussi  de  Grégoire  une  série 
d'opuscules  ascétiques  :  l'un,  Sur  les  exigences  du  nom 
chrétien  ou  de  la  vie  chrétienne,  adressé  à  un  certain 
Harmonius,  ibid.,  col.  237-250;  l'autre,  au  moine 
Olympius,  Sur  les  vjrtus  et  la  perfection  du  chrétien, 
ibid.,  col.  251-286;  le  troisième,  destiné  à  des  moines, 
Sur  la  fin  providentielle  du  chrétien,  ibid.,  col.  287-306; 
le  quatrième,  Advsrsus  eos  qui  casligaliones  œgre 
ferunt,  ibid.,  col.  307-316.  A  ce  groupe  d'écrits  appar- 
tient enfin  la  Vie  de  sainte  Macrine,  ibid.,  col.  959-1000, 
biographie  de  cette  sœur  de  Grégoire,  qui  remonte 
sans  doute  à  l'an  380. 

4°  Discours.  —  Indépendamment  des  homélies 
exégétiques  sus-mentionnées,  les  sermons  qui  nous 
restent  sont  nombreux  et  offrent  les  thèmes  les  plus 
variés,  P.  G.,  t.  xlvi,  col.  415  sq.  Sermons  de  morale, 
contre  ceux,  par  exemple,  qui  diffèrent  le  baptême, 
contre  les  usuriers,  contre  ceux  qui  s'affligent  à  l'excès 
de  la  perte  d'un  parent  ou  d'un  ami;  sermons  dogma- 
tiques, entre  autres  le  sermon  Sur  la  divinité  du  Fils 
et  du  Saint-Esprit,  prêché,  selon  toute  apparence,  à 
Constantinople  en  383,  et  demeuré  depuis  fameux  dans 
la  littérature  grecque  chrétienne;  sermons  sur  les 
fêtes  annuelles  de  l'Église,  Noël,  Epiphanie,  Pâques, 
Ascension,  Pentecôte;  panégyriques  de  personnages 
éminents  du  temps  passé,  saint  Etienne,  saint  Théodore 
martyr,  les  quarante  martyrs  de  Sébaste,  saint  Grégoire 
le  Thaumaturge;  oraisons  funèbres  de  saint  Basile,  de 
Mélèce  d'Antioche,  mort  en  381,  de  la  princesse 
Pulchérie,  morte  en  385  ou  386,  et  de  sa  mère,  l'impé- 
ratrice Flaccile,  morte  peu  après.  Saint  Grégoire,  par 
son  éloquence,  est  bien  au-dessous  de  saint  Basile 
comme  de  son  homonyme  de  Nazianze;  il  n'égale  ni 
la  force  ni  la  gravité  ni  la  concision  du  premier,  et  ne 
rappelle  ni  la  vivacité  du  ton  ni  la  richesse  de  coloris 
du  second. 

5°  Lettres.  —  Les  vingt-six  lettres  que  nous  avons 
conservées  de  l'évêque  de  Nysse,  P.  G.,  t.  xlvi, 
col.  999-1108,  sont  pour  la  plupart  adressées  à  des 
personnes  amies  et  ne  parlent  guère  que  des  incidents 
de  la  vie  de  l'auteur.  Citons  néanmoins  la  lettre  ne, 
Sur  les  pèlerinages  de  Jéruscdem,  ibid.,  col.  1009-1015, 
où  Grégoire  blâme  les  abus  que  le  pèlerinage  de  Jéru- 
salem entraînait  trop  souvent,  et  rabaisse  les  avantages 
spirituels  qu'on  y  attachait  ;  le  pape  Benoît  XIV  l'en 
reprendra  fortement  dans  sa  constitution  Apostolica, 
9,  Bullarium  Benedicti  XIV,  t.  ni,  p.  65-66.  Je  citerai 
aussi  la  lettre  écrite  vers  390  à  Letoius,  évêque  de 
Mélitène,  P.  G.,  t.  xlv,  col.  221-236,  laquelle  expose 
la  discipline  ecclésiastique  sur  les  apostats  et  autres 
grands  pécheurs. 

III.  Doctrine.  — ■  Philosophe  autant  que  théologien, 
saint  Grégoire,  comme  les  Cappadociens,  eut  à  cœur 
d'asseoir  sur  la  philosophie  l'exposition  et  la  défense 
de  la  foi  chrétienne  et  de  concilier  l'esprit  du  ive  siècle 
et  l'orthodoxie  traditionnelle.  Malheureusement,  ses 
souvenirs  de  la  culture  hellénique  ne  l'ont  pas  toujours 
bien  servi,  et  son  attachement  passionné  aux  idées 
d'Origène,  en  ce  qui  regarde  notamment  la  résurrection 
du  genre  humain,  a  compromis  le  succès  de  la  mission 
qu'il  s'était  donnée. 


ls.M 


GREGOIRE    DE   NYSSE 


GREGOIRE  DE  RIMINI 


I  S.M> 


Le  dogme  de  la  trinité  a  particulièrement  attiré 
son  attention  et  inspiré  sa  plume.  En  Dieu,  l'évêque 
de  Nysse  ne  s'est  jamais  lassé  de  soutenir,  avec  l'unité 
de  la  nature,  la  trinité  des  personnes;  il  est  un  nicéen 
convaincu,  un  continuateur  de  saint.  Athanase.  Un 
platonisme  exagéré  le  conduit  même  à  étendre  l'unité 
numérique  de  la  substance  ou  de  la  nature  jusque 
dans  l'ordre  des  choses  créées,  P.  G.,  t.  xlv,  col.  180. 
Voir  t.  v,  col.  2455.  Mais  il  remarque,  en  parant  le 
danger  de  son  système,  que  le  mot  Dieu  désigne  avant 
tout  une  activité,  non  pas  la  nature;  Oeo;  se  rattache 
au  verbe  03aa6ai,  et  s'entend  de  celui  qui  voit  tout. 
Voir  t.  îv,  col.  1087-1088.  Or  cette  activité,  bien  que 
les  trois  personnes  divines  y  prennent  également  leur 
part,  ne  laisse  pas  d'être  unique;  elle  a  sa  source  dans 
le  Père,  passe  par  le  Fils  et  se  termine  dans  le  Saint- 
Esprit.  Ibid.,  col.  120  sq.  Rien,  ici,  qui  rappelle  l'activité 
de  trois  hommes  réunis  pour  produire  le  même  effet. 
Ibid.,  col.  125-129.  La  distinction  des  personnes  divines 
repose  toute  sur  leur  origine,  l'une  étant  cause,  tô  at'xtov, 
les  deux  autres  étant  causées,  to  aîxtaxo'v.  Ibid.,  col.  133. 
Les  expressions  dont  se  sert  habituellement  son  homo- 
nyme de  Nazianze,  àyEvvrjaia,  ysvvr,cr.ç,  èwro'pEuuiç,  sont 
aussi  familières  à  saint  Grégoire  de  Nysse;  il  préfère 
cependant,  là  où  il  pèse  ses  mots,  appeler  le  Fils,  non 
70  y£WT)-û'v,  mais  to  p.ovo'yeveç,  l'Unique  engendré. 
Après  avoir  distingué  soigneusement  l'Èwrdpeuciç  de  la 
YÉWT)ffiç,  il  reconnaît  dans  I'Èx^ripEuaiç  une  procession,  du 
Père  par  le  Fils  :  doctrine  qui  restera  en  définitive  celle 
de  l'Église  grecque.  L'évêque  de  Nysse  a  déterminé  le 
caractère  propre  du  Saint-Esprit  avec  une  précision 
que  ni  saint  Basile  ni  saint  Grégoire  de  Nazianze 
n'avaient  atteinte.  P.  G.,  t.  xlv.  col.  133.  Voir  t.  v, 
col.  784-787. 

La  deuxième  personne  de  la  sainte  Trinité  s'est  incar- 
née dans  le  sein  de  laVierge  Maxïe.Ibid.,  t.  xlvi,  col.  606. 
Ainsi,  la  Vierge  Marie  mérite  le  titre  de  8eoTO>coç,non  pas, 
comme  le  veulent  quelques  moines  et  comme  le  voudra 
Nestorius,  celui  d'àv0pio7:OToV.oç.  Ibid.,  t.  xlvi,  col.  1024. 
Car  le  Christ  est  une  seule  personne  en  deux  natures, 
é'v  npo-j'onov,  ibid.,  t.  xlv,  col.  697,  SJo  çuostç.  Ibid., 
t.  xlvi,  col.  1112.  L'élément  humain  du  Christ  et  la  divi- 
nité demeurent  en  lui,  sans  confusion  ni  mélange,  gar- 
dant chacun  leurs  attributs  propres.  Ibid.,  t.  xlv,co1.705. 
Mais  de  l'unité  personnelle  du  Christ  dans  la  dualité  de 
ses  éléments  découle  la  communication  des  idiomes, c'est- 
à-dire  l'échange  réciproque  des  propriétés,  actions  et 
passions  des  deux  natures.  Ibid.,  col.  705.  Quant  à  la 
nature  intime  du  lien  qui  unit  en  Jésus-Christ  Dieu 
et  l'homme,  la  juste  mesure  des  termes  et  la  précision 
rigoureuse  de  la  doctrine  manquent  à  l'évêque  de 
Nysse  comme  aux  autres  Cappadociens;  il  paraît 
quelquefois  supposer  entre  les  deux  éléments  du  Christ 
une  union  simplement  morale,  ibid.,  col.  700-705; 
souvent,  au  contraire,  son  langage  offre  une  couleur 
monophysite,  car  maintes  fois,  pour  marquer  l'union 
des  deux  éléments  en  Jésus-Christ,  il  emploie  le  terme 
d'àvâxpac.ç,  lequel  désigne  dans  l'usage  commun  le 
mélange  des  liquides  et  la  diminution  de  leurs  pro- 
priétés l'un  pax  l'autre.  Ibid.,  col.  693,  697,  705,  708. 
On  retrouve  dans  les  paroles  de  saint  Grégoire  la  trace 
de  cette  idée  origénienne  d'une  certaine  transformation 
de  l'humanité  en  la  divinité  après  la  glorification  du 
Sauveur. 

.Mais  nulle  part  l'influence  d'Origône  n'est  plu; 
sensible  que  dans  le  champ  de  l'eschatologie.  L'évêque 
de  Nysse  condamne  sans  doute  formellement  les 
théories  origénieimes,  que  Dieu  n'avait  créé  d'abord 
que  de  purs  esprits  et  que  l'âme  humaine  a  été  enfermée 
dans  le  corps  en  punition  d'une  faute  antérieure. 
P.  G.,  t.  xxvi,  col.  125-128.  Il  contredit  aussi  Origènc, 
en  soutenant,  comme  saint  Méthode  d'Olympie,  l'iden- 
tité matérielle  du  corps  resuscité  avec  le  corps  vivant. 


L'âme  séparée,  fait-il  dire  à  sa  sœur  Macrine,  ibid., 
col.  70  sq.,  demeure  toujours  à  côté  des  éléments 
corporels  qui,  sur  cette  terre,  lui  ont  appartenu; 
partout  elle  les  suit  et  partout  elle  veille  sur  eux.  jusqu'à 
ce  qu'elle  en  resaisisse,  au  moment  de  la  résurrection, 
ce  qui  lui  est  nécessaire  pour  son  corps  nouveau. 
Saint  Grégoire  toutefois  adopte  pleinement  l'idée 
d'Origène  que  les  peines  de  l'enfer,  au  lieu  d'être  de 
purs  châtiments,  ont  aussi  une  valeur  médicinale  et 
qu'elles  n'ont  par  suite  qu'une  durée  limitée.  Pendant 
que  Sévère  d'Antioche,  mort  en  538,  impute  à  l'évêque 
de  Nysse  des  erreurs  touchant  l'apocatastase,  Photius, 
Biblioiheca,  cod.  232,  le  patriarche  de  Constantinoplc, 
saint  Germain  mort  en  733,  jaloux  de  disculper 
Grégoire,  s'efforcent  de  prouver  que  les  ouvrages  de  ce 
Père  ont  été  postérieurement  altérés  dans  le  sens  de 
la  théorie  origénienne.  Photius,  ibid.  Malgré  cette 
apologie,  renouvelée  de  nos  jours  par  deux  critiques 
modernes,  il  est  avéré  maintenant,  après  les  études 
approfondies  de  Fr.  Hilt,  que  l'orthodoxie  de  l'évêque 
de  Nysse  sur  ce  point  ne  saurait  être  défendue.  C'a 
été  la  conviction  de  saint  Grégoire  qu'à  la  fin  tous  les 
hommes  et  tous  les  démons  reviendront  volontaire- 
ment, mais  invinciblement,  à  Dieu.  Voir  t.  v,  col.  70-71. 
Il  est  vrai  que,  pour  se  conformer  au  langage  de 
l'Écriture,  il  insiste  sur  l'inextinguibilité  du  feu, 
sur  l'immortalité  du  ver  rongeur,  sur  l'éternité  de  la 
récompense.  P.  G.,  t.  xlv,  col.  105;  t.  xlvi,  col.  312. 
Mais,  au  fond,  il  n'entend  par  cette  éternité  qu'une 
longue  série  de  siècles,  t.  xlv,  col.  49;  t.  xlvi,  col.  152, 
157,  et  il  tient,  t.  xliv,  col.  764,  que  l'expression 
scripturaire  de  «  feu  inextinguible  »  réclame  une 
exégèse  anagogique.  Voir  t.  v,  col.  2201-2202.  C'est 
tout  à  fait  la  doctrine  origénienne  de  l'apocatastase,  à 
cela  près  pourtant  que,  selon  Origène,  les  âmes,  en 
possession  de  leur  liberté,  seront  capables  de  passer 
indéfiniment  par  des  agitations  nouvelles,  et  que, 
selon  Grégoire  de  Nysse,  les  âmes,  revenues  à  Dieu,  y 
demeurent  immuablement  fixées.  Pour  sa  doctrine 
sur  les  démons,  voir  t.  iv,  col.  354-355,  sur  l'âme 
humaine,  voir  t.  i,  col.  1001-1002,  et  sur  la  présence 
réelle,  t.  v,  col.  1148-1150.  Sa  doctrine  sur  la  rédemp- 
tion a  été  exposée  par  M.  Rivière,  Le  dogme  de  la 
rédemption,  Paris,  1905,  p.  151-159.  Saint  Grégoire 
admettait  les  droits  du  démon  sur  l'humanité  coupable 
et  enseignait  qu'une  rançon  lui  fut  payée  par  le  sang 
du  Christ.  Le  démon  fut  trompé,  mais  sans  injustice. 
Ibid.,  p.  384-386,  420,  422. 

J.  Rupp,  Gregors,  des  Bischofs  von  Nyssa,  Leben  und 
Meinungen,  Leipzig,  1834;  Fr.  Diekamp,  Die  Wahl  Gregors 
von  Nyssa  zum  Mttropolilen  von  Sebaste,  dans  Iheol. 
Quartalschrift,  1908,  p.  384-401;  Fr.  Hilt,  Des  heil.  Grcgor 
von  Nyssa  Lehre  vom  Menschen,  Cologne,  1S90;  A.  Krampf, 
Der  Urzustand  des  Menschen  nach  der  Lehre  des  heil.  Grcgor 
von  Nyssa,  Wurzbourg,  1889;  W.  Volbert,  Die  Lehre 
Gregors  von  Nyssa  vom  Gutcn  und  Bcsen  und  von  der 
schliesslichen  Uberwindung  des  Bbscn,  Leipzig,  1897; 
J.-B.  Aufhauser,  Die  Heilslehre  des  heil.  Gregor  von  Nyssa, 
Munich,  1910;  Fessler-Jungmann,  Instilutiones  patro- 
logiœ,  Inspruck,  1890,  t.  i,  p.  565-600;  P.  Batiffol,  La 
littérature  grecque,  Paris,  1897,  p.  288-292;  Bardenhewer, 
Les  Pères  de  l'Église,  nouv.  édit.  franc.,  Paris,  1905,  t.  n, 
p.  103-122;  Tixeront,  Histoire  des  dogmes,  Paris,  1909, 
t.  n,  passim  (voir  table  analytique,  p.  522-523);  Hurter, 
Nomcnclalor,  1903,  t.  i,  col.  156-163. 

P.  Godet. 

26.  GRÉGOIRE  DE  RIMINI,  célèbre  théologien 
et  philosophe  italien  de  l'ordre  des  ermites  de  Saint- Au- 
gustin, vécut  dans  la  première  moitié  du  xve  siècle, 
celle  que  parfois  l'on  a  nommée  «  de  décadence  »  pour 
ce  qui  regarde  la  pureté  des  doctrines  scolastiques,  et 
qui  fut  remplie  par  les  disputes  entre  philosophes 
réalistes  et  nominalistes.  Venu  à  Paris  comme  étudiant 
en  1322,  il  y  resta  dix  ans  pour  se  préparer  au  grade  de 


ls:,;; 


GRÉGOIRE  DE  RIMINI  -GRÉGOIRE  (HENRI) 


1854 


bachelier,  retourna  alors  en  Italie  où,  pendant  douze 
ans,  il  enseigna  successivement  à  Bologne,  Padoue  et 
Pérouse,  puis  revint  à  Paris  en  1310  dans  le  but  d'expli- 
quer au  couvent  de  son  ordre  le  Maître  des  Sentences 
et  arriver  ainsi  au  grade  de  docteur  en  Sorbonne  :  ce 
qu'il  obtint  effectivement,  sur  recommandation  parti- 
culière de  Clément  VI,  en  1345.  De  retour  ensuite  à 
Padoue,  où  il  ligure,  dès  1347,  dans  les  Actes  des 
chapitres  de  sa  province,  en  qualité  de  maître  en  théo- 
logie, il  fut  élu  un  peu  plus  tard,  c'est-à-dire  en  1357, 
supérieur  général  de  l'ordre  des  augustins.  Il  avait  à 
peine  commencé  à  se  distinguer  en  cette  charge  par  son 
grand  zèle  pour  la  réforme  des  abus  introduits  çà  et  là 
à  la  suite  d'une  épouvantable  épidémie  qui  avait  fait 
périr  la  moitié  environ  de  ses  religieux,  lorsqu'il  mourut 
inopinément  à  Vienne  en  Autriche  quelques  jours  après 
le  20  novembre  1358,  date  de  son  dernier  document 
ofliciel.  Il  fut  enterré  en  cette  ville,  dans  le  même 
caveau  que  Thomas  de  Strasbourg  et,  plus  tard,  le 
premier  historien  augustin,  Jourdain  de  Saxe.  Ses 
concitoyens  lui  érigèrent  à  Rimini  un  monument 
funèbre  avec  l'épitaphc  suivante  : 

Magistcr  Giegorius  Ariminensis  |  Ord.  Erem.  S.  Augu- 
sfini  Prior  Generalis  |  Eximius  Philosophas,  Theologus 
acutissimus  |  optimorum  morum  splendore,  magna; 
doctrinse  copia,  prudentia,  sanctimonia  |  Parisiensia  egre- 
gie  sublimavit  |  gymnasia  |  multis  editis  libris  Vienne 
Austrise  decessit  Anno  1358.  | 

Plusieurs  lui  ont  reproché  en  philosophie  son  trop 
grand  attachement  à  l'école  nominaliste.  Il  était  peut- 
être  visé,  en  effet,  dans  un  décret  du  chapitre  général 
de  son  ordre  tenu  à  Pavie  en  1348,  par  lequel  on  défend 
formellement  à  tous  et  à  chacun  des  religieux  augus- 
tins «  de  garder  la  logique  d'Occam,  d'étudier  ses 
ouvrages,  ainsi  que  d'enseigner  ou  de  suivre  en  quelque 
façon  que  ce  soit  ses  opinions  ou  d'autres  analogues, 
pour  autant  qu'elles  ne  seraient  pas  appuyées  sur  la 
doctrine  approuvée  d'autres  docteurs  véridiques.  i 
Toutefois  il  dut  mettre  assez  de  modération  dans  cet 
attachement  ou  du  moins  s'en  déprendre  dans  la  suite, 
si  l'on  en  juge  d'après  le  bref  du  pape  déjà  rappelé,  le 
surnom  de  Doctor  aulhenticiis  que  lui  appliquèrent  les 
contemporains,  et  surtout  le  choix  de  ses  confrères 
lorsqu'ils  le  désignèrent  pour  le  généralat  :  il  est  difficile 
d'admettre,  en  effet,  que  ceux-ci  eussent  accordé  leur 
voix  à  quelqu'un  qui  eût  passé  pour  être  en  rébellion 
avec  une  loi  obligeant  en  conscience  chacun  des  mem- 
bres de  l'ordre  augustinien. 

En  théologie,  il  se  dislingue  surtout  par  son  attache- 
ment scrupuleux  à  la  doctrine  et  même  aux  opinions 
personnelles  de  saint  Augustin  :  ce  qui  a  induit  le 
cardinal  Noris  à  affirmer  «  qu'aucun  scolastiquc  n'avait 
dépassé  Grégoire  dans  la  connaissance  des  œuvres  de 
ce  saint  docteur.  »  Quant  à  la  malicieuse  épithète  de 
lurlor  parvulorum,  que  lui  accola  le  fameux  Paolo 
Sarpi  et  qui,  appliquée  plus  tard  à  toute  l'école  augus- 
tinienne,  obligea  ses  partisans  à  riposter  par  l'expres- 
sion de  deceptores  populoriim  à  l'adresse  de  leurs 
adversaires,  elle  a  pu  être  suggérée  aussi  bien  parle 
nom  de  famille  de  Grégoire,  qui  descendait  des  «  Tor- 
toricci  »,  que  par  sa  thèse  connue  sur  la  peine  sensible 
duc  aux  enfants  morts  sans  baptême,  opinion  que  l'on 
peut  voir  assez  clairement  enseignée  par  saint  Au- 
gustin  lui-même. 

En  attendant  des  recherches  plus  complètes  et  plus 
critiques  au  sujet  des  ouvrages  qui  viennent  de  lui, 
voici  la  liste  de  ceux  que  lui  attribue  le  mieux  informé 
des  bibliographes  augustins:  1°  Leclura  in  librum  I  cl  II 
Senlenliurum,  in-fol.,  Paris,  1482,  1487;  Milan,  1494; 
Venise,  1518  (mss.  à  la  bibliothèque  Angelica,  à  la 
Bibliothèque  nationale  de  Paris  [2  tomes],  à  Vienne 
et  à  Padoue);  2°  Leclura  in  III  et  IV  Senlenliarum; 


3°  Liber  de  mûris,  Rimini,  1622;  4°  Liber  de  impre- 
stanliis  Venelorum  el  usuris,  in-4°,  Rimini,  1522;  1622; 
5°  Commenlaria  in  Epislolam  D.  Jacobi;  6°  Libri  XIV 
super  Epislolas  D.  Pauli;  7°  Traclalus  de  conceptione 
B.  V.  Marias,  qui  était  autrefois  conservé  à  la  biblio- 
thèque augustinienne  de  Milan  ;  8°  Sermoncs  de  lempore; 
9°  Sermoncs  de  sanclis ;  10°  Quœslioncs  mctaplujsicales ; 
11°  Traclalus  de  condilionibus  Florenlinorum;  12°  Tra- 
clalus de  inlcnsionc  et  remissione  formarum;Vi°  Car  mina 
ilalica  el  latina,  au  témoignage  de  Raphaël  Adimario, 
dans  son  livre  :  De  silu  Arimincnsi.  p.  76. 

Ossinger,  Bibliolhcca  augustiniana,  Ingolstadt,  1768,  au 
mot  Ariminensis  ;  Analecta  augustiniana,  1911-1912,  t.  iv, 
p.  278;  Noris,  Vindicim  augustiniana-,  p.  217;  llurter,  No- 
menclator,  1906,  t.  n,  col.  620-621. 

N.  Merlin. 

27.  GREGOIRE  Henri,  né  le  4  décembre  1750,  à 
Vého  (diocèse  de  Metz,  archiprêtré  de  Marsal),  fils  d'un 
humble  tailleur  d'habits,  montra  dès  son  enfance  une 
précocité  peu  commune.  A  8  ans,  un  ami  de  sa  famille, 
l'abbé  Cherrier,  curé  d'Emberménil,  lui  fit  commencer 
le  latin  et  le  mit  à  même  d'entrer  au  collège  des  jésuites 
de  Nancy.  Brillant  élève,  Henri  Grégoire  se  plut,  jus- 
qu'à la  fin  de  sa  vie,  à  rendre  hommage  au  savoir,  au 
dévouement  et  aux  vertus  de  ses  premiers  éducateurs. 
Il  fit  sa  théologie  au  séminaire  de  Metz  et  fut  ordonné 
prêtre  le  1er  avril  1775.  Après  avoir  été  quelques  mois 
professeur  au  collège  de  Pont-à-Mousson,  il  fut  envoyé, 
le  3  janvier  1776,  comme  vicaire  à  Marimont;  six  ans 
après,  il  succédait  à  l'abbé  Cherrier  dans  la  cure  d'Em- 
berménil. 

L'abbé  Grégoire  fut  un  pasteur  très  pénétré  de  ses 
devoirs,  sans  négliger  pour  cela  de  s'adonner  à  l'étude; 
même  dans  les  voyages  qu'il  entreprenait  au  temps  des 
vacances,  il  cherchait  moins  le  délassement  qu'un 
moyen  de  compléter  son  instruction;  il  prenait  des 
notes  qui  sont  conservées  à  la  bibliothèque  de  Nancy 
et  dont  il  tira,  à  la  fin  de  1797,  plusieurs  articles  qui 
parurent  dans  la  Correspondance  sur  les  affaires  du 
temps.  Tout  en  se  montrant  pieux  et  zélé,  il  appartenait 
à  la  catégorie  des  jeunes  curés  qui  se  croyaient  auto- 
risés à  intercaler  dans  leur  enseignement  religieux  des 
leçons  de  sciences  physiques,  des  principes  d'économie 
rurale,  des  conseils  d'hygiène  et  sans  doute  des  digres- 
sions politiques.  Il  obéit  à  cette  tendance  lorsqu'on 
1788,  il  présenta  à  la  Société  royale  des  sciences  et  des 
arts  de  Metz  son  Essai  sur  la  régénération  physique, 
morale  el  politique  des  Juifs.  Ce  mémoire,  qui  fut  cou- 
ronné, annonçait  déjà  en  Grégoire  le  défenseur  de 
toutes  les  libertés  et  l'adversaire  irréconciliable  de 
toutes  les  oppressions. 

En  1789,  Grégoire  sollicita  et  obtint  un  mandat  de 
député  aux  États  généraux;  il  allait  s'y  trouver  le  col- 
lègue dcl'évêquc  de  Nancy,  M.  de  La  Farc,  que  les  curés 
lorrains  n'avaient  pas  cru  devoir  exclure  de  la  députa- 
tion,  mais  auquel  ils  prétendaient  donner  une  leçon  en 
lui  associant  un  jeune  piètre  d'opinions  absolument 
différentes.  Il  n'entre  pas  dans  le  cadre  de  cette  notice 
de  retraçai'  le  rôle  politique  de  Grégoire;  il  suffira  de 
dire  qu'il  marcha  à  la  tète  de  la  fraction  la  plus  avancée 
du  clergé,  et  que,  tout  en  s'inclinant  par  un  reste  d'ha- 
bitude devant  le  principe  monarchique,  il  fut  de  ceux 
qui,  dès  l'origine  de  la  Révolution,  entreprirent  de 
saper  les  bases  de  la  royauté.  Après  l'aventure  de 
Varennes,  en  juin  1791,  il  devait  publier  une  lettre- 
manifeste  où  il  réclamait  la  convocation  des  électeurs, 
à  l'effet  de  nommer  une  «  convention  »  chargée  de  juger 
Louis  XVI.  Il  se  défendra  plus  tard  d'avoir  voté  la 
mort  du  roi,  mais  nous  voyons  ici  que,  longtemps  ;i 
l'avance,  il  excitait  les  passions  populaires  et  préparait, 
inconsciemment   peut-être,  un  exécrable  forfait. 

Grégoire  prit  une  part  considérable  à  l'élaboration 
de  la  Constitution  civile  du  clergé  et,  le  27  décembre 


is:ô 


GRÉGOIRE    (HENRI) 


1856 


1790,  dès  que  le  décret  qui  imposait  le  serment  eut  été 
sanctionné  par  le  roi,  il  se  précipita  à  la  tribune  de 
l'Assemblée,  afin  de  ne  laisser  à  personne  l'honneur 
d'avoir  été  le  premier  à  jurer.  Le  18  février  1791,  il 
fut  choisi  pour  évoque  dans  les  deux  départements  de 
la  Sarthe  et  du  Loir-et-Cher;  il  opta  pour  Blois  et  fut 
sacré  le  13  niais,  à  l'Oratoire  de  la  rue  Saint-Honoré, 
par  Gobel,  assisté  par  Massieu  et  Aubry,  nouveaux 
évêques  de  l'Oise  et  de  la  Meuse.  Il  prit  alors  un  congé 
d'un  mois  pour  se  rendre  dans  le  diocèse  que  M.  de 
Thémines  n'abandonna  pas  sans  protester;  il  prit  pos- 
session et  organisa  un  conseil  épiscopal,  mais,  s'y  con- 
naissant mal  en  hommes,  il  favorisa  des  indignes  qui 
déconsidérèrent  son   administration. 

Il  lui  tardait  de  retourner  à  Paris  et  de  retrouver  à  la 
Constituante  la  situation  très  en  vue  qu'il  s'était  faite 
par  son  activité  et  son  extraordinaire  puissance  de 
travail.  Il  ne  fit  pas  partie  de  la  Législative  et,  entre  la 
séparation  des  Constituants  et  la  réunion  de  la  Con- 
vention, il  y  eut  un  intervalle  d'une  année  pendant 
lequel  il  aurait  pu  se  renfermer  dans  les  devoirs  de  son 
ministère  épiscopal,  mais  souvent  le  politicien  qui 
s'était  éveillé  en  lui  reprenait  le  dessus  :  l'esprit  révo- 
lutionnaire transperçait  dans  ses  lettres  pastorales  et 
ses  mandements.  Il  prit  pour  sujet  de  celui  qu'il  publia 
au  carême  de  1792  :  «  le  devoir  pour  tous  les  citoyens 
de  payer  exactement  leurs  contributions.  »  Présidant, 
le  14  juillet  1792,  les  fêtes  de  la  Fédération,  son  sermon 
fut  une  virulente  diatribe  contre  la  personne  du  roi; 
il  y  joignit  des  insinuations  grossières  à  l'adresse  de 
Marie-Antoinette,  qu'il  compare  à  Cléopàtre. 

11  avait  été  élu  membre  de  l'administration  départe- 
mentale et  en  était  le  président  au  mois  d'août  1792; 
peu  de  jours  après  les  massacres  des  Tuileries,  il  fit 
célébrer  un  service  funèbre  pour  les  patriotes  qui 
étaient  tombés  le  10  août;  il  prononça  à  cette  occasion 
un  discours  incendiaire  sur  ce  texte  :  Nolilc  confidere  in 
principibus.  lui  même  temps,  il  publiait  une  lettre 
pour  annoncer  l'abolition  de  la  fête  de  saint  Louis, 
dont  le  crime  était  à  ses  yeux  d'avoir  régné  sur  la 
France.  Le  21  septembre  1792,  jour  où  se  réunit  la 
Convention,  Grégoire  prit  l'initiative  du  décret  qui 
abolissait  la  royauté  française.  Le  15  novembre,  quand 
l'Assemblée,  qu'il  présidait,  commença  à  discuter  sur 
le  procès  du  roi,  Grégoire  demanda  la  parole  pour 
appuyer  la  mise  en  accusation. 

Faut-il  le  ranger  parmi  les  régicides  ?  Nommé,  le 
28  novembre,  membre  de  la  députation  de  quatre 
représentants  du  peuple  qui  devait  aller  organiser  ré- 
publicainement  le  département  du  Mont-Blanc,  fomu- 
par  l'ancien  duché  de  Savoie,  il  fut  absent  de  Paris  pen- 
dant trois  mois.  Il  était  à  Chambéry  quand  Louis  XVI 
fut  jugé  et,  aux  quatre  appels  nominaux  des  16  et 
17  janvier  1793,  il  fut  porté  «  absent  pour  mission.  » 
Et  cependant  l'accusation  de  régicide  a  pesé  sur  lui 
pendant  tout  le  reste  de  sa  vie.  Il  était  légalement 
excusé,  et,  en  1816,  son  nom  ne  figura  pas  sur  la  liste 
des  conventionnels  qui  furent  bannis  pour  avoir  voté 
la  mort  de  Louis  XVI.  Ce  qui  aggrave  son  cas,  c'est 
que,  le  13  janvier  1793,  les  quatre  envoyés  de  la  Con- 
vention avaient  écrit  au  président  de  l'Assemblée  : 
«  Par  la  connaissance  que  nous  avons  des  trahisons  du 
roi-parjure,  nous  croyons  que  ce  serait  une  lâcheté  de 
profiter  de  notre  éloignement  pour  nous  soustraire  à 
l'obligation  d'énoncer  publiquement  notre  opinion... 
Nous  déclarons  donc  que  notre  vœu  est  pour  la  con- 
damnation de  Louis,  sans  appel  au  peuple.  » 

Ces  paroles  semblent  correspondre  au  sentiment 
intime  de  Grégoire  qui.  dans  son  Essai  sur  les  arbres 
tir  In  libellé,  écrivait  en  l'an  If,  p.  IG  :  Tout  ce  qui  est 
royal  ne  doit  figurer  que  dans  les  archives  du  crime,  » 
p.  17  :  «  La  destruction  d'une  bête  féroce,  la  cessation 
d'une  peste,  la  mort  d'un  roi  sont  pour  l'humanité  des 


motifs  d'allégresse...,  »  p.  48  :  «  L'arbre  de  la  liberté  ne 
peut  prospérer  qu'arrosé  du  sang  des  rois,  »  et  ailleurs  : 
«  L'histoire  des  rois  est  le  martyrologe  des  peuples,  » 
ou  encore  :  «  Les  rois  sont  dans  l'ordre  politique  ce 
que  sont  les  monstres  dans  l'ordre  de  la  nature.  »  Pour 
se  laver  de  cette  terrible  imputation,  Grégoire  s'est 
prévalu  de  ce  que,  dans  la  lettre  de  Chambéry,  on  ne 
trouve  pas  les  mots  «  à  mort  »  après  celui  de  <<  condam- 
nation »;  il  a  prétendu  que  ses  collègues  les  avaient 
écrits  d'abord,  mais  qu'il  avait  fait  de  leur  omission 
la  condition  absolue  de  sa  signature.  Il  protestait  avoir 
toujours  été  partisan  de  la  suppression  de  la  peine 
capitale  et  il  rappela  que  dans  son  discours  du  15  no- 
vembre, il  avait  formellement  dit  :  «  Si  Louis  est  un 
traître,  il  faut  le  laisser  en  présence  de  ses  remords, 
et  le  condamner...  à  l'existence  1  » 

En  1801,  il  essaya  de  détruire  la  légende  qui  s'était 
accréditée;  pendant  le  concile  constitutionnel  tenu  à 
Paris  en  1801,  il  fit  présenter  par  son  ami  Moïse,  évêque 
du  Jura,  un  mémoire  où  étaient  développés  tous  ses 
moyens  de  défense.  Annales  de  la  religion,  t.  xiv, 
p.  35-41.  En  1819,  quand  il  eut  été  élu  député  de  l'Isère, 
beaucoup  de  ses  collègues  demandèrent  son  exclusion 
pour  le  motif  d'  «  indignité  ».  Il  se  défendit  alors  avec 
la  dernière  véhémence  et  protesta  contre  une  accusa- 
tion qu'il  déclarait  calomnieuse.  Le  gouvernement 
trouva  dans  l'arsenal  de  la  procédure  parlementaire 
un  motif  différent  pour  le  faire  invalider  et  la  Chambre 
n'eut  pas  à  se  prononcer,  mais  ses  adversaires  n'ont 
pas  désarme;  ils  n'ont  jamais  cessé  de  poursuivre  sa 
personne  et  ensuite  sa  mémoire,  et  ses  avocats  les  plus 
convaincus  n'ont  pas  réussi  à  effacer  complètement  le 
stigmate  dont  il  reste  marqué. 

Au  retour  de  sa  mission  en  Savoie  et  à  Nice,  Grégoire 
s'enferma  dans  les  travaux  obscurs  du  Comité  d'in- 
struction publique;  il  dut  se  prêter  à  diverses  besognes 
assez  méprisables,  mais  coopéra  aussi  à  des  œuvres 
utiles,  comme  la  création  du  Conservatoire  des  arts  et 
métiers,  celle  du  Bureau  des  longitudes  et  la  restau- 
ration de  l'Institut  de  France,  auquel  il  appartint 
jusqu'à  ce  que  l'épuration  de  1815  l'en  eût  éliminé. 

Un  jour  vint  cependant  où  il  sortit  de  son  efface- 
ment :  le  17  brumaire  an  II,  Gobel,  terrifié  par  les 
menaces  des  hébertistes,  était  venu  à  la  barre  de  la 
Convention  pour  déposer  ses  insignes  épiscopaux  et  ce 
fut  le  signal  de  ce  qu'on  a  appelé  la  «  déchristianisa- 
tion ».  Les  curés  et  évêques  constitutionnels  qui  sié- 
geaient à  la  Convention  se  laissaient  emporter  par  cette 
vague  d'impiété  et  montaient  tour  à  tour  à  la  tribune 
pour  renier  les  engagements  qui  les  liaient  encore  à 
l'Église.  C'est  alors  que  Grégoire  entra  dans  la  salle.  Il 
avait  été  sollicité  par  les  entrepreneurs  d'apostasies. 
Mme  Dubois,  dont  il  était  l'hôte,  a  raconté  que,  la  veille 
au  soir,  deux  émissaires  du  club  des  jacobins  s'étaient 
présentés  à  Grégoire;  écoutant  à  travers  la  porte,  elle 
avait  entendu  leurs  flatteries,  leurs  promesses  et  leurs 
menaces,  scandées  par  des  NON  énergiques,  seule 
réponse  qu'ils  purent  obtenir. 

Grégoire  savait  donc  d'avance  ce  qu'on  espérait  de 
lui  quand  il  parut  à  la  Convention.  lia  consigné  dans 
plusieurs  de  ses  ouvrages  les  courageuses  paroles  où  il 
affirma  sa  foi  et  revendiqua  la  liberté.  A  vrai  dire,  les 
journaux  du  temps  ne  les  ont  pas  enregistrées,  soit  parce 
qu'au  milieu  du  tumulte,  elles  n'avaient  été  entendues 
que  d'une  façon  confuse,  soit  parce  cju'il  eût  été  dan- 
gereux de  reproduire  ce  langage  si  peu  d'accord  avec 
l'avilissement  général  des  caractères.  Grégoire  prit 
soin  de  rédiger  son  beau  discours,  qu'il  a  peut-être  un 
peu  embelli,  dans  les  diverses  éditions  qu'il  en  a  don- 
nées. Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  cet  acte  de  courage 
pouvait  lui  coûter  la  vie;  il  ne  s'était  fait  aucune 
illusion  là-dessus.  Bentré  chez  les  époux  Dubois,  il 
leur  annonça  qu'on  allait  venir  l'arrêter;  il  acheva  de 


1857 


GRÉGOIRE    (HENRI 


1858 


détruire  tous  ses  papiers  et  fit  promettre  à  sa  fidèle 
hôtesse  que,  lorsqu'il  serait  mort,  elle  irait  à  Ember- 
ménil  pour  apprendre  la  fatale  nouvelle  à  sa  mère  et 
la  consoler. 

En  dépit  de  ses  appréhensions,  Grégoire  ne  fut  pas 
arrêté;  ses  antécédents  révolutionnaires  le  préser- 
vèrent et  aussi  les  amitiés  qu'il  conservait  dans  le 
camp  le  plus  avancé.  En  revanche,  il  ne  craignit  pas 
de  donner  des  gages  au  jacobinisme,  notamment,  au 
cours  de  la  séance  du  31  mai,  où  il  occupa  le  fauteuil 
présidentiel.  Par  la  suite,  il  eut  conscience  de  ce  que 
sa  conduite  et  ses  discours  de  cette  époque  eurent  de 
peu  épiscopal  et  son  ami  Hippolyte  Carnot,  chargé  de 
rééditer  ses  œuvres,  avait  reçu  l'ordre  d'en  faire  dispa- 
raître quelques  pages  que  Grégoire  regrettait,  tout  en 
s'excusant  de  les  avoir  écrites  «  en  des  heures  canicu- 
laires. » 

Après  la  chute  de  Robespierre,  il  devenait  moins 
périlleux  de  parler.  C'est  à  la  fin  de  l'année  1794,  les 
31  août,  29  octobre  et  14  décembre,  que  parurent  les 
trois  rapports  de  Grégoire  sur  la  destruction  des  objets 
et  monuments  d'art  accomplis  pendant  la  Terreur. 
Il  trouva  des  accents  indignés  pour  flétrir  les  nouveaux 
barbares  et,  sous  l'inspiration  d'une  sainte  colère, 
introduisit  dans  la  langue  française  l'expression  venge- 
resse de  vandalisme,  qui  a  fait  fortune.  On  a  cherché 
depuis  à  contester,  ou  du  moins  à  atténuer  la  portée  de 
ses  critiques,  mais  les  apologistes  de  la  Révolution 
n'ont  pas  réussi  à  faire  honorer  les  jacobins  comme  les 
gardiens  vigilants  du  patrimoine  artistique  de  notre 
pays.  Tout  au  plus  peuvent-ils  dire  que  les  Vandales 
de  1793  ont  fait  école  et  qu'ils  ont  eu  de  nombreux 
imitateurs. 

Le  1er  nivôse  an  III  (21  décembre  1794),  commence 
une  nouvelle  période  de  la  vie  de  Grégoire.  Il  paraît 
renoncer  aux  préoccupations  d'ordre  laïc,  dans  les- 
quelles la  prudence  l'avait  retenu  et  il  plaide  résolu- 
ment la  cause  de  la  liberté  religieuse.  Il  parla  impassi- 
ble devant  un  auditoire  hostile  dont  les  formidables 
rumeurs  couvraient  sa  voix.  On  put  croire  que  son 
intervention  avait  été  intempestive,  et  cependant  elle 
produisit  ses  fruits,  car  un  mois  plus  tard,  le  3  ventôse, 
la  Convention  votait  une  loi,  semée  de  restrictions 
vexatoires,  mais  qui  reconnaissait  pourtant  aux 
croyants  le  droit  de  célébrer  publiquement  leurs  exer- 
cices religieux. 

Au  début  de  1795,  l'Église  constitutionnelle  avait 
presque  complètement  disparu.  La  loi  de  1790,  qui 
était  sa  raison  d'être,  s'était  trouvée  implicitement 
abrogée  le  jour  où  l'Église  avait  été  séparée  de  l'État; 
de  plus,  ses  ministres  avaient  fait  preuve  d'une  telle 
lâcheté  sous  la  Terreur  qu'elle  avait  sombré  sous  le 
mépris  universel.  La  plupart  des  jureurs  avaient  aban- 
donné leur  état  et  ceux  qui  avaient  tenu  bon  devant 
la  persécution  en  étaient  venus  à  comprendre  la  faute 
qu'ils  avaient  commise  en  se  séparant  de  la  véritable 
Église.  Les  rétractations  se  multipliaient  et  il  semblait 
que  la  cruelle  épreuve  du  schisme  allait  prendre  fin. 

Obstinément  attaché  à  ses  opinions  gallicanes  et  à 
ses  rancunes  antiromaines,  Grégoire  entreprit  d'en- 
rayer ce  mouvement  de  réconciliation,  et  il  n'y  réussit 
que  trop  bien.  Sa  courageuse  attitude  au  milieu  de  la 
panique  de  1793  lui  donnait  un  prestige  dont  il  fit  le 
plus  déplorable  usage.  Servi  par  sa  débordante  activité, 
par  ses  talents  de  polémiste  et  par  une  volonté  de  fer, 
il  allait  rendre  pour  sept  ans  une  apparence  de  vie  au 
parti  constitutionnel.  Mais  son  expérience  des  peti- 
tesses humaines  l'aida  à  comprendre  que  son  pouvoir 
ne  serait  incontesté  que  s'il  ne  s'exerçait  pas  ouverte- 
ment. Les  ex-constitutionnels  ne  voulaient  pas  de 
pape,  ils  n'accepteraient  pas  davantage  un  antipape. 

Grégoire  recruta  parmi  ses  collègues  de  la  Conven- 
tion  quelques    confrères    qui    formèrent   avec   lui   le 

DICT.  DK  THKOL.  C.VI'HOL. 


«  Comité  des  évêques  réunis  »  et  c'est  en  se  dissimulant 
derrière  ce  léger  rideau  qu'il  allait  exercer  une  autorité 
presque  dictatoriale. 

Il  fonda  un  journal,  les  Annales  de  la  religion,  dont 
il  sera,  sauf  pendant  de  courts  intervalles,  le  rédacteur 
principal  et  l'inspirateur;  il  y  luttera  avec  une  infa- 
tigable persévérance  contre  tous  ceux  qui  ne  parta- 
geaient pas  ses  idées.  Lutte  circonspecte,  mais  coura- 
geuse, contre  l'athéisme  officiel  du  pouvoir  civil, 
contre  les  blasphèmes  des  conventionnels,  la  persé- 
cution tantôt  sournoise  et  tantôt  violente  du  Direc- 
toire; mais  aussi  lutte  acharnée  contre  les  catholiques 
soumis  au  pape,  qu'il  poursuit  de  ses  sarcasmes,  qu'il 
diffame  en  répandant  contre  eux  les  accusations  les 
plus  perfides,  qu'il  s'efforce  de  compromettre  par  des 
dénonciations  empoisonnées. 

Il  a  rédigé  coup  sur  coup  deux  «  Lettres  encycliques  » 
où  il  formule  les  règles  nouvelles  qui  serviront  de 
charte  à  l'Église  constitutionnelle  restaurée  et  qu'il 
réussira  à  faire  accepter  dans  les  trois  quarts  de  la 
France.  Il  réprimande  les  timides  et  les  fait  rougir  de 
leurs  défaillances;  il  soutient  ceux  qui  ont  perdu  cou- 
rage, se  tient  en  garde  contre  les  jaloux,  ménage  les 
esprits  ombrageux,  exploite  les  vanités  et  passe  entre 
tous  les  obstacles  avec  l'habileté  d'un  politique  con- 
sommé; il  forme  un  faisceau  presque  homogène  en 
groupant  des  hommes  des  caractères  les  plus  disparates. 
En  1797,  il  réunit  à  Paris  un  concile  qui  ratifie  les 
mesures  qu'il  a  improvisées  sous  le  couvert  des  «  réu- 
nis ».  Dans  la  province  de  Bourges,  dont  il  est  le  plus 
ancien  évêque,  il  assemble  un  concile  provincial  par 
lequel  il  fait  adopter  un  projet  de  statuts  synodaux; 
partout  où  l'évêque  est  mort,  ou  apostat,  il  organise 
des  «  presbytères  »  qui  exerceront  provisoirement  le 
pouvoir  spirituel  et  travailleront  à  mettre  fin  à  la 
viduité  de  leur  Église;  c'est  ainsi  que,  sous  son  impul- 
sion, trente  départements  ont  procédé,  entre  1797  et 
1801,  à  une  élection  épiscopale.  Il  étend  le  cadre  de  la 
Constitution  civile  aux  colonies  d'Amérique,  où  il  crée 
des  diocèses  nouveaux  auxquels  il  sait  trouver  des  titu- 
laires; il  envoie  des  prélats  qu'il  a  sacrés  à  Cayenne  et 
à  Saint-Domingue  et  travaille  ainsi  à  une  œuvre  qui 
lui  tient  particulièrement  à  cœur,  celle  de  l'évangélisa- 
tion  des  noirs,  dont  il  s'est  déjà  fait  l'avocat  à  la  Con- 
stituante et  à  la  Convention. 

L'annonce  d'une  réconciliation  officielle  du  Saint- 
Siège  et  du  gouvernement  consulaire  menaçait  le  déve- 
loppement et  même  l'existence  de  l'Église  constitu- 
tionnelle. Quelques  esprits  superficiels  se  bercèrent 
d'abord  de  l'illusion  que  le  Premier  Consul  imposerait 
au  pape  la  reconnaissance  d'un  épiscopat  gallican  dont 
Grégoire  aurait  été  le  patriarche  ou  le  primat.  On  com- 
prit bien  vite  qu'à  aucun  prix  Pie  VII  ne  se  prêterait  à 
un  tel  accommodement.  N'ayant  pu  tirer  du  futur 
concordat  les  profits  qu'ils  en  avaient  attendus,  les 
constitutionnels  s'en  firent  les  adversaires  irréconci- 
liables et  faillirent  le  faire  avorter.  Le  second  concile 
dit  «  national  »  réunit  à  Paris  en  1801  un  grand  nombre 
de  prélats  constitutionnels;  il  avait  pour  but  prin- 
cipal de  masquer  le  discrédit  où  était  tombée  déjà 
l'Église  schismatique,  de  donner  le  change  sur  l'in- 
fluence qu'elle  exerçait  encore  et  d'arracher  par  l'inti- 
midation ce  qu'on  n'avait  pu  obtenir  par  les  flatteries. 
Mais  Bonaparte  n'était  pas  de  ceux  qu'on  fait  reculer 
par  de  pareils  moyens,  et,  le  15  août  1801,  le  pseudo- 
concile fut  brusquement  invité  à  se  dissoudre.  Peu 
après,  les  membres  de  l'épiscopat  constitutionnel 
étaient  prévenus  qu'on  attendait  leur  démission. 

Se  soumettant  extérieurement,  Grégoire  et  ses  amis 
reprirent  le  combat  sous  une  autre  forme  :  ils  avaient 
partie  liée  avec  les  adversaires  de  toute  idée  religieuse, 
avec  la  coterie  de  l'Institut  de  France  où  dominaient 
les  tendances  matérialistes  et  sectaires;  se  posant  en 

VI.  —  59 


1850 


GRÉGOIRE    (HENRI 


1860 


défenseurs  des  conquêtes  de  la  Révolution,  ces  intel- 
lectuels se  complaisaient  à  caresser  des  utopies  mal- 
faisantes. Les  assemblées  politiques,  sénat,  corps 
l.i  i^latif  et  tribunal,  renfermaient  une  majorité  hostile 
à  toute  entente  avec  Rome  et  la  candidature  de  Gré- 
goire au  sénat  fui  l'œuvre  de  ceux  qui  voulaient  don- 
ner un  avertissement  au  Premier  Consul.  L'élection 
eut  lieu  le  '25  décembre  1801  et  c'était  une  véritable 
provocation,  puisque  le  principal  adversaire  du  concor- 
dat était  choisi  comme  porte-drapeau  par  les  grands 
corps  de  l'État.  Bonaparte  répondit  à  cet  acte  d'indé- 
pendance en  éliminant  des  assemblées  les  meneurs  de 
l'opposition  et  en  les  remplaçant  par  des  hommes  à  lui. 
Le  concordat  fut  ensuite  voté  à  une  immense  majorité. 

Grégoire  avait  renoncé  à  l'évêché  de  Blois,  mais  sa 
démission  était  rédigée  dans  des  termes  qui  prouvaient 
qu'il  n'avait  pas  désarmé;  n'ayant  plus  rien  à  espérer, 
il  ne  se  croyait  plus  obligé  à  garder  des  ménagements. 
Douze  de  ses  collègues  allaient  être  imposés  au  pape 
pour  occuper  des  sièges  dans  la  nouvelle  hiérarchie 
catholique,  mais  Grégoire  se  sentait  trop  compromis 
pour  qu'il  put  être  question  de  lui. 

Au  printemps  de  1802,  il  quitta  la  France  avec  son 
ami  le  janséniste  génois  Degola.  Ils  voyagèrent 
d'abord  en  Angleterre,  puis  en  Hollande  et  en  Alle- 
magne; c'était  une  tournée  de  propagande  en  faveur 
de  leurs  idées;  ils  plaidèrent  la  cause  des  nègres,  celle 
des  juifs,  se  donnèrent  comme  les  missionnaires  de  la 
paix  universelle,  ce  qui  ne  les  empêchait  pas  de  réchauf- 
fer partout  les  animositôs  contre  le  pape  et  la  cour  de 
Rome,  dont  ils  se  disaient  les  victimes. 

Désormais  Grégoire  allait  s'effacer.  Membre  à  vie 
du  sénat,  il  y  fut  un  des  rares  opposants  à  la  procla- 
mation de  l'Empire;  il  vota  aussi  contre  le  rétablisse- 
ment des  titres  nobiliaires,  mais  ne  crut  pas  devoir  se 
dispenser  d'accepter,  comme  sénateur,  celui  de  comte 
de  l'Empire.  Son  esprit  d'indépendance  ne  se  réveilla 
plus  ciu'en  1814  et  alors  il  sera  l'un  des  premiers  à 
voter  la  déchéance  de  Napoléon. 

Pendant  dix  ans,  il  avait  vécu  dans  un  isolement 
profond,  recevant  peu  et  n'admettant  dans  son  intimité 
que  des  amis  sûrs,  comme  les  sénateurs  Lanjuinais  et 
Lambrecht,  qui  partageaient  tous  ses  regrets.  Il  entre- 
tenait aussi  des  relations  plus  espacées  avec  d'anciens 
membres  de  l'Église  constitutionnelle,  évêques  démis- 
sionnaires ou  prêtres  réadmis  dans  le  clergé  après  une 
soumission  qui  n'avait  pas  été  exempte  de  restrictions 
mentales.  Ils  surent  exploiter  l'indulgence  du  nouvel 
archevêque  de  Paris,  Mgr  de  Belloy,  prélat  pacifique 
jusqu'à  la  pusillanimité.  Quand  il  fut  mort,  l'empereur 
plaça  à  Paris  le  cardinal  Maury,  qui  eût  été  mal  venu 
à  demander  des  comptes  aux  anciens  intrus  et  à  user 
contre  eux  d'une  autorité  que  le  pape  avait  refusé  de 
lui  reconnaître.  La  vacance  du  siège,  de  1814  à  1819, 
aggrava  encore  une  situai  ion  anarchique  et  le  cardinal 
de  Talleyrand,  enfin  mis  en  possession  de  l'archevêché 
de  Paris,  se  vit  dans  l'obligation  de  trancher  dans  les 
abus  et  de  sévir  contre  les  insubordonnés.  Plusieurs  des 
amis  de  Grégoire  encoururent  alors  une  disgrâce  qui 
n'était  que  trop  méritée. 

Le  gouvernement  de  la  Restauration  s'était  montre 
d'abord  plus  débonnaire  que  celui  de  Napoléon;  dès 
1814,  Grégoire  avait  pu  mettre  en  vente  son  Histoire 
des  sectes  religieuses,  dont  la  première  édition  avait 
été  saisie  par  la  censure  impériale.  Enhardi  par  ce 
premier  succès,  il  avait  commencé  à  faire  paraître  des 
écrits  dont  les  titres  anodins  couvraient  des  attaque»  a 
peine  dissimulées  contre  le  nouveau  régime.  Enfin,  en 
1819  l'ex-évêque  se  démasqua  en  acceptant  une  candi- 
dature d'opposition  dans  le  département  de  l'Isère. 
Il  fut  nommé,  mais  son  succès  provoqua  une  telle 
explosion  de  colères  qu'il  lui  fallut  renoncer  à  rentrer 
dans  la  vie  publique.  S'il  se  lava,  vaille  que  vaille,  de 


l'accusation  de  régicide,  il  n'en  restait  pas  moins  le 
prêtre  qui  avait  proclamé  à  la  tribune  de  la  Convention 
que  «  si  la  République  se  devait  d'être  chrétienne,  le 
christianisme  ne  pouvait  être  que  républicain  ».  Il 
devint  ainsi  le  prisonnier  du  parti  avancé,  qui  seul 
pouvait  accepter  son  passé,  sauf  à  l'exploiter  contre 
les  Bourbons. 

Grégoire  applaudit  à  la  Révolution  de  1830,  puis- 
qu'elle amenait  au  pouvoir  ceux  qui  l'avaient  toujours 
soutenu;  il  savourait  une  vengeance  et  s'enracinait 
de  plus  en  plus  dans  les  opinions  qu'il  défendait  sans 
relâche  depuis  quarante  ans. 

Telles  étaient  ses  dispositions  quand  approcha 
pour  lui  l'heure  suprême.  L'archevêque  de  Paris  était 
alors  Mgr  de  Quelen,  un  saint,  mais  un  intransigeant, 
et  la  ténacité  du  Breton  se  trouva  en  présence  de  la 
ténacité  lorraine.  Se  soumettre  à  l'humiliante  rétrac- 
tation qu'on  prétendait  lui  imposer,  c'était  pour  Gré- 
goire désavouer  sa  vie  entière.  Déjà  gravement  atteint, 
il  recouvra  toute  la  vigueur  de  son  esprit  pour  répéter 
ses  arguties  favorites;  se  drapant  dans  une  flère  obsti- 
nation, il  se  refusa  à  manifester  le  moindre  repentir 

Alors  intervinrent  des  officieux  qui  se  crurent  assez 
habiles  pour  trouver  un  terrain  de  conciliation.  L'abbé 
Guillon,  professeur  à  la  Sorbonne  et  que  Louis-Philippe 
venait  de  désigner  pour  l'évêché  de  Beauvais,  eut  la 
faiblesse  de  se  prêter  à  une  parodie  sacrilège;  il  se 
présenta  comme  le  délégué  d'une  autorité  qui  ne  lui 
avait  donné  aucun  pouvoir  et  prétendit  apporter  à 
Grégoire  un  pardon  que  le  malade  repoussait  comme 
une  injure.  Qui  entendait-on  tromper  ? 

Le  28  mai  1831,  Grégoire  mourut  dans  l'impéni- 
tence.  Et  pourtant  ses  amis,  en  contradiction  avec  eux- 
mêmes,  réclamèrent  pour  lui  les  honneurs  de  la  sépul- 
ture ecclésiastique.  Peu  leur  importaient  les  prières 
d'une  religion  à  laquelle  ils  ne  croyaient  pas,  mais  il  y 
avait  un  cadavre  à  promener,  un  apôtre,  un  précur- 
seur, un  martyr  de  la  liberté  à  glorifier.  Ils  profiteraient 
de  cette  occasion  pour  donner  une  leçon  de  tolérance 
à  l'archevêque  légitimiste,  dont  ils  venaient  de  dévaster 
le  palais;  ils  rappelleraient  aussi  au  «  roi-citoyen  »  que 
c'était  la  Révolution  qui  lui  avait  donné  sa  couronne. 
Les  anciens  insurgés  de  1830,  exploitant  la  complicité 
du  premier  ministre,  Casimir  Périer,  dictèrent  leurs 
volontés  et  quelques  prêtres  interdits  allèrent  célébrer 
l'ollice  funèbre  dans  l'église  de  l'Abbaye-aux-Bois,  dont 
le  clergé  s'était  retiré,  sur  l'ordre  de  Mgr  de  Quelen. 
Dans  la  rue  de  Sèvres  était  massée  une  foule  ameutée 
par  les  déclamations  des  journaux  du  parti  démago- 
gique; la  «  jeunesse  des  écoles  »  détela  les  chevaux  du 
corbillard  et  traîna  le  corps  jusqu'au  cimetière  Mont- 
parnasse. Là  commencèrent  les  discours  :  Thibaudeau 
le  régicide  et  le  jeune  révolutionnaire  Raspail  se  firent 
acclamer  en  parlant  de  Grégoire...  et  de  la  République, 
et,  le  soir,  Louis-Philippe  pouvait  se  demander  si  de 
telles  manifestations  avaient  consolidé  son  trône. 

Il  nous  reste  à  apprécier  en  Grégoire  l'homme  poli- 
tique, l'écrivain  et  le  prêtre. 

Le  rôle  politico-religieux  de  Grégoire  est  aussi  facile 
à  définir  que  difficile  à  justifier.  Sans  avoir  jamais, 
semble-t-il,  soull'ert  personnellement  des  injustices 
du  sort,  il  s'était  épris  pour  la  liberté  d'un  amour  que 
la  logique  de  son  esprit  positif  avait  poussé  jusqu'au 
fanatisme.  Se  posant  en  adversaire  de  tout  despotisme, 
il  en  vint  à  rejeter  même  toute  autorité;  après  avoir  été 
rebelle  à  la  papauté,  il  se  mit  à  poursuivre  la  monarchie 
d'une  haine  furieuse  et  ses  rancunes,  enfermées  d'abord 
dans  l'ordre  des  abstractions,  l'amenèrent  par  la  suite 
à  coopérer,  sans  peut-être  qu'il  le  comprit  très  claire- 
ment, à  des  œuvres  de  sang,  dont  il  a  été  rendu  plus 
responsable  qu'il  ne  l'était  en  réalité.  Ce  ne  fut  pour- 
tant pas  un  impulsif  inconscient,  car  en  lui  la  violence 
n'excluait  pas  la  finesse  :  au  cours  de  son  long  conlfit 


1861 


GRÉGOIRE  (HENRI 


1862 


avec  l'Église  catholique,  il  se  révéla  passé  maître  dans 
l'art  de  la  controverse  cauteleuse  et  de  même,  après 
avoir  énergiquement  tenu  tête  aux  terroristes,  qui 
menaçaient  son  honneur  et  sa  liberté,  il  fit  preuve 
d'une  adresse  peu  commune  pour  cesser  d'attirer  l'at- 
tention. Il  réussit  ainsi  à  vivre,  comme  son  confrère 
Siéyès,  pendant  que  tant  d'autres  se  montraient  même 
incapables  de  bien  mourir. 

Quand  des  circonstances,  qu'il  n'avait  pas  toutes 
provoquées,  le  placèrent  à  la  tête  de  l'Église  constitu- 
tionnelle, il  eut  la  perspicacité  nécessaire  pour  com- 
prendre que  son  autorité  cesserait  d'exister  le  jour 
où  il  en  laisserait  apparaître  l'étendue;  il  manœuvra 
donc  avec  assez  de  souplesse  pour  mettre  toujours  en 
avant  des  compères  dociles,  auxquels  il  n'avait  qu'à 
souiller  leur  rôle. 

Il  combattait  sur  le  terrain  des  idées,  sans  poursuivre 
d'autre  intérêt  personnel  que  celui  qu'éprouve  un 
ambitieux  satisfait.  Très  dur  pour  lui-même,  il  se 
sentait  en  droit  de  réclamer  beaucoup  de  ses  partisans 
et  il  entendait  être  obéi  quand  l'exigeait  le  bien  de  la 
cause  commune.  Il  dédaigna  les  premières  places,  se 
bornant  à  exercer  une  domination  occulte  et  sacrifia 
volontiers  les  apparences  du  pouvoir  afin  d'en  mieux 
posséder  les  réalités. 

Ce  qui  fit  en  grande  partie  la  force  de  Grégoire  et  ce 
qui  permet,  dans  une  certaine  mesure,  de  l'excuser, 
ce  fut  le  plein  désintéressement  qui  caractérise  sa  vie. 
Il  lutta  avec  acharnement  pour  des  idées  qu'il  croyait 
justes  et  que  sa  conscience,  étrangement  aveuglée, 
lui  faisait  un  devoir  de  défendre.  Dans  ses  plus  lourdes 
erreurs,  il  fut  un  convaincu  et  un  pur. 

Comme  écrivain,  Grégoire  fut  d'une  fécondité  inta- 
rissable; son  esprit  curieux,  servi  par  une  extraordi- 
naire faculté  d'assimilation,  le  poussa  à  aborder  indi- 
stinctement les  sujets  les  plus  divers  :  théologie,  phi- 
losophie sociale,  histoire  et  statistique  religieuses, 
agronomie,  sciences  naturelles,  etc.  Quand  il  siégeait 
dans  les  assemblées  politiques,  il  accepta  de  rédiger 
d'innombrables  rapports  et  présenta  des  motions  dont 
quelques-unes  étaient  précédées  de  longs  préambules, 
sur  une  foule  de  sujets  ;  l'enthousiasme  patriotique  lui 
fournissait  une  compétence  qui  ne  semble  pas  trop  im- 
provisée. 

Si,  dans  les  polémiques,  il  fut  un  jouteur  redoutable, 
trouvant,  sans  les  chercher,  les  traits  les  plus  incisifs, 
il  perdait  de  ses  avantages  quand  il  écrivait.  Son  style 
était  clair,  sa  plume  alerte,  mais  il  n'avait  pas  le  loisir, 
dans  sa  vie  enfiévrée,  de  chercher  la  perfection  litté- 
raire et  il  ne  paraissait  pas  y  tenir. 

Ses  principaux  ouvrages  sont  mal  composés,  alour- 
dis par  une  érudition  indigeste,  qui  n'était  même  pas 
de  première  main  et  par  des  digressions  interminables 
qui  en  rendent  la  lecture  fastidieuse.  Il  aimait  à  trans- 
poser dans  ses  volumes  nouveaux  des  chapitres  entiers 
tirés  des  précédents;  il  reprenait  sans  cesse,  sous  une 
forme  qu'il  ne  se  donnait  pas  toujours  la  peine  de 
rajeunir,  des  pensées  qu'il  avait  déjà  développées 
ailleurs;  on  reconnaît  là  l'homme  tenace  qui  essaie  de 
vaincre  en  frappant  sans  relâche  sur  le  même  point 
comme  s'il  voulait  faire  entrer  de  force  dans  l'esprit 
de  ses  lecteurs  la  conviction  dont  il  était  possédé. 

La  liste  complète  des  œuvres  signées  ou  anonymes 
de  Grégoire  comprendrait  plus  de  150  articles.  J'ai  dit 
sa  part  prépondérante  dans  la  rédaction  des  Annales 
de  la  religion,  journal  officiel  de  son  parti;  il  collabora 
pendant  toute  sa  vie  aux  périodiques  dirigés  par  ses 
amis  :  Correspondance  sir  les  affaires  du  temps  (1797), 
Censeur,  Minerve  française,  Chronique  religieuse,  Revue 
encyclopédique,  Revue  ecclésiastique,  etc. 

Sa  correspondance  fui  immense  :  on  en  peut  juger 
par  les  lettres  qu'il  recevait  et  qui  forment  une  impor- 
tante collection,  classée  avec  soin,  dont  la  garde  est 


confiée  à  M.  Augustin  Gazier,  le  savant  professeur  de 
la  Sorbonne.  On  sait  avec  quelle  largeur  d'esprit 
M.  Gazier  ouvre  aux  profanes  le  sanctuaire  dont,  il  est 
le  pieux  desservant.  Sa  courtoisie  est  d'autant  plus 
méritoire  que  ceux  qu'il  introduit  au  milieu  de  ses 
trésors  ne  sauraient  partager  absolument  toutes  ses 
manières  de  sentir;  mais  il  est  trop  droit  et  trop  respec- 
tueux des  idées  des  autres  pour  vouloir  leur  imposer 
les  siennes. 

Grégoire  est  un  des  hommes  qui  ont  fait  le  plus  de 
mal  à  l'Église  de  France.  Au  moment  où  semblait 
s'éteindre  l'incendie  du  schisme  constitutionnel,  il  l'a 
rallumé  et  l'a  attisé  pendant  sept  années;  jusqu'à  sa 
mort,  il  a.  soufflé  sur  les  cendres  à  peine  refroidies. 
Dans  cette  lutte  ardente,  il  a  usé  sans  scrupules  des 
armes  les  plus  déloyales  pour  salir  et  compromettre 
ses  contradicteurs,  pour  propager  des  calomnies,  accré- 
diter de  ridicules  racontars  et  faire  partager  par  ceux 
qui  relevaient  de  lui  ses  préjugés  et  ses  rancunes. 
Faut-il  en  conclure  qu'il  fut  un  prêtre  indigne,  sans 
mœurs  et  sans  foi  ?  Ceux  qui  l'ont  dit  se  sont  grave- 
ment trompés.  Grégoire,  je  le  répète,  prêcha  et  pro- 
pagea les  erreurs  les  plus  pernicieuses,  mais  il  en  fut 
la  première  victime.  Obstinément  révolté,  il  se  forti- 
fiait dans  sa  révolte  en  prenant  pour  modèles  les  glo- 
rieux martyrs  qui  avaient  résisté  aux  persécuteurs;  il 
se  regardait  comme  un  persécuté,  comme  un  autre 
Athanase,  un  autre  Hilaire  et  ce  qui  était  de  l'endur- 
cissement, il  s'imaginait  que  c'était  de  la  constance. 

On  conserve  à  la  bibliothèque  de  l'Arsenal  de  petits 
cahiers  manuscrits  qui  jettent  un  jour  insoupçonné 
sur  la  vie  intérieure  de  Grégoire.  Recopiés  chaque 
année,  ils  renferment  d'abord  une  sorte  de  calendrier 
de  ses  dévotions  personnelles  :  les  anniversaires  de  son 
baptême,  de  son  ordination,  de  son  sacre,  ceux  de  la 
mort  de  ses  parents,  puis  les  fêtes  des  saints  pour  les- 
quels il  avait  un  culte  particulier  :  les  patrons  de  sa 
Lorraine,  ceux  du  diocèse  de  Blois;  il  invoquait  saint 
Grégoire,  sénateur  d'Autun,  puis  évêque  de  Langres; 
enfin  les  saints  et  saintes  de  race  noire  et  tous  les 
apôtres  des  nègres.  En  appendice,  il  a  fait  transcrire 
les  prières  spéciales  qu'il  récitait  en  leur  honneur. 
Puis  vient  son  règlement  de  vie  spirituelle  :  la  retraite 
annuelle,  la  récollection  mensuelle,  l'examen  hebdo- 
madaire, résumé  des  examens  quotidiens,  les  pratiques 
à  observer  pendant  les  temps  de  pénitence  et  aux 
quatre-temps.  Chaque  nuit,  «  après  le  premier  som- 
meil, »  il  interrompait  son  repos,  quittait  son  lit  en 
récitant  le  verset  du  psaume  cxvm  :  Media  nocle  sur- 
gebarn  ad  confilendum  libi,et  il  commençait  une  longue 
oraison  nocturne. 

Comment  concilier  cette  existence  toute  pénétrée 
de  surnaturel  avec  son  orgueilleux  endurcissement 
et  sa  fin  scandaleuse  ?  Sept  ans  après  lui,  mourait 
Maurice  de  Talleyrand,  évêque  apostat  et  marié.  Par 
un  geste  suprême  et  probablement  sincère,  le  prince  de 
Bénévent  avait  paru  désavouer  toute  une  vie  d'égare- 
ments et  l'Église  avait  ouvert  ses  bras  tout  grands  a» 
vieil  enfant  prodigue  qui  s'était  humilié.  Hautement 
retranché  dans  l'infatuation  que  fortifiait  le  souvenir 
d'une  carrière  sacerdotalemcnt  pure,  Grégoire  s'obstina 
jusqu'au  bout  dans  son  attitude  de  révolté  et  perdit 
ainsi  tous  les  mérites  de  son  abnégation,  de  son  courage, 
d'une  piété  sincère,  mais  inutile,  puisqu'elle  était  mal 
dirigée.  Son  orgueil  avait  flétri  d'incontestables  vertus. 

I.  Œuvres  de  Grégoire.  —  Éloge  de  la  poésie,  couronné 
par  l'Académie  de  Nancy  (1773);  Essai  sur  la  régénération... 
des  juifs,  mémoire  couronné  par  l'Académie  de  Metz  (1788); 
Deux  lettres  aux  curés  lorrains  (1789);  Discours  prononcé  à 
Saint- Germain-des-Prés,  le  l'r  novembre  1789,  pour  la  béné- 
diction des  flammes  (fanions)  de  la  garde  nationale  ;  Motion, 
rapports,  discours  et  opinions  publiés  en  sa  qualité  de  député 
a  la  Constituante  (1789-1791);  Mandements,  lettres  pasto- 


1863 


GRÉGOIRE    (HENRI)    —   GREGORIO 


1864 


raies  et  discours  adressés  au  clergé  et  aux  fidèles  du  diocèse 
de  Blois,  discours  politiques  prononcés  à  Blois  (1791-1801) 
Lettre  de  communion  adressée  au  pape,  le  24  mars  1791 
(en  latin,  13  lignes);  très  nombreux  mémoires,  discours 
rapports,  etc.,  publiés  en  sa  qualité  de  député  à  la  Conven- 
tion et  aux  Cinq-Cents;  discours  prononcés  à  l'occasion  de 
son  élection  au  sénat  (1792-1801);  Trois  rapports  sur  le 
vandalisme  et  discours  sur  la  liberté  des  cultes  (1794,  mais 
réimprimés  depuis);  Essai  historique  sur  les  arbres  de  la 
liberté  (an  II  réimprimé  en  1831);  Lettres  collectives.articles 
de  controverse  ou  de  polémique  et  publications,  générale- 
ment anonymes  parues  dans  les  Annales  de  la  religion  (1795- 
1802);  Apologie  de  l'évêque  Barthélémy  de  Las  Casas,  lecture 
faite  à  l'Institut  en  1798,  et  autres  mémoires  présentés  à 
l'Académie  sur  des  sujets  divers  (1798-1810);  Les  ruines  de 
Port-Royal,  1801  et  1809;  Essai  sur  l'état  de  l'agriculture 
au  XVI'  siècle,  mémoire  lu  à  la  Société  d'agriculture  en 
1804;  Oraison  funèbre  de  Sermet,  évêque  démissionnaire  de 
la  Haute-Garonne,  1808;  Histoire  des  sectes  religieuses, 
2  vol.,  1810  et  1814;  3«  édit.,  6  vol.,  dont  un  posthume 
(1826-1834);  De  la  domesticité  chez  les  peuples  anciens  et  mo- 
dernes (1814);  De  la  constitution  française  de  1S14,  plusieurs 
éditions;  Essai  historique  sur  les  libertés  de  l'Église  gallicane 
(1818);  Essai  sur  les  congrégations  hospitalières  de  Frères 
pontifes,  1818;  Essai  sur  les  garde-malades  et  la  nécessité 
d'établir  pour  elles  des  cours  d'instruction,  1818;  nombreux 
écrits,  lettres  et  articles  de  journaux  relatifs  à  son  élection 
dans  l'Isère,  1819;  Oraison  funèbre  de  J.-A.  Maudru,  évêque 
démissionnaire  des  Vosges,  1820;  De  l'influence  du  christia- 
nisme sur  la  condition  des  femmes,  1821;  Abdication  volon- 
taire et  motivée  de  son  titre  de  commandeur  de  la  Légion 
d'honneur,\822;  Essai  sur  la  solidarité  littéraire  entre  savants, 
1824;  Histoire  des  confesseurs  des  empereurs,  des  rois  et 
autres  princes,  1824;  Histoire  critique  des  dévotions  nouvelles 
au  Sacré-Cœur  de  Jésus  et  au  Cœur  de  Marie,  s.  d.  ;  Histoire 
du  mariage  des  prêtres,  principalement  depuis  1789,  1826; 
Considération  sur  la  liste  civile  (1830,  se  vend  au  profit  des 
blessés  des  journées  de  juillet);  Écrits  en  faveur  des  juifs 
(1789-1807);  très  nombreuses  publications  en  faveur  des 
nègres  et  pour  obtenir  l'abolition  de  la  traite  (1789-1822); 
Mémoires  politiques,  littéraires  et  biographiques,  publiés  sur 
le  manuscrit  original,  conservé  à  la  bibliothèque  de  l'Arsenal, 
par  Hip.  Carnot.  A  la  suite  du  manuscrit  des  Mémoires,  on 
trouve  deux  œuvres  inédites  de  Grégoire  :  Histoire  de  l'émi- 
gration ecclésiastique  et  Révolte  du  clergé  dissident  (lisez  : 
catholique)  contre  le  Concordat.  Beaucoup  d'œuvres  de  Gré- 
goire ont  été  traduites  en  anglais,  en  allemand,  en  flamand, 
en  espagnol  et  en  italien. 

II.  Ouvrages  sur  Grégoire.  —  Sur  la  mort  et  les  funé- 
railles de  Grégoire,  voir  les  journaux  du  temps,  les  mande- 
ments et  lettres  de  Mgr  de  Quelen  et  les  écrits  de  l'abbé 
Guillon.  Voir  aussi  aux  Archives  nationales  F  19,  1219 
et  1236.  —  Notices  par  Buchez  et  Leroux,  dans  VHisloirc 
parlementaire  de  la  Révolution,  Lavaux  (réclame  électorale, 
parue  en  1819);  Cousin  d'Avallon,  Gregorcana,  1821; 
Gazelle  des  cultes,  20  octobre  1829;  Dugast  (1833);  Hip. 
Carnot  (en  tête  de  l'édition  des  Mémoires);  Kruger  (en 
allemand,  1838);  Maggiolo  (trois  fascicules  parus  en  1875, 
1884  et  1885;  Niox;  H.  Hollard  (thèse  de  théologie  pro- 
testante, 1895).  Voir  aussi  Correspondance  de  Le  Coz  et  de 
Grégoire,  publiée  par  M.  L.  Pingaud,  1906;  Welvert,  Gré- 
goire fut-il  régicide  ?  dans  Lendemains  révolutionnaires, 
1907;  Biographie  d'Eustache  Degola  par  A.  de  Gubernatis, 
Florence,  1889  (nombreuses  lettres  de  Grégoire  aux  jansé- 
nistes italiens). 

P.    PlSANI. 

28.  GRÉGOIRE  MAMMAS  (fin  du  xiv«  siècle, 
1459),  patriarche  de  Constantinople,  surnommé  aussi 
Mélisene  et  Stratégopoulos.  Il  naquit  en  Crète  et  vint 
compléter  son  instruction  à  Constantinople.  De  bonne 
heure  il  embrassa  la  vie  monastique  et  la  pratiqua 
pendant  de  longues  années.  Ses  vertus  et  son  mérite 
le  firent  choisir  comme  confesseur  de  Jean  Paléologue 
et  protosyneelle  du  patriarche  de  Constantinople. 
En  1437,  l'empereur  l'envoya  en  ambassade  auprès 
de  ses  frères  qui  gouvernaient  le  Péloponèse.  Au 
concile  de  Florence  où  il  représentait  le  patriarche 
d'Alexandrie,  Grégoire  Mammas  se  rallia  franchement 
au  parti  de  l'union  et  lui  resta  fidèle  jusqu'à  la  fin. 
Revenu  à  Constantinople,  il  s'employa  de  toutes  ses 
lorces    à   travailler   au    maintien   de   cette   union    et 


s'attaqua  spécialement  à  Marc  d'Éphèse  dont  il  réfuta 
les  écrits.  Le  patriarche  Métrophane  étant  mort  en 
1443,  Grégoire  Mammas  fut  choisi  pour  lui  succéder, 
mais  après  bien  des  querelles  et  bien  des  intrigues. 
Ses  efforts  en  faveur  de  l'union  se  brisèrent  contre 
le  mauvais  vouloir  des  schismatiques.  Ces  derniers 
lui  causèrent  tant  d'ennuis  que,  découragé,  il  quitta 
Constantinople  en  1451  et  se  réfugia  à  Rome.  C'est 
là  qu'il  mourut  en  odeur  de  sainteté  en  1459. 

Grégoire  Mammas  a  laissé  quelques  œuvres,  dans 
lesquelles  se  retrouvent  la  plupart  des  controverses 
théologiques  soulevées  au  concile  de  Florence.  Cinq 
seulement  ont  été  publiées.  Les  autres,  qui  traitent  des 
azymes,  de  la  condition  des  saints  et  de  la  primauté 
du  pape,  sont  encore  inédites.  Les  œuvres  publiées 
sont:  npoçxov  ocÙToxpâ-ropa  Tpa7r6ÏoO'vxo;  7tepî  xàiv  Upàiv 
8oy[j.âTcov,  P.  G.,  t.  clx,  col.  205-248;  'AvTipprjTixo;  eîç 
tJjv  67riaTo).T)v  Mapxou  toû  'Eçiaou,  ibid.,  col.  1 11-204 ; 
'A;:o).oyia  r.oôç,  Tr,v  Màpy.ou  'Ejps'aou  ôaoXoyiav,  col.  13- 
110;  'Avaxpox7)  xtôv  auXXoyiCTTiy.tîiv  xsçaÀaicov  Mâpxou 
'EcpÉao'j  /.atà  Aaiivov;  'ExOecjiç  7:iaxê(oç;  'A^oXovîa 
7cspt  TàJv  kÉvte  xecpaXatiov  ttj'ç   sv  'î'Xtopsvxioc  aûvoBou. 

P.  G.,  t.  clx,  col.  9-12;  Sathas,  NgosXXïivtxri  çiXoXoyta, 
Athènes,  1868,  p.  58-60. 

R.  Janin. 
29.  GRÉGOIRE  PALAMAS.  Voir  Palamas. 

GREGORIO    (Maurice   de),    dominicain     sicilien, 
né  à  Camarata,  en  Sicile,  dans  la  vallée  de  Mazzara, 
du  diocèse  de  Girgenti,  et  non  point,  comme  le  dit 
Toppi,   Biblioteca  Neapolitana,  p.   212,   à  Camelota, 
dans  le  royaume  de  Naples.    Il  prit  l'habit  dans  le 
couvent  de  sa  ville  natale.  Après  avoir  enseigné  la 
théologie  dans  son  ordre,  il  fut  promu  au  grade  de 
bachelier    au    chapitre    général    de    Rome    en    1612, 
puis   fait  maître  en  théologie.   Au   chapitre   général 
de  Milan  (1622),  il  est  institué  régent  des  études  du 
collège  de  Messine.  Il  semble  que  dans  la  suite,  de  la 
province    dominicaine    de    Trinacrie    ou    de    Sicile, 
Gregorio  se  soit  affilié  à  la  province  lombarde  et  soit 
passé  à  Naples.  Du  moins  Rovetta,  Bibliotheca  chrono- 
logica,  etc.,  en  1658,  nous  le  montre  comme  fils  du 
couvent  de  Sainte-Catherine  ad  Formiilum.  C'est  là 
qu'il  demeura  plusieurs  années  et  se  fit  dans  Naples 
une  renommée  d'homme  très  savant.  Il  fit  partie  de  la 
faculté   de  théologie   de   l'université  napolitaine.    Sa 
connaissance  aussi  bien  du  droit  civil  que  du  droit 
canon  le  fit  choisir  par  le  cardinal  Aquaviva  et  par 
son  successeur  le  cardinal   Sabelli  comme  conseiller 
et  à  ce  titre  Gregorio  fit  partie  de  la  famille  ecclésias- 
tique de  ces  deux  prélats.   Il  fut    également    vicaire 
général    d'Horace    Aquaviva,    évêque    de    Cajazzo. 
Gregorio  avait  un  goût  très  vif  pour  toutes  les  recher- 
ches    curieuses     et     d'érudition.     Selon     Mongitore, 
Bibliotheca   Sicula,    Gregorio    serait    mort  à   Naples, 
le  3  novembre  1651.  Ecrivain  d'une  fécondité  remar- 
quable, il  a  laissé  un  grand  nombre  d'ouvrages,  aux 
titres  étranges,  mais  significatifs.  —  1°  En  théologie. — 
1.  Anatomia   lolius  Biblix  Vetcris  el  Novi  Teslamenli 
et  pnvcipuc  Apocalypsis.  et  de  omnibus  cxposilionibus 
suis,    seu    de    scriptoribus    ecclrsiasticis,    cum    simili- 
twlinibus  Homeri,    Virgilii,  Ciceronis,  et  declaraiione 
cinblcmalum    Alciali,  Naples,  s.  d.;  2.  sous  un  titre 
un  peu  long  Commentarii  laconici  ad  sensum  proœmii 
paraphrastici  in  quatuor  Sententiarum  libros  M.  Pétri 
Lombardi  canonici  regularis  Laleranensis,  ut  in  suis 
clironicis,  Novariœ  Lombardiœ  nati,  et  episcopi  Pari- 
siensis,  peranliquos  :   ubi  hoc  in  isto  volumine  mira 
brevitale,  ordine,  ac  clarilate,  non  solum  universa  theo- 
logia  conlinelur  cum  tcrminorum  concordantia  angelici, 
sublilis    doclorum,    /Egidii     augustiniani,  Baconiique 
carmelitœ,    sed    eliam    summalim    omnes    controvcrsise 


1865 


GREGORIO    —   GRETSER 


1866 


Scoli   in   S.    Thomam  simul  per  singulos  libros  cum 
rccentioribus,  nec  non  oppositiones  hœrelicales,  cunctœ 
earum    elymologiœ,    in    cujuslibet    dislinctionis   flnem 
rejectœ,   et  earum  scriptores,  et  contra  centum  millia 
falsorum  deorum  per  abecedarium  una  cum  ducenlis 
et  eo  forte  amplius  antiquarum  rccentiorumque  opinio- 
num  disceplationibus  a  R.  P.  M.  Maurilio  de  Gregorio 
ordinis    prœdicatorum    Siculo     Cammarala,    etc.,    cum 
addilione  cjusdem  styli  quam  brevissimi  in  hac  ullima 
impressione,    omnium    quœstionum    et    argumentorum 
Scoti,  Aureoli,    Grcgorii  Arimincnsis  et  cœterorum,  a 
principe    thomislarum     M.    Johanne     Capreolo    colle- 
clorum  et  solulorum,    et   per   M.    Paulum    Soncinatem 
in  divinum    epitoma  sic  nuncupatum  et  formalizatum, 
quod  dicitur  Capreolinus  plusquam  decies   impressum 
propler  ejus  excellcntiam  :  nec  non  Monlagnoli,  Ripie 
episcopi,  Gonzalez,  Nugni,  Nazarii,  Bagnezii,  Medinœ 
et  aliorum  recentiorum  ordinis  prœdicatorum  loca  citala 
ad  solvenda  argumenta  scolistarum  ullimorum,  Herrerœ, 
Radse,  Vulpis  plurimorumque,  ut  in  fine  prologi,  etc., 
in-fol.,  Naples,  1645;  3.   Viridarium  omnium  scienlia- 
rum,  in-8°,  Naples;  4.  Summa  D.  Thomœ  cum  supple- 
mento    ad    III*™    partem,   Naples;    5.    Commentarii 
laconici,   ad  sensum  procemii  in  quatuor  libros  contra 
gentiles,  in-fol.,  Naples,  1644  ;  6.  Encyclopeedia,  id  est, 
omnium  scienliarum  circulus  ad  sensum  procemii  in 
quatuor  contra  gentiles,  in-fol.,  Naples,  1652;  7.  Contro- 
versiœ  hœrelicales  ex  D.   Thoma  et  Scolo,  en  italien; 
8.    Defensio    D.    Thomœ;   9.    Tractatus    de    auxiliis, 
Naples;  10.  Physica,  Melaphijsica,  Malhematica,  Mora- 
lis;  11.  In  Geloloscopiam  Prosperi  Aldorisii  commen- 
laria,  etc.,  ms.  cité  par  Echard,  Scriptores,  t.  il,  p.  567. 
—  2°  En   rhétorique.  —  Gregorio  a  laissé  un  certain 
nombre  d'ouvrages,  où  il  réunit  des  lieux  communs 
pour  servir  à  ceux  qui  font  profession  d'art  oratoire  : 
1.  Condottiere  de'  predicatori  per  lutte  le  scienze,  d'onde 
potranno  cavar  concetli  non  solo  da  quelle,  ma  da  poeli, 
e  da  tutti;  professori  di  belle  e  di  curiose  letlere,  con  una 
Pratica  succinta   délia    santissima    Inquisitione,   etc., 
in-8°,   Naples,   1615;   Venise,   1627;   2.    Rosario  délie 
stampe  di  tutti;  poeli  e  poétesse  antichi  e  moderni  di 
numéro   cinquccenti,   in-12,    Naples,    1614.   —  3°   En 
droit    canon.  — ■    1.   Aphorismi  seu    summœ    omnium 
conciliorum  et  bullarum  a  D.  Petro  usque  ad  prœsenlem 
summum  pontificem,  cum  expositione    laconica    para- 
phrastira,    etc.,    in-12,     Naples,    1642;    2.    Expositio 
laconica  paraphraslica    omnium    bullarum  ad  sensum 
proœmii,  ex  prima  sub  D.  Petro  usque  ad  prœsenlem 
summum  pontificem  contra    Quarantam,   Cappelanum, 
Novarium,  Cherubinos  patrcm  et  filium,  et  cœleros  bul~ 
laristas,    qui    incipiunt   solummodo   ex    Gregorio    VII 
anno  1073,  derelinquunl  eliam  mullorum  aliorum  pon- 
tificum  bullas  post   Gregorium,  modo^  vcro  adducunlur 
omnes,  ita  ut  nullus  remaneat  pontijex,  qui  non  fccisset 
saltem    unam    bullam,    seu    ordinationem,    accipiendo 
bullam  large  pro  ordinalione  :  et  quid  sil  buïla,  unde 
dicalur  et  quoluplex,  ouvrage  divisé  en  huit  parties 
ou  traités,  in-fol.,  Naples,  1645,  1649;  3.  Ad  concilii 
Tridentini    Margarilas,    in-8°,    Venise,    1619;    in-4°, 
1640;  de  même  dans  Baldassini,  en  appendice  à  son 
ouvrage  :  Collectanea   doctorum   S.  Rotai    decisionum, 
etc.,  in-fol.,  Iesi,  1761;  4.  Praxis  perutilis  pro  o/Jicia- 
libus  tribunalis  Inquisilionis,  in-8°,  Naples,  1640,  etc. 
—  4°  En  histoire.  —  1.  Isola  di  Sicilia  beata  di  San 
Domenico  :  cioè  Compendio  délie  Vite  de'Frati  singo- 
lari  Beati  Siciliani    dell'ordine  di  delto  santo,  in-8°, 
Naples,  1611;  2.    Idca  di  far  le  gallerie,  doue  si  conten- 
gono  le  propriété  délie  gemme,  délie  medaglie,  con  le 
historié  dell'  Assirii,  de'  Persiani,  de'  Greci,  de'  Caldei, 
e  de' Romani,  con  molti  secreti  e  virtù  di  piante,  d'ani- 
mali,  e  piètre,  Naples,  1642. 

Echard,  Scriptores  ordinis  prœdicatorum,  Paris,  1719-1721, 
t.  h,  566-568,  et  les  différents  auteurs  cités  par  lui  ;Reichert, 


Acta  capilulorum  generalium,  Rome,  1902,  t.  vi,  p.  213,  339. 

R.    Coulon. 
GRETSER    Jacques,    célèbre    controversiste    alle- 
mand, né  en  Souabe,  à  Markdorf,  au  diocèse  de  Con- 
stance, le  27  mars  1562,  commença  ses  études  au  petit 
séminaire  d'Inspruck  et  entra  au  noviciat  de  la  Com- 
pagnie de  Jésus  à  Landsberg,  le  24  octobre  1578.  Son 
noviciat  achevé,  il  étudie  la  rhétorique,  puis  la  philo- 
sophie à  l'université  d'Ingolstadt  et  se  distingue  aussi- 
tôt, entre  tous  les  étudiants,  par  une  immense  curiosité 
d'esprit  et  une  étonnante  pénétration   des   matières 
les  plus  diverses.  De  1581  à  1583,  il  publie  des  poèmes, 
des  discours,  des  préfaces  philosophiques.  Professeur 
d'humanités  au  collège  de  Fribourg,  en  Suisse,  de  1584 
à  1586,  il  fait  applaudir  ses  drames  de  Naaman  le 
Syrien,  de  Nicolas  d'Unterwald,  de  Nicolas  de  Myre. 
De  retour  à  Ingolstadt  en  1586,  il  étudie  la  théologie, 
sous  les  célèbres  professeurs  Grégoire  de  Valencia  et 
Mayerhoffer,  avec  un  tel  succès  qu'on  le  charge  avant 
la  fin  de  ses  études  d'expliquer  Aristote  à  l'Académie. 
Sa   Disputatio  de  nalura  et  usu  theologiœ  prœsertim 
scholasticœ,   publiée   à    Ingolstadt,    en    1588,    dès    sa 
seconde  année  de  théologie,  avait  fait  présager  en  lui 
un  maître.  Aussi,  après  avoir  enseigné  trois  ans  la 
philosophie,  de  1589  à  1592,  fut-il  donné  comme  suc- 
cesseur à  Grégoire  de  Valencia  dans  la  chaire  de  théo- 
logie scolastique  et  tout  aussitôt  commence  la  série 
des   innombrables   travaux  d'érudition,   de  théologie 
positive,  de  critique  des  textes,  d'histoire  ecclésiastique 
et  profane,  de  controverse  et  d'apologétique  qui  ont 
fait  sa  gloire  et  qui  constituent  en  vérité  «  une  œuvre 
de  géant.  »  La  liste  chronologique  de  ses  œuvres  soi- 
gneusement établie  par  le  P.   Sommervogel   d'après 
un  précieux  manuscrit  composé  par  le  P.  H.  Roth, 
recteur  d'Ingolstadt,  et  revu  par  le  P.  Heser,  compte 
deux  cents  trente-trois  ouvrages  sur  les  questions  les 
plus  variées  et  quarante-cinq  manuscrits  qui  atten- 
daient   une    dernière    revision    avant    l'impression. 
Plusieurs  de  ces  ouvrages,  comme  le  De  sancla  cruce, 
auraient  suffi  à  eux  seuls  à  remplir  la  vie  et  à  établir  la 
réputation  d'un  savant. 

C'est  surtout  dans  la  controverse  que  Gretser  a  joué 
un  rôle  de  premier  ordre  qui  lui  a  valu  de  violentes 
attaques  de  la  part  des  protestants,  mais  aussi  la 
reconnaissance  de  l'Allemagne  catholique  et  l'admira- 
tion de  Clément  VIII.  Disciple  et  défenseur  de  Bellar- 
min,  s'il  n'a  pas  édifié  une  œuvre  aussi  puissante  que 
celle  de  son  illustre  maître,  c'est  que  les  principales 
choses  avaient  été  dites  sur  les  principales  questions 
par  le  savant  cardinal  et  qu'il  n'y  avait  plus  qu'à  porter 
l'effort  sur  des  points  secondaires  et  consolider  l'œuvre 
au  hasard  des  attaques  directes  ou  détournées.  Mais 
il  fallait  aussi  une  incomparable  érudition  et  une 
infatigable  activité  jointes  à  une  sûreté  de  doctrine 
éprouvée  pour  faire  face  au  mouvement  de  vigou- 
reuse offensive  mené  alors  par  les  professeurs  en  vue 
des  universités  protestantes  contre  les  controverses 
de  Bellarmin  et  contre  tous  les  points  de  dogmatique,  de 
liturgie,  de  discipline  ecclésiastique  ou  monastique 
qui  pouvaient  provoquer  un  débat.  Seul  contre  tous, 
Gretser  mena  la  grande  bataille  contre  les  Junius, 
les  Daneau,  les  Wittaker,  les  Librand,  les  Hunnius,  les 
Dujon,  les  Dresser,  les  Hospinien,  les  Pappus,  les 
Reinack,  rude  parfois  dans  ses  coups,  voire  dans  ses 
invectives,  car  les  mœurs  du  temps  n'étaient  pas  à  la 
douceur,  mais  modeste  dans  la  victoire.  La  controverse 
s'engagea  à  propos  du  culte  de  la  croix  rejeté  par  les 
protestants.  Gretser  en  appela  Lu  ther  lui-même  et 
publia  son  Lutherus  Staurophilus,  hoc  est  senlentia 
Lutheri  de  prima  Chrisli  cruce,  Ingolstadt,  1592,  l'année 
même  où  il  remplaçait  Valencia  dans  sa  chaire  de  théo- 
logie. Un  instant  détourné  de  la  lutte  par  la  rédaction  et 
la  publication  de  ses  Rudimenta  linguœ  grœcœ,  Ingol- 


1867 


GRETSER 


1868 


stadt,  1593,  qui  remplacèrent  aussitôt  dans  tous  les 
grands  collèges  de  l'Europe  les  Rudiments  de  Nicolas 
Cleinart,  puis  par  ses  Institutiones  linguœ  gnvcœ,  3  in-8°, 
ibid.,  1593,  qui  renouvelèrent  les  études  grecques  et 
qui  même  dans  la  seconde  moitié  du  xixe  siècle  n'ont 
pas  eu  moins  de  dix  éditions,  Paris,  1852,  édit.  de 
Guilhermy;  Barcelone,  1887,  etc.,  le  P.  Gretser  reprit 
les  armes  après  la  publication  de  l'Historia  jesuilici 
ordinis  de  Hasenmuller,  par  P.  Leyser,  Francfort-sur- 
le-Mein,  1593.  Il  répondit,  sous  le  nom  de  Pierre 
Stévart.  par  son  Apologia  Pétri  Slevartii  Leodii,  Ihco- 
logiœ  in  Academia  Ingolstadiana  pro/essoris,  ad  principes 
et  ordincs  sacri  romani  imperii,  Ingolstadt,  1593; 
Cologne,  1594.  La  lutte  s'engage  entre  Leyser  et  Gret- 
ser sur  les  doctrines  de  la  Compagnie  de  Jésus  et  sur 
le  caractère  de  l'institut.  Gretser  répond  par  son 
Epistola  de  hisloria  ordinis  jesuitici  scripta  ab  Helia 
Hasenmuller,  Dillingen,  1594,  et  publie  avec  les  correc- 
tions, réfutations  et  additions  nécessaires  YHistoria 
ordinis  jesuilici  de  Hasenmuller,  Ingolstadt,  1594; 
trad.  allemande,  ibid.,  1795.  Ces  débats  passion- 
nent alors  toute  l'Allemagne.  Mais  ce  jeune  professeur 
est  absorbé  par  la  préparation  de  ses  cours  de  théo- 
logie et  par  l'édition  de  son  Nomenclalor  grœco-latinus, 
Ingolstadt,  1595.  A  part  une  traduction  latine,  parue 
en  1596,  de  l'ouvrage  du  P.  Louis  Richeome,  La  vérité 
défendue  pour  la  religion  catholique,  il  ne  reprend  la 
plume  qu'en  1598  et  publie  la  première  partie  de  son 
De  crucc  Chrisli,  dont  les  autres  volumes  paraîtront 
en  1600  et  en  1605,  à  Ingolstadt.  Dès  lors  ses  grands 
ouvrages  de  controverse  se  succèdent  sans  interruption 
sous  la  poussée  des  circonstances  :  Libri  quinque  apologe- 
tici  pro  vila  Ignatii  Loiolœ.  Ingolstadt,  1599;  Apologc- 
licus  Jacobi  Gretseri  S.  J.  adversus  librum  qui  Introdu- 
ctio  inartem  jcsuilicam  inscribitur,  ibid.,  1600;  Vindicatio 
quorumdam  Tertullianicorum  a  Franc.  Junii  caluinislœ 
depravalionibus,  ibid.,  1600;  De  modo  agendi  jesuitarum, 
ibid.,  1600;  Dejensio  Apologiœ  gallicans-,  ibid.,  1601; 
Responsum  Jacobi  Gretseri  S.J.  theologi  ad  thèses  /Egidii 
Hunnii  prœdicanlis  Wilebergensis  de  colloquio  cum  pon- 
tificiis  ineundo,  ibid.,  1602.  C'est  la  relation  du  colloque 
de  Ratisbonne  en  1601  où  Grelser,  aidé  du  P.  Tanner, 
prit  une  part  prépondérante,  et  réduisit  au  silence  ses 
adversaires  dans  les  controverses  relatives  à  la  règle  de 
foi  et  à  l'autorité  du  magistère  ecclésiastique.  Cf.  Collo- 
quium  de  norma  doctrinœ  et  controversiarum  religionis 
judice,  Munich,  1602.  Une  violente  polémique  s'engagea 
entre  protestants  et  catholiques  au  sujet  du  colloque. 
Gretser  protesta  contre  les  relations  soi-disant  his- 
toriques publiées  par  Hunnius  et  Zeœmann,  dans  une 
série  d'écrits  tels  que  les  Digressiones  sex  adversus 
JEgidii  Hunnii  calumnias,  Ingolstad,  1602,  ou  le  Labij- 
rinlhus  Crelico-hunnianus,  ibid.,  1602,  où  la  discussion 
prend  un  tour  personnel  que  les  protestants  depuis 
Zesemann  ont  vivement  reproché  à  Gretser.  Il  est  incon- 
testable que  le  sor.ci  de  la  vérité  n'obligeait  nullement 
Gretser  à  traiter  les  présidents  luthériens  de  sancti 
porci  ou  de  barbati  hirci  et  ces  violences  de  langage 
n'ont  rien  de  commun  avec  la  défense  de  la  foi.  Elles 
s'expliquent  toutefois,  si  elles  ne  s'excusent  point,  par 
la  rudesse  des  mœurs  et  le  ton  général  des  polémiques, 
par  l'ardeur  de  la  lutte  et  la  nécessité  de  faire  face  à 
des  adversaires  qui  eux-mêmes  ne  ménageaient  ni 
leurs  coups  ni  leurs  injures.  Le  Labijrinlhus  Cretico- 
hunnianus  dont  le  titre  complet  manque  assurément 
de  sérénité  est  une  réponse  de  même  style  à  l'ouvrage 
de  Gilles  Hunnius  intitulé  :  Labgrinthus  primus  papi- 
sticus,hocest,  Disputatio  de  papatu  semetipsum  contra- 
diclionibus  implicante,  con/undenle  et  jugulante,  etc. 
Le  reproche  adressé  à  Gretser  s'applique  avec  la  même 
force  à  ses  adversaires. 

La  publication  de  l'Index  expurgalorius  des  livres, 
dressé  par  ordre  de  Philippe  II  et  imprimé  à  Anvers 


en  1571,  avail  provoqué  chez  les  luthériens  et  les  calvi 
nistes  de  virulentes  protestations  contre  cette  atteinte 
portée  au  nom  du  concile  de  Trente  à  la  liberté  de 
penser  et  d'écrire.  Gretser,  dans  son  De  jure  et  more 
prohibendi,  expurgandi  et  abolendi  libros  hœreticos  et 
noxios,  Ingolstadt,  1603,  s'attacha  surtout  à  réfuter 
les  ouvrages  de  François  Dujon  et  de  Jean  Pappus; 
il  justifie  ï  Index  par  l'histoire  des  papes  et  des  conciles 
et  rejette  sur  les  hérétiques  l'accusation  portée  par  eux 
contre  les  catholiques  d'avoir  corrompu  les  ouvrages 
des  Pères.  C'est  un  de  ses  écrits  les  plus  solides  et  les 
plus  curieux  :  il  n'eut  pas  de  peine  surtout  à  mettre 
aux  prises  sur  ce  sujet  luthériens  et  calvinistes. 
Viennent  ensuite  divers  ouvrages  de  polémique  :  Lithus 
Misenus  calvinisla  nunc  iertio  libris  quinque  dedolalus, 
Ingolstadt,  1604,  dirigé  contre  Stein  qui  écrivait  sous 
le  nom  de  Lithus  Misenus  ;  Consolalio  brevis  sed  cfjicax 
pro  Lilho  Miseno  calvinisla,  ibid.,  1604;  Exercitatio- 
niun  thcologicarum  libri  sex,  ibid.,  1604,  commentaires 
humoristiques  appuyés  sur  des  faits  curieux  relatifs 
à  des  médailles  frappées  en  l'honneur  de  Luther  ou  du 
colloque  de  Ratisbonne  et  réponse  vigoureuse  à  l'Anti- 
Gretserus  de  Hunnius.  Cf.  Baillet,  Des  satires  person- 
nelles, t.  ï,  p.  179  sq. 

En  1605,  Gretser  publia  le  t.  m  du  De  cruce  Clirisli 
œuvre  d'une  érudition  prodigieuse  qui  met  à  contribu- 
tion, en  dehors  de  la  théologie  spéculative,  la  patris- 
tique,  l'histoire,  la  numismatique,  l'étude  des  monu- 
ments et  qui  ajoute  à  ces  données  positives  admirable- 
ment disposées  une  collection  de  plusieurs  pièces 
inédites  d'auteurs  grecs,  telles  que  les  homélies  de 
saint  Germain,  patriarche  de  Constantinople,  In  adora- 
lionem  sanctx  crucis,  du  diacre  Pantaléon  In  exalla- 
tionem  sanclœ  crucis,  et  autres  documents  dont  plu- 
sieurs ont  été  insérés  dans  la  P.  G.  de  Migne,  t.  xvm, 
col.  397-402;  t.  xlix,  col.  393-398  et  407-418,  etc.;  de 
plus,  un  recueil  de  chartes  du  moyen  âge  sur  l'anti- 
quité des  pèlerinages  en  Terre  Sainte  et  un  catalogue 
de  tous  ceux  qui  ont  fait  ce  pèlerinage  depuis  Con- 
stantin. L'ouvrage  est  dirigé  contre  les  hérétiques  qui 
ont  proscrit  le  culte  de  la  croix,  notamment  les  protes- 
tants dont  il  relève  avec  soin  et  combat  pied  à  pied  les 
assertions,  en  faisant  ressortir  l'évolution  de  la  doc- 
trine luthérienne  depuis  ses  origines.  On  a  reproché  à 
Gretser  son  manque  de  critique  à  l'égard  de  certaines 
légendes.  C'est  lui  reprocher  d'être  un  fils  de  son  temps  : 
il  admet  volontiers  tous  les  faits  qu'il  rencontre  sur  la 
foi  d'une  tradition  dont  on  n'avait  pu  encore  réviser 
les  données.  Cette  tendance  subjective  à  tenir  pour 
vrai  ce  qui  semble  favoriser  sa  cause  atteint,  sans 
doute,  sur  bien  des  points  de  détail  la  valeur  documen- 
taire de  son  livre;  l'ouvrage  n'en  reste  pas  moins  un 
monument  d'incomparable  érudition  et  les  conclusions 
de  la  controverse  gardent  leur  force  indemne  de  ces 
défaillances.  La  reproduction  des  textes  est  toujours 
rigoureusement  fidèle  et  aucun  auteur  protestant  n'a 
pu  reprocher  à  Gretser  d'avoir  inexactement  rendu  la 
pensée  de  ses  adversaires  ou  faussé  le  sens  des  docu- 
ments :  en  cela  il  n'a  jamais  cessé  d'être  un  modèle 
pour  les  controversistes. 

Ses  polémiques  avec  Stein  et  Libavius  ne  sont  que 
des  intermèdes.  Il  jette  dans  la  mêlée  son  Bavius  et 
Meevius,  Ingolstadt,  1605,  et  YEpislola  grœca  Simonis 
Lilhi  Misent  in  sua  elemenla  resnlula,  ibid.,  1605,  et 
consacre  deux  importants  ouvrages  à  la  défense  de  la 
confrérie  des  flagellants,  fort  répandue  alors  en  Alle- 
magne :  De  spontanea  disciplinarum  seu  flagcllorum 
cruce,  Ingolstadt,  1606;  Cologne,  1607,  et  à  la  défense 
des  pèlerinages  et  des  processions  :  De  sacris  et  religiosis 
percgrinalionibus  libri  quatuor;  De  Ecclesiœ  calholicœ 
processionibus  seu  supplicalionibus  libri  duo,  Ingolstadt, 
1606;  Cologne,  1608.  Fidèle  à  sa  méthode  d'investiga- 
tion documentaire,  il  publie  dans  ce  dernier  ouvrage 


1869 


GRETSER 


1870 


tout  ce  que  l'antiquité  chrétienne  peut  lui  livrer  sur  ce 
sujet;  mais  il  se  montre  trop  confiant  clans  les  tradi- 
tions populaires.  C'est  la  période  de  production  intense. 
Voici  les  Oraiiones  et  quœstiones  sur  divers  points  de  la 
vie  de  Luther,  Ingolstadt,  1606;  le  Panegyricus  Mise- 
nicus,  le  Sligma  fronlis  Misenicœ,  Y Honorarium  Polij- 
carpicum,  le  Palœmon,  le  Paracletus  Lulhcranus  et  la 
Demonstralio  adversus  sectarios  prœcipuorum  quorum- 
dam  Ecclesiie  catholicœ  dogmatum  ex  eommunibus 
Èvvoiaiç,  Ingolstadt,  1606.  Ce  dernier  ouvrage,  réédité 
en  1608  sous  le  titre  de  Murices  catholicœ  et  germanicœ 
antiquitalis,  avec  d'importantes  additions,  est  resté 
longtemps  populaire  en  Allemagne  grâce  à  la  traduction 
du  P.  Conrad  Vetter. 

Le  plus  célèbre  de  ses  ouvrages,  celui  qui  a  le  moins 
souffert  des  injures  du  temps  et  qui  a  porté  les  coups 
les  plus  rudes  au  protestantisme  en  Allemagne  est  sa 
défense  des  controverses  de  Bellarmin,  dont  le  Ier  vo- 
lume, in-fol.  de  1082  p.,  parut  à  Ingolstadt  en  1607  : 
Conlroversiarum  Roberti  Bellarmini  S.  R.  E.  cardinalis 
amplissimi  defensio.  Tomus  primus  de  Verbo  Dei.  Le 
t.  ii,  De  Christo  Chrislique  vicario,  ponlifice  romano, 
parut  en  1609.  Tout  l'effort  de  la  critique  protestante 
s'était  évertuée  contre  le  grand  ouvrage  de  Bellarmin 
qui  ne  laissait  rien  debout  des  doctrines  luthériennes 
et  vengeait  magnifiquement  le  dogme  catholique  des 
attaques  passionnées  qu'il  suscitait.  Gretser  reprit  par 
le  menu  les  positions  nouvelles  adoptées  par  Witacker, 
Daneau,  Sibrand,  Hunnius  et  autres  polémistes,  ne 
négligeant  aucun  des  ouvrages  protestants  dirigés 
contre  Bellarmin,  formulant  les  objections  dans  les 
termes  mêmes  où  elles  étaient  posées  et  répondant  avec 
une  précision  et  une  fermeté  souveraines.  Toutes  les 
questions  importantes  sont  traitées  avec  étendue,  sur- 
tout les  questions  scripturaires.  Gretser  avait  reçu  de 
Rome  l'ordre  d'intervenir  dans  le  démêlé  de  Paul  V 
avec  la  république  de  Venise  et  de  réfuter  le  Trallato 
de  Marc-Antoine  Capelle  sur  l'immunité  ecclésiastique; 
il  le  fit  avec  une  rare  maîtrise  dans  ses  Considcrationum 
ad  theologos  Venctos  libri  1res  de  impunitate  et  libertaie 
ecclesiastica,  Ingolstadt.  C'était  encore  défendre  Bellar- 
min dont  Marc-Antoine  Capelle  prétendait  suivre  les 
doctrines. 

Il  sulfit  d'énumérer  les  ouvrages  suivants  de  Gretser, 
dont  la  plupart  n  ■  portent  plus  que  sur  des  points  par- 
ticuliers ou  complètent  les  grands  traités  :  Spicilcgium 
de  usu  voluntario  per  flagra  castigationis  pro  tribus 
libellis  de  disciplinis,  Cologne, 1607  ;  Prœdicans  vapulans 
et  disciplinalus,  Ingolstadt,  1607;  Epitome  germanica 
ex  Sarcerii  volumine  de  disciplina,  ibid.,  1608;  Man- 
tissa  ad  primum  tomum  de  sancla  cruce,  ibid.,  1608; 
Virgidemia  Volciana,  suivi  de  plusieurs  dissertations 
sur  divers  points  de  critique  textuelle  et  d'histoire, 
ibid.,  1608;  Apologia  pro  Gregorio  VII  avec  des  opus- 
cules inédits  de  Bernaud  de  Constance,  ibid.,  1608; 
Agonisticum  spirituale  de  disciplinis,  ibid.,  1609; 
Petrus  Cnapheus  seu  Tullo,  ibid.,  1609;  Relatio  de 
studiis  jesuilarum  abslrusioribus,  ibid.,  1609;  Hœreti- 
cus  vesperlilio,  ibid.,  1610;  Lutherus  Academicus,  ibid., 
1610;  Furise  prœdicaniium  Augustœ  Vindelicorum  quin- 
tum Evangelium  evangelizantium,  ibid.,  1610;  Pétri  Cna- 
phei  Theopaschilœ  Lixivium,  ibid.,  1610;  De  Lutheri 
doctoralu  et  lulheranis  doctoribus,  ibid.,  1610;  Epistola 
Cnaptica  Pétri  Cnaphei  Teopaschitcœ,  ibid.,  1610; 
Pharctra  Terlulliana  adversus  hœreticos,  ibid.,  1610; 
Vindiciœ  Bellarminianœ  et  muricum  prœdicanticorum, 
ibid.,  1611;  Summula  casuum  conscientiee  de  sacramen- 
tis  pro  sectariis  prsedicantibus,  Ingolstadt,  1611;  Desid. 
Erasmi  Rolerodami  de  novo  Evangelio  novisque  evan- 
gelistis  judicium,  ibid.,  1611  ;  Antitortor  Bellarminianus 
Joannes  Gordonius,  ibid.,  1611;  De  funere  christiano 
libri  très  adversus  sectarios,  ibid.,  1611  ;  Relectio  insi- 
pienlise  et  falsimoniœ  Goldastinœ,  ibid.,  1611;  Prœdi- 


caniium Auguslanorum  ob  rclalionem  Cambilhoniccum 
repetitœ  furiœ,  ibid.,  1612;  Athleticœ  spiritualis  ge- 
minœ...,  ibid.,  1612;  Suppetilœ...  adversus  Joannem 
Forslerum,  ibid.,  1612;  De  festis  chrislianorum,  ibid., 
1612;  remarquable  défense  de  la  liturgie  catholique 
avec  un  magistral  exposé  des  doctrines  luthériennes, 
calvinistes  et  anglicanes;  Dissertatio  pro  sacratissima 
corporis  Christi  solemnilale  et  sacrosanctœ  eucharisliœ 
cullu,  ibid.,  1612;  Gemina  adversus  Melchiorem  Guldi- 
nastum...  defensio,  ibid.,  1612;  Gratiœ  Danieli  Cramcro 
persolutœ,  ibid.,  1612;  Arnaldi  Brixiensis  redivivi  vera 
descriptio,  ibid.,  1613;  Ralegalio  Lutheranorum  et  Cal- 
vinianorum  prœdicaniium  ex  sacro romano  imperio,  ibid., 
1613;  Parœnesis  ad  omnes  incorruptœ  confessionis  Au- 
gustanœ  Academicos,  ibid.,  1613;  Brevis  relatio  de 
colloquio  1613...  Durlaci  instiluto,  ibid.,  1613;  Prœdi- 
cans Heaulontimorumenus,  ibid.,  1613;  Mysla  Salmu- 
riensis,  ibid.,  1614,  dirigé  contre  l'ouvrage  de  Duplessis 
Mornay  :  Le  mystère  d'iniquité,  c'est-à-dire  l'histoire  de 
la  papauté,  Saumur,  1611;  Quid  Lutherus  de  peccatis 
senserit,  Ingolstadt,  1614;  De  benedictionibus  et  male- 
dictionibus,  Ingolstadt,  1615;  Libelli  famosi...  adversus 
ill.  card.  Robertum  Bellarminum  eastigalio,  ibid., 
1615;  Admonitio  ad  exteros  de  Bibliis  Tigurinis,  ibid., 
1615;  Rationes...  cur  prœdicantes  a  disciplinis,  ciliciis 
abstineant,  ibid.,  1615;  Dormilorium  apostalarum... 
exslructum,  ibid.,  1616,  réponse  au  traité  de  Justus 
Jonas  sur  la  fin  malheureuse  des  protestants  qui 
reviennent  à  la  foi  catholique;  Acta  colloquii  inter 
P.  Fr.  Veronum  S.  J.  et  M.  Adrianum  Hucherum, 
ibid.,  1616;  Admonilionis  de  Bibliis  Tigurinis  ad  ex- 
teros defensio,  ibid.,  1617;  Contra  famosum  libcllum, 
cujus  inscriplio  est  :  Monila  privata  Socielalis  Jesu, 
ibid.,  1618;  Stntentia  S.  Auguslini  super  Ma  quœ- 
siionc  :  Num  heterodoxi  metu  pœnarum  ad  fidem  calholi- 
cam  cogi  possint,  ibid.,  1620;  Camarina  lulherana  et  cal- 
viniana  de  peccatis  et  legibus,  ibid.,  1620;  Disputalio  de 
variis  cœlis  lulheranis,  zwinglinianis,  etc.,  ibid,,  1621; 
Index  et  dux  hœreticorum  hujus  temporis,  édité  par 
Stengel,  ibid.,  1629.  L'authenticité  de  tous  ces  ou- 
vrages est  établie  par  le  catalogue  et  les  notes  du 
P.  H.  Roth,  recteur  d' Ingolstadt,  et  confirmée  par  les 
recherches  et  la  revision  du  P.  Heser. 

L'activité  du  P.  Gretser  ne  fut  pas  moins  étonnante 
dans  le  domaine  de  l'histoire  ecclésiastique  ou  pro- 
fane et  de  la  critique  des  textes.  Les  archives  de 
Munich  lui  ont  livré  leurs  plus  précieux  manuscrits. 
Il  publie  successivement,  avec  traduction  latine  : 
D.  Gregorii  episcopi  Nysseni  commcnlarius  duplex  in 
Psalmorum  inscriptiones,  Ingolstadt,  1600;  Leonis 
imperatoris  homiliœ  novem,  ibid.,  1600,  textes  inédits; 
cf.  P.  G.,  t.  xliv,  col.  431-616;  t.  cvn,  col.  171-202: 
Chronicon  Hippolyti  Thebani,  ibid.,  1603;  S.  Gregorii 
Thaumaiurgi,  episcopi  Neocœsareœ,  duodecim  capita 
de  fuie  et  anathematismi,  ibid.,  1603.  La  liste  complète 
de  toutes  ces  publications  se  trouve  dans  le  P.  Sommer- 
vogel  :  elle  comprend  soixante-cinq  documents,  dont 
vingt-neuf  inédits,  tirés  des  archives  de  Munich,  de 
Vienne  et  de  Rome.  Quelques-uns,  comme  les  opus- 
cules de  Théodore  Abucara,  le  discours  d'Anastase  le 
Sinaïte  sur  la  sainte  synaxe,  le  troisième  livre  de 
l'histoire  orientale  de  Jacques  de  Vitry,  sont  de  haute 
importance.  Des  prolégomènes,  qui  forment  de  vrais 
traités,  et  des  notes  savantes  accompagnent  ces  édi- 
tions :  il  faut  citer  spécialement  le  commentaire  des 
écrits  d'Evrard  de  Béthune,  de  Bernard  de  Chaude- 
font  et  d'Ermengard  et  autres  auteurs  contre  les 
vaudois  :  Trias  scriplorum  adversus  waldensium  sectam 
Ingolstadt,  1614,  etc.;  les  préfaces  des  Vetera  monu- 
menta  contra  schismalicos,  ibid.,  1612;  les  lettres  des 
papes  à  Pierre  Cnaphée  :  Variorum  pontificum  ad 
Petrum  Cnapheum  culijchianum  epistolœ  decem,  ibid.. 
1616;  le  commentaire  sur  Codinus  et   la  dissertation 


1871 


GRETSER 


GREVE 


1872 


sur  les  images  :  Georgius  Codinus  curopalata  de  offiviis 
et  oflicialibus  magnœ  ecclesiie  et  aulœ  Constanlinopoli- 
tanœ,  Paris,  1625,  les  Notes  sur  l'histoire  de  Canta- 
cuzène,  etc. 

L'histoire  profane  lui  est  redevable  d'excellents 
travaux.  11  donne  la  première  édition  du  fameux  Codex 
Carolinus,  l'édition  du  meilleur  manuscrit  sur  la  vie 
d'Otto  de  Bamberg,  publie  et  rassemble  une  foule 
d'importants  documents  inédits  ou  reproduits  dans 
des  textes  fautifs.  Il  pousse  Gewold  à  éditer  les  Scri- 
ptores  rerum  Boicarum;  lui-même  fait  transcrire  le 
Chronicon  Reichenspergense  et  réunit  un  grand  nombre 
de  matériaux  pour  les  Antiqua  monumenta  d'Henri 
Canisius,  Ingolstadt,  1601-1604.  Leibniz  place  Gretser 
à  côté  de  Brunner  pour  les  services  rendus  à  l'histoire 
de  l'Allemagne. 

Si  l'on  ajoute  à  ces  immenses  travaux  les  labeurs 
ordinaires  de  sa  charge  de  professeur  à  l'université 
d'Ingolstadt,  de  1589  à  1616,  de  prédicateur,  de  confes- 
seur, on  se  demande  par  quel  prodige  un  seul  homme 
a  pu  fournir  une  pareille  carrière.  Il  fut  aidé  toutefois 
dans  ce  formidable  travail  jusqu'en  1614  par  le  P.  Fer- 
dinand Crendel.  Gretser  ne  donnait  chaque  nuit  que 
quatre  heures  au  repos;  la  cloche  du  couvent  voisin 
lui  fixait  à  minuit,  au  signal  des  matines,  l'heure  du 
sommeil.  Sa  santé  eut  à  souffrir  de  ce  sévère  régime 
et  Clément  VIII,  qui  l'avait  en  haute  estime,  recom- 
manda instamment  à  ses  supérieurs  de  veiller  sur  les 
jours  de  ce  grand  serviteur  de  l'Église.  Sa  réputation 
était  universelle.  L'empereur  Ferdinand  II  le  consul- 
tait dans  les  cas  difficiles;  à  son  retour  de  la  diète  de 
Francfort  où  il  fut  élu  empereur,  son  premier  soin  fut 
d'appeler  Gretser  auprès  de  lui  à  Munich.  Gretser 
resta  toujours  un  homme  simple,  modeste  et  droit,  un 
religieux  d'éminente  vertu.  Il  mourut  à  Ingolstadt, 
le^28  janvier  1624.  Son  oraison  funèbre  fut  prononcée 
parle  célèbre  professeur  de  droit,  Ferdinand  Waizeneg- 
ger^et  la  faculté  de  théologie  fit  aussitôt  graver  dans 
la  grande  salle  des  cours  un  éloge  magnifique  du  grand 
controversiste  qu'elle  regardait  comme  sa  gloire  la 
plus  pure. 

Depuis  1616,  Gretser  travaillait  à  une  édition  com- 
plète de  ses  œuvres,  qu'il  revisait  avec  soin.  Le 
P.  Georges  Stengel  continua  activement  ce  travail. 
L'édition  ne  parut  qu'au  siècle  suivant,  17  in-fol., 
Ratisbonne,  1734-1742,  sous  la  direction  du  P.  G.  Kolb. 

B.  Duhr,  Geschichte  der  Jesuiten  in  den  Làndern  deutscher 
Zunge,  Fribourg-en-Brisgau,  1910-1913,  t.  n  a,  p.  531  sq.  ; 
t.  il  b,  p.  391  sq.,  654  sq.;  Ad.  Hirschmann,  Jakob  Gretser 
als  Apologetderôescllschaft  Jesu, dans  Theologische-praktische 
Monastchrifl  de  Passau,  t.  vi,  p.  474  sq.,  545  sq.  ;  Gretsers 
Sclirilten  ùber  das  Kreuz,  dans  Zeitscliri/t  fur  kath.  Théologie, 
t.  xx,  p.  284;  B.  Duhr,  Die  deutschen  Jesuiten  als  Historiker, 
ibid.,  t.  xii,  p.  62;  Ch.  Verdière,  Histoire  de  l'université 
d' Ingolstadt,  Paris,  1887,  t.  n,  p.  230-239,  527-530;  Max 
Haushofer,  Die  Ludwig-Maximilians  Universilàt  in  Ingol- 
stadt, Munich,  1890,  p.  17;  Dùrrwâchter,  Christophe  Gewolde, 
Munich,  1904,  p.  39  sq.,  102  sq.;  Sommervogel,  Bibliothèque 
de  la  C"  de  Jésus,  t.  m,  col.  1745-1809  ;  Hurter,  Nomenclator, 
3e  édit.,  Inspruck,  1907,  t.  m,  col.  728-736. 

P.  Bernard. 

GRÈVE.  —  I.  Notion.  II.  Légitimité.  III.  Grève  et 
sabotage.  IV.  Grève  et  liberté  de  travail.  V.  Grève  des 
patrons  ou  lock  oui.  VI.  Obligation  d'éviter  les  grèves. 

I.  Notion.  —  La  grève,  que  les  théologiens  contem- 
porains appellent  operistitium  ou  simplement  cessatio 
operis,  est  un  produit  d'origine  récente  :  elle  ne  date 
guère  que  du  xixe  siècle;  elle  consiste  dans  la  cessation 
collective  et  concertée  de  travail  par  les  ouvriers  d'une 
usine,  d'une  industrie  ou  d'une  profession.  Operistitium, 
dit  Lehmkuhl,  esl  cessatio  operariorum  a  labore  consi- 
lio'communi  peracla.  Theologia  moralis,  11e  édit.,  t.  i, 
p.  779.  Pour  qu'il  y  ait  grève  proprement  dite,  il  faut 
que  la  cessation  de  travail  soit  à  peu  près  générale  et 


qu'elle  résulte  d'une  entente  entre  les  ouvriers  inté- 
ressés. 

Les  grèves  sont  occasionnées,  parfois,  par  des  injus- 
tices dont  l'ouvrier  a  à  se  plaindre  ou  par  un  légitime 
désir,  chez  lui,  d'améliorer  son  sort  au  point  de  vue  du 
salaire  et  à  celui  des  heures  de  travail  ;  mais  elles  le  sont, 
souvent  aussi,  par  des  exigences  exagérées,  des  mécon- 
tentements mal  fondés,  des  convoitises  inacceptables 
de  la  part  des  ouvriers,  ou  bien  encore  par  des  exci- 
tations intéressées  et  des  promesses  trompeuses  venant 
de  gens  qui  trouvent  leur  compte  à  ces  conflits  entre  le 
capital  et  le  travail.  Toutes  les  grèves  ne  sont  donc  pas 
sérieusement  motivées    et   justes. 

La  grève  doit  être  considérée  comme  un  fléau;  car 
elle  entraîne  un  énorme  gaspillage  de  forces  produc- 
tives, elle  cause  de  grandes  pertes  et  de  grandes  souf- 
rances  et  laisse  dans  le  cœur  du  vaincu  —  patron  ou 
ouvrier  —  des  ressentiments  qui  préparent  de  nou- 
velles collisions.  Elle  est  préjudiciable  à  tous,  même 
quand  elle  n'est  accompagnée  d'aucune  des  violences 
qui  la  rendent  plus  redoutable  encore. 

II.  Légitimité.  —  La  grève  doit  donc  être  consi- 
dérée comme  un  malheur  social;  elle  est  un  moyen  de 
guerre,  elle  a  tous  les  inconvénients  de  la  guerre; 
malgré  cela,  les  ouvriers  ont,  dans  certains  cas,  le 
droit  d'y  recourir.  Ce  droit  est  une  suite  logique  du 
droit  naturel  d'association.  Si  les  travailleurs  peuvent 
licitement  s'unir  et  se  concerter  pour  défendre  leurs 
intérêts,  ils  peuvent  tout  aussi  licitement  s'entendre 
pour  décider  la  cessation  collective  de  leur  travail,  au 
moins  lorsque  cette  cessation  est,  comme  cela  arrive 
assez  souvent,  le  seul  moyen  d'obtenir  justice  et  de 
faire  prévaloir  leurs  légitimes  revendications.  Le  droit 
à  la  fin  donne  droit  à  l'emploi  des  moyens,  pourvu  que 
les  moyens  soient  honnêtes.  Le  droit  de  grève,  les  gou- 
vernements de  presque  tous  les  grands  États  l'ont 
reconnu,  à  la  fin  du  siècle  dernier;  ils  l'ont  inscrit  dans 
la  législation,  tout  en  l'entourant  de  certaines  réserves, 
comme  c'était  leur  devoir.  La  grève  a  cessé  d'être  un 
délit,  mais  il  ne  s'ensuit  pas  qu'elle  doive  être  toujours 
tenue  pour  légitime.  Il  faut,  pour  en  apprécier  la 
licéité  ou  la  non-licéité,  tenir  compte  et  de  la  cessation 
du  travail  en  elle-même,  et  des  moyens  employés  pour 
la  produire,  et  des  conditions  révolutionnaires  ou  régu- 
lières dans  lesquelles  elle  s'elïectue. 

Les  ouvriers  ne  peuvent  légitimement  se  mettre  en 
grève  tant  qu'ils  sont  liés,  envers  leur  patron,  par  un 
contrat  ou  un  quasi-contrat,  à  moins  que  ce  contrat  ne 
soit  notoirement  nul,  injuste,  ou  que  le  patron  n'en  ait 
le  premier  violé  les  clauses.  Le  contrat  de  travail  est  un 
contrat  synallagmatique,  il  oblige  les  deux  parties  pour 
tout  le  temps  de  sa  durée;  l'une  d'elles  ne  peut  vala- 
blement l'annuler  seule,  parce  qu'elle  y  trouve  satis- 
faction ou  profit  ;  il  faut  le  consentement  des  deux.  Ce 
n'est  qu'à  l'expiration  de  la  convention  ou  à  sa  résilia- 
tion librement  consentie  par  le  patron,  que  les  ouvriers 
ont  le  droit  de  cesser  le  travail  :  «L'ouvrier,  a  dit 
Léon  XIII  dans  l'encyclique  Rerum  novarum,  doit 
fournir  intégralement  et  fidèlement  tout  le  travail 
auquel  il  s'est  engagé  par  contrat  libre  et  conforme  à 
l'équité.  »  Il  est  évident  que,  si  le  contrat  avait  été  nul, 
à  l'origine,  pour  cause  d'erreur,  défaut  de  liberté  ou 
tout  autre  motif,  le  travailleur  serait  en  droit  de  le  con- 
sidérer comme  inopérant. 

Le  contrat  aurait-il  été  valide,  si  le  patron  n'en 
observe  pas  les  clauses,  les  ouvriers  peuvent,  en  toute 
justice,  considérer  la  convention  comme  résiliée  et  sus- 
pendre le  travail  immédiatement  :  Anie  lempus  con- 
tractus  elapsum  operistitium  facere  injustum  non  fuerit, 
si  ex  parle  domini  aperta  commitlitur  conlractus  lœsio, 
neque  Me  monitus  velit  ab  inferenda  injustitia  desislere. 
Lehmkuhl,  op.  cit.,  p.  779.  Il  en  serait  de  même  si  le 
patron,  sans  violer  les   clauses  proprement  dites   du 


1873 


GREVE 


1874 


contrat,  lésait  quelqu'un  des  droits  inamissibles  de  son 
personnel  :  comme  serait  abuser  de  lui  en  lui  imposant 
un  salaire  de  famine,  un  travail  exagéré  ou  exécuté 
dans  des  conditions  intolérables,  etc.  Injusla  lœsio  con- 
tractas ex  parle  domini  est  depressio  mercedis  aperte 
injusla,  injusla  denegalio  requiei  festivœ,  continualio 
pcriculi  gravis  conlra  bonos  mores.  Ibid. 

S'ils  ne  sont  liés  par  aucun  contrat,  les  ouvriers  peu- 
vent légitimement  cesser  de  travailler,  à  la  condition, 
toutefois,  de  se  conformer  aux  usages  locaux  et  aux 
coutumes  professionnelles.  Ces  usages  et  ces  coutumes 
ont  une  vraie  force  obligatoire,  elles  s'imposent  aux 
ouvriers  comme  aux  patrons;  on  est  toujours  censé  les 
avoir  acceptées,  quand  il  n'a  pas  été  fait  de  stipulation 
contraire.  Mais  hors  de  là,  on  ne  peut  invoquer  aucun 
motif  pour  dénier  aux  travailleurs  le  droit  de  se  mettre 
en  grève.  Ils  demeurent  libres,  tant  qu'ils  n'ont  pas 
aliéné  leur  liberté  :  libres  de  travailler  ou  de  chômer,  de 
mettre  leur  activité  au  service  de  celui-ci  ou  au  service 
de  celui-là.  S'il  y  a  une  chose  dont  l'ouvrier  soit  incon- 
testablement maître,  c'est  bien  sa  personne  et,  par 
suite,  son  travail  qui  n'est  qu'une  continuation  de  sa 
personnalité.  Il  n'est  tenu  de  le  laisser  au  service  de 
quelqu'un  que  dans  la  mesure  où  il  lui  a  plu  de  s'en- 
gager. 

Si  tout  ouvier  qui  n'est  pas  lié  par  un  contrat  peut 
légitimement  cesser  son  travail,  même  sans  motif,  il  ne 
peut  légitimement  inciter  l'ensemble  de  ses  camarades 
à  suivre  son  exemple,  à  moins  qu'il  n'y  ait  des  raisons 
graves  et  certaines  de  faire  la  grève.  Toute  grève  entraîne 
des  maux  aussi  considérables  que  nombreux;  elle  est  une 
source  de  préjudices  pour  les  patrons,  la  société,  l'in- 
dustrie nationale  et  même  les  ouvriers.  Il  est  évident 
que,  pour  être  en  droit  de  pousser  à  une  mesure  qui 
aura  de  pareilles  conséquences,  on  a  besoin  de  motifs 
proportionnés  et  sur  le  bien-fondé  desquels  il  n'existe 
pas  le  moindre  doute. 

En  résumé,  la  grève  étant  parfois  la  seule  arme  de 
défense  vraiment  efficace  que  possèdent  les  ouvriers, 
on  ne  peut  pas  leur  interdire  de  s'en  servir,  quand  ils  ont 
besoin  de  protéger  leurs  justes  intérêts;  mais  l'arme 
est  à  deux  tranchants,  elle  blesse  fréquemment  non 
moins  gravement  ceux  qui  la  tiennent  que  ceux  contre 
qui  elle  est  dirigée,  on  n'est  pas  autorisé  à  la  sortir  à 
chaque  instant  du  fourreau  et  à  en  faire  n'importe  quel 
usage. 

III.  Grève  et  sabotage. —  Le  sabotage  est,  aujour- 
d'hui, le  complément  de  presque  toute  grève  violente. 
Il  consiste  à  immobiliser,  à  détériorer  et  même  à 
détruire  l'outillage  patronal.  La  grève,  disent  les  défen- 
seurs du  sabotage,  c'est  la  guerre;  les  ouvriers  ont  par 
conséquent  tous  les  droits  de  belligérants.  Ils  font  ce 
qu'on  fait  en  campagne,  on  porte  à  l'ennemi  le  plus  de 
coups  qu'on  peut  et  l'on  n'hésite  pas  à  sacrifier  tout  ce 
qui  pourrait  lui  être  de  quelques  secours  pour  emporter 
la  victoire.  Si  les  travailleurs  s'attaquent  aux  machines 
et  au  matériel,  ce  n'est  pas  pour  le  vain  plaisir  de 
détruire;  c'est  Uniquement  parce  qu'une  impérieuse 
nécessité  les  y  oblige.  S'ils  n'immobilisaient  pas  les 
instruments  de  production,  ils  iraient  à  la  défaite. 
L'intérêt  supérieur  de  la  classe  leur  dicte  la  conduite 
à  tenir;  briser  ce  qui  peut  faire  échouer  la  grève  est 
de  bonne  guerre. 

Ceux  qui  parlent  ainsi  oublient  que  la  grève  ne  peut 
que  très  imparfaitement  être  comparée  à  la  guerre  et 
que,  même  en  temps  de  guerre,  tout  n'est  pas  permis.  On 
reste  tenu  au  respect  des  personnes  et  des  propriétés. 
Des  torts,  seraient-ils  considérables  de  la  part  des 
patrons,  ne  sauraient  légitimer  de  pareils  actes.  Même 
commis  à  titre  de  représailles  ils  n'en  seraient  pas 
moins  criminels;  ils  déshonoreront  toujours  ceux  qui 
s'en  rendent  coupables.  Ils  sont,  surtout  quand  ils  vont 
jusqu'à   la   détérioration   grave   et   à   la   destruction, 


réprouvés  par  la  morale,  flétris  par  la  civilisation  et 
réprimés  par  les  lois.  Si  on  se  bornait  à  une  simple 
immobilisation  momentanée,  sans  détérioration,  et  que 
la  grève  fût  certainement  juste,  le  procédé,  quoique 
d'ordre  délicat,  n'apparaît  pas  comme  nécessairement 
injuste  et  condamnable.  Les  ouvriers  se  comportent  à 
l'égard  des  machines  et  du  matériel  comme  à  l'égard 
de  leurs  camarades  disposés  à  continuer  le  travail,  ils 
les  mettent  dans  l'impossibilité  de  faire  échouer  la 
grève. 

IV.  Grève  et  liberté  de  travail.  —  Si  la  grève 
dans  certains  cas  est  un  droit,  le  travail  pareillement 
est  un  droit  et  un  droit  tout  aussi  strict  et  tout  aussi 
respectable.  Il  est  possible  que,  lors  d'une  déclaration 
de  grève,  certains  ouvriers  n'en  soient  pas  partisans  et 
désirent  ne  pas  abandonner  l'atelier;  en  principe,  ils 
doivent  être  absolument  libres  de  le  faire.  Ils  ont  la 
disposition  de  leur  activité;  ils  doivent  pouvoir  l'uti- 
liser s'ils  le  veulent.  Chacun  est  maître  de  faire  ce  qui 
n'est  pas  défendu,  et  la  liberté  individuelle  n'a  d'autre 
limite  que  celle  qui  lui  est  imposée  par  la  loi  ou  exigée 
par  le  respect  des  droits  d'autrui. 

Le  droit  de  travailler  peut  se  trouver  en  conflit  avec 
d'autres  droits.  Il  y  a  des  grèves  incontestablement 
motivées  ;  déclarées  par  la  majorité  des  ouvriers  inté- 
ressés, elles  n'ont  été  décidées  que  pour  faire  respecter 
des  droits  certains  qu'on  s'obstine  à  méconnaître.  Si 
des  camarades  refusent  de  se  solidariser  avec  les  gré- 
vistes et  continuent  à  travailler,  ces  camarades  pour- 
ront être  cause  que  les  légitimes  revendications  formu- 
lées seront  rejetées  et  que  justice  ne  sera  pas  rendue. 
Leur  droit  de  travailler  ne  peut  pas  s'exercer  sans  qu'il 
en  résulte  un  préjudice  grave,  non  seulement  pour  les 
grévistes,  mais  pour  toute  la  corporation.  Ce  préjudice 
grave,  ceux  qui  ont  cessé  de  travailler  sont-ils  tenus  de 
le  laisser  causer  ?  Si  des  deux  droits  qui  sont  en  oppo- 
sition l'un  doit  céder,  n'est-il  pas  naturel  que  le  droit 
de  quelques  individus  s'efface  devant  celui  de  la 
collectivité  ? 

Tout  le  monde  admet  que  les  grévistes,  lorsque  la 
grève  a  été  déclarée  pour  des  motifs  certains,  sérieux  et 
justes,  ont  le  droit  d'essayer  d'amener  tous  leurs 
camarades  à  y  adhérer,  non  seulement  en  employant  les 
moyens  de  persuasion,  mais  encore  en  exerçant  une 
certaine  pression  morale  :  In  lali  casu,  quando  de  lucndo 
jure  magni  momenli  agilur,  fieri  potesl,  ut  non  violentiam, 
quidem,  al  moralem  quamdam  coactionem  conlra  alios 
operarios  adhibere  liccat,  excludendo  eos  a  bonis  indebitis, 
ne  ipsi  injuriœ  repulsam  inefficacem  reddanl,  modo 
lamen  hi  sine  proprio  damno  incurrendo  communem 
cum  aliis  causam  agere  possint.  Lehmkuhl,  ibid.  Mais 
jusqu'où  peut  aller  cette  coaction  morale  sans  devenir 
abusive;  c'est  très  difficile  à  préciser. 

Ce  que  l'on  peut  dire,  c'est  que  jamais,  pour  entraîner 
les  hésitants  ou  réduire  les  opposants,  il  n'est  permis 
de  recourir  à  la  violence.  Souvent  les  instigateurs  de  la 
grève,  pour  la  faire  réussir,  usent  de  menaces  graves, 
de  voies  de  fait  même;  ils  vont  jusqu'aux  coups  et 
blessures  à  l'égard  de  ceux  qui  ne  leur  paraissent  pas 
assez  décidés  à  la  cessation  du  travail.  De  pareils 
procédés  sont  inadmissibles;  dans  aucun  cas  ils  ne 
sauraient  être  réputés  légitimes,  il  y  a  des  moyens  que 
la  meilleure  des  fins  n'arrivera  pas  à  excuser. 

Il  est  encore  communément  admis  que,  le  droit  de 
travailler  étant  un  droit  certain  et  rigoureux,  on  doit 
n'y  apporter  aucune  atteinte  tant  qu'il  ne  se  trouve 
pas  en  conflit  évident  avec  un  droit  tout  aussi  certain, 
tout  aussi  rigoureux  et  d'un  ordre  supérieur.  Si  le 
conflit  existe  évident,  il  semble  naturel  que,  toutes 
choses  égales  d'ailleurs,  le  droit  d'ordre  supérieur  ou 
d'ordre  plus  général  l'emporte.  L'on  devrait  donc 
accorder  que  les  grévistes,  pour  défendre  leurs  intérêts 
et  mettre  fin  à  des  abus  se  produisant  à  leur  préjudice, 


1875 


GREVE 


GRIDEL 


187G 


peuvent,  dans  certains  cas,  s'opposer  au  travail,  à  la 
condition  de  le  faire  par  des  moyens  acceptables  et 
de  fournir  à  ceux  qu'ils  contraignent  à  la  grève  de  quoi 
faire  suffisamment  face  à  leurs  charges  familiales.  Cette 
thèse  est  théoriquement  très  soutenable,  malheureuse- 
ment son  application  risque  d'ouvrir  la  porte  à  de 
très  graves  abus.  Il  serait  souverainement  périlleux,  en 
effet,  d'établir  les  ouvriers  juges  dans  leur  propre  cause 
et  de  les  laisser  se  constituer  leurs  propres  justiciers, 
surtout  à  des  heures  d'effervescence  et  d'exaspéra- 
tion. 

V.  Grève  des  patrons  ou  lock  out  (mettez  dehors). 
—  Il  arrive  que  les  patrons  d'une  même  région,  soit 
pour  se  défendre  contre  les  coalitions  ouvrières,  soit  pour 
arrêter  une  production  trop  considérable,  soit  pour  se 
débarrasser  de  stocks  de  marchandises,  soit  pour 
tout  autre  motif,  s'entendent  pour  suspendre  tous  en- 
semble le  travail,  renvoyer  leur  personnel  et  fermer 
momentanément  leurs  ateliers,  chantiers  ou  usines.  Ces 
grèves  patronales  sont-elles  légitimes  ?  La  question 
peut  être  étudiée  au  point  de  vue  de  la  justice  et  à 
celui  de  la  charité. 

Au  point  de  vue  de  la  justice,  les  patrons  peuvent 
légitimement  proclamer  le  lock  oui,  quand  ils  le  jugent 
à  propos,  s'ils  ne  sont  liés  à  l'égard  de  leurs  ouvriers 
par  aucun  contrat  explicite  ou  implicite;  ils  le  peuvent 
encore,  même  en  l'existence  d'un  contrat,  si  les  ouvriers 
ont,  les  premiers,  dénoncé  ce  contrat  ou  ont  cessé  d'en 
observer  les  clauses  ;  ils  le  peuvent  probablement  pareil- 
lement dans  le  cas  d'un  contrat  non  dénoncé  et  observé, 
s'ils  n'ont  que  ce  moyen  de  se  défendre  contre  d'in- 
justes manœuvres  de  leur  personnel,  d'échapper  à  la 
ruine  ou  seulement  d'éviter  de  très  graves  dommages 
sortant  de  la  catégorie  de  ceux  qui  font  partie  des 
risques  professionnels.  Ils  se  trouvent  alors  dans  un  cas 
ou  de  légitime  défense  ou  de  force  majeure  qui  excuse 
la  non-observation  des  conventions  antérieurement 
consenties.  Mais,  hors  des  cas  qui  viennent  d'être 
énumérés,  les  patrons  ne  pourraient,  sans  se  rendre 
coupables  d'injustice,  renvoyer  des  ouvriers  envers  les- 
quels ils  ont  des  engagements  et  les  condamner,  eux  et 
leurs  familles,  à  une  misère  imméritée.  Les  droits  et  les 
obligations  des  patrons  sont  corrélatifs  des  obligations 
et  des  droits  des  ouvriers. 

Souvent,  quand  les  patrons  pourraient  en  rigueur  de 
justice  procéder  à  la  fermeture  momentanée  de  leurs 
usines  ou  de  leurs  chantiers,  la  charité  demande  qu'ils 
ne  le  fassent  pas,  s'ils  n'y  sont  pas  moralement  con- 
traints. La  fermeture  serait  une  calamité  pour  leurs 
ouvriers  qui  vivent  au  jour  le  jour,  n'ont  généralement 
aucune  avance  et  sont,  par  suite,  exposés,  en  cas  de 
chômage,  aux  pires  privations  et  aux  pires  souffrances; 
privations  et  souffrances  que  partagent  leur  femme  et 
leurs  enfants.  Des  patrons  chrétiens  ou  seulement 
humains  hésiteront  avant  de  condamner  tant  de  mal- 
heureux à  manquer  des  choses  les  plus  nécessaires  à  la 
vie;  ils  ne  s'y  résoudront  qu'à  la  dernière  extrémité  et, 
s'il  faut  s'y  résoudre,  quels  que  soient  les  torts  qu'on 
puisse  avoir  à  leur  égard,  ils  s'appliqueront,  dans  la 
mesure  du  possible,  à  parer  aux  inconvénients  de  la 
décision  qu'ils  ont  la  triste  obligation  de  prendre. 

VI.  Obligation  d'éviter  les  grèves. — A  cause 
des  calamités  de  toute  sorte  qu'entraîne  avec  elle  la 
grève,  patrons  et  ouvriers  sont  tenus  de  tout  faire  pour 
l'éviter,  ils  doivent  aller  jusqu'aux  limites  extrêmes  des 
concessions  et  ne  recourir  à  une  pareille  mesure  que 
lorsque  des  intérêts  très  graves  sont  en  cause  et  qu'ont 
échoué  tous  les  autres  moyens  d'arriver  à  une  solution 
équitable.  L'État,  de  son  côté,  doit  faire  tout  ce  qui  est 
en  son  pouvoir  pour  prévenir  ces  conflits  préjudiciables 
à  tous.  Son  rôle  et  ses  devoirs  ont  été  précisés  par 
Léon  XIII  dans  l'encyclique  Rerum  novarum.  «  Il  n'est 
pas  rare,  y  dit-il,  qu'un  travail  trop  prolongé  ou  trop 


pénible  et  un  salaire  réputé  trop  faible  donnent  lieu  à 
ces  chômages  concertés  que  l'on  appelle  grèves.  A  cette 
plaie  si  commune  et  en  même  temps  si  dangereuse,  il 
appartient  au  pouvoir  public  d'apporter  un  remède,  car 
ces  chômages  tournent  non  seulement  au  détriment  des 
patrons  et  des  ouvriers  eux-mêmes,  mais  ils  entravent 
le  commerce  et  nuisent  aux  intérêts  généraux  de  la 
société;  et,  comme  ils  dégénèrent  facilement  en  vio- 
lences et  en  tumultes,  la  tranquillité  s'en  trouve  sou- 
vent compromise.  Mais  ici  il  est  plus  efficace  et  plus 
salutaire  que  l'autorité  des  lois  prévienne  le  mal  et 
l'empêche  de  se  produire,  en  écartant  avec  sagesse  les 
causes  qui  paraissent  de  nature  à  exciter  des  conflits 
entre  ouvriers  et  patrons.  » 

Une  dernière  question  se  poserait  et  elle  est  intéres- 
sante :  les  engagements,  arrachés  à  un  patron  sous  la 
menace  de  grève  et  à  plus  forte  raison  sous  la  pression 
d'une  grève  déclarée,  violent'-  et  ruineuse  pour  lui, 
doivent-ils  être  considérés  comme  valables?  Cette  ques- 
tion n'est  qu'un  aspect  de  celle  de  la  liberté  requise 
pour  la  validité  des  contrats,  qui  a  sa  place  ailleurs. 
Pour  la  résoudre,  il  n'y  a  qu'à  s'inspirer  des  principes 
donnés  sur  la  matière  par  les  théologiens,  les  canonistes 
et  les  jurisconsultes. 

L.  Garriguet. 

GRIDEL  Nicolas,  prêtre  du  diocèse  de  Nancy,  né  à 
Brouville  en  1801,  ordonné  prêtre  en  1830.  Successi- 
vement vicaire  à  Saint-Nicolas  du  Port  et  curé  d'Ogé- 
viller,  il  enseigna  la  théologie  dogmatique  au  grand 
séminaire  de  Nancy  (1837),  fut  ensuite  vicaire  général 
de  Mgr  Menjaud  (1847)  et  en  1853  curé  de  la  paroisse 
cathédrale  à  Nancy.  Prêtre  zélé,  énergique  et  austère, 
il  exerça  sa  forte  influence  partout  où  il  passa  et  fut 
mêlé  pendant  d'assez  longues  années  à  tous  les  évé- 
nements qui  à  cette  époque  agitèrent  le  diocèse.  Dési- 
reux de  voir  la  liturgie  romaine  remplacer  les  liturgies 
particulières,  il  eût  préféré  le  missel  romain  au  missel 
toulois  dont  Mgr  de  Forbin  Janson  venait  de  publier 
une  nouvelle  édition;  mais  il  ne  put  faire  triompher  ses 
idées.  En  1847,  lors  de  l'affaire  des  frères  Baillard,  il  fut 
désigné  par  Mgr  Menjaud  pour  remplacer  Léopold 
Baillard  comme  supérieur  de  l'Institut  des  Frères  de 
Notre-Dame  de  Sion-Vaudémont.  Plus  tard,  en  1857, 
il  encourut  lui-même  la  disgrâce  de  son  évèque.  Dans 
une  lettre  confidentielle  adressée  à  Mgr  Menjaud,  il 
avait  censuré  fortement  l'administration  des  vicaires 
généraux  qui  dirigeaient  le  diocèse  à  la  place  du  prélat 
que  ses  fonctions  de  grand-aumônier  retenaient  souvent 
à  la  cour  de  Napoléon  III.  L'évêque  rendit  la  lettre 
publique  et  le  curé  fut  privé  de  sa  cure.  L'abbé  Gridel, 
qui  garda  sa  stalle  de  chanoine  titulaire,  mit  dès  lors 
son  infatigable  activité  au  service  de  l'Institution  des 
Jeunes- Aveugles  de  Nancy,  qui  périclitait  et  qu'il  rendit 
prospère,  au  point  d'en  être  le  vrai  fondateur.  Il  mou- 
rut le  6  avril  1885.  On  a  de  lui  :  1°  Elemenla  theologiœ  : 
de  divin  ilale  religionis  et  vera  Chrisli  Ecclesia,  in-8°,  Paris, 
1843;  ce  volume  ne  devait  être  que  le  Ier  d'une  théo- 
logie complète  que  M.  Gridel  se  proposait  de  publier; 
l'administration  épiscopale,  jugeant  qu'il  y  soutenait 
des  doctrines  non  conformes  à  l'enseignement  de  l'Église 
(doctrine  menaisienne  dusens  commun),  quoique  les  pro- 
fesseurs de  l'université  de  Louvain,  à  qui  l'ouvrage  fut 
soumis,  aient  déclaré  qu'il  n'en  était  rien,  refusa  de  l'au- 
toriser à  publier  la  suite  de  son  ouvrage  autrement  que 
sous  le  voile  de  l'anonyme.  Mais  l'éditeur  n'y  consentit 
pas.  M.  Gridel  supprima  presque  tous  les  exemplaires 
de  l'édition,  qui  sont  fort  rares,  et  renonça  à  son  projet 
de  publier  une  théologie  complète;  son  travail  toute- 
fois ne  fut  pas  entièrement  perdu,  et  il  servit  à  la  com- 
position des  autres  ouvrages  de  l'auteur;  2°  L'ordre  sur- 
naturel et  divin,  publié  sous  le  nom  de  l'abbé  Xavier, 
in-8°,  Nancy,  1847;  3°  Soirées  chrétiennes  ou  Explica- 
tions du  catéchisme  par  des  comparaisons  et  des  exemples, 


1877 


GRIDEL     —     GRIMALDI 


1878 


8  in-12,  Paris,  1851-1854;  souvent  rééditées;  4°  Cours 
d'instructions  religieuses,  2  in-12,  Lyon,  1860;  5°  In- 
structions sur  les  sacrements  en  général  et  sur  chacun  en 
particulier.  Divinisation  de  l'homme  parla  grâce,  5  in-12, 
Lyon,  1859-1803.  C'est  dans  cette  série  que  se  placent 
ses  Instructions  pastoredes  sur  le  sacrement  de  mariage 
d'abord  prêchées  à  la  cathédrale  de  Nancy.  La  liberté 
avec  laquelle  il  avait  abordé  et  traité  les  questions 
délicates  relatives  au  mariage  chrétien  avait  paru  dan- 
gereuse à  l'autorité  épiscopale  qui  avait  refusé  l'impri- 
matur. L'auteur  en  ayant  appelé  à  Rome  de  cette  déci- 
sion, l'ouvrage  parut  avec  l'approbation  de  la  S.  C.  de 
l'Index  et  de  plusieurs  évoques.  Il  publia  aussi  des 
Instructions  sur  les  vertus  chrétiennes  et  les  péchés  capi- 
taux, 4  in-12,  Nancy,  1860-1807.  Ces  écrits  sont  d'excel- 
lents ouvrages  de  vulgarisation  théologique.  Dans  son 
traité  de  l'Ordre  surnaturel  et  divin,  il  a  eu,  après 
Rohrbacher  dont  il  était  le  disciple  et  l'ami,  le  mérite 
de  remettre  en  lumière  les  doctrines  alors  trop  oubliées 
de  saint  Thomas  sur  le  surnaturel  et  sur  la  grâce.  Étant 
vicaire  général,  il  avait  eu  la  part  principale  dans  la 
nouvelle  rédaction  du  Catéchisme  du  diocèse  de  Nancy. 
Curé  de  la  cathédrale,  il  fut  un  catéchiste  remarquable 
et  il  forma  une  génération  de  chrétiens  très  instruits  des 
dogmes  et  des  pratiques  de  la  religion. 

E.  Martin,  Histoire  des  diocèses  de  Tout,  de  Nancy  et  de 
Saint-Dié,  Nancy,  1903,  t.  m,  p.  354,  note  et  passim, 
notamment,  p.  396-398;  Semaine  religieuse  historique  et 
littéraire  de  la  Lorraine,  1885,  n.  15;  Hurter,  Nomenclalor, 
Inspruck,  1913,  t.  v,  col.  1534. 

V.  Oblet. 

GRIFFINI  Michelange,  théologien  barnabite,  naquit 
à  Lodi  le  4  mai  1731,  et  en  1746  entra  au 
noviciat  des  barnabites  à  Monza.  En  1747,  après  sa 
profession,  il  fut  envoyé  à  Milan,  au  collège  de  Saint- 
Alexandre,  et  en  1750  à  Bologne.  11  y  approfondit  la 
théologie  et  la  philosophie.  Sa  renommée  de  doctrine 
était  si  grande  que  le  cardinal  Vincent  Malvezzi, 
archevêque  de  Bologne,  lui  confia,  malgré  sa  jeunesse, 
la  chaire  de  théologie  dans  son  séminaire.  Il  fut 
nommé  pénitencier,  et  il  consacra  sa  vie  aux  études 
scientifiques  et  littéraires,  à  la  prédication  et  au  minis- 
tère apostolique.  Sa  mort  eut  lieu  à  Bologne,  le  19  mars 
1809.  Voici  la  liste  de  ses  écrits  :  1°  Pro  Patrum  eloquen- 
tia  in  morum  institutione  tradenda  adversus  Joannem 
Barbeyracium  diatriba,  Bologne,  1702;  l'auteur  y 
réfute  le  Traité  de  la  morale  des  Pères  de  l'Église,  par 
Jean  Barbeyrac,  calviniste;  2°  Animadversioms  in 
Benedicli  XIV  binas  constilutiones  de  non  absoluendo 
complice  peccati  contra  sextum  decalogi  prœceptum  com- 
missi,  Bologne,  1773;  l'auteur  y  démontre  l'utilité 
des  constitutions  de  Benoît  XIV  pour  sauvegarder 
la  dignité  du  sacrement  de  la  pénitence;  il  y  défend 
l'autorité  suprême  du  pape  au  l'or  intérieur  et  il  pose 
quelques  règles  générales  pour  bien  saisir  la  portée 
et  l'étendue  des  mêmes  constitutions;  on  trouve  à  la 
fin  de  l'ouvrage  seize  cas  de  théologie  morale  qui  se 
rapportent  à  l'absolution  des  complices;  ces  cas  ont 
paru  à  part  sous  ce  titre  :  Casus  decem  et  sex  expli- 
canles  Benedicli  XIV  binas  constilutiones  de  non  absol- 
vendo  complice  peccati  contra  sextum  decalogi  prœceptum 
commissi,  decerpti  ex  opère  ejusdem  aucloris  super  easdem 
constilutiones  elaborato,  Bologne,  1773;  3°  Délia  vila  di 
Monsignor  Gioi<anni  Maria  Percoto  (t  1770)  délia  con- 
gregazione  di  S.  Paolo,  missionario  nci  regni  di  Ava  e 
di  Pegu,  vicario  aposlolico  e  vescovo  massulense.  libri  tre, 
Udine,  1781;  2°  édit.,  Crémone,  1898;  4°  Plurium  a 
Sancta  Scde  apostolica  danmatarum  propositionum  mora- 
lium  ex  prœjaclis  theologiœ  principiis  deprompla  cen- 
sura, ad  usum  sacerdolum,  qui  in  collegio  divœ  Lucise 
Bononiœ  theologiœ  nwrali  operam  dant,  2  vol.,  Bologne, 
1791,  1792;  l'auteur  y  examine  un  grand  nombre  de 
propositions  condamnées  par  les  papes  entre  1005  et 


1752;  5°  Lezioni  morali  sopra  le  qualtro  virtù  cardinali, 
2  vol.,  Bologne,  1793;  6°  Brevi  riflessi  di  Eufrasio 
Lisimaco  sul  libro  délia  Rijorma  d'Italia,  Bologne, 
1794;  7°  Ritiro  spirituale  di  alcuni  giorni  per  gli 
chicrici  regolari  di  S.  Paolo  dclti  barnabili  disposto  da 
un  sacerdole  délia  slessa  Congregazionc,  2  vol.,  Milan, 
1800.  Griffini  a  publié  aussi  la  version  italienne  du 
discours  de  saint  Basile  sur  les  classiques,  et  du  dis- 
cours du  diacre  Agapit  à  l'empereur  Justinien,  et  il 
a  laissé  inédits  un  catéchisme,  tiré  des  écrits  de  saint 
Augustin,  et  une  apologie  de  la  confession  auriculaire. 
J.  A.  S.  (Ignace  Augustin  Scandellari),  Delta  vita  e  dette 
opère  del  Padre  D.  Michel- A ngiolo  Griffini  prête  professo 
delta  congregazione  di  San  Paolo  Elogio,  Bologne,  1809; 
Colombo,  Profdi  biografici  di  insigni  barnabiti  effigiati 
sotlo  i  portici  de  collegio  S.  Francesco  in  Lodi,  Crema,  1870. 

A.  Palmieri. 
GRIFFON,  théologien  français  de  la  première  moitié 
du  xvme  siècle,  appartenait  à  la  congrégation  de  la  Doc- 
trine chrétienne  dont  il  fut  pendant  douze  ans  supé- 
rieur général.  Très  opposé  aux  jansénistes,  le  P.  Griffon 
fit  tous  ses  efforts,  trop  souvent  sans  succès,  pour  faire 
admettre  la  bulle  Unigcnitus  et  souscrire  le  formulaire 
par  les  membres  de  sa  congrégation.  Il  publia  :  Abrégé 
de  la  théologie  de  S.  Thomas,  contenue  dans  sa  Somme, 
avec  la  résolution  des  principales  difficultés  qu'on  peut 
former  sur  les  décisions  de  ce  saint  docteur,  par  demandes 
et  par  réponses,  2  in-12,  Paris,  1707. 

Journal  des  savants,  5  mars  1708;  Hurter,  Nomenclator, 
1910.  t.  iv,  col.  060,  note. 

B.  Heurtebize. 

GRILLANDO  Paul,  jurisconsulte  italien  du  xvie  siè- 
cle, a  composé  un  traité  De  hœreticis  et  sorlilegiis 
eorumque  pœnis,  Lyon,  1536  et  1547. 

Joh.  Fr.  von  Schulte,  Die  Geschichte  der  Quellen  und 
Literatur  des  canonischen  Redits,  in-8°,  Stuttgard,  1880, 
t.  m,  p.  456;  Hurter,  Nomenclator,  1906,  t.  n,  col.  1341. 

B.  Heurtebize. 

GRIM  Lëopold,  théologien  ascétique  et  contro- 
versiste,  né  à  Bergreichenstein,  en  Bohême,  le  15  no- 
vembre 1688,  entra  dans  la  Compagnie  de  Jésus  le 
22  octobre  1707,  enseigna  d'abord  les  humanités  et  fut 
nommé,  dès  la  fin  de  ses  études  théologiques,  professeur 
de  philosophie  à  l'université  de  Prague,  où  il  se  dis- 
tingua par  la  clarté,  la  solidité  et  aussi  par  l'élo- 
quence de  son  enseignement.  La  philosophie  ne  lui  est 
redevable  que  d'un  traité  de  morale  :  Philosophia 
scolaslico-cihica,  in-fol.,  Prague,  1726.  Chargé  de  la 
chaire  de  théologie  dogmatique,  et  de  l'enseignement 
du  droit  canon,  il  publia  un  traité  De  Deo  uno,  Prague, 
1730,  et  des  questions  détachées  sur  les  censures  et 
les  contrats,  qui  n'offrent  plus  aujourd'hui  grand 
intérêt.  Il  n'en  est  pas  de  même  de  son  Manuale 
controversisticum,  Breslau,  1732,  et  surtout  de  son  plus 
important  ouvrage  :  Disscrtationcs  theologicœ  cum  va- 
riis  quœslionibus  siatum  religiosum  potissimum  concer- 
nentibus,  Breslau,  1731,  qui  contiennent  encore  d'utiles 
renseignements.  Devenu  maître  des  novices,  puis 
recteur  de  plusieurs  collèges  et  provincial  de  Bohême, 
le  P.  Grim  se  consacra  tout  entier  à  ses  chères  études 
de  spiritualité.  Il  reste  de  lui  deux  ouvrages  d'ascé- 
tisme devenus  très  rares  :  Cselum  novum,  Breslau,  1733, 
et  Jésus  cruciftxus,  orbis  constitulus  magister,  ibid.,  1733, 
1737.  Le  P.  Grim  mourut  à  Brunn,  le  26  avril  1759. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  C'°  de  Jésus,  t.  m,  col. 
1830  sq.;  Hurter,  Nomenclator,  3e  édit.,  Inspruck,  1913,  t.  v, 
col.  234. 

P.  Bernard. 

GRIMALDI  Constantin,  né  à  Naples  le  30  janvier 
1667,  y  mourut  le  16  octobre  1750.  A  dix-sept  ans,  il 
avait  soutenu  des  thèses  de  philosophie  péripatéticienne 
avec  une  ardeur  qui  se  changea  en  véritable  haine  avec 
les  années.  Il  étudia  les  mathématiques,  apprit  le  fran- 


1879 


GRIMALDI 


GROPPER 


1880 


çais  et  l'espagnol,  acquit  des  connaissances  médicales  et 
aborda  aussi  l'histoire  ecclésiastique  et  la  théologie. 
Sur  la  fin  de  sa  vie,  il  eut  à  subir  quarante  jours  de 
prison,  comme  suspect,  17  février  1744.  Devenu  avec  les 
années  grand  admirateur  de  la  philosophie  deDescartes, 
Grimaldi  partit  en  campagne  pour  la  défendre  contre 
les  attaques  du  P.  Jean-Baptiste  de  Benedictis,  jésuite, 
qui,  sous  le  pseudonyme  de  Benedetto  Aletino,  avait 
publié  cinq  Leilere  apologeliche  in  difesa  délia  teologia 
scolastica  e  délia  filosofia  peripatetica,  in-12,  Naples, 
1694;  il  donna  d'abord  dans  ce  but  une  Riposta  alla 
lettera  apologetica  in  difesa  délia  teologia  scolastica  di 
Benedetto  Aletino,  opéra  nella  quale  si  dimoslra  esser 
quanlo  necessaria  la  teologia  dogmalica  e  metodica, 
tanlo  inutile  e  vana  la  volgare  teologia  scolastica,  in-8°, 
Cologne  (Genève),  1699.  Vint  ensuite  la  Risposta  alla 
seconda  lettera  apologetica  di  Benedetto  Aletino,  in  cui 
fassivedere  quanlo manchevolc  sia  la  peripatetica  doltrina, 
in-8°,  Cologne  (en  Allemagne),  1702;  et  enfin  Risposta 
alla  terza  lettera  apologetica  di  Benedetto  Aletino,  opéra 
in  cui  dimostrasi  quanto  solda  e  pia  sia  la  filosofia  di 
Renalo  délie  Carte,  e  perché  questo  si  debba  stimare  più 
d'Arislotile,  in-8°,  Cologne  (Naples),  1703.  Le  P.  de 
Benedictis  répondit  d'abord  par  sa  Difesa  délia  scolas- 
tica teologia,  in-12,  Borne,  1702,  qui  renferme  une  lettre 
à  un  personnage  imaginaire,  Luigi  Oligero,  et  une  Difesa 
délia  lettera  précédente,  al  sig.  Costantino  Grimaldi;  puis 
par  l'autre  Difesa  délia  terza  lettera  apologetica,  divisa 
in  tre  parti,  la  prima  teologica,  l'altra  filosoftca  su 
la  filosofica  carlesiana,  e  la  terza  critica  su  d'alcuni  fatli 
in  essa  conienuli,  al  sig.  Costantino  Grimaldi,  in-8°, 
Rome,  1705.  Occupé  à  d'autres  travaux,  Grimaldi 
laissa  passer  plusieurs  années  avant  de  reprendre 
cette  question,  il  revit  ses  Réponses  et  en  donna  une 
nouvelle  édition  intitulée  :  Discussioni  isioriche,  leolo- 
giche  e  filosofiche  di  Costantino  Grimaldi,  faite  per  occa- 
sione  délie  Risposte  aile  leilere  apologeliche  di  Benedetto 
Aletino,  3  in-4°,  Lucques  (Naples,  1725).  Le  P.  de 
Benedictis  était  mort  depuis  1706,  ce  ne  fut  pas  lui  qui 
répondit,  mais  une  sentence  de  l'Index,  en  date  du 
23  septembre  1726,  inscrivant  les  Discussioni  et  les 
Risposte  parmi  les  ouvrages  condamnés  in  prima  classe. 
Grâce  aux  recommandations  du  futur  cardinal  Tam- 
burini  et  du  P.  Orsi,  maître  du  sacré  palais,  moyennant 
une  rétractation  signée  par  l'auteur,  le  30  avril  1736, 
les  livres  de  Grimaldi  furent  enlevés  de  la  première 
série,  tout  en  restant  prohibés.  Notre  auteur  avait  déjà 
subi  les  censures  romaines  pour  ses  Considerazioni  leolo- 
giche  fcdle  a  pro  delli  edilti  di  Sua  Maeslà  Catlolica  inlorno 
aile  rendile  ecclesiastiche,  divisées  en  deux  parties,  in-4°, 
Naples,  1707,  1708.  La  première  avait  été  condamnée 
avec  d'autres  ouvrages  sur  le  même  sujet,  par  un  bref 
de  Clément  XI,  du  17  février  1710,  mais  comme  la 
seconde  n'était  point  comprise  dans  la  sentence,  un 
nouveau  bref  du  24  mars  la  proscrivit  également.  Gri- 
maldi écrivit  encore  une  Disserlazione  in  cui  si  inves- 
tiga  quali  sono  le  operazioni  che  dipendono  dalla  magia 
diabolica,  e  quali  quelle  che  derivono  dalle  magie  artifi- 
ciale  e  nalurale,  qui  parut  après  sa  mort,  in-4°,  Rome, 

1751.  Il  laissait  aussi  de  nombreux  manuscrits  relatifs 
surtout  aux  questions  précédentes,  et  l'on  veut  qu'il 
soit  en  grande  partie  l'auteur  de  l'ouvrage  qui  porte  le 
nom  de  son  fils  Grégoire,  Istoria  délie  leggi  e  magistrati 
del  regno  di  Napoli,  4  in-4°,  Lucques  (Naples),  1732- 

1752.  En  bon  père  de  famille,  Grimaldi  voulait  ainsi 
assurer  une  place  à  son  fils  dans  la  république  des 
lettres. 

Mazzuchelli,  Vita  di  Costantino  Grimaldi,  opuscule  45  de 
la  Raccolla  du  P.  Ange  Calogera.Venise,  1728-1758;  Zaccaria, 
Storia  Ictteraria  d' Ilalia,  Venise,  1753,  t.  iv,  p.  176-185; 
Melzi,  Dizionario  di  opère  anonimee  pseudonime  di  scrittori 
iialiani,  Milan,  1848-1859. 

P.  Edouard  d'Alençon. 


GRISOT  Jean-Urbain,  théologien,  né  à  Chancey 
vers  1710,  mort  à  Besançon  le  13  avril  1772.  Entré  dans 
les  ordres,  il  fut  tout  d'abord  employé  au  ministère  pa- 
roissial. Très  estimé  par  son  archevêque,  Mgr  Antoine- 
Pierre  de  Grammont,  il  fut  choisi  pour  un  des  direc- 
teurs du  séminaire  de  Besançon  et  il  refusa  toujours 
toute  dignité  ecclésiastique.  On  a  de  lui  :  Lettre  à  un 
ministre  protestant  au  sujet  d'une  abjuration,  in-12,  Be- 
sançon, 1755;  Lettre  à  un  protestant  sur  la  cène  du  Sei- 
gneur, ou  la  divine  eucharistie,  in-12,  Besançon,  1767; 
Lettres  à  une  dame  sur  le  culte  que  les  catholiques  rendent 
à  Jésus-Christ  dans  l'eucharistie,  in-12,  Besançon,  1770; 
Histoire  de  la  vie  publique  de  Jésus-Christ  tirée  des 
quatre  évangélistes,  avec  des  réflexions  et  une  règle  de  vie 
pour  se  sanctifier  dans  le  clergé,  3  in-12,  Besançon,  1765; 
Histoire  de  la  sainte  jeunesse  de  Jésus-Christ,  tirée  de 
l'Évangile,  par  forme  d'entretiens,  2  in-12,  Besançon, 
1769;  Histoire  de  la  vie  souffrante  et  glorieuse  de  Jésus- 
Christ,  de  la  dernière  Pâque  jusqu'à  son  ascension  au 
ciel,  tirée  des  évangélistes,  2  in-12,  Besançon,  1770.  A  sa 
mort,  J.-U.  Grisot  laissait  des  Projets  de  prône  dont 
Mgr  Claude  Drouas  de  Broussey  forma  les  t.  m-v  des 
Instructions  sur  les  fondions  du  ministère  pastoral 
adressées  par  Mgr  l'évêque  de  Toul,  prince  du  Saint-Em- 
pire, au  clergé  séculier  et  régulier  de  son  diocèse,  5  in-12, 
Paris,  1773.  Ces  Projets  de  prône  furent  ensuite  publiés 
à  part  et  eurent  plusieurs  éditions;  nous  mentionne- 
rons celle  qui  parut  sous  le  titre  :  Projets  de  prônes  pour 
tous  les  dimanches  et  fêles  de  l'année,  connus  sous  le  nom 
d'Instructions  de  Toul.  Édition  mise  en  ordre  et  aug- 
mentée par  l'abbé  Breuillot,  4  in-12,  Besançon,  1819. 

Quérard,  La  France  littéraire,  t.  in,  p.  482  ;  Feller,  Diction- 
naire historique,  1848,  t.  iv,  p.  225;  E.  Martin,  Histoire  des 
diocèses  de  Toul,  de  Nancy  et  de  Saint-Dié,  Nancy,  1902,  t.  n, 
p.  563;  Hurter,  Nomenclator,  1912,  t.  v,  col.  58. 

B.  Heurtebtze. 

GROPPER  Jean  naquit  à  Soest,  en  Westphalie, 
le  24  février  1503.  Son  père  occupait  une  situation 
importante  dans  cette  ville.  Il  y  fut  même  bourg- 
mestre, et,  en  cette  qualité,  semble  s'être  opposé  à  la 
révolution  anabaptiste.  C'est  ce  qui  l'aurait  obligé 
plus  tard  à  quitter  Soest  pour  s'établir  à  Cologne. 
Il  avait  une  nombreuse  famille,  dont  quatre  fils,  qui 
se  distinguèrent  tous  comme  juristes  et  occupèrent 
des  situations  élevées  dans  l'Église.  Le  plus  jeune, 
Kaspar,  fut  auditeur  de  Rote  et  chargé  de  missions 
importantes  par  la  cour  de  Rome.  Cf.  E.  Schwarz, 
Die  Nunlialurkorrespondenz  Kaspar  Groppers,  1898. 
Mais  Jean,  l'aîné,  reste  de  tous  le  plus  célèbre. 
Dès  l'âge  de  quatorze  ans,  il  entrait  à  l'université 
de  Cologne  pour  y  étudier  la  jurisprudence.  Plus 
tard  seulement  il  s'adonna  à  l'étude  de  la  théo- 
logie, et,  suivant  ses  propres  paroles,  «  de  façon 
toute  privée  et  sans  maître  ».  Mais  déjà  ses  succès 
d'école  l'avaient  mis  en  relief.  Le  7  novembre  1525, 
il  conquérait  le  grade  de  docteur  en  droit  civil.  11 
resta  toujours  très  attaché  à  la  faculté  de  droit  de 
l'université,  et  plus  tard,  malgré  ses  occupations  et 
ses  dignités,  il  y  faisait  encore  des  cours. 

Les  honneurs  venaient  rapidement  s'accumuler  sur 
ses  épaules.  En  1525,  il  était  officiai  du  prévôt  du 
chapitre,  en  1526,  grand  chancelier  de  l'archevêché, 
en  1527,  écolâtre  de  Saint-Géréon  de  Cologne,  en  1532, 
chanoine  et  en  1533,  écolâtre  de  Xanten,  en  1543, 
doyen  du  chapitre  tout  à  la  fois  à  Xanten  et  à  Soest. 
Il  usait  d'ailleurs  de  tous  ces  titres  et  de  tous  ces 
bénéfices  pour  le  plus  grand  bien  de  l'Église  et  des 
âmes.  Dès  ce  moment,  en  effet,  il  s'occupait  activement 
de  la  réorganisation  de  l'archidiocèse  de  Cologne. 
Hermann  V  de  Wied,  qui  occupait  le  siège,  était  un 
homme  sans  caractère  et  accessible  à  toutes  les 
influences.  Gropper  en  profita  tout  d'abord.  Il  com- 
posait en   1528  un  plan  de  réforme  de  la  province 


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électorale,  basé  sur  l'accord  de  la  loi  civile  et  des 
règles  canoniques.  Il  y  déterminait  exactement  les 
juridictions,  de  façon  à  éviter  les  conflits  qui  étaient 
tout  à  la  fois  occasion  de  luttes  personnelles  et  de 
scandale.  Ce  projet  fut  publié  l'année  suivante  sous 
le  titre  :  Jurisdictionis  ecclesiasticœ  archiepiscopalis 
curiœ  Coloniensis  reformatio,  Cologne,  1529.  En  1530, 
il  prenait  un  premier  contact  immédiat  avec  la 
Réforme  protestante.  Il  accompagnait  son  archevêque 
à  la  diète  d'Augsbourg.  C'est  là  qu'il  noua  des  relations 
assez  intimes  avec  Mélanchthon.  Il  allait  d'ailleurs 
avoir  affaire  directement  avec  la  poussée  protestante 
qui  essayait  de  pénétrer  dans  les  provinces  rhénanes. 

Elle  se  faisait  jour  dès  lors  à  Soest.  Et  c'est  là 
l'origine,  dans  la  vie  de  Gropper,  d'un  curieux  pro- 
blème d'histoire  littéraire.  A  partir  de  1533  paraît 
toute  une  série  de  publications  satiriques,  qui  ridi- 
culisent vivement  les  tentatives  des  réformateurs  sur 
Soest.  Elles  sont  signées  du  nom,  qui  est  évidemment 
un  pseudonyme,  de  Daniel  de  Soest.  Les  principales 
sont  la  Confession  des  prêdicants  de  Soest  (1534),  le 
Dialogue  sur  le  début  d'Isaïe  (1537),  enfin,  en  1538, 
Y Apologetikon.  Ces  ouvrages,  écrits  en  bas-allemand, 
sont  certainement  l'œuvre  d'un  homme  qui  connaissait 
très  bien  Soest  et  sa  situation  intérieure.  D'autre  part,  il 
habitait  Cologne.  En  effet,  le  conseil  de  Soest  s'adressa 
au  conseil  de  cette  dernière  ville  pour  avoir  le  nom  de 
l'auteur.  Il  obtint,  du  reste,  une  réponse  évasive. 
Or,  d'après  Jostes,  dont  les  conclusions  sont  acceptées 
par  van  Gulik,  le  mystérieux  Daniel  ne  serait  autre 
que  Gropper  lui-même.  Pour  des  raisons  purement 
philologiques,  qui  d'ailleurs  sont  loin  d'être  décisives, 
cette  conjecture  fut  rejetée  par  Edouard  Schrôder, 
dans  la  Deutsche  Lilteraturzcilung,  7  juillet  1888,  et 
par  Seelmann,  Littcraiurblall  fur  germ.  und  rom.  Philo- 
logie, t.  xi,  p.  178.  Pourtant,  les  derniers  travaux 
de  Schmitz-Kallenberg,  qui  démontrent  les  relations 
étroites  que  Gropper  garda  toute  sa  vie  avec  sa  ville 
natale,  tendraient  à  confirmer  l'hypothèse  de  Jostes. 
Le  chancelier  de  Cologne  y  intervient  dans  des  ques- 
tions de  discipline  intérieure  et  d'enseignement. 
Il  reste  en  correspondance  avec  les  prêtres  catholiques 
de  la  ville  auxquels  il  donne  des  conseils.  Il  obtient 
même  la  réintégration  du  gardien  des  frères  mineurs 
qui  avait  été  expulsé.  Une  pareille  influence  répond 
bien  aux  données  du  problème  que  pose  Daniel 
de  Soest. 

A  la  suite  de  la  diète  d'Augsbourg,  Hermann  de  Wied 
s'était  décidé  à  réformer  son  diocèse.  Le  meilleur 
moyen  lui  parut  être  la  réunion  d'un  synode,  qui 
se  tint  effectivement  à  Cologne  du  6  au  10  mars  1536. 
Mais  le  concile  avait  été  précédé  de  travaux  importants 
dus  pour  la  plus  grande  part  à  Gropper.  C'était  d'abord 
un  projet  de  statuts  concernant  l'abus  de  l'excommu- 
nication dans  les  affaires  civiles,  l'âge  trop  tendre  de 
certains  bénéficiers,  l'uniformité  des  rites  et  du  missel 
dans  toute  l'étendue  de  l'archidiocèse,  les  règles  des 
prédicateurs  d'indulgences,  la  limitation  du  nombre 
des  processions  du  saint-sacrement,  et  la  fixation  à 
25  ans  de  l'âge  des  vœux  solennels.  Toutes  ces  règles, 
admises  par  le  concile,  se  heurtèrent  dans  l'application 
au  mauvais  vouloir  des  princes  temporels,  en  particulier 
du  duc  de  Clèves.  Aussi  ne  publia-t-on  immédiate- 
ment que  la  formule  de  la  visite  diocésaine  avec  un 
résumé  des  canons,  sous  le  titre  :  Formula  ad  quam 
visilalio  inlra  diœcesim  Coloniensem  exigelur,  Cologne, 
1536.  Deux  ans  après  seulement  parut  l'œuvre  com- 
plète du  synode  sous  le  titre  :  Canones  concilii  provin- 
cialis  Coloniensis,  Cologne,  1538. 

Mais  ce  volume  renferme  autre  chose  que  les  canons 
de  Cologne.  Il  se  complète  par  un  travail  qui  est  entiè- 
rement de  la  main  de  Gropper  et  qui  forme  la  pre- 
mière de  ses  œuvres  théologiques.  Le  chancelier  d' Her- 


mann de  Wied  avait  voulu  tracer  un  exposé  complet  de 
la  foi  catholique,  dans  lequel  il  prenait  position  au  sujet 
des  questions  controversées.  Il  lui  avait  donné  le  titre 
de  Enchiridion  chrislianse  inslitulionis.  On  y  trouve  une 
explication  du  symbole  des  apôtres,  de  la  doctrine  des 
sept  sacrements,  de  l'oraison  dominicale  et  du  déca- 
logue.  L'ouvrage,  dès  son  apparition,  provoqua  les 
éloges  des  plus  célèbres  théologiens  catholiques  de 
l'époque.  Pourtant  le  point  de  vue  de  Gropper  est  très 
particulier.  L' Enchiridion  est,  en  effet,  le  programme  du 
parti  des  «  expectants  »  qui  cherchait  une  conciliation 
doctrinale  entre  protestants  et  catholiques.  Le  point 
délicat,  origine  du  reste  de  toutes  les  autres  divergences, 
était  la  question  de  la  justification.  S'inspirant  de  la 
doctrine  du  théologien  de  Louvain,  Albert  Pigghe 
(Albertus  Pighius),  Gropper  distinguait  une  double 
cause  formelle  de  notre  justification,  d'abord  la  justice 
imputée,  comme  effet  de  la  foi  spéciale,  puis  la  justice 
inhérente,  qui,  toujours  insuffisante,  ne  pourrait  à  elle 
seule  opérer  la  justification.  Grâce  à  cette  distinction, 
on  pouvait,  pensait-il,  interpréter  dans  un  sens  catho- 
lique la  théorie  protestante  de  la  sola  fides.  En  même 
temps,  Gropper  continuait  ses  travaux  de  réforme 
intérieure  dans  l'archidiocèse.  A  cette  fin,  il  publiait 
cette  même  année  son  ouvrage  allemand  :  Des  Erz- 
stiffts  Côllen  Reformation  der  welllicher  Gericht,  Rechts 
und  Pollizeij.  Cet  essai  traitait  surtout  des  tribunaux 
civils.  Mais  il  touchait  aussi  par  bien  des  points  à 
l'organisation  religieuse.  Aussi  Gropper  y  reprenait-il 
différentes  ordonnances  qu'il  avait  déjà  établies  dans 
sa  Reformatio  de  1529. 

Une  semblable  activité  avait  fait  avantageusement 
connaître  le  chancelier  de  Cologne.  Charles-Quint 
résolut  alors  de  l'employer  pour  une  œuvre  qui 
répondait  du  reste  aux  idées  et  au  caractère  de  Gropper. 
L'empereur  espérait  toujours  terminer  les  contro- 
verses et  les  luttes  religieuses  par  la  voie  pacifique 
des  discussions  entre  théologiens  catholiques  et  théo- 
logiens protestants.  A  cette  fin,  il  provoquait,  en  1540, 
les  colloques  de  Haguenau  et  de  Worms.  Gropper  y  fut 
appelé  et  prit  une  part  considérable  aux  essais  de 
conciliation,  qui,  du  reste,  n'aboutirent  pas.  Charles- 
Quint  ne  perdait  point  ses  illusions.  L'année  suivante, 
la  diète  de  Ratisbonne  lui  fut  une  occasion  de  renou- 
veler la  tentative.  II  y  appela,  du  côté  catholique, 
Gropper,  son  ami  Julius  Pflug,  évêque  de  Naumbourg, 
et  Jean  Eck;  du  côté  protestant,  Mélanchthon, 
Rucer  et  Pistorius.  Les  discussions  furent  présidées 
par  le  palatin  Frédéric  et  par  l'évêque  Granvelle.  Les 
cardinaux  Contarini  et  Morone,  favorables  aux  idées 
de  Gropper,  y  assistaient.  L'empereur  fit  soumettre 
aux  théologiens  un  projet  d'union  dont  on  ne  connaît 
pas  bien  l'origine.  Cf.  L.  Cardauns,  Zur  Geschichte  der 
kirchlichen  Unions  und  Reformbeslrebungen  von  153$ 
bis  1542,  p.  16  sq.  Après  de  longues  discussions,  sortit 
de  la  collaboration  de  Gropper  avec  Rucer  la  formule 
de  concorde  connue  sous  le  nom  d'Intérim  de  Ratis- 
bonne. Elle  traitait  en  vingt-trois  articles  toutes  les 
matières  controversées.  Pour  la  doctrine  de  la  justifi- 
cation en  particulier,  elle  poussait  à  l'extrême  la  com- 
plaisance vis-à-vis  des  théories  protestantes.  L'ori- 
ginal latin  en  a  été  publié  pour  la  première  fois  par 
Eieck,  Dasdreyfache  Intérim,  Leipzig,  1721. 

Au  moment  même  où  Gropper  pensait  être  arrivé 
à  une  formule  satisfaisante  pour  les  deux  partis,  son 
œuvre  était  attaquée  des  deux  côtés  à  la  fois.  Mélanch- 
thon déclarait  ne  pouvoir  accepter  ni  la  double  justice, 
ni  la  définition  de  la  foi  qui  faisaient  le  fond  de  la 
théologie  des  expectants.  De  son  côté,  Jean  Eck  com- 
battait l'une  et  l'autre  dans  son  ResponsumD.  Joannis 
Eckii  thcologi  contra  librum  Cœsareanum,  publié  par 
Quirini,  Epislolœ  Reginaldi  Poli,  Rrixen,  1748,  t.  m, 
p.   xliii   sq.   Les   auteurs   de   Y  Intérim  voulurent  le 


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défendre  et  dans  ce  but  écrivirent  leur  Contra 
reprehensionem  J .  Eccii  th.  d.  defensio  libri,  quem 
imperaior  nosler  de  religione  colloqucntibus  Ralisbonas 
exhibait.  Mais  tout  ce  travail  resta  vain,  et  la  diète 
se  sépara  en  remettant  la  solution  des  controverses 
religieuses  à  un  concile  national  ou  général.  C'était 
l'échec    pratique    de    la    théologie    des    expectants. 

D'autres  difficultés  attendaient  Gropper.  Hermann 
de  Wied,  qui  n'avait  jamais  été  bien  ferme,  sous 
prétexte  de  conciliation,  penchait  de  plus  en  plus  du 
côté  de  la  Réforme.  Il  avait  appelé  auprès  de  lui 
Bucer,  dont  il  suivait  les  conseils.  Le  chancelier  de 
Cologne  se  prêta  un  certain  temps  à  ces  compromis. 
Il  restait  en  correspondance  avec  le  réformateur 
strasbourgeois,  lui  communiquait  des  plans,  l'exhor- 
tait à  la  modération.  La  correspondance  se  transforme 
même  en  colloques  particuliers.  Mais  bientôt  Gropper 
aperçoit  le  danger.  Dès  1542,  il  présente  à  l'archevêque 
une  supplique  de  l'université  et  du  clergé  lui  deman- 
dant d'éloigner  Bucer.  Il  prend  la  tête  du  parti 
catholique,  obtient  l'exclusion  d'Oldendorp,  professeur 
de  droit,  partisan  des  nouvelles  doctrines,  poursuit 
dans  le  clergé  les  partisans  de  la  communion  sub 
utraque,  combat  le  projet  de  réforme  que  l'archevêque 
avait  reçu  de  Mélanchthon  et  de  Bucer  et  presse  I 
Charles-Quint  d'intervenir  en  personne.  Celui-ci  oblige  | 
Hermann  à  se  séparer  de  ses  conseillers.  Mais  l'arche-  | 
vêque  n'en  publie  pas  moins  son  ordonnance  sous  le  j 
titre  :  Eun  chrisllich  Bedcncken  eincr  chrisllichen  j 
Rejormalion  (fin  1543).  Le  chapitre  et  l'université 
chargent  une  commission,  dont  Gropper  est  l'âme,  de 
réfuter  cette  ordonnance.  Le  résultat  de  ses  travaux 
fut  le  Christliche  und  Calholische  gegenberichtung  eins 
ehrwirdigen  Dhomkapitcls  zu  Collen  wider  das  buch  der 
genanntcr  Rejormation.  Une  traduction  latine,  due 
à  Everhard  Billick,  parut  presque  en  même  temps, 
sous  le  titre  :  Antididagma  (1544).  L'auteur  principal, 
sinon  unique,  de  ce  travail  est  Gropper.  On  y  retrouve 
partout  son  esprit  conciliateur  et  aussi  sa  doctrine 
de  la  justification. 

L'ouvrage  fut,  en  général,  favorablement  reçu.  Mais, 
le  9  juillet  1544,  l'université  de  Louvain,  dans  une 
lettre  à  l'université  de  Cologne,  y  signalait  quatre 
points  qu'elle  considérait  comme  équivoques  et 
dangereux.  Tous  se  rapportent  à  la  doctrinejde  la 
double  justice.  Gropper.  pour  se  défendre,  composa 
un  mémoire  intitulé:  Articuli  Antididagmatis  nolati 
per  theologos  Lovanienses.  Il  cherchait  à  démontrer 
l'accord  de  sa  doctrine  de  la  justification  avec  les  textes 
des  anciens  Pères  et  des  théologiens  récents.  Il  invo- 
quait surtout  Albert  Pigghe  et,  à  tort  du  reste,  le 
théologien  français  Jean  de  Gaigni.  Il  prétendait  même 
que  sa  doctrine  ne  différait  pas  au  fond  de  celle  des 
maîtres  de  Louvain.  Son  zèle  de  conciliation  l'abusait 
certainement  sur  ce  point.  Cette  réponse  était  assez 
vive  à  l'endroit  de  ses  adversaires.  Aussi,  l'université 
de  Cologne,  à  qui  elle  fut  soumise,  jugea  préférable 
de  répondre  elle-même  sur  un  ton  plus  modéré.  C'est 
ce  qu'elle  fit  dans  une  lettre  du  24  juillet  1544.  Elle  y 
reprenait  tous  les  arguments  de  Gropper  dont  elle 
louait  l'œuvre  et  le  caractère. 

Mais  la  doctrine  de  Gropper  n'en  était  pas  moins, 
dès    1546,    formellement    abandonnée    par    les    théo- 
logiens   catholiques    qui    prirent    part    au    nouveau 
colloque  de  Ratisbonne.  Elle  allait  recevoir  le  coup 
de   grâce   au    concile   de   Trente.    Après    de   longues 
discussions  et  malgré  l'appui  de  Seripando,  les  Pères,    j 
à  la  majorité  de  trente-cinq  contre  cinq,  rejetèrent   ! 
la  thèse  de  la  double  justification.  Elle  fut  donc  for-   ! 
mellement    condamnée    dans    le    décret    du    13    jan-   i 
vier  1547  :  Demum   UKIC  I   jormalis  causa    (justifica-   , 
lionis)  est  jusiilia  Dei   :   non  qua  ipse  juslus  est,  scd 
qua  nos  juslos  facii.  Sess.  vi,  c.  vu.  Gropper  se  soumit 


complètement,  mais  non  sans  regrets,  à  la  décision 
du  concile. 

Il  était  obligé  de  se  défendre  encore  d'un  autre  côté. 
Bucer  venait,  en  effet,  de  publier  un  compte  rendu 
tendancieux  du  colloque  de  Ratisbonne.  Il  y  ajoutait 
un  pamphlet  dirigé  spécialement  contre  Gropper  sous 
le  titre  :  Eijn  Cliristlich  ongeferlich  bedencken,  wie 
ein  leidlicher  Anfang  chrisllicher  Vergleichung  in  der 
Religion  zu  machen  seyn  môchte.  Bucer  mettait  en 
cause  l'empereur  et  la  diète.  Gropper  répondit  par: 
Wahrhaftige  Antwort  und  Gegenberichtung  II.  G  Grop- 
per ujj  M.  Buceri  freventliche  Clage  und  angeben, 
Cologne,  1545.  L'ouvrage  était  dédié  a  l'empereur  lui- 
même,  et  l'auteur,  pour  sa  justification,  l'adressait 
à  la  diète  de  Worms.  En  même  temps  il  défendait 
pratiquement  le  catholicisme  dans  le  diocèse  de  Co- 
logne. Hermann  de  Wied  favorisait  de  plus  en 
plus  les  prédicants  luthériens.  Gropper,  à  la  tête  des 
catholiques,  en  appela  d'abord  à  l'empereur.  Celui-ci 
n'obtint  aucun  résultat.  Alors  Gropper  s'adressa  au 
pape.  Une  première  bulle  de  Paul  III  (2  janvier  1546) 
prononça  d'abord  la  suspension  contre  l'archevêque. 
Une  seconde  bulle  du  16  avril  l'excommuniait.  Charles- 
Quint  se  prononça  dès  lors  nettement  et  menaça 
Hermann  de  peine  de  corps.  Celui-ci  résigna  le  25  fé- 
vrier 1547.  Son  coadjuteur,  Adolf  de  Schauenbourg, 
fut  nommé  à  sa  place.  Gropper  ne  fut  pas  étranger  à 
cette  nomination,  puisqu'il  envoyait  à  Rome,  le 
27  juillet  1546,  un  mémoire  dans  lequel  il  défendait  la 
pureté  de  la  foi  du  coadjuteur. 

Toutes  ces  luttes  avaient  désorganisé  la  vie  reli- 
gieuse dans  le  diocèse.  Le  chancelier  de  Cologne 
entreprit  de  la  restaurer.  Comme  écolàtre  de  Saint- 
Géréon,  il  publia  tout  d'abord  un  catéchisme  sous  le 
titre  :  Capita  instilutionis  ad  pietatem,  Cologne,  1546. 
Cet  ouvrage  était  destiné  à  la  jeunesse  des  écoles. 
La  question  tout  à  la  fois  dogmatique  et  discipli- 
naire qui  avait  divisé  le  diocèse  était  surtout  celle 
de  l'eucharistie  et  de  la  sainte  communion.  Contre 
les  tendances  luthériennes  et  utraquistes  introduites 
avec  la  connivence  de  Hermann  de  Wied,  Gropper 
protestait  dans  son  ouvrage  allemand  :  Vonn  wanr, 
wesentlicher  und  pleibender  gcgenwertigkeit  des  Leybs 
und  Bluls  Christi  nach  beschener  Consekralion,  Cologne, 
1548.  L'année  suivante,  il  donnait  un  Libellus  piarum 
precum,  manuel  de  piété  destiné  aux  élèves  de  Saint- 
Géréon.  En  1550,  il  élargissait  le  plan  de  son  caté- 
chisme et  en  faisait  un  exposé  complet  de  la  doctrine 
chrétienne  destiné  surtout  au  clergé.  C'est  VInstitutio 
calholica,  elementa  christianœ  pietalis  succincta  brevi- 
tate  complectcns,  Cologne,  1550.  qui  eut  un  grand 
succès  et  fut,  quelques  années  plus  tard,  traduite  en 
français.  Il  y  ajoutait  une  instruction  pratique  sur  la 
dispensation  des  sacrements  :  Wie  bey  haltung  und 
reichung  der  heiligen  Sakramenten.  .  die  Priester  das 
Volk  und  errichten  môgcn,  Cologne,  1550.  Et  enfin, 
toujours  pour  l'élévation  intellectuelle  et  morale  du 
clergé,  une  Formula  examinandi  designatos  seu  prsesen- 
latos  ad  ecclesias  parochiales,  Cologne,  1550. 

Charles-Quint  n'avait  pas  abandonné  ses  projets 
de  conciliation  religieuse.  Comme  les  colloques  ne 
réussissaient  pas,  il  se  décida  à  publier  une  formule  de 
foi  et  de  discipline  qu'il  voulait  promulguer  comme 
loi  d'empire.  Ce  fut  le  célèbre  Intérim  d'Augsbourg. 
Il  avait  consulté  les  théologiens  catholiques,  Pflug 
et  Gropper  en  particulier.  C'est  très  probablement  le 
projet  de  ce  dernier  qui  s'est  conservé  manuscrit  à  la 
bibliothèque  de  Zeitz.  Il  l'avait  communiqué  à  Pflug 
qui  l'inséra  mot  pour  mot  dans  son  travail,  dont 
l'Intérim    de    1548    n'est    qu'un    léger   remaniement. 

Le  concile  de  Trente  s'était  de  nouveau  réuni  le 
1er  mai  1551.  L'archevêque  de  Cologne  y  partait 
en  septembre.   Il  emmenait  Gropper  avec   lui.  Celui-ci 


1885 


GROPPER     —    GROSSETESTE 


1886 


prit  une  part  importante  aux  délibérations  de  la 
commission  qui  préparait  la  xiv8  session.  Le  25  oc- 
tobre, il  y  traita,  dans  un  discours  de  quatre  heures, 
la  doctrine  de  la  pénitence,  dont  il  défendit  le  carac- 
tère sacramentel  contre  Luther  et  Bucer.  Le  14  dé- 
cembre, il  dressait,  avec  son  ami  Everhard  Billick, 
une  liste  de  seize  propositions  hérétiques  sur  le  sacri- 
fice de  la  messe  et  le  sacrement  de  l'ordre.  Le  jour  de 
l'Epiphanie  1552,  il  prononçait  le  discours  solennel 
en  face  des  Pères  assemblés.  Ce  discours  fut  imprimé 
la  même  année  à  Cologne.  Mais  les  temps  devenaient 
difficiles  pour  le  concile.  Adolf  de  Schauenbourg 
quittait  Trente  en  mars.  Il  est  probable  que  Gropper 
revint  immédiatement   avec  lui. 

Les  éminents  services  qu'il  avait  rendus  à  la  cause 
catholique  avaient  été  reconnus  à  Rome.  Paul  IV, 
au  consistoire  du  18  décembre  1555,  lui  conféra  la 
pourpre  cardinalice,  avec  le  titre  de  Sainte-Lucie 
in  Silice.  Malgré  toutes  les  instances  du  pape,  Gropper 
refusa  d'abord  cet  honneur.  Il  fit  valoir  des  raisons 
de  santé  qui  lui  rendaient  impossibles  le  voyage  et  le 
séjour  à  Rome.  Il  continuait,  du  reste,  à  Cologne  son 
œuvre  de  restauration  catholique.  Le  roi  des  Romains, 
Ferdinand,  l'ayant  sollicité  de  prendre  part  au  colloque 
de  Worms  (septembre  1557),  il  refusa.  Une  affaire  plus 
importante  allait  l'amener  à  Rome  même,  où  il  avait 
cru  ne  pouvoir  jamais  venir.  Adolf  de  Schauenbourg 
était  mort  le  20  septembre  1556.  Son  frère  Antoine, 
qui  lui  succéda  sur  le  siège  de  Cologne,  ne  régna  pas 
même  deux  ans  (18  juin  1558).  Le  chapitre  élut  alors 
le  comte  Gebhard  de  Mansfeld,  dont  l'orthodoxie 
était  plus  que  douteuse.  Aussi  Gropper  prit-il  immédia- 
tement le  chemin  de  Rome,  pour  empêcher  la  confir- 
mation de  cette  élection.  Ses  adversaires,  pour  parer 
le  coup,  le  dénoncèrent  à  l'Inquisition,  à  propos  de  sa 
doctrine  sur  la  justification  et  de  quelques  phrases 
peu  précises  sur  la  primauté  de  saint  Pierre.  A  peine 
arrivé,  Gropper  dut  composer  un  mémoire  justificatif. 
Mais  les  cardinaux  et  Paul  IV  lui-même,  si  sévère 
pourtant  sur  les  questions  de  doctrine,  ne  semblent 
pas  avoir  pris  l'affaire  au  sérieux.  Sa  justification  fut 
pleinement  acceptée  Le  pape  le  consulta  sur  les  affai- 
res religieuses  d'Allemagne.  Gropper  lui  soumit  un 
mémorandum  dans  lequel  il  préconisait  le  concile 
général  comme  seul  moyen  d'arriver  à  l'union.  Mais 
toutes  ces  intrigues  et  le  surcroît  des  affaires  dont  il 
s'était  chargé  l'avaient  épuisé.  Il  mourut  à  Rome 
le  13  mars  1559.  Le  pape  lui-même  voulut  prononcer 
son  oraison  funèbre  au  service  qui  eut  lieu  à  Santa 
Maria  del  Anima. 

Liessem,  Johann  Groppers  Leben,  Cologne,  1876;  K.  Var- 
rentrapp,  Hermann  von  Wied,  Leipzig,  1878;  L.  Pastor, 
Die  kirelilichen  Reunionsbestrebungen  wàlirend  der  Regie- 
rung  Karls  V,  Fribourg,  1879;  F.  Jostes,  Daniel  von  Soest, 
Paderborn,  1888;  E.  Schwarz,  Hislorisches  Jahrbuch, 
t.  vu  (1886),  p.  392-423;  t.  xvm  (1897),  p.  821  sq.;  van 
Gulik,  Johannes  Gropper,  Fribourg,  1906;  Hefner,  Die 
Enstehungsgeschichte  des  Trienter  Rechtfertigungsdekrets, 
Paderborn,  1909;  L.  Cardauns,  Zur  Geschichte  der  kirelilichen 
Unions  und  Reformbeslrcbungen  von  153S  bis  1542,  Rome, 
1910;  L.  Schmitz-Kallenberg  et  W.  Kohler,  dans  Brief- 
mappe,  Paderborn,  1911,  p.  120-141,  244-247;  St.  Elises, 
Romische  Quartalscliri/t,  t.  xx,  p.  175  sq. 

A.    HUMBERT. 

GROSSETESTE  Robert,  théologien  anglais,  naquit 
vers  1175  à  Stradbrook,  dans  le  comté  de  Sutîolk,  de 
1  arents  très  pauvres.  Il  reçut  l'instruction  élémentaire 
dans  une  école  de  Lincoln,  puis  il  fut  envoyé  à  Oxford 
où  il  étudia  non  seulement  la  théologie,  mais  encore  la 
jurisprudence  et  la  médecine,  comme  en  fait  foi  une 
lettre  par  laquelle  Giraud  de  Barri  le  recommandait  à 
Guillaume  de  Vere,  évêque  de  Hereford,  avant  1199. 
On  dit  couramment  qu'il  étudia  ensuite  à  Paris,  mais 
aucun  auteur  contemporain  ne  mentionne  ce  fait;  quoi 


qu'il  en  soit,  dans  les  premières  années  du  xme  siècle 
nous  le  trouvons  à  Oxford,  avec  le  titre  de  recteur  des 
écoles,  qui  fut  ensuite  changé  en  celui  de  chancelier. 
En  1224,  sur  la  demande  d'Agnello  de  Pise,  provincial 
des  frères  mineurs,  il  ouvrit  ses  cours  publics  dans  la 
maison  que  ces  religieux  venaient  d'établir  à  Oxford, 
et  y  enseigna  jusqu'au  moment  de  sa  promotion  à 
l'épiscopat  en  1235.  Il  exerça  pendant  ce  temps  diffé- 
rentes charges  importantes  du  ministère  pastoral,  et 
à  la  mort  d'Hugues  de  Wells,  évêque  de  Lincoln,  il  fut 
élu  par  le  chapitre  pour  lui  succéder.  Le  diocèse  de 
Lincoln,  qui  était  alors  le  plus  grand  d'Angleterre  et 
s'étendait  sur  neuf  comtés,  offrait  un  champ  considé- 
rable à  l'activité  réformatrice  du  nouvel  évêque.  Gros- 
seteste  ne  recula  pas  devant  la  tâche,  et  il  se  mit  incon- 
tinent en  devoir  de  commencer  la  visite  de  son  trou- 
peau. Il  se  trouva  en  face  de  difficultés  qui  firent  de 
son  ôpiscopat  une  lutte  continuelle.  Son  chapitre  tout 
d'abord  prétendait  n'être  pas  soumis  à  la  visite  épis- 
copale;  il  ne  put  en  venir  à  bout  qu'après  une  dispute 
de  six  ans,  et  il  fallut  l'intervention  du  pape  pour  tran- 
cher la  question  en  faveur  de  l'évêque.  Il  eut  aussi  des 
démêlés  avec  les  monastères,  qui  possédaient  dans  son 
diocèse  beaucoup  de  bénéfices,  et  qui,  paraît-il,  étaient 
loin  de  pourvoir  comme  ils  l'auraient  dû  aux  nécessités 
spirituelles  du  peuple;  il  travailla  pendant  tout  son 
épiscopat  pour  les  forcer  à  établir  et  à  payer  dans 
chaque  paroisse  un  vicaire  résident.  Il  réussit  en  partie, 
mais  les  moyens  qu'il  employa  pour  arriver  à  ses  fins 
furent  si  violents  que  Matthieu  Paris  l'appelle  un  per- 
sécuteur des  moines. 

Mais  ce  qui  a  rendu  Grossetcste  très  populaire  auprès 
des  écrivains  anglais  protestants,  ce  sont  ses  démêlés 
avec  le  Saint-Siège;  on  a  même  été  jusqu'à  faire  de  lui 
un  précurseur  delà  Réformation.  Ceci  est  faux;  l'évê- 
que de  Lincoln  a  toujours  reconnu  la  primauté  du  pape 
et  son  droit  de  commander  à  l'Église  entière;  il  pro- 
clame sa  croyance  maintes  et  maintes  fois  dans  ses 
lettres,  il  engage  le  roi  à  se  soumettre  à  celui  qui,  dit-il, 
est  son  père  et  sa  mère;  il  sait  bien  aussi  avoir  recours 
au  souverain  pontife  dans  ses  difficultés  soit  avec  son 
chapitre,  soit  avec  les  monastères,  soit  avec  le  roi.  Il 
n'a  résisté  au  pape  que  sur  un  point  :  il  refusait  de 
conférer  des  bénéfices  à  des  Italiens  qui  étaient  inca- 
pables de  les  desservir,  parce  qu'ils  ne  parlaient  pas 
anglais,  et  qui  souvent  ne  mettaient  même  pas  le  pied 
en  Angleterre.  Il  réclamait  aussi  contre  le  nombre 
excessif  de  bénéfices  ainsi  donné  à  des  étrangers,  ce  qui 
appauvrissait  considérablement  l'Église  d'Angleterre. 
Il  a  parfois  parlé  durement,  surtout  dans  une  lettre 
célèbre  qu'il  écrivit,  a-t-on  dit,  à  Innocent  IV,  mais  qui 
était  adressée  à  un  secrétaire  du  pape  qui  portait  aussi 
le  nom  d'Innocent;  mais  même  dans  cette  lettre  il  pro- 
teste de  sa  soumission  au  pape,  qui  est  dans  la  hiérar- 
chie ecclésiastique  le  type  et  le  représentant  du  Christ, 
et  il  trouve  une  formule  curieuse  pour  concilier  sa  résis- 
tance avec  son  respect  pour  l'autorité  pontificale.  «  C'est 
par  obéissance,  dit-il,  que  ie  désobéis,  que  je  proteste 
que  je  me  révolte.  » 

Il  favorisa  beaucoup  les  ordres  mendiants, qui  étaient 
alors  dans  toute  la  ferveur  de  leur  institution  primitive, 
Nous  l'avons  vu  enseigner  à  Oxford  dans  l'école  des 
franciscains,  qui  furent  toujours  ses  préférés,  et  parmi 
lesquels  il  trouva  son  plus  intime  ami,  Adam  Marsh  (de 
Marisco),  voir  1. 1,  col.  387  ;  mais  il  aimait  aussi  les  domi- 
nicains, et  ce  fut  l'un  d'entre  eux,  Jean  de  Saint-Giles, 
qui  l'assista  au  moment  de  sa  mort,  en  qualité  de 
médecin  aussi  bien  que  de  théologien.  Il  mourut  en 
1253.  Plusieurs  tentatives  furent  faites  pour  obtenir  sa 
canonisation,  mais  sans  succès. 

La  liste  de  ses  ouvrages  donnée  par  Pegge,  un  de  ses 
biographes,  remplit  vingt-cinq  pages  in-4°;  la  plupart 
sont  encore  en  manuscrit.  Il  avait  une  science  enev- 


1^7 


GROSSETESTE    —    GROU 


1888 


clopédique,  et  écrivit  sur  toutes  sortes  de  sujets:  théo- 
logie, surtout  pratique,  philosophie,  sciences  naturelles, 
astronomie,  géométrie,  arithmétique,  médecine,  musi- 
que, politique;  son  dessein  était  de  mettre  toutes  ces 
sciences  au  service  de  la  théologie;  outre  le  latin,  il 
savait  le  grec  et  l'hébreu;  il  fit  de  larges  extraits  des 
gloses  hébraïques,  et  traduisit  de  nombreux  textes 
grecs.  Voici  les  textes  de  quelques-uns  de  ses  principaux 
ouvrages  qui  ont  été  imprimés.  La  collection  de  ses 
lettres  a  été  publiée,  en  1861,  par  H.  R.  Luard  dans 
Rolls  séries,  Londres.  Commentarius  in  Dyonisii  Areo- 
pagitœ  librum  de  Myslica  theologia,  Strasbourg,  1502; 
Commenlarius  in  libros  Posleriorum  Aristotelis,  Venise, 
1494,  et  bien  des  fois  depuis;  Compendium  sphœrœ 
mundi,  avec  d'autres  opuscules  sur  les  sciences,  Venise, 
1508  et  1514;  Libellus  de  Phisicis  unus,  Nuremberg, 
1503;  Commentarius  in  libros  Physicos  Arislolelis, 
Venise,  1506;  De  doclrina  cordis  et  spéculum  concio- 
natorum,  Naples,  1607;  Teslamenla  XII  patriarcharum, 
1520,  Haguenau,  1532,  et  souvent  depuis,  fut  en  partie 
traduit  en  français,  1555;  un  fragment  du  De  cessa- 
tione  legalium  parut  à  Londres,  en  1658.  Ses  ouvrages 
philosophiques  ont  été  publiés  par  L.  Baur,  Des  Robert 
Grosseleste,  Bischof  von  Lincoln,  philosophische  Werke 
zum  erstenmal  vollstandig  besorgt,  2  in-8°,  Munster, 
1912. 

On  trouvera  des  articles  sur  Grosseteste  dans  les  diction- 
naires et  encyclopédies.  Pour  sa  vie,  voir  Matthieu  Paris  et 
les  chroniqueurs  contemporains;  Luard,  Roberti  Grosseteste 
episcopiquondamLincolniensisepistola',  Rolls  séries,  Londres, 
1861,  avec  une  excellente  préface;  Brewcr,  A  dde  M  ar  iscoepi- 
stohr, dans  les  Monumentafranciscana,même  collection, Lon- 
dres, 1858;  Pegge,  Life  of  Robert  Grosseteste,  Londres,  1793  ; 
Perry,  Lije  and  tintes  o/  bishop  Grosseteste,  Londres,  1871, 
ouvrage  rempli  de  préjugés  protestants;  J.  Felten,  Robert 
Grosseteste,  Riscliof  von  Lincoln,  Fribourg,  18S7;  Stevenson, 
Robert  Grosseteste,  bislwp  of  Lincoln,  Londres,  1899;  Gas- 
quet,  Henry  III  and  the  Church,  Londres,  1905;  L.  Baur, 
Das  philosophische  Lebenswerk  des  Robert  Grosseteste,  dans  la 
Drille  Vereinsschrift  fur  1910de  la  Gôrresgesellschaft, Cologne, 
1910;  Das  Lichl  in  der  Naturphilosophie  des  Robert  Grosse- 
teste (Festschrifl  en  l'honneur  de  von  Hertling),  1914,  p.  41- 
55.  On  trouvera  des  détails  sur  son  séjour  à  Oxford  dans 
Rashdall,  Universilies  of  Europe  during  the  middle  âges;  Lit- 
tle,  Grey  Friars  at  Orford;  Felder  (P.  Hilarin  de  Lucerne), 
Histoire  des  études  dans  l'ordrede  Saint- François,  trad.  franc., 
Paris,  1908.  Pour  ses  ouvrages,  voir  Tanner,  Bibliotheca  Bri- 
tannico-Hibernica,  Londres,  1748;  Histoire  littéraire  de  la 
France,  Paris,  1835,  t.  xvm;  Hauréau,  Histoire  de  la  philo- 
sophie scolaslique,  Paris,  1880,  t.  i,  et  les  auteurs  cités  plus 
haut.  Sur  sa  traduction  grecque  de  saint  Jean  Damascène, 
voir  J.  de  Ghellinck,  Le  mouvement  théologique  au  XII'  siècle, 
Paris,  1914,  p.  256-292. 

A.  Gatard. 

GROSTÊTE  DES  MAHIS  Marin,  théologien,  né 
à  Paris  le  22  décembre  1649,  mort  à  Orléans  le  16  dé- 
cembre 1694.  D  une  famille  protestante,  il  alla  étudier 
à  Genève,  puis  à  Oxford,  et  se  fit  recevoir  ministre.  En 
cette  qualité  il  fut  envoyé  à  Authon,  dans  le  Perche, 
puis  à  Brionne  et  à  Orléans.  Ayant  conçu  quelques 
doutes,  il  voulut  avoir  des  conférences  avec  les  minis- 
tres les  plus  renommés  et  avec  les  docteurs  catholiques. 
Après  deux  années  de  sérieuses  études,  après  avoir 
beaucoup  prié,  il  abjura  les  erreurs  protestantes  à  Paris, 
le  27  mai  1681,  entre  les  mains  de  Mgr  de  Coislin,  évêque 
d'Orléans.  Irrité,  son  père,  qui  était  un  des  anciens  de 
Charenton,  le  chassa  de  sa  maison;  mais  quelques 
années  plus  tard,  lui-même  avec  d'autres  membres  de  sa 
famille  devait  venir  sous  la  conduite  de  son  fils  à 
l'Église  catholique.  Vers  1686,  Grostête  des  Mahis 
entra  au  séminaire  Saint-Magloire  à  Paris.  L'évêque 
d'Orléans  voulant  l'attacher  à  son  diocèse,  lui  donna 
un  canonicat  de  sa  cathédrale  et  en  1690  l'ordonna 
diacre  :  par  humilité  il  refusa  le  sacerdoce.  Le  ministre 
converti  prêcha  dans  les  diocèses  de  Poitiers  et  de 
Luçon  afin  de  ramener  les  protestants  à  la  véritable 


Église.  11  voulut  aussi  aller  de  nouveau  dans  les  diffé- 
rents pays  où  il  avait  enseigné  l'erreur.  Grostête  des 
Mahis  contribua  beaucoup  à  la  formation  de  la  maison 
des  Nouvelles  catholiques  à  Orléans.  Il  est  auteur  des 
ouvrages  suivants  :  Lettre  à  une  personne  de  la  religion 
prétendue  réformée  où  la  présence  réelle  du  corps  de 
Jésus-Chrisl  dans  l'eucharistie  est  prouvée  par  la  sainte 
Écriture,  in-8°,  Orléans,  1684;  Considérations  sur  le 
schisme  des  protestants,  in-12,  Orléans,  1685;  La  vérité 
de  la  religion  catholique  prouvée  par  l'Écriture  sainte  et 
la  tradition,  2  in-12,  Paris,  1696;  parlant  de  l'auteur  de 
ce  dernier  ouvrage,  Fénelon  disait  :  «  Il  savait  la  doc- 
trine des  protestants  comme  un  homme  qui  a  été  un  de 
leurs  plus  éclairés  pasteurs  et  celle  de  l'Église  catholique 
comme  un  docteur  qui  aurait  été  d'abord  nourri  dans 
son  sein.  »  En  tête  de  cet  ouvrage  se  trouve  un  Éloge 
historique  de  feu  des  Mahis,  signé  de  Gilles  Jousset, 
mais  qui  est  du  P.  Quesnel,  de  l'Oratoire. 

Guil.  Prousteau  anlecessoris  Aurelianensis  epistola  ad 
nobilem  et  clarissimum  virum  Petrum  de  Porrade  Massi- 
liensem  de  obitu  ac  virtutibus  Marini  Grostête  des  Mahis, 
diaconi  et  canonici  Aurelianensis,  in-12,  Orléans,  1695; 
Journal  des  savants,  2  avril  1696;  Dupin,  Bibliothèque  des 
auteurs  ecclésiastiques  du  XVII'  siècle,  IV'  partie,  in-8°, 
Paris,  1729,  p.  435;  Moréri,  Dictionnaire  historique,  t.  v  b, 
p.  402;  Picot,  Essai  historique  sur  l'influence  de  la  religion 
en  France  pendant  le  XVII'  siècle,  in-8°,  Paris,  1824,  t.  n, 
p.  222,  251,  260;  A.  Rœss,  Die  Convertiten,  t.  vm,  p.  209- 
231;  Hurter,  Nomenclalor,  1910,  t.  îv,  col.  434. 

B.  Heurtebize. 

GROU  Jean-Nicolas,  jésuite  français,  né  à  Calais 
le  23  novembre  1731,  fit  ses  études  dans  les  collèges 
de  la  Compagnie  de  Jésus,  vraisemblablement  à  Paris, 
à  Louis-le-Grand,  et  entra  au  noviciat  à  l'âge  de 
quinze  ans,  en  novembre  1746.  Professeur  de  gram- 
maire et  d'humanités  au  collège  de  La  Flèche,  de  1751 
à  1755,  il  témoigna  d'un  goût  très  vif  pour  la  littéra- 
ture, surtout  pour  les  œuvres  de  Platon  et  de  Cicéron. 
Le  premier  fruit  de  ces  études  fut  une  traduction  de 
la  République  de  Platon,  publiée  à  Paris  en  1762, 
2  in-12,  et  qui  attira  aussitôt  l'attention  de  tous  les 
lettrés.  Vint  ensuite  la  traduction  des  Lois  de  Platon, 
2  in-12,  Paris,  1769,  et  des  Dialogues,  2  in-12, 
Amsterdam,  1770,  ouvrages  souvent  réimprimés  et 
insérés  dans  plusieurs  collections,  notamment  dans 
les  Œuvres  complètes  de  Platon,  publiées  sous  la  direc- 
tion de  M.  Emile  Saisset,  Paris,  1869.  La  traduction 
de  la  République  et  des  Lois  a  été  reproduite,  avec 
quelques  corrections,  par  Victor  Cousin  dans  son 
édition  de  Platon.  Cf.  P.  de  Bonniot,  Le  P.  Grou  chez 
M.  Cousin,  dans  Éludes  religieuses,  1888,  t.  xlv, 
p.  569  sq.;  1889,  t.  xlvi,  p.  50  sq. 

Les  attaques  des  philosophes  et  des  jansénistes 
contre  la  Compagnie  de  Jésus  se  multipliaient  alors 
avec  une  violence  qui  ne  se  contenait  plus.  Associé 
dès  1761  au  P.  Brottier,  le  célèbre  bibliothécaire  de 
Louis-le-Grand,  le  P.  Grou  se  hâta  d'entrer  en  lice  et 
de  dénoncer  les  erreurs  de  fait  et  les  falsifications  de 
textes.  A  propos  d'un  prétendu  édit  de  bannissement 
porté  par  Henri  IV  en  1595,  il  publia  une  première 
Lettre  ù  M.  ***  conseiller  au  Parlement  de  Paris,  1763, 
suivie  bientôt  d'une  Seconde  lettre...  Toutes  deux  fai- 
saient justice  de  la  calomnie  mise  en  cours  par  le 
Parlement  de  Paris  qui,  dans  son  arrêt  du  6  août  1762, 
rapportait  en  entier  cet  édit.  Voué  tout  entier  à  l'apo- 
logie de  son  ordre,  il  rédigea  et  publia  avec  le  P.  Sau- 
vage un  grand  ouvrage  qui  intéresse  spécialement  les 
doctrines  de  la  Compagnie  :  Réponse  au  livre  intitulé  : 
«  Extraits  des  assertions  dangereuses  et  pernicieuses 
en  tout  genre  »,  que  les  soi-disant  jésuites  ont  dans 
tous  les  temps  et  persévéramment  soutenues,  enseignées 
et  publiées  dans  leurs  livres,  3  in-4°,  Paris,  1763-1765. 
Les  Extraits  étaient  l'œuvre  du  conseiller  Roussel  de 
La  Tour  et  des  abbés  Gouget  et  Minard.  La  Réponse 


1889 


GROU  —  GUADAGNOLI 


1890 


établit  que  ces  Extraits  ne  contiennent  pas  moins  de 
758  falsifications. 

Après  la  suppression  de  la  Compagnie  de  Jésus  en 
France  par  le  parlement,  le  P.  Grou  s'était  retiré  en 
Lorraine.  Il  passa  l'année  1764  au  noviciat  de  Nancy, 
puis  pendant  deux  ans  enseigna  la  langue  grecque  à 
l'université  de  Pont-à-Mousson.  La  mort  de  Stanislas 
en  1766  amena  la  dispersion  des  maisons  jusque-là 
conservées  en  terre  lorraine.  Le  P.  Grou  fut  appelé  secrè- 
tement à  Paris  par  l'archevêque,  Mgr  de  Beaumont, 
qui  lui  confia  le  soin  d'écrire  sur  les  matières  religieuses 
mises  alors  en  discussion  par  les  incrédules.  Il  ras- 
sembla une  immense  quantité  de  documents  qui 
auraient  servi,  suivant  quelques  témoignages  rap- 
portés par  le  P.  Cadrés,  mais  nullement  décisifs,  au 
Dictionnaire  théologique  de  Bergier.  Sous  le  nom  de 
Le  Claire,  il  vivait  pauvre  et  caché,  dans  un  galetas 
de  la  rue  de  Sèvres,  proche  du  couvent  des  Filles  de 
Saint-Thomas  de  Villeneuve,  où  il  disait  la  messe  tous 
le-;  jours.  Il  dirigeait  en  même  temps  une  communauté 
de  religieuses  bénédictines,  tout  en  poursuivant  acti- 
vement sa  traduction  de  Platon.  Dans  sa  détresse,  il 
ne  craint  pas  d'entreprendre  le  voyage  de  Hollande, 
en  1770,  pour  mener  à  bien  la  publication  des  Dialogues. 
Mais  une  retraite  qu'il  fit  cette  même  année,  nommée 
par  lui  l'année  de  sa  conversion,  vint  orienter  son 
esprit  vers  des  pensées  toutes  divines.  Désormais  il  ne 
sera  plus  occupé  que  de  la  perfection  de  son  âme,  qu'il 
conduira  aune  éminente  sainteté  et  ses  études neseront 
plus  que  des  voies  spirituelles  et  des  choses  de  Dieu. 

Alors  commence  la  série  de  ces  magnifiques  traités 
de  spiritualité  douce  et  ferme,  pénétrante  et  élevée, 
qui  font  du  P.  Grou  un  des  maîtres  les  plus  éminents  et 
les  plus  aimés  de  la  vie  intérieure  :  Caractères  de  la 
vraie  dévotion,  par  M.  l'abbé  Grou,  Paris,  1778;  Morale 
tirée  des  Confessions  de  saint  Augustin,  ibid.,  1786; 
cf.  Journal  de  Feller,  août  1787;  Maximes  spirituelles 
avec  des  explications,  ibid.,  1789;  La  science  pratique 
du  crucifix  dans  l'usage  des  sacrements  de  pénitence  et 
d'eucharistie,  pour  servir  de  suite  à  un  livre  intitulé  : 
La  science  du  crucifix.  Par  l'abbé  G.,  ibid.,  1789.  La 
science  du  crucifix  est  du  P.  Marie,  S.  J.  Il  parut  de  ce 
livre,  en  1783,  une  nouvelle  édition  revue  par  le  P.  G. 
L'initiale  a  fait  attribuer  au  P.  Grou  cet  ouvrage  qui  est 
du  P.  Gasté.  Cf.  Sommergovel,  Bibliothèque  de  la  Cle  de 
Jésus,  au  mot  :  Nie.  Gaslè,  t.  m,  col.  1254,  n.  2;  Médita- 
tions en  forme  de  retraite  sur  l'amour  de  Dieu  avec  un 
petit  écrit  sur  le  don  de  soi-même  à  Dieu,  Londres,  1796. 
Toutes  les  éditions  publiées  par  Périsse  frères  depuis 
1828  et  celles  de  Lecoffre  à  dater  de  1847  contiennent 
des  Pensées  chrétiennes  qui  remplissent  les  onze  der- 
nières pages  du  volume.  Ces  Pensées  ne  sont  pas  du 
P.  Grou.  L'intérieur  de  Jésus  et  de  Marie,  2  in-12, 
Paris,  1815,  ouvrage  publié  après  la  mort  de  l'auteur 
sur  une  mauvaise  copie  d'un  manuscrit  qui  n'était 
pas  destiné  à  l'impression;  les  fautes  typographiques 
se  sont  par  surcroît  multipliées  dans  les  éditions 
suivantes;  le  P.  Cadrés, en  1862,  a  publié  le  manuscrit 
destiné  par  l'auteur  à  l'impression  ;  la  meilleure  édition 
est  celle  du  P.  A.  Pottier,  Paris,  1889;  Le  chrétien 
sanctifié  par  l'oraison  dominicale,  publié  d'abord  par 
A.  Chanselle,  Paris,  1832,  sur  la  version  anglaise  du 
P.  Laurenson;  puis  par  le  P.  Cadrés,  Paris, 1858,  sur  k 
ms.  original;  Manuel  des  âmes  intérieures.  Suite  d'opus- 
cules inédits  du  P.  Grou,  Paris,  1833;  Le  livre  du  jeune 
homme  ou  maximes  pour  la  conduite  de  la  vie,  ouvrage 
inédit  publié  par  le  P.  Jean  Noury,  Paris,  1874;  le 
P.  Grou  avait  composé  ce  traité  pour  un  jeune  seigneur 
anglais;  L'école  de  Jésus-Christ,  publiée  par  le 
P.  Doyotte  sur  le  ms.  autographe,  2  in-12,  Paris,  1885. 
Tous  ces  ouvrages  ont  eu  un  nombre  considérable 
d'éditions  et  ont  été  traduits  en  anglais,  en  allemand, 
en  italien,  en  espagnol,  en  flamand,  en  polonais. 

DICT.    DE  THÉOL.  CATtlOL. 


En  1792,  le  P.  Grou  s'était  retiré  en  Angleterre,  dans 
la  famille  de  sir  Thomas  Weld,  au  château  de  Lulworth. 
Il  continua  dans  la  retraite  sa  vie  de  recueillement, 
d'austérités  et  de  labeur,  en  dirigeant  dans  les  voies 
de  la  perfection  un  groupe  de  prêtres  et  de  religieux 
émigrés.  Son  activité  littéraire  tient  du  prodige. 
En  dehors  des  nombreux  ouvrages  publiés  de  son 
vivant  et  après  sa  mort,  tous  d'une  sûreté  de  doctrine 
et  d'une  perfection  de  forme  également  admirables, 
le  P.  Grou  a  travaillé  pendant  quatorze  ans,  avec  le 
P.  Guérin  du  Rocher,  à  la  composition  d'un  Traité 
historique  et  dogmatique  de  la  vraie  religion,  dont  les 
matériaux  laborieusement  rassemblés,  s'ils  n'ont  pas 
été  utilisés  par  Bergier,  ont  disparu.  Les  volumineux 
manuscrits  laissés  par  le  P.  Grou  contiennent  plusieurs 
retraites  qui  n'ont  pas  encore  été  publiées,  des  traités 
sur  le  bonheur,  sur  la  paix  de  l'âme,  des  instructions 
écrites  pour  miss  Weld,  des  corrections  du  texte  de 
Platon  d'après  l'édition  et  les  notes  d'Henri  Etienne, 
des  corrections  de  tout  le  texte  de  Cicéron,  2  vol.  de 
876  et  1488  p.,  des  corrections  de  l'Iliade  et  d  une 
partie  de  l'Odyssée  (inachevé),  des  corrections  de 
tout  le  texte  d'Horace,  de  Tite-Live,  une  Novi  Testa- 
menli  versio  vulgala  e  grœco  emendata,  2  vol.  de  720  et 
459  p.,  des  Observations  sur  la  doctrine  et  le  sli/le  de 
Massillon,  713  p.,  des  Lettres  adressées  àMme  d'Adhé- 
mar.  La  Retraite  spirituelle  sur  les  qualités  et  devoirs 
du  chrétien  a  été  publiée  par  le  P.  H.  Watrigant, 
Paris,  1913,  dans  le  texte  même  du  manuscrit.  Cette 
Retraite  est  mentionnée  par  le  P.  Grou  dans  une 
lettre  du  30  octobre  1803  au  P.  Simpson. 

Lorsque  la  Compagnie  eut  été  rétablie  en  Russie 
par  Pie  VII,  le  7  mars  1801,  les  anciens  jésuites  d'An- 
gleterre demandèrent  aussitôt  à  être  incorporés  de 
nouveau  à  l'institut  renaissant.  Le  P.  Gruber  leur 
obtint  cette  faveur  et  le  P.  Grou  eut  la  joie  de  renou- 
veler ses  vœux  de  profès  le  22  mai  1803.  Il  mourut  le 

13  décembre  de  cette  même  année  au  château  de 
Lulworth. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  C"  de  Jésus,  t.  m, 
col.  1868-1882;  Mémoires  de  Trévoux,  1762,  p.  773  sq., 
892  sq.,  965  sq.;  Journal  des  savants,  1762,  p.  515  sq.; 
1763,  p.  3  sq.;  Année  littéraire,  1762,  t.  n,  p.  289  sq. ;  Journal 
encyclop.,  1763,  t.  vin,  p.  25  sq.;  1770,  t.  vu,  p.  194;  Corres- 
pondance de  Grimm,  t.  i,  p.  85;  Hurter,  Nomenclator, 
3e  édit.,  Inspruck,  1913,  t.  v,  col.  830;  A.  Cadrés,  Le  P.  Jean- 
Nicolas  Grou,  28  édit.,  Paris,  1866;  Eug.  Martin,  L'univer- 
sité de  Pont-d-Mousson,  Paris,  1891,  p.  416. 

P.  Bernard. 
GUADAGNOLI  Philippe,  né  à  Magliano  dans  les 
Abruzzes  vers  1596,  fit  profession  dans  la  congrégation 
des  clercs  réguliers  mineurs,  le  13  mai  1612.  Doué  d'une 
grande  aptitude  pour  l'étude  des  langues  orientales,  il 
apprit  le  grec,  l'hébreu,  le  chaldéen,  le  persan  et  princi- 
palement  l'arabe,   qu'il   enseigna   à   la  Sapience.    Le 

14  janvier  1656,  il  complimentait  en  cette  langue  la 
reine  Christine  de  Suède;  ce  devait  -être  sa  dernière 
satisfaction  d'orientaliste;  il  mourut  le  27  mars  sui- 
vant. En  1631,  Guadagnoli  faisait  paraître  une  Apo- 
logia  pro  christiana  religione,  qua  respondetur  ad  obje- 
ctiones  Ahmed  filii  Zin  Alabedin  Persse  Asphahensis, 
contentas  in  libro  inscriplo  Polilor  speculi,  in-4°,  Rome. 
Ce  livre  a  une  histoire  :  un  jésuite  espagnol,  le  P.  Jérôme 
Xavier,  avait  publié  en  langue  persane  un  ouvrage  apo- 
logétique intitulé  :  Le  miroir  qui  montre  la  vérité,  15S6. 
Il  tomba  entre  les  mains  du  I  ersan  Ahmed  qui  chercha 
à  le  réfuter  par  le  Polisseur  du  miroir,  1621  ;  on  dit  qu'il 
envoya  son  livre  au  pape  en  le  défiant  de  lui  répondre. 
Urbain  VIII,  auquel  il  parvint,  chargea  Guadagnoli  de 
ce  travail;  de  là  l'Apologia,  écrite  en  latin  avec  de 
nombreux  passages  en  arabe.  L'auteur  la  traduisit  en 
cette  langue  et  elle  parut  sous  ce  titre  latin  :  Responsio 
ud  objeciioncs  Ahmed,  etc.,  in-4°,  Rome,  1637.  Conti- 
nuant encore  le  même  travail,  notre  apologiste  donna 

VI.  —  00 


18M1 


GUADAGNOLI  —  GUALDO 


1892 


les  Considerationes  ad  Mahomeltanos  eum  rcsponsiune  ad 
objectiones  Ahmed,  etc.,  in-4°,  Rome,  1649.  On  rapporte 
que  le  fils  de  Zin  Alabedin  fut  converti  par  la  réfuta- 
tion île  Guadagnoli.  Dans  la  préface  des  Considera- 
tiones l'auteur  disait  avoir  achevé"  une  version  arabe  de 
la  Bible,  à  laquelle  il  travaillait  depuis  vingt-sept  ans; 
mais  il  croyait  utile  de  faire  précéder  l'édition  des 
Livr  s  saints  par  celle  des  Considerationes.  La  Biblia 
sacra  arabica  Sacra'  Congregationis  de  Propaganda  fide 
jussu  édita,  3  in-fol.,  ne  parut  qu'en  1671  :  la  traduction 
de  Guadagnoli  avait  été  revue  par  Abraham  Echel- 
lensis  (t  1664),  voir  t.  i,  col.  116,  et  par  Louis  Maracci. 
Celui-ci,  croyons-nous,  écrivit  la  Préface,  clans  laquelle 
l'idée  première  de  la  traduction  est  attribuée  à  l'ar- 
chevêque de  Damas,  Serge  Risi  (f  1638),  et  la  date 
de  1625  fixée  comme  celle  de  la  commission  donnée  à 
plusieurs  orientalistes,  bien  que  Guadagnoli  dise  avoir 
commencé  son  travail  en  1622.  Tout  en  le  poursuivant, 
il  avait  aussi  édité  les  Brèves  arabicœ  linguœ  ins'.ilu- 
liones,  in-fol.,  Rome,  1642,  et  composé  un  Dictionnaire 
arabe  qui  était  conservé  manuscrit  dans  son  couvent  de 
Saint-Laurent  in  Lucina  ainsi  que  d'autres  ouvrages 
inédits,  mentionnés  par  Léon  Allatius  dans  les  Apes 
Urbanse. 

Nicolas  Toppi,  Bibliotheca  Napolitana,  Naples,  1678, 
p.  85;  Moréri,  Dictionnaire  historique;  Hœfer,  Nouvelle 
biographie  universelle;  Sommervogel,  Bibliothèque  de  la 
C"  de  Jésus,  Paris,  1898,  t.  vin,  col.  1337. 

P.  Edouard  d'Alençon. 

GUALANDI  Jean-Bernard,  Florentin,  avait  em- 
brassé la  cléricature;  il  ne  voulut  toutefois  accepter 
aucune  des  dignités  auxquelles  sa  vaste  culture  lui 
ouvrait  le  chemin,  afin  de  se  consacrer  entièrement  à  ses 
études.  Bien  que  comme  élégance  il  soit  inférieur  à 
d'autres,  il  est  demeuré  surtout  connu  par  ses  traduc- 
tions de  la  Vie  d'Apollonius  de  Tijanc  par  Philoslrate, 
in-8°,  Venise,  1549;  du  Traité  des  monnaies  (Deasse)de 
Guillaume  Budé,  in-8°,  Florence,  1562;  et  des  Apoph- 
tegmes de  Plutarque,  Venise,  1567.  La  vie  de  Gualandi  est 
demeurée  assez  inconnue:  un  concours  de  circonstances, 
qu'il  ne  précise  pas,  l'avait  conduit,  à  sa  grande 
frayeur,  au  milieu  des  batailles  qui  se  livrèrent  dans 
le  Milanais,  entre  Français  et  Italiens  sous  François  Ier. 
In  Iwrtis  nostris,  ex  vallc  Ticini,  il  dédiait  au  duc  de 
Milan  François  II  Sforza,  le  13  août  1523,  un  Dialogus 
de  oplimo  principe,  édité  plus  tard  avec  un  autre 
Dialogus  de  liberali  inslilulione,  dédié  à  Côme  de  Mé- 
dicis  le  Jeune  (1531)  et  un  discours,  plus  académique 
que  religieux,  prononcé  in  epulo  au  palais  ducal,  Oralio 
in  honorem  divum  Cosmœ  et  Damiani,  in-8°,  Florence, 
1561.  Gualandi  publia  encore  un  Tractatus  de  vero 
judicio  et  providentia,  in-8°,  Florence,  1562. 

Jules  Negri,  Istoria  dcgli  scrillori  fiorentini,  Florence,  1742, 
p.  254;  Barthélémy  Gamba,  Série  dei  lesti  di  lingua  italiana, 
Venise,  1828;  Hœfer,  Nouvelle  biographie  universelle. 
P.  Edouard  d'Alençon. 

GUALDO  Gabriel,  né  à  Vicence,  delà  famille  des 
Gualdi-Mori,  vers  1657,  entra  jeune  chez  les  théatins 
de  sa  ville  natale  le  8  juillet  1674.  Environ  dix  ans 
après,  ses  études  achevées,  il  fut  envoyé  à  Padoue  pour 
y  enseigner  la  philosophie;  on  le  chargea  ensuite  du 
cours  de  théologie  qu'il  professa  de  longues  années; 
enfin,  usé  par  les  ans  et  les  travaux,  il  y  mourut  plus 
qu'octogénaire,  le  9  mars  1743.  Gualdo  fut  bon  théo- 
logien et  canoniste;  probabilioriste  pour  lui-même,  il 
était  probabiliste  pour  autrui,  car  il  voyait  là  un 
moyen  efficace  de  travailler  au  salut  des  âmes;  il  se  fit 
donc  un  des  plus  ardents  champions  de  l'usage  de 
l'opinion  probable,  qu'il  défendit  dans  une  foule  d'écrits, 
publiés  pour  la  plupart  sous  des  noms  d'emprunt,  Guy 
Bellagra,  Ange  Cupezioli,  Nicolas  Pégulet.  Sous  le  pre- 
mier il  publia  la  Risposla  all'aulore  dell'  Apologia  de' 
Santi  Padri,  in-12,  Salzbourg  (fausse  indication),  1701. 


Cette  apologie  des  saints  Pères,  Bassano,  1696,  avait  eu 
I  our  auteur  un  conventuel,  le  P.  Bernardin  Ciafîoni  de 
Sant-Eplidio  (f  1684),  qui,  sous  prétexte  de  défendre 
les  Pères  contre  l'abus  que  les  probabilistes  faisaient  de 
leurs  doctrines,  attaquait  ceux-ci  et  les  jésuites  en 
copiant  les  Lettres  provinciales.  Déjà  le  P.  De  Bene- 
detti,  S.  J.,  avait  répondu  par  La  scimmia  del  Montalto, 
Gratz,  1698.  Ces  deux  livres  furent  condamnés  par 
décret  du  Saint-Ofïice  le  14  septembre  1701.  Gualdo 
publia  ensuite,  sous  le  nom  de  Nicolas  Pégulet,  son 
Tractatus  probabililatis  ex  principiis  antiquorum  compo- 
situs,  in  quo  probabilitas  in  génère,  œqualis  et  minor  per 
ea  quse  docuerunt  antiqui  slabiliuntur,  in-4°,  Louvain 
(en  Italie),  1707.  Cet  ouvrage,  qui  est  le  principal  du 
savant  théatin,  fut  condamné  parla  S.  C.  de  l'Index,  le 
13  mai  1710.  Bientôt  après,  sous  le  pseudonyme  d'Ange 
Cupezioli,  Gualdo  fit  paraître  :  Baplisma  puerorum  in 
ulcris  exislentium  ilerum  assertum,  disserlatio  medico- 
theologica,  in-8°,  Padoue,  1710;  1712;  où  il  reprend  et 
développe  ce  qu'il  avait  écrit  sur  cette  question  dans  le 
Tractalas  probabililatis.  Le  Giornale  de'  lelterati  d'Italia, 
Venise,  1710, 1. 1,  p.  357,  avait  fait  de  ce  livre,  un  grand 
éloge  qui  déplut  au  P.  Chrysostome  Se.  rfa,  basilien  de 
Naples,  et  sous  le  nom  de  Crisofano  Scardiecletti,  il 
fit  imprimer  une  addition,  Giunta  al  primo  tomo  del 
Giornale  de'  letlerati,  Naples,  1712,  dans  laquelle  il 
attaquait  Gualdo  et  faisait  grand  cas  du  livre  con- 
damné de  Ciafîoni  et  d'autres.  Le  théatin  répondit  par 
la  Difesa  del  P.  D.  Gabrielle  Gualdo  al  fignor  Grisofnoa 
Cardieclelli.  Operella  d'Angelo  Cupezoli,  1712.  Cette 
défense  parut  de  nouveau  avec  d'autres  opuscules  dans 
le  Bajitisma  puerorum...  tertio  assertum...  auctore 
Angelo  Cupetioli,  in-8°,  Venise,  1723.  Un  confrère  de 
Gualdo,  le  P.  Scarella,  réédita  encore  ce  livre,  in-4°, 
Udine,  1769.  Les  antiprobabilistes  accusaient  leurs 
adversaires  de  résoudre  les  cas  de  conscience  par  laseule 
raison:  notre  théatin  répondit  pour  les  justifier  dans 
une  Disputatio  an  liceal  solis  rationibus  naturalibus 
quœstiones  theologicas  dirimere,  in-8°,  Padoue,  1717.  Il 
écrivit  contre  le  Rituel  d'Alet  de  Nicolas  Pavillon  une 
Disserlatio  an  liceat  peccalores  statim  posl  con/essionem 
absolvere,  in-8°,  Padoue,  1719;  il  en  publia  une  autre, 
De  auctoritale  D.  Auguslini,  ibid.,  1720,  contre  Henri 
Noris;  une  troisième,  An  melus  inferni  expeltere  possit 
volunlatem  peccandi,  ibid.,  1721.  Dans  sa  3e  édition  du 
Baptisma  puerorum,  1723,  il  donna  de  nouveau  une 
Disputatio  an  aucloritates  Patrum,  quas  in  médium  pro- 
ferunl  probabiliorislœ,  efficaciler  probent  majorem  proba- 
bilitatem  esse  sequendam  (Padoue,  1719),  contre  les 
décisions  de  l'Assemblée  du  clergé  de  France  en  1700; 
une  autre,  An  reccnliores  aliquid  invenerinl  quo  aliqui  ex 
ipsis  ab  opinione  Magislri,  Alensis,  Alberli  Magni, 
D.  Thomœ,  D.  Bonaventurse,  Scoli  et  aliorum  antiquo- 
rum in  materia  de  pœna  peccato  originali  débita  merilo 
discedere  poluerunt,  qui  est  relative  au  sort  des  enfants 
morts  sans  baptême;  enfin  une  Brève  dijesa  del  pro- 
babilismo.  Le  P.  Jacques-Hyacinthe  Serry,  dominicain, 
ayant  attaqué  Gualdo,  qu'il  traitait  d'écrivain  masqué, 
au  sujet  d'un  texte  de  saint  Augustin  sur  les  enfants 
morts  sans  baptême,  celui-ci  ré  .liqua  par  une  Larvali 
scribillatoris  brevissima  defensio  ab  injuriis  ac  falsita- 
tibus  aliisque  auctoris  Vindiciarum  Ambrosii  Calharini, 
Padoue,  1727,  et  par  une  Altéra  defensio.  Il  en  fit  encore 
paraître  une  autre  sous  le  nom  de  Cupezioli  :  Defensio 
ab  aliquibus  objectis  contra  probabililalem  in  libro  cui 
tilulus  Elementa  moralia  reperds,  in-4°,  Padoue,  1730. 
Arrive  à  une  heureuse  vieillesse,  le  P.  Gualdo  donna 
pour  couronner  son  œuvre  un  im  sortant  ouvrage, 
qu'il  avait  poursuivi  au  milieu  de  ses  polémiques  en 
faveur  du  probabilisme  :  Theologia  conlemplativa  et 
moralis  D.  Aurelii  Augustini  Hipponensis  episcopi, 
auctore  Angelo  Cupetioli,  3  in-fol.,  Venise,  1737.  Le  docte 
et  laborieux   théatin   avait  aussi  cultivé  la  poésie  et 


1893 


GUALDO 


GUERANGER 


1894 


il  existe  de  lui  deux  œuvres  de  jeunesse  assez  curieuses  : 
Carmen  philosophicum,  id  est  conclus ioncs  ex  universa 
philosophia  depromptœ  et  exametro  carminé  decantatœ, 
in-4°,  Padoue,  1704,  auquel  fait  pendant  un  Carmen 
theologicum,  du  même  genre,  ibid.;  réédités  en  1710 
et  1712. 

Giornale  de'letterali  d'italia,  Venise,  1710,  t.  i,  p.  357; 
t.  xxxi,  p.  430;  t.  xxxii,  p.  555;  Innocent  Savonarola, 
Memorie  del  P.  Gabrielle  Gualdo,  dans  la  Miscellanea  di 
varie  opérette  du  P.  Joseph  Marie  Bergantini,  Venise,  1744, 
t.  vin,  p.  426;  Antoine  François  Vezzozi,  Scrittori  de' 
clerici  regolari  detti  teatini,  Rome,  1781,  t.  i,  p.  425-432; 
G.  Melzi,  Dizionario  di  opère  anonime  e  pseudonime  di  scrit- 
tori ilaliani.  Milan,  1748-1759;  Hurter,  Nomenclator,  t.  IV, 
col.  1639-1640. 

P.  Edouard  d'Alençon. 

GUARINI  Jean-Baptiste,  jésuite  italien,  né  à 
Païenne  le  9  décembre  1719,  admis  au  noviciat  le  7  dé- 
cembre 1733.  Il  enseigna  la  philosophie  à  Païenne, 
puis  la  théologie  à  Messine.  Son  traité  de  droit  naturel  : 
Juris  naturse  et  genlium  principia  et  officia  ad  chris- 
tianœ  doctrime  regulam  exact' i,  Palerme,  1758,  plusieurs 
fois  réimprimé,  lui  acquit  une  réputation  méritée. 
Cf.  Zaccaria,  Thésaurus  thcologicus,  t.  iv,  p.  304  sq.  ; 
t.  vin,  p.  1-62.  L'ouvrage  est  reproduit  intégralement 
dans  le  Cursus  theologiae  de  Migne,  t.  xv,  col.  345  sq. 
Après  la  suppression  de  la  Compagnie  en  1773,  le 
P.  Guarini,  tout  en  s'adonnant  avec  le  plus  grand  succès 
à  la  prédication,  poursuivit  avec  ardeur  ses  travaux 
théologiques  et,  préoccupé  tout  particulièrement  des 
besoins  de  l'époque,  il  publia  sous  le  titre  de  Ragiona- 
menti  filosofici,  Rome,  1785-1786,  quatre  volumes  de 
dissertations  sur  les  matières  de  la  théologie  fonda- 
mentale attaquées  alors  par  le  parti  des  philosophes. 
Dans  la  tourmente  qui  suivit  en  Italie  la  Révolution 
française,  le  P.  Guarini  s'éteignit  obscurément;  d'après 
Gusta,  il  mourut  à  Rome  en  1795. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  C'e  de  Jésus,  t.  ni, 
col.  1899-1901;  Hurter,  Nomenclator,  3e  édit.,  Inspruck, 
1913,  t.  v,  col.  500;  Zaccaria,  Raccolta  di  dissert,  di  storia 
eccles.,  t.  vin,  p.  238  sq. 

P.  Bernard. 

GUENEE  Antoine,  controversiste,  né  à  Étampes 
le  23  novembre  1717,  mort  à  Fontainebleau  le  25  no- 
vembre 1803.  D'une  famille  pauvre,  il  vint  à  Paris,  et 
après  avoir  achevé  ses  études,  il  embrassa  l'état  ecclé- 
siastique. En  1741,  il  fut  nommé  professeur  d'éloquence 
au  collège  du  Plessis.  Il  conserva  cette  fonction  pendant 
vingt  ans,  puis  libre  de  tout  autre  soin,  se  mit  à  tra- 
vailler pour  la  défense  de  la  religion  attaquée  par  les 
philosophes.  Il  connaissait  le  grec  et  l'hébreu  et  il 
profita  de  voyages  en  Allemagne,  en  Angleterre  et  en 
Italie  pour  apprendre  la  langue  de  ces  pays  et  s'ins- 
pirer des  travaux  apologétiques  qui  y  étaient  publiés. 
L'évèque  d'Amiens,  Mgr  d'Orléans  de  La' Motte,  lui 
donna  un  canonicat  de  sa  cathédrale  et  le  cardinal  de 
La  Roche-Aymon,  grand  aumônier,  l'attacha  à  la  cha- 
pelle royale  de  Versailles.  En  1778,  il  fut  appelé  à 
prendre  place  parmi  les  membres  de  l'Académie  des 
inscriptions.  Peu  après,  le  comte  d'Artois  le  choisit 
comme  sous-précepteur  de  ses  enfants,  et  en  1785  il 
reçut  l'abbaye  de  Loroy  dans  le  diocèse  de  Bourses. 
A  la  Révolution,  il  se  retira  dans  une  petite  propriété 
qu'il  possédait  près  de  Fontainebleau,  et  pendant  la 
Terreur  il  fut  emprisonné  dans  les  prisons  de  cette  ville. 
Rendu  à  la  liberté  après  dix  mois  de  détention,  il 
retourna  vivre  à  la  campagne,  puis  s'établit  à  Fontai- 
nebleau, où  il  mourut.  En  1769,  pour  répondre  aux 
attaques  perfides  de  Voltaire  contre  les  saintes  Écri- 
tures, l'abbé  Guénée  publia  Lettres  de  quelques  juifs 
portugais,  allemands  et  polonais  à  M.  de  Voltaire,  in-8°, 
Paris.  Il  y  réfute  avec  autant  de  modération  que  de 
savoir,  d'esprit  que  de  force  les  assertions  erronées  de  ce 
philosophe  et  fait  ressortir  les  beautés  de  l'ancienne 


loi,  de  cette  loi  donnée  par  Dieu,  mais  qui  n'était  que 
l'attente  d'une  loi  plus  parfaite  émanée  de  la  même 
autorité,  la  loi  de  Jésus-Christ.  Les  éditions  de  cet 
ouvrage  se  succédèrent  rapidement.  La  dernière  pu- 
bliée du  vivant  de  l'auteur  fut  la  5e  et  parut  en  1781, 

3  in-12.  La  6"  parut  en  1805,  3  in-8°,  et  4  in-12,  par 
les  soins  du  baron  de  Sainte-Croix  qui  la  fit  précéder 
d'une  notice  sur  la  vie  et  les  œuvres  de  l'abbé  Guénée 
par  M.  Dacier.  M.  Beuchot  donna  la  8e  sous  le  titre  : 
Lettres  de  quelques  juifs  portugais,  allemands  et  polonais 
à  M.  de  Voltaire  avec  un  petit  commentaire  extrait  d'un 
plus  grand  à  l'usage  de  ceux  qui  lisent  ses  œuvres,  et 
Mémoires  sur  la  fertilité  de  la  Judée,  in-8°,  Versailles, 
1817.  Cette  édition,  revue  et  corrigée  avec  soin,  est 
augmentée  de  notes  afin  de  mettre  l'ouvrage  en  rap- 
port avec  les  œuvres  de  Voltaire  publiées  à  Kehl.  On 
y  a  ajouté  les  quatre  Mémoires  que  l'abbé  Guénée  lut 
à  l'Académie  les  4  mai  1779,  1er  août  1782  et  16  mars 
1784  et  qui  se  trouvent  au  t.  l  des  Mémoires  de  l'Aca- 
démie royale  des  inscriptions,  in-4°,  Paris,  1808,  p.  142. 
Ils  sont  réunis  sous  le  titre  :  Recherches  sur  la  Judée, 
considérée  principalement  par  rapport  à  la  fertilité  de  son 
terrain,  depuis  la  captivité  de  Babylone  jusqu'à  notre 
temps.  L'édition  par  M.  Beuchot  a  servi  de  base  à 
toutes  celles  qui  ont  été  faites  au  cours  du  xixe  siècle. 
L'abbé  Guénée  publia  en  outre  :  La  religion  chrétienne 
démontrée  par  la  conversion  et  l'apostolat  de  saint  Paul, 
traduit  de  l'anglais  de  lord  Lyttelton  et  suivi  de  deux 
Dissertations  sur  l'excellence  de  l'Écriture  sainte,  tra- 
duites de  Seed,  in-12,  Paris,  1754;  Observations  sur 
l'histoire  et  sur  les  preuves  de  la  résurrection  de  Jésus- 
Christ,  traduit  de  l'anglais  de  West,  in-12,  Paris,  1757. 
Il  donna  la  seconde  édition  de  l'ouvrage  :  Les  témoins 
de  la  résurrection  de  Jésus-Christ  examinés  suivant  les 
règles  du  barreau,  traduit  (par  Lemoine)  de  l'anglais 
de  Sherlock,  in-12,  Paris    1753. 

Annales  littéraires  et  morales,  in-8°,  Paris,  an  XIII-1804, 
p.  321  ;  Mémoires  de  l'Académie  royale  des  inscriptions, 
in-4°,  Paris,  1808,  t.  l,  p.  246;  Quérard,  La  France  litté- 
raire, t.  m,  p.  504;  Vigouroux,  Dictionnaire  de  la  Bible, 
t.  m,  col.  356;  Hurter,  Nomenclator,  1912,  t.  v,  col.  578-579. 

B.  Heurtebize. 

GUERANGER  Prosper-Louis  Pascal,  liturgiste 
et  théologien,  né  à  Sablé,  dans  le  diocèse  du  Mans,  le 

4  avril  1805,  mort  à  Solesmes  le  30  janvier  1875.  Ses 
études  terminées  au  collège  royal  d'Angers,  il  entra  au 
séminaire  du  Mans  et  devint  le  secrétaire  de  l'évèque, 
Mgr  de  i  a  Myre-Morry.  Il  fut  ordonné  prêtre  à  Tours 
le  7  octobre  1827.  L'année  suivante,  il  entrait  en  rela- 
tions avec  l'abbé  de  Lamennais,  lui  demandant  conseil 
pour  des  études  historiques  qu'il  pensait  entreprendre; 
mais  s'il  c  toya  quelque  temps  l'école  mennaisienne, 
il  ne  fut  cependant  jamais,  à  vrai  dire,  un  des  disciples 
du  maître  de  La  Chesnaie.  Le  8  septembre  1829,  Mgr  de 
La  Myre  mourait  à  Marolles  dans  le  diocèse  de  Meaux, 
et  l'abbé  Guéranger  était  nommé  par  Mgr  de  Quelen 
administrateur  de  la  paroisse  des  Missions  Étrangères. 
A  cette  époque,  il  donna  au  Mémorial  catholique  quel- 
ques articles  parmi  lesquels  on  remorqua  les  Considé- 
rations sur  la  liturgie  catholique,  28  février,  31  mars, 
31  mai,  31  juillet  1830.  Les  tenants  du  gallicanisme  s'en 
émurent  et  M.  Picot,  dans  Y  Ami  de  la  religion,  9  juin 
1830,  crut  devoir  relever  les  liturgies  particulières  du 
discrédit  qu'un  écrivain  anonyme  avait  voulu  leur 
infliger.  L'abbé  Guéranger  répliqua  par  une  Défense 
des  Considérations  sur  la  liturgie  catholique,  publiée 
dans  la  Revue  catholique,  15  juin  1830.  A  la  suite  des 
événements  de  juillet,  il  revint  au  Mans  et  publia  dans 
Y  Avenir,  24  et  28  octobre,  un  article  intitulé  :  De  la 
prière  pour  le  roi.  L'année  suivante,  il  faisait  paraître 
un  volume  :  De  l'élection  et  de  la  nomination  des  évêques, 
in-8°,  Paris,  1831.  Au  printemps  de  cette  année, 
l'ancien  prieuré  bénédictin  de  Saint-Pierre  de  Solesmes 


1893 


GUÉRANGER 


1896 


près  de  Sablé,  fut  mis  en  vente.  La  pensée  vint  alors  à 
l'abbé  Guéranger  d'acheter  le  vieux  monastère  et  d'y 
rétablir  le  culte  divin  et  les  études  avec  la  pratique  de 
la  règle  de  saint  Benoît.  Il  s'ouvrit  de  ce  dessein  à 
quelques  amis  et,  soutenu  par  Mgr  Caron,  évêque  da 
Mans,  il  en  prit  possession  le  11  juillet  1833.  Au  milieu 
d'embarras  de  toute  nature,  il  fit  paraître  sous  le  nom 
de  la  communauté  de  Solesmes  :  Les  origines  de  l'Église 
romaine,  in-4°,  Paris,  1836;  puis  il  se  rendit  à  Rome 
à  Saint-Paul-hors-les-Murs  où  il  fit  profession  de  la 
règle  de  saint  Benoît  le  26  juillet  1837.  Le  1er  sep- 
tembre suivant,  Grégoire  XVI  approuvait  l'œuvre 
commencée,  érigeait  le  prieuré  en  abbaye  et  nommait 
dom  Guéranger  abbé  de  Saint-Pierre  de  Solesmes  et 
supérieur  général  de  la  congrégation  de  France  de 
l'ordre  de  Saint-Benoît.  Le  nouvel  abbé  revenait  aus- 
sitôt en  France  et  le  21  novembre  il  recevait  la  pro- 
fession de  ses  premiers  compagnons.  L'évêque  du 
Mans,  Mgr  Bouvier,  s'était  montré  tout  d'abord  très 
favorable  à  l'œuvre  de  la  restauration  bénédictine; 
ses  dispositions  ne  tardèrent  pas  à  se  modifier.  L'exemp- 
tion monastique  et  les  privilèges  accordés  aux  supé- 
rieurs des  abbayes  lui  parurent  une  diminution  de  son 
autorité  épiscopale.  De  là  naquirent  des  difficultés  de 
toute  nature  dont  les  conséquences  pesèrent  lour- 
dement sur  dom  Guéranger  pendant  tout  le  reste  de  sa 
vie.  L'abbé  de  Solesmes  ne  laissait  pas  toutefois  de 
continuer  ses  travaux.  En  1840  paraissait  le  Ier  vol.  des 
Institutions  liturgiques,  in-8°,  le  Mans  et  Paris,  traduit 
en  allemand  par  le  Dr  Jacob  Fluck  :  Geschichle  der  Litur- 
gie, in-8°,  Ratisbonne,  1854  ;  le  IIe  fut  publié  en  1 841  et  le 
me  seulement  en  1851,in-8°,  Paris.  L'auteur  montrait 
que  les  missels  et  bréviaires  introduits  dans  la  plupart  des 
églises  de  France  au  xvne  et  au  xvine  siècle  manquaient 
de  valeur  et  d'autorité  et  qu'il  fallait  revenir  à  la  liturgie 
romaine.  Par  suite  des  polémiques  soulevées  par  l'ap- 
parition de  cet  ouvrage,  dom  Guéranger  fut  amené  à 
publier  :  Lettre  à  Mgr  l'archevêque  de  Reims  sur  le  droit 
de  la  liturgie,  in-8°,  le  Mans,  1843;  Défense  des  Insti- 
tutions liturgiques,  Lettre  à  Mgr  l'archevêque  de  Tou- 
louse, in-8°,  le  Mans  et  Paris,  1844;  Nouvelle  défense 
des  Institutions  liturgiques  :  trois  Lettres  «  Mgr  l'évêque 
d'Orléans,  3  in-8°,  le  Mans  et  Paris,  1846-1847.  La 
2e  édition  des  Institutions  liturgiques,  4  in-8°,  Paris, 
1878-1885,  reproduit  toutes  ces  brochures.  En  même 
temps  qu'il  travaillait  avec  succès  au  rétablissement 
de  la  liturgie  romaine  dans  l'Église  de  France,  dom 
Guéranger  commençait  la  publication  de  l'Année  litur- 
gique, destinée  à  donner  à  tous  les  chrétiens  cette 
éducation  surnaturelle  que  recueillent  du  cœur  de 
l'Église  tous  les  fidèles  en  communion  avec  sa  liturgie. 
Le  1er  vol.,  L'Avenl  liturgique,  parut  en  1841,  in-12, 
le  Mans.  L'ouvrage  complet  compte  15  vol.;  les  neuf 
premiers  seuls  sont  l'œuvre  de  dom  Guéranger.  Un  de 
ses  fils  devait  continuer  et  terminer  heureusement 
l'Année  liturgique.  Chacun  des  volumes  a  eu  de  nom- 
breuses éditions  et  a  été  traduit  en  italien,  en  anglais 
et  en  allemand.  Au  milieu  de  tous  ses  travaux  et  des 
préoccupations  inséparables  d'un  monastère  se  déve- 
loppant malgré  bien  des  difficultés,  dom  Guéranger 
n'était  indifférent  à  aucun  des  événements  intéressant 
la  vie  de  l'Église  à  son  époque.  Le  nonce  à  Paris, 
Mgr  Fornari,  qui  se  plaisait  à  lui  témoigner  la  plus 
confiante  amitié,  Mgr  Pie,  évêque  de  Poitiers,  le  pres- 
sèrent de  composer  un  écrit  qui  pût  hâter  le  mo- 
ment où  Rome  proclamerait  dogme  de  foi  l'immaculée 
conception  de  la  Mère  de  Dieu.  Le  travail  demandé 
parut  sous  le  titre  :  Mémoire  sur  la  question  de  l'im- 
maculée conception  de  la  très  sainte  Vierge,  in-8°,  Paris, 
1850.  Ce  travail  fut  très  remarqué,  et  Mgr  Malou, 
évêque  de  Bruges,  pouvait  écrire  :  «  De  tous  les  écrits 
publiés  en  1850  sur  le  mystère  de  l'immaculée  concep- 
tio  i,  le  plus  remarquable,  sans  contredit,  est  le  Mémoire 


de  dom  Guéranger.  »  L'année  suivante,  l'abbé  de 
Solesmes  était  obligé  de  se  rendre  à  Rome,  où  Pie  IX 
l'accueillit  avec  la  plus  paternelle  bonté,  et  le  nomma 
consulteur  des  S.  C.  de  l'Index  et  des  Rites.  Effrayé  des 
tendances  naturalistes  qu'il  remarquait  dans  l'étude  de 
la  philosophie  et  l'histoire,  dom  Guéranger  publia 
dans  Y  Univers,  12  octobre  1856-20  décembre  1857, 
une  série  d'articles  reproduits  avec  quelques  modifi- 
cations dans  un  volume  intitulé  :  Essais  sur  le  natura- 
lisme contemporain.  M.  de  Broglie,  historien  de  l'Église, 
in-8°,  Paris,  1858.  L'affaire  Mortara  vint  ensuite  lui 
fournir  l'occasion  de  proclamer  les  droits  de  l'Église 
à  maintenir  l'enfant  en  possession  des  avantages  qu'il 
a  reçus  dans  son  baptême  et  il  le  fit  dans  un  article 
fort  apprécié  à  Rome  et  publié  dans  l' Univers  du  24  oc- 
tobre 1858. 

L'œuvre  principale  de  dom  Guéranger,  la  restau- 
ration de  la  vie  bénédictine,  ne  laissait  pas  cepen- 
dant de  progresser.  Sur  l'invitation  de  Mgr  Pie,  des 
moines  de  Solesmes  avaient  en  1853  relevé  l'antique 
abbaye  de  Saint-Martin  de  Ligugé,  et  en  1865  un  prieuré 
était  fondé  dans  la  ville  de  Marseille  sous  le  patronage 
de  sainte  Madeleine.  Les  religieux  allemands  qui  de- 
vaient établir  l'abbaye  et  la  congrégation  de  Saint- 
Martin  de  Beuron  venaient  à  Solesmes  recevoir  les 
conseils  et  profiter  de  l'expérience  de  dom  Guéranger. 
Puis  en  1866  celui-ci  commençait  la  fondation  d'un 
monastère  de  bénédictines  qu'il  plaçait  sous  le  vocable 
de  sainte  Cécile.  De  ses  voyages  à  Rome  l'abbé  de 
Solesmes  avait  rapporté  une  tendre  dévotion  à  la 
grande  martyre  romaine.  En  1849,  il  avait  publié  une 
Histoire  de  sainte  Cécile,  vierge  et  martyre,  in-12,  Paris; 
2e  édit.,  in-12,  Paris,  1853,  ouvrage  traduit  en  anglais, 
en  allemand  et  en  italien.  Plus  tard,  il  reprit  ce  travail, 
le  refit  complètement  sous  le  titre  :  Sainte  Cécile  et  la 
société  romaine  aux  deux  premiers  siècles,  in-4°,  Paris, 
1874;  in-8°,  Paris,  1878  :  sous  ces  deux  formats  l'ou- 
vrage eut  de  nombreuses  éditions.  Mais  tant  de  tra- 
vaux avaient  e  i  raison  des  forces  de  dom  Guéranger  : 
aussi  quand  il  reçut  l'invitation  de  se  rendre  au  concile 
du  Vatican,  il  dut  faire  agréer  ses  excuses.  Malgré  les 
pressantes  et  affectueuses  sollicitations  du  cardinal 
Pitra,  de  Mgr  Pie,  évêque  de  Poitiers,  de  Mgr  Fillion, 
évêque  du  Mans,  de  Louis  Veuillot,  il  demeura  dans 
son  abbaye  de  Solesmes,  suivant  avec  attention  les 
polémiques  engagées  soit  en  France,  soit  à  l'étranger 
au  sujet  de  l'infaillibilité  du  pontife  romain.  Il  publia 
alors  :  Première  défense  de  l'Église  romaine  contre  les 
accusations  du  Ii.  P.  Gralrij,  dans  la  Revue  du  monde 
catholique.  10  février  1870,  et  in-8°,  le  Mans  et  Paris; 
Deuxième  défense,  dans  la  Revue  du  monde  catholique, 
25  mars  1870,  et  in-8°,  Paris;  Troisième  défense,  dans 
l'Univers,  3,  11  et  21  juin,  7  juillet  1870,  articles  inti- 
tulés :  La  quatrième  lettre  du  P.  Gralry;  cette  troisième 
défense  fut  traduite  en  anglais  :  Defence  of  the  Roman 
Church  against  Falher  Gralry,  in-8°,  Londres,  1870: 
Réponse  aux  dernières  objections  contre  la  définition  de 
l'infaillibilité  du  pontife  romain,  in-8°,  Paris,  1870; 
De  la  définition  de  l'infaillibilité  papale  à  propos  de  la 
lettre  de  Mgr  d'Orléans  à  Mgr  de  Mcdincs,  dans  la  Revue 
du  monde  catholique,  avril  1870,  et  in-8°,  Paris;  De  la 
monarchie  pontificale  à  propos  du  livre  de  Mgr  de  Sura, 
in-8°,  Paris,  1870;  deux  autres  éditions  parurent  en 
cette  même  année  ainsi  qu'une  traduction  allemande  : 
Die  hôchste  Lehrgewalt  des  Papstes,  in-8°,  Mayence, 
1870.  Pie  IX,  quelques  années  plus  tard,  après  la  mort 
de  dom  Guéranger,  dans  un  bref  du  19  mars  1875, 
louait  l'abbé  de  Solesmes  de  s'être  appliqué  pendant 
toute  sa  longue  vie  à  défendre  courageusement,  dans 
des  écrits  de  la  plus  haute  valeur,  la  doctrine  de  l'Église 
romaine  et  les  prérogatives  du  pontife  romain,  brisant 
les  efforts  et  réfutant  les  erreurs  de  ceux  qui  les  com- 
battaient. 


1897 


GUERANGER 


GUERET 


1898 


En  plus  des  ouvrages  mentionnés  ci-dessus,  nous 
signalerons  encore  parmi  les  écrits  de  dom  Guéranger  : 
Notice  sur  le  prieuré  de  Solesmes,  in-8°,  h  Mans,  1834; 
Officia  propria  congregalionis  Gallicœ  0.  S.  B.  cum  plu- 
rimis  aliis  jam  anlea  concessis,  4  in-24,  s.  1.  n.  d.  ;  Notice 
sur  l'abbaye  de  Solesmes,  in-12,  le  Mans,  1839;  Expli- 
cations sur  les  corps  des  saints  martyrs  extraits  des  Cala- 
combes  et  sur  le  culte  qu'on  leur  rend,  in-12,  Angers, 
1839;  Lettres  sur  les  Institutions  liturgiques,  dans  l'Ami 
de  la  religion,  9  février,  15  et  20  juin,  5  septembre  1843; 
Lettre  à  M.  Hauréau  sur  sa  brochure  intitulée  :  Manuel 
du  clergé  ou  examen  de  l'ouvrage  publié  sous  le  litre  de 
Dissertatio  in  sextum  Decalogi  prseceplum  et  supplemen- 
tum  ad  Iraclatum  de  matrimonio,  in-8°,  le  Mans,  1843, 
sous  la  signature  Ulysse  Pic;  Fin  de  la  controverse  sur 
l'inamovibilité  des  desservants,  dans  V Auxiliaire  catho- 
lique, 1845,  t.  i,  p.  65;  De  quelques  attaques  contre  la 
théologie  casuistique,  ibid.,  p.  129;  Constilution  de 
S.  S.  Grégoire  XVI  sur  les  rapports  du  Sainl-Siègj 
avec  les  chefs  politiques  des  divers  États,  ibid.,  p.  166; 
Premier  concile  de  Baltimore,  ibid.,  t.  i,  p.  193,  321; 
t.  ii,  p.  5  ;  Des  curés  et  de  leurs  droits  dans  l'Église,  ibid., 
1. 1,  p.  257;  t.  ii,  p.  65;  Décisions  récentes  du  siège  apos- 
tolique sur  la  matière,  la  forme  et  les  cérémonies  des  sacre- 
ments, ibid.,  t.  i,  p.  294,  483  ;  Étude  sur  le  Manuale  com- 
pendium  doclrinse  moralis  de  virtutibus,  auctore  Lequeux, 
ibid.,  1. 1,  p.  385;  t.  ii,  p.  193;  Constilution  de  S.  S.  Gré- 
goire XVI  contre  les  erreurs  de  l'hermésianisme,  ibid., 
t.  i,  p.  422;  De  l'institution  du  dimanche,  ibid..  t.  ii, 
p.  183;  Dissertation  sur  la  manière  dont  il  faut  entendre 
cet  axiome  :  La  discipline  est  muable  de  sa  nature,  ibid., 
t.  m,  p.  354,  476;  t.  iv,  p.  417;  Lettre  à  Mgr  l'évêque 
d'Orléans  (sur  la  liturgie),  dans  l'Ami  de  la  religion  et 
dans  l'Univers,  27  décembre  1845;  Essai  historique  sur 
l'abbaye  de  Solesmes,  suivi  de  la  description  de  l'église 
abbatiale,  avec  l'explication  des  monuments  qu'elle  ren- 
ferme, in-8°,  le  Mans,  1846;  Du  droit  des  êvêques  sur  la 
liturgie,  dans  l'Univers,  3  juin  1849;  Lettre  à  propos 
d'un  article  de  M.  l'abbé  Bouix  sur  la  présence  des 
abbés  aux  conciles  provinciaux,  dans  l'Univers,  13  oc- 
tobre 1849;  Pontificale  romanum...  auctore  Josepho 
Catalano.  Nova  edilio  recognita  et  novis  commentariis 
et  annolationibus  locuplclala,  accuranle  aliquo  sacrorum 
rituum  cultore,  3  in-4°,  Paris,  1850-1852;  Des  prélats 
inférieurs  aux  évèques  et  de  leurs  privilèges,  dans  les 
Analecta  juris  ponlificii,  1857,  p.  2074  et  2206;  Le  jan- 
sénisme et  la  Compagnie  de  Jésus,  dans  la  Revue  de 
l'Anjou  et  du  Maine,  IIe  série,  t.  n,  p.  289;  t.  m,  p.  75 
et  136,  et  in-8°,  Angers,  1857;  Du  naturalisme  dans  la 
philosophie,  dans  l'Univers,  du  27  septembre  1857  au 
17  janvier  1858;  Du  naturalisme  dans  l'histoire,  dans 
l'Univers,  du  31  janvier  1858  au  3  juillet  1859;  Marie 
d'Agréda  et  la  Cité  mystique,  dans  l'Univers,  du  23  mai 
1858  au  7  novembre  1859;  L'Église  et  l'empire  romain 
au  iv>  siècle  :  études  sur  le  livre  de  M.  A.  de  Broglie, 
t.  m  cl  i  v,dans  l' Univers,  du  20  novembre  1859  au  29  jan- 
vier 1860  ;  Madame  Swetchine,  sa  vie  et  ses  œuvres,  éludes 
sur  le  livre  de  M.  le  comte  de  Falloux,  dans  le  Monde,  du 
8  juilletau30  décembre  1860;  Sainl  Louis  et  la  papauté, 
dans  le  Monde,  du  21  mai  1860  au  18  février  1861  ;  Sixte- 
Quint  et  Henri  IV,  éludes  sur  le  livre  de  M.  A.  Segrélain, 
dans  le  Monde,  du  19  août  1861  au  5  janvier  1862; 
Enchiridion  benediclinum,  complectens  vitam  et  laudes 
sanctissimi  occidenlalium  monachorum  palriarchœ.  Ac- 
cedunt  Excreitia  sanctse  Gertrudis  Magnœ  et  Blosii 
spéculum,  in-12,  Angers,  1862;  Essai  sur  l'origine,  la 
signification  et  les  privilèges  de  la  médaille  ou  croix  de 
sainl  Benoît,  in-18,  Poitiers  et  Paris,  1862,  traduit  en 
allemand  et  en  anglais  ainsi  que  l'ouvrage  suivant  : 
Les  exercices  de  sainte  Gerlrude,  vierge  et  abbesse  de 
l'ordre  de  Saint-Benoît,  in-32,  Poitiers  et  Paris,  1863; 
lnscriptiones  christianse  urbis  Romse  sasculo  Vil»  anli- 
quiores.  Élude  sur  le  livre  de  M.  De  Rossi  dans  le  Monde, 


2  février  1863;  William  Faber,  ibid.,  3  et  19  janvier 
1864;  Imagines  selectse  Deiparx  virginis  in  cœmeleriis 
sublerraneis  udo  descriplœ.  Étude  sur  V ouvrage  de  M.  De 
Rossi,  dans  le  Monde,  7  mars  1864;  Roma  sotleranea 
christiana.  Élude  sur  les  tomes  i  et  n  de  l'ouvrage  de 
M.  De  Rossi,  dans  le  Monde,  28  décembre  1865  et 
2  février,  1er  mai  1866;  Roma  sotteranea,  t.  u,  dans 
1'  Univers,  27  octobre,  7  décembre  1868  et  4  février 
1869;  dans  la  Revue  de  l'art  chrétien,  1868,  t.  xi,  p.  481  ; 
1869,  t.  xin,  p.  60  et  177;  L'Église  romaine  et  le  pre- 
mier empire  à  propos  du  livre  de  M.  d'Haussonville, 
dans  l' Univers,  du  18  mai  1868  au  3  octobre  1869  ;  Expli- 
cation des  prières  et  des  cérémonies  de  la  messe  d'après 
des  noies  recueillies  aux  conférences  de  dom  Guéranger, 
in-18,  Solesmes,  1884,  traduit  en  anglais,  en  allemand, 
en  italien  et  en  espagnol;  Conférences  sur  la  vie  chré- 
tienne prononcées  dans  le  chapitre  de  Saint-Pierre  de 
Solesmes,  2  in-4°,  Solesmes, 1880-1884  ;  Notions  sur  la  vie 
religieuse  et  monastique,  in-16,  Solesmes, 1885,  traduit  en 
anglais,  en  allemand  et  en  espagnol.  Dans  un  volume 
intitulé  :  Mélanges  de  liturgie,  d'histoire  et  de  théologie, 
in-8°,  Solesmes,  1887,  sont  reproduits  quelques-uns  des 
ouvrages  que  dom  Guéranger  publia  de  1830  à  1837. 

Dom  Guéranger,  abbé  de  Solesmes,  par  un  moine  béné- 
dictin (dom  Delatte),  2  in-8°,  Paris,  1909;  Mgr  Pie,  Oraison 
funèbre  du  T.  R.  P.  dom  Prosper  Guéranger,  abbé  de  Solesmes, 
supérieur  de  la  congrégation  bénédictine  de  France,  in-8°, 
Paris  et  Poitiers,  1875;  Mgr  Freppel,  Discours  sur  l'ordre 
monastique  prononcé  dans  l'église  abbatiale  de  Solesmes  à 
l'anniversaire  des  obsèques  de  dom  Guéranger,  in-8°,  Angers, 
1876;  Bibliographie  des  bénédictins  de  la  congrégation  de 
France,  in-8°,  Solesmes,  1889,  p.  3-33;  2a  édit.,  in-8°,  Paris, 
1906,  p.  55-71  ;  dom  A.  Guépin,  Solesmes  et  dom  Guéranger, 
in-12,  le  Mans,  1876;  Dom  Prosper  Guéranger,  abbé  de 
Solesmes,  restaurateur  de  l'ordre  de  Saint-Benoît  et  de  la 
liturgie  romaine  en  France,  dans  le  Bulletin  de  Saint-Martin 
et  de  Saint-Benoit,  1905,  t.  xm,  p.  225  et  257;  Dom  Gué- 
ranger et  Madame  Durand,  souvenirs  monastiques  d'après 
la  correspondance  de  l'abbé  de  Solesmes,  in-8°,  Paris,  1911; 
abbé  Pichon,  Étude  sur  la  vie  et  les  ouvrages  du  T.  R.  P.  dom 
Guéranger,  abbé  de  Solesmes,  in-8°,  le  Mans,  1875;  dom 
Thomas  Buhler,  Dom  Prosper  Guéranger,  Abt  von  Solesmes 
und  Neubegrunder  des  Benediklinerordens  in  Frankreich, 
dans  Studien  und  Mitlheilungen  aus  dem  Benedictincr-Orden, 
1905,  p.  95;  L.  Calendini,  Dom  Guéranger  et  Mgr  Gerbet 
d'après  trois  lettres  autographes,  dans  les  Annales  Flé- 
choises,  1905,  p.  39;  A.  Roussel,  Correspondance  de  Lamen- 
nais et  de  l'abbé  Guéranger,  in-16,  Lyon,  1906;  dom  Dé- 
maret,  Un  moine,  dom  Guéranger,  abbé  de  Solesmes,  dans 
les  Questions  ecclésiastiques,  avril-juin  1910;  Montalembert 
et  dom  Guéranger,  Lettres  inédites,  dans  les  Annales  de 
philosophie  clvétienne,  novembre  1910;  P.  Dudon,  Huit 
lettres  inédites  de  Lamennais  à  Guéranger  (1830-1832),  dans 
Le  mois  littéraire,  juillet  1911  ;  Delfour,  Dom  Guéranger, 
dans  l'Université  catholique,  1911,  t.  lxvi,  p.  1;  Hurter, 
Nomenclalor,  1913,  t.  v,  col.  1839-1843;  dom  Piolin,  Les 
contemporains,  1893,  n.  6;  J.  Chantrel.Le  T.  R.  P.  dom  Gué- 
ranger, abbé  de  Solesmes,  Paris,  1875. 

B.  Heurtebize. 
GUÉRET  Louis  Gabriel,  théologien  janséniste,  né 
en  1678  à  Paris  où  il  mourut  le  10  septembre  1759. 
Fils  d'un  avocat  au  parlement,  il  embrassa  la  carrière 
ecclésiastique,  se  fit  recevoir  docteur  en  théologie  et 
devint  grand  vicaire  de  l'évêque  de  Rodez.  Son  attache- 
ment aux  doctrines  jansénistes  lui  valut  d'être  plu- 
sieurs fois  frappé  d'interdit.  Il  mourut  âgé  de  80  ans 
chez  son  frère,  le  curé  de  Saint-Paul,  qui  lui  donna  les 
derniers  sacrements.  Parmi  ses  ouvrages  nous  men- 
tionnerons :  Réflexions  d'un  théologien  sur  i instruction 
pastorale  de  M.  de  Cambray,  in-4°,  1735;  Observations 
sur  le  sentiment  de  Mgr  l'archevêque  de  Cambray,  in-4°; 
Mémoire  sur  les  immunités  du  clerg\  in-12,  1751;  Avis 
d'un  docteur  de  Sorbonne  au  sujet  de  la  déclaration  du  roi 
du  17  août  1750  et  de  la  réponse  du  clergé  de  France, 
in-12,  Berlin  (Paris),  1751  ;  Lettre  d'un  théologien  sur 
l'exaction  des  billets  de  confession  pour  administrer  le 
saint  viatique,  in-12,  1751;   Droit  qu'ont  les  curés  de 


1899 


GUÉRET  —  GUERRE 


1900 


commettre  leurs  vicaires  et  les  confesseurs  dans  leurs 
paroisses,  suivi  d'une  dissertation  sur  les  interdits  arbi- 
traires des  confesseurs,  in-12,  Paris,  1753  ;  la  dissertation 
est  du  P.  Timothée  de  Livoy,  barnabite;  Lettre  au 
sujet  du  nouveau  bref  de  Benoit  XIV,  in-4°,  1756. 

Nouvelles  ecclésiastiques,  16  octobre  1759;  Quérard,  La 
France  littéraire,  t.  m,  p.  507;  Biographie  universelle  de 
Michaud,  t.  xviii,  p.  53;  Picot,  Mémoires  pour  servir  à 
l'histoire  ecclésiastique  du  XVIW  siècle,  3°  édit.,  Paris,  1855, 
t.  IV,  p.  426-427  ;  P.  Féret,  La  faculté  de  théologie  de  Paris. 
Époque  moderne,  1910.  t.  vu,  p.  159-163. 

B.  Heurtebize. 

GUERRE.  —  I.  Définition  et  division.  II.  La  guerre 
et  le  droit  naturel.  III.  La  guerre  et  l'Écriture  sainte. 
IV.  La  guerre  et  les  saints  Pères.V.  La  guerre  et  l'Église. 
VI.  Questions  morales  se  rapportant  aux  préliminaires 
de  la  guerre.  VIL  De  ce  qui  est  permis  durant  la  guerre. 
VIII.  Du  droit  conféré  par  la  victoire.  IX.  Des  efforts 
tentés  pour  faire  disparaître  la  guerre,  ou,  du  moins,  en 
atténuer  les  effets.  X.  Violations  récentes  du  droit  des 
gens  et  de  la  justice  éternelle  commises  par  des 
belligérants  sans  conscience.  XI.  Des  conséquences 
surnaturelles  de  la  guerre. 

I.  Définition  et  division.  —  1°  Le  mot  guerre  est 
d'origine  germanique.  Par  l'intermédiaire  de  la  basse 
latinité,  guerra,  gwerra,  werra,  il  dérive  de  l'allemand 
wchr,  arme,  moyen  de  résistance,  qui  se  retrouve  dans 
les  mots  saxons  war,  warre  et  werre;  et  clans  les  langues 
néo-latines,  italien  et  espagnol,  guerra.  Cf.  Du  Cange- 
Henschell,  Glossarium  mediœ  et  infimœ  latiniiatis,  10  in- 
4°,  Niort,  Paris,  1883-1887,  t.  iv,  p.  129;  t.  vm,  p.  414; 
Diefenbach,  Glossarium  lalino-germankum  mediœ  et 
infimœ  œtalis,  in-4°,  Francfort-sur-le-Mein,1857,  p.  270, 
272;  Diez,  Etymologischcs  Wôrterbuch  der  romanischen 
Sprachen,  in-4°,Bonn,  1887,  p.  179.  Ce  mot  germanique, 
cependant,  signifie  plutôt  arme  défensive,  résistance 
passive,  comme  les  mots  analogues  qui,  dans  les  lan- 
gues modernes,  dérivent,  ainsi  que  lui,  du  sanscrit, 
dans  lequel  la  racine  vri,  ou  var,  signifie  plutôt  s'en- 
tourer, s'envelopper,  comme  pour  se  garder,  pour  se 
garantir,  etc.  On  ne  pourrait  pas  inférer  de  là,  évidem- 
ment, que  les  anciens  n'ont  fait,  ou  n'ont  considéré 
comme  légitime  que  la  guerre  défensive.  Toute  l'his- 
toire, depuis  le  berceau  de  l'humanité,  protesterait 
contre  cette  assertion. 

2°  Au  sens  figuré,  le  mot  guerre  signifie  une  lutte 
quelconque  :  la  vie  de  l'homme  est  une  guerre  per- 
manente avec  lui-même,  avec  les  besoins  de  l'existence, 
avec  les  passions  qui  l'inclinent  au  mal,  etc.  Mililia 
est  vita  hominis  super  lerram.  Job,  vu,  1. 

3°  Dans  un  sens  large,  quoique  déjà  plus  approprié, 
le  mot  guerre  signifie  toute  lutte  qui  s'accomplit  non  pas 
seulement  par  un  conflit  de  paroles,  ou  d'arguments, 
comme  le  serait  une  discussion  ou  une  dispute,  mais 
par  l'emploi  de  la  force  matérielle  ou  de  la  violence. 
C'est  à  ce  point  de  vue  que  Cicéron  a  dit  :  In  republica 
maxime  conservanda  sunt  jura  belli.  Nam  cum  sinl  duo 
gênera  decertandi,  unum  per  discepiationcm,  aller um  per 
oim;  cumque  illud  proprium  sil  hominis,  hoc  belluarum  : 
confugiendum  est  ad  posterïus,  si  uti  non  lied  superiore. 
De  officiis,  1.  I,  c.  xi.  Les  juristes  modernes,  dans  leurs 
traités  de  droit  des  gens,  ont  souvent  donné  aussi  une 
définition  semblable  :  Bellum  est  slalus  per  vim  cerlan- 
tium,  qua  Iules  sunt.  Grotius,  De  jure  belli  et  pacis,  1.  I, 
c.  i.  in-4°,  Leyde,  1625;  édit.  française,  2  in-4°,  Ams- 
terdam, 1724.  Dans  la  seconde  moitié  du  xvinf  siècle, 
de  Vattel  s'exprimait  de  même  :  «  La  guerre  est  cet  état 
dans  lequel  on  poursuit  son  droit  parla  force.  »  Le  droit 
des  gens,  1.  III,  c.  i,  §  1,3  in-8°,  Paris,  1830-1838,  t.  n, 
p.  77.  Ainsi  défini,  le  mot  guerre  s'applique  autant  à  la 
guerre  privée,  c'est-à-dire  d'individu  à  individu,  qu'à  la 
guerre  publique,  c'est-à-dire  de  multitudes  à  multitu- 
des ;  il  s'a  pplique  également  aux  subdivisions  de  la  guerre 


privée,  comme  la  simple  rixe,  le  duel,  etc..  et  aux  subdi- 
visions de  la  guerre  publique  :  guerre  civile  ou  intestine 
entre  les  citoyens  d'une  même  nation  ;  sédition,  entre  ha- 
bitants d'une  même  ville  ;guerre  étrangère, d'État  à  État. 

4°  Au  sens  propre,  chez  les  anciens  comme  chez  les 
modernes,  le  mot  guerre  signifie  la  lutte  entreprise  au 
nom  et  par  l'autorité  constituée  d'une  société  civile 
contre  les  ennemis  du  dehors.  Ainsi  la  définit  saint 
Thomas,  qui  la  distingue  de  tous  les  autres  genres  de 
conflit,  par  ces  paroles  :  Bellum  proprie  est  contra 
exlraneos  hostes,  quasi  multitudinis  ad  multitudinem; 
rixa  autem  est  unius  ad  unum,  aut  paucorum  ad  paucos  ; 
seditio  autem  proprie  est  inter  pares  unius  multitudinis 
inter  se  dissentientes,  pula  cum  una  pars  civilalis  exci- 
talur  in  lumultum  contra  aliam.  Sum.  theol.,  II»  II*, 
q.  xlii,  a.  1. 

5°  Le  droit  international,  depuis  assez  longtemps, 
entend  par  guerre,  non  pas  seulement  proprement, 
mais  uniquement,  l'état  de  lutte  à  main  armée  entre 
deux  ou  plusieurs  nations  indépendantes,  cherchant  à 
conquérir  par  la  force  des  armes  ce  qu'elles  n'ont  pu 
obtenir  par  des  négociations,  soit  que  par  ce  moyen 
elles  tâchent  de  faire  prévaloir  leurs  prétentions,  soit 
qu'elles  ne  visent  qu'à  se  défendre  contre  les  préten- 
tions des  autres.  Cf.  Dalloz,  Dictionnaire  pratique  de 
droit  public,  au  mot  Guerre,  §  1,  n.  1-2,  in-îol.,  Paris, 
1905,  p.  701  ;  cf.  art.  1er  de  la  Conférence  internationale 
de  La  Haye,  en  1307. 

Par  définition,  la  guerre  est  un  «  état  de  lutte  »,  non 
un  simple  combat  :  celui-ci  n'est  qu'un  acte  transitoire 
ou  un  épisode  particulier  de  la  guerre,  qui  peut  conti- 
nuer, même  quand  il  n'y  a  pas  actuellement  de  combats. 
De  même,  on  appelle  ennemis  de  guerre,  non  pas  seu- 
lement ceux  qui  luttent  au  moment  du  combat,  mais 
tous  ceux  qui,  par  conseils,  machinations,  ou  toute 
autre  mesure,  préparent  le  combat,  ou  en  assurent  le 
résultat  favorable. 

On  dit  aussi  que  la  guerre  n'est  qu'entre  nations 
indépendantes,  considérées  comme  telles,  inter  na- 
tiones  libéras,  qua  taies.  La  guerre,  en  effet,  n'a  pas  lieu 
entre  citoyens  particuliers  de  diverses  nations,  soit  pris 
individuellement,  soit  même  pris  collectivement;  mais 
seulement  entre  ces  nations  elles-mêmes,  en  tant  que 
chacune  d'elles,  sous  le  pouvoir  suprême  du  gouver- 
nement monarchique,  oligarchique,  ou  démocratique 
qu'elle  s'est  donné,  constitue  une  personne  publique  et 
politique.  Il  s'ensuit  que  les  citoyens,  ou  leurs  groupe- 
ments particuliers  de  diverses  sortes  :  associations,  syn- 
dicats, académies,  etc.,  dont  se  compose  la  nation  qui 
est  en  guerre,  ne  sont  impliqués  dans  cette  guerre  que 
secondairement,  et  comme  indirectement,  car  ils  ne 
prennent  part  à  la  guerre  que  sur  le  mandat  et  au  nom 
de  la  nation  elle-même  qu'ils  soutiennent  par  les 
ai  ni'  s,  ou  dont  ils  augmentent  les  forces  par  leur  action. 

Certains  auteurs  ont  défini  la  guerre  :  Violati  ordinis 
publici  violenta  rcslitutio  :  le  rétablissement  par  la 
force  de  l'ordre  public  violemment  troublé.  Mais,  outre 
que  cette  définition  peut  tout  aussi  bien  s'appliquer  à 
la  répression  des  séditions  et  à  la  guerre  civile,  elle  ne 
paraît  convenir  qu'à  la  guerre  juste,  ou  à  la  guerre 
défensive.  Cf.  Zigliara,  Elhica  et  jus  nalurœ,  part.  II, 
1.  II,  c.  ni,  a.  2,  n.  1,  Summa  philosophica.  3  in-12,  Paris, 
1887,  t.  m,  p.  289.  Il  faudrait  que  la  définition  de  la 
guerre,  même  entre  nations  différentes,  convînt  à 
toutes  les  guerres  de  diverses  sortes  qui  peuvent  exister 
entre  elles,  qu'elles  soient  guerres  justes,  ou  non,  et 
quels  qu'en  soient  l'origine  et  les  motifs. 

6°  La  guerre  entre  nations  indépendantes  est  défen- 
sive, ou  offensive,  suivant  qu'une  nation  prend  les 
armes  pour  repousser  un  ennemi  qui  l'attaque,  ou 
qu'elle  les  prend  la  première,  pour  attaquer  un  autre 
peuple  qui,  jusqu'à  ce  moment-là,  vivait  en  paix  avec 
elle.  Cf.  de  Vattel,  op.  cil.,  §  5,  t.  il,  p.  79.  Cette  difîé- 


1901 


GUERRE 


1902 


rence  provient  donc  d'un  fait  purement  extérieur,  car 
la  guerre  qui  est  vraiment  défensive  chez  une  nation, 
est  offensive  chez  son  ennemie,  et  réciproquement.  On 
pourrait,  cependant,  appeler  aussi  guerre  défensive, 
quoique  dans  un  sens  un  peu  plus  large,  la  guerre 
entreprise  pour  empêcher  une  violation  de  droit  im- 
minente, ou  ayant  déjà  reçu  un  commencement  d'exé- 
cution, bien  que  la  nation  ennemie  n'ait  pas  encore  pris 
les  armes,  dans  le  but  de  soutenir  cette  injustice  mé- 
ditée, ou  déjà  perpétrée  en  partie.  Guerre  défensive 
serait,  aussi,  dans  un  cas  analogue,  celle  pour  demander 
ou  obtenir  une  réparation  proportionnée  au  dommage 
matériel  ou  moral  causé;  ou  encore,  avec  un  ennemi 
turbulent  et  toujours  dangereux,  pour  assurer  une 
paix  plus  durable  et  plus  solide.  Dans  ce  cas,  ce  qui 
semble  une  agression,  ne  serait,  en  réalité,  qu'un  acte 
de  légitime  défense.  Cf.  Suarez,  De  charilate,  disp. 
XIII,  De  bello,  sect.  i,  n.  6,  Opéra  omnia,  28  in-4°,  Paris, 
1856-1878,  t.  xii,  p.  738.  De  même,  la  guerre  offensive 
est  celle  qui  est  soutenue  par  le  parti  dont  les  agisse- 
ments l'ont  provoquée  et  rendue  inévitable,  alors 
même  que  ce  parti  n'aurait  pas  accompli,  de  son  côté  les 
premiers  actes  d'hostilité  matérielle,  car,  suivant  le  mot 
de  Montesquieu,  le  véritable  auteur  d'une  guerre  n'est 
pas  celui  qui  la  déclare,  mais  celui  qui  la  rend  nécessaire. 

II.  La  guerre  et  le  droit  naturel.  —  1°  Histo- 
rique et  erreurs.  —  1.  La  guerre  est  certainement  un  des 
plus  grands  fléaux  de  l'humanité,  et  ce  n  est  pas  sans 
motif  que  l'Église  met  sur  les  lèvres  de  ses  enfants  cette 
supplication  :  A  peste,  famé  et  bello  libéra  nos,  Domine. 
Très  souvent  ces  trois  maux  n'en  font  qu'un,  car  la 
guerre  entraîne  à  sa  suite  les  épidémies  et  la  famine. 
La  guerre  est  aussi,  à  n'en  pas  douter,  une  des  suites 
les  plus  désastreuses  du  péché  originel,  soit  à  cause  des 
misères  physiques  dont  elle  est  la  source,  soit  à  cause 
de  la  perte  des  âmes  qui,  si  nombreuses,  paraissent 
devant  le  juge  souverain,  sans  aucune  préparation,  et 
dans  l'ivresse  du  carnage  ou  les  fureurs  de  la  haine. 
L'homme,  s'étant  révolté  contre  Dieu,  non  seulement 
a  vu  les  créatures  se  révolter  contre  lui,  mais  il  a  été 
aussi,  depuis  lors,  en  lutte  avec  lui-même  et  avec  ses 
semblables.  La  terre,  jusque-là  paradis  de  délices,  est 
devenue  aussitôt  un  champ  de  bataille,  et,  avec  la  faute 
de  notre  premier  père,  s'est  introduite  dans  le  monde  la 
lutte  pour  la  vie,  le  strugglc  [or  li/e.  Dans  son  Spéculum 
doctrinale,  Vincent  de  Beauvais  enseigne  que  le  nom 
latin  de  guerre,  bellum,  dérive  de  bclluis,  bêtes  fauves, 
parce  que,  dit-il,  bellanies  sœpe  ferilatem  belluarum 
imilantur,  1.  XI,  c.  xxvi,  10  in-fol.,  Strasbourg,  1473. 
Cf.  Cicéron,  De  ofjiciis,  1.  I,  c.  xi. 

Abstraction  faite  de  la  faute  originelle  et  de  la  ter- 
rible sanction  qui  l'a  suivie  pour  toute  la  postérité 
d'Adam,  car  c'est  par  le  péché  du  premier  homme  que 
la  mort  est  entrée  dans  le  monde  et  a  atteint  toutes  les 
générations,  Rom.,  v,  12;  vi,  23;  1  Cor.,  xv,  21,  peut-on 
affirmer  que  la  guerre  n'est  qu'une  manifestation  de  la 
loi  générale  de  destruction  qui  pèse  sur  le  monde,  et 
n'épargne  aucun  être  dans  le  vaste  domaine  de  la 
nature  vivante?  Une  force  occulte,  mais  indéniable  et 
irrésistible,  sorte  de  rage  universelle,  arme  tous  les 
êtres  les  uns  contre  les  autres.  Un  décret  de  mort  vio- 
lente semble  écrit  aux  sources  mêmes  de  la  vie, 
pour  que  nul  n'y  échappe  ;  et  le  redoutable  légis- 
lateur qui  l'a  formulé,  a  choisi,  dans  chaque 
grande  division  du  règne  animal,  des  familles  qu'il  a 
spécialement  chargées  de  l'exécuter  :  insectes  de  proie, 
reptiles  de  proie,  oiseaux  de  proie,  poissons  de  proie, 
quadrupèdes  de  proie.  A  chaque  instant  de  l'innom- 
brable série  des  siècles,  des  êtres  vivants  sont  dévorés 
par  d'autres.  Au-dessus  de  ces  multitudes  de  races 
destinées  à  servir  de  pâture  à  d'autres  mieux  outillées 
pour  la  lutte,  est  placé  l'homme  dont  la  main  destruc- 
trice ne  fait  grâce  à  rien  de  ce  qui  vit  :  il  tue  pour  se 


vêtir,  il  tue  pour  se  parer,  il  tue  pour  attaquer,  il  tue 
pour  se  défendre,  il  tue  pour  s'instruire,  il  tue  pour 
s'amuser,  il  tue  pour  tuer  :  roi  superbe  qui  a  besoin  de 
tout,  et  à  qui  rien  ne  résiste...  Le  philosophe  peut  même 
découvrir  comment  le  carnage  permanent  est  prévu  et 
ordonné  dans  le  grand  tout.  Mais  cette  loi  s'arrêtera- 
t-elle  à  l'homme  ?  Non,  sans  doute.  Et  quel  être  exter- 
minera celui  qui  les  extermine  tous  ?  C'est  l'homme 
qui  est  chargé  d'égorger  l'homme.  Comment,  cepen- 
dant, pourra-t-il  accomplir  la  loi,  lui  qui  est  un  être 
moral  et  miséricordieux;  lui  qui  est  né  pour  aimer;  lui 
qui  pleure  sur  les  autres  comme  sur  lui-même;  lui  à 
qui  il  a  été  déclaré  qu'on  lui  demandera  compte 
jusqu'à  la  dernière  goutte  du  sang  qu'il  aura  versé 
injustement,  Gen.,  ix,  5?  C'est  la  guerre  qui  accomplira 
le  décret.  A  la  terre  qui  crie  et  réclame  du  sang,  celui 
des  animaux  ne  suffit  pas,  ni  même  celui  des  criminels 
immolés  par  le  glaive  de  la  justice  humaine,  qui  ne 
peut  les  atteindre  tous;  ...  qui  souvent  en  épargne  par 
clémence  coupable,  crainte,  lâcheté,  énervante  sensi- 
blerie, sans  prendre  garde  que  cette  douceur  mal  enten- 
due est  plus  cruelle  que  la  férocité,  car,  en  travaillant 
à  éteindre  l'expiation  dans  le  monde,  elle  contribue  à 
rendre  la  guerre  nécessaire...  La  terre  n'a  pas  crié  en 
vain  :  la  guerre  s'allume;  l'homme,  saisi  tout  à  coup 
d'une  fureur  divine,  étrangère  à  la  haine  et  à  la  colère, 
s'avance  sur  le  champ  de  bataille,  sans  savoir  ce  qu'il 
veut,  ni  même  ce  qu'il  fait.  Qu'est-ce  donc  que  cette 
horrible  énigme?  Rien  plus  que  tuer  n'est  contraire 
à  sa  nature,  et,  alors,  rien  ne  lui  répugne  moins  : 
il  fait  avec  enthousiasme  ce  qu'il  a  en  horreur...  Inno- 
cent meurtrier,  instrument  passil  d'une  main  redou- 
table, il  se  plonge,  tête  baissée,  dans  cet  abîme,  où  il 
donne  et  reçoit  la  mort...  Ainsi  s'accomplit  sans  cesse, 
depuis  le  ciron  jusqu'à  l'homme,  la  grande  loi  de  la 
destruction  violente  des  êtres  vivants.  La  terre  entière, 
continuellement  imbibée  de  sang,  n'est  qu'un  autel 
immense,  où  tout  ce  qui  vit  doit  être  immolé  sans  fin, 
sans  mesure,  sans  relâche,  jusqu'à  la  consommation  des 
choses,  jusqu'à  l'extinction  du  mal,  jusqu'à  la  mort 
même  de  la  mort,  le  dernier  ennemi  qui  doit  être  dé- 
truit, après  avoir  tout  soumis  à  son  sceptre,  suivant  la 
vigoureuse  expression  de  l'apôtre  :  Novissima  autem 
inimica  destruelur  mors  :  omnia  enim  subjecit  sub 
pedibus,  I  Cor.,  xv,  26.  Voilà  par  quelles  considéra- 
tions le  comte  Joseph  de  Maistre  expose  qu'il  n'y  a 
pas  moyen  d'expliquer  comment  la  guerre,  «  la  plus 
grande  des  extravagances  humaines»,  est  humainement 
possible,  quand  on  songe  que  l'homme  est  doué  de 
raison,  de  sensibilité  et  d'affection  1  Cf.  Les  soirées  de 
Saint-Pétersbourg,  ou  Entretiens  sur  le  gouvernement 
temporel  de  la  providence,  suivis  d'un  traité  sur  les 
sacrifices,  2  in-8°,  Paris,  1822,  VIIe  entretien,  t.  n, 
p.  30  sq.  Cet  auteur  voit  donc  dans  la  guerre  l'interven- 
tion d'une  loi  supérieure  à  l'humanité,  loi  occulte  et 
terrible  qui  a  besoin  pu  sang  humain.  De  là  découle, 
dit-il,  cette  prééminence  que  toutes  les  nations,  an- 
tiques et  modernes,  ont  toujours  accordée  à  la  profes- 
sion des  armes.  N'est-ce  pas  étrange,  en  ejjet,  que  le 
droit  de  verser  innocemment  le  sang  innocent  ait  tou- 
jours été  regardé  comme  le  plus  honorable  dans  le 
monde,  au  jugement  de  tout  le  genre  humain  sans 
exception?  et  n'y  a-t-il  pas  quelque  chose  de  mysté- 
rieux et  d'inexplicable  dans  le  prix  extraordinaire  que 
les  hommes  ont  toujours  attaché  à  la  gloire  militaire  ? 
Cf.  Besse,  La  thèse  de  Joseph  de  Maistre  sur  la  guerre, 
dans  la  Revue  pratique  d'apologétique,  1916,  t.  xxn, 
p.  466-484,  537-549. 

Il  nous  semble,  à  nous,  que,  sans  recourir  à  une  loi 
occulte,  il  n'est  pas  difficile  d'expliquer,  chez  tant 
d'hommes  de  tous  les  temps  et  de  tous  les  pays,  l'amour 
de  la  gloire.  Elle  ne  se  comprend  que  trop,  par  le  désir 
de  faire  parade  de  la  supériorité  de  leurs  forces  phy- 


1903 


GUERRE 


siqucs,  des  ressources  de  leur  intelligence  et  de  celles 
de  leur  génie,  non  moins  que  par  leur  désir  de  dominer 
leurs  semblables  et  de  se  dresser  au-dessus  d'eux.  Tout 
cela  ne  s'explique  que  trop  par  l'orgueil,  la  vanité,  la 
convoitise,  le  mépris  d' autrui,  choses  trop  naturelles  à 
l'humanité  déchue,  et  dont  on  découvre,  chaque  jour 
et  partout,  de  trop  nombreuses  et  déplorables  preuves. 
Sans  doute,  de  terribles  ravageurs  se  sont  attribué  le 
rôle  de  justiciers  de  Dieu,  et  Attila  entre  autres  s'appe- 
lait lui-même  le  Fléau  de  Dieu.  Cependant,  la  plupart 
des  grands  capitaines,  épris  de  gloire,  n'élevaient  pas 
leurs  pensées  au-dessus  des  horizons  bornés  de  ce 
monde.  Assurément  Dieu  par  eux  a  fait  son  œuvre; 
nuis,  eux,  le  plus  souvent,  ne  songeaient  à  autre  chose 
qu'à  l'indépendance,  à  la  domination,  aux  richesses  et 
aux  honneurs.  Cf.  Mgr  Horace  Mazzella,  archevêque 
de  Rossano,  Il  calecUismo  délia  guerra,  in-12,  Rome, 
1916,  p.  35  sq. 

Joseph  de  Maistre  est  mieux  inspiré,  quand  il 
explique  la  raison  d'être  de  la  guerre,  non  par  une 
application  de  la  loi  générale  de  destruction  pour  tous 
les  êtres,  à  quelque  degré  qu'ils  appartiennent  de  la 
hiérarchie  dans  le  monde  matériel,  mais  par  une  loi  de 
l'ordre  spirituel  :  celle  de  l'expiation,  indispensable  ici- 
bas,  pour  les  crimes  sociaux.  Les  hommes  sont  mal- 
heureux, ou  parce  qu'ils  sont  coupables,  ou  parce  que, 
même  innocents,  ils  doivent  souffrir  pour  les  criminels, 
afin  d'obtenir  leur  salut.  Les  hommes  qui  par  leurs 
prévarications  rendent  nécessaires  tous  les  maux 
physiques  qui  les  châtient,  et  surtout  la  guerre,  s'en 
prennent  naturellement  aux  rois,  causes  visibles  de  ces 
affreux  conflits;  et  l'on  connaît  le  vers  d'Horace,  Quid- 
quid  délirant  reges,  plectuncliir  Archivi,  Epist.,    I,  n, 

14; 

Du  délire  des  rois  les  peuples    sont  punis. 

....  de  tout  temps. 
Les  petits   ont   soufTert   des   sottises   des   grands. 

Mais,  plus  justement  un  autre  poète,  J.-B.  Rousseau, 
a  dit  : 

C'est  le  courroux  des  rois  qui  fait  armer  la  terre  : 
C'est  le  courroux  du  ciel  qui  fait  armer  les  rois. 

Lorsque  les  crimes,  et  surtout  les  crimes  d'un  certain 
genre,  se  sont  accumulés  jusqu'à  un  certain  point 
marqué  par  la  justice  divine,  celle-ci  frappe,  parfois 
au  même  instant,  tous  les  peuples  coupables;  et  ces 
peuples,  loin  de  faire  aucun  effort  pour  échapper  à  la 
divine  sentence,  ou  pour  l'atténuer,  ou  pour  l'abréger, 
se  précipitent  les  uns  contre  les  autres,  s'offrant  comme 
d'eux-mêmes  aux  souffrances,  aux  supplices  et  à  la 
mort  expiatrice.  Tant  qu'il  leur  restera  du  sang,  ils 
viendront  l'offrir  sur  l'autel  du  sacrifice,  et,  plus  tard, 
une  jeunesse  devenue  rare,  après  la  disparition  de  tant 
de  générations  fauchées  par  les  aveugles  exécuteurs  de 
la  vengeance  divine,  se  fera  raconter  ces  guerres  déso- 
latrices  produites  par  les  crimes  de  ses  pères. 

La  guerre  est  donc  divine  en  elle-même,  comme  la 
terrible  justicière  du  Dieu  offensé,  mais  non  comme 
l'application  de  la  loi  générale  de  destruction  présidant 
aux  phénomènes  de  l'ordre  matériel.  Il  faut  remarquer 
aussi  que,  si  l'homme  avait  gardé  la  justice  originelle, 
ces  destructions  auraient  été  de  beaucoup  moins  nom- 
breuses. Sans  affirmer  absolument,  en  ellet,  que  si 
l'homme  avait  continué  à  habiter  le  paradis  terrestre, 
il  ne  se  fût  pas  nourri  de  la  chair  des  animaux,  on  ne 
peut  contester  que  la  nourriture  que  Dieu  lui  assigna 
dans  l'état  d'innocence,  si  elle  n'était  exclusivement 
végétale,  l'était,  du  moins  principalement.  Gen.,  i,  29. 
Il  semble  aussi,  d'après  le  f.  30,  que  la  nourriture  des 
animaux  était  aussi  principalement  végétale.  Ce  qui 
est  également  certain,  c'est  que  l'usage  de  la  chair  des 
animaux,  comme  nourriture,  est  expressément  permis 
à  l'homme,  seulement  à  partir  du  déluge.  Gen.,  ix,,  3. 


Toutes  les  traditions  antiques,  même  païennes,  se 
sont  faites  l'écho  de  ces  vérités,  quand  elles  décrivent 
les  merveilles  de  l'âge  d'or  : 

At  vêtus  illa  retas,  cui  fecimus  Aurea  nomen, 
Fœtibus  arboreis,  et,  quas  humus  educat,  herbas, 
Fortunata  fuit,  nec  polluit  ora  cruore. 

Ovide,  Metam.,  xv,  96-98;  cf.  ibid.,  i,  89-106;  Virgile, 
Gcorg.,  i,  125-128;  Varron,  De  re  rusL,  II,  i;  Plutarque, 
Ilsp't  aapy.oçayiot;,   II,  3-4. 

Historiquement,  il  est  bien  rare  qu'on  ait  considéré 
le  métier  des  armes  comme  une  sorte  de  sacerdoce, 
pour  venger  Dieu  outragé.  Très  généralement  ceux  qui 
marchaient  au  combat  avaient  des  vues  beaucoup 
moins  élevées.  De  tout  temps,  dit  fort  judicieusement 
un  moraliste,  pour  quelque  morceau  de  terre  de  plus  ou 
de  moins,  les  hommes  sont  convenus  entre  eux  de  se 
dépouiller,  se  brûler,  se  tuer,  s'égorger  les  uns  les 
autres.  Et,  pour  le  faire  plus  ingénieusement  et  avec 
plus  de  sûreté,  ils  ont  inventé  de  belles  règles  qu'on 
appelle  l'art  militaire.  Ils  ont  attaché  à  la  pratique  de 
ces  règles  la  gloire  ou  la  plus  solide  réputation.  Et  ils 
ont,  depuis,  enchéri,  de  siècle  en  siècle,  sur  la  manière 
de  se  détruire  réciproquement.  De  l'injustice  des  pre- 
miers hommes,  comme  de  son  unique  source,  est  venue 
la  guerre...  Si  content  de  son  propre  bien,  on  eût  pu 
s'abstenir  de  convoiter  et  de  prendre  celui  du  prochain, 
on  aurait  eu  pour  toujours  la  paix  et  la  liberté.  Cf.  La 
Bruyère.  Caractères,  Du  souverain  ou  de  la  république, 
in-8«,  Paris,  1878.  p.  309  sq. 

Cette  guerre  féroce  se  montre  dans  le  monde  dès 
l'origine  de  l'humanité.  Elle  existe  entre  les  deux  fils 
du  premier  homme,  et,  simplement  par  jalousie,  Caïn 
verse  le  sang  de  son  frère  Abel.  Cette  guerre,  d'individu 
à  individu,  passe  vite  de  collectivités  à  collectivités. 
Dès  qu'il  y  a  deux  familles,  ou  deux  peuplades  voi- 
sines dont  les  intérêts  sont  différents,  le  conflit  éclate. 
Plus  la  notion  des  droits  d'autrui  s'affaiblit  dans  l'es- 
prit, ou  plus  la  volonté  s'oppose  au  respect  de  ces  droits, 
plus  on  a  recours  à  la  violence  pour  résoudre  les  ques- 
tions en  litige.  Dans  ces  cas,  la  raison  du  plus  fort  est 
toujours  la  meilleure,  en  pratique,  bien  entendu.  Et 
quand  aucun  principe  de  morale  n'est  assez  puissant 
pour  mettre  une  barrière  aux  emportements  de  la 
force,  alors  les  droits  des  vaincus  sont  comme  n'exis- 
tant pas.  Ils  sont  foulés  aux  pieds  et  radicalement 
détruits.  L'antiquité  païenne  avait  un  mot  cruel  pour 
exprimer  cette  méconnaissance  de  tout  droit,  chez  ceux 
que  la  victoire  n'avait  pas  favorisés  :  Vœ  viclis  !  Mal- 
heur aux  vaincus  1  Cf.  Barbayrac,  Histoire  des  anciens 
traités,  depuis  les  temps  les  plus  reculés  jusqu'à  l'empe- 
reur Charlcmagne,  2  in-fol.,  Amsterdam,  1739. 

2.  Dans  l'antiquité  païenne,  en  effet,  la  guerre  était 
particulièrement  sauvage.  La  bataille  était  un  car- 
nage sans  merci,  jusqu'à  épuisement  complet,  ou  des- 
truction totale.  La  victoire  conférait  au  vainqueur  le 
droit  absolu  et  illimité  sur  les  propriétés  et  les  per- 
sonnes des  vaincus.  Le  sol  avec  ses  productions;  les 
troupeaux  et  les  habitations;  les  hommes,  les  femmes, 
les  enfants,  tout  passait  en  la  possession  du  vainqueur 
qui  avait  droit  de  vie  et  de  mort  sur  les  personnes,  et 
pouvait  ravager,  à  son  gré,  leur  pays.  Les  uns,  comme 
les  Carthaginois,  torturaient  affreusement  les  prison- 
niers de  guerre,  les  suppliciaient  et  les  crucifiaient; 
d'autres  les  vendaient  comme  esclaves,  non  par  un 
sentiment  plus  éclairé  des  droits  de  l'humanité,  mais 
par  un  intérêt  sordide,  comme  l'on  vend  un  vil  bétail, 
qu'on  a  cependant  le  droit  de  conduire  à  la  boucherie. 
Quant  aux  femmes,  jetons  un  voile  sur  les  excès  des 
passions  brutales  que  les  vainqueurs  se  croyaient  per- 
mis par  rapport  à  elles.  Le  viol  était  un  de  leurs  droits 
les  plus  incontestés,  et  l'honnêteté  la  plus  élémentaire 
n'arrêtait  aucun  de  leurs  débordements.  Entre  ennemis, 


1905 


GUERRE 


1906 


et  même  entre  alliés,  la  parole  <!onnée  et  les  serments 
les  plus  solennels  ne  renfermaient  aucune  garantie.  Nul 
n'y  avait  confiance.  Tous  étaient  prêts  à  se  parjurer, 
et  à  déchirer  les  contrats  les  plus  sacrés,  dès  que  leurs 
intérêts  étaient  en  jeu,  et  que  l'accroissement  de  leur 
puissance  leur  promettait  l'impunité.  C'était,  on  peut 
le  dire,  une  erreur  généralement  répandue  dans  la 
gentilité,  qu'il  était  permis  de  prendre  les  armes  et  de 
faire  la  guerre,  uniquement  pour  conquérir  des  royau- 
mes, acquérir  des  richesses  et  un  nom  glorieux.  Cf. 
Suarez,  loc.  cit.,  sect.  iv,  t.  xn,  p.  743. 

3.  Aux  temps  de  la  civilisation  si  avancée  de  la 
Grèce  et  de  Rome,  les  choses  ne  se  passaient  guère 
autrement.  Nul  ne  songeait  à  contester  au  vainqueur 
la  plénitude  de  ses  droits.  Si  Alexandre,  ou  le  Sénat 
romain  consentirent  à  en  rabattre,  ce  fut  uniquement 
par  des  calculs  d'intérêt  plus  raffinés,  et  parce  que  leur 
ambition  plus  habile  visait  et  plus  haut  et  plus  loin. 
A  quoi  leur  aurait  servi  la  domination  universelle,  si 
elle  ne  s'était  étendue  que  sur.de  vastes  déserts,  ou  sur 
des  terres  sauvagement  ravagées  par  leurs  armées,  et 
pour  longtemps  stériles  ?  Ils  ne  voulurent  donc  pas  la 
destruction  des  biens  des  vaincus,  ni  même  la  dépos- 
session complète  de  ceux-ci,  ce  qui  pratiquement  reve- 
nait presque  au  même.  Aux  vaincus,  ils  se  conten- 
taient d'imposer  de  fortes  rançons,  des  tributs  onéreux, 
souvent  une  sorte  de  protectorat,  ou  d'alliance,  qui 
n'était  qu'un  assujettissement  déguisé.  Mais  si  ces 
nations,  unies  par  la  force  à  celle  qui  les  avait  dominées, 
frémissaient  sous  le  joug,  et  tentaient  de  s'en  affranchir, 
alors  le  vieil  instinct  païen  se  réveillait  dans  toute  sa 
férocité,  et  la  guerre  recommençait,  sauvage,  cette  fois, 
guerre  d'extermination,  qui  ne  se  terminait  que  par  la 
dépopulation,  l'expropriation  en  masse,  la  destruction, 
dût  un  peuple  entier  être  rayé  du  livre  de  vie.  Cela 
paraissait  juste,  et  les  plus  fins  lettrés,  ouïes  meilleurs 
moralistes  de  l'antiquité,  tels  que  Cicéron,  ou  Sénèque, 
ne  trouvaient  rien  à  redire  à  cela.  Cf.  Platon,  De  repu- 
blica,  1.  V. 

Au  nom  de  quels  principes  ces  philosophes  qui  ap- 
prouvaient la  politique  romaine  envers  les  vaincus, 
auraient-ils  pu  condamner,  ou  simplement  blâmer  les 
barbares,  qui,  quelques  siècles  plus  tard,  se  précipitant 
à  l'assaut  de  l'empire  romain,  y  commirent  toutes 
sortes  d'infamies,  de  meurtres  atroces  et  de  dépréda- 
tions? Les  Teutons  et  les  Cimbres,  les  Goths  et  les 
Visigoths,  les  Suèvcs,  les  Huns  et  les  Vandales,  les 
Hérules,  les  Francs  et  les  Germains  pouvaient-ils 
avoir  des  notions  plus  exactes  sur  la  propriété,  la 
dignité  humaine  et  les  droits  des  vaincus?  A  leurs  yeux 
aussi  le  droit  de  la  guerre,  ou  le  droit  du  plus  fort, 
comprenait  l'ensemble  et  l'universalité  de  tous  les 
droits  sans  exception.  Vaincre,  c'était  tout  conquérir, 
personnes  et  choses.  Le  conquérant  devenait,  de  fait 
et  de  droit,  le  maître  absolu  du  pays  dont  il  avait 
réussi  à  s'emparer,  et  pour  aussi  longtemps  qu'il 
pouvait  s'y  maintenir.  Le  chef  suprême  distribuait  le 
sol  à  ses  compagnons  d'armes.  Ainsi  se  forma  une  aris- 
tocratie féodale  que  le  temps  consolida,  en  consacrant 
toutes  les  spoliations. 

4.  Si  l'influence  du  christianisme,  en  adoucissant  les 
mœurs  publiques,  et  en  rendant  plus  claire  dans  les 
masses  la  notion  du  devoir  opposée  à  celle  du  droit,  n'a 
pas  fait  disparaître  complètement  la  guerre  du  sein 
de  l'humanité,  du  moins  elle  a  amené  les  vainqueurs 
à  apporter  une  certaine  réserve  dans  leurs  exigences. 
Mais,  même  chez  les  nations  modernes  les  plus  policées 
et  les  plus  civilisées,  plus  le  sentiment  religieux  s'efface, 
plus  le  respect  de  l'humanité  disparaît,  et  l'intérêt 
devient  le  seul  mobile.  L'égoïsme  inspire  la  diploma- 
tie, et,  de  nos  jours,  comme  il  y  a  trente  ou  quarante 
siècles,  les  chefs  des  peuples  ne  sont  que  trop  portés 
à  admettre  le  vieil  axiome  païen  que  la  «  force  prime  le 


droit  ».  Cf.  Dumont  et  Brunel,  Recueil  des  tra'tès de  paix, 
d'alliance  cl  de  trêves  faits  en  Europe  depuis  Charlemagnc 
jusqu'à  présent,  8  in-fol.,  Amsterdam  et  La  Haye,  1726. 
5.  Ils  sont  légion  encore,  parmi  nos  contemporains, 
ceux  qui,  se  vantant  d'être  au  nombre  des  intellectuels 
les  plus  cultivés,  enseignent  ou  pensent  que  le  succès 
justifie  tout,  et  que  peu  importent  les  moyens,  pourvu 
qu'on  réussisse.  Dans  son  ouvrage  L'Allemagne  et  la 
prochaine  guerre,  dont  la  5*  édition  allemande  parut 
en  1912,  von  Bernhardi,  général  qui  aimait  à  philoso- 
pher en  faisant  fi  de  la  morale,  s'efforce  de  prouver  que, 
pour  sa  patrie,  la  guerre  de  rapines,  décorée  du  nom 
de  guerre  de  conquêtes,  non  seulement  est  un  droit, 
mais  un  devoir.  Et  voulez-vous  savoir  la  raison  d'une 
si  étrange  thèse  et  d'une  si  formidable  prétention? 
C'est  que  l'Allemagne,  pour  satisfaire  son  insatiable 
soif  d'annexions  et  son  désir  de  grandir  sans  limites 
(ce  à  quoi  elle  se  croit  prédestinée),  a  besoin  des  terres, 
provinces  ou  royaumes,  non  moins  que  des  richesses 
naturelles  que  les  autres  peuples  détiennent,  très  injus- 
tement, selon  elle.  Et  pourquoi  les  propriétaires  actuels 
sont-ils  d'injustes  possesseurs?  C'est  parce  qu'ils  ne 
savent  pas  tirer  suffisamment  parti  des  régions  qu'ils 
occupent,  tandis  que  l'Allemagne  saura  merveilleuse- 
ment les  mettre  en  valeur,  et  que,  en  outre,  par  suite 
de  la  supériorité  des  qualités  qui  la  distinguent,  elle  a 
droit  à  la  domination  universelle.  «  Tout  ce  qui  est  bon 
à  prendre  est  à  nous  »,  disaient  les  anciens  Germains, 
dont,  selon  Tacite,  la  devise  était  :  Ubi  pr<eda,  ibi 
patria  l  Après  vingt  siècles,  beaucoup  de  leurs  descen- 
dants parlent  encore  de  même.  Les  téméraires  qui, 
même  en  se  défendant,  mettraient  obstacle  à  l'expan- 
sion de  l'Allemagne  et  l'empêcheraient  d'atteindre  sa 
fin  qui  est  de  tout  absorber,  commettraient  donc  une 
injustice  flagrante,  un  crime  irrémissible.  Il  n'est  que 
juste  de  les  en  châtier  par  l'asservissement  ou  la  des- 
truction totale.  Et  plus  la  guerre  qu'on  leur  fera  sera 
dure,  atroce,  farouche,  impitoyable  et  inhumaine,  plus 
elle  sera  méritoire  et  digne  d'éloges,  car  on  arrivera 
ainsi  plus  tôt  à  la  victoire,  en  inspirant  partout  la  terreur 
et  l'épouvante.  Une  traduction  française  de  cet  ou- 
vrage significatif  du  général  von  Bernhardi,  avec 
préface  du  colonel  suisse  F.  Feyler,  a  paru,  in-8°, 
Paris,  1916.  Cf.  général  von  Hartmann,  dans  la 
Deutsche  Rundschau,  1877-1878.  Tel  est,  d'ailleurs, 
l'enseignement  officiel  donné  par  le  grand  état-major 
allemand,  dans  le  manuel  paru  en  1902,  et  intitulé  : 
Kriegsbrauch  in  Landkriege.  Il  y  oppose  aux  prescrip- 
tions des  juristes  la  coutume  et  la  tradition  hérédi- 
taires, dit-il,  de  la  race  germanique.  D'après  cette 
tradition  nationale,  affirme-t-il  avec  insistance,  l'offi- 
cier allemand  doit  se  mettre  en  garde  contre  les  »  con- 
ceptions humanitaires  »,  humanilare  Anschauungcn, 
p.  3,  dont  se  sont  inspirées  les  Conférences  de  Genève, 
de  Bruxelles  et  de  La  Haye.  C'est  donc  non  seulement 
un  droit,  mais  un  devoir,  pour  tout  chef  d'armée, 
d'employer  sans  ménagement  les  moyens  d'intimida- 
tion, car  c'est  précisément  dans  l'emploi  illimité  des 
mesures  de  rigueur,  et  dans  l'absence  totale  de  scru- 
pules, que  réside  le  plus  souvent  l'humanité,  p.  7,  115. 
Cette  tradition  dans  la  race  germanique  remonte  haut 
et  loin,  en  effet,  car  elle  remonte  jusqu'à  Luther, 
qui  écrivait  aux  princes  de  son  temps  :  «  Déchaînez- 
vous,  exterminez,  égorgez.  »  Cf.  Denifle,  Luther  et 
le.  luthéranisme,  trad.  franc.,  t.  i,  p.  17-18,  213; 
Janssen.  Geschichle  des  deutschen  Volkes,  6  in-8°, 
Fribourg-en-Brisgau,  1876-1888,  t.  n;  t.  iv,  p.  506  sq.; 
Boutroux,  La  force  substituée  au  droit,  dans  la  Revue 
des  Deux  Mondes  du  15  octobre  1914,  p.  387  sq.  ; 
Ch.  Ander,  T^es  usages  de  la  guerre  et  la  doctrine  de 
l'état-major  allemand,  in-8°,  Paris,  1915;  Le  panger- 
manisme, in-8°,  Paris,  1915;  Joachim  von  der  Goltz 
(le  fils  du  maréchal  de  ce  nom),  Les  dix  commande- 


1907 


GUERRE 


1908 


mcnls  de  jer  du  soldat  allemand,  in-S°,  Leipzig,  1915. 
Tout  cela,  d'ailleurs,  était  déjà  très  clairement  exprimé 
par  l'historien  de  l'Allemagne  contemporaine,  Karl 
Lamprecht,  7ur  iungsten  deutschen  Vergangenhcit, 
3  in-8°,  Fribourg-en-Brisgau,  1903-1905;  Moderne 
Geschichleswissenschalt,   in-8°,   Berlin,    1909. 

Et  il  s'est  trouvé  des  théologiens  pour  soutenir  cette 
abominable  thèse,  en  invoquant  l'axiome  :  In  extrema 
necessilate  omnia  bona  suni  communia.  Comme  si  une 
collectivité  regorgeant  de  richesses,  enivrée  de  puis- 
sance et  d'orgueil,  et  assoifTée  de  domination  mondiale 
(  W'.ltpolitik),  pouvait  être  assimilée  à  un  individu  qui, 
mourant  de  faim,  a  le  droit  de  prendre,  quoique  ne  lui 
appartenant  pas,  un  morceau  de  pain  qu'il  trouverait 
à  sa  portée,  parce  que,  en  le  lui  refusant,  le  propriétaire 
commettrait  une  faute  grave  1  D'après  ses  partisans 
eux-mêmes,  la  Wellpolitik  devait  entraîner  inévitable- 
ment la  guerre.  Cf.  Mumbauer,  dans  la  revue  Hoch 
land,  1914-1915,  p.  99  sq.  Donc,  pour  s'emparer  du 
bien  d'autrui  qu'elle  convoite,  l'Allemagne  a  le  droit  de 
déchirer  les  traites  qu'elle  a  signés;  de  manquer  à  la  foi 
jurée;  de  ne  tenir  aucun  compte  des  serments  les  plus 
solennels;  de  violer  la  neutralité  des  nations  non 
belligérantes;  d'attaquer  même  les  citoyens  paisibles 
qui  ne  portent  pas  les  armes;  de  bombarder  par  ses 
zeppelins  et  ses  avions  les  villes  ouvertes;  de  couler 
par  ses  sous-marins  les  navires  même  de  commerce, 
et  cela  sans  avertissement  préalable,  sans  se  soucier 
de  la  vie  des  voyageurs  inoffensifs,  seraient-ils  absolu- 
ment étrangers  à  la  guerre;  de  massacrer  par  consé- 
quent les  innocents;  de  faire  marcher  devant  ses  sol- 
dats, pour  leur  faire  un  rempart  de  leur  corps,  les 
vieillards,  les  enfants  et  les  femmes;  de  diminuer  le 
nombre  de  ses  adversaires  en  tirant  sur  les  ambulances 
et  les  hôpitaux;  de  déporter  en  masse  des  populations 
entières,  sans  s'inquiéter  des  liens  de  famille,  ni  des 
prescriptions  de  la  morale  la  plus  élémentaire,  en  sépa- 
rant arbitrairement  les  jeunes  filles  de  leurs  mères,  ou 
des  parents,  pères  et  frères,  qui  pourraient  protéger 
leur  vertu  contre  les  passions  brutales  de  la  soldatesque 
effrénée;  d'incendier  méthodiquement,  systématique- 
ment, et  de  détruire  de  fond  en  comble  villes  et  vil- 
lages, pour  inspirer  partout  la  terreur  salutaire  de 
son  nom;  de  ne  pas  même  épargner  les  églises  et  cathé- 
drales, temples  du  Dieu  vivant,  etc.  «  Ces  infractions 
voulues  délibérément  aux  lois  de  la  guerre,  dit  le 
docteur  Karl  Strupp,  nous  apparaissent,  malgré  leurs 
horreurs,  comme  conformes  au  droit  des  gens,  et  toute 
ville  est  coupable  des  actes  de  chacun  de  ses  habi- 
tants. «  Das  internationale  Landgriegsrecht,  in-8°, 
Berlin,  1914,  p.  9,  248.  Toutes  ces  idées  avaient  été 
émises,  deux  ans  auparavant,  dans  un  ouvrage  publié 
par  M.  Daniel  Frymann,  sous  le  titre  :  Wenn  ich  der 
Kaiser  war  I  in-8°,  Leipzig,  1912,  et  dont  il  s'est  vendu 
plus  de  trente  mille  exemplaires  en  Allemagne.  Ces 
mêmes  idées  furent  répandues,  d'autre  part,  dans  le 
grand  public,  quelques  mois  axant  que  la  guerre  alle- 
mande éclatât,  et,  cette  fois,  avec  la  haute  approbation 
du  prince  héritier  de  la  couronne  impériale,  par  le 
colonel  von  H.  Frobeninus,  Des  Deutschen  Beiches 
Schichsalstunde,  in-8°,  Berlin,  1914.  Cf.  Louis  Bertrand, 
Nietzsche  cl  la  guerre,  in-8c,  Paris,  1915;  Léon  Daudet, 
L'esprit  allemand.  De  Kant  à  Krupp,  in-12,  Paris, 
1915;  M.  F.  Boz,  La  préméditation  allemande  démontrée 
dans  un  livre  anglais  de  1912,  dans  le  Correspondant 
du  25  mars  1915,  ouvrage  d'autant  plus  significatif 
qu'il  a  paru  deux  ans  avant  la  guerre  de  1914,  qui 
devait  traduire  en  action,  et  sur  une  si  vaste  échelle, 
ces  abominables  doctrines  ;  A.  Pillet,  professeur  à 
l'université  de  Paris,  La  science  allemande  et  le  droit 
de  la  guerre,  dans  la  Revue  des  Deux  Mondes,  du 
1er  avril  1915;  Jacques  Flach,  membre  de  l'Institut, 
professeur  au  Collège  de  France,  Essai  sur  la  formation 


de  l'esprit  public  allemand,  in-12,  Paris,  1915:  E.  La- 
visse  et  Ch.  Ander,  Pratique  et  doctrine  allemandes  de  la 
guerre,  in-8°,  Paris,  1915. 

2°  La  guerre,  cependant,  est-elle  intrinsèquement  mau- 
vaise et  contraire  au  droit  naturel  ?  —  1,  Faut-il  sous- 
crire aux  déclarations  de  prétendus  philanthropes  qui 
répètent  de  toutes  manières,  à  notre  époque,  que  la 
guerre  n'est  que  le  meurtre  et  le  vol  enseignés  publique- 
ment et  commandés,  sous  les  peines  les  plus  graves,  aux 
peuples  par  leurs  gouvernements  respectifs  ?  qu'elle 
est  le  meurtre  et  le  vol  acclamés,  loués,  récompensés, 
blasonnés,  couronnés  ?  qu'elle  est  le  meurtre  et  le  vol 
soustraits  à  l'échafaud  par  l'arc  de  triomphe  ?  qu'elle 
est  donc  le  meurtre  et  le  vol,  moins  le  châtiment  et  la 
honte,  plus  l'impunité  et  la  gloire  ?  qu'elle  est  donc 
aussi  la  plus  flagrante  des  inconséquences  légales,  puis- 
que dans  la  guerre  la  société  autorise  ce  qu'elle  défend 
par  ses  lois,  récompense  ce  qu'elle  punit  chez  les  indi- 
vidus, et  glorifie  ce  qu'elle  flétrit  de  ses  anathèmes;  de 
sorte  que  ce  que  fait  la  société  par  la  guerre  ne  diffère 
de  ce  qu'elle  défend  si  sévèrement  aux  individus  que 
par  le  nom,  l'étendue  et  la  multiplicité.  Mais  depuis 
quand  la  multitude  des  crimes  commis,  ou  leur  univer- 
salité, ou  les  noms  pompeux  dont  on  les  décore,  en  at- 
ténuent-ils la  culpabilité  ? 

Il  y  a  dans  ces  déclamations  plus  de  phraséologie  que 
de  vérité.  Quoique  la  guerre  soit  un  redoutable  fléau 
entraînant  toutes  sortes  de  calamités,  elle  n'est  pas 
cependant  intrinsèquement  mauvaise  et  contraire  au 
droit  naturel.  Elle  est  toujours  un  très  grand  mal  phy- 
sique; elle  n'est  pas  toujours  un  mal  moral.  Elle  peut 
être  juste,  et,  quelquefois,  même  nécessaire. 

Parfois,  en  effet,  elle  est  l'unique  moyen  par  lequel 
un  État  peut  pourvoir  à  sa  propre  sécurité,  et  assurer 
son  existence  contre  les  injustes  agressions  d'un  État 
voisin,  ou  maintenir  le  respect  de  droits  d'une  grande 
importance  auxquels  il  ne  saurait  renoncer  sans  un 
grave  dommage,  ou  sans  un  déshonneur  plus  préjudi- 
ciable encore  qu'une  perte  de  biens  matériels.  Or,  de 
même  que,  de  droit  naturel,  il  est  permis  à  un  individu 
de  repousser,  même  par  la  violence,  un  injuste  agres- 
seur qui  en  veut  à  sa  vie,  à  sa  fortune,  ou  à  son  hon- 
neur; de  même,  et  à  plus  forte  raison,  cela  est  permis  à 
une  nation,  qui,  constituée  en  corps  politique,  forme 
une  personne  morale  et  publique.  Le  chef  de  cette  na- 
tion a  non  seulement  le  droit,  mais  aussi  le  devoir  de 
prendre  ce  moyen  pour  sauvegarder  les  intérêts  géné- 
raux dont  il  a  la  charge.  Ce  droit  et  ce  devoir  s'enten- 
dent non  seulement  de  la  guerre  strictement  défensive, 
mais  aussi  de  la  guerre  offensive  rendue  nécessaire  par 
les  agissements  d'un  État  voisin,  dont  les  menées  am- 
bitieuses constitueraient  un  danger  réel.  Cf.  Bellarmin, 
II*  Conlroversia  generalis,  De  membris  Ecclesiœ  mili- 
lanlis,  1.  III,  De  laicis,  c.  xiv,  Opéra  omnia,  8  in-4°, 
Naples,  1872,  t.  n,  p.  327. 

2.  La  guerre  qui,  évidemment,  n'est  pas  toujours 
contraire  aux  lois  de  la  justice,  n'est-elle  pas  du  moins 
toujours  opposée  aux  lois  de  la  charité  ?  S'il  en  était 
ainsi,  on  devrait  conclure  que  la  guerre  n'est  jamais 
légitime,  car  il  ne  suffît  pas  à  un  homme,  serait-il  chef 
d'État,  de  respecter  les  lois  de  la  justice  :  celles  de  la 
charité  ne  l'obligent  pas  moins.  Ce  qui  est  conforme 
aux  lois  de  la  stricte  justice  n'est  pas  toujours  permis, 
car  les  limites  de  la  justice  stricte  confinent  de  près 
à  l'injustice  :  summum  jus,  summa  injuria.  Il  peut 
arriver  qu'une  guerre,  juste  en  soi,  au  point  de  vue  de 
la  justice  stricte,  devienne,  cependant,  in  concrelo,  et 
vu  les  circonstances,  gravement  coupable,  si  elle  viole, 
par  ailleurs,  en  matière  grave,  le  précepte  naturel  par 
lequel  nous  sommes  tenus  d'aimer  le  prochain,  notre 
frère,  comme  nous-mêmes.  Mais,  en  faisant  abstraction 
de  ces  circonstances  particulières,  où  la  loi  de  la  charité 
commanderait  de  tempérer  un  peu  la  poursuite  des 


1909 


GUERRE 


1910 


droits  qu'on  tiendrait  de  la  stricte  justice,  on  peut  se 
demander  si  la  guerre  est  toujours,  de  soi,  à  cause  des 
maux  incalculables  qu'elle  entraîne,  contraire  aux  lois 
de  la  charité,  et,  par  conséquent,  à  ce  titre,  toujours 
défendue  comme  intrinsèquement  mauvaise. 

A  cette  question  ainsi  formulée,  une  réponse  néga- 
tive doit  être  évidemment  faite.  On  ne  peut  pas  sup- 
poser, en  effet,  que  Dieu,  comme  auteur  et  législateur 
suprême  de  la  nature,  ait  concédé  aux  sociétés,  comme 
aux  individus,  le  droit  de  légitime  défense,  c'est-à-dire 
pour  les  sociétés  le  droit  à  la  guerre,  et  que,  par  une 
autre  loi,  telle  que  celle  de  la  charité,  il  en  ait  prohibé 
à  jamais  l'usage.  Ce  serait,  là,  un  droit  inutile  et  déri- 
soire, ce  qui  répugne  à  la  divine  sagesse.  Il  y  aurait,  en 
outre,  entre  deux  parties  du  décalogue,  une  contra- 
diction flagrante,  l'une  défendant  ce  que  permettrait 
l'autre,  et  cette  contradiction  ne  répugne  pas  moins  à 
l'infinie  sagesse  du  législateur  éternel.  On  peut  donc 
affirmer,  a  priori,  comme  une  vérité  certaine,  que  la 
guerre,  en  tant  qu'elle  est  juste  en  soi,  c'est-à-dire  légi- 
time de  droit  naturel,  ne  peut  pas,  en  même  temps,  per 
se  et  ex  naiura  sua,  être  illicite,  par  rapport  à  la  loi  de  la 
charité;  et  si,  quelquefois,  cette  loi  de  la  charité  s'op- 
pose à  l'exercice  de  ce  droit,  ce  ne  peut  être  que  per 
accidens,  dans  quelques  cas  particuliers,  et  non  d'une 
façon  générale.  Cf.  Bellarmin,  op.  cit.,  c.  xiv,  in  fine, 
Opéra  omnia,  t.  il,  p.  330. 

Ceux  qui,  dans  une  nation,  ont  la  puissance  souve- 
raine, ne  sont  obligés  à  s'abstenir  d'une  guerre  légi- 
time que  si  les  maux  prévus  pour  le  prochain,  comme 
résultat  de  cette  guerre,  sont  tels  qu'il  n'y  aurait  au- 
cune juste  proportion  entre  ces  maux  et  l'avantage 
auquel  ont  droit  les  auteurs  de  cette  guerre  légitime.  A 
la  guerre  s'appliquent  toutes  les  considérations  que  les 
théologiens  font  au  sujet  du  volontaire  indirect.  Quand 
un  acte,  légitime  en  soi,  peut  avoir  un  double  effet, 
l'un  bon  et  l'autre  mauvais,  il  faut,  pour  poser  cet  acte, 
des  raisons  d'autant  plus  graves  que  les  maux  qui  en 
résultent,  quoique  non  voulus  directement,  sont  plus 
considérables.  Voilà  pourquoi  les  bons  princes  que 
l'ambition  ou  la  passion  de  la  gloire  militaire  n'aveu- 
glent pas,  ne  se  déterminent  à  faire  la  guerre  que  lors- 
qu'ils y  sont  contraints  par  une  inéluctable  nécessité, 
et  que  toutes  les  autres  voies  d'accommodement  ont 
été  inutilement  tentées.  Cf.  S.  Thomas,  Sum.  theol., 
IIa  H-1',  q.  xl,  a.  1;  Suarez,  De  charitate,  disp.  XIII, 
sect.  i,  n.  1,  4,  5;  sect.  iv,  vi,  Opéra  omnia,  t.  xn,  p.  737, 
743  sq.,  749  sq. ;  Bellarmin,  1.  III,  De  laicis,  c.  xv, 
Opéra  omnia,  t.  n,  p.  331  ;  Schmalzgrueber,  Jus  eccle- 
siasticum  universum,  secundum  quinque  libros  Decre- 
talium,  1.  I,  tit.  xxxiv,  §  1,  De  bello,  n.  2  sq.,  12  in-4°, 
Rome,  1843-1845,  t.  i  b,  p.  276  sq.;  Zigliara,  Elliica  et 
jus  nalurse,  1.  III,  c.  n,  a.  2,  n.  2  sq.,  t.  m,  p.  289  sq.  ; 
Meyer,  Insfitutiones  juris  naturalis,  part.  II,  sect.  ni, 
1.  III,  c.  n,  a.  1,  §  2,  n.  735  sq.,  2  in-8°,  Fribourg-en- 
Brisgau,  1900,  t.  il,  p.  788  sq. 

3.  Les  raisons  qui  peuvent  légitimer  une  guerre  of- 
fensive se  ramènent  généralement  à  une  grave  offense 
subie.  Celles  que  les  auteurs  énumèrent  sont  les  sui- 
vantes :  réduire  à  l'obéissance  des  sujets  rebelles;  récu- 
pérer une  province,  ou  une  ville  perdue;  venger  une 
grave  offense  faite  soit  au  chef  de  la  société,  soit  à 
la  société  elle-même;  punir  une  autre  nation  de  l'aide 
qu'elle  a  donnée  à  un  ennemi  injuste;  porter  secours 
aux  alliés;  châtier  ceux  qui  ont  violé  les  traités; 
obtenir  ce  que  le  droit  international  concède  et  ce  qui 
est  injustement  refusé,  etc.  Mais  il  est  facile  de  voir  que 
les  guerres  de  ce  genre,  offensives  en  apparence,  sont 
défensives  en  fait.  Cf.  Laymann,77ieo/o<7i'a  moralis,  1.  II, 
tr.  III,  c.  xn,  n.  6,  2  in-fol.,  Venise,  1769;  Schmalzgrue- 
ber, Jus ecclesiaslicum universum,].  I, tit. xxxiv,§  1, n.7, 
1. 1  b,  p.  279.  Un  autre  motif  reconnu  juste  est  celui  de 
punir  de  leurs  'autes  ou  de  leurs  agissements  des  enne- 


mis qui,  s'ils  pouvaient  espérer  l'impunité  pour  leurs 
méfaits,  auraient  toutes  les  audaces,  et  ne  mettraient 
aucune  borne  à  leurs  mauvais  desseins.  Cf.  Schmalz- 
grueber, op.  cit.,  §  1,  n.  3, 1. 1  b,  p.  277.  Suarez  en  donne 
la  raison  par  les  réflexions  suivantes  :  Quia,  sicut  intra 
eamdem  rempublicam,  ut  pax  servetur,  necessana  est 
légitima  poleslas  ad  puniendum  delicta,  ita,  in  orbe,  ut 
diversœ  reipublicse  pacate  vivant,  necessaria  est  potestas 
puniendi  injurias  unius  contra  aliam.  Hœc  aulem  potes- 
tas non  est  in  aliquo  superiore,  quia  nullum  habent 
(qua  indépendantes)  ;  ergo  necesse  est  ut  sit  in  supremo 
principe  reipublicœ  lœsse,  cui  alius  subdalur  ralione 
delicti.  Unde  hujusmodi  bellum  introduclum  est  loco 
justi  judicii  vindicalivi.  De  charitate,  disp.  XIII,  sect.  iv, 
n.  5,  Opéra  omnia,  t.  xn,  p.  744.  Cf.  S.  Alphonse,  Theo- 
logia  moralis,  1.  III,  c.  i,  dub.  v,  a.  2,  n.  402  sq.,  in-4°, 
Rome,  1905-1912,  édit.  Gaudé,  t.  i,  p.  659. 

III.  La  guerre  et  l'Écriture  sainte.  —  1°  Dans 
l'Ancien  Testament.  —  1.  On  n'y  trouve  aucun  texte  qui 
insinue  que  la  guerre  est  une  chose  intrinsèquement 
mauvaise,  ou  qu'elle  soit  défendue  aux  fidèles  servi- 
teurs du  vrai  Dieu.  Beaucoup  de  passages,  au  contraire, 
la  présentent  comme  une  chose  bonne  en  diverses  cir- 
constances, et  les  écrivains  inspirés  louent,  à  maintes 
reprises,  les  hauts  faits  de  guerre  accomplis  par  les 
saints  de  l'Ancien  Testament,  ou  par  les  hommes  sus- 
cités de  Dieu,  à  cette  fin.  Ainsi  furent  loués  Abraham, 
Moïse,  Josué,  Samson,  Jephté,  Gédéon,  Barac,  David, 
les  Machabées,  etc.  Gen.,  xiv,  19,  20;  Jos.,  x,  11-13; 
I  Reg.,  xn,  11;  Is.,  ix,  4;  x,  26;  Ps.  lxxxii,  12;  Jud., 
v,  1;  II  Mac,  x,  29,  31.  etc.  Les  textes  qui  approuvent 
la  guerre  abondent:  Exod.,  xvn,  11,  16;Num.,  xxi,3; 
xxv,  11;  Deut.,  vu,   1;  xxv,  17;  Jud.,  m,  1-4;  x,  16; 

I  Reg.,  xv,  2-3;  Jos.,  i,  6,  8,  10.  —  2.  Non  seulement 
Dieu  approuve  la  guerre,  mais  souvent  il  commande 
lui-même  de  la  faire  aux  ennemis  de  son  peuple,  cf. 
Num.,  xxv,  16;  Jud.,  iv,  6-7,  13,  etc.;  et  cela  quelque- 
fois uniquement  pour  punir  des  injures.  Cf.  II  Reg., 
x-xi.  ■ —  3.  Bien  plus,  parfois  Dieu  prend  fait  et  cause 
pour  ses  serviteurs,  opère  des  miracles  et  combat  avec 
eux  pour  leur  assurer  la  victoire.  Cf.  Gen.,  xiv,  19-20; 
Jos.,  x,  11-14;  Jud.,  iv,  15;  v,  20,  21;  II  Mac,  x,  29, 
31,  etc.  —  4.  Dieu  nrend  très  souvent  le  titre  de  Dieu 
des  armées.  Tr..,  m,  1;  v,  7;  vi,  3;  vin,  13;  x,  33;  Os., 
xn,  5;  Amos,  v,  14;  Mich.,  iv,  4,  etc.  —  5.  Loin  de  con- 
damner la  guerre,  les  Livres  saints  rappellent  souvent 
qu'elle  est  un  fléau,  dont  Dieu  se  sert  pour  châtier  les 
peuples  dans  sa  colère.  Lev.,  xxvi,  24;  Deut.,  xxvm, 
40;  Jos.,  xvn,  13;  Jud.,  i,  3;  n,  21-23;  v,  6;  x,  7;  Is.,  x, 
5;  Jer.,  v,  15,  etc.  Voir  art.  Guerre,  dans  le  Diction- 
naire de  la  Bible  de  M.  Vigoureux,  t.  in,  col.  361-366. 

2°  Dans  le  Nouveau  Testament.  —  1.  Jean-Baptiste 
le  précurseur  n'a  pas  commandé  aux  soldats  d'aban- 
donner l'état  militaire;  il  leur  a  seulement  recommandé 
de  s'y  bien  comporter,  en  ne  commettant  pas  de  dépré- 
dations injustes,  en  se  contentant  de  leur  salaire,  etc. 
Luc,  m,  14.  —  2.  Notre-Seigneur  loua  la  foi  du  cen- 
turion, et  ne  lui  commanda  pas,  non  plus,  d'aban- 
donner l'état  militaire.  Matth.,  vin,  10.  De  même,  fut 
louée  la  foi  de  Corneille,  centurion  de  la  cohorte  ita- 
lique. Act.,  x,  2  sq.  — ■  3.  De  tous  les  saints  guerriers 
indiqués  plus  haut,  saint  Paul  affirme  que  c'est  au 
moyen  de  leur  foi  récompensée  par  le  secours  de  Dieu 
qu'ils  ont  triomphé  de  leurs  ennemis  dans  les  combats, 
et  qu'ils  les  ont  mis  en  fuite.  Heb.,  xi,  32-34. 

3°  Objections.  —  1.  Dieu  réserve  à  Salomon,  fils  de 
David,  la  gloire  de  lui  élever  un  temple,  à  l'exclusion  de 
son  père,  parce  que  celui-ci,  étant  homme  de  guerre, 
a  versé  le  sang.  I  Par.,  xvn,  4;  xxvni,  3.  —  Réponse. — 

II  n'y  a  pas  là  une  condamnation  de  la  guerre,  mais 
seulement  une  mesure  spéciale  à  David,  soit  à  cause 
de  l'homicide  injuste  d'Urie,  soit  à  cause  du  respect 
dû  au  temple  de  Jéhovah.  Cf.  Suarez,  De  charitate, 


1911 


GUERRE 


1912 


disp.  XIII,  De   bello,  scct.   i,  n.  3,  Opéra  omnia,  t.  xn, 
p.  738.  ■ —  2.  On  objecte  aussi  les  textes  des  prophètes  : 
Conjlabunl  gladios  in  vomeres,  et  lanceas  in  falces;  non 
levabit  gens  contra  génies  gladium;  —  non  cxercebun- 
tur  ullra  in  prœlium;...  non  noccbunt  et  non  occident  in 
monte  sancto.  Is.,  u,  4;  xi,  13  sq.,  etc.  ;  Mich.,  iv,  3,  etc. 
—  Ces  paroles  s'appliquent  au  temps  du  Messie  et  à 
la  paix  que  la  rédemption  accomplie    apportera  aux 
hommes,   qui,  jusque-là,  étaient  l'objet  de  la  colère 
divine:  ou  bien  elles  font  allusion  aux  moyens  dont  se 
servira  le  Messie  pour  établir  son  règne  sur  la  terre; 
car  la  guerre  que  le  Messie  et  les  prédicateurs  de  l'Évan- 
gile devront  faire  aux  démons  et  aux  erreurs,  étant  une 
guerre  spirituelle,  sera  poursuivie  non  avec  le  glaive 
matériel  qui  tue  les  corps,  mais  avec  le  glaive  spirituel 
de  la  parole  sainte  qui  illumine  les  âmes  ;  ou  bien  encore, 
les  prophètes,  dans  les  passages  de  ce  genre,  entrevoient 
à  l'avance  le  royaume  de  la  gloire  éternelle,  après  la 
résurrection,   royaume  qui  n'aura  plus   d'ennemis   à 
combattre;  mais  tant  que  les  ennemis  subsistent  dans 
cette  terre  de   larmes,  ces  textes  ne  défendent  pas  de 
lutter  contre  eux,  même  par  la  guerre.  Cf.  Bellarmin, 
II*Controversia  generalis,  De  membris  mililanlis  Eccle- 
siae,  1.  Il  I,  De  laicis,  c.  xiv,  Opéra  omnia,  t.  n,  p.  328.  — 
3.  Le  texte  de  l'Évangile  :  Ego  antem  dico  vobis,  non 
resistere  malo;  sed  si  quis   le  percusserit  in   dexteram 
maxillam,  prœbe  et  alteram,  Matth.,  v,  39,  s'entend  de 
la  vengeance  personnelle  qui  est  défendue,  et  non  d'une 
guerre  juste  pour  la  défense  d'un  État,  ou  le  maintien 
de  ses  intérêts  compromis  par  la  malice  d'autrui.  Cf. 
Bellarmin,   toc.   cil.  —  4.  Quand   Notre-Seigneur,   la 
veille  de  sa  passion,  ordonne  à  saint  Pierre,  dans  le 
jardin  des  Olives,  de  remettre  le  glaive  dans  le  fourreau, 
car  ceux  qui  se  servent  du  glaive,  périront  par  le  glaive, 
Matth.,  xxvi,  52;  Joa  ,  xvm,  11,  il  ne  condamne  pas 
davantage  la  guerre  en  général.  Cf.  S.  Thomas,  Sum. 
theol.,  II»  II*,  q.  xl,  a.  1,  ad  lum;  Suarez,  toc.  cit.;  Bel- 
larmin, loc.  cit.  Pour  obéir  à  son  Père  céleste,  le  Christ 
s'offrait  lui-même  à  ses  bourreaux.  Il  ne  voulait  donc 
pas  que  Pierre  mît  obstacle  à  son  oblation  spontanée. 
J..   lui,  7.  —  5.  Quand  saint  Paul  recommande  aux 
chrétiens  de  ne  pas  se  défendre,  il  n'a  en  vue,  également, 
que  la  vengeance  personnelle,  qui  n'est  pas  permise. 
Le  contexte  manifeste  clairement  la  pensée  de  l'apôtre  : 
Scriptum  est  enim  :  Mihi  vindicta,  ego  rclribuam,  dicit 
Dominus.  Rom.,  xn,  19.  Même  réponse  à  un  autre  texte 
de  saint  Paul,  Non  malum  pro  malo  reddentes.  Rom., 
xn,  17.  Dans  ces  textes  et  d'autres  analogues,  il  n'est 
jamais  question  de  l'autorité  publique  et  légitime  qui, 
non  seulement  a  le  droit,  mais  le  devoir  d'empêcher 
les  ennemis  de  la  société  de  lui  nuire.  Cf.  Suarez,  De 
charilale,  disp.  XIII,  sect.   iv,  n.  G,  t.  xn,  p.  744  sq. 
Saint  Paul  l'insinue  lui-même  très  clairement,  lorsqu'il 
dit  du  chef  d'un  État  :  Non  sine  causa  gladium  portai  : 
Dei  enim  minister  est,  vindex  in  iram  ei  qui  malum 
agit,   Rom.,    xm,   4;   et   cette   puissance   contre   les 
méchants,  le  chef  de  l'État  peut  et  doit  l'exercer,  non 
seulement  contre  les  ennemis  du  dedans,  mais  aussi 
contre  ceux  du  dehors,  comme  le  font  remarquer  les 
commentateurs  de  ce  passage.  Cf.  Suarez,  loc.  cit.,  t.xn, 
p.  744.  ■ —  6.  En  rappelant  que  les  principales  armes 
des  chrétiens  sont  le  bouclier  de  la  foi,  le  casque  du 
salut,  la  cuirasse  de  la  justice,  le  glaive  de  la  parole, 
Eph.,  vi,  14-18,  l'apôtre   des  nations  ne  leur  défend 
pas  de  se  servir  aussi  des  armes  matérielles  contre  les 
■ennemis  de  la  société.  Le  contexte,  en  effet,  montre 
clairement  qu'ici  saint  Paul  n'a  en  vue  que  la  lutte  des 
chrétiens  contre   les   légions   infernales  :  Induite    vos 
armaturam  fldei,  ut  possilis  stare  aduersus  insidias  dia- 
boli,  quoniam  non  est  nobis  colluctalio  adversus  carnem 
et  sanguinem,  sed  adversus  mundi  redores  lenebrarum 
harum,  contra  spirilualia  nequitise.   Eph.,  vi,   11,  12. 
Ce  passage  peut  signifier  aussi  que,   même  dans  la 


guerre,  les  principales  armes  du  chrétien  sont  la  foi  et  la 
prière,  et  qu'il  doit  se  confier  plus  en  le  secours  de  Dieu 
que  dans  la  force  de  son  bras,  comme  le  fit  Moïse  qui 
priait  sur  la  montagne,  tandis  que  les  Hébreux  com- 
battaient dans  la  plaine,  Exod.,  xvn,  10-14  ;  comme  le  fit 
Josué  qui  priait  en  combattant,  Jos.,  x,  11-14;  comme 
le  firent  les  Machabées  que  Dieu  secourut  du  haut  du 
ciel,  en  leur  envoyant  plusieurs  de  ses  anges,  sous  la 
forme  de  cavaliers  armés.  II  Mac,  x,  29-31,  etc.  Mais 
ni  ce  passage,  ni  les  textes  analogues  ne  défendent 
l'usage  des  armes  matérielles  contre  les  ennemis  publics. 
Ils  recommandent  seulement,  tout  en  se  servant  des 
armes,  de  s'adresser  par  de  ferventes  prières  au  Dieu 
des  armées  de  qui  dépend  la  victoire,  et  c'est  ce  qu'ont 
toujours  fait  les  princes  chrétiens,  à  travers  tous  les 
siècles,  en  invoquant  Dieu,  avant  de  marcher  au  com- 
bat. Cf.  Bellarmin,  II*  Conlroversia  generalis,  De  mem- 
bris mililanlis  Ecclesiœ,  1.  III,  De  laicis,  c.  xiv,  Opéra 
omnia,  t.  il,  p.  330. 

IV.  La  guerre  et  les  saints  Pères.  —  1°  Que  la 
guerre  n'est  pas  mauvaise  en  soi.  —  En  bien  des  endroits 
les  Pères  l'affirment.  —  1.  Tertullien  dit  que  les  chré- 
tiens ne  refusent  pas,  dans  ce  but,  de  s'unir  aux  païens  : 
Navigamus  et  nos  vobiscum,  cl  mililamus,  et  ruslicamur, 
et  mercamur.  Apolog.,  c.  xlii,  P.  L.,t.  i,  col.  491.  Selon 
lui,  elle  n'est  pas  plus  répréhensible  que  la  navigation, 
le  travail  des  champs,  ou  le  négoce.  —  2.  Parmi  les 
vertus,  saint  Ambroise  place  la  force  guerrière.  De  offi- 
ciis,  1.  I,  c.  vu,  n.40,  41,  P.  L.,  t.  xvi,  col.  81-84.— 
3.  Saint  Augustin  l'expose  longuement  en  commentant 
les  passages  de  l'Évangile,  où  il  est  question  des  soldats  : 
Si  christiana  disciplina  omnino  bella  culparet,  hoc  potius 
consilium  salulis  petentibus  in  Evangelio  diceretur,  ut 
abjicereni  arma,  seque  mililiœ  omnino  sublraherenlur. 
Diclum  est  autem  eis  :  Neminem  concusseritis;  sufficial 
vobis  stipendium  vcslrum.  Quibus  proprium  slipendium 
sufficere  prœcipil,  mililare  non  prohibuil.  Epist.,  v,  ad 
Marcellinum,  c.  n,  n.  15,  P.  L.,  t.  xxxm,  col.  531  sq.; 
Scrm.,  lxxxii,  de  verbis  Domini,  19,  P.  L.,  t.  xxxix, 
col.  1904.  Cf.  S.  Jean  Chrysostome,  Homilia  in  Joan- 
nem,  P.  G.,  t.  lix,  col.  35;  S.  Athanase,  Epislolaad 
Amunem,  P.  G.,  t.  xxvi,  col.  1173.  — 4.  Saint  Grégoire 
le  Grand  enseigne  la  même  doctrine  :  Sicut  excellenliam 
vesiram  hostilibus  bellis  in  hac  vila  Dominus  vicloria- 
rum  fecit  luce  fulgere,  ila  oportet  eam  inimicis  Ecclesise 
ejus  omni  vivacitale  mentis  et  corporis  obviare.  Epist., 
1.  I,  epist.  lxxiv-lxxv,  ad  Gennadium,  P.  L.,  c.  lxxvii, 
col.  528  sq.  —  5.  Saint  Grégoire  de  Tours  désire  que 
les  princes  chrétiens  n'hésitent  pas  à  faire  la  guerre, 
quand  elle  est  nécessaire  :  Utinam  et  vos,  o  reges,  in  his 
prœliis,  in  quibus  parentes  veslri  desudaverunt,  exerce- 
remini,  ut  génies  veslra  pace  contcnlse,  vestris  viribus 
premerentur.  Hislor.,  1.  V,  c.  i,  P.  L.,  t.  lxxi,  col.  515. 
—  6.  De  son  côté,  saint  Bernard  montre  que  la  guerre 
est  légitime  et  même  méritoire  :  Al  vero  Christi  milites 
securi  prœliantur  prœlia  Domini  sui,  nequaquam  me- 
luentes  aul  de  hostium  cœde  peccatum,  aut  de  sua  nece 
periculum,  quando  quidem  mors  pro  Christo,  vel  ferenda, 
vcl  injerenda,  et  nihil  habeat  criminis,  et  plwimum 
gloriie  mereatur.  Sermo  ad  milites,  c.  m,  P.  L.,  t.  clxxxii, 
col.  924.  Les  Pères  grecs  parlent  de  même.  Cf.  S.  Gré- 
goire de  Nazianze,  Oral.,  m,  de  pace,  P.  G.,  t,  xxxv, 
col.  1155  sq. 

2°  Que  la  guerre  doit  être  entreprise  par  l'autorité  pu- 
blique. —  Ordo  naluralis  morlalium  paci  accommoda- 
lum  hoc  poscil,  ul  suscipiendi  belli  auclotilas  atque  consi- 
lium pencs  principem  sil.  S.  Augustin,  Contra  Fau- 
slum,  1.  XXII,  c.  lxxv,  P.  L.,  t.  xlii,  col.  448. 

3°  Causes  qui  légitiment  la  guerre.  —  1.  Justa  bella 
definiri  soient  quse  ulciscuntur  injurias,  si  gens,  vel 
civilas  quse  bello  petenda  est,  vel  vindicare  neglexeril 
quod  a  suis  improbe  factum  est,  vel  reddere  quod  per 
injurias  ablatum  est.  S.  Augustin,  In  Pentaleuch.,  1.  VI, 


1913 


GUERRE 


1914 


q.  x,  P.  L.,  t.  xxxiv,  col.  181.  —  2.  La  guerre  est  juste, 
quand  elle  est  entreprise  pour  acquérir  une  paix 
durable  :  Bellnm  gcrilur  ul  pax  acquiratur.  Eslo  ergo 
bellando  pacificus,  ut  eos  quos  expugnas,  ad  pacis  ulili- 
tatem  vincendo  perducas.  S.  Augustin,  EpisL,  clxxxix, 
ad  Bonijacium,  n.  6,  P.  L.,  t.  xxxiii,  col.  856.  Cf. 
S.  Léon  IV,  Epist.  ad  exercitum  Francorum,  P.  L., 
t.  cxv,  col.  656  sq.  ;  Labbe  et  Cossart,  Concilia,  t.  vm, 
p.  533;  S.  Léon  IX,  P.  L.,  t.  ccxv,  col.  107. 

4°  Ce  qui  rend  les  guerres  injustes.  —  1.  Nocendi 
cupiditas,  ulciscendi  crudelitas,  impacatus  alque  impla- 
cabilis  animus,  feritas  rebellendi,  libido  dominandi,  et 
si  qua  similia,  hsec  suni  quœ  in  bcllis  jure  culpantur. 
S.  Augustin,  Contra  Faustum,  1.  XXII,  c.  lxxiv,  P.  L., 
t.  xlii,  col.  447.  —  2.  C'est  une  grande  erreur  de  croire 
qu'une  guerre  est  justifiée  par  le  désir  d'agrandir  un 
empire,  d'obtenir  des  richesses,  et  d'acquérir  la  gloire. 
Guerroyer  dans  ces  conditions  et  pour  ce  but,  c'est 
faire  un  grand  acte  de  brigandage  :  Hoc  quid  aliud 
quam  grande  latrocinium  nominandum?  S.  Augustin, 
De  civilate  Dei,  1.  IV,  c.  vi,  P.  L.,  t.  xli,  col.  117.  Cf. 
1.  XIX,  c.  vm,  col.  634  sq.  —  3.  Seuls  les  méchants 
trouvent  un  plaisir  à  faire  la  guerre;  pour  les  bons,  elle 
ne  doit  être  qu'une  nécessité.  Belligerare  malis  félicitas, 
bonis  nécessitas.  S.  Augustin,  De  civilate  Dei,  1.  IV, 
c.  xv,  P.  L.,  t.  xli,  col.  124.  Cf.  S.  Grégoire  VII,  P.  L., 
t.  cxlviii,  col.  565  ;  Mansi,  Concil.,  t.  xx,  col.  535; 
Innocent  III,  Epist.  ad  regem  Francorum,  P.  L.,t.  ccxv, 
col.  65  sq.,  177-184,  326. 

5°  Réponse  des  saints  Pères  aux  objections  tirées  de 
l'Écriture  sainte.  —  LA  l'objection  tirée  des  paroles  de 
Notre-Seigneur  :  Omnes  qui  acceperint  gladium,  gladio 
peribunl,  Matth.,  xxvi,  52,  saint  Augustin  répond  :  Ille 
utitur  gladio  qui  nulla  superiore  ac  légitima  poleslalc, 
vel  jubente,  vel  concedenle,  in  sanguincm  alicujus  arma- 
lur.  Contra  Faustum,  1.  XXII,  c.  lxx,  P.  L.,  t.  xlii, 
col.  414.  De  même, ailleurs,  il  distingue  le  cas  de  prendre 
les  armes  de  sa  propre  autorité,  de  celui  de  les  prendre 
au  nom  et  par  mandat  de  l'autorité  publique.  De 
mendacio,  c.  xv,  P.  L.,  t.  xl,  col.  506  sq.  Saint  Jérôme, 
Epist.  ad  Ageruchiam,  De  monogamia  :  Olim  bellalo- 
ribus  dicebatur  :  accinge  gladium  luum  super  jemur 
luum,  polenlissime;  nunc  Petro  dicilur  :  converte  gla- 
dium tuum  in  vaginam  :  omnes  enim  qui  acceperint  gla- 
dium, etc.  Saint  Jérôme  veut  seulement  dire  ici  que, 
dans  l'Ancien  Testament,  Dieu  lui-même  commandait 
de  faire  la  guerre,  pour  conquérir  la  terre  promise,  ou 
pour  en  conserver  la  possession;  tandis  que,  dans  le 
Nouveau  Testament,  Dieu  commande  plutôt  la  paix, 
car.  pour  acquérir  le  royaume  céleste,  pas  n'est  besoin 
des  armes  matérielles.  Cf.  Origène,  Contra  Celsum,  1.  II, 
c.  x,  P.  G.,  t.  xi,  col.  813,  où  il  dit  qu'on  ne  doit  pas 
prendre  à  la  lettre  ces  paroles  du  Sauveur  :  Qui  non 
habet  gladium,  vendat  iunicam,  cl  cmal  gladium.  Luc, 
xxn,  36. 

2.  À  l'objection  tirée  de  ce  texte  de  l'Évangile  :  Ego 
aulem  dico  vobis,  non  resislere  malo,  Matth.,  v,  39,  et  de 
celui  de  saint  Paul  :  Non  vosmetipsos  dejendentes,  Rom., 
xii,  19,  saint  Augustin  répond  en  disant  que  ces  paroles 
signifient  que  l'homme  juste  doit  toujours  être  prêt  à 
renoncer  à  sa  défense  personnelle,  quand  un  plus  grand 
bien  l'exige  ou  le  conseille,  De  sermone  Domini  in 
monte,  c.  xix,  P.  L.,  t.  xxxiv,  col.  1258;  mais  que,  dans 
bien  des  circonstances,  il  faut,  au  contraire,  agir  diffé- 
remment pour  le  bien  commun,  et  même  pour  l'intérêt 
de  ses  propres  ennemis  :  Agenda  sunl  mulla  etiam  cum 
invilis  benigna  quidem  aspcritale  plectendis.  Nam  cui 
licentia  iniquitatis  cripitur,  utiliter  vicitur;quoniam  nihil 
est  infelicius  felicilate  peccanlium,  qua  pœnalis  nutritur 
impunilas,  et  mala  volunlas,  vclul  Iwslis  inlerior,  robora- 
lur.  Epist.,  cxxxvm,  ad  Marccllinum,  c.  n,  n.  14,  P.  L., 
t.  xxx,  col.  531.  Saint  Augustin  réfute  aussi  très  longue- 
ment   les    manichéens    qui,    regardant    toute    guerre 


comme  injuste,  accusaient  d'impiété  Abraham,  Josué, 
David,  et  tous  les  saints  personnages  de  l'Ancien  Tes- 
tament, qui,  sur  l'ordre  de  Dieu,  avaient  fait  la  guerre 
aux  ennemis  de  leur  patrie.  Contra  Faustum,  1.  XXII, 
c.  lxxviii,  P.  L.,  t.  xlii,  col.  450  sq. 

6°  Réponse  aux  objections  tirées  des  saints  Pères  eux- 
mêmes.  —  1.  Pour  prouver  que  les  saints  Pères  con- 
damnaient la  guerre  en  général,  on  apporte  ce  texte  de 
Tertullien  :  Credimusne  humanum  sacramentum  divina 
superinduci  licere?  et  in  alium  Dominum  respondere 
post  Chrislum  ?  licebit  in  gladio  conversari,  Domino  pro- 
nuntiante  gladio  perilurum  qui  gladio  fuerit  usus?  et 
prselio  operabitur  fdius  pacis,  cui  nec  liligare  conveniel  ? 
De  corona  militis,  c.  xi,  P.  L.,  t.  n,  col.  91.  Tertullien 
qui,  dans  son  Apologétique,  c.  v,  xlii,  P.  L.,  t.  i, 
col.  295,  491,  enseigne  que  l'état  militaire  n'est  pas 
opposé  aux  vertus  chrétiennes,  ne  condamne  pas  ici 
la  guerre  comme  intrinsèquement  mauvaise,  car,  dans 
ce  livre  de  la  Couronne  militaire,  il  avoue  également 
qu'un  chrétien  qui  était  déjà  soldat  avant  son  baptême 
peut  continuer  à  porter  les  armes,  après  avoir  été  régé- 
néré par  l'onde  baptismale.  Il  dit  seulement  que  ceux 
qui  n'étaient  pas  soldats  avant  d'être  baptisés  ne 
doivent  pas  ensuite  s'enrôler  dans  l'armée,  mais  garder 
leur  liberté  antérieure  :  Plane  si  quos  mililia  prœvenlos 
fides  poslerior  invenit,  alia  condilio  est,  ut  eorum  quos 
Joannes  admillebai  ad  lavuerum,  ut  cenlurionum  fide- 
lissimorum  quem  Chrislus  probal,  et  quem  Petrus  cate- 
chizat,  dum  lamen,  suscepta  fide,  atque  signala,  aut  de- 
serendum  statim  sil,  ul  multis  actum,  aut  omnibus  modis 
cavillandum,  ne  quid  adversus  Deum  commiltalur.  De 
corona  militis,  c.  xi,  P.  L.,  t.  n,  col.  92.  Comme  on  le 
voit,  c'est  moins  un  ordre  qu'un  conseil  de  prudence,  à 
cause  du  danger  d'idolâtrie  auquel  se  seraient  exposés 
imprudemment  ces  néophytes,  à  une  époque  où  presque 
tous  les  princes  étaient  païens.  Tertullien  enseignait 
donc  que,  dans  ces  circonstances  particulières,  per  acci- 
dens,  l'état  militaire  était  mauvais  pour  eux,  car  ils 
seraient  exposés,  presque  à  chaque  instant,  à  recevoir 
des  ordres  en  contradiction  avec  leur  foi.  Et  il  en  donne 
des  exemples  :  Excubabil  pro  (emplis  quibus  renuncia- 
vil?  et  cœnabil  illic  ubi  aposlolo  non  placet?  et  quos  in- 
lerdiu  exorcismis  fugavil,  noctibus  defensabit  ?  vexillum 
quoque  portabil  œmulum  Chrislo?  etc.  De  corona  militis, 
c.  xi,  P.  L.,  t.  n,  col.  92.  Cf.  A.  d'Alès,  La  théologie  de 
Tertullien,  Paris,  1905,  p.  420. 

2.  En  commentant  cette  parole  du  Maître  :  Qui  non 
habet  gladium,  vendat  tunicam  et  emat  gladium,  Luc, 
xxn,  36,  saint  Ambroise  s'écrie  :  O  Domine,  cur  emere 
me  jubés  gladium,  qui  ferire  me  prohibes  ?  cur  haberi  pree- 
cipis  quem  vêlas  promi?  nisi  forte  ul  sil  parala  de/ensio, 
non  ullio  necessaria,  et  videur  potuisse  vindicari,  sed  no- 
luisse  ?  lex  tamen  referire  non  vetal,  et  ideo  fartasse  Petro 
duos  gladios  offerenti,  sal  est,  dicis,  quasi  licuerit  usque 
ad  evangelium  :  ut  sit  in  lege  œquilatis  erudilio,  in  v  tn- 
gelio  bonitatis  per/eclio.  In  Lucam,  1.  X,  c  lui,  P.  L., 
t.  xv,  col.  1817.  Il  est  évident  que,  dans  ce  passage, 
saint  Ambroise  ne  parle  pas  de  la  guerre  proprement 
dite,  entreprise  par  l'autorité  publique,  mais  seulement 
de  la  vengeance  privée,  ou  de  la  défense  personnelle. 
Le  renoncement  à  celle-ci  ne  fait  pas,  selon  lui,  l'objet 
d'un  précepte  formel,  mais  seulement  d'un  conseil  de 
perfection,  comme  la  chose  ressort  clairement  des 
termes  qu'il  emploie  :  ut  sil  in  lege  œquilatis  erudilio,  in 
evangelio  bonitatis  perfectio. 

3.  Saint  Léon  le  Grand,  Epist.,  clxvii,  ad  Ruslicum, 
s'exprime  ainsi  :  Contrarium  est  ecclesiasticis  regulis 
post  pa-nitentiœ  aclioncm  redire  ad  militiam  sœcularem, 
cum  apostolus  dical  :  Nemo  militons  Dco,  implicat  se 
negoliis  sœcularibus.  II  Tim.,  n,  4.  Unde  non  est  liber  a 
diaboli  laqueo  qui  se  militiœ  mundanœ  volueril  implicare. 
P.  L.,  t.  liv,  col.  1206  sq.  Cette  prescription  a  été  insé- 
rée dans  le  Décret  de  Gratien,  part.  II,  caus.  XXXIII. 


1915 


GUERRE 


1916 


q.  in,  De  pa'nitentia,  dist.  V,  can.  3,  et,  comme  le  font 
remarquer  les  commentateurs  de  ce  texte  du  Corpus 
juris,  le  pape,  par  ces  paroles,  ne  réprouve  pas  la  guerre, 
en  général;  mais  il  parle  de  ceux  qui,  ayant  été  con- 
damnés à  une  certaine  pénitence  publique,  revenaient 
à  la  vie  des  camps  avant  d'avoir  achevé  cette  pénitence 
qui  devait  réparer  leurs  fautes  et  assurer  leur  persé- 
vérance dans  le  bien.  Il  y  avait  eu,  d'ailleurs,  de  nom- 
breuses raisons,  au  commencement  de  l'Église,  de  dé- 
fendre aux  néophytes  de  s'enrôler  aussitôt  dans  les 
armées,  sous  des  chefs  infidèles,  et  au  milieu  de  cama- 
rades pour  la  plupart  infidèles.  C'était  pour  eux  un 
grand  danger  de  perversion.  Cf.  Suarez,  De  charilale, 
disp.  XIV,  sect.  ii,  n.  3,  Opéra  omnia,  t.  xin,  p.  378.  Ces 
raisons  n'existaient  plus  au  temps  de  saint  Léon,  et  ces 
paroles  font  surtout  allusion  à  ceux  qui,  ayant  commis 
de  nombreuses  fautes  dans  la  profession  militaire, 
avaient  subi  une  pénitence  publique,  et  étaient,  cepen- 
dant, retournés  à  cette  vie  des  camps,  où  l'expérience 
leur  avait  démontré  qu'ils  ne  pouvaient  vivre  sans  com- 
mettre une  foule  de  fautes,  non  point  que  l'état  mili- 
taire soit  un  état  intrinsèquement  mauvais,  mais  à 
cause  de  leur  propre  faiblesse.  Cf.  S.  Jean  Chrysostome, 
In  Maith.,  homil.  lxi,  c.  ii,  P.  G.,  t.  lvii,  col.  590;  Bel- 
larmin,  II*  Controversia  generalis,  De  mcmbris  Ecelesiœ 
mililanlis,  1.  III,  De  laicis,  c.  xiv,  Opéra  omnia,  t.  n, 
p.  328. 

4.  La  môme  pensée  est  exprimée  par  saint  Grégoire 
le  Grand  dans  une  prescription  insérée  aussi  dans  le 
Décret  de  Gratien,  part.  II,  caus.  XXXIII,  q.  m,  De 
pœnilenlia,  dist.  V,  can.  6.  Ceux  qui  s'adonnent  à  un 
état  qu'ils  ne  peuvent  exercer  sans  offenser  Dieu,  dit  le 
pape,  ne  peuvent  être  admis  à  la  pénitence  que  s'ils 
renoncent  à  cet  état,  et  il  donne  comme  exemple  l'état 
militaire.  Quicumque  miles,  vel  negotiator,  vel  alicui  of- 
ficio  deditus  quod  sine  peccaio  exerceri  non  possil,  si  cul- 
pis  gravioribus  irretitus,  ad  pœnitentiam  venerit...  arma 
deponat,  et  ulterius  non  ferai.  Mais  il  est  évident  par  le 
contexte  que  l'intention  du  pape  n'est  pas  de  proscrire 
l'état  militaire  en  général,  car  après  avoir  dit  que  ceux- 
là  agissent  mal  qui,  après  leur  pénitence,  retournent  à 
l'état  militaire,  ce  qui  fait  douter  de  la  sincérité  de  leur 
pénitence,  falsas  pœnitentias  dicimus,  il  excepte  ceux 
qui  reviennent  à  la  vie  des  camps,  sur  le  conseil  des 
évêques  et  des  prêtres,  pour  défendre  la  cause  de  la  jus- 
tice, nisi  consilio  religiosorum  episcoporum  pro  defen- 
denda  juslitia.  Décret  de  Gratien,  loc.  cit.  L'état  mili- 
taire n'est  pris  ici  que  comme  un  exemple,  au  même 
titre  que  le  négoce,  pour  conseiller  la  fuite  de  l'occasion 
du  péché.  Cf.  Bellarmin,  II2-  Controv.  generalis, De  mcm- 
bris Ecelesiœ.  militantis,  1.  III,  De  laicis,  c.  xiv,  t.  ii, 
p.  328. 

V.  La  guerre  et  l'Église.  —  1°  Durant  les  persé- 
cutions. —  1.  Fidèle  interprète  de  la  pensée  du  Christ, 
l'Église,  quoique  prêchant  la  paix  et  la  charité  univer- 
selles, ne  condamna  jamais  la  guerre.  Comme  saint 
Jean-Baptiste,  elle  donna  des  règles  de  conduite  aux 
militaires,  mais  ne  les  obligea  pas  à  quitter  leur  pro- 
fession. Dès  les  premiers  siècles,  même  au  temps  des 
persécutions,  on  vit  des  soldats  embrasser  le  christia- 
nisme, sans  abandonner  le  service  des  armes,  et  des 
chrétiens,  nés  dans  la  vraie  foi,  s'élever  aux  plus  hauts 
grades  dans  les  armées  impériales,  tels  que  saint  Sébas- 
tien et  autres.  Plusieurs  s'y  sanctifièrent  et  y  obtin- 
rent la  couronne  du  martyre.  Si  l'on  trouve  parfois, 
dans  les  écrivains  de  cette  époque,  des  paroles  tendant 
à  signaler  une  certaine  incompatibilité  entre  l'état  mili- 
taire et  le  christianisme,  ce  n'est  point  que  cet  état  leur 
parût  intrinsèquement  mauvais,  ou  contraire  aux  lois 
de  l'Évangile,  mais  parce  que  la  fréquentation  des  com- 
pagnons d'armes  païens  et  la  soumission  à  des  chefs 
infidèles  présentai,  nt  un  vrai  danger  de  perversion  et 
d'apostasie  pour  les  chrétiens,  qui  pouvaicui  être  forcés 


à  prendre  part  aux  sacrifices  idolàtriques,  ou  à  vénérer 
les  images  des  faux  dieux  placées  sur  les  étendards.  Il 
y  avait  donc  là,  pour  eux,  vu  ces  circonstances  spé- 
ciales, un  péril  prochain  de  chute  grave,  contre  lequel 
on  ne  pouvait  trop  les  prémunir.  Mais  l'histoire  nous 
apprend  que,  nonobstant  ces  appréhensions  si  fondées, 
il  y  avait  des  légions  entières  composées  presque  uni- 
quement de  chrétiens,  telles  que  la  légion  thébaine 
commandée  par  saint  Maurice,  et  la  légion  fulminante. 
Dieu  montra,  quelquefois,  par  des  miracles,  combien 
par  leurs  vertus  lui  étaient  agréables  ces  soldats  chré- 
tiens, même  quand  ils  servaient,  néanmoins,  sous  des 
chefs  infidèles.  Tertullien,  dans  son  Apologétique,  c.  v, 
P.  L.,  t.  i,  col.  295,  nous  rapporte  le  miracle  remar- 
quable accordé  à  leur  prière,  sous  le  règne  de  Marc- 
Aurèle,  pendant  la  guerre  de  Germanie.  Saint  Basile, 
dans  son  panégyrique  des  quarante  martyrs  de  Sébaste, 
nous  dit  que,  dans  les  armées  des  princes  infidèles,  se 
trouvaient  beaucoup  de  soldats  chrétiens,  P.  G., 
t.  xxxi,  col.  512.  De  même  saint  Grégoire  de  Nazianze, 
Orat..  i,  in  Julianum,  P.  G.,  t.  xxxv,  col.  581.  Cf.  Eu- 
sèbe,  H.  E.,  1.  VIII,  c.  iv;  1.  IX,  c.  x,  P.  G.,  t.  xx,  col. 
749,  831. 

2.  Le  Ier  concile  œcuménique  de  Nicée  tenu  en  325, 
dans  son  12e  canon,  prononça,  il  est  vrai,  une  peine  très 
grave  (treize  ans  de  pénitence  publique)  contre  les 
militaires,  officiers  ou  soldats,  qui,  ayant  abandonné  la 
carrière  des  armes,  y  retournaient,  et  allaient  même 
jusqu'à  donner  de  fortes  sommes  d'argent  pour  y  être 
réintégrés,  ou  récupérer  leurs  grades  précédemment 
possédés,  à  cause  des  grands  avantages  qu'ils  y  trou- 
vaient au  triple  peint  de  vue  des  honneurs,  de  la  ri- 
chesse et  des  privilèges.  Pour  flétrir  leur  conduite,  le 
concile  se  sert  d'une  expression  très  sévère,  et  les  com- 
pare à  des  chiens  retournant  à  leur  vomissement,  ïr.l  tov 
o'.xîïov  £[a£tov  àvaBpaucivTsç  <l>ç  x'Jveç.  Cf.  Mansi,  ConciL. 
t.  n,  col.  670.  Ce  texte,  cependant,  malgré  l'énergie  des 
termes  employés,  n'est  pas  une  condamnation  de  l'état 
militaire,  en  général;  mais  uniquement  une  mesure  con- 
tre les  apostats  pendant  la  persécution  de  Licinius,  qui 
ne  s'était  terminée  que  quelques  années  avant  le  con- 
cile de  Nicée,  à  la  suite  de  la  défaite  de  ce  prince  par 
Constantin.  Licinius,  ami  de  Galère,  s'était  posé  comme 
le  champion  du  paganisme,  et,  voulant  épurer  son 
armée,  avait  exigé  de  tous  ses  soldats  et  de  tous  ses 
officiers  une  apostasie  formelle,  en  les  forçant  de  pren- 
dre part  aux  sacrifices  en  l'honneur  des  fausses  divi- 
nités païennes,  sous  peine  d'exclusion  immédiate  de 
l'armée.  Cf.  Sulpice  Sévère,  Hislor.  sacra,  1.  II,  c.  xxxm, 
P.  L.,  t.  xx,  col.  147;  Eusèbe,  H.  E.,  1.  VIII,  c.  iv; 
1.  IX,  c.  x,  P.  G.,  t.  xx,  col.  749,  831  ;  Tillemont,  Mé- 
moires pour  servir  à  l'histoire  ecclésiastique  des  six  pre- 
miers siècles,  16  in-4°,  Paris,  1698-1712,  t.  v,  note  1; 
Allard,  Histoire  des  persécutions,  5  in-8°,  Paris,  1903, 
t.  v,  p.  306  sq.  ;  Hefele,  Histoire  des  conciles,  trad. 
Leclercq,  Paris,  1907,  t.  i,  p.  591-593.  Retourner  à 
l'armée  dans  des  conditions  semblables,  c'était,  de  fait, 
apostasier.  Tel  est  le  sens  de  ce  canon  du  concile  de 
Nicée,  et  c'est  à  cette  fin  qu'il  fut,  dans  l'intérêt  de  la 
vérité  historique,  plutôt  que  par  une  prescription 
encore  en  vigueur,  inséré  dans  le  Décret  de  Gratien, 
part.  II,  caus.  XXXIII,  De  pœnitentia,  dist.  V,  c.  4,  Si 
qui.  Le  concile  de  Nicée  ne  réprouva  donc  l'état  mili- 
taire, qu'en  tant  qu'il  était  un  signe  d'apostasie.  Cf. 
Bellarmin,  II3-  Controversia  generalis,  De  membris 
Ecelesiœ  mililanlis,  1.  II,  De  conciliorum  auclorilate, 
c.  vm,  Opéra  omnia,  t.  n,  p.  50  sq.  ;  Suarez,  De  cha- 
rilale, disp.  XIII,  sect.  i,  n.  3-4,  Opéra  omnia,  t.  xn, 
p.  738.  ' 

2°  Au  moyen  âge.  Législation  ecclésiastique  au  sujet 
de  la  guerre.  —  1.  La  pensée  de  l'Église  sur  la  guerre 
ressort  clairement  d'une  foule  de  textes  du  Corpus 
juris  canonici,  qui  en  traitent  longuement,  jamais  pour 


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GUERRE 


1918 


la  condamner,  en  principe,  mais  seulement  pour  la  ré- 
gulariser, pour  la  limiter  et  la  circonscrire,  pour  en 
empêcher  les  excès,  en  établissant  soigneusement  ce 
qui  est  permis,  et  ce  qui  ne  l'est  pas.  Et  d'abord,  dès 
les  premières  pages,  la  législation  canonique  définit  ce 
qu'est  le  droit  militaire.  A  cette  question  :  Quid  sit  jus 
militarc,  elle  répond,  d'après  un  texte  de  saint  Isidore  : 
Jus  militare  est  belli  inferendi  solemnitas,  fœderis  fa- 
ciendi nexus, signo dalo  egressio  inhostem,vel  pugnie  com- 
missio...  Item,  flagitii  mililaris  disciplina...  Item,  sti- 
pendiorummodus,  dignilalum  gradus,  prcemiorum  honos, 
sicuti  quum  cororta,  vel  torques  donanlur...  Item,  prœdse 
decisio  cl  pro  personarum  qualitalibus  cl  laboribus  jusla 
divisio,  ac  principis  porlio.  Décret  de  Gratien,  part.  1, 
dist.  I,  De  jure  divino  et  huma  no,  c.  10.  Au  chapitre  pré- 
cédent, en  disant  en  quoi  consiste  le  droit  des  nations, 
elle  fait  mention  de  la  guerre,  comme  d'une  chose  par- 
faitement légitime  :  Jus  gentium  est  sedium  occupatio, 
munitio,  bella,  captivilales,  serviiules,  etc.  Hœc  inde  jus 
gentium  appcllantur,  quia  eo  jure  omnes  fere  génies 
ulunlur.  Décret  de  Gratien,  part.  I,  dist.  I,  c.  9. 

Dans  la  IIe  partie,  le  Décret  de  Gratien  n'a  pas 
moins  d'une  centaine  de  pages  de  textes  législatifs  sur 
tout  ce  qui  concerne  la  guerre,  part.  II,  caus.  XXIII, 
q.  i-viii. —  a)  La  ire  question,  composée  de  sept  canons 
traite  de  la  guerre  en  général  :  An  militare  peccatum  sil? 
La  réponse  est  négative,  et  appuyée  par  de  nombreux 
arguments.  De  plus,  il  est  démontré  que  non  seulement 
la  vie  militaire  n'est  pas  coupable,  mais  qu'elle  peut 
même  être  très  méritoire  :  In  bellicis  armis  milites  Deo 
placere  possunt.  In  lus  eral  sanclus  David  cui  Dominus 
lam  magnum  perhibuit  lestimonium.  In  his,  et  plurimi 
illius  temporis  justi,  c.  3.  —  b)  La  ne  question  traite 
des  causes  justes  de  la  guerre.  D'abord,  il  faut  que  la 
guerre  émane  de  l'autorité  publique  légitimement  con- 
stituée :  Juslum  est  bellum  quod  ex  edicto  gerilur,  de 
rébus  repetendis,  aut  propulsandorum  hostium  causa, 
cl.  Les  ruses  et  les  embûches  sont  permises  à  la  guerre  : 
Nihil  ad  justitiam  interesl,  sive  aperle,  sive  ex  insidiis 
aliquo  pugnet,  c.  2.  Cette  proposition  est  prouvée  par 
les  exemples  de  l'Ancien  Testament,  par  lesquels  on 
voit  que  Dieu  lui-même  conseille  ou  commande  ces 
ruses  de  guerre  :  Dominus  enim  noster  jubel  ad  Jesum 
Nave  ut  constituât  sibi  retrorsus  insidias,  id  est  insi- 
dianles  bellalores  ad  insidiandum  hoslibus,  secundum 
illud  Josue,  vin,  2  sq.  —  c)  La  m0  question  examine  si 
l'injure  ou  le  tort  fait  à  des  alliés  est  une  cause  suffi- 
sante de  guerre  :  An  injuria  sociorum  armis  sit  propul- 
sanda,  c.  1-11.  Dans  le  canon  7e,  on  trouve  cette  for- 
mule énergique  empruntée  à  saint  Ambroise,  De  officiis, 
1.  I,  c.  xxxvi  :  Qui  socii  non  repellit  injuriam,  si  potest, 
similis  est  ei  qui  facit;  et  celle-ci,  dans  le  canon  8e  : 
Malorum  impielati  favet,  qui  eis  obviare  cessai.  Qui 
enim  potest  obviare  et  perturbare  perversos,  et  non  facit, 
nihil  aliud  est  quam  favere  eorum  impielati.  Nec  enim 
caret  scrupulo  societatis  occullie,  qui  manijeslo  facinori 
desinil  obviare.  D'où  obligation  stricte  pour  les  empe- 
reurs et  les  rois  de  défendre  les  églises  contre  les  entre- 
prises des  seigneurs  et  des  puissants  de  la  terre,  quels 
que  soient  leur  nom  et  leur  dignité  :  Imperalores  Eccle- 
siœ  defensionem  adversus  divitum  polenliam  debenl  susci- 
pere,  c.  10.  —  d)  La  ive  question  traite  de  la  vindicte 
I  ublique.  Si  quelquefois,  pour  le  bien  de  la  paix,  on  doit 
tolérer  les  méchants,  c.  1-3,  il  ne  faut  pas  craindre, 
d'autres  fois,  de  les  corriger,  et  même  de  les  bannir,  s'il 
n'y  a  pas  d'espérance  d'amendement,  et  cela  n'est  ni 
contre  la  charité,  ni  contre  la  paix,  mais  plutôt  pour 
l'avantage  de  la  société  entière,  dont  la  charité  nous 
commande  de  rechercher  le  bien,  plutôt  que  celui  des 
simples  particuliers,  c.  5;  Sicut  ab  oralione  cessandum 
non  est,  sic  nec  a  correptione,  c.  20;  Medicinali  severilate 
mali  cogantur  ad  bonum,  c.  25.  Si,  en  effet,  il  est  une 
miséricorde  charitable,  il  en  est  une  qui  est  injuste, 


c.  33.  C'est  un  devoir  des  puissances  établies  de  répri- 
mer les  perturbateurs  de  l'ordre,  c.  38.  L'Église  peut 
donc  demander  le  secours  des  princes  temporels  contre 
ses  ennemis  et  contre  les  hérétiques,  c.  40-42.  A 
l'exemple  du  Christ,  on  peut  user  d'une  sainte  violence 
pour  amener  les  méchants  au  bien,  c.  43.  Ce  n'est 
pas  là  de  la  cruauté,  c'est  de  l'amour,  c.  44.  Loin  qu'il  y 
ait  faute,  c'est  le  moyen  d'apaiser  la  juste  colère 
du  Dieu  tout-puissant,  c.  46,  47.  Ecclesise  religionis 
inimici  etiam  bellis  sunt  coercendi,  c.  48.  La  foi  des  belli- 
gérants prépare  la  victoire,  c.  49;  tandis  que  le  délai  à 
punir  les  méchants  attire  la  colère  de  Dieu,  c.  50.  — 
c)  La  question  ve  enseigne  quand  l'homicide  est  permis. 
Dans  une  guerre  juste,  ceux  qui  tuent  les  ennemis  ne 
transgressent  pas  le  cinquième  précepte  du  Décalogue  : 
Non  occides,  c.  8-9;  Non  est  reus  homicidii  miles  qui 
polestali  obediens  homincm  occidil,  c.  13.  Souvent,  celui 
qui  est  la  cause  de  la  mort  d'un  homme  est  plus  cou- 
pable que  celui  qui  le  tue,  en  réalité,  c.  19.  C'est  le  devoir 
des  rois  de  mettre  les  méchants  dans  l'impossibilité  de 
nuire  aux  bons,  c.  23,  28.  Mettre  à  mort  les  méchants, 
c'est  servir  Dieu,  c.  29.  La  persécution  consiste,  non 
pas  à  forcer  au  bien,  mais  à  contraindre  au  mal,  c.  42. 
Mourir  en  combattant  contre  les  infidèles,  c'est  mé- 
riter le  ciel,  c.  46.  —  /)  La  question  vie  et  la  question 
vne  traitent  des  matières  analogues.  —  g)  La  question 
vme  examine  s'il  est  permis  aux  clercs  et  même  aux 
évêques  de  prendre  les  armes,  soit  de  leur  propre  auto- 
rité, soit  pour  obéir  à  l'empereur,  ou  au  pape.  Dans  une 
trentaine  de  canons  différents,  la  législation  ecclésias- 
tique établit  que,  si  les  clercs  et  les  évêques  peuvent 
appeler  les  princes  séculiers,  rois  et  empereurs,  à  la 
défense  de  leurs  églises,  ils  ne  peuvent,  cependant,  pas 
eux-mêmes  prendre  les  armes,  et  verser  le  sang,  car 
non  debenl  agitare  judicium  sanguinis  qui  sacramenla 
Domini  tractant,  c.  30.  Prendre  rang  dans  la  milice 
séculière,  défendre  par  force  leurs  terres,  s'engager  dans 
les  combats,  en  un  mot,  porter  les  armes,  est  contre  la 
profession  de  leur  saint  état.'  C'est  là  le  rôle  des  puis- 
sances terrestres,  non  celui  des  membres  de  la  hiérar- 
chie sacrée,  c.  1.  Les  clercs  qui  meurent  à  lu  guerre 
n'ont  pas  droit  aux  prières  solennelles,  pro  iis  oratio  vel 
oblalio  non  ojjeratur,  c.  2.  Les  clercs  qui  osent  prendre 
les  armes  doivent  être  dégradés,  et  enfermés  dans  un 
monastère  pour  y  faire  pénitence,  c.  5  ;  car  ils  doivent 
être  regardés  comme  méprisant  les  saints  canons,  et 
profanant  la  sainteté  de  leur  état,  c.  6.  A  plus  forte  rai- 
son, cela  est-il  défendu  aux  évêques.  Le  rôle  des  évêques, 
princes  dans  la  milice  du  Christ,  est  de  prier,  non  de 
combattre,  c.  19.  Qu'ils  prennent  bien  garde  de  ne 
coopérer  en  rien  à  la  mort  d'un  homme,  quel  qu'il  soit, 
c.  20.  Cf.  Décrétâtes,  1.  III,  tit.  i,  c.  n;  S.  Thomas,  Sum. 
theol.,  IIair,',q.  xL,a.  2. 

•  Conformément  à  ces  prescriptions,  l'Église  n'a  jamais 
fait  elle-même  la  guerre,  pour  les  questions  de  doctrine. 
Jamais  elle  n'a  consenti  que  l'on  forçât  par  le  fer  les 
hérétiques  ou  les  infidèles  à  se  convertir.  Les  guerres 
que  les  princes  entreprirent  contre  les  hérétiques 
eurent  plutôt  pour  cause  des  motifs  d'ordre  politique, 
ou  le  désir  légitime  de  faire  rentrer  dans  l'ordre  les  per- 
turbateurs du  repos  public,  car  très  souvent  certains 
hérétiques,  tels  que  les  Goths  ariens,  les  donatistes,  les 
albigeois,  etc.,  etc.,  commettaient  des  actes  de  véri- 
table brigandage,  et  mettaient  des  contrées  entières 
à  feu  et  à  sang.  Cf.  Luchaire,  Innocent  III  :  la  croisade 
des  albigeois,  in-8°,  Paris,  1905;  Pastor,  Histoire  des 
papes,  10  in-8°,  Paris,  1907,  t.  i,  p.  285.  Les  croisades 
elles-mêmes,  et  les  guerres  décrétées  à  diverses  reprises 
par  des  conciles  contre  les  Turcs,  n'avaient  pas  pour  but 
de  contraindre  ceux-ci  à  embrasser  le  christianisme, 
mais  de  les  empêcher  de  tyranniser  les  chrétiens,  et  de 
recouvrer  la  Terre' Sainte.  Les  Sarrasins,  au  contraire, 
et  les  Turcs  faisaient  la  guerre  pour  une  question  de 


1919 


GUERRE 


1920 


doctrine,  afin  d'implanter  le  mahométisme  partout. 
Jamais  l'Église  ne  mérita  le  reproche  d'avoir  essayé  de 
faire  des  conversions  forcées.  Si  elle  institua  des  ordres 
religieux  militaires,  ce  ne  fut  pas  évidemment  dans  ce 
but.  Cf.  S.  Bernard,  P.  L.,  t.  clxxii,  col.  923  sq.  ;  Pierre 
de  Cluny,  Epistola  ad  Ebrardum  militiœ  Tcmpli  magi- 
slrum,  dans  Hisloiiens  de  la  France,  t.  xv,  p.  650. 

Pour  ce  qui  est  de  la  défense  aux  évêques  de  prendre 
part  à  une  guerre,  le  droit  ecclésiastique  se  relâcha  en 
faveur  de  ceux  qui  à  l'autorité  spirituelle  joignaient  une 
principauté  temporelle.  Ils  étaient  bien  obligés  de 
défendre  leurs  États  contre  d'injustes  agresseurs.  On 
ne  voit  pas  pour  quel  motif  on  les  aurait  empêchés  de 
soutenir,  si  ce  n'est  par  eux,  du  moins  par  leurs  officiers, 
mais  en  leur  nom  et  de  par  leur  autorité,  une  guerre 
défensive.  Cf.  Suarez,  De  charilaie,  disp.  XIII,  sect.  m, 
n.  1,  Opéra  omnia,  t.  xn,p.741.  Ce  droit  de  défense,  con- 
cédé par  le  droit  naturel,  n'est  enlevé  par  aucune  loi 
positive,  ni  divine,  ni  ecclésiastique.  Il  est  donc  permis 
à  tous  de  défendre  leur  propre  vie,  ou  leurs  biens,  ou 
ceux  qui  appartiennent  à  la  société  dont  ils  ont  la  charge 
et  la  garde.  Cf.  Cocquelines,  Bullarium,t.  ni,  p.  31  sq. 

Quant  à  la  guerre  agressive,  il  est  aussi  des  raisons 
qui  peuvent  la  légitimer  de  la  part  de  prélats  ecclésias- 
tiques, évêques  ou  autres,  qui  sont  à  la  tête  d'une 
principauté  séculière.  Ce  sont  les  mêmes  que  celles  qui 
la  légitiment  chez  les  princes  séculiers,  et,  dans  ce  cas, 
ces  prélats,  au  dire  de  Suarez,  n'encourent  aucune  irré- 
gularité. Cf.  De  charilaie,  disp.  XIII,  sect.  m,  n.  2- 
7;  De  censuris,  disp.  XLVII,  sect.  vi,  Opéra  omnia, 
t.  xii,  p.  741  sq.  ;  t.  xxm  b,  p.  503  sq.  La  raison  est  que 
ce  droit  appartient  à  la  puissance  temporelle  dont  ils 
sont  revêtus,  et  que  nulle  loi  divine  ne  le  leur  enlève. 
Il  n'y  a  à  leur  égard,  sous  ce  rapport,  que  des  prescrip- 
tions ecclésiastiques  dont  le  souverain  pontife  peut  les 
dispenser.  Pour  cela,  continue  Suarez,  loc.  cit.,  il  faut 
évidemment  des  causes  d'une  réelle  gravité,  car  si  les 
princes  séculiers  eux-mêmes  ne  doivent  se  résoudre  à 
faire  la  guerre  qu'à  la  dernière  extrémité,  et  après  avoir 
épuisé  toutes  les  autres  voies  d'accommodement,  a  for- 
tiori, en  est-il  ainsi  des  princes  ecclésiastiques. 

Sans  encourir  l'irrégularité,  les  clercs  peuvent  aussi 
conseiller  aux  fidèles  d'aller  à  la  guerre  et  de  s'y  con- 
duire vaillamment  :  tune  enim  non  consulitur  homici- 
dium,sed  actus  fortiludinis  et  jusliliae.  Cf.  Suarez,  De 
charilaie,  disp.  XIII,  sect.  ni,  n.  7;  De  censuris,  disp. 
XLVII,  sect.  vi,  n.  4-13,  Opéra  omnia,  t.  xn,  p.  743; 
t.  xxm  b,  p.  504-508.  Voir  Irrégularité. 

On  le  voit  donc,  si  l'Église  a  fait  de  nombreuses 
prescriptions  pour  réglementer  le  droit  de  la  guerre, 
elle  ne  la  condamne  pas,  en  général.  De  fait,  il  y  eut 
beaucoup  de  princes  chrétiens,  tels  que  Constantin  le 
Grand,  Théodose,  Valentinien,  Charles  Martel,  Charle- 
magne,  saint  Louis,  saint  Henri,  etc.,  etc.,  qui  ont  fait 
la  guerre,  sans  que  l'Église  les  ait  jamais  désapprouvés, 
et,  bien  des  fois  même,  avec  son  approbation. 

L'Église,  il  est  vrai,  a  prohibé  les  tournois  et  privé 
de  la  sépulture  chrétienne  ceux  qui  trouvaient  la  mort 
dans  ces  amusements  sanglants.  Toutefois,  elle  a  ré- 
prouvé ces  joutes  d'armes,  non  en  tant  qu'on  pouvait 
les  considérer  comme  un  exercice  physique  prépara- 
toire à  la  guerre,  ce  qui  eût  été  indirectement  défendre 
la  guerre  elle-même;  mais  elle  les  prohiba,  sous  des 
peines  sévères,  comme  des  jeux  périlleux,  dans  les- 
quels des  hommes  s'exposaient  à  la  mort,  sans  raison 
suffisante,  et  souvent  uniquement  pour  la  vaine  gloire. 
Cf.  S.  Thomas,  Sum.  thcol.,  Ila  II*',  q.  xl,  a.  1,  ad  lua'. 

2.  Pour  refréner  les  violences  de  cette  féodalité  qui 
gardait  encore  quelque  chose  de  l'inhumanité  de  ces 
peuplades  barbares  du  sein  desquelles  elle  était  sortie, 
les  conciles  et  les  papes,  du  xieau  xme  siècle,  s'effor- 
cèrent de  limiter  le  droit  de  guerre,  en  interdisant,  sous 
les  peines  les  plus  graves,  de  guerroyer  à  certains  jours 


de  la  semaine  et  à  certaines  époques  de  l'année.  Leur 
intention,  qu'on  ne  saurait  trop  louer,  était  de  faire 
jouir  les  peuples  du  bienfait  de  la  paix,  autant  que 
l'état  de  la  société,  alors,  le  pouvait  comporter.  Les 
ennemis  de  l'Église  eux-mêmes  ont  reconnu  qu'elle  fut, 
en  cela,  une  grande  bienfaitrice  de  l'humanité.  Non  seu- 
lement elle  restreignit  à  certains  jours  la  continuation 
des  hostilités,  mais  elle  obtint  la  cessation  des  excès  les 
plus  contraires  au  droit  des  gens,  et  contribua  puissam- 
ment à  rendre  la  guerre  moins  atroce.  Les  prescriptions 
de  la  législation  ecclésiastique  pour  la  limitation  ou  la 
restriction  de  la  guerre,  sont  résumées  dans  les  Décré- 
tales  de  Grégoire  IX,  1.  I,  tit.  xxxiv,  De  treuga  et  pace. 
Toute  action  militaire,  attaque,  spoliation,  elïusion  de 
sang,  devait  cesser  depuis  le  mercredi  soir,  au  coucher  du 
soleil,  jusqu'au  lundi  matin,  en  souvenir  et  par  respect 
des  mystères  sacrés  de  notre  rédemption  accomplis  en 
ces  jours  de  la  semaine  sainte  :  le  jeudi,  par  l'institu- 
tion de  la  sainte  eucharistie;  le  vendredi,  parla  passion; 
le  samedi,  par  la  sépulture  du  divin  Maître;  le  diman- 
che, par  sa  glorieuse  résurrection.  Ainsi  trois  jours 
et  deux  nuits  par  semaine  furent  seuls  abandonnés 
aux  fureurs  de  la  guerre.  On  excepta,  en  outre,  deux 
grandes  périodes  de  l'année  :  celle  depuis  le  premier 
dimanche  de  l'Avent  jusqu'à  l'Epiphanie,  et  celle 
depuis  le  mercredi  des  Cendres  jusqu'à  l'octave  de 
Pâques.  Plusieurs  conciles  commandèrent  même  de 
commencer  cette  suspension  d'armes  au  dimanche  de 
la  Septuagésime.  On  y  joignit  une  troisième  période, 
celle  dite  des  Rogations,  que  l'on  faisait  commencer  au 
dimanche  avant  l'Ascension,  pour  ne  la  terminer  qu'à 
la  Pentecôte,  ou  à  la  fin  de  son  octave.  Furent  excep- 
tées aussi  les  fêtes  de  Notre-Seigneur,  de  la  sainte 
Vierge,  des  apôtres,  de  saint  Laurent,  de  saint  Michel, 
des  patrons  principaux,  etc.,  ainsi  que  tous  les  jours 
de  jeûne  et  les  vigiles  dans  l'année.  Cf.  Décrétâtes, 
1.  I,  tit.  xxxiv,  De  treuga,  c.  1;  Innocent  III,  Epist. 
ad  Durandum,  P.  L.,  t.  ccxv,  col.  1514. 

Certains  lieux  également  furent  désignés  comme  ne 
devant  être  en  aucun  temps  le  théâtre  d'une  guerre, 
mais  devant  constituer  en  tout  temps  des  asiles  invio- 
lables :  c'étaient  les  églises,  les  cimetières,  les  mona- 
stères, les  endroits  où  s'élevait  une  croix,  comme  aux 
carrefours  des  chemins,  au  centre  des  places,  etc.  Cer- 
taines personnes  aussi  furent  exceptées,  comme  ne 
devant  jamais  faire  l'objet  d'une  attaque,  et  préservant 
même  par  leur  présence  ceux  qui  les  accompagnaient, 
ou  qu'elles  accompagnaient  :  c'étaient  les  clercs,  les 
moines,  les  frères  convers,  les  religieuses,  les  pèlerins, 
les  voyageurs,  les  marchands,  les  paysans  cultivant  la 
terre,  par  conséquent  travaillant  pour  le  bien  public. 
La  législation  ecclésiastique  défendit  aussi  d'enlever 
comme  butin  les  outils  de  labourage,  le  bétail,  etc.;  de 
ravager  les  plantations;  de  détruire  les  moulins,  les 
granges,  les  meules  de  blé,  etc.  Cf.  Décrétales,  1.  I,  tit. 
xxxiv,  De  treuga  et  pace,  c.  2.  Tout  chrétien,  depuis 
l'âge  de  douze  ans,  devait  jurer  de  se  soumettre  à  ces 
prescriptions  sous  peine  d'anathème,  et  promettre  de 
prendre  les  armes  contre  ceux  qui  ne  les  observeraient 
pas.  Cf.  Cocquelines,  Bullarium,  t.  in  b,  p.  55  sq.  ;  Gon- 
zalez Tellez,  Commenlaria  perpétua  in  singulos  lextus 
quinque  librorum  Decrelalium,  1.  I,  tit.  xxxiv,  c.  i,  il, 
5in-fol.,  Venise,  1737,  t.  i,  p.  593-601;  Reifîenstuel, 
Jus  canonicum  universum  juxta  tilulos  quinque  librorum 
Decrelalium,  1.  I,  tit.  xxxiv,  n.  10,  6  in-fol.,  Venise, 
1730,  t.  i,  p.  367  sq.  ;  Schmalzgrueber,  Jus  ecclesiaslicum 
universum,  1.  I,  tit.  xxxiv,  §  2,  t.  i  b,  p.  283  sq.;  Sémi- 
chon,  La  paix  et  la  trêve  de  Dieu,  2  in-12,  Paris,  1869; 
Pfister,  Études  sur  le  règne  de  Robert  le  Pieux,  in-8°, 
Paris,  1885,  p.  161-176. 

Si  ces  sages  prescriptions  ne  firent  pas  disparaîtit 
complètement  le  fléau  de  la  guerre,  elles  contribuèrent, 
du  moins,  à  adoucir  considérablement  les  mœurs  pu- 


1921 


GUERRE 


1922 


blique6,  et  à  développer  les  sentiments  de  commiséra- 
tion entre  des  hommes  qui  ne  cherchaient  qu'à  se  nuire. 
Ceux  qui,  pendant  quatre  jours  de  chaque  semaine,  et 
pendant  de  longs  espaces  de  temps,  tout  le  cours  de 
l'année,  se  voyaient  obligés  de  suspendre  les  hostilités, 
perdaient  peu  à  peu  la  violence  de  leur  caractère.  Il  est 
moins  diflicile  de  convaincre  un  homme  de  sa  culpa- 
bilité que  d'obtenir  de  lui  qu'il  cesse  de  marcher  dans 
une  voie  qu'il  sait  fort  bien  être  répréhensible.  La  con- 
viction dans  l'intelligence  n'entraîne  pas  toujours 
l'adhésion  de  la  volonté.  Pour  déraciner  du  cœur  une 
habitude  mauvaise,  ce  n'est  pas  assez  d'en  montrer  la 
malice.  De  même  qu'une  habitude  s'engendre  par  la 
répétition  des  actes,  elle  s'affaiblit  par  leur  cessation, 
ou,  du  moins,  par  leur  interruption  répétée.  Il  y  avait 
donc  là,  grâce  à  l'intervention  énergique  de  l'Église, 
un  triomphe  très  appréciable  du  droit  sur  la  force,  et 
une  large  brèche  à  l'axiome  païen  que  la  force  prime  le 
droit.  C'était  un  frein  puissant  apporté  aux  passions 
les  plus  violentes.  Il  n'a  pas  tenu  à  l'Église  que  ce 
triomphe  fût  plus  complet.  Cf.  Balmès,  Le  protestan- 
tisme comparé  au  catholicisme  dans  ses  retalions  avec  la 
civilisation  européenne  et  le  droit  des  gens,  3  in-8°,  Paris, 
1857,  t.  ii,  p.  102  sq.  ;  Léon  Gautier,  La  chevalerie,  in-8°, 
Paris,   1884. 

3°  Au  XVIe  siècle.  Erreurs  des  prétendus  réformateurs. 
—  Les  chefs  de  la  Réforme  protestante,  qui  ont  pro- 
voqué tant  de  guerres  pour  soutenir  leur  révolte  contre 
l'Église,  n'ont  pas  craint  de  se  contredire  formellement, 
en  enseignant  que  la  guerre  était  pour  tous  les  chrétiens 
un  péché  mortel.  Cf.  Janssens,  L'Allemagne  et  la 
lié/orme,  3  in-8°,  Paris,  1892,  t.  m,  p.  419  sq.  Œcolam- 
pade  (Jean  Hausschein,  ou  Hussgen),  Érasme,  Luther, 
les  wiclefites,  les  anabaptistes  et  autres,  renouve- 
lèrent à  ce  sujet  l'hérésie  des  manichéens  déjà  réfutée 
victorieusement  par  saint  Augustin,  plus  de  mille  ans 
auparavant.  Dans  ses  commentaires  sur  les  c.  m  et 
xxn  de  saint  Luc,  Érasme  s'attache  à  démontrer,  avec 
prolixité,  que  la  guerre  est  un  de  ces  maux  que  Dieu 
avait  tolérés  parmi  les  Juifs  à  cause  de  la  dureté  de 
leur  cœur,  mais  qui  sont  absolument  défendus  aux 
chrétiens  par  le  Sauveur  et  ses  apôtres.  Les  conseils 
que  saint  Jean-Baptiste  donna  aux  militaires,  et  que 
nous  avons  rapportés  plus  haut,  Luc,  ni,  14,  ne  leur 
seraient  pas  donnés,  selon  Érasme,  pour  qu'ils  vivent 
correctement,  mais  simplement  pour  qu'ils  vivent 
moins  mal.  Cette  explication  ne  cadre  nullement  avec 
les  paroles  prononcées  peu  auparavant  par  le  saint 
Précurseur  :  Genimina  viperarum,  quis  ostendet  vobis 
jugere  a  ventura  ira  ?  Facile  ergo  Jructus  dignos  pœni- 
lenliœ;  jam  enim  securis  ad  radicem  arborum  posita 
est,  et  omnis  arbor  non  faciens  fructum  bonum  exci- 
delur  et  in  ignem  milletur.  Luc,  m,  7-9.  C'est  après  cette 
vigoureuse  apostrophe  que  les  publicains  et  les  soldats 
effrayés  s'approchèrent  de  Jean  pour  lui  demander  ce 
qu'ils  avaient  à  faire  pour  éviter  cette  colère  de  Dieu 
dont  il  les  menaçait.  Or,  comme  le  remarque  Bellarmin, 
en  argumentant  contre  Érasme,  ou  bien  Jean-Bap- 
tiste a  trompé  les  soldats,  ou  bien  ceux-ci  peuvent  se 
sauver  dans  leur  profession,  pourvu  qu'ils  suivent  la 
règle  de  vie  qui  leur  est  indiquée.  Cf.  Il"  Conlroversia 
generalis,  De  membris  Ecclesiœ  militanlis,  1.  III,  De 
laicis,  c.  xiv,  Opéra  omnia,  t.  n,  p.  326. 

Entre  autres  paradoxes,  Luther  s'efforça  aussi  de 
démontrer  que  les  chrétiens  n'avaient  pas  le  droit  de 
faire  la  guerre,  surtout  aux  Turcs,  quoique  les  Turcs 
combattissent  pour  transformer  tous  les  chrétiens  en 
niahométans.  Ce  n'est  pas  que  Luther  considérât  la 
guerre  comme  une  chose  intrinsèquement  mauvaise, 
car,  en  même  temps  qu'il  s'opposait  à  ce  que  les  chré- 
tiens fissent  la  guerre  aux  Turcs,  il  affirmait,  et  répétait 
à  satiété  qu'on  devait  la  faire  au  pape,  comme  étant 
le  plus  Turc  d'entre  les  Turcs,  Turcissimum  Turcarum; 

DICT.    DE   THÉOL.   CATHOL. 


mais  il  invoquait  d'autres  raisons,  et  des  plus  curieuses, 
comme  des  plus  singulières. 

Dieu,  disait-il,  se  servait  des  Turcs  pour  éprouver  et 
châtier  les  chrétiens.  Or,  on  n'a  pas  le  droit  de  résister 
à  la  volonté  de  Dieu.  C'est  une  folie  et  une  impiété. 

Si  le  raisonnement  de  Luther  était  juste,  on  pourrait 
l'appliquer  tout  aussi  bien  à  la  peste,  à  la  famine,  à  la 
concupiscence  même,  qui  sont  des  moyens  par  lesquels 
Dieu  éprouve,  ou  châtie  les  hommes.  Il  s'ensuivrait  que 
ce  serait  une  folie  et  une  impiété  de  prendre  des  me- 
sures de  précaution  contre  la  peste,  et  des  remèdes  pour 
s'en  guérir;  folie  et  impiété  de  cultiver  la  terre,  pour 
éviter  de  mourir  de  faim;  folie  et  impiété  de  combattre 
la  concupiscence,  etc.;  conclusions  absurdes,  comme 
les  raisonnements  dont  elles  émanent,  ainsi  que  le  fait 
remarquer  très  justement  encore  Bellarmin,  op.  cit., 
1.  III,  c.  xvi,  t.  n,  p.  332.  Luther  déraisonne  ici 
comme  déraisonnait  Tertullien  tombé  dans  le  monta- 
nisme,  en  affirmant  qu'il  valait  mieux  apostasier  dans 
les  tourments  que  de  fuir  la  persécution,  envoyée  par 
Dieu  pour  éprouver,  ou  châtier  les  chrétiens.  La  fuir, 
c'était  folie  et  impiété,  car  c'était  résister  à  la  volonté 
de  Dieu.  De  juga  in  persecutione,  c.  n  sq.,  P.  L.,  t.  n, 
col.  104,  106  sq.  Voir  Fuite  dans  la  persécution. 
Luther  était  assurément  trop  intelligent  pour  ne  pas 
découvrir  la  fausseté  de  son  argument;  mais  la  cause 
principale  de  son  aberration  voulue  était  évidemment 
sa  haine  aveugle  contre  le  pontife  romain  :  lanto  enim 
odio  pontificem  Lutherus  persequebatur,  ut  plane  optant 
videre  Turcam  occupanlem  omnia  régna  christianorum, 
ut,  saltem  eo  modo,  nomen  pontificis  extingueretur. 
Neque  hoc  fuisse  volum  ac  desiderium  ejus  nos  divina- 
mus;  sed  ex  verbis  ejus  colligimus;  nam  in  libro  Ad 
nobilitatem  Germanise  c.  xxv,  dicit  nullum  esse  pul- 
chrius  regimen  usquam  quam  apud  Turcas,  qui  legibus 
Alcorani  gubernanlur ;  nullum  aulem  turpius  quam  apud 
christianos,  qui  jure  canonico  et  civili  reguntur...  et  pon- 
tificios  esse  multo  pejores  et  truculentiores  Turcis,  et 
stultum  esse  pugnare  pro  pejoribus  contra  meliores.  Bel- 
larmin, loc.  cit.,  p.  333.  Il  est  vrai  que,  plus  tard,  Luther 
ne  craignit  pas  de  se  contredire  une  fois  de  plus,  en 
prêchant,  avec  une  extrême  virulence,  qu'on  devait,  à 
tout  prix,  faire  la  guerre  aux  Turcs,  comme  étant  les 
hommes  les  plus  dépravés  que  la  terre  ait  portés. 
De  visitatione  Saxonica.  Cf.  Suarez,  De  charitale,  disp. 
XIII,  sect.  i,  n.  5,  Opéra  omnia,  t.  xn,  p.  738. 

Sur  les  vraies  raisons  qui  portèrent  l'Église  à  réunir 
les  princes  chrétiens  pour  faire  la  guerre  aux  Turcs, dont 
les  hordes  sauvages  menaçaient  de  submerger  l'Eu- 
rope chrétienne,  et  sur  le  rôle  bienfaisant  de  la  papauté 
s'efforçant  de  tirer  les  princes  de  leur  insousciance  et  ds 
leur  égoïsme  coupable,  voir  Pastor,  Histoire  des  papes, 
10  in-8°,  Paris,  1907-1913,  t.  i,  p.  332  sq.;  t.  n,  p.  227, 
321,  371,  375;  t.  m,  p.  58,  60  sq.,  72  sq.,  etc. 

VI.  Questions  morales  se  rapportant  aux  préli- 
minaires delà  guerre.  —  1°  Des  causes  delà  guerre. — 
1.  Nous  ne  reviendrons  pas  ici  sur  ce  qui  a  été  dit  pré- 
cédemment sur  les  causes  justes  de  la  guerre  offensive, 
suivant  les  prescription;  du  droit  naturel;  mais  il  en  est 
une  qui  mérite  un  examen  spécial,  soit  pour  sa  com- 
plexité apparente,  soit  par  l'importance  que  lui  donne 
le  droit  international  moderne.  On  s'est  demandé  sou- 
vent, et  l'on  se  demande  encore,  si  l'accroissement  d'une 
nation  voisine  par  laquelle  on  craint  d'être  un  jour  op- 
primé, n'est  pas  une  cause  suffisante  pour  lui  faire  1 1 
guerre,  et  si  on  n'est  pas  autorisé  surtout  à  prendre  les 
armes  pour  s'opposer  à  ses  agrandissements  ultérieurs, 
afin  de  l'affaiblir,  pour  éviter  les  dangers  dont  une 
puissance  démesurée  menace  presque  toujours  les 
faibles. 

Les  politiciens  qui  ne  s'inspirent  pas  du  respect  des 
droits  d'autrui,  répondent,  sans  hésitation  aucune,  affir 
mativement  à  cette  question.  Une  guerre  offensive,  dans 

VI.  —  61 


1923 


GUERRE 


1924 


ce  cas,  n'est  qu'une  guerre  défensive,  à  leurs  yeux.  S'il 
est,  en  effet,  d'une  sage  et  saine  politique  chez  ceux 
qui  gouvernent  une  nation,  d'augmenter  ses  ressources 
et  sa  puissance,  il  découle  de  ce  principe  qu'une  sage 
politique  commande  aussi  d'affaiblir  son  voisin,  autant 
qu'on  le  peut. 

Théologiquement,  néanmoins,  cette  méthode  s'in- 
spire plus  de  l'égoïsme  politique  que  du  sens  de  la  jus- 
tice. L'égoïsme  est  toujours  un  vice,  qu'il  soit  dans  les 
individus,  ou  dans  les  sociétés,  et  ce  vice  est  d'autant 
plus  grand  que  ses  conséquences  contre  la  charité  et 
contre  la  justice  sont  plus  considérables  et  désastreuses. 
De  ce  chef,  l'égoïsme  politique  paraît  plus  coupable 
encore  que  l'égoïsme  individuel.  Si  l'État  dont  l'accrois- 
sement excite  la  crainte,  ou  plutôt  la  jalousie  du  voisin, 
n'a  commis  aucune  injustice  dans  ses  accroissements, 
il  agit  lui-même  en  vertu  de  cette  bonne  et  sage  poli- 
tique dont  ses  ennemis  se  prévalent  aussi.  Il  remplit 
donc  ses  devoirs  envers  lui-même  et  envers  ses  sujets, 
sans  blesser,  en  quoi  que  ce  soit,  les  droits  d'autrui. 
Comment  donc  serait-on  autorisé  à  prendre  les  armes 
contre  lui,  uniquement  parce  qu'il  est  en  voie  de  pros- 
périté ?  La  fin  ne  justifie  pas  les  moyens,  et  l'on  n'est 
pas  en  droit  de  violer  la  justice  pour  le  seul  motif  de 
rétablir  entre  les  individus,  ou  entre  les  sociétés,  une 
égalité  qui  n'exista  jamais,  et  jamais  n'existera,  car  il 
est  des  inégalités  voulues  même,  ce  semble,  par  l'auteur 
de  la  nature,  parce  qu'elles  se  sont  rencontrées  dans  tous 
les  temps  et  dans  tous  les  lieux.  Le  pauvre  n'a  pas  le 
droit  d'attaquer  le  riche,  pour  la  seule  raison  qu'il  est 
pauvre  et  que  l'opulence  du  riche  l'humilie. 

Les  nations  ne  sont  pas  moins  intéressées  que  les 
individus  à  ce  que  la  justice  règne  dans  leurs  relations 
réciproques.  Si  l'on  prétend  donc  justifier  ces  injustices 
en  invoquant  la  nécessité  de  pourvoir,  par  avance,  à  la 
sécurité  de  l'État,  loi  suprême  d'une  société,  il  est 
facile  de  rétorquer  l'argument,  et  de  montrer  que  pré- 
cisément le  salut  commun  des  nations  exige,  de  leur 
part,  le  respect  de  la  justice.  Il  s'ensuit  que  les  nations 
n'ont  le  droit  d'user  de  la  force  et  de  faire  la  guerre  que 
pour  leur  défense  et  le  maintien  de  leurs  droits.  Une 
guerre  n'est  légitime  que  par  l'injure  qui  provient  d'une 
autre  nation,  ou  par  la  menace  immédiate  et  fondée  de 
cette  injure. 

Théoriquement,  il  est  donc  incontestable,  au  point  de 
vue  de  la  théologie,  comme  du  droit  naturel  et  du  droit 
■des  gens,  que  l'accroissement  d'une  nation  ne  peut  seul, 
et  par  lui-même,  donner  à  qui  que  ce  soit  le  droit  de 
prendre  les  armes  pour  s'y  opposer. 

Pratiquement,  néanmoins,  l'expérience  de  l'histoire 
ne  démontre  que  trop  que  les  nations  auxquelles  l'ac- 
croissement de  leur  puissance  vaut  une  sorte  de  pré- 
éminence, ne  manquent  guère  de  molester  leurs  voisines, 
■de  les  opprimer,  et  mime  de  les  subjuguer  entièrement, 
dès  qu'elles  en  trouvent  l'occasion,  et  qu'elles  peuvent 
le  faire  avec  la  certitude  de  l'impunité.  11  est  assuré- 
ment très  malheureux  pour  le  genre  humain  qu'un 
accroissement  de  puissance  implique  trop  souvent  la 
volonté  d'opprimer,  quand  la  facilité  se  présente  de  le 
faire  impunément.  Cette  expérience  funeste  n'autorise- 
t-elle  pas  une  société  à  prendre  des  garanties  pour 
l'avenir,  en  ne  laissant  pas  grossir  indéfiniment  le 
danger  qu'elle  pourrait  probablement  dissiper  à  ses 
commencements,  tandis  que,  plus  tard,  il  ne  sera  peut- 
être  plus  temps  ?  N'est-ce  pas  une  prudence  élémen- 
taire ?  N'est-il  pas  permis  aux  nations  de  s'inspirer  des 
principes  que  même  les  maîtres  de  la  vie  spirituelle 
recommandent  aux  individus  :  Principiis  obsta  :  tarde 
medicina  parolur,  quando  mala  per  longas  invaluere 
morus  ! 

Beaucoup  le  pensent,  et  il  semble  que,  pratiquement, 
dans  certains  cas,  leur  opinion  n'est  pas  dénuée  de  fon- 
dement. Quand,  dit  de  Vattel,  un  État  a  donné  des 


marques  d'injustice,  d'avidité,  d'orgueil,  d'ambition, 
d'un  désir  impérieux  de  faire  la  loi,  c'est  un  voisin 
suspect  dont  on  doit  se  garder,  surtout  si  ses  armements 
prennent  un  accroissement  formidable.  On  ne  voit  pas 
qu'il  en  ait  besoin  pour  sa  propre  défense.  S'il  multiplie 
ainsi  ses  armements,  hors  de  toute  mesure,  c'est  qu'il 
médite  des  desseins  pervers.  Ne  serait-ce  pas  sage  de 
les  prévenir  par  la  force  des  armes,  alors  qu'il  en  est 
encore  temps"?  Un  chef  de  nation  a  des  responsabilités 
redoutables.  Pour  lui,  plus  que  pour  un  simple  individu, 
prévoir,  c'est  pourvoir.  Les  hommes  étant  réduits  à  se 
guider  le  plus  souvent  par  des  probabilités,  celle-ci 
mérite  d'autant  plus  leur  attention  que  les  intérêts 
engagés  sont  plus  graves;  et,  quand  il  s'agit  du  salut 
d'une  nation  entière,  la  prévoyance  ne  saurait  aller 
trop  loin.  Il  serait  trop  tard  pour  détourner  sa  ruine, 
quand  elle  serait  devenue  inévitable.  La  responsabilité 
de  la  guerre  et  des  maux  effrayants  qui  en  découlent, 
est,  ce  semble,  imputable  à  ce  voisin  qui  a  donné  trop 
de  preuves  de  son  ambition  démesurée  et  de  son  désir 
d'opprimer  les  autres.  Cf.  de  Vattel,  Le  droit  des  gens, 
1.  III,  De  la  guerre,  c.  m,  §  42-47,  50,  t.  n,  p.  105-111, 
114  sq.  La  solution  de  ce  cas  de  conscience  si  grave 
dépend  évidemment  des  circonstances  de  temps,  de 
lieu  et  surtout  de  personnes. 

2.  Est-il  permis  aux  nations  civilisées  de  faire  la 
guerre  aux  nations  barbares,  sauvages,  ou  demi-sau- 
vages, sous  le  prétexte  de  leur  apporter  les  bienfaits  de 
la  civilisation  ?  —  C'est,  là  encore,  une  des  raisons 
invoquées  le  plus  souvent  par  les  politiciens  modernes 
pour  justifier  les  guerres  de  conquêtes,  dites  d'expan- 
sion coloniale.  Il  est  à  remarquer,  cependant,  que, 
même  non  civilisés,  les  sauvages  sont  des  hommes. 
Donc  ils  ont  certains  droits,  même  de  propriété,  qu'on 
ne  saurait  violer,  sans  commettre  une  injustice.  On  ne 
peut  donc  s'emparer  du  territoire  qu'ils  occupent  et 
qui  leur  appartient,  sous  prétexte  que  ce  sont  des  ter- 
ritoires vacants  et  sans  maîtres  tant  que  nulle  nation 
civilisée  n'y  a  arboré  son  drapeau,  et  que,  dès  lors,  ces 
territoires  appartiendront,  en  vertu  du  droit  du  pre- 
mier occupant,  à  la  première  de  ces  nations  qui  y  éta- 
blira sa  domination.  Cf.  Fr.  de  Victoria,  Relecliones 
XII  theologicœ,  1.  IV,  De  jure  belli  ex  Indis,  sect.  n,  §  6, 
in-fol.,  Lyon,  1557;  Salamanque,  1565.  Le  droit  du  pre- 
mier occupant  ne  saurait  être  invoqué  que  si  l'on  se 
trouvait  en  présence  de  solitudes  inhabitées,  par 
exemple,  comme  il  est  arrivé  pour  les  immenses  terri- 
toires du  Nord-Ouest  américain,  vastes  comme  l'Eu- 
rope, et  pouvant  nourrir  des  habitants  par  centaines 
de  millions,  tandis  que  les  Indiens,  ou  Peaux-Rouges 
qu'on  y  rencontrait,  étaient  quelques  milliers  à  peine, 
c'est-à-dire  tellement  peu  nombreux,  vu  l'étendue 
de  cet  immense  pays,  qu'ils  ne  pouvaient  être  consi- 
dérés comme  l'occupant  véritablement.  Us  y  erraient 
à  l'aventure,  à  la  poursuite  des  bêtes  fauves  aux- 
quelles ils  faisaient  la  chasse;  mais  ne  songeaient 
nullement  à  en  tirer  parti  par  la  culture  ou  l'in- 
dustrie, choses  dont  ils  étaient  incapables.  Toujours 
nomades,  ils  ne  se  fixaient  nulle  part.  Or,  a  dit  quel- 
qu'un, non  sans  raison,  la  terre  appartient  non  pas 
à  celui  qui  y  campe  un  instant,  mais  à  celui  qui  la 
cultive,  ou  la  met  en  rapport. 

A  l'époque  où  les  Espagnols  tentaient  la  conquête 
du  Mexique,  ils  prétendaient,  pour  justifier  leur  entre- 
prise, que  les  Indiens  étant  d'une  race  inférieure,  moins 
intelligents  que  les  Européens,  étaient  incapables  de 
souveraineté,  comme  de  propriété  privée,  bons,  tout 
au  plus,  à  servir  comme  domestiques  ou  esclaves,  mais 
nullement  aptes  à  gouverner  ou  à  commander.  Les 
théologiens  contemporains  réfutèrent  ces  assertions 
fausses.  Ils  démontrèrent  que,  s'il  est  des  hommes  faibles 
d'intelligence,  ceux-ci  sont  assurément  plutôt  faits 
pour  obéir  que  pour  commander,  mais  nullement  des- 


1925 


GUERRE 


1926 


tinés  par  la  nature  à  l'esclavage,  ou  incapables  de  pro- 
priété. Cf.  de  Victoria,  De  Indis,  sect.  i,  §  21  ;  sect.  il, 
§  24.  Les  Espagnols  prétendaient,  en  outre,  que  ces 
Indiens  commettant  une  foule  de  crimes  contre  la  loi 
naturelle,  les  nations  civilisées  avaient  le  droit  et 
même  le  devoir  de  les  en  punir;  par  conséquent  de 
leur  faire  la  guerre  et  de  s'emparer  de  leurs  territoires. 
Le  même  théologien  réfuta  victorieusement  ces  pré- 
tentions. Cf.  De  Indis,  sect.  n,  §16.  Si  le  pape,  dit-il,  n'a 
aucune  juridiction  sur  les  infidèles,  à  plus  forte  raison 
les  princes  séculiers,  même  chrétiens,  n'en  ont-ils  aucune  : 
ils  ne  sont  donc  pas  leurs  juges,  ni  leurs  justiciers 

Cependant,  comme,  de  par  la  loi  naturelle  et  par  le 
droit  divin,  les  forts  doivent,  si  ce  n'est  toujours  par 
justice,  du  moins  par  charité,  défendre  les  faibles  contre 
la  tyrannie  ou  la  cruauté,  les  nations  civilisées  ont  le 
droit,  et  même  le  devoir,  de  faire  cesser  des  actes  qui 
violent  les  droits  essentiels  de  l'humanité,  comme,  par 
exemple,  l'anthropophagie,  les  sacrifices  humains,  le 
meurtre  des  innocents,  la  piraterie,  etc.  Elles  peuvent, 
alors,  même  par  les  armes,  contraindre  ces  sauvages, 
qui  sont  de  véritables  ennemis  de  l'humanité,  à  renoncer 
à  leurs  pratiques  criminelles.  Cf.  Fr.  de  Victoria,  De 
Indis,  sect.  ni,  §  15.  Mais  les  nations  civilisées  peuvent- 
elles  aller  plus  loin  dans  leur  intervention,  et  imposer 
à  ces  barbares  la  civilisation  elle-même  ?  Peuvent-elles 
s'arroger  le  droit  de  les  gouverner,  sous  prétexte  qu'ils 
ne  le  peuvent  eux-mêmes,  car  ils  sont,  à  peu  près, 
comme  des  enfants,  incapables  d'administrer  leurs  biens 
personnels?  Assurément,  si  dans  une  nation  il  n'y 
avait  plus  un  seul  homme  mûr,  ayant  le  libre  exercice 
desaraison,  mais  seulement  des  enfants  ou  des  mineurs, 
la  charité  commanderait  d'en  prendre  soin,  et  de  les 
diriger,  jusqu'à  ce  que  ces  enfants  ou  ces  adolescents 
devinssent  capables  de  se  diriger  eux-mêmes.  Or,  les 
sauvages,  Indiens  ou  autres,  ne  sont-ils  pas  perpétuel- 
lement enfants,  en  ce  sens?  Il  semble  donc  que,  même 
dans  leur  intérêt,  une  nation  civilisée  ait  le  droit  d'in- 
tervenir dans  leurs  affaires.  Si  cette  nation  était  tou- 
jours guidée  par  un  motif  de  charité,  on  ne  pourrait, 
au  nom  de  la  justice,  lui  en  faire  un  reproche;  mais 
rarement  les  conquérants  s'inspirent  de  ces  considéra- 
tions :  ce  qui  les  pousse  le  plus  souvent,  c'est  le  désir 
de  s'enrichir,  en  profitant  de  la  faiblesse  de  ces  peuples 
pour  s'approprier  leurs  biens. 

Il  faut  remarquer,  néanmoins,  que,  si  les  nations  civi- 
lisées ont  des  devoirs  envers  les  sauvages,  ou  demi-sau- 
vages, ceux-ci  également  en  ont  à  l'égard  des  nations 
civilisées.  Ces  nations  ont  bien  le  droit  de  fonder  chez 
eux  des  établissements  en  vue  de  leur  commerce,  pourvu 
qu'ils  ne  portent  aucun  préjudice  aux  indigènes. 
Souvent,  au  contraire,  ces  établissements  seront  pour 
les  natifs  une  source  de  prolits,  de  prospérité,  ou  d'aug- 
mentation de  bien-être.  Il  est  inhumain  de  mal  accueillir 
des  étrangers  qui  ne  viennent  qu'avec  des  intentions 
pacifiques.  Au  commencement  du  monde,  chacun  était 
libre  de  voyager  à  son  gré,  et  de  se  fixer  où  bon  lui 
semblait.  Les  nations,  en  se  constituant  en  groupements 
autonomes,  n'ont  pas  enlevé  ce  droit  que  les  hommes 
tiennent  de  l'auteur  même  de  la  nature.  Au  contraire, 
si  l'on  excepte  les  peuples  les  plus  dépravés,  l'hospita- 
lité a  toujours  été  regardée  chez  toutes  les  nations 
comme  une  vertu  naturelle  :  la  personne  de  l'étranger 
était  sacrée.  Les  nations  civilisées  ont  donc  le  droit  de 
fonder  des  établissements  dans  les  pays  détenus  par 
les  sauvages,  quand  elles  ont  pour  but,  non  de  les 
dépouiller,  mais  d'y  faire  un  commerce  qui  peut  être 
utile  à  tous,  car  la  terre,  comme  les  mers,  les  fleuves  et 
l'atmosphère,  sont  des  biens  communs  à  tous  les  hommes. 
Ce  serait  donc,  de  la  part  de  ces  barbares,  une  injustice, 
que  de  repousser  ainsi  les  sujets  de  ces  nations  civi- 
lisées, ou  de  les  maltraiter,  ou  de  détruire  leurs  établis- 
sements. Le  droit  naturel  permet  a  tous  de  faire  le 


commerce  avec  les  étrangers,  même  avec  les  sauvages; 
ceux  qui  s'y  opposent  manquent  non  seulement  à  la 
charité,  mais  aussi  à  la  justice.  Si  donc  ces  peuplades 
sauvages  prennent  les  armes,  pour  empêcher  ce  com- 
merce pacifique,  les  nations  civilisées  n'auront-elles 
pas  également  le  droit  de  les  prendre  pour  assurer  la 
liberté  de  leurs  propres  sujets?  Ceux-ci,  étant  attaqués 
par  les  sauvages,  n'auront-ils  pas  le  droit  de  se  défendre, 
de  construire  des  palissades  et  même  des  citadelles,  et 
de  repousser  la  violence  par  la  violence?  Ils  devront, 
cependant,  ne  pas  abuser  de  leur  force,  et  mettre  de  la 
modération  dans  la  répression  de  ces  injustices,  car  il  y 
a,  en  faveur  des  sauvages,  une  circonstance  atténuante. 
Ces  pauvres  gens  peuvent  facilement  s'imaginer  que 
les  étrangers,  forts  et  armés,  viennent  dans  leur  pays 
avec  des  intentions  hostiles.  On  doit  donc  faire  tout  ce 
qui  est  possible  pour  les  persuader  du  contraire.  Mais, 
enfin,  si  après  avoir  essayé  tous  les  moyens  de  pacifi- 
cation, les  nations  civilisées  n'en  trouvent  pas  d'autres, 
pour  assurer  le  respect  de  leurs  nationaux,  que  celui  de 
s'emparer  de  ces  territoires  et  de  les  soumettre  à  leur 
domination,  le  théologien  dont  nous  analysons  l'ou- 
vrage, pense  que,  en  le  faisant,  elles  n'outrepassent  pas 
le  droit  de  légitime  défense.  Cf.  Fr.  de  Victoria,  De 
Indis,  sect.  il,  §  2-8. 

Il  peut  arriver  aussi  que  ces  peuples  inférieurs, 
éclairés  par  l'expérience,  et  voyant  les  avantages  très 
nombreux  qui  découlent,  pour  eux,  de  l'occupation  et 
de  l'administration  de  leur  pays  par  des  nations  civi- 
lisées et  puissantes,  acceptent  volontiers  de  leur  être 
annexés,  ou,  suivant  l'expression  du  langage  juridique 
moderne,  de  se  placer  sous  leur  protectorat.  Dans  ce 
cas  évidemment,  toute  injustice  disparaît,  car,  selon 
l'axiome,  scienli  et  volenti  non  fit  injuria.  Toute  nation, 
ou  peuplade,  est  maîtresse  de  se  gouverner  comme  elle 
veut,  et  de  se  donner  à  qui  elle  veut.  Pour  cela,  pas 
n'est  besoin  du  consentement  unanime  de  tous  ses 
membres,  car  l'unanimité  est  une  chose  qui  pratique- 
ment ne  se  rencontre  presque  jamais;  mais  le  consen- 
tement de  la  majorité  suffit. 

Les  siècles  de  foi  admettaient  un  autre  droit  pour 
les  nations  civilisées  d'intervenir  dans  les  affaires  des 
peuples  sauvages  :  celui  de  la  libre  prédication  de  l'Évan- 
gile. Théoriquement,  la  chose  est  évidente  Si  la  liberté 
du  commerce,  en  effet,  leur  donne  le  droit  d'intervenir, 
combien  plus  la  liberté  de  la  prédication  évangélique, 
de  laquelle  dépendent  non  pas  simplement  les  intérêts 
périssables  de  la  terre,  mais  les  intérêts  éternels  de  la 
vie  à  venir.  Ce  droit  de  prêcher  librement  l'Évangile 
est  d'origine  divine  :  Euntes  in  rnundum  uniuersum, 
prœdicate  evangelium  ou.xt  creaturx.  Marc,  xvi,  15. 
Ceux  qui  s'y  opposent  commettent  donc  la  plus  grave 
des  injustices,  et  les  nations  chrétiennes  ont  le  droit,  et 
même  le  devoir,  si  elles  le  peuvent,  de  les  empêcher  de 
la  commettre.  Cf.  Fr.  de  Victoria,  De  Indis,  sect.  n,§  12. 
Ceci  ne  revient  pas  à  faire  des  conversions  par  la 
force  :  c'est  simplement  assurer  la  liberté  de  la  parole 
évangélique,  et  défendre  les  néophytes  contre  les  cru- 
autés de  ceux  qui  sont  restés  païens.  De  cette  tradition 
catholique  et  si  fondée  en  justice,  est  née  la  question  de 
protectorat  des  chrétiens,  que  beaucoup  de  nations  ont 
ambitionné  d'exercer,  en  Orient,  par  exemple.  Rares, 
il  faut  en  convenir,  sont  celles  qui,  en  le  faisant,  se 
sont  inspirées,  ou  s'inspirent  encore  d'une  pensée  de 
foi;  la  plupart  n'ont  vu  là  qu'un  moyen  d'étendre 
leur  sphère  d'influence  et  d'acquérir  des  avantages 
matériels.  Mais  le  principe  du  protectorat  n'en  est  pas 
moins  légitime  en  soi. 

3.  Un  souverain  a-t-il  le  droit  de  faire  ce  qu'on 
appelle,  en  langage  moderne,  une  guerre  de  diversion  ? 
En  d'autres  termes,  peut-il  attaquer  une  nation  voisine, 
pour  résoudre  une  crise  intérieure  de  son  propre  Étal? 
par  exemple,  pour  consolider  son  trône  chancelant  et 


1927 


GUERRE 


1928 


assurer  l'avenir  de  sa  dynastie?  pour  reconquérir  son 
prestige  perse  nnel  par  une  guerre  où  il  espère  être  vain- 
queur'? pour  écarter  le  danger  d'une  révolution?  pour 
arrêter  tes  progrès  du  socialisme  qui  l'inquiètent?  pour 
satisfaire  l'humeur  belliqueuse  de  son  peuple,  laquelle 
se  tourne  ra  contre  lui,  s'il  ne  la  tourne  contre  les  autres  ? 
pour  répondre  au  désir  d'expansion  de  son  peuple,  en 
dehors  de  ses  frontières,  etc.,  etc.?  Assurément  non. 
Qui,  en  raisonnant  froide  ment,  ne  voit  là  une  injustice 
flagrante  et  des  plus  graves,  attendu  les  maux  incal- 
culables qui  découlent  d'une  guerre?  Un  homme  qui 
aurait  des  démêlés  avec  les  membres  de  sa  famille, 
serait-il  autorisé  à  s'en  prendre  à  son  voisin  qui  n'est 
pour  rien  dans  ces  difficultés  familiales?  pourrait-il 
justement  lui  en  faire  supporter  les  conséquences,  alors 
que  ce  voisin  est  absolvment  innocent  de  tout  cela? 
Certairement  non.  De  me" me,  une  nation,  pour  résoudre 
une  crise  d'oTdre  intérieur,  n'a  nullement  le  droit  de 
faire  la  guerre  à  sa  voisine,  à  moins  que  celle-ci  ne  soit 
l'instigatrice  de  ces  dissensions  intestines;  mais,  si  elle 
en  est  absolument  innocente,  aucune  raison  ne  permet 
de  l'en  déclarer  responsable,  et  de  lui  en  faire  subir  les 
conséquences. 

2°  Des  causes  douteuses  de  la  guerre.  —  1.  La  guerre 
est  un  si  grand   mal,  qu'avant   de   l'entreprendre  un 
prince  doit  examiner  très  attentivement  si  les  raisons 
de  la  déclarer  sont  réellement  suffisantes.   11  doit  se 
rendre  compte  non  seulement  de  sa  justice,  mais  aussi 
de  sa  nécessité,  et  même  de  son  opportunité.  C'est  là, 
surtout,  vu  les  conséquences  si  graves  qui  en  découlent, 
qu'il  faut  se  rappeler  le  mot  de  saint  Paul  :  Omnia 
jnihi  Ikent,  sed  non  omnia  expediunt.  I  Cor.,  vi,  12;  x, 
22.   Suivant  les  théologiens,  le  prince  doit,  d'abord, 
demander  la  lumière  de  Dieu  par  la  prière;  puis,  récla- 
mer l'avis  de  conseillers  prudents,  éclairés  et  désinté- 
ressés. Cf. Suarez, De  charitate,  disp.  X 1 1 1,  sect.  vi,  n.  1  sq. . 
Opéra  omnia,  t.  xn,  p.  748  sq.  ;  S.  Alphonse,  Theologia 
moralis,  1.  III,  tr.  IV,  c.  1,  dub.  v,  a.  2,  n.  403,  t.  i, 
p.  659;  Tanquerey,  Synthèse  de  la  doctrine,  théologique 
sur  le  droit  de  guerre,  c.  n,  in-8°,  Paris,  1913,  p.  16  sq. 
2.  Dai  s  le  doute  sur  la  ju  tice  d'une  guerre,  un  prince 
peut-il  suivre  une  opinion  seulement   probable?   La 
question  est  très  controversée,  et  la  solution  pratique 
dépend   de  circonstances  parfois  extrêmement  com- 
pliquées. 11  est  souvent  fort  difficile  de  savoir  s'il  y  a 
proportion  équitable  entre  les  maux  épouvantables  qui 
découleraient  d'une  guerre,  et  les  raisons  d'ordre  supé- 
rieur qui  pousseraient  à  l'entreprendre.  Les  théologiens 
examinent  le  cas  où,  la  justice  de  sa  cause  n'étant  que 
probable  chez  un  prince,  son  ennemi  posséderait  cepen- 
dant en  bonne  foi  les  objets,  villes  ou  provinces,  qu'il 
détient,  et  que  ce  prince  veut  recouvrer.  Théorique- 
ment, la  question  peut  être  posée  ainsi;  mais,  pratique- 
ment, cemment  peut-il  conster  à  ce   prince   ou    à  ce 
chef  d'État   que  son  adversaire  possède  de  bonne  foi? 
On  admet  généralement  qu'une  guerre  ne  peut  théo- 
riquement être  juste  des  deux  côtés  à  la  fois;  elle  le 
peut,  cependant,  pratiquement,  si  les  deux  adversaires 
se  persuadent  chacun  avoir  pour  eux  le  bon  droit.  Cf. 
Suarez,  loc.  cit.,  n.  3,  Opéra  omnia,  t.  xn,  p.  749;  Sal- 
mantieenses,   Cursus  theologise  moralis,  tr.  XXI,   De 
prœceplis  Decalogi,  c.  vin,  p.  m,  §  1,  n.  21-27,  6  in-fol., 
Venise,  1728,  t.  v,  p.  163;  Fr.  de  Victoria,  De  jure  belli, 
relect.  VI,  n.  27;  S.  Alphonse,  Theologia  moralis,  loc. 
cit.,  n.  404,  t.  i,  p.  660  sq. 

3.  Quant  aux  simples  soldats  et  même  aux  officiers, 
à  moins  qu'ils  ne  soient  certains  de  l'injustice  de  la 
guerre,  ils  peuvent,  et  mime  ils  doivent  obéir  au  chef 
de  la  nation,  qui  peut  avoir,  pour  agir,  des  raisons  légi- 
times qui  leur  sont  inconnues.  Cf.  Salmanticcnses, 
Cursus  theologise  moredis,  tr.  XXI,  c.  vin,  p.  in,  §  1, 
n.  29-31.  t.  v,p.  166;La\mann,  Theologia  moralis,  1.  II, 
tr  III,  c  xii,  De  bello,n.  8,  2  in-fol.,  Venise,  1683,  t.  i, 


p.  188:  Bellarmin,  IIa  Controversia  generalis,  De  mem- 
bris  Ecclesiœ  militantis,  1.  III,  De  laicis,  c.  xv,  Opéra 
omnia,  t.  n,  p.  331:  Suarez,  De  charitate,  disp.  XIII, 
sect.  vi,  n.  8-12,  Opéra  omnia,  t.  xn,  p.  750-752  ; 
S.  Alphonse,  Theologia  moralis,  loc.  cit.,  n.  408,  t.  i, 
p.  662  sq.  ;  Palmieri,  Opus  theologicum  in  Buscnbaum 
n.édullaw,  tr.  VI,  De  prœceplis  Decalogi,  sect.  v,  c.  m, 
De  bello,  n.  148  sq.,  7  in-8°,  Prato,  1889-1893,  t.  n, 
p.  669  sq. 

3°  De  la  déclaration  de  guerre.  —  La  guerre  défensive 
n'a  pas  besoin  d'être  déclarée,  car,  de  par  la  loi  natu- 
relle, tout  individu  a  le  droit  de  se  défendre,  dès  qu'on 
l'attaque.  Mais,  dans  une  guerre  offensive,  il  en  est  dif- 
féremment. Puisque  la  conscience  exige  qu'on  n'entre- 
prenne une  guerre  offensive  que  lorsque  tous  les  autres 
moyens  d'accommodement  ont  été  épuisés,  une  nation 
qui  veut  se  faire  justice    doit,  avant  de  prendre  les 
arme»,  annoncer  officiellement  qu'elle  va  se  résoudre  à 
ce  parti,  si,  à  une  époque  déterminée,  justice  ne  lui  a 
pas  été  rendue.  Il  est  à  espérer,  en  effet,  que  la  crainte 
de  ses  armes  et  l'imminence  du  conflit  fassent  impres- 
sion sur  l'esprit  de  son  adversaiie,  et  l'amènent  à  tran- 
siger ;  c'est  ce  qu'on  appelle,  en  langage  moderne,  poser 
un  ultimatum.  Si,  après  réception  de  l'ultimatum,  l'en- 
nemi accepte  de  transiger,  la  guerre  ne  doit  pas  être 
faite,  et,  si  elle  est  commencée  quand  arrive  la  réponse 
de  l'adversaire,  on  doit  la  terminer  au  plus  tôt,  si  ce 
n'est  toujours  par  rigueur  de  stricte  justice,  du  moins, 
le  plus  souvent,  par  charité  et  par  humanité.  Cf.  Suarez, 
De  charitate,  disp.  XIII,  sect.  vu,  n.  3,  Opéra  omnia, 
t.  xn,  p.  752  sq.  ;  Salmanticenses,   Cursus   theologise 
moralis,  tr.  XXI,  c.  vin,  p.  m,  §   1,  n.  20,  t.  v,  p.  165; 
de  N  attel,  Du  droit  des  gens,  1.  III,  c.  iv,  §  51  sq.,  t.  n, 
p.  116-126  ;  S.  Alphonse,  Theologia  moralis,  1.  III,  tr.  IV, 
c.  i,  dub.  v,  a.  2,  n.  405,  t.  n,  p.  661  :  Meyer,  Instiluliones 
juris naturalisait.  II, sect. m,  1.  II, en, a.  2,  §2,n.747, 
t.  n,  p.  798  sq.  ;  Olivart,  Del  reconoscimienio  de  beligc- 
ranci  a  y  sus  efectos  immedialas,  in-8°,  Madrid,  1895; 
Sainte-Croix,  La  déclaration  de  guerre  et  ses  effets  immé- 
diats, in-8°,  Paris,  1899.  La  Conférence  internationale 
réunie  à  I  a  Haye,  en  1899,  sous  l'initiative  de  l'empereur 
de  Russie,  s'est  ralliée  en  ce  point  à  l'enseignement 
théologique,  dans  l'article  1er  de  la  Convention  ainsi 
rédigé  :  «  Les  puissances  contractantes  reconnaissent 
que  les  hostilités  entre  elles  ne  doivent  pas  commencer 
sans   un   avertissement  préalable   et  non  équivocrue, 
qui  aura  soit  la  forme  d'une   déclaration   de    guerre 
motivée,  soit  celle   d'un   ultimatum  avec  déclaration 
de  guerre  conditionnnelle.  »  Il  n'y  a  pas  cependant  de 
forme  spéciale  pour  la  déclaration  de  guerre.  Le  rap- 
pel des  agents   diplomatiques  n'équivaut  pas  stricte- 
ment à  une  déclaration  de  guerre,  s'il  n'est  accompagné 
d'un  ultimatum.  Ces  règles  néanmoins,  ne  sont  pas  tou- 
jours observées.  A  l'ouverture  de  la  guerre  russo-japo- 
naise, en  1904,  par  exemple,  les  Japonais  commencè- 
rent les  hostilités,  dès  la  rupture  des  relations  diplo- 
matiques, avant  même   que  la  Russie  pût  considérer 
cette  rupture  comme  une  déclaration  formelle  de  guerre. 
On  se  demande  si,  après  la  déclaration  de  guerre, 
tous  les  traités  conclus  précédemment  entre  les  nations 
belligérantes  cessent  de  plein  droit.  S'il  s'agit  de  traités 
d'alliance,  c'est  évident;  mais  les  traités  de  commerce, 
de  navigation,  etc.,  ne  sont  pas  brisés.  Leurs  effets  sont 
simplement  suspendus,  et  devraient  reprendre  de  plein 
droit,  à  la  lin  des  hostilités.  La  coutume  tend  cependant 
à  s'établir  que,  pour  leur  remise  en  vigueur,  il  faut 
une  disposition  expresse  du  traité  de  paix,  comme  cela 
fut  statué  au  traité  de  Francfort,  en  1871,  a.  11,  et  au 
traité  gréco-turc  du  12  décembre  1897,  a.  12-13. 

VII.  De  ce  qui  est  permis  durant  la  guerre.  — 
1°  Du  droit  de  vie  et  de  mort  sur  l'ennemi.  —  1.  Malgré 
ce  qu'en  ont  dit  certains  jurisconsultes,  par  exemple, 
de  Vatlel,  Du  droit  des  gens,  1.  III,  c.  v,  §  69  sq.,  t.  n, 


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GUERRE 


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p.  126  sq.,  la  déclaration  de  guerre  n'autorise  pas  à 
considérer  comme  ennemis  tous  les  sujets  d'un  État 
contre  lequel  elle  a  été  faite,  car  la  guerre  est  une  rela- 
tion de  nations  à  nations,  ut  taies.  On  ne  peut  donc 
regarder  comme  ennemis,  et  traiter  comme  tels,  que 
ceux  qui  prennent  une  part  active  aux  hostilités.  Les 
belligérants  doivent  donc  épargner  les  enfants,  les 
femmes,  les  vieillards,  les  malades,  les  infirmes,  et  les 
citoyens  paisibles,  non  par  la  raison  qu'ils  sont  des 
ennemis  faibles,  innocents,  ou  inoffensifs,  mais  parce 
qu'ils  ne  sont  pas  des  ennemis,  au  sens  strict  du  mot, 
et  que,  au  point  de  vue  de  la  guerre  proprement  dite, 
on  doit  plutôt  les  considérer  comme  neutres.  C'est  la 
justice  qui  défend  de  toucher  à  leur  vie,  et  non  pas 
seulement  l'honneur  ou  la  générosité  chevaleresque. 
Dans  les  pays  en  guerre,  une  neutralité  générale  doit 
protéger  tous  les  habitants  qui  ne  combattent  point. 
Ce  principe  a  été  reconnu  par  la  Conférence  internatio- 
nale de  La  Haye,  de  1907. 

Les  belligérants  doivent  épargner  aussi  tous  ceux 
qui  accompagnent  une  armée,  sans  porter  eux-mêmes 
les  armes,  et  qui  s'y  trouvent  à  titre  d'aumôniers,  de 
médecins,  de  chirurgiens,  d'infirmiers,  etc.  Mais  ils 
peuvent  attaquer  tous  ceux  qui,  officiers  ou  soldats, 
sont  en  devoir  de  les  combattre,  et  cela,  tant  que  ceux- 
ci  n'ont  pas  déposé  les  armes,  ou  que,  blessés  griève- 
ment, ils  ne  sont  plus  en  état  de  continuer  les  hostilités. 
Si  les  ennemis,  entourés  de  forces  supérieures,  deman- 
dent quartier,  et  se  rendent,  on  doit  leur  laisser  la  vie. 
Les  tuer,  dans  ce  cas,  serait  un  injuste  assassinat,  et 
un  acte  de  sauvagerie.  Cf.  Laymann,  Theologia  moratis, 
1.  II,  tr.  III,  c.  xn,De  bello,  n.  11,  t.  i,  p.  180  ;  Suarez, 
De  charitate,  disp.  XIII,  De  bello,  sect.  vi,  n.  15-16, 
Opéra  omnia,  t.  xn,  p.  755  sq.  ;  Reiffenstuel,  Jus  cano- 
nicum  universum  juxta  titulos  quinque  librorum  Decre- 
lalium,  1.  I,  tit.  xxxiv,  De  treuga  et  pace,  n.  14,  t.  i, 
p.  368;  Schmalzgrueber,  Jus  ecclesiasticum  universum 
secundum  quinque  libros  Decretalium,  1.  I,  tit.  xxxiv, 
§1,  n.  11,  t.  i  b,  p.  281;  Meyer,  Institutiones  juris 
naturalis,  part.  II,  sect.  ni,  1.  II,  c.  n,  a.  6,  n.  748,  t.  n, 
p.  800;Palmieri,  loc.  «7.,n.l50  sq.,t.  n,p.  670;  Noldin, 
Summa  theologiœ  moralis,  tr.  De  prœceptis  Dei  et 
Ecclesise,  part.  II,  1.  V,  c.  vu,  De  bello,  n.  352  sq.,  3  in- 
8°,  Inspruck,  1908,  t.  n,  p.  374  sq. 

2.  Tous  les  moyens  de  destruction  sur  les  personnes 
sont-ils  permis  à  la  guerre?  — •  Depuis  longtemps,  le 
droit  des  gens  a  défendu  de  faire  usage  du  poison,  de 
mettre  à  prix  la  tète  d'un  ennemi,  de  le  faire  traîtreu- 
sement assassiner,  de  se  servir  d'armes  qui  augmentent 
inutilement  le  nombre  ou  la  gravité  des  blessures,  et 
qui  étendraient  comme  à  l'infini  les  maux  de  la  guerre 
déjà  si  terribles  par  eux-mêmes,  comme  le  seraient, 
par  exemple,  des  armes  empoisonnées  dont  les  moindres 
atteintes  seraient  mortelles.  Les  peuplades  sauvages  en 
ont  usé  de  tout  temps,  et  en  usent  encore.  L'antiquité 
civilisée,  même  païenne,  s'était  interdit  l'usage  de 
pareils  moyens.  Cf.  Plir.e,  Nat.  hisl.,  1.  XI,  c.  lui; 
Valère  Maxime,  1.  VI,  c.  v,  n.  1;  Tacite,  Annales,  1.  II, 
c.  lxxxviii;  Quinte  Curce,  1.  IV,  c.  xi,  n.  8.  Les  nations 
civilisées  modernes  ont  répudié  également  ces  méthodes 
ou  ces  moyens.  On  a  bien  le  droit  de  frapper  un  ennemi 
pour  repousser  ses  attaques,  ébranler  sa  résistance,  et 
en  avoir  raison.  Mais,  dès  qu'il  est  hors  de  combat,  et 
dans  l'impossibilité  de  nuire,  de  quel  droit  lui  donnerait- 
on  la  mort'?  La  guerre  est  assez  épouvantable  par  elle- 
même,  sans  qu'on  ajoute  inutilement  à  ses  horreurs. 
Cf.  de  Vattel,  Le  droit  des  gens,  1.  III,  c.  vin,  §  155-157, 
t.  ii,  p.  187-193.  La  Convention  internationale  de  Saint- 
Pétersbourg,  du  11  décembre  1868,  a  interdit  l'emploi 
des  balles  explosibles,  et  des  balles  dum-dum  qui  s'apla- 
tissent contre  le  squelette  du  corps  humain,  et  font  des 
blessures  d'une  exceptionnelle  gravité.  Cette  défense 
a  été  renouvelée  à  la  Conférence  internationale  de  La 


Haye,  en  1899  et  en  1907.  Cf.  A.  Pillet,  Les  lois  actuelles 
de  la  guerre,  in-8°,  Paris,  1898;  Dalloz,  Dictionnaire 
pratique  de  droit  public,  au  mot  Guerre,  §3,  n.  18,  in-fol., 
Paris,  1905,  p.  702;  Règlement  concernant  les  lois  et 
coutumes  de  la  guerre,  dans  l'Annuaire  de  la  législation 
française,  in-8°,  Paris,  1911,  p.  201-213. 

3.  Des  considérations  précédentes,  il  découle  qu'on 
n'a  pas  le  droit  de  faire  prisonniers  les  enfants,  les 
femmes,  les  vieillards,  et  en  général  tous  ceux  qui  ne 
prennent  pas  activement  part  à  la  guerre,  puisque  ce 
ne  sont  pas  des  ennemis,  à  proprement  parler.  On  le 
faisait  autrefois,  même  parmi  les  nations  civilisées, 
afin  d'avoir  des  otages,  dans  le  but  d'amener  plus 
facilement  à  un  accommodement  un  adversaire  qui 
tiendrait  à  délivrer  des  personnes  qui  lui  sont  chères. 
De  Vattel  admet  la  légitimité  de  cette  pratique.  Cf.  Le 
droit  des  gens,  1.  III,  c.  vm,  §  148,  t.  n,  p.  179  sq.  Mais, 
depuis  longtemps,  entre  nations  civilisées,  ce  moyen 
n'est  guère  mis  en  usage. 

4.  Il  ressort  également  des  considérations  précé- 
dentes que  les  prisonniers  de  guerre,  d'abord,  ne  doivent 
pas  être  réduits  en  esclavage,  comme  le  faisaient  les 
anciens  païens,  contrairement  aux  prescriptions  de  la 
loi  naturelle.  On  n'a  le  droit  de  retenir  en  captivité  un 
ennemi  qui  a  déposé  les  armes  que  jusqu'à  la  conclusion 
de  la  paix.  Une  autre  conséquence  de  ces  considérations, 
c'est  qu'on  n'est  pas  autorisé  à  se  permettre  envers  les 
prisonniers  de  guerre  des  violences  ou  des  mauvais 
traitements,  car  on  fait  la  guerre  à  l'État,  et  non  aux 
individus.  Cf.  Schmalzgrueber,  Jus  ecclesiasticum  uni- 
versum, 1.  I,  tit.  xxxiv,  §  2,  n.  12, 1. 1  b,  p.  282;  Dalloz, 
Dictionnaire  pratique  de  droit  public,  loc.  cit.,  §  3,  n.  22, 
p.  702;  Meyer,  Institutiones  juris  naturalis,  part.  II, 
sect.  m,  1.  II,  c.  n,  a.  2,  §  2,  n.  761,  t.  n,  p.  810. 

2°  Du  droit  sur  les  biens  de  l'ennemi.  —  1.  La  guerre, 
se  faisant  d'État  à  État,  n'autorise  que  l'expropriation 
ou  la  saisie  des  biens  d'État,  tels  que  villes,  forteresses, 
arsenaux,  armes,  munitions,  revenus  des  domaines 
publics,  ou  autres  ressources  qui  constituent  la  force 
politique  et  militaire  d'une  nation;  mais  non  celle  des 
biens  appartenant  à  des  particuliers,  surtout  à  ceux 
qui  ne  prennent  point  part  activement  aux  hostilités. 
Ravir  ces  biens  serait  faire  de  la  miraude  ou  du  pillage. 
Les  simples  soldats  doivent  s'en  abstenir,  et  les  chefs 
sont  obligés  en  conscience  de  les  empêcher.  De  même,  et 
à  plus  forte  raison,  doit-on  respecter  les  biens  des  hôpi- 
taux, des  églises,  des  monastères,  et  des  institutions 
pieuses,  ou  de  bienfaisance.  Cf.  Bellarmin,  77"  Conlro- 
versia  generalis.  De  membris  Ecclesiœ  mililanlis,  1.  III, 
De  laicis,  c.  xv,  Opéra  omnia,  t.  n,  p.  331;  Suarez,  De 
charitate,  disp.  XIII,  sect.  vi,  n.  2,  10,  14,  Opéra  omnia, 
t.  xn,  p.  752,  754  sq.  ;  Salmanticenses,  Cursus  theologise 
morali s,  tr.  XXI,  c.  vin,  §  3,  n.  44.  t.  v,  p.  168;  Laymann, 
Th-ologia  moralis,  1.  II,  tr.  1 1 1,  c.  xn,  De  bello,  n.  12-13, 
t.  i,  p.  189;  Schmdzgrueber,  loc.  cit.,  §  1,  n.  11, 
t.  i  b,  p.  281;  Reiffenstuel,  1.  I,  tit.  xxxiv,  n.  12,  t.  i, 
p.  368;  S.  Alphonse,  Theologia  moralis,  1.  III,  tr.  IV, 
c.  i,  dub.  v,  a.  3,  n.  409  sq.,  t.  i,  p.  663  sq.;  Meyer, 
Institutiones  juris  naturalis,  t.  il,  p.  808  ;  Dalloz,  Diction- 
naire de  droit  public,  loc.  cit.,  §  2,  n.  12  ;  §  3,  n.  14,  p.  702  ; 
Lucchini,  //  digeslo  italiano,  Enciclopedia  melodica  ed 
alfabetica  di  legislaziom,  dotlrina  e  giurisprudenza, 
au  mot  Guerra,  tit.  ni,  c.  n,  43  in-4°,  Turin,  1884- 
1913,  t.  xn,  p.  1118  sq. 

2.  Peut-on  considérer  comme  légitime  la  coutume 
qu'une  armée  doit  vivre  aux  dépens  du  pays  envahi, 
selon  l'axiome  :  «  La  guerre  doit  nourrir  la  guerre  »?  — 
Si,  par  pays  envahi,  on  entend  les  biens  d'État,  la 
richesse  publique,  frappés  de  contributions  de  guerre, 
cette  coutume  peut  être  considérée  comme  légitima 
dans  une  guerre  juste,  car  l'État  offensé  qui  est  obligé 
de  faire  la  guerre  pour  recouvrer  ce  qui  lui  a  été  ravi, 
ou  pour  demander  la  réparation  d'une  injure,  est  en 


1931 


GUERRE 


1932 


droit  de  faire  peser  sur  l'État  offensant  le  poids  d'une 
guerre  dont  celui-ci  est  la  cause  injuste;  mais  cette  cou- 
tume est  illégitime,  si,  par  pays  envahi  qui  doit  nourrir 
l'armée  envahissante,  on  entend  ies  biens  particuliers. 
Proudhon  lui-même  l'a  reconnu  :  «Vous  ne  pouvez, 
dit-il,  exiger  des  habitants  le  moindre  service,  sans  le 
payer.  »  La  guerre  et  la  paix:  Recherches  sur  le  principe,  el 
la  constitution  du  droit  des  gens,  2  in-12,  Bruxelles,  1861. 
En  effet,  les  armées  régulières  ne  prétendent  traiter 
qu'avec  des  corps  réguliers.  Un  individu  qui  porte  les 
armes,  sans  être  revêtu  d'un  uniforme  et  sans  dépendre 
d'un  chef  d'armée  reconnue,  est  considéré  comme  un 
brigand,  et  fusillé  sur  l'heure.  Pour  être  conséquentes 
avec  elles-mêmes,  les  armées  doivent,  même  pour  leur 
subsistance,  respecter  les  biens  des  particuliers,  puis- 
qu'elles exigent  que  les  particuliers  les  respectent  elles- 
mêmes.  Cette  conclusion  est  aussi  une  application  du 
principe  admis  universellement  par  le  droit  internatio- 
nal moderne,  que  les  guerres  sont  d'État  à  État,  et  non 
d'individus  à  individus.  Les  maraudeurs,  souvent, 
pillent  et  rançonnent  pour  leur  propre  compte,  se 
croyant  autorisés  à  faire  sur  une  moindre  échelle  ce  que 
les  généraux  font  en  grand,  en  imposant  des  réquisi- 
tions arbitraires.  Si  la  maraude,  qui  a  pour  but  la  sub- 
sistance du  soldat,  est  illégitime,  à  plus  forte  raison  le 
pillage,  qui  a  pour  but  son  enrichissement,  est-il  cou- 
pable. La  nécessité  peut  parfois  excuser  la  maraude, 
suivant  l'axiome  :  Inextrema  necessilale  omnia  bona  sunt 
communia.  Aucune  raison  ne  saurait  excuser  le  pillage, 
qui  est  le  vol.  Ceci  n'est  plus  la  guerre  d'État  à  État  : 
c'est  l'acte  criminel  d'individus  qui,  abusant  de  leur 
force,  volent  d'autres  individus  incapables  de  se  dé- 
fendre. On  ne  saurait  donc,  en  ce  point,  se  ranger  à 
l'avis  de  Vattel  qui  trouve  le  droit  de  butiner  tout  à  fait 
conforme  au  droit  naturel.  Cf.  Le  droit  des  gens,  1.  III, 
c.  ix,  §  164,  t.  n,  p.  199  sq.  Son  erreur  vient  de  ce  qu'il 
considère  comme  ennemis  tous  les  sujets  de  l'État  au- 
quel un  autre  fait  la  guerre,  oubliant  que  la  guerre  est 
une  relation  d'État  à  État.  Op.  cit.,  1.  II,  c.  v,  §  69-73, 
t.  n,  p.  126  sq.  Cf.  Dalloz,  Dictionnaire  pratique  de  droit 
public,  loc.  cit.;  Dudley  Field,  Oullines  of  an  interna- 
tional Code,  in-8°,  New- York,  1876,  p.  468;  Walker,  The 
science  oj  international  law,  in-8°,  Londres,  1893,  p.  249. 

3.  Certains  juristes,  plus  militaires  que  juriscon- 
sultes, ont  pensé  qu'un  général  a  le  droit  de  condamner 
au  pillage  une  ville  qu'il  a  dû  prendre  d'assaut,  ou  qui 
a  violé  les  lois  de  la  guerre.  —  Mais  comment  une  ville, 
habitée  en  grande  partie  par  des  gens  inofîensifs  : 
femmes,  enfants,  vieillards,  ou  citoyens  paisibles,  pour- 
rait-elle être  accusée,  dans  son  ensemble,  d'avoir  violé 
les  lois  de  la  guerre,  ou  être  justement  punie  par  le 
pillage  d'un  crime  qu'elle  n'a  point  commis?  Parce  que 
les  soldats  qui  la  défendaient  ont  fait  vaillamment  leur 
devoir,  en  résistant  tant  qu'ils  ont  pu,  faut-il  punir  à  ce 
point  ceux  qui  n'ont  point  porté  les  armes,  ou  qni 
maintenant  les  ont  déposées?  Cf.  Meyer,  Instilutiones 
juris  naturalis,  part.  II,  sect.  m,  1.  II,  c.  n,  a.  2,  §  2, 
n.  760  sq.,  t.  n,  p.  809. 

4.  Peut-on  approuver,  au  nom  de  la  justice,  la  cou- 
tume, dans  les  guerres  maritimes,  de  saisir  les  navires 
marchands  appartenant  aux  sujets  de  l'État  ennemi,  et 
de  les  considérer,  suivant  l'expression  admise,  comme 
de  «  bonne  prise  »  pour  ceux  qui  les  ont  capturés?  Les 
principes  de  droit  ne  sauraient  être  différents,  que  la 
guerre  soit  faite  sur  terre  ou  sur  mer,  car  la  justice  est 
de  tous  les  climats.  Peu  importe  que  ces  prises  soient 
accomplies  par  des  navires  de  l'État,  ou  par  des  cor- 
saires, individus  conduisant  et  défendant  des  navires 
armés  pour  la  course  :  c'est  toujours  un  attentat  per- 
pétré contre  la  propriété  privée.  Pour  légitimer  ce  droit 
de  course,  on  prétend  qu'on  n'en  veut  pas  précisément 
aux  individus  que  l'on  dépouille,  mais  à  l'État,  dont 
on  cherche  ainsi  à  miner  le  commerce.  Le  raisonne- 


ment ainsi  présenté  ne  manquerait  pas  d'une  certaine 
justesse  dans  le  cas  où  l'État,  supposé  une  puissance 
surtout  maritime,  tirerait,  en  majeure  partie,  sa  force 
de  ce  commerce;  mais  il  en  serait  différemment,  si,  vu 
les  circonstances,  ce  commerce  maritime  pouvait  être 
considéré  comme  plus  utile  aux  individus  qu'à  l'État 
lui-même.  Pratiquement,  il  faut  l'avouer,  la  solution 
est  des  plus  difficiles.  Cf.  S.  Alphonse,  Theologia  moralis, 
loc.  cit.,  n.  409, 1. 1,  p.  663;  Abreu,  Tratado  de  las  prisas 
maritimas,  in-4°,  Cadix,  1746;  Ortolan,  Règles  inter- 
nationales el  diplomatie  de  la  mer,  2  in-8°,  Paris,  1864; 
Galiano,  Droit  de  visite,  blocus,  contrebande  de  guerre, 
prises  maritimes  (Journal  de  droit  international  privé), 
in-8°,  Paris,  1898;  Carnazza-Amari,  Del  rispello  délia 
propriété  privata  nelle  guerre  maritime,  in-8°,  Modène, 
1898  ;  Cauvées,  L'extension  des  principes  de  la  convention 
de  Genève  aux  guerres  maritimes,  \n-8°,  Paris,  1899;  Bar- 
clay, L' inviolabilité  de  la  propriété  privée  sur  mer,  in-8°, 
Bruxelles,  1900;  Dalloz,  Dictionnaire  pratique  de  droit 
public,  au  mot  Guerre,  §  5,  n.  39  ;  et  Prises  maritimes, 
n.  4  sq.,  p.  703,  1134. 

3°  Des  stratagèmes  et  ruses  de  guerre.  —  Qu'il  soit 
permis,  à  la  guerre,  d'user  de  ruses  et  de  stratagèmes, 
tous  les  théologiens  le  reconnaissent,  pourvu  qu'il  ne 
s'agisse  pas  d'une  violation  de  la  foi  jurée,  ou  d'un 
véritable  mensonge,  ce  qui  est  toujours  intrinsèque- 
ment illicite.  Mais,  s'il  n'est  jamais  permis  de  dire  la 
fausseté,  on  n'est  pas  évidemment  obligé,  surtout 
envers  un  ennemi,  de  révéler  ses  propres  secrets,  projets, 
plans  de  campagne,  tactique  que  l'on  se  propose  de 
suivre  pour  l'attaque  ou  la  défense,  etc.,  etc.  On  est 
même  en  droit  de  les  cacher  le  plus  possible  pour 
assurer  le  succès  de  la  stratégie.  Si  donc,  à  la  suite  de 
marches  et  de  contre-marches,  d'attaques  et  de  contre- 
attaques,  le  commandant,  ou  chef  d'armée  ennemie  se 
trompe  sur  l'endroit  où  il  doit  concentrer  ses  troupes,  ou 
se  laisse  surprendre  par  des  forces  supérieures,  il  ne 
peut  s'en  prendre  qu'à  son  manque  de  sagacité,  ou  de 
prévoyance,  ou  d'intuition,  et  c'est  tant  pis  pour  lui. 
Cf.  S.  Thomas,  Sum.  theol.,  IIa  IF,  q.  xl,  a.  3;  Lay- 
mann,  Theologia  moralis,  1.  II,  tr.  III,  c.  xn,  De  bello, 
n.  10,  t.  i,  p.  188  sq.  ;  S.  Alphonse,  Theologia  moralis, 
1.  III,  tr.  IV,  c.  i,  dub.  v,  a.  3,  n.  410,  t.  i,  p.  663; 
Lehmkuhl,  Theologia  moralis,  part.  I,  1.  II,  divis.  III, 
tr.  II,  n.  807  sq.,  2  in-8°,  Fribourg-en-Brisgau,  1902, 
1. 1,  p.  510. 

Mais  tous  les  théologiens  affirment  que  la  parole  don- 
née doit  être  tenue,  même  envers  un  ennemi.  C'était 
déjà  une  prescription  formelle  insérée,  dès  les  premiers 
temps,  dans  le  Corpus  juris.  Cf.  Décret  de  Graiien, 
part.  II,  caus.  XXIIÎ,  q.  i,  c.  3;  Laymann,  loc.  cit., 
n.  15,  t.  i,  p.  189  sq.  ;  S.  Alphonse,  loc.  cit.,  t.  i,  p.  663; 
Meyer,  Instilutiones  juris  naturalis,  part.  II,  sect.  m, 
1.  II,  c.  n,  a.  2,  n.  749,  t.  h,  p.  800. 

4°  Des  lois  de  la  guerre.  —  1.  Dans  le  courant  du 
xixe  siècle,  des  efforts  ont  été  tentés  pour  codi  fier  les 
lois  et  coutumes  de  la  guerre,  et  constituer,  à  cet  effet, 
une  sorte  de  droit  international,  reconnu  par  toutes  les 
nations.  Ce  fut  d'abord  l'essai  partiel  de  la  Convention 
de  Genève,  du  24  août  1864,  qui  s'occupa  surtout  du 
soin  des  blessés.  De  là  naquit  l'organisation  de  la  Croix- 
Rouge,  ensemble  de  sociétés  appartenant  à  divers  pays, 
pour  porter  secours  aux  blessés  militaires  des  armées  de 
terre  et  de  mer.  Reconnues,  pour  la  plupart,  d'utilité 
publique  par  leurs  gouvernements  respectifs,  elles  sont 
ainsi  appelées  parce  que  leurs  membres  sont  autorisés, 
en  temps  de  guerre,  à  porter  le  brassard  de  neutralité, 
institué  par  la  Convention  de  Genève  elle-même,  et  qui 
consiste  en  une  croix  rouge  sur  fond  blanc.  Ces  diverses 
sociétés  de  la  Croix-Rouge,  établies  en  diverses  nations, 
ont  un  organe  commun  :  le  comité  international  de 
Genève,  et  se  réunissent  fréquemment  en  congrès  inter- 
nationaux. —  2.  Un  autre  essai  partiel  fut  celui  de  la 


1933 


GUERRE 


1934 


Déclaration  de  Saint-Pétersbourg,  le  11  décembre 
1868,  dans  le  but  surtout  d'interdire  à  la  guerre  l'em- 
ploi de  certains  projectiles  propres  à  produire  des  bles- 
sures particulièrement  douloureuses  et  graves,  sans 
nécessité  pour  le  résultat  de  la  guerre.  —  3.  Après  ces 
essais  partiels,  une  première  tentative  de  codification 
générale  des  lois  de  la  guerre  est  due  à  la  Russie,  sous 
l'impulsion  personnelle  de  l'empereur  Alexandre  II, 
qui  proposa,  à  cet  effet,  en  1874,  une  réunion,  ou  con- 
férence internationale  à  Bruxelles.  Les  séances  eurent 
lieu  du  27  juillet  au  27  août  1874,  et  il  en  sortit  un 
Projet  de  convention  internationale  concernant  les  lois  et 
coutumes  de  la  guerre.  Mais  les  États-Unis  ne  l'ayant 
pas  accepté,  la  chose  resta  à  l'état  de  projet,  et  n'entra 
pas  effectivement  dans  le  droit  international  positif.  — 
4.  On  doit  en  dire  autant  du  Manuel  des  lois  de  la 
guerre  continentale,  proposé  par  l'Institut  de  droit  in- 
ternational, élaboré  et  discuté  par  une  commission  de 
treize  membres  français,  anglais,  italiens,  hollandais, 
allemands,  espagnols,  russes  et  autrichiens,  et,  enfin, 
approuvé  à  l'unanimité,  dans  la  session  plénière 
d'Oxford,  le  9  septembre  1880. 

A  l'heure  actuelle,  le  droit  international  n'a  donc  pré- 
cisé encore  qu'en  très  peu  de  points,  pour  ces  matières, 
cependant  si  importantes,  et  malheureusement  tou- 
jours trop  pratiques,  les  prescriptions  générales  du  droit 
naturel.  Cf.  Lucchini,  //  digesto  italiano.  Enciclopedia 
metodica  ed  aljubetica  di  legislazione,  doltrina  e  giurispru - 
denza,  au  mot  Guerra,  tit.  n,  c.  n,  n.  31,  t.  xn,  p.  1084. 

VIII.   DU  DROIT   CONFÉRÉ  PAR  LA  VICTOIRE.  Par 

lui-même,  le  résultat  d'un  combat,  ou  d'une  série  de 
combats,  si  longue  et  si  glorieuse  soit-elle,  ne  saurait 
rien  changer  à  la  justice.  La  victoire  ne  confère  donc 
par  elle-même  d'autres  droits  aux  vainqueurs  que  ceux 
qu'il  possédait  avant  de  commencer  la  guerre.  La  vic- 
toire, en  effet,  n'est  qu'une  preuve  de  supériorité 
physique  ou  intellectuelle;  nullement  une  preuve  de 
supériorité  morale.  Ces  deux  ordres  sont  absolument 
distincts  l'un  de  l'autre,  et  évoluent  séparément. 

Assurément  cette  proposition,  expression  cependant 
d'une  vérité  élémentaire,  est  contraire  à  la  pratique 
unanime  de  toute  l'antiquité  païenne,  qui  considérait 
la  victoire  comme  un  juste  moyen  d'acquérir,  en  vertu 
du  prétendu  droit  de  conquête.  Plusieurs  juristes  mo- 
dernes sont  également  tombés  dans  cette  erreur,  si  ce 
n'est  sur  le  principe  lui-même,  du  moins  dans  ses  ap- 
plications et  ses  conséquences.  De  ce  nombre  est  Gro- 
tius,  De  jure  bclli  ac  pacis,  1.  III,  c.  v-vi,  qui  prend 
pour  lui  l'axiome  admis  par  Aristote  lui-même  :  rem 
mililarem  secum  ferre  naluralem  acquirendi  modum. 
C'est  ce  que  les  Grecs  appelaient  :  cpusixrjv  xtijaiv.  De 
Vattel  lui-même  ne  s'est  pas  assez  prémuni  contre  ces 
errements.  Cf.  Le  droit  des  gens,  1.  III,  De  la  guerre, 
c.  xin,  §  195  sq.,  t.  n,  p.  230-234.  Ce  droit  de  conquête 
mal  compris  a  été  la  source,  toujours  renouvelée, 
d'une  longue  série  de  guerres  atroces  dans  l'antiquité, 
et  durant  les  siècles  postérieurs.  A  la  vue  de  tant  de 
richesses,  de  pouvoir,  de  gloire  et  d'honneurs  qui 
accompagnaient  la  victoire,  rien  ne  paraissait  plus 
désirable  aux  princes,  à  leurs  officiers,  et  aux  peuples 
eux-mêmes,  que  de  se  mettre  en  mesure  de  faire  la 
guerre,  et  de  la  conduire  à  bonne  fin.  Jamais  la  paix, 
ni  le  commerce,  ni  l'industrie,  ni  l'agriculture,  ni  un  tra- 
vail quelconque,  ne  leur  auraient  procuré  le  moyen  de 
s'enrichir  aussi  vite  et  aussi  grandement.  Quelle  ten- 
tation pour  les  rois  de  reculer  ainsi  leurs  frontières,  de 
régner  sur  un  empire  toujours  de  plus  en  plus  étendu, 
et  d'abaisser  leurs  rivaux  !  L'erreur  sur  ce  point  fut  si 
générale  dans  l'antiquité  païenne,  qu'il  ne  faut  pas 
s'étonner  que  le  prétendu  jus  vicioriie  n'ait  pas  disparu 
subitement,  en  pratique,  aussitôt  après  la  conversion 
des  peuples  au  christianisme.  Quoiqu'on  l'atténuât  un 
peu  dans  ses  conséquences,  on  le  retenait  en  principe, 


sous  le  nom   spécieux   de    droit  des   nations,   comme 
s'il  était  consacré  et  reconnu  légitime  par  un  accord 
commun  de  toutes  les  nations,  acceptant  comme  enjeu 
de  la  terrible  partie  jouée  sur  les  champs  de  bataille, 
que  le  vaincu  perdît  à  peu  près  tous  ses  droits,  tandis 
que  ceux-ci  passeraient  au  vainqueur.  Il  ne  manqua 
pas  de  docteurs  et  de  juristes,  pour  opposer,  dans  des 
thèses  déclamatoires,  ce  prétendu  droit  des  nations  à  la 
justice  naturelle.  Qui  ne  voit,  cependant,  que  cette 
reconnaissance  tacite  des  prétendus  droits   du  vain- 
queur, n'était,  de  la  part  des  vaincus,  qu'un  consente- 
ment forcé  et  nullement  volontaire?  Ils  se  soumettaient 
à  ces  spoliations,  ne  pouvant  les  empêcher.  Mais  une 
coutume  qui  s'introduit  de  cette  manière,  et  répugne 
autant  à  la  saine  raison  qu'à  la  volonté  libre  de  ceux 
qui  la  subissent,  ne  pouvant  faire  autrement,  ne  saurait 
fonder  un  droit  réel,  ni  se  transformer  en  loi  véritable. 
Peu  à  peu,  toutefois,  sous  l'influence  des  idées  chré- 
tiennes, on  en  est  arrivé,  surtout  dans  les  siècles  ré- 
cents, à  une  conception  plus  équitable  des  droits  et  des 
devoirs  réciproques  des  vainqueurs  et  des  vaincus.  Il 
est  donc  admis  maintenant  que  la  victoire  finale,  dans 
une  guerre  juste,  ne  confère  pas  au  vainqueur  un  titre 
juridique   nouveau  sur  son  ennemi  vaincu;   elle  lui 
donne  seulement  la  faculté,  après  avoir  maîtrisé  son 
injuste  résistance,  de  récupérer  ce  qui  lui  est  dû  à  lui- 
même,  villes  ou  provinces  que  l'ennemi  retenait  injus- 
tement.  Il  peut  exiger  aussi  une  compensation  pro- 
portionnée  au   dommage  subi,   ou  à   l'injure  reçue; 
demander  le  remboursement  des  frais  de  la  guerre  qu'il 
a  été  obligé  de  soutenir  pour  recouvrer  son  dû.  Il  peut 
même  prendre  des  garanties  convenables  pour  assurer, 
à  l'avenir,  le  respect  de  ses  droits  par  un  ennemi  dont 
il  a  expérimenté  les  fourberies,  et  se  mettre  ainsi  à 
l'abri  de  ses  machinations,  s'il  a  des  motifs  sérieux  de  se 
défier  de  lui.  Cette  dernière  considération,  cependant, 
ne  doit  pas  l'amener  à  dépasser  les  bornes  de  la  nécessité 
ou  de  l'opportunité,  et  ne  pas  cacher,  sous  une  appa- 
rence de  justice,  une  cupidité  démesurée,  ou  une  ambi- 
tion injustifiable.  Cf.  Suarez,  De  charitate,  disp.  XIII, 
sect.  vi,  n.  20,  Opéra  omnia,  t.  xn,  p.  757;  Laymann, 
Thcologia  moralis    1.    II,   c.   xn,  n.  14,  t.  i.  p.   189; 
S.  Alphonse,  Thcologia  moralis,  1.  III,  tr.  IV,  c.  i,  dub.  v, 
a.  3,  n.  411,  t.  i,  p.  664;  Isambert,  Annales  politiques 
et    diplomatiques,     Introduction,    in-8°,    Paris,    1823, 
p.  115;  Meyer,  Institutiones  juris  naluralis,  part.  II, 
sect.  in,  1.  II,  c.  ii,  a.  2,  §  2,  thés,  lxxxiv,  t.  n,  p.  802  sq. 
IX.  Des  efforts  tentés  pour  faire  disparaître 
la  guerre,  ou,  du  moins,  en  atténuer  les  effets. 
L'arbitrage  international.  —  1°  L'institution  des 
tribunaux  réguliers,  au  sein  des  nations  civilisées,  a  fait 
disparaître  les  guerres  privées,  d'individus  à  individus. 
Ii  serait  extrêmement  souhaitable  qu'un  tribunal  de  ce 
genre  fût  établi,  auquel  les  nations  pourraient  et  de- 
vraient recourir,  pour  résoudre  légalement  et  pacifique- 
ment les  conflits  qui  surgissent  entre  elles.  Quel  bien- 
fait pour  l'humanité,  si  un  tel  projet  pouvait  se  réaliser  t 
Entre  princes  chrétiens,  ce  juge  supérieur  devant  le- 
quel ils  pourraient  juridiquement  poursuivre  la  reven- 
dication de  leurs  droits,  est  naturellement  le  souverain 
pontife,  père  et  chef  de  tous  les  fidèles.  Le  pape  est 
l'autorité  morale  la  plus  haute  qui  soit  sur  terre  :  les 
princes  non  catholiques  eux-mêmes  l'ont  parfois  re- 
connu aussi,  et,  même  pour  eux,  il  pourrait  être  l'ar- 
bitre suprême. 

Dans  les  siècles  passés,  en  effet,  les  souverains  pon- 
tifes sont  souvent  intervenus  comme  arbitres  entre  les 
nations  belligérantes,  soit  que  celles-ci  le  leur  eussent 
demandé,  soit  qu'ils  se  fussent  offerts  eux-mêmes, 
comme  médiateurs.  Ainsi,  par  exemple,  vers  la  fin  du 
xie  siècle,  Pascal  II  rétablit  la  paix  entre  le  roi  d'Ara- 
gon et  ses  ennemis.  Cf.  P.  L.,  t.  clxviii,  col.  305.  Inno- 
cent II  essaya  aussi  de  le  faire,  en  1138,  entre  l'Angle- 


1935 


GUERRE 


1936 


(erre  et  l'Ecosse,  par  son  légat  Albéric,  cardinal-évêquc 
d'Ostie.  Cf.  Hcfele,  Histoire  des  conciles,  trad.  Leclercq, 
1  ans.  1913,  t.  v,  p.  720. 

1  .es  interv  entions  de  ce  genre  furent  très  nombreuses 
du  xic  au  xvie  siècle.  On  connaît  la  solennelle  déclara- 
tion d'Innocent  III,  affirmant  que  le  pape  est  le  souve- 
rain médiateur  sur  terre.  Baluze,  Innocenta  III  cpislo- 
larum  libri  undeeim,  epist.  xxxu,  clxxxv,  2  in-fol., 
Paris,  1682,  t.  i,  p.  702,  761.  Cf.  Flassan,  Histoire 
générale  de  ta  diplomatie  française,  in-8°  Paris,  1811. 
t.  î,  p.  113;  Grandjean,  Les  registres  de  Benoît  XI, 
in-4°,  Paris,  1883,  p.  801  ;  Auvray,  Les  registres  de 
Grégoire  IX.  in-4°,  Paris,  1890,  p.  397;  Pastor,  His- 
toire des  papes,  t.  n,  p.  258-265,  278,  etc.  ;  t.  m,  p.  60, 
72, 148  sq.,  254,  301  sq.  ;  t.  iv,  p.  141  sq.,  165  sq.,202  sq.. 
etc.  :  t.  v,  p.  241,  286  sq.,  296  sq.  ;  t.  vi,  p.  89  sq.,  149  sq., 
etc;Mollat,  Les  papes  d'Avignon,  in-8°,  Paris,  1912. 

A  partir  du  xvie  siècle,  les  arbitrages  pontificaux  se 
font  plus  rares  à  mesure  que  l'esprit  chrétien  s'affaiblit 
chez  les  nations  et  chez  les  rois.  Dès  lors,  la  raison 
d'État  se  substitue  de  plus  en  plus  aux  notions  de  justice 
pour  légitimer  en  apparence  les  caprices  belliqueux  des 
princes  et  leur  désir  immodéré  de  conquêtes. 

2°  A  notre  époque,  des  tendances  à  un  arbitrage  in- 
ternational se  sont  manifestées  à  diverses  reprises, 
mais  on  a  essayé  de  le  constituer  sans  le  pape,  et  en 
dehors  du  pape.  Elles  se  firent  jour,  d'abord,  au  Con-  j 
grès  de  Paris,  en  1856.  Le  23e  protocole  émit  le  vœu  que  I 
les  États  entre  lesquels  s'élèverait  un  dissentiment 
sérieux,  avant  d'en  appeler  aux  armes,  eussent  recours 
aux  bons  offices  d'une  puissance  amie.  Un  grand  nom- 
bre d'États  adhérèrent  à  cette  résolution,  qui  n'empê- 
cha ni  la  guerre  d'Italie,  peu  après,  ni  plusieurs  autres 
qui  ont  désolé  l'Europe  et  d'autres  parties  de  l'univers. 

Plus  récemment,  sur  l'initiative  de  l'empereur  de 
Russie,  se  réunit,  à  La  Haye,  la  Conférence  interna- 
tionale dite  de  la  paix,  qui  tint  ses  séances  du  18  mai 
au  29  juillet  1899.  Suivant  la  circulaire  du  comte  Mou- 
ravief  parlant  au  nom  du  czar,  elle  avait  dans  son  pro- 
gramme la  question  de  l'arbitrage  et  de  la  médiation, 
afin,  disait  ce  document  officiel,  de  mettre  un  terme 
aux  armements  qui  croissent  sans  cesse  d'une  manière 
inquiétante,  et  de  rechercher  les  meilleurs  moyens  de 
prévenir  les  calamités  formidables  qui  menaçaient  le 
monde  entier.  Un  projet,  très  étudié,  en  ce  sens,  avait 
été  déposé  par  la  Russie.  La  commission  des  délégués, 
chargée  de  l'examiner,  donna  un  avis  favorable,  et  la 
conférence,  en  séance  plénière,  vota  cette  Convention 
pour  le  règlement  pacifique  des  litiges  internationaux. 
Les  vingt-six  États  représentés  à  la  Conférence  y  adhé- 
rèrent, et  elle  fut  promulguée  en  France  par  décret  du 
28  novembre  1900.  Cf.  Recueil  périodique  Dalloz, 
IVe  partie,  Législation,  in-fol.,  Paris,  1901,  p.  84. 

Les  puissances  signataires  convinrent  d'employer 
tous  leurs  efforts  à  la  solution  pacifique  des  litiges  inter- 
nationaux, a.l, 2 ;  en  ayant  recours,  autant  que  possible, 
à  la  médiation  et  aux  bons  offices  de  la  commission  in- 
ternationale d'enquête,  a.  9, 15, 16. 

Une  Cour  permanente  d'arbitrage  fut  constituée  par 
les  États  signataires,  et  chacun  d'eux  désigna  quatre 
délégués,  nommés  pour  six  ans.  Un  bureau  internatio- 
nal, siégeant  à  La  Haye,  servait  de  greffe.  La  cour  était 
compétente  pour  tous  les  litiges.  Ce  tribunal  siège  aussi 
à  La  Haye.  Mais,  on  ne  put  malheureusement  obtenir 
que  le  recours  à  ce  tribunal  fut  obligatoire.  Les  puis- 
sances signataires  déclarèrent  simplement  considérer 
comme  un  devoir,  dans  le  cas  où  un  conflit  aigu  vien- 
drait à  éclater  entre  deux  ou  plusieurs  d'entre  elles,  de 
rappeler  à  celles-ci  que  la  Cour  permanente  d'arbitrage 
leur  est  ouverte,  a.  27.  Cf.  Pierantoni,  Gli  arbitri  inter- 
rtazionali,  in-8»,  Naples,  1872;  Laveleye,  Des  causes 
actuelles  de  la  guerre  en  Europe  et  de  l'arbitrage,  in-8°, 
Paris,  1873;  Parctti  Degli arbitrali  iniernazionali,  in-8°, 


Naples,  1875;  Beelaerts  van  Blokland,  Internationale 
arbitrage,  in-8°,  La  Haye,  1875;  Rouard  de  Card,  L'ar- 
bitrage international  dans  le  passé,  le  présent  et  l'avenir, 
in-8°,  Paris,  1877;  Catellani,  Realtà  e  utopie  délia  pace, 
in-8°,  Milan,  1899;  Fiore,  L'imperatore  di  Russia  e  la 
Conferenza  délia  pace,  in-8°,  Rome,  1899;  Stead,  The 
Parliament  oj  peacc,  in-8°,  Londres,  1899;  Holland, 
Somc  lessons  of  the  peace  Conférence,  dans  Fortnighl 
review,  décembre  1899;  Mahan,  The  peace  Conférence 
and  the  moral  aspect  of  war,  dans  Norlh  American 
review,  octobre  1899;  Raffalovich,  Mémoire  sur  la  Con- 
férence de  La  Haye  lu  à  l'Académie  des  sciences  morales 
et  politiques  de  France,  suivi  des  observations  de  MAI.  Des- 
jardins, Passy  et  de  Courcel,  in-8°,  Paris,  1899;  Luc- 
chini,  Il  digesto  italiano,  Enciclopedia  metodica  rd  alfa- 
belica  di  legislazione,  doltrina  e  giurisprundenza,  au  mot 
Guerra,  tit.  n,  c.n,n.  30  sq.,  t.xn,  p.l084sq.  ;  Dumas,  Les 
sanctions  de  l'arbitrage  international,  in-8°,  Paris,  1905. 

Il  n'entre  pas  dans  notre  plan  de  raconter  comment 
et  pourquoi  le  représentant  du  Saint-Siège  fut  écarté  de 
la  Conférence  de  la  paix,  où  sa  place  était,  néanmoins, 
toute  marquée,  tandis  que  Léon  XIII  avait  loué  haute- 
■ment,  dans  son  allocution  du  11  avril  1899,  l'initiative 
prise  par  l'empereur  de  Russie.  De  nombreux  ouvrages, 
brochures  et  articles  furent,  alors,  écrits  à  ce  sujet.  Cf. 
Gemma,  Sull'intcrvenlo  del  papa  alla  Conferenza  per  il 
disarmo,  Vila  internazionalc,  in-8°,  Milan,  1899;  Chré- 
tien, La  papauté  et  la  Conférence  de  la  paix,  dans  la 
Revue  générale  de  droit  international  public,  t.  vi, 
p.  281  sq.  ;  Zanichelli,  Il  papa  alla  Conferenza  internazio- 
nalc pel  disarmo.  dans  Nuova  antologia,  16  février  1899  ; 
Bompard,  Le  pape,  les  États  et  la  Conférence  de  La 
Haye,  dans  la  Revue  générale  de  droit  international  pu- 
blic, t.  vu,  p.  369. 

Une  autre  Conférence  de  la  paix  se  réunit  encore  à 
La  Haye,  en  1907,  toujours  sur  l'initiative  du  czar  Ni- 
colas II.  Les  résultats  de  cette  Conférence,  comme  ceux 
de  la  précédente,  furent  plutôt  platoniques.  Les  événe- 
ments ne  l'ont  que  trop  montré.  Cf.  Pillet,  La  cause  de  la 
paix  et  les  deux  Conférences  de  La  Haye,in-S°,Paris,  1908. 

Comme  l'avait  écrit,  dix  ans  à  l'avance,  le  15  sep- 
tembre 1898,  à  la  veille  de  la  première  Conférence,  le 
cardinal  Rampolla,  secrétaire  d'État,  au  nom  de 
Léon  XIII  :  «  La  paix  ne  pourra  trouver  son  assiette, 
si  elle  ne  s'appuie  sur  le  fondement  solide  du  droit 
public  chrétien,  d'où  résulte  la  concorde  des  princes 
entre  eux,  et  la  concorde  des  peuples  avec  leurs  prin- 
ces. Pour  que  cessent  les  défiances  qui  arment  les 
nations  les  unes  contre  les  autres,  et  qu'un  esprit  de 
paix  se  répande  à  travers  l'univers,  et  amène  les  peu- 
ples à  se  regarder  comme  des  frères  il  faut  que  la  jus- 
tice chrétienne  soit  plus  en  vigueur  dans  le  monde,  et 
que  les  maximes  de  l'Évangile  rentrent  en  honneur.  » 

C'est  le  seul  moyen.  A  défaut  de  celui-là,  toutes  les 
Conférences  de  la  paix  et  toutes  les  réunions  de  diplo- 
mates et  de  plénipotentiaires,  si  nombreuses  soient- 
elles,  n'aboutiront  pas  à  grand'chose.  Les  nations  con- 
tinuèrent à  en  être  réduites,  pour  leur  malheur,  à  la 
situation  intolérable  qui  les  poussait  à  entretenir, 
au  prix  de  dépenses  énormes,  d'innombrables  armées 
permanentes,  absorbant  toutes  les  forces  vives  du  pays, 
et  prêtes,  au  moindre  signal,  à  se  précipiter  les  unes 
sur  les  autres,  dans  une  épouvantable  tempête  de  fer  et 
de  feu.  Les  Conférences  de  la  paix,  d'où  l'on  a  banni, 
avec  le  représentant  de  Dieu  sur  terre,  l'esprit  chré- 
tien, n'ont  produit  que  la  paix  armée  de  toutes  pièces, 
c'est-à-dire  d'incessantes  et  imminentes  menaces  de 
guerres,  qui,  vu  la  formidable  puissance  de  destruction 
des  engins  modernes,  seraient  incomparablement  plus 
terribles  que  celles  des  siècles  passés. 

X.  Violations  récentes  du  droit  des  gens  et 

DE    LA    JUSTICE   ÉTERNELLE  COMMISES    PAR  DES   BELLI- 
GÉRANTS sans  conscience.  — ■  Dans  le  (ouflit  euro- 


1937 


GUERRE 


1938 


péen  qui.  ayant  éclaté  à  la  fin  du  mois  de  juillet  1914, 
a  fait  couler  tant  de  fleuves  de  sang,  a  accumulé  tant 
de  ruines  et  semé  la  désolation  au  sein  de  tant  de  peu- 
ples divers,  non  seulement  en  Europe,  mais  jusqu'aux 
régions  les  plus  lointaines  de  l'univers,  les  violations 
du  droit  des  gens  et  du  droit  naturel  ont  malheureuse- 
ment été  si  nombreuses,  qu'on  se  demande,  non  sans 
raison,  si  le  moyen  âge  si  décrié,  ou  même  l'antiquité 
païenne  ont  connu  quelque  chose  de  pire  ou  de  sem- 
blable. Ne  pouvant  ici  entrer  dans  tous  les  détails, 
nous  nous  bornerons  à  signaler  quelques-unes  de  ces 
violations  flagrantes,  que  toute  conscience  non  seule- 
ment catholique  ou  chrétienne,  mais  simplement 
honnête,  doit  réprouver  avec  indignation. 

1°  Violation  de  la  neutralité  de  la  Belgique,  et  crimes 
énormes  qui  en  lurent  la  suite.  —  1.  Toute  une  série  de 
traités,  rédigés  notamment  en  1831,  1839,  1870,  et 
au  bas  desquels,  comme  preuve  de  la  toi  jurée,  se 
trouvent,  avec  les  signatures,  les  sceaux  et  les  armoi- 
ries des  principaux  souverains  de  l'Europe,  ceux  et 
celles  du  roi  de  Prusse,  de  l'empereur  d'Allemagne  et 
de  l'empereur  d'Autriche,  assuraient  à  la  Belgique  une 
perpétuelle  neutralité,  plus  l'intégrité  et  l'inviolabilité 
de  son  territoire.  Les  puissances  signataires  s'étaient 
solennellement  engagées  à  respecter,  et  à  faire  respecter 
par  les  autres,  cette  indépendance,  parce  que,  gardant 
le  souvenir  des  guerres  napoléoniennes,  et  prévoyant 
le  retour  possible  de  pareilles  calamités,  elles  voyaient 
dans  l'érection  de  cet  État  qui  devait  rester  perpé- 
tuellement étranger  à  leurs  querelles,  une  garantie 
de  paix  européenne.  Ces  engagements  solennels  furent 
renouvelés,  ces  dernières  années,  à  la  Conférence  de  La 
Haye,  et  signés,  cette  fois,  au  nom  de  l'empereur 
Guillaume  II  lui-même.  En  voici  les  principales 
clauses  :  a .  1.  Le  territoire  des  puissances  neutres  est 
inviolable;  a.  2.  Il  est  interdit  aux  belligérants  de  faire 
passera  traversée  territoire  des  troupes,  ou  des  convois, 
soit  de  munitions,  soit  d'approvisionnements;  ...  a.  10. 
Ne  peut  être  considéré  comme  un  acte  hostile  le  fait 
par  une  puissance  neutre  de  repousser,  même  par  la 
force,  les  atteintes  à  sa  neutralité. 

Malgré  sa  propre  signature,  Guillaume  II  voulut 
lancer  à  travers  la  Belgique  ses  armées,  ses  canons,  ses 
mitrailleuses,  ses  convois  de  munitions,  etc.;  et  la 
Belgique  ayant  essayé  de  s'y  opposer,  comme  c'était 
son  droit,  et  même  son  devoir,  l'empereur  d'Allemagne, 
quoiqu'il  eût  solennellement  reconnu  qu'un  pareil  acte 
de  la  port  de  la  Belgique  n'était  pas  hostile,  en  a  tiré 
la  plus  eiîroyable  vengeance,  en  déclarant  par  un 
cynique  mensonge,  et  en  faisant  déclarer  par  toutes 
les  voix  de  la  publicité  à  sa  solde,  que  la  Belgique  est 
seule  responsable  de  la  dévastation  qu'elle  a  subie. 
Pour  avoir  osé  se  défendie,  les  Belges  ont  été  traités 
de  bandits  par  de  soi-disant  intellectuels,  cela  par 
l'application  méthodique  des  principes  contraires  à 
l'humanité,  longtemps  médités  dans  les  ouvrages  des 
Treitschke,  des  Clausewitz,  des  Nietzsche,  des  Bern- 
hardi  et  d'une  foule  d'autres  philosophes  de  même 
acabit,  enseignant,  de  propos  délibéré,  les  maximes  les 
plus  révoltantes,  dont  nous  avons  fait  plus  haut  un 
court  exposé,  et  se  croyant  néanmoins  au  sommet  de 
l'échelle  morale.  En  présence  de  l'assassinat  de  tant  de 
victimes  innocentes,  ils  se  lavent  les  mains,  prétendent 
que  les  bourreaux  n'ont  rien  à  se  reprocher,  et  justi- 
fient tous  les  crimes,  même  les  plus  énormes,  quand  ils 
sont  perpétrés  au  profit  de  leurs  ambitions  nalionales. 
Nous  allons  en  indiquer  quelques-uns,  dût-on  nous 
accuser  de  diffamer  méchamment  des  incendiaires, 
des  tortionnaires  et  des  pillards,  en  ne  saluant  pas 
leur  brutale  agression  et  leurs  innombrables  méfaits, 
comme  un  bienfait  salutaire  de  la  culture  germanique, 
telle  que  l'entendent  ceux  chez  lesquels  le  sens  catho- 
lique n'a  jamais  existé,  ou  s'est  sensiblement  affaibli. 


Le  droit  naturel,  le  droit  ecclésiastique  et  le  droit  des 
gens,  comme  nous  l'avons  établi,  déclarent  que,  dans 
une  guerre  même  juste  (et  à  plus  forte  raison  si  elle 
est  injuste,  comme  l'invasion  de  la  Belgique),  les  inno- 
cents doivent  toujours  être  respectés,  et  qu'on  ne  doit 
leur  faire  aucun  mal.  Par  le  mot  innocents,  on  entend, 
en  langage  juridique,  ceux  qui,  pour  un  motif  ou  un 
autre,  étant  inaptes  à  porter  les  armes,  sont  incapables 
de  nuire  aux  troupes  en  campagne,  c'est-à-dire  les 
enfants,  les  femmes,  les  vieillards,  les  citoyens  paisibles 
ou  civils,  les  blessés,  et,  en  particulier,  d'après  les  pres- 
criptions canoniques,  les  clercs,  les  prêtres,  les  reli- 
gieux, etc.  Sous  aucun  prétexte,  on  ne  peut  directement 
et  intentionnellement  mettre  à  mort  les  innocents,  à 
moins  qu'on  n'ait  démontré  juridiquement  qu'ils  ont 
commis  une  faute  méritant  cette  peine.  Cl.  S.  Thomas, 
Sum.  lltrol.,  II»  II*,  q.  lxiv,  a.  2.  On  ne  doit  pas  davan- 
tage les  persécuter,  les  torturer,  ou  les  terroriser,  en  les 
menaçant  des  derniers  supplices  pour  les  moindres 
infractions  à  des  règlements  arbitraires  et  tyranniques. 
Outre  qu'elles  sont  condamnées  expressément  par  le 
Congrès  de  La  Haye,  Annexe  à  la  Convention,  a.  50, 
les  formules  déclarant  qu'il  ne  sera  pas  fait  de  quartier, 
et  que  toute  la  population  payera  pour  les  coupables, 
sont  des  formules  barbares,  aussi  contraires  à  la  raison 
et  au  droit  qu'aux  plus  élémentaires  notions  de  justice. 
Elles  sont  contraires  également  aux  Kriegcrs  Arlikeln, 
sorte  de  code  militaire  rédigé  par  l'empereur  Guil- 
laume If,  à  l'usage  de  ses  officiers  et  de  ses  soldats,  et 
que  ses  officiers  et  ses  soldats  ont  délibérément  violés. 
Voir  le  commentaire  officiel  de  ces  Articles  de  guerre 
fait  par  le  colonel  von  Unger,  du  grand  état-major  alle- 
mand, Drei  Jahre  im  Sattel.  Ein  Lern  und  Lcscbuch 
fur  den  Dienstunterriclil  der  Dev.lschen  Kavalleristen, 
15e  édit.,  in-8°,  Leipzig,  1911.  L'art.  17  est  ainsi  conçu  : 
En  campagne,  le  soldat  ne  doit  jamais  oublier  que  la 
guerre  n'est  faite  qu'aux  forces  armées  de  l'adversaire. 
La  vie  et  les  biens  des  habitants  du  pays  ennemi,  les 
blessés,  les  malades  et  les  prisonniers  de  guerre  sont 
sous  la  protection  particulière  de  la  loi...  Les  prises 
de  butin  ordinaires,  le  pillage,  Pendommagement  ou  la 
destruction  des  propriétés  étrangères,  par  méchanceté 
ou  amusement,  l'oppression  des  habitants  du  pays 
occupé,  recevront  les  plus  sévères  châtiments. 

Qu'il  y  a  loin  de  la  théorie  à  la  pratique  !  Nous 
n'accusons  pas,  en  général,  tous  les  Allemands  d'avoir 
violé  en  toutes  circonstances  ces  lois  fondamentales  de 
l'honnêteté;  mais  quelle  bibliothèque  ne  remplirait-on 
pas  avec  les  témoignages,  les  enquêtes,  les  rapports, 
les  brochures  et  les  livres,  dans  lesquels  non  seulement 
les  alliés,  mais  aussi  les  neutres  racontent  les  incroya- 
bles excès  de  tout  genre  commis  par  les  armées  alle- 
mandes I  Et  combien  de  volumes  aussi  ne  formerait-on 
pas  avec  les  ordres  du  jour  des  officiers,  les  proclama- 
tions bruyantes  et  la  correspondance  authentique 
trouvée  sur  les  prisonniers  ou  sur  les  morts  dans  les 
champs  de  bataille,  pièces  indéniables  par  lesquelles  les 
Allemands  appartenant  à  tous  les  degrés  de  la  hiérar- 
chie militaire  ou  ? ociale  commandent,  exaltent,  louent, 
ou  confessent  ces  mêmes  excès  1  II  n'est  que  trop 
prouvé,  hélas  !  que,  sans  nécessité  stratégique,  ils  ont 
détruit  des  villes  importantes,  telles  que  Louvain, 
Dinant,  Termonde,  Aerschot,  et  réduit,  presque  tota- 
lement en  cendres  des  centaines  de  villages,  à  tel  point 
que  plusieurs  n'ont  même  pas  laissé  de  ruines.  Églises, 
écoles,  asiles,  hôpitaux,  couvents,  usines,  construc- 
tions de  tout  genre,  de  toutes  dimensions  et  sans 
nombre,  ont  disparu,  ou  ne  sont  plus  qu'un  tas  de 
décombres  informes.  Des  milliers  d'innocents,  femmes, 
enfants  et  vieillards,  prêtres  et  religieux,  otages  et 
prisonniers,  blessés  ou  soldats  désarmés,  ont  été 
délibérément  non  seulement  mis  à  mort,  mais  massa- 
crés et  immolés  avec  des  raffinements  de  cruauté  incon- 


1939 


GUERRE 


1940' 


nus  aux  barbares  eux-mêmes,  car  ils  n'avaient  pas  à 
leur  disposition  les  moyens  perfectionnés  dont  la 
science  allemande,  au  service  de  l'injustice,  avait 
abondamment  fourni  les  envahisseurs.  Qu'on  lise  à 
ce  sujet  les  pages  si  tristement  éloquentes  du  cardinal 
Mercier,  archevêque  de  Malines.  Après  avoir  fait  cette 
lugubre  énumération,  dans  sa  lettre  pastorale  de  Noël 
1914,  et  jeté  un  regard  douloureux  sur  son  malheureux 
diocèse,  il  ajoute  :  <■  Nous  ne  pouvons  ni  compter  nos 
morts,  ni  mesurer  l'étendue  de  nos  ruines.  Que  serait-ce, 
si  nous  portions  nos  pas  vers  les  régions  de  Liège,  de 
Namur,  d'Andenne,  de  Dinant,  de  Tamines,  de  Char- 
leroi;  vers  Virton,  la  Semois,  tout  le  Luxembourg; 
vers  Termonde,  Dixmude,  nos  deux  Flandres?...» 

2.  Pour  justifier  de  pareilles  iniquités,  les  officiers 
allemands    ont   prétendu   qu'ils   voulaient  punir  des 
faits    imputables    à    quelques    francs-tireurs.    Mais, 
d'abord,   la  constitution   de  corps   de  francs-tireurs, 
ou  volontaires,  n'est  pas  condamnée  par  la  décision  de 
la  Convention  de  La  Haye,  du  15  juin  au  15  octo- 
bre 1907.  Au  contraire,  d'après  cette  Convention,  les 
corps  de  francs-tireurs  ont  droit  d'être  traités  camme 
des  belligérants,  pourvu,  a.  1,  qu'ils  aient  un  chef  à 
leur  tête,  un  signe  distinctif  sur  leurs  personnes,  et 
portent   les   armes   ouvertement.    En   outre,   l'art.   2 
spécifie   ceci:    «La   population   du   territoire   qui,    à 
l'approche  de  l'ennemi,  prend  spontanément  les  armes 
pour  combattre  les  troupes  d'invasion,  sans  avoir  eu 
le  temps  de  s'organiser  conformément  à  l'article  1er, 
sera  considérée  comme  belligérante,  si  elle  prend  les 
armes  ouvertement.  »  On  ne  pouvait  donc  juger  som- 
mairement, et  passer  immédiatement  par  les  armes, 
comme  de  vils  assassins,  ceux  qui  ne  faisaient  que 
défendre  leur  patrie  injustement  violée  et  indignement 
martyrisée.   Et  s'ils  n'avaient  pu  encore  s'organiser 
avec  toute  la  perfection  des  règlements  militaires  que 
la  culture  allemande  exige  pour  des  milices  régulières, 
précisément  parce  que  les  Allemands,  par  leur  invasion 
soudaine  et  tout  à  fait  injustifiée,  ne  leur  en  avaient 
pas  laissé  le  temps,  à  qui  la  faute?  N'est-ce  pas  le 
comble  du  cynisme,  de  la  part  des  bourreaux,  de  faire 
retomber  leur  propre  culpabilité  sur  leurs  innocentes 
victimes?    Et    serait-ce    vrai    même,    que    quelques 
Belges,  ainsi  surpris  dans  leur  vie  pacifique,  et  mis 
subitement  en  présence  de  tant  d'horreurs,  dont  leurs 
plus  proches  parents  étaient  l'objet,  eussent  dépassé 
en  quelque  point  les  droits   de  la  légitime  défense, 
était-ce  à  ceux  qui  les  avaient  ainsi  exaspérés,  à  se 
montrer  si  rigides  et  si  impitoyables  pour  l'applica- 
tion des  lois  ou  coutumes  de  la  guerre  qu'ils  violaient 
eux-mêmes  si  effrontément,   et  en  toute  rencontre? 
Et,  enfin,  serait-ce  vrai,  ce  qui  n'a  jamais  été  juridi- 
quement démontré,  que  quelques  Belges  fussent  cou- 
pables, était-ce  une  raison  de  raser  jusqu'au  sol  des 
villages  et  des  villes,  ou  d'exterminer  des  populations  en- 
tières ?  Cf.  Gouvernement  belge,  Réponse  au  Livre  blanc 
allemand  du  10  mai  1915,  au  sujet  d'une  prétendue  guerre 
de  francs- tireurs   et    de   prétendues   atrocités   commises 
contre  les  soldais  et  blessés  ennemis,  in-4°,  Paris,  1916. 
Dans  sa  protestation  du  10  avril  1915  à  l'autorité 
allemande,    Mgr    Heylen,    évêque    de    Namur,    sans 
crainte  d'un  démenti,  a  pu  dire  hautement  :  »  11  résulte 
de  chaque  cas  particulier  de  destruction  de  villages, 
ou   d'extermination  de  civils,   que  le   châtiment  est 
tellement  hors  de  proportion  avec  la  faute  imputée, 
qu'aucune  raison  ne  pourrait  jamais  le  légitimer.  En 
tant  de  localités  ont  été  commises  des  scènes  si  atroces 
qu'elles  soulèveront  un  jour  la  conscience  universelle, 
et  seront  flétries  par  la  justice  allemande  elle-même, 
quand  elle  aura  une  conscience  exacte,  et  qu'elle  aura 
recouvré  son  sang-froid.  »  En  outre,  continue  l'évêque, 
«  dans  l'hypothèse  d'une  répression  de  francs-tireurs, 
pour  quelques  cas  isolés,  quel  homme  civilisé^osera 


justifier  chez  des  soldats  les  actes  suivants  :  coups  et 
blessures;  atrocités  de  tout  genre;  procédés  barbares 
et  sanguinaires;  traitements  cruels  ou  indignes,  parfois 
à  l'égard  de  simples  otages  ou  de  prisonniers;  achève- 
ment de  blersés;  traques  aux  civils  paisibles  et  sans 
armes;  pillages  à  main  armée  et  dans  des  proportions 
à  peine  croyables;  utilisation  de  prêtres,  de  jeunes  gens, 
de  vieillards,  de  femmes  et  d'enfants,  comme  d'un 
rempart  contre  les  balles  et  projectiles  ennemis;  impu- 
tation à  la  population  civile  et  répression  sanguinaire 
de  faits  légitimement  posés  par  les  soldats  belges  et 
français;    fusillades   sommaires,    sans   aucune   espèce 
d'enquête  ou  de  jugement  régulier;  incendies  volon- 
taires dans  près  de  deux  cents  villages  des  deux  pro- 
vinces,  indépendamment   des   destructions   qui   sont 
l'œuvre  de  la  bataille  elle-même;  tortures  morales  pro- 
longées, infligées  aux  faibles  et  parfois  aux  populations 
entières;  viols,  meurtres  de  femmes,  de  jeunes  filles, 
d'enfants  à  la  mamelle,  etc.  Or,  ces  crimes  sont  si 
nombreux,  qu'ils  se  présentent,  non  seulement  isolé- 
ment, mais  parfois  simultanément  dans  des  centaines 
de  villages.  Nos  populations  qui  ont  vécu  ces  scènes 
atroces  et  en  ont  souffert  plus  qu'on  ne  pourra  jamais 
le  dire,  en  ont  conservé  l'impression  d'épouvante  et 
d'horreur    que    provoque  la  barbarie.   C'est,  disent- 
elles,  une  guerre  monstrueuse,  faite  non  aux  soldats, 
mais  aux  civils  désarmés...  Que  de  souffrances  ressen- 
ties   par   toute    une    population    désarmée,    terrifiée, 
livrée  à  la  merci  de  soldats  farouches  I...  On  a  dit, 
serait-ce  vrai  ?  que  le  nombre  des  civils  tués  n'est  pas 
loin  d'atteindre  celui  des  soldats  tombés  à  la  bataille  l... 
Tous  ces  faits,    des  milliers  et  des  milliers  de  témoins 
oculaires  sont  prêts  h  les  affirmer  sous  la  foi  du  ser- 
ment, lorsque  sera  établie  une  commission  d'enquête 
régulière.  »  Cf.  J.-B.  Andrieu,  La  guerre  vue  des  pays 
neutres.  Ce  qu'un  Hollandais  a  constaté  en  Belgique, 
in-8°,   Paris,   1915;   Prûm,  chef  du  parti  catholique 
luxembourgeois  et  précédemment  germanophile,   Die 
denlsche  Kriegsjùhrung  in  Delgicn  und  die  Mahnungen 
Benedicl  XV,  in-4°,  Luxembourg,  1915;  Fernand  van 
Lange  nhove,  Un  cycle  de  légendes  allemandes.  Francs- 
tireurs  et  atrocités  belges,  in-12,  Paris,  1916.  Pour  mieux 
convaincre  ses  lecteurs,  cet  auteur,  poussant  jusqu'au 
scrupule  le  souci  de  l'impartialité,  n'a  cité  que  des 
documents  d'origine  allemande,  pour  que  même  les 
envahisseurs  de  la  Belgique  ne  puissent  en  nier  ni 
l'authenticité,  ni  l'autorité.  Ce  volume  est  une  réfu- 
tation officielle  allemande  des  récits  allemands  et  des 
prétextes  invoqués  par  les  Allemands  pour  se  justifier. 
3.  Et  qu'on  ne  dise  pas  que  ce  sont  là  des  excès 
commis  par  des  particuliers,  à  l'insu  ou  contre  la  vo- 
lonté des  chefs,  comme  cela  peut  arriver  parfois  dans 
les  années  les  mieux  disciplinées;  ce  sont  malheureuse- 
ment des  crimes  collectifs,  les  uns  tolérés,  les  autres 
accomplis  par  ordre,  et  qui,  par  leur  amplitude  et  leur 
fréquence,  ne  sauraient  s'expliquer  que  par  la  volonté 
réfléchie  du  haut  commandement.  Cf.  Les  violations 
des  lois  de  la  guerre  par  l'Allemagne,  ouvrage  publié 
par  les   soins   du   ministère   des   Aiîaires   étrangères, 
in-12,  Paris,  1915,  p.  15  sq.  L'ordre,  en  effet,  vient  de 
très  haut,  et,  depuis  longtemps,  était  donné  pour  des 
circonstances  analogues.  A  son  armée  partant  pour 
Pékin,   l'empereur   Guillaume    II   disait,   le    27   juil- 
let 1900  :  «  Soldats,  quand  vous  rencontrerez  l'ennemi, 
vous  ne  ferez  pas  de  quartier...  ;  vous  ne  ferez  pas  un 
seul  prisonnier.   Que  tout  ce  qui  tombera  entre  vos 
mains  soit  à  votre  merci  1  Faites-vous  la  réputation 
qu'avaient  les  Huns  d'Attila  I  »  Cf.   Dimier,  L'appel 
des  intellectuels  allemands,  in-12,  Paris,  1915,  p.  90. 
Malgré  les  articles  du  congrès  de  La  Haye  signés  par 
lui,  et  interdisant  de  déclarer  qu'il  ne  sera  pas  fait  de 
quartier,  Annexe  à  la  Convention,  a.  23  d,  l'empereur, 
en  1914  et  1915,  n'a  pas  modifié  son  langage,  et,  à  la 


1941 


GUERRE 


1942 


veille  de  la  bataille  de  la  Vistule,  a  prononcé  ces 
paroles  qui  constituent  comme  le  farouche  pro- 
gramme de  toutes  les  atrocités  commises:  «Malheur 
aux  vaincus  !  Le  vainqueur  ne  connaît  pas  de  grâce.  » 
Cf.  Léon  Maccas,  op.  cit.,  p.  286.  C'est  le  mot  d'ordre 
auquel  ministres,  princes,  ofïiciers  de  tous  rangs  se 
conforment,  et  les  soldats  naturellement  n'ont  aussi 
qu'à  s'y  conformer.  Que  de  pages  rempliraient  les 
instructions  barbares  adressées  par  les  généraux  alle- 
mands à  leurs  troupes  !  Que  de  pages  aussi  rempli- 
raient les  proclamations  très  souvent  réitérées,  par 
lesquelles  ces  mêmes  généraux,  au  mépris  de  la  loi 
morale  la  plus  évidente  et  la  plus  élémentaire,  rendent 
les  villes  et  villages  solidaires  des  fautes  commises 
par  de  simples  individus,  déclarant  qu'on  ne  fera  pas 
de  quartier,  que  les  innocents  payeront  pour  les  cou- 
pables, que  la  mort  d'un  seul  soldat  allemand  doit 
être  vengée  par  la  destruction  de  villages,  ou  de  villes 
entières,  voire  même  d'une  capitale  de  trois  à  quatre 
millions  d'habitants,  comme  Londres  ou  Paris.  Tels 
sont  les  ordres  du  jour  et  les  proclamations  des  géné- 
raux Stengen,  von  Bulow,  von  der  Goltz,  von  Nieber, 
von  Bissing,  du  major  von  Mehring,  etc.  Cf.  M.  G.  Som- 
ville,  Vers  Liège.  Le  chemin  du  crime.  Un  défi  au 
général  von  Bissing,  in-12,  Paris,  1915.  Il  y  relate, 
avec  preuves  à  l'appui,  une  foule  d'assassinats,  commis 
par  l'armée  allemande  sur  des  civils  inoffensifs  et  sans 
l'ombre  d'une  raison  militaire.  X.,  avocat  à  la  cour 
d'appel  de  Bruxelles,  La  Belgique  sous  la  griffe  alle- 
mande, avec,  comme  annexe  et  preuves  à  l'appui, 
tout  le  Bulletin  officiel  des  lois  et  arrêtés  allemands  pour 
le  territoire  belge  occupé,  in-12,  Paris,  1915;  Hervé 
de  Gruben,  Les  Allemands  à  Louvain,  avec  préface  de 
Mgr  Deploige,  président  de  l'Institut  supérieur  de 
philosophie  à  Louvain,  in-8°,  Paiis,  1915;  Jean  Mas- 
sart,  Comment  les  Belges  résistent  à  la  domination  alle- 
mande. Contribution  au  livre  des  douleurs  de  la  Belgique, 
in-8°,  Paris,  1916.  C'est  incontestablement  par  ordre 
que  le  plus  souvent  les  soldats  ont  incendié,  pillé, 
volé,  achevé  les  blessés,  fusillé  les  otages  ou  les  prison- 
niers, et  massacré  une  foule  d'innocents.  Toutes  ces 
atrocités,  d'ailleurs,  n'étaient  que  trop  conformes  à 
l'enseignement  traditionnel  donné  aux  officiers  par  le 
grand  état-major  allemand,  dans  le  manuel  que  nous 
avons  sommairement  analysé  au  commencement  de  cet 
article,  Kriegsbrauch  in  Landkriege,  in-8°,  Berlin,  1902. 

4.  L'opinion  publique  s'étant,  à  bon  droit,  indignée, 
non  seulement  en  Europe,  mais  dans  le  monde  entier, 
le  bourreau,  pour  se  justifier  devant  les  cris  de  répro- 
bation générale,  n'a  pas  rougi  d'imputer,  non  seule- 
ment à  quelques  individus,  francs-tireurs  ou  non,  mais 
à  ses  innombrables  victimes,  c'est-à-dire  à  l'ensemble 
de  la  population,  ses  propres  méfaits.  Néanmoins,  les 
accusations  intéressées  proférées  contre  le  peuple  belge 
et  même  contre  le  clergé  belge  par  les  Allemands,  ont 
été  démontrées  fausses  et  totalement  imaginées,  sans 
exception  aucune.  Cf.  Henri  Davignon,  Les  procédés 
de  guerre  des  Allemands  en  Belgique,  in-12,  Paris,  1915; 
La  Belgique  et  l'Allemagne,  in-12,  Paris,  1915;  Enquête 
instituée  par  Mgr  Rutten,  évêque  de  Liège,  et  communi- 
quée au  maréchal  von  der  Goltz.  La  fausseté  de  ces  accu- 
sations a  été  reconnue  par  la  Gazette  populaire  de 
Cologne  et  par  la  revue  scientifique  allemande  Der 
Fels.  Cf.  Henri  Davignon,  op.  cit.,  p.  107. 

5.  Pas  plus  que  les  accusations  contre  les  particu- 
liers, ou  contre  la  population  en  général,  ne  subsistent 
celles  dirigées  contre  le  gouvernement  belge  par  le  gou- 
vernement allemand,  pour  justifier  l'invasion  de  la 
Belgique  et  la  violation  de  sa  neutralité  t  Cf.  Le  Livre 
gris.  Royaume  de  Belgique.  Correspondance  diploma- 
tique relative  à  la  guerre  de  1914(24  juillel-29  août),  in-8°, 
Paris,  1914. 

Après  avoir  avoué  ouvertement,  le  4  août  1914,  en 


plein  parlement,  qu'en  envahissant  le  territoire  belge, 
l'Allemagne  violait  la  neutralité  de  la  Belgique, 
contrairement  aux  lois  internationales  et  au  droit  des 
gens,  mais  que  les  nécessités  militaires  l'y  forçaient,  le 
chancelier  de  l'empire  allemand,  M.  de  Bethmann 
Hollweg,  regrettant  cette  confession  publique,  tint 
ensuite  à  disculper  son  gouvernement,  en  essayant  de 
prouver  que  la  Belgique  elle-même  avait  prémédita  de 
manquer  à  sa  propre  neutralité.  Une  telle  explication, 
inventée  après  coup,  n'a  convaincu  personne,  et  per- 
sonne ne  pouvait  s'y  tromper.  Les  maladresses  qui  se 
sont  succédé  ensuite  dans  le  but  de  l'accréditer,  sont 
aussi  «  colossales  »  que  le  cynisme  du  précédent  aveu. 
Mais,  comme  l'écrivait  le  cardinal  Gasparri,  secrétaire 
d'État,  au  ministre  de  Belgique  auprès  du  Vatican, 
M.  van  den  Heuvel,  le  6  juillet  1915,  même  si  on  admet- 
tait que  la  preuve  de  cette  préméditation  de  la  Belgique 
eût  été  faite  postérieurement,  ce  qui  n'a  jamais  été 
démontré,  «  encore  resterait-il  toujours  vrai  de  dire 
que  l'Allemagne,  de  l'aveu  même  du  chancelier,  péné- 
tra dans  le  territoire  belge,  avec  la  conscience  d'en 
violer  la  neutralité,  et,  par  conséquent,  de  commettre 
une  injustice.  Cela  suffit  pour  que  cet  acte  doive  être 
considéré  comme  directement  compris  dans  les  termes 
de  l'allocution  pontificale.  »  Or,  dans  cette  allocution 
prononcée  au  consistoire  du  22  janvier  1915,  le  pape 
Benoît  XV,  «  comme  constitué  par  Dieu,  suivant  ses 
propres  expressions,  l'interprète  suprême  et  le  vengeur 
de  la  loi  éternelle,  »  réprouve  «  hautement  toute  injus- 
tice de  quelque  côté  et  pour  quelque  motif  qu'elle  soit 
commise,  »  et  affirme,  en  même  temps.  «  qu'il  n'est 
jamais  permis,  pour  quelque  raison  que  ce  puisse  être, 
de  violer  la  justice,  »  repoussant  ainsi  l'aphorisme 
immoral  du  chancelier  que  «  nécessité  n'a  pas  de  loi.  » 
Acla  apostolicœ  Sedis,  1915,  t.  vu,  p.  34.  La  mo- 
rale, en  effet,  n'admet  aucune  nécessité  capable  de 
la  faire  pactiser  avec  l'injustice,  ce  qui  serait  le  pire 
des  maux.  Pie  IX  avait  déjà  déclaré,  dans  la  64'  propo- 
sition du  Syllabus,  que  l'amour  même  de  la  patrie  ne 
justifie  pas  la  violation  d'un  serment.  A  plus  forte 
raison,  un  intérêt  d'ordre  stratégique  ne  peut  jamais 
justifier  la  violation  d'un  droit,  malgré  les  maximes 
chères  à  Bismarck,  à  Treitschke,  Nietzsche,  Bernhardi 
et  consorts.  Dans  son  Manuel  des  lois  de  la  guerre 
continentule,  le  grand  état-major  allemand  rappelait 
que  «  les  belligérants  doivent  respecter  l'inviolabilité 
des  territoires  neutres,  et  s'abstenir  de  tout  empiéte- 
ment sur  leur  domaine,  même  si  les  nécessités  de  la 
guerre  l'exigeaient  ».  Mais  cet  avertissement  était  pro- 
bablement à  l'adresse  des  seules  nations  étrangères, 
l'Allemagne  s'en  considérant  comme  dispensée,  vu  sa 
supériorité  incontestable,  et  le  droit  qu'elle  s'arroge 
de  dominer  le  monde  entier.  D'ailleurs,  que  l'Allemagne 
eût  depuis  longtemps  l'intention  de  violer  la  neutralité 
de  la  Belgique  et  même  celle  de  la  Hollande,  cela 
ressort  en  toute  évidence  du  livre  publié  par  Daniel 
Frymann,  deux  ans  avant  la  déclaration  de  guerre, 
Wenn  ich  der  Kaiser  wâr  !  in-8°,  Leipzig,  1912.  Voir 
aussi  sur  cette  affaire  van  den  Heuvel,  ministre  de 
Belgique  auprès  du  Vatican,  De  la  violation  de  la 
neutralité  belge,  in-8°,  Paris,  1914;  Introduction  aux 
Rapports  belges  de  la  Commission  officielle,  in-8°,  Paris, 
1915;  E.  Vaxweiller,  membre  de  l'Académie  royale 
de  Bruxelles,  La  guerre  de  1914.  La  Belgique  neutre  et 
loyale,  in-8°,  Lausanne,  1915. 

Dans  son  discours  où  il  confessait  publiquement  la 
faute  de  l'Allemagne,  le  chancelier  de  Bethmann- 
Hollweg  disait  au  Reichstag  :  «  Nos  troupes  ont  toulé 
le  territoire  belge.  Cela  est  contraire  aux  prescriptions 
du  droit  international...  L'illégalité  —  je  parle  ouver- 
tement —  l'illégalité  que  nous  commettons  ainsi,  nous 
chercherons  à  la  réparer,  dès  que  notre  but  militaire 
aura  été  atteint.  Quand  on ...  combat  pour  un  bien 


1943 


GUERRE 


1944 


suprême,  on  s'arrange  comme  l'on  peut.  »  En  d'autres 
termes  :«  Nous  avons  intérêt  à  envahir  la  Belgique..., 
peu  importe  la  foi  jurée.  Tour  aller  en  France,  nous 
prenons  le  chemin  le  plus  court  :  voilà  tout  !...  Si,  sur 
notre  route  nous  rencontrons  des  Belges  qui  nous 
disent  que  nous  n'avons  pas  le  droit  de  passer,  nous 
savons  bien  qu'ils  ont  raison,  car  nous  savons  parfaite- 
ment que  nous  commettons  une  illégalité  contraire 
au  droit  des  gens;  mais,  n'importe,  nous  les  piétinerons, 
nous  les  écraserons,  nous  les  massacrerons,  nous  pille- 
rons leurs  demeures,  nous  incendierons  villes  et  vil- 
lages, et  les  détruirons  de  fond  en  comble.  Que  voulez- 
vous?...  On  s'arrange  comme  l'on  peut  !...  »  C'est  le 
commentaire  officiel  du  mot  désormais  historique 
jusqu'à  la  fin  des  siècles,  par  lequel  ce  même  homme 
d'État  affirmait  à  l'ambassadeur  d'Angleterre  à  Iierlin 
que  le  traité  par  lequel  l'Allemagne  s'était  engagée,  sous 
la  foi  jurée,  à  respecter  perpétuellement  la  neutralité  de 
la  Belgique  n'était  qu'un  simple  «  chiffon  de  papier  ». 

C'est  donc  en  stricte  justice  qu'un  publiciste  pouvait 
écrire,  le  24  janvier  1915  :  «  Guillaume  II,  violant  la 
neutralité  de  la  Belgique,  s'est  odieusement  parjuré... 
Si  le  cas  de  guerre  injuste  ne  s'applique  pas  ici,  où  donc 
jamais  s'appliquera-t-il?...  Il  s'ensuit  qu'au  regard  de 
la  simple  honnêteté,  à  plus  forte  raison  au  regard  de 
la  morale  catholique,  les  sujets  de  l'empereur  Guil- 
laume II  n'ont  pas  le  droit  de  coopérer  à  la  guerre  du 
kaiser  en  Belgique.  » 

Les  rapports  officiels  belges,  français,  anglais,  et 
les  enquêtes  poursuivies  même  par  les  États  neutres, 
renferment  d'irrécusables  témoignages  démontrant 
tous  à  quelle  débauche  de  férocité,  de  perfidie  et  d'im- 
piété se  sont  laissés  aller  les  soldats  du  kaiser  en  Bel- 
gique. C'est  une  vision  d'horreur  et  d'épouvante  que 
la  lecture  de  ces  rapports  si  documentés  et  si  acca- 
blants pour  l'autorité  allemande.  Oui,  certes,  M.  de 
Bethmann-Hollweg  peut  se  flatter  que  les  troupes  de 
son  impérial  maître  ont  extraordinairement  réparé 
l'illégalité  initiale  si  délibérément  voulue  1  Que  serait- 
ce,  si,  à  l'origine,  on  n'avait  pas  solennellement  promis 
de  la  réparer  ?  Il  en  est  de  cette  promesse  comme  de 
celle  qui  assurait  la  perpétuelle  intégrité  du  territoire 
belge.  Si  celle-ci,  quoique  écrite  et  revêtue  de  la  signa- 
ture et  des  sceaux  de  l'empire,  n'a  pas  été  tenue, 
combien  moins  celle  qui  ne  consiste  qu'en  une  seule 
parole  jetée  en  l'air  devant  le  Reichstag  ?...  C'est  moins 
encore  qu'un  simple  chiffon  de  papier...  Vcrba  volant  ! 

Notons,  en  passant,  que  l'Autriche  n'a  pas  été  nlus 
loyale  envers  la  malheureuse  Belgique.  Le  28  août  1914, 
sous  un  prétexte  futile,  elle  lui  déclara  la  guerre,  uni- 
quement pour  complaire  au  kaiser;  mais,  depuis 
plusieurs  jours,  d'après  les  bulletins  mêmes  de  l'armée 
allemande,  c'étaient  les  pièces  d'artillerie  lourde 
appartenant  à  l'Autriche  qui  démolissaient  les  forte- 
resses de  Belgique,  tandis  que  l'ambassadeur  de  l'empe- 
reur François-Joseph  restait  encore  auprès  du  roi  des 
Belges,  comme  si  entre  eux  l'état  de  paix  n'avait  été 
nullement  troublé. 

Une  guerre  engagée  par  ces  violations  flagrantes  du 
droit  des  gens  ne  pouvait  se  poursuivre  évidemment 
que  par  des  violations  de  plus  en  plus  nombreuses  et 
monstrueuses,  telles  que  le  torpillage  du  Lusitania, 
crescit  eundo.  Il  sera  toujours  vrai  de  dire  que  abyssus 
abyssum  invocat!  Ps.  xi,  8. 

Commettre  sur  une  telle  échelle  ces  crimes  épouvan- 
tables condamnés  par  le  droit  des  gens  comme  par  la 
justice  éternelle;  les  commettre  scientifiquement  avec 
des  moyens  perfectionnés  pour  le  mal;  de  plus,  pour 
s'excuser,  faire  tomber  le  tort  sur  les  victimes  inno- 
centes qu'on  égorge;  et,  du  côté  du  bourreau,  présenter 
comme  le  summum  de  la  civilisation  et  de  la  Kullur 
ces  sauvages  excès  de  bêtes  fauves,  n'est  certes  pas  en 
diminuer  l'extraordinaire  culpabilité.  Un  bandit  est-il 


moins  coupable,  quand  il  se  sert  d'une  scie  électrique 
pour  sectionner  les  parois  du  coffre-fort  du  voisin, 
au  lieu  d'employer  une  vulgaire  pioche  de  paysan? 
est-il  moins  coupable  quand,  pour  le  tuer,  il  se  sert 
d'un  browning  perfectionné  au  lieu  d'un  modeste  cou- 
teau? Et  la  culpabilité  diminuera-t-elle  parce  que  la 
liste  des  crimes  s'pllonge  sans  cesse,  et  que  ceux  qui  les 
commettent  sont  chamarrés  de  galons  d'argent  et  d'or, 
au  lieu  de  porter  des  blouses  d'ouvriers,  ou  des  vête- 
ments d'hommes  du  peuple  ?  Au  contraire,  cette  culpa- 
bilité augmente  d'une  manière  effrayante,  en  propor- 
tion du  nombre  des  méfaits,  de  l'intelligence  qu'on 
apporte  à  leur  perpétration,  de  la  volonté  froide  et 
résolue  avec  laquelle  on  les  accomplit,  et  des  cyniques 
mensonges  par  lesquels  on  les  prône  comme  des  actes 
de  patriotique  vertu.  Ceux  qui,  par  orgueil,  soif  de 
domination  universelle,  et  convoitise  du  bien  d'autrui, 
ont  conçu,  ordonné  ou  exécuté  ces  tueries  et  toutes 
les  atrocités  abominables  qui  les  accompagnent,  les 
précèdent  ou  les  suivent,  sont,  quels  que  soient  leur 
nom,  leurs  titres  honorifiques  ou  leurs  grades,  les 
plus  grands  malfaiteurs  publics  que  la  terre  ait  jamais 
portés,  car  jamais  crime  plus  monstrueux  ne  fut  com- 
mis dans  les  siècles  passés.  Les  sinistres  exploits  des 
Cartouche  et  des  Mandrin  ne  sont,  en  comparaison, 
que  de  simples  jeux  d'enfants.  Pour  le  moraliste, 
c'est  un  grave  devoir  de  le  proclamer  hautement,  et, 
ce  devoir,  il  faut  avoir  le  courage  de  le  remplir,  à 
l'heure  actuelle,  malgré  les  clameurs  de  ceux  que  ce 
blâme  atteint,  car  que  serait  une  justice  qui  ne  dirait 
la  vérité  qu'aux  faibles?  ce  ne  serait  qu'une  justice 
boiteuse,  synonyme  d'injustice  et  de  lâcheté.  Tant 
pis  pour  ceux  qui,  se  sentant  coupables,  ou  devenant 
complices  par  lâche  complaisance  envers  les  puissants, 
ferment  volontairement  les  yeux  à  la  lumière,  ou 
essayent  de  l'éteindre  autour  d'eux  1  Ils  n'étoufferont 
pas  les  cris  de  réprobation  de  la  conscience  indignée, 
pas  plus  qu'ils  n'échapperont  au  verdict  inflexible 
de  l'impartiale  histoire,  ni  surtout  à  la  terrible  sen- 
tence de  l'incorruptible  juge  des  vivants  et  des  morts. 
Cf.  Le  Livre  rouge  belge.  Rapports  sur  les  violations  du 
droit  des  gens  en  Belgique,  in-8°,  Paris,  1915;  Pierre 
Nothomb,  Les  Barbares  en  Belgique,  avec  préface  de 
M.  Carton  de  Wiart,  ministre  de  la  justice;  livre  poi- 
gnant, nourri  de  dépositions  recueillies  et  contrôlées 
par  l'enquête  officielle,  in-12,  Paris,  1915;  Id.,  La 
Belgique  martyre,  in-12,  Paris,  1915;  A.  Mélot,  député 
de  Namur,  Le  martyre  du  clergé  belge,  in-12,  Pniis, 
1915;  cardinal  Mercier,  Patriotisme  et  endurance,  in-12, 
Paris,  1915;  Vindex,  L'armée  du  crime,  in-12,  Paris, 
1915;  Paul  van  Houte,  Le  crime  de  Guillaume  II  et 
la  Belgique.  Récits  d'un  témoin  oculaire,  in-12,  Paris, 
1915;  Joseph  Bédier,  Les  crimes  allemands  d'après  les 
témoignages  allemands,  avec  photographies  des  docu- 
ments cités,  in-8°,  Paris,  1915;  Id.,  Comment  l'Alle- 
magne essaie  de  justifier  ses  crimes,  réponse  à  l'officieuse 
Gazette  de  l' Allemagne  du  Nord,  in-8°,  Paris,  1915  ; 
Henri  Davignon,  Les  procédés  de  guerre  des  Allemands 
en  Belgique,  in-12,  Paris,  1915;  Id.,  La  Belgique  et 
l'Allemagne,  avec  reproduction  photographique  des 
documents,  proclamations,  traités,  affiches,  ruines, 
victimes  humaines,  etc.,  in-4°,  Paris,  1915;  M.  des 
Ombiaux,  La  résistance  de  ta  Belgique  envahie,  in-12, 
Paris,  1915;  H.  Welschinger,  de  l'Académie  des 
sciences  morales  et  politiques,  La  neutralité  de  la 
Belgique,  in-12,  Paris,  1915;  I.  van  den  Heuvel,  ministre 
d'État,  La  violation  de  la  neutralité  belge,  in-12,  Paris, 
1915;  La  campagne  de  l'armée  belge,  d'après  les  docu- 
ments officiels,  in-8°,  Paris,  1915;  Charles  Le  Goffic, 
Dixmude,  in-12,  Paris,  1915;  Jules  Destrée,  député  de 
Charleroi,  Les  atrocités  allemandes,  documents  officiels 
de  la  Commission  d'enquête,  in-12,  Paris,  1915  ; 
L.-H.  Grondys,  Les  Allemands  en  Belgique,  notes  d'un 


1945 


GUERRE 


1946 


témoin  hollandais,  in-12,  Paris,  1915;  Camille  Jullian, 
membre  de  l'Institut,  professeur  au  Collège  de  France, 
Rectitude  et  perversion  du  sens  national,  in-12,  Paris, 
1915;  André  Weiss,  La  violation  de  la  neutralité  belge  et 
luxembourgeoise  par  l'Allemagne,  in-8°,  Paris,  1915  ; 
E.-M.  Gray,  //  Belijio  solto  la  spada  tedcsca,  in-4°, 
Florence,  1915;  Prùm,  chef  du  parti  catholique  luxem- 
bourgeois, Die  deutsehe  Kriegsfuhrung  in  Belgien  und 
die  Mahnungen  BenediclXV,  in-4°,  Luxembourg,  1915. 
Sous  forme  de  lettre  adressée  à  M.  Mathias  Erzberger, 
député  au  Reichstag,  chef  reconnu  du  Centre  et  ami 
personnel  du  kaiser,  l'auteur,  précédemment  germa- 
nophile, oppose  les  atrocités  allemandes  en  Belgique 
aux  instructions  de  Benoît  XV.  Il  s'étonne  profondé- 
ment que  des  hommes  tels  que  M.  Erzberger,  loin  de 
condamner  ces  épouvantables  atrocités,  aient  essayé 
de  les  justifier.  Ne  serait-ce  pas,  dit-il,  parce  qu'ils 
sont  plus  allemands  que  catlaoliques?  Cet  ouvrage 
d'un  germanophile  est  un  redoutable  réquisitoire 
contre  l'Allemagne,  qui,  ne  pouvant  le  réfuter,  a  tenté 
de  saisir  et  de  détruire  le  plus  grand  nombre  d'exem- 
plaires possible.  René  Johannet,  La  conversion  d'un 
catholique  germanophile,  in-12,  Paris,  1915.  C'est 
l'histoire  des  poursuites  intentées  à  M.  Prùm,  par  le 
gouvernement  allemand,  plus  la  traduction  française 
de  l'ouvrage  de  M.  Prùm,  et  ses  réponses  victorieuses 
aux  diatribes  qu'on  lui  avait  adressées  à  ce  sujet. 
Joseph  Boubée,  La  Belgique  loyale,  héroïque  et  mal- 
heureuse, in-12,  Paris,  1916. 

2°  In/usle  invasion  de  la  France  et  multitude  de 
crimes  énormes  qui  en  sont  la  suite.  —  1.  L'invasion  de 
la  France  ne  se  justifie  pas  plus  que  celle  de  la  Belgique, 
et,  comme  celle-ci,  elle  a  entraîné,  de  la  part  de  l'injuste 
agresseur,  une  multitude  de  crimes  énormes.  On  a  pu 
affirmer  que  la  guerre  de  1870,  quoique  déclarée  par 
la  France,  avait  été  voulue  pa"  la  Prusse,  qui  l'avait 
mise  dans  la  nécessité  de  prendre  les  armes.  Cette 
tactique  de  Bismarck  avait  trop  bien  réussi  pour  que 
ses  successeurs  n'eussent  pas  le  désir  de  la  renouveler. 
Une  de  leurs  maximes  privilégiées  était  qu'il  faudrait 
susciter  encore  l'agression  de  la  France,  pour  se  vanter 
auprès  des  neutres  d'avoir  été  l'offensé,  et  rejeter  ainsi 
sur  l'ennemi  qu'on  voulait  détruire'  la  responsabilité 
d'une  guerre  effroyable.  Ceci  n'est  pas  une  simple  sup- 
position. On  trouve  ce  plan  machiavélique  nettement 
exposé  dans  l'ouvrage  de  von  Bernhardi,  L' Allemagne 
et  la  prochaine  guerre,  in-8r,  Berlin,  1912.  Entre  autres 
recommandations  de  ce  genre,  on  y  lit  celle-ci  plus  que 
suffisamment  clair::  :  <  Le  devoir  de  notre  diplomatie 
est  de  brouiller  les  cartes,  à  tel  point  que  nos  ennemis 
soient  contraints  de  nous  attaquer.  Dans  ce  but,  sans 
commencer  nous-mêmes  la  guerre,  menaçons  leurs 
intérêts,  à  tel  point  que  nos  ennemis  soient  obligés  de 
prendre  l'initiative  des  hostilités.  »  Les  puissances 
ainsi  visées  étaient  assez  averties  par  ce  naïf  et  cynique 
langage,  pour  qu'elles  se  tinssent  sur  leurs  gardes,  et 
fissent  leurs  efforts  pour  maintenir  la  paix  européenne, 
quand  même  des  motifs  d'ordre  supérieur  ne  leur 
eussent  pas  impérieusement  prescrit  cette  ligne  de 
conduite.  Et  c'est  ce  qui  explique  la  longue  patience 
des  puissances  de  l'Entente  en  face  des  provocations 
de  l'Allemagne,  si  souvent  réitérées.  Aussi,  en  juil- 
let 1914,  en  dépit  de  nouvelles  provocations,  ces  puis- 
sances se  montrèrent  si  attachées  à  la  paix,  multi- 
plièrent tant  leurs  démarches  en  ce  sens,  et  suggérèrent 
tant  de  combinaisons  pour  la  maintenir,  que  l'Alle- 
magne, pour  déchaîner  sur  l'Europe  cet  ouragan  de  fer 
et  de  feu  qu'elle  méditait  de  faire  éclater,  dut  elle- 
même  déclarer  la  guerre;  mais,  déçue  dans  ses  hypo- 
crites calculs,  elle  s'efforça  d'intervertir  les  rôles  de  la 
tragédie  sanglante  de  1870,  prétendant  et  répétant  à 
tous  les  échos  que  la  malice  de  ses  ennemis  acharnés  à 
sa  perte  l'avait  contrainte, bien  malgré  elle,  àth'erl'épée. 


En  même  temps  qu'il  annonçait  à  son  peuple  ce 
grave  événement,  l'empereur  Guillaume  II  affirmait 
solennellement  que  sa  conscience  ne  lui  adressait  aucun 
reproche,  et  qu'il  faisait  retomber  sur  ses  ennemis  la 
responsabilité  de  ce  conflit  épouvantable,  dont  lui- 
même  cependant  était  la  principale  cause.  Cette  pre- 
mière protestation  n'était,  dans  cette  mise  en  scène. 
qu'une  vaine  formule  de  style,  pour  tromper  les 
badauds  et  satisfaire  les  énergumènes  de  la  caste  mili- 
taire, qui  ayant,  comme  leur  chef,  depuis  longtemps 
voulu  et  préparé  cette  guerre  mo  istrueuse,  savaient  à 
quoi  s'en  tenir  sur  sa  véritable  origine.  Mais,  à  mesure 
que,  contre  les  prévisions  et  le",  mesures  si  bien  prises 
pour  égorger  les  peuples,  la  guerre  se  prolongea,  et  se 
multiplièrent,  avec  les  ruines,  les  hécatombes  humaines 
dont  l'Allemagne  avait  également  à  soulïrir  si  doulou- 
reusement, les  intellectuels  et  les  dirigeants  cherchèrent 
de  plus  en  plus  à  décliner  une  responsabilité  dont 
l'exceptionnelle  gravité  ne  cessait  de  hanter  plus  obsti- 
nément la  pensée  de  chacun.  Et  ce  furent  de  toutes 
parts,  en  Allemagne,  des  affirma  lions  répétées  sur  le 
ton  d'une  déclamation  tranchante,  ou  d'un  pédantisme 
ergoteur,  mais  toujours  sans  aucune  preuve  solide  à 
l'appui,  et  se  résumant  en  de  simples  dénégations  des 
faits  les  plus  évidents.  Quatre-vingt-treize  «  représen- 
tants de  la  science  et  de  l'art  allemands  »,  comme  ils  se 
qualifient  eux-mêmes,  adressèrent  un  «  appel  au  monde 
civilisé  »,  pour  justifier  les  auteurs  responsables  de  cet 
effroyable  cataclysme.  Oublieux  des  méthodes  critiques 
dont  ils  se  montrai  nt  autrefois  si  jaloux,  comme  de  la 
condition  indispensable  à  toute  science  digne  de  ce 
nom,  ils  se  contentaient  d'affirmer  ou  de  nier  sans 
preuve,  comme  si  leur  autorité  personnelle  était  suffi- 
sante pour  énoncer  des  dogmes,  ou  proscrire  des 
erreurs,  de  manière  que  toute  intelligence  humaine, 
par  respect  pour  leur  infaillible  autorité,  devait,  sans 
l'ombre  d'une  hésitation,  se  courber  devant  leur  ver- 
dict sans  appel.  «  Il  n'est  pas  vrai,  disaient-ils,  que 
l'Allemagne  ait  provoqué  la  guerre...;  il  n'est  pas  vrai 
qu'elle  ait  injustement  violé  la  neutralité  de  la  Bel- 
gique... »  (le  chancelier  impérial,  cependant,  avait 
confessé  publiquement  l'injustice  de  cette  violation); 
«  il  n'est  pas  vrai  que  ses  troupes  aient  brutalement  dé- 
truit Louvain....  ses  soldats  ne  commettent  aucun  acte 
de  cruauté...;  il  est  impossible  qu'ils  aient  fusillé  des 
vieillards,  ou  des  prêtres,  ou  des citoyens  désarmés,  «etc. 

A  ce  manifeste  qui,  s'il  n'était  pas  une  œuvre  d'art, 
n'était  certes  pas  une  œuvre  de  science,  puisqu'il  ne 
contenait  aucune  preuve  des  allégations,  mais  mon- 
trait à  découvert  la  passion  et  les  préjugés  excluant 
tout  esprit  critique,  l'Institut  catholique  de  Paris 
apporta  une  réponse  appuyée  sur  les  documents  diplo- 
matiques publiés  par  les  diverses  puissances,  sur  des 
enquêtes  conduites  avec  le  plus  grand  souci  de  l'exac- 
titude, et  sur  ce  que  ses  membres  avaient  vu  de  leurs 
yeux.  Ces  documents  établissaient  d'une  façon  péremp- 
toire  que  l'Allemagne  a  prémédité  la  guerre,  a  fait 
échouer  toutes  les  tentatives  de  conciliation,  et  conduit 
la  guerre  d'une  manière  qui  rappelle,  mais  en  les  dépas- 
sant, les  horreurs  des  invasions  barbares  du  moyen 
âge  et  de  l'antiquité  païenne.  L'Académie  française, 
l'Académie  des  sciences  morales  et  politiques,  l'Aca- 
démie des  inscriptions  et  belles-lettres  opposèrent  au 
manifeste  allemand  des  réponses  semblables.  Intellec- 
tuels contre  intellectuels.  Cf.  Etienne  Lamv  Les- 
intellectuels  d' Allemagne  et  l'Institut  de  France,  dans  le 
Correspondant  du  10  mars  1915,  p.  737-756. 

Au  fait,  dès  1840,  M.  Guizot,  alors  ministre  des 
affaires  étrangères,  écrivait  à  M.  de  Saint-Aulaire, 
ambassadeur  de  France  à  Londres:  «La  neutralité 
de  la  Belgique,  l'existence  du  royaume  belge,  tel  qu'il 
est  aujourd'hui  constitué,  c'est  la  paix  de  l'Europe. 
Vous  le  savez,  mon  cher  comte,  la  constitution  de  ce 


1947 


GUERRE 


1948 


royaume  n'a  pas  été  un  résultat  facile  à  obtenir. 
C'est,  depuis  1830,  le  seul  avantage  que  nous  ayons 
acquis  au  dehors...  Il  y  a  là  pour  nous  une  garantie  de 
sécurité  sur  notre  frontière,  une  garantie  politique  de 
paix  et  d'équilibre  européen...  Il  n'a  pas  été  facile  de 
contenir  et  de  déjouer  toutes  les  ambitions  qui  voulaient 
autre  chose.  Et,  vous  le  savez  aussi  :  celle  autre  chose, 
c'est  la  guerre,  la  conflagration  de  l'Europe  !  Qu'on  ne 
s  \  trompe  pas  :  les  mêmes  passions,  les  mêmes  ambi- 
tions qui,  en  1830  et  en  1831,  voulaient  autre  chose 
que  ce  qui  a  été  fait,  subsistent  encore.  »  Mémoires 
pour  l'histoire  de  mon  temps, 8  in-8°,  Paris,  1858-1867, 
t.  vi,  p.  285. 

En  1914,  la  même  lettre  aurait  pu  être  adressée  par 
notre  ministre  des  affaires  étrangères  à  notre  ambas- 
sadeur à  Londres.  Les  mêmes  traités,  renouvelés  en 
1870,  garantissaient,  sous  la  foi  jurée,  la  neutralité  de 
la  Belgique.  Mais  aussi  les  mêmes  passions  et  les  mêmes 
ambitions  voulaient  autre  chose.  Et  cette  autre  chose, 
en  1914  comme  en  1830  et  en  1831,  c'était  la  guerre, 
la  conflagration  de  l'Europe,  voulue  très  délibérément 
par  la  nation  qui,  consciente  de  l'illégalité  qu'elle 
commettait,  a  déchiré,  comme  un  vil  ♦  chiffon  de 
papier», les  traités  solennels  qui  garantissaient  la  paix 
universelle  et  l'équilibre  européen.  Cf.  Jean  Pélissier, 
L'Europe  sous  la  menace  allemande  en  1914,  in-12, 
Paris,  1916. 

Le  31  juillet  1914,  il  devenait  extrêmement  probable 
que  l'Autriche  et  la  Russie  allaient  s'entendre,  le 
comte  Szapary  et  M.  Sazonofl  ayant  trouvé  un  terrain 
d'accord.  L'espoir  renaissait  dans  tous  les  cœurs; 
mais  l'empereur  Guillaume  II,  sentant  lui  échapper 
l'occasion  qu'il  cherchait  depuis  si  longtemps  et  qu'il 
avait  fait  naître,  choisit  précisément  cet  instant  pour 
détruire  toutes  les  chances  de  paix,  en  lançant  ses 
ultimatums  à  la  Russie  et  à  la  France.  Cependant 
l'Angleterre  restait  encore  indécise.  Ce  ne  fut  que  le 
4  août,  à  la  nouvelle  de  la  violation  de  la  frontière 
belge,  qu'elle  prit  part  elle-même  au  conflit.  Cf.  Le 
Livre  blanc  anglais.  Correspondance  du  gouvernement 
britannique  relative  à  la  crise  européenne,  document 
officiel  publié  par  ordre  de  Sa  Majesté  le  roi  d'Angleterre 
et  déposé  sur  le  bureau  des  deux  chambres  du  Parlement, 
in-8°,  Paris,  1914.  Cette  correspondance  avec  les 
diverses  chancelleries,  pendant  toute  la  durée  de  la 
crise  qui  a  précédé  immédiatement  la  guerre,  est 
un  dossier  désormais  historique  et  forme  un  réquisi- 
toire accablant  contre  la  puissance  provocatrice. 
Non  moins  important  ni  moins  décisif  est  le  Livre 
jaune  français.  Ministère  des  affaires  étrangères. 
Documents  diplomatiques,  1914,  La  guerre  européenne, 
m-4°,  Paris,  1914.  Cf.  E.  Durkheim  et  E.  Denis,  Qui  a 
voulu  la  guerre  ?  Les  origines  de  la  guerre,  d'après  les 
documents  diplomatiques,  in-12,  Paris,  1915;  Daniel 
Bellet,  Chiffons  de  papier.  Ce  qu'il  faut  savoir  des  ori- 
gines de  la  guerre  de  1914,  in-12,  Paris,  1915;  Auguste 
Gauvin,  Les  origines  de  la  guerre,  in-12,  Paris,  1915; 
Charles  Rep,  L'agression  allemande  d'après  les  docu- 
ments officiels,  in-12,  Paris,  1915;  Take  Ionesco,  Les 
origines  de  la  guerre,  in-12,  Paris,  1915;  Charles 
Baillod,  Pourquoi.  l'Allemagne  devait  faire  la  guerre, 
ln-12,  Paris,  1915;  le  baron  Beyens,  ministre  de  Bel- 
gique à  Berlin,  L' Allemagne  avant  la  guerre.  Les  causes 
et  les  responsabilités,  in-12,  Paris,  1915;  Paul  Dudon, 
La  guerre:  qui  l'a  voulue  ?  in-12,  Paris,  1915;  Pierre 
Bertrand,  L'Autriche  a  voulu  la  grande  guerre,  in-8°, 
Paris,  1916. 

Comment,  après  cela,  l'Allemagne,  par  la  voix  de  sa 
diplomatie  menteuse  et  par  l'organe  de  ses  intellectuels, 
oeut-elle  prétendre  qu'elle  est  très  pacifique,  et  que 
spécialement  elle  n'a  pas  voulu  la  guerre  actuelle  ? 
C'est  en  ce  sens  que,  si  les  autres  peuples,  reconnaissant 
l'incontestable  supériorité  de  race  que  très  généreuse- 


ment elle  s'arroge,  pliaient  devant  toutes  ses  exigences, 
la  laissaient  libre  de  faire  tout  ce  qu'elle  veut  :  déchirer 
les  traités  qui  la  gênent,  prendre  tout  ce  qu'elle  désire, 
et  satisfaire  son  insatiable  ambition  de  dominer  le 
monde,  alors,  certes,  elle  ne  ferait  pas  la  guerre,  et  se 
contenterait  de  jouir  des  immenses  avantages  que 
lui  procurerait  cette  mainmise  sur  l'univers  entier. 
Mais  si  les  autres  nations  osent  vouloir  garder  leur 
place  au  soleil,  conserver  leur  indépendance,  et  n'ac- 
ceptent pas  l'état  de  vasselage  dans  l'empire  mondial 
auquel  l'Allemagne  aspire,  alors,  ce  sont  elles  qui 
veulent  la  guerre,  et,  puisqu'elles  la  veulent,  elles 
l'auront  aussi  implacable,  atroce  et  inhumaine  que 
possible.  Comme  la  Belgique,  elles  seront  seules  respon- 
sables de  leur  malheur  :  ruines,  dévastations,  massa- 
cres, tout  cela  leur  est  imputable,  et  imputable  à  elles 
seules.  Quant  à  l'Allemagne,  elle  est  parfaitement  inno- 
cente, et,  n'ayant  rien  à  se  reprocher,  n'a  à  s'excuser 
de  rien,  comme  le  proclament  doctoralement  ses  intel- 
lectuels «  représentants  de  la  science  et  de  l'art  ». 
Cela  ressemble  de  fort  près  à  la  colossale  prétention  de 
Nabuchodonosor,  roi  des  Assyriens  et  régnant  à  Ninive, 
qui,  après  avoir  vaincu  Arphaxad,  roi  des  Mèdes, 
sentit  sa  poitrine  se  gonfler  d'orgueil,  et  résolut  de 
soumettre  la  terre  entière  à  son  empire.  Mais  les  di- 
verses nations  auxquelles  il  envoya  ses  messagers  pour 
leur  faire  une  proposition  aussi  alléchante,  n'ayant  pas 
goûté  ce  projet  d'annexion  et  d'absorption,  Nabucho- 
donosor indigné  jura,  par  son  trône  et  sa  puissance, 
que,  malgré  ses  instincts  pacifiques,  il  se  défendrait, 
quod  defenderet  se,  contre  toutes  ces  nations,  dont 
aucune,  cependant,  n'avait  jamais  songé  à  l'attaquer; 
et  il  lança  contre  elles  ses  hordes  dévastatrices.  Judith, 
i,  5-12.  C'est  de  cette  façon  que  la  pacifique  Allemagne 
ne  veut  pas  la  guerre.  Elle  est  obligée  de  se  défendre 
contre  ceux  qui  ne  songeaient  pas  à  l'attaquer,  mais 
qui  ne  consentent  pas  à  se  laisser  absorber  par  elle, 
ou  réduire  à  l'état  de  vassaux.  Néanmoins,  que  l'Alle- 
magne ait  réellement  pensé  à  la  guerre,  qu'elle  l'ait 
longuement  et  méthodiquement  préparée,  qu'elle  l'ait 
souhaitée  et  voulue  comme  une  source  abondante  de 
richesses,  c'est  ce  qui  est  exposé,  avec  une  stupéfiante 
audace  et  un  affreux  cynisme,  dans  l'ouvrage  publié 
par  M.  Daniel  Frymann,  deux  ans  avant  la  déclaration 
de  la  guerre  et  qui  eut  une  énorme  diffusion  en  Alle- 
magne, Wenn  ich  der  Kaiser  wâr  l  in-8°,  Leipzig,  1912. 
L'aveu  est  non  moins  significatif  dans  l'ouvrage  du 
colonel  von  H.  Frobenius,  publié,  quelques  mois  avant 
la  guerre,  avec  la  haute  approbation  du  kronprinz 
d'Allemagne,  et  qui  eut  en  peu  de  temps  jusqu'à  treize 
éditions,  Des  Deuisches  Reiches  Schicksalstunde,  in-8°, 
Berlin,  1914.  Ces  ouvrages  et  beaucoup  d'autres  du 
même  genre  démontrent  combien  est  encore  vrai  le 
mot  de  Tacite  :  Gallos  pro  liberlate,  Germanos  ad 
prœdam  1  ou,  comme  disent  les  théologiens  :  libidine 
dominandi,  ce  que,  d'ailleurs,  exprime  assez  bien 
leur  devise  actuelle  :  Deulschland  ûber  ailes  ! 

2.  Les  preuves  des  innombrables  crimes  commis  par 
l'armée  allemande,  à  la  suite  de  son  injuste  agression, 
ont  été  réunies  dans  de  nombreux  volumes.  Citons  ici, 
d'abord,  deux  publications  émanant  du  ministère  des 
affaires  étrangères  en  France  :  Rapports  et  procès- 
verbaux  de  la  Commission  instituée  en  vue  de  constater 
les  actes  commis  par  l'ennemi  en  violation  du  droit  des 
gens,  in-4°,  Paris,  1915.  Plus  de  471  dépositions  y 
affirment  toutes  sortes  d'excès  commis  par  les  Alle- 
mands, en  Seine-et-Marne,  dans  la  Marne,  l'Oise, 
l'Aisne,  la  Meuse  et  en  Meurthe-et-Moselle.  Cf.  Marius 
Vachon,  Les  villes  martyres  de  France  et  de  Belgique, 
in-12,  Paris,  1915.  Une  autre  publication  officielle 
intitulée  :  Les  violations  des  lois  de  la  guerre  par  l'Alle- 
I  magne,  in-8°,  Paris,  1915,  répartit  les  chefs  d'accusa- 
I    tion,    surabondamment    preuves,    en    dix    chapitres 


1949 


GUERRE 


1950 


divers  :  a)  Violation  du  territoire  des  États  neutres; 
b)  Violation  de  la  frontière  française  avant  la  déclara- 
tion de  guerre;  c)  Assassinats  de  prisonniers  et  de 
blessés;  d)  Pillages,  incendies,  viols,  assassinats; 
e)  Attentats  contre  les  hôpitaux  et  les  ambulances; 
/)  Emploi  de  projectiles  interdits  ;  g)  Emploi  de  liquides 
enflammés  et  de  gaz  asphyxiants,  au  mépris  des  règle- 
ments mêmes  du  Congrès  de  La  Haye;  h)  Bombarde- 
ments de  villes  non  défendues;  destructions  d'édifices 
consacrés  aux  cultes,  aux  arts,  aux  sciences  et  à  la 
bienfaisance,  toujours  en  contradiction  avec  les  règle- 
ments du  Congrès  de  La  Haye;  i)  Usage  de  procédés 
de  guerre  déloyaux;  /)  Actes  de  cruauté  commis  à 
l'égard  des  populations  civiles.  Les  auteurs  de  ce  livre 
officiel  avertissent,  enfin,  le  lecteur  que,  sous  ces  dix 
chefs,  sont  rangées  non  pas  toutes  les  violations  de 
la  guerre  sur  terre  commises  par  l'Allemagne,  mais 
seulement  quelques-unes.  Ces  chefs  d'accusation  sont 
prouvés  par  des  pièces  de  toutes  sortes,  et  dont  la  va- 
leur démonstrative  est  indéniable;  par  les  dépositions 
de  nombreux  témoins;  par  les  procès-verbaux  des 
enquêtes;  et  même  par  les  carnets  militaires  d'origine 
allemande,  où  ils  sont  relatés.  Devant  de  pareilles 
autorités,  et  tant  de  témoignages  accablants  venus  de 
tant  de  sources  différentes,  comment  douter  de  l'incon- 
testable vérité  qui  arrache  aux  victimes  des  cris  de 
douleur,  et  aux  spectateurs  des  nations  neutres  des  cris 
d'indignation  ? 

Aussi,  au  consistoire  du  4  décembre  1916,  Benoît  XV 
a-t-il  solennellement  réprouvé  les  ruines  produites  par 
cette  horrible  guerre  dans  toute  l'Europe  au  mépris 
des  lois  suprêmes  qui  règlent  les  rapports  réciproques 
des  cités,  et  il  a  signalé  expressément  les  violations 
du  droit  divin  et  du  droit  des  nations  contre  les 
choses  saintes  et  les  ministres  sacrés,  même  les  plus 
■élevés  en  dignité,  les  déportations  des  paisibles 
citoyens  loin  de  leurs  demeures,  de  leurs  mères,  de 
leurs  épouses  et  de  leurs  fils  éplorés;  les  incursions 
aériennes  contre  les  villes  ouvertes  et  les  multitudes 
sans  défense  ;  tous  les  horribles  forfaits  qui  se  per- 
pètrent sur  terre  et  sur  mer.  Acta  apostoliese  Sedis, 
1910,  t.  vin,   p.  467-468. 

3.  Nous  n'entrerons  pas  dans  le  détail  des  preuves. 
11  faudrait  des  volumes,  et  ils  sont  très  nombreux  déjà 
ceux  qui  ont  été  écrits  sur  ce  thème,  hélas  1  inépuisable. 
Nous  indiquerons  seulement  quelques  faits  entre  une 
foule  d'autres. 

a)  La  déclaration  de  guerre  fut  signifiée  à  la  France, 
par  le  baron  de  Schœn,  ambassadeur  d'Allemagne  à 
Paris,  le  3  août  1914,  à  6  heures  45  minutes  du  soir.  Or, 
dès  le  2  août,  plus  de  vingt-quatre  heures  avant  la  dé- 
claration de  guerre,  les  troupes  allemandes  avaient 
franchi  sur  trois  points  déjà  la  frontière  française,  et 
le  3  août  au  matin,  toujours  avant  cette  déclaration, 
elles  avaient  déjà  aussi  violé  la  frontière  belge.  Cf. 
Le  Livre  jaune  français,  in-4°,  Paris,  1911,  p.  139,  157, 
158,  159. 

b)  Les  innombrables  témoignages  recueillis  en 
France  aussi  bien  qu'en  Belgique,  les  rapports  officiels 
comme  les  enquêtes  particulières,  sont  unanimes  pour 
dénoncer  chez  les  Allemands  l'emploi  d'un  matériel 
perfectionné  en  vue  de  produire  des  incendies  rapides 
et  souverainement  destructeurs,  tels  que  pompes  à 
pétrole,  grenades  incendiaires,  boîtes  nickelées  à  ben- 
zine, pastilles  à  résidus  de  pétrole,  pastilles  à  nitrate 
de  coton,  tablettes  de  poudre  comprimée,  etc.  Pendant 
qu'ils  multipliaient  les  agents  de  destruction,  ils  bri- 
saient les  pompes  à  incendie  et  tiraient  sur  les  per- 
sonnes qui  tentaient  de  l'éteindre.  Ils  se  servaient  de 
tous  ces  moyens,  non  seulement  pour  déchaîner  le 
fléau,  mais  pour  en  seconder  les  ravages.  Ils  incen- 
diaient de  propos  délibéré  et  de  sang-froid,  réalisant 
un  plan  de  dévastation  générale  prémédité  avant    la 


guerre,  et  pour  lequel  ils  s'étaient  longuement  outillés. 

c)  Dans  cette  furie  de  destruction,  il  faut  noter 
surtout  l'acharnement  spécial  contre  les  églises,  cha- 
pelles et  cathédrales,  sans  aucune  nécessité  d'ordre 
militaire.  Cf.  Louis  Joubert,  Les  œuvres  et  les  hommes, 
dans  le  Correspondant  du  26  septembre  1914,  p.  1030- 
1042;  Comité  d'artistes  et  d'hommes  de  lettres,  Les 
Allemands  destructeurs  de  cathédrales  et  de  trésors  du 
passé,  d'après  les  documents  officiels  et  les  témoignages 
directs,  avec  pièces  justificatives,  in-8°.  Paris,  1915; 
Pierre  Laboureyras,  La  ville  d'Albert  avant  et  pendant 
la  guerre,  in-8°,  Paris,  1916. 

d)  Pour  se  justifier,  les  Allemands  ont  prétendu  que 
l'on  avait  placé,  dans  les  tours  de  ces  édifices,  des 
canons,  des  mitrailleuses,  ou  des  postes  d'observation. 
A  Beims,  le  cardinal  Luçon,  archevêque,  et  le  chanoine 
Landrieux,  doyen  du  chapitre,  vicaire  général,  puis 
nommé  évêque  de  Dijon,  le  18  novembre  1915,  par 
Benoît  XV,  l'ont  formellement  démenti,  en  invoquant 
le  témoignage  de  toute  la  population,  ainsi  que  le 
général  Joflre,  généralissime  français.  Il  est  vrai, 
néanmoins,  que,  pendant  quelques  jours,  un  poste 
d'observation  fut  établi  sur  la  cathédrale  de  Beims; 
mais  ce  fut  précisément  pendant  l'occupation  alle- 
mande. Cf.  Alice  Martin,  Sous  les  obus  et  dans  les  caves. 
Notes  d'une  bombardée,  dans  le  Correspondant  du 
25  octobre  1914,  p.  217-236.  Démentis  analogues 
aux  mêmes  fausses  accusations  furent  donnés,  à 
Soissons.  par  Mgr  Péchenard  et  le  curé  de  la  cathé- 
drale; à  Arras  et  à  Senlis,  par  les  autorités  militaires  et 
religieuses.  A  Paris,  le  cardinal  Amette,  archevêque, 
éleva  une  vigoureuse  protestation  contre  les  aviateurs 
qui  avaient  jeté  des  bombes  incendiaires  sur  la  basi- 
lique de  Notre-Dame.  Les  évêques  de  Nancy  et  de 
Saint-Dié  parlèrent  d'une  façon  identique  pour  leurs 
diocèses  respectifs.  Celui-ci  disait  :  «  Les  Allemands 
continueront  à  prétendre  que  les  Français  ont  utilisé 
les  églises  et  les  clochers  pour  la  défense  :  c'est  une 
affirmation  mensongère  ;  mais  ce  qui  est  certain,  c'est 
qu'ils  ont,  eux,  transformé  nos  églises  et  nos  clochers 
en  forteresses.  »  Dans  une  de  ses  lettres  pastorales  si 
remarquables,  Mgr  Mignot,  archevêque  d'Albi,  juste- 
ment indigné  de  cet  acharnement  furieux  contre  les 
églises,  écrivait  :  «  Quand  Alaric  —  un  des  grands 
ancêtres  —  s'empara  de  Borne,  en  490,  Marcella  et 
Principia,  sa  fille,  trouvèrent  un  asile  assuré  contre  la 
violence  des  Goths  dans  la  basilique  de  Saint-Paul. 
Ces  patriciennes  auraient  été  moins  heureuses,  si, 
vivant  en  l'an  de  grâce  1914,  elles  s'étaient  réfugiées 
dans  la  cathédrale  de  Beims,  sous  le  règne  d'un  succes- 
seur lointain  d' Alaric.  »  Cf.  Lettres  sur  la  guerre,  in-12, 
Paris,  1915,  p.  45. 

Avant  de  détruire  les  édifices  du  culte,  les  soldats 
prenaient  plaisir  très  souvent  à  y  commettre  des  sacri- 
lèges, en  profanant  les  vases  sacrés,  les  ornements  sacer- 
dotaux, ou  les  faisant  servir  à  des  usages  innommables. 

e)  Tous  les  rapports,  en  France  comme  en  Belgique, 
signalent  également  l'obstination  des  envahisseurs  à 
s'emparer  dus  prêtres  et  des  religieux,  pour  les  abreuver 
d'injures,  en  faire  les  victimes  de  leurs  amusements 
impies  et  cruels,  les  incarcérer,  les  maltraiter  et  les 
assassiner,  sous  le  moindre  prétexte. 

/)  Il  est  également  indéniable  que,  comme  les 
églises  et  les  prêtres,  les  ambulances,  les  hôpitaux  et  les 
blessés  ont  été  spécialement  visés,  au  mépris  de  toutes 
les  prescriptions  du  droit  des  gens,  des  conventions  du 
Congrès  de  La  Haye,  et  des  principes  mêmes  du  droit 
naturel  qui  défend  de  tuer  ceux  qui  ne  peuvent  plus 
nuire,  puisqu'ils  sont  incapables  de  porter  les  armes. 
Le  drapeau  de  la  Croix-Bouge,  arboré  sur  ces  édifices, 
ne  les  a  pas  défendus  contre  ces  sauvages  attentats. 
Batteries  d'artillerie,  avions  et  zeppelins  ne  leur  ont 
ménagé  ni  les  obus,  ni  les  bombes. 


1951 


GUERRE 


1952 


g)  Parlerons-nous  de  ces  milliers  d'habitants  paci- 
fiques, obligés  d'abandonner  précipitamment,  en  dé- 
bandades terrorisées,  leurs  villes  en  proie  aux  flammes 
et  au  pillage  méthodiquement  organisé?  car  les  Alle- 
mands prenaient  et  expédiaient  en  Allemagne,  dans 
d'interminables  convois,  tout  ce  qui  leur  paraissait 
utile  :  matières  premières,  cotons,  tissus,  tuyautages  en 
cuivre  ou  en  pl<  mb,  fer  et  ferrailles,  métiers,  machi- 
nes, etc.,  etc.  Ils  ne  laissaient  que  les  murs  nus  qu'ils 
détruisaient  ensuite  !...  Vieillards,  femmes,  enfants, 
malades,  piètres,  religieux,  religieuses  étaient  chassés 
brutalement  sur  toutes  les  routes,  comme  un  vil  trou- 
peau, condamnés  à  périr  de  misère  et  de  faim  1... 
Plusieurs,  que  la  fatigue  ou  la  maladie  empêchaient  de 
marcher  assez  vite,  furent  fusillés  sur  place,  sans  autre 
forme  de  procès.  D'autres  étaient  placés,  comme  rem- 
parts vivants,  devant  les  troupes  allemandes  allant  au 
combat:  cruauté  doublée  d'une  lâcheté  inqualifiable 
que  réprouvent  à  la  fois  les  droits  humain  et  divin  ! 
h)  Et  que  dire  de  ces  populations  entières,  dépor- 
tées en  masse  vers  des  destinations  inconnues  pour  y 
être  soumises  à  îles  travaux  forcés  comme  des  esclaves, 
sans  que  les  bourreaux  s'inquiétassent  le  moins  du 
monde  des  liens  de  famille...,  arrachant  les  filles  à  leurs 
mères,  et,  sans  aucun  souci  de  la  morale,  les  séparant 
capricieusement  et  arbitrairement  de  leurs  pères  ou  de 
leurs  frères,  parents  et  amis,  qui  auraient  pu  protéger 
leur  vertu  contre  les  passions  bestiaks  de  la  solda- 
tesque !...  «  En  vérité,  dit  encore  Mgr  Mignot,  op.  cit., 
p.  45,  à  voir  ce  qui  se  passe  sous  nos  yeux,  on  se  croirait 
au  temps  des  Sargon,  des  Sennachérib,  des  Nabucho- 
donosor  et  autres  épouvantables  tyrans  de  l'Assyrie  et 
de  la  Chaldée;  ou,  si  vous  trouvez  ces  temps  trop  éloi- 
gnés, à  ceux  d'Attila,  de  Tamerlan  et  de  Mahomet  II.  » 
Cf.  Le  Correspondant,  n°  du  25  août  1914,  p.  725-735, 
citant  les  documents  officiels  sur  les  monstruosités  des 
premières  semaines  de  la  guerre  :  violation  de  frontières 
avant  la  déclaration  de  guerre;  assassinats  de  prêtres, 
infirmes,  civils;  achèvement  des  blessés;  bombarde- 
ment des  villes  ouvertes,  etc.:  Revue  des  Dmx  Mondes 
du  15  octobre  1914,  p.  387  sq.  ;  Le  Livre  rouge  français. 
Les  atrocités  allemandes.  Premier  rapport  officiel  et  in- 
extenso  présenté  à  M.  le  président  du  Conseil,  le  7  jan- 
vier 1915,  par  la  Commission  instituée  en  vue  de  con- 
stater les  actes  commis  par  l'ennemi  en  violation  du  droit 
des  gens,  in-12,  Paris,  1915;  Gaston  Jollivet,  Six  mois 
de  guerre,  avec  dossier  des  atrocités  commises,  in-12, 
Paris,  1915;  cardinal  Amette,  archevêque  de  Paris, 
Pendant  la  guerre.  Lettres  pastorales  et  allocutions,  in- 
12,  Paris,  1915;  Joseph  Bédier,  professeur  au  Collège  de 
France,  Les  crimes  allemands,  d'après  les  témoignages 
allemands,  avec  photographie  des  documents  cités, 
in-8°,  Paris,  1915;  Vindex,  L'armée  du  crime,  d'après 
le  rapport  de  la  Commission  française  d'enquête,  in-12, 
Paris,  1915;  La  basilique  dévastée.  Destruction  de  la 
cathédrale  de  Reims.  Faits  cl  documents,  in-12,  Paris, 
1915;  Henri  Davignon,  Les  procédés  des  Allemands 
en  Belgique  et  en  France,  d'après  l'enquête  anglaise, 
in-12,  Paris,  1915;  Louis  Collin,  Les  barbares  à  la  Trouée 
des  Vosges;  Récit  des  témoins,  in-12,  Paris,  1915;  Jean 
de  Béer,  L'Allemagne  s'accuse,  in-12,  Paris,  1915; 
Mgr  Baudrillart  (Comité  catholique  de  propagande 
française  à  l'étranger),  La  guerre  allemande  et  lecatholi- 
cisme,  in-8°,  Paris,  1915,  p.  47-141;  Id.,  L'Allemagne 
et  les  alliés  devant  la  conscience  chrétienne,  in-8°,  Paris, 
1915  ;E.  Malo,  La  cathédrale  de  .Rejms,  in-12,Paris,1915; 
abbé  Foulon,  Arras  sous  les  obus,  in-12,  Paris, 191 5;  Joa- 
chim  von  derGoltz,  Les  dix  commandements  de  fer  du 
soldat  allemand,  in-8°,  Leipzig,  1915;  F.  de  Dinon,.En 
guerre.  Impressions  d'un  témoin,  in-12,  Paris,  1915; 
Eugène  Griselle,  Le  martyre  du  clergé  français,  in-12, 
Paris,  1915;  J'accuse.  Deutschland,  wach'auf  !  in- 
8°,  Lausanne,  1915.  Cet  ouvrage  écrit  en  allemand  et 


par  un  Allemand,  qui,  par  crainte  de  représailles,  a 
préféré  garder  le  voile  de  l'anonymat,  est  un  terrible 
réquisitoire  contre  les  autorités  allemandes  qui  ont 
voulu  la  guerre  et  les  atrocités  qui  l'accompagnent. 
L'auteur  affirme  et  prouve,  en  outre,  qu'on  a  aveuglé  le 
peuple  allemand,  pour  le  lancer  dans  cette  guerre 
effroyable.  A.  Masson,  L'invasion  des  barbares  en 
1914,  in-12,  Paris,  1915;  Jacques  de  Dampicrre, 
L' Allemagne  et  le  droit  des  gens.  I.  L'impérialisme, 
in-4°,  Paris,  1915.  Avec  une  foule  de  faits  et  de  cita- 
tions originales,  l'auteur  montre  comment  les  innom- 
brables violations  de  droit  commises  par  l'Allemagne 
se  rattachent  à  son  impérialisme  envahissant.  Rapports 
et  procès-verbaux  d'enquête  de  la  Commission  instituée 
en  vue  de  constater  les  actes  commis  par  l'ennemi  en 
violation  du  droit  des  gens,  contenant  les  dépositions  et 
documents  complets  qui  ont  servi  de  matière  aux. 
rapports,  3  in-4°,  Paris,  1915-1910;  abbé  Charles 
Calippe,  La  guerre  en  Picardie,  avec  préface  de  Mgr  de 
La  Villerabel,  évêque  d'Amiens,  in-12,  Paris,  1916  ; 
E.  Toutey,  Pourquoi  la  guerre?  Comment  elle  se  fait, 
in-8°,  Paris,  1916  ;  Paul  Gaultier,  La  mentalité  alle- 
mande et  la  guerre,  in-8°,  Paris,  1916;  Miiman,  Simon 
et  Keller.  Leurs  crimes,  in-12,  Paris,  1916. 

XI.  Des  conséquences  surnaturelles  de  la. 
guerre.  --  1°  Si  les  hommes  attendent  de  grands 
avantages  des  guerres  qu'ils  déclarent,  ou  soutiennent, 
il  n'est  pas  douteux  que  Dieu,  en  permettant  ces 
afireux  cataclysmes,  n'ait  en  vue,  dans  l'ordre  surna- 
turel, un  but  à  atteindre.  Dans  les  plans  de  la  Provi- 
dence, toute  guerre,  et  surtout  une  guerre  mondiale, 
comme  celle  qui  a  commencé  en  1914,  doit  avoir  des 
conséquences,  tant  générales  que  particulières,  c'est- 
à-dire  tant  pour  les  nations  considérées  comme  grou- 
pements humains,  que  pour  les  individus.  Les  diplo- 
mates, les  politiciens  et  les  économistes  s'occupent 
peu  ou  prou  de  ces  conséquences  surnaturelles,  qui 
échappent  même  à  la  plupart  des  esprits,  parce  que 
peu  cherchent  à  les  découvrir;  mais  elles  n'en  sont  pas 
moins  incontestables.  Ceux  qui  n'élèvent  pas  leurs 
regards  au-dessus  des  horizons  bornés  de  la  terre,  ne 
sauraient  concevoir  que  les  événements  d'ici-bas  aient 
leur  répercussion  dans  le  monde  invisible;  surtout  ils  ne 
sauraient  admettre  que  le  résultat  principal  se  réalise 
justement  dans  ce  monde  supérieur  qu'ils  ne  soup- 
çonnent même  pas. 

Malgré  la  lourde  responsabilité  encourue  par  ceux 
qui  déclarent  une  guerre,  on  peut  être  certain,  cepen- 
dant, qu'elle  n'éclate  qu'au  moment  précis  fixé  par  la 
Providence.  Sans  vouloir  excuser  ces  grands  coupables, 
auteurs  immédiats  de  ces  épouvantables  conflits, 
comment,  en  y  réfléchissant  bien,  ne  pas  voir  qu'ils 
sont  eux-mêmes  entraînés  par  les  circonstances,  bien 
plus  qu'on  ne  le  supposerait,  au  premier  abord  ?  La 
sagesse  divine  qui,  selon  le  mot  de  l'Écriture  sainte, 
arrive  infailliblement  à  ses  fins,  avec  force  et  suavité, 
sans  violenter  aucunement  la  liberté  humaine,  Sap., 
vin,  1,  se  sert  parfois  des  passions  humaines  et  de 
l'ambition  des  potentats,  pour  exécuter  les  décrets  de  sa 
justice  et  punir  les  contempteurs  de  sa  loi.  Dieu  châtie, 
parfois,  les  unes  par  les  autres,  les  nations  qui  ont  la 
prétention  de  vivre  sans  lui,  ou  de  fouler  aux  pieds 
ses  droits  imprescriptibles.  Il  est  le  souverain  Maître, 
et  il  le  rappelle,  de  temps  en  temps,  à  ceux  qui  sont 
portés  à  l'oublier.  Lui  seul,  disait  Bossuet,  sait  donner 
aux  rois  et  aux  princes  de  grandes  et  sévères  leçons,  soit 
qu'il  élève  les  empires,  soit  qu'il  les  abaisse,  ou  les 
renverse.  Ces  leçons,  tour  à  tour  redoutables  et  salu- 
taires, il  les  donne  aussi  aux  peuples!  Quelquefois  les 
rois  ne  les  comprennent  pas,  ni  les  peuples,  ni  les 
princes;  mais  la  justice  a  suivi  son  cours,  et,  si  tous  les 
pécheurs  ne  se  convertissent  pas,  aux  lueurs  terribles 
de  ces  éclairs  orageux  et  aux  grondements  de  tonnerre 


1953 


GUERRE 


1954 


qui  les  accompagnent,  beaucoup,  néanmoins,  se 
frappent  la  poitrine,  confessent  leurs  fautes  et  les 
expient.  En  outre,  ceux  qui  déjà  étaient  bons  devien- 
nent généralement  meilleurs.  C'est  là  un  résultat 
qui  écliappe  absolument  par  son  caractère  essentiel 
aux  spéculations  des  faux  sages  de  la  terre,  m  lis  dont 
le  retentissement  est  immense  dans  le  monde  invisible, 
et  dont  l'écho  se  répercutera,  sans  jamais  s'éteindre, 
durant  les  siècles  éternels. 

De  leur  côté,  les  nations,  ou  groupements  humains, 
qui  ne  peuvent  pas,  comme  tels,  recevoir  leur  châti- 
ment ou  leur  récompense  dans  le  monde  à  venir,  les 
reçoivent  parfois  d'une  façon  tangible  dans  le  monde 
actuel.  C'est  l'application  de  la  vérité  énoncée  par  le 
psalmiste,  quand  il  dit  :  Quoniam  judicas  populos 
in  œquitate,  et  génies  in  terra  dirigis.  Ps.  lxvi,  4.  Sou- 
vent, en  effet,  le  résultat  d'une  guerre  est,  pour  une 
nation,  tout  différent  de  celui  qu'il  paraissait  devoir 
être,  en  s'en  tenant  aux  prévisions  humaines,  même 
les  mieux  fondées.  Des  nations  paraissaient  devoir 
sortir  glorieuses  et  puissantes  d'une  guerre  savamment 
préparée  :  elles  en  sortent  avilies  pour  longtemps  et 
profondément  affaiblies;  d'autres,  blessées  à  mort, 
renaissent  extraordinairement,  comme  le  phénix  de 
ses  cendres,  et  compensent  bientôt  par  un  excès  de 
naissances,  des  pertes  momentanées.  Le  spectacle  d'une 
population  qui  s'accroît  au  milieu  des  combats  les  plus 
meurtriers  n'est  pas  chose  rare  dans  l'histoire.  On  a 
vu  aussi,  chose  plus  étrange  encore,  le  vainqueur 
absorbé  par  le  vaincu,  qui  lui  impose  sa  langue,  sa  litté- 
rature, ses  coutumes,  ses  moeurs,  de  sorte  que,  au  milieu 
de  ses  tristes  lauriers,  le  vainqueur  est  dégradé,  humi- 
lié, appauvri  de  bien  des  manières,  tandis  que  le  vaincu 
relève  la  tête,  et,  au  sein  de  sa  délaite  môme,  trouve 
une  vengeance  imprévue. 

On  prête  à  Turenne  cette  boutade  que  Dieu  est  tou- 
jours avec  les  gros  bataillons.  Ce  n'est  pas  toujours 
ainsi,  et  l'on  peut,  au  contraire,  souvent  constater 
que  le  succès  d'une  bataille,  ou  le  résultat  ultime  d'une 
guerre,  est  déterminé  par  une  force  indéfinissable, 
qui  échappe  absolument  aux  calculs  des  hommes  les 
plus  habiles  et  les  plus  compétents,  comme  elle  avait 
échappé  absolument  à  leurs  prévisions.  Ce  n'est  pas 
sans  motif  que  si  fréquemment  Dieu,  dans  l'Écriture 
sainte,  se  fait  appeler  le  Dieu  des  armées.  Il  semble 
même  tenir  spécialement  à  ce  titre,  car,  maintes  fois, 
il  le  revendique  comme  un  de  ses  attributs  essentiels,  et 
il  ne  permet  pas  qu'on  l'oublie. 

Assurément,  comme  dans  le  gouvernement  de  sa 
providence,  Dieu  ne  déroge  pas  aux  lois  générales 
qu'il  a  établies;  et,  comme  une  armée  d'un  million 
d'hommes  est,  toutes  choses  égales  par  ailleurs,  deux 
fois  plus  forte  qu'une  armée  qui  n'en  compte  que  cinq 
cent  mille,  ce  serait  demander  à  Dieu  une  dérogation 
aux  lois  générales,  c'est-à-dire  un  miracle,  que  cette 
armée,  si  inférieure  en  nombre,  fût  victorieuse  d'une 
autre  deux  fois  plus  forte  qu'elle.  Mais  ces  lois  géné- 
rales se  combinent  de  tant  et  tant  de  manières,  que  le 
résultat  de  cette  combinaison  peut  être  tel,  que  les 
faibles  triomphent  finalement  des  forts.  Des  exemples 
de  ce  genre  abondent,  depuis  l'antiquité  la  plus  loin- 
taine jusqu'aux  temps  les  plus  récents.  Qui  a  oublié 
qu'un  seul  Horace  a  fini  par  triompher  des  trois  Cu- 
riaces?  Sa  tactique  fut,  à  une  époque  présente  encore 
à  toutes  les  mémoires,  celle  de  Napoléon  Ier,  séparant 
ses  ennemis  supérieurs  en  nombre,  pour  les  battre  l'un 
après  l'autre,  malgré  son  infériorité  numérique;  ce  fut 
encore,  pendant  les  deux  premières  années  de  la  guerre 
européenne,  celle  de  l'Allemagne  qui,  par  la  concentra- 
lion  rapide  de  ses  troupes  sur  certains  points,  grâce  à 
la  multiplicité  de  ses  lignes  de  chemin  de  fer  straté- 
giques, pouvait  asséner  de  vrais  coups  de  massue, 
tantôt   en   Occident,   tantôt   en   Orient,   et    obtenir, 

DICT.  DE  THÉOL.  CATHOL. 


presque  avec  les  mimes  troupes,  sur  des  théâtres  si 
éloignés  les  uns  des  autres,  des  succès  retentissants, 
signalés  par  la  conquête  momentanée  de  vastes  pro- 
vinces. Voilà  donc  qu'avec  l'effectif  des  bataillons, 
un  autre  facteur  de  souveraine  importance  :  la  mobilité 
ou  la  vitesse  de  déplacement,  intervient  pour  le  succès, 
et  cela  toujours  aussi  en  vertu  d'une  loi  générale, 
quoique  différente  de  celle  qui  ne  concerne  que  les 
efïectifs.  Un  autre  facteur  aussi  doit  intervenir,  et 
non  des  moins  importants  :  le  temps;  non  celui  qui  est 
synonyme  de  mobilité  et  de  vitesse  de  déplacement, 
c'est-à-dire  indiquant  le  nombre  d'heures  ou  de  jours 
nécessaires  à  une  armée  pour  effectuer  ses  mouvements; 
mais  le  temps  indiquant  la  capacité  de  résistance, 
d'endurance,  de  ténacité;  car  il  peut  y  avoir  chez  une 
nation  puissante  des  forces  considérables,  capables 
d'un  grand  effort  et  de  brillants  succès,  mais  qui  s'épui- 
seront par  leurs  propres  victoires;  tandis  qu'il  peut  y 
avoir  chez  une  autre  nation  des  forces  latentes,  insoup- 
çonnées, lentes  à  se  dégager  de  mille  entraves,  mais 
croissant  peu  à  peu,  pendant  une  longue  série  de  dé- 
faites, tandis  que  les  forces  rivales  s'épuisent  en  succès, 
dans  le  même  laps  de  temps;  de  sorte  que,  entre  les 
deux  puissances  rivales,  l'équilibre  arrivera  à  s'établir, 
puis  à  se  rompre  de  nouveau,  mais,  cette  fois,  en  faveur 
du  vaincu  de  la  veille,  qui  obtiendra  ainsi,  plus  tard, 
une  indéniable  prépondérance.  Nous  pourrions  multi- 
plier à  l'infini  les  exemples  montrant  le  nombre  extra- 
ordinaire de  facteurs  qui  interviennent  dans  cette  sorte 
d'équation  algébrique  immense,  posée  sur  un  vaste 
champ  de  bataille,  par  deux  ou  plusieurs  puissances 
qui  en  viennent  aux  mains.  Et  cette  équation  se  modi- 
fiera à  chaque  instant  dans  sa  formule,  par  les  mille  et 
mille  combinaisons  que  peuvent  avoir  entre  eux  les 
innombrables  facteurs  qui  entrent  dans  sa  composi- 
tion. Qui  donc,  à  chaque  instant,  pourra  être  sûr  de  la 
solution  finale?  Quoique  tous  la  désirent  favorable  à 
leurs  desseins,  les  plus  habiles  ne  pourront  que  la 
conjecturer,  sans  néanmoins  pouvoir  absolument 
déposer  toute  crainte  d'insuccès  final,  toujours  pos- 
sible, au  milieu  de  tant  d'imprévu. 

Mais  ce  qui  échappe  à  toute  intelligence  humaine, 
même  la  plus  perspicace  et  la  plus  pénétrante,  est  entre 
les  mains  du  Dieu  des  armées,  qui  prévoit  tout,  qui 
sait  tout,  qui  peut  tout,  et  qui  dispose  toutes  choses, 
ainsi  que  le  veut  sa  justice,  ou  sa  miséricordieuse  bonté. 
C'est  là  cette  force  indéfinissable,  qui  détermine  la 
solution  finale  de  ce  problème  si  complexe.  Cette  force 
indéfinissable  et  souveraine,  qui,  malgré  les  agitations 
des  hommes,  dispense  la  victoire  ou  la  défaite  suivant 
ses  impénétrables  décrets,  a  été  reconnue,  de  tout 
temps,  par  les  grands  capitaines,  depuis  la  plus  haute 
antiquité  jusqu'à  notre  époque.  Malgré  son  génie, 
Napoléon  Ie'  ne  croyait-il  pas  à  son  étoile  ?  Et  tout 
dernièrement  encore,  la  victoire  inattendue  de  la 
Marne  n'a-t-elle  pas  été  regardée  comme  un  miracle, 
même  par  les  grands  chefs?  Non  pas  que  Dieu  soit 
intervenu  par  un  miracle  évident  ;  mais,  par  une  de  cei 
combinaisons  dont  lui  seul  a  le  secret,  il  a  fait  avorter, 
en  dépit  de  tous  les  calculs  de  l'habileté  militaire,  un 
des  projets  les  plus  savamment  ourdis,  et  dont  le 
succès  paraissait  assuré  par  la  plus  formidable  des 
préparations.  «  Ainsi,  écrivait  le  comte  Joseph  de 
Maistre,  il  y  a  plus  d'un  siècle,  lorsqu'une  puissance 
trop  prépondérante  épouvante  l'univers,  et  que  l'on 
s'irrite  de  ne  trouver  aucun  moyen  de  l'arrêter...,  Dieu 
emploie  deux  moyens  bien  simples  :  tantôt  le  géant 
s'égorge  lui-même;  tantôt  une  puissance  très  inférieure 
(nous  dirions  aujourd'hui  la  Belgique  en  face  de  l'Alle- 
magne) jette  sur  son  chemin  un  obstacle  imperceptible, 
m  lis  qui  grandit  ensuite,  on  ne  sait  comment,  et  de- 
vient insurmontable;  comme  un  faible  rameau,  arrêté 
dans  le  courant  d'un  fleuve,  produit  enfin  un  atterris- 

VI.  —  62 


1955 


GUERRE 


1956 


sèment  qui  le  détourne...  »  Cf.  Les  soirées  de  Saint- 
Pélersbourg,  ou  Entretiens  sur  le  gouvernement  temporel 
de  la  Providence,  suivis  d'un  Traité  sur  les  sacrifices, 
V  I  [•  entretien,  2  in-8°,  Paris,  1802,  t.  il,  p.  41.  L'his- 
toire est  pleine  de  ces  événements  déconcertants  !  ... 
Parfois,  les  plus  contraires  à  toute  probabilité  sont 
précisément  ceux  qui  s'accomplissent  en  dépit  de 
tous  les  efforts  tentés  pour  y  mettre  obstacle. L'histoire 
de  toutes  les  nations  est  remplie  de  faits  de  ce  genre, 
qui  montrent  que  la  puissance  des  gros  bataillons, 
soit  que  l'on  considère  leur  nombre,  soit  que  l'on  consi- 
dère leur  outillage  perfectionné,  ou  l'habileté  profes- 
sionnelle de  leurs  chefs,  ne  suffît  pas  pour  assurer  la 
victoire.  En  dernière  analyse,  celle-ci  dépend  d'une 
foule  de  circonstances  qu'il  n'est  pas  au  pouvoir  de 
l'homme  de  faire  naître,  ou  d'écarter.  Ainsi,  sans  vio- 
lentei  en  rien  la  volonté  humaine,  en  semblant  même 
ne  pas  s'occuper  des  choses  de  la  terre,  et  en  laissant  le 
champ  libre  aux  passions  humaines  les  plus  ardentes, 
Dieu  est  le  suprême  arbitre  des  destinées  des  individus, 
comme  de  celles  des  nations. 

Oui,  rien  dans  le  monde  ne  dépend  plus  immédiate- 
ment de  Dieu  que  la  guerre,  dans  son  origine,  dans  son 
développement,  dans  sa  terminaison  et  dans  ses 
résultats. 

2U  11  n'appartient  à  aucune  intelligence  humaine, 
ici-bas,  de  scruter  et  de  découvrir  les  raisons  cachées 
que  la  Providence  peut  avoir,  dans  ses  desseins  impé- 
nétrables, de  déchaîner  l'épouvantable  fléau  de  la 
guerre,  ni  les  fins  qu'elle  a  en  vue,  et  qu'elle  atteint  par 
ce  moyen,  dont  elle  dispose  souverainement.  O  altitudo 
sapirnliœ  et  scientiœ  Dei!...  Quam  incompreliensibilia 
sunl  judicia  cjus,et  investigabiles  viœ  ejusl  Quis  enim 
cognovil  sensum  Domini  ?  aul  quis  consiliarius  ejus 
fuit?  Rom.,  xi,  33,34.  Puis,  les  décrets  de  Dieu  sont, 
parfois,  à  longue  échéance.  Ils  ne  se  révèlent  que  peu 
à  peu  à  l'esprit  observateur...  Il  en  est  quelques-uns, 
cependant,  desquels  l'enseignement  des  siècles  a  sou- 
levé le  voile  qui  les  cachait  à  la  vue  des  générations, 
depuis  longtemps  descendues  dans  la  tombe.  N'est-il 
pas,  en  effet,  certain,  maintenant,  pour  qui  sait  réflé- 
chir, et  ne  se  laisse  pas  entraîner  par  des  préjugés,  que 
la  préparation  au  christianisme  a  été  la  fin  principale  à 
laquelle  Dieu  a  ordonné  les  guerres,  les  abaissements 
et  les  relèvements  successifs  du  peuple  hébreu,  comme 
aussi  les  vicissitudes  dans  la  grandeur  et  la  décadence 
des  grands  empires  des  Assyriens,  des  Perses,  des 
Grecs  et  des  Romains?  Cf.  Bossuet,  Discours  sur  l'his- 
toire universelle,  in-8°,  Paris,  1681,  1868.  Quand  Israël 
se  relâchait  dans  l'observance  des  lois  divines,  ou  même 
abandonnait  les  autels  de  Jéhovah  pour  courir  aux 
idoles,  Dieu  déchaînait  contre  lui  les  peuples  de 
l'Egypte  ou  de  l'Assyrie.  Des  conquérants  insatiables, 
à  la  tête  de  hordes  féroces,  s'emparaient  des  villes  de 
la  Judée,  parfois  de  Jérusalem  même,  mettaient  tout  à 
feu  et  à  sang,  massacraient  en  grand  nombre  guerriers, 
enfants,  femmes  et  vieillards,  et  traînaient  en  captivité 
ceux  que  le  glaive  avait  épargnés.  La  guerre  était  le 
châtiment  par  lequel  Dieu  rappelait  au  devoir  son 
peuple  prévaricateur.  Il  lui  révélait  par  ses  prophètes 
la  raison  de  ces  massacres  et  de  ces  ruines.  «  Vous 
m'avez  abandonné,  lui  fit-il  dire  par  le  prophète 
Séméias,  après  la  première  invasion  de  Sésac,  roi 
d'Egypte,  la  cinquième  année  du  règne  de  Roboam, 
fils  de  Salomon;  vous  m'avez  abandonné,  et  moi  aussi 
je  vous  abandonne  dans  les  mains  de  Sésac.  »  II  Par., 
xn,  2-5;  III  Reg.,  xiv,  24-26.  Consternés,  les  princes 
et  le  roi  reconnurent  la  justice  de  la  sentence  :  Juslus 
est  Dominus,  s'écrièrent-ils;  et  le  Seigneur,  ayant  agréé 
leur  repentir,  leur  fit  dire  par  le  même  messager  qu'il 
ne  les  anéantirait  pas  totalement,  qu'il  leur  donnerait 
un  peu  de  secours,  et  que  sa  colère  ne  se  répandrait  I 
|;ï   ce  ii  plètement  sur  Jérusalem  par    les  mains  tic    | 


Sésac;  mais  que,  cependant,  ils  lui  seraient  soumis, 
afin  qu'ils  apprissent  par  expérience  combien  la  servi- 
tude imposée  par  un  roi  de  la  terre  est  plus  dure  que  le 
joug  du  Seigneur.  Sésac,  en  effet,  ne  détruisit  pas  Jéru- 
salem; mais  se  contenta  d'enlever  les  trésors  et  les 
ornements  d'or  du  temple  et  du  palais  royal.  II  Par., 
xn,  5-12. 

Aux  invasions  égyptiennes  succédèrent  celles  des 
Assyriens.  Salmanasar  IV,  roi  d'Assyrie,  commença 
le  siège  de  Samarie,  qui  après  trois  ans  fut  prise  par 
Sargon,  en  721.  Irrité  de  cette  longue  résistance,  il 
massacra  une  partie  de  la  population,  emmena  le  reste 
en  captivité,  et  détruisit  ainsi  le  royaume  d'Israël, 
formé  par  le  schisme  des  dix  tribus.  IV  Reg.,  xvn, 
1-6.  Or,  par  le  moyen  de  ses  prophètes,  IV  Reg., 
xvn,  13-18,  et  en  particulier  par  Osée,  Dieu  avait  fait 
annoncer  aux  Israélites  la  chute  de  Samarie  et  leur 
avait  révélé  la  raison  de  cette  catastrophe.  «  Ils  m'ont 
oublié  et  ils  ont  rempli  mon  cœur  d'amertume...  Je 
serai  pour  eux  comme  une  lionne  furieuse,  comme  le 
léopard,  en  me  servant  des  Assyriens  pour  détruire  leur 
puissance  1...  Qu'ils  périssent  par  le  glaive...  Parvuli 
eorum  elidantur,  et  felœ  ejus  discindanlur  /...  Ose.,  xm, 
6-8;  xiv,  1.  En  même  temps,  au  nom  du  Seigneur,  le 
prophète  exhorte  les  coupables  à  se  convertir,  leur 
promettant  que,  s'ils  le  font,  Dieu  non  seulement  gué- 
rira leurs  blessures,  mais  augmentera  leur  prospérité. 
Ose.,  xiv,  2-10. 

Après  la  chute  du  royaume  d'Israël,  restait  encore  le 
royaume  de  Juda,  dont  la  capitale,  Jérusalem,  fut  à 
son  tour  assiégée  par  Nabuchodonosor  II,  roi  de  Baby- 
lone.  La  résistance  de  la  ville  fut  longue,  héroïque  et 
désespérée  ;  mais,  vaincue  par  la  faim,  elle  dut  se  rendre 
Les  Babyloniens  irrités  brûlèrent  le  temple,  le  palais 
royal,  les  demeures  des  principaux  citoyens,  massa- 
crèrent un  grand  nombre  d'habitants,  et  emmenèrent 
le  reste  en  captivité  à  Babylone,  la  troisième  année  du 
règne  de  Joachim,  587  avant  Jésus-Christ.  Cf.  Dan.,  i, 
1,  2.  Ce  fut  le  commencement  de  la  grande  captivité 
de  soixante-dix  ans.  Mais  Dieu  fit  savoir  aux  juifs, 
par  la  bouche  du  prophète  Jérémie,  que  cette  cata- 
strophe se  produisait  parce  qu'ils  n'avaient  pas  écouté 
les  avis  qu'il  leur  avait  fait  donner,  pour  les  exciter  à 
se  convertir.  Cf.  Jer.,  xxv,  8-11.  Dans  cette  prophétie, 
Dieu  dit  que  Nabuchodonosor  est  son  serviteur, 
parce  qu'il  se  sert  de  lui  pour  châtier  les  coupables.  Il 
ajoute,  cependant,  qu'il  ne  veut  pas  détruire  absolu- 
ment son  peuple,  mais  que,  lorsque  les  juifs  se  seront 
convertis,  il  les  ramènera  de  la  captivité,  Jer.,  xxix, 
10-14;  Baruch,  iv,  7;  et  que,  alors,  il  châtiera  Baby- 
lone elle-même  de  ses  impiétés,  car  il  n'avait  élevé 
l'empire  de  Babylone  que  pour  en  faire  l'instrument  de 
ses  vengeances,  et  il  le  briserait  ensuite  à  cause  des 
crimes  des  Babyloniens.  Cf.  Is.,  ix,  5-17;  xm,  1-22; 
xiv,  3-27;  Jer.,  xxv,  12.  De  même  fut  châtiée  l'Egypte, 
Ezech.,  xxix,  2-13;  xxx,  10-19,  22-26;  puis  Ninive, 
Nahum,  i-m;  Tyr  et  Sidon.  Ezech.,  xxvi-xxvm. 
Dieu  fait  toujours  connaître  la  raison  du  châtiment  : 
«  Ils  sauront  que  je  suis  le  Seigneur.»  Ezech.,  xxx, 
19,  25. 

Ainsi  en  fut-il  de  la  chute  de  l'empire  romain.  Les 
saints  Pères  affirment,  à  diverses  reprises,  que  Dieu  qui 
avait  permis  l'élévation  et  la  croissance  extraordinaire 
de  cet  empire  à  travers  le  monde,  pour  préparer  la 
diffusion  du  christianisme  dans  tout  l'univers,  l'abaissa 
ensuite  et  le  fit  disparaître,  à  cause  de  son  endurcis- 
sement en  présence  de  l'Évangile,  et  de  son  entîte- 
ment  à  ne  pas  se  courber  sous  la  loi  du  Christ.  Cf. 
S.  Cyprien,  Ad  Demetrianum,  P.  L.,  t.  iv,  col.  549; 
S.  Augustin,  De  civilale  Dei,  1.  I,  c.  i,  P.  L.,t.  xli,  col. 
15;  S.  Grégoire  le  Grand,  In  Ezech.,  P.  L.,  t.  lxxvi, 
col.  1009.  Les  anciens  païens  eux-mêmes  avaient  com- 
pris que  le  sang  humain  doit  couler  pour  purifier  la 


1957 


GUERRE 


1958 


terre  souillée  par  le  débordement  de  tant  de  crimes. 
Cf.  Euripide,  Oresle,  v,  1C77-1680.  C'est  pourquoi, 
affirme  le  texte  sacré,  la  terre,  avide  de  sang,  ouvre  la 
bouche  pour  le  recevoir,  et  le  retenir  dans  son  sein 
jusqu'au  moment  où  elle  devra  le  rendre.  Gen.,  iv, 
11;  Is.,  xxvi,  21. 

3°  En  ce  qui  concerne  la  guerre  de  1914,  serait-on 
loin  de  la  vérité,  en  affirmant  qu'elle  est  un  châtiment 
que  les  peuples  s'infligent  les  uns  aux  autres,  une  sorte 
d' auto-punition,  décrétée  par  la  justice  divine,  car  les 
nations  ont,  pour  la  plupart,  apostasie,  et  affectent  de 
se  tenir  loin  de  Dieu.  Aux  lois  évangéliques  de  la  justice 
et  de  la  charité,  elles  ont  plus  ou  moins  substitué  la  loi 
de  la  force.  C'est  ce  que  disait,  d'ailleurs,  le  pape  Be- 
noît XV,  dans  son  allocution,  au  consistoire  du  22  jan- 
vier 1915  :  «  Nous  ne  croyons  pas  que  la  paix  ait  quitté 
le  monde,  sans  l'assentiment  divin.  Dieu  permet  que 
les  nations  qui  avaient  placé  toutes  leurs  pensées  dans 
les  choses  de  cette  terre,  se  punissent  les  unes  les 
autres,  par  des  carnages  mutuels,  du  mépris  et  de  la 
négligence  avec  lesquels  elles  l'ont  traité  :  événements 
dont  le  but  est  de  les  contraindre  sous  la  puissante 
main  de  Dieu.  »  Acla  aposlolicœ  sedis,  1915,  t.  vu, 
p.  35.  Le  souverain  pontife  avait  exprimé  ces 
mêmes  sentiments  dans  son  encyclique  du  8  sep- 
tembre 1914.  Acta  aposloliae  sedis,  1914,  t.  vi, 
p.  502.  Ainsi  ont  parlé,  dans  les  deux  partis  des 
belligérants,  le  cardinal  Mercier  dans  sa  lettre  pasto- 
rale pour  Noël  de  1914,  et  les  évèques  d'Allemagne 
dans  leur  lettre  pastorale  collective.  Après  le  déluge, 
les  anciens  peuples  entreprirent  d'élever,  dans  la 
plaine  de  Sennaar,  une  tour  gigantesque  comme  pour 
défier  le  ciel;  de  même  les  peuples  modernes,  nouveaux 
Titans,  ont  élevé  contre  Dieu  l'édifice  de  leur  civilisa- 
tion opposée  à  l'Évangile,  et  de  leur  orgueil  qui  ne 
veut  d'aucun  maître.  On  allait  répétant  de  toute  façon 
que  la  science  doit  émanciper  l'humanité  des  antiques 
croyances,  car,  disait-on,  la  science  suffit  à  expliquer 
tous  les  mystères;  elle  enseigne  à  se  passer  de  Dieu..., 
bien  plus,  elle  aboutit  à  la  négation  même  de  Dieu... 
Or,  prétendait-on,  les  guerres  n'ont  été  possibles,  aux 
siècles  précédents,  que  par  suite  de  l'état  de  barbarie, 
ou  de  semi-barbarie  dans  lequel  se  trouvaient  encore  les 
peuples;  mais,  à  notre  époque,  avec  les  progrès  de  la 
science  et  le  développement  de  la  civilisation,  quoique 
étrangère  à  l'Évangile,  les  guerres  n'étaient  plus  pos- 
sibles... Plus  formidable  que  celles  dont  l'histoire  garde 
le  terrifiant  souvenir,  la  guerre  de  1914  est  venue  sou- 
dainement donner  un  long  et  trop  évident  démenti  à 
ces  déclamations  orgueilleuses  et  à  ces  fausses  affir- 
mations. Cet  épouvantable  fléau  promène  partout  sa 
fureur  et  exerce  partout  ses  ravages.  Même  les  nations 
qui  seront  victorieuses  sortiront  de  la  lutte  alîaiblies 
pour  longtemps.  Quand  elles  dresseront  le  bilan  des 
profits  et  des  pertes,  quand  elles  compteront  le  nombre 
des  morts,  des  blessés  et  des  malades,  quand  elles 
mesureront  l'étendue  des  ruines,  quand  elles  évalueront 
la  grandeur  de  ce  fleuve  de  sang  et  de  larmes  qui  ne 
cesse  pas  de  couler,  elles  seront  effrayées  à  la  vue  des 
sacrifices  de  tout  genre  que  la  victoire  leur  aura  coûtés. 
Par  cette  guerre  Dieu  \oulait-il  seulement  châtier  les 
peuples  coupables,  ou  bien  avait-il  aussi  d'autres  fins 
en  vue?  Nul  ne  pourrait  le  dire  avec  certitude.  On  sait 
seulement  que,  selon  le  mot  de  l'Écriture.  Dieu  ne  veut 
pas  la  mort  du  pécheur,  mais  sa  conversion,  et  qu'il  a 
fait  les  nations  guérissables.  Si  les  peuples  profitent  de  la 
dure  leçon  que  Dieu  leur  a  donnée,  on  peut  espérer  pour 
eux  une  sorte  de  régénération  et  de  progrés  dans  l'idéal 
de  la  justice  et  de  la  vertu;  s'ils  n'en  profitent  pas, 
Dieu  ajoutera-t-il  d'autres  châtiments  au  châtiment 
actuel?...  Que  peuvent  nous  faire  espérer  ou  craindre, 
sous  ce  rapport,  les  événements  dont  nous  avons  été  les 
témoins?... 


D'une  part,  on  a  constaté  dans  certaines  classes  un 
renouveau  de  vie  chrétienne.  Dès  maintenant,  on  peut 
l'enregistrer  comme  un  fait  acquis,  pour  des  milliers  de 
combattants  sur  la  ligne  de  feu,  et,  en  arrière,  chez 
leurs  parents  ou  amis,  qui,  angoissés  à  la  pensée  de 
tant  de  scènes  tragiques  et  terribles,  se  pressent  auprès 
des  autels,  priant  avec  ferveur  le  Dieu  maître  absolu 
de  la  vie  et  de  la  mort.  Cf.  G.  Ardant,  La  religion  de 
nos  soldats,  notes  d'un  aumônier  militaire,  et  Mgr  Bau- 
drillart,  De  la  profondeur  du  mouvement  religieux  qui 
s'est  manifesté  dans  l'armée  française,  dans  La  guerre  alle- 
mande et  le  catholicisme,  p. 150-214  ;Mgr  Lacroix,  Le  clergé 
et  la  guerre  de  1914,  in-12,  Paris,  1914;  Gabriel  Langlois, 
Le  clergé,  les  catholiques  et  la  guerre,  précédé  d'une 
longue  préface  de  Mgr  Herrscher,  in-12,  Paris,  1915; 
Mgr  Pons,  La  guerre  et  l'âme  française,  in-12,  Paris, 
1915;  Xavier  Roux,  L'âme  de  nos  soldats,  d'après 
leurs  actes  et  leurs  lettres,  in-12,  Paris,  1915;  Geoffroy 
de  Grandmaison,  Les  aumôniers  militaires,  in-12, 
Paris,  1915;  abbé  Garriguet,  Mois  des  morts  pour 
le  temps  de  la  guerre,  in-12,  Paris,  1915;  Henry 
Bordeaux,  La  jeunesse  nouvelle,  in-12,  Paris,  1915  ;  Jan- 
vier, La  patrie,  in-12,  Paris,  1915  ;  Charles  Lelcux, 
Feuilles  de  route  d'un  ambulancier,  in-8°,  Paris,  1915; 
dom  Hébrard,  Aux  femmes  de  France.  Le  livre  delà 
consolation,  in-12,  Paris,  1916;  Dieu,  la  France,  nos  en- 
fants, par  une  veuve  de  la  guerre,  in-12,  Paris,  1916; 
A.  Petitdemange,  Odeur  de  poudre,  parfum  d'encens, 
in-12,  Paris,  1916;  Victor  Bucaille,  Lettres  de  prêtres 
aux  armées,  in-12,  Paris,  1916;  A.  D.  Sertillanges,  La 
vie  héroïque,  3  in-12,  Paris,  1916;  Léonce  de  Grand- 
maison,  Impressions  de  guerre  de  prêtres-soldats,  in-12, 
Paris,  1916;  Maïten  d'Arguibert,  Journal  d'une  famille 
française  durant  la  guerre,  in-12,  Paris,  1916;  abbé 
L.  Paulin,  Pour  Dieu  et  pour  la  patrie,  in-12,  Paris, 
1916;  comte  de  Chabrol,  Pour  le  renouveau.  Expia- 
tion, conversion,  rédemption,  in-12,  Paris,  1916;  abbé 
Lagardère,  Haut  les  cœurs  l  Les  larmes  consolées, 
in-12,  Paris,  1916;  abbé  L.  Bretonneau,  L'apostolat 
de  la  jeunesse  pendant  la  guerre,  in-12,  Paris,  1916; 
René  Bazin,  Aujourd'hui  et  demain.  Pensées  du 
temps  de  la  guerre,  in-12,  Paris,  1916  ;  Louis  Collin, 
Reliques  sacrées,  lettres  de  soldats  tombés  sur  le 
champ  de  bataille  et  empreintes  de  hauts  sentiments 
religieux,  in-12,  Paris,  1916;  Guillermin  et  Griselle, 
Les  voix  consolatrices  avec  les  plus  belles  pages  inspirées 
par  la  guerre,  in-12,  Paris,  1916. 

D'autre  part,  néanmoins,  on  ne  voit  pas  encore  que 
l'amélioration  produite  soit  proportionnée  à  l'étendue 
des  fautes  commises.  Combien  qui  persévèrent  dans 
l'indifférence  religieuse,  dans  l'hostilité  même  envers 
la  religion  et  dans  le  mépris  des  lois  morales  !  Puis, 
les  fautes  qui  ont  attiré  ces  châtiments  ne  furent  pas 
que  des  fautes  individuelles,  mais  aussi  et  surtout  peut- 
être  des  fautes  collectives  et  sociales.  Or,  on  ne  voit 
pas  encore  que  les  peuples,  en  tant  que  peuples,  revien- 
nent à  de  meilleurs  sentiments.  11  n'y  a  eu  encore  aucun 
acte  officiel  et  solennel  de  retour  ù  Dieu.  L'apostasie 
continue,  et,  des  lois  forgées  contre  Dieu,  aucune  n'a 
été  rapportée.  Peut-on  donc  espérer  que  cette  i  aix 
que  nous  avons  tant  souhaitée  aura  les  résultats 
que  nous  sommes  en  droit  d'en  espérer  ?  N'a-t-on 
pas  souvent  dit,  en  ces  derniers  temps,  que  rien  n'arrive 
comme  on  l'avait  prévu?  Ceci  est  particulièrement  vrai 
de  la  grande  guerre  européenne  dont  l'acharnement 
dura  si  longtemps.  Elle  a  commencé,  comme  nul,  pas 
même  le  grand  état-major  allemand,  ne  prévoyait 
qu'elle  commençât;  elle  s'est  déroulée  de  même,  en 
dehors  de  toute  prévision;  de  même  elle  se  termina 
comme,  certes  ne  le  prévoyaient  pas  les  agresseurs. 

Qui  pourrait  croire,  pourtant,  que  les  innombrables 
victimes  de  ce  drame  épouvantable  aient  versé  leur 
sang  en  vain?  La  mort,  trouvée  sur  les  champs  de  ba- 


1959 


GUERRE 


1960 


taille,  n'est-elle  pas  d'un  grand  poids  aux  yeux  de  la 
divine  justice,  pour  l'expiation  de  tant  de  forfaits  dont 
trop  de  nations  se  sont  rendues  coupables?  Ces  héca- 
tombes ne  rétabliront-elles  pas  l'équilibre  exigé  par 
la  souveraine  justice  entre  les  crimes  et  l'expiation'? 
Espérons  que  Dieu,  qui  d'ordinaire  châtie  les  nations 
non  pour  les  détruire,  mais  pour  les  purifier,  accom- 
plira en  elles,  cette  fois  encore,  avec  les  arrêts  de  sa 
redoutable  justice,  les  œuvres  de  sa  miséricordieuse 
bonté. 

On  a  beaucoup  écrit  sur  la  guerre  et  sur  les  droits  qu'elle 
confère.  Voici  les  principaux  auteurs  qu'on  pourra  lire 
avantageusement. 

Un  des  plus  anciens  est  Dion  Chrysostome,  qui,  vers  la  fin 
duiersièclede  notreère,  pulflia  en  grec  une  dissertation,  De  lu 
guerre  et  de  la  paix;  quoique  païen,  il  laisse  sentir  l'influence 
adoucissante  du  christianisme,  in-8»,  Leipzig,  1784,  1857; 
Brunswick,  1844;  in-12,  Paris,  1751;  Del  Pozzo,  Tractatus 
elegans  et  copiosus  de  re  militari,  dans  le  t.  xvi  de  la  collec- 
tion intitulée  :  Tructatus  illustrium  in  ulraque,  tum  pontificii, 
tum  ctvsarei  juris  facultate  jurisconsultorttm,  in-fol.,  Venise, 
1584;  Fr.  de  Victoria,  Relectiones  XII  theologicœ,  1.  IV,  De 
jure  belli  et  Indis,  in-fol.,  Lyon,  1587;  Alberico  Gentile,  De 
jure  belli,  in-fol.,  Londres,  1588;  Bellarmin,  II*  Controversia 
generalis,  De  membris  Ecclesiœ  militantis,  1.  III,  De  laicis, 
c.  xm-xvi,  Opéra  omnia,  8  in-4°,  Naples,  1872,  t.  ir,  p.  325- 
333  ;  Suarez,  De  charitate,  disp.  XIII,  De  bello,  Opéra  omnia, 
28  in-4°,  Paris,  1856-1878,  t.  xn,  p.  737-763  ;  Salmanticenses, 
Cursus  theologix  moralis,  tr.  XXI,  De  prœceptis  Decalogi, 
t.  vin,  p.  m,  De  bello,  6  in-fol.,Venise,  1728,  t.  v,  p.  164-169; 
Laymann,  Theologia  moralis,  1.  II,  tr.  III,  c.  xn,  De  bello, 
2  in-fol.,  Venise,  1683,  t.  i,  p.  186-192;  Grotius,  De  jure 
belli  et  pacis,  in-4°,  Paris,  1625;  édit.  française,  2  in-4°, 
Amsterdam,  1724,  véritable  code  de  droit  international 
public,  où  il  étudie  les  moyens  de  prévenir  et  de  réglementer 
âa  guerre,  mais  dont  l'esprit  n'est  pas  toujours  inattaquable; 
Reifïenstuel,  Jus  canonicum  universum  juxta  titulos  quin- 
que librorum  Decretalium,  1.  I,  tit.  xxxiv,  6  in-fol..  Venise, 
1730,  t.  i,  p.  365  sq.;  Gonzalez  Tellez,  Commentaria  perpétua 
in  singulos  lextus  quinque  librorum  Decretalium,  1.  I, 
tit.  xxxiv,  c.  i,ii,5  in-fol.,  Venise,  1737,  t.  i,  p.  593-601; 
Voet,  De  jure  militari,  Appendice  aux  Commentariorum  ad 
Pandectas  libri  quinquaginla,  2  in-fol.,  La  Haye,  1734; 
Barbeyrac,  Histoire  des  anciens  traités  depuis  les  temps  les 
plus  reculés  jusqu'à  l'empereur  Charlemagnc,  2  in-fol., 
Amsterdam,  1739;  Abreu,  Tractato  de  las  prisas  maritimas, 
in-4°,  Cadix,  1746;  Hubner,  De  la  saisie  des  bâtiments 
neutres,  ou  du  droit  qu'ont  les  nations  belligérantes  d'arrêter 
les  navires  des  peuples  amis,  2  in-12,  La  Haye,  1759;  Mably, 
Le  droit  public  de  l'Europe  fondé  sur  les  traités,  3  in-12, 
Paris,  Genève,  1764;  de  la  Maillardière,  Précis  du  droit  des 
gens,  de  la  guerre  et  de  la  paix  et  des  ambassades,  in-12, 
Paris,  1775;  Dumont  et  Brunel,  Corps  universel  diplomatique 
du  droit  des  gens,  ou  recueil  des  traités  de  paix,  d'alliances  et 
•de  trêves,  faits  en  Europe  depuis  Charlemagne  jusqu'à  pré- 
sent, 8  in-fol.,  Amsterdam  et  La  Haye,  1786  :  cet  ouvrage 
très  considérable  contient  environ  dix  mille  actes,  avec 
"notes;  de  Vattel,  Le  droit  des  gens,  1.  III,  De  la  guerre, 
2  in-8».  Amsterdam,  1758;  3  in-8°,  Paris,  1830-1838,  t.  h, 
p.  77-299;  Questions  de  droit  naturel,  in-12,  Berne,  1762; 
Schmalzgrueber,  Jus  ecclesiasticum  universum,  secundum 
quinque  libros  Decretalium,  1.  1,  tit.  xxxiv.  De  bello, 
12  in-4»,  Rome,  1843-1845,  t.  i  b,  p.  276  sq.;  S.  Alphonse, 
Theologia  moralis,].  III,  tr.  IV,c.  i,dub.  v,  a.  2,  An  et  qitous- 
que  liceat  bellarc,  4  in-4°,  édit.  Gaudé,  Rome,  1905-1912, 
t.  Il,  p.  659-665;  Martens,  Essai  concernant  les  armateurs  et 
les  prises,  et  surtout  les  reprises,  in-8°,  Gœttingue,  1795; 
Ward,  Inquiry  into  the  foundation  of  the  lato  of  nations  in 
Europe,  2  in-8°,  Londres,  1795;  Trealise  on  the  relative 
righls  and  dulies  of  belligerenl  and  neutral  powers,  in-8°, 
Londres,  1801. 

Au  xix"  siècle.  —  Lampredi,  Du  commerce  des  neutres  en 
temps  de  guerre,  2  in-8",  Paris,  1802;  Tetens,  Considérations 
générales  sur  les  droits  réciproques  des  puissances  belligé- 
rantes.. in-8" ,  Copenhague,  1805;  Joseph  de  Maistre,  Les  soi- 
rées de  Saint-Pétersbourg  ou  Entretien  sur  le  gouvernement 
temporel  de  la  Providence  suivis  d'un  traité  sur  les  sacrifices, 
2  in-8",  Paris,  1822,  VIP  Entretiens,  t.  Il,  p.  1-10;  Kluber, 
Droit  (/es  gens  moderne  de  l'Europe,  2  in-8",  Francfort,  1828, 
1831  ;  Conférences  d'Angers,  l<;  in-S°,  Paris,  1829-1830,  t.  vi, 
p,  143-202;  G.  Fred.  de  .Martens,  Précis  du  droit  des  gens  mo- 


derne de  l'Europe,  fondé  sur  les  traités  et  l'usage,  2  in-8°,  Paris, 
1831  ;  Charles  de  Martens,  Guide  diplomatique,  ou  tableau  des 
relations  extérieures  des  puissances  de  l'Europe,  3  in-8°, 
Paris,  1837;  Proudhon,  La  guerre  et  la  paix,  recherches  sur 
le  principe  et  la  constitution  du  droit  des  gens,  2  in-12, 
Bruxelles,  1861,  ouvrage  plein  de  contradictions,  de 
paradoxes,  d'antithèses  et  d'antinomies;  l'auteur  y  plaide 
avec  une  égale  force  le  pour  et  le  contre,  et  tire  des  conclu- 
sions absolument  opposées  aux  prémisses,  ce  dont  il  se 
montre  peu  embarrassé;  Valin,  Traité  des  prises,  in-8", 
Paris,  1836;  L.  Veuillot,  La  guerre  et  l'homme  de  guerre, 
in-8»,  Paris,  1855;  Larroque,  De  la  guerre  et  des  armées 
permanentes,  in-8°,  Paris,  1856:  l'auteur  plaide  pour  l'abo- 
lition de  la  guerre  par  la  constitution  d'un  tribunal  inter- 
national auquel  seraient  déférés  tous  les  conllits;  Pistoye  et 
Duverdoy,  Traité  des  prises  maritimes,  in-8°,  Paris,  1859; 
Ortolan,  Règles  internationales  et  diplomatie  de  la  mer, 
2  in-8°,  Paris,  1864;  Vidari,  Del  rispetto  délia  propriété 
privala  fra  degli  Stati  in  guerra,  in-8°,  Pavie,  1867;  Blunt- 
schli,  Dos  moderne  Wolkerrecht  der  civilisirten  Staaten,  in-8°, 
Nordlingen,  1868;  Sémichon,  La  paix  et  la  trêve  de  Dieu, 
2  in-12,  Paris,  1869;  Moynier,  Essai  sur  les  caractères  géné- 
raux des  lois  de  la  guerre,  in-8»,  Genève,  1875;  Travers- 
Twiss,  On  the  rights  and  duties  of  nations  in  time  of  war, 
in-8",  Oxford,  1875;  Alonso,  Cartilla  de  leyes  y  usos  de  la 
guerra,  in-8°,  Madrid,  1875;  Landa,  El  derecho  de  la  guerra 
conforme  a  la  moral,  in-80,  Madrid,  1876;  Bernard,  The 
growlh  of  law  and  usages  of  war,  in-8°,  Londres,  1876; 
Lindsay,  Belligerent  and  neutral  rights  in  the  event  of  war, 
in-8»,  Londres,  1877;  Bceck,  De  la  propriété  privée  ennemie 
sous  pavillon  ennemi,  in-8»,  Paris,  1882;  Morin,  Les  lois 
relatives  à  la  guerre  selon  le  droit  des  gens  moderne,  in-8°, 
Paris,  1882;  Nys,  Le  droit  de  la  guerre  et  les  précurseurs  de 
Grotius,  in-8»,  Bruxelles,  1882;  Dahn,  Dos  Kriegsrecht, 
in-8»,  Berlin,  18S4;  Léon  Gautier,  La  chevalerie,  in-8»,  Paris, 
1884;Pfister,  Études  sur  le  règne  de  Robert  le  Pieux,  in-8", 
Paris,  1885,  p.  161  sq.;  Corsi,  L'occupazione  militare  in 
tempo  di  guerra,  e  le  relazioni  di  diritlo  publico  e  privato  che 
ne  derioano,  in-8»,  Florence,  1886;  Zigliara,  Etltica  et  jus 
naturœ,  part.  II,  c.  ni,  a.  2,  Summa  philosophica,  3  in-12, 
Paris,  1887,  t.  ni,  p.  289-295;  Davis,  War,  international  law, 
in-8»,  New-York,  1887;  Davis,  Outlines  of  international  law 
wilh  an  accounlof  Us  origines, and  sources  and  of  ils  historical 
development,  in-80,  New- York,  1887;  Backer,  The  influence 
of  christianity  on  war,  in-8°,  Cambridge,  1888;  Acollas,  Le 
droit  de  la  guerre,  in-8",  Paris,  1888;  Linde,  Das  Wolkerrecht 
im  Kriege,  in-8»,  Berlin,  1888;  Kent,  The  rights  of  belli- 
gerent nations  in  relation  to  each  other.  Commentaries  on 
American  lato,  in-8»,  Philadelphie,  1889;  Rettich,  Zur 
Théorie  und  Geschichte  des  Redits  zum  Kriege,  in-8°,  Stutt- 
gard,  1888;  Resch,  Das  moderne  Kriegsrecht  der  civilisierten 
Staatenwelt,  in-8",  Leipzig,  1890;  Bozzati,  L'offesa  e  la 
difesa  nella  guerra  secondo  i  moderni  ritrovati,  in-8»,  Rome, 
1888;  Guellé,  La  guerre  continentale  et  les  personnes,  in-8°, 
Paris,  1889;  Lueder,  Krieg  und  Kriegsrecht  in  Allgemeinen, 
in-8»,  Hambourg,  1889;  Formica,  Per  la  codi  ficazione  inter- 
nationale délie  leggi  di  guerra,  in-8°,  Rome,  1890;  Kirchen 
lexikon,  au  mot  Krieg,  t.  vu,  col.  1177-1191;  Janssens, 
L'Allemagne  et  la  Réforme,  3  in-8»,  Paris,  1892,  t.  m, 
p.  419  sq.;  Pradier-Fodéré,  Relation  des  États  entre  eux  en 
temps  de  guerre,  Paris,  1894  :  cet  ouvrage  constitue  tout  le 
t.  vi  du  Traité  de  droit  international  public  européen  et 
américain;  Ariga,  La  guerre  chino-japonaise  au  point  de 
vue  du  droit  international,  in-8»,  Paris,  1896;  Palmieri,  Opus 
theologicum  morale  in  Busenbaum  medullam,  tr.  VI,  De 
prœceptis  Decalogi,  sect.  v,  c.  in,  De  bello,  7  in-8»,  Prato, 
1889-1893,  t  il,  p.  661-673;  Viel,  La  guerra  marilima  ante  el 
derecln  internacional,  in-8»,  Santiago  du  Chili,  1899;  Bon- 
gianchino,  La  preda  bellica  terrestre,  in-8°,  Bologne,  1899; 
Dupuis,  Le  droit  de  la  guerre  maritime  d'après  les  doctrines 
anglaises  contemporaines,  in-8»,  PariSi  1899;  Meyer,  Insti- 
tutions juris  naturalis,  part.  II,  sect.  ni,  1.  II,  c.  Il,  De  jure 
internationali  tempore  belli,  2  in-8»,  Fribourg-en-Brisgau, 
1900,  t.  h,  p.  785-814;  Barclay,  L'inviolabilité  de  la  pro- 
priété sur  mer,  in-8»,  Bruxelles,  1900  :  Droit  d'arresta 
tion  des  individus  voyageant  à  destination  d'un  pays  belligé- 
rant, dans  Journ.  de  droit  internat,  privé,  in-8»,  Paris,  1900. 
Plus  récemment,  de  Pascal,  L'Église  et  le  droit  des  gens, 
in-12,  Paris,  1901,  p.  35  sq.;  Lehmkuhl,  Theologia  moralis, 
part.  1, 1.  H,  divis.  III,  tr.  II,  c.  v,  De  bello,  2  in-8»,  Fribourg- 
en-Brisgau,  1902,  t.  i,  p.  508  sq.;  Luchaire,  Innocent  III  : 
La  croisade  des  albigeois,  in-8»,  Paris,  1905;  Dumas,  Les 
sanctions  de  l'arbitrage  international,  in-8»,  Paris,  1905; 
Dalloz,  Dictionnaire  pratique  de  droit  public,  in-fol.,  Paris. 


1961 


GUERRE  —  GUEVARA 


1962 


1905,  aux  mots  Guerre,  Prises  maritimes,  p.  701  sq.,  1134; 
Mérignac,  Traité  théorique  et  pratique  de  l'arbitrage,  in-8°, 
Paris,  1907;  Noldin,  Summa  theologiœ  moralis,  tr.  De 
prœceptis  Dei  et  Ecclcsia',  part.  II,  1.  V,  c.  vu,  De  bello, 
3  in-S°,  Inspruck,  1908,  t.  n,  p.  373  sq.;  Lucchini,  Il  digesto 
italiano.  Enciclopedia  metodica  ed  alfabetica  di  legislazione, 
dottrina  e  giurisprudenza,  43  in-4°,  Turin,  1884-1912,  au 
mot  Guerra,  t.  xn,  p.  1058-1141;  The  catholic  encyclopedia, 
15  in-4°,  New-York,  1913,  t.  XV,  p.  546  sq.;  Guiraud,  His- 
toire partiale,  histoire  vraie,  2  in-8°,  Paris,  1911,  t.  i, 
p.  264  sq.  ;  Vanderpol,  Le  droit  de  guerre  d'après  les  théolo- 
giens et  les  canonistes  du  moyen  âge,  in-8°,  Paris,  1911  ;  La 
guerre  devant  le  christianisme,  in-8°,  Paris,  1912;  H.  Pissard, 
La  guerre  sainte  en  pays  chrétien  :  essai  sur  l'origine  et  le 
développement  des  théories  canoniques,  in-8°,  Paris,  1912; 
L'Église  et  la  guerre,  in-8°,  Paris,  1913  (comprenant  les 
études  suivantes  :  P.  Batiffol,  Les  premiers  chrétiens  et  la 
guerre;  P.  Monceaux,  S.  Augustin  et  la  guerre;  E.  Chénon, 
S.  Thomas  d'Aquin  et  la  guerre;  A.  Vanderpol,  De  jure 
belli  et  de  Indis  de  Victoria;  L.  Rolland,  Le  droit  de  la  guerre 
dans  les  écrits  de  Suarez;  F.  Duval,  Les  applications  prati- 
ques de  la  doctrine  sur  la  guerre  au  moyen  âge;  A.  Tan- 
querey,  Synthèse  de  la  doctrine  théologique  sur  le  droit  de 
guerre);  Hedde,  Le  droit  de  guerre  d'après  la  morale 
chrétienne,  Paris,  1913;  H.  Brongniart,  La  pacifisme  et 
l'Église,  1913.  Alf.  Vanderpol,  La  Doctrine  scolastique  du 
droit  de  guerre,  in-8°,  Paris,  1919. 

Spécialement  a  propos  de  la  guerre  européenne  de  1914, 
outre  les  nombreux  ouvrages  cités  au  cours  de  l'article, 
signalons  en  particulier  :  Daniel  Frymann,  Wenn  ich  der 
Kaiser  wdr  I  in-8°,  Leipzig,  1912,  ouvrage  contenant  les 
aspirations  qui  ont  donné  occasion  à  la  guerre;  Sir  Ilarry 
H.  Johnslon,  The  Germon  war  and  its  conséquences  (A/A"' 
cenlury,  septembre  1914);  Pierre  de  Quirielle,  Lettre  ouverte 
à  M.  le  professeur  Karl  Lampreclit,  de  l'université  de  Leipzig, 
à  propos  de  la  cathédrale  de  Reims,  dans  le  Correspondant  du 
10  octobre  1914,  p.  35-44;  le  colonel  von  llnger,  du 
grand  état-major  allemand,  Drei  Jahre  in  Sattel.  Ein  Lern 
und  Lesebueh  fur  den  Dienstunterrich  der  Deutschen  Kavalle- 
risten,  in-8",  Berlin,  1914;  cet  ouvrage,  arrivé  déjà  à  sa 
15e  édition  au  début  de  la  guerre  actuelle,  est  un  commen- 
taire du  code  impérial  de  l'armée  allemande,  Die  Kriegs 
Artikeln,  ijui,  anciens  dans  leur  substance,  ont  été  revus, 
mis  au  point  et  codifiés  par  l'empereur  Guillaume  IT,  le 
22  septembre  1 902,  pour  devenir  comme  une  règle  du  devoir  et 
de  l'honneur,  sorte  d'évangile  militaire  à  l'usage  des  officiers 
et  des  soldats.  Un  mois  après  leur  incorporation,  tous  les 
nouveaux  conscrits  font,  en  présence  d'une  Bible,  d'une 
croix  et  d'un  drapeau,  le  serment  solennel  d'y  être  fidèles  en 
toutes  circonstances,  sur  terre  et  sur  mer.  L'art.  17  con- 
damne par  avance  les  violences  et  les  excès  de  toutes  sortes 
commis  en  Belgique  et  en  France.  Mgr  Pierre  Batiffol,  Les 
lois  chrétiennes  de  la  guerre,  dans  le  Correspondant  du 
25  octobre  1914,  p.  161-169;  Y.  de  La  Brière,  Laguerre  et  lu 
doctrine  catholique,  dans  les  Études  du  5  octobre  et  du  5  no- 
vembre 1914  ;  Mgr  Baudrillart,  La  guerre  allemande  et 
le  catholicisme,  in-8°,  Paris,  1915;  Id.,  L'Allemagne  et  les 
alliés  devant  la  conscience  chrétienne,  in-8°,  Paris,  1915; 
abbé  Rouzir,  Théologie  de  la  guerre  en  dix-huit  leçons,  in-12, 
Paris,  1915  P.  Chiaudano,  La  guerra  e  l'insegnamento  delta 
scuola,  dans  la  Civiltà  catlolica  du  3  avril  1915,  p.  3-32; 
A.  Pillet,  professeur  d'histoire  des  traités  à  la  faculté  de 
droit  de  l'université  de  Paris,  La  science  allemande  et  le  droit 
de  la  guerre,  dans  la Revuedes  Deux  Mondes  du  1er  avril  1915; 
à  comparer  du  même  auteur,  Les  lois  actuelles  de  la  guerre, 
in-8°,  Paris,  1898;  vicomte  Maurice  de  Lestrange,  La 
question  religieuse  en  France  pendant  la  guerre  de  1914.  in-12, 
Paris,  1915;  H.  Welschinger,  de  l'Académie  des  sciences 
morales  et  politiques,  La  neutralité  de  la  Belgique,  in-12, 
Paris,  1915;  Les  leçons  du  Livre  jaune,  in-12,  Paris,  1915; 
A.  Mélot,  député  de  Namur,  Le  martyre  du  clergé  belge,  in-12, 
Paris,  1915;  H.  Carton  de  Wiart,  ministre  de  la  justice, 
La  Belgique  en  terre  d'asile,  in-12,  Paris,  1915;  Raoul  Narsy, 
Le  supplice  de  Louvain,  in-12,  Paris,  1915;  Henri  Davignon, 
/.es  procédés  de  guerre  des  Allemands  en  Belgique,  in-12, 
Paris,  1915;  Id.,  La  conduite  des  Allemands  en  Belgique  cl 
en  France,  d'après  l'enquête  anglaise,  in-12,  Paris,  1915; 
cardinal  Mercier,  Patriotisme  et  endurance,  in-12,  Paris, 
1915;  cardinal  Amette,  Pendant  la  guerre,  Lettres  pastorales 
et  allocutions,  in-12,  Paris,  1915;  Mgr  Mignot,  Lettres  sur  la 
guerre,  in-12,  Paris,  1915;  Imbart  de  La  Tour,  L'opinion 
catholique  et  la  guerre,  in-12,  Paris,  1915;  Léon  Daudet, 
L'esprit  allemand,   de  Kant  à   Krupp,  in-12,    Paris,   1915; 


Vindex,  L'armée  du  crime,  d'après  le  rapport  de  la  Commis- 
sion française  d'enquête,  in-12,  Paris,  1915;  Id.,  La  basilique 
dévastée.  Destruction  de  la  cathédrale  de  Reims.  Faits  et  docu- 
ments, in-12,  Paris,  1915;  E.  Maie,  La  cathédrale  de  Reims, 
in-12,  Paris,  1916;  abbé  Paquier,  Le  protestantisme  allemand, 
in-12,  Paris,  1915;  abbé  Foulon,  Arras  sous  les  obus,  in-12, 
Paris,  1915;  F.  de  Dinon,  En  guerre  l  Impressions  d'un 
témoin,  in-12,  Paris,  1915;  Camille  Jullian,  Rectitude  et 
perversion  du  sens  national,  in-12,  Paris,  1915;  James  Guil- 
laume, Karl  Marx  pangermaniste,  in-12,  Paris,  1915; 
Ernest  Denis,  professeur  à  l'université  de  Paris,  La  guerre 
de  1914.  Causes  immédiates  et  lointaines.  L'intoxication 
d'un  peuple.  Le  traité,  in-12,  Paris,  1915;  P.  Saint- Yves, 
Les  responsabilités  de  l'Allemagne  dans  la  guerre  de 
1914,  in-12,  Paris,  1915;  le  comte  Begouen,  La  guerre 
actuelle  devant  la  conscience  catholique,  in-12,  Paris,  1915; 
André  Sardou,  L'indépendance  européenne.  Élude  sur  les 
conditions  de  paix,  in-12,  Paris,  1915;  André  Chéradame. 
La  paix  que  voudrait  l'Allemagne,  in-8°,  Paris,  1915;  baron 
d'Anthouard,  Les  prisonniers  de  guerre,  in-12,  Paris,  1915; 
Mgr  C.  Carbone,  Le  contese  internazionali  e  il  diritto  crisliano, 
in-8°,  Macerata,  1915;  abbé  Claude  Bouvier,  Aux  âmes 
chrétiennes.  Les  leçons  sur  la  guerre,  in-12,  Paris,  1915; 
abbé  Stanislas  Gamber,  A  celles  qui  pleurent,  in-8°,  Paris, 
1915;  Mgr  Tissier,  Consignes  de  guerre,  Paris,  1915;  Mgr 
Horace  Mazzella,  Il  catechismo  délia  guerra,  in-12,  Rome, 
1916;  Id.,  La  guerra  nella  Bibbia  e  nella  sloria  délia 
Chiesa,  ossia  la  guerra  nel  disegno  di  Dio,  nell'  insegnamento 
di  Gesu  Crislo,  nell'  azione  délia  Chiesa,  in-12,  Rome,  1916; 
R.  P.  Bernard  Kuhn,  Conférences  sur  la  guerre,  in-12, 
Paris,  1916;  Oldrà,  La  guerra  nella  morale  cristiana,  in-12, 
Turin,  1916;  R.  P.  Thomas  Pègues,  O.  P.,  professeur  au  col- 
lège angélique  de  Rome,  Saint  Thomas  d' Aquin  et  la  guerre, 
in-12,  Paris,  1916. 

T.  Ortolan. 
1.  GUEVARA  (Jean  de),  religieux  augustin  espagnol 
du  xvi9  siècle  (1504-1600),  passa  pour  ainsi  dire  toute 
sa  vie  dans  les  études  et  l'enseignement,  ayant  réussi 
à  occuper  pendant  trente-six  ans  une  chaire  de  théo- 
logie à  l'université  de  Salamanque.  Ses  contemporains 
lui  vouèrent  une  estime  extraordinaire,  l'un  d'eux 
(Pierre  d'Aragon)  ne  craignant  pas  d'écrire  dans  la 
préface  de  son  propre  livre  que  si,  par  impossible,  toutes 
les  richesses  de  la  théologie  scolastique  se  fussent 
perdues,  on  les  aurait  retrouvées  intactes  dans  le 
cerveau  du  P.  Jean  de  Guevara  et  de  Fray  Luis  de  Léon. 
In  IV  Sent,  Salamanque,  1584,  t.  i,  prolog.  Ce  Père, 
en  sa  qualité  de  doyen  de  la  faculté  de  théologie,  prit 
une  part  importante  aux  controverses  suscitées  par 
le  livre  et  les  opinions  de  Molina  sur  la  grâce,  non  sans 
montrer  une  certaine  inclination  pour  ce  dernier. 
Malgré  sa  grande  renommée  et  quoique  l'auteur  men- 
tionné plus  haut  assure  suivre  en  tout  la  doctrine  de 
son  maître,  les  ouvrages  du  P.  de  Guevara  ne  furent 
jamais  imprimés.  L'on  rencontre  seulement  quelques 
pages  des  leçons  qu'il  avait  données  sur  l'Ecriture 
sainte  en  remplacement  de  F.  Luis  de  Léon  dans  l'édi- 
tion des  œuvres  latines  de  ce  dernier,  publiées  sous  ce 
titre  :  Magistri  Luysii  Legionensis,  augustiniani,  divi- 
norum  Librorum  primi  apud  Salmanlicenses  inlcrprelis 
opéra,  Salamanque,  1892,  t.  m,  p.  503-514.  Il  laissa  ce 
pendant  les  manuscrits  suivants,  qui  se  trouvaient  à  la 
bibliothèque  ottobonienne,  actuellement  transférée  au 
Vatican  :  1°  Super  J  V'1"  Sententiarum  Durandi ;2°  Trac- 
talus  de  arle  magica;  3°  De  sacramentis  ;  4°  Super  III" 
parlera  D.  Thomœ  de  pœn ilenlia  ;  5 °  De  peccalo  originali ; 
6°  Appendix  ad  tractalum  de  confessione;  7°  Super  1"" 
parlera  théologies  magistri  Durandi;  8°  De  sacramentis 
et  indulgentiis ;  9°  In  I""  partent  theologiœ  M.  Durandi, 
De  eucharistia,  de  indulgentiis  et  de  sacramento  matri- 
monii;  10°  De  Verbi  Dei  incarnafione  cxplanalio.  Ce 
dernier  ms.  se  trouve  à  la  bibliothèque  Angelica. 
D.  <>,  15. 

Ciudad  de  Dios,  1904,  t.  lxiv,  p.  477-479;  G  régoire'de 
Santiago,  Ensago  de  bibliolheca  Ibero-Americana  de  la  orden 
de  S.  Agustin,  Madrid.  1913,  p.  153. 

N.  Merlin. 


1963 


GUEVARA   —    GUIGUES 


1964 


2.  GUEVARA  Joseph,  théologien  espagnol,  né 
le  14  mars  1719  à  Rexas,  diocèse  de  Tolède,  entra 
dans  la  Compagnie  de  Jésus  le  31  janvier  1732  dans 
la  province  du  Paraguay.  Déporté  en  Italie  avec 
6  000  jésuites  espagnols  en  avril  1767  par  ordre  de 
Charles  III,  le  P.  Guevara,  pourvu  d'un  canonicat  à 
Spello  après  1772,  se  livra  à  des  études  d'apologé- 
tique et  de  controverse  dont  les  principales  ont  été 
publiées  :  Dissertalio  aniiblasiana  seu  Blasius  admo- 
nitor  in  Blasiiim  commonitorem,  Venise,  1775,  qui 
contient  la  défense  du  culte  du  Sacré-Cœur;  Disscr- 
lazionc  sopra  gli  oracoli  nella  quale  si  fa  manifeslo  contra 
Fontanelle  che  il  demonio  ebbc  parte  negli  oracoli  degli 
anlichi,  Foligno,  1789;  Dissertalio  historico-dogmatica 
de  sacrarum  imaginwn  cultu  religioso  quatuor  epochis 
complectens  dogma  et  disciplinam  Ecclesiœ,  in-fol., 
Foligno,  1789;  Risposla  ull'anonimo  délia  lellera  sopra 
la  vicinanza  del  giudicio  unioersale,  Foligno,  1790. 
Un  immense  ouvrage  en  8  in-8°  sur  la  superstition  est 
resté  manuscrit.  Son  importante  histoire  du  Paraguay 
a  été  publiée  à  Buenos-Ayres  en  1836  par  Pedro  de 
Angelis.  Le  P.  Guevara  mourut  le  23  février  1806. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  C»  de  Jésus,  t.  m, 
col.  1923  sq.;  Caballero,  Bibliothcra  scriptorum  S.  J.,  t.  Il, 
p.  45;  Hurter,  Nomenclator,  3"  édit.,  Inspruck,  1913,  t.  v, 
col.  1059. 

P.  Bernard. 
GUI  DE  PERPIGNAN  (TERRENI),  qui  mourut, 
le  21  août  1342,  évêque  d'Elne  (Pyrénées-Orientales), 
non  loin  de  Perpignan,  son  lieu  de  naissance,  entra 
très  jeune  dans  l'ordre  des  carmes.  Ses  supérieurs 
l'envoyèrent  étudier  la  théologie  à  Paris,  où  il  conquit 
de  la  façon  la  plus  brillante  le  grade  de  docteur.  La 
cour  romaine  se  trouvait  alors  à  Avignon.  Le  Père 
Gui  Terreni  y  fut  appelé  pour  professer  la  théologie 
au  palais  apostolique.  Bientôt  ses  confrères  le  choi- 
sirent pour  supérieur  provincial,  et  en  1318,  peu 
après  la  mort  de  Gérard  de  Bologne,  le  chapitre  général 
des  carmes,  réuni  à  Bordeaux,  l'élut  à  l'unanimité 
supérieur  général.  Moins  de  trois  ans  après,  en  1321, 
le  pape  Jean  XXII,  qui  l'avait  en  haute  et  affectueuse 
estime,  le  nomma  évêque  de  Majorque.  Le  nouvel 
évêque  eut  à  s'opposer  aux  empiétements  du  pouvoir 
civil  sur  les  franchises  ecclésiastiques  et,  en  1332, 
il  demanda  et  obtint  d'être  transféré  au  siège  d'Elne. 
Le  pape  le  mandait  souvent  à  Avignon  et  l'y  retenait 
pour  s'éclairer  et  s'aider  de  la  science  et  des  conseils 
de  ce  grand  théologien.  L'on  croit,  sans  en  avoir  la 
preuve  certaine,  que  Gui  Terreni  mourut  à  Avignon. 
Il  avait  acquis  une  grande  notoriété  auprès  de  ses 
contemporains,  et  l'université  de  Paris  se  faisait 
gloire  de  l'entendre  nommer  par  antonomase  doctor 
Parisiensis.  Il  sut  mettre  au  service  de  l'Église  les 
riches  dons  qu'il  avait  reçus  de  Dieu  et  l'autorité  que 
lui  avaient  valu  sa  vertu  et  sa  science.  Parmi  ses 
travaux  restés  manuscrits,  il  faut  signaler,  outre  de 
nombreux  commentaires  sur  divers  traités  d'Aristote 
et  sur  les  IV  livres  des  Sentences,  un  livre  de  Quod- 
iibeta;  un  autre  de  Quœstiones  ordinariœ;  De  perfectione 
vilae.  catholicœ,  traité  des  conseils  évangéliques  adaptés 
à  toute  vie  chrétienne,  commencé  à  Majorque,  terminé 
a  Elue,  et  dédié  à  Jean  XXII;  Correclorium  Decreli 
(jraliani,  entrepris  sur  les  instances  de  ses  amis  en 
vue  de  mieux  ordonner  la  compilation  du  célèbre 
bénédictin;  c'est  peut-être  son  meilleur  ouvrage. 
Nous  avons  cependant  de  lui  Quatuor  unum,  œuvre  de 
grande  valeur,  qui  fut  publiée  plus  de  deux  siècles 
après  sa  composition,  par  les  soins  du  carme  allemand 
Jean  Seiner,  sous  le  titre  de  Concordia  Evangeliorum, 
in-fol.,  Cologne,  1531;  Expositlo  in  tria  canlica  evan- 
gelica,  dédiée  à  Jean  XXII,  in-fol.,  Cologne,  1531; 
Summa  de  hseresibus  et  earum  conjulationibus,  in-fol., 
Paris,  1528;  Cologne,  1521.  L'édition  de  Paris  de  ce 


dernier  ouvrage  est,  dit-on,  remarquable  pour  sa 
typographie;  quant  au  fond,  certains  critiques  ont 
très  vivement  reproché  à  l'évêque  d'Elne  d'attribuer, 
sans  un  contrôle  suffisant,  telle  hérésie  à  tel  peuple. 
Ce  reproche  n'est  pas  fondé,  ainsi  que  le  démontra 
péremptoirement  Cosme  de  Villiers,  Bibliotheca  carme- 
lilana,  Orléans,  1752,  t.  i,  col.  584-585.  Cette  impor- 
tante encyclopédie  des  erreurs  de  tous  les  temps 
jusqu'au  xive  siècle  est  une  œuvre  remarquable  non 
seulement  par  la  hardiesse  de  sa  conception,  mais 
encore  par  l'étendue  des  connaissances  et  la  sûreté 
de  doctrine  de  son  auteur. 

Petrus-Lucius,  Carmelitana  bibliotheca,  Florence,  1593, 
fol.  32;  Engelbert  de  Sainte-Françoise,  Brevis  séries 
omnium  capit.  gênerai,  in  ordine  b. Marias  Virginis  de  Monte- 
Carmelo,  Rome,  1765,  p.  91  ;  N.  Antonio,  Bibliotheca 
hispana  vêtus,  p.  252  sq.;  Cosme  de  Villiers,  Bibliotheca 
carmelitana,  Orléans,  1752,  t.  i,  col.  581-588;  Raphaël  de 
Saint-Joseph,  Prolegomena  in  S.  theologiam,  Gand,  1882, 
p.  83;  Daniel  de  la  Vierge-Marie,  Spéculum  carmelitanum, 
Anvers,  1680,  t.  i,  p.  134,  143,  263;  t.  n,  p.  889,  898,  923, 
924,  1114;  Richard  et  Giraud,  Bibliothèque  sacrée,  Paris, 
1824,  t.  xii,  p.  386;  Le  Mire,  Bibliotheca  ecclesiastica, 
Anvers,  1639,  p.  262;  Dictionnaire  de  la  Bible,  art.  Carmes, 
par  le  P.  Benoît,  t.  n,  col.  304;  Moréri,  Le  grand  dictionnaire 
historique,  Paris,  1712,  t.  m,  p.  315;  Kirchenlexikon, 
t.  v,  col.  1358;  Hurter,  Nomenclator,  1906,  t.  n,  col.  545-547; 
P.  Féret,  La  faculté  de  théologie  de  Paris,  Paris,  1896,  t.  m, 
p.  519-523. 

P.  Servais. 

GUICHARDAnastase.VoirANASTASE7,t.i,col.ll66. 

1.  GUIGUES.  premier  de  ce  nom  dans  la  liste  des 
généraux  de  l'ordre  des  chartreux,  était  du  diocèse 
de  Valence,  de  la  partie  qui  est  sur  la  rive  droite  du 
Rhône,  en  Vivarais.  Il  appartenait  à  la  famille  de 
Saint-Romain,  dont  la  résidence  et  le  berceau  étaient 
au  château  de  ce  nom,  situé  sur  le  territoire  de  Saint- 
Barthélemy-le-Plein,  non  loin  de  Tournon.  Cf.  Per- 
rossier,  dans  les  Annales  dauphinoises,  août  1901; 
Brun-Durand,  Dictionnaire  de  la  Drame  ;  Rochas,  etc. 
Guigues  naquit  vers  l'an  1083  et  reçut  une  éducation 
conforme  à  la  noblesse  de  sa  naissance  et  à  la  piété 
de  ses  parents.  Selon  quelques  auteurs,  il  embrassa 
la  carrière  ecclésiastique  et  devint  doyen  de  l'église 
cathédrale  de  Grenoble.  A  l'âge  de  24  ans, il  quitta  le 
monde  et  entra  à  l'ermitage  de  la  Grande-Chartreuse, 
où  se  trouvaient  encore  plusieurs  des  premiers  disciples 
de  saint  Bruno.  «  Trois  ans  s'étaient  à  peine  écoulés 
apris  son  entrée  en  religion,  que  les  pieux  compagnons 
de  sa  retraite  jetèrent  les  yeux  sur  lui  pour  le  mettre 
à  leur  tête.  Le  sagesse  de  son  gouvernement  fit  voir 
que  le  Saint-Esprit  avait  présidé  à  ce  choix.  »  Histoire 
littéraire  de  la  France,  t.  xi,  dans  P.  L.,  t.  cliii, 
col.  581  sq.  Dom  Guigues  admit  au  noviciat  saint 
Godefroi,  évêque  d'Amiens,  qui,  après  trois  mois  de 
séjour  à  la  Chartreuse,  fut  obligé,  à  son  grand  regret, 
de  rentrer  dans  son  diocèse  par  décision  du  concile 
de  Beauvais  réuni  en  1114.  Il  reçut  aussi  la  visite  de 
ses  grands  amis,  saint  Bernard  et  Pierre  le  Vénérable, 
abbé  de  Cluny,  ainsi  que  celle  de  saint  Etienne  d'Oba- 
zine,  du  cardinal  Haimeric,  chancelier  de  l'Église 
romaine,  et  fréquemment  celle  de  saint  Hugues, 
évêque  de  Grenoble.  Il  jouissait  d'une  telle  estime 
auprès  d'Innocent  II  et  des  plus  grands  personnages 
de  son  époque,  qu'au  concile  de  Reims  célébré  en  1131 
sous  la  présidence  du  souverain  pontife,  une  lettre 
adressée  par  lui  au  saint-père  fut  lue  en  pleine  assem- 
blée par  Geoffroy,  évêque  de  Chartres,  et,  selon 
Mabillon,  le  pape  et  tous  les  assistants  en  parurent 
extrêmement  satisfaits.  C'est  sous  son  gouvernement 
que  la  communauté  de  la  Chartreuse  commença  à 
avoir  des  imitateurs  et  des  fondations  d'autres  ermi- 
tages en  dehors  de  son  désert.  Huit  maisons  nouvelles 
surgirent  entre  1115  et  1136,  dont  les  plus  renommées 


1965 


GUIGUES 


1966 


furent  l'ermitage  de  Portes,  dans  le  Bugey,  et  la 
chartreuse  du  Mont-Dieu,  au  diocc'se  de  Reims.  C'est 
pour  établir  l'uniformité  de  l'observance  régulière 
dans  ces  nouvelles  maisons  que  dom  Guigues  écrivit 
le  recueil  des  Coutumes  de  la  Grande-Chartrei^e. 
En  1132,  au  soir  du  11  janvier,  une  avalanche  de  terre 
et  de  neige  détruisit  presque  entièrement  ce  monastère. 
Sept  religieux  furent  engloutis  dans  les  ruines.  Dom 
Guigues,  très  affligé  de  ce  désastre,  songea  de  suite  à 
le  rebâtir  dans  un  emplacement  meilleur,  à  l'abri  des 
avalanches,  et  il  choisit  l'endroit  que  la  Grande-Char- 
treuse occupe  aujourd'hui.  En  quelques  mois,  aidé  par 
saint  Anthelme  de  Chignin,  son  procureur,  il  put 
terminer  son  ouvrage  et  fit  consacrer  la  nouvelle 
église  le  13  octobre  de  la  même  année.  Mais  le  triste 
événement  eut  un  contre-coup  sur  la  santé  du  prieur. 
«  Les  dernières  années  de  sa  vie  furent  exercées  par 
de  fréquentes  inlirmités.  Il  suppléa,  par  son  courage, 
aux  forces  qui  lui  manquaient.  Mais  enfin  il  succomba 
sous  le  poids  de  sa  faiblesse,  le  27  juillet  de  l'an  1137, 
dans  la  cinquante-quatrième  année  de  son  âge.  »  His- 
toire littéraire  de  la  France.  Dom  Guigues  a  laissé  une 
telle  réputation  de  sainteté  que,  de  nos  jours  encore, 
divers  écrivains  sérieux  le  nomment  Vénérable  et 
même  Bienheureux,  comme  déjà,  de  son  vivant, 
on  l'appelait  le  bon  prieur.  Voici  la  liste  de  ses  écrits 
avec  quelques-unes  de  leurs  éditions  :  1°  Consuetudines 
domus  Carlusiee  imprimées,  en  1510,  à  Bâle  par  Jean 
Amerln.ch,  par  ordre  de  dom  François  Dupuy,  général 
des  chartreux,  avec  les  autres  Statuts,  anciens  et 
nouveaux,  la  troisième  compilation  et  le  recueil  des 
principaux  privilèges  accordés  à  l'ordre  par  les  sou- 
verains pontifes.  Dom  Grégoire  Raisch,  prieur  de  la 
chartreuse  de  Fribourg-en  Brisgau,  dirigea  cette 
édition  et  l'enrichit  de  notes  marginales  ainsi  que 
d'un  répertoire  général  disposé  par  ordre  alphabétique. 
Le  texte  des  Coutumes  de  dom  Guigues  se  trouve 
dans  l'ouvrage  de  dom  Innocent  Le  Masson,  intitulé  : 
Annales  ordinis  cartusiensis  tribus  tomis  dislribuli. 
Tomus  primus...,  qu'il  fit  imprimer,  en  1687,  in-fol.,  à 
la  correrie  de  la  Grande-Chartreuse,  et  que.  seize 
années  après,  en  1703,  il  mit  dans  le  commerce,  à 
Paris,  sous  ce  nouveau  titre  :  Disciplina  ordinis 
cartusiensis  in  très  libros  distribula.  En  1894,  l'im- 
primerie de  la  chartreuse  de  Montreuil-sur-Mer  a 
réédité  la  Disciplina,  grand  in-4°.  Migne  a  publié  le 
texte  des  Coutumes  avec  le  commentaire  de  dom 
Le  Masson,  P.  L.,  t.  cliii,  col.  631-760.  —  2»  Dom 
Guigues  recueillit  en  un  seul  corps  les  lettres  de  saint 
Jérôme,  éparses  auparavant  en  divers  manuscrits 
et  confondues  avec  plusieurs  pièces  fabriquées  par 
les  hérétiques  et  faussement  attribuées  au  saint 
docteur.  Dans  une  lettre  aux  chartreux  de  Durbon, 
il  rend  compte  de  ce  travail  et  leur  apprend  qu'il  avait 
déjà  épuré  les  œuvres  d'autres  Pères  de  l'Eglise.  Le 
travail  de  dom  Guigues  n'est  pas  perdu,  quoique  les 
éditeurs  des  œuvres  de  saint  Jérôme  au  xvme  siècle 
ne  s'en  servirent  pas.  Il  en  existe  encore,  à  notre 
connaissance,  trois  copies.  La  première  était  au 
château  de  Middlehill,  chez  sir  Philipps,  ms.  sur 
parchemin  du  xn°  siècle;  la  deuxième  se  trouve  à 
la  bibliothèque  Mazarine,  à  Paris,  ms.  du  xn°  siècle, 
in-fol.,  n.  26i;  enfin  la  troisième  est  à  la  bibliothèque 
de  la  ville  de  Dijon,  et  provient  de  l'ancienne  abbaye 
de  Cîteaux,  ms.  du  xne  siècle,  in-fol.,  n.  102.  —  3°  Dom 
Guigues  composa  des  méditations  dont  le  mérite  a  fait 
multiplier  les  éditions.  Elles  ont  été  insérées  dans  les 
grandes  collections  des  œuvres  des  saints  Pères 
publiées,  en  différentes  époques,  à  Paris,  à  Cologne  et 
à  Lyon.  Migne  les  a  éditées,  P.  L.,  t.  cliii,  col.  601-632. 
On  en  trouve  diverses  éditions  anciennes  et  modernes, 
en  petit  format.  La  plus  récente  semble  être  celle  de 
Cologne,  1865,  in-32.  —  4°  C'est  aussi  à   dom   Guigues 


que  l'on  doit  l'opuscule  sur  l'oraison  publié  dans  les 
œuvres    de   saint   Augustin,    sous    le   titre   de    Scala 
paradisi,  P.  L.,  t.  xl,  col.  997-1004,  et  dans  celles  de 
saint  Bernard,  sous  le  titre  de  Scala  claustralium  sive 
tractatus  de  modo  orandi,  P.  L.,  t.  clxxxiii,  col.  475- 
484.  Cet  ouvrage  a  été  très  souvent  imprimé  sépa 
rément,  et  il  y  a  des  traductions  anciennes  et  modernes, 
en    allemand,    en    français    et    en    italien.    Signalo^ 
j    seulement  la  version  de  F.  Fuzet  :  L'Échelle  du  ciel 
!    ou    traité    de    l'oraison.    Texte    latin    avec    traduction 
'    française  et  commentaires  tirés  de  Suarez,  in-18,  Lille 
;    et  Bruges,  1880.  —  5°  Vila  sancti  Hugonis,  episcopi 
Gralianopolilani,  écrite  par  ordre  du  pape  Innocent  II, 
;    en  1134,  se  trouve  dans  Surius,  au  1er  avril,  t.  n,  des 
|    Vies  des    saints.  Les  bollandistes  l'ont  insérée   dans 
I   les  Acta  sanclorum  et  y  ont  ajouté  des  notes.  Migne 
j    a  publié   l'édition   des   bollandistes,    P.   L.,  t.    cliii, 
i    col.  761-784.  Mgr  Charles  Bellet  fit  paraître,  en  1889, 
I    une  nouvelle  édition   de  cette  Vie  d'après  plusieurs 
!    anciens     manuscrits,     in-8°,     Montreuil-sur-Mer.     — 
I    6°  Dom    Guigues   était  en   correspondance  avec  les 
!    plus   grands  personnages  de  son  temps.   Mais   de  la 
!    grande  quantité  de  lettres   qu'il  écrivit,  six  seulement 
I    ont  échappé  aux  injures  du  temps.  Elles  se  trouvent 
dans  les  appendices  de  l'histoire  de  l'ordre  des  char- 
treux de  Tromby  et  dans  les  Anncdes  de  dom  Le  Cou- 
teulx.   On  les  trouve  aussi  respectivement  dans  les 
œuvres  de  saint  Bernard,  du  pape   Innocent   II,  de 
Pierre  le  Vénérable,  dans  la  P.  L.,  t.  cliii,  col.  593-602, 
et  dans  d'autres  collections  de  ce  genre.  Dans  Tromby, 
dom  Le  Couteulx,  Migne,  etc.,  on  trouve  deux  lettres 
de  saint  Bernard  et  trois  de  Pierre  le  Vénérable  à 
dom    Guigues.    Plusieurs    auteurs,    entre    autres,    les 
bénédictins    Martène    et    Massuet,    et    le    chartreux 
Tromby,  à  leur  suite,  ont  attribué  à  dom    Guigues 
la  fameuse  lettre  ou  traité  Ad  jralres  de  Monte  Dei, 
publiée   dans   les   œuvres   de   saint  Bernard,    P.    L., 
t.  clxxxiv,  col.  298-364.  Cette  attribution  est  fausse. 
Le  véritable  auteur  de  cette  lettre  est  Guillaume  de 
Saint-Thierry,   qui    la    composa   vers    1145,  huit  ans 
après  la  mort  de  dom  Guigues.  Cf.  Gillet,  La  chartreuse 
du  Mont-Dieu,  in-8°,  Reims,  1889,  p.  83  sq. 

Dom  Guigues,  en  sa  qualité  d'auteur  du  recueil  des 
Coutumes  de  la  Grande-Chartreuse  et  de  premier  propa- 
gateur de  l'ordre,  occupe  une  grande  place  dans  l'histoire 
des  chartreux.  Tous  les  chroniqueurs  ont  parlé  de  ses 
vertus  et  de  ses  œuvres.  Nous  nous  bornons  à  citer  seule- 
ment ces  trois  grands  écrivains,  qui  ont  résumé  les  notices 
des  autres  :  Histoire  littéraire  de  la  France,  t.  xi;  dom  Le 
Couteulx,  Annales  ont.  cartus.;  dom  Le  Vasseur,  Eplieni. 
ord.  cart.,  t.  n,  p.  535  sq.;  P.  L.,  t.  cliii,  col.  501-592; 
voir  dom  Ceillier,  Histoire  générale  des  auteurs  ecclésias- 
tiques, 2e  édit.,  Paris,  1863,  t.  xiv,  p.  305-310;  Hurter, 
Nomenclator,  1906,  t.  n,  col.  59-60,  1583. 

S.  Autore. 

2.  GUIGUES,  second  de  ce  nom,  était  procureur 
de  la  Grande-Chartreuse,  lorsque  ses  confrères,  en  1173. 
l'élurent  pour  leur  prieur  et  général  de  tout  l'ordre, 
Il  succéda  à  dom  Basile  (f  1179),  qui,  après  vingt- 
deux  ans  de  généralat,  rentra  dans  la  vie  privée  pour 
vivre  uniquement  occupé  à  la  contemplation  et  à  la 
pénitence.  Dom  Guigues  imita  cet  exemple,  et,  en  1180, 
abdiqua  sa  charge  et  vécut  saintement  dans  une 
cellule  du  cloître  jusqu'au  27  septembre  1188  ou, 
selon  dom  Le  Couteulx,  jusqu'au  6  avril  1193.  Il  avait 
le  don  d'oraison  et  son  recueillement  continuel  lui 
mérita  le  surnom  d'angélique.  Après  sa  mort,  il  trou- 
bla la  solitude  et  la  paix  de  la  Grande-Chartreuse 
par  ses  nombreux  miracles.  Les  populations  s'em- 
pressaient de  porter  leurs  malades  à  la  porte  du 
monastère  et  faisaient  des  instances  pour  les  déposer 
sur  la  tombe  du  vénérable  religieux,  afin  d'obtenir 
leur  guérison.  Dom  Jancelin,  son  successeur,  fit  cesser 
ces  pieux  pèlerinages  en  ordonnant  au  mort  de  ne 


1967 


GUIGUES    —    GUILLAUME    D'AUVERGNE 


1968 


plus  opérer  de  miracles  dans  l'enclos  du  couvent.  Sous 
le  généralat  de  doin  Guigues,  l'ordre  obtint  d'Alexan- 
dre III  le  privilège  d'être  placé  sous  la  protection 
spéciale  du  Saint-Siège  et  la  confirmation  des  ordon- 
nances des  chapitres  généraux.  A  la  même  époque, 
six  nouvelles  fondations  de  chartreuses  augmentèrent 
le  nombre  des  ermitages  cartusiens  et  firent  répandre 
la  renommée  des  enfants  de  saint  Bruno  jusqu'en 
Danemark  et  en  Angleterre. 

Dom  Guigues  écrivit  un  traité  intitulé  :  De  quadri- 
partite exerciiio  cellœ,  où  il  enseigne  comment  un 
chartreux  doit  s'occuper,  dans  sa  cellule,  à  la  lecture, 
à  la  méditation,  à  l'oraison  ou  contemplation  et  au 
travail  manuel.  Cet  ouvrage  renferme  les  grands 
principes  de  l'ascétisme  et  de  la  mystique  chrétienne. 
Il  suppose  chez  l'auteur  une  profonde  connaissance 
de  l'Écriture  sainte  et  des  voies  intérieures.  Il  fut 
d'abord  imprimé,  en  1667,  à  Dijon,  par  Pierre-Fram,  ois 
Chifflet,  jésuite,  dans  son  Manuale  solitariorum,  où  il 
avait  recueilli  plusieurs  opuscules  et  lettres  spirituelles 
d'anciens  chartreux.  On  l'inséra  ensuite  dans  le 
supplément  de  la  Bibliothèque  des  Pères,  et  puis  dans 
le  t.  xxiv  de  la  Grande  bibliothèque  des  anciens  Pères, 
publiée  à  Lyon,  en  1677.  On  le  trouve  également  dans 
le  t.  iv  de  VHistoire  des  chartreux  de  Tromby  et  dans 
le  t.  cliii  de  la  P.  L.  de  Migne,  col.  799-884. 

Cf.  dans  Nicolas  Molin,  Historia  cartusiana,  Tournai, 
1693,  t.  i,  p.  233;  dom  Le  Couteulx,  Annales  ord.  cari.; 
dom  Léon  Le  Vasseur,  Ephem.  ord.  cart.,  t.  i,  p.  436-437; 
Histoire  littéraire  de  la  France;  dom  Ceillier,  Histoire  géné- 
rale des  auteurs  ecclésiastiques,  2"  édit.,  Paris,  1863,  t.  xiv, 
p.  402-411  ;  Tromby,  Fabricius,  P.  L.,  t.  cliii,  col.  785-286; 
Hurter,  Nomenclator,  1906,  t.  n,  col.  59,  note  3. 

S.  Autore. 

1.  GUILLAUME  D'AUVERGNE,  évêque  de  Paris. 
—  I.  Vie.  II.  Écrits.  III.  Doctrine. 

I.  Vie.  —  Des  premières  années  de  Guillaume  d'Au- 
vergne nous  savons  seulement  qu'il  naquit  à  Aurillac. 
La  date  de  sa  naissance  est  inconnue  :  comme  il  occupa 
une  chaire  de  théologie  dans  l'université  de  Paris  en 
1225  et  parce  que,  pour  être  admis  à  cette  charge,  il 
fallait  avoir  au  moins  trente-cinq  ans,  nous  avons  le 
droit  de  conclure  qu'elle  doit  être  placée  avant  1191. 
Que  valent  les  récits  contradictoires  qui  en  font  un 
mendiant  ou  qui  vantent  sa  noblesse  ?  Nous  l'ignorons. 
Avide  de  science,  ayant  eu,  tout  jeune,  l'ambition 
«  d'acquérir  l'esprit  prophétique  et  de  recevoir  en 
abondance  les  rayons  de  la  splendeur  divine  »,  Opéra, 
Paris,  1674,  t.  i,  p.  1056,  il  vint  à  Paris.  En  1223,  nous 
le  trouvons  chanoine  de  Notre-Dame.  Il  enseigna  la 
théologie  à  de  nombreux  élèves.  Honorius  III  lui  confia 
plusieurs  missions. 

A  la  mort  de  Barthélémy,  évêque  de  Paris  (20  octo- 
bre 1227),  Guillaume  proteste  contre  l'élection  anti- 
canonique de  son  successeur,  en  appelle  au  Saint-Siège 
et  va  poursuivre  cet  appel  à  Rome.  Grégoire  IX  casse 
l'élection,  se  réserve  le  choix  de  l'évêque,  et  désigne 
Guillaume  (10  avril  1228),  qu'il  sacre  lui-même.  Bien- 
tôt éclatait  la  longue  grève  (1229-1231)  des  maîtres  de 
l'université  de  Paris,  à  la  suite  de  mauvais  traitements 
infligés  à  quelques  étudiants  par  le  prévôt  de  Paris  et 
ses  gens  d'armes.  Dans  l'intervalle,  que  ce  soit  sur 
leur  demande  et  avec  l'assentiment  de  l'évêque  et  du 
chancelier,  ou  plutôt  à  la  demande  de  l'évêque  et  du 
chancelier,  les  dominicains  ouvrirent  un  cours  public 
de  théologie.  Cf.  P.  Mandonnet,  De  l'incorporation  des 
dominicains  dans  l'ancienne  université  de  Paris,  dans 
la  Revue  thomiste,  Paris,  1896,  t.  ni,  p.  153-155.  Grâce 
à  Grégoire  IX,  les  maîtres  finirent  par  rentrer  à  Paris, 
en  vainqueurs.  Guillaume,  blâmé  par  le  pape  de  n'avoir 
pas  pris  leur  défense,  leur  garda  de  la  rancune,  tout 
en  se  montrant  disposé  à  encourager  les  études.  Ce 
n'est  pas  la  seule  circonstance  où  il  fut  en  désaccord 


avec  le  pape.  Des  conflits  entre  le  chapitre  de  Paris 
et  des  officiers  du  roi  amenèrent  (6  janvier  1238)  une 
intervention  de  Grégoire  IX  favorable  aux  chanoines 
et  sévère  pour  l'évêque,  lequel  était  accusé  de  n'avoir 
pas  suffisamment  pris  fait  et  cause  pour  eux.  A.  D[ar- 
mesteter],  Revue  des  éludes  juives,  Paris,  1880,  t.  i, 
p.  140,  a  signalé  en  Guillaume  «  son  caractère  de  prêtre 
gallican,  d'homme  du  roi,  et  l'indépendance  avec 
laquelle  il  défendit  les  intérêts  de  saint  Louis  contre 
la  papauté  elle-même  »  Il  ne  faudrait  pas  exagérer  ce 
trait  de  la  physionomie  de  Guillaume,  pas  plus  que  le 
gallicanisme  de  saint  Louis.  Ce  qui  est  vrai,  c'est  que 
ni  le  roi  de  France  ni  l'évêque  de  Paris  n'eurent  tou- 
jours pour  le  pape  une  soumission  effective.  Cf.,  en  ce 
qui  regarde  Guillaume,  N.  Valois,  Guillaume  d'Au- 
vergne, évêque  de  Paris,  Paris,  1880,  p.  32,  62,  68,  78, 
115,  138.  Mais,  en  dépit  de  résistances  de  détails,  l'un 
et  l'autre  furent  attachés  au  Saint-Siège  et  le  servirent 
avec  dévouement.  Les  papes  ne  s'y  trompèrent  point  : 
Honorius  III,  Grégoire  IX,  Innocent  IV  investirent 
Guillaume  de  nombreuses  et  importantes  missions, 
celle,  entre  autres,  à  laquelle  il  se  prêta  de  tout  cœur, 
de  protéger  les  ordres  mendiants,  en  particulier  les 
frères  mineurs.  Cf.  N.  Valois,  op.  cit.,  p.  84-117. 

Guillaume  intervint  dans  l'affaire  retentissante  du 
Talmud,  condamné  à  Paris  (1240)  et  livré  publique- 
ment aux  flammes.  Cf.  Denifle-Châtelain,  Charlu- 
larium  universitatis  Parisiensis,  Paris,  1889,  t.  i, 
p.  202-210.  En  1240  encore,  il  condamna,  de  concert 
avec  la  faculté  de  théologie,  des  propositions  en  faveur 
auprès  d'un  certain  nombre  de  maîtres  et  portant  sur 
l'essence  divine,  la  Trinité,  les  anges,  les  saints,  le 
premier  homme  et  le  démon.  Réduites  à  dix,  elles 
furent  placées  chacune  en  regard  de  la  proposition 
orthodoxe  qui  la  contredisait.  Cf.  d'Argentré,  Colleclio 
judiciorum  de  novis  erroribus,  Paris,  1733,  t.  i,  p.  158, 
186-187.  En  1228,  il  avait  clos  une  campagne  contre 
la  pluralité  des  bénéfices  en  faisant  déclarer  solennelle- 
ment par  les  docteurs  de  l'université  qu'on  ne  pouvait 
en  conscience  posséder  deux  bénéfices  quand  un  seul 
pouvait  suffire  à  l'existence.  Ce  fut  dès  lors  l'enseigne- 
ment général  au  sein  de  la  faculté  de  théologie.  Cf. 
P.  Féret,  La  faculté  de  théologie  de  Paris  et  ses  docteurs 
les  plus  célèbres.  Moyen  âge,  Paris,  1894,  t.  i,  p.  212. 

Influent  à  la  cour,  bien  vu  de  saint  Louis  —  que 
pourtant  il  ne  réussit  pas  à  détourner  de  la  croisade  — 
confesseur  de  Blanche  de  Castille,  il  s'acquitta  intelli- 
gemment de  missions  diplomatiques.  Il  ne  négligea 
point  pour  autant  les  intérêts  de  son  diocèse,  qu'il 
gouverna  avec  beaucoup  de  piété  et  de  zèle.  Il  mourut 
en  1249,  peut-être  le  30  mars.  Cf.  N.  Valois,  Guillaume 
d'Auvergne,  p.  152. 

II.  Écrits.  —  1°  Ouvrages  authentiques  imprimés.  — 
Ce  sont,  dans  l'ordre  où  les  présente  l'édition  la  plus 
complète,  Orléans  et  Paris,  1674,  les  écrits  suivants  : 
1.  De  fîdc,  t.  i,  p.  1-18;  2.  De  legibus,  p.  18-102;  3.  De 
virtutibus,  p.  102-191;  4.  De  moribus,  p.  191-260;  5.  De 
viliis  et  peccalis,  p.  260-293;  6.  De  tentationibus  et 
resistentiis,  p.  293-309;  7.  De  meritis,  p.  310-315;  8.  De 
retribulionibus  sanctorum,  p.  315-328;  9.  De  imnwr- 
lalilale  animée,  p.  329-336;  10.  De  rhelorica  divina  sire 
ars  oratorio  eloquenliœ  divinip,  p.  336-406;  11.  De  sacra- 
menlo  in  generali,  p.  407-416;  12.  De  sacramenio  bup- 
tismi,  p.  416-426;  13.  De  sacramenio  confirmationis, 
p.  426-429;  14.  De  sacramenio  eucharistise,  p.  429- 
451;  15.  De  sacramenio  pœnitentix,  p.  451-512;  16.  De 
sacramenio  malrimonii,  p.  512-528;  17.  De  sacramenio 
ordinis,  p.  528-553  ;  18.  De  sacramenio  exlremœ  unctionis 
et  de  sacramentalibùs,  p.  553-555;  19.  De  causis  eut 
Deus  homo,  p.  555-570;  20.  De  psenitentia  novus  tra- 
ctalus,  p.  570-592;  21.  De  universo,  p.  593-1074;  22. 
Tractatus  quatuor  nunc  primum  ex  manuscriptis 
ernti  :  De  Trinitate,  notionibus  et  preedicamentis,  t.  n  a. 


1969 


GUILLAUME    D'AUVERGNE 


1970 


p.  1-64;  23.  De  anima,  p.  65-228;  24.  Supplementum 
traclatus  novi  de  pxnitentia,  p.  229-247;  25.  Tractalus 
de  collatione  et  singularilale  beneficiorum,  p.  248-260; 
26.1e  Declauslro  animée,  imprimé  par  H.  Estienne, Paris, 
1507,  n'a  pas  pris  place  dans  l'édition  de  1674. 

2°  Ouvrages  authentiques  inédits.  —  Ici,  et  dans  la 
suite,  nous  résumons  N.  Valois,  Guillaume  d'Auvergne, 
p.  171-186,  qui  a  considérablement  modifié  et  amélioré 
les  listes  d'Ellies  du  Pin,  de  C.  Oudin,  de  dom  Ceillier, 
et  de  l'Histoire  littéraire  de  la  France.  —  1.  De  passione 
Domini;  2.  De  faciebus  mundi;  3.  Commentaire  sur  le 
Cantique  des  cantiques;  4.  sur  l'Ecelèsiasle;  5.  sur  les 
Proverbes;  6.  De  missa;  7.  De  gralia;  8.  De  laudibus 
palientiee  ;  9.  De  bono  et  malo;  10.  De  pauperlate  spiri- 
luali;  11.  Sermons,  au  nombre  de  530  environ,  en  latin, 
et  un  sermon  composé,  avec  l'aide  de  Philippe  de  Grève, 
sur  la  sainte  Vierge;  de  curieux  fragments  de  la  tra- 
duction en  dialecte  picard  sont  publiés  par  N.  Valois, 
p.  220-223 

3°  Ouvrages  d'une  authenticité  douteuse.  —  1.  De 
Inferno  et  paradiso;  2.  Extrada  super  libros  Sententia- 
rum;  3.  Commentaire  sur  l'Apocalypse;  4.  Statuts  syno- 
daux, imprimés  dans  le  Synodicon  l'arisiense  publié 
par  les  soins  de  C.  de  Beaumont,  Paris,  1777;  ils  sont 
l'œuvre  d'un  Guillaume  de  Paris,  mais  il  est  impossible 
de  se  prononcer  pour  l'un  ou  l'autre  des  trois  évêques 
du  nom  de  Guillaume  qui  occupèrent  le  siège  de  Paris 
à  quelques  années  d'intervalle;  5.  Consilium  domini 
Guillclmi  episcopi  Parisiensis  de  ministerio  et  negli- 
gentiis  allaris  (même  incertitude  à  l'égard  de  ce  court 
fragment  inédit). 

4°  Ouvrages  apocryphes.  —  1.  Commentaire  sur  les 
épllres  et  les  évangiles  des  dimanches  (environ  60  édi- 
tions); 2.  Commentaire  sur  l'Évangile  de  saint  Matthieu 
(imprimé,  avec  les  œuvres  de  saint  Anselme,  édit.  du 
P.  Raynaud,  Lyon,  1630,  p.  456);  3.  Dialogue  sur  les 
sept  sacrements  (inédit);  4.  Liber  contra  exemplos 
(inédit,  est  probablement  l'œuvre  de  Guillaume  Beau- 
fet,  originaire  d'Aurillac  lui  aussi  et  évèque  de  Paris 
de  1305  à  1320);  5.  Sermons,  au  nombre  de  300,  impri- 
més dans  l'édition  de  1674,  t.  n  b,  considérés  dès  long- 
temps comme  l'œuvre  du  dominicain  Guillaume 
Perrauld. 

5°  Date,  sujet,  unité  des  écrits.  —  Il  est  vraisemblable 
que  la  plupart  des  écrits  sont  antérieurs  à  la  promotion 
à  l'épiscopat.  Un  manuscrit  d'Oxford,  du  xve  siècle, 
place  en  1234  la  rédaction  du  De  sacramenlis ;  on  peut 
se  demander  ce  que  vaut  ce  renseignement.  Le  De 
virtutibus  fut  postérieur  à  1217,  car  Guillaume  y  parle, 
t.  i,  p.  245,  de  Jean  de  Montmirail  comme  d'un  homme 
qui  n'était  plus  de  ce  monde;  or  ce  pieux  cistercien 
mourut  en  1217.  Le  Traclatus  de  collatione  et  singu- 
laritale  beneficiorum  fut  antérieur  à  la  décision  de  1228  : 
tout  en  se  prononçant  contre  la  pluralité,  Guillaume 
déclare  que  la  question  est  spéculativement  encore  dou- 
teuse, ce  qui  suffît,  dit-il,  pour  commander  l'abstention, 
afin  de  ne  pas  s'exposer  au  péril  d'une  faute  grave; 
évidemment,  après  le  décret  de  1228,  il  aurait  été  plus 
net.  Le  De  universo  se  place  entre  1231  et  1236. 

Le  titre  des  écrits  indique  assez  clairement  le  sujet, 
exception  faite  pour  le  De  universo,  le  De  rhelorica 
divina,  le  De  faciebus  mundi,  le  De  claustro  animée.  Le 
De  universo,  qui  est  l'œuvre  la  plus  longue  et,  avec  le 
De  anima,  la  plus  importante,  traite,  en  deux  parties, 
de  l'univers  matériel  et  de  l'univers  spirituel.  Le  De 
rhelorica  divina,  sous  la  forme  d'un  traité  de  rhéto- 
rique, enseigne  l'art  de  prier.  En  revanche,  le  De  facie- 
bus mundi  est  un  véritable  traité  de  l'éloquence  de  la 
chaire.  Les  faciès  mundi,  ce  sont  les  objets  matériels, 
signes  et  représentations  des  objets  spirituels;  l'étude 
des  faciès  mundi  est  la  science  des  comparaisons,  des 
allégories  et  des  métaphores.  Le  De  claustro  animte 
assimile  à  la  vie  claustrale  la  vie  de  l'âme. 


Les  derniers  éditeurs  ont  multiplié  à  plaisir  les  traités 
de  Guillaume.  Le  De  f\de  et  le  De  legibus  sont,  en 
réalité,  un  traité  unique  sous  ce  titre  :  De  fîde  et  legibus. 
Les  six  traités  suivants  constituent,  clans  les  manuscrits, 
une  Summa  de  vitiis  et  virtutibus,  divisée  en  trois  part  les 
traitant  successivement  des  vertus,  des  mœurs,  et  enfin, 
dans  trois  sections,  des  vices  et  des  péchés,  des  tenta- 
tions et  des  résistances,  des  mérites  et  de  la  récompense 
des  saints.  Le  De  sacramenlo  in  generali  et  les  traités  sur 
les  sacrements  en  particulier  forment  un  seul  traité  De 
sacramenlis.  Restent  donc,  à  l'actif  de  Guillaume,  vingt- 
deux  traités  où  l'on  est  autorisé  à  discerner  des  frag- 
ments d'un  des  plus  vastes  monuments  qu'ait  édifiés 
la  scolastique.  Cette  encyclopédie.  Guillaume  l'appelait 
tantôt  «  science  divine,  divinale,  sapientiale  ou  spiri- 
tuelle »,  tantôt  «  philosophie  première  et  théologique, 
philosophie  sapientiale  »,  ou  même  «  métier  premier, 
sapiential  et  divinal  ».  Opéra,  t.  i,  p.  102.  24,  76,  407, 
69,  76,  593.  Elle  a  sept  parties.  La  I™  traite  de  Dieu 
et  est  représentée  par  le  De  Trinitate.  Viennent  ensuite 
l'étude  de  l'ensemble  des  créatures  et  des  rapports  du 
inonde  avec  Dieu  (IIe  et  IIIe  parties,  représentées 
par  la  Ire  partie  du  De  universo);  la  science  des  purs 
esprits  (IV  partie,  représentée  par  la  IIe  paitie  du 
De  universo).  Puis,  nous  arrivons  à  l'homme.  La  Ve  par- 
tie est  formée  par  le  De  fide  et  legibus  (vraie  religion); 
la  VIe  par  le  De  sacramenlis.  Rejetant  en  dehors  de 
la  science  divine  la  psychologie  proprement  dite  et 
l'annexant  à  la  philosophie  naturelle,  Guillaume,  dans 
sa  VIIe  et  dernière  partie,  s'occupe  des  facultés  les 
plus  nobles  de  l'âme,  de  la  volonté,  des  vertus  et  des 
mœurs,  des  vices  et  des  péchés,  des  mérites  et  des 
récompenses  réservées  à  la  vertu  :  c'est  l'objet  de  la 
Summa  de  vitiis  et  virtutibus.  Ainsi  Guillaume,  à  l'exem- 
ple de  ses  contemporains  et  selon  un  plan  qui,  sans 
en  avoir  la  perfection  architecturale,  offre  des  analo- 
gies avec  celui  de  la  Somme  théologique  de  saint  Tho- 
mas, cherchait  à  coordonner  son  enseignement,  et, 
quand  il  achevait  la  Summa  de  vitiis  et  virtutibus,  «  il 
mettait  en  réalité  la  dernière  main  à  un  vaste  ouvrage 
que  l'on  pouvait  appeler  sa  Somme.  Il  porte  ce  nom 
dans  l'un  des  manuscrits  d'Oxford  :  le  De  fide  et  legibus, 
le  De  sacramentis,  la  Summa  de  vitiis  et  virtutibus  n'y 
sont  désignés  que  par  ces  mots  :  Quinta  pars,  sexla  pars, 
seplima  pars  Summe  Parisiensis.  »  N.  Valois,  Guillaume 
d'Auvergne,  p.  197. 

III.  Doctrine.  —  1°  Sources.  —  Après  A.  Jourdain, 
Recherches  critiques  sur  l'âge  et  l'origine  des  traductions 
latines  d'Aristote  et  sur  des  commentaires  grecs  ou  arabes 
employés  par  les  docteurs  scolastiques,  2e  édit.,  Paris, 
1843,  p.  298-299,  et  d'une  manière  plus  complète, 
N.  Valois,  op.  cit.,  p.  198-206,  a  dressé  la  liste  des 
auteurs  cités  par  Guillaume.  Ce  sont  :  parmi  les  Grecs, 
Hermès  Trismégiste,  Hippocrate,  Platon  (il  semble 
n'avoir  connu  que  le  Timée,  par  la  traduction  de  Chal- 
cidius),  Aristote  (il  cite  les  diverses  parties  de  l'Or- 
ganon,  la  Métaphysique,  la  Physique,  De  l'âme,  le  traité 
Du  sommeil  et  de  la  veille,  celui  Des  animaux,  ceux 
Du  ciel,  Du  monde.  Des  météores,  les  Éthiques,  le 
traité  De  la  génération  et  de  la  corruption,  le  traité 
apocryphe  Du  feu  grégeois),  Euclide,  Ptolémée,  Galien, 
Alexandre  d'Aphrodisie,  Porphyre,  Thémistius,  Jo- 
sèphe,  Origène,  Eusèbe,  saint  Basile,  saint  Jean  Chry- 
sostome,  le  pseudo-Aréopagite,  saint  Jean  Damas- 
cène,  la  prophétie  dite  de  Méthodius;  parmi  les  Latins, 
Cicéron,  Virgile,  Ovide,  Tite-Live,  Valère-Maxime, 
Sénèque,  Pline  l'Ancien,  Horace,  Quinte-Curce,  Juvé- 
nal,  Martial,  Apulée,  Macrobe,  saint  Cyprien,  saint  Am- 
broise,  saint  Jérôme,  saint  Augustin,  Julien  Pomère 
(il  cite  sa  Vie  contemplative  sous  le  nom  de  saint  Pros- 
per),  Fauste  de  Riez,  Boèce,  saint  Grégoire  le  Grand, 
saint  Isidore  de  Séville,  saint  Bède,  saint  Bernard, 
Hildebert  du  Mans,  Hugues  de  Saint- Victor,  Gilbert 


1971 


GUILLAUME    D'AUVERGNE 


1972 


de  la  Porrée  (il  cite  son  Liber  sex  principiorum  sous 
le  nom  d'Aristote),  Guigues  le  Chartreux,  Joachim  de 
Flore,  Alain  de  Lille,  et  sept  ouvrages  anonymes  : 
l' Itinerarium  démentis  ou  Liber  disputationum  Pétri 
contra  Simoncm  magum  (qu'il  attribue  à  saint  Clément 
romain),  le  Libellus  disputuliomim  cu.jusd.am  christiani 
et  eujusdam  sarraceni,  le  Liber  experimentorum.  le 
Liber  imaginum  lunœ,  le  Liber  maleficiorum,  le  Liber 
sacralus,  les  Libri  judieiorum  aslronomise  ;  parmi  les 
écrivains  arabes  et  juifs  :  Albategni,  Alfarabi,  Avicenne, 
Albumazar,  Algazel,  Artéphius,  Alfragan,  Ali,  Aven 
Nathan,  Alpetrangi,  Averroès,  Salomon  ibn  Gabirol 
dit  Avicebron,  qu'il  admire  beaucoup  et  qu'il  suppose 
avoir  été  un  chrétien  vivant  sous  la  domination  arabe. 
Il  ne  nomme  jamais  Maimonide;  néanmoins  il  est  hors 
de  doute  que  Guillaume  d'Auvergne  a  copieusement 
utilisé  le  Guide  des  indécis  de  cet  auteur.  L.-G.  Lévy, 
Maimonide,  Paris,  1911,  p.  262. 

Les  sources  de  Guillaume  d'Auvergne  sont  donc 
nombreuses.  Une  étude  approfondie  de  ses  œuvres  en 
révélera  probablement  de  nouvelles.  Il  y  a  des  chances 
pour  que  Maimonide  ne  soit  pas  le  seul  écrivain  qu'il 
mette  à  profit  sans  prononcer  son  nom.  A  la  suite  de 
B.  Hauréau,  Notices  et  extraits  de  quelques  manuscrits 
latins,  Paris,  1892,  t.  v,  p.  196-200,  G.  Bûlow,  Des 
Dominicus  Gundissalinus  Schrift  von  der  Unsterblich- 
keit  der  Seele,  Munster,  1891,  a  montré  que  son  De 
immortalitale  animée  reproduit  presque  littéralement 
l'ouvrage  homonyme  de  l'archidiacre  Gundissalvi. 
Le  De  claustro  animœ  s'inspire  manifestement  du 
livre  III  du  De  claustro  animée  d'Hugues  de  Saint- 
Victor.  S.  Talamo,  L'arislolélisme  de  la  scolastique  dans 
l'histoire  de  la  philosophie,  trad.  franc.,  Paris,  1875, 
p.  228,  229,  231,  250,  256,  a  pu  citer  Guillaume  parmi 
les  docteurs  qui  ont  jugé  Aristote  avec  liberté  et  indé- 
pendance. Il  fait  grand  cas  du  Stagirite,  mais,  au  besoin, 
il  l'abandonne  ou  lui  préfère  Platon.  Ce  qui  est  parti- 
culièrement remarquable,  c'est  la  place  qu'il  accorde  à 
la  philosophie  arabe.  Dans  un  temps  où  les  chrétiens 
en  Orient  et  en  Espagne  combattaient  l'islam,  il  s'at- 
taque à  l'influence  des  penseurs  arabes.  S'il  décerne  à 
Averroès  le  titre  de  philosophus  nobilissimus,  Opéra, 
t.  i,  p.  851  ;  t.  ii  a,  p.  101,  il  est  «  le  premier  des  scolas- 
tiques  »  qui  réfute  l'averroïsme  «  à  chaque  page,  tantôt 
sous  le  nom  d'Aristote,  tantôt  sous  de  très  vagues 
dénominations,  comme  expositores,  sequaces  Arislo- 
ielis  ».  E.  Renan,  Averroès  et  l'averroïsme,  3e  édit., 
Paris,  1867,  p.  225.  L'attention  qu'il  a  donnée  aux 
écrivains  juifs,  cf.  J.  Guttmann,  Guillaume  d' Auvergne 
et  la  littérature  juive,  dans  la  Revue  des  éludes  juives, 
Paris,  1889,  t.  xvm,  p.  243-255,  achève  de  témoigner 
de  l'ampleur  de  ses  informations. 

2°  Théologie.  —  Il  serait  désirable  que  la  théologie 
de  Guillaume  d'Auvergne  fût  étudiée  à  fond.  Divers 
points  ont  été  indiqués  déjà  dans  le  Dictionnaire; 
d'autres  le  seront  ultérieurement.  Voir  Absolution, 
1. 1,  col.  175;  Ame,  col.  1006;  Anges,  col.  1226;  Augus- 
tinisme,  col.  2556;  Bacon,  t.  n,  col.  14;  Confession, 
t.  in,  col.  894,  908,  911,  914;  Confirmation,  col.  1073, 
1075;  Crédibilité,  col.  2258,  2265-2266;  Démon,  t.  iv, 
col.  390-392;  Dogmatique,  col.  1559;  Dons  du  Saint- 
Esprit,  col.  1770-1771,  1774;  Essence,  t.  v,  col.  844; 
Eucharistie,  col.  1303,  1304,  1305,  1310;  Fin  du 
monde,  col.  2538-2539  ;  Foi,  t.  vi,  col.  118-119, 340, 438. 
Toutes  les  idées  théologiques  de  Guillaume  n'ont  pas  la 
même  valeur.  Des  opinions  surannées  s'y  rencontrent, 
des  bizarreries  apparaissent.  Mais  les  vues  intéressantes 
s'y  présentent  fréquemment.  Guillaume  a  du  savoir, 
de  l'ouverture  et  de  la  pénétration  d'esprit.  Franche- 
ment orthodoxe,  il  ne  veut  pas  qu'on  préfère  ses  dis- 
cours à  ceux  des  Pères,  n'ayant  d'autre  but,  dit-il,  que 
ut  verilalem  corum  per  vias  probationum  astruam,  et 
contraria  destruam  eorumdem.  Opéra,  t.  n  a,  p.  226 


Alors  que  nombre  de  ses  contemporains  se  laissent 
prendre  aux  excès  d'un  certain  aristotélisme  ou  de 
l'averroïsme,  il  réfute  sur  bien  des  points  Aristote  qu'il 
admire  et  il  soumet  à  une  critique  «  sévère  mais  non  mal- 
■  veillante  «les  commentateurs  arabes.  Il  a  l'œil  ouvert 
sur  les  tentatives  des  hérésiarques.  II  consacre  une  par- 
tie notable  du  De  universo  à  la  preuve  de  l'unité  de 
Dieu  et  à  la  réfutation  du  manichéisme,  représenté  à 
celte  époque  par  les  cathares:  il  pourchasse  toutes  les 
erreurs  de  quelque  côté  qu'elles  viennent,  chez  les 
philosophes  de  l'antiquité  comme  dans  les  écoles  du 
moyen  âge.  Il  admet  que  l'hérésie  soit  extirpée  par 
le  fer  et  le  feu.  Cf.  N.  Valois,  op.  cit.,  p.  24-27,  238-241, 
247,  310. 

Au  commencement  du  xme  siècle,  l'astrologie  eut 
grand  succès.  Les  plus  fermes  esprits,  les  meilleurs  théo- 
logiens ne  résistèrent  pas  toujours  à  l'entraînement 
général.  Guillaume  d'Auvergne  eut  le  rare  mérite  de  la 
combattre.  A  vrai  dire,  il  lui  fit  une  part  minime, 
admettant  l'influence  des  astres  sur  quelques  objets 
matériels  :  la  moelle  des  os,  la  sève  des  plantes,  les 
liquides,  soutenant  —  et  en  cela  il  devançait  l'arrêt  de 
la  science  moderne  —  que  la  mer  obéit  à  la  lune;  mais 
il  partit  en  guerre  contre  les  divagations  des  astrologues 
et  leurs  doctrines  malfaisantes,  qui  ne  tendaient  à  rien 
moins  qu'à  détruire  le  libre  arbitre  et  le  dogme  de  la 
providence.  De  même,  Guillaume  est  en  avance  sur 
son  temps  dans  l'assaut  qu'il  livre  aux  superstitions 
de  tout  genre.  Crédulité  outrée,  livres  d'alchimie,  de 
maléfices,  de  magie,  récits  de  fantômes,  contes  de  fées, 
légendes  où  les  loups-garous  interviennent,  apparitions 
de  follets,  hallucinations,  enlèvements,  catastrophes 
prédites  par  les  devins,  tout  cela  ne  trouve  pas  grâce 
devant  lui,  aucune  de  ces  imaginations  ne  lui  paraît 
digne  des  scientes  et  rationales.  Opéra,  t.  i,  p.  1039.  Au 
sujet  des  démons,  il  ne  rejette  pas  toutes  les  légendes 
populaires.  A  propos  de  Merlin  et  de  ses  prophéties,  il 
regarde  comme  non  improbable  le  récit  «  fameux  »  qui 
fait  de  lui  filius  dsemonis  incubi...  Quod  aulem  propheta 
in  cadem regione  habitas  est...,  ex  instruclionc  vel  doctrina 
paterna  hoc  accepisse  non  immerito  credi  potest.  Opéra, 
t.  i,  p.  1072.  Il  évite  toutefois  beaucoup  d'errements 
qui  avaient  cours  en  matière  de  démonologie.  Il  appuie 
sur  l'importance  de  la  doctrine  des  démons,  qu'il  se 
flatte  d'avoir  formulée  le  premier  :  nolum  est  tibi  quia 
de  rebus  hujusmodi  nihil  ab  eis  qui  prœcesserunt  ad  hœc 
lempora  devenit.  et  il  ajoute  assez  heureusement  : 
quapropter  grata  fiant  tibi  hœc  quse  audivisli,  quœ,  elsi 
plene  nec  tibi  nec  aliis  forsan  de  rebus  a  consuetudine 
nostra  lam  remotis  sufficiant,  occasionem  tamen  cl  non- 
nulla  initia  ea  quse  desunt  inveniendi  tibi  ac  aliis  phi- 
losophantibus  prœstant.  Opéra,  t.  i,  p.  1065.  De  ses 
preuves  de  l'existence  de  Dieu  on  a  dit  qu'elles  sont 
«  entièrement  neuves  »  et  qu'elles  «  contiennent  des 
points  de  vue  que  Bonaventure  et  Thomas  d'Aquin 
mettront  bientôt  à  profit  ».  C.  Henry,  Histoire  des 
preuves  de  l'existence  de  Dieu  au  moqen  âge,  dans  la 
Revue  thomiste,  Paris,  1911,  t.  xix,  p.  142.  «  Entière- 
ment neuves  »  est  excessif.  Cf.  S.  Schindele,  Beitrâgc 
zur  Metaphysik  des  Wilhelm  von  Auvergne,  Munich, 
1900,  p.  45-56.  Elles  dépendent  de  saint  Augustin, 
de  l'ancienne  scolastique,  et  des  Arabes.  Mais  Guil- 
laume y  a  ajouté  du  sien.  Des  arguments  a  priori,  qui 
rappellent  celui  de  saint  Anselme,  sont  caducs; 
d'autres,  meilleurs,  préparent  une  partie  de  l'argu- 
mentation de  saint  Thomas.  Il  emploie  dans  un  sens 
orthodoxe  la  formule  :  «  Dieu  est  l'être  formel  des 
choses  »,  qui  peut  si  aisément  tourner  au  panthéisme. 
En  même  temps  que  sur  la  théologie  de  Guillaume 
d'Auvergne,  ses  écrits  nous  renseignent  sur  les  idées 
et  les  mœurs  de  son  temps.  Tel  passage  où  il  traite  du 
sacrement  de  la  confirmation,  par  exemple,  est  riche 
de  substance  historique  :  Quam  imperiti,  quam  indevoli 


1973 


GUILLAUME    D'AUVERGNE 


1974 


illud  hodie  suscipianl,  quam  lurbulcnter,  irreverenter, 
ad  illud  hodie  acccdatur,  ipsi  oculi  noslri  faciunl  nobis 
jidem,  propler  quod  nec  mirurn  si  virtus  cjus  et  efjicacia 
apud  hujusmodi  homines  aul  parva  sil  nut  nulla,  id  est 
quod  speciem  chrislianse  religionis  et  signa  omnia  san- 
ctitatis,  et  ipsum  nomen,  non  solum  erubescant  sed  eliam 
formident.  rarissimi  enim  sunl  qui  non  erubescant  nique 
/ormident  facere  bona  aul  loqui  vera  in  conspeclu  homi- 
num  etiam  christianorum.  De  sacmmcnlo  confirmalionis, 
Opéra,  t.  i,  p.  428-429.  Si  l'on  ne  savait  de  qui  est  ce 
texte,  croirait-on  qu'il  concerne  le  moyen  âge  et  qu'il 
vise  les  contemporains  de  saint  Louis  ?  Parce  qu'il  se 
trouve  dans  un  traité  dogmatique,  composé  à  froid,  loin 
des  entraînements  de  l'éloquence  de  la  chaire,  il  a  plus 
de  force  qu'un  autre  texte  très  dur  pour  le  clergé 
d'alors,  et  dont  B.  Hauréau,  qui  l'a  extrait  d'un  ser- 
mon inédit,  Notices  et  extraits  de  quelques  manuscrits 
latins,  Paris,  1893,  t.  vi,  p.  228-229,  dit  que,  pour  l'ap- 
précier à  sa  juste  valeur,  il  importe  de  se  rappeler  qu'  «  il 
est  admis  qu'un  prédicateur  peut,  en  accusant,  man- 
quer de  mesure  ». 

3°  Philosophie.  —  Croyant  très  orthodoxe,  Guil- 
laume défend  les  droits  de  la  raison  et  marque  nette- 
ment ses  frontières  et  celles  de  la  foi.  Nec  altendas 
sermonibus  philosophorum  in  parte  ista  (il  s'agit  de 
l'action  de  Dieu  sur  les  créatures),  nec  etiam  in  aliis, 
si  vis  erudilus  esse  et  absque  errore  in  rébus  divinalibus  : 
voilà  pour  la  foi.  Et  voici  pour  la  raison  :  dans  les 
traités  philosophiques,  il  précise  que  ses  arguments  ne 
reposent  pas  sur  le  témoignage  des  Écritures,  mais  sur 
des  preuves  rationnelles;  tu  autem  intellige  quia  in 
omnibus  traclalibus  islis  specialibus  non  utor  testimonio 
legis  alicujus,  nec  inlcnlionis  mese  est  verilalem  commu- 
nem  et  communiter  sciendam  vel  credendam  ab  homini- 
bus  aslruere  per  testimonia  sed  per  probationes  irre/ra- 
gabiles.  Opéra,  t.  i,  p.  1028.  L'autorité  d'Aristote  n'est 
pas  une  preuve,  et  il  se  garde  de  l'alléguer  comme  telle, 
cum  proposilum  meum  sit,  et  in  hoc  tractatu  et  ubicumque 
possum,  cerlitudinem  Jaccre  demonstrativam  post  quam 
non  relinquitur  libi  dubilalionis  ullum  vestigium,  t.  n  a, 
p.  65;  cf.  p.  116.  En  termes  magnifiques,  il  se  déclare 
partisan  du  progrès  indéfini  des  sciences,  t.  ii  a,  p.  158. 

La  philosophie  de  Guillaume  a  été  l'objet  de  plu- 
sieurs monographies.  Elle  est  tout  à  fait  digne  d'atten- 
tion, étant  donnée  surtout  la  date  où  il  écrivait.  Mais 
elle  est  parfois  indécise;  l'aristotélisme  imparfait,  dont 
les  éléments  apparaissent  chez  lui  «  à  l'état  sporadique  » 
et  qui  se  teinte  d'idées  néoplatoniciennes,  «  est  étran- 
gement allié  aux  doctrines  de  l'ancienne  scolastique  : 
Guillaume  essaie  de  concilier  les  innovations  avec  les 
legs  du  passé,  et  là  où  la  conciliation  lui  paraît  impos- 
sible, c'est  la  tradition  qui  l'emporte.  Il  en  résulte 
un  manque  caractéristique  de  cohésion  doctrinale.  » 
M.  de  Wulf ,  Histoire  de  la  philosophie  médiévale,  2e  édit., 
Louvain,  1905,  p.  290. 

Dans  la  question  des  universaux  Guillaume  n'est  pas, 
quoi  qu'en  ait  dit  B.  Hauréau,  Histoire  de  la  philo- 
sophie scolastique,  Paris,  1880,  t.  n  a,  p.  166,  du  nombre 
»  des  réalistes  les  plus  intempérants  ».  Il  professe  un 
réalisme  modéré  qui  lui  est  propre,  et  qui  avoisine  çà 
et  là  le  conceptualisme  et  ailleurs  semble  préluder  au 
réalisme  thomiste.  Le  premier  des  scolastiques,  à  notre 
connaissance,  il  enseigne  la  distinction  réelle  de  l'es- 
sence et  de  l'existence.  «  Sans  doute  les  mots  dislinctio 
realis  ne  se  rencontrent  pas  dans  ses  écrits,  mais  les 
•termes  dont  il  se  sert  pour  exprimer  sa  pensée  expri- 
ment l'idée  sans  équivoque  ou  obscurité.  »  C.  Henry, 
Revue  thomiste,  Paris,  1911,  t.  xix,  p.  446.  L'auteur 
auquel  il  est  directement  redevable  de  cette  doctrine 
paraît  être  Avicenne.  Cf.  S.  Schindele,  Beilràge  zur 
Metaphgsik  des  Wilhelm  von  Auvergne,  Munich,  1900, 
p.  25.  Le  premier  encore  il  a  franchement  posé  le  pro- 
blème de  l'origine  des  connaissances.  Il  a  bien  vu  quel- 


ques aspects  du  problème.  Il  a  dénoncé  la  théorie 
averroïste  de  l'intellect  agent  séparé,  intermédiaire 
entre  Dieu  et  l'homme,  exerçant  une  influence  mysté- 
rieuse sur  la  multitude  des  intelligences  passives  et 
enfantant  la  pensée.  Il  rejette  la  théorie  du  phantasma 
spiritualisé,  ou  de  l'espèce  sensible  transformée  en 
espèce  intelligible  sous  l'influence  dépurative  de  l'intel- 
lect agent,théorie  présentée  faussement  comme  aristoté- 
licienne et  grosse  de  conséquences  ruineuses;  beau- 
coup, avant  lui  et  après  lui,  s'y  laissèrent  prendre.  Où 
il  est  moins  heureux,  c'est  quand  il  repousse  la  division 
de  l'intellect  en  agent  et  possible.  Et,  sans  parler  du 
reste,  sa  théorie  de  la  vision  en  Dieu,  qui  fait  songer 
à  l'ontologisme,  est  grandement  défectueuse.  Cf.  les 
textes  rassemblés  par  N.  Valois,  Guillaume  d' Auvergne, 
p.  266-278.  Il  est  de  ceux  qui  n'osent  pas  renoncer 
aux  sphères  homocentriques  d'Al  Bitrogi,  d'Averroès 
et  d'Aristote,  qui  rejettent,  les  excentriques  et  les 
épicycles  de  Ptolémée,  mais  aussi  de  ceux  qui  dénon- 
cent la  contradiction  formelle  entre  l'aristotélisme  et 
l'omnipotence  divine,  et  qui,  par  là,  contribuent  à 
susciter  cette  science  parisienne  du  xive  siècle  qui, 
ainsi  que  l'ont  établi  les  admirables  travaux  de 
P.  Duhem,  formula,  avant  Newton,  Descartes,  Galilée 
et  Léonard  de  Vinci,  les  principes  sur  lesquels  repose 
la  science  moderne.  Cf.  A.  Dufourcq,  Les  origines  de  la 
science  moderne  d'après  les  découvertes  récentes,  dans  la 
Revue  des  Deux  Mondes,  15  juillet  1913,  p.  353,  360-362. 
4°  Place  de  Guillaume  d'Auvergne  dans  la  scolastique. 
—  Avec  Dominique  Gundissalvi  et,  à  une  place 
inférieure,  Alfred  de  Sereshel,  Guillaume  d'Auvergne 
forme  le  groupe  des  précurseurs  dans  l'ancienne  scolas- 
tique du  xme  siècle.  Aristotélisme,  platonisme  ou 
néo-platonisme,  éléments  juifs  et  arabes,  tout  cela  est 
en  train  d'agir  sur  la  pensée  chrétienne.  Guillaume  a  de 
ces  sources  diverses  une  connaissance  relativement 
large;  il  aperçoit  les  problèmes  qui  se  posent,  il  s'atta- 
che à  les  résoudre.  S'il  n'y  réussit  pas  toujours,  s'il 
n'échappe  pas  à  toute  incohérence  doctrinale,  il  donne 
plus  d'une  fois  des  solutions  heureuses,  il  fraye  les 
bonnes  routes.  Il  se  rend  compte  des  dangers  que 
présentent  les  idées  nouvelles,  et,  selon  la  juste  remar- 
que de  S.  Schindele,  Kirchenlexikon,  2e  édit.,  Fribourg- 
en-Brisgau,  1901,  t.  xn,  col.  1590,  tout  entier  à  ce  qui 
est  pratique  et  actuel,  il  combat  l'hérésie  régnante 
du  catharisme  et  les  thèses  périlleuses  de  la  philosophie 
arabe  et  le  monopole  qu'elle  exerce  sur  Aristote.  Ajou- 
tez à  cela  qu'il  est  de  la  lignée  de  ces  grands  esprits  du 
moyen  âge  qui  embrassèrent  tout  le  cycle  des  sciences 
alors  connues.  Évêque  et  docteur,  Guillaume  d'Au- 
vergne est  une  des  nobles  figures  du  xme  siècle. 

Il  est  difficile  de  mesurer  son  influence  sur  les  scolas- 
tiques venus  après  lui.  A  défaut  de  citations,  dont  les 
scolastiques  n'usaient  pas  toujours  quand  ils  faisaient 
usage  d'un  livre,  et  en  admettant,  avec  C.  Jourdain, 
La  philosophie  de  saint  Thomas  d'Aquin,  Paris,  1858, 
t.  i,  p.  52,  que  ce  qui  lui  a  manqué,  pour  agir  décisive- 
ment  sur  l'école,  c'a  été  «l'énergique  appui  d'un  ordre 
religieux  intéressé  à  propager  ses  écrits  et  sa  gloire  »,  les 
nombreux  manuscrits  de  ses  œuvres  témoignent  d'une 
diffusion  sérieuse.  Les  éloges  que  lui  décernent  les 
copistes  indiquent  en  quelle  estime  on  le  tenait.  Nobi- 
lissimus  philosophus...  Vir  élevâtes  intelligcntiœ  et 
profundœ  speculalionis...,cujus  nomen  non  delebitur  de 
terra  viventium,  portent  des  manuscrits  de  Chartres 
et  d'Oxford.  Cf.  N.  Valois,  Guillaume  d'Auvergne, 
p.  326.  Des  questions  qu'il  avait  soulevées,  des  théories 
qu'il  avait  développées  le  premier,  se  retrouvent  dans 
la  scolastique  postérieure.  Pour  ne  rien  dire  des  pages 
d'un  Thomas  de  Cantimpré,  d'un  Etienne  de  Bourbon, 
cf.  A.  Lecoy  de  La  Marche,  Anecdotes  historiques, 
légendes  et  apologues  tirés  d' É.  de  Bourbon,  Paris,  1877, 
p.  383,  387-389,  et  d'un  Joinville,  édit.  Wailly,  Paris, 


1975     GUILLAUME  D'AUVERGNE 


GUILLAUME   DE   CHAMPEAUX     1976 


1874,  p.  26,  qui  sont  à  l'honneur  de  l'évêque  ■ —  celles 
de  Thomas  de  Cantimpré  furent  extraites,  au  xve  siè- 
cle, de  son  Bonum  universelle  de  apibus.  1.  I,  c.  xix,  lv, 
et  on  en  forma  un  recueil  intitulé  :  Determinatio  Pari- 
siensis  de  pluralitale  beneficiorum  —  Roger  Bacon  le 
mentionne  avec  une  sympathie  qu'il  a  rarement  pour 
ses  contemporains.  Opus  tertium,  c.  xxm,  dans  J.-S. 
Brewer,  Fr.  R.  Bacon  opéra  quœdam  haclenus  inedita, 
Londres,  1859,  p.  74-79.  Cf.  F.  Picavet,  Roger  Bacon. 
La  formation  intellectuelle  d'un  homme  de  génie  au 
XIIIe  siècle,  dans  la  Bévue  des  Deux  Mondes,  1er  juin 
1914,  p.  656-657.  Son  opinion  était  invoquée,  au  con- 
cile œcuménique  de  Vienne,  par  Guillaume  Durand  le 
jeune.  Tractalus  de  modo  gencralis  concilii  celebrandi, 
part.  II,  tit.  xxi,  Paris,  1671,  p.  110.  Dans  un  traité 
Contre  la  pluralité  des  bénéfices,  où  il  s'inspirait  de 
Guillaume  d'Auvergne,  Denys  le  Chartreux  l'appelait 
«  ce  docteur  que  beaucoup  ne  craignent  pas  d'égaler  à 
saint  Thomas  ou  à  saint  Bonaventure  ».  Raoul  de 
Presles,  La  cité  de  Dieu,  1.  XV,  c.  xxm,  louait  sa  lutte 
contre  les  superstitions.  Pierre  d'Ailly,  De  legibus  et 
sectis  contra  superstitiosos  astronomos,  dans  Gerson, 
Opéra,  édit.  E.  du  Pin,  Paris,  1706,  t.  i,  p.  781,  repro- 
duisait un  chapitre  du  De  fuie  et  legibus.  La  Rhétorique 
divine  et  la  Pénitence  furent  traduites  en  français  et 
l'imprimerie  multiplia  de  bonne  heure  les  éditions  de 
ses  divers  traités. 

Comme  la  plupart  des  hommes  illustres  du  moyen 
âge,  Guillaume  d'Auvergne  passa  pour  s'être  adonné 
à  la  magie.  On  prétendit  qu'à  l'imitation  du  pape 
Sylvestre  II,  de  Robert  de  Lincoln,  d'Albert  le  Grand 
et  de  Roger  Bacon,  il  avait  fabriqué  des  statues  par- 
lantes. Cf.  G.  Naudé,  Apologie  pour  tous  les  grands 
personnages  qui  ont  été  faussement  soupçonnés  de  magie, 
Paris,  1625,  p.  491,  493.  On  le  proclama  un  adepte 
convaincu  des  rêveries  des  hermétistes.  11  est  possible; 
comme  le  conjecture  N.  Valois,  Guillaume  d'Auvergne, 
p.  328,  que  cette  étrange  réputation  que  l'on  a  faite, 
après  coup,  à  Guillaume  vienne  de  ce  qu'il  a  cité  avec 
complaisance  les  ouvrages  du  pseudo-Hermès  Trismé- 
giste.  En  tout  cas,  la  métamorphose  était  complète  qui 
transformait  en  initié  de  l'hermétisme  et  en  magicien 
un  adversaire  déclaré  de  la  superstition  et  de  la 
magie. 

I.  Œuvres.  —  Il  y  a  deux  éditions  générales  des  œuvres 
de  Guillaume  d'Auvergne,  celle  de  Venise,  1591,  et  celle 
d'Orléans  et  Paris,  1674,  2  in-fol.  On  donne  souvent  à  cette 
dernière  le  nom  du  chanoine  de  Chartres  Le  Ferron,  qui 
communiqua  à  l'éditeur  la  copie  de  plusieurs  manuscrits 
de  Chartres.  Sur  les  éditions  anciennes  des  œuvres  isolées, 
voir  L.  Hain,  Repertorium  bibliographicum,  Stuttgard,  1827, 
t.  il,  n.  8225-8323;  Copinger,  Supplément  lo  Hain,  Londres, 
1895,  t.  i,  n.  8228-8319;  t.  n  a,  n.  2856-2878;  t.  n  b,  n.  8314. 

II.  Travaux.  —  E.  du  Pin,  Histoire  des  controverses  et 
des  matières  ecclésiastiques  traitées  dans  le  Mil"  siècle,  2e  édit., 
Paris,  1701,  p.  229-239;  F.  Vivant,  De  re  beneficiaria  sive  de 
non  possidendis  simul  pluribus  beneficiis,  Paris,  1710 
(rétablit  la  doctrine  de  Guillaume);  C.  Oudin,  Commentarius 
de  scriptoribus  Ecclesiœ  antiquis  illorumque  scriptis,  Leipzig, 
1722,  t.  m,  p.  100-105;  dom  R.  Ceillier,  Histoire  générale 
des  auteurs  sacrés  et  ecclésiastiques,  Paris,  1763,  t.  xxm, 
p.  460-482;  Daunou,  dans  V Histoire  littéraire  de  la  France, 
Paris,  1835,  t.  xviii,  p.  357-385;  X.  Rousselot,  Études 
sur  la  philosophie  dans  le  moyen  âge,  Paris,  1841,  t.  n, 
p.  168-172;  Javary,  Guillelmi  Alverni,  episcopi  Parisiensis, 
psychologica  doctrina  ex  eo  libro  quem  «  De  anima  »  inscrlpsit 
exprampla,  Orléans,  1851;  A.  Sevestre,  Dictionnaire  de 
patrologie,  Paris,  1852,  t.  n,  col.  1609-1626;  B.  Hauréau, 
dans  Notices  et  extraits  des  manuscrits,  Paris,  1865,  t.  xxi  b, 
p.  204-212;  Histoire  de  la  philosophie  scolastique,  Paris, 
1880,  t.  il  a,  p.  143-170;  Notices  et  extraits  de  quelques 
manuscrits  latins  de  la  Bibliothèque  nationale,  Paris,  1891, 
t.  i,  p.  186,  374;  t.  n,  p.  105,  190;  t.  m,  p.  272;  t.  iv,  p.  31, 
200-207;  t.  v,  p.  55,  59-60,  72-73,  138-139,  142-143,  151, 
154, 101-102,  171-172, 190-200;  t.  vi,  p.  228-229;  K.  Werner, 
Die  Psychologie  des  Wilhelm  von  Auvergne,  Vienne,  1873 
extrait  des    Sitz  ungsberichte  der  k.  Akademic  der  Wissen- 


schaften,  Vienne,  1873,  t.  i.xxm,  p.  257-326;  Wilhelms  von 
Auvergne  Verhàllniss  zu  den  Platonikern  des  XII  Jahrhun- 
derls,  Vienne,  1873  (extrait  des  Sitzungsberichle,  1873, 
t.  lxxiv,  p.  119-172);  N.  Valois,  Guillaume  d'Auvergne, 
évêque  de  Paris  (1228-1249).  Sa  vie  et  ses  ouvrages,  Paris, 
1880;  .1.  Guttmann,  Guillaume  d'Auvergne  et  la  littérature 
juive,  dans  la  Revue  des  études  juives,  Paris,  1889,  t.  xvin, 
p.  243-255;  Die  Scholastik  des  Mil  Jalirhunderls  in  ihren 
Beziehungen  zum  Judentum,  Breslau,  1902,  p.  13-32; 
M.  Baumgartner,  Die  Erkennistslchre  des  Wilhelm  von 
Auvergne,  Munster,  1893  (Beilràge  zur  Geschichte  der  Philo- 
sophie des  Mittelallcrs,  t.  Il  a);  P.  Férct,  La  faculté  de  Viro- 
logie de  Paris  et  ses  docteurs  les  plus  célèbres.  Moyen  ûge, 
Paris,  1894,  t.  i,  p.  211-221,  252-262;  G.  BQlow,  Des  Domi- 
nicus  Gundissalinus  Schrift  von  der  Unsterblichkeit  der 
Scele,  nebst  einem  Anhange  enthaltend  die  Abhandlung  des 
Wilhelm  von  Paris  (Auvergne)  De  immortalitate  animée, 
Munster,  1897  (Beitrdge  zur  Geschichte  der  Philosoiihie 
des  Mittelalters,  t.  n),  cf.  N.  Valois,  dans  la  Bibliothèque 
de  l'Ècoledes  chartes,  Paris,  1898,  t.  lix,  p.  408-410;  S.  Schin- 
dele,  Zur  Geschichte  der  Unterscheidung  von  Wessenheit 
und  Dasein  in  (1er  Scholastik,  Munich,  1900;  Beitrdge  zur 
Metaphysik  des  Wilhem  von  Auvergne,  Munich,  1900;  dans  le 
K irchenlexikon,  2°  édit.,  Fribourg-en-Brisgau,  1901,  t.  xn, 
col.  1586-1590;  Borrelli  de  Serres,  Livre  de  dépenses  d'un 
dignitaire  del'église  de  Paris  en  1248,  Paris,  1904  ;  Ueberweg- 
Heinze,  Grundriss  der  Geschichte  der  Philosophie  der  patristis- 
chen  und  scholastischen  Zeit,  9e  édit.,  Berlin,1905,  p.  279,  280, 
283-284;  M.  de  Wulf,  Histoire  de  la  philosophie  médiévale, 
2e  édit.,  Louvain,  1905,  p.  285,  289-293;  C.  Henry,  ComYi- 
bution  à  l'histoire  de  la  distinction  de  l'essence  et  de  l'existence 
dans  la  scolastique,  dans  la  Revue  thomiste,  Paris,  1911, 
t.  xix,  p.  446-450;  Ziesché,  Die  Sakramentlehre  des  Wilhelm 
von  Auvergne,  dans  Weidenauer  Studien,  Vienne,  1911, 
t.  iv,  p.  149-226;  J.  de  Guibert,  Le  texte  de  Guillaume  de 
Paris,  sur  l'essence  du  sacrement  de  mariage,  dans  les 
Recherches  de  science  religieuse,  Paris,  mai-juin  1914, 
p.  422-427. 

F.  Vernet. 

2.  GUSLLAUME  D'AUXERRE,  archidiacre  de 
Beauvais  et  célèbre  professeur  de  théologie  à  Paris 
vers  le  commencement  du  xme  siècle,  a  écrit  sur  les 
quatre  livres  des  Sentences  une  Summa  aurea  qui 
jouissait  en  son  temps  d'une  très  grande  vogue;  elle 
parut  à  Paris  d'abord  en  1500,  puis  en  1518,  et  à 
Venise  en  1591.  Guillaume  d'Auxerre  est,  dit-on, 
le  premier  qui,  dans  la  théorie  des  sacrements,  se  soit 
servi  des  termes  caractéristiques  de  matière  et  de 
forme.  Il  a  aussi  composé  une  Somme  liturgique, 
restée  inédite,  où  Durand  l'Ancien,  l'auteur  du 
Ralionale  divinorum  offidorum,  et,  après  lui,  Martène, 
dans  son  De  antiquis  Ecclesiœ  ritibus,  ont  l'un  et 
l'autre  beaucoup  puisé.  Appelé  à  Rome,  en  1230,  par 
les  affaires  de  l'université  de  Paris,  Guillaume  ne  tarda 
pas  à  mourir,  entre  1230  et  1232,  mais  non  pas  à 
Rome  même. 

Denille-Chatelain,  Charlularium  universilatis  parisiensis, 
Paris,  1889,  t.  i,  p.  145  sq.;  P.  Féret,  La  faculté  de  théologie 
de  Paris.  Moyen  ùge,  Paris,  1894,  t.  i,  p.  225-228;  Hurter, 
Nomenclator  literarius,   Inspruck,    1906,  t.  Il,  col.  263-264. 

P.  Godet. 

3.  GUILLAUME  DE  CHAMPEAUX,  de  Cam- 
pellis  ou  Campellensis,  ainsi  nommé  du  village  de 
Champeaux,  en  Brie,  près  de  Melun,  où  il  était  né 
vers  l'an  1068,  nous  apparaît,  dans  les  premières 
années  du  xne  siècle,  en  possession  à  Paris  de  la 
chaire  du  cloître  Notre-Dame.  Élève  de  Roscelin, 
il  ne  laissait  pas  de  contredire  nettement  son  ancien 
maître  et  d'enseigner  le  réalisme  le  plus  décidé. 
D'après  lui,  les  genres  sont  des  choses,  res.  Le  genre 
se  trouve  le  même,  essentiellement,  tout  entier  simul- 
tanément dans  tous  les  individus  qui  composent  le 
genre.  En  sorte  que  ces  individus,  identiques  quant  à 
l'essence,  quorum  nulla  est  in  essenlia  diversilas, 
diffèrent  seulement  par  les  éléments  accidentels,  sola 
multiludinis  accidenlium  varictate  Guillaume  pro- 
fessait avec  un  immense  éclat,  lorsqu'en  1108,  éclipsé 
par  son  disciple  Abélard  dans  la  discussion  du  pro- 


1977 


GUILLAUME  DE   CHAMPEAUX  —  GUILLAUME  DE   PARIS 


1978 


blême  des  universaux,  il  abandonna  l'école  du  cloître, 
où  il  avait  jusqu'alors  enseigné,  pour  se  retirer  dans 
un  des  faubourgs  de  Paris,  près  d'une  chapelle  dédiée 
à  saint  Victor.  Mais,  là,  il  reprit  bientôt  ses  leçons; 
et,  pressé  de  nouveau  par  Abélard,  il  accorde,  en 
maintenant  le  système  de  l'unité  de  substance  ou 
d'essence,  que  le  genre  n'est  plus  que  le  sujet  universel, 
auquel  il  advient  la  forme  de  l'individualité.  Cette 
concession  était  une  simple  correction,  non  pas  un 
désaveu.  Les  ardents  débats  qui  suivirent  et  mirent 
aux  prises  l'un  avec  l'autre  Guillaume  de  Champeaux 
et  son  impétueux  contradicteur,  ne  se  terminèrent 
qu'en  1113,  par  la  nomination  de  Guillaume  à 
l'évêché  de  Châlons-sur-Marne.  Guillaume  y  mourut 
au  commencement  de  1122,  entouré  de  la  considé- 
ration universelle. 

On  a  de  lui  quelques  fragments  De  origine  animas 
et  De  eucharislia,  P.  L.,  t.  clxiii,  col.  1039  sq.,  1045; 
M.  Patru  en  a  publié  quelques  autres.  De  natura  et 
origine  placita,  Paris,  1847;  d'autres  enfin,  sur  l'essence 
de  Dieu  et  sur  les  trois  personnes  divines,  ont  paru 
dans  les  Fragments  philosophiques  de  Cousin,  Paris, 
1865,  t.  ri,  p.  328-333. 

Ses  Sententise  sont  restées  inédites.  Martène, 
Anecdota,  t.  v,  p.  881,  en  a  publié  un  fragment,  qui 
est  reproduit,  P.  L.,  t.  clxiii,  col.  1043.  Le  fragment 
De  eucharistia,  cité  plus  haut,  provient  du  même 
ouvrage. 

Michaud,  Guillaume  de  Champeaux  et  les  écoles  de  Paris  au 
XU°  siècle,  Paris,  1867;  dom  Ceillier,  Histoire  générale  des 
auteurs  ecclésiastiques,  2e  édit.,  Paris,  1863,  t.  xiv,  p.  192- 
193;  Histoire  littéraire  de  la  France,  t.  x,  p.  507-516;  Kir- 
chenlexikon,  t.  xu,  col.  1599;  P.  Féret,  La  faculté  de  théo- 
logie de  Paris,  Paris,  1894,  1. 1,  p.  105-110;  Kraus,  Histoire 
de  l'Église,  nouv.  édit.  franc.,  Paris,  1904,  t.  n,  p.  219-230; 
Hurter,  Nomenclator  literarius,  Inspruck,  1906,  t.  Il,  col.  9, 
note  2  ;  G.  Lefévre,  Les  variations  de  Guillaume  de  Cham- 
peaux et  la  question  des  universaux.  Étude  suivie  de  docu- 
ments originaux,  Lille,  1891. 

P,  Godet. 

4.  GUILLAUME  DE  GOUDA,  ou  TER  GOUW, 
<lans  les  Pays-Bas,  dont  le  nom  a  été  souvent  défiguré  en 
Gaudan,  écrit  lui-même  qu'il  était  frère  mineur  de 
l'observance,  au  commencement  de  son  Exposilio  mys- 
teriorum  misse  et  verus  modus  rite  celebrandi.  On  ne  sait 
rien  autre  de  lui,  mais  ce  petit  traité  montre  son  éru- 
dition tout  en  attestant  sa  piété,  car,  sans  être  une 
exposition  proprement  dite  de  la  messe,  il  renferme  de 
nombreuses  applications  des  textes  de  l'Écriture  sainte 
et  une  foule  de  pensées  pieuses.  De  là,  son  immense 
popularité  à  la  fin  du  xve  siècle.  h'Expositio  misse 
parut,  dit-on,  à  Cologne  vers  1486  ;  il  y  en  a  aussi  des 
éditions  d'Anvers  et  de  Deventer  que  les  bibliographes 
fixent  à  la  même  époque,  puis  elles  se  multiplient  dans 
ces  villes  et  ailleurs  pour  arriver  au  chiffre  de  vingt, 
toutes  antérieures  à  1500.  On  a  attribué  au  P.  de  Gouda 
un  Dialogus  inter  clericum  et  laicum  super  dignilate 
regia,  qui  n'est  autre  que  la  Dispulalio  inler  clericum 
et  miliiem,  de  son  homonyme  Guillaume  Occam. 

Wadding  et  Sbaralea,  Scriptores  ord.  minorum,  Rome, 
1807;  la  nouvelle  édition,  ibid.,  1908,  est  plus  précise  pour 
les  dates;  Servais  Dirks,  Histoire  littéraire  et  bibliographique 
des  frères  mineurs  de  l'observance  en  Belgique  et  dans  les 
Pays-Bas,  Anvers,  1886,  p.  26. 

P.  Edouard  d'Alençon. 

5.  GUILLAUME  DE  PARIS,  ainsi  nommé  de  son 
lieu  d'origine,  prit  l'habit  dominicain  au  couvent  de 
Saint- Jacques  de  Paris,  on  ignore  à  quelle  date  exacte, 
mais  ce  fut  dans  le  dernier  quart  du  xine  siècle.  Doc- 
teur de  Paris  et  prieur  du  couvent  le  plus  en  vue  de  la 
capitale,  frère  Guillaume  fut  choisi  par  Philippe  le 
Bel  pour  confesseur.  Echard  se  trompe,  en  le  donnant 
pour  successeur  dans  cette  charge  à  Nicolas  de  Freau- 
ville,  lui  aussi  dominicain,  et  qui  mourut  cardinal  du 


titre  de  Saint-Eusèbe,  vers  1324.  C'est  au  P.  Imbert 
que  frère  Guillaume  succéda  réellement  vers  1307; 
c'est  ce  qui  ressort  du  testament  du  roi  Philippe  le  Bel, 
du  17  mai  1311,  où  Guillaume  de  Paris  est  nommé  un 
de  ses  exécuteurs  testamentaires  et  se  trouve  qualifié 
du  titre  de  confesseur.  Nous  savons  par  ailleurs  que 
Frère  Imbert,  à  la  date  du  13  octobre  1307,  était  encore 
confesseur  du  roi.  Voir  la  dissertation  sur  ce  sujet  dans 
Matth.  Texte,  Confesseurs  des  rois  de  France,  depuis 
S.  Louis  jusqu'à  Henri  II,  manuscrit,  archives  de  l'or- 
dre, p.  128  sq.  Dans  un  codicille  du  28  novembre  1314, 
Philippe  le  Bel  remplace,  comme  exécuteur  testa- 
mentaire, irère  Guillaume,  décédé,  par  Irère  Renaud, 
prieur  du  couvent  de  Poissy.  Nommé  grand  inquisiteur 
du  royaume,  il  exerçait  cette  charge  dès  1303.  A  ce 
titre,  il  eut  à  s'occuper  activement  du  procès  des  tem- 
pliers. Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  dire  la  part  qu'il  eut 
dans  ces  débats;  seule, son  activité  théologique  nous 
intéresse  pour  le  moment.  Nous  avons  de  Irère 
Guillaume  de  Paris  :  1°  Tabula  juris.  On  trouve  l'attri- 
bution de  cette  œuvre  à  irère  Guillaume  dans  la 
Tabula,  publiée  par  Denifle,  Archiv,  t.  n,  p.  226-240, 
n.  56.  Cette  table,  dans  laquelle  nominantur  omnia 
scripta  sive  opuscula  FF.  magistrorum  sioe  bacul.  de 
ordine  prœdicalorum,  est  antérieure  à  celle  de  Pignon, 
Calhalogus  frairum  qui  claruerunt  doctrina,  et  ainsi  se 
trouve  infirmée  l'opinion  de  Schulte,  Geschichle  der  Quel- 
len,  etc.,  t.  n,  p.  99,  qui  prétendait  que  l'ouvrage  de  Guil- 
laume de  Paris  se  trouvait  cité  pour  la  première  fois 
par  Pignon.  Lusitanus  (Antoine  de  Sienne),  Biblio- 
thecajralrum  ord.  prœd.,  Paris,  1585,  p.  98,  dit  aussi  que 
irère  Guillaume  de  Paris  composa  Tabulam  sioe  Reper- 
torium  brève  ad  inveniendum  facile  in  Decreto  et  Decre- 
lalibus  quœcunque  notabilia.  Incipit  :  Promte  volen- 
tibus.  Nous  ignorons  si  cet  ouvrage  subsiste  encore. 
Denifle,  loc.  cit.,  émet  un  doute  sur  l'identité  de  l'au- 
teur de  la  Tabula  juris  et  de  Irère  Guillaume  de  Paris, 
l'inquisiteur;  il  ne  s'en  explique  pas  autrement.  Les 
autres  auteurs,  Echard,  Scriptores  ordinis  prœdica- 
lorum, 1. 1,  p.  518  ;  Lajard, Histoire  littéraire  de  la  France, 
t.  xxvn,  p.  140;  Schulte,  op.  cit.,  t.  n,  p.  99,  supposent 
que  c'est  le  même  auteur.  2"  Frère  Guillaume  composa 
un  traité  des  sacrements,  sous  ce  titre  :  Dialogus  de 
septem  sacramentis.  Les  remarques  que  fait  Echard  à 
propos  de  ce  traité  sont  intéressantes.  Avec  raison,  il 
rejette  l'opinion  de  ceux  qui  ont  attribué  ce  traité  à 
Guillaume  d'Auvergne,  évoque  de  Paris.  Celui-ci,  en 
effet,  est  mort  le  30  mars  1249;  or  l'auteur  confesse 
vers  la  fin  du  dialogue  qu'il  l'a  composé  d'après  les 
écrits  de  Irère  Thomas  d'Aquin  et  de  rère  Pierre  de 
Tarentaise,  le  futur  Innocent  V.  A  la  date  de  1249, 
saint  Thomas  n'avait  que  24  ans.  Ce  fut  donc  entre 
1274,  date  de  la  mort  de  saint  Thomas  et  la  date  de  sa 
canonisation,,  en  1323,  que  ce  traité  aurait  été  composé, 
et  comme  irère  Guillaume  est  mort  en  1314,  nous  pou- 
vons fixer  approximativement  à  la  fin  du  xine  siècle 
ou  tout  à  fait  au  début  du  xiv°  la  composition  de  cet 
ouvrage.  Du  reste,  Irère  Claude  de  l'Épine,  dans  le 
prologue  de  l'édition  faite  par  ses  soins  vers  1550,  dit 
bien  que  ce  traité  a  été  composé,  il  y  a  deux  cents  ans, 
par  Guillaume  de  Paris.  Echard  note  que  de  son  temps 
il  a  vu  une  édition  de  ce  traité  sans  aucune  indication, 
à  Paris,  chez  les  clarisses,  dites  de  l'Ave  Maria,  avec 
ce  titre  :  Incipit  liber  Guill  Imi  Parisiensis  de  septem 
sacramentis.  —  Explicit  tabula  sacramenlalis  Guillelmi 
Parisiensis.  On  conserve  d'autres  manuscrits  de  cet 
ouvrage.  Echard  en  avait  consulté  deux  à  Saint- Victor  : 
n.  552, sans  nom  d'auteur  avec  le  simple  titre:  Dialogi 
de  sacramentis  interloculoribus  Peiro  et  Gilone;  l'autre, 
n.  1126.  Trois  autres  manuscrits  à  la  Nationale  : 
n.  3473  et  3474.  Le  premier  sous  le  titre  de  Guillelmi 
episcopi  Parisiensis  dialogus  de  septem  sacramentis.  Le 
troisième  manuscrit,  n.  3209,  sans  nom  d'auteur,  est 


1979 


GUILLAUME   DE   PARIS—    GUILLAUME   DE    RENNES 


1980 


intitulé  :  7'raclatus  de  seplem  sacramentis  per  modum 
ù  editus. 

Ce  traité  a  eu  plusieurs  éditions  incunables.  Echard 
pu  (.onsulter  celle  qui  se  conservait  dans  la  Rcgia. 
in- 1  '.  1)  ;>96,  sans  aucune  indication  de  date,  ni  de  lieu, 
ni  d'imprimeur.  Elle  portait  ce  titre  explicite  et  intéres- 
sant :  Tractatus  de  scptem  sacramentis  Ecclesiœ  sumlus 
ex  scriplis  S.  Thomœ  de  Aquino,  ac  Pelri  de  Tarenlasia, 
qui  per  modum  quœslionum  discipuli  ac  magistri  respon- 
sionum  de  cujuslibet  sacramentis  efjicacia  ordinale  loqui- 
lur  et  distincte  :  in  quo  Petrus  sub  cujusdem  discipuli 
nominc  quœrit,  et  per  Gregorium  eidmi  ut  a  magistri 
vicem  gercnte  respondetur.  —  Explicit  tractatus  de  scp- 
tem sacramentis.  Une  autre  édition  incunable,  Paris, 
in-4°,  Jean  Bonhomme,  1489,  avec  ce  titre  :  D.  Guil- 
lermi  Farisiensis  episcopi  sacri  eloquii  docloris  clarissimi 
dialogus  libri  sui  de  sacramentis  medullam  funditus  et 
compcndiose  complectens.  Fin  :  Igilur  Pelre  hsec  paucula 
quœ  dicta  sunl  de  seplem  sacramentis  tibi  sufjicianl,  quœ 
ut  potui  brevius  de  scriptis  fralris  Thomœ  principaliter 
collegi,  ac  Pelri  de  Taranlaize  et  quorumdam  aliorum 
dicta  inserendo,  etc.  Explicit  :  Guillermus  Parisiensis 
super  septcm  sucramenlis.  Elle  se  trouvait  au  couvent 
de  Saint-Honoré  où  Echard  a  pu  la  consulter.  Même 
année,  autre  édition,  in-4°,  Paris,  Giorgius  Mittelhus, 
Hain,  n.  8312.  En  1494,  le  même  typographe  fait 
paraître  une  autre  édition  in-8°,  avec  ce  titre  :  Dia- 
logus doctissimi  viri  Guillelmi  episcopi  Parisiensis  de 
seplem  sacramentis.  Explicit  Guillelmus  Parisiensis  super 
seplem  sacramentis.  Ainsi,  en  moins  de  dix  ans,  l'on 
compte  quatre  éditions  incunables  de  ce  traité  de 
Irère  Guillaume,  ce  qui  prouve  en  quelle  faveur  on 
tenait  cet  ouvrage.  Il  parut  ensuite  en  plusieurs  impres- 
sions :  in-16,  Paris,  1500;  in-8°,  ibid.,  1550;  1587; 
Leipzig,  1512;  Lyon,  1567;  in-16,  Lucques,  1580; 
in-8°,  Florence,  1579. 

D'après  les  titres  de  ces  différents  manuscrits  ou  édi- 
tions, on  voit  que  généralement  le  traité  est  attribué  à 
Guillaume  de  Paris,  le  confesseur  du  roi  et  l'inquisiteur, 
et  non  point  à  Guillaume  de  Paris,  l'évêque,  mort, 
ainsi  que  nous  l'avons  dit,  dès  1249.  Quant  au  titre 
d'évêque  que  l'on  trouve  effectivement  en  quelques 
manuscrits  ou  éditions,  il  ne  doit  pas  être  pris  en  con- 
sidération. Nous  avons,  en  effet,  beaucoup  de  cas  sem- 
blables où  un  personnage  est  qualifié  du  titre  d'évêque 
sans  qu'il  n'ait  jamais  eu  en  réalité  une  pareille  dignité  : 
ainsi,  Guillaume  Peraud,  l'auteur  de  la  Somme-le- Roi, 
est  souvent  qualifié  du  titre  d'évêque  ou  d'archevêque 
de  Lyon;  Jacques  de  Lausanne  est  également  donné 
comme  évêque  de  cette  ville,  sans  qu'il  l'ait  jamais  été. 

Une  autre  attribution,  également  fausse,  de  ce  traité 
a  été  faite  par  Sander,  Bibliolheca  belgica,  t.  n,  p.  115, 
à  l'évêque  de  Cambrai,  Guy  de  Colle  di  Mezzo  (Collc- 
medio,  Colmicu).  11  s'appuie  sur  ce  fait  que  ce  Guy  est 
appelé  quelquefois  Gilo  et  que,  d'après  Garetius,  au 
xive  siècle,  quatre  manuscrits  de  ce  même  traité  por- 
taient le  nom  de  Gilo,  comme  auteur.  Cette  opinion  a 
trouvé  créance  auprès  d'autres  écrivains  :  Valère 
André,  Swertius,  les  auteurs  du  Gallia  christiana,  etc. 
Echard  explique  ainsi  cette  erreur  :  ce  traité  étant 
conçu  sous  forme  de  dialogue,  où  les  interlocuteurs 
sont  désignés  par  les  lettres  P.  et  G.,  on  a  traduit 
P.  par  Petrus  et  G.  tantôt  par  Gregorius,  tantôt  par 
Gilo;  or,  comme  celui-ci  dans  le  dialogue  jouait  le  rôle 
de  maître,  on  a  été  amené  à  en  faire  l'auteur  du  traité 
lui-même  et  ce  dernier  a  été  confondu  avec  l'évêque  de 
Cambrai,  Guy  de  Collemedio.  On  voit  combien  cette 
attribution  est  peu  fondée.  D'ailleurs,  des  quatre  manu- 
scrits cités,  Sander,  qui  écrivait  en  1643,  n'en  donne 
aucun. 

Nous  ne  parlons  pas  ici  des  Acla  de  Guillaume  de 
Paris,  dans  l'instruction  du  procès  des  templiers;  ils  se 
rapportent  plutôt  à  son  rôle  historique  qu'à  son  activité 


théologique.  De  même,  comme  inquisiteur  il  eut  à 
s'occuper  de  plusieurs  hérésies  ou  mouvements  héré- 
tiques de  son  temps,  représentés  par  Pierre  Jean 
d'Olive,  Dulcin  et  Marguerite  Perette.  Frère  Guillaume 
semble  aussi  avoir  été  curieux  d'exégèse.  Il  fit  don,  en 
1310,  au  couvent  de  San  Domenico  de  Bologne,  d'une 
Bible  hébraïque,  avec  cette  épigraphe  :  Islam  Bibliam 
hœbraicam  dédit  F.  Guillelmus  Parisiensis  ordinis  FF. 
prœdicalorum  con/essor  illustrissimi  régis  Franchorum 
conventui  Bononiensi  pro  communi  libraria  Fralrum 
propler  reverentiam  B.  Dominici  anno  MCCCX  pridie 
idus  febr.  Quicumquc  legerit  in  ea,  oret  pro  eo.  Amen. 
Cf.  Montfaucon,  Diarium  llalicum,  p.  401. 

Matthieu  Texte,  Recueil  de  mémoires,  d'écrits  et  de  notes 
pour  servir  à  l'histoire  des  dominicains,  confesseurs  des  rois 
de  France,  depuis  saint  Louis  jusqu'à  Henri  II,  ras.  (archives 
de  l'ordre),  p.  125-152;  Denifle,  Archiv  fiir  Literatur  und 
Kirchengeschichte,  Berlin,  1886,  t.  n,  p.  233;  Lajard,  His- 
toire littéraire  de  la  France,l877,  t.  xxvn,  p.  140-152;  Echard, 
Scriptores  ordinis  prœdicatorum,  Paris,  1719,  t.  i,  p.  518; 
Denifle-Chatelain,  Chartularium  universitatis  Parisiensis, 
t.  il  (1891),  p.  102,  129;  L.  Delisle,  Le  cabinet  des  manu- 
scrits, Paris,  1868,  t.  i,  p.  11;  tous  les  annalistes  domini- 
cains :  Lusitanus,  Piô,  Fernandez,  Altamura,  etc. 

R.    Coulon. 

6.  GUILLAUME  DE  RENNES,  ainsi  dénommé  de 
son  lieu  d'origine,  prit  l'habit  dominicain  au  couvent 
de  Dinan,  à  une  date  qu'il  ne  nous  est  point  possible 
de  préciser.  Nous  savons  néanmoins  que  dès  le  milieu 
du  xme  siècle  il  s'était  fait  un  nom  comme  juriste.  De 
très  bonne  heure  cependant,  il  semble  que  les  auteurs 
aient  pris  à  tâche,  en  défigurant  son  nom,  de  rendre  ce 
personnage  plus  difficile  à  identifier.  Echard  a  essayé 
de  lui  rendre  sa  véritable  personnalité.  Scriptores  ordi- 
nis prœdicatorum,  t.  i,  p.  130.  Son  qualificatif  de  Redo< 
nensis  était  devenu  sous  la  plume  de  Lusitanus 
(Antoine  de  Sienne),  Bibliotheca  fratrum  ordinis  prœdi- 
catorum, Paris,  1585,  p.  102,  Celdonensis,  qu'il  corrige 
ensuite  dans  les  errata  en  Cerdonensis.  Ainsi  que  le  fait 
remarquer  Echard,  cette  appellation  rappelle  un  peu 
son  véritable  nom  de  Redonensis,  mais  les  écrivains  ou 
bibliographes  postérieurs  lui  conservèrent  le  nom  de 
Celdonensis,  de  ce  nombre  Possevin,  Piô,  Fernandez, 
Altamura.  Même  Gilbert  de  la  Haye,  dans  sa  Biblio- 
theca belgo-dominicana  (manuscrit),  le  dénomme  Gel- 
donensis,  et  en  fait  ainsi  un  Flamand,  originaire  de 
Judoigne.  D'autres  enfin,  tels  que  Bandellus,  dans  son 
traité  De  conceplione  bealœ  Virginis,  l'appellent  epi- 
scopus  Meiensis;  et  Alva,  voulant  le  corriger,  dans  Sot 
verilalis  radius,  1663,  col.  1355,  propose  la  lecture  epi- 
scopus  Mimatensis.  Quoi  qu'il  en  soit  de  toutes  ces 
erreurs  sur  le  véritable  nom  de  irère  Guillaume  et 
qu' Echard  a  justement  relevées  pour  rendre  sa  véri- 
table personnalité  à  cet  éminent  canoniste,  nous  savons 
qu'il  fut  un  des  disciples  ou  émules  de  saint  Raymond 
de  Penafort,  dont  il  commenta  la  Somme.  L'ouvrage 
figure  dans  la  Tabula  scriplorum,  publiée  par  Denifle, 
Archiv,  t.  n,  p.  232,  sous  cette  rubrique  :  Fr.  Wilhel- 
mus  Aurelianensis  scripsit  apparatum  super  Summam 
Raymundi.  L' Apparalus  fut  attribué  à  Jean  le  Lecteur 
ou  de  Fribourg.  Cette  erreur  fut  commise  par  les  édi- 
teurs de  saint  Raymond  :  Summa  S.  Raimundi  de 
Peniafort  et  de  pœnilentia  et  malrimonio  cum  glossis 
Joannis  de  Friburgo,  in-fol.,  Rome,  1603.  Echard  a 
montré  avec  évidence  que  cet  ouvrage  n'appartenait 
aucunement  à  Jean  de  Fribourg,  mais  qu'il  avait  tou- 
jours été  attribué  à  Guillaume  de  Rennes.  Jean  de 
Fribourg  déclare  lui-même  qu'il  n'est  que  l'auteur  de 
l'index  tant  de  la  Somme  de  saint  Raymond  que  de 
l' Apparalus.  Voir  Echard,  loc.  cil.  Laget,  O.  P.,  dans 
son  édition  de  la  Somme  de  saint  Raymond,  in-fol., 
Paris,  1720,  a  revendiqué  dans  le  titre  même  de  son  tra- 
vail, pour  Guillaume  de  Rennes,  les  gloses  de  la  Somme. 


1981 


GUILLAUME    DE    RENNES  GUILLELMITES 


1982 


Voir    Scriptores    ordinis    prœdicatorum,    édit.    Coulon, 
xvme  siècle,  p.  424. 

Echard,  Scriptores  ordinis  prœdicatorum,  Paris,  1719,  t.  I, 
p.  130-131  ;  B.  Hauréau,  Histoire  littéraire  de  la  France,  1885, 
t.  xxix,  p.  602-606;  F.  Lot,  dans  la  Romania,  1899,  t.  xxvm, 
p.  329-333;  Schulte,  Geschichte  der  Quellen  und  Litleralur 
des  can.  Rechts,  t.  n,  p.  413;  Denille-Chatelain,  Charlularium 
universilatis  Parisiensis,  t.  m,  p.  649;  Denille,  Archiv  fur 
L.iteratur  und  Kirchengeschichle,  Berlin,  1886,  t.  il,  p.  232; 
Stintzing,  Geschichte  rom.-canon.  Rechts  Deutschlands,  1867, 
p.  500-503. 

R.    Coulon. 

7.  GUILLAUME  DE  SAINT-AMOUR.Voir  Saint- 
Amour. 

8.  GUILLAUME  DE  SAONT-THIERRY,  contem- 
porain de  saint  Bernard,  dont  il  fut  l'ami  intime  et 
presque  l'émule,  théologien  éminent  par  la  piété 
comme  par  la  science,  écrivain  d'une  logique  sûre  et 
d'un  style  empreint  d'onction,  naquit  à  Liège  dans 
les  dernières  années  du  xie  siècle,  vers  1085;  il  était 
d'une  noble  famille.  Élevé  dans  le  monastère  béné- 
dictin de  Saint-Nicaise  de  Reims,  il  y  prit  l'habit  de 
saint  Benoît  et  fut  élu,  en  1119,  abbé  du  monastère 
de  Saint-Thierry,  près  de  Reims,  qu'il  gouverna 
sagement  et  avec  fruit.  Gallia  christiana,  Paris,  1751, 
l.  ix,  p.  187  sq.  En  1735,  soit  santé  languissante,  soit 
aspirations  à  une  contemplation  et  à  une  paix  plus 
profondes,  malgré  les  conseils  de  saint  Bernard,  il 
se  démit  de  sa  charge  et  il  entra  dans  l'abbaye  cister- 
cienne de  Signy,  au  diocèse  de  Reims  Là  il  vécut, 
nonobstant  la  persistance  de  son  état  maladif,  une 
vie  très  édifiante;  mais  son  zèle  pour  la  pureté  de  la 
foi  l'arracha  fréquemment  aux  douceurs  et  aux 
charmes  de  la  contemplation.  Ce  fut  lui  qui,  vers  1140, 
dans  une  lettre  émue,  P.  L.,  t.  clxxxii,  col.  531  sq., 
attira  l'attention  de  saint  Bernard  sur  les  erreurs 
d'Abélard,  en  montrant  qu'elles  allaient  à  détruire 
toute  la  doctrine  chrétienne.  «  Il  ne  s'agit  de  rien 
moins,  écrivait-il,  que  de  la  foi  en  la  sainte  Trinité,  de 
la  personne  du  médiateur,  du  Saint-Esprit,  de  la  grâce 
de  Dieu  et  du  mystère  de  notre  rédemption.  Vous 
vous  taisez;  mais,  je  vous  le  déclare,  tout  cela  est 
dangereux.  Regardons-nous  donc  comme  de  peu 
d'importance  que  la  foi  soit  falsifiée  ?»  Il  a  écrit  une 
Dispulatio  advcrsus  P.  Abœlardum,  P.  L.,  t.  clxxx, 
col.  249-282.  Cf.  J.  Rivière,  Le  dogme  de  la  rédemption, 
Paris,  1905,  p.  330-332,  463-465,  sur  les  erreurs 
d'Abélard  touchant  la  doctrine  de  l'expiation  et  les 
droits  du  démon,  signalées  et  réfutées  par  Guillaume 
de  Saint-Thierry.  L'humble  moine  s'élèvera  pareille- 
ment contre  Guillaume  de  Conches,  De  erroribus 
Guillclmi  de  Conclus,  P.  L.,  t.  clxxx,  col.  333-340, 
et  contre  Gilbert  de  la  Porrée.  Sa  mort  a  précédé 
certainement  celle  de  saint  Bernard;  on  la  date  ordi- 
nairement de  l'époque  du  concile  de  Reims,  et  du 
8  septembre  1148. 

Les  ouvrages  ascétiques  ou  théologiques  de 
Guillaume  de  Saint-Thierry,  catalogués  par  lui-même 
d'une  façon  incomplète,  P.  L.,  t.  clxxxiv,  col.  303  sq., 
se  retrouvent  pour  la  plupart,  P.  L.,  t.  clxxx, 
col.  205  sq.  ;  mais  quelques-uns  d'entre  eux  figurent 
ailleurs  sous  d'autres  noms  auxquels  on  les  a  fausse- 
ment attribués.  Parmi  les  écrits  principaux  de  notre 
auteur  on  remarque  :  le  De  contemplando  Deo,  publié 
sous  le  nom  de  saint  Bernard,  P.  L.,  t.  clxxxiv, 
col.  365-380;  le  De  nalura  et  dignitale  amoris,  ibid., 
col.  379-408;  le  De  sacramenlo  allaris  liber,  P.  L., 
t.  clxxx,  col.  341-366,  que  Guillaume  soumit,  avant 
de  le  faire  paraître,  à  l'examen  de  saint  Bernard,  et 
dans  lequel  il  avait  ramassé  les  textes  patristiques 
relatifs  à  l'eucharistie,  ceux  en  particulier  de  saint 
Augustin,  qui  ne  laissaient  pas  d'inquiéter  lésâmes; 
le  Spéculum  fidei,  ibid.,  col.  365-398,  traité  des  vertus 


théologales;  l'opuscule  de  YJEnigma  fidei,  ibid., 
col.  397-440;  sur  l'excellence  et  la  simplicité  de  la 
foi;  deux  commentaires  du  Cantique  des  cantiques, 
dont  saint  Ambroise  et  saint  Grégoire  le  Grand 
forment  en  quelque  sorte  le  tissu,  P.  L.,  t.  xv,  col.  1851- 
1962;  t.  clxxx,  col.  441-471;  une  courte  explication 
du  même  livre,  ibid.,  col.  473-540;  une  Explication 
de  l'É pitre  aux  Romains,  ibid.,  col.  547-624;  un 
opuscule  Sur  la  nature  du  corps  et  de  l'âme,  ou  sur  la 
connaissance  de  soi-même.  Ibid.,  col.  695-726.  Le 
moine  de  Signy  avait  aussi  commencé  d'écrire  une 
vie  de  saint  Bernard;  son  travail,  inachevé,  ne  dépasse 
pas  l'année  1130,  P.  L.,  t.  clxxxv,  col.  225  sq.  De  sa 
vaste  correspondance  nous  n'avons  plus  que  de  rares 
débris,  elle  a  péri  presque  tout  entière.  La  lettre  Ad 
fralres  de  Monte  Dei,  P.  L.,  t.  clxxxiv,  col.  298-394,  est 
de  lui.  Voir  Guigues  Ier.  col.  19(6.  Le  livre  des  Sen- 
lenlise  de  fide,  emprunté  notamment  à  saint  Augustin 
et  dirigé  contre  Gilbert  de  la  Porrée.  est  resté  inédit. 

Histoire  littéraire  de  la  France,  1763,  t.  xn,  p.  312  sq.  ; 
Tissier,  Bibliotheca  cisterciensis,  t.  iv,  p.  1  sq.;  Fabricius, 
P.  L.,  t.  clxxx,  col.  185-206;  dom  Ceillier,  Histoire  générale 
des  auteurs  ecclésiastiques,  2e  édit.,  Paris,  1863,  t.  xiv, 
p.  386-390;  Kutter,  Wilhelm  von  St.  Thierry,  Giessen,  1898; 
Hurter,  Nomenclator  litercwius,  Inspruck,  1899,  t.  rv, 
col.  78-80;  Chevalier,  Répertoire  et  Supplém.,  au  mot  Guil- 
laume  de  Saint-Thierry. 

P.  Godet. 

9.  GUILLAUME  RUBION,  que  les  Aragonais 
disent  leur  appartenir  et  que  les  Catalans  revendiquent, 
en  assurant  que  le  nom  de  Rubion,  inconnu  en  Aragon, 
est  fréquent  chez  eux,  était  frère  mineur  et  fut,  dit-on, 
disciple  de  Scot  avant  d'enseigner  à  son  tour.  Il  reste 
de  lui  des  commentaires  sur  les  Sentences,  imprimés 
sous  le  titre  :  F.  Guillclmi  de  Rubione  venerabilis  admo- 
dum  palris  et  theologi  facile  doctissimi,  provinciœ  Ara- 
gonicœ  quondam  ministri,Disputatorum  in  quatuor  libros 
Magistri  Senlenliarum  libri  quatuor,  2  in-fol.,  Paris, 
1518.  Cet  ouvrage  avait  été  examiné  par  quatre  théo- 
logiens au  moment  du  chapitre  général  tenu  à  Assise 
en  1334,  auquel  l'auteur  s'était  probablement  rendu 
comme  ministre  de  la  province  de  Castille,  dont  celle 
d'Aragon  ne  fut  séparée  que  plus  tard,  et  il  était 
approuvé  par  le  général  Gérald  Odon,  le  25  mai.  II 
parut  par  les  soins  du  P.  Alphonse  de  Villa  Sancta,  qui 
se  plaît  à  faire  remarquer  que  son  confrère,  Jean  de 
Quintana,  quondam  prior  Sorbonicus,  eminentissimus 
doctrinœ  scoticœ  magisler,  tenait  en  haute  estime  l'ou- 
vrage de  Rubion.  Celui-ci,  sans  jurer  in  verbo  magistri, 
est  en  général  scotiste  assez  fidèle,  tout  en  donnant 
sa  propre  opinion. 

Wadding  et  Sbaraglia,  Scriptores  ordinis  winoriim,  Rome, 
1906,  1908;  Félix  de  Latassa,  Bibliotheca  antiqua  de  los 
escritores  Aragoneses,  Saragosse,  1796,  t.  I,  p.  306;  Félix 
Torres  Amat,  Memorias  de  los  escritores  Catalanes,  Barce- 
lone, 1836,  p.  306. 

P.  Edouard  d'Alençon. 

GUILLELMITES.  —  I.  Histoire.   IL  Doctrines. 

I.  Histoire.  —  Vers  1271,  était  arrivée  à  Milan,  en 
compagnie  d'un  enfant  qui  était  son  fils,  une  étrangère, 
du  nom  de  Guillelma  (Guillemette,  Guillemine).  Elle 
passa  pour  bohémienne,  fille  du  roi  de  Bohême  Przé- 
misl  et  de  Constance.  Les  Annales  Colmarienses 
majores,  dans  Monumenta  Germanise  hislorica.  Scri- 
ptores, Hanovre,  1861,  t.  xvn,  p.  226,  la  disent  anglaise 
et  vierge;  le  premier  renseignement  n'inspire  pas  plus 
de  confiance  que  le  second.  Qu'elle  ait  été  bohémienne, 
et  de  la  famille  royale,  nous  n'avons,  pour  le  prouver, 
que  peut-être  son  affirmation,  sûrement  celle  d'un  de 
ses  principaux  disciples,  André  Saramita,  lequel 
attesta  être  allé  en  Bohême,  après  la  mort  de  Guillelma, 
et  en  avoir  rapporté  une  entière  conviction  à  cet 
égard.  Cf.  sa  déposition  du  20  juillet  1300  devant 
l'inquisiteur,  dans  F.  Tocco,  //  processo  dei  gugliclmiti 


1983 


GUILLELMITES 


1984 


Rome,  1899,  p.  9.  En  tout  cas,  Guillclma  disposait 
tle  ressources  pécuniaires  médiocres.  Mais  elle  possédait 
les  dehors  de  la  piété,  et  elle  exerça  vite  une  grande 
influence  sur  les  Milanais  qui  furent  en  rapport  avec 
elle.  Un  de  ceux  qui  gardèrent  fidèlement  sa  mémoire, 
Denis  Cotta,  déclara  quod  ipse  nunquam  fuit  ita  tristis 
aut  dcsolatus  quod,  si  ipse  ivil  ad  eam,  non  discederet 
lelus  el  con[orlaius  ab  ea,  dans  7/  processo  dei  gugliel- 
miti,  p.  90.  Autour  d'elle  se  groupa  une  petite  associa- 
tion de  disciples  convaincus,  n'ayant  d'autre  lien  que 
leur  vénération  pour  Guillelma,  se  plaisant  à  adopter 
un  vêtement  brun  à  la  ressemblance  de  celui  qu'elle 
portait  elle-même.  Ils  lui  attribuèrent  des  guérisons 
miraculeuses.  Le  bruit  courut  qu'elle  avait  reçu  les 
stigmates.  Puis,  que  ce  soit  par  son  fait  ou  par  celui 
de  ses  disciples  —  ce  que  nous  examinerons  tout  à 
l'heure  —  des  doctrines  étranges  circulèrent. 

Morte  vers  1282,  Guillelma  fut  enterrée  en  grande 
pompe  au  monastère  cistercien  de  Chiaravalle,  près  de 
Milan.  Une  chapelle  et  un  autel  s'élevèrent  sur  sa 
tombe.  Un  culte  enthousiaste  lui  fut  rendu.  Devant 
son  image  brûlaient  des  lampes.  En  son  honneur  furent 
composées  des  hymnes,  des  litanies.  On  fêta  les  anni- 
versaires de  sa  mort  et  de  la  translation  de  ses  restes  à 
Chiaravalle;  une  troisième  fête  qu'on  solennisa  dans 
le  même  esprit  fut  celle  de  la  Pentecôte.  Il  processo, 
p.  25.  Les  doctrines  mises  en  avant  allaient  se  préci- 
sant et  s'accentuant  de  plus  en  plus.  L' Inquisition 
milanaise,  instruite  de  l'existence  de  ce  mouvement,  ne 
parut  pas  le  prendre  très  au  sérieux;  elle  se  contenta 
d'une  répression  bénigne.  En  1300,  elle  s'en  occupa 
avec  plus  de  soin.  Elle  ouvrit  un  procès,  dont  nous 
avons  les  actes,  du  moins  en  majeure  partie.  Les  osse- 
ments de  Guillelma  furent  exhumés  et  livrés  aux 
flammes.  Sœur  Manfreda  (ou  Maifreda)  de  Pirovano, 
de  l'ordre  des  humiliées,  qui  était  à  la  tète  de  la  secte, 
André  Saramita,  qui  en  était  l'organisateur,  et  un  troi- 
sième membre, la  sœur  humiliée  Jacqueline  dei  Bassani, 
furent  condamnés  au  bûcher.  Les  autres  accusés  subi- 
rent des  peines  légères. 

Le  nombre  des  guillelmites  ne  fut  jamais  considé- 
rable. Un  banquet,  donné  en  l'honneur  de  Guillelma 
par  les  cisterciens  de  Chiaravalle,  avait  réuni  cent 
vingt-neuf  personnes;  il  est  probable  que  la  plupart 
vénéraient  seulement  en  elle  une  sainte.  Le  cercle  des 
initiés  proprement  dits  était  sans  doute  plus  restreint. 
Une  trentaine  d'inculpés  figurent  dans  le  procès  de 
1300.  En  revanche,  les  sectaires  appartiennent  à  la 
classe  riche  et  cultivée.  Il  y  en  a  de  tous  les  partis, 
guelfes  el  gibelins,  et  des  meilleures  familles.  L'illustre 
famille  Garbagnate,  alliée  aux  Visconti,  y  est  représen- 
tée par  plusieurs  de  ses  membres,  notamment  par 
François,  qui  s'acquitta  habilement  auprès  de  l'em- 
pereur Henri  VII  d'une  mission  à  lui  confiée  par  Mat- 
thieu Visconti  (1309)  et  qui  mourut  professeur  de  droit 
à  l'université  de  Padoue.  Sœur  Manfreda  était,  à  ce 
qu'il  semble,  la  cousine  germaine  de  Matthieu  Visconti. 

On  s'est  demandé  s'il  y  eut  un  lien  entre  l'hérésie  des 
guillelmites  et  la  politique,  si  le  procès  ne  fut  pas 
politique  plus  encore  que  religieux.  A  .  Ogniben,  I  gu- 
glielmiti  dei  secolo  xiu.  Una  pagina  di  sloria  milanese, 
Pôrouse,  1867,  conclut  pour  l'affirmative;  d'après  lui, 
le  procès  aurait  directement  influencé  l'attitude  des 
Visconti  à  l'égard  du  Saint-Siège.  Ce  qui  est  certain, 
c'est  que  Jean  XXII  se  servit  du  procès  pour  impliquer 
Matthieu  Visconti,  son  adversaire  politique,  dans  une 
accusation  d'hérésie.  11  lui  reprocha  d'avoir,  sinon 
participé  lui-même  au  guillelmitisme,  du  moins  mis 
dos  bâtons  dans  les  roues  de  l'Inquisition  et  tout 
tenté  pour  sauver  Manfreda  sa  parente,  ajoutant  que 
non  seulement  ce  François  Garbagnate,  que  Visconti 
honorait  de  sa  confiance,  mais  encore  Galéas,  fils  de 
Matthieu,  avaient  adhéré  à  l'hérésie,  et  que  la  puis- 


j  sauce  de  Matthieu  et  la  terreur  qu'il  inspirait  contrai- 
gnirent les  inquisiteurs  à  relâcher  Galéas.  Voir  les 
bulles  du  14  mars  1322,  dans  F.  Tocco,  Guglielma 
boema  e  i  gugliclmiti,  Rome,  1901,  p.  30-31,  note, 
et  du  23  mars  1324,  dans  Raynaldi,  Annal,  eccles., 
an.  1324,  n.  9.  F.  Tocco,  Guglielma  boema,  p.  7,  qualifie 
d'  «  hypothèse  étrangère,  sans  base  d'aucune  sorte, 
celle  d'après  laquelle  Matthieu  Visconti  aurait  adopté 
une  ligne  de  conduite  hostile  à  l'égard  du  pape  et  des 
guelfes  à  la  suite  du  procès  de  la  bohémienne  »  et 
démontre  que  le  procès  fut  «  strictement  religieux  »; 
parmi  les  nombreuses  interrogations  adressées  aux 
accusés,  «  pas  une  ne  se  réfère  à  des  matières  politi- 
ques, »  p.  29,  30.  Quant  aux  bulles  de  Jean  XXII,  il 
estime  que,  à  une  pareille  distance  des  événements, 
la  perspective  a  pu  être  aisément  faussée;  sans  parler 
de  leur  affirmation  invérifiable  sur  la  suspicion 
d'hérésie  qui  aurait  atteint  l'aïeul  et  l'aïeule  paternels 
de  Matthieu  Visconti  et  sur  la  peine  du  feu  qu'aurait 
subie  l'aïeule,  elles  contiennent  une  erreur  manifeste  en 
avançant  que  Guillelma  vivante  fut  livrée  aux  flammes 
en  même  temps  que  Manfreda.  Quoi  qu'il  en  soit  du 
rôle  prêté  à  Galéas,  sur  lequel  les  actes  du  procès 
gardent  le  silence,  et  jugeant  vraisemblable  que 
Matthieu  ait  essayé  directement  ou  indirectement  de 
sauver  sa  parente  Manfreda,  Tocco  pense  que  Matthieu 
Visconti  ne  fut  point  tendre  pour  les  guillelmites,  et 
que,  au  milieu  de  la  tempête,  ne  se  sentant  point  sûr 
de  son  pouvoir,  Manfreda  lui  apparut  «  comme  une 
fanatique,  pour  laquelle  il  ne  valait  pas  la  peine  de  se 
compromettre  »,  p.  32.  C.  Molinier,  Revue  historique, 
Paris,  1904,  t.  lxxxv,  p.  394-397,  accepte  la  manière 
de  voir  de  Tocco,  mais  sans  s'y  tenir  trop  rigoureu- 
sement. «  Avec  d'autres  raisons,  dit-il,  p.  397,  la  poli- 
tique, il  faut  le  croire,  concourut  également  d'une 
certaine  manière  à  expliquer,  dans  sa  marche  et  son 
dénouement,  le  procès  où  disparut  la  secte  fondée  par 
Guillelma.  »  L'indulgence  «  systématique  »  des  inqui- 
siteurs milanais  envers  les  guillelmites,  surtout  si 
on  la  compare  avec  la  rigueur  habituelle  à  la  justice 
inquisitoriale,  produit  «  l'effet  d'un  mot  d'ordre,  d'une 
véritable  consigne  ».  Dire,  pour  en  rendre  compte, 
avec  Tocco,  Guglielma  boema,  p.  28,  32,  que  les  inqui- 
siteurs n'attachèrent  pas  d'importance  à  la  secte  parce 
qu'ils  savaient  bien  qu'elle  n'avait  «  aucune  vitalité  », 
que  «  l'affaire  était  plus  curieuse  que  périlleuse  »,  c'est 
donner  une  explication  inadéquate.  On  trouverait  une 
autre  explication  «  dans  la  haute  condition  de  presque 
tous  les  prévenus,  dans  l'intérêt  non  déguisé  »  que  leur 
porte  Matthieu  Visconti,  le  vicaire  impérial.  Celui-ci 
ne  pousse  pas  la  bienveillance  jusqu'à  exposer  sa 
situation  politique  mal  raffermie;  il  ne  s'obstine  pas  à 
sauver  du  bûcher  Manfreda,  laquelle  se  perd  par  son 
attachement  opiniâtre  aux  croyances  qu'elle  a  embras- 
sées. Mais,  d'autre  part,  l'Inquisition,  si  elle  ne  peut  pas 
ne  pas  sévir,  réduit,  en  quelque  sorte,  par  égard  pour 
Visconti,  «  les  investigations,  comme  le  châtiment,  au 
strict  nécessaire  ».  Des  préoccupations  d'ordre  temporel 
de  ce  genre  ont  des  chances  de  n'avoir  pas  été  absentes 
du  procès. 

II.  Doctrines.  ■ —  Boniface  VIII  lança,  le  1er  août 
1290,  la  bulle  Nupcr  ad  audientiam,  cf.  Raynaldi, 
Annal,  eccles.,  an.  1296,  n.  34,  dont  on  s'est  demandé 
si  elle  vise  les  apostoliques,  ou  les  fraticelles,  ou  les 
frères  du  libre  esprit;  il  semble  qu'elle  concerne  moins 
une  secte  en  particulier  que,  d'une  façon  générale,  les 
diverses  tendances  «  spirituelles  »  hétérodoxes  qui 
s'étaient  affirmées  au  temps  de  Célestin  V.  A  aucune 
ne  conviennent  tous  les  traits  du  tableau;  de  chacune 
d'elles  nous  avons  quelques  traits  distinctifs.  Ce  qui 
y  est  dit  des  femmes  qui  dogmatisent  et  de  leurs 
doctrines  pourrait  bien  s'appliquer  aux  guillelmites. 
F.  Tocco,  Guglielma  boema.  p.  32,  dit  que  cette  bulle  a 


1935 


GUILLELMITES 


1986 


été  «  la  source  de  toutes  les  inexactitudes,  que  les  histo- 
riens se  sont  transmises  les  uns  aux  autres,  en  aug- 
mentant la  dose.  »  De  là  probablement,  de  certaines 
expressions  de  la  bulle  —  conventicula  faciunt  nocturna, 
cfficaciores  Mas  orationes  affirmant  qux  a  nudatis  tolo 
corpore  ofjcruntur,  mulieres  invicem  se  desponsant, 
marcs  midi  hujusmodi  seclie  damnalse  feminas  antece- 
dunt  • —  est  venue  l'imputation  de  rites  obscènes  que  la 
secte  aurait  pratiqués  dans  les  souterrains  d'une  église. 
Elle  se  lit  dans  les  historiens,  depuis  Donat  Bosso,  le 
vieux  chroniqueur  milanais  (1492),  jusqu'à  Bzovius, 
Annal,  eccles.,  an.  1300,  n.  12,  et  Sponde,  Annal, 
eccles.,  an.  1300,  n.  10,  et  a  été  reproduite  par  G.  Giu- 
lini,  Memorie  spettanti  alla  storia,  al  governo  cd  alla 
descrizione  délia  città  e  campagna  di  Milano,  édit. 
M.  Fabi,  Milan,  1855,  t.  iv,  p.  670.  C'est  une  pure 
légende,  qui  fut  démolie,  au  xvne  siècle,  par  l'archi- 
prètre  J.-P.  Puricelli,  dans  une  étude  restée  inédite, 
mais  utilisée  par  Muratori.'Giulini  lui-même,  Tiraboschi, 
Tamburini,  Cafïî,  etc.  Puricelli  s'était  placé  sur  le 
vrai  terrain;  il  avait  demandé  la  connaissance  des 
guillelmites  aux  actes  du  procès  que  l'Inquisition 
dirigea  contre  eux.  F.  Tocco,  qui  a  publié  ces  actes, 
confirme  la  thèse  de  Puricelli.  Les  interrogatoires  des 
prévenus,  remarque-t-il,  ne  portent  pas  trace  de  cette 
accusation.  Les  inquisiteurs  ne  posèrent  pas  une  seule 
question  là-dessus;  ils  n'auraient  pas  manqué  de  le 
l'aire  s'il  y  avait  eu  lieu.  Tout  ce  qu'il  y  a  de  vrai  dans 
la  légende,  c'est  qu'une  des  guillelmites  réunit  chez 
elle,  en  l'absence  et  à  l'insu  de  son  mari,  dans  un 
banquet  commémoratif,  les  adhérents  de  Guillelma. 
L'imagination  des  écrivains,  excitée  sans  doute  par 
quelques  passages  de  la  bulle  de  Boniface  VIII,  a  brodé 
le  reste  sur  le  type  des  «  nouvelles  »  de  Boccace. 
Cf.  Tocco,  Guglielma  boema,  p.  22-23. 

Cette  fable  éliminée,  l'essence  du  guillelmitisme  est 
indiquée  ainsi  par  Jean  XXII,  bulle  Dudum  ad  nostri 
aposlolatus,  du  23  mars  1324,  dans  Baynaldi,  Annal, 
eccles.,  an.  1324,  n.  9  :  Manfreda...  in  persona  cujusdam, 
qux  Guillelma  nomine  vocabatur,  Spiritum  Sanctum 
asscruit  incurnatum  ipsamque  Guillclmam  a  Deo  assum- 
ptam  mirabiliter  xetitisse.  Le  Verbe  s'incarna  en  un 
homme;  le  Saint-Esprit  s'est  incarné  en  une  femme. 
Comme  si  ce  n'était  pas  assez,  les  guillelmites  ajoutaient 
que,  bien  qu'opérée  avec  un  changement  dans  le  sexe, 
ia  seconde  incarnation  ne  s'était  pas  accomplie  dans 
un  corps  différent  de  celui  de  la  première;  en  d'autres 
termes,  le  corps  de  Guillelma  était  le  corps  de  Jésus, 
comme  le  prouvaient  les  cinq  plaies  des  stigmates, 
qu'une  des  fidèles  de  Guillelma  avait  touchées  et 
lavées  de  ses  mains.  «  Ce  n'était  donc  pas  un  mys- 
tère, mais  trois  mystères  à  la  fois  :  nouvelle  incarna- 
tion d'une  personne  de  la  Trinité,  changement  de  sexe 
dans  la  nouvelle  incarnation,  et  pourtant  identité  du 
corps  dans  les  deux  incarnations,  »  dit  F.  Tocco,  Gu- 
glielma boema,  p.  27.  La  dogmatique  et  l'organisa- 
tion de  la  secte  se  déroulaient  conformément  à  cette 
donnée  initiale.  Elles  nous  sont  révélées  par  le  pro- 
cès, surtout  par  les  dépositions  de  sœur  Manfreda, 
Il  processo  dii  guglielmiti,  p.  27-30,  69-71,  et  d'André 
Saramita,  p.  59-64,  71-72.  Voici  les  grandes  lignes. 
Comme  le  Christ,  Guillelma  était  ressuscitée  et  devait 
monter  au  ciel  à  la  vue  de  ses  disciples;  en  attendant 
son  ascension,  elle  se  tenait  où  elle  voulait  et  appa- 
raissait parfois  à  ses  fidèles.  Après  son  ascension,  elle 
enverrait  le  Saint-Esprit,  c'est-à-dire  elle-même,  sous 
forme  de  langues  de  feu,  et  elle  aurait  son  vicaire,  qui 
serait  le  vrai  pape,  la  papauté  de  Rome  et  le  collège 
des  cardinaux  devant  être  abolis.  Du  reste,  dès  à 
présent,  le  pape  de  Rome,  Boniface  VIII,  n'avait  pas 
le  pouvoir  d'absoudre  ni  de  condamner,  quia  non  est 
juste  creatus,  Il  processo,  p.  17;  ici  les  guillelmites 
rejoignaient  les  fraticelles.  Le  pape  vicaire  du  Saint- 

DICT.    DK   THÉOL.    CATHOL. 


Esprit  serait  une  femme,  et  ce  serait  sœur  Manfreda; 
ses  cardinaux  seraient  des  femmes;  l'une  d'elles  devait 
être  Taria,  une  simple  servante,  qui,  interrogée  par 
l'Inquisition  si  elle  voulait  nier  que  Guillelma  fût 
L'Esprit-Saint,  répondit  ingénument  quod  non  vult 
negarc  nec  affirmare,  sed  bene  vellet  quod  ipsa  Guillelma 
esset  Spirilus  Sanctus.  Il  processo,  p.  52.  Manfreda 
recevrait  au  baptême  les  juifs,  les  sarrasins  et  tous  les 
infidèles.  Elle  célébrerait  la  messe  d'abord  au  tombeau 
de  Guillelma,  puis,  de  façon  solennelle,  à  Sainte-Marie- 
Majeure  de  Milan;  elle  y  prêcherait.  En  attendant, 
elle  prêchait  à  un  petit  groupe  de  femmes,  et  elle 
distribuait  des  hosties  qui  avaient  été  placées  sur  le 
tombeau  de  Guillelma;  on  lui  baisait  les  pieds  et  les 
mains.  //  processo,  p.  12,  22,  25,  31,  33,  37,  47,  54, 
57,  63.  Les  quatre  Évangiles  conserveraient  leur  valeur 
jusqu'à  ce  que  Manfreda  fût  en  possession  paisible  du 
pontificat  suprême  :  alors  ces  Évangiles,  et  leur  doc- 
trine, et  celle  des  autres  apôtres,  céderaient  la  place  à 
quatre  Évangiles  écrits  par  quatre  sages  élus  par  le 
Saint-Esprit  ou  Guillelma.//  processo,  p. 62.  D'après  une 
version  différente,  p.  29,  sicut  discipuli  Chrisli  scrip- 
serunt  Evangclia,  epislolas  et  prophetias,  ita  et  ipst 
Andréas  (Saramita),  mulando  litulos,  scripsissel  Evan- 
gclia cl  cpistolas  et  prophetias  sub  hac  forma,  videlicet  : 
In  Mo  temporc  dixil  Spiritus  Sanctus  discipulis  suis, 
et  cetera,  et  :  Epistola  Sibilie  ad  Nooarienses,  et  : 
Prophctia  Carmei  prophète  ad  taies  civitates  et  génies, 
et  cetera.  Manifestement  André  Saramita  fut  l'âme  du 
guillelmitisme. 

N'en  aurait-il  pas  été  le  créateur  ?  A  la  suite  d'A. 
Ogniben,  H.  C.  Lea,  Histoire  de  V  Inquisition  au  moyen 
âge,  trad.  S.  Reinach,  Paris,  1902,  t.  m,  p.  110-111, 
estime  improbable  que  Guillelma  ait  encouragé  ces 
absurdes  histoires.  De  témoignages  divers  recueillis 
au  cours  du  procès  on  aurait  le  droit  de  conclure  qu'elle 
fut  étrangère  à  ces  folies.  «  Vous  êtes  insensés  et 
croyez  sur  mon  compte  ce  qui  n'est  pas,  »  aurait-elle 
dit.  Et  encore  :  «  Je  ne  suis  qu'une  vile  femme,  un  ver 
de  terre  misérable.  »  Un  moine  de  Chiaravalle  raconta 
que,  ayant  eu  une  discussion,  avec  André  Saramita, 
au  sujet  des  bruits  qui  concernaient  Guillelma,  ils 
décidèrent  de  s'en  rapporter  à  elle-même  :  elle  leur 
répondit  avec  indignation  qu'elle  était  faite  de  chair 
et  d'os,  qu'elle  avait  amené  un  fils  à  Milan,  et  que,  s'ils 
ne  faisaient  pénitence  pour  avoir  proféré  de  semblables 
paroles,  ils  seraient  condamnés  à  l'enfer.  Il  processo, 
p.  85,  108,  123-124.  Par  ailleurs,  les  guillelmites  décla- 
rèrent tenir  leurs  croyances  non  de  Guillelma,  mais 
de  Manfreda  et  d'André;  Manfreda  elle-même  affirma 
n'avoir  guère  connu  Guillelma  de  son  vivant  et  avoir 
été  instruite  par  André  de  toutes  choses;  enfin,  André 
avoua  qu'il  avait  ajouté  de  son  cru  mulla  et  mullas 
corum  circumslantias  ad  ornatum  et  credulitatem  prœ- 
dictorum  errorum,  et  donna  un  curieux  spécimen  de 
son  procédé  :  ayant  ouï  dire  à  Guillelma  qu'elle  était 
née  le  jour  de  la  Pentecôte,  il  conclut,  dans  un  entre- 
tien avec  Manfreda,  que,  de  même  que  l'ange  Gabriel 
avait  annoncé  à  Marie  l'incarnation  du  Christ,  ainsi 
l'ange  Rapnaël  avait  dû  annoncer  à  Constance,  reine 
de  Bohême,  l'incarnation  de  Guillelma,  et  il  affirma 
carrément  l'annonciation  par  l'archange  Raphaël.  Il 
processo,  p.  19,  28,  72,  61.  Tous  ces  faits  sont  impres- 
sionnants. Remarquons,  toutefois,  qu'à  l'égard  de  ces 
témoignages  la  méfiance  s'impose.  Les  témoins  ne  sont 
ni  d'accord  avec  les  autres,  ni  avec  eux-mêmes,  et  nous 
savons  que  le  mot  d'ordre  avait  été  de  mentir.  Il 
processo,  p.  16,  70,  78.  Tous  avaient  voulu  couvrir 
Guillelma,  tant  qu'on  eut  l'espoir  que  ses  ossements 
seraient  respectés.  Quand  le  cadavre  eut  été  exhumé  et 
brûlé,  quand  André  Saramita  vit  que  son  propre  sort 
était  fixé  irrévocablement,  à  la  différence  de  Manfreda 
tenace  dans  ses  négations,  il  dit  que  certains  dévclop- 

VI.  —  63 


1987 


GUILLELMITES    —    GU1LLEMIN0T 


1988 


pements  de  la  doctrine  guillelmite  étaient  son  fait, 
mais  quod  ipse  habuil  fundamentum  et  originem  prœ- 
dictorum  errorum  a  domina  Guillelma,  à  savoir  qu'elle 
était  l'incarnation  du  Saint-Esprit,  qu'elle  ressusci- 
terai!, monterait  au  ciel,  enverrait  le  Saint-Esprit  ou 
viendrail  a  ses  disciples,  qu'elle  sauverait  les  juifs  et 
les  sarrasins,  etc.  Il  proccsso,  p.  71.  «  Il  n'y  a  pas 
de  raison  pour  ne  pas  croire  à  ces  déclarations  faites 
alors  qu'il  n'avait  aucun  intérêt  à  user  de  mensonges, 
dit  F.  Tocco,  Guglielma  boema,  p.  25,  2G.  Concluons 
qu'on  peut  tenir  pour  acquis  que  le  mouvement  guil- 
lelmite vient  de  Guillelma  elle-même.  »  Elle  a  pu  avoir 
des  indécisions  sur  son  rôle,  comme  aussi  ne  pas  s'ou- 
vrir à  n'importe  qui  de  ses  chimères  :  il  est  bien  difficile 
de  lui  retirer  l'initiative  du  guillelmitisme.  Si  l'on  pou- 
vait établir  qu'elle  eut  à  comparaître  devant  l'Inqui- 
sition, ainsi  que  nous  le  lisons  dans  le  procès,  p.  30, 
on  serait  admis  à  supposer  que  quelque  chose  de  son 
enseignement  arriva  aux  oreilles  des  inquisiteurs,  et 
l'opinion  de  Tocco  en  serait  confirmée. 

Reste  une  dernière  question  :  celle  de  la  filiation  de 
la  secte.  Puricclli  la  rattache  aux  hérésies  des  premiers 
siècles;    ni   Guillelma   ne   les   connaissait    ni   elles   ne 
s'étaient  conservées  au  moyen  âge,  et  donc  il  n'y  a 
pas   à   parler  d'une   filiation   proprement   dite,   mais 
seulement  de  lointaines  ressemblances.  Dans  le  mon- 
ta nisme,  Prisca  et  Maximilla  annonçaient  la  venue  du 
l'araclet;  mais,  si  elles  prétendaient  parler  par  l'inspi- 
ration du  Saint-Esprit,  elles  ne  se  donnaient  pas  pour 
•e  Saint-Esprit  incarné,  et  au-dessus  d'elles  il  y  avait 
iin  homme,  Montan.  Le  guillelmitisme  est  plus  radical  : 
•a  femme  l'emporte  sur  l'homme,  elle  est  l'incarnation 
du  Saint-Esprit.  F.  Tocco,    Guglielma  boema,  p.  26, 
a  parfaitement  situé  dans  leur  milieu  historique  ces 
bizarres  imaginations.  Joachim  de  Flore  avait  annoncé, 
pour  l'an  1260,  le  commencement  d'une  ère  nouvelle, 
dans    laquelle    l'Évangile    de    l'Esprit   succéderait    à 
l'Évangile  de  la  lettre  et  la  loi  d'amour  gouvernerait 
le  monde.  1260  passa,  démentant  la  prédiction,  mais 
sans  ruiner  les  espérances  qu'on  avait  conçues.   On 
croyait   imminent  un  renouvellement  social  et  reli- 
gieux. Comment  et  quand  il  se  produirait,  c'est  ce  que 
chaque  secte  entendait  à  sa  manière.  Plus  ou  moins 
indépendantes  les  unes  des  autres,  toutes  les  sectes  du 
temps  étaient  inspirées  d'une  pensée  unique  et  reliées 
par  un   fil  caché.   Frères   du  libre   esprit,   béghards, 
béguins,   fraticelles,   apostoliques,   s'apparentent   aux 
guillelmites.  François  Garbagnate  avait  entendu  dire  à 
Manfreda  et  à  son   lieutenant  André  Saramita   que 
Guillelma   datait   de  1262   l'inauguration   du   guillel- 
mitisme. //  processo,  p.  81.  C'est  presque  la  date  fati- 
dique assignée  par  Joachim.  Or,  «  ces  diverses  hérésies 
peignaient  avec  des  couleurs  différentes  l'âge  futur  ou 
âge  de  l'Esprit.  Qui  y  voyait  le  triomphe  de  la  liberté, 
qui  de  la  pauvreté  et  de  l'amour,  qui  de  la  vie  aposto- 
lique désencombrée  des  incrustations  ultérieures  des 
règles  hiérarchiques  ou  monastiques.   Guillelma,  elle 
aussi,  eut  son  rêve,  qui  lui  parut  plus  beau  et  plus 
séduisant  que  les  autres.  Suivant  elle,  l'âge  de  l'Esprit 
ne    pouvait    signifier   autre    chose    que   l'incarnation 
elfective  de  la  troisième  personne  de  la  sainte  Trinité, 
étant  donné  que  l'incarnation  de  la  deuxième  personne 
n'avait  servi  de  rien  et  que  les  maux  après  le  Christ 
n'avaient   été   ni   moins   nombreux  ni  moins   graves 
qu'avant  lui.  Et,  puisque  le  Verbe  s'était  incarné  dans 
un  homme,  il  était  bon  que  le  Saint-Esprit  renouvelât 
radicalement  l'histoire  du  monde  en  commençant  par 
s'incarner  dans  une  femme.  Ainsi  seulement  à  la  pré- 
potence et  à  l'égoïsme  de  l'homme  pourraient  se  subsii- 
tuer  l'amour  et  l'abnégation  de  la  femme.  »  L'hérésie 
guillelmite  allait  au  delà  des  sectes  contemporaines; 
si  toutes  annonçaient  une  ère  où  le  régne  vivant  de 
l'esprit  succéderait  au  règne  mort  de  la  lettre,  aucune 


autre  n'avait  osé  affirmer  que  ce  changement  présup- 
posait une  nouvelle  incarnation  d'une  des  personnes 
divines.  Le  guillelmitisme  dépasse  encore  diverses 
tentatives,  qui  ont  eu  lieu  avant  et  après  son  appari- 
tion, de  «  faire  tomber  la  religion  en  quenouille  *,  comme 
s'exprime  Bayle,  Dictionnaire  historique  et  critique, 
6e  édit.,  Paris,  1741,  p.  643.  Ni  le  montanisme,  ni  le 
fameux  savant  et  visionnaire  Guillaume  Postel,  ni  les 
apôtres  de  la  suprématie  des  femmes  antérieurs  au 
xixe  siècle,  n'ont  poussé  aussi  loin  leurs  revendications. 
Pourtant  il  serait  excessif  de  dire,  avec  Tocco,  Guglielma 
boema,  p.  26,  que  «  le  féminisme  n'a  jamais  songé  rien 
de  semblable.  »  L'église  southeotienne,  ainsi  dénommée 
de  Jeanne  Southcote,  et  dont  l'existence  se  prolongea 
à  Londres  jusqu'au  milieu  du  xixe  siècle,  les  perfec- 
tionnistes de  Cincinnati  sur  lesquels  l'attention  fut 
éveillée  en  1886,  et,  à  la  même  date,  en  Angleterre,  les 
partisans  de  Marie-Anne  Girling,  virent  en  des  femmes 
des  incarnations  divines.  Cf.  H.  C.  Lea,  Histoire  de 
l'Inquisition  au  moyen  âge,  trad.  S.  Reinach,  t.  ni, 
p.  123,  note. 

Après  avoir  été  publié  de  façon  fragmentaire  par  F.  Pa- 
Iacky,  Abhandlungen  der  k.  bôhmischen  Gesellschaft  der 
Wissensvhaften,  Prague,  1839;  traduit,  sous  une  forme 
abrégée,  par  A.  Ogniben,  I  guglielmiti  net  secolo  XIII.  Una 
pagina  di  storia  milanese,  Pérouse,  1807;  soigneusement 
décrit  par  C.  Molinier,  Études  sur  quelques  manuscrits  des 
bibliothèques  d'Italie,  dans  les  Archives  des  missions  scienti- 
fiques et  littéraires,  IIIe  série,  Paris,  1888,  t.  xiv,  p.  206-216; 
le  manuscrit  qui  contient  le  procès  des  guillelmites,  et  qui 
est  conservé  à  l'Ambrosienne  de  Milan  sous  la  cote  A.  227, 
a  été  publié  intégralement  par  F.  Tocco,  Il  processo  dei 
guglielmiti,  Rome,  1899,  extrait  des  Rendiconti  délia  r. 
Accademia  dei  Lincct,  classe  di  seienze  morali,  storiche  e 
fdologiche,  ferie  accademiche,  Rome,  1899,  t.  vin,  p.  309- 
469.  Il  avait  été  utilisé  par  J.-P.  Puricelli,  De  Guillelma 
bohema  vulgo  Guqlielmina  anno  Domini  MCCC  ob  hœreseos 
notam  crhumata  demum  et  combusta  deque  secta  ipsius  tune 
ejestincta  fidelis  et  verax  dissertatio,  ouvrage  déposé,  en  1676, 
à  l'Ambrosienne  de  Milan,  et  resté  manuscrit  sous  la  cote  C. 
1  in/.  Citons  encore,  parmi  les  travaux,  P.  Bayle,  Diction- 
naire historique  et  critique,  6e  édit.,  Paris,  1741,  p.  642-643; 
L.-A.  Muratori,  Antiguilales  Itulicœ  medii  icvi,  Milan,  1741, 
t.  v,  p.  91-93;  J.  Tiraboscln,  Yctcra  humilialorum  monu- 
menta  annotationibus  ac  dissertationibus  prodromis  illuslrata, 
Milan,  1766,  t.  i,  p.  356;  P.  Tamburini,  Storia  générale  dell' 
Inquisizione  (ouvrage  écrit  en  1818),  Milan,  1862,  t.  i, 
p.  587-592;  t.  H,  p.  1-72;  M.  CafTi,  Dell'  abbazia  di  Chiara- 
valle  in  Lombardia.  Iscrizioni  e  monumenti  aggiuntavi  la 
storia  dell'  eretica  Guglielmina  boema,  Milan,  1843  ; 
C.  Schmidt,  Histoire  et  doctrine  de  la  secte  des  cathares  ou 
albigeois,  Paris,  1848,  t.  i,  p.  172-173;  C.  Cantù,  Sulla 
Guglielmina  boema  e  su  P.  Tamburini,  Milan,  1867,  et  Gli 
crelici  d'Italia,  trad.  A.  Digard  et  E.  Martin,  Paris,  1871, 
t.  i,  p.  209-211  ;  A.  Ogniben,  op.  cit.;  H.  C.  Lea,  A  hislory  o/ 
the  Inquisition  of  the  middle  âges,  New- York,  1888,  t.  m, 
p.  90-102,  197-199;  trad.  S.  Reinach,  Paris,  1902,  t.  m, 
p.  109-123,  236-238;  surtout  F.  Tocco,  Guglielma  boema 
e  i  guglielmiti,  Rome,  1901,  extrait  de  R.  Accademia  dei 
I.incci,  Memorie  délia  classe  di  seienze  morali,  storiche  e 
fdologiche,  Ve  série,  Rome,  1901,  t.  vin;  cf.  C.  Molinier,  dans 
la  Revue  historique,  Paris,  1904,  t.  lxxxv,  p.  388-397. 

F.  Vernet. 
GUILLEMINOT  Jean,  jésuite  français,  né  en  1614 
à  Montbard,  admis  au  noviciat  en  1631.  Après  avoir 
enseigné  les  humanités,  il  devint  professeur  de  philo- 
sophie et  de  théologie,  recteur  du  collège  de  Chaumont, 
préfet  des  études  et  chancelier  de  l'université  de  Pont- 
à-Mousson.  Outre  ses  traités  philosophiques,  œuvre 
de  controverse  dirigée  contre  le  cartésianisme  et  les 
doctrines  particulières  de  Malebranche  :  Seleciœ  ex 
univcrsaliore  philosophia  qusesliones,  2  in-8°,  Paris, 
1671,  et  Disserlalioncs  de  principiis  extrinsecis  rcrum 
corporcarum  cl  de  cognitione  brutorum,  Paris,  1679,  il 
reste  de  lui  deux  importants  traités  théologiques  :  De 
ente  increato,  Dijon,  1682;  De  ente  supernaturali,  ibid., 
1682,  et  un  ouvrage  apologétique  et  doctrinal,  fort 
apprécié   :   La  sagesse  chrétienne,   ou   les  principales 


1989 


GUILLEMINOT   —    GUITMOND  D'AVERSA 


1990 


vérités  du  christianisme,  établie  sur  les  principes  propres 
de  la  sagesse,  in-4°,  Paris  1674,  1681,  réimprimé  par 
le  P.  Cadrés  en  1857.  Le  P.  Guilleminot  mourut  à 
Nancy,  le  24  novembre  1680. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  C>e  de  Jésus,  t.  m, 
col.  1934;  Hurter,  Nomenclator,  3e  édit,  Inspruck,  1910, 
t.  iv,  col.  44. 

P.    Bernard. 

GUILLORÉ  François,  jésuite  français,  né  au 
Croisic  le  25  décembre  1615,  admis  au  noviciat  le 
22  octobre  1638.  Après  avoir  enseigné  avec  un  grand 
succès  les  humanités  et  la  rhétorique  pendant  onze 
ans,  il  se  consacra  tout  entier  à  la  direction  des  âmes 
et  au  ministère  de  la  prédication.  Ce  sont  surtout  ses 
œuvres  spirituelles  qui  ont  fondé  sa  réputation  et  qui 
marquent  aujourd'hui  encore  son  nom  dans  l'histoire 
de  la  théologie  ascétique.  1°  Maximes  spirituelles  pour 
la  conduite  des  âmes,  2  in-12,  Nantes,  1668;  Paris,  1671  ; 
très  nombreuses  éditions  jusque  vers  le  milieu  du 
siècle  dernier  et  sont  encore  très  répandues  aujour- 
d'hui ;  2°  Les  secrets  de  la  vie  spirituelle  qui  en  découvrent 
les  illusions,  Paris,  1673,  reproduits  dans  le  Diction- 
naire d'ascétisme,  t.  xlvi  de  la  Nouvelle  encyclopédie 
ihéologique  de  Migne,  Paris,  1864;  3°  Les  progrès  de 
la  vie  spirituelle  selon  les  différents  étals  de  l'âme,  Paris, 
1675,  1676;  Lyon,  1850,  1857,  1860;  4°  La  manière  de 
conduire  les  âmes  dans  la  vie  spirituelle,  Paris,  1675; 
5°  Conférences  spirituelles  pour  bien  mourir  à  soi-même, 
2  in-12,  Paris,  1683;  nombreuses  éditions;  6°  Retraite 
pour  les  dames,  Paris,  1684.  Une  édition  complète  des 
Œuvres  spirituelles  du  P.  Guilloré  a  été  publiée  à  Paris, 
1684,  par  l'auteur,  avec  quelques  compléments,  en 
2  in-fol.  Mais  par  Œuvres  spirituelles  il  faut  entendre 
uniquement  les  traités  ascétiques;  la  Retraite  pour  les 
dames  n'a  pas  été  comprise  dans  cette  édition.  La 
doctrine  spirituelle  du  P.  Guilloré  a  été  attaquée  par 
Nicole  dans  les  deux  derniers  livres  de  son  Traité  de 
l'oraison,  sans  toutefois  que  l'auteur  fût  nommé,  par 
ménagement,  paraît-il,  pour  sa  personne.  Les  Nou- 
velles ecclésiastiques  du  5  juin  1750,  p.  89,  relèvent 
également  divers  passages  comme  entachés  de  quié- 
tisme.  Ce  reproche  n'est  aucunement  fondé  et  le 
P.  Guilloré,  que  les  Nouvelles  ecclésiastiques  appellent 
un  «  infâme  personnage  »  et  qui  regardent  son  œuvre 
comme  «  une  honte  pour  les  jésuites  »,  reste  un  des 
guides  les  plus  sûrs  de  la  vie  spirituelle.  Après  avoir 
gouverné  les  maisons  de  Nantes  et  de  Dieppe,  le  saint 
religieux  vint  finir  ses  jours  à  Paris,  où  il  mourut  en 
pleine  activité  le  29  juin  1684. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  Clc  de  Jésus,  t.  ni, 
col.  1937-1940. 

P.    Bernard. 

GUITMOND  D'AVERSA.  —  Guitmond,  Guil- 
mundus,  Witmundus,  appelé  encore  Chrétien,  Chris- 
tiania, Christin,  Chrislinus,  né  probablement  en  Nor- 
mandie, fut,  à  l'abbaye  du  Bec,  l'élève  de  Lanfranc, 
par  qui,  dit-il,  De  corporis  et  sanguinis  Domini  verilale, 
1.  I;  cf.  1.  II,  P.  L.,  t.  cxlix,  col.  1428,  1449,  les  arts 
libéraux  retrouvèrent  chaleur  et  vie.  11  entra  à  l'abbaye 
bénédictine  de  La  Croix-Saint-Leufroy  (diocèse 
d'Évreux). 

Sur  les  principaux  événements  de  sa  vie  publique 
plane  plus  d'une  incertitude.  Voici  ce  que  raconte 
Ordéric  Vital,  Hist.  ceci.,  part.  II,  1.  IV,  c.  xm,  P.  L., 
t.  clxxxviii,  col.  335-339  :  appelé  en  Angleterre  par 
Guillaume  le  Conquérant,  qui  lui  promit  un  évêché, 
Guitmond  déclara  qu'il  n'en  voulait  point  et  à  cause 
de  son  indignité  et  pour  ne  pas  mécontenter  les  Anglais 
qui  souffraient  impatiemment  que  leurs  vainqueurs 
leur  imposassent  des  évêques  étrangers;  Guillaume 
l'autorisa  à  retourner  en  Normandie,  et  à  quelque  temps 
de  là,  le  choisit  pour  successeur  de  Jean,  archevêque 
de  Bouen,  mais  des  envieux  protestèrent,  disant  qu'il 


était  fils  de  prêtre;  pour  échapper  aux  tiraillements, 
Guitmond  obtint  de  son  abbé  la  permission  d'entre- 
prendre des  pèlerinages;  il  alla  à  Borne,  où  le  pape 
Grégoire  VII  le  fit  cardinal  et  Urbain  II  métropoli- 
tain d'Aversa;  il  gouverna  longuement  cette  église  et 
mourut  post  multos  agones  in  virlutum  exerciliis.  L'ano- 
nyme de  Melk,  qui  confond  Guitmond  Chrétien  avec 
Chrétien  Druthmar.  abbé  de  Stavelot  (vers  850),  dit, 
De  scriploribus  ecclesiasticis,  c.  en;  cf.  c.  xc,  P.  L 
t.  ccxm,  col.  981,  972,  que,  désigné  pour  régir  un 
monastère  différent  de  celui  de  Stavelot,  il  prit  la 
fuite  et,  afin  de  n'être  pas  reconnu,  changea  son  nom 
en  celui  de  Chrétien,  commun  à  tous  les  fidèles,  mais 
que,  finalement  découvert,  il  devint  évêque  d'Aversa 
sous  Grégoire  VII.  Bien  n'empêche  d'admettre  la 
réalité  du  voyage  en  Angleterre.  Il  en  va  autrement  du 
choix  de  Guitmond  pour  l'église  de  Bouen.  A  la  mort 
de  l'archevêque  Jean  (1079),  Guitmond  était  à  Borne 
depuis  deux  ans  au  moins;  en  1077,  il  accompagna 
les  légats  du  pape  à  l'assemblée  de  Forchheim,  en 
Franconie.  Cf.  Paul  de  Bernried,  S.  Grcgorii  Vllvita, 
c.  ix,  n.  80,  P.  L.,  t.  cxlviii,  col.  82.  S'il  fut  question 
de  Guitmond  pour  le  siège  de  Bouen,  ce  fut  donc  ou 
après  la  mort  de  l'archevêque  Maurille  (1067)  ou  Guit- 
mond n'étant  plus  à  Bouen,  et,  dans  ce  cas,  son  éloi- 
gnement  n'aurait  pas  été  motivé  par  les  résistances 
que  suscita  son  élection.  Changea-t-il  son  nom  en 
celui  de  Chrétien  pour  se  soustraire  plus  facilement  à 
l'animositô  des  jaloux,  pour  pèleriner  sans  attirer 
l'attention,  par  humilité  '?  Peut-être.  Il  est  vraisem- 
blable que  le  changement  ait  eu  lieu  à  son  départ  de  la 
Normandie.  Que  Guitmond  ait  été  nommé  évêque 
d'Aversa  par  Grégoire  VII,  comme  le  veut  l'anonyme 
de  Melk,  ou  plutôt,  comme  l'assure  Ordéric  Vital, 
cardinal  par  Grégoire  VII  et  évêque  —  Ordéric  Vital 
dit  à  tort  métropolitain  —  d'Aversa  par  Urbain  II, 
c'est  ce  qui  n'est  pas  clair.  Le  Décret  de  Gratien,  part.  I, 
dist.  VIII,  c.  5,  nous  a  conservé  un  fragment  d'une 
lettre  de  Grégoire  VII  à  Guitmond,  évêque  d'Aversa; 
mais  il  se  peut  qu'il  s'agisse  d'un  autre  Guitmond. 
Cf.  Histoire  littéraire  de  la  France,  nouv.  édit.,  Paris, 
1868,  t.  vin,  p.  559.  Quant  au  cardinalat  de  Guitmond 
qui  serait  dû  à  Grégoire  VII,  peut-on  le  concilier  avec 
la  lettre  (dont  l'authenticité,  il  est  vrai,  est  sus- 
pecte) où  Hugues  de  Die,  archevêque  de  Lyon, 
rendant  compte  de  l'élection  de  Victor  III,  successeur 
de  Grégoire  VII,  signale  (en  1087,  deux  ans  après  la 
mort  de  Grégoire)  la  présence  à  cette  élection  et  l'oppo- 
sition de  Guitmond,  qu'il  qualifie  de  moine?  Cf.  Hugues 
deFlavigny,  C/irom'c,  l.II,  P.  L.,t.  cliv,  col.  340-341. 
Si  Guitmond  avait  été  cardinal,  Hugues,  qui  se  récla- 
mait de  son  autorité,  ne  lui  en  aurait-il  pas  donné  le 
titre  ?  «  De  là  il  suit  clairement,  disent  les  auteurs  de 
l'Histoire  littéraire  de  la  France,  loc.  cit.,  p.  557,  que 
Guitmond  ne  fut  jamais  revêtu  de  cette  éminente 
dignité;  car  il  est  certain  d'ailleurs  qu'il  n'y  fut  point 
élevé  par  Urbain  II.  »  Par  ailleurs,  si  l'épiscopat  d'un 
Guitmond  à  Aversa  dès  le  temps  de  Grégoire  VII  est 
chose  acquise,  l'existence  de  deux  évêques  Guitmond 
est  bien  problématique,  et  comment  Guitmond,  s'il 
était  un  simple  moine,  aurait-il  pu  jo  er  dans  l'élec- 
tion de  Victor  III  un  rôle  qui  appartenait  aux  cardi- 
naux ?  En  somme,  la  vie  de  Guitmond  paraît  pouvoir 
se  résumer  de  la  sorte  :  il  fut  élève  de  Lanfranc  au 
Bec  et  moine  bénédictin  à  La  Croix-Saint-Leufroy;  il 
alla  peut-être  en  Angleterre  auprès  de  Guillaume  le 
Conquérant;  il  fut  peut-être  question  de  lui  pour 
l'archevêché  de  Bouen  en  1079  ou  en  1067;  il  alla  à 
Borne  et  prit  alors  probablement  le  nom  de  Chrétien; 
il  embrassa  la  cause  du  pape  Grégoire  VII;  il  fut  peut- 
être  cardinal,  peut-être  aussi  évêque  d'Aversa,  par  la 
désignation  de  Grégoire  VII;  il  intervint  à  l'élection 
de  Victor   111;  il  fut  certainement  évêque  d'Aversa 


1991 


GIJITMOND    D'AVERSA  -     GUNTHER 


1992 


du  temps  d'Urbain  II  (c'est  à  lui  probablement  que 
fut  adressée  une  lettre  d'Urbain  II  dont  nous  avons  un 
fragment  dans  le  Décret  de  Gratien,  part.  II,  caus.  XXIV, 
q. m,  c.  3).  La  date  de  sa  mort  est  inconnue;  mais 
nous  savons  qu'il  avait  un  successeur  à  Aversa  en  1095. 

Le  principal  écrit  de  Guitmond  est  le  De  corporis 
(  l  sanguinis  Domini  veritate  libri  très,  qu'il  écrivit  contre 
Bérenger  de  Tours,  entre  1073  et  1078.  Cf.  Bérenger 
de  Tours,  t.  n,  col.  730,  734-735,  736,  737,  738; 
Église,  t.  iv,  col.  2181;  Eucharistie,  t.  v,  col.  1218, 
1226,  1227-1228,  1230,  1235-1236,  1238-1239,  1258, 
1268,  1269,  1277,  1280,  1286,  1296,  1369,  1384;  on  y 
trouvera  l'essentiel  sur  cet  ouvrage  important.  De 
t'iuitmond  nous  avons  encore  la  Confessio  de  sancta 
Trinilale,  Christi  humanitate,  corporisque.  ac  sanguinis 
Domini  nosiri  veritate,  et  VEpistola  ad  Erfastum,  celle- 
ci  également  sur  le  mystère  de  la  Trinité  et  sur  la 
comparaison  avec  la  Trinité  du  globe  du  soleil  qui 
produit  la  lumière  et  la  chaleur.  L'un  et  l'autre  écrits 
paraissent  antérieurs  au  grand  traité  sur  l'eucharistie  : 
la  Confessio,  parce  que  la  manière  dont  il  y  parle  de 
l'eucharistie,  P.  L.,  t.  cxlix,  col.  1500,  ne  laisse  pas 
entendre  qu'il  se  soit  déjà  occupé  ex  professo  de  ce 
sujet;  VEpistola  ad  Erfastum,  parce  que,  interrogé 
par  Erfaste  sur  la  Trinité  et  sur  l'eucharistie,  il  avertit 
qu'il  pense,  si  volucrit  Dominus,  in  longiorem  disscr- 
lalionem  de  his  conjerre,  P.  L.,  t.  cxlix,  col.  1501;  or, 
il  répond  sur  la  Trinité,  mais  garde  le  silence  sur  l'eu- 
charistie, non  seulement  dans  les  anciennes  éditions 
partielles  de  la  lettre,  mais  encore  dans  le  fragment 
complémentaire  publié  par  dom  G.  Morin,  Revue  béné- 
dictine, Maredsous,  1911,  t.  xvm,  p.  96-97.  La  longior 
dispulatio  promise  doit  être  le  De  corporis  et  sanguinis 
Domini  veritate.  Nous  ne  comprenons  pas,  dans  la  liste 
des  œuvres  de  Guitmond,  YOratio  ad  Guillelmum  I 
Anglorum  regem  cum  recusaret  episcopalum,  que  lui 
prête  Ordéric  Vital;  ce  discours  à  la  Tite-Live  est 
manifestement  sorti  de  la  plume  d'Ordéric  Vital.  Par 
suite  de  la  confusion  entre  Guitmond  Chrétien  et 
Chrétien  Druthmar,  l'anonyme  de  Melk,  P.  L., 
t.  ccxiii,  col.  981,  attribue  à  Guitmond  des  commen- 
taires sur  saint  Matthieu  et  sur  saint  Luc  qui  appar- 
tiennent à  Druthmar.  Hélinand  de  Froidmont,  Chrome, 
1.  XLVI,  P.  L.,  t.  ccxn,  col  .  946,  l'ayant  dédoublé  en 
un  Guitmond  moine  et  un  Gui  abbé  de  La  Croix-Saint- 
Leufroy,  nombre  d'écrivains  l'ont  confondu  avec  Gui 
d'Arezzo;  de  là  diverses  erreurs  bibliographiques. 
Cf.  Histoire  littéraire  de  la  France,  t.  vm,  p.  561-562. 
Enfin  Guitmond  a  été  confondu  avec  "Witmond,  béné- 
dictin de  Saint-Évroul,  et  donné  pour  auteur  de  mor- 
ceaux de  chant  ecclésiastique  dont  la  paternité  doit 
être  restituée  à  ce  Witmond. 

Guitmond  jouit  d'une  sérieuse  renommée.  Pierre  le 
Vénérable,  Epislola  sive  tractatus  adversus  petrobru- 
sianos  hœreticos,  P.  L.,  t.  clxxxix,  col.  788,  dit  que 
Lanfranc  a  écrit  contre  Bérenger  bene,  perfecte,  et 
Guitmond  melius,  perfectius;  il  ajoute,  décernant  judi- 
cieusement la  palme  à  Alger  de  Liège,  que  ce  dernier  a 
écrit  oplime,  perfectissime.  Guillaume  de  Malmesbury, 
Gesta  regum  Anglorum,  1.  III,  §  284,  P.  L.,  t.  clxxix, 
col.  1257,  préfère  aussi  Guitmond  à  Lanfranc  et 
l'appelle  nosiri  lemporis  eloquentissimus ;  ces  derniers 
mots  ont  été  copiés  par  Hélinand,  P.  L.,  t.  ccxn, 
col  946.  Sa  réputation  dépassa  de  son  vivant  celle  de 
saint  Anselme,  au  moins  avant  la  promotion  d'Anselme 
à  l'épiscopat,  si  bien  qu'un  correspondant  du  saint  lui 
demanda,  nous  apprend  Anselme,  Episi.,  1.  I,  epist. 
xvi,  P.  L.,  t.  clviii,  col.  1082,  cur  jama  Lanjranci 
alque  Guilmundi  plus  mea  per  orbem  volet.  Quand  le 
protestantisme  commença  à  détruire  la  transsubstan- 
tiation, avec  Luther,  et,  avec  Carlstadt,  Zwingli  et 
Œcolampade,  la  présence  réelle,  Érasme  crut  ne  pou- 
voir mieux  combattre  ces  deux  hérésies  qu'en  pré- 


parant édition  des  traités  eucharistiques  de  Guit- 
mond et  d'Alger  de  Liège;  il  en  fit  un  bel  éloge  dans  sa 
préface.  Cf.  le  jugement  d'H.  Bôhmer,  Realcncy- 
klopâdie,  3e  édit.,  Leipzig,  1899,  t.  vu,  p.  235. 

I.  Œuvres.  —  L'édition  princeps  du  De  corporis  et 
sanguinis  Christi  veritate  parut  à  Anvers,  1530,  par  les  soins 
d'Érasme  ;  celle  de  la  Con/essio,  avec  une  nouvelle  édition 
du  De  corporis  et  sanguinis  Christi  veritate,  à  Louvain,  15G1, 
par  les  soins  de  Jean  Ulimmier;  celle  de  VEi)istola  ad 
Erfastum  fut  publiée  par  L.  d'Achéry,  Spicilegium,  Paris, 
1655,  t.  n,  p.  377-386;  le  tout,  avec  le  discours  à  Guillaume 
le  Conquérant,  est  dans  P.  L.,  t.  cxlix,  col.  1427-1512.  La 
finale  inédite  de  VEpistola  ad  Erfastum  a  été  publiée  par 
dom  G.  Morin,  Revue  bénédictine,  Maredsous,  1911,  t.  xvm, 
p.  96-97. 

II.  Travaux.  —  Histoire  littéraire  de  la  France,  Paris, 
1747,  t.  VIII,  p.  553-572;  R.  Ceillier,  Histoire  générale  des 
auteurs  sacrés  et  ecclésiastiques,  Paris,  1757,  t.  xxi,  p.  127- 
141;  A.  Sevcstre,  Dictionnaire  de  palrologie,  Paris,  1852, 
t.  n,  col.  1636-1647;  J.  Bach,  Die  Dogmengeschichte  des 
M ittelalters  vom  christologischen  Standpunkie,  Vienne,  1874, 
1. 1,  p.  385-389;  Scheeben,  Kirchenlexikon,  2" édit.,  Fribourg- 
en-Brisgau,  1888,  t.  v,  p.  1359-1360;  J.  Schnitzer,  Berengar 
von  Tours,  sein  Leben  und  seine  Lehre,  Munich,  1891, 
p.  350-370;  H.  Bôhmer,  Realencyklopàdie,  3e  édit.,  Leipzig, 
1899,  t.  vu,  p.  233-236;  G.  Morin,  La  finale  inédite  de  la 
lettre  de  Guitmond  d' Aversa  à  Erfast  sur  la  Trinité,  dans  la 
Revue  bénédictine,  Maredsous,  1911,  t.  xvm,  p.  95-99; 
R.  Heurtevent,  Durand  de  Troarn  et  les  origines  de  l'hérésie 
bérengarienne,  Paris,  1912. 

I".   Vernet. 

GUNTHER  Antoine,  l'auteur  du  système  semi- 
rationaliste  auquel  son  nom  demeure  attaché,  naquit 
le  17  novembre  1783  à  Lindenau  en  Bohême,  d'une 
famille  pauvre,  et,  après  avoir  achevé  ses  études  au 
prix  de  rudes  privations,  il  remplit  dans  diverses 
grandes  familles  les  fonctions  de  précepteur.  Ébranlé 
dans  sa  foi  par  la  lecture  des  ouvrages  de  Kant, 
Fichte,  Jacobi,  Schelling;  puis,  ramené  aux  croyances 
chrétiennes  par  ses  entretiens  avec  le  B.  Hoiïbauer, 
il  se  voua,  selon  ses  conseils,  à  l'étude  de  la  théologie 
et  fut  ordonné  prêtre  en  1820.  Il  entrait,  peu  après 
son  ordination,  au  noviciat  des  jésuites;  mais  il  en 
sortira  deux  ans  plus  tard  et  vivra  dès  lors,  prêtre 
séculier,  à  Vienne,  où  le  gouvernement  autrichien  lui 
confiera  jusqu'en  1848  le  poste  de  censeur  des  livres  de 
philosophie  et  de  droit.  Plusieurs  chaires  lui  furent 
olïertes  à  Munich,  à  Bonn,  àBreslau;  il  les  refusa,  dans 
l'espérance  peut-être  d'obtenir  une  chaire  à  Vienne,  et 
sa  longue  et  laborieuse  vie  s'écoula  toute  dans  les  tra- 
vaux philosophiques.  En  1828  et  1829,  Gunther  publia 
la  première  en  date  de  ses  œuvres,  Vorschule  zur  specu- 
laliven  Théologie  des  positiven  Chrislcnthums.  On  vit 
paraître  tour  à  tour,  dans  les  vingt  années  qui  suivirent, 
Pcregrins  Gaslmahl,  1830,  les  Sud  und  Nordlichtcr  am 
Horizont  speculativcr  Théologie,  1832;  Dcr  lelzer  Sym- 
boliker,  1834,  lettres  sur  la  polémique  de  Mœhleret  de 
Baur;  Thomas  a  Scrupulis,  1835,  contre  la  philosophie 
hégélienne;  Die  Juste  Milieus  in  der  deuischen  Philo- 
sophie gcgcnwârligcr  Zeil,  1838,  contre  Baur;  Eurij- 
slheus  und  Herakles,  1843.  Gunther  a  aussi  lancé  contre 
Baader,en  collaboration  avec  son  vieil  ami  Pabst,  Janus 
Kôpfe  fur  Philosophie  und  Théologie,  Vienne,  1833,  et. 
de  1849  à  1854,  il  a  rédigé,  de  concert  avec  Veith,  un 
autre  vieil  ami,  les  annales  philosophiques  intitulées 
Lgdia,  1849-1854.  Son  ouvrage  :  Lenligo's  und  Pcre- 
grins, Vienne,  1857,  n'a  pas  été  mis  dans  le  commerce. 

Intelligence  vigoureuse  et  originale,  mais  point 
assez  sûre,  Gunther  avait  à  cœur  de  lutter  efficace- 
ment contre  le  criticisme  de  Kant  et  contre  le  pan- 
théisme. Toutefois,  par  un  travers  d'esprit  trop  com- 
mun dans  la  décadence  théologique  de  l'Allemagne 
d'alors,  au  lieu  de  s'appuyer  sur  les  données  de  la 
philosophie  chrétienne,  telles  qu'on  les  retrouve 
sous  la  plume  de  saint  Thomas  et  des  autres  grands 
scolastiques,  il  avait  entrepris  d'asseoir  sur  la  base 


1993 


GUNTHER  —  GURY 


1994 


de  la  philosophie  moderne  un  système  nouveau, 
capable  d'expliquer  et  de  défendre  rationnellement 
les  dogmes.  Sans  cesser  pour  sa  part  ni  de  croire  au 
fait  historique  de  la  révélation,  ni  de  méconnaître 
L'impuissance  de  la  raison  naturelle  à  découvrir  les 
mystères,  Gùnther  prétendit  que  l'esprit  humain,  mis 
en  possession  des  formules  de  la  foi,  peut  en  pénétrer 
le  sens  et  en  démontrer  scientifiquement  la  vérité. 
Prétention  superbe  et  vaine,  qui  va,  en  renversant 
les  rôles  traditionnels,  à  accommoder  la  théologie 
aux  exigences  de  la  philosophie,  et  par  suite  à  pro- 
voquer maintes  contradictions  avec  les  vérités  révélées. 
Conséquent  avec  lui-même,  Giinther  n'attribue  aux 
décisions  de  l'Église  en  matière  de  foi  qu'une  valeur 
provisoire;  il  tient  que  les  formules  dogmatiques, 
étant  adaptées  uniquement  aux  besoins  de  telle  ou 
telle  époque,  sont  révisables  et  perfectibles  avec  les 
progrès  successifs  de  la  science.  Le  système  gunthé- 
rien  reposait  au  fond  sur  la  théorie  de  la  connaissance 
qui  en  était  le  caractère  distinctif;  il  arrivait  à  recon- 
naître dans  l'homme  deux  âmes,  l'une  raisonnable, 
l'autre  sensible,  ayant  chacune  ses  pensées,  ses  vou- 
loirs, sa  conscience,  et  il  faisait  de  l'homme  la  synthèse 
des  deux  mondes,  le  monde  de  la  matière  et  le  monde 
de  l'esprit.  L'application  de  ces  idées  philosophiques 
aux  dogmes  fondamentaux  du  christianisme  ouvrait 
la  porte  aux  plus  grandes  erreurs.  Le  mystère  de  la 
trinité  en  est  complètement  dénaturé.  Car,  selon 
Gùnther,  c'est  en  partant  de  la  conscience  du  moi 
et  de  ses  actes  extérieurs  que  l'homme  parvient  à 
s'expliquer  le  mystère  de  la  sainte  trinité.  La  per- 
sonnalité, d'après  lui,  n'est  pas  autre  chose  que  la 
possession  de  soi  par  la  conscience  de  soi-même  et 
de  ses  actes;  donc,  autant  de  personnes,  autant  de 
consciences,  autant  d'êtres  distincts  et  d'opérations 
diverses.  Or,  il  y  a  trois  personnes,  c'est-à-dire  trois 
consciences  en  Dieu;  il  y  a  donc  en  Dieu  trois  sub- 
stances, trois  réalités  absolues,  distinctes  l'une  de 
l'autre;  la  seule  unité  qui  survit  est  l'unité  morale 
découlant  des  relations  d'origine.  Cette  même  confu- 
sion entre  la  personne  et  la  substance  va  également 
ruiner  l'unité  numérique  de  la  personne  du  Christ 
et  altère  profondément  le  mystère  de  l'incarnation. 
Attaqué  vigoureusement  par  ses  adversaires, 
soutenu  chaudement  par  ses  champion.;.,  le  système 
gunthérien  mit  l'Allemagne  intellectuelle  en  feu.  Le 
tribunal  de  l'Index,  appelé  à  se  prononcer,  ne  le  lit 
qu'au  bout  de  six  ans.  Mais  enfin,  tout  mûrement 
pesé,  une  sentence  de  condamnation  fut  portée  le 
13  janvier  1857;  on  y  proclamait  l'opposition  absolue 
•le  la  doctrine  gunthérienne  avec  la  tradition  catho- 
lique, et  l'on  y  réprouvait  spécialement  dans  les  livres 
de  Giinther  les  méprises  sur  la  trinité,  sur  la  création, 
sur  l'union  hypostatique  du  Verbe  incarné,  en  même 
temps  que  le  dualisme  anthropologique  et  les  allures 
rationalistes  de  la  théologie.  Dès  le  10  février  suivant, 
Giinther  se  soumit  à  la  sentence  qui  le  frappait,  et 
le  pape  Pie  IX,  dans  une  lettre  du  15  juin  1857  à 
l'archevêque  de  Cologne,  témoigna  hautement  de  la 
joie  que  cet  acte  d'obéissance  lui  avait  causée.  Voir 
Denzinger-Bannwart,  Enchiridion,  n.  1655-1658.  Giin- 
ther mourut  presque  octogénaire,  après  quelques  jours 
de  maladie,  le  24  février  1863. 

Knoodt,  A.  Giinther,  2  vol.,  Vienne,  1880;  Wernor, 
Geschichle  der  kath.  Théologie  Deutschlands,  Munich,  1866, 
p.  440  sq.  ;  Briick,  Geschichtc  der  kath.  Théologie  im  neunrehn- 
ten  Jahrhundert,  Munster,  1903,  t.  ir,  p.  471-473;  Vacant, 
Etudes  théologiques  sur  les  constitutions  du  concile  du 
Vatican,  Paris,  1895,  t.  i,  p.  128-134;  Hurter,  Nomen- 
clator  lilerarius,  Inspruck,  1912,  t.  v,  col.  1098-1101. 

P.  Godet. 

GURY  Jean-Pierre,  moraliste  et  casuiste  français, 
né  à  Mailleroncourt  (Haute-Saône),  le  23  janvier  1801, 


commença  ses  études  classiques  au  petit  séminaire  de 
Luxeuil  et  vint  les  achever  à  Lyon.  Après  avoir  ensei- 
gné pendant  trois  ans  la  grammaire  dans  la  maison  du 
Blamont,  succursale  du  petit  séminaire  de  Saint- 
Acheul,  près  d'Amiens,  il  fut  enfin  admis  dans  la 
Compagnie  de  Jésus  au  noviciat  de  Montrouge,  le 
22  août  1824.  Envoyé  en  1826  comme  surveillant  au 
collège  de  Dôle,  il  partit  pour  Rome  après  les  ordon- 
nances du  16  juin  1828  pour  faire  ses  études  théo- 
logiques au  Collège  romain,  et  en  1833,  après  une  année 
de  ministère  apostolique  à  Lyon,  il  fut  chargé  d'ensei- 
gner la  théologie  morale  au  scolasticat  de  Vais,  près 
du  Puy.  Timide  et  fort  défiant  de  lui-même,  il  accepta 
la  charge  comme  une  croix  trop  lourde  pour  ses 
épaules  ;  mais  il  ne  tarda  point  à  se  révéler  comme  un 
professeur  hors  de  pair,  d'une  méthode  rigoureuse, 
d'une  lucidité  et  d'une  précision  remarquables,  et,  au 
surplus,  d'une  bonhomie  charmante.  En  septembre 
1847,  le  R.  P.  Roothaan,  général  de  la  Compagnie,  lui 
confiait  la  chaire  de  morale  au  Collège  romain.  Chasse 
de  Rome  par  la  révolution  de  1848,  il  reprit  à  Vais 
ses  cours  de  morale  et  prépara  la  publication  de  son 
Compendium  theologiœ  moralis  et  de  ses  Casus  conscien- 
tiœ.  Un  ouvrage  destiné  à  propager  les  doctrines  de 
saint  Alphonse  de  Liguori  :  Compendium  thvologia- 
moralis  S.  A.  M.  de  Ligorio,  par  M.  Neyraguet,  prêtre 
du  diocèse  de  Rodez,  avait  paru  en  1839,  sous  l'impul- 
sion et  avec  les  encouragements  du  P.  Gury,  qui  avait 
libéralement  prêté  ses  cahiers  à  l'auteur.  Ce  n'était 
toutefois  qu'un  abrégé  de  la  doctrine  de  Busembaum 
et  de  saint  Alphonse.  Le  P.  Gury,  en  s'inspirant  des 
mêmes  doctrines  et  en  utilisant  les  travaux  du  cardia 
nal  Gousset,  se  proposa  surtout  de  composer  un  traitù 
qui  appliquât  aux  besoins  des  temps  présents  les  prin^ 
cipes  généraux  de  la  morale.  L'ouvrage  parut  à  Lyon* 
en  1850,  sous  ce  titre  qui  n'a  pas  varié  depuis  :  Com- 
pendium llwologiœ  moralis,  2  in-18.  La  clarté  de  la 
disposition  générale  et  de  la  méthode,  l'enchaînement 
des  principes  généraux,  des  règles  particulières,  des 
questions  attenantes  aux  détails  de  la  pratique,  firf"lb 
admettre  bien  vite  dans  presque  tous  les  séminaires 
cet  excellent  manuel,  qui  fut  tiré  régulièrement  chaque 
année  à  cinq  ou  six  mille  exemplaires,  sans  compter 
les  contrefaçons  ou  éditions  publiées  à  l'insu  de  l'au- 
teur en  Italie,  en  Allemagne,  en  Belgique,  en  Angle- 
terre, en  Espagne.  Le  Séminaire  romain,  la  Propagande, 
le  Collège  romain  l'adoptèrent  comme  livre  de  cours 
sur  une  édition  adaptée  à  la  législation  du  pays. 
Quelques  vives  critiques  s'étaient  élevées  pourtant  au 
sujet  des  opinions  émises  par  le  savant  théologien 
relativement  à  la  portée  obligatoire  de  certains  décrets 
pontificaux  en  France.  Le  P.  Gury,  qui  s'appuyait 
d'ailleurs  sur  la  Théologie  morale  du  cardinal  Gousset, 
t.  n,  Traité  des  censures,  c.  n,  ne  révoquait  nullement 
en  doute  l'autorité  du  pape  et  supposait,  dans  les  cas 
cités,  une  tolérance  de  fait.  Il  n'en  fut  pas  moins  accusé 
de  gallicanisme  et  l'abbe  Guettée  s'autorisa  indûment 
de  cette  opinion  pour  légitimer  ses  résistances  aux 
condamnations  de  l'Index.  Ce  fut  une  peine  amère 
pour  le  P.  Gury,  qui  justifia  aisément  son  attitude 
doctrinale  dans  une  lettre  à  l'Univers,  du  10  novembre 
1856,  et  qui,  pour  éviter  jusqu'à  l'ombre  d'une  fausse 
interprétation,  retrancha  de  la  5e  édition  les  passages 
incriminés.  Jaloux  de  faire  disparaître  de  son  ouvrage 
jusqu'aux  plus  légères  défectuosités,  il  se  rendit  à 
Rome,  en  1864,  à  la  demande  du  R.  P.  Beckx,  général 
de  la  Compagnie,  pour  travailler  à  une  édition  défi- 
nitive de  son  traité,  en  prenant  contact  avec  un  cer- 
tain nombre  de  théologiens  éminents  qui  depuis  plu- 
sieurs années  se  servaient  du  Compendium  comme  livre 
de  texte  et  pouvaient  lui  transmettre  d'utiles  obser- 
vations. La  16e  édition  parut  en  1865,  2  in-8°,  avec  de 
nombreuses    additions    et    modifications.    Les    Casas 


1995 


GURY 


GUYARD 


19!)G 


conscientiœ  in  pnrcipuus  qusestiones  theologix  moralis,  | 
2  in-18,  le  Puy,  1862,  suivirent  la  fortune  du  Compen-  j 
diiim  à  l'étranger  comme  en  France.  Le  P.  Dumas  a 
publié  une  édition  des  deux  ouvrages  avec  notes  et 
adjonctions  nécessaires,  en  1874  et  1875,  édition  cons- 
tamment tenue  à  jour  depuis  cette  époque.  Le  P.  Bulol 
a  donné  plus  récemment  un  Compcndium  ad  mentem 
P.  Gury,  Paris  et  Tournai,  1908.  En  dehors  de  l'édi- 
tion Ballerini  et  Palmieri,  il  serait  superflu  de  citer  les 
traductions  ou  les  éditions  étrangères  de  ce  traité  de 
morale  partout  recommandé  et  partout  répandu.  Les 
attaques  dont  il  a  été  l'objet  de  la  part  des  ennemis 
de  l'Église,  surtout  en  Allemagne,  portaient  non  point 
sur  les  doctrines  particulières  du  P.  Gury,  mais  sur  la 
morale  de  l'Église  catholique.  Cf.  Dr  Magnus  Jocham, 
Die  Jcsuiten-Moral  und  die  siitliche  Verpestung  des 
Volkes,  Mayence,  1869;  F.  W.  Kossuth,  Jesuitische 
Mohrenwàsche,  Wirclrweiler,  1867;  F.  Beyer,  Was  hat 
das  neue  deutsche  Rcich  vom  neucsten  Jesuilismus  zu 
erwarlcn,  Barmen,  1872;  Dr  A.  Keller,  Die  Moral- 
Iheologie  des  Jesuilen  Pater  Gury,  Aarau,  1870;  Aug. 
Keller,  Der  moderne  Moralist,  Lucerne,  1870. 

En  dehors  de  ses  travaux  théologiques,  le  P.  Gury 
consacrait  une  bonne  partie  de  sa  vie  aux  œuvres  du 
saint  ministère,  à  la  direction  des  prêtres,  des  commu- 
nautés religieuses,  à  la  prédication,  surtout  aux  mis- 
sions de  campagne,  aux  catéchismes  dans  les  villages. 
Son  action  était  partout  des  plus  bienfaisantes  et  l'on 
admirait  en  lui  les  belles  vertus  de  l'homme  de  Dieu. 
La  dévotion  aux  âmes  du  purgatoire  lui  tenait  spéciale- 
ment à  cœur  :  il  la  propageait  avec  zèle.  C'est  dans  ce 
but  qu'il  publia  le  Manuel  de  la  Confrérie  des  âmes  du 
purgatoire  dite  de  Noire-Dame  de  l'Assomption  pour  le 
soulagement  des  fidèles  défunts,  le  Puy,  1865.  Le 
P.  Gury  mourut  à  la  tâche,  pendant  une  mission  qu'il 
donnait  à  Mercœur,  dans  le  diocèse  du  Puy,  le  18  avril 
1866.  Disciple  fidèle  de  Busembaum  et  de  saint 
Alphonse  de  Liguori,  le  P.  Gury  a  contribué  pour  une 
large  part  à  comprimer  les  dernières  tendances  jansé- 
nistes; il  est  en  même  temps  le  restaurateur  de  la 
casuistique  et  l'un  des  hommes  qui  ont  exercé  sur  les 
études  morales  la  plus  décisive  influence. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  C"  de  Jésus,  t.  m, 
col.  1956-1959;  Ami  de  la  religion,  t.  clix,  p.  387;  Morey, 
Un  théologien  comtois  :  le  P.  Gury,  Besançon,  1868;  Notice 
sur  le  R.  P.  Gury,  dans  les  Études  religieuses,  t.  xm' 
p.  592  sq.;  G.  Desjardins,  Vie  du  R.  P.  Gury,  Paris,  1867  ' 
Hurter,  Nomencîalor,  Inspruck,  1913,  t.  v,  col.  1384  sq.; 
Dulir,  Jesuiien-Fabeln,  3e  édit.,  p.  446  sq. 

P.  Bernard. 

GUYARD  Bernard,  dominicain  breton,  né  à 
Craon,  diocèse  d'Angers,  et  fils  du  couvent  de  Bennes. 
Il  poursuivit  ses  études  au  grand  collège  dominicain 
de  Saint- Jacques  de  Paris.  11  soutint  sa  tentative  en 
1642  et  fut  reçu  licencié  en  théologie  en  1644,  puis 
docteur.  Il  enseigna  la  théologie  au  couvent  de 
Saint-Jacques,  et  fut  un  des  quatre  régents  du  collège. 
Il  fut  un  des  prédicateurs  en  renom  de  son  temps 
soit  à  Paris,  soit  en  province.  Il  devint  confesseur  de 
Marguerite  de  Lorraine,  épouse  de  Gaston  d'Orléans, 
frère  de  Louis  XIII.  Au  chapitre  de  Nantes,  tenu 
le  19  octobre  1660,  il  fut  élu  pour  quatre  ans  provincial 
de  la  province  de  Paris.  11  mourut  le  19  juillet  1674, 
à  l'âge  de  73  ans.  On  a  de  lui  :  1°  Vie  de  saint  Vincent 
Fcrrier,  in-8°,  Paris,  1634;  2°  Oraison  funèbre  prononcé,: 
à  Paris  en  l'église  de  la  Madeleine,  au  service  de  Louis 
le  Juste,  roi  de  France  <  1  de  Navarre,  le  15  juin  1643, 
in-4°.  Le  discours  ne  donne  pas  une  très  haute  idée 
de  l'éloquence  de  l'orateur.  Mais  Guyard  s'occupa 
aussi  de  questions  d'ordre  théologique.  En  particulier, 
les  jansénistes  s'efforçaient  de  montrer  que  la  doctrine 
de  l'évèque  d'Ypres  ne  s'écartait  pas  de  celle  de 
saint  Thomas.  Guvard  démoDtra  le  contraire  dans  un 


traité  intitulé  :  Discrimina  inter  doctrinam  thomisticam 
et  jansenianam,  in-4°,  Paris,  1655.  Des  questions 
d'ordre  littéraire  l'intéressèrent  aussi.  Saint  Thomas 
d'Aquin  connaissait-il  le  grec  '?  Ce  fut  l'objet  d'un 
ouvrage  assez  compact,  qui  parut  sous  ce  titre  : 
Disserlatio  ulrum  S.  Thomas  callucril  linguam  grœcam  ? 
in-8°,  Paris,  1667.  Il  se  prononça  pour  l'affirmative; 
Launoy  soutint  la  négative,  et  Guyard  répondit  à 
trois  lettres.  Il  répondit  à  une  quatrième  :  Fraler 
Bcmardus  Guyard,  doctor  Parisiensis,  Joanni Launaio, 
l 'arisiensi  thcologo,  in-8°,  s.  1.  n.  d.  Il  rencontra  un  autre 
adversaire  dans  la  personne  d'un  autre  dominicain, 
lui  aussi  docteur  de  Paris,  le  P.  Nicolaï.  Celui-ci 
avait  publié  In  Catenam  auream  S.  Thomse  ac  P.  Nico- 
laï edilionem  novam  apologelica  prœlalio,  in-12,  Paris, 
1668.  Cet  ouvrage,  paru  sous  le  pseudonyme  de 
Honorati  a  S.  Gregorio.  était  dirigé  contre  Combefis,  un 
autre  dominicain.  Il  y  ajouta  Appendix  in  disserla- 
tionem  de  ficlitio  S.  Thomœ  grœcismo  summaria  epis- 
lolaris  discussio.  C'était  contre  Guyard.  Celui-ci 
répondit  par  l'Adversus  métamorphoses  Honorati  a 
sanclo  Gregorio,  doctrinam  ac  grœcismum  S.  Thomie 
frustra  conanfis  everlcre,  in-8°,  Paris,  1670.  Sur  cette 
question  intéressante  et  qui  parait,  au  premier  abord, 
engager  toute  l'œuvre  philosophique  de  saint  Thomas, 
les  critiques  du  xvne  siècle,  qui  ont  écrit  pour  ou 
contre,  ainsi  que  le  fait  justement  remarquer  le 
P.  Mandonnet,  Sigcr  de  Brabant,  Louvain,  1911, 
p.  40,  en  note,  n'ont  pas  tenu  compte  d'une  donnée 
historique  essentielle.  C'est  que  «  Thomas  d'Aquin  a 
composé  la  presque  totalité  de  ses  commentaires  à  la 
cour  romaine,  ou  â  Borne,  en  compagnie  ou  dans  le 
voisinage  de  Guillaume  de  Moerbeke,  dont  il  a  certaine- 
ment utilisé  les  connaissances  hellénistes.  »  Sur  la 
valeur  des  traductions  de  G.  de  Moerbeke,  voir  ibid. 
Uccelli,  qui  a  touché  aussi  cette  question,  Dell'opus- 
colo  dis.  Tommaso  conlro  gli  errori  de'  Greci,  1870, 
p.  314-315  [Scienzae  fede,  IIP  série,  t.  x],  a  revendiqué 
pour  saint  Thomas  purement  et  simplement  la  connais- 
sance du  grec.  On  peut  certainement  et  l'on  doit 
admettre  que  Thomas  d'Aquin,  originaire  d'un  pays 
où  en  ce  temps  le  grec  était  très  répandu,  a  dû  au  moins 
en  savoir  autant  que  qui  que  ce  soit.  Néanmoins,  comme 
il  n'était  pas  spécialiste  dans  la  matière,  il  a  bénéficié 
du  concours  de  Guillaume  de  Moerbeke.  Voir  sur  ce 
point  la  littérature  signalée  par  Mandonnet,  op.  cit. 
Guyard  défendit  une  cause  doctrinale  intéressante. 
Louis  XIV,  pour  favoriser  l'accroissement  de  la  popu- 
lation en  France,  songea  à  reculer  l'âge  de  la  profession 
religieuse.  Des  juristes  approuvèrent  le  projet  royal 
et  Boland  Le  Vayer  de  Boutigny  publia,  en  1667,  une 
Réflexion  sur  l'édit  louchant  la  réformalion  des  monas- 
tères. L'âge  de  la  profession  se  trouvait  reculé  pour  les 
hommes  à  25  ans,  pour  les  femmes  à  20.  11  estimait  que 
le  roi  ne  dépassait  point  ses  droits  en  posant  ces  lois 
nouvelles.  C'est  contre  ces  prétentions  que  Guyard 
publia  en  1669  :  La  nouvelle  apparition  de  Luther 
et  de  Calvin  sous  les  réflexions  faites  sur  l'édit  de  la 
réformalion  des  monastères,  avec  un  examen  du  traité  de 
lu  puissance  politique  touchant  l'âge  nécessaire  à  la 
profession  des  religieux,  in-12,  Paris,  1669.  Boland 
Le  Vayer  n'en  fit  pas  moins  paraître  la  même  année 
(1669)  :  De  l'autorité  du  roy  sur  l'âge  nécessaire  à  lu 
profession  religieuse  II  soutenait  que  le  roi  peut 
suspendre  les  professions  religieuses  solennelles  du 
vœu  monastique,  jusqu'à  l'âge  qu'il  jugera  nécessaire 
pour  le  bien  de  son  État;  que  le  roi  peut  déclarer  nulles 
les  professions  monastiques  émises  contre  les  règle- 
ments royaux.  Malgré  tout,  Louis  XIV  finit  par 
renoncer  à  son  projet.  Le  25  janvier  1672  (28  juin  1672 
d'après  laliste  des  prieurs  du  Mans),  Guyard  fut  nommé- 
prieur  du  couvent  du  Mans,  mais  il  n'y  resta  que  quel- 
ques  mois   et   revint   à   Paris,   pour  y   reprendre  les 


1997 


GUYARD 


GUYON 


1998 


fonctions  de  régent  à  Saint-Jacques.  Il  avait  commencé 
vers  ce  temps  de  publier  La  Fatalité  de  S.  Clou  près 
Paris,  in-fol.,  Lille,  1673;  in-12,  1674;  in-8°,  1692 
|Brunet,  mais  date  fausse].  Cet  écrit,  au  dire  de  Brunet, 
aurait  été  inséré  en  plusieurs  éditions  île  la  Satire 
Ménippée.  L'auteur  aurait  pour  but  de  prouver  que 
l'assassin  d'Henri  III  n'était  point  le  dominicain 
Jacques  Clément. 

Echard,  Scriptores  ordinis  pnedicalorum,  Paris,  1719- 
1721,  t.  il,  p.  653-654;  Matthieu  'texte,  Recueil  de  pièces,  etc. 
Nécrologe  de  S.  Jacques  de  Paris  [Arch.  de  l'ordre  à  RomeJ; 
Cosnard,  Histoire  du  couvent  des  frères  préclieurs  du  Mans, 
le  Mans,  1879,  p.  93;  Hurter,  Nomenclalor,  Inspruck, 
1910,  t.  iv,  col.  67,  41;  P.  Féret,  La  faculté  de  théologie  de 
Paris.  Époque  moderne,  1901,  t.  v,  p.   240-244. 

R.  CoULON. 

1.  GUYON  Claude-Marie,  historien  et  théologien 
français  du  xvme  siècle  (f  en  1771)  qui  fut  un  moment 
de  l'Oratoire.  Il  écrivit  contre  Voltaire  et  les  encyclo- 
pédistes VOracle  des  nouveaux  philosophes,  2  in-8°, 
Berne,  1759-1760,  et  publia  en  1771  une  Bibliothèque 
ecclésiastique  par  forme  d'instructions...  sur  la  religion, 
en  8  in-12,  qui,  bien  que  de  peu  de  valeur,  fut  traduite 
en  allemand  en  1785  et  imprimée  à  Augsbourg. 

Picot,  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  ecclésiastique  du 
XV 111°  siècle,  3°  édit.,  Paris,  1855,  t.  IV,  p.  472;  Hurter, 
Nomenclator,  1912,  t.  v,  col.  51. 

A.  Ingolh. 

2.  GUYON  (Jeanne-Marie  Bouvier  de  La  Mothe), 
célèbre  parses  doctrines  quiétistes  et  par  l'éclatante  con- 
troverse qu'elles  provoquèrent,  naquit  à  Montargis,  le 
13  avril  1648,  d'une  famille  de  petite  noblesse.  Mariée  à 
seize  ans  à  Guyon  qui  entreprit  le  canal  de  Briare,  elle 
souffrit  beaucoup,  à  en  croire  sa  Vie  écrite  par  elle- 
même,  d'un  mari  valétudinaire,  difficile  de  caractère, 
et  d'une  belle-mère  plus  désagréable  encore.  Veuve 
en  1676,  elle  se  livra  dès  lors  avec  ardeur  aux  œuvres  de 
charité  qui  l'avaient  toujours  attirée,  et  à  la  pratique  de 
l'oraison.  Ses  vertus  étaient  indéniables,  et,  seules,  la 
prévention  ou  la  mauvaise  foi  ont  pu  les  contester;  son 
désintéressement  lui  fit  abandonner  à  la  famille  de  son 
mari  la  garde  noble  de  ses  enfants,  laquelle  lui  procu- 
rait plus  de  40  000  livres  de  rente;  ses  aumônes  étaient 
considérables;  on  a  même  signalé  chez  elle,  à  ses 
débuts,  des  dons  éminents  qui  eussent  pu  faire  une 
sainte.  Gombault,  Madame  Guyon,  1910.  «  Quand  on 
lit  sa  Vie,  écrite  par  elle-même  et  qui  paraît  sincère, 
dit  le  R.  P.  Auguste  Poulain,  S.  J.,  on  est  amené  à 
regarder  comme  probable  qu'étant  jeune,  elle  eut  vrai- 
ment l'oraison  de  quiétude.  »  Des  grâces  d'oraison, 
c.  xvi.  Une  imagination  ardente  et  immodérée,  l'ab- 
sence d'une  direction  sûre  et  ferme  arrêtèrent  chez  elle 
l'œuvre  divine.  Le  zèle  de  l'apostolat  et  le  goût  des 
voyages  conduisirent  Mme  Guyon  à  Gex,  dont  l'ordi- 
naire (M.  d'Arenthon,  évêque  de  Genève)  lui  confia  la 
direction  d'une  communauté  de  Nouvelles  catholiques 
où  elle  ne  resta  point;  à  Thenon,  dans  le  Chablais;  à 
Verceil,  où  l'évêque  lui  rendit  un  bon  témoignage;  à 
Turin,  à  Grenoble  dont  l'évêque,  Etienne  Le  Camus, 
défiant  de  ses  idées,  lui  recommanda  «  de  quitter  le 
barnabite  pour  lequel  elle  avait  une  attache  éclatante  et 
d'avoir  soin  de  ses  enfants  et  de  ses  affaires  domesti- 
ques. »  Lettre  au  duc  de  Chevreuse,  18  janvier  1685. 
Partout,  Mra«  Guyon  fomentait  la  piété,  et  répandait 
des  opinions  que  nous  exposerons  plus  loin;  partout 
aussi  ou  presque  partout,  comme  le  lui  reproche  Le 
Camus,  elle  était  accompagnée  du  barnabite  La  Combe, 
esprit  exalté,  qui  encourageait  chez  sa  pénitente  des 
tendances  périlleuses,  lui  prodiguait  les  flatteries,  et  se 
laissait  conduire  bien  plus  qu'il  ne  dirigeait.  En  juillet 
1686,  Mme  Guyon  revient  en  France  et  à  Paris;  elle 
s'installe  auprès  de  Notre-Dame,  mais  elle  n'y  reste  pas 
longtemps.  Des  bruits  fâcheux  circulaient  sur  elle  et  sai- 
son guide.  La  Combe,  rentré  à  Paris  en  octobre  1687, 


est  arrêté  par  ordre  royal,  et  emprisonné  d'abord  à  la 
Bastille,  puis  au  château  de  Lourdes;  il  meurt  fou  à 
Vincennes,  en  1699,  après  avoir  souscrit  contre  lui- 
même  et  contre  sa  pénitente  d'infamants  aveux, 
arrachés  par  la  contrainte.  Mm«  Guyon  elle-même  fut 
arrêtée  en  octobre  1687,  et  conduite  aux  \isitandines 
de  la  rue  Saint-Antoine.  «  Elle  y  subit  plusieurs  inter- 
rogatoires en  présence  de  l'official  et  de  son  vice-gérant. 
Les  pièces  de  cette  procédure  n'ont  jamais  été  publiées. 
Mais  il  est  bien  évident  que  cette  instruction  juridique 
n'avait  fourni  aucune  preuve  des  accusations  si  graves 
qu'on  avait  intentées  contre  ses  mœurs.  »  Bausset, 
Histoire  de  Fénelon,  1.  II,  ix.  L'intervention  d'une  des 
grandes  chrétiennes  du  xvne  siècle,  Mme  de  Miramion, 
fit  sortir  du  couvent  Mme  Guyon,  le  15  septembre  1688, 
après  huit  mois  de  captivité.  «  La  duchesse  de  Charost 
et  la  duchesse  de  Beauvilliers  l'avaient  connue  à  Mon- 
targis, l'une  était  venue  s'y  fixer,  l'autre  y  faisait  élever 
ses  filles...  Par  elles  Mme  Guyon  s'était  acquis  la  sym- 
pathie des  duchesses  de  Chevreuse  et  de  Mortemart.  Ce 
petit  concile  de  duchesses  avait  proclamé  la  sainteté  de 
leur  amie...  »  M.  Masson,  Fénelon  et  Mme  Guyon.  Intro- 
duction, p.  xxiv.  De  l'hôtel  de  Beauvilliers,  M  me  Guyon 
fut  introduite  à  Saint-Cyr,  où  sa  parente,  Mmede  La 
Maisonfort,  et  Mme  deBrinon  l'avaient  attirée.  On  y  lut 
ses  écrits  ;  M  me  de  Maintenon  elle-même  n'échappa  point 
au  charme  de  la  prophétesse,  et,  comme  l'a  ditMmeDu 
Pérou,  «  presque  toute  la  maison  devint  quiétiste.  » 

Nous  allons  exposer  la  doctrine  de  Mme  Guyon,  telle 
que  la  présente  M.  Gosselin,  d'après  le  livre  des  Torrents 
et  l'Explication  du  Cantique  des  cantiques. 

«  1°  La  perfection  de  l'homme,  même  dès  cette  vie, 
consiste  dans  un  acte  continuel  de  contemplation  et 
d'amour,  qui  renferme  en  lui  tous  les  actes  de  la  reli- 
gion et  qui,  une  fois  produit,  subsiste  toujours,  à 
moins  qu'on  ne  le  révoque  expressément... 

«  2°  Il  suit  de  ce  principe,  et  la  nouvelle  mystique 
paraît  en  conclure  qu'une  âme  arrivée  à  la  perfection 
n'est  plus  obligée  aux  actes  explicites,  distingués  de  la 
charité,  qu'elle  doit  supprimer  généralement  et  sans 
exception  tous  les  actes  de  sa  propre  industrie,  comme 
contraires  au  parfait  repos  en  Dieu... 

«  3°  Dans  ce  même  état  de  perfection,  l'âme  doit 
être  indifférente  à  toutes  choses  pour  le  corps  et  pour 
l'âme,  pour  les  biens  temporels  et  éternels. 

«  4°  Dans  l'état  de  la  contemplation  parfaite,  l'âme 
doit  repousser  toutes  les  idées  distinctes,  et  par  consé- 
quent la  pensée  même  des  attributs  de  Dieu  et  des 
mystères  de  Jésus-Christ...  »  Analyse  de  la  controverse 
du  quiétisme,  a.  2,  §  2,  3. 

La  conquête  la  plus  brillante  que  fit  Mme  Guyon  fut 
celle  du  guide  de  cette  société  d'élite,  l'abbé  de  Fénelon, 
qui  devait  atténuer  la  doctrine,  sans  la  rendre  irrépré- 
hensible. Fénelon  et  Mme  Guyon  se  rencontrèrent  en 
octobre  1688,  à  Beynes,  près  de  Versailles,  chez  la  du- 
chesse de  Charost.  Ils  ne  s'entendirent  pas  du  premier 
coup.  «  Je  sentais  intérieurement,  a  écrit  Mm0  Guyon, 
que  cette  première  entrevue  ne  le  satisfaisait  point, 
qu'il  ne  me  goûtait  pas.  »  Fragment  d'autobiographie, 
p.  3,  dans  Fénelon  et  Mme  Guyon.  La  raison  et  la  théo- 
logie du  prêtre  résistaient,  malgré  de  secrètes  affinités 
qui  finirent  par  prévaloir.  Fénelon  devint  l'admirateur, 
l'ami  cher  entre  tous,  le  disciple  d'une  femme  qu'il  ne 
craint  pas  de  rapprocher,  à  cause  même  des  illusions 
qu'on  lui  imputait,  de  sainte  Catherine  de  Bologne, 
jouet  elle-même  durant  quelque  temps  de  ruses  diabo- 
liques. «  Je  l'estimai  beaucoup,  a-t-il  écrit;  je  la  crus 
fort  expérimentée  et  éclairée  dans  les  voies  intérieures, 
quoiqu'elle  fût  très  ignorante.  Je  crus  apprendre  plus 
sur  la  pratique  de  ces  voies  en  examinant  avec  elle  ses 
expériences,  que  je  n'eusse  pu  faire  en  consultant  des 
personnes  fort  savantes,  mais  sans  expérience  pour  la 
pratique.  »  Réponse  à  la  Relation  sur  le  quiélisme,  c.  i, 


1999 


GUYON 


2000 


n.  5.  Toujours,  il  vit  en  elle  une  sainte  qu'on  opprimait, 
lettre  à  Chantérac,  8  décembre  1697.  Cette  persistante 
sympathie  pour  Mme  Guyon,  cette  haute  idée  des 
lumières  qu'une  vie  qui  semblait  perdue  en  Dieu  lui 
avait  procurées,  sont  attestées  par  des  œuvres  d'une 
indéniable  authenticité.  Mais  le  recueil  de  lettres  attri- 
buées à  Mme  Guyon  et  à  Fénelon  par  le  pasteur  vaudois 
Philippe  Dutoit,  et  publiées  en  1767-1768,  nous  apprend 
autre  chose  encore.  Sont-elles  authentiques?  M.  Mau- 
rice Masson,  professeur  à  l'université  de  Fribourg 
(Suisse),  qui  les  édita  en  1907,  précédées  d'une  longue 
et  suggestive  introduction,  n'hésite  pas  à  l'affirmer. 
Sans  doute,  les  originaux  ont  disparu,  niais  les  preuves 
qu'il  apporte  ont  paru  convaincantes  à  des  esprits 
versés  dans  l'histoire  et  dans  la  littérature  fénelo- 
niennes.  Aux  répugnances,  aux  dénégations  de  M.  Gos- 
selin.  qui  n'y  retrouvait  ni  le  style  ni  les  idées  de  l'ar- 
chevêque de  Cambrai,  M.  Maurice  Masson  répond  : 
«  Le  lecteur  judicieux  jugera.  C'est  à  lui  de  sentir  si  ces 
lettres  qu'on  prétend  apocryphes  et  les  pages  les  plus 
authentiques  de  Fénelon,  que  j'ai  cru  devoir  en  rap- 
procher, n'ont  pas  entre  elles  une  évidente  parenté, 
parfois  même  une  presque  identité  de  pensée  et 
d'expression.  La  meilleure,  ou  du  moins  la  plus  com- 
plète démonstration  d'authenticité  sera  donc  la  lecture 
même  de  cette  correspondance  :  les  notes  et  références, 
qui  soulignent  le  texte  par  le  menu,  apporteront  pour  la 
plupart  des  faits,  des  idées  et  des  mots,  la  confirmation 
de  ceux-là  mêmes  à  qui  les  lettres  sont  adressées.  » 
Fénelon  et  Mme  Guyon, Introduction,  p.xix,  xx.  Or,  non 
seulement  Fénelon  reçoit  dans  ces  lettres  une  véritable 
direction,  mais  il  accepte  la  confidence  de  songes 
étranges,  de  chimériques  espérances,  le  tout  exprimé 
dans  un  langage  enfantin; il  se  prête  à  ces  mièvreries, 
à  ces  rêves.  «  Il  faudrait  une  extrême'  ingénuité,  dit 
M.  Maurice  Masson,  pour  prendre  au  sérieux  ces  enfan- 
tillages mystiques  et  le  cri  de  ralliement  :  Heureux  les 
fous  !  Il  serait  plus  qu'injuste  d'abuser  de  quelques 
couplets  de  Gascon  (allusion  aux  vers  puérils  qu'échan- 
gent les  deux  correspondants;  il  y  a  là  cependant  de 
Fénelon  quelques  strophes  légères  et  dansantes)  pour 
décrier  un  très  grand  esprit.»  Fénelon  et  Mme  Guyon, 
p.  xc.i.  Certes,  Fénelon  demeure  grand  par  son  génie, 
par  ses  vertus,  par  ses  malheurs,  par  son  dévouement 
sans  réserve  à  la  France  envahie,  durant  la  guerre  de 
la  succession  d'Espagne;  par  la  lutte  infatigable  que 
soutint  son  zèle  perspicace  contre  le  jansénisme,  pré- 
curseur et  inconscient  promoteur  de  l'incrédulité  pro- 
chaine; mais  l'influence  exercée  par  Mme  Guyon  sur 
Fénelon  nous  semble  un  très  regrettable  épisode  dans 
cette  glorieuse  existence.  «  En  exaspérant  chez  lui  le 
conflit  de  l'homme  purement  homme  et  du  chrétien, 
ou,  si  l'on  veut  encore,  de  l'homme  naturel  et  de 
l'homme  intérieur,  a-t-on  dit,  en  creusant  cette  con- 
science par  la  doule::r,  en  lui  révélant  ainsi  à  lui-même 
des  puissances  insoupçonnées  de  vertu  et  de  corruption, 
elle  (Mme  Guyon)  a  assoupli  et  nuancé  une  âme  déjà 
très  riche  et  très  dherse.  »  Fénelon  et  Mme  Guyon, 
Introduction,  p.  xcv.  C'est  possible;  mais  pour  arriver 
si  haut,  était-il  nécessaire  que  Fénelon  passât  par  des 
voies  étranges,  par  des  voies  bizarres;  était-il  nécessaire 
que,  sous  prétexte  de  défendre  et,  pour  ainsi  dire,  de 
remparer  la  doctrine  du  pur  amour,  il  donnât  dans 
l'erreur  d'un  quiétisme  raffiné  ?  On  n'a  pas  prouvé  que 
«  de  celui  qui,  sans  elle,  n'aurait  été  qu'un  homme 
«  d'esprit,  cette  demi-sainte,  demi-folle  a  fait  un  type 
«  d'humanité.  »A  un  point  de  vue  plus  général,  au  point 
de  vue  du  développement  de  la  doctrine,  plusieurs 
n'ont  pas  regretté  la  controverse  que  provoquèrent  les 
idées  de  Mme  Guyon  «  Avant  l'effort  de  Fénelon  pour 
systématiser  la  science  mystique,  dit  le  P.  Gratry,  non 
sans  quelque  exagération,  les  écrits  des  plus  saints 
auteurs  renfermaient  sur  ce  point  des  inexactitudes, 


non  d'intention  mais  d'expression,  de  sorte  que  le  point 
principal  de  la  théologie  mystique,  dernier  mot  de  la 
vraie  sagesse,  fut  alors,  et  alors  seulement,  défini  et 
lixé.  »  Connaissance  de  Dieu,  part.  I,  c.  vu,  Fénelon. 

De  crainte  qu'on  n'en  abusât,  Fénelon  n'avait  point 
voulu  que  les  manuscrits  de  Mme  Guyon,  qui  circulaient 
librement  à  Saint-Cyr, fussent  communiqués  au  dehors; 
l'évêque  de  Chartres,  Godet  Des  Marais,  en  eut  cepen- 
dant connaissance  parMme  de  LaMaisonfort.  Ce  prélat, 
homme  d'une  haute  vertu,  «  fort  savant  et  surtout 
profond  théologien  »  (ainsi  parle  Saint-Simon,  qui 
d'ailleurs  se  plaît  à  le  rabaisser),  prémunit  Mme  de 
Maintenon  qu'il  dirigeait,  contre  une  doctrine  qui  «  in- 
vitait à  cette  liberté  des  enfants  de  Dieu  dont  on  ne  se 
servait  que  pour  ne  s'assujettir  à  rien.  »  Alarmée, 
Mme  de  Maintenon  consulta  des  hommes  d'une  autorité 
incontestable  :  Tronson,  le  maître  de  Fénelon,  qui 
regarda  comme  suspects  les  écrits  de  Mrae  Guyon,  et 
Bourdaloue.  dont  la  réponse  atteste  une  rare  connais- 
sance des  âmes  et  particulièrement  des  âmes  de  son 
siècle.  «  Fénelon,  dit  Bausset,  voyait  sans  s'étonner, 
et  presque  sans  s'en  apercevoir,  un  orage  se  former 
contre  lui.  »  Bossuet  était  encore  à  ses  yeux  le  maître 
par  excellence;  il  conseilla  à  Mme  Guyon  de  confier  à 
l'évêque  de  Meaux  ses  écrits  les  plus  secrets,  et  de  se 
soumettre  à  sa  décision.  Mme  Guyon  communiqua  à 
Bossuet  le  manuscrit  où  elle  exposait  sa  doctrine,  les 
grâces  insignes  qu'elle  disait  avoir  reçues,  ses  prophéties 
et  ses  visions. Bossuet  lut  cette  Vie  écrite  parelle-même 
dont,  avec  une  ironie  grave  qui  éclate  parfois,  il  cite 
des  fragments  dans  sa  Relation  sur  le  quiétisme  (Féne- 
lon déclare  n'avoir  fait  de  ces  écrits  qu'une  lecture 
rapide  et  incomplète).  Après  avoir  tout  examiné,  l'évê- 
que de  Meaux  eut  avec  Mme  Guyon  un  long  entretien 
à  Paris  chez  les  religieuses  du  Saint-Sacrement  de  la 
rue  Cassette;  il  essaya  de  rectifier  ses  idées,  et  la 
jugeant  sincère,  «  plus  digne  de  pitié  que  de  censure,  » 
dit  Bausset,  il  l'admit  à  sa  messe  et  la  communia  de  sa 
propre  main.  Pour  vaincre  les  résistances  de  Mme  Guyon, 
il  lui  adressa  (mars  1694)  une  lettre  doctrinale  dont  le 
ton  est  paternel.  «  Je  vous  dirai,  écrivait-il,  que  la  pre- 
mière chose  dont  il  me  paraît  que  vous  devez  vous 
purifier,  c'est  de  ces  grands  sentiments  que  vous  mar- 
quez de  vous-même...  Déposez  donc  tout  cela...  d'au- 
tant plus  que  l'endroit  où  vous  dites  :  «  Ce  que  je  lierai 
«  sera  délié,  »  est  d'un  excès  insupportable...  Je  mets 
encore  dans  le  rang  des  choses  que  vous  devez  déposer 
toutes  prédictions,  visions,  miracles  et,  en  un  mot, 
toutes  choses  extraordinaires,  quelque  ordinaires  que 
vous  vous  les  figuriez  dans  certains  états...  »  C'est  sur- 
tout le  quiétisme  de  Mme  Guyon,  cette  doctrine  qui 
exclut  la  prière  de  demande  et  l'action  de  grâces,  qui,  par 
une  pente  logique,  conduit  l'âme  à  une  contemplation 
oisive,  ce  sont  ces  raffinements  d'une  piété  sans  règle, 
qui  effraient  l'inflexible  théologien.  «  Je  n'ai  trouvé  ni 
Écriture,  ni  tradition,  ni  exemple,  ni  personne,  qui  osât 
dire  ouvertement  :  En  cet  état  (l'état  des  parfaits)  ce- 
serait  une  demande  propriétaire  et  intéressée,  de  de- 
mander pour  soi  quelque  chose,  si  bonne  qu'elle  fût,  à 
moins  d'y  être  poussé  par  un  mouvement  particulier; 
et  la  commune  révélation,  le  commandement  commun 
fait  à  tous  les  chrétiens  ne  suffit  pas.  Une  telle  proposi- 
tion est  de  celles  qui  ne  laissent  rien  à  examiner,  et  qui 
portent  leur  condamnation  dans  les  termes.  »  L'évêque 
tire  du  fond  de  sa  conscience  la  déclaration  suivante, 
qui  explique  d'avance  la  conduite  qu'il  tiendra  dans 
l'affaire  du  quiétisme,  et,  quels  que  doivent  être  cer- 
tains excès  de  sa  polémique,  en  découvre  le  vrai  motif. 
«  J'écris  sous  les  yeux  de  Dieu,  mot  à  mot  comme  je 
crois  l'entendre  de  lui  par  la  voix  de  la  tradition  et  de 
l'Écriture,  avec  une  entière  confiance  que  je  dis  la 
vérité.  »  Et  il  ajoute,  avec  un  indéniable  accent  de 
charité  :  o  Je  vous  permets  néanmoins  de  vous  expli- 


2001 


GUYON 


2<Hi2 


quer  encore  :  peut-être  se  trouvera-t-il  dans  vos  sen- 
time  ts  quelque  chose  qui  n'est  pas  assez  débrouillé;  et 
je  serai  toujours  prêt  à  l'entendre.  Pour  moi,  j'ai  voulu 
exprès  m'expliquer  au  long,  et  ne  point  épargner  ma 
peine,  pour  satisfaire  au  désir  que  vous  avez  d'être  ins- 
truite. Je  vous  déclare  cependant  que  je  loue  votre  doci- 
lité. » 

L'évêque  de  Meaux  se  méprenait;  Mme  Guyon  n'Olait 
pas  docile,  car  elle  n'était  pas  persuadée.  Inquiète  d'une 
opinion  publique  qui  suspectait  sa  doctrine  et  même 
ses  mœurs,  elle  demanda  à  Mme  de  Maintenon  des 
commissaires,  moitié  ecclésiastiques,  moitié  laïques, 
qui  prononçassent  sur  celles-ci  et  sur  celle-là.  Les  com- 
missaires laïques,  auxquels  aurait  incombé  l'examen 
des  mœurs,  lui  furent  refusés  :  «  Je  n'ai  jamais  rien  cru 
des  bruits  que  l'on  faisait  courir  sur  les  mœurs  de 
Mrae  Guyon,  écrivait  Mme  de  Maintenon  au  duc  de 
Beauvillier>;  je  les  crois  très  bonnes  et  très  pures;  mais 
c'est  sa  doctrine  qui  est  mauvaise,  du  moins  par  les 
suites.  En  justifiant  ses  mœurs,  il  serait  à  craindre 
qu'on  ne  donnât  cours  à  ses  sentiments,  et  que  les  per- 
sonnes déjà  séduites  ne  crussent  que  c'est  les  autoriser. 
Il  vaut  mieux  approfondir  une  bonne  fois  ce  qui  a  rap- 
port à  la  doctrine,  après  quoi  tout  le  reste  tombera.  » 
Les  commissaires  étaient  Bossuet,  Noailles,  encore 
évêque  de  Châlons,  et  Tronson,  supérieur  de  Saint- 
Sulpice;  ces  deux  derniers  avaient  été  choisis  sur  la 
demande  deMme  Guyon.  Celle-ci  déclara  n'avoir  jamais 
voulu  s'écarter  de  l'enseignement  de  l'Église;  elle  pria 
même  Bossuet  de  la  recevoir  à  la  Visitation  de  Meaux 
où  elle  arriva  au  commencement  de  janvier  1695.  Après 
avoir  rendu,  sur  Mmo  Guyon,  ce  que  je  nommerais  un 
arrêt  de  non-lieu,  les  deux  évêques  et  Tronson  réso- 
lurent d'exposer,  dans  des  réunions  qui  n'avaient  et 
qui  ne  prétendaient  avoir  aucun  caractère  canonique, 
la  doctrine  orthodoxe  sur  les  points  controversés.  De 
là,  les  célèbres  conférences  d'Issij,  qui  se  tinrent,  avec 
des  interruptions,  du  16  juillet  1694  au  10  mars  1695, 
dans  la  maison  de  campagne  du  séminaire  de  Saint- 
Sulpice,  où  Tronson  était  retenu  par  ses  infirmités.  Sur 
ces  entrefaites,  mécontent  que  des  évêques  étrangers 
traitassent  dans  son  diocèse  d'une  question  théologique 
sans  l'avertir,  Harlay*  par  une  ordonnance  du  16  oc- 
tobre 1694,  condamna,  avec  des  qualifications  sévères, 
l'Analyse  de  l'oraison  mentale  par  le  P.  La  Combe,  le 
Moyen  court  de  faire  oraison  et  l'Explication  du  Cantique 
des  cantiques,  de  Mme  Guyon. 

Fénelon,  nommé  à  l'archevêché  de  Cambrai  (4  fé- 
vrier 1695),  fut  admis  aux  conférences  d'Issy.  «  Il  est 
clair  comme  le  jour  que  j'étais  le  principal  accusé,  » 
a-t-il  dit.  Réponse  à  la  Relation  sur  le  quiétisme,  c.  il, 
xix.  Incontestablement,  c'était  pour  s'assurer  de  sa 
doctrine,  pour  désabuser,  s'il  était  nécessaire,  des 
rêves  de  Mme  Guyon,  un  homme  qu'elle  aimait  encore, 
que  Mme  de  Maintenon  avait  encouragé  ces  conférences. 
Le  futur  archevêque  de  Cambrai,  tout  en  réservant  dis- 
crètement la  question  de  l'amour  de  bienveillance,  sur 
laquelle  avec  toute  l'École  il  était  invincible,  faisait 
alors  à  Bossuet  des  protestations  de  docilité  qui  nous 
semblent  dépasser  la  mesure.  Lettres  du  28  juillet  et 
du  16  décembre  1694.  Aux  trente  articles  rédigés  par  ' 
ses  collègues,  il  demanda  qu'on  en  ajoutât  quatre 
autres,  pour  établir  plus  clairement  l'amour  désinté- 
ressé, et  pour  définir  l'oration  passive.  Ayant  obtenu 
gain  de  cause,  le  futur  archevêque  de  Cambrai  souscri- 
vit avec  eux  les  trente-quatre  articles  d'Issy  (10  mars 
1695).  Voir  t.  v,  col.  2146-2149.  Bossuet  et  Noailles 
étaient  convenus  de  publier  dans  leurs  diocèses  res- 
pectifs les  articles  d'Issy,  et  la  condamnation  des  ou- 
vrages de  Mme  Guyon.  L'ordonnance  de  l'évêque  de 
Meaux  est  du  16  avril  1695;  elle  censurait,  outre  des 
ouvrages  de  Molinos,  de  Malaval  et  de  La  Combe,  trois 
ouvrages  de  Mme  Guyon,  laquelle  d'ailleurs  n'était  pas 


nommée  :  le  Moyen  court  de  faire  oraison,  l'Explication 
du  Cantique  des  cantiques,  et  la  Règle  des  associés  de 
l'enfance  de  Jésus.  L'ordonnance  de  Noailles  est  du 
25  avril  1695;  Mme  Guyon  n'y  fut  pas  nommée  non 
plus. 

Mme  Guyon  s'était  soumise  à  l'ordonnance  de  Bos- 
suet, qui  lui  accorda  sans  hésitation  le  certificat  le  plus 
avantageux  sur  sa  conduite,  ses  intentions  et  ses  dis- 
positions (Bausset).  Plus  tard,  dans  l'emportement  de 
la  controverse,  Bossuet  parut  regretter  cette  pleine  jus- 
tification qu'il  avait  accordée  à  Mme  Guyon.  «  Il  y  a  un 
point,  écrira-t-il,  où  je  lui  ai  laissé  déclarer  ce  qu'elle 
a  voulu  pour  sa  justification  et  son  excuse,  et  c'est 
celui  des  abominables  pratiques  de  Molinos,  où  mon 
attestation  porte  que  je  ne  l'ai  «  point  trouvée  impliquée 
«ni  entendu  la  comprendre  dans  la  mention  que  j'avais 
«  faite  dans  mon  Ordonnance  du  16  avril  1695.  »  C'est 
qu'en  effet  je  ne  voulais  pas  entamer  cette  affaire 
pour  des  raisons  bonnes  alors,  mais  qui  pouvaient 
changer  dans  la  suite...  Ainsi,  j'ai  tâché,  suivant  la 
parole  et  l'exemple  de  Jésus-Christ,  à  garder  toute 
justice,  et  à  satisfaire  ainsi  à  tout  ce  que  la  charité  et 
la  vérité  demandaient.  »  Remarques  sur  la  Réponse  à  la 
Relation  sur  le  quiétisme,  a.  2,  §  6.  Nonobstant  le  ton 
chagrin  de  ce  passage,  l'attestation  donnée  par  Bossuet 
subsiste,  et  rien  ne  l'a  infirmée. 

Mme  Guyon  quitta  la  Visitation  le  12  juillet  1695,  non 
pas,  «  en  sautant  les  murailles  du  couvent,  »  comme  elle 
écrit  en  souriant  qu'on  l'en  avait  accusée,  mais  avec 
toute  liberté.  C'est  dans  les  jours  qui  précédèrent  ce 
départ  qu'avaient  eu  lieu  entre  Bossuet  et  Mme  Guyon 
ces  entretiens  racontés  par  elle,  où  les  moins  bienveil- 
lants adversaires  de  l'évêque  de  Meaux  ne  le  reconnaî- 
traient pas.  «  Lorsqu'il  venait,  c'était,  disait-il,  mes 
ennemis  qui  lui  disaient  de  nie  tourmenter:  qu'il  était 
content  de  moi.  D'autres  fois,  il  venait  plein  de  fureur 
me  demander  cette  signature  (le  désaveu  d'une  erreur 
sur  l'incarnation  dont  son  quiétisme  la  faisait  soupçon- 
ner). Il  me  faisait  menacer  de  tout  ce  qu'on  m'a  fait 
depuis.  Il  ne  prétendait  pas,  disait-il,  perdre  pour  moi  sa 
fortune,  et  mille  autres  choses...  »  Et  ailleurs  :  «  Ce  que  je 
savais,  c'est  qu'il  établissait  une  haute  fortune  sur  la 
persécution  qu'il  me  ferait...  » 

Étranges  et  invraisemblables  confidences  faites  à 
une  femme  pour  qui  Bossuet  n'éprouva  jamais  qu'une 
pitié  qui  finit  par  s'aigrir  1  Quand  elle  croyait  les  avoir 
entendues,  et  qu'elle  les  écrivait,  Mme  Guyon,  rêveuse 
obstinée  et  sujette  à  d'indéniables  hallucinations, 
rêvait  une  fois  de  plus.  Elle  rêvait,  quand  elle  prêtait 
à  Bossuet  ce  mot  de  fortune  qu'il  se  serait  appliqué  à 
lui-même.  Où  donc  avons-nous  trouvé  Bossuet  préoc- 
cupé de  sa  fortune  ?  «  Notez,  dit  M.  Bébelliau,  que  ce 
poste  envié  de  précepteur  du  Dauphin,  Bossuet  l'avait 
occupé  sans  en  rien  retirer;  qu'après  avoir  vécu  dix 
ans  a  la  cour  dans  le  voisinage  le  plus  proche  du  roi, 
il  était  rentré  dans  le  rang  sans  garder  de  cette  gran- 
deur aucune  influence  réelle.  »  Bossuet,  p.  168.  Il  est  le 
théologien  de  Louis  XIV,  il  n'est  que  cela;  d'autres  ont 
la  faveur.  Évêque  de  Condom  d'abord,  puis  de  Meaux, 
il  laisse  des  candidats  mieux  appuyés  obtenir  de  plus 
grands  sièges.  En  1688,  on  prononce  son  nom,  à  propos 
de  la  coadjutoreiïe  de  l'opulent  évêché  de  Strasbourg, 
en  1695  de  l'archevêché  de  Paris.  «  Il  y  a  toute  appa- 
rence, et,  pour  mieux  dire,  toute  certitude,  écrivait-il 
à  Mme  d'Albert,  que  Dieu,  par  miséricorde  autant  que 
par  justice,  me  laissera  dans  ma  place.  »  Lettre  du 
22  août  1695. 

Sortie  de  Meaux,  Mme  Guyon  se  cacha  quelque  temps 
à  Paris;  arrêtée  au  bout  de  quelques  mois,  elle  fut  em- 
prisonnée à  Vincennes  (27  décembre  1695).  Peu  de 
temps  avant  cette  arrestation  (21  novembre  1695), 
l'évêque  de  Chartres  avait  publié  contre  les  écrits  du 
P.  La  Combe  et  de  Mme  Guyon  une  ordonnance  très 


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GUYON 


200*! 


sévère.  11  extrayait  des  ouvrages  imprimés  (Analysis 
orationis  mentalis;  Moyen  court  et  très  facile  de  faire 
oraison;  Règle  des  associes  à  l'enfance  de  Jésus;  Le 
('.indique  dis  cantiques  de  Salomon,  interprété  selon  le 
sens  mystique),  et  aussi  du  manuscrit  intitulé  :  les 
Torrents,  soixante-trois  propositions  qui  lui  arrachè- 
rent ce  cri  d'effroi  :  «  Quelle  doctrine  !  que  ne  doit-on 
pas  craindre  de  ces  prodigieuses  maximes,  et  des  con- 
séquences horribles  qu'on  en  peut  tirer  !  »  Godet  Des 
Marais  y  reconnaissait  quelques-unes  des  erreurs  déjà 
condamnées  dans  Molinos  par  le  pape  Innocent  XI. 

Nous  retrouverons  Mme  Guyon  encore  captive  en 
1696.  Entre  temps,  elle  devenait  l'occasion  d'une  rup- 
ture et  d'une  controverse  mémorables  entre  Bossuet  et 
Fénelon.  Immédiatement  après  les  conférences  d'Issy, 
Bossuet  travailla  à  son  Instruction  sur  les  états  d'orai- 
son; il  comptait  que  l'approbation  de  l'archevêque 
de  Cambrai  ne  lui  manquerait  pas  plus  que  celles  de 
Noailles,  devenu  archevêque  de  Paris,  et  de  Godet  Des 
Marais.  Mais  outre  que  Fénelon  répugnait  à  approuver 
les  réserves  de  Bossuet  sur  le  motif  spécifique  de  la 
charité  et  sur  l'oraison  passive,  l'évêque  de  Meaux,  dans 
son  Instruction,  combattait  directement  Mme  Guyon. 
«  Plusieurs  croiront,  dit-il,  que  ces  livres  (les  livres 
quiétistes)  ne  méritaient  que  du  mépris,  surtout  celui 
qui  a  pour  auteur  François  Malaval,  un  laïque  sans 
théologie,  et  les  deux  qui  sont  composés  par  une 
femme,  comme  sont  le  Moyen  court  et  facile  et  Y  Inter- 
prétation sur  le  Cantique  des  cantiques.  .  Ces  livres, 
quoique  j'en  avoue  le  peu  de  mérite,  ne  sont  pas 
écrits  sans  artifice,  etc.  Ceux  qui  sont  composés  par 
une  femme  sont  ceux  qui  ont  le  plus  piqué  la  curiosité 
et  le  plus  ébloui  le  monde;  encore  qu'elle  en  ait  sou- 
scrit la  condamnation,  ils  ne  laissent  pas  de  courir  et  de 
susciter  des  discussions  en  beaucoup  de  lieux  d'où  il 
nous  en  vient  de  sérieux  avis...  L'Église  a  eu  dès  son 
origine  des  femmes  qui  se  disaient  prophétesses,  et  les 
apôtres  n'ont  pas  dédaigné  de  les  noter.  Ceux  qui  ont 
réfuté  Montan  n'ont  pas  oublié  dans  leurs  écrits  ses 
prophétesses.  »  Traité  7er,  1.  I,  n.  10, 11.  Fénelon  ne  vou- 
lut pas  s'associer  au  blâme  prononcé  avec  tant  d'éclat 
contre  Mme  Guyon.  Bossuet  fut  profondément  blessé 
de  ce  refus.  «  Quoi  donc  1  il  va  paraître,  dit  Bossuet  dans 
sa  Relation  sur  le  quiétisme,  sect.  ni,  17,  que  c'est  pour 
soutenir  Mme  Guyon  que  M.  de  Cambrai  se  désunit 
d'avec  ses  confrères  !  Tout  le  monde  va  donc  voir  qu'il 
en  est  le  protecteur  1  »  Fénelon  répondit  qu'il  n'était 
pas  le  protecteur,  mais  l'ami  de  Mm0  Guyon,  l'inter- 
prète de  ses  sentiments  qu'il  connaissait,  et  non  le 
défenseur  d'un  langage  dont  il  réprouvait  les  inexac- 
titudes; que,  de  l'aveu  de  l'archevêque  de  Paris  et  de 
l'évêque  de  Chartres,  il  lui  suffisait  de  rendre  compte  à 
l'Église  de  sa  foi.  L'archevêque  de  Cambrai  s'engageait 
ainsi  à  composer  le  livre  qu'il  intitula  :  Explication  des 
maximes  des  saints  sur  la  vie  intérieure. 

Cet  ouvrage,  achevé  d'imprimer  le  25  janvier  1697, 
parut  un  mois  avant  celui  de  Bossuet,  surpris  et  mé- 
content d'une  hâte  qu'on  a  attribuée  au  zèle  indiscret 
du  duc  de  Chevreuse.  Nous  n'avons  pas  à  retracer  ici 
l'histoire  d'une  controverse  fameuse.  «  Bossuet  avait 
raison,  a  dit  M.  Maurice  Masson,  Fénelon  et  Mme  Guyon, 
Introduction,  p.  lxiv,  quand  il  groupait  dans  sa  Rela- 
tion tous  les  épisodes  de  la  bataille  autour  de 
Mme  Guyon...  C'est  elle,  disait-il,  qui  fait  le  fond  de 
l'affaire.  »  Relation  sur  le  quiétisme,  sect.  il,  57.  C'est  elle 
que  Bossuet  vise  et  que  —  disons  le  mot  —  Bossuet 
veut  décrier.  «  Il  faut  prévenir  les  fidèles  contre  une 
séduction  qui  subsiste  encore  :  une  femme  qui  est 
capable  de  tromper  les  âmes  par  de  telles  illusions,  doit 
être  connue...,»  ibid.;  et  pour  qu'elle  soit  mieux  connue 
il  rapporte,  avec  la  verve  et  l'ironie  puissante  d'un 
maître,  les  étrangetés,  paroles  et  actes,  de  la  prophé- 
tesse.  C'est  Mme  Guyon  aussi  que  défend  Fénelon  dans 


sa  Réponse,  si  fine  et  si  éloquente.  En  vain,  il  paraît  se 
détacher  d'elle  :  «  Laissez-la,  écrivait-il  à  Mme  de 
Maintenon,  avec  une  feinte  indifférence,  laissez-la 
mourir  en  prison.  Je  suis  content  qu'elle  y  meure,  que 
nous  ne  la  voyions  jamais  et  que  nous  n'entendions 
jamais  parler  d'elle.  »  Lettre  du  7  mars  1696.  Il  ne  la 
revit  plus,  en  effet,  mais  ils  ne  s'oublièrent  pas.  «  Si  l'on 
en  croit  M.  Gosselin,  qui  avait  sans  doute  en  main  les 
preuves  de  son  affirmation,  dit  M.  Maurice  Masson, 
c'aurait  été  M.  Dupuy,  l'ancien  gentilhomme  de  la 
manche  du  duc  de  Bourgogne,  disgracié  lui  aussi  en 
1698,  qui  servait  d'intermédiaire  entre  les  deux  amis... 
Ce  fut  même  par  son  entremise  que  Fénelon  et  ses 
amis  intimes  continuèrent,  après  la  conclusion  de  l'af- 
faire du  quiétisme,  d'entretenir  avec  Mme  Guyon  une 
correspondance  fondée  sur  une  mutuelle  estime.  » 
Fénelon  et  Mme  Guyon,  Introduction,  p.  lxvii,  lxviii. 
Mm0  Guyon  avait  lu  «  avec  respect  et  admiration  »  le 
livre  des  Maximes  des  saints.  «  Tout  en  gros,  je  le  crois 
très  bon,  et  que  les  crieries  viennent  de  l'ennemi  de  la 
vérité...  «Lettre  inédile  à...  de  1697, 1er  recueil  Chevreuse, 
dans  Fénelon  et  A/me  Guyon,  Introduction,  p.  lvii. 

Elle  était  restée  enfermée  à  Vincennes  jusqu'au 
16  octobre  1696;  après  des  hésitations  et  des  résis- 
tances, elle  avait  consenti  à  souscrire  un  projet  de  sou- 
mission, rédigé  d'abord  par  Fénelon,  mais  rectifié  et 
complété  par  Tronson;  elle  y  avouait  les  erreurs  con- 
tenues dans  ses  livres,  et  promettait  de  se  conformer 
à  l'avenir  à  la  conduite  et  aux  règles  que  l'archevêque 
de  Paris  voudra  bien  lui  prescrire  (28  août  1696).  Elle 
fut  reléguée  à  Vaugirard,  dans  une  petite  maison,  sous 
une  surveillance  étroite  :  «  On  serait  tenté  de  croire, 
par  une  lettre  de  Mme  de  Maintenon  au  cardinal  de 
Noailles,  dit  Bausset,  que  Bossuet  avait  vu  avec  peine 
ce  faible  adoucissement  accordé  à  Mme  Guyon.  » 
Lettre  de  Mme  de  Maintenon,  Lavallée,  428.  Le  passé  de 
la  prophétesse  lui  faisait  regretter  que,  libre,  elle  ne 
reprît  une  propagande  quiétiste,  et  le  spectacle  des 
désordres  dont  sa  province  natale  était  alors  le  théâtre, 
augmentait  encore  ses  craintes.  H.  Chérot,  Le»quié- 
tisme  en  Bourgogne  et  à  Paris  en  1698,  Paris,  1901.  De 
là  ce  parti  pris  de  rigueur  injuste  et  inutile,  qui  afflige 
et  qui  étonne  chez  Bossuet.  Mme  de  Maintenon  avait 
raison  contre  Bossuet,  quand  elle  écrivait  à  son  arche- 
vêque :  «  Je  crois  qu'il  est  de  mon  devoir  de  dégoûter 
des  actes  violents  le  plus  qu'il  est  possible  »  (23  sep- 
tembre 1696).  Son  tort  fut  de  ne  pas  mettre  d'accord 
avec  sa  raison  le  pouvoir  dont  elle  disposait. 

Exilée  dans  une  terre  de  sa  fille  qui  allait  devenir 
duchesse  de  Béthune,  Mme  Guyon  fut  enfin  auto- 
risée à  se  retirer  à  Blois  et  s'y  éteignit  à  l'âge  de 
soixante-dix  neuf  ans,  le  9  juin  1717.  «  Au  moment  de 
mourir,  elle  fit  un  testament,  à  la  tête  duquel  elle  in- 
scrivit sa  profession  de  foi,  qui  atteste  la  sincérité  de  ses 
sentiments  en  matière  de  religion  et  l'innocence  de  ses 
mœurs,  malgré  toutes  les  calomnies  dont  elle  avait  été 
la  victime.  »  Bausset,  Histoire  de  Fénelon,  I.  III,  89. 
Nous  n'avons  pas  contesté  ses  vertus  ;  nous  ne  contes- 
terons pas  davantage  la  sincérité  de  sa  foi,  mais  cette 
foi  n'excluait  pas  l'illuminisme  ni  l'infatuation  de 
l'esprit  propre.  Mme  Guyon  avait  une  confiance  ob- 
stinée en  ses  lumières.  «Je  portais  à  mon  fond,  a-t-elle 
écrit,  un  instinct  de  jugement  juste  qui  ne  me  trom- 
pait jamais.  »  Et  à  cette  confiance  en  elle-même  se 
joignant  «  des  phénomènes  bizarres  et  extraordinaires  >■. 
Gombault,  Madame  Guyon  U  le  quiétisme,  p.  45.  «  Je 
sentais  en  moi  une  telle  autorité  sur  les  démons  qu'il 
me  semblait  que  je  les  aurais  fait  fuir  en  enfer.  Le 
démon  n'osait  pas  m'attaquer  moi-même:  il  me  crai- 
gnait trop.  »  Et  cette  femme,  humble  sans  doute  dans 
son  fond,  nous  apparaît  comme  atteinte  d'une  véri- 
table mégalomanie  religieuse  ;  elle  se  croit  investie, 
dans    l'Église,  d'une  mission   que   sainte    Thérèse  ni 


2005 


GUYON 


2006 


sainte  Jeanne  Françoise  de  Chantai  n'eussent  jamais 
osé  s'attribuer.  «  Notre-Seigneur  a  fait  connaître  à 
quantité  de  personnes  qu'il  me  destinait  à  être  la  mère 
d'un  grand  peuple.  » 

Mme  Guy  on  a  eu,  après  sa  mort  comme  pendant  sa 
vie,  un  grand  nombre  de  partisans  et  d'admirateurs, 
mais  ils  ne  lui  venaient  pas  des  rangs  de  l'orthodoxie. 
«  Ce  qu'il  y  a  de  plus  singulier,  dit  M,  Gosselin,  c'est 
que  la  plupart  de  ces  admirateurs  se  trouvent  parmi 
les  protestants,  généralement  assez  étrangers  aux 
principes  et  à  la  pratique  de  la  théologie  mystique.  » 
Analyse  de  la  controverse  du  quiélisme,  a.  2,  §  3.  «...  En 
ce  moment  même,  les  écrits  de  cette  femme  célèbre 
servent  d'aliment  à  la  piété  des  méthodistes  d'Amé- 
rique. Qu'est-ce  à  dire?  Et  qu'y  a-t-il  de  commun 
entre  Mm<J  Guyon  et  John  Wesley  ?  Un  trait,  si  je 
ne  me  trompe,  mais  un  trait  caractéristique,  à  savoir, 
la  conviction  profonde  que  c'est  aux  simples  que  Dieu 
parle  et  se  communique...  »  De  là,  le  mépris  doux,  mais 
invincible,  de  toute  discipline  et  de  toute  hiérarchie. 
«  Visiblement,  elle  a  pitié  de  l'ignorance  de  Bossuet. 
De  là,  ce  terrible  redoublement  de  confiance  en  elle- 
même,  en  ses  visions,  en  ses  expériences,  en  sa  mission. 
Mais  de  là  aussi,  l'étonnement,  l'indignation,  je  puis 


dire  l'effroi  de  Bossuet.  Cet  orgueil  du  sens  individuel, 
c'est  la  ruine  de  la  tradition.  11  a  raison  de  dire  qu'il  y 
va  de  toute  l'Église.  »  Brunetière,  dans  la  Revue  des 
deux  mondes,  15  août  1881. 

Mmo  Guyon,  Œuvres  publiées  en  Hollande  sous  la  rubri- 
que de  Cologne,  en  grande  partie  par  les  soins  du  ministre 
Poiret,  39  in-12  ou  in-8°.  «11  serait  injuste  de  mettre  sur 
son  compte  tout  ce  qu'il  y  a  de  répréhensible  dans  ses 
livres.  »  (Gosselin).  Bossuet,  Œuvres  ;  voir  en  particulier  dans 
la  Correspondance  de  Bossuet,  édit.  Levesque  et  Urbain, 
t.  vr,  p.  531-565  ;  t.  vu,  p.  488-524  ;  t.  vin  ;  Fénelon,  Œuvres. 

Cardinal  de  Bausset,  Histoire  de  Fénelon,  3  in-8°,  1808; 
4  in-8°,  1827;  Phélippeaux,  Relation  de  l'origine,  du  progrès 
et  de  la  condamnation  du  quiétisme  répandu  en  France, 
1732;  Bonnel,  De  la  controverse  de  Bossuet  et  de  Fénelon  sur 
le  quiélisme,  in-8°,  Paris,  1850;  A.  Griveau,  Étude  sur  la 
condamnation  du  livre  des  Maximes  des  saints,  3  in-18,  Paris, 
1878;  Guerrier,  Mm»  Guyon,  in-8°,  Paris,  1881;  L.  Crouslé, 
Fénelon  et  Bossuet,  2  in-8°,  Paris,  1894  et  1895;  E.  Levesque, 
Bossuet  et  Fénelon  à  Issy  ou  Conférences  sur  les  états 
d'oraison,  in-8°,  Limoges,  1899;  Paul  Janet,  Fénelon,  Paris, 
1892;  Maurice  Masson,  Fénelon  et  Madame  Guyon,  in-16, 
Paris;  Henri  Brémond,  Apologie  pour  Fénelon,  Paris,  1910; 
le  chanoine  Gombault,  Mm°  Guyon  (extrait  de  la  Revue 
de  Lille,  1910). 

A.     Largent. 


H 


HABACUC  (Livre  D').  Bible  hébraïque:  Hâlaqqûq. 
Le  8e  des  petits  prophètes  :  nebî'îm  qetanntm.  —  Bible 
grecque  :  AMBAKOUM  (Grégoire  de  Nazianze, 
Synopse  [Lagarde]  :  'A56axoûp..  Cf.  H.  B.  Swete, 
Introduction  lo  the  OUI  Testament  in  Greek,  Cambridge, 
1902,  p.  205-206).  —  Bible  latine  :  Habacuc.  (Gélase  : 
Abacu;  Cassiodore  :  Abbacuc;  codex  Claromontanus  : 
Ambacum.  Cf.  H.  B.  Swete,  op.  cit.,  p.  210-214).  Sur 
les  formes  du  nom,  cf.  Beinke,  Der  Proph.  Habakuk, 
Brixen,  1870,  p.  1  sq.  —  I.  Forme  poétique.  II.  Compo- 
sition, date.  III.  Autorité,  auteur.  IV.  Enseignements 
doctrinaux.   V.   Commentateurs. 

I.  Forme  poétique.  —  La  forme  poétique  est 
aujourd'hui  reconnue  au  livre  d'Habacuc,  certaine- 
ment pour  le  c.  m  ;  plus  probablement  aussi  pour  les 
c.  i  et  ii. 

Voir  spécialement  Gietmann,  De  re  metrica  Hebrœorum, 
Fribourg-en-Brisgau,  1880,  p.  77  (Hab.,  m);  G.  Bickell, 
CarminaVeleris  Teslamenli  melrice,  Inspruck,  1882,  p.  213  sq. 
(Hab.,  ni);  D.  H.  Millier,  Strophenbau  und  Responsio, 
Vienne,  1898,  p.  36-39  (Hab.,  m);  Condamin,  La  forme 
jhorule  du  chapitre  111  d'Habacuc,  dans  la  Bévue  biblique, 
Paris,  1899,  p.  133-140;  Ruben,  Strophic  forms  in  the  Bible, 
dans  Jeœish  quarterh/  review,  Londres,  1899,  t.  xi,  p.  448- 
455,  474  (Hab.,  n  et  ni);  Sievers,  Melrische  Sludien,  I, 
Leipzig,  1901,  p.  490  sq.  (Hab.,  I);  Kelly,  The  strophic 
structure  of  Habacuc,  dans  American  journal  of  semitic 
languages  and  literature,  Chicago,  1902,  t.  xvni,  p.  94-119; 
Eakin,  The  lext  of  Habakkuk,  l-n,  4,  Toronto,  1905;  Staerk, 
Ausgewàlhte  poelische  Werke  des  A.  T.  im  melrischer  und 
strophischer  Gliederung,  IIe  partie,  Leipzig,  1908;  Commen- 
taires de  Marti,  1904;  de  Duhm,  1906. 

II.  Composition.  Date.  —  Longtemps  le  livre  a  été 
tenu  pour  un  dans  sa  composition,  œuvre  du  seul 
prophète  Habacuc,  sur  les  indications  précises  de  i,  1  : 
«  Oracle  que  vit  Habacuc,  le  prophète,  »  et  m,  1  : 
«  Prière  d'Habacuc,  le  prophète.  »  Unité  apparente 
du  sujet  :  le  peuple  de  Dieu  est  opprimé,  i,  2-4;  mais 
Dieu  châtiera  les  oppresseurs,  i,  5-10;  les  justiciers 
suscités  par  lui  outrepassent  toutefois  leur  mission, 
opprimant  à  leur  tour  Israël  et  les  autres  nations, 
i,  11-n,  1;  leur  tyrannie  provoquera  donc  de  justes 
représailles,  n,  2-19;  le  prophète  attend  la  délivrance 
et  la  décrit  sous  forme  de  théophanie,  u,  20-m. 

Le  peuple  suscité  d'abord  pour  le  châtiment  des 
oppresseurs  est  celui  des  Chaldéens,  i,  6.  Mais  qui  sont 
ces  oppresseurs?  L'exégèse  traditionnelle  et  le  grand 
nombre  des  critiques  ont  répondu  :  La  partie  cor- 
rompue (rasa')  de  Juda,  opprimant  les  justes  (saddiq). 
Quelle  époque  est  visée?  Le  temps  d'Ézéchias  :  Théo- 
dore de  Mopsueste  ;  Ribera  ;  cf.  Knabenbauer, 
Introduclio  specialis,  Paris,  1897,  t.  n,  p.  580,  note  6; 
Betteridge,  The  interprétation  of  the  prophecy  of 
Habakkuk,  dans  American  journal  of  thcology, 
Chicago,  1903,  p.  647-662  (les  coupables  de  i,  2-10 
seraient  les  Assyriens),  suivi  par  Hirsch,  art.  Habakkuk 
et  Book  of  Habakkuk,  dans  Jcwish  encyclopœdia,  New- 
York,  1904,  t.  vi,  p.  117  sq.  La  fin  du  règne  de  Manassé  : 
le  Scder  Olam  rabba,  20;  Sanchez,  Corneille  de  la  Pierre, 


Jalm,  Ackermann,  Kaulen,  Zschokke,  Knabenbauer, 
Schenz,  Vigouroux ,  Trochon ,  Hàvernick ,  Kueper, 
Keil;  cf.  Knabenbauer,  op.  cit.,  p.  580,  note  8;  De- 
litzsch,  Messianische  Weissagungen,  Leipzig,  1899, 
p.  136;  Baumgarten,  Le  prophète  Habakuk,  Leipzig, 
1885.  Le  règne  de  Josias  :  Scholz,  Danko,  Reinke, 
Holzammer,  Volck  ;  cf.  Knabenbauer,  ibid.,  note  6; 
Delitzsch,  Der  Prophet  Habakuk,  Leipzig,  1843.  Celui 
de  Joakim  (  Jehoiakim)  ;  premières  années,  avant  601  : 
Schegg,  Haneberg,  Kleinert,  Bleek-Kamphausen, 
Cook,  Driver-Rothstein  ;  cf.  Knabenbauer,  ibid., 
note  6;  vers  604  :  Knobel,  Theiner,  Hitzig,  Bàumlein, 
de  Wette,  Schrader,  Bleck,  Stàhelin,  Carrière,  David- 
son, Kônig,  Strack;  cf.  Knabenbauer,  ibid.,  et  Nico- 
lardot,  La  composition  du  livre  d'Habacuc,  Paris,  1908, 
p.  39.  Les  dernières  années  de  Joachim  (Jehoiachin)  : 
Oort,  dans  Thcologisch  Tijdschrift,  Leyde,  1891, 
t.  xxv,  p.  357-367  (les  oppresseurs  de  i,  2-4  sont  à  la 
fois  les  Juifs  orgueilleux  et  les  Chaldéens  dont  la  venue 
ne  serait  pas  suffisamment  présentée,  en  i,  5-11, 
comme  un  châtiment).  Le  règne  de  Sédécias  :  Clément 
d'Alexandrie;  cf.  Knabenbauer,  ibid.  L'époque  de 
l'exil  :  S.  Jérôme,  Bertholdt  ;  cf.  Knabenbauer, 
ibid.  ;  Lauterburg,  dans  Meili's  Theologische  Zeitschri/t 
aus  der  Schweiz,  Zurich,  1896,  p.  74-102  (les  oppresseurs 
sont  les  Chaldéens;  les  justiciers,  les  Perses  :  i,  6,  lu 
ainsi  :  «  Voici  que  je  suscite  contre  vous,  Chaldéens 
oppresseurs...  »,  d'après  les  LXX  :  î8où  âÇeveipo)  ètp' 
■jij.à;  toÙç  XocàBoclou;  -où;  |.iayr|Tàç...).  Les  temps 
macédoniens,  entre  les  batailles  de  l'Issus  et  d'Ar- 
belles,  an  331  :  B.  Duhm,  Das  Buch  Habakuk,  Tu- 
bingue,  1906  (i,  2-4,  les  Juifs  s'hellénisent,  oublient  la 
loi  ou  l'enfreignent;  habitués,  depuis  deux  siècles,  à  la 
paix  dans  le  vasselage,  ils  s'étonnent  de  l'invasion  des 
Grecs  :  i,  5  sq.  ;  au  f.  6  Kasdîm  est  lu  Kittîm,  <  Chy- 
priotes »;  dans  une  acception  plus  large  :  «  les  Grecs  »; 
spécialement  les  Macédoniens,  cf.  I  Mac,  i,  1;  vin,  5). 

Pour  la  critique  de  ces  diverses  opinions,  voir  Knaben- 
bauer, op.  cit.,  p.  377-382;  Commenlarius  in  proplielas 
minores,  Paris,  1886,  p.  51-121,  qui  opine  pour  le  temps  de 
Manassé,  dernières  années  du  règne;  Nicolardot,  op.  cit., 
p.  33-61.  A  signaler  aussi  l'hypothèse  curieuse  et  ingé- 
nieuse de  Peiser,  Der  Prophet  Habakuk,  Berlin,  1903, 
p.  10  sq.  :  le  prophète  n'est  pas  en  Judée  (m,  16,  «le peuple 
citez  lequel  je  demeure*,  cf.  LXX:  si;  >,aôv  uapoixta;  u.a\>), 
mais  à  Ninive.  Il  est  un  prince  juif,  fils  ou  petit-fils  de 
Manassé,  «  oint  de  Jahvé  •,  ni,  13,  portant  un  pseudonyme 
assyrien  hambakûku  (nom  de  plante);  c'est  le  juste  entouré 
d'impies  de  i,  4,  retenu  comme  otage  (vers  609)  chez  les 
Assyriens,  qui  l'ont  élevé,  et  dont  il  connait  la  littérature 
(rapprochements  relatifs  aux  versets  i,  14  ;  n,  2-5  sq., 
9-14,  p.  4-10).  Critique  dans  Nicolardot,  p.  41-43. 

Selon  d'autres  critiques,  plus  modernes,  le  livre 
d'Habacuc  n'est  point  «homogène»;  «il  se  compose 
de  morceaux  dont  la  rédaction  première  s'échelonne 
sur  plusieurs  siècles.  »  Nicolardot,  p.  96.  Renan, 
Histoire  du  peuple  d'Israël,  Paris,  1891,  t.  ni,  p.  177, 
293-296,  307,  et  Stevenson,  Habakuk,  dans  The 
Expositor,  V»  série,  Londres,  1902,  t.  i,  p.  388-400, 


2009 


HABACUC  (LIVRE   D' 


2010 


estimaient  ces  morceaux  émis  dans  le  public  à  des  dates 
diverses,  bien  que  par  un  seul  et  même  prophète. 
Stade,  dans  Zeitschrift  /tir  altest.  Wissenschaft,  Giessen, 
1884,  p.  154-159  ;  Ruben,  Slrophic  forms  in  the  Bible, 
dans  Jewish  quaricrly  review,  Londres,  1899,  t.  ix, 
p.  448-455,  474  sq.,  détachèrent  de  la  prophétie  le 
c.  m,  le  tenant,  celui-ci  pour  un  psaume  du  temps  de 
l'exil,  le  premier  pour  un  morceau  postérieur  à  l'exil. 
Plusieurs  :  Budde,  Nowack,  Rothstein,  G.  A.  Smith, 
cf.  Nicolardot,  p.  68  sq.,  tout  en  enlevant  au  prophète 
Habacuc  la  composition  de  ce  c.  ni,  considérèrent 
encore  les  malédictions  du  c.  n  comme  «  un  élément 
originaire  du  poème  (la  prophétie)  formant,  dès  le 
début,  avec  tout  ou  partie  du  c.  i,  une  véritable 
unité.  »  Parmi  eux,  Rothstein  rapporte  le  morceau, 
ii,  5-20,  à  la  chute  des  Chaldéens,  mais  trouve  «  à  la 
base  de  ce  texte  développé  »  une  «  vieille  plainte  pro- 
phétique, beaucoup  plus  brève,  contre  les  exactions 
que  le  roi  Joachim  (cf.  Hitzig)  et  des  riches  injustes 
font  subir  à  leurs  compatriotes,  en  Israël.  »  Il  y  aurait 
eu  là  remaniement  du  texte  en  vue  d'annoncer  la  ruine 
du  peuple  conquérant.  La  suite  du  texte  aurait  été 
primitivement  :  i,  2-4,  12  a,  14;  il,  1-5  a;  i,  6-10; 
n,  6  sq.  Nowack,  avec  Giesebrecht,  Wellhausen, 
Peake,  cf.  Nicolardot,  p.  80  sq.,  tiennent  l'annonce 
de  la  venue  des  Chaldéens  pour  une  prophétie  plus 
ancienne  (vers  l'an  610),  postérieurement  intercalée 
dans  la  suite  naturelle  que  forment  i,  2-4,  12  sq. 
(vers  590).  Il  ne  s'agirait  point  des  crimes  de  Juda, 
mais  de  l'oppression  des  Juifs  par  les  Chaldéens  dans 
i,  2-4;  et  l'ordre  des  versets  devrait  être  i,  5-11,  2-4, 
12-17,  etc.  Budde  et  G.  A.  Smith  proposent  de  reculer 
i,  5-11  jusqu'après  n,  4.  Les  oppresseurs  de  i,  2-4  sont 
ou  les  Assyriens  (Budde),  ou  les  Égyptiens  (Smith). 
La  prophétie  remonte  aux  environs  de  615  ou  608. 
Les  libérateurs  sont  les  Chaldéens.  Mais  Marti  brise 
totalement  l'unité  des  c.  i  et  n.  Selon  lui,  i,  2-4, 
12-n,  4  forment,  comme  le  c.  m,  un  psaume,  dont  la 
date  est  à  chercher  du  ve  siècle  au  ne,  et  au  milieu 
duquel  a  été  intercalée  une  prophétie,  i,  5-11,  com- 
posée vers  604.  Le  c.  n,  5  sq.,  constitue  une  autre 
prophétie,  indépendante  de  la  précédente  et  à  des- 
cendre jusque  vers  l'an  540.  Das  Dodekaprophcton, 
Tubingue,  1904,  p.  326  sq.  Cf.  aussi  Nicolardot, 
p.  32  sq.,  et  Revue  d'histoire  et  de  littérature  reli- 
ijieuses,  Paris,  1899,  t.  iv,  p.  181-182. 

Pour  la  critique  de  ces  diverses  opinions  et  de  la  théorie 
particulière  de  O.  Happel,  Das  Bueh  des  Propheten  Habac- 
kuk,  Wurzbourg,  1900,  voir  aussi  (outre  Nicolardot)  A.  Van 
Hoonacker,  Les  douze  petits  prophètes,  Paris,  1908,  p.  453- 
457,  qui  admet  seulement  que  les  versets  î,  5-11  «  formaient 
àl'origine  ledébut  du  livre,»et  quein, 17-19  constituent  une 
«  addition  d'une  main  étrangère,  »  faite  «  à  l'occasion  de 
l'adaptation  du  c.  in  au  service  liturgique,  »  p.  458-459. 
C'est  «  entre  les  deux  dates,  605  et  600,  que  se  vérifient 
le  mieux  les  conditions  où  les  Chaldéens  pouvaient  être 
envisagés  à  la  fois  comme  un  fléau  imminent  pour  la  Judée 
(i,  5-11),  et  comme  des  oppresseurs  déjà  entrés,  aux  yeux 
de  tous,  en  possession  de  l'héritage  de  leurs  devanciers, 
les  Assyriens  (i,  2-4,  12  sq.,  marquant  «  la  recrudescence 
des  maux  qui  devait  résulter  de  la  conquête  chaldéenne 
prévue  aux  versets  5-11),  •  p.  458,  462.  Les  versets  i,  2-4  ne 
sont  pas  «  une  plainte  touchant  les  violences  qui  se  commet- 
tent au  sein  même  de  la  société  juive,  sans  aucun  égard  à 
l'oppression  étrangère;  ■  mais,  rapprochés  des  versets  12  sq., 
ils  atteignent  les  «  impies  dont  Habacuc,  dans  les  deux 
passages,  dénonce  les  violences,  »  et  qui  sont  «  les  domi- 
nateurs étrangers,  ■  p.  467.  F.  E.  Gigot,  Spécial  introduction 
to  the  study  o/  the  Old  Testament,  New-York,  Cincinnati, 
Chicago,  1906,  t.  n,  p.  426-438,  discute  les  questions  rela- 
tives au  c.  m  et  à  la  prophétie  i,  5-11.  Il  conclut  que  le 
livre  est  contemporain  de  Jérémie. 

III.  Autorité,  Auteur.  —  Saint  Paul  cite  plusieurs 
fois  Habacuc  (sans  le  nommer  toutefois)  comme 
«  prophète  »  et  comme  «  Écriture  »  :  Act.,  xm,  41,  «  ce 


qui  est  dit  dans  les  prophètes,  »  cf.  Hab.,  i,  5;  Rom., 
i,  17  (Gai.,  m,  11;  Heb.,  x,  37-38),  «  selon  qu'il  est 
écrit,  »  cf.  Hab.,  n,  3,  4. 

Nous  ne  possédons  aucune  tradition  authentique 
touchant  la  personne  d'Habacuc.  «  Les  traditions 
nombreuses  et  divergentes  qu'on  a  recueillies  sur  lui 
ne  livrent  à  l'historien  aucune  donnée  résistante.  » 
Nicolardot,  La  composition  du  livre  d'Habacuc,  p.  3, 
avec  renvoi  à  Fr.  Delitzsch,  De  Habacuci  prophelœ 
vita  atque  œtalc,  Leipzig,  1842,  p.  7-98  (riche  documen- 
tation sur  ces  légendes).  Cf.  aussi  Knabenbauer, 
op.  cit.,  p.  577-580. 

IV.  Enseignements  doctrinaux.  —  1°  Dieu.  — 
Seul  Dieu  vivant,  en  opposition  aux  vaines  idoles, 
n,  18-20.  Ses  attributs  :  pureté  sans  tache,  sainteté, 
i,  12  sq.  Sa  providence  :  1.  à  l'égard  de  l'univers  tout 
entier:  roi  de  l'humanité,  il,  14;  dominateur  souve- 
rain des  forces  et  éléments  de  la  nature,  m,  2-16; 
2.  à  l'égard  d'Israël  :  il  soutient  son  peuple,  qu'il  a 
établi  pour  assurer  le  règne  de  la  justice,  i,  12  b. 

2°  Temps  messianiques.  —  Ils  ne  sont  pas  spécia- 
lement décrits.  Mais,  au  temps  où  la  «  prophétie  » 
s'accomplira,  le  juste  qui  aura  eu  confiance  en  Dieu 
vivra,  n,  4;  la  terre  sera  remplie  de  la  connaissance  de 
la  gloire  de  Dieu,  il,  14. 

V.  Commentateurs.  —  En  dehors  des  commenta- 
teurs des  douze  petits  prophètes,  voir  Knabenbauer, 
Comment,  in  prophetas  minores,  Paris,  1886,  t.  i,  p.  4; 
A.  Van  Hoonacker,  Les  douze  petits  prophètes,  Paris, 
1908,  p.  xm-xiv,  ont  commenté  spécialement  le  livre 
d'Habacuc  :  1°  Au  moyen  âge.  —  Théophylacte, 
Comm.  in  Osée,  Habacuc,  Jonam,  Nahum,  Michœam, 
P.  G.,  t.  cxxvi,  col.  563  sq.;  Vén.  Bède,  Super  Canl. 
Habacuc  allegorica  exposilio,  P.  L.,  t.  xci,  col.  1235  sq.  ; 
Richard  de  Saint- Victor,  In  Cant.  Habacuc,  P.  L., 
t.  exevi,  col.  401  sq. 

2°  Dans  les  temps  modernes.  —  1.  Catholiques.  —  An- 
toine Guévara,  Comm.  et  eephrasis  in  Habacuc  prophe- 
tam,  Madrid,  1585  et  1593;  Vienne,  1603;  Anvers,  1609; 
Antoine  Agcllio,  Comm.  in  proph.  Habacuc,  Anvers, 
1597;  Thomas  Beauxamis,  Homiliœ  in  Habacuc  Paris, 
1577;  Alph.  de  Padilla,  Commcnlaria,  annotationes 
et  discursus  ad  mores  complcctcntia  in  Habacuc,  Madrid, 
1657;  Corn.  Jansénius  d'Ypres,  Analecta  in...  Habacuc 
et  Sophoniam,  Louvain,  1644;  Louis  de  Poix,  Les 
prophéties  d'Habacuc  traduites  de  l'hébreu,  précédées 
d'analyses,  etc.,  Paris,  1775;  Louis  Beda,  Habakuk  der 
Proph.  nach  dem  hebr.  Text  ùbcrlragen  und  erlaulert, 
Francfort,  1779;  L.  Reinke,  Der  Prophet  Habakuk, 
Brixen,  1870. 

2.  Non  catholiques.  —  Franz  Delitzsch,  Der  Prophet 
Habakuk,  Leipzig,  1843  ;  Udgren,  Vaticinium  quod 
Habacuci  nomine  inscribitur,  Upsala,  1854;  C.  G.  Berg, 
Propheten  Habakuk,  Stockholm,  1857  ;  J.  von  Gumpach, 
Der  Prophet  Habakuk,  Munich,  1860;  F.  Martin,  La 
prophétie  d'Habacuc,  Strasbourg,  1864;  P.  Kleinert, 
Obadja,  Jona,  Micha,  Nahum,  Habakuk,  Zephania, 
Bielefeld  et  Leipzig,  1868;  A.  J.  Baumgartner,  Le 
prophète  Habakuk,  Leipzig,  1885;  N.  A.  Papagianno- 
poulos,  '  Epij.Tjvêîa  Tou  "Yfxvou  to3  'AâSazotjix,  Athènes, 
1894;  A.  B.  Davidson,  The  books  of  Nahum,  Habakkuk 
and  Zephaniah,  Cambridge,  1896,  1899;  G.  Sinith,  De 
Prophétie  van  Habakuk,  Utrecht,  1900;  O.  Happel, 
Das  Buch  des  Propheten  Habakuk,  Wurzbourg,  1900; 
J.  Halévv,  Habacuc  (commentaire  critique  complet), 
dans  la  Revue  sémitique,  Paris,  1906,  p.  97-108, 193-202, 
289-303;  1907,  p.  1-26;  B.  Duhm,  Das  Buch  Habakuk, 
Tubingue,  1906;  Guthe,  Der  Prophet  Habakuk,  tra- 
duction et  commentaire  critique  dans  Kautzsch,  Die 
Heilige  Schrijt  des  Allen  Testament,  Tubingue,  1910,  t.  n, 
p.  62  sq.  ;  J.  M.  P.  Smith,  W.  H.  Ward  et  J.  A.  Bewer, 
A  critical  and  exegetical  commcnlary  on  Micah,  Zepha- 
niah, Nahum,  Habakuk,  Obadiah  and  Joël,  Cambridge 


2011 


HABACUC    (LIVRE    D')  —  HABERT 


2012 


F.  Vigoureux,  Manuel  biblique,  12e  édit.,  Paris,  1906, 
t.  îi,  p.  823-82-1;  E.  Philippe,  art.  Habacuc,  dans  le  Diction- 
naire de  la  Bible,  t.  ni,  col.  373-381  ;  R.  Comely,  Introductio 
specialis,  Paris,  1897,  t.  Il,  p.  577-583;  S.  R.  Driver,  Intro- 
duction to  Vie  literatur  of  the  Old  Testament,  Edimbourg, 
i s'.iT,  p.  337-340;  trad.  allemande  de  Rothstein,  Einleitung 
in  die  Litleratur  des  Allen  Testaments,  Berlin,  1896,  p.  360- 
365;  C.  H.  Cornill,  Einleitung  in  das  A.  T.,  3e  édit.,  Fribourg- 
en-Brisgau  et  Leipzig,  1896,  p.  194-196;  G.  Wildebocr,  Die 
Literatur  des  Allen  Testaments,  2°  édit.,  Gœttingue,  1905, 
p.  224-228;  H.  L.  Strack,  Einleitung  in  das  A.  T.,  Munich, 
1906,  p.  117-118;  F.  Gigot,  Spécial  introduction,  New-York, 
Cincinnati,  Chicago,  1906,  t.  n,  p.  432-438;  L.  Gautier, 
Introduction  à  l'Ancien  Testament,  2e  édit.,  Lausanne,  1914, 
p.  510-515;  Firmin  Nicolardot,  La  composition  du  livre 
d' Habacuc,  Paris,  1908;  A.  Van  Iloonacker,  Les  douze 
petits  prophètes,  Paris,  1908,  p.  452-460;  Kirchenlexikon, 
Fribourg-en-Brisgau,  18S6,  t.  v,  col.  1405-1406;  Realen- 
cyclopàdie  fur  protestantische  Théologie  und  Kirche,  Leipzig, 
1899,  t.  vu,  p.  278-280;  Diclionaru  o/  the  Bible,  Edimbourg, 
1899,  t.  il,  p.  269-273;  Encyclopàdia  biblica,  Londres,  1901, 
t.  il,  col.  1921-1928;  The  Exposilor,  Londres,  1902,  t.  i, 
p.  388-400;  Jewish  encyclopa'dia,  New- York,  1904,  t.  vi, 
p.  117  sq.;  Jeioish  quarterlg  review,  octobre  1907,  p.  3-30; 
The  catholic  encyclopedia,  New- York,  1910,  t.  vu,  p.  97-99; 
K.  Budde,  Die  Bûcher  Habakkuk  und  Sephanja,  dans  Studien 
und  Kriliken,  1893,  p.  383  sq.;  J.  Rothstein.  Ueber  Habakuk, 
ibid..  1894,  p.  51  sq.;F.  E.  Peiser,  Der  Prophet  Habakuk, 
dans  Mitteilungen  der  Vorderasiatisclie  Gesellschall,  1903, 1. 1  ; 
J.  Touzard,  L'âme  juive  pendant  la  période  persane,  dans 
la  Revue  biblique,  1917,  p.  61-64. 

L.  Bigot. 

t.  HABERT  isaac  appartenait  à  une  famille  ber- 
richonne qui  s'était  fait  un  nom  dans  les  lettres. 
Son  grand-père  Pierre  avait  été,  suivant  La  Croix  du 
Maine,  l'un  des  «  excellents  écrivains  »  de  son  temps. 
Son  père,  Isaac,  valet  de  chambre  de  Henri  III,  avait 
publié  de  nombreux  poèmes  philosophiques.  Sa  tante, 
Suzanne,  dame  Des  Jardins,  mit  au  jour,  elle  aussi, 
plusieurs  recueils  de  poésies.  Il  dut  naître  aux  environs 
de  1600.  Dès  1023,  il  fit  paraître,  sous  le  titre  de  Pietas 
regia,  un  volume  de  vers  latins,  du  reste  insignifiants, 
dédiés  à  Richelieu.  Il  s'y  donne  déjà  le  titre  de  bache- 
lier de  Sorbonne.  En  1626,  il  était  reçu  docteur  de  la 
faculté  de  théologie.  Il  prenait  part  aux  affaires  qu'on 
y  traitait.  C'est  ainsi  qu'il  fut  mêlé  à  la  condamnation 
de  la  Somme  de  théologie  du  P.  Garasse.  Il  fit  partie, 
avec  Filesac  et  Hardivillier,  plus  tard  archevêque  de 
Bourges,  du  groupe  des  vingt-neuf  docteurs  séculiers, 
qui  réclamaient  du  parlement  confirmation  et  appli- 
cation des  anciens  arrêts,  en  vertu  desquels  chaque 
maison  de  mendiants  ne  pouvait  envoyer  que  deux 
docteurs  aux  assemblées  de  la  faculté  (juillet  1626). 
De  même,  il  fut,  en  1632,  l'un  des  approbateurs  de 
l'ouvrage  du  P.  Gibieuf,  de  l'Oratoire,  De  libcrlale 
Dei  et  crealurse,  qui  était  dirigé  contre  Molina  et  qui 
devait  susciter  une  vive  polémique.  En  1637,  il  donnait 
un  nouveau  recueil  de  poésies  latines,  Volum  regium 
Davidici  carminis  paraphrasi  conceplum,  qui  renferme, 
à  côté  de  versifications  des  psaumes,  des  pièces  de 
circonstances  d'époques  très  différentes  et  assez 
curieuses  au  point  de  vue  historique.  Ce  volume  est 
délié  au  chancelier  Séguier,  avec  lequel  Habert 
entretint  toute  sa  vie  d'étroites  relations. 

Quelques  années  plus  tard,  il  prenait  contact  avec 
un  personnage  autrement  important,  dont  l'action 
sur  ses  idées,  même  théologiques,  paraît  avoir  été 
profonde.  Le  bruit  se  répandit,  vers  1639,  que  Riche- 
lieu voulait  établir  un  patriarcat  gallican,  afin  de 
rendre  la  France  plus  indépendante  de  Rome.  Ce 
bruit  prit  consistance  dans  un  pamphlet  théologique, 
qui  eut  alors  un  grand  retentissement  :  Optati  Galli  de 
cavendo  scliismate  liber  parœneticus,  Paris,  1610. 
L'auteur  était  l'oral  orien  Claude  Hersent.  Voir 
Hersent.  Richelieu  le  lit  d'abord  condamner  par  le 
parlement.  Puis  il  provoqua  une  série  de  réponses 
dont  une  des  principales  est  le  volume  de  Habert  :  De 


consensu  hiérarchise  et  monarchise,  adversus  parwneli- 
cum  Optati  Galli  schismatum  ficloris,  libri  VI.  Paris, 
1640;  en  français,  Paris,  1641,  Le  VIe  livre  de  l'ou- 
vrage porte  le  titre  spécial  :  De  juslilia  edicii  connu- 
bialis.  Il  a  été  considéré  parfois,  à  tort  du  reste,  comme 
un  traité  à  part.  Il  a  pour  sujet  l'accord  de  la  légis- 
lation civile  française  sur  le  mariage  avec  la  législa- 
tion canonique.  Habert  s'efforce  de  démontrer  que  les 
édits  des  rois,  en  particulier  le  célèbre  édit  d'Henri  II 
sur  la  clandestinité,  ne  sont  pas  en  opposilion  avec  les 
décrets  du  concile  de  Trente. 

En  1643,  Habert  quitte  un  instant  la  polémique 
pour  la  science  pure.  Il  publie  l'ouvrage  qui  lui  a  valu 
une  renommée  durable  d'érudit  :  APXHEPATIKON, 
Liber  pontiftcalis  Ecclesiie  grœcœ.  Il  a  rassemblé  là 
les  résultats  de  ses  lectures  dans  les  euchologes  manu- 
scrits de  la  bibliothèque  royale.  Une  traduction  latine, 
des  notes  et  des  observations  font  de  cette  publication 
une  source  encore  intéressante  pour  la  liturgie  grecque. 
Habert  y  prend  le  titre  de  chanoine  théologal  de  Paris, 
abbé  de  Sainte-Marie  des  Alluz,  en  Poitou,  docteur  de 
Sorbonne  et  prédicateur  ordinaire  du  roi.  A  ce  dernier 
titre,  il  était  déjà  engagé  dans  une  nouvelle  lutte.  Est-ce, 
comme  l'affirment  ses  adversaires,  à  l'instigation  de 
Richelieu,  irrité  par  la  publication  du  Mars  Gallicus  de 
Jansénius?  Est-ce  en  raison  des  plaintes  que  lui  avait 
attirées,  de  la  part  de  Saint-Cyran,  l'approbation  qu'il 
avait  donnée  au  livre  du  P.  Jacques  Sirmond  contre  le 
Petrus  Aurelius  ?  Toujours  est-il  qu'à  partir  de  ce 
moment,  Habert  se  montra  l'adversaire  irréductible 
des  idées  et  des  hommes  du  jansénisme.  L'affaire  de 
Y Auguslinus  venait  de  commencer.  En  Sorbonne 
s'élevaient  des  discussions  ardentes  pour  ou  contre 
l'évêque  d'Ypres.  Dans  trois  sermons,  prêches  à 
Notre-Dame  le  premier  et  le  dernier  dimanche  de 
l'Avent  1642  et  le  jour  de  la  Septuagôsime  1643, 
Habert  attaqua  vivement  les  doctrines  de  Jansénius. 
Il  soutenait  que  le  saint  Augustin  de  cet  évêque  était 
un  saint  Augustin  mal  entendu,  mal  expliqué,  mal 
allégué.  De  plus,  il  faisait  des  rapprochements  déso- 
bligeants entre  sa  doctrine  et  celle  de  Calvin. 

L'archevêque  de  Paris  avait  vainement  essayé  de 
ramener  le  calme  au  milieu  de  toutes  ces  discussions. 
Les  actes  de  Sorbonne  étaient  devenus  un  champ  de 
bataille  où  Habert  donnait  libre  cours  à  son  aversion 
contre  les  dogmata  calviniano-janseniana.  C'est  alors 
qu'Antoine  Arnauld  lui-même  se  décida  à  entrer  en 
lice  contre  le  bouillant  théologal.  Il  le  fit  dans  une 
Apologie  de  monsieur  Jansénius  évesque  d'Ipre  et  de  la 
doctrine  de  saint  Augustin  expliquée  dans  son  Hure 
intitulé  Augustinus  contre  trois  sermons  de  monsieur 
Habert,  Paris,  1644.  Il  reprochait  à  Habert  sa  volte- 
face,  cherchait  à  le  mettre  en  contradiction  avec  lui- 
même  et  lui  supposait  les  motifs  les  moins  avouables 
et  les  plus  personnels.  Le  théologal  ainsi  attaqué 
s'empressa  de  répondre  par  un  volume  dans  lequel  il 
publiait  les  trois  sermons  incriminés  avec  un  exposé 
et  une  justification  de  sa  propre  doctrine.  C'est  La 
défense  de  la  foy  de  l'Église  et  de  l'ancienne  doctrine 
de  Sorbonne,  touchant  les  principaux  points  de  In 
grâce,  Paris,  1644.  Il  s'y  présentait  comme  partisan 
de  la  grâce  efficace,  mais  d'une  manière  toute  diffé- 
rente de  celle  de  Jansénius.  Arnauld  ne  voulut  point 
rester  sous  le  coup  de  cette  réponse  et,  en  1645,  il 
publia  une  Seconde  apologie  de  monsieur  Jansénius, 
ou  il  insistait  surtout  sur  le?  différences  du  jansénisme 
et  du  calvinisme.  Habert  avait  dédié  son  ouvrage  au 
prince  de  Condé.  Plus  tard,  en  1717,  une  «  personne 
zélée  pour  la  religion  »  mit  au  jour  une  Lettre  de  monsei- 
gneur le  prince  pour  remercîment  à  AI.  Habert  du  lim- 
de  la  Défense  de  la  foi;  de  l'Église,  qui  devait  servir, 
comme  l'ouvrage  lui-même,  «  de  contrepoison  contr 
l'esprit  de  séduction  des  novateurs  de  ce  temps.  » 


2013 


HABERT 


201^ 


Mais  Habert  entendait  bien  ne  pas  lâcher  ses  adver- 
saires. Dans  la  préface  de  La  fréquente  communion  il 
était  dit  que  Pierre  et  Paul  avaient  fait  pénitence.  Et 
l'auteur  ajoutait  :  «  De  sorte  que  l'on  voit  dans  les 
deux  chefs  de  l'Église,  qui  n'en  sont  qu'un,  le  modèle 
de  la  pénitence.  »  Cette  proposition  ne  venait  pas 
d'Arnauld.  Elle  avait  été  introduite  par  Martin  de 
Barcos,  qui  avait  surveillé  l'impression  de  l'ouvrage. 
C'est  contre  cette  proposition  qu'est  dirigé  le  volume 
de  Habert  :  De  cathedra  seu  prirnatu  singulari  S.  Pétri 
in  Ecclesia  catholica  apostolica  et  romana  libri  duo, 
Paris,  1645.  Il  assimilait  ses  adversaires  à  Marc-Antoine 
de  Dominis  et  les  accusait  de  renouveler  ses  erreurs. 
Arnauld  défendit  la  proposition  dans  les  nouvelles 
éditions  de  La  fréquente  communion.  Barcos,  de  son 
côté,  publia  d'abord  un  petit  volume  :  De  l'autorité  de 
S.  Pierre  et  S.  Paul  qui  réside  dans  le  pape,  successeur 
de  ces  deux  apôtres,  Paris.  1645,  puis,  plus  spécialement 
contre  Habert,  l'ouvrage  plus  considérable  intitulé  : 
La  grandeur  de  l'Église  romaine  établie  sur  l'autorité 
de  S.  Pierre  et  S.  Paul,  Paris,  1646.  Toutes  ces  polé- 
miques avaient  mis  en  relief  les  mérites  de  Habert. 
11  fut  nommé  à  l'évêché  de  Vabres  et  sacré  à  Paris  le 
17  décembre  1645,  par  Dominique  Séguier,  évèque  de 
Meaux. 

Cet  épiscopat  n'interrompit  point  l'activité  litté- 
raire de  Habert.  En  1646,  paraissait  son  grand  ou- 
vrage dogmatique  :  Thcologise  grœeorum  Patrum  vin- 
dicatœ  circa  universam  materiamgratiœ,  libri  III,  Paris, 
1646;  Wurzbourg,  1863.  L'auteur  ne  se  contentait 
point  d'exposer  la  doctrine  des  Pères  grecs  sur  la  grâce. 
Il  la  confrontait  avec  les  données  de  l'Écriture  et  des 
conciles,  de  saint  Augustin  et  de  saint  Thomas  et  ce 
qu'il  appelait  l'enseignement  traditionnel  de  la  Sor- 
bonne.  Toute  son  érudition,  qui  est  grande,  allait  à 
interpréter  les  textes  dans  le  sens  de  son  système 
particulier  sur  la  grâce  efficace.  Il  s'y  explique  sur  ses 
contemporains  et  en  particulier  sur  le  P.  Gibieuf.  Il 
agissait  tout  autant  qu'il  écrivait.  A  l'assemblée  du 
clergé  de  1650,  il  rédigeait  la  lettre  dans  laquelle  on 
sollicitait  du  pape  la  condamnation  des  cinq  proposi- 
tions. Ceci  lui  valut  une  critique  anonyme  :  Considé- 
rations sur  la  lettre  composée  par  M.  l'évêque  de  Vabres 
pour  être  envoyée  au  pape  en  son  nom  et  de  quelques 
autres  prélats  dont  il  sollicite  la  signature,  s.  1.,  1650. 
Enfin,  en  1656,  il  publiait  un  commentaire  sur  les 
Épîtres  «  épiscopales  »  de  saint  Paul  :  In  B.  Pauli 
epistolas  très  épiscopales  ad  Timolheum  et  Titum  et 
unam  ad  Philemonem  expositio  perpétua.  C'est  le 
dernier  ouvrage  de  Habert.  Il  mourut  d'apoplexie, 
le  15  septembre  1668,  et  fut  inhumé  dans  la  cathé- 
drale qu'il  avait  bâtie. 

Ch.  Jourdain,  Histoire  de  l'université  de  Paris,  t.  r, 
passim;  H.  Reusch,  Der  Index  der  verbotenen  Biicher,  Bonn, 
1885,  t.  ii,  p.  451,  462,  463,  467;  Gallia  ebristiana,  t.  i, 
p.  282;  P.  Féret,  La  faculté  de  théologie  de  Paris.  Époque 
moderne,  t.  iv,  p.  311-317;  Hurter,  Nomenclaior,  Inspruck, 
1910,  t.  iv,  col.  65-67. 

A.  HUMBERT. 

2.  HABERT  Louis  naquit  soit  à  Blois  même,  soit 
à  Francillon,  près  de  Blois,  en  1635.  Il  prit  le  bonnet  de 
docteur  le  15  mai  1658,  selon  Moréri  et  Féret.  Lui- 
même,  dans  la  préface  de  la  Défense  de  l'auteur  de  la 
théologie  au  séminaire  de  Châlons,  dit  expressément  : 
«  A  peine  j'eus  reçu  le  bonnet  de  docteur  en  1668,  que 
je  fus  employé  successivement  par  différents  prélats,» 
p.  3.  De  ces  prélats  le  premier  fut  Colbert,  d'abird 
évèque  de  Luçon,  transféré  ensuite  à  Auxerre.  Habert 
le  suivit.  Mais  son  activité  ne  commença  à  se  déve- 
lopper qu'à  Verdun,  où  l'amena,  en  1681,  l'évêque 
Hippolyte  de  Béthune.  Celui-ci,  à  peine  installé, 
établit  un  séminaire  dont  le  premier  directeur  fut 
Habert.    Il    y    enseignait    la   théologie    et    l'Écriture 


sainte.  En  même  temps  il  travaillait  à  la  réforme 
liturgique  et  spirituelle  du  diocèse.  Sous  l'autorité 
et  le  nom  de  l'évoque  paraissaient  successivement  un 
Petit  et  un  Grand  catéchisme  du  diocèse  de  Verdun, 
puis  un  Rituel  de  Verdun.  En  1691,  fut  publiée,  sans 
nom  d'auteur,  la  Méthode  pour  administrer  utilement 
le  sacrement  de  pénitence,  qui  devait  acquérir  une 
véritable  célébrité  sous  le  nom  de  Pratique  de  Verdun, 
et  dont  les  éditions  furent  très  nombreuses  en  France  et 
en  Italie.  Habert  surveillait  en  même  temps  la  correc- 
tion du  bréviaire,  avec  la  collaboration  de  dom  Jérôme 
Pichon,  de  Metz,  qui  devint  supérieur  de  la  congréga- 
tion de  Saint-Vanne.  Le  nouveau  bréviaire  parut  en 
1694.  Mais  il  se  heurta  à  l'opposition  du  clergé,  en 
particulier  des  chanoines,  qui  ne  purent  se  résoudre  à 
l'adopter  qu'en  1705.  Enfin,  en  1697,  parut  un  vo- 
lume de  Conférences  ecclésiastiques  du  diocèse  de 
Verdun.  Habert  eut  certainement  une  part  très  consi- 
dérable à  la  rédaction  de  ces  différents  ouvrages.  D'un 
autre  côté,  l'historien  verdunois  Boussel  et  l'historien 
lorrain  dom  Calmet,  qui  l'ont  connu,  sont  unanimes 
à  louer  sa  piété  et  son  zèle  comme  grand-vicaire  et 
officiai. 

C'est  pour  remplir  les  mêmes  fonctions  qu'il  fut 
appelé,  vers  1700,  à  Châlons-sur-Marne  par  l'évêque 
de  Noailles.  Ici  encore,  il  y  joignit  les  fonctions  de 
directeur  du  séminaire.  Cédant  aux  instances  de  son 
évèque,  il  commença,  en  1709,  la  publication  du  cours 
qu'il  avait  enseigné  en  ces  différents  évêchés,  sous  le 
titre  de  Theologia  dogmalica  et  moralis  ad  usum  semi- 
narii  Calalaunensis.  Le  sixième  et  dernier  volume 
parut  en  1712.  Mais  avant  même  qu'elle  fut  complète- 
ment publiée,  cette  théologie  avait  provoqué  de  vives 
oppositions,  dont  l'âme  paraît  n'avoir  été  un  moindre 
personnage  que  Fénelon.  L'archevêque  de  Cambrai 
écrivit  tout  d'abord  une  Lettre  à  un  évèque,  dans  laquelle 
il  combattait  vivement  la  théorie  des  deux  délecta- 
tions exposée  par  Habert  dans  son  traité  de  la  grâce. 
Il  y  a,  disait  le  théologien,  deux  délectations,  la  grâce 
et  la  concupiscence,  et  la  plus  forte  des  deux  agit  avec 
une  nécessité  morale.  C'est  sur  ce  point  que  Fénelon 
faisait  porter  tout  le  poids  de  la  discussion.  Il  envoya 
cette  Lettre  au  duc  de  Chevreuse,  pour  la  soumettre 
au  P.  Le  Tellier  et  lui  demander  l'autorisation  de  la 
publier.  Il  ajoutait  dans  sa  lettre  d'envoi  :  «  Si  ce  sys- 
tème n'est  pas  hérétique,  alors  la  condamnation  de 
Jansénius  est  injuste,  et  le  jansénisme  n'est  qu'un 
fantôme  et  une  hérésie  imaginaire,  dont  les  jésuites 
se  servent  pour  persécuter  les  fidèles  disciples  de  saint 
Augustin  et  tyranniser  les  consciences  en  faveur  du 
molinisme.  »  Mais  le  P.  Le  Tellier  déclara  la  publication 
inopportune,  et  Fénelon,  de  ce  côté  du  moins,  dut  se 
tenir  tranquille. 

Mais  la  controverse  allait  éclater  par  ailleurs.  Au 
commencement  de  1711  parut,  sans  nom  d'auteur, 
une  Dénonciation  de  la  théologie  de  M.  Habert.  Elle 
était  adressée  au  cardinal  de  Noailles,  archevêque  de 
Paris,  et  à  l'évêque  de  Châlons.  Suivant  Habert,  c'est 
ce  dernier  qu'elle  visait  plus  spécialement.  Il  semble 
bien  qu'elle  soit  l'œuvre  du  P.  Lallement,  de  la  Com- 
pagnie de  Jésus.  Habert  ne  voulut  pas  rester  sous  le 
coup  de  cette  attaque,  et,  quelques  mois  plus  tard,  il 
publiait  une  Défense  de  l'auteur  de  la  théologie  du  sémi- 
naire de  Châlons.  Il  insistait  sur  les  garanties  que 
fournissait  son  passé  et  citait  les  thèses  qu'il  avait 
soutenues  à  Verdun  et  à  Châlons  contre  le  jansénisme. 
Puis,  il  essayait  de  démontrer  la  conformité  de  son 
système  avec  l'enseignement  traditionnel  de  l'Église 
et  celui  de  la  Sorbonne.  D'un  autre  côté,  son  approba- 
teur, Pastel,  prenait  parti  pour  lui.  Il  faisait  paraître, 
à  peu  près  en  même  temps,  une  Réponse  de  M.  Pastel, 
docteur  en  théologie,  de  la  maison  et  société  de  Sorbonne, 
cl  approbateur  de  la  théologie  de  M.  Habert.  Il  y  soutient, 


2015 


HABERT 


HABITUDES  MAUVAISES 


2016 


lui  aussi,  et  par  les  mêmes  raisons,  la  conformité  de  la 
doctrine  des  deux  délectations  avec  renseignement 
traditionnel  de  l'Église. 

Au  milieu  de  ce  va-et-vient  d'écrits,  l'archevêque 
do  Paris,  Noailles,  en  mars  1711,  publia  un  Moniloire 
dans  lequel  il  prenait  la  défense  du  théologien  attaqué. 
Ce  monitoire  paraissait  exactement  en  même  temps 
qu'un  mandement  de  l'évêque  de  Gap  qui  condamnait 
Habert.  D  un  autre  côté,  Fénelon  avait  écrit  au  P.  Le 
Tellier,  que  si  Noailles  défendait  la  théologie  de  Châlons, 
il  la  condamnerait  publiquement  dans  un  mandement. 
Celte  instruction  pastorale  fut  écrite  et  elle  se  trouve 
parmi  les  ouvrages  de  Fénelon  sous  la  date  du  1er  mai 
1711.  Mais,  malgré  des  prières  répétées,  il  ne  put  obte- 
nir du  roi  l'autorisation  de  la  publier.  Il  y  disait  : 
«  Nous  avons  reconnu  qu'on  ne  peut  ici  tolérer  le 
texte  du  sieur  Habert  sans  tolérer  celui  de  Jansénius, 
ni  condamner  celui  de  Jansénius  sans  condamner  aussi 
celui  du  sieur  Habert,  que  l'unique  différence  qu'il  y 
ait  entre  Jansénius  et  lui  se  réduit  aux  seuls  termes  de 
morale  et  moralement.  Jansénius  a  admis  une  nécessité 
et  une  impuissance  qu'il  nomme  simples.  Habert  admet 
une  nécessité  et  une  impuissance  qu'il  appelle  morales.  » 
En  même  temps,  il  agissait  à  Rome  et  il  y  faisait 
solliciter  par  son  correspondant,  le  P.  Daubenton,  la 
condamnation  de  l'ouvrage.  Mais  ici  encore  il  échoua 
et  le  P.  Daubenton  finit  par  lui  écrire  :  «  Habert  pense 
comme  Jansénius,  mais  il  s'exprime  autrement  et 
cela  suffît  pour  le  protéger  contre  une  censure.  Sa 
nécessité  morale  est  en  réalité  une  nécessité  physique  ; 
mais  il  le  nie  et  c'est  assez.  Les  thomistes  ne  souffriront 
pas  que  l'on  censure  sa  délectation  victorieuse,  car  elle 
n'amoindrit  pas  plus  la  liberté  que  leur  gralia  prœde- 
terminans.  »  De  fait,  la  théologie  de  Habert  ne  fut  pas 
condamnée.  Il  apporta  du  reste  des  corrections  impor- 
tantes aux  textes  incriminés  dans  les  éditions  sui- 
vantes. 

Mais  la  polémique  ne  cessait  point.  Les  jansénistes 
intransigeants  n'admettaient  pas  les  adoucissements 
de  Habert..  Un  docteur  de  Sorbonne.  Petitpied, 
publiait,  sous  le  voile  de  l'anonymat,  son  pamphlel  : 
De  l'injuste  accusation  de  jansénisme.  «  Plainte  à 
M.  Habert,  docteur  en  théologie  de  la  maison  et  société 
de  Sorbonne,  à  l'occasion  des  Défenses  de  l'auteur  de 
la  théologie  du  séminaire  de  Châlons  »,  qui  parut  à  la 
fin  de  1711.  C'était  surtout  une  attaque  contre  Fénelon 
et  son  Instruction  pastorale  du  10  février  1704,  où  il 
disait  :  «  C'est  se  jouer  du  dogme  catholique  sur  la 
liberté,  que  d'hésiter  un  moment  à  admettre  le  pou- 
voir prochain,  qui  est  le  seul  présent  dans  le  moment 
précis  où  il  s'agit  de  mériter  ou  de  démériter  pour 
l'éternité.  »  Mais  il  reprochait  aussi  à  Habert  d'avoir 
distribué  trop  libéralement  le  qualificatif  dont  on 
l'avait  gratifié  lui-même.  Puis,  à  la  première  Dénon- 
ciation, succédaient  la  Suite  de  la  Dénonciation  et  la 
Nouvelle  dénonciation,  qui  ressassaient  les  mêmes 
arguments  et  les  mêmes  attaques  personnelles.  Enfin 
le  docteur  Hilaire  Dumas,  conseiller-clerc  au  parlement 
de  Paris,  consacra  la  quatrième  de  ses  Lettres  d'un 
docteur  de  Sorbonne  à  un  homme  de  qualité  louchant  les 
hérésies  du  xvue  siècle,  à  la  réfutation  du  système  de 
Habert.  Le  théologien  reprit  la  plume  et  publia,  en 
1714,  la  Réponse  à  la  quatrième  lettre  d'un  docteur  de 
Sorbonne  à  un  homme  de  qualité. 

Habert  s'était  retiré  à  Paris  pour  publier  sa  théolo- 
gie. Mais  il  ne  se  désintéressait  pas  de  la  vie  universi- 
taire et  il  prit  une  part  importante  aux  discussions  que 
souleva  la  bulle  Unigenitus.  Elle  avait  été  acceptée 
par  quarante  évêques  contre  huit.  Le  parlement  l'avait 
enregistrée.  Mais  les  choses  ne  devaient  pas  aller  si 
facilement  à  la  faculté  de  théologie.  Lorsque  la  bulle 
fut  présentée,  il  y  eut,  malgré  les  ordres  du  roi,  de 
vives  discussions.  Enfin  on  se  rangea  à  l'avis  de  Habert, 


qui  conseilla  d'enregistrer  la  bulle,  puisque  le  roi  le 
demandait,  mais  en  spécifiant  dans  l'acte  que  cet 
enregistrement  ne  supposait  ni  acceptation  ni  appro- 
bation. Louis  XIV,  irrité  de  cette  attitude,  exila  les 
docteurs  qui  avaient  souscrit  à  cet  acte,  Habert  des 
premiers.  L'avènement  du  Régent  mit  un  terme  assez 
prompt  à  cet  exil.  Bien  plus,  Habert  fut  chargé,  avec 
dix-sept  autres  docteurs,  de  rédiger  le  fameux  Corps  de 
doctrine  qui  devait  régler  les  questions  controversées. 
Le  1er  août  1716,  il  formula  ce  qu'il  prétendait  être 
l'enseignement  de  l'Église  gallicane.  «  La  constitution 
Unigenitus,  disait-il,  n'est  qu'une  loi  d'économie,  de 
police  et  de  discipline,  en  attendant  qu'elle  devienne, 
par  l'autorité  d'un  concile  œcuménique,  une  décision 
dogmatique  et  une  règle  de  foi.   » 

Ce  fut  là  son  dernier  acte  Important.  Il  mourut  à 
Paris  le  7  avril  1718. 

Beaupré,  Recherches  historiques  et  bibliographiques  sur 
les  commencements  de  V  imprimerie  en  Lorraine,  Nancy,  1845; 
A.  Gandelet,  Le  jansénisme  à  Verdun,  Verdun,  1884; 
Robinet,  Pouillé  du  diocèse  de  Verdun,  t.  i,  p.  148;  Féne- 
lon, Œuvres,  Paris,  1723,  t.  m,  p.  309  sq.;  t.  iv,  p.  146  sq.; 
t.  xvi,  p.  207-549;  Dictionnaire  des  livres  jansénistes,  t.  iv, 
p.  78;  Féret,  La  faculté  de  théologie  de  Paris.  Époque  mo- 
derne, Paris,  1910,  t.  vu,  p.  215,  note  3;  Jourdain,  His- 
toire de  l'universilé  de  Paris,  t.  i,  p.  303  sq.;  H.  Reusch, 
Der  Index  der  verbotenen  Rucher,  Bonn,  1885,  t.  n,  p.  679; 
Kirchcnlexikon,  t.  v,  col.  1407-1408;  Hurter,  Nomenclalor, 
Inspruck,  1910,  t.  iv,  col.   740-741. 

A.     Humbert. 

HABITUDES  MAUVAISES. —I.  Définition  et  dis- 
tinction. II.  Faut-il  nécessairement  les  accuser  au  tii- 
bunal  de  la  pénitence  ? 

I.  Définition  et  distinction.  —  1°  On  appelle 
habitude  mauvaise  l'inclination,  le  penchant,  ou  la 
facilité  qu'a  un  pécheur  à  pécher  par  suite  de  la  répé- 
tition des  mêmes  fautes.  Si.  selon  l'axiome,  l'habitude  est 
une  seconde  nature,  il  s'ensuit  que  celui  qui  a  l'habi- 
tude de  pécher,  s'en  corrige  difficilement,  car  il  lui 
faut  non  pas  seulement  résister  à  une  tentation  passa- 
gère, mais  se  dépouiller,  pour  ainsi  dire,  d'une  seconde 
nature  qu'il  a  revêtue  par  l'habitude  de  pécher. 
Cf.  Suarez,  De  religione,  tr.  V,  1.  III,  c.  vin,  n.  7, 
Opéra  omnia,  28  in-4°,  Paris,  1876-1878,  t.  xiv,  p.  694. 
Cette  inclination  au  péché,  devenue  comme  naturelle, 
porte  plus  ou  moins  fortement  au  péché,  suivant  que 
l'habitude  est  plus  ou  moins  ancienne,  plus  ou  moins 
intense,  ou  est  excitée  par  une  occasion  plus  ou  moins 
prochaine.  Cf.  S.  Jérôme,  Episl.,  cxxm,  ad  Rusli- 
cum,  De  pœnilenlia,  n.  3,  P.  L.,  t.  xxn,  col.  1044; 
S.  Grégoire  le  Grand,  Homil.,  xm,  in  Evangel.,  n.  2, 
P.  L.,  t.  lxxvi,  col.  1124;  S.  Anselme,  Opuscul.  de 
similitudinibus,  c.  exc,  P.  L.,  t.  clix,  col.  701. 

2°  Quelle  multiplicité,  ou  quelle  fréquence  faut-il 
dans  les  actes  peccamineux  pour  qu'un  pécheur  puisse 
être  considéré  comme  ayant  contracté  une  habitude 
mauvaise?  Il  est  assez  dillicile  de  répondre  à  cette 
question  d'une  manière  générale,  car  certains  individus 
contractent  plus  de  facilité  à  comm  ttre  certaines 
catégories  de  péchés  par  moins  d'actes,  que  d'autres 
par  beaucoup.  On  ne  doit  donc  pas  toujours  consi- 
dérer comme  habitudinaire  quelqu'un  qui  a  péché 
plusieurs  fois  contre  la  même  vertu,  ou  contre  le  même 
précepte;  de  même  qu'on  ne  doit  pas  juger  comme 
non-habitudinaire.  celui  qui  n'a  commencé  à  pécher 
que  trois  ou  quatre  fois.  En  principe,  un  péché  répété 
plusieurs  fois  en  peu  de  temps  engendre  plus  facile- 
ment une  habitude  mauvaise,  que  s'il  était  répété 
autant  de  fois  durant  un  temps  plus  long.  Cf.  Balle- 
rini,  Compendium  théologiœ  moralis,  tr.  De  sacra- 
menlo  pœnilentiœ,  part.  III,  c.  n,  a.  1,  §  2,  p.  il,  n.  638, 
2  in-8°,  Rome,  1869,  t.  n,  p.  440  sq. 

Pour  constituer  l'habitude  mauvaise,  deux  condi- 
tions sont  essentiellement  requises  :  1°  la  répétition 


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HABITUDES  MAUVAISES 


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des  mêmes  actes;  2°  un  certain  intervalle  entre  eux, 
et  aussi  un  certain  rapprochement  entre  ces  actes. 
Des  péchés  répétés,  en  effet,  n'engendrent  pas  une 
habitude  mauvaise,  ni  s'ils  sont  séparés  par  des  inter- 
valles trop  grands,  ni  s'ils  sont  trop  rapprochés  entre 
eux  :  par  exemple,  commis  dans  le  même  jour,  et 
ensuite  s'ils  ne  le  sont  plus  de  longtemps.  Trop  rappro- 
chés, ils  peuvent  même  être,  jusqu'à  un  certain  point, 
regardés  comme  la  continuation  du  même  acte.  Cf. 
Noldin,  Summa  (heologiœ  moralis,  tr.  De  sacramentis, 
1.  \',  De  psenitentia,  c.  ni,  q.  m,  a.  5,  n.  407,  3  in-8°, 
Inspruck,  1908,  t.  ni,  p.  472.  On  ne  pourrait  donc 
fixer  mathématiquement  combien  il  faut  d'actes  pour 
qu'une  habitude  mauvaise  soit  contractée  par  leur 
répétition,  car  cela  dépend  d'abord  du  caractère  ou 
du  tempérament  du  pécheur,  ensuite  de  l'intervalle 
plus  ou  moins  grand  qui  sépare  chaque  acte,  enfin  de 
la  nature  même  du  péché  commis.  Cf.  Lehmkuhl, 
Theologia  moralis,  part.  II,  1.  I,  De  sacramento  pseni- 
tentise,  sect.  m,  c.  iv,  n.  491,  2  in-8°,  Fribourg-en- 
Brisgau,  1902,  t.  n,  p.  349  sq.  Cet  auteur  fait  cette 
juste  remarque  :  quia  frequenlius  occurrit  occasio  internis 
peccatis  consenliendi  quani  cxlerna  perpelrandi;  imo 
jrequentius  eliam  urgerc  possii  tentalio  solitaria  peccata 
commillendi  quant  peccandi  cum  complice;  proplerea 
cum  distinctione  lequendum  esl  :  scilicel,  1°  suflicere 
minorem  numerum  peccatorum  exlernorum  constanler 
post  certum  inicrvallum  perpetratorum,  quam  peccato- 
rum mère  internorum  ut  censcatur  contracta  consue- 
ludo;  2°  facilius  conlrahi  consueludincm  per  uni] ar- 
ment modum  relabendi  in  eadem  peccata,  quam  codem 
peccatorum  numéro,  si  frequenlius  quidem  uno  lempore 
commissa  sunt,  sed  rarius  et  post  pugnam  alio  tempore. 
Il  faut  considérer  aussi  que  certains  pécheurs  pèchent 
et  contractent  l'habitude  de  pécher  par  des  actes  de  la 
volonté  parfaitement  délibérés,  c'est-à-dire  par  une 
perversion  habituelle  de  la  volonté;  d'autres,  au  con- 
traire, pèchent  et  contractent  l'habitude  de  pécher, 
uniquement  par  fragilité.  Les  premiers  ne  pèchent 
pas  sous  l'effet  d'une  passion  véhémente  qui  s'empare 
d'eux  subitement  et  surprend  leur  volonté;  mais  ils 
pèchent  froidement,  d'une  manière  calculée  et  bien 
voulue.  Par  suite,  ils  arrivent  très  rarement  à  délester 
le  péché  voulu  ainsi  en  pleine  et  entière  volonté,  et 
très  librement  accepté  ou  plutôt  choisi.  Les  autres, 
au  contraire,  le  détestent  ordinairement,  quand  ils  ne 
sont  pas  dans  le  feu  de  la  passion,  ou  sous  le  charme 
fascinant  de  cette  délectation  qui  les  séduit  et  les 
entraîne  comme  malgré  eux,  suivant  le  mot  de  saint 
Anselme,  nolenles  in  eadem  vitia  dejiciuntur.  Opuscul. 
de  similitudinibus,  c.  cxc;  P.  L.,  t.  clix,  col.  701. 
Cette  distinction  est  capitale  par  rapport  à  l'absolution 
et  aux  conditions  qu'elle  requiert  chez  l'habitudinaire. 
Cf.  Marc,  Institutiones  morales  alphonsianœ,  part.  III, 
tr.  V,  De  psenitentia,  diss.  III,  c.  m,  a.  1,  n.  1826, 
2  in-8°,  Rome,  1900,  t.  n,  p.  336  sq. 

Saint  Alphonse  pense  que  cinq  péchés  commis  par 
des  actes  externes  en  un  mois,  peuvent  engendrer 
une  habitude  mauvaise,  si  entre  ces  actes  s'écoule 
un  certain  intervalle  de  temps  ;  en  matière  de  luxure, 
un  nombre  d'actes  moins  considérable  encore  lui 
païaît  suffisant  pour  la  constituer  :  in  maleria  forni- 
calionum,  sodomiarum  et  besliulilalum  minor  numerus 
habilum  queit  conslilucre  :  qui,  verbi  gratia,  semel  in 
mense  fornicaretur  per  annum,  benc  hic  habilualus  dici 
potesl.  Cf.  Praxis  conjessarii,  c.  v,  n.  70,  Opéra  moralia, 
édit.  Gardé,  4  in-4°,  Rome,  1905-1912.  t.  IV,  p.  565. 
Beaucoup  d'auteurs  ont  embrassé  cette  opinion.  Cf. 
Gury-Ballcrini,  Compendium  Iheologiœ  moralis,  tr. 
De  sacramentis, part.  III,  c.  n,  §  2,  n.  632,  t.  n,  p.  131  ; 
Scavini,  Theologia  moralis  universa,  tr.  X,  disp.  I, 
c.  m,  a.  2,  S  2,'  3  in-8°,  Naples,  1859,  t.  m,  p.  164; 
D'Annibale,  Summula  Iheologiœ  moralis,  1.  III,  tr.  III, 

DICT.  DE  TU  KOI  .  CATIIOL. 


De  sacramento  pœnilenliœ,  c.  n,  a.  3,  n.  337,  3  in-8°, 
Rome,  1889-1892,  t.  m,  p.  276.  Plusieurs  théologiens, 
et  non  des  moindres,  surtout  parmi  ceux  qui  sont  ni 
peu  plus  anciens,  sont  d'avis,  au  contraire,  qu'il  faut 
de  nombreuses  chutes  pour  constituer  une  habitude 
mauvaise.  Cf.  De  Lu  go,  DispuUdiones  scholasticœ  et 
morales,  De  pœnitentm,  disp.  XIV,  n.  166,  7  in-fol., 
Lyon,  1633-1651;  Salmanticenses,  Cursus  theologij; 
moralis,  tr.  XVII,  De  juramento,  c.  n,  pr.  ix,  n.  167, 
6  in-fol.,  Venise,  1728,  t.  iv,  p.  201;  Laymaim,  Theolo- 
gia moralis,  1.  V,  De  sacramentis,  tr.  VI,  De  psenitentia, 
c.  iv,  n.  10,  2  in-fol.,  Venise,  1683,  t.  n,  p.  277. 

On  doit  noter  aussi  que  tout  péché,  par  la  répétition 
de  l'acte  peccamineux,  n'entraîne  pas  toujours  une 
habitude  mauvaise,  c'est-à-dire  une  plus  grande  faci- 
lité à  le  commettre.  Cela  est  évident  pour  les  péchés 
qui  sont  commis  par  l'effet  de  la  crainte,  de  la  violence, 
du  respect  humain,  de  la  misère,  de  la  nécessité,  ou 
de  quelque  circonstance  particulière  de  ce  genre.  Des 
auteurs  sérieux  nient  même  qu'une  habitude  vicieuse 
puisse  résulter  d'un  acte  peccamineux  répété  trois 
ou  quatre  fois.  Cf.  Palmieri,  Opus  theologicum  morale 
in  Buscmbaum  medullam,  tr.  X,  De  sacramentis, 
sect.  v,  De  sacramento  pamilenlise,  c.  i,  dub.  n,  n.  218. 
5°,  7  in-8°,  Prato,  1889-1893,  t.  v,  p.  121. 

3°  Quoi  qu'il  en  soit,  il  est  évident  qu'il  y  a  une  très 
grande  différence  entre  la  manière  dont  les  anciers 
théologiens,  considérés  comme  des  maîtres,  ont  conçu 
l'habitude  mauvaise  au  point  de  vue  de  la  multiplicité 
des  actes  nécessaires  pour  la  constituer,  et  la  manière 
dont  la  conçoivent  beaucoup  de  théologiens  récents 
depuis  un  siècle  ou  un  siècle  et  demi.  Il  en  résulte 
une  conséquence  très  grave,  et  à  laquelle  il  n'est  que 
juste  de  faire  attention  :  c'est  que  plusieurs  de  ceux-ci 
se  tromperaient  étrangement  si,  pour  justifier  leur 
doctrine  au  sujet  de  la  façon  dont  il  faut  traiter  les 
habitudinaires  au  tribunal  de  la  pénitence,  ils  allé- 
guaient une  foule  d'auteurs  des  plus  respectables  et 
dont  le  nom  fait  autorité,  mais  qui,  malgré  l'identité 
du  terme  employé,  entendaient  parler  de  tout  autre 
chose.  Voir  Habitudinaires.  Scavini,  entre  autres, 
Theologia  moralis  universa,  tr.  X,  disp.  I,  c.  m,  a.  1, 
§  2,  q.  n,  t.  m,  p.  164,  paraît  être  tombé  dans  cette 
méprise.  Cf.  Palmieri,  Opus  theologicum  morale,  tr.  X, 
De  sacramentis,  sect.  v,  De  psenitentia,  c.  i,  dub.  n, 
n.  224,  t.  v,  p.  124. 

II.  Le  pénitent  doit-il  accuser  les  habitudes 
mauvaises  en  confession?  —  1°  Selon  le  concile 
de  Trente,  sess.  xiv,  c.  v,  et  canon  7,  on  n'est  tenu 
d'accuser  en  confession  que  le  nombre  et  l'espèce 
des  péchés  mortels.  Or,  l'habitude  contractée  de  pécher, 
quoiqu'elle  soit  un  vice,  n'est  pas  elle-même  un  péché. 
D'autre  part,  un  péché  n'est  pas  plus  grave,  parce 
qu'il  est  commis  par  habitude;  et,  y  aurait-il  même 
dans  l'habitude  du  péché  une  circonstance  aggravante, 
le  pénitent  ne  serait  pas,  pour  cela,  obligé  de  la  mani- 
fester, car,  suivant  l'opinion  la  plus  probable  et  la  plus 
commune,  les  circonstances  qui  aggravent  notable- 
ment un  péché,  tout  en  le  laissant  dans  la  même 
espèce,  ne  doivent  pas  nécessairement  être  accusée-;, 
Cf.  S.  Alphonse,  Theologia  moralis,  1.  VI,  tr.  IV,  De 
sacramento  pœnilenliœ,  c.  i,  dub.  ni,  a.  1,  n.  467,  t.  in, 
p.  478.  Voir  t.  i,  col.  573-575.  II  faut  en  excepter  le 
cas  où  le  confesseur  poserait  lui-même  la  question, 
afin  de  mieux  connaître  l'état  du  pénitent,  se  rendre 
compte  de  ses  dispositions  par  rapport  à  l'absolution 
à  recevoir,  ci  lui  donner  les  remèdes  convenables  a  sa 
situation.  C'est  ce  qu'a  décrété  le  pape  Innocent  XI, 
en  condamnant  la  proposition  suivante  qui  est  la 
cinquante-huilkme  de  celles  qu'il  a  proscrites  le 
2  mars  1679  :  Non  tenemur  confessario  inlerroganti 
fateri  peceati  alicujus  consueludincm.  Denzingei- 
Bannwart,  Enchiridion,  n.  1208.  Cf.  Elbel,  Theologia 

VI.  -  tu 


2019 


HABITUDES   MAUVAISES 


HABITUDINAIRES 


2020 


moralis  decalogalis  et  sacramentalis  per  moclum  con/i- 
rentiarum  casibus  practicis  illustrata,  part.  IV,  conf. 
VII,  §  3,  n.  194,  3in-4°,  Venise,  1759,  t.  m,  p.  224  sq.; 
Lehmkuhl,  l'heologia  moralis,  part.  III,  1.  I,  tr.  V, 
De  sacramcnio  pœnitentix,  sect.  n,  a.  1,  §  2,  n.  313, 
t.  n,  p.  232. 

2°  Si,  en  règle  générale,  le  pénitent  n'est  tenu  de 
manifester  les  mauvaises  habitudes  que  s'il  est  inter- 
rogé à  ce  sujet  par  le  confesseur,  il  peut  y  être  tenu, 
peraccidens,  dans  certains  cas  particuliers  :  par  exemple, 
quand  il  doute  de  ses  propres  dispositions  par  rapport 
à  l'absolution  à  recevoir,  s'il  craint  de  se  faire  illusion 
sur  le  ferme  propos  qu'il  croit  avoir,  et  que  peut-être 
il  n'a  pas.  Il  doit,  alors,  manifester  ses  habitudes  mau- 
vaises, afin  que  le  confesseur  puisse  juger  de  ses  dispo- 
sitions actuelles.  Cf.  Salmanticenses,  Cursus  theolo- 
giœ  moralis,  tr.  XVII,  De  juramento,  c.  n,  p.  ix,  §  3, 
n.  162-166,  t.  iv,  p.  200. 

3°  En  pratique,  il  est  mieux  de  conseiller  aux  péni- 
tents de  manifester  leurs  habitudes  mauvaises,  quand 
ils  se  confessent  à  un  prêtre  qui,  n'étant  pas  leur  con- 
fesseur ordinaire,  ne  les  connaît  pas,  ou  les  connaît 
moins,  de  sorte  qu'il  peut  plus  facilement  se  tromper 
sur  leurs  dispositions  actuelles  par  rapport  à  l'absolu- 
tion. 11  est  mieux  aussi  de  leur  donner  ce  conseil, 
afin  qu'ils  reçoivent  une  direction  plus  adaptée  à 
leurs  besoins  présents,  et  qu'on  puisse  leur  indi- 
quer les  moyens  les  plus  efficaces  pour  se  débarras- 
ser radicalement  de  ces  habitudes  mauvaises.  Cf. 
Ballerini,  Compendium  theologiœ  moralis,  tr.  De 
sacramenlo  pœnilenliœ,  part.  II,  c.  n,  a.  1,  §  2,  n.  485, 
t.  n,  p.  395. 

T.  Ortolan. 

HABITUDINABRES.  —  I.  Définition  et  division. 
II.  De  l'absolution  des  habitudinaires. 

I.  Définition  et  division.  —  1°  Par  habitudi- 
naires les  moralistes  entendent  ceux  qui  ont  contracté 
l'habitude  de  péché.  Voir  Habitudes  mauvaises. 
Le  mot  habitudinaire  n'a  pas  eu  la  même  signification 
chez  les  anciens  qu'il  l'a  chez  les  modernes,  depuis 
un  siècle  ou  deux.  Ceux-ci,  en  effet,  ont  introduit  à  ce 
sujet  une  distinction  plutôt  subtile,  ignorée  de  ceux-là. 
Pour  eux,  les  habitudinaires  sont  les  pécheurs  qui  ont 
contracté  l'habitude  de  pécher,  et  qui  viennent  s'en 
confesser  pour  la  première  fois.  Si,  après  cette  première 
confession,  les  habitudinaires  retombent  dans  ces 
mêmes  fautes,  les  théologiens  modernes  les  appellent, 
non  plus  des  habitudinaires,  quoique  la  mauvaise 
habitude  persiste,  mais  plutôt  des  récidifs.  Ce  n'est 
pas  à  dire  évidemment  que  le  récidif  ne  soit  pas  un 
habitudinaire,  puisqu'il  garde  malheureusement  cette 
mauvaise  habitude;  mais  il  aggrave  son  cas  en  ce  qu'il 
la  conserve  et  retombe  dans  les  mêmes  fautes,  après 
s'en  être  confessé,  et  avoir  promis  sérieusement  de 
s'amender.  Cf.  S.  Alphonse,  Theologia  moralis,  1.  VI, 
tr.  IV,  De  sacramenlo  pœnilenliœ,  c.  i,  dub.  n,  §  2, 
n.  459;  Praxis  conjessarii,  c.  v,  n.  70-71,  Opéra  moralia, 
édit.  Gaudé,  4  in-4°,  Rome,  1905-1912,  t.  m,  p.  467; 
t.  iv,  p.  565;  Faure,  Dubitaliones  theologicœ  de  judicio 
praclico,  quod  super  pœnitenlis,  prœcipue  consuelu- 
dinarii  aul  recidivi,  dispositione  formare  sibi  polcst 
ac  deb  t  conjessarius,  ut  eum  rite  absolval,  dub.  m, 
§  1,  in-8°,  Lugano,  1843,  p.  17;  Gousset,  Théologie 
morale,  traité  des  sacrements.  De  la  pénitence,  c.  x,  a.  1, 
2  in-8°,  Paris,  1877,  t.  n,  p.  358. 

Les  habitudinaires,  ainsi  distingués  des  récidifs, 
semblent  devoir  s'entendre  surtout  des  pécheurs 
qui,  étant  restés  plusieurs  années  sans  se  confesser, 
ont  besoin  de  soins  spéciaux  de  la  part  du  confesseur, 
pour  sortir  du  déplorable  état  dans  lequel  les  a  jetés 
une  habitude  mauvaise  invétérée,  passée  comme  à 
l'état  de  seconde  nature.  Cf.  Ballerini,  Compendium 
hcologix  moralis,  tr.  De  sacramcnio  pœnilenliœ,  part. 


III,  c.  n,  a.  1,  §  2,  p.  n,  n.  032,  note,  2  in-8°,  Rome,  1869, 
t.  n,  p.  432. 

Quelques  auteurs  distinguent  aussi  les  récidifs  qui 
ne  seraient  pas  habitudinaires  du  tout  :  par  exemple, 
les  pécheurs  qui,  après  avoir  confessé  une  faute,  y 
retombent,  sans  néanmoins  en  conserver  ou  en  con- 
tracter l'habitude. 

On  voit  aisément  l'importance  de  la  précision  dans 
les  notions  d'habitudinaires  et  de  récidifs,  pour  éviter 
au  confesseur  de  grandes  anxiétés  de  conscience,  si 
l'on  songe  que  plusieurs  auteurs,  notés  il  est  vrai 
comme  trop  rigides,  donnent  la  valeur  d'un  principe 
incontestable  à  cette  assertion  que  l'habitude  mau- 
vaise est  un  signe  certain  du  manque,  chez  le  pénitent, 
des  dispositions  nécessaires  à  la  réception  de  l'abso- 
lution. Cf.  Merbesius  (Bon  de  Merbes),  Summa  chri- 
stiana,  seu  ortliodoxa  morum  disciplina,  tr.  De  pœni- 
tentia,  q.  xlviii,  cas.  v,  reg.  2,  3,  2  in-fol.,  Paris, 
1683;  Venise,  1770;  Juenin,  Institutiones  theologicœ, 
tr.  De  pœnitentia,  q.  vi,  c.  v,  a.  1,  concl.  7,  4  in-8", 
Lyon,  1694;  7  in-8°,  Venise,  1704,  ouvrage  mis  à  l'Index 
par  décret  du  22  mai  et  du  17  juillet  1708;  Genêt, 
Theologia  moralis,  tr.  De  pœnitentia,  c.  vu,  q.  x\ , 
c.  x,  n.  13, 16,  19,  7  in-8°,  Venise,  1713;  Bassano,  1769. 

D'autre  part,  d'après  saint  Alphonse,  les  habitudes 
mauvaises  peuvent  être  contractées  par  cinq  actes, 
et  même  moins,  voir  Habitudes  mauvaises;  et  il 
faut  cependant  que  le  confesseur  soit  moralement 
certain  des  bonnes  dispositions  actuelles  du  pénitent, 
pour  pouvoir  l'absoudre,  sans  charger  sa  propre 
conscience,  puisqu'il  s'agit  là  de  la  matière  même  du 
sacrement,  et  de  l'invalidité  ou  de  la  profanation 
sacrilège  auxquelles  on  l'exposerait;  enfin,  l'expé- 
rience démontre  malheureusement  que,  à  part  les 
pénitents  qui  sont  réellement  vigilants  sur  eux-mêmes 
pour  éviter  le  péché,  on  en  trouve  trop  souvent  qui 
pèchent  tous  les  mois  plusieurs  fois.  Faudra-t-il  donc 
les  regarder  comme  manquant  des  dispositions  indis- 
pensables, parce  qu'ils  sont  considérés  comme  habi- 
tudinaires? et  devrait-on  leur  refuser  l'absolution, 
alors  qu'ils  en  ont  beaucoup  plus  besoin  que  d'autres? 
Faudra-t-il  donc,  ce  qui  malheureusement  aussi  arrive 
trop  souvent,  imiter  ces  confesseurs  timorés,  qui, 
pour  échapper  à  ces  inquiétudes  qui  tourmentent 
leur  propre  conscience  à  ce  sujet,  se  consacrent  presque 
exclusivement  à  entendre  la  confession  des  personnes 
dévotes,  et  redoutent  d'entendre  les  pécheurs  qui  en 
auraient  un  plus  impérieux  besoin?  Cette  méthode 
ne  réjouit  que  trop  l'infernal  ennemi  de  l'humanité, 
qui  trouve  le  moyen  de  pêcher  largement  en  eau 
trouble,  et  d'entraîner  des  légions  innombrables 
d'âmes  dans  l'abîme  de  l'éternelle  perdition.  Cf. 
Palmieri,  Opus  Iheologicum  morale  in  Busembaum 
mcdullam,  tr.  X,  Desacramenlis,  sect.  v,  De  pœnitentia, 
c.  i,  dub.  n,  n.  215,  t.  v,  p.  120. 

2°  Pris  au  sens  strict  que  nous  avons  indiqué  plus 
haut,  le  mot  habitudinaire  est  susceptible  encore  de 
deux  acceptions  différentes.  Il  peut  indiquer,  en  effet, 
ou  bien  un  pénitent  habitué  au  péché,  c'est-à-dire 
attaché  au  péché  :  habitualiler  ajfectus  erga  peccatum, 
qwindo  jugi  quadam  voluntate  et  amore  dcliberato 
adhœret  pravitati,  v.  gr.,  odii  adversus  inimicum,  vel 
impudici  amoris,  vel  injuslitiœ  violantis  jus  alterius,  etc.  ; 
et,  dans  ce  cas,  le  confesseur,  avant  d'absoudre  le  péni- 
tent, doit  bien  examiner  si  celui-ci  renonce  sérieuse- 
ment à  cet  attachement  au  péché;  ou  bien  le  mot  habi- 
tudinaire indique  un  pécheur  auquel  la  répétition  du 
péché  a  donné  l'habitude,  c'est-à-dire  une  propension 
plus  grande  au  péché  et  une  plus  grande  facilité  à  le 
commettre;  et  c'est  en  ce  sens  seulement  que  les  théo- 
logiens entendent  ce  mot,  quand  ils  l'emploient. 

Cette  distinction  est  importante,  car,  à  moins  de 
confondre  cette  propension  ou  cette  facilité  au  péché 


2021 


HABITUDINAIRES 


2022 


avec  l'affection  au  péché,  on  ne  peut  prétendre  que 
l'habitude  soit,  par  elle-même,  opposée  à  une  sincère 
détestation  du  péché.  N'est-il  pas  d'expérience  que 
certaines  choses  que  l'on  fait  très  facilement  par 
l'effet  de  l'habitude,  deviennent  non  pas  plus  agréables, 
mais  plus  fastidieuses,  à  mesure  qu'on  les  accomplit 
plus  facilement  par  l'effet  de  l'habitude  acquise  ? 
par  exemple,  la  lecture,  le  chant,  la  peinture,  la  mu- 
sique instrumentale,  la  couture,  le  tricotage,  etc., 
car  assueta  vilescunt.  L'attachement  à  une  chose  ne 
croît  donc  pas  en  proportion  de  la  facilité  qu'on 
acquiert  à  l'accomplir.  Très  souvent,  au  contraire, 
c'est  le  dégoût  qui  grandit  en  proportion. 

Cette  remarque  vise  l'assertion  trop  chère  à  plusieurs 
théologiens  que  pravus  habitus  reddit  pcccalorem 
propcnsiorem  ad  peccandum.  Ce  n'est  pas  toujours 
exact,  en  effet,  car  s'il  résulte  de  l'habitude  une  cer- 
taine inclination  physique  à  l'acte  matériel  du  péché, 
il  n'en  résulte  pas  toujours  une  égale  inclination  mo- 
rale au  mal,  La  chose  est  évidente  pour  certains  péchés 
dont  l'acte  devient  extrêmement  facile  par  l'habitude, 
et  qui,  cependant,  ne  renferment  en  eux  rien  qui 
paraisse  désirable  ou  délectable:  par  exemple,  les 
imprécations,  les  blasphèmes,  etc.  Il  arrive  alors  que 
ces  actes  échappent  fréquemment  à  l'inadvertance 
du  pécheur  malgré  la  ferme  volonté  qu'il  a  de  les 
éviter.  Ici,  par  conséquent,  l'habitude  qui  dégénère 
en  facilité  extrême  n'est  pas  une  preuve  que  l'habitudi- 
naire  ne  déteste  réellement  ces  actes,  qu'il  lui  arrive 
si  souvent  encore  de  poser,  mais  comme  machinale- 
ment et  malgré  lui.  Il  n'y  a  donc  dans  cette  propension 
extrême  à  l'acte  du  péché  aucune  attache  au  péché, 
rien  qui  s'oppjse  à  la  vraie  détestation  de  la  faute, 
ni  rien  qui  puisse  faire  douter  des  bonnes  dispositions 
et  de  la  ferme  volonté  du  pécheur  de  revenir  sincère- 
ment à  Dieu.  L'habitude  physique,  ou  la  propension 
qui  en  résulte,  persiste  ordinairement,  même  après 
la  conversion  de  celui  qui  est  vraiment  repentant. 
Pour  changer  le  cœur  et  la  volonté,  il  ne  faut  qu'un 
instant  à  la  grâce;  mais,  pour  déraciner  une  habitude 
invétérée,  à  moins  d'un  miracle,  il  faut  toute  une 
série  d'actes  contraires,  répétés  pendant  plus  ou  moins 
de  temps,  suivant  que  l'habitude  est  plus  profonde  et 
plus  ancienne. 

Si  l'on  considérait  toujours  cette  propension  au 
mal  comme  une  preuve  de  manque  de  ferme  propos, 
il  semble  qu'on  devrait  douter  des  bonnes  disposi- 
tions de  n'importe  quel  pénitent,  vu  l'existence  de  la 
concupiscence  chez  tous,  depuis  la  chute  originelle, 
car,  selon  ce  que  dit  l'Écriture  sainte  elle-même, 
sensus  enim  et  cogitalio  humani  cordis  in  malum  prona 
sunt  ab  adolescentia  sua.  Gen.,  vin,  21. 

On  ne  saurait  donc  admettre  indistinctement  que 
la  facilité  pour  l'acte  du  péché,  résultant  de  ce  que  ce 
péché  a  été  commis  trois  ou  quatre  fois,  doive  faire 
douter  des  dispositions  du  pénitent  que  l'on  considé- 
rait pour  cela  comme  habitudinaire.  De  fait,  lorsque 
les  anciens  théologiens  parlent  d'une  habitude  mau- 
vaise comme  d'une  preuve  du  manque  de  disposition 
pour  l'absolution,  ils  parlent  d'une  habitude  tellement 
invétérée  et  profonde,  qu'elle  est  passée  à  l'état  de 
seconde  nature  :  quod  autem  queepiam  facilitas,  quw. 
ex  actu  ter  qualerve  repetito,  forte  potcnlise  accedere 
fingalur,  sit  judicinm  anirni  minus  disposili,  vel  indispo- 
sitionis  suspectionem  debcat  injiccre,  vel  inducat  indis- 
posilionem,  sunt  inventa,  ne  dicam  commenta,  ridicula, 
quse  veteribus  universis  plane  incompcrla  fuerunt. 
Palmieri,  Opus  theologicum  morale,  tr.  X,  De  sacra- 
mentis, sect.  v,  De  pœnilentia,  c.  i,  dub.  n,  n.  218,  5°; 
n.  261,  p.  v,  p.  121-144.  Saint  Alphonse  reconnaît 
aussi  qu'une  propension  au  péché,  cnez  l'habitudinaire, 
n'est  pas  une  preuve  de  manque  de  dispositions 
actuelles,  mais  qu'on  doit  le  supposer   bien  disposé, 


à  moins  qu'on  ait  quelque  signe  positif  du  contraire  : 
nisi  obslet  aliqua  positiva  prœsumptio  in  contrarium; 
nain  licet  pravus  habitus  reddat  peccalorem  propen- 
siorem  ad  peccatum  (ad  aclum  peccati),  non  tamen 
dal  prœsumptionem  suœ  infirmée  volunlatis.  Theologia 
moralis,  1.  VI,  tr.  IV,  De  sacramenlo  pœnitentiœ,  c.  i , 
dub.  ii,  §  2,  n.  459,  t.  m,  p.  467. 

II.    De    l'absolution    des    habitudinaires.    — 
1°  En  restreignant  le  sens  du  mot  habitudinaire  au 
pécheur  qui,  ayant  contracté  l'habitude  de  pécher, 
s'en  confesse  pour  la  première  fois,  la  doctrine  com- 
munément admise,  et  rappelée  par  saint  Alphonse, 
est  qu'on  peut  absoudre  ces  habitudinaires,  même  s'il 
n'y   a   eu   aucun   amendement   avant   la   confession, 
pourvu  qu'ils  se  proposent  sérieusement  de  se  corriger. 
Theologia    moralis,   loc.   cit.,   n.   459,   t.    m,   p.   467. 
Lacroix   affirme   aussi   que  c'est  l'opinion  commune. 
Theologia  moralis,  1.   VI,  n.   1820,   3  in-fol.,  Venise, 
1710-1750.  En  effet,  on  ne  doit  pas  supposer  le  pénitent 
tellement  mal  disposé,  qu'il  veuille,  de  gaîté  de  cœur, 
profaner  le  sacrement;  d'autre  part,  il  y  a  des  raisons 
de  le  supposer  bien  disposé,  car  la  confession  spontanée 
qu'il  fait  de  ses  fautes  est  un  signe  de  contrition,  à 
moins  qu'il  ne  conste  du  contraire.  Dolor  seu  conlritio 
per  confessionem  manifcslalur,  selon  un  axiome  géné- 
ralement reçu.   Cf.  Salmanticenses,  Cursus  theologiœ 
moralis,  tr.    XVII,  De   juramento,   c.  n,  p.   ix,   §   3 
n.  168-170,  t.  iv,  p.  201  sq.;    Suarez,  De   religione, 
tr.  V,  1.  III,  c.  vm,  Opéra  omnia,  t.  xiv,  p.  694  sq. 
A  l'appui  de  cette  thèse,  saint  Alphonse  apporte 
le   texte   du   Catéchisme   du   concile   de   Trente,    De 
sacramento  pœnitentiœ,  n.  60  :  Si,  audita  confessione, 
judicaverit   (sacerdos)   neque    in    enumerandis   peccatis 
diligentiam,    nec     in     detestandis     dolorem     pœnilenli 
omnino  defuissc,  absolvi  polcrit.  Et  le  saint  docteur 
appelle  l'attention    du  lecteur  sur  ces  mots,  omnino 
defuisse.  Ce  texte  du  Catéchisme  romain  est  d'autant 
plus  frappant  qu'il  n'entend  point  parler  de  l'habitu- 
dinaire qui  se  confesse  pour  la  première  fois  :  ce  texte 
s'applique  donc  a  fortiori  à  celui-ci. 

11  n'est  donc  pas  nécessaire  que  le  pénitent,  avant 
de  recevoir  l'absolution,  ait  montré  la  sincérité  de 
sa  conversion,  en  restant  un  temps  relativement  long 
sans  commettre  cette  faute  dont  il  a  l'habitude,  ainsi 
que  le  prétendaient  les  auteurs  rigides,  plus  ou  moins 
apparentés  au  jansénisme,  qui  perd  les  âmes  sous  le 
fallacieux  prétexte  d'assurer  aux  sacrements  le  respect 
qui  leur  est  dû.  Qui  morlaliter  peccarunt  ex  consue- 
tudine,  dit  Juenin,  non  debent  absolvi,  nisi  multo,  ad 
viri  prudenlis  judicium,  tempore,  conversionem  operibus 
probaverint...  Toti  anliquitati  persuasum  fuit  conirilio- 
nem  non  esse  diei  unius  opus,  sed  multorum  mensium, 
imo  et  nonnunquam  annorum...  Commentarius  historicus 
et  dogmalicus  de  sacramenlis  in  génère  et  in  specie. 
diss.  VI,  q.  vu,  c.  iv,  a.  7,  n.  1,  in-fol.,  Lyon,  1696; 
Venise,  1778.  Il  dit,  ailleurs,  qu'on  doit  suivre  la  même 
règle,  par  rapport  à  la  longueur  de  l'épreuve  avant 
l'absolution,  même  si  le  pénitent  n'a  péché  qu'une  fois, 
semel,  quand  il  s'agit  de  fautes  particulièrement 
graves  :  eliamsi  pœnitcns  semel  patraverit  aliquod 
énorme  peccatum,  ut  perjurium,  adultcrium,  homici- 
dium,  et  similia.  Inslilutiones  thcologicœ.  De  psenitentia, 
q.  vi,  c.  v,  a.  2,  concl.  2°;  Commentar.  de  sacramentis, 
loc.  cit.,  a.  7. 

Que  toute  l'antiquité  chrétienne  ait  ainsi  pensé, 
loti  anliquitati  persuasum  fuit,  c'est  faux,  comme  il 
est  facile  de  le  prouver  par  le  témoignage  d'une  foule 
de  saints  docteurs,  en  particulier  de  saint  Jean  Chry- 
sostome,  dont  nous  rapportons  plus  bas  les  paroles. 
P.  G.,  t.  lxi,  col.  502. 

Les  rigides  comme  Juenin,  dont  saint  Alphonse 
trouve  la  rigueur  intolérable,  étaient  de  singuliers 
médecins  spirituels,  réservant  pour  ceux  qui  se  por- 


2023 


HABITUDINAIRES 


2024 


taient  bien  les  remèdes  que  Notre-Seigneur  a  institués 
pour  les  malades;  et  ils  prétendaient  sauver  les  âmes 
autrement  que  par  les  sacrements  que  le  divin  rédemp- 
teur a  institués  pour  leur  salut.  L'absolution  sacra- 
mentelle, en  clïet,  n'est  pas  seulement  un  jugement 
porté  sur  le  pénitent;  elle  est  aussi  un  remède.  Pour 
la  conversion  des  pécheurs,  dit  saint  Alphonse,  il 
faut  plus  espérer  de  la  grâce  du  sacrement  que  du 
délai  de  l'absolution.  Theologia  moralis,  1.  VI,  tr.  IV, 
c.  i,  dub.  ii,  n.  103  sq.,  t.  m,  p.  476.  Cf.  Salmanticenses, 
tr.  VI.  De  pœniientia,  c.  v,  p.  iv,  n.  68,  t.  i,  p.  152  sq. 
L'auteur  des  Conférences  d'Angers  semble  avoir  trop 
oublié  ce  sage  avertissement,  IXe  conférence,  Du 
sacrement  de  pénitence,  q.  n,  16  in-8°,  Paris,  1829- 
1830,  t.  vin,  p.  301  sq.  Cf.  S.  Thomas,  Sum.  theoL,  IIP" 
Supplem.,  q.  xxv,  a.  1,  ad  4'"°;  Lacroix,  Theologia 
moralis,  1.  VI,  part.  II,  n.  1768. 

Dans  sa  lettre  encyclique,  Charilale  Christi,  du 
25  décembre  1825,  pour  l'extension  du  jubilé  de 
1826,  Léon  XII  commente  éloquemment  cette  parole 
du  divin  Maître  :  Non  egenl  qui  sani  sunt  medico, 
sed  qui  maie  habenl.  Non  en  ira  veni  vocare  justos,  sed 
peccatores  ad  psenitentiam.  Luc,  v,  31,32;  Marc,  n,  17. 
Il  condamne  sévèrement  les  confesseurs  qui,  à  la  vue 
d'un  habitudinaire  chargé  d'une  multitude  de  fautes 
graves,  prononcent  qu'ils  ne  peuvent  l'absoudre,  et 
refusent  ainsi  d'appliquer  le  remède  à  ceux-là  mêmes 
dont  la  guérison  est  l'objet  principal  du  ministère 
qui  leur  a  été  confié  par  le  divin  Sauveur.  Cf.  Gousset, 
Théologie  morale,  Traité  du  sacrement  de  pénitence, 
c.  ix,  n.  537,  t.  ii,  p.  354.  La  crainte  de  mal  appliquer 
les  remèdes  nécessaires  à  un  malade  ne  peut  justifier 
les  médecins  imprudents  et  coupables  qui  attendent, 
pour  le  soigner,  qu'il  soit  à  peu  près  guéri  par  ses 
propres  efforts,  ou  par  l'affaiblissement  naturel  de 
la  maladie  elle-même.  Que  de  malades  seraient  con- 
damnés, en  principe,  à  une  mort  certaine,  par  cette 
inqualifiable  méthode  1  C'est  au  médecin  à  faire  une 
juste  application  des  remèdes;  mais  ces  remèdes,  il 
doit  les  appliquer  et  ne  pas  attendre  que  la  maladie 
fasse  de  plus  grands  ravages  et  cause  la  perte  irré- 
parable de  ceux  dont  il  est  chargé. 

2°  Les    dispositions    suffisantes    pour    l'absolution 
consistent    dans    la    contrition    et    le    ferme    propos 
actuels,  non  dans  la  correction  à  venir,  et  on  peut 
absoudre  le  pénitent,  quoique  l'on  prévoie  une  rechute 
de  sa  part.  Cf.  S.  Alphonse,  loc.  cit.,  t.  ni,  p.  470.  Il 
est  faux,  en  effet,  que  le  signe  de  la  conversion  de  la 
volonté  soit  l'épreuve  du  temps   :   cette  conversion 
dépend  de  la  grâce,  laquelle  n'a  pas  besoin  d'un  inter- 
valle de  temps,  plus  ou  moins  long,  pour  agir,  mais 
qui  peut,   au   contraire,   agir  instantanément.   Cette 
action  de  la  grâce  peut  donc  se  manifester  non  seule- 
ment par  l'expérience   que  le  temps   apporte,   mais 
par  d'autres  signes.  Bien  plus,  ces  signes,  ou  témoi- 
gnages des  dispositions  présentes  du  pénitent,  mani- 
festent   bien    mieux    le    changement    opéré    dans    sa 
volonté  que  ne  le  fait  l'expérience  du  temps.  Ces  signes, 
en  effet,  montrent  directement  les  dispositions  actuelles 
du  pénitent,  tandis  que  l'expérience  du  temps  ne  les 
montre  que  d'une  façon  très  indirecte.  Il  peut  arriver  en 
effet,  que  quelqu'un  s'abstienne  pendant  quelque  temps 
de  pécher,  principalement  et  même  uniquement  pour 
des  considérations  d'ordre  purement  humain,  comme  le 
fait  remarquer  justement  saint  Grégoire  le  Grand  :se  a 
viliis  pro  mundi  hujus  honcslalc  continecd.  Ilomil.,  xm, 
in  Lvangct.,    ]>.    L.,  t.  lxxvi,  col.    1124.   Saint  Jean 
Chrysostome  parle  de  même  :  Je  ne  demande  pas,  (lit- 
il,  l'épreuve  du  temps;  mais  seulement  la  conversion 
de  l'âme.  Le  pécheur  est-il  converti  ?  sa  volonté  per- 
verse  est-elle   changée  ?    Cela  suffit.  Homil.,  xiv,    in 
Epist.  II  ad  Corinthios,  n.  3,  P.   G.,  t.  lxi,  col.  502. 
Saint  Jean    Damascène   enseigne  la   même  doctrine. 


A  la  suite  des  saints  Pères,  les  maîtres  de  la  théologie 
se  sont  attachés  à  démontrer  que  les  dispositions 
nécessaires  à  la  réception  de  l'absolution  sont  la  dou- 
leur actuelle  du  péché  avec  le  ferme  propos  de  l'éviter 
à  l'avenir,  sans  qu'il  soit  besoin  d'en  appeler  à  la  contre- 
épreuve  du  temps. 

On  retrouve  cette  doctrine  si  sage  rappelée  au  cleiuô 
par  la  lettre  pastorale  des  évoques  de  Belgique  pour 
l'exécution  du  bref  d'Innocent  XII,  du  13  avril  1697  : 
Confessarius  a  quibusvis  peccatoribus  gravibus,  staluta 
lege  non  exigat,  ut  per  notabile  lempus  prœvic  exercuerint 
opéra  pœnitentise;  sed  cum  sanctis  Palribus  expendat 
Deum  in  conversione  peccalorum  non  tam  considérai;: 
mensuram  temporis  quam  doloris.  Cf.  Lacroix,  Theologia 
moralis,  1.  VI,  part.  II,  n.  1823;  De  Ram,  Synodicum 
Belgieum,  seu  acla  omnium  ecclesiarum  Belgis  a  celebntto 
concilio  Tridentino  usque  ad  concordatum  anni  1801, 
Malines,  1828-1839,  t.  i,  p.  623. 

Il  faut  tenir  compte  beaucoup  aussi  de  la  distinction 
entre  les  habitudinaires  qui  commettent  habituelle- 
ment le  péché  froidement,  par  la  perversion  de  la 
volonté,  et  ceux  qui  le  commettent  uniquement  par 
fragilité,  dans  le  feu  de  la  passion.  Les  premiers  dé- 
testent rarement  le  péché,  et,  par  conséquent,  sont 
rarement  disposés  pour  l'absolution;  les  seconds,  au 
contraire,  le  détestent  généralement  beaucoup,  dès 
qu'ils  ne  sont  plus  sous  l'effet  de  la  passion.  Ceux-ci, 
en  effet,  pèchent  presque  malgré  eux,  comme  le  dit 
saint  Anselme  :  nolenles  in  codem  vilio  dejiciunlur. 
Opuscul.  de  similitudinibus,  c.  exc,  P.  L.,  t.  eux, 
col.  701.  Cf.  D'Annibale,  Summula  theologiœ  moralis, 
1.  III,  tr.  III,  De  sacramento  pœnilenliœ,  c.  n,  n.  3, 
n.  337,  t.  m,  p.  276;  Marc,  Instiluliones  morales  alphon- 
sianœ,  part.  III,  tr.  V,  De  sacramento  pœnitentiee, 
diss.  III,  c.  ni,  n.  1826,  t.  n,  p.  336. 

Les  théologiens  rigides  qui  ne  veulent  pas  absoudre 
les  habitudinaires  sans  les  soumettre  à  l'épreuve  du 
temps,  pendant  plusieurs  mois,  et  même  plusieurs 
années,  pour  s'assurer  de  leurs  bonnes  dispositions, 
disent  que  les  absoudre  sans  cette  précaution,  c'est  les 
rendre  plus  coupables.  Mais  les  renvoyer  sans  l'abso- 
lution, et,  par  conséquent,  sans  la  grâce  que  le  sacre- 
ment confère,  est-ce  les  rendre  plus  forts,  et  assurer 
leur  conversion?  N'est-ce  pas  plutôt  les  éloigner  des 
sacrements,  les  exposer  au  désespoir  et  les  jeter  dans 
la  voie  de  la  perdition?  Quot  miseros  ipse  cognovi, 
dit  saint  Alphonse,  qui  ob  denegatam  absolulionem 
se  dejecerunt  in  desperationem,  et  per  plures  annos 
a  sacramenlis  aversi  aberrarunt.  Theologia  moralis, 
loc.  cit.,  n.  464,  t.  m,  p.  477. 

3°  En  vain,  on  opposerait  à  cette  assertion  l'ensei- 
gnement   de    docteurs    très    recommandables,    entre 
autres,  celui  de  Pierre  Lombard,  Sent.,  1.  IV,  dist.  XIV  : 
Pœnitere  est  anteacta  deflcre,  et  flenda  non  commillere- 
Ces    paroles    doivent    s'entendre    d'actions    simulta- 
nées, c'est-à-dire  que  le  pénitent,  tandis  qu'il  déplore 
ses  fautes,   n'en   commette  pas   d'autres,   car,   alors, 
son  regret  serait  seulement  sur  ses  lèvres  et  nullement 
dans  son  cœur  ou  sa  volonté,  suivant  le  mot  de  saint 
Grégoire  le  Grand,  loc.  cit.  :  Nam  qui  sic  alia  déplorât, 
ut    alia    tamen    committat,   adhuc   pœnitentiam    agere 
aut    ignorai,    aut    dissimulât.    Quid   enim   prodest,    si 
peccata  luxuriœ  quis  defleat,  et  adhuc  luxuriœ.  œstibus 
anhelal  ?  Saint  Thomsa  apporte  sa  clarté  ordinaire  dans 
cette  question,  et  la  met  en  pleine  lumière  par  les  pa- 
roles suivantes  :  Disccndum  quod  pœnitere  sil  anteat  ta 
deflcre  et  flenda  non  commiltere,  scilicet,  dum  flct  acla, 
vel  proposito.   Ille  enim  est   irrisor  et  non  peenitens, 
qui  simul  dum   psenitet,  agit  quod  pœnilel,  vel  propo- 
nit  iterum  se  facturum   quod  gessit,  vel  ctiam  actualitcr 
peccal  eodem  vel  alio  génère  peccali.  Quod  aulem  aliquis 
poslca  peccet,  vel  aciu,  vel  proposito,  non  excluait  quin 
prius   pœniientia   mra  fuerit.    Nunquam  enim    veritas 


2023 


HABITUDINAIRES  —  HACKER 


2026 


prioris  aetus  excluditur  per  aclum  conlrarium  subse- 
quentem.  Sicut  enim  vere  cucunit  qui  poslea  sedet;  ita 
vere  pœnituerit  qui  poslea  peccat.  Sum.  theol.,  IIP, 
q.  lxxxiv,  a.  10,  ad  4",n.  Il  avait,  ailleurs,  exprimé 
le  même  sentiment  :  Quod  fuluriim  est  non  potesl  esse 
de  subsluntia  vel  de  inlegrilate  alicujus  virtutis,  nisi 
secundum  quod  est  prœsens  in  apprehensione  vel  volun- 
tale,  quia  virius,  quantum  ad  habitum,  non  expeclat 
aliquid  in  fulurum.  Habitas  enim  virtutis  est  de  perma- 
nentibus,  non  de  successivis  :  undc  totam  perfeclionem 
su. un  habet  simul  in  instanti,  quse  Iota  simul  in  unum 
actum  potesl  eflluere,  et  sic  quod  fulurum  est  non  est 
de  inlegrilate  vel  essentia  ipsius.  Unde  quum  pœnitenlia 
sit  virius,  et,  secundum  quod  est  sacramentum,  non  se 
extendat  ultra  actum  virtutis,  non  est  de  integritate 
punitentiae  essenliedi  fuluri  continuatio,  nisi  ut  sit  in 
proposito;  et  ideo  potesl  esse  vera  pœnitenlia,  et  lamen 
ab  ea  poslmodum  aliquis  excidel.  In  IV  Sent.,  1.  IV, 
dist.  XIV,  q.  i,  a.  4,  q.  iv,  1. 

Suarez  dit  de  même  :  In  lus  non  est  scrupulose 
procedendum...  quia  non  oportet  ut  confessarius  judicet 
alium  amplius  non  peccalurum;  sed  salis  est  quod 
judicet  illum  in  prœsenli  habere  taie  propositum,  et 
jacere  quod  moralil°r  potesl  ut  efficax  sit.  Nec  hujusmodi 
humanœ  fragililates  efjicacius  curari  ab  homine  possunt. 
De  rcligione,  tr.  V,  1.  III,  c.  vin,  n.  7;  De  sacra- 
menlo  pœnitentiœ,  disp.  XXXII,  sect.  n,  Opéra  omnia, 
t.  xiv,  p.  694;  t.  xxn,  p.  675  sq. 

Voir  aussi  Sanchez,  Prœcept.  Decalogi,  1.  II,  c.  xxxn, 
n.  45,  2  in-fol.,  Venise,  1614;  Reifîenstuel,  Theologia 
moralis,  tr.  XIV,  dist.  VIII,  2  in-4°,  Bassano,  1773; 
Elbel,  Theologia  moralis  decalogalis  et  sacramenlalis, 
part.  II,  conf.  IV,  §  2,  n.  595  sq.,  t.  m,  p.  195  sq. 
Ces  auteurs,  et  beaucoup  d'autres  de  la  môme  époque, 
quoique  visant  plus  directement  les  récidifs,  peuvent 
être  allégués,  à  plus  forte  raison,  pour  la  thèse  ana- 
logue au  sujet  des  simples  habitudinaires. 

Parmi  les  récents  :  Marc,  Institutions  alphonsianœ, 
part.  III,  tr.  V,  De  sacramenlo  pssnifentiae,  diss.  III, 
c.  m,  a.  1,  n.  1897,  t.  il,  p.  336  sq.  ;  Lehmkuhl,  Theo- 
logia moralis,  part.  II,  1.  I,  tr.  V,  De  sacramento  peeni- 
ienliœ,  sect.  ni,  c.  iv,  §  2,  n.  490  sq.,  t.  n,  p.  349  sq.  ; 
Ojetti,  Synopsis  rerum  moralium  et  juris  pontifieii 
alphabelico  ordine  digesla,  au  mot  Consueludinarius, 
2  in-4°,  Prato,  1905, 1. 1,  p.  469  ;  Bucceroni,  Instilutiones 
thcologicœ  morales,  tr.  De  sacramento  pœnilcnliœ, 
sect.  xii,  n.  809,  2  in-8°,  Rome,  1907-1908,  t.  n, 
p.  306  sq.  ;  Noldin,  Summa  theologiœ  moralis,  tr.  De 
sactff.men.tis,  1.  V,  De  pœnitenlia,  c.  ni,  q.  ni,  a.  5,  n.  408, 
t.  ni,  p.  473. 

4°  On  ne  saurait  opposer  à  cette  doctrine  enseignée 
par  tant  de  théologiens  des  plus  recommandables, 
soit  parmi  les  anciens,  soit  parmi  les  modernes, 
la  soixantième  proposition  condamnée  par  Innocent  XI 
et  qui  est  ainsi  conçue  :  Pœnilenti  habenti  consue- 
tudinem  peccandi  contra  Isgem  Dci,  naturœ,  aul  Ecclesiœ, 
i!si  emenilalionis  spes  nulla  appareat,  nec  est  neganda, 
nec  difjerenda  absolutio,  dummodo  ore  proférât  se 
dolere,  et  proponere  emendationem.  Denzinger-Bannwart, 
n.  1210.  Cette  condamnation  prouve  seulement  qu'on 
ne  peut  absoudre  l'habitudinaire  qui  n'offre  aucune 
espérance  d'amendement,  nulla  spes  emendalionis, 
quoiqu'il  dise,  de  bouche,  avoir  la  douleur  de  ses  péchés 
et  la  résolution  de  se  corriger.  Mais,  s'il  y  a  quelque 
espérance  d'amendement,  quoique  aucun  amendement 
ne  se  soit  encore  produit,  on  peut  absoudre  ce  pénitent. 
Par  cette  proposition  condamnée,  dit  saint  Alphonse, 
n'est  pas  écarté  absolument  de  l'absolution  le  con- 
suéludinaire,  en  tant  que  tel,  utcumque  talis;  mais 
seulement  celui  qui  ne  présente  aucun  espoir  d'amen- 
dement. Theologia  moralis,  1.  VI,  tr.  IV.  De  sacra- 
mento pœnitentiœ,  c.  i,  dub.  m,  a.  1,  n.  459,  t.  m, 
p.  469.  Il  faut  tendre  la  main  à  ceux  qui  sont  faibles, 


et,  loin  de  les  décourager,  les  aider  à  marcher,  à 
l'exemple  du  Sauveur,  qui,  selon  les  paroles  des  pro- 
phètes, n'est  pas  venu  pour  achever  le  roseau  à  demi- 
brisé,  ni  pour  éteindre  la  mèche  encore  fumante. 
Matth.,  xn,  20;  Is.,  xlii,  3. 

Pour  l'absolution  des  habitudinaires  qui  seraient 
retombés  dans  Ja  même,  ou  les  mêmes  fautes,  après 
s'en  être  confessés  une  ou  plusieurs  fois,  voir  Récidifs. 

T.  Ortolan. 

H  ABRICK  Alexis,  bénédictin,  né  le  26  juillet  1736  à 
Budwitz,  en  Moravie,  mort  à  Raigern  le  27  mars  1794. 
Après  avoir  étudié  à  Brunn  et  à  Olmutz,  il  entra  à 
l'abbaye  de  Raigern  où  il  fit  profession  le  lor  janvier 
1758.  Ordonné  prêtre  en  1763,  il  eut  à  remplir  diverses 
charges  dans  son  monastère  dont  il  devint  prieur,  chan- 
celier et  archiviste.  Ses  écrits  assez  nombreux  sont 
presque  tous  restés  manuscrits.  Ne  furent  imprimés  que 
les  ouvrages  suivants  :  Asserliones  theologicas  schola- 
slico-posilivœ  et  morales  de  fide,  regulis  fidei,  actibus 
humanis  et  bealitudine,  in-4°,  Brunn,  1759;  Asserliones 
theologico-canonico-morales  de  conscienlia,  jure  obje- 
ctivo  et  subjectivo,  in-4°,  Brunn,  1760;  Posiliones  thcolo- 
gico-dogmalicœ  de  gralia  Salvatoris  neenon  de  incarna- 
lione,  in-4°,  Brunn,  1760;  Jura  primœva  Moravise 
collegcrunl  ac  nolis  illuslrarunl  benedictini  Raigra- 
dienses,  in-8°,  Brunn,  1781. 

Scriptores  ordinis  S.  Benedicti  in  imperio  Austriaco- 
Ilungarico,  in-4°,  Vienne,  1881,  p.  161;  dom  M.  Kinter, 
Vitœ  monachorum  qui  ab  anno  1613  in  monasterio  Raikra- 
densi  in  Moravia  professi  in  Domino  obierunt,  in-8°,  Brunn, 
1908,  p.  55-5'J;  Hurter,  Nomenclator,  1913,  t.  v,  col.  1665. 

B.   Heurïebize. 

HACH  ou  HACK.E  François,  jésuite  allemand,  né 
à  Mittelberg,  le  12  mars  1650,  entra  au  noviciat  de 
Mayence  le  20  novembre  1669  et  enseigna  la  gram- 
maire, les  humanités  et  la  rhétorique  à  Bamberg  de 
1671  à  1676.  Doué  d'un  remarquable  talent  oratoire, 
il  fut  de  bonne  heure  appliqué  à  la  prédication  et  opéra 
des  fruits  insignes  de  conversions  à  Mayence,  à  Bam- 
berg, à  Erfurt.  Devenu  professeur  à  l'université  de 
Wurzbourg,  il  occupa  pendant  douze  ans  la  chaire  de 
théologie  dogmatique  et  s'efforça  surtout  de  donner  à 
son  enseignement  un  caractère  pratique.  C'est  dans  ce 
but  qu'il  composa  son  Ethica  mariana,  publié  après  sa 
mort,  Mayence,  1731,  recueil  de  matériaux  scriptu- 
raires  et  théologiques  sur  les  vertus  de  la  sainte  Vierge 
spécialement  destinés  aux  prédicateurs.  Il  reste  de  lui 
une  foule  de  sermons  publiés  sans  nom  d'auteur  et 
quelques  plaquettes  poétiques  qui  n'ont  plus  d'intérêt 
que  pour  l'histoire  locale  de  Bamberg  et  pour  l'histoire 
de  la  pédagogie  au  xvne  siècle.  Le  P.  Hach  mourut  à 
Wurzbourg  le  15  juillet  1702. 

Sommervogel,  Biblioibèque  de  la  C"  de  Jésus,  t.  iv, 
col.  9  sq.  ;  Adelung,  Forlselsung  und  Ergànzungen,  Leipzig, 
1792,  t.  n,  col.  1707. 

P.  Bernard. 

HACKER  Jacques,  théologien  allemand,  né  à 
Ethingen,  professeur  de  théologie  à  Fribourg-en-Bris- 
gau,  vivait  dans  la  première  moitié  du  xvne  siècle.  En 
1609  il  avait  publié  un  écrit  sur  la  prédestination  qui 
fut  attaqué  par  le  cordelier  André  de  Urciano,  sous  le 
nom  de  Daniel  Neidenger.  Pour  se  défendre,  il  fit  im- 
primer à  Fribourg  :  Disputationes  de  prœdcslinationis 
causa,  falso  et  ementilo  autore  Daniele  Neidengero,  vero 
aulem  et  germano  ejus  fabro  Fr.  Andr.  Urciano,  ord 
min,  obs.  reg.,  in  urbe  Mantuano  nuper  éditée...  in  qua- 
tuor ex  quibus  coaluit  elementa,  mendacia,  hsereses,  aut 
ilogias,  sordes  sermonis  analysis.  Jacques  Hacker  pu- 
blia en  outre  des  Commentaria  theologica  ad  menlem 
docloris  angelici  touchant  la  Trinité  et  les  anges,  la 
béatitude, les  actes  humains,  les  lois  et  la  grâce,  2  in-4°, 
Fribourg,  1619-1621. 


2027 


HACKER  —  HAGEMAN 


2U2S 


Moréri,  Dictionnaire  historique,  t.  v  b,  p.  483  ;  Walch, 
Bibliotheea  théologien,  in-S°,  Iéna,  1757,  t.  i,  p.  201  ; 
Dupin,  Table  des  auteurs  ecclésiastiques  du  A 'Vil'  siècle, 
col.  18S3  ;  Richard  et  Giraud,  Bibliothèque  sacrée,  t.  xn, 
p.  447;  Hurter,  Nomenclator,  1903,  t.  m,  col.  305,  note, 
370. 

B.  Heurtebize. 
HACKETT  Jean-Baptiste,  dominicain  irlandais, 
originaire  de  Fethard,  comté  de  Tipperary,  entra  au 
couvent  de  Cashel  et  y  fit  profession.  Il  enseigna  la 
théologie  à  Milan,  à  Naples,  à  Rome,  et  fut  créé 
maître  en  théologie  au  chapitre  généralissime  de  1644. 
Acta  cap.  gen.,  édit.Reichert,  Rome,  1902,  t.  vu,  p.  163. 
11  fut  théologien  des  deux  cardinaux  Virginio  Orsini 
et  Emilio  Altieri,  qui  fut  plus  tard  Clément  X.  Ce  der- 
nier aurait  eu,  paraît-il,  l'idée  de  lui  offrir  la  pourpre, 
mais  Hackett  lui  aurait  désigné  le  P.  Philippe-Thomas 
Howard,  duc  de  Norfolk,  qui  avait  embrassé  la  vie 
dominicaine  sur  les  conseils  du  P.  Hackett.  De  fait, 
Howard  fut  fait  cardinal  le  27  mai  1675.  Hackett 
mourut  au  couvent  de  Sainte-Marie-sur-Minerve,  à 
Rome,  le  23  août  1676.  On  a  de  lui  :  1°  Conlroversiurn 
Iheologicum  complectens  omnes  traclatus  •/•''  11'*  do- 
cloris  angelici,  Rome,  1654;  2°  Synopsis  theologica  in 
tractalum  de  fide,  spe  et  charilate,  Rome,  1659;  3°  Synop- 
sis philosophiœ,  2  vol.,  Rome,  1662.  Ce  n'est  qu'un 
résumé  du  Cours  de  philosophie  de  Jean  de  Saint- 
Thomas,  composé  par  Hackett  pour  un  de  ses  élèves, 
de  la  famille  Altieri. 

Echard,  Scriplores  ord.  prœd.,  Paris,  1719-1721,  t.  n, 
p.  579 ;  Thomas  de  Burgos,  Hibernia  dominicana,  Cologne, 
1762,  p.  52.-544;  Hurter,  Nomenclator  literarius,  Inspruck, 
1910,  t.  iv,  col.  32;  Palmer  Raymond,  The  life  of  Phtlipp 
Thomas  Howard,  O.  P.,  cardinal  of  Norfolk,  Londres,  1867, 
D.  80. 

R.  Coulon. 
H  ACKI  Jean-François,  jésuite  ruthène,  né  le  27  jan- 
vier 1637,  admis  au  noviciat  de  la  province  de  Pologne 
le  21  novembre  1653,  enseigna  d'abord  les  humanités  et 
la  philosophie  tout  en  se  préparant  au  rôle  de  contro- 
versiste  qu'il  devait  remplir  avec  tant  d'éclat  pendant 
la  dernière  moitié  du  xvne  siècle.  Son  Scrutinium 
verilatis  fidei,  dont  la  première  partie  parut  à  Oliva, 
près  Dantzig,  en  1661,  et  la  seconde  en  1671,  fut  bientôt 
répandu  dans  toute  l'Allemagne,  chaque  édition  nou- 
velle s'enrichissant  de  nombreuses  notes  et  additions. 
L'édition  définitive  de  1682  porte  ce  titre  qui  est  un 
résumé  de  l'ouvrage  :  Scrudnium  veritatis  fidei,  apolo- 
gelicis  pro  scrulalore,  scrutinioque  auctum,  quo  univer- 
sarum  a  romana  catholica  Ecclesia  alque  inter  se  dissi- 
dentium  hujus  lemporis  religionum  ex  uno  omnium  fidei 
principio  manifesta  falsitas.  L'ouvrage  suscita  de  vives 
polémiques  parmi  les  protestants.  Melchior  Zeidler, 
professeur  de  théologie  à  l'université  de  Kœnigsberg, 
publia  en  réponse  ses  Notée  et  animadversiones  in 
scrutalorem  fidei,  Helmstadt,  1689,  qui  lui  avaient 
coûté  dix  ans  de  travail  et  qui  fournirent  aux  polé- 
mistes de  son  parti  des  armes  pour  la  lutte.  Ce  fut  le 
signal  d'une  ardente  bataille.  Cf.  Acta  cruditorum, 
1689,  p.  469-476.  Le  P.  Hacki,  accusé  de  composer  lui- 
même  certains  factums  protestants  qui  se  retournaient, 
par  leur  faiblesse  même,  contre  les  auteurs  et  contre 
leur  cause,  tint  tête  intrépidement  à  toutes  les  attaques 
et  finit  par  réduire  au  silence  les  Acta  emdilorum  qui 
l'accusaient  de  plagiat.  On  trouvera  dans  la  préface 
de  ses  principaux  ouvrages  toutes  les  données  histo- 
riques relatives  à  cette  importante  controverse,  dont  il 
suffit  de  mentionner  les  phases  essentielles  représen- 
tées par  les  ouvrages  suivants  :  Sanclus  Joannes  Chry- 
soslomus  a  lutheranismo  vindicatus,  Oliva,  1683,  en 
réponse  au  traité  de  Fréd.  Mayer  :  Chrysoslomus  luthe- 
ranus  ;  Maria  Dcipara  Virgo  rylhmice  demonstrata, 
ibid.,  1683;  Vindex  veritatis  reus  D.  Conslanlinus 
Schutzen    min.    Gedencnsis    libello    contra    Scrutinium 


veritatis  edilo  anno  1683  declaralus,  Posen,  1688;  Regia 
via  omnes  dissentienles  in  religione  neo-evangelicos  ad  or- 
thodoxamet  salvificam  chrislianœ  fidei  vcritalem perscru- 
tandam,  Dantzig,  1689.  Le  luthérien  Samuel  Schelgui- 
gen  opposa  à  ce  substantiel  et  vigoureux  écrit  une 
réfutation  dont  les  protestants,  à  la  suite  de  Pfafiîus, 
font  le  plus  grand  cas,  mais  dont  les  écrivains  catho- 
liques n'ont  pas  eu  de  peine  alors  à  faire  pleine  justice. 
Cf.  Samuel  Schelguigen,  Unlerricht  auf  die  Fragen  des 
sogenannten  Erforschers  der    Wahrheit,  Dantzig,  1680. 

11  en  fut  de  même  pour  le  Libella  verilatis  ad  quam 
responsio  Scrulatori  verilatis  fidei  data  examinatur, 
publié  par  le  P.  Hacki  à  Oliva,  en  1691,  et  qui  est  une 
simple  défense  de  ses  écrits  antérieurs  contre  les  atta- 
ques de  Schelguigen  et  d'autres  professeurs  de  Dant- 
zig. La  Stalera  justiliœ,  Oliva,  1691,  résume  d'une 
façon  rigoureusement  méthodique  tous  les  points  sail- 
lants de  la  controverse  contemporaine  avec  le  tableau 
complet  des  réponses  fort  peu  cohérentes  fournies  par 
les  docteurs  luthériens  les  plus  en  vue  de  l'époque.  Il 
est  curieux  que  cet  ouvrage  n'ait  suscité  aucune  polé- 
mique nouvelle,  aucune  rectification,  aucun  démenti. 
Ce  fut  un  triomphe  pour  les  catholiques  de  l'Allemagne 
du  Nord. 

Missionnaire  de  campagne  durant  plusieurs  années, 
recteur  des  collèges  de  Dantzig  et  de  Thorn,  le  P.  Flacki 
ne  redoutait  nullement  les  controverses  orales,  les 
conférences  contradictoires,  il  les  recherchait  au  con- 
traire. Mais  ses  adversaires  ne  mettaient  pas  le  même 
zèle  à  venir  à  ses  rendez-vous.  Ce  grand  ouvrier, 
toujours  sur  la  brèche,  mourut  le  9  septembre  1696,  à 
Thorn  où  il  venait  d'arriver  comme  recteur  du  collège. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  C'e  de  Jésus,  t.  iv,  col.  11- 
14;  Hurter,  Nomenclator,  3e  édit.,  Inspruck,  1910,  t.  IV, 
col.  393  sq.  ;  Adelung,  Fortsetsung  und  Ergànzungen,  Leipzig, 
1797,  t.  n,  col.  1708. 

P.  Bernard. 

HAECKL  Nonnos,  bénédictin  de  Saint-Emmeran  de 
Ratisbonne,  vécut  dans  la  première  moitié  du  xvn9 
siècle.  Il  a  publié  :  Virlutum  theologicarum  régulas,  fun- 
damentales,  in-4°,  Ratisbonne,  1624. 

Ziegelbauer,  Historia  rei  literariœ  ordinis  S.  Benedicti, 
t.  iv,  p.  154. 

B.  Heurtebize. 

HAEN  (Antoine  de),  médecin  hollandais,  né  à  La 
Haye  en  1704,  mort  à  Vienne  le  5  septembre  1776. 
Reçu  docteur  en  médecine  en  1734,  il  exerça  son  art 
avec  succès  dans  sa  ville  natale  et  en  1754  fut  appelé 
à  Vienne  où  il  fut  nommé  professeur  de  médecine  pra- 
tique. Il  devint  médecin  de  l'impératrice  Marie-Thé- 
rèse et  conseiller  aulique.  Parmi  ses  nombreux  ou- 
vrages qui  se  rapportent  tous  à  la  médecine,  on  re- 
marque un  traité  De  magia,  in-8°,  Vienne,  1774  :  l'au- 
teur y  combat  la  crédulité  du  peuple,  et  en  même 
temps  admet  la  possibilité  et  la  réalité  de  la  magie. 
L'année  suivante,  il  publia  un  écrit  De  miraculis,  in-8°, 
Vienne,  1775.  Ces  deux  ouvrages  eurent  plusieurs  édi- 
tions. 

Feller,  Dictionnaire  historique,  1848,  t.  iv,  p.  289. 

B.  Heurtebize. 
HAGEMAN  Gérard,  bénédictin  allemand,  mort  le 

12  janvier  1702.  Il  était  profès  de  l'abbaye  de  Saint- 
Sauveur  de  Werden  dans  le  diocèse  de  Cologne,  de 
la  congrégation  de  Bursfeld.  Afin  de  répondre  aux 
attaques  dirigées  contre  Bossuet  par  le  docteur  protes- 
tant Valentin  Alberti,  il  publia  :  Defensio  professionis 
catholicœ,  neenon  expositio  ejusdem  doclrinm  Jacobi 
Benigni  Bossuet  adversus  Valenlinum  Alberti,  in-4°, 
Neuhaus,  1695.  Il  est  en  outre  l'auteur  d'un  ouvrage 
intitulé  :  De  omnigena  hominis  nobililale  libri  IV,  in-4», 
Cologne,  1696,  dans  lequel  on  remarque  un  traité  : 
Ulrum   summo   pontifici  sit  jus  creandi  et  conferendi 


2029 


HAGEMAN  —  HAGER 


2030 


dignitaies  illustres,  et  une  dissertation,  De  ordinibus 
miliiaribus,  prœcipue  de  equitibus  Rhodiis,  hodie  Meli- 
lensibus,  Templariis  et  Teutonicis. 

Walch,  Bibliotheca  Iheologica,  in-8°,  Iéna,  1757,  t.  n, 
p.  276, 326  ;  Ziegelbauer,  Historia  rei  literariœ  ordinis  S.Bene- 
dicti,  t.  iv,  p.  249,  265.  383;  (dom  François),  Bibliothèque 
générale  des  écrivains  de  l'ordre  de  Saint-Benoit,  t.  i,  p.  452; 
Hurter,  Nomenclator,  1910,  t.  iv,  col.  713. 

B.   Heurtebize. 

HAGEN  ou  HAGHEN  Jean  (de  Indagine)  naquit  à 
Hadderdop,  près  de  Stadthaghen,  en  1415,  de  la  famille 
des  marquis  de  Hagen,  dans  la  Saxe.  A  l'âge  de  vingt- 
cinq  ans,  il  entra  à  la  chartreuse  d'Erfurth  et  prit 
l'habit  le  25  janvier  1440.  Il  a  raconté  lui-même  que 
l'on  retarda  quelque  temps  son  entrée  au  noviciat,  afin 
de  lui  donner  la  faculté  de  se  faire  recevoir  docteur  en 
l'un  et  l'autre  droit,  mais,  par  un  motif  surnaturel,  il 
refusa  cet  honneur.  Admis  à  la  profession  et  aux  ordres 
sacrés,  il  demeura  longtemps  simple  religieux  dans  une 
cellule  de  cloître,  où  il  put  satisfaire  largement  ses 
goûts  pour  l'étude.  En  dehors  des  heures  destinées  par 
le  règlement  aux  offices  et  aux  autres  exercices  régu- 
liers, il  consacrait  à  l'étude  presque  tout  le  temps  qui 
lui  restait.  Il  dormait  peu,  et,  pour  prolonger  ses  veilles, 
il  était  obligé  de  suppléer  au  défaut  d'huile  et  de  chan- 
delles, qu'on  ne  lui  fournissait  pas  suffisamment  à 
cause  de  la  pauvreté  du  couvent,  par  le  jus  de  la  soupe 
et  des  autres  aliments  quotidiens.  Aussi  ses  manuscrits 
portaient  les  marques  de  cette  ingénieuse  industrie.  Il 
fut  successivement  prieur  des  chartreuses  d'Erfurth, 
d'Eisenach,  au  diocèse  de  Mayence,  de  Stettin,  dans  la 
Poméranie,  et  de  Francfort-sur-1'Oder.  Sa  grande  vertu 
et  son  vaste  savoir  lui  attirèrent  l'estime  et  la  confiance 
des  princes  et  des  prélats  d'Allemagne.  Il  mourut  le 
19  avril  1475  dans  la  chartreuse  d'Erfurth,  en  laissant 
la  réputation  d'une  grande  sainteté.  Le  catalogue  de 
ses  écrits  est  très  long,  car  numériquement  aucun 
chartreux  n'a  composé  autant  de  livres  que  lui.  Tri- 
thème,  son  ami,  donne  les  titres  de  soixante  ouvrages, 
qu'il  avait  vus,  et  termine  sa  liste  en  disant  que  dom 
Hagen  avait  encore  écrit  un  nombre  considérable  de 
commentaires  sur  l'Écriture,  de  traités  et  de  consul- 
tations en  réponse  aux  cas  et  aux  difficultés  qu'on  lui 
proposait.  Le  P.  Possevin,  suivi  par  le  chartreux  Petre- 
jus,  énumère  jusqu'à  433  livres  ou  traités;  Morozzo  en 
compte  492,  et  un  autre  bibliographe  donne  le  chiffre 
de  500  titres.  Sans  entrer  dans  les  détails,  nous  dirons 
que  dom  Hagen  a  composé  des  commentaires  sur  tous 
les  livres  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament,  selon 
les  quatre  sens  reçus  dans  l'Église,  et  plusieurs  traités 
complémentaires  de  ses  travaux  sur  l'Écriture  sainte. 
Il  a  écrit  plus  de  cent  vingt  traités  de  théologie  dogma- 
tique et  morale,  ainsi  que  plusieurs  apologies  de  la  foi 
et  réfutations  des  erreurs  des  païens,  des  juifs,  et  sur- 
tout des  hussites,  des  flagellants  et  des  autres  héré- 
tiques de  son  temps.  Il  a  laissé  des  traités  sur  le  sym- 
bole des  apôtres,  l'oraison  dominicale  et  l'Ave  Maria, 
sur  la  noblesse  et  la  grâce  de  Jésus-Christ ,  sur  la  Passion, 
sur  la  très  sainte  Vierge  Marie,  sur  les  devoirs  des  chré- 
tiens vivant  dans  le  siècle.  Il  a  écrit  aussi  un  traité  con- 
cernant le  pape,  les  cardinaux  et  les  évoques,  et  les  bi- 
bliographes ajoutent  que  c'est  un  bon  traité.  Il  écrivit 
également  sur  les  devoirs  et  les  droits  des  chanoines, 
des  curés,  des  prédicateurs  et  des  clercs.  Il  composa 
des  messes,  et  il  expliqua  l'office  de  la  messe  et  résolut 
les  questions  relatives  au  saint  sacrifice.  Plus  de  qua- 
rante de  ses  écrits  s'occupent  de  la  vie  religieuse  en 
général,  et  vingt-cinq  de  l'ordre  des  chartreux.  On  a 
compté  plus  de  soixante-dix  traités  spirituels,  beaucoup 
de  sermons,  une  chronique  générale  depuis  la  création 
du  monde  jusqu'à  1471,  une  autre  plus  abrégée,  et  une 
troisième  très  courte,  plusieurs  traités  sur  diverses 
branches   de  l'érudition   ecclésiastique  et  un  recueil 


de  lettres.  Autrefois,  le  grand-duc  de  Toscane,  Léo- 
pold  II,  possédait  les  manuscrits  de  dom  Hagen  de  In- 
dagine. Il  est  probable  que  ces  trésors  ont  suivi  dans 
l'exil  leur  illustre  propriétaire.  Il  y  a  des  bibliothèques 
publiques  et  privées  où  l'on  trouve  quelques  copies 
de  ses  traités  et  même  quelques-uns  de  ses  commen- 
taires sur  l'Écriture.  Cf.  Migne,  Diclionn.  des  manu- 
scrits, 1. 1,  col.  237  ;  t.  ii,  col.  170,  n.  169  ;  col.  172,  n.  729  ; 
col.  16,  n.  74;  L.  Rosenthal,  Bibliotheca  cartusiana, 
n.  711-712. 

On  a  imprimé  les  opuscules  suivants  de  dom  Hagen  : 
1°  Tractatus  de  diversis  gravaminibus  religiosorum,  in-4°, 
s.  1.  n.  d.  Cf.  Hain,  n.  9169  ;  Panzer,  t.  ix,  p.  178,  n.  175; 
2°  De  perfectionne  et  exerciliis  sacri  carlusiensis  ordinis, 
libri  duo,  in-12,  Cologne,  1606  et  1609;  Lyon,  1643; 
3°  Declaralio  religiosi  patris  Johannis  Haghen  carthu- 
siensis  super  indulgentiis  bullaz  Boni/acii  papas  de  festo 
Visilationis  gloriosse  Virginis  Maria*,  publiée  par  Mar- 
tène  et  Durand,  Veterurn  scriptorum  ampliss.  colle- 
ctio,  1. 1,  col.  1379-1380,  et  par  le  chartreux  Tromby, 
Histoire  des  chartreux,  t.  ix,  p.  xix-xx;  4°  selon  dom 
Théodore  Petrejus,on  a  publié,  à  Ingolstadt,  une  traduc- 
tion allemande  du  traité  :  De  concilio  generali,  qualiler 
errare  possil,  et  quo  pacto  circa  schisma  habere  se  opor- 
leal.  Cf.  Bibliotheca  cartusiana,  Cologne,  1609,  p.  190, 
note  marginale.  Il  paraît  que  l'auteur  n'avait  pas  suivi 
l'opinion  des  théologiens  allemands,  ses  contemporains, 
au  sujet  de  la  suprématie  du  concile  sur  le  pape,  puis- 
que l'on  trouve  parmi  ses  traités  apologétiques  le  titre 
d'un  livre  contre  un  célèbre  prédicateur  franciscain 
qui,  dans  ses  sermons,  ne  s'exprimait  pas  assez  exacte- 
ment au  sujet  de  l'autorité  ecclésiastique;  mais  après 
avoir  été  averti  par  le  zélé  solitaire,  il  se  corrigea  et 
rétracta  ses  erreurs.  Il  convient  de  rappeler  que  le 
Saint-Siège,  en  condamnant  les  ouvrages  d'un  auteur 
homonyme,  Jean  Havers  de  Indagine,  a  expressé- 
ment déclaré  qu'il  n'entendait  pas  confondre  cet  écri- 
vain avec  le  théologien  chartreux.  Cf.  Reusch,  Der  In- 
dex der  verbolenen  Bûcher,  Bonn,  1883,  t.  i,  p.  280. 

Une  autobiographie  de  dom  Hagen  a  été  publiée  dans  les 
Ephemerides  ordinis  carlusiensis  de  dom  Léon  le  "Vasseur, 
t.  i,  p.  463-496.  Voir  aussi  Trithemius,  De  scriptoribus 
ecclesiasticis;  Théoph.  Raynaud,  Trinitas  patriarcharum  ; 
Petrejus,  Bibliotheca  cartusiana;  Morozzo,  Theatrum 
chronol.  S.  ord.  cartus.,  Tromby,  etc. 

S.  Autore. 

HAGER  Baitasar,  controversiste  allemand,  né  en 
Souabe,  à  Ueberlingen,  en  1572,  admis  au  noviciat 
de  la  Compagnie  de  Jésus  le  14  août  1593,  enseigna  les 
humanités  et  la  philosophie.  Il  a  laissé  une  Theoria 
de  fossilibus,  Wurzbourg,  1593,  dont  les  idées  hardies 
pour  l'époque  lui  avaient  valu  alors  une  grande  répu- 
tation de  science.  Devenu  recteur  des  collèges  de 
Mayence,  en  1611,  d'Heiligenstadt,  de  Wurzbourg, 
en  1624,  il  se  dévoua  avec  un  zèle  touchant  au  soin 
des  malades  et  des  pauvres  pendant  les  troubles  causés 
dans  le  Palatinat  par  la  guerre  de  Trente  ans  et  consa- 
cra tous  les  loisirs  que  lui  laissait  sa  charge  à  défendre 
la  foi  catholique  contre  les  attaques  des  écrivains  et  des 
pasteurs  protestants.  Son  Catholisch  Jubelpredig,  pu- 
blié à  Mayence  en  1618,  à  l'occasion  des  fêtes  célébrées 
par  les  luthériens  pour  le  premier  centenaire  du  pro- 
testantisme, provoqua  de  vives  polémiques  sur 
les  points  fondamentaux  de  la  religion  réformée, 
notamment  sur  le  culte  des  images.  Cf.  Abraham  Scui- 
tetus,  Sermo  de  imaginibus  idololatricis,  Francfort- 
sur-le-Mein,  1620.  Le  P.  Hager  défendit  la  vérité  catho- 
lique contre  les  attaques  de  Scultetus  et  de  Mesanus 
dans  deux  ouvrages  fort  estimés  et  qui  parurent  clore 
le  débat  :  Widerlegung  des  kurtzen  aber  nicht  schriifl- 
mœssigen  Berichts  Abrahami  Sculteti  von  der  vermeinten 
Goetzen  Bildern,  in-4°,  Mayence,  1622;  Rettung  der 
Ehre  Gottes  in  Verehrung   der  Bilder  wider  Theophili 


2031 


HAGER  —  HAINE 


2032 


Mosani  Yindicias,  in-4°,  Mayence,  1622.  11  composa 
ensuite,  pour  éclairer  et  ramener  les  prolestants  de 
bonne  foi,  un  exposé  méthodique  avec  une  brève  et 
saisissante  réfutation  des  principales  erreurs  luthé- 
riennes :  Kleiner  Wegweiser  zum  wahrcn  Glaubcn, 
Aschalïenbourg,  1625,  aussitôt  répandu  dans  toute 
l'Allemagne.  Bientôt  parut  le  traité  qui  a  fait  la  gloire 
du  P.  Hager  et  qui  émut  profondément  les  théologiens 
protestants,  la  Collatio  Confessionis  Augustanœ  et 
cccumenici  concilii  Tridcntini  cum  Verbo  Dei,  Wurz- 
bourg,  1627,  qui  fut  l'objet  d'une  discussion  publique 
sous  la  présidence  de  Jean  Major  à  l'Académie  d'Iéna. 
Cf.  D.  Joh.  Conr.  Dannhawerus,  Dispulalioncs  thcolo- 
gicic,  Leipzig,  1707.  C'est  pour  réfuter  cet  ouvrage 
que  Hulsemann  composa  son  Manualc  Confessionis 
Augustanœ,  Wittemberg,  1631.  Le  P.  Hager  mourut 
à  "Wurzbourg  le  9  mars  1629.  Le  Manuale  de  Hulsen- 
niann,  dont  les  éditions  se  multipliaient  rapidement, 
resta  sans  réponse.  La  Collatio  Confessionis  Augustanœ 
est  le  premier  ouvrage  où  se  dessine  le  plan  d'une  théo- 
logie symbolique  :  Moehler  n'a  fait  qu'en  développer 
magnifiquement  les  grandes  lignes  avec  toutes  les  res- 
sources de  son  savoir  et  de  son  génie. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  C"  de  Jésus,  t.  IV, 
col.  19-20;  Hurter,  Nomenclator,  3e  édit.,  Inspruck,  1907, 
t.  m,  col.  739;  A.  Ruland,  Séries  et  vitœ  pro/essorum  SS. 
Ihcologiœ  qui  W'irccburgi  docuerunt,  Wurzbourg,  1834, 
1>.  56;  B  Duhr,  Geschichte  der  Jesuiten  in  den  Làndern 
deutseher  Zunge,  l7ribourg-en-13risgau,  1913,  t.  Il,  p.  145; 
t.  H  b,  p.  307. 

P.  Bernard. 
HAIDELBERG  Georges,   eontroveïsiste    allemand, 
«é  à  Sipplingen,  en  Souabe,  le  9  mars  1621,  entra  au 
noviciat  de  la  Compagnie  de  Jésus  en  1640,  et  devint 
professeur  de  philosophie  à  l'université  d'Ingolstadt, 
où  il  publia  ses  premiers  écrits  :  Quœstioncs  seleclœ  ex 
omni  philosophia,  Ingolstadt,  1657;  De  tribus  mentis 
operalionibus,  Munich,  1661.  Nommé  prédicateur  à  la 
cathédrale  d'Augsbourg,  fonction  qu'il  remplit  avec 
succès  pendant  quatorze  ans,  il  entra  résolument  dans 
•le  domaine  de  la  controverse  et  révéla  dès  l'abord  une 
grande  puissance  de  dialectique  et  une  sûreté  d'infor- 
mation qui  le  rendirent  redoutable  dans  les  discussions 
publiques.  Son    ouvrage  :  Aile  und  neue  Predicanten, 
Francfort-sur-le-Mein,  1674,  fit  ressortir  avec  une  évi- 
dence qui  ramena  bien  des  réformes  à  la  vérité  catho- 
lique, les  incohérences  et  les  contra  fictions  perpétuelles 
des  docteurs  rrotestants.  Pris  à  partie  dans  une  série 
de  brochures  et  de  pamphlets  par  les  théologiens  de  la 
Réforme,  Jean-Frédéric  Mayer,  Georges  Lani,  Gaspar 
Hoffmann,  etc.,  il  répondit  avec  beaucoup  d'humour 
aux  attaques  personnelles  qu'il  dédaignait,  et  avec  une 
haute   autorité   doctrinale  aux  calomnies   qui   attei- 
gnaient la  religion  catholique.  Il  publia  coup  sur  coup 
une  suite  d'ouvrages  de  controverse  qui  ont  rendu  son 
nom  justement  célèbre  :  Lutherischer  Parallel-Catechis- 
mus,  in-4°,  Augsbourg,  1676;  Georgius  Anlilani  wider 
Georgium  Lani,  in-4°,  ibid.,  1676;  Aufrichlige  Eroerte- 
rung  eines  so  genannlen  aufrichligen  Bedencken  ueber  ein 
jungslhin  in  den  Tnick  gegebenen  Tractât,  in-4°,  ibid., 
1677;  Hojfminnus  seminiverbius,   in-4°,    ibid.,   1677; 
Vngewiste  Ungewissheit  Lutherischer  Rechlfertigung  und 
Seligkeit,  in-8°,  Ellwangen,  1680;  Posteriora  pejora  prio- 
ribus,  dus  ist  :  Immerzu  uebler  gegruendeles  Lutherlum, 
in-8°,  ibid.,  1682.  Le  P.  Haidelberg  mourut  à  Ellwan- 
gen, le  31  décembre  1683,  après  une  vie  toute  de  labeur 
et  d'édification. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  C"  de  Jésus,  t.  îv, 
col.  21-22;  Hurter,  Nomenclator,  3e  édit.,  Inspruck,  1910, 
t.  iv,  col.  396;  Fr.  Vcith,  Bibliotheca  augustana,  Augsbourg, 
1885,  t.  x,  p.  36  sq.;  Jôclier,  Allgemeines  Gelehrten-Lexicon, 
Leipzig,  1750,  t.  il,  col.  1652. 

P.  Bernard. 


HAIDEN  Jean,  jésuite  autrichien,  né  à  Hradisch 
(Moravie)  le  23  décembre  1716,  admis  au  noviciat  le 
30  octobre  1736,  enseigna  les  humanités  à  Prague  et 
se  livra  spécialement  à  l'étude  de  la  littérature  ecclé- 
siastique des  premiers  siècles.  Sa  dissertation  De 
therapeulis  Philonis  Judœi,  Prague,  1656,  le  mit  au 
premier  rang  des  maîtres  de  la  critique  en  ce  temps. 
Cf.  Zaccaria,  Disciplina  populi  Dei,  Venise,  1782. 
Chargé  pendant  onze  ans  de  l'enseignement  de  l'histoire 
ecclésiastique  à  l'université  de  Prague,  il  publia  d'im- 
portantes études  de  chronologie  :  Animadversiones 
crilicœ  in  chronologiam,  Prague,  1760;  Exercitationcs 
chronologicœ  de  tribus  prœcipuis  annis  Chrisli,  nali, 
baptizati,  emorienlis,  ad  calculum  Joannis  Kepleri,  ibid., 
1760.  Ses  travaux  les  plus  remarquables  ont  trait  à 
l'histoire  du  dogme  :  De  instilulo  Ecclesiœ  infantibus 
mox  cum  baplismo  conferendi  sacramenla  confirmationis 
et  eucharistiœ,  ibid.,  1659,  dissertation  insérée  au  t.  x, 
du  Thésaurus  theologiœ  de  Zaccaria,  p.  217-242;  Decre- 
tum  Eugenii  IV  pro  Armenis  num  lanquampars  synodi 
cecumenicœ  Florentinœ  sit  omnino  respiciendum,  in-4°, 
ibid.,  1659;  Omoousion  an  ex  senlenlia  Prudenlii  Marani 
icclc  negelur  in  concilio  Anliocheno,  in-4°,  ibid.,  1760. 
Après  la  suppression  de  la  Compagnie  de  Jésus  en  1773, 
le  P.  Haiden  devint  membre  du  consistoire  royal  de 
Prague  et  directeur  des  études  de  séminaire  à  Kœnig- 
gratz.  La  date  de  sa  mort  est  incertaine. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  Cle  de  Jésus,  t.  iv, 
col.  23-25;  Hurter,  Nomenclator,  3e  édit.,  Inspruck,  1912, 
t.  v,  col.  399. 

P.  Bernard. 

HAINE  —  I.  De  la  haine  en  général.  II.  De  la  haine 
envers  Dieu,  envers  le  prochain,  envers  soi-même. 

I.  De  la  haine  en  général.  —  Notion  et  caractère 
moral.  Le  bien  nous  plaît  et  nous  convient.  Notre 
volonté  se  porte  naturellement  vers  lui;  elle  le  désire, 
en  jouit  ou  le  regrette  selon  qu'il  lui  est  présenté 
comme  possible,  comme  présent  ou  comme  passé.  Par 
contre,  le  mal  nous  déplaît  et  nous  rebute.  Notre 
volonté  s'en  détourne  quand  elle  le  rencontre.  Elle  le 
redoute  lorsqu'elle  en  est  menacée,  en  souffre  lorsqu'il 
arrive,  se  réjouit  lorsqu'il  est  évité  ou  passé.  Le  mouve- 
ment de  la  volonté  vers  le  bien,  c'est  l'amour;  l'aver- 
sion qu'elle  éprouve  pour  le  mal,  c'est  la  haine. 

Le  caractère  moral  de  la  haine  dépend  de  la  nature 
même  de  ce  qui  est  haï.  Si  c'est  un  mal  véritable, 
comme  le  péché,  l'injustice  ou  le  crime,  la  haine  est 
de  soi  juste  et  honnête.  Si  c'est  un  bien,  comme  la 
justice,  la  vérité,  la  vertu,  la  haine  est  coupable  parce 
que  le  bien  doit  être  aimé  et  non  haï. 

De  la  haine  du  mal  à  la  haine  des  personnes  qui  en 
sont  la  cause  ou  l'occasion,  le  passage  est  facile.  Celle-ci 
se  rencontre  à  des  degrés  divers  :  tantôt  faible  et  à 
peine  remarquée,  tantôt  violente  et  exaltée;  mais 
toujours  elle  tend  à  se  traduire  par  des  actes  capables 
de  nuire  au  prochain  détesté,  ou  tout  au  moins  par  le 
désir  de  lui  causer  du  tort  ou  de  le  voir  souffrir.  Ainsi, 
par  sa  nature  même  comme  par  le  caractère  des  actes 
qu'elle  inspire,  la  haine  est  en  opposition  avec  le  pré- 
cepte de  la  charité  qui  nous  oblige  d'aimer  noire 
prochain  et  nous  défend  de  lui  faire  aucun  tort.  L'im- 
portance du  mal  fait  ou  souhaité  est  une  des  données 
qui  permettront  d'apprécier  le  degré  de  culpabilité  de 
la  haine. 

II.  DE  LA  HAINE  ENVERS  DIEU,  ENVERS  LE  PROCHAIN, 

envers  soi-même.  ■ —  1°  Envers  Dieu.  —  1.  Possibilité. 
—  Il  semble  que  Dieu,  qui  est  par  essence  le  bien  infini- 
ment aimable  et  désirable,  ne  puisse  être  un  objet  de 
haine.  Il  ne  peut,  il  est  vrai,  être  haï  de  qui  le  voit  en 
lui-même  dans  la  vision  béatifique,  parce  que  l'infinie 
bonté  ne  peut  pas  ne  pas  être  aimée  de  qui  la  con- 
temple. Mais  sur  terre  nous  ne  connaissons  Dieu  que 
per  spéculum  et  in  œnigmale,  à  travers  les  créatures  et 


■2033 


HAINE 


2034 


tes  événements  que  dirige  sa  providence.  Nous  ne 
■voyons  pas  les  desseins  de  Dieu  dans  l'infinie  perfec- 
tion de  leur  sagesse  et  de  leur  bonté.  Or  les  volontés 
divines  ne  concordent  pas  toujours  avec  les  volontés 
dépravées  des  hommes  :  par  le  Décalogue,  Dieu  met 
un  frein  aux  passions  humaines;  par  la  redoutable 
sanction  qu'il  réserve  au  péché,  il  effraie  le  pécheur; 
la  souffrance,  à  laquelle  il  soumet  fréquemment 
l'homme  ici-bas,  est  pour  plusieurs  une  épreuve  qu'ils 
n'ont  pas  le  courage  de  supporter.  De  là,  pour  certains, 
un  motif  de  révolte  et  de  haine  contre  Dieu. 

2.  Espèces  et  moralité.  —  Ou  bien  cette  haine  de 
Dieu  l'atteint  uniquement  comme  cause  du  mal  que 
nous  rencontrons  :  c'est  la  haine  d'abomination;  ou 
bien  elle  s'en  prend  directement  à  la  personne  même  de 
Dieu,  non  parce  que  les  volontés  divines  nous  dé- 
plaisent, mais  parce  que  lui-même  nous  déplaît  et  que 
nous  voulons  le  traiter  en  ennemi  :  c'est  la  haine 
d'inimitié.  Cette  haine  d'inimitié  n'est  pas  une  chimère. 
Elle  peut  se  trouver  chez  ceux  qui,  corrompus  par  le 
vice  et  ayant  tout  à  redouter  de  la  justice  divine,  ne 
peuvent  plus  que  détester  Dieu  quand  ils  songent  à 
lui,  ou  chez  ceux  qui,  accablés  par  l'adversité,  se 
révoltent  contre  le  Dieu  qui  la  permet  et  se  prennent 
à  le  haïr.  Elle  se  trouve  chez  ceux  qui,  par  une  incon- 
cevable aberration,  considèrent  Dieu  comme  le  mal  et 
l'ont   en  exécration. 

La  haine  de  Dieu  ne  constitue  pas  seulement  une 
faute  grave  :  elle  est,  de  soi,  le  péché  le  plus  grave  que 
l'homme  puisse  commettre.  En  effet,  dit  saint  Thomas, 
Sum.  theol.,  IIa  II*,  q.  xxxiv,  a.  2,  la  malice  du  péché 
consiste  essentiellement  en  ce  qu'il  éloigne  l'homme  de 
Dieu.  Plus  un  péché  éloigne  de  Dieu,  plus  il  est  péché 
et  plus  il  est  coupable.  Mais  les  péchés  autres  que  la 
haine  de  Dieu,  ceux,  par  exemple,  qui  se  commettent 
pour  arriver  à  se  procurer  des  plaisirs  coupables, 
n'éloignent  de  Dieu  qu'indirectement  et  comme  par 
voie  de  conséquence.  Ce  que  veut  avant  tout  le  pécheur, 
c'est  la  jouissance.  Pour  l'avoir,  il  sacrifie  le  précepte 
divin,  mais  il  ne  cherche  pas  directement  à  se  séparer 
de  Dieu.  Autre  est  la  haine  de  Dieu  :  par  elle  Dieu  est 
directement  atteint;  par  elle,  on  se  détourne  de  Dieu 
comme  d'un  être  odieux  qui  ne  mérite  point  d'être 
aimé,  ou  comme  d'un  être  malfaisant  digne  délie 
détesté.  Elle  est  donc  uniquement  et  essentiellement 
cwersio  a  Deo  ;  plus  coupable  par  conséquent  que  les 
autres  péchés  dans  lesquels  se  trouve  avant  tout 
l'amour  désordonné  des  créatures  et  par  concomitance 
seulement  l'aversio  a  Deo.  Or,  semper  quod  est  per  se 
potins  est  co  quod  est  secundum  quid.  Le  même  principe 
permet  de  déterminer  la  gravité  relative  de  la  double 
haine  de  Dieu  :  la  haine  d'inimitié  est  plus  coupable 
que  l'autre,  parce  qu'elle  s'en  prend  directement  à 
Dieu,  le  traite  formellement  en  ennemi,  tandis  que 
l'autre  ne  voit  et  ne  hait  en  Dieu  que  l'auteur  du  mal. 

2°  Envers  le  prochain.  — 1.  Nature  et  moralité.  —  On 
hait  dans  le  prochain,  comme  en  Dieu,  ou  sa  personne 
•ou  ses  actes.  Sa  personne  :  c'est  la  haine  d'inimitié, 
qui  le  fait  détester  pour  lui-même  et  porte  à  lui  faire 
le  mal  pour  le  mal.  Cette  haine  est  une  faute  mortelle 
de  soi,  parce  qu'elle  est  évidemment  contraire  au 
précepte  de  la  charité,  laquelle  nous  oblige  sub  yravi. 
Elle  est  d'ailleurs  assimilée  par  l'Écriture  à  l'homicide, 
rangée  parmi  les  péchés  qui  font  qu'on  reste  dans  la 
mort  ou  qui  rendent  digne  de  l'enfer.  Toutefois,  ex 
levitate  materiœ,  la  faute  ne  serait  que  vénielle  si  le 
sentiment  de  haine  n'était  que  supeniciel  et  si  l'on  se 
bornait  à  faire  ou  à  souhaiter  au  prochain  qu'on 
n'aime  pas  quelque  mal  sans  gravité.  Si  l'on  hait  dans 
le  prochain  des  actes  qui  semblent  répréhensibles,  le 
caractère  moral  de  cette  disposition  dépend  de  la 
nature  des  actes  détestes  :  s'ils  sont  intrinsèquement 
mauvais,   par  exemple,   des  péchés  ou   des   vices,   la 


haine  est  juste  puisque  le  mal  mérite  d'être  haï.  S'il 
s'agit  d'actes  qui  me  sont  nuisibles  sans  être  intrinsè- 
quement mauvais,  j'ai  le  droit  de  les  détester,  à  condi- 
tion qu'il  n'y  ait  pas  d'excès  dans  mon  ressentiment, 
mais  une  juste  proportion  entre  la  haine  et  ce  qui  la 
provoque.  S'il  s'agit  d'actes  vertueux  et  bons,  les  haïr 
serait  de  soi  une  faute  grave.  Cette  haine  dite  d'abo- 
mination, qui  commence  par  les  actes,  peut  rejaillir 
sur  la  personne  même  de  celui  à  qui  ces  actes  sont 
imputés.  En  ce  cas,  il  y  a  toujours  faute  contre  le 
précepte  de  la  charité  qui  nous  oblige  d'aimer  notre 
prochain  quel  qu'il  soit.  Pour  apprécier  la  gravité  de 
cette  faute,  on  tiendra  compte  de  la  nature  du  mal 
que  par  haine  on  est  disposé  à  faire  ou  à  souhaiter. 
Refuser  absolument  toute  espèce  d'affection  à  une 
personne  sous  prétexte  qu'elle  n'en  mérite  aucune, 
serait  pécher  gravement  contre  le  précepte  de  la 
charité, 

2.  Fautes  auxquelles  conduit  la  haine  envers  le  pro- 
chain. —  Elles  sont  énumérées  et  étudiées  à  l'art. 
Charité,  voir  t.  n,  col.  2262-2265. 

3°  Envers  soi-même.  —  Elle  est  implicite  ou  explicite. 
Nous  devons  nous  aimer  nous-mêmes  comme  nous 
devons  aimer  nos  semblables,  d'un  amour  réel  et 
sincère,  qui  nous  fera  rechercher  notre  bien  et  fuir 
notre  mal.  Par  suite,  nous  sommes  tenus  de  conserver 
ou  de  nous  procurer,  conformément  à  l'ordre  établi  par 
Dieu,  les  biens  naturels  ou  surnaturels  nécessaires 
pour  la  vie  présente  ou  pour  l'autre.  Nous  sommes 
obligés  d'éviter  ce  qui  compromettrait  l'acquisition 
ou  la  conservation  de  ces  biens  nécessaires.  Agir 
contrairement  à  l'ordre  divin  serait  ne  point  s'aimer 
véritablement,  donc,  se  haïr.  Il  en  serait  de  même  si 
l'on  sacrifiait  les  biens  éternels  pour  des  biens  tem- 
porels, son  âme  pour  les  joies  ou  les  richesses  de  la 
terre.  Par  le  fait,  il  y  a,  dans  tout  péché,  un  manque 
de  charité  envers  soi-même  comme  envers  Dieu.  Qu'on 
le  veuille  ou  non,  c'est  se  haïr  soi-même  que  le  com- 
mettre. C'est  ce  principe  que  rappellent  si  souvent  les 
Psaumes,  le  livre  de  Tobie  et  l'Évangile.  S'aimer 
trop  en  s'aimant  mal  équivaut  donc  à  se  haïr.  Mais,  à 
ce  point  de  vue,  le  devoir  de  la  charité  envers  nous- 
mêmes  ne  se  distingue  pas  des  obligations  qu'imposent 
les  autres  commandements.  Par  contre,  la  haine 
explicite  et  formelle  de  soi-même  est  une  faute  spéciale 
contre  le  précepte  de  la  charité.  Au  premier  abord, 
elle  semble  impossible,  parce  qu'elle  est  absurde. 
Cependant  elle  existe  soit  d'une  façon  passagère, 
quand  la  raison,  dans  quelque  accès  de  colère,  de 
désespoir  ou  d'abattement,  cesse  de  raisonner  sage- 
ment ;  on  en  arrive  alors  à  se  faire  horreur,  à  se  haïr, 
à  se  souhaiter  ou  à  se  faire  tout  le  mal  possible;  soit 
d'une  façon  habituelle,  par  suite  d'une  complète 
perversion  de  l'esprit.  Le  pessimisme,  en  déclarant 
que,  dans  l'état  de  choses  actuel,  la  vie  est  détestable, 
que  le  monde  ne  peut  être  pire,  qu'exister,  vivre  et 
vouloir  sont  autant  de  mots  qui  désignent  la  souffrance 
et  une  destinée  souverainement  digne  de  pitié  et 
d'épouvante,  y  conduit  naturellement  et  aboutit 
fatalement  à  conseiller  le  suicide  de  l'individu  et 
l'abolition  de  l'humanité.  Voir  dans  Franck,  Diction- 
naire des  sciences  philosophiques,  2e  édit.,  l'article 
consacré  à  Schopenhauer.  Dans  l'une  et  l'autre  haine, 
il  y  a  évidemment  faute  grave  contre  la  charité.  La 
haine  formelle  est  toujours  gravement  coupable.  Il 
peut  y  avoir  légèreté  de  matière  dans  la  haine  impli- 
cite. 

La  haine  est  généralement  étudiée  à  propos  de  la  vertu 
de  chanté.  Voir  à  l'article  Chahité  quelques-uns  des  théo- 
logiens qui  ont  abordé  cette  question.  On  peut  y  ajouter, 
parmi  les  moralistes  récents  que  chacun  connaît  et  qu'il  est 
inutile  de  rappeler  nommément  :  Didiot,  Morale  surna- 
turelle  spéciale,    Vertus    théologales,   Paris    et    Lille,    1897, 


2e:::. 


HAINE 


HALL 


2036 


p.  461-469;  Ballerini,  Opus  theologicum  morale,  2e  édit., 
Prato,  1892,  t.  ii,  p.  120-138,  qui  l'ont  examinée  plus  spécia- 
lement. 

V.  Oblet. 
HALDEN  Jean-Baptiste,  jésuite  autrichien,  né  en 
1649,  à  Blumegg,  près  de  Bregenz,  admis  au  noviciat 
en  1665,  professa  la  philosophie  à  l'université  de  Dillin- 
gen,  puis  la  théologie  à  Inspruck,  où  il  exerça  avec  une 
haute  autorité  la  charge  de  préfet  des  études.  Sa  tour- 
nure d'esprit  le  portait  de  préférence  vers  l'étude  des 
questions  positives  et  sa  méthode  ne  sortait  guère  du 
domaine  des  faits  et  des  textes.  Il  a  laissé  les  ouvrages 
suivants  :  Problcmala  qusedam  de  planlis  ex  historia 
plantarum  selecta,  Dillingen,  1688,  ouvrage  qui  porte 
aussi  le  titre  de  Planlarium  philosophicum;  Concilii 
Tridcnlini  de  eueharisliee  mijslerio  doctrina,  in-4°, 
Inspruck,  1C91;  Bivium  theologicum  seu  disquisitio 
utri  iheologorum  parti  sit  accedendum,  in-l°,  ibid.,  1698; 
Cassandra,  seu  divinalio  théologien  de  causis,  remediis 
et  fine  noslratis  œvi  calamitalum,  in-8°,  Munich,  1699; 
Pastor  bonus  secundum  prsecipuas  dotes  ac  mania, 
doctrina  theologico-morali  illuslraliis,  ibid.,  1703;  Ephe- 
merologium  ecclesiastico-rubrislicum  novum,  Brixen, 
1717,  accompagné  d'addenda  dans  la  2e  édition,  Ins- 
pruck, 1723.  Le  P.  Halden  travaillait  à  un  vaste  com- 
mentaire de  la  Somme  de  saint  Thomas,  quand  la  mort 
le  surprit  avant  qu'il  ait  pu  mettre  la  dernière  main  à 
cette  œuvre,  vers  1726. 

Sommervogel,  Bibliotliéque  de  la  C"  de  Jésus,  t.  iv, 
col.  38  sq.;  Hurter,  Nomenclator,  3e  édit.,  Inspruck,  1910, 
t.  IV,  col.  1323. 

P.  Bernard. 

HALDRE1N  Arnold,  théologien  catholique,  né  à 
Wessel  ou  à  Halteren  dans  le  duché  de  Clèves,  mort  le 
30  octobre  1534,  avait  été  membre  de  la  faculté  des 
arts  de  Cologne  en  1516,  était  devenu  docteur  en  théo- 
logie et  chanoine  de  l'église  métropolitaine  de  Cologne. 
Citons  parmi  ses  écrits  :  1°  Decalogi,  sive  decem  preecep- 
lorum  pia  exegesis,  in-8°,  Cologne,  1536;  cet  écrit  a  été 
réédité,  Cologne,  1550,  avec  d'autres  :  De  cullu  et  vene- 
ralione  sanclorum;  De  modo  confilendi ;  2°  De  quadruplici 
concordiœ  ratione  et  consideratione,  super  Confessions 
auguslana  protestantium  quorumdam  Romani  imperii 
principum  ac  staluum,  in-8°,  Ingolstadt,  1544,  en  colla- 
boration avec  Jean  Cochlée;  3°  De  vera  Ecclesia  Christi, 
in-4°,  Ingolstadt,  1544,  contre  Mélanchthon;  4°  Epi- 
tome  singularum  dislinclionum  in  quatuor  libros  Senten- 
tiarum,  una  cum  distichis  ad  singula  capita,  summam 
rei  complectenlibus  postpositis,  in-16,  Cologne,  1555; 
5°  Locorum  communium  religionis  christianie  parli- 
tiones,  in-12,  Louvain,  1564;  Cologne  et  Louvain,  1557, 
1568. 

Paquot,  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  littéraire  des 
Pays-Bas,  in-8°,  Louvain,  1766,  t.  vm,  p.  167;  Kirchen- 
lexikon,  t.  v,  p.  1460;  Hurter,  Nomenclator  literarius, 
Inspruck,  1906,  t.  il,  col.  1272-1243. 

B.  Heurtebize. 

HALITGAIRE,  évêque  de  Cambrai,  succéda  vrai- 
semblablement sur  ce  siège  épiscopal  à  l'évêque  Hil- 
doard,  en  817.  On  n'est  pas  absolument  certain  qu'il 
soit  le  Halitgaire  que  le  pape  Pascal  Ier,  en  822,  don- 
nait pour  compagnon  à  Ebbon  de- Reims,  son  parent, 
pour  la  mission  chez  les  nations  du  Nord;  toutefois, 
Jaffé,  n.  2523,  dit  Halitgarium  Cameracensem.  Mais 
ce  qui  paraît  certain,  c'est  qu'il  n'a  pas  accompagné 
Ebbon  en  Danemark.  En  828,  l'empereur  Louis  le 
Débonnaire  l'envoyait  à  la  cour  de  Constantinople  où 
il  ne  resta  pas  longtemps,  car  il  assistait  au  concile  tenu 
à  Paris  le  6  juin  829.  Selon  les  Annales  Vedaslini,  dans 
Monumenla  Germaniœ,  Scriptores,  t.  vu,  p.  416,  n.  75, 
il  mourut  en  830;  on  indique  pourtant  d'ordinaire 
comme  jour  de  sa  mort  le  25  juin  831. 

Ce  qui  a  immortalisé  le  nom  d'Halitgaire,  c'est  un 


Pénitentiel  composé  par  lui  à  la  demande  d'Ebbon  de 
Reims.  Flodoard,  Hisl.  Rem.  Eccles.,  n,  19;  Gesta  pon- 
lificum  Cameracensium,  dans  Pertz,  t.  ix,  p.  416.  Ebbon 
lui  avait  demandé  une  collection  tirée  ex  Palrum  dictis 
canonumque  sententiis;  mais  on  ne  sait  à  quelle  époque 
précise  de  son  pontificat  il  faut  en  fixer  la  rédaction. 
Peut-être,  dit  M,  Paul  Fournier,  fut-ce  vers  l'époque 
du  concile  de  Paris,  qui  s'occupa  de  la  question  des 
pénitentiels.  «  L'ouvrage  d'Halitgaire,  continue  M.  Paul 
Fournier,  est  composé  de  six  livres.  Les  deux  premiers, 
intitulés  :  De  viliis  octo  principalibus  et  De  vita  activa 
et  contemplaiiva,  sont  faits  d'extraits  moraux  emprun- 
tés aux  ouvrages  des  Pères,  saint  Grégoire  le  Grand, 
saint  Augustin  et  autres.  Le  troisième  traite  De  ordine 
pgenitentium,  le  quatrième  De  viliis  laicorum,  le  cin- 
quième De  ordinibus  clericorum;  ce  sont  des  recueils 
canoniques...  où  sont  réunis  des  textes  relatifs  à  la 
pénitence,  puisés  dans  les  conciles  et  les  décrétâtes. 
Enfin  l'ouvrage  se  termine  par  un  sixième  livre  qui, 
celui-là,  est  un  véritable  pénitentiel,  ressemblant  aux 
nombreux  tarifs  de  pénitence  répandus  au  vme  et  au 
ixe  siècle  dans  l'Empire  franc.  C'est  ce  pénitentiel 
qu'Halitgaire  lui-même,  dans  la  préface  par  lui  rédigée, 
présente  comme  de  serinio  romanœ  Ecclesiœ  adsump- 
tus.  » 

La  première  édition  du  recueil  d'Halitgaire  a  été 
donnée  par  Henri  Canisius,  Antiquœ  lectiones  (1604), 
t.  v  b,  p.  220  sq.,  mais  elle  ne  contenait  que  les  cinq 
premiers  livres,  selon  le  manuscrit  570  de  Saint-Gall. 
Stevart,  en  1616,  publia  le  1.  VI,  qui  est  certainement 
une  portion  intégrante  de  l'œuvre  primitive.  Il  fut 
compris  dans  l'édition  augmentée  que  Basnage  a 
donnée  des  Antiquœ  lectiones,  et  que  reproduit  la 
Patrologie  latine  de  Migne,  t.  cv,  col.  649-694,  pour  les 
premiers  livres,  et  ensuite  jusqu'à  la  col.  710  pour  le 
VIe.  Un  texte  un  peu  différent  du  VIe  livre  fut  publié 
par  dom  Ménard  dans  ses  notes  sur  le  Sacramentaire 
grégorien,  P.  L.,  t.  lxxviii,  col.  450-458,  et  reproduit 
par  J.  Morin,  Commenlarius  hisloricus  de  disciplina  in 
adminislrationc  sacramcnli  pœnitentiœ,  Anvers,  1682, 
Appendice,  p.  5-10. 

M.  Paul  Fournier  a  prouvé,  clans  l'étude  indiquée 
et  dont  le  titre  sera  donné  ci-dessous,  que  le  1.  VI  n'est 
nullement,  au  sens  étroit  du  mot,  une  œuvre  d'origine 
romaine,  et  qu'il  n'est  pas  impossible  qu'Halitgaire, 
qui  en  fut  certainement  le  vulgarisateur,  en  ait  été 
aussi  le  compilateur.  Il  n'a  certainement  pas  trouvé  son 
pénitentiel  tout  fait  dans  les  archives  de  l'Église 
romaine;  mais,  en  supposant  même  qu'il  ne  l'ait  pas 
compilé,  il  l'a  fait  sien  en  l'insérant  à  la  fin  de  son 
recueil.  On  peut  d'ailleurs  affirmer  que  ce  pénitentiel 
est  romain,  parce  qu'il  représente  surtout  la  discipline 
canonique  de  l'Église  d'Occident,  préservée  de  cer- 
taines modifications  provenant  des  pénitentiels  anglo- 
saxons;  parce  qu'il  est  aussi  l'expression  des  tendances 
des  réformateurs  qui,  dans  l'Église  franque  en  parti- 
culier, tournaient  de  plus  en  plus  leurs  regards  du  côté 
de  Rome. 

Sur  toute  cette  matière,  voir  l'article  publié  par  M.  Paul 
Fournier  dans  la  Revue  d'insloire  et  de  littérature  religieuses, 
t.  vm  (19031:  Études  sur  les  pénitentiels.  IV.  Le  livre  VJ  du 
Pénitentiel  d'Halitgaire,  p.  528-553,  et  les  notes  nombreuses, 
spécialement,  note  3,  p.  530-531,  sur  les  éditions.  La  majeure 
partie  de  cette  étude  (p.  533  sq.)  prouve,  contre  la  thèse  de 
Mgr  Schmitz,  Die  Bussbikher  und  die  Bussdisciplin  der 
Kircbe,  1883  sq.,  que  le  1.  VI  d'Halitgaire  ne  peut  être 
invoqué  pour  attester  l'existence  d'un  pénitentiel  romain 
règle  des  autres  pénitentiels.  Sur  la  personnalité  d'Halit- 
gaire, voir  l'introduction  donnée,  P.  L.,  t.  cv,  col.  649,  à 
l'édition  du  Pénitentiel. 

A.     VlLLIEN. 

HALL  Richard,  théologien  anglais,  naquit  dans  le 
Lincolnshire  ou  dans  le  Yorkshire.  En  1552  il  était 
étudiant  à  Cambridge,  et  en  1559  il  concourait  pour  le 


2037 


HALL  —  H  ALLIER 


2038 


grade  de  maître  es  arts.  Il  quitta  l'Angleterre  sous  le 
règne  d'Elisabeth,  et  se  réfugia  d'abord  en  Flandre, 
puis  à  Rome,  où  il  fut  reçu  docteur  en  théologie.  A  son 
retour  en  Flandre,  il  devint  professeur  d'Écriture  sainte 
à  l'abbaye  Sainte-Rietrude  de  M ar chiennes,  puis  cha- 
noine de  Saint-Géry  à  Cambrai.  Les  guerres  civiles 
l'obligèrent  de  se  retirer  à  Douai,  où  il  enseigna  long- 
temps l'Écriture  sainte  au  collège  anglais  qui  venait  de 
se  fonder  en  cette  ville  (1576).  Il  devint  ensuite  cha- 
noine de  Saint-Omer  et  officiai  du  diocèse,  charges  qu'il 
occupa  jusqu'à  sa  mort  en  1603.  Outre  un  certain 
nombre  d'opuscules  théologiques,  il  a  écrit  De  quin- 
quepartita  conscientia  :  1°  recta,  2°  erronea,  3°  dubia, 
4°  opinabili,  seu  opiniosa,  et  5°  scrupulosa,  libri  III, 
Douai,  1598.  11  a  aussi  laissé  une  Vie  de  John  Fisher, 
évêque  de  Roches  ter,  qui  n'a  jamais  été  imprimée,  et 
dont  il  existe  plusieurs  exemplaires  manuscrits. 

Hurler,  Nomenclator  lilerariiis,  1907,  t.  m,  col.  598; 
Dictionary  of  national  biography. 

A.  Gatard. 

HALL1ER  François  naquit  à  Chartres  en  1585. 
Il  était  de  bonne  famille.  Mais,  la  fortune  ayant 
tourné,  il  dut,  très  jeune,  entrer  au  service  des  grands. 
Il  fut  donc,  pendant  deux  ans,  page  chez  la  princesse 
douairière  d'Aumale.  Heureusement  il  put  continuer 
ses  études,  dont  le  succès  lui  permit  d'enseigner  en 
différents  collèges  de  l'université.  Il  fut  ainsi  pendant 
plusieurs  années  maître  de  philosophie.  C'est  à  cette 
science  qu'il  consacra  ses  premiers  ouvrages,  un 
recueil  d'odes  philosophiques,  qui  parut  à  Paris,  en 
1618,  sous  le  titre  de  Philosophia  moralis  lyricis  can- 
tionibus  absolutissima,ct  un  manuel  de  logique  destiné 
aux  étudiants,  Anahjsis  logiez:,  Paris,  1630. 

Mais  il  s'était  déjà  tourné  vers  les  études  théolo- 
giques. Simple  bachelier,  il  fit  partie  de  la  petite 
communauté  de  Saint-Nicolas  du  Chardonnet,  fondée 
par  Bourdoise  en  1612.  Il  passa  sa  licence  en  1624. 
A  cette  époque,  il  était  socius  de  la  maison  de  Sorbonne. 
Mais  avant  même  d'avoir  pris  le  bonnet  de  docteur,  il 
entra  dans  la  maison  de  Villeroi  comme  précepteur  de 
l'abbé  d'Alineourt,  Ferdinand  de  Neufville,  qui  mourut 
évêque  de  Chartres.  Il  accompagna  son  élève  à  Rome, 
à  Naples,  à  Athènes  et  en  Angleterre.  Ces  voyages  lui 
permirent  de  nouer  d'utiles  relations,  entre  autres 
avec  le  pape  Urbain  VIII. 

De  retour  à  Paris,  il  reprit  son  enseignement  et 
professa  en  Sorbonne.  Il  allait  être  entraîné,  par  cette 
situation  même,  dans  une  série  de  polémiques.  L'affaire 
de  Richard  Smith,  évêque  d'Angleterre,  venait  d'écla- 
ter. Smith,  dont  la  présence  en  Grande-Bretagne  était 
considérée,  surtout  par  les  ordres  religieux,  comme  la 
principale  cause  de  la  persécution  des  catholiques, 
s'était  retiré  à  Paris  sur  l'ordre  du  Saint-Siège.  De  là 
toute  une  série  d'écrits  dans  lesquels  certains  religieux 
émirent,  sur  la  hiérarchie  et  la  constitution  de  l'Église, 
des  idées  déplaisantes  à  l'égard  du  clergé  séculier. 
Ces  idées  étaient  développées  en  particulier  dans 
l'ouvrage  du  P.  John  Floyd,  de  la  Compagnie  de 
Jésus  :  An  apology  of  the  holu  Sea  Apostolick's  procee- 
dings  for  the  government  of  the  Catholicks  of  England 
during  the  lime  of  persécution,  publié  à  Rouen  en  1620 
et,  en  latin,  à  Cologne  en  1631.  La  faculté  de  théologie 
de  Paris  censura  cet  ouvrage,  le  15  février  1631,  en 
même  temps  qu'un  certain  nombre  de  propositions 
dues  à  des  moines  irlandais,  et  qui  exprimaient  les 
mêmes  idées.  Floyd  répliqua  immédiatement,  sous  un 
pseudonyme  :  Hermunni  Lœnelii  Antvcrpicnsis 
Spongia  qua  dihiuntur  calumniœ  nomine  facullatis 
Parisiensis  imposita:  libro  qui  inscribilur  Apologia, 
Saint-Omer,  1631. 

Hallier  avait  pris  part  aux  discussions  qui  avaient 
abouti  à  la  censure  de  l'Apologie  de  Floyd.  Pour  cette 
raison,  il  fut  officieusement  chargé  de  répondre  aux 


allégations  de  Floyd.  De  là  son  ouvrage  :  Defensio 
ecclesiasticœ  hiérarchise,  seu  vindicise  censurée  facullatis 
theologiœ  Parisiensis,  qui  parut  au  commencement  de 
1632,  à  Paris.  La  faculté  approuva  officiellement 
l'ouvrage  par  une  décision  du  3  février  de  cette  année. 
La  discussion  ne  prit  fin  qu'en  1633,  sur  une  déclara- 
tion d'Urbain  VIII,  qui  défendit  tout  nouvel  écrit 
sur  ce  sujet.  Mais  Hallier  tenait  à  ses  idées.  Il  les 
exposa,  dogmatiquement  et  en  dehors  de  toute  polé- 
mique, dans  son  traité  :  De  sacris  eleclionibus  et  ordi- 
nationibus  ex  antiquo  et  novo  Ecclesiœ  usu,  in-fol., 
Paris,  1636;  3  in-fol. ;  Rome,  1739.  Il  y  insistait  sur 
les  droits  et  l'autorité  fondamentale  de  la  hiérarchie 
en  opposition  avec  les  ordres  religieux.  Ce  traité  est 
reproduit  dans  le  Cursus  completus  theologiœ  de  Migne, 
t.  xxiv,  col.  157-1616.  Sur  le  traité  adverse  du  Père 
Cellot,  voir  t.  ii,  col.  2089-2090. 

La  lutte  entre  la  Sorbonne  et  la  Compagnie  de  Jésus 
n'avait  rien  perdu  de  son  acuité.  Le  succès  de  la 
Defensio  porta  les  collègues  de  Hallier  à  le  charger  de 
composer  un  ouvrage  sur  la  morale  des  jésuites.  Il 
commença  le  travail.  Mais,  apercevant  très  proba- 
blement le  caractère  de  parti  d'une  telle  œuvre,  il 
passa  ses  matériaux  à  Arnauld.  De  là  sortit  le  célèbre 
ouvrage  :  Théologie  morale  des  jésuites,  exlrailte  fidèle- 
ment de  leurs  livres,  contre  la  morale  chrétienne  en  général, 
s.  1.,  1645.  C'était  le  commencement  de  la  campagne 
qui  devait  aboutir  aux  Provinciales.  L'ouvrage  parut 
sous  le  voile  de  l'anonymat.  Il  fut  immédiatement 
attribué  soit  à  Hallier,  soit  à  Arnauld.  Aussi  les 
réponses  faites  par  les  Pères  contre  ce  libelle  attaquent- 
elles  nommément  Hallier.  C'est  le  cas  surtout  pour 
l'ouvrage  pseudonyme  que  le  P.  Pinthereau  publia 
sous  le  titre  :  Les  impostures  et  les  ignorances  du  libelle 
intitulé  la  Théologie  morale  des  jésuites,  par  l'abbé  de 
Boisic,  Paris,  1644.  Ses  idées  sur  la  hiérarchie  étaient 
vivement  attaquées.  Il  répondit  par  la  Défense  de  la 
doctrine  de  M.  Hallier...  contre  les  calomnies  et  impos- 
tures du  supposé  abbé  de  Boisic,  Paris,  1644.  Enfin, 
reprenant  dans  toute  leur  ampleur  les  idées  qu'il  avait 
toujours  soutenues,  il  les  exposa  dans  son  grand 
ouvrage  :  De  hierarchia  ccclesiaslica  libri  quatuor, 
in-fol.,  Paris,  1646.  La  polémique,  chez  lui,  se  résolvait 
toujours   en   dogmatique. 

Toutes  ces  publications,  la  part  active  qu'il  prenait 
aux  délibérations  de  l'université,  le  titre  de  professeur 
royal  qui  lui  avait  été  attribué,  la  faveur  de  Richelieu 
et  du  cardinal  Barberini,  avaient  fait  de  Hallier  un 
personnage  important.  Aussi  l'assemblée  du  clergé  de 
1645  le  choisit-elle  comme  promoteur.  On  y  discuta 
une  fois  de  plus  la  question  alors  âprement  contro- 
versée, le  problème  des  rapports  du  clergé  séculier 
avec  le  clergé  régulier.  Hallier  composa  sur  ce  sujet  un 
recueil  important  sous  ce  titre  :  Ordinationes  universi 
cleri  gallicani  circa  regulafes,  conditœ  primum  in 
comitiis  gcncralibus  anno  1625,  renovatœ  et  promulguiez 
in  comitiis  anno  1645.  Ce  recueil,  enrichi  de  commen- 
taires, fut  publié  seulement  après  la  mort  de  l'auteur, 
à  Paris,  en  1665,  par  Gerbais.  Mais  en  1649,  Hallier 
était  nommé  syndic  de  la  faculté  de  théologie.  Il  avait 
ainsi  parcouru  tout  le  cycle  des  honneurs  universi- 
taires. 

D'autres  l'attendaient.  Il  avait  été  nommé,  par 
l'évêque  de  Chartres,  de  Lescot,  théologal  de  sa  cathé- 
drale. L'évêque  de  Saint-Malo  l'avait  choisi  comme 
archidiacre  de  Dinan.  En  1652,  il  était  délégué  par  le 
clergé  de  France,  avec  les  docteurs  de  Sorbonne 
Joisel  et  Lagaut,  pour  solliciter  en  cour  de  Rome  la 
condamnation  des  cinq  propositions.  Le  jansénisme 
était  devenu  un  parti  dans  l'Église  et  dans  l'État. 
Hallier  n'était  pas  homme  de  parti.  Par  cal  le  lui  repro- 
chera durement  dans  la  quatrième  Provinciale.  Il 
obtint   d'Urbain    VIII   la   bulle    Cum    occasione   qu 


-2039 


IIALLIER  —  HAMEL 


2040 


condamnait  les  cinq  propositions.  A  cette  occasion  il 
composa  de  nombreux  mémoires  qui  sont  restés 
inédits.  lien  fut  de  même  d'ouvrages  plus  importants 
qui  se  rapportent  à  ses  préoccupations  ordinaires,  en 
particulier  un  De  primatu  Pétri  et  un  De  jure  parocho- 
rum.  Enfin  en  1657,  il  fut  nommé  évêque  de  Cavaillon, 
après  avoir  été  depuis  longtemps  proposé  pour  l'épis- 
copat  et  même  pour  le  chapeau  de  cardinal.  11  mourut 
le  2  juillet  1659,  à  l'âge  de  74  ans. 

P.  Féret,  La  faculté  de  théologie  de  Paris.  Époque  moderne, 
Paris,  1904,  t.  ni,  p.  160-164;  1906,  t.  îv,  p.  310-306; 
H.  Reusch,  Der  Index  der  verbotenen  Bûcher,  Bonn,  1885,  t.  n, 
1».  38,  491  ;  C.  Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  C"  de  Jésus, 
t.  i,  col.1060  ;  t.  VI,  col.  826-827  ;  Gallia  christiana,  1. 1,  col.  937  ; 
jlurter,  Nomenclator,  Inspruck,  1907,  t.  ni,  col.  1184-1185. 

A.  Humbert. 
H  ALLOIX  Pierre,  jésuite  belge,  né  à  Liège  le  27  dé- 
cembre  1571,  admis  au  noviciat  le  10  novembre  1592, 
se  distingua  de  bonne  heure  par  ses  travaux  d'érudition 
et  de  critique  surtout  dans  le  domaine  de  la  patrologie. 
11  publia  en  1622  la  Vie  de  saint  Justin  le  Philosophe 
avec  un  recueil  de  documents  biographiques  et  des 
notes  relatives  à  ses  écrits  et  à  sa  doctrine  :  Vita  el 
documenta  S.  Justini  philosophi  et  martyris,  in-8°,  Douai, 
1C22,  reproduite  par  les  bollandistes  dans  Acta  sancto- 
rum,  aprilis  t.  il,  p.  108  sq.  Grabe  a  utilisé  les  notes 
du  P.  Halloix  dans  son  édition  de  la  première  Apologie 
de  saint  Justin,  Oxford,  1700.  Le  P.  Halloix  avait  en- 
trepris la  publication  de  monographies  critiques  sur 
les  écrivains  les  plus  illustres  des  premiers  siècles  de 
l'Église  d'Orient.  Un  premier  volume  parut  en  1638  : 
lllustrium  Ecclesiœ  orienlalis  scriplorum  qui  sanctitati 
juxla  et  eruditione  primo  Christi  sœculo  florucrunt,  in-fol., 
Douai,  1638,  avec  notes  et  documents.  La  Vie  de  saint 
!  >enys  l'Aréopagite  a  été  reproduite  dans  l'édition  des 
Oeuvres  de  saint  Denys  par  le  P.  Balth.  Cordier.  Le 
second  volume  comprenant  les  écrivains  du  ne  siècle 
parut  en  1636.  Du  troisième  volume,  qui  ne  put  être 
achevé,  il  ne  parut  qu'une  partie  :  Origenes  defensus, 
in-fol.,  Liège,  1648,  où  l'auteur  s'attache  avec  plus  de 
zèle  que  de  critique  à  établir  l'orthodoxie  des  doctrines 
d'Origène  et  à  mettre  en  relief  la  sainteté  de  sa  vie. 
L'ouvrage  fut  prohibé  par  décret  de  la  S.  C.  de  l'Index, 
le  12  mai  1655,  donec  corrigatur.  Le  P.  Garnier,  dans  sa 
dissertation  sur  le  Ve  synode  tenu  contre  les  pélagiens, 
a  repris,  après  Noris,  l'examen  de  la  thèse  de  Halloix  et 
des  objections  qu'elle  soulève  :  Marii  Mercatoris  Opéra, 
Paris,  1673,  c.  v.  On  a  encore  du  P.  Halloix  divers 
ouvrages  biographiques,  entre  autres  une  Vie  de  saint 
Camille  de  Lellis,  une  Anthologie  poétique  grecque  et  la- 
tine avec  une  étude  des  synonymes,  une  édition  rema- 
niée des  Commentaires  de  Tr.  Ribeira  sur  l'Apocalypse. 
Le  Commenlarius  in  evangelia  quadragesimse,  Paris, 
1658,  qui  lui  a  été  parfois  attribué,  n'est  pas  de  lui. 
Le  P.  Halloix  mourut  à  Liège  le  30  juillet  1656,  usé  par 
ses  veilles,  par  ses  étonnantes  macérations  et  ses  tra- 
vaux. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  Cie  de  Jésus,  t.  iv, 
col.  52-55;  Hurter,  Nomenclator,  3e  édil.,  Inspruck,  190  7 
1.  m.  col.  1699  sq.;  Antiquilates  Ecclesiœ  Orienlalis,  hoc 
est  Epislolx  J.  Morini  et  ad  illum  scrii>t£e,  Londres,  1082, 
p.  170  sq. 

P.  Bernard. 

HAMEL  (Jean-Baptiste  du),  philosophe  et  théolo- 
gien français,  né  à  Vire  le  11  juin  1624,  mort  à  Paris  le 
6  août  1706.  Avant  même  d'entrer  à  l'Oratoire  (le 
2-1  décembre  1643),  il  avait  composé,  étant  professeur 
de  mathématiques  au  collège  bayeusien  de  Maître- 
(  iervais  à  Paris,  des  Elementa  astronomica,  suivis  d'une 
trigonométrie,  qu'il  fit  imprimer,  in-16,  Paris,  1642, 
«  une  vanité  de  jeune  homme»,  comme  il  avoua 
plus  tard;  mais,  ajoute  Batterel,  «  peu  de  gens  de  cet 
âge  pourraient   avoir  la  même   vanité.    »  Après  son 


institution  (noviciat),  il  professa  la  philosophie  au 
collège  d'Angers  jusqu'en  1652,  puis  la  «  positive  »  à 
la  maison  de  Paris;  mais  peu  après,  en  1653,  il  quitta 
l'Oratoire  pour  devenir  curé  de  Neuilly-sur-Marne, 
puis,  en  1663,  chancelier  de  Bayeux  et  en  1666  premier 
secrétaire  perpétuel  de  l'Académie  des  sciences,  charge 
à  laquelle  il  renonça  en  1697  pour  mourir  saintement 
en  1706.  Fontenelle,  qui  lui  succéda,  termine  ainsi 
son  éloge  :  «  Il  faudrait  maintenant  le  représen- 
ter comme  homme  et  peindre  ses  mœurs,  mais  ce 
serait  le  panégyrique  d'un  saint,  et  nous  ne  sommes 
pas  dignes  de  toucher  à  cette  partie  de  son  éloge  qui 
devrait  être  faite  à  la  face  des  autels,  et  non  dans  une 
académie.  » 

Parmi  ses  nombreux  ouvrages,  les  suivants  doivent 
être  mentionnés  ici  :  Philosophia  moralis  christiana, 
in-8°,  Angers,  1652  (c'est  une  partie  de  son  cours 
publié  à  son  insu  par  un  de  ses  élèves):  De  consensu 
veteris  et  novœ  philosophiœ  ubi  Platonis,  Aristolelis, 
Epicuri,  Carlcsii  aliorumque  placila  de  principiis  rerum 
exculiuntw...,  Paris,  1663;  Rouen,  1667,  1675; 
Oxford,  1669  (ce  que  le  titre  promet  y  est  pleinement 
exécuté,  dit  Batterel);  De  corporum  ajjcctionibus  lum 
manijestis  lum  occultis  libri  duo,  seu  promotœ  per 
expérimenta  philosophiœ  spécimen,  in-12,  Paris,  1670, 
1673;  De  mente  humana  libri  quatuor  in  quibus  junc- 
liones  animi,  vires...  pertraclanlur,  in-12,  Paris,  1672, 
1677;  De  corpore  animalo  libri  quatuor,  seu  prcmolœ 
per  expérimenta  philosophiœ  spécimen  altcrum,  in-12, 
Paris,  1673.  Les  ouvrages  de  philosophie  et  d'astro- 
nomie de  du  Hamel  furent  réimprimés,  4  in-4°,  Nurem- 
berg, 1687.  Colbert  engagea  du  Hamel  à  composer 
pour  son  fds  un  cours  complet  de  philosophie,  que 
l'abbé  Colbert,  qui  mourut  archevêque  de  Rouen, 
dictait  au  collège  de  Bourgogne,  afin  d'appartenir  à  la 
Sorbonne,  et  qu'il  fit  imprimer  :  Philosophia  velus 
et  nova  ad  usum  scholœ  accommodala,  4  in-12,  Paris, 
1678,  1682,  1684,  1700;  2  in-4",  Nuremberg,  1684; 
5  in-12,  Paris,  1705  (sous  un  autre  titre);  6  in-12, 
Venise,  1730  (il  y  trouva  le  secret,  jusqu'alors  inconnu, 
de  réunir  en  un  même  goût  d'étude  les  jésuites  et 
l'Oratoire  par  l'usage  que  les  uns  et  les  autres  firent 
de  son  livre,  Batterel):  Thcologia  spcculatrix  et  pra- 
ctica  juxta  SS.  Palrum  dogmata  pertraclata  et  ad 
usum  scholœ  accommodala,  7  in-8°,  Paris,  1690-1691; 
2  in-fol.,  Venise,  1734;  un  abrégé  en  parut  sous  le 
titre  :  Theologiœ  clericorum  seminariis  accommodalœ 
summarium,  5  in-12,  Paris,  1694;  Instituliones  biblicœ 
seu  Scripturœ  S.  prolegomena  una  cum  seleelis  annota- 
lionibus  in  Pentateuchum,  in-12,  Paris,  1698;  Anno- 
tationes  scleclœ  in  difjlciliora  Scripturœ  loca...  (sur  les 
livres  historiques  de  l'Ancien  Testament  et  sur  Job), 
in-12,  Paris,  1699;  Liber  Psalmorum  cum  seleelis 
annotationibus  in  loca  difpciliora,  Rouen,  1701; 
Salomonis  libri  1res...,  item  libri  Sapienliœ  el  Ecclesia- 
slicus  cum  seleelis  annotationibus,  in-12,  Rouen,  1703, 
et  enfin  une  édition  de  la  Bible  entière,  toujours  cum 
seleelis  annotalionibus,  qui  parut  l'année  de  sa  mort, 
et  fut  encore  réimprimée  à  Madrid  en  1767  et  à 
Venise  en  1774. 

Fontenelle,  Histoire  du  renouvellement  de  l'Académie 
royale  des  sciences  et  les  éloges  historiques  etc.,  in-12,  Paris, 
1708,  t.  n,  p.  191-225  (l'Éloge  de  du  Hamel  est  reproduit 
dans  le  Journal  des  savants,  février  1707,  supplément, 
t.  xxxv,  p.  395-406)  ;  Nicéron,  Mémoires,  t.  i,  p.  265-274  ; 
Mémoires  de  Trévoux,  janvier  1706,  t.  n,  p.  61  ;  juin  1703, 
t.  m,  p.  413;  Moi in-La vallée,  Essai  de  bibliographie  viroisc, 
Caen,  1869,  p.  40  sq.;  Batterel,  Mémoires,  t.  ni,  p.  142-154; 
Ingold,  Essai  de  bibliographie  oratorienne,  Paris,  1880, 
p.  41-44;  A.  Vialard,  Le  premier  secrétaire  perpétuel  de 
l'Académie  des  sciences,  J.-B.  du  Hamel,  in-8°,  Paris,  1884; 
Dictionnaire  de  la  Bible  de  Vigouroux,  t.  n,  col.  1513-1514; 
The  calholic  encyclopedia,  New- York,  1909,  t.  v,  p.  187; 
Hurter,  Nomenclator,  1910,  t.  iv,  col.  657-661. 


2041 


HAMEL 


HARDOUIN 


2042. 


Sur  la  philosophie  de  du  Hamel,  voir  Brucker,  Historia 
critica  philosophiœ,  Leipzig,  1743,  t.  iv.p.  760;  F.  Bouillier, 
Histoire  de  la  philosophie  cartésienne,  3'  édit.,  Paris,  186S, 
t.  I,  p.  556  sq.;  Luquet,  Mémoire  sur  les  rapports  de  la  phi- 
losophie de  Leibniz  avec  celle  de  J.-B.  du  Hamel,  Clermont, 
1803;  abbé  A.  Vialard,  oi>.  cit.,  p.  12S-210;  abbé  P.  D.Ber- 
nier, De  mente  hamana  apud  Johannem  Baptisiamdu  Hamel, 
Ecclesiœ  Bajocensis  cancellarium,  primum  regiiv  Scientiorunt 
Académies  secretarium  (thèse),  in-8°,  Caen,  1891. 

A.    Ingoi  d. 

HAMDLTON  François,  bénédictin,  né  en  1550  d'une 
illustre  famille  d'Ecosse,  mort  à  Wurzbourg  en  1617. 
Il  embrassa  la  vie  religieuse  sous  la  règle  de  saint  Be- 
noît en  1578  à  l'abbaye  des  Écossais  de  Ratisbonne. 
Ses  supérieurs  l'envoyèrent  en  1595  à  Wurzbourg  pour 
y  relever  l'abbaye  des  Écossais  dont  il  fut  prieur,  puis 
abbé  en  1611.  Il  publia  un  traité  :  De  sanctorum  invo- 
calione  et  légitima  usa  sacrarum  imaginum,  in-4°, 
Wurzbourg,  1596,  1597. 

Ziegelbauer,  Historia  rei  lilerarix  ordinis  S.  Benedicli, 
t.  IV,  p.  190,  639;  (dom  François),  Bibliothèque  générale 
des  écrivains  de  l'ordre  de  Saint-Benoit,  t.  i,  p.  457;  Allge- 
meine  deutsche  Biographie,  t.  x,  p.  390-391;  llurter,  A'o- 
menclalor,  1907,  t.  m,  col.  400. 

B.  Heurtebize. 
HAMMER  Wilheim,  dominicain  allemand,  né  à 
Neuss,  prés  de  Dusseldorf,  vers  la  fin  du  xve  siècle. 
Il  étudia  à  Cologne  et  en  même  temps  qu'aux  études 
traditionnelles  dans  son  ordre  il  voulut  s'initier  aux 
études  classiques,  mises  en  honneur  par  les  humanistes. 
Il  se  trouvait  à  Ulm,  lorsqu'éclata  la  révolte  de 
Luther.  En  1537  nous  le  retrouvons  sous-prieur  a 
Schlestadt.  C'est  vers  cette  époque  que  Beatus  Rhe- 
nanus,  écrivant  à  Bonifacius  Amerbach,  le  24  jan- 
vier 1575,  parlait  de  Hammer  comme  d'un  humaniste 
distingué.  En  1539.  Hammer  fut  envoyé  à  Colmar 
pour  y  organiser  en  faveur  des  jeunes  religieux  de  son 
ordre  des  cours  de  latin  et  de  grec;  et,  à  cette  occasion, 
Beatus  Rhenanus  écrivant  au  prieur  des  augustins  de 
Co'mar,  Jean  Hofmcister,  se  montrait  fort  heureux  de 
cette  initiative  des  dominicains  et  désirait  voir  les  autres 
corps  religieux  suivre  leur  exemple.  Voir  N.  Paulus, 
Die  deutschen  Dominikaner  im  Kampje  (jegen  Luther, 
p.  182.  Nous  ne  savons  pas  si  Hammer  demeura  long- 
temps à  Colmar;  mais  il  dut  quitter  cette  ville  pour  le 
couvent  de  Gotteszell,  près  de  Gmund  en  Wurtem- 
berg; il  y  passa  les  dernières  années  de  sa  vie,  tout  au 
ministère  et  à  la  direction  des  religieuses.  Il  vivait 
encore  en  1564,  et  au  chapitre  général  de  Bologne,  tenu 
cette  même  année,  on  lui  confirma  son  titre  de  docteur. 
Acta  capitulorum  generalium,  édit.  Reichert,  Rome, 
1901,  t.  v,  p.  G8.  C'est  aussi  en  cette  même  année  1564 
que  parut  son  commentaire  sur  la  Genèse.  Il  avait  pour 
titre  :  Commentât iones  in  Gencsim  doclw,  utiles  et 
leetu  jucundse,  plurimis  clorissimorum  hebnrœ,  grœciv 
et  Ictthinœ  linguœ  authorum  sacrorum  et  profanorum 
senlcntiœ  adeo  ornatee,  ut  ab  sequo  candidoque  lectorc 
sinemagno  jructuct  voluptate  legi  nonpossint,  Dillingen, 
1561.  Dans  ce  commentaire,  l'auteur  cherche  à  établir 
une  sorte  de  concordance  entre  les  passages  de  l'Écri- 
ture et  les  classiques.  C'est  avant  tout  un  travail 
d'humaniste,  qui  s'efforce  de  faire  profiter  la  religion 
des  progrès  des  lettres,  sans  pour  cela  se  laisser 
entraîner  par  les  idées  nouvelles.  Il  ne  semble  pas 
qu'Hammer  ait  pris  grande  part  aux  discussions  reli- 
gieuses de  son  temps;  il  déclare  d'ailleurs  lui-même 
qu'avec  les  novateurs,  c'est  perdre  son  temps  que  de 
vouloir  discuter. 

Echard,  Scriplores  ordinis  prsedicatorum,  Paris,  1719, 
1721,  t.  il,  p.  186;  N.  Paulis,  Die  deutschen  Dominikaner 
im  Kampje  gegen  Luther,  1518-1563,  Fiibourg-en-Brisgau, 
1903,  p.  J«1-186. 

R.  Coulon. 


H  ANGEST  (Jérôme  d'),  théologien,  né  à  Compiègne, 
mort  au  Mans  le  8  septembre  1538.  Docteur  en  théolo- 
gie, il  enseigna  à  l'université  de  Paris.  Le  cardinal 
Louis  de  Bourbon,  évêque  du  Mans,  le  choisit  pour  son 
grand  vicaire,  et  le  fit  chanoine  et  écolâtre  de  sa  cathé- 
drale. Dans,  ces  fonctions  Jérôme  d'Hangest  se  fit 
remarquer  par  sa  science  théologique  et  par  son  zèle 
contre  les  fauteurs  des  doctrines  protestantes.  Il  fut 
enseveli  dans  la  chapelle  du  Sépulcre  de  la  cathédrale 
du  Mans.  Parmi  ses  écrits  on  remarque  :  Introduclo- 
rium  morale,  in-4°,  Paris,  1515;  De  libero  arbitrio  et 
ejus  coeffleentia  in  Lutherum,  in-8°,  Paris,  1521;  De 
chrislifera  eucharistia  adversus  Nugiferos,  in-8°,  Paris, 
1521;  Prseconiorum  beatœ  Virginis  adversus  antima- 
rianos  propugnaculum,  in-4°,  Paris,  1523;  Analogie 
contre  les  faux  Christs,  in-8°,  Paris,  1523;  Liber  apolog 
ticus  pro  academiis  contra  Lutherum,  in-4°,  Paris,  1525  : 
l'auteur  défend  contre  Luther  les  universités  et  l'usage 
d'y  prendre  les  grades;  il  montre  l'utilité  de  la  théolo- 
gie scolastique  pour  l'étude  des  sciences  sacrées;  De 
possibili  prœceplorum  divinorum  impletione  in  Luthe- 
rum, in-4°,  Paris,  1528. 

Dupin,  Histoire  des  auteurs  ecclésiastiques  du  XI  l>  siècle, 
t.  iv,  p.  540;  dom  Piolin,  Histoire  de  l'Église  du  Mans', 
in-8°,  le  Mans,  1861,  t.  v,  p.  339,  377,  382;  Moréri,  Diction- 
naire historique,  t.  v  b,  p.  515;  Kirchenlexikon,  t.  v,  p.  1496; 
llurter,  Nomenclalor,  1906,  t.  iv,  col.  1275. 

B.  Heurtebize. 

HARDEBY  Gaifridus,  augustin  anglais  du  xive  siè- 
cle (mort  en  1360),  fut  longtemps  professeur  d'Écri- 
ture sainte  à  l'université  d'Oxford.  Doué  d'une  élo- 
quence remarquable,  il  fut  choisi  par  le  roi  Edouard  1 1  r 
d'Angleterre  comme  son  prédicateur,  et  ensuite  comme 
son  conseiller  politique  et  son  confesseur.  Il  laissa  en 
manuscrits  les  ouvrages  suivants  :  1°  De  vita  evangelica, 
liber  unus;  2°  De  perfectione  evangelicœ  paupertalis  liber 
duo,  contra  Armachanum  qui  affirmât  lurpe  esse  chris- 
tianos  sua  volunlale  fieri  mendicos;  3"  Quodlibela  Oxo- 
niensia,  liber  unus;  4°  Ordinarise  quœstiones,  liber 
unus;  5°  Determinationum  liber  unus;  6°  Lectionum  in 
Novum  Testamenlum  libri  plures;  7°  Postillœ  Scriptu- 
rarum,  liber  unus;  8°  Sermonum  de  lempore  liber  unus; 
9°  Sermonum  de  sanclis;  10°  Sermonum  in  festivilatibu's 
B.  Mariœ  Virginis  liber  unus;  11»  De  rébus  geslis 
ordinis  eremilarum  S.  Augustini,  liber  unus. 

Lanteri,  Postrema  ssecula  sex  religionis  augustiniana>,  t.  i, 
p.  280;  Ossinger,  Bibliotheca  augustiniana,  Ingolstadt,  1768, 
p.  426 ;  Elsius,  Encorniasticon  augustinianum, Bruxelles,  165-1, 
p.  226;  L.  Moréri,  Grand  dictionnaire  historique,  Paris,  1718, 
t.  m,  p.  437;  Hurter,  Nomenclator,  1906,  t.  n,  col.  637. 

N.    Merlin. 

HARDOUIN  Jean,  jésuite  français,  né  à  Quimper  le 
22  décembre  1646  de  famille  normande,  admis  au  novi- 
ciat de  Paris  le  27  septembre  1666.  Après  avoir  ensei- 
gné pendant  cinq  ans  les  humanités  et  la  rhétorique 
aux  collèges  d'Arras  et  d'Eu,  il  commença  en  1674  ses 
études  de  théologie  à  Paris.  Le  P.  Garnier  l'initia  pen- 
dant ce  temps  à  la  bibliographie.  Après  sa  troisième 
année  de  probation  à  Bouen.il  revint  au  collège  Louis- 
!e-Grand  avec  la  charge  de  bibliothécaire  et,  en  1683, 
il  fut  nommé  professeur  de  théologie  positive,  fonction 
qu'il  remplit  avec  le  plus  brillant  succès  jusqu'en  1718. 
Il  se  distingua  de  bonne  heure  par  son  immense  érudi- 
tion. Littérature,  langues  savantes,  histoire,  numis- 
matique, philosophie,  théologie,  patris tique  et  exégèse, 
il  menait  de  front  sans  fatigue  les  études  les  plus  di- 
verses et  les  plus  étendues.  Dès  la  fin  de  ses  études  sco- 
lastiques,  il  collabore  au  Journal  des  savants  par  des 
mémoires  sur  les  monnaies  antiques  et  sur  les  Odes 
d'Horace.  En  1684,  il  donne  une  édition  nouvelle  des 
harangues  de  Themistius  en  grec  et  en  latin  déjà  pu- 
bliées par  le  P.  Pétau,  mais  enrichies  de  texles  nou- 
veaux et  de  savants  commentaires.  Cf.  Acta  crudUj 


2043 


HARDOUIN 


2044 


rum,  1685,  p.'460;  Richard  Simon,  Bibliothèque  choisie, 
t. 1,  c.  xv ;  Colomiès,  Bibliothèquechoisie,  1731,  p.  109  sq. 
On  trouvera  dans  le  P.  Sommervogel  la  liste  com- 
plète de  ses  nombreux  ouvrages  relatifs  à  l'histoire 
profane,  à  la  philologie,  à  l'archéologie  :  ils  attestent, 
en  même  temps  qu'un  immense  labeur.une  prodigieuse 
érudition.  Malheureusement  l'originalité  de  la  critique 
ne  répond  pas  toujours  à  la  solidité  du  savoir  et  les 
conclusions  paradoxales  de  l'auteur  ont  soulevé  autour 
de  lui  bien  des  attaques,  notamment  contre  sa  chrono- 
logie basée  sur  la  numismatique  et  contre  ses  étranges 
déductions  tendant  à  rejeter  l'authenticité  des  Odes 
d'Horace,  de  V Enéide  et  de  VÉglogue  à  Pollion,  des 
discours  de  Cicéron  et  d'autres  œuvres  de  l'antiquité 
classique.  Cf.  Brumoy,  Observations  sur  les  systèmes  des 
PP.  Hardouin  et  Berruyer,  dans  les  Mémoires  de  Tré- 
voux, janvier  1734,  p.  76-111;  février  1734,  p.  306-336; 
décembre  1761,  p.  312-340;  art.  du  P.  Berthier  (Irailh), 
Querelles  littéraires  ou  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire 
des  révolutions  de  la  république  des  lettres,  Paris,  1761, 
t.  ni,  p.  19-40.  Voir  aussi  les  deux  lettres  de  Cuper  à  la 
Croze  contre  le  P.  Hardouin,  13  mars  et  20  avril  1708, 
dans  Recueil  de  littérature,  de  philosophie  et  d'histoire 
(de  Jordan),  Amsterdam,  1730,  p.  47-61,  125-135. 

Sur  le  terrain  de  la  théologie  positive  et  de  l'histoire 
des  dogmes,  le  P.  Hardouin  a  bien  mérité  de  l'Église. 
Il  publie  d'abord  son  édition  de  la  lettre  de  saint  Jean 
Chrysostome  à  Césaire,  enrichie  de  notes  critiques  et 
d'une  dissertation  sur  le  sacrement  de  l'autel  :  Sancti 
Joannis  Chrysoslomi  epistola  ad  Cœsarium  monachum, 
in-4°,  Paris,  1689,  où  il  explique  le  15e  canon  du  Ier  con- 
cile d'Arles,  le  16e  canon  du  Ier  concile  d'Orange  et  le 
me  chapitre  du  Ier  concile  de  Tours.  Comme  les  sacra- 
mentaires  s'appuyaient  pour  établir  leur  thèse  sur 
quelques  passages  obscurs  de  cette  lettre,  la  disserta- 
tion fut  vivement  attaquée  par  les  auteurs  protestants, 
notamment  par  Basnage  et  Jean  Le  Clerc.  Hardouin 
répondit  par  sa  Défense  de  la  lettre  de  saint  Chrysostome 
à  Césaire,  in-4°,  Paris,  1690.  Cf.  Journal  des  savants, 
1691,  p.  78-83.  L'auteur  rejette  comme  apocryphes  les 
écrits  de  Facundus  d'Hermiane,  de  Libérât,  de  Marius 
Mercator,  de  Victor  de  Tunone,  la  plupart  de  ceux  de 
Cassiodore,  quelques-uns  de  saint  Justin  martyr  et  de 
saint  Isidore.  Cf.  Dupin,  Nouvelle  bibliothèque  des  au- 
teurs ecclés.,  Paris,  1720,  t.  iv,  préface;  Jacques  Boileau, 
De  corpore  et  sanguine  Domini,  Paris,  1712;  Vindiciœ 
Chrysoslomi  contra  Joa.  Ilardouinum,  Wittemberg, 
1712;  Mémoires  de  Trévoux,  1713,  p.  629-639;  Journal 
des  savants,  1712,  p.  314  sq.  Dans  la  controverse  qui 
occupait  alors  les  théologiens  relativement  à  la  date 
exacte  de  la  dernière  pâque  de  Notre-Seigneur,  le 
P.  Hardouin  intervint  par  une  dissertation  :  De  supremo 
Domini  noslri  Paschate,  in-4°,  Paris,  1695,  dirigée  con- 
tre la  thèse  du  P.  Lamy;  puis  par  un  Extrait  du  traité 
du  P.  B.  sur  la  dernière  pâque  de  Noire-Seigneur,  in-4°, 
Paris,  1693.  Le  P.  Hardouin  prétend  que,  l'année  de  la 
mort  de  Notre-Seigneur,  les  Galiléens  firent  la  pàque 
le  jeudi  et  que  Notre-Seigneur,  qui  était  Galiléen,  la  fit 
ce  même  jour,  tandis  que  les  autres  juifs  ne  la  célé- 
brèrent que  le  vendredi.  Cf.  Journal  des  savants,  1693, 
p.  438  sq.  Il  suffit  de  faire  mémoire  de  ses  dissertations 
sur  le  mot  de  Liberlinorum  aux  Actes  des  apôtres  et 
sur  les  Assidéens,  Pharisiens,  Sadducéens,  Opéra  selecla, 
p.  903;  de  sa  Traduction  et  explication  du  psaume 
t.xvu,  Paris,  1707;  de  la  Version  vulgatc  justifiée 
dans  un  passage  des  Proverbes,  1711;  d'une  nouvelle 
dissertation  sur  le  sacrement  de  l'autel  :  Quid  sit  mys- 
tirium  fidei  in  consecratione  calicis,  et  d'autres  écrits 
relatifs  à  l'exégèse  ou  à  la  critique  des  textes.  Cf.  Som- 
mervogel, t.  iv,  col.  101,  n.  67;  col.  102,n.70,  etc.;  Ana- 
treta  juris  ponli/icii,  Paris,  1879,  col.  55-88,  172-228, 
277-320,  399-121. 

L'œuvre  capitale  du  P.  Hardouin,  cl  qui  compte 


parmi  les  travaux  les  plus  marquants  du  xvm°  siècle, 
est  sa  collection  des  conciles.  L'Assemblée  du  clergé 
de  France  de  1687,  ayant  décidé  qu'une  nouvelle  édition 
des  conciles  serait  entreprise  cette  année  même,  avait 
confié  au  P.  Hardouin  cette  lourde  tâche  pour  laquelle 
il  reçut  une  pension  du  clergé.  Louis  XIV,  à  la  requête 
de  l'abbé  Bignon,  ordonna  que  les  frais  de  cette  publi- 
cation seraient  supportés  par  le  trésor  royal.  Les  onze 
premiers  volumes  étaient  achevés  en  1715  et  l'auteur 
publiait  alors  un  Conspcclus  de  son  édition  en  annon- 
çant qu'il  remettait  à  un  volume  suivant  les  annota- 
tions et  les  notes.  Les  craintes  des  gallicans  furent 
vivement  éveillées.  Après  la  mort  de  Louis  XIV,  le  par- 
lement de  Paris  résolut  de  prendre  connaissance  de 
tous  les  textes  réunis  et,  par  arrêt  du  20  décembre  1715, 
nomma  des  commissaires  chargés  d'examiner  à  fond 
les  onze  volumes.  Défense  était  faite  au  directeur  de 
l'imprimerie  royale  de  laisser  sortir  un  seul  exemplaire. 
Le  rapport  des  trois  commissaires  de  Sorbonne  parut 
le  7  septembre  1722  :  l'ouvrage  était  incriminé  comme 
renfermant  des  maximes  contraires  aux  libertés  de 
l'Église  gallicane.  L'auteur  était  accusé  au  surplus 
d'avoir  supprimé  des  pièces  manifestement  authen- 
tiques et  de  les  avoir  remplacées  par  d'autres  manifes- 
tement apocryphes;  en  vertu  de  quoi  il  était  tenu  à 
des  cartons.  Le  parlement  supprima  en  outre  l'épître 
dédicatoire  à  Louis  XIV  et  exigea  que  l'avis  des  com- 
missaires serait  inséré  intégralement  ainsi  que  toute  la 
série  des  arrêts  rendus  au  cours  de  cette  affaire.  Appel 
fut  dressé  au  conseil  d'État  qui,  par  décision  du  25  avril 
1725,  cassa  purement  et  simplement  l'arrêt  du  parle- 
ment et  permit  la  vente  de  l'ouvrage  sans  aucune  for- 
malité. Les  additions  des  commissaires  sorties  des 
presses  de  l'imprimerie  royale  furent  supprimées  avec 
soin,  mais  elles  ne  tardèrent  pas  à  être  réimprimées  en 
Hollande  sous  ce  titre  :  Avis  des  censeurs  nommés  par 
la  cour  du  parlement  de  Paris  pour  l'examen  de  la  nou- 
velle collection  des  conciles  faite  par  les  soins  du  P.  Har- 
douin, jésuite,  in-4°,  Utrecht,  1730.  Cf.  Bower,  Ge- 
schichte  der  Papstc,  trad.  Rambach,  t.  iv,  p.  68  :  Disser- 
tation préliminaire  sur  les  collections  des  conciles;  Sal- 
mon,  Traité  de  l'étude  des  conciles,  Paris,  1724,  p.  216- 
227,  517-547.  L'ouvrage  fut  alors  livré  au  public;  il 
parut  sous  ce  titre  :  Acta  conciliorum  et  epistolse  décré- 
tâtes ac  conslitutiones  summorum  pontificum,  11  in-fol., 
1715.  Le  t.  xn  annoncé  par  Hardouin  et  réservé  aux 
remarques  et  annotations  n'a  pas  été  publié.  Le  tra- 
vail du  P.  Hardouin  a  servi  de  base  à  l'édition  de  Co- 
leti,  Sacrosancta  concilia  ad  regiam  editionem  exacla, 
23  in-fol.,  Venise,  1728-1732,  avec  2  vol.  d'Apparatus. 
Cf.  Acta  eruditorum,  1714,  p.  377-389;  Nouvelles  ecclé- 
siastiques, 1731,  p.  35;  H.  Quentin,  Jean-Dominique 
Mansi  et  les  grandes  collections  conciliaires,  Pa  is, 
1900,  p.  33-52  ;  H.  Leclercq,  dans  Hefele,  Histoire  des 
conciles,  trad.  franc.,  Paris,  1907,  t.  i,  p.  105-110. 

Pendant  que  ces  démêlés  occupaient  le  parlement, 
la  Sorbonne  et  l'esprit  public,  le  P.  Hardouin  vaquait 
paisiblement  à  d'autres  savants  travaux,  parmi  les- 
quels il  faut  citer  son  édition  de  Pline  le  Jeune.  Lorsque 
le  P.  Le  Courayer  publia  en  1722  sa  dissertation  sur  la 
validité  des  ordinations  anglicanes,  le  P.  Hardouin 
entra  en  lice  immédiatement  par  un  premier  arti- 
cle dans  les  Mémoires  de  Trévoux,  1722,  p.  468-490,  puis 
par  son  Prélude  de  la  réfutation  du  livre  entier  du  P.  Le 
Courayer  touchant  la  succession  et  l'ordination  des 
êvêques  anglicans.  Mémoires  de  Trévoux,  1724,  p.  135D- 
1360.  La  même  année  il  publiait  le  lor  volume  d'un 
traité  qui  embrassait  l'ensemble  de  la  question  :  La 
dissertation  du  P.  Le  Courayer  sur  la  succession  d-s 
évêques  anglais  et  sur  la  validité  de  leurs  ordinations 
réfutée,  Paris,  1724.  La  seconde  partie  parut  l'année 
suivante.  Il  soutient  contre  Le  Courayer  que  Parker 
n'a  jamais  été  consacré  dans  la  chapelle  du  palais  d_' 


2045 


HARDOUIN  —  HARNEY 


2046 


Lambeth  et  que  Barlow  qui  l'aurait  sacré  n'a  jamais 
lui-même  reçu  l'ordination  épiscopale,  ce  qui  infirme 
toutes  les  ordinations  faites  par  eux.  Le  P.  Le  Quien, 
dominicain,  grand  ami  du  P.  Hardouin,  défendit  la 
même  thèse.  Cf.  Mémoires  de  Trévoux,  1724,  p.  1393- 
1418;  1725,  p.  469-495;  1726,  p.  989-1030;  Journal 
des  savants,  1725,  p.  116-126;  1726,  p.  327-335. 

Le  P.  Hardouin  mourut  le  3  septembre  1729,  re- 
gretté de  tous  ceux  qui  l'avaient  connu.  Il  était  l'obli- 
geance même,  au  témoignage  de  dom  Massuet,  et  l'édi- 
fication en  personne.  «  Regardé  par  les  savants  comme 
un  prodige  de  mémoire  et  d'érudition,  dans  le  collège 
comme  un  modèle  de  la  plus  exacte  régularité,  occupé 
sans  cesse  au  travail,  ne  connaissant  ni  plaisir  ni  récréa- 
tion, ne  se  délassant  de  son  application  à  l'étude  que 
par  celle  qu'il  donnait  à  la  prière,  »  Éloges  de  quelques 
auteurs  français  (par  Philippe  Joly,  le  président  Bou- 
hier  et  Michault),  Dijon,  1742,  p.  428,  il  a  su  se  faire 
pardonner  les  paradoxes  de  son  esprit  trop  peu  sou- 
cieux des  jugements  d'autrui.  Il  en  porta  toutefois 
lourdement  la  peine.  En  1709  parut  à  Amsterdam  une 
édition  de  ses  œuvres  :  Joannis  Harduini  e  Societate 
Jesu  près  bij ter i  opéra  selecla,  comprenant  les  ouvrages 
déjà  publiés  et  quelques  écrits  nouveaux.  Le  P.  Har- 
douin avait  fait  à  ses  précédents  ouvrages  d'impor- 
tantes retouches  que  signalait  le  titre  même  de  l'édi- 
tion nouvelle  :  Opéra  selecla  emendatiora;  mais  l'édi- 
teur n'en  avait  nullement  tenu  compte,  comme  on  le 
voit  par  une  Protestation  du  P.  Hardouin  contre  l'édi- 
tion que  l'on  fait  de  ses  ouvrages  à  Amsterdam,  Paris, 
1708,  protestation  reproduite  dans  les  Mémoires  de 
Trévoux,  août  1708,  et  renouvelée  en  septembre, 
p.  1660-1664.  Les  Opéra  selecla  ne  furent  pas  moins 
publiés;  ils  excitèrent  de  vives  rumeurs  et  la  Compa- 
gnie de  Jésus  fut  accusée  d'avoir  patronné  elle-même 
cette  édition.  Les  supérieurs  furent  obligés  de  protester 
à  leur  tour  contre  une  pareille  assertion  et  obligèrent 
le  P.  Hardouin  à  désavouer  publiquement  les  théories 
qu'il  avait  autrefois  avancées  sur  l'authenticité  d'une 
foule  d'écrits  des  Pères  de  l'Église,  d'écrivains  ecclé- 
siastiques et  d'auteurs  classiques,  théories  qui  avaient 
précisément  motivé  sa  protestation  auprès  de  l'éditeur. 
Le  P.  Hardouin  se  rétracta  en  toute  humilité  et  sincé- 
rité. Cf.  Mémoires  de  Trévoux,  février  1709,  p.  163- 
167.  Ces  pièces,  publiées  séparément,  ont  été  repro- 
duites également  par  Chauffepié  dans  son  Diction- 
naire, art.  Hardouin.  Voir  aussi  C.  Koch,  Slrictura 
theologica  in  J.  Harduini  opéra  selecla,  Helmstadt, 
1710.  Les  Opéra  selecla  ont  été  prohibés  par  décret  de 
l'Index,  le  13  avril  1739.  Divers  écrits  du  P.  Hardouin 
furent  publiés  après  sa  mort  sans  tenir  compte  des 
corrections  faites  antérieurement  et  des  rétractations 
formulées.  Tels  sont  les  Opéra  varia,  in-fol.,  Amster- 
dam, 1723,  qui  furent  mis  à  l'Index  le  13  avril  1739. 
L'ouvrage  contenait  différents  manuscrits  inédits,  entre 
autres  Athei  dctecli,  où  les  doctrines  de  Jansénius,  du 
P.  Malebranche,  de  Thomassin,  d'Arnauld,  de  Nicole 
et  même  de  Descartes  étaient  accusées  de  conduire  à 
l'athéisme.  L'auteur  de  cette  édition  suspecte  ne  s'est 
jamais  fait  connaître.  On  a  soupçonné  l'abbé  d'Olivet 
d'en  être  l'auteur  et  le  P.  Brumoy  déclare  avoir  à  ce 
sujet  «  plus  que  des  conjectures  ».  Lettre  au  marquis  de 
Caumont,  2  janvier  1731.  Cf.  Mémoires  de  Trévoux, 
juin  1731,  p.  1147.  Voir  aussi  Acla  eruditorum,  1735, 
p.  481-490.  Parmi  les  œuvres  posthumes  citons  encore 
le  Commentarius  in  Novum  Testamentum,  Amsterdam, 
1741,  mis  à  l'Index  le  28  juillet  1742;  le  P.  Hardouin 
émet  l'opinion  bizarre  que  le  Christ  et  les  apôtres  ont 
prêché  en  latin  et  que  Céphas  repris  par  Paul  n'était 
pas  l'apôtre  Pierre;  Joannis  Harduini  jesuitas  ad  censu- 
rant scriptorum  veicrum  prolegomcna,  Londres,  1766. 
La  préface  est  de  M.  Bowyer.  L'édition  semble  avoir 
été  faite  par  d'Olivet  sur  un  manuscrit  de  l'auteur. 


L'ouvrage  fut  prohibé  à  Paris  dès  son  apparition.  Huet 
a  fort  bien  dit  au  sujet  du  P.  Hardouin  en  faisant  la  part 
du  feu  :  a  II  a  travaillé  quarante  ans  à  ruiner  sa  répu- 
tation sans  pouvoir  en  venir  à  bout.  »  Cf.  Mémoires  de 
Trévoux,  1734,  p.  111. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  C"  de  Jésus,  t.  iv,  col.  84  ; 
Fleury,  Histoire  ecclésiastique,  t.  xxxm,  p.  173  sq.  ;  Hur- 
ter,  Nomenclator,  3"  édit.,  Inspruck,  1910,  t.  iv,  col.  794, 
1198-1206;  Oudin,  dans  Éloges  de  quelques  auteurs  français, 
Dijon,  1742,  p.  428-469  ;  Lambert,  Histoire  littéraire  du  règne 
de  Louis  XI V,  1. 1,  p.  182  sq.  ;  Michault,  Mélanges  historiques 
et  philologiques,  Paris,  1754,  t.  n,  p.  74-77;  Dupin,  Biblio- 
thèque des  auteurs  ecclésiastiques,  Paris,  1711,  t.  xix. 

P.  Bernard. 
HAREN  (Jean  de),  théologien,  né  à  Valenciennes 
vers  1540,  mort  vers  1620.  Fils  d'un  ministre  protes- 
tant que  ses  discours  séditieux  firent  condamner  à 
mort,  il  se  rendit  fort  jeune  à  Genève  oii  Calvin  le 
prit  en  amitié.  Il  assista  à  la  mort  de  cet  hérétique. 
Pendant  dix-huit  ans  Jean  de  Haren  remplit  les  fonc- 
tions de  ministre  protestant.  Converti  par  les  jésuites, 
il  abjura  à  Anvers  le  3  mars  1586  et  s'appliqua  dès  lors 
à  prêcher  les  doctrines  catholiques.  En  1599,  il  était 
à  Nancy  et  paraît  avoir  été  attaché  au  service  de  la 
princesse  Antoinette  de  Lorraine  qui  venait  d'épouser 
le  duc  Jean-Guillaume  de  Juliers.  Le  7  mars  1610, 
étant  à  Wessel,  il  eut  le  malheur  de  revenir  au  calvi- 
nisme dont  il  fit  profession  publique  dans  le  temple 
des  Wallons.  On  a  de  lui  :  Brief  discours  des  causes 
justes  et  équitables  qui  ont  meues  M.  Jean  Haren,  jadis 
ministre,  de  quitter  la  religion  prétendue  réformée,  pour 
se  ranger  au  giron  de  l'Église  catholique.  Récitées  publi- 
quement au  peuple  d'Anvers  en  la  grande  salle  du  collège 
des  Pères  de  la  Société  de  Jésus,  le  ix*  jour  de  mars  1586 
parle  dit  Haren.  Auquel  sont  adjoustées  certaines  deman- 
des chrestiennes  proposées  par  ledit  Jean  Haren  à  un 
certain  ministre  protestant,  louchant  les  principaux 
pointz  de  la  religion  catholique,  in-12,  Anvers,  1587; 
le  même  écrit  avait  été  publié  en  flamand,  in-12,  An- 
vers, 1586;  Treize  catéchèses  contre  Calvin  et  les  calvi- 
nistes, in-12,  Nancy,  1599;  Profession  catholique  de 
Jean  Haren,  in-12,  Nancy,  1599;  Épistre  et  demande 
chrestienne  de  Jean  Haren  à  Ambroise  Wille,  ministre 
des  estrangers  Wallons  relirez  en  la  ville  d'Aix-la-Cha- 
pelle, in-12,  Nancy,  1599. 

Valèrc  André,  Bibliotheca  belgica,  in-4°,  Louvain,  1643, 
p.  511;  Foppens,  Bibliotheca  belgica,  in-4°,  Bruxelles, 
1739,  t.  n,  p.  653;  Paquot,  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire 
littéraire  des  Pays-Bas,  t.  iv,  p.  186;  dom  Calmet,  Biblio- 
thèque lorraine,  in-fol.,  Nancy,  1751,  p.  479. 

B.  Heurtebize. 

HARNEY  Martin,  dominicain  belge,  naquit  à  Am- 
sterdam le  6  mai  1634,  et  entra  dans  l'ordre  des  prê- 
cheurs le  21  novembre  1650.  Ses  études  achevées,  il 
enseigna  tour  à  tour  la  philosophie  et  la  théologie  à  Lou- 
vain, puis  à  Bruxelles.  Il  se  présenta  à  la  licence  à  l'uni- 
versité de  Louvain  en  1661.  Voir  ses  thèses  dans  Scrip- 
tores  ord.  prœd.,  xvm  sœc,  p.  45.  Ce  n'est  qu'en  1669 
qu'il  prit  le  bonnet  de  docteur  dans  la  même  université. 
(Ses  thèses,  ibid.)  En  1672,  le  général  de  l'ordre, 
Thomas  de  Roccaberti,  l'appela  à  Rome,  en  qualité 
de  socius  pour  les  provinces  de  langue  allemande. 
Trois  ans  après  (1675),  il  quitta  Rome  pour  remplir 
l'office  du  premier  régent  au  collège  de  Louvain.  En 
1680,  puis  de  nouveau  en  1692,  il  fut  élu  provincial 
pour  quatre  ans.  En  1687,  la  chaire  de  théologie 
thomiste  établie  à  l'université  de  Louvain,  à  la  fin  du 
xvi°  siècle,  étant  devenue  vacante,  Harney  y  fut 
appelé  au  mois  d'octobre  1687.  Il  l'occupa  jusqu'à  sa 
mort,  qui  arriva  le  22  avril  1704.  En  1661,  Pierre  de 
Alva  y  Astorga,  mineur,  avait  publié  à  Anvers  son 
Nodus  indissolabilis  oà  l'école  thomiste  se  trouvait 


2047 


HARNEY  —  HARPHIUS 


2(  )is 


attaquée.  Harney  répondit  d'abord  de  vive  voix  en 
trois  discours  prononcés  en  1G63  devant  l'université 
de  Louvain,  puis  par  écrit  :  Epistola  apologetica  ad 
/;.  A.  1'-  F.  Petrum  de  Alva  et  Asturga...  de  secunda 
editione  (1662)  ejus  Nodi  indissolubilis,  et  publieatione 
libelli,  cui  tituhim  jecit  :  Cerlum  quid...,  Bruxelles, 
1664.  On  a  aussi  de  lui  :  Bidionabilis  obedientia  catho- 
licorum  Belgii  quod  leeticjnem  Scripturse  sacrse  in 
lingiia  vulgari,  Anvers,  1686;  c'est  la  traduction  latine 
de  l'ouvrage  écrit  en  flamand  et  dirigé  contre  Antoine 
Arnauld.  Voir  Scriptores  ord.  prœd.,  xvni  ssec,  p.  i  I. 
Comme  régent  des  études  au  collège  de  Louvain, 
Harney  fit  soutenir  un  grand  nombre  de  thèses  théolo- 
giques,  dont  la  liste  se  trouve  dans  les  Scriptores  ord. 
prœd.,  p.  45  sq. 

Coulon,  Scriptores  ord.  prœd.,  Paris,  1910,  fasc.  l,p.  42-4S. 

R.  Coulon. 

HARPHIUS  est  le  nom  latinisé  sous  lequel  est  le 
plus  ordinairement  cité  Henri  Herp,  frère  mineur 
observant  de  la  province  de  Cologne.  Sbaraglia  a  voulu 
que  ce  nom  fût  symbolique  et  signifiât  joueur  de  harpe, 
parce  qu'à  la  fin  d'une  édition  de  sa  Théologie  mystique 
il  est  appelé  Citharedus;  d'autres  ont  prétendu  qu'il 
indiquait  son  pays  d'origine,  soit  Erp  en  Brabant,  soit 
Erps  près  de  Louvain;  toutefois  comme  lui-même  s'est 
nommé  Henri  Herp,  sur  le  seul  de  ses  ouvrages  imprimé 
de  son  vivant,  il  semble  plus  logique  d'y  voir  son  nom 
de  famille.  En  1445,  on  le  trouve  à  Delft,  en  Hollande, 
puis  à  Gouda,  comme  recteur  et  prédicateur  très  goûté 
des  «  Frères  de  la  vie  commune  »,  institués  vers  la  fin 
du  siècle  précédent  par  Gérard  de  Groote.  Au  cours 
d'un  pèlerinage  qu'il  fit  à  Rome  en  1450,  Herp  revêtit 
l'habit  des  frères  mineurs  au  couvent  de  l'Ara  cœli. 
Vingt  ans  plus  tard  on  le  retrouve  vicaire  de  la  province 
des  observants  de  Cologne  (1470-1473),  et  le  temps  de 
sa  charge  expiré,  on  l'envoya  avec  la  charge  de  gardien  au 
couvent  de  Malines,  où  il  mourut  en  1477.  «  Le  «  bon  Har- 
phius  »,  ainsi  l'appelle  Bossuet,  fut  un  des  mystiques 
les  plus  appréciés  au  cours  du  xvie  siècle,  comme  le 
prouvent  les  nombreuses  éditions  et  traductions  de  ses 
ouvrages,  mais  cette  vogue  passa  vite,  car  le  même 
auteur  de  l'Instruction  sur  les  étals  d'oraison  ne  man- 
quait pas  de  dire  :  «  Qui  connaît  maintenant  Har- 
phius  ou  Rusbroc  lui-même  ?  »  11  avait  cependant  été 
mis  par  le  cardinal  Bona  au  nombre  des  maîtres  les 
plus  instruits  dans  la  vie  spirituelle.  Ce  n'est  donc  point, 
ainsi  que  le  remarque  Bossuet,  que  la  doctrine  de  ses 
livres  soit  mauvaise,  mais  à  cause  des  exagérations 
dont  ils  sont  remplis  et  de  leur  obscurité.  C'est  ainsi 
que  l'on  explique  la  condamnation  de  la  Theologia  wys- 
tica,  composée  avec  ses  écrits,  dont  il  nous  reste  à 
parler.  Le  seul  qu'il  ait  publié  lui-même  est  le  Spécu- 
lum aureum  preceptorum  Dei  jratris  Henrici  Herp, 
per  modum  sermonum  ad  instruclioncm  tam  confesso- 
rum  quam  prœdicatorum,  in-fol.,  Maycnce,  1474;  puis 
Nuremberg,  1478  et  1481;  Bâle,  1496;  Strasbourg 
1486,  1520;  Heidelberg,  1520.  Après  sa  mort  on  publia 
un  autre  volume  de  Sermones  de  tempore  et  de  sanctis. 
de  Iribus  parlibus  pœnitenliœ,  de  triplici  adventu  Christi, 
in-4°,  Nuremberg,  1481;  Spire,  1484;  Haguenau,  1509. 
Les  autres  ouvrages  d'Harphius  furent  écrits  en  langue 
\  ulgaire  et  on  édita  dans  cette  langue  :  Dits  die  groote 
en  nieuwe  spieghel  der  volcomenheii,  in-8°,  Anvers, 
1501, 1502,  1512;  modernisé  et  réédité  parle  P.  Adrien 
de  Malines,  Dcn  spieghel  der  volmaectheid,  in-8°,  Lou- 
vain, 1551.  Cet  ouvrage  traduit  en  italien  parut  d'abord 
sous  le  titre  de  Libro  de  la  perjectione  humana  thesoro 
elerno  sopra  tutti  altri  thesori,  in-8°,  Venue,  1522,  puis 
de  nouveau,  par  les  soins  du  P.  Benoît  Osanna,  char 
treux  de  Mantoue,  sous  celui  de  Specchio  délia  perfet- 
tione  humana,  opéra  devetissima  e  necessaria  ad  ogni 
fuit  l christiano,  in-8°,  ibid.,  1546.  Une  traduction  latine. 
Spéculum  perfeclionis,  in-8°,  avait  déjà  paru  au  même 


lieu,  152-1  ;  il  s'en  trouve  aussi  une  version  allemande  du 
P.  Anselme  Holmann.  Harphius  avait  composé  le 
Miroir  de  lu  perfection  pour  une  pieuse  veuve,  sa  péni- 
tente, Mire  spirituelle  du  couvent  de  Malines,  écrit  le 
P.  Dirks;  ce  qui  est  en  opposition  avec  le  dire  de  YYad- 
ding,  qui  rapporte  (pie  notre  auteur  aurait  composé  sa 
Theologia  mystica  sur  le  mont  Alverne.  Le  Spéculum 
perfectionis  est  l'original  du  Directorium  aureum  con- 
templativorum,  ex  vulgari  teutonico  in  latinum  versum 
per  Petrum  Blomevennam,  in-8°,  Cologne,  1513;  le  tra- 
ducteur, chartreux  de  Leyde,  ajouta  d'autres  opus- 
cules :  Accedunt  ejusdem  Herp  Colluliones  très  pro 
cupientibus  ad  christianœ  religionis  normam  peroenire. 
Traclatulus  de  effusione  cordis.  Modus  legendi  rosarium 
Virginis  Marias.  Remédia  contra  distraction.es.  On  en 
trouve  aussi  une  édition  d'Anvers,  1513,  et  une  de 
Paris,  s.  d.  Le  P.  Blomevenna  revit  et  améliora  sa  tra- 
duction et  la  republia,  Cologne,  1527;  Anvers,  1586; 
une  édition  incomplète,  Cologne,  1604.  Le  Directoire  d,  s 
contemplatifs  parut  à  Paris,  1549-1552  et  depuis.  En 
1538,  le  P.  Bruno  Loher,  procureur  de  la  chartreuse  de 
Cologne,  recueillit  en  un  seul  volume  les  divers  traites 
mystiques,  imprimés  ou  inédits  du  P.  Herp  et  les  publia 
sous  ce  titre  :  Theologiœ  myslicie  D.  Henrici  Harplui 
theologi  erudiliss.  juxta  ac  rerum  divinarum  contem- 
l)latoris  profundissimi,  cum  speculativœ,  tum  adfectivœ, 
quœ  non  tantum  lectione  juvatur,  quam  animi  puritate, 
exercilioque  obtinetur  amoris,  libri  1res,  in-fol.,  Cologne, 
1538,  1545;  la  3e  édition  revue  et  corrigée,  ibid.,  155(5, 
fut  dédiée  par  le  traducteur  Celcberrimo  Palri  ac 
domino  D.  Ignalio,  instituteur  de  la  Compagnie  de 
Jésus.  La  théologie  mystique  fut  insérée  dans  les 
Appendices  de  l'Index  publié  par  le  concile  de  Trente, 
si  elle  n'était  conforme  à  l'édition  corrigée  de  Rome. 
1586.  Elle  reparut  ainsi  expurgée  à  Brescia,  1601  ; 
Cologne,  1604,  1611,  1645,  et  fut  traduite  en  français 
par  le  P.  Jean  de  Machault,  jésuite,  qui  la  publia  sous, 
le  nom  du  sieur  de  La  Motte  Romancourt,  in-4°,  Paris, 
1G17.  Cet  ouvrage  est  divisé  en  trois  livres  :  le  Ier,  inti- 
tulé :  Epithalamium,  est  une  explication  du  Cantique;, 
le  IIe  n'est  autre  que  le  Directorium  contemplativorum. 
qui  dans  les  éditions  autorisées  est  précédé  d'une  intro- 
duction du  dominicain  Pierre-Paul  Philippi;  le  IIIe  ;t 
pour  titre  :  Eden,  hoc  est  paradisus  contemplativorum^ 
et  renferme  cinq  opuscules  différents,  dont  un,  \'Ex- 
planalio  succincta  et  perspicua  novem  rupium,  per 
novem  verse  salutis  et  abnegationis  suiipsius  gradus,  fut 
réédité  par  Surius,  Cologne,  1615,  comme  commen- 
taire au  traité  des  neuf  rochers,  attribué  au  B.  Henri 
Suso,  mais  qui  appartient  à  Kulman  Merswin,  un  des 
membres  du  groupe  de  mystiques  allemands  du 
xive  siècle,  connus  sous  le  nom  d'Amis  de  Dieu,  GcL- 
tesfreunde.  En  1598  parut  à  Paris  un  Index  expurgu- 
torius  theologiœ  mijslicœ  ad  exemplar  eorumdem  libn>- 
rum  Romœ  impressorum,  colleclus  opéra  carihusiaiia 
fomiliœ,  in-8°.  Quoique  le  chapitre  général  des  frères 
mineurs,  réuni  à  Tolède  en  1633,  eût  ordonné  que  dans 
chaque  couvent  on  fît  des  conférences  de  théologie 
mystique,  en  prenant  Harphius  comme  auteur,  ses 
écrits,  comme  ceux  de  Ruysbroecke,  son  maître,  bien 
qu'ils  «  ne  soient  méprisables  »,  au  dire  de  Bossuet. 
furent  abandonnés  et  «  ils  demeurent  presque  inconnus 
dans  des  coins  de  bibliothèques.  » 

Wadding,  Sbaraglia,  Scriptores  ordinis  minorant.  Rome, 
1806;  la  nouvelle  édition,  ibid.,  1908,  renferme  de  plus 
exactes  indications  bibliographiques;  Antoine  Possevin, 
S.  J.,  dans  son  Apparatus  sacer,  Venise,  1603,  t.  i,  p.  72S, 
fait  un  bel  éloge  d'Harphius,  reproduit  par  Wadding; 
Moréri,  Dictionnaire  historique,  à  Henri  Harphius,  où  il  cite 
longuement  Poiret,  Lettre  sur  les  auteurs  mystiques;  P.  Ser- 
vais Dirks,  Histoire  littéraire  et  bibliographique  des  frères 
mineurs  de  V 'observance  en  Belgique,  Anvers,  1885,  p.  7-1  1  : 
Kirehenïexikon,  t.  v,  col.  1707;  Biographie  national 
Belgique,   t.  îx,  p.  278-284;  P.  Patrice  SchUiyer,  Beitràg, 


2049 


HARPHIUS  —  HASARD 


2050 


sur  Geschlchte  der  kôlnischen  Franziskaner  Ordensprovinz, 
Cologne,  1904;  Zum  Leben  des  Franziskaners  11.  Harp,  dans 
Der  Katholik,  Maycnce,  1905,  t.  il,  p.  46;  Blùltcnlese  aus 
den  Werken  rheinischer  Franziskaner,  Aix-la-Chapelle,  1907; 
Hurter,  Nomenclator,  Inspruck,  1906,  t.  Il,  col.  1086- 
1087. 

P.  Edouard  d'Alcnçon. 
HARPSFIELD  Nicolas,  théologien  catholique,  né 
à  Londres  vers  1519,  mort  en  cette  ville  le  18  décembre 
1575,  appartenait  à  une  vieille  famille  qui  se  fit  remar- 
quer par  sa  courageuse  fidélité  à  l'Église  romaine.  Ses 
premières  études  terminées  à  Winchester,  il  alla  à 
l'université  d'Oxford.  Ayant  pris  ses  grades,  et  étant 
entré  dans  les  ordres,  il  devint  en  1544  principal  de 
White  Hall,  et  deux  ans  plus  tard  fut  nommé  par 
Henri  VIII  professeur  de  grec.  Exilé  sous  Edouard  VI, 
il  rentra  en  Angleterre  sous  la  reine  Marie  et  fut  choisi 
pour  archidiacre,  puis  doyen  de  Cantorbéry.  Après 
l'avènement  d'Elisabeth,  le  docteur  Nicolas  Harps- 
field  fut  un  des  théologiens  chargés  de  défendre  la 
doctrine  catholique  dans  une  conférence  avec  les  pro- 
testants ordonnée  par  la  reine.  Il  le  fit  avec  force  et 
courage.  Aussi  peu  de  temps  après  fut-il  jeté  à  la  Tour 
de  Londres  pour  avoir  refusé  de  reconnaître  la  supré- 
matie spirituelle  du  souverain.  Il  mourut  en  prison 
laissant  divers  écrits  presque  tous  composés  pour  la 
défense  de  la  religion  catholique.  Ont  été  imprimés  : 
Supputatio  temporum  a  diluvio  ad  annum  1559,  Londre ~, 
1560,  ouvrage  en  vers  latins;  Sex  dialogi  contra  summi 
pontiflcatus,  monasticse  vitse,  sanctorum  et  sacrarum  ima- 
ginum  oppugnatores  et  pseudomartyres,  in  quibus  magde- 
burgensium,  auctorum  anglicanse  apologiœ,  pseudo- 
martgrologorum  nostri  temporis,  maxime  vero  Jonnnis 
Foxii  mendacia  dcteguntur,  in-4°,  Anvers,  1566  et 
1573  :  ouvrage  publié  par  les  soins  du  docteur  Alain 
Copus  pendant  que  son  auteur  était  emprisonné  à  la 
Tour  de  Londres  ;  A  treatise  on  the  pretcnded  divorce 
bctween  Henry  VIII  and  Catharine  of  Arragon,  by 
Nicholas  Harpsfield,  LL.  D.,  now  first  printedfroma 
collation  of  four  mss.,  by  Nicholas  Pocock,  M.  A.,  laïc 
Michael  Fellow  of  Quccn's  collège,  Oxford,  in-4°, 
Camden  Society,  1878.  Il  composa  aussi  une  His- 
toria  anglicana  ecclcsiastica,  publiée  par  Gibbons, 
Douai, 1662. 

Dtctionary  of  national  biographg,  t.  xxiv,  p.  431-432; 
J.  Gillow,  Bibliographical  dictionary  of  the  English  cailio- 
lics,  in-8°,  Londres,  t.  m,  p.  134  sq.;  Hurter,  Nomenclator, 
1907,  t.  m,  col.  108. 

B.  Heurtebize. 

HARSCHER  Jean,  controversiste  allemand,  né  à 
Radolfzel,  dans  le  duché  de  Bade,  en  1603,  entra  au 
noviciat  de  la  Compagnie  de  Jésus  en  1621.  Professeur 
de  littérature  et  de  philosophie,  puis  de  controverse,  il 
publia  sur  les  sources  de  la  doctrine  protestante  une 
série  d'études  critiques  et  historiques,  fruit  d'un  im- 
mense labeur  :  Parallela  cvangelicorum  trium  priorum 
sseculorum  quibus  ad  fontes  suos  referunlur  dogmata 
luthcrana  et  calviniana,  Fribourg,  1 645  ;  Parallela  cvan- 
gelicorum quarli  et  quinti  sœculi,  ibid.,  1645;  Parallela 
cvangelicorum  sexti  et  septimi  sœculi,  ibid.,  1645.  Chris- 
tophe Luthard  publia  a  Berne  en  1646,  sous  le  voile 
de  l'anonymat,  une  Parallelorum  cvangelicorum  casti- 
gatio,  que  le  P.  Harscher  réfuta  dans  un  savant  traité 
que  la  mort  ne  lui  permit  pas  de  publier.  Jacques 
Schûler,  doyen  de  la  collégiale  de  Saint-Nicolas  à  Lau- 
sanne, le  remplaça  dans  la  lutte  et  défendit  ses  posi- 
tions dans  V Hercules  catholicus,  in-4°,  Fribourg,  1651. 
Georg,  dans  V Allgemeines  Bilcher-Lexicon,  au  nom  de 
J.  Harscher,  cite  encore  du  même  auteur  :  Catholische 
Glaubens-Artikel,  in-8°,  Dillingen,  1697  ;  Catcchismus 
SS.  Patrum,  Augsbourg,  1697,  L'authenticité  de  ces 
deux  ouvrages  reste  douteuse.  Le  P.  Harscher  mourut 
à  Fribourg-en-Brisgau  le  22  octobre  1650. 

DICT.    DE  TnÉOL.  CATHOL. 


Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  C"e  de  Jésus,  t.  iv, 
col.  117  sq.;  von  Heller,  Bibliotheca  heluetica,  t.  ni,  p.  178; 
Hurter,  Nomenclator,  3e  édit.,  Inspruck,  1907,  t.  m, col.  1022. 

P.  Bernard. 

HARTZHEIM  Joseph,  jésuite  allemand,  né  à  Co- 
logne le  11  janvier  1694,  admis  au  noviciat  le  3  mai 
1712.  Après  avoir  enseigné  les  humanités  à  Luxem- 
bourg, où  il  se  distingua  par  ses  poésies  françaises  et 
latines,  cf.  Patrum  S.  J.  ad  Rhenum  infer.  poemata  du 
P.  Fr.  Reifïenberg,  Cologne,  1758,  t.  iv,  p.  167  sq., 
il  fut  chargé  de  la  chaire  de  langues  orientales  à 
Milan.  De  retour  dans  sa  patrie,  il  enseigna  la  phi- 
losophie, puis  la  théologie  à  Cologne,  tout  en  se 
livrant  aux  savantes  recherches  d'archéologie,  de  nu- 
mismatique et  d'histoire  qui  devaient  illustrer  les  ori- 
gines de  la  ville  et  du  diocèse  de  Cologne.  Ses  trois  dis- 
sertations historique,  canonique  et  critique  se  trouvent 
consignées  dans  le  De  inilio  metropoleos  ecclesiasticœ 
Colonise  Claudise  Augustse  Agrippinensium,  Cologne, 
1731  et  1732,  et  dans  YHistoria  rei  nummariœ  Colonien- 
sis,  ibid.,  1754.  Cf.  Mémoires  de  Trévoux,  1733,  p.  1507- 
1534;  Acta  eruditorum,  1757,  p.  193-201.  De  ses  études 
théologiques,  le  P.  Hartzheim  ne  publia  que  des  frag- 
ments sans  lien  commun,  sous  forme  de  thèses  :  De 
jure  naturse  et  gentium  ex  hisloria  sacra  Veteris  et  Novi 
Testamenti,  Cologne,  1742;  Theologia  naturalis  ex 
S.  Jobi  régis  et  prophétie  libro  explicata,  ibid.,  1745,  etc. 
Tout  l'effort  de  son  labeur  portait  désormais  sur  le 
recueil  et  la  discussion  des  textes  des  conciles  tenus  à 
Cologne.  De  son  côté,  Fr.  Schannat  s'était  livré  à  de 
patientes  recherches  sur  les  textes  conciliaires  de  la 
Germanie  et  personne  après  sa  mort  ne  se  trouvait  en 
état  d'achever  et  de  publier  ce  long  et  minutieux  tra- 
vail. Le  chanoine  Jean  Moritz  prit  sur  lui  les  frais 
de  l'édition,  et  le  P.  Hartzheim  fut  chargé  de  mettre 
en  ordre  les  documents,  de  les  compléter  et  d'en  faire 
la  critique.  En  1758,  cet  immense  travail  était  assez 
avancé  pour  qu'il  pût  tracer  le  programme  détaillé  et 
précis  d'une  édition  des  conciles  germaniques  :  Pro- 
gramma de  edenda  collectione  conciliorum  Germanise, 
Cologne,  1758.  L'année  suivante  parut  le  Ier  volume  de 
cette  collection  où  les  premiers  matériaux  recueillis 
par  Frédéric  Schannat  et  enrichis  par  Hartzheim  non 
seulement  de  nombreux  textes  inédits,  mais  de  notes 
et  de  commentaires  qui  attestent  la  main  d'un  maître, 
n'entraient  plus  que  pour  une  part  secondaire.  Il  n'est 
pas  étonnant  que  le  nom  seul  de  Hartzheim  reste  atta- 
ché à  la  savante  collection  des  Concilia  Germanise.  Le 
Ier  volume  comprend  les  premiers  conciles  jusqu'à 
l'an  716;  le  ne  va  de  716  à  1000;  le  m°,  de  1000  à 
1290;  le  ive,  de  1290  à  1300;  le  v*,  de  1300  à  1500.  Ils 
parurent  à  peu  près  régulièrement  de  1759  à  1763. 
Hartzheim  ne  put  achever  son  œuvre  :  il  mourut  le 
17  janvier  1763,  laissant  au  compagnon  de  ses  travaux, 
le  P.  Hermann  Scholl,  le  soin  de  poursuivre  cette  tâche 
écrasante.  Les  trois  volumes  suivants  furent  édités  par 
lui;  ils  comprennent  les  conciles  du  xve  siècle  et  ceux 
du  xvie  jusqu'en  1590.  Les  t.  ix  et  x,  de  1610  à  1747, 
sont  l'œuvre  du  P.  Neissen.  La  table  des  matières  et 
de  riches  index  sont  dus  au  P.  S.  Hesselmann.  Cf.  Acta 
eruditorum,  1759,  p.  227-234;  1760,  p.  97-101;  1762, 
p.  441-457,  561-591;  1753,  p.  41-51.  La  collection  des- 
conciles  de  la  Germanie  a  été  continuée  par  Binterim 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  Cie  de  Jésus,  t.  IV, 
col.  125-132;  Hurter,  Nomenclator,  3e  édit.,  Inspruck, 
1910,  t.  iv,  col.  1517-1520;  Concilia  Germaniv,  t.  v,  p.  i-xx  ; 
Notice  sur  le  P.  Hartzheim  par  le  P.  Hermann  Scholl. 
Tiibinger  Quartalschrift,  1849,  p.  331  sq.;  1844,  p.  493  sq. 

P.  Bernard. 

HASARD.  —  I.  Mot.  II.  Définition.  III.  Hasard  et 
causalité.  IV.  Réduction  du  hasard. 

I.  Mot.  —  Français,  hasard;  bourguignon,  asar; 
provençal,  espagnol  et  portugais,  azar;  italien,  la  zara, 

VI   —  65 


2051 


HASARD 


2052 


azzardo.  L'étymologic  du  mot  est  incertaine.  Littré, 
Dictionnaire  de  la  langue  française,  Paris,  1874,  t.  il, 
p.  1088,  dit  que  «beaucoup  d'étymologies  ont  été 
proposées,  toutes  dénuées  de  preuves  ;  la  plus  plausible 
est  celle  de  M.  Mann  :  arabe  sehar  et  sâr,  dé,  et  avec 
l'article  al,  assahar,  assar.  Mais  en  l'absence  de  tout 
renseignement,  il  n'y  a  aucune  raison  pour  rejeter 
l'opinion  de  Guillaume  de  Tyr...,  à  savoir  que  le  hasard 
est  une  sorte  de  jeu  de  dés,  et  que  ce  jeu  fut  trouvé 
pendant  le  siège  d'un  château  de  Syrie  nommé  Hasart, 
et  prit  le  nom  de  cette  localité.  On  remarquera  que 
Guillaume  de  Tyr  est  du  temps  des  croisades  et  a  vécu 
dans  les  lieux  où  elles  se  sont  faites;  on  remarquera 
en  outre  que,  primitivement,  hasard  signifie  non  pas 
dé  en  général,  ce  à  quoi  s'appliquerait  l'étymologie 
de  M.  Malin,  mais  un  certain  jeu  de  dés  qui  put  mieux 
recevoir  une  dénomination  accidentelle  qu'une  déno- 
mination générale.  Dans  tous  les  cas,  on  voit  par 
l'historique  que  le  sens  primitif  de  hasard  est  un  certain 
jeu  de  dés,  de  sorte  que  c'est  le  hasard  jeu  de  dés  qui  a 
dénommé  le  hasard,  chance,  événement  fortuit,  et  non 
l'événement  fortuit  qui  a  dénommé  les  jeux  qui  se 
jouent  sans  calcul.  » 

Dans  la  langue  grecque,  le  hasard  fut  d'abord  désigné 
par  deux  mots  qui  eurent  la  même  signification  tuyï] 
et  aÙToiiocTov.  Mais  «  le  premier,  qui  était  le  plus  usité 
dans  la  langue  commune,  ne  tarda  pas  à  se  modifier. 
11  fut  presque  tout  de  suite,  comme  tous  les  mots  qui 
intéressent  la  destinée  humaine,  accompagné  de  deux 
qualificatifs  qui  se  placent  comme  aux  deux  pôles  de 
la  vie  de  l'homme  :  heureux  ou  malheureux.  »  H.  Pié- 
ron,  Essai  sur  le  hasard  :  la  psychologie  d'un  concept, 
dans  la  Revue  de  métaphysique  et  de  morale,  t.  x,  p.  68. 
Et  enfin,  la  tendance  optimiste  des  Grecs  le  fixa  dans 
un  sens  tellement  précis  et  tellement  exclusif  qu'il  ne 
signifia  plus  que  la  bonne  fortune.  On  en  trouverait 
une  preuve  excellente  dans  ce  fait  que  la  déesse  T-jy/i, 
qui  n'est  que  la  forme  déifiée  du  concept,  représente  sur- 
tout, et  on  peut  dire  uniquement,  la  Bonne  Fortune. 
Quant  au  terme  de  ajTO|j.aTov,  il  ne  sortit  pour  ainsi  dire 
pas  du  vocabulaire  philosophique,  qui  le  protégeait 
contre  les  déformations  populaires  :  il  «  continua  de 
signifier  le  hasard  dans  toute  son  indifférence.  » 
H.  Piéron,  loc.  cit.,  p.  68. 

Le  latin  possède  aussi  deux  mots,  casus  et  fortuna, 
qui  correspondent  assez  exactement  aux  mots  grecs 
otÙToij.aTov  et  tj/7].  On  retrouve  dans  les  deux  langues  à 
peu  près  la  même  différence.  La  tj/jo  des  Grecs  et  la 
fortuna  des  Latins  n'avaient  qu'une  application 
restreinte  :  on  ne  les  employait  que  dans  les  choses 
humaines  et  là  où  la  volonté  libre  a  sa  part  ;  fortuna  non 
est  nisi  in  his  quse  voluntaric  agunl;  indc  est  quod  neque 
inanimatum  neque  puer  neque  beslia,  cum  non  ayant 
voluntarie  quasi  liberum  arbitrium  non  habentes,  agunt 
a  fortuna.  S.  Thomas,  Phys.,  1.  X,  lect.  x.  On  peut 
remarquer  du  reste  que,  dans  la  langue  latine  par 
exemple,  le  mot  fortuna  et  le  qualificatif  fortunatus 
sont  restés  très  fidèles  à  cette  signification.  On  dit  : 
audaces  fortuna  juvat  et  o  fortunalos  nimium;  on  les 
appliquerait  moins  bien  à  des  objets  inanimés.  Le 
hasard,  désigné  en  grec  par  aÙTo;j.a-:ov  et  en  latin  par 
casus,  s'étendait  même  aux  choses  naturelles.  Son  do- 
maine était  clone  beaucoup  plus  vaste  que  celui  de  la 
fortune;  Aristote  le  considérait  comme  un  genre  dont 
la  fortune  ne  serait  qu'une  espèce  :  casus  est  in  plus 
quam  fortuna,  quia  omne  quod  est  a  fortuna  est  a  casu, 
sed  non  convertitur.  S.  Thomas,  loc.  cit. 

II.  Définition.  —  Le  hasard  peut  se  définir  une 
rencontre,  utile  pour  nous  ou  intéressante,  de  deux 
causes  ou  de  deux  séries  de  causes  indépendantes.  Il  y 
a  donc  trois  idées  qui  entrent  dans  la  définition  du 
hasard. 

1°  La    première    est    celle    de    l'indépendance    des 


causes,  qui  est  le  fondement  même  ou  la  base  de  la  défi- 
nition. «  Il  faut,  pour  bien  s'entendre,  dit  A.  Cournot, 
s'attacher  exclusivement  à  ce  qu'il  y  a  de  fondamental 
et  de  catégorique  dans  la  notion  du  hasard,  savoir,  à 
l'idée  de  l'indépendance  ou  de  la  non-solidarité  entre 
diverses  séries  de  causes.  »  Essai  sur  les  fondements 
de  nos  connaissances,  Paris,  1851,  t.  i,  p.  56.  On  trouve, 
en  effet,  des  causes  ou  des  séries  de  causes  qui  sont 
solidaires  ou  qui  s'influencent  les  unes  les  autres  : 
on  ne  dira  point  que  l'effet  qui  résulte  de  cette  solida- 
rité ou  de  cette  influence  réciproque  soit  un  effet  du 
hasard.  Mais  il  y  a  des  causes  ou  des  séries  de  causes 
indépendantes,  «  c'est-à-dire  qui  se  développent  paral- 
lèlement ou  consécutivement,  sans  avoir  les  unes  sur 
les  autres  la  moindre  influence.  »  A.  Cournot,  loc.  cit., 
p.  59.  Ainsi  un  fossoyeur,  en  creusant  la  terre,  trouve 
un  trésor  :  ulpote  si  fossurse  sepulcri  adjungalur  per 
accidens  invenlio  thesauri.  S,  Thomas,  loc.  cit.,  lect.  vin. 
Une  telle  trouvaille  est  un  résultat  du  hasard,  parce 
qu'elle  provient  de  deux  causes  qui  sont  totalement 
indépendantes  l'une  de  l'autre  :  il  n'y  a,  en  effet, 
aucune  liaison  entre  les  causes  qui  ont  amené  l'avare 
à  cacher  là  son  trésor  et  celles  qui  ont  amené  le  fos- 
soyeur à  creuser  la  terre  justement  à  l'endroit  où 
l'avare  avait  enseveli  ses  richesses.  Cournot  donne  cet 
exemple  contraire.  Un  homme,  surpris  par  l'orage,  se 
réfugie  sous  un  arbre  isolé  et  y  est  frappé  de  la  foudre. 
Cet  accident  n'est  pas  purement  fortuit;  car  la  phy- 
sique nous  apprend  que  le  fluide  électrique  a  une 
tendance  à  se  décharger  sur  les  cimes  des  arbres  comme 
sur  toutes  les  pointes.  Il  y  avait  donc  une  raison  pour 
que  l'homme,  ignorant  des  principes  de  la  physique, 
courût  à  l'arbre  isolé  comme  à  un  abri,  et  il  y  en  avait 
une  autre,  tirée  aussi  de  la  forme  de  l'arbre  et  de  son 
isolement,  pour  que  la  foudre  vînt  le  chercher  préci- 
sément à  cette  place.  Au  contraire,  si  l'homme  avait 
été  frappé  au  milieu  d'une  prairie  ou  d'une  forêt, 
l'événement  serait  fortuit,  parce  qu'il  n'y  aurait  aucune 
liaison  entre  les  causes  qui  l'ont  amené  sur  le  lieu  de 
l'accident  et  celles  qui  font  que  la  foudre  s'y  rencontre 
en  même  temps  que  lui. 

2°  Mais  l'idée  de  l'indépendance  des  causes  n'épuise 
pas  toute  la  définition  du  hasard;  et  tout  en  étant  «  ce 
qu'il  y  a  de  fondamental  et  de  catégorique  »  dans  cette 
définition,  elle  n'en  est  cependant,  si  l'on  peut  ainsi 
dire,  que  l'élément  négatif.  Il  y  a  quelque  chose  de 
réel  et  de  positif  dans  le  hasard  :  c'est  le  concours  ou  la- 
rencontre  des  causes  indépendantes.  «  Pour  moi,  dit 
Jean  La  Placette,  je  suis  persuadé  que  le  hasard  ren- 
ferme quelque  chose  de  réel  et  de  positif,  un  concours 
de  deux  ou  plusieurs  événements  contingents,  chacun 
desquels  a  ses  causes,  mais  en  sorte  que  leur  concours 
n'en  a  aucune  que  l'on  connaisse.  Je  suis  fort  trompé, 
si  ce  n'est  là  ce  qu'on  entend  lorsqu'on  parle  du 
hasard.  »  Traite  des  jeux  de  hasard,  La  Haye,  1714, 
Préface,  p.  iv.  «  Deux  séries  de  faits  absolument  indé- 
pendants l'un  de  l'autre,  dit  P.  Janet,  sont  arrivées 
à  coïncider  l'une  avec  l'autre  et  à  tomber  d'accord, 
sans  aucune  influence  respective.  Ce  genre  de  coïn- 
cidence est  ce  que  l'on  appelle  le  hasard....  Le  hasard 
est  la  rencontre  des  causes;  il  est  un  rapport  tout 
extérieur,  mais  qui  n'en  est  pas  moins  réel  entre  des 
phénomènes  indépendants.  »  Les  causes  finales,  Paris, 
1876,  p.  25.  Voir  également  S.  François  de  Sales,  Traité 
de  l'amour  de  Dieu,  1.  II,  c.  m,  Œuvres  complètes,  Paris, 
1839,  t.  iv,  p.  218:  «Ces  cas  fortuits  se  font  par  la 
concurrence  de  plusieurs  causes,  lesquelles  n'ayant 
point  de  naturelle  alliance  les  unes  aux  autres,  pro- 
duisent une  chacune  son  effet  particulier,  en  telle  sorte 
néanmoins  que  de  leur  rencontre  réussit  un  autre  effet 
d'autre  nature,  auquel,  sans  qu'on  l'ait  pu  prévoir, 
toutes  ces  causes  différentes  ont  contribué.  »  L'histoire 
des    sciences    confirme    cette    définition    du    hasard. 


2053 


HASARD 


2054 


M.  Mentré,  Rôle  du  hasard  dans  les  inventions  et  décou- 
vertes, dans  la  Revue  de  philosophie,  t.  i,  p.  433,  donne 
quelques  exemples  qui  ne  laissent  aucun  doute  à  ce 
sujet.  «  La  grenouille  anatomisée  de  Galvani,  dit-il, 
se  trouve  au  voisinage  d'une  machine  électrique  qui 
fonctionne,  la  pile  d'Œrsted  non  loin  d'une  aiguille 
aimantée,  la  cuiller  de  Daguerre  sur  une  plaque  iodu- 
rée;  le  mécanicien  Patterston  touche  un  robinet  au 
moment  où  il  reçoit  un  jet  de  vapeur  :  deux  faits  sont 
toujours  en  présence  (deux  machines,  deux  actes,  un 
acte  et  un  fait  mécanique,  etc.)-  Le  fait  nouveau  jaillit 
de  l'interférence  de  deux  séries  de  faits  jusque-là  isolés. 
Celte  conjonction  synchronique  de  deux  séries  diver- 
gentes est  la  définition  du  hasard  qui  sort  le  plus  natu- 
rellement de  ces  exemples  empruntés  aux  annales 
scientifiques  et  industrielles  de  l'humanité.  »  On  pour- 
rait ajouter  que  l'usage  courant  du  mot,  soit  dans  la 
conversation,  soit  dans  la  littérature,  est  conforme 
à  sa  définition  philosophique  et  scientifique.  Ainsi 
La  Fontaine,  Fables,  édit.  Jannet,  Paris,  1868,  t.  n, 
dit  en  pariant  de  deux  chèvres  qu'elles 

Quittèrent  les  bas  prés  chacune  de  sa  part  : 
L'une  vers  l'autre  allait  par  quelque  bon  hasard. 

Et  X.  de  Maistre  écrit  à  la  vicomtesse  de  Marcellus 
le  30  avril  1846  :  «  Nos  lettres  se  sont  croisées..,  et 
j'aime  à  voir  un  peu  de  sympathie  dans  ce  hasard  qui 
nous  a  fait  rompre  le  silence  en  même  temps.  » 

3°  Enfin,  s'il  est  évident  que  nous  trouvons  toujours, 
dans  un  événement  fortuit,  une  rencontre  de  deux 
causes  ou  de  deux  séries  de  causes  indépendantes,  il 
ne  s'ensuit  pas  pour  cela  que  toute  rencontre  de  deux 
causes  ou  de  deux  séries  de  causes  indépendantes 
constitue  un  événement  fortuit.  «  Dirai-je  qu'il  y  a 
hasard,  en  passant  près  d'un  lac  où  se  trouve  un 
bateau?  Il  y  a  pourtant  là  rencontre  de  séries  indé- 
pendantes de  phénomènes  1  Mais,  que  j'aie  eu  à  ce 
moment  le  vif  désir  de  me  promener  en  bateau,  et  je 
déclarerai  qu'il  y  eut  là  un  heureux  hasard  tout  à  fait 
extraordinaire.  Attribuera-t-on  au  hasard  le  passage 
d'un  chien  sur  votre  route,  rencontre  imprévue  cepen- 
dant? Évidemment  non.  Mais  un  bicycliste  qui,  voulant 
éviter  une  voiture,  rencontrera  un  chien,  à  ce  moment, 
qui  le  fera  tomber,  maudira  le  malencontreux  hasard, 
qui  plaça  le  chien  sur  sa  route.  »  H.  Piéron,  loc.  cit., 
p.  688.  Aussi  le  hasard  ne  se  définit  en  fin  de  compte 
que  par  rapport  à  nous;  et  on  ne  reproche  justement  à 
Cournot,  qui  a  si  bien  vu  tout  le  reste,  que  d'avoir 
négligé  ce  dernier  élément  :  «  sa  notion  de  l'accidentel, 
dit  Tarde,  est  insuffisante,  parce  qu'il  a  prétendu  la 
définir  en  termes  exclusivement  objectifs,  et  en  expul- 
ser un  élément  subjectif  qui  lui  est  essentiellement 
inhérent.  »  La  philosophie  sociale  de  Cournot,  dans  le 
Bulletin  de  la  Société  française  de  philosophie,  août  1903, 
p.  211.  Une  définition  purement  objective  ne  peut 
être,  en  effet,  qu'une  définition  incomplète.  Elle  ne 
nous  donne,  si  l'on  peut  ainsi  parler,  que  la  matière  du 
hasard  :  c'est  notre  intérêt  ou  notre  utilité  qui  impose 
à  cette  matière  sa  véritable  forme;  et  voilà  pourquoi,  si 
ce  n'est  pas  nous  sans  doute  qui  créons  le  hasard,  il 
n'en  est  pas  moins  vrai  que  le  hasard  n'existe  que 
pour  nous.  Il  suit  de  là  qu'il  n'y  a  point  de  hasard  pur. 
et  que  le  hasard  n'est  ni  illimité  ni  invariable  :  c'est 
nous  qui  définissons  finalement  son  existence  et  son 
extension;  nous  pouvons  aussi  déplacer  ou  restreindre 
les  limites  que  nous  lui  avons  d'abord  assignées. 

III.  Hasard  et  causalité.  —  Si  complète  qu'elle 
soit,  la  définition  du  hasard  ne  sufiit  pas  encore  à 
1  expliquer  :  elle  ne  nous  donne  que  les  éléments  dont 
il  se  compose.  Mais  un  être,  qui  n'est  pas  son  principe 
à  lui-même,  est  le  produit  de  deux  autres  principes, 
Une  cause  efficiente  et  une  cause  finale,  dont  il  tient 
tout  ce  qu'il  est  :   il  commence  d'être  en  recevant 


l'impulsion  du  premier,  il  achève  d'être  en  recevant  du 
second  son  accomplissement  ou  sa  fin;  et  on  ne  peut 
véritablement  le  mesurer  dans  toute  son  étendue  que 
par  le  moyen  de  ces  deux  principes  qui  sont,  l'un  du 
côté  du  passé,  l'autre  du  côté  de  l'avenir,  la  double 
limite  de  son  existence.  Si  cela  est  vrai  de  tout  être, 
cela  l'est  peut-être  un  peu  moins  du  hasard;  et  on 
s'aperçoit  tout  de  suite  qu'il  échappe  comme  de  lui- 
même  à  cette  seconde  épreuve  à  laquelle  on  voudrait  le 
soumettre  :  les  deux  principes  extrinsèques,  dont  on 
croyait  obtenir  une  définition  plus  exacte  et  plus  sûre, 
se  dérobent  à  toute  investigation.  La  raison  de  cet 
insuccès  n'est  pas  difficile  à  fournir.  Nous  avons  vu, 
en  effet,  que  le  hasard  ne  peut  être  produit  que  par  la 
rencontre  de  deux  causes  ou  de  deux  séries  de  causes 
indépendantes.  Si  on  prend  les  causes  ou  les  séries 
séparément,  on  ne  peut  pas  dire  qu'elles  le  contiennent; 
on  ne  trouverait  en  elles  ni  sa  causalité  efficiente  ni  sa 
causalité  finale  :  il  n'arrive  au  contraire  que  par  un  mé- 
lange des  deux  causalités  distinctes  qu'elles  exercent, 
s'il  s'agit  de  la  causalité  efficiente,  et  par  la  substitu- 
tion d'une  fin  étrangère  à  celle  qu'elles  poursuivent, 
s'il  s'agit  de  la  causalité  finale.  C'est  ainsi  qu'on 
chercherait  vainement  les  deux  principes  extrinsèques 
du  hasard  dans  les  causes  ou  les  séries  dont  il  provient  : 
non  seulement  on  ne  lui  découvre  aucune  liaison  ellec- 
tive  avec  elles,  mais  il  apparaît  plutôt  comme  une 
espèce  de  contradiction  de  tout  ce  que  l'on  peut  at- 
tendre d'elles.  Il  est  facile  de  s'en  rendre  compte  par 
un  exemple.  Quand  un  créancier  va  sur  la  place  pu- 
blique, et  y  trouve  un  de  ses  débiteurs,  qui  lui  paie 
sa  dette,  la  rencontre  n'est  fortuite  qu'à  une  condition  : 
c'est  que  le  créancier  n'ait  point  prévu  qu'en  allant 
sur  la  place  publique,  il  y  rencontrerait  son  débiteur,  et 
que  celui-ci,  de  son  côté,  ait  été  dans  la  même  igno- 
rance :  sicut  si  duo  servi  alicujus  domini  mittanlur  ab  eo 
ad  eumdem  locum,  uno  de  altero  ignorante,  concursus 
duorum  servorum,  si  ad  ipsos  servos  referatur,  casualis 
est,  quia  accidit  prœter  utriusque  inlenlionem.  S.  Tho- 
mas, Sum.  theol.,  I",  q.  cxvi,  a.  1.  Le  créancier  et  le 
débiteur  se  sont  l'un  et  l'autre  librement  et  volontaire- 
ment rendus  sur  la  place  publique;  mais  leur  rencontre 
n  était  contenue  d'aucune  manière  ni  dans  la  démarche 
du  créancier  ni  dans  celle  du  débiteur  :  celles-ci,  prises 
séparément,  n'auraient  pas  obtenu  un  tel  effet,  et  elles 
avaient  un  autre  but.  Les  faits  de  hasard,  dit  à  ce  sujet 
M.  G.  Milhaud,  Le  hasard  chez  Aristole  et  chez  Cournot. 
dans  la  Revue  de  métaphysique  et  de  morale,  t.  x,  p.  669, 
«  qui  se  présentent  au  terme  d'une  suite  de  phéno- 
mènes ou  d'actions,  comme  s'ils  en  avaient  été  la 
raison,  et  en  avaient  commandé  l'enchaînement,  se 
produisent  en  dehors  de  la  série  sans  y  être  rattachés 
par  un  lien  effectif;  ils  ne  font  pas  partie  de  la  chaîne 
qu'ils  auraient  expliquée  s'ils  en  avaient  été  un  élément 
interne;  ils  y  sont  étrangers  en  réalité.  » 

Ainsi  le  hasard  se  ramène,  en  somme,  à  l'accident. 
L'accident,  en  général,  c'est  ce  qui  arrive  aux  choses 
indépendamment  de  leur  essence;  il  n'appartient  de 
soi-même  à  rien,  et  aucune  chose  ne  le  tient  d'elle- 
même;  dans  le  sujet  où  il  se  trouve,  il  n'est  ni  partie 
essentielle  ni  propriété  constitutive;  il  advient  tout 
simplement  à  ce  sujet;  il  marche  avec  lui,  à  côté  de 
lui,  selon  l'expression  grecque,  to  ov  xa-rà  <iu[j.6s6t]xo;, 
il  tombe  sur  lui,  selon  l'expression  latine,  accidit; 
Albert  le  Grand  l'appelle  une  chute  de  l'être,  une  sorte 
d'être  diminué,  et  qui  n'a  point  d'existence  réelle  : 
id  quod  casus  est  entis,  eo  quod  cadit  a  principiis  entitatis, 
dicitur  per  accidens  esse  secundum  suum  nomen.  Meta- 
phys.,  1.  VI,  tr.  II,  c.  i.  C'est  tout  ce  que  l'on  veut  dire 
quand  on  dit  que  le  hasard  n'est  qu'un  accident.  On 
veut  dire  que  le  hasard  n'est  qu'un  être  diminué  ; 
c'est  un  être  qui  n'est  pas  compris  de  soi  dans  les  deux 
causes  ou  dans  les  deux  séries  de  causes  par  la  ren- 


2055 


HASARD 


2056 


contre  desquelles  il  est  produit;  mai:»  il  leur  est  tout  à 
fait  extérieur  ou  étranger,  il  n'a  pas  plus  de  réalité 
que  cette  rencontre  ne  lui  en  donne,  et  il  cessera  d'être 
avec  la  rencontre  même  dont  il  est  sorti. 

De  là,  trois  conséquences.  —  1.  Le  hasard  n'est  pas 
nécessaire  :  casus  enim  non  contingit  nisi  in  possibilibus 
aliter  se  habcre;  quse  enim  sunt  ex  necessitate...,  non 
dicimus  esse  a  casu.  S.  Thomas,  Cont.  génies,  1.  II, 
c.  xxxix.  Il  ne  faut,  en  effet,  jamais  oublier  que  les 
deux  causes  ou  les  deux  série  de  causes,  dont  la  ren- 
contre accidentelle  constitua  \e  hasard,  sont  naturel- 
lement indépendantes  l'une  de  l'autre.  Le  vrai  prin- 
cipe qui  gouverne  ces  deux  causes  ou  ces  deux  séries 
de  causes,  c'est  qu'elles  agissent  parallèlement  ou 
consécutivement,  puisqu'elles  sont  indépendantes;  et 
les  seuls  elïets  nécessaires  qui  résultent  de  chacune 
d'elles,  ce  sont  précisément  ceux  qu'elles  produisent 
dans  leur  action  parallèle  ou  consécutive,  sans  dévier, 
si  l'on  peut  ainsi  dire,  de  leur  ligne  de  causalité.  Mais 
il  est  évident  qu'un  effet,  qui  ne  peut  résulter  que  du 
concours  de  deux  causes  dont  la  nature  est  d'agir 
parallèlement  ou  consécutivement,  ne  peut  pas  être 
nécessairement  produit  par  elles;  et  voilà  justement 
pourquoi  l'idée  de  hasard  paraît  être  aussi  opposée 
à  l'idée  de  nécessité  qu'à  l'idée  de  providence.  On  est 
trop  disposé  à  croire,  en  général,  qu'il  n'y  a  pas  de 
milieu  entre  le  hasard  et  la  finalité  :  c'est  là  que  se 
trouve,  au  contraire,  le  nœud  et  la  difficulté  du  pro- 
blème; et  on  n'a  point  prouvé,  par  exemple,  que  le 
monde  est  l'œuvre  d'une  finalité  supérieure  parpe 
qu'il  n'est  point  le  produit  du  hasard;  car  il  faudrait 
avoir  prouvé  qu'il  ne  peut  pas  être  celui  de  la  nécessité. 
—  2.  Pour  la  même  raison,  le  hasard  n'est  pas  fréquent  : 
ea  quse  sunt  a  casu,  non  sunt  semper,  neque  etiam  ut 
fréquenter,  S.  Thomas,  De  cœlo,  n,  7  ;  quod  est  a  fortuna, 
neque  est  necessarium,  neque  est  sicut  /requenter,  sed 
accidit  ut  in  paucioribus.  Analyt.,  I,  42.  On  ne  croira 
pas  sans  doute  qu'il  faille  attribuer  au  hasard  tous  les 
phénomènes  qui  ne  se  reproduisent  pas  souvent  : 
«  le  miracle  est  un  phénomène  rare,  et  cependant  il 
n'est  pas  le  fruit  du  hasard.  »  De  Régnon,  Métaphysique 
des  causes,  Paris,  1886,  p.  531.  Ce  n'est  pas,  en  effet, 
parce  qu'un  phénomène  est  rare  qu'il  doit  être  attribué 
au  hasard.  Au  contraire,  un  phénomène  est  rare 
parce  qu'il  est  le  produit  du  hasard,  c'est-à-dire 
parce  qu'il  est  le  résultat  du  concours  de  deux 
causes  ou  de  deux  séries  de  causes  dont  l'action 
est  naturellement,  et,  par  le  fait  même,  ordinai- 
rement parallèle  ou  consécutive  l'une  à  l'autre. 
Puisque  les  deux  causes  ou  les  deux  séries  de  causes 
sont  indépendantes,  elles  ne  peuvent  pas,  en  effet,  se 
rencontrer  souvent.  Si  elles  se  rencontrent  souvent, 
il  est  évident  que  «  les  dés  sont  pipés  »,  comme  disait 
l'abbé  Galiani,  et  qu'il  y  a,  derrière  ces  deux  causes  ou 
ces  deux  séries  de  causes  qui  paraissent  et  qui  sont 
peut-être,  en  effet,  naturellement  indépendantes,  un 
fripon  qui  se  fait  un  jeu  de  les  réunir  et  par  consé- 
quent de  nous  attraper.  «  Plus  les  coïncidences  sont 
fréquentes,  plus  les  éléments  composants  sont  nom- 
breux, plus  notre  étonnement  augmente,  et  moins  nous 
sommes  satisfaits  de  voir  expliquer  les  coïncidences 
par  le  hasard.  Si,  par  exemple,  en  passant  dans  une 
rue,  je  vois  une  pierre  se  détacher  et  tomber  à  côté  de 
moi,  je  ne  m'en  étonnerai  pas;  et  le  phénomène  s'expli- 
quera suffisamment  à  mes  yeux  par  la  loi  de  la  chute 
des  corps,  loi  dont  l'effet  s'est  rencontré  ici  avec 
l'effet  d'une  loi  psychologique,  qui  m'a  fait  passer  là. 
Mais  si  tous  les  jours,  à  la  même  heure,  le  même  phéno- 
mène se  reproduit,  ou  si,  dans  un  même  moment,  il  a 
lieu  à  la  fois  de  différents  côtés,  si  des  pierres  sont 
ées  contre  moi  dans  plusieurs  directions  diffé- 
rentes, je  ne  me  contenterai  plus  de  dire  que  les  pierres 
tombent  en  vertu  des  lois  de  la  pesanteur;  mais  je 


chercherai  quelque  autre  cause  pour  expliquer  la 
rencontre  des  chutes.  »  P.  Janet,  op.  cit.,  p.  27.  La 
répétition  ou  la  multiplicité  des  coïncidences  devient 
elle-même  un  phénomène  nouveau  dont  on  ne  peut  pas 
logiquement  se  dispenser  de  chercher  la  cause.  — ■ 
3.  Le  hasard  est  imprévisible  :  il  consiste  dans  une 
rencontre  de  deux  causes  ou  de  deux  séries  que  rien, 
à  considérer  isolément  chacune  des  deux  causes  ou  des 
deux  séries,  ne  pouvait  faire  prévoir.  «  Le  déroulement 
individuel  de  chaque  chaîne,  prise  à  part,  ne  compor- 
tait pas  l'événement  survenu  fortuitement.  Cette 
rencontre  est  un  fait  véritablement  nouveau,  d'où 
naissent  des  séries  nouvelles,  et  qui  paraît  presque  créé 
ex  nihilo,  puisqu'il  n'était  contenu  dans  aucune  des 
séries  qui  lui  ont  donné  naissance  et  qu'aucune  ana- 
lyse ne  pouvait  faire  prévoir  cette  synthèse.  »  H.  Pié- 
ron,  op.  cit.,  p.  686.  On  ne  pourrait  donc  pas  calculer 
le  hasard  d'une  manière  directe  et  simple,  c'est-à-dire 
par  la  seule  considération  des  séries  prises  en  elles- 
mêmes;  mais  on  est  obligé  de  recourir  à  un  procédé 
indirect  et  complexe,  qui  consiste  à  établir  le  calcul 
tout  à  la  fois  sur  le  nombre  des  rencontres  possibles  et 
sur  le  nombre  des  rencontres  réelles  :  le  hasard  ou  la 
probabilité  est  figuré  par  une  fraction  dont  le  numé- 
rateur est  le  nombre  des  cas  favorables  et  dont  le 
dénominateur  est  le  nombre  de  tous  les  cas  possibles  : 
"  la  probabilité,  dit  Laplace,  est  le  rapport  du  nombre 
des  cas  favorables  à  celui  des  cas  possibles.  »  Théorie 
analytique  des  probabilités,  3e  édit.,  Paris,  1820,  p.  vu. 
C'est  ce  qui  fait  la  différence  essentielle  des  lois  natu- 
relles et  des  lois  dites  du  hasard  ou  lois  des  probabilités  : 
les  lois  naturelles  permettent  de  prévoir  un  effet  déter- 
miné; les  lois  du  hasard  n'énoncent  qu'un  «résultat 
global  relatif  à  un  assez  grand  nombre  de  phénomènes 
analogues.  »  E.  Borel,  Le  hasard,  Paris,  1914,  p.  8. 

IV.  Réduction  du  hasard.  —  Le  hasard  étant  ce 
qu'il  est,  nous  n'avons  pas  encore  le  dernier  mot  de 
l'explication  qu'il  comporte.  Une  première  définition 
n'avait  pu  nous  donner  que  les  éléments  dont  il  se 
compose;  elle  tenait  peut-être  assez  bien  son  objet, 
mais  d'une  manière  incomplète  ou  insuffisante,  et  il 
fallait  tâcher  d'obtenir  par  le  moyen  des  deux  prin- 
cipes extrinsèques  une  notion  plus  précise  et  plus  sûre. 
La  question,  en  s'ouvrant  ainsi  sur  ses  deux  termes 
extrêmes,  paraissait  se  poser  d'une  façon  définitive; 
et  voici,  de  nouveau,  qu'elle  se  reporte  comme  d'elle- 
même  un  peu  plus  loin  :  il  ne  semble  pas,  en  effet,  que 
l'on  puisse  se  soustraire  à  ce  dernier  essai  d'explication. 
Ceux  qui  s'y  refusent  ont-ils  perçu,  d'une  manière 
trop  évidente  et  trop  sensible,  qu'en  quittant  la  série 
des  causes  naturelles  comme  débiles  et  impuissantes, 
ils  s'en  allaient  d'eux-mêmes,  par  un  mouvement  irré- 
sistible, à  une  autre  cause,  d'ordre  métaphysique,  à 
la  fois  plus  haute  et  plus  profonde,  et  la  seule  que  peut- 
être  ils  voulussent  éviter?  Bossuet  et  Bourdaloue  ont 
souvent  fait  cette  remarque  que  les  libertins  du  xvii8 
siècle,  trop  irrités  par  la  liaison  de  la  morale  et  du 
dogme,  mettaient  volontiers  le  dogme  en  discussion,  et, 
afin  de  se  dérober  plus  facilement  à  ses  conclusions 
pratiques,  aimaient  à  y  chercher  des  difficultés,  et  à 
ne  pas  savoir  ce  qui  les  résout.  Trouverait-on  par 
hasard  aujourd'hui  des  hommes  qui,  par  un  véritable 
accroissement  de  ce  vice  de  l'esprit,  dans  un  ordre  plus 
purement  et  plus  exclusivement  spéculatif,  oseraient 
pousser  le  sophisme  jusqu'à  dissocier  les  vérités  que 
la  nature  a  cependant  voulu  qui  fussent  le  plus  étroite- 
ment unies  entre  elles?  Mais  c'est  la  logique  qui  com- 
mande ici;  quelque  effort  qu'ils  fassent  pour  échapper 
à  la  rigueur  de  ses  exigences,  le  poids  de  la  raison  les 
y  précipite;  et  ils  ont  beau  faire  :  ils  subissent  malgré 
eux  et  en  dépit  de  leur  sens  propre  l'inéluctable  mou- 
vement de  l'histoire  des  idées.  Il  fut  un  temps  où  une 
philosophie,  soumise  à  l'imagination,  et  une  science, 


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HASARD 


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mal  informée  de  son  objet,  permettaient  d'ériger  le 
hasard  en  absolu  et  de  composer  avec  lui  la  figure  du 
monde;  mais  la  philosophie,  en  s'afîranchissant  de 
l'imagination,  a  découvert  sous  les  apparences  des 
choses  une  réalité  plus  profonde  et  plus  stable  dont 
les  seules  manifestations  extérieures  sont  infiniment 
plus  riches  que  le  hasard,  et  la  science  n'a  véritablement 
commencé  d'exister  que  le  jour  où  elle  a  pu  saisir  les 
lois  constantes  ou  les  phénomènes  généraux  de  ces 
mêmes  réalités  substantielles  que  la  philosophie  s'était 
appropriées;  elles  s'accordent  toutes  deux  aujourd'hui, 
chacune  du  point  de  vue  qui  lui  est  propre,  à  nous 
imposer  une  conception  du  hasard,  qui  lui  assigne  dans 
la  nature  une  existence  définie  et  une  part  déterminée, 
conformes  à  celles  que  nous  lui  avons  reconnues;  et 
cette  première  explication,  imparfaite  ou  incomplète, 
en  postule  à  son  tour  une  autre,  qu'elle  ne  peut  fina- 
lement trouver  que  dans  un  autre  ordre,  supérieur  à 
celui  des  réalités  visibles,  où  se  meut  le  hasard.  Où 
veut-on,  en  effet,  reposer  cet  être  fragile,  issu  de  la 
rencontre  de  causes  naturelles  qui  ne  le  contiennent 
pas,  si  ce  n'est  sur  le  fondement  inébranlable  d'une 
nature  plus  vaste  et  plus  solide,  comme  l'est  la  nature 
divine?  et  cette  synthèse  passagère,  qui  se  dénoue 
aussitôt  faite,  comment  pourrait-on  seulement  la 
supposer,  en  dehors  de  l'intelligence  souveraine  de 
Dieu,  dans  quel  autre  sujet,  qui  fût  capable  tout  à  la 
fois  de  la  saisir  et  de  la  réaliser?  Tel  est  au  fond  le 
sens  de  l'argumentation  de  saint  Thomas  dont  la 
pénétrante  et  souple  sagesse  a  devancé,  sur  ce  sujet 
comme  sur  tant  d'autres,  tous  les  progrès  de  la  science. 
Et  ideo  dicendum  est,  écrit-il  dans  son  article  de  la 
réduction  du  hasard,  quod  ea,  qu.ee  hic  per  accidens 
aguntur,  sive  in  rébus  naturalibus,  sive  in  humanis, 
reducuntur  in  aliquam  causam  prœordinantem,  quse  est 
providentiel  divina,  Sum.  theol.,  I",  q.  cxvi,  a.  1  ; 
et  il  donne,  dans  une  formule  admirable,  la  raison  pro- 
fonde de  cette  réduction  fondamentale  :  nihil  prohibet 
id  quod  est  per  accidens,  accipi  ut  unum  ab  aliquo 
intellectu;  et  sicut  hic  potest  intellectus  apprehendere,  ita 
potest  efjicere.  Ibid.  Qui  donc  a  pu  dire  que  le  hasard 
existait  pour  Dieu  même,  quand  Dieu  est  précisément 
le  seul  être  pour  lequel  il  n'y  a  point  de  hasard,  parce 
qu'il  est  le  seul  être  dont  l'intelligence  infinie  le  dépasse 
et  l'impose  à  la  nature?  Mais  nous  comprenons  mieux, 
d'autre  part,  le  sens  de  cette  parole,  si  méprisée  et  si 
mal  comprise,  de  Bossuet  :  «  Ne  parlons  plus  de  hasard, 
ni  de  fortune;  ou  parlons-en  seulement  comme  d'un 
nom  dont  nous  couvrons  notre  ignorance.  Ce  qui  est 
hasard  à  l'égard  de  nos  conseils  incertains  est  un  dessein 
concerté  dans  un  conseil  plus  haut,  c'est-à-dire  dans  ce 
conseil  éternel  qui  renferme  toutes  les  causes  et  tous 
les  effets  dans  un  même  ordre.  »  Discours  sur  l'histoire 
universelle,  IIe  partie.  Ainsi  en  concevant  le  monde 
créé  comme  un  composé  de  trois  ordres  différents  : 
l'ordre  des  causes  libres,  celui  des  causes  nécessaires, 
et  celui  des  choses  fortuites,  Dieu  apparaît,  dans 
chacun  de  ces  ordres,  comme  l'explication  ou  la  raison 
dernière  de  tout  être  :  «  il  touche  tout,  dit  saint  Fran- 
çois de  Sales,  règne  sur  tout,  et  réduit  tout  à  sa  gloire  », 
Traité  de  l'amour  de  Dieu,  I.  II,  c.  m;  et  il  arrive 
qu'après  avoir  vainement  essayé,  suivant  le  mot  de 
Diderot,  de  l'élargir  du  monde  où  la  philosophie  catho- 
lique s'obstinait  à  le  tenir  emprisonné,  la  science, 
mieux  informée  de  ses  limites  et  devenue  plus  modeste, 
est  elle-même  obligée  de  l'y  ramener;  elle  ne  peut  même 
pius  se  contenter,  comme  les  déistes  du  xvme  siècle, 
de  placer  cette  divinité  nécessaire  dans  une  sphère 
inaccessible  aux  agitations  de  ce  bas  monde  et  où  les 
passions  ni  le  soin  des  affaires  humaines  ne  sauraient 
troubler  son  repos;  les  agitations  de  ce  bas  monde, 
c'est  lui  qui  les  gouverne;  la  nature,  qu'on  avait  en 
quelque  sorte  renfermée  sur  elle-même  pour  la  déta- 


cher de  lui,  s'est  ouverte  de  tous  côtés;  la  voûte  de 
l'univers  qu'on  avait  solidifiée  de  toutes  parts  s'est 
brisée  partout  :  et  sur  toutes  les  routes  où,  d'après 
une  consigne  célèbre,  on  avait  voulu  reconduire  Dieu 
aux  frontières  du  monde,  on  est  aujourd'hui  obligé 
d'aller  le  rechercher.  «  Quoiqu'il  n'y  paraisse  guère, 
dit  Spencer,  la  recherche  intrépide  tend  sans  cesse  à 
donner  une  base  plus  ferme  à  toute  vraie  religion. 
Le  timide  sectaire,  alarmé  des  progrès  de  la  science, 
obligé  d'abandonner  une  à  une  les  superstitions  de  ses 
ancêtres,  et  voyant  ébranler  chaque  jour  ses  croyances 
chéries,  craint  en  secret  que  toutes  choses  ne  soient 
un  jour  expliquées;  il  redoute  la  science,  pratiquant 
ainsi  la  plus  profonde  des  infidélités  —  la  peur  que  la 
vérité  ne  soit  mauvaise.  D'autre  part,  le  savant  sincère, 
content  de  suivre  l'évidence  partout  où  elle  le  mène, 
se  convainc  plus  profondément  par  chaque  recherche 
que  l'univers  est  un  problème  insoluble....  Dans  toutes 
les  directions,  ces  recherches  arrivent  à  le  mettre  face 
à  face  avec  l'inconnaissable.  »  Essais,  trad.  Ribot,  t.  i, 
p.  58. 

Oserais-je  dire  maintenant  et  pour  finir  que,  des 
trois  ordres  créés,  aucun  ne  postule  l'intervention 
divine  avec  plus  de  rigueur  et  de  précision  que  le  ha- 
sard? Et  quoique  cela  paraisse  d'abord  contraire  à 
l'opinion  commune  que  l'on  s'est  faite  du  hasard,  cela 
n'en  est  pas  moins  certain;  mais  il  est  nécessaire  de 
remonter,  si  l'on  veut  s'en  rendre  compte,  à  la  véritable 
idée  de  l'intervention  divine.  Cette  idée  implique  deux 
éléments  :  la  conception  d'un  effet,  et  l'exécution  de 
cet  effet.  Le  premier  est  affaire  d'entendement  :  le 
second,  de  puissance.  Une  différence  essentielle,  ou 
plutôt  un  rapport  inverse  s'établit  entre  ces  deux 
éléments  :  la  conception  d'un  effet  est  d'autant  plus 
parfaite  qu'elle  le  prévoit  dans  tous  ses  détails,  même 
les  moindres,  tandis  que  l'exécution  de  cet  effet, 
particulièrement  dans  ses  détails,  ne  convient  qu'à 
une  puissance  inférieure  qui  n'en  dépasse  pas  la  sphère 
ou  le  domaine.  Or,  en  Dieu,  naturellement,  se  rencontre 
la  souveraine  perfection  au  regard  de  ces  deux  éléments, 
c'est-à-dire  qu'il  y  a  en  lui  sagesse  parfaite  quant  à  la 
conception  de  l'effet,  et  vertu  parfaite  quant  à  l'exé- 
cution. Il  est  donc  nécessaire,  et  que  Dieu  règle  par  sa 
sagesse  tous  les  effets,  même  dans  leurs  derniers  détails, 
et  tout  ensemble  qu'il  confie,  pour  ainsi  parler,  l'exé- 
cution de  ces  effets,  leurs  détails  compris,  à  des  puis- 
sances secondaires  et  inférieures,  par  l'intermédiaire 
desquelles  il  agit  à  titre  de  puissance  universelle  et 
suprême.  Ainsi  se  produisent  tous  les  effets  naturels  : 
ils  sont  prévus  par  Dieu,  qui  en  règle  lui-même,  et, 
si  l'on  peut  ainsi  dire,  personnellement  tout  le  détail; 
et  Dieu  se  sert  des  causes  secondes  pour  les  faire 
aboutir.  Rapport  inverse,  comme  nous  disions  tout  à 
l'heure,  entre  l'intelligence  divine  et  la  puissance 
divine.  Mais  en  aucun  cas,  ce  rapport  ne  se  vérifie, 
d'une  manière  plus  exacte  et  plus  précise,  que  dans  le 
hasard.  De  tous  les  effets  connus,  le  hasard  est  celui 
dont  l'intelligence  divine  prend  le  plus  de  soin,  et  dont 
la  puissance  divine  se  désintéresse  le  plus.  Il  n'appa- 
raît pas  comme  l'un  quelconque  des  nombreux  effets 
d'une  série,  tous  égaux  et  toujours  pareils,  tellement 
semblables  à  la  cause  qui  les  produit  que  la  conception 
de  celle-ci  paraît  impliquer  comme  nécessairement 
la  conception  de  ceux-là;  mais  il  forme  un  objet  à 
part;  il  touche  et  occupe  directement  l'intelligence 
divine  qui  lui  assigne  son  existence  et  sa  fin  :  et,  malgré 
cela,  malgré  cette  position  exceptionnelle,  il  semble 
que  la  puissance  divine  l'abandonne  encore  plus  que 
tous  les  autres  effets.  La  causalité  des  choses  naturelles 
ne  pourvoit  pas  d'elle-même  à  la  création  de  cet  être 
extraordinaire;  et  Dieu  leur  impose  cependant  de  le 
produire  par  une  sorte  de  violence  faite  à  leurs  habi- 
tudes :  ce  que  chacune  d'elles,  prise  isolément,  refuse 


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HASARD  —  HAUNOLD 


20G0 


de  lui  donner,  il  l'obtiendra  du  concours  ou  de  la  ren- 
contre de  deux  d'entre  elles;  et  nous  saisissons  ainsi, 
sur  cet  exemple  frappant,  où  il  se  justifie  le  mieux, 
la  véritable  raison  du  rapport  inverse  qui  existe,  en 
Dieu,  pour  la  production  de  tous  les  efîets,  entre  son 
entendement  et  sa  puissance.  Sa  puissance  se  trouvc- 
t-elle  atteinte  par  cette  désaffection  manifeste  qu'elle 
témoigne  vis-à-vis  des  effets  prévus  par  sa  sagesse? 
Au  contraire,  Dieu  fait  tout  et  agit  en  tout,  comme 
créateur  et  moteur  de  toutes  choses.  Mais  le  triomphe 
de  sa  sagesse  consiste  précisément  à  soustraire  à 
l'action  directe  de  sa  puissance  des  effets  qu'elle  peut 
faire  aboutir  par  les  seuls  moyens  des  causes  naturelles; 
et  voilà  comment  se  découvre,  de  la  façon  la  plus  évi- 
dente, la  présence  de  l'Esprit  dans  le  monde.  Bien  loin 
de  la  contredire,  le  hasard  l'atteste  plus  que  tous  les 
autres  efîets,  de  telle  sorte  qu'on  puisse  finalement  se 
demander  si  ceux  qui  en  ont  pris  peur  se  sont  seule- 
ment préoccupés  de  savoir  à  quoi  ils  avaient  affaire. 
Non  seulement  aucune  des  objections  qui  sont  prises 
du  hasard  n'ont,  en  effet,  rien  de  rare  ni  d'exceptionnel  ; 
mais  on  peut  dire  qu'en  lui  restituant  sa  vraie  notion, 
elles  se  retournent  toutes  contre  ceux  qui  les  avancent; 
et  il  ne  suffisait  donc  ici,  comme  partout  ailleurs,  que 
de  ne  pas  suivre  nos  adversaires  sur  la  position  qu'ils 
voulaient  nous  imposer;  on  ne  sert  jamais  la  vérité, 
mais  on  la  compromet  plutôt,  si  on  la  quitte  seulement 
d'un  pas;  et  aucune  question  ne  peut  être  véritable- 
ment dégagée  des  difficultés  dont  on  l'embarrasse 
qu'en  la  remettant  à  sa  véritable  place.  Nous  en  avons 
ici  une  excellente  démonstration.  Me  permettra-t-on 
de  dire  qu'on  obtiendra  le  même  résultat,  sur  tous  les 
sujets,  même  les  plus  rebelles,  où  l'on  voudrait  en  faire 
l'épreuve,  en  revenant  aux  explications  que  saint  Tho- 
mas en  a  proposées  jadis,  qui  sont  toujours  les  plus 
souples  et  les  plus  précises,  à  la  fois  si  simples  et  si 
profondes,  tellement  consistantes  et  liées  dans  toutes 
leurs  parties,  que  les  objections  les  plus  spécieuses 
tombent  d'elles-mêmes  devant  elles?  Il  se  trouve,  en 
effet,  que,  par  une  rencontre  merveilleuse,  la  philoso- 
phie thomiste  reioint  tout  ensemble  le  plus  simple 
bon  sens  et  la  philosophie  la  plus  savante  ;  et,  grâce  à  cet 
accord  admirable,  elle  a  raison  de  tout,  même  du  temps. 

I.  Ouvrages.  —  Aristote,  Phystc;  Albert  le  Grand, 
Physù.,  1.  II.  tr.  II,  c.  xiv;  Metaphys.,  1.  V,  tr.  VI,  c.  xv; 
S.  Thomas,  Physic,  1.  II,  lect.  vin;  Metaphys.,  1.  XI,  lect. 
vin;  Cont.  génies,  1.  II,  c.  xxxix;  Sum.  iheol.,  Ia,  q.  cxv, a.  6; 
q.  cxvi,  a.  1  ;  La  Placette,  Traité  des  jeux  du  hasard,  La  Haye, 
1714;  Montmort,  Essai  de  l'analyse  sur  les  jeux  du  hasard, 
Paris,  1713;  Laplace,  Théorie  analytique  des  probabilités, 
3e  édit.,  Paris,  1820;  A.  Cournot,  Théorie  des  chances  et  des 
probabilités,  Paris,  1843;  Essai  sur  les  fondements  de  nos 
connaissances,  Paris,  1851  ;  Stuart  Mill,  Système  de  logique, 
trad.  Peisse,  2*  édit.,  Paris,  1880,  t.  II,  p.  47-75;  P.  Janet, 
Les  causes  finales,  Paris,  1876;  Th.  de  Régnon,  Métaphysique 
des  causes,  Paris,  1886;  J.  Bertrand,  Le  calcul  des  probabi- 
lités, Paris,  1888;  A.  Fouillée,  La  liberté  et  le  déterminisme, 
3'  édit.,  Paris,  1890;  A.  Darbon,  Le  concept  du  hasard  dans 
la  philosophie  de  Cournot,  Paris,  1890;  L.  Favre,  Le  hasard, 
Paris,  1912;  E.  Borel,  Le  hasard,  Paris,  1914. 

II.  Revues.  —  1°  Revue  néo-scolastique  :  J.  Huys,  Le  ha- 
sard, t.  il,  p.  272-285;  J.  Lottin,  Le  calcul  des  probabilités, 
t.  xvii,  p.  23-52.  —  2°  Revue  de  métaphysique  et  de  morale  : 
G.  Milhaud,  Le  hasard  chez  Aristote  et  chez  Cournot,  t.  x, 
p.  667-681;  H.  Piéron,  Essai  sur  le  hasard:  la  psychologie 
d'un  concept,  t.  x,  p.  682-695  ;  E.  Boutroux,  Hasard  oit  liberté, 
t.  xviii,  p.  137-146.  —  3°  Revue  de  philosophie  :  F.  Mentré, 
Râle  du  hasard  dans  les  inventions  et  découvertes  et  Le  hasard 
dans  les  découvertes  scientifiques  d'après  Cl.Bernard,  4e  année, 
1. i3  p.  426-439,  672-678;  G.  Tarde,  La  notion  du  hasard  chez 
Cournot,  4"  année,  t.  n,  p.  497-515. —  4°  Revue  philosophique  : 
J.  Maldidier,  Le  hasard,  t.  xliii,  p.  561-598;  G.  Milhaud, 
La  définition  du  hasard  de  Cournot,  t.  lxxii,  p.  136-159; 
A.  Darbon,  Hasard  et   déterminisme,  mars  1914,  p.  225-265. 

III.  Dictionnaires.  —  E.  Littré,  Dictionnaire  de  la 
langue  française,  Paris,  1874,  t.  h,  p.   1987-1988;  Diction- 


naire  des   sciences   philosophiques,   2e   édit.,    Paris,    1875, 
p.  682-683;  La  grande  encyclopédie,  Paris,  t.  xix,  p.  900. 

J.  Bouché. 
HATTEWI  (Olivier  van),  théologien  et  médecin,  né 
à  Utrecht  vers  1570,  mort  à  Anvers  le  23  décembre 
1610.  Il  appartenait  à  une  noble  famille  protestante  et, 
après  avoir  fait  ses  premières  études  dans  sa  ville 
natale,  vint  à  Leyde  où  il  étudia  les  belles-lettres  et  la 
théologie.  En  1593  il  se  fit  recevoir  ministre.  Après  en 
avoir  exercé  les  fonctions  pendant  quatorze  ans,  il 
abjura  le  calvinisme  et  amena  avec  lui  à  la  foi  catho- 
lique sa  femme  et  ses  enfants.  Il  étudia  ensuite  la 
médecine  à  Louvain,  puis  vint  habiter  Anvers.  On  a 
de  lui  :  Apologie  contre  les  ministres  de  la  religion  réfor- 
mée :  c'est  peut-être  la  première  édition  de  l'ouvrage 
suivant  :  Justification  d'Olivier  Hallem,  tirée  des  mar- 
ques de  l'Église  de  Dieu,  par  où  chacun  saura  comment 
distinguer,  non  seulement  à  présent,  mais  en  tous  temps, 
la  véritable  Église  d'avec  les  synagogues  des  hérétiques, 
2e  édit.,  in-12,  Louvain,  1610;  Apostille  sur  une  requête 
calomnieuse  présentée  au  pape  contre  Olivier  Hattem, 
in-12.  Tous  ces  ouvrages  sont  écrits  en  flamand. 

Valêre  André,  Blbllotheca  belglca,  p.  707;  Foppens, 
Bibliotheca  belgica,  in-4°,  Bruxelles,  1739,  t.  n,  p.  653; 
Théâtre  sacré  de  Brabant,  in-fol.,  La  Haye,  1729,  t.  n  a, 
p.  127;  Paquot,  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  littéraire 
des  Pays-Bas,  t.  IX,  p.  96;  Hurter,  Nomenclator,  1907,  t.  m, 
col.  419,  note. 

B.  Heurtebize. 

HAUNOLD  Christophe,  théologien  allemand,  né  à 
Altenhaus,  en  Bavière,  le  18  octobre  1610,  d'une  an- 
cienne et  illustre  famille,  fut  d'abord  page  à  la  cour  de 
Bavière.  Entré  au  noviciat  de  la  Compagnie  de  Jésus 
le  25  avril  1630,  il  professa  ensuite  les  humanités  et 
consacra  le  reste  de  sa  vie  à  l'enseignement  de  la  philo- 
sophie et  surtout  de  la  théologie  à  Dillingen,  à  Fribourg 
et  à  Ingolstadt.  Ses  ouvrages  philosophiques  attirèrent 
de  bonne  heure  sur  lui  l'attention  du  cardinal  de  Lu  go. 
Il  convient  de  citer  entre  autres  :  Philosophia  de  anima 
rationali,  Dillingen,  1645;  Philosophia  de  anima  sen- 
siliva,  ibid.,  1645;  Quœstio  anacutior  hodie  philosophia 
plus  Isedat  ingénia  quam  excolat  ad  alias  facultatcs, 
Ingolstadt,  1645;  Logica  practica  in  régulas  digesta, 
ibid.,  1646;  Cologne,  1688;  Ingolstadt,  1696,  etc.;  De 
ortu  et  interitu  animx  rationalis,  Ingolstadt,  1694.  En 
théologie,  Haunold  ne  tarda  pas  à  être  regardé  comme 
une  des  gloires  de  l'université  d'Ingolstadt.  Par  la 
pénétration  de  sa  pensée  et  la  clarté  de  l'exposition,  il 
reste  un  des  maîtres  de  son  temps.  Ses  Instituliones 
thculogicœ  en  quatre  livres,  in-8°,  Ingolstadt,  1559, 
n'étaient  qu'une  préparation  sommaire  à  son  grand 
ouvrage  :  Théologies  spéculatives  scholasticis  prœlectio- 
nibus  et  exercitiis  accommodatœ  libri  IV,  in-fol.,  ibid., 
1670,  conçu  sur  le  plan  de  la  Somme  de  saint  Thomas, 
mais  adapté  aux  besoins  de  l'époque  et  se  référant  tou- 
jours, pour  les  soumettre  à  l'analyse  et  en  suivre  les 
progrès,  aux  données  les  plus  neuves  de  la  théologie 
contemporaine.  Le  traité  qui  a  mis  surtout  en  relief  le 
savoir  étendu  et  précis,  le  sens  théologique  profond  et 
sûr,  la  méthode  simplifiée  et  claire  du  P.  Haunold,  est 
le  De  justitia  et  jure  dont  le  Ier  volume  parut  en  1671  à 
Ingolstadt  sous  ce  titre  :  Conlrovcrsiarum  de  justitia  et 
jure  privalorum  universo  nova  cl  theoretica  methodo  in 
decem  tractatus  et  quatuor  tomos  digeslarum.  Finale- 
ment l'ouvrage  eut  six  volumes  et  fut  achevé  en  1674  : 
il  est  de  ceux  qui  font  honneur  à  la  théologie  et  il  garde 
aujourd'hui  encore  son  intérêt,  sinon  son  autorité. 
Haunold  a  laissé  aussi  un  écrit  de  controverse  :  Pro 
Ecclesise  romanse  infallibililate  notât  responsorim  seu 
succincla  defensio,  in-4°,  Ingolstadt,  1654.  Il  mourut 
à  Ingolstadt  le  22  juin  1689.  La  faculté  de  théologie 
fit  inscrire  son  éloge  sur  les  murs  de  la  grande  salle  des 
cours. 


2061 


HAUNOLD 


HAUZEUR 


2062 


Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  C'°  de  Jésus,  t.  iv, 
col.  140-143;  Hurter,  Nomenclator,  3e  édit.,  Inspruck, 
1910,  t.  IV,  col.  621  sq.;  J.  Modérer,  Annales  Académies 
Ingolstadtensis,  Ingolstadt,  1782,  t.  m,  p.  66. 

P.  Bernard. 

HAUSER  Berthoid,  jésuite.allemand,  né  le  13  juil- 
let 1713  à  Wildenberg,  en  Bavière,  admis  au  noviciat 
le  28  septembre  1729,  enseigna  d'abord  les  humanités, 
puis  la  philosophie  et  les  mathématiques  pendant  près 
de  vingt  ans  à  l'université  de  Dillingen.  La  grande 
œuvre  de  sa  vie  fut  un  traité  de  philosophie  qualifié 
par  lui  d'élémentaire,  mais  qui  comprend,  en  8  in-8° 
d'une  moyenne  de  800  pages  chacun,  une  somme  de 
toutes  les  questions  qui  se  rattachaient  alors  à  la  philo- 
sophie :  Elcmenla  philosophiœ  ad  ralionis  et  experientise 
ductum  conscripta  atque  usibus  scholasticis  accommo- 
data,  Inspruck,  1755-1764.  Les  derniers  volumes  ont 
été  publiés  après  sa  mort  survenue  le  14  mars  1762. 

Sommervogol,  Bibliothèque  de  la  C''  de  Jésus,  t.  iv, 
col.  148  sq.;  Hurter,  Nomenclator,  3e  édit.,  Inspruck,  1910, 
t.  rv,  col.  1331;  J.  Mederer,  Annales  Academice  Ingolsta- 
dtensis, Ingolstadt,  1782,  t.  m,  p.  236. 

P.  Bernard. 

HAUTEVILLE  (Nicolas  de),  théologien  français  du 
xvne  siècle.  On  le  croit  originaire  d'Auvergne.  Docteur 
en  théologie,  il  publia  un  ouvrage  intitulé  :  Théologie 
angélique,  in-8°,  Lyon,  1658;  il  le  dédia  à  l'évêque  de 
Genève,  Charles- Auguste  de  Sales,  qui  lui  donna  un 
canonicat  de  sa  cathédrale.  Les  autres  ouvrages  de  ce 
théologien  sont  :  Les  caractères  ou  les  peintures  de  la  vie 
et  de  la  douceur  du  B.  François  de  Sales,  in-8°,  Lyon, 
1661  ;  Explication  du  traité  de  saint  Thomas  des  attributs 
de  Dieu  pour  former  l'idée  d'un  chrétien  savant  et  spiri- 
tuel, et  L'art  de  bien  discourir  suivi  de  l'Esprit  de  Ray- 
mond Lulle,  in-12,  Paris,  1666;  L'histoire  royale  ou  les 
plus  belles  et  les  plus  curieuses  questions  de  la  Genèse  en 
forme  de  lettres,  in-4°,  Paris,  1667;  Actions  de  saint 
François  de  Scdes  ou  les  plus  beaux  traits  de  sa  vie  en 
neuf  panégyriques  avec  des  remarques  tirées  de  ses  ma- 
nuscrits et  qui  n'ont  point  encore  vu  le  jour,  in-8°,  Paris, 
1668;  Origine  de  la  maison  de  Sales,  soit  la  maison  natu- 
relle, historique  et  chronologique  de  saint  François  de 
Sales,  divisée  en  trois  parties,  in-4°,  Paris,  1669;  réim- 
primée à  Clermont  la  même  année,  in-4°,  sous  le  titre  : 
Histoire  de  la  maison  de  saint  François  de  Sales; 
L'examen  des  esprits  ou  les  entretiens  de  Philon  et  de 
Polyalte  où  sont  examinées  les  opinions  les  plus  curieuses 
des  philosophes  et  des  beaux  esprits,  in-12,  Paris,  1772; 
in-4°,  Paris,  1776;  L'art  de  prêcher,  ou  l'idée  du  parfait 
prédicateur,  in-12,  Paris,  1683. 

Giraud  et  Richard,  Bibliothèque  sacrée,  t.  xm,  p.  2; 
Feller,  Dictionnaire  historique,  1848,  t.  iv,  p.  324. 

B.  Heurtebize. 

HAUT1N  Jacques,  jésuite  flamand,  né  à  Lille  le 
12  juillet  1599,  entra  au  noviciat  le  6  octobre  1617 
et  fut  chargé  de  l'enseignement  de  la  philosophie  à 
Douai,  puis  à  Lille.  Il  mourut  le  24  décembre  1671 
après  une  vie  consacrée  à  la  prédication  et  aux  études 
de  théologie  et  d'ascétisme.  Voici  la  liste  de  ses  ou- 
vrages :  Angélus  cuslos  seu  de  mutuis  angeli  custodis  et 
clientis  angelici  offîciis  tractatus.  Anvers,  1620,  ouvrage 
qui  eut  plusieurs  éditions  et  que  le  P.  Lahier  rendit  popu- 
laire par  sa  belle  traduction  parue  à  Tournai  en  1643; 
Lytrum  animarum  purgatorii.  Douai,  1642;  Sacramen- 
ium  amoris  eucharistia,  in-fol.,  Lille,  1650;  Advocalus 
purgatorii,  Cologne,  1659,  traduction  de  l'ouvrage  du 
P.  Marc  de  Bonnyers;  Patrocinium  defunclorum,  in-fol., 
Liège,  1664;  Novurn  opus  de  novissimis,  Lille,  1671. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  Cie  de  Jésus,  t.  iv, 
col.  154  sq.;  Hurter.  Nomenclator,  3e  édit.,  Inspruck,  1910, 
t.  m,  col.  314. 

P.  Bernard. 


HAUZEUR  Matthias,  frère  mineur  récollet  de  la 
province  de  Flandre,  naquit  à  Verviers  en  1589  et  revê- 
tit la  bure  à  l'âge  de  20  ans.  Lecteur  de  philosophie  et 
de  théologie  pendant  de  longues  années,  cinq  fois 
ministre  de  sa  province,  le  P.  Matthias  mourut  à  Liège 
le  12  novembre  1676,  après  soixante-sept  ans  de  vie 
religieuse,  laissant  de  nombreux  ouvrages  dont  les  pre- 
miers furent  des  traités  de  polémique  acerbe  et  violente 
avec  divers  protestants.  A  la  suite  d'une  controverse 
publique  avec  Gabriel  Hotton,  qui  avait  duré  trois 
jours,  il  en  publia  le  compte  rendu  sous  ce  titre  :  Accu- 
sation et  conviction  du  sieur  Hotton  et  de  tous  ses  com- 
plices, par  F.  Matthias  Hauzeur,  qu'ils  ne  sont  que  nova- 
leurs  perturbateurs  et  calomniateurs  de  l' Église  romaine 
d'aujourd'huy  luy  imputant  à  idolâtrie  plusieurs  pra- 
tiques au  service  de  Dieu  et  spécialement  V invocation  des 
saints,  in-4°,  Liège,  1633.  Une  traduction  latine  parut 
la  même  année  au  même  lieu.  Hotton  ayant  répliqué, 
son  adversaire  publia  à  son  tour  :  Exorcismes  catho- 
liques du  maling  esprit  hérétique,  apparoissant  en  un 
monstre  de  mensonges  et  de  blasphèmes  avorté  entre  les 
rabbins  de  Leyden,  1634,  soub  le  nom  de  Godcfroia 
Hotton,  et  dire  de  response  et  apologie  contre  toute  vérité 
publique  du  faict  et  de  la  doctrine  des  conférences  de 
Lymbourg,  pour  V  invocation  des  saints  :  anatomizé, 
confit  et  déconfit  comme  un  serpent  long  de  300  pages, 
en  l'antidote  des  sections  suivantes,  in-8°,  Liège,  1634. 
La  même  année,  le  fameux  et  fécond  écrivain  Samuel 
des  Marets  publiait  à  Groningue  sa  Monachomachia, 
dans  laquelle  il  prenait  nommément  à  partie  le  P.  Hau- 
zeur, qui  lui  répondit  par  son  Equuleus  ecclesiaslicus, 
aculeatus  exorcismis  xxiu,  in  ncquissimum  Pythonem 
hsereticum  Samuelis  Des  Marctz,  pseudo-ministri 
Traiectensis,  in-8°,  Liège,  1635.  Dans  le  même  but 
de  polémique  il  avait  déjà  publié  un  recueil  des  textes 
de  saint  Augustin,  les  plus  propres  à  combattre  les 
erreurs  de  cette  époque  :  Prœjudicia  augustissima 
D.  Augustini  episcopi  pro  vera  Christi  Ecclesia,  una, 
sancla,  calholica,  aposlolica  anlonomaslicôs,  id  est 
romana  :  contra  omnes  sui  nostrique  temporis  hœrelicos 
ac  eorum  objectiones,  calumnias,  fraudes,  violentias, 
cœterosque  mores  genuinos,  in-8°,  Liège,  1634.  Ce  livre 
fut  bientôt  suivi  d'un  abrégé  en  français  :  Résolution 
de  tous  les  différents  présens  louchant  la  vraye  Église  de 
Jésus-Christ,  d'où  dépendent  tous  les  autres,  par  son 
grand  et  incomparable  docteur,  sainct  Augustin,  hors 
de  la  parole  de  Dieu  mesme,  ibid.  Pour  compléter  les 
ouvrages  précédents,  qu'il  avait  réunis  en  un  seul, 
le  P.  Matthias  y  ajouta  :  Livre  de  ce  grand  docteur  S.  Au- 
gustin du  soing  qu'il  faut  porter  pour  les  morts,  très 
suffisant  à  convaincre  et  convertir  le  faussaire  minislreau 
Des-Marets,  avec  tous  ses  complices  et  sectateurs  d'opi- 
niastreté  hérétique  en  tous  leurs  erreurs,  et  particuliè- 
rement en  cest  et  semblables  traits  de  sa  Monachomachie, 
ou  cloaque  très  puante  de  ses  Marets  propres,  ibid., 
ainsi  qu'une  traduction  flamande  du  traité  de  saint 
Augustin  sur  l'utilité  de  croire  :  Een  seer  costelyk  ende 
salich  boccxkc  nofte  brief  des  H.  Augustini  lot  Honoratum, 
van  het  profyt  des  gheloovens.  Ce  recueil  portait  pour 
titre  :  Colluctationes  minorum  exorcistarum  non  adversus 
carnem  et  sanguinem,  sed  contra  spirilualia  Ma  nequitiœ 
seu  ncquissimum  illud  genus  dœmoniorum  quœ  per  suos 
minislros  hœreseos  ab  anno  1632  intra  et  circa  Trajectum 
et  Lymburgum  iterum  frustra  infeslaverunl  domum  Dei, 
in-8°,  Liège,  1636.  Sous  l'anagramme  de  Ranutii 
Higati  le  P.  Ignace  Huart,  cistercien  belge,  avait 
publié  un  livre  dans  lequel  il  s'efforçait  de  détourner 
de  son  vrai  sens  la  doctrine  de  saint  Bernard,  pour  la 
rendre  favorable  aux  jansénistes  :  D.  Bernardi  tractatus 
de  gralia  et  libero  arbitrio.  Le  P.  Hauzeur  lui  opposa  sa 
Correctio  fralerna  Ranutii  Higati,  anagrammatice  I.  H. 
contra  ejus  commentum  in  S.  Bernardum  de  libero 
arbitrio  (1651).  Huart  répondit  par  les  Vindicim  pro 


2063 


HAUZËR  —  HAVENS 


2064 


R.  Iligalo,  Notre  récollet  avait  déjà  pris  la  défense  du 
saiilt  docteur  dans  la  Veronica  S.  Bernardi  abstergens 
ejus  faciem,  seu  totius  doctrinœ  super ficicm  ab  omni 
macula  vel  umbra  crroris  :  et  exprimons  veram  ejus 
imagincm,  seu  sensum  catholicum,  et  Augustinianum, 
sine  prœjudicio  ullius  probabilis,  in-32,  Liège,  1G50. 
Citons  encore  parmi  ses  écrits  polémiques  une  Repro- 
batio  apologiœ  novissimœ  Samuelis  Marcsii  seu  Des- 
Marets,  in-fol.,  Tournai,  1650,  et  terminons  par  ses 
deux  plus  importants  ouvrages,  qui  sont  un  meilleur 
titre  de  gloire  pour  leur  auteur.  Le  premier  est  intitulé  : 
Anatomia  totius  augustissimtc  doclrinse  S.  Augustini... 
ad  concordiam  inviolabilem  totius  doctrinœ  Augusti- 
nianœ  cum  vera  Christi  Ecclesia,  cujus  profitctur  prseco- 
nia  ac  prœfert  insignia,  2  in-fol.,  Liège,  1643-1645;  on 
en  trouve  aussi  des  exemplaires  avec  le  titre  :  Epitome 
operum  S.  Augustini  et  la  date  de  Paris,  1646.  L'autre 
est  la  Collalio  totius  thcologiœ  inter  majores  noslros 
F.  Alexandrum  Alensem,  patriarcham  thcologorum, 
doetorem  irrefragabilem,  sanctum  Bonavcnturam,  doc- 
torem  seraphicum,  F.  Joannem  Duns-Scotum,  doetorem 
subtilem.  Ad  mentem  S.  Augustini,  sub  magisterio 
Christi  interiore  per  gratiam,  exteriore  per  Ecclcsiam, 
2  in-fol.,  Liège  et  Namur,  1652.  Cet  ouvrage,  composé 
dans  un  style  très  concis,  est  un  commentaire  sur  les 
1.  II-IV  du  Maître  des  Sentences,  extrait  des  ouvrages 
des  trois  grands  docteurs  franciscains,  qu'il  s'efforce  de 
faire  concorder  entre  eux  et  avec  la  doctrine  de  saint 
Augustin;  toutefois  le  défaut  d'ordre  et  de  méthode, 
remarquent  les  doctes  éditeurs  des  œuvres  de  saint 
Bonaventure,  font  tort  à  la  science  et  à  l'ingéniosité 
de  l'auteur.  Citons  encore  un  ouvrage  consacré  au  glo- 
rieux privilège  de  Marie,  dont  les  franciscains  furent 
toujours  les  ardents  champions  :  Statera  causœ  inter 
R.  P.  Petrum  de  Alva  pro  immaculata  conceplione 
Deiparœ,  in-8°,  Namur,  1664. 

Wadding  et  Sbaraglia,  Scriptores  ordints  mlnorum,  Rome, 
1806;  Moréri,  Le  grand  dictionnaire  historique;  Servais 
Dirks,  Histoire  littéraire  et  bibliographique  des  frères  mineurs 
de  l'observance  en  Belgique  et  dans  les  Pays-Bas,  Anvers, 
1886,  p.  246-256;  Biographie  nationale  de  la  Belgique, 
t.  viu,  p.  787-791;  Hurter,  Nomenclator,  Inspruck,  1910, 
t.  iv,  col.  82-84. 

P.  Edouard  d'Alençon. 

HAVERMANS  LANGELOT,  le  Père  Macaire,  fut 
baptisé  à  Bréda,  le  30  septembre  1644,  entra  à  l'abbaye 
des  prémontrés  de  Saint-Michel  d'Anvers,  où  il  fit  pro- 
fession solennelle  le  11  mars  1666.  L'austérité  de  sa  vie 
lui  concilia  autant  que  sa  connaissance  de  la  théologie 
et  des  Pères  de  l'Église  l'estime  de  ses  supérieurs  et  de 
ses  confrères.  Il  occupa  la  chaire  de  philosophie  peu 
après  son  ordination  sacerdotale  qui  eut  lieu  le  20  avril 
1669.  Le  P.  Dominique  de  Colonia,  dans  le  Dictionnaire 
des  livres  jansénistes  ou  qui  favorisent  le  jansénisme, 
Anvers,  1752,  t.  iv,  p.  113,  le  donne  pour  l'un  des 
défenseurs  les  plus  ardents  du  jansénisme  dans  les 
Pays-Bas.  Il  affecte  dans  ses  livres  une  préférence  pour 
l'autorité  de  saint  Augustin.  Il  combattit  sans  relâche 
par  ses  écrits  et  ses  thèses  publiques  les  casuistes  qu'il 
accusait  de  morale  relâchée.  Le  premier  de  ses  ouvrages, 
Tyrocinium  christianse  theologise  moralis  ad  mentem 
sanctorum  Patrum,  prsecipue  sancti  Augustini,  parut  à 
Anvers,  1674.  Une  seconde  édition,  augmentée  et 
corrigée,  parut  à  Anvers  encore  l'année  suivante  en 
2  in-8°.  Quelques  Pères  jésuites,  en  particulier  le  Père 
Philippe  de  Homes,  l'apprécièrent  avec  sévérité  dans 
leurs  thèses  publique  ».  Havermans  crut  nécessaire  de  se 
justi  fier  contre  le  jésuite  par  lapublication  d'une  Defensio 
brevis  Tyrocinii  moralis,  in-8°,  Cologne,  1676.  En  1675, 
il  publia  des  thèses  sous  ce  titre  :  Universa  theologia 
moralis  ad  mentem  S.  P.  Augustini,  Anvers.  Il  confirma 
la  position  qu'il  avait  adoptée  dans  la  question  contro- 
versée alors  du  degré  d'amour  divin  requis  pour  pro- 


fiter de  la  gTâce  dans  la  réception  des  sacrements,  par 
sa  Disquisitio  tlieologica  in  qua  discutitur  illa  famosa 
quiestio  quinam  Dei  amor  requiratur  et  sufjicial  cum 
sacramento  ad  justiflcationem,  Anvers,  1675;  Cologne, 
1684.  Le  P.  Gilles  Estrix  le  prit  à  partie  ainsi  que  plu- 
sieurs docteurs  de  Louvain  dans  Status,  origo  et  scopus 
rejormatiunis  hoc  lempore  altenlala;  in  Belgio  circa  admi- 
nistralionem  et  usum  sacramenti  pwnilenliee,  juncta  pio~ 
mm  supplicalione  ad  Clemcntem  X  P.  M.,  qui  parut 
à  Mayence,  1675,  in-8°,  sous  le  pseudonyme  de  Frédé- 
ric Simon.  La  doctrine  soutenue  par  Havermans  se 
trouvait  ainsi  déférée  au  saint-siège.  C'est  au  saint- 
siège  qu'il  adressa  sa  défense,  Epistola  apologelica  ad 
S.  Pontificem  Innoccntium  XI  contra  injustam  accusa- 
tionem  Fr.  Simonis,  Cologne,  1676,  qui  fut  rééditée 
après  sa  mort  en  1692.  Il  fit  défendre  par  le  P.  Corneille 
Donckers,  le  8  mars  1677,  des  Thèses  theologicœ  de 
SS.  Patrum,  prœcipue  S.  Augustini  aulhoritate,  qu'il 
réédita  la  même  année  à  Cologne  avec  une  Dissertalio 
theologica  de  auctoritede  sanctorum  Patrum,  prœsertim 
S.  P.  Augustini.  Il  publia  sur  l'amour  du  prochain, 
Disquisitio  theologica,  qua  discutitur  quiestio  illa  :  an 
sedisfaciat  prœcepto  dilectionis  proximi  per  hoc  quod 
proximo  exhibeamus  signa  externa,  in-8°,  Cologne,  1678, 
et  sur  les  conditions  dans  lesquelles  il  est  bon  de 
différer  l'absolution,  Examen  libclli  cui  tilulus  :  Penta- 
logus  diaphoricus,  composé  sur  ce  sujet,  par  le 
P.  Charles  de  l'Assomption,  carme,  in-8°,  Anvers,  1679. 
Havermans  mourut  le  20  février  1680.  On  prétend  que, 
quelques  heures  avant  sa  mort,  il  reçut  des  lettres  de 
Rome  qui  lui  annonçaient  que  le  pape  Innocent  XI 
approuvait  sa  doctrine  sur  l'amour  du  prochain. 

Foppens,  Btbliotheca  belgica,  Bruxelles,  1739,  p.  837-j 
Biographie  nationale  (de  la  Belgique),  Bruxelles,  1884-1885;, 
t.  vin,  col.  798-801  ;  Hurter,  Nomenclator,  1910,  t.  rv,  coi. 
273-274;  Supplément  au  Dictionnaire  historique  de  Moréri, 
t.  m,  p.  16. 

J.  Besse. 

HAVENS  Arnold,  théologien  belge,  né  à  Bois-le-Duc 
en  1540  d'une  famille  noble,  entra  chez  les  jésuites  de 
Cologne  le  10  avril  1558  ou  1559.  Maître  es  arts  et 
bachelier  en  théologie  de  l'université  de  Cologne,  il  prit 
le  bonnet  de  docteur  à  l'université  de  Trêves  en  1572. 
Rentré  à  Cologne,  il  y  enseigna  la  philosophie,  la  théo- 
logie et  fut  recteur  de  plusieurs  collèges.  En  1581,  il  fit 
un  voyage  à  Rome,  où  il  prit  part  à  l'élection  du  géné- 
ral de  la  Compagnie,  Claude  Acquaviva.  Dans  le  cou- 
rant de  l'année  1584  il  quitta  les  jésuites  pour  se  faire 
chartreux  à  Louvain.  Après  sa  profession  (1586),  l'or- 
dre lui  confia  différentes  charges,  malgré  les  instances 
qu'il  faisait  pour  vivre  en  simple  religieux.  Il  fut  prieur 
des  maisons  de  Bois-le-Duc,  Liège,  Louvain,  Bruxelles 
et  Gand;  deux  fois  visiteur  de  sa  province.  C'est  dans 
l'exercice  de  cette  dernière  charge  qu'il  décéda  pieuse- 
ment à  la  chartreuse  de  Gand,  le  14  août  1610.  Dom 
Arnold  Havens,  dans  un  de  ses  ouvrages  imprimés,  a 
manifesté  ses  regrets  de  n'avoir  pas  les  loisirs  néces- 
saires pour  revoir  et  compléter  en  vue  de  l'impression 
ses  commentaires  sur  l'Écriture  sainte,  sur  le  Maître 
des  Sentences  et  sur  les  Épîtres  et  Évangiles  des  di- 
manches de  l'année  : 

1°  Disputationum  libri  II  in  quibus  calumnise  et  cap- 
tiones  ministri  anoni/mi  Nemauscnsis  contra  assertiones 
théologiens  et  philosophicas  in  acadimia  Turnonia  pro- 
positas  discutiuntur,  in-4°,  Lyon  1584;  2°  Spéculum 
haretiese  crudelitalis,  in  quo  tam  vclcrum  quam  recentio- 
rum  liœniicorum  ingénia,  mores,  immanisque  sœvilia,, 
in  antistites  maxime  ac  religiosorum  hominum  familias, 
variis  in  locis  designatse,  propriis  suis  coloribus  exhi- 
bentur,  in-12,  Cologne,  1608;  in-8°,  Cologne  et  Paris, 
1609;  3"  Oratio  quodlibetica  habita  anno  1572,  in  £>u 
Thomie  Aposloli  pervigilio,  a  R.  P.  Arnoldo  Havensio,, 
de  aucloritate  Sanctorum  Patrum  in  dogmalibus  ftdeieC 


2065 


HAVENS  —  HAY 


2066 


in  sensu  Scrtplurse  sacrœ,  in-8°,  Cologne,  1620;  ce  dis- 
cours avait  été  d'abord  ajouté  par  dom  Théodore 
Petrejus,  chartreux  de  Cologne,  à  l'ouvrage  suivant 
que  Havens  avait  préparé  pour  l'impression,  mais  qui 
parut  après  sa  mort;  4°  Fasciculus  pœnitenliœ,  para- 
phraslicam  videlicet  septem  psenitentialium,  ut  vocant, 
Psalmorum  intcrprdationem,  neenon  et  Eusebium  de 
fugienda  impsenitenlia  dialogum  complectcns,  in-12, 
Cologne,  1610;  5°  De  prœstantia  vitse  solilariœ,  ouvrage 
ms.  annoncé  par  l'auteur  même  dans  son  Exhortatio  ad 
Cartusianos  de  observantia  disciplinée  regularis  vitœque 
solilariœ  commendalione,  qui  a  eu  plusieurs  éditions. 
6°  Dom  Havens  revit  et  retoucha  le  style  de  l'ouvrage 
du  chartreux  dom  Maurice  Chauncy  sur  le  martyre 
subi  en  Angleterre,  sous  Henri  VIII,  par  dix-huit 
enfants  de  saint  Bruno  et  publié,  la  première  fois,  à 
Mayence,  en  1550.  Son  travail  fut  imprimé  en  1608 
simultanément  à  Gand,  à  Wurzbourg  et  à  Cologne. 
L'édition  de  Gand  comprend  deux  autres  opuscules  de 
dom  Havens,  à  savoir  la  relation  latine  du  martyre 
de  douze  chartreux  de  Ruremonde  arrivé  en  1577  et 
l'exhortation  indiquée  plus  haut.  Ces  deux  opuscules, 
avec  un  titre  particulier,  furent  mis  dans  le  commerce 
aussi  séparément.  Voici  les  titres  des  trois  éditions  : 
Conunentariolus  de  vitse  ratione  cl  martyrio  octodecim 
cartusianorum,  qui  in  Anglia  sub  rege  Henrico  VIII  ob 
Ecclesise  defensionem  ac  ncjarii  schismatis  detestationem 
crudeliler  trucidati  sunt....  una  cum  historica  rcla- 
lione  duodecim  marlyrum  cartusianorum  Rurœmunden- 
sium,  etc.,  in-8°,  Gand,  1608;  Innocentia  et  conslantia 
victrix  sive  Conunentariolus,  etc.,  in-8°,  Wurzbourg, 
1608;  Historia  martyrii  XVIII  cartusianorum  Anglo- 
rum,  sub  rege  Henrico  VIII  annis  1535,  1537  et  1541 
crudeliler  inlerfecti  (sic),  etc.,  in-8°,  Cologne,  1608.  En 
1753,  le  célèbre  imprimeur  P.  Foppens  fit  paraître  à 
Bruxelles  une  nouvelle  édition  du  texte  revu  par  Arnold 
Havens,  augmentée  de  quatre  appendices  :  Historica 

relatio Permissu  superiorum,  1608  (pour  1753),in-8°, 

s.  1.;  7°  Commentarius  de  erectione  novorum  in  Belgio 
episcopatuum,  deque  iis  rébus  quse  ad  noslram  hanc 
usque  œlalem,  in  eo  prseclare  gestœ  sunt,  in-4°,  Cologne, 
1609.  Dans  cet  ouvrage,  dom  Havens  traite  plus  par- 
ticulièrement de  la  vie  des  deux  derniers  évêques  de 
Ruremonde,  Guillaume  Lindanus  et  Henri  Cuyckius. 

Petrejus,  Bibltotheca  eartustana,  1608,  p.  15-18;  Aubert 
Le  Mire,  Valère  André  et  Foppens  dans  leurs  ouvrages  sur 
jes  écrivains  belges;  Morozzo,  Theatrum  chronol.  S.  ord. 
mrtus.,  p.  131,  n.  161;  dom  Léon  le  Vasseur,  Ephemerides 
ord.  cartus.,  1891,  t.  ni,  p.  73-75;  Arnold  Raisse,  Origines 
cartusiarum  Belgli,  Douai,  1632,  p.  87-89;  Hartzheim, 
Bibltotheca  Coloniensis,  1747,  p.  23  et  329;  Teller,  etc. 

S.  Autore. 

HAWARDEN  Edouard,  théologien  et  controver- 
siste  anglais,  né  à  Croxteth,  dans  le  Lancashire,  le 
9  avril  1662,  fit  de  brillantes  études  au  collège  anglais 
de  Douai,  où  il  fut  ordonné  prêtre  en  1686;  il  y  enseigna 
ensuite  la  philosophie  pendant  deux  ans.  Lorsque 
Jacques  II  eut  résolu  de  rendre  aux  catholiques  Mag- 
dalen  Collège  à  Oxford,  il  y  fut  nommé  professeur  de 
théologie,  mais  il  n'y  put  demeurer  que  deux  mois;  il 
dut  fuir  lors  de  la  révolution  de  1688,  et  il  revint  à 
Douai,  où  il  occupa  la  chaire  de  théologie,  tout  en  étant 
vice-président  du  collège.  Les  doctrines  thomistes  sur 
la  grâce  étaient  fort  en  honneur  dans  cet  établissement, 
ceci  fut  cause  que  les  professeurs,  et  en  particulier  le 
vice-président,  furent  accusés  à  Rome  de  jansénisme. 
Après  examen  par  des  juges  compétents  nommés  par 
le  nonce  de  Bruxelles,  l'accusation  fut  reconnue  sans 
fondement,  mais  Hawarden  crut  devoir  se  retirer 
devant  l'orage,  et  en  1707  il  revint  en  Angleterre.  Après 
avoir  travaillé  quelque  temps  comme  missionnaire, 
il  s'établit  à  Londres,  et  fut  nommé  controversiste  en 
titre.  Les  ouvrages  qu'il  écrivit  alors  eurent  beaucoup 


de  succès  et  de  vogue,  et  l'évêquè  Milner  le  signale 
comme  un  des  plus  profonds  théologiens  et  des  plus 
habiles  controversistes  de  son  époque.  Lorsque  Samuel 
Clarke  (voir  t.  i,  col.  4)  publia  en  1719  la  seconde  édi- 
tion de  son  ouvrage  :  Scriplure  doctrine  of  the  Trinily, 
la  reine  Caroline  désira  qu'une  conférence  publique 
eût  lieu  entre  l'auteur  arien  et  Hawarden  :  le  théolo- 
gien catholique  eut  la  victoire  dans  cette  dispute,  et 
quelques  années  plus  tard  il  publia  :  An  auswer  lo 
Dr.  Clarke  and  Mr.  Whiston  concerning  the  divinity  of 
the  Son  and  of  the  Holy  Spirit,  1729,  ce  qui  lui  valut 
les  félicitations  de  l'université  d'Oxford.  Il  mourut  à 
Londres,  le  23  avril  1735. 

Outre  l'ouvrage  mentionné  plus  haut,  nous  avons  de 
lui  :  The  Irue  Church  of  Christ,  showed  by  concurrent 
testlmonies  of  Scriplure  and  primitive  tradition,  Londres, 
1714-1715;  Discourses  of  religion,  between  a  minister 
of  the  Church  of  England  and  a  country  Gentleman, 
171G;  The  rule  of  faith  truly  stated  in  a  new  and  easy 
melhod,  Londres,  1721;  Charity  and  trulh,  or  Catho- 
licks  not  uncharitable  in  saying  thaï  none  are  saved  oui 
of  the  Catholick  Communion,  because  the  rule  is  not 
universal,  Bruxelles,  1728;  Catholick  grounds,  or  ratio- 
nal  account  of  the  unchangeable  orthodoxy  of  the  Catho- 
lick Church,  1729. 

Dtcttonary  of  national  btography;  Gillow,  Bibliographtcal 
Dlctionary  of  Engltsh  calholks,  t.  m,  p.  167-182;  Butler, 
Memoirs  of  the  caiholics,  1822  ;  Buaton,  The  life  and  Urnes 
of  blshop  Çhalloner,  Londres,  1909  ,  Hurter,  Nomenclator, 
1910,  t.  iv,  col.  1056-1058. 

A.  Gatard. 

HAY  Jean,  controversiste  écossais,  de  la  famille  de 
Hay  de  Dalgety,  né  à  Dalgety  en  1546,  admis  au  novi- 
ciat de  la  Compagnie  de  Jésus  à  Rome  le  25  jan- 
vier 1566.  Il  fut  le  compagnon  de  saint  Stanislas  Kots- 
ka  du  28  octobre  1567  au  25  janvier  1568.  Envoyé 
en  Ecosse  pour  y  défendre  la  foi  et  soutenir  le  courage 
de  ses  frères,  il  s'embarqua  le  23  décembre  1578  à  Bor- 
deaux et  débarqua  à  Dundey  le  15  janvier  1579. 
Lee  plus  hautes  influences  ne  purent  obtenir  pour  lui 
de  Jacques  Ier  une  autorisation  de  séjour.  Il  dut  quitter 
l'Angleterre  avant  le  1er  octobre  1579. 

Professeur  de  philosophie,  de  mathématiques  et  de 
théologie  à  Pont-à-Mousson,  à  Bordeaux,  à  Paris  et 
à  Tournon,  il  s'était  de  bonne  heure  rendu  célèbre  par 
une  discussion  publique  soutenue  à  Strasbourg  en  1576 
contre  Jean  Pappus,  puis  par  ses  polémiques  avec  les 
calvinistes  d'Ecosse  et  de  France,  notamment  avec 
Jean  de  Serres,  Pineton  de  Chambrune  et  Théodore 
de  Bèze.  Son  premier  écrit  :  Certain  demandes  concer- 
ning the  Christian  religion  and  discipline,  proposed  lo 
the  ministers  of  the  new  pretended  Kurk  of  Scotland, 
in-8°,  Paris,  1580,  ouvrage  plusieurs  fois  réimprimé, 
traduit  en  français  par  le  P.  Coyssard,  en  allemand  par 
Sébastien  Werro,  excita  parmi  les  réformés  de  vives 
colères.  C'était  un  défi  que  le  P.  Hay  portait  à  la  Ré- 
forme; les  ministres  de  Genève,  de  France  et  d'Ecosse 
répondirent  par  des  violences  :  L'esprit  et  conscience 
jésuitique.  Première  preuve  et  eschantillon.  Pour  expresse 
découverte  de  l'esprit  de  calomnie  et  sa  suite,  les  blas- 
phèmes imposés  aux  églises  réformées  en  la  personne  de 
feu  Jan  Calvin,  par  Jan  Hay,  moine  jésuite,  au  libelle 
de  ses  demandes.  Le  tout  vérifié  par  les  actes  et  produits 
de  l'accusateur.  Par  Jaq.  Pineton,  de  Chambrune, 
Nîmes,  1584.  Jean  de  Serres  entra  en  lice  avec  la  même 
virulence  avec  sa  Défense  de  la  vérité  catholique  et 
troisième  anti-jésuite  de  Jean  de  Serres,  Nîmes,  1586,  et 
la  lutte  s'étendit  dans  les  milieux  protestants.  Quelques 
thèses  défendues  à  l'université  de  Tournon  et  dont  le 
P.  Hay  était  l'auteur  provoquèrent  de  nouveaux  as- 
sauts et  amenèrent  l'intervention  de  Théoaore  de  Bèze 
inquiet  et  irrité  de  la  tournure  que  prenaient  les  débats. 
Ces  thèses,  envoyées  par  l'auteur  aux  ministres  de 


2067 


HAY  —  HAYMON 


206? 


Nîmes  qui  refusèrent  d'engager  une  discussion  pu- 
blique, portaient  sur  l'Église  et  l'autorité  de  l'Écriture, 
sur  les  images  et  la  présence  réelle.  L'Académie  de 
Nîmes  chargea  Jean  de  Serres  de  les  réfuter.  Il  publia  : 
Académies  Nemausensis  brevis  et  modesta  responsio 
ad  professorum  Turnoniorum  Societatis,  ut  aiunt,  Jesu 
assertiones  quas  théologiens  et  philosophicas  appellant, 
Nîmes,  1582.  C'est  le  premier  Anli-jesuita  de  Jean  de 
Serres.  Le  second  parut  le  14  septembre  1583  sous  ce 
titre  :  Academise  Nemausensis  expostulatio  de  jesuita- 
vam  Turnoniorum  bis  cocta  crambe.  Ces  deux  ouvrages 
qui  font  époque  dans  l'histoire  des  controverses  pro- 
testantes furent  répandus  à  profusion  et  insérés  par  les 
pasteurs  de  Nîmes  dans  leur  célèbre  recueil  de  pam- 
phlets :  Doctrinse  jesuilarum  prweipua  capita,  La  Ro- 
chelle, 1584, 1. 1,  p.  503  sq.,  643  sq.  Jean  Hay  défendit 
les  droits  de  la  vérité  catholique.  Ses  Dispulalionum 
libri  duo  in  quibus  calumnim  et  captiones  ministri 
anom/mi  Nemausensis  contra  assertiones  philosophicas 
et  theologicas  discutiuntur,  Lyon,  1583,  furent  com- 
battus avec  la  même  ardeur  par  Jean  de  Serres  dans 
ses  deux  derniers  Anti-jesuita,  1586.  Théodore  de 
Bèze  aiguisa  lui-même  ses  meilleures  armes.  Jean  Hay 
fit  face  résolument  aux  attaques  et  publia  successive- 
ment :  La  défense  des  demandes  proposées  aux  ministres 
de  Calvin,  touchant  ses  blasphèmes  et  mensonges,  contre 
le  libelle  de  Jaq.  Pineton  de  Chambrun,  Lyon,  1596; 
Elleborum  Joanni  Serrano  Calviniano;  L'antimoine 
aux  réponses  que  Théodore  de  Bèze  fait  à  trente-sept  de- 
mandes des  deux  cents  et  six  proposées  aux  ministres 
d'Ecosse,  Tournon,  1588.  La  gravité  des  troubles  sur- 
venus en  France  à  la  suite  de  la  journée  des  Barricades 
et  de  l'assassinat  du  duc  de  Guise  mit  fin  brusquement 
à  ces  controverses  retentissantes.  Le  P.  Hay  consacra 
ses  loisirs  à  une  édition  nouvelle  delà  Bibliotheca  sancla 
de  Sixte  de  Sienne,  in-fol.,  Lyon,  1591-1592;  Paris, 
1610.  Le  texte  du  P.  Hay  a  encore  été  suivi  dans  l'édi- 
tion de  Cologne,  1625.  On  a  en  outre,  du  P.  Hay, 
d'importants  recueils  de  lettres  des  missionnaires  du 
Japon,  de  la  Chine  et  du  Pérou,  traduites  en  latin  par 
ses  soins  ou  empruntées  à  Henri  Cuyck,  évêque  de 
Ruremonde,  à  Guillaume  Huysmann,  professeur  de 
langue  latine  à  Louvain,  et  à  d'autres  écrivains,  source 
précieuse  de  documents  pour  l'histoire  religieuse  de 
ces  divers  pays.  On  en  trouvera  la  liste  dans  le  P.  Som- 
mervogel.  Professeur  de  théologie  scolastique  et  de 
controverse  au  scolasticat  de  Lyon,  en  1588,  il  eut 
pour  élève  le  P.  Pierre  Coton  qui  devint  à  son  tour, 
grâce  aux  leçons  de  son  excellent  maître,  un  des  plus 
habiles  controversistes  de  son  temps.  Le  P.  Jean  Hay 
mourut  à  Pont-à-Mousson  le  21  mai  1607  d'après 
Sottwell,  en  1608  d'après  les  archives  de  la  Compa- 
gnie. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  Cie  de  Jésus,  t.  iv, 
col.  161-167;  Hurter,  Nomenclalor,  3e  édit.,  Inspruck, 
1907,  t.  m,  col.  459  sq.;  Will.  Forbes-Leith,  Narratives  o/ 
Scotlish  Catholics,  Londres,  1889,  p.  141-165;  Abram, 
L'université  de  Pont-à-Mousson,  Paris,  1870,  p.  22;  Boero, 
Storia  délia  vita  di  S.  Stanislao  Kotska,  Rome,  1685,  p.  281  ; 
Stothert,  Catholic  Mission  in  Scoiland,  Londres,  1888, 
p.  364;  Th.  Dcmpster,  Historia  ecclesiastica  genlis  Scolorum, 
Bologne,  1627,  p.  361;  Sacchini,  Historia  Societatis  Jesu, 
Rome,  1651,  t.  iv,  p.  131;  Carayon,  Documents  inédits, 
Paris,  1863-1870,  doc.  v,  p.  103;  H.  Fouqueray,  Histoire 
de  la  C"  de  Jésus  en  France,  Paris,  1913,  t.  n,  p.  127,  257. 

P.  Bernard. 

HAYER  Jean  Nicolas  Hubert,  né  à  Sarrelouis  le 
15  juin  1708,  appartenait  à  l'ordre  des  frères  mineurs 
récollets,  chez  lesquels  il  fut  professeur  de  philosophie 
et  de  théologie.  Il  mourut  à  Paris  le  14  juillet  1780, 
laissant  la  réputation  justement  acquise  d'un  des  plus 
ardents  et  savants  apologistes  de  la  seconde  moitié  du 
xvm B  siècle.  Le  P.  Hayer  fut  avec  l'avocat  Jean  Soret 
le  principal  rédacteur  de  la  publication  périodique  :  La 


religion  vengée,  ou  réfutation  des  auteurs  impies,  par  une 
société  de  gens  de  lettres,  21  in-12,  Paris,  1757-1761.  II 
débutait  en  même  temps  par  son  meilleur  ouvrage  : 
La  spiritualité  et  l'immortalité  de  l'âme,  3  in-12,  Paris, 
1757.  Ce  traité,  écrit  d'un  style  clair,  net  et  facile,  est, 
au  jugement  de  plusieurs,  un  des  mieux  composés  et 
des  plus  complets  qui  existent  sur  cette  matière,  dis- 
cutée avec  solidité  et  appuyée  de  tout  ce  que  la  religion 
et  la  raison  fournissent  de  plus  lumineux.  A  cette  même 
époque  il  controversait  avec  le  ministre  protestant 
David  Boullier,  qui  publia  les  lettres  qu'ils  échangèrent 
dans  son  volume  intitulé  :  Le  pyrrhonisme  de  V Église 
romaine,  ou  lettres  de  R.  H.  B.  D.  R.  A.  P.  (Révérend 
Hayer  bibliothécaire  des  récollets  à  Paris)  à  M***, 
avec  les  réponses,  in-8°,  Amsterdam,  1758.  On  a  encore 
de  lui:  La  règle  de  foi  vengée  des  calomnies  des  pro- 
testants, 3  in-12,  Paris,  1761  ;  L'aposlolicité  du  mi- 
nistère de  l'Église  romaine,  in-12,  ibid.,  1765  ;  Traité 
de  l'existence  de  Dieu,  in-12,  ibid.,  1769;  L'utilité  tem- 
porelle de  la  religion  chrétienne,  in-12,  ibid.,  1774  ;  La 
charlataneric  des  incrédules,  in-12,  ibid.,  1780. 

Michaud,  Biographie  universelle;  Feller,  Dfcftonnaïre 
historique;  Richard  et  Giraud,  Dizlonario  unlversale  délie 
scienze  ecclestastiche,  Naples,  1846;  Hurter,  Nomenclator, 
Inspruck,  1911,  t.  v,  col.  55-56. 

P.  Edouard  d'Alençon. 

HAYMON,  évêque  d'Halberstadt,  né  vers  778,  mort 
le  26  ou  le  27  mars  853.  On  ne  sait  rien  de  son  origine  : 
les  uns  le  font  naître  en  Angleterre,  d'autres  en  France; 
il  est  plus  probable  qu'il  naquit  en  Allemagne.  Quoi  qu'il 
en  soit,  il  embrassa  la  vie  monastique  à  Fulda  où  il  se 
trouva  avec  Raban  Maur,  le  futur  archevêque  de  Ma- 
yence.  Tous  les  deux  ils  vinrent  étudier  à  Saint-Martin 
de  Tours  sous  la  conduite  du  célèbre  Alcuin.  De  retour 
à  son  monastère,  Haymon  y  remplit  les  fonctions  de 
chancelier  et  d'écolâtre  jusqu'au  moment  où  il  fut  élu 
abbé  d'Hersfeld.  En  841,  il  fut  nommé  évêque  d'Hal- 
berstadt et  en  cette  qualité  il  assista  en  847  au  concile 
de  Mayence.  Les  œuvres  d'Haymon  d'Halberstadt  se 
trouvent  aux  t.  cxvi-cxvm  de  la  P.  L.  U  avait  com- 
posé des  commentaires  sur  presque  tous  les  livres  de 
l'Écriture  sainte,  commentaires  qui  furent  imprimés 
pour  la  première  fois  au  cours  du  xvie  siècle.  Quelques- 
uns  de  ces  commentaires,  notamment  celui  des  Épîtres 
de  saint  Paul,  et  encore  plus  les  homélies  sur  les  évan- 
giles lui  sont  justement  contestés.  Voir  Hauck,  Kir~ 
chengeschichte  Deulschlands,  3e  édit.,  Leipzig,  1906, 
t.m,  p.  1043-1047. Le  commentaire  des  Épîtres  de  saint 
Paul  est  attribué  par  les  manuscrits  à  Rémi  de  Reims. 
Il  est  vraisemblablement  l'œuvre  d'un  savant  moine 
français,  qui  le  composa  entre  840  et  860.  Le  com- 
mentaire de  l'Apocalypse  serait  du  même  auteur.  Les 
commentaires  sur  les  Actes  des  apôtres  et  les  Épîtres 
catholiques  ne  sont  pas  de  cet  écrivain,  mais  ceux  du 
prophète  Isaïe  et  des  douze  petits  prophètes,  à  l'excep- 
tion de  Joëletd'Amos,  lui  appartiennent.  Le  commen- 
taire du  Cantique,  anonyme  dans  les  manuscrits,  n'est 
peut-être  pas  de  l'évêque  d'Halberstadt.  Valentin 
Rose  a  publié,  d'après  un  manuscrit  du  xne  siècle, 
quelques  fragments  de  closes  sur  la  Genèse,  attri- 
buées à  Haymon  d'Halberstadt.  Die  Handschriften- 
Verzeichnisse  der  K.  Bibliothek  zu  Berlin,  Berlin,  1901, 
t.  xn,  p.  3-4.  Le  commentaire  de  Remy  d'Auxerre  sur 
la  Genèse  les  a  utilisés.  Ce  sont  les  restes  d'un  commen- 
taire. Tous  ces  commentaires  sont  réellement  du 
moine  Haymon  d'Auxerre.  Le  commentaire  du  Psau- 
tier, publié  sous  le  nom  d'Haymon  d'Halberstadt,  a 
été  rapporté  par  Hauck  au  xie  sièc  e.  Il  n'est  certaine- 
ment pas  l'œuvre  de  l'évêque  d'Halberstadt.  et  on 
peut  le  rapporter  aux  années  1080-1083.  Voir  H.  De- 
nifle,  Luther  und  Lutherthum,  Quellcnbcleqe.  Die  abend- 
landischen  Schriftausleger  bis  Luther,  Mayence,  1905, 
p.    18-22;    E.    Riggenbach,  Hislorische    Sludien   zum 


2069 


HAYMON  —  HÉBREUX 


2070 


Ilcbrârrbrief.  I.  Die  âltesten  lateinischen  Kommentare 
zum  Hcbiàcrbrief,  dans  Forschungen  sur  Geschichte 
des  neulestamenlUchen  Kanons,  Leipzig,  1907,  t.  m, 
p.  41-205.  On  remarque  en  outre  dans  les  œuvres  de 
cet  évêque  :  De  varielate  librorum,  seu  de  a  ore  cœlestis 
patria\  in-8°,  Cologne,  1531  ;  breviarium  historiœ  eccle- 
siaslicse,  abrégé  de  l'histoire  d'Eusèbe  traduite  par 
Ru  fin  :  la  meilleure  édition  de  cet  ouvrage  d'Haymon 
d'Halberstadt  est  celle  d'Helmstadt,  in-4°,  1671.  Enfin 
dom  Luc  d'Achéry  publia,  Veterum  aliquot  scriplorum 
Spicilegium,  in-4°,  1675,  t.  xn,  p.  27-30,  un  court 
traité  De  corpore  et  sanguine  Christi.  Voir  t.  v,  col.  121G  ; 
E.  Riggenbach,  op.  cit.,  p.  148-151. 

Arnds,  De  vita  et  doctrina  Haymonis  episcopi  Halbersta- 
densis,  Halle,  1700;  P.  Antonius,  Exercitatio  historico- 
theologica  de  vita  et  doctrina  Haymonis  Halberstadensis, 
in-4°,  Halle,  1704;  C.-G.  Derling,  De  Haymone  episcopo 
Halberstadensi  commenlatio  historica,  in-4°,  Helmstadt, 
1747;  Histoire  littéraire  de  la  France,  t.  v,  p.  111;  dom 
Ceillier,  Histoire  générale  des  auteurs  ecclésiastiques,  t.  xvm, 
p.  712;  Mabillon,  Acla  sanctorum  ord.  S.  Benedicti,  ssec.  iv, 
in-fol.,  Paris,  1677,  t.  i,  p.  618;  Annales  ord.  S.  Benedicti, 
in-fol.,  Lucques,  1739,  t.  n,  p.  335,  585,  586;  Ziegelbauer, 
Historia  rei  lilerariee  ordinis  S.  Benedicti,  t.  I,  p.  223;  t.  Il, 
p.  20,  125,  126,  203,  365;  (dom  François),  Bibliothèque 
générale  des  écrivains  de  l'ordre  de  Saint-Benoit,  t.  i,  p.  455; 
Fabricius,  Bibliotheca  latina  mediœ  et  infimœ  œtaiis,  in-8°, 
1858,  t.  III,  p.  170;  Kirchenlexikon,  in-8°,  Fribourg-en- 
Brisgau,  1888,  t.  v,  col.  1546;  Hurter,  Nomenclator,  1906, 
1. 1,  col.  821-824;  Dictionnaire  de  la  Bible  de  M.  Vigouroux, 
t.  m,  col.  458-459. 

B.  Heurtebize. 

HAYNEUFVE  Julien,  théologien  ascétique  et  l'un 
des  maîtres  de  la  vie  spirituelle  au  xvne  siècle,  né  le 
3  septembre  1588  à  Laval,  entré  au  noviciat  de  la 
Compagnie  de  Jésus  le  31  mai  1608.  Sa  vie  entière 
fut  consacrée  à  l'étude  de  la  spiritualité  et  au  ministère 
des  âmes.  Pendant  quarante  ans,  recteur  et  maître  des 
novices  ou  instructeur  du  troisième  an,  il  mourut  à 
Paris  le  31  janvier  1663  avec  la  réputation  d'un  homme 
de  Dieu  versé  dans  tous  les  secrets  de  la  conduite  des 
âmes  et  de  la  théologie  ascétique.  C'est  dans  la  doctrine 
de  saint  Augustin  et  des  Pères  qu'il  puisa  les  matériaux 
de  son  premier  ouvrage  :  L'ordre  de  la  vie  et  des  mœurs 
qui  conduit  l'homme  à  son  salut  et  le  rend  parfait  en  son 
étal,  in-4°,  Paris,  1639,  traité  complet  au  point  de 
vue  spéculatif  et  pratique  sur  les  fondements  de  la  vie 
morale,  réimprimé  en  1663.  Il  fut  bientôt  suivi  des 
Méditations  sur  la  vie  de  Jésus-Christ  pour  tous  les  jours 
de  l'année  et  pour  les  fêtes  des  saints,  4  in-4°,  Paris,  1611- 
1642.  La  2e  édition  comprend  5  in-4°,  Paris,  1644-1659. 
Une  édition  de  cet  ouvrage,  retouchée  pour  la  forme 
et  disposée  selon  l'ordre  du  bréviaire  romain,  a  été 
publiée  par  l'abbé  Lobry,  ancien  directeur  au  grand 
séminaire  de  Troyes,  8  in-8°,  Paris,  1869.  Le  livre  qui 
fit  le  plus  de  bien  et,  de  tous  les  ouvrages  du  P.  Hay- 
neufve,  le  plus  répandu  fut  sa  Retraite  spirituelle, 
publiée  sous  ce  titre  :  Méditations  pour  le  temps  des 
exercices  qui  se  font  dans  la  retraite  de  huit  jours,  in-4°, 
Paris,  1643, 1650,  1655,  1661,  etc.  De  ces  deux  derniers 
ouvrages,  d'une  doctrine  trop  substantielle  pour  le 
commun  des  fidèles,  le  P.  Hayneufve  donna  un  résumé 
qui  recueillit  tous  les  suffrages  :  Abrégé  des  méditations 
pour  le  temps  des  exercices,  Paris,  1655,  1658,  1660, 
1663, 1666, 1670,  1775.  etc.;  trad.  allemande  du  P.  Ant. 
Jaeger,  Augsbourg,  1760;  Abrégé  des  méditations  sur  la 
vie  de  Jésus-Christ  pour  tous  les  jours  de  l'année,  4  in-4°, 
Paris,  1655,  1658,  1660,  1663,  1666,  1680,  1675,  etc.; 
trad.  allemande  du  P.  Ant.  Jaeger,  4  in-8°,  Augsbourg, 
1760.  Les  autres  traités  du  P.  Hayneufve  sont  d'ordre 
surtout  pratique,  mais  appuyés  sur  une  solide  et  lumi- 
neuse théologie  :  Le  grand  chemin  qui  perd  le  monde. 
Comme  on  y  entre.  Comme  on  en  sort.  Et  comme  on  passe 
dans  le  chemin  plus  étroit  qui  nous  mène  à  la  vraie  vie. 
Le  titre  indique  la  division  du  traité  en  trois  parties, 


in-4°,  Paris,  1646,  1658,  1663,  1670,  Lyon,  1693,  etc.; 
trad.  italienne  de  Pietro  Spinola,  in-4°,  Gênes,  1671; 
Le  monde  opposé  à  Jésus-Christ  et  convaincu  d'erreur 
par  cette  opposition,  in-4°,  Paris,  1647;  Anvers,  1686, 
etc.;  Veritales  practiese  ex  vita  Domini  Jesu  sanc- 
lorumque  gestis  in  singulos  anni  dies,  4  in-4°,  Paris, 
1652-1654;  Cologne,  1665;  trad.  italienne  de  Giovanni 
Chiericato,  Venise,  1706;  Réponses  aux  demandes  de  la 
vie  spirituelle  par  les  trois  voies  qu'on  appelle  purgative, 
illuminative  et  unitive,  2  in-4°,  Paris,  1663-1665.  Le 
IIe  volume  parut  après  la  mort  de  l'auteur  par  les 
soins  du  P.  Louis  Le  Roy.  Cet  ouvrage  est  peut-être 
le  plus  profond  et  le  plus  personnel  des  traités  du 
P.  Hayneufve.  Ce  saint  religieux,  dont  l'influence  fut 
si  étendue  et  si  salutaire,  mourut  à  Paris  le  31  jan- 
vier 1663. 

Sommervogel,   Bibliothèque  de   la   C'">   de  Jésus,   t.   iv,  , 
col.  173-178;  Hauréau,  Histoire  littéraire  du  Maine,  t.  iv, 
p.    126   sq.  ;    Dreux    du  Radier,    L'Europe    illustre,    Paris, 
1740,  t.  v,  p.  333. 

P.  Bernard. 
HÉBREUX  (EPITRE  AUX).  —  I.  Auteur.  II.  Desti- 
nataires. III.  Lieu  et  date  de  la  composition.  IV.  Occa- 
sion et  but.  V.  Nature.  VI.  Plan.  VII.  Doctrine.  VIII. 
Commentaires. 

I.  Auteur.  —  Seule  de  toutes  les  lettres  attribuées 
à  saint  Paul,  cette  Épître  est  anonyme.  La  tradition 
ecclésiastique  n'a  pas  été  unanime,  au  moins  durant 
les  trois  premiers  siècles,  dans  la  désignation  de  son 
auteur  :  ou  elle  a  ignoré  son  nom,  ou  elle  a  varié  sur  la 
personne  en  nommant  saint  Paul  ou  Barnabe.  D'autre 
part,  les  caractères  intrinsèques,  de  fond  et  de  forme, 
de  l'écrit  le  distinguent  des  Épîtres  de  l'apôtre;  aussi 
la  plupart  des  critiques  modernes  ne  l'attribuent  plus 
à  l'apôtre,  au  moins  directement  et  immédiatement, 
et  ils  sont  en  désaccord  complet  pour  l'attribution  de 
l'Épître  à  un  auteur  déterminé. 

1.  tradition  ecclésiastique.  —  1°  Premières  traces 
de  l'Épître.  —  On  n'en  relève  aucune  ni  dans  la  Didachè 
ni  dans  l'Épître  de  Barnabe,  à  moins  que  l'on  ne  veuille 
en  voir  une  d'Heb.,  xn,  24,  au  c.  v,  n.  1.  Funk,  Patres 
aposlolici,  Tubingue,  1901,  t.  i,  p.  50.  Eusèbe  de  Césa- 
rée,  H.  E.,  ni,  38,  P.  G.,  t.  xx,  col.  293,  et  Etienne 
Gobar,  dans  Photius,  Bibliotheca,  cod.  232,  P.  G., 
t.  cm,  col.  1104,  avaient  constaté  que,  dans  sa  lettre 
aux  Corinthiens,  saint  Clément  de  Rome  reproduit 
de  nombreuses  idées  et  même  quelques  termes  de  cette 
Épitre.  H.  Holtzmann  a  prétendu  que  cette  dépen- 
dance existait  en  quarante-sept  passages.  Lehrbuch  der 
historisch-krilischen  Einleitung  in  dus  N.  T.,  3e  édit., 
Fribourg-en-Brisgau,  1892,  p.  293.  Funk  n'a  relevé 
que  douze  ou  quatorze  versets  de  l'Épître  utilisés  en 
treize  endroits  différents.  Le  plus  saillant  est,  P  Cor., 
xxxvi,  2-5,  Funk,  t.  i,  p.  146,  qui  se  réfère  à  Heb.,  i, 
3-5,  7,  13,  soit  dans  le  texte  soit  dans  les  citations  bi- 
bliques. Cf.  encore  /*  Cor.,  xvn,  5,  p.  122,  et  Heb.,  m, 
2;  xliii,  1,  p.  192,  et  Heb.,  m,  5;  xxm,  5,  p.  130,  et 
Heb.,  x,  37;  l,  4,  p.  164,  et  Heb.,  x,  37;  ix,  3,  4,  p.  110, 
et  Heb.,  xi,  5,  7;  x,  7,  p.  112,  et  Heb.,  xi,  17;  xn,  1, 
p.  114,  et  Heb.,  xi,  31;  lvi,  4,  p.  170,  et  Heb.,  n,  G 
(citation  de  Prov.,  ni,  12);  lxiv,  p.  182,  et  Heb.,  xn,  9. 
S'il  ne  fait  pas  de  citation  textuelle,  Clément  connais- 
sait certainement  l'Épître.  Nous  dirons  plus  loin 
que  parfois  on  a  prétendu  que  saint  Clément  avait 
écrit  en  grec  sous  la  direction  de  saint  Paul 
l'Épître  aux  Hébreux.  Saint  Ignace  d'Antioche,  Ad 
Philad.,  ix,  1,  Funk,  t.  i,  p.  272,  donne  au  Christ 
le  titre  :  ô  àp^tspeô;,  qu'il  n'a  que  dans  l'Épître  aux 
Hébreux.  Saint  Polycarpe  le  nomme  aussi  ô  aîcovio; 
àpx/.epeôç.  AdPhil.,  xn,  2,  Funk,  1. 1,  p.  310.  Cf.  Heb., 
vn,  17.  Le  Pasteur  d'Hermas  a  plusieurs  réminis- 
cences de  cette  Épître.  La  plus  textuelle,  Heb.,  in,  12, 
se  lit,  Vis.,  n,  3,  2,  Funk,  t.  i,  p.  428.  Cf.  Vis.,  m,  7,  2, 


2071 


HÉBREUX 


2072 


p.  440.  Voir  encore  Sim.,  v,  5,  2,  p.  538,  et  Heb.,  m,  4; 
Vis.,  il,  2,  7,  p.  428,  et  Heb.,  xi,  33;  cf.  Mand.,  xn,  3, 1, 
p.  512;  G,  2,  p.  518;  Sim.,  vin,  10,  3,  p.  574;  ix,  13,  7, 
p.  602;  Vis.,  iv,  2,  4,  p.  462,  et  Heb.,  xi,  33  (citation  de 
Daniel,  vi,  22).  Th.  Zahn,  Der  Hirt  des  Hermas,  p.  439- 
452.  Saint  Justin,  Apol.,  i,  12,  P.  G.,  t.  vi,  col.  345, 
donne  au  Christ  le  titre  d'apôtre,  qu'il  n'a  que  Heb., 
m,  1.  Dans  le  Dialogue  avec  Tryphon,  il  parle  plusieurs 
fois  de  Melchisédech,  prêtre  du  Très-Haut,  19,  32,  33, 
col.  517,  545;  il  cite  plusieurs  fois  le  Ps.  cix,  4,  ou  il  y 
fait  allusion  pour  prouver  qu'il  y  a  un  sacerdoce  selon 
l'ordre  de  Melchisédech,  63,  118,  col.  620,  749,  et  il 
dit  expressément  que  le  Christ  est  prêtre  et  roi,  83, 
col.  672,  roi  de  Salem  et  prêtre  du  Très-Haut  selon 
K ordre  de  Melchisédech,  113,  col.  737.  Le  Christ  cru- 
cifié est  àpytEpeûç,  34,  col.  547,  (5aaîXeù;  xa!  UpEuç,  36, 
col.  553,  et  toujours  avec  l'épithète  aîwvio;,  ce  qui  est 
une  idée  propre  à  l'Épître  aux  Hébreux,  v,  10;  vi,  20; 
vu,  1-26.  Le  Christ  offre  un  sacrifice  de  louanges,  118, 
col.  749.  Cf.  Heb.,  xm,  15.  Th.  Zahn,  Geschichte  des 
Ncutestamcntlichcn  Kanons,  Erlanp.en,  1888,  t.  i,  p.  576- 
577.  Saint  Théophile  d'Antioche  fait  parfois  allusion 
à  l'Épître  aux  Hébreux  :  Ad  Autol.,  u,  16,  P.  G.,  t.  vi, 
col.  1077,  1080,  deux  fois  à  Heb.,  vi,  7;  Ad  Autol.,  n, 
25,  col.  1092,  à  Heb.,  v,  12,  14;  Ad  Autol.,  i,  4,5, 
col.  1029, 1032,  à  Heb.,  xi,  2;  Ad  Autol.,  n,  33,  col.  1105, 
à  Heb.,  i,  1;  m,  7;  Ad  Autol.,  m,  9,  18,  23,  col.  1136, 
1145,1156,  à  Heb.,  ni,  12.  Voir  Th.  Zahn,  op.  cit.,  t.  i, 
p.  299.  Eusèbe,  H.  E.,  v,  26,  P.  G.,  t.  xx,  col.  509,  rap- 
porte que  saint  Irénée  citait  l'Épître  aux  Hébreux 
dans  des  sermons  qu'il  avait  lus.  Des  allusions  à  l'Épître 
ont  été  relevées  dans  le  Contra  hœrescs  :  1.  II,  c.  xxx, 
n-  9.  P.  G.,  t.  vu,  col.  822,  et  Heb.,  i,  3;  L  II, c.  xxvm, 
n.  7,  col.  810,  et  Heb.,  i,  13  (Ps.  cix,  2);  1.  II,  c.  n,  n.  5, 
col.  715;  1.  III,  c.  v,  n.  5,  col.  825,  et  Heb.,  m,  2,  5 
(Num.,  xn,  7);  1.  IV,  c.  vin,  n.  2,  3,  col.  994,  995,  et 
Heb.,  vu,  2;  1.  IV,  c.  xi,  n.  4,  col.  1003,  et  Heb.,  x,  1; 
1.  IV,  c.  xiv,  n.  3,  col.  1011-1012;  c.  xxxn,  n.  2,  col. 
1071  ;  1.  V,  c.  xxxv,  n.  2,  col.  1220  :  caractère  typique 
du  tabernacle  de  l'ancienne  alliance;  1.  IV,  c.  xxvm, 
n.  2,  col.  1062,  et  Heb.,  x,  26-31;  1.  V,  c.  v,  n.  1,  col. 
1134,  et  Heb.,  xi,  5.  Saint  Irénée  connaissait  donc  l'É- 
pître aux  Hébreux;  mais,  au  vie  siècle,  Etienne  Gobar 
disait  que  l'évêque  de  Lyon  ne  l'admettait  pas  comme 
l'œuvre  de  saint  Paul.  Photius,  Bibliolheca,  cod.  232, 
P.  G.,  t.  cm,  col.  1104.  Cf.  Camerlynck,  S.  Irénée  et  le 
canon  du  N.  T.,  Louvain,  1896,  p.  3  sq.  On  connaissait 
donc  l'Épître  aux  Hébreux  à  Rome,  à  Alexandrie,  en 
Asie  Mineure  et  en  Gaule,  dés  la  fin  du  Ier  siècle  jus- 
qu'au commencement  du  me  siècle. 

2°  Témoignages  explicites.  —  1.  En  Orient.  —  a)  A 
Alexandrie.  —  Le  plus  ancien  témoignage  direct  pro- 
vient de  Pantène,  chef  de  l'école  catéchétique  d'Alexan- 
drie. II  a  été  rapporté  par  son  disciple,  Clément  d'A- 
lexandrie, dans  ses  Ihjpotijposes  et  conservé  par  Eusèbe, 
H.  E.,  vi,  14,  P.  G.,  t.  xx,  col.  552.  Pour  expliquer 
l'absence  du  nom  de  saint  Paul  en  tête  de  cette  Épître, 
Pantène  disait  que  le  Seigneur,  apôtre  du  Tout-Puis- 
sant, ayant  été  envoyé  aux  Hébreux,  par  respect  pour 
lui,  Paul,  qui  avait  été  envoyé  aux  gentils,  ne  s'est  pas 
dit  l'apôtre  des  Hébreux,  quoique,  en  dehors  de  sa 
mission  propre,  il  leur  ait  adressé  une  lettre.  Pantène 
admettait  donc  l'origine  paulinienne  de  l'Épître  aux 
Hébreux.  Ce  ne  peut  guère  être  une  conclusion  critique, 
puisque  l'Épître  ne  contient  rien  de  positif  au  sujet  de 
son  origine  apostolique.  C'est  par  une  tradition  histo- 
rique que  Pantène  sait  et  reconnaît  que  l'Épître  est  de 
saint  Paul,  bien  que  l'apôtre  n'ait  pas  inscrit  son  nom 
au  début.  —  Clément  d'Alexandrie  admettait  la  même 
origine  de  la  lettre,  mais  il  ajoutait  qu'adressée  aux 
Hébreux,  elle  avait  été  écrite  en  hébreu  et  que  Luc 
l'avait  soigneusement  traduite  en  grec  et  éditée  pour  les 
Grecs;  aussi  remarquait-on  la  même  couleur  de  style 


dans  cette  Épître  et  dans  les  Actes  des  apôtres.  Si 
l'apôtre  ne  s'est  pas  nommé  au  début,  c'est  à  dessein 
et  pour  une  bonne  raison  :  les  Hébreux  à  qui  il  s'adres- 
sait avaient  de  lui  une  mauvaise  opinion  et  le  tenaient 
en  suspicion;  par  prudence,  il  s'est  gardé  de  se  nommer 
pour  ne  pas  les  éloigner,  dès  les  premiers  mots,  de  la 
lecture  de  sa  lettre.  Eusèbe,  H.  E.,  vi,  14,  P.  G.,  t.  xx, 
col.  549.  Clément  cite  ailleurs  l'Épître  sous  le  nom  de 
Paul  ou  de  l'apôtre.  Strom.,  I,  4;  II,  2,  4;  VI,  8;  VII, 
1,  10,  P.  G.,  t.  vin,  col.  717,  940,  944;  t.  ix,  col.  284, 
405,  481.  Comme  Pantène,  il  admet  l'attribution  de 
l'Épître  à  saint  Paul,  mais  il  explique  autrement,  quoi- 
qu'il rapporte  l'explication  de  son  maître,  l'absence  du 
nom  de  l'auteur,  et  il  affirme  que  la  lettre  a  été  écrite 
en  hébreu  et  traduite  en  grec  par  saint  Luc.  Il  mêle  la 
critique  à  la  tradition  de  on  Église. — Origène  est  aussi 
préoccupé  par  les  problèmes  critiques  que  soulève 
l'attribution  de  la  lettre  à  saint  Paul.  Dans  ses  Homé- 
lies sur  l'Épître,  il  disait  que  le  style  de  la  lettre  n'a  pas 
la  vulgarité  de  parole  qui  est  propre  à  l'apôtre,  lequel 
reconnaît  lui-même  qu'il  est  grossier  et  peu  habile  dans 
son  langage,  c'est-à-dire  dans  sa  manière  de  dire.  Mais 
pour  le  choix  des  expressions,  l'Épître  est  d'un  grec 
plus  pur,  ainsi  que  le  reconnaîtra  quiconque  peut  appré- 
cier la  différence  du  style.  De  plus,  que  les  pensées  en 
soient  admirables  et  qu'elles  ne  soient  en  rien  inférieures 
aux  écrits  admis  partout,  c'est  ce  que  croira  vrai  tout 
homme  qui  examine  avec  soin  les  ouvrages  aposto- 
liques. Puis,  exposant  son  sentiment  personnel,  Ori- 
gène disait  que  les  pensées  sont  de  l'apôtre,  mais  que 
la  phrase  et  la  disposition  des  pensées  sont  de  quelqu'un 
qui  s'est  souvenu  des  enseignements  de  l'apôtre  et  qui 
a  mêlé  ses  scolies  aux  explications  de  son  maître.  Si 
donc  quelque  Église  tient  cette  Épître  comme  de  Paul, 
qu'elle  soit  approuvée  même  en  cela,  car  ce  n'est  pas 
sans  raison  que  les  anciens  l'ont  transmise  comme  étant 
de  Paul.  Mais  quel  est  celui  qui  a  écrit  cette  lettre, 
Dieu  sait  la  vérité.  Il  est  venu  jusqu'à  nous  comme  une 
tradition  historique  que  quelques-uns  disent  que  Clé- 
ment, qui  est  devenu  évêque  de  Rome,  l'a  écrite,  et  que 
quelques  autres  disent  que  c'est  Luc,  le  même  qui  a 
écrit  l'Évangile  et  les  Actes.  Eusèbe,  H.  E.,  vi,  25, 
P.  G.,  t.  xx,  col.  584-585.  Origène  connaît  donc  la  tra- 
dition antérieure  favorable  à  l'origine  paulinienne, 
mais  il  connaît  aussi  d'autres  attributions  à  Clément 
et  à  Luc.  LIne  Église,  comme  celle  d'Alexandrie  est 
donc  autorisée  à  recevoir  la  lettre  comme  étant  de 
saint  Paul.  Personnellement,  il  n'ose  dire  quel  est  l'au- 
teur, mais  il  reconnaît  que,  si  le  style  de  l'Épître  diffère 
de  celui  de  l'apôtre,  le  fond  est  digne  de  Paul.  Il  admet 
donc  une  origine  médiatement  paulinienne.  A  propos 
du  supplice  d'Issue  par  la  scie,  il  cite  Heb.,  xi,  37,  38; 
mais  il  sait  que  tous  n'admettent  pas  cette  lettre 
comme  l'œuvre  de  Paul,  et  il  déclare  que,  dans  ce  cas, 
le  supplice  du  prophète  serait  mentionné  dans  un  livre 
non  canonique,  tandis  que  pour  ceux  qui  admettent 
l'origine  apostolique  de  l'Épître,  il  en  est  autrement. 
In  Matth.  comment,  séries,  xxm,  37,  38,  P.  G.,  t.  xm, 
col.  1636,  1637.  Cf.  In  Matth.,  tom.  x,  ibid.,  col.  831, 
où  il  rappelle  sans  hésitation  ce  qui  est  écrit  sur  Isaïe 
dans  l'Épître  aux  Hébreux.  Dans  sa  lettre  à  Jules  Afri- 
cain, n.  9,  P.  G.,  t.  xi,  col.  65,  68,  Origène  parle  encore 
de  ceux  qui  n'admettent  pas  l'Épître  comme  l'œuvre 
de  saint  Paul,  et  il  laisse  entendre  qu'il  voudrait  prou- 
ver contre  eux  qu'elle  est  de  lui.  D'ailleurs,  il  la  cite 
expressément  sous  le  nom  de  Paul.  In  Joa.,  tom.  n, 
c.  vi ;  tom.  x,  c.  xi;  Selecta  in  Ps.,  iv,  6;  vin,  6;  Se- 
lecta  in  Threnos,  iv,  26,  P.  G.,  t.  xiv,  col.  132,  332; 
t.  xn.  col.  1148, 1185;  t.  xm,  col.  660. 

L'Église  d'Alexandrie  a  conservé  sa  tradition  au 
sujet  de  l'origine  paulinienne  de  l'Éoître  aux  Hébreux. 
Au  me  siècle,  saint  Denys  cite  Heb.,  x,  34,  comme 
témoignage  de  saint  Paul.  Epist.   ad  Fabian.,  2,  dans 


2073 


HÉBREUX 


2074 


Eusèbe,  H.  E.,  vi,  41,  P.  G.,  t.  xx,  col.  605.  Saint 
Pierre  d'Alexandrie  cite  aussi  Heb.,  xi,  32,  comme 
parole  de  l'apôtre.  Epist.  can.,  9,  P.  G.,  t.  xvm,  col.  485. 
D'après  saint  Épiphane,  Hœr.,  lxvii,  2,  P.  G.,  t.  xlii. 
col.  173.  Hiéracas,  le  chef  de  la  secte  des  hiéracites, 
citait  Heb.,  xn,  14  ;  xm,  4,  sous  le  nom  de  saint  Paul. 
Voir  aussi  Théognoste  (fin  du  m"  siècle),  Fragm.,  3, 
P.  G.,  t.  x,  col.  241.  Au  ive  siècle,  saint  Alexandre 
cite  Heb.,  i,  2,  comme  de  Paul.  De  ariana  hœrcsi,  Epist., 
i,  6,  P.  G.,  t.  xvm,  col.  557;  Epist.,  n.  4,  col.  576.  Cf. 
Socrate,  H.  E.,  i,  6,  P.  G.,  t.  lxvii,  col.  49.  Saint  Atha- 
nase  compte  quatorze  Épîtres  de  saint  Paul,  et  parmi 
elles  r|  jtpoç  'E6pai'ou;.  Epist.  fest.,  xxxix,  P.  G.,  t.  xxvi, 
col.  1437.  Aussi  la  cite-t-il  sous  son  nom.  Sermo  contra 
arianos,  n,  1,  P.  G.,  t.  xxvi,  col.  148-149.  Didyme  cite 
l'apôtre  à  propos  de  Melchisédech.  De  Trinitate,  i,  15, 
P.  G.,  t.  xxxix,  col.  320-321.  Saint  Cyrille  d'Alexan- 
drie cite  Heb.,  i,  2,  3,  sous  le  nom  de  Paul.  Thésaurus, 
De  Trinitate,  ass.  4,  7,  P.  G.,  t.  lxxv,  col.  37,  93.  Eu- 
thalius,  au  ve  siècle,  admet  quatorze  Épîtres  de  saint 
Paul,  et  il  a  rédigé  les  xetpocXaîa  de  l'Épître  aux  Hébreux. 
H.  von  Soden,  Die  Schriftendes  N.  T.,  Gœttingue,  1902, 
1. 1,  p.  663,  664.  Le  pseudo-Euthalius  connaît  les  doutes 
sur  l'origine  paulinienne  de  l'Épître,  mais  il  les  résout 
en  répétant  les  arguments  de  Clément  d'Alexandrie 
et  d'Origène.  Ibid,,  p.  653.  La  Synopsis  Scriplurse 
sacrée,  attribuée  à  saint  Athanase,  mais  qui  est  du 
vie  siècle,  admet  quatorze  Épîtres  de  l'apôtre  Paul. 
P.  G.,  t.  xxviii,  col.  292-293.  Saint  Isidore  de  Péluse 
cite  plusieurs  passages  de  l'Épître  sous  le  nom  de  Paul 
ou  de  l'apôtre.  Epist.,  1.  I,  epist.  vu,  xciv,  cdlxxviii; 
1.  III,  epist.  lviii,  clxxxiv,  ccxxv,  cclx,  cccxxxv; 
1.  IV,  epist.  xxvi,  cxm,  cxlvii;  1.  V,  epist.  xci, 
ccxli,  P.  G.,  t.  lxxviii,  col.  184,  248,  444,  769,  873, 
908,  941,  993,  1077,  1184,  1232,  1377,  1480. 

b)  En  dehors  d' Alexandrie.  —  En  264,  les  Pères  du 
concile  d'Antioche,  pour  réfuter  Paul  de  Samosate, 
citent  Heb.,  xn,  2,  comme  étant  de  l'apôtre  Paul. 
Mansi,  Concil,  t.  i,  col.  1085.  Saint  Grégoire  le  Thau- 
maturge, Exposilio  fidei,  P.  G.,  t.  x,  col.  1121,  cite 
Heb.,  n,  3,  4;  m,  7-11,  comme  de  Paul. 

Eusèbe  de  Césarée  nomme  l'Épître  aux  Hébreux  à 
côté  des  lettres  de  saint  Paul,  mais  en  la  distinguant 
d'elles.  H.  E.,  n,  17,  P.  G.,  t.  xx,  col.  180.  Il  reconnaît 
quatorze  Épîtres  de  l'apôtre;  il  sait  toutefois  que 
quelques-uns  ne  veulent  pas  reconnaître  l'Épître 
aux  Hébreux,  parce  que  l'Église  de  Rome  la  rejette 
comme  n'étant  pas  de  Paul.  Aussi  rapportera-t-il  à 
l'occasion  ce  que  les  anciens  en  ont  dit.  Ibid.,  m, 
3,  col.  217.  C'est  à  lui  que  nous  devons  la  conservation 
des  témoignages  de  Pantène,  de  Clément  d'Alexandrie 
et  d'Origène.  Plus  loin,  m,  25,  col.  268,  il  ne  la  distingue 
pas  des  Épîtres  de  l'apôtre,  mais  il  ajoute  que  quelques- 
uns  la  rangent  au  nombre  des  apocryphes  ;  elle  pourrait 
donc  être  classée  parmi  les  écrits  contestés  du  Nouveau 
Testament.  Plus  loin  encore,  m,  38,  col.  293,  il  dit  que 
Paul  a  écrit  aux  Hébreux  dans  leur  propre  langue,  et 
que  la  version  grecque  est  attribuée  par  les  uns  à  l'é- 
vangéliste  Luc  et  par  les  autres  à  Clément  de  Rome,  ce 
qui  lui  paraît  plus  vraisemblable,  étant  donnés  les 
emprunts  faits  par  cet  écrivain  à  la  lettre.  Pour  son 
propre  compte  il  cite  cette  Épître  sous  le  nom  de  Paul 
ou  de  l'apôtre.  Dem.  ev.,  iv,  15,  16,  17;  In  ps.,  n,  6; 
xiv,  1,  P.  G,  t.  xxn.  col.  300,  317,  324;  t.  xxm,  col.  85, 
152.  Bien  qu'il  connût  les  doutes  de  quelques-uns, 
Eusèbe  admit  l'origine  paulinienne  de  l'Épître  aux 
Hébreux. 

Saint  Cyrille  de  Jérusalem  reçoit  aussi  quatorze  Épî- 
tres de  saint  Paul,  Cat.,  iv,  36;  x,  18;  xvn,  20,  P.  G., 
t.  xxxin,  col.  500,  684,  992,  et  il  attribue  expressément 
l'Épître  aux  Hébreux  à  cet  apôtre.  Cat.,  x,  28,  col.  912. 
Saint  Épiphane  affirme,  contre  les  marcionites,  qu'au- 
cun manuscrit  du  Nouveau  Testament  ne  l'omet,  et 


qu'elle  occupe  le  10e  ou  le  14e  rang  parmi  les  lettres  de 
saint  Paul,  Hier.,  xlii,  12,  P.  G.,  t.  xli,  col.  812,  et  il 
la  cite  comme  œuvre  de  l'apôtre.  Hœr.,  xxvi,  16, 
col.  357. 

Le  60e  canon  du  concile  de  Laodicée  (entre  343  et 
381)  énumèreles  quatorze  Épîtres  de  saint  Paul.  Hefele, 
Histoire  des  conciles,  trad.  Leclercq,  Paris,  1907,  t.  i, 
p.  1026.  Le  85e  canon  apostolique  admet  aussi  les  qua- 
torze Épîtres  de  l'apôtre.  P.  G.,  t.  cxxxvii,  col.  212; 
Mansi,  Concil.,  t.  i,  col.  48.  Théodore  de  Mopsueste 
explique  pourquoi  saint  Paul  n'a  pas  inscrit  son  nom 
en  tête  de  cette  lettre  :  écrivant  aux  juifs  convertis,  il 
ne  pouvait  se  présenter  à  eux  comme  leur  apôtre  ni 
leur  parler  comme  il  parlait  aux  gentils,  auxquels  il 
avait  été  envoyé.  In  Epist.  ad  Heb.,  arg.,  P.  G.,  t.  lxvi, 
col.  952.  Il  cite  l'Épître  sous  le  nom  de  Paul.  In  Ose., 
iv;  In  Jonam,  prol. ;  In  Zach.,  i,  ibid.,  col.  149,  321, 
505.  Saint  Chrysostome  reçoit  la  lettre  comme  l'œuvre 
de  saint  Paul,  et  il  l'a  commentée  dans  des  homélies 
prèchées  à  son  troupeau.  In  Epist.  ad  Heb.,  arg.,  P.  G., 
t.  lxiii,  col.  9  sq.  Théodoret  reconnaît  quatorze  Épîtres 
de  l'apôtre,  qui  a  adressé  aux  juifs  celle  qui  est  intitulée 
aux  Hébreux.  In  omnes  S.  Pauli  Epist.,  arg.,  P.  G., 
t.  lxxxii,  col.  37,  44.  Les  amis  de  la  vérité  ont  toujours 
lu  cette  Épître  à  l'ôglise;  contre  les  ariens  qui  la  re- 
jettent, Théodoret  en  appelle  à  Eusèbe  de  Césarée. 
Paul  n'a  pas  mis  son  nom  en  tête,  parce  qu'il  n'était 
pas  l'apôtre  des  juifs,  et  il  s'est  contenté  de  leur  expo- 
ser sa  doctrine.  Il  l'a  écrite  en  hébreu.  On  dit  que  Clé- 
ment l'a  traduite  en  grec.  In  Epist.  ad  Heb.,  arg., 
col.  675-677.  Junilius  reste  fidèle  à  l'école  d'Antioche 
à  laquelle  il  se  rattache,  et  il  reçoit  quatorze  Épîtres  de 
saint  Paul.  Instituta  regularia,  P.  L.,  t.  lxviii,  col.  19- 
20.  Voir  aussi  la  Synopsis  sacras  Scripturae,  attribuée  à 
saint  Chrysostome,  P.  G.,  t.  lvi,  col.  317. 

En  Cappadoce,  saint  Basile  cite  l'Épître  sous  le  nom 
de  Paul.  Advcrsus  Eunomium,  i,  4;  iv,  6,  P.  G.,  t.  xxix, 
col.  345,  679.  Saint  Grégoire  de  Nysse  l'attribue  à 
l'arôtre.  De  bealitudinibus,  orat.  vin,  P.  G.,  t.  xliv, 
col.  1297;  Advcrsus  Eunomium,  I,  P.  G.,  t.  xlv,  col.  369. 
Saint  Grégoire  de  Nazianze  compte  quatorze  Épîtres 
de  saint  Paul,  Carm.,  xxxiii,  35,  P.  G.,  t.  xxxvii, 
col.  474,  ainsi  que  saint  Amphiloque.  Iambi  ad  Seleu- 
cum,  ibid.,  col.  1597.  Ce  dernier  toutefois  sait  que 
quelques-uns  disent  que  l'Épître  aux  Hébreux  n'est 
pas  authentique ,  mais  il  n'approuve  pas  leur 
sentiment.  Tite  de  Boslra  cite  l'Épître  comme  de 
l'apôtre.  Advcrsus  manichœos,  m,  4,  P.  G.,  t.  xvm, 
col.  1220.  Bref,  tout  l'Orient  grec,  sauf  les  ariens,  Théo- 
doret, In  omnes  S.  Pauli  Epist.,  arg.  P.  G.,  t.  lxxxii, 
col.  673,  676,  qui  pourtant  se  servent  de  cette  Épître 
et  reconnaissent  parfois  son  origine  paulinienne,  S. 
Épiphane,  Hser.,  lxix,  14,  P.  G.,  t.  xlii,  col.  221,  et 
sauf  Marcion  qui  ne  l'avait  pas  dans  son  Apostolicon, 
reconnaissait  l'Épître  aux  Hébreux  pour  l'œuvre  de 
saint  Paul. 

L'Église  syrienne  faisait  de  même.  Aphraate  cite 
souvent  cette  Épître  sous  le  nom  de  l'apôtre.  Dcmonsl., 
i,  16;  ii,  14;  vu,  11;  vm,  7;  xi,  11;  xm,  12,  13;  xx,  16, 
17;  xxi,  22,  23;  xxm,  2,  Patrologia  syriaca  de  Mgr 
Grafïîn.t.  i,  p.  37,  77,332,372,410,568,572,  920,924, 
985,  989;  t.  n,  p.  5.  Saint  Éphrem  fait  de  même.  In 
Gen.,  xxi;  In  Jud.,  xi;  In  I  Reg.,  vu,  21,  Opéra  syriaca, 
t.  i,  p.  160,  322,  460;  Sermo  in  secundum  Domini 
advenlum,  Opcra  greeca,  t.  il,  p.  203  ;  De  pœnilcnlia, 
ibid.,  t.  m,  p.  165,  202  ;  Serm.,  i,  dans  Th.  Lamy, 
S.  Ephrsemi  hymni  et  sermones,  Malines,  1889,  t.  m, 
p.  155. 

2.  En  Occident.  —  a)  A  Rome.  —  A  la  fin  du  w-  siècle, 
le  canon  dit  de  Muratori  ne  catalogue  pas  l'Épître  aux 
Hébreux,  et  il  paraît  même  l'exclure  en  disant  que 
saint  Paul  a  écrit  à  sept  Églises  qu'il  nomme,  à  moins 
qu'il  ne  la  range  parmi  les  lettres  privées.  Il  ne  la  men- 


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HÉBREUX 


2076 


tionne  pas  sous  le  nom  d'Epistola  ad  Alexandrinos, 
comme  quelques-uns  l'ont  pensé,  puisqu'il  dit  que 
celle-ci  a  été  mise  sous  le  nom  de  Paul  pour  défendre 
l'hérésie  de  Marcion;  or  les  marcionites  n'admettaient 
pas  l'Épître  aux  Hébreux.  Saint  Hippolyte  connaissait 
l'Épître  aux  Hébreux  et  il  la  citait.  In  Susan.,  23; 
Adversus  Judœos,  3;  In  Dan.,  14,  15,  17,  P.  G.,  t.  x, 
col.  696,  789,  652,  653;  Hippolytus  Werke,  Leipzig, 
1897,  p.  21,  28,  33,  78,  208,  212,  262,  266,  270,  284.  Cf. 
N.  Bonvretsch,  Studicn  zu  dcn  Kommentarcn  Hippolifts 
zum  Bûche  Daniel  und  Hohenlied,  dans  Texte  und  Un- 
tersuchungcn,  Leipzig,  1897,  t.  xvi,  fasc.  2,  p.  25-26. 
Mais,  au  témoignage  de  Etienne  Gobar,  dans  Photius, 
Bibliothcca,  cod.  232,  P.  G.,  t.  cm,  col.  1104,  il  ne  la 
reconnaissait  pas  pour  l'œuvre  de  saint  Paul.  Le  pTêtre 
Caius  n'admettait  que  treize  Épîtres  de  l'apôtre,  parce 
qu'il  excluait  celle  aux  Hébreux,  que  quelques  Ro- 
mains, plus  tard  encore  au  ivc  siècle,  estimaient  n'être 
pas  de  saint  Paul.  Eusèbe,  H.  E.,  vi,  20,  P.  G., 
t.  xx,  col.  572,  578;  S.  Jérôme,  De  viris,  59,  P.  L., 
t.  xxin,  col.  669;  Photius,  Bibliotheca,  cod.  48,  P.  G., 
t.  cm,  coL  85.  Les  Melchisédéciens,  qui  avaient  pour 
chef  le  banquier  Théodote,  prouvaient  par  l'Épître  aux 
Hébreux,  vu,  3,  que  Melchisédech  était  sans  père  ni 
mère,  S.  Hippolyte,  Philosophoumena,  vu,  36;  X,  24, 
P.  G.,  t.  xvi,  col.  3343,  3439;  S.  Épiphane,  Hœr.,  lv, 
P.  G.,  t.  xli,  col.  972;  pseudo-Tertullien.  De  prœscripl., 
53,  P.  L.,  t.  n,  col.  73;  mais  il  n'est  pas  certain  qu'ils 
la  tenaient  pour  une  lettre  de  saint  Paul.  Novatien  l'uti- 
lisait, De  Trinitate,  16,  P.  L.,  t.  m,  col.  1917,  ainsi  que 
ses  disciples,  au  témoignage  de  saint  Philastre.  Hœr., 
89,  P.  L.,  t.  xn,  col.  1201.  Nous  avons  déjà  dit  qu'au 
début  du  ive  siècle,  des  Romains  n'admettaient  pas 
cette  Épître  comme  paulinienne  et  Eusèbe  savait  que 
d'autres  la  rejetaient  parce  que  l'Église  de  Rome  elle- 
même  ne  la  recevait  pas.  H.  E.,  m,  3,  P.  G.,  t.  xx, 
col.  217.  L'Ambrosiaster,  qui  la  connaissait,  In  II  Tim., 
i,  P.  L.,  t.  xvii,  col.  485,  où  il  cite  Heb.,  vu,  9,  10,  ne 
l'a  pas  commentée.  Mais  le  prêtre  Faustin  l'attribuait 
à  l'apôtre  Paul.  De  Trinitate,  c.  n,  n.  13,  P.  L.,  t.  xm, 
col.  61.  Le  juif  Isaac  nomme  deux  fois  l'apôtre,  en 
citant  l'Épître  aux  Hébreux.  Qusestiones  Veteris  et 
Novi  Testamenii,  q.  cix,  De  Melchisédech,  P.  L., 
t.  xxxv,  col.  2325.  Le  canon  dit  de  saint  Gélase,  qui 
est  peut-être  de  saint  Damase  dans  sa  Iro  partie,  men- 
tionne  quatorze  Épîtres  de  saint  Paul,  voir  t.  n, 
col.  1592,  ainsi  qu'Innocent  Ier  dans  sa  lettre  à  Exu- 
père,  évêque  de  Toulouse.  Voir  t.  v,  col.  2027. 
L'Église  de  Rome  a  donc  admis  l'Épître  aux  Hébreux 
comme  œuvre  de  l'apôtre,  au  cours  du  iv°  siècle. 

b)  En  Afrique.  —  Tertullien  ne  cite  textuellement 
cette  Épître  qu'une  seule  fois  et  il  l'attribue  expressé- 
ment à  saint  Barnabe.  Après  avoir  cité  les  Évangiles, 
les  Épîtres  de  saint  Paul  et  l'Apocalypse,  pour  abon- 
dance de  preuves,  il  invoque,  en  outre,  le  témoignage 
d'un  compagnon  des  apôtres,  car  il  y  a  un  titulus  de 
Barnabe  ad  Hcbrœos,  qui  est  plus  recevable  dans  les 
Églises  que  l'écrit  apocryphe  du  Pasteur,  et  il  cite 
Heb.,  vi,  1,  4-8,  où  il  croit  trouver  une  malédiction 
irrévocable  contre  les  impudiques.  C'est  le  témoignage 
d'un  disciple  des  apôtres,  qui  interprétait  bien  la  loi 
et  ses  figures.  De  pudicitia,  20,  P.  L.,  t.  n,  col.  1021. 
Étant  encore  catholique,  il  y  avait  fait  allusion  au 
sujet  de  l'hospitalité,  Heb.,  xm,  2.  De  oratione,  26, 
P.  L.,  t.  i,  col.  1193.  Saint  Cyprien  ne  cite  pas  une  fois 
cette  Épître,  pas  même  dans  ses  Testimonia,  qui  sont 
un  recueil  de  citations  bibliques.  Il  affirme  que  saint 
Paul  n'a  écrit  qu'à  sept  Églises.  Epist.  ad  Fortunatum, 
De  exhorlatione  martyrii,  11,  P.  L.,  t.  iv,  col.  668  ;  Tes- 
timonia contra  Judœos,  i,  20,  ibid.,  col.  689.  Le  canon, 
qui  a  été  découvert  par  Mommsen  et  qu'on  croit  d'ori- 
gine africaine,  ne  compte,  au  début  du  me  siècle,  que 
treize  lettres  de  saint  Paul.  Victorin  de  Pettau  dit  de 


même.  In  Apoc.,  i,  P.  L.,  t.  v,  col.  3-20.  Marius  Victori- 
nus  Afer,  qui  n'a  pas  commenté  l'Épître  aux  Hébreux, 
la  cite  cependant  une  fois  sous  le  nom  de  saint  Paul. 
Adversus  Arium,  i,  n.  38,  P.  L.,  t.  vm,  col.  1070.  Saint 
Optât  de  Milève  ne  la  cite  jamais.  Les  conciles  d'Hip- 
pone  (393),  can.  47,  et  de  Carthage  (397),  can.  36,  décla- 
rent canoniques  :  Pauli  apostoli  epistolse  tredecim;  ejus- 
demad  Hebrœos  una.  Mansi,  Concil.,  t.  m, col.  891,  924. 

On  a  relevé  environ  150  citations  de  l'Épître  aux 
Hébreux  dans  les  écrits  de  saint  Augustin;  des  303  ver- 
sets de  la  lettre,  il  en  reproduit  environ  80.  Or,  la  posi- 
tion qu'il  a  prise  relativement  à  l'auteur  est  assez 
curieuse.  Jusqu'en  406,  il  la  cite  comme  l'œuvre  de 
l'apôtre  Paul,  De  diversis  quœstionibus  LXXXUi, 
q.  lxxv,  n.  1,  P.  L.,  t.  xl,  col.  86;  De  sermone  Dei  in 
monte,  1.  II,  c.  vu,  n.  27,  t.  xxxiv,  col.  1281;  Contra 
Adimantum  manichseum,  c.  xvi,  n.  3,  t.  xlii,  col.  157; 
Epist.  ad  Rom.  inchoata  expositio,  n.  11,  t.  xxxv, 
col.  2095;  De  doctrina  cliristiana,  1.  II,  c.  vm,  n.  13, 
t.  xxxiv,  col.  41;  Contra  Cresconium,  1.  III,  c.  lxxiv, 
n.  86,  t.  xliii,  col.  542  ;  £nar.  in  ps.  vm,  n.  12,  t.  xxxvi, 
col.  114.  De  409  à  430,  il  ne  parle  plus  que  de  YEpistola 
ad  Hebrœos,  qu'il  distingue  des  lettres  de  saint  Paul. 
Il  la  cite,  quoiqu'elle  soit  incertaine  pour  quelques-uns, 
mais  il  la  tient  pour  canonique  à  cause  de  l'autorité 
des  Églises  orientales.  De  peccatorum  meritis  et  remis- 
sione,  1.  I,  c.  xxvn,  n.  50,  t.  xxjv,  col.  137.  Les  nom- 
breux passages,  où  l'Épître  aux  Hébreux  est  distin- 
guée d«6  lettres  de  l'apôtre,  ont  été  recueillis  par  le 
P.  Rottmanner,  S.  Augustin  sur  l'auteur  de  l'Épître 
aux  Hébreux,  dans  la  Revue  bénédictine,  juillet  1901, 
p.  258-261.  La  raison  de  cette  manière  différente  de 
citer  cette  Épître  provient  sans  doute  de  ce  que  l'é- 
vêque  d'Hippone,  qui  n'avait  d'abord  aucun  doute 
sur  l'origine  paulinienne  de  la  lettre,  a  appris  que  quel- 
ques-uns la  niaient,  et  tout  en  la  maintenant  au  canon 
biblique  du  Nouveau  Testament,  il  ne  l'a  plus  citée 
comme  œuvre  de  l'apôtre.  Il  le  dit  expressément  une 
fois  :  In  episiola  quee  inscribitur  ad  Hebrœos,  quam 
plures  apostoli  Pauli  esse  dicunt,  quidam  vero  negant. 
De  civilate  Dei,  1.  XVI,  c.  xxn,  t.  xli,  col.  500.  Dans 
deux  citations  qu'il  fait  de  Julien  d'Éclane,  l'Épître 
est  citée  comme  l'œuvre  de  l'apôtre,  Contra  Julianum 
opus  imperfeclum,  1.  III,  n.  40;  1.  V,  n.  1,  t.  xlv,  col. 
1268,  1436,  mais  c'est  son  adversaire  qui  parle.  De 
même,  l'Épître  aux  Hébreux  est  attribuée  à  saint  Paul 
par  Maximinus.  Collatio  cum  Maximino  arianorum 
episcopo,  il,  n.  4,  9,  t.  xlii,  col.  725,  728. 

Les  hésitations  de  saint  Augustin  n'ont  pas  eu  d'in- 
fluence dans  l'Église  d'Afrique,  puisque  le  concile  de 
Carthage  de  419  ne  distingue  plus  l'Épître  aux  Hébreux 
des  lettres  de  saint  Paul.  Il  dit,  en  effet,  catégorique- 
ment :  Epistolœ  Pauli  apostoli  quatuordecim,  can.  29. 
Mansi,  Concil.,  t.  rv,  col.  430. 

c)  En  dehors  de  Rome  et  de  l'Afrique.  —  Saint  Phébade 
d'Agen,  saint  Zenon  de  Vérone,  saint  Vincent  de  Lérins 
et  Orose  ne  citent  jamais  l'Épître  aux  Hébreux  comme 
étant  de  saint  Paul.  Mais  d'autres  écrivains  ecclésias- 
tiques le  font  :  S.  Hilaire  de  Poitiers,  De  Trinitate, 
1.  IV,  n.  11  ;  In  ps.  Xl  V,  n.  5;  lui,  n.  13;  cxviii,  lit.  vm, 
n.  16  ;  CXXix,  7,  P.  L.,  t,  x,  col.  104,  302.  345,  558, 
722;  Lucifer  de  Cagliari,  De  non  conveniendo  cum 
hœreticis,  P.  L.,  t.  xm,  col.  782;  S.  Ambroise,  De 
fuga  sœculi,  c.  m,  n.  16;  De  benedictionibus  patriar- 
carum,  c.  iv,  n.  16,  P.  L.,  t.  xiv,  col.  577,  678;  De 
pœnitenlia,  1.  II,  c.  n,  n.  6,  10;  c.  m,  n.  15,  t.  xvi, 
col.  497,  499,  500;  S.  Gaudence  de  Brescia,  Serm.,  n, 
de  Exodi  lectione,  P.  L.,  t.  xx,  col.  358  ;  Serm.,  i, 
col.  848  ;  S.  Pacien,  Epist.,  m,  n.  13,  P.  L.,  t.  xm, 
col.  1072;  Priscillien,  Tractatus  III,  Opéra,  édit. 
Schepps,  Vienne,  1899,  p.  45;  Rufin  admet  quatorze 
Épîtres  de  saint  Paul.  De  symbolo  aposiolorum,  37, 
P.   L.,  t.  xxi,  col.  374. 


2077 


HEBREUX 


2078 


Cependant  d'autres  écrivains  connaissent  les  doutes 
qui  existaient  sur  l'authenticité  et  la  canonicité  de 
l'Épître  aux  Hébreux.  Saint  Philastre  n'admet  d'abord 
au  canon  apostolique  que  treize  Épîtres  seulement  de 
saint  Paul.  User.,  88,  P.  L.,  t.  xii,  col.  1199.  Toutefois, 
à  l'hérésie  suivante,  89,  col.  1200-1201,  il  range  au 
nombre  des  hérétiques  ceux  qui  n'affirment  pas  que 
l'Épître  de  Paul  aux  Hébreux  est  de  lui,  mais  disent 
qu'elle  est  ou  de  l'apôtre  Barnabe,  ou  de  Clément, 
évoque  de  Rome.  D'autres  l'attribuent  à  l'évangéliste 
Luc.  En  quelques  lieux,  où  on  n'admet  que  treize 
Épîtres  de  saint  Paul,  on  ne  la  lit  pas  à  l'église.  On  en 
donne  deux  raisons  :  le  style  rhétorique  qui  n'est  pas 
de  l'npôtre,  et  deux  questions,  de  doctrine  que  Philastre 
explique.  Quelques  Églises  l'avaient  admise  à  l'hon- 
neur de  la  lecture  publique.  Celles  qui  l'excluaient  le 
faisaient  parfois  parce  que  les  novatiens  abusaient  de 
cette  lettre  pour  prouver  leurs  erreurs. 

Saint  Jérôme  connaît  aussi  les  doutes  qui  concernent 
cette  Épître.  11  les  expose  à  diverses  reprises.  Il  n'ad- 
met que  treize  Épîtres  de  saint  Paul  :  les  Épîtres  aux 
sept  Églises,  octava  enim  ad  Hebrœos  a  plcrisque  extra 
numerum  ponilur,  et  les  Épîtres  pastorales.  Epist., 
lui,  ad  Paulinum,  n.  8,  P.  L.,  t.  xxn,  col.  548.  Il  dit 
encore  que  Paul  a  écrit  neuf  lettres  à  sept  Églises.  Epis- 
tola  autem  quse  fertur  ad  Hebrœos,  non  ejus  credilur  prop- 
ter  stili  sermonisque  distantiam,  sed  vel  Barnabœ  juxta 
Tertullianum,  vcl  Lucse  evangelistœ  juxla  quosdam,  vel 
démentis,  romanœ  postea  Ecclcsiœ  episcopi,  quem  aiunl 
sententiœ  Pauli  proprio  ordinasse  et  ornasse  sermone; 
vel  certe  quia  Paalus  scribebat  ad  Hebrœos  et  propter  invi- 
diamsui  apud  eos  nominis  titulum  in  prineipio  salula- 
tionis  amputaveral.  Scripserat  autem  ut  Hebrœus  He- 
brœis  hebraicc,  id  est,  suo  cloquio  dissertissime,  ut  ea  quœ 
eloquenter  scripta  fuerant  in  hebrœo,  eloqucntius  verte- 
rentur  in  grœcum;  et  hanc  causam  esse  quod  a  cœteris 
Pauli  epistolis  discrepare  videalur.  De  viris,  5,  P.  L., 
t.  xxm,  col.  617,  619.  Cf.  Prœfato  Hieronijrni  in 
Epistulas  Pauli,  dans  J.  Wordsworth  et  J.-H.  White, 
Novum  Teslamenlum  D.  N.  J.  C.  latine,  Oxford, 
1913,  t.  ii,  fasc.  1,  p.  7.  C'est  le  résumé  plus  ou  moins 
précis  de  tout  ce  qui  précède  et  de  tout  ce  qu'a  dit 
Eusèbe  de  Césarée.  Une  autre  raison  pour  laquelle 
quelques-uns  rejettent  cette  lettre,  c'est  que  Paul,  si 
elle  était  de  lui,  aurait  cité  des  témoignages  bibliques 
qui  ne  sont  pas  dans  les  livres  hébreux,  c'est-à-dire 
qui  viennent  de  la  version  des  Septante.  In  Epist.  ad 
Gai,  i,  1,  t.  xxvi,  col.  312.  Ailleurs  il  enseigne  que 
l'Épître  aux  Hébreux  est  reçue  comme  étant  de  l'a- 
pôtre Paul,  non  seulement  par  les  Églises  d'Orient, 
mais  encore  par  tous  les  écrivains  ecclésiastiques  de 
langue  grecque,  licel  plerique  eam  vel  Barnnbœ  vel  Cle- 
menlis  arbitrentur,  et  il  ajoute  nihil  interesse  cujus  sit, 
cum  ecclesiastici  viri  sit  et  quolidie  ecclesiarum  lectione 
celebretur.  Si  la  coutume  des  Latins  est  de  ne  pas  la 
recevoir  parmi  les  Écritures  canoniques,  les  Grecs  en 
font  autant  pour  l'Apocalypse,  et  tamen  nos  utramque 
suscipimus,  nequaquam  hujus  lemporis  consuetudinem, 
sed  veterum  scriptorum  auctoritalem  sequenlcs,  qui  ple- 
rumque  utriusque  abutuntur  teslimoniis,  non  pas  comme 
des  apocryphes  qu'ils  citent  quelquefois,  sed  quasi  cano- 
nicis  et  ecclesiasticis.  Epist.,  cxxix,  ad  Dardanum,  n.  3, 
P.  L.,  t.  xxn,  col.  1103-1104.  Il  maintient  donc  très 
nettement  la  canonicité  de  l'Épître  aux  Hébreux,  quoi- 
qu'il soit  moins  assuré  de  son  authenticité  paulinienne, 
authenticité  qui  n'importe  d'ailleurs  pas  à  la  canonicité. 
Néanmoins,  il  mentionne  ailleurs  que  les  Latins  ne  la 
reçoivent  pas  tous  comme  canonique,  Epist.,  lxxiii, 
ad  Evangelum,  n.  4,  t.  xxn,  col.  678;  In  Is.,  vi,  2;  vm, 
18,  t.  xxiv,  col.  94,  124;  In  Zach.,  vin,  1,  2,  t.  xxv, 
col.  1465  ;  il  rappelle  les  hésitations  au  sujet  de  l'authen- 
ticité paulinienne  à  Rome  en  particulier,  De  oiris,  59, 
t.  xxm,  col.  669,  ou  de  la  part  des  Latins,  In  Matth., 


xxvi,  8,  t.  xxiv,  col.  192,  ou  d'une  façon  générale, 
In  Jer.,  xxxi,  31,  t.  xxiv,  col.  883;  In  Ezech.,  xxvin, 
11,  t.  xxv,  col.  272;  In  Amos,  vm,  7,  8,  ibid.,  col.  1081  ; 
In  Epist.  ad  Eph.,  n,  18,  t.  xxvi,  col.  475;  In  Epist. 
ad  Titum,  i,  5;  n,  2,  col.  563,  578.  Il  dit  aussi  que  saint 
Paul  a  écrit  à  sept  Églises.  In  Zach.,  vm,  23,  t.  xxv, 
col.  1478.  Il  exclut  donc  l'Épître  aux  Hébreux. 

Ailleurs  toutefois,  il  n'a  aucune  hésitation.  Il  re- 
proche aux  marcionites  de  rejeter  sans  raison  les  Épî- 
tres pastorales  et  la  lettre  aux  Hébreux,  et  il  se  propose 
de  prouver  qu'elles  sont  de  saint  Paul.  In  Epist.  ad 
TH.,  prol.,  t.  xxvi,  col.  555-556.  Dans  ses  sermons,  il 
cite  couramment  l'Épître  sous  le  nom  de  saint  Paul  ou 
de  l'apôtre.  Commcntarioli  in  ps.  vm  et  xevi,  dans 
G.  Morin,  Anecdota  Maredsolana,  Maredsous,  1895, 
t.  m  a,  p.  21,  72;  Tractatus  de  ps.  lxxxvi,  civ,  evi, 
ibid.,  1897,  t.  m  b,  p.  98,  201;  1903,  t.  m  c,  p.  90;  In 
Esa.,  vi,  1-7,  p.  109,  110,  115,  119,  121.  Cf.  In  Is.,  vi, 
9  sq.;  vm,  18,  P.  L.,t.  xxiv,  col.  99,  121.  Ces  citations 
indiquent  quel  était  le  sentiment  personnel  de  saint 
Jérôme  :  il  admettait  l'origine  paulinienne  de  l'Épître. 
Mais  comme  savant  et  critique,  il  hésitait  à  cause  des 
doutes  antérieurs,  partagés  encore  par  quelques-uns 
de  ses  contemporains,  et  il  n'osait  pas  affirmer  une 
authenticité  qu'il  savait  contestée.  Il  a  hésité  entre 
la  tradition  orientale,  favorable  à  l'authenticité  pau- 
linienne, et  la  tradition  occidentale,  qui  lui  avait  été 
défavorable. 

Pelage,  In  Epist.  ad  Rom.,  v,  P.  L.,  t.  xxx,  col.  667; 
cf.  Zimmer,  Pelagius  in  Irland,  Berlin,  1901,  p.  178- 
179,  294  ;  cite  l'Épître,  quoiqu'il  ne  l'ait  pas  com- 
mentée. Le  prologue  général  aux  Épîtres  de  saint  Paul, 
qui  débute  par  les  mots  Omnis  textus  vcl  numerus, 
qui  se  trouve  dans  un  bon  nombre  de  manuscrits  bibli- 
ques, S.  Berger,  Les  préfaces  jointes  aux  livres  de  la 
Bible  dans  les  manuscrits  de  la  Vulgate,  Paris,  1902, 
p.  62,  et  que  dom  de  Bruyne  a  attribué  à  Pelage,  Étude 
sur  les  origines  de  notre  texte  latin  de  saint  Paul,  dans 
la  Revue  biblique,  juillet  et  octobre  1915,  p.  380, 
compte  quatorze  Épîtres  de  saint  Paul  et  il  place  la 
lettre  aux  Hébreux  la  dernière,  en  ajoutant  tou- 
tefois :  Hœc  in  canone  non  habetur.  J.  Wordsworth 
et  J.-H.  White,  Novum  Teslamenlum  D.  N.  J.  C. 
latine,  Oxford,  1913,  t.  n,  fasc.  1,  p.  40.  Pelage 
admettait  donc  l'origine  paulinienne  de  l'Épître  aux 
Hébreux,  sans  reconnaître  sa  canonicité.  Un  autre 
prologue,  débutant  par  les  mots  Primum  quœritur 
quare  et  attribué  à  Pelage  par  plusieurs  manuscrits 
de  la  Vulgate,  contient  un  plaidoyer  en  faveur  de 
l'origine  paulinienne  de  l'Épître  aux  Hébreux,  que 
quelques-uns  attribuent  à  saint  Barnabe,  à  saint  Luc 
ou  à  saint  Clément.  Si  l'absence  du  nom  de  Paul 
dans  le  titre  de  cette  Épître  prouvait  qu'elle  n'est 
pas  de  l'apôtre  des  nations,  l'absence  de  tout  nom 
dans  ce  titre  prouverait  qu'elle  n'est  l'œuvre  de 
personne,  ce  qui  est  absurde.  Il  faut  donc  croire  plutôt 
qu'elle  est  de  celui  dont  elle  contient  la  doctrine. 
L'apôtre,  regardé  par  les  Hébreux  comme  un  des- 
tructeur de  la  loi,  a  tu  son  nom  en  tète  d'un  écrit  où 
il  traitait  du  caractère  figuratif  de  la  Loi  et  de  la 
vérité  du  Christ,  afin  de  ne  pas  détourner  les  lecteurs 
du  fruit  de  sa  lecture.  Et  il  n'y  a  pas  lieu  de  s'étonner 
que  saint  Paul  soit  plus  éloquent  en  hébreu,  sa 
langue  maternelle,  qu'en  grec,  idiome  étranger,  dans 
lequel  il  a  rédigé  ses  autres  Épîtres.  J.  Wordsworth 
et  J.-H.  White,  lac.  cit.,  p.  2-5.  Pour  dom  de  Bruyne, 
l'auteur  de  ce  prologue  serait  un  pélagien,  qui  a 
ajouté,  vers  480,  l'Épître  aux  Hébreux  au  commen- 
taire de  Pelage,  et  a  publié  son  prologue  sous  le  nom 
de  Pelage.  Ibid.,  p.  383.  Cf.  A.  Souter,  The  character 
and  history  of  Pelagius' Commentary  on  the  Epistles 
of  St  Paul  (extrait  des  Proceedings  of  the  Brilish 
Academy,  t.  vu),   Londres,  1916,  p.  6-9;  É.  Mangenot, 


2079 


HEBREUX 


2080 


Saint  Jérôme  ou  Pelage  éditeur  des  Épîtres  de  saint 
Paul  dans  la  Vulgate  (extrait  de  la  Revue  du  Clergé 
français  du  1"  avril  et  du  1er  mai  1916),  p.  18-33.  Les 
pélagiens,  d'ailleurs,  invoquaient  fréquemment  cette 
Épître  en  faveur  de  leurs  doctrines. 

Il  ne  reste  plus  à  citer  que  Grégoire  d'Elvire  (f  après 
392),  si  les  Tractatus  Origenis  sont  bien  de  lui.  Voir 
G.  Morin,  dans  la  Revue  d'histoire  cl  de  littérature  reli- 
gieuses, 1900,  p.  145-161;  A.  Wilmart,  dans  le  Bulletin 
de  littérature  ecclésiastique,  1906,  p.  233-239.  Or,  au 
milieu  de  citations  de  saint  Paul,  il  rapporte  Heb., 
xm,  15,  comme  une  parole  du  sanctissimus  Barnabas, 
édit.  Batiffol,  Paris,  1900,  p.  108.  Cf.  Revue  biblique, 
1899,  p.  278-279. 

Quelles  qu'aient  été  les  hésitations  antérieures,  dans 
le  dernier  quart  du  ive  siècle,  l'Épître  aux  Hébreux  fut 
décidément  admise  au  canon  du  Nouveau  Testament, 
en  Occident,  et  rangée  parmi  les  lettres  de  saint  Paul. 
La  tradition  orientale  et  grecque  avait  été  adoptée 
par  les  Latins.  Seuls,  quelques  érudits  gardèrent  le 
souvenir  des  anciens  doutes  :  pseudo-Primasius  (Cas- 
siodore),  In  Epist,  S.  Pauli,  prœf.  ;  In  Epist.  ad  Heb., 
prref.,  P.  L.,  t.  lxviii,  col.  415,  685;  un  prologue  sur 
les  Épîtres  de  saint  Paul,  reproduit  dans  quelques 
manuscrits,  dit  :  Paulus  apostolus  ad  septem  scribit 
Ecclesias  :  octava  enim  ad  Hebrseos  a  plcrisque  extra 
numerum  ponitur,  J.  Wordsworth  et  J.-H  White, 
loc.  cit.,  p.  9;  S.  Isidore  de  Séville,  Etym.,  1.  VI, 
c.  il,  n.  45;  De  ecclesiasticis  officiis,  1.  I,  c.  xn,  n. 
11,  P.  L.,  t.  lxxxii,  col.  234;  t.  lxxxiii,  col.  749; 
Alcuin,  Disputatio  puerorum,  c.  vm,  P.  L.,  t.  ci,  col. 
1129-1130;  RabanMaur,De  clericorum  institutione,  1. II, 
c.  liv,  P.  L.,  t.  cvn,  col.  367;  Walafrid  Strabon,  Glossa 
ordinaria,  P.  L.,  t.  cxiv,  col.  643;  Haymon  d'Hal- 
berstadt,  Historia  sacra,  1.  III,  c.  m,  P.  L.,  t.  cxvm, 
col.  831;  le  même,  ou  plutôt  Haymon  d'Auxerre,  In 
Isa.,  vm,  18,  P.  L.,  t.  cxvi,  col.  768;  Hugues  de  Saint- 
Victor,  In  Epist.  ad  Heb.,  q.  n,  P.  L.,  t.  clxxv,  col.  609- 
610;  Hugues  de  Saint-Cher,  Poslilla  in  Epist.  ad  Heb., 
i,  1  ;  S.  Thomas,  In  Epist.  ad  Heb.,  prol.,  Opéra,  Paris, 
1876,  t.  xxi,  p.  562;  Nicolas  de  Lyre,  Postilla  in  Epist. 
ad  Heb.,  arg.  et  prol. 

3°  De  la  Renaissance  à  nos  jours.  —  Les  doutes  an- 
ciens furent  ravivés  par  Louis  Vives,  par  Érasme  et 
par  le  cardinal  Cajétan.  Érasme  faisait  valoir  la  diver- 
sité de  style  et  de  doctrine,  dont  quelques  points  lui 
paraissaient  favoriser  les  hérétiques.  Paraphrasis  N.  T., 
Heb.,  xm,  24,  1516.  En  1527,  la  Sorbonne  censura 
comme  arrogantes  et  schismatiques  les  opinions  d'É- 
rasme. «  Tandis  que  toute  l'Église  a  proclamé  que  cette 
Épître  est  de  Paul,  cet  auteur  doute  encore.  »  Duplessis 
d'Argentré,  Collcclio  judiciorum,  t.  n,  p.  248.  Érasme 
répondit  que  les  anciens  conciles  n'avaient  voulu  que 
désigner  l'Épître  sans  affirmer  qu'elle  était  de  saint 
Paul.  Même  après  leurs  canons,  les  docteurs  catho- 
liques émettaient  encore  des  doutes.  Declaratio  ad  cen- 
surant facultatis  theol.  Parisicnsis,  n.  33,  Opéra,  t.  ix, 
p.  865.  Cf.  S.  Berger,  La  Bible  au  xric  siècle,  Paris, 
1879,  p.  63-65.  En  1519,  le  cardinal  Cajétan  faisait 
aussi  ses  réserves  sur  la  canonicité  :  il  faisait  profession 
de  suivre  saint  Jérôme,  et  comme  ce  docteur  a  eu  des 
doutes  sur  l'auteur  de  cette  Épître,  il  ne  l'attribuera 
à  saint  Paul  que  pour  se  conformer  à  l'usage.  In  Epist. 
ad  Heb.  comment.,  proa?m.,  Lyon,  1639.  Il  fut  réfuté 
directement  par  Ambroise  Catharin,  en  1542. 

Carlstadt,  quoique  protestant,  admit  la  canonicité 
de  l'Épître  aux  Hébreux,  mais  il  ne  pensait  pas  que  la 
lettre  fût  de  saint  Paul.  De  canonicis  Scripluris  libellus, 
§  144,  146,  dans  Credner,  Zur  Geschichte  des  Kanons, 
Halle,  1847,  p.  400,  401.  Cf.  S.  Berger,  op.  cit.,  p.  92- 
93.  En  1522,  Luther  place  l'Épître  aux  Hébreux  à  un 
rang  secondaire  dans  sa  traduction  allemande  du  Nou- 
veau Testament,  parce  qu'elle  a  été  contestée  autre- 


fois, et  dans  la  préface  il  attribue  cette  lettre  à  un  dis- 
ciple des  apôtres,  homme  pieux  et  savant,  qui  était 
expérimenté  dans  la  foi  et  versé  dans  l'Écriture.  Il 
admire  sa  doctrine,  et  il  range  sa  lettre  en  dehors  des 
livres  principaux  du  Nouveau  Testament.  S'il  l'a  par- 
fois attribuée  à  saint  Paul  dans  ses  sermons,  finale- 
ment il  la  déclare  d'Apollo,  dans  un  sermon  de  1537  et 
dans  son  Commentaire  sur  la  Genèse  de  1544.  Cf. 
S.  Berger,  op.  cit,  p.  97-99. Mélanchthon  allègue  fréquem- 
ment l'Épître,  mais  il  évite  soigneusement  de  l'attri- 
buer à  saint  Paul  et  il  introduit  toujours  ses  citations 
par  une  désignation  anonyme.  Zwingle  l'a  commentée 
sans  formuler  aucun  doute  sur  son  autorité;  il  pensait 
toutefois  qu'elle  n'était  pas  de  saint  Paul.  Berner  Dis- 
putatio, 1527.  En  1549,  Calvin  la  reçoit,  mais  il  ne 
peut  croire  que  Paul  en  soit  l'auteur.  Son  nom  n'est 
pas  en  tète;  la  manière  d'enseigner  et  le  style  sont 
différents  de  ceux  de  l'apôtre.  L'auteur  est  un  disciple 
des  apôtres.  Cf.  S.  Berger,  op.  cit.,  p.  118-119. 

Le  8  avril  1546,  le  concile  de  Trente  a  défini  de  foi 
catholique  la  canonicité  de  tous  les  livres  de  l'Ancien 
et  du  Nouveau  Testament,  par  conséquent  celle  de 
l'Épître  aux  Hébreux.  Denzinger-Bannwart,  Enchiri- 
dion,  n.  784.  Mais  il  n'a  pas  défini  leur  authenticité, 
et  les  Pères  n'ont  fait  qu'employer  les  dénominations 
usuelles,  en  nommant  les  auteurs  dans  le  décret,  sans 
vouloir  rien  trancher  officiellement.  Voir  Authenti- 
cité, t.  i,  col.  2592-2593.  Le  5  avril,  en  congrégation 
générale,  Jean  Fonseca,  évêque  de  Castellamare,  avait 
demandé  qu'au  sujet  de  l'Épître  aux  Hébreux  on  ajou- 
tât :  ejusdem  Pauli  apostoli,  pour  qu'à  l'avenir  il  n'y 
ait  plus  de  doute  sur  son  origine.  Le  lendemain,  à  la 
congrégation  particulière,  présidée  par  le  cardinal  de 
Sainte-Croix,  Marcel  Cervino,  le  cardinal  de  Jaen, 
Pierre  Pacheco,  fit  la  même  demande.  L'archevêque 
d'Aix  et  les  évêques  de  Palerme  et  de  Sinigaglia  se 
rangèrent  à  son  sentiment,  ainsi  que  ceux  de  Pienza 
et  de  Belcastro.  Mais  le  plus  grand  nombre  des  autres 
Pères  préférèrent  ne  rien  changer  à  la  teneur  du  décret, 
qui,  de  fait,  ne  fut  pas  modifié  sur  ce  point.  Cf.  A.  Thei- 
ner,  Acta  genuina  ss.  cecumenici  concilii  Tridentini, 
Agram  1874,  t.  i,  p.  77,  86;  S.  Merkle,  Concilium  Tri- 
denlinum,  Fribourg-en-Brisgau,  1911,  t.  v,  p.  70,  76, 
77,  78.  Aussi  peu  de  théologiens  ont  enseigné  qu'il  était 
hérétique  de  nier  l'authenticité  des  Livres  saints,  dont 
les  auteurs  sont  nommés  dans  le  décret  De  canonicis 
Scripluris;  nous  ne  connaissons  que  Melchior  Cano,  De 
locis  theologicis,  1.  II,  c.  xi,  dans  le  Cursus  completus 
theologiœ  de  Migne,  t.  i,  col.  124-125,  et  Goldhagen, 
Introductio  in  sac.  Scripturam  V.  et  N.  T.,  Mayence, 
1768,  t.  m,  p.  421.  L'authenticité  paulinienne  de  l'É- 
pître aux  Hébreux  a  été  généralement  admise  par  les 
catholiques  jusqu'à  une  date  récente  comme  une  vérité, 
sinon  définie,  du  moins  certaine.  Les  protestants  eux- 
mêmes,  tout  en  maintenant  l'Épître  aux  Hébreux  à  la 
place  secondaire  que  Luther  lui  avait  assignée  et  tout 
en  reproduisant  la  préface  de  l'hérésiarque,  finirent 
par  reconnaître  la  canonicité  plénière  et  l'authenticité 
de  cette  lettre.  Voir  Éd.  Reuss,  Histoire  du  canon  des 
saintes  Écritures  dans  V Église  chrétienne,  2e  édit.,  Stras- 
bourg, 1864,  p.  334,  338-339.  Dès  1565,  Chemnitz  ne 
discutait  plus  sur  l'auteur  de  cette  Épître,  qu'il  pla- 
çait au  nombre  des  lettres  de  saint  Paul.  Examen  con- 
cilii Tridentini,  loc.  IV,  sect.  n,  n.  43,  édit.  Preuss, 
p.  39  a.  Cf.  S.  Berger,  op.  cit.,  p.  168.  La  question  d'au- 
thenticité de  cette  lettre  n'avait  plus  aucune  impor- 
tance chez  les  protestants. 

Ce  furent  les  premiers  critiques  qui  la  remirent  à 
l'ordre  du  jour.  Des  doutes  furent  émis  par  Semler  en 
1763  et  par  Jean-David  Michaelis  en  1764.  Les  pre- 
miers adversaires  décidés  de  l'origine  paulinienne  de 
l'Épître  aux  Hébreux  furent  W.  C.  L.  Ziegter,  Yollstàn- 
dige  Einleilung  in  den  Brief  an  die  Hebràcr,  1791;  Da- 


20S1 


HEBREUX 


2082 


vid  Schulz,  Der  Brief  an  die  Hebrâer,  Breslau,  1818, 
p.  125-130  (cf.  L.  Hug.  Einleitung  in  die  Schriften  des 
N.  T.,  4e  édit.,  Stuttgard  et  Tubingue,  1847,  t.  i, 
p.  400-4041;  Bleck,  Der  Brief  an  die  Hebrâer,  Berlin, 
1828.  La  plupart  des  critiques  modernes,  sauf  de  rares 
exceptions,  n'admettent  plus,  à  aucun  titre,  l'origine 
paulinienne  de  l'Épître  aux  Hébreux  pour  des  argu- 
ments intrinsèques  que  nous  allons  rapporter.  Quelques- 
uns  cependant  pensent  qu'elle  est  l'œuvre  d'un  dis- 
ciple de  saint  Paul,  qui  aurait  exposé  en  un  grec  très 
pur  les  doctrines  de  son  maître.  Ponr  les  mêmes  rai- 
sons et  vu  la  divergence  d'opinions  des  anciens  écri- 
vains ecclésiastiques,  beaucoup  de  catholiques  récents, 
depuis  le  milieu  du  xixe  siècle,  ne  soutiennent  plus  que 
l'origine  paulinienne  indirecte  de  cette  lettre  :  un 
disciple  de  l'apôtre  aurait,  non  pas  sans  doute  sous  sa 
dictée,  ni  même  par  son  ordre,  mais  dans  son  esprit, 
composé  cette  lettre  adressée  aux  juifs  convertis  de 
Jérusalem;  il  aurait  exposé  les  idées  de  son  maître,  en 
y  mêlant  quelques-unes  des  siennes,  et  il  aurait  donné 
à  la  lettre  la  forme  qu'elle  a  actuellement. 

II.  ARGUMENTS   INTRINSÈQUES.    —     1°    En     faVCUT    de 

l'origine  paulinienne  directe.  —  La  lettre  elle-même  ne 
fournit  qu'un  seul  argument  direct,  qui  soit  favorable 
à  son  origine  paulinienne  :  c'est  la  mention  de  Timo- 
thée,  xm,  23,  mention  faite  dans  les  Épîtres  authen- 
tiques de  l'apôtre.  I  Thés.,  m,  2;  II  Cor.,  i,  1;  Col., 
i,  1;  Philem.,  1.  Elle  prouve  que  l'auteur  s'intéresse 
au  sort  d'un  compagnon  de  saint  Paul,  et  on  en  peut 
conclure  qu'il  est  Paul  lui-même.  L'indication  qu'il 
a  été  libéré  de  la  prison  ou  déclaré  innocent  d'un  crime 
(car  à7ioXeXuij.évov  peut  avoir  ces  deux  sens),  ne  va  pas 
à  rencontre,  car  nous  ignorons  beaucoup  de  particu- 
larités de  la  vie  de  Timothée  et  il  n'est  pas  prouvé  que 
ce  fait  soit  postérieur  à  la  mort  de  saint  Paul;  il  peut 
correspondre  à  sa  seconde  captivité  et  à  la  date  qu'on 
attribue  à  l'Épitre.  Cet  indice  est  peu  concluant.  —  On 
a  voulu  voir  une  autre  preuve  de  cette  origine  dans 
une  prétendue  allusion  aux  chaînes  de  saint  Paul,  x,  34. 
Mais  la  leçon  toi;  Séapioiç  (/.ou,  bien  qu'elle  soit  attestée 
par  le  Sinaiticus  et  cinq  autres  onciaux  (EHKLP), 
n'est  pas  authentique,  et  il  faut  lire  en  cet  endroit  : 
toi;  Sêuiiioiç,  leçon  reproduite  par  la  Vulgate.  — 
Une  allusion  du  même  genre  a  été  aperçue  aussi,  xm, 
18,  19,  où  l'auteur  a  confiance  dans  la  bonté  de  sa 
cause  et  demande  des  prières  pour  être  rendu  plus 
promptement  à  ses  lecteurs  :  ce  serait  saint  Paul  empri- 
sonné qui  attendrait  sa  libération.  Mais  le  verset  23 
laisse  supposer  que  l'écrivain  jouissait  de  sa  liberté. 

On  peut  encore  faire  valoir  en  faveur  de  l'origine  pau- 
linienne de  cette  Épître  l'accord  de  sa  doctrine  et  de 
ses  idées  avec  la  doctrine  et  les  idées  de  l'apôtre,  la  res- 
semblance des  exhortations  et  même  celle  des  expres- 
sions. Voir  plus  loin. 

2°  Contre  l'origine  paulinienne.  —  Ces  arguments 
sont  tirés  du  fond  et  de  la  forme  de  la  lettre.  —  1.  Du 
fond.  —  a)  Seule  de  toutes  les  lettres  attribuées  à 
saint  Paul,  celle-ci  est  anonyme.  L'apôtre  a  coutume  de 
se  nommer  et  d'indiquer  ses  titres  au  début  de  ses  mis- 
sives. Ici,  l'inscription  ordinaire  manque,  et  l'auteur 
ne  fournit  aucun  détail  personnel.  A  la  fin,  il  n'adresse 
pas,  comme  saint  Paul,  des  salutations  à  des  amis  qu'il 
nomme.  Les  anciens  ont  expliqué  l'absence  de  suscrip- 
tion  par  une  raison  de  prudence,  pour  ne  pas  écarter, 
dès  les  premiers  mots,  les  lecteurs  judéo-chrétiens 
auxquels  il  écrivait.  Cette  explication  ne  s'accorde 
guère  avec  le  caractère  franc  et  loyal  de  l'apôtre,  et 
l'omission  de  son  nom  et  de  ses  titres  était  bien  inutile, 
car  les  lecteurs  ne  pouvaient  ignorer  longtemps  qui  leur 
écrivait.  L'absence  de  salutations  personnelles  a  toute- 
fois son  pendant  dans  l'Épître  aux  Éphésiens,  que  des 
critiques,  il  est  vrai,  tiennent  pour  non  authentique. 

b)  L'auteur  semble  se  distinguer  nettement  de  la  pre- 

DICT.    DE    TDÉOL.   CATHOL 


mière  génération  chrétienne  et  se  ranger  au  nombre  da 
ceux  qui  ont  reçu  l'Évangile  de  seconde  main.  Le  salut 
qui  a  commencé  à  être  prêché  par  le  Seigneur,  nous  a 
été  confirmé,  dit-il,  par  ceux  qui  l'avaient  entendu,  il, 
3.  Or,  dans  ses  Épitres  authentiques,  Gai.,  i,  1,  11,  12, 
15,  16;  ii,  6,  saint  Paul  dit  qu'il  a  reçu  son  Évangile  de 
Jésus  lui-même  et  qu'il  n'est  redevable  de  rien  aux 
apôtres.  Il  ne  peut  donc  pas  être  l'auteur  de  cette 
Épître.  D'ailleurs,  il  serait  étonnant  qu'écrivant  aux 
juifs  de  Jérusalem,  il  n'ait  pas  revendiqué  son  indépen- 
dance apostolique.  On  peut  répondre,  il  est  vrai,  que 
l'auteur  parle  de  ses  lecteurs,  et  non  de  lui-même, 
puisqu'il  leur  fait  une  exhortation.  Saint  Paul,  écrivant 
aux  chrétiens  de  Jérusalem,  n'avait  aucune  raison  d'en 
appeler  à  la  révélation  immédiate  du  Christ.  Au  sur- 
plus, il  n'était  pas,  comme  les  autres  apôtres,  le  disciple 
auriculaire  de  Jésus  et  il  n'avait  pas,  comme  eux, 
confirmé  la  foi  des  Hiérosolymitains.  Ceux-ci  connais- 
saient sa  conversion,  et  il  n'était  pas  nécessaire  de  la 
leur  rappeler  ni  de  la  justifier,  au  milieu  d'une  courte 
exhortation  dans  laquelle  les  apôtres  étaient  nommés 
incidemment. 

c)  On  oppose  avec  plus  de  force  à  l'authenticité 
paulinienne  de  l'Épître  les  nombreuses  différences  de 
doctrine  qu'on  constate  entre  elle  et  les  Épîtres  do 
saint  Paul.  —  a.  La  théorie  générale  sur  la  loi.  —  Pour 
saint  Paul,  la  loi  mosaïque  est  une  règle  de  vie,  que 
Dieu  a  tracée  et  qui  aurait  pu  justifier  ceux  qui  l'obser- 
vaient, si  la  faiblesse  humaine  ne  l'avait  rendue  impuis- 
sante pour  la  justification,  et  c'est  pourquoi  elle  a  été 
abrogée.  Rom.,  vin,  3.  Dans  l'Épître  aux  Hébreux,  elle 
est  un  ensemble  de  règlements  rituels  et  moraux,  dont 
le  but  est  de  faciliter  l'union  des  hommes  avec  Dieu; 
elle  était  le  signe  et  le  moyen  de  l'alliance  entre  Dieu  et 
les  hommes.  Elle  a  été  abrogée  parce  qu'elle  était  im- 
parfaite, et,  par  suite,  impuissante  et  inutile.  Heb., 
vu,  18,  19.  Saint  Paul  dit  que  la  loi  a  été  abrogée  par 
Jésus;  l'Épître  ne  le  dit  pas.  D'après  saint  Paul,  elle 
devait  préparer  l'Évangile;  d'après  l'Épître,  elle  en 
était  seulement  l'ombre  et  la  figure,  vm,  5;  ix  8* 
x,  1.  Cependant  saint  Paul  la  tient  aussi  pour  une 
ombre  de  l'avenir.  Col.,  n,  17.  D'ailleurs,  les  deux 
points  de  vue,  quoique  différents,  ne  sont  pas  contra- 
dictoires et  peuvent  se  compléter.  Enfin,  l'Épître  pré- 
sente avec  la  doctrine  de  l'apôtre  sur  la  loi  plusieurs 
points  de  contact.  Ainsi  la  loi  a  été  révélée  par  les 
anges,  Heb.,  n,  2,  et  promulguée  par  eux,  Gai.,  m,  19; 
elle  est  impuissante  et  inutile,  Heb.,  vu,  18;  Gai., 
iv,  19  (si  on  entend  d'elle  les  éléments  grossiers  du 
monde);  elle  n'a  rien  amené  à  la  perfection,  Heb.,  vu, 
19;  elle  est  incapable  de  justifier,  Gai.,  n,  16;  elle 
n'inspirait  que  la  crainte,  Heb.,  xn,  18-21;  Rom.,  vm, 
3;  Gai.,  m,  3;  iv,  3;  les  sacrifices  qu'elle  commandait 
ne  pouvaient  rendre  parfaits  ceux  qui  les  offraient, 
Heb.,  x,  1;  elle  ne  justifiait  personne,  Gai.,  ni,  11; 
les  biens  futurs  dont  elle  était  l'ombre  étaient  la  cité 
future,  Heb.,  xn,  22;  xm,  14,  la  Jérusalem  céleste 
Gai.,  iv,  26.  —  b.  Christologie.  —  Jésus-Christ  crucifié 
et  ressuscité  est  le  centre  de  la  christologie  de  saint 
Paul,  Rom.,  vi,  4-9,  etc.;  dans  l'Épître  aux  Hébreux, 
c'est  Jésus  monté  au  ciel  et  assis  à  la  droite  de  son  Père, 
i,  3;  vm,  1;  ix,  11.  S'il  s'est  incarné,  ce  n'est  pas  pour 
la  même  raison  :  pour  l'apôtre,  Jésus,  de  riche  qu'il 
était,  s'est  fait  pauvre  pour  enrichir  les  hommes  par  sa 
pauvreté,  II  Cor.,  vm,  9;  il  s'est  dépouillé  lui-même, 
étant  en  forme  de  Dieu,  Phil.,  n,  6,  7;  il  s'est  donc  fait 
homme  pour  sauver  et  relever  l'humanité  abaissée  et 
déchue,  tandis  que,  dans  l'Épître  aux  Hébreux,  il 
convenait  que  Dieu  amenât  ses  fils  à  la  gloire  en  les 
sauvant  par  la  passion  de  son  Fils,  n,  10,  qui  a  sauvé 
tous  les  hommes  par  sa  propre  perfection,  v,  9.  Pour 
saint  Paul,  Jésus-Christ. est  mort  pour  le  pécheur,  en  se 
substituant  à  lui;  pour  satisfaire  à  la  justice  de  Dieu 

VII.  -66 


20S3 


HÉBREUX 


2084 


il  a  souffert  à  la  place  du  coupable.  Gai.,  m,  13;  Rom., 
vm,  3;  II  Cor.,  v,  15,  21.  Dans  l'Épître  aux  Hébreux, 
le  sacrifice  de  Jésus-Christ  remplace  les  sacrifices  de 
l'ancienne  loi;  or,  s'il  a  une  valeur  supérieure,  il  a 
obtenu  son  efïet  de  la  même  manière  :  pour  gagner  les 
faveurs  divines,  le  juif  détruisait  un  objet  qui  lui 
appartenait,  Jésus  a  offert  sa  vie  pour  obtenir  la  ré- 
mission des  péchés  des  hommes;  il  a  expié  leurs  fautes, 
il  ne  s'est  pas  substitué  à  eux.  Enfin,  l'Épître  est  seule 
à  présenter  Jésus-Christ  comme  le  grand-prètre  de 
la  nouvelle  alliance.  Néanmoins,  la  christologie  de 
l'Épître  se  rencontre  avec  celle  de  saint  Paul  en  beau- 
coup de  points.  Le  Fils  est  le  rayonnement  de  la  gloire 
de  son  Père  et  l'image  de  son  être,  Heb.,  i,  3;  il  est 
l'image  de  Dieu,  II  Cor.,  iv,  4;  Col.,  i,  15;  dans  la 
forme  de  Dieu,  Phil.,  n,  6.  Il  est  l'héritier  de  toutes 
choses  parce  qu'il  a  créé  les  siècles,  et  il  porte  toutes 
choses  par  la  puissance  de  sa  parole.  Heb.,  i,  2,  3. 
Toutes  choses  ont  été  créées  en  lui.  Col.,  i,  16.  Il  est 
JtpcoTOTOxo;,  Heb.,  I,  6;  7ipwTdioxoç  xrjç  7îocctt]ç  xTt'ascoç. 
Col.,  i,  15.  Le  Fils  de  Dieu  a  été  envoyé  par  son  Père 
dans  les  derniers  temps,  Heb.,  i,  1,  dans  la  plénitude 
des  temps.  Gai.,  iv,  4.  Il  a  participé  à  la  chair  et  au 
sang,  afin  d'anéantir  celui  qui  a  la  puissance  de  la 
mort,  Heb.,  n,  1  ;  Dieu  a  condamné  le  péché  dans  la 
chair,  en  envoyant  son  Fils  êv  citAoïwucm  aapxd;.  Rom., 
vin,  3.  Jésus  s'est  offert  en  sacrifice  une  seule  fois, 
Heb.,  vu,  27;  le  Christ  ressuscité  ne  meurt  plus. 
Rom.,  vi,  9.  Jésus  a  passé  par  les  souffrances  de  la 
mort  à  la  gloire.  Heb.,  n,  9;  Phil.,  n,  8-9.  Il  s'est  assis 
à  la  droite  de  la  grandeur  dans  les  hauteurs,  Heb.,  i,  3, 
et  Dieu  lui  a  dit  :  Assieds-toi  à  ma  droite,  i,  13;  Dieu 
l'a  assis  à  sa  droite  dans  les  cieux.  Eph.,  i,  20.  Il  est 
supérieur  aux  anges.  Heb.,  i,  4-14;  Eph.,  i.  21;  Col.,  n, 
10.  Il  a  reçu  un  nom  qui  le  rend  supérieur  aux  anges, 
Heb.,  i,  4,  qui  est  au-dessus  de  tout  nom.  Phil.,  n,  9. 
Ses  humiliations  passées  sont  la  mesure  de  sa  gloire. 
Heb.,  ii,  8,  9;  Phil.,  n,  8,  9.  Toujours  vivant,  il  peut 
toujours  sauver  par  ses  interpellations  ceux  qui  veulent 
arriver  à  Dieu,  Heb.,  vu,  25;  ressuscité,  il  interpelle 
pour  nous.  Rom.,  vm,  34.  Il  apparaîtra  une  seconde 
fois  pour  sauver  ceux  qui  l'attendent,  Heb.,  ix,  28; 
nous  attendons  la  gloire  de  notre  Sauveur.  Tit.,  n,  13. 
Le  fond  de  la  christologie  de  l'Épître  est  donc  iden- 
tique à  celle  de  saint  Paul  au  point  que,  si  l'apôtre  n'est 
pas  lui-même  l'auteur  de  la  lettre,  celle-ci  est  au  moins 
l'œuvre  d'un  de  ses  disciples.  —  c.  Rapports  du  chrétien 
avec  Jésus.  —  Ils  ne  sont  pas  les  mêmes  pour  saint  Paul 
et  pour  l'auteur  de  l'Épître.  Pour  saint  Paul,  le  Christ 
vit  dans  le  chrétien,  Gai.,  n,  20,  et  le  chrétien  vit  dans 
le  Christ,  Rom.,  vin,  1;  I  Cor.,  i,  30;  les  chrétiens  sont 
les  membres  du  Christ,  I  Cor.,  vi,  15;  Eph.,  i,  23; 
m,  17,  etc.;  le  chrétien  est  transfiguré  en  l'image  du 
Christ.  Rom.,  vm,  29;  II  Cor.,  m,  18.  Selon  l'Épître 
aux  Hébreux,  le  Christ  est  assis  à  la  droite  de  Dieu; 
il  officie  au  ciel  comme  grand-prêtre,  et  les  chrétiens 
élèvent  vers  lui  leurs  cœurs  par  la  foi.  Cependant  de  là- 
haut,  il  nous  regarde  comme  ses  frères.  Heb.,  n,  11,  12; 
Rom.,  vm,  17.  Nous  sommes  participants  du  Christ, 
Heb.,  m,  14;  I  Cor.,  x,  16,  17,  et  cette  participation 
suppose  l'union  la  plus  intime.  Nos  bonnos  œuvres  sont 
les  siennes.  Heb.,  xm  21;  Phil.,  i,  6;  il,  13.  — d.  Notion 
de  la  foi.  —  Dans  l'Épître  aux  Hébreux,  la  foi  est  le 
support,  le  fondement  des  choses  que  l'on  espère,  une 
preuve  de  celles  que  l'on  ne  voit  pas,  xi,  1.  Voir  col. 
58  sq.  Elle  est  donc  un  acte  de  l'intelligence.  Cette 
notion  intellectualiste  de  la  foi  se  retrouve  souvent  en 
saint  Paul.  Gai.,  m,  25;  I  Thés.,  iv,  13;  Rom.,  x,  9. 
Mais,  pour  lui,  la  foi  est  aussi  un  acte  de  volonté,  par 
lequel  le  croyant  se  donne  à  Jésus-Christ  et  vit  en 
Jésus-Christ.  Gai.,  n,  19,  20.  L'idée  de  l'union  mystique 
du  croyant  à  Jésus-Christ  n'est  pas  exprimée  dans 
l'Épître  aux  Hébreux.  Cependant,  la  foi  y  apparaît 


aussi  comme  un  don  du  cœur,  x,  22.  Mais  il  y  a  d'autres 
ressemblances  entre  l'Épître  et  celles  de  saint  Paul  au 
sujet  de  la  foi.  C'est  elle  qui  justifie,  et  le  même  texte 
d'Habacuc,  n,  14,  est  cité  par  l'apôtre,  Rom.,  i,  17; 
Gai.,  m,  11,  et  dans  l'Épître,  x,  38.  L'auteur  de  celle-ci 
engage  ses  lecteurs  à  imiter  ceux  qui  par  la  foi  et  la  per- 
sévérance ont  recueilli  l'héritage  promis,  vi,  12.  C'est 
par  la  foi  que  Noé  devint  héritier  de  la  justice  qui 
provient  de  la  foi,  xi,  7.  La  foi  d'Abraham  en  une  nom- 
breuse postérité,  provenant  d'Isaac,  est  louée.  Heb.,  xi, 
17-19;  Gai.,  m,  6-9.  Il  y  a  donc  des  ressemblances  de 
doctrine,  même  dans  les  points  divergents,  et  dans  les 
cas  de  divergence  il  n'y  a  pas  opposition  radicale,  mais 
seulement  point  de  vue  différent. 

On  remarque  d'autres  ressemblances  de  doctrine 
encore  entre  l'Épître  et  les  lettres  de  l'apôtre.  On  y 
trouve  les  mêmes  règles  pratiques  de  conduite  et  les 
mêmes  recommandations  :  vivre  en  paix  avec  tous, 
Heb.,  xii,  14;  Rom.,  xn,  8;  profiter  des  grâces  de  Dieu, 
Heb.,xn,  15;  II  Cor.,  vi,  1;  pratiquer  la  patience,  Heb., 
vi,  12;  x,  36;  xii,  1  ;  Rom.,  v,  3,  4,  etc.;  la  prière,  Heb., 
iv,  16;  Eph.,  vi,  18,  etc.;  l'hospitalité,  Heb.,  xm,  2; 
Rom.,  xii,  13,  quoique  ce  ne  soit  pas  pour  le  même 
motif.  Par  suite,  il  semble  bien  que,  du  côté  de  la  doc- 
trine, il  n'y  a  rien  qui  aille  directement  contre  l'authen- 
ticité paulinienne  de  l'Épître  aux  Hébreux.  Dans 
chacune  de  ses  lettres  authentiques,  l'apôtre  exposa 
des  doctrines  nouvelles,  celles  qui  allaient  à  son  but 
immédiat;  il  a  pu  agir  de  même  en  écrivant  aux  chré- 
tiens de  Jérusalem.  Les  nombreuses  coïncidences  de 
fond  entre  l'Épître  aux  Hébreux  et  les  autres  lettres  de 
saint  Paul  seraient  plutôt  favorables  à  l'authenticité 
paulinienne.  Les  divergences  ne  me  paraissent  pas 
être,  à  elles  seules,  un  argument  décisif  à  rencontre. 
Elles  prouvent  seulement  la  différence  de  rédacteur, 
si  on  les  joint  aux  divergences  de  style,  qui  sont  les 
plus  saisissantes.  Elles  restent  cependant  des  indices 
clairs  que  le  rédacteur  de  l'Épître  était  un  disciple  de 
l'apôtre. 

2.  De  la  forme.  —  Les  différences  de  forme  portent 
sur  le  vocabulaire  et  sur  le  style.  —  a)  Vocabulaire.  — • 
Thayer  a  compté  dans  l'Épître  168  tMiaÇ  XEyôjiEva.  Le 
nombre  en  est  égal  à  celui  des  Épîtres  pastorales,  mais 
il  est  supérieur  à  celui  des  Épîtres  de  saint  Paul.  Cf. 
B.  F.  Westcott,  The  Epistel  lo  the  Hebrews,  Londres, 
1889,  p.  xliv-xlvi.  Comparé  à  celui  de  saint  Paul,  le 
lexique  de  l'Épître  comprend  292  mots,  dont  162  sont 
des  mots  composés;  les  130  autres  sont  des  mots 
d'usage  courant,  dont  l'apôtre  se  serait  servi  s'ils 
avaient  fait  partie  de  son  vocabulaire.  Ce  sont,  par 
exemple,  des  conjonctions,  prépositions  et  adverbes  : 
88ev,  ÊâvTtep  xaO'oaov,  xaîtoi;  des  mots,  tels  que  Upsuç 
employé  14  fois  et  àpyiepeûç  17  fois  dans  l'Épître,  et 
jamais  par  saint  Paul.  Les  prépositions  àsô,  xata,  [lexâ, 
les  plus  fréquentes  dans  l'Épître,  diffèrent  de  celles 
qu'emploie  surtout  l'apôtre.  Les  verbes  ne  gouvernent 
pas  le  même  cas  :  xoivcdveïv  gouverne  le  génitif,  Heb., 
H,  14,  le  datif,  Rom.,  xii,  13;  xv,  27,  et  l'accusatif, 
Gai.,  vi,  6;  xparreïv  le  génitif,  Heb.,  iv,  14,  et  l'accu- 
satif, Col.,  ii,  19.  Le  verbe  eûayysXiXopiat  est  toujours 
employé  par  saint  Paul  à  3a  voix  moyenne;  il  l'est 
deux  fois  à  la  voix  passive  dans  l'Épître,  iv,  2,  6.  Saint 
Paul  s'est  servi  32  fois  de  l'optatif,  qu'on  ne  retrouve 
qu'une  fois  seulement  dans  l'Épître.  Celle-ci  a  des 
expressions  particulières  :  iS'.acpepojTspov  ovojjlï  xkr\povo- 
[leiv;  slvai  efç  7iaxépa;  àpyïjv  Xaiioâvsiv  xaXsïaôai  ;  7tpocj- 
Épyeaôat  Opovài  yâpitoç;  XE^cupcatAÉvoç  enzà  Ttov  àfiapicoXàlv  ; 
Oeôç  Çôiv  ;  '((ov  ô  Xôyoç  ;  des  termes  ou  des  formules  préfé- 
rées :  xpstTTcov,  11  fois  (dans  saint  Paul,  seulement  I  Cor., 
xii,  31);  Tvpoaép^saôai  tôj  QeG5,  5  fois  (1  fois  dans  Paul, 
I  Tim.,  vi,  3);  teXeio'co,  9  fois  (seulement  1  fois  en 
Paul,  Phil.,  m,  12).  Par  contre,  l'Épître  n'emploie  pas 
des  mots  caractéristiques,  qui  sont  fréquemment  sous 


2085 


HEBREUX 


2086 


la  plume  de  l'apôtre.  D'autres  termes,  familiers  à  saint 
Paul,  ne  sont  usités  que  rarement  dans  l'Épître.  Cepen- 
dant, le  lexique  de  l'Épître  présente  de  nombreuses 
ressemblances  avec  celui  de  saint  Paul  :  53  mots,  non 
employés  dans  le  reste  du  Nouveau  Testament;  55  plus 
fréquemment  employés  par  l'apôtre  et  dans  l'Épître; 
32  mots  de  l'Épître  ont  des  termes  apparentés  dans  les 
lettres  de  saint  Paul;  69  mots  de  l'Épître  ont  un  sens 
spécifiquement  paulinien;  57  manières  de  parler  et 
liaisons  de  mots,  tout  à  fait  caractéristiques,  sont 
communes  à  l'Épître  et  aux  lettres  de  saint  Paul; 
82  manières  de  parler  sont  analogues  à  celles  de  l'apôtre  ; 
43  idées,  exprimées  dans  les  mêmes  termes,  sont  plus 
ou  moins  développées  dans  le  même  contexte  par  Paul 
et  dans  l'Épître.  Cf.  B.  Heigl,  Verfasser  und  Adresse 
des  Briefes  an  die  Hcbràer,  Fribourg-en-Brisgau,  1905, 
p.  250-257.  Ces  ressemblances  ne  prouvent  pas  sans 
doute  que  l'Épître  aux  Hébreux  est  l'œuvre  de  l'apôtre, 
mais  les  divergences  de  lexique  ne  suffisent  pas  non 
plus  à  prouver  qu'elle  n'est  pas  de  sa  main.  Le  voca- 
bulaire de  l'apôtre  était  très  varié,  parce  que,  dans  ses 
lettres,  il  traitait  des  sujets  différents.  Assurément, 
l'absence,  dans  l'Épître,  d'expressions  et  de  particules 
dont  saint  Paul  semble  ne  pouvoir  se  passer,  la  pré- 
sence de  locutions  étrangères  à  sa  terminologie  doivent 
être  prises  en  considération.  Néanmoins,  le  lexique 
seul  ne  permet  pas,  à  mon  sentiment,  de  trancher  la 
question  d'authenticité  paulinienne  ou  non  pauli- 
nienne.  C'est  le  style  de  l'Épître  qu'il  faut  examiner 
avant  tout  :  s'il  exige  une  main  différente  de  celle  de 
saint  Paul,  le  vocabulaire  divergent  confirmera  la 
conclusion. 

b)  Style.  —  De  tous  les  écrits  du  Nouveau  Testa- 
ment l'Épître  aux  Hébreux  est  celui  dont  la  langue 
contient  le  plus  d'éléments  littéraires.  D'après  Blass, 
c'est  le  seul  qui,  pour  la  structure  des  phrases  et  pour  le 
style,  témoigne  du  soin  et  de  l'habileté  d'un  écrivain 
artiste;  c'est  le  seul  où  soient  évités  les  hiatus  qui 
n'étaient  pas  admis  dans  la  bonne  prose  classique. 
Grammatik  des  Ncutcstamentlichen  Griechisch,  2°  édit., 
Gœttingue,  1902,  §  82,  n.  2,  p.  303-304.  Le  début,  i,  1-4, 
constitue  une  première  période  complète  selon  les 
idées  des  anciens,  une  période  à  deux  membres,  à  la- 
quelle se  rattachent  des  phrases  incidentes,  puis  une 
période  à  quatre  membres,  à  laquelle  s'ajoute  une  nou- 
velle période  à  deux  membres.  Le  reste  est  composé 
dans  un  style  aussi  coulant  et  d'une  aussi  belle  rhéto- 
rique. L'œuvre  entière,  spécialement  pour  la  composi- 
tion des  mots  et  des  phrases,  est  un  morceau  de  prose 
artistique.  Paul,  au  contraire,  ne  prend  généralement 
pas  la  peine  de  soigner  ainsi  son  style;  aussi,  malgré 
toute  son  éloquence,  les  périodes  artistiques  ne  se  ren- 
contrent pas  dans  ses  écrits;  les  parenthèses  et  les  ana- 
coluthes y  sont  nombreuses.  Ibid.,  §  79,  n.  7,  p.  286- 
287. 

Le  même  philologue  a  souligné  le  rythme  de  l'Épître 
aux  Hébreux.  Sans  parler  de  l'hexamètre,  xn,  13, et  des 
deux  trimètres  qui  se  suivent,  14,  15,  on  constate  dans 
toute  l'Épître  la  ressemblance  du  début  et  de  la  fin  des 
phrases  et  des  membres  de  phrase.  Les  finales  ou  les 
débuts  des  mots  et  des  phrases  rendent  le  même  son, 
ou  bien  le  début  des  mots  correspond  à  la  fin,  ou  inver- 
sement. C'est  le  rythme  qu'on  enseignait  dans  les 
écoles  de  la  Grèce  et  de  Borne.  On  y  retrouve  le  cho- 
riambe,  le  pœon,  le  tribraque  et  les  autres  formes  du 
vers  grec.  Ibid.,  §  83,  n.  3,  p.  304-305.  Blass  a  scandé 
plus  tard  l'Épître  entière,  Die  rythmische  Composition 
des  Hebraerbriefes,  dans  Theologische  Studien  und 
Kritiken,  1902,  p.  420-461;  (Barnabas),  Brief  an  die 
Hebràcr.  Text  mil  Angabe  der  Rylhmen,  Halle,  1903. 
Mais  les  idées  de  Blass  sur  le  rythme  dans  les  Èpîtres 
de  saint  Paul  et  l'Épître  aux  Hébreux  n'ont  pas  été 
admises  par  les  critiques. 


Le  style  de  l'Épître  est,  dans  son  ensemble,  très  soi- 
gné. 11  contient  peu  d'hébraïsmes  et  très  peu  des  irré- 
gularités et  des  incorrections  (anacoluthes,  hyper- 
bates,  accord  avec  le  sens),  qui  sont  très  nombreuses 
dans  les  Épîtres  de  saint  Paul.  Les  parenthèses  qui, 
sous  la  plume  de  Paul,  restent  des  phrases  inachevées 
ou  incomplètes,  sont  dans  l'Épître  aux  Hébreux 
maniées  avec  dextérité;  quoiqu'elles  soient  longues, 
ou  même  redoublées,  elles  ne  rompent  pas  la  régularité 
de  la  construction,  vu,  20-22;  v,  7-10;  xn,  1,  2,  18-24. 
L'enchaînement  parfait  du  discours,  l'art  des  transi- 
tions naturelles,  le  ton  oratoire  soutenu  sans  effort,  la 
maîtrise  de  la  langue  caractérisent  le  style  de  cet  écrit 
et  le  distinguent  de  celui  de  l'apôtre.  Les  périodes  sont 
régulièrement  construites  et  balancées  par  l'emploi  nor- 
mal de  la  protase  et  de  l'apodose  reliées  par  jjlsv  et  8é. 
Tous  les  meilleurs  artifices  de  la  rhétorique  sont  em- 
ployés. Paul  est  un  dialecticien  qui  argumente;  l'au- 
teur de  l'Épître  est  un  orateur  qui  ordonne  son  plan, 
qui  aime  les  effets  de  style  et  recherche  le  beau  langage. 
Le  style  de  l'apôtre  est  fougueux  et  passionné;  celui  de 
cet  écrivain  est  calme  et  tranquille. 

Le  genre  de  l'argumentation  est  différent  des  deux 
côtés.  Saint  Paul  varie  ses  preuves  et  recourt  tour  à 
tour  aux  arguments  métaphysiques,  psychologiques 
et  moraux,  et  il  les  complète  par  la  preuve  scripturaire. 
L'auteur  de  l'Épître  emploie  presque  exclusivement 
cette  dernière  preuve  sous  des  formes  différentes.  Sa 
manière  d'amener  les  citations  bibliques  diffère  aussi 
de  celle  de  l'apôtre.  On  a  relevé  dans  son  œuvre  29  cita- 
tions littérales  et  47  réminiscences;  quelques-unes  se 
retrouvent  dans  les  lettres  de  Paul.  Les  citations  sont 
toujours  anonymes,  tandis  que  saint  Paul  nomme  assez 
souvent  l'auteur.  Les  passages  bibliques  sont  présentés 
comme  paroles  de  Dieu,  i,  1,  5,  7;  v,  5,  ou  du  Fils,  n, 
12,  13,  ou  du  Christ,  x,  5,  ou  du  Saint-Esprit,  m,  7;  x, 
15,  alors  même  que  l'écrivain  sacré  parle  en  son  nom 
et  de  Dieu  à  la  troisième  personne,  iv,  4-8;  x,  30;  n,  13. 
Saint  Paul  n'attribue  à  Dieu  que  les  paroles  qu'il  a 
réellement  prononcées;  mais  il  applique,  comme  l'au- 
teur de  l'Épître,  à  Jésus-Christ  ce  qui  est  dit  de  Jahvé. 
Les  formules  d'introduction  sont  générales  en  saint 
Paul;  or  la  formule  y^ypantai,  qui  se  lit  30  fois  dans  ses 
lettres,  ne  se  voit  pas  dans  l'Épître  aux  Hébreux.  On 
trouve  dans  celle-ci  des  formules  impersonnelles  : 
eÏ7iêv,  Xéyei,  eïpriy.Ev,  çr]aîv.  Saint  Paul  recourt  par- 
fois au  texte  hébreu,  au  moins  auand  il  diffère  de  la  ver- 
sion des  Septante  qu'il  cite  d'habitude;  l'auteur  de 
l'Épître  ne  cite  que  le  texte  grec,  même  quand  il  n'est 
pas  d'accord  avec  l'original,  iv,  4;  x,  3-10;  m,  7;  i,  10; 
xn,  5;  vin,  8;  x,  37;  xn,  26;  vi,  13;  ix,  20;  x,  20.  L'a- 
pôtre cite  de  mémoire  et  assez  librement;  l'auteur  de 
l'Épître  suit  de  très  près  le  texte  et  semble  copier  son 
manuscrit.  Ses  citations  sont,  d'ailleurs,  assez  longues, 
n,  6-8;  m,  7-11  ;  vin,  8-12.  Il  n'y  a  dans  son  œuvre  que 
trois  citations  libres,  i,  6;  xn,  20;  xin,  5. 

Le  procédé  d'exposition  dans  l'Épître  est  différent 
de  celui  des  lettres  de  saint  Paul.  L'exhortation  morale 
y  est  intimement  mêlée  à  l'exposé  dogmatique,  n,  1-4; 
m,  12-iv,  6;  v,  11 -vi,  12,  etc.  L'Épître  est  un  Xôyoc; 
7iapaxX7Ja£coç,  xin,  22.  Saint  Paul  procède  autrement  : 
il  prouve  d'abord  la  vérité  qu'il  veut  démontrer  et  il  en 
tire  ensuite  les  conséquences  pratiques.  Il  passe  souvent 
d'un  sujet  à  l'autre,  brusquement  et  sans  transition. 
L'auteur  de  l'Épître  ménage  habilement  les  transitions. 
Voir,  i,  1-5,  le  passage  du  préambule  au  sujet  de  la 
lettre;  iv,  14-v,  1,  le  retour  au  sujet  après  une  exhorta- 
tion morale;  ix,  9-12,  la  transition  du  sanctuaire  aux 
sacrifices. 

Enfin,  on  a  souvent  relevé  des  ressemblances 
d'expressions  et  d'idées  entre  l'Épître  aux  Hé- 
breux et  les  écrits  de  Philon.  Pour  la  langue,  on  a 
constaté  des  mots  communs  et  les  mêmes  formes  de 


2087 


HEBREUX 


2088 


rhétorique.  Quant  aux  doctrines  et  aux  idées,  on  a 
signalé  la  même  manière  d'interpréter  symbolique- 
ment l'Ancien  Testament,  la  même  conception  du 
monde  visible  et  de  ses  rapports  avec  le  monde  invi- 
sible, les  choses  d'ici-bas  ayant  au  ciel  leur  plan  et  leur 
modèle,  les  attributs  du  Fils  de  Dieu  identiques  aux 
attributs  du  Logos  chez  Philon.  Toutefois,  on  ne  peut 
pas  dire  que  l'auteur  de  l'Épître  soit  un  disciple  de 
Philon  et  qu'il  ait  lu  ses  écrits  :  il  ne  connaît  pas  le 
Logos,  il  donne  aux  expressions  communes  un  autre 
sens  que  Philon.  On  peut  conclure  seulement  que  l'au- 
teur de  l'Épître  a  subi  l'influence  de  l'hellénisme,  qu'il 
a  emprunté  des  termes  à  sa  langue  et  qu'il  représente 
la  théologie  judéo-hellénistique  plutôt  que  la  théologie 
judéo-palestinienne.  On  ne  peut  pas  même  affirmer 
catégoriquement  qu'il  était  un  juif  alexandrin,  car  ses 
tendances  juives  et  ses  procédés  d'exégèse  étaient 
répandus  chez  tous  les  juifs  de  la  dispersion. 

De  ces  divergences  de  style,  de  diction,  de  manière 
de  traiter  le  sujet  et  de  ces  tendances  hellénistiques, 
on  conclut  généralement  la  différence  d'auteurs,  ou 
au  moins  de  rédacteurs.  Cependant  on  a  relevé  même 
sous  ce  rapport,  de  nombreuses  ressemblances  entre 
l'Épître  aux  Hébreux  et  les  lettres  de  saint  Paul. 
Voir  Heigl,  op.  cit.,  p.  73-92.  On  ne  peut  nier  que  les 
deux  catégories  d'écrits  n'aient,  au  point  de  vue  de  la 
diction  et  du  style,  des  éléments  communs.  Mais  les 
caractéristiques  propres  de  chacune  d'elles  ne  se  ren- 
contrent chez  l'autre  qu'accidentellement,  par  excep- 
tion, çà  et  là,  en  passant,  et  non  pas  d'une  façon  con- 
tinue, de  telle  sorte  que  les  deux  styles  demeurent  fon- 
cièrement différents.  Origène  l'avait  bien  vu  et  il  en 
concluait  que  si  les  pensées  de  l'Épître  sont  dignes  de 
l'apôtre,  le  style  n'est  pas  de  lui.  C'est  la  position 
que  gardent  les  critiques  catholiques  contemporains.  A 
leur  sentiment,  l'Épître  aux  Hébreux  n'est  pas  directe- 
ment paulinienne,  n'ayant  pas  été  composée  par  l'a- 
pôtre lui-même;  mais  ils  estiment  qu'elle  est  l'œuvre 
d'un  de  ses  disciples.  Les  critiques  rationalistes  vont 
plus  loin.  Joignant  la  différence  de  doctrine  à  la  diver- 
sité du  style,  ils  prétendent  que  l'auteur  de  l'Épître 
n'est  pas  un  disciple  strict  de  l'apôtre,  mais  un  disciple 
qui  a  joint  ses  idées  personnelles  aux  doctrines  du 
maître  et  qui  représente  un  paulinisme  modéré  ou 
secondaire,  et  qui  est  un  juif  helléniste,  peut-être  d'ori- 
gine alexandrine,  parce  que  plusieurs  de  ses  doctrines 
et  de  ses  expressions  propres  ressemblent  à  celles  de 
Philon. 

Le  24  juin  1914,  la  Commission  biblique  a  publié 
une  décision  sur  l'auteur,  le  mode  et  les  circonstances 
de  la  composition  de  l'Épître  aux  Hébreux.  Elle 
reconnaît  d'abord  que  les  doutes  qui  se  sont  produits 
dans  les  premiers  siècles,  en  Occident,  chez  quelques 
esprits  sur  l'inspiration  et  l'origine  paulinienne  de  cette 
Épître,  principalement  à  cause  de  l'abus  qu'en  fai- 
saient les  hérétiques,  n'ont  pas  une  force  telle,  qu'en 
présence  de  l'affirmation  perpétuelle,  unanime  et  cons- 
tante des  Pères  de  l'Église  orientale,  à  laquelle  s'ajoute 
le  plein  consentement  de  toute  l'Église  d'Occident 
i  le  ive  siècle,  en  considération  des  actes  des  sou- 
verains pontifes,  des  conciles,  surtout  du  concile  de 
Trente,  et  de  l'usage  perpétuel  de  l'Église  universelle, 
il  soi!  permis  d'hésiter  de  la  recenser,  avec  certitude, 
non  ci  lement  au  nombre  des  écrits  canoniques  —  ce 
qui  est  défini  de  foi  —  mais  même  parmi  les  Épîtres 
authentiques  de  l'apôtre  Paul.  Elle  déclare  aussi  que 
les  arguments,  tirés  soit  de  l'absence  insolite  du  nom 
de  Paul  et  de  l'omission  de  1  exorde  accoutumé  et  des 
salutations  finales,  soit  de  la  pureté  de  la  langue 
grecque,  de  l'élégance  et  de  la  perfection  de  kvdiction 
et  du  style,  soit  de  la  manière  dont  l'Ancien  Testament 
et  cité  et  dont  les  argumenis  en  sont  décrits,  soit  de 
quelques  prétendues  différences  de  doctrine,  ne  sont   | 


pas  capables  d'infirmer  en  quelque  manière  l'origine 
paulinienne  de  cette  Épître.  Elle  reconnaît  plutôt  que 
l'accord  parfait  de  la  doctrine  et  des  idées,  les  ressem- 
blances des  admonitions  et  des  exhortations  et  aussi 
l'accord  des  locutions  et  des  mots  eux-mêmes,  accord 
reconnu  même  par  plusieurs  critiques  non  catho- 
liques et  constaté  entre  cette  lettre  et  les  autres  écrits 
de  l'apôtre  des  gentils,  prouvent  et  confirment  son 
origine  paulinienne.  Cependant,  l'apôtre  Paul  n'est  pas 
à  considérer  comme  l'auteur  de  cette  Épître  au  point 
qu'il  soit  nécessaire  d'affirmer  non  seulement  qu'il  l'ait 
conçue  et  exprimée  tout  entière  sous  l'inspiration  du 
Saint-Esprit,  mais  même  qu'il  lui  ait  donné  la  forme 
qu'elle  a,  salvo  ulteriori  Ecclesiœ  judicio.  Cf.  Acta  apos- 
tolicse  sedis,  Rome,  1914,  t.  vi,  p.  417-418. 

Ainsi  donc  la  Commission  biblique,  tout  en  affir- 
mant très  catégoriquement  l'origine  paulinienne  de 
l'Épître  aux  Hébreux,  admet  que  Paul  n'en  est  pas  l'au- 
teur au  même  titre  que  de  ses  autres  lettres.  L'Épître 
n'a  pas  nécessairement  été  entièrement  conçue  et 
rédigée  par  lui;  quelque  autre  personnage  y  a  ajouté 
du  sien  sous  l'inspiration  divine,  et  lui  a  donné  sa 
forme  actuelle.  La  troisième  réponse  de  la  Commission 
biblique  autorise,  en  termes  généraux  et  un  peu  voilés, 
peut-être  à  dessein,  les  opinions  émises  par  les  critiques 
catholiques  sur  la  rédaction  de  l'Épître  aux  Hébreux. 
Elle  reconnaît  équivalemment  ce  qu'on  peut  appeler 
l'authenticité  paulinienne  indirecte  de  cette  Épître, 
puisqu'un  autre  que  l'apôtre  a  pu  y  ajouter  pour  le 
fond  et  lui  donner  la  forme  actuelle.  Elle  adopte  ainsi 
les  vues  qu'avait  déjà  exposées  Origène,  en  unissant 
la  critique  à  la  tradition.  Cf.  L.  Méchineau,  L'Epistola 
agli  Ebrei  secondo  le  risposte  délia  Commissionc 
biblica,  dans  La  Civiltà  catholica.  1916,  t.  i,  p.  271- 
284,  665-679  ;  t.  n,  p.  156-169,  529-545  ;  t.  m,  p.  13- 
24,  271-282,  532-546  ;  t.iv,  p.  21-34,  277-287,^28-539  ; 
1917,  t.  i.  p.  161-174,  407-420,  663-677  ;  t.  n,  p.  143- 
156;  480-493;  Nit.  m,  p.    45-57,  311-320. 

III-  AUTEURS     OU     RÉDACTEURS    DIFFÉRENTS    AUXQUELS 

ON  A  attribué  L'ÉPÎTRE.  —  1°  Dès  l'antiquité.  — 
1.  Saint  Luc.  —  Clément  d'Alexandrie  pensait  que 
l'évangéliste  avait  traduit  en  grec  la  lettre  écrite  par 
Paul  en  hébreu,  pour  une  raison  critique,  à  cause  de  la 
ressemblance  du  style  de  l'Épître  avec  le  style  de  saint 
Luc.  Pour  la  même  raison,  quelques  critiques  modernes 
ont  pensé  que  Luc  était  l'auteur  de  la  lettre  aux  Hé- 
breux. Ainsi,  parmi  les  catholiques,  Hug,  Dôllinger, 
Zill,  Huyghe,  et  parmi  les  protestants,  Stier,  Ébrard, 
Delitzsch,  Belsheim.  Il  est  certain  que  le  style  de  saint 
Luc  est  plus  pur  que  celui  des  autres  évangélistes. 
Westcott,  op.  cit.,  p.  xxviii,  a  relevé  19  mots  ou  cons- 
tructions dont  la  fréquence  dans  les  Actes  caractérise 
le  style  de  cet  écrivain  et  qu'on  retrouve  dans  l'Épître 
aux  Hébreux.  Mais  ces  ressemblances  n'ont  rien  de 
frappant  ni  de  décisif;  elles  ne  sont  ni  caractéristiques 
ni  individuelles,  et  elles  peuvent  s'expliquer  par  le  fait 
que  saint  Luc  est,  lui  aussi,  un  disciple  de  Paul  qui 
écrit  le  grec  littéraire.  Saint  Luc,  il  est  vrai,  a  accom- 
pagné saint  Paul  à  Rome  et  a  connu  Timothée;  mais 
on  n'en  peut  conclure  qu'il  a  rédigé  à  Rome  une  lettre 
où  il  est  incidemment  parlé  de  Timothée.  Le  séjour  à 
Rome  n'est  qu'une  simple  coïncidence  qui  confirme- 
rait l'attribution  de  l'Épître  à  saint  Luc,  si  elle  était 
prouvée  par  ailleurs,  mais  qui  ne  la  prouve  pas.  L'attri- 
bution à  saint  Luc  est  exclue  par  cette  considération 
que  Luc,  païen  converti,  ne  pouvait  guère  connaître  à 
fond  le  rituel  mosaïque  du  temple  de  Jérusalem, 
comme  le  connaît  l'auteur  de  l'Épître,  ni  prendre  tant 
d'intérêt  à  des  observances  cérémonielles  qui  étaient 
sans  valeur  à  ses  yeux,  à  moins  qu'il  ne  le  fît  au  nom  de 
Paul,  qui  les  connaissait,  lui,  et  qui,  tout  en  les  tenant 
pour  abrogées,  s^en  servait  pour  confirmer  dans  leur 
foi  les  chrétiens  de  Jérusalem,  venus  du  judaïsme. 


2089 


HÉBREUX 


2090 


Enfin,  le  style  de  saint  Luc  nw  manifeste  jamais  la 
rhétorique  spéciale  et  la  culture  alexandrine  du  rédac- 
teur de  l' Épître  aux  Hébreux. 

Eagar  a  récemment  fait  valoir  la  ressemblance  de 
contenu  et  de  style  de  l'Épître  avec  le  troisième  Évan- 
gile et  les  Actes  pour  attribuer  à  saint  Luc  l'Épître  aux 
Hébreux.  The  aulhorship  of  the  Epistel  to  the  Hebrews, 
dans  Expositor,  1904,  p.  74-80,  110-123.  Il  a  trouvé 
dans  les  deux  écrits  la  même  économie.  Les  rapports 
des  deux  Testaments  sont  les  mêmes.  Dans  l'Évangile 
de  l'enfance,  le  service  du  temple  de  Jérusalem  est 
décrit  dans  le  ton  de  l'Épître,  par  un  artiste  et  un 
poète.  Luc  seul  parle  des  anges  annonçant  la  naissance 
du  Fils  de  Dieu;  il  présente  Jésus  comme  prêtre  et 
hostie.  Il  expose  la  vocation  des  gentils,  surtout  dans 
les  Actes  et  dans  les  sept  paraboles  évangéliques  qui 
lui  sont  propres.  L'Épître  aux  Hébreux  est  seule  avec 
Luc  à  retracer  les  rapports  du  christianisme  avec  le 
judaïsme  comme  conséquence  logique  de  la  doctrine 
de  saint  Paul.  L'Évangile  de  Luc  est  l'Évangile  des 
anges,  des  pauvres  et  des  malheureux  pour  qui  le  Sau- 
veur a  de  la  compassion;  il  respire  la  tolérance  et  la 
grâce.  C'est  aussi  le  caractère  de  l'Épître  aux  Hébreux. 
Le  style  de  Luc  présente  quelques  ressemblances  avec 
celui  de  l'Épître  :  quelques  allitérations  et  assonances, 
des  antithèses,  des  substantifs  verbaux  actifs,  l'emploi 
fréquent  de  l'article  déterminé,  612  mots  communs  sur 
754,  hormis  les  154  axaÇ  Xeyo'jxsvdc,  quelques  termes  de 
médecine.  Ces  ressemblances  sont  très  générales,  et  il 
y  en  a  de  pareilles  entre  l'Épître  et  les  lettres  de  saint 
Paul.  Elles  ne  prouvent  pas  l'origine  commune  des 
écrits  qui  les  présentent.  Il  est  donc  peu  vaisemblable 
que  saint  Luc  soit  l'auteur  ou  même  simplement  le 
rédacteur  de  l'Épître  aux  Hébreux. 

2.  Saint  Clément  de  Rome.  — ■  On  lui  attribuait 
l'Épître  avant  Origène  déjà.  Eusèbe  reconnaissait  en 
lui  le  traducteur  de  la  lettre,  à  cause  de  la  ressemblance 
du  style  et  des  pensées  de  la  /*  Cor.  avec  elle.  Théodo- 
ret  et  le  pseudo-Euthalius  étaient  du  même  avis.  Des 
critiques  catholiques  ont  pensé,  dans  les  temps  mo- 
dernes, que  Clément  était  le  véritable  auteur  de  la 
lettre  :  Mash,  Reithmayr,  Langen,  Aberle,  Bisping, 
Kaulen,  Cornely.  En  dehors  des  citations  de  l'Épître, 
la  ressemblance  de  fond  et  de  forme,  sur  laquelle  ils 
s'appuient,  est  peu  frappante  et  elle  s'explique  suffi- 
samment par  la  connaissance  et  l'utilisation  de  l'Épître 
par  saint  Clément.  D'autre  part,  le  style  des  deux  écrits 
est  si  différent  que  Clément  ne  peut  avoir  rédigé 
l'Épître.  Sa  pensée  est  moins  originale,  son  style  est 
moins  pur  et  moins  précis;  il  est  monotone,  moins 
soigné,  moins  rhétorique;  il  a  des  caractères  différents  : 
beaucoup  de  mots  propres,  des  phrases  coordonnées  et 
non  subordonnées;  l'Écriture  est  citée  d'une  manière 
spéciale;  les  doxologies  sont  multipliées.  Bref,  les 
idées  de  Clément  et  la  manière  de  les  exprimer  témoi- 
gnent d'une  autre  orientation  d'esprit.  Enfin,  si  Clé- 
ment avait  été  l'auteur,  ou  même  simplement  le  tra- 
ducteur de  l'Épître,  on  l'aurait  su  à  Rome,  où  l'Épître 
aux  Hébreux  a  été  longtemps  inconnue  et  où  on  igno- 
rait le  nom  de  l'auteur,  quand  elle  y  fut  connue. 

3.  Saint  Barnabe.  —  Tertullien  lui  a  attribué  l'Épître. 
Quelques  critiques  ont  prétendu  que  l'Épître  aux 
Hébreux,  qui  n'est  pas  nommée  parmi  les  lettres  de 
saint  Paul,  était  désignée  dans  le  canon  du  codex  Cla- 
romontanus  (vie  siècle),  qu'on  rapporte  au  me  siècle  et 
à  l'Afrique  par  les  mots  :  Barnabœ  cpist.  vers.  DCCCL. 
Zahn,  Gcschichte  des  Neutestamentlichen  Kanons,  t.  Il, 
p.  159.  Le  nombre  des  stiques  :  850,  se  rapproche  de  la 
longueur  de  cette  Épître.  Zahn,  toc.  cit..  p.  170-171,  ne 
trouve  pas  la  preuve  suffisante;  les  chiffres  des  stiques 
ne  sont  pas  sûrs  et  la  différence  est  notable.  Jamais 
l'Épître  aux  Hébreux  n'a  été  citée  en  Afrique  sous  le 
titre   de   Barnabœ  Epistola,   et  le   canon   est   plutôt 


alexandrin  qu'africain.  Zahn,  op.  cit.,  t.  i,  p.  290-294, 
pensait  que  la  lettre  n'avait  porté  ce  titre  que  dans  les 
communautés  montanistes  de  l'Asie  Mineure.  Mais 
quand  Tertullien  cite,  vers  220,  l'Épître  aux  Hébreux 
comme  de  Barnabe,  il  n'est  pas  encore  montaniste. 
En  Orient,  on  n'a  connu  l'Épître  que  comme  l'œuvre 
de  saint  Paul.  Ed.  Riggenbach,  Dcr  Bricf  an  die 
Hebrûer,  Leipzig,  1913,  p.  xi,  pense  que  Tertullien  n'a 
pas  inventé  l'attribution  de  l'Épître  à  Barnabe,  mais 
qu'il  l'a  empruntée  aux  Romains,  qui  connaissaient 
la  lettre  comme  l'œuvre  de  Barnabe  et  par  suite  ne 
l'admettaient  pas  au  canon  biblique.  Tel  est  précisé- 
ment le  sentiment  de  Tertullien  qui  estimait  toutefois 
cette  Épître  plus  recevable  que  le  Pasteur  d'Hermas. 
On  prétend  que  le  témoignage  de  Grégoire  d'Elvire  est 
indépendant  de  celui  de  Tertullien  et  qu'il  attesterait 
une  tradition  occidentale,  qui  attribuait  l'Épître  à  Bar- 
nabe et  dont  le  point  de  départ  aurait  été  Rome.  Saint 
Philastre  visait  peut-être  un  écrivain  qui  pensait 
comme  Grégoire  d'Elvire.  User.,  89,  P.  L.,  t.  xn,  col. 
1201.  Dom  de  Bruyne,  Un  prologue  inédit  des  Épttrcs 
catholiques,  dans  la  Revue  bénédictine,  1906,  p.  84-85, 
a  publié,  d'après  un  manuscrit  de  l'Ambrosienne  du 
xie  siècle,  un  catalogue  qui  débute  ainsi  :  Canoncs  Novi 
Testamenti  primus  Pelrus  scripsil,  secundus  Jacobus, 
tertius  Malheus,  quartus  Judas,  quintus  Paulus,  sexlus 
Barnabas,  septimus  Lucas,  octavus  Marcus,  nonus 
Johannes.  L'ordre  suivi  est  l'ordre  chronologique; 
Barnabe  serait  donc  le  sixième  écrivain  du  Nouveau 
Testament.  Puisque  sa  lettre  n'a  jamais  été  tenue  pour 
canonique  en  Occident,  puisqu'il  est  nommé  entre 
Paul  et  Luc,  disciple  de  Paul,  dom  de  Bruyne  en  con- 
clut qu'il  est  considéré  comme  l'auteur  de  l'Épître  aux 
Hébreux.  Mais  ce  catalogue  est-il  d'origine  occiden- 
tale? Ne  serait-il  pas  la  traduction  d'un  original  grec  ? 
D'un  ensemble  de  considérations,  Riggenbach,  op.  cit., 
p.  xii-xiv,  note,  conclut  que  ce  catalogue  latin  dépend 
de  Clément  d'Alexandrie,  dont  les  Hypotyposcs  ont  été 
traduites  en  latin  par  Cassiodore.  Par  suite,  sous  le 
nom  de  Barnabe,  il  n'y  a  que  l'Épître  de  Barnabe  qui 
puisse  être  désignée  et  qui  était  déjà  traduite  en  latin 
au  ive  siècle. 

L'attribution  de  l'Épître  aux  Hébreux  à  Barnabe  a 
été  adoptée  par  quelques  catholiques,  Maicr,  Fouard, 
et  par  un  plus  grand  nombre  de  protestants,  J.  E.  Ch. 
Schmidt,  Ullmann,  Twesten,  Wieseler,  VolUmar, 
Ritschl,1"  Gran,  Thiersch,  B.  Weiss,  Keil,  Kubel,  Sal- 
mon,  H.  Schulz,  Overbeck,  Lagarde,  Zahn,  Blass, 
Bartlet,  Ayles,  Dibelius,  Endemann,  Riggenbach,  et 
par  Renan.  En  dehors  de  la  tradition  occidentale,  ils 
font  valoir  les  caractères  généraux  de  l'Épître.  Bar- 
nabe était  de  la  génération  sub-apostolique,  juif  de 
race,  helléniste  d'éducation,  compagnon  de  saint  Paul, 
ayant  vécu  dans  son  intimité,  l'ayant  souvent  entendu 
parler,  étant  par  suite  bien  au  courant  de  ses  doctrines. 
Il  avait  entendu  aussi  la  prédication  qui  faisait  le  fond 
de  la  tradition  évangélique;  il  connaissait  probable- 
ment les  écrits  de  saint  Luc  et  de  saint  Pierre,  ou  tcut 
au  moins  leurs  sources.  Il  avait  été  le  maître  de  saint 
Marc.  Lévite,  il  était  au  courant  du  rituel  mosaïque,  et 
Blass  a  supposé  que  la  forme  rythmique  de  l'Épître 
était  l'œuvre  d'un  lévite,  habitué  au  chant  des  psaumes 
dans  le  service  liturgique.  Natif  de  Chypre,  Barnabe  a 
parlé  grec  dès  son  enfance,  et  la  littérature  alexandrine 
a  pu  lui  être  familière.  Il  était  au  mieux  avec  la  com- 
munauté chrétienne  de  Jérusalem,  à  laquelle  il  avait 
abandonné  ses  biens,  Act.,  iv,  37,  et  il  jouissait  d'une 
grande  autorité  en  Palestine.  Act.,  xi,  24.  La  lettre 
qui  porte  son  nom  ne  peut  être  un  obstacle  à  cette 
attribution,  puisqu'elle  n'est  pas  de  lui.  Par  conséquent, 
la  différence  de  style  et  de  doctrine  des  deux  écrits 
s'explique  par  la  diversité  des  auteurs. 

La    tradition    occidentale   est-elle   aussi   favorable 


2091 


HEBREUX 


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qu'on  le  prétend  à  l'attribution  de  l'Épître  aux  Hé- 
breux à  Barnabe?  Tertullien  en  est  plus  probablement 
le  point  de  départ,  et  il  a  fait  une  conjecture.  Il  n'y  a 
pas  de  preuve  positive  d'une  tradition  antérieure. 
Saint  Jérôme  ne  connaît  que  Tertullien  de  ce  senti- 
ment, et  saint  Philastre  le  vise  peut-être.  La  tradition 
montaniste,  admise  par  Zahn,  est  réfutée  avec  raison 
par  Riggenbach.  La  tradition  romaine  que  ce  dernier 
suppose  n'est  fondée  sur  aucun  argument  positif;  elle 
n'est  qu'une  simple  déduction.  Rome  ne  connaissait 
pas  la  lettre  aux  Hébreux,  que  Clément  avait  citée, 
ou  au  moins  elle  ne  connaissait  pas  son  auteur,  et  c'est 
pourquoi  elle  ne  l'admettait  pas  au  canon  biblique. 
Le  catalogue,  publié  par  dom  de  Bruyne,  n'a  pas  la 
signification  que  l'éditeur  lui  avait  donnée.  Grégoire 
d'Elvire,  qui  est  isolé,  a  pu  connaître  le  sentiment  de 
Tertullien  et  l'adopter.  L'attribution  à  Barnabe  n'est 
pas  une  tradition;  c'est  seulement  une  hypothèse, 
comme  celles  concernant  Luc  et  Clément,  faite  par 
un  ou  deux  écrivains  ecclésiastiques.  Les  caractères 
généraux  de  l'Épître,  mis  en  rapport  avec  ce  que  nous 
savons  de  Barnabe,  ne  prouvent  pas  qu'il  soit  l'auteur 
de  cette  lettre;  ils  donnent  seulement  quelque  vrai- 
semblance à  l'hypothèse.  Tous  ne  sont  pas  certains  : 
sa  connaissance  de  la  littérature  alexandrine  est  sup- 
posée. D'autre  part,  Barnabe  n'a  pas  toujours  partagé 
les  idées  de  Paul.  Il  s'est  séparé  de  lui,  non  pas  seule- 
ment à  cause  de  son  parent  Jean  Marc,  Act.,  xv,  37-39, 
mais  encore  au  sujet  des  observances  judaïques,  quand, 
à  Antioche,  il  participa  à  l'hypocrisie  de  Céphas. 
Gai.,  ii,  13.  Il  n'avait  pas  l'énergie  et  la  logique  de 
raisonnement  qu'on  remarque,  Heb.,  v,  11-12;  vi,  12, 
etc.  Dans  leurs  prédications  communes,  Paul  était  le 
chef  de  la  parole;  c'est  pourquoi  à  Iconium  il  est  pris 
pour  Mercure  et  Barnabe  pour  Jupiter.  Act.,  xiv,  10-12. 
La  rhétorique  de  l'Épître  aux  Hébreux  n'est  guère  at- 
tribuable  à  un  lévite,  originaire  de  Chypre.  Il  n'est  pas 
nécessaire  d'être  lévite  pour  s'occuper  du  sacerdoce  et 
des  sacrifices  juifs,  comme  l'a  fait  l'auteur  de  l'Épître; 
tout  juif  pouvait  en  faire  autant,  Paul  aussi  bien  que 
Barnabe.  La  forme  rythmée  n'est  pas  nécessairement 
l'œuvre  d'un  lévite  habitué  au  chant  des  psaumes.  Tout 
lecteur  de  l'Ancien  Testament  connaissant  le  rythme 
des  livres  poétiques,  et  écrivant  à  des  Hébreux,  il 
pouvait  adapter  son  style  au  genre  littéraire  des  écrits, 
lus  par  ses  correspondants.  Cf.  P.  Batiffol,  De  l'attri- 
bution de  l'Épître  aux  Hébreux  à  saint  Barnabe, 
dans  la  Revue   biblique,  1899,  p.  278-283. 

2°  Dans  les  temps  modernes.  —  1.  Apollo.  —  Luther 
est  le  premier  tenant  de  cette  attribution.  Beaucoup 
de  protestants  l'ont  acceptée:  Osiander,  Le  Clerc, 
Heumann,  Lorenz,  Millier,  Semler,  Ziegler,  de  Wette, 
Bleek,  H.  A.  Schott,  Tholuck,  Guericke,  Lùnemann, 
Bunsen,  Kurtz,  L.  Schulze,  Farrar,  Alford,  de  Pressensé, 
Davidson,  Hilgenfeld,  Scholten,  Pfleiderer,  et  quelques 
catholiques,  Feilmoser,  Belscr  et  Rohr.  Apollo  était  un 
juif  de  J'entourage  de  Paul  et  il  connaissait  Timothée. 
Il  était  d'Alexandrie,  et  il  pouvait  avoir  fréquenté 
l'école  de  Philon.  Il  était  très  éloquent  et  très  versé 
dans  l'Écriture.  Act.,  xvin,  24.  A  Éphèse  et  à  Corinthe, 
il  avait  discuté  avec  les  juifs,  et  à  Corinthe  il  avait  un 
parti.  I  Cor.,  m,  5. 

Ces  arguments  montrent  tout  au  plus  qu'Apollo 
pourrait  avoir  composé  l'Épître  aux  Hébreux,  s'il 
n'y  avait  pas  à  rencontre  quelque  objection  décisive 
On  ne  voit  pas,  en  effet,  ni  quand  ni  comment  Apollo 
aurait  acquis  le  droit  de  parler  en  maître  à  l'Église  de 
Jérusalem,  avec  laquelle  il  n'a  eu  aucune  relation. 
L'attribution  à  Apollo  manque  donc  de  base  historique 
comme  de  fondement  traditionnel. 

J.  Albani  a  fait  valoir  récemment  en  faveur  de  cette 
attribution  un  argument  nouveau  :  le  parallélisme  de 
fond  et  de  forme  entre  I  Cor.,  ni,  1-9,  où  il  est  question 


d'Apollo,  et  Heb.,  v,  11-vr,  8.  Il  y  a  remarqué  le  même 
ordre  de  pensées,  les  mêmes  images,  dans  un  contexte 
pourtant  différent.  Il  lui  paraît  donc  vraisemblable 
que  l'auteur  de  l'Épître  aux  Hébreux  connaissait  la 
Ire  lettre  aux  Corinthiens  et  s'est  servi  des  versets  1-9 
du  c.  m.  Zeilschrijt  fur  wissenschaftliche  Théologie,  1904, 
p.  88-93.  La  ressemblance  et  même  la  dépendance  in- 
diquées ne  prouvent  pas  qu'Apollo  soit  l'auteur  de 
l'Épître  aux  Hébreux.  C'est  une  curieuse  coïncidence 
qui  serait  plutôt  en  faveur  de  l'authenticité  pauli- 
nienne. 

Reuss  hésitait  entre  Barnabe  et  Apollo,  et  A.  See- 
berg  est  encore  dans  la  môme  hésitation.  Credner  a 
admis  successivement  ces  deux  attributions. 

2.  Silas.  —  Mynster,  Kleine  Schrijten,  1825,  p.  91-92, 
Bohme,  F.  Godet,  dans  Expositor,  1888,  t.  vu,  p.  241- 
242,  ont  pensé  à  ce  personnage,  uniquement  parce 
qu'il  était  disciple  de  saint  Paul. 

S.  Priscille  et  Aquila.  —  A.  Harnack  a  imaginé  cette 
nouvelle  attribution.  Probabilia  liber  die  Adresse  und 
den  Verfasser  des  Hebraerbriejes,  dans  Zeitschriftjùr  die 
neutestamentliche  W issenschaft  und  die  Kunde  des 
Urchristvntums,  1900,  p.  16-41.  Adressée  à  une  Église 
familiale  de  vieux  chrétiens  de  Rome,  cette  Épître  a 
plusieurs  auteurs.  L'emploi  du  pronom  nous,  xm,  18, 
n'est  pas  purement  littéraire,  puisqu'au  verset  23  qui 
suit,  il  y  a  un  autre  pronom  pluriel  de  la  première  per- 
sonne, qui  est  un  pluriel  réel  et  qui  désigne  un  groupe 
dont  Timothée  est  le  collègue.  Or,  les  auteurs  sont  le 
couple  Aquila  et  Priscille,  des  maîtres  instruits  et 
éloquents  qui  ont  converti  Apollo.  Priscille  surtout  a 
rempli  ce  rôle.  Act.,  xvm,  26.  Tous  deux  ont  été  colla- 
borateurs de  Paul  dans  le  Christ  Jésus.  Rom.,  xvi,  3. 
C'était  donc  des  évangélistes  et  des  docteurs.  Leur 
action  a  été  œcuménique,  Rom.,  xvi,  4.  Ils  ont  écrit 
une  lettre  pour  recommander  Apollo  à  l'Église  de 
Corinthe.  Act.,  xvm,  27.  Ils  ont  écrit  aussi  l'Épître 
aux  Hébreux,  et  c'est  Priscille  surtout  qui  aurait  tenu 
la  plume.  On  reconnaîtrait  sa  main  à  quelque  chose  de 
féminin  qu'on  remarque  dans  l'Épître. 

Il  n'est  pas  nécessaire  de  réfuter  longuement  cette 
hypothèse.  M.  Harnack  a  exagéré  le  rôle  doctrinal  des 
deux  époux  pour  leur  attribuer  une  lettre  aussi  doctri- 
nale que  l'Épître  aux  Hébreux.  L'enseignement  de 
Priscille  ne  répond  guère  à  la  parole  de  saint  Paul  : 
«  Que  les  femmes  se  taisent  à  l'église  !  »  I  Cor.,  xiv,  34. 
Enfin,  l'unité  d'auteur  apparaît  clairement  dans  toute 
l'Épître  et  l'interprétation  du  nous  de  la  pluralité 
d'auteurs  ne  s'impose  pas,  et  la  main  d'une  femme  ne 
se  fait  guère  sentir. 

Notons  encore  que  Velch  a  attribué  cette  Épître 
à  saint  Pierre,  The  authorship  oj  the  Epistle  lo  the  He- 
brews,  Londres,  1899,  et  dom  Chapman,  Revue  béné- 
dictine, 1905,  t.  xxn,  p.  49-62,  et  Perdeftvitz,  Zeit- 
schrift  fur  neutestamentliche  Wissenschaft,  1910,  p.  105- 
111,  à  Aristion,  le  presbytre  d'Asie,  qui  aurait  écrit 
aussi  la  finale  de  Marc.  Ramsay  a  nommé  le  diacre 
Philippe. 

Mais,  sans  désigner  aucun  nom,  beaucoup  de  cri- 
tiques se  bornent  à  dire  que  la  lettre  est  d'un  Juif 
alexandrin  (Eichhorn,  Seyffarth,  Schott,  Neudecker, 
Baumgarten-Crusius,  Ewald,  Hausrath,  Kluge,  Lipsius, 
von  Soden,  Holtzmann,  Ménégoz,  Jùlicher,  Rendall, 
Westcott,  Vaughan,  Hollmann,  Windisch.  En  effet, 
aucune  des  hypothèses  faites  sur  l'auteur  de  l'Épître 
n'est  prouvée;  aucune  n'est  entièrement  satisfaisante. 
Il  est  donc  plus  sage  de  se  borner  à  dire  que  le  dernier 
rédacteur  de  l'Épître  est  un  disciple  inconnu  de  saint 
Paul,  peut-être  de  culture  alexandrine.  C'est  ce  disciple 
inconnu,  qui,  sous  l'inspiration  divine,  aurait  ajouté 
quelque  chose  à  l'Épître  de  son  maître  et  lui  aurait 
donné  sa  forme  actuelle. 

II.  Destinataires.  —  La  question  des  destinataires 


209c 


HÉBREUX 


2094 


de  l'Épître  est  aujourd'hui  presque  aussi  discutée  que 
celle  de  son  auteur.  Ce  qui  crée  la  difficulté,  c'est 
l'absence  d'adresse  au  début  de  la  lettre  et  d'indication 
précise  sur  la  nationalité  et  le  lieu  de  la  résidence  des 
destinataires  dans  le  cours  de  l'écrit.  Toutefois,  la 
lettre  n'est  pas  une  encyclique,  envoyée  à  toutes  les 
Églises  ou  à  un  groupe  déterminé  d'Églises.  Elle  est 
adressée  à  une  seule  Église  entière  et  non  à  une  fraction 
d'Église  ou  à  une  Église  familiale.  Le  caractère  général 
de  l'Épître  apparaît  dans  le  dernier  verset,  où  il  y  a 
deux  rcâvTaç,  xm,  24.  Les  destinataires  formaient  une 
èmjuvaytoYri,  x,  25,  qui  avait  ses  chefs,  xm,  17.  Si,  dans 
l'antiquité  chrétienne,  on  a  intitulé  l'Épître  ad  Hcbreeos 
et  si  on  a  reconnu  dans  les  destinataires  les  juifs  con- 
vertis constituant  l' Église-mère  de  Jérusalem,  dans 
les  temps  modernes,  on  a  pensé  à  d'autres  Églises  judéo- 
chrétiennes.  Quelques  critiques  ont  toutefois  prétendu 
que  la  lettre  n'était  pas  destinée  à  des  juifs.  Il  y  a  donc 
à  prouver,  d'abord,  qu'elle  a  eu  la  destination  qu'in- 
dique son  titre,  puis  à  rechercher  à  quels  juifs  convertis 
elle  a  été  envoyée. 

1°  L' Épîlre  est  adressée  à  des  juifs,  et  non  pas  à  des 
païens  ou  à  une  Église,  mêlée  de  juifs  et  de  païens.  — ■ 
1.  A  des  juifs  convertis.  - —  En  donnant  à  l'Épître  le 
titre  jrpo'ç  'E6patouç,  l'antiquité  chrétienne  a  déterminé 
que  la  communauté  à  laquelle  elle  était  destinée  était 
de  nationalité  juive.  Dans  l'ancienne  langue  ecclésias- 
tique, les  Hébreux  sont  les  juifs  ou  les  judéo-chrétiens 
en  opposition  aux  païens,  II  Cor.,  xi,  22;  Phil.,  in,  5, 
ou  encore  les  juifs  qui  parlaient  hébreu  en  opposition 
avec  les  juifs  parlant  grec  ou  les  hellénistes.  Act.,  vi, 
1;  ix,  22.  Ce  titre  n'est  pas  seulement  attesté  par  les 
plus  anciens  manuscrits  qui  sont  du  ive  siècle,  ni  par 
les  seules  versions;  il  l'est  encore  par  les  Pères  qui  leur 
sont  antérieurs.  Jamais,  l'Épître  n'a  eu  d'autre  titre, 
et  ce  titre  remonte  à  la  seconde  moitié  du  ne  siècle. 
Ce  n'est  donc  pas  une  invention  des  copistes  ou  des 
scoliastes.  On  peut  penser  que  cette  désignation  des 
destinataires  se  rattache  à  une  tradition  qui,  au 
ne  siècle,  savait  que  la  lettre  avait  été  adressée  aux 
chrétiens  de  Jérusalem.  C'est  plus  qu'une  conjecture, 
suggérée  par  la  lecture  de  l'écrit,  plus  qu'une  présomp- 
tion. En  tout  cas,  la  tradition  ecclésiastique  a  adopté 
ce  sentiment.  Pantène  et  Clément  d'Alexandrie  l'énon- 
cent, et  ils  en  ont  conclu  à  tort  que  la  lettre  avait 
été  écrite  en  hébreu.  Cette  conclusion  fausse  ne  diminue 
pas  la  portée  de  leur  témoignage  sur  des  destinataires 
juifs. 

Aussi  bien,  le  contenu  de  la  lettre  le  confirme.  L'au- 
teur veut  mettre  en  relief  la  transcendance  personnelle 
du  Fils  de  Dieu  et  l'incomparable  efficacité  de  son  sa- 
crifice. Il  établit  de  la  sorte  la  supériorité  de  l'alliance 
nouvelle  sur  l'ancienne  pour  raviver  la  foi  et  l'espé- 
rance de  ses  lecteurs,  x,  23.  Or,  cette  démonstration  ne 
s'adresse  pas  à  des  païens  convertis  qui  connaîtraient 
les  croyances  juives  et  les  observances  légales,  si  tant 
est  que  des  chrétiens  d'origine  païenne  aient  connu,  à 
cette  époque,  avec  tant  de  détails  le  rituel  juif.  L'argu- 
mentation suppose  des  lecteurs  nés  juifs.  Dieu,  qui 
a  parlé  autrefois  à  leurs  pères  par  les  prophètes,  leur  a 
parlé  à  eux  récemment  par  son  Fils,  i,  1,  2.  Le  Fils  de 
Dieu  s'est  incarné  dans  la  race  d'Abraham,  n,  16.  L'au- 
teur nomme  à  plusieurs  reprises  le  peuple  juif,  iv,  9; 
vii,  5,  11,  27;  ix,  7,  19;  xi,  25;  il  ne  dit  mot  des  gentils. 
Seuls,  des  chrétiens  d'origine  juive  pouvaient  com- 
prendre les  allusions  faites  aux  prescriptions  alimen- 
taires et  aux  ablutions,  ix,  9,  10,  aux  aspersions  du 
sang  des  victimes  et  de  la  cendre  de  la  vache  rousse, 
ix,  13.  Les  arguments  invoqués  et  les  procédés  de  dia- 
lectique ne  pouvaient  impressionner  et  convaincre  que 
des  fidèles,  juifs  de  naissance.  Dans  les  premiers  cha- 
pitres, Jésus  est  comparé  aux  anges  et  à  Moïse,  organes 
de  l'ancienne  alliance,  pour  montrer  sa  supériorité  et  sa 


divinité.  La  thèse  entière  de  la  supériorité  du  sacerdoce 
de  Jésus  sur  le  sacerdoce  juif,  iv,  14-x,  18,  vise  des 
juifs  qui  seuls  étaient  capables  d'en  saisir  la  portée  et 
les  détails.  Au  sujet  de  la  foi,  x,  38,  39,  on  ne  rapporte 
que  les  exemples  des  saints  de  l'ancienne  alliance,  xi, 
1-40,  familiers  aux  lecteurs.  L'argumentation  est  fon- 
dée exclusivement  sur  l'Ancien  Testament,  dont  le 
caractère  typologique  est  affirmé  et  constamment 
admis  :  les  faits  et  les  personnages  de  la  Bible  sont 
présentés  comme  figuratifs  de  la  vie  et  de  la  personne 
de  Jésus;  les  passages  bibliques  qui  conviennent  à 
Jahvé  sont  appliqués  au  Fils  de  Dieu;  le  silence  de  la 
Genèse  sur  l'origine  de  Melchisédech  est  exploité  pour 
assimiler  davantage  le  roi  de  Salem  au  Fils  de  Dieu, 
prêtre  éternel.  Ces  moyens  de  preuves  ne  pouvaient 
être  employés  que  pour  des  juifs  dont  l'esprit  était 
habitué  au  caractère  figuratif  de  la  loi  et  à  un  genre 
d'argumentation,  habituel  à  leurs  docteurs.  Les  païens 
convertis,  malgré  leur  initiation  chrétienne  et  l'ensei- 
gnement religieux  qu'ils  continuaient  à  recevoir, 
n'avaient  pas  les  aptitudes  voulues  pour  concevoir  et 
admettre  la  doctrine,  la  dialectique  et  le  vocabulaire 
de  l'Épître  aux  Hébreux. 

2.  Non  à  des  païens  convertis.  —  Cependant  quelques 
critiques  protestants,  Schùrer,  Weizsâcker,  Pfleiderer 
et  von  Soden,  ont  prétendu  que  c'était  à  d'anciens 
païens  plutôt  qu'à  d'anciens  juifs  que  l'auteur  pouvait 
parler  de  péchés  volontaires,  x,  26,  du  péché  d'incré- 
dulité, m,  12,  et  de  l'endurcissement  par  la  séduction 
du  péché,  in,  13.  C'était  à  des  païens,  qui  avaient 
été  prosélytes  du  judaïsme,  qu'il  rappelait  l'enseigne- 
ment élémentaire  du  Christ,  la  foi  en  Dieu,  la  doctrine 
du  baptême  et  de  l'imposition  des  mains,  la  résurrec- 
tion des  morts  et  le  jugement  éternel,  vi,  1,  2;  les  juifs 
connaissaient  ces  doctrines  avant  leur  conversion 
C'était  des  adorateurs  d'idoles  mortes,  donc  des  païens 
et  non  des  juifs,  qu'il  exhortait  à  servir  le  Dieu  vivant, 
x,  14.  Le  conseil  donné  de  ne  pas  déserter  leur  assem- 
blée, x,  25,  suppose  une  è^iauvaycoyrî,  opposée  à  celle  des 
juifs.  Cf.  Grass,  Isl  der  Hebrâcrbrief  an  Heidenchristen 
gericht,  Saint-Pétersbourg,  1892. 

Les  passages  signalés  ne  sont  que  des  détails  de 
l'Épître.  Ils  ne  contrebalancent  pas  l'impression  géné- 
rale que  la  lettre  est  adressée  à  des  chrétiens,  issus  du 
judaïsme.  La  mise  en  garde  contre  le  péché  et  sa  séduc- 
tion était  nécessaire  à  des  juifs  autant  qu'à  des  païens, 
et  l'exhortation  à  ne  pas  s'endurcir  est  fondée  sur 
l'exemple  des  Hébreux  dans  le  désert,  ni,  7-11 
L'enseignement  élémentaire,  qui  est  simplement  rap- 
pelé, est  le  fond  de  la  prédication  apostolique  adressé 
à  tous  ceux  qui  voulaient  adhérer  au  Christ.  La  foi 
en  Dieu  n'est  pas  la  foi  monothéiste;  c'est  ici  la  foi  en 
Jésus,  ni,  14,  que  des  juifs  convertis  pouvaient  perdre. 
Les  œuvres  mortes  ne  sont  pas  nécessairement  les 
actes  de  culte  rendus  aux  idoles,  en  opposition  avec  le 
service  du  Dieu  vivant  ou  du  vrai  Dieu  comme  Act., 
xiv,  14;  ce  sont  les  péchés  mortels.  Cf.  Heb.,  vi,  1. 
L'expression  de  Dieu  vivant  est  une  formule  de 
l'Ancien  Testament,  Ps.  xli,  3;  lxxxiii,  3;  Os.,  i,  10 
(cf.  Rom.,  ix,  26);  Jer.,  x,  10;  Dan.,  xl,  23,  qui  avait 
passé  dans  le  langage  solennel,  comme  le  prouve  l'adju- 
ration de  Caïphe  à  Jésus.  Matth.,  xxvi,  63.  Elle  est 
répétée  quatre  fois  dans  l'Épître,  ni,  12;  ix,  14;  x,  31  ; 
xn,  22.  Elle  n'est  pas  nécessairement  opposée  aux 
idoles  mortes;  elle  signifie  seulement  que  Dieu  se 
manifeste  comme  vivant  et  qu'il  tient  réellement  sa 
parole.  Cf.  II  Cor.,  in,  3.  Le  servir,  c'est  être  chrétien, 
en  évitant  le  péché,  et  l'exhortation  ainsi  comprise 
peut  s'adresser  à  des  juifs  convertis,  exposés  par  la 
persécution  à  renoncer  au  Christ.  Dans  le  conseil  donné 
aux  lecteurs  de  ne  pas  abandonner  leur  assemblée, 
s'il  y  a  opposition  avec  la  synagogue  juive,  c'est  pour 
empêcher  les  convertis  de  retourner  à  celle-ci.  Le  mot 


2095 


HÉBREUX 


2096 


Imauvayto-pj  est  emprunté,  semble-t-il,  à  II  Mac,  n,  7, 
il  désigne  le  lieu  de  l'assemblée  chrétienne  par  un  nom 
juif,  cf.  II  Thés.,  n,  1,  ce  qui  confirme  plutôt  que  les 
destinataires  de  l'Épître  étaient  juifs.  L'absence  d'al- 
lusion au  culte  païen,  jointe  au  goût  de  terroir  juif 
qu'on  sent  dans  toute  la  lettre,  exclut  positivement 
des  destinataires  sortis  du  paganisme. 

3.  Aon  pas  à  une  Église  formée  de  païens  et  de  juifs 
convertis.  —  A.  Jùlicher,  Einleitung  in  das  N.  T., 
3e  édit.,  Tubingue  et  Leipzig,  1901,  p.  130,  et  A.  Har- 
nack,  dans  Zeitschrift  fur  die  neuteslamcntliche  Wissen- 
schaft,  1900,  p.  18-19,  ont  prétendu  que  l'Épître  avait 
été  rédigée  à  une  époque  où  la  distinction  entre  juifs  et 
païens  était  hors  de  mode  dans  l'Église  et  que  tous  les 
passages  où  l'on  avait  vu  des  allusions  à  des  juifs 
convertis  pouvaient  s'appliquer  à  des  païens.  Ils  en 
concluaient  qu'elle  était  destinée  à  des  Romains,  qui 
étaient  venus  au  Christ  tant  du  judaïsme  que  du  paga- 
nisme. Windisch  s'est  rallié  à  ce  sentiment.  Non,  tous 
les  traits  de  l'Épître  ne  s'appliquent  pas  aussi  bien  à  des 
païens  qu'à  des  juifs,  et  il  suffît  d'en  citer  un  exemple, 
xni,  9-11.  Lors  même  donc  qu'à  la  rigueur  quelques- 
uns  pourraient  s'entendre  des  gentils,  l'impression 
générale  demeure  que  la  lettre  suppose  un  état  d'âme 
que  seuls  des  judéo-chrétiens  ont  pu  avoir. 

2°  A  quels  juifs  convertis  l' É pitre  fut-elle  destinée  ?  — 
Quelques  critiques  ont  prétendu  qu'elle  était  adressée 
à  tous  les  chrétiens  issus  du  judaïsme.  La  lettre  n'a  pas 
les  caractères  d'une  encyclique,  et  son  auteur  paraît 
avoir  en  vue  des  lecteurs  qu'il  connaît  personnellement, 
v,  11, 12;  x,  22-24.  Elle  était  donc  plutôt  envoyée  à  une 
communauté  judéo-chrétienne  en  particulier.  A  la- 
quelle? On  a  nommé  parfois  les  Églises  de  Corinthe, 
de  Thessalonique,  d'Antioche,  de  Ravenne,  de  la  Ga- 
latie,  et  même  celle  de  Jamnia.  Ces  désignations  n'ont 
aucun  fondement.  L'ancienne  tradition  a  enseigné  que 
la  lettre  était  destinée  aux  chrétiens  de  Jérusalem  ; 
des  critiques  modernes  ont  pensé  aux  communautés 
judéo-chrétiennes  d'Alexandrie  et  de  Rome. 

1.  A  l'Église  judéo-chrétienne  de  Jérusalem.  —  On  peut 
apporter  en  ce  sens  de  bons  arguments.  Le  titre  ;tpôç 
'ËSpaîouç  vise  les  Juifs  convertis  de  Jérusalem.  Dans  le 
Nouveau  Testament,  les  'ESpaîot  sont  des  chrétiens  d'o- 
rigine juive,  qui  parlent  araméen,  par  opposition  aux 
"EXXi}veç  ou  'EXXr|V.<iTai,  qui  parlent  grec.  La  tradition 
ecclésiastique  a  entendu  le  titre  dans  ce  sens.  La  com- 
munauté chrétienne  de  Jérusalem  était  la  seule  où  il 
n'y  eut  pas  de  convertis  de  la  gentilité.  Du  reste,  le 
contenu  de  l'Épître  confirme  cette  interprétation  du 
titre.  Les  lecteurs  connaissaient  à  fond  le  culte  juif  et  le 
service  lévitique,  et  ils  l'avaient  eu  sous  les  yeux.  Il  n'y 
a  pas  le  moindre  indice  qu'il  ait  cessé  d'être  pratiqué. 
Au  contraire,  il  est  dit  que  les  sacrifices  juifs  continuent 
à  être  offerts,  vin,  3-5;  x,  2;  xm,  9-11.  Toutefois,  il 
n'est  pas  fait  mention  du  temple  de  Jérusalem,  car  la 
description,  ix,  2-9,  est  celle  du  tabernacle  du  désert. 
Le  détail  que  le  Christ  est  mort  àÇa>  tf);  îiùXt];,  xm,  12, 
ne  pouvait  intéresser  que  des  Palestiniens.  Les  fonda- 
teurs de  la  communauté  avaient  été  des  apôtres  directs 
du  Christ,  ii,  3;  xm,  7 ,  ce  qui  s'est  réalisé  à  Jérusalem. 
Ils  étaient  morts  pour  la  foi,  xm,  7  :  ce  qui  convient  à 
saint  Etienne  (35),  aux  deux  Jacques,  le  Majeur  (44) 
et  le  Mineur  (62).  Les  lecteurs  eux-mêmes  ont  subi  la 
persécution  pour  leur  foi,  x,  32-34;  ils  n'ont  pas  encore 
résisté  jusqu'au  sang,  xn,  4.  L'opposition  établie  entre 
la  Jérusalem  terrestre  et  la  Jérusalem  céleste,  xn,  22, 
confirme  les  données  précédentes,  qui  sont  loin  d'être 
vagues  et  générales. 

On  a  prétendu,  à  rencontre  de  ce  sentiment,  que 
l'éloge  de  la  charité  manifestée  à  l'égard  des  saints, 
vi,  K),  convient  mieux  à  une  Église  étrangère  qui  au- 
rait assisté  de  ses  aumônes  la  pauvre  communauté  de 
Jérusalem,  d'autant  que,  dans  tout  le  Nouveau  Testa- 


ment, l'expression  «  les  saints  »  sans  adjonction  de  lieu 
désigne  ordinairement  les  chrétiens  de  Jérusalem,  pour 
lesquels  on  faisait  la  collecte.  I  Cor.,  xvi,  1  ;  II  Cor., 
vin,  4;  Rom.,  xv,  31.  Mais,  d'abord,  cette  expression 
sans  nom  de  lieu  ne  désigne  pas  nécessairement  les 
chrétiens  de  Jérusalem,  puisqu'elle  est  appliquée  à 
tous  les  chrétiens  en  général,  I  Cor.,  vi,  1,  2;  Col.,  i,  12; 
Jude,  3;  Apoc,  xm,  7,  sans  qu'elle  soit  accompagnée, 
comme  ailleurs,  de  l'adjectif  jwte;.  L'Église  de  Jéru- 
salem peut  donc  être  louée  de  sa  charité  envers  des 
chrétiens.  En  outre,  le  verbe  Biaxoveïv  a  un  sens  géné- 
ral, qui  ne  peut  être  restreint  à  la  collecte,  et  qui  est 
employé  avec  le  mot  «les  saints»,  Rom.,  xn,  13; 
cf.  I  Cor.,  xvi,  15,  dans  un  contexte  où  il  n'est  pas 
question  des  collectes.  Dans  l'Épître  aux  Hébreux, 
vi,  10,  il  n'est  pas  nécessairement  question  des  collectes. 
Il  s'agit  d'un  autre  acte  de  charité  envers  les  saints, 
vraisemblablement  du  même  genre  que  celui  qui  est 
rappelé,  x,  34,  du  soin  des  prisonniers.  Les  saints  ainsi 
secourus  peuvent  être  des  chrétiens  de  l'Église  de 
Jérusalem,  qui  sont  tous  des  saints,  xm,  24. 

On  a  dit  aussi  que  la  situation  de  la  communauté, 
telle  qu'elle  est  décrite,  v,  11-14,  comprenant  des  chré- 
tiens, qui  devraient  être  des  maîtres,  mais  qui  sont 
encore  des  enfants  en  fait  de  doctrine,  ayant  besoin 
d'être  instruits  des  rudiments  élémentaires  des  oracles 
de  Dieu,  incapables  de  recevoir  une  nourriture  solide, 
ne  répond  pas  à  celle  de  l'Église  de  Jérusalem,  qui  a  été 
instruite  par  les  apôtres,  gouvernée  par  saint  Jacques 
et  visitée  par  tant  de  missionnaires  qui,  partant  de 
son  sein,  y  revenaient  après  leurs  missions.  Or,  il  est 
à  noter  que  cette  description  n'est  pas  faite  à  propos 
de  l'enseignement  ordinaire,  que  les  lecteurs  ont  reçu 
au  début  de  leur  conversion  et  qui  est  rappelé,  vi,  1,  2, 
mais  à  propos  de  la  grande  et  difficile  question  du  sacer- 
doce de  Jésus-Christ,  que  l'auteur  va  traiter,  v,  11,  et 
pour  laquelle  ses  lecteurs  ne  sont  pas  préparés.  Les 
chefs  de  cette  Église  n'en  avaient  pas  parlé  à  leurs 
fidèles,  puisque  l'Épître  aux  Hébreux  est  l'unique 
écrit  du  Nouveau  Testament  où  elle  soit  exposée.  Elle 
pouvait  donc  être  annoncée  en  ces  termes  mêmes  aux 
chrétiens  de  Jérusalem. 

Enfin,  si  la  lettre  était  destinée  aux  chrétiens  de 
Jérusalem,  elle  aurait  dû  être  écrite,  non  pas  en  grec, 
mais  bien  en  araméen,  comme  l'avaient  supposé  Pan- 
tène  et  Clément  d'Alexandrie.  Mais  le  rédacteur  ignorait 
peut-être  l' araméen  et  même  pour  écrire  aux  chrétiens 
de  Jérusalem,  il  a  employé  le  grec,  la  langue  interna- 
tionale de  cette  époque,  qui  était,  d'ailleurs,  parlée 
et  comprise  à  Jérusalem  par  beaucoup  d'habitants,  et 
la  lettre  a  pu  être  interprétée  en  araméen  pour  les  chré- 
tiens qui  n'entendaient  pas  le  grec. 

A  cause  de  la  langue,  Riehm  a  pensé  que  la  lettre  a 
été  adressée  à  un  groupe  de  juifs  hellénistes,  membres 
de  l'Église  de  Jérusalem.  Le  P.  Lemonnyer  tient  cette 
hypothèse  comme  la  plus  satisfaisante  et  il  dit  qu'on 
peut  s'y  rallier  jusqu'à  plus  ample  informé.  Épîtres  de 
saint  Paul.  Deuxième  partie,    Paris,  1905,  p.  199. 

Barklet,  dans  Exposilor,  1903,  t.  vm,  p.  382-383, 
en  s'appuyant  sur  les  métaphores,  empruntées  à  la 
vie  maritime,  n,  1  ;  vi,  18,  19,  et  sur  la  description  vi- 
vante des  courses  dans  l'amphithéâtre,  x,  33,  a  conclu 
que  les  judéo-chrétiens,  auxquels  la  lettre  était  desti- 
née, habitaient  une  ville  rapprochée  de  la  mer  et  à 
moitié  grecque.  Les  allusions  à  leur  histoire  et  aux  vices 
qu'ils  doivent  éviter  indiquent  aussi  un  pays  de  ce 
genre.  Les  lecteurs  n'ont  pas  supporté  toutes  les  persé- 
cutions précédentes  des  Églises  palestiniennes,  x, 
32  sq.  Ils  étaient  riches,  xm,  5,  et  livrés  aux  plaisirs  de 
la  chair,  xm,  4.  Or,  cette  situation,  d'après  Josèphe, 
Ant.  jud.,  xx,  8,  9,  convenait  à  l'Église  de  Césarée 
de  Palestine.  Sous  Félix,  les  juifs  riches  et  les  païens 
cherchaient  à  occuDer  la  plus  haute  situation.  Néron, 


2097 


HÉBREUX 


2098 


en  61,  enleva  aux  juifs  leurs  droits  et  reconnut  les 
païens  seuls  comme  maîtres  de  la  ville.  La  lettre  aux 
Hébreux  fut  écrite  pour  consoler  les  juifs  de  la  misère 
qui  s'ensuivit  pour  eux,  et  eux-mêmes  n'étaient  pas 
encore  revenus  au  bon  ordre.  La  lettre  serait  donc  à 
placer  entre  60  et  66.  D'autre  part,  les  événements  de 
Jérusalem,  la  mort  de  saint  Jacques,  Josèphe,  Ant. 
jud.,  xx,  9,  1,  avaient  eu  un  contre-coup  à  Césarée,  et 
les  judéo-chrétiens  de  cette  ville  étaient  à  la  veille 
d'une  persécution.  La  lettre  daterait  donc  de  62  et 
serait  du  commencement  de  l'été.  —  Ces  arguments  ne 
suffisent  pas  à  justifier  la  destination  de  l'Épître  à 
l'Église  de  Césarée,  sur  laquelle  nous  sommes  peu  ren- 
seignés. Les  métaphores  nautiques  pouvaient  être 
comprises  par  les  chrétiens  de  Jérusalem,  aussi  bien 
que  celle  des  jeux  grecs,  qu'ils  connaissaient.  D'autres 
images  indiquent  un  pays  de  culture,  vi,  7,  8.  L'auteur 
écrivait  peut-être  dans  un  port  d'Italie,  en  attendant 
Timothée,  et  il  empruntait  au  lieu  où  il  résidait  les 
images  militaires,  théâtrales  et  gymnastiques  qu'il 
emploie.  La  situation  historique,  qui  a  suivi  la  mort  de 
saint  Jacques,  a  pu  se  prolonger  pour  les  judéo-chré- 
tiens de  Jérusalem  jusqu'à  la  date  fixée. 

2.  A  l'Église  judéo-chrétienne  d'Alexandrie.  — 
Quelques  critiques,  Schmidt,  Hilgenfeld,  Volkmar, 
Davidson,  Ritschl,  Wieseler  et  Weizsâcker  l'ont  pensé. 
Cette  Église,  disent-ils,  a  été  dès  son  berceau,  nom- 
breuse et  elle  a  exercé  une  forte  influence  doctrinale. 
Or,  l'Épître  aux  Hébreux  reflète  les  idées  et  les  ten- 
dances des  écrivains  juifs  d'Alexandrie,  notamment 
de  Philon,  et  elle  interprète  l'Ancien  Testament  selon 
leur  mélhode  figurative.  Seuls,  des  Alexandrins  étaient 
capables  de  comprendre  l'interprétation  typologique  de 
l'Épître  et  la  manière  dont  l'auteur  spiritualise  le  culte 
mosaïque.  Les  citations  bibliques  de  l'Épître,  faites 
d'après  la  version  des  Septante,  se  rapprochent  plus 
du  texte  du  codex  Alcxandrinus  que  de  celui  des  autres 
manuscrits.  Plusieurs  expressions  sont  communes  à 
la  Sagesse,  qui  est  un  écrit  alexandrin,  et  à  l'Épître  : 
ainsi  noXujxepbj;,  Sap.,  vu,  22;  Heb.,  i,  1;  kKtxûy/xvpti, 
Sap.,  vu,  25;  Heb.,  i,  3;  ûjto<3T<xai;,  Sap.,  xvi,  22;  Heb., 
i,  3;  Beparccov,  Sap.,  x,  16;  Heb.,  ni,  5.  La  langue  de 
l'Épître  présente  des  analogies  avec  celle  de  Philon 
tant  pour  certains  termes  communs  que  pour  les  formes 
de  la  phrase.  On  peut  en  conclure  que  l'auteur  était  un 
membre  de  l'Église  d'Alexandrie  à  laquelle  il  écrivait. 
Enfin,  ce  qui  est  dit  du  tabernacle,  ix,  2-8,  et  des 
prêtres  offrant  chaque  jour  un  sacrifice  pour  le  péché, 
vu,  27,  décrirait  les  usages  du  temple  juif  de  Léonto- 
polis. 

Ces  arguments  ont  peu  de  valeur.  Les  ressemblances 
avec  Philon  et  l'école  alexandrine,  quoique  réelles,  ne 
sont  pas  suffisantes  pour  permettre  d'affirmer  que 
l'auteur  et  les  lecteurs  étaient  des  chrétiens  d'Alexan- 
drie. Tous  les  judéo-chrétiens  pouvaient  comprendre 
la  typologie  de  l'Épître  et  sa  spiritualisation  de  la  loi 
mosaïque,  car  cette  méthode  d'interprétation  était 
répandue  dans  toutes  les  communautés  juives  des  pays 
de  la  dispersion  et  elle  ne  devait  pas  même  être  incon- 
nue à  Jérusalem,  où  il  y  avait  une  synagogue  d'Alexan- 
drins. Act.,  vi,  9.  Les  citations  bibliques,  qui  res- 
semblent au  texte  de  V Alcxandrinus,  ne  sont  pas 
nombreuses,  et  une  seule  mérite  de  fixer  l'attention. 
Nous  ignorons  entièrement  quel  était  le  culte  pratiqué 
à  Léontopolis.  Les  allusions  indiquées  sont  purement 
hypothétiques.  D'ailleurs,  il  est  question  du  tabernacle 
du  désert,  ix,  2-8,  et  le  sacrifice,  offert  tous  les  jours, 
vu,  27,  n'est  pas  spécifiquement  le  sacrifice  pour  le 
péché,  mais  un  sacrifice  ordinaire,  dont  un  des  effets 
était  expiatoire.  Enfin,  les  docteurs  d'Alexandrie, 
qui  sont  les  premiers  à  parler  de  l'auteur  et  des  desti- 
nataires de  l'Épître,  l'attribuent  à  saint  Paul  et  disent 
qu'elle  a  été  adressée  aux  Hébreux  de  Jérusalem.  Ils  ne 


soupçonnaient  même  pas  qu'elle  ait  été  envoyée  à  leur 
Église. 

3.  A  l'Église  de  Rome.  —  Un  plus  grand  nombre 
d'auteurs,  Wettstein,  Holtzmann,  Mangold,  Schenkel, 
von  Soden,  Zahn,  Harnack,  en  Allemagne,  Alford, 
Bruce  et  Milligan  en  Angleterre,  Renan  et  Albert 
Réville  en  France,  ont  prétendu  que  l'Épître  aux 
Hébreux  avait  été  adressée  à  la  communauté  judéo- 
chrétienne  de  Rome,  ou  au  moins  à  une  de  ses  églises 
domestiques.  Les  allusions  historiques  de  la  lettre 
orientent  vers  Rome.  Les  lecteurs  sont  félicités  du 
grand  combat  qu'ils  ont  soutenu  au  milieu  des  souf- 
frances, x,  32,  de  la  joie  avec  laquelle  ils  se  sont  résignés 
à  la  confiscation  de  leurs  biens,  x,  34.  Quelques-uns 
ont  subi  le  martyre,  xn,  4,  et  les  chefs  de  la  commu- 
nauté (saint  Pierre  et  saint  Paul)  ont  été  victimes  de  la 
persécution,  xni,  7.  Aussi  les  persécutés  sont-ils 
abattus  et  sur  le  point  de  fléchir,  xn,  12.  L'auteur  veut_ 
relever  leur  courage  et  remettre  sous  leurs  yeux  la 
passion  de  Jésus.  Ils  doivent  retremper  leur  énergie 
dans  la  foi,  car  la  persécution  se  prolonge,  xni,  2,  3. 
Beaucoup  sont  prisonniers  et  en  proie  à  de  mauvais 
traitements,  et  d'autres  épreuves  sont  imminentes, 
xn,  3,  4.  Ces  traits  conviennent  à  la  situation  de  l'Église 
de  Rome  sous  Claude  et  sous  Néron.  En  42,  Claude 
chasse  les  juifs  de  Rome,  et  les  chrétiens  sont  englobés 
dans  son  édit.  Act.,  vin,  2  (Aquila  et  Priscille).  L'au- 
teur a  été  atteint  par  cette  persécution  :  il  est  éloigné 
de  sa  communauté  par  une  mesure  de  rigueur,  semble- 
t-il,  xin,  19.  La  police  avait  interdit  les  réunions  des 
juifs  non  expulsés  de  Rome.  Par  suite,  beaucoup  des 
destinataires  avaient  déserté  leur  assemblée.  En  64, 
il  y  eut  de  nombreuses  arrestations  de  chrétiens.  Cf. 
xm,  3.  La  répression,  commencée  sous  le  grief  d'incen- 
die de  Rome,  fut  continuée  sous  l'accusation  d'inimitié 
du  genre  humain  et  elle  devint  permanente  et  systé- 
matique. La  salutation  des  frères  d'Italie,  xm,  24, 
confirme  cette  conclusion.  Elle  est  celle  de  ceux  qui 
sont  venus  d'Italie,  si  àrcô  indique  le  point  de  départ  et 
T7]?  'iTaXi'aç  le  lieu  d'origine.  S'il  s'était  agi  de  la  saluta- 
tion des  habitants  de  l'Italie, àxô  aurait  été  remplacé 
par  èv.  Cf.  I  Pet.,  v,  13.  Enfin  l'Église  de  Rome  était 
spécialement  renseignée  sur  l'Épître.  Clément  de  Rome 
l'a  connue,  et  les  Romains  savaient  qu'elle  n'était  pas 
de  Paul,  c'est  pourquoi  ils  ne  la  recevaient  pas  au 
nombre  des  écrits  canoniques  du  Nouveau  Testament. 
Ces  faits  s'expliquent  aisément  si  la  lettre  a  été  adressée 
à  l'Église  de  Rome. 

Comme  l'Église  de  Rome  était  composée  de  chré- 
tiens, dont  une  partie,  sinon  la  majorité,  était  d'origine 
païenne,  plusieurs  critiques  ont  supposé  que  la  lettre 
n'avait  pas  été  adressée  à  toute  l'Église  de  Rome,  mais 
à  une  des  petites  communautés  qui  existaient  dans  son 
sein  et  dont  l'existence  est  attestée  au  c.  xvi  de  l'Épître 
aux  Romains.  Pour  Milligan,  The  Theology  of  the 
Epistle  to  the  Hebrcws,  Edimbourg,  1899,  p.  49-50,  la 
communauté  destinataire  était  celle  qui  avait  été  for- 
mée par  les  Romains  qui  étaient  à  Jérusalem  le  jour  de 
la  Pentecôte,  Act.,  n,  10,  et  qui  étaient  peu  instruits 
de  la  doctrine  chrétienne.  Mais  les  advenœ  Romani 
n'étaient-ils  pas  plutôt  des  juifs,  autrefois  établis  à 
Rome  et  revenus  à  Jérusalem  d'une  manière  définitive? 
Quoique,  selon  Zahn,  Einlcitung  in  das  N.  T.,  2e  édit., 
Leipzig,  1900,  t.  n,  p.  148,  l'Église  de  Rome  ait  été  en 
majorité  judéo-chrétienne,  quand  saint  Paul  lui  écri- 
vait en  58,  et  qu'elle  ait  gardé  ce  caractère  jusqu'en  80 
(époque  où  il  place  la  rédaction  de  l'Épître  aux  Hé- 
breux), il  n'est  pas  cependant  vraisemblable  que  cette 
dernière  Épître  ait  été  adressée  à  un  des  groupes  dont 
parle  saint  Paul,  Rom.,  xvi,  3-15,  à  un  groupe  de 
chrétiens  d'origine  juive,  par  exemple,  à  celui  qui  est 
mentionné  au  v.  14,  ou  à  tout  autre  de  cette  nature. 
|    Harnack,  Probabilia  ùber  die  Adresse  und  den  Verfasser 


2099 


HÉBREUX 


2100 


des  Hebràerbriefes,  dans  Zeiischrijt  fur  die  neutcslamcnl- 
liehe  ]Yisscnschaft,  1900,  p.  19,  a  pensé  à  l'Église  judéo- 
chrétienne,  établie  dans  la  maison  d'Aquila  et  de  Pris- 
cille.  Rom.,  xvi,  3,  4.  Ceux-ci,  éloignés  de  Rome  par  la 
persécution,  auraient  adressé  à  leur  Église  domestique 
une  lettre  d'encouragement  au  milieu  de  la  persécu- 
tion. 

Les  arguments  qu'on  fait  valoir  en  faveur  de  ces 
hypothèses  n'emportent  pas  la  conviction.  Les  allu- 
sions historiques  aux  persécutions  subies  sont  vagues  et 
générales,  et  elles  conviennent  mieux  a  la  situation  de 
l'Église  de  Jérusalem  qu'à  celle  de  l'Église  de  Rome. 
L'interprétation  donnée  des  mots  :  oî  àno  Tfjç  'ItaXtaç 
n'est  pas  certaine,  et  une  autre  explication  est  plus 
vraisemblable.  Si  aTtô  éveille  souvent  l'idée  d'éloigne- 
ment,  il  exprime  souvent  aussi,  surtout  dans  le  Nou- 
veau Testament,  l'idée  d'origine,  abstraction  faite  de 
tout  éloignement.  Cf.  Act,  x,  23,38;  xvn,  13.  Il  tend 
à  remplacer  èÇ,  dont  l'emploi  était  déjà  contraire  à 
l'usage  attique,  pour  exprimer  le  fait  d'arriver  d'un 
lieu  ou  d'appartenir  à  une  ville.  F.  Rlass,  Grammatik, 
p.  126.  L'expression  :  oî  iros  tij?  'IxaXt'a;,  signifie  donc 
ceux  qui  sont  originaires  d'Italie  et  qui  y  demeurent, 
de  sorte  qu'elle  indique  plutôt  le  lieu  de  la  composition 
de  l'Épître.  L'Église  de  Rome  n'a  pas  seulement  exclu 
l'Épître  aux  Hébreux  de  son  canon  biblique,  elle  l'a 
ignorée  longtemps,  quoique  saint  Clément  l'ait  utilisée. 
Cette  ignorance  ne  s'explique  guère  si  la  lettre  lui  a 
été  adressée.  Si  elle  lui  avait  été  destinée,  l'Église 
romaine  aurait  toujours  connu  la  lettre  et  elle  n'aurait 
pas  été  obligée  de  la  recevoir  tardivement,  comme  elle 
l'a  fait. 

L'opinion  traditionnelle,  suivant  laquelle  les  chré- 
tiens de  Jérusalem  ont  été  les  destinataires  de  l'Épître, 
intitulée  pour  cela  ^pôç  'E6pat'ouç,  reste  donc,  en  face 
des  hypothèses  récentes,  la  mieux  fondée  et  la  plus  vrai- 
semblable. 

III.  Lieu  et  date  de  la  composition.  —  1  °  Lieu.  — 
La  tradition  ecclésiastique  est  muette  sur  ce  point.  La 
lettre  elle-même  ne  fournit  d'autre  donnée  que  celle 
qui  vient  d'être  signalée.  Si  dans  la  phrase  :  «  Ceux 
d'Italie  vous  saluent  »,  xm,  24,  axô  a  le  sens  de  èÇ,  on 
peut  en  conclure  que  la  lettre  a  été  écrite  en  Italie, 
puisque  l'auteur  adresse  à  ses  lecteurs  la  salutation  des 
personnes  de  son  entourage.  Cette  interprétation,  qui 
est  la  plus  vraisemblable,  est  généralement  admise, 
et  elle  l'a  été  dès  l'antiquité.  Voir  S.  Chrysostome, 
In  Epist.  ad  Rom.,  arg. ;  In  Episl.  ad  Heb.,  arg.,  P.  G., 
t.  lx,  col.  393;  t.  lxiii,  col.  11;  pseudo-Euthalius, 
P.  G.,  t.  lxxxv,  col.  773;  pseudo-Athanase,  Synopsis 
sac.  Scriplurœ,  66,  P.  G.,  t.  xxvm,  col.  424;  Œcumô- 
nius,  In  Epist.  ad  Heb.,  souscription,  P.  G.,  t.  exix, 
col.  452.  Quelques  manuscrits  récents  ont  en  souscrip- 
tion soit  ar.o  ptupjç  (AP  47)  soit  aro)  iTaXiaç  (K,  109- 
113).  Ils  témoignent  du  sentiment  de  leur  temps  et  de 
leurs  copistes. 

Lewis  et  Ramsay  ont  émis  l'hypothèse  que  l'Épître 
aux  Hébreux  aurait  été  composée  à  Césarée  pendant 
que  saint  Paul  y  était  emprisonné.  La  lettre  serait  le 
résultat  des  conférences  de  l'apôtre  avec  les  presbytres 
de  la  ville,  et  elle  aurait  été  rédigée  pour  réconcilier 
les  juifs  de  Jérusalem,  adversaires  de  saint  Paul,  avec 
les  partisans  de  cet  apôtre,  en  montrant  que  les  doc- 
trines pauliniennes  expliquaient  très  bien  les  rapports 
de  l'alliance  ancienne  avec  la  nouvelle.  Le  diacre 
Philippe  aurait  tenu  la  plume;  saint  Paul  aurait  ap- 
prouvé la  lettre  et  écrit  les  derniers  versets.  C'est  une 
pure  hypothèse.  Ramsay,  dans  Exposilor,  1899,  p.  401- 
422. 

Renan,  L'Antéchrist,  Paris,  1873,  p.  211,  a  parlé 
d'Éphèse. 

2°  Date.  —  La  tradition  ecclésiastique  ne  fournit 
encore  sur  ce  point  aucune  indication,  et  les  critiques 


ne  se  sont  pas  mis  d'accord.  On  peut  distinguer,  dans 
leurs  opinions,  trois  courants  :  le  premier  place  la 
rédaction  de  l'Épître  avant  la  ruine  de  Jérusalem  en  70, 
dans  un  laps  de  temps  plus  ou  moins  antérieur  à  cet 
événement,  le  deuxième  remonte  à  la  persécution  de 
Domitien  en  90,  et  le  troisième  à  celle  de  Trajan  (116- 
118).  Ce  dernier  représenté  par  Volkmar,  Ktim  et 
Hausrath,  est  exclu  par  l'usage  que  Clément  Romain 
a  fait  de  l'Épître  entre  93  et  97.  Pour  se  prononcer 
entre  les  deux  autres,  il  faut  consulter  le  contenu  de  la 
lettre. 

Or,  il  est  dit  que  le  salut,  annoncé  d'abord  par  le 
Seigneur,  a  été  confirmé  par  les  apôtres  qui  l'avaient 
entendu,  n,  3;  que  les  destinataires  devraient  être  des 
maîtres,  v,  12;  qu'ils  ont  subi,  après  avoir  été  illuminés, 
c'est-à-dire  après  leur  conversion,  un  grand  combat, 
x,  32,  tandis  que  maintenant  leurs  mains  sont  languis- 
santes et  leurs  genoux  affaiblis,  xn,  12,  13;  qu'ils 
suivent  des  voies  qui  ne  sont  pas  droites,  et  que  leurs 
chefs  ont  été  tués  et  sont  morts,  xm,  7.  La  lettre  a  donc 
été  écrite  du  vivant  de  la  seconde  génération  chré- 
tienne. Puisqu'elle  a  été  adressée  aux  chrétiens  de  Jéru- 
salem, elle  ne  leur  a  été  envoyée  qu'après  la  mort  de 
saint  Jacques,  en  62.  Jacques  est  le  préposé  dont  il 
faut  se  souvenir  et  dont  il  faut  imiter  la  foi,  xm,  7. 
Ceux  qui  lui  ont  succédé  n'ont  peut-être  pas  la  même 
autorité  que  lui,  puisque  l'auteur  exhorte  ses  lecteurs 
à  leur  obéir  et  à  avoir  de  la  déférence  envers  eux,  xin^ 
17.  S'il  est  question  de  la  sortie  de  prison  de  Timothée, 
xm,  23,  cette  donnée  nous  reporte  à  62-63,  car  on  ne 
connaît  pas  d'emprisonnement  antérieur  de  ce  person- 
nage. 

D'autre  part,  l'Épître  n'a  pas  été  écrite  après  la 
ruine  de  Jérusalem,  en  70.  L'auteur  parle,  en  effet,  du 
culte  juif  comme  étant  encore  pratiqué.  Il  y  a  encore 
sur  terre  des  prêtres  juifs  qui  offrent  à  Dieu  des  dons, 
vin,  4.  Après  avoir  décrit  le  tabernacle  mosaïque  et  les 
sacrifices  qui  s'y  opéraient,  ix,  2-8,  l'auteur  conclut  : 
«  C'est  une  figure  pour  le  temps  présent  où  l'on  présente 
des  offrandes  et  des  sacrifices  qui  ne  peuvent  rendre 
parfait  »,  9.  Les  sacrifices  sanglants  sont  encore  offerts 
pour  la  rémission  des  péchés,  ix,  22,  et  le  grand-prêtre 
pénètre  encore  une  fois  par  an  dans  le  Saint  des  saints, 
îx,  25.  Les  sacrifices  annuels  de  bœufs  et  de  taureaux 
ne  rendent  pas  parfaits,  puisqu'on  n'a  pas  cessé  de  les 
offrir  et  qu'on  les  offre  encore  chaque  année,  x,  1-3. 
Toute  l'argumentation  de  l'auteur  suppose  que  la  reli- 
gion mosaïque  existe  toujours;  elle  vise  à  dissuader 
les  lecteurs  de  retourner  au  culte  du  temple  de  Jéru- 
salem. Après  la  destruction  de  la  ville,  ce  but  eût  été 
sans  raison.  Si  le  temple  avait  été  renversé,  l'auteur  en 
aurait  parlé,  car  sa  ruine  aurait  été  pour  sa  thèse  un 
argument  irréfragable.  Il  n'aurait  pas  dit  seulement 
que  la  première  alliance  était  vieillie  et  près  de  finir, 
vin,  13,  il  aurait  dit  qu'elle  était  morte  et  abolie. 
Les  deux  alliances  qu'il  compare  constamment  et  qu'il 
oppose  sont  coexistantes.  Si  la  première  avait  été 
abrogée,  il  n'aurait  pas  eu  besoin  de  recommander  de 
ne  pas  retourner  à  des  images  mortes  ni  craint  une 
défection  par  le  retour  à  l'ancien  culte. 

Non  seulement  il  n'est  pas  fait  mention  de  la  ruine 
du  temple,  il  n'y  a  pas  non  plus  la  moindre  allusion  à  la 
guerre  juive  qui  a  précédé  et  amené  cette  catastrophe. 
L'Épître  a  donc  été  écrite  avant  l'ouverture  de  cette 
guerre.  Toutefois,  elle  l'aurait  précédée  d'assez  peu. 
La  persécution,  en  effet,  peut  bien  reprendre  plus  vio- 
lente que  par  le  passé,  xn,  4,  5.  La  patience  est  néces- 
saire, et  le  Seigneur  ne  tardera  pas  à  venir,  x,  36,  37, 
Le  grand  jour  approche,  et  les  fidèles  le  voient  venir,  x. 
25.  Ce  serait  donc  entre  63  et  66  que  la  lettre  aurait  été 
composée.  C'est  la  conclusion  adoptée  par  beaucoup 
de  catholiques,  Cornely,  Schâfer,  Trenkle,  Relser, 
Huyghe,  Prat,  et  de  protestants,  Wieseler,  Westcott,. 


2101 


HÉBREUX 


2102 


Riehm,  Weiss,  Ménégoz,  Davidson,  Barth,  Hollmann, 
Seeberg,  Riggenbach,  et  même  par  Renan. 

Cependant  quelques  critiques  remontent  à  une  époque 
postérieure  à  la  ruine  de  Jérusalem  :  Zahn  et  Windisch, 
aux  environs  de  80;  Holtzmann,  Schenkel,  von  Soden, 
au  temps  de  la  persécution  de  Domitien,  en  90.  Us 
reprennent  les  arguments  précédents,  mais  en  les  for- 
çant et  en  les  rapportant  à  une  date  plus  éloignée  du 
début  de  l'ère  chrétienne.  La  génération  des  lecteurs 
est  celle  qui  a  suivi  la  mort  des  apôtres.  L'alliance 
mosaïque  a  vieilli,  et  son  culte  n'est  plus  pratiqué. 
Au  lieu  d'en  parler,  en  effet,  l'auteur  prend  ses  figures 
dans  le  tabernacle  du  désert,  dans  les  instruments  de 
culte  qu'il  contenait  et  dans  les  sacrifices  qui  s'y  accom- 
plissaient. S'il  fait  allusion  au  service  du  temple  de 
Jérusalem,  il  ne  le  suppose  pas  debout  encore,  car  il  a 
pu  en  parler  môme  après  la  destruction  de  l'édifice  et 
la  cessation  des  sacrifices,  comme  de  choses  finies,  et 
il  a  pu  le  faire,  en  employant  des  verbes  au  présent, 
comme  si  le  temple  existait  encore.  D'autres  écrivains, 
certainement  postérieurs  à  70,  en  ont  parlé  de  la  sorte 
et  se  sont  servis  de  verbes  au  temps  présent.  Ainsi 
S.  Clément  de  Rome,  Ia  Cor.,  xli,  2,  Funk,  Paires  apos- 
tolici,  t.  I,  p.  150;  Epislola  Barnabœ,  c.  vn-ix,  p.  58- 
65;  Epislola  ad  Diognetem,  3,  p.  394;  S.  Justin,  Dial. 
cum  Tryphone,  117,  P.  G.,  t.  vi,  col.  745;  Josèphe, 
Ant.  jud.,  m,  7-11.  Ce  présent  est  ce  qu'on  appelle 
le  présent  historique. 

Ces  arguments  ne  sont  pas  sans  réplique.  La  plupart 
des  textes  auxquels  ils  se  réfèrent  s'expliquent  aussi 
bien,  et  même  mieux,  de  l'époque  qui  a  précédé  la 
guerre  juive.  Les  explications,  données  plus  haut, 
gardent  leur  signification  et  leur  valeur.  L'auteur  de 
l'Épître  aux  Hébreux  aurait  pu  sans  doute  parler  du 
service  du  temple  comme  il  l'a  fait,  même  après  la 
ruine  de  la  ville,  mais  cela  ne  prouve  pas  que  le  temple 
était  détruit,  quand  il  écrivait,  et  il  est  plus  vraisem- 
blable que,  sous  sa  plume,  le  présent  exprime  une 
réalité  encore  existante  plutôt  qu'un  fait  passé.  Aussi 
il  nous  paraît  mieux  établi  que  la  lettre  a  été  composée 
entre  63  et  66. 

IV.  Occasion  et  dut.  —  Le  contenu  de  l'Épître 
peut  seul,  ici  encore,  nous  renseigner. 

1°  Occasion.  —  A  la  date  de  l'Épître,  les  juifs  con- 
vertis de  Jérusalem,  qui  en  étaient  les  destinataires, 
furent  exposés  à  différents  périls.  La  persécution,  qui 
venait  de  finir  et  qui  avait  fait  périr,  en  62,  leur  évêque, 
Jacques  le  Mineur,  les  avait  atteints  probablement, 
eux  aussi,  et  les  avait  découragés.  D'après  Ilégésippe, 
cité  par  Eusèbe,  H.  E.,  iv.  22,  P.  G.,  t.  xx,  col.  380, 
Thébutis,  mécontent  de  n'avoir  pas  été  choisi  pour 
succéder  à  saint  Jacques,  se  mit  à  corrompre  l'Église 
de  Jérusalem,  qui  n'avait  pas  encore  jusque-là  été 
troublée  par  de  vains  discours.  D'autre  part,  la  foi  des 
chrétiens  de  cette  ville  était  en  danger,  et  quelques- 
uns  d'eux  étaient  tentés  de  retourner  au  judaïsme,  vi, 
4-6;  x,  26  sq.  Ils  jetaient  un  regard  en  arrière  et  ils 
étaient  attirés  vers  leur  ancien  culte.  N'avaient-ils  pas 
dans  le  judaïsme  la  promesse  faite  à  Abraham,  vi, 
13,  le  témoignage  de  Moïse,  le  fidèle  serviteur  de  Dieu, 
m,  2  ?  Les  prescriptions  du  culte  juif  ne  venaient-elles 
pas  de  Dieu  lui-même,  ix,  1,  et  le  tabernacle  de  Moïse 
n'avait-il  pas  été  construit  sur  ses  plans,  ix,  2-5  ?  Le 
judaïsme  n'avait-il  pas  un  grand-prêtre  établi  pour 
offrir  des  oblations  et  des  sacrifices  pour  les  péchés  du 
peuple,  v,  1?  Ces  regrets  éveillaient  sans  doute  dans 
l'esprit  des  juifs  convertis  des  doutes  sur  la  valeur  et 
l'efficacité  du  christianisme,  qui  n'avait  pas  un  culte 
organisé  comme  celui  du  temple,  qui  n'avait  ni  temple 
ni  autel  ni  rites.  S'il  n'y  eut  pas  de  véritables  aposta- 
sies, x,  39,  il  y  eut  au  moins  un  affaiblissement  de  la 
foi  chrétienne,  des  défaillances  et  des  chutes,  puisqu'il 
fallait  faire  pénitence,  vi,  4-6,  et  que  des  châtiments 


menaçaient  ceux  qui  auraient  foulé  aux  pieds  le  Fils 
de  Dieu,  tenu  pour  impur  le  sang  de  l'alliance  et  ou- 
tragé l'Esprit  de  grâce,  x,  29.  Les  pressantes  exhorta- 
tions à  la  fidélité,  ni,  1,  2;  iv,  14;  x,  23;  xm,  9,  sont 
des  indices  que  cette  fidélité  avait  décru  et  qu'il  fallait 
la  relever.  Quelques-uns  avaient  coutume  d'aban- 
donner les  assemblées,  x,  26.  Ils  s'étaient  relâchés 
dans  la  piété  et  dans  la  pratique  de  la  morale  chré- 
tienne, vi,  4-8;  x,  29.  Il  est  nécessaire  de  rappeler  les 
devoirs  les  plus  essentiels:  le  respect  du  lit  conjugal, 
xm,  4,  la  nécessité  de  la  pureté,  xn,  16,  et  d'exhorter 
à  la  sanctification,  xn,  12,  13,  à  l'amour  fraternel  et  à 
l'hospitalité,  xm,  1,  2. 

2°  But.  —  C'est  à  cause  de  cette  situation  et  de  l'état 
d'esprit  d'un  certain  nombre  de  chrétiens  de  Jérusa- 
lem que  l'auteur  adressa  à  l'Église-rnère  une  parole  de 
consolation,  xn,  22,  c'est-à-dire  d'encouragement  et 
d'exhortation.  Il  voulait  donc  empêcher  ses  lecteurs 
de  se  relâcher  dans  les  pratiques  de  la  vie  religieuse 
et  de  retourner  au  culte  mosaïque  qui  les  attirait  par 
ses  rites  extérieurs.  C'est  pourquoi  il  leur  démontra 
longuement  la  supériorité  de  Jésus-Christ  sur  les 
organes  de  l'ancienne  alliance,  les  anges  et  Moïse,  et 
la  supériorité  de  l'alliance  nouvelle  sur  l'ancienne. 
C'est  pourquoi  encore  il  exposa  ce  qu'est  le  sacerdoce 
de  Jésus-Christ,  supérieur,  lui  aussi,  au  sacerdoce  de 
l'ancienne  loi,  ce  qu'est  son  sacrifice  sur  la  croix,  supé- 
rieur aux  sacrifices  mosaïques.  De  cette  supériorité  de 
l'alliance  nouvelle  et  de  son  médiateur  il  concluait  que 
ses  lecteurs  devaient  rester  attachés  à  leur  foi,  qui 
était  capable  de  les  sauver  comme  elle  avait  sauvé  par 
anticipation  les  justes  de  l'ancienne  loi,  iv,  14  ;  x,  23, 
38,  39;  xi.  Il  mêlait  à  cette  exposition  dogmatique 
l'exhortation  morale,  en  insistant  sur  les  vertus  les 
plus  nécessaires,  la  fidélité,  la  patience  et  l'espérance, 
sur  les  périls  de  l'apostasie,  vi,  1-3  ;  x,  26-31,  sur  la 
fréquentation  des  assemblées  religieuses,  x,  25. 

Les  critiques  qui  font  adresser  l'Épître  aux  commu- 
nautés judéo-chrétiennes  d'Alexandrie  ou  de  Rome 
assignent  un  autre  but  à  l'auteur.  Les  exhortations 
pratiques  sont  alors  son  principal  enseignement,  et  les 
considérations  doctrinales  leur  seraient  subordonnées. 
L'écrivain  aurait  voulu  rappeler  ses  lecteurs  à  la  foi 
chrétienne  et  raffermir  leur  courage  au  milieu  des  per- 
sécutions, en  leur  prouvant  la  grandeur  suréminente 
du  Christ  et  de  son  œuvre.  Tout  ce  qui  est  dit  de  Jésus- 
Christ  aurait  un  but  pratique  et  tendrait  à  promouvoir 
la  fidélité  à  sa  doctrine. 

V.  Nature.  —  L'Épître  aux  Hébreux  est-elle  une 
lettre  ou  un  traité  didactique  ? 

Pour  qu'elle  soit  une  lettre,  il  faudrait  qu'elle  eût 
en  tête  une  suscription  et  une  adresse  comme  les  autres 
lettres  du  Nouveau  Testament,  au  moins  celles  de 
saint  Paul.  Elle  en  a  bien  en  queue  les  apparences  parles 
quelques  détails  personnels  et  les  courtes  salutations 
qui  y  sont  donnés,  xm,  22-24.  Overbeck  et  Lipsius 
ont  même  prétendu,  sans  raison  valable  toutefois, 
que  ces  versets  étaient  une  addition  postérieure,  faite 
pour  donner  à  l'écrit  un  cachet  épistolaire.  En  outre, 
le  plan  de  l'écrit  est  très  net  et  se  développe  régulière- 
ment, les  arguments  s'enchaînent  très  logiquement, 
et  le  style  est  plus  littéraire  que  ne  le  comporte  une 
lettre  privée  et  familière.  Aussi  plusieurs  critiques, 
notamment  ceux  de  l'école  de  Tubingue,  en  ont  conclu 
que  l'Épître  n'est  pas  une  lettre,  mais  un  traité  systé- 
matique de  théologie.  Deissmann,  Lichl  vom  Oslen, 
Tubingue,  1908,  p.  171;  Paulus,  Tubingue.  1911, 
p.  6-8,  qui  ne  considère  que  la  forme  extérieure,  n'y 
voit  ni  une  lettre,  ni  même  une  épître.  Voir  Épîtres, 
t.  v,  col.  369  sq.  Sans  les  derniers  versets,  elle  pourrait 
aussi  bien  être  regardée  comme  un  discours  ou  une 
diatribe  (conférence).  Elle  se  nomme  elle-même  un 
loyoi   T7JÇ   jtapaxXrJasws,  xm,  22.  Les  détails  épisto- 


2103 


HÉBREUX 


2104 


laires  qui  y  sont  ajoutés  ne  sont  qu'un  ornement, 
comme  dans  les  épitres-traités.  Cet  ornement  enlevé, 
le  caractère  de  l'écrit  n'en  est  pas  essentiellement  modi- 
fié. C'est  le  premier  document  eu  la  littérature  artis- 
tique chrétienne;  c'est  l'épître-traité  la  plus  parfaite. 
Windisch  voit  plutôt  dans  l'Épître  une  homélie.  L'ora- 
teur s'adresse  parfois  à  des  auditeurs  qu'il  connaît  et 
qu'il  interpelle.  Cependant  son  exposé  didactique 
indique  plutôt  une  homélie  simplement  écrite  qu'il 
aurait  adressée  à  l'Église  destinataire  en  ajoutant 
la  finale  épistolaire. 

Ces  considérations  ne  sont  pas  sans  réplique.  Quoi 
qu'il  en  soit  du  début,  la  finale  authentique  demeure 
comme  indice  du  caractère  épistolaire  de  l'écrit.  L'au- 
teur prie  ses  frères  de  prendre  en  bonne  part  l'exhorta- 
tion qu'il  vient  de  leur  adresser;  il  leur  a  écrit  briève- 
ment, xiii,  22.  Dans  le  cours  de  l'ouvrage,  il  s'adresse 
évidemment  à  des  personnes  déterminées.  Il  vise  des 
lecteurs  qu'il  connaissait  ;  il  parle  de  leurs  défauts,  v, 
11  ;  il  sait  ce  qu'ils  sont  et  ce  qu'ils  devraient  être,  v,  12; 
il  leur  rappelle  leurs  combats,  x,  32.  leur  compassion 
envers  les  prisonniers,  le  généreux  abandon  qu'ils  ont 
fait  de  leurs  biens,  x,  34  ;  il  leur  promet  un  sort  meilleur, 
parce  que  Dieu  ne  peut  oublier  leurs  travaux  ni  les 
services  qu'ils  ont  rendus,  vi,  9,  10.  La  forme  littéraire 
et  l'appareil  dialectique  ne  prouvent  pas  que  l'écrit 
soit  un  traité  de  théologie,  ni  le  premier  document  de 
la  littérature  artistique  chrétienne,  car  l'Épître  aux 
Romains,  si  elle  est  moins  artistique  dans  son  style,  est 
aussi  didactique,  et  pourtant  M.  Deissmann  lui-même 
lui  reconnaît  le  caractère  de  lettre  privée.  On  peut  donc 
admettre  aussi  que  l'Épître  aux  Hébreux  est  une  véri- 
table lettre.  Le  but  exhortatif  de  l'auteur  explique  le 
caractère  de  discours  ou  de  conférence  ou  d'homélie 
que  présente  cette  lettre  privée,  adressée  aux  chré- 
tiens de  Jérusalem.  Voir  B.  Weiss,  Der  Hcbrcierbrief 
in  zeitgcschichtlicher  Berichtung,  Leipzig,  1910. 

VI.  Plan.  — Entrant  tout  de  suite  en  matière,  même 
sans  préambule  épistolaire,  l'auteur,  dans  un  exorde 
très  court,  expose  l'idée  générale  de  sa  lettre  :  la  supé- 
riorité de  la  nouvelle  alliance  sur  l'ancienne,  i,  1-3. 
La  démonstration  de  cette  idée  et  la  déduction  des 
conclusions  pratiques  qui  en  découlent  forment  le  corps 
de  la  lettre  Comme  l'exhortation  est  continuellement 
mêlée  à  l'exposé  dogmatique,  il  n'y  aurait  pas  lieu, 
semble-t-il  à  première  vue,  de  distinguer  la  partie  dog- 
matique de  la  partie  pratique.  Cependant,  en  ne  tenant 
compte  que  de  l'élément  prédominant,  on  peut  le  faire, 
comme  pour  la  plupart  des  Épîtres  de  saint  Paul. 

La  partie  dogmatique  contient  les  preuves  de  la 
supériorité  de  l'alliance  nouvelle  sur  l'ancienne,  i,  4-x, 
18.  Cette  supériorité  résulte  :  1°  de  la  prééminence 
infinie  de  la  personne  du  Fils  de  Dku  sur  les  organes 
de  l'ancienne  alliance  :  a)  sur  les  anges,  i,  4-n,  18; 
b)  sur  Moïse,  m,  1-iv,  13;  2°  de  la  supériorité  de  la 
fonction  du  Fils  de  Dieu  :  a)  il  est  grand-prêtre  selon 
l'ordre  de  Melehisédech,  iv,  14-vn,  3,  et  son  sacerdoce 
est  supérieur  à  celui  de  Melehisédech  et  des  prêtres 
de  l'ancienne  loi,  vu,  4-28;  b)  le  sacrifice  de  ce  grand- 
prêtre  est  supérieur  aux  sacrifices  anciens,  vin,  1-x, 
18. 

La  partie  pratique  comprend  les  exhortations  qui 
découlent  de  ces  enseignements  :  1°  à  persévérer  dans 
la  foi,  x,  19-xn,  13;  2°  à  pratiquer  différentes  vertus, 
xii,  14-xni,  17. 

L'épilogue  ajoute  diverses  recommandations,  xm, 
18-25. 

VII.  Doctrine. —  1°  Le  Chris!,  Fils  de  Dieu.  —  L'au- 
teur de  l'Épître  envisage  surtout  le  Christ  glorifié  au 
ciel,  et  il  l'appelle  le  Fils.  Ce  Fils,  c'est  Jésus  par  lequel 
Dieu  a  parlé  récemment  aux  chrétiens,  qu'il  a  établi  héri- 
tier de  toutes  choses  et  par  lequel  aussi  il  avait  créé  les 
siècles,  I,  2;  c'est  lé  médiateur  de  la  nouvelle  alliance,  le 


roi  et  le  créateur  de  tout.  Voilà  ce  que  Dieu  a  fait  par 
et  pour  son  Fils.  Mais  celui-ci  est,  dans  sa  nature 
propre,  relativement  à  son  Père,  le  rayonnement  de  la 
gloire  et  l'effigie  de  son  être,  i,  3,  c'est-à-dire  le  rayon- 
nement de  l'éclat,  de  la  majesté  de  celui  qui  est  la 
lumière  substantielle  et  éternelle  et  l'image  subsistante 
de  son  être.  Il  ne  fait  pas  seulement  refléter  son  Père, 
il  est  lui-même  un  rayon  qui  émane  substantiellement 
du  soleil  de  gloire  qu'est  son  Père;  il  est  la  reproduction 
exacte,  l'image  adéquate  de  l'être  divin,  dont  il  émane 
et  dont  il  porte  en  lui-même  l'empreinte.  Relativement 
au  monde,  qu'il  a  créé,  il  le  porte,  le  soutient  et  le 
conserve  par  la  manifestation  extérieure  de  sa  puis- 
sance, i,  3.  Ayant  purifié  le  monde  des  péchés  par  son 
sacrifice  sanglant  sur  la  croix,  il  s'est  assis  lui-même 
à  la  droite  de  la  majesté  divine  dans  les  hauteurs  des 
cieux,  i,  3.  Il  est  ainsi  devenu,  dans  sa  nature  humaine, 
supérieur  aux  anges  en  raison  de  son  nom  de  Fils,  dont 
il  a  hérité  pour  toujours,  en  qualité  de  Fils,  lors  de  son 
triomphe,  i,  4,  car  Dieu  n'a  jamais  dit  à  aucun  des 
anges  :  «  Tu  es  mon  Fils,  je  t'ai  engendré  aujour- 
d'hui »,  Ps.  ii,  7,  au  jour  de  l'incarnation  plutôt  qu'au 
jour  de  l'éternelle  génération,  puisque  cette  parole  a 
été  prononcée  à  un  jour  déterminé,  ni  :  «  Je  serai  pour 
lui  un  père  et  il  sera  pour  moi  un  Fils  »,  II  Reg.,  vu,  14, 
parole  dite  figurativement  du  Fils  dans  la  personne  de 
Salomon  lors  de  son  intronisation  royale,  i,  5.  La  supé- 
riorité du  Fils  sur  les  anges  résulte  encore  de  la  parole 
biblique,  Ps.  evi,  7  (dans  les  Septante),  d'après  la- 
quelle Dieu,  au  jour  de  la  seconde  venue  de  Jésus  sur 
terre,  ordonnera  à  tous  les  anges  de  l'adorer,  i,  6.  Les 
anges,  du  reste,  ne  sont  que  des  serviteurs,  agiles 
comme  les  vents  et  l'éclair,  prêts  à  partir  aux  ordres 
de  Dieu,  Ps.  cm,  4,  tandis  que  le  trône  du  Fils,  qui  est 
appelé  Dieu  au  vocatif,  est  éternel  et  que  le  sceptre 
de  son  règne  est  un  sceptre  de  droiture,  puisqu'il  a 
armé  la  justice  et  haï  l'iniquité;  aussi  Dieu,  son  Dieu, 
lui  a-t-il  donné  au  ciel  l'onction  de  l'allégresse  plus 
qu'à  ses  collègues,  les  anges  qui  participent  à  sa  gloire. 
Ps.  xliv  ,  7, 8.  A  cette  citation,  i,  8,9,  se  joint  une  autre, 
i,  10-18,  qui  indique  une  nouvelle  preuve  de  la  supério- 
rité du  Fils  sur  les  anges  :  lui,  le  Fils,  il  a  jeté  le  fonde- 
ment de  la  terre  et  les  cieux,  où  habitent  les  anges, 
sont  l'œuvre  de  ses  mains;  les  cieux  passeront,  mais 
lui  demeure  immuable;  ils  s'useront  tous  comme  un 
vêtement  et  ils  seront  roulés  comme  un  manteau  usé; 
lui,  il  est  toujours  le  même  et  ses  années  ne  finiront 
pas.  Ps.  ci,  26-28.  Enfin,  aucun  ange  n'a  entendu  se 
dire  cette  parole,  qui  a  été  dite  au  Fils  :  «  Assieds-toi 
à  ma  droite  jusqu'à  ce  que  je  mette  tes  ennemis  comme 
escabeau  de  tes  pieds  .»  Ps.  cix,  1.  Le  Fils  est  donc 
l'égal  du  Seigneur  qui  le  fait  siéger  sur  son  trône,  i,  13, 
tandis  que  les  anges,  quoique  esprits,  ne  sont  que  des 
serviteurs,  employés  au  service  des  hommes,  qui  seront 
héritiers  du  sahit  éternel,  i,  14. 

Du  reste,  ce  n'est  pas  aux  anges,  mais  au  Fils  de 
Dieu  incarné  que  Dieu  a  assujetti  le  monde  futur. 
C'est  ce  fils  de  l'homme,  dont  parle  le  psalmiste,  Ps. 
vm,  5-7,  qui  a  été  abaissé  un  moment,  pendant  sa  vie 
terrestre,  au-dessous  des  anges,  que  Dieu  a  couronné 
de  gloire  et  d'honneur  en  mettant  tout  sous  ses  pieds. 
Tout  lui  est  donc  assujetti,  même  les  anges,  et  si  l'assu- 
jettissement universel  au  Fils  de  Dieu  n'est  pas  encore 
réalisé,  nous  voyons,  au  moins  déjà,  par  les  yeux  de  la 
foi,  celui  qui  a  été  abaissé  un  moment  au-dessous  des 
anges,  Jésus,  couronné  de  gloire  et  d'honneur  parce 
qu'il  a  souffert  la  mort  pour  que  tous  en  bénéficient, 
il,  5-9.  Puisque  Dieu  voulait  rendre  parfaits  un  grand 
nombre  de  ses  fils,  il  convenait  que  l'auteur  du  salut 
terminât  sa  vie  par  la  souffrance.  Il  est  mort  sur  la 
croix,  car  celui  qui  sanctifie  et  ceux  qui  sont  sanctifiés 
ont  la  même  origine  et  la  même  nature  humaine.  C'est 
pourquoi  le  Sauveur  ne  rougit  pas  d'appeler  les  sauvés 


2105 


HÉBREUX 


2106 


ses  frères.  Comme  eux,  il  a  eu  part  à  la  chair  et  au  sang, 
alin  de  réduire,  par  sa  mort,  à  l'impuissance,  le  diable 
qui  avait  causé  la  mort  et  d'affranchir  ceux  qui,  par 
crainte  de  la  mort,  étaient,  durant  toute  leur  vie,  tenus 
en  servitude.  Il  a  pris  en  main  la  cause,  non  pas  des 
anges,  mais  des  fils  d'Abraham.  Il  devait  donc  devenir 
en  tout  semblable  aux  hommes,  ses  frères,  pour  expier 
les  péchés  du  peuple,  n,  10-18.  Ses  souffrances  et  sa 
mort  ne  détruisent  donc  pas  sa  supériorité  sur  les 
anges,  puisqu'elles  en  étaient  la  condition,  voulue  par 
Dieu. 

L'apôtre  de  notre  salut  et  le  gTand-prêtre  de  la  foi 
que  nous  professons  a  été  fidèle  à  Dieu  comme  Moïse 
le  fut.  Mais  il  a  été  plus  glorieux  que  Moïse.  Celui-ci  n'a 
été  qu'un  serviteur  dans  la  maison  de  Dieu;  lui, 
comme  Fils  de  Dieu,  qui  a  construit  la  maison,  il  est 
le  chef  de  la  maison,  le  chef  du  nouveau  peuple  élu  de 
Dieu,  ni,  1-6. 

2°  Le  sacerdoce  du  Christ.  —  Les  chrétiens  ont  en 
Jésus,  Fils  de  Dieu,  un  grand-prêtre  parfait  qui,  au 
jour  de  son  ascension,  a  pénétré  dans  les  cieux,  iv,  14. 
Us  peuvent  recourir  à  lui  avec  confiance,  parce  qu'il 
n'est  pas  incapable  de  compatir  à  leurs  faiblesses, 
ayant  été  tenté  en  tout  de  la  même  manière  qu'eux, 
à  l'exception  du  péché,  iv,  15,16.  Il  ressemble  donc  en 
quelque  chose  au  grand-prêtre  hébreu  qui,  choisi 
d'entre  les  hommes,  était  préposé  pour  les  hommes  à 
leurs  relations  avec  Dieu  afin  d'offrir  des  dons  et  des 
sacrifices  pour  le  péché,  pour  lui-même  et  pour  le 
peuple.  Il  a  offert  son  sacrifice  pour  l'humanité  péche- 
resse, v,  1-3.  Tout  prêtre  ne  prend  pas  de  lui-même 
l'honneur  du  sacerdoce;  il  doit  y  être  appelé  par  Dieu, 
comme  Aaron  l'a  été.  Le  Christ,  lui  aussi,  ne  s'est  pas 
attribué  à  lui-même  cet  honneur;  c'est  son  Père  qui 
l'a  appelé  au  sacerdoce  selon  l'ordre  de  Melchisédech. 
Ps.  cix,  4.  Cet  appel  eut  lieu  aux  jours  de  sa  chair 
mortelle,  et  il  accomplit  son  sacrifice  en  mourant  sur  la 
croix  par  obéissance  aux  ordres  de  son  Père  et  en  de- 
venant par  son  obéissance  la  cause  du  salut  éternel,  v, 
4-10. 

Melchisédech  a  été  la  figure  de  Jésus,  pontife  de 
son  ordre.  L'auteur  de  l'Épître,  qui  aime  à  rechercher 
le  caractère  typique  de  l'Écriture,  relève  trois  circon- 
stances de  l'histoire  du  pontife,  type  de  Jésus  :  c'était 
un  prêtre-roi,  roi  de  justice  et  roi  de  paix,  d'après 
l'étymologie  de  son  nom  et  du  nom  de  sa  capitale;  il 
bénit  Abraham  victorieux,  qui  lui  paya  la  dîme  du 
butin;  l'Écriture  se  tait  sur  son  origine;  il  était,  dans  le 
récit  de  la  Genèse,  sans  père,  sans  mère,  sans  généalo- 
gie ;  sa  vie  n'a  eu  ni  commencement  ni  fin,  et  comme  le 
Fils  de  Dieu,  il  a  été  prêtre  pour  toujours.  Ces  circon- 
stances montrent  la  supériorité  du  sacerdoce  de  Jésus 
sur  le  sacerdoce  lévitique.  Melchisédech  a  béni  celui  qui 
avait  reçu  les  promesses  divines.  Or  c'est  un  principe 
admis  que  l'inférieur Teçoit  la  bénédiction  de  son  supé- 
rieur. Melchisédech  est  donc  supérieur  au  patriarche, 
ancêtre  des  lévites.  Abraham  a  payé  la  dîme  au  roi  de 
Salem;  il  s'est  donc  soumis  au  prêtre  du  Très-Haut. 
Par  cet  acte,  toute  sa  postérité,  renfermée  dans  ses 
flancs,  y  compris  les  lévites  eux-mêmes  qui  prélèvent 
la  dîme  sur  leurs  frères,  a  reconnu  la  supériorité  de 
Melchisédech  et  du  grand-prêtre  chrétien  dont  II  était 
la  figure.  Enfin,  les  lévites  sont  des  mortels»  Melchisé- 
dech vit  toujours,  et,  à  ce  titre,  il  leur  est  encore  supé- 
rieur, vu,  1-10. 

C'est  parce  que  le  sacerdoce  lévitique  était  imparfait 
et  incapable  de  conduire  les  Israélites  à  la  justification 
et  au  salut,  qu'un  prêtre  de  l'ordre  de  Melchisédech  a 
été  établi,  et  non  plus  un  prêtre  de  l'ordre  d' Aaron. 
Noire-Seigneur,  en  effet,  n'est  pas  de  la  tribu  sacerdo- 
tale ;  il  est  issu  de  Juda  et  il  a  obtenu  son  sacerdoce,  à 
la  ressemblance  de  Melchisédech.  non  par  droit  de 
descendance  charnelle  et  par  héritage,  mais  par  élec- 


tion divine,  élection  qui  lui  a  communiqué  une  vie 
impérissable,  assurée  par  un  serment  de  Dieu,  vu, 
11-19.  En  outre,  Jésus,  étant  éternel,  est  l'unique 
prêtre  de  son  ordre,  tandis  que  les  prêtres  juifs, 
astreints  à  la  mort,  étaient  nombreux  et  se  succé- 
daient. Toujours  vivant,  il  interpelle  sans  cesse  au  ciel 
pour  les  hommes,  vu,  20-25.  Il  est  donc  le  grand-prêtre 
saint,  innocent,  sans  souillure,  séparé  des  pécheurs 
et  élevé  au-dessus  des  cieux.  Comme  les  prêtres  juifs, 
qui  étaient  eux-mêmes  pécheurs,  il  n'a  pas  besoin 
d'offrir  chaque  jour  un  sacrifice  pour  ses  péchés  per- 
sonnels d'abord  et  ensuite  pour  ceux  du  peuple.  Il  n'a 
offert  qu'un  seul  sacrifice,  dont  il  était  lui-même  la 
victime,  vu,  26-28. 

3°  Le  sacrifice  du  Christ.  —  Le  grand-prêtre  de  la 
nouvelle  alliance  est  au  ciel,  assis  à  la  droite  du  trône 
de  la  majesté  divine.  Or,  puisque  tout  pontife  est  établi 
pour  offrir  des  dons  et  des  sacrifices,  il  était  nécessaire 
qu'il  eût  de  quoi  offrir,  vin,  1-3,  comme  les  prêtres 
de  l'ancienne  alliance  le  faisaient  dans  le  tabernacle  du 
désert,  ix,  1-10.  C'est  pourquoi  le  grand-prêtre  des 
biens  à  venir,  avant  de  pénétrer  une  fois  au  ciel  pour  y 
remplir  les  fonctions  de  son  sacerdoce,  ne  prit  pas  le 
sang  des  boucs  et  des  veaux  immolés,  mais  son  propre 
sang  qu'il  avait  versé  une  fois  pour  la  rédemption  éter- 
nelle des  pécheurs,  et  le  sang  de  cette  victime  sans 
tache  a  plus  d'efficacité  pour  purifier  les  consciences 
que  le  sang  des  victimes  animales  et  l'aspersion  faite 
avec  la  cendre  de  la  vache  rousse,  ix,  11-15.  C'est, 
en  effet,  par  sa  mort  sur  la  croix,  sacrifice  offert  une 
fois  pour  toutes,  qu'il  peut  accomplir  au  ciel  les  actes 
de  son  sacerdoce  éternel,  ix,  23-28.  Il  a  aboli  les  sacri- 
fices sanglants  de  l'ancienne  loi,  qui  étaient  impuis- 
sants à  rendre  parfait  pour  toujours,  et  ayant  pris  un 
corps,  il  s'est  offert  lui-même  pour  accomplir  la  volonté 
de  Dieu  qui  n'avait  plus  pour  agréables  les  holocaustes 
et  les  sacrifices  antiques,  x,  1-10;  xm,  10-13.  Son  unique 
sacrifice  a  rendu  parfaits  pour  toujours  ceux  qu'il  a 
sanctifiés,  x,  11-18.  Le  pontife  céleste  applique  donc 
les  fruits  de  son  unique  sacrifice  terrestre.  Son  sang 
parle  mieux  que  le  sang  d'Abel,  xn,  24. 

4°  La  foi.  —  Pour  jouir  des  fruits  du  sacrifice  de 
Jésus,  il  faut  persévérer  dans  la  foi,  x,  19-39.  C'est 
pourquoi  l'auteur  de  l'Épître  insiste  principalement 
sur  cette  vertu.  — 1  II  décrit  sa  nature,  xi,  1.  Voir  col. 
86-88.  —  2.  Il  expose  son  rôle  dans  la  vie  des  anciens 
qui,  à  cause  d'elle,  ont  obtenu  dans  l'Écriture  un  bon 
témoignage,  et  il  indiqua  d2  nouveau  sa  nature:  une 
adhésion  de  l'intelligence  à  la  parole  de  Dieu,  3,  6, 
mais  aussi  un  acquiescement  de  la  volonté  qui  la  rend 
libre  et  méritoire  Tous  ies  justes  de  l'ancienne  alliance, 
depuis  Abel,  ont  été  sanctifiés  par  la  foi,  4-38.  Leur  foi 
était  une  anticipation  ilo  celle  des  chrétiens,  dont  les 
fruits  sont  plus  parfaits,  39,40. 

VIII.  Commentaires,  —  1  °  Des  Pères.  —  1.  Grecs.  — 
Ils  sont  peu  nombreux.  Origène  avait  composé  un 
commentaire,  dont  Eusèbe,  H.  E.,  vi,  25,  P.  G.,  t.  xx, 
col.  584-585,  a  conservé  deux  fragments,  P.  G.,  t.  xiv, 
col.  1307-1309.  M.  Riggenbach,  Historische  Studien 
zum  Hebràcrbriej ,  dans  Zahn,  Forschungen  zut 
Geschichte  des  neutestamenilichen  Kanons,  Leipzig, 
1907,  t.  vm,  p.  7-10,  a  démontré  que  Smaragde  en  a 
reproduit  deux  autres.  Collectiones  in  epistolas  et 
evangelia,  P.  L.,  t.  en,  col.  165-166.  S.  Cyrille  d'Alexan- 
drie, Explanatio  in  Epist.  ad  Heb.  (fragments),  P.  G., 
t.  lxxiv,  col.  953-1605;  S.  Chrysostome,  Homilix  (34) 
in  Epist-  ad  Heb.  (posthunes),  P.  G.,  t.  lxiii,  col.  9- 
236;  Théodore  de  Mopsueste,  Fragmenta,  P.  G., 
t.  lxvi,  col.  952-968;  Théodoret,  Inierpretatio,  P  G., 
t.  lxxxii,  col.  673-785  ;  S.  Jean  Damascène,  Loci  selecti, 
P.  G.,  t.  xcv,  col.  929-997;  Œcuménius,  Commentarius 
in  Epist.  ad  Heb.,  P.  G.,  t.  exix,  col.  280-452;  Théo- 
|  phylacte,  Explanatio  Epis1,  ad  Heb.,  P.  G.,  t   cxxv, 


2107 


HÉBREUX 


2108 


col.  185-101;  Euthymius  Zigabène,  édit.  Kaloghcras, 
Athènes,  1887,  t.  n,  p.  311-474  (voir  t.  v,  col.  1581); 
Cramer,  Catena  Palrum  grœcorum  in  N.  T.,  Oxford, 
1844,  t.  vu,  p.  112-278;  2°  chaîne  de  Nicétas  sur  i,  1- 
8,  11,  p.  279-598.  —  2.  Syrien.  —  S.  Ephrœm  Syri 
comment,  in  Epist.  d.  Pauli,  trad.  latine  d'une  version 
arménienne  par  les  mékitharistes,  Venise,  1893,  p.  200- 
242.  —  3.  Latins.  — ■  Les  anciens  écrivains  latins,  ne 
connaissant  pas  l'Épître  aux  Hébreux  ou  ne  la  rece- 
vant pas  au  canon,  ne  l'ont  pas  commentée.  Les  com- 
mentaires latins  de  cette  lettre  sont  donc  relativement 
récents.  M.  Riggenbach  a  fait  d'eux  une  étude  qui  a 
renouvelé  le  sujet,  Die  àlteslen  lateinische  Kommentare 
zum  Hebràerbrief,  loc.  cit.  En  voici  les  résultats. 
Cassiodore,  Complexiones  in  Epist.  apostoli,  P.  L., 
t.  lxx,  col.  1357-1362,  n'a  fait  que  résumer  saint  Jean 
Chrysostome.  Saint  Jérôme  n'a  pas  commenté  l'Épître 
aux  Hébreux;  les  manuscrits  lui  attribuent  différentes 
œuvres  étrangères.  On  fit  des  extraits  des  œuvres  de 
saint  Augustin  et  de  saint  Grégoire;  pour  ce  dernier, 
voir  Alulfe,  Expositio,  P.  L.,  t.  lxxix,  col.  1377-1382. 
Des  manuscrits  ont  attribué  à  l'Ambrosiaster  le  com- 
mentaire de  Raban  Maur.  Le  plus  ancien  commentaire 
latin  est  celui  d'Alcuin,  Traclatus  in  Epist.  ad  Heb., 
P.  L.,  t.  c,  col.  1031-1084;  on  l'a  parfois  attribué  encore 
à  l'Ambrosiaster.  Claude  de  Turin  a  rédigé  un  commen- 
taire, dont  on  croyait  n'avoir  qu'un  fragment  imprimé, 
P.  L.,  t.  civ,  col.  926;  en  réalité,  son  œuvre  est  celle 
qui  a  été  publiée  sous  le  nom  d'Atton  de  Verceil,  P.  L., 
t.  cxxxiv,  col.  726-834.  Après  lui,  viennent  Raban 
Maur,  Enarrationes,  P.  L.,  t.  cxn,  col.  711-834,  et 
Walafrid  Strabon,  Glossa  ordinaria,  P.  L.,  t.  cxiv, 
col.  643-670.  Le  commentaire,  publié  sous  le  nom  de 
Primasius,  P.  L.,  t  lxviii,  col.  685-794,  n'est  pas  de 
l'évêque  d'Hadrumète.  Hausleiter  était  d'avis  qu'il  est 
du  ve  siècle  et  qu'il  a  été  composé  en  Gaule,  Die 
kdeinische  Apocalypse  der  alten  afrikanichen  Kirche, 
^ans  Zahn,  Forschungen  zur  Geschichte  des  ncutcs. 
Kanons,  Erlangenet  Leipzig,  1891,  p.  24-35.  Zimmeren 
plaçait  la  composition  entre  le  vie  et  le  vm«  siècle. 
Pelagius  in  Irland,  Berlin,  1901,  p.  197,  Mais  pour 
Riggenbach,  il  est  du  ixe  siècle;  il  est  identique  à  celui 
que  des  manuscrits  attribuent  à  Remy  de  Reims  et 
à  celui  qui  a  été  imprimé,  sous  le  nom  d'Haymon 
d'Halberstadt,  P.  L.,  t.  cxvn,  col.  819-938;  il  est 
d'un  moine  français,  qui  le  composa  de  840  à  860  et 
qui  se  nommait  Haymon  d'Auxerre.  Apparaissent  alors 
les  commentateurs  irlandais  :  l'anonyme  de  Saint- 
Gall,  édité  par  Zimmer,  Pelagius  in  Irland,  Berlin, 
1901,  p.  420-448  ;  le  pseudo-Jérôme,  qui  n'est  pas 
l'œuvre  de  Pelage,  mais  celle  d'un  moine  irlandais  ;  il 
n'est  reproduit  que  dans  la  seconde  classe  des 
manuscrits  du  pseudo-Jérôme  ;  cf.  A.  Souter,  The 
Character  and  History  of  Pelagius'  Commentary  on 
the  Epistels  of  SI.  Paul  (extrait  des  Proceedings 
of  the  british  Academy,  Londres,  1916,  t.  vu,  p.  27)  ; 
enfin  Sedulius  Scottus,  Collectanea,  P.  L.,  t.  cm, 
col.  251-270.  Du  xe  au  xn°  siècle,  il  y  eut  Lanfranc, 
P.  L.,  t.  cl,  col.  375-406;  S.  Bruno  le  Chartreux, 
P.  L.,  t.  cm,  col.  489-566;  Hervé  de  Bourgdieu,  P.  L., 
t.  clxxxi,  col.  1519-1692  (cf.  B.  Unruh,  Die  Kom- 
mentare des  Herveus  Burdigolensis,  Heilbronn,  1909); 
Pierre  Lombard,  Collectanea,  P.  L.,  t.  cxcn,  col.  399- 
520;  Hugues  de  Saint- Victor,  Quœstiones,  P.  L., 
t.  clxxv,  col.  607-634. 

2°  Au  moyen  âge.  —  Hugues  de  Saint-Cher,  Postillse, 
Paris,  1482;  S.  Thomas  d'Aquin,  Commentarius  in 
Epist.  ad  Heb.,  Opéra,  édit.  Fretté,  Paris,  1876,  t.  xxi, 
p.  555-734;  Turin,  1902,  t.  n,  p.  281-452;  Nicolas  de 
Lyre,  Postillse;  Denis  le  Chartreux,  Commentarius, 
Opéra,  Montreuil,  1901,  t.  xm,  p.  469-531. 

3°  Aux  temps  modernes.  —  1.  Catholiques.  —  Le 
Fèvre  d'Étaples,  Epist.  D.  Pauli  cum  commenlariis, 


Paris,  1512-1517;  Érasme,  Paraphrasis  in  N.  T.,  Opéra 
omnia,  Leyde,  1706,  t.  vu;  Cajétan,  Lilleralis  expositio, 
Rome,  1529;  Ribera,  Commentarius  in  Epist.  ad  Heb., 
Salamanque,  1598;  Saîmeron,  Commentarii  Episk  ud 
Heb.,  Cologne,  1602;  L.  de  Tena,  Commentarii  et  dispu- 
taliones  in  Epist.  Pauli  ad  Heb.,  Tolède,  1611;  Estius, 
Commentarii  in  Epist.  S.  Pauli,  Douai,  1614;  Mayence, 
1859,  t.  m,  p.  1-381  ;  Justiniani,  Explicationes  in  Epist. 
S.  Pauli,  Lyon,  1612,  t.  n;  Corneille  de  la  Pierre,  Com- 
mentarii, etc.,  Anvers,  1614;  Paris,  1858,  t.  xix, 
p.  347-525;  Calmet,  Commentaire  littéral,  3e  édit., 
Paris,  1726,  t.  vin,  p.  627-724;  M.  Gerbert,  De  peccato 
in  Spiritum  Sanctum  in  hac  et  altéra  vila  irremissibili. 
Acccdit  paraphrasis  cum  notis  sclectis  in  Epislolam 
S.  Pauli  ad  Heb.,  Saint-Biaise,  1768;  A.  Gùgler,  Pri- 
oatvortràge  ùber  den  Brief  an  die  Hcbràer,  Sarmenstof, 
1837;  H.  Klee,  Auslegung  des  Brief  es  an  die  Hebràer. 
Mayence,  1833;  C.  Lomb,  Commentarius  in  Epist.  ad 
Heb.,  Ratisbonne,  1843;  F.  X.  Massl,  Erklàrung  der  h. 
Schriften  des  N.  T.,  1846;  L.  Steugel,  Erklàrung  des 
Briefcs  an  die  Hebràer,  édit.  Beck,  Carlsruhe,  1849; 
A.  Bisping,  Erklàrung  des  Briefes  an  die  Hebràer, 
Munster,  1864;  Ad.  Maier,  Kommentar  ùber  den  Brief 
an  die  Hebràer,  Fribourg-en-Brisgau,  1861;  L.  Zill, 
Der  Brief  an  die  Hebràer,  Mayence,  1875;  J.  Panek, 
Commentarius  in  Epist.  ad  Heb.,  Inspruck,  1882; 
A.  Schâfer,  Erklàrung  des  Hebràerbriefs,  Munster, 
1893;  Padovani,  Commentarius  in  Epist.  ad  Heb., 
Paris,  1897;  Huyghe,  Comment,  in  Epist.  ad  Heb., 
Gand,  1901;  J.  Rohr,  Der  Hebràcrbrief,  Berlin,  1912. 
Voir  aussi  les  commentaires  sur  les  Épîtres  de  saint 
Paul  de  P.  Drach,  Paris,  1869,  de  Maunoury,  Paris, 
1882,  de  van  Steenkiste,  4e  édit.,  Bruges,  Ï886,  de 
Lemonnyer,  Paris,  1905,  et  la  Sainte  Bible  de  M.  Fil- 
lion,  Paris,  1904,  t.  vin,  p  538-623. 

2.  Protestants.  —  Pour  les  nombreux  commentaires 
protestants,  du  xvic  au  xvme  siècle,  voir  C.  F.  Keil, 
Commentar  ùber  den  Brief  an  die  Hebràer,  Leipzig, 
1885,  p.  19-21.  Voici  les  principaux  du  xixe  et  du 
xxe  siècle  :  Schulz,  Der  Brief  an  die  Hebràer,  Breslau, 
1818;  C.  F.  Bôhme,  Epist.  ad  Hebrœos,  Leipzig,  1825; 
M.  Stuart,  Commentary  on  the  Epislle  to  the  Hebrews, 
1827;  C.  T.  Kuinoël.  Comment,  in  Epist.ad  Heb.,  Leip- 
zig, 1831;  F.  Bleek,  Der  Brief  an  die  Hebràer,  3  par- 
ties, Berlin,  1828-1840;  Der  Hebràcrbrief  erklàrt,  édit. 
Windrath  Elberfeld,  1868;  W.  Stein,  Der  Brief  an  die 
Hebràer,  Leipzig,  1838;  F.  D.  Maurice,  The  Epislle  to 
the  Hebrews,  Londres,  1846;  Biesenthal,  Epist.  Pauli 
ad  Heb.  cum  rabbinico  commentario,  Berlin,  1857; 
A.  Tholuck,  Kommentar  zum  Brief  an  die  Hebràer, 
3e  édit.,  Hambourg,  1850;  F.  Delitzsch,  Commentar 
zum  Brief  an  die  Hebràer,  Leipzig,  1857;  Kluge,  Der 
Hebràcrbrief,  Auslegung  und  Lehrbegriff,  Neu  Ruppin, 
1863;  J.  H.  A.  Ebrard,  Der  Brief  an  die  Hebràer,  édit. 
Olshausen,  Kônigsberg,  1850;  trad.  anglaise,  Edim- 
bourg, 1850;  G.  Lûnemann,  Der  Hebràerbrief,  dans 
Meyer,  Kritisch-exegelisches  Kommentar  ùber  das  N.  T , 
4e  édit.,  Gœttingue,  1878,  t.  xm;  Lange,  Der  Brief  an 
die  Hebràer,  Leipzig,  1861:  3e  édit..  1877;  J.  H.  Kurtz. 
Der  Brief  an  die  Hebràer  erklàrt,  Mitau,  1869;  J.  C,  K, 
von  Hoffmann,  Die  heilige  Schrift  des  N.  T.,  Ve  part., 
Nordlingen,  1873;  E.  Wôrner,  Der  Brief  S.  Pauli  an 
die  Hebràer,  Ludwigsburg,  1876;  J.  H.  R.  Biesenthal, 
Das  Trostschreiben  des  Ap.  Paulus  an  die  Hebràer, 
Leipzig,  1878;  W.  F.  Moulton,  The  Epistle  to  the 
Hebrews,  Londres,  1878;  W.  Kay,  Commentary  on  the 
Epistle  to  the  Hebrews,  Londres,  1881  ;  F.  Rendall, 
The  Epistle  to  the  Hebrews  in  greck  and  englisch, 
Londres,  1883;  O.  Holtzheuer,  Der  Brief  an  die  He- 
bràer Berlin,  1883;  C.  F.  Keil,  Commentar  ùber  den 
Brief  an  die  Hebràer,  Leipzig,  1885;  Edwards,  The 
Epistle  to  the  Hebrews,  2e  édit.,  Londres,  1888;  10«édit., 
1911;   C.   J.   Vaughan,    The  Epistle  to  the  Hebrews, 


2109 


HÉBREUX—  HEGQUET 


2110 


Londres,  1891;  R.  Kùbel,  dans  Kurzgefast.  Kommen- 
tar  zum  den  heil.  Schriften  A.  und  N.  T.  de  Strack  et 
Zôckler,  part.  V,  2e  édit.,  Munich,  1898;  B.  Weiss, 
dans  Meyer,  68  édit.,  Gœttingue,  1897;  A.  Schlatter, 
Der  Hebrâerbrief  ausgelegt  fur  Bibelleser,  2°  édit., 
Calw,  1892;  3e  édit.,  Cahv  et  Stuttgard,  1898;  B.  F. 
Westcott,  The  Epistle  to  the  Hebrews,  1880;  2e  édit., 
Londres,  1892;  H.  von  Soden,  dans  Handkommentar 
zum  N.  T.,  3e  édit.,  Fribourg-en-Brisgau,  1899;  G. 
Hollmann,  Der  Hebrâerbrief,  dans  Die  Schriften  des 
N.  T.,  2e  édit.,  Gœttingue,  1907,  t.  n,  p.  443-502; 
A.  Seeberg,  Der  Brief  an  die  Hebrâer,  Leipzig,  1912; 
TL  Windisch,  Der  Hebrâerbrief,  dans  Handbuch  zum 
N.  T.,  Tubingue,  1913,  t.  iv,  p.  1-122;  Ed.  Riggen- 
bach,  Der  Brief  an  die  Hebrâer  ausgelegt,  Leipzig,  1913. 

En  dehors  des  introductions  des  commentaires  précé- 
demment cités  : 

1°  Ouvrages  catholiques. —  J.  L.  Hug,  Einleitimg  In  die 
Schriften  des  N.  T.,  4«  édit.,  Stuttgard  et  Tubingue,  1847, 
t.  n,  p.  387-426;  M.  von  Aberle,  Einleitung  in  das  N.  T., 
édit.  Schanz,  Fribourg-en-Brisgau,  1877,  p.  231-242;  R.  Cor- 
nely,  Hist.  et  crit.  Introductio  in  N.  T.  libros  sacros,  Paris, 
1886,  t.  m,  p.  522-551  ;  F.  Kaulen,  Einleitung  in  die  heilige 
Schrift,  2»  édit.,  part.  III,  Fribourg-en-Brisgau,  1887, 
p.  536-548;  C.  Fouard,  Saint  Paul,  ses  dernières  années, 
Paris,  1897,  p.  201-227;  C.  Trochon  et  H.  Lesêtre,  Intro- 
duction à  l'étude  de  l'Écriture  sainte,  Paris,  1890,  t.  m, 
p.  426-449  ;  F.  Trenkle,  Einleitung  in  das  N.  T.,  Fribourg-en- 
Brisgau,  1897,  p.  83-94;  A.  Schàfer,  Einleitung  in  das  N.  T., 
Paderborn,  1898,  p.  147-157;  J.  Bcbcr,  Einleitung  in  das 
N.  T.,  Fribourg-en-Brisgau,  1901,  p.  591-617;  E.  Jacquier, 
Histoire  des  livres  du  N.  T.,  Paris,  1903,  t.  i,  p.  415-486  ; 
art.  Hébreux  (Épttre  aux),  dans  le  Dictionnaire  de  la 
Bible  de  M.  Vigouroux,  t.  m,  col.  515-551  ;  B.  Heigl,  Ver- 
fasser  und  Adresse  des  Briefes  an  die  Hebrâer,  Fribourg-en- 
Brisgau,  1905;  A.  Brassac,  Manuel  biblique,  13e  édit., 
Paris,  1911,  t.  iv,  p.  489-561;  Quentel,  Les  destinataires  de 
l'Épître  aux  Hébreux,  dans  la  Revue  biblique,  1912,  p.  50-68; 
art.  Hebrews,  Epistle,  dans  The  catholic  encyclopedia,  New 
York,  1910,  t.  vu,  p.  181-184.  Pour  la  doctrine  de  l'Épître, 

F.  Prat,  La  théologie  de  saint  Paul,  Paris,  1908,  t.  i,  p.  497- 
550  ;  V.  Thalhofer,  Die  Opferlehre  des  Hebrâerbrief  s,  Dillin- 
gen,  1850  ;  J.  Corluy,  Spicilegium  dogmatico-biblicum, 
Gand,  1884,  t.  i,  p.  250-260;  t.  n,  p.  1-23,  133-151,  204-234, 
250-256  ;  sur  la  personne  du  Fils,  J.  Lebreton,  Les  origines 
du  dogme  de  la  Trinité,  Paris,  191C,  p.  345-359,  495-506. 

2°  Ouvrages  protestants.  —  Ed.  Reuss,  Die  Geschichte  der 
heiligen  Schriften  N.  T.,  6e  édit.,  Brunswig,  1887,  p.  137- 
143;  H.  J.  Holtzmann,  Lehrbuch  der  hist.  krit.  Einleitung* 
in  das  N.  T.,  3e  édit.,  Fribourg-en-Brisgau,  1892,  p.  292-309; 
A.  Jùiicher,  Einleitimg  in  das  N.  T.,  3e  édit.,  Tubingue  et 
Leipzig,  p.  115-136;  Th.  Zahn,  Einleitung  in  das  N.  T., 
2e  édit.,  Leipzig,  1900,  t.  n,  p.  111-159;  C.  Weizsâcker,  Das 
apostolische  Zeilalter  der  christlichen  Kirche,  3«  édit.,  Tubin- 
gue et  Leipzig,  1902,  p.  471-475;  B.  Ayles,  Destination, 
date  and  authorship  of  the  Epistle  to  the  Hebrews,  Londres, 
1899;  A.  Weleh,  Authorship  of  the  Epistle  to  the  Hebrews, 
Londres,  1899  ;  W.  Wade,  Das  literarische  Ratsel  des  Hebrâer- 
brief es,  Gœttingue,  1906;  Burgaller,  Das  literarische 
Problem  des  Hebràerbriefs,  dans  Zeitsehrift  fur  neutesta- 
mentliche  Wissenschaft,  1908,  p.  110-131;  Neue  Untersu- 
chungen  zum  Hebrâerbrief,  dans  Theologische  Rundschau, 
1910,  p.  369-381,  409-417;  K.  Endemann,  Ueber  der  Ver- 
fasser  des  Hebràerbriefs,  dans  Neue  kirchliche  Zeitsehrift, 
1910,  p.  102-126;  F.  Dibelius,  Der  Verfasser  des  Hebrâer- 
briefes,  Strasbourg,  1910;  B.  Weiss,  Der  Hebrâerbrief  in 
zeitgeschichtlicher  Bedeutung,  dans  Texte  und  Untersu- 
ehungen,  Leipzig,  1910,  t.  xxxv,  lasc.  3;  A.  Nairne,  The 
Epistle  of  priesthood.  Studies  in  the  Epistle  to  the  Hebrews, 
Edimbourg,  1913;  Mac  Neill,  Two  récent  théories  about  the 
Epistle  to  the  Hebrews,  dans  The  Interpréter,  1913,  p.  156-160; 

G.  Wohlenberg,  Wer  hat  den  Hebrâerbrief  verfassl,  dans 
Neue  kirchliche  Zeitsehrift,  1913,  p.  742-762;  art.  Hebrews, 
Epistle,  dans  Dictionary  of  the  Bible  de  Hastings,  Edim- 
bourg, 1899,  t.  H,  p.  327-338,  et  dans  Encyclopœdia  blblica 
de  Cheyne,  Londres,  1901,  t.  n,  col.  1990-200,  et  Hebrâer- 
brief, dans  Realencyclopàdie  fur  protestantische  Théologie 
und  Kirche,  Leipzig,  1899,  t.  vu,  p.  492-506, 

Spécialement  pour  la  doctrine,  E.  Riehm,  Lehrbegriff  des 
Hebràerbriefs,  2e  édit.,  Bâle,  1837;  Klostermann,  Zur 
Théorie  der  biblischen  Weissagungen  und  zur  Charakteristik 


des  Hebràerbriefs.  1889;  E.  Ménégoz,  La  théologie  de 
l'Épître  aux  Hébreux,  Paris,  1894;  A.  B.  Bruce,  dans  Expo- 
sitor,  3e  série,  t.  vn-x;  4»  série,  t.  i  et  n;  G.  Milligan,  The 
Theology  of  the  Epistle  to  the  Hebrews,  Edimbourg,  1899; 
Mac  Neill  et  Harris  Lachlan,  The  christology  of  the  Epistle 
to  the  Hebrews,  Ghicago,1914  ;  et  les  nombreuses  théologies  du 
Nouveau  Testament,  entre  autres,  celles  de  H.J.Holtzmann, 
Lehrbuch  der  neutestamentliche  Théologie,  Fribourg-en- 
Brisgau  et  Leipzig,  1897,  t.  Il,  p.  281-30S;  J.  Bovon,  Théo- 
logie du  N.  T.,  2e  édit.,  Lausanne,  1905,  t.  n,  p.  357-403; 
G.  B.  Stevens,  The  Theology  of  the  New  Testament,  Edim- 
bourg, 1899,  p.  483-522;  B.  Weiss,  Lehrbuch  des  biblischen 
Théologie  des  N.  T.,  6°  édit.,  Stuttgard  et  Berlin,  1903, 
p.  473-524. 

E.  Mangenot. 
HECQUET  Philippe,  médecin,  né  à  Abbeville,  le 
11  février  1661,  mort  à  Paris  le  11  avril  1737.  Vers 
l'âge  de  dix-sept  ans,  il  vint  à  Paris  et  suivit  les  cours 
de  philosophie  et  de  théologie  avant  de  commencer  ses 
études  de  médecine.  Il  prit  ses  grades  à  Reims  où  il 
fut  reçu  docteur  le  4  juillet  1684.  Il  exerça  ensuite 
dans  sa  ville  natale;  mais  il  y  resta  peu  et  revint  à 
Paris.  Dès  1688,  sa  réputation  justifiée  de  science  et 
de  piété  l'avait  fait  choisir  comme  médecin  par  les 
religieuses  de  Port-Royal.  En  1697,  il  se  fit  recevoir 
docteur  de  la  faculté  de  Paris,  et  aussitôt  fut  chargé 
d'y  faire  un  cours.  En  1712,  il  était  doyen  de  cette 
faculté.  Pendant  trente  ans,  il  ne  mangea  pas  de  viande 
et  ne  but  pas  de  vin.  Devenu  très  infirme,  il  se  retira 
au  commencement  de  1727  près  des  carmélites  du 
faubourg  Saint-Jacques,  dont  il  était  le  médecin 
depuis  plus  de  trente  ans.  Parmi  ses  nombreux  écrits 
nous  ne  mentionnerons  que  les  suivants  :  Traité  des 
dispenses  du  carême  dans  lequel  on  découvre  la  fausseté 
des  prétextes  qu'on  apporte  pour  les  obtenir,  en  faisant 
voir  par  la  méchanique  du  corps  les  rapports  naturels 
des  aliments  maigres  avec  la  nature  de  l'homme;  et  par 
l'histoire,  par  l'analyse  et  par  l'observation  leur  conve- 
nance avec  la  santé,  in-12,  Paris,  1708;  3  in-12,  1710- 
1712;  augmenté  et  corrigé,  2 in-12, 1741;  cf.  Acta  crudito- 
rum,  Leipzig,  1713,  p.  555-559;  La  médecine  théolo- 
gique ou  la  médecine  créée  telle  qu'elle  se  fait  voir  ici 
sortie  des  mains  de  Dieu,  créateur  de  la  nature  et  régie 
par  les  lois,  2  in-12,  Paris,  1733.  Cf.  Journal  des  savants, 
t.  ci,  p.  213-237;  Suppl.  ad  nova  Acta  eruditorum, 
t.  il.  p.  115-120.  Quoique  très  lié  avec  les  jansénistes, 
Hecquet  s'appliqua  à  confondre  les  convulsionnaires 
et  publia  à  leur  sujet  :  Lettres  d'un  médecin  de  Paris  à  un 
médecin  de  province  au  sujet  d'un  miracle  arrivé  sur  une 
femme  du  faubourg  Saint-Antoine,  in-8°,  Paris,  1725; 
Le  naturalisme  dans  les  maladies  de  l'épidémie  convul- 
sionnaire,  première  partie.  Le  naturalisme  des  convul- 
sions démontré  par  la  physique,  l'histoire  naturelle  et 
par  les  événements  de  cette  œuvre,  et  démontrant  ïimpos~ 
sibilité  du  divin  qu'on  lui  attribue  dans  une  lettre  sur  les 
secours  meurtriers,  deuxième  partie.  Le  mélange  dans 
les  convulsions  confondu  par  le  naturalisme,  troisième 
partie,  in-12,  Soleure  (Rouen),  1733;  Réponse  à  la 
lettre  à  un  confesseur  touchant  le  devoir  des  médecins 
et  des  chirurgiens  au  sujet  des  miracles  et  des  convul- 
sions, in-12,  Utrecht  (Rouen),  1733;  La  cause  des 
convulsions  finie  et  l'œuvre  des  convulsions  tombée, 
in-12,  Utrecht  (Rouen),  1733;  Le  naturalisme  des 
quatre  requêtes,  in-12,  1736;  Réponse  des  médecins 
au  défi  que  leur  font  les  convulsionnaires  dans  la  justi- 
fication des  requêtes,  in-12,  1736;  La  suceuse  convulsion- 
nairc,  ou  la  Psylle  miraculeuse,  in-12,  1736;  Lettre 
sur  la  convulsionnaire  en  extase,  ou  la  vaporeuse  en 
rêve,  in-12,  1736;  Réponse  à  la  lettre  d'un  docteur 
en  médecine  de  la  faculté  de...  sur  l'écrit  précèdent, 
in-12,  1736. 

Ch.-H.  Lefebvre  de  Saint  Marc,  Vie  de  P.  Hecquet,  docteur 
régent:  avec  un  catalogue  raisonné  de  ses  ouvrages,  in -8°, 
Paris,  1740;  Moréri,  Dictionnaire  historique,  t.  V  &  p.  552; 


2111 


HECQUET  —  HEFELE 


2112 


Quérard,  La  France  littéraire,  t.  iv,  p.  49;  Roger,  Hecquet, 
docteur-régent  et  ancien  doyen,  sa  vie,  ses  œuvres,  Paris,  1889; 
Hurter,  Nomenclaior,  Inspruck,  1910,  t.  iv,  col.  1311-1312; 
Realencyclopàdie  fiir  protestantische  Théologie  und  Kirche, 
t.   vu,  p.   525-531. 

B.  Heurtebize. 
HEDICKHUYSEN  (Henri  von),  dominicain  fla- 
mand, du  couvent  d'Anvers,  où  il  prit  l'habit  le 
12  mars  1C75,  à  l'âge  de  21  ans.  Toute  sa  vie  se  passa 
dans  l'enseignement  au  sludium  général  d'Anvers; 
tour  à  tour,  maître  des  étudiants  (1686),  puis  pre- 
mier régent  (1692-1694;  1698-1700).  Il  fut  fait  maître 
en  théologie  en  1694.  Il  mourut  le  26  octobre  1701. 
Il  fit  soutenir  un  certain  nombre  de  thèses  théologiques 
sur  les  questions  controversées  de  la  grâce. 

Coulon,  Scrtptores  ordinis  privdicatorum,  Paris,  1910, 
fasc.  1er,  p.  4-6,  avec  la  nomenclature  des  thèses. 

R.  Coulon. 

HEFELE  Charles-Joseph  naquit  le  15  mars  1809, 
à  Unterkochen,  dans  le  Wurtemberg,  suivit  les  cours 
des  gymnases  d'Ellwangen  (1817-1825)  et  d'Ehingen 
(1825-1827),  étudia  la  théologie  à  l'université  de  Tubin- 
gue  (1827-1832),  où  Drey,  Hirscher  et  Môhler  ensei- 
gnaient, fit  son  séminaire  à  Rottenbourg  (1832-1833), 
fut  ordonné  prêtre  le  10  août  1833.  Après  avoir  été 
un  an  vicaire  à  Mergentheim,  il  fut  nommé,  en  1834, 
répétiteur  au  séminaire  de  Tubingue,  et  à  partir  du 
mois  de  février  1835,  professeur  au  gymnase  de  Rott- 
weil.  En  1836,  il  devint  privât  docenl  d'histoire  ecclé- 
siastique à  l'université  de  Tubingue,  professeur  extra- 
ordinaire en  1837  et  professeur  ordinaire  en  1840.  Il 
garda  cette  chaire,  où  il  succédait  à  Môhler,  jusqu'en 
1868,  sauf  pendant  les  années  1842-1845,  où  il  fut  élu 
membre  de  la  Chambre  des  députés  de  Stuttgard.  Dès 
1834,  il  collabora  au  Theologische  Quarlalschri/t  de 
Tubingue,  et  il  continua  sa  collaboration  pendant  plus 
de  trente  années.  11  inséra  aussi  plus  de  150  articles 
dans  la  première  édition  du  Kirchenlexikon,  Le  premier 
de  ses  ouvrages,  qui  fut  aussi  sa  thèse  de  doctorat  en 
théologie,  est  intitulé  :  Geschichte  der  Einfùhrung  des 
Christcnlums  im  sudwesllichen  Deutschlands,  besonders 
in  Wurtemberg,  Tubingue,  1837.  Deux  ans  plus  tard,  il 
donnait,  avec  prolégomènes  et  notes,  une  édition  des 
Pères  apostoliques  à  l'usage  des  étudiants  :  Patrum 
apostolicorum  opéra,  in-8°,  Tubingne,  1839,  qu'il  réédita 
lui-même  en  1842,  1847  et  1855;  les  éditions  suivantes, 
1878-1881,  1901,  sont  de  Funk.  Voir  col.  974.  L'année 
suivante,  il  traduisait  en  allemand  et  annotait  l'Épître 
de  Barnabe  :  Das  Sendschreiben  des  Apostels  Barnabas, 
Tubingue,  1840.  En  1844,  il  publia  la  Vie  du  cardinal 
Ximénès  :  Kardinal  Ximenes  und  die  kirchliche  Zù- 
stan.de  Spaniens  am  Ende  des  xv  und  Anfange  des 
XVI  Jahrhunderls  inbesondere  cin  Beitrag  zur  Geschi- 
chte  der  Inquisition,  in-8°,  Tubingue;  2e  édit.,  1851  ;  cet 
ouvrage  fut  traduit  en  espagnol,  en  anglais  et  trois  fois 
en  français,  par  Charles  Sainte-Foi  et  de  Bermond, 
Paris,  1856,  par  Sisson  et  Crampon,  Lyon,  1856,  et  par 
un  prêtre  anonyme,  Tournai,  1856.  L'année  suivante, 
Hefele  édita  le  Breviloquium  de  saint  Bonaventure, 
Tubingue,  1845;  3e  édit,  1861  (Vllinerarium  mentis  ad 
Deum  du  même  saint  docteur  fut  ajouté  à  la  3e  édi- 
tion), et  74  sermons  choisis  et  traduits  de  saint  Chryso- 
stome,  Chrysoslomus-postille,  Tubingue,  1845;  3e  édit., 
1857.  En  1864,  il  réunit  les  principaux  articles  qu'il 
avait  publiés  dans  le  Theologische  Quartalschrijl,  le 
Kirchenlexikon  et  JVcue  Sion  de  Haas  sous  ce  titre  : 
Beilrcige  zur  Kirchengeschichte,  Archaologie  und  Lilur- 
gik,  2  in-8°,  Tubingue,  1864. 

Mais  le  principal  ouvrage  de  Hefele,  celui  auquel  son 
nom  restera  toujours  attaché,  c'est  son  Histoire  des 
conciles.  L'idée  en  était  venue  à  l'auteur,  dès  1835, 
quand  il  publia,  dans  les  Giessener  Jahrbùcher  fur 
Théologie    und    chrislliche    Philosophie,    son    article  : 


Blicke  ins  xv  Jahrhundert  und  seine  Konzilien  mit 
besonderer  Berùcksichligung  des  Basler  Synode.  Dès  lors, 
sa  préoccupation  se  porta  sur  les  conciles  dans  divers 
comptes  rendus  et  articles  du  Theologische  Quartal- 
schrift.  Son  plan  s'agrandit,  et  du  xve  siècle  l'auteur 
remonta  aux  premiers  siècles  de  l'Église  et  il  étudia 
non  seulement  les  conciles  généraux,  mais  tous  les 
synodes  provinciaux,  en  les  replaçant  dans  leur  milieu 
historique,  de  telle  sorte  que  son  Histoire  des  conciles 
devint  comme  une  histoire  du  dogme,  de  la  morale  et 
de  la  liturgie.  La  Conciliengeschichtc  parut  successi- 
vement à  Tubingue,  1. 1  (1855),  t.  n  (1856),  t.  m  (1858), 
t.  iv  (1860),  t.  v  (1863),  t.  vi  (1867),  t.  vu  (1874)  et 
elle  reçut  un  excellent  accueil,  même  de  la  part  des 
protestants.  Elle  s'arrête  à  1449.  L'auteur  put  préparer 
lui-même  une  2e  édition  des  quatre  premiers  tomes, 
1873-1879;  les  t.  v  et  vi  furent  revus  par  Knôpfler, 
1886-1890.  Elle  fut  continuée  par  Hergenrôther  et 
poussée  presque  jusqu'à  la  veille  du  concile  de  Trente, 
t.  vin  et  ix,  1887-1890.  L'abbé  Delarc  fit  une  mau- 
vaise traduction  française  de  la  première  édition  : 
Histoire  des  conciles,  12  in-8°,  Paris,  1869-1878.  Dom 
Leclercq  a  fait  une  version  nouvelle  de  la  2e  édi- 
tion et  de  sa  continuation,  et  il  l'a  enrichie  de  notes  abon- 
dantes et  de  nombreux  appendices.  Elle  comprend 
8  tomes.  Elle  sera  complétée  jusqu'à  nos  jours  et  for- 
mera une  collection  de  12  tomes  en  24  volumes. 

Le  26  mai  1868,  le  cardinal  Schwarzenberg  arche- 
vêque de  Prague,  conseilla  aux  cardinaux  Caterini 
et  Antonelli  de  mander  à  Rome  comme  consulteurs 
quelques  ecclésiastiques  inébranlables  dans  la  foi  et 
fermement  attachés  aux  doctrines  catholiques.  Sans 
vouloir  indiquer  un  choix,  il  mit  cependant  en  avant 
les  noms  de  Hefele,  Kuhn  et  Dollinger,  Le  2  octobre 
suivant,  Hefele  était  appelé  par  l'intermédiaire  du 
nonce  de  Munich.  Cecconi,  Histoire  du  concile  du 
Vatican,  trad.  franc.,  Paris,  1887,  t.  iv,  p.  704-705; 
t.  i,  p.  370-371.  Hefele  quitta  sa  chaire  de  professeur 
après  32  années  d'enseignement  et  il  fut  élu  au  siège 
épiscopal  de  Rottenbourg,  le  17  juin  1869.  Le  12  no- 
vembre 1868,  il  avait  été  nommé  membre  de  la  com- 
mission directrice,  et  au  mois  de  mars  1869,  il  avait 
rédigé  un  Votum  sur  la  méthode  à  suivre  dans  les 
congrégations  générales.  Voir  Acta  et  décréta  sac. 
cecum.  concilii  Vaticani,  édit.  Granderath,  dans  Col- 
leclio  lacencis,  Fribourg-en-Brisgau,  1890,  t.  vu, 
col.  1046-1047, 1050, 1051, 1087-1100.  Du  1«  au  6  sep- 
tembre, il  assista,  comme  évêque  élu  de  Rottenbourg, 
à  l'assemblée  de  Fulda,  et  il  signa  la  lettre  pastorale 
que  les  évêques  réunis  publièrent,  le  6  septembre,  sur 
le  concile,  aussi  bien  que  la  lettre  qu'ils  avaient  écrite, 
le  4,  à  Pie  IX,  sur  l'inopportunité  de  la  définition  de 
l'infaillibilité  pontificale,  surtout  par  rapport  aux  af- 
faires et  aux  idées  de  l'Allemagne.  Ibid., col.  1188-1197; 
Cecconi,  Histoire  du  concile  du  Vatican,  1.  III,  c.  vi, 
n.  5,  doc.  clxiv,  ccxx,  trad.  franc.,  Paris,  1887,  t.  n, 
p.  456-463;  t.  m,  p.  370-378;  t.  iv,  p.  155-162.  Préco- 
nisé le  22  novembre,  Mgr  Hefele  fut  sacré,  le  29  dé- 
cembre. Il  prit  part  dès  lors,  comme  évêque,  aux  déli- 
bérations du  concile,  et  le  24  et  le  31  mars,  aux  congré- 
gations générales,  il  prit  la  parole  sur  les  c.  i  et  m  du 
schéma  De  fide,  Acta  et  décréta,  col.  733,  736;  cf.  Gran- 
derath, Histoire  du  concile  du  Vcdican,  trad.  franc., 
Paris,  1911,  t.  n  b,  p.  69,  77,  et  le  24  avril  1870,  il  assista 
à  la  IIIe  session  à  laquelle  fut  promulguée  la  constitu- 
tion Dei  Filius.  Ibid.,  col.  267. 

Dans  la  question  de  l'infaillibilité  personnelle  du 
souverain  pontife,  il  fut  constamment  du  parti  de  la 
minorité.  Il  ne  combattait  pas  seulement  l'opportu- 
nité de  la  définition,  il  niait  purement  et  simplement 
l'existence  du  privilège  que  la  majorité  voulait  définir. 
Il  ne  se  borna  pas  à  souscrire,  le  12  janvier  1870,  le 
postulatum  contre  la  définition  de  l'infaillibilité  pon- 


2113 


HEFELE —  HEGEMONIUS 


2114 


tiflcale,  en  réponse  à  la  pétition  de  la  majorité,  ibid., 
col.  944-945,  il  publia  à  Naples  un  opuscule  :  Causa 
Honorii  papœ,  qui  paraissait  en  même  temps  à  Tubin- 
gue  en  allemand  :  Honorius  and  das  VI  allgemeines 
Konzil.  Le  9  février,  il  signait  aussi  le  postulatum  rela- 
tif à  la  manière  de  disposer  et  d'étudier  le  schéma  De 
Ecclesia,  en  vue  de  retarder  l'examen  de  l'infaillibilité. 
Ibid.,  col.  950-952.  Le  2  mars,  il  protesta  contre  le 
décret  du  20  février  sur  l'ordre  à  suivre  dans  les  discus- 
sions et  les  délibérations.  Ibid.,  col.  967.  Le  8  mai,  il 
protesta  de  nouveau  contre  le  changement  opéré  le 
29  avril,  dans  l'ordre  à  suivre  dans  l'examen  du  schéma 
De  Ecclesia,  changement  qui  mettait  au  premier  rang 
des  travaux  du  concile  la  primauté  et  l'infaillibilité  du 
pape.  76k/.,  col.  980-983.  Le  mardi  17  mai,  il  prit  la 
parole  à  la  52e  congrégation  générale.  Ibid.,  col.  744. 
Il  réclama,  le  4  juin,  contre  la  clôture  de  la  discussion 
du  schéma  De  Ecclesia.  Ibid.,  col.  986-987.  Le  7  juillet, 
il  s'associa  à  la  plainte  faite  au  sujet  d'une  addition 
contraire  au  72e  amendement  qui  avait  été  adopté. 
Ibid.,  col.  991-992.  Le  13  du  même  mois,  au  vote  sur 
l'infaillibilité  pontificale,  il  dit  :  Non  placet.  Le  lende- 
main, il  insista  auprès  du  comité  international  pour 
que  les  non-acceptants  renouvelassent  leur  opposition 
à  la  session  publique  du  18,  et  il  demanda  que  si  l'acte 
d'adhésion  au  décret  était  exigé,  séance  tenante,  ils 
le  refusassent.  Mais  il  fut  décidé  que  les  opposants 
n'assisteraient  pas  à  la  session,  et  en  préviendraient 
par  lettre  le  pape  Pie  IX.  Hefele  souscrivit  cette  lettre 
du  17  juillet.  Ibid.,  col.  994-995.  Il  eut  de  la  peine  à 
adhérer  au  nouveau  dogme  de  foi  catholique.  Il  pensa 
un  instant  se  démettre  de  son  siège  plutôt  que  de  se 
soumettre.  Le  11  mars  1871,  il  reconnaissait  devant  ses 
amis  sa  méprise,  et  il  suppliait  Dôllinger  de  se  soumet- 
tre pour  écarter  de  sa  tête  l'excommunication  qui 
devait  le  frapper.  Au  lieu  d'imiter  les  vieux  catholiques 
dans  leur  révolte,  il  publia  dans  son  diocèse  la  consti- 
tution Paslor  œtcrnus,  en  y  adhérant  lui-même,  et  le 
23  du  même  mois,  il  annonça  son  adhésion  au  nonce  'îe 
Munich.  Ibid.,  col.  1004.  Le  20  octobre  1870,  il  avait 
protesté  par  une  lettre  pastorale  contre  l'envahisse- 
ment de  Rome  par  l'armée  italienne. 

Après  le  concile,  l'évèque  de  Rottenbourg  s'occupa 
de  l'administration  de  son  diocèse  et  de  la  revision  de 
son  Histoire  des  conciles.  Il  mourut  le  5  juin  1893,  à 
l'âge  de  84  ans. 

Mgr  Reiser,  Worte...  am  Sage  des...  Ilcfcle,  Rottenbourg, 
1893;  H.  Roth,  D'  K.  J.  von  Hefele,  Bischof  von  Rollenburg, 
Stuttgard,  1894;  Funk,  dans  Theoloqische  Quartalschrifl, 
1894,  p.  1-14;  Allgemeine  deutselie  Biographie,  t.  l,  p.  109- 
115;  Kirchenlexikon,  2"  édit.,  t.  x,  p.  1322-1323;  Realency- 
clopadie  fiir  protestantische  Théologie  and  Kirche,  1899, 
t.  vu,  p.  525-531;  Kirchliches  Handlexikon,  Munich,  1907, 
t.  i,  col.  1872;  P.  Godet,  Ch.  Jos.  Hefele,  dans,  la  Reuae  du 
clergé  français,  1907,  t.  L,  p.  449-474;  H.  Leclercq,  Notice 
biographique,  dans  Histoire  des  conciles,  Paris,  1907,  t.  i, 
p.  xm-xv;  The  catholic  encyclopedia.  New  York,  1910,  t.  vil, 
p.  191-192;  Hurter,  Nomenclalor,  1913,  t.  v,  col.  1653- 
1655;  J.  F.  von  Schulte,  Dër  Altkatholizismm,  1887,  p.  215- 
238;  Granderath,  Histoire  du  concile  du  Vatican,  trad.  franc., 
Bruxelles,  1911-1913,  t.  i-iii,  passim  (voir  les  tables). 

E.  Mangenot. 
HÉGÉMONIUS.  Saint  Jérôme,  De  vir.  ill.,  72, 
P.  L.,  t.  xxiii,  col.  683,  range  parmi  les  écrivains  ecclé- 
siastiques un  certain  Archélaùs.  évêque  de  Mésopota- 
mie, qu'il  dit  être  le  rédacteur  en  langue  syriaque  de  la 
discussion  qu'il  aurait  eue  avec  Manès,  du  temps  de 
l'empereur  Probus  (276-282).  Il  ajoute  que  l'ouvrage, 
traduit  en  grec,  se  trouvait  entre  beaucoup  de  mains; 
mais  il  ne  fait  pas  connaître  l'auteur  de  la  traduction. 
Ce  fut  aussi  l'opinion  de  saint  Épiphane,  Hser.,  lxvi, 
21.  25,  32,  qui  attribuait  au  même  Archélaùs  la  rédac- 
tion en  syriaque  des  Actes  de  la  célèbre  dispute.  Mais 
Photius,  dans  la  lecture  qu'il  fit  des  vingt  livres  contre 

DICT.  DE  THKOL.    CATHOL. 


les  manichéens  d'Héraclianus  de  Chalcédoine,  a  eu 
soin  de  noter  qu'Héraclianus,  dans  la  liste  des  ouvrages 
qui  ont  réfuté  le  manichéisme  et  où  il  a  puisé,  désigne 
Hégémonius  comme  l'auteur  des  Acla  dispulalionis 
Archelai  episcopi  Mesopotamiœ  et  Manetis  hœresiarclœ 
Bibliothcca,  85,  P.  G.,  t.  cm,  col.  288.  L'auteur  des  Acta 
serait  donc  Hégémonius  et  non  Archélaùs.  Qui  a  rai- 
son ?  C'est  ce  qu'il  serait  difficile  de  dire  dans  l'état 
actuel  de  nos  connaissances.  Toutefois  Zaccagni,  l'édi- 
teur des  Acla  latins,  Collectunea  monumentorum  veterum 
Ecclesise  grœcœ  et  lalinœ,  Rome,  1698,  p.  1-105,  dans 
Routh,  Reliquiœ  sacrœ,  Oxford,  1848,  t.  v,  p.  5,  a  cru 
pouvoir  conjecturer  qu'Hégémonius  a  bien  traduit  du 
syriaque  en  grec  l'œuvre  d'Archélaùs,  sauf  à  y  ajouter 
une  introduction,  un  épilogue  et  quelques  suppléments 
Tillemont,  Mémoires,  t.  iv,  p.  397,  et  Ceillier,  Histoire 
générale  des  auteurs  sacrés  et  ecclésiastiques,  t.  n,  p.  453, 
ne  regardent  pas  cette  hypothèse  comme  invraisem- 
blable. Reaucoup  plus  récemment,  K.  Kessler,  For- 
schungen  ùber  die  manichaische  Religion,  Sprache  und 
Composition  der  Acta  Archelai,  Rerlin,  1889,  t.  i,  p.  87, 
171,  a  soutenu  l'existence  d'un  original  syriaque;  et 
Ad.  Harnack,  Die  Acta  Archelai  und  das  Diatessaron 
Talians,  dans  Texte  und  Untersuchungen,  1883,  t.  i, 
fasc.  3,  p.  137-153,  s'est  cru  autorisé  à  conclure  que 
l'auteur  des  Acla  a  emprunté  ses  citations  de  l'Évan- 
gile au  Diatessaron  de  Tatien.  Mais  Th.  Nôldecke, 
dai  s  Zeitschrijt  fur  deutschen  Morgcnl.  Gesellschaft, 
1889,  t.  xliii,  p.  537-541,  s'est  prononcé  contre  cette 
existence  d'un  original  syriaque.  Si,  malgré  tout,  le 
renseignement  donné  par  saint  Jérôme  et  saint  Épi- 
phane devait  être  tenu  pour  assuré,  il  est  certain  que 
jusqu'ici  on  n'a  pas  encore  trouvé  trace  d'une  rédaction 
de  ces  Acta  en  langue  syriaque. 

D'autre  part,  l'existence  de  ces  Acla  en  grec  ne  sau- 
rait être  niée.  Ils  circulaient  en  cette  langue  du  temps 
de  saint  Jérôme  et  dataient  au  moins  de  la  première 
moitié  du  ive  siècle.  Malheureusement  ils  ne  sont  point 
parvenus  jusqu'à  nous.  Nous  n'en  possédons  que  les 
passages  conservés  par  saint  Épiphane,  Hier.,  lxvi,  6, 
25,  et  insérés  par  Routh  dans  sa  réédition  de  l'œuvre  de 
Zaccagni,  Reliquiœ  sacrœ,  t.  v,  p.  43-70,  ainsi  que  trois 
fragments  cités  par  saint  Cyrille  de  Jérusalem,  Cat.,  vi, 
27-29,  P.  G.,  t.  xxxm,  Col.  584-589;  Routh,  Reliquiœ 
sacrœ,  t.  v,  p.  199-205.  C'est,  dans  saint  Épiphane,  la 
lettre  de  Manès  à  Marcel,  la  réponse  et  l'invitation  de 
Marcel  à  Manès,  et  l'exposition  assez  détaillée  de  l'er- 
reur de  Manès  faite  à  Archélaùs  par  le  messager  Turbo, 
l'un  des  disciples  de  Manès;  et  c'est,  dans  saint  Cyrille, 
une  partie  de  la  discussion  entre  Manès  et  Archélaùs 
non  conservée  dans  les  Acta  latins. 

On  en  est  donc  réduit  à  la  rédaction  latine  publiée 
par  Zaccagni,  sans  qu'on  en  connaisse  l'auteur.  Cette 
rédaction  est  sûrement  postérieure  à  saint  Jérôme,  qui 
ne  la  signale  point,  et  antérieure  au  vne  siècle,  vu  que 
les  citations  scripturaires  ne  sont  pas  celles  de  la  Vul- 
gate,  telle  qu'elle  circulait  en  Occident  au  vne  siècle. 
Elle  est  due  très  certainement  à  un  auteur  qui  a  tra- 
duit, non  un  texte  syriaque,  mais  un  texte  grec.  En 
confrontant,  en  effet,  les  passages  cités  par  saint  Épi- 
phane et  les  passages  correspondants  de  la  version 
latine,  on  constate  certaines  dilîérences,  qui  accusent 
un  défaut  d'attention  dans  la  lecture  du  texte,  qui 
s'expliquent  aisément  si  ce  texte  est  grec  et  qui  seraient 
impossibles  s'il  avait  été  syriaque.  C'est  ainsi,  par 
exemple,  que  le  traducteur  a  lu  eîaî  8s  ô/.-.iô  ou  siai 
or;  ozTtû,  et  sunt  oclo,  pour  sîç  iïor]  Ôjctw,  octuplici 
specie,  Acl.,  7,  Routh,  Reliquiœ  sacrœ,  p.  52;  àvrjp,  vir. 
pour  àr|</,  aer,  Ad.,  8,  Routb,  p.  55;  À'.;j.o-;,  famés, 
pour  Xoijio'ç,  peslis,  Acl.,  8,  Routh,  p.  57;  rciifcas', 
perculil,  pour  -rjaast,  congelât,  frigore  adstringil. 
Acl.,  9,  Routh,  p.  59-60.  En  outre,  cette  traduction 
latine   semble   incomplète.    Elle   ne   contient   pas   les 

VI.  —  67 


2115 


HÉGÉMONIUS—  HÉGÉSIPPE 


2116 


fragments  cités  par  saint  Cyrille  de  Jérusalem;  elle 
s'arrête  brusquement;  et  dans  la  lettre  d'Archélaûs  à 
Diodore,  il  est  fait  clairement  allusion  à  la  preuve  don- 
née par  Archélaiis  à  Manès  que  non  seulement  la  loi 
de  Moïse  mais  encore  tout  l'Ancien  Testament,  est  par- 
faitement d'accord  avec  le  Nouveau,  et  il  ne  se  trouv° 
pas  trace  de  cette  preuve  dans  la  première  discussion  île 
l'évêque  avec  l'hérétique.  Nous  n'aurions  donc  daus 
cette  version  latine  qu'un  résumé,  ainsi  que  l'a  conjec- 
turé Zaccagni.  Routh,  Reliquise  sacrée,  t.  v,  p.  15. 

En  voici  le  contenu.  Ces  Acta  disputationis  débutent 
par  un  grand  éloge  de  la  charité  de  Marcel,  homme  de 
grande  piété,  habitant  de  Carchar,  Cascar  ou  Charra 
(probablement  Carrhes),  ville  de  la  Mésopotamie. 
Art.,  1-4.  Manès,  en  ayant  entendu  parler,  lui  envoie 
par  son  disciple  Turbo  une  lettre  où  il  se  dit  envoyé  de 
Dieu  pour  redresser  le  genre  humain  et  prendi*e  en 
pitié  ceux  qui  s'abandonnent  è  l'erreur.  Art.,  5.  Marcel 
lui  répond  et  l'invite  à  se  rendre  près  de  lui.  Art.,  6. 
Turbo  renseigne  l'évêque  Archélaiis  sur  la  doctrine  de 
son  maître.  Act.,  7-11.  Arrivée  de  Manès  chez  Marcel, 
qui  organise  une  conférence  et  choisit  pour  juges  du 
débat  Manippe,  Egialée,  Claude  et  Cléobule,  tous  gens 
instruits  et  étrangers  à  la  foi.  Art.,  13.  Et  aussitôt  la 
discussion  publique  commence;  les  juges  donnent  gain 
de  cause  à  Archélaiis.  Art.,  14-38.  Manès,  vaincu,  prend 
la  fuite.  Art.,  39.  En  passant  par  Diodoride,  il  cherche 
à  endoctriner  le  pasteur  de  ce  lieu,  Diodore,  lequel,  peu 
confiant  dans  ses  propres  lumières,  fait  appel  à  la 
science  d' Archélaiis  et  lui  écrit  pour  lui  soumettre 
quelques-unes  des  objections  soulevées  par  Manès 
contre  l'Ancien  Testament.  Art.,  40.  Archélaiis,  dans 
sa  réponse,  fournit  quelques  arguments  à  son  corres- 
pondant. Art.,  41-44.  Diodore  entre  alors  en  discussion 
avec  Manès.  Art.,  45.  Survient  Archélaiis  qui  confond 
de  nouveau  Manès,  Art.,  46-50,  et  se  met  à  raconter 
alors  l'origine  de  cet  hérétique,  en  signalant  l'ouvrage 
des  Mystères,  des  Chapitres,  de  V Évangile  et  du  Trésor, 
œuvre  de  l'Égyptien  Scythien,  léguée  par  lui  à  Téré- 
binthe,  et  par  celui-ci  à  la  veuve  dont  Manès  avait  été 
l'esclave,  l'affranchi  et  l'héritier.  Act.,  51-54.  Ainsi 
découvert,  Manès  s'enfuit;  mais  il  est  pris  par  les  sol- 
dats du  roi  de  Perse,  dont  il  n'avait  pas  su  guérir  le  fils, 
et  périt  écorché  vif.  Act.,  55. 

[  On  dirait  bien  l'œuvre  d'un  témoin  oculaire  ou  même 
d'un  interlocuteur  qui  a  pris  part  aux  débats  et  qui  en  a 
dressé  le  procès-verbal  avec  les  circonstances  de  temps, 
de  lieux,  de  personnes,  les  plus  propres  à  faire  croire  à 
un  récit  authentique;  d'autant  plus  que  le  rédacteur  a 
soin  de  dire,  après  le  récit  de  la  mort  de  Manès  :  Quibus 
postea  agnitis,  Archclaus  adjecit  ea  priori  disceptationi, 
ut  omnibus  innotescerel,  sicut  ego,  qui  inscripsi,  in 
prioribus  exposui.  Act.,  55,  Routh,  Reliquise  sacrée, 
t.  v,  p.  195.  Cette  phrase  est  la  preuve  d'un  remanie- 
ment ou  d'une  mise  au  point  d'un  document  primitif. 
Quoi  qu'il  en  soit,  il  faut  voir  dans  ces  Acta,  avec 
Bardenhewer,  Les  Pères  de  l'Église,  trad.  franc.,  Paris, 
1899,  t.  n,  p.  60,  une  «  pure  fiction  littéraire.  De  fait, 
ces  conférences  n'ont  jamais  été  U  nues;  et  l'auteur  a 
voulu  simplement,  dans  un  cadre  de  son  choix,  mener 
la  campagne  contre  le  manichéisme.  Pas  un  des  per- 
sonnages en  scène,  Manès  excepté,  n'est  connu  de  l'his- 
toire. Les  Acta  ne  laissent  pas  d'être  un  document 
historique  du  plus  haut  prix.  Hégémonius  a  profité 
d'ouvrages  manichéens  authentiques  et  les  a  partielle- 
ment reproduits.  C'est  la  source  commune  où  presque 
tous  les  auteurs  grecs  et  latins  ont  puisé  ce  qu'ils  nous 
disent  du  système  religieux  de  Manès.  »  Elle  permet  de 
constater  les  relations  étroites  du  manichéisme  avec  le 
gncoiirisme  en  général  et  plus  particulièrement  avec  le 
marcionisme.  Voir  Manès,  Manichéisme. 

Les  Acta    disputationis  Archelai,  episcopi  Mesopolamiœ, 
et  Manetis  hœresiarchœ,  édités  par  Zaccagni  dans  sa  Collcc- 


tanea  monumenlorum  veterum  Ecclesiœ  grœcce  et  latinoe, 
Rome,  1698,  se  trouvent  dans  Fabricius,  Bibliotheca  grœca, 
Hambourg,  1716,  t.  v,  p.  262  sq.;  dans  Galland,  Bibliotheca 
veterum  Patrum,  Venise,  1765-1781,  t.  m;  dans  Routh, 
Reliquiee  sacra;,  2e  édit.,  Oxford,  1846-1848,  t.  v,  p.  1-206; 
dans  Migne,  P.  G.,  t.  x,  col.  1429-1528.  Une  édition  critique 
en  a  été  donnée  par  Ch.  H.  Reeson,  Acta  Archelai,  Leipzig, 
1906  (dans  Die  griechischen  chrisllichen  Sclviltsteller  der  drei 
erslen  Jahriiunderte). 

S.  Cyrille  de  Jérusalem,  Cat.,  vi,  P.  G.,  t.  xxxm,  col.  537- 
604  ;  S.  Épiphane,  Hœr.,  lxvi,  5  sq.,  P.  G.,  t.  on,  col.  29- 
172;  S.  Jérôme,  De  vir.  HZ.,  72,  P.  L.,  t.  xxm,  col.  683; 
Socrate,  H.  E.,  i,  22,  P.  G.,  t.  lxvii,  col.  136-140;  Théodoret, 
Hœret.  lab.,  i,  26,  P.  G.,  t.  lxxxiii,  col.  377-381  ;  Photius, 
Bibliotheca,  85,  P.  G.,  t.  cm,  col.  288. 

Tillemont,  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  ecclésiastique 
des  six  premiers  siècles,  Paris,  1693-1712,  t.  iv,  p.  387-399; 
Ceillier,  Histoire  générale  des  auteurs  sacrés  et  ecclésiastiques, 
Paris,  1858-1863,  t.  n,  p.  453  sq.;  H.  V.  Zittwitz,  Acta  dispu- 
tationis Archelai  et  Manetis,  dans  Zeitsclirifl  fur  die  hislo- 
rische  Théologie,  1873,  t.  xliii,  p.  476-528;  A.  Oblazinski, 
Acta  disputationis  Archelai  et  Manetis,  Leipzig,  1874; 
Traube,  Acta  Archelai,  dans  Silzungsberichte  der  k.  bayer. 
Akademie  der  Wissenscha/ten,  1903,  p.  533-549;  l'intro- 
duction de  l'édition  de  Beeson;  outre  les  ouvrages  cités  de 
K.  Kessler  et  de  Th.  Nôldecke,  Bardenhewer,  Les  Pères 
de  l'Église,  trad.  franc.,  Paris,  1899,  t.  n,  p.  59-60;  U.  Che- 
valier, Répertoire,  Bio-bibliographie,  t.  i,  col.  2041. 

G.  Bareille. 

t.  HÉGÉSIPPE,  écrivain  ecclésiastique  du  il0  siècle. 
—  I.  Vie.  II.  Mémoires. 

I.  Vie.  —  Contemporain  de  saint  Irénée,  particu- 
lièrement apprécié  par  Eusèbe  et  saint  Jérôme,  qualifié 
d'homme  apostolique  par  Etienne  Gobar,  Hégésippe 
est  un  témoin  précieux  de  la  foi  de  l'Église  au  iie  siècle. 
On  ne  sait  rien  de  positif  sur  le  lieu  et  la  date  de  sa 
naissance,  pas  plus  que  sur  les  circonstances  de  sa 
conversion  du  judaïsme  au  catholicisme.  Mais  comme  il 
connaissait  l'hébreu,  le  syriaque  et  les  traditions  juives 
purement  orales,  Eusèbe  a  conclu  qu'il  était  juif  d'ori- 
gine et  palestinien  de  naissance.  H.  E.,  iv,  22,  P.  G., 
t.  xx,  col.  384.  Vers  le  milieu  du  ne  siècle,  il  entreprit, 
conr.ne  II  nous  l'apprend  lui-même,  un  long  voyage 
d'information  religieuse,  pendant  lequel  il  visita  un 
grand  nombre  d'églises  et  d'évêques.  11  séjourna 
notamment  à  Corinthe,  où  il  s'entretint  avec  l'évêque 
Primus;  il  constata  que  cette  Église  fondée  par  saint 
Paul  avait  persévéré  jusque-là  dans  l'orthodoxie  et 
qu'on  y  lisait  la  Ire  Épître  du  pape  saint  Clément  aux 
Corinthiens.  Puis  il  se  rendit  à  Rome  pendant  le  ponti- 
ficat d'Anicet  (155-166)  et  y  vécut  sous  ses  deux  suc- 
cesseurs immédiats,  les  papes  Soter  (166-175)  et  Éleu- 
thère  (175-189).  D'après  le  Chronicon  paschale,  Olymp. 
ccxxxix,  P.  G.,  t.  xcn,  col.  641,  il  serait  mort  sous 
l'empereur  Commode  (180-192).  Son  nom  est  inscrit  au 
catalogue  des  saints  par  Usuard,  Adon,  Notker  et  les 
autres  martyrologes  ;  sa  fête  y  est  fixée  au  7  avril. 

IL  Mémoires.  —  1°  Titre  et  objet  de  l'ouvrage.  —  De 
toute  son  activité  littéraire  on  ne  connaît  qu'un  seul 
ouvrage,  malheureusement  perdu,  en  cinq  livres,  dont 
il  ne  reste  que  des  fragments  conservés  par  Eusèbe, 
H.  E.,  n,  23;  m,  20,  32;  iv,  8,  22,  P.  G.,  t.  xx,  col.  196, 
252,  281,  321,  377,  et  par  Etienne  Gobar,  dans  Photius, 
Bibliotheca,  232,  P.  G.,  t.  cm,  col.  1096,  et  une  citation 
faite  par  Georges  Syncelle.  Chronogr.,  an.  5578,  P.  G., 
t.  cvm,  col.  1197.  Cet  ouvrage  comprenait  cinq  livres 
qu'Eusèbe  désigne  tantôt  sous  le  nom  de  ajyypà;ji;j.a-:a, 
tantôt  sous  celui  de  ûjtoavi(u,aTa  et  dont  le  vrai  titre 
était  :  IIévte  &7uou,v7]'u,aTa  exxAijfjiaœixàiv  repaÇécov.  Au  dire 
d'Eusèbe  et  de  saint  Jérôme,  il  était  écrit  en  un  style 
simple  et  sans  prétention;  et  les  fragments  qui  en 
restent  ne  sont  pas  pour  contredire  cette  appréciation. 
Mais  quels  étaient  son  objet,  sa  note  caractéristique, 
son  but  précis  ?  Eusèbe,  qui  ne  s'est  pas  fait  faute  de 
l'utiliser  pour  l'histoire  des  temps  apostoliques,  range 
Hégésippe  au  nombre  des  adversaires  orthodoxes  du 


2117 


HÉGÉSIPPE 


2H8 


gnoslicisme  et  le  place  à  leur  tète.  H.  E.,  ïv,  8,  P.  G., 
t.  xx,' col.  321.  Saint  Jérôme,  De  vît.  ill.,  22,  P.  L., 
t.  xxin,  col.  640,  voit  en  lui  l'historien  de  l'Église 
universelle  depuis  la  passion  du  Sauveur  jusqu'à 
l'époque  où  il  rédigea  ses  Mémoires;  et  ceci  explique 
le  titre  de  Père  de  l'histoire  ecclésiastique  qu'on  lui  donne 
parfois.  Mais  autant  qu'on  en  peut  juger  par  les  frag- 
ments, son  ouvrage,  à  la  fois  historique  et  polémique, 
n'était  pas  une  histoire  proprement  dite,  car  on  ne 
s'expliquerait  pas  comment  le  récit  du  martyre  de 
saint  Jacques  survenu  au  Ier  siècle  ne  se  trouve  que 
dans  le  1.  Ve,  comme  l'atteste  formellement  Eusèbe. 
H.  E.,  il,  23,  P.  G.,  t.  xx,  col.  197.  Ce  n'était  pas 
davantage  une  œuvre  de  pure  polémique  contre  les 
sectes  juives  et  les  hérésies  gnostiques,  mais  plutôt  un 
recueil  de  renseignements,  de  faits,  de  traditions  et  de 
tout  ce  qui  pouvait  être  de  quelque  utilité  pour  les 
lecteurs,  comme  le  note  saint  Jérôme,  composé  non 
par  curiosité  vaine,  mais  dans  un  but  apologétique 
nettement" marqué.  Car,  après  avoir  partout  interrogé 
les  usages  locaux  et  les  doctrines  qu'on  enseignait  dans 
les  différentes  Églises  pour  les  comparer  entre  eux, 
Hégésippe  a  soin  de  constater  que,  dans  chaque  centre 
chrétien  et  dans  chaque  succession  épiscopale,  l'ensei- 
gnement ecclésiastique  était  pleinement  conforme  à  la 
loi,  aux  prophètes  et  au  Seigneur.  //.  E.,  iv,  22,  P.  G., 
t.  xx,  col.  377.  On  ne  peut  que  regretter  la  perte  d'un 
tel  ouvrage  pour  l'histoire  des  deux  premiers  siècles 
chrétiens. 

2°  Les  fragments.  —  Ils  sont  au  nombre  de  cinq  dans 
Eusèbe.  Le  premier  a  trait  au  martyre  de  saint  Jac- 
ques, frère  du  Seigneur,  premier  évèque  de  Jérusalem. 
H.  E.,  il,  23,  P.  G.,  t.  xx,  col.  196-204.  Le  second 
raconte  la  comparution  des  parents  du  Sauveur  devant 
Domitien;  cet  empereur,  redoutant  une  action  poli- 
tique de  leur  part,  voulut  savoir  s'ils  appartenaient 
réellement  à  la  race  de  David,  les  interrogea  sur  l'état 
de  leur  fortune  et  sur  ce  qu'ils  pensaient  du  règne  du 
Christ;  mais  les  trouvant  si  simples  et  si  inofîensifs, 
il  les  renvoya  indemnes.  H.  E.,  ni,  20,  ibid.,  col.  252- 
253.  Le  troisième  est  le  récit  du  martyre  de  Siméon, 
successeur  de  saint  Jacques  sur  le  siège  de  Jérusalem, 
crucifié  à  l'âge  de  120  ans  par  ordre  du  légat  Atticus, 
vers  110,  sur  la  dénonciation  de  certains  hérétiques. 
H.  E.,  m,  32,  ibid.,  col.  281-284.  Il  y  est  dit  que  jus- 
qu'à cette  époque,  l'Église  de  Jérusalem  était  demeurée 
vierge  de  toute  erreur,  ceux  qui  devaient  tenter  de  la 
corrompre  n'ayant  pas  osé  se  montrer  tant  qu'il 
restait  un  survivant  des  temps  apostoliques.  Le  qua- 
trième fait  allusion  aux  honneurs  divins  rendus  à 
Antinous,  le  trop  célèbre  favori  d'Hadrien.  H.  E., 
iv,  8,  ibid.,  col.  321.  Le  cinquième  mentionne  le  séjour 
d'Hégésippe  à  Corinthe  et  à  Rome,  les  sectes  juives 
et  les  hérésies  gnostiques.  H.  E.,  iv,  22,  ibid.,  col.  377- 
384. 

D'autre  part,  sur  ce  texte  :  «  l'œil  n'a  pas  vu, 
l'oreille  n'a  pas  entendu,  etc.,  »  qui  rappelle  à  peu  de 
chose  près  l'emprunt  fait  par  saint  Paul  à  Isaïe,  I  Cor., 
il,  9,  Etienne  Gobar  a  écrit  :  Hegesippus,  vir  anliquus 
et  apostolicus,  libro  quinto  Commenlariorum,  liaud 
scio  an  ofjensus  dicit  frustra  hœc  dici  et  cos  qui  hœc 
dicunt  in  sacram  Scripturam  et  contra  Christum... 
menliri.  Dans  Photius,  Bibliotheca,  232,  P.  G.,  t.  cm, 
col.  1096. 

Enfin  Georges  Syncelle  rapporte  que,  d'après  Hégé- 
sippe, la  lettre  de  saint  Clément  aux  Corinthiens  était 
lue  dans  l'Église  de  Corinthe.  Chronogr.,  Clympiad. 
ccxxxix,  P.  G.,  t.  cvin,  col.  641. 

3°  La  succession  des  pontifes  romains.  —  Hégésippe 
avait  pour  habitude,  dit-il,  de  dresser  la  liste  des 
évêques  locaux  jusqu'aux  apôtres;  il  a  donc  dû  dresser 
celle  des  évêques  de  Rome  depuis  saint  Pierre  jusqu'à 
Anicet;  mais  cetteliste  ne  nous  est  point  parvenue. 


Lightfoot  a  cru  la  retrouver  dans  celle  que  saint  Épi- 
ph;  ne,  Hœr.,  xxvn,  6,  P.  G.,  t.  xli,  col.  372,  dé- 
clare a.\  oir  recueillie  ïv  tkjiv  0KO[i.VT)[iaTtofi.oïç,  ce  titre 
faisant  penser  aux  u-ojAvr^aTa  d'Hégésippe,  The  ear- 
leasl  papal  catalogue,  dans  The  Academy,  1887, 
p.  362-363;  The  apostolic  Fathers,  S.  Clément  of  Rome. 
Londres,  1870,  t.  i,  p.  327-333;  mais  Funk  ne  partagé 
pas  cet  avis.  Der  Paplskatalog  Hegesipps,  dans  Histo- 
risches  Iahrbuch,  1888,  t.  ix,  p.  674-677;  1890,  t.  xi, 
p.  77-80.  Voici  cette  liste  :  Pierre  et  Paul,  Lin  et  Clet, 
Clément,  Évariste,  Alexandre,  Xyste,  Télesphore, 
Hygin,  Pie,  Anicet.  On  y  voit,  contrairement  au 
catalogue  libérien,  qu'il  n'est  pas  fait  mention  de 
deux  papes  distincts,  l'un  du  nom  de  Clet,  l'autre  du 
nom  d'Anaclet  ou  Anenclet.  Eusèbe  ne  connaît  égale- 
ment qu'un  seul  pape  qu'il  nomme  Anenclet  dans  son 
Histoire  ecclés.,  m,  15,  P.  G.,  t.  xx,  col.  249,  tandis  que 
le  catalogue  libérien  porte  :  Pierre,  Lin,  Clément,  Clet, 
Anaclet,  Évariste,  Alexandre,  Xyste,  Télesphore, 
Hygin,  Anicet,  Pie,  etc.  Voir,  dans  de  Smedt,  le  cata- 
logue eusébien  et  libérien,  Dissertaliones  selectœ  in 
primam  sclatcm  historiée  ecclesiasticœ,  Paris,  1876, 
Appendix  K,  p.  83-85,  90-91,  94.  Eusèbe  a  dû  pro- 
fiter de  la  liste  d'Hégésippe;  de  Smedt  rejette  la  dis- 
tinction de  Clet  et  d'Anaclet.  Op.  cit.,  p.  301-302.  Voir 
ces  noms. 

A  défaut  de  liste,  Hégésippe  fournit  du  moins  un 
renseignement  précis  et  irrécusable,  d'après  lequel  il 
faut  placer  Anicet  après  Pie,  et  non,  comme  l'a  fait 
le  catalogue  libérien,  Pie  après  Anicet;  car  il  marque 
nettement  qu'il  est  arrivé  à  Rome  sous  le  pontificat 
d'Anicet  et  qu'Anicet  a  eu  pour  successeurs  immé- 
diats Soter  et  Éleuthère.  H.  E.,  ïv,  22,  P.  G.,  t.  xx, 
col.  377. 

4°  Les  sectes  juives  et  les  hérésies  gnostiques.  —  On 
doit  à  Hégésippe  une  liste  des  sectes  juives  et  des  pre- 
mières hérésies  gnostiques.  Sans  grand  souci  de  l'exac- 
titude chronologique  et  du  soin  de  caractériser  chacune 
des  sectes  dont  il  parle,  Hégésippe  rappelle  qu'il  y 
en  avait  sept  parmi  les  juifs  :  les  esséens,  les  galiléens, 
les  hémérobaptistes,  les  masbothéens,  les  samari- 
tains, les  sadducéens  et  les  pharisiens.  H.  E.,  ïv,  22. 
P.  G.,  t.  xx,  col.  381.  C'est  exactement  le  même 
nombre,  mais  avec  quelques  noms  différents,  dans 
saint  Justin  :  sadducéens,  génistes,  méristes,  galiléens, 
helléniens,  pharisiens  et  baptistes,  Dial.  cum  Tryphone, 
80,  et  dans  saint  Épiphane  :  scribes,  pharisiens,  sad- 
ducéens, esséens,  nazaréens,  hémérobaptistes  et  héro- 
diens.  Plus  complet  et  plus  explicite,  l'Indiculus 
hœreseon,  faussement  attribué  à  saint  Jérôme,  en 
distingue  dix  et  les  décrit  ainsi  :  1.  Efinei  dicunt 
Christum  docuisse  illos  omnem  abstinentiam.  2.  Gali- 
Isei  dicunt  Christum  venisse  et  docuisse  eos,  ne  dice- 
renl  dominum  Cœsarcm,  neve  ejus  monctis  ulerenlur. 
3.  Marbonei  dicunt  ipsum  esse  Christum  qui  docuit 
illos  in  omni  re  sabbatizare.  4.  Pharisœi  negant 
Christum  venisse,  nec  ulla  in  re  cum  prœdictis  commu- 
nicant. 5.  Sadducsei  negant  resurrectionem.  6.  Genistœ 
prœsumunt  quoniam  de  génère  Abrahse  sunl.  7.  Meristie, 
quoniam  séparant  Scripturas,  non  credentes  omnibus 
prophciis,  dicentes  aliis  et  aliis  spiritibus  prophetasse. 
8.  Samarilse...  in  observationibus  suis  a  Judœis  omnino 
separanlur.  9.  Herodiani  Herodem  magnifïcabant, 
dicentes  ipsum  esse  Christum.  10.  Hemerobaplistœ 
qui  quotidie  corpora  sua  et  domum  et  supellectilem 
lavant.  Cf.  Valois,  n.  22,  P.  G.,  t.  xx,  col.  381-382. 

D'autre  part,  Hégésippe  signale,  parmi  les  sectaires 
is^s  du  judaïsme,  Simon,  Cléobius,  Dosithée,  Gorthée, 
Masbothée,  ainsi  que  les  hérésies  gnostiques  des 
ménandriens,  des  marcionites,  des  carpocratiens,  des 
valentiniens,  des  basilidiens  et  des  saturniliens,  d'où 
sortirent  les  pseudochrists,  les  pseudoprophètes,  les 
pseudoapôtres,  qui  ont  altéré  la  doctrine  du  Christ  et 


2119 


HÉGÉSIPPE 


2120 


cherché  à  rompre  l'unité  de  l'Église.  H.  E.,  iv,  22, 
P.  G.,  t.  xx,  col.  380-381.  C'est  tout  ce  qu'a  noté 
Eusèbe  sans  nous  dire  si  Hégésippe,  à  l'exemple  de 
saint  Justin  et  de  saint  Irénée,  avait  exposé  ces  systè- 
mes pour  en  faire  la  réfutation. 

5°  Importance  de  son  témoignage.  —  La  constatation 
formelle  faite  par  Hégésippe  que  l'enseignement 
chrétien  était  partout  conforme  à  la  loi,  aux  pro- 
phètes et  au  Seigneur,  prouve  à  tout  le  moins  que,  de 
l'époque  où  il  entreprit  son  voyage,  vers  150,  jusqu'à 
celle  où  il  en  consigna  les  résultats  par  écrit,  vers  180, 
la  foi  des  Églises  judéo-chrétiennes  de  la  Palestine  et 
de  la  Syrie  était  la  même  que  «elle  de  la  Grèce  et  de 
l'Occident,  et  qu'il  n'y  a  pas  trace  d'un  dissentiment 
quelconque.  Mais,  d'après  Baur  et  l'école  de  Tubingue, 
cela  prouverait  simplement  que,  vers  le  milieu  du 
IIe  siècle,  les  Églises  étaient  fortement  pénétrées 
d'éléments  juifs  et  qu'elles  n'étaient  pas  encore 
catholiques;  car  Hégésippe  n'était  en  réalité  qu'un 
ébionite,  chargé  par  ses  coreligionnaires  d'entreprendre 
un  voyage  d'exploration  religieuse  dans  l'intérêt  du 
parti  judaïsant.  Sa  connaissance  de  l'hébreu,  du 
syriaque  et  des  traditions  juives,  l'usage  qu'il  faisait  de 
l'Évangile  hébreu  de  saint  Matthieu,  le  silence  qu'il 
garde  sur  la  secte  des  ébionites  et  son  animosité 
contre  saint  Paul,  dont  témoigne  le  passage  d'Etienne 
Gobar,  seraient  autant  de  preuves  de  son  ébionitisme. 
Mais  ce  n'est  là  qu'une  hypothèse,  à  laquelle  il  faut 
renoncer;  car,  si  Hégésippe  avait  été  l'ébionite  qu'on 
prétend,  on  ne  s'expliquerait  pas  l'éloge  sans  restric- 
tion qu'ont  fait  de  sa  foi  et  de  son  œuvre  Eusèbe  et 
saint  Jérôme.  Pas  plus  qu'Hégésippe,  saint  Justin 
n'a  signalé  les  ébionites;  et  il  a  pu  faire  usage  de 
l'Évangile  hébreu  de  saint  Matthieu,  sans  être  pour 
autant  accusé  d'ébionitisme.  Reste,  il  tst  vrai,  le 
passage  incriminé  par  Etienne  Gobar,  où  l'on  a  voulu 
voir  une  attaque  contre  saint  Paul.  Mais  c'est  un 
passage  qui  n'est  pas  une  citation  exacte  de  saint 
Paul;  car  il  porte  rotç  Sixaioiç,  aux  justes,  là  où 
l'apôtre  a  écrit  :  îtoïç  àya-iôaiv  aÙTÔv,  à  ceux  qui 
l'aiment;  et  loin  de  viser  saint  Paul,  il  parle  de  ceux, 
au  pluriel,  qui  interprètent  mal  le  texte,  c'est-à-dire, 
selon  toute  vraisemblance,  des  gnostiques.  D'ailleurs, 
un  tel  blâme  de  saint  Paul  est  inconciliable  avec  la 
connaissance  et  l'approbation  de  l'épître  de  saint 
Clément  aux  Corinthiens,  dont  parle  Hégésippe,  et 
dont  la  couleur  paulinienne  est  si  fortement  accusée. 
On  doit  donc  rejeter  l'hypothèse  de  Baur  et  tenir 
Hégésippe  pour  un  témoin  orthodoxe,  qui  ruine  le 
système  de  l'école  de  Tubingue.  Cf.  Freppel,  Les  apo- 
logistes chrétiens,  3e  édit.,  Paris,  1887,  p.  364-372. 

Le  témoignage  d'Hégésippe  est  particulièrement 
important  sur  les  frères  de  Jésus.  Quoique  ce  qu'il 
rapporte  de  saint  Jacques  le  Mineur  soit  déjà  en 
partie  légendaire,  cependant  ce  qu'il  dit  de  son 
degré  de  parenté  avec  le  Sauveur  est  confirmé  par 
le  témoignage  sur  son  frère,  saint  Siméon,  et  pro- 
vient de  la  tradition  palestinienne  touchant  la  famille 
de  Jésus.  Or,  il  affirme  que  Jacques  et  Siméon  étaient 
les  fils  de  ClOophas,  qui  était  lui-même  le  frère  de 
saint  Joseph.  Les  frères  de  Jésus,  mentionnés  dans 
les  Évangiles,  seraient  donc  des  cousins  germains  du 
divin  Maître,  par  son  père  putatif,  saint  Joseph. 
Les  efforts  de  Zahn  pour  en  tirer  la  conclusion  que 
ces  frères  de  Jésus  étaient  des  frères  utérins,  fils  de 
Joseph  et  de  Marie,  sont  en  pure  perte.  Brader  und 
Vetiern  Jesu.  Leipzig,  1900.  La  donnée  d'Hégésippe, 
reposant  sur  la  tradition  palestinienne,  un  peu  mé- 
langée déjà  d'éléments  légendaires,  explique  mieux, 
semble-t-il,  le  degré  de  parenté  de  Jésus  avec  ses 
frères  que  l'opinion  purement  exégélique,  fondée  sur 
Joa.,  xix,  25,  d'après  lequel  Marie  de  Cléophas  est  la 
soeur  de  la  sainte  Vierge.  On  en  conclut  généralement 


que  le  cousinage  des  frères  de  Jésus  dérivait  de  leur 
mère  dont  la  sainte  Vierge  était  la  sœur.  Outre  la 
difficulté  d'expliquer  que  deux  sœurs  portaient  le 
même  nom  de  Marie,  sans  distinction  autre  que  le  nom 
de  l'époux  de  la  seconde.il  est  plus  vraisemblable  que 
rà5sXcpr)  Tfjç  p)tpôç  aùtou  était,  selon  l'usage  hébraïque, 
sa  belle-sœur,  plutôt  que  sa  sœur  proprement  dite, 
les  deux  Marie  ayant  épousé  deux  frères,  Joseph  et 
Cléophas. 

Les  fragments  d'Hégésippe  dans  Galland,  P.  G.,  t.  v, 
col.  1317-1328;  Grabe,  Spicilegium  SS.  Patrum,  Oxford, 
1698-1700,  t.  il,  p.  203-214;  rîouth,  Reliquiœ  sacrée,  2«  édit., 
Oxford,  1846-1848,  t.  i,  p.  203-284;  Th.  Zahn,  Brûder  und 
Vetiern  Jesu,  dans  Forschungen  zur  Geschichte  des  neutesta- 
mentlichen  Kanons  undder  altkirchlichen  Literalur,  Leipzig, 
1900,  t.  vi,  p.  220-250;  Tillemont,  Mémoires  pour  servir  à 
l'histoire  ecclésiastique  des  six  premiers  siècles,  Paris,  1693- 
1712,  t.  m,  p.  47-48,  610-611;  voir  à  la  fin  du  t.  i  de  ces 
Mémoires  une  Dissertation  sur  ce  que  raconte  Hégésippe  de 
saint  Jacques,  évâque  de  Jérusalem,  par  Arnauld,  avec  les 
remarques  de  Tillemont  ;  Ceillier,  Histoire  générale  des  auteurs 
sacrés  et  ecclésiastiques,  Paris,  1858-1863,  t.  i,  p.  473-475; 
Th.  Iess,  Hegesippus  nach  seiner  kirchengeschichll.  Bedeu- 
tung,  dans  Zeiischrift  fur  die  histor.  Théologie,  1865,  t.  xxxv, 
p.  3-95;  Hilgenfeld,  Hegesippus  und  die  Apostelgeschichte, 
dans  Zeiischrift  fur  wissenschafll.  Théologie,  1878,  t.  xxi, 
p.  297-330;  Th.  Zahn,  Der  griechische  Irenàus  und  der  ganze 
Hegesippus  im  16  Ialirhundert,  dans  Zeitschrift  fur  Kirchen- 
geschichle,  1878,  t.  n,  p.  288-291;  Id.,  Die  griechische 
Irenàus  und  der  ganze  Hegesippus  im  16  und  17  Iahrhundert, 
dans  Theolog.  Literalurblalt,  1893,  p.  495-497;  Ph.  Mayer, 
Der  griechische  Irenàus  und  der  ganze  Hegesippus  im 
17  Iahrhundert,  dans  Zeitschrift  fur  Kirchengeschichte, 
1889,  p.  155-158;  De  Boor,  Neue  Fragmente  des  Papias, 
Hegesippus  und  Pierius,  Leipzig,  1888;  Overbeck,  Ueber 
die  Anfànge  der  Ktrchengeschichtschreiben,  Bâle,  1892; 
Lavigerie,  De  Hegesippo,  disquisilio  historica,  Paris,  1850; 
Dannreuther,  Du  témoignage  d'Hégésippe  sur  l'Église  chré- 
tienne,  Paris,  1878;  Bardenhewer,  Les  Pères  de  l'Église, 
trad.  franc.,  Paris,  1899,  t.  i,  p.  198-200;  Dictionary  of 
Christian  biographg,  t.  Il,  p.  875-878;  Kirchenlexikon,  2e  édit., 
t.  v,  col.  1584-1585;  U.  Chevalier,  Répertoire.  Bio-biblio- 
graphie, t.  i,  col.  2041  ;  Realencyclopàdie  fur  protestantische 
Théologie  und  Kirche,  Leipzig,  1899,  t.  vu,  p.  531-535. 

G.  Bareille. 
2.  HÉGÉSIPPE  (LE  prétendu).  A  la  fin  du  i«  siè- 
cle de  l'ère  chrétienne,  l'historien  juif  Flavius  Josèphe 
avait  composé  en  grec  plusieurs  ouvrages  :  l'un  en 
20  livres  sur  les  antiquités  juives,  histoire  du  peuple 
juif  depuis  les  temps  les  plus  reculés  jusqu'à  la  guerre 
de  l'an  66,  sous  le  titre  de  'IouSai/ri  àpyaioÀoyîa;  un 
autre,  complément  du  précédent,  intitulé  De  vita  sua, 
sorte  d'autobiographie  qui  traite  surtout  de  la  part 
qu'il  avait  prise  à  la  guerre  de  66-67  comme  comman- 
dant en  chef  de  la  Galilée;  un  troisième  en  deux  livres, 
véritable  apologie  du  judaïsme  contre  Apion,  cité  sous 
le  titre  de  Opôç  toJ;  "  EUr^aç  ou  de  Ilepî  ~r,:  tûv 
'IouBatwv  àpyat0TT)T0ç;  et  un  quatrième  en  sept  livres, 
Ilspi  toù  to'j8a;y.o'j  r.o\i[j.o\i,  qui  raconte  les  guerres 
juives  depuis  le  temps  d'Antiochus  Épiphane  jusqu'à 
la  ruine  de  Jérusalem. 

Tous  ces  ouvrages  ont  fini  par  être  traduits  en  latin. 
Dès  la  fin  du  ive  siècle  le  bruit  avait  couru  que  saint 
Jérôme  était  l'auteur  de  leur  traduction;  mais  saint 
Jérôme  s'en  est  défendu,  en  alléguant  qu'il  n'avait 
ni  le  loisir  ni  la  force  de  traduire  ces  ouvrages  sans 
leur  faire  perdre  leur  élégance  native.  Epist.,  lxxi,  5, 
ad  Lucinium,  P.  L.,  t.  xxn,  col.  671.  Au  vie  siècle, 
Cassiodore  (|  570)  rapporte  qu'il  fit  traduire  par  ses 
amis,  en  22  livres,  les  ouvrages  de  Josèphe,  c'est-à- 
dire  les  Antiquités  et  le  Traité  contre  Apion,  et  qu'il 
existait  déjà  une  traduction  latine  des  sept  livres  du 
De  bello  judaico,  attribuée  par  les  uns  à  saint  Jérôme, 
par  d'autres  à  saint  Ambroise,  par  d'autres  encore  à 
Rufin;  bonne  preuve,  observait-il,  des  dictionis 
eximiœ  mérita  d'une  telle  traduction.  De  instit.  div. 
litlcrarum,  17,  P.  L.,  t.  lxx,  col.  1133.  Mais  Cassiodore 


2121 


HÉGESIPPE 


HEIBER 


2122 


ne  spécifie  point  s'il  s'agit,  dans  ce  dernier  cas,  de  la 
traduction  littérale  du  De  bello  judaico  généralement 
attribuée  à  Rufin,  ou  de  celle,  beaucoup  plus  libre 
d'allures,  qui  porte  le  nom  d'Hégésippe;  toutefois 
ce  qu'il  dit  du  style  fait  penser  plutôt  à  cette  dernière 
qui  rappelle  la  manière  de  Salluste  beaucoup  plus  que 
le  style  de  Ru  fin.  Rufin,  du  reste,  au  rapport  de 
Gennade,  De  script,  eccl.,  17,  P.  L.,  t.  lvii,  col.  1070, 
n'a  rien  traduit  de  Josèphe. 

Il  existe,  en  effet,  un  ouvrage  latin,  sous  le  titre 
de  De  bello  judaico  ou  De  excidio  urbis  hierosolymi- 
tanse,  étroitement  apparenté  avec  le  Flepl  toû  îouSatxou 
t.oIsij-o-j,  de  Josèphe,  qu'il  traduit  toujours  librement, 
qu'il  abrège  parfois  ou  qu'il  amplifie  en  puisant  à 
d'autres  sources,  dont  les  quatre  premiers  livres  corres- 
pondent assez  exactement  aux  quatre  premiers  livres 
et  à  une  partie  du  Ve  du  De  bello  judaico  de  Josèphe, 
dont  le  Ve  et  dernier  résume  les  deux  derniers  livres 
du  même  Josèphe.  C'est  l'œuvre  d'un  bon  latiniste, 
comme  le  prouve  le  style,  et  d'un  défenseur  de  la  foi 
chrétienne,  comme  le  prouve  son  langage  relatif  à  la 
mort  du  Sauveur  et  à  la  persécution  de  ses  disciples 
par  les  juifs,  De  bello  jud.,  n,  12,  aux  apôtres  saint 
Pierre  et  saint  Paul,  ni,  2,  et  au  judaïsme,  iv,  5,  P.  L., 
t.  xv,  col.  2056-2057,  2068-2070,  2115.  Cet  auteur 
porte  dans  diverses  éditions  le  nom  d'Hégésippe  ou 
d'Égésippe,  qui,  à  raison  même  de  la  perfection  de  son 
style,  n'a  rien  de  commun  avec  l'Hégésippe  du 
IIe  siècle,  et  qui  paraît  bien  n'être  que  la  corruptiou 
du  nom  même  de  Josèphe.  Le  grec  '  Icôar^o;,  '  I  wa7]7i7roç, 
'  IoiatT]7t-o;,  Josepus,  Joseppus,  Josippus  en  latin,  est 
facilement  devenu  Egesippus,  Hegesippus,  et  sous  cette 
forme  ce  nom  ne  paraît  pas  avant  le  vme  siècle.  Dans 
un  manuscrit  de  cet  ouvrage  de  la  bibliothèque  ambro- 
sienne  de  Milan,  qui  est  du  vne-vme  siècle,  on  trouve 
à  la  fin  du  Ier  livre  :  Josippi  liber  primus  explicit;  mais 
Josippi  a  été  corrigé  postérieurement  en  Egesippi. 
Cf.  Mabillon,  Musseum  italicum,  Paris,  1687,  t.  i, 
p.  13.  D'autres  manuscrits  dans  la  suite  portent  Hege- 
sippi  comme  aussi  le  nom  de  saint  Ambroise.  Mais  la 
substitution  à'Egesippi  à  Joseppi  ne  trompait  pas 
les  esprits  avertis;  témoin  ce  passage  d'une  lettre  de 
l'Espagnol  Alvarus  :  scito  quia  nihil  tibi  ex  Egesippi 
posai  verbis,  sed  ex  Josippi  vestri  doctoris,  où  il  est 
question  précisément  d'une  citation  empruntée  au 
prétendu  Hégésippe.  Cf.  Traube,  Rhein.  Muséum, 
1884,  t.  xxxix,  p.  477.  De  telle  sorte  qu'il  faut  voir 
dans  le  nom  d'Hégésippe  le  nom  défiguré  de  Josèphe. 

Mais  alors  qui  peut  bien  être  l'auteur  de  cette  tra- 
duction, qui,  d'après  les  critères  internes  et  externes, 
remonte  à  la  fin  du  ive  siècle  ?  Faut-il  y  voir  un 
travail  de  la  jeunesse  de  saint  Ambroise  ?  La  question 
ne  semble  pas  tranchée,  répond  Bardenhewer,  Les 
Pères  de  l'Église,  trad.  franc.,  Paris,  1899,  t.  n,  p.  305, 
bien  que  de  nos  jours,  sur  la  foi  des  manuscrits  et 
d'après  certaines  analogies  de  langage,  on  se  prononce 
en  général  pour  l'affirmative.  Au  xvii°  siècle,  les 
bénédictins  avaient  rayé  cette  traduction  de  la  liste 
des  œuvres  de  saint  Ambroise;  mais  Gronovius,  Vives 
et  Valois  la  croyaient  bien  de  l'évêque  de  Milan;  plus 
réservé,  Tillemont,  Mémoires,  1. 1,  p.  541,  trouvait  que 
le  style  en  est  trop  aisé  et  trop  coulant  pour  être  de 
saint  Ambroise.  Galland  en  tout  cas,  à  l'exemple  de 
Mazochius,  l'a  insérée  à  la  suite  des  œuvres  de  saint 
Ambroise,  Bibliotheca  veterum  Patrum,  Venise,  1765- 
1788,  t.  vu,  p.  653-711,  et  Migne  a  fait  de  même,  P.  L., 
t.  xv,  col.  1961-2224.  Plus  récemment  Fr.  Weber  et 
J.  Csesar,  qui  penchent  pour  son  attribution  à  saint 
Ambroise,  en  ont  donné  une  édition  critique,  la  meil- 
leure parue  jusqu'ici,  qui  a  servi  de  base  au  texte  du 
prétendu  Hégésippe  dans  l'édition  des  œuvres  de 
saint  Ambroise  par  Ballerini,  Milan,  1875-1883,  t.  vi, 
col.  1-276.  Et  tandis  que  Vogel,   De  Hegesippo,  qui 


dicitur,  Josephi  interprète,  Erlangen,  1881;  Ambrosius 
und  der  Uebersetzer  des  Josephus,  dans  Zeitschrijt  fur 
die  osterreich.  Gymnasien,  1883,  t.  xxxiv,  p.  241-249, 
combat  l'origine  ambrosienne  de  cette  traduction, 
Reifferscheid,  dans  Sitzungsberichle  der  Wiener  Aka- 
dcmie.  Philos.-hist.  Classe,  1867,  t.  lvi,  p.  442,  Rônsch, 
Die  lexikalischen  Eigenlhumlichkeiten  der  Lalinitàt 
des  sog.  Hegesippus,  dans  Romanische  Fnrschungen, 
Erlangen,  1883,  p.  256-321,  et  Ihm,  Siudia  Ambro- 
siana,  dans  Jahrbùcher  fur  class.  Philologie,  \  1889, 
Supplément,  t.  xvn,  fasc.  1,  p.  61-68,  essaient  de  la 
défendre.  Schûrer,  Geschichte  des  jùdischen  Volkes, 
3e  édit.,  Leipzig,  1901,  t.  i,  p.  96,  partage  J/avis  de 
Vogel.  Dans  le  prologue  du  De  bello  judaico,  l'auteur 
indique  deux  autres  ouvrages  de  sa  composition  :  un 
résumé  historique  du  contenu  des  quatre  livres  des 
Rois,  et  un  travail  sur  les  Macchabées.  Ona  rapporté 
ce  dernier  ouvrage  aux  livres  bibliques  des  Macchabées. 
Dom  Morin,  loc.  cit.,  p.  81-86,  l'identifie  à  la  Passion 
latine  des  Macchabées,  qui  est  conservée  dans  une 
vingtaine  de  manuscrits  et  que  dom  de  Bruyne  va 
publier.  La  question  d'auteur  ne  semble  donc  pas 
tranchée,  mais  l'ouvrage  reste  un  document  précieux, 
œuvre  d'un  chrétien  qui,  à  la  fin  du  ivc  siècle,  a  utilisé 
Josèphe  sans  oublier  la  défense  de  sa  foi. 

V.  Ussani,  qui  a  entrepris  l'édition  de  cette  traduction 
pour  le  Corpus  de  Vienne,  s'est  prononcé  en  faveur  de  saint 
Ambroise,  dans  Studi  ilaliani  di  fdologia  classica,  Florence, 
1906,  t.  xiv,  p.  245  sq.  ;  O.  Scholz,  au  contraire,  l'attribue 
au  juif  converti,  Isaac  (l'Ambrosiaster  ?),  Die  Hegeslppus- 
Ambrosius  Frage,  dans  Kirchengeschichlliche  Abhandlungen, 
Breslau,  1009,  t.  vm,  p.  149-195;  puis  comme  dissertation 
doctorale,  Breslau,  1913.  Dom  Morin  rejette  absolument 
l'attribution  à  saint  Ambroise,  et  il  pense  à  Dexter  dont 
parle  saint  Jérôme,  De  viris  illust.,  132,  P.  L.,  t.  xxm, 
col.  715.  L'opuscule  perdu  du  soi-disant  Hégésippe  sur  le* 
Machabées,  dans  la  Revue  bénédictine,  1914,  p.  86-91. 
La  meilleure  édition  du  prétendu  Hégésippe  est  celle  do 
Fr.  Weber  et  de  J.  Csesar  :  Hegesippus  qui  dicitur  sive 
Egesippus,  de  bello  judaico,  ope  codicis  Cassellanl  recognitus, 
Marbourg,  1864;  Tillemont,  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire 
ecclésiastique  des  six  premiers  siècles,  Paris,  1693-1712,  t.  i, 
p.  541;  Oudin,  De  scriptoribus  ecclesiasiicis,  Leipzig,  1722, 
t.  n,  col.  1026-1032;  Fabricius,  Bibliotheca  lat.  médise  et 
infimœ  œtatis,  1735,  t.  m,  p.  582-584;  J.  Cassar,  Observa- 
tiones  nonnullœ  de  Josepho  lalino,  qui  Hegesippus  vocari 
solel,  emendando,  Marbourg,  1878;  Klebs,  Dos  lateinische 
Geschtchlsioerk  ùberden  Judischenkrieg,  dans  Festschrlft  zum 
fiïnfzig-jdhrigen  Doctor-jubilàum  Ludwig  Friedlànder,  1895, 
p.  210-241  (pour  lui,  l'auteur  du  De  bello  judaico  est  un 
oriental);  Schûrer,  Geschichte  des  jiïdischen  Volkes  im  Zeit- 
alter  Jesu  Cliristi,  3«  édit.,  Leipzig,  1901,  t.  i,  p.  96-97; 
Bardenhewer,  Les  Pères  de  l'Église,  trad.  franc.,  Paris,  1899, 
t.  n,  p.  305-306;  Geschichte  der  altkirchlichen  Literatur,  Fri- 
bourg-en-Brisgau,  1912,  t.  m,  p.  505-506;  Smith  et  Wace, 
Diclionary  o/  Christian  biography,  t.  n,  p.  878;  Kirchen- 
lexikon,  2«  édit.,  t.  v,  col.  1585-1586. 

G.  Bareille. 

HEIBER  Gélase  ou  selon  d'autres  HIEBER,  dont 
Hurter  fait  à  tort  deux  personnages  différents,  Nomen- 
clator,  1910,  t.  iv,  col.  1190  et  1326,  augustin  alle- 
mand, né  à  Dinckelsbiil,  en  Souabe,  dans  la  seconde 
moitié  du  xvne  siècle  et  mort  à  Munich  en  1731,  fut  un 
prédicateur  renommé,  jusqu'à  mériter  de  la  part  de 
ses  contemporains  le  surnom  de  «  Cicéron  allemand  ». 
Au  milieu  de  ses  occupations  oratoires  il  ne  négligea 
pas  néanmoins  celles  de  l'érudit,  ce  qui  lui  permit  do 
composer  les  ouvrages  suivants  :  1°  Gepredigte  Rek 
gionshistorie,  d.  i.  Jésus  Chrisius  und  seine  Kirchen, 
offenbahrlich  dargezeigt  von  Urbegin  der  Welt  bis  an 
das  Ende  der  Zeiten,  3  in-fol.,  Augsbourg,  Dillingen, 
Ratisbonne,  1726-1733;  2°  Catéchisme  exposé  en  forme 
de  sermons  (en  allemand),  in-4°,  Munich,  1723;  3°  Vita 
celeberrimi  Ecclesise  doctoris  S.  Augustini,  in-4°, 
Munich,  1720;  4°  De  cultu  et  oeneratione  sacrosanclœ 
eucharisliœ,  in-8°,   Augsbourg,  1712;  5°  Mater  admi- 


2123 


HEIBER   —   HEINRICH 


2124 


rabilis  seu  brevïs  descriplio  imaginis  B.  Maria  Virginis 
prodigiis  claree  quie  in  ccclcsia  Monacensi  colilur,  in-4°, 
Munich,  1724;  6°  Lcben  der  seligen  Rila  Don  Cassia, 
in-8°,  Munich,  1737;  7°  Devotus  peregrinm  in  Auf. 
kirchen  scu  Modus  salutandi  et  vcnerandi  imaginem 
B.  Mariée  Virginis  quee  in  Aufkirchen  est,  in-12  (en 
allemand),  Munich,  1725;  8°  Diarium  indulgentiarum 
et  gratiarum  S.  archiconfralernilalis  B.  Mariée  Virginis 
de  Consolatione,  in-12,  Munich,  1709;  9°  Suspiria  erga 
dolorosam  sanctam  faciem  Christi,  Munich,  1726; 
10°  Qualuordecim  sermones  pancgijrici  pro  diversis 
solemnilatibus,  ms.  ;  1 1  °  Sermones  lempore  Quadragesimee 
muliis  annis  ad  populum  habiti,  ms.;  12°  Catalogus 
quindecim  seeculorum,  quo  tam  grsecomm  quam  lati- 
norum  Palrum,  aliorumque  oratorum  ecclesiasticorum 
nomina,  officia  et  scripla  tam  édita  quam  inedita  exhi- 
bentur,  ms.  (ce  recueil  ne  s'étend  que  jusqu'au  vne  siè- 
cle); 13°  Jésus  Christus  ejusque  vita  et  doctrina  in 
vcteri  lege  preefiguratus  et  in  nova  manifcstatus,  ms. 
Il  faut  ajouter  à  cette  liste  diverses  notes,  dissertations 
et  poésies  dont  quelques-unes  furent  publiées  dans  la 
revue  :  Parnassus  Boicus. 

Revisla  agustiniana,  Valladolid,  1884,  t.  vu,  p.  351; 
Lanteri,  Postrema  sœcula  sex  religionis  augustinlanse,  Tolen- 
tino,  t.  m,  p.  58,  418;  Ossinger,  Bibliotheca  augustiniana, 
p.  344;  Hurter,  loc.  cit. 

N.  Merlin. 

H  El  M  BACH  wiathias,  jésuite  allemand,  né  à  Enskir- 
chen  dans  le  duché  de  Juliers  le  19  mars  1666,  admis 
au  noviciat  le  21  juillet  1685.  Il  enseigna  les  humanités, 
puis  la  philosophie  à  Cologne  et  se  distingua  par  la 
souplesse  de  sa  dialectique  et  la  subtilité  de  ses  théories. 
C'est  surtout  dans  le  domaine  de  la  logique  que  son 
talent  excella.  Il  composa  pour  ses  élèves  de  l'univer- 
sité un  Florilegium  argumenlorum,  2  in-fol.,  Cologne, 
1703-1708,  qui  a  pour  but  principalement  de  former 
l'esprit  aux  discussions  philosophiques,  mais  qui  rap- 
pelle trop  le  formalisme  et  les  recettes  de  la  sco- 
lastique  décadente.  L'ouvrage  eut  toutefois  grand 
succès  et  compta  plusieurs  éditions.  Son  introduction 
à  la  logique  :  Dialcctica  Aristotelico-rationalis  sive 
manuduclio  ad  logicam,  Cologne,  1706,  1709, 1713,  etc., 
jouit  également  d'une  réputation  qui  étonne  aujour- 
d'hui. Appelé  ensuite  à  exercer  le  ministère  de  la  pré- 
dication, le  P.  Heimbach  se  fit  un  nom  dans  la  contro- 
verse par  ses  polémiques  mordantes  contre  les  réfor- 
més :  Fuss  bi-im  Mahl,  das  ist,  Behauplung  der  zu 
Mùlheim  gehalten  Glaubens-Bataille  fiber  die  wesenltiche 
Gegcnwart  Christi  in  H.  Abendmahl,  in-4°,  Cologne, 
1706;  Gespràch  zwischen  Thomas  mut  Slcphan  Buch- 
weiss,  welche  caiholischer  Religion,  und  Peler  Eger- 
Kaess  und  Fie  Langohr,  so  Reformirler  Religion,  in-4°, 
Dusseldorf,  1707.  Il  faut  citer  encore  comme  œuvres 
de  théologie  pastorale  une  Rhetorica  christiana,  2  in- 
fol.,  Augsbourg,  1720;  2  in-4°,  Cologne,  1730,  et  son 
catéchisme  pastoral  :  Catcchismus  christiano-catholicus 
in  calhedram  concionatoriam  clevidus,  2  in-4°,  Cologne, 
1723,  1737,  1748.  Son  cours  de  catéchisme  à  l'usage  des 
enfants  :  Praxis  catechetica  sive  manuduclio  pro  in- 
struendis  rudibus,  Cologne,  1707,  était  classique  en 
Allemagne  dans  la  première  moitié  du  xvme  siècle. 
Il  eut  de  nombreuses  éditions,  et  fut  traduit  en  alle- 
mand sons  le  titre  de  Der  chrisflichen  Kinder-Lehrer 
dès  1713.  Enfin  le  P.  Heimbach  a  laissé  un  sermonnaire 
fort  estimé  de  son  temps  :  Das  reine  Worl  Gottes  auf  aile 
Sonn-und  Feierteegtige  Euangelia,  2  in-4°,  Cologne, 
1721.  Une  partie  a  été  insérée  dans  le  t.  vi  du  recueil 
de  Brischar  :  Sammlung  der  kathol.  Kanzelredner, 
Schaffouse,  1871.  Le  P.  Heimbach  mourut  à  Cologne, 
après  une  vie  d'étonnant  labeur,  le  6  juillet  1747. 

Sommcrvogel,  Bibliothèque  de  la  C"  de  Jésus,  t.  iv, 
col.  218-222;  Hurter,  Nomenclator,  3e  édit.,  Inspruck,  1910, 
t.  iv,  col.  1665  sq.  P    Bernard. 


HEINLIN  Henri,  bénédictin  du  monastère  de  Thères- 
en-Franconie,  fut  en  1673  professeur  de  philosophie 
à  l'université  de  Salzbourg,  où  il  enseigna  égale- 
ment la  théologie  morale  de  1677  à  1680.  Il  publia  : 
Logica  seu  philosophia  naturalis,  in-12,  1674;  une 
seconde  édition  plus  développée  parut  en  1677,  in-4°; 
Traclatus  philosophicus  de  ente  metaphysico,  in-12, 
1675;  Thèses  seleclee  ex  universa  philosophia,  in-12, 
1675;  Queestioncs  selectee  de  principiis  rerum  natura- 
lium,  in-12,  1675;  Dispulalio  de  generatione  et  corrup- 
tione,  in-12,  1675;  Disputatio  de  anima  in  communi, 
in-12,  1675;  Disputatio  de  anima  vegelativa,  sensiliva 
et  rationali,  in-12,  1675;  Traclatus  philosophiœ  natura- 
lis, seu  phgsicse  Aristotelico-Thomislicee  de  anima  in 
communi,  in-4°,  1677;  Traclatus  de  causis  in  génère 
et  in  specie,  in-4°,  1677;  Traclatus  de  principiis  rerum 
naturalium,  in-4°,  1678;  Traclatus  de  generatione  el 
corruplione,  in-4°,  1678;  Luslrum  doctrinale  ex  quin- 
tuplici  doctrinee  génère,  historiée,  poeticee,  philosophtcee, 
juridicee  ac  polilicee,  in-4°,  1701;  Medulla  theologiee 
pasloralis  praticee,  in-12,  Cologne,  1707;  Medulla 
theologiee  moralis  cum  duodecim  centuriis  casuum  circa 
sacramenta  singula,  in-4°,  Nuremberg,  1714. 

Ziegelbauer,  Historia  rei  literariœ  ordinis  S.  Benedicti, 
t.  iv,  p.  138,  139,  147;  (doni  François),  Bibliothèque  générale 
d«?  éciuains  de  l'ordre  de  Saint-Benoit,  t.  i,  p.  462:  Hurter, 
Nomenclator,  Inspruck,  1910,  t.  iv,  col.  270-271. 

B.  Heurtebize. 

1.  HEINRICH  Jean-Baptiste-Vincent,  théologien 
catholique  allemand,  né  à  Mayence  le  15  avril  1816,  fit 
avec  succès  ses  premières  études  au  gymnase,  puis 
suivit  les  cours  de  droit  à  l'université  de  Giessen 
pendant  trois  ans  (1834-1837)  et  fut  reçu  docteur 
in  utroque,  le  27  décembre  1837;  il  enseigna  le  droit  à 
cette  université  comm.3  privât  doc  nt  on  1840.  Il  étudia 
la  théologie  aux  universités  de  Tubingue  et  de  Fri- 
bourg-en-Brisgau  en  1842  et  1843,  puis  au  séminaire 
de  Mayence  en  1844.  Ordonné  prêtre  en  1845,  il  fut 
nommé,  d'abord,  chapelain  de  la  cathédrale  de 
Mayence,  puis  secrétaire  des  conférences  du  diocèse  de 
Wurzbourg  en  1848,  chanoine  prébende  en  1850, 
professeur  de  théologie  dogmatique  au  séminaire  de 
Mayence  en  1851.  Tout  en  continuant  son  enseigne- 
ment, il  devint  chanoine  titulaire  de  la  cathédrale  en 
1855,  doyen  en  1867  et  vicaire  général  en  1868.  De 
1850  à  1890,  il  dirigea  avec  Moufang  le  Katholik.  Il 
prit  une  part  active  aux  congrès  des  catholiques  alle- 
mands, et  en  1863,  il  rédigea  à  Munich  une  protestation 
contre  les  audacieuses  affirmations  de  Dôllinger.  Il 
reprit  son  enseignement  au  séminaire  de  1877  à  1887. 
Le  papa  le  nomma  prélat  domestique  le  16  avril  1886. 
Il  mourut  le  9  février  1891.  Son  principal  ouvrage 
est  sa  Dogmalische  Théologie,  dont  il  publia  6  vol., 
1873  sq.;  2e  édit.,  Mayence,  1881-1900,  continuée  par 
Gutberlet,  4  vol.,  Mayence  et  Munster,  1891-1904, 
t.  vn-x.  Huppert  (t  le  19  avril  1906)  en  fit  un  abrégé 
sous  le  titre  :  Lchrbuch  der  kalh.  Dogmatik,  2  vol., 
Mayence,  1898-1900.  Les  autres  écrits  de  Heinrich 
sont  :  Die  Reaction  des  sogenannles  Forlschrilles  gegen 
die  Freiheit  der  Kirche  und  des  religiôsen  Lebens, 
Mayence,  1863;  Christus,  ein  Nachweis  seiner  geschichl- 
lichen  Existenz  und  gôttlichcn  Persônlichkcit,  ibid,,  1864 
(contre  Strauss  et  Renan);  Die  wahre  Kirche  oder  das 
sichlbare  Reich  Christi  auf  Erden  (contre  le  pasteur 
protestant  Nonweiler);  Die  Beweise  fur  die  Wahrheit 
des  Chrislenthums  und  der  Kirche,  lre  édit.,  Mayence, 
1885;  Die  Klôsler  in  die  Geschichle,  Francfort,  1866; 
Die  Klôsler  und  ihre  Gegner  in  der  Gegenwart,  ibid.f 
1885;  Die  kirchliche  Reform,  Mayence,  1869  (contre 
Hirscher).  Heinrich  composa  aussi  l'important  article 
Christus  du  Kirchenlexïkon,  t.  m,  col.  241-293. 

Brûck,  dans  Der  Katholik,  1891,"t.  i,  p.  289-308,'403-425^ 
et   dans  In  préface  du  t.  vu  de  la  Dogmalische  Théologie; 


2125 


HEINRICH  —   HEISS 


2126 


Hertling,  Zur  Erinnerimg  an  J.-B.  Heinrich,  dans  Jahres- 
bericht  der  Gôrresgesellschaft,  1891,  p.  5-15;  Lauchert,  dans 
Allgemeine  deulsclie  Biographie,  t.  l,  p.  151-152;  Hurter, 
Nomenclator,  Inspruck,  1913,  t.  v  b,  col.  1516-1518;  Kir- 
Ctiliches  Handlexikon  de  Buchberger,  Munich,  1907,  t.  i, 
col.  1903-1904. 

E.  Mangenot. 

2.  HEINRICH  Landfridus,  théologien  allemand,  bé- 
nédictin, né  le  3  mai  1721,  mort  le  20  mai  1773.  De  ses 
divers  ouvrages  nous  mentionnerons  :  Introductio 
historico-chronologica  in  Vêtus  Testamentum,  3  in-4°, 
Ratisbonne,  1759-1761;  Hierarchia  angelorum  ad 
mentem  Dionysii  in  compendio  expensa,  in-4°,  Ratis- 
bonne, 1760;  Johannes  Cassianus  presbyter  Massiliensis 
pelagianismi  posiulalus  a  R.  D.  Prospero  Prautner, 
sed  contra  hislorico-critice-thcologico-dogmatice  vindica- 
us,  in-4°,  Munich,  1767. 

Hurter,  Nomenclalor,  Inspruck,  1912,  t.  v  a,  col.  90. 
B.  Heurtebize. 

HEISLSNGER  Antonin,  moraliste  allemand,  né  à 
Landshut  en  Bavière  en  1668,  reçu  dans  la  Compagnie 
de  Jésus  en  1686,  enseigna  avec  succès  la  philosophie 
aux  universités  de  Dillingen  et  d'Ingolstadt  et  se  si- 
gnala par  d'intéressantes  études  sur  des  questions  alors 
fort  agitées  dans  le  domaine  de  la  philosophie  natu- 
relle :  De  causis  sponte  nascentium,  Dillingen,  1704;  De 
substantialilale  luminis,  Ingolstadt,  1707,  et  sur  des 
points  de  psychologie  où  il  se  révèle  observateur  per- 
spicace et  penseur  original  :  De  liberlale  aclus  extrinseca, 
Dillingen,  1794;  De  liberlale  actus  intrinseca,  ibid., 
1704;  De  signis  humanarum  inclinalionum,  Ingolstadt, 
1707.  Ces  derniers  travaux  préparaient  et  annonçaient 
déjà  le  moraliste  remarquable  quefutbientôt  le  P.Heis- 
linger.  Professeur  de  théologie  morale  à  Ingolstadt, 
il  publia  après  un  long  enseignement  une  série  d'impor- 
tants traités  d'ordre  pratique  sur  la  justice  et  le  con- 
trat matrimonial  :  Responsa  moralia  in  causis  sponsa- 
litiis  et  matrimonialibus,  in-8°,  Ingolstadt,  1723;  Res- 
ponsa moralia  in  causis  jusliliœ  commulalivœ  de  reslitu- 
tione  cl  conlraclibus,  2  in-4°,  ibid.,  1726  ;  Resoluliones  mo- 
rales in  causis  jusliliœ  commulalivœ  ad  forum  ccclesias- 
ticum  et  ad  forum  sœculare  spectantibus,  2  in-4°,  ibid., 
1738:  Resoluliones  morales  de  matrimonio,  hujus  impe- 
dimentis  et  istorum  dispensatione,  in-4°,  Augsbourg, 
1739;  Semicenluria  variarum  resolutionum  moralium 
pro  foro  interno  alque  externo,  Munich,  1745.  Le  P.  Heis- 
linger  enseigna  aussi  la  théologie  morale  à  Fribourg-en- 
Brisgau  et  la  théologie  scolastique  à  Amberg,  devint 
recteur  du  collège  de  Ratisbonne  et  mourut  à  Landshut 
le  19  juillet  1745. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  C''  de  Jésus,  t.  iv, 
col.  1228  sq.;  Hurter,  Nomenclator,  3e  édit.,  Inspruck, 
1910,  t.  iv,  col.  1650. 

P.  Bernard. 

HEISS  Sebastien,  controversiste  allemand,  né  à 
Augsbourg  en  1572,  admis  au  noviciat  de  la  Compagnie 
de  Jésus  en  1591,  enseigna  les  humanités  et  la  philoso- 
phie avec  le  plus  grand  succès  et  fut  chargé  de  la  chaire 
de  controverse  à  Munich,  puis  à  Dillingen  et  enfin,  de 
1599  à  1613,  à  Ingolstadt  où  il  mourut  le  20  juin  1614. 
Élève  du  P.  Gretser  qui  l'avait  distingué  entre  tous, 
Heiss  orienta  ses  études  et  son  enseignement  dans  le 
même  sens  que  son  maître  et  avec  la  même  méthode 
rigoureuse,  sur  le  terrain  brûlant  de  la  lutte  avec  les 
hérétiques.  Ses  thèses  théologiques  eurent  un  grand 
retentissement;  la  plupart  furent  traduites  en  alle- 
mand :  De  vera  Chrisli  in  terris  Ecclcsia,  proprietatibus 
ejus  et  nolis  quibus  facile  ab  omnibus  falsis  hœreticorum 
ecclesiis  internoscatur,  in-4°,  Munich,  1600;  in-8°,  Ingol- 
stadt, 1610;  De  Scriptura  in  génère  et  in  parliculari, 
in-4°,  Munich,  1600;  De  triumphante  incœlis  Ecclcsia, 
seu  statu  beatorum,  ibid.,  1600;  De  cultu  et  invocalione 
sanctorum,  veneratione  sacrarum  imaginum  alque  reli- 
quiarum,  ibid.,  1601;  De  sacratissimo  dominicœ  incar- 


nalionis  mysterio  adversus  lutheranos  ubiquetarios, 
ibid.,  1601;  De  nalura,  obligatione  et  relaxalione  voli, 
ibid.,  1602;  De  augustissimo  corporis  et  sanguinis 
Chrisli  sacramento  ac  missœ  sacriflcio,  ibid.,  1605;  trad. 
allemande  par  le  P.  Conrad  Vetter,  in-8°,  Ingolstadt, 
1606.  Le  bruit  que  souleva  dès  son  apparition  le  livre 
de  Jacques  Hailbronner  :  Uncalholisch  Pabsllhumb, 
Wittemberg,  1605,  qui  prétendait  défendre  les  articles 
de  la  Confession  d'Augsbourg  par  les  textes  des  Pères, 
des  conciles  et  du  droit  canonique  primitif  et  qui  déna- 
turait le  sens  des  discussions  engagées  entre  catho- 
liques et  protestants  au  colloque  de  Ratisbonne  en 
1601,  amena  le  P.  Heiss,  sur  le  désir  exprimé  par  ses 
supérieurs,  à  publier  une  réfutation  positive,  basée 
sur  la  critique  des  textes  allégués  et  sur  des  documents 
nouveaux,  de  cet  ouvrage  que  l'on  donnait  alors  comme 
le  dernier  mot  de  la  science.  Le  succès  fut  décisif.  Cette 
défense  de  la  vérité  historique  parut  sous  ce  titre  : 
Volumcn  acalholicorum  XX  arliculorum  Confessionis 
Augustanœ  edilum  a  Jacobo  Hailbronner  nomine  Pala- 
linorum  Neuburgcnsium,  approbatione  electjralium 
Saxonicorum  et  Witlembergensium  theologorum,  reco- 
gnitumetcastigatum,m-A°,  Dillingen,  1709.  Une  2e  édi- 
tion enrichie  de  note"!  et  d'appendices  succéda  pres- 
que immédiatement  à  la  première,  pendant  qu'une  tra- 
duction allemande  due  à  la  plume  du  P.  Conrad  Vetter, 
in-4°,  Ingolstadt,  1610,  rendait  cet  ouvrage  populaire. 
Le  P.  Heiss  prit  aussi  une  part  très  active  aux  violentes 
polémiques  suscitées  par  les  controverses  de  Bellarmin. 
Il  défendit  la  doctrine  du  savant  théologien  dans  deux 
dissertations  sur  l'Écriture  et  sur  la  canonicité  des 
Livres  saints  :  De  verbo  Dei.  Haberi  scriptum  aliquod 
Dei  verbum  et  quibus  in  libris  contineatur,  adversus 
impugnalorcs  Robcrti  cardinalis  Bellarmini,  Dillingen, 
1609;  Disputatio  secunda  thcologica  de  verbo  Dei.  Vere 
divinos  esse  libros  quos  hodie  ectarii  e  canone  ab  Ecclcsia 
recepto  excludunl,  in-4°,  ibid  ,  1602.  Il  faut  mentionner 
encore  parmi  ses  ouvrages  de  controverse  :  Disputatio 
thcologica  de  purgalorio  lutheranorum,  in  4°,  Ingolstadt, 
1610;  traduit  en  allemand  parle  P.  Vetter,  ibid.,  1611; 
Disputatio  de  adoratione  religiosa,  in-4°,  Dillingen, 
1609;  Très  quœsliones  breviler  discussœ  et  ccu  faculse 
ad  internoscendam  Chrisli  in  terris  Ecclesiam  prolalœ, 
ibid.,  1610;  cet  ouvrage  est  une  réponse  aux  assertions 
des  ministres  protestants  d'Augsbourg,  particulière- 
ment dirigée  contre  le  pasteur  Ruelich.  Ses  autres 
écrits  ont  trait  à  des  questions  de  pure  doctrine  :  Asscr- 
liones  Ihcologicœ  de  nalura  et  principiis  sacrœ  theologiœ, 
Dillingen,  1609;  De  Filio  Dei  humanœ  naturœ  unito, 
ibid.,  1609;  Thèses  de  origine  animœ,  Ingolstadt,  1610, 
reproduites  dans  les  Très  quœstioncs  discussœ,  ibid., 
1610;  Disputatio  thcologica  de  dominio,  ibid.,  1610;  De 
rcstilulione,  prœcipuo  jusliliœ  acln,  ibid.,  1612;  De  tri- 
plici  bapthmo,  Ingolstadt,  1613.  Le  P.  Heiss  laissa  en 
outre  un  grand  nombre  de  commentaires  sur  diverses 
parties  de  la  Somme  de  saint  Thomas,  que  la  mort  ne 
lui  permit  pas  d'achever.  Les  questions  actuelles  pri- 
maient pour  lui  toutes  les  autres  et  quand  on  lui  de- 
manda d'intervenir  pour  défendre  les  doctrines  de  la 
Compagnie,  il  abandonna  aussitôt  ce  commentaire, 
fruit  de  son  long  enseignement  et  mit  un  soin  scrupu- 
leux à  mener  à  bien  l'apologie  doctrinale  de  son  ordre 
dans  l'ouviage  :  Ad  aphorismos  doctrinœ  jesuitarum 
aliorumque  pontificiorum  e  dictis,  scriptis  actisque  publi- 
cis  collectos,  declaratio  apologetica,  Ingolstadt,  1609. 
Personne  n'était  mieux  que  lui  qualifié  pour  ce  travail 
de  science  précise  et  de  méthode  rigoureuse.  Heiss 
avait  été  l'un  des  collaborateurs  les  plus  actifs  du 
P.  Gretser  pour  son  ouvrage  De  cruce;  la  collection  des 
manuscrits  de  la  bibliothèque  de  Munich  n'avait  plus 
pour  lui  de  secrets. 

Sommervogel,   Bibliothèque  de  la   C'a    de  Jésus,   t.    jv, 
col.  229-232;  Hurter,  Nomenclator,  3'  édit.,  Inspruck,  1907, 


2127 


HEISS 


HELVETIUS 


2128 


t.  m,  col.  431  sq.;  B.  Duhr,  Geschichte  der  Jesuilen  in  den 
Làndcrn  deulscher  Zungc,  Fribourg-en-Brisgau,  1913,  t.  Il  b, 
p.  394;  A.  Hirschmann,  Gretsers  Schriflen  iiber  das  Kreuz, 
dans  Zeitschrijt  fur  katholische  Théologie,  t.  xx,  p.  484  sq. 

B.  Bernard. 
HÉLICITES.   Voir  IIicètes. 

HELMONT  François  mercure  van,  fils  du  célèbre 
chimiste  et  médecin  Jean-Baptiste  van  Helmont, 
naquit  à  Vilvorde,  Brabant  (Belgique),  en  1618.  Non 
content  de  partager  les  goûts  de  son  père  pour  la  méde- 
cine, la  chimie  et  l'alchimie,  il  s'intéressa  aux  arts  et 
aux  sciences  les  plus  extraordinaires.  Il  accumula  ainsi 
des  connaissances  superficielles,  qui  étonnèrent  ses 
contemporains,  jusqu'à  Leibnitz  lui-même.  Son  pre- 
mier soin  fut  de  publier  quelques  travaux  de  son  père, 
restés  manuscrits,  sous  ce  titre  :  Opuscula  medica  ine- 
dita,  in-4°,  Amsterdam,  1648.  On  l'accuse  d'avoir  mis 
à  cette  édition  beaucoup  de  négligence.  La  curiosité  le 
fit  se  mêler  à  une  troupe  de  Bohémiens  pour  étudier 
leur  langue  et  leurs  usages  et  il  parcourut  avec  eux  une 
partie  de  l'Europe  jusqu'à  ce  qu'il  se  vît  arrêté  en  Italie 
et  incarcéré  au  nom  de  la  sainte  Inquisition  (1662).  Il 
fut  sans  doute  soupçonné  de  sorcellerie  à  la  suite  de 
propos  et  d'actes  inspirés  par  son  amour  de, l'occul- 
tisme. Les  sciences  occultes,  la  cabale,  la  magie,  la 
métempsycose  eurent  ses  préférences.  On  ne  le  garda  pas 
longtemps  sous  les  verrous  ;  nous  le  retrouvons  en  Alle- 
magne à  Suizbach,  auprès  de  l'électeur  Charles-Louis 
(1663);  il  collabora  avec  Knorr  de  Rosenroth  à  la 
rédaction  de  la  Kaballa  denudata.  Un  opuscule  qu'il 
publia  dans  le  même  temps  fit  quelque  bruit  :  Alphabeti 
vere  naturalis  hebraici  brevissima  delineatio,  quœ  simul 
melhodum  suppedilat  juxla  quam  qui  surdi  nati  sunl  sic 
informari  possunt,  ut  non  alios  saltem  loquentes  intelli- 
gant,  sed  et  ipsi  ad  sermon is  usum  pcrveniant,  in-12, 
Suizbach,  1667.  Il  prétendait  avoir  découvert  la  langue 
primitive  du  genre  humain.  Ce  serait  l'hébreu;  les 
caractères  de  cette  langue  ne  seraient  que  la  figure  de 
la  position  prise  par  le;  organes  vocaux  pour  les  pro- 
noncer. Van  Helmont  s'imagina  en  donner  la  preuve 
sensible  dans  les  36  planches  qui  illustraient  son  ou- 
vrage. A  le  croire,  un  sourd-muet  de  naissance  n'aurait 
eu  qu'à  reproduire  ces  mouvements  pour  parler.  Il  se 
vanta  d'en  avoir  fait  l'expérience  avec  succès.  Leibnitz 
crut  à  cette  rêverie.  Après  un  séjour  en  Angleterre  où  il 
rédigea  pour  la  comtesse  de  Cannoway  ses  Deux  cents 
questions  sur  les  révolutions  de  l'âme,  nous  le  trouvons  à 
Amsterdam,  où  il  se  fixa.  Les  ouvrages  qu'il  y  publie 
sont  un  amas  d'élucubrations  étranges;  c'est  à  se 
demander  s'ils  ne  sortent  pas  de  la  plume  d'un  fou.  Il 
a  fait  un  exposé  de  ses  doctrines  dans  ses  Opuscula 
philosophica  quibus  conlinentur  principia  philosophiœ 
antiquissima  et  recenlissima,  item  philosophiœ  vulgaris 
refutata,  quibus  subjecta  sunt  CC  problemala  de  revolu- 
tione  animarum  humanarum,  in-12,  Amsterdam,  1690. 
Son  livre  intitulé  :  Sedcr  olam  sive  ordo  sseculorum,  his- 
torica  enarralio  doclrinse,  in-12,  Amsterdam,  1693,  est 
rempli  d'absurdités.  On  a  de  lui  un  ouvrage  sur  la 
Cenèse  :  Qusedam  prœmeditatœ  et  considérâtes  cogila- 
tiones  super  quatuor  priora  capita  libri  primi  Moisis, 
Genesis  nominati,  in-8°,  Amsterdam,  1697.  Il  a  publié 
divers  opuscu'es  en  allemand  et  en  hollandais.  Il  mou- 
rut à  Coin  sur  la  Sprce,  près  de  Berlin,  en  1690.  Leibnitz 
lui  composa  une  épitaphe. 

Adelung,  Geschichte  der  menschliclien  Narrheit,  Leipzig, 
1785-1799,  t.  iv,  p.  294-325;  Nouvelle  biographie  générale, 
de  Hœfer,  Paris,  1858,  t.  xxm,  p.  864;  Biographie  natio- 
nale de  Belgique,  Bruxelles,  1884-1885,  t.  vin,  col.  921-926. 

J.  Besse. 

HELVETIUS  Claude-Adrien,  l'un  des  représen- 
tants du  mouvement  philosophique  fran.ais  au 
xvme   si  cle.  ni  à   Paris,  janvier  1715,  mort  à  Paris, 


26  décembre  1772.  —  I.  Avant  l'Esprit.  II.  Le  livre 
et  l'atïaire  de  l'Esprit.  III.  Dernières  œuvres. 

I.  Avant  -l'Esprit,  —  D'une  famille  nommée 
Schweltzer  ou  Schweitzer,  apparentée  au  bienheureux 
Canisius,  originaire  du  Palatinat,  mais,  à  la  suite  des 
troubles  religieux,  passée,  vers  1650,  en  Hollande  où 
elle  prit  le  nom  d'Helvétius,  il  était  fils  et  petit- fils  de 
médecins. 

Son  grand-père,  Jean- Adrien,  anobli  par  Louis  XIV 
en  1724,  pour  avoir  fait  connaître  l'ipécacuana, 
s'était  fixé  en  France  et  son  père,  Jean-Claude-Adrien, 
avait  eu  à  la  cour  et  à  l'armée  une  haute  situation 
et  dans  le  pays  une  grande  réputation  de  bienfaisance. 
Claude-Adrien  fit  ses  humanités  au  collège  Louis- 
le-Grand  et  fut  ainsi  l'élève  des  jésuites,  comme  Vol- 
taire. Fermier-général  à  vingt-trois  ans,  ayant  de  gros 
revenus,  avide  d'aventures  galantes,  «  il  débute  par 
se  faire  la  réputation  d'un-  petit-maître  accompli.  » 
Brunetière,  Manuel  de  l'histoire  de  la  littérature  fran- 
çaise, Paris,  1899,  p.  322.  Puis  «  enragé  de  célébrité  », 
ibid.,  il  s'introduit  dans  le  monde  des  lettres,  y  répand 
des  largesses,  tente,  sous  l'influence  de  Fontenelle,  de 
briller  dans  le  mouvement  scientifique  du  temps,  et 
finalement  se  tourne  vers  la  poésie,  où  il  s'était  déjà 
essayé  au  sortir  du  collège,  et  vers  la  philosophie. 
Comme  il  envie  le  succès  de  Voltaire,  il  cultive  à  son 
exemple  et  sous  sa  direction  le  poème  philosophique. 
Les  résultats  sont  pauvres.  Les  Épîtres  d'Helvétius, 
sur  le  plaisir,  dédiée  à  Voltaire,  sur  l'amour  de  l'élude, 
dédiée  à  la  marquise  du  Châtelet,  sur  les  arts,  sur 
l'orgueil  et  la  paresse  de  l'esprit,  les  fragments  d'une 
Épttre  sur  la  superstition  sont  sans  originalité  ni  valeur 
littéraire.  Il  en  est  de  même  de  son  poème  philoso- 
phique le  plus  considérable,  Le  bonheur.  Ce  poème 
allégorique  et  mythologique,  en  4  chants,  indique 
déjà  les  principales  idées  et  les  tendances  philoso- 
phiques de  l'auteur.  Le  bonheur  n'est  ni  dans  la  vo- 
lupté ni  dans  le  pouvoir  et  la  richesse  uniquement 
goûtés  et  possédés  :  il  y  a  un  art  d'être  heureux.  Cet 
art,  il  ne  faut  le  demander  ni  aux  métaphysiques 
religieuses,  ni  aux  philosophies  comme  le  stoïcisme 
qui  impose  à  la  nature  d'orgueilleuses  contraintes, 
mais  à  la  raison  éclairée  par  l'expérience  et  à  des 
maîtres  comme  Locke.  Le  bonheur  a  des  conditions 
individuelles  :  unir  «  les  voluptés  des  sens  aux  plaisirs 
de  l'esprit,  et  par  la  variété  éviter  la  tyrannie  du 
désir  et  la  saturation»;  il  a  des  conditions  sociales,  en 
premier  lieu  l'affranchissement  du  despotisme  et  de 
la  superstition.  Helvétius  avait  composé  ce  poème 
pour  se  faire  valoir  en  face  de  Fontenelle  et  de  Mau- 
pertuis,  qui  avaient  écrit  sur  le  même  sujet,  mais, 
absorbé  par  la  préparation  de  l'Esprit,  il  ne  le  publia 
pas.  Ce  fut  l'œuvre  de  Saint-Lambert.  L'ouvrage  parut 
en  1772  sous  ce  titre  :  Le  bonheur,  mais  il  compre- 
nait en  outre  les  Épîtres  et  un  Essai  sur  la  vie  et 
les  ouvrages  de  M.  Helvétius,  anonyme,  mais  qui  est 
de  Saint-Lambert.  Le  bonheur  eut  3  éditions,  Lon- 
dres, 1772,  1773,  1776. 

II.  Le  livre  et  l'affaire  de  VEsphit.  —  Vers 
1748,  Helvétius,  grand  admirateur  de  Locke,  de  Fon- 
tenelle et  de  Voltaire,  lié  avec  Buffon,  Diderot,  Montes- 
quieu, Saint-Lambert,  etc.,  reçu  chez  Mme  de  Graffi- 
gny  et  chez  Mme  Geolîrin,  partage  toutes  les  idées  des 
futurs  encyclopédistes  et  aspire  à  prendre  rang  parmi 
eux  —  encore  qu'il  ne  collabora  jamais  à  l'Encyclo- 
pédie. C'est  l'Esprit  des  lois  qui  l'oriente,  1748.  Sur  le 
point  d'en  livrer  le  manuscrit  à  l'impression,  Montes- 
quieu le  lui  communiqua  et  Helvétius  en  fit  plusieurs 
critiques  :  1°  dans  une  Lettre  à  Montesquieu,  Œuvres 
d'Helvétius,  édit.  Didot,  1795,  t.  xiv,  p.  61;  2°  dans 
une  Lettre  à  Saurin,  un  ami  commun,  ibid.,  p.  57; 
3°  dans  des  notes  écrites  en  marge  des  huit  premiers 
livres  de  son  exemplaire  et  publiées  pour  la  première 


2129 


HELVÉTIUS 


2130 


lois  sous  ce  litre:  Examen  critique  de  l'Esprit  des  lois 
par  l'auteur  de  l'Esprit,  dans  les  Œuvres  complètes  de 
Montesquieu,  édit.  Didot,  1795,  t.  xiv.  Helvétius 
ieproche  à  Montesquieu  de  compliquer  les  choses,  sous 
prétexte  de  développement  historique,  de  trouver 
aux  nobles  et  aux  prêtres  une  utilité  sous  telle  forme 
de  gouvernement,  enfin,  d'une  façon  générale,  de  ne 
remonter  jamais  jusqu'à  la  nature  de  l'homme,  vrai 
point  de  départ  de  toutes  les  lois,  puisqu'elles  doivent 
toutes  assurer  son  bonheur.  Sur  ces  critiques,  voir 
A.  Sorel.  Montesquieu  (Collection  des  grands  écrivains 
français),  Paris,  1887,  p.  135.  L'Esprit  des  lois  eut  un 
succès  prodigieux;  Helvétius  crut  donc  établir  sa  gloire 
en  refaisant  ou,  du  moins,  en  complétant  cet  ouvrage. 
Telle  fut  l'origine  du  fameux  livre  de  l'Esprit,  comme 
le  disent  bien  son  nom  et  ces  vers  de  Lucrèce  mis  en 
épigraphe  : 

Unde  animi   constet   natiira  videndum, 

Qua   fiant   ratione,  el  qua  vi  qua'que  gerantur 

In  terris. 

A  ce  moment,  il  achète  la  charge  de  maître  d'hôtel 
ordinaire  de  la  reine,  pour  augmenter  son  crédit  et  sa 
sécurité.  1749;  il  donne  sa  démission  de  fermier-géné- 
ral, 1750,  et  épouse  une  jeune  fille  sans  fortune,  mais 
de  haute  lignée,  Mme  de  Ligniville  d'Autrecourt,  nièce 
de  Mme  de  Grafïïgny  et  cousine  du  futur  ministre 
Choiseul.  Sur  Mme  Helvétius,  voir  de  Lescure,  Notice 
sur  Mme  Helvétius,  dans  les  Grandes  épouses, 
Paris,  1834  ;  A.  Guillois,  Le  salon  de  Mme  Helvétius, 
Paris,  1894.  Dès  lors,  il  se  ret're  volontiers  dans  son 
château  de  Lumigny  en  Brie  et  plus  souvent  dans 
son  château  de  Voré  dans  le  Perche.  C'est  là  qu'il  pré- 
pare son  livre,  laborieusement,  comme  le  prouvent 
les  Notes  de  la  main  d' Helvétius,  publiées  d'après  un 
manuscrit  inédit  avec  une  introduction  et  des  commen- 
taires par  Albert  Keim,  in-8°,  Paris,  1907.  L'ouvrage, 
qui  a  pour  titre  :  De  l'Esprit,  in-4°  de  643  pages,  parut 
à  Paris  en  août  1758,  sans  nom  d'auteur,  avec  l'ap- 
probation du  censeur  royal  Tercier  et  privilège  du 
roi  en  date  du  12  mai. 

Helvétius  veut  étudier  l'homme  en  général,  tel  qu'il 
est,  dans  toutes  les  nations  et  sous  tous  les  gouverne- 
ments, son  esprit,  son  cœur  et  ses  passions;  oe  n'est  pas 
pour  elle-même  qu'il  tente  cette  étude;  c'est  pour  en 
induire  les  lois  d'une  morale  utile  au  bonheur  humain. 
Il  définit  ainsi  sa  pensée  :  «  C'est  par  les  faits  que  j'ai 
remonté  aux  causes.  J'ai  cru  qu'on  devait  traiter  la 
morale  comme  les  autres  sciences  et  faire  une  morale 
comme  une  physique  expérimentale.  »  De  l'Esprit,  pré- 
face. Le  livre  est  formé  de  4  discours  :  1°  De  l'esprit  en 
lui-même;  2°  De  l'esprit  par  rapport  à  la  société;  3°  Si 
l'esprit  doit  être  considéré  comme  un  don  de  la  nature 
ou  comme  un  ejjet  de  l'éducation;  4°  Des  différents 
noms  donnés  à  l'esprit. 

1°  L'homme  est  un  animal  purement  sensible  et 
dans  l'ordre  de  la  connaissance  purement  passif. 
Toutes  ses  connaissances  lui  viennent  de  la  sensibilité 
physique  o  qui  reçoit  les  impressions  différentes  que 
font  sur  nous  les  objets  extérieurs  »  et  de  la  mémoire 
«  sensation  continuée  mais  affaiblie  »  qui  les  conserve. 
Si  l'homme  est  supérieur  aux  animaux,  il  le  doit  «  à 
une  certaine  organisation  extérieure  »  :  d'abord  à 
«  la  différence  d'organisation  entre  nos  mains  et  les 
pattes  des  animaux  »,  puis  à  ces  faits  que  «  la  vie  des 
animaux  est  plus  courte  »,  par  là  moins  féconde;  que 
>>  mieux  armés,  mieux  vêtus  »,  ils  ont  moins  de  besoins, 
par  conséquent  moins  d'invention;  que  «l'homme  est 
l'animal  le  plus  multiplié  de  la  terre  »,  car,  «  plus  l'es- 
pèce d'un  animal  susceptible  d'observation  est  multi- 
pliée..., plus  cette  espèce  d'animaux  a  d'idées;  » 
enfin  à  des  conditions  comme  la  nourriture,  la  disposi- 
tion des  organes,  etc.;  ces  causes  expliquent  que  les 
singes,  «  qui  ont  les  pattes  à  peu  près  aussi  adroites 


que  nos  mains.  »  n'ont  pas  fait  «  des  progrès  égaux  à 
ceux  de  l'homme  »,  c.  i,  Ces  opérations  de  l'esprit  se 
ramènent  toutes  également  à  sentir,  puisqu'elles  se 
i amènent  à  juger,  et  juger,  c'est-à-dire  «apercevoir 
les  ressemblances  ou  les  différences,  les  convenances 
ou  les  disconvenances  qu'ont  entre  eux  les  objets  », 
c'est  encore  sentir.  Ibid.  Nos  erreurs  mêmes  ne  sup- 
posent que  la  faculté  de  sentir;  elles  ne  sont  dues 
qu'à  nos  passions  et  à  notre  ignorance  à  laquelle  se 
rattache  l'abus  des  mots,  surtout  en  métaphysique  et  en 
morale,  ou  l'ignorance  de  leur  vraie  signification, 
c.  ii-iv.  L'âme  existe-t-elle?  Helvétius  pose  la  question, 
mais  il  ne  la  résout  pas;  elle  lui  importe  peu  et 
d'ailleurs  lui  paraît  insoluble,  c.  i.  L'homme  est-il 
libre?  de  la  liberté  physique,  oui;  mais  il  n'a  pas  le 
libre  arbitre;  il  est  déterminé  à  ne  vouloir  que  son 
bonheur  et  si  les  moyens  varient,  c'est  que  les  hom- 
mes sont  inégalement  éclairés,  c.  iv. 

2°  «  En  tout  temps,  en  tout  Heu,  tant  en  matière 
de  morale  qu'en  matière  d'esprit,  c'est  l'intérêt  per- 
sonnel qui  dicte  le  jugement  des  particuliers  et  l'inté- 
rêt général  qui  dicte  celui  des  nations  »,  c.  i  ;  l'in- 
térêt personnel  est  l'unique  dispensateur  de  l'estime 
et  du  mépris  attachés  aux  actions  et  aux  idées  ; 
car  «  si  l'univers  physique  est  soumis  aux  lois  du 
mouvement,  l'univers  moral  ne  l'est  pas  moins  aux 
lois  de  l'intérêt  »,  c.  il,  et,  «  il  est  aussi  impossible  à 
l'homme  d'aimer  le  bien  pour  le  bien,  que  d'aimer  le 
mal  pour  le  mal,  »  c.  v.  Mais  alors  qu'est-ce  que  la 
vertu  ou  la  probité,  qu'il  définit  «  la  vertu  mise  en 
action  »?  c.  xm.  Si  l'on  se  conforme  à  l'expérience, 
«  conformité  qui  seule  peut  constater  la  vérité  d'une 
opin'on,  »  on  ne  saurait  avoir  de  la  vertu  «  une  idée 
absolue  et  indépendante  des  siècles  et  des  gouverne- 
ments »;  l'on  ne  saurait  davantage  prétendre  qu'elle 
est  une  notion  purement  arbitraire:  «La  vertu  ne 
peut  être  que  le  désir  du  bonheur  général;  »  son  objet 
est  le  bien  public;  mais  cet  objet  et  les  moyens  de 
l'atteindre  n'ont  rien  d'absolu  :  ils  sont  relatifs  aux 
siècles  et  aux  pays,  c.  xm  :  «  et  tout  devient  légitime  et 
même  vertueux  pour  le  salut  public  ».  Toutefois 
le  bonheur  général,  au  sens  d  Helvétius,  n'est  pas  le 
bonheur  de  la  collectivité,  mais  de  tous  les  individus 
qui  la  composent,  t  le  plus  grand  bonheur  du  plus 
grand  nombre  »,  comme  dira  Bentham,  c.  vi.  Il  faut 
donc  distinguer  soigneusement  les  vertus  de  préjugé 
«  dont  l'observation  exacte  ne  contribue  en  rien  au 
bonheur  public;  telles  sont  les  austérités  des  fakirs», 
des  vertus  réelles,  c.  xiv  ;  et  la  corruption  religieuse 
de  la  corruption  politique.  La  première,  ou  le  liber- 
tinage, «  n'est  pas  incompatible  avec  le  bonheur  d'une 
nation,  mais  elle  peut,  comme  l'histoire  le  prouve, 
s'allier  à  la  magnanimité,  à  la  grandeur  d'âme,  à  la 
sagesse,  aux  talents...  »,  c.  xiv  ;  en  conséquence, 
criminelle,  «  elle  l'est  sans  doute  en  France  puisqu'elle 
blesse  les  lois  du  pays,  mais  elle  le  serait  moins  si 
les  femmes  étaient  communes  et  les  enfants  déclarés 
enfants  de  l'État  »:  elle  ne  l'est  pas  en  «  une  infinité  de 
pays  où  elle  est  autorisée  par  la -loi  et  consacrée 
par  la  religion  »,  c.  xi.  En  tous  pays  la  corruption 
politique  est  toujours  vicieuse,  car  elle  est  la  préfé- 
rence habituelle  donnée  sur  l'intérêt  général  à  l'inté- 
rêt particulier  d'un  individu  ou  d'un  groupe,  du  corps 
sacerdotal,  par  exemple.  Ibid.  De  ces  théories 
Helvétius  conclut  :  1°  les  questions  morales  ne  sont 
que  des  questions  sociales.  «  On  doit  regarder  les 
actions  comme  indifférentes  en  elles-mêmes,  sentir 
que  c'est  au  besoin  de  l'État  à  déterminer  celles  qui 
sont  dignes  d'estime  ou  de  mépris  et  enfin,  au  législa- 
teur, par  la  connaissance  qu'il  doit  avoir  de  l'intérêt 
public,  à  fixer  l'instant  où  chaque  nation  cesse  d'être 
vertueuse  et  devient  vicieuse,  »  c.  xvn  :  2°  le  pro- 
grès   moral    ne    peut    être  réalisé  que   par  la    loi   : 


2131 


HELVÉTIUS 


2132 


«C'est  la  législation  d'un  peuple  qu'il  faut  modifier 
pour  extirper  ses  vices,  »  c.  xv.  Les  lois  peuvent  tout 
sur  les  mœurs  comme  sur  les  esprits.  Le  législateur 
forme  à  son  sré  des  héros,  des  génies  et  des  gens  ver- 
tueux. »  c.  xxii.  Mais  il  doit  d'abord  détruire  «les 
deux  obstacles  »  qui  s'opposent  à  tout  progrès 
moi?  1  :  les  fanatiques  qui  vivent  de  l'ignorance  et  les 
demi-philosophes  «  qu'effarouche  le  mot  de  nouveault  »; 
il  doit  ensuite,  sachant  «  que  les  hommes  sensibles 
pour  eux  seuls  ne  sont  nés  ni  bons  ni  mauvais,  mais 
prêts  à  être  l'un  ou  l'autre  selon  leur  intérêt  »,  organiser 
un  habile  système  de  récompenses  et  de  punitions 
de  l'ordre  temporel  et  «  les  forcer  par  le  sentiment 
de  l'amour  d'eux-mêmes  d'être  toujours  justes  envers 
les  autres  »  ou  vertueux,  c.  xxvm  et  xxix.  Entre 
l'intérêt  personnel  de  l'homme  et  l'intérêt  du  plus 
grand  nombre,  il  n'y  aura  donc  jamais  une  identi- 
fication naturelle,  mais  une  identification  artificielle 
suggérée  par  la  crainte  et  l'espérance.  3°  Dès  lors 
«  la  science  des  mœurs  »,  la  morale,  se  confond  avec  la 
législation.  Son  œuvre  propre  est  de  rechercher  par 
quels  moyens  le  législateur  pourra  «  lier  l'intérêt  per- 
sonnel à  l'intérêt  général  »  et  «  nécessiter  aussi  les 
hommes  à  la  vertu  »,  c.  xxn.  Cette  science  constituée, 
le  législateur  pourra  prévoir  et  pourvoir  avec  une 
efficacité  déterminante. 

3°  Aucune  inégalité,  pas  même  celle  des  sexes 
qui  est  due  à  des  causes  sociales  et  modifiables,  ne 
vient  de  la  nature,  c.  xx.  L'inégalité  des  esprits  «  entre 
les  hommes  communément  bien  organisés  »  ne  peut  lui 
être  attribuée  davantage.  Elle  ne  peut,  en  effet, 
avoir  d'autre  cause  que  l'inégale  capacité  d'atten- 
tion. Discours  III,  c.  iv.  D'où  naît  cette  inégale 
capacité  ?  De  l'inégale  puissance  des  passions,  car 
d'elles  naît  toute  activité.  «  Elles  sont  dans  le  mo- 
jal  ce  qui,  dans  le  physique,  est  le  mouvement,  »  c.  vi. 
Mais  de  cette  inégale  puissance  des  passions  dans  les 
hommes  normaux,  quelle  est  la  cause?  Toutes  nos  pas- 
sions ont  leur  source  dans  la  sensibilité  physique, 
c.  ix-xiv.  «  C'est  à  la  sensibilité  physique  que 
l'homme  doit  ses  passions  et  à  ses  passions  qu'il  doit 
tous  ses  vices  et  toutes  ses  vertus,  »  c.  xvi.  C'est 
pourquoi  l'amour  qui  parle  plus  aux  sens  est  de  toutes 
les  passions  la  plus  puissante  et  l'attrait  de  ses  plai- 
sirs fournirait  au  législateur  d'irrésistibles  moyens 
d'agir,  c.  xv.  Or  «tous  les  hommes  sont  sensibles», 
partant  «  susceptibles  de  passions  ».  Ibid.  Ils  sont 
même  tous  «  susceptibles  d'un  degré  de  passion  plus 
que  suffisant  pour  les  douer  de  la  continuité  d'attention 
à  laquelle  est  attachée  la  supériorité  d'esprit  »,  c.  xxvi. 
L'inégalité  des  esprits  ne  vient  donc  pas  de  la  nature  ; 
«  elle  dépend  uniquement  de  la  différente  éducation 
que  reçoivent  les  hommes  et  de  l'enchaînement  in- 
connu des  diverses  circonstances  dans  lesquelles  ils 
se  trouvent  placés,  »  c.  xxn.  «  Le  génie  est  commun 
et  les  circonstances  propres  à  le  développer  très 
rares,  »  c.  xxx.  Parmi  ces  circonstances,  l'une  des  plus 
influentes  est  la  forme  du  gouvernement  et  le  despo- 
tisme a  sur  les  esprits  de  funestes  effets,  c.  xvii-xxi. 
En  conséquence,  «  l'art  de  l'éducation  consiste  à  pla- 
cer les  jeunes  gens  dans  des  circonstances  propres  à 
développer  en  eux  le  germe  de  l'esprit  et  de  la  vertu,  » 
c.  xxx.  Ainsi  l'homme  est  soumis  à  une  sorte  de  dé- 
terminisme moral  et  la  connaissance  de  sa  véritable 
nature  lui  donne  sur  elle  un  pouvoir  illimité.  Ainsi 
encore,  loin  de  combattre  les  passions  comme  le 
voudrait  l'ascétisme  chrétien,  l'éducation  doit  au 
contraire  les  développer,  sous  cette  seule  réserve  de 
les  ordonner  au  bien  public.  Mais  cette  tâche  ne  peut 
être  remplie  que  par  le  législateur  ;  il  devra  y  avoir 
en  chaque  pays  un  plan  d'éducation   nationale. 

4°  S'il  y  a  un  art  pédagogique  dont  les  principes 
sont  t  aussi  certains  que  ceux  de  la  géométrie  »,  Dis- 


cours II,  c.  xxv,  logiquement,  Helvétius  eût  dû  con- 
clure par  un  plan  d'éducation,  mais  comme  «dans  les 
mœurs  actuelles  »,  ce  plan  ne  serait  pas  mis  en  pra- 
tique, il  se  borne  à  quelques  indications,  en  étudiant 
le  sens  des  différents  noms  donné;  à  l'esprit  et  à  ui* 
chapitre,  le  dernier  du  livre,  xvn,  sur  Y  éducation.  «  L'art 
de  l'éducation,  dit-il,  n'est  autre  chose  que  la  connais- 
sance des  moyens  propres  à  former  des  corps  plus 
robustes,  des  esprits  plus  éclairés  et  des  âmes  plus- 
vertueuses  ».  Pour  former  des  corps  plus  robustes, 
«  c'est  sur  les  Grecs  qu'il  faut  prendre  exemple  »  -r 
des  esprits  plus  éclairés  :  «  il  faut  choisir  les  objets 
qu'on  place  dans  la  mémoire  »;  des  âmes  plus  ver- 
tueuses :  «  il  faut  allumer  des  passions  fortes  et  les 
d;riger  au  bien  général.  »  Législation  et  éducation  sont 
donc  des  forces  à  peu  près  toutes-puissantes  pour  créer 
le  génie  et  la  vertu.  Où  elles  seront  à  la  hauteur  de  leur 
tâche,  ce  ne  sera  plus  le  hasard  qui  présidera,  comme 
jusqu'alors,  à  la  formation  et  à  la  révélation  de  trop 
rares  hommes  de  mérite  :  le  mérite  sera  une  consé- 
quence nécessaire  et  multipliée. 

«  Aucun  livre  en  son  temps  n'a  fait  plus  de  bruit  », 
Brunetière,  loc.  cit.  Le  livre  cependant  était  énorme, 
touffu,  mal  composé  et  de  to  is  points  médiocre.  Les 
idées  qui  en  faisaient  la  trame  étaient  connues.  Locke, 
Berkeley,  Hume,  Condillac  avaient  fourni  la  psycholo- 
gie; Hobbes,  Diderot,  Voltaire,  Montesquieu  et  les  salons 
philosophiques,  les  vues  politiques,  sociales  ou  reli- 
gieuses; Fontenelle  et  Bufîon,  les  principes  scienti- 
fiques ;  les  moralistes  anglais,  La  Rochefoucauld  et 
Vauvenargues,  les  théorie*  fondamentales,  de  la  toute- 
puissance  de  l'amour-propre,  de  la  fécondité  des  pas- 
sions et  de  la  transformation  de  la  question  morale 
en  question  sociale.  Les  faits  qui  servaient  de  preuves 
étaient  choisis  sans  critique  ou  n'étaient  que  des  anec- 
dotes où  figurent  les  nègres,  les  Hottentots,  les  Caraï- 
bes, les  Giagues,  etc.,  à  côté  des  Grecs,  des  Romains  et 
des  Orientaux;  le  style  était  sans  charme.  Mais  les 
anecdotes  étaient  licencieuses,  les  lois  formulées  et  les 
conclusions  déduites,  paradoxales;  les  institutions 
politiques,  sociales  et  religieuses,  violemment  atta- 
quées, et  par  un  homme  de  la  maison  de  la  reine, 
car  tous  connaissaient  l'auteur,  bien  que  l'ouvrage 
fût  anonyme  :  ce  fut  un  succès  de  scandale. 

Au  point  de  vue  religieux,  la  méthode  expérimentale 
la  tendance  matérialiste,  les  doctrines  sensualistes, 
agnostiques  et  utilitaires  de  l'Esprit,  presque  toutes 
ses  théories  morales  et  sa  tentative  de  constituer  la 
vraie  morale  en  dehors  de  la  religion  étaient  en 
opposition  formelle  avec  l'esprit  et  les  doctrines  du 
catholicisme.  Helvétius  avait  essayé  de  se  couvrir  du 
reproche  par  ces  sophismes,  que  «  toute  morale  dont  les 
principes  sont  utiles  est  nécessairement  conforme  à 
la  morale  de  la  religion,  qui  n'est  que  la  perfection  de 
la  morale  humaine  »,  Préface,  et  qu'il  parle  en  poli- 
tique, non  en  théologien,  mais  il  n'avait  fait  que 
souligner  ainsi  son  affranchissement  vis-à-vis  des 
doctrines  catholiques.  De  plus.,  l'Esprit  formule  d'in- 
contestables attaques  contre  l'Église;  ce  sont  les  atta- 
ques du  temps  avec  la  tacticnie  du  temps.  Helvétius. 
comme  Voltaire,  ou  bien  attaque  le  catholicisme  à 
travers  toutes  les  religions,  ou  bien  distingue  entre 
Jésus-Christ  et  ses  ministres,  entre  l'Évangile  et  la 
théologie  et  fustige  violemment  les  ministres  du 
Christ  et  leur  enseignement.  Il  tend  à  donner  de  toutes 
les  religions  l'idée  de  puissances  non  seulement  inutiles, 
mais  funestes,  sources  d'ignorance  et  de  guerre,  et  à 
les  déshonorer  en  leur  attribuant  les  plus  honteuses 
turpitudes.  «  Les  motifs  d'intérêt  temporel  »  sont  «  aussi 
efficaces,  aussi  propres  à  former  des  hommes  vertueux 
que  les  peines  et  les  plaisirs  éternels,  »  c.  xxm. 
«  Les  fanatiques  sont  les  grands  ennemis  du  progrès, 
parce  qu'ils  maintiennent  les  peuples  dans  l'ignorance- 


2133 


HELVÉTIUS 


2134 


et  la  crédulité,  »  c.  xxn.  Nombreux  sont  les  pas- 
sages où  il  n'attribue  à  la  religion  d'autre  effet  que 
les  guerres  intestines,  comme  dans  l'apologue  des 
castors,  c.  xtv.  Sur  ce  point,  il  attaque  directement 
l'Église  et  le  clergé  catholique  :  «  Que  de  crimes 
commis  même  par  ceux  qui  sont  chargés  de  nous 
guider...  I  La  Saint-Barthélémy,  l'assassinat  de 
Henri  III,  le  massacre  des  Templiers,  etc.,  etc.,  en 
sont  la  preuve,  »  c.  xxiv,  note  i,  etc. 

En  dehors  du  Journal  encyclopédique,  t.  vi,  qui 
loua  copieusement  l'Esprit,  le  parti  philosophique 
ne  parut  pas  enchanté  de  l'ouvrage.  «  M.  Helvétius 
aurait  dû  faire  un  bail  de  plus  et  un  livre  de  moins,  » 
aurait  dit  Buffon.  Diderot,  que  l'on  soupçonne  à  tort 
d'avoir  collaboré  à  l'Espril,  cf.  Reinach,  Diderot  (Col- 
lection des  grands  écrivains  français),  Paris,  1894,  p.  22, 
porte  sur  ce  livre  un  jugement  sévère.  Élude  sur 
l'Esprit,  Œuvres,  édit.  Garnier,  t.  n,  p.  267.  Voltaire 
loue  surtout  les  intentions  de  l'auteur.  Lettres  relatives 
au  livre  de  l'Espril,  Œuvres  complètes  d'Helvétius, 
édit.  Didot,  t.  xiii.  Mais  l'Église  et  l'État  qui  étaient 
attaqués  attaquèrent  à  leur  tour.  Le  Dauphin  donna  le 
signal;  la  reine  suivit.  Le  10  août,  un  arrêt  du  conseil 
du  roi  révoquait  le  privilège  et  supprimait  le  livre. 
La  vogue  du  livre  s'en  accrut  et  trois  éditions  nou- 
velles furent  publiées  dans  l'année  1758,  mais  à 
l'étranger,  2  in-8°,  Amsterdam;  3  in-12,  Amsterdam 
et  Leipzig;  3  in-12,  La  Haye.  Pendant  que  les  jésuites, 
dans  le  Journal  de  Trévoux,  bien  que  l'auteur  ne  les 
eût  pas  nommés  dans  l'Esprit,  et  surtout  les  jansénistes, 
dans  les  Nouvelles  ecclésiastiques,  menaient  une  cam- 
pagne contre  Helvétius  et  son  censeur,  le  parlement, 
l'autorité  ecclésiastique,  la  Sorbonne  menaçaient  ; 
Hehétius,  qui  s'était  cru  en  sécurité  et  par  sa  situation 
à  la  cour,  et  par  ses  relations  avec  le  directeur  de  la 
librairie,  Malesherbes,  dont  il  avait  obtenu  un  censeur 
«  qui  ne  fût  pas  un  théologien  ridicule  »,  et  à  qui  même 
il  avait  refusé  quelques  corrections,  prit  peur.  Il 
multiplia  les  démarches  et  pour  recouvrer  la  faveur  de 
la  reine  qui  l'eût  sauvé  de  tout  ennui,  il  fit  deux  rétrac- 
tations successives.  La  première  fut  une  lettre  adressée 
vers  le  18  août  à  un  jésuite,  le  P.  Plesse,  qui  la  lui  avait 
conseillée.  Verbeuse  et  sophistique,  cette  rétractation 
fut  jugée  insuffisante.  Au  commencement  de  septembre 
il  en  donna  une  plus  courte,  plus  nette  et  qu'il  fit  tous 
ses  efforts  pour  cacher  au  public.  (Le  texte  de  cette 
rétractation  est  donné  par  A.  Keim,  Helvétius,  p.  343, 
note  2.)  Mais  il  n'y  avait  plus  de  doute  sur  «  le  dessein 
formé  »  des  philosophes  de  refaire  l'État  et  de  ruiner 
l'Église,  et  l'Esprit  semblait  un  résumé  des  idées  de 
tous.  Bientôt  paraissait  un  Mandement  de  Mgr  l'arche- 
vêque de  Paris  portant  condamnation  d'un  livre  qui  a 
pour  titre  De  l'Esprit,  comme  «  favorisant  les  athées, 
les  déistes  et  toutes  les  espèces  d'incrédules  et  renou- 
velant presque  tous  leurs  nombreux  systèmes  »,  22  p. 
in-4°,  daté  du  22  novembre  1758.  Le  texte  de  la  con- 
damnation est  donné  par  A.  Keim,  op.  cit.,  p.  364.  Sur 
l'intervention  de  l'archevêque,  voir  P.  E.  Regnault, 
Christophe  de  Beaumonl,  archevêque  de  Paris,  1703- 
17S1,  2  in-8°,  Paris,  1882.  Le  31  janvier  1759,  le  pape 
Clément  XIII,  après  jugement  du  tribunal  de  l'In- 
quisition, condamnait  à  son  tour  l'Esprit.  Damnatio  et 
prohibitio  operis  cui  titulus  :  De  l'Esprit,  texte  latin  et 
traduction  française  en  regard,  4  p.  in-4°,  Paris  ;  Bul- 
larium,  t.  i,  p.  141.  Le  23  du  même  mois,  l'avocat 
général  Joly  de  Fleury  avait  déféré  au  parlement 
l'Esprit,  «  code  des  passions  les  plus  honteuses,  apologie 
du  matérialisme  et  de  tout  ce  que  l'irréligion  peut 
dire  ».  Le  6  février,  le  parlement  rendait  son  arrêt; 
il  était  anodin.  Helvétius  avait  adressé  le  22  janvier 
aux  magistrats  une  troisième  rétractation,  puis  Choi- 
seul,  Mme  de  Pompadour  et  le  roi  étaient  intervenus. 
Cf.  Jusselin,  Helvétius  et  Madame  de  Pompadour  à  pro- 


pos du  livre  et  de  l'affaire  de  l'Espril,  in-8°,  le  Mans, 
1913. 

L'Esprit  n'était  point  condamné  seul,  mais  avec 
sept  autres  ouvrages,  dont  l'Encyclopédie.  Le  parle- 
ment ordonnait  que  tous,  sauf  l'Encyclopédie  qui 
devait  être  examinée,  seraient  «  lacérés  et  brûlés  », 
et  faisait  défense  de  composer,  imprimer,  vendre  et 
colporter  aucun  livre  contre  la  religion,  l'État  et  les 
bonnes  mœurs.  Le  10  février,  l'arrêt  était  exécuté. 
Aucune  peine  n'avait  été  prononcée  contre  l'auteur 
«  vu  la  sincérité  de  son  repentir  »,  ni  contre  Tercier, 
impliqué  dans  les  poursuites,  mais  «  qui  ne  se  pardonne- 
rait jamais  l'approbation  donnée  par  inadvertance  ». 
En  février  toutefois,  Helvétius  dut  se  démettre  de  sa 
charge  de  maître  d'hôtel  de  la  reine  et  Tercier  fut 
rayé  du  nombre  des  censeurs  et  même  privé  par  Choi- 
seul  de  son  emploi  au  ministère  des  affaires  étrangères. 
Mais  Choiseul  avait  choisi  ce  prétexte  pour  se  débarras- 
ser d'un  auxiliaire  de  Bernis  et  du  Secret  du  roi.  Cf. 
de  Broglie,  Le  Secret  du  Roi,  t.  i,  p.  397.  Le  9  avril,  la 
Sorbonne  termine  en  France  la  série  des  condamnations: 
Dcterminatio  sacrse  facullatis  Parisiensis  super  libro 
cui  titulus  est  De  l'Esprit,  79  p.  in-8°,  Paris,  1759. 
Entre  tous,  les  docteurs  «  ont  choisi  le  livre  de  l'Esprit 
comme  réunissant  toutes  sortes  de  poisons  qui  se 
trouvent  dans  les  différents  livres  modernes  ».  Ils 
grouptnt  les  propositions  condamnables  sons  ces 
quatre  titres  :  l'âme,  la  morale,  la  religion  et  le  gouver- 
nement, et  sous  chacun  ils  rapportent  les  passages  de 
Spinoza,  Collins,  Hobbes,  La  Mettrie,  d'Argens,  où 
Helvétius  leur  paraît  avoir  puisé  ses  erreurs.  Le 
grand  inquisiteur  d'Espagne  condamna  aussi  l'ou- 
vrage d'Helvétius,  et  le  7  juillet  1759,  Clément  XIII 
lui  adressait  un  bref  laudatif.  Bullarium,  t.  i,  p.  209. 
Sur  l'affaire  de  l'Espril,  voir  Sainte-Beuve,  Causeries 
du  lundi,  t.  il,  p.  488-489  ;  Brunetière,  La  direction  de 
la  librairie  sous  Malesherbes,  dans  la  Revue  des  Deux 
Mondes,  1er  février  1882;  baron  J.  Angot  des  Rotours, 
Le  bon  Helvétius  et  l'affaire  de  l'Espril,  dans  la  Revue 
hebdomadaire,  t.  vi,  p.  186,  qui  tous  trois  ont  utilisé 
les  Mémoires  sur  la  librairie  de  Malesherbes  et  le 
ms.  22191  de  la  Bibliothèque  nationale,  fonds  français. 
Voir  aussi  H.  Reusch,  Der  Index  der  verbolenen 
Bûcher,   Graz,  1885,  t.    il,  p.  907-908. 

Ces  condamnations  ne  terminèrent  pas  la  polé- 
mique autour  de  l'Esprit.  On  vit  paraître  des  réfuta- 
tions :  Rélutalion  du  livre  de  l'Espril  par  un  abbé 
Gauchat.  qui  se  trouve  au  t.  xu  des  Lettres  critiques 
ou  analyse  et  réfutation  de  divers  écrits  modernes  contre 
la  religion,  Paris,  1759,  avec  un  Catéchisme  du  livre 
de  l'Espril  ;  Préjugés  légitimes  contre  l'Encyclopédie 
et  essai  de  réfutation  de  ce  dictionnaire  avec  un  examen 
critique  du  livre  de  l'Espril,  par  Abraham  Joseph  de 
Chaumeix  d'Orléans,  12  in-12,  1738-1760;  le  m"  et  le 
ive  volume  se  rapportent  à  Helvétius;  Examen 
sérieux  et  comique  des  discours  sur  l'Esprit,  par  l'abbé 
Lelarge  de  Lignac,  Amsterdam,  1759  ;  Catéchisme  des 
Cacouacs  (philosophes),  par  l'abbé  de  Saint-Cyr,  Paris, 
1758  ;  Lettre...  au  sujet  d'un  livre  qui  a  pour  titre 
de  l'Esprit,  Amsterdam,  1759  ;  Les  idées  sur  la  loi 
naturelle  ou  Réflexions  sur  le  livre  de  l'Esprit  par 
M.  l'abbé  ***,  Amsterdam,  1761.  L'Espril  était  dé- 
fendu dans  un  Examen  des  critiques  du  livre  intitulé 
de  l'Espril,  Londres,  1759,  qui  est  d'un  collaborateur 
de  l'Encyclopédie,  Charles-Georges  Leroy,  et  qui  a  été 
mis  à  l'Index  par  décret  du  1er  février  1762,  et  dans 
une  Lettre  au  R.  P.  Berlhier  sur  le  matérialisme, 
in-12,  Genève,  1759,  attribuée  à  tort  à  Diderot  et  à 
l'abbé  Coyer.  Rousseau  avait  préparé  une  réfutation 
de  l'Esprit,  mais  il  brûla  son  manuscrit  à  la  nouvelle 
qu'Helvétius,  d'ailleurs  son  bienfaiteur,  était  pour- 
suivi. Toutefois  il  avait  annoté  son  exemplaire  de 
l'Esprit  jusqu'au  chapitre  xxn  du  Discours  III  et  ces 


2135 


HELVÉTIUS 


2136 


notes  furent  publiées  à  Londres,  en  1779,  par  Dutens, 
sous  ce  titre  :  Lettre  à  M.  D.  B.,  Œuvres  mêlées  de 
M.  L.  Dutens,  Paris,  1784,  p.  280  ;  on  la  trouve  dans 
plusieurs  éditions  des  Œuvres  complètes  de  Rousseau. 
Enfin  dans  plusieurs  de  ses  ouvrages,  en  particulier 
dans  la  Profession  de  joi  du  vicaire  savoyard,  Rous- 
seau réfute  Helvétius  sans  le  nommer.  Cf.  Revue 
d'histoire  littéraire  de  la  France,  t.  xvn,  p.  225-261  : 
Albert  Schinz,  La  profession  de  toi  du  vicaire  savoyard 
cl  le  livre  de  l'Esprit;  et  t.  xvm,  p.  103-124:  Pierre- 
Maurice  Masson,  Rousseau  contre  Helvétius.  Plusieurs 
réfutations  de  YEspril  parurent  encore  dans  l'époque 
suivante,  entre  autres  une  de  La  Harpe,  converti  : 
Réfutation  dulivrede  l'Esprit,  ms.  18,1797  de  la  Biblio- 
thèque nationale  de  Paris,  et  une  Nouvelle  réfutation.,., 
parle  chevalier  de  Martillet,  in-8°,  Clermont-Ferrand, 
1817.  L'Esprit  fut  traduit  en  allemand  :  Discours  ùber- 
den  Geist  des  Mcnschen,  Leipzig  et  Liegnitz,  1760, 
par  Johann  Gabriel  Forkert,  préface  de  Gottshied, 
s.  d.,  et  en  anglais  :  De  l'Esprit,  or  Esays  on  the 
mind,  in-4°,  Londres,  s.  d.  Il  fut  aussi  plusieurs  fois 
réimprimé:  Paris,  3  in-12,  1768;  in-8°,  1769;  in-8°, 
1776;  2  in-18,  1822;  in-12,  1843. 

III.  Dernières  œuvres.  —  L'affaire  de  l'Esprit 
laissa  des  inquiétudes  et  des  rancunes  en  Helvétius. 
Il  crut  de  sa  sûreté  de  ne  plus  rien  publier  de  son  vivant 
et  au  lendemain  du  traité  de  Paris,  il  alla  faire  un  séjour 
en  Angleterre,  puis  en  Allemagne  où  il  fut  l'hôte  du 
vainqueur  de  Rosbach,  1764.  Ses  rancunes  se  mani- 
festent dans  le  livre  qu'il  écrit  alors  pour  justifier  et 
compléter  l'Esprit  et  qui  ne  paraîtra  qu'en  1772, 
après  sa  mort.  Ce  livre  intitulé  :  De  l'homme,  de  ses 
facultés  et  de  son  éducation,  ouvrage  posthume  de 
M.  Helvétius,  avec  cette  épigraphe  : 

Honteux  de  m'ignorer 
Dans  mon  être,  dans  moi,  je  cherche  à  pénétrer. 

Voltaire,  Disc.  VI.  De  la  nature  de  l'homme. 

fut  publié  à  La  Haye,  2  in-8°,  par  le  prince  Galitzin 
qui  le  dédia  à  Catherine  II,  d'après  une  copie  envoyée 
par  Helvétius  à  un  savant  de  Nuremberg  qui  devait 
en  faire  une  traduction  allemande.  En  1795,  l'ex- 
bénédictin  Lefebvre-Laroche,  secrétaire  d'Helvétius, 
le  publia  dans  les  Œuvres  complètes  de  l'auteur,  tel 
qu'il  le  lui  avait  laissé.  Or,  dès  la  préface,  Helvétius, 
se  souvenant  que  YEsprit  a  été  condamné,  désespère 
de  la  France  :  «  La  maladie  ...est  devenue  incurable..., 
cette  nation  avilie  est  aujourd'hui  le  mépris  de  l'Eu- 
rope. »  Il  ne  voit  de  remède  que  «  la  conquête  »  par  les 
Catherine  II,  les  Frédéric  II;  «  c'est  par  eux  que  l'uni- 
vers doit  être  éclairé,  »  comme  l'est  déjà  l'Autriche. 
Puis  à  travers  tout  l'ouvrage  ce  sera  une  vraie  «  fureur 
d'irréligion  ».  Angot  des  Rotours,  loc.  cit.,  p.  204. 
I  Le  traité  De  l'homme  est  divisé  en  10  sections, 
chacune  accompagnée  de  notes  et  divisée  en  chapitres. 
Helvétius  s'y  propose  le  même  but  que  dans  l'Esprit  : 
déterminer  scientifiquement,  c'est-à-dire  d'après  les 
faits  individuels  ou  sociaux,  les  lois  nécessaires  du 
bonheur  des  peuples.  On  y  retrouve  la  même  concep- 
tion de  l'homme  et  la  même  théorie  de  la  quasi  toute- 
puissance  de  l'institution  sociale.  Il  précise  cependant 
la  part  quirevient  dans  la  formation  du  génie  au  hasard 
à  côté  de  la  législation,  qui  est  pour  lui  l'ensemble  des 
conventions  supposées  par  l'institution  sociale,  de 
l'organisation  gouvernementale,  administrative,  judi- 
ciaire, religieuse  et  des  lois  qui  dominent  chaque  peuple, 
sect.  i,  note  3,  et  sect.  m,  c.  ni.  Il  établit  la  généa- 
logie des  passions;  toutes  naissent  de  l'amour  de  soi  : 
»  il  nous  fait  en  entier  ce  que  nous  sommes,  »  sect.  iv, 
c.  iv.  Combien  Montesquieu  se  trompe  quand  il 
attribue  «  un  différent  principe  »  à  chaque  forme  de 
gouvernement  I  sect.  iv,  c.  xi.  «  L'amour  du  pouvoir  », 
transformation  de  l'amour  de  soi,  «  dans  toute  espèce 


de  gouvernement  est  le  seul  moteur  des  hommes.  • 
Ibid.  Impuissant  «à  former  des  hommes  justes  et 
vertueux  »  sous  le  gouvernement  d'un  seul,  cet  amaur 
du  pouvoir  y  arrive  difficilement  sous  le  gouverne- 
ment de  plusieurs,  mais  il  y  arrive  nécessairement 
sous  le  gouvernement  de  tous  I  Ibid.  Combien  aussi 
Rousseau  se  trompe  soit  dans  «  la  lettre  vie,  t.  v  de 
l'Héloïse  »,  soit  dans  l'Emile,  quand  il  soutient  «  que 
nos  vertus  comme  nos  talents  sont  également  dépen- 
dants de  la  diversité  de  nos  tempéraments  »  !  sect.  v, 
c.  i,  quand  il  soutient  la  bonté  originelle  de  l'homme. 
Ibid.,  c.  m  et  iv.  La  législation  qui  peut  assurer  à  tous 
le  talent  et  la  vertu  peut  également  assurer  leur 
bonheur.  Il  y  a  deux  causes  «  au  malheur  presque  uni- 
versel des  hommes  et  des  peuples  :  l'imperfection  de 
leurs  lois  et  le  partage  trop  inégal  des  richesses  », 
sect.  vin,  c.  m.  «Qu'on  fasse  de  bonnes  lois;  elles 
dirigeront  naturellement  les  citoyens  au  bien  géné- 
ral, en  leur  laissant  suivre  la  pente  irrésistible  qui  les 
porte  à  leur  bien  particulier.  Les  lois  font  tout  », 
sect.  ix,  c.  vu.  Si  «  en  nulle  société  tous  les  citoyens 
ne  peuvent  être  égaux  en  richesses  »,  les  lois  peuvent 
du  moins  «  leur  donner  plus  d'aisance,  leur  assigner 
quelque  propriété  à  tous  »,  enfin  diriger  leur  éduca- 
tion de  façon  »  à  leur  faire  trouver  agréables  tous  les 
instants  de  leur  vie  »,  quelque  profession  ils  exercent, 
sect.  vu,  c.  n.  Sur  le  socialisme  d'Helvétius,  cf.  Joseph 
Rambaud,  Histoire  des  doctrines  économiques,  in-8°, 
Lyon,  1899.  Le  livre  se  termine  par  un  plan  de  lé- 
gislation, sect.  ix,  et  par  un  plan  d'éducation,  sect.  x. 
L'établissement  d'une  bonne  législation  a  pour 
obstacles  le  gouvernement  arbitraire,  sect.  ix,  c.  n, 
l'intérêt  personnel  de  puissances  comme  l'Église, 
c.  xxin  et  xxiv,  l'ignorance,  c.  iv-vm.  «  La  vérité 
éclaire-t-elle  les  piinces?  le  bonheur  et  la  vertu  régnent 
sans  eux  dans  leur  empire,  »  c.  v.  La  félicité  d'un 
peuple  est  proportionnée  à  ses  lumières.  Rien  de  plus 
funeste  que  «  l'indifférence  pour  la  vérité  »,  c.  xm. 
Déjà,  sect.  vin,  c.  ix,  Helvétius  avait  amèrement 
reproché  à  Rousseau  d'avoir  fait  l'éloge  de  l'ignorance 
et  mis  sur  les  lèvres  de  Julie  :  «  Peu  m'importe  que 
mon  fils  soit  savant;  il  me  suffit  qu'il  soit  bon  et 
sage.  »  On  peut  conclure  de  là  quel  rôle  providentiel 
les  philosophes  sont  appelés  à  jouer.  Une  bonne  légis- 
lation supposerait  peut-être  «  la  constitution  d'un 
pays  arand  comme  la  France  en  une  république  fédé- 
rative  »,  c.  n;  en  tous  cas,  elle  doit  établ'r  la  liberté 
de  la  presse,  source  de  toute  lumière  et  de  tout  pro- 
grès, c.  xn  et  xni,  la  tolérance  religieuse,  c.  xxxi, 
garantir  à  tous  les  citoyens  «  la  propriété  de  leurs 
biens,  de  leur  vie  et  de  leur  liberté  »,  c.  n,  etc.  On  verra 
plus  loin  quelle  religion  doit  créer  une  bonne  législa- 
tion. «  L'éducation  peut  tout  »  comme  la  législation 
dont  elle  est  une  partie,  sect.  x,  c.  i.  Il  faut  donc  veiller 
à  l'éducation  physique,  c.  iv,  et  par  l'éducation  morale 
former  les  hommes:  1°  comme  citoyens;  2°  comme 
citoyens  de  telle  ou  telle  profession.  Cette  formation 
suppose  l'instruction  d'abord  et  Helvétius  donne 
l'esquisse  d'un  catéchisme  du  citoyen  par  demandes  et 
par  réponses  qui  commence  par  ces  mots  :  «  Qu'est-ce 
que  l'homme  ?»  et  qui  contient  de  nouveau  cette 
affirmation  :  «  Le  bien  public  est  la  loi  suprême,  unique 
et  invariable,  »  Salus  populi  suprema  lex  esto.  Cette 
formation  suppose  aussi  un  système  bien  ordonné  de 
récompenses  et  de  punitions  qui  détermine  l'homme 
à  agir,  par  amour  de  soi,  sect.  x.  c.  i-vn.  Les  mêmes 
obstacles  s'opposent  à  une  bonne  éducation  qu'à  une 
bonne  législation  :  *  l'imperfection  de  la  plupart  des 
gouvernements  »,  c.  ix,  et  «  l'intérêt  du  prêtre  »,  c.  vin. 
Rien  n'a  été  plus  funeste  que  la  part  prise  par 
l'Église  à  côté  de  l'État  dans  l'éducation.  Ces  deux 
puissances  ont  des  intérêts  opposés,  par  conséquent 
leurs  préceptes  sont  contradictoires.  Or  les  préceptes 


2137 


HELVETIUS 


2138 


de  l'Église  n'ont  d'autre  but  que  d'assurer  son  pouvoir 
«  par  la  stupide  crédulité  des  peuples  »,  sect.  i,  c.  ix. 
Helvétius  expose  ses  théories  religieuses   dans  les 
sections   i,   iv,   vu,   ix  principalement.   Les  religions 
existantes  sont  toutes  nuisibles  :  «  Le  mal  qu'elles  font 
est  réel  et  le  bien  imaginaire.  »  Quel  bien  feraient-elles  : 
a  Ce  n'est  ni  de  la  vérité  d'une  révélation,  ni  de  la 
pureté  d'un  culte,  mais  uniquement  de  l'absurdité  ou 
de  la  sagesse  des  lois  que  dépendent  les  vices  et  les 
vertus  d'un  citoyen,  »  sect.  i,  c.  iv  et  note  /.  D'ailleurs 
«  presque  toute  religion  défend  aux  hommes  l'usage  de 
leur  raison,   les  rend  brutes,  malheureux  et   cruels  », 
sect.  vu,   note  18.  C'est  un  effet  nécessaire  de  ce  que 
«  l'intérêt  du  corps  sacerdotal  est  partout  isolé  et  dis- 
tinct de  l'intérêt  public  ».  Ibid.  Des  religions  positives 
les  moins  nuisibles  furent  la  païenne  ;  «  la  plus  absurde, 
si  l'on  veut,  mais  sans  dogmes,  par  conséquent  tolé- 
rante; ...    elle   n'exigeait  point  un  grand  nombre  de 
prêtres  et   n'était  point   nécessairement    à    charge  à 
l'État,  »  enfin  elle  n'étouffait  pas  les  passions,  source 
d'énergie,  sect.  i,  c.  xv;  et  aussi  la  religion  des  Scan- 
dinaves «  dont  la  Réputation  était  le  dieu  »,  ce  qui 
était  également  source  d'énergie.  Des  religions  chré- 
tiennes la  forme   inférieure  est  le  catholicisme  qu'il 
appelle  le  papisme.  Les  pays  luthériens  ou  calvinistes 
sont  plus  riches  et  plus  puissants  que  les  pays  catho- 
liques, sect.  i,  note  32.  «  Le  plus  sûr  moyen  d'affaiblir 
l'Angleterre  et  la  Hollande  serait  d'y  établir  la  reli- 
gion catholique.  »  Ibid.,  note  35.  Le  papisme  n'a  rien 
«  de    cette    religion    douce   et  tolérante   établie  par 
Jésus-Christ  »,  sect.  ix,  c.  xxx.  Il  ne  peut  se  réclamer 
d'un  droit  divin  :  il  est     «  d'institution  humaine  »   : 
l'Église  romaine  a   fait  de  lui  «  l'instrument  de  son 
avarice  et  de  sa  grandeur  »,  sect.  i,  c.  xii;  «  une  pure 
idolâtrie  »;  les  saints  sont  des  fétiches  :  «  La  France 
a  dans  saint  Denis  son  fétiche  national,  dans  sainte 
Geneviève  une  fétiche  de  sa  capitale.  »  Ibid.,  note  29. 
Helvétius    lui    reproche    surtout    «  l'ascétisme    de    sa 
morale  :  il  fausse  le  jugement  sur  la  vie  et  condamne 
les  passions;  il  tue  ainsi  l'action  ».  «  La  vie  n'est  qu'un 
passage,  le  ciel  est  la  vraie  patrie  de  l'homme  :  de  tels 
discours  attiédissent  en  lui  l'amour  de  la  parenté,  de 
la  gloire,  du  bien  public  et  de  la  patrie,  »  c.  ix.    «  Que 
trouver  chez  un  peuple  sans  désir  ?  des  commerçants, 
des  capitaines,  des  hommes  de  lettres,  des  ministres 
habiles  ?   Non,  mais  des  moines,  »  c.    xv.  Ce  que  le 
catholicisme  coûte  à  l'État,  c.  xiv,  et  l'ignorance  où 
il  tient  les  peuples,  sont   «  le  principe  le  plus  fécond 
en  calamités  publiques,  »  car  «  c'est  de  la  perfection 
des  lois  que  dépendent  les  vertus  des  citoyens  et  des 
progrès  de  la  raison  que  dépend  la  perfection  des  lois. 
Toute   religion  qui  honore   la   pauvreté   d'esprit   est 
dangereuse.   La  pieuse  stupidité  des  papistes  ne  les 
rend  pas  meilleurs  »,  sect.  vu,  c.  m.  On  trouve  dans 
le    catholicisme    l'intérêt,     c'est-à-dire    l'amour     des 
richesses   et  l'ami  ilion   du   pouvoir  qui    est  l'unique 
ressort  de  son  action  et  qui  lui  a  fait  commettre  tant 
de  crimes.  «  Point  de  ruses,  de  mensonges,  de  prestiges, 
d'abus  de  confiance,  enfin  de  moyens  vils  et  bas  que 
les  prêtres  n'aient  employés  pour  s'enrichir,  »  sect.  i, 
note  30.  «  Partout  le  clergé  fut  ambitieux  et  dut  l'être... 
Il  veut  une  auto  rite  suprême;  mais  il  ne  peut  s'en  revêtir 
qu'en  dépouillant  les  légitimes  possesseurs,  les  princes 
et  les  magistrats,  »  sect.  ix,  c.  xxv.  Helvétius  revient 
souvent  sur  cette  accusation  :  ouvrant  une  tactique 
chère  aux  philosophes,  en  attaquant  l'autel,  il  feint  de 
défendre  le  trône,  l'État   et  le  parlement.  Les  papes 
ont  tout  fait  «  pour  accréditer  l'opinion  de  la  préémi- 
nence  de   l'autorité   spirituelle   sur   la   temporelle.  » 
Ibid.   Ils  n'ont  même  pas  reculé  devant  le  régicide: 
au  reste  «  toute  religion  intolérante  est  essentiellement 
régicide  ».  Ibid.  Pour  rt'ialser  ses    rêves   d'universelle 
domination,  l'Église  se  donne   comme   la   dépositaire 


infaillible  d'oracles  divins  et  «  par  ce  moyen  se  soumit 
les  peuples  et  fit  trembler  les  rois  »,  c.  xxvi.  Enfin 
«  le  prêtre  est  toujours  l'ennemi  du  magistrat  », 
sect.  vm,  c.  il.  «  Lors  de  la  destruction  projetée  des 
parlements  en  France,  quelle  joie  indécente  les  prêtres 
de  Paris  ne  firent-ils  point  éclater?  »  Ibid.,  note  a. 
Helvétius  consacre  à  l'intolérance  religieuse  les  c.  xvm- 
xxi  et  les  notes  61-77  de  la  section  iv,  mais  il  y 
revient  un  peu  partout.  L'intolérance  religieuse  lui 
paraît  absurde  :  «  Quoi  1  des  gens  honnêtes  se  persé- 
cutent parce  qu'ils  portent  les  noms  divers  de  luthé- 
riens, de  calvinistes,  de  catholiques  »,  c.  xvm;  anti- 
chrétienne :  Jésus  l'a  condamnée  chez  les  pharisiens; 
contraire  à  un  droit  fondamental  :  «  Nul  n'a  droit 
sur  l'air  que  je  respire,  ni  sur  la  plus  noble  fonction 
de  mon  esprit,  sur  celle  de  juger  par  moi-même.  »  Ibid. 
Malgré  cela,  comme  «  l'intolérance  est  le  fondement 
de  leur  grandeur  »,  les  prêtres  papistes  n'acceptent  ni 
la  science,  ni  le  libre  examen  :  «  Ils  se  sont  élevés 
contre  Galilée;  ils  ont  proscrit  dans  Bayle  la  saine  lo- 
gique, dans  Descartes  l'unique  méthode  d'apprendre...  ; 
ils  ont  jadis  accusé  tous  les  grands  hommes  de  magie; 
maintenant  que  la  magie  a  passé  de  mode,  ils  accusent 
d'athéismeet  de  matérialisme  »,  c.xx.  Leur  intolérance 
n'a  jamais  reculé  devant  le  sang  :  on  connaît  les  crimes 
de  l'Inquisition,  le  massacre  des  vaudois  :  «  le;  neiges 
des  Alpes  étaient  teintes  de  sang,  c'est  ainsi  que  la 
douce  religion  catholique,  ses  doux  ministres  et  ses 
doux  saints  ont  toujours  traité  les  hommes,  »  sect.  iv, 
note  6.  Et  ces  vices  lui  sont  inhérents.  Elle  sera  tou- 
jours «  une  religion  destructrice  du  bonheur  natio- 
nal »,  une  religion  «  de  discorde  et  de  sang...  régicide; 
sa  grandeur  fondée  sur  l'intolérance  »  doit  toujours 
«  appauvrir  les  peuples,  avilir  les  magistrats...,  jamais 
l'intérêt  du  sacerdoce  ne  pourra  se  confondre  avec 
l'intérêt  public  »,  sect.  ix,  c.  xxx.  Comment  l'empêcher 
de  nuire  ?  Helvétius  propose  des^mesures  particulières  : 
enlever  à  l'Église  les  richesses  «  que  le  clergé  a  usur- 
pées sur  les  pauvres  et  sur  lesquelles  la  puissance  tem- 
porelle a  la  charge  de  veiller  »,  sect.  i,  c.  xiv,  note  a. 
Comme  solution  générale,  il  indique,  en  passant,  mais 
formellement,  la  séparation  de  l'Église  et  de  l'État  : 
«  En  Pensylvanie,  point  de  religion  établie  par  le  gou- 
vernement; chacun  y  adopte  celle  qu'il  veut.  Le  prêtre 
ne  coûte  rien  à  l'État;  c'est  aux  habitants  a  s'en  four- 
nir, selon  leur  besoin,  à  se  cotiser  à  cet  effet.  Le  prêtre 
y  est,  comme  le  négociant,  entretenu  aux  dépens  du 
consommateur.  Qui  n'a  point  de  prêtre  et  ne  consomme 
point  de  cette  denrée  ne  paye  l'on.  La  Pensylvanie  est 
un  modèle  dont  il  serait  à  propos  de  tirer  copie,  » 
sect.  i,  note  37.  Cf.  Mathiez,  Les  philosophes  et  la  sépa- 
ration, dans  la  Revue  historique,  janvier  1910.  C'est  une 
solution  du  même  ordre  qu'il  propose,  sect.  ix,  c.  xxxi  : 
«  enlever  au  catholicisme  son  caractère  de  religion 
d'État,  de  religion  exclusive  et  établir  la  liberté  des 
cultes.  La  multiplicité  des  religions  dans  un  empire 
affermit  le  trône.  Des  sectes  ne  peuvent  être  conte- 
nues que  par  d'autres  sectes...  La  tolérance  soumet 
le  prêtre  au  prince,  »  sect.  i,  c.  xivet  note  44; sect.  ix, 
c.  xxxi.  Mais  il  a  pour  idéal  une  solution  plus  radi- 
cale. Comme  il  est  impossible  «  de  faire  concourir  les 
puissances  spirituelle  et  temporelle  au  même  objet, 
c'est-à-dire  au  bien  public  »,  il  faut  les  concentrer  dons 
les  mêmes  mains;  le  pouvoir  temporel  maitre  de  la 
puissance  spirituelle,  les  prêtres  simples  officiers  de 
morale  et  ces  fonctions  aux  mains  des  magistrats,  cette 
solution  seule  peut  assurer  le  bonheur  public.  Ibid. 
11  rêve  «  la  religion  universelle  »,  couronnement  de  la 
morale  universelle  fondée  sur  la  vraie  nature  de 
l'homme,  créée  comme  cette  morale  par  le  pouvoir 
législatif  :  «  C'est  uniquement  du  corps  législatif  que 
l'on  peut  attendre  une  religion  bienfaisante  et  qui 
n'aurait  que  la  félicité  des  peuples  pour  objet,  »  sect.  i, 


•2139 


HELVETIUS 


2140 


c.  xv.  Son  unique  dogme  serait  :  «  La  volonté  d'un  Dieu 
juste  et  bon,  c'est  que  les  fils  de  la  terre  soient  heu- 
reux et  jouissent  de  tous  les  plaisirs  compatibles  avec 
le  bien  public,  »  et  son  unique  précepte,  que  le  citoyen 
«  cultivant  sa  raison  parvienne  à  la  connaissance  de 
ses  devoirs  envers  la  société...  et  de  la  meilleure  légis- 
lation possible  ».  Ibid.,  c.  xm.  L'on  pourrait  alors  divi- 
niser le  bien  public,  c.  xv,  ou  la  Renommée  qui  por- 
terait puissamment  au  bien  public.  Ibid.  Un  progrès 
moral  serait  même  réalisé  si  les  peuples  s'en  tenaient 
au  déisme,  à  la  condition  toutefois  que  le  magistral 
veille  à  ce  qu'il  ne  dégénère  pas  en  superstition.  Ibid. 
Helvétius  parle  cette  fois  des  jésuites;  il  leur  consacre 
plusieurs  chapitres,  sect.  vu,  c.  v,  x,  xi,  et  il  conclut, 
c.  xi  :  « ...  Les  jésuites  ont  été  un  des  plus  cruels 
fléaux  des  nations,  mais  sans  eux,  l'on  n'eût  jamais 
parfaitement  connu  ce  que  peut  sur  les  hommes  un 
corps  de  lois  dirigées  au  même  but.  » 

L'Homme  a  les  mêmes  défauts  que  V Esprit;  ce  sont 
les  mêmes  paradoxes,  les  mêmes  erreurs  fondamentales, 
à  côté  de  vérités  de  détail,  la  même  érudition  superfi- 
cielle, la  même  inintelligence  du  fait  religieux,  la  même 
interprétation  malveillante  de  toute  l'histoire  ecclé- 
siastique d'ailleurs  travestie,  la  même  volonté  de 
rabaisser  la  nature  humaine;  mais  avec  une  véritable 
brutalité.  Ce  livre  fut  mis  à  l'Index,  par  décret  du 
28  août  1774,  et  il  fut  condamné  en  Espagne  l'année 
suivante.  Voir  H.  Reusch,  Der  Index,  t.  n,  p.  209. 
Il  n'entraîna  pas  cependant  la  même  polémique  que 
l'Esprit;  en  1776,  parut  cette  réfutation  :  Les  argu- 
ments de  la  raison  en  faveur  de  la  philosophie,  de  la  reli- 
gion et  du  sacerdoce  ou  examen  de  l'Homme,  a" Helvé- 
tius. par  l'abbé  Pichon,  Londres  et  Paris,  in-12.  Au  t.  n 
des  Œuvres  de  Diderot,  édit.  Garnier,  1875,  se  trouve 
une  Réfutation  suivie  de  l'ouvrage  d' Helvétius,  intitulé 
de  l'Homme.  Les  philosophes  ne  lui  ménagèrent  pas 
leurs  critiques,  mais  il  grandit  encore  la  gloire  d'Hel- 
vétius.  On  donna  de  l'Homme  plusieurs  éditions  fran- 
çaises successives;  deux  à  Londres  et  La  Haye,  1773  et 
1776;  une  à  Amsterdam,  1774;  une  à  Paris,  1776  ; 
deux  traductions  allemandes,  l'une  par  H.  August 
Otto  Reichard,  Gotha,  1773,  l'autre  anonyme,  Rreslau, 
1774,  et  une  traduction  anglaise  par  William  Houper, 
Londres,  1777.  Une  nouvelle  traduction  allemande  a 
paru  en  1877  :  Von  Menschen,  mit  Einleitung  und 
Commenlar,  par  G.  A.  Linden,  Vienne 

On  a  encore  d'Helvétius  deux  Lettres  à  Lefebvre- 
Laroche,  l'une  sur  la  constitution  d' Angleterre,  l'autre 
sur  l'instruction  du  peuple,  Œuvres  complètes,  édit. 
Didot,  1795,  t.  xiv,  p.  77  et  97;  des  Pensées  et  réflexions, 
ibid.,  p.  113-200,  du  même  esprit  que  l'Homme.  On  a 
publié  comme  «  ouvrages  posthumes  de  M.  Helvétius  » 
plusieurs  écrits  apocryphes  :  Les  progrès  de  la  raison 
dans  la  recherche  du  vrai,  in-8°,  Londres,  1773;  Le  vrai 
sens  du  système  de  la  nature,  in-8°,  Londres,  1774,  etc. 

Helvétius  mourut  à  Paris,  le  26  décembre  1771, 
après  avoir,  semble-t-il,  refusé  les  secours  de  la  religion. 
Il  fut  inhumé  le  27  à  Saint-Roch.  Il  faisait  partie  de 
la  célèbre  loge  des  Neuf  sœurs.  Il  n'était  pas  de  l'Aca- 
démie française  :  elle  lui  avait  préféré,  en  1743, 
Bignon,  secrétaire  du  roi,  et  en  1754,  le  comte  de 
Clermont,  cf.  Houssaye,  Histoire  du  41"  fauteuil, 
Paris,  1861,  mais  depuis  1764  il  était  de  l'Académie 
de  Berlin.  Sa  bonté  naturelle  permit  au  parti  philoso- 
phique de  créer  la  légende  du  «  bon  Helvétius  ».  Cf. 
Helvétius  à  Voré,  fait  historique  en  un  acte  et  en  prose, 
représenté  pour  la  première  fois  à  Paris  sur  le  théâtre 
des  Amis  des  arts...  le  19  messidor,  sans  nom  d'auteur, 
mais  qui  est  de  Ladoucette,  Paris,  thermidor  an  II; 
Trait  d'Helvétius,  comédie  en  un  acte,  an  IV;  Helvé- 
tius ou  vengeance  du  sage,  comédie  d'Andrieux,  an  IX. 

Il  laissait  ses  manuscrits  à  Lefebvre-Laroche. 
Déjà   ses    Œuvres   complètes   avaient   été    publiées    à 


Liège,  4  in-8°,  1774;  à  Londres,  4  in-8°  et  2  in-4°,  1777; 
à  Londres  également,  5  in-8°  et  2  in-4°,  1781  ;  à  Deux- 
Ponts,  7  in-12,  1784,  lorsque  Laroche  publia  son 
édition  «d'après  les  manuscrits  »  de  l'auteur,  4in-18, 
Paris,  Didot.  1795.  Une  nouvelle  édition  fut  encore 
donnée  en  1818,  3  in-8°,  Paris.  Des  lettres  inédites 
d'Helvétius  ont  été  publiées  dans  le  Carnet  historique 
et  littéraire  des  15  novembre  et  15  décembre  1900. 
Les  plus  belles  pages  de  ses  œuvres  ont  été  publiées 
par  A.  Keim  sous  ce  titre  :  Helvétius.  De  l'Esprit,  de 
l'Homme.  Notes,  maximes  et  pensées.  Le  bonheur. 
Lettres,  édition  du  Mercure  de  France,  in-12,  Paris,  1909, 

La  vosue  d'Helvétius  se  prolongea  pendant  la 
Révolution.  Sa  femme  ne  fut  pas  inquiétée,  même 
pendant  la  Terreur;  et  ses  deux  filles  furent  procla- 
mées «  filles  de  la  Nation».  Un  arrêté  du  Conseil  général 
de  la  commune  de  Paris  donna  son  nom  à  la  rue 
Sainte-Anne,  le  21  septembre  1792.  Son  buste  figura 
au  club  des  Jacobins  du  4  mars  1792  au  5  décembre 
de  l'an  I  de  la  République.  A  l'exception  de  Marat 
et  de  Robespierre,  admirateurs  de  Rousseau,  les 
hommes  de  la  Révolution  apparaissent  hantés,  comme 
lui,  de  l'idée  que  le  principe  de  tous  les  maux  et  de  tous 
les  vices  est  dans  la  mauvaise  organisation  du  gouver- 
nement ou  de  la  société  et  que,  pour  être  heureux  et 
bons,  les  hommes  n'ont  que  des  lois  à  renverser  et  à 
créer.  Il  fut  un  philosophe  médiocre,  mais  «  dans  la 
formation  de  l'esprit  de  nos  démocraties  autoritaires, 
ni  Voltaire,  ni  Rousseau,  ni  Montesquieu,  ni  Diderot 
n'ont  exercé  d'influence  comparable  à  celle  d'Helvé- 
tius ».  Brunetière,  Sur  les  chemins  de  la  croyance,  1905, 
p.  79.  Voir  également  sur  la  valeur  et  l'influence  d'Hel- 
vétius, Histoire  de  la  littérature  française  classique, 
t.  ni,  Le  .XVIIIe  siècle,  du  même  auteur,  p.  388-389. 
Il  fut  un  des  maîtres  des  Idéologues  et  la  Décade  le 
loue  à  l'égal  de  Voltaire,  de  Montesquieu,  de  Bu  lion 
et  de  Diderot.  Cf.  Picavet,  Les  idéologues,  in-8°,  Paris, 
1891.  Toutes  les  mesures  religieuses  de  la  Révolution, 
depuis  la  confiscation  des  biens  ecclésiastiques  jusqu'à 
la  séparation  de  l'Église  et  de  l'État,  et  toutes  les 
raisons  par  lesquelles  la  Révolution  a  prétendu  justi- 
fier ces  mesures,  sa  conception  du  prêtre  officier  de 
morale,  ses  religions  laïques,  se  trouvent  dans  Helvé- 
tius, comme  aussi  du  reste  plusieurs  des  préjugés 
actuels  contre  l'Église,  sinon  tous. 

Sa  conception  de  la  morale  a  fait  d'Helvétius  un  des 
maîtres  de  la  morale  utilitaire  :  Bentham  relève  de  lui, 
et  le  loue  en  ces  termes  :  «  Ce  que  Bacou  fut  pour  le 
monde  physique,  Helvétius  le  fut  pour  le  monde 
moral  »,  cf.  L.  Carrau,  La  morale  utilitaire,  Paris,  1875, 
et  L.  Halévy,  La  formation  du  radicalisme  philoso- 
phique. I.  La  jeunesse  de  Bentham,  II.  L'évolution  de  la 
doctrine  utilitaire,  1789-1815,  Paris,  1900  ;  d'ailleurs,  on 
sait  quelle  fortune  ces  idées  qu'il  proclame,  «  que  les 
faits  moraux  ne  sont  que  des  faits  sociaux  »  et  «  que  la 
morale  devrait  être  traitée  comme  une  physique  expé- 
rimentale», ont  ereànotre  époque.  Il  faut  signaler  aussi 
l'influence  sur  Beccaria  de  sa  théorie  sur  la  toute- 
puissance  d'un  système  bien  ordonné  de  récompenses 
et  de  châtiments  :  Beccaria  fut  comme  Bentham  le 
disciple  direct  d'Helvétius  ;  et  de  sa  théorie  de  l'amour 
de  soi,  sur  Nietzsche.  Cf.  E.  Seillière,  Apollon  ou  Dio- 
nysos, étude  critique  sur  F.  Nietzsche  et  l'utilitarisme 
impérialiste,  Paris,  1905. 

Archives  du  château  de  Voré,  Documents  et  correspon- 
dance ;  Saint-Lambert,  Essai  sur  la  vie  et  les  ouvrages  de 
M.  Helvétius,  publié  pour  la  première  fois  sans  nom  d'auteur 
dans  la  première  édition  du  poème  Le  bonheur  et  qui  a  servi 
d'introduction  à  presque  toutes  les  éditions  des  Œuvres 
complètes;  Chastellux,  Éloge  de  M.  Helvétius,  28  p.,  s.  1.  n.  d. 
(1772);  Mémoires  de  l'abbé  Morellet,  deMarmontel;  Journal 
de  Collé,  de  Barbier  ;  Grimm,  Correspondance,  Garnier,1877, 
t.  ix  et  x;    Voltaire,  Diderot,  Condorcet,  Turgot,  d'Alem- 


2141 


HELVÉT1US 


HELVIDIUS 


2142 


toert,  etc.,  Correspondance;  lord  Broughan,  Voltaire  et 
Rousseau,  ouvrage  accompagné  de  lettres  inédites  de  Vol- 
taire, Helvétius,  Hunu,  etc.,  Paris,  1845;  Garât,  Mémoires 
historiques  sur  le  A  VIII'  siècle  et  sur  Suard,  in-8°,  Paris,  1821  ; 
Dictionnaire  philosophique,  art.  Esprit,  Homme;  Palissot, 
Mémoires  sur  la  littérature,  art.  Helvétius,  t.  i,  Paris,  an  XI- 
1803;  Lemontey,  Notice  sur  Cl.- A.  Helvétius,  dans  la 
Revue  encyclopédique,  56e  cahier,  t.  xiv,  août  1823;  Dami- 
ron,  Mémoire  sur  Helvétius,  lu  dans  les  séances  des  6, 13,  20 
et  27  novembre  1852  de  l'Académie  des  Sciences  morales  et 
politiques,  2e  série,  t.  ix;  Biographie  universelle  de  Michaud, 
art.  Helvétius  par  Saint-Sarin,  presque  toujours  exact; 
A.  Keim,  Helvétius,  sa  oie  et  son  œuvre,  in-8°,  Paris,  1907, 
et  tous  les  historiens  de  la  littérature  ou  de  la  philosophie 
au  xvnie  siècle,  Bersot,  Barni,  Cousin,  Caro,  etc. 

C.    Constantin. 

HELVIDIUS.  Vers  la  fin  du  pontificat  de  saint 
Damase  (366-384),  parut  à  Rome  un  libelle  injurieux 
pour  la  foi  chrétienne,  qui  ne  laissa  pas  de  provoquer 
■quelque  scandale  et  quelque  émoi  parmi  les  fidèles. 
Ce  libelle  avait  pour  auteur  Helvidius,  homme  assez 
rustre,  sans  grande  culture  et  d'intelligence  bornée. 
Fut-il,  comme  le  déclare  Gennade,  De  script,  eccl., 
32,  P.  L.,  t.  lviii,  col.  1077,  un  disciple  d'Auxence, 
l'évêque  arien  de  Milan,  et  l'imitateur  du  sénateur 
Symmaque,  le  champion  du  paganisme  expirant  ? 
On  ne  sait  d'où  Gennade  a  tiré  ce  double  renseigne- 
ment, totalement  inconnu  à  saint  Jérôme,  à  saint 
Ambroise  et  à  saint  Augustin,  qui  ont  condamné  les 
erreurs  d'Helvidius.  Celui-ci  eut-il  des  disciples  ?  Le 
fait  est  que  saint  Augustin  range  les  helvidiens  parmi 
les  hérétiques.  User.,  84,  P.  L.,  t.  xlii,  col.  46. 

Sur  quelques  textes  de  l'Évangile  "mal  compris  et 
interprétés  dans  un  sens  contraire  à  la  tradition  chré- 
tienne, et  à  l'aide  de  certains  passages  empruntés  à 
Tertullien  et  à  Victorin  de  Pettau,  Helvidius  soute- 
nait dans  son  libelle  que  la  Vierge  Marie,  après  l'en- 
fantement surnaturel  du  Sauveur,  avait  eu  de  Joseph, 
son  époux,  plusieurs  enfants,  ceux  que  les  évangélistes 
désignent  sous  le  nom  de  sœurs  et  de  frères  du  Seigneur; 
il  affirmait  encore  que  l'état  de  virginité  ne  l'emporte 
nullement  sur  celui  du  mariage. 

De  telles  nouveautés,  à  une  époque  où  moines  et 
vierges  se  multipliaient  avec  l'approbation  de  l'Église, 
parurent  odieuses  et  fausses.  Sollicité  d'y  répondre 
par  les  chrétiens  de  Rome,  saint  Jérôme  avait  hésité 
quelque  temps,  non  qu'il  fût  difficile,  dit-il,  de  faire 
triompher  la  vérité  sur  un  adversaire  aussi  médiocre 
qu'Helvidius,  mais  de  peur  d'élever  son  contradicteur 
par  une  réfutation  à  l'honneur  d'une  défaite.  Devant 
le  scandale  et  le  trouble  causés,  il  se  résigna  finale- 
ment à  porter  la  cognée  aux  racines  de  cet  arbre 
infructueux  pour  réduire  au  silence  celui  qui  n'avait 
jamais  appris  à  parler;  de  là  son  traité  De  perpétua 
virginitate  beatss  Mariée  advcrsus  Helvidium.  P.  L., 
t.  xxm,  col.  183-206. 

Sur  le  terrain  patristique,  Helvidius  n'avait  trouvé 
•en  sa  faveur  que  Tertullien  et  Victorin  de  Pettau. 
Tertullien,  il  est  vrai,  s'était  prononcé  contre  la  vir- 
ginité de  Marie  in  partu  et  post  parium;  saint  Jérôme 
se  garde  bien  de  le  nier,  mais  il  écarte  résolument  son 
témoignage  comme  celui  d'un  homme  qui  n'appar- 
tenait pas  à  l'Église.  Quant  à  Victorin,  saint  Jérôme 
se  contente  de  faire  remarquer  qu'il  a  parlé  dans  le 
même  sens  que  les  évangélistes  des  frères  du  Seigneur 
sans  jamais  dire  qu'ils  fussent  les  fils  de  la  sainte 
Vierge.  Et  sans  insister  autrement  il  se  contente 
d'ajouter  :  Numquid  non  possem  tibi  lolam  velerum 
scriptorum  seriem  commovere  :  Ignalium,  Polycarpum, 
Irenœum,  Justinum  martyrem,  multosque  alios  aposto- 
licos  et  éloquentes  viros,  qui  adversus  Ebioncm,  et 
Theodo'.um  Byzantium,  Valentinum,  hœc  eadem  sen- 
lientes,  plena  sapicnlise  volumina  conscripserunt  ?  Quœ 
si  legisses  aliquando,  plus  saperes.  De  perp.  virginitate, 
19. 


C'est  surtout  sur  le  terrain  scripturaire  que  saint 
Jérôme  insiste,  suivant  pas  à  pas  Helvidius  et  lui 
montrant,  non  parfois  sans  quelque  ironie,  combien  il 
avait  mal  entendu  et  interprété  les  textes  évangé- 
liques. 

Helvidius  alléguait  d'abord  ces  deux  textes  :  ante- 
quam  convenirenl  et  non  cognoscebat  eam  donec  pepcrit 
filium  suum  primogenitum,  Matth.,  i,  18,  25,  pour  eu 
conclure,  comme  ils  semblent  le  laisser  entendre,  que 
Joseph  connut  Marie  après  l'enfantement  de  Jésus. 
Imperitiœ  arguant,  an  lemerilatis  accusent,  demande 
saint  Jérôme  ?  Pas  plus  antequam  que  donec  ne  permet 
de  conclure  à  des  relations  conjugales  subséquentes 
entre  Joseph  et  Marie;  c'est  là  une  manière  de  s'expri- 
mer fréquente  dans  l'Écriture,  et  saint  Jérôme  en 
rapporte  plusieurs  exemples,  qui  équivaut  ici  à  la 
négation  même  de  tout  rapport  conjugal  dans  la  suite. 

De  ce  que  saint  Matthieu  et  saint  Luc  qualifient 
l'enfant  Jésus  de  primogenitus,  premier-né,  Helvidius, 
dit  saint  Jérôme,  nililur  approbare  primogenitum 
non  posse  dici,  nisi  eum  qui  habeal  et  jralres;  sicul 
unigenitus  ille  vocatur  qui  parenlibus  solus  sit  fdius. 
De  perp.  virginitate,  10.  Il  en  est  bien  ainsi  dans  le 
langage  ordinaire,  un  premier-né  suppose  d'autres 
enfants;  mais  tel  n'est  pas  le  cas  dans  le  texte  sacré. 
Ici,  primogenitus  a  un  sens  purement  légal,  qui 
s'applique  au  premier  enfant  mâle  né  de  la  femme, 
même  quand  cet  enfant  est  seul,  comme  c'était  le 
cas  pour  Jean-Baptiste  et  pour  Jésus;  la  naissance 
d'un  tel  enfant  mâle  imposait  aux  parents  l'obligation 
de  le  présenter  au  Seigneur  et  de  le  racheter.  Dans  ce 
sens,  observe  saint  Jérôme,  De  perp.  virginitate,  12, 
tout  fils,  même  unique,  est  primogenitus,  et  par  là  même 
soumis  à  la  loi  de  la  présentation  et  du  rachat  aussitôt 
après  sa  naissance.  Et  s'il  fallait  entendre,  comme  le 
prétend  Helvidius,  ce  terme  de  primogenitus  d'un 
premier-né  qui  a  des  frères,  l'obligation  de  la  présen- 
tation et  du  rachat  ne  s'imposerait  à  lui  qu'à  la  nais- 
sance d'un  second  fils,  chose  manifestement  contraire 
au  texte  même  de  la  loi. 

Reste  la  question  des  sœurs  et  des  frères  du  Seigneur; 
dans  quel  sens  l'entendre  ?  Dans  l'Écriture,  on  donne 
ce  nom  de  frères  à  ceux  qui  sont  unis  par  les  liens  de  la 
nature,  ou  de  la  parenté,  ou  de  la  nationalité,  ou  de 
l'affection.  Selon  la  nature,  il  ne  convient  qu'à  ceux 
qui  sont  nés  du  même  père  et  de  la  même  mère,  et 
tel  était  le  cas  pour  Pierre  et  André,  pour  Jacques  et 
Jean;  selon  la  parenté,  il  vise  ceux  qui  sont  nés  d'un 
même  père,  mais  non  d'une  même  mère,  ou  récipro- 
quement, que  nous  appelons  des  demi-frères,  et  tel 
eût  été  le  cas,  si  saint  Joseph  avait  eu  des  enfants  d'une 
première  femme,  hypothèse  parfois  émise,  mais  qui 
n'est  pas  celle  de  spint  Jérôme  ici;  ou  bien  encore  ceux 
qui  sont  nés  de  proches  parents,  comme  ceux  que 
nous  appelons  des  cousins  germains;  ou  enfin  ceux 
qui  appartiennent  à  une  même  famille,  comme  Abraham 
et  Lot,  Laban  et  Jacob,  qui  sont  parfois  appelés 
frères  dans  l'Écriture,  bien  qu'en  réalité  ils  fussent 
oncle  et  neveu;  selon  la  nationalité,  tous  les  juifs 
sont  frères;  et  selon  l'affection  spirituelle,  tous  les 
chrétiens  sont  frères.  Quant  à  ceux  que  les  évangé- 
listes nomment  les  frères  du  Seigneur,  ce  terme  ne 
doit  s'entendre  ni  de  la  nationalité,  ni  de  l'affection, 
mais  de  la  nature  ou  de  la  parenté.  Or,  il  faut  écarter 
la  fraternité  selon  la  nature,  parce  que  nulle  part 
dans  l'Évangile  les  frères  du  Seigneur  ne  sont  dits  fils 
de  Joseph  et  de  la  Vierge  Marie;  reste  donc  que  Jacques, 
Joseph,  Simon  et  Jude,  en  réalité  fils  d'une  sœur  de 
la  sainte  Vierge,  qui  s'appelait  Marie  comme  elle,  et 
qui  n'est  autre  que  celle  qui  est  désignée  sous  le  nom 
de  Marie  de  Cléophas  ou  Marie  d'Alphée,  étaient  les 
cousins  germains  de  Jésus.  Mais,  en  divergence 
avec  cette  solution  de  saint  Jérôme,  Hégésippe  avait 


2143 


HELVIDIUS    —    HÉLYOT 


2144 


appris  de  la  tradition  palestinienne  que  Jacques  et 
Siméon  étaient  les  fils  de  Cléophas,  le  frère  de  saint 
Joseph.  Eusèbe,  H.  E .,  iv,  22,  P.  G.,  t.  xx,  col.  380. 
Cf.  Th.  Zahn,  Brùdcr  und  Vettern  Jesu,  dans  For- 
schungen  zur  Gcschichtc  des  neulest.  Kanons,  Leipzig, 
1900,  t.  vi,  p.  235-238.  Voir  Hégésippe,  col.  2119. 

Après  avoir  répondu  ainsi  à  Helvidius  sur  la  ques- 
tion de  la  virginité  de  Marie,  saint  Jérôme  réfuta  son 
erreur  relative  à  la  supériorité  du  mariage  sur  l'état 
de  virginité.  Risimus  in  te  proverbium  :  «  Camtlum 
vidimus  saltitantcm.  »  C'est  ainsi  qu'il  débute  avant 
d'interpréter  le  passage  célèbre  de  saint  Paul  sur  les 
occupations  de  la  femme  mariée  et  de  la  vierge,  I  Ccr., 
vu,  34,  l'une  pensant  aux  choses  du  monde,  aux 
moyens  de  plaire  à  son  mari,  l'autre  pensant  surtout 
aux  choses  de  Dieu,  aux  moyens  de  plaire  à  Dieu.  En 
comparant  la  virginité  avec  le  mariage,  il  conjure  ses 
lecteurs  de  ne  pas  croire  qu'il  veut  relever  les  vierges 
en  rabaissant  les  personnes  mariées  ou  qu'il  entend 
blâmer  le  mariage;  nullement,  mais  comme  saint 
Paul,  sans  faire  de  la  virginité  un  précepte,  il  a  le 
droit  de  la  conseiller  comme  préférable  au  mariage;  et 
il  termine  par  ces  mots  :  «  Nous  venons  de  faire  de  la 
rhétorique  et  nous  avons  un  peu  joué  à  la  manière  des 
déclamateurs.  C'est  toi,  Helvidius,  qui  nous  y  as 
poussé  en  soutenant,  malgré  l'éclat  de  l'Évangile,  que 
la  gloire  était  la  même  pour  les  vierges  et  les  femmes 
mariées.  Et  comme  je  suppose  que,  vaincu  par  la 
vérité,  tu  vas  calomnier  ma  vie  et  me  maudire,  je  te 
préviens- que  tes  injures  me  seront  un  honneur,  puisque 
tu  me  déchireras  de  cette  même  bouche  qui  a  calomnié 
Marie  et  que  les  aboiements  de  la  même  faconde 
confondront  le  serviteur  de  Dieu  avec  sa  Mère.  »  De 
perp.  virginilale,  24. 

11  est  à  croire  qu'Helvidius  ne  répondit  rien  à  cette 
exécution.  Aurait-il  été  du  nombre  de  ceux  qui  plus 
tard,  à  la  suite  des  deux  livres  Adversus  Jovinianum, 
accusèrent  saint  Jérôme  de  condamner  le  mariage  ? 
Ceux-ci,  au  dire  de  saint  Jérôme,  EpisL,  xlviii,  12, 
ad  Pammachium,  étaient  des  hommes  diserts  et  versés 
dans  les  études,  ce  qui  semble  bien  exclure  Helvidius; 
et  lorsque,  dans  cette  même  lettre.  EpisL,  xlviii,  18, 
P.  L.,  t.  xxn,  col.  508,  de  dix  ans  postérieure  au  De 
perpétua  virginilale,  pan.ît  le  nom  d'Helvicius,  rien 
ne  permet  de  croire  qu'il  soit  actuellement  visé.  «  Quand 
vivait  Damase  de  sainte  mémoire,  nous  avons  écrit 
contre  Helvidius  sur  la  perpétuelle  virginité  de  la 
bienheureuse  Marie,  et  nous  avons  été  dans  l'obli- 
gation, pour  relever  le  bonheur  de  la  virginité,  d'expo- 
ser avec  une  certaine  étendue  les  ennuis  du  mariage. 
Est-ce  que  cet  homme  éminent,  si  versé  dans  les 
Écritures,  docteur  vierge  d'une  Église  vierge,  trouva 
rien  à  reprendre  dans  ce  discours  ?  Dans  le  livre  à 
Eustochium,  EpisL,  xxn,  nous  avons  dit  des  choses 
encore  plus  dures  sur  le  mariage,  et  personne  qui 
s'en  soit  fâché.  »  Les  attaques  nouvelles  ne  venaient 
donc  pas  d'Helvidius;  peut-être  était-il  mort  à  cette 
époque;  mais  elles  provenaient  d'un  parti  hostile  à 
saint  Jérôme  et  qui  n'était  pas  sans  partager  les 
erreurs  d'Helvidius. 

S.  Jérôme,  De  perpétua  virginilale  B.  Marite  adversus 
Ilelvidium,  P.  L.,  t.  xxm,  col.  183-206;  S.  Augustin,  Hier., 
84,  P.  L.,  t.  xlii,  col.  46;  Gennade,  De  scriptoribus  eccle- 
siaslicis,  32,  P.  L.,  t.  lviii,  col.  1077;  Tillemont,  Mémoires 
pour  servir  à  l'histoire  ecclésiastique  des  six  premiers  siècles, 
Paris,  1693-1712,  t.  i,  p.  71,  624;  t.  xn,  p.  81-84;  Ceillier, 
Histoire  générale  des  auteurs  sacrés  et  ecclésiastiques,  Paris, 
1858-1863,  t.  vu,  p.  595-597,  664;  Otto  Zôckler,  Hieronymus, 
1865,  p.  94  sq.;  W.  Haller,  Jovinianus,  1897,  dans  Texte  und 
Untersuchungen,  nouv.  série,  t.  Il,  fasc.  2,  p.  512  sq.;  Grûtz- 
macher,  Hieronymus,  t.  i,  p.  269-274;  J.  Niessen,  Die 
Mariologie  des  hl.  Hieronymus,  Munster,  1913;  Kirchen- 
lexikon,2°  édit.,  t.  v,  col.  1757-1759;  Dictionary  o/  Christian 
biography,  t.  n,  p.  892;  Realencyclopadie  fiir  proteslantische 


Théologie   und   Kirrhe,   t.    vu,   p.    654-655;    U.    Chevalier, 
Répertoire,  Bio-bibliographie,  t.  i,  col.  2051. 

G.  BAREILLE. 
HÉLYOT  Pierre,  en   religion   P.  Hippolyte,  fils  de 
Bénigne  Hélyot  et  de  Marguerite  Musnier,  naquit  à 
Paris  en  1660.  Sa  famille,  anglaise  d'origine,  s'était 
transportée  en  France  pour  demeurer  fidèle  à  la  foi  et 
se  distingua  par  sa  piété.  Un  des    grands-oncles  de 
Pierre,  dom  Ambroise  Hélyot,  mourut  saintement  chez 
les  chartreux  de  Paris  en  1667.  Il  était  neveu  de  Claude 
Hélyot,  conseiller  à  la  cour  des  aides  (t  30  janvier  1686) 
dont  on  a  des  Œuvres  spirituelles,  in-8°,  Paris,  1710; 
une  biographie  de  sa  vertueuse  femme,  écrite  par  le 
P.  Crasset,  S.  J.,  La  vie  de  Mme  Hélyot,  in-8°,  Paris, 
1683,  a  été  plusieurs  fois  réimprimée.  Un  autre  de  ses 
oncles,  Jérôme  Hélyot,  chanoine  de  Paris,  avait  quitté 
le  monde  pour  aller  achever  sa  vie  chez  les  religieux 
pénitents  du  tiers-ordre  de  Saint-François  de  la  congré- 
gation de  France,  dits  de  Picpus,  du  nom  de  leur 
monastère  de  Paris,  dont  il  fut  un  bienfaiteur  (t  1687). 
On  peut  croire  que  c'est  lui  qui  attira  son  neveu  dans 
cette  congrégation;  il  en  revêtait  l'habit  le  1er  août 
1683,  sous  le  nom  de  frère  Hippolyte.  Ses  vertus  et  son 
mérite  lui  concilièrent  bien  vite  l'affection  et  l'estime 
de  ses  confrères  et  de  ses  supérieurs,  qui  par  trois  fois  le 
choisirent  pour  secrétaire  de  la  province  de  France  et 
de  Lorraine.  Élu  définiteur  au  chapitre  de  1710,  il  ne 
lui  manqua  qu'une  voix  pour  être  nommé  provincial. 
Ses  qualités  étaient  si  bien  connues  et  si  totalement 
appréciées  que  son  supérieur  général  le  déléguait  en 
1714  pour  présider  le  chapitre  de  la  pro\ince  de  Lyon. 
Il  avait,  en  effet,  été  par  deux  fois  envoyé  à  Rome, 
pour  les  affaires  de  sa  congrégation  et  il  profita  de  ce 
voyage,  ainsi  que  des  autres  qu'il  avait  occasion  de 
faire  en  accompagnant  le  provincial  dans  ses  visites, 
pour  recueillir  des  informations  qui  devaient  lui  servir 
pour  le  grand  ouvrage  qui  a  rendu  son  nom  impéris- 
sable. Auparavant  le  P.  Hélyot  avait  débuté  comme 
écrivain  par  un  petit  volume,  dont  on  veut  que  l'idée 
lui  soit  venue  pendant  une  maladie  qui  le  conduisit 
aux  portes  du  tombeau  :  Idée  d'un  chrétien  mourant, 
et  maximes  pour  le  conduire  à  une  heureuse  fin,  conte- 
nant des  instructions  pour  bien  mourir  et  exhorter  les 
malades  à  la  mort,  in-8°,  Paris,  1695.  Le  Journal  des 
sçavans  du  dernier  de  juin  1708,  t.  xl,  p.  578-590, 
publiait  une  Dissertation  du  P.  Hippolyte  Hélyot  sur  le 
bréviaire  du  cardinal  Quignonez,  dans  laquelle  il  démon- 
trait que  le  texte  primitif  avait  été  interpolé,  en  parti- 
culier pour  l'office  de  l'Immaculée  Conception,  où  l'on 
avait  inséré  des  passages  faussement  attribués  à  saint 
Dominique  et  à  saint  Thomas.  Au  mois  de  mars  1711, 
p.  355,  le  même  journal  rendait  compte  d'une  Lettre 
du  P.  Hippolyte  Hélyot,  sur  la  nouvelle  édition  de  l'His- 
toire des  ordres  religieux  de  M.  Hermant,  curé  de  Mallot 
en  Normandie,  in-4°,  Paris,  1710.  La  première  édition 
de  l'ouvrage  du  curé  de  Maltot  avait  paru  en  1697,  sui- 
vant de  près  celle  de  Schoonebeck,  Amsterdam,  1695. 
mais  elles  étaient  toutes  les  deux  si  incomplètes  et 
souvent  si  inexactes  que  le  P.   Hélyot  avait  conçu 
le  projet  de  traiter  le  même  sujet  avec  plus  d'ampleur 
et  d'exactitude.  Dans  sa  Lettre  de  1710  il  promettait 
un  ouvrage  in-folio;  «  il  est  tout  prêt  à  imprimer,  ajou- 
tait-il, et  il  ne  tient  qu'aux  libraires,  »  il  priait  aussi 
ceux  qui  avaient  «  dans  leurs  cabinets  d'anciens  habil- 
lemens  de    religieux,  de  lui  en  envoyer  un    dessin  ». 
Coignard,  imprimeur  et  libraire  du  roi,  se  chargea  de 
la  publication  et  la  mena  rapidement;  elle  portait  pour 
titre  :  Histoire  des  ordres  monastiques,  religieux  et  mili- 
taires, et  des  congrégations  séculières  de  l'un  et  de  l'autre 
sexe,  qui  ont  esté  establies  jusqu'à  présent,  les  événements 
hs  plus  considérables  qui  y  sont  arrivés,  la  décadence  des 
uns   et   leur  suppression,    l'agrandissement   des   autres 
par  le  moïen  des  différentes  réformes  qui  y  ont  esté  inlro- 


214; 


HELYOT 


HÊMM 


•146 


duites;  les  vies  de  leurs  fondateurs,  avec  des  figures  qui 
représentent  tous  les  différents  habillements  de  ces  ordres 
et  de  ces  congrégations,  8  in-4°.  Paris,  1714-1719. 
L'auteur  n'eut  pas  la  satisfaction  de  voir  la  fin  de  l'im- 
pression de  ce  grand  travail,  car  il  rendit  son  âme  à 
Dieu,  au  couvent  de  Picpus,  le  5  janvier  171G,  âgé  seu- 
lement de  cinquante-six  ans.  Le  Journal  des  sçavans, 
en  annonçant  cette  mort,  assurait  que  la  publication 
de  l'ouvrage  n'en  souffrirait  aucun  dommage,  car 
l'auteur  avait  laissé  les  quatre  derniers  volumes  «  écrits 
de  sa  main  ».  Ce  n'est  donc  pas,  comme  on  l'a  dit  et  re- 
dit, le  P.  Maximilien  Bullot  qui  acheva  le  travail  :  tout 
au  plus  fut-il  chargé  de  surveiller  l'édition  par  son  pro- 
vincial, le  P.  Louis.  On  trouve  des  exemplaires  de 
l'Histoire  portant  la  date  de  1721  ;  faut-il  y  voir  une 
réédition  ou  une  supercherie?  L'abbé  Badiche  penche 
pour  cette  seconde  opinion.  Une  véritable  réédition, 
également  en  8  in-4°,  parut  à  Paris  en  1792.  Avec  des 
modifications  peu  heureuses  l'ouvrage  a  été  réimprimé 
sous  le  titre  d'Histoire  complète  et  costumes  de  tous  les 
ordres  monastiques  religieux  et  militaires,  et  des  congré- 
gations de  l'un  et  l'autre  sexe,  par  le  R.  P.  Hélyot,  avec 
une  notice  sur  ce  savant,  des  annotations  et  un  complé- 
ment fort  étendu  par  V.  Philippon  de  La  Madelaine, 
ouvrage  contenant  plus  de  6<>o  portraits  en  pied  dessinés 
par  A.  Henrg,  8  in-4°,  Paris,  1838.  L'abbé  Marie- 
Léandre  Badiche,  du  clergé  de  Paris,  refondit  l'ouvrage 
du  P.  Hélyot,  disposant  les  notices  par  ordre  alpha- 
bétique et  les  complétant  par  d'autres  articles,  pour 
lui  donner  place  dans  V Encyclopédie  théologique  de 
l'abbé  Migne  (Pe  série,  t.  xx-xxnr),  Paris,  1847-1859. 
Le  ive  volume,  renfermant  des  notices  sur  les  congré- 
gations modernes,  n'est  pas  l'œuvre  de  l'abbé  Badiche. 
De  mauvaises  planches,  placées  à  la  fin  de  chaque 
tome,  remplacent  bien  imparfaitement  les  belles  gra- 
vures de  l'édition  originale  et  une  bonne  réédition 
continuée  et  augmentée  du  travail  d'Hélyot  eût  été 
bien  préférable  à  ce  Dictionnaire  des  ordres  religieux. 
Une  traduction  italienne.  Storia  degli  ordini  monaslici. 
religiosi  e  militari...,  due  au  P.  Joseph-François  Fon- 
tana  de  Milan,  clerc  régulier  de  la  Mère-de-Dieu,  8  in-4°, 
parut  à  Lucques,  1737,  sans  les  gravures,  que  l'édi- 
teur trouvait  trop  coûteuses  et  déclarait  tout  bonne- 
ment inutiles,  vu  la  description  exacte  de  chaque  cos- 
tume. Il  en  existe  aussi  une  traduction  allemande  : 
P.  Hippolyt  Helyols  ausfuhrliche  Geschichle  aller  geist- 
lichcn  und  welllichen  KIoster  und  Rilterorden  fur 
beiderlei  Geschlecht,  8  in-4°,  Leipzig,  1753.  L'ouvrage 
du  P.  Hélyot  fait  en  partie  le  fond  d'une  Histoire  du 
clergé  séculier,  des  congrégations  des  chanoines  et  des 
clercs  et  des  ordres  religieux  de  l'un  et  l'autre  sexe,  qui 
ont  été  établis  jusqu'à  présent,  avec  des  figures  qui  repré- 
sentent les  différents  habillemends  de  ces  ordres  et  congré- 
gations. Nouvelle  édition  tirée  du  R.  P.  Bonanni,  de 
M.  Ilerman,  de  Schoonebcck,  etc.,  4  in-8°,  Amsterdam, 
1716.  Il  a  aussi  été  utilisé  par  tous  ceux  qui  depuis 
son  époque  se  sont  occupés  de  l'histoire  des  ordres  reli- 
gieux et  de  lours  costumes,  car,  sans  être  sans  défaut,  il 
est  ce  qui  existe  de  plus  complet  sur  ce  sujet  ;  beaucoup 
cependant  se  sont  servis  de  lui  sans  le  nommer,  comme, 
par  exemple,  Wietz  et  Bohmann,  dans  leur  abrégé 
historique  des  congrégations,  publié  en  allemand  à 
Prague,  1821,  et  traduit  en  polonais,  Rys  historuczng 
zgromadzcn  zakonnych,  3  in-8°,  Varsovie,  1848-1849, 
par  le  P.  Benjamin  Szymanski,  provincial  des  frères 
mineurs  capucins  de  Pologne  (tl873,  évêque  de  Polda- 
chie).  On  a  pu  critiquer  le  P.  Hélyot,  on  ne  l'a  pas 
encore  surpassé,  ni  même  égalé. 

Journal  des  savants,  aux  endroits  cités,  puis  février  et 
mars  1715,  p.  150  cl  213  ;  septembre  et  octobre  1716,  p.  322 
et  375  ;  juillet  et  août  1719,  p.  73  et  160  ;  Mémoires  de 
Trévoux,  aux  années  1715,  1716,  1719-1721  ;  Moréri,  Dic- 
fonnaire    historique  ;      Michaud,     Biographie     universelle  ; 

DIC-.    DE    THÉOL.    CATH. 


Badiche,  loc.  cit.  ;  Ilurtcr,  Nomenclalor,  Inspruck,  1910,  t.  iv, 
col.  903-904.  ' 

P.  Édouaru  d'Alençon. 
HEMATITES.  Parmi  les  hérétiques  du  ne  siècle 
qui  tiraient  leur  nom  des  dogmes  qu'ils  professaient, 
Clément  d'Alexandrie  signale  les  docètes  et  les  héma- 
tites, <.'>;  ïj  Tûv  ?o-/.[T<3v  xai  aliiaitTûv.  Strom.,  VII, 
17,  P.  G.,  t.  ix,  col.  553.  Quels  étaient  ces  hématites, 
dont  ni  saint  Irénée,  ni  Tertullien,  ni  l'auteur  des 
Philosophoumena  ne  parlent,  et  dont  saint  Augustin, 
qui  a  résumé  les  hérésiologies  de  saint  Épiphane  et  de 
saint  Philastrius,  ne  parle  pas  davantage?  Faut-il  y 
voir  ces  chrétiens  téméraires  qui  se  présentaient  spon- 
tanément aux  juges  et  affrontaient  la  mort,  oubliant 
qu'en  temps  de  persécution,  le  Sauveur  a  conseillé  la 
fuite  pour  ne  pas  se  prêter  à  la  perpétration  d'un  mal. 
et  que  Clément  d'Alexandrie  a  blâmés  ?  Strom., 
IV,  10,  P.  G.,  t.  vm,  col.  1285-1288.  Cela  n'est  guère 
probable.  On  en  est  réduit  aux  conjectures;  et  voici 
celle  que  propose  Le  Nourry,  De  lib.  Strom.,  diss.  II, 
c.  xin,  a.  3,  P.  G.,  t.  ix,  col.  1246.  D'après  Pline 
Hisl.  nal..  16,  20,  hœmalides  est  magnesi  sanguine 
coloris,  sanguinemque  reddens,  si  leretur,  sed  et  crocum. 
Les  hématites  ne  seraient  autres  que  certains  gnosti- 
ques  visés  par  Clément  d'Alexandrie,  dans  un  passage 
où  il  affirme  que  certains  hommes,  qui  n'avaient  de 
chrétien  que  le  nom,  ojy  rjuirepoi,  ixôvou  to3  ôvo'jxaTOç 
xocv-ovoi,  affrontaient  la  mort,  par  haine  du  démiurge, 
pour  avoir  le  titre  de  martyr,  Strom.,  VI,  4,  P.  G., 
t.  vm,  col.  1229  ;  mais  il  leur  refuse  tout  droit  à  ce 
titre,  même  s'ils  étaient  condamnés  à  mort  par  une 
!  sentence  publique  :  to-jtou;  iÇàyav  éocuTOÙ?  àiAOCptûptoç 
XÉyoa   sv,  y.av  Sr|<j.0Œi'a  xoXâfojvxat.  Ibid. 

Clément  d'Alexandrie,  Strom.,  VII,  17,  P.  G.,  t.  ix, 
col.  553  ;  Le  Nourry,  Dissertaliones  de  omnibus  démentis 
Alexandrini  operibus,  diss.  II,  c.  xin,  a.  3,  P.  G.,  t.  ix, 
col.  1246. 

G.  Bareille. 

HEMELMAN  Georges,  théologien  espagnol,  né  à 
Malaga,  admis  au  noviciat  de  la  Compagnie  de  Jésus 
en  1589.  Il  enseigna  pendant  de  longues  années  avec 
un  remarquable  succès  la  philosophie  et  la  théologie, 
et  entreprit  un  immense  commentaire  de  la  Somme  de 
saint  Thomas,  qui  l'occupa  toute  sa  vie.  Le  Ier  volume 
seul  put  paraître  •  Dispulala  theologica  in  /•""  partem 
S.  Thomœ,  in-fol.,  Grenade,  1037.  La  plupart  des  ques- 
tions traitées  relèvent  de  la  haute  métaphysique,  sui- 
vant les  tendances  de  l'esprit  théologique  qui  régnait 
alors  en  Espagne.  La  partie  la  plus  intéressante  ren- 
ferme un  traité  fort  substantiel,  riche  d'aperçus  ori- 
ginaux et  profonds,  sur  la  providence  divine.  Le 
P.  llemelman  publia  en  outre  les  t.  iv  et  v  des  Com- 
menlarii  in  Summum  théologie  S  Thomœ,  du  P.  Jac- 
ques Granado,  2  in-fol.,  Grenade,  1638,  dont  l'impres- 
sion ne  fut  complètement  achevée  qu'après  sa  mort.  Oi» 
lui  doit  aussi  la  publication  des  Consilia  scu  opuscula 
moralia  du  P.  Th.  Sanchez,  ibid.,  1634.  Il  mourut  à 
Grenade  le  4  juin  1637,  après  avoir  gouverné  avec  une 
éminente  sagesse  les  collèges  de  Grenade  et  de  Séville, 
puis  la  province  d'Aragon,  où  il  s'appliqua  à  faire 
fleurir  les  études,  spécialement  les  sciences  sacrées. 

Sommcrvogel,  Bibliothèque  de  la  C1"  de  Jésus,  t.  îv, 
col.  263  sq.;  Hurter,  Nomenclator,3e  édit.,  Inspruck,  1907. 
t.  ni,  col.  655  sq. 

P.  Bernard. 

HEMM  Jean-Baptiste,  bénédictin,  mort  le  14  sep 
tembre  1719.  Après  avoir  enseigné  la  philosophie  à 
l'université  de  Salzbourg,  il  fut,  en  1694,  élu  abbé  du 
monastère  de  Saint-Emmeran  de  Batisbonne,  ou  il 
avait  fait  profession.  Il  publia  les  ouvrages  suivants: 
De  visione  Dei,  in-4°,  Ratisbonne,  1676  ;  De  SS.  Trini- 
tate,  in-12,  Stadtamhof,  1677  ;  De  incarnatione,  i:i-8°, 


VI. 


6S 


IIEMM    —    HENNEBEL 


2148 


Stadtamhof,  1  78  :  Mandas  tripler  corttroverstis,  sive 
dispulalio  philosophica  de  triplici  acceptione  mundi 
archelypi,  microcosmi  et  macrocosmi,  in-8°,  Salzbourg, 
16S1  :  De  scientia  Dei,  in-4°,  Ratisbonnc,  1682;  De 
viliis  ci  peccalis,  in-8°,  Ratisbonne,  1683  ;  De  volunlate 
Dei,  in -12.  -Stadtamhof,  1688. 

[Dom  François],  Bibliothèque  générale  des  écrivains  de 
l'ordre  de  saint  Benoît,  t.  1,  p.  468;  Hurter,  Nomejiclaior, 
Inspruck.   1912,  t.   îv,  col.  646. 

B.  HEURTEBIZE. 
HENAO  Gabriel  de),  jésuite  espagnol,  né  à  Valla- 
dolid  le  20  juillet  1612,  admis  au  noviciat  le  4  juin  1626. 
Professeur  de  grammaire  et  de  belles-lettres  à  Bilbao, 
de  philosophie  à  Salamanque,  il  fut  chargé  ensuite  de 
l'enseignement  de  la  théologie  dogmatique  et  morale  à 
Oviédo  et  à  Yalladolid.  et  ne  tarda  pas  à  être  regardé 
comme  l'un  des  plus  savants  hommes  de  son  temps. 
Après  s'être  livré  à  des  recherches  philologiques  et 
historiques  sur  les  origines  de  la  littérature  et  de  la  civi- 
lisation espagnoles,  cf.  Vinson,  Essai  d'une  bibliogra- 
phie basque,  1891,  p.  80  ;  Meuse!,  Bibliulheca  historica, 
t.  vi,  p.  25  sq.,  il  consacra  le  meilleur  de  son  activité  à 
des  études  de  théologie  spéculative,  positive,  morale  et 
mystique  qui,  dans  un  même  traité,  embrassaient  à  la 
fois  tous  les  aspects  du  sujet.  Son  traité  du  ciel:  Empg- 
reologia  seu  philosophia  ehristiana  de  empyreo  cœlo, 
2  in-fol.,  Lyon,  1552,  rassemble  ainsi  toutes  les  données 
de  la  raison  et  de  la  loi,  toutes  les  considérations  suggé- 
rées par  le  symbolisme  scriptnraire,  par  l'ascétisme  ou 
par  le  mysticisme  des  maîtres  de  la  vie  spirituelle.  Le 
traité  de  l'eucharistie  :  De  eucharistiœ  sacramento  venc- 
rabili  alque  sanctissimo  tractalio  scholaris  diffusa  et  mo- 
ralis  concisior,  in-fol.,  Lyon,  1655,  est  conçu  sur  le 
même  plan  et  relève  de  la  même  méthode,  comme  aussi 
le  traité  du  sacrifice  de  la  messe  :  De  missœ  saeriflcio 
divino  alque  Iremendo,  3  in-fol.,  Salamanque,  1658- 
1661.  C'est  surtout  dans  les  questions  relatives  aux 
théories  et  aux  controverses  de  la  science  moyenne  que 
le  P.  Henao  a  conquis  très  justement  la  réputation 
d'un  théologien  de  haute  marque.  Il  débuta  par  une 
étude  historique  sur  les  origines  et  le  développement 
de  celte  doctrine  et  sur  les  discussions  soulevées  à  son 
sujet  :  Scientia  média  historiée  propugnata,  seu  ventil  .- 
brum  repurgans  veras  a  falsis  novellis  narralionibus 
circa  disputationes  eeleberrimas,  in-fol..  Lyon,  1655. 
Une  édition  nouvelle  enrichie  d'une  foule  de  développe- 
ments,  de  notes  et  de  textes,  avec  une  série  de  Parerga 
contenant  la  défense  de  la  Compagnie  de  Jésus  et  des 
doctrines  de  l'auteur,  parut  à  Salamanque  en  1685, 
et  fut  reproduite  dans  l'édition  deDillingen,1687,in-8°. 
Cet  ouvrage  d'une  immense  érudition  reste  une  des 
sources  les  plus  autorisées  pour  l'étude  de  cette  ques- 
tion si  vivement  et  si  longuement  débat  lue,  et  plus 
compliquée  encore  que  complexe.  Il  fut  suivi  d'un 
exposé  lucide  et  magistral  de  la  doctrine  elle-même  : 
Scii  min  média  (heologice  defensa,  2  in-fol.,  Lyon,  1674  : 
le  t.  Ier  contient  les  arguments  qui  militent  en  faveur 
de  la  thèse  et  le  t.  n  la  réponse  aux  objections  dirigées 
par  les  adversaires  contre  cette  théorie.  Le  P.  Henao 
eut  comme  théologien  une  influence  considérable  sur 
son  époque.  De  toutes  parts  il  était  consulté  sur  les 
questions  les  plus  diverses  et  par  les  hommes  les  plus 
versés  dans  les  sciences  théologiques.  «  Si  l'on  eût 
ramassé  les  réponses  qu'il  donna  pur  écrit,  disent  les 
Mémoire!  dt  Trévoux,  il  y  aurait  de  quoi  former  huit 
ou  neuf  gros  volumes  »,  1704,  p.  1455  sq. 

Vers  la  lin  de  sa  vie,  le  P.  Henao  lui  chargé  de  l'en- 

■  i   nement  de  l'Écriture  sainte  ■■<  Salamanque  et  fut 

recteur  du  collège  de  Médina  dei  Campo.  11  mourut 

alamanque  le  1 1  février  1704.  Toute  sa  vie  il  l'ut  un 

anlcul  défenseur  <]u  probabilisme  et  s'opposa  de  tout 

son  pou%oir  aux  tentatives  du  P.  Thyrse  Gonzalez, 


son  ancien  collègue,  pour  imposer  à  la  Compagnie  de 
Jésus  les  doctrines  du  probabiliorisme. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  Cle  de  Jésus,  t.  iv, 
col.  265-269  ;  Hurter,  Xomenrlator,  3e  édit.,  Inspruck,  t.  iv, 
col.  669  sq.  ;  Mémoires  de  Trévoux,  1704,  p.  1455  sq.  ;  Meu- 
se!, Bibliotheea  historica,  t.  vi,  p.  25  sq.  ;  Mémorial  historieo- 
espagnol,  Madrid,  1862,  t.  xv,  p.  337  sq.  ;  R.  de  Scorraille, 
François  Suarez,  Paris,  1913,  1. 1,  p.  193;  t.  n,  p.  394. 

P.  Bernard. 

HENNEBEL  Jean-Uibert  naquit,  le  20  janvier 
1652,  au  hameau  de  Bilande,  près  de  Wavre,  en  Bra- 
bant.  Il  fit  ses  humanités  à  Louvain,  apparemment  au 
collège  de  la  Sainte-Trinité,  et  son  cours  de  philo- 
sophie à  la  «  pédagogie  du  Faucon  ».  En  1670,  à  la  pro- 
motion générale  de  la  faculté  des  arts,  il  obtenait  la 
septième  place.  11  fut  alors  admis,  en  qualité  de  bour- 
sier, au  collège  de  Bat/,  ainsi  appelé  du  nom  de  son  fon- 
dateur Jacques  de  Bay,  neveu  de  Michel  Baius.  Il  y 
suivit  les  leçons  publiques  de  théologie,  dont  les  plus 
remarquées  à  ce  moment  étaient  celles  de  Nicolas  du 
Bois,  sur  l'Écriture  sainte,  et  celles  de  Gérard  van 
Werm  et  de  François  van  Yiane,  sur  la  scolastique. 
Le  13  octobre  1682,  il  était  proclamé  docteur  en  théo- 
logie, en  même  temps  que  Barthélémy  Pasmans,  dont 
on  retrouve  souvent  le  nom  uni  au  sien  dans  les  polé- 
miques de  cette  époque  D'abord  lecteur  ou  vice-pré- 
sident du  collège  de  Bay,  il  passa,  le  15  juillet  1684,  à 
la  présidence  du  collège  de  Viglius.  A  cet  emploi  il 
aurait  pu,  dit  Paquot,  «  joindre  quelque  bénéfice  ou 
quelque  chaire  de  théologie,  s'il  n'eût  été  attaché  au 
parti  de  ceux  qui  pensaient,  sur  la  signature  du  formu- 
laire, comme  les  évêques  d'Angers,  de  Beauvais,  de 
Pamiers  et  d'Aleth.  »  Il  s'agit,  on  l'a  compris,  du  for- 
mulaire d'Alexandre  VII  et  des  résistances  jansénistes 
auxquelles  il  se  heurta.  La  controverse  sur  ces  matières 
battait  alors  son  plein  dans  toute  la  Belgique,  à  Lou- 
vain en  particulier  ;  et  Hennebel  était  un  des  hommes 
les  plus  en  vue  parmi  les  adversaires  de  l'acceptation 
pure  et  simple.  Il  fut  désigné,  en  1693,  pour  aller,  au 
nom  de  l'université,  exposer  au  saint-père  les  diffi- 
cultés et  les  dangers  de  la  situation.  Les  circonstances 
et  les  résultats  de  cette  députation  ont  été  présentés 
et  appréciés  très  différemment  par  les  contemporains. 
Nous  savons  du  moins,  de  façon  certaine,  qu'arrivé 
à  Rome  le  17  novembre  et  reçu  en  audience  pnr  le 
pape  le  26  du  même  mois,  Hennebel,  après  avoir 
rendu  sommairement  compte  des  dissensions  et  des 
tiraillements  dont  le  formulaire  était  l'occasion  ou  le 
prétexte,  demanda  à  Sa  Sainteté  la  faveur  d'être 
entendu  dans  les  Congrégations  romaines  avant  que 
celles-ci  prissent  une  décision.  Innocent  XII  y  consen- 
tit et  tint  parole.  Le  reste  des  négociations  nous 
.  échappe  en  partie.  Mais,  après  un  séjour  de  huit  ans  à 
Rome,  le  négociateur  était  loin  d'avoir  assuré  l'apaise- 
ment des  esprits  et  aplani  toutes  les  difficultés.  On 
constate  seulement,  à  partir  de  son  retour  en  Belgique, 
que  sa  situation  personnelle  s'est  quelque  peu  amélio- 
rée. En  169  I.  il  avait  sollicité  de  la  cour  de  Bruxelles 
l'emploi  de  censeur  royal  et  apostolique  des  livres,  avec 
le  canonicat  de  Saint-Pierre  de  Louvain,  qui  y  était 
annexé  ;  ce  poste  lui  avait  d'ailleurs  été  promis  par 
l'électeur  de  Bavière,  gouverneur  des  Pays-Bas;  et 
pourtant  il  essuya  un  refus,  motivé  par  la  nature  des 
thèses  qu'il  avait  défendues  pour  son  doctorat  et  qui 
avaient  déplu  en  haut  lieu.  Réinstallé  à  Louvain  à  la 
date  >\u  15  janvier  1701,  il  se  voyait  octroyer  peu  de 
temps  après,  au  chapitre  de  Saint-Bavon  de  Gand, 
une  prébende  canoniale,  qu'il  résigna  du  reste  bientôt 
en  laveur  d'un  de  ses  proches.  En  1708,  il  obtenait,  a  la 
faculté  de  théologie,  une  chaire  de  docteur-régent, 
c'est-à-dire  de  professeur,  qu'il  avait  antérieurement 
postulée  deux  lois  sans  succès.  A  cette  occasion,  il  sous- 
crivit, en  novembre  de  cette  année,  à  la  bulle  Vineam 


2149 


HENNEBEL 


HENNEGUIER 


2150 


Domini.  Le  30  avril  1709,  il  signa,  comme  doyen  de  la 
môme  faculté,  une  autre  déclaration  d'adhésion  aux 
doctrines  romaines.  Mais,  on  regrette  dedevoii  l'ajouter, 
ces  deux  actes  publics,  parce  que  toujours  enveloppés 
de  réserves  et  de  réticences,  se  trahissant  dans  les  pa- 
roles et  l'attitude  subséquente  de  leur  auteur,  lais- 
saient encore  planer  quelque  soupçon  sur  la  sincérité 
de  sa  soumission.  Ce  n'est  que  plus  tard  qu'il  repoussa 
les  erreurs  jansénistes  avec  toute  la  franchise  dési- 
rable :  la  lettre  adressée  à  l'université  de  Douai  par 
l'étroite  faculté  de  théologie  de  Louvain,  le  8  juillet 
1715,  était  nette  et  absolue,  elle  fermait  enfin  la  porte 
à  toute  équivoque  possible.  Hennebel  ne  survécut 
guère  que  cinq  années  à  cet  heureux  événement.  Il 
mourut,  le  30  août  1720,  dans  ce  collège  de  Viglius 
dont  il  avait  gardé  la  présidence  pendant  trente-six 
ans,  et  il  fut  inhumé  dans  l'église  de  Saint-Quentin. 
En  dépit  des  tendances  doctrinales  de  la  plus  grande 
partie  de  sa  vie,  c'était,  au  témoignage  de  tous  ceux 
qui  l'approchèrent,  un  homme  d'un  caractère  doux 
et  accommodant.  Ce  sont  ces  qualités,  sans  doute,  qui 
lui  valurent  d'être,  en  1710,  porté  par  les  suffrages 
de  ses  collègues  à  l'honneur  du  rectorat  :  c'est  peut- 
être  aussi  à  elles  qu'il  dut  d'être  député  à  Rome  par 
l'université.  Après  qu'il  se  fut  déclaré  ouvertement  et 
absolument,  en  1715,  pour  la  bulle  Unigcnitus,  il 
passa  ses  derniers  jours  dans  une  pieuse  et  studieuse 
tranquillité  et  ne  voulut  plus  rien  avoir  de  commun 
avec  les  non-acceptants. 

On  rattache  communément  au  nom  d'Hennebel, 
comme  rédigés  par  lui,  soit  seul,  soit  en  collaboration 
avec  d'autres  tenants  du  parti  janséniste,  un  assez 
grand  nombre  d'opuscules,  dont  plusieurs  ont  paru 
sous  le  voile  de  l'anonymat.  La  plupart,  pris  un  à  un, 
sont  sans  grande  importance  ;  mais  leur  série  nous  pré- 
sente, pour  ainsi  dire  en  action,  une  partie  des  vicissi- 
tudes de  l'existence  et  de  la  pensée  d'Hennebel,  et 
tous  ensemble  peuvent  servir  très  utilement  à  l'his- 
toire du  jansénisme  dans  les  Pays-Bas.  Voici  les  prin- 
cipaux :  1°  Notœ  brèves  ac  modeslœ  in  propositions 
XXXI  S.Inquisitionis  decrelo  nuper  proscripias,  in-4°, 
Louvain,  1G51.  Ces  Notas  furent  blâmées  et  prohibées 
par  l'archevêque  Humbert  de  Precipiano,  comme  attri- 
buant aux  propositions  flétries  par  le  Saint-Office  un 
sens  absolument  fantaisiste  et  qui  aurait  fait  de  leur 
condamnation  un  acte  ridicule  et  illusoire.  2°  Rcsponsio 
ad  articulos  XLII  quos  eximii  DD.  Martinus  Harney 
et  Mailinus  Steyaert  altestcmtur,  authoribus  Gummaro 
Huijgens,  aliisque,  ut  loquuntur,  Mi  adhserentibus  et 
confœdcralis,  qua  clam,  qua  palam  serpere  et  circum- 
ferri,  tradi  et  inculcari  apud  scholse  theologicw  alumnos, 
non  sine  ingenti  periculo  injectionis,  in-4°,  Louvain, 
1091.  Cet  écrit  sera  aussi  mentionné  sous  le  nom  de 
Huygens,  qui  paraît  y  avoir  eu  une  part  prépondé- 
rante. 3°  Il  en  va  de  même  de  la  Rejulalio  Synopseos 
opponendorum  responsioni  ad  articulos  XLJI  Ex.  De 
Huygens  et  aliorum.  4°  Apologia  pro  Jo.  Liberlo  Hen- 
nebel, ab  Acadcmia  Lovaniensi  ad  S.  Sedan  deputalo, 
adversus  rumorem  publicum,  qui  spargilur  in  Bclgio 
quasi  propositionem  aliquam  Romœ  suslincal  aut  heere- 
iicam,  aut  de  heercsi  suspeclam,  in-4°,  1093,  5°  Libelli 
hispanice  edili  hoc  litulo  :  Mémorial  al  rcy...  nomine 
ac  jussu  Thyrsi  Gonzalez,  Soc.  Jesu  prsepositi  generalis, 
obltdi,  confulatio  per  Belgas  theologos,  in-8°,  Bruxelles, 
1G99.  0°  Propositioncs  quadraginta  excerptœ  ex  libro 
cui  lilulus  :  Nodus  prœdeslinationis,  adjunclis  quibus- 
dam  notis.  Le  Nodus  preedestinationis  est  une  œuvre 
posthume  du  cardinal  Sfondrate.  Publiée  en  1097,  elle 
fut  fort  disculée  dès  son  apparition  et  même  accusée, 
mais  à  tort,  semble-t-il,  de  pélagianisme.  Hennebel  se 
montra  l'un  des  plus  ardents  a  l'attaquer.  Sa  critique 
parut,  insérée  dans  un  recueil  de  même  esprit,  dû, 
croit-on,  du  moins  en  partie,  à  la  plume  de  Quesnel  et 


intitulé  :  Augustiniana  Ecclesiee  romanœ  doclrina  a 
cardinalis  S/ondrati  nodo  extricata  per  varios  S.  Augus- 
lini  discipulos,  in-12,  Cologne,  1700.  7°  Declaratio 
circa  articulos  doctrinse  in  Belgio  controversée...,  Die 

10  septembris  1700  coram  apostolica  in  Urbe  exhibita, 
in-12,  Louvain,  1701.  Toutes  les  pièces  de  ce  volume, 
sauf  une,  se  trouvent  reproduites  dans  les  Opuscula 
mentionnés  ci-dessous.  8°  Memoriale  pacis  Romam 
missum  die  4  martii  1701  et  ibidem  sacrée  Congrega- 
lioni  S.  Oflicii  exhibitum,  in-12.  9°  Plusieurs  autres 
Mémoires  adressés  par  Hennebel  aux  Congrégations 
romaines  pendant  son  séjour  dans  la  Ville  éternelle  ont 
été  imprimés  dans  le  Commonitorium  ad  orlhodoxos 
du  P.  Désirant,  ainsi  que  dans  le  Commonitorium 
d'Opstraet.  10°  Via  pacis  seu  status  controversiœ  inter 
theologos  Lovanienses,  in-4°,  Liège,  1701.  11°  Des 
Opuscula,  ainsi  détaillés  dans  le  sous-titre  :  Eximii 
viri  J.  L.  Hennebel  thèses  theologicse  de  gratia  et  pseni- 
lentia;  accedit  Declaratio  theologorum  Belgarum  per 
eumdem  doclorcm  coram  Sede  apostolica  eihibita;  item 
accedunt  Martini  Steyaert  thèses  de  sacerdole  lapso 
et  asserlio  censurée  Lovaniensis  et  Duacensis  adversus 
quorumdam  hodie  objecliones,  in-12,  Louvain,  1703. 
12°  Declaratio  facultatis  theologicse  Lovaniensis  contra 
quinque  propositiones  ab  apostolica  Sede  damnatas 
qui  n'a  été  publiée  qu'en  1717,  à  Cologne,  dans  le 
Molinismus  profligatus  du  carme  Henri  de  Saint- 
Ignace.  13°  Epistola  ad  illustrissimum  D.  Fenelonem, 
archiepiscopum  Cameracensem.  Elle  est  du  12  mai  1714 
et  a^été,  elle  aussi,  reproduite  dans  le  Molinismu» 
projligatus.  Enfin,  14°  on  trouve  dans  la  Causa  quesnel- 
liana  plusieurs  autres  lettres  d'Hennebel,  adressées  au 
P.  Quesnel  ou  à  Brigode,  son  secrétaire.  Ces  divers 
écrits,  dont  quelques-uns,  je  l'ai  dit,  notamment  les 
nos  2, 3  et  5,  ne  sont  pas  certainement  et  exclusivement 
l'œuvre  personnelle  d'Hennebel,  sont  fort  différents  de 
portée  comme  d'étendue  ;  mais  tous  ou  presque  tous 
ont  un  trait  commun  :  on  y  plaide  plus  ou  moins  ouver- 
tement soit  pour  la  thèse  du  «  silence  respectueux  », 
soit  pour  la  suppression  et  l'apaisement  par  voie  d'au- 
torité, de  toutes  les  discussions  ;  on  travaille  discrè- 
tement à  innocenter  YAugustinus  et  ceux  qui  s'en  ré- 
clament, et  l'on  va,  par  exemple,  dans  la  Réfutation  du 
mémoire  des  jésuites  espagnols  (n°  5),  jusqu'à  pré- 
tendre, contre  l'évidence  aveuglante  des  faits,  que  les 
Pays-Bas  n'offrent  trace  ni  de  jansénisme  ni  de  rigo- 
risme. Le  lecteur  remarquera  du  reste  qu'aucun  n'est 
postérieur  à  la  date  de  1695.  Après  ce  qui  a  été  dit  plus 
haut,  cette  circonstance  s'explique  d'elle-même. 

'  Paquot,  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  littéraire  des 
Pays-Bas,  édit.  de  Louvain,  t.  xvm,  p.  286-303;  édit.  in-fol., 
t.  in,  p.  628-632;  Hurter,  Nomenelator,  Inspruck,  1910, 
t.  iv,  col.  725  ;  Reusens,  art.  Hennebel,  dans  la  Biographie 
nationale  de  Belgique,  Rruxelles,  1886-1887,  t.  îx,  p.  69. 

J.   FoRGET. 

HENNEGUIER  Jérôme,  dominicain  né  à  Saint- 
Omer  en  1633,  fit  profession  dans  le  couvent  de  cette 
ville  en  1650.  Il  fit  ses  études  au  collège  Saint-Thomas- 
d'Aquin  de  Douai, où  il  enseigna  ensuite  la  philosophie. 
Maître  des  étudiants,  puis  second  régent  (1667-1669), 
premier  régent  (1669-1672),  il  fut  reçu  maître  en 
théologie  le  8  octobre  1678.  Il  prit,  semble-t-il,  le 
bonnet  de  docteur  à  l'université  de  Douai  en  1679. 
En  1675,  il  avait  été  chargé  d'organiser  à  Cambrai  une 
école  publique  de  théologie.  Dans  son  ordre,  il  fut 
prieur  de  Tournai  (1672),  puis  de  Saint-Omer  (1686- 
1689),  et  il  fut  nommé  définiteur  de  la  nouvelle  pro- 
vince de  Sainte-Rose  de  Lima  au  chapitre  général  de 
Rome  (1686).  Il  mourut  à  Saint-Omer  le  13  mars  1712. 

11  prit  une  grande  part  aux  polémiques  qui  s'enga- 
gèrent vers  ce  temps  sur  la  prédétermination  physique 
et  pour  l'administration  du  sacrement  de  pénitence  ; 
tous  ses  écrits  sont  de  circonstance  et  signalent  les 


2151 


HENNEGUIER   —   HENNO 


2152 


diverses  phases  du  débat.  1°  Le  P.  Charles  de  1* Assomp- 
tion avait  publié  des  dissertations  sur  l'amour  de 
Dieu,  la  liberté,  la  contrition  et  surtout  sur  la  science 
moyenne  et  la  prédestination,  sous  le  pseudonyme  de 
Germain  Philalèthe  :  Scientia  média  ad  ex  imen  revo- 
cala  et  thomistarum  Iriumphus,  id  est  Auguslini  et 
T  ho  mie  concordia,  Douai,  1670,  1672,  1694.  L'ouvrage, 
attribué  d'abord  au  jésuite  Platet,  fit  grand  bruit.  11 
fut  réfuté  d'abord  par  le  dominicain  Paul  Fasseau, 
voir  Echard,  Scriplores  ord.  prœd.,  t.  il,  p.  738  ;  puis  le 
P.  1  lenneguier  publia  contre  lui  :  Vanitas  triumphorum 
quos  ab  authoritale  adversus  prœdeterminationes  phy- 
sicas  pro  scientia  média  erigere  nititur  Germanus  Phila- 
lethes  Eupistiniis  in  opère  priori,  authore  amico  Phi- 
lalelhi  consenianeo,  Douai,  1670.  Ce  dernier  ouvrage 
eut  un  rare  succès.  Le  P.  Charles  de  l'Ass  imption  se 
rendit  lui-même  aux  raisons  d'Henneguier,  répudia  la 
science  moyenne  qu'il  avait  défendue  et.  dans  une 
2e  édition  de  son  Thomistarum  triumphus,  dirigée  contre 
Baius,  Molina  et  Jansénius,  il  se  fit  le  champion  de  la 
prédétermination  physique.  2°  En  1674,  le  diocèse  de 
Tournai  fut  agité  par  des  polémiques  sur  le  culte  à 
rendre  à  la  sainte  Vierge.  Le  point  de  départ  de  ces 
querelles  avait  été  l'opuscule  d'Adam  Widenfeld, 
Monita  salutaria  B.  Virginis  Marias  ad  cultures  suos 
indiscretos,  Gand,  1673  ;  cet  ouvrage  était  tout  à  fait 
d'inspiration  protestante.  Une  traduction  française, 
faite  par  un  prêtre  du  diocèse  de  Tournai,  parut  avec 
l'approbation  de  l'évêque,  Gilbert  de  Choiseul,  fort 
enclin  aux  idées  jansénistes.  De  plus  il  publia  une  lettre 
pastorale  pour  recommander  les  Avis  salutaires  de  la 
B.  Vierge  Marie  à  ses  dévots  indiscrets,  Lille,  1674. 
Après  cette  lettre  pastorale,  on  commença  une  vraie 
campagne  contre  les  objets  de  culte  de  la  sainte  Vierge 
et  l'on  fit  disparaître  scapulaires  et  chapelets.  Mais 
bientôt  l'opposition  se  montra  aussi  violente  contre  les 
Avis  salutaires  et  l'attitude  de  l'évêque  de  Tournai. 
C'est  à  ce  propos  qu'Henneguier  publia  :  Cultus  Maria: 
vindicalus  adversus  monitorem  anomjmum,  Saint-Omer, 
1674.  Cet  écrit  eut  plusieurs  éditions  latines,  fran- 
çaises et  flamandes.  Voir  F.  Desmons,  Gilbert  de 
Choiseul,  Tournai,  1907,  p.  417  sq.3°  En  1679, l'évêque 
de  Tournai  publia  un  traité  sur  la  pénitence  intitulé  : 
Éclaircissements  louchant  le  légitime  usage  de  toutes  les 
parties  du  sacrement  de  pénitence  adressez  aux  pasteurs 
et  autres  confesseurs  tant  séculiers  que  réguliers  du  dio- 
cèse de  Tournay,  Lille,  1679.  Les  conclusions  de  l'évê- 
que étaient  entachées  de  rigorisme  et  de  jansénisme. 
Le  P.  Charles  de  l'Assomption  lui  répondit,  puis  le 
P.  Henneguier  fit  paraître  contre  Gilbert  de  Choiseul  : 
Dissertatio  theologica  de  absolulione  sacramentali  pcrci- 
picnda  et  impertienda,  ad  sacrosancli  concilii  Triden- 
tini  neenon  scholarum,  Angeli  sensum  expressa  alque  in 
duas  partes  distributa,  Saint-Omer,  1682.  Dans  cet 
écrit,  Henneguier  se  montrait  d'un  avis  tout  différent 
de  celui  de  l'évêque  sur  la  définition  et  les  qualités  de 
l'attrition  :  avec  le  P.  Charles  de  l'Assomption,  il 
se  montrait  beaucoup  plus  conciliant  sur  les  signes  de 
contrition  à  exiger  par  le  confesseur  de  la  part  du 
jJénitent.  Voir  Desmons,  op.  cit.,  p.  449  sq.  Choiseul 
répondit  dans  une  lettre  pastorale  du  23  février  1683 
par  l'interdiction  absolue  dans  son  diocèse,  sous  peine 
d'excommunication,  de  lire  les  ouvrages  des  PP.  Char- 
les de  l'Assomption  et  Henneguier.  Ce  dernier  répondit 
à  cette  censure  par  une  lettre  :  Epislola  apologclica 
R.  P.  Fr.  Hieronymi  Henneguier,  ord.  FF.  prœd.,  sac. 
theol.  docloris,  ad  illustriss.  episcopum  Tornacensem 
super  recidivorum  absolulione,  Saint-Omer,  1684  ;  en 
même  temps  un  pamphlet  était  dirigé  contre  l'évêque, 
que  l'on  accusait  de  partialité  :  Epislola  responsoria 
ignoti  authoris  ad  umicum  super  justitiam  proximam 
episcopi  Tornacensis  adversus  librum  P.  Henneguier 
Purisiis,  3°  idus  junii  168  3.  Ex  corde  amicus  et  jamu- 


lus  P.  K.  S.  L'évêque  répondit  par  une  lettre,  où  il 
mettait  le  P.  Henneguier  au  défi  de  répondre  sans  se 
contredire  à  six  objections  qu'il  lui  proposait:  Responsa 
illustr.  ac  rev.  episcopi  Tornacensis  ad  apologeticam 
R.  P.  Hieronymi  Henneguier...  epistolam,  Lille,  1683. 
Voir  Desmons,  op.  cit.,  p.  459,  519.  La  querelle  conti- 
nuait très  acerbe  entre  le  P.  Charles  de  l'Assomption 
et  l'évêque  de  Tournai,  p.  459  sq.  A  l'occasion  d'une 
soutenance  de  thèse,  une  conférence  eut  lieu  au  collège 
Saint-Thomas-d'Aquin  de  Douai,  le  14  décembre  1683, 
entre  les  deux  adversaires.  Henneguier,  à  ce  propos, 
adressa  une  lettre  très  vive  à  l'un  des  deux  théologiens 
de  son  ordre  qui  présidaient  cette  soutenance  :  Epislola 
exsposlulaloria  P.Fr.  Hieronymi  Henneguier...  ad  suum 
quondam  discipulum  super  thesibus  et  disputatione  de 
recidivorum  absolutione,  Saint-Omer,  1684.  Choiseul 
prit  leur  défense  dans  une  autre  lettre  du  26  mai  1684  : 
Epislola  Tornacensis  episcopi  ad  RR.  PP.  Comelium 
MullelelMicha  I  m  Ro  ipin.Sur  les  entrefaites,  Nicolas 
de  La  Verdure,  professeur  de  théologie  à  l'université  de 
Douai,  se  fit  le  champion  des  idées  de  Choiseul  et 
publia  en  1684  un  ouvrage  pour  défendre  son  traité 
De  probabilitate,  contritione  et  recidivis,  1681.  qui  avait 
été  attaqué  par  Henneguier.  Ce  nouvel  ouvrage  de 
M.  de  La  Verdure  était  intitulé  :  Defensio  traclalus  de 
modo  quo  se  débet  gerere  confessarius,  respectu  horum 
pœnitentium  qui  sœpius  in  eadem  peccaia  relabunim, 
Douai,  1684.  Il  était  dirigé  surtout  contre  le  P.  Charles 
de  l'Assomption  et  le  P.  Henneguier.  Celui-ci  lui 
répondit  d'abord  par  deux  lettres,  quarum  prima  salis- 
Jacil  vindiciis  eximii  domini  D.  de  Li  Verdure..., 
altéra  respondet  sex  quœstionibus  ab  illustriss.  Torna- 
censium  episcopo  propositis  (1685).  Ces  lettres  furent 
bientôt  suivies  de  Tract  tus  theologicui  quo  demoi- 
slratur  uli  eximius  ac  reverendus  admodum  D.  D.  de  La 
Verdure,  S.  theologiœ  doctor  et  ordinarius  Duaci  pro- 
lessor,  contra  seipsum  dimicet  in  conlroversia  de  reci- 
divorum absolutione,  Saint-Omer,  1685.  L'évêque 
répondit  encore  par  une  autre  lettre  du  16  avril  1685. 
Voir  Desmons,  op.  cit.,  p.  467,  521.  Toutes  ces  disputes 
troublèrent  profondément  le  diocèse  de  Tournai  ainsi 
que  toute  la  province  ecclésiastique  et  le  jansénisme 
en  reçut  une  nouvelle  impulsion. 

Coulon,  Scriptores  ordinis  prœdicatorum,  xvin"m  sœc, 
Paris,  1911,  p.  159;  Desmons,  Gilbert  de  Choiseul,  évêque 
de  Tournai,  1671-1689,  Tournai,  1907,  passim. 

R.  Coulon. 

HENNO  François,  frère  mineur  récollet,  apparte- 
nait par  sa  profession  à  la  province  monastique  de 
Saint-André,  qui  était  formée  des  couvents  de  l'Artois 
et  du  Hainaut.  Il  y  remplit  la  charge  de  professeur  et 
mérita  le  titre  de  lector  jubilatus,  qui  chez  les  récollets 
équivaut  à  celui  de  docteur.  C'est  le  peu  que  nous 
savons  de  sa  vie;  les  éditions  de  ses  livres  témoignent 
qu'il  enseignait  au  commencement  du  xvme  siècle.  Il 
publia  d'abord  séparément  divers  traités  qu'il  réunit 
ensuite  en  un  seul  cours  de  théologie  :  Tractatus  triplex 
de  restitutione,  jure  et  justifia  ac  de  statu  religioso,  in-8°, 
Douai,  1706,  1713;  Tournai,  1708;  Tractatus  moralis 
in  Decalogi  prœcepta,  in-8°,  Douai,  1706, 1711  ;  Tournai, 
1707;  Tractatus  de  actibus  humanis,  eorumque  regulis  et 
principiis,  in-8°,  Douai,  1710;  Tournai,  1711;  De  viliis 
et  virlulibus,  in-8°,  Douai,  1708;  Tournai,  1720;  De 
sacramentis,  2  in-8°,  Douai,  1711;  Tournai,  1712;  De 
Verbi  divini  incarnatione,  in-8°,  Douai,  1711;  Tournai, 
1718;  De  Dco  uno  et  trino,  in-8°,  Douai,  1713;  Tournai, 
1719.  Éditions  collectives  :  Theologia  dogmatica,  mora- 
lis ac  scholastica,  opus  principiis  thomisticis  et  scotisli- 
cis, quantum  licuit,  accommodalum,  compleclensque  casus 
omnes  obvios  ex  firmis  Scripturœ,  conciliorum,  canonum 
et  sanclorum  Patrum  sentenliis  résolûtes,  8  in-8°,  Douai, 
1706-1713,  1718,  1720;  Cologne,  1718;  2  in-fol.,  ibid., 
1718;  Venise,  1719  ;  9  in-18,   Venise,  1719.  Comme  le 


2153 


HENNO  —  HÉNOTIQUE 


titre  l'indique,  le  P.  Henno  s'efforce  de  concilier  les 
deux  enseignements  thomiste  et  scotiste,  et  ce,  dit-il, 
afin  d'unir  d'une  franche  amitié  les  franciscains  et 
les  dominicains, trop  souvent  divisés  par  suite  de  dis- 
cussions d'école.  La  théologie  du  P.  Henno  fut  long- 
temps employée  comme  manuel  classique  en  Espagne. 

Servais   Dirks,   Histoire   littéraire  et    bibliographique  des 
frères  mineurs   de  l'observance  en   Belgique,   Anvers,  1886, 
p.  362;  Hurter,  Nomenclator,  Inspruck,  1910,  t.  iv,  col.  647. 
P.  Edouard  d'Alençon. 

HÉNOTIQUE  ('EvtoTixo'v)  de  Zenon  (482).  — 
L'Hénotique  est  un  édit  soi-disant  d'union  ou  de  con- 
ciliation promulgué,  en  482,  par  l'empereur  byzantin 
Zenon,  sous  l'inspiration  d' Acace,  patriarche  de  Con- 
stantinople,  en  vue  de  réconcilier  adversaires  et  parti- 
sans du  concile  de  Chalcédoine,  monophysites  et  dyo- 
physites.  On  y  anathématise  Nestorius  et  Eutychès,  on 
y  affirme  la  divinité  et  l'humanité  de  Jésus-Christ,  mais 
on  y  évite  le  mot  un  et  les  termes  deux  natures  ;  en 
outre,  une  incidente  malheureuse  condamne  «  qui- 
conque a  pensé  autrement,  soit  à  Chalcédoine,  soit 
ailleurs  ».  Ainsi,  le  concile  de  Chalcédoine  se  trouvait 
lui-même  indirectement  condamné  par  l'Hénotique; 
l'on  y  déclarait,  du  reste,  que  la  règle  de  foi  comprenait 
seulement  le  symbole  de  Nicée  avec  l'addition  qu'y 
avait  faite  le  concile  de  Constantinople,  les  douze  ana- 
thématismes  de  saint  Cyrille  d'Alexandrie  et  les  déci- 
sions d'Éphèse.  Aussi  le  dessein  que  paraît  avoir  eu 
Zenon,  «  le  premier  des  empereurs  qui  se  mêla  des 
questions  de  la  foi  »  (Bossuet,  Discours  sur  l'histoire 
universelle,  xie  époque)  de  mettre  fin  aux  dissensions 
religieuses,  en  publiant  cette  formule  et  en  lui  donnant 
force  de  loi,  échoua-t-il  misérablement  :  loin  de  les 
apaiser,  l'Hénotique  ne  fit  que  les  accroître.  Le  pape 
saint  Félix  III,  en  484,  ayant  excommunié  le  patriarche 
Acace,  véritable  auteur  de  l'Hénotique,  il  s'ensuivit, 
entre  l'Orient  et  Rome,  un  sebisme  qui  dura  trente- 
cinq  ans  et  ne  se  termina  que  par  un  édit  de  l'empe- 
reur Justin  Ier  en  519. 

L'affaire  de  l'Hénotique  se  trouve  être  ainsi  un  des 
épisodes  des  longues  luttes  christologiques  touchant  la 
doctrine  du  concile  de  Chalcédoine,  en  même  temps 
qu'une  des  premières  manifestations  de  cet  esprit 
d'intrigue  des  patriarches  byzantins  qui,  sous  Photius 
et  Michel  Cérulaire,  aboutira  à  la  scission  définitive 
avec  l'Occident. 

Pour  étudier  utilement  un  tel  épisode  et  pouvoir  le 
juger  au  point  de  vue  théologique,  il  est  indispensable 
de  le  situer  aussi  exactement  que  possible  dans  son 
cadre  historique.  Les  faits  et  les  textes  fourniront  eux- 
mêmes  au  théologien  la  conclusion  qu'il  devra  en  tirer. 

I.  De  l'opposition  chalcédonienne  à  l'Hénotique  : 
l'attitude  du  patriarche  Acace.  IL  La  formule  de 
l'Hénotique.  III.  Les  conséqueiuee  de  l'Hénotique  : 
le  schisme  acacien.  IV.  La  réconciliation  avec  Rome 
(519):  le  véritable  Hénotique  orthodoxe  ou  formule  du 
pape  Hormisdas.  V.  Conclusion.  Justification  du  point 
de  vue  catholique  et  de  l'attitude  des  papei  dans 
l'affaire  de  l'Hénotique. 

I.  De  l'opposition  chalcédonienne  a  l'Héno- 
tique :  l'attitude  du  patriarche  Acace. — ■  Aussitôt 
après  le  concile  de  Chalcédoine  (451),  les  monophysites 
ou  partisans  de  l'hérésiarque  Eutychès  s'agitèrent  par- 
tout à  la  fois.  «  Puisque  la  théologie  de  Cyrille  est 
condamnée,  pensaient-ils,  puisque  Chalcédoine  rejette 
l'Évcouii;  cpuar/T-p  c'est  donc  que  les  nestoriens  ont  pris 
leur  revanche  cl  affermi  leur  erreur;  Jésus-Christ  est 
dédoublé:  à  côté  du  Verbe  étemel,  il  y  a  en  Jésus  une 
autre  personnalité  différente;  c'est  une  quatrième  per- 
sonne qui  s'ajoute  à  la  Trinité  divine.  Voilà  le  blas- 
phème horrible  que  les  monophysites  repoussent,  voilà 
le  crime  des  nestoriens,  voilà  le  crime  de  tous  ceux  qui 
ne  suivent  pas  Cyrille,  des  Pères  de  Chalcédoine  par 


conséquent.  C'est  ce  qu'explique  aux  moines  de  Pales- 
tine l'Alexandrin  Théodose;  et  la  Palestine  chasse 
l'évêque  chalcédonien  Juvénal.  C'est  ce  qu'explique 
aux  Égyptiens  Timothée  Élure  (Ailouros,  le  Chat);  et 
l'Egypte  massacre  l'évêque  chalcédonien  Protérius. 
C'est  ce  que  Pierre  le  Foulon  explique  enfin  aux  habi- 
tants d'Antioche;  et  la  Syrie  oblige  son  patriarche 
Martyrius  à  donner  sa  démission.  Les  monophysites 
revisent  les  prières  liturgiques  afin  d'en  bannir  toute 
expression  malsonnante;  Pierre  le  Foulon  répond  à  la 
passion  religieuse  de  son  peuple  en  modifiant  le  chant 
sacré  qu'adressent  les  fidèles  au  Dieu  trois  fois  saint  : 
pour  mieux  marquer  que  l'homme  Jésus  est  vraiment 
une  des  trois  personnes  de  la  Trinité  et  qu'il  ne  fait 
réellement  qu'un  avec  elle,  il  ajoute  aux  paroles  tradi- 
tionnelles qui  la  alorifient,  ày.o;  ô  ©eoç,  àyioç  îa/upo;, 
âyioç  àôâvaxoç  (Sanclus  Deus,  Sanctus  forlis,  Sanctus 
immortalis),  des  mots  qui  reportent  sur  elle  le  sacrifice 
de  la  croix  :  ô  axauptoGEi;  8i'  ï)[a«ç  (gui  crucifïxus  es  pro 
nobis).  Le  Crucifié  ne  fait  qu'un  avec  la  Trinité  !  La 
foi  des  Orientaux,  plus  ardente  que  réfléchie,  ne 
s'arrête  pas  à  ce  que  la  formule  contient,  sinon 
d'inexact,  au  moins  d'imprécis  au  regard  de  la  théo- 
logie traditionnelle;  leur  piété  enthousiaste  ne  voit  que 
le  blasphème  nestorien,  négateur  de  la  divinité  de 
l'homme  Jésus.  Et  les  empereurs  ont  beau  s'entre- 
mettre, Marcien,  puis  Léon;  ils  ont  beau  défendre 
Chalcédoine;  ils  ne  convainquent  personne,  ils  finissent 
même  par  perdre  le  trône.  Basiliskos  s'en  empare  : 
usurpateur,  il  s'est  présenté  comme  le  champion  de  la 
foi;  par  un  édit,  il  a  annulé  le  concile  de  Chalcédoine, 
et  le  peuple  l'a  reconnu.  »  A  Dufourcq,  Histoire  de 
l'Église  du  me  au  xie  siècle  :  le  christianisme  et  l'em- 
pire, 4e  édit.,  Paris,  1910,  p.  270-272.  Cf.  Hefele, 
Histoire  des  conciles,  trad.  Leclercq,  Paris,  1908,  t.  n, 
p.  857-859;  Tixeront,  Histoire  des  dogmes,  Paris,  1912, 
t.  m,  p.  104-107. 

Ajoutons,  pour  expliquer  plus  complètement  cette 
participation  de  la  foule  à  des  disputes  thôologiques, 
que  l'opposition  chalcédonienne  était  exploitée  par  le 
groupe  d'habiles  intrigants  qui  étaient  parvenus  à 
occuper  les  principaux  sièges  épiscopaux  d'Orient. 
Sous  l'empereur  Léon  Ier  (457-474),  Timothée  Élure 
(457-460)  fut  élu  patriarche  d'Alexandrie,  et  Pierre  le 
Foulon,  vers  470,  patriarche  d'Antioche.  «  Ils  ne  firent 
que  passer,  une  première  fois;  mais  ce  passage  eut 
néanmoins  de  graves  conséquences,  car  il  laissa  les  dis- 
positions les  plus  fâcheuses  dans  les  esprits...  Après  la 
mort  de  Marcien,  Timothée  et  Pierre  le  Foulon  remon- 
tèrent sur  leurs  sièges,  avec  la  protection  de  Basiliskos 
(476-477).  »  Funk,  Histoire  de  l'Église,  trad.  Hemmer, 
8e  édit.,  Paris,  1911,  t.  i,  p.  233.  Il  faut  ajouter  aussi, 
les  lignes  précédentes  l'ont  déjà  insinué,  que  la  protec- 
tion ou  la  faiblesse  de  la  cour  contribua  pour  beaucoup 
au  maintien  de  ces  luttes  doctrinales  et  de  ces  divisions 
ecclésiastiques.  L'empereur  Léon  Ior  avait  exilé 
Timothée  Élure  en  460,  d'abord  à  Gangres,  puis  en 
Chersonèse,  et  on  l'avait  remplacé  sur  le  siège  d'Alexan- 
drie par  un  dyophysite  ou  chalcédonien  modéré, 
Timothée  Salophakialos,  qu'Évagre  appelle  aussi 
Timothée  Basilikos,  H.  E.,  1.  II,  c.  xi,  P.  G.,  t.  lxxxvi, 
col.  2533,  et  qui  est  également  appelé  par  d'autres 
Timothée  le  Blanc  (Liberatus,  Théophane  le  Chrono- 
graphe,  Cedrenus,  P.  G.,  ibid.,  note  74).  Le  même 
prince  avait  déposé  Pierre  le  Foulon  et  donné  à  An- 
tioche  un  pasteur  catholique.  Mais  avec  la  mort  de 
Léon  Ier  (474),  «  la  girouette  dogmatique  de  la  cour 
byzantine  se  retourna  de  nouveau  vers  les  monophy- 
sites »,  selon  l'expression  de  Th.  Pressel,  art.  Monophy- 
silen,  dans  Realencijklipàdie  fur  protcslanlischc  Théo- 
logie und  Kirche  de  Herzog,  Stuttgart  et  Hambourg, 
1858,  t.  ix,  p. 745. Léonll,  petit-fils  de  Léon  Ier,  mourut 
lui-même  peu  après  (4741.  et  cette  mort  livra   le  trône 


215: 


HÉNOTIQUE 


2156 


à  l'Isaurien  Zenon,  époux  de  la  princesse  Ariadne  et 
père  de  Léon  II.  Mais  dès  l'année  475,  Zenon  fut  ren- 
versé par  l'usurpateur  Basiliskos,  qui  se  montra  aus- 
sitôt ardent  protecteur  des  monophysites.  Il  promulgua 
un  Enkyklion  (encyclique  ou  circulaire),  adressé  à 
Timothée  Élure,  qui  en  était  l'inspirateur  :  cet  édit  por- 
tait condamnation  du  concile  de  Chalcédoine  et  de  la 
lettre  de  saint  Léon,  et  élevait  le  monophysisme  à  la 
dignité  de  religion  d'État  seule  tolérée.  Voir  le  texte 
dans  Évagre,  H.  E.,  1.  III,  c.  iv,  P.  G.,  t,  lxxxvi,  „ 
col  2600  2604.  Cf.  Tillemont,  Mémoires  pour  servir  à 
l'histoire  rcclésiastiqw,  Ven:  je,  1732,  t.  xvi,  p.  294-295. 
Ici  commence  le  rôle  d'Acace,  patriarche  de  Con- 
stantinople,  et  il  est  nécessaire  de  s'y  arrêter  un  instant 
pour  comprendre  son  attitude  ultérieure  dans  toute 
l'affaire  de  l'Hénotique.  Voir  t.  i,  col.  288-289. 

La  plupart  des  évèqucs  orientaux,  au  nombre  de  500 
environ,  souscrivirent  le  formulaire  de  Basiliskos. 
«  Un  homme  lui  résiste,  en  qui  s'incarne  et  qui  organise 
le  parti  byzantin,  le  patriarche  de  Constantinople, 
Acace.  Ce  n'est  pas  lui  qui  s'exagère  l'importance  des 
formules  dogmatiques;  c'est  lui  qui  discerne  avec  une 
perspicacité  étrange  le  parti  qu'il  faut  suivre  afin 
d'établir  l'autonomie  ecclésiastique  de  Constantinople. 
Prendre  la  tête  du  mouvement  populaire  mono- 
physite  qui  répudie  Chalcédoine,  c'est  adopter  une 
politique  qui  réhabilite  Alexandrie  et  restaure  sa  domi- 
nation :  le  patriarche  de  Constantinople  ne  le  peut  pas. 
Prendre  la  tête  du  mouvement  orthodoxe  dont  Chalcé- 
doine est  le  mot  d'ordre,  c'est  suivre,  c'est  donc  recon- 
naître la  direction  donnée  par  Rome  :  le  patriarche  de 
Constantinople  ne  le  veut  pas.  Se  présenter  comme  un 
arbitre,  donner  tort  à  la  fois  à  Alexandrie  et  à  Rome 
en  semblant  vouloir  les  concilier,  voilà  la  politique  que 
recommande  l'intérêt  byzantin.  »  A.  Dufourcq,  op.  cit., 
p.  272-273.  Sur  la  foi  des  témoignages  fournis  par  les 
écrivains  byzantins,  Tillemont  a  tracé  de  ce  personnage 
le  portrait  suivant  :  «  C'était  un  esprit  flatteur  et  com- 
plaisant, qui  savait  gagner  l'affection  des  princes,  en 
louant  tout  ce  qu'ils  faisaient  (Suidas).  Aux  bassesses 
de  la  flatterie,  Acace  joignait  une  violente  ambition. 
Il  aimait  à  gouverner,  et  n'en  était  pas  incapable.  Il 
donnait  aisément,  servait  tous  ceux  qui  avaient  besoin 
de  lui,  avait  un  extérieur  très  vénérable  et  qui  inspirait 
du  respect.  Mais  on  l'accusait  de  vanité  et  d'aimer 
l'honneur.  »  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  ecclé- 
siastique, Venise,  1732,  t.  xvi,  p.  285.  «  Acace  était  un 
homme  de  caractère  fier  et  ambitieux,  chancelant  dans 
sa  position  entre  orthodoxes  et  hérétiques  selon  ses 
intérêts  du  moment,  habile  et  avisé  dans  la  poursuite 
de  ses  plans,  sous  plus  d'un  rapport  précurseur  de 
Photius.  »  J.  Hergenrôther,  Pholius,  Patriarch  von 
Constaniinopel,  Ratisbonne,  1867,  t.  i,  p.  110. 

Successeur  de  Gennade  sur  le  siège  de  Constan- 
tinople, de  471  à  489,  Acace  avait  incliné  d'abord  à 
l'antichalcédonianisme  de  Timothée  Élure  :  les  moines 
byzantins  s'en  plaignent  au  pape  Simplicius,  vers  la 
fin  de  l'année  475.  Simplicius,  Epist.,  iv-vm,  P.  L., 
t.  lviii,  col.  38-44;  Mansi,  Concil.,  t.  vu,  col.  974  sq. 
Voir  P.  Bernardakis,  Les  appels  au  pape  dans  i Église 
grecque  jusqu'à  Photius,  dans  les  Échos  d'Orient,  1903, 
t.  vi,  p.  118-119.  Puis  il  se  ravise,  résiste  à  Basiliskos, 
appelle  contre  lui  saint  Daniel  le  Stylite,  dont  la  grande 
popularité  entraîne  les  fidèles.  Non  seulement  Acace 
refuse  d'accepter  L'édit  de  l'usurpateur;  mais  encore, 
au  témoignage  de  Théodore  le  Lecteur,  H.  E.,  1.  I, 
n.  32,  P.  G.,  t.  lxxxvi,  col.  181,  en  signe  de  protesta- 
tion et  de  deuil  il  se  revêt  lui-même  de  vêtements  noirs 
et  couvre  pareillement  de  voiles  noirs  le  trône  épi- 
scopal  et  l'autel.  Cf.  Tillemont,  Mémoires,  note  v  sur 
Acace  de  Constantinople,  t.  xvi,  p.  757. 

Cette  conduite  d'Acace  était-elle  inspirée  par  le  seul 
SDuci  dvs  intérêts  de  la  foi  catholique?  On  voudrait 


pouvoir  l'affirmer.  Mais  il  semble  plutôt,  au  dire  des 
historiens  (Théodore  le  Lecteur,  I,  32;  Théophanc, 
Chronographia,  an.  467-468,  Bonn,  1839,  t.  i,  p.  188- 
189;  P.  G.,  t.  cvin,  col.  304-305;  Cedrenus,  Bonn,  1838, 
t.  i,  p.  617-618;  P.  G.,  t.  cxxi,  col.  672),  avoir  été 
entraîné  par  le  mouvement  général  du  clergé,  des 
moines  et  des  fidèles  de  Constantinople.  Lorsqu'on 
apprit  que  Basiliskos  voulait  obliger  le  patriarche  à 
promulguer  YEnkyklion,  le  peuple  se  porta  en  masse 
compacte  à  l'église,  y  compris  vieillards,  femmes  et 
enfants,  pour  empêcher  cette  promulgation.  Acace 
«  suivit  le  troupeau,  qu'il  aurait  dû  précéder  »,  écrit 
Hergenrôther,  Pholius,  t.  i,  p.  112.  Du  moins,  une  fois 
entré  dans  la  résistance,  il  la  soutint  sans  faiblir.  Dans 
un  discours  public,  du  haut  de  la  chaire,  il  s'éleva 
contre  le  tyran.  Théophane,  loc.  cil. 

«  L'empereur  punit  le  rebelle  en  travaillant  à  relever 
Alexandrie  :  il  convoque  à  Éphèse,  théâtre  des  vic- 
toires de  Cyrille  et  de  Dioscore,  un  nouveau  concile 
dont  il  donne  la  présidence  au  successeur  des  fameux 
patriarches,  Timothée  Élure.  Et  Timothée  fait  voter 
par  les  Pères  une  adresse  à  l'empereur;  on  y  demande 
l'abrogation  des  décrets  de  Chalcédoine,  l'abolition  des 
privilèges  de  Constantinople,  la  reconnaissance  des 
droits  de  la  vénérable  Église  d'Éphèse,  et  la  déposition 
d'Acace.  Enfin  —  et  ceci  montre  avec  force  le  véritable 
caractère  de  cette  histoire  —  Timothée  veut  alléger 
son  parti  du  poids  gênant  des  controverses  doctrinales  : 
le  but  de  ses  efforts,  il  n'y  a  pas  à  s'y  tromper,  c'est  la 
résurrection  d'Alexandrie  et  l'abaissement  de  Con- 
stantinople. Évagre,  H.  E.,  1.  III,  c.  iii-vm,  P.  G., 
t.  lxxxvi,  col.  2597-2613.  S'il  a  rejeté  Chalcédoine  afin 
de  satisfaire  aux  passions  populaires  qui  le  soutiennent, 
il  se  refuse  à  défendre  le  monophysisme  :  comme  des 
moines  eutychiens  implorent  son  secours,  il  se  pro- 
nonce contre  eux  et  déclare  que  «  la  chair  du  Christ 
«  (c'est-à-dire  son  humanité)  est  de  même  nature  que 
«  lanôtre».  Déjà  Basiliskos  l'avait  formellement  déclaré 
en  condamnant  le  Tome  de  Léon.  C'était  la  politique 
d'Acace  retournée  contre  lui.  Le  patriarche  eût  peut- 
être  été  vaincu  par  Timothée,  sans  une  révolution  de 
palais  à  laquelle,  sans  doute,  il  prêta  la  main.  »  A. 
Dufourcq,  op.  cit.,  p.  273-274.  Sur  le  concile  d'Éphèse 
et  l'attitude  de  Timothée  Élure,  voir  Tillemont,  Mé- 
moires, Acace  de  Constantinople,  a.  9,  t.  xvi,  p.  299- 
300;  Hefele,  Histoire  des  conciles,  trad.  Leclercq,  t.  n, 
p.  912. 

Évagre,  il  est  vrai,  raconte,  sur  la  foi  de  Zacharie  le 
Rhéteur,  que,  devant  la  résistance  inattendue  d'Acace 
et  de  toute  la  communauté  de  Constantinople,  Basi- 
liskos avait  décidé  de  rapporter  sa  première  ordon- 
nance et  de  promulguer  un  Anlenlajklion  ou  contre- 
édit  pour  confirmer  la  doctrine  de  Chalcédoine  (  177). 
Voir  le  texte  dans  Évagre,  op.  cit.,  1.  III,  c.  vii-vhi, 
col.  2609-2611.  Mais  il  était  trop  tard.  La  raêm.3  année 
477,  Zenon  renversa  l'usurpateur,  et  prit  aussitôt  le 
contrepied  de  sa  politique.  Lors  de  l'entrée  de  Zenon, 
Basiliskos  se  réfugia  dans  une  église,  avec  sa  femme  et 
ses  enfants;  Acace  le  livra  à  son  rival,  «  ce  que  saint 
Chrysostome  n'aurait  pas  fait  »,  remarque  le  judicieux 
Tillemont,  op.  cit.,  a.  11,  p.  304. 

La  chute  de  Basiliskos  passa  généralement  pour 
une  victoire  de  l'orthodoxie  et  valut  à  Acace  une 
grande  autorité  en  Orient.  De  son  côté,  Zenon  chercha 
à  gagner  la  faveur  des  catholiques.  11  adressa  au  pape 
Simplicius  une  irréprochable  profession  de  loi,  avec  la 
promesse  de  maintenir  la  définition  de  Chalcédoine  et 
de  mettre  lin  aux  menées  des  hérétiques.  Simplicius, 
Epist.,  vin,  ad  Zcnonem,  dans  Mansi,  Concil.,  t.  vu, 
col.  980-982. 

Timothée  Élure  étant  mort  en  477  (sur  cette  mort, 
voir  Liberatus,  Breviarium  causa  neslorianorum  et  euly- 
chianorum,  c.  xvi,  P.  L.,  t.  lxviii,  col.  1020),  le  parti 


2157 


HÉNOTIQUE 


2158 


monophysite  alexandrin  lui  donna  pour  successeur 
l'archidiacre  Pierre  Monge  (;j.oyyoç,  l'enroué).  Zenon 
considéra  cette  élection  comme  une  révolte,  et  l'intrus 
n'échappa  que  par  la  fuite  à  la  peine  de  mort  portée 
contre  lui.  Timothée  Salophakialos  fut  rétabli  sur  le 
siège  d'Alexandrie.  Évagre,  H.  E.,  1.  III,  c.  xi,  P.  G., 
t.  lxxxvi,  col.  2616.  Clercs  et  laïques  eurent  ordre  de 
le  reconnaître  dans  l'espace  de  deux  mois,  sous  peine 
de  se  voir  privés  de  leurs  dignités,  de  leurs  églises,  et 
frappés  d'excommunication.  Liberatus,  op.  cit.,  col.1020. 

Avec  Zenon  et  par  lui,  Acace  est  maître.  Les  évêques 
d'Asie  s'empressent  de  lui  écrire  pour  s'excuser  d'avoir 
souscrit  à  VEnkyklion  de  Basiliskos  :  ils  ne  l'ont  fait  qu'à 
contre-cœur,  disent-ils,  et  ils  se  déclarent  fermement 
attachés  aux  décisions  de  Chalcédoine.  Évagre,  op.  cit., 
c.  ix,  P.  G.,  t.  lxxxvi,  col.  2613.  Le  concile  de  Con- 
stantinople,  présidé  par  Acace  en  478, «dépose  Pierre 
le  Foulon,  lequel  a  «  eutychianisé  »  le  Trisagion  et,  pour 
cette  raison,  s'est  vu  condamner  par  le  pape  Simpli- 
cius; Acace  en  profite  pour  installer  à  Antioche  un 
homme  à  lui,  Calandion.  »  A.  Dufourcq,  op.  cit.,  p.  274. 
Calandion  succédait  aux  courts  patriarcats  d'É- 
tienne  II,  tué  par  les  monophysites  en  479,  et  d'É- 
tienne  III,  qui,  contrairement  a  la  discipline  ecclésia- 
stique,.avait  été  consacré  par  Acace  à  Constantinople. 

A  Alexandrie,  les  choses  se  compliquèrent  à  la  mort 
de  Timothée  Salophakialos  (481).  Les  catholiques 
élurent  pour  lui  succéder  Jean  Talaïa,  appelé  aussi 
Jean  le  Tabennésiote,  moine  tabennésien  du  monas- 
tère de  Canope.  Évagre,  H.  E.,  1.  III,  c.  xn,  P.  G., 
t.  lxxxvi,  col.  2617.  Ce  prêtre,  économe  de  l'église 
d'Alexandrie,  était  venu  peu  auparavant  à  Constan- 
tinople, envoyé  par  Timothée  Salophakialos,  et  avait 
reçu  de  l'empereur  des  assurances  qu'un  successeur 
catholique  serait  donné  à  Timothée.  Évagre,  loc  cit.; 
Liberatus,  Brcviarium,  P.  L.,  t.  lxviii,  col.  1020. 
Zenon  avait  même  fait  à  cette  occasion  l'éloge  de 
Talaïa,  que  l'on  considérait  dès  lors  comme  devant  être 
patriarche  d'Alexandrie.  Félix  III,  Epist.,  i,  n.  10; 
ii,  n.  4.  Acace  avait  dit  de  lui  comme  prêtre,  qu'il 
était  digne  de  recevoir  une  plus  haute  dignité.  Pour- 
quoi Acace  ne  voulut-il  pas  accepter  l'élection  de 
Talaïa  et  pourquoi  soutint-il  alors  Pierre  Monge? 
Bien  qu'il  soit  difficile  de  donner  une  réponse  précise 
à  cette  question,  les  historiens  nous  en  fournissent 
divers  éléments  qui  nous  permettent  d'esquisser  la 
psychologie  du  patriarche  byzantin. 

On  nous  signale,  comme  cause  du  mécontentement 
d'Acace,  le  retard  accidentel  avec  lequel  lui  arrivèrent 
les  lettres  synodales  de  Talaïa.  Celui-ci  les  avait  fait 
passer  par  l'intermédiaire  d'Illus,  maître  des  offices, 
sur  la  protection  duquel  il  comptait  auprès  de  l'em- 
pereur. Or,  il  se  trouva  qu'au  moment  où  le  courrier 
d'Alexandrie  parvint  à  Constantinople,  Illus  était  à 
Antioche.  La  lettre  de  Talaïa  dut  lui  être  portée  dans 
cette  ville;  de  la  sorte,  tandis  que  Zenon  était  directe- 
ment informé  de  l'ordination  de  Talaïa  par  la  lettre 
personnelle  qui  lui  était  adressée,  celle  destinée  à 
Acace  prenait  le  chemin  d' Antioche  sans  lui  avoir  été 
remise  :  d'où  froissement  du  prélat  byzantin.  Libe- 
ratus, Brcviarium,  c.  xvn,  col.  1022-1024. 

D'autres  nous  indiquent,  comme  motif  de  l'insuccès 
de  Talaïa,  le  fait  qu'il  perdit  bientôt,  avec  le  ministre 
impérial  Illus,  un  puissant  appui  auprès  de  Zenon. 
«  Et  comme  jusque-là,  faisant  fond  sur  ce  personnage, 
il  avait  négligé  le  très  influent  Acace,  il  fut  d'autant 
plus  facile  au  rusé  Pierre  Monge  d'obtenir  accès  auprès 
de  ce  dernier  ei,  grâce  à  lui,  auprès  de  l'empereur,  par 
un  plan  habile  visant  à  une  réunion  des  partis  en  lutte, 
en  vue  de  se  raffermir  ainsi  sur  le  trône  patriarcal.  » 
Th.  Presse!,  art.  Monophysiten,  dans  Realencijklopâdie 
jùr  protestuntische  Théologie  und  Kirchc,  1858,  t.  IX, 
p.  746. 


Quoi  qu'il  en  soit,  Acace  se  joignit  à  Gennade  d'Her- 
mopolis,  qui  prétendait  avoir  des  griefs  contre  Jean 
Talaïa.  Liberatus,  Breviarium,  e.  xvi,  col.  1020.  Tous 
deux  se  concertèren!:  pour  l'accuser  auprès  de  l'empe- 
reur d'avoir  obtenu  par  brigue  le  siège  d'Alexandrie 
après  avoir  juré  de  n'y  jamais  prétendre,  et  d'avoir 
menacé  de  faire  un  schisme  du  vivant  de  Timothée 
Salophakialos,  à  qui  il  avait  fait  rétablir  dans  les 
diptyques  le  nom  de  Dioscorc.  Évagre,  H.  E.,  1.  III, 
c.  xir,  P.  G.,  t.  lxxxvi,  col.  2617,  sur  la  foi  de  ZacharL- 
le  Rhéteur,a  consigné  le  premier  de  ces  griefs  à  la  charge 
de  Jean  Talaïa.  Cf.  Liberatus,  Breviarium,  c.  xvn, 
P.  L.,  t.  lxviii,  col.  1022.  Théophane,  Chronographia, 
an.  473,  Bonn,  t.  i,  p.  199;  P.  G.,  t.  cvm,  col.  316-317, 
non  seulement  ne  mentionne  point  d'intrigue  de  Talaïa, 
mais  au  contraire  signale  son  ordination  comme  celle 
d'un  homme  vertueux  et  défenseur  de  l'orthodoxie  : 
r/eipOTOvri6ïi  'Iwâvv7)ç  b  TaSsvvrjT'.wT:^;,  ov.oç  àr/r\o  y.x: 
tôv  op6<3v  8oy[j.a-(ov  ûnspaayoç.  Voir  aussi  Nicéphore. 
H.  E..1.XVI,  11,  P.  G.,1.'cxlvii,  col.  136.  Quant  t>  l'in- 
sertion du  nom  de  Dioscore  dans  les  diptyques  par 
Timothée  Salophakialos  en  un  moment  de  faiblesse, 
elle  est  mentionnée  dans  une  lettre  du  pape  Simplicius 
répondant  à  Acace  le  13  mars  478  :  quando  ei  ut 
damnati  Dioscori  nomen  inter  altaria  recitarelur  extor- 
lum  est,  sans  que  nous  puissions  connaître  si  Talaïa  y 
eut  ou  non  quelque  part.  Salophakialos  avait,  sur  ce 
point,  adressé  des  excuses  à  Rome  et  une  demande  en 
grâce.  Simplicius,  Epist,  ix,  xi,  xn,  xin,  ad  Acacium, 
dans  Mansi,  Concil.,  t.  vu,  col.  983  et  935.  Cf.  Liberatus, 
Breviarium,  c.  xvn,  P.  L.,  t.  lxviii,  col.  1025. 

Toujours  est-il  que,  prenant  parti  ouvertement 
contre  Talaïa,  Acace  représenta  à  l'empereur  Pierre 
Monge  comme  l'évêque  voulu  par  les  fidèles  d'Alexan- 
drie et  capable  de  réunir  les  deux  groupements  qui 
depuis  longtemps  divisaient  cette  Église,  chalcédo- 
diens  catholiques  et  monophysites  eutychiens.  Monge, 
lui-même,  mis  au  courant,  offrit  d'opérer  cette  réunion 
et  représenta  à  l'empereur  que  son  autorité  courait  de 
grands  dangers  en  Egypte  si  l'on  y  établissait  un  pa- 
triarche autre  que  celui  voulu  par  le  peuple.  En  consé- 
quence, Zenon  écrivit  au  pape  qu'il  regardait  Jean 
Talaïa  comme  indigne  de  l'épiscopat,  et  que,  en  vue  de 
procurer  la  réunion  des  Églises  d'Egypte,  il  jugeait 
plus  opportun  de  rétablir  Pierre  Monge  sur  le  siège 
d'Alexandrie.  Le  pape  Simplicius,  qui  avait  reçu  les 
lettres  synodales  de  Jean  Talaïa,  était  prêt  à  confirnur 
son  ordination,  lorsqu'il  reçut  la  lettre  de  l'empereur. 
Comme  Talaïa  y  était  accusé  de  parjure,  le  pape  sursit 
à  l'envoi  des  lettres  de  communion;  mais  il  ne  voulut 
pas,  d'autre  part,  consentir  au  rétablissement  de 
Pierre  Monge.  Ce  dernier,  disait  Simplicius,  «  a  été 
complice  et  même  chef  des  hérétiques,  et  j'ai  demandé 
plusieurs  fois  qu'il  fût  chassé  d'Alexandrie.  La  pro- 
messe qu'il  fait  maintenant  de  professer  la  vraie  foi 
peut  bien  lui  permettre  de  rentrer  dans  la  communion 
des  fidèles,  mais  ne  permet  pas  de  l'élever  à  la  di- 
gnité du  pontificat,  de  crainte  que,  sous  le  prétexte 
d'une  feinte  abjuration,  il  n'ait  la  liberté  d'enseigner 
l'erreur.  »  Epist.,  xvn,  dans  Mansi,  Concil,  t.  vu, 
col.  992-993.  Cf.  Liberatus,  Breviarium,  c.  xvi.  Selon 
Liberatus,  op.  cit.,  c.  xvin,  P.L.,  t.  lxviii,  col.  1026- 
1027,  Pierre  Monge  avait  lui-même  adressé  au  pape 
une  lettre  dans  laquelle  il  professait  hypocritement  une 
entière  adhésion  au  concile  de  Chalcédoine. 

En  même  temps  qu'il  répondait  à  l'empereur  Zenon, 
le  15  juillet  482,  le  pape  écrivait  dans  le  même  sens  à 
Acace,  à  qui  il  exprimait  sa  surprise  et  sa  peine  de 
n'avoir  pas  été  renseigné  par  lui  sur  une  affaire  aussi 
grave.  «  Vous  y  étiez  engagé,  lui  disait-il,  et  par  l'amitié 
qui  nous  unit,  et  par  le  soin  que  votre  charge  vous 
oblige  de  prendre  de  ce  qui  touche  la  foi  et  la  vérité.  » 
Epist.,  xvn,  Mansi,  t.  vu,  col.  992.  Puis,  ne  soup- 


21! 


HÉNOTIQUE 


2160 


çonnant  encore  en  rien  le  pti  riarche  de  Constantinoplc, 
il  le  priait  de  travailler  sans  relâche  a  maintenir  l'em- 
pereur clans  la  disposition  de  défendre  l'orthodoxie,  et 
de  lui  mander  ce  qu'il  apprendrait  concernant  cette 
a  (Ta  ire. 

Nous  saisissons  ici  la  véritable  attitude  d'Acace  et 
tout  le  danger  qu'elle  présentait  pour  l'avenir  des  rela- 
tions de  l'Église  d'Orient  avec  Rome. 

Le  C  novembre  482,  Simplicius  se  plaint  de  nouveau 
à  Acace  du  silence  gardé  par  lui  au  sujet  du  siège 
d'Alexandrie.  Les  efforts  tentés  contre  cette  Église, 
disait  le  pape,  ne  lui  permettaient  point  de  repos  : 
cogilationum  /crias  non  habemus,  et  il  pensait  sans 
cesse  au  compte  qu'il  devrait  en  rendre  à  Dieu.  Epist., 
xvm,  dans  Mansi,  t.  vu,  col.  995. 

Bien  loin  de  satisfaire  aux  désirs  et  aux  ordres  du 
pape,  Acace  s'était  concerté  avec  Pierre  Monge  sur  un 
édit  religieux  qui  devait  résumer  ce  qu'il  y  avait  de 
commun  dans  toutes  les  confessions,  et  il  l'avait  fait 
sanctionner  par  le  complaisant  empereur  sous  le  nom 
d'Hénotique  ou  formule  d'union. 

II.  La  formule  de  l'Hénotique.  —  C'est  une  lettre 
adressée,  au  nom  de  l'empereur  Zenon,  aux  évêques, 
aux  clercs,  aux  moines  et  aux  peuples  d'Alexandrie,  de 
l'Egypte,  de  la  Libye  et  de  la  Pentapolc.  Mais,  remar- 
que Tillemont,  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  ecclé- 
siastique, a.  24,  Venise,  1732,  t.  xvi,  p.  327,  «  elle  ne 
parle  qu'à  ceux  qui  étaient  séparés  de  l'Église,  c'est-à- 
dire  aux  acéphales  ou  demi-eutychiens.  »  Après  y 
avoir  protesté  de  son  zèle  pour  la  foi  et  des  efforts  qu'il 
avait  faits  pour  réunir  tous  les  chrétiens  dans  une  même 
communion,  Zenon  dit  que  des  archimandrites,  des 
ermites  et  d'autres  personnes  vénérables  l'ont  supplié 
d'essayer  une  nouvelle  tentative  dans  ce  but.  Tille- 
mont, toc.  cit.,  pense  que  ces  instigateurs  étaient  sans 
doute  les  envoyés  de  Pierre  Monge.  L'empereur  déclare 
ensuite,  au  nom  de  toutes  les  Églises  («  qui  ne  l'en 
avouaient  nullement  »,  note  en  passant  Tillemont), 
qu'il  n'y  avait  point  d'autre  définition  de  foi  reçue  ou 
à  recevoir  que  celle  des  Pères  de  Nicée,  confirmée  par 
ceux  de  Constantinople;  que  si  quelqu'un  en  recevait 
une  autre,  il  le  regardait  comme  séparé  et  ennemi  de 
l'Église. 

»  On  pouvait  dire  en  un  véritable  sens,  écrit  Tille- 
mont, loz.  cit.,  que  l'Église  ne  recevait  point  d'autre 
symbole  que  celui  de  Nicée.  Mais  on  ne  pouvait  pas 
dire  qu'elle  ne  reçût  point  d'autre  définition  de  foi, 
sans  rejeter  celle  du  concile  de  Chalcédoine.  Néan- 
moins, Zenon  rejette  encore  plus  ouvertement  ce  con- 
cile, lorsqu'il  a  la  témérité  de  prononcer  un  anathème 
à  quiconque  tiendra  ou  aura  tenu  rien  de  plus  que  ce 
qui  est  dans  son  Hénotique,  en  quelque  temps  et  en  quel- 
que lieu  que  ce  soit,  soit  à  Ch  ikédoine,  soi.  en  quelque 
autre  concile.  »  Du  reste,  les  contradictions  et  les  in- 
cohérences sont  nombreuses.  En  même  temps  qu'il 
rejette  toute  définition  de  foi  autre  que  celle  de  Nicée- 
Constantinople,  l'empereur-théologien  reçoit  les  douze 
chapitres  ou  anathématismes  de  saint  Cyrille  d'  \lexan- 
drie.  «  Il  traite  de  saints  et  de  véritables  disciples  des 
Pères  de  Nicée  ceux  qui  se  sont  assemblés  à  Éphèse 
pour  condamner  non  seulement  Nestorius,  mais  encore 
ceux  qui  se  sont  engagés  depuis  dans  sen  erreur,  c'est- 
à-dire  qu'il  approuve  tous  les  deux  conciles  d'Ephèse,  le 
faux  comme  le  véritable...  11  veut  néanmoins  qu'on 
anathématise  Eutychès,  et  qu'on  reconnaisse  que 
Jésus-Christ  s'est  véritablement  incarné  de  la  sainte 
Vierge,  Mère  de  Dieu,  sans  confusion,  réellement  et 
non  en  fantôme;  qu'il  nous  est  consubstantiel  selon  son 
humanité.  Mais  hors  l'anathème  d'Eutychès,  dont  la 
plupart  des  eulychiens  ne  faisaient  pas  de  difficulté, 
il  ne  dit  rien  en  cela  qui  ne  fût  presque  aussi  positive- 
ment dans  la  circulaire  de  Basilisque,  et  ce  sont  des 
choses  que  les  catholiques  et  les  hérétiques  avouaient 


également.  »  Tillemont,  op.  cil.,  p.  327-328.  Quant  aux 
deux  natures,  l'expression  même  est  soigneusement 
évitée. 

Tillemont,  qui  a  parfaitement  analysé  l'Hénotique, 
conclut  en  ces  termes  :  «  C'est  après  avoir  ainsi  ren- 
versé la  foi  de  l'Église,  qu'il  (Zenon)  exhorte  les  euly- 
chiens à  rentrer  dans  sa  communion,  comme  si  la  con- 
fusion faisait  l'unité  de  l'Église,  et  qu'il  fallût  y 
rappeler  les  hérétiques,  non  pour  les  convertir  en  leur 
faisant  quitter  leurs  erreurs,  mais  pour  pervertir  plus 
aisément  les  catholiques  par  le  commerce  qu'ils 
auraient  ensemble...  Il  s'imaginait  vainement  pouvoir 
gagner  les  hérétiques  en  supprimant  la  vérité.  »  Tille- 
mont, loc.  cit. 

Cette  rapide  analyse  et  ces  quelques  remarques  faci- 
literont la  compréhension  du  texte  de  l'Hénotique, 
dont  nous  donnons  ci-après  l'original  grec,  tel  qu'il 
nous  a  été  conservé  par  l'historien  Évagre,  H.  E., 
1.  III,  c.  xiv,  P.  G.,  t.  lxxxvi,  col.  2620-2625,  avec 
la  traduction  latine  de  Henri  de  Valois  qui  l'accom- 
pagne dans  l'édition  de  Migne. 

AÛTOxpaTtop  "Kaïo-ap   Zrr  Imperator  Csesar  Flavius 

vuv,    gùaEëT|Ç,   vixy|TT|ç,   Tpo-  Zeno,    pius,    victor,    trium- 

7taioû"/oç>     Ltéyto-Toç,    àeiué-  phator,      maximus,    semper 

êauToç,  Avyovo-Toc,  xoïç  xoaà  Augustus,       reverendissimis 

'AXe^âvfipeiav  xai    Ai'yuTrrov  episcopis  et  clericis  ac  mona- 

xai    Atëu7)V  xai   LTsvTàiroXiv  chis  et  populis,  per  Alexan- 

EÛXaêsaTaTOtç  è7rt<r/.Ô7iO'.;  xai  driam  et   per  TEgyptum  et 

x>.ï]pixot;    xai  jj.ova-/oïç   xai  Libyam  ac  Pentapolim  con» 

Xomhç.  stitutis. 

'Ap-/r|V  xai  miaracriv,  Sj-  Cum  initium  et  confirma- 

vajxiv   te    xai   oitXov    àxaxa-  tionem,  vim  et  scutum  inex- 

[lâjjyjTOV  tf|;  T|ij.5Tépa;  eïôoteç  pugnabile  imperii  nostri  esse 

fSauiÀEt'a;  Tr,v  u.ovr|v  opôV'  **l  intelligamus  solam  rectam  ac 

ccXy|8ivy|V    7r:ariv,  ^v-eva   Scà  veram  fidem,  quam  trecenti 

tt,;  6sia;  Èiriçoirr^Eto;  èÇetÉ-  quidem  et  octodecim  sancti 

ôsvto  (jièv  o't  èv    Nixac'a  auv-  Patres, Nicseœ  congregati.di- 

aÔpOKTÔévTE;  Tiï)'àycoi  IlaTÉ-  vina   inspiratione    exposue- 

psç,    Èêsêaûixrav    Se    xai    o't  runt,  centum  vero  et  quin- 

Èv     Ka>v<TTavTtvou7cdÀEc    pv',  quaginta   itidem  sancti  Pa- 

ôu.otwç  à'ytot  HaTÉpEÇ  q-uveX-  très  Constantinopoli  collecti 

Oovts;,   vuxxiop   te   xai   xaO'  confirmarunt,  diu  noctuque, 

Ti|j.Épav,      7râ<T7]      upodEj/r,  omni  studio  ac  diligentia  et 

(Henri  de  Valois  propos  ■    dé  legibus    nostris    id    agimus 

lire  plutôt  upoiro/rj,  note  89,  (une     traduction     plus     an- 

P.  G.,  col.  2621)  xai  ffTtouSrj  cienne,  conservée  par  Libe- 

xai  vri[j.oi;  X£ypr|[j.E6a,  7tXr,6j-  ratus,   Breviarium,   c.  xvm, 

vesôai  Sl'aÙTijc  tï|V  a7tavTa-  présente  ainsi   ce  passage   : 

XÔoi  âyt'av  to-j   ©eo'j  xa6o-  Noctibus    ac     diebus    ora- 

Xty.7)v  xa:   àitoa"toXtX7)V    'Ex-  tione   et   studio    et    legibus 

xX-/)aïav,   vî"|V    a<p8apTov    xai  nitimur),    ut    ubique    loco- 

àT£).E\JTrjTov  |xr)TÉpa  Ttôv  ï,|j.e-  rumsanctacatholica  et  apo- 

TÉpwv    o-y.rjTTTpwv,    Etpr,v/)   -te  stolica  Dei  Ecclesia,  quœ  in- 

xai   r/j    uspi    0EoO    ôtxo'voia  corrupta    atque    immortalis 

tou;  euo£@eïç  Xaou;  StauÉvov-  est   mater   sceptrorum   nos- 

toc;,  E-JîipoaSÉxTo-j;  -ràç   JTtjp  trorum,  per  illam  quam  dixi 

xr,;    r,(j.ETÉpa?  Bao-tAEt'aç   ixe-  fidem   multiplicetur  :  utque 

TEi'a;    Ttpoa|iÉp£iv,    o-ùv    toi;  pii  populi,  in  pace  et  in  ea 

8îo:piX£aTS(Toiç  ÈTtc(ixÔ7ror.;xai  qurc  circa  Deum  est  concor- 

6Eoo-Egôo-TdtTOiçx),y)pixoï;,  /.ai  dia  persévérantes,  una  cum 

àpytp.avSptTatç  xai  u.ovâ*o-j-  Deo  charissimis  episcopis,  et 

o-t.   Toû    yàp   (XEyâXou    ©eov  religiosissimis  clericis,  et  ar- 

xa't    YJcoxïjpo;    f,|x,(ôv     Tria-oû  chimandritis     et     monachis, 

Xpio-roj,    toj    Èx    xï);   âyîa;  acceptas  Deo  preces  offerant 

llapûévov  xai  Beoxoxov  Ma-  proimp    ionostro.  Quamdiu 

pîaç  o-ap/f.>0ÉvTo;  xai  te/QÉv-  enim  m;.gnus  Deus  et  Serva- 

toç,  tï]V  Èx   o-'jfjcpojvt'aç  ôo^o-  tor    ester  Jésus  Christus,  qui 

Xoyt'av  te  xai  Xaxpsiav   r,[j.ûv  ex    sancta    Virgine    ac    Dei 

ÊirocivoûvToç  xai  ÉxotjAwç  Ssvo-  Génitrice    Maria   incarnatus 

(j.évo-j,  rà  [j.Èv  Tfiiv  nôXe|J.((dV  et    natus    est,    concinentem 

âxTpi6vîo-ETat    xai   èÇotXetçB^-  omnium   nostrum    glorifica- 

o-£Ta;    y£vr|'    iziviiç    6è    xbv  tionem  cultumque  approba- 

oîxeïov  -JTtoxXivoCio-iv  aù/Éva  verit  et  bénigne    susceperit, 

Tojïlij.£T£p(;jjj.£Tà0EÔv  xpaTEi-  oinnes  quidem  hostes  conte- 

EÎpr,vr)  ôÉ,   xai  Ta   ex  Ta\jTr)ç  rentur  ac  delebuntur  :  uni- 

àyaOi,    àépuv    te    £Jxoao-i'a.  versse  autem  gentes  nostra; 

xai  tïôv  xapirwv  E-J^opta,  xai  quœ  secundum  Deum  est  po- 

Ta  àXXa   8è   Ta  Xuo-iTeXoijVTa  testati    colla    submittent    : 

toîç  àvOpoiiToi;  çiXoTtjj.Tjft^o-E-  Pax  denique,  et  quae  ex  pace 

Tai.  proveniunt  bona,  caeli  tem- 


2161 


HÉNOTIQUÈ 


2162 


OÙ't(i>;  oùv  tt,;  à[xa>|j.r|TOU 
TtiVreto;  r,SAâ;  te  xai  Ta  'Pa>- 
jiaïxà    Ttspio-aHoùc-r,;    upây- 

(J.aTX.    8e7)<rSlÇ   T|[«V    7Tp0aEXO- 

(isff6rÉ(7av      rcapà      Seoaeëûv 

àpy_itj.av6piTwv  y.ai  ÈpT|[J.iT<r>v, 
•/.ai  éTÉp(i)v  ai8£(T!(ji(ov  àvSptiiv, 
[i=ïà  éaxpùwv  Ixeteuôvtiov, 
ËvoJffiv  ydvéo-Ôai  Taï;  àyioiTa- 
t«i<  'ExxXïja'îai;,  o-uvaçOr,- 
vai  te  Ta  |té).ï|  toï;  (xèXso-iv, 
àicep  ô  [j.i<7oy.a/o;  àrcô  ttXec<t- 
to>v  ypôviov  •/(■ipitrai  y.aTT|- 
icsi'7_6t|,  yivtoaxfov  10;  Ei  ôXo- 
xXiipw  T<ji  tt,;  'ExxXr|0-ta; 
c-tôaaTi  ■7iei}.s[j.(i>r,,  TjTtr,8ï|(re- 
Tai.  Sunêai'vEi  yàp  ex  toutou 
xai  yeveàç  àvapt8(jiiQTOUç  eI- 
vai,  osa;  6  ypovo;  Èv  too-ou- 
xot;  ëteo-i  rr,;  Çcùyîç  ÛTiEÇriya- 
•;•£/•  /.ai  Ta;  (ièv  toù  XoTpou 
Tïjç  TEaXtyyEvsTta;  È<7TSpr|fJ.É- 
va;  âiceXSetv,  Ta;  Se  tt,;  SeCaç 
xosvwvia;  [rr,  [lETaff^oucra;, 
iro'o;  tt|V  T(i>v  àv6pu>TC(«v  àua- 
paiT^TOv  Èx6r,(At'av  à7ra/0fÉvai" 
<pôvo'j;T£TO>.jj.rl6flvai  |j.up;ou;, 
xai  ai[j.àT(ov  TtXr,0£i  uvoXuv- 
8T)vaiu,ï|  JJ.ÔVOV  tt,v  yf.v,  àXXà 
•/.ai  aÙTÔv  TÔvàépa.TaÙTa  t'i; 
oùx  av  ei;  tô  àyaôbv  jj.ETaijy.Eu- 
ao-8f,vat  TupOCTêûÇosto  ;  à:i 
toi  toùto  ytvtôo"xsiv  ù|j.â; 
È<jTCJuSâo-a|J£v,  6ti  xai  T,;j.Et; 
xai  aï  TtavTayoû  'ExxXTjffîai 
STspov  o-ùu.ëoXov  T|  p.àOri|j.a,  ri 
opov  tcîo~teu>;,  r,  7ri<TTiv  tcXt|V 
toù  EÎpr|U.Évou  àyt'ou  Y^ujaSô- 
Xou  TwvTiyj'  àyûov  llaTÉpwv, 
ÔTîEp  sësêaitoffav  oi  uw^p-.o- 
veuÔévte;  pv'  â'yioi  IlaT£p£;, 

O'JtE  £0-"/r|XajJ.£V,  OUTE  S"/OU,EV, 

oute  eÇojjlev,  o'jte  Ë/ovTa; 
È7r;o-Tà|As6a.  Et  Se  xai  s'yo; 
Ttç,  «XXoTpiov  a-JTÔv  r,yoù- 
fj.EÛa.  Toùto  yàp  xa'  fâvov, 
<o;  Esauvsv,  tt,v  r,[j.STÉpav  tce- 
pio-oôÇetv  TsfJap'pr,y.a[j.sv  £)ao"i- 
XEi'av.  Kai  TràvTtç  8s  ot  Xaoi 
toû  o-toTr,ptoJ  îou;  à<;ioùu.Evoi 
^(uticfiaTo;,  a-JTÔ  xai  p.ovov 
uapaXa[j.6àvovTE;  paTtTc'sOv- 
Tai.  TÇ  xai  ÈÇï)XoXou6T|a,av 
oi  âyiot  FlaTÉpE;  oî  Èv  tt, 
'  EipEaiuv  ituveXÔôvte;,  oi 
xa9sX6vTs;  tov  ào~£ër|  Nso-tô- 
ptov,  xai  Toù;Ta  êxeîvou  \xna. 
TaÙTa  çppovoùvTa;.  "OvTtva 
xai  r,|J.EÏ;  Neotociov  âjj.a  E-j- 
TU'/_EÏTàvavTÎaToï;  £!pr(|j.£voi; 
çpovoùvTa;.  àva8îp.aTC^o|j.£v, 
0E"^6|i.EV0[  xai  Ta  tS'  XEçàXaia 
Ta  EÎprip.éva  Ttapà  toû  tt); 
ôtria;  |xvr,|ir.;  KupiXXov  -f=v' - 
pivou  àpyiETCio-y.oTtou  tt,; 
'AXEÇavSpÉwv  âyca;  xaOo- 
)i'/.T,;    'ExxX^o-c'a;.    "OfioXo- 

YOVjASV    8È    TÔV    (JLOVOyEVTj     TOÛ 

0eoû  TSbv  xai  Qeôv,  tov  xaTa 
àXr)6eiav  ÈvavÔpdjTcyiO-avTa  tov 
Kupiov  r(jj.<r)v    'Iyhtoûv   Xpi- 

(Jtov,  ôjxoo'Jo-iov  t<o  IlaTpi 
xaTa  ty)v  OEÔT-/",Ta,  xai  ô(j.oo-J- 
<7tov  r,(xïv  tov  aÙTÔv  xaTa  TT|V 
àvOpa)TroTr|Ta.  xatsXOdvTa  xai 
aapxw6ÉvTa  ex  Ilv£'J[j.aTO; 
aviou  y.ai  Mapta;  vf,;  Ilap- 
8evo\j  xa't  0EOTÔ-/.OV,  É'va  T-jy- 
yàvEtv,  xai  o-j  Sûo.  'Evb;  yàp 
c'vai  sajj.sv  Ta  te  6a-Jtj.aTa  y.ai 


peries,  frugum  ubertas,  et 
qiuccumque  alia  commoda, 
hominibus  donabuntur. 

Cum  crgo  irrepreliensibilis 
fidcs,  et  nos  et  rempublicam 
Romanam  ita  conservet, 
preces  nobis  oblataî  sunt  a 
religiosissimis  archimandri- 
tis  et  eremitis  et  aliis  reve- 
rendis  hominibus,  qui  cum 
lacrymis  supplicabant,  ut 
imitas  ficret  sanctissimis 
Ecclesiis,  et  membra  mem- 
bris  conjungerentur,  quoe 
boni  totius  inimicus  jam- 
dudum  a  se  invicem  disjun- 
gere  conatus  est  :  sciens  se, 
si  integrum  Ecclesise  corpus 
impugnaverit,  facile  esse  su- 
perandum.  Ex  hoc  enim 
contigit,  ut  innumerabilis 
hominum  multitudo,  quam 
tôt  annorum  spatio  temporis 
longinquitas  ex  hac  luce  sub- 
traxit,  partim  regenerationis 
lavacro  fraudata  interierit, 
partim  absque  divinae  com- 
munionis  perceptione  ex  hac 
vita  migraverit  :  utque  innu- 
merae  csedes  perpétrât»  sint, 
et  effusi  sanguinis  copia  non 
terra  solum,  sed  etiam  aer 
ipse  sit  contaminatus.  Quse 
quidem,  quotusquisque  est 
qui  non  optaverit  in  melio- 
rem  statum  commutari  ? 
Quapropter  scire  vos  volu- 
mus,  nec  nos,  nec  eas  quœ 
ubique  sunt  Ecclesias,  aliud 
symbolum  aul  mathema, 
aliamve  definitionem  fidei 
aut  fidem,  praeter  supra  me- 
moratum  sanctum  symbo- 
lum trecentorum  et  octode- 
cim  sanctorum  Patrum, 
quod  a  jam  dictis  centum  et 
quinquaginta  sanctis  Patri- 
bus  confirmatum  est,  ha- 
buisse,  vel  habere,  vel  habi- 
turos  esse,  nec  scire  quos- 
quam  qui  habeant.  Quod  si 
quis  habeat,  hune  extra- 
neum  esse  judicamus.  Hoc 
enim  symbolo  solo,  ut  jam 
dictum  est,  imperium  nos- 
trumservari  confidimus.  Sed 
et  omnes  populi  qui  saluta- 
rem  baptismum  percipiunt, 
hoc  solo  accepto  symbolo 
baptizantur.  Idem  etiam  se- 
cuti  sunt  sancti  Patres  qui 
Ephesi  convenerunt,  et  qui 
impium  Nestorium  una  cum 
iis  qui  ejus  sententiam  pos- 
tea  amplexi  sunt,  deposue- 
runt.  Quem  quidem  nos 
simul  cum  Eutyche,  utpote 
contraria  memoratis  Patri- 
bus  sentientes,  anathemati- 
zamus,  suscipientes  etiam 
duodecim  capitula,  quœ  a 
sanctae  memoriœ  Cyrillo, 
sanctaî  catholicse  Alexandri- 
norum  Ecclesise  quondam 
archiepiscopo,  dictata  sunt. 
Confïtemur  autem  unigeni- 
tum  Dei  Filium  et  Deum, 
vere  hominem  factum, 
Dominum  nostrum  Jesum 
Christum,  consubstantialem 
Patri  secundum  Deitatem, 
eumdemque  nobis  consub- 
stantialem    quoad    humani- 


tatem  :  qui  descendit  et  in- 
carnatus  est  ex  Spiritu  Sanc- 
to  de  Maria  "Virgine  ac  Dei 
Génitrice,  unum  esse,  non 
duos.  Unius  enim  esse  dici- 
mus,  tum  miracula,  tum 
passiones  quas  sponte  sua  in 
carne  sustinuit.  Eos  vero  [qui 
dividunt  aut  confundunt, 
aut  phantasiam  introducunt, 
nullatenus  suscipimus.  Siqui- 
dem  vera  illa  et  peccati  ex- 
pers  incarnatio  ex  Dei  Géni- 
trice accessionem  alterius 
Filii  non  effeeit.  Trinitas 
enim  semper  mansit  Trini- 
tas, etiamsi  unus  ex  Trini- 
tate,  Deus  scilicet  Verbum, 
incarnatus  sit.  Scientes  ita- 
que  sanctas  et  orthodoxas 
quae  ubique  sunt  Ecclesias 
Dei,  et  qui  illis  praesunt  Dei 
amantissimos  episcopos,  nos- 
trum denique  imperium, 
nullum  aliud  symbolum  aut 
definitionem  fidei  planter  su- 
pra memoratum  sanctum 
mathema  admisisse  vel  ad- 
mittere,  absque  ulla  cuncta- 
tione  nos  adunavimus.  Hsec 
autem  scripsimus  vobis,  non 
innovantes  fidem,  sed  ut 
vobis  satisfaccremus.  Qui- 
cumque  vero  aliter  sentit  aut 
sensit,  vel  mine  vel  quando- 
cumque  alias,  sive  Chalce- 
done,  sive  in  alia  qualibet 
synodo,  eum  anathematiza- 
mus  :  prsecipue  tamen  Nes- 
torium et  Eutychem,  et  eos 
qui  idem  cum  illis  sentiunt. 
Conjungimini  igitur  matri 
spiritali  Ecclesise,  ut  in  ea, 
una  eademque  nobiscum  di- 
vina  communione  fruamini, 
juxta  memoratam  fidei  defi- 
nitionem trecentorum  et  oc- 
todecim  sanctorum  Patrum, 
quae  una  ac  sola  est  fidei 
definitio.  Sanctissima  enim 
mater  nostra  Ecclesia  vos 
tanquam  proprios  filios  ex- 
spectat  ut  amplectatur,  et 
post  diuturnum  tempus  sua- 
vem  vocis  vestrae  c«.ui,er.tum 
audire  desiderat.  Festinate 
igitur  concito  cursu.  Quod  si 
feceritis,  tum  Domini  et  Ser- 
vatoris  ac  Dei  nostri  Jesu 
Christi  benevolentiam  vobis 
conciliabitis,  tum  a  nostra 
majestate  maximum  laudem 
referetis. 


Il  n'est  guère  douteux  que  l'Hcnotique  ne  soit 
l'œuvre  du  patriarche  Acace.  Évagre,  H.  E.,  1.  III, 
c.  xin.  P.  G.,  t.  i.xxxvi,  col.  2G20,  l'insinue  :  -rajTrjv 
T7]v  oîy.ovouiav  yvoipiri  (juvT£Ost|j.ÉvT)v  'Axaxcou  toj  tt]; 
[îaaiXiSoç  Èrc'.ay.orou  ;  et  Théophane,  Chronographia,  an. 
47G,  Bonn,  p.  202,  se  fait  l'écho  de  l'opinion  qui  lui  en 
attribuait  expressément  la  rédaction  :  to'te  y.ai  évwxœôv 
Èrcoir]0£  Zrjvojv  xa't  Tcavtayoù  èÇc'ttsjj.-I'SV,  litîo  'Axay.iou 
tou  KwvoravTivouTCÔXstoç  ûrayopsuOÉv,  (b;  toail  itvs;. 
On  peut  dire  que  le  génie  d'Acace  s'y  retrouve  tout 
entier.  «  Confusion,  incohérence,  contradiction,  abus  de 
pouvoir,  tels  sont  les  traits  qui  frappent  tout  d'abord 
à  la  lecture  de  cet  ëdit.  L'empereur  affirme  que  toutes 
les  Églises  ne  reconnaissent  avec  lui  d'autre  définition 
de  foi  que  celle  de  Nicée.Il  confond  deux  choses  essen- 
tiellement distinctes.  Sans  doute,  le  symbole  de  Nicéc 
était  alors  comme  aujourd'hui  l'expression  de  la  vérité 


Ta  7ra6r;  avtsp  exovitko;  'j7u- 
[xstve  crapy.i.  Toù;  yàp  Siat- 
poûvTa;  r,  o"'jy/ÉovTa;,  rt  çav- 
Tao-tav  Eco"àyovTa;,  0.Ù8È  ô'Xio; 
6£yô(x£0a'  ÈTrEi7T£p  f,  àva}j.àp- 
t»ito;  xaTa  àXr,8eiav  o-âpxw- 
<nç  ex  Trj;  Oeotôkov,  Tcpoo-Or,- 
■/.'Cf-l  \'\rj\i  O'j  TCETtOirf/S.  Me|xs- 
vtjxe  yàp  Tptà;  rt  Tpiâ;,  xai 
o-apy<i)6ÉvTo;  toù  évbç  tt,; 
ïptaôoç  0eoC  Aôyou.  Eî68t£; 
ouv  ô>ç  oute  ai  àyiat  TtavTayoû 
toù  0£où  ôpÔôSoÇot  'Exy.Xrj- 
alai,  oute  oi  toutoiv  7rpoVo-T(i- 
pisvoi  Beoç'.XéffTaToi  lepsïç, 
oute  ■!]  r,(jETÉpa  [iafji/Eia  Éte- 

pOU  CU[J.ooXoU  ¥]    OpOU  TtilTTEW; 

irapà  tÔ  Eipr,|j.£vov  à'ytov 
[i.ibr^a  T|VÉo"'/ovto  rt  àvÉyov- 
Tai,  r;v(ôo"a|j.Ev  ÉauToù;,  |j.T|8kv 
ÈvSo'.âsOVTE;.  TaÙTa  6e  yEypà- 
ça[j.£v  où  xatvtÇovTE;  t»'o-t:v, 
àXX'  ùfxâ;  TcXripocpopoùvTE;. 
ndtvTa  6e  tov  ETEpôv  ti  çpo- 
vri^avTa,  r,  cppovoùvTa,  ï|  vùv, 

Vj    TTdJTCOTE,  f)   £V   XaXx/|8Ôv  t,     ï) 

oia  6r,7iOT:  ffuvôSa),  àvaÔEp.a- 
TtÇo[j.£V  ÈEaipÉTO);  6È  tou; 
£ipr,[j.évou;  NsaTÔpiov,  xai 
EÙTuyr,,  xai  tou;  Ta  aÙTtîiv 
çpovoùvTa;.  2uvo(!ij6t)ts  toivuv 

TÏ)  7tVEU[J.aTlXrj  [J.T,Tpi   TT;   'Ex- 

xXï]a,ia,TT!l;  aÙTTi;  yjfJ.ïv  èv  auT'?j 
ôsîa;  aTcoXauovTE;  xo'.vwvt'a; 
xaTaTÔv  EÎp^ixÉvovÉ'va  xai  u.ô- 
Vov  opov  TT|C  iriaTEco;  T(iiv  Tir)  ' 
âyîtov  IlaTÉpwv.  '  H  yàp  7ta- 
vayia  u/^TTip  r^ôiv  f\  'E/.v.'t,rr 
aia.  xai  yvr^i'ou;  ù(j.â;  uiou; 

àTC£x8É)ETat       7TEptTCTÙîao-9ai, 

xai  tti;  ypovia;  xai  yXuy.sc'a; 
ù(J.(î)v  ÈTCi6u|j.£t  cpo)v?i;  àxpoâ- 
o-aaBai.  'EuEt^aTE  oùv  jau- 
tou;.  TaÙTa  yàp  itotoù/T£;, 
xai  tïjv  toù  Aecttcôtou  xai 
ScoTfipo;     xai     0EOÙ     r,u,(i)v 

'Ir|(70Ù       XptffTOÙ       EÙ[J.£VEtav 

repô;  ÉauToù;  eçeXxuo'Ete,  xai 
Ttapà  tt,;  T^ETÈpa;  pao-tXEta, 

ÈT:aiVEOTlO-EO'0E. 


2163 


HENOTIOUE 


2164 


catholique;  mais  il  n'était  pas  l'expression  unique 
de  cette  vérité,  puisque  des  évêques  de  toutes  les  par- 
ties du  inonde  réunis  à  Chalcédoine  avaient  formulé 
une  profession  de  foi  plus  détaillée,  plus  étendue  en 
certains  points  que  celle  de  Nicée,  et  que  tout  l'univers 
catholique  avait  adopté  la  formule  de  Chalcédoine. 
L'empereur  commence  par  protester  qu'il  veut  s'en  te- 
nir exclusivement  au  symbole  de  Nicée,  et,  quel- 
ques lignes  plus  loin,  il  reconnaît  encore  pour  expres- 
sion de  la  foi  la  définition  du  concile  d'Éphèse,  les 
douze  chapitres  ou  anathématismes  de  saint  Cyrille. 
Il  ne  veut  pas  admettre  le  concile  de  Chalcédoine,  et  il 
dresse  contre  Eutychcs  une  définition  qui  est  en  sub- 
stance celle  de  Chalcédoine.  L'incohérence  et  la  con- 
tradiction peuvent-elles  être  plus  flagrantes  ?»  Darras, 
Histoire  générale  de  V Église,  Paris,  1869,  t.  xm,  p.  485. 
Cf.  Rohrbacher,  Histoire  universelle  de  l'Église  catho- 
lique, 1.  XLII,  édit.  Guillaume,  Lyon,  1872,  t.  iv, 
p.  59. 

Ce  sont  ces  incohérences  et  ces  contradictions  qui 
caractérisent  l'Hénotique.  Doit-on  lui  infliger  la  note 
d'hérésie  ?  Baronius  L'affirme,  Annal,  eccl.,  an.  482  ; 
Noël  Alexandre,  Hist.  ceci.,  sa'C  v,  c.  in,  a.  19,  §  4, 
Venise,  1771,  t.  v,  p.  86,  soutient  l'opinion  contraire, 
à  savoir  que  l'Hénotique  n'enseigne  pas  l'hérésie,  mais 
qu'il  la  favorise  seulement  par  ses  réticences.  Sous 
ce  titre  :  Zeno  impcralor  edicto  Henotico  synodum 
Chalcedonensem  compugnavit,  non  fidem  in  ea  confir- 
matam,  l'historien-théologicn  analyse  l'édit  et  aboutit 
à  cette  conclusion  :  Ex  his  evidens  est,  Henoticum 
Zenonis  rulychianam  harcsim  non  adslruere,  immo 
ipsam  impugnare  et  damnare;  nec  fidem  duarum  in 
Christo  naturarum  a  Chalccdonensibus  Palribus  confir- 
malam  concutere,  sed  assercre  potius.  Unde  cardinalis 
Baronius  Zenonem  semper  hœreticum  et  perfidum 
fuisse,  cverlisse  calholica  dogmala,  pessum  dédisse  fun- 
ditus  chrislianam  religionem,  jalso  scribil,  ad  ann.  482. 
Nom  et  ex  ipsis  Henolici  verbis  et  ex  epistola  Zenonis  ad 
Felicem  pontificem  maximum,  cujus  fragmenlum  referl 
Evagrius,  1.  III,  c.  xx,  refellilur  eminentissimus  auclor. 
Verba  epistolœ  Zenonis,  post  edictum  Heno'icon  dalce, 
hse  sunt  :  Pro  cerlo  habere  debes,  et  pietalcm  noslram,  et 
supra  memoralum  sanclissimum  Petrum  (Pierre  Monge), 
et  universas  sacrosanetas  Ecclesias  sanclissimum  Chalce- 
donense  concilium  amplecti  atque  venerari,  quod  cum 
flde  Nicœni  concilii  prorsus  convenil.  Et  Noël  Alexandre 
termine  en  disant  :  Non  difjileor  lamen  Hcnolicon 
Zenonis  causœ  fidei  nocuisse,  et  fouisse  hœrcsim, 
silendo  cum  de  S.  Leonis  epistola,  cum  de  synodi  Chalce- 
donensis  definilione,  lum  denique  de  his  vocabulis  : 
Ex  duabus  cl  in  duabus  naluris,  quee  calholiese  fidei 
contra  eutychianam  perfidiam  nota  singularh  erani 

11  semble  que  l'on  puisse  se  rallier  à  cette  conclusion 
de  Noël  Alexandre  :  d'une  part,  l'Hénotique  ne  pro- 
fessant point  explicitement  de  doctrine  hérétique, 
condamnant  par  ailleurs  les  hérésies  de  Nestorius  et 
d'Eutychès;  d'autre  part,  une  lettre  ultérieure  de 
l'empereur  Zenon  au  pape  Félix  III  admettant  explici- 
tement le  concile  de  Chalcédoine.  Aussi  l'Église  catho- 
lique n'a-t-elle  point  expressément  condamné  l'Héno- 
tique. Sans  doute,  on  voulut  alors  éviter  d'exaspérer 
l'empereur  et  de  provoquer  des  schismes  plus  graves 
ou  des  maux  plus  difficiles  à  guérir;  mais  ces  motifs 
n'auraient  pas  suffi  à  écarter  la  condamnation,  si  la 
formule  avait  été  jugée  proprement  et  directement 
hérélique.  Voir  en  ce  sens  la  remarque  d'un  annota- 
teur d'Évagre,  1.  III,  c.  xvn,  P.  G.,  t.  lxxxvi,  col. 
2625-2626. 

Cependant,  du  seul  point  de  vue  doctrinal  et  indé- 
pendamment même  des  conséquences  déplorables 
■qu'eut  en  fait  l'Hénotique,  le  théologien  catholique 
ne  saurait  être  trop  sévère  contre  cet  édit  qui  «  tournait 
les  questions,  au  lieu  de  les  résoudre,  et  qui,  s'il  avait  été 


accepté,  aurait  eu  pour  résultat  infaillible  d'arrêter  le 
développement  de  la  doctrine  chrétienne  ».  H.  Leclercq, 
dans  Hefele,  Histoire  des  conciles,  t.  n,  p.  865-866.  De 
ce  chef,  nolons-le  en  passant,  l'Hénotique  préludait  à  la 
méthode  qui  devait  et  recolle  de  Photius,  de  Michel  Cêru- 
Jaire  et  de  leurs  successeurs,  consistant  à  restreindre  à 
tel  nombre  de  conciles  œcuméniques  et  à  clore  à  telle 
époque  donnée  le  développement  du  dogme  catholique. 
C'est  un  trait  déplus,  ajouté  à  tant  d'autres,  qui  font  du 
patriarche  Acace  un  triste  précurseur  dans  l'histoire  des 
schismes  orientaux.  En  somme,  l'évèque  africain  Victor 
de  Tunes  (t  566)  résumait  assez  bien  en  ces  termes  le 
jugement  que  devait  porter  sur  l'Hénotique  de  Zenon 
la  postérité  catholique  :  Zenon  imperator  eutychiani 
poculo  erroris  sopitus,  Acacium  Conslanlinopolitanum 
episcopum  damnatoribus  concilii  Chalcedonensis  Petro 
Alexandrino  et  Petro  Anliocheno  episcopis  per  Heno- 
licon  socians,  corum  communione  polluitur,  et  cum  eis 
a  catholica  fide  reccssil.  Chronicon,  an.  482,  P.  L., 
t.  lxviii,  col.  945,  cité  par  Henri  de  Valois  dans  ses  an- 
notations au  texte  d'Évagre,  1.  III,  c.  xm,  P.  G., 
t.  lxxxvi,  col.  2619.  En  efïet,  le  mal  de  l'Hénotique, 
ce  par  quoi  se  fit  la  déviation  de  la  doctrine  catho- 
lique, ce  furent  ses  conséquences,  lesquelles  sont 
toutes  représentées  par  la  communion  établie  du  fait 
de  l'Hénotique  entre  Acace  et  les  hérétiques  Pierre 
Monge  d'Alexandrie,  Pierre  le  Foulon  d'Anlioche. 

III.  Les  conséquences  de  l'Hénotique  :  le 
schisme  acacien.  —  De  fait,  le  schisme  naquit  presque 
aussitôt  de  cette  soi-disant  formule  d'union.  L'Héno- 
tique était  adressé  spécialement  aux  Églises  d'Egypte; 
mais  en  réalité  son  but  était  beaucoup  plus  général,  il 
visait  à  faire  la  réconciliation  des  chrétiens  sur  toute 
l'étendue  de  l'empire.  Comme  il  arrive  souvent  en 
pareil  cas,  surtout  quand  on  prétend  imposer  des  con- 
cessions à  la  vérité,  «  il  eut  un  résultat  diamétralement 
opposé  et  ne  contenta  personne.  Les  monophysites 
proprement  dits  demandaient  un  rejet  plus  explicite 
du  concile  de  Chalcédoine  et  du  dyophysisme;  les 
nestoriens  et  ceux  d'Anlioche  furent  scandalisés  de 
l'approbation  donnée  aux  anathémes  de  saint  Cyrille; 
enfin  les  orthodoxes  furent  blessés  du  sans-gêne  avec 
lequel  on  traitait  le  concile  de  Chalcédoine,  de  ce  qu'il 
y  avait  de  peu  précis  dans  l'exposition  dogmatique  de 
ledit,  et  surtout  de  ce  que  l'empereur  s'établissait  juge 
de  la  foi.  »  Leclercq,  op.  cit.,  p.  867.  C'est  probaLU  mmt 
à  ce  dernier  grief  qu'il  faut  rapporter  cette  plainte  du 
pape  saint  Gélase  quelques  années  plus  tard  :  «  Ils 
(les  grecs)  ont  rejeté  les  dogmes  des  apôtres  et  se 
glorifient  des  doctrines  des  laïques.  »  Epist.,  xliii, 
édit.  Thiel,  p.  478. 

L'Hénotique  fut  d'abord  souscrit  par  Acace  et  par 
Pierre  Monge.  D'après  le  récit  de  Liberatus,  l'édit  fut 
porté  à  Alexandrie  par  l'abbé  Ammon  et  les  apocri- 
siaires  de  Monge.  Ceux-ci  étaient  en  même  temps 
porteurs  d'une  lettre  impériale  ordonnant  à  Pergame, 
duc  d'Egypte,  de  chasser  Jean  Talaïa  et  de  rétablir 
Pierre  Monge.  L'expulsion  de  Talaïa  eut  lieu  aussitôt. 
Le  24  octobre  482  (c'est  la  date  admise  par  Tillemont, 
Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  ecclésiastique,  Venise, 
1732,  t.  xvi,  p.  331),  Pierre  Monge  se  rendit  dans 
l'église  de  Saint-Marc,  à  Alexandrie,  adressa  un  dis- 
cours au  peuple,  donna  lecture  de  l'Hénotique  et  admit 
à  sa  communion  les  orthodoxes.  D'autre  part,  il  anathé- 
matisa  ouvertement  le  concile  de  Chalcédoine  et  la 
lettre  dogmatique  de  saint  Léon;  il  raya  des  diptyques 
les  noms  des  catholiques  Prolérius  et  Timothée  Salo- 
phakialos,  pour  y  inscrire  ceux  des  hérétiques  Dioscore 
et  Timothée  Élure.  Cf.  Hefele,  Histoire  des  conciles, 
trad.  Leclercq,  t.  n,  où  est  fournie  pour  ces  faits  la  date 
du  14  mai  482. 

L'Hénotique  fut  souscrit  aussi  par  Pierre  le  Foulon, 
qui   retourna   à  Antioche   en   remplacement    du   pa- 


2165 


HÉNOTIQUE 


2166 


triarche  orthodoxe  Calandion,  déposé  pour  des  raisons 
politiques;  par  Martyrius  de  Jérusalem  et  par  un 
certain  nombre  d'autres  évêques,  dont  plusieurs  ne 
signèrent  que  par  faiblesse  et  par  crainte  de  l'empereur. 

En  dépit  de  ces  adhésions,  «  il  arriva  ce  qui  était 
inévitable  :  la  division  ne  fit  qu'augmenter.  Les  mono- 
physites  rigoureux  devaient,  comme  les  vrais  catho- 
liques, rejeter  l'Hénotique;  et  quant  aux  esprits  plus 
souples,  dans  l'un  et  l'autre  parti,  cette  formule  ne 
suffisait  pas  pour  les  unir  dans  une  croyance  com- 
mune. »  Hergenrôther,  Histoire  de  l'Église,  trad.  Bélet, 
Paris,  1880,  t.  n,  p.  261.  Malgré  l'union  apparente  pio- 
clamée  à  Alexandrie  par  Pierre  Monge,  un  bon  nombre 
de  monophysites  intransigeants  «  ne  lui  pardonnèrent 
pas  sa  modération  relative  vis-à-vis  du  concile  de 
Chalcédoine  »,  ïixeront,  Histoire  des  dogmes,  Paris, 
1912,  t.  m,  p.  108,  se  séparèrent  de  lui  et  reçurent  le 
nom  d'acéphales  (sans  chef)  :  ils  reconnaissaient 
Timothée  Élure  comme  le  dernier  patriarche  légitime 
d'Alexandrie.  Eustathe,  Epist.  ad  Timolheun  Scholas- 
iicum,  dans  Mai,  Nova  colleclio,  t.  vu  a,  p.  277.  Voir 
t.  i,  col.  308-309.  Beaucoup  d'évêques  et  de  prêtres 
catholiques  égyptiens  se  rendirent  à  Constantinople, 
espérant  y  trouver  quelque  appui.  Us  avertirent  Acace 
des  désordres  d'Alexandrie.  Liberatus,  Breviarium, 
c.  xvin.  «  Mais  ils  n'y  reçurent  de  lui  que  des  rebuts  et 
de  mauvais  traitements,  et  trouvèrent  qu'il  soutenait 
Mongus  en  toutes  choses;  de  sorte  qu'ils  souffrirent  à 
Constantinople  une  persécution  très  cruelle.  «Tillemont, 
op.  cit.,  p.  331.  Un  document  nous  apprend,  en  effet, 
qu'il  y  eut  beaucoup  de  protériens  (c'était  le  nom 
donné  en  Egypte  aux  catholiques,  du  nom  du  pa- 
triarche saint  Protérius)  qui  combattirent  pour  la 
vérité  jusqu'à  la  mort  :  -oàâo'i  SèxcxI  [J-é/pt  9«vatou  fatèp 
xrjç  aktfiiiai  oirjycovt'aavTO.  Eclogse  hisl.  ceci.,  dans 
Cramer.  Anecdota  grseca  e  codd.  manuscriptis  Bihlio- 
iheese  reyiœ  Parisiensis,  Oxford,  1839,  t.  il,  p.  10G. 

Ces  champions  de  la  vérité  devaient  nécessairement 
trouver  auprès  du  pape  l'appui  et  l'encouragement 
qu'ils  n'avaient  pas  trouvés  à  Constantinople  Acace, 
au  contraire,  ne  pouvait  obtenir  de  Rome  que  désap- 
probation et  condamnation;  en  conséquence,  s'il  per- 
sistait, provoquer  le  schisme.  C'est  ce  qui  arriva.  On 
peut,  avec  Dufourcq,  Histoire  de  l'Église  du  me  au 
XIe  siècle  :  le  christianisme  et  l'empire,  4  e  édit.,  Paris, 
1910,  p.  276,  résumer  ainsi  les  faits  qui  aboutirent  à  ce 
triste  résultat  :  «  Acace  prévoit  que  l'Hénotique  ne 
contentera  tout  à  fait  personne.  Il  escompte  la  situa- 
tion d'arbitre  que  lui  feront  les  partis  extrêmes. 
L'affaire  de  Jean  Talaïa  précipite  la  crise.  Depuis 
Chalcédoine,  Rome  et  Constantinople  ont  marché  de 
concert;  le  nom  de  Marcien  est  béni  par  les  papes,  il 
entre  dans  la  légende;  quant  à  Basiliskos,  qu'est-ce 
autre  chose  qu'un  vil  usurpateur?  Acace  n'a-t-il  pas 
donné  des  gages  en  déposant  Pierre  le  Foulon  ?  Sim- 
plicius  pourtant  n'est  pas  sans  inquiétudes  :  il  a  refusé 
de  condamner  Jean  Talaïa  et  d'accepter  Pierre  Monge. 
Talaïa  arrive  à  Rome  (483);  il  précise  les  soupçons  du 
pape,  et  lorsque  celui-ci  meurt  (mars  483),  il  guide  son 
successeur  Félix  III.  Une  ambassade  romaine  conduite 
par  les  évêques  Vitalis  et  Misenus  s'achemine  à  Con- 
stantinople: elle  doit  fortifier  l'attachement  de  l'empe- 
reur pour  Chalcédoine  et  régler  la  question  d'Alexan- 
drie. Mais  les  légats  pontificaux,  en  butte  tour  à  tour 
aux  menaces  et  aux  promesses,  trahissent  indignement 
leur  maître.  Félix,  prévenu,  les  dépose;  il  excommunie 
Acace  et  Pierre  Monge,  28  juillet  484,  il  somme  Zenon 
de  choisir  entre  Pierre  Monge  et  Rome.  » 

Du  récit  de  Liberatus,  Breviarium,  c.  xvm,  P.  L., 
t.  lxviii,  col.  1 026,  il  ressort  que  Talaïa  avait  fait  appel 
au  pape  par  lettre,  dès  avant  son  arrivée  à  Rome. 
Simplicius  écrivit  aussitôt  à  Acace.  Celui-ci  répondit 
qu'il  ignorait  Jean  Talaïa  comme  évêque  d'Alexandrie, 


et  qu'il  avait  reçu  dans  sa  communion  Pierre  Monge  en 
vertu  de  l'Hénotique  de  Zenon,  pour  obéir  aux  ordres 
de  l'empereur  concernant  l'union  des  Églises.  Cf. 
Tillemont,  Mémoires,  t.  xvi,  a.  28,  p.  335-336,  et  notes 
20-22,  p.  763. 

Déjà  plusieurs  moines  orthodoxes,  principalement 
les  acémètes  de  Constantinople,  et  plusieurs  évêques 
expulsés  de  leurs  sièges  s'étaient  adressés  au  pape. 
Mansi,  Concil.,  t.  vu,  col.  1137.  Parmi  ces  évêques,  dit 
Tillemont,  op.  cit.,  a.  45,  p.  368-369,  nous  ne  connaissons 
«  que  ceux  dont  Théophane  nous  a  conservé  la  mémoire, 
qui  sont  Nestor  de  Tarse,  Cyr  d'Hiéraple,  Jean  de  Cyr, 
Romain  de  Chalcédoine  ou  peut-être  de  Chalcide, 
comme  l'a  mis  M.  Valois,  car  tous  les  autres  sont  du 
patriarcat  d'Antioche;  Eusèbe  de  Samosate,  Julien 
de  Mopsueste,  Paul  de  Constantine,  Mane  d'Himère, 
André  de  Théodosiople  :  Zenon  les  fit  chasser  de  leurs 
églises,  sous  prétexte  qu'ils  avaient  favorisé  les  tyrans 
Léonce  et  Illus,  mais  en  effet  à  cause  de  son  Hénotique, 
dit  Théophane.  »  Ces  prélats,  affirme  explicitement 
Théophane,  s'adressèrent  au  pape  Félix,  après  la  mort 
de  Simplicius,  et  lui  déclarèrent  que  le  vrai  responsable 
de  tout  le  mal  était  Acace.  Chrono q raphia,  an.  478, 
Bonn,  p.  204;  P.  G.,  t.  cvm,  col.  32L 

C'est  alors  que  Félix  III  envoya  à  Constantinople  en 
qualité  de  légats  les  évêques  Vital  de  Tronto  dans  le 
Picenum  et  Misenus  de  Cume  en  Campanie  :  ils  avaient 
pour  mission  d'obtenir  de  l'empereur  que  Pierre  Monge 
fût  chassé  d'Alexandrie,  et  d'inviter  Acace  à  se  justi- 
fier, dans  un  concile  romain,  des  plaintes  portées 
contre  lui  par  Jean  Talaïa.  Epistolœ  et  acta  Felicis 
papas  III,  dans  Mansi,  Concil.,  t.  vu,  col.  1028-1032, 
1108.  Le  pape  leur  manda  plus  tard  d'avoir  à  s'en- 
tendre avec  Cyrille,  archimandrite  des  acémètes. 
Arrivés  à  la  cour  byzantine,  les  légats  se  laissèrent 
gagner  par  la  ruse  et  la  violence,  acceptèrent  la  com- 
munion d' Acace  et  de  Pierre  Monge,  signèrent  un  juge- 
ment favorable  à  ce  dernier,  en  un  mot,  trahirent  leur 
mandat.  Voir  les  détails  circonstanciés  de  cette  trahi- 
son, clans  Tillemont,  op.  cit.,  a.  34,  p.  348-350.  Cf. 
Théophane,  Chronographia,  an.  482,  P.  G.,  t.  cvm, 
col.  325. 

Les  lettres  confiées  par  Zenon  aux  deux  légats  lors 
de  leur  départ  renfermaient  les  éloges  les  plus  excessifs 
à  l'adresse  de  Pierre  Monge,  dont  la  condamnation 
antérieure  était  effrontément  mise  en  question.  Un 
fragment  des  lettres  impériales  a  été  conservé  par 
Évagre,  H.  E.,  1.  III,  c.  xx,  P.  G.,  t.  lxxxvi,  col.  2637. 
Zenon  renouvelle  ses  plaintes  conlre  «  le  parjure  » 
Talaïa;  il  affirme  que  personne  ne  songe  à  toucher  au 
concile  de  Chalcédoine,  lequel  s'accorde  entièrement 
avec  celui  de  Nicée;  que  Pierre  Monge  a  solennellement 
accepté  le  IVe  concile,  qu'il  y  est  sincèrement  attaché; 
que  lui,  empereur,  a  traité  les  affaires  ecclésiastiques 
avec  la  plus  grande  modération,  et  qu'il  s'est  pleine- 
ment conformé  aux  instructions  du  patriarche  Acace. 
Hergenrôther,  Photius,  t.  i,  p.  123. 

Quant  au  contenu  de  la  lettre  d' Acace,  nous  le 
connaissons  par  les  lettres  subséquentes  du  pape 
Félix  III,  Epist.,  vi,  ix,  x,  Traclatus  super  causa 
Acacii,  dans  Mansi,  Concil.,  t.  vu,  col.  1053-1089;  par 
le  synode  romain  de  184,  ibid.,  col.  1105-1109;  par  la 
correspondance  du  pape  saint  Gélase,  Epist.,  xm, 
ad  episcopos  Dard.;  Epist.,  xv,  ad  episc.  Orient.,  dans 
Mansi,  t.  vin,  col.  49-63;  par  Liberatus,  c.  xvm;  par 
le  Breviculus  historiée  eutijehianorum,  dans  Mansi, 
t.  vu,  col.  1060-1065.  Le  patriarche  byzantin  soutient 
la  légitimité  de  Pierre  Monge,  accuse  de  nouveau 
Talaïa,  sans  réfuter  aucunement  les  accusations  portées 
contre  sa  propre  personne;  et  il  prétexte,  pour  se 
couvrir,  la  volonté  de  l'empereur,  que  d'autre  part  il  se 
glorifiait  d'avoir  complètement  en  son  pouvoir. 
Félix  III,  Epist.  ad  Zenonem,  Tractatus  super  causa 


210/ 


H  E  N  0  T  I O  U  E 


2168 


Acacii;  S.  Gélase,  Epist.,  xm.  Hergenrôther,  Pholius, 
t.  i.  p.  123,  note  très  justement  que  le  patriarche  de 
Constantinople  se  posait,  de  fait,  en  chef  ecclésiastique 
de  tout  l'empire  oriental  et  ne  paraissait  pas  se  soucier 
désormais  du  siège  de  Rome.  Il  perdit  ainsi  le  dernier 
reste  de  confiance  de  la  part  des  catholiques,  surtout 
des  moines  acémètes,  qui  se  séparèrent  de  sa  com- 
munion. L'infidélité  des  légats  romains  souleva  dans 
ce  milieu  orthodoxe  la  plus  éclatante  indignation.  Voir 
le  récit  de  Théophane  le  Chronographe,  an.  480, 
Bonn,  p.  205;  P.  G.,  t.  cviii,  col.  324.  L'acémète  Siméon 
fut  envoyé  à  Rome  pour  rapporter  au  pape  ce  qui 
s'était  passé  et  pour  démasquer  les  légats  infidèles. 
Évagre,  H.  E.,  1.  III.  c.  xxi,  P.  G.,  t.  lxxxvi,  col.  2640. 

Félix  III  réunit  à  Rome  un  concile  de  07  évêques 
(juillet  484),  reprit  lui-même  toute  l'affaire,  cassa  la 
sentence  des  légats,  les  destitua  de  leur  dignité,  et  les 
priva  même  de  la  communion  eucharistique.  Il  renou- 
vela la  condamnation  déjà  portée  contre  Pierre  Monge, 
et  prononça  contre  Acace,  qui  dans  l'intervalle  avait 
été  une  fois  encore  inutilement  averti  et  exhorté, 
l'excommunication  et  la  déposition  :  Acacium,  qui 
secundo  a  nobis  admonitus  statulorum  sah:brium  non 
destitit  esse  conlemptor,  meque  in  meis  credidit  carce- 
randum,  hune  Deus  cielitus  prolata  sententia  de  sacer- 
dotio  fecit  extorrem.  Ergo,  si  quis  episcopus,  clerieus, 
monachus,  laicus  post  hanc  denunciationem  eidem  com- 
municaverii,  analhema  sit,  Spirilu  Sancto  exsequente. 
Mansi,  Concil.,  t.  vu,  col.  1065. 

Parmi  les  nombreux  crimes  d'Acace,  ceux-ci  étaient 
spécialement  relevés  :  1°  contre  les  canons  de  Nicée,  il 
s'est  arrogé  des  droits  étrangers;  2°  non  seulement  il 
a  reçu  dans  sa  communion  les  hérétiques,  mais  encore 
il  leur  a  procuré  des  évêchés,  comme  notamment  à 
Jean  d'Apamée  l'archevêché  de  Tyr;  3°  il  a  soutenu 
Pierre  Monge  dans  l'occupation  du  siège  d'Alexandrie, 
il  persiste  à  le  soutenir  et  à  rester  en  communion  avec 
lui;  4°  il  a  entraîné  les  légats  romains  à  transgresser 
leurs  instructions,  il  les  a  trompés  et  fait  mettre  en 
prison  ;  5°  loin  de  se  justifier  des  plaintes  de  Talaïa 
contre  lui,  il  s'est  montré  obstinément  rebelle  aux  aver- 
tissements du  siège  apostolique,  et  il  a  donné  à  toute 
l'Église  orientale  le  plus  grand  scandale.  Félix  III, 
Episl.,  vi,  ad  Acacium,  28  juillet  484,  dans  Mansi, 
Concil.,  t.  vu,  col.  1053-1055. 

L'exemplaire  de  la  sentence  contre  Acace,  destiné 
à  être  envoyé  à  Constantinople,  fut  souscrit  par  le  pape 
seul.  C'était,  d'une  part,  comme  le  remarque  Hergen- 
rôther, op.  cit.,  p.  124,  se  conformer  à  un  usage  ancien, 
et,  d'autre  part,  faciliter  la  transmission  secrète  et 
plus  sûre  à  la  capitale  byzantine.  Si,  en  effet,  la  sen- 
tence eût  été  souscrite  aussi  par  les  évêques  du  synode, 
il  eût  fallu,  selon  la  coutume  alors  régnante,  que  deux 
évêques  au  moins  allassent  la  porter  à  Constantinople  : 
ce  qui,  après  le  triste  exemple  de  la  précédente  léga- 
tion, paraissait  très  dangereux.  Souscrite  par  le  pape 
seul,  elle  put  être  confiée  à  un  simple  clerc,  nommé 
Tutus,  honoré  de  la  dignité  de  defensor  de  l'Église 
romaine.  Cette  forme  moins  solennelle  mettait  davan- 
tage à  l'abri  des  embûches  ou  des  violences  impériales. 
Car  «  Zenon  faisait  garder  tous  les  chemins  par  mer  et 
par  terre,  pour  empêcher  qu'on  apportât  rien  fie  Rome 
contre  Acace.  Ainsi  il  n'y  avait  pas  moyen  d'envoyer 
la  sentence  rendue  contre  lui,  par  une  voie  publique  et 
solennelle,  et  par  des  évêques;  mais  il  fallait  l'envoyer 
secrètement,  de  peur  qu'elle  ne  fût  prise  et  ne  demeurât 
sans  ellet.  »  Tilltmont,  op.  cit.,  a.  42. 

Dans  une  lettre  adressée  à  l'empereur  le  1"  août  484, 
Félix  III  se  plaint  des  indignes  procédés  employés 
contre  ses  légats;  il  déclare  avec  fermeté  que  l'héré- 
tique Pierre  Monge  ne  saurait  avoir  aucun  espoir  d'être 
reconnu  par  le  saint-siège;  qu'il  lui  reste,  à  lui,  empe- 
reur, à  choisir  entre  la  communion  de  Pierre  l'apôtre 


et  celle  de  Pierre  l'hérétique.  Il  rappelle  enfin  le  sou- 
verain aux  limites  de  son  pouvoir  et  lui  annonce  la 
sentence  portée  contre  Acace.  Episl.,  ix,  dans  Mansi, 
Concil.,  t.  vu,  col.  1065-1066. 

En  même  temps,  dans  une  lettre  au  clergé  et  au 
peuple  de  Constantinople,  le  pape  cherchait  à  réparer 
le  scandale  donné  par  ses  légats,  à  démontrer  la  justice 
du  jugement  porté  et  à  en  assurer  l'exécution.  Episl.,  x, 
col.  1067. 

Un  peu  plus  tard,  en  octobre  485,  à  la  nouvelle  de 
la  déposition  de  Calandion  à  Antioche  et  du  rétablisse- 
ment de  l'intrus  Pierre,  le  Foulon,  Félix  III  tint  encore, 
avec  43  évêques,  un  synode  qui  renouvela  l'anathème 
à  la  fois  contre  Pierre  le  Foulon,  contre  Pierre  Monge 
et  contre  Acace.  Mansi,  t.  vu,  col.  1139. 

Sur  les  deux  synodes  romains  de  484  et  485  et  la 
condamnation  d'Acace,  voir  Tillemont,  Mémoires, 
t.  xvi,  a.  36-40,  p.  351-359;  a.  48,  p.  373-374,  et 
note  25,  p.  764-766;  B.  M.  de  Rubeis,  De  una  sententia 
damnalionis  in  Acacium  episcopum  Conslantinopolita- 
num  post  quinquennium  silentii  lala  in  synodo  Ro- 
mana  Felicis  papse  III,  disserlatio,  in-8°, Venise,  1729; 
H.  de  Valois,  De  duobus  synodis  romanis  in  quibus 
damnatus  est  Acacius,  appendice  à  l'édition  de  YHis- 
toria  ecclcsiaslica  d'Évagre,  Paris,  1673,  réimprimé  dans 
P.  G.,  t.  lxxxvi,  col.  2895-2906  (cette  dissertation  de 
H.  de  Valois  est  inséparable  de  celle  qui  la  précède  dans 
le  même  ouvrage,  à  savoir  :  De  Pctro  Antiocheno  epi- 
scopo  qui  Fullo  cognominatus  est,  et  de  synodis  adversus 
eum  colleclis,  col.  2885-2895,  et  toutes  deux  forment  les 
deux  livres  des  Observaliones  in  Historiam  ecclesias- 
ticam  Evagrii);  Hefele,  Histoire  des  conciles,  trad. 
Leclercq,  t.  n,  p.  868-870. 

Un  grand  chagrin  était  encore  réservé  à  Félix  III  : 
l'infidélité  du  defensor  Tutus,  qui  se  laissa  séduire  à 
prix  d'argent,  après  avoir  toutefois  accompli  la  plus 
grande  partie  de  sa  mission  et  remis  en  mains  sûres  la 
sentence  portée  contre  Acace.  H.  de  Vulois,  dans  la  dis- 
sertation signalée  plus  haut,  c.  v,  P.  G.,  t.  lxxxvi, 
col.  2902,  explique  ainsi  en  quoi  consista  la  défection 
de  Tutus  :  His  omnibus  fidcliter  peraclis,  sicut  in  man- 
dalis  acceperat,  dolis  Acacii  circumventus  est.  Missus 
enim  ad  eum  senex  quidam  Maronas  nomine,  magnam 
vim  pecuniœ  pollicitus  est,  si  Acacio  consentire  velhl, 
cique  omnia  quœ  Romœ  contra  ipsum  agebanlur  aperire. 
Quod  quidem  Tutus,  amore  pecuniœ  corruptus,  scriptis 
litteris  se  facturum  respondit.  Verum  Ruftnus  et 
Thalassius  archimandrite,  cl  cœlcri  monachi  Con- 
stanlinopoli  et  per  Bithyniam  consliluti,  simul  alque 
Tutus  Romam  reversus  est,  litteras  scripserunl  ad 
Felicem  papam,  quibus  eum  de  proditione  Tuti  certiorem 
fecerunt,  missis  eliam  Tuti  ipsius  litteris.  De  tels  détails 
offrent,  en  quelques  lignes,  un  véritable  tableau  de  la 
triste  situation  créée  par  l'Hénotique  et  les  intrigues 
d'Acace. 

Tutus  fut,  lui  aussi,  frappé  de  déposition  perpétuelle. 
Félix  III,  Epist.,  xi,  ad  presbyleros  et  archimandrilas, 
an.  485,  dans  Mansi,  t.  vu,  col.  1068. 

Le  schisme  était  commencé  entre  Constantinople  et 
Rome.  Acace  r.'était  pas  homme  à  céder.  «  Il  lutta 
contre  les  orthodoxes,  tantôt  avec  ruse  et  fourberie, 
comme  notamment  par  l'assurance  fallacieuse  que  le 
pape  avait  reconnu  Pierre  Monge  (Évagre,  H.  E., 
1.  III,  c.  xxi,  P.  G.,  t.  lxxxvi,  col.  2640),  tantôt  aussi 
par  la  violence  ouverte,  qu'eurent  spécialement  à 
éprouver  de  la  manière  la  plus  lourde  les  moines  acé- 
mètes étroitement  unis  à  Rome.  »  Hergenrôther, 
Pholius,  t.  i,  p.  125. 

Ce  furent  ces  moines  qui,  ayant  reçu  de  Tutus  la 
lettre  du  pape,  se  chargèrent  de  la  faire  tenir  à  Acace. 
Tillemont  raconte  ainsi  la  chose  :  «  Tute  s'acquitta 
fort  bien  de  sa  commission.  Il  se  sauva  de  ceux  qui 
gardaient  le  détroit  d'Abyde,  et  se  rendit  dans  le  mo- 


2169 


HÉNOTIQUE 


2170 


nastère  de  Saint-Die.  On  savait  bien  qu'Acace,  qui  se 
sentait  appuyé  par  Zenon,  ne  recevrait  jamais  la  lettre 
du  pape.  Mais  quelques  moines  de  Saint-Die  la  lui  firent 
tomber  entre  les  mains  un  dimanche  lorsqu'il  était  à 
l'autel  (Théophane,  an.  480,  P.  G.,  t.  cvm,  col.  324  ; 
Kicéphore,  1.  XVI,  c.  xvn,  P.  G.,  t.  cxi/vn,  col.  152), 
ou  qu'il  y  entrait  pour  célébrer  les  saints  mystères 
(Liberatus,  Breviarium,  c.  xvm),  en  l'attachant  à  son 
pallium.  D'autres  (Évagre,  H.  E.,  1.  III,  c.  xvm, 
p.  G.,  t.  lxxxvi,  col.  2636)  disent  que  cela  se  fit  par 
un  où  plusieurs  moines  acémètes...  Victor  de  Tunes 
dit  qu'Acace  reçut  la  sentence  de  sa  condamnation  par 
les  moines  acémètes  des  monastères  de  Bassien  et  de 
Die.  Ceux  qui  étaient  autour  d'Acace  ne  pouvaient 
souffrir  la  hardiesse  de  ces  moines,  en  tuèrent  plusieurs, 
en  blessèrent  d'autres  et  en  mirent  quelques-uns  en 
prison,  comme  Nicéphore  nous  en  assure  sur  l'autorité 
de  Basile  de  Cilicie.  et  Théophane  dit  à  peu  près  la 
même  chose.  De  sorte  que  ce  n'est  pas  sans  fondement 
que  Baronius  (an.  483, §  34)  a  mis  ces  moines  au  rang 
des  martyrs.  »  Op.  cit.,  a.  42,  p.  361-362. 

Les  évêques  orientaux  tremblaient  devant  la  puis- 
sance de  l'empereur  et  les  intrigues  de  son  patriarche, 
qui  agissait,  dit  Tillemont,  op.  cit.,  a.  45,  p.  367,  «  avec 
une  violence  de  tyran  ».  Théophane  assure,  Chrono- 
graphia,  an.  480,  P.  G.,  t.  cvm,  col.  324,  que  Zenon, 
poussé  par  Acace,  forçait  les  évêques  à  signer  l'Héno- 
tique  et  à  communier  avec  Pierre  Monge.  Victor  de 
Tunes,  an.  485,  écrit  que  tous  les  évêques  de  l'Orient, 
hors  un  fort  petit  nombre,  renoncèrent  au  concile  de 
Chalcédoine  par  l'Hénotique  et  prirent  part  aux  fautes 
des  deux  Pierre  (Monge  et  le  Foulon)  et  d'Acace,  en 
entrant  dans  leur  communion.  Cf.  Théodore  le  Lecteur 
et  la  Chronique  de  Nicéphore. 

><  Le  schisme  acacien  commence,  qui  consacre  et 
organise  l'autonomie  byzantine.  L'Hénotique  devient 
le  'mot  d'ordre  du  parti  ;  sous  ce  prétexte  doctrinal, 
l'Église  byzantine  commence  de  se  former;  le  personnel 
épiscopaf  est  renouvelé,  vaincu,  comme  Vitalis,  par 
les  promesses  ou  les  menaces  ;  la  juridiction  de  Con- 
stantinople  s'étend, s'affermit, se  régularise;  durant  les 
trente  années  que  cette  situation  dure,  Constantinople 
devient  la  vraie  métropole  de  l'Orient  :  elle  hérite 
d'Antioche  comme  elle  a  hérité  d'Alexandrie.  L'empe- 
reur et  le  patriarche  maintiennent  l'unité  de  la  foi  sur 
les  bases  établies  par  l'édit  de  482  ;  ils  tentent  de  tenir 
la  balance  égale  entre  les  monophysites,  tout-puis- 
sants dans  les  vieux  pays  de  Syrie  et  d'Egypte,  et  les 
catholiques,  très  solidement  organisés  dans  la  capi- 
tale et  en  Grèce.  »  A.  Dufourcq,  Histoire  de  VÉrjIise  du 
IIIe  au  IXe  siècle,  4e  édit.,  Paris,  1910,  p.  276.  C'est, 
d'une  manière  générale,  tout  l'Orient  séparé  de  Rome, 
à  la  réserve,  écrit  Tillemont,  op.  cit.,  a.  43,  p.  363, 
«  d'un  petit  nombre  de  personnes,  qui  demeuraient 
cachées  sous  la  multitude  des  autres.  » 

Acace  mourut  en  automne  de  l'année  489  (Cuper, 
Séries  patriarcharum  Conslanli  .opolitarum,  n.  234, 
dans  Acla  sanclorum,  august.  t.  i;  Le  Quien,  Oriens 
christianus,  t.  i,  p.  218),  hors  de  la  communion  de 
l'Église  romaine.  Il  laissa  son  diocèse  dans  un  grand 
trouble.  «  Sans  doute,  écrit  Hergenr,>ther,  Photius, 
t.  i,  p.  126,  il  n'avait  pas  été  condamné  précisément 
comme  hérétique,  mais  seulement  comme  fauteur 
d'hérésie  ;  toutefois  il  parut  difficile  de  pouvoir  expli- 
quer sa  conduite  autrement  que  par  une  propension 
couverte  au  monophysisme,  et  c'est  pourquoi  il  a 
mérité  aussi  le  nom  d'hérétique,  qui  lui  a  été  attribué 
non  seulement  en  Occident,  S.  Avit  de  Vienne,  Episl., 
m,  ad  Gundebaldum  ;  Ennodius  de  Pavie,  p.  483,  mais 
aussi  maintes  fois  en  Orient.  Liberatus,  loc.  cil.  ;  Nicé- 
phore, Chron.  ;  Justinien,  Confcssio  fidei  secundo, 
dans  Labbe,  t.  v,  p.  587  ;  Éphrem,  moine,  Chron., 
v.  9744,  édit.  Mai,  p.  230    P.  G.,  t.  ex  un.  Son  ambi- 


tion sans  limites,  pour  qui  tout  moyen,  moral  ou  im- 
moral, observation  et  violation  des  canons,  semblait 
être  tout  à  fait  indifférent,  S.  Gélase,  Episl.,  xm, 
a  servi  d'exemple  à  beaucoup  de  ses  successeurs,  et  il 
apparaît  comme  le  véritable  fondateur  du  patriarcat 
byzantin  au  point  de  vue  de  la  juridiction  réelle,  telle 
qu'elle  a  été  comprise  dans  les  temps  ultérieurs.  » 
Hergenr  ther,  loc.  cit.  Cf.  Le  Quien,  Oriens  christianus, 
t.  i,  c.  x,  §  6;  c.  xi,  §  5,  p.  60-64. 

Son  successeur,  Flavita  ou  Fravitas,  désigné  aussi 
parfois  sous  le  nom  de  Flavien  II,  sur  l'élection  duquel, 
d'après  certains  auteurs,  Nicéphore,  Chron.,  xvi,  18  ; 
cf.  Cuper,  loc.  cit.,  n.  235-237,  pèse  un  soupçon  de 
fraude  ou  d'imposture,  chercha  à  se  faire  reconnaître 
par  Rome,  en  même  temps  qu'il  entrait  en  relations 
avec  Pierre  Monge.  Le  pape  Félix  III  exigea  que  les 
noms  d'Acace  et  de  Pierre  Monge  fussent  rayés  des 
diptyques.  Epist.,  xm,  ad Zenonenr,  xiv,  ad  Flavilani; 
xv,  ad  Vetranum  episcopum,  dans  Mansi,  Concil. 
t.  vu,  col.  1097-1100,  1103.  Mais  Flavita  mourut 
avant  d'avoir  reçu  la  lettre  du  pape,  après  un  peu' 
plus  de  trois  mois  d'épiscopat,  au  début  de  l'année  490. 
Cf.  Cuper,  loc.  cit.,  n.  240  ;  Le  Quien,  op.  cit.,  t.  î, 
p.  219.  Le  moine  Éphrem,  dans  sa  Chronibue,  P.  G., 
t.  cxliii,  v.  9743-9744,  l'appelle  :  àvtspoç,  (3Xâ<j<p7]uo;, 
o'.ocpuaiTïi;,    Axaxicp  auu.uvouç  xat  dûaœpcov  c;6aç. 

Euphémius  (490-496),  qui  lui  succéda,  reconnut,  il 
est  vrai,  le  concile  de  Chalcédoine,  rétablit  dans  les 
diptyques  le  nom  du  pape,  et  renonça  à  la  communion 
de  Pierre  Monge  (t  en  490)  ;  mais  il  refusa  d'effacer  des 
diptyques  les  noms  de  ses  deux  prédécesseurs,   qui 
avaient    été    des    fauteurs    de    l'hérésie.    L'empereur 
Zenon  étant  mort  en  491,  son  successeur    Anastase 
(491-518)    maintint    l'Hénotique  ;    suspect    lui-même 
d'hérésie,  il  favorisa  les  monophysites,  quoiqu'il  eût 
promis,  le  jour  de  son  couronnement,  de  défendre  les 
décrets  de  Chalcédoine.  Le  pape  saint  Gélase  (492-496), 
qui  succéda  à  saint  Félix  III,  maintint  toutes  les  justes 
exigences  du    saint-siège.  Les  négociations  d'Euphé- 
mius  avec  Rome  furent  vaines  ;  vaines  aussi  les  ten- 
tatives du  pape  pour  gagner  l'empereur.  Celui-ci  fit 
déposer   Euphémius   par   des   évêques   de   cour,    qui 
durent  à  cette  occasion  confirmer  l'Hénotique,  et  le 
remplaça,  en  496,  par  Macédonius  II,  qui  dut,  lui  aussi, 
signer  l'Hénotique.  Le  pape  saint  Anastase  II  (496- 
498)  envoya  à  l'empereur  des  lettres  et  des  légats  pour 
le  conjurer  de  ne  point  permettre  que  l'unité  de  l'Église 
fût  rompue  en  considération  d'un  mort  légitimement 
condamné.  Tout  en  maintenant  la  radiation  du  nom 
d'Acace  sur  les  diptyques,  il  reconnut  la  validité  et  la 
légitimité  des  baptêmes  et  des  ordinations  conférés 
par  lui.  Mansi,  t.  vin,  col.  190  ;  Denzinger-Bannwart, 
Enchiridion,  n.  169  (saint  Félix  III,  Epist.,  xiv,  c.  iv, 
et  saint  Gélase,  Epist.,  m,  xn,  avaient  déjà  parlé  de  la 
condescendance  dont  il  fallait  user  envers  ceux  qui 
avaient  été  baptisés  ou  ordonnés  par  Acace);    enfin 
Anastase  II  demanda  que  l'on  mît  fin  à  la  tyrannie 
dogmatique,  et  que  l'on  rétablît  la  foi  catholique  à 
Alexandrie. 

L'empereur,  de  plus  en  plus  attaché  à  l'hérésie, 
écarta  les  légats  et  n'accéda  à  aucun  des  désirs  du 
pape.  Il  tenta  même  audacieusement  de  mettre  la 
main  sur  le  siège  de  Rome,  en  poussant  à  la  tiare  l'ar- 
chidiacre Laurent,  «  qui  promettait  de  reconnaître 
l'Hénotique,  c'est-à-dire  de  prendre  le  mot  d'ordre  à 
Byzance.  »  A.  Dufourcq,  op.  cit.,  p.  277.  Il  échpua  de  ce 
côté,  et  ce  fut  le  pape  légitime,  saint  Symmaque,  qui 
triompha,  mais  le  basileus  prit  sa  revanche  en  Orient 
par  la  protection  qu'il  accorda  aux  deux  chefs  fort 
habiles  que  le  parti  monophysite  trouva  alors  :  Sévère 
et  Xénaïas  ou  Philoxène. 

Bien  que  l'opinion  fût  alors  très  répandue  en  Orient, 
qu'un  clerc  peut  régulièrement  succéder  à  un  évêqu8 


2171 


HÉNOTIQUE 


2172 


chassé  de  son  siège  par  la  violence,  si  l'Église  devait 
autrement  demeurer  sans  pasteur  —  opinion  contre 
laquelle  le  pape  saint  Gélase  s'était  très  fermement 
élevé.  Epiât.,  xm,  ad  episcopos  Dardanix,  Mansi, 
t.  vin,  col.  49  sq.  —  le  patriarche  Macédonius  sentit 
néanmoins  l'illégalité  réelle  de  son  élection.  Il  s'efforça 
dans  la  suite  de  se  faire  pardonner  cette  illégalité,  et 
montra,  selon  l'expression  de  Tillemont,  op.  cit.,  c.  sur 
Euphème  de  Constantinople,  a.  10,  p.  661,  qu'il  eût 
été  «  digne  assurément  de  cet  honneur,  s'il  y  fût  monté 
par  une  autre  voie  ».  Il  se  déclara  très  nettement  contre 
les  eutychiens,  dans  un  synode  tenu  en  497  ou  498,  et 
renouvela  les  décrets  de  Chalcédoine,  soit  totalement, 
soit  partiellement.  Évagre,  H.  E.,  1.  III,  c.  xxxi, 
P.  G.,  t.  lxxxvi,  col.  2657  sq.;  Théophane,  Chrono- 
graphia,  an.  491,  P.  G.,  t.  cvm,  col.  340  ;  Libellus 
synodicus,  dans  Mansi,  Concil.,  t.  vm,  col.  374  ;  Cedre- 
nus,  Chron.,  P.  G.,  t.  cxxi,  col.  684.  Victor  de  Tunes  ne 
s'accorde  qu'en  partie  avec  les  auteurs  précités.  Voir 
Hefele,  Histoire  des  conciles,  trad.  Leclercq,  t.  n, 
p.  913-919.  L'empereur  Anastase  se  posant  de  plus  en 
plus  en  protecteur  des  monophysites,  Macédonius  lui 
résista  ouvertement.  Le  peuple  se  rangea  du  côté  du 
patriarche.  Mais  l'hypocrite  souverain  eut  recours  à 
des  intrigues  pour  se  maintenir  sur  le  trône  dont  la 
fureur  populaire  l'avait  déclaré  indigne.  Il  fit  alors 
venir  à  Constantinople  le  fameux  Sévère  avec  des 
bandes  de  moines  de  son  parti.  La  lutte  avec  Macé- 
donius se  poursuivit,  signalée  tour  à  tour  de  la  part 
du  basileus  par  d'injustes  vexations,  puis  par  des  con- 
cessions hypocrites,  jusqu'au  jour  où,  en  511,  enlevé  de 
son  palais  à  la  faveur  des  ténèbres,  le  patriarche  fut 
emmené  à  Chalcédoine  d'abord,  puis  à  Euchaïtes  en 
Paphlagonie.  où  Euphémius  avait  précédemment  été 
exilé.  Théodore  le  Lecteur,  n,  26-28;  Théophane, 
an.  504,  P.  G.,  t.  cvm,  col.  364-368  ;  Liberatus,  Brevia- 
rium,  c.  xix  ;  Marcellinus  Cornes,  Chronicon,  an.  511, 
P.  L.,  t.  n,  col.  937;  Nicéphore,  xvi,  26,  P.  G., 
t.  cxvn,  col.  164-168;  Victor  de  Tunes,  Chronicon, 
an.  501,  P.  L.,  t.  lxviii,  col.  949;  Évagre,  H.  E.,  1.  III, 
c.  xxxi-xxxn.  Cf.  Cuper,  Hisioria  chronologica  patriar- 
charum  Constantinopolitanorum,  n.  289-291. 

En  dépit  de  son  incontestable  bonne  volonté  et  de 
l'énergique  résistance  qu'il  opposa  aux  menées  de 
l'empereur,  Macédonius,  pas  plus  que  son  prédé- 
cesseur, n'avait  pu  réussir  à  rétablir  la  communion 
avec  Rome. 

Son  successeur,  Timothée  (511-518),  fut  l'homme  du 
basileus,  tour  à  tour  sévissant  avec  lui  contre  les 
orthodoxes,  s'inclinant  hypocritement  devant  le  dan- 
ger des  menaces  populaires,  puis,  le  danger  passé, 
reprenant  la  protection  des  hérétiques  et  la  persécu- 
tion des  catholiques.  Après  l'expulsion  de  Flavien 
d'Antioche  et  d'Èlie  de  Jérusalem  en  511,  le  siège 
d'Antioche  fut  occupé,  en  513,  par  l'hérétique  Sévère; 
celui  de  Jérusalem,  par  Jean,  qui,  contrairement  à  ce 
qu'on  attendait  de  lui,  se  rallia  les  moines  orthodoxes. 
Vita  S.  Sabœ,  c.  lxxvii,  lxxix,  lxxx;  Théophane, 
Chronographia,  an.  505,  col.  368-373;  Marcellinus 
Cornes,  op.  cit.,  an.  512,  513,  col.  937-938;  Victor  de 
Tunes,  toc.  cit. 

Les  évêques  d'Isaurie  et  de  Syrie  IIe  s'opposèrent  à 
l'usurpateur  d'Antioche;  deux  d'entre  eux,  Cosmas 
et  Sévérien,  lui  envoyèrent  même  un  écrit  de  déposi- 
tion. La  résistance  orthodoxe  se  manifestait  donc 
encore  assez  forte.  C'est  alors,  en  514,  qu'éclata  la 
révolte  du  général  Vitalien  ;  elle  avait  pris  pour  occa- 
sion les  mauvais  traitements  infligés  aux  catholiques 
et  le  bannissement  de  leurs  plus  éminents  pasteurs,  et 
menaçait  de  devenir  une  guerre  de  religion.  Hergen- 
rother,  Photius,  t.  i,  p.  111.  Effrayé  par  la  marche  vic- 
torieuse de  Vitalien,  qui  venait  sur  la  capitale,  l'em- 
pereur demanda  la  paix  et  promit  par  serment  de  rap- 


peler les  évoques  expulsés,  notamment  Macédonius  de 
Constantinople  et  Flavien  d'Antioche,  de  réunir  un 
concile  général  sous  la  présidence  du  pape  à  Héraclée 
de  Thrace,  et  de  soutenir  désormais  les  orthodoxes. 
Évagre,  H.  E.,  1.  III,  c.  xliii,  P.  G.,  lxxxvi,  col. 
2696  ;  Théophane,  Chronographia,  an.  506,  loc.  cit., 
col.  373. 

La  réalisation  de  ces  promesses  eût  été  de  fait  le 
rétablissement  des  relations  avec  Rome,  après  une 
longue  interruption.  Déjà  maints  évoques  orientaux, 
dans  une  lettre  très  respectueuse,  avaient  adressé  au 
pape  Symmaque  (498-514),  avec  une  profession  de  foi 
orthodoxe,  un  touchant  appel.  Epist.  episc.  Orient., 
dans  Labbe,  Concilia,  t.  v,  p.  433  sq.  ;  Mansi,  Concil., 
t.  vm,  col.  221-226:  réponse  de  S.  Symmaque,  Epist., 
vm,  Mansi,  col.  218-220.  Voir  P.  Bernardakis,  Les 
appels  au  pape  dans  l'Église  grecque  jusqu'à  Photius, 
dans  les  Échos  d'Orient,  1903,  t.  vi,  p.  120-121. 

A  saint  Symmaque  succéda  saint  Hormisdas  (20 
juillet  514-6  août  523).  L'empereur  Anastase  lui 
exprima  en  deux  lettres  successives,  fin  décembre  514 
et  janvier  515,  le  désir  de  voir  la  paix  ecclésiastique 
rétablie  et  un  concile  général  assemblé  à  Héraclée  de 
Thrace.  Voir  la  réponse  du  pape,  4  avril  515,  dans 
Mansi,  t.  vm,  col.  385.  Après  mûre  réflexion,  Hor- 
misdas envoya  à  Constantinople  (515)  les  évêques 
Ennodius  de  Pavie  et  Fortunat  de  Catane,  le  prêtre 
Venance,  le  diacre  Vital  et  le  notaire  Hilaire,  avec  des 
instructions  précises  :  Indiculus  qui  datus  est  Enno- 
dio,  etc.,  dans  Mansi,  t.  vm,  col.  389-393.  Son  but  était 
surtout  d'éprouver  la  bonne  foi  d'Anastase,  précau- 
tion que  les  événements  ultérieurs  devaient  pleinement 
justifier.  Dans  de  nouvelles  lettres,  juillet  et  août  515, 
le  pape  recommanda  au  prince  ses  envoyés  et  indiqua 
avec  précision  les  conditions  de  la  paix  ecclésiastique  : 
l'empereur  devait  souscrire  la  formule  qui  lui  serait 
présentée,  accepter  le  concile  de  Chalcédoine  et  la 
lettre  dogmatique  de  saint  Léon  ;  condamner  Nestorius, 
Eutychès,  Dioscore  et  leurs  partisans,  entre  autres 
notamment  Acace,  rétablir  les  prélats  qui  avaient  été 
déposés  pour  leur  attachement  à  l'orthodoxie  et  à  la 
communion  avec  Rome,  enfin,  abandonner  au  siège 
apostolique  la  cause  de  chaque  évêque.  Mansi,  t.  vm, 
col.  388. 

Le  basileus  essaya  de  nouveau  ses  anciennes  habi- 
letés, et  mit  tout  en  œuvre  pour  se  gagner  les  légats. 
A  ceux-ci,  lors  de  leur  retour  à  Rome,  ainsi  qu'aux 
deux  fonctionnaires  de  la  cour  envoyés  par  lui,  il 
donna  des  lettres  pleines  d'honneurs  pour  le  pape.  Il 
conviait  Hormisdas  à  prendre  part  personnellement  au 
concile  projeté,  et  cherchait  à  le  rassurer  entièrement 
par  une  profession  de  foi  orthodoxe  où  le  synode  de 
Chalcédoine  était  expressément  reconnu.  C'est  seule- 
ment sur  l'unique  point  concernant  Acace  qu'il 
déclara  ne  pas  pouvoir  céder,  malgré  sa  disposition  per- 
sonnelle, parce  que,  disait-il,  à  cause  de  ce  patriarche 
défunt,  des  vivants  se  verraient  chassés  de  l'église, 
qu'il  s'ensuivrait  de  grands  troubles  et  d'inévitables 
effusions  de  sang.  Cf.  Baronius.  Annales  eccl.,  an.  516, 
n.  4-6. 

Dans  sa  réponse,  le  pape,  tout  en  louant  le  zèle 
montré  par  Anastase,  exprima  le  désir  que  les  faits 
répondissent  aux  paroles.  Il  ne  pouvait,  ajoutait-il, 
dissimuler  son  étonnement  que  l'ambassade  promise 
eût  tardé  si  longtemps,  et  que  l'empereur,  au  lieu  de 
lui  envoyer  des  évêques,  lui  eût  dépêché  deux  fonc- 
tionnaires laïques,  Théopompe  et  Sévérien,  dans 
lesquels  il  avait  vite  reconnu  des  partisans  du  mono- 
physisme.  Mansi,  Concil.,  t.  vm,  col.  398.  Voir  aussi 
la  lettre  d'Hormisdas  à  saint  Avit  de  Vienne,  15  fé- 
vrier 517,  ibid.,  col.  409-411,  où  le  pape  montre  qu'il 
avait  deviné  la  ruse  grecque  qui  se  cachait  derrière  les 
belles  paroles  et  promesses  du  basileus  :  Sed  quantum 


2173 


HÉNOTIQUE 


2174 


ad  Griccos,  orc  polius  proferuntur  pacis  vola  quam  pec- 
tore,  et  loquuntur  magis  jusla  quam  faciunt;  verbis  se 
vclle  iaclant  quod  nperibus  nollc  déclarant.  Quœ  fugiunl, 
professione  diligunt  :  et  quœ  damnaverinl,  hwc  sequentur. 

Cependant,  saint  Hormisdas  se  décida,  en  517,  à 
envoyer  à  Constantinople  une  nouvelle  ambassade,  à 
la  tète  de  laquelle  se  trouvaient  les  évêques  Ennodius 
et  Peregrinus.  Mansi,  Concil.,  t.  vm,  col.  412-418. 

L'empereur  fit  traîner  les  choses  en  longueur,  jusqu'à 
ce  qu'il  se  sentît  de  nouveau  assez  fort.  En  ce  qui  con- 
cernait spécialement  la  mémoire  d'Acace,  il  avait 
d'ailleurs  avec  lui  la  plupart  des  Byzantins.  Après  la 
mort  de  son  épouse  Ariadne,  qui  avait  été  attachée  au 
patriarche  Macédonius  et  avait  souvent  intercédé  en 
faveur  des  orthodoxes,  Théophane,  Chronographia, 
an  504  ;  Cyrille  de  Scythopolis,  Vila  S.  Sabœ,  c.  lxxiii  ; 
Marcellinus  Cornes,  Chronicon,  an.  515,  Anastase 
donna  aux  200  évêques  réunis  à  Héraclée  l'ordre  de  se 
séparer  sans  avoir  rien  fait.  Théophane,  P.  G.,  t.  cliii, 
an.  506;.  Cedrenus,  P.  G.,  t  cxxi,  col.  689.  Il  chercha 
à  corrompre  les  envoyés  du  pape,  et,  n'y  ayant  point 
réussi,  il  les  congédia  injurieusement.  Les  hérétiques 
purent  alors  de  nouveau  persécuter  impunément  les  or- 
thodoxes. Cedrenus,  loc.  cit.,  col.  692;  Zonaras,  xiv,  4'; 
Mansi,  Concil.,  t.  vm,  col.  425.  Voir  P.  Bernardakis, 
Les  appels  au  pape,  etc.,  dans  les  Échos  d'Orient.  1903, 
t.  vi,  p.  121-122. 

Le  saint-siège  retira  néanmoins  de  ses  démarches  un 
résultat  appréciable  :  les  évêques  orthodoxes  d'Orient 
et  un  bon  nombre  d'hommes  influents  se  rattachèrent 
plus  fortement  à  lui,  et  le  formulaire  dogmatique 
imposant  l'obéissance  aux  décisions  romaines  trouva 
de  nombreux  souscripteurs.  Hormisdas,  Epist.  <  d 
Csesarium  Arclalcnsem;  Jean  de  Nicopolis  et  le  synode 
d'Épire  à  Hormisdas.  Cf.  Baronius,  Annales  eccl., 
an.  516. 

IV.  La  réconciliation  avec  Rome  (519)  :  le  véri- 
table HÉNOTIQUE  ORTHODOXE  OU  FORMULE  DU  PAPE 

Hormisdas.  —  L'empire  se  trouvait  dans  la  plus 
grande  confusion,  lorsqu'Anastase  mourut  subite- 
ment, en  518,  précédé  d'ailleurs  dans  la  tombe  par  les 
patriarches  Jean  II  Nikaiotès  d'Alexandrie  et  Timothée 
de  Constantinople.  Théophane,  Chronographia,  an.  509, 
P.  G.,  t.  cvm,  col.  377-380. 

La  fermeté  des  moines  et  du  peuple  avait,  grâce  à 
l'action  persistante  de  Rome,  conservé,  en  dépit  des 
troubles  et  des  schismes,  la  foi  catholique  à  Byzance. 
C'est  ce  qui  permit  au  nouvel  empereur,  Justin, 
d'amener  bientôt  un  complet  revirement. 

Déjà,  lors  de  l'ordination  du  patriarche  Jean  II 
(17  avril  516),  les  fidèles  de  Constantinople  avaient 
exprimé  bien  haut  le  désir  d'un  entier  rétablissement 
de  l'orthodoxie.  Théophane,  an.  510,  loc.  cit.,  col.  381; 
Cuper,  op.  cit..  n.  298.  Lorsque,  peu  de  temps  après, 
le  nouveau  basileus  Justin  Ier,  ardent  catholique, 
Théophane,  loc.  cit.;  Cedrenus,  P.  G.,  t.  cxxi,  col.  693; 
Théodore  le  Lecteur,  III,  27,  parut  pour  la  première 
fois  à  l'église,  le  peuple  réclama  à  grands  cris  l'aboli- 
tion du  schisme,  la  destitution  de  Sévère  d'Antioche 
et  le  rétablissement  du  concile  de  Chalcédoine.  Le 
nouveau  patriarche  proclama  du  haut  de  l'ambon  cette 
destitution  et  ce  rétablissement,  Mansi,  Concil.,  t.  vin, 
col.  1057-1 066.  Voir  P.  Bernardakis,  loc.  cit.,  p.  122-123, 

Restait  à  abolir  le  schisme  et  à  renouer  les  relations 
avec  Borne.  L'empereur  Justin,  secondant  les  efforts 
du  patriarche,  ordonna  le  retour  des  évêques  ortho- 
doxes précédemment  exilés,  et  l'expulsion  des  prélats 
hérétiques.  Les  chefs  des  monophysites,  Sévère  et 
Julien,  s'enfuirent  en  Egypte  où  leur  secte  continuait 
à  avoir  le  dessus.  Liberatus,  Brcviarium,  c.  xix;  Théo- 
phane, loc.  cit.;  Yita  S.  Sabœ;  Cedrenus,  loc.  cit.; 
Zonaras,  xiv,  5.  De  l'Hénotiqueil  ne  fut  plus  question 
désormais. 


Le  peuple  et  les  moines  de  Constantinople  poussaient 
vivement  au  rétablissement  de  la  communion  avec 
Rome.  L'empereur  et  le  patriarche  y  étaient  tout  à 
fait  disposés.  Dès  son  avènement,  Justin  avait  écrit 
au  pape,  5  août  5! 8  ;  un  mois  plus  tard,  7  septembre,  il 
lui  demande  d'envoyer  des  légats  à  Constantinople 
pour  le  rétablissement  de  l'union,  appuyant  et  con- 
firmant, d'ailleurs,  la  requête  du  patriarche  et  du 
synode. 

Saint  Hormisdas  félicita  le  nouveau  basileus  et  le 
loua  de  son  zèle  pour  la  cause  de  l'union.  Mansi, 
Concil.,  t.  vm,  col.  434-435.  Au  patriarche  Jean  II  il 
exprima  son  approbation  pour  la  profession  de  foi  pré- 
sentée, mais  il  demanda  avec  énergie,  comme  exigée 
par  cette  profession  de  foi  elle-même,  la  condamnation 
d'Acace  avec  ses  successeurs  Euphémius  et  Macé- 
donius. En  effet,  disait  le  pape,  accepter  le  concile  de 
Chalcédoine  avec  la  lettre  de  saint  Léon,  et  en  même 
temps  défendre  le  nom  d'Acace,  c'est  soutenir  chose 
contradictoire:  quiconque  condamne Dioscore  et Euty- 
chès  ne  saurait  soutenir  l'innocence  d'Acace.  Mansi, 
ibid.,  col.  437.  Il  exigea,  en  outre,  la  signature  du  for- 
mulaire déjà  présenté  à  d'autres  évêques  et  souscrit 
par  eux,  stipulant  un  complet  accord  avec  la  doctrine 
de  l'Église  romaine  et  l'obéissance  à  ses  décisions, 
Ibid.,  col.  451. 

Le  comte  Gratus,  envoyé  de  l'empereur,  avait  reçu 
la  mission  spéciale  de  traiter  la  question  de  la  mémoire 
d'Acace,  sur  laquelle  on  n'avait  pas  encore  voulu 
céder.  A  côté  de  la  condamnation  d'Acace,  le  saint- 
siège  demandait  aussi  celle  de  ses  deux  successeurs 
Euphémius  et  Macédonius,  qui,  malgré  leurs  faiblesses, 
étaient  demeurés  orthodoxes  de  doctrine  et  avaient 
même  souffert  l'exil  pour  leur  orthodoxie.  Ces  der- 
nières circonstances  rendaient  plus  délicate  la  condam- 
nation d'Euphémius  et  de  Macédonius,  dont  les  noms 
venaient,  du  reste,  d'être  rétablis  dans  les  diptyques 
par  Jean  II.  Pour  atténuer  cette  difficulté,  l'on  eut 
recours  à  un  expédient,  que  le  pape  a  consigné  dans 
l'instruction  à  ses  légats.  Dans  le  cas  où  l'empereur 
et  le  patriarche  consentiraient  à  la  condamnation 
d'Acace,  mais  non  à  celle  d'Euphémius  et  de  Macé- 
donius, les  envoyés  pontificaux  devraient  d'abord 
déclarer  n'être  point  autorisés  à  modifier  la  formule 
mentionnant  les  partisans  du  condamné  avec  le  con- 
damné lui-même.  Si  les  grecs  persistaient  dans  leur 
manière  de  voir,  les  légats  devaient  faire  cette  con- 
cession :  dans  l'anathème  spécial  contre  Acace,  les 
noms  de  ses  successeurs  ne  seraient  point  mentionnés, 
mais  ils  seraient  pourtant  rayés  des  diptyques.  Quant 
aux  évêques  orientaux  en  général,  le  pape  tenait  avant 
tout  à  ce  qu'ils  souscrivissent  sa  formule  :  les  légats  ne 
devaient  aucunement  demeurer  en  communion  avec 
ceux  qui  refuseraient  de  la  signer.  Indiculus  «  Cum 
Deo  propilio  »,  dans  Mansi,  t.  vm,  col.  441. 

La  cour  byzantine  eût  désiré  la  présence  d'Hor- 
misdas  en  personne.  Le  pape  se  contenta  de  députer, 
selon  l'usage  de  ses  prédécesseurs,  une  légation  spécia- 
lement solennelle,  composée  des  évêques  Germain  et 
Jean,  du  prêtre  Blandus,  des  diacres  Félix  et  Dioscore. 
11  adressa  en  même  temps  des  lettres  à  l'empereur,  à 
l'impératrice  Euphémie,  au  très  influent  comte  Justi- 
nien,  au  patriarche.  A  ce  dernier  il  recommanda  de 
sceller  l'œuvre  de  la  paix  ecclésiastique  par  la  condam- 
nation d'Acace  avec  ses  adhérents  (cum  sequacibus). 
Epist. ,  xxviii,  xxix.  dans  Mansi,  t.  vm,  col.  4  15- 1  16. 
11  insistait,  avant  tout,  sur  cette  idée  qu'il  ne  deman- 
dait rien  de  nouveau,  ni  d'insolite,  ni  d'injuste,  puisque 
l'antiquité  chrétienne  avait  toujours  évité  ceux  qui 
s'étaient  attachés  à  la  communion  avec  les  condamnés. 
Quiconque  enseigne  la  même  doctrine  que  Rome  doit 
condamner  ce  qu'elle  condamne  ;  quiconque  révère  ce 
que  révère  le  pape  doit  abhorrer  ce  qu'il  abhorre.  Une 


2175 


HÉNOTIQUE 


2176 


paix  parfaite  ne  laisse  derrière  elle  aucune  divergence, 
et  l'ailoralion  d'un  seul  et  même  Dieu  ne  peut  avoir  sa 
vérité  que  dans  l'unité  de  la  profession  de  foi.  Epist., 
xxviii,  loc.  cit.  Il  serait  difficile  de  ne  pas  admirer  la 
claire  logique  de  ces  instructions  pontificales. 

Les  légats  romains  furent  partout  bien  accueillis  au 
cours  de  leur  voyage,  et  trouvèrent  partout  les  évèques 
disposés  à  souscrire  le  formulaire  d'Hormisdas.  C'est 
en  mars  519  qu'ils  arrivèrent  à  Constantinople,  où  ils 
furent  reçus  avec  le  plus  grand  empressement.  Le 
patriarche  Jean  II  accepta  le  formulaire;  il  lui  donna 
seulement  la  forme  d'une  lettre,  celle-ci  lui  paraissant 
plus  honorable  pour  lui  que  celle  d'un  libellus.  Mansi, 
Concil.,  t.  vin.  col.  449  sq.,  453  sq.  C'est  pourquoi  il 
plaça  en  tète  de  la  profession  de  foi  un  prologue  très 
respectueux  à  l'égard  du  pape,  où  il  affirmait  que  les 
Églises  de  l'ancienne  et  de  la  nouvelle  Rome  n'en 
faisaient  plus  qu'une.  Mansi,  ibid.,  col.  451.  Quant  à  la 
formule  elle-même,  elle  fut  entièrement  acceptée. 
Acace  y  était  condamné  en  même  temps  que  «  ceux  qui 
avaient  persisté  dans  sa  communion  »,  expression  où 
étaient  implicitement  compris  Euphémius  et  Macédo- 
nius,  en  conformité  avec  les  dernières  concessions  per- 
mises sur  ce  point  aux  légats.  En  présence  de  ceux-ci, 
les  noms  des  patriarches  Acace,  Flavita,  Euphémius, 
Macédonius,  Timothée,  ceux  des  empereurs  Zenon  et 
Anastase,  furent  effacés  des  diptyques.  Lorsque  tous 
l'es  évèques  présents,  les  archimandrites,  les  sénateurs 
eurent  aussi  souscrit  la  profession  de  foi,  à  la  grande 
joie  du  peuple,  un  ollice  solennel  fut  célébré  le  diman- 
che de  Pâques,  24  mars  519,  pour  achever  publique- 
ment l'acte  de  la  réconciliation.  Deux  mille  cinq  cents 
évèques  avaient  souscrit  la  formule  d'Hormisdas. 
Rusticus,  Disput.  contra  acephalos,  dans  Galland, 
Bibliothcca  Potrum,  t.  xn,  p.  75;  cf.  P.  L.,  t.  lxvii. 

C'était  la  victoire  complète  de  Rome,  et  la  thèse 
était  solennellement  reconnue,  que  quiconque  ne  reste 
pas  et  ne  meurt  pas  dans  la  communion  romaine  n'a 
aucun  droit  à  la  commémoration  ecclésiastique  dans 
les  diptyques. 

La  formule  d'Hormisdas  est  dans  YEnchiridion  de 
Denzinger-Bannwart,  n.  171-172.  Nous  ne  la  reprodui- 
sons pas  entièrement  ici,  bien  qu'elle  constitue  en  fait 
le  véritable  Hénotique  orthodoxe,  qui  rétablit  l'union 
rompue  par  le  soi-disant  Hénotique  de  Zenon.  Nous  en 
citerons  seulement  la  phrase  concernant  Acace,  puis 
l'alinéa  final,  qui  accentue  toute  l'importance  de  la 
communion  romaine  : 

Condemnamus  etiam  et  anathematizamus  Acacium  Con- 
slantinopolilanum  quondam  episcopum  ab  apostolica  Sede 
damnatum,  eorum  (c'est-à-dire  de  Timothée  Élure  et  de 
Pierre  Monge  précédemment  nommés)  eomplicem  et  sequa- 
cem,  vel  qui  in  earum  communion is  socictate  permanserint : 
quia  Acacius  quorum  se  communioni  miscuit,  ipsorum  simi- 
lem  jure  meruit  in  damnatione  sententiam... 

Suscipimus  aulem  et  j>robamus  epistolas  beati  Leonis 
papx  uniuersas,  quas  de  chrisliana  religione  conscripsil, 
sicut  prœdiximus,  sequentes  in  omnibus  apostolicam  Scdem, 
et  prxdicanles  ejus  omnia  constiluta.  Et  ideo  spero,  ut  in  una 
communione  vobiscum,  quam  Sedes  apostolica  prxdicat,  esse 
merear,  in  qua  est  intégra  et  verax  christianœ  religionis  et 
perfecta  soliditas  :  promittens  in  sequenti  tempore  sequestratos 
a  communione  Ecclesiœ  catholicœ,  id  est  non  consentientes 
Sedi  apostolicœ,  connu  nomina  inler  sacra  non  recitanda  esse 
myitcria.  Quodsi  in  aliquo  a  professione  mea  deviarc  tenta- 
uero,  his  quos  damnavi  eomplicem  me  mea  senlentia  esse 
proftteor.  liane  aulem  projessionem  meam  ego  manu  mea 
subscripïi,  et  libi  Hormisdx  sancto  ac  uenerabili  papx  urbis 
Romee  direxi. 

Saint  Hormisdas,  qui  attendait  avec  impatience  le 
résultat  des  négociations,  et  qui,  dans  l'intervalle, 
avait  encore  envoyé  le  defensor  Paulinus  avec  des 
lettres  à  destination  de  Constantinople,  Mansi,  Concil., 
t.  vin,  col    100-461,  s'empressa,  dès  qu'il  eut  connais- 


sance de  l'œuvre  accomplie,  d'en  féliciter  l'empereur, 
9  juillet  519.  Ibid.,  col.  462.  Les  légats  prolongèrent 
jusqu'en  520  leur  séjour  à  Byzance,  où  leur  présence 
paraissait  nécessaire  pour  la  pleine  consolidation  des 
nouvelles  mesures  ecclésiastiques. 

Le  patriarche  Jean  II  mourut  en  réputation  de  sain- 
teté, au  début  de  l'année  520.  Son  successeur  Épiphane, 
prêtre  orthodoxe  et  vertueux,  fut  confirmé  par  Hor- 
misdas, qui  l'établit  même  son  vicaire  en  Orient  et  s'en 
remit  à  lui  du  soin  de  recevoir  dans  la  communion 
catholique  les  ecclésiastiques  isolés.  La  paix  et  l'union 
se  raffermirent  ainsi  de  plus  en  plus.  Le  danger  héré- 
tique n'existait  plus  qu'à  Alexandrie  et  à  Antioche. 

Les  circonstances,  peu  de  temps  après,  amenèrent  à 
Constantinople  le  pape  lui-même,  Jean  Ier,  successeur 
de  saint  Hormisdas  (depuis  août  523).  A  la  suite  du 
dissentiment  survenu  entre  l'empereur  Justin  et  le  roi 
des  Visigoths  ariens  Théodoric,  par  suite  de  la  persé- 
cution infligée  aux  ariens  dans  l'empire  byzantin,  le 
pape  Jean  Ier  se  trouva  dans  une  position  extrême- 
ment difficile.  En  524,  Théodoric  le  contraignit  à  faire 
le  voyage  de  Constantinople.  Théophane,  Chronogra- 
phia,  Bonn,  p.  261;  Marcellinus,  Chron.,  an.  525, 
P.  L.,  t.  li,  col.  490-941  ;  S.  Grégoire  le  Grand,  Dial., 
m,  2  sq.  Ce  fut  la  première  fois  qu'un  pape  fit  son 
entrée  dans  la  capitale  byzantine  :  il  y  reçut  de  l'empe- 
reur, du  patriarche  et  du  peuple  le  plus  brillant  accueil. 
Le  dimanche  de  Pâques,  30  mars  525,  Jean  Ier  célébra 
solennellement  à  la  grande  église  selon  le  rite  romain. 
Sa  primauté  fut  reconnue  publiquement  à  cette  occa- 
sion :  un  trône  plus  élevé  que  celui  du  patriarche  Épi- 
phane lui  fut  dressé.  Dexter  dextrum  ecclesiœ  insedit 
solium,  dicmque  Domini  resurreclionis  plena  voce  roma- 
nis vocibus  celebrauit,  écrit  le  comte  Marcellin.  Chro- 
nicon,  loc.  cil.  Cf.  Liber  pontificalis,  Vita  Joannis  /• 
Théophane,  loc.  cit.;  Nicéphore,  xvn,  9,  P.  G.,  t.  cxi.vn, 
col.  241. 

V.  Conclusion  :  justification  du  point  de  vue 

CATHOLIQUE     ET     DE     L'ATTITUDE     DES     PAPES     DANS 

l'affaire  de  l'Hénotique. — ■  L'auteur  grec  d'une 
récente  étude  historique  sur  les  causes  du  schisme 
entre  l'Église  romaine  et  l'Église  orientale,  Mgr  Nec- 
taire Képhalas,  métropolite  de  Pentapole,  après  avoir 
résumé  à  sa  manière  l'histoire  de  l'Hénotique  et  du 
schisme  acacien,  ose  poser  les  questions  suivantes  : 
»  Nous  le  demandons,  où  apparaît  dans  toute  cette 
histoire  la  puissance  du  pape?  où  voit-on  la  reconnais- 
sance de  l'infaillibilité  du  pape?  où  est  le  droit  divin? 
où  est  la  docilité  et  la  soumission  des  autres  Églises  ? 
où  sont  tous  ces  privilèges  que  le  pape  d'aujourd'hui 
prétend  lui  avoir  été  attribués  par  les  Pères  antérieurs 
au  schisme  de  Photius  ?  »  MsÀitr,  i<rcopiy.rl  icepî  tôv 
outûov  to'j  a'/faaa-o;,  jc=pi  ttJç  BiaitiMÛjetoç  autou,  xaî  tou 
8uva  tcij  ï)   àouvocTou  T7J;  évciSaîtoç    xtô;    o-Jo   'Kz"/Xt]Œhôv, 

~rjç     'AviTOÀl/'.^Ç    /.■XÏ     T7)Ç    AuTtXfjç,   ÙrJl    TOJ    U.7)-po;:0/.'.70'j 

llvna.r.6Xîio;  NeKTapîou,  Athènes,  1911,  t.  ï,  p.  150. 

De  telles  questions,  sous  une  plume  épiscopale,  mon- 
treront l'importance  pratique  qu'a  aujourd'hui  encore 
l'étude  impartiale  de  cette  affaire  de  l'Hénotique.  On 
aura  la  même  impression,  en  parcourant  les  divers 
articles  de  la  Grande  encyclopédie,  aux  mots  Acace, 
Félix  III,  Monophgsisme,  etc.,  où  E.-H.  Vollet  rejette 
tous  les  torts  sur  les  prétentions  des  papes  «  à  une 
juridiction  souveraine  sur  toutes  les  Églises  ».  Voir 
aussi  le  jugement,  entièrement  favorable  à  Acace  et  à 
Zenon,  porté  par  H.  Gelzer,  dans  le  court  résumé 
d'histoire  byzantine  qu'il  a  rédigé  en  supplément  de 
Knimbacher,  Geschichlc  der  byzanlinischen  Litleratur, 
2e  édit.,  Munich,  1897,  p.  921. 

Pareilles  interprétations  des  faits  légitiment  l'éten- 
due donnée  à  cet  article,  où  le  lecteur  de  bonne  foi 
trouvera  les  réponses  les  plus  catégoriques  aux 
railleuses  questions  du   métropolite  oriental,   et    aux 


2177 


HÉNOTIQUE  —  HENRI 


2178 


insinuations  tendancieuses  du  collaborateur  de  la 
Grande  encyclopédie.  On  y  a  vu  l'attitude  toujours 
identique  de  tous  les  papes  qui  se  succédèrent  pendant 
le  schisme  acacien,  depuis  saint  Simplicius  jusqu'à 
saint  Hormisdas  et  à  saint  Jean  Ier  :  fermeté  constam- 
ment semblable  à  elle-même,  sur  la  doctrine  et  sur  la 
discipline  générale,  logique  rigoureuse  et  esprit  de 
suite  continu,  dont  l'aboutissant  fut  le  triomphe  défi- 
nitif de  l'Église  romaine  après  trente-cinq  années  de  la 
plus  déplorable  séparation  :  triomphe,  au  surplus, 
reconnu  par  l'Orient,  en  519,  lors  de  la  souscription  de 
la  formule  d'Hormisdas,  où  il  était  dit  au  début  :  quia 
in  Sede  apos.'olica  cilra  maculam  semper  est  calholica 
scrvatareligio.  Denzinger-Bannwart  Enchiridion,  n.  171. 

En  face  de  ces  heureux  résultats  de  l'attitude  des 
papes,  les  funestes  conséquences  de  l'Hénotique  con- 
tinuent, aujourd'hui  encore,  à  juger  devant  l'histoire 
l'attitude  du  patriarche  Acace,  de  l'empereur  Zenon  et 
de  ceux  qui  furent  leurs  partisans.  L'Hénotique  avait, 
en  réalité,  partagé  l'empire  romain  en  deux  commu- 
nions ennemies.  Lorsque,  à  l'avènement  de  Justin  Ier, 
la  paix  fut  rétablie  entre  Constantinople  et  Rome, 
cette  reprise  des  relations  ne  put  guérir  le  mal  sur  tous 
les  points.  «  Les  arrangements  pris  à  Constantinople 
étaient  une  chose,  l'exécution  dans  les  provinces  orien- 
tales, une  autre  chose.  Nous  ne  savons  trop  comment 
on  s'y  prit  en  Egypte  ;  ce  qui  est  sûr,  c'est  que  le 
concile  de  Chalcédoine  n'y  fut  pas  proclamé  alors.  En 
Syrie,  avec  quelques  tâtonnements  et  beaucoup  de 
prudence,  on  parvint  à  éliminer  les  évêques  antichal- 
cédoniens  ;  mais  la  plupart  des  moines  résistèrent  et 
se  laissèrent  chasser  de  leurs  couvents  plutôt  que 
d'accepter  les  décrets  impériaux...  Telles  furent  les 
conséquences,  directes  ou  indirectes,  de  l'Hénotique 
de  Zenon.  Hénotique  veut  dire  édit  d'union.  On  voit 
combien  le  nom  répond  à  la  chose.  En  deux  patriarcats 
sur  quatre,  des  organisations  dissidentes,  chancres 
ecclésiastiques  dont  on  put  constater  les  ravages  quand 
Mahomet  parut  à  l'horizon.  Hors  de  l'empire,  les  trois 
Églises  nationales  de  Perse,  d'Arménie,  d'Ethiopie, 
séparées  de  l'unité  catholique.  »  Mgr  Duchesne,  Auto- 
nomies ecclésiastiques,  Églises  séparées,  Paris,  1896, 
c.  n,  §  2;  réédition  de  1905,  p.  44,  57. 

Rien  ne  saurait  prouver  plus  péremptoirement  com- 
bien Rome  avait  raison  de  ne  point  accepter  l'Héno- 
tique et  les  essais  de  conciliation  entre  orthodoxes  et 
hérétiques.  Les  faits  n'ont  que  trop  confirmé  ce  que  la 
vigoureuse  logique  des  papes  n'avait  cessé  de  répéter 
à  Acace  et  à  ses  partisans,  à  savoir  que  ce  n'est  pas  en 
taisant  la  vérité  que  l'on  étouffe  l'erreur.  Il  n'est  point 
besoin  de  chercher  ailleurs  la  justification  de  la  con- 
stante sévérité  des  pontifes  romains  à  l'égard  d'Acace 
et  de  ses  successeurs,  même  orthodoxes,  qui  ne  con- 
sentaient pas  à  rayer  son  nom  des  diptyques  comme 
ayant  été  un  fauteur  d'hérésie.  Les  documents  et  les 
lettres  des  papes  fourniraient  ample  matière  au  déve- 
loppement de  cette  justification;  on  peut  en  voir 
quelques  extraits  dans  Hergenrôther,  Histoire  de 
l'Église,  trad.  P.  Bélet,  Paris,  1880,  t.  n,  p.  264-269, 
sous  ce  titre  :  Apologie  d'Acace;  Défense  du  saint- 
siège. 

Sans  répéter  ici  toutes  les  références  semées  ou  cours  des 
pages  qui  précèdent,  nous  nous  bornerons  ;'i  signaler  un  petit 
nombre  de  travaux  qui  peuvent  être  regardés  comme  de 
véritables  monographies,  même  lorsque  les  titres  ne 
semblent  pas  formellement  l'indiquer. 

H.  de  Valois,  Observationes  in  Historiam  eccles iasticam 
Evagrii,  1.  I,  De  Pctro  Antiocheno  episcopo  qui  Fullo  cogno- 
minatus  si.  et  de  synodis  adversus  eum  collectis;  I.  II,  De 
duabus  synodis  romanis,  in  quibus  damnatus  est  Acacius, 
Pans  1673,  en  appendice  à  l'édition  d'Évagre,  P.  G., 
t  lxxxvi,  col.  2885-2900;  Bebelto,  De  Henotico  Zenonis, 
Strasbourg,  1673,  cité  par Moroni, Dizionario  dierudizione 
storico-ecvlcsiastica,  Venise,  1843,  au  mot  Eiwtico,  t.  xxi, 


p.  283;  G.  Wernsdort,  De  Henolico  Zenonis  imperaloris, 
in-4°,  Wittemberg,  1695  ;  Berger,  Henotico.  orientulia. 
Wittemberg,  1723  ;  Tillemont,  Mémoires  pour  servir  à 
l'histoire  ecclésiastique,  Paris,  1712,  t.  xvi,  p.  285-388,  756- 
769;  Histoire  des  empereurs,  Paris,  1738,  t.  vi,  p.  472-530, 
645-647;  B.  M.  de  Rubeis,  De  una  sentenlia  damnationis  in 
Acacium  episcopum  Constantinopolitanum  post  quinquen- 
nium  silentii  lala  in  synodo  romana  Feticis  papœ  III, 
dissertatio,  in-8°,  Venise  ;  P.  E.  Jablonski,  De  Henotico 
Zenonis,  in-4°,  Francfort-sur-I'Oder,  1739;  Noël  Alexandre, 
Historia  ecclesiastica,  sœc.  v,  a.  14,  §  4;  à.  16,  De  schismate 
Acacii;  diss.  XVIII,  De  Zenonis  imneraioris  Henotico  ; 
XIX,  De  causa  Acacii,  Venise,  1771,  p.  86,  88-90,265-273, 
J.  Hergenrôther,  Pliolius  Patriarch  von  Constantinopel  : 
Sein  Leben,  seine  Schriften  und  das  Griechisclie  Schisma, 
Ralisbonne,  1867,  t.  i,  p.  110-153,  a  un  excellent  chapitre 
sur  Acace  et  le  schisme  acacien;  Wilh.  Bcrth,  Kaiser  Ztno 
(Inaug.-Dissert.),  in-8°,  Baie,  1894  ;  E.  Revillont,  Le  pre- 
mier schisme  de  Constantinople,  Acace  et  Pierre  Monqe,  dans 
la  Revue  des  questions  historiques,  1877,  t.  xxu,  p.  83-134. 

L.  Sala  ville. 

1.  HENRI,  hérésiarque.  —  I.  Vie.  II.  Doctrine. 
III.  Disciples. 

I.  Vie.  —  La  vie  d'Henri  est  mal  connue.  Rien  ne 
prouve  qu'il  ait  été  d'origine  italienne,  comme  on  l'a 
affirmé  et  comme  le  répète  encore  G.  Bonet-Maury. 
Les  précurseurs  de  la  Réforme  cl  de  la  liberté  de  con- 
science dans  les  pays  latins  du  xue  au  xve  siècle,  Paris, 
1904,  p.  32.  Un  passage  de  saint  Bernard,  Epist., 
ccxli,  P.  L.,  t.  clxxxii,  col.  435,  a  porté  à  croire  qu'il 
naquit  à  Lausanne  et  lui  a  valu  l'appellation,  assez 
fréquente,  d'Henri  de  Lausanne;  en  réalité,  ce  texte 
indique  seulement  qu'Henri  dut  quitter  Lausanne  dans 
les  mêmes  conditions  peu  flatteuses  qui  marquèrent 
ensuite  son  départ  du  Mans,  de  Poitiers,  de  Bordeaux. 
Divers  auteurs,  tels  que  Hefele,  Histoire  des  conciles, 
trad.  Leclercq,  Paris,  1912,  t.  v,  p.  710,  et  T.  de  Cau- 
zons,  Histoire  de  V Inquisition  en  France,  Paris,  1909, 
t.  i,  p.  244,  le  nomment  Henri  de  Cluny;  or,  d'après 
Albéric  des  Trois-Fontaines,  Chronic,  an.  1148,  dans  les 
Monumcnla  Germanise  historien,  Scriptores,  Hanovre, 
1874,  t.  xxiii,  p.  839,  et  l'Exordium  magnum  cis/i  r- 
ciense,  dist.  II,  c.  xvn,  P.  L.,  t.  clxxxv,  col.  1025, 
427,  Henri  fut  un  «  moine  noir  »,  ce  qui  peut  convenir  à 
un  cluniste,  mais  aussi  à  d'autres  qu'aux  clunistes. 
Saint  Bernard  le  qualifie  de  moine  apostat,  ayant  laissé 
l'habit  de  son  ordre;  de  même  le  biographe  de  saint 
Bernard,  Geoffroy  d'Auxerre,  Sancti  Bernardi  vita, 
c.  vi,  n.  16,  P.  L.,  t.  clxxxv,  col.  312.  Les  Aclus 
pontificum  Cenomannis  in  urbe  degentium,  dans 
Mabillon,  Vetera  analccta,  Paris,  1682,  t.  m,  p.  312,  en 
font  un  pseudo-ermite,  et  Hildebert  de  Lavardin, 
Epist.,  1.  II,  epist.  xxiv,  P.  L.,  t.  clxxi,  col.  242,  le 
montre  simulant  par  son  habit  la  vie  religieuse.  Moine 
noir  en  rupture  de  vie  religieuse  et  se  vêtant  d'un  cos- 
tume religieux  d'ermite,  en  ces  mots  se  résume  tout  ce 
que  nous  savons  de  ses  origines. 

Sur  sa  science  les  documents  contemporains  s'ex- 
priment diversement.  Albéric  des  Trois-Fontaines  le 
regarde  comme  un  illettré.  Hildebert  de  Lavardin  dit 
qu'il  se  donna  pour  avoir  des  connaissances  littéraires 
qu'il  ne  possédait  point  :  les  Actes  des  évêques  du  Mans 
précisent  que  c'était  un  beau  parleur,  dont  on  vantait 
la  science,  et  que  l'évêque  du  Mans,  Hildebert  de  Lavar- 
din, de  retour  de  Rome,  ayant  su  le  i  restige  qu'il 
exerçait,  le  convainquit  d'ignorance  sur  des  choses  élé- 
mentaires; que,  le  novateur  ayant  répondu  à  une 
question  d'Hildebert  qu'il  était  diacre,  celui-ci  lui 
proposa  de  réciter  ensemble  le  bréviaire,  et  Henri  dut 
avouer  qu'il  en  était  incapable.  Saint  Bernard,  de 
son  côté,  dit  que  le  moine  apostat  et  gyrovague  se 
mit  à  mendier,  cumque  mendicare  ccepissel,  posuit  in 
sumplu  Evangclium  {nain  litteratus  erat)  et,  vénale 
distrahens  verbum  Dei,  evangelizabat  ut  manducaret. 
A  travers  ces  textes  on  discerne  que,  s'il  avait  été 


DiCT.  DE  T1IÉOL.  CATH. 


VI.  —  G9 


2179 


HENRI 


2180 


moine,  Henri  n'avait  pas  reçu  les  ordres  sacrés  et  pro- 
bablement ne  s'était  guère  livré  aux  études;  mais  il 
avait,   avec  une  lecture  telle  quelle  de  l'Évangile,  un 
talent    de  parole  remarquable  servi  par  un  extérieur 
séduisant,  ce  qui  explique  sa  réussite.  Plus  encore  que 
les  dehors  de  la  science  il  affectait  ceux  de  la  sainteté. 
D'après  les  Actes  des  évêques  du  Mans,  il  prétendait 
que   Dieu    lui    avait    conféré,    par    une    bénédiction, 
l'esprit  des  anciens  prophètes  qui  lui  permettait,   à 
la  seule  inspection  du  visage,  de  découvrir  les  péchés 
les  plus  cachés  des  mortels.  Il  posait  pour  l'austérité 
rigide;  mais,  sur  ce  point,  les  textes  du  temps  s'ac- 
cordent à  dire  que  la  réalité  ne  correspondait  pas  aux 
'  apparences.   Les   protestants,   qui  saluent  en  lui   un 
précurseur  de  la  Réforme,  s'inscrivent  en  faux  contre 
leurs  affirmations;  Hauck  lui-même,  qui  déclare  pour- 
tant que  c'est  une  question  de  savoir  si  la  belle  image 
d'Henri  dessinée  par  le  protestantisme  est  plus  res- 
semblante que  la  sombre  peinture  des  écrivains  du 
moyen  âge,  traite  de  «  calomnie  »  l'accusation  d'immo- 
ralité. Realencyklopâdie,  3e  édit.,  Leipzig,  1899,  t.  vu, 
p.  606.  Ce  jugement  paraîtra  sommaire  et  non  exempt 
de  parti  pris,  si  l'on  songe  à  la  convergence  des  témoi- 
gnages défavorables  à  Henri  et  aux  circonstances  dans 
lesquelles  ils  se  produisent.  Hildebert  dit  que  la  honte 
de  sa  vie  devint  manifeste  et  que  serpens  Me  crepuit 
apud  nos  pâte  fada  pariter  et  ignominia  vitse  et  veneno  , 
doclrinœ.  Les  Actes  des  évêques  du  Mans  parlent  d'en- 
tretiens   dégénérant    en    libertinage.    Leur    récit    ne 
s'impose  pas  au  même  degré.  Mais  nous  apprenons  de 
Geoffroy  d'Auxerre,  toc.  cit.;  cf.  sa  lettre  sur  divers 
miracles  de  saint  Bernard,  n.  5,   P.  L.,  t.   clxxxv, 
col.  412,  que  saint  Bernard  n'eut,  pour  ruiner  l'action 
d'Henri,  qu'à  démasquer  sa  «  vie  très  mauvaise  ».  La 
lettre  de  saint  Bernard,  déjà  citée,  au  comte  de  Tou- 
louse et  de  Saint-Gilles  nous  offre  un  échantillon  de 
cette    polémique.    Fréquenter   siquidem,    écrit-il,    post 
diurnum  populi  plausum,  nocte  insecuta  cum  merctri- 
cibus   inventas   est  prœdicator   insignis,   et  etiam  cum 
conjugatis.  Et  il  invite  le  comte  à  rechercher  comment 
Henri  est  sorti  de  Lausanne,  du  Mans,  de  Poitiers,  de 
Bordeaux,    nec    palet    ci    uspiam    reversionis    adilus, 
utpote  qui  fœda  post  se  ubique  reliquerit  vesligia.  Évi- 
demment ici,  comme  dans  le  texte  d'Hildebert,  il  est 
question  de  faits  de  notoriété  publique.  Ni  Bernard  ni 
Hildebert  n'étaient  capables  de  les  inventer;  ils  ne 
formulent  pas  un  grief  imaginaire,  ils  rappellent  ou 
racontent  ce  qui  est  connu  de  beaucoup. 

Les  renseignements  font  défaut  sur  le  rôle  d'Henri  à 
Lausanne.  Le  mercredi  des  cendres  1101,  deux  de  ses 
disciples  arrivèrent  au  Mans  et  proposèrent  leur 
maître  pour  prêcher  le  carême.  Hildebert  de  Lavardin, 
évêque  du  Mans,  accepta;  se  rendant  en  Italie,  il 
chargea  son  archidiacre  de  l'accueillir.  Henri  s'attira 
vite  les  sympathies  du  peuple  et  l'hostilité  du  clergé. 
Dès  sa  rentrée  au  Mans,  Hildebert  reconduisit  de  son 
diocèse  (juillet  1101).  Cf.,  sur  cette  date,  E.  Vacan- 
dard,  Revue  des  questions  historiques,  Paris,  1894,  t.  lv, 
p.  68,  note  3.  Nous  ignorons  les  incidents  qu'amena  le 
passage  d'Henri  dans  le  Poitou  et  en  Aquitaine.  En 
1135,  arrêté  par  l'archevêque  d'Arles,  il  comparut 
devant  le  concile  de  Pise,  et  y  abjura  ses  erreurs.  Saint 
Bernard,  à  qui  il  fut  confié,  lui  écrivit,  de  Clairvaux, 
ut  ibi  monachus  ficret,  dit  Geoffroy  d'Auxerre.  Epist., 
n.  5,  P.  L.,  t.  clxxxv,  col.  412.  Il  ne  semble  pas 
qu'Henri  se  soit  rendu  à  Clairvaux.  S'il  y  alla,  il  n'y 
resta  guère.  Il  reprit  son  existence  vagabonde.  Ce  fut 
probablement  à  cette  époque,  peut-être  même  avant 
le  concile  de  Pise,  qu'il  rencontra  Pierre  de  Bruys  et 
subit  son  influence  doctrinale.  Pierre  le  Vénérable 
dénonça  Pierre  de  Bruys  et  son  «pseudo-apôtre» 
Henri,  dans  le  Tractatus  adversus  petrobrusianos 
hœrcticos,  entre  1137  et  1140.   Voir,  sur  cette  date, 


Bruys  {Pierre  dé),  t.  n,  col.  1152;  G.  Robert,  Les 
écoles  cl  renseignement  de  la  théologie  pendant  la  pre- 
mière moitié  du  xn*  siècle,  Paris,  1909,  p.  196-198. 
Henri  parcourut  le  Languedoc;  sa  prédication  eut  un 
succès  prodigieux.  Saint  Bernard,  sollicité  à  plusieurs 
reprises  d'aller  le  combattre,  céda  à  de  nouvelles 
instances  du  cardinal-légat  Albéric  d'Ostie  (1145). 
Il  se  dirigea  sur  Bordeaux,  et,  de  là,  en  passant  par 
Bergerac,  Périgueux,  Sarlat  et  Cahors,  sur  Toulouse. 
Henri,  qui  s'y  trouvait,  prit  la  fuite.  Bernard,  ayant 
pour  programme  de  visiter  les  principaux  endroits 
où  l'henricianisme  s'était  implanté,  visita  encore  Ver- 
feil  et  Albi.  Des  miracles,  dont  il  ne  mit  pas  en  doute 
la  réalité  malgré  l'extrême  défiance  qu'il  avait  de  lui- 
même,  ajoutèrent  à  l'effet  de  ses  paroles.  Cf.  E.  Vacan- 
dard,  Vie  de  saint  Bernard,  Paris,  1895,  t.  n,  p.  226, 
228-229,  232-233.  Il  revint  à  Clairvaux,  après  un 
espace  de  temps  qu'il  qualifia  de  «court,  mais  non 
infructueux  ».  Epist.,  ccxlii,  P.  L.,  t.  clxxxii,  col.  436. 
Henri  fut  bientôt  saisi  et  livré  à  l'évêque  de  Toulouse, 
qui  le  condamna  à  la  prison.  Une  détention  perpétuelle 
fut  vraisemblablement  sa  peine.  On  a  prétendu,  à 
tort  probablement  et  par  suite  d'une  confusion  entre 
Henri  et  Éon  de  l'Étoile,  qu'Henri  fut  jugé  au  concile 
de  Reims  (1148)  et  puni  de  la  réclusion  perpétuelle 
dans  la  prison  de  l'archevêque  de  cette  ville.  Cf. 
E.  Vacandard,  Vie  de  saint  Bernard,  t.  n,  p.  233,  note  2. 
II.  Doctrine.  — ■  Henri  commença  par  jouer  au 
réformateur.  Il  attaqua  les  vices  des  prêtres  et  ameuta 
contre  eux  le  peuple.  Les  Actes  des  évêques  du  Mans 
racontent  que,  en  l'absence  d'Hildebert,  le  clergé,  de 
cette  ville  reprocha  par  lettre  au  fougueux  prédicateur 
d'avoir  excité  l'animosité  populaire,  déclaré  les  clercs 
hérétiques,  et  émis  plusieurs  propositions,  qui  ne  sont 
pas  spécifiées,  contraires  à  la  foi  catholique;  en  outre, 
Henri,  sans  parler  d'autres  innovations  relatives  au 
mariage,  aurait  enseigné  que  nec  curarent  sive  caste  sive 
inceste  connubium  sortirentur.  Si  l'on  pouvait  admettre, 
avec  l'éditeur  d'Hildebert,  dom  Beaugendre,  qu'Henri 
est  le  destinataire  d'une  lettre  d'Hildebert,  1.  II,  epist. 
xxiii,  P.  L.,  t.  clxxi,  col.  237-242,  où  est  combattue 
l'erreur  que  les  âmes  des  saints  ignorent  ce  qui  se  passe 
dans  cette  vie  et  que,  par  conséquent,  les  prières  qu'on 
leur  adresse  sont  inutiles,  on  connaîtrait  une  des  idées 
de  l'hérésiarque.  Mais  tout  contribue  à  rendre  cette 
hypothèse  bien  invraisemblable  :  le  ton  de  cette  longue 
pièce;  le  fait  qu' Hildebert,  ayant  appris  que  le  novateur 
lui  attribuait  son  propre  sentiment,  avait  d'abord 
résolu,  fort  du  témoignage  de  sa  conscience,  de  se 
taire,  et  qu'il  ne  parle  que  pour  arrêter  les  progrès 
de  la  théorie  incriminée,  ce  qui  suppose  plus  de  temps 
qu'il  n'y  en  eut  entre  le  retour  d'Hildebert  et  l'expul- 
i  sion  d'Henri;  surtout  le  silence  complet  sur  les  agis- 
sements d'Henri  au  Mans.  A  partir  de  la  rencontre 
d'Henri  avec  Pierre  de  Bruys,  sa  dogmatique  se  com- 
pléta d'emprunts  faits  à  ce  dernier.  Il  ne  le  copia 
point,  cependant,  de  façon  servile.  Pierre  le  Véné- 
rable, Tractatus  adversus  petrobrusianos,  prasf.,  P.  L., 
t.  clxxxix,  col.  723,  dit:  Hxres  nequitiœ ejus  (Pierre  de 
Bruys)  Henricus  cum  nescio  quibus  aliis  doctrinam 
diabolicam  non  quidem  emendavit  sed  immulavit,  et 
il  mentionne  un  volume  qu'on  prétend  reproduire 
l'enseignement  oral  d'Henri  et  qui  renferme  plus  que 
les  cinq  chefs  d'erreur  de  l'enseignement  de  Pierre  de 
Bruys;  mais,  parce  qu'il  n'est  pas  encore  pleinement 
sûr  de  l'authenticité  de  ces  doctrines,  Pierre  le  Véné- 
rable dilïère  leur  réfutation  jusqu'à  ce  qu'il  ait  acquis 
là-dessus  une  entière  certitude  (il  ne  parait  pas  avoir 
donné  suite  à  ce  projet).  Henri  n'avait  aucunement 
partagé,  au  moins  à  ses  débuts,  l'horreur  de  Pierre  de 
Bruys  pour  la  croix;  les  Actes  des  évêques  du  Mans 
nous  apprennent  que  ses  disciples  portaient,  ex  doctoris 
consueludine,  en  guise  d'étendard,  des  bâtons  qui  se 


12181 


HENRI 


2182 


terminaient  par  une  croix  de  fer.  Les  principes  qu'ils 
lui  attribuent  après  le  concile  de  Pise  cadrent  substan- 
tiellement avec  le  pétrobrusianisme  :  à  son  instigation, 
les  fidèles  n'entrent  pas  dans  les  églises,  rejettent 
l'eucharistie,  dénient  aux  prêtres  les  dîmes,  les  offran- 
des, la  visite  des  malades  et  le  respect  accoutumé.  Saint 
Bernard  s'accorde  avec  les  Actes  et  ajoute  quelques 
traits,  Epist.,  ccxli,  P.  L.,  t.  clxxxii,  col.  434  :  «  Les 
basiliques  sont  sans  fidèles,  les  fidèles  sans  prêtres,  les 
prêtres  sans  l'honneur  qui  leur  est  dû,  et  enfin  les 
chrétiens  sans  Christ.  Les  églises  sont  réputées  des 
synagogues,  le  sanctuaire  de  Dieu  ne  passe  plus  pour 
saint,  les  sacrements  ne  sont  plus  estimés  sacrés,  les 
jours  de  fête  sont  frustrés  de  leurs  solennités.  Les 
hommes  meurent  dans  leurs  péchés;  les  âmes,  hélas  I 
sont  précipitées  au  tribunal  terrible  n'étant  ni  récon- 
ciliées par  la  pénitence  ni  munies  de  la  sainte  com- 
munion. Les  petits  enfants  des  chrétiens  sont  exclus 
de  la  vie  du  Christ,  puisque  la  grâce  du  baptême  leur 
est  refusée.  »  Rejet  du  baptême  des  enfants,  de  l'eucha- 
ristie, du  culte  des  églises,  tels  sont  les  points  qu'Henri 
possède  en  commun  avec  Pierre  de  Bruys;  il  accentue 
l'antisacerdotalisme  de  Pierre  et  son  antisacramenta- 
lisme. 

III.  Disciples.  —  Henri  séduisit  les  foules.  Au 
Mans,  il  tourna  le  peuple  contre  le  clergé;  quand 
l'évêque  Hildebert  revint  dans  sa  ville  épiscopale  et 
donna  sa  bénédiction,  la  multitude  s'écria  :  «  Nous  ne 
voulons  pas  de  tes  bénédictions;  bénis  des  ordures,  si 
tu  veux;  nous  avons  un  autre  père,  un  autre  pasteur, 
qui  vaut  beaucoup  mieux  que  toi.  »  Cette  effervescence 
tomba  après  le  départ  d'Henri,  mais  il  en  resta  quelque 
chose.  Les  Actes  des  évêques  du  Mans  disent:  eos  enim 
Henricus  se  sibi  illexerat  quod  vix  adhuc  memoria  illius 
et  dilectio  a  cordibus  eomm  deleri  valeat  vel  depelli.  Tous 
n'imitèrent  donc  pas  jusqu'au  bout  l'exemple  de  deux 
jeunes  clercs,  Cyprien  et  Pierre,  qui  avaient  adhéré 
au  pseudo-prophète,  «  grand  piège  du  démon  et  écuyer 
célèbre  de  l'Antéchrist  »,  mais  qui  «  abandonnèrent  cet 
ange  des  ténèbres  »  aussitôt  qu'on  lui  enleva  son 
masque.  Cf.  Hildebert,  Epist.,  xxiv,  P.  L.,  t.  clxxi, 
col.  242. 

En  Languedoc  et  dans  l'Albigeois,  l'influence  d'Henri 
fut  considérable;lalettre  de  saint  Bernard  au  comte  de 
Toulouse  et  de  Saint-Gilles  révèle  qu'il  avait,  pour 
ainsi  dire,  déchristianisé  cette  province.  Les  voies  lui 
avaient  été  frayées,  du  reste,  par  ces  hérétiques 
qu'avait  condamnés  le  concile  de  Toulouse,  en  1119,  et 
qui  rejetaient  le  baptême  des  enfants,  le  sacerdoce  et  le 
mariage.  Cf.  Labbe,  Saerosaneta  coneilia,  Paris,  1671, 
t.  x,  col.  857.  Parmi  les  henriciens  figurèrent  des  gens 
du  peuple,  des  tisserands,  et  aussi  des  notables,  des 
gens  d'épée  médiocrement  soucieux  de  dogmatisme, 
mais  hostiles  aux  clercs  et  enchantés  d'accueillir  une 
prédication  qui  les  dégageait  des  pratiques  religieuses. 
La  grande  parole  de  saint  Bernard  secoua  ces  popula- 
tions du  Midi  essentiellement  mobiles  Sauf  à  Verfeil, 
ubi  sedes  est  Salame,  dit  Geoffroy  d'Auxerre,  Epist., 
n.  6,  P.  L.,  t.  clxxxv,  col.  414,  il  fit  de  nombreuses 
conversions.  Le  saint,  de  retour  à  Clairvaux,  reçut  des 
nouvelles  si  bonnes  du  Languedoc  qu'il  put  croire  à 
l'extinction  prochaine  de  l'hérésie.  Cf.  Epist.,  ccxlii, 
P.  L.,  t.  clxxxii,  col.  436.  Geoffroy  d'Auxerre  qui 
narre,  non  sans  s'illusionner  sur  leur  étendue,  les 
succès  de  cette  mission,  dans  la  Vifa,  c.  vi,  n.  17,  P.  L., 
t.  clxxxv,  col.  313,  écrite  à  distance  des  événements, 
avait  compris,  sur  l'heure,  qu'il  aurait  fallu  des  prédi- 
cations prolongées  pour  consolider  les  résultats 
obtenus.  Terra  lam  multiplicibus  errorum  doctrinis 
seducta  opus  haberet  lonya  pnvdicalione,  écrivait-il  en 
annonçant  le  retour  de  Bernard  à  Clairvaux.  Epist., 
n.  5,  P.  L.,  t.  clxxxv,  col.  412.  L'hérésie  henricienne 
proprement  dite  disparut  peu  à  peu,  mais  pour  revivre, 


transformée,  dans  l'albigéisme.  C'étaient  de  vrais 
albigeois,  et  non  des  henriciens  tout  court,  que  les 
hérétiques  dont  il  est  question  dans  une  lettre  de 
Raymond  de  Toulouse  au  chapitre  général  de  Cîteaux 
(1177).  Vie  et  Vaissete,  Histoire  générale  de  Languedoc, 
nouv.  édit.,  Toulouse,  1879,  t.  vi,  p.  77-78,  qui  ont 
publié  des  fragments  de  cette  pièce,  confondent  à 
tort,  ici  et  ailleurs,  par  exemple  p.  218,  henriciens  et 
albigeois.  Cependant  le  nom  d'henriciens  subsista. 
Le  25  juillet  1236,  les  consuls  d'Arles  s'engageaient 
par  serment  à  punir  les  vaudois,  les  henriciens,  et  leurs 
croyants  et  fauteurs.  Cf.  Papon,  Histoire  générale  de 
Provence,  Paris,  1778\t.  n,  Preuves,  p.  lxxviii. 

Les  historiens  ne  manquent  pas  qui  ont  vu  dans  les 
henriciens  des  albigeois  avant  la  lettre  et  dans  leur 
chef  Henri,  ainsi  que  dans  Pierre  de  Bruys,  des  parti- 
sans du  dualisme  manichéen,  qui  est  la  principale  carac- 
téristique de  l'albigéisme.  Voir  t.  n,  col.  1154.  Quelques 
textes  semblent  favoriser  cette  opinion.  Geoffroy 
d'Auxerre,  Epist.,  n.  4,  P.  L.,  t.  clxxxv,  col.  411, 
nous  apprend  qu'Henri  eut,  à  Toulouse,  des  adeptes 
parmi  les  tisserands  quos  arianos  ipsi  nominant  ;  or, 
les  albigeois  furent  appelés  tisserands  et  ariens.  Voir 
t.  i,  col.  (577.  Albéric  des  Trois-Fontaines,  Chronic, 
an.  1148,  regarde  Henri  comme  le  chef  des  poplitains, 
et  le  terme  de  poplitains  ou  poplicains  servit  à  désigner 
les  albigeois.  Enfin,  l'Exordium  magnum  cislerciense, 
dist.  II,  c.  xvii,  P.  L.,  t.  clxxxv,  col.  427,  dit  que 
saint  Bernard  se  rendit  à  Toulouse  pro  confutanda 
hœresi  manichœorum.  En  dépit  de  ces  textes,  il  n'est 
pas  prouvé  qu'Henri,  non  plus  que  Pierre  de  Bruys, 
ait  professé  le  néo-manichéisme  des  albigeois.  Nulle 
part  nous  n'apercevons  qu'il  ait  admis  deux  principes, 
ou  qu'il  ait  condamné  l'usage  de  la  viande  et  le  ma- 
riage; à  ce  dernier  point  de  vue,  les  hérétiques  anathé- 
matisés  par  le  concile  de  Toulouse  (1119)  ont  été  plus 
que  lui  les  précurseurs  de  l'albigéisme.  L'auteur  de 
VExord'um,  qui  écrivait  en  pleine  crise  néo-mani- 
chéenne, vers  1210,  a  bien  pu  taxer  faussement  de 
manichéisme  la  doctrine  d'Henri  et  ne  pas  la  distinguer 
de  l'albigéisme  qui  l'avait  remplacée  en  bénéficiant  de 
ses  efforts  et  qui,  tout  en  la  complétant,  s'était  inspiré 
d'elle.  Albéric  des  Trois-Fontaines,  de  date  également 
postérieure,  ne  sait  pas  différencier  des  éonistes  les 
poplitains  auxquels  il  donne  Henri  pour  chef;  son  té- 
moignage est  trop  confus  pour  avoir  de  la  valeur. 
Quant  aux  tisserands  et  aux  «  ariens  »  de  Toulouse, 
ils  ont  été  henriciens  d'abord  et  plus  tard  albigeois; 
ceci  était  préparé  par  cela,  sans  qu'il  faille  identifier 
l'un  et  l'autre.  L'albigéisme  ou  catharisme  fut  le  grand 
confluent  de  la  plupart  des  hérésies  du  moyen  âge. 
L'hérésie  henricienne,  et  d'autres  qui  présentent  avec 
elle  des  ressemblances,  celles  de  Pierre  de  Bruys, 
d'Éon  de  l'Étoile,  de  ce  Pons  de  Périgueux  que  nous 
fait  connaître  le  moine  Héribert  (vers  le  milieu  du 
"xii"  siècle),  cf.  P.  L.,  t.  clxxxi,  col.  1721-1722,  etc., 
se  sont  fondues  avec  le  catharisme  et  ont  facilité  son 
expansion.  Aucune  d'elles  n'avait  soutenu  le  principe 
essentiel  du  catharisme,  qui  est  le  dualisme  manichéen. 
Mais,  en  s'attaquant  à  l'Église  et  à  sa  hiérarchie,  en 
rejetant,  dans  une  mesure  variable,  les  sacrements, 
elles  avaient  travaillé  pour  la  cause  cathare.  Personne 
ne  fit  plus  dans  ce  sens  qu'Henri;  il  remua  et  commença 
d'ensemencer  le  terrain  où  l'hérésie  cathare  devait 
recueillir  ses  plus  abondantes  récoltes. 

I.  Sources.  —  Hildebert  de  Lavardin,  Epist.,  1.  II, 
epist.  xxni-xxiv,  P.  L.,  t.  clxxi,  col.  237-242  (il  n'est  pas 
sûr  que  la  lettre  xxm  concerne  Henri);  les  Actas  pontifleum 
Cenomannis  in  urbe  degenlium,  dans  Mabillon,  Vêlera  ana- 
lecta  sive  collectif)  veterum  aliquol  operum  et  opnsculoriirn, 
Paris,  1682,  t.  ni,  p.  312-320;  Pierre  le  Vénérable,  Tractatus 
adversus  petrobrusianos  hœreticos,  P.  L.,  t.  clxxxix, 
col.  723,  728,   729;  S.  Bernard,  Epist.,  ccxli-ccxlii,  P.  L., 


21S3 


HENRI  —  HENRI  VIII 


Jls', 


t.  clxxxii,  col.  434-437;  Geoffroy  d'Auxerre,  Sancli 
Bernardi  vita,  c.  vi-vn;  Epistola  qusedam  sancti  Bcrnardi 
miracula  recensens,  P.  L.,  t.  clxxxv,  col.  312-315,  410-416; 
Alain  d'Auxerre,  Sancti  Bernardi  vita,  c.  xxvi-xxvii, 
1'.  /..,  I.  cxxxxv,  col.  514-516  (reproduit,  en  grande  partie, 
la  Vie  du  saint  par  Geoffroy  d'Auxerre);  l'auteur  de  ï'Exor- 
dium  magnum  cisterciense,  dist.  II,  c.  xvn,  P.  L.,  t.  cxxxxv, 
col,  L025,  427-428;  Albéric  des  Trois-Fontaines,  Chronic, 
an.  114S,  dans  les  Monumenta  Germaniœ  hislorica,  Scrip- 
tores,  Hanovre,  1874,  t.  xxin,  p.  839-840;  Matthieu  <l< 
Paris,  Hisi.  Angl,  an.  1151,  dans  P.  L.,  t.  clxxxix,  col.  723- 
724;  Guillaume  de  Puy-Laurens,  Ilistoria  albigensium,  c.  i, 
cf.  c.  vni,  dans  Recueil  des  historiens  des  Gaules  et  de  la 
France,  Paris,  1833,  t.  xix,  p.  195-196,  200. 

II.  Travaux.  —  Mabillon,  Sancti  Bernardi  opéra  omnia, 
Prœfatio  generalis,  §  6,  P.  L.,t.  clxxxii,  col.  47-52;  Hecker, 
Dissertatio  de  petrobruisianis  et  henricianis  tanquam  testibus 
veritatis,  Leipzig,  1728  ;  J.  Fuesslin,  Neue  und  unparlheische 
Kelzergeschichte  der  mittlern  Zeit,  Francfort,  1770,  t.  i, 
p.  211-234;  Pastoret,  Histoire  littéraire  de  la  France,  Paris, 
1814,  t.  xin,  p.  91-94;  C.  U.  Hahn,  Geschichte  der Ketzir  un 
Mittelalter,  Stuttgart,  1845,  t.  i,  p.  438-458;  A.  Sevestre, 
Dictionnaire  de  palrologie,  Paris»  1854,  t.  m,  p.  75-76; 
N.  Peyrat,  Les  réformateurs  de  la  France  et  de  l'Italie  au 
XIIe  siècle,  Paris,  1860,  p.  77-78,  92-115,  376-389;  L.  Bour- 
gain,  La  chaire  française  au  XIIe  siècle  d'après  les  manuscrits, 
Paris,  1879,  p.  157-161;  Knôpfler,  Kirchenlexikon,  2e  édit., 
Fribourg-en-Brisgau,  1888,  t.  v,  col.  1714-1716;  H.  C.  Lea, 
A  history  of  the  Inquisition  of  middle  âges,  Londres,  1888, 
t.  i,  p.  69-72;  trad.  S.  Reinach,  Paris,  1903,  t.  i,  p.  78-82; 

I.  von  Dôllinger,  Beitrdge  zur  Sektengeschichte  des  Mittelal- 
ters,  Munich,  1890,  t.  i,  p.  75-97;  E.  Vacandard,  Les  ori- 
gines  de  l'hérésie  albigeoise,  dans  la  Revue  des  questions 
historiques,  Paris,  1894,  t.  lv,  p.  65-83;  Vie  de  saint  Bernard, 
Paris,  1895,  t.  n,  p.  217-234;  Hauck,  Realencijklopàdie, 
3e  édit.,  1899,  t.  vu,  p.  606-607;  G.  Bonet-Maury,  Les  pré- 
curseurs de  la  Réforme  et  de  la  liberté  de  conscience  dans  les 
pays  latins  du  XIIe  au  XVe  siècle,  Paris,  1904,  p.  32-35;  T.  de 
Cauzons,  Histoire  de  l'Inquisition  en  France,  Paris,  1909, 
t.  i,  p.  244-248. 

F.   Vernet. 
2.  HENRI  VIII  (1491-1547),  roi  d'Angleterre,  fils  et 
successeur  d'Henri  VII.  —  I.  Le  fils  soumis  de  l'Église. 

II.  Autour  du  divorce.  III.  Le  chef  suprême  de  l'Église 
d'Angleterre. 

I.  Le  fils  soumis  de  l'Église.  —  Henri  VIII  a 
toujours  eu  un  goût  prononcé  pour  les  questions  théo- 
logiques. On  a  dit  que  son  père  le  destinait  à  l'arche- 
vêché de  Cantorbér  \ ,  mais  on  n'en  peut  donner  aucune 
preuve  ;  si  ce  projet  a  jamais  existé,  la  mort  du  prince 
Arthur  vint  le  mettre  à  néant  en  1502,  en  faisant 
d'Henri  l'héritier  de  la  couronne.  Il  est  certain  toute- 
fois qu'il  était  très  précoce,  et  qu'il  reçut  une  éducation 
très  soignée  dès  son  bas  âge.  Érasme  le  remarqua 
lorsqu'il  n'avait  que  neuf  ans.  et  lui  adressa  un  poème 
latin  pour  répondre  à  une  letlre  très  bien  tournée  où  le 
prince  lui  demandait  quelque  chose  de  sa  plume.  Et 
plus  tard  Érasme  témoignait  qu'il  avait  étudié  saint 
Thomas,  Scot  et  les  autres  théologiens  scolasliques. 

Lorsqu'il  monta  sur  le  trône  en  1509,  il  était  tout 
prêt  à  exécuter  les  dernières  recommandations  de  son 
père,  qui  l'adjurait  d'être  fidèle  au  pape,  et  en  fait  il 
entretint  des  relations  d'amitié  avec  Jules  II,  qui  lui 
envoya  la  rose  d'or,  et  plus  tard  avec  Léon  X,  qui 
récompensa  ses  bons  offices  en  créant  Wolsey  cardinal 
en  1515.  Ce  fut  à  la  demande  du  même  pontife  qu'il  lii 
brûler  publiquement  les  livres  de  Luther  (1521),  et 
Wolsey  l'engagea  à  entrer  en  lice  pour  réfuter  le  traité 
De  captivitate  babylonica  Ecclesiœ,  où  l'hérésiarque 
attaquait  l'autorité  du  pape  et  tout  le  système  de  la 
théologie  scolastique,  et  ne  gardait  que  trois  sacre- 
ments. La  réponse  d'Henri  VIII  parut  en  juillet  1521 
sous  ce  titre  :  Asscrlio  seplcm  sacra menlorum  adversus 
Martinum  Lulherum,  édita  ah  inviclissimo  Angliïe  et 
Francise  rege,  et  domino  Iliberniœ,  Ilvnrico  ejus 
nominis  octauo.  Luther  y  est  réfuté  point  par  point, 
dans  un  latin  élégant,  et  le  raisonnement  est  bien  con- 
duit, quoiqu'un  peu  faible  parfois.  Henri  est-il  vrai- 


ment l'auteur  de  ce  livre?  La  question  a  été  traitée, 
t.  v,  col.  2558.  Nous  dirons  seulement  qu'Érasme  le 
croyait,  tout  en  pensant  qu'il  avait  été  aidé  considé- 
rablement, et  le  dernier  éditeur  de  cet  ouvrage.  L. 
Donovan,  dont  le  travail  a  paru  à  New  York  en  1908, 
est  arrivé  à  la  même  conclusion  après  un  examen 
approfondi  du  pour  et  du  contre.  Quoi  qu'il  en  soit,  le 
livre  fut  présenté  à  Léon  X  le  2  octobre  de  la  même 
année,  et  le  pape  accordait  aussitôt  une  indulgence  de 
dix  ans  et  dix  quarantaines  à  tous  ceux  qui  le  liraient. 
Le  jour  suivant  était  publiée  la  bulle  qui  conférait  au 
roi  d'Angleterre  le  titre  de  défenseur  île  la  foi.  Henri 
aurait  voulu  que  le  titre  de  Roi  très  chrétien  lui  fût 
donné,  au  préjudice  du  roi  de  France,  et  Jules  II  avait 
déjà  consenti  in  petto  à  sa  requête  lors  du  concile  de 
Pise,  mais  Léon  X,  avec  lequel  Louis  XII  s'était 
réconcilié,  ne  voulut  pas  exécuter  l'acte  de  son  prédé- 
cesseur, et  l'autre  titre  fut  trouvé.  Clément  VII  le 
confirma  plus  tard.  Il  est  intéressant  de  remarquer  que 
ce  titre  n'était  pas  héréditaire,  mais  Henri  le  conserva 
après  sa  séparation  de  Rome,  et  il  fut  déclaré  préro- 
gative de  la  couronne  d'Angleterre  par  un  acte  du 
parlement  en  1543. 

Luther  répondit  avec  sa  richesse  habituelle  de  lan- 
gage ;  le  roi,  piqué  au  vif,  chercha  à  faire  supprimer  la 
brochure  par  l'électeur  de  Saxe,  mais  n'en  reçut  qu'une 
fin  de  non-recevoir.  Dédaignant  d'écrire  lui-même,  il 
mit  en  œuvre  les  théologiens  qu'il  avait  à  son  service, 
en  Allemagne,  le  franciscain  Mnener,  en  Angleterre, 
Fisher  et  Thomas  Moore,  et  même  Érasme,  qui  se 
décida  à  sortir  de  son  prudent  silence,  et  publia  son 
opuscule  De  libero  arbilrio  (1524),  où  il  attaque  le 
point  central  du  luthéranisme.  Mais  bientôt  l'héré- 
siarque fournit  à  son  adversaire  une  nouvelle  occasion 
d'exercer  son  activité  théologique.  Christian  II  de 
Danemark  lui  avait  dit  que  le  roi  d'Angleterre  devenai 
favorable  au  protestantisme.  La  nouvelle  était  fausse 
mais  ce  fut  assez  pour  que  Luther  écrivît  à  son  ennemi 
une  humble  lettre  où  il  offrait  de  rétracter  tout  ce  qu'il 
avait  dit  contre  lui.  Malheureusement  il  s'avisa  de  dire 
que  Y  Assert  io  n'était  pas  l'œuvre  d'Henri,  et  d'appeler 
Wolsey  un  monstre  détesté  de  Dieu  et  des  hommes. 
Le  roi  irrité  composa  (1526)  un  opuscule  où  il  repro- 
duisait en  s'en  moquant  la  lettre  de  Luther,  tout  en 
l'accusant  d'avoir  causé  la  révolte  des  paysans,  et  de 
vivre  dans  le  péché  avec  une  religieuse,  puis  il  attaquait 
ses  erreurs  avec  plus  de  force  que  dans  le  livre  précé- 
dent, surtout  la  justification  par  la  foi  seule  et  la  néga- 
tion du  libre  arbitre.  Luther  répondit  avec  colère, 
mais  Henri  ne  continua  pas  la  discussion;  il  se 
contenta  de  faire  représenter  l'hérésiarque  et  sa 
femme  sur  la  scène  par  des  bouffons.  Mais  déjà  un 
projet  se  formait  dans  l'esprit  du  roi,  qui  allait 
bientôt  le  faire  recourir  à  son    adversaire. 

11.  Autour  du  divorce.  —  La  passion  d'Henri  VIII 
pour  Anne  Boleyn  changea  l'orientation  de  sa  vie.  La 
jeune  fille  ne  voulait  pas  se  contenter  d'être  la  maî- 
tresse du  roi;  elle  aspirait  à  partager  son  trône,  et  le 
seul  moyen  d'en  arriver  là  était  de  faire  déclarer  inva- 
lide le  mariage  d'Henri  avec  Catherine  d'Aragon.  On 
a  dit  que  ce  moyen  avait  été  suggéré  au  roi  par 
Wolsey,  mais  on  n'en  a  pas  de  preuves  péremptoires. 
Quoi  qu'il  en  soit,  le  souverain  se  sentit  pris  de  scru- 
pules à  la  pensée  que  Catherine  avait  été  la  femme  de 
son  frère.  Il  est  vrai  que  Jules  II  avait  accordé  une  dis- 
pense de  l'empêchement  d'affinité,  mais  le  pape 
pouvait-il  dispenser  de  ce  qui  est  de  droit  divin?  Alors 
on  joua  la  comédie.  Wolsey,  en  vertu  de  son  autorité 
de  légat,  cita  Henri  devant  un  tribunal  composé  de 
lui-même  et  de  l'archevêque  de  Cantorbéry,  Warhani, 
aux  fins  de  prouver  que  son  mariage  avec  Catherine 
d'Aragon  était  valide.  Le  tribunal  ne  siégea  qu'une 
fois,  sans  prononcer  de  sentence;  Henri  signifia  à  la 


2185 


HENRI  VIII 


d8G 


reine  qu'à  cause  du  doute  il  ne  pouvait  plus  cohabiter 
avec  elle.  Mais  Catherine  déclara  solennellement  que 
son  mariage  avec  Arthur  n'avait  pas  été  consommé,  et 
que  par  conséquent  l'empêchement  d'affinité  n'existait 
pas.  Wolsey  fut  d'abord  embarrassé,  mais  il  lui  vint 

I  ientôt  à  l'esprit  que  dans  ce  cas  restait  l'empêche- 
ment d'honnêteté  publique,  et  comme  la  bulle  ne  le 
mentionnait  pas,  le  mariage  n'en  était  pas  moins 
invalide.  Malheureusement  pour  sa  théorie  il  se  trouva 
que  le  bref  envoyé  par  Jules  II  à  Henri  et  à  Catherine 
îvait  prévu  cette  circonstance. 

Et  cependant  il  fallait  obtenir  de  Rome  la  déclara- 
tion que  le  mariage  était  invalide.  Les  négociations 
;vec  Clément  VII  ont  été  fort  bien  résumées,  t.  m, 
roi.  73,  jusqu'à  l'excommunication  du  roi  en  1533; 
nous  n'y  reviendrons  pas,  mais  nous  rappellerons  que 
pendant  ce  temps  Henri  exerçait  aussi  son  activité 
d'un  autre  côté. 

L'appel  de  Catherine  à  Rome  avait  mis  un  terme  à 
l'autorité  des  légats,  et  le  roi  lui-même  semblait  avoir 
abandonné  toute  idée  de  poursuivre  le  divorce, 
lorsqu'un  théologien  de  Cambridge,  Cranmer,  voir 
t.  m,  col.  2026,  lui  donna  l'idée  de  se  passer  du  pape, 
en  s'adressant  à  un  certain  nombre  d'universités,  dont 
l'opinion  en  cette  matière  lui  donnerait  une  autorité 
suffisante  pour  se  prononcer.  Henri  saisit  cette  idée 
avec  empressement;  sans  doute  il  n'avoua  pas  le  véri- 
table but  de  Cranmer,  car  la  rupture  avec  le  s.iint- 
siège  n'eut  pas  lieu,  et  même  Clément  VII  promit  de 
laisser  toute  liberté  aux  universités  d'Italie.  Il  fut 
impossible  de  tirer  une  conclusion  des  réponses  données 
par  les  universités.  Quelques-unes  dirent  que  le 
mariage  était  valide,  d'autres  qu'il  était  nul;  d'autres 
le  disaient  contraire  à  la  loi  de  Dieu,  sans  dire  pour 
■cela  que  la  dispense  de  Jules  II  fût  invalide.  De  ce 
nombre  étaient  Oxford  et  Cambridge,  et  cependant  on 
avait  exercé  une  pression  considérable  sur  ces  deux 
universités  pour  leur  faire  donner  un  avis  conforme 
aux  désirs  du  roi.  Voir  t.  vi,  col.  1156.  D'ailleurs  en 
aucun  pays  les  universités  n'étaient  indépendantes. 
En  France,  François  Ier  tenait  à  rester  en  bons  termes 
avec  le  roi  d'Angleterre;  en  Italie,  malgré  la  promesse 
du  pape,  l'empereur  était  tout-puissant,  et  on  se 
garda  bien  de  consulter  les  universités  de  ses  États. 
Quant  aux  luthériens  d'Allemagne,  ils  étaient  pré- 
venus contre  Henri  à  cause  de  ses  démêlés  avec  leur 
patriarche  et  même  l'un  d'eux  publia  en  1530  un  livre 
en  faveur  de  la  reine.  Ceci  n'empêcha  pas  le  roi  de 
s'adresser  à  eux  en  1531,  par  l'entremise  de  Simon 
(iimkcus,  un  humaniste  recommandé  par  Érasme. 
Mélanchthon  dit  que  la  prohibition  du  Lévitique 
appartenait  à  la  loi  positive,  dont  on  peut  être  dis- 
pensé, tandis  que  le  divorce  est  opposé  à  la  loi  naturelle. 

II  concluait  en  conseillant  la  polygamie.  Ceci  ne  plut 
pas  à  Henri.  Il  envoya  ambassade  sur  ambassade  à 
Wittemberg,  a  lin  d'arracher  aux  théologiens  de  cette 
ville  l'approbation  du  divorce;  tout  ce  qu'il  put 
obtenir  lut  une  déclaration  (1535)  que  le  mariage  avec 
une  belle-sœur  était  contraire  à  la  loi  divine,  mais  les 
théologiens  demandaient  à  être  dispensés  de  donner 
une  réponse  sur  le  cas  du  roi.  Zwingle  répondit  carré- 
ment que  le  mariage  en  question  était  contraire  à  la 
loi  divine,  dont  aucun  pape  ne  peut  dispenser  ;  Œcolam- 
pade  lui  du  même  avis.  A  Strasbourg,  on  partagea 
plutôt  l'avis  de  Wittemberg,  tout  en  reconnaissant  que 
le  divorce  était  un  remède  pire  que  le  mal,  et  en  con- 
seillant la  polygamie.  Bucer  fut  ici  comme  ailleurs  «  le 
grand  architecte  des  subtilités  »;  il  oscilla  entre  Luther 
et  Zwingle,  et  finit  par  ne  prendre  aucun  parti. 

Cependant  Henri  employait  d'autres  moyens  pour 
s'adressera  Luther  lui-même.  Dès  1529,  il  s  était  radouci 
à  l'égard  de  son  ennemi,  et  l'avait  même  loué  dans  une 
conversation  avec  Chapuis,  ambassadeur  de  Charles- 


Quint,  disant  que,  s'il  avait  mélangé  l'hérésie  à  ses 
ouvrages,  ce  n'était  pas  une  raison  pour  rejeter  les  nom- 
breuses vérités  qu'il  avait  mises  en  lumière.  En  1531, 
il  le  fit  approcher  par  Robert  liâmes,  ancien  augustin 
qui  avait  dû  fuir  l'Angleterre  à  cause  de  ses  opinions 
hétérodoxes,  et  s'était  fixé  à  Wittemberg,  où  Luther 
lui  donnait  l'hospitalité.  La  réponse  de  l'hérésiarque 
est  identique  à  celle  de  Mélanchthon.  Il  se  préoccupe 
peu  du  pouvoir  du  pape,  mais  quand  même  le  roi 
aurait  péché  en  épousant  la  veuve  de  son  frère,  il 
commettrait  un  péché  plus  atroce  en  la  répudiant 
cruellement.  Il  ferait  beaucoup  mieux  de  prendre  une 
seconde  femme,  suivant  l'exemple  des  patriarches. 

L'idée  de  la  polygamie  ne  souriait  pas  à  Henri.  Un 
enfant  de  la  seconde  femme  n'aurait  jamais  été  reconnu 
comme  légitime  en  Angleterre,  et  comme  la  raison 
qu'il  donnait  pour  le  divorce  était  l'absence  d'héritier 
mâle  de  la  couronne,  tout  prétexte  honnête  lui 
échappait.  Il  fit  coup  sur  coup  deux  tentatives  près 
de  Luther  l'année  suivante,  mais  sans  plus  de  succès. 
Alors  il  se  repentit  d'avoir  écrit  contre  le  professeur  de 
Wittemberg,  et  il  alla  jusqu'à  publier  une  traduction 
de  la  lettre  que  celui-ci  lui  avait  écrite  en  1525,  disant 
en  même  temps  qu'il  avait  été  poussé  à  écrire  son  livre 
par  Wolsey.  Mais  ceci  n'adoucit  pas  Luther.  Une  nou- 
velle ambassade  en  1535  ne  réussit  pas  mieux  que  les 
précédentes,  et  la  réaction  contre  le  protestantisme 
qui  eut  lieu  après  le  divorce  d'Anne  de  Clèves  irrita 
les  réformateurs  allemands.  Mélanchthon  souhaita 
qu'un  régicide  vînt  délivrer  la  terre  de  ce  monstre. 
Luther  se  contenta  de  l'invective,  où  il  était  passé 
maître;  Henri  VIII,  écrivait-il  en  1540,  n'est  pas  un 
homme,  mais  un  démon  incarné. 

Dès  1529,  Henri  avait  été  lancé  dans  une  autre  voie, 
qui  allait  le  mener  à  la  rupture  complète  avec  Rome. 
Thomas  Cromwell,  fils  d'un  forgeron  de  Putney,  qui 
ajoutait  à  ce  métier  celui  de  foulon,  tout  en  tenant  une 
hôtellerie,  entra  à  son  service  après  la  disgrâce  de 
Wolsey,  qu'il  servait  habilement  depuis  plusieurs 
années.  Il  fut  le  premier  à  suggérer  au  roi  l'idée  d'abo- 
lir la  juridiction  papale  en  Angleterre,  et  de  mettre 
ainsi  fin  à  l'anomalie  qui  résultait  de  l'existence  de 
tleux  juridictions  dans  le  même  royaume.  Henri  n'était 
pas  prêt,  mais  l'idée  fit  son  chemin  dans  son  esprit,  et  la 
consultation  des  universités  à  propos  du  divorce  fut 
un  avertissement  donné  au  pape  qu'on  pourrait  bien 
se  passer  de  lui,  si  sa  décision  n'était  pas  celle  qu'on 
attendait.  En  1531,  il  lit  un  pas  de  plus.  Il  demanda  à 
la  convocation  ou  assemblée  du  clergé  de  la  province 
de  Cantorbéry  de  le  reconnaître  comme  «  protecteur 
et  seul  chef  suprême  de  l'Église  et  du  clergé  en  Angle- 
terre ».  L'assemblée,  qui  venait  de  se  laisser  imposer 
une  amende  de  cent  mille  livres  sterling,  trouva  la 
"prétention  exorbitante,  et  chercha  à  adoucir  les  termes, 
mais  le  roi  ne  voulut  rien  entendre  :  tout  au  plus 
permit-il  d'insérer  le  mots  post  Daim  après  supre- 
mum  caput.  L'archevêque  Warham  trouva  un  moyen 
de  sortir  de  la  difficulté,  en  employant  une  phrase 
élastique  qui  peut  avoir  bien  des  sens  ;  il  ajouta 
à  la  formule  proposée  par  le  roi  .  «  autant  que  la 
loi  du  Christ  le  permet  ».  Et  comme  personne  n'éle- 
vait la  voix  pour  seconder  sa  proposition,  l'archevêque 
la  déclara  votée  d'après  le  principe  :  Qui  ne  dit  rien 
consent.  La  convocation  d'York  imita  celle  de  Can- 
torbéry, et  ainsi  I  lenri  acquit  un  nouveau  titre  qui  lui 
donnait  toute  l'autorité  nécessaire  en  cas  de  rupture 
avec  Rome.  11  ne  tarda  pas  à  réclamer  tous  les  droits 
que  lui  conférait  ce  titre  L'année  suivante,  il  lit  écrire 
sous  ses  yeux  une  supplication  au  non  de  la  Chambre 
des  Communes.  On  s'y  plaignait  entre  autres  choses  de 
ce  que  le  clergé  réuni  en  convocation  put  faire  des  lois 
et  des  constit. liions  sans  l'assentiment  du  roi,  et  de  ce 
que  les  laïques  fussent  tenus  de  se  soumettre  à  ces  lois 


2187 


HENRI   VIII 


•21  S* 


sans  qu'elles  leur  eussent  été  déclarées  en  langue  vul- 
gaire. Les  ordinaires  répondirent  en  rappelant  leurs 
privilèges,  fondés  sur  l'Écriture  et  les  canons,  et  en 
appelèrent  même  au  livre  du  roi  contre  Luther,  où  il 
soutenait  les  mêmes  principes.  Ils  consentaient  cepen- 
dant à  lui  soumettre  les  canons  qu'ils  pourraient  faire, 
pourvu  qu'il  ne  s'agît  pas  de  matières  de  foi.  Mais 
Henri  entendait  bien  être  chef  suprême,  même  en 
matière  de  foi,  et  il  fit  tenir  au  clergé  trois  articles 
qui,  après  quelques  tergiversations,  lurent  acceptés. 
Le  16  mai,  l'archevêque  Warham,  la  mort  dans  l'âme, 
remit  au  roi  le  document  connu  sous  le  nom  de  Sou- 
mission du  clergé.  Les  évêques  y  promettaient  :  1°  de 
ne  porter  ni  canons,  ni  lois,  ni  ordonnances  sans  l'assen- 
timent du  roi  :  2°  de  soumettre  à  une  commission 
royale  les  canons  déjà  existants,  et  de  supprimer  ceux 
qui  seraient  reconnus  contraires  aux  lois  de  Dieu  ou 
du  royaume  ;  3°  de  soumettre  à  l'assentiment  du  roi 
ceux  des  anciens  canons  maintenus  par  la  commission. 
Le  même  jour,  Thomas  Moore  donna  sa  démission  de 
chancelier. 

Ce  n'était  pas  encore  la  rupture  définitive;  Henri 
comptait  bien  y  arriver,  mais  il  n'était  pas  prêt.  Pour 
le  moment  il  se  contenta  de  réduire  les  annates  à  5  0/0 
du  revenu  des  évêchés,  et  de  favoriser  en  sous-main 
l'introduction  et  la  publication  dans  le  royaume  de 
certains  livres  entachés  d'hérésie,  tout  en  condam- 
nant à  mort  les  hérétiques.  Cependant  l'appel  à  Rome 
de  la  reine  laissait  suspendue  sur  sa  tête  l'obligation 
de  comparaître  en  personne  devant  le  tribunal  du 
pape  ;  il  chercha  par  tous  les  moyens  à  y  échapper.  Il 
fit  plaider  que  la  citation  était  contre  les  privilèges 
du  royaume,  et  obtint  que  les  universités  de  Paris  et 
d'Orléans  la  déclarassent  invalide.  François  Ier  promit 
d'épouser  sa  cause;  il  ne  s'imaginait  pas  que  son  allié 
pût  aller  aussi  loin  qu'il  irait. 

Warham  étant  mort  le  22  août  1532,  Henri  donna 
l'archevêché  de  Cairtorl  éry  à  Cranmer,  sûr  de  trouver 
en  lui  un  instrument  docile.  Voir  t.  m,  col.  2026.  Les 
bulles  furent  obtenues  de  Rome  le  22  février  1533;  le 
25,  le  nouvel  archevêque  déclarait  invalide  le  mariase 
du  roi  avec  Catherine,  puis  le  28,  il  proclama  la  validité 
de  celui  que  le  roi  avait  contracté  secrètement  avec 
Anne  Boleyn  le  25  janvier  précédent.  La  prétendue 
reine  fut  couronnée  le  1"  juin,  jour  de  la  Pentecôte. 
Le  11  juillet,  le  pape  excommuniait  Henri.  Celui-ci 
ne  rompit  pas  encore  ouvertement  avec  le  saint-siège, 
car  il  consentit  à  ce  que  le  roi  de  France  négociât  avec 
Clément,  qui  vint  le  voir  à  Marseille  en  octobre,  et 
envoya  même  deux  ambassadeurs,  Bonner  et  Pierre 
Vannes.  Mais  Bonner  en  appela  au  concile  général,  ce 
qui  offensa  Clément  Vil  et  François  Ier;  cependant 
l'un  et  l'autre  se  radoucirent,  et  du  Bellay,  évêque  de 
Paris,  fut  envoyé  à  Rome  dans  l'espoir  d'arranger 
les  choses.  Malgré  son  optimisme,  le  consistoire  du 
2  mars  1534  décida  que  le  mariage  d'Henri  et  de 
Catherine  était  valide.  Le  pape  se  rallia  à  l'avis  des 
cardinaux,  et  prononça  dans  ce  sens  une  sentence 
définitive. 

Mais  il  était  trop  tard  pour  arrêter  le  roi  d'Angle- 
terre. Déjà,  vers  la  fin  de  l'année  précédente,  le  conseil 
royal  avait  décidé  que  le  pape  n'avait  pas  plus  d'auto- 
rité en  Angleterre  qu'aucun  autre  évêque  étranger,  et 
dorénavant  il  fut  désigné  sous  le  nom  d'évêque  de 
Ri  me.  La  sentence  du  2  mars  ne  fit  que  précipiter  les 
événements.  On  imposa  à  tous  le  serment  de  main- 
tenir l'acte  de  succession.  More  et  Fisher  refu- 
sèrent  de  jurer,  à  cause  du  préambule  qui  déclarait 
invalide  le  premier  mariage  du  roi;  ils  furent  enfer- 
més à  la  Tour,  d'où  ils  ne  sortirent  que  pour  aller  au 
supplice. 

Cranmer  n'eut  pas  de  peine  à  faire  admettre  la 
suprématie  royale  par  le  clergé  séculier  et  régulier;  il 


trouva  cependant  de  la  résistance  chez  les  religieux 
mendiants,  les  chartreux  et  les  brigittins. 

III.  Le  chef  suprême  de  l'Église  d'Angleterre.  — 
Voici  donc  Henri  chef  suprême  de  l'Église  d'Angleterre; 
ce  fut  le  titre  qu'il  prit,  titre  qui  scandalisa  même  Luther. 
Il  fit  Cromwell  son  vicaire  général,  et  Cranmer,  aussi 
bien  que  les  autres  évoques,  durent  s'incliner  devant 
ses  ordres. 

Alors  commença  la  persécution  sanglante.  Les  pre- 
miers martyrs  furent  trois  prieurs  chartreux  et  un 
religieux  brigittin  (4  mai  1435),  exécutés  pour  leur 
fidélité  au  pape,  tandis  qu'un  mois  plus  tard  quatorze 
anabaptistes  hollandais  étaient  brûlés  dans  diverses 
villes  du  royaume  pour  le  crime  d'hérésie.  Bientôt 
Fisher,  voir  t.  v,  col.  2558,  et  More  furent  décapités, 
ce  qui  remplit  d'horreur  l'Europe  entière.  Paul  III, 
qui  avait  créé  Fisher  cardinal  et  n'avait  réussi  par  là 
qu'à  rendre  le  roi  plus  furieux,  prépara  une  bulle 
d'excommunication  dans  laquelle  il  déposait  Henri  et 
déliait  ses  sujets  du  serment  de  fidélité.  Mais  comme  il 
ne  pouvait  trouver  d'assistance  parmi  les  souverains 
d'Europe  pour  en  assurer  l'exécution,  il  en  retarda  la 
publication,  qui  eut  lieu  seulement  trois  ans  plus  tard, 
et  la  bulle  n'entra  jamais  en  Angleterre. 

Cependant  Henri  craignait  un  mouvemeat  contre 
lui  de  la  part  de  l'empereur,  et  il  fit  faire  des  démarches 
auprès  des  protestants  d'Allemagne.  Ceux-ci  consen- 
tirent à  l'aider  pourvu  qu'il  acceptât  la  Confession 
d'Augsbourg;  mais  le  roi  n'était  pas  décidé  à  aban- 
donner la  doctrine  catholique  pour  celle  de  Luther,  et 
Gardiner  lui  fit  remarquer  que  ce  n'était  pas  la  peine 
de  rejeter  l'autorité  du  pape  pour  se  soumettre  à  celle 
des  hérétiques  allemands.  La  tentative  de  rapproche- 
ment n'eut  pas  de  suite,  et  Henri  consacra  son  activité 
à  exercer  sa  suprématie  en  Angleterre.  Ce  fut  une  véri- 
table tyrannie.  Personne  ne  songeait  à  lui  résister.  La 
noblesse  avait  perdu  son  indépendance,  le  peuple 
n'avait  pas  de  chef,  les  évêques  tremblaient  devant 
lui,  aussi  bien  les  partisans  des  nouvelles  doctrines 
que  ceux  qui  avaient  accepté  la  séparation  d'avec 
Rome  à  leur  corps  défendant.  Cromwell,  comme  nous 
l'avons  vu,  était  déjà  vicaire  général,  et  comme  tel 
siégeait  avant  l'archevêque  de  Cantorbéry;  mais  cela 
ne  lui  suffit  pas,  et,  sur  le  conseil  de  deux  de  ses  créa- 
tures, il  décida  de  faire  un  pas  déplus,  pour  porter  à 
son  comble  la  dégradation  des  évêcjues.  Le  18  septem- 
bre 1535,  l'archevêque,  par  une  circulaire,  informait 
les  autres  prélats  que  le  roi,  ayant  l'intention  de  faire 
une  visite  générale,  avait  suspendu  les  pouvoirs  de 
tous  les  ordinaires  du  royaume.  Les  évêques  se  sou- 
mirent humblement,  et  au  bout  d'un  mois  présen- 
tèrent une  pétition  à  l'effet  d'être  rétablis  dans  leur 
autorité.  En  conséquence,  chacun  d'eux  reçut  une 
commission  qui  l'autorisait,  suivant  le  bon  plaisir  du 
roi  et  comme  son  représentant,  à  exercer  ses  pouvoirs 
épiscopaux...  dans  son  diocèse.  Tout  cela  devait  se 
faire  sous  la  surintendance  du  vicaire  général,  et 
comme  il  ne  pouvait  être  partout  à  la  fois,  on  devait 
obéissance  à  ses  délégués  comme  à  lui-même. 

Cromwell  se  mit  alors  e.i  devoir  d'exécuter  un  des- 
sein qu'il  entretenait  depuis  plusieurs  années  :  nous 
voulons  parler  de  la  dissolution  des  monastères.  Henri 
accepta  avec  enthousiasme,  parce  qu'il  voyait  là  un 
moyen  de  remplir  ses  coffres,  et  Cranmer  ne  fut  pas 
moins  favorable  à  une  mesure  qui  le  débarrassait  des 
plus  fermes  soutiens  de  l'ancienne  croyance.  L'opé- 
ration commença  par  une  visite  générale  des  monas- 
tères, faite  par  Cromwell  et  ses  émissaires,  sous  pré- 
texte de  les  réformer,  mais  en  réalité  pour  trouver  des 
raisons  de  les  supprimer,  afin  de  s'emparer  de  leurs 
biens.  Aussi  les  rapports  des  visiteurs  représentent-ils 
les  monastères  comme  des  repaires  de  paresse  et  d'im- 
moralité. Exception  était  faite  pour  les  maisons  les 


2189 


HENRI   VIII 


HENRI    DE   RAUME 


2190 


plus  importantes,  dont  les  supérieurs  siégeaient  au 
Parlement  et  pouvaient  se  défendre,  tandis  que  les 
autres  ignoraient  le  plus  souvent  les  accusations 
portées  contre  eux.  Une  loi  fut  votée  qui  dissolvait 
environ  trois  cent  quatre-vingts  monastères,  tout  en 
laissant  au  roi  la  faculté  de  les  rétablir.  Il  en  rétablit 
une  centaine,  en  ayant  soin  de  se  faire  payer  cette 
faveur  par  d'abondants  subsides.  Les  supérieurs  des 
maisons  supprimées  reçurent  une  pension;  quant  aux 
moines,  ceux  qui  n'avaient  pas  vingt-quatre  ans 
furent  déliés  de  leurs  vœux;  les  autres  furent  dis- 
persés dans  divers  monastères  s'ils  voulaient  rester 
en  religion,  sinon,  on  leur  promit  des  emplois  suivant 
leur  capacité.  Les  religieuses  reçurent  pour  toute 
indemnité  une  robe,  et  on  leur  dit  de  se  tirer  d'affaire 
comme  elles  pourraient. 

Le  résultat  de  cette  suppression  fut  un  formidable 
soulèvement  dans  les  comtés  du  nord,  où  les  gens 
étaient  demeurés  attachés  aux  anciennes  doctrines, 
et  où  ils  étaient  soutenus  par  leur  clergé,  que  l'éloi- 
gnement  de  la  cour  rendait  plus  indépendant.  Henri 
réussit  à  pacifier  l'insurrection  en  faisant  des  promes- 
ses qu'il  ne  tint  pas,  et  lorsque  les  révoltés  prirent  de 
nouveau  les  armes  pour  exiger  l'exécution  des  pro- 
messes, le  roi  avait  eu  le  temps  de  réunir  des  troupes 
de  manière  à  intercepter  leurs  communications,  et  il 
les  défit  facilement.  Il  n'en  devint  que  plus  excité  à 
détruire  les  monastères;  les  grandes  abbayes  eurent 
maintenant  leur  tour,  et  il  faut  avouer  que  les  abbés, 
dont  vingt-huit  siégeaient  au  Parlement,  n'osèrent 
même  pas  élever  la  voix  pour  chercher  à  détourner  le 
coup  qui  les  menaçait,  Ils  livrèrent  leurs  monastères 
sans  trop  de  difficulté,  et  leur  lâcheté  ne  fait  que  rendre 
plus  dignes  d'admiration  bs  trois  abbés  de  Glastonbury, 
Reading  et  Colchester,  qui  furent  martyrisés  (1539)  et 
sont  maintenant  honorés  comme  bienheureux. 

Le  7  janvier  1530,  Catherine  d'Aragon  était  morte. 
Henri  s'en  réjouit  fort,  car  cette  mort  faisait  dispa- 
raître un  danger  de  guerre  avec  l'empereur,  et  Anne 
Boleyn  fut  heureuse  d'être  débarrassée  d'une  rivale, 
mais  elle  ne  jouit  pas  longtemps  de  son  bonheur.  Le  roi 
commençait  à  se  lasser  d'elle,  et  il  avait  jeté  les  yeux 
sur  une  de  ses  demoiselles  d'honneur,  Jane  Seymour. 
Des  imprudences  d'Anne  donnèrent  occasion  de 
l'accuser  d'adultère,  et,  sur  l'ordre  d'Henri,  Cranmer, 
qui  avait  en  1533  déclaré  leur  mariage  valide,  le 
déclara  nul  trois  ans  après.  Anne  lut  décapitée  le 
19  mai  1536,  et,  le  30  du  même  rt  ois,  le  roi  épousait 
Jane  Seymour,  qui  mourut  le  24  octobre  de  l'année 
suivante,  quelques  jours  après  avoir  mis  au  monde  un 
fils,  le  futur  Edouard  VI. 

Pendant  ce  temps,  Henri  n'oubliait  pas  qu'il  était 
le  chef  suprême  de  l'Église;  nous  avons  dit,  t.  i,  col. 
1283,  quelle  fut  son  activité  théologique  à  cette 
époque.  Jusque-là  il  s'était  opposé  à  la  diffusion  de  la 
Bible  en  langue  vulgaire,  et  il  en  donnait  d'excellentes 
raisons,  lorsqu'en  1530  il  commanda  qu'on  remît  aux 
autorités  toutes  les  traductions  anglaises  des  saintes 
Écritures.  «  A  cause  de  la  malignité  des  temps,  disait- 
il,  il  vaut  mieux  laisser  aux  docteurs  le  soin  d'expliquer 
la  Bible,  que  d'en  permettre  la  lecture  à  tout  venant.  » 
Cette  sévérité  avait  été  excitée  par  une  traduction  du 
Nouveau  Testament  faite  sous  la  direction  de  Luther 
par  l'ex-franciscain  Tyndal,  et  publiée  en  1526.  Mais 
dans  cette  même  proclamation  le  roi  donnait  à  espérer 
qu'une  traduction  officielle  par  des  savants  catholiques 
pourrait  être  publiée  quand  les  opinions  erronées 
auraient  cessé  d'avoir  cours.  Cranmer  ne  laissa  pas 
tomber  cette  promesse;  il  la  rappela  souvent  à  Henri, 
et  enfin,  aidé  par  le  vœu  de  l'assemblée  du  clergé  et  par 
la  recommandation  de  Cromwell,  il  obtint  l'autorisa- 
tion de  faire  imprimer  une  version  anglaise  de  la  Bible. 
Cette  édition  parut  en  1537  sous  le  nom  de  Thomas 


Matthew,  qui  n'était  qu'un  pseudonyme.  En  réalité, 
elle  contenait  le  Nouveau  Testament  de  Tyndal  avec 
quelques  parties  de  l'Ancien  Testament  du  même 
traducteur;  le  reste  était  l'œuvre  d'un  ex-augustin  du 
nom  de  Coverdale.  Cromwell  ordonna  qu  un  exem- 
plaire de  cette  Bible  fût  mis  dans  toutes  les  églises, 
afin  que  chacun  pût  y  avoir  libre  accès. 

Les  protestants  d'Allemagne  avaient  été  choqués 
par  les  six  articles  de  doctrine  promulgués  en  1536 
Voir  t.  î,  col.  1284.  Pour  les  adoucir,  Henri,  sur  le  con- 
seil de  Cromwell,  décida  en  1539  d'épouser  Anne,  sœur 
du  duc  William  de  Clèves,  ce  qui,  en  le  rapprochant  des 
princes  protestants,  le  mettait  à  l'abri  d'une  alliance 
possible  contre  luientre  l'empereur  et  le  roi  de  France. 
Mais  il  vit  bientôt  qu'une  telle  alliance  n'était  pas  à 
craindre,  et  qu'une  tendance  vers  le  protestantisme  ne 
servirait  guère  ses  intérêts  en  Europe.  Il  y  eut  donc  une 
réaction,  dont  le  résultat  fut  la  rupture  du  mariage  du 
roi  avec  Anne  de  Clèves,  et  la  disgrâce  de  Cromwell, 
qui  était  le  principal  soutien  de  l'hérésie  en  Angleterre. 
Il  fut  enfermé  à  la  Tour,  et  décapité  le  28  juillet  1540. 
Le  30  du  même  mois,  Henri  accentuait  le  caractère 
qu'il  voulait  donner  à  son  Église  en  faisant  exécuter 
six  victimes,  dont  trois  favorisaient  le  luthéranisme, 
tandis  que  les  trois  autres  refusaient  de  reconnaître  la 
suprématie  royale  :  il  voulait  rester  catholique  sans 
le  pape.  Il  continua  jusqu'à  la  fin  de  faire  mourir  d'un 
côté  des  papistes  comme  la  vénérable  Marguerite  Pôle, 
comtesse  de  Salisbury,  et  de  l'autre  des  hérétiques 
comme  Anne  Askew.  Pendant  ce  temps  ses  affaires 
domestiques  lui  créaient  des  soucis.  Catherine  Howard 
avait  succédé  à  Anne  de  Clèves,  mais  le  roi  apprit 
bientôt  qu'elle  avait  mené  jadis  et  menait  encore  après 
son  mariage  une  vie  dissolue;  il  eut  bientôt  fait  de  la 
faire  décapiter,  le  12  février  1512.  L'année  suivante,  il 
épousait  sa  sixième  femme,  Catherine  Parr,  qui  lui 
survécut,  non  sans  avoir  couru  quelques  dangers  à 
cause  de  ses  tendances  protestantes.  Le  concile  de 
Trente  était  assemblé  lorsqu'Henri  VIII  mourut, 
le  28   janvier  1517. 

Voir  les  ouvrages  cités  aux  articles  Anglicanisme,  t.  i, 
col.  1301;   Cranmer,  t.  m,  col.  2031;     et  surtout   Gar- 

DINER,  t.     VI,  COl.    1156. 

A.  Gatard. 
3.  HENRI  DE  BAUME,  frère  mineur,  est  surtout 
connu  par  ses  relations  avec  sainte  Colette,  dont  il 
fut  le  directeur  pendant  trente-cinq  ans.  Fodéré, 
qui  était  assez  bien  placé  pour  être  renseigné,  le  dit 
«  natif  de  la  Franche-Comté,  de  noble  et  illustre  fa- 
mille. »  Il  mentionne  «  noble  Alard  de  Baume,  frère 
du  vénérable  P.  Henry.  »  Alard  est  appelé  aussi  de 
La  Roche.  Une  de  ses  filles  entra  chez  les  colettines 
et,  devenue  sœur  Perrine  de  Baume,  elle  fut  la  com- 
pagne de  la  sainte,  dont  elle  a  écrit  l'histoire.  On 
ignore  la  date  de  la  naissance  du  P.  Henri  et  celle  de 
son  entrée  en  religion.  On  sait  seulement  qu'en  1406, 
il  prêchait  à  Bray-sur-Sommc,  à  quatre  lieues  de 
Corbie,  quand  sainte  Colette,  encore  recluse,  lui  de- 
manda de  venir  la  trouver.  Ensemble  ils  allèrent  à 
Nice,  où  était  le  pape  Benoit  XIIJ,  qui  reçut  Colette 
dans  l'ordre  de  sainte  Claire,  encouragea  ses  projets 
de  réforme  et  la  recommanda  au  P.  Henri.  Depuis 
lors,  la  vie  de  celui-ci  se  confond  avec  celle  de  la  ré- 
formatrice :  il  l'accompagne  dans  ses  voyages,  la  suit 
dans  ses  fondations  et  meurt  pieusement  en  sa  pré- 
sence, dans  la  chapelle  du  monastère  de  Sainte-Claire 
à  Besançon,  le  23  février  1439,  laissant  après  lui  la 
réputation  d'un  directeur  expérimenté  et  d'un  saint 
religieux. 

La  vie  du  P.  Henri  est  donc  assez  peu  connue;  la 
question  des  écrits  qu'on  lui  a  attribués,  longtemps 
obscure,  semble  aujourd'hui  définitivement  tranchée. 
Le  premier,  qui  a  pour  titre  :  De  mystica  thcologia 


2191 


HENRI   DE  BAUME  —  HENRI  DE  GAND 


2192 


seu  de  triplici  via  ad  sapientiam,  avait  trouvé  place 
dans  les  anciennes  éditions  des  œuvres  de  saint  Bo- 
naventure.  Les  critiques  le  regardaient  comme  apo- 
cryphe et  les  derniers  éditeurs  du  docteur  séraphique 
leur  donnent  raison.  Il  n'est  pas  davantage  du 
P.  Henri,  car,  nous  disent-ils,  sur  plus  de  cinquante 
manuscrits  qui  sont  connus,  le  plus  grand  nombre 
l'attribuent  à  Hugues  de  Balma,  en  ajoutant  à  son 
nom  le  qualificatif  de  chartreux.  Voir  ce  nom.  C'était 
la  conclusion  à  laquelle  était  arrivé  Mgr  Douais,  dans 
son  élude  sur  l'auteur  du  Stimulus  amoris. 

Ce  second  opuscule  avait  également  figuré  dans 
plusieurs  éditions  de  saint  Bonaventure;  maintes 
fois  il  avait  été  édité  sous  son  nom,  quelquefois  sous 
celui  d'Henri  de  Baume.  Les  nouveaux  éditeurs  l'ont 
également  rejeté  ;  toutefois  ils  l'ont  publié  à  part,  en 
lui  rendant  sa  forme  originale  et  en  le  restituant  à 
son  véritable  auteur,  frère  Jacques  de  Milan,  qui 
vivait  à  la  fin  du  xme  siècle.  Ce  Stimulus  original 
est,  à  première  vue,  bien  différent  de  celui  qui  était 
connu.  C'est  que  ce  dernier  n'est  qu'un  remaniement 
de  l'opuscule  de  Jacques  de  Milan,  dont  on  a  boule- 
versé l'ordre  des  chapitres,  et  auquel  on  a  fait  des 
additions  empruntées  pour  la  plupart  à  saint  Bona- 
venture.  Quel  est  l'auteur  de  ce  recueil?  La  question 
est  sans  grand  intérêt,  puisque  nous  ne  sommes  pas 
en  présence  d'un  ouvrage  nouveau.  On  trouve  encore 
dans  ce  Stimulus  remanié  un  autre  petit  opuscule, 
également  attribué  à  Henri,  sous  le  titre  de  Medita- 
tioncs  uni''  et  post  missam,  ou  bien  Qualiter  sacerdos 
débet  esse  ordinatus  in  missa.  Ce  n'est  qu'une  adapta- 
tion d'un  opuscule  authentique  de  saint  Bonaventure 
et  non  un  travail  personnel. 

Inutile  de  parler  du  Liber  de  consolalione  interna, 
qu'on  a  également  attribué  à  Henri  :  la  question  est 
depuis  longtemps  définitivement  jugée.  Que  nous 
reste-t-il  donc  de  lui,  puisque  le  livre  De  revelatio- 
nibus  et  gratiis  B.  Colettœ  a  Deo  acceplis,  qu'il  avait 
composé,  dit-on,  fut  brûlé  par  ordre  de  la  sainte  ? 
Tout  ce  qui  reste,  ce  sont  quelques  lettres  autogra- 
phes conservées  aux  monastères  des  clarisses  de 
Gand  et  de  Besançon.  Le  sceau  original  du  P.  Henri 
existe  au  musée  franciscain  du  couvent  généralice 
des  capucins  à  Rome. 

Fodéré,  Narration  historique  des  contiens  de  l'ordre  de 
Saint-François  en  la  province  de  Bourgogne.  Description  des 
i, ministères  de  Sainte-Claire,  Lyon,  1619;  Silvère  d'Abbc- 
ville,  Histoire  chronologique  de  la  B.  Colette,  Paris,  1628; 
Obald  d'Alençon,  Documents  sur  la  réforme  de  sainte  Colette 
en  France,  dans  Archivum  franciscanum  historicum,  Qua- 
racchi,1909,  t.  n;  Les  deuxVies  de  sainte  Colette  par  Pierre  de 
Vaux  et  sœur  Perrine  de  Baume,  Paris,  1911;  Oudin,  De 
scripioribus  ecclesiasticis,  Leipzig,  1722,  t.  in,  p.  392  sq.  ; 
Bonelli,  Proromus  ad  opéra  omnia  sancli  Bonaventunr, 
Bassano,  1767;  Sbaralea,  Supplementum  et  castigatio^  ad 
scriptores  ordinis  minorum,  Rome,  1806;  Douais,  De  l'au- 
teur du  Stimulus  amoris,  Paris,  1885;  S.  Bonaventure, 
Opéra  omnia,  Quaracclii,  1898,  t.  vin,  p.  xi;  Stimulus 
amoris  Fr.  Iacobi  Mediolanensis,  Quaracchi,  1905;  Hurter, 
Nomenclalor  litcrarius,  3<  édit.,  Inspruck,  1906,  l.  n, 
col.  870. 

P.  Edouard  d'Alençon. 
4.  HENRI  DE  GAND, surnommé  le  Doetorsolcmnis, 
occupe  une  place  de  première  importance  parmi  les 
penseurs  belges  du  moyen  âge.  A  côté  de  saint  Thomas, 
qui  le  précède  de  quelques  années  à  l'université  de 
Paris,  cl  de  Duns  Scot,  qui  le  suivra  de  près  et  attestera 
son  mérite  en  combattant  ses  opinions  plus  souvent 
encore  que  celles  du  docteur  d'Aquin,  il  est  un  des  re- 
présentants les  plus  originaux  de  la  scolastique.  Mais 
autant  ses  doctrines,  de  tout  temps  prisées,  étudiées  et 
commentées,  retinrent  l'attention  sur  ses  œuvres, 
autant  les  détails  de  son  existence  furent  vite  négligés 
et  livrés  à  l'oubli,  au  point  que,  comme  il  arrive  en 


pareil  cas,  la  légende  prit  bientôt  la  place  que  l'histoire 
laissait  inoccupée.  Aujourd'hui  nous  ne  possédons, 
de  sa  biographie,  qu'un  très  petit  nombre  d'éléments 
certains. 

Henri  naquit  à  Gand,  au  commencement  du 
xme  siècle.  Les  plus  anciens  manuscrits  l'appellent 
Henricus  de  Gandavo.  Un  de  ses  contemporains,  le 
chroniqueur  Gilles  li  Muisis,  le  nomme  Magister  Hen- 
ricus ad  plagam  de  Gandavo.  Des  documents  posté- 
rieurs le  désignent  encore  Henri  Goethah  ou, 
en  latinisant  ce  dernier  nom,  Henricus  Bonicollius. 
En  1567,  pour  le  curé  Meyerus,  il  est  Henricus  Mu- 
danus,  Henricus  a  Muda.  L'année  de  sa  naissance  est 
inconnue.  En  1267,  il  était  à  Tournai,  où  il  semble 
qu'il  ait  habité  une  maison  appartenant  au  chapitre, 
rue  de  la  Lormerie.  D'après  un  écrivain  de  cette  époque. 
Jean  de  Thiebrode,  il  fut  distingué  et  élevé  aux  digni- 
tés ecclésiastiques  par  l'évêque  Philippe  Mouskes 
(1274-1282).  Il  était  déjà  archidiacre  de  Bruges  quand, 
en  1276,  il  prononça  sa  première  Disputalio  de  quod- 
libet.  Dans  les  milieux  théologiques  de  Paris,  il  jouis- 
sait d'une  grande  considération,  car  on  le  voit  mêlé 
à  toutes  les  questions  importantes  qui  s'y  agitaient 
alors.  Lui-même  atteste  qu'il  assista,  dans  cette  ville, 
à  une  réunion  de  théologiens,  où  il  eut  l'occasion  de 
s'associer  à  une  condamnation  de  doctrines  erronées, 
prononcée  au  nom  de  l'évêque.  En  1282,  nous  le  ren- 
controns de  nouveau  délibérant  avec  les  théologiens 
de  la  Sorbonne  sur  les  privilèges  octroyés  aux  ordres 
mendiants  par  rapport  à  la  confession;  et  dans  ce  débat, 
qui  passionnait  les  esprits,  il  n'hésite  pas  à  se  ranger 
résolument  du  côté  des  ordinaires  et  à  entrer  en  lice 
avec  saint  Bonaventure.  La  renommée  d'Henri  était 
arrivée  jusqu'à  la  cour  de  Rome.  Dans  un  procès  pen- 
dant entre  le  chancelier  de  Paris  et  l'université,  le 
pape  Martin  IV,  en  tranchant  lui-même  quelques  points 
du  litige,  remet  la  décision  de  plusieurs  autres  aux 
évoques  d'Amiens  et  de  Périgueux,  assistés  d'Henri: 
Discretus  vir  magister  Henricus  de  Gandavo,  archidia- 
conus  Tomaccnsis.  Dans  ces  qualificatifs,  deux  traits 
sont  à  relever  :  Henri  est  migister,  c'est-à-dire  docteur 
en  théologie,  et,  depuis  1277,  il  prend  ce  titre  en  tête 
de  ses  écrits;  de  plus,  vers  le  même  temps,  entre 
Pâques  de  1278  et  Pâques  de  1279,  il  fut  promu  de 
l'archidiaconat  de  Bruges  à  celui  de  Tournai,  qui  res- 
sortissait  d'ailleurs  au  même  ordinaire.  A  partir  de 
128  I.  il  dut  faire  plusieurs  fois  le  voyage  de  Tournai  à 
Paris  et  vice  versa,  car  nous  le  retrouvons  tour  à  tour 
dans  l'une  et  dans  l'autre  de  ces  deux  villes.  Jean  de 
Thiebrode  assigne  l'an  1293  comme  date  de  sa  mort, 
mais  sans  en  indiquer  le  lieu.  Nous  savons  d'ailleurs, 
par  un  document  non  suspect,  qu'elle  arriva  le  29  juin. 
Son  quinzième  et  dernier  Quodlibetum  est  de  la  fête  de 
Noël  1291  ou  de  la  fête  de  Pâques  1292. 

Telles  sont,  d'après  les  travaux  les  plus  récents,  ceux 
surtout  du  P.  Ehrle  et  du  P.  Delehaye,  les  seules  don- 
nées sûres  concernant  la  vie  d'Henri  de  Gand.  Tout 
ce  que  la  foule  des  biographes,  gent  moutonnière,  y 
ajoute  depuis  des  siècles  est  purement  fantaisiste  ou 
controversé.  Fantaisiste  et  sans  aucun  fondement 
sérieux,  la  fixation  de  sa  naissance  à  l'année  1217; 
fantaisiste  également,  son  stade  d'études  à  Cologne,  où 
il  se  serait  rencontré  avec  saint  Thomas  aux  leçons 
d'Albert  le  Grand.  A-t-il  enseigné  en  Sorbonne,  comme 
on  l'a  souvent  affirmé?  Ce  point  reste  douteux.  En 
revanche,  il  est  faux  qu'il  ait  appartenu  à  l'ordre  des 
servîtes,  ainsi  qu'on  l'admettait  naguère  presque  uni- 
versellement; à  plus  forte  raison  faut-il  tenir  pour  lé- 
gendaire son  voyage  en  Italie  avec  saint  Philippe 
Beniz/i.  ml  repris,  disait-on,  pour  défendre  auprès  de 
Martin  IV  (1281-1285),  puis  d'Honorius  IV  (1285- 
i,  l'ordre  naissant,  déjà  menacé  de  suppression. 
Dans  un  endroit  des  Quodlibela,  Henri  dit  clairement 


2193 


HENRI   DE    GAND  —  HENRI  DE  HESSE 


2194 


que  Iarèglede  saint  Augustin,  adoptée  par  les  servîtes, 
lui  est  étrangère;  et  nous  possédons,  des  dépenses  de 
voyages  faites  par  le  général  de  l'ordre  pendant  la 
période  1285-1300,  un  Diarium  très  détaillé,  où  le  nom 
d'Henri  n'est  pas  même  mentionné.  Il  n'y  a  plus  per- 
sonne qui  admette  comm?  authentique  une  bulle 
d'Innocent  IV  par  laquelle  il  aurait  été  nommé  «pro- 
tonotaire apostolique  du  saint-siège  avec  des  pouvoirs 
s \- tendant  non  seulement  à  Paris  et  à  tous  les  diocèses 
de  France,  mais  encore  à  celui  de  Tournai  ».  Or,  c'est 
de  cette  pièce  apocryphe  qu'on  tirait  jadis  une  foule 
de  détails  biographiques,  notamment  la  naissance  en 
1217  et  la  promotion  au  doctorat  en  1245  ou  1246. 
Enfin,  la  famille  et  le  nom  de  famille  du  docteur  so- 
lennel demeurent  pour  nous  une  énigme.  Il  résulte  des 
dernières  recherches  que  ses  rapports  avec  la  noble 
lianée  des  Goethals  ou  Bonicollii  ont  été,  selon  toute 
vraisemblance,  inventés  par  des  généalogistes  com- 
plaisants. D'autre  part,  les  deux  appellations  de  Gan- 
darensis  (a  Gandavo)  et  Mudanus  (a  Muda)  ne  pa- 
raissent point  être  des  désignations  patronymiques, 
mais  de  simples  indications  d'origine  :  elles  s'expliquent 
tout  naturellement  par  l'usage,  cher  aux  lettrés,  de 
prendre,  surtout  lorsqu'ils  s'expatriaient,  le  nom  de 
leur  lieu  de  naissance. 

Parmi  les  ouvrages  d'Henri  de  Gand,  il  faut  surtout 
mentionner  :  1°  les  Quodlibeta,  au  nombre  de  quinze. 
Ce  sont  autant  de  dissertations  ou  de  conférences  sur 
les  problèmes  les  plus  variés.  Ils  nous  donnent  un 
aperçu  intéressant  des  sujets  agités  dans  les  écoles  de 
Paris  et  leurs  annexes  vers  la  fin  du  xine  siècle.  La 
plupart  de  ces  sujets  se  rapportent  à  la  psychologie, 
mais  il  y  a  aussi  nombre  de  thèses  de  cosmologie  et 
de  métaphysique,  sans  compter  des  chapitres  de  nature 
purement  canonique  ou  théologique.  Il  arrive  parfois, 
bien  que  rarement,  que  l'auteur,  entraîné  par  l'esprit 
du  temps,  tombe  dans  des  minuties  d'une  subtilité 
excessive.  Le  recueil  des  Quodlibeta  a  été  édité  à  Paris, 
en  1518  (c'est  le  premier  texte  imprimé  où  se  rencontre 
le  nom  de  Goethals);  à  Venise,  avec  les  commentaires 
de  Zuccolius,  en  1608;  dans  la  même  ville,  2  in-fol., 
1613.  On  annonce  que  M.  A.  Pelzer  en  prépare  une 
nouvelle  édition.  2°  Une  Summa  thcologica,  qui  est 
restée  inachevée  et  ne  contient  en  réalité  qu'un  pro- 
logue et  une  théodicée.  Mêlant,  comme  on  le  faisait 
alors,  la  philosophie  à  la  théologie,  elle  débute  par  une 
étude  remarquable  sur  les  fondements  ontologiques 
de  la  vérité.  Elle  a  été  imprimée  à  Paris  en  1520,  et 
réimprimée  à  Anvers,  en  1639,  puis  à  Ferrare  en  1646. 
3°  Liber  de  scriptoribus  illustribus,  édité  pour  la  pre- 
mière fois  à  Cologne,  en  1580.  Hauréau  en  a  contesté 
l'authenticité;  Mémoire  sur  l*  livre  De  viris  illustribus, 
attribué  à  Henri  de  Gand,  daiis  les  Mémoires  de  l'Aca- 
démie  des  inseriplions  et  belles  lettres,  t.  xxx,  2e  par- 
tie, p.  349 sq.;  Xotices  extraites  de  quelques  manuscrits 
di'  la  Bibliothèque  nationale,  Paris,  1895, p.  162-173; 
mais  ses  arguments,  purement  internes,  n'ont  pas  con- 
vaincu tout  le  monde.  4°  Un  Commentaire  sur  la  Phy- 
sique d'Aristote,  et  5°  un  Traité  de  logique.  Ces  deux 
ouvrages  n'ont  pas  été  imprimés.  La  Bibliothèque 
nationale  de  Paris  possède  un  exemplaire  des 
Commentarii  in  VIII  libros  Physicorum,  n°  16609, 
niais  il  est  incomplet  et  ne  contient  que  des  parties 
relatives  aux  1.  IV-VIII.  Quant  au  Traité  de  logique, 
il  en  existe  un  exemplaire  à  la  bibliothèque  de  la  ville 
de  Bruges  et  un  autre  à  la  bibliothèque  d'Erfuit. 
Il  nous  reste  aussi,  en  manuscrit,  plusieurs  ouvrages 
d'exégèse,  de  morale  et  d'ascétisme,  notamment  : 
6°  des  Sermons  (mss  de  Saint-Omer  et  de  la  Biblio- 
thèque nationale);  7°  une  explication  Super  prima 
capita  Genesis;  8°  un  traité  De  virginitate  (mss  de 
la  bibliothèque  royale  de  Bruxelles  et  de  la  biblio- 
thèque royale  de  Berlin);  9°  un  traité  De  peenilentia; 


10°  Quœsliones  super  Decretalibus  (ms.  de  Vienne). 
Notons  enfin  qu'on  a  attribué  à  Henri  de  Gand  un 
Commentaire  sur  le  Hure  des  Sentences  et  un  Commen- 
taire sur  la  Métaphysique  d'Aristote;  mais,  eu  égard  aux 
nombreuses  confusions  dont  la  personne  du  docteur 
solennel  a  été  l'objet,  l'authenticité  de  ces  écrits  est 
douteuse. 

M.  de  Wulf,  Éludes  sur  Henri  de  Gand,  in-8°,  Paris  et 
Louvain,  1897;  Franz  Ehrle,  Beitràge  zu  den  Biographicn 
berulimter  Scholastiker,  Heinrich  von  Gent,  dans  Archiv  fur 
Litleratur  und  Kirchengeschichte,  1885,  t.  i,  et  traduction 
française  de  ce  travail  par  Raskop,  dans  le  Supplément  au 
t.  .x.x  des  Bulletins  de  la  Société  historique  et  littéraire  de 
Tournai;  A.  Wauters,  contre  l'authenticité  de  la  bulle 
d'Innocent  IV,  dans  les  Bulletins  de  l'Académie  rogale  de 
Belgique,  1875,  2e  série,  t.  xi,  p.  356;  Delehaye,  Nouvelles 
recherches  sur  Henri  de  Gand,  dans  le  Messager  des  sciences 
historiques,  1886  et  1888;  N.  de  Pauvv,  Note  sur  le  vrai  nom 
du  docteur  solennel  Henri  de  Gand,  et  Dernières  découvertes 
concernant  le  docteur  solennel,  dans  les  Bulletins  de  la  Com- 
mission rogale  d'histoire,  1888  et  1889  ;  Hagemann,  De 
Henrici  Gandavensis  quem  vocant  ontologismo,  Munster, 
1898  ;  P.  Féret,  La  faculté  de  théologie  de  Paris  et  ses 
docteurs  les  plus  célèbres.  Moyen  âge,  Paris,  1895,  t.  îi,  p.  227- 
246  ;  U.  Berlière,  dans  Zeitschrift  fiir  katholische  Théologie, 
1890,  p.  384-388  ;  Hurter  Nomenclator,  Inspruck,  1906, 
t.  il,  col.  396-400. 

J.  Forget. 
5.  HENRI  DE  HESSE  (de  Hassia),  théologien  char- 
treux, surnommé  le  jeune  pour  le  distinguer  de  ses 
homonymes  Henri  de  Heyerburg  de  Langestein  (f  1397), 
Henri  de  Hassia,  augustin  (f  1317)  et  de  plusieurs 
autres  savants  ainsi  nommés.  Le  chartreux  Henri  de 
Hesse  naquit  à  Mayence  et  fit  ses  études  à  Paris,  où 
cependant  il  ne  prit  pas  les  grades.  C'est  à  Cologne  qu'il 
fut  fait  maître  es  arts  et,  en  1400,  il  fut  agrégé  à 
l'université  d'Heidelberg,  où  il  remplit  les  charges  de 
recteur,  vice-recteur  et  de  doyen  (1401-1411),  enseigna 
les  Sentences  (1405-1410)  et  prit  la  licence  le  18  dé- 
cembre 1411.  En  1414,  il  se  fit  chartreux  à  Fribourg-en- 
Brisgau,  et  dix  ans  après,  sur  la  demande  des  religieux 
de  Monichusen,  près  d'Arnheim,  dans  la  Gueldre, 
le  chapitre  général  l'y  institua  prieur.  Il  fut  aussi  visi- 
teur de  la  province  du  Rhin  et  mourut  le  12  août  1427 
avec  la  réputation  d'un  saint.  Il  a  écrit  :  1°  sur  les 
Sentences,  et  son  commentaire  est  conservé  à  la  biblio- 
thèque Ambrosienne  de  Milan,  à  celle  de  l'Arsenal  à 
Paris,  à  celle  d'Alençon,  n.  144,  et  autrefois  à  Stras- 
bourg; cf.  Migne,  Dictionnaire  des  manuscrits,  t.  i, 
col.  1202,  1383;  t.  il,  col.  860;  une  autre  copie  a  été 
mise  en  vente  par  M.  L.  Rosenthal,  libraire  à  Munich 
(Bavière),  dans  ses  catalogues  31°  et  40e;  2°  sur  la  Genèse, 
l'Exode,  les  Proverbes  et  l'Apocalypse.  Possevin,  dans 
V  Apparatus  sacer,  au  mot  Salomon,  met  Henri  de  Hesse 
au  nombre  des  commentateurs  du  Cantique  des  can- 
tiques. 3°  Un  recueil  de  ses  Sermoncs  de  sanctis,  écrit 
en  1464,  in-4",  se  trouve  mentionné  dans  le  catalogue 
de  la  vente  des  livres  provenant  de  la  chartreuse 
supprimée  de  Buxheim,  dans  la  Souabe,  p.  139,  n.  2605. 
Plusieurs  autres  sermons  se  trouvent  éparpillés  dans 
divers  recueils  mss.  Cf.  Migne,  op.  cit.,  t.  n,  col.  680; 
L.  Rosenthal,  catal.  40e,  p.  14,  n.  211,  etc.  4°  Dialogus 
inter  episcopum  et  presbylerum  de  celebratione  missa- 
rum.  ms.;  5°  Tractalus  de  contractibus  emptionis  et 
venditionis,  dans  le  codex  ms.  n.  719  de  la  bibliothèque 
Palatine  au  Vatican,  à  la  bibliothèque  Mazarine,  de 
Paris,  n.  943  (1081),  et  aussi  à  la  bibliothèque  de  l'uni- 
versité de  Bàle,  A.  IV,  20;  A.  IX,  19;  C.  III,  32;  G. 
V,  36;  autrefois  à  la  bibliothèque  de  Strasbourg  ainsi 
qu'à  celle  de  la  chartreuse  de  Buxheim;  6°  Régulée  ad 
noscendum  discrimen  inter  peccalum  morlale  et  venialc, 
opuscule  imprimé  plusieurs  fois  au  xve  siècle  ;  cf.  Hain, 
Repertorium,  n.  1190-8400;  7°  Aubert  Le  Mire  attri- 
bue à  H.  de  Hesse  le  jeune  l'ouvrage  suivant,  qui  a  eu 
beaucoup    d'éditions    :    Sécréta   sacerdolum   quœ   sibi 


2195 


HENRI    DE    HESSE 


HENRI    DE    SAINT-IGNACE 


219(5 


placent  vel  displicent  in  missa  per  egregium  sacras 
theologiœ  et  juris  cunonici  doctorem  magistrum  Michae- 
lem  Lochmayer  (ou  Lochmair)  corrccta  et  in  hanc  forma  m 
redacla.  Dans  son  Repcrtorium,  n.  8375-8388,  Hain  a 
signalé  les  éditions  antérieures  à  1501,  auxquelles  il 
faut  ajouter  l'édition  d'Augsbourg,  1-189,  notée  par 
Panzer,  Annales,  t.  i,  p.  126,  n.  164,  note;  Deventer, 
1501;  Leipzig,  1501,  1503;  Strasbourg,  1502,  1505, 
1508,  1516;  Augsbourg,  1503-1511;  Nuremberg,  1507; 
Collibus  Vallislrumpia',  1516.  8°  Selon  M.  Roskovany, 
dom  Henri  de  Hesse,  chartreux,  a  écrit  contre  les 
adversaires  de  l'immaculée  conception  de  la  sainte 
Vierge  qui  s'appuyaient  sur  l'autorité  de  saint  Bernard. 
Son  travail  traite  le  même  argument  que  son  homo- 
nyme, H.  de  Hesse  Langestein,  avait  déjà  traité.  Cf. 
B.  V.  Maria  in  suo  conceptu  immaculata,  t.  i,  p.  259. 
D'autre  part,  Simler,  Purbach,  Possevin  et  Mabillon, 
Opéra  S.  Bcrnardi,  Paris,  1719,  t.  n,  col.  1368,  sans  faire 
de  distinction  entre  les  deux  homonymes  et  leurs 
ouvrages,  attribuent  à  dom  H.  de  Hesse,  chartreux,  les 
Epistolœ  IV  contra  decerlationes  et  contrarias  prœdica- 
tiones  F.  F.  nvndicantium  super  conceptione  Marim 
Virginis  et  contra  maculam  S.  Bernardo  mendaciler 
impositam,  Milan,  1480;  Strasbourg,  1500;  Bàle,  1500; 
Strasbourg,  1516.  Autrefois,  l'ouvrage  de  dom  Henri  de 
Hesse  était  conservé  ms.  à  la  bibliothèque  de  la 
chartreuse  de  Cologne,  cf.  Opéra  S.  Bcrnardi,  Lyon, 
1679,  t.  i,  p.  102;  la  bibliothèque  de  l'université  de 
Bàle  possède  deux  exemplaires  ms.  in-fol.  du  traité 
De  reprehensione  eorum,  qui  dicunt  D.  Bernhardum 
post  mortem  apparuisse  cum  macula,  S.  V.  18  et  T.  V. 
27.  Cf.  Migne,  op.  cit.,  t.  n,  col.  1536-1604.  Enfin, 
dans  le  catal.  40*  de  M.  L.  Rosenthal,  p.  16,  n.  238,  on  a 
signalé  un  codex  ms.  du  xvc  siècle,  in-fol.,  qui,  entre 
autres  ouvrages,  comprend  aussi  :  Henricus  de  Hassia, 
Contra  disceptationes  fratrum  mendicantium  de  concep- 
tione B.  Marise.  9°  Purbach  et  Possevin  attribuent  à 
dom  Henri  de  Hesse  un  ouvrage  sur  la  théorie  des  pla- 
nètes et  d'autres  écrits  sur  l'astronomie.  Il  y  a  plusieurs 
autres  traités  imprimés  ou  inédits  qui  sont  d'Henri  de 
Hesse,  mais  à  cause  de  l'homonymie,  il  est  difficile  de 
préciser  le  véritable  auteur  de  chaque  ouvrage  en  par- 
ticulier. 

Trithème,  Possevin,  Sixte  de  Sienne,  Bellarmin,  Petre- 
jus,  Morozzo,  dom  Le  Couteulx,  Annales  ord.  cartus.,  t.  vu, 
561;  Féret,  La  faculté  de  théologie  de  Paris,  t.  Il,  p.  272; 
Kirchenlexikon,  t.  v,  p.  1710;  Hurter,  Nomenclator,  1906, 
t.  il,  col.  691,  note. 

S.  Autore. 

6  HENRI  DE  SAINT-IGNACE,  théologien  carme, 
naquit  à  Ath,  en  1630.  Il  appartenait  à  l'ancienne 
famille  d'Ayméries,  dite  d'Aumerie  ou  Daumerie, 
dont  plusieurs  membres  se  qualifiaient  seigneurs  ou 
chevaliers  d'Ayméries  et  dont  on  a  retrouvé  des 
ascendants  jusqu'en  1169.  Il  entra  chez  les  carmes  en 
1646  et  il  se  distingua  dans  son  ordre.  Il  enseigna  la 
théologie  pendant  plusieurs  années.  Le  Spéculum 
carmelitanum,  publié  en  1680,  le  fait  régent  au 
couvent  de  l'université  de  Douai;  en  1700,  il  était 
professeur  émérite.  Il  fut  trois  fois  vicaire  provincial, 
notamment  en  1685  et  en  1700.  Il  obtint  que  la  pro- 
vince wallonne,  récemment  constituée,  eût  siège  et 
voix  au  chapitre  général,  et  il  travailla  à  accroître 
le  nombre  de  ses  maisons.  Le  8  novembre  1685,  il 
acheta  aux  religieux  du  Saint-Sépulcre  le  couvent  de 
la  Xhavée,  à  Souverain-Wandre-lez-Liége,'et  iljcn  prit 
possession  le  24  du  même  mois.  Voir  le  bref  d'union 
et  de  translation  d'Innocent  XI,  du  7  août  1688, 
dans  le  Bullarium  carmelitanum,  t.  n,  p.  644.  Il  en 
fut  le  second  prieur,  1690-1693.  Très  instruit  et  très 
ardent,  il  attaqua  avec  violence  la  morale  des  casuistes 
et  il  adopta,  quoiqu'il  s'en  défendît,  la  doctrine  jansé- 
niste. En  1699,  il  approuva  et  loua  des  opuscules  de 


Henri  Denys,  professeur  au  séminaire,  et  de  Joseph 
Navens,  chanoine  de  Saint-Paul  à  Liège,  bien  qu'ils 
fussent  accusés  de  jansénisme.  En  1702,  il  fut  un  des 
six  religieux  qui  appuyèrent  la  requête  de  plusieurs 
curés  de  Liège,  signalant  à  l'évèque  la  doctrine 
enseignée  au  séminaire  par  les  jésuites  et  le  priant 
d'en  faire  un  examen  sérieux.  Il  séjourna  à  Rome 
pendant  les  premières  années  du  pontificat  de  Clé- 
ment XI  et  il  se  concilia  la  considération  et  l'amitié 
du  pape  et  des  cardinaux.  Commissaire  général  de  son 
ordre  un  peu  avant  1709  et  dé  finit  eur  à  plusieurs  reprises, 
il  mourut  le  1er  avril  1719,  au  couvent  de  la  Xhavée,  à 
l'âge  de  89  ans,  après  73  années   de  vie  religieuse. 

Voici  la  liste  de  ses  ouvrages  :  1°  Theologia  vêtus, 
fundamentalis,  speculaliva  et  moralis,  ad  mentem  reso- 
luli  doctoris  J.  de  Bacone,  carmelilicœ  doclrinœ  principis, 
adjuncto  ci  lumine  angelico  solis  D.  Thomœ  Aquinalis, 
t.  i,  De    Deo  uno  et  trino,  in-fol.,  Liège,  1677  (le  seul 
paru);  2°  Theologia  sanctorum  veterum  et  novissimorum 
circa  universam  morum  doctrinaux  adversus  novissimas 
juniorum   casuislarum    impugnationes   slrcnue   propu- 
gnata,  t.  x,  Circa  solemniores  hodie  controversias  de  usu 
sacramentorum  pœnilcntix  et  cucharisliœ,  in-8°,  Paris 
et  Liège,  1700;  il  reparut  en  1702  sous  un  nouveau 
titre;  3°  Appendix  ad  theologiam  moralem  abbreviatam 
sanctorum  seu  molinismus  profligatus  per  triumphan- 
tem  de  eo  propheticam,  evangelicam,  apostolicam,  eccle- 
siaslicam   sanctorum   Auguslini   et    Thomœ   Aquinali'; 
de  gratia  doctrinam;  rclunduntur  molinianorum  maxime 
Henrici  Henrart  et  Livini  de  Meyer  S.  J.  de  jansenismo 
accusationcs,  2  in-8°,  Cologne,  1700;  4°  Ethica  amoris 
sive  theologia  sanctorum,  magni  prœscrtim  Auguslini 
et  Thomœ  Aquinaiis  circa  universam  amoris  et  morum 
doctrinam.   adversus  novitias  opiniones  strenue   propu- 
gnala   et    in   materiis   principaliter   hodie   conlroversis, 
jundamentaliler  discussa,   3  in-fol.,  Liège,  1709.  C'est 
le  principal  ouvrage  du  Père  Henri  de  Saint- Ignace. 
Approuvé  par  les  jansénistes,  il  fut  condamné   par 
l'évèque  de  Liège,  dont  le  vicaire  général  n'avait  pas 
donné  l'approbation  publiée  en  tête,  par  le  parlement 
de  Paris  et  l'électeur  de  Cologne.  Le  Saint-Office  le 
condamna  aussi  dans  ses  décrets  du  21  août  1714, 
du  21  août  1715  et  du  27  mai  1722.  Les  carmes  de  la 
province  wallonne  le  firent  réfuter  par  l'un  d'eux.  Au 
chapitre    tenu    à    Notre-Dame    de    Bonne-Espérance 
auprès  de  Valenciennes,  le  2  octobre  1713,  la  doctrine 
de  cet  ouvrage  fut  écartée  des  écoles  de  théologie  de 
l'ordre.  Un   confrère,  Ambroise    Gardebosc,  la  jugea 
sévèrement  dans  son    Historiœ  ecclcsiaslicœ  synopsis, 
Toulouse,  1713.  Elle  fut  réfutée  dans  les  Mémoires  de 
Trévoux,  juillet  1713,  t.  m,  et  juillet  1715,  a.  100.  Le 
Père  de  Colonia  la  blâma.  Dans  cet  ouvrage,  Henri  de 
Saint-Ignace  reprenait   souvent  le  carme   Alexandre 
de    Sainte-Thérèse   (van    der  Berghe),   auteur   de   la 
Tcmpcstas  novaturiensis,  in-4°,  1686;  5°  Gratiœ  per  se 
cfjicacis    scu  augustiniano-lhomisticœ   adversus    janse- 
nismi    accusalionem     defensio,     ubi     etiam     theologia 
moralis  sanctorum  adversus  injuslos  delraclores  defen- 
dilur,  Louvain,  1713.  L'auteur  se  défendait  de  l'accu- 
sation   de   jansénisme   portée  contre  lui  par  le  Père 
H.  Henrart,  O.  M.  (1650-1717),  dans  son  court  traité 
sur  les  31  propositions  condamnées  par  Alexandre  VIII, 
le  7  septembre  1691,  in-12,    Namur,  1692.  Le  jésuite 
Livin  de  Meyer  répondit  à    la    défense    d'Henri    de 
Saint- Ignace.   Voir  C.   Sommervogel,   Bibliothèque  de 
la  Compagnie  de  Jésus,  t.  v,  col.  1047;  6°  Molinismus 
profligatus,   2   in-8°,   Liège,   1715;   avec  l'Appendice, 
2  in-8°,  Cologne,  1717.  Le  cardinal  de  Noailles  avait 
refusé  la  dédicace  de  cet  ouvrage.  Le  Père  Henri  de 
Saint-Ignace  avait  publié  sous  des  pseudonymes  des 
écrits  violents  contre  les  casuistes  jésuites.   Sous  le 
nom    d'Aletophilus  Christianus    :    Artes    jesuiticœ    in 
suslinendis    pcrlinaciter    novitalibus    damnabilibusque 


2197 


HENRI    DE    SAINT-IGNACE  —  HÉRACLÉON 


2198 


sociorum  laxilalibus,  in-12,  Salzbourg,  1703  (au 
nombre  de  660);  proscrit  par  l'université  de  Louvain, 
le  7  septembre  1703  et  mis  à  l'Index  le  19  juillet  1707; 
trad.  flamande,  1704,  édition  complète  (plus  de 
1000  nouveautés),  Liège,  1709;  in-12,  1710;  Stras- 
bourg, 1717.  Le  Saint-Oflice  condamna  ce  pamphlet 
le  2  décembre  1711,  et  le  Père  Alphonse  Huylenbroucq 
le  réfuta,  Gand,  1711.  Sous  le  nom  de  Liberius  Can- 
didus,  le  carme  publia  d'autres  pamphlets  :  Tuba 
magna  mirum  clangens  sonum  ad  S.  D.  N.  papam 
Clemcntem  XI,  imperalorem,  reges,  principes,  magis- 
tratus  omnes  orbemque  universum  de  necessitale  longe 
maxima  reformandi  Societatem  Jesu,  in-12,  Strasbourg, 
1712;  Tuba  altéra  majorem  clangens  sonum,  etc.,  1714, 
1715,  3"  édit.,  2  in-12,  Liège,  1717;  4e  édit.,  1760. 
Voir  H.  Reusch,  D;r  Indx  der  oerbot-nen  Bùch'r, 
Bonn,  1885,  t.  il,  p.  665-666.  Sur  les  Vindicationes 
du  P.  Alphonse  Huylenbroucq,  voir  C.  Sommervogel, 
Bibliothèque  de  la  Cie  de  Jésus,  t.  iv,  col.  539-541. 

Cosme  de  Villiers,  Bbliotheca  carmelitana,  in-lol.,  Orléans, 
1752,  t.  i,  col.  625-627;  llurter,  Nomenclator,  Inspruck, 
1910,  t.  iv,  col.  942-944,  410,  1071  ;  The  catholic  encijclopedia, 
New  York,  1910,  t.  vu,  p.  219;  Biographie  nationale  de 
Belgique,  Bruxelles,  1911,  t.  xxi,  col.  96-103  (avec  une 
longue  bibliographie). 

E.    Mangenot. 

HENRICI  Thomas,  théologien  du  xvne  siècle, 
protonotaire  apostolique  et  chanoine  de  la  cathédrale 
de  Baie,  enseigna  les  lettres  sacrées  à  l'université  de 
Frlbourg.  On  a  de  lui:  Doclrina  moralis,  in-12,  Fri- 
bourg,  1628  ;  Anatomia  confessionis  Auguslanœ,  insli- 
t  lia  per  omnes  arliculos  cui  centum  abhinc  annis  in 
lucem  cdilse  et  a  parente  in  incunabulis  cxtinclse  secu- 
lirem  nuper  jubilum  pro  lesso  accinuerunl,  in-4°, 
Fribourg,  1631  et  1677;  Catena  biblici,  in-4°,  Lucerne, 
1631;  Ircnieum  catliolicum,  in-4°,  Fribourg,  1639, 
attaqué  par    Frereisen  et  Hanneken. 

Dupin,  Table  des  auteurs  ecclésiastiques  du  XVII'  siècle, 
in-8°,  Paris,  1704,  t.  i,  col.  1906;  Waleh,  Bibliotheca  theolo- 
gica,  in-8°,  Iéna,  1757,  t.  i,  p.  350;  llurter,  Nomenclator, 
Inspruck,  1907,  t.  m,  col.  1022-1023. 

B.  Heurtebize. 

1.  HENRIQUEZ  Henri,  théologien  portugais,  né  à 
Oporto  en  1536,  entra  au  noviciat  de  la  Compagnie  de 
Jésus  en  1552  et  se  distingua  de  très  bonne  heure  par 
la  subtilité  de  son  talent  et  en  même  temps  par  l'éten- 
due de  son  savoir  dans  l'étude  des  questions  philoso- 
phiques et  théologiques.  Chargé  de  l'enseignement  de 
la  philosophie,  puis  de  la  théologie  à  Cordoue  et  à  Sala- 
manque,  où  il  fut  le  maître  de  François  Suarez,  il  publia 
une  Somme  de  théologie  morale  sur  la  fin  de  l'homme 
et  les  sacrements  :  Theologiœ  moralis  summa,  Sala- 
manque,  1588,  t.  i;  1590,  t.  n;  1593,  t.  m;  rééditée  à 
Venise,  1597;  2  in-fol.,  1600.  Déjà  l'indépendance  de 
son  esprit  et  l'agitation  irréfléchie  de  son  caractère 
l'avaient  entraîné  dans  une  série  d'intrigues  contre  le 
gouvernement  du  général  Claude  Aquaviva  et  il  avait 
obtenu  de  Sixte-Quint  l'envoi  d'un  visiteur  aposto- 
lique en  Espagne  pour  les  provinces  de  son  ordre.  Lui- 
même  dirigeait  le  parti  des  mécontents.  Aquaviva 
déjoua  l'intrigue.  En  1593,  vivement  affecté  par  des 
observations  qui  lui  avaient  été  adressées  par  le  géné- 
ral de  la  Compagnie,  relativement  à  certains  passages 
de  son  livre  désapprouvés  par  les  reviseurs  et  mainte- 
nus néanmoins  par  l'auteur,  le  P.  Henriquez  fit  d'abord 
retomber  son  dépit  sur  François  Suarez  et  le  dénonça 
par  lettres  du  4  mai  1593  au  conseil  de  l'inquisition  de 
Madrid,  puis  à  celui  de  Valladolid,  sans  aucun  succès 
d'ailleurs.  Sommé  par  la  Congrégation  générale  de  se 
présenter  à  Rome  devant  elle  pour  rendre  compte  de 
sa  conduite,  il  refusa  et  fut  mis  en  demeure  de  se  sou- 
mettre ou  de  se  retirer.  Finalement,  en  1594,  il  obtint 
du  pape  la  permission  de  quitter  son  ordre  et  d'entrer 


chez  les  dominicains,  dont  les  doctrines  lui  étaient 
chères.  Il  se  montra  opposé  sur  certains  points  à  Molina 
et  à  Lessius.  Aussi  les  adversaires  du  molinisme  l'ont  - 
ils  exalté  comme  le  plus  grand  théologien  de  la  Compa- 
gnie de  Jésus.  Cette  même  année  parut  son  traité  sur 
le  pouvoir  du  pontife  romain  :  De  pontificis  romani  clave, 
in-fol.,  Salamanque,  1593,  dont  les  thèses  relatives  aux 
immunités  ecclésiastiques  furent  jugées  par  le  nonce 
injurieuses  à  l'Église.  Bien  que  dédié  à  Philippe  II, 
dont  il  exagérait  les  droits,  l'ouvrage  fut  saisi  et  brûlé 
à  la  suite  de  la  condamnation  portée  par  l'Index,  dé- 
cret du  7  août  1603.  Il  n'est  plus  dans  le;  récentes 
éditions  de  Ylndx  librorum  piohibilorum.  Cédant 
aux  conseils  du  P.  Grégoire  de  Valencia,  son  ancien 
élève  de  Salamanque  resté  son  ami,  Henriquez 
demanda  et  obtint  de  rentrer  dans  la  Compagnie.  Il 
mourut  à  Tivoli  le  28  janvier  1608.  Comme  moraliste, 
il  fut  tenu  en  grande  estime  par  saint  Alphonse  de 
Liguori.  Suarez  l'avait  désigné  au  choix  du  général 
Éverard  Mercurian  pour  l'enseignement  de  la  casuis- 
tique au  collège  de  Valladolid. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  C'e  de  Jésus,  t.  IV, 
col.  275  sq.;  Richard  Simon,  Bibliothèque  critique,  Amster- 
dam, 1708,  t.  iv,  p.  255-270;  Clément,  Bibliothèque  curieuse, 
t.  ix,  p.  405;  Hurter,  Nomenclator,  3e  édit.,  Inspruck,  t.  m, 
col.  591  sq.;  R.  de  Scorraille,  François  Suarez,  Paris,  1914, 
t.  i,  p.  88;  t.  n,  p.  262;  Crétineau-Joly,  Histoire  de  la 
C"  de  Jésus,  Paris,  1851,  t.  i,  p.  2-9;  A.  Astrain,  Hisloria 
de  la  Compahia  de  Jésus  en  la  Asistencia  de  Espaha,  Madrid, 
1913,  t.  m,  p.  360  sq.;  t.  iv,  p.  132  sq.;  H.  Reusch,  Der 
Index  der  verbotenen  Biicner,  Bonn,  1885,  t.  n,  p.  309. 

P.  Bernard. 

2.  HENRIQUEZ  DE  VILLEGAS  André,  premier 
professeur  de  théologie  à  l'université  d'Alcala  et 
censeur  des  livres  publiés  sur  la  foi,  chanoine  de 
l'église  principale  de  Saint-Juste  et  théologien  du 
gymnase  de  la  même  ville,  a  publié  un  ouvrage, 
de  controverse  :  De  Deo  uno,  id  est  de  Dci  scientia  et 
ideis  ac  voluntale;  de  prœdestinalione  item  ac  reproba- 
tione  hominum,  in-fol.,   Alcala,   1618. 

N.  Antonio,  Bibliotheca  hispana  nova,  in-fol.,  Madrid, 
1783,  1. 1,  p.  75;  Hurter,  Nomenclator,  Inspruck,  1907,  t.  m, 

I.  398-399. 

E.  Mangenot. 

HERACLEON,  gnostique  du  ne  siècle.  —  I.  Vie. 
II.  Œuvres.  III.  Doctrine. 

I.  Vie.  —  1°  Ce  qu'on  en  sait.  —  La  vie  d'Héracléon 
n'est  guère  connue;  rien  de  positif  ne  nous  est  parvenu 
sur  le  lieu  et  la  date  de  sa  naissance  et  de  sa  mort, 
sur  les  circonstances  du  rôle  qu'il  a  joué  et  de  l'in- 
fluence qu'il  a  exercée.  Ce  que  l'on  peut  tenir  pour 
certain,  sur  l'autorité  de  quelques  témoignages,  c'est 
qu'il  vécut  au  ne  siècle,  sinon  à  Rome,  du  moins  en 
Italie,  qu'il  fut  dans  le  gnosticisme  valentinien  l'un 
des  chefs  de  l'école  italique  et  qu'il  est  le  premier 
commentateur  connu  du  Nouveau  Testament. 

C'est  à  peine  si  saint  Irénée,  Cont.  hier.,  n,  4,  1, 
P.  G.,  t.  vu,  col.  719,  et  Tertullien,  Adv.  Valent., 
4,  P.  L.,  t.  ii,  col.  546,  le  nomment.  Mais  le  pseudo- 
Tertullien,  De  prœscript.,  49,  P.  L.,  t.  il,  col.  69,  et 
l'auteur  des  Philosophoumena,  VI,  édit.  Cruice,  Paris, 
1860,  p.  279,  le  rangent  après  Secundus  et  Ptolémée,. 
avant  Marc  et  Colorbasus,  sans  exposer  son  système. 
Après  avoir  observé  qu'à  l'exemple  de  toute  l'école 
valentinienne,  Héracléon  relevait  de  Pythagore  et  de 
Platon,  l'auteur  des  Philosophoumena  précise  qu'il  fut 
avec  Ptolémée  le  chef  de  l'école  italique.  Philosoph., 
VI,  29,  35,  p.  279,  296. 

A  en  croire  l'auteur  quelque  peu  suspect  du  Prsedes- 
tinatus,  c'est  en  Sicile  qu'Héracléon  aurait  propagé 
sa  doctrine  hétérodoxe;  mais  deux  évêques,  Eustathe 
de  Lilybée  et  Théodose  de  Palerme,  l'auraient  fait 
comparaître  devant  un  concile  et  dénoncé  an  pape 


2199 


HERACLÉON 


2200 


Alexandre  pour  être  condamné.  Le  pape  aurait  confié 
sa  réfutation  écrite  au  prêtre  Sabinianus,  qui,  s'étant 
rendu  en  Sicile,  aurait  si  bien  confondu  L'hérétique 
que  celui-ci.  se  voyant  perdu,  aurait  quitté  l'île  pen- 
dant la  nuit  et  disparu  sans  qu'on  ait  jamais  su  depuis 
ce  qu  il  était  devenu.  Prœdest,  16,  P.  L.,  t.  lui, 
col.  592.  Ces  détails  sont  très  précis,  mais  ils  semblent 
èlie  une  fausse  attribution  à  Héracléon  de  ce  qui 
concerne  un  tout  autre  personnage,  de  beaucoup 
postérieur,  l'antipape  Héraclius,  du  commencement 
du  ivc  siècle,  qui  vetuit  lapsos  peccata  dolere;  telle  est 
du  moins  la  conjecture  de  Sbaralea,  signalée  par  De 
Rossi,  Roma  sotterranea,  t.  n,  p.  207,  puis  par  Lipsiu  . 
Chronologie  der  rôm.  Bischof.,  Kiel,  1869,  p.  253.  En 
effet,  outre  que  la  tenue  d'un  tel  concile  est  inconnue 
dans  l'histoire  ecclésiastique  du  n°  siècle,  il  y  a  lieu 
de  croire,  comme  l'avait  déjà  observé  Tillemont, 
Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  ecclésiastique  des  six 
premiers  siècles,  Paris,  1693-1712,  t.  n,  p.  604,  que  le 
pape  Alexandre  était  mort  avant  qu'Héracléon  eût 
commencé  à  jouer  un  rôle,  peut-être  même  avant  cpi'il 
fût  né.  Ce  n'est  guère  que  dans  la  seconde  moitié  du 
ne  siècle,  un  peu  avant  180,  cjue  se  place  l'activité 
littéraire  de  ce  gnostique. 

2°  Sa  secte.  —  A  l'exemple  de  la  plupart  de  ses 
émules,  Héracléon  introduisit  dans  le  système  valen- 
tinien  quelques  vues  personnelles.  Il  eut  des  partisans 
qui  formèrent  la  secte  qui  porte  son  nom.  Saint  Épi- 
phane.  lhvr.,  xxxvi,  P.  G.,  t.  xli,  col.  633-6-12,  saint 
Philastfius,  Hser.,  41,  P.  L.,  t.  xn,  col.  1158-1159,  et 
saint  Augustin,  qui  les  résume,  Hser.,  16,  parlent  des 
héracléoniens,   dont  ils   signalent  quelques   pratiques 
caractéristiques.  Voici  comment  ils  en  usaient  envers 
les  mourants  :  ils  oignaient  leur  tête  avec  un  mélange 
d'huile  ou  de  baume  et  d'eau  et  prononçaient  une  suite 
de  mots  hébreux,  dont  le  sens  nous  échappe,  mais  qui 
devaient   avoir  une   signification   ésotérique   unique- 
ment connue  des  initiés.  Cette  coutume  rappelle  celle 
que  saint  Irénée  attribue  à  certains  tmostiques,  dont 
il  ne  donne  pas  le  nom,  mais  qui  peuvent  bien  être  les 
héracléoniens.  Cont.   hier.,  i,    21,  n.  45,   P.  G.,   t.   vu, 
col.  644-665.  Cette  formule  avait  pour  but,  note  saint 
Épiphane,   Hier.,  xxxvi,   2,   P.    G.,  t.   xli,   col.   636, 
de  soustraire  le  mourant  à  l'action  des  principautés  et 
des  puissances  supérieures  (celles  du  démiurge)  et  de 
permettre    à    l'homme    intérieur,    qu'ils    prétendent 
dériver  du  plérome,  de  se  dégager  et  de  remonter  à  son 
lieu  d'origine  sans  être  vu  de  personne.  Une  fois  en 
présence  de  ces  principautés  et  de  ces  puissances,  le 
défunt  n'avait  qu'à  dire  :  «  Je  suis  le  fils  du  Père... 
Mon  origine  vient  de  celui  qui  existe  avant  tous  les 
autres,  et  maintenant  je  retourne  à  la  source  d'où  je 
suis  sorti.  »  Au  démiurge  il  devait  dire  :  «  Je  suis  un 
vase  plus  précieux  que  la  femme  qui  vous  a  fait.  Si 
votre  mère  ignore  son   origine,  je  me  connais   moi- 
même,  et  je  sais  d'où  je  suis.  J'invoque  la  Sagesse 
incorrompue,  qui  est  dans  le  Père,  et  qui  est  la  mère  de 
votre  mère,  sans  avoir  elle-même  de  mère  ou  d'époux. 
Née  d'une  femme,  une  femme  vous  a  produit,  sans 
connaître    sa    mère    et    se    croyant   seule.    Mais    moi, 
j'appelle  sa  mère.   »   Ibid.,  xxxvi,  3,  col.  636.   C'est 
ainsi,  d'après  les  héracléoniens,  que  l'homme,  c'est-à- 
dire  le  pneumatique,  opère  son  salut  et  reprend  sa 
place  dans  le  plérome  au-dessus  du  démiurge.  Tout  cela 
cadre  bien  avec  la  théorie  gnostique  du  retour  final  des 
éléments  divins  dans  le  centre  d'où  ils  sont  sortis  ou 
de  la  reconstitution  finale,  %-w.y.-irs-.rn:i 

Ces  héracléoniens  avaient  un  signe  extérieur  pour  se 
reconnaître  entre  eux  :  l'oreille  brûlée  au  Ici'  rouge. 
C'étail  là  le  baptême  de  feu,  dont  avait,  parlé  saint 
Jean-Baptiste  :  «  Il  vous  baptisera  dans  l'Esprit  et 
dans  le  feu.  »  Matth.,  m,  11.  Et  telle  était  leur  manière 
d'interpréter  ce  passage.  Eclogœ  ex  script,  prophel.   25, 


P.  G.,  t.  xi,  col.  709.  D'après  la  logique  des  systèmes 
gnostiques,  tout  membre  de  la  secte  devait  être  assuré 
de  son  salut,  quoi  qu'il  fît;  et  c'est  là  ce  qui  rend  très 
vraisemblable  ce  renseignement  du  Prwdeslinatus, 
d'après  lequel  tout  baptisé,  juste  ou  pécheur,  est 
réputé  saint,  les  péchés  disparaissant  en  lui  comme  la 
neige  ou  la  glace  se  fond  au  contact  du  feu.  Prœdest., 
16,  P.  L.,  t.  lui,  col.  592.  On  peut  soupçonner  par  là 
les  conséquences  immorales  qui  devaient  en  être  la 
suite,  bien  qu'elles  n'aient  pas  été  nommément  attri- 
buées aux  héracléoniens. 

II.  Œuvres.  —  1°  Commentaires  des  Évangiles  selon 
saint  Luc  et  saint  Jean.  —  Qu'Héracléon,  à  l'exemple 
de  tant  d'autres,  ait  consigné  par  écrit  le  gnosticisme 
valentinien,  tel  qu'il  le  concevait,  rien  d'invraisem- 
blable à  cela;  mais  nous  n'en  possédons  pas  la  preuve. 
A  défaut  d'une  exposition  théorique  de  son  système, 
il  est  certain  qu'il  a  beaucoup  écrit  et  que,  chose  nou- 
velle pour  son  temps,  il  ne  s'est  pas  borné  à  choisir 
dans  l'Écriture  tels  ou  tels  textes  en  faveur  de  sa  doc- 
trine, mais  a  entrepris  le  commentaire  suivi  de  certains 
livres  du  Nouveau  Testament,  notamment  de  l'Évan- 
gile selon  saint  Luc,  dont  Clément  d'Alexandrie  cite 
un  passage  sur  le  martyre,  Strom.,  IV,  9,  P.  G.,  t.  vm, 
col.  1281-1284,  et  de  l'Évangile  selon  saint  Jean,  dont 
Origène,  dans  la  partie  parvenue  jusqu'à  nous  de  son 
commentaire  du  même  Évangile,  ne  cesse  de  relever  et 
de  transcrire  des  passages,  quelquefois  pour  les  approu- 
ver, plus  souvent  pour  les  contredire  et  les  réfuter, 
parfois  aussi  pour  en  signaler  d'un  mot  l'impudence  ou 
la  sottise.  Il  est  regrettable  que  cette  œuvre  d'Héra- 
cléon  soit  perdue;  mais  ce  qu'il  en  reste,  et  cela  forme 
plus  de  la  moitié  de  toute  la  littérature  gnostique  qui 
a  survécu,  permet  de  constater  que  ce  commentaire, 
d'ordre  plus  pratique  que  théorique,  tout  en  poursui- 
vant un  but  apologétique  intéressé,  ne  visait  pas  exclu- 
sivement la  controverse  doctrinale.  Ce  qui  le  rend 
intéressant,  c'est  la  méthode  employée,  à  la  fois  litté- 
rale et  allégorique. 

2°  Critique  qu'en  fait  Origène.  —  Origène  n'entre  pas 
dans  des  détails  sur  l'ensemble  de  la  doctrine  d'Héra- 
cléon:  il  la  supposait  connue  ou,  s'il  l'a  exposée,  cette 
exposition  ne  se  trouve  plus  dans  la  partie  de  son 
commentaire  qui  nous  est  parvenue.  On  voit  qu'au 
fur  et  à  mesure  qu'il  avance  lui-même  dans  le.  com- 
mentaire de  l'Évangile  selon  saint  Jean,  il  rappelle 
ce  qu'en  avait  écrit  le  chef  de  l'école  italique.  Entre 
autres  choses,  il  reproche  à  Héracléon  d'ajouter  par- 
fois, de  son  autorité  privée,  quelques  mots  au  texte 
sacré  qui  en  dénaturent  le  sens.  In  Joa.,  t.  n,  8,  P.  G., 
t.  xiv.  col.  137;  de  parler  comme  s'il  avait  le  pouvoir 
de  dogmatiser  et  d'imposer  la  foi  à  sa  parole  :  w; 
èÇouCTtav  iy<'jv  toù  ooyij.aTt"Eiv  /.aï  ^'.atï'jsaOa'.,  In 
Joa.,  t.  vi,  12,  col.  236;  d'inventer  que  Jésus,  pour 
former  le  fouet  dont  il  se  servit  contre  les  vendeurs  du 
temple,  avait  attaché  des  cordes  à  un  morceau  de 
bois,  et  de  prétendre  que  ce  fouet  était  l'image  de  la 
puissance  et  de  l'opération  du  Saint-Esprit,  et  que  ce 
bois  représentait  la  croix,  In  Joa.,  t.  x,  19,  col.  365- 
367;  d'interpréter  d'une  manière  à  la  fois  trop  subtile 
et  répréhensible  ce  passage:  Je  ne  suis  pas  digne  de 
dénouer  la  courroie  de  sa  chaussure,  In  Joa.,  t.  vi, 
23,  col.  268;  de  faire  une  fausse  application  de  cet 
autre  passage:  Le  zèle  de  votre  maison  me  dévore, 
In  Joa.,  t.  x,  19,  col.  369;  d'attribuer  à  Salomon,  au 
mépris  de  l'histoire,  la  construction  du  temple  en 
quarante-six  ans,  In  Joa.,  t.  x,  22,  col.  380;  de  donner 
aux  récils  de  l'entrevue  de  la  Samaritaine  et  de  la 
guérison  du  fils  de  l'officier  de  Capharnaùm  une  inter- 
prétation inadmissible,  In  Joa.,  t.  xm,  10-15,  59, 
col.  413,  421,513-516;  de  se  servir  du  K^puy^a  IléTpou, 
In  Joa.,  t.  xm,  17,  col.  424;  de  se  contredire  lorsque,  a 
propos    de  ces  mots   du  Sauveur  :  Où  je  vais,  vous  ne 


2201 


HERACLEON 


2202 


poiwezvenir,  In  Joa.,  t.  xix,  3,  col. 561,  il  se  demande 
comment  peuvent  devenir  incorruptibles  ceux  qui  sont 
dans  l'ignorance, l'infidélité  et  le  péché,  alors  que  lis 
apôtres,  qui  furent  dans  l'ignorance,  l'incrédulité  et 
le  péché,  sont  devenus  immortels.  Nous  n'avons  là, 
de  la  part  d'Origène,  qu'un  certain  nombre  de  criti- 
ques, qui  rendent  fort  suspect  le  travail  d'Héracléon, 
mais  qui  n'incriminent  en  rien  la  méthode  elle-même 
d'interprétation,  puisqu'elle  était  celle  dont  se  ser- 
vaient les  orthodoxes. 

3°  Interprétation  littérale.  —  Il  est  à  noter  que,  tout 
comme  un  partisan  de  l'inspiration  verbale,  Héracléon 
mettait  un  soin  particulier  dans  l'examen  des  moindres 
expressions  du  texte  sacré.  On  en  trouvera  plus  loin 
des  exemples,  soit  à  propos  du  texte  :  jiàvTa  8c'  aùtoù 
Èyévexo,  Joa.,  i,  3,  où  il  insistait  sur  la  préposition  8i<x, 
employée  au  lieu  de  ltr.6,  In  Joa.,  t.  n,  8,  P.  G.,  t.  xiv, 
col.  137;  soit  au  sujet  de  la  différence  qui  existe  entre 
ôiioXoyïîas'.  Èv  Ijxoî  et  àpvrj<ra';j.svo;  j-is,  Luc,  xn,  8,  9, 
la  confession  du  Sauveur  impliquant,  dans  celui  qui  la 
fait,  une  relation  étroite  avec  Jésus.  Clément  d'Alexan- 
drie, Strom.,  IV,  9,  P.  G.,  t.  vin,  col.  1281-1283.  En 
voici  d'autres  exemples.  Dans  ce  texte  de  saint  Jean  : 
y.ïTJor,  £•;  Kaçapvaoûjx  et  àvÉ6r(  s!;  '  Ï6poffôXu|xa,  Joa.,  il, 
12,  13,  où  la  différence  des  verbes  se  justifie  par  la 
situation  topographique  des  deux  villes,  Héracléon  dit 
que  xariSr,  signi  fie  la  descente  vers  les  choses  matérielles, 
uXixâ,  tandis  que  àvsôr,  représente  l'ascension  vers  les 
choses  psychiques,  '|uy  i/.â.  In  Joa.,  t.  x,  19,  col.  365-367. 
Il  remarque  ailleurs  que  c'est  èv  ;û  Uptô,  et  non  èv  tco 
vaû,  que  Jésus  trouva  les  marchands  qu'il  dut  chasser, 
ibid.;  qu'il  passa  deux  jours  chez  les  Samaritains  rcapâ, 
et  non  èv  ocjtoï;,  In  Joa.,  t.  xiii,  51,  col.  496;  et  que, 
si  le  salut  vient  des  Juifs,  i/.  tojv  'IouSaîtov,  c'est  sim- 
plement parce  que  Jésus  a  été  engendré  et  est  né  en 
Judée  ou  parce  que  le  mot  juifs  représente  là  ceux  qui 
appartiennent  au  plérome.  In  Joa.,  t.  xiii,  19,  20, 
col.  429-431. 

4°  Interprétation  allégorique.  —  L'allégorie  offrait 
un  moyen  plus  facile  à  Héracléon  pour  étayer  sa  doc- 
trine. Les  nombres  avaient  à  ses  yeux  une  signification 
symbolique  et  probante  :  c'est  celle  qu'il  dégage,  par 
exemple,  des  quarante-six  ans  de  la  construction  du 
temple,  In  Joa.,  t.  x,  22,  col.  380;  des  six  maris  de 
la  Samaritaine,  In  Joa.,  t.  xiii,  10,  col.  413;  des  deux 
jours  passés  par  le  Sauveur  à  Samarie,  In  Joa.,  t.  xiii,  51, 
col.  496;  de  la  septième  heure  qui  marqua  la  guérison 
du  fils  de  l'officier  de  Capharnaùm.  In  Joa.,  t.  xm,  54, 
col.  516.  Où  Jésus  avait  dit  :  Détruisez  ce  temple,  et 
je  le  relèverai  en  trois  jours,  Joa.,  n,  19,  il  disait  le 
troisième  jour,  parce  que  le  premier,  selon  lui,  étant  le 
jour  terrestre,  yoixi\,  et  le  second  le  jour  psychique, 
■JJ-/V/.Ï),  ce  troisième  jour  représentait  le  jour  pneu- 
matique, jrvEUjxaTizï),  celui  de  la  résurrection.  In  Joa., 
t.  x,  21,  col.  376. 

Plus  riches  encore  en  applications  gnostiques  étaient 
les  scènes  de  l'Évangile.  Dans  celle  du  puits  de  Jacob, 
Héracléon  montre  la  division  de  l'humanité  en  trois 
classes  :  celle  des  hyliques,  représentée  par  les  cinq  pre- 
miers époux  de  la  Samaritaine;  celle  des  psychiques, 
représentée  par  la  Samaritaine  elle-même,  et  celle  des 
pneumatiques,  par  son  dernier  mari  qui,  appartenant 
au  plérome,  était  son  complément  nécessaire  pour  le 
salut.  In  Joa.,  t.  xm,  10,  15,  col.  413,  420.  A  propos  de 
cette  parole  de  Jésus  :  L'heure  vient  où  ce  ne  sera  ni 
sur  celte  montagne,  ni  dans  Jérusalem  que  vous  adorerez 
le  Père,  Joa.,  iv,  21,  il  observe  qu'il  ne  s'agit  point  là 
du  culte  de  la  création  visible,  de  la  matière  ou  du 
royaume  du  démon,  comme  chez  les  païens,  ni,  comme 
chez  les  juifs,  du  culte  du  créateur  ou  du  démiurge. 
Ibid. 

Dans  le  récit  de  la  guérison  du  fils  de  l'officier  de 
Capharnaùm,  Héracléon  soutient  que  cet  officier  est 


l'image  du  démiurge  qui,  étant  incapable  de  sauver  les 
siens,  a  besoin  du  Sauveur  et  n'hésite  pas  à  recourir 
à  lui;  que  son  fils  malade  est  celle  des  psychiques, 
enfoncés  dans  la  matière,  mais  susceptibles  d'être 
sauvés.  Cet  enfant  allait  mourir,  dit  le  texte  sacré; 
lionne  preuve,  remarque  Héracléon,  que  son  âme 
n'était  pas  immortelle  et  allait  périr  avec  le  corps  sans 
l'intervention  de  Jésus.  Quant  aux  serviteurs  de  l'offi- 
cier, ils  représentent  les  anges  du  démiurge.  In  Joa., 
t.  xm,  54,  col.  513-516. 

On  voit  le  procédé:  il  a  ses  avantages  et  ses  inconvé- 
nients ;  Héracléon  en  a  abusé  dans  l'intérêt  de  sa  propre 
doctrine;  mais  tout  n'est  pas  à  réprouver,  ainsi  qu'en 
convient  Origène.  Notamment,  dans  le  passage  relatif 
au  martyre,  Clément  d'Alexandrie  écrit  :  /.ai  -k  jjlsv 
aXXa  (paivsiai  ÔuoooÇeïv  t][jlïv  /.axa  xr)v  ;tsptxo:t7)V  xa'j-7jv. 
Strom.,  IV,  9,  P.  G.,  t.  vin,  col.  1284.  C'est  avec  raison 
qu'Héracléon  distinguait  deux  sortes  de  confession  du 
Christ,  l'une  par  la  foi  et  la  pratique  de  la  vie,  rJ.vxii 
■/.al  7îoXiTsia, l'autre  parla  parole,  <piov7j,en  présence  des 
pouvoirs  judiciaires;  mais  il  insistait  sur  la  première 
comme  sur  la  seule  efficace,  au  détriment  de  la  seconde, 
à  laquelle  il  déniait  toute  valeur.  Certains  gnostiques, 
en  effet,  regardaient  comme  un  suicide  la  mort  subie 
pour  avoir  confessé  le  Christ  devant  les  juges;  ils 
conseillaient  en  conséquence  la  fuite  devant  le  mar- 
tyre ou  toléraient  même  le  reniement.  Héracléon  ne 
remarque  pas,  disait  Clément,  que  le  témoignage  en 
face  des  tribunaux  n'est  pas  purement  une  confes- 
sion de  bouche,  mais  encore  pratiquement  un  témoi- 
gnage réel  qui  implique  la  foi,  une  pénitence  complète, 
une  vraie  confession  du  Christ,  qui  efface  tout  péché  : 
àOpôa  /.axa  xrjv  Tïpàjiv  [xsxavoia  xat  àXrjGï];  eî;  Xpiffrôv 
ôjj.oXoyia.  Et  Clément  de  conclure  contre  Héracléon  que 
le  martyre  est  une  purification  glorieuse  des  péchés  : 
eoixsv  ouv  xo  [xapxûpiov  a7:o/.â0ap<jt;  sivat  àuapxiùjv  usxà 
8o'Çt]ç.  Ibid.,  col.  1284. 

III.  Doctrine.  —  1°  Ses  deux  caractéristiques.  ■ — 
L'enseignement  d'Héracléon  n'étant  exposé  par  au- 
cune des  hérésiologies  anciennes  et  ses  ouvrages  étant 
perdus,  il  est  impossible  de  le  reconstituer  dans  son 
ensemble.  Le  fond  n'en  était  autre  que  le  gnosticisme 
valentinien;  mais  il  offrait  quelques  différences.  Car 
nous  savons  d'abord  qu'Héracléon  fit  subir  à  la  doc- 
trine de  son  maître  une  évolution  caractéristique. 
Jusqu'à  lui,  en  effet,  remarque  Mgr  Duchesne,  Les 
origines,  Paris,  1886,  p.  248,  les  abstractions  célestes 
s'étaient  groupées  par  paires;  les  continuateurs  de 
Valentin  avaient  donné  des  ancêtres  au  groupe  pri- 
mordial du  système  primitif,  à  l'Abîme  et  à  la  Sige; 
mais  Héracléon  introduisit  la  monarchie  dans  le  plé- 
rome, en  plaçant  à  son  sommet  un  être  unique  sans 
compagne,  duquel  procédaient  le  premier  couple  et 
tous  les  couples  successifs.  C'est  bien  ce  qui  ressort  des 
témoignages  de  saint  Philastrius  et  du  pseudo-Ter- 
tullien, avec  cette  différence  toutefois  que,  d'après 
Philastrius,  loc.  cit.,  le  premier  principe  s'adjoignait 
sa  première  émanation  et  formait  avec  elle  le  premier 
couple,  tandis  que,  d'après  le  pseudo-Tertullien,  ce 
premier  principe,  restant  sans  compagne,  donnait 
naissance  à  la  première  syzygie,  puis  à  toutes  les  autres. 
De  prœscript.,  49,  P.  L.,  t.  h,  col.  69.  Nous  savons  en 
second  lieu  que  l'école  italique,  dont  Héracléon  était 
l'un  des  chefs,  se  distinguait  de  l'école  orientale,  en 
soutenant  que  le  corps  de  Jésus  était,  non  point  pneu- 
matique, mais  psychique.  Philosoph.,  VI,  35,  p.  296. 

2°  Quelques  points  du  système.  —  1.  La  création  et  le 
démiurge.  —  Dans  ce  qui  reste  d'Héracléon,  il  n'est 
question  ni  de  la  composition  du  plérome  ou  de  l'éono- 
logie,  ni  du  nombre  des  syzygies  :  introducit  totum 
Yalcntinum,  dit  le  pseudo-Tertullien.  Loc.  cit.  La 
distinction  du  Verbe  et  du  démiurge  est  nettement 
établie;  c'est  au  démiurge  que  revient  la  création  du 


2203 


HERACLEON 


2204 


cosmos  et  de  toute  la  nature  inférieure.  Saint  Jean 
avait  beau  l'attribuer  au  Verbe,  quand  il  dit  :  rcavTa 
Z:'  aJT&S  è-'Éveto.  xat  "/'"pU  ocÙtoC»  ÈyÉvETO  ouos  ev,  Joa., 
i,  3,  Héracléon  de  sa  propre  autorité  complétait  ce 
texte  par  ces  mots  significatifs  :  iwv  sv  tgj  /.ôatiio  xat 
T7j  z-::3E'.,  soustrayant  ainsi  au  Verbe  la  création  du 
cosmos.  L'expression  8i'  aùtou  se  rapporte  bien  au 
Verbe,  mais  Héracléon  l'expliquait  ainsi  :  c'est  le 
Verbe  qui  est  la  cause  de  cette  création,  mais  c'est  le 
démiurge  qui  l'opère  :  o-jy  ôk  lit'  aXXou  svepyouvToç  aùio; 
i-oui  ô  Aoyoç,  àXk  '  a-j-od  èvepyoO'vTo;  stepoç  ârot'si  ;  de 
telle  sorte  que  le  démiurge  avait  servi  d'instrument 
au  Verbe.  Mais  alors,  observait  Origène,  In  Joa., 
t.  il,  8,  P.  G.,  t.  xiv,  col.  137,  il  faudrait  dire  :  8tà  toù 
6T)u.iO'joyoû  zàvTa  ysyovévai  utzo  toù'  Aoyou  et  non  8tà  toû 
AÔyou  :j~o  toù  ST,iiioupyo3. 

2.  Les  anges  et  les  démons.  - —  Héracléon  a  cru  à  la 
f  able  du  commerce  de  certains  anges  avec  les  filles  des 
hommes  et  s'est  demandé  si  ces  anges  seraient  sauvés. 
In  Joa.,  t.  xm,  59,  col.  516.  Il  a  cru  aussi  que  la  nature 
des  démons  différait  de  celle  des  anges  et  était  essen- 
tiellement mauvaise.  D'après  saint  Jean,  le  diable 
«  n'est  pas  demeuré  dans  la  vérité,  parce  qu'il  n'y  a 
pas  de  vérité  en  lui  »,  Joa.,  vin,  44;  c'est  donc, 
concluait  Héracléon,  que  sa  nature,  contraire  à  la 
vérité,  était  faite  d'ignorance,  de  mensonge  et  d'erreur. 
Bien  à  tort,  remarquait  Origène,  car  si  le  diable  est 
mauvais  par  nature,  il  n'a  ni  liberté  ni  responsabilité, 
et  il  mérite  d'être  plaint  plutôt  que  d'être  blâmé. 
In  Joa.,  t.  xx,  22,  col.  640. 

3.  Le  Sauveur.  - —  D'après  la  gnose  valentinienne, 
Jésus  est  né  de  la  Vierge  Marie,  Sià  Mapîaç,  non  iv.  Ma- 
pcaç.  Le  texte  évangélique  porte:  Ilvêujxa  "Ayiov  è-e/ej- 
•jETa:  et:!  aé,"/.at  ouvafjuç  '  Y<{n'crcou  è5Ciaxtâaeieroi.Luc.,I,  35. 
Mais,  pour  les  valentiniens,  ce  Ilvêu;xa  n'est  autre  que 
Soçt'a,  et  cet  cY<]h<ttoç  n'est  autre  que  le  oV,[xioupyo';;  de 
telie  sorte  que  Jésus  relève  à  la  fois  du  plérome  et  du 
démiurge  :  c'est  à  l'Esprit-Saint,  dénommé  Verbe  de 
la  Sagesse,  qu'il  doit  sa  nature  supérieure,  mais  c'est 
au  démiurge  qu'il  doit  son  corps.  Et  ce  corps  n'est  ni 
hylique,  ni  pneumatique,  au  dire  d'Héracléon,  mais 
psychique;  c'est  en  lui  qu'au  jour  du  baptême  l'Esprit, 
Verbe  de  la  Sagesse,  est  descendu  sous  forme  de 
colombe,  et  c'est  lui  que  ce  même  Esprit  a  ressuscité 
d'entre  les  morts.  Philosoph.,  VI,  35,  p.  295-296. 

Ce  Jésus,  ainsi  formé,  est  désigné  parfois  dans 
l'Évangile  sous  le  nom  de  Fils  de  l'homme,  ô  uîô;  tou 
àvBpcojtou;  mais  Héracléon  distingue  arbitrairement 
deux  Fils  de  l'homme,  celui  qui  sème  et  celui  qui 
moissonne.  In  Joa.,  t.  xm,  48,  col.  487.  Il  est  venu 
sauver  l'humanité;  il  sauve  même,  comme  nous  l'avons 
vu,  les  enfants  que  le  démiurge  ne  peut  pas  sauver 
lui-même. 

Au  grand  scandale  d'Origène,  Héracléon  interprète 
mal  ce  passage  :  «  Est-ce  qu'il  va  se  tuer  lui-même, 
puisqu'il  dit  :  Où  je  vais,  vous  ne  pouvez  venir  ?  » 
Joa.,  vin,  22.  Il  prétend,  en  effet,  que  les  juifs,  en 
parlant  ainsi,  se  montraient  supérieurs  au  Sauveur, 
puisqu'ils  croyaient  aller,  eux,  à  Dieu  dans  le  repos 
éternel,  tandis  que  Jésus  parlait  d'aller,  par  le  suicide, 
à  la  mort  et  à  la  corruption.  In  Joa.,  t.  xix,  3,  col.  561. 

4.  Le  salut.  —  Tout  en  reconnaissant  à  Jésus  un 
rôle  éminent  dans  le  salut  des  hommes,  Héracléon 
restait  fidèle  a  l'explication  gnostique  de  la  rédemption 
et  à  la  distinction  de  l'humanité  en  trois  classes  : 
celle  des  hyliques,  des  psychiques  et  des  pneuma- 
tiques. 

Les  hyliques  étaient  ceux  en  qui  domine  l'élément 
matériel  et  qui,  mauvais  par  essence,  sont  incapables 
d'immortalité  et  ne  sauraient  bénéficier  en  rien  de  la 

li  mption.  Tels  sont  les  fils  du  diable,  qui  ont  même 
nature  que  le  diable,  et  difïèrent  ainsi  des  psychiques 
et  des  pneumatiques.  In  Joa.,  t.  xx,  18,  20,  col.  616, 


625.  Dans  cette  catégorie,  si  étrangement  exclue  du 
salut,  Héracléon,  comme  les  autres  gnostiques,  devait 
ranger  les  païens. 

Les  psychiques  étaient  l'œuvre  du  démiurge;  leur 
ijnjyri,  naturellement  mortelle,  ne  pouvait  revêtir 
l'immortalité  qu'à  la  condition  qu'ils  deviennent  les 
enfants  de  Dieu  et  qu'ils  soient  rachetés  par  le  Sauveur. 
Cette  parole  de  Jésus  aux  juifs  :  «  Le  père  dont  vous  êtes 
issus,  c'est  le  diable,  et  vous  voulez  accomplir  les  désirs 
de  votre  père,  »  Joa.,  vm,  44,  est  adressée,  selon  Héra- 
cléon, non  aux  hyliques,  qui  sont  fils  du  diable  par 
nature,  mais  à  des  psychiques  passés  volontairement 
sous  le  joug  du  diable;  elle  explique  pourquoi  ces  juifs 
étaient  incapables  d'entendre  la  parole  du  Sauveur  et  de 
comprendre  son  enseignement.  Selon  qu'ils  s'assu- 
jettissent au  diable  par  le  seul  fait  de  leur  volonté, 
en  s'appliquant  à  réaliser  ses  désirs,  ou  qu'ils  se 
rangent  parmi  les  enfants  du  Dieu  suprême,  les  psy- 
chiques participent  à  l'anéantissement  des  hyliques 
ou  au  salut  des  pneumatiques.  In  Joa.,  t.  xx,  20, 
col.  629.  Tel  l'enfant  de  l'officier  de  Capharnaiim  : 
fils  d'un  père  qui  représentait  le  démiurge  et  qui  ne 
pouvait  le  sauver,  il  dut  son  salut  à  Jésus;  son  âme 
n'était  pas  immortelle;  il  possédait  simplement  ce 
quelque  chose  de  mortel  et  de  corruptible,  qui  peut 
revêtir  l'immortalité  et  l'incorruptibilité,  à  la  condi- 
tion d'être  sauvé  par  Jésus.  Car  la  parole  de  l'Évangile  : 
oi  ufot  tfjç  (BaaiXifaç  èÇEXïûaovTat  eiç  to  ctxôtoç  ro'ÈÇwTEpov, 
Matth.,  vin,  12,  signifie  la  perte  des  hommes  qui  sont 
les  enfants  du  démiurge,  c'est-à-dire  des  psychiques. 
In  Joa.,  t.  xm,  55,  col.  513-516. 

Enfin  les  pneumatiques  étaient  ceux  qui,  possédant 
un  élément  divin  du  plérome,  sont  assurés  de  leur  salut, 
quoi  qu'ils  fassent.  Ceux-ci  sont  dans  le  Verbe,  demeu- 
rant en  lui,  ne  faisant  qu'un  avec  lui,  In  Joa.,  t.  n, 
15,  col.  149;  ce  sont  les  adorateurs  de  Dieu  en  esprit 
et  en  vérité,  et  possédant  la  même  essence  que  Dieu, 
T7J;  âauxrjç  çutiEtùç.  In  Joa.,  t.  xm,  25,  col.  416.  A  eux 
s'applique  ce  passage  de  Jésus  :  «S;  o;  ôfxoXo^r'^v.  h 
ÈLiot.  Luc,  xii,  8.  '  Ev  èijlo!,  remarquait  Héracléon,  et 
non  pas  hxi,  chose  bien  différente;  car  quiconque  est 
avec  le  Sauveur  ne  saurait  le  renier  :  oùSeîç  yâp 
7:ot£  <5v  àv  xjtoj  àpvêÏTai  ocÙto'v.  Clément  d'Alexandrie, 
Strom.,  IV,  9,'  P.  G.,  t.  vm,  col.  1281-1283.  Telle 
quelle  la  phrase  dit  qu'en  fait  il  ne  le  renie  pas  ;  mais 
la  logique  du  système  va  plus  loin  et  laisse  entendre 
qu'en  droit  il  ne  peut  le  renier.  Le  dernier  époux  de  la 
Samaritaine,  celui  que  Jésus  lui  dit  d'aller  chercher, 
représente  le  pneumatique,  qui  appartient  au  plérome. 
In  Joa.,  t.  xm,  10,  col.  413.  Et  naturellement  appar- 
tenaient à  cette  catégorie  privilégiée  tous  les  initiés 
de  la  gnose. 

Tels  sont  les  quelques  points  du  système  d'Héra- 
cléon qui  ressortent  des  passages  cités  ou  réfutés  par 
Origène;  ils  seraient  apparemment  plus  nombreux  si 
le  commentaire  d'Origène  nous  était  parvenu  intégra- 
lement; mais  ils  suffisent  pour  montrer  la  relation 
étroite  de  sa  doctrine  avec  le  gnosticisme  valentinien. 
On  y  voit  que  le  premier  commentateur  connu  des 
livres  du  Nouveau  Testament  recourait,  tout  comme 
les  orthodoxes,  mais  dans  un  but  opposé,  à  l'interpré- 
tation littérale  et  allégorique. 

Éditions.  —  Les  fragments  d'Héracléon  ont  été  réunis 
par  Grabe,  Spicilegium  SS.  Palram  ut  et  héerelicorum, 
Oxford,  1698-1699,  t.  il,  p.  85  sq.,  par  Massuet,  dans  son 
édition  des  œuvres  de  saint  Irénée,  P.  G.,  t.  vu,  col.  1291- 
1321,  et  par  Brooke,  The  fragments  of  Héracléon,  Cambridge, 
1891,  dans  Texts  and  studies,  t.  i,  n.  4. 

Sources.  —  S.  Irénée,  Cont.  hœr.,  P.  G.,  t.  vu;  pseudo- 
Tertullien,  De  pro'scriplionilms,  49,  P.  L.,  t.  n,  col.  69; 
Philosophoumena,  VI,  35,  édit.  Cruice,  Paris,  1860,  p.  296; 
S.  Philastrius,  Hœr.,  41,  P.  L.,  t.  xn,  col.  1158-1159;  S.  Épi- 
phane,  Ihvr.,  xxxvi,  P.  G.,  t.  xli,  col.  633-642;  Prœdesti- 
natus,  16,  P.  L,,  t.  mi,  col.  592. 


2205 


HERACLEON  —  HERBORN 


2206 


Travaux.  —  Tillemont,  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire 
ecclésiastique  des  six  premiers  siècles,  Paris,  1693-1712,  t.  Il, 
p.  264,  604;  Ceillier,  Histoire  générale  des  auteurs  sacrés  et 
€cclésiastiques,  Paris,  1858-1863,  t.  n,  p.  536;  Duchesne,  Les 
origines,  Paris,  1886,  p.  248;  Kirchenlexikon,  2e  édit., 
t.  v,  col.  1782-1783;  Smith  et  Wacc,  Dictionary  of  Christian 
biography,  t.  n,  p.  897-901;  U.  Chevalier,  Répertoire,  Bio- 
bibliographie, t.  i,  col.  2108. 

G.  BAREILLE. 

HERBET  Jean,  théologien  lorrain  du  xvie  siècle, 
publia  un  traité  :  De  cœna  Domini,  seu  demonslratio 
veritatis  corporis  Chrisli,  Paris,  1578. 

A.  Calmet,  Bibliothèque  lorraine,  in-fol.,  Nancy,  1751, 
■col. 495  ;  Richard  et  Giraud,  Bibliothèque  sacrée,  1823,  t.  xn, 
p.   54. 

B.  Heurtebize. 

HERBORN  (Nicolas  Ferber  de),  frère  mineur  de 
l'observance,  ainsi  appelé  du  nom  de  sa  ville  natale, 
dans  le  Nassau,  avait  vu  le  jour  vers  1480.  On  rencon- 
tre une  première  fois  son  nom,  avec  le  titre  de  gardien 
du  couvent  de  Marbourg,  au  bas  d'ure  lettre  qu'il  adres- 
sait, le  10  janvier  1525,  à  Philippe,  landgrave  de  Hesse, 
le  suppliant  de  suivre  les  traces  de  ses  ancêtres,  en  par- 
ticulier de  sainte  Elisabeth,  et  de  rester  fidèle  à  la  reli- 
gion de  ses  pères.  Cet;  it  en  vain  que  le  P.  Nicolas  avait 
fait  appel  aux  sentiments  religieux  du  landgrave;  l'an- 
née suivante,  à  la  fin  d'octobre,  celui-ci  réunissait  à 
Homberg  une  conférence  à  laquelle  le  gardien  de  Mar- 
bourg fut  invité,  mais  il  refusa  d'entamer  devant  des 
juges  incompétents  une  controverse  avec  son  confrère 
apostat,  François  Lamberti  d'Avignon,  venu  pour 
soutenir  et  développer  ses  «  Paradoxes  ».  Une  fois  ren- 
tré dans  son  couvent,  le  P.  Nicolas  publia  les  Assertio- 
nés  trecentx  ac  viginti  sex  fratris  Nicolai  Herbornci 
guardiani  Marpurgensis,  verse  orthodoxse  advcrsus 
Franeisci  Lamberti  exiticii  monachi  paradoxa  impia  ac 
erroris  plena,  in  Hombergiana  Hessorum  congregalione 
proposila,ac  plus  quam  hœreticissime  deducta  et  exposita, 
in-8°,  Cologne,  1526.  Dans  ce  petit  volume  Herborn 
reprend  les  Paradoxes  de  son  adversaire  et  y  répond 
par  une  ou  plusieurs  Assertions.  Dans  les  trois  dernières 
il  donne  les  motifs  pour  lesquels  il  refusa  d'entrer  en 
discussion  avec  Lamberti.  Celui-ci  fit  alors  paraître 
une  Lettre  aux  habitants  de  Cologne,  en  date  du  15  fé- 
vrier 1527,  à  laquelle  le  P.  Nicolas,  qui  avait  été  trans- 
féré au  couvent  de  Brulh  comme  gardien,  répondit  au 
mois  de  novembre  par  l'Epislola  ad  Coloniensem  feli- 
cissimam  urbem,  qua  hortatur  eamdem,  uti  pergal  majo- 
rum  suorum  inhserere  vesligiis...  qua  item  paucis  rcs- 
pondet  impudenlissimis  Franeisci  Lamberti  seductoris 
Hassise  mendaciis,  Cologne,  1527.  Cette  lettre  était 
bientôt  suivie  d'un  opuscule  en  langue  vulgaire  sur  les 
obligations  des  clercs,  accompagné  des  raisons  pour 
lesquelles  il  refusait  de  soumettre  ses  écrits  au  juge- 
ment des  protestants  :  Eyn  kurzer  Berycht  von  den  dreic  n 
gelobten  der  Gegstlichen...  Item  Ursach,  ivarum  ich  Bru- 
der  Niklas  Herborn  meine  Schrifften  den  lutherischen 
Richtern  Lchre  und  Vrtheil  nicht  unterwerfen  wil  und 
sol,  Cologne,  1527.  Bien  que  gardien  de  Brùlh,  il 
demeurait  à  Cologne  en  qualité  de  prédicateur  ordi- 
naire, comme  on  le  lit  sur  le  titre  de  son  autre  opus- 
cule :  Locorum  communium  advcrsus  hujus  lemporis 
hserescs  enchiridion,  ibid.,  1528.  L'année  suivante  il  en 
donnait  une  autre  édition  augmentée  de  deux  opuscu- 
les nouveaux  :  Tractatulus  de  notis  verse  Ecclesiœ  ab 
adultéra  dignoscendse  ;  Methodus  prœdicanli  verbi  divini 
concionaloribus  cum  ulilis  tum  accommoda.  Il  éditait 
encore  un  livre  apologétique  et  ascétique,  que  défi- 
gurent malheureusement  les  injures  contre  les  nova- 
teurs, intitulé  :  Monas  sacrosanche  evangeliese  doctriiur 
ab  orthodoxis  palribus  in  hœc  usque  sœcula,  veluti 
per  munus  tradila.  Abslersœ  sunt  fœculenliores  Fran- 
eisci l.ampcrli  Aven,  aposlalse  aspergines,  quibus imma- 
culatam  Chrisli  sponsam  impudentius  fœdare  admolilus 


est,  auquel  fait  suite  une  Epislola  ad  minorilas,  quod 
oplima  apologia  est  veleris  vitse  emendatio,  Cologne, 
1529.  La  même  année  il  faisait  encore  paraître,  In 
psalmum  lxxviii  enarratio  lamentatoria  pro  mise- 
randa  populi  chrisliani  depopulatione  instituta  ac  édita, 
et  un  opuscule  allemand,  Ob  eyne  weliliche  Oberkcyl  es 
mœge  hallcn  voie  sie  bedunket  zu  verantworten  vor  Gott. 
Pendant  que  le  P.  Nicolas  se  livrait  à  ces  travaux,  il 
était  nommé  ministre  de  la  province  religieuse  de  Co- 
logne, au  mois  d'août  1529.  Onze  mois  après,  il  en  par- 
tait pour  se  rendre  à  Copenhague  sur  l'invitation  de 
l'évèque  d'Aarhus,  afin  de  prendre  part  à  une 
conférence  dans  laquelle  catholiques  et  protestants 
devaient  exposer  et  soutenir  leurs  raisons  (2  juillet- 
2  août  1530).  Fidèle  à  ses  principes,  le  P.  Nicolas  écrivit 
un  opuscule  à  présenter  au  roi,  De  non  agenda  dispu- 
tatione  religiosa  coram  populo  judice.  Pour  répondre  au 
raisons  que  faisaient  valoir  les  ministres  protestants, 
aidé  peut-être  par  un  carme,  le  P.  Paul  Hélie,  notre  in- 
fatigable controversiste  écrivit  une  réfutation,  dont 
une  partie  seulement  fut  alors  imprimée,  traduite  en 
danois  :  Menige  Danmarkis  Rigis  Biscoppers  och  Pre- 
laters  christelige  oc  relsindige  geenswar  lill  the  Luthe- 
riansche  artickle,  in-4°,  Aarhus,  1533.  En  1902,  le  P. 
Louis  Schmitt,  S.  J.,  qui  avait  déjà  publié  une  étude 
sur  l'auteur,  l'éditait,  d'après  le  manuscrit  de  la  biblio- 
thèque royale  de  Copenhague  :  Conjutatio  luthcranismi 
Danici,  anno  1530  conscripta  a  Nicolao  Slagefyr  seu 
Herborneo,  in-8°,  Quaracchi.  Stagefyr  ou  Stagebrand 
était  un  surnom  que  les  protestants  danois  donnaient 
dans  leurs  écrits  au  P.  Herborn.  Wadding,  Annales, 
t.  xvi,  p.  304,  rapporte  qu'il  composa  et  fit  imprimer 
un  traité  dans  lequel  il  établissait  la  validité  du  mariage 
du  roi  d'Angleterre,  Henri  VIII,  traité  déjà  fort  rare  de 
son  temps.  Il  publia  aussi  une  Oratio  extemporalis  co- 
ram clero  Groningensis  oppidi,  Cologne,  31  mai  1531. 
Un  an  plus  tard  nous  trouvons  le  P.  Nicolas  à  Toulouse, 
où  il  s'était  rendu  pour  prendre  part  au  chapitre  géné- 
ral de  son  ordre,  le  18  mai  1532.  Il  y  était  élu  commis- 
saire général  pour  les  provinces  cismontaines,  soit  la 
presque  totalité  des  provinces  sises  hors  d'Italie.  L'an- 
née suivante,  par  suite  de  la  déposition  du  ministre  gé- 
néral, il  en  était  nommé  vicaire  général.  Ces  fonctions 
l'avaient  retenu  en  France,  où  nous  le  trouvons  pen- 
dant les  dernières  années  de  sa  vie,  qui  s'acheva  à  Tou- 
louse, le  15  avril  1534.  Jusqu'à  la  lin  le  P.  Nicolas  avait 
continué  ses  publications,  dont  voici  les  dernières  qui 
nous  restent  à  mentionner.  Comme  commissaire  géné- 
ral chargé  des  missions  de  son  ordre  en  Amérique,  il 
donna  une  lettre  pastorale  aux  religieux  :  Epitome  con- 
vertendi  génies  Indiarum  ad  fldem  Christi  adeoque  ad 
Ecclesiam  sacrosanctam  cutholicam  et  aposlolicam,  Co- 
logne, septembre  1532,  reproduite  dans  le  volume  inti- 
tulé :  Novus  orbis,  id  est  navigaliones  primse  in  Ameri- 
cam,  Botterdam,  1616,  puis  par  Wadding  dans  ses  An- 
nales, t.  xvi,  p.  31  l-2vi.  On  a  encore  de  lui  les  Enarra- 
liones  lalinse  evangclorium  qaadragesimatium,  Anvers, 
1533  ;  Paris,  1513,  augmentées  dans  cette  seconde  édi- 
tion du  Monotcssaron  passionis  Domini  nostri  Jesu 
Christi.  A  Toulouse  il  as. ait  fait  la  connaissance  d'une 
noble  et  pieuse  femme,  Catherine  de  Byron,  edias  de 
Aduranlia,  à  laquelle  il  dédiait  ses  Paradoxa  theologica 
seu  theologicœ  assertiones  divinis  eloquiis  advcrsus  neo- 
tericos  hsercticos  doctissime  simul  et  elegantissime  robo- 
ratse,  que  publiait  le  P.  Jean  Azafra,  in-8°,  Paris,  1534. 
On  attribue  encore  au  P.  Herborn  des  Commentaires 
sur  les  psaumes,  qui  auraient  été  édités  à  Paris.  La 
Retalio  de  novis  insulis,  que  l'on  dit  manuscrite,  pour- 
rait bien  n'être  autre  chose  que  VEpilome  que  nous 
avons  cité,  ainsi  que  le  Ier  livre,  qu'il  aurait  écrit,  d'un 
Opus  tripartiium  de  conversione  gentium. 

Wadding  et  Sbaraglia,  Scriptores  ordinis  minorum,  Rome, 
1806;  Nebe,  N.  Herborn,  1862;   Louis  Schmidt,  S.  J.,  Der 


Î207 


HERBORN  —  HÉRÉSIE.  HÉRÉTIQUE 


2208 


Kolner  Theologc  Nikolaus  Slage/yr  und  der  Franziskancr 
Nikolaus  Herborn,  dans  Stinunen  ans  Maria-Laach,  Fri- 
bourg-en-Brisgau,  1SS6,  et  son  édition  de  la  Confutatio, 
Quaracchi,  1902;  Ilurter,  Nomenclator,  Inspruck,  190(1, 
t.  il.  col.  1255-1256  ;  Allgemeine  deutsche  Biographie,  t.  xn, 
p.  12-45 ,  Kirchenlexikon,  t.  iv,  col.  1348;  t.  xi,  col.  704. 
P.  Edouard  d'Alencon. 

HERESIARQUE.  —  I.  Définition.  IL  Législation 
canonique. 

I.  Définition.  —  D'après  l'étymologie,  ai'psoriç  et 
ap/'K.  hérésiarque  signifie  chef  d'hérésie.  Selon  la 
définition  verbale,  l'hérésiarque  est  donc  soit  le  pro- 
moteur d'une  hérésie,  soit  le  chef  d'une  secte  hérétique, 
soit  même  simplement  un  chef  d'hérétiques.  C'est  la 
signification  constante  de  ce  terme  dans  le  langage 
courant  et  dans  nombre  de  documents  ecclésiastiques. 
Nous  trouvons  de  cet  emploi  du  mot  hérésiarque  un 
exemple  typique  dans  les  règles  de  l'Index,  promul- 
guées autrefois  par  Pie  IV,  en  vertu  de  la  décision 
du  concile  de  Trente,  sess.  XVIII. 


Haeresiarcharum  libri,  tam 
eorum  qui  post  praîdictum 
annum  haereses  invenerunt 
vel  suscitariuit,  quam  qui 
haereticorum  capita  aut  du- 
ces sunt  vel  fuerunt,  quales 
sunt  Lutherus,  Zwinglius. 
Calvinus,  Balthasar  Paei- 
montanus,  Schwenkfeldius 
et  his  similes,  cujuscumque 
nominis,  tituli  aut  argu- 
ment] existant,  omnino  pro- 
hibentur  n»  régula. 


Sont  absolument  prohibés 
les  livres  des  hérésiarques 
tant  de  ceux  qui  postérieure- 
ment à  cette  date  (1515)  ont 
inventé  ou  suscité  des  hérésies, 
que  de  ceux  qui  ont  été  ou 
sont  les  chefs  des  hérétiques, 
tels  que  Luther,  Zwingle, 
Calvin,  Balthasar  Pacimon- 
tanus  (Huebmaier),  Scwenk- 
feld  et  autres  semblables, 
quels  que  soient  les  noms, 
les  titres  ou  les  objets  de  ces 
livres  (Tr.  Boudinhon,  La 
nouvelle  législation  de  l'Index, 
Paris,   s.   d.   [1899],   p.   67). 

Les  canonistes  et  principalement  les  inquisiteurs 
entrent  dans  plus  de  précision  et,  en  dehors  des  héré- 
tiques proprement  dits,  c'est-à-dire  professant  sim- 
plement pour  leur  compte  personnel  une  croyance  diffé- 
rente de  celle  de  l'Église  sur  quelque  point  de  la  foi 
catholique,  ils  distinguent  trois  classes  d'hérésiarques, 
c'est-à-dire  d'hérétiques  se  proposant  de  prêcher, 
de  défendre,  de  propager  l'hérésie.  Tout  d'abord, 
soumis  à  la  même  discipline  que  les  simples  hérétiques, 
ceux  qui,  d'une  manière  toute  privée  et  dans  quelques 
cas  particuliers,  entraînent  l'un  ou  l'autre  dans 
l'hérésie.  Ensuite,  ceux  qui,  sans  être  auteurs  d'hérésie, 
s'emploient  néanmoins  à  enseigner  et  à  propager  l'hé- 
résie. On  peut  les  appeler  déjà  hérésiarques,  cf.  Décret 
de Gratien, c. 32,  Qui  aliorum, Causa XXIV,  q.  m;  mais, 
en  langage  plus  strict,  on  doit  les  appeler  dogmatisants. 
Cf.  Eymeric,  Directorium  inquisitorum,  Rome,  1578, 
part.  Il,  q.  xxxix;  Pegna,  Commentaire  du  Directo- 
rium d'Eymeric,  Rome,  1587,  comm.  64;  Simanca, 
De  catholicis  instituiionibus,  Ferrare,  1692,  tit.  xxxi. 
Il  est  nécessaire  toutefois,  pour  mériter  le  nom  de  dog- 
matisant, d'enseigner,  de  défendre,  de  propager  l'héré- 
sie d'une  façon  occulte  ou  publique,  habituellement  et 
pour  ainsi  dire  par  manière  de  principe.  Cf.  Suarez, 
De  fuie,  disp.  XXIII,  sect.  n,  n.  11.  Enfin,  dans  le 
langage  des  inquisiteurs,  l'épithèle  d'hérésiarque  doit 
être  strictement  réservée  à  ceux  qui  sont  à  la  fois  les 
auteurs  et  les  propagateurs  de  l'hérésie.  Suarez,  loc.  cit., 
donne  comme  exemple  d'hérésiarques,  au  sens  strict 
du  mot,  Arius  et  Luther. 

IL  Législation  canonique.  —  L'ancienne  légis- 
lation était  très  dure  à  l'égard  des  hérésiarques  et  des 
dogmatisants.  En  cas  de  conversion  de  leur  part,  on 
discutait  entre  inquisiteurs  s'il  fallait  les  accueillir 
ou  les  livrer  impitoyablement  au  bras  séculier,  voir 
K'i  isition;  et  Suarez,  loc.  cit.,  n.  9,  rapportant  les 
opinions  des  principaux  auteurs,  incline  lui-même, 
sauf  en  certains  cas  extrêmement  rares,  vers  l'opinion 
la  plus  sévère,  n.  11. 


Le  droit  actuel  ne  distingue  plus,  quant  aux  peines 
dont  ils  sont  frappés,  entre  hérésiarques,  dogmatisants 
et  simples  hérétiques.  Tous  sont  atteints  d'après  le 
nouveau  Code,  cari.  2314,  §  1,  1°,  d'une  excommuni- 
cation, réservée  d'une  manière  spéciale  au  souverain 
pontife.  En  fait  cependant,  les  hérésiarques  et  dog- 
matisants sont  nommément  frappés,  par  le  pape  ou 
le  Saint-Ollice,  de  peines  plus  sévères  et  notoires. 
Quant  à  leurs  livres,  la  2e  règle  de  l'ancienne  légis- 
lation de  Pie  IV,  en  15é'4,  avs.it  été  modifiée  par  la 
constitution  Ofjiciorum ;  il  n'est  plus  question  aujour- 
d'hui que  des  «livres  des  apostats,  des  hérétiques, 
des  schismatiques  et  des  autres  écrivains  proptt- 
geanl  l'hérésie,  ou  s'attaquant  de  quelque  façon  aux 
fondements  de  la  religion  ».  Néanmoins,  il  subsiste,  dans 
les  dispositions  actuelles,  un  vestige  de  l'ancienne 
législation.  Au  point  de  vue  des  personnes,  les  dogma- 
tisants sont  exclus  des  pouvoirs  concédés  par  la  S.  Pé- 
nitencerie,  d'absoudre,  au  for  interne,  les  hérétiques, 
même  publics.  Voir  Hérésie,  col.  2254.  Au  point 
de  vue  des  livres,  le  nouveau  Code,  can.  1399,  2°, 
reprend  l'énumération  de  la  constitution  Ofpciorum,  en 
p.  ssant  sous  silence  la  qualité  des  auteurs  :  il  vise 
«  les  livres  de  n'impoite  quels  auteurs,  propageant 
l'hérésie  ou  /■  schisme,  ou  s'attaquant,  etc.».  Quant 
aux  sanctions,  le  canon  2318,  §  1,  restreint  l'excom- 
munication, réservée  spécialement  au  saint  siège,  aux 
éditeurs  de  livres  écrits  par  des  hérétiques  propageant 
l'hérésie,  aux  défenseur.'-,  lecteurs  et  délent  -tirs  de  ces 
livres  et  des  livres  nommément  condamnés  par  lettres 
apostoliques.  Voir  Hérésie,  col.  2249.  On  remarquera 
l'évolution  suivie  par  la  législation.  Aujourd'hui  «  les 
prohibitions  générales,  basées  sur  la  qualité  des 
auteurs,  hérésiarques  ou  hérétiques,  ont  disparu  et 
chacun  de  leurs  livres  doit  être  jugé  exclusivement 
d'après  son  objet  et  sa  nature,  »  Boudinhon,  op.  cit., 
p.  68;  cependant,  il  faut  observer  que  l'excommunica- 
tion prévue  au  canon  2318,  §  1,  vise  plus  particu- 
lièrement la  lecture  et  la  détention  de  livres  qui,  en  fait, 
sont  la  plupart  du  temps  écrits  par  des  hérésiarques 
ou  des  dogmatisants.  L'ancienne  législation  de  l'Index, 
dans  la  10e  règle,  formulait  ainsi  la  sanction  de  l'Église  : 
«  Si  quelqu'un  lit  ou  garde  des  livres  des  hérétiques  ou 
des  ouvrages  d'un  auteur  quelconque,  condamnés 
et  prohibés  pour  cause  d'hérésie  ou  soupçon  d'un  dogme 
erroné,  qu'il  encoure  aussitôt  la  sentence  d'excommu- 
nication. »  La  bulle  Cœnœ,  voir  A.  Arndt,  De  libris 
prohibilis  commentarii,  Ratisbonne,  1895,  p.  220-222, 
contient  des  expressions  semblables  :  «  Sont  frappés 
d'excommunication...  ceux  qui  sciemment  lisent  ou 
gardent,  impriment  ou  défendent  n'importe  comment 
les  livres  desdits  hérétiques,  contenant  l'hérésie  ou 
traitant  de  la  religion.  »  Mais  tandis  qu'il  s'agissait 
autrefois  de  tout  livre  d'hérétique  contenant  l'hérésie 
ou  traitant  de  religion,  aujourd'hui  il  s'agit  unique- 
ment des  livres  d'hérétiques  soutenant  l'hérésie,  c'est-:. - 
dire  écrits  en  vue  de  la  défendre  et  de  la  propager.  Or, 
c'est  bien  là  la  caractéristique  des  livres  écrits  par 
les  hérésiarques  ou  les  dogmatisants.  Cf.  Boudinhon, 
op.  cit.,  p.  281-282. 

A.  Michel. 
HÉRÉSIE.  HÉRÉTIQUE.  Nous  traiterons  en  un 
seul  article  la  question  de  l'hérésie  et  celle  des  héré- 
tiques. Il  est  impossible,  en  effet,  de  les  disjoindre  sans 
s'exposer  à  des  répétitions  inutiles.  D'ailleurs,  les  théo- 
logiens les  ont  toujours  étudiées  simultanément.  Il 
faut  toutefois  distinguer  le  problème  dogmatique,  qui  se 
rapporte  à  l'hérésie  considérée  comme  doctrine,  le 
problème  moral,  qui  se  rapporte  à  l'hérésie  considérée 
comme  péché,  et  le  problème  canonique,  qui  se  rapporte 
à  l'hérésie  considérée  comme  délit.  Le  premier  problème 
est  celui  de  l'hérésie  considérée  objectivement;  dans  les 
deux    autres,    l'hérésie    est    considérée    formellement. 


2209 


HÉRÉSIE.    HÉRÉTIQUE 


2210 


Salmanticenses,  De  fide,  disp.  IX,  dub.  iv,  n.  37;  De 
Lugo,  De  virtute  fidei  divinse,  disp.  XX,  n.  1.  —  I.  Pro- 
blème dogmatique  :  l'hérésie-doctrine.  II.  Problème 
moral  :  l'hérésie-péché.  III.  Problème  canonique  : 
l'hérésie  délit. 

I.  Problème  dogmatique,  l'hérésie-doctrine.  — 
1°  Étymologie.  —  Aipeoiç,  étymologiquement  action  de 
prendre,  par  exemple  :  prendre  une  ville,  Hérodote, 
Hist,  IV,  1;  Thucydide,  HisL,  II,  28,  est  devenue  par 
métaphore  choix,  préférence,  Gen.,  xlix,  3;  Lev.,  xxii, 
18;  I  Mach.,  vin,  30,  surtout  dans  l'ordre  doctrinal, 
d'où  la  signification  d'école  philosophique,  littéraire 
ou  politique,  Athénée,  Quœst.,  38,  de  parab.;  Diogène 
Laërce,  De  vitiis,  dogmatibus,  etc.,  I,  19,  et  de  secte 
religieuse,  Josèphe,  Ant.  jud.,  XIII,  v,  9;  De  bell.  jud., 
II,  vin,  1,  2,  sans  idée  de  désapprobation  ou  de  blâme. 
Par  rapport  à  la  vraie  religion,  at'psat;  comporte  néces- 
sairement un  sens  péjoratif;  sont  appelées  hérésies, 
dans  le  Nouveau  Testament,  la  secte  des  pharisiens, 
Act.,  xv,  5;  xxvi,  5,  et  celle  des  sadducéens,  v,  17. 
L'Église  naissante  est  appelée  hérésie  par  les  juifs, 
xxiv,  14,  mais  l'apôtre  saint  Paul  rejette  cette  quali- 
fication, comme  peu  en  rapport  avec  la  nature  même 
de  l'Église  catholique,  ouverte  à  tous.  L'apôtre  dis- 
tingue l'hérésie,  différence  de  vue  radicale,  du  schisme, 
simple  dissentiment  passager.  I  Cor.,  xi,  19;  cf.  Joa.,vn, 
43  ;  x,  49.  C'est,  du  moins,  au  sujet  de  I  Cor.,  xi,  19, l'in- 
terprétation communément  admise  par  les  Pères  latins 
et  les  exégètes  contre  quelques  Pères  grecs,  notam- 
ment S.  Jean  Chrysostome,  In  I  Cor.,  homil.  xxvn, 
P.  G.,  t.  lxi,  col.  225;  Théodoret,  Comm.  in  I  Cor., 
P.  G.,  t.  lxxxii,  col.  316;  Théophylacte,  In  I  Cor., 
P.  G.,  t.  cxxiv,  col.  701,  et  contre  quelques  commen- 
tateurs modernes,  Cajetan,  Littcralis  expositio,  Rome, 
1529;  Benoît  Giustiniani,  Explanationes,  Lyon,  1612, 
et  contre  quelques  auteurs  récents,  A.  Maier,  Commen- 
tar  ùber  den  ersten  Corinlherbrief,  Fribourg,  1857; 
V.  Loch  et  W.  Reischl,  Die  heilige  Schrijlen  des  N.  T., 
Ratisbonne,  1857,  etc.  Cf.  Cornely,  Comm.  in  S.  Pauli 
priorem  Episl.  ad  Cor.,  Paris,  1890,  p.  330.  Dans 
l'Épître  aux  Galates,  v,  20,  saint  Paul  marque  une 
différence  analogue  en  gradation  ascendante,  èpiôsïat, 
rixœ,  S'.youTaaiot'.,  dissentiones,  aîpéaaç,  sectœ.  Dans  la 
II  Pet.,  n,  1,  le  sens  péjoratif  est  plus  fortement  encore 
indiqué;  il  y  est  question  «des  faux  docteurs  qui 
introduisent  des  hérésies  déperdition,  aipéffecç  àcroXsta;, 
et  qui  renieront  le  Maître,  xàv  8so7tÔTïiv  àpvoijfAevoi,  qui 
les  a  rachetés,  attirant  sur  eux  une  prompte  perdition.  » 
Dans  cette  phrase,  saint  Pierre  décrit  déjàl'hérésie  avec 
les  caractères  qu'on  lui  attribue  aujourd'hui  :  1°  ce  sont 
des  hérésies  de  perdition,  par  lesquelles  la  voie  de  la 
vérité  sera  blasphémée  et  beaucoup  d'hommes  seront 
pervertis,  2  ;  2°  elles  consistent  dans  une  perversion 
de  doctrine,  puisqu'elles  seront  le  fait  de  faux  docteurs, 
•ieuSoS'.Sotay.aXot;  3°  la  perversion  de  la  doctrine  n'est 
autre  que  la  négation  de  la  divinité  du  Sauveur,  sous 
une  forme  ou  sous  une  autre.  Cf.  Jud.,  i,  4.  Le  fauteur 
de  ces  erreurs  est  un  aîpettxb'ç,  un  hérétique,  Tit.,  m, 
10,  et  «  il  doit  être  évité  après  un  ou  deux  avis  »,  parce 
qu'«  un  tel  homme  est  perverti  et  qu'en  péchant  son 
propre  jugement  le  condamne  ».  L'hérétique  de  saint 
Paul  correspond  plutôt  à  ce  que  nous  appellerions  un 
hérésiarque.  Voir  ce  mot.  Bien  que  le  mot  d'hérésie  ne 
soit  pas  prononcé,  ce  sont  les  caractères  de  l'hérésie 
que  décrit  saint  Paul  dans  son  discours  de  Milet.  Act., 
xx,  29,  30.  Cf.  S.  Jérôme,  In  Epist.  ad  Titum,  in,  10, 
P.  L.,  t.  xxvi,  col.  598. 

Arpent;  se  lit  neuf  fois  dans  le  Nouveau  Testament; 
ce  mot  est  traduit  dans  la  Vulgate  quatre  fois  par 
hœresis,  Act.,  v,  17;  xv,  5;  xxiv,  14;  I  Cor.,  xi,  19; 
les  cinq  autres  fois,  Act.,  xxiv,  5;  xxvi,  22;  Gai.,  v,  20; 
II  Pet.,  n,  1,  par  sectse.  Aïpetixo;  ne  se  lit  qu'une  fois, 
Tit.,  m,  10.  Cf.  Dictionnaire  de  la  Bible  de  M.  Vigou- 

DICT.  DE  THÉOL.  CATH. 


roux,  art.  Hérésie,  Hérétique,  t.  ni,  col.  607-609;  Lexi- 
con-biblicon  (Cursus  Scripturœ  sacrée),  Paris,  s  d., 
au  mot  Hœresis;  Zorell,  Novi  Tertam  nti  l'xico'i  g-œ- 
cum,  au  mot  Aipsaiç,  p.  16. 

A  l'âge  apostolique,  le  mot  hœresis  a  déjà  le  sens  que 
lui  conservera  l'usage  ecclésiastique  universel.'  Saint 
Ignace  félicite  les  Éphésiens  de  ce  que  chez  eux  il  n'y 
ait  point  de  place  pour  l'hérésie,  c'est-à-dire  pour  la 
fausse  doctrine,  Jésus-Christ  les  enseignant  en  vérité, 
Ad  Eph.,  vi,  2;  il  recommande  aux  Tralliens  de  fuir 
le  docétisme,  «  cette  plante  étrangère  qui  est  une  hé- 
résie, »  Ad  Trall.,  vi,  1.  Funk,  Patres  apostolici, 
Tubingue,  1901,  t.  i,  p.  218,  246.  Ce  sens  se  conservera 
désormais  sans  altération.  Pour  saint  Irénée,  les  héré- 
tiques falsifient  la  parole  de  Dieu,  Cont.  hœr.,  1.  I,  c.  i, 
n.  1;  I.  III,  c.  xi,  n.  9,  et  préfèrent  leurs  vues  person- 
nelles à  la  doctrine  de  l'Évangile,  c.  xn,  n.  11-12; 
pour  rester  dans  la  vérité,  il  faut  retenir  l'enseignement 
des  apôtres  et  de  leurs  disciples  et  la  prédication  de 
l'Église,  n.  13.  P.  G.,  t.  vu,  col.  438,  890,  905,  906. 
Tertullien  est  plus  précis  encore  :  Hœreses  taxai 
(apostolus)  quorum  opéra  sunl  adullerœ  doclrinœ, 
hœreses  diclœ  grœca  voce  ex  interprelatione  electionis 
qua  quis,  sive  ad  insliluendas,  sive  ad  suscipiendas  eas 
utitur.  De  prœscript.,  c.  vi.  La  règle  qu'il  faut  suivre 
est  donc  celle  que  l'Église  a  reçue  des  apôtres  pour 
nous  la  livrer,  que  les  apôtres  ont  reçue  du  Christ, 
que  le  Christ  a  reçue  de  Dieu;  et  c'est  précisément 
parce  que  les  hérétiques  se  sont  placés  en  dehors  de 
cette  règle  de  la  foi  qu'ils  ne  peuvent  être  admis  à 
discuter  sur  l'interprétation  des  Écritures,  c.  xxxvn. 
P.  L.,  t.  n,  col.  18,  50-51.  Moins  didactique,  saint  Cy- 
prien  ne  manque  pas  cependant  de  faire  remarquer, 
spécialement  dans  le  De  unilate  Ecclesiœ,  que,  pour 
tenir  la  vraie  foi,  il  faut  reconnaître  l'autorité  de 
l'Église  et  faire  partie  de  son  unité  :  hanc  Ecclesiœ 
unitalem  qui  non  tenet,  tenere  se  fidem  crédit  ?  P.  L., 
t.  iv,  col.  500.  Les  Pères  de  l'Église,  polémiquant  contre 
les  fauteurs  d'hérésies,  s'occupent  plus  de  combattre 
les  hérétiques  eux-mêmes  et  leurs  perverses  doctrines 
que  de  donner  une  étymologie  du  mot  hérésie;  voir 
Klée,  Manuel  de  l'histoire  des  dogmes  chrétiens,  trad. 
franc.,  Liège,  1850,  c.  vu; toutefois,  au  milieu  de  leurs 
attaques,  souvent  très  vives,  on  constate  que,  pour  eux 
aussi,  l'hérésie  est  une  corruption  de  la  vraie  doctrine, 
corruption  provenant  de  ce  que  l'hérétique  substitue 
son  jugement  propre  au  jugement  de  l'Église.  Cf. 
saint  Amoroise,  appelant  les  hérétiques  verilalis  inimici, 
impugnatores  fldei,  In  ps.  cxviu,  serm.  xm,  P.  L., 
t.  xv,  col.  1381;  saint  Épiphane,  parlant  des  hérésies 
comme  de  dogmes  pervertis,  Hœr.,  1.  I,  n.  1-2,  P.  G., 
t.  xli,  col.  173-176.  Saint  Jérôme,  In  Epist.  ad 
Gai.,  P.  L.,  t.  xxvi,  col.  417,  donne  l'étymologie 
d'hœresis  :  At'pêuc;...  ab  electione  dicilur,  quod  sciliect 
eam  sibi  unusquisque  eligat  disciplinant,  quam  putat 
esse  meliorem.  Il  répète  en  substance  cette  explication 
dans  son  commentaire  In  Epist.  ad  Titum,co\.  598,  et 
distingue,  avec  saint  Paul,  l'hérésie  du  schisme  :  Intcr 
hœresim  et  schisma  hoc  esse  arbitrantur,  quod  hœresis 
perversum  dogma  habcal;  schisma  propler  episcopalem 
dissenlionem  ab  Ecclesia  separetur.  Cf.  S.  Augustin, 
De  baptismo  contra  donatislas,  1.  V,  c.  xvi,  P.  L., 
t.  xliii,  col.  186-187.  On  retrouve  les  mêmes  idées  dans 
saint  Isidore,  qui  décrit  ainsi  les  hérétiques,  Elym.. 
1.  VIII,  c.  in,  P.  L.,  t.  lxxxii,  col.  296  :  perversum 
dogma  cogitantes,  arbitrio  suo  de  Ecclesia  recesserunt. 
Cf.  Raban  Maur,  De  clericorum  instit.,  1.  II,  c.  lviii, 
P.  L.,  t.  cvn,  col.  371. 

Parmi  les  auteurs  plus  récents,  presque  tous  cano- 
nistes  et  inquisiteurs,  ayant  exposé  l'étymologie  du 
mot  hérésie,  citons  A.  de  Castro,  Adversus  omnes 
hœreses,  Paris,  1534,  1.  I,  c.  i;  De  justa  hœreticorum 
punitione,  Lyon,  1566,  1.   I,  c.  i;  M.  Cano,  De  locis 


VI. 


70 


2211 


HÉRÉSIE.    HÉRÉTIQUE 


2212: 


theologicis,  1.  XII,  c.  ix;  Simanca,  De  enlholicis  institu- 
tionibus,  Ferrare,  1692,  tit.  xxx;  Eymeric,  Directo- 
rium  inquisitorum,  Rome,  1578,  part.  II,  q.  i;  Pegna, 
Commentaire  du  Dircctorium  d'Eymeric,  Rome,  1587, 
loc.  cit.,  comm.  26;  Farinacci,  Tractatus  de  hœresi,  etc., 
Rome,  1616,  q.  clxxviii,  §  1,  n.  29-41.  Cf.  Suarez, 
De  fide,  disp.  XIX,  sect.  i,  n.  1;  Thésaurus,  De  pœnis 
ecclesiasticis,  au  mot  Hœresis  ;Ferraris,  Prompla  biblio- 
Iheca,  au  mot  Hseresis;  Ojetti,  Synopsis,  au  mot 
Hœresis. 

2°  Définition  et  conditions.  —  Toute  doctrine  opposée 
à  la  vraie  foi,  d'une  façon  soit  négative  (nescience), 
soit  privative  (ignorance),  soit  positive  (doctrine  con- 
traire) constitue  en  soi  une  infidélité.  Voir  ce  mot.  Cf. 
Kilber,  dans  la  théologie  des  jésuites  de  \Vurzbourg, 
De  fide,  n.  219;  S.  Alphonse  de  Liguori,  Theologia  mo- 
ralis,  1.  II,  tr.  I,  n.  17;  S.  Thomas,  Sum.  thcol.,  IIa  II», 
q.  x,  a.  1.  L'hérésie  étant,  d'après  l'étymologie  même 
du  mot,  un  choix,  une  sélection  faite  par  l'esprit  humain 
dans  les  vérités  révélées  par  Dieu,  comporte  donc  une 
véritable  infidélité  positive.  Mais  toute  infidélité  posi- 
tive n'est  pas  une  hérésie;  l'infidélité  est  le  genre, 
l'hérésie  est  l'espèce.  Saint  Thomas,  loc.  cit.,  q.  xi,  a.  1, 
explique  que  l'hérésie,  étant  un  choix  dans  la  doctrine, 
se  rapporte  non  à  la  fin  môme  de  la  foi,  mais  aux 
moyens  proposés  pour  atteindre  cette  fin.  Dans  le  do- 
maine de  la  foi  chrétienne,  la  fin,  c'est  l'autorité  divine 
du  Christ,  à  laquelle  nous  adhérons  par  la  foi;  les 
moyens,  ce  sont  les  vérités  révélées  dont  l'acceptation 
soumet  notre  intelligence  à  l'autorité  divine.  Or,  en 
rejetant  cette  autorité  elle-même,  on  tombe  dans  l'infi- 
délité positive  proprement  dite  (naturalisme,  paga- 
nisme, judaïsme);  en  maintenant,  d'une  part,  une  cer- 
taine foi  au  Christ,  mais,  d'autre  part,  en  corrompant 
par  une  sélection  humaine  le  dogme  révélé,  on  tombe 
dans  l'hérésie  :  ideo  hœresis  est  infidelilalis  species, 
pertinens  ad  cos  qui  fidem  Christi  profitentur,  sed  ejus 
dogmala  corrumpunl.  S.  Thomas,  loc.  cit.  Cf.  Bou- 
quillon,  Institutions  thcologiœ  moralis,  Bruges,  1878, 
De  virtutibus  thcol.,  n.  211-214. 

Cette  analyse  sommaire  nous  aide  à  expliquer  la  défi- 
nition que  nous  proposons  de  l'hérésie  :  une  doctrine  qui 
s'oppose  immédiatement,  directement  et  contradicloire- 
ment  à  la  vérité  révélée  par  Dieu  et  proposée  authenti- 
quemenl  comme  telle  par  l'Église.  Deux  éléments  prin- 
cipaux sont  à  retenir  dans  cette  définition  : 

Premier  élément  :  l'hérésie  s'oppose  à  la  vérité  révélée, 
immédiatement,  directement  et  contradictoirement.  — 
1 .  L'hérésie  s'oppose  à  la  vérité  révélée.  Sélection  faite 
par  l'esprit  humain  dans  le  dogme,  l'hérésie  s'attaque 
nécessairement  aux  vérités  explicitement  ou  implici- 
tement, mais  formellement  révélées.  Voir  Dogme,  t.  iv, 
col.  1575;  Explicite  et  Implicite,  t.  v,  col.  1869.  Sur 
la  révélation  que  suppose  la  foi,  voir  Foi,  t.  vi,  col. 
122  sq.  —  2.  Immédiatement,  c'est-à-dire  sans  le  secours 
d'un  moyen  terme.  Par  conséquent,  avec  nombre  de 
théologiens  et,  en  parliculier,  avec  l'école  thomiste, 
voir  Molina,  In  I3'"  Sum.  thcol. ,  disp.  I  et  II,  a.  1  ; 
Salmanticenses,  De  fide,  disp.  I,  dub.  iv,  §  4  ;  Kilber 
(Wirceburgenses),  De  virtutibus  theol.,  disp.  II,  c.  i, 
a.  3;  Montagne,  De  censuris  seu  notis  theologicis,  a.  2, 
§  1,  dans  Migne,  Cursus  theol. ,  t.  i,  col.  1147  sq.  ; 
Mazzella,  De  virtutibus  infusis,  n.  458;  Hurter,  Me- 
dulla  thcologiœ  dogmaticœ,  n.  409;  Billot,  De  Ecclesia, 
q.  x,  th.  xvin,  §  2;  Van  Noort,  De  jonlibus  revelationis, 
n.  196;  cf.  C.  Pesch,  Compcndium  thcologiœ,  t.  m, 
n.  376,  on  doit  refuser  de  voir  une  hérésie  dans  la  néga- 
tion d'une  vérité  qui  n'est  que  virtuellement  révélée, 
c'est-à-dire  d'une  simple  conclusion  thêologique, 
déduite  d'une  vérité  formellement  révélée,  même  si 
cette  conclusion  paraît  évidente  (thèse  soutenue  par 
M.  Cano,  De  locis,  1.  VI,  c.  vin,  n.  10,  et  par  Vasquez, 
In  I:n"  Sum.  theol.,  disp.  V,  c.  m),  même  si  cette  con- 


clusion est  définie  par  l'Église  (thèse  de  Suarez,  De  fide, 
disp.  III,  sect.  xi,  n.  11,  reprise  par  De  Lugo,  De  fide, 
disp.  I,  sect.  xm,  n.  261  ;  par  S.  Alphonse  de  Liguori, 
Theologia  moralis,  1.  I,  tr.  II,  n.  104;  par  Schifïini,  De 
virtutibus,  Fribourg-en-Brisgau,  1904,  sect.  iv.th.  xvm, 
n.  127;  par  Wilmers,  De  Christi  Ecclesia,  Ratisbonne, 
1897, 1.  IV,  c.  iv,  a.  2,  scholion  ;  par  Bouquillon,  op.  cit.,. 
n.  216,  etc.).  La  raison  de  notre  choix  est  claire  :  une 
définition  de  l'Église  ne  peut  changer  la  nature  des 
vérités  niées  par  l'hérésie  et  ne  peut  faire  que  ces 
vérités  soient  révélées,  lorsqu'elles  sont  de  simples 
conclusions  théologiques  s'imposant  à  notre  adhésion 
par  la  foi  ecclésiastique  et  non  par  la  foi  divine.  Voir 
Dogme,  t.  iv,  col.  1576.  Il  faut  observer  cependant 
que  l'opinion  rejetée  peut  s'entendre  en  ce  sens  que 
la  négation  d'une  vérité  virtuellement  révélée  pourrait 
conduire  logiquement  à  l'héiésie,  si  on  voulait  la 
pousser  à  sa  conséquence  dernière,  ou  encore  qu'elle 
pourrait  comporter  une  hérésie  concomitante.  Voir  plus 
bas,  même  col.  De  plus,  certains  auteurs  admettent 
que  l'hérésie  peut  exister  à  l'égard  de  ce  qu'ils 
appellent  l'objet  de  la  foi  médiate.  Cf.  Suarez,  loc. 
cit.,  disp.  XIX,  sect.  n,  n.  8,  citant  Corduba, 
Quœslionarium  theologicum,  Venise,  1604,  1.  I,  q.  xvn. 
Avant  de  rejeter  leur  manière  de  voir,  il  faut  s'assurer 
si  l'expression  foi  médiate  ne  s'applique  pas,  dans  leur 
pensée,  aux  vérités  formellement  quoique  implicite- 
ment révélées.  Suarez,  loc.  cit.,  n.  10.  L'âme  intellective 
est  la  forme  du  corps  humain,  voilà  une  vérité  impli- 
citement mais  formellement  révélée;  voir  Forme  du 
corps  humain,  col.  551  ;  c'est  donc  à  bon  droit  que  la 
doctrine  de  J.  P.  Olivi  a  été  qualifiée  d'hérésie  par  les 
inquisiteurs,  le  P.  Bernard  de  Côme,  Eymeric,  Pegna, 
Albertini,  Alphonse  de  Castro,  Ferraris,  que  cite 
M.  Garzend,  L'Inquisition  et  l'hérésie,  Paris,  1913, 
p.  130  sq.,  leur  reprochant  à  tort  d'avoir  fait  d'une 
vérité  de  foi  ecclésiastique  une  vérité  de  foi  divine.  — 
3.  Directement,  c'est-à-dire  qu'il  ne  suffit  pas  d'une 
connexion  étroite  entre  un  dogme  et  une  vérité  reli- 
gieuse ou  un  fait  dogmatique,  voir  Dogme,  t.  iv,. 
col.  1576;  Église,  col.  2188,  nécessaires  à  la  conserva- 
tion ou  à  la  proposition  de  ce  dogme,  pour  que  la 
négation  de  cette  vérité  religieuse  ou  de  ce  fait  dogma- 
tique constitue  une  hérésie.  La  proposition  qui  nierait, 
par  exemple,  la  convenance  du  terme  transsubstantia- 
tion, convenance  d'ailleurs  définie  au  concile  de  Trente, 
sess.  XIII,  can.  2,  ou  encore  l'authenticité  de  la  Vul- 
gate,  sess.  IV,  ne  serait  pas,  par  là  même,  hérétique. 
Ces  deux  vérités,  en  effet,  ne  sont  pas  révélées  et  ne  se 
rapportent  au  dogme  qu'indirectement;  la  définition 
de  l'Église  ne  peut  pas  en  changer  la  nature.  Sans 
doute,  en  niant  une  vérité  virtuellement  révélée  et 
définie  par  l'Église  ou  encore  un  fait  dogmatique,  on> 
nie  indirectement  l'infaillibilité  de  l'Église  par  rapport 
à  ces  objets  secondaires  de  son  magistère.  Mais  l'infail- 
libilité, en  tant  qu'elle  s'étend  à  l'objet  secondaire, 
n'est  pas  encore  proposée  comme  une  vérité  révélée, 
quoiqu'elle  soit  considérée  comme  une  vérité  proche  de 
la  foi  ou  tout  au  moins  théologiquement  certaine,  voir 
Église,  t.  iv,  col.  2184  sq.  ;  deviendrait-elle  un  jour 
vérité  définie  de  foi  divine  et  catholique,  il  ne  s'en- 
suivrait pas  encore  que  nier  une  conclusion  théolo- 
gique, un  fait  dogmatique,  même  définis  par  l'Église, 
constituerait  en  sol  une  hérésie;  cette  négation  compor- 
terait simplement  une  hérésie  concomitante,  à  savoir 
le  rejet  de  l'infaillibilité  de  l'Église  quant  à  l'objet 
secondaire  de  son  magistère.  Cf.  Billot,  loc.  cit.,  ad  2UI". 
Les  mêmes  remarques  s'appliquent  à  toute  doctrine  qui 
nierait  la  convenance  des  censures  doctrinales  infligées 
par  l'Église,  sauf  en  ce  qui  concerne  la  note  d'hérésie.. 
En  décrétant  le  caractère  hérétique  d'une  proposition,. 
l'Église,  en  effet,  définit  par  le  fait  même  la  vérité  de  la 
proposition   contradictoire  :    definiendo   propositionem> 


2213 


HÉRÉSIE.    HÉRÉTIQUE 


2214 


esse  hsercticam,  non  excurrit  Ecclesia  extra  ordinem 
formaliter  revelalorum ;  cum  enim  affirmalio  posilivi 
et  negalio  contradictorii  inler  se  converlantur,  semper 
proponitur  ipsa  a  Deo  revelata  veritas,  sive  sub  forma 
canonis  quo  exhibetur  id  quod  est  a  Deo  dietum,  sive  sub 
forma  censurée  qua  notatur  id  quod  est  contradictorie  ei 
opposilum.  Billot,  De  Ecclesia,  q.  x,  th.  xvn,  §  2.  Donc 
nier  la  convenance  d'une  note  d'hérésie  infligée  par 
l'Église,  c'est  formellement  commettre  une  hérésie, 
parce  que  cette  négation  s'oppose  directement  au 
dogme  défini  contradictoirement  par  la  censure  infli- 
gée. —  4.  Contradictoirement.  Certains  auteurs,  Salman- 
ticenses,  De  fuie,  disp.  IX,  dub.  iv,  n.  43;  Kilber 
(Wirceburgences),  De  fide  theol.,  n.  226;  Jansen, 
Prœlectiones  theologiœ  fundamentalis,  §  130,  n.  2; 
Franzelin,  De  divina  traditionc,  th.  xn,  scholion  m, 
p.  158;  Mazzella,  op.  cit.,  n.  458;  Van  Noort,  op.  cit., 
n.  259;  cf.  Censures  doctrinales,  t.  n,  col.  2105, 
disent  que  toute  doctrine  s'opposant  contrairement  ou 
contradictoirement  à  la  vérité  révélée  est  hérétique. 
Vacant,  Études  théologiques  sur  les  constitutions  du 
concile  du  Vatican,  t.  n,  n.  619;  Billot,  loc.  cit.,  et  De 
virtutibus  infusis,  th.  xm,  §  2,  note,  ne  parlent  que 
d'opposition  de  contradiction.  D'autres  auteurs  enfin, 
Hurter,  loc.  cit.  ;  C.  Pesch,  Prœlectiones  dogmaticœ,  t.  i, 
n.  557,  ne  parlent  que  d'opposition,  sans  spécifier  s'il 
s'agit  de  contrariété  ou  de  contradiction.  On  doit 
préférer  la  façon  de  parler  de  Vacant  et  de  Billot, 
quoique  le  langage  des  autres  auteurs  puisse  facile- 
ment s'expliquer.  On  a  rappelé,  en  effet,  que  l'Église, 
par  là  même  qu'elle  inflige  la  note  d'hérésie  à  une  doc- 
trine, définit  ipso  facto  une  vérité  de  foi  divine  et 
catholique.  Or,  cela  n'est  possible  qu'à  la  condition 
que  cette  vérité  soit  strictement  la  contradictoire  de  la 
proposition  condamnée,  en  vertu  de  ce  principe  de 
logique  :  Opposilio  contraria...  est  Ma  quœ  répugnât  in 
verilate,  non  tamen  in  falsilale,  ita  ut  dum  contrariée 
nunquam  possinl  simul  esse  veree,  bene  tamen  simul 
laisse.  Jean  de  Saint-Thomas,  Cursus  philosophicus, 
1. 1,  Summularium,  1.  II,  c.  xvi.  Si  donc  la  définition  de 
l'Église  porte  sur  une  vérité  révélée  qu'elle  propose 
comme  telle  à  la  croyance  des  fidèles,  les  propositions 
contraires  et  contradictoires  seront  nécessairement 
fausses  et  hérétiques;  exemple,  cette  vérité  :  le  Christ 
est  homme-Dieu  étant  de  foi,  seront  hérétiques  non 
seulement  la  contradictoire  :  le  Christ  n'est  pas  homme- 
Dieu,  mais  encore  les  contraires  :  le  Christ  est  un  pur 
homme,  le  Christ  est  un  ange.  Tel  est  le  point  de  vue  de 
Franzelin,  Mazzella,  etc.  Mais  si  la  définition  de  l'Église 
porte  sur  le  caractère  hérétique  d'une  proposition, 
par  exemple,  de  celle-ci  :  le  Christ  est  un  pur  homme, 
seule  la  contradictoire  sera  nécessairement  vraie  : 
le  Christ  n'est  pas  un  pur  homme;  les  contraires  pour- 
ront être  simultanément  fausses  :  le  Christ  est  un  pur 
esprit,  le  Christ  est  à  la  fois  ange  et  homme,  etc.  Cf. 
Mazzella,  loc.  cit. 

Ce  premier  caractère  de  l'hérésie-doctrine  n'est  pas 
contredit  par  saint  Thomas,  lequel,  Sum.  theol,  IP 
II*,  q.  xi,  a.  2,  aflirme  que  l'hérésie  peut  exister  de 
deux  façons  :  directement  et  principalement,  lorsqu'une 
doctrine  s'oppose  à  un  article  de  foi:  indirectement  et 
accessoirement,  lorsque  de  la  vérité  niée  découle  la 
corruption  d'un  article  de  foi.  Dans  cette  matière  acces- 
soire de  l'hérésie,  il  ne  s'agit,  en  effet,  ni  de  conclusions 
théologiques,  ni  de  faits  dogmatiques,  mais  de  vérités 
qui,  n'appartenant  pas,  en  soi,  à  la  foi  et  aux  mœurs, 
sont  néanmoins  objet  de  foi  accidentellement,  en  raison 
de  l'Écriture  inspirée  dont  elles  font  partie;  les  nier 
reviendrait  à  nier  le  dogme  de  l'inspiration.  Saint 
Thomas  s'explique  lui-même  clairement  à  ce  sujet, 
Sum.  theol.,  IP  IP,  q.  i,  a.  6,  ad  lum;  q.  Il,  a.  5; 
In  IV  Sent.,  1.  IV,  dist.  XIII,  q.  n,  a.  1,  ad  6U"';  In 
Episl.  I  ad  Cor.,  c.  xi,  lect.  iv;  cf.  Billot,  De  virtutibus 


infusis,  th.  x,  §  3,  et  Dogme,  t.  iv,  col.  1596-1597.  Le 
caractère  formel  de  l'hérésie,  quelle  qu'en  soit  la  ma- 
tière, reste  donc  toujours  le  même,  c'est  l'opposition  a 
une  vérité  révélée.  Cf.  Suarez,  .De  fuie,  disp.  XIX,  sect.  n 
n.  6,  7. 

Il  ne  faut  également  pas  trouver  d'opposition  entre 
la  notion  théologique  de  l'hérésie,  telle  qu'elle  vient 
d'être  exposée,  et  la  façon  de  parler  de  certains  inqui- 
siteurs et  canonistes  qui  semblent  admettre  plusieurs 
sortes  ou  plusieurs  degrés  d'hérésie.  Cf.  Suarez,  loc.  cit., 
n.  6  sq.,  et  Salmanticenses,  op.  cit.,  n.  44.  Torquemada, 
Summa  de  Ecclesia,  Venise,  1561, 1.  IV,  part.  II,  c.  vm, 
distingue  sept  sortes  de  propositions  de  foi,  donc  sept 
sortes  d'hérésies.  Melchior  Cano  ramène  à  huit  les 
règles  de  la  foi  dans  son  De  locis,  1.  XII,  c.  vm.  On 
trouve  des  expressions  analogues  chez  Pegna,  dans  ses 
scolies  au  Direclorium  inquisitorum,  part.  II,  comm. 
26,  27,  q.  ii  et  m;  chez  Alberghini,  Manuale  qualifi- 
calorum  SS.  Inquisilionis,  Palerme,  1642,  c.  xm  ; 
chez  A.  de  Castro,  De  jusla  hœreticorum  punitione,  1.  I, 
c.  iv  ;  chez  Simanca,-De  calholicis  institutionibus,  tit.  liv. 
M.  Garzend,  op.  cit.,  c.  vi,  a  beaucoup  insisté  sur  la 
façon  de  parler  des  inquisiteurs  pour  établir  sa  thèse 
fondamentale  de  la  distinction  théorique  de  l'hérésie 
théologique  et  de  l'hérésie  inquisiloriale.  A  notre  avis, 
c'est  à  tort.  Une  simple  remarque  de  Suarez,  à  qui  cette 
façon  de  parler  n'avait  pas  échappé,  loc.  cit.,  n.  7,  éclaire 
tout  le  problème  et  la  portée  de  la  terminologie  inquiti- 
toriale  :Verumtamen,  licet heec doclrina recte  explicata 
majori  ex  parle  vera  sit  et  ad  explicandam  diversam 
gravilatem  in  peccato  hœresisconferrcpossil,nihilominus, 
îi  m  m  aliter  loquendo,  de  proposilione  hœretica  quoad 
gradum  falsilalis  ejus,  existimo  in  eo  non  distingui  plures 
gradus  secundum  magis  et  minus,  ut  ita  dicam,  sed 
omnem  proposilioncm  heereticam  esse  œque  falsam  et 
heerelicam.  Bien  interprétée,  la  doctrine  des  inquisiteurs 
est  en  grande  partie  vraie;  laissant  de  côté  lès  exagé- 
rations et  les  erreurs  de  détail  toujours  possibles,  les 
distinctions  introduites  restent  fondées.  Autre  chose, 
en  effet,  est,  dans  l'hérésie,  l'opposition  à  la  foi  —  ce 
qui  en  constitue  l'élément  formel,  toujours  et  partout 
le  même  —  autre  chose  est  le  moyen  par  lequel  on  peut 
découvrir  cette  opposition,  moyen  qui  varie  selon  les 
cas.  Les  distinctions  introduites  correspondent  aux 
différents  moyens  par  lesquels  nous  prenons  connais- 
sance de  la  vérité  révélée  :  les  lieux  théologiques,  redi- 
sons-le, ne  sont  pas  les  sources  du  donné  révélé,  comme 
paraît  le  supposer  M.  Garzend,  mais  les  sources  d'argu- 
mentation qui  aident  à  le  découvrir.  Voir  Fondamen- 
tale (Théologie),  t.  vi,  col.  523.  Plus  le  moyen  de 
connaissance  fait  atteindre  facilement  le  donné  révélé, 
plus  grave  est  la  faute  que  doit  juger  l'inquisiteur:  cela 
ne  veut  pas  dire  qu'il  y  ait  des  degrés  ou  des  espèces 
différentes  d'hérésie. 

Deuxième  élément  :  l'hérésie  s'oppose  à  la  vérité  révélée 
authentique  ment  proposée  comme  telle  par  l'Église  à  la 
croyance  des  fidèles.  —  L'hérésie,  d'après  le  concept 
général  exposé  plus  haut,  ne  s'attaque  pas  directement 
au  principe  même  de  la  révélation;  elle  ne  comporte 
directement  qu'une  corruption  du  contenu  de  la  révé- 
lation. Le  principe  de  cette  corruption  réside  en  ce 
que  l'hérésie  se  formule  à  rencontre  de  la  règle  de  foi 
instituée  par  Jésus-Christ,  comme  le  moyen  ordinaire 
qui  doit  conserver  intact  et  proposer  aux  fidèles  le 
contenu  de  la  révélation  :  aliunde  eligit  sibi  normam 
senliendi  de  rébus  fidei  et  morum.  Billot,  De  Ecclesia 
Christi,  q.  vu,  th.  xi.  Sans  doute,  l'autorité  de  l'Église 
n'entre  pas  dans  le  motif  essentiel  et  spécifique  de  la  foi 
salutaire  et  théologale,  et,  par  conséquent,  même  sans 
la  proposition  de  l'Église,  il  reste  possible  de  faire  un 
acte  de  foi  divine  et  salutaire.  Voir  Foi,  t.  vi,  col.  163- 
166.  Mais  l'enseignement  de  l'Église  est  la  règle  propo- 
sée communément  aux  hommes  et  dont  ils  ne  doivent 


2215 


HÉRÉSIE.    HÉRÉTIQUE 


2216 


pas  volontairement  s'écarter  en  matière  de  foi.  Ainsi, 
la  foi  communément  demandée  par  Dieu  aux  hommes 
est  la  foi  non  seulement  divine,  c'est-à-dire  ayant  pour 
motif  la  révélation  connue  comme  telle,  mais  encore 
catholique,  c'est-à-dire  ayant  pour  règle  l'enseignement 
de  l'Église.  Concile  du  Vatican,  sess.  III,  c.  m,  Denzin- 
ger-Bannwart.  n.  1792.  C'est  donc  à  la  foi  «  divine  et 
catholique  »  que  s'oppose  l'hérésie.  Ne  devra  en  consé- 
quence être  réputée  hérétique  que  la  doctrine  niant 
une  vérité  révélée  et  proposée  comme  telle  par  le 
magistère  infaillible  de  l'Église.  Ainsi,  les  vérités  conte- 
nues dans  la  sainte  Écriture  elle-même  doivent  être 
proposées  par  l'Église  à  la  croyance  des  fidèles,  pour 
que  leur  négation  devienne  une  hérésie  formelle.  Voir 
Dogme,  t.  iv,  col.  1596-1597.  Toutefois,  beaucoup  de 
théologiens  font  observer  que  les  vérités  clairement 
contenues  dans  la  sainte  Écriture  et  spécialement  les 
vérités  de  fait  (naissance  du  Christ  au  jour  de  Noël, 
passion,  mort,  résurrection  du  Sauveur,  etc.),  même  si 
aucune  définition  spéciale  n'est  intervenue  pour  en 
attester  le  caractère  révélé,  s'imposent  à  la  croyance 
des  fidèles  comme  de  foi  divine  et  catholique.  Par  le  fait 
même  que  l'Église  nous  propose  la  sainte  Écriture 
cemme  la  parole  même  de  Dieu,  elle  nous  atteste  le 
caractère  révélé  des  vérités  clairement  contenues  dans 
les  Livres  saints.  Cf.  Sylvius,  In  IP'"  II*,  q.  i,  a.  1; 
De  Lugo,  De  fide  disp.  XX,  sect.  u,  n.  58;  Montagne, 
De  censuris,  dans  Migne,  op.  cit.,  t.  i,  col.  1426;  Maz- 
zella,  op.  cit.,  n.  364,  note;  Van  Noort,  De  fonlibus  reve- 
lationis,  n.  207,  note. 

Re'ativement  à  la  proposition  authentique  de  l'Église, 
on  a  déjà  observé,  voir  Foi,  col.  171,  qu'il  n'est  pas 
nécessaire  qu'une  telle  proposition  soit  faite  par  le 
magistère  extraordinaire,  c'est-à-dire  par  une  défi- 
nition conciliaire  ou  ex  cathedra,  ou  encore  par  une 
condamnation  avec  la  note  d'hérésie;  l'enseignement 
explicite  du  magistère  ordinaire  et  universel  suffit 
pour  qu'une  vérité  soit  authentiquement  proposée  à 
l'adhésion  des  fidèles.  Voir  Magistère. 

De  cette  deuxième  considération,  il  ne  faut  pas  con- 
clure qu'une  doctrine  s'opposant  à  une  vérité  commu- 
nément considérée  comme  révélée,  mais  non  encore 
proposée  comme  telle  par  l'Eglise,  n'a  rien  de  commun 
avec  l'hérésie.  Cette  doctrine  est  proche  de  l'hérésie  ou 
sentant  l'hérésie,  ou  suspecte  d'hérésie.  Voir  l'explica- 
tion de  ces  termes  à  Censures  doctrinales,  t.  n, 
col.  2106. 

II.  Problème  moral  :  l'hérésie-péché. —  1°  Ma- 
tière. —  Le  péché  d'hérésie  ne  peut  avoir  pour  matière 
que  ce  qui  constitue  objectivement  l'hérésie,  c'est-à- 
dire  une  doctrine  qui  s'oppose  à  la  foi  non  seulement 
divine,  mais  encore  catholique,  la  note  caractéristique 
de  l'hérésie  étant  de  chercher  ailleurs  que  dans  le 
magistère  de  l'Église  la  règle  de  foi.  On  verra  d'ailleurs 
plus  loin  comment  le  simple  doute  volontaire  constitue 
la  même  matière  à  hérésie. 

Ce  principe  général,  qui  découle  de  la  nature  même 
de  l'hérésie-doctrine,  suffît  à  montrer  que  le  refus 
d'adhérer  à  une  vérité  révélée  par  Dieu,  et  connue  comme 
telle  par  une  de  ces  révélations  privées  auxquelles  fait 
allusion  le  concile  de  Trente,  sess.  VI,  can.  16,  ne  sau- 
rait constituer  un  péché  d'hérésie.  Il  y  a,  en  ce  cas, 
péché  d'infidélité,  parce  qu'il  y  a  faute  directe  contre  la 
foi  divine;  mais  il  n'y  a  pas  péché  d'hérésie  à  propre- 
ment parler,  puisqu'il  n'y  a  pas  révolte  contre  le 
magistère  de  l'Église.  Certains  théologiens,  cf.  Bouquil- 
lon,  op.  cit.,  n.  215,  appellent  cette  infidélité  une  «  hé- 
résie au  sens  large  »;  l'expression  est  de  nature  à 
engendrer  des  équivoques.  Sur  ce  péché  spécial  d'infi- 
délité commis  par  rapport  aux  vérités  révélées  par 
Dieu  et  proposées  à  l'intelligence  humaine  d'une  façon 
suffisante  (ainsi  s'exprime  l'annotateur  du  1er  schéma 
de  la  constitution  De  doctrina  calholica  du  concile  du 


Vatican,  voir  Colleclio  lacensis,  t.  vu,  col.  531),  mais 
en  dehors  du  magistère  de  l'Église,  on  pourra  consulter 
De  Lugo,  disp.  XX,  n.  71;  Suarez,  op.  cit.,  sect.  v, 
n.  11;  cf.  disp.  III,  sect.  x;  Schmalzgruber,  Jus  ccclc- 
siast.,  tit.  De  hœrcsi,  n.  17;  Billot,  De  virlutibus,  th.  x, 
§  1,  note;  th.  xm;  Vacant,  op.  cit.,  t.  ii,  n.  846;  Balle- 
rini-Palmieri,  Opus  thcologicum  morale,  t.  n,  n.  83. 

2°  Acte.  —  1.  Psychologie  de  l'acte  d'hérésie.  — ■  L'acte 
d'hérésie  correspond,  en  sens  contraire,  à  l'acte  de  foi. 
Or,  l'acte  de  foi  est  formellement  un  acte  de  l'intelli- 
gence, commandé  par  la  volonté.  Voir  Foi,  col.  56. 
L'analyse  de  l'acte  d'hérésie  nous  amène  donc  à  le 
concevoir  comme  un  jugement  erroné  émis  par  l'intel- 
ligence sous  l'influence  de  la  volonté. 

a)  L'acte  d'hérésie  est  un  jugement  erroné  de  l'intel- 
ligence. —  Tout  en  protestant  de  son  attachement  à 
Jésus-Christ,  tout  au  moins  par  la  profession  exté- 
rieure du  caractère  baptismal,  l'hérétique  «  corrompt  le 
dogme  ».  La  corruption  du  dogme  ne  peut  se  concevoir 
que  par  un  jugement  erroné  touchant  la  révélation. 
En  effet,  la  règle  qui  maintient  dans  la  vérité  le  juge- 
ment de  notre  esprit  en  matière  de  vérités  révélées, 
c'est  l'enseignement  infaillible  de  l'Église.  C'est  donc 
parce  que  l'intelligence  humaine  adhère  à  cet  enseigne- 
ment qu'elle  est  assurée  de  posséder,  d'une  façon  cer- 
taine et  aussi  intégrale  que  possible,  la  vérité  révélée 
par  le  Christ.  A  l'inverse,  c'est  donc  aussi  parce  qu'elle 
refuse  d'adhérer  à  cet  enseignement,  qu'elle  est  ame- 
née à  rejeter  certains  points  de  la  foi  et  à  faire  une  sé- 
lection dans  le  dépôt  de  la  révélation.  De  sorte  que, 
quelle  que  soit  l'erreur  acceptée  par  l'hérétique  en  con- 
tradiction avec  la  révélation  divine  — ■  c'est  là  l'élément 
générique,  commun  à  toute  espèce  d'infidélité  —  le 
principe  spécilique  de  cette  erreur  sera  toujours  le 
rejet  de  l'enseignement  de  l'Église,  c'est-à-dire  un 
jugement  erroné  touchant  la  règle  de  la  foi.  C'est  ce 
qu'expriment,  sous  des  formes  différentes,  les  Pères  de 
l'Église,  en  parlant  de  l'hérésie.  Voir  col.  2210.  Ce  juge- 
ment erroné  peut  se  produire  de  deux  façons  :  a.  par  la 
négation  de  certains  articles  de  foi  (et  même  de  la  tota- 
lité, pourvu  que  l'on  conserve  l'adhésion  au  Christ  par 
le  caractère  baptismal,  voir  plus  loin,  col.  2224):  «  Il  est 
manifeste  que  celui  qui  adhère  à  la  doctrine  de  l'Église 
comme  à  une  règle  infaillible  acquiesce  à  tout  ce  qu'en- 
seigne l'Église;  autrement, si,  parmi  les  vérités  ensei- 
gnées par  l'Église,  il  ne  retient  que  ce  qu'il  veut  et  dé- 
laisse ce  dont  il  ne  veut  pas,  il  n'adhère  plus  à  la  doc-  . 
trine  de  l'Église  comme  à  une  règle  infaillible,  mais  à 
son  propre  jugement.  Aussi  l'hérétique  qui  rejette  avec 
obstination  un  seul  article  de  foi  n'est  pas  disposé  à 
suivre,  sur  les  autres,  l'enseignement  de  l'Église;...  il  n'a 
donc,  en  matière  de  foi,  qu'une  opinion  humaine,  dictée 
par  sa  volonté,  »  S.  Thomas,  Sum.  theol.,  IP  II*,  q.  v, 
a.  3;  cf.  Suarez,  loc.  cit.,  sect.  v;  Becan,  De  virlutibus 
theol.,  c.  xrv,  q.  i,  n.  2;  b.  par  le  doute  volontaire  et 
délibéré  touchant  la  vérité  des  articles  de  foi.  Il  ne 
s'agit  pas  des  doutes  involontaires  qui  sont  compa- 
tibles avec  la  fermeté  de  la  foi.  Voir  Foi,  col.  97,  98  ;  cf. 
col. 281,  282,  284,  286,  287,  513.  Il  s'agit  du  doute  vo- 
lontaire et  délibéré.  Or,  on  distingue  deux  sortes  de 
doutes,  l'un  purement  négatif,  où  l'esprit  suspend  tout 
jugement,  l'autre  positif,  «  qui  ne  va  pas  sans  doute 
jusqu'à  l'acte  positif  d'affirmer,  mais  qui  l'accompagne, 
le  modifie  et  l'affaiblit.  »  Voir  Foi,  col.  92;  S.  Thomas, 
De  veritate,  q.  xiv,  a.  1.  Par  le  doute  positif,  la  certitude 
devient  simple  opinion.  L'un  et  l'autre  doute,  dès  lors 
qu'ils  sont  pleinement  délibérés,  font  perdre  la  vertu  de 
foi,  voir  Infidélité,  car  ils  s'opposent  directement  à  la 
foi  considérée  dans  un  acte  premier  et  principal  qui  est 
d'adhérer  à  toute  vérité  divinement  révélée.  Cf.  Billot, 
De  virlutibus  infusis,  th.  xxm,  xxiv,  note.  Mais  le 
doute  négatif,  suspendant  tout  jugement,  ne  comporte 
pas  encore  de  révolte  formelle  contre  la  règle  de  la  foi  et, 


2217 


HÉRÉSIE.    HÉRÉTIQUE 


2218 


en  conséquence,  ne  s'oppose  pas  directement  à  la  foi 
catholique;  il  a  sa  source  plutôt  clans  l'ignorance  de  ce 
qu'est  en  réalité  la  règle  de  la  foi  que  dans  le  rejet  de 
cette  règle;  aussi  le  doute  négatif,  pour  les  théologiens, 
constitue  plutôt  une  infidélité  négative,  qui  peut 
être,  sans  doute,  gravement  coupable,  mais  ne  consti- 
tue pas  encore  le  péché  d'hérésie.  Suarez,  De  fi.de,  disp. 
XIX,  sect.  iv,  n.  8.  Le  doute  positif,  volontaire  et  déli- 
béré, comporte  en  réalité  un  jugement  positif  et  erroné 
relativement  à  la  règle  de  la  foi  :  celui  qui  doute  positi- 
vement se  croit  en  droit,  pour  des  motifs  suggérés  par 
son  jugement  personnel,  de  ne  point  adhérer  pleine- 
ment à  une  vérité  que  le  magistère  de  l'Église  lui  pro- 
pose cependant  comme  certaine  et  révélée  par  Dieu; 
en  définitive,  il  n'adhère  donc  plus,  selon  la  remarque 
très  juste  de  saint  Thomas,  à  la  doctrine  de  l'Église 
cr  mme  à  une  règle  infaillible,  mais  à  son  propre  juge- 
ment. Et  c'est  là  la  note  caractéristique  de  l'hérésie. 
Tous  les  théologiens,  à  part  quelques-uns,  comme 
M.  Cano,  De  locis,  1.  XII,  c.  ix,  n.  4;  Sanchez,  Opus 
morale  in  prsecepla  decalogi,  1.  II,  c.  vu,  n.  12;  Malderus, 
De  virtutibus  Iheologicis,  Anvers,  1616,  q.  xi,  a.  2, 
m.  iv,  admettent  que  le  doute  positif  équivaut  à  l'hé- 
résie. Est  hœreticus  qui  affirmative  de  aliquo  arliculo 
fidei  dubilat,  hoc  est  judical  esse  dubium,  dit  saint  Al- 
phonse, Theologia  moralis,  1.  II,  tr.  I,  c.  iv,  dub.  m. 
Tout  comme  le  rejet  d'un  article  de  foi,  le  doute  positif 
repousse  la  règle  de  foi  et,  par  elle,  atteint  et  blesse  la 
révélation  elle-même  :  il  est,  en  effet,  de  l'essence  de  la 
foi  d'être  ferme  et  indubitable.  Voir  Foi,  col.  206,  207. 
Les  théologiens  et  canonistes  qui  défendent  l'opinion 
de  saint  Alphonse  sont  légion.  Cf.  Ballerini-Palmieri. 
loc.  cit.,  n.  89.  Suarez,  toc.  cit.,  n.  20,  cite  les  noms  de  ses 
principaux  devanciers  :  dans  leurs  commentaires  sur  la 
IIa  IIa>,  q.  x,  a.  5;  q.  xi,  a.  1,  Cajetan,  Pierre  d'Aragon, 
Banez  et  Grégoire  de  Valencia  ;  Gabriel  Biel,  In  I V  Sent., 
1.  IV,  dist.  XIII,  a.  1,  note  3;  1.  III,  dist.  XXIII,  q.  n, 
a.  1;  Adrien  VI,  Quœstiones  quodlibelalcs,  Lyon,  1547, 
quodl.  II,  q.  i;  A.  de  Castro,  De  justa  hœreticorum 
punitione,  1.  I,  c.  vu,  ix;  Adversus  hœreses,  1.  I,  c.  x; 
Corduba,  op.  cit.,  1.  IV,  part.  II,  c.  xn;  Tolet,  Summa, 
1.  IV,  c.  iv,  n.  3;  Azor,  Institut iones  morales,  Lyon; 
1625,  part.  1, 1.  VIII,  c.  ix,  q.  v;  Sa,  Summa,  au  mot 
Hœresis,n.  1  (la  lre  édition,  Naples,  1748,  semblait  favo- 
riser l'opinion  de  Sanchez;  la  2'  édition  corrigée,  Naples, 
1753-1755,  indique  que  l'opinion  opposée  est  communis 
sententia  quœ  tenenda  est;  cf.  S.  Alphonse,  op.  cit.,  édit. 
Gaudé,  loc.  cit.,  t.  i,  p.  310,  note).  On  peut  encore 
ajouter  Pirhing,  Jus  canonicum,  Décrétai.,)^,  tit.  vu, 4, 
Venise,  1759,  t.  iv,  p.  50;  Reilïenstuel,  Jus  canonicum, 
tit.  vu,  n.  10;  Ferraris,  op.  cit.,  au  mot  Hœreticus,  n.  4, 
14.  Le  cardinal  Billot,  De  virtutibus  infusis,  th.  xxiv, 
dit  simplement  que  la  vertu  de  foi  est  perdue  par  un 
doute  pleinement  délibéré.  Cette  doctrine  commune 
s'appuie  sur  l'enseignement  explicite  de  l'Église.  Voir 
les  Décrétâtes  de  Grégoire  IX,  c.  Dubius,  i,  X,  De  hse- 
reticis  :  dubius  in  fide  infldelis  est  (donc,  concluent  les 
théologiens,  si  le  doute  est  émis  par  un  baptise1,  il 
engendre  l'hérésie);  de  Clément  V,  c.  Firmitcr,  §  1, 
De  summa  Trinitate,  déclarant  ennemie  de  la  foi  catho- 
lique toute  doctrine...  révoquant  en  doute  la  vérité 
définie  de  l'âme  forme  du  corps  humain.  Cf.  Denzinger- 
Bannwart,  n.  481.  On  trouve  des  expressions  identiques 
dans  le  Ve  concile  de  Latran  :  Damnamus  et  reprobamus 
omnes  asserentes  animam  inlclleclivam  mortalem  esse  et 
hoc  in  dubium  verlenles,  n.  738;  dans  le  symbole  d'Atha- 
nase  :  nisi  fideliler  firmitcrque  credideril,  salvus  esse  non 
poterit,  n.  40.  Le  concile  du  Vatican,  Constitutio  de  fide 
catholica,  c.  ni,  déclare  que  les  fidèles  qui  ont  reçu  la 
foi  du  magistère  de  l'Église  ne  peuvent  jamais  avoir 
une  juste  cause  de  changer  cette  foi  ou  de  la  révoquer 
en  doute,  n.  1794;  cf.  can.  6,  n.  1815.  C'est  aussi  la  doc- 
trine des  Pères.  Saint  Augustin  déclare  qu'on  ne  peut, 


sans  pécher  contre  la  foi  catholique,  dire  :  Peut-être  le 
Christ  est  né  de  la  Vierge,  De  Trinitate,  1.  VIII,  c.  v, 
P.  L.,  t.  xlii,  col.  952;  ce  «  peut-être  »  marque  le  doute. 
De  même,  saint  Bernard  :  Fides  ambiguum  non  habet, 
et  si  habet,  fides  non  est.  De  consideralionc,  1.  V,  c.  ni, 
P.  L.,  t.  clxxxii,  col.  790.  Hugues  de  Saint- Victor  : 
Ubi  dubilalio  est,  fides  non  est.  De  sacramentis,  1.  I, 
part.  X,  c.  ii,  P.  L.,  t.  cxxxvi,  col.  327-331.  Voir  Foi, 
col.  88-98. 

Notons  que  la  distinction  établie  par  les  théologiens 
entre  doute  négatif  et  doute  positif  paraît  à  plusieurs 
bien  subtile  :  comment  concevoir  un  doute  qui  soit 
simplement  la  suspension  de  tout  jugement?  Aussi  ne 
faut-il  pas  s'étonner  d'entendre  les  moralistes  faire  la 
remarque  pratique  suivante  :  «  On  doit  observer  que,  si 
quelqu'un  suspend  son  jugement  d'une  façon  délibérée 
et  avec  pertinacité,  parce  qu'il  juge  que  les  motifs  de  ne 
pas  croire  rendent  incertaine  la  vérité  de  foi,  il  doit  être 
tenu  pour  hérétique.  Son  doute,  en  ce  cas,  est  vraiment 
positif,  à  l'égard  de  la  vérité  de  foi,  puisqu'il  juge  avec 
délibération  et  pertinacité  que  ne  sont  point  certains 
tous  les  dogmes  que  l'Église  propose  cependant  comme 
tels.  »  S.  Alphonse,  op.  cit.,  1.  VII,  c.  n,  n.  302;  cf.  De 
Lugo,  De  fide,  disp.  XX,  n.  16;  Sylvius,  In  IPm  II*, 
q.  xi,  a.  1  ;  Wigandt,  Tribunal  confessariorum  et  ordi- 
nandorum,  Venise,  1754,  tr.  VII,  n.  49;  Antoine,  Theo- 
logia moralis  universa,  Rome,  1748,  De  fide,  c.  ni,  q.  vi; 
Salmanticenses,  Cursus  moralis,  tr.  X,  De  censuris,  c.  IV, 
n.  54  sq.,  etc  Voir  S.  Alphonse,  op.  cit..  édit.  Gaudé, 
Rome,  1912,  t.  iv,   p.   428. 

Une  première  conclusion  à  tirer  de  cette  doctrine, 
c'est  que,  lorsque  le  jugement  erroné  ne  porte  pas  sur 
la  règle  de  la  foi,  mais,  l'adhésion  à  cette  règle  restant 
sauve,  sur  l'objet  matériel  de  la  foi,  il  ne  saurait  plus 
être  question  d'acte  d'hérésie.  Si  un  homme  baptisé, 
tout  en  professant  explicitement  ou  implicitement  sa 
soumission  à  l'égard  du  magistère  de  l'Église,  nie  un 
article  de  foi  parce  qu'il  ignore  que  cet  article  a  été 
défini,  ou  bien  s'il  tient  pour  révélée  une  doctrine  qu'à 
tort  il  croit  proposée  comme  telle  par  l'Église,  «  il 
commet  une  simple  erreur  de  fait  sur  ce  que  commande 
la  règle  de  la  foi»,  mais  il  ne  commet  aucune  erreur  tou- 
chant la  règle  de  foi  elle-même;  il  n'y  a  donc  pas,  en  cet 
acte,  de  péché  d'hérésie.  Toutefois,  cette  erreur  de  fait 
peut  être  coupable  dans  la  mesure  ou  est  coupable 
l'ignorance  qui  en  est  la  cause.  Cf.  S.  Alphonse,  op.  cit., 
1.  II,  tr.  I,  c.  iv,  dub.  m,  n.  19;  Laymann,  Theologia 
moralis,  Venise,  1630,  1.  II,  tr.  I,  c.  xm,  n.  2;  Coninck, 
De  moralitalc,  natura  et  effectibus  actuum  supernatura- 
lium  in  génère  et  fide,  spe  ac  charitate,  Lyon,  1624,  De 
fide,  disp.  XVIII,  n.  97  sq.;  Billot,  De  virtutibus 
infusis,  th.  xxm;  De  Ecclcsia  Christi,  th.  xi.  Bouquil- 
lon,  loc.  cit.,  appelle  hœrcsis  laie  dicta  cette  erreur  de 
fait.  On  ne  peut  approuver  cette  terminologie. 

Une  seconde  conclusion  s'impose  :  en  l'absence  de 
jugement  formulé  par  l'intelligence,  il  ne  peut  y  avoir 
hérésie  proprement  dite.  Quelqu'un  qui  extérieurement 
feindrait  l'hérésie,  sus  donner  à  cette  simulation  de 
consentement  intérieur,  se  rendrait  coupable  d'un  acte 
par  ailleurs  gravement  répréhensible,  cf.  De  Lugo, 
op.  cit.,  disp.  XIV,  n.  31-44,  mais  non  d'un  acte  d'hé- 
résie. Voir  Filucci,  Quœslionum  moralium,  Lyon,  1634, 
tr.  XXII,  n.  162-163;  Lcssius,  Sanchez,  Opus  morale, 
in  prœcepta  Decalogi;  Benoît  XIV,  De  sijnodo  diœce- 
sana,  1.  IX, c.  iv,  §4;  Suarez, op.  cit.,  disp.  XIV,  sect.  vi, 
n.  4;  disp.  XXI,  sect.  n,  n.  1;  De  virtutibus  et  statu 
religiosis,  tr.  II,  1.  II,  c.  vi,  n.  20;  S.  Alphonse,  loc.  cit. 
Cf.  S.  Thomas,  Sum.  theol.,  IP  IIœ,  q.  xn,  a.  1,  ad  2U™. 

Voici  enfin  une  troisième  conclusion  :  l'homme  bap- 
tisé qui  adhère  à  une  vérit  de  foi,  croyant  que  cette 
vérité  est  condamnée  par  l'Église  comme  pronosition 
hérétique  et  qui  y  adhère  par  esprit  d'opposition  au 
magistère   de   l'Église   et   d'une   manière   consciente, 


2219 


HÉRÉSIE.    HÉRÉTIQUE 


2220 


est  formellement  hérétique.  Sans  doute,  il  ne  sera  pas 
soumis  aux  peines  qu'inflige  l'Église  aux  hérétiques 
externes,  voir  plus  loin,  col.  2245,  puisque  extérieure- 
ment et  en  fait  il  croit  ce  que  l'Église  croit  et  enseigne, 
mais  il  n'en  commet  pas  moins  réellement  un  acte  dont 
la  note  caractéristique  est  la  révolte  contre  la  règle  de 
la  foi  et  qui,  par  là  même,  devient  acte  d'hérésie. 

b)  L'acte  d'hérésie  est  un  jugement  commandé  par  la 
volonté.  —  Les  théologiens,  voir  Suarez,  De  fide,  loc. 
cit.,  sect.  m,  n.  1,  en  donnent  trois  raisons  :  a.  l'acte 
d'hérésie  s'oppose  à  l'acte  de  foi;  or,  il  est  de  l'essence 
de  l'acte  de  foi  d'être  volontaire;  donc  la  volonté  aura 
pareillement  sa  part  dans  l'acte  d'hérésie;  b.  l'hérésie 
peut  devenir  un  péché;  or,  il  n'y  a  pas  péché  sans  acte 
de  la  volonté;  c.  l'ignorance  invincible  excuse  du  péché 
d'hérésie,  précisément  parce  qu'elle  fait  que  l'hérésie 
n'est  plus  voulue  en  elle-même. 

Laissant  de  côté  la  question  du  volontaire  dans  le 
péché  d'hérésie,  il  suffît  présentement  de  considérer  les 
conditions  psychologiques  de  l'acte  d'hérésie  pour  se 
rendre  compte  que  cet  acte  est  volontaire,  en  tant  que, 
comme  on  l'a  expliqué  pour  l'acte  de  foi,  voir  Foi, 
col.  434,  le  jugement  de  l'intelligence  est  commandé  par 
la  volonté.  En  effet,  l'acte  d'hérésie  étant  formellement 
constitué  par  un  jugement  erroné  en  matière  de  foi 
divine  et  catholique,  aucun  motif  cogent  ne  peut 
exister  qui  entraîne  l'assentiment  de  l'esprit.  L'assen- 
timent de  l'esprit  ne  peut  se  produire  nécessairement 
qu'en  raison  de  l'évidence  intrinsèque  de  la  vérité  (dans 
le  cas  de  la  science)  ou,  s'il  s'agit  de  vérités  inévidentes, 
qu'en  raison  de  l'évidence  de  la  véracité  du  témoignage 
qui  les  affirme  (dans  le  cas  de  la  foi  scientifique).  Voir 
Évidence,  t.  v,  col.  1728-1729.  Or,  ni  l'évidence  de  la 
vérité,  ni  l'évidence  de  la  véracité  d'un  témoignage  ne 
peuvent  exister  à  la  base  d'un  assentiment  erroné  en 
matière  de  foi.  Quelle  que  soit  la  théorie  psychologique 
que  l'on  accepte  pour  expliquer  le  rôle  de  la  volonté 
à  l'égard  des  jugements  erronés  en  général,  il  est  donc 
trop  clair  qu'en  l'espèce,  l'assentiment  erroné  de  l'intel- 
ligence dans  l'acte  d'hérésie  requiert  l'intervention  de 
la  volonté  libre. 

Cette  intervention  n'implique  pas  nécessairement  la 
conscience  de  l'opposition  dans  laquelle  on  se  met  par 
rapport  à  la  règle  de  la  foi  catholique.  Il  est  possible 
que  cette  règle  de  la  foi  soit,  comme  telle,  complète- 
ment ignorée;  il  est  possible  que  l'hérétique  ait  des 
motifs  de  crédibilité  purement  respective  par  rapport 
à  certains  prétendus  articles  de  foi  admis  par  lui; 
il  est  possible  enfin  que  la  volonté  soit  entraînée  par  des 
motifs  subjectivement  louables  :  ces  cas  se  rencontrent 
chez  les  hérétiques  de  bonne  foi.  Nous  n'avons  pas  à 
faire  l'exposé  des  motifs  qui  peuvent  ainsi  incliner  la 
volonté;  nous  trouverions  des  motifs  variant  à  l'infini 
tout  autant  que  les  déterminations  de  la  volonté  elle- 
même,  l'opposition  à  la  règle  de  la  foi  pouvant  se 
manifester  d'une  infinité  de  manières.  Quant  à  la  règle 
choisie  en  opposition  avec  l'enseignement  de  l'Église, 
que  ce  soit  le  principe  du  libre  examen,  ou  le  principe 
des  articles  fondamentaux,  ou  le  principe  des  sept 
conciles  œcuméniques,  ou  simplement  renseignement 
des  doctrines  de  la  secte  à  laquelle  on  appartient,  peu 
importe  :  la  réalité  de  son  opposition  avec  la  véritable 
règle  de  la  foi  suffît  à  expliquer  l'acte  d'hérésie.  Mais 
c'est  la  conscience  de  cette  opposition,  si  elle  existe 
chez  l'hérétique,  qui  doit  servir  de  critérium  pour 
juger  de  la  culpabilité  de  cet  acte. 

2.  Moralité  de  l'acte  d'hérésie  :  le  péché  matériel  et  le 
péché  formel.  — ■  Lorsque  la  volonté  n'intervient  dans 
l'acte  d'hérésie  qu'à  titre  d'élément  psychologique  gé- 
nérateur de  cet  acte,  sans  qu'il  y  ait  intention  de 
s'opposer  à  la  règle  véritable  de  la  foi,  il  y  a  sans  doute 
tous  les  éléments  constitutifs  du  péché  d'hérésie,  mais 
le  péché  n'existe  pas  en  réalité,  car  la  malice,  c'est-à- 


dire  la  volonté  du  mal,  est  absente.  C'est,  appliquée  à 
l'hérésie,  la  distinction  courante  du  péché  matériel  et  du 
péché  formel.  Sur  cette  distinction,  voir  Lehmkuhl, 
Thcologia  moralis,  t.  i,  n.  220.  Pour  qu'il  y  ait  péché 
formel,  il  ne  suffît  pas  de  la  liberté  de  l'acte,  il  faut 
encore  l'advertance  de  la  malice  de  cet  acte  ou  tout  au 
moins  un  doute  sérieux  à  cet  égard.  S.  Alphonse,  op. 
cit.,  1.  V,  n.  1.  Lors  donc  que  le  jugement  erroné  de 
l'intelligence  se  produit  sans  connaissance  de  la  règle 
véritable  de  la  foi  catholique,  telle  que  l'a  instituée  le 
Christ,  il  y  a  simplement  hérésie  matérielle;  lorsqu'il  y  a 
advertance  de  l'opposition  dans  laquelle  on  se  met 
par  rapport  à  l'autorité  de  l'Église  du  Christ,  il  y  a 
hérésie  formelle  :  dividuntur  hœretici  in  formates  et 
maleriales.  Formates  Mi  sunt,  quibus  Ecclesiœ  auctori- 
tas  est  sufficienter  nota;  materiales  vero  qui  invincibili 
ignorantia  circa  ipsam  Ecclesiam  laborantes,  bona  fide 
eligunt  aliam  rcgulam  directivam.  Billot,  De  Ecclesia, 
th.  xi.  Le  péché  n'existe  donc  que  dans  l'hérésie  for- 
melle, qui  est  en  conséquence  seule  considérée  par  les 
théologiens  et  les  canonistes  comme  la  véritable  hérésie. 
C.  Dixit  apostolus,  29,  caus.  XXIV.  q.  ni;  c.  Damna- 
mus,  2,  De  summa  Trinitatc.  Cf.  Ferraris,  loc.  cit.,  n.  3. 

Ce  principe  général  est  en  lui-même  très  clair. 
Il  soulève  cependant  dans  l'application  concrète  deux 
problèmes  importants  : 

a)  Quelle  connaissance  de  l'autorité  de  l'Église  comme 
règle  de  la  foi  est  requise  pour  qu'il  y  ait  hérésie  formelle? 
—  Entre  la  connaissance  parfaite  et  l'ignorance  invin- 
cible, il  y  a  place  à  une  infinité  de  degrés.  Il  y  a,  en  effet, 
d'une  part,  plusieurs  degrés  possibles  de  connaissance, 
et,  d'autre  part,  plusieurs  degrés  d'ignorance  invincible 
ou  coupable. 

a.  Sous  son  premier  aspect,  à  savoir  la  possibilité  de 
plusieurs  degrés  de  connaissance,  le  problème  est  ré- 
solu, en  substance,  par  Suarez,  loc.  cit.,  sect.  m,  n.  14, 
de  la  manière  suivante  :  il  n'est  pas  nécessaire  que 
l'hérétique  soit  persuadé  et  croie  que  l'Église  catho- 
lique a  une  autorité  doctrinale  telle  qu'il  faille  s'y  sou- 
mettre comme  à  une  règle  infaillible  en  matière  de  foi; 
il  suffît  qu'il  connaisse  l'existence  de  l'Église  catho- 
lique, et  qu'on  lui  ait  proposé  cette  Église  comme 
étant  la  vraie  Église  du  Christ.  D'ailleurs,  il  possède  sur 
elle  le  témoignage  des  Écritures  :  ainsi,  il  sait  que 
l'Église  catholique  est  une  autorité  doctrinale,  qu'elle 
entend  obliger  les  hommes  à  croire  ce  qu'elle  enseigne, 
qu'elle  prétend,  par  cet  enseignement,  proposer  aux 
hommes  la  vérité.  Il  est  donc  tenu,  sous  peine  d'hérésie 
formelle,  ou  de  s'y  soumettre  ou  tout  au  moins  de  ne 
pas  se  refuser  à  chercher  quel  est  son  devoir  vis-à-vis 

•  d'elle. 

b.  Pour  empêcher  l'hérétique  d'adhérer  à  la  véri- 
table règle  de  la  foi,  il  peut  se  rencontrer,  en  son  esprit, 
de  graves  préjugés,  provenant  d'une  ignorance  plus  ou 
moins  vincible;  c'est  là  le  second  aspect  du  problème. 
Quelle  ignorance  excuse  de  l'hérésie  formelle?  Il  ne 
saurait  être  question  d'ignorance  invincible,  car  l'igno- 
rance invincible,  ôtant  toute  malice  à  l'acte  qui  en 
procède,  lui  enlève  a  fortiori  le  caractère  d'hérésie 
formelle.  Rappelons  tout  d'abord  les  principes  : 
l'ignorance  vincible  est  celle  qui  peut  être  chassée  de 
notre  intelligence,  moyennant  un  certain  effort.  Elle 
peut  être  affectée,  si  on  la  cherche  pour  elle-même,  dans 
la  crainte  d'être  gêné  par  la  connaissance  de  la  vérité; 
non  affectée,  si  on  reste  dans  l'erreur,  par  simple  crainte 
de  l'effort  nécessaire  pour  en  sortir,  par  suite 
d'autres  occupations  ou  obligations,  etc.  L'ignorance  non 
affectée  est  crasse,  si  on  ne  fait  absolument  aucun 
effort  pour  en  sortir;  elle  est  simplement  vincible,  si  l'on 
fait  quelque  effort,  mais  insuffisant.  —  a.  Les  théolo- 
giens et  canorristes  sont  généralement  d'accord  pour 
dire  que  l'ignorance  vincible  non  affectée,  par  consé- 
quent même  crasse,  excuse  de  l'hérésie  formelle.  Voir 


2221 


HÉRÉSIE.    HÉRÉTIQUE 


2222 


Salmanticenses,  Cursus  thcologiee  moralis,  tr.  X,  c.  iv, 
n.  50;  Tolet,  Summa,  1.  IV,  c.  ni,  n.  4;  Sanchez,  Opus 
morale,  1.  II,  c.  vu,  n.  19-20 ;Bonacina,  Opéra  de  morali 
theologia,  Venise,  1683,  De  censuris,  disp.  II,  q.  v,  p.  i, 
n.  6;  Azor,  Instituliones  morales,  Lyon,  1625,  part.  I, 
1.  VIII,  c.  xix,  q.  vu;  Sayrus,  Clavis  regia,  Venise, 
1605,  1.  II,  c.  ix,  n,  34,  qui,  dans  sa  Praxis  de  censuris 
ecclesiasticis,  Venise,  1627,  1.  III,  c.  iv,  n.  15,  a  émis 
cependant,  relativement  à  l'ignorance  crasse,  un  senti- 
ment opposé.  Il  faut  noter  toutefois,  avec  Suarez, 
loc.  cit.,  n.  3,  que  quelques  théologiens  n'admettent  pas 
l'excuse  de  l'ignorance,  même  simplement  vincible. 
Suarez  cite  Soto,  In  IV  Sent,  1.  IV,  dist.  XXII,  q.  n, 
a.  3;  L.  Lopez,  Instruciorium  conscienliœ,  part.  II, 
c.  xx,  tit.  De  excommunicationibus  reservalis  in  bulla 
Ccense,  cas.  1.  —  p.-  En  ce  qui  concerne  l'ignorance 
affectée,  plusieurs  théologiens  enseignent  qu'elle 
n'excuse  pas  de  l'hérésie  formelle,  Cano,  De  locis, 
1.  XII,  c.  vin;  Grégoire  de  Valencia,  In  II"'"  77œ  Sum. 
theol,  q.  xi,  a.  1;  Navarre,  De  ablatorum  restitulione, 
Brescia,  1606, 1.  II,  c.  iv,  n.  208,  et,  parmi  les  modernes, 
l'auteur  anonyme  (M.  Icard)  des  Prœlectiones  juris 
canonici  de  Saint-Sulpice,  t.  ni,  n.  720,  ad  2unl.  Mais 
la  plupart  des  théologiens  et  canonistes  enseignent  que 
même  l'ignorance  affectée  excuse  du  péché  d'hérésie 
formelle  (ce  qui  ne  signifie  pas  qu'elle  excuse  de  tout 
péché  :  le  péché  reste  proportionné  à  la  culpabilité  de 
l'ignorance  elle-même  et  c'est  là  ce  qui  différencie  les 
hérétiques  matériels  qui  sont  dans  l'ignorance  vincible 
de  ceux  qui  sont  dans  l'ignorance  invincible  et,  partant, 
n'ont  aucune  faute  à  se  reprocher).  Voir  Castropalao, 
Opus  morale,  Venise,  1721,  tr.  IV,  disp.  III,  p.  n,  n.  3; 
Azor,  loc.  cit.,  q.  vm;  Pierre  d'Aragon,  In  IIam  II&, 
Sum.  theol.,  Salamanque,  1584,  q.  xi,  a.  1  ;  Farinacci, 
loc.  cit.,  n.  52;  Salmanticenses,  loc.  cit.,  n.  52;  Coninck, 
op.  cit.,  disp.  XVIII,  sect.  ni,  n.  18;  Suarez,  loc.  cit., 
n.  18;  Banez,  In  77am  77®  Sum.  theol,  q.  xi,  a.  2. 
Ces  trois  derniers  auteurs  apportent  une  restriction  à 
leur  opinion  :  l'ignorance  affectée  excuse  du  péché 
formel  d'hérésie  à  condition  que  le  sujet  soit  prêt  à  obéir 
s'il  venait  à  connaître  la  vérité.  Comment  concilier 
psychologiquement  l'ignorance  affectée  avec  une  telle 
disposition,  c'est  ce  qui  semble  à  Banez  à  peine  pos- 
sible. Parmi  les  modernes,  voir  Scavini,  Theologia 
moralis  universa,  Paris,  1853,  t.  ni,  p.  247;  cf.  p.  283; 
Ballerini-Palmieri,  loc.  cit.,  n.  82;  Mazzella,  De  virtuli- 
bus  injusis,  n.  231.  Suarez  ajoute  une  remarque  im- 
portante pour  l'interprétation  exacte  de  saint  Thomas, 
■Quodl.  III,  a.  10.  Cf.  Tolet,  Summa,  1.  I,  c.  xix,  n.  2. 
Saint  Thomas  semble  affirmer  que  l'ignorance  n'excuse 
pas  en  matière  d'hérésie  :  rappelant  la  distinction  for- 
mulée par  saint  Thomas  lui-même,  Sum.  theol.,  P  II*, 
q.  vi,  a.  8,  entre  l'ignorance  antécédente  qui  est  cause  de 
l'acte  en  soi  répréhensible  et  l'ignorance  concomitante 
qui  n'a  pas  d'influence  sur  les  actions  et  les  dispositions 
du  pécheur,  lequel,  même  instruit  de  son  devoir,  accom- 
plirait néanmoins  l'acte  répréhensible,  Suarez,  loc.  cit., 
n.  16-18,  explique  que  l'hérésie  formelle  est  excusée, 
même  d'après  saint  Thomas,  par  l'ignorance  antécé- 
dente dont  elle  est  l'effet,  quelle  que  soit  la  nature  de 
cette  ignorance,  fût-elle  l'ignorance  affectée,  mais 
•qu'elle  n'est  pas  excusée  par  l'ignorance  concomitante. 
L'esprit  de  révolte  contre  le  magistère  de  l'Église, 
élément  formel  de  l'hérésie,  existe,  en  effet,  dans  le  cas 
de  l'ignorance  concomitante  de  l'acte  d'hérésie.  Cf. 
Dolhagaray,  Commentaire  de  la  bulle  Apostolicee  sedis, 
dans  la  Revue  des  sciences  ecclésiastiques,  t.  Lin,  p.  511- 
519. 

Par  tout  ce  qui  précède,  on  peut  conclure  qu'en  soi, 
l'hérésie  formelle  et  l'apostasie  ne  diffèrent  pas  spé- 
cifiquement entre  elles.  Voir  Apostasie,  1. 1,  col.  1603. 
On  ne  peut,  en  effet,  concevoir  l'hérésie  formelle  que 
chez  celui  qui  a  reconnu  ou  tout  au  moins  soupçonné 


que  la  règle  de  la  foi  véritable  se  trouve  dans  le  ma- 
gistère de  l'Église  catholique  et  qui  délibérément  a 
voulu  s'en  écarter.  Toutefois,  envisagées  dans  leurs 
sujets,  l'hérésie  et  l'apostasie  diffèrent  notablement: 
on  ne  conçoit,  comme  capable  d'apostasie,  que  le  sujet 
baptisé  qui  a  publiquement  fait  profession  d'obéissance 
à  l'Église  catholique,  voir  Apostasie,  t.  I,  col.  1603; 
on  peut  concevoir  comme  capable  d'hérésie  formelle 
un  sujet  baptisé  dans  une  secte  hérétique,  lequel,  ament 
par  la  réflexion,  l'étude,  la  prédication  des  autres,  la 
grâce  de  Dieu  à  une  certaine  connaissance  de  la  véri- 
table règle  de  la  foi,  refuse  cependant  de  s'y  soumettre 
Le  premier,  renonçant  à  l'obéissance  qu'il  avait  publi- 
quement promise  à  l'Église,  règle  de  la  foi,  apparaît 
extérieurement  comme  coupable  d'une  défection  totale, 
S.  Thomas,  Sum.  theol.,  IP  n»,  q#  Xn,  a.  1;  De  Lugo, 
De  fide,  disp.  XVIII,  n.  95;  le  second,  n'ayant  jamais 
accepté  le  magistère  de  l'Église,  semble  ne  commettre, 
à  l'égard  de  la  règle  de  foi,  qu'une  révolte  partielle 
contre  tel  ou  tel  enseignement  dogmatique.  Au  fond, 
la  malice  de  l'un  et  de  l'autre  péché  est  identique. 
b)  Quel  acte  de  révolte  requiert  l'hérésie  formelle?  — 
L'acte  d'hérésie  étant  un  jugement  erroné  de  l'intel- 
ligence, il  suffit  donc,  pour  commettre  le  péché  d'hé- 
résie, d'émettre  sciemment  et  volontairement  ce  juge- 
ment erroné,  en  opposition  avec  l'enseignement  du 
magistère  de  l'Église.  Dès  l'instant  qu'on  connaît 
suffisamment  l'existence  de  la  règle  de  la  foi  dans 
l'Église  et  que,  sur  un  point  quelconque,  pour  un  motif 
quelconque  et  sous  n'importe  quelle  forme,  on  refuse 
de  s'y  soumettre,  l'hérésie  formelle  est  consommée. 
Cf.  Thomas,  Sum.  theol.,  Ia,q.xxxn,a.4;IP  II»,  q.xi, 
a.  2,  ad  3"™,  et  les  commentateurs  de  ce  dernier  texte, 
Cajetan,  Banez,  P.  d'Aragon;  Alexandre  de  Aies, 
Summa,  part.  II,  q.  clxi,  m. i;  Gabriel  Biel,  In  IV  Sent., 
1.  IV,  dist.  XIII,  q.  n,  a.  1,3;  Durand  de  Saint-Pour- 
çain,  ibid.,  q.  v,  a.  6;  Pierre  de  la  Palu,  ibid.,  q.  m, 
a.  1,  n.  3;  A.  de  Castro,  De  justa  hœreticorum  punitione, 
1.  I,  c.  i,  ix ;  1.  II,  c.  cxvm;  Corduba,  op.  cit.,  1.  I, 
q.  xvn,  §  7;  Vasquez,  In  7am  77œ  Sum.  theol,  disp. 
CXXVI,  c.  m,  n.  9;  Driedo,  De  liberlale  christiana, 
Louvain,  1546,  c.  xiv;  Sanchez,  op.  cit.,  1.  II,  c.  vu, 
n.  2  sq.;  Suarez,  loc.  cit.,  n.  8;  Laymann,  Theologia 
moralis,  Venise,  1630, 1.  II,  tr.  I,  c.  xm,  n.  1;  Coninck, 
op.  cit.,  De  fide,  disp.  XVIII,  dub.  vu,  n.  79,  etc.  Cette 
opposition  voulue  au  magistère  de  l'Église  constitue 
la  perlinacité,  que  les  auteurs  requièrent  pour  qu'il  y 
ait  péché  d'hérésie.  S.  Alphonse,  op.  cit.,  1.  II,  tr.  I, 
c.  iv,  dub.  iv,  n.  19.  Il  faut  observer  avec  Cajetan' 
In  77am  77*,  q.  xi,  a.  2,  et  Suarez,  loc.  cit.,  n.  8,  que  cette 
pertinacité  n'inclut  pas  nécessairement  une  longue 
obstination  de  la  part  de  l'hérétique  et  des  monitions 
de  la  part  de  l'Église.  Autre  est  la  condition  du  péché 
d'hérésie,  autre  est  celle  du  délit,  punissable  par  les  lois 
canoniques,  et  il  est  très  important  d'en  faire  ici  la 
remarque,  afin  de  conserver,  nonobstant  les  exigences 
d'une  prudente  procédure,  la  vraie  notion  théologique 
du  péché  d'hérésie,  notion  acceptée  par  tous  les  théo- 
logiens et  inquisiteurs,  à  l'exception  peut-être  du  seul 
juriste  Alciato,  dans  ses  gloses  sur  la  clémentine  De 
summa  Trinitate.  Citons  le  texte  de  Cajetan  :  Pertina- 
cia  quœ  ponitur  de  ralione  hœreseos  non  importai  obdu- 
rationem  scu  obslinationem,  ut  distinguitur  contra 
infirmitatem,  passionem  et  transitorium  consensum, 
sicut  dicimus  aliquem  fornicari  ex  passione  vel  ex  choiera 
consensisse  in  malum  aliquod,  et  non  pertinaciter.  Sed 
sumilur  pertinaciter,  ut  .equi  valet  vero  consensui. 
prsesupposita  nolitia  quod  sit  error  et  quod  sil  in  fide. 
Sive  enim  a  passione,  sive  ex  quacumque  alia  causa  per- 
veniatur  ad  verum  consensum  inassensum  propositionis 
contrarias  fidei,  cum  cognitione  quod  sit  contraria  fidei 
vera  hseresis  incurritur  a  christiano.  Nam  lalis  ver'e 
pertinax  pro  tune  est.  Quand  l'hérésie  n'apparaît  qu'in- 


2223 


HÉRÉSIE.    HÉRÉTIQUE 


2224 


directement,  voir  col.  2212,  il  faut  évidemment 
montrer  à  l'hérétique  la  conséquence  de  ses  affirma- 
tions avant  de  pouvoir  le  taxer  de  pertinacité:  cf. 
S.  Thomas,  In  Epist.  S.  Paulil  ad  Cor.,  c.  xi,  lect.  iv; 
mais  la  monition  de  l'évêque  n'est  pas  suffisante  dans 
tous  les  cas  pour  provoquer,  au  for  interne,  la  pertina- 
cité, cf.  Suarez,  loc.  cit.,  n.  20,  quoiqu'au  for  externe 
elle  crée  une  présomption.  Ibid.,  n.  21. 

La  pertinacité  est  indiquée  comme  une  des  condi- 
tions de  l'hérésie  par  les  documents  ecclésiastiques. 
Voir  cap.  unie,  §  1,  De  summa  Trinitate,  I,  i,  dans  les 
Clémentines;  cap.  unie,  §  2,  De  usur.,  V,  v,  ibid., 
Denzinger-Bannwart,  n.  481, 479,  où  le  mot  perlinacia 
est  accolé  à  la  note  d'hérésie;  IVe  concile  de  Latran, 
n.  433,  où  l'abbé  Joachim  voit  sa  doctrine  condamnée 
comme  hérétique,  mais  est  absous  du  péché  d'hérésie, 
parce  qu'il  soumet  ses  écrits  au  jugement  de  l'Église: 
Décret  de  Gratien,  c.  Dixit  aposlolus,  29,  caus.  XXIV, 
q.  m,  rapportant  sur  ce  point  la  doctrine  de  saint 
Augustin,  De  baptismo  contra  donatislas,  I.  V,  c.  xvi, 
P.  L.,  t.  xliii,  col.  186-187;  De  civitate  Dei,  1.  XVIII, 
c.  li,  P.  L.,  t.  xli,  col.  613.  Cf.  S.  Augustin,  Epist., 
xliii,  c.  i,  n.  1;  De  gestis  Pelagii,  c.  vi,  n.  18;  De 
anima,  1.  III,  c.  xv,  n.  23;  De  baptismo  contra 
donalistas,  1.  IV,  c.  xvi,  n.  23,  P.  L.,  t.  xxxiii, 
col.  160;  t.  xliv,  col.  351;  ibid.,  col.  522;  t.  xliii, 
col.  169;  S.  Thomas,  Sum.  theoL,  II»  II*,  q.  v,  a.  3. 
Parmi  les  théologiens,  en  plus  des  auteurs  cités,  on 
pourra  consulter,  sur  la  pertinacité,  De  Lugo,  op.  cit., 
disp.  XX,  n  153  ;  Ballerini-Palmieri,  résumant,  loc. 
cit.,  n.  84  sq.,  la  doctrine  des  anciens  canonistes  : 
Covarruvias,  Variarum  rcsolutionum,  Francfort,  1578, 
1.  III,  c.  i;  Simanca,  op.  cit.,  tit.  xxxi,  n.  10;  tit. 
xlviii;  Pegna,  dans  son  commenaire  du  Directarium, 
part.  II,  c.  i,  coin.  1.  Cf.  Ferraris,   loc.  cit.,  n.  3. 

3.  Gravité  du  péché  d'hérésie.  —  a)  Par  rapport  aux 
autres  espèces  d' infidélité.  —  Voir  Apostasie,  t.  i, 
col.  1604-1605.  Parmi  tous  les  péchés  d'infidélité, 
l'hérésie  est  le  plus  grave,  parce  qu'il  suppose  une 
connaissance  plus  complète  de  la  règle  de  la  foi  et  des 
vérités  à  croire,  et,  partant,  une  opposition  plus  radi- 
cale avec  la  révélation  elle-même.  Cf.  S.Thomas,  Sum. 
theol.,  IP  II*,  q.  x,  a.  6;  Suarez,  op.  cit.,  disp.  XVI, 
n.  14. 

b)  Par  rapport  aux  autres  péchés.  —  Dans  l'ordre  des 
péchés,  en  raison  de  son  opposition  directe  à  la  vertu 
de  foi,  le  péché  d'hérésie  est  le  plus  grave  qu'on  puisse 
commettre,  après  la  haine  de  Dieu  dont  il  procède, 
S.  Thomas,  op.  cit.,  q.  xxxiv,  a.  2,  ad  2um  :  il  comporte, 
en  effet,  une  souveraine  injure  directement  adressée  à 
l'autorité  de  Dieu.  Cf.  Billot,  De  sacramenlis,  t.  i, 
q.  lxxx,  §  2.  Cette  gravité  de  l'hérésie  apparaît  dans 
les  effets  de  ce  péché,  qui  détruit  dans  l'âme  la  vertu 
infuse  de  foi,  voir  col.  2226  :  «  La  foi  est  le  plus  précieux 
de  tous  les  biens,  puisqu'elle  est  le  fondement,  la  racine 
de  toute  justification;  sans  elle,  il  est  impossible  de 
plaire  à  Dieu,  de  sauver  son  âme  pour  l'éternité.  Aussi 
l'hérésie  est-elle  un  crime  abominable  et,  en  un  sens, 
le  plus  grand  de  tous.  Jésus-Christ,  envoyant  ses 
apôtres  prêcher  l'Évangile,  imposait  à  leurs  auditeurs 
l'obligation  de  croire,  sous  peine  d'être  condamnés  : 
«  Allez  dans  le  monde  entier,  prêchez  l'Évangile  à  toute 
«  créature.  Celui  qui  croira  et  qui  aura  été  baptisé,  sera 
«  sauvé; celui  qui  ne  croira  pas  sera  condamné.»  Marc, 
xvi,  15.  Obligation  facile  à  comprendre  pour  quiconque 
a  une  exacte  notion  de  Dieu,  de  l'homme,  de  leurs  mu- 
tuelles relations  et  du  prix  de  la  vérité  révélée.  Les 
apôtres  ont  eu  pour  l'hérésie  la  même  répulsion  que  leur 
Maître.  Saint  Jean  y  voit  l'œuvre  de  l'Antéchrist, 
I  Joa.,  iv,  3,  et  défend  de  recevoir  ou  même  de  saluer 
les  hérétiques,  II  Joa.,  10;  saint  Pierre  et  saint  Jude 
en  parlent  avec  une  extrême  énergie,  II  Pet.,  n,  1-17; 
Jud.,  4  sq. ;  saint  Paul  leur  dit  analhème,  Gai,  i,  9, 


entend  les  réprimer,  les  dompter  par  sa  puissance  spiri- 
tuelle, II  Cor.,  x,  4-6.  »  L.  Choupin,  Hérésie,  dans  le 
Dictionnaire  apologétique  de  la  foi  catholique  de  M.  d'Alès, 
t.  n,  col.  443;  cf.  Foi,  col.  512-513;  C.  Pesch,  Prœ- 
lectiones  iheologiœ,  Fribourg-en-Brisgau,  1910,  t.  vm, 
n.  466;  Noldin,  Summa  thcologiee  moralis,  De  prœceplis, 
n.  31. 

c)  En  lui-même.  —  Que  le  péché  d'hérésie  soit,  dans 
les  multiples  matières  qu'il  peut  affecter  dans  le  do- 
maine de  la  foi  divine  et  catholique,  toujours  de  même 
espèce,  la  chose  ne  peut  pas  faire  de  doute.  L'objet 
formel  de  la  foi  divine  et  catholique,  l'autorité  de  Dieu 
révélateur,  manifestée  par  le  magistère  de  l'Église, 
se  trouve  également  blessé,  que  l'on  rejette  un  seul 
article  ou  qu'on  les  rejette  tous;  l'injure  faite  à  Dieu 
est  égale.  Cf.  S.  Thomas,  Sum.  theol.,  IP  IP,  q.  v,  a.  3. 

S'appuyant  sur  ce  principe  incontestable,  plusieurs 
théologiens  pensent  qu'il  suffirait  de  s'accuser  en  con- 
fession d'avoir  péché  par  hérésie,  sans  spécifier  quels 
articles  de  foi  ont  été  la  matière  du  péché.  C'est  là, 
d'après  saint  Alphonse,  op.  cit.,  1.  V,  c.  i,  dub.  m,  n.  50, 
l'opinion  spéculativement  plus  probable,  dont  les  prin- 
cipaux défenseurs  sont  Diana,  Resolutiones  morales, 
Lyon,  1645-1662,  part.  I,  tr.  VII,  resol.  30;  Oviedo, 
Tract,  in  I™  72*  Sum.  theol.,  Lyon,  1646,  De  vitiis 
et  peccalis,tT.\l,  contr.  V,  n.  116;  Béginald,  Praxis  fori 
pœnitenlialis,  Cologne,  1622, 1. VI,  n.114;  Escobar,  Uni- 
versœ  thcologiœ  moralis  disquisitiones,  Lyon,  1652, 
procem.,  exam.  n,  c.  vi,  n.  55.  Mais,  en  pratique,  on  peut 
toujours  se  demander  si,  l'espèce  du  péché  demeurant  la 
même,  le  nombre  des  fautes  ne  varie  pas  selon  le  nombre 
des  articles  niés  ou  révoqués  en  doute.  Aussi  de  très 
graves  théologiens,  Suarez,  De  fide,  disp.  XVI,  sect. 
iv,  n.  14;  De  Lugo,  De  psenil.nlia,  disp.  XVI,  n.  291; 
Grégoire  de  Valencia,  In  II1"'  11*  Sum.  theol.,  q.  x, 
p.  m,  q.  xi,  p.  i;  Sanchez,  Opus  morale,  1.  II,  c.  vu, 
n.  17,  obligent-ils  à  une  confession  détaillée. 

3°  Sujet.  —  1.  Le  sujet  de  l'hérésie  doit  être  chrétien, 
c'est-à-dire  baptisé.  —  S.  Thomas,  Sum.  theol.,  IP  IP, 
q.  x,  a.  5.  Cette  condition,  qui  distingue  l'hérétique  de 
l'infidèle,  est  pratiquement  la  seule  exigée  pour  que, 
dans  le  sujet  qui  la  professe,  l'infidélité  devienne  hé- 
résie. Théoriquement  toutefois,  les  théologiens,  voir 
Suarez,  op.  cit.,  disp.  XIX,  sect.  v,  n.  1,  3, 10,  proposent 
ou  du  moins  discutent  trois  conditions  :  Faut-il  que 
l'hérétique  ait  eu  la  foi?  Faut-il  qu'il  soit  baptisé?  Faut- 
il  qu'il  ne  rejette  qu'une  partie  des  vérités  révélées  et 
non  la  totalité?  Ces  problèmes  se  posent  pour  certains 
thomistes,  parce  que,  suivant  la  définition  de  saint 
Thomas,  Sum.  theol.,  IP  IP,  q.  xi,  a.  1,  l'hérétique 
intendit  quidem  Christo  assentire,  sed  déficit  in  eligendo 
ea  quibus  Christo  assentiat.  Il  faut  donc,  semble-t-il, 
non  seulement  que  l'hérétique  ait  été  baptisé  et  ait 
ainsi  possédé  la  vertu  infuse  de  foi,  mais  encore  qu'il 
ait  fait  acte  d'adhésion  explicite  à  Jésus-Christ  tout  au 
moins  sur  quelques-uns  des  points  que  l'Église  catho- 
lique propose.  Toutes  les  discussions  à  ce  sujet  sont  so- 
lutionnées par  une  remarque  de  Cajetan,  In  Hjm  II*, 
q.  xi,  a.  1  :  Contingit  chrislianum  recedere  etiam  a  fide 
ipsius  Christi  et  nec  ipsum  nec  Deum  credere.  Talis  est 
hserelicus  et  tamen  non  supponit  Chrislum;  ergo  maie 
in  littera  dicilur.  Ad  hoc  dicitur  quod  assentire  Christo 
contingit  dupliciler,  scilicet  m  tu  mentis  vel  PSOFES- 
SiONE  chabactebis  cintisTi.INI.  Ad  hœrcsim  licet  sœpe 
concurrere  videatur  primum,  non  tamen  est  de  raiione 
cjus,  sed  sufficit  secundum,  scilicet  quod  charactere  fidei 
in  baptismo  susceplo  Christum  profilealur.  Par  le  fait  de 
son  baptême,  l'hérétique,  tant  qu'il  n'a  pas  fait  acte 
d'hérésie  notoire,  appartient  au  corps  de  l'Église  catho- 
lique; après  son  apostasie  consommée,  il  retient  encore 
une  certaine  adhésion  au  Christ  par  le  caractère  baptis- 
mal qui  persévère,  même  dans  l'hypothèse  du  rejet 
de  tous  les  articles  de  la  foi.  Donc,  en  définitive,  prati- 


2225 


HÉRÉSIE.    HÉRÉTIQUE 


2226 


quement,  le  baptême  reçu  devient  la  seule  condition 
exigible  dans  le  sujet,  pour  que  le  péché  d'infidélité 
devienne  spécifiquement  un  péché  d'hérésie. 

2.  Première  conclusion  relative  aux  catéchumènes.  — 
Les  catéchumènes  ne  peuvent  commettre  le  péché 
d'hérésie.  L'hérétique  e>t  b  tplisé.  Codex  juris  canonici, 
can.  132"',  §2.  «Bien  que  le  baptèmene  soit  pas  requis 
pour  que  quelqu'un  se  rende  coupable  devant  Dieu 
d'infidélité,  s'il  refuse  d'adhérer  à  la  vérité  révélée 
suffisamment  proposée  à  son  adhésion,  cependant  celui- 
là  seul  peut  être  dit  rebelle  à  l'Église,  qui  est  le  sujet  de 
l'Église,  et  l'Église  ne  peut  juger  et  châtier  un  homme 
qui  ne  lui  est  pas  encore  soumis  par  le  baptême  » 
Wernz,  Jus  Decrclalium,  Prato,  1913,  t.  vi,  n.  284. 
Ainsi  le  catéchumène  qui,  avant  d'avoir  reçu  le  bap- 
tême, rejetterait  la  foi  catholique,  ne  peut  être  dit 
hérétique  et  considéré  comme  tel,  quant  aux  peines 
encourues.  Cette  doctrine  repose  sur  le  concile  de 
Trente,  sess.  XIV,  c.  n,  affirmant  que  l'Église  ne  peut 
exercer  de  jugement  à  l'égard  de  celui  qui  n'est  pas 
baptisé,  Denzinger-Bannwart,  n.  895;  on  la  trouve 
esquissée  chez  quelques  Pères,  cf.  S.  Augustin,  De 
civitate  Dei,  1.  XVIII,  c.  li,  P.  L.,  t.  xli,  col.  613; 
S.  Grégoire  le  Grand,  Moral.,\  III,  c.  xix,xx;l.  XXIII, 
c.  i,  n.  3-4,  P.  L.,  t.  lxxv,  col.  617-618;  t.  lxxvi, 
col.  251-254.  Voir  S.  Thomas,  Sum.  theoi,  IIa  II*,  q.xi, 
a.  2,  et,  sur  cet  article,,  les  commentateurs  Cajetan  et 
Pierre  d'Aragon  ;  Ugolin,  De  censuris  romano  pontifici 
reservatis,  Venise,  1609,  part.  II,  ci,  §  1;  Sayrus,  op. 
cit.,  1.  III,  c.  iv,  n.  10, 11  ;  Sanchez,  op.  cit.,  1.  II,  c.  vu, 
n.  34;  Tolet,  Summa,  1.  IV,  c.  in;  De  Lugo,  De  fide, 
disp.  XX,  n.  138;  Schmalzgruber,  Jus  ecclesiast.,  tit. 
De  hœresi,  n.  9  Cf.  Ballerini-Palmieri,  loc.  cit.,  n.  80; 
Wernz,  loc.  cit.  Quelques  théologiens  et  canonistes 
cependant,  A.  de  Castro,  De  justa  hœreticorum  puni- 
tione,  1.  I,  c.  i;  Del  Bene,  De  ofjicio  S.  Inquisitionis 
contra  hœresim,  Lyon,  1680,  c.  i,dub.  n,  petit,  n,  n.  1,  2; 
Sanctarelli,  Tractatus  de  hœresi,  Rome,  1625,  c.  i, 
dub.  ii,  considèrent  le  catéchumène  comme  étant  déjà 
sujet  de  l'Église  et,  par  conséquent,  comme  capable 
d'hérésie.  Suarez,  fidèle  à  sa  conception  de  la  foi.  forme 
essentielle  de  l'Église,  voir  Église,  t.  iv,  col.  2161,  ad- 
met que  les  catéchumènes  appartiennent  déjà  à  l'Église 
par  la  foi  et  peuvent  être  hérétiques  au  vrai  sens  du 
mot;  mais  il  apporte  à  sa  thèse  une  restriction  impor- 
tante :  leur  hérésie  n'existe  qu'au  for  interne  et  n'est 
pas  punissable  par  l'Église.  De  fide,  disp.  IX,  sect.  i, 
n.  18  sq.  C'est  par  cette  restriction  que  Suarez  se  sépare 
d'A.  de  Castro  et  des  autres  :  il  cite  en  sa  faveur  Bafiez, 
In  IJan>  77*,  q.  x,  a.  5,  ad  3UI";  q.  xi,  a.  2;  Azor,  Institu- 
tiones  morales,  1.  VIII,  c.  ix,  q.  m;  Farinacci,  De  hœresi, 
q.  clxxviii,  n.  131-135. 

3.  Deuxième  conclusion  relative  à  ceux  qu'on  croit, 
mais  à  tort,  baptisés.  —  Ceux  qui  n'ont  pas  reçu  en  réa- 
lité le  baptême,  ou  dont  le  baptême  a  été  invalide, 
théoriquement,  ne  peuvent  devenir  hérétiques  s'ils 
renient  la  foi  catholique  :  ils  deviennent  infidèles.  Cette 
conclusion  s'impose  dans  l'opinion  de  ceux  qui  leur 
refusent  la  qualité  de  membres  de  l'Église.  Bellarmin, 
Controvcrsiœ,  !.  III,  c.  x;  Wilmers,  De  Christi  Ecclesia, 
n.  393;  Palmieri,  De  romano  pontip.ee,  Proleg.,  §  2, 
n.  4;  Billot,  De  Ecclesia  Christi,  q.  vu,  th.  x,  §  2;  Van 
Noort,  De  Ecclesia,  n.  152.  Pratiquement,  il  faut  bien 
les  admettre  dans  l'Église,  puisqu'on  les  croit  baptisés. 
Cf.  Wilmers,  loc.  cit.;  Billot,  loc.  cit.  Suarez,  loc.  cit., 
n.  7, 8,  en  appelle  derechef,  pour  ce  cas  embarrassant,  à 
la  distinction  du  for  interne  et  du  for  externe;  au  for 
interne,  ceux  qu'on  croit  à  tort  baptisés  peuvent  être 
coupables  d'hérésie,  mais,  au  for  externe,  ils  ne  peuvent 
être  poursuivis  pour  délit  d'hérésie.  Les  inquisiteurs, 
voir  Simanca,  op.  cit.,  tit.  xxxi,  n.  5,  professent  qu'en 
fait,  dans  le  cas  de  doute,  il  y  a  présomption  en  faveur 
de  l'existence  ou  de  la  validité  du  baptême  jusqu'à 


preuve  évidente  du  contraire,  et  que  l'Église  a  le  droit, 
au  for  externe,  de  punir  les  «  hérétiques  »  de  cette 
espèce.  Cf.  Caréna,  Tractatus  de  ofjicio  SS.  Inquisitionis, 
Lyon,  1669,  n.  36-40;  Dandini,  De  suspectis  de  hœresi, 
Rome,  1703,  prœlim.  xvm,  n.  10;  Bordoni,  Sacrum 
tribunal  judicum  in  causis  sanctœ  fidei  contra  hœreticos 
et  de  hœresi  suspectos,  Rome,  1648,  n.  17-19;  Masini, 
Sacra  arsenale  ovvero  prallica  dell'  offtcio  délia  sanla 
Inquisizione,  Bologne,  1665,  part.  X,  p.  372.  M.  Gar- 
zend,  op.  cit.,  p.  120,  a  vu  dans  cette  attitude  pratique 
des  inquisiteurs  une  nouvelle  preuve  en  faveur  de  sa 
thèse.  Il  faut  cependant  se  rappeler  qu'il  s'agit,  dans 
le  point  de  vue  des  inquisiteurs,  non  de  doctrines  à 
condamner,  mais  de  personnes  à  poursuivre  et  à  juger 
et  que,  dans  chaque  cas  individuel  où  le  doute  peut 
exister,  on  doit  faire  appel  à  la  présomption  du  fait 
pour  appliquer  le  droit.  L'Église  agit  encore  ainsi  de 
nos  jours  dans  ses  dispositions  canoniques  relatives  au 
mariage  des  hérétiques.  Voir  Wernz,  Jus  Decrelalium, 
t.  iv,  n.  507,  508,  notes  28-32.  Quant  à  Suarez  qui  pré- 
tend établir  la  vérité  spéculative  de  son  opinion  sur  le 
fait  que  certains  canons  des  anciens  conciles  et  plusieurs 
Pères  de  l'Église  donnent  le  qualificatif  d'hérétiques  à 
toute  une  catégorie  de  personnes  qu'on  était  obligé  de 
rebaptiser,  leur  premier  baptême  étant  invalide,  voir 
les  textes  à  l'art.  Baptême  des  hérétiques,  t.  H, 
col.  352,  nous  pensons  qu'il  tombe  dans  la  même  confu- 
sion que  M.  Garzend.  Le  simple  fait  d'un  baptême  que 
ces  sectes  religieuses  tenaient,  à  tort  évidemment,  pour 
valable  et  considéraient  comme  une  véritable  profession 
de  foi  au  Christ,  suffisait  pour  que  pratiquement  l'Église 
pût  leur  appliquer  la  dénomination  d'hérétiques.  Les 
Pères  et  les  conciles,  par  cette  appellation  de  fait,  n'ont 
certes  pas  entendu  trancher  la  question  spéculative  de 
la  notion  d'hérésie. 

4°  Effets.  — ■  1.  Par  rapport  à  l'âme  de  l'Église.  — 
a)  Effet  commun  à  tous  les  péchés  mortels  —  C'est  la 
perte  de  la  vie  de  la  grâce.  Voir  Péché.  —  b)  Effet 
propre  de  l'hérésie  par  rapport  à  la  vertu  infuse  de 
foi.  ■ — •  a.  Destruction  de  la  vertu  infuse  de  foi  par  l'héré- 
sie formelle.  —  Cet  effet  sera  étudié  à  l'art.  Infidélité, 
parce  que  toute  infidélité,  dont  l'hérésie  n'est  qu'une 
espèce,  détruit  la  vertu  de  foi.  On  y  exposera  que  c'est 
là  une  vérité  théologiquement  certaine,  reposant  sur 
l'autorité  de  l'Écriture,  I  Joa.,  n,19  ;  I  Tim.,  i,  18-20; 
vi,  3-4;  Tit.,  m,  11, 12,  du  concile  de  Trente,  sess.  VI, 
c.  xv,  des  Pères  et  des  théologiens.  Pour  s'en  tenir  ici 
strictement  à  ce  qui  concerne  l'hérésie,  notons  l'opinion 
singulière  de  Durand  de  Saint-Pourçain,  In  IV  Sent., 
1.  III,  dist.  XXIII,  q.  ix.  D'après  cet  auteur,  l'héré- 
tique conserverait  en  partie  Yhabitus  de  la  foi,  s'il 
retient  comme  objet  de  foi  au  moins  quelques  articles. 
Les  théologiens  enseignent,  au  contraire,  unanime- 
ment, que,  là  où  l'objet  formel  de  la  vertu  est  détruit, 
la  vertu  ne  peut  subsister;  or,  en  repoussant  le  ma- 
gistère de  l'Église,  c'est  en  réalité  l'objet  formel  de  la 
foi,  l'autorité  de  Dieu  révélateur  manifestée  par  ce 
magistère,  que  rejette  le  chrétien  baptisé  :  Objeclum 
formate  fidei  sive  habitualis  sive  actualis,  dit  Billuart, 
est  prima  veritas  in  dicendo  ulmanifesiata  per  Ecclesiam; 
atqui  qui  negat  perlinaciter  unum  arliculum  fidei,  non 
crédit  alios  quos  tenel,  propler  primam  veritalem  ut 
manifeslaiam  per  Ecclesiam;  alioquin  et  hune  quem  negat 
crederel,  cum  sit  etiam  sicut  alii  revelalus  a  prima 
veritate  et  propositus  ut  talis  ab  Ecclesia,  sed  hune  rejicit 
et  illos  tenet  ex  proprio  judicio  et  propria  electione. 
Cursus  theologiœ,  tr.  De  fide,  diss.  IV,  a.  2.  C'est  la 
doctrine  de  saint  Thomas,  Sum.  theoi,  II:>  IIœ,  q.  v,  a.  3. 
Cf.  Suarez,  De  fide,  disp.  VII,  sect.  iv,  n.  1-3;  Gonet, 
Clypeus  theologiœ  thomislicœ,  tr.  X,  De  virlutibus  theo- 
logicis,  disp.  VIII,  a.  2,  §  1,  n.  30;  Billot,  De  virlutibus 
infusis,  th.  xxi  et  Prolegomcnon,  n,  §  2,  n.  5;  iv.  A 
l'objection  que  l'hérétique  peut  encore  faire  des  actes 


2227 


HÉRÉSIE.    HÉRÉTIQUE 


2228 


de  foi  et  que,  par  conséquent,  la  vertu  de  foi  n'est  pas 
nécessairement  détruite  en  lui,  on  répond  que  ces  actes 
de  foi,  sur  certaines  vérités,  peuvent  se  produire  en 
vertu  d'habitudes  acquises  et  d'une  façon  purement 
naturelle.  Dieu  peut  aussi  les  surnaturaliser  par  la 
grâce  actuelle.  Voir  Foi,  t.  vi,  col.  165;  Gonet,  loc.  cit., 
n.  49;  Billot,  op.  cit.,  Prolegomenon,  n,  §  3.  —  b.  Mode 
de  destruction.  —  Est-ce  moralement,  comme  cause  dé- 
méritoire  et  dispositive,  ou  physiquement,  comme  cause 
•  efficiente,  et  encore,  dans  cette  dernière  hypothèse, 
est-ce  médiatement  ou  immédiatement,  qu'agit  l'hérésie 
dans  la  destruction  de  la  vertu  infuse  de  foi?  Ce  pro- 
blème, qui  se  rattache  à  la  question  plus  générale  de  la 
disparition  des  vertus,  sera  étudié  ailleurs.  L'opinion 
des  thomistes,  destruction  physique  médiate,  est  expo- 
sée par  Gonet,  loc.  cit.,  §  3,  n.  51-55;  l'autre  opinion, 
par  Suarez,  loc.  cit.,  n.  4-10.  —  c.  La  vertu  de  foi  et 
l'hérésie  matérielle.  —  L'hérésie  matérielle  provenant 
de  l'ignorance  vincible  peut  être  coupable  dans 
la  mesure  même  où  l'ignorance  qui  la  cause  est  cou- 
pable elle-même;  mais  elle  n'entraîne  pas  la  destruc- 
tion de  la  vertu  de  foi  :  elle  ne  s'oppose  pas  directement 
à  cette  vertu.  C'est  l'application  logique  des  principes 
exposés  plus  haut.  Voir  col.  2220.  Il  est  toutefois  ma- 
laisé, pratiquement,  de  déterminer  où  finit  l'hérésie 
matérielle,  où  commence  l'hérésie  formelle.  Chez  ceux 
qui  ont  été  élevés  dans  l'Église  catholique,  il  semble 
bien  difficile  d'admettre  qu'ils  puissent,  avec  une  cer- 
taine bonne  foi,  en  arriver  à  croire  qu'ils  doivent,  en 
;matière  de  foi,  résister  au  magistère  de  l'Église.  Objec- 
tivement, ils  ne  peuvent  jamais  avoir  une  juste  cause 
de  changer  cette  foi  ou  de  la  révoquer  en  doute.  Cf. 
concile  du  Vatican,  sess.  III,  c.  m,  Denzinger-Bann- 
wart,  n.  1794.  Subjectivement,  peut-on  admettre, 
en  certains  cas  particuliers,  la  possibilité  de  la  bonne 
foi?  Voir  Foi,  col.  290-305,  309-316.  Quant  aux  baptisés, 
mais  élevés  dans  l'hérésie,  on  peut  faire  plusieurs  hypo- 
thèses :  ou  bien  ils  reçoivent  avec  une  crédibilité  pure- 
ment relative,  mais  de  pleine  bonne  foi,  les  dogmes 
qu'on  leur  enseigne,  mélange  de  vérités  et  d'erreurs, 
et  alors  ils  peuvent  conserver,  même  dans  l'hérésie 
matérielle,  la  vertu  de  foi  infuse  et  faire  des  actes  de 
foi  salutaires;  ou  bien  ils  ont  entrevu  la  vérité,  mais 
librement  et  délibérément  s'en  sont  détournés,  et  alors 
l'hérésie  formelle  a  été  consommée  en  eux,  détruisant 
dans  leur  âme  la  vertu  de  foi  infuse;  ou  bien  ils  se  sont 
maintenus  dans  l'ignorance  de  la  vérité,  ignorance 
qu'ils  auraient  pu  d'ailleurs  vaincre  facilement,  et 
alors,  sans  perdre  la  vertu  de  foi,  ils  ont  péché  plus  ou 
moins  gravement,  selon  les  circonstances;  il  leur  est 
encore  possible,  absolument  parlant,  de  faire  des  actes 
de  foi  salutaires;  ils  se  sauveront  donc  plus  facilement 
que  les  précédents  si,  par  ailleurs,  ils  savent  réparer 
leurs  fautes. 

2.  Par  rapport  au  corps  de.  l'Église.  —  Il  ne  s'agit  pas 
ici  de  l'excommunication,  qui  n'est  que  la  privation  de 
la  communion  de  l'Église,  mais  de  la  réelle  séparation 
d'avec  le  corps  de  l'Église,  lequel  est  constitué  par  tous 
ceux  qui,  étant  baptisés,  gardent  extérieurement  du 
moins  le  lien  social  de  l'unité  de  foi  et  de  communion. 
A  ce  point  de  vue,  il  faut  distinguer  les  hérétiques 
occultes  et  les  hérétiques  notoires  ou  publics.  L'hérétique 
occulte  est  celui  qui  n'a  pas  publiquement,  officielle- 
ment, déclaré  sa  rébellion;  il  doute  des  vérités  propo- 
sées par  l'Église  ou  même  il  les  rejette,  non  seulement 
dans  son  for  intérieur,  mais  même  extérieurement, 
dans  ses  conversations  avec  ses  amis,  mais  enfin  il  n'a 
pas  fait  ostensiblement  acte  de  rébellion  et,  si  on 
l'interrogeait  sur  sa  religion,  il  répondrait  encore  sans 
nul  doute  qu'il  est  catholique.  L'hérétique  notoire  se 
retire  publiquement  de  la  confession  catholique  et  fait 
ostensiblement  acte  d'adhésion  à  une  secte  hérétique 
ou  à  la  libre-pensée.  Hérésie  notoire  et  hérésie  occulte 


peuvent  être  matérielles  ou  formelles  selon  que  ceux 
qui  en  font  profession  sont  de  bonne  foi  ou  non. 

a)  Hérésie  notoire.  —  La  plupart  des  théologiens  sont 
d'accord  pour  enseigner  que  l'hérésie  notoire,  même 
matérielle,  suffit  à  exclure  du  corps  de  l'Église  celui 
qui  en  fait  profession.  S.  Thomas,  Sum.  theol.,  HP, 
q.  vin,  a.  3;  Bellarmin,  Conlrovcrsiœ,  1.  III,  De Ecclesia, 
c  iv;  cf.'Suarez,  De  flde,  disp.  IX,  sect.  i,  n.  20,  21,  où 
l'on  trouvera,  en  grand  nombre,  d'autres  références 
qu'il  est  inutile  de  rapporter  en  une  matière  où  le  senti- 
ment commun  des  théologiens  depuis  longtemps  a 
fait  loi.  L'opinion  adverse,  aujourd'hui  abandonnée, 
a  été  soutenue  par  A.  de  Castro,  op.  cit.,  1.  II,  c.  xxiv, 
et  par  Cajetan,  Opusc.  I,  De  auctoritale  papœ,  c.  xn- 
xxvn.  La  thèse  communément  reçue  s'appuie  :  a.  sur 
la  sainte  Écriture;  ce  sont  les  mêmes  textes  que 
pour  prouver  la  destruction  de  la  vertu  infuse  de  foi  par 
l'infidélité;  b.  sur  l'autorité  des  anciens  conciles;  en 
décrétant  que  les  hérétiques  peuvent  être,  sous  cer- 
taines conditions,  reçus  dans  l'Église,  ces  conciles  dé- 
clarent implicitement  qu'ils  ne  sont  pas  dans  l'Église; 
cf.  Ier  concile  de  Nicée,  can.  8,  11,  19;  concile  d'Elvire, 
can.  46;  concile  d'Ancyre,  can.  9;  Hefele,  Histoire  des 
conciles,  trad.  Leclercq,  t.  i,  p.  576,  591,  615,  248,  311; 
c.  sur  l'autorité  des  Pères  et  des  pontifes  romains, 
lesquels  excluent  positivement  de  l'Église  les  héré- 
tiques ou  déclarent  au  sujet  des  hérétiques  convertis 
qu'ils  ont  été  ramenés t  convertis  à  l'Église.  Cf.  S.  Irénée, 
Cont.  hœr  ,  1.  III,  c.  m,  n.  4,  P.  G.,  t.  vu,  col.  852;  Ter- 
tullien,  De  prœscriplionibus,  c.  xxxvn;  Adv.  Marcio- 
nem,  1.  IV,  c.  v,  P.  L.,  t.  n,  col.  50-51,  367-368;  S.  Cy- 
prien,  Epist.  synod.7P.  L.,t.  m,  col.  853  sq. ;  cf.  concile 
de  Carthage,  ibid.,  col.  1013-1078,  où  saint  Cyprien 
insiste  sur  cette  doctrine  qu'il  exagère  même;  Epist., 
xxxvm,  n.  3;  lxxi,  n.  1;  lxix,  n.  3,  P.  L.,  t.  rv,  col. 
331,  409,  402;  S.  Jérôme,  In  Epist.  ad  Titum,  c.  m, 
v.  10  ;  Dial.  adv.  luciferianos,  n.  28,  P.  L.,  t.  xxvi, 
col.  597;  t.  xxiii,  col.  181-182;  S.  Augustin,  Debaptismo 
contra  donatistas,  1.  IV,  c  x;  De  unilaie  Ecclesiœ,  c.  iv, 
P.  L.,  t.  xliii,  col.  163  sq.,  395-396;  S.  Grégoire  le 
Grand,  Moral.,  1.  XII,  c.  xxm;  1.  XVI,  c.  xliv,  P.  L., 
t.  lxxv,  col.  1000,  1148;  les  papes  Sixte  II,  Epist., 
i;  S.  Félix  I",  Epist,  i,  P.  L.,  t.  v,  col.  83,  145;  Jafîé, 
Rcgesta  pontificum  romanorum,  n.  133-142,  etc.  Ces 
autorités  se  rapportent  surtout  aux  hérétiques  formels, 
mais  il  faut  les  étendre  aux  hérétiques  matériels,  en 
raison  de  l'analogie  des  situations  Cf.  Billot,  De 
Ecclesia,  p.  n,  De  Eccl.  membris,  q.  vu,  th.  xi. 

b)  Hérésie  occulte.  ■ —  La  question  des  hérétiques 
occultes  a  été  traitée  ailleurs.  Voir  Église,  t.  iv, 
col.  2162-2163. 

5°  Péchés  connexes.  —  1.  Péchés  qu'implique  la  faute 
d'hérésie.  —  a)  Apostasie.  —  L'hérésie  formelle  équi- 
vaut à  une  apostasie.  Voir  Apostasie,  t.  i,  col.  1604. 
Aussi  l'Église  applique-t-elle  les  mêmes  peines  aux 
apostats  et  aux  hérétiques.  —  b)  Schisme.  —  En  soi, 
le  schisme,  ay  i<j|Aa,  déchirure,  est  une  défection  volon- 
taire de  l'unité  de  l'Église,  en  tant  que  cette  unité  est 
constituée  par  la  soumission  au  pontife  romain  et  par 
la  communion  des  fidèles  entre  eux.  Cf.  Wernz,  op.  cit., 
n.  354.  Voir  Schisme.  Le  schisme  ne  comporte  donc  pas 
nécessairement  une  erreur  dans  la  foi,  quoique  cepen- 
dant, en  pratique,  il  soit  bien  difficile  de  rencontrer  un 
schisme  non  compliqué  d'hérésie.  Mais,  à  l'inverse, 
l'hérésie  comporte  toujours  le  schisme  :  par  le  fait 
qu'on  refuse  de  se  soumettre  à  la  règle  de  la  foi,  on 
rompt  l'unité  de  l'Église,  qui  suppose  l'obéissance  à 
cette  règle,  concrétisée  dans  l'enseignement  du  souve- 
rain pontife.  Cf.  Ferraris,  loc.  cit.,  n.  14-16. 

2.  Péchés  à  proprement  parler  connexes.  —  Ce  sont  les 
péchés  qui,  sans  être  la  négation  directe  d'une  vérité 
de  foi  authentiquement  proposée  par  l'Église  comme 
révélée  par  Dieu,  préparent  néanmoins  de  près  ou  de 


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HÉRÉSIE.    HÉRÉTIQUE 


2230 


iljin,  cette  négation.  —  a)  En  premier  lieu,  c'est  toute 
adhésion  à  des  doctrines  qui  ont  un  lien  logique  avec  la 
négation  d'un  article  de  foi,  doctrines  reconnues  et 
condamnées  pour  ce  motif  comme  proches  de  l'héré- 
sie, erronées  ou  téméraires,  ou  inversement  c'est  le 
rejet  volontaire  de  doctrines  proposées  par  l'Église 
comme  proches  de  la  foi,  théologiquement  certaines 
ou  communément  admises.  Pour  l'explication  de  ces 
termes,  voir  Censures  doctrinales,  t.  n,  col.  2106. 
C'est  encore  le  refus  d'acquiescer  aux  décisions  non 
infaillibles  des  Congrégations  romaines,  voir  ce  mot, 
t.  ii,  col.  1110,  décisions  qui  nous  indiquent  ce  qui 
pratiquement  doit  être  retenu  ou  rejeté  pour  que  l'on 
soit,  au  regard  de  la  règle  de  la  foi  catholique,  en  sécu- 
rité actuelle  de  conscience.  Or,  c'a  été  une  grave  erreur 
chez  plusieurs  contemporains  de  croire  qu'une  fois 
l'adhésion  donnée  aux  vérités  proposées  comme  étant 
de  foi  divine  et  catholique,  le  chrétien  reste  libre  de 
discuter  et  d'adopter  n'importe  quelles  opinions  sur 
les  autres  points  de  doctrine  religieuse.  Sans  doute,  si 
on  ne  nie  pas  directement  une  vérité  de  foi  divine  et 
catholique,  on  ne  perd  pas  la  vertu  infuse  de  foi,  voir 
Foi,  col.  314,  mais  on  pèche  gravement  contre  la  foi. 
Voir  Magistère.  Les  principaux  documents  en  la  ma- 
tière sont  les  deux  suivants  : 

a.   DÉCLARATION  DE  PIE  IX   A   U ARCHEVÊQUE   DE   MUNICH 


Cum  agatur  de  illa  subjec- 
tione  qua  ex  conscientia  ii 
omnes  catholici  obstringun- 
tur  ...  sapientibus  catholicis 
haud  satis  esse,  ut  prsefata 
Ecclesiae  dogmata  recipiant 
ac  venerentur,  verum  etiam 
opus  esse,  ut  se  subjieiant 
tum  decisionibus,  quae  ad 
doctrinam  pertinentes  a  pon- 
tificiis  Congregationibus  pro- 
feruntur,  tum  iis  doctrinac 
capitibus  quae  communi  et 
constanti  catholicorum  con- 
sensu  retinentur  ut  theolo- 
gicse  veritates  et  conclu- 
siones  ita  certae  ut  opiniones 
doctrinae  capitibus  adversae 
quanquam  hereticae  dici  ne- 
queant,  tamen  aliam  theolo- 
gicam  mereantur  censuram. 
Denzinger-Bannwart,  n.1684. 


Au  sujet  de  la  soumission 
à  laquelle  sont  tenus  en 
conscience  tous  ces  catho- 
liques... (qu'ils  se  rappellent) 
que  ce  n'est  point  assez  pour 
les  savants  catholiques  d'ac- 
quiescer avec  respect  aux 
susdits  dogmes  de  l'Église;  il 
est  en  outre  nécessaire  qu'ils 
se  soumettent  à  toutes  les 
décisions  doctrinales  éma- 
nant des  Congrégations  pon- 
tificales et  qu'ils  acceptent 
les  points  de  doctrine  consi- 
dérés communément  et  con- 
stamment par  les  catho- 
liques comme  des  vérités  et 
des  conclusions  théologiques 
tellement  certaines  que  les 
opinions  contraires,  quoique 
ne  pouvant  être  qualifiées 
d'hérétiques,  méritent  cepen- 
dant une  autre  censure  théo- 
logique. 


b.    DÉCLARATION  DU  CONCILE  DU  VATICAN. 


Quoniam  vero  satis  non 
«st  haereticam  pravitatem 
devitare,  nisi  ii  quoque 
errores  diligenter  îugiantur, 
qui  ad  illam  plus  minusve 
accedunt,  omnes  ofïicii  mo- 
nemus  servandi  etiam  consti- 
tutiones  et  décréta,  quibus 
pravae  ejusmodi  opiniones, 
quae  isthic  diserte  non  enu- 
merantur  ab  hac  sancta  sede 
proscriptse  et  prohibitœ  sunt. 
Denzinger-Bannwart,n.  1820. 


Ce  n'est  point  assez  d'évi- 
ter le  crime  de  l'hérésie;  il 
faut  encore  fuir  avec  soin  les 
erreurs  qui  s'en  approchent 
plus  ou  moins  :  aussi  rappe- 
lons-nous à  tous  l'obligation 
d'obéir  encore  aux  constitu- 
tions et  aux  décrets  pro- 
scrivant et  prohibant,  au  nom 
du  saint-siège,  ces  sortes  de 
doctrines  pernicieuses,  les- 
quelles ne  sont  pas  énumé- 
rées  ici  explicitement. 


La  raison  intrinsèque  de  la  malice  de  ces  péchés,  c'est 
qu'ils  comportent,  dans  la  mesure  où  ils  mettent  la  foi 
en  péril,  un  véritable  mépris  du  magistère  catholique; 
de  plus,  considérés  dans  leur  élément  doctrinal,  quel- 
ques-uns d'entre  eux  comportent  une  relation  logique 
avec  l'hérésie-doctrine,  par  exemple,  dans  le  cas  de 
négation  d'une  doctrine  théologiquement  certaine  ou 
dans  le  cas  d'adhésion  à  une  erreur  théologique.  C'est 
pourquoi  ceux  qui  s'en  rendent  coupables  sont  légi- 
timement soupçonnés  d'hérésie.  Cf.  Censures   doctri- 


nales, t.  u,  col.  2101;  Église,  t.  iv,  col.  2196  sq.  ; 
Magistère. 

b)  En  second  lieu,  ce  sont  les  péchés  résultant  de  la 
négligence  apportée  dans  l'accomplissement  des  devoirs 
auxiliaires  de  la  foi  :  études  nécessaires  et  fuite  des  oc- 
casions de  perversion,  de  la  recherche  des  nouveautés 
scandaleuses,  de  la  fréquentation  des  hérétiques,  de  la 
protection  ou  du  concours  qu'on  leur  accorde,  de  la 
lecture  des  livres  dangereux  en  matière  de  foi,  etc. 
Voir  Foi,  col.  313-314.  Il  n'entre  point  dans  le  plan  de 
cet  artick  d'étudier  ces  sortes  de  péchés  dont  les  moda- 
lités varient  à  l'infini.  Pour  les  livres  hérétiques,  H 
faut  dis'inguer  les  livres  simplement  écrits  par  les 
hérétique;  des  livre;  propageant  l'hérésie  ou  le 
schisme,  quels  qu'en  soient  d'ailleurs  les  auteurs. 
Au  point  de  vue  moral,  est  prohibée,  de  plein  droit,  la 
lecture  des  livre?  composés  par  des  acatholiques,  trai- 
tant ex  profzsso  de  matières  religieuses,  à  moins  qu'il 
ne  soit  démontré  que  ces  livre;  ne  contiennent  rien 
contre  la  foi  catholique.  Codex  juris  canonici,  can. 
1399,  4°.  Quant  aux  livres  qui,  quels  qu'en  soient 
les  auteurs,  propagent  l'hérésie  ou  le  schisme,  la 
lecture  en  est  rigoureusement  interdite  aux  fidèles, 
can.  1399, 2°.  En  ce  qui  concerne  les  peines  prévue;  par 
la  nouvelle  législation,  voir  col.  2245,  il  est  nécessaire 
de  rappeler  les  règles  tracées  par  l'Église  catholique  en 
vue  de  réprimer  la  négligence  des  catholiques  et  de 
leur  éviter  les  occasions  de  perversion,  dans  leurs  rela- 
tions avec  les  hérétiques. 

6°  Règles  de  morale  concernant  les  relations  des 
catholiques  avec  les  hérétiques.  —  1.  Communication 
in  divinis.  — •  Nous  n'avons  pas  à  envisager  la  commu- 
nication interdite  aux  catholiques  m5me  dans  les  rela- 
tions purement  humaines  avec  ceux  qui  sont  excom- 
muniés vitandi.  Voir  Excommunication,  t.  v,  col.  1737, 
et  Codex  juris  canonici,  canon  2258,  §  2.  Il  ne 
s'agit  que  de  la  communication  avec  les  héré- 
tiques dans  les  choses  sacrées,  in  divinis  ou  in  sacris. 
Quelques  notions  préalables  sont  nécessaires.  On  entend 
par  communication  avec  les  hérétiques  dans  les  choses 
sacrées  une  participation  avec  eux  dans  la  prière  ou  les 
rites  cultuels  :  cette  communication  est  interdite  et 
l'interdiction  résulte  directement  de  l'excommunica- 
tion dont  sont  frappés  les  hérétiques.  Voir  coi.  2245. 
La  communication  in  divinis  est  active  quand  les 
catholiques  participent  aux  fonctions  religieuses  des 
hérétiques;  passive,  quand  les  hérétiques  sont  admis  à 
participer  aux  rites  catholiques;  privée,  quand  l'acte 
religieux  auquel  on  participe  est  un  acte  de  dévotion 
personnelle,  par  exemple,  la  récitation  d'un  Pater 
avec  un  hérétique;  publique,  quand  il  s'agit  d'une  céré- 
monie du  culte.  La  communication  active  est  formelle, 
quand  il  y  a  adhésion  intérieure  et  volontaire  aux  céré- 
monies religieuses  hérétiques;  matérielle,  quand  il  ne 
s'agit  que  d'une  assistance  purement  extérieure,  corpo- 
relle et  passive.  Les  règles  que  nous  rappelons  valent 
pour  les  schismatiques  et  a  fortiori  pour  les  infidèles. 

Ces  règles  ont  été  formulées  par  le  nouveau 
code  du  droit  canonique,  canon  1258,  §  1  et  2. 


Can.  1258,  §  1  :  Haud 
licitum  est  fidelibus  quovis 
modo  active  assistere  seu 
partent  habere  in  sacris  aca- 
tholicorum. 


§  2,  Tolerari  potest  prae- 
sentia  passiva  seu  mère 
materialis,  civilis  officii  vel 
honoris  causa,  ob  gravem 
rationem  ab  episcopo  in  casu 
dubii  probandam,  in  aca- 
tholicoruni  funeribus,  nup- 
tiis  similibusque   sollemniis, 


Il  n'est  pas  permis  aux 
fidèles  de  quelque  manière 
que  ce  soit  d'assister  d'une 
façon  active,  c'est-à-dire  de 
prendre  part,  aux  cérémonies 
religieuses  des  acatholiques. 

On  peut  tolérer  leur  pré- 
sence passive,  c'est-à-dire 
toute  matérielle,  aux  tuné- 
railles,  aux  noces  et  solen- 
nités semblables  des  aca- 
tholiques, en  raison  d'un 
devoir  ou  d'un  honneur  de 
la  vie  civile,  pour  un  motif 


•2ïM 


HÉRÉSIE.   HÉRÉTIQUE 


2232 


dummodo      perversionis     et    grave,  laissé,  en  cas  de  doute, 

scandali    periculum  absit.        a  l'appréciation  de  l'évêque, 

et  à  condition  que  soit  écarté 

tout    danger    de    perversion 

et  de  scandale. 

a)  Communication  passive.  —  Le  principe  général 
est  celui-ci  :  la  communication  passive  est  interdite 
en  principe,  parce  que  faire  participer  les  hérétiques  à 
nos  cérémonies  sacrées,  c'est  leur  laisser  croire  qu'il  y 
a  unité  de  enfances  religieuses  entre  eux  et  nous; 
c'est  donc  chose  intrinsèquement  mauvaise,  qui  revient 
à  supprimer  toute  différence  entre  le  culte  catholique 
et  les  cultes  hérétiques.  Mais  dès  que  les  circonstances 
extérieures  suffisent  à  exclure  cette  signification  con- 
damnable, le  mal  intrinsèque  disparaît  et  l'on  peut,  en 
raison  de  sérieuses  difficultés  à  agir  autrement  et  en 
l'absence  de  scandale,  tolérer  la  présence  des  héré- 
tiques à  nos  cérémonies. 

Passons  aux  applications.  —  a.  Défense  d'accorder 
aux  hérétiques,  même  s'ils  sont  dans  la  bonne  foi  et 
s'ils  les  demandent,  les  sacrements,  à  moins  qu'au 
préalable  ils  n'aient  été  réconciliés  avec  l'Église 
après  rejet  de  leurs  erreurs.  Codex  juris  canonici, 
can.  731,  §  2.  Les  théologiens  exceptent  cependant, 
en  cas  de  danger  de  mort,  l'absolution  secrète  et 
même,  si  l'on  doute  de  la  validité  de  leur  bapême, 
le  baptême  sous  condition.  Noldin,  De  sacramenlis, 
n.  295.  A  part  ce  cas  exceptionnel,  il  n'est  pas  permis 
de  leur  donner  l'absolution,  même,  s'ils  sont  de  bonne 
foi.  Saint-Office,  20  juillet  1898,  Colleclanea  S.  C.  de 
Propaganda  fide,  2  in-4°,  Rome,  1907,  n.  2012.  En  ce 
qui  concerne  le  mariage,  une  fois  la  dispense  accordée 
par  l'Église  à  la  partie  catholique,  il  y  a  obligation  pour 
les  contractants  de  se  présenter  devant  le  ministre 
catholique;  le  scandale  et  le  danger  de  confusion  de  foi 
religieuse  sont  écartés  par  le  fait  de  la  dispense  de- 
mandée et  des  promesses  faites  par  la  partie  non  catho- 
lique. Codex  juris  canonici,  can.  1099,  §  1,  -°  —  b. 
Défense  d'admettre  les  hérétiques  comme  parrains 
et  marraines  dans  les  baptêmes  catholiques,  ni  à  la 
confirmation.  S.  C.  de  la  Propagande,  septembre  1869, 
n.  47;  Saint-Office,  3  mai  1893,  Colleclanea,  n.  1346, 
1831;  Cordex  juris  canonici,  can.  760,  8°,  795,  2°. 
En  cas  de  difficulté  grave,  on  peut  les  admettre  comme 
simples  témoins,  sans  leur  permettre  le  contact  physique 
avec  l'enfant  baptisé.  Noldin,  op.  cil.,n.  79.  Lehmkuhl, 
Casus  conscienliœ,  t.  n,  n.  84  sq.,  accepte  que,  pour 
éviter  un  mal  grave,  on  puisse  admettre  l'hérétique, 
simple  témoin  du  baptême,  au  contact  réservé  au  par- 
rain. —  c.  «  Il  n'est  pas  licite  d'admettre  les  hérétiques 
à  prendre  place  au  chœur,  pendant  les  fonctions  saintes, 
de  psalmodier  avec  eux,  de  leur  donner  la  paix,  les 
cendres,  les  palmes  et  les  cierges  bénits,  en  un  mot  de 
leur  accorder,  dans  les  rites  cultuels,  une  participation 
qui  paraîtrait  à  bon  droit  le  signe  d'un  lien  intérieur 
et  de  l'unité  religieuse.  »  Instruction  du  Saint-Office, 
2 juin  1859, Colleclanea, n.  1176. — d. Défense  d'accueillir 
dans  les  chœurs  de  musiciens  les  hérétiques,  mime  les 
très  jeunes  garçons  et  filles,  pour  chanter  pendant  les 
fonctions  liturgiques,  Saint-Office,  1er  mai  1889, 
Collect.,  n.  1705;  cependant,  en  l'absence  de  scandale  et 
en  raison  de  difficultés  graves,  l'Église  a  toléré  dans 
ces  chœurs  la  présence  de  schismatiques,  Saint-Office, 
24  janvier  1906,  Colleclanea,  n.  2227;  le  simple  fait 
de  jouer  de  l'orgue  pendant  les  cérémonies  sacrées  n'est 
pas  assez  significatif  par  lui-même  pour  être  absolu- 
ment interdit  aux  hérétiques,  s'il  n'y  a  pas  scandale. 
Saint-Office,  23  février  1820,  ad  3UI",  Collect,  n.  739.  — 
e.  Défense  d'admettre  les  hérétiques  à  porter  des  cierges 
ou  des  lumières  pour  accompagner  les  fonctions  saintes. 
Saint-Office,  20  novembre  1850,  Collect.,  n.  1043, 
ad  1UI".  Dans  tous  ces  actes,  en  effet,  il  y  aurait  une 
part   trop   personnelle   prise   par   les   hérétiques   aux 


offices,  laquelle  pourrait  engendrer  la  confusion  regret- 
table que  veut  éviter  l'Église.  Mais  dès  qu'il  ne  s'agit 
plus  que  de  permettre  aux  hérétiques  d'entendre  les 
sermons,  d'assister  aux  offices,  d'être  présents  d'une 
présence  matérielle  aux  fonctions  liturgiques,  la  même 
crainte  ne  peut  exister  et  aucune  prohibition  n'est 
portée.  —  /.  On  peut  dire  la  messe  pour  la  conversion 
des  hérétiques  vivants  et  même  à  une  intention  rétri- 
buée par  eux,  s'il  est  certain  que  cette  intention  est  de 
demander  la  lumière  de  la  foi.  Saint-Office,  19  avril  1837, 
Collect.,  n.  854.  Cette  règle  ne  souffre  qu'une  exception, 
c'est  le  cas  où  l'hérétique  serait  vitandus.  On  peut  tou- 
jours offrir  le  saint  sacrifice  pour  des  princes  régnants 
hérétiques;  c'est,  en  réalité,  pour  la  prospérité  de  leur 
royaume  qu'on  l'offre.  —  g.  En  ce  qui  concerne  l'ap- 
plication de  la  messe  aux  hérétiques  défunts,  le  droit 
ecclésiastique  s'oppose  à  ce  que  cette  application  soit 
faite  publiquement.  En  principe,  l'application  secrète, 
connue  du  prêtre  seul  et  de  celui  qui  demande  la  messe, 
est  également  interdite.  Saint-Office,  7  avril  1875, 
Collect.,  n.  1440;  cf.  brefs  de  Grégoire  XVI  à  l'évêque 
d'Augsbourg,  16  février,  et  à  l'abbé  de  Scheyer,  9  juil- 
let 1842.  Nombre  d'auteurs  cependant,  cf.  Aichner, 
Compendium  juris  ecclesiastici,  Brixen,  1900,  §  51  ; 
Lehmkuhl,  Thcologia  moralis,  t.  il,  n.  176;  Casus 
conscienliœ,  t.  n,  n.  196;  Génicot,  Theologiœ  moralis 
iiislitutiones,  t.  n,  n.  221,  regardent  comme  probable 
l'opinion  permettant  de  célébrer  en  secret  la  messe  poul- 
ies défunts  non  catholiques,  morts  avec  les  signes  vrai- 
ment probables  de  la  bonne  foi  et  de  l'état  de  grâce. 
Marc,  Inslilutiones  morales  alphonsianœ,  t.  il,  n.  1601, 
q.  ii,  conseille,  en  ce  cas,  au  prêtre  de  déclarer  qu'il 
célèbre  la  messe  pour  les  défunts,  en  général,  avec  l'in- 
tention de  soulager  tel  défunt,  si  cela  plaît  à  Dieu.  Cf. 
Noldin,  De  sacramenlis,  n.  176.  —  h.  Il  n'est  pas 
permis  d'admettre  un  enfant  né  de  parents  schisma- 
tiques à  servir  la  messe.  Saint-Office,  20  novembre 
1850,  ad  2»"1,  Collect.,  n.  1053. 

Cependant,  à  moins  d'interdiction  spéciale,  il  est 
permis  de  donner  aux  non-catholiques  les  béné- 
dictions de  l'Église  pour  les  amener  au  seuil  de  la 
foi  et  aussi  en  même  temps  pour  leur  procurer  la 
santé  du  corps.  Il  est  permis  encore  de  faire  sur 
eux  des  exorcismes.  Codix  juris  canonici,  can. 
1149,  1152. 

b)  Communication  active.  —  Rappelons  les  principes  : 
la  communication  active  formelle  est  toujours  interdite, 
puisqu'elle  équivaut  à  une  négation  de  la  foi  catho- 
lique; elle  peut  être  explicite,  si  elle  comporte  l'intention 
arrêtée  de  participer  réellement  aux  rites  hérétiques; 
elle  est  simplement  implicite,  si  elle  est  constituée  sim- 
plement par  l'acccmplissement  du  rite  extérieur  em- 
prunté aux  hérétiques.  Explicite  ou  implicite,  elle  ne 
peut  être  tolérée  et,  s'il  s'y  ajoute  un  assentiment  inté- 
rieur à  l'hérésie  elle  même,  le  coupable  encourt  l'excom- 
munication portée  contre  les  credentes.  Voir  plus  loin. 
col.  2245.  La  communication  active  matérielle  et  privée 
n'est  pas  illicite,  pourvu  qu'elle  ne  porte  pas  sur  une 
chose  intrinsèquement  mauvaise.  La  communication 
active  matérielle  et  publique  est,  en  soi,  prohibée  par  la 
loi  ecclésiastique,  cf.  c-  Quicumque,  2,  De  hsereticis, 
1.  V,  tit.  ii,  dans  le  Sexte,  et  par  la  loi  naturelle,  sous 
peine  de  péché  grave,  et  cela  pour  plusieurs  motifs  : 
péril  de  perversion  dans  la  foi,  scandale  des  fidèle  . 
apparence  d'approbation  d'une  religion  fausse  ou  de 
négation  de  la  vraie  religion.  Cependant,  quand  la  com- 
munication avec  les  hérétiques  n'a  plus  cette  signifi- 
cation et  ne  présente  plus  ces  dangers,  elle  peut  être 
tolérée  pour  des  motifs  proportionnés  à  son  importance. 
Voir  l'instruction  de  la  Propagande  de  1729,  Collect . 
n.  311,  et  celle  du  6  août  1764,  n.  455.  —  Applications. 
—  a.  Réception  des  sacrements.  —  On  ne  doit  jamais 
demander,  hors  le  cas  de  nécessité,  un  sacrement  à  un 


2233 


HÉRÉSIE.    HÉRÉTIQUE 


2234 


ministre  hérétique  ou  séhismatique;  ceux  qui  contre- 
viendraient à  cette  défense  tomberaient  sous  le  coup  de 
l'excommunication  portée  contre  les  credentes.  En  cas 
d  extrême  nécessité,  danger  prochain  de  mort,  il  n'est 
permis  de  demander  que  les  sacrements  nécessaires, 
Saint-Office,  10  mai  1753,  ad  3""';  7  juillet  18&4,  ad 
<5"m,  Collect.,  n.  389,  1257,  baptême  ou  absolution  ou, 
à  défaut  d'absolution,  extrême-onction.  Cf.  Benoît  XIV, 
De  sijnodo  diœcesana,  1.  VI,  c.  v,  n.  2,  Venise,  1792, 
t.  i.  p.  134;  S.Alphonse,  op.  cit.,  1.  VI,  n.  89.  S'il  y  a 
péril  de  perversion,  il  faut  se  contenter  d'un  acte  de 
contrition  parfaite.  Noldin,  op.  cit.,  n.  43.  Une  législa- 
tion particulière  règle  le  cas  des  mariages  entre  catho- 
liques et  hérétiques.  Voir  Mariage.  — ■  b.  La  partici- 
pation à  l'administration  des  sacrements  est  un  acte  de 
communication  active  formelle;  elle  est  donc  stricte- 
ment prohibée.  Défense  à  un  catholique  d'assister 
aux  sermons  et  à  l'administration  des  sacrements  des 
hérétiques  et  particulièrement  d'être  parrain  ou  de 
se  faire  représenter  comme  tel  au  baptême  conféré 
par  un  ministre  hérétique,  Saint-Office,  10  mai  1770, 
C.nllcct.,  n.  478;  30  juin  et  7  juillet  1864,  n.  1257, 
ad  4um;  est  tolérée  cependant,  à  titre  de  démarche  de 
convenance,  la  simple  assistance  matérielle  au  baptême 
des  hérétiques.  Noldin.  De  prœccptis,  n.  39,  admet 
de  plus  qu'un  catholique  puisse,  en  certaines  circon- 
stances, être  présent  comme  parrain  honoraire.  Défense 
aux  parents  catholiques  de  faire  baptiser  leurs  enfants 
par  le  ministre  hérétique,  hors  le  cas  d'extrême  néces- 
sité; par  crainte  d'un  mal  grave,  ils  peuvent  permettre 
un  tel  baptême,  avec  la  résolution  d'élever  l'enfant 
dans  la  religion  catholique.  Par  assimilation,  certains 
auteurs  interdisent  aux  sages-femmes  de  porter  les 
enfants  au  baptême  du  ministre  hérétique.  Voir  Ami 
au  clergé,  t.  xn,  p.  544.  Défense  aux  catholiques  d'as- 
sister, en  qualité  de  témoins  aux  mariages  des  héré- 
tiques, contractés  devant  le  ministre  de  la  secte,  ou 
d'y  remplir  n'importe  quelle  fonction  qui  serait  une 
participation  effective  à  la  cérémonie.  Défense  aux 
catholiques  d'appeler  au  chevet  d'un  moribond  le 
ministre  hérétique,  en  vue  d'administrer  un  rite  héré- 
tique. Voir  plus  loin,  col.  2239.  —  c.  L'assistance  aux 
offices  religieux  des  hérétiques  est  interdite  en  principe 
et  ne  peut  être  tolérée  que  pour  une  cause  grave  pro- 
portionnée au  danger  de  perversion  et  au  scandale 
possible.  Pour  légitimer  l'assistance  purement  passive 
des  catholiques  aux  mariages  et  aux  funérailles  des 
hérétiques,  même  si  ces  offices  sont  accompagnés  de 
sermons,  les  raisons  de  convenances  familiales  et  de 
politesse  suffisent,  mais  non  celles  de  simple  curiosité. 
Saint-Office,  13  janvier  1818,  Collect.,  n.  727.  Bien  plus, 
le  Saint-Office,  f4  janvier  1874,  Collectanea,  n.  1410, 
déclare  qu'on  peut  tolérer,  par  raison  de  convenances, 
la  présence  matérielle  des  catholiques  au  mariage  d'un 
catholique  avec  une  hérétique  (ou  réciproquement) 
contracté  devant  le  ministre  hérétique,  à  la  condition 
qu'il  n'y  ait  ni  scandale,  ni  danger  de  perver-ion,  ni 
mépris  de  l'autorité  ecclésia  .tique.  Les  prêtres  catho- 
liques, en  l'absence  du  ministre  hérétique  ne  doivent 
jamais  accepter  de  présider  un  convoi  hérétique.  Si  des 
raisons  de  convenances  familiales  ou  d'amitié  réclament 
la  présence  d'un  prêtre  aux  funérailles  d'un  hérétique, 
il  faut  que  ce  prêtre  soit  sans  ornement,  ne  participe 
en  aucune  façon  aux  rites  hérétiques  et  que  les  liens  de 
parenté  ou  d'amitié  qui  l'unissent  au  défunt  et  justi- 
fient sa  présence  aux  funérailles,  soient  tellement  con- 
nus que  le  scandale  ne  puisse  exister.  Saint-Office, 
30  mars  1859,  8  mai  1889,  Collect.,  n.  1705.  On  peut 
tolérer,  mais  passivement  seulement,  que  les  non-catho- 
liques soient  inhumés  dans  les  tombeaux  de  leurs 
parents  catholiques.  Saint-Office,  30  mars  1859, 
4  janvier  1888,  Collect.,  n.  1173.  Les  catholiques  eux- 
mêmes  ne  peuvent  accompagner  le  convoi  d'un  héré- 


tique jusqu'à  la  porte  du  cimetière  que  si  leur  présence 
est  purement  matérielle,  pour  honorer  le  défunt,  mais 
ils  ne  peuvent  se  mêler  aux  rites  hérétiques,  porter  des 
cierges  ni  offrir  leurs  suffrages  pour  l'âme  du  défunt- 
Saint-Office,  13  janvier  1818;  30  juin  et  7  juillet  1864, 
ad  lum;  14  janvier  1874,  ad  3llm;  Collect.,  n.  727, 
1257,  1410.  Pour  légitimer  la  présence  des  catholiques 
aux  offices  ordinaires,  sermons  ou  autres  cérémonies 
religieuses  des  hérétiques,  les  raisons  de  politesse  et  de 
convenances  sociales  sont  insuffisantes;  la  crainte 
d'un  mal  grave,  une  raison  d'ordre  public,  le  bien  de  la 
religion  catholique  sont  des  motifs  suffisants  :  une  do- 
mestique peut  accompagner  au  temple  sa  maîtresse 
qui  lui  impose  cette  démarche,  à  condition  toutefois 
qu'il  n'y  ait  pas  danger  de  perversion;  des  soldats,  des 
captifs  catholiques  peuvent  assister  à  une  cérémonie 
hérétique  où  ils  ont  reçu  l'ordre  de  se  rendre;  des 
hommes  doctes  ont,  sous  certaines  conditions,  le  droit 
d'aller  entendre  des  prêches  hérétiques  afin  de  les 
réfuter  :  le  texte  du  code,  canon  1258,  §  2,  indique, 
en  effet,  expressément  les  trois  conditions  qui  légi- 
timent la  présence  matérielle  des  catholiques  à 
certains  offices  des  hérétiques  :  civilis  ojficii  vel 
honoris  causa  —  ob  gravem  ralioncm  —  dummodo 
perversionis  et  scandali  pcriculum  absit,  Snr  le  der- 
nier point,  il  existe  toute  une  législation  de  fait,  dont 
il  faut  tenir  compte.  Il  est,  en  effet,  défendu  d'entrer 
en  conférences  publiques  avec  des  hérétiques,  sans 
l'autorisation  du  siège  apostolique.  Voir  Contro- 
verse, t.  m,  col.  1731  sq.  Il  faut  tenir  compte 
également  des  législations  diocésaines.  Si  l'assis- 
tance aux  fonctions  religieuses  hérétiques  était  prescrite 
par  l'autorité  civile  en  haine  du  catholicisme,  ou  en 
faveur  d'une  secte,  comme  cela  est  arrivé  en  Russie  à 
l'égard  des  enfants  fréquentant  les  écoles  publiques,  elle 
ne  pourrait,  sous  aucun  prétexte,  être  autorisée.  Saint- 
Office,  26  avril  1894,  Collect.,  n.  1868.  Toute  cette 
législation  a  été  rappelée  dans  une  circulaire  du  cardi- 
nal-vicaire de  Rome,  12  juillet  1878,  Acta  sanctse  sedis, 
t. xi,  p.l68sq.,slriclissimeautcmuetalur  ingredi mera  cu- 
riosilate  et  scienter  aulas  et  templa  protestantium,  tempore 
collationum,  et  graviter  peccant  omnes,  qui  mera  curiosi- 
lale  collaliones  protestantium  auscultant  et  adsislunt, 
quanwis  materialiter,  cœremoniis  acatholicis.  —  d.  La 
participation  aux  offices  des  hérétiques  est  absolument 
interdite  :  défense  à  un  catholique  de  jouer  de  l'orgue, 
de  chanter  aux  offices  hérétiques,  S.  C.  de  la  Propa- 
gande, 8  juillet  1889,  Collect., n.  1713;  ce  serait  une  véri- 
table communication  active  formelle.  Le  cardinal- 
vicaire,  loc.  cit.,  juge  coupables  de  péché  grave  omnes 
artifices  qui  etiam  sola  lucri  ratione  cantanl  aul  sonanl 
in  protestantium  iemplis.  Sur  l'autorité  de  cette  circu- 
laire, voir  plus  loin,  col.  2245.  —  e.  En  dehors  des  offices, 
«  entrer  dans  les  temples  des  hérétiques  est  un  acte  en  soi 
indifférent,  qui  ne  devient  mauvais  qu'en  raison  de  la 
fin  mauvaise  qu'on  se  propose  ou  des  circonstances  dans 
lesquelles  on  l'accomplit.  Il  devient  en  effet  mauvais 
si  l'on  visite  le  temple  avec  l'intention  d'assister  aux 
fonctions  liturgiques  des  hérétiques;  si,  en  dehors  de 
cette  intention,  une  telle  démarche  peut  paraître  une 
communication  dans  les  choses  sacrées  avec  les  héré- 
tiques et  par  là  causer  du  scandale;  si  cette  démarche 
est  commandée  par  un  gouvernement  hérétique,  qui 
marque  par  là  son  intention  d'établir  la  confusion  de 
foi  et  de  religion  entre  catholiques  et  non-catholiques  ; 
si  enfin  cette  démarche  est  considérée  communément 
comme  la  marque  d'une  communion  de  foi  entre 
catholiques  et  non-catholiques.  »  Saint-Office,  13  jan- 
vier 1818,  ad  2um,  Collect.,  n.  727.  —  /.  La  simultanéité 
des  offices  catholiques  et  hérétiques  dans  la  même 
église  est  interdite  en  principe,  S.  C.  de  la  Propagande, 
13  août  1627;  Saint-Office,  10  mai  1753,  ad  lu"\ 
Collect.,  n.  36,  389,  mais  peut  être  tolérée  pour  des 


2235 


HERESIE.   HÉRÉTIQUE 


2235 


motifs  graves,  et  sous  certaines  conditions  qui  rendent 
impossible  la  confusion  des  religions.  Saint-Office, 
12  avril  1704,  Collect.,  n.  265.  Il  est  interdit,  en 
outre,  aux  prêtres  catholiques  de  célébrer  le  saint 
sacrifice  de  la  messe  dans  un  temple  des  hérétiques, 
même  s'il  avait  été  autrefois  consacré  ou  bénit. 
Codex  juris  canonici,  can.   823,  §  1. 

2.  Coopération  matérielle  aux  cultes  hérétiques.  — 
Sur  la  notion,  les  conditions  de  licéité  de  la  coopération 
matérielle,  voir  Coopération,  t.  m,  col.  1763-1767  sq. 
La  coopération  matérielle  aux  cultes  hérétiques  con- 
siste surtout  dans  la  part  prise  par  les  catholiques  à  la 
construction,  à  la  réparation,  à  l'ornementation  des 
temples  et  à  l'entretien  des  ministres;  il  s'agit  du  tra- 
vail accompli  ou  de  l'argent  versé  dans  ce  but.  Une 
réponse  de  la  S.  Pénitencerie,  donnée  en  1822,  voir 
Bucceroni,  Enchiridion  morale,  n.  192,  accorde  que  les 
catholiques  puissent  contribuer  par  leur  argent  à  la 
construction  d'un  temple  destiné  aux  hérétiques,  dans 
l'unique  but  de  se  libérer  de  la  promiscuité  que  leur 
impose  la  simultanéité  des  offices.  Cette  réponse  laisse 
donc  supposer  que  l'action  de  donner  de  l'argent  pour 
l'édification  d'un  temple  hérétique  et,  par  voie  de  con- 
séquence, celle  de  travailler  à  sa  construction  ne  sont 
pas  intrinsèquement  mauvaises;  de  plus,  la  S.  Péni- 
tencerie ne  reconnaît,  comme  motif  légitimant  cette 
coopération,  que  la  raison  du  dommage  public  prove- 
nant de  la  simultanéité  de  culte.  Mais  des  auteurs 
sérieux,  cf.  Génicot,  op.  cit.,  t.  i,  n.  237,  pensent  qu'un 
motif  grave  de  dommage  privé  peut  aussi  légitimer 
cette  coopération  matérielle.  De  plus,  la  coopération 
n'existe  pas  au  même  degré  chez  les  simples  ouvriers 
et  chez  les  entrepreneurs  et  architectes;  il  faut,  pour 
légitimer  l'intervention  de  ceux-ci,  une  raison  plus 
grave;  et,  ordinairement,  en  dehors  du  cas  prévu  par 
la  S.  Pénitencerie,  les  entrepreneurs  et  architectes 
catholiques  des  temples  hérétiques  pèchent  gravement, 
tandis  que  les  simples  ouvriers  sont  excusés  de  toute 
faute,  s'il  n'y  a  pas  de  scandale  donné  en  raison  de  leur 
travail  et  s'ils  n'agissent  pas  avec  un  sentiment  de 
mépris  pour  la  religion  catholique.  Cf.  circulaire  du 
cardinal-vicaire  et  Saint-Office,  14  janvier  1818, 
7  juillet  1864,  ad  8»"',  9U'"  et  10u"',  Collect.,  n.  1733, 1257. 
Les  mêmes  principes  solutionnent  le  problème  de  la 
coopération  au  culte  hérétique  pour  l'ornementation  des 
temples.  C'est  une  coopération  matérielle  très  éloignée 
que  celle  du  marchand  catholique  vendant  ce  qu'il 
possède  en  magasin  :  le  motif  du  gain  suffit  à  la  légi- 
timer; c'est  une  coopération  moins  éloignée  que  celle 
de  l'artisan  qui,  à  la  demande  des  hérétiques,  fabrique 
les  objets  et  les  meubles  destinés  à  leur  culte  :  il  faut 
un  motif  plus  grave  pour  la  rendre  licite. 

La  question  la  plus  délicate  est  peut-être  celle  de  la 
coopération  que  les  détenteurs  catholiques  du  pouvoir 
civil,  à  tous  les  degrés  de  la  hiérarchie  sociale,  sont 
appelés  à  donner  aux  cultes  hérétiques,  en  vertu  même 
de  leurs  fonctions.  La  solution  des  difficultés  pratiques, 
lesquelles  varient  selon  les  circonstances,  nous  paraît 
relever  d'un  problème  d'ordre  plus  général,  celui  de  la 
tolérance  en  matière  religieuse.  Là  où  la  tolérance  est 
licite,  licite  aussi  sera  cette  espèce  de  coopération  offi- 
cielle des  pouvoirs  publics  à  l'entretien  des  cultes  héré- 
tiques; il  faudrait  une  raison  plus  grave  pour  légiti- 
mer la  tolérance  relative  à  l'extension  de  ces  cultes,  et, 
partant,  pour  autoriser  une  coopération  des  pouvoirs 
publics  à  cette  extension.  On  ne  peut  guère  invoquer 
que  le  motif  de  la  paix  ou  de  l'extension  de  la  religion 
catholique  elle-même,  qu'on  ne  peut  souvent,  en  fait, 
assurer  dans  les  sociétés  modernes  qu'à  la  condition  de 
ne  pas  paraître  injuste  à  l'égard  des  autres  cultes.  La 
coopération  des  pouvoirs  publics  se  traduit  surtout 
dans  la  répartition  des  subventions  provenant  des 
fonds  publics;  il  est  utile  de  rappeler  que  les  catho- 


liques peuvent,  en  conscience,  payer  un  impôt  obli- 
gatoire dont  ils  savent  cependant  qu'une  partie  est 
destinée  à  la  subvention  des  cultes  hérétiques; 
citoyens  et  magistrats  devront  toutefois  laisser  entendre 
qu'ils  ne  veulent  pas  prendre  parti  pour  l'hérésie. 
Cf.  Saint-Office,  21  avril  1847,  ad  4'"»,  Collect.,  n.  1016. 
3.  Œuvres  interconfessionnclles.  —  Ce  sont  les  œuvres 
dans  lesquelles  catholiques  et  hérétiques  se  rencontrent 
poursuivant  un  but  commun,  mais  non  religieux. 
Nous  examinerons  brièvement  trois  points  principaux  : 

a)  les  syndicats  (et,  par  analogie,  les  œuvres  sociales); 

b)  les  hôpitaux  (et  par  analogie,  les  œuvres  de  bien- 
faisance); c)  les  écoles. 

a)  Syndicats.  —  «  L'Église  n'interdit  pas  absolu- 
ment l'entrée  (des  syndicats  non  confessionnels)  à  ses 
fidèles,  parce  que,  très  souvent,  surtout  dans  les  pays 
protestants,  le  nombre  des  ouvriers  catholiques  est  si 
minime  qu'il  leur  serait  impossible  de  former  un  syn- 
dicat catholique.  Il  pourrait  alors  y  avoir  dommage 
grave  pour  les  intérêts  de  l'ouvrier  catholique  à  rester 
dans  l'isolement  et  à  ne  pas  pouvoir  bénéficier  des 
avantages  temporels  résultant  de  l'association.  L'Église 
ne  peut  vouloir  compromettre  les  intérêts  temporels 
de  ses  enfants.  Partout  donc  où  la  création  des  syndi- 
cats catholiques  n'est  pas  possible,  l'Église  permet  à 
ses  enfants  l'entrée  dans  les  syndicats  non  confession- 
nels, à  moins  cependant  que  ces  syndicats,  nonobstant 
leur  étiquette  de  neutralité,  ne  professent  des  doctrines 
absolument  mauvaises  et  tellement  subversives  de 
l'ordre  public  que  la  fréquentation  de  ces  sociétés, 
malgré  les  avantages  matériels  qu'elles  peuvent  pro- 
curer à  leurs  adhérents,  ne  devienne  une  cause  de 
grave  dommage  spirituel  pour  l'ouvrier,  ou  de  grave 
dommage  temporel  pour  des  tiers  et  pour  la  société 
tout  entière;  auquel  cas,  il  ne  serait  pas  permis  à  un 
ouvrier  catholique  d'entrer  dans  ces  syndicats.  C'est 
pourquoi  l'Église  veut  absolument  que,  partout  où  la 
chose  est  possible,  on  crée  des  syndicats  catholiques... 
Les  motifs  qui  ont  inspiré  l'Église...  sont  évidents  et 
bien  connus.  La  question  des  rapports  entre  le  travail 
et  le  capital  relève  de  la  morale.  Les  principes  de  la 
morale  catholique  sur  ces  matières  sont  en  opposition 
formelle  avec  les  principes  du  socialisme  qui  compé- 
nètrent  de  toutes  parts  ces  sociétés  soi-disant  neutres. 
Dans  les  syndicats  non  confessionnels,  le  conflit  entre 
les  maximes  catholiques  et  les  théories  socialistes  est 
fatal.  Or,  l'expérience  a  démontré  que  dans  ce  conflit 
l'avantage  demeure  la  plupart  du  temps  au  socialisme. 
Alors  même  que  ce  conflit  des  doctrines  ne  se  produit 
pas  à  l'état  aigu,  il  y  a  toujours  d'ailleurs  pour  l'ouvrier 
catholique,  à  un  certain  degré,  péril  de  perversion  intel- 
lectuelle et  morale  et  danger  de  verser  dans  l'erreur 
socialiste,  souvent  même  sans  s'en  rendre  compte. 
C'est  pourquoi  l'Église  veut  que  les  ouvriers  catho- 
liques se  groupent  ensemble  pour  défendre  leurs  inté- 
rêts professionnels  sous  la  sauvegarde  des  règles  de  la 
doctrine  catholique  et  la  direction  des  pasteurs  de 
l'Église  chargés  de  les  leur  enseigner,  non  pas  seulement 
d'une  façon  théorique,  mais  dans  les  applications  de 
détail. 

«  Dans  la  pratique,  il  appartient  aux  évêques  de 
spécifier  les  cas  où  il  est  permis  à  des  catholiques 
d'entrer  dans  les  associations  neutres,  les  cas  où,  au 
contraire,  l'entrée  dans  les  associations  neutres  leur  est 
interdite.  Les  décisions  épiscopales  sur  ce  point  dé- 
pendent de  deux  circonstances  déjà  signalées  :  1°  du 
nombre  des  catholiques  dans  la  localité  et,  partant,  de- 
la  création  possible  d'un  syndicat  catholique;  2°  si  la 
création  d'un  syndicat  catholique  est  impossible, 
le  syndicat  neutre  présente-t-il  des  garanties  suffisantes 
d'honnêteté  morale  permettant  de  croire  qu'il  n'y  a. 
pour  ses  membres  aucun  danger  grave  de  perversion 
intellectuelle  et  morale?  »  P.  Mothon,  Les  sociétés  de 


2237 


HÉRÉSIE.    HÉRÉTIQUE 


2238' 


laïques  dans  l'Église  catholique,  c.  il,  §  1,  dans  les 
Questions  ecclésiastiques,  1912,  t.  il,  p.  194  sq.  Cf. 
L.  Durand,  Pourquoi  et  comment  les  œuvres  sociales 
doivent  être  catholiques,  Nevers,  1913;  Janvier,  Confé- 
rences de  Notre-Dame,  1914. 

Le  principe  général  qui  domine  toute  la  question  a 
été  posé  par  Léon  XIII  dans  l'encyclique  Immortale 
Dei.  Le  pape  rappelle  aux  catholiques  «  qu'il  n'est  pas 
permis  d'avoir  deux  manières  de  se  conduire  :  l'une 
en  particulier,  l'autre  en  public...;  ce  serait  là  allier 
ensemble  le  bien  et  le  mal  et  mettre  l'homme  en  lutte 
avec  lui-même,  quand,  au  contraire,  il  doit  toujours 
être  conséquent  et  ne  s'écarter  en  aucun  genre  de  vie 
ou  d'affaires  de  la  vertu  chrétienne  ».  Lettres  apostoliques 
de  Léon  XIII,  édit.  de  la  Bonne  Presse,  t.  u,  p.  51. 
C'était  déjà  affirmer  implicitement  qu'il  fallait  traiter 
toujours  chrétiennement,  c'est-à-dire  confessionnelle- 
ment,  les  questions  ouvrières  et  sociales.  Aussi,  il 
n'est  pas  étonnant  d'entendre  le  même  pontife  déclarer, 
dans  sa  lettre  Permoli  nos,  ibid.,  t.  iv,  p.  229,  au  car- 
dinal Goossens,  que  «  la  question  sociale...  tient  surtout 
de  très  près  à  la  morale  et  à  la  religion  »,  ou  encore 
ailleurs,  lettres  Prœclare  gratulalionis,  ibid.,  t.  iv, 
p.  103,  que,  «  pour  résoudre  les  [questions  sociales] 
sagement  et  conformément  à  la  justice,  si  louables 
que  soient  les  études,  les  expériences,  les  mesures  prises, 
rien  ne  vaut  la  foi  chrétienne  réveillant  dans  l'âme  du 
peuple  le  sentiment  du  devoir  et  lui  donnant  le  courage 
de  l'accomplir  ».  Le  perfectionnement  religieux,  tant 
recommandé  dans  l'encyclique  Rerum  novarum  comme 
moyen  de  perfectionnement  social,  la  religion  «  consti- 
tuée comme  fondement  de  toutes  les  lois  sociales  », 
cf.  t.  ni,  p.  65-67,  sont  nécessaires  aux  ouvriers  comme 
à  ceux  qui  dirigent  les  destinées  de  la  société  elle- 
même  :  aux  premiers,  afin  de  leur  enseigner  la  patience 
et  la  résignation  en  même  temps  que  la  religion  du 
devoir  qui  attireront  sur  eux  la  bienveillance  publique; 
aux  seconds,  afin  de  leur  donner  l'autorité  qui  manque 
forcément  à  la  législation  simplement,  humaine.  Encycl. 
Quod  aposlolici  muneris,  ibid.,  t.  i,  p.  41  ;  cf.  Rerum 
novarum,  t.  ni,  p.  69;  Exeunle  jam  anno,  t.  n,  p.  234- 
235;  lettre  à  M.  G.  Decurtins,  t.  m,  p.  219. 

Léon  XIII  a  fait  une  application  directe  de  ces  prin- 
cipes aux  assocations  d'ouvriers  :  «  Il  nous  paraît 
opportun,  dit-il,  d'encourager  les  sociétés  d'ouvriers  et 
d'artisans,  qui,  instituées  sous  le  patronage  de  la  religion, 
savent  rendre  tous  leurs  membres  contents  de  leur  sort 
et  résignés  au  travail  et  les  portent  à  mener  une  vie 
paisible  et  tranquille.  »  Encycl.  Quod  aposlolici  mu- 
neris, 1. 1,  p.  41.  L'encyclique  Longinqua  Occani  est  plus 
expressive  :  «  En  ce  qui  concerne  la  formation  des 
sociétés,  il  faut  bien  prendre  garde  à  ne  point  tomber 
dans  l'erreur,  et  nous  voulons  adresser  cette  recom- 
mandation aux  ouvriers  nommément.  Assurément,  ils 
ont  le  droit  de  s'unir  en  associations  pour  le  bien  de 
leurs  intérêts  :  l'Église  les  favorise  et  elles  sont  con- 
formes à  la  nature.  Mais  il  leur  importe  vivement  de 
considérer  avec  qui  ils  s'associent;  car,  en  recherchant 
certains  avantages,  ils  pourraient  parfois,  par  là  même, 
mettre  en  péril  des  biens  beaucoup  plus  grands...  Si 
donc  il  existe  une  société  dont  les  chefs  ne  soient  pas 
des  personnes  fermement  attachées  au  bien  et  amies  de 
la  religion,  et  si  cette  société  leur  obéit  aveuglément, 
elle  peut  faire  beaucoup  de  mal  dans  l'ordre  public  et 
privé;  elle  ne  peut  pas  faire  de  bien.  De  là  une  consé- 
quence, c'est  qu'il  faut  fuir  non  seulement  les  associa- 
tions ouvertement  condamnées  par  le  jugement  de 
l'Église,  mais  encore  celles  que  l'opinion  des  hommes 
sages,  principalement  des  évêques,  signale  comme 
suspectes  et  dangereuses.  Bien  plus,  et  c'est  un  point 
important  pour  la  sauvegarde  de  la  foi,  les  catholiques 
doivent  de  préférence  s'associer  à  des  catholiques,  à  moins 
que  la  nécessité  ne  les  oblige  à  faire  autrement.  »  Ibid., 


t.  iv,  p.  175.  Enfin,  dans  l'encyclique  Graves  de  corn- 
muni,  le  même  pontife,  affirmant  à  nouveau  que  toute 
action  sociale  doit  être  revêtue  «  d'un  caractère  chré- 
tien »,  rappelle  ses  enseignements  antérieurs  :  «  Nous 
n'avons  jamais  engagé  les  catholiques  à  entrer  dans 
.  des  associations  destinées  à  améliorer  le  sort  du  peuple 
ni  à  entreprendre  des  œuvres  analogues,  sans  les  avertir 
en  même  temps  que  ces  institutions  devaient  avoir  la 
religion  pour  inspiratrice,  pour  compagne  et  pour 
appui.  »  Ibid.,  t.  vi,  p.  175-221. 

Pie  X  n'a  fait  que  reprendre  la  doctrine  de  Léon  XIII. 
Les  Instructions  de  la  S.  C.  des  Affaires  ecclésiastiques 
extraordinaires  sur  l'action  populaire  chrétienne,  l'ency- 
clique Pieni  l'animo,  la  Lettre  sur  le  Sillon  sont  basées 
sur  les  mêmes  principes,  condamnant  «  ceux  qui  se 
flattent  de  pourvoir  au  bonheur  de  la  société  sans  le 
secours  de  la  religion  ».  Cf.  Allocution  aux  patrons 
chrétiens  du  Nord,  8  février  1904,  dans  Lettres  de  Pie  X, 
édit.  de  la  Bonne  Presse,  t.  i,  p.  217.  Le  même  Pie  X, 
s'adressant,  le  9  mars  1904,  au  comte  Medolago  Albani, 
président  de  l'œuvre  italienne  des  congrès,  l'adjure  de 
«  mettre  tout  en  œuvre  pour  éloigner  ses  membres  de 
ces  institutions  neutres  qui,  destinées  en  apparence  à 
la  protection  de  l'ouvrier,  ont  un  autre  but  que  le  but 
principal  de  procurer  le  vrai  bien  moral  et  économique 
des  individus  et  des  familles  ».  Ibid.,  t.  i,  p.  113. 
En  1910,  il  écrit  à  la  Fédération  italienne  des  caisses 
rurales  et  à  M.  Louis  Durand,  président  de  V  Union 
des  caisses  rurales  de  France,  deux  lettres  parallèles 
qui  se  résument  dans  l'éloge  adressé  aux  procédés 
d'action  sociale  qui  «  s'écartent  résolument  du  perni- 
cieux principe  de  la  neutralité  religieuse  et  revêtent 
un  caractère  catholique  plein  de  précision  et  de  netteté, 
dans  une  union  disciplinée  ».  En  même  temps,  Pie  X 
donnait  à  l' Union  économico-sociale  des  catholiques 
italiens  la  règle  expresse  suivante  :  «  Que  le  non  eru- 
besco  Evangclium  soit  imprimé  en  grands  et  ineffaçables 
caractères  sur  le  drapeau  de  toutes  les  institutions  ca- 
tholiques et  qu'une  profession  chrétienne,  ouverte  et 
franche,  forme  leur  devise  glorieuse  et  la  synthèse 
lumineuse  du  caractère  qui  les  informe  et  les  dirige,  a- 
Cf.  Lettres  du  cardinal  Merry  del  Val,  secrétaire 
d'État,  à  Mme  la  baronne  de  Montenach,  mai  1912  : 
à  MgrBougoùin,  évèque  de  Périgueux,  29  juillet  1912. 

La  question  des  associations  interconfessionnelles 
s'est  posée  devant  l'Église  avec  plus  d'acuité  à  propos 
des  syndicats  allemands  école  de  Berlin,  école  de 
Cologne.  A  Berlin,  les  syndicats  d'ouvriers  s'affichaient 
confessionnels  et  catholiques;  à  Cologne,  interconfes- 
sionnels et  simplement  chrétiens.  Le  28  mai  1912» 
Pie  X  télégraphiait  aux  premiers,  réunis  en  congrès 
à  Berlin,  ses  approbations  et  ses  éloges;  aux  seconds, 
réunis  en  congrès  à  Francfort,  ses  exhortations  «  à 
adhérer  très  fidèlement  à  la  doctrine  du  saint-siège, 
non  seulement  dans  la  vie  privée,  mais  aussi  dans 
l'action  publique  et  sociale  ».  La  nuance  était  visible; 
une  polémique  s'engagea,  qui  provoqua  un  document 
officiel,  l'encyclique  Singulari  quadam,  24  sep- 
tembre 1912,  où  Pie  X,  après  avoir  rappelé  les  prin- 
cipes, loué  les  syndicats  purement  confessionnels  et 
catholiques,  concède  aux  syndicats  interconfessionnels 
d'être  tolérés  en  Allemagne,  sous  certaines  conditions 
capables  de  prémunir  les  ouvriers  catholiques  contre  les 
dangers  de  perversion  possible.  L'encyclique  n'ayant 
pas  apporté  l'apaisement,  Mgr  Schulte,  évêque  de 
Paderborn,  fit  publier  un  commentaire  de  cinq  points 
en  litige,  cf.  Westfâlisches  Volksblalt,  28  novembre  1912, 
et  les  évêques  de  la  province  de  Cologne,  le  13  fé- 
vrier 1914,  résumèrent  en  six  points  les  principes  rela- 
tifs aux  œuvres  interconfessionnelles  et  à  l'autorité 
de  l'Église  et  les  applications  pratiques  qu'ils  jugeaient 
opportunes  en  leurs  diocèses.  Voir  les  documents  dans 
les    Questions    ecclésiastiques,   1912,   t.   n,   p.   67   sq.. 


2239 


HÉRÉSIE.    HÉRÉTIQUE 


2240 


565  sq.  ;  1914,  t.  i,  p.  321  sq.  Cf.  Questions  actuelles, 
t.  cxm,  n.  8;  Mgr  Fichaux,  L'encyclique  Singulari 
quadam  de  Pie  X  sur  les  syndicats  catholiques  d'Alle- 
magne, dans  les  Conférences  d'études  sociales  de  N.-D. 
du  Haut-Mont,  février  1913. 

b)  Hôpitaux.  —  Les  principes  qu'on  vient  d'exposer 
résolvent  dans  le  mime  sens  la  question  des  œuvres 
philanthropiques  interconfessionnelles,  considérées  en 
général.  Faute  de  mieux,  les  catholiques  peuvent  s'unir 
aux  hérétiques  pour  fonder  et  soutenir  ces  sortes 
d'œuvres,  à  condition  qu'il  soit  bien  établi  que  leur 
collaboration  ne  puisse  en  aucune  façon  favoriser 
l'hérésie  elle-même  et  devenir  une  source  de  perversion 
ou  de  scandale  pour  les  fidèles.  Ce  concours  des 
catholiques  est  plus  facile  à  concevoir  lorsqu'il  s'agit 
d'œuvres  ayant  en  vue  le  soulagement  des  misères 
physiques  :  la  bienfaisance  est  seule  ici  en  jeu.  Lorsqu'il 
s'agit  de  misères  morales  à  guérir,  la  religion  catholique 
impose  des  règles  qu'il  n'est  point  permis  de  transgres- 
ser; il  faut  donc  que  les  catholiques,  avant  de  s'engager 
dans  des  œuvres  philanthropiques  de  ce  genre,  s'as- 
surent que  leur  concours  financier  ou  autre  n'ira  pas 
augmenter  l'influence  et  l'action  de  ceux  qui  travaillent 
dans  un  sens  favorable  à  l'hérésie.  Les  hôpitaux 
occupent  une  place  à  part  parmi  les  œuvres  philan- 
thropiques :  parmi  les  soins  d'ordre  moral  que  l'on  est 
appelé  à  y  donner  aux  malades,  se  trouve  la  prépara- 
tion à  une  mort  chrétienne.  Or,  dans  les  hôpitaux 
interconfessionnels,  il  se  rencontre  des  moribonds 
hérétiques,  lesquels  désirent  se  préparer  à  la  mort  avec 
les  secours  religieux  de  leur  secte.  En  face  de  ce  désir, 
dicté  souvent  par  la  plus  entière  bonne  foi,  quel  est  le 
devoir  des  infirmiers  catholiques,  et,  en  général,  des 
personnes  catholiques  chargées  de  la  direction  de 
l'hôpital  ? 

Le  Saint-Office,  consulté  à  ce  sujet  par  un  aumônier 
de  Neutz,  diocèse  de  Cologne,  répondit,  le  14  mars 
1848,  qu'il  n'était  pas  permis  aux  religieuses  em- 
ployées dans  un  hôpital  où  étaient  soignés  des  héréti- 
ques, d'appeler  le  ministre  de  la  secte  auprès  des  mori- 
bonds. L'attitude  passive  leur  est  prescrite.  La  même 
réponse  doit  être  faite  dans  le  cas  où  un  malade 
hérétique  serait  soigné  dans  une  maison  particulière  : 
nul  catholique  n'a  le  droit  d'appeler  au  chevet  du 
malade  le  ministre  hérétique.  Le  passive  se  habeant 
du  décret  du  15  mars  1848  a  été  expliqué  dans  une 
réponse  du  5  février  1872,  donnée  à  la  demande  du 
vicaire  apostolique  d'Egypte  pour  les  hospices  mixtes 
de  ce  pays  : 


(Notificetur)  monialibus 
vel  aliis  personis  catholicis 
addictis  directioni  vel  servi- 
tio  hospitalis,  non  licere  ope- 
rani  suani  directe  praestare 
infirmis  acatholicis  pro  ad- 
vocando  proprio  ministro, 
et  bene  erit,  si  data  occa- 
sione,  id  déclarent;  sed... 
adhiberi  potest  pro  advo- 
cando  ministro,  ministerium 
alicujus  personse  pertinentis 
ad  respectivam  sectam  po- 
stulantium.  Et  ita  salva 
manet  doctrina  relate  ad 
vetitam  communicationem 
in  divinis. 


Les  religieuses  et  les  per- 
sonnes catholiques  chargées 
de  la  direction  dans  un  hô- 
pital ne  peuvent  s'entre- 
mettre directement  pour  pro- 
curer un  ministre  de  leur 
religion  aux  malades  non  ca- 
tholiques, et  elles  feront  bien 
de  le  dire  à  l'occasion;  mais 
rien  n'empêche  d'employer 
pour  faire  venir  ce  ministre 
une  personne  professant  la 
même  religion  que  le  malade. 
Ainsi  l'on  évite  la  communi- 
cation in  divinis,  qui  est  dé- 
fendue. 


Le  14  décembre  1898,  les  précédents  décrets  étaient 
communiqués  aux  petites  sœurs  des  pauvres  pour  leur 
gouverne  à  l'égard  des  vieillards  de  leurs  hospices  : 
ils  ont  donc,  par  là  même,  valeur  universelle.  Voir  les 
documents  dans  les  Analecla  ecclesiaslica,  mars  1899, 
p.  98-99. 

De  ces  décrets,  on  peut  tirer  les  quatre  règles  sui- 
vantes :  a.  Les  catholiques  ne  peuvent,  sans  faire  une 


communication  in  divinis  interdite,  proposer  d'eux- 
mêmes  un  ministre  hérétique,  mais  ils  peuvent  toujours 
inciter  un  hérétique  à  faire  des  actes  d'amour  de  Dieu 
et  de  contrition  pour  le  préparer  à  la  mort.  —  b.  Au 
cas  où  le  malade  demande  lui-même  un  ministre  de  sa 
religion,  les  catholiques  ne  peuvent  prévenir  ce  mi- 
nistre eux-mêmes  ni  le  faire  prévenir  par  un  catholique. 
Ce  serait  encore  une  communication  in  divinis.  — ■ 
c.  Toutefois,  autre  chose  est  de  demander  au  ministre 
hérétique  de  venir  administrer  un  rite  religieux,  autre 
chose  est  de  le  prévenir  simplement  «  que  le  malade 
désire  sa  visite  ».  Appeler  le  ministre  en  ces  derniers 
termes,  c'est  sans  doute  coopérer  prochainement, 
quoique  matériellement,  à  un  rite  religieux,  que, 
d'ailleurs,  les  circonstances  semblent  appeler.  Cette 
coopération  peut  être  rendue  parfois  (rarement)  licite 
«  pour  éviter  un  plus  grand  mal,  le  désespoir  du  mori- 
bond, des  récriminations  contre  l'Église,  des  blas- 
phèmes, le  scandale  des  autres  malades  »,  etc.  Cl.  Marc, 
op.  cit.,  1. 1,  n.  450  —  d.  Rien  n'empêche  un  catholique, 
si  le  malade  demande  un  ministre  hérétique,  de  lui 
conseiller  de  faire  appeler  le  ministre  par  une  personne 
de  la  même  religion,  ou  bien  de  transmettre  lui-même 
le  désir  du  malade  à  une  personne  qu'il  sait  ne  pas 
appartenir  à  la  religion  catholique.  Cf.  Ami  du  clergé, 
1904,  p.  112,  879;  1907,  p  287 

Les  orphelinats  interconfessionnels  offrent,  pour  les 
catholiques,  une  difficulté  spéciale,  relativement  à 
l'instruction  et  à  l'éducation  des  enfants  catholiques. 
Cette  difficulté  doit  être  résolue  d'après  les  principes 
concernant  les  écoles  interconfessionnelles. 

c)  Écoles.  —  On  a  rappelé,  à  l'art.  École,  t.  iv; 
col.  2083,  les  raisons  pour  lesquelles  l'Église  ne  peut 
se  désintéresser  de  l'école.  On  comprend,  vu  le  danger 
plus  grave  qu'un  enseignement  profane  donné  par  des 
maîtres  hérétiques  peut  faire  courir  à  la  foi  des  enfants, 
que  l'Église  mette  en  garde  les  parents  catholiques 
contre  les  écoles  où  enseignent  des  hérétiques  plus 
encore  que  contre  les  écoles  neutres.  Dans  les  écoles 
où  les  maîtres  sont  catholiques,  mais  dont  la  popula- 
tion scolaire  renferme  des  enfants  non  catholiques, 
le  danger  peut  venir  du  côté  des  élèves  eux-mêmes. 
Voici  les  règles  que  l'on  peut  dégager  des  docu- 
ments pontificaux  sur  la  matière.  —  a.  Défense,  en 
principe,  aux  catholiques  de  subventionner  les  écoles 
hérétiques,  soit  d'une  façon  passagère,  soit  habituelle- 
ment :  une  telle  coopération  ne  pourrait  être  légitimée 
que  pour  éviter  un  mal  grave  et  à  la  condition  que  le 
but  poursuivi  par  l'école  fût  uniquement  un  but  d'in- 
struction, non  de  propagande,  et  ensuite  qu'il  n'y  eût 
pas  scandale.  Cf.  Instruction  de  la  Propagande  aux 
archevêques  et  évêques  d'Irlande,  7  avril  1860,  Collecl., 
n.  1190;  Concil- plénier  de  l'Amérique  latine,  tit.  ix,  c.  i, 
n.  677-679;  cf.  n,n.  687;  Lehmkuhl,  Thcologia  moralis, 
t.  i,  n.  660.  —  b.  Défense,  en  principe,  aux  parents 
catholiques  d'envoyer  leurs  enfants  dans  les  écoles  où 
enseignent  des  maîtres  hérétiques.  Voici,  sur  ce  point 
important,  le  texte  du  décret  du  Saint-Office,  17  jan- 
vier 1866,  aux  évêques  de  Suisse. 


An  lieeat  parentibus  libe- 
ros  suos  hujusmodi  scholis 
instituendos  committere?  — ■ 
Generatim  loquendo,  non 
licere;  sed  in  casibus  parti- 
cularibus  judicio  et  conscien- 
tise  ordinarii  id  esse  relin- 
quendum;  cujus  tamen  erit 
officii  diligenter  curare,  ut 
non  modo  a  se,  et  a  paro- 
chis,  verum  etiam  a  singulis 
genitoribus  opportuna  remé- 
dia adhibeantur.quibus  peri- 
culum  perversionis  ab  alum- 
nis     remo-veatur,     simulque 


Est-il  permis  aux  parents 
de  confier  l'instruction  de 
leurs  enfants  à  ces  sortes 
d'écoles?  —  D'une  manière 
générale,  cela  n'est  pas  per- 
mis; mais  dans  les  cas  parti- 
culiers, la  décision  est  laissée 
au  jugement  et  à  la  con- 
science de  l'ordinaire.  Le 
devoir  de  l'ordinaire  est  de 
s'appliquer  à  employer  lui- 
même  et  de  faire  employer 
par  les  curés  et  les  parents 
les  remèdes  opportuns  pour 
écarter  le  danger  de  perver- 


2241 


HÉRÉSIE.    HÉRÉTIQUE 


2242 


eniti  apud  magistratus  et 
praesides.ne  vis  inf  eratur  con- 
scientiae  catholicorum,  adhi- 
bendo  libros,  qui  religioni 
catholicse  sint  infensi,  ac  de- 
nique  assidue  et  instanter 
roonere  et  hortari  omnes  at- 
que  eos  prœsertim,  quibus 
facultas  est,  ut  liberos  suos 
in  alias  regiones  mittant,  ubi 
catholice  educentur. 


sion  des  élèves.  Il  devra  en 
même  temps  faire  des  dé- 
marches auprès  des  ma- 
gistrats et  des  présidents, 
pour  que  la  conscience  des 
catholiques  ne  soit  pas  vio- 
lentée par  l'usage  de  livres 
hostiles  à  la  doctrine  catho- 
lique, et  enfin  avertir  et 
exhorter  assidûment  et  ins- 
tamment tous  les  parents,  et 
spécialement  ceux  qui  le 
peuvent,  d'envoyer  leurs  en- 
fants en  d'autres  pays  pour 
les  y  faire  élever  chrétienne- 
ment. Trad.  de  Mgr  Nègre, 
dans  Les  écoles,  Documents 
du  saint-siège,  Paris,  1911, 
p.  20. 

Ce  texte  est  le  plus  clair  qui  ait  été  donné  sur  la 
matière,  mais  l'Église  a  promulgué  son  enseignement 
touchant  la  fréquentation  des  écoles  où  professent 
des  maîtres  hérétiques  en  maintes  circonstances.  Voir, 
en  particulier,  l'Instruction  du  Saint-Office,  24  no- 
vembre 1875,  aux  évêques  des  États-Unis,'  Collect., 
n.  1449;  la  Lettre  de  Léon  XIII  au  cardinal  Gibbons, 
31  mai  1893;  le  Concile  plénier  de  l'Amérique  latine, 
tit.  ix,  c.  i,  n.  677;  l'Instruction  de  la  S.  C.  de  la  Propa- 
gande aux  évêques  d'Irlande,  7  avril  1860,  Collect., 
n.  1190.  On  peut  résumer  la  discipline  de  l'Église  dans 
les  points  suivants  :  a.  défense  est  faite  aux  parents  ca- 
tholiques d'envoyer  leurs  enfants  dans  des  écoles  où 
professent  des  hérétiques;  ,S.  si  les  parents  n'ont  pas 
d'école  catholique  à  leur  disposition,  ils  doivent,  dans 
la  mesure  de  leurs  moyens,  envoyer  leurs  enfants  dans 
une  autre  région,  où  existe  une  école  catholique; 
y.  en  cas  d'impossibilité  et  pour  des  raisons  qu'appré- 
ciera l'évêque,  on  peut  tolérer  que  les  enfants  fré- 
quentent l'école  non  catholique,  mais  à  la  double  condi- 
tion qu'il  n'y  ait  pas  de  livres  hostiles  à  la  foi  et  que 
tout  péril  prochain  de  perversion  soit  écarté;  o.  au  cas 
où  ces  conditions  ne  pourraient  être  réalisées,  défense 
est  faite  aux  parents,  absolument  et  sans  restriction, 
de  laisser  leurs  enfants  fréquenter  pareilles  écoles; 
une  faiblesse  de  leur  part  sur  ce  point  les  rendrait 
jouteurs  de  l'hérésie.Voir  plus  loin,  col.  2244.  Parmi  les 
exceptions  autorisées  par  le  saint-siège  ou  les  évêques, 
signalons  le  cas  des  écoles  catholiques  de  Faribault  et 
de  Stilwater,  dans  l'État  de  Minesota,  pour  lesquelles 
Mgr  Ireland  accepta  le  contrôle  des  autorités  acadé- 
miques non  catholiques,  cf.  Lettre  de  Léon  XIII  au 
cardinal  Gibbons,  et  celui  des  universités  d'Oxford  et 
de  Cambridge,  dont  la  fréquentation  fut  autorisée 
aux  jeunes  Anglais  catholiques,  après  avoir  été  d'abord 
interdite.  Cf.  Circulaire  de  la  Propagande  aux  évêques 
d'Angleterre,  6  août  1867,  Collect.,  n.  1312;  Saint- 
Office,  et  S.  C.  de  la  Propagande,  décrets  du  26  mars  et 
17  avril  1895  à  l'archevêque  de  Westminster.  —  c.  Au 
sujet  de  la  coopération  que  peuvent  apporter  les  prêtres 
à  la  direction  des  écoles  mixtes,  c'est-à-dire  où  des 
hérétiques  enseignent  à  côté  de  maîtres  catholiques, 
lorsque  ces  écoles  sont  tolérées  en  raison  des  circon- 
stances par  les  évêques,  voici  la  règle  formulée  par  le 
Saint-Office,  dans  sa  réponse  du  17  janvier  1866,  aux 
évêques  suisses  : 


An  liceat  sacerdoti  in  prœ- 
dictis  scholis  fidei  Christian» 
documenta  tradere,  aut  ca- 
pellani  munere  fungi  ?  — 
Affirmative,  et  ad  mentem. 
Mens  est,  ut  non  modo  fidei 
tradendoe,  verum  etiam  disci- 
plinarum  scholis,  quotquot 
fieri  potest,  prsefici  sacer- 
dotes,  aut  honestos  perspec- 


Est-il  permis  au  prêtre 
d'enseigner  la  doctrine  chré- 
tienne dans  ces  écoles  et 
d'accepter  le  titre  d'aumô- 
nier ?  —  Affirmativement, 
sauf  explications.  C'est-à- 
dire  qu'il  faut  avoir  soin  de 
confier  non  seulement  l'en- 
seignement religieux,  mais 
encore  la  direction  des  écoles 


tasque  religionis  laicos  curan- 
dum  sit  :  quo  vero  omnis 
cesset  scandali  formido,  mo- 
nendum  esse  populum,  id 
fieri,  ut  mala,  quae  ex  hujus- 
modi  scholis  dimanant,  quan- 
tum fieri  potest,  avertantur; 
idque  proinde  nemini  excu- 
satione  esse  debere,  quomi- 
nus  liberos  suos  mittant  ad 
scholas  mère  catholicas,  in 
quibus  eorum  fides  ac  mores 
nullo  modo  periclitentur. 


DICT.    DE   THÉOL.  CATH. 


à  des  prêtres  autant  que 
possible  ou  à  des  laïques 
honnêtes,  chrétiens  exem- 
plaires. Pour  que  toute 
crainte  de  scandale  cesse,  il 
faut  avertir  le  peuple  qu'on 
agit  ainsi  pour  écarter,  au- 
tant que  faire  se  peut,  le 
mal  de  ces  écoles,  et  que, 
par  conséquent,  ce  ne  doit 
être  pour  personne  une 
excuse  le  dispensant  d'en- 
voyer ses  enfants  à  des 
écoles  purement  catholiques, 
dans  lesquelles  la  foi  et  le» 
mœurs  ne  sont  exposées  à 
aucun  danger;  Mgr  Nègre, 
op.   cit.,  p.  22-23. 


Ces  règles  s'appliquent,  a  pari,  au  cas  de  l'école 
simplement  neutre.  —  d.  Le  péril  pouvant  venir  des 
condisciples,  l'Église  impose  une  sévère  réglementation 
aux  écoles  catholiques  fréquentées  par  des  élèves  hérétiques 
(ou  schismatiques).  Les  documents  les  plus  importants, 
relatifs  à  cette  question,  sont  les  décisions  suivantes 
émanées  du  Saint-Office  :  instructions  du  21  mars  1866, 
du  18  octobre  1883,  n.  11  ;  décrets  du  6  décembre  1899, 
du  22  août  1900;  instruction  de  la  S.  C.  de  la  Propa- 
gande, 25  avril  1868.  Collect.,  n.  1286,  1606,  2070, 
2093,  1329.  Voici  quelles  règles  pratiques  on  peut  en 
tirer  :  a.  défense  absolue  de  recevoir  les  enfants 
d'apostats  soit  comme  internes,  soit  comme  externes; 
(3.  on  autorise  l'admission,  simplement  comme  externes, 
des  enfants  hérétiques  et  schismatiques  qui  ont  un 
bon  naturel;  pour  chaque  cas  particulier,  cette  auto- 
risation doit  être  demandée  au  missionnaire  de  l'en- 
droit, lequel  préviendra  l'évêque;  y.  à  l'évêque  de 
veiller  pour  écarter  des  enfants  catholiques  le  péril 
de  perversion;  3.  le  nombre  des  enfants  hérétiques  ou 
schismatiques  admis  comme  externes  ne  doit  pas 
dépasser  le  tiers;  s.  toutes  discussions  sur  les  matières 
religieuses  sont  rigoureusement  interdites  entre  élèves 
catholiques  et  non  catholiques;  Z.  l'assistance  aux 
offices  catholiques  est  permise,  non  imposée  aux  en- 
fants hérétiques  et  schismatiques;  les  schismatiques 
peuvent  prendre  part  aux  chants;  rj,  les  maîtres  catho- 
liques ne  peuvent  conduire  ni  faire  conduire  en  leur 
nom  au  temple  leurs  élèves  non  catholiques,  ni  pour 
les  offices,  ni  pour  les  sacrements  ;  s'ils  y  sont  contraints, 
ils  doivent  se  tenir  purement  passifs;  G.  l'instruction 
religieuse  intégrale  doit  être  donnée  aux  enfants  catho- 
liques, même  si  les  non  catholiques,  damant  autorisés 
par  leurs  parents,  assistent  à  la  leçon;  en  tous  cas,  est 
réprouvé  un  enseignement  comm.in  de  la  religion  sur 
les  principes  dits  fondamentaux;  si  les  parents  l'exigent, 
les  enfants  non  catholique  s  pourront  recevoir  l'instruc- 
tion religieuse  de  leur  secte  par  des  maîtres  de  cette 
secte,  dans  un  local  séparé,  le  tout  aux  frais  des 
parents;  i.  les  maîtres  et  les  livres  non  catholiques, 
en  matière  de  sciences  profanes,  peuvent  être  tolérés, 
s'il  n'y  a  aucun  danger  de  perversion  et  si  les  cir- 
constances l'exigent.  Cf.  Ami  du  clergé,  1908,  p.  444; 
1900,  p.  1604;  1907,  p.  600. 

III.  Problême  canonique  :  l'hérésie-délit.  — 
On  se  contentera  d'indications  brèves,  suffisantes  pour 
le  dictionnaire  de  théologie. 

1°  Notion  et  extension  de  l'hérésie-délit.  —  1.  Notion. 
— -  a)  On  connaît  les  caractères  du  délit  ecclésiastique  : 
c'est  une  action  ou  une  omission  non  seulement  cou- 
pable et  perturbatrice  de  l'ordre  de  l'Église,  mais 
encore,  à  cause  de  cette  nocivité  même,  externe.  Voir 
Délit,  t.  iv,  col.  258.  En  conséquence,  pour  constituer 
un  délit,  il  faut  que  l'hérésie  soit  extériorisée  par  des 
actes  ou  des  paroles;  l'hérésie  purement  interne, 
quelque  grave  qu'elle  puisse  être  au  regard  de  la  doc- 

VI.  — 71 


(/ 


2243 


HÉRÉSIE.    HÉRÉTIQUE 


2244 


triiie  et  de  la  morale,  n'est  pas  un  délit  passible  des 
peines  ecclésiastiques.  De  Lugo,  De  fuie,  disp.  XXIII, 
u.  11  sq.;  Suarez,  De  fide,  disp.  XXI,  sect.  il,  n.  4; 
d'Annibale,  Commentarius  in  constitutioncm  Aposlolicœ 
sedis.  n.  31.  L'hérésie  externe  suffit  pour  caractériser 
lit,  alors  nu  me  qu'il  ne  s'agirait  pas  d'hérésie 
notoire,  même  si,  par  ailleurs,  l'hérésie  est  rendue 
externe  par  un  simple  signe,  sans  que  personne  en 
puisse  Être  témoin;  en  ce  cas,  c'est,  en  effet,  tout  à 
fait  accidentellement  qu'elle  demeure  occulte  et  qu'elle 
perd  sa  nocivité.  Tel  est  le  sentiment  commun  des  théo- 
logiens et  des  canonistes.  Cf.  Suarez,  De  fide,  loc.  cit., 
n.  6.  La  distinction  entre  hérésie  interne  et  hérésie 
externe  ne  correspond  donc  pas  à  la  distinction  entre 
hérésie  occulte  et  hérésie  publique  ou  notoire.  Voir 
col.  2227. 

b)  L'extériorisation  doit  réaliser  une  double  condi- 
tion pour  donner  à  l'hérésie  son  caractère  délictueux  : 
a.  la  manifestation  extérieure  doit  être  faite  par  un 
signe,  parole  ou  acte,  suffisamment  caractérisé  pour 
indiquer  qu'il  s'agit  bien  d'un  acquiescement  à  une 
doctrine  hérétique,  Suarez,  loc.  cit.,  n.  9;  b.  elle  doit, 
en  outre,  être  gravement  coupable  et,  par  là,  on  exclut 
toute  manifestation  qui  ne  comporterait  pas^une 
adhésion  extérieure  volontaire  à  l'hérésie,  par  exemple, 
celle  qu'on  peut  faire  pour  demander  un  conseil,  sou- 
m  Etre  un  doute,  etc.  S.  Alphonse,  op.  cit.,  1.  VIL 
n.  303-305;  Sanchez,  Opus  morale,  1.  II,  c.  vm;  Suarez, 
loc  cit.,  n.  12. 

2.  Extension.  —  L'Église,  croyons-nous,  n'a  jamais 
admis,  même  simplement  dans  la  procédure  des  tribu- 
naux d'inquisition,  deux  notions  spécifiquement 
distinctes  de  l'hérésie,  l'une  théologique,  l'autre  inqui- 
sitoriale.  Si  le  délit  d'hérésie  paraît  souvent,  dans  le 
droit  pénal  ecclésiastique,  déborder  les  limites  de 
l'hérésie  théologique,  c'est  que,  la  plupart  du  temps, 
il  ne  s'agit  plus,  en  matière  d'inquisition,  de  définir  une 
proposition  comme  hérétique  (le  Saint-Office  lui-même 
n'a  aucune  qualité  pour  porter  sur  ce  point  un  juge- 
ment infaillible),  mais  bien  de  découvrir  les  personnes 
qui  propagent,  professent  ou  favorisent  l'hérésie,  de 
les  condamner  de  ce  chef  et  d'éloigner  par  là,  pour  les 
fidèles,  le  danger  de  perversion  doctrinale.  Partant, 
l'Église  peut  légitimement  déclarer  coupables  du  délil 
d'hérésie,  non  seulement  les  hérétiques  et  hérétiques 
publics  proprement  dits,  mais  encore,  pourvu  que  leur 
délit  soit  suffisamment  caractérisé,  tous  ceux  qui  se 
font  complices  des  hérétiques,  tous  ceux  qui,  par  leurs 
actes  et  leurs  paroles,  montrent  qu'ils  ne  font  pas  de 
cas  des  enseignements  de  l'Église,  et  sont  vérita- 
pler.ient,  par  leurs  attitudes,  suspects  d'hérésie.  Cette 
c-  i  lii  ;.;ion  ressort  avec  netteté  du  nouveau  code 
le  droit  canonique,  canons  2314,  2315,  2316;  voir 
plus  loin  le  texte  de  ces  canons.  Sur  la  prétendue 
distinction  de  l'hérésie  théologique  et  de  l'hérésie 
inquisitoriale,  voir  Garzend,  op.  cit.  Les  idées  de 
M.  Garzend  ont  été  discutées,  par  M.  Villien,  dans  la 
Revue  pratique  cl' apologétique  du  15  septembre  1913, 
p.  886-889,  et  par  M.  Boudinhon,  dans  le  Canoniste 
contemporain,   1913,  p.  633-648. 

En  bref,  le  droit  actuel  prévoit  comme  punissables 
du  chef  de  délit  d'hérésie  :  a)  les  hérétiques  propre- 
ment dits,  hérésiarques  et  a  fortiori  relaps,  voir  ce 
mot  ;  b)  les  suspects  d'hérésie  ;  c)  les  propagateurs  et 
défenseurs  de  doctrines  connexes  et  l'hérésie;  d)  les  édi- 
teurs, défenseur?,  lecteurs,  détenteurs  de  livres  héré- 
tiques. Et'le  code  prend  soin  de  préciser  la  notion  de 
l'hérétique  et  de  cataloguer  les  cas  de  suspicion 
d'hérésie. 

Vcici  la  définition  de  l'hérétique  : 

Can.  1325,  g  2.  Post  recep-  Si  quelqu'un,  après  avoir 
tutn  baptismum  si  qui*  no-  reçu  le  baptême,  tout  en 
i;;m    retinens    christiamun,    conservant  le  nom  de  chré- 


pertinaciter  aliquam  ex  ve- 
ritatibus  fide  divina  et  ca- 
tholica  credendis  denegat, 
aut  de  ea  dubilat,  hïereticus. 


tien,  nie  avec  pertinacité  ou 
révoque  en  doute  quelqu'une 
des  vérités  qu'il  laut  croire 
de  foi  divine  et  catholique, 
il  est  hérétique. 


Ce  canon,  à  notre  avis,  tranche  la  question  de  savoir 
si  celui  qui  doute  positivement  d'un  point  de  la  foi 
catholique  tombe  sous  le  coup  des  p  ines  ecclésias- 
tiques. Ce  point  était  controveré  par  quelques- 
auteurs,  Struggl,  Theologia  mor  lis,  Linz,  1875, 
tr.  IV,  q.  ii,  n.  12  :  le  doute  positif,  dit  il,  n'étant 
pas  l'hérésie  complètement  affirmée  et  consommée. 
Cf.  Noldin,  De  pœni>  ecclesi  slicis,  n.  502.  Le- 
canon  1325,  §2,  consacre  la  doctrine  commune',  cf. 
Capello,  De  ccnsuiis  juxta  codicem  juris  c  nonici, 
Turin,  1919,  n.  64.  Notons  toutefois  que  des  auteurs, 
écrivant  postérieurement  à  la  publication  du  nou- 
veau droit,  semblent  penser  que  le  doute  ne  suffit 
pas  pour  encourir  les  peines  ecclésiastiques.  Sel;as- 
tiani,  Summarium  theologix  morulis,  Turin,  1919, 
n.  610. 

Au  sujet  de  la  suspicion  d'hérésie,  les  anciens  cano- 
nistes et  théologiens  ne  s'entendaient  pas  tous  sur 
les  délits  qui  pouvaient  engendrer  cette  suspicion. 
Voir  les  cas  prévus,  Lehmkuhl,  Theologia  moralis, 
t.  i,'n.  813  ;  t.  n,  n.  899,  902.  Il  semble  bien  que  le- 
nouveau  code,  passant  sous  silence  l'ancienne  énu- 
mération  des  complices  de  l'hérésie,  (credentes), 
faulores,  receptores,  defensores,  dont  faisait  mention 
la  constitution  Aposlolicœ  sedis,  ait  rangé,  par  le 
canon  2316,  tous  ces  coupables,  sauf  les  credcnles, 
voir  plus  loin,  parmi  ceux  qu'il  appelle  désormais, 
d'un  mot,  les  suspects  d'hérésie  : 


Can.  2316.  —  Qui  quoquo 
modo  hseresis  propagatio- 
nem  sponte  et  scienter  juvat 
aut  qui  communicat  in  divi- 
nis  cum  hœreticis  contra 
praecriptum  can.  1258,  sus- 
peetus  de  hseresi  est 


Celui  qui,  d'une  façon 
quelconque,  sciemment  et 
spontanément,  aide  à  la 
propagation  de  l'hérésie  ;  ou 
bien  celui  qui  communique 
dans  les  choses  sacrées  avec 
les  hérétiques,  contraire- 
ment à  la  défense  du  can. 
1258,  est  suspect  d'hérésie. 

La  première  partie  de  ce  canon  désigne  les  suspects 
d'hérésie  d'une  manière  générale  ;  la  deuxième  partie 
précise  un  cas  de  suspicion  ;  mais  ce  n'est  pas  le  seul 
qu'ait  prévu  explicitement  le  code.  D'après  le  nouveau 
droit,  sont  suspects  d'hérésie,  sans  discussion  possible 
sur  leur  mauvais  cas  :  a.  ceux  qui  communiquent 
in  divinis  avec  les  hérétiques  (can.  2316)  ;  b.  ceux 
qui  contractent  mariage,  avec  le  pacte  explicite  ou 
implicite  d'élever  tout  ou  partie  de  leur  progéniture 
en  dehors  de  l'Église  catholique  (can.  2319,  §  1,  2°); 
c.  ceux  qui  sciemment  osent  présenter  leurs  enfants 
à  baptiser  au  ministre  acatholique  (ibid.,  3°) ,  d.  les 
parents  ou  leurs  remplaçants  qui,  sciemment,  font 
instruire  et  éduquer  leurs  enfants  dans  une  religion 
acatholique  (ibid..  4°  ;  cf.  ibid.,  §  2)  ;  c.  ceux  qui 
profanent  en  les  projetant  les  saintes  espèces,  les 
emportent  ou  les  conservent  dans  un  but  criminel 
(can.  2320);  /•  ceux  qui  en  appellent  des  décisions  du 
souverain  pontife  au  concile  général  (can.  2332)  ; 
g.  ceux  qui  persévèrent,  le  cœur  endurci,  pendant  un 
an  sous  le  coup  d'une  excommunication  (can.  2340)  ; 
h,  ceux  qui  sciemment  auraient  promu  d'autres  ou 
bien  auraient  été  eux-mêmes  promus  aux  ordres  par 
simonie,  et  ceux  qui,  par  simonie,  auraient  adminis- 
tré ou  reçu  les  sacrements  (can.  2371). 

2°  Peines  ecclésiastiques.  —  On  laisse  de  côté  ce  qui 
se  rapporte  au  droit  coercitif  de  l'Église,  à  l'histoire, 
à  la  nature,  à  la  légitimité  des  peines  infligées  par  les 
tribunaux  ecclésiastiques,  à  la  procédure  judiciaire, 
etc.,  tous  ces  points  relevant  de  sujets  plus  géné- 
raux'.! spécialement  du  droit  canon.  Voir  Inquisition 


2245 


HÉRÉSIE.   HÉRÉTIQUE 


2246 


Les  peines  fulminées  dans  les  droits  antérieurs 
à  la  promulgation  du  code  canonique  n'ont  qu'un 
intérêt  rétrospectif  ;  voir  les  principaux  points  du 
droit  exposés  à  l'article  Apostasie,  t.  i,  col.  1609. 
L'exposé  du  droit  actuel  comporte  quatre  parties  : 
1.  peines  portées  contre  les  hérétiques;  2.  peines 
infligées  aux  suspects  d'hérésie  ;  3-  peines  frappant 
les  propagateurs  de  doctrines  condamnées,  mais  sim- 
plement connexes  à  l'hérésie  ;  4.  peines  prononcées 
à  propos  de  livres  propageant  l'hérésie. 

1.    Les   peines   portées   contre   les  hérétiques   sont 
exposées  au  can.  2314,  §  1. 


Can.  2314,  §  1.  —  Oinnes 
a  christiana  fide  apostat»  et 
oinnes  et  singuli  haeretici 
aut  schismatici  : 

1°  Incurrunt  ipso  facto 
excommunicationem  ; 

2°  Nisi  moniti  resipuerint, 
priventur  beneficio,  digni- 
tate,  pensione,  oflïcio  aliove 
munere,  si  quod  in  Eccle- 
sia  habeant,  infâmes  decla- 
rentur,  et  clerici,  iterata 
monitione,  deponantur; 


3"  Si  sectse  acatholicœ 
nomen  dederint  vcl  publi- 
ée adhajserint,  ipso  facto 
infâmes  sunt  et,  firmo  pne- 
scripto  canone  188,  n.  4,  cle- 
rici, monitione  incassum  prse- 
missa,    degradentur. 


Tous  ceux  qui  apostasient 
la  foi  chrétienne,  tous  les 
hérétiques  et  schismatiques 
et  chacun  d'eux  : 

1°  Encourent  par  le  fait 
même     l'excommunication  ; 

2°  S'ils  ne  viennent  pas  a 
résipiscence,  après  une  mo- 
nition,  ils  seront  privés  de 
tout  bénéfice,  dignité,  pen- 
sion, office  ou  autre  charge 
qu'ils  posséderaient  dans 
l'Église;  ils  seront  déclarés 
infâmes,  et  les  clercs,  après 
une  seconde  monition,  se- 
ront déposés  ; 

3°  S'ils  adhèrent  publi- 
quement ou  s'inscrivent  à 
une  secte  acatholique,  ils 
sont,  par  le  fait  même,  frap- 
pés d'infamie  et,  tout  en 
maintenant  la  prescription 
du  canon  188,  n.  4,  les  clercs, 
après  une  seconde  monition 
demeurée  sans  effet,  seront 
dégradés. 


Dans  le  nouveau  droit,  trois  aspects  de  la  pénalité 
prévue  pour  les  hérétiques  ont  été  envisagés.  — 
a)  Pour  tous  les  hérétiques  indistinctement,  l'excom- 
munication (réservée  spécialement  au  souverain 
pontife,  cf.  can.  2314,  §  2)  est  la  peine  encourue  ipso 
facto.  La  constitution  Apostoliae  sedis,  voir  t.  rJ 
col.  1069,  ajoutait  aux  hérétiques  et  désignait  comme' 
atteints  par  l'excommunication  spécialement  réser- 
vée au  souverain  pontife,  non  seulement  les  hérétiques, 
mais  encore  ceux  qui  pèchent  formellement  par  un 
acte  intérieur  d'hérésie,  manifesté  extérieurement, 
sans  adhésion  à  une  secte  déterminée,  c'est-à-dire 
les  credentes;  ceux  qui,  sans  commettre  peut-être 
le  péché  d'hérésie  formelle,  coopèrent  formellement 
à  l'hérésie  des  autres,  receptores,  fautores,  defensorcs. 
Le  nouveau  droit  élimine  par  prétention  les  trois  der- 
nières catégories  de  pécheurs,  qui  semblent  bien  ren- 
trer d'ailleurs  dans  ceux  que  le  droit  qualifie  de  sus- 
pects d'hérésie;  quant  aux  credentes,  si  leur  croyance 
hérétique  est  manifestée  extérieurement,  ils  sont  héré- 
tiques et  excommuniés  :  le  droit  suppose  en  effet  expli- 
citement qu'il  existe  des  hérétiques  à  titre  indivi- 
duel, n'ayant  adhéré  à  aucune  secte  déterminée.  La 
définition  de  l'hérétique  étant  donnée  par  le  droit, 
il  n'est  plus  permis  d'étendre  à  d'autres  les  pénalités 
qui  frappent  les  hérétiques;  ce  serait  donc  un  abus 
que  de  désigner  sous  le  nom  de  credentes  et,  partant, 
d'hérétiques  ceux  qui  communiquent  in  diuinis  avec 
les  hérétiques,  sans  faire  un  acte  extérieur  d'hérésie. 
Les  enseignements  antérieurs  et  les  décisions  en  ce 
sens  doivent  être  modifiés.  —  b)  Une  deuxième  peine 
à  infliger  aux  hérétiques,  s'ils  appartiennent,  au 
moment  de  leur  délit,  à  l'Église  catholique  et  s'ils  y 
possèdent  quelque  bénéfice,  dignité,  pension,  office 
ou  charge,  c'est  de  les  dépouiller  de  ces  avantages  ; 
mais  la  peine  n'est  valable  qu'à  la  condition  d'avoir 
été    précédée    d'une   monition   demeurée    sans    effet. 


La  privation  des  charges,  fonctions,  bénéfices  ou 
dignités  n'est  pas  suffisante  :  l'hérétique,  après 
une  monition  demeurée  sans  effet  sera  déclaré 
infâme  :  l'infamie  canonique  n'est  plus,  comme  l'ex- 
communication, une  peine  médicinale,  c'est  une  peine 
vindicative.  Cf.  can.  2291,  n.  4.  C'est  l'infamie  de  droit, 
cf.  can.  2293,  §  1  et  2,  dont  seule  une  dispense  apo- 
stolique d 'termine  la  cessation,  can.  2295,  et  dont  les 
effets  canoniques  sont  l'irrégularité  ex  dejeclu,  can. 
984,  n.  5,  l'inhabileté  aux  bénéfices,  pensions,  offices, 
dignité;  ecclésiastiques,  à  l'exercice  des  actes  ecclé- 
siastiques légitimes,  voir  plus  loin,  et  enfin  l'éloigne- 
ment  de  tout  ministère  dans  les  fonctions  ecclésias- 
tiques, can.  2294,  §  1.  La  transmission  de  l'irrégula- 
rité aux  fils  et  petits-fils  de  pères  hérétiques,  aux 
fils  de  mères  hérétiques,  admise  par  l'ancien  droit, 
Sexte,  1.  V,  tit.  n,  De  hœreticis,  2,  Quicumque,  15, 
Stalutum  ;  cf.  Saint  Office,  4  décembre  1890,  Collec- 
l  ne/,  n.  1744,  n'est  plus  reconnue  dans  le  nouveau 
droit,  les  fils  des  acatholiques  étant  simplement 
empêchés  d'accéder  aux  ordres,  tant  que  dure  l'erreur 
de  leurs  parents,  can.  987,  n.  1,  et  l'infamie  canonique 
ne  se  transmettant  pas  aux  consanguins,  can.  2293, 
§  4.  Notons  toutefois  que  l'irrégularité  dont  sont  atteints 
les  hérétiques  n'est  pas  l'irrégularité  ex  de/ectu  annexée 
à  l'infamie  canonique,  mais  l'irrégularité  ex  deliclo, 
can.  985,  1°;  cette  irrégularité,  avant  la  sentence 
déclaratoire,  n'atteint  que  les  hérétiques  reconnus 
tels,  c'est-à-dire  ceux  qui  le  sont  notoirement  et 
appartiennent  à  une  secte  condamnée.  Cf.  Noldin, 
De  pœnis,  n.  157.  Si  l'hérétique  est  un  clerc,  il  sera, 
après  une  deuxième  monition  infructueuse,  soumis  à 
la  dégradation.  —  c)  Enfin,  le  droit  nouveau  envi- 
sage plus  expressément  l'hypothèse  des  chrétiens  qui, 
publiquement,  adhéreraient  ou  s'affilieraient  à  une 
secte  acatholique.  Les  mêmes  peines  sont  encourues 
par  eux,  avec  cette  différence  toutefois  que  l'infamie 
canonique  (et,  nous  l'avons  vu,  l'irrégularité)  les 
atteint  par  le  fait  même,  sans  monition  préalable  de 
l'évêque,  sans  sentence  déclaratoire.  Le  clerc  coupable 
recevra  cependant  une  monition,  qui  entraînera,  si  elle 
n'est  pas  suivie  d'effet,  la  peine  de  la  dégradation.  Le 
canon  188, 4°,  auquel  renvoie  le  texte  du  droit,  stipule 
de  plus  que  le  clerc  qui  abandonne  publiquement  la 
foi  catholique  perd,  par  une  tacite  renonciation 
admise  par  le  droit  lui-même,  par  le  fait  même,  et 
sans  aucune  déclaration,  tous  les  offices  dont  i>  pou- 
vait être  chargé. 

2.    Les  peines  dont  sont  frappés  les  suspects  d'hé- 
résie sont  formulées  dans  le  canon  2315  : 


Can.  2315.  —  Suspectus 
de  hœresi,  qui  monitus  cau- 
sam  suspicionis  non  remo- 
veat,  actis  legitimis  prohi- 
bealur,  et  clcricus  prseterea, 
repetita  inutiliter  monitione, 
suspendatur  a  divinis;  quod 
si  intra  sex  menses  a  con- 
tracta pœna  completos  sus- 
pectus de  haeresi  sese  non 
emendaverit,  habeatur  tan- 
quam  hsereticus,  hîeretico- 
rum  pœnis  obnoxius. 


Le  suspect  d'hérésie  qui, 
après  une  monition,  ne  sup- 
prime pas  la  cause  de  la  sus- 
picion, sera  privé  du  droit 
d'exercer  les  actes  ecclésias- 
tiques légitimes  ;  s'il  est 
clerc,  en  outre,  après  une 
deuxième  monition,  il  sera 
suspens  a  divinis;  si,  après 
six  mois  complets  d'inflic- 
tion  de  peine,  le  suspect  d'hé- 
résie ne  s'est  pas  amendé, 
il  sera  tenu  pour  hérétique 
et  soumis  aux  peines  des  hé- 
rétiques. 


Notons  tout  d'abord  que  cet  énoncé  général  du 
traitement  infligé  aux  suspects  d'hérésie  n'infirme  en 
rien  un  traitement  plus  sévère  imposé  à  certains  cas 
plus  graves  de  suspicion  d'hérésie.  La  communication 
in  divinis  avec  les  hérétiques  comporte  toujours  la 
suspicion  d'hérésie,  mais  lorsqu'elle  consiste  préci- 
sément dans  le  mariage  contracté  devant  le  ministre 
acatholique,  elle  devient  un  délit,  frappé  d'une  excom- 


2247 


HÉR'ËSIE.    HÉRÉTIQUE 


2248 


munication,    latse     sentenlise,    réservée    à    l'ordinaire 
(can.  2319,  §  1,  1°).  De  même,  la  suspens-  <i  divinis, 
réservée  au   siège  apostolique  est  enco.irr.e  ipso  facto 
par  ceux    qui  reçoivent  les    ordres  des  mains  d'un 
hérétique.    Si    l'ordinaire  était  de    bonne    foi,    qu'il 
soit  privé  de  l'exercice  de  l'ordre  reçu,  de  cette  sorte, 
jusqu'à   ce   qu'il    ait    obtenu    dispen  e.    Can.    2372. 
L'excommunication  réservée  à  l'ordinaire  frappe  aussi 
les    suspects    d'hérésie,    que   nous    avons    énumérés 
plus  haut,  sous  les  numéros  <;.  b,  c  et  d.  Le  profana- 
teur des  saintes  espèces  !(n.  i)  est  non  seulement  sus- 
pect  d'hérésie,   mais   il    encourt   l'excommunication, 
réservée  d'une  façon  très  spéciale  au  souverain  pon- 
tife :  il  est  par  le  fait  même  infâme  de  droit,  et,  s'il 
e,t  clerc,  il  doit  être  déposé  (can.    2320).  Ceux  qui 
font   appel   des   décisions   du   souverain   pontife   au 
concile  général  (n.  0  sont  excommuniés    de  l'excom- 
munication    réservée     spécialement    au    saint-siège 
(can.  2332),  enfin  les  simoniaques  clercs  sont  suspens 
et  l'absolution  de  cette  censure  est  réservée  au  siège 
apostolique.  Ces  cas  spéciaux  mis  à  part,  il  reste  vrai 
que  le  simple  fait  d'être  suspect  d'hérésie  n'entraîne 
par   lui-même   que   la   prohibition   de   l'exercice   des 
actes  légitimes  ecclésiastiques,  et  ce  encore,   seule- 
ment  après    une   monition   infructueuse.    Toutes   les 
spéculations   des   théologiens,    voir   Suarez,   De   flde, 
disp.   XXIV,  sect.   n,  doivent  être    abandonnées  en 
face  des  précisions  du  droit  actuel.  Les  actes  ecclésias- 
tiques prohibés  sont  énumérés  dans  le  code,  can.  2256, 
§  2  :  la  charge  d'administrateur  de  biens  ecclésias- 
tiques, les  fonctions  de  juge,  d'auditeur,  de  rappor- 
teur, de  défenseur  du  lien,  de  promoteur  de  la  justice 
et  de  la  foi  ;  de  notaire  et  de  chancelier,  de  curseur  et 
d'appariteur,  d'avocat  et  de  procureur  dans  les  causes 
ecclésiastiques;    de  parrain  dans   les   sacrements   de 
baptême   et   de   confirmation  ;    la   participation    aux 
élections    ecclésiastiques    et    l'exercice    du    droit    de 
patronage.   Une  deuxième  monition  doit  être  faite 
aux  clercs  suspects  d'hérésie  avant  de  les  suspendre 
a  dioinis.  Au  bout  de  six  mois  complets  de  coupable 
persévérance   dans   le   délit   qui   cause   la   suspicion, 
nonobstant  la  peine  infligée,  le  droit  canonique  déclare 
que  le  suspect  d'hérésie  doit  être  traité  comme  un  véri- 
table hérétique  et  soumis  aux  mêmes  peines,  à  com- 
mencer par  l'excommunication  :  «  On  ne  saurait  voir 
dans   cette   censure  une   nouvelle  excommunication 
réservée;   elle  n'est  autre  que  la  première  encourue 
par  le  suspect  d'hérésie,  qui  ne  s'est  pas  amendé  dans 
le   délai   de   six   mois.    »   Boudinhon,    Canoniste  con- 
temporain, 1917,  p.  489;   cf.  Cappello,  op.  cit.,  n.  72. 
«    L'antique     législation,     dit     M.   Boudinhon,    si 
compliquée,     concernant     les     credentes,     receplores, 
faulores,  d'fensores,  est  remplacée  par  le   canon  231G 
(celui  qui  définit  le  délit  de  suspicion  d'hérésie, voir  plus 
haut)  qui  constitue  un  très  notable  adoucissement.  Non 
seulement  on  passe  sous  silence  les  actes  qui  ont  pour 
objet  la  personne  des  hérétiques,  pour  se  borner  à 
punir  ceux  qui  favorisent  la  propagation  de  l'hérésie, 
mais  encore  on  ne  vise  que  le  délit  caractérisé,  puis- 
qu'on dit  sponte  et  scienter  juvat;   et  ces  coupables, 
on  ne  les  frappe  pas  aussitôt  en  hérétiques;    on  les 
déclare  suspects   d'hérésie,   ce   qui   laisse  place  à   la 
petite  procédure  prévue  par  le  canon  précédent  et  on 
ue    les    expose    à    l'excommunication    que    si,    après 
monition,  ils  ne  se  sont  pas  amendés  dans  le  délai 
de  six  mois.  •  Ibid.,  p.  490.  On  remarquera  pareille- 
ment que  la  communication  in   divinis,  sauf   le  cas 
spécial  du   mariage  devant  le  ministre  acatholique, 
ne    comporte    plus    aucune   excommunication,    et   se 
résout  canoniquement  en  une  simple  suspicion  d'hé- 
résie. 

3.    L'aîfirmalion  obstinée  d'une  erreur  théologique 
ou  d'une  doctrine   notée  comme  proche  de    l'hérésie 


était  autrefois  un  des  cas  de  suspicion  d'hérésie, 
noté  comme  tel  par  les  théologiens.  Voir  Lehmkuhl, 
op.  cit.,  t.  n,  n.  302.  Le  code  actuel  précise  ce  point 
particulier  et  lui  impose  une  législation  spéciale,  au 
canon  2317. 


Can.  2317.  —  Pertinaciter 
docentes  vel  defendentes 
sive  publiée  sive  privatim 
doctrinam,  quae  ab  aposto- 
lica  sede  vel  a  concilio  gene- 
rali  damnata  quidem  fuit, 
sed  non  uti  formaliter  hrere- 
tica,  arceantur  a  [ministerio 
praedicandi  verbum  Dei  au- 
diendive^sacramentales  con- 
fessiones  et  a  quolibet  do- 
cendi  munere,  salvis  aliis 
pœnis  quas  sententia  dam- 
nationis  forte  statuent,  vel 
quas  ordinarius,  post  moni- 
tionem,  necessarias  ad  re- 
parandum  scandalum  du- 
xerit. 


Ceux  qui  enseignent  ou 
défendent  avec  pertinacité, 
soit  publiquement,  soit  en 
particulier,  une  doctrine  ré- 
prouvée par  le  saint-siège 
ou  par  le  concile  général, 
mais  non  comme  formelle- 
ment hérétique,  seront  éloi- 
gnés du  ministère  de  la  pré- 
dication et  des  confessions 
sacramentelles  et  privés  de 
toutes  fonctions  d'enseigne- 
ment, sans  préjudice  des 
autres  peines  qui  peuvent 
être  portées  par  la  sentence 
même  réprouvant  cette  doc- 
trine, ou  que  l'ordinaire, 
après  monition,  estimerait 
nécessaires  pour  réparer  le 
scandale. 


Il  semble  que,  sur  le  point  particulier  que  vise  ce 
canon,  l'Église  ait  instauré  une  discipline  plus  pré- 
cise et  plus  ferme  à  la  fois.  Les  nécessités  de  l'époque 
ne  l'y  invitaient-elles  pas?  Notons  tout  d'abord  que 
les  coupables  ici  visés  enseignent  ou  défendent  avec 
pertinacité  les  propositions  condamnées;  il  ne  saurait 
donc  être  question  d'appliquer  la  règle  proposée  aux 
auteurs  qui  errent  de  bonne  foi  et  accepteraient  avec 
empressement  les  décisions  de  l'Kglise  si  ces  décisions 
parvenaient  à  leur  connaissance.  De  plus,  il  faut  re- 
marquer qu'il  s'agit  ici  de  doctrines  condamnées  par 
le  siège    apostolique  ou  le  concile  général.  La  con- 
damnation portée  par  un  évêque  ou  un  concile  par- 
ticulier ne  suffirait  donc  pas  pour  justifier  l'appli- 
cation du  canon  2317  à  ceux  qui,  avec  pertinacité, 
ne  voudraient  pas    se  soumettre    à    cette    décision. 
En  troisième  lieu,  il  ne  fait  pas  de  doute  que  le  saint- 
siège,  c'est  non   seulement  le  pape,  mais  encore  les 
Congrégations  romaines   portant  des  condamnations 
doctrinales.  Enfin,  on  ne  devra  pas  négliger  de  consi- 
dérer l'extension  de  cette   expression  :   une   doctr'ne 
réprouvée  par  le  saint-siège  ou  le  concile  général  :  il 
s'agit  de  toute  doctrine  réprouvée,  à  quelque  titre 
que  ce  soit,   quoique  non  formellement  condamnée 
comme  hérétique.  Bien  d'autres  motifs  que  l'erreur 
ou  la  témérité,  peuvent,  en  effet,  justifier  la  condam- 
nation. V«ir  Censures  doctrinalus,  t.  n,  col.  2105. 
Voilà  pourquoi  le    code,  sans  parler  ici  de  suspicion 
d'hérésie,   porte   une   peine   différente   de  celles   que 
nous  avons  étudiées,  soit  à  propos  du  délit  d'hérésie, 
soit  à   propos   de   la  suspicion   d'hérésie.  Toutefois, 
comme  la  faute,  en  raison  même  de  la  variété  de  son 
objet,  peut  revêtir  des  caractères  bien  différents,  le 
texte  du  droit  laisse  complète  liberté  à  l'ordinaire 
d'infliger  les  peines  qui  lui  paraissent  nécessaires  pour 
réparer  le  scandale  causé.  En  toute  hypothèse,  l'Eglise, 
à  l'égard  de  ceux  qui  enseignent  ou  défendent  des 
doctrines   réprouvées,   mais   non  formellement  héré- 
tiques, impose  des  mesures  bien  propres  à  sauvegar- 
der la  pureté  de  la  foi  dans  le  peuple  chrétien  et  à 
éviter  la  contagion.  Les  coupables  devront  être  écar- 
tés du  ministère  de  la  prédication,  de  la  confession, 
de  tout  enseignement.  Il  va  suis  dire  qu'il»-  demeurent 
sujets  à  toutes  les  autres  peines  canoniques  que  le 
saint-siège  ou  le  concile  général   auraient  pu  porter, 
en  condamnant  les  doctrines  en  question,  contre  ceux 
qui  contreviendraient  à  leur  décision.  Le  canon  23  lï 
laisse    expressément    intactes    toutes    ces    pénalités. 
Aux  peines  complémentaires  que  l'ordinaire  pourrai  t 


2249 


HÉRÉSIE.   HÉRÉTIQUE 


2250 


juger  nécessaires  pour  réparer  le  scandale  causé,  le 
code  ne  met  qu'une  condition,  une  monition  préa- 
lable et  demeurée  sans  efïet. 

4.  La  constitution  Aposlolicee  sedii  promulguait 
une  excommunication  réservée  spécialement  au  saint- 
siège  contre  «  tous  ceux  et  chacun  de  ceux  qui  sciem- 
ment lisent  sans  autorisation  du  siège  apostolique 
les  livres  des  apostats  et  des  hérétiques,  propageant 
l'hérésie,  et  pareillement  les  livres  de  n'importe  quel 
auteur  nommément  condamnés  par  lettres  aposto- 
liques, ou  encore  contre  ceux  qui  conservent,  impri- 
ment et  défendent  de  quelque  faron  que  ce  soit  ces 
mêmes  livres  ».  Voir  le  texte  latin,  Apostasie, 
t.  i,  col.  1609.  Le  texte  du  code,  canon  2318,  modifie 
assez  considérablement  les  dispositions  de  la  con- 
stitution de  Pie  IX  :  il  s'agit  toujours  d'une  excommu- 
nication réservée  spécialement  au  saint- siège,  mais 
il  n'est  plus  seulement  question  des  livres  écrits  par 
les  apostats  et  les  hérétiques  et  propageant  ex  pro- 
lesso  l'hérésie;  le  code  envisage  les  livres  écrits 
par  les  apostats,  les  hérétiques  et  les  schismatiqucs 
dans  l'intention"  de  propager  l'apostasie,  l'hérésie 
et  le  schisme  :  de  plus,  l'incise  scicnlcr,  qui  affectait 
tous  les  coupables  visés  par  la  constitution  Aposlo 
licœ  sedis,  cf.  Bucceroni,  Commentari  is  de  constitu- 
tione  PU  IX  Apostolica-  sedis,  n.  13,  affecte  désor- 
mais uniquement  les  lecteurs  et  les  détenteurs  des 
livres  visés  par  le  canon  2315  ;  enfin,  toutes  les  dis- 
cussions relatives  aux  imprimentes  sont  supprimées 
par  le  fait  qu'il  n'est  p'us  que  tio  î  que  des  éditeurs. 
Cet  adoucissement  apporté  à  la  législation  canonique 
était  imposé  par  les  conditions  de  l'industrie  et  du 
commerce  modernes.  Seuls,  en  effet,  les  éditeurs  des 
livres  mauvais  peuvent  être  pleinement  rendus  res- 
ponsable? de  leur  publication. 
Voici  le  texte  du  canon  2318,  §  8  : 


Can.  2318,  §  1.  —  In  ex- 
eommunicationem  sedi  apo- 
stolicse  speciali  modo  reser- 
vatam  ipso  facto  incurrunt, 
opère  publici  juris  facto, 
editores  librorum  apostata- 
rum,  haereticorum  et  schis- 
maticorum,  qui  apostasiam, 
haeresim ,  schisma  propu- 
gnant  ;  itenique  eosdem  li- 
bros  aliosve  per  apostolicas 
Iitteras  nominatim  prohibi- 
tos  defendentes  aut  scienter 
sine  débita  licentia  legen- 
tes  vel  retinentes. 


Tombent  sous  le  coup  de 
l'excommunication  réservée 
spécialement  au  siège  aposto- 
lique, par  le  fait  même  de  la 
publication  de  ces  ouvrages, 
les  éditeurs  des  livres  des 
apostats.des  hérétiques  et  des 
schismatiques  propageant  l'a- 
postasie, l'hérésie  et  le  schis- 
me; et  pareillement  tous  ceux 
qui  défendent  ou  sciemment 
lisent  ou  conservent,  sans 
l'autorisation  nécessaire,  ces 
livres  ou  d'autres  livres  nom- 
mément condamnés  par  let- 
tres apostoliques. 


L'excommunication  prévue  par  le  canon  2318,  §  1, 
frappe  donc  ipso  facto,  dès  l'instant  de  la  publication 
des  livres  propageant  l'hérésie  et  écrits  par  un  héré- 
tique, l'éditeur  de  ces  ouvrages.  Ceux  qui  défendent 
ces  livres  ou  des  livres  condamnés  nommément  par 
lettres  apostoliques  sont  frappés,  et  pareillement  ipso 
facto,  de  la  même  peine;  enfin  les  lecteurs  et  déten- 
teurs non  dûment  autorisés,  s'ils  agissent  sciem- 
ment, sont  excommuniés,  au  même  titre  que  ee 
précédents. 

Deux  observations  pour  finir.  1.  La  restriction 
sine  débita  licentia  indique  que  le  saint- siège,  par 
lui  ou  par  ses  délégués,  peut  accorder  l'autorisation 
de  lire  et  de  retenir  ces  livres.  L'ancienne  formule, 
sine  anctoritate  sedis  aposlolicse  est  remplacée  par 
la  formule  plus  vague  à  dessein,  sine  débita  licentia, 
parce  que  le  droit  confère  à  ce  sujet  aux  ordinaires 
certains  droits.  Cf.  can.  1402,  §  1.  Le  code,  canon  1401, 
a,  de  plus,  consacré  l'opinion  commune  affirmant  que 
la  prohibition  apostolique  de  certains  livres  n'obli 
geait  pas  les  cardinaux,  les  évêques, même  titulaires, et 


les  ordinaires.  —  2.  D'après  le  texte  de  la  prohibition, 
il  s'agit  de  livres  et  non  pas  de  manuscrits  ou  de 
feuilles  volantes.  Il  s'agit  de  livres  écrits  par  des  au- 
teurs notoirement  hérétiques  (apostats  ou  schisma- 
tiques) ou  que  leurs  livres  révèlent  tels  :  le  livre  d'un 
infidèle  ne  tomberait  donc  pas  sous  le  coup  de  la 
prohibition  avec  censure.  11  s'agit  enfin  de  livres 
propageant  intentionnellement  l'hérésie  :  un  livre 
contenant  obiter  quelques  propositions  hérétiques 
ne  rentrerait  donc  pas  dans  cette  catégorie;  cf. 
S.  C.  de  l'Index.  27  avril  1880;  notons  toutefois  qu'il 
n'est  pas  nécessaire  que  le  livre  traite  de  questions 
religieuses.  A,  ce  sujet,  rappelons  deux  décisions  :  la 
lecture  des  journaux  rédi  ;és  par  des  hérétiques  ne 
tombe  pas  sous  le  coup  de  l'excommunication,  Saint- 
OfTice,  27  avril  1880,  Collcct.,  n.  1533,  à  moins  qu'il 
ne  s'agisse  de  publications  périodiques  reliées  en 
fascicules,  ayant  pour  auteur  un  hérétique  et  propa- 
geant l'hérésie.  Saint-Office,  13  janvier  1892,  ad  luai, 
Collect.,  n.  1777.  Cf.  Cappello,  op.  cit.,  n.  75-79.  Sur 
la  portée  exacte  des  mot.  legenles,  ratinenles,  defen- 
dentes,  voir  Apostasie,  t.  î,  col.  1609-1610. 

5.  II  faut,  en  dernier  lieu,  mentionner  une  peine 
spéciale  :  le  refus  de  sépulture  ecclési  stique.  Cette 
interdiction,  for.nulée  au  rituel  romain  tit.  vi,  De 
exsequiis,  c.  n,  n.  2,  est  précisée  par  le  code,  can.  1240 
Le  rituel  prévoyait  le  refus  de  sépulture  ecclésias- 
tique hœreticis  et  eorum  fauloribus;  le  droit  nouveau 
ne  parle  que  des  hérétiques,  et  encore  de  ceux  qui 
notoirement  appartiennent  à  une  secte  hérétique 
(1°)  ;  les  fauteurs  d'hérésie  sont  passés  sous  silence  et 
ne  sont  exclus  de  la  sépulture  ecclésiastique  qu'à  la 
condition  qu'ils  soient  excommuniés.  On  sait  d'ail- 
leurs que  le  refus  de  sépulture  ne  concerne  les  exco  ii- 
muniés  qu'après  une  sentence  condamnatoire  ou  dé- 
claratoire  (2°).  De  plus,  l'interdiction  n'existerait 
plus  >i,  avant  de  mourir,  l'hérétique  avait  donné  de; 
signes  de  repentir,  can.  1240,  §  1,  1°,  §  2.  Dans  le 
doute,  il  faudrait,  si  on  en  a  le  temps,  consulter 
1  ordinaire. 

Il  est  donc  interdit  d'ensevelir  les  hérétiques  dans 
les  tombeaux  des  catholiques  et  réciproquement. 
La  première  interdiction  est  la  plus  sévère,  à  cause  de 
l'apparence  d'adhésion  à  l'hérésie  qu'impliquerait  sa 
transgression.  Toutefois,  s'il  n'y  a  pas  scandale  et  s'il 
apparaît  clairement  qu'on  ne  fait  qu'obéir  à  des  rai- 
sons de  convenance,  étrangères  à  la  communication 
in  divinis,  et  lorsqu'il  n'est  pas  facile  de  s'en  tenir 
aux  règles  ecclésiastiques  sur  ce  point,  on  peut  tolérer 
ces  sortes  de  sépulture.  Cf.  instruction  du  Saint  - 
Office,  30  mars  1859,  aux  évêques  de  l'Amérique 
du  Nord,  Coll"ct.,  n.  1173,  insérée  dans  les  actes  du 
IIe  concile  de  Baltimore,  n.  389,  renouvelée  le  14  no- 
vembre 1888  ;  réponse  de  la  S.  C.  de  la  Propagande, 
16  avril  1682.  D  .ns  ces  documents,  il  est  question 
de  sépultures  de  personnes  unies  par  les  liens  de 
parenté  et  appartenant,  les  unes  à  la  religion  catho- 
lique, les  autres  aux  sectes  protestantes. 

L'interdiction  de  sépulture  ecclésiastique  aux  héré- 
tiques donne  lieu,  dans  le  droit  ecclésiastique,  à  une 
pénalité  portée  contre  ceux  qui  contreviennent  à 
cette  défense.  La  constitution  Aiwstoucœ  sedis  >  décla- 
rait frappés  de  l'excommunication  latœ  senlentiee,  non 
réservée,  ceux  qui  ordonnent  ou  contraignent  de 
donner  ia  sépulture  ecclesiastiaue  aux  hérétiques 
notoires  ou  bien  à  ceux  qui  sont  nommément  excommu- 
niés ou  interdits.  »  Excommunications  non  réservées, 
n.  1.  Le  code,  can.  2339,  reprend  substantiellement 
la  même  législation,  mais  avec  quelques  nuances  qui 
précisent  la  volonté  du  législateur  : 

Can.  2339.  —  Qui  ausi  Ceux  qui  oseront  ordon- 
fuerint  mandare  seu  cogère  ner  ou  contraindre  d'accor- 
tradi      ecclesiastica;     sepul-    der    la    sépulture    ecclésias 


2251 


HÉRÉSIE.  HÉRÉTIQUE 


2252 


tune  infidèles,  apostates  a 
fidc,  vel  hœreticos,  schis- 
maticos,  aliosve  sive  excom- 
municatos  sive  interdictos 
contra  prœscriptum  can. 
1240,  §  1,  contrahunt  ex- 
communicationem  Iala:  scn- 
tentise  nemini  reservatam  ; 
spontc  vero  sepulturam  eis- 
dem  donantes,  interdictum 
ab  ingressu  ecclesiœ  ordi- 
nario  reservatum. 


tique  aux  infidèles,  aux 
apostats  de  la  foi,  ou  aux 
hérétiques,  schismaliques  et 
autres,  soit  excommuniés 
soit  interdits,  contrairement 
à  la  prescription  du  canon 
1240,  §  1,  encourent  une 
excommunication  non  réser- 
vée ;  ceux  qui  spontané- 
ment accordent  la  sépulture 
aux  mêmes  encourent  l'in- 
terdit par  rapport  à  l'entrée 
de  l'église,  réservé  à  l'ordi- 
naire. 


Il  s'agit  ici,  en  premier  lieu,  de  ceux  qui  ordonnent 
ou  contraignent  d'accorder  la  sépulture  ecclésias- 
tique à  tous  ceux  que  vise  le  canon  1240,  §  1.  Parmi 
ceux-là  se  trouvent  nommément  les  hérétiques  appar- 
tenant à  une  secte  —  et  ainsi  le  code  précise  ce  qu'il 
faut  entendre  par  hérétiques  notoires  dans  la  con- 
stitution de  Pie  IX  —  et  les  excommuniés  après  sen- 
tence condamnatoire  ou  déclaratoire.  En  second  lieu, 
il  faut  remarquer  que  la  constitution  Aposlolicœ  sedis 
excommuniait  absolument  mandante»  seu  cogentes; 
l«  canon  2339  apporte  une  nuance  adoucissant  la 
pénalité  :  qui  ausi  juerinl  mandare  seu  cogère.  Enfin, 
le  canon  précité  reprend  la  discipline  de  la  consti- 
tution Aposlolicœ  sedis  relative  à  ceux  qui  accordent 
indûment  la  sépulture  ecclésiastique  :  l'interdit  porté 
parla  constitution  (part.  III,  n.  2)  affectait  ceux  qui 
sciemment...  admettaient  à  la  sépulture  ecclésiastique... 
et,  de  plus,  la  levée  de  l'interdit  était  réservée  à  celui 
dont  le  coupable  avait  méprisé  la  sentence.  Le  mot 
sciemment  est  enlevé  du  nouveau  texte  :  mais  le 
terme  sponte,  indiquant  la  responsabilité  personnelle 
du  délinquant,  explique  la  portée  de  l'interdit.  Enfin, 
l'absolution  est  toujours  attribuée  à  l'ordinaire. 

3°  Absolution  des  hérétiques.  —  L'absolution  des 
hérétiques,  aux  premiers  siècles  de  l'Église,  soulève, 
quant  à  son  rite,  des  difficultés  d'ordre  théologique. 
C'est  la  question  de  la  reconfirmation,  déjà  envisagée 
aux  art.  Baptême  des  hérétiques,  t.  n,  col.  229, 
et  Confirmation,  t.  ru,  col.  1049.  Cf.  P.  Galtier,  dans 
Recherches  de  science  religieuse,  Paris,  1914;  d'Alès, 
L'édit  de  Callixte,  Paris,  1914,  p.  446,  qui  donne  la  biblio- 
graphie relative  à  la  controverse  théologique  que  sus- 
cite la  réconciliation  des  hérétiques  par  l'imposition  des 
mains.  Nous  renvoyons  la  question  de  la  procédure 
ïnquisitoriale  à  l'art.  Inquisition.  Il  nous  reste  donc 
à  considérer  uniquement  l'absolution  du  délit  d'hérésie, 
dans  le  droit  canonique  actuellement  en  vigueur. 

1.  Absolution  au  for  interne  et  absolution  au  for  externe. 
—  Voir  For,  t.  vi,  col.  526.  —  a)  Principes.  —  a.  En 
soi,  l'absolution  d'une  censure,  et  par  conséquent  de 
l'excommunication  qu'entraîne  le  péché  d'hérésie 
externe,  devrait  être  donnée  au  for  externe.  En  effet, 
la  censure  est  un  lien  pénal  imposé  au  délinquant, 
d'une  façon  externe,  publique,  par  le  pouvoir  coercitif 
que  l'Église  possède  en  propre,  en  tant  que  société, 
sur  chacun  de  ses  membres;  c'est  donc  par  l'exercice 
de  ce  même  pouvoir  social,  c'est-à-dire  externe,  que  ce 
lien  peut  être  brisé.  Toutefois,  d'une  part,  la  censure 
peut  être  encourue  à  cause  d'un  délit  occulte,  sans  au- 
cune procédure  judiciaire,  c'est-à-dire  comme  peine 
résultant  d'une  sentence  déjà  portée,  tanquam  pœna 
latse  scntcntiœ;  d'autre  part,  les  censures  privent  ceux 
qui  en  sont  frappés  de  beaucoup  de  biens  spirituels 
nécessaires  au  salut,  par  exemple,  de  l'usage  des  sacre- 
ments, ou  encore  elles  empêchent  l'exercice  des  pou- 
voirs ecclésiastiques,  exercice  que  les  fidèles  sont  en 
droit  de  demander  aux  ministres  sacrés;  enfin,  un 
ministre  sacré  peut  encourir  une  censure  à  l'insu  des 
les  :  lui  ôter,  en  ce  cas,  l'exercice  de  ses- pouvoirs 
serait  en  quelque  sorte  l'obliger  à  se  diffamer.  Aussi 


l'Église,  tout  en  conservant  aux  censures  leur  caractère 
pénal,  a  cependant  décidé  que  le  délinquant  pourrait, 
sous  certaines  conditions,  se  faire  relever  des  censures 
encourues  assez  à  temps  pour  ne  pas  être  privé  des 
secours  spirituels  ou  perdre  son  droit  à  l'exercice  de  ses 
pouvoirs  sacrés.  En  certains  cas  déterminés,  l'Église 
accorde  donc  une  absolution  au  for  interne  des  censures 
encourues,  absolution  qui,  relativement  aux  pénalités 
prévues,  n'aura  son  plein  effet  que  lorsque  l'absolution 
aura  été  reçue  au  for  externe,  mais  qui  du  moins,  en 
attendant,  permettra  l'usage  des  sacrements  et  l'exer- 
cice des  fonctions  sacrées.  Wernz,  op.  cit.,  n.  174; 
Ballerini-Palmieri,  Opus  theologicum  morale,  t.  vu, 
tr.  II,  n.  136.  —  b.  L'absolution  donnée  au  for  interne, 
lequel  n'est  pas  nécessairement  le  for  sacramentel, 
Ballerini-Palmieri,  loc.  cit.,  n.  194  sq.,  cf.  can.  2250,  §  3, 
peut  être  envisagée,  quant  à  la  connexion  de  son  effet 
avec  le  for  externe, dans  trois  hypothèses  :  a.  Si  la  censure 
est  notoire,  l'absolution  reçue  au  for  interne  ne  libère  pas 
le  délinquant  de  l'obligation  de  se  considérer,  vis-à-vis 
de  l'Église,  comme  toujours  lié  par  la  censure,  jusqu'à 
ce  que  soit  intervenue  sa  réconciliation  publique  : 
le  juge  a,  en  effet,  le  droit  d'exiger  une  constatation 
publique  de  la  réconciliation  faite  au  for  interne,  tout 
comme  il  peut  ratifier  simplement,  pour  le  for  externe, 
cette  réconciliation  secrète.  —  p.  S'agit-il  de  délit  et 
de  censure  occultes,  le  délinquant,  absous  au  for  interne, 
peut  se  considérer,  même  publiquement,  comme  en  règle 
avec  l'Église,  en  vertu  du  principe  que  tout  ce  qui 
n'est  pas  notoire  n'est  pas  censé  déduit  au  for  externe; 
mais  son  cas  peut  toujours  être  déféré  au  for  externe 
et  lui  attirer,  de  la  part  du  juge  ecclésiastique,  la  puni- 
tion que  comporte,  en  dehors  de  la  censure,  le  délit 
pardonné  en  secret.  Cf.  canon  2251.  —  y.  S'agit-il  enfin 
d'un  cas  déjà  porté  devant  le  juge  ecclésiastique,  l'abso- 
lution au  for  interne  ne  peut  être  donnée  tant  que  la 
cause  est  pendante  :  il  résulterait  de  la  pratique  contraire 
une  véritable  diminution  du  pouvoir  judiciaire  et  un 
conflit  apparent  d'autorités.  Cf.  Ballerini-Palmieri,  loc. 
cit.,  n.  206  ;  Benoît  XIV,  Constit.  Inter  prœleritos,  §  61- 
63.  —  b)  Applications. — a.  Hérésie  interne. — Pas  de 
délit,  donc  pas  de  censure;  donc  pas  d'absolution  au  for 
externe.  Tout  confesseur  peut  absoudre  ce  péché  d'hé- 
résie, quelle  qu'en  soit  d'ailleurs  la  gravité.  —  b.  Héré- 
sie externe  occulte.  —  Seule,  l'hérésie  formelle  entraîne 
la  censure;  donc,  non  seulement  l'entière  bonne  foi, 
mais  encore  l'ignorance,  même  affectée,  excusant  de 
l'hérésie  formelle,  voir  col.  2221,  excusent  de  la  censure. 
La  censure  encourue  parl'hérétique occulte  estl'excom- 
munication  réservée  speciali  modo  au  souverain  pon- 
tife. L'absolution  peut  en  être  obtenue,  soit  au  for 
externe,  en  déférant  le  cas  à  l'évêque,  comme  l'a  décidé 
le  nouveau  code  de  droit  canonique,  soit  au  for 
interne,  d'un  confesseur  muni  de  pouvoirs  spéciaux 
ad  hoc.  L'absolution  au  for  interne,  en  vertu  des  prin- 
cipes énoncés  plus  haut,  est,  à  la  rigueur,  suffisante. 
Mais,  afin  d'être  tranquille  au  for  externe,  le  coupable 
pourra,  en  outre,  solliciter  de  l'ordinaire  une  abso- 
lution au  for  externe.  Cf.  Saint-Office,  Réponse  à 
un  vicaire  apostolique,  7  mai  1822,  Collect.,  n.  771. 
Enfin,  en  l'absence  de  confesseurs  munis  des 
pouvoirs  nécessaires,  tout  prêtre  peut  absoudre, 
dans  les  circonstances  prévues  et  aux  conditions 
posées  par  les  décrets  du  Saint-Office,  23-30  juin  1886 
et  16  juin  1897,  voir  Censures  ecclésiastiques,  t.  n, 
col.  2134, rappelées  parles  termes  du  canon 2254,  §  I. 
Rappelons  toutefois,  comme  il  s'agit  ici  d'hérésie 
externe,  que  le  confesseur  doit  exiger  du  coupable 
une  réparation  convenable  du  scandale  donné  et 
la  promesse  de  ne  plus  participer  désormais  à 
l'hérésie  en  aucune  façon.  Si  l'on  doit,  corïformément 
aux  décrets  précités,  user  du  recours  à  Rome  injra 
mensem,  il   faut,   lors   de  l'absolution  sacramentelle, 


2253 


HÉRÉSIE.    HÉRÉTIQUE 


2254 


imposer,  outre  la  pénitence  sacramentelle,  une  péni- 
tence particulière  et  indiquer  dans  le  recours  à  Rome 
cette  pénitence  pour  éviter  au  coupable  réconcilié 
l'imposition  d'une  nouvelle  pénitence.  Cf.  Ami  du 
clergé,  1903,  p.  953.  —  c.  Hérésie  notoire.  —  «  Celui 
qui  a  publiquement  adhéré  à  une  secte  hérétique,  à 
plus  forte  raison  celui  qui  est  né  dans  l'hérésie,  n'est 
pas  libre  de  se  contenter  de  l'absolution  pro  joro 
conscientiœ;  il  doit  recevoir  celle  du  for  externe.  >  Di- 
verses décisions  sur  les  hérétiques  (sans  nom  d'auteur), 
dans  la  Nouvelle  revue  théologique,  1894,  t.  xxvi,  p.  44; 
cf.  S.  Alphonse,  op.  cit.,  \  1.  VII,  n.  129;  Cl.  Marc, 
op.  cit.,  t.  i,  n.  443,  1884,  1382;  Thésaurus,  De  pœnis, 
c.  xxn  ;  Stremler,  Traité  des  peines  ecclésiastiques, 
Paris,  1860,  p.  244.  Cette  doctrine,  la  seule  conforme 
à  la  pratique  de  l'Église,  résulte  de  nombreuses  déci- 
sions du  Saint-Office,  18  juillet  1630,  29  novembre  1725, 
Collcct.,  n.  56,304,  8  avril  1786.  Cf.  Bulot,  Compendium 
ihcologicœ  moralis,  1. 1,  p.  196.  En  ce  cas,  l'absolution  au 
for  externe  doit  précéder  normalement  l'absolution  au 
for  interne.  Si  cependant  le  recours  à  l'évêque,  dont  il 
va  être  question,  pour  obtenir  une  délégation,  est  trop 
long  et  présente  des  inconvénients  graves  pour  le  péni- 
tent, le  confesseur  pourra  procéder  comme  il  a  été  indi- 
qué dans  les  décrets  du  Saint-Office  du  23-30  juin  1886 
et  du  16  juin  1897.  Voir  Censures  ecclésiastiques. 
t.  n,  col.  2134. 

Notons  qu'en  certains  cas,  temps  de  jubilé  ou  de 
de  guerre,  en  vertu  de  pouvoirs  conférés  spécialement 
par  Rome,  de  simples  prêtres  ont  le  droit  d'absoudre 
au  for  interne  le  péché  d'hérésie  ou  d'apostasie  même 
notoire.  Mais  c'est  toujours  à  la  condition  d'une  répara- 
lion  publique,  soit  une  abjuration,  soit  une  absolution 
au  for  externe  subséquente.  Voir  les  Instructions  pour 
les  confesseurs  à  l'occasion  du  jubilé  de  1886,  Canonisle 
contemporain,  1886,  p.  268;  les  déclarations  de  la 
S.  Pénitencerie  pour  le  jubilé  de  1900,  ibid.,  1900, 
p.  364;  le  texte  d'indiction  de  Pie  X  pour  le  jubilé  de 
1913,  ibid.,  1913,  p.  246;  le  décret  du  Saint-Office  du 
1er  mai  1779,  relatif  aux  apostats  du  Thibet,  Collect., 
n.  553;  le  décret  du  28  septembre  1672,  relatif  aux 
hérétiques  en  général,  Collect.,  n.  204;  ces  deux  derniers 
décrets  expliquant  la  nature  des  pouvoirs  conférés 
aux  missionnaires  de  la  Propagande.  Cf.  Ami  du  clergé, 
1907,  p.  1010  sq.  Cette  exigence  d'une  réparation  pu- 
blique est  de  droit  naturel  :  là  où  il  y  a  eu  scandale,  il 
faut  également  une  réparation.  C'est  aux  prêtres  à 
consulter,  en  chaque  cas  particulier,  la  teneur  de  leurs 
pouvoirs  spéciaux.  Voir,  pour  plus  de  détails,  l'art. 
Abjuration,  t.  i,  col.  74. 

Ce  code  résume  brièvement  toutes  ces  dispositions 
de  la  discipline  canonique  au  caron  2314,  §  2. 


Can.  2314,  §  2.  —  Absolu- 
tio  ab  excommunicatione  de 
qua  in  §  1 ,  in  foro  conscientiœ 
impertienda,  est  speciali  mo- 
do sedi  apostolicœ  reser- 
vata.  Si  tamen  delictum 
apostasise,  hœresis  vel  schis- 
matis  ad  forum  externum 
ordinarii  loci  quovis  modo 
deductum  fuerit  etiam  per 
voluntariam  confessionem, 
idem  ordinarius,  non  vero 
vicarius  geneialis  sine  man- 
data speciali,  resipiscentem, 
prœvia  abjuratione  juridice 
peracta  aliisque  servatis  de 
jure  servandis,  sua  auctori- 
tate  ordinaria  in  forto  exte- 
riore  absolvere  potest  ;  ita 
vero  absolutus,  potest  deinde 
a  peccato  absolvi  a  quolibet 
confessario  in  foro  conscien- 
'tiœ.  Abjuratio  vero  habetur 


L'absolution  de  l'excom- 
munication prévue  au  §  1, 
accordée  au  for  de  la  con- 
science, est  réservée  d'une 
façon  spéciale  au  siège  apos- 
tolique. Si  toutefois  !e  délit 
d'apostas'e,  d'hérésie  ou  de 
schisme  est  défini, dequelque 
façon  quece  soit, même  par  un 
aveu  volontaire,  au  for  ex- 
terne de  l'ordinaire  du  lieu, 
ce  même  ordinaire,  mais  non 
pas  son  vicaire  général  sans 
mandat  spécial,  peut,  en 
vertu  de  son  autorité  ordi- 
naire, absoudre  au  for  ex- 
terne le  délinquant  venu  à 
résipiscence,  à  condition  de 
recevoir  son  abjuration  pré- 
alable et  de  suivre  toutes  les 
prescriptions  que  de  droit. 
Le  pécheur  ainsi  absous  peut 
ensuite,  au  for  de    la    con- 


juridice  peracta,  en  un  fit  co- 
rum  ipso  ordinario  loci  vel 
ejusdelegato  et  saltem  duo- 
bus  testibus. 


science,  recevoir  le  pardon 
de  son  péché  de  n'importe 
quel  confesseur.  L'abjura- 
tion est  considérée  comme 
juridiquement  faite,  lors- 
qu'elle a  lieu  devant  l'ordd)- 
■aire  du  lieu  ou  son  délègue 
et  devant  au  moins  deux 
témoins. 


L'absolution  reçue  au  for  interne,  dans  ces  condi- 
tions spéciales,  remet  le  péché  et  la  censure,  mars 
elle  ne  peut  faire  qu'il  ne  soit  plus  possible,  si 
l'évêque  en  avait  la  volonté  et  le  moyen,  de  poursuivre 
l'hérétique  au  for  externe.  H  serait  donc  utile  de  solli- 
citer une  absolution  au  for  externe,  alors  même  qu'elle 
ne  serait  pas  exigée;  mais,  en  règle  générale,  on  ne 
l'impose  pas,  car  aujourd'hui,  la  plupart  du  temps, 
les  évêques  sont  dans  l'impossibilité  de  poursuivre  les 
hérétiques  et,  le  pourraient-ils,  ils  n'intenteraient 
aucune  action  contre  un  hérétique  qui,  dans  l'hypo- 
thèse, se  serait  réconcilié  avec  l'Église  et  aurait  donné 
par  une  réparation  publique,  une  marque  certai.i  de 
sa  conversion.  Voir  Ami  du  clergé,  1905,  p.  90;  J.  Bes- 
son,  Le  jubilé,  ses  conditions  et  ses  privilèges-,  dans  la 
Revue  théologique  française,  1904,  t.  ix,  p.  224.  Cf. 
Thésaurus,  op.  cit.,  au  mot  Censurée,  c.  i,  n.  22;  Suarez, 
De  censuris,  disp.  VII,  sect.  v,  n.  26;  Baller  ni- 
Palmieri,  op.  cit.,  n.  206;  Wernz,  op.  cit.,  n.  174,  etc. 

2.  Ministre  de  l'absolution.  —  a)  Absolution  au  (or 
interne  du  péché  d'hérésie  externe,  occulte  ou  publique.  — 
Quand  les  conditions,  prévues  par  les  décrets  du 
30  juin  1866  et  du  16  juin  1897,  et  par  le  Codex 
juris  canonici,  can.  2314,  §  2,  sont  réalisées,  tout 
prêtre  ayant  le  pouvoir  de  confesser  peut  absoudre. 
En  dehors  de  ce  cas,  il  faudrait  avoir  reçu  soit  du 
saint-siège,  soit  de  l'ordinaire,  délégué  lui-même  ad 
hoc,  des  pouvoirs  spéciaux.  Les  évêques  ont,  dans  leur 
diocèse,  en  vertu  d'une  délégation  quinquennale,  le 
pouvoir  d'absoudre,  soit  par  eux-mêmes,  soit  par  leurs 
délégués,  les  fidèles  coupables  du  péché  d'hérésie 
externe  occulte.  Saint-Office,  8  juin  1900,  Collect., 
n.  2084.  La  S.  Pénitencerie  a  même  déclaré,  le  26  mars 
1894,  Collect.,  n.  1864  ;  Canoniste  contemporain,  1895, 
p.  311,  que  ce  pouvoir  d'absoudre  s'étendait  aux  héré- 
tiques publics,  mais  non  dogmatisants.  —  6)  Absolution 
au  for  externe.  —  a.  Le  ministre  normal  de  cette  abso- 
lution est  l'ordinaire,  c'est-à-dire  l'évêque  ayant  juri- 
diction sur  le  délinquant,  lorsque  la  cause  est,  de 
quelque  façon  que  ce  soit,  déférée  à  son  autorité.  Saint- 
Office,  2  janvier  1669,  21  décembre  1895,  8  juin  1900, 
Collect.,  n.  2081.  Il  peut  se  faire  remplacer  par  un 
délégué.  Saint-Office,  28  mars  1900.  Collect.,  n.  2079, 
qui  renvoie  à  une  instruction  donnée  le  8  avril  1780 
Le  vicaire  général  n'est  pas]qualifié,  sans  délégation 
spéciale,  pour  donner,  au  nom  de  l'évêque,  cette  abso- 
lution. Ce  pouvoir  ordinaire  des  évêques,  cf.  Benoit 
XIV,  De  synodo  dicecesana,  ).  IX,  c.  iv,  n'a  pas  été 
supprimé  par  la  constitution  Apostolicœ  sedis.  Voir  tous 
les  commentateurs  et,  en  particulier,  Bucceroni, 
Commentarius  de  constilulione  PU  IX  Apostolicœ  sedis, 
n.  9.  Cf.  Hilarius  a  Sexten,  Traclatus  de  censuris  eccle- 
siaslicis,  Mayence,  1898,  p.  109  ;  Marc,  op.  cit. ,t.i, 
n.  443  ;  Bulot,  op.  cit.,  t.  n,  n.  941.  Il  est  expressé- 
ment reconnu  par  le  Codex  juris  canonici,  can.  2314, 
§  2.  —  b.  Lorsque  la  cause  n'est  pas  déférée  au  for 
épiscopal,  en  vertu  même  de  la  réserve  portée  par 
la  constitution  Apostolicœ  sedis,  et  par  le  nouveau 
code,  c'est  au  pape  ou  au  cardinal  pénitencier  qu'il 
faut  s'adresser  pour  obtenir,  soit  directement,  soit 
par  un  délégué,  l'absolution  au  for  externe  du  péché 
d'hérésie  occulte  ou  publique.  —  c.  En  vertu  de  la 
concession  faite  par  Pie  X,  29  décembre  1912,  au 
Sacré-Collège,    les    cardinaux   ayant   le   pouvoir   de 


2255 


HÉRÉSIE.  HÉRÉTIQUE 


2256 


remettre  les  censures  encourues  et  réservées  même 
speciali  modo  au  souverain  pontife,  ont,  par  le  fait 
même,  le  pouvoir  de  relever  de  l'excommunication 
encourue  pour  le  crime  d'hérésie. 

3.  Manière  d'absoudre  du  péché  d'hérésie  externe.  — 
Voir  les  principes  généraux  posés  pour  l'absolution  des 
censures,  t.  il,  col.  2135.  Ajoutons  simplement  que, 
lorsque  l'absolution  est  donnée  in  foro  interno,  l'abju- 
ration ou  la  rétractation  publique  qui  est  imposée  et 
qui  est  destinée  à  réparer  le  scandale  donné,  doit  se 
faire  d'après  la  formule  indiquée  par  le  Saint-Office, 
le  20  juillet  1859,  à  l'évêque  de  Philadelphie.  Collect., 
n.  1178.  Voir,  pour  plus  de  détails  sur  ce  document, 
Abjuration,  1. 1,  col.  75.  Au  for  externe,  il  faut  prendre 
la  formule  du  rituel,  tit.  m,  c.  ni.  La  publicité  exigée 
suppose  toujours  au  minimum  deux  témoins.  Saint 
Office,  28  mars,  1900  ;  Codex  juris  canonici,  can.  2314, 
§  2.  La  marche  à  suivre  est  indiquée  dans  l'instruction 
du  20  juillet  1859,  et  a  été  rappelée  à  l'art.  Abju- 
ration. 

Les  auteurs  à  consulter  ont  été  cités  au  cours  de 
l'article,  où  l'indication  des  différents  ouvrages  concer- 
nant l'hérésie,  au  triple  point  de  vue  dogmatique,  moral, 
et  canonique,  a  été  donnée. 

I.  Sources.  —  1"  Ouvrages  des  Pères.  —  1.  Saint  Justin 
avait  composé  un  S\ivxaYfj.a  za-rà  kckjwv  toW  Yey£VY|u.éva>v 
alpÉtreiDV  (I  Apol,  n.  23,  P.  G.,  t.  vi,  col.  368-370), 
perdu  aujourd'hui.  2.  Saint  Irénée,  Contra  omnes  hœreses, 
P.  G.,  t.  vu,  col.  437-1224.  3.  Saint  Hippolyte  avait  écrit 
un  ïïvvTayu,a  7rpbç  cercâaa;  ta;  aîpéaeiç,  que  Photius  avait 
lu,  Bibliolheca,  cod.  121,  P.  G.,  t.  en,  col.  401-404,  et  qui 
commençait  par  l'hérésie  de  Dosithée  pour  finir  à  celle  de 
Noët;  cet  ouvrage  perdu  a  été  utilisé  par  le  pseudo-Ter- 
tullien,  par  saint  Épiphane  et  saint  Philastre.  Il  fit  ensuite 
un  recueil  bien  plus  important, les  <i>;).ciiToyoJ[XEva,dont  les 
quatre  premiers  livres  exposent  la  sagesse  antique,  P.  G., 
t.  xvi,  col.  3017-3124;  les  livres  V-X  exposent  les  hérésies, 
P.  G.,  t.  xvi,  col.  3124-3454.  Cf.  Contra  hœresim  Noeii.t.  x, 
col.  803-830.  Voir  A.  d'Alès,  La  théologie  de  saint  Hippolyte, 
Paris,  1906,  p.  xxx-xxxi,  71-104.  4.  Pseudo-Tertullien, 
Catalogus  liœreticorum,  P.  L.,  t.  n,  col.  61  (dans  le  De  prœ- 
scriptionibus,  c.  xlvi).  5.  S.  Épiphane,  Katà  aiplaew 
ôy5t)/,y.ovrx  uavaptov  seu  y.iëumo;,  P.  G.,  t.  xli,  col.  173- 
1200,  t.  xlii,  col.  9-833.  6.  Saint  Philastre,  Liber  de  hœre- 
slbus  CLVI,  P.  L.,  t.  xii,  col.  1111-1302.  7.  Saint  Augustin, 
De  hœresibus,  P.  L.,  t.  xlii,  col.  21-93.  8.  Théodoret,  Ai- 
pe-txf,;  y.axofj.ufh'aç  int.iO{i.rl,  P.  G.,  t.  lxxxiii,  col.  335-556. 
9.  Prœdestinatus,  dont  le  Ier  livre  parle  de  90  hérésies,  depuis 
celle  de  Simon  le  Magicien  jusqu'à  celle  des  prédestina- 
tiens,  qu'il  combat  dans  les  deux  livres  suivants,  P.  L., 
t.  lui,  col.  587-672.  10.  Léonce  de  Byzance  ou  plutôt 
l'auteur  du  De  sectis,  P.  G.,  t.  lxxxvi,  col.  1193-1268. 
11.  S.  Jean  Damascène,  Liber  de  hœresibus,  P.  G., 
t.  xciv,  col.  677-780. 

2°  Ouvrages  modernes  sur  les  hérésies.  —  Alphonse  de 
Castro,  Adversus  omnes  hœreses,  au  nombre  de  plus  de 
40,  Paris,  1534,  etc.,  voir  t.  i,  col.  005-906;  trad. 
franc.,  par  J.  Hermant,  Histoire  des  hérésies,  3  in-12, 
Rouen,  1712;  3"  édit.,  4  in-12,  Rouen  (le  rv«  vol.  est  sur  le 
schisme  d'Angleterre);  Gottfried  \rnold,  Unparieische  Kir- 
chen-und  Ketzerhistorie,  en  17  livres,  depuis  le  début  jusqu'en 
1688,  in-fol.,  Francfort-sur-le-Mein,  1729;  3  in-fol.,  Schaf- 
fhouse,  1740;  Wilh.  Walch,  Enlwurf  einer  vollstàndigen 
Geschichte  der  Ketzereien,  inachevé,  et  conduit  jusqu'à  la 
querelle  des  images,  Leipzig,  1769;  Jean  Conrad  Fueslin, 
Kirchen  und  Ketzerhistorie  der  milllern  Zeit,  sur  les  hérésies 
de  la  Suisse,  3  vol.,  Francfort,  Leipzig,  1770-1774;  Ch.  Ulr. 
Hahn,  Geschichte  der  Ketzerim  Mittelalter  (hérésies  des 
xie,  xne  et  xme  siècles),  Stuttgart,  1845-1847;  Hilgers, 
Kritische  Darstellung  der  Hàresienundder  orthodoxen  Haupl- 
richtungen  (inachevé),  Bonn,  1837:  Hilgenfeld,  Ketzerge- 
scliichte  des  Urchristenlhums,  Leipzig,  1884;  Menéndez 
Pelayo,  Historia  de  los  hétérodoxes  espanoles,  2  vol.,  Madrid, 
1880;  Alexis  Lombard,  Pauliciens,  bulgares  et  bonshommes 
en  Orient  et  Occident,  Genève,  Bâle,  1870;  Du  rôle  des  héré- 
sies dans  le  développement  du  christianisme  au  moyen  âge, 
dans  la  Revue  politique  et  littéraire,  1879,  t.  xvn,  p.  1195; 
Ph.  Fritz,  Kelzerlexicon,  3  vol.,  Ratisbonne,  1838;  Pluquet 
et  J.-Jh.  Claris,  Dictionnaire  des  hérésies,  des  erreurs  et  des 
schismes,  dans  l'Encyclopédie  théologique  de  Migne,  t.  xi  et 


xii,  2  in-4°,  Paris,  1847;  Louis  Vallée,  Dictionnaire  du 
protestantisme,  ibid.,  Paris,  1858,  t.  xxxvi;  F.  Tocco, 
L'eresia  nel  medio  evo,  Florence,  1884;  I.  von  Dôllinger, 
Beitràge  zur  Sekten geschichte  desMitlelalters,2  vol.,  Munich, 
1890;  Blunt,  Dictionary  •/  secls,  Londres,  1903. 

IL  Auteurs.  —  1°  Problème  dogmatique.  —  S.  Ray- 
mond de  Pennafort,  Summa,  Rome,  1603,  1.  I,  c.  De 
hœrelicis;  S.  Thomas  d'Aquin,  Sum.  theol.,  II»  II*,  q.  x,  et 
les  commentateurs,  Cajetan,  Bafiez,  Grégoire  de  Valencia, 
Pierre d' Aragon,  Silvius;Suarez,  De  fide,  disp.  III,  sect.  xi; 
disp.  XIX,  sect.  n,  dans  Opéra  omnia,  Paris,  1856,  t.  xii; 
De  Lugo,  Disputationes  scholasticœ  et  morales,  Paris,  1868, 
t.  i,  De  fidei  divines  virtute,  disp.  XX;  cf.  disp.  XXIII, 
XXV;  Tanner,  De  fuie,  q.  xi,  traitent  ex  professo  la  question 
de  l'hérésie.  Voir  également  Vasquez,  In  Pm  p.  Sum. 
theol.  S.  Thomœ,  Venise,  1608,  disp.  V,  c.  in;  Bellarmin, 
Controversiœ,  Lyon,  1590,  1.  III,  t.  iv,  c.  xx;  Bécan,  De 
virtutibus  theologicis,  c.  xiv,  dans  Summa  theologiœ  scolas- 
ticœ,  4  in-4»,  Mayence,  1612;  Turrecremata,  Summa  de 
Ecclesia,  Venise,  1651 ,  1.  IV,  p.  n  ;  Kilber,  De  fide,  n.  226,  dans 
les  Wirceburgenses,  Paris,  1880,  t.  v  ;  Salmanticenses,  Cursus 
theologicus,  tr.  XVII,  De  fide,  disp.  IX,  dub.  n;  cf. 
disp.  I,  dub.  iv,  Paris,  1879,  t.  x  ;  Montagne,  De  censwis  seu 
notis  theologicis,  a.  2,  §  1,  dans  Migne,  Cursus  theologiœ 
completus.t.  i,  col.  1120-1161;  Bouquillon,  Instituliones 
theologiœ  moralis,  Bruges,  1878,  De  virt.  theol.,  n.  211  sq.; 
Mazzella,  De  virtutibus  infusis,  Rome,  1879,  n.  526-530; 
Perrone,  De  virtutibus  fidei,  spei  et  caritalis,  Turin,  1867, 
part.  I,  c.  ix,  a.  2;  J.  Didiot,  Morale  surnaturelle  spéciale, 
Vertus  théologales,  Paris,  1897  ;  Schiffini,  De  virtutibus 
in/usis,  Fribourg-en-Brisgau,  1904,  n.  187,194,  195;  Hurter, 
Theologiœ  dogmaticœ  compendium,  Inspruck,  1885,  t.  i, 
n.  408,  675;  Billot,  De  Ecclesia  Christi,  Rome,  1898,  th.  xi; 
De  virtutibus  infusis,  Rome,  1901,  th.  xxm,  xxiv;  Wilmers, 
De  Christi  Ecclesia,  Ratisbonne,  1897,  n.  397-399  ;  Prœlec- 
tiones  theologiœ  fundamentalis,  n.  130;  Franzelin,  De  divina 
tradilione,  Rome,  1870,  th.  xn,  scholion  m;  Ch.  Pesch, 
Prœlecliones  dogmaticœ,  Fribourg-en-Brisgau,  1899,  t.  i, 
n.  557;  t.  vin,  n.  377;  Van  Noort,  De  fontibus  revelationis, 
Amsterdam,  1911,  n.  259  sq.;  Vacant,  Études  théologiques 
sur  les  constitutions  du  concile  du  Vatican,  Paris,  1885, 
t.  n,  n.  856. 

Parmi  les  inquisiteurs,  A.  de  Castro,  Adversus  omnes 
hœreses,  Paris,  1534;  De  justa  hœreticorum  punilione,  Lyon, 
1566;  Simanca,  De  calholicis  inslitutionibus,  Ferrare,  1692, 
tit.  xxx,  liv;  Del  Eene,  De  officio  S.  Jnquisitionis 
contra  hœresim,  Lyon,  1680;  Sanctarelli,  Traclatus  de 
hœresi,  Rome,  1625;  Eymeric,  Directorium  inquisitorum, 
Rome,  1578;  avec  les  scolies  de  Pegna,  Rome,  1616;  Fari- 
nacci,  Traclatus  de  hœresi,  Rome,  1816;  Dandini,  De  sus- 
pectis  de  hœresi,  Rome,  1703;  Bordoni,  Sacrum  tribunal 
judicum  in  causis  sanctœ  fidei  contra  hœreticos  et  de  hœresi 
suspecios,  Rome,  1648;  Alberghini,  Manuale  qualificatorum 
SS.  Inquisitionis,  Palerme,  1642.  A  côté  des  indications 
relatives  à  la  procédure  inquisitoriale,  on  trouve  dans  ces 
ouvrages  d'intéressantes  notions  dogmatiques,  morales  et 
canoniques  touchant  l'hérésie. 

On  consultera  également  avec  profit  :  Ferraris,  Prompla 
bibliotheca,  Venise,  1770,  aux  mots  Hœresis,  Hœreticus; 
Thésaurus,  De  paenis  ecclesiaslicis,  Ferrare,  1761,  au  mot 
Hœresis;  Granderath,  dans  le  Kirchenlexikon,  au  mot 
Hàresie,  t.  V,  col.  1442-1451;  Ojetti,  Synopsis,  Prato,  1904, 
au  mot  Hœrests;  Choupin,  clans  le  Dictionnaire  apologétique 
de  la  foi  catholique  (d'Alès),  art.  Hérésie,  t.  m,  col.  607-609; 
ainsi  que  quelques  ouvrages  plus  spéciaux  sur  l'Inquisition, 
mais  où  la  notion  d'hérésie  se  trouve  exposée  soit  histori- 
quement, soit  doctrinalement  :  Garzend,  L' Inquisition  et 
l'hérésie,  Paris,  1913;  Tanon,  Histoire  des  tribunaux  de 
V Inquisition  en  France,  Paris,  1893;  Vacandard,  L'Inquisi- 
tion, Paris,  1907,  c.  vm. 

2°  Problème  moral.  - —  1.  Sur  le  péché  d'hérésie,  voir 
la  plupart  des  auteurs  déjà  cités,  et,  au  traité  de  la  foi,  les 
manuels  de  d'Annibale,  Bucceroni,  Ballerini-Palmleri,  Sca- 
vini,  Noldin,  Génicot,  Gury-Dumas,  Gury-Ballerinl,  Gury- 
Ferrerès,  Cl.  Marc,  Tanquerey,  etc.  Voir  plus  spécialement 
Lehmkuhl,  Theologia  moralis,  Fribourg-en-Brisgau,  1902, 
t.  i,  n.  298  sq.;  t.  n,  n.  921  sq.,  et  surtout  S.  Alphonse  de 
Liguori,  Theologia  moralis,  édit.  Gaudé,  Rome,  1907,  t.  i, 
p.  310,  où  l'on  trouvera  les  références  aux  anciens  auteurs 
cités  au  cours  de  l'article,  Malderus.  Sanchez,  Azor,  Sa, 
Sayrus,  Antoine,  Filiucci,  Laymann,  Coninck,  etc.  Cf. 
Suarez,  op.  cit.,  disp.  XIV,  XXI;  Badet,  Le  péché  d'in- 
croyance, Paris,  Lyon,  1899.  — 2.  Sur  les  relations  des  catlio 


2257 


HÉRÉSIE.  HÉRÉTIQUE  —  HERGENRŒTHER 


2258 


liqucs  et  des  hérétiques,  voir  les  documents  du  saint-siège, 
dans  Lettres  apostoliques  de  Léon  XIII,  édit.  Bonne  Presse, 
t.  I,  p.  41;  t.  il,  p.  51,  234-235;  t.  m,  p.  65-67,  69,  219; 
t.  iv,  p.  175,  221,  229;  Lettres  de  Pie  X  (ibid.),  t.  i,  p.  113, 
217  ;  Collectanea  S.  C.  de  Propaganda  fide,  in-4°,  Rome,  1907, 
passim;  Analecta  ecclesiastica,  Rome,  1899,  p.  98-99.  Cf. 
Questions  ecclésiastiques,  Lille,  1912,  t.  n,  p.  194  sq.;  Ami 
du  clergé,  Langres,  1900,  p.  1604;  1904,  p.  112,  879;  1907, 
p.  287,  600  ;  1908,  p.  444;  Mgr  Nègre,  Les  écoles,  Paris,  1911. 
3"  Problème  canonique.  —  1.  Sources  :  Décret  de  Gratien, 
c.  4,  dist.  XXX;c.32,  dist.L;  Causa  I,  q.  vu;  Causa  XXIII, 
q.vn;Causa  XXIV, q.  i,iil;c.37,  118,  dist.  IV,  Deconsecr.; 
Complément  I,  1.  V,  tit.  vi.  De  hœreticis;  III,  1.  V,  tit.  iv; 
IV,  1.  V,  tit.  v,  De  hœreticis  et  manichœis;  V,  1.  V,  tit.  iv, 
De  hœreticis;  Décrétales  de  Grégoire  IX,  1.  V,  tit.  vin; 
Décrétales  de  Clément  VIII,  édit.  Sentis,  p.  163  sq.;  Pie  IX, 
const.  Apostolicœ  sedis.  —  2.  Auteurs  :  outre  les  grands, 
commentaires  de  Schmalzgruber,  Reiftenstuel,  Pirhing, 
.  Ponsius,  etc.,  et  les  manuels  classiques  de  Devoti,  De 
Angelis,  Sanguinctti,  Cavagnis,  Santl,  Soglia,  Aichner, 
Laurentius,  Grandclaude,  Bouix,  Deshayes,  Wernz,  on 
consultera  avec  profit,  sur  les  peines  infligées  aux  héré- 
tiques dans  le  droit  moderne,  les  commentateurs  de  la  bulle 
Apostolicœ  sedis,  voir  ce  mot,  t.  i,  col.  1617-1618;  Hilarius 
a  Sexten,  Tractatus  de  censuris  ecclesiasticis,  Mayence,  1894; 
Gennari,  Consultazioni  morali-canoniche-liturgiche,  Rome, 
1902;  trad.  Boudinhon;  Heiner,  Katholisches  Kirchenrecht, 
Paderborn,  1909;  Die  kirchenlichen  Censuren,  Paderborn, 
1884;  Kober,  Der  Kirchenban,  Tubingue,  1857;  Stremler, 
Traité  des  peines  ecclésiastiques,  Paris,  1860;  Muenchen, 
Die  canonischen  Gerichtsver/aliren  und  Slrafrecht,  Cologne, 
1865;  Hinschius,  Das  Kirchenrecht  der  Katholiken  und  Pro- 
leslanten  in  Deulschland,  t.  iv,  p.  844;  t.  v,  p.  157  sq., 
449  sq.;  Cappello,  De  censuris  juxta  codicem  juris  cano- 
nici,  Turin,  1919. 

On  trouvera  aussi  beaucoup  de  notions  utiles  dans 
Suarez,  op.  cit.,  disp.  XX-XXIII,  et  dans  de  Lugo,  op.  cit., 
disp.  XXV.  Sur  la  question  des  livres  hérétiques,  voir 
Boudinhon,  La  nouvelle  législation  de  l'Index,  Paris,  1899; 
Hollweck,  Das  kirchliches  Bucherverboi,  Mayence,  s.  d.; 
A.  Vermeersch,  De  prohibitione  et  censura  librorum,  Tournai, 
1898;  Lega,  Prœlectiones  de  judiciis  ecclesiasticis,  Rome, 
1896-1902,  t.  m,  p.  485;  Hilarius  a  Sexten,  op.  cfl.,  p.  110; 
Devoti,  lnstituliones  canonicœ,  Gand,  1822,  1.  IV,  tit.  iv, 
t.  n,  p.  243-261;  Périès,  L'Index,  commentaire  de  làjconsli- 
tution  apostolique  Officiorum,  Paris,  1898,  et  les  autres 
auteurs  cités  au  cours  de  l'article. 

A.  Michel. 
HERGENRŒTHER  Joseph,  historien  allemand  et 
cardinal,  vit  le  jour  à  Wurzbourg,  où  son  père  était 
professeur  de  médecine,  le  15  septembre  1824.  Il  fit 
avec  succès  ses  premières  études  au  gymnase  de  sa 
ville  natale;  puis  il  suivit  les  cours  de  philosophie  et 
de  théologie  à  l'université,  de  1842  à  1844.  L'évêque 
Stahl    l'envoya    ensuite    au    Collège    germanique    de 
Rome.  Ordonné  prêtre  le  28  mai  1848,  il  ne  put  achever 
son  cours  de  théologie  à  cause  des  troubles  de  la  Révo- 
lution.   Il  rentra   à   Wurzbourg,   où   il   continua   ses 
études.  Au  mois  de  mars  1849,  il  fut  nommé  chapelain 
a  Zellingen.  Il  soutint  sa  thèse  de  doctorat  en  théologie 
le  18  juillet  1850;  elle  est  intitulée:   Die  Lehre  von 
gôltlichen     Dreieinigkeit    nach    dem    h.     Gregor     von 
Nazianz,  dem  Theologen,  mil  Berùcksichligung  der  alte- 
ren  und  neueren  Darstellungen  dièses  Dogma's,  Ratis- 
bonne,  1850.  Les  examinateurs  furent  si  satisfaits  de 
la  soutenance  qu'ils  demandèrent  que  le  jeune  docteur 
devint    privat-docenl    à    l'université    de    Wurzbourg. 
Au  mois  de  mai  1851,  il  présenta  sa  thèse  d'habilita- 
tion :    De   cutholicœ  Ecclesiœ   primordiis    recentiorum 
prolestantium  sysiemata,    ibid.,    1851.    Il  fut   nommé 
professeur  extraordinaire   le   3     novembre    1852.    Le 
15  mai  1855,  il  obtint  la  chaire  de  droit  canon  et  d'his- 
toire ecclésiastique,  qu'il  illustra.  Ses  premières  publi- 
cations historiques,  si  on  excepte  un  article  sur  les 
Philosophoumena,  récemment  découverts,  dans  Tùbin- 
ger    Theologische    Quarlalschritt,   1852,   portèrent  sur 
Photius  et  le  schisme  grec.  Il  donna  la  première  édi- 
tion critique  du  Liber  de  Spirilus  Sancli  mystagogia, 
de  Photius,  Ratisbonne,  1857    que  Migne  reproduisit, 


P.  G.,  t.  en,  col.  263-542.  Dans  l'introduction  et  les 
notes,  il  résolut  toutes  les  difficultés  que  le  patriarche 
de  Constantinople  avait  soulevées  contre  la  procession 
du  Saint-Esprit  ex  Filio.  Il  étudia  les  Amphilochia  de 
Photius  dans  Tùbinger  Theologische  Quarlalschrift, 
1858.  En  1860,  il  reprit  le  même  sujet  dans  P.  G., 
t.  ci,  col.  1-20,  et  il  fournit  des  collations  du  texte  pour 
l'édition  des  œuvres  de  Photius  par  l'abbé  Migne. 
Sur  l'Église  grecque  et  Photius,  il  publia  successive- 
ment :  Entalma  grœcum  Patrum  spiritualium  ofjicium 
describens,  avec  un  commentaire,  Ratisbonne,  1865; 
Photius,  Patriarch  von  Constantinopel.  Sein  Leben, 
seine  Schrijlen  und  das  griechische  Schisma,  nach 
handschrilllichen  und  gedrùckten  Quellen,  3  in-8°, 
Ratisbonne,  1867-1869;  Monumenla  grœca  ad  Pholium 
eiusque  historiam  pertinenlia,  ibid.,  1869.  Sa  connais- 
sance de  l'histoire  du  schisme  lui  permit  de  critiquer 
l'ouvrage  d'Aloys  Piepler,  Geschichle  der  kirchl. 
Trennung  zwischen  Orient  und  Occident,  Munich,  1864, 
dans  le  Chilianum,  1864-1865,  t.  v-vn,  et  dans  Archiv 
/ùr  Kirchenrecht,  1864,  1865,  t.  xn,  xiv.  Il  publia 
aussi  dans  diverses  revues  allemandes  des  articles 
d'histoire  ou  de  droit  canon,  et  il  prit  part  aux  discus- 
sions théologiques  qui  surgirent  alors  en  Allemagne. 
Notons  aussi  son  étude  sur  l'histoire  de  l'exégèse  : 
Die  anliochenische  Schute  und  ihre  Bedeutung  auf 
exegetische  Gebiete,  Wurzbourg,  1866.  Dans  l'audience 
du  28  novembre  1867,  Pie  IX  le  désigna  comme  consul- 
teur,  devant  aider  à  la  préparation  du  concile  du 
Vatican.  Prévenu  par  le  nonce  de  Munich,  il  accepta 
avec  reconnaissance  le  concours  qu'on  lui  demandait, 
mais  à  la  condition  formelle  qu'il  ne  cesserait  pas  son 
enseignement  à  Wurzbourg.  Il  pourrait  aller  à  Rome 
aux  mois  de  mars  et  d'avril  et  à  l'automne,  dès  le 
début  de  septembre  jusqu'à  la  mi-novembre.  Le 
5  février  1868,  la  Congrégation  directrice  le  nomma 
consulteur  de  la  Commission  de  la  discipline  ecclé- 
siastique. Collectio  Lacensis,  Fribourg-en-Brisgau, 
1890,  t.  vu,  col.  1045,  1058;  Cecconi,  Histoire  du 
concile  du  Vatican,  trad.  franc.,  Paris,  1877, 1. 1,  p.  361. 
Pendant  la  tenue  du  concile,  Hergenrœther  prit  part 
à  la  lutte  que  souleva  en  Allemagne  la  proposition  de 
définir  l'infaillibilité  pontificale.  Il  rédigea  avec 
Hettinger  la  réponse  que  la  faculté  théologique  de 
Wurzbourg  fit,  le  2  juillet  1869,  aux  questions  posées 
par  le  prince  de  Hohenlohe  aux  facultés  de  théologie  et 
de  droit  des  universités  bavaroises,  publiée  dans 
Der  Katholik,  1871,  et  traduite  en  français  dans 
Cecconi,  op.  cit.,  t.  ni,  p.  460-524.  Quand  parut  la 
brochure  :  Der  Papst  und  das  Concil,  par  Janus 
(attribuée  à  Dœllinger),  il  y  répondit  au  bout  de 
quelques  semaines  par  son  Anlijanus,  Fribourg-en- 
Brisgau,  1869:  trad.  italienne  par  Taliani,  Turin.  1872. 
Il  faisait  une  critique  historique  et  théo'ogique  des 
idées  de  Janus.  Voir  Cecconi,  op.  cit.,  t.  n,  p.  438-441. 
Quand  Dœllinger  attaqua  ouvertement  l'adresse  de 
la  majorité  des  membres  du  concile  sur  l'infaillibilité 
pontificale,  Hergenrœther  lui  répondit  :  Die  Irrlùmer 
von  mehr  als  vierhundert  Bischôfen  und  ihr  theologi- 
schen  Censor,  Fribourg-en-Brisgau,  1870.  Cf.  Th. 
Granderath,  Histoire  du  concile  du  Vatican,  trad. 
fi-anç.,  Bruxelles,  1911,  t.  n,  p.  295-302.  Il  publia 
encore  des  articles  polémiques  :  Die  Concilsbriefe 
der  allgcmine  Zeitung,  dans  Historisch-polilische 
Blatter,  t.  lxv-lxvl;  Die  pàpslliche  U nj ehlbarkeil 
vorden  valicanischen  Concil,  Passau,  1871;  Ueber  das 
valicanische  Concil,  ein  theologisches  Votum,  Mayence, 
1871;  Katholischc  Kirche  und  christlicher  Staal  in 
ihrer  geschichtlichen  Entwickelung  und  in  Bcziehung 
au/  die  Fragen  der  Gegenwart.  Hislorisch-theologische 
Essays  und  zugleich  ein  Anli-Janus  vindicatus,  Fri- 
bourg-en-Brisgau, 1872;  2e  édit.,  1876.  Il  avait  publié 
aussi  :  Die  Mariaverehrung  in  den  10  erslen  Jahrhun- 


2259 


HERGENRŒTHER 


HERINCX 


2260 


dcrtc  der  Kirche,  Munich,  1870.  Mais  l'ouvrage  qui  a 
consacré  sa  réputation  d'historien  est  son  manuel: 
Handbuch  der  allgemeincn  Kirchcngcschichte,  3  in-8°, 
Fribourg-en-Brisgau,  1876-1880  (les  documents  et  les 
preuves  sont  réunis  dans  le  t.  ni);  3e  édit.,  1884-1886 
des  documents  et  les  preuves  sont  insérés  dans  l'ou- 
vrage); 4e  édit.,  1902-1907,  revue  par  Kirsch;  trad. 
franc.,  par  l'abbé  Belet,  5  in-8»,  Paris,  1880.  En  1877, 
Hergenrœther  avait  été  nommé  prélat  de  la  maison  de 
Sa  Sainteté.  Il  avait  projeté  de  donner  une  nouvelle 
édition  du  Kirchenlexikon  de  Wetzer  et  de  Welle;  son 
élévation  au  cardinalat  l'obligea  à  laisser  à  Kaulen 
l'exécution  de  son  projet;  il  rédigea  pourtant  quelques 
articles  pour  cette  seconde  édition.  Le  12  mai  1879, 
Léon  XIII  avait  conféré  la  pourpre  comme  cardinal- 
diacre  de  Saint-Nicolas  in  Carcere  au  professeur  de 
Wurzbourg,  à  cause  de  ses  grands  mérites  à  l'égard  de 
la  foi  et  de  la  science  catholique.  A  Rome,  il  fut 
membre  des  Congrégations  du  Concile,  de  l'Index,  des 
Affaires  ecclésiastiques  extraordinaires  et  des  Études. 
Il  fut  nommé  préfet  des  Archives  du  Vatican,  et  il 
établit  dans  cet  important  dépôt  un  ordre  nouveau. 
Il  continua  ses  travaux  scientifiques.  Il  avait  com- 
mencé la  publication  du  Rcgeslum  de  Léon  X;  il  en  fit 
paraître  huit  fascicules  in-fol.,  Fribourg-en-Brisgau, 
1884-1885,  formant  le  t.  i;  le  t.  n  parut,  après  sa  mort, 
en  1891.  Il  continua  aussi  la  Conciliengeschichte  de 
Hefele,  et  il  publia  le  t.  vin  en  1887  et  le  t.  ix  en  1890, 
qui  comprennent  la  période  antérieure  au  concile  de 
Trente.  Mais  ces  volumes  sont  remplis  surtout  par 
l'histoire  des  antécédents  de  la  Réforme  en  Allemagne, 
et  les  conciles  y  tiennent  fort  peu  de  place.  L'expo- 
sition est  très  détaillée  et  assez  mal  ordonnée.  Aussi 
la  traduction  française,  parue  en  1917,  a-t-elle  été 
réduite  par  la  suppression  de  longueurs  inutiles.  Le 
cardinal  Hergenrœther  avait  été  frappé  d'apoplexie, 
et  pendant  les  dernières  années  de  sa  vie,  le  travail 
lui  avait  été  difficile.  Il  mourut  le  3  octobre  1890, 
à  l'abbaye  de  Mehrerau,  où  il  avait  l'habitude  de 
passer  ses  vacances. 

Steiner,  Cardinal  Hergenrôther,  dans  Episcopat  der 
Gegenwarl,  Wurzbourg,  1882;  Heinrich,  Cardinal  Hergen- 
rôther, dans  Der  Kaiholik,  1890,  t.  n,  p.  481-499;  Hollweg, 
Ein  bayerischer  Cardinal,  dans  Hislorisch-polilische  Blàtter, 
1890,  t.  evi,  p.  721-729;  Stamminger,  Rede  zum  Gedàchtnisse 
Cardinal  Hergenrôihers,  Fribourg-en-Brisgau,  1892;  Zobl, 
Trauerrede  beim  Leichenbegàngnisse  Sr.  Eminenz  des  Cardi- 
nals  Hergenrôihers,  Feldkirch,  1890;  Nirschl,  Gedàchtnisse- 
rede,  Wurzbourg,  1897;  Lauchert,  dans  Allgemeine  deutsche 
Biographie,  Leipzig,  1906,  t.  l,  p.  228-231  ;  Kirsch,  dans  The 
catholic  encyclopedia,  New  York,  t.  vu,  p.  262-264  ;  Hurter, 
Xomenclator,  Inspruck,  1913,  t.  v  b,  col.  1620-1626. 

E.  Mangenot. 

HERIBERT,  clerc  normand,  hérétique  du  commen- 
cement du  xie  siècle.  II  faisait  partie  de  la  maison 
d'un  chevalier  nommé  Arefast,  qui  l'envoya  aux  célè- 
bres écoles  d'Orléans  pour  y  compléter  ses  études. 
Là,  il  se  lia  intimement  avec  deux  professeurs,  Etienne 
et  Lisol,  qui,  malgré  leur  science  et  leur  réputation  de 
I  iété,  avaient  adopté  des  doctrines  importées  d'Italie 
et  renouvelant  les  erreurs  des  docètes  et  des  mani- 
chéens. Héribert  se  laissa  séduire  et,  de  retour  dans  son 
pays,  s'efforça  de  gagner  son  maître,  lui  désignant 
Orléans  comme  le  siège  de  la  science  et  de  la  sainteté. 
Arefast  reconnut  vite  l'hérésie;  mais  ne  laissant  pas 
voir  ses  véritables  sentiments,  il  vint  à  Orléans  avec 
son  clerc,  se  fit  présenter  aux  deux  professeurs  et 
gagna  promptement  leur  confiance.  Sur  ces  entrefaites, 
Robert,  roi  de  France,  vint  à  Orléans,  et  ordonna  de 
saisir  les  hérétiques  pendant  une  de  leurs  réunions. 
JI  les  fit  ensuite  comparaître  devant  un  synode  con- 
voqué dans  l'église  Sainte-Croix  d'Orléans  sous  la 
présidence  de  Léothéric,  archevêque  de  Sens.  Arrêté 
également,  Arefast  expliqua  comment  il  se  trouvait 


dans  cette  réunion  et  dévoila  tout  ce  qu'il  avait  appris. 
Le  synode  condamna  ces  hérétiques,  parmi  lesquels 
se  trouvait  Héribert.  Au  nombre  de  treize  ils  refusèrent 
de  rétracter  leurs  erreurs  et  subirent  la  peine  du  feu 
(1022). 

D'Achéry,  Spicilcgium,  in-4°,  Paris,  1657,  t.  u,  p.  670; 
Lnbbe,  Sacrorum  coneiliorum  nova  collectio,  édit.  Mansi, 
in-fol.,  Venise,  1774,  t.  xix,  col.  373;  Hefele,  Histoire  des 
conciles,  trad.  II.  Leclercq,  in-8°,  Paris,  1911,  t.  iv,  p.  924; 
Histoire  littéraire  de  la  France,  in-4°,  Paris,  1746,  t.  vu, 
p.  101;  Fabricius,  Bibliothcca  latina  mediœ  œtaiis,  iu-8°, 
1858,  t.  m,  p.  235. 

B.  Heurtebize. 

HÉRICOURT  (Louis  d').  Louis  d'Héricourt  du 
Vatier  naquit  à  Soissons  le  20  août  1687,  de  Charles- 
.Julien,  seigneur  d'Hédouville,  conseiller  au  siège  prê- 
sidial  de  Soissons  et  d'une  ancienne  famille  d'Artois. 
Entré  tout  jeune  dans  l'armée,  il  la  quitta  pour  les 
bénédictins,  où  il  reçut  la  tonsure  et  les  ordres  mineurs 
et  s'adonna  à  l'hébreu;  des  bénédictins  il  passa  chez  les 
oratoriens,  puis  se  dirigea  enfin  vers  le  barreau,  où  il 
entra  comme  avocat  en  1712.  Il  en  devait  faire  partie 
durant  quarante  ans  et  y  acquérir  une  haute  réputation 
de  science,  en  particulier  pour  les  questions  de  droit 
canonique;  il  mourut  à  Thiais  près  Choisy-le-Roi,  le 
1 8  novembre  1752.  Voici  l'indication  de  ses  principaux 
ouvrages  :  1°  Les  lois  ecclésiastiques  de  France  dans  leur 
ordre  naturel  et  une  analyse  des  livres  du  droit  canonique 
conférés  avec  les  usages  de  l'Église  gallicane,  in-fol., 
Paris,  1719,  maintes  fois  réédité  du  vivant  de  l'auteur 
et  après  sa  mort  :  c'est  un  excellent  résumé  de  droit 
canonique  appliqué  à  la  situation  de  l'Église  en  France 
au  xvme  siècle,  et  qui  permet  de  saisir  exactement  et 
rapidement  les  relations  intérieures  de  l'Église  et 
de  l'État  à  cette  époque.  L'édition  de  1771,  de  plus  de 
1 100  pages,  présente  en  appendice  le  texte  d'un  certain 
nombre  de  décrets,  ordonnances,  arrêts  rendus  sur  les 
matières  ecclésiastiques  après  1734;  elle  est  aussi  consi- 
dérée comme  la  meilleure;  2°  Traité  de  la  vente  des 
immeubles  par  décret,  in-4°,  1727;  3°  Observations 
sur  la  coutume  générale  et  sur  les  coutumes  locales  du 
Vermandois,  in-4°,  1728;  4°  Abrégé  de  la  nouvelle  et 
de  l'ancienne  discipline  de  l'Église,  du  P.  Louis  Tho- 
massin,  in-4°,  1717;  5°  addition  des  livres  III  et  IV 
au  Droit  public  de  Domat;  6°  Œuvres  posthumes, 
publiées  en  1759  en  4  in-4°,  contenant  à  peu  près  par 
égales  parts  des  consultations  sur  diverses  matières 
de  droit  civil  et  de  droit  canonique,  où  il  développait 
et  modifiait  plus  d'une  fois  les  opinions  émises  dans 
les  Lois  ecclésiastiques.  Il  avait  collaboré  aussi  de  1714  à 
1736  au  Journal  des  savants.  L'œuvre  d'Héricourt  est 
celle  d'un  jurisconsulte  à  la  fois  très  religieux  et, 
comme  ses  collègues  et  contemporains,  très  pénétré 
d'esprit  régalien,  sur  quoi  devait  déteindre  encore  le 
jansénisme  de  son  oncle  Louis,  promoteur  de  Soissons. 
Elle  garde  une  réelle  valeur  rétrospective  par  l'ampleur 
et  la  sûreté  de  son  information. 

Voir  surtout  la  Préface  des  éditeurs  en  tête  de  la  publi- 
cation des  Œuvres  posthumes;  Lelong,  Bibliothèque  histo- 
rique, t.  i,  p.  467;  Moréri,  Grand  dictionnaire  historique; 
Barbier,  Dictionnaire  des  ouvrages  anonymes;  Biographie 
universelle  de  Michaud;  Nouvelle  biographie  générale  de 
Didot. 

A.    VlLLIEN. 

HERINCX  Guillaume,  né  à  Helmond  dans  le  Bra- 
bant  septentrional,  en  1621,  entra  jeune  encore  chez 
les  frères  mineurs  récollets  de  la  province  de  Basse- 
Allemagne.  Nommé  lecteur  de  théologie  à  Louvain  en 
1653,  il  s'acquitta  de  cette  charge  avec  tant  de  succès 
qu'on  lui  demanda  de  composer  un  cours  de  théologie 
destiné  à  servir  de  manuel  pour  les  jeunes  religieux  de 
sa  province.  11  se  mit  à  l'œuvre  et  publia  une  Summ  i 
theologica  scolastica  et  moralis  in  quatuor  parles  dislri- 


2261 


HÉRINCX   —    HERMANN 


2262 


buta,  4  in-fol.,  Anvers,  16G0-1663.  Le  P.  Hérincx  était 
alors  ministre  provincial,  et  comme  tel  11  se  rendait  à 
Rome  l'année  suivante,  pour  assister  au  chapitre  géné- 
ral de  son  ordre.  Sa  réputation  de  théologien  était  si 
bien  établie  qu'il  fut  invité  à  diriger  une  soutenance 
publique  devant  le  chapitre,  et  il  dédiait  alors  à  dom 
de  Gardenas  les  Thèses  ex  universa  theologia...  quas 
propugnabil  fr.  Guilielmus  Van  Sichen,  in-4°,  Rome, 
1664.  Sa  théologie,  dans  laquelle  il  avait  soutenu  le 
probabilisme  en  s'appuyant  sur  les  grands  docteurs, 
saint  Thomas,  saint  Bonaventure,  saint  Antonin,  Scot, 
demandait  à  être  revue  et  rendue  conforme  aux  décrets 
d'Alexandre  VII,  publiés  en  1665  et  1666;  le  P.  Guil- 
laume van  Goorlaeken  en  fut  chargé  par  le  chapitre  de 
sa  province.  Il  s'en  acquitta  de  concert  avec  l'auteur,  et 
la  seconde  édition,  ab  auctore  recognita,  fut  imprimée  à 
Anvers,  1672-1675.  On  en  trouve  des  exemplaires  avec 
la  date  de  1680  et  l'auteur  y  est  qualifié  d'évêque 
d'Ypres,  dignité  qui  lui  avait  été  conférée  en  1677. 
Consacré  le  24  octobre,  il  se  rendit  aussitôt  dans  son 
diocèse  et  commença  à  le  visiter,  mais  il  mourut  avant 
de  s'être  entièrement  acquitté  de  ce  devoir  de  sa  charge, 
le  17  août  1678.  Une  3e  édition  de  sa  théologie  parut 
après  sa  mort,  Anvers,  1702-1704.  On  trouve  encore 
une  courte  lettre  d' Hérincx,  adressée  à  un  apostat  de 
son  ordre,  Pierre  Valois,  publiée  par  celui-ci  dans  son 
livre,  Causa  Valesiana  epistolis  ternis  prœlibata,  in- 
8°,  Londres,  1684.  Le  P.  Hérincx  se  distingue  entre 
tous  les  théologiens  par  sa  concision  et  sa  clarté.  Il  fut 
scotiste  par  devoir,  comme  tous  les  écrivains  fran- 
ciscains de  cette  époque,  mais  il  le  fut  modestement,  ne 
combattant  les  opinions  thomistes  qu'avec  respect 
pour  le  docteur  angélique  et  ne  se  séparant  qu'à  regret 
de  saint  Bonaventure.  Une  onction  toute  particulière 
se  fait  jour  dans  ses  pages,  car,  disait-il,  l'enseignement 
théologique  ne  doit  pas  se  borner  à  la  recherche 
de  la  vérité,  mais  11  doit  encore  servir  à  la  sanctifica- 
tion de  celui  qui  étudie  pour  travailler  à  ce'.le  de  son 
prochain. 

Servals  Dirks,  Histoire  littéraire  et  bibliographie  des 
frères  mineurs  de  l'observance  en  Belgique,  Anvers,  1886, 
p.  256-260;  Hurter,  Nomenclator,  Inspruck,  1910,  t.  iv, 
col.  48-49. 

P.  Edouard   d'Aïençon. 

HERLUISSON  Pierre-Grégoire,  théologien  jansé- 
niste, né  à  Troyes  le  4  novembre  1759,  mort  près  de 
cette  ville,  à  Saint-Martin-des- Vignes,  le  19  janvier 
1811.  Ayant  terminé  ses  études  grâce  à  la  protection  de 
Mgr  Glaude  de  Barrai,  évoque  de  Troyes,  il  fut  ordonné 
prêtre  à  l'âge  de  vingt-trois  ans.  Quelques  années 
plus  tard,  à  la  suite  de  discussions  sur  les  doctrines 
jansénistes  et  sur  le  bréviaire,  il  s'abstint,  et  jusqu'à 
sa  mort,  de  toute  fonction  sacerdotale.  Il  fut  professeur 
à  l'école  militaire  de  Brienne, bibliothécaire  de  l'école 
centrale  de  l'Aube  et  de  la  ville  de  Troyes.  Parmi  les 
divers  écrits  de  Herluisson,  nous  avons  à  mentionner  : 
La  théologie  réconciliée  avec  le  patriotisme  ou  lettres 
théologiques  sur  la  puissance  royale  et  sur  l'origine 
de  cette  puissance,  in-12,  Troyes,  1790;  2  in-12,  Paris, 
1791  :  l'auteur  veut  établir  que  les  nations  ont  le  droit 
de  se  choisir  le  gouvernement  qui  leur  convient;  Le 
fanatisme  du  libertinage  confondu,  ou  Lettres  sur 
le  célibat  des  ministres  de  l'Église,  in-8°,  Paris,  1792, 
réponse  à  une  adresse  contre  le  célibat  des  prêtres, 
que  Dubourg,  curé  de  Saint-Benoît-sur-Seine,  avait 
remise  à  l'Assemblée  nationale.  Professeur  de  rhéto- 
rique, Herluisson  prononça  le  2  septembre  1807 
un  discours  sur  Le  fanatisme  envisagé  au  point  de  vue 
religieux  et  philosophique.  Il  est  aussi  l'auteur  d'un 
ouvrage  De  la  religion  révélée  ou  de  la  nécessité  des  ca- 
ractères °A  de  l'authenticité  de  la  révélation,  in-8°,  Paris, 
1813,  publié  par  Th.-P.  Boulage. 


L.  Séché,  Les  derniers  jansénistes,  in-S°,  Paris,  1891, 
t.  il,  p.  160;  Quérard,  La  France  littéraire,  t.  iv,  p.  89; 
Hurter,  Nomenclator,  Inspruck,  1912,  t.  v  a,  col.  582. 

B.   Heurtebïze. 

1.  HERMANN  Amand,  franciscain  originaire  de  Silé- 
sie,  enseigna  la  théologie  dans  son  ordre.  Il  s'appliqua 
surtout,  avec  une  science  peu  commune  des  Écritures 
et  des  Pères,  à  ramener  l'enseignement  théologique  et 
philosophique  à  l'esprit  de  Duns  Scot.  On  a  de  lui  : 
Sol  triplex  in  universo,  id  est,  universie  philosophise 
cursus  Auguslini,  Bernardi  et  Scoli  menti  conformatus, 
in-fol.,  Soulzbach,  1676  ;  Elhica  sacra  scholastica  specu- 
lativo-practica  seu  traclatus  et  dispulaiiones  morales 
de  virlutibus  theologicis  etmoralibus,  admenlemJoannts 
Duns  Scoti,  2  in-fol.,  Wurzbourg,  1698.  Ses  Tractatus 
theologici  ad  mentem  subtilis  doctoris  parurent  à  Colo- 
gne, 1690-1694,  in-fol.  Hermann  mourut  le  26  no- 
vembre 1700. 

Hurter,  Nomenclator,  1910,  t.  iv,  col.  337;  Greiderer, 
Germania  franciscana,  1.  IV,  p.  309,  346. 

J.  Besse. 

2.  HERMANN  Ambroise-Célestin,  bénédictin,  abbé 
du  monastère  de  Saint-Trutpert,  dans  l'ancien  diocèse 
de  Constance,  vivait  dans  la  première  partie  du 
xvm«  siècle.  Il  a  publié  :  Theologia  selecla  secundum 
Scoli  principia  scholastica  de  Deo  ut  uno  et  trino, 
de  angelis,  de  incarnatione  Verbi,  de  gratia,  justi- 
ficalione  et  merito,  3  in-4°,  Augsbourg,  1720;  Idsea 
exacta  de  bono  principe  divisa  in  V  partes,  scilicet 
de  cura  religionis,  de  cura  regni,  de  religione  conlroverslicci 
bono  principi  necessaria,  de  jure  belli  et  obligatione 
subdilorum,  de  lege  œterna,  jure  nalurali  et  genlium, 
in-8°,  Fribourg-en-Brisgau,  1740. 

Ziegelbauer,  Hisloria  rei  lilerariœ  ord.  S.  Benedicti,  t.  iv, 
p.  122-265;  [dom  François],  Bibliothèque  générale  des  écri- 
vains de  l'ordre  de  Saint-Benoit,  t.  i,  p.  479;  Hurter,  Nomen- 
clator, Inspruck,  1910,  t.  iv,  sol.  1340. 

B.  Heurtebïze. 

3.  HERMANN  Georges,  théologien  allemand,  né  à 
Schwandorf,  dans  le  Palatinat,  le  6  janvier  1693,  admis 
au  noviciat  de  la  Compagnie  de  Jésus  le  29  septembre 
1710,  enseigna  d'abord  la  grammaire  et  les  humanités, 
puis  la  philosophie  et  la  théologie  à  l'université  d'In- 
golstadt.  Il  porta  son  attention  sur  certaines  questions 
soulevées  par  les  tenants  de  l'atomisme  contre  la  philo- 
sophie aristotélicienne,  entre  autres  sur  le  problème  de 
réduction  des  formes  et  celui  de  la  diversité  des  espèces. 
Dans  ses  deux  traités  :  Régula  fideliler  indicans  diver- 
sitalcmrerum  specificam,  Munich,  1725,  et  Lapis  offen- 
sionis  atomisticœ,  Ingolstadt,  1730,  on  reconnaît  la 
marque  d'un  esprit  pénétrant,  mesuré  et  parfaitement 
maître  de  son  sujet.  Ses  travaux  théologiques  reçurent 
également,  des  discussions  alors  en  cours,  leur  orienta- 
tion. Le  P.  Hermann  a  laissé  deux  traités  excellents 
sur  la  science  et  sur  la  volonté  divines  :  De  Deosciente 
disputatio  theologica,  Ingolstadt,  1737  ;  Tractatus  de 
Deo  volenle,  ibid,  1659.  Devenu  maître  des  novices,  rec- 
teur de  Dillingen,  d' Ingolstadt  et  de  Munich,  provin- 
cial de  Germanis,  il  consacra  ses  efforts  à  ranimer  et  à 
renouveler  les  études'supérieures  dans  les  maisons  con- 
fiées à  ses  soins.  Les  mesures  prises  par  lui  dans  ce  but 
et  les  considérations  émises  sur  l'esprit  et  les  méthodes 
de  ces  études  marquent  une  date  dans  l'histoire  de  la  pé- 
dagogie. Elles  sont  du  4  août  1755.  Le  P.  Pachtlerles  a 
publiées  sous  ce  titre  :  Ordinationcs  circa  sludia  lite- 
rarum  lam  snperiorum  quam  inferiorum,  dans  les  Mo- 
numenta  Germanise  piedagogica,  Berlin,  1890,  t.  ix, 
p.  435  sq.  Le  P.  Hermann  mourut  à  Ratisbonne  le 
12  novembre  1766. 

Somniervogel,  Bibliothèque  de  la  C'8  de  Jésus,  t.  IV 
col.  302  sq.  ;  Hurter,  Nomenclator,  3e  édit.,  Inspruck,  1912 
t.  v,  col.  21;  Mederer,  Annales  Academiœ  Ingolstadtensis 
Ingolstadt,  1782,  t.  m,  p.  208.  p    Bernard. 


2263 


IIERMANT 


2264 


1.  HERMANT  Godefroy  naquit  à  Beauvais  le 
6  février  1617.  Il  fut  d'abord  élevé  par  un  oncle, 
chanoine  de  la  cathédrale  en  cette  ville.  L'évêque 
Potier,  frappé  des  heureuses  dispositions  de  l'enfant, 
l'envoya  à  Paris  en  1630.  Il  fit  sa  rhétorique  au  collège 
des  jésuites,  sa  philosophie  à  Navarre  et  sa  théologie 
en  Sorbonne.  Revenu  à  Beauvais,  il  professa  les  huma- 
nités. Mais,  dès  1639,  il  retourne  à  Paris  pour  diriger 
les  études  du  neveu  de  son  bienfaiteur.  Potier  d'Oc- 
querre.  Déjà  il  collabore  à  des  travaux  scientifiques. 
Il  surveille  en  particulier  l'impression  du  texte  grec 
de  la  Polyglotte  de  Vitré,  qui  parut  seulement  en  1645. 
Il  enseigne  la  philosophie  au  collège  de  Beauvais, 
devient  bachelier  de  théologie  en  1640,  socius  de  Sor- 
bonne en  1642,  chanoine  de  Beauvais  en  1643,  prieur 
de  Sorbonne  l'année  suivante,  enfin  licencié  et  recteur 
de  l'université  en  1646. 

Ces  honneurs  récompensaient  une  activité  inces- 
sante en  faveur  des  privilèges  universitaires.  Le  conflit 
toujours  prêt  à  éclater  entre  la  Sorbonne  et  les  jésuites 
venait  de  se  manifester  une  fois  de  plus.  A  la  fin  de 

1642,  le  recteur  Gorin  de  Saint-Amour  avait  refusé 
d'admettre  la  candidature  de  leurs  élèves  du  collège 
de  Clermont  aux  grades  universitaires.  Les  pères  firent 
requête,  le  11  mars  1643,  au  conseil  privé,  contre  cette 
décision.  Hermant  entre  alors  en  lice  avec  une  Apologie 
pour  l'université  de  Paris  contre  le  discours  d'un  jésuite 
par  une  personne  affectionnée  au  bien  public,  Paris, 
avril  1643.  C'était  une  réponse  aux  bruits  répandus, 
prétendait-il,  par  les  jésuites,  contre  l'enseignement 
de  l'université.  A  quelques  jours  de  là,  il  lance  un 
nouveau  factum  :  Observations  importantes  sur  la 
requeste  présentée  au  conseil  du  roy  par  les  jésuites,  ten- 
dante à  l'usurpation  des  privilèges  de  l'université,  Paris, 

1643.  Enfin,  passant  à  l'offensive,  il  donne  au  public  : 
Véritez  académiques,  ou  réfutation  des  préjugez  popu- 
laires dont  se  servent  les  jésuites  contre  l'université  de 
Paris.  L'achevé  d'imprimer  est  du  8  juin  1643.  Dans 
les  Observations,  il  discutait  les  deux  demandes  de  ses 
adversaires  :  admission  de  leurs  élèves  aux  grades,  et 
incorporation  du  collège  de  Clermont  à  l'université. 
Ici,  il  faisait  une  critique  de  l'enseignement  tel  que  les 
pères  le  pratiquaient,  et  leur  opposait  la  conception 
des  maîtres  de  l'université.  Cette  critique  est  intéres- 
sante à  plus  d'un  titre.  Ainsi,  dans  les  développements 
sur  les  rapports  de  la  philosophie  et  de  la  théologie, 
elle  fait  pressentir  certaines  idées  de  Pascal. 

Tous  ces  ouvrages  avaient  été  publiés  sans  nom 
d'auteur.  Us  prétendaient  représenter  la  pensée  offi- 
cielle de  l'université.  Les  jésuites  firent  de  même.  Ainsi 
dans  l'anonyme  Response  au  livre  intitulé  Apologie 
pour  l'université  de  Paris  contre  le  discours  d'un  jésuite, 
qui  parut  au  mois  de  juillet  1643.  Hermant  s'empresse 
alors  de  faire  paraître  la  Seconde  Apologie  pour  l'uni- 
versité de  Paris,  imprimée  par  le  mandement  de  mon- 
seigneur le  recteur  donné  en  Sorbonne  le  6  octobre  1643. 
Mais  bientôt,  comme  il  devait  arriver,  la  polémique 
dégénérait  en  personnalités.  Au  collège  de  Clermont, 
un  professeur,  le  P.  Airault  ou  Héreau,  avait  hasardé 
certaines  propositions  sur  le  sujet  toujours  brûlant  du 
régicide  et  du  duel.  L'occasion  était  trop  belle.  Aus- 
sitôt paraît  un  Advertissement  contre  une  doctrine  préju- 
diciable à  la  vie  de  tous  les  hommes  et  particulièrement 
des  rois  et  princes  souverains,  enseignée  dans  le  collège 
de  Clairmonl,  Paris,  1643.  Bientôt  après,  probable- 
ment au  commencement  de  1644,  vient  s'ajouter,  sur 
le  même  sujet,  un  second  Advertissement,  s.  1.  n.  d. 
Ces  deux  ouvrages,  publiés  sans  nom  d'auteur,  sem- 
blent bien  être  le  résultat  de  la  collaboration  de  Her- 
mant et  du  recteur  Gorin  de  Saint-Amour.  Les  jésuites, 
ainsi  pourchassés,  répondirent  par  la  plume  de  l'un 
des  leurs,  dont  les  fonctions  étaient  bien  faites  pour  en 
imposer,  sinon  à  leurs  adversaires,  du  moins  au  public. 


Le  P.  Caussin,  confesseur  du  roi,  fit  paraître,  en  1644, 
contre  tous  ces  écrits,  une  Apologie  pour  les  religieux 
de  la  Compagnie  de  Jésus.  Mais  le  champion  de  la 
Sorbonne  ne  se  tint  point  pour  battu.  Il  composa  rapi- 
dement une  Response  de  l'université  de  Paris  à  l'apo- 
logie pour  les  jésuites  qu'ils  ont  mise  au  jour  sous  le  nom 
du  P.  Caussin.  Elle  porte  la  date  de  1644.  Pourtant  le 
titre  même  ajoute  :  «  imprimée  par  l'ordre  de  la  même 
université,  pour  servir  au  jugement  tant  de  la  requeste 
présentée  à  la  Cour  le  7  décembre  1644,  que  des  précé- 
dentes. »  De  plus  elle  se  complète  de  deux  extraits  des 
registres  du  parlement  datés  des  5  et  7  janvier  1645. 
Elle  parut  donc  dans  les  premiers  jours  de  cette  der- 
nière année. 

Mais  la  polémique  se  croisait  dans  les  sens  les  plus 
divers.  Arnauld  venait  de  publier  son  traité  De  la 
fréquente  communion.  Ce  fut  alors  un  véritable  déluge 
d'attaques.  Dans  le  nombre  Hermant  nota  les  Re- 
marques  judicieuses  sur  le  livre  de  la  fréquente  commu- 
nion, 1644,  que  l'on  attribue  tantôt  au  prêtre  François 
Renard,  tantôt  au  P.  de  La  Haye,  tantôt,  avec  plus  de 
probabilité,  au  P.  Sesmaisons.  C'est  contre  cet  ouvrage 
qu'il  publie,  en  1644,  une  Apologie  pour  M.  Arnauld 
docteur  de  Sorbonne,  contre  un  libelle  intitulé  :  Remar- 
ques judicieuses.  En  même  temps,  sur  le  fond  de  la  doc- 
trine, il  essayait  démettre  les  jésuites  en  opposition 
avec  eux-mêmes.  C'est  l'objet  des  Réflexions  du  sieur 
du  Bois  sur  divers  endroits  du  livre  de  la  fréquente  com- 
munion du  P.  Péleau,  Paris,  1644.  A  la  même  contro- 
verse se  rapportent  encore  deux  autres  ouvrages  qui 
lui  sont  attribués  par  Moréri  :  Response  à  la  remon- 
trance à  la  reine  du  P.  Yves,  capucin,  1644,  et  Défense 
des  prélats  approbateurs  du  livre  de  la  fréquente  com- 
munion, s.  1.  n.  d.  Mais  il  est  difficile  d'établir  la  part 
exacte  qui  revient  à  Hermant  dans  la  composition 
de  tous  ces  ouvrages,  rédigés  plus  ou  moins  en  com- 
mun par  tout  le  groupe  des  «  arnaldistes  ». 

Il  en  est  de  même  pour  les  ouvrages  qui  suivent  et 
qui  représentent  un  aspect  tout  différent,  mais  non 
moins  instructif,  de  la  lutte  de  l'université  contre  la 
Compagnie  de  Jésus.  C'est  d'abord  la  Réponse  aux 
moyens  d'opposition  que  les  jésuites  ont  fait  signifier 
aux  prieur,  docteurs  et  bacheliers  de  la  maison  de  Sor- 
bonne, lundi  24  décembre  1646,  pour  empêcher  la 
clôture  de  la  rue  des  Poirées,  1647.  Puis  le  Mémoire 
apologétique  pour  les  recteur,  procureurs,  etc.,  de  l'uni- 
versité de  Paris  contre  l'entreprise  des  Bibernois,  1651. 
Enfin,  les  Fausselez  contenues  dans  une  requeste  présen- 
tée au  parlement  par  M.  Amyot,  1651.  Ces  écrits,  qui 
tendent  à  défendre  surtout  les  intérêts  matériels  et  les 
privilèges  de  l'université,  durent  être  rédigés  en  colla- 
boration avec  Gorin  de  Saint-Amour.  Mais  ces  soucis 
matériels  ne  détournaient  pas  Hermant  de  ses  devoirs 
essentiels  de  recteur.  En  1648,  il  promulguait  une 
ordonnance  sur  la  discipline  des  études,  en  particulier 
des  études  philosophiques.  Cette  ordonnance  fixe  le 
règlement  des  cours  en  même  temps  que  la  conduite 
à  suivre  dans  la  tenue  des  collèges.  Ici  encore,  le  rec- 
teur marque  ses  préférences  et  ses  antipathies.  Il  cri- 
tique ouvertement  les  méthodes  de  la  Compagnie  de 
Jésus,  même  sur  des  points  de  détail,  comme  sur  la 
question  des  comédies  que  peuvent  jouer  les  étudiants. 

A  ce  moment,  le  parti  janséniste  est  fortement 
organisé,  dans  l'université  et  au  dehors.  L'affaire  des 
«  cinq  propositions  »  permet  de  compter  les  «  disciples 
de  saint  Augustin  ».  Hermant  reste  l'un  des  plus  actifs. 
11  publie  en  1650  la  Défense  des  disciples  de  saint  Augus- 
tin contre  un  sermon  du  P.  Bernage,  jésuite;  en  1651, 
la  Réponse  à  un  écrit  du  P.  Mathieu,  jésuite,  publié  à 
Dijon  contre  les  lettres  qu'il  attribue  au  P.  Parisot  de 
l'Oratoire.  Puis  il  se  retourne  contre  des  adversaires 
d'un  autre  genre.  Un  ancien  chanoine  d'Amiens,  passé 
au    protestantisme,   Jean   Labadie,    avait   lancé,   on 


2265 


HERMANT  (  GODEFROY   ET   JEAN) 


2266 


devine  dans  quel  esprit,  son  Grand  chemin  du  jansé- 
nisme au  calvinisme,  Montauban,  1651.  Hermant, 
sous  le  pseudonyme  de  sieur  de  Saint- Julien,  lui  répond 
par  la  Défense  de  la  piété  et  de  la  foy  de  la  sainte  Église 
catholique,  apostolique  et  romaine  contre  les  mensonges 
impiétez  et  blasphèmes  de  Jean  Labadie,  apostat,  Paris, 
1651.  Toujours  pour  laver  les  jansénistes  de  l'accusa- 
tion de  calvinisme,  il  donne  l'année  suivante  Fraus 
calvinistarum  retecla,  sive  catechismus  de  gratia  ab 
hœreticis  Samuelis  Maresii  corruptelis  vindicalus.  theo- 
logicis  aliquol  epistolis  Hieromjmi  ab  Angelo/orli  ad 
Jacobum  de  Sainte-Beuve.  Cet  ouvrage  était  dirigé 
contre  Samuel  des  Marets,  ministre  de  Groningue,  qui 
avait  essayé  la  même  démonstration  que  Labadie. 
La  nomination  de  Nicolas  Choart  de  Buzenval  au 
siège  de  Beauvais,  en  1651,  vint  ouvrir  à  Hermant  un 
nouveau  champ  d'action.  Ce  prélat  partageait  toutes 
les  idées  du  parti  janséniste.  Le  recteur  de  l'université 
devint  son  homme  de  confiance,  dans  la  bonne  comme 
dans  la  mauvaise  fortune.  Dès  1653,  il  publie  un  Dis- 
cours chrétien  sur  l'établissement  du  bureau  des  pauvres 
a  Beauvais,  qui  eut  du  retentissement  bien  au  delà 
des  limites  du  diocèse  et  qui  fut  plusieurs  fois  réim- 
primé. Il  s'occupe  de  l'administration  diocésaine  et  de 
la  conduite  du  séminaire  et  s'attire  par  là  des  oppo- 
sitions qui  allaient  trouver  occasion  de  se  manifester. 
La  querelle  janséniste  venait  de  se  rouvrir  avec  le 
procès  d'Arnauld.  Hermant  prend  une  part  importante 
aux  délibérations  de  l'université  sur  cette  affaire  et 
défend  éloquemment,  mais  inutilement,  la  personne  et 
les  idées  de  son  ami.  Il  est  mêlé  de  très  près  à  tout 
le  mouvement  d'où  sortent  les  Provinciales.  Aussi  lui 
attribue-t-on  un  rôle  dans  la  série  des  publications 
qui  accompagnent  les  Petites  Lettres.  Il  aurait  eu  part, 
avec  Pascal  et  Périer,  à  la  rédaction  du  Factum  pour 
les  curés  de  Paris  contre  l'Apologie  des  casuistes,  Paris, 
1658;  du  Factum  pour  les  curés  de  Rouen,  1569,  contre 
la  même  apologie.  Il  est  certainement  le  rédacteur  de 
la  Requête  de  trois  cents  curés  du  diocèse  de  Beauvais, 
1658,  présentée  à  Choart  de  Buzenval  contre  l'œuvre 
du  P.  Pirot.  De  même  on  retrouve  sa  plume,  ses  idées 
et  ses  passions  dans  les  nombreux  mandements  et 
ordonnances  de  son  évèque  sur  le  sujet  des  casuistes. 
Mais  la  condamnation  d'Arnauld  et  son  exclusion  de 
la  faculté  de  théologie  furent  pour  lui  un  coup  sen- 
sible. Aussi  dit-il  adieu  à  l'université  et  renonça-t-il 
volontairement  aux  privilèges  de  la  maison  et  société 
de  Sorbonne. 

D'autres  épreuves  l'attendaient.  Le  chapitre  de 
Beauvais,  se  mettant  résolument  en  opposition  avec 
l'évêque,  dressa  un  statut  qui  exigeait  de  ses  membres 
la  signature  de  la  bulle  d'Alexandre  VII  et  du  formu- 
laire de  l'Assemblée  du  clergé  relatifs  aux  cinq  propo- 
sitions. Hermant  et  quelques  autres  chanoines,  conseil- 
lers de  Choart,  refusèrent  cette  signature.  Après  un 
procès  fertile  en  incidents,  ils  furent  de  ce  fait  exclus 
du  chapitre  et  privés  de  leurs  bénéfices  par  un  arrêt 
du  conseil  en  date  du  21  juillet  1659.  Hermant  chercha 
des  consolations  dans  la  retraite  et  dans  l'étude  de 
l'antiquité  chrétienne.  Il  publie,  en  1656,  la  Traduction 
d'une  épistre  de  S.  Basile  à  des  solitaires  qui  avaient  été 
persécutez  par  les  ariens,  et,  en  1658,  le  Traité  de  la 
providence  composé  par  S.  Chrysostomc  pendant  son  exil 
pour  l'édification  de  ceux  qui  avoienl  esté  scandalisez 
des  afflictions  de  l'Église.  Ce  n'étaient  là  que  des  tra- 
vaux préparatoires.  L'exemple  de  Le  Nain  de  Tille- 
mont,  alors  réfugié  à  Beauvais,  et  peut-être  aussi, 
comme  l'affirme  Sainte-Beuve  après  Ellies  Dupin,  ses 
manuscrits  le  poussent  à  des  œuvres  plus  approfon- 
dies. C'est  d'abord  une  Vie  de  S.  Jean  Chrysoslome, 
par  le  sieur  Ménart  (anagramme  de  Hermant),  qui 
paraît  en  1664  ;  la  Vie  de  S.  Alhanase,  en  1672  ;  la 
Vie  de  S.  Basile  et  de  S.  Grégoire  de  Nazianze,  en  1674  ; 


enfin  la  Vie  de  S.  Ambroise.  en  1678.  Ces  ouvrages,  qui 
eurent  un  grand  succès,  forment  une  véritable  histoire 
de  l'Église  au  temps  des  grands  docteurs.  Pagi  s'en  est 
souvent  inspiré  dans  ses  Crilica  in  Baronium. 

A  cette  époque,  Clément  IX  avait  rendu,  provisoi- 
rement au  moins,  la  paix  à  l'Église.  Hermant  avait  été 
réintégré  dans  ses  fonctions  et  revenus,  le  31  octobre 
1668.  Mais  il  n'oubliait  ni  ses  études,  ni  l'intérêt  pra- 
tique qu'elles  pouvaient  avoir.  Il  avait  publié,  en  1668, 
en  collaboration  avec  Arnauld,  et  sous  leur  double 
prénom  d'Antoine  Godefroi,  un  petit  traité  de  La 
conduite  canonique  de  l'Église  pour  la  réception  des  filles 
dans  les  monastères.  Il  y  ajoutait,  en  1673,  une  traduc- 
tion des  Ascétiques,  ou  traitiez  spiriluelz  de  S.  Basile  le 
Grand,  publiée  cette  fois  sous  son  nom.  Enfin,  en 
1690,  paraissaient  les  trois  volumes  de  ses  Entretiens 
spiriluelz  sur  S.  Mathieu.  Ces  ouvrages  semblent  avoir 
été  composés  plus  spécialement  pour  les  religieuses 
de  Port-Royal,  auxquelles  Hermant  s'intéressait  au 
point  que  Moréri  lui  attribue  V  Éloge  de  la  mère  Angé- 
lique de  S.  Jean  Arnauld,  qui  se  trouve  dans  le  Nécro- 
loge de  Port-Royal.  Il  était  du  reste  en  relations  d'ami- 
tié avec  les  hommes  les  plus  éminents  de  l'Église  de 
France  :  Bossuet  et  du  Cange  étaient  en  correspon- 
dance avec  lui.  Mais,  depuis  la  mort  de  Choart  de 
Buzenval,  en  1679,  il  n'exerçait  plus  aucune  action 
directe  dans  le  diocèse  de  Beauvais.  Il  vécut  dans  le 
silence  et  la  retraite  jusqu'à  sa  mort,  survenue,  à 
Paris,  le  11  juillet  1690. 

Il  avait  laissé  de  nombreux  manuscrits,  dont  quel- 
ques-uns ont  vu  le  jour.  En  1693,  Auger  publiait,  à 
Lille,  une  Clavis  ecclesiasticse  disciplina;,  remaniée 
par  l'éditeur,  et  pour  cela,  déclarée  indigne  d'Hermant 
par  les  critiques  contemporains.  Il  en  fut  de  même 
pour  la  Tradition  de  l'Église  sur  le  silence  chrétien  et 
monastique,  donnée  par  Muguet  en  1697.  Tout  récem- 
ment. M.  Gazier  publiait  les  Mémoires  de  Godefroi 
Hermant  sur  l'histoire  ecclésiastique  du  XVIIe  siècle, 
6  vol.,  Paris,  1905-1910.  Enfin,  son  Histoire  de  Beau- 
vais et  du  Beauvaisis,  restée  manuscrite  (Bibliothèque 
nationale,  fonds  français,  n'18  8579-8583),  a  été  large- 
ment utilisée  par  tous  ceux  qui  depuis  se  sont  occupés 
du  même  sujet. 

A.  Baillet,  La  vie  de  Godefroy  Hermant,  Amsterdam,  1717; 
Mézenguy,  Idée  de  la  vie  et  de  l'esprit  de  messire  Nicolat 
Choart  de  Buzenval,  Paris,  1717;  P.  Féret,  La  faculté  de 
théologie  de  Paris.  Époque  moderne,  t.  ut,  p.  127  sq.  ;  t.  IV, 
p.  227  sq.  ;  C.  Jourdain,  Histoire  de  l'université  de  Paris  aux 
XVII'  et  XVIIIe  siècles,  p.  150  sq.;  J.  Gaillard,  Un  prélat 
janséniste  :  Choart  de  Buzenval,  Paris,  1902;  Bliard,  Études 
religieuses  des  Pères  de  la  Compagnie  de  Jésus,  1908,  p.  637- 
664;  Kirclienlexikon,t.  v,  col.  1837;  Hurter,  Nomenclator, 
Inspruck,  1910,  t.  iv,  col.  497-499. 

A.      HUMBERT. 

2.  HERMANT  Jean,  historien,  né  à  Caen  en  février 
1650,  mort  en  octobre  1725.  Cet  ecclésiastique,  curé  de 
Saint-Pierre  de  Maltrot  et  chanoine  de  Bayeux,  com- 
posa de  nombreux  ouvrages,  parmi  lesquels  :  Histoire 
des  conciles  contenant  en  abrégé  ce  qui  s'est  passé  de 
plus  considérable  dans  l'Église.  Ensemble  les  canons 
de  l'Église,  l'abrégé  chronologique  de  la  vie  des  papes 
et  leurs  décisions.  Avec  des  notes  pour  l'intelligence 
des  canons  obscurs  et  difficiles  ou  qui  méritent  quelques 
observations  particulières.  Les  déclarations  des  Assem- 
blées générales  du  clergé  de  France  sur  les  points  de 
discipline  et  celles  du  roy  sur  la  même  matière  ou  pour 
le  maintien  de  la  juridiction  ecclésiastique.  Avec  les 
édils  et  déclarations  touchant  les  mariages,  in-12,  Rouen, 
1695;  4  in-12,  17J1;  4e  édit.,  1730;  cf.  Mémoires 
de  Trévoux,  1704,  p.  1735-1743;  Histoire  des  ordres 
religieux  tt  des  congrégations  régulières  et  séculières 
de  l  Église,  avec  l'éloge  et  la  vie  en  abrégé  de  tous  les 
patriarches  et  de  ceux  qui  y  ont  mis  la  réforme  selon 


2267 


IIERMANT 


HERMAS 


2268 


l'ordre  des  temps;  le  catalogue  de  toutes  les  maisons 
et  convins  de  France,  le  nom  des  fondateurs  et  fonda- 
trices et  les  années  de  leur  fondation,  in  -SP,  Rouen,  1C97; 
4  In  12,  Rouen,  1710;  Histoire  des  religions  ou  ordres 
militaires  de  i Église  ri  des  ordres  de  chevalerie,  in-12, 
Rouen,  1698,  1725;  cf.  Acta  erudilorum,  SuppLmen- 
lum,  Leip.  ig.  t.  m,  p.  532585;  Histoire  du  diocèse 
de  Bayeux,  Ire  partie,  contenant  l'histoire  des  éviques, 
avec  celle  des  saints,  des  doyens,  et  des  hommes  illustres 
de  l'église  cathédrale  ou  du  diocèse,  in- 1°,  Caea,  1705; 
les  deux  autres  parties  que  devaient  comprendre  cette 
histoire  n'ont  pas  été  imprimées  ;  cf.  Mémoires  de 
Tiévoux,  1706,  p.  1117-11.2;  Histoire  des  hérésies 
et  des  autres  erreurs  qui  ont  troublé  l'Église  et  de  ceux 
qui  en  ont  été  les  auteurs,  avec  un  traité  qui  résout 
plusieurs  questions  générales  louchant  l'hérésie,  traduit 
du  latin  d'Alphonse  de  Castro,  3  in-12,  Rouen,  1712; 
dans  la  3e  édition,  4  in-12,  Rouen,  1717,  un  volume 
a  été  ajouté  pour  l'histoire  du  schisme  d'Angleterre, 
et  a  pour  titre  :  Religion  anglicane;  cf.  Mémoires  de 
Trévoux.  En  outre  Jean  Hermant,  à  la  demande  de 
M.  de  Pibrac,  vicaire  général  du  diocèse  de  Bayeux, 
fit  imprimer  :  Homélies  sur  les  évangiles  de  tous  les 
dimanches  de  l'année  pour  le  soulagement  de  ceux  qui 
sont  chargés  de  la  conduite  et  de  l'instruction  des  âmes, 
2  in-12,  Rouen,  1705;  Sermons  sur  les  mystères  avec 
plusieurs  panégyriques  des  saints,  2  in-12,  Rouen,  1716. 

Moréii,  Dictionnaire  historique,  t.  v  b,  p.  630;  Quérard, 
La  France  littéraire,  t.  iv,  p.  91  ;  Hurter,  Nomenclator, 
Inspruck,  191  u,  t.  iv,  col.  1196-1198. 

B.  Heurtebize. 
HERMAPHRODITE.  On  nomme  ainsi,  en  histoire 
naturelle,  un  être  qui  réunit  en  soi  les  deux  sexes; 
plusieurs  plantes  sont  dans  ce  cas.  Au  sens  humain, 
voici  comment  le  définit  J.  Antonelli,  Medicina  pas- 
loralis,  t.  i,  n.  150  sq.  :  Hermaphrodita,  stricto  sensu, 
dicitur  qui  simul  habel  organa  essentialia  generationis 
maris  et  /émince  bene  cvolula.  En  ce  sens,  ajoute-t-il, 
veri  hermaphroditœ,  ita  intellccli,  in  specie  humana 
minime  exstant.  Vcrum  quidem  est  in  specie  humana 
aliquando  invenlum  fuisse  hermaphrodilismum  complé- 
tant; cit  hoc  tanlurn  in  partibus  exterioribus  corporis 
apparebat,  intus  vero  rcliqua  organa  deeranl;  quapropter 
hermaphrodilismus  tanlum  appareils  crat  et  non  realis. 
L'étude  de  ces  phénomènes  rentre  de  soi  dans  la  téra- 
tologie humaine.  Toutefois,  comme  la  discipline  ecclé- 
siastique s'est  plus  d'une  fois  occupée  de  cette  question, 
il  peut  être  utile  d'en  traiter  au  moins  brièvement.  Les 
anciens,  dont  on  peut  voir  de  nombreuses  citations 
dans  les  auteurs,  par  exemple,  dans  la  Bibliotheca 
canonica  de  Fcrraris,  croyaient  à  l'existence  de  vrais 
hermaphrodites,  mais  surtout  dans  les  pays  lointains 
comme  la  Floride,  sur  laquelle  couraient  les  récits  les 
plus  invraisemblables.  Cependant,  la  science  même  que 
l'on  nomme  la  tératologie  ne  s'expliquerait  pas  si 
quelques  êtres  anormaux  et  dont  l'existence  a  été  bien 
contrôlée  n'avaient  pas  quelquefois  apparu.  L'appa- 
rition de  ces  êtres  anormaux  suffît  à  expliquer  que  la 
discipline  s'en  soit  occupée.  Ce  qu'elle  a  considéré,  ce 
sont  moins  les  êtres  dans  leur  constitution  intime  que 
dans  leurs  apparences.  Ces  apparences  justifiaient  une 
réglementation  pratique. 

Ferraris  donne  lui-même,  à  côté  de  sa  crédulité,  le 
vrai  sens  des  lois  sur  l'hermaphrodKismc:  il  ne  le  définit 
pas  par  ses  caractères  intimes,  mais  par  l'extérieur  : 
Hermaphrodiii,  seu  androgyni  sic  dicunlur  eo  quod  in 
ipsis  ulerquc  sexus  apparcat.  Bibliotheca  canonica,  au 
mot  Hermaphroditus,  n.  1.  Des  hermaphrodites  appa- 
rents ont  été  constatés  à  notre  époque,  c'est-à-dire  des 
êtres  humains  chez  qui  apparaissent  à  la  fois  des  carac- 
téristiques de  l'un  et  de  l'autre  sexe,  non  pas  toutes  les 
caractéristiques,  mais  quelques-unes.  Qu'il  s'agisse  de 
ce  qu' Antonelli  nomme  undrogynia  et  dont  les  méde- 


cins relatent  plusieurs  exemples  récents,  par  exemple, 
deux  cas  connus  en  1869;  ou  gynandria,  dont  deux 
furent  aussi  constatés  en  1864  et  1S65;  ou  hermaphro- 
dilismus neuler,  et  dont  le  savant  Orfila,  entre  autres, 
a  étudié  un  phénomène  célèbre,  sans  compter  beaucoup 
d'autres  exemples  que  l'on  rencontre  ici  ou  là,  l'her- 
maphroditisme  apparent,  celui  seul  dont  s'occupe  la 
discipline  ecclésiastique,  a  existé  et  il  existe  encore. 

Au  point  de  vue  canonique,  l'hermaphrodite  est 
considéré  comme  irrégulier  en  vue  de  l'ordination. 
Monacelli,  Formularium,  part. III,  tit.  i,  form.  36,  n.  30. 
Cf.  Wernz,  Jus  decrctalium,  t.  n  (1906),  n.  80,  n.  2  : 
judicio  medicorum  definiendum  est  quis  sit  verus  ordi- 
nandi  sexus.  Quod  si  medici  in  javorem  sexus  virilis 
certain  ferunl  sentenliam,  non  obstante  exslrinseca  qua- 
dam  apparentia  in  contrarium  hujusmodi  hermaphrodi- 
tus sallcm  capax  valid.e  ordinalionis  est  dicendus,  licet 
lanquam  monstruosus  inter  IRREGULARES  recenseri 
soleat...  —  S'il  s'agit  de  mariage,  il  faut  s'en  remettre  à 
l'avis  des  médecins,  et  le  mariage  pourrait  même 
parfois  être  frappé  de  nullité  pour  impuissance.  Voir 
la  cause  introduite  devant  la  S.  C.  du  Concile,  le 
22  décembre  1898,  dans  An  dicta  eccledaslica,  1899, 
p.  239  sq.  —  Quant  à  la  profession  religieuse,  on  peut 
lire  en  particulier  dans  Schulte  et  Richter,  Canones  et 
décréta  concilii  Tridentini,  dans  les  notes  et  décisions 
de  la  S.  C.  du  Concile  à  la  suite  du  c.  xvn,  sess. 
XXV,  De  regularibus,  n.  4,  toute  une  dissertation 
rédigée  et  la  solution  de  la  S.  C.  touchant  un  cas  précis 
et  concret  et  de  laquelle  résulte  que  l'hermaphroditisme 
peut  entraîner  la  nullité  de  la  profession.  Dubium 
professionis,  22  novembre  1721,  Schulte  et  Richter, 
op.  cit.,  p.  421-422.  —  Le  Code:  juri;  ca  o  :ici  ne 
s  occupe  pa.  de;  hermaphrodites. 

La  question  de  la  réalité  et  des  caractères  de  l'herma- 
phroditisme est  avant  tout  une  question  médicale  sur 
laquelle  il  faut  interroger  les  ouvrages  des  médecins  comme 
Debierre,  Brouardel,  Béclard,  P.  Garnier,  L.  Guinard,  etc. 
Quant  à  la  législation  canonique,  consulter  les  commen- 
tateurs des  Décrétales  sur  le  titre  De  corpore  vitiatis, 
Décrétales,  1.  I,  tit.  xx,  par  exemple,  Schmalzgruber, 
Sanchez,  Pignatelli,  1. 1  v,  consult.  xxxi  v,  et  une  longue  disser- 
tation avec  citations  abondantes  de  canonistes  dans  Mona- 
celli, Formularium,  part.  III,  tit.  i,  form.  36,  n.  24-31; 
Ferraris,  Bibliotheca  canonica,  au  mot  Hermaphroditus. 

A.  Villien. 
HERMAS.   —    I-  Sa   personne.    II.    Son   ouvrage. 
III.  Sa  doctrine. 

I.  Sa  personne.  —  1°  Autobiographie.  —  On  ne 
sait  de  l'auteur  du  Pasteur  que  ce  qu'il  a  dit  de  lui- 
même  dans  son  ouvrage.  Et  voici  les  quelques  rensei- 
gnements qu'il  donne.  Son  nom  est  Hermas;  c'est 
ainsi  qu'il  se  désigne  à  plusieurs  reprises.  Vis.,  i, 
1,  4;  2,  2;  4,  3;  n,  2,  2.  Esclave  de  naissance,  vendu  à 
Rome  à  une  femme  nommée  Rhoda,  il  dut  être 
affranchi  par  elle.  Marié,  père  de  famille,  mais  com- 
merçant peu  scrupuleux,  il  réussit  à  s'enrichir;  car, 
porté  au  mensonge  et  à  la  dissimulation,  il  avoue 
n'avoir  jamais  dit  la  vérité.  Mand.,  in,  3,  3.  La  fortune 
jeta  le  désordre  dans  sa  famille;  lui-même  devint  un 
grand  pécheur,  Mand.,  iv,  2,  3;  sa  femme  fut  une 
mauvaise  langue  et  ses  fils  tournèrent  mal  au  point 
de  renier  leur  foi  et  de  dénoncer  leurs  parents.  Vis., 
n,  2,  2.  Il  perdit  sa  fortune,  Vis.,  i,  3, 1  ;  n,  3, 2  ;  m,  6,  7, 
et  il  ne  lui  resta  plus  qu'un  champ  à  cultiver  sur  la 
route  de  Rome  à  Cumes.  Vis.,  m,  1,  2;  iv,  1,  2.  Il  était 
donc  chrétien  ainsi  que  toute  sa  famille,  mais  ils 
avaient  tous  péché  et  devaient  faire  pénitence  pour  se 
relever;  et  c'est  ce  qu'ils  firent.  Comment  donc  fut-il 
amené  à  écrire  le  Pasteur? 

Un  jour,  comme  il  longeait  le  Tibre,  il  aperçut 
Rhoda,  qu'il  aimait  comme  une  sœur,  se  baignant  dans 
le  fleuve;  il  lui  tendit  la  main  pour  l'aider  à  sortir  de 
l'eau,  non  sans  se  dire  à  lui-même  :   «  Que  je  serais 


2269 


HE RM AS 


2270 


heureux  d'avoir  pour  épouse  une  femme  de  cette 
beauté  et  de  ce  mérite  !  »  Pensée  mauvaise  pour  un 
homme  marié  et  père  de  famille;  il  devait  en  faire 
pénitence.  Un  peu  plus  tard,  comme  il  se  rendait  à 
Cumes,  il  fut  transporté  par  l'Esprit  de  Dieu  dans  un 
endroit  inaccessible  ;  et  là  il  vit  dans  le  ciel  Rhoda,  qui 
lui  apprit  que  Dieu  était  irrité  contre  lui  à  cause  de  sa 
mauvaise  pensée.  «  Prie  le  Seigneur,  lui  dit-elle,  et 
il  guérira  tes  péchés,  ceux  de  ta  maison  et  de  tous  les 
tiens.  »  Réfléchissant  alors  au  moyen  d'apaiser  Dieu  et 
d'assurer  son  salut,  il  eut  successivement,  à  intervalles 
plus  ou  moins  longs,  la  vision  quatre  fois  répétée 
d'une  femme,  qui  représentait  l'Église,  qui  lui  lut  et 
lui  confia  un  livre,  avec  l'ordre  de  le  transcrire  en 
double  exemplaire,  l'un  pour  Clément,  qui,  selon  le 
devoir  de  sa  charge,  devait  le  transmettre  aux  villes 
étrangères,  l'autre  pour  Grapta,  qui  devait  en  instruire 
les  veuves  et  les  orphelins.  Vis.,  n,  4,  3.  Lui-même 
devait  l'interpréter  à  Rome  avec  ceux  qui  présidaient 
à  l'Église.  Dans  la  suite,  ce  fut  la  visite  d'un  homme 
qu'il  reçut;  celui-ci,  habillé  en  pasteur,  la  besace  à 
l'épaule  et  la  houlette  à  la  main,  se  dit  chargé  de  lui 
rappeler  les  visions  qu'il  avait  eues  et  de  lui  faire  écrire 
des  préceptes  et  des  similitudes  :  c'était  l'ange  de  la 
pénitence,  Vis.,  v  :  de  là  le  livre  du  Pasteur. 

Tels  sont  les  renseignements  autobiographiques 
fournis  par  Hermas  sur  sa  vie  et  sur  l'origine  de  son 
ouvrage.  11  se  présente  donc  comme  un  contemporain 
du  pape  saint  Clément,  à  la  fin  du  Ier  siècle.  Mais 
qu'y  a-t-il  de  vrai  dans  tout  cela  ?  Hermas  s'est-il 
imaginé  avoir  eu  ces  visions?  A-t-il  voulu  faire  croire 
qu'il  les  avait  eues  réellement  ?  N'a-t-il  pas  plutôt 
recouru  à  un  simple  artifice  littéraire  pour  faire 
entendre  d'une  manière  saisissante  la  leçon  de  morale 
qu'exigeait  une  période  de  relâchement  ?  Sa  personne 
est  restée  dans  une  ombre  discrète;  mais,  en  revanche, 
son  livre  a  joui,  dès  la  seconde  moitié  du  ne  siècle, 
d'une  assez  grande  célébrité;  car  il  fut  lu  publiquement 
dans  les  églises,  tout  au  moins  à  titre  d'instruction  et 
d'édification,  et  il  passa  même,  aux  yeux  de  quelques 
Pères,  pour  un  livre  inspiré.  Il  importe  donc  de  savoir 
ce  qu'en  pensa  l'antiquité  chrétienne. 

2°  Tradition  primitive  chez  les  grecs.  —  Le  Pasteur 
a  été  connu,  apprécié  et  cité  par  certains  Pères  grecs. 
Saint  Irénée,  par  exemple,  en  a  reproduit  un  passage, 
en  le  faisant  précéder  de  ces  mots  assez  significatifs  : 
xa/.ojç  sT-ev  tj  yf  aç*;.  Cont.  hser.,  iv,  20,  2,  P.  G.,  t.  vu, 
col.  1032.  De  même  Clément  d'Alexandrie,  qui  admet  la 
réalité  et  le  caractère  divin  des  révélations  d'Hermas, 
cite  fréquemment  le  Pasteur  et  le  qualifie  d'Écriture. 
Strom.,  i,  17,  29;  n,  1,  9,  12,  13;  vi,  15,  P.  G.,  t.  vm, 
col.  800,  928,  933,  980,994;  t. ix,  col.  357.  Mais  ni  saint 
Irénée,  ni  Clément  d'Alexandrie  ne  disent  formellement 
qu'Hermas  ait  été  un  contemporain  des  apôtres. 
Origène,  au  contraire,  qui  croit  à  l'inspiration  du  livre, 
identifie  son  auteur  avec  l'Hermas  nommé  dans 
l'Épître  aux  Romains  :  Puto  quod  Hermas  iste  (celui 
de  l'Épître  aux  Romains)  sit  scriplor  libri  illius,  qui 
Pastor  appellatur,  quee  scriptura  valde  mihi  ulilis 
videlur  et,  ut  puto,  divinitus  inspirala.  In  Rom.,  x,  31, 
P.  G.,  t.  xiv,  col.  1282.  Il  n'ignore  pourtant  pas  que 
son  opinion  n'est  pas  celle  de  tout  le  monde,  In  Matth., 
xiv,  21,  P.  G.,  t.  xm,  col.  1240,  et  que  certains  ont 
peu  d'estime  pour  cet  ouvrage.  De  princ,  iv,  11,  P.  G., 
t.  xi,  col.  365.  Quatre  fois  même,  quand  il  en  parle, 
il  use  de  cette  précaution  oratoire  :  Si  cui  tamen  placeal 
eum  légère  ou  recipere.  P.  G.,  t.  n,  col.  823-826.  Il 
n'y  avait  donc  pas  unanimité  chez  les  grecs,  du  temps 
d'Origène,  sur  la  question  de  savoir  s'il  fallait  tenir 
pour  inspiré  le  livre  du  Pasteur,  mais  on  s'accordait  à 
lui  reconnaître  une  utilité  et  une  valeur  morale  de 
quelque  importance.  Au  commencement  du  ive  siècle, 
Eusèbe  constatait  qu'il  était  lu  publiquement  dans  les 


églises  et  servait  à  l'instruction  des  catéchumènes, 
mais  que  certains  mettaient  en  doute  son  inspiration. 
Dans  ces  conditions,  il  le  retranche  des  èjAoXoyoupiva 
avec  les  HpàÇet<  Ila-j/.ou,  rA~o*â).-jiiiç  neTpou,rE~ioTo).f, 
BapvâSa  et  les  Aioa/xl -cov  àitoaroXwv,  H.  E.,  m,  3, 
P.  G.,  t.  xx,  col.  217;  il  le  range  parmi  les  vo'Oa.  H.  E., 
ni,  25,  ibid.,  col.  269.  Plus  tard  saint  Athanase,  tout  en 
l'excluant  lui  aussi  du  canon  des  Écritures,  De  decr.  Nie. 
sun.,  18,  P.  G.,  t.  xxv,  col.  456,  le  range  parmi  ceux 
qu'on  doit  lire  aux  catéchumènes  :  «  Pour  plus  d'exacti- 
tude, écrit-il,  je  suis  obligé  de  dire  que  nous  avons 
d'autres  livres  qui  ne  sont  point  dans  le  canon,  mais 
qui,  selon  l'institution  des  Pères,  doivent  être  lus  à 
ceux  qui  veulent  être  instruits  des  maximes  de  la 
foi.  »  Et  il  signale,  parmi  ces  derniers,  le  Pasteur  ainsi 
que  des  livres  de  l'Ancien  Testament,  tels  que  la 
Sagesse  de  Salomon,  la  Sagesse  de  Sirach,  Eslher, 
Judith,  Tobie,  qui  n'étaient  pas  encore  reçus  dans 
le  canon  des  Écritures  par  un  consentement  una- 
nime. Epist.  /est.,  xxxix,  P.  G.,  t.  xxvi,  col.  1437. 
Il  n'hésite  pas,  quant  à  lui,  à  s'appuyer  sur  le  Pas- 
leur  pour  réfuter  les  ariens  qui  l'exploitaient  à 
leur  profit.  De  incarnatione  Verbi,  3,  P.  G.,  t.  xxv, 
col.  101.  Didyme  l'Aveugle  cite  de  même  Vis., 
m,  2,8,  P.  G., t.  xxxix,  col.  1141.  L'auteur  de  l'Opus 
imperfectum  in  Matthœum  (fin  du  ive  siècle),  xix,  28, 
homiî.  xxxiii,  P.  G.,  t.  un,  col.  821,  cite  Sim.,  ix,  15. 
Il  est  à  noter  que,  dans  le  Codex  Sinailicus,  le  Pasteur 
se  trouve  avec  l'Épître  du  pseudo-Rarnabé  à  la  suite 
des  livres  du  Nouveau  Testament.  Somme  toute,  jus- 
qu'au iv«  siècle,  le  Pasteur  d'Hermas  a  joui  parmi  les 
grecs  d'une  grande  autorité,  puisqu'on  en  faisait  la 
lecture  publique  et  qu'on  s'en  servait  pour  l'instruc- 
tion des  catéchumènes.  Mais  bientôt  son  influence 
décline.  Il  est  pourtant  encore  cité  par  quelques 
écrivains.  Et  tandis  que  Nicéphore  l'exclut  de  la  liste 
des  livres  canoniques,  l'interprète  éthiopien  en  a  fait 
un  si  grand  cas  qu'il  le  regarde  comme  de  la  main  de 
saint  Paul.  Voici,  en  effet,  ce  qu'on  lit  en  appendice 
dans  la  version  éthiopienne,  traduite  en  latin  par 
Antoine  d'Abbadie  dans  les  Abhandlungen  fur  die 
Kunde  des  Morgenlandes,  1860,  t.  u  :  Finilse  suntvi- 
siones  et  mandata  et  similitudines  Hermœ,  qui  est  Paulus. 
3°  Tradition  primitive  chez  les  latins.  —  Beaucoup 
moins  favorable  a  été  le  jugement  chez  les  latins.  Vers 
180,  l'auteur  du  fragment  de  Muratori  attribue  formel- 
lement le  Pasteur  au  frère  du  pape  Pie,  et  refuse  d'ad- 
mettre son  caractère  inspiré  :  Paslorem  vero  nuperrime 
temporibus  noslris,  in  urbe  Roma,  Hermas  conscripsil, 
sedenle  cathedra  urbisRomse  ccclesiœ  Pio  episcopo,fra(re 
cjus.  El  ideo  legi  eum  quidem  oportet,  se  publicare  vero 
in  ecclesia  populo,  ncque  inter  prophetas  complctum 
(completos)  numéro,  neque  inter  apostolos  in  fine  tem- 
porum  potesl.  Tertullien,  encore  catholique,  la  traitait, 
il  est  vrai,  de  scriptura,  De  orat.,  16,  P.  L.,  t.  i,  col. 
1172;  mais,  devenu  montaniste,  il  le  qualifia  de  Pastor 
mœchorum  et  le  repoussa  comme  un  livre  apocryphe, 
De  pudicil.,  11,20,  P.L.,  t.  n,  col.  1000,1021;  sans  nul 
doute  parce  que  la  pénitence  y  était  accordée  aux 
adultères,  et  vraisemblablement  parce  que  le  paps 
Zéphirin  avait  dû  s'appuyer  sur  le  Pasteur  pour  décider 
l'admission  des  adultères  à  la  pénitence.  Cf.  A.  d'Alès, 
La  théologie  de  Tertullien,  Paris,  1903,  p.  228.  Mais 
cela  n'empêcha  point  l'auteur  du  De  aleatoribus,  c.  iv, 
édit.  Hartel,  t.  ni,  p.  96,  de  le  citer  comme  Écriture. 
Au  commencement  du  ive  siècle,  le  décret  attribué 
au  pape  Pie  par  le  pseudo-Isidore  en  appelait  à 
Hermas  pour  réfuter  les  quartodecimans.  Hardouin, 
t.  i,  col.  95;  Mansi,  t.  i,  p.  672.  C'est  qu'en  effet  on 
prétendait  alors  que  la  célébration  de  la  Pâque  le 
dimanche  avait  été  prescrite  par  l'ange  à  Hermas. 
Et  le  Liber  pontificalis,  dans  la  notice  consacrée  au 
pape  Pie,  s'est  fait  l'écho  de  cette  tradition  :  Sub  hujus 


2271 


HERMAS 


2272 


episcopatum,  Hermis  librum  scripsil,  in  quo  mandalum 
conlinel  quod  ei  prœcepit  angélus  Domini,  cum  venil 
ad  eum  in  habitu  pastoris,  et  prœcepit  ut  Pascha  die 
dominico  celebrarctur.  Liber  pont ificalis,  édit.  Duehesne, 
Paris,  1886,  t.  i,  p.  132.  Mais,  d'une  part,  le  Pasteur 
ne  contient  pas  la  moindre  allusion  à  la  Pâque,  et, 
d'autre  part,  l'usage  romain  de  célébrer  la  Pàque  le 
dimanche  était  antérieur  au  pape  Pie,  puisque,  au 
témoignage  de  saint  Irénée,  dans  Eusèbe,  H.  E.,  v,  24, 
P.  G.,  t.  xx,  col.  505,  Hygin,  Télesphore  et  Xyste  le 
pratiquaient  déjà.  Le  Liber  pontificalis,  qui  confond 
l'auteur  du  Pasteur  avec  le  livre  lui-même,  s'accorde 
du  moins,  quant  à  la  date,  avec  le  fragment  de  Mura- 
tori.  Ce  titre  Liber  Pastoris  a  fait  croire  à  quelques 
écrivains  que  Pastor  était  un  nom  d'auteur.  L'auteur 
du  poème  contre  Marcion  présente  déjà  cette  confu- 
sion, Adv.  Marc.,  m,  9,  P.  L.,  t.  n,  col.  1078;  et  Rufin 
tout  autant,  In  symb.,  38,  P.  L.,  t.  xxi,  col.  374,  ainsi 
que  plus  tard  (vers.  530)  l'auteur  de  la  Vie  de  sainte 
Geneviève.  Acta  sanclorum,  januarii  t.  i,  p.  139. 
Saint  Jérôme,  après  avoir  rappelé  les  témoignages 
d'Origène  et  d'Eusèbe,  affirme  que  le  Pasteur  était 
presque  inconnu  chez  les  latins,  De  vir.  ill.,  10,  P.  L., 
t.  xxni,  col.  625;  qu'il  ne  faisait  point  partie  du  canon, 
Prœf.  in  libr.  Sam.  et  Malach.,  P.  L.,  t.  xxxvm,  col. 
556;  et  il  accuse  Hermas  de  folie  ou  de  sottise  au  sujet 
de  ce  qu'il  avait  dit  relativement  à  l'ange  Tyri  (Thegri). 
In  Habac,  i,  14,  P.  L.,  t.  xxv,  col.  1286.  On  en  appelait 
encore  malgré  tout  au  Pasteur;  c'est  ainsi  que  Cassien 
s'appuyait  sur  lui  pour  soutenir  que  chaque  homme  a 
deux  anges.  Collât.,  vin,  17;  xm,  12,  P.  L.,  t.  xlix, 
col.  750,  929.  Mais  saint  Prosper  répliquait  à  Cassien  : 
Nullius  aucloritalis  est  teslimonium,  quod  disputalioni 
suœ  de  libello  Pastoris  inseruerit.  Conl.  Collât-,  xm,  6, 
P.  L.,  t.  li,  col.  250.  Le  Pasteur  se  trouve  cité  dans 
l'appendice  de  la  liste  des  Livres  saints  reproduite  dans 
le  Codex  Claromonlanus  ;mais  le  décret  de  Gélase,  Har- 
douin,  t.  ii,  col.  941;  Thiel,  Epistolse  romanorum 
ponlificum,  1868,  t.  i,  p  463,  le  rejette  parmi  les  apo- 
cryphes. Il  ne  resta  pourtant  pas  inconnu;  il  fut  même 
utilisé  encore  dans  l'Église  latine,  comme  en  témoi- 
gnent, vers  530,  l'auteur  de  la  Vie  de  sainte  Geneviève, 
qui  cite  un  passage  selon  la  version  latine  du  manuscrit 
palatin,  Acta  sanclorum,  januarii  t.  i,  p.  139,  et 
Sedulius  Scotus,  au  ixe  siècle,  qui  partageait  l'opinion 
d'Origène  sur  le  caractère  inspiré  de  ce  livre.  Collect. 
ad  Rom.,  xvi,  14,  P.  L.,  t.  cm,  col.  124.  Quelques 
manuscrits  contiennent  la  version  latine  du  Pasteur 
parmi  les  livres  de  l'Ancien  Testament.  Des  auteurs 
du  moyen  âge  en  citèrent  quelques  passages. 

4°  La  critique  moderne.  —  Du  xvie  siècle  à  la  moitié 
du  xvme,  la  plupart  des  critiques  continuèrent  à  voir 
dans  Hermas  un  contemporain  des  apôtres  et  plaçaient 
la  date  du  Pasteur,  les  uns  avant  la  ruine  de  Jérusalem, 
les  autres  vers  l'an  92.  Mais,  en  1740,  la  découverte  et 
la  publication  du  fragment  de  Muratori,  si  précis  rela- 
tivement à  l'époque  où  vécut  et  écrivit  Hermas,  firent 
abandonner  cette  opinion  par  la  plupart  des  critiques. 
On  admit  qu'Hermas  n'avait  vécu  qu'au  ne  siècle. 
Et  c'est  aujourd'hui  l'opinion  à  peu  près  unanime.  Mais 
à  ce  compte,  dit-on,  l'auteur  du  Pasteur  nous  a  trompés 
en  se  donnant  comme  le  contemporain  du  pape  Clé- 
ment. Rien  de  plus  vrai.  Or,  en  dehors  du  témoignage 
si  formel  du  fragment  de  Muratori,  il  y  a  des  raisons 
internes  qui  favorisent  l'opinion  nouvelle.  A  considérer, 
en  effet,  les  idées  du  Pasteur,  sa  composition  vers  le 
milieu  du  ne  siècle,  note  Bardenhewer,  Les  Pères  de 
l'Église,  trad.  franc.,  Paris,  1899,  t.  i,  p.  91,  est  sinon 
hors  de  conteste,  du  moins  très  vraisemblable.  «  Le 
Pasteur  se  complaît  si  fort  à  traiter  la  grave  question 
du  pardon  des  péchés  graves,  il  y  déploie  une  si  éton- 
nante insistance,  qu'on  se  prend  naturellement  à  penser 
qu'Hermas  est  au  courant  et  tient  compte  des  premiers 


pas  au  moins  de  l'agitation  montaniste.  En  tout  cas, 
les  gnostiques,  pour  lui,  sont  déjà  l'ennemi.  »  L'auteur 
écrit  pendant  une  longue  période  de  paix,  qui  semble 
bien  être  celle  d'Antonin  le  Pieux  (138-161);  le  sens 
chrétien  s'est  affaibli  chez  beaucoup  de  fidèles;  l'esprit 
du  monde  reprend  de  l'empire.  Vis.,  n,  2,  3.  Une  tem- 
pête a  précédé  ce  calme,  et  les  circonstances  signalées, 
Sim.,  ix,  28,  désignent  la  persécution  de  Trajan  (98- 
117)  plutôt  que  celle  de  Domitien  (81-96).  L'Église  se 
trouve  dans  un  état  de  crise  morale  ou  de  relâchement, 
qui  nécessite  un  retour  à  une  discipline  sévère  pour 
assurer  le  salut  de  ses  membres.  Les  apôtres  sont  morts, 
Vis.,  m,  5,  1  ;  Sim.,  ix,  15,  4;  on  n'est  donc  plus  aux 
temps  apostoliques. 

Si  Hermas  nous  a  trompés  sur  la  date,  faut-il  récuser 
toute  son  autobiographie  ?  Comment  accorder  ce 
qu'il  dit  de  lui-même  avec  l'idée  qu'en  donne  son  livre  ? 
Certes,  tous  les  détails  cadrent  admirablement  avec  la 
tendance  de  l'ouvrage,  et  laissent  l'impression  d'une 
histoire  vraie.  Hermas  et  sa  maison  figurent  les  plaies 
de  l'Église;  aussi  est-il  visé  le  premier,  ainsi  que  les 
siens,  par  l'appel  à  la  pénitence.  La  forme  apocalyp- 
tique qu'il  donne  à  son  ouvrage  n'a  pas  lieu  d'étonner. 
Ce  n'est  l'œuvre  ni  d'un  naïf,  ni  d'un  imposteur. 
Mgr  Freppel,  qui  s'en  tient  malgré  tout  à  l'opinion 
ancienne  quant  à  la  date,  écrit  :  »  J'incline  à  penser 
que  nous  sommes  en  présence  d'un  traité  didactique, 
d'une  sorte  de  trilogie  morale  qui,  sans  se  donner  pour 
une  révélation  proprement  dite,  se  développe  sous  la 
forme  d'une  apocalypse,  dans  une  série  de  communi- 
cations entre  le  ciel  et  la  terre.  »  Les  Pères  apostoliques, 
4e  édit.,  Paris,  1885,  p.  269.  Et  c'est  encore  ici,  note 
Bardenhewer,  op.  cit.,  p.  92,  une  de  ces  fictions,  un  de 
ces  artifices  littéraires,  que  goûte  et  prodigue  la  litté- 
rature des  apocryphes,  et  dont  la  critique  ne  saurait 
être  dupe. 

Signalons  pourtant  une  troisième  opinion,  celle  de 
Gaâb,  Der  Hirt  des  Hermas,  Bâle,  1866,  et  de  Th.  Zahn, 
Der  Hirt  des  Hermas,  Gotha,  1868,  d'après  laquelle  le 
Pasteur  n'aurait  été  composé  ni  par  le  frère  du  pape  Pie, 
ni  par  lHermas  de  l'Épître  aux  Romains,  mais  par  un 
personnage  de  même  nom,  contemporain  du  pape  saint 
Clément.  Ce  fut  aussi  l'opinion  de  Peters,  Theolog. 
Liliraiurblatt,  1869,  p.  854  sq.,  de  Mayer,  Die  Schrijten 
der  apost.  Vàler,  1869,  p.  255  sq.,  de  Caspari,  Quellen 
zur  Geschichle  des  Taufsymbols,  1875,  t.  ni,  p.  298,  et 
de  Nirschl,  Patrologie,  1881,  t.  i,  p.  80-88.  D'après 
Salmon,  Dictionary  o)  Christian  biography,  t.  n,  p.  912- 
921,  cet  Hermas  aurait  été  un  prophète  comme  Qua- 
drat,  et  son  ouvrage  ne  serait  autre  qu'un  spécimen 
de  l'enseignement  des  prophètes  au  début  du  ne 
siècle. 

Quant  à  l'opinion  de  Champagny,  Les  Antonins, 
Paris,  1863,  t.  i,  p.  134,  n.  1  ;  t.  n,  p.  347,  n.  3,  partagée 
par  dom  Guéranger,  Sainte  Cécile,  2e  édit.,  p.  132  sq., 
197  sq.,  et  d'après  laquelle  le  Pasteur  aurait  deux 
auteurs,  l'Hermas  de  l'Épître  aux  Romains  pour  les 
Visions,  et  le  frère  du  pape  Pie  pour  les  Préceptes  et  les 
Similitudes,  elle  ne  mérite  pas,  dit  Funk,  Opéra  Pair, 
apostoi,  Proleg.,  p.  cxx,  d'être  réfutée,  tellement 
s'impose  l'unité  d'auteur. 

E.  Spitta  a  cru  remarquer  que  le  Pasteur  avait  été 
composé  sous  Claude  (41-54)  ou  même  auparavant 
par  un  juif,  mais  qu'il  avait  été  interpolé  en  beaucoup 
d'endroits  par  un  chrétien,  vers  l'an  130.  Zur  Geschichte 
und  Lilteratur  des  Urchristentums,  Gcettingue,  1896, 
t.  n,  p.  241-447.  Daniel  Vôlter,  Die  Visionen  des 
Hermas,  die  Sybille  und  Clemcns  von  Rom,  1900,  et 
H.  A.  van  Bakel,  De  composilie  van  den  Pastor  Hermse, 
1900,  ont  plus  ou  moins  adhéré  à  ce  sentiment,  qui  doit 
être  absoiume  .t  re'eté.  Voir  Funk,  dans  Theologische 
Quartalschrift,  1899,  p  321-360.  Cf.  A.  Lelong,  Le 
Pasteur  d' Hermas,    Paris,  1912,   p.    xxxix-xlvi. 


2273 


HERMAS 


2274 


C'est  donc  au  témoignage  du  fragment  de  Muratori, 
corroboré  d'ailleurs  par  des  arguments  d'ordre  interne, 
qu'il  convient  de  s'en  tenir  avec  Lipsius,  Bibellexikon, 
1871,  t.  ni,  p.  20  sq.  ;  Heyne,  Quo  lempore  Hermœ 
Pastor  scriptus  sit,  Kœnigsberg,  1872  ;  Behm,  Ueber  den 
Verfasser  der  Schrift,  welche  den  Tilel  «  Hirt  »  fùhrt, 
Rostoch,  1876  ;  Harnack,  Patrum  aposl.  opéra,  Leipzig, 
1876,  t.  i,  p.  lxxvii  sq.  ;  Batiffol,  La  littérature 
grecque,  Paris,  1897,  p.  63  sq.  ;  Mgr  Duchesne,  Histoire 
ancienne  de  l'Église,  Paris,  1906, 1. 1,  p.  224  ;  A.  Lelong, 
Le  Pasteur  d'Hermas,  p.  xxv-xxix';  Funk,  Opéra  Pair, 
aposl.,  Tubingue.  1881, 1. 1,  p.  cxvn  sq.  ;  Bardenhewer, 
Les  Pères  de  l'Église,  trad.  franc.,  Paris,  1899,  t.  i, 
p.  98-92. 

Hermas  fait  allusion  à  l'amour  des  richesses  ;  bonne 
preuve  que  l'Église  avait  joui  d'un  temps  de  paix. 
Mais  des  persécutions  avaient  eu  lieu  ;  il  y  eut  des 
martyrs  et  aussi  des  apostats  ;  mais  quelques  chrétiens 
s'en  tirèrent  par  la  seule  perte  de  leurs  biens.  Hermas 
lui-même  avait  été  dénoncé  par  ses  fds  et  ruiné;  au 
moment  de  ses  visions,  il  ne  lui  restait  plus  qu'un 
champ.  Peut-être  avait-il  été,  au  temps  de  sa  jeunesse, 
à  l'âge  de  30  ou  35  ans,  l'une  des  victimes  de  la  persé- 
cution de  Domitien  auxquelles  Nerva,  d'après  Dion 
Cassius,  68,  2,  avait  fait  rendre  les  biens  confisqués. 
Da'is  ce  cas,  sous  le  règne  d'Antonin  le  Pieux  (138- 
161),  contemporain  du  pape  Pie  (140-155),  il  aurait 
été  plus  que  septuagénaire.  Il  écrit  dans  un  temps  où 
le  gnosticisme  existe, mais  ne  paraît  pas  encore  un  dan- 
ger grave  pour  l'Église;  il  combat  le  relâchement  des 
chrétiens,  mais  sans  signaler  des  erreurs  doctrina'e;. 
Le  seul  passage  qui  se  rapporte  à  un  enseignement 
gnostique  est  celui  où  il  est  question   de  ceux  qui 
abusent  de  la  chair,  Sim.,  v,  7;  mais  les  faux  docteurs 
visés  par  Hermas  semblent  appartenir  encore  à  l'Églis  • 
et  n'en  avoir  pas  été  rejetés,  comme  ils  ne  tardèrent  ptis 
à  l'être.  Dans  le  passage  plus  particulièrement  relatif 
aux  gnostiques,  Sim.,  ix,  22,  2,  il  est  encore  ques'io'i 
de  fidèles,  7tia-:ot,  qui  «  veulent  tout  savoir  et  ne  con- 
naissent rien,  »  «  être   des   maîtres,  quand   ils  ne   sont 
que  des  insensés.  »  Parmi  eux  beaucoup  ont  été  rejetés, 
mais   d'autres,   reconnaissant   leurs   fautes,    ont    fait 
pénitence;  ^  ceux  qui  restent  la  pénitence  est  proposée 
comme  moyen  de  salut,  car  ils  n'ont  pas  été  mauvais, 
mais  plutôt  fous  et  sans  esprit  :oùx  èyévovio  yàp  novripot, 
[iàXXovÔs  [xo>pot  /ai  àaiSveToi.  Sim.,  ix,  22,4.  Ce  n'est  pas 
ainsi  que  se  serait  exprimé  Hermas,  si  de  son  temps  !e 
gnosticisme    avait  été    pour  l'Église  le    danger   qu'il 
devint  peu  après;  il  pouvait  parler  de  la  sorte  avait 
l'explosion  du  gnosticisme  vers  le  milieu  du  n*  siècle. 
Était-ce  un  montaniste?  Il  n'y  paraît  guère,  malgré 
certaines  affinités  de  sa  morale  avec  celle  du  monta- 
nisme.  Il  considère,  en  effet,  l'Église  comme  étant  en 
droit  une  société  de  saints,  mais  étant  en  fait  un  mé- 
lange de  justes  et  de  pécheurs;  il  regarde  comme  immi- 
nente  la  parousie  du  Seigneur;  il  a  des  visions  et  des 
révélations.  Mais  la  solution  d'Hermas  diffère  de  celle 
du  montanisme  et  porte  la  marque  d'une  date  anté- 
rieure. Tandis  que  les  montanistes  refusaient  le  pardon 
aux  grands  pécheurs,  Hermas  leur  accorde  au  moins 
une  fois  la  pénitence  et  promet  le  salut  aux  pénitents. 
Montaniste,  il  n'aurait  pas  loué  le  mari  d'une  épouse 
adultère  de  la  reprendre,  si  elle  venait  à  faire  pénitence, 
et  il  aurait  condamné  les  secondes  noces.  Les  monta- 
nistes ajoutaient  des  jeûnes  aux  jeûnes  prescrits  par 
l'Église;  Hermas  se  contente  de  jeûner  les  jours  de 
station,  sans  voir  dans  cette  pratique  une  obligation 
et  en  insistant  sur  le  côté  spirituel  du  jeûne.  Il  y  a  donc 
dans  le  Pasteur  moins  de  rigorisme  que  dans  le  monta- 
nisme, et  il  n'y  a  rien  de  ce  qui  est  spécial  au  monta- 
nisme. A.  Stahl,  Patristischc  Untersuchungen...  III.  Der 
«  Hirl  »  des  Hermas,  Leipzig,  1901,  a  même  prétendu 
que  l'auteur  combattait  les  montanistes,  mais  il  date 

DICT.  DE  THÉOL.  CATH. 


son  œuvre  des  années  165-170.  Le  témoignage  du 
fragment  de  Muratori  a  plus  d'autorité  que  les  argu- 
ments de  Stahl  n'ont  de  valeur. 

II.  Son  ouvrage.  —  1°  Texte  et  versions.  —  Le  Pas- 
leur  a  été  composé  en  grec,  mais  le  texte  original  ne 
nous  est  point  parvenu  dans  son  intégrité.  Le  premier 
quart,  Vis.,  i  -Mand.,  iv,  3,  6,  se  trouve  dans  le  codex 
Sinaiticus  de  la  Bible  du  ive  siècle,  découvert  en  1859; 
deux  autres  morceaux  se  trouvent  dans  un  papyrus  du 
ve  siècle  rapporté  de  Fayoum  et  conservé  à  Berlin; 
un  manuscrit  du  mont  Athos,  xive-xve  siècle,  publié  à 
Leipzig  par  Tischendorf,  en  1856,  le  contient  dans  sa 
presque  totalité;  trois  feuilles  de  ce  manuscrit,  com- 
prenant Mand.,  xn,  4,  7  -  Sim.,  vin,  4,  3,  et  Sim., 
ix,  15,  1,  -  30,  2,  dérobées  par  Constantin  Simonide, 
ont  été  acquises  par  la  bibliothèque  de  Leipzig.  C'est 
à  l'aide  de  ces  manuscrits  qu'ont  été  faites  les  éditions 
du  texte  grec  par  Hilgenfeld,  Novum  Teslamcnlum 
extra  canonem  receptum,  Leipzig,  1866;  2e  édit.,  1881; 
3e,  1887;  Gebhardt-Harnack,  Hermse  Paslor,  Leipzig, 
1877.  En  1880,  Lambros  découvrit  au  Mont-Athos 
un  manuscrit  contenant  une  partie  du  texte  grec  du 
Pasteur  et  il  constata  plus  tard  qu'il  était  la  source  du 
manuscrit  de  Leipzig.  Robinson  fit  la  collation  du 
texte,  A  collation  of  the  Athos  codex  of  the  Shepherd  o/ 
Hermas,  1888,  p.  25-29.  Henner  fut  le  premier  qui  utilisa 
ce  manuscrit  dans  son  édition  des  Pères  apostoliques 
en  1891.  Photogra,  hie  par  K.  Lake     Oxford.  1907. 

La  même  année,  U.  Wilcken  découvrit  une  feuille 
manuscrite  sur  papyrus,  du  iv«  siècle,  reproduisant 
Sim.,  u,  7-10;  iv,  2-8,  et  il  en  publia  le  texte.  Tabeln 
zur  àltercn  griechischen  Paléographie,  Leipzig  et  Berlin, 
1891,  tab.  ni.  Diels  et  Harnack  rééditèrent  et  commen- 
tèrent ce  fragment,  trouvé  au  Fayoum  et  conservé  au 
musée  de  Berlin,  dans  les  Sitzungsbcrichle  der  Berliner 
Akademie  der  Wissenschajtcn,  1891,  p.  427-431  ;  Albert 
Ehrhard,  dans  la  Theologische  Quartalschrifl,  1892, 
p.  294-303,  et  K.  Schmidt  et  W.  Schubart,  Alt- 
christich'  Texte,  Berlin,  1910,  p.  13-15.  Une  feuille  de 
papyrus,  contenant  une  courte  citation  de  Mand.,  xi, 
9  sq.,  a  été  publiée  par  Grenfell  et  Hunt,  en  1899. 
Des  fragments  de  sept  feuilles  de  papyrus  ont  été 
publiés  par  les  mêmes  savants  papyrologistes,  The 
Amherst  papjri  II,  Londres,  1901,  p.  195  sq.  (Vis.,  i, 
2,2-3,1;  m,  12,  3;  13,  3,4;  Mand.,  xn,  1,  1,3; 
Sim.,  ix,  2,  1,  2,  4,  5;  12,  2,  3,  5;  17,  1,  3;  30,  1-4). 
Cf.  A.  Lelong,  Le  Pasteur  d'Herrn  is,  p.  ci  n.  Un  fragment 
(Sim.,  x,  3,  3-6)  a  encore  été  publié  par  les  mêmes.  Cf. 
ibid.,  p.  cm-civ.  Une  feuille  de  parchemin,  trouvée 
en  Egypte  et  conservée  à  la  bibliothèque  munici- 
pale de  Hambourg,  du  ive  au  ve  siècle,  contient  la 
fin  de  Sim.,  iv,  et  le  commencement  de  Sim.,  v.  Cf. 
K.  Schmidt  et  W.  Schubart,  dans  les  Sitzangsberichte 
der  Berliner  Akademie,  28  octobre  1909;  A.  Lelong, 
op.  cit.,  p.  xcv-cn.  Un  papyrus  du  vie  si' île  donne 
le  début  de  Sim.,  vin,  1,  1-12,  publié  par  K.  Schmidt 
et  W.  Schubart.   Allchrisllichc  Texte,  p.  17-20. 

Jusqu'en  1856,  le  Pasteur  n'était  connu  que  par  une 
version  latine,  dite  Vulgate,  publiée  pour  la  première 
fois  par  Lefèvre  d'Étaples,  Liber  trium  virorum  et 
trium  spirilualium  virginum,  Paris,  1513,  et  reproduite 
dans  leurs  éditions  des  Pères  apostoliques  par  Cotelier. 
Fell,  Gallandi,  Migne,  Hefele.  Hilgenfeld  en  a  donné  une 
édition  critique  insuffisante,  Hermœ  Pastor,  Leipzig, 
1873.  Une  autre  version  latine,  dite  palatine,  en  a  été 
publiée  parDressel,  à  Leipzig,  en  1857  et  en  1863,  puis  par 
Hollenberg,  à  Berlin,  en  1868,  d'après  un  manuscrit 
du  fonds  palatin  du  Vatican,  du  xivc  siècle.  Ces  deux 
versions  sont  indépendantes  l'une  de  l'autre;  la  pre- 
mière doit  avoir  suivi  de  près  l'apparition  de  L'original 
grec;  Tertullien  parle  du  Pastor,  non  du  Ilo  ;j.rjv; 
la  seconde,  déjà  connue  de  l'auteur  de  la  Vie  de  sainte 
Geneviève,  vers  530,  remonte  au  vc  siècle  et  a  eu  très 

VI.  —  72 


2275 


HERMAS 


2276 


vTaiseml  lablement  la  Gaule  pour  berceau,  Cf.  T. 
Haussleiter.  De  versionibus  Pastoris  Hermœ  lalinis, 
Erlangen,  1884;  Ph.  Thiehnann,  dans  Archiv  (tir  lai. 
Lexiko  graphie,  1885,  p.  17G;  Still,  dans  Jahrcs- 
berichit  (ùr  Attertumswissenschaft,  1887,  t.  xvn,  p.  35. 

En  1860,  Antoine  d'Abbadie  découvrait,  en  Abyssinie 
une  version  éthiopienne  du  Pasteur;  il  la  traduisit 
en  latin  et  la  publia  dans  les  Abhandlungen  (ùr  die 
Kunde  des  Morgenlandes,  1860,  t.  n,  n.  1.  Dillmann 
démontra  qu'elle  avait  été  faite  directement  sur  le  grec. 
Zeilschri/t  der  Deutschen  morgcnlandischcn  Gescllschajt, 
1861,  t.  xv,  p.  111-118. 

On  possède  aussi  de  courts  fragments  d'une  version 
copte.  Voir  A.  Lelong,  Le  Pasteur  d'Hermas,  p.  cv-cvi. 

F.  X.  Funk,  profitant  des  travaux  antérieurs  et  les 
améliorant  encore,  a  publié  le  texte  grec  avec  une  tra- 
duction lutine  faile  à  l'aide  de  celles  qui  existaient 
déjà;  à  partir  de  Sim.,  îx,  30,  3,  où  l'original  grec  fait 
défaut  jusqu'à  la  lin,  il  a  transcrit,  d'une  part,  le  texte 
de  la  version  Vulgate  et,  d'autre  part,  la  version  latine 
d'Antoine  d'Abbadie.  C'est  à  cette  édition  que  nous 
nous  referons,  Opcra  Patrum  aposlolicorum,  Tubingue, 
1881.  Une  seconde  édition  a  paru  en  1901  sous  le  titre  : 
Patres  apostolici.  Voir  aussi  sa  petite  édition:  Die 
apostolisclii  n  Vâter.    Tubingue,  1906. 

Photographie  du  codex  Sinaiticus  par  K.  Lake, 
Oxford,  1911. 

2°  Division.  ■ —  Par  l'étendue  des  matières,  la  ri- 
chesse du  fond  et  l'originalité  de  la  forme,  le  Pasteur 
constitue  un  ouvrage  à  part  dans  la  littérature  chré- 
tienne du  iic  siècle.  Il  comprend  cinq  Visions,  ôpdbsiç, 
douze  Préceptes,  Iv-oXat,  et  dix  Similitudes,  -apaSoXaf; 
et  c'est  sous  ces  trois  titres  distincts  qu'il  est  divisé 
dans  les  éditions  actuelles,  contrairement  aux  indica- 
tions de  l'auteur,  qui  ne  signale  que  deux  parties,  la 
première  comprenant  les  quatre  premières  Visions, 
et  la  seconde,  tout  le  reste  avec  la  cinquième  Vision 
pour  préface  et  la  dixième  Similitude  pour  épilogue. 
Cette  division  de  l'auteur  correspond  aux  deux  per- 
sonnages qui  sont  les  interprètes  ou  les  organes  des 
révélations  :  dans  la  première  partie,  c'est  l'Église 
qui  paraît  et  parle  à  Hermas  sous  les  traits  d'une 
femme;  dans  la  seconde,  c'est  le  Pasteur  qui  lui  notifie 
les  Préceptes,  propose  et  explique  les  Similitudes. 
Le  tout  forme  un  ensemble  cohérent  qui  accuse  nette- 
ment l'unité  d'auteur;  et  le  titre,  IIoipjv,  donné  à 
l'ouvrage,  lui  vient  du  personnage  qui  entre  en  scène 
dès  la  première  partie,  bien  qu'il  n'y  joue  qu'un  rôle 
secondaire,  Vis.,  n,  4,  1;  m,  10,  7,  mais  qui  paraît 
ensuite  comme  le  personnage  chargé  de  faire  connaître 
les  Préceptes  et  les  Similitudes  à  Hermas. 

Les  Visions  indiquent  la  raison  d'être  de  l'ouvrage 
et  en  tracent  l'esquisse;  les  Préceptes  et  les  Similitudes 
en  sont  le  développement.  Tout  s'y  ramène  à  l'idée 
fondamentale  de  pénitence  ou  de  réforme  morale.  Et 
cette  discipline  se  dessine  dans  les  Visions  sous  forme 
apocalyptique,  se  développe  d'une  manière  plus  nette 
et  plus  précise  dans  les  Préceptes  et  s'achève  sous  forme 
de  parabole  dans  les  Similitudes.  C'est  cette  pénitence 
qu'Hermas  doit  s'appliquer  à  lui-même,  et  qu'il  doit 
prêcher  ensuite  aux  membres  de  sa  propre  famille, 
à  l'Église,  aux  fidèles  et  au  clergé.  Et  la  raison  de  cet 
appel  général  à  la  pénitence  n'est  autre,  comme  Her- 
mas le  donne  à  entendre,  que  l'imminence  de  la  persé- 
cution et  l'approche  de  l'avènement  du  souverain  juge. 

On  a  discuté  l'unité  du  livre.  Le  comte  de  Champa- 
gny  a  soutenu  que  l'ouvrage  actuel  est  formé  de  deux 
livres  très  différents,  comme  il  a  été  dit  plus  haut. 
Haussleiter  a  émis  une  opinion  analogue:  le  Pasteur 
serait  composé  d'un  premier  livre,  Vis.,  v-Sim.,  x, 
œuvre  d'Hermas,  frère  du  pape  Pie  (un  peu  avant  150), 
te  d'un  second.  Vis.,  i-iv,  œuvre  d'un  inconnu  publiée 
sous    e  nom  d'Hermas,  i  ersonnage  apostolique,  à  la 


fin  du  ne  siècle.  De  versionibus  Pastoris  Hermx  latinis, 
Erlangen,  1884.  A.  llilgenfeld  a  discerné  trois  écrits  : 
un  écrit  de  pastorale,  Vis.,  v-Sim.,  vu,  antérieur  au 
règne  de  Trajan,  une  apocalypse,  Vis.,  i-iv,  rédigée 
sous  Adrien  (117-138),  un  écrit  secondaire,  Sim. , 
vni-x;  Vis.,  v,  5,  avec  quelques  autres  additions, 
joint  aux  deux  premiers  par  le  frère  du  pape  Pie. 
Hermœ  Pastor,  2e  édit.,  1881 ,  p.  xxi-xxix.  Ces  opinions 
n'obtinrent  aucun  succès.  Elles  furent  réfutées  par 
A.  Link,  DicEinheil  des  Pastor  Hermas  Marbourg,1888, 
et  par  P.  Baumgartner,  Die  Einheit  des  Hermas- 
Buchs,  Fribourg-en-Brisgau,  1889.  Ce  dernier  toutefois 
soutint  que  l'auteur  rédigea  d'abord  séparément  Vis., 
i-iv  et  Vis.,  \-Sim.,  ix,  qu'il  réunit  ensuite  en  un  seul 
livre.  A.  Harnack  entra  dans  ces  vues  et  détermina 
l'ordre  successif  de  la  composition  des  parties. 
Gescbichte  der  allchrisil.  Litleralur,  t.  n  a,  p.  260-263. 
Ses  arguments  n'ont  pas  paru  concluants. 

1.  Les  Visions.  —  C'est  sous  forme  d'apocalypse 
ou  de  révélation  que  débute  le  Pasteur;  et  ce  procédé 
rappelle,  parmi  les  auteurs  sacrés,  les  visions  d'Ézé- 
chiel  et  de  saint  Jean,  et,  parmi  les  apocryphes, 
YAscension  d'isaïe,  le  Livre  d'Hénoch  et  surtout  le 
IVe  livre  d'Esdras.  L'entrée  en  matière  est  faite  pour 
piquer  la  curiosité. 

Hermas  raconte,  en  effet,  comme  nous  l'avons  vu 
dans  son  autobiographie,  les  incidents  qui  donnèrent 
lieu  à  la  rédaction  dé  son  livre  et  à  sa  mission  de  prê- 
cher la  pénitence  :  c'est  l'objet  de  la  première  Vision. 
Dans  la  seconde  Vision,  il  aperçoit  encore  l'Église  sous 
la  forme  d'une  vieille  femme,  qui  lui  confie  son  livre 
pour  qu'il  le  transcrive  en  double  exemplaire,  et  qui  lui 
apprend  que  ses  fils  ont  péché  contre  Dieu  et  blasphémé 
le  Seigneur,  qu'ils  ont  trahi  leurs  parents  et  sont  tom- 
bés dans  une  grande  iniquité,  que  sa  femme  a  beaucoup 
péché  par  la  langue,  mais  qu'ils  seront  tous  pardonnes 
s'ils  font  de  tout  leur  cœur  une  sincère  pénitence. 
Hermas  se  met  à  pratiquer  le  jeûne.  Dans  la  troisième 
Vision,  la  vieille  le  fait  asseoir,  non  à  sa  droite,  car 
c'est  la  place  réservée  à  ceux  qui  ont  souffert  pour 
Dieu,  mais  à  sa  gauche,  et  lui  montre,  s'élevant  sur  les 
eaux,  une  tour  construite  par  des  anges  avec  des  pierres 
tirées  du  fond  de  l'abîme  ou  du  sein  de  la  terre,  qui 
s'adaptaient  si  bien  entre  elles  qu'on  aurait  dit  un 
monolithe.  Elle  lui  conseille  de  conserver  la  paix,  de 
secourir  les  indigents  et  lui  prescrit  de  recommander 
aux  chefs  de  l'Église  d'éviter  les  dissensions  et  d'obser- 
ver la  discipline.  — ■  Vingt  jours  après,  comme  il  se 
rendait  à  son  champ,  priant  le  Seigneur  de  lui  faire 
comprendre  le  sens  de  ces  visions  et  de  lui  accorder, 
ainsi  qu'à  tous  les  serviteurs  de  Dieu,  la  pénitence,  il 
rencontre  une  bête  énorme  et  horrible,  qui  soulevait 
des  flots  de  poussière.  A  sa  vue,  il  se  met  à  pleurer  et  à 
prier,  quand  lui  apparaît  la  femme  comme  une  vierge 
parée,  vêtue  de  blanc.  Il  reprend  aussitôt  courage  et 
apprend  qu'il  a  échappé  au  monstre  grâce  à  la  fermeté 
de  sa  foi  et  à  la  protection  de  l'ange  Thégri.  Le  monstre 
annonçait  une  grande  tribulation,  à  laquelle  on  n'échap- 
pera que  par  la  pénitence  et  la  conversion,  par  la  pureté 
de  la  vie  et  la  persévérance,  par  la  confiance  en  Dieu.  — 
Dans  la  cinquième  Vision,  qui  n'est  à  vrai  dire  qu'une 
transition  et  l'amorce  de  la  seconde  partie,  Hermas 
est  dans  sa  demeure;  il  vient  de  prier  et  est  assis  sur 
son  lit  quand  se  présente  à  lui  un  homme,  à  l'habit  de 
pasteur  :  c'est  l'ange  de  la  pénitence,  qui  lui  est  déjà 
apparu  sous  une  autre  forme,  Vis.,  n,  4;  m,  10,  7, 
et  qui  se  dit  chargé  de  lui  rappeler  les  visions  précé- 
dentes et  de  lui  faire  écrire  les  Préceptes  et  les  Simi- 
litudes. 

2.  Les  Préceptes.  —  Cette  partie  n'est  pas  sans  offrir 
quelques  traits  de  ressemblance  avec  l'apocryphe 
connu  sous  le  nom  de  Testament  des  douze  patriarches. 
C'est  un  petit  traité  de  morale  en  douze  préceptes, 


2277 


HE  RM  AS' 


2278 


renfermant  la  plupart  des  devoirs  de  l'homme  envers 
Dieu,  envers  le  prochain  et  envers  lui-même.  Il  a  pour 
point  de  départ  et  pour  fondement  la  foi  en  un  seul 
Dieu,  créateur  de  toutes  choses,  et  pour  but  le 
retour  à  la  vertu  par  le  moyen  d'une  crainte  salutaire 
et  d'un  ascétisme  bien  compris.  Dès  le  début,  en  effet, 
sont  recommandées  la  foi,  la  crainte  et  la  continence, 
■sttirctç,  9060;,  rf/.pârs'.a,  trois  vertus  dont  la  force  et 
l'efficacité  sont  montrées  à  partir  du  vie  précepte. 
Le  second  précepte  recommande  la  simplicité  et  l'inno- 
cence, àrXoT-r,ç,àzax!a;  il  interdit  la  médisance  parlée  ou 
écoutée,  xataXaX'.a,  et  prescrit  l'aumône  sans  acception 
de  personnes.  Le  troisième  ordonne  l'amour  et  la 
pratique  de  la  vérité,  la  fuite  du  mensonge.  Le 
quatrième  prescrit  la  pureté,  àyveîa,  et  proscrit  toute 
pensée  ou  désir  déshonnête,  ce  qui  provoque,  de  la 
part  d'Hermas,  certaines  questions  sur  le  mariage, 
l'adultère  et  la  pénitence.  Pour  pratiquer  la  justice, 
est-il  dit  dans  le  cinquième,  il  faut  posséder  la  longa- 
nimité et  la  prudence,  et  éviter  l'irascibilité,  ôÇuy oXia,  qui 
chasse  le  Saint-Esprit  et  appelle  le  diable;  c'est  une 
sorte  de  démence  qui  engendre  l'amertume,  mxpca,  la 
colère,  Oufxoç,  la  passion,  ôp"pj>  et  la  fureur,  iir,vi;;  cette 
dernière  est  un  péché  inguérissable. 

Relativement  à  la  foi,  il  faut  croire  que  l'homme  a 
deux  anges,  celui  de  la  justice  et  celui  de  la  malice  : 
les  inspirations  du  premier  sont  à  suivre,  car  elles 
sont  bonnes;  les  tentations  du  second  sont  à  repousser, 
car  elles  sont  perverses.  Relativement  à  la  crainte, 
il  faut  distinguer  celle  de  Dieu  de  celle  du  diable  : 
la  première  est  à  pratiquer  parce  qu'elle  est  salutaire, 
la  seconde  à  éviter  parce  qu'elle  est  pernicieuse.  Rela- 
tivement à  la  continence,  il  faut  distinguer  le  mal  auquel 
on  doit  se  soustraire,  et  le  bien  dont  on  ne  doit  pas 
s'abstenir. 

Le  neuvième  précepte  recommande  la  prière,  une 
prière  inspirée  par  la  foi  et  la  confiance,  car  Dieu  est 
plein  de  miséricorde,  une  prière  dénuée  du  moindre 
doute,  quelque  temps  que  s'en  fasse  attendre  le  résul- 
tat, car  le  doute  est  d'inspiration  diabolique.  Il  faut 
en  outre  fuir  la  tristesse,  sœur  du  doute,  et  revêtir  la 
joie,  qui  est  toujours  agréable  à  Dieu  et  favorable  au 
bien.  M  and.,  x. 

Il  existe  des  prophètes;  mais,  parmi  eux,  quelques- 
uns  sont  faux  et  troublent  les  sens  de  ceux  qui  les 
consultent.  Ils  n'ont  pas  l'esprit  de  Dieu  :  orgueilleux, 
sensuels,  loquaces,  avides,  intéressés,  on  les  reconnaît 
à  leurs  œuvres,  et  on  doit  absolument  s'en  garder. 
Mand.,  xi. 

Reste  enfin  l'IxtOufjua,  qui  est  bonne  ou  mauvaise 
selon  que  les  désirs  qu'elle  inspire  sont  bons  ou  mau- 
vais; il  faut  donc  éviter  la  mauvaise  concupiscence, 
qui  donne  la  mort  spirituelle,  et,  pour  lui  résister  avec 
succès,  il  convient  d'embrasser  le  désir  de  la  justice 
et  de  s'armer  de  la  crainte  de  Dieu.  Mand.,  xu. 

3.  Les  Similitudes.  —  Cette  dernière  partie  du  Pas- 
teur a  le  même  caractère  que  la  première,  celui  d'une 
apocalypse,  et  se  rattache  à  certaines  paraboles  évan- 
géliques.  Des  comparaisons  et  des  tableaux,  qui  ne 
sont  pas  sans  charme,  servent  à  mettre  en  relief  quel- 
ques points  de  doctrine  et  de  morale. 

Dans  les  deux  premières  similitudes,  il  s'agit  du  bon 
emploi  de  la  fortune.  N'ayant  pas  ici-bas  de  cité  per- 
manente, l'homme  ne  doit  pas  s'attacher  exclusive- 
ment aux  biens  de  la  terre;  ces  biens  sont  donnés  par 
Dieu  pour  en  faire  bénéficier  les  indigents.  Sim.,  1. 
Le  riche  et  le  pauvre  sont  l'un  pour  l'autre  comme 
l'ormeau  et  la  vigne.  L'ormeau  soutient  la  vigne,  et 
la  vigne  1  are  l'ormeau  de  ses  fruits.  Le  riche  aide 
le  pauvre,  mais  ne  se  dépouille  pas  sans  profit, 
car  sa  pauvreté  spirituelle  est  secourue  par  le  pau- 
vre, qui  par  sa  prière,  enrichit  spirituellement  le  riche. 
Sim.,  11. 


Une  comparaison  non  moins  gracieuse  sert,  dans  les 
deux  similitudes  suivantes,  à  expliquer  le  mélange 
en  ce  monde  des  justes  et  des  pécheurs,  et  leur  sépara- 
tion dans  le  siècle  futur.  C'est  ainsi  qu'en  hiver  les 
arbres,  dépouillés  de  leurs  feuilles,  se  ressemblent  ;  mais, 
vienne  l'été,  tandis  que  les  uns  se  parent  fie  feuilles  et 
de  fruits,  les  autres  ne  changent  pas  et  sont  morts. 
De  même  sur  la  terre,  qui  est  l'hiver  pour  eux,  bons  et 
mauvais  sont  confondus;  mais  le  siècle  futur,  comme 
l'été,  est  révélateur  des  uns  et  des  autres  :  les  justes, 
chargés  de  fruits,  seront  récompensés;  les  pécheurs, 
restés  stériles,  seront  punis. 

Dans  la  cinquième  similitude  s'accuse  le  caractère 
profondément  spiritualiste  de  l'ascétisme  chrétien,  les 
pratiques  extérieures  ne  devant  être  qu'un  moyen  pour 
opérer  la  réforme  morale.  Voici  la  vraie  notion  du 
jeûne  :  «  Ne  fais  pas  le  mal  dans  le  cours  de  ta  vie,  dit 
le  Pasteur  à  Hermas,  mais  sers  Dieu  avec  un  cœur  pur, 
observe  ses  commandements,  entre  dans  la  voie  de  ses 
préceptes,  et  repousse  jusqu'au  désir  coupable  qui 
cherche  à  se  glisser  dans  l'âme.  Aie  pleirfe  confiance  en 
Dieu;  car  si  tu  acceptes  ces  choses,  si  tu  t'abstiens  de 
tout  par  crainte  de  lui  déplaire,  il  te  donnera  la  victoire  : 
voilà  le  véritable  jeûne,  celui  que  Dieu  agrée.  »  Et  cela 
n'est  point  la  condamnation  du  jeûne  pratiqué  par 
Hermas,  car  l'ange  de  la  pénitence  ajoute  :  «  Le  jour 
où  tu  jeûneras,  tu  ne  goûteras  d'aucune  nourriture 
pour  te  borner  au  pain  et  à  l'eau.  Tu  mettras  de  côté 
la  quantité  d'aliments  que  tu  as  coutume  de  prendre 
chaque  jour,  et  tu  la  donneras  à  la  veuve,  à  l'orphelin 
et  aux  pauvres;  c'est  ainsi  que  tu  consommeras  !a 
mortification  de  ton  âme.  »  Telle  est  la  notion  com- 
plète du  jeûne. 

A  côté  de  ce  précepte,  il  y  a  le  conseil.  Dans  la  simi- 
litude, imitée  de  l'Évangile,  le  Maître  et  le  serviteur 
de  la  vigne,  ce  dernier  ne  se  contente  pas  d'exécuter 
les  ordres  reçus,  il  va  au  delà,  et,  ce  faisant,  il  mérite 
et  reçoit  mit  récompense  plus  grande,  il  est  adopté  par 
le  Maître. 

Dans  la  sixième  similitude,  Hermas  voit  deux 
bergers  et  deux  troupeaux  :  l'ange  de  la  volupté  et 
l'ange  de  la  peine;  l'un  respirant  la  douceur  et  la  joie 
mais  perdant  les  âmes  parce  qu'elles  ne  font  pas  péni- 
tence; l'autre,  d'un  aspect  rude  et  repoussant,  menant 
ses  brebis,  le  bâton  levé,  au  milieu  des  ronces  et  des 
épines,  et  leur  faisant  faire  pénitence  pour  leur  salut. 

Dans  la  septième  similitude,  Hermas  demande  que 
l'ange  de  la  peine  soit  éloigné  de  sa  maison;  mais  le 
Pasteur  lui  montre  la  nécessité  d'expier  ses  fautes  et  de 
faire  pénitence,  car  la  pénitence  bien  acceptée  mérite 
la  réconciliation. 

Dans  les  deux  similitudes  suivantes,  vme  et  ixe, 
l'Église  reparaît  sous  le  double  symbole  du  saule  et  de 
la  tour.  Le  saule  est  ébranché;  chaque  fidèle  en  reçoit 
une  tige  qu'il  devra  représenter,  et  selon  l'état  de  cette 
tige,  sera  récompensé  ou  puni;  c'est  une  manière  de 
faire  entendre  que  chacun  sera  traité  selon  ses  œuvres. 
Les  pécheurs  seront  soumis  à  la  pénitence  et,  s'ils 
l'accomplissent  de  tout  leur  cœur,  obtiendront  le 
pardon,  sinon  ils  seront  condamnés.  Quant  au  sym- 
bole de  la  tour,  il  reparaît  avec  un  ensemble  de  circon- 
stances qui  sert  à  caractériser  ceux  qui  entrent  dans  la 
construction  pour  leur  fidélité  persévérante  ou  pour 
leur  sincère  pénitence,  et  ceux  qui  en  sont  écartés. 

La  dernière  similitude  sert  de  conclusion  :  à  Hermas 
de  faire  pénitence  et  de  persévérer;  à  Hermas  d'ensei- 
gner aux  autres  ce  moyen  de  salut.  Puisque  le  salut  est 
assuré  par  la  pénitence,  chacun  doit  prendre  ce  moyen 
tant  que  la  tour  est  en  construction,  car  après  il  serait 
trop  tard. 

III.  Sa  doctrine.  —  1°  Trinité  et  incarnation.  — 
Le  Pasteur  est  avant  tout  l'œuvre  d'un  moraliste 
préoccupé  de  remédier  aux  maux  de  la  société  chré- 


2279 


HERMAS 


2280 


tienne,  et  non  celle  d'un  polémiste  qui  entend  réfuter 
certaines  erreurs  ou  celle  d'un  théologien  exposant  avec 
preuves  à  l'appui  quelqu'une  des  vérités  de  la  foi.  11 
n'en  affirme  pas  moins  avec  netteté  certains  dogmes, 
tels  que  l'unité  divine  et  la  création  ex  nihilo,  Mand., 
1,1,  p.  388;  cf.  Sim.,  v,  5, 2;  vu,  4;  mais  il  est  loin  d'être 
aussi  catégorique  sur  la  Trinité  et  la  christologie.  Là, 
sa  pensée  est  nuageuse  et  son  langage  déconcertant. 
Ce  n'est  point  sans  quelques  subtilités  que  certains 
critiques  ont  défendu  son  orthodoxie;  entre  autres 
Jackman,  Der  Hirt  des  Hermas,  Kœnigsberg,  1835, 
p.  68-73;  Hefele,  Opéra  Patrum  apost.,  4e  édit.,  Tu- 
bingue, 1855,  p.  386,  n.  3;  Dorner,  Lehre  von  den 
Person  Christi,  2e  édit.,  1845,  p.  190-205;  Gaâb,  Der 
Hirt  des  Hermas,  Bâle,  1866,  p.  77-82;  Zahn,  Der 
Hirt  des  Hermas,  Gotha,  1868,  p.  253-282;  Donaldson, 
The  apostolical  Fathers,  2e  édit.,  Londres,  1874,  p.  353- 
358;  Freppel,  Les  Pères  apostoliques,  4°  édit.,  Paris, 
1885,  p.  318;  Rambouillet,  L'orthodoxie  du  livre  du 
Pasteur  d'Hermas,  Paris,  1880  ;  Un  dernier  mol  sur 
l'orthodoxie  d'Hermas,  Paris,  1880,  dans  la  Revue  du 
monde  catholique,  1880,  p.  21  sq.;  A.  Briill,  Der  Hirt 
des  Hermas,  1882;  J.  Schwane,  Dogmengeschichte  der 
vornicânischen  Zeit,  2e  édit.,  1892,  p.  61  ;  trad.  franc., 
Paris,  1903,  t.  i,  p.  65;  R.  Seeberg,  Lehrbuch  der 
Dogmengeschichte,  1895, 1. 1,  p.  22;  d'autres,  par  contre, 
Lipsius,  Zcilschrijt  /ûr  wiss.  Théologie,  1865,  p.  277- 
282;  1869,  p.  273-285;  Bardenhewer,  Les  Pères  de 
l'Église,  trad.  franc.,  Paris,  1898,  t.  i,  p.  94;  Funk, 
Opéra  Patrum  apost.,  Tubingue,  1881,  t.  i,  p.  458; 
1901,  t.  i,  p.  cxli-cxliii,  ont  accusé  Hermas  d'iden- 
tifier la  seconde  personne  de  la  Trinité  avec  le  Saint- 
Esprit,  et  même,  d'après  Harnack,  dans  ses  notes, 
Vis.,  v,  2;  Sim.,  v,  5,  2;  6,  5;  vm,  1,  2;  ix,  1,  1; 
Duchesne,  Les  origines  chrétiennes,  édit.  lith.,  Paris, 
1885,  p.  198,  avec  l'archange  saint  Michel.  Mgr  Du- 
chesne ne  parle  plus  de  cette  identification,  Histoire 
ancienne  de  l'Église,  Paris,  1906,  t.  i,  p.  232-234.  Cf. 
Lueken,  Michael,  Gœttingue,  1898,  p.  87,  148-154; 
E.  Huckstadt,  Der  Lehrbegriff  des  Hirten,  1889; 
O.  Bardenhewer,  Christi  Person  und  Werk  in  Hirten 
des  Hermas,  1886;  Funk,  Patres  apostolici,  2e  édit., 
Tubingue,  1901, 1. 1,  p.  532-540.  Ce  que  l'on  doit  recon- 
naître à  tout  le  moins,  c'est  que  sa  terminologie  laisse 
beaucoup  à  désirer. 

Voici,  en  effet,  un  premier  passage  qui  permettra 
d'en  juger  :  il  est  relatif  aux  trois  personnes  divines. 
Un  homme,  dit  le  Pasteur,  Sim.,  v,  2,  p.  450-452, 
possède  un  domaine  et  de  nombreux  serviteurs.  Il 
sépare  une  partie  de  ce  domaine  et  y  plante  une  vigne. 
Puis  choisissant  un  serviteur  fidèle  et  honorable,  il  le 
charge  d'échalasser  cette  vigne,  en  lui  promettant  la 
liberté.  Le  maître  parti,  ce  serviteur  se  met  à  l'œuvre, 
et  non  seulement  il  échalasse  la  vigne,  mais  encore  il 
en  arrache  les  mauvaises  herbes,  chose  qui  ne  lui  avait 
pas  été  prescrite.  A  son  retour,  le  maître  est  informe 
du  zèle  de  son  serviteur,  et  voyant  que  celui-ci  avait 
fait  plus  qu'on  ne  lui  avait  demandé,  il  convoque  en 
conseil  son  fils  et  ses  amis;  d'accord  avec  eux,  il  décide 
que  le  bon  serviteur  partagera  son  héritage  avec  son 
fils.  Ayant  fait  un  festin,  il  envoie  des  provisions  au 
serviteur  fidèle  qui,  après  en  avoir  pris  sa  part,  donne 
le  reste  à  ses  compagnons  de  servitude. 

Il  y  a  bien  là  trois  personnages  distincts  :  le  maître, 
son  fils  et  son  serviteur.  Mais  qui  sont-ils?  Le  champ, 
explique  le  Pasteur,  Sim.,  v,  5,  2-3,  p.  460,  représente 
ce  monde,  dont  le  maître  est  Dieu,  créateur  de  toutes 
choses.  Le  fils  du  maître  est  le  Saint  Esprit.  Filius 
autem  Spiritus  Sanctus  est,  porte  la  version  Vulgate. 
Ces  mots,  il  est  vrai,  ne  se  trouvent  ni  dans  le  texte  grec 
ni  dans  la  version  palatine;  ils  n'en  représentent  pas 
moins  la  pensée  de  l'auteur,  puisqu'il  dit  ailleurs  : 
»  Je  veux  te  montrer  ce  que  t'a  montré  l'Esprit-Saint, 


qui  t'a  parlé  dans  la  personne  de  l'Église;  car  cet  Esprit 
est  le  fils  de  Dieu  :  èy.eîvo  yàp  to  ^veuixa  ô  ito;  toù  0eo3 
iv-iv.  Sim.,  ix,  1,  1,  p.  498.  Quant  au  serviteur,  il  est 
le  fils  de  Dieu;  ô  8s  ooûXo;  ô  uîoçtou  0sou  èatïv.  Sim.,  v, 
5,  2,  p.  460.  Or  ce  serviteur,  nommé  fils  de  Dieu,  prépose 
des  anges  à  la  garde  de  l'Église;  il  extirpe  les  mauvaises 
herbes  ou  déracine  les  péchés  par  ses  labeurs  et  ses 
souffrances;  et  il  partage  les  reliefs  du  festin  avec  les 
autres  serviteurs.  Telle  est  son  œuvre  :  œuvre  de 
rédemption,  sans  que  soit  mentionnée  la  mort  expia- 
toire, et  œuvre  de  communication  de  la  grâce  par  la 
prédication  évangélique.  Pas  une  seule  fois  l'auteur  ne 
le  signale  sous  le  nom  de  Verbe,  de  Christ  ou  de  Jésus, 
pas  plus  qu'il  ne  songe  à  dire  la  différence  qu'il  y  a  entre 
sa  filiation  divine  et  celle  du  Saint-Esprit. 

Voici  un  autre  passage  relatif  à  l'incarnation  : 
«  Le  maître  a  appelé  en  conseil  son  fils  et  les  anges  glo- 
rieux pour  délibérer  sur  la  participation  du  serviteur 
à  l'héritage;  cela  veut  dire:  l'Esprit-Saint  qui  préexis- 
tait, qui  a  créé  toute  créature,  Dieu  l'a  fait  habiter 
dans  une  chair  choisie  par  lui.  Cette  chair,  dans  la- 
quelle habitait  le  Saint-Esprit,  a  bien  servi  l'Esprit  en 
toute  pureté  et  toute  sainteté,  sans  jamais  lui  infliger 
la  moindre  souillure.  Après  qu'elle  se  fut  ainsi  bien  et 
saintement  conduite,  qu'elle  eut  aidé  l'Esprit  et  tra- 
vaillé avec  lui  en  toute  action,  se  montrant  toujours 
forte  et  courageuse,  Dieu  l'a  admise  à  participer  avec 
l'Esprit-Saint.  La  conduite  de  cette  chair  a  plu  à 
Dieu,  car  elle  ne  s'est  pas  souillée  sur  la  terre  pendant 
qu'elle  possédait  l'Esprit-Saint.  Il  a  donc  consulté  son 
fils  et  ses  anges  glorieux  afin  que  cette  chair,  qui  avait 
servi  l'Esprit  sans  aucun  reproche,  obtînt  un  lieu 
d'habitation  et  ne  perdît  pas  le  prix  de  son  service.  » 
Sim.,  v,  6,  4-7,  p.  462.  «  Que  conclure  de  là,  demande 
Bardenhewer,  Les  Pères  de  l'Église,  trad.  franc., 
Paris,  1898,  t.  i,  p.  94,  sinon  que,  visiblement,  la  dis- 
tinction entre  le  Saint-Esprit  et  le  Fils  de  Dieu  découle 
de  l'incarnation;  le  Fils  de  Dieu  avant  l'incarnation  et 
le  Saint-Esprit  ne  font  qu'un.  »  Et  Bardenhewer  ajoute  : 
«  C'en  est  donc  fait  de  la  Trinité,  dans  la  pensée  d'Her- 
mas, tant  que  Jésus  n'a  pas  achevé  l'œuvre  de  la 
rédemption;  la  Trinité  ne  se  constitue  que  lorsque 
l'humanité  du  Sauveur  s'élève  au  rang  du  Père  et  du 
Saint-Esprit.  » 

Il  est  question  plusieurs  fois,  Vis.,  v,  2;  Mand.,  v,  1, 
7;  Sim,  v,  4,  4;  vu,  1,  5;  vin,  1,  1,  p.  384,  402,  456, 
474,  476,  478,  d'un  ange  qui  est  au-dessus  des  six 
anges  supérieurs  qui  forment  le  conseil  de  Dieu;  et  cet 
ange  est  tour  à  tour  qualifié  de  très  vénérable,  de  saint, 
de  glorieux,  as^vôra-o;,  ây10?»  ËvBoÇoç,  dans  lequel  la  plu- 
part des  interprètes  ont  vu  le  Christ.  Mais  Hermas  finit 
par  le  nommer,  et  il  l'appelle  Michel.  Sim.,  vin,  3,  3, 
p.  484.  Serait-ce  qu'il  identifie  le  Fils  de  Dieu  avec 
l'archange  saint  Michel?  La  réponse  semblerait  devoir 
être  affirmative  à  raison  de  multiples  ressemblances  que 
le  Pasteur  relève  entre  l'un  et  l'autre  dans  leurs  fonc- 
tions. L'un  et  l'autre,  en  effet,  sont  investis  de  la  toute- 
puissance  sur  le  peuple  de  Dieu,  Sim.,  v,  6,  4;  vin,  3,  3, 
p.  462,  484;  l'un  et  l'autre  prononcent  sur  le  sort  des 
fidèles,  Sim.,  vm,  3,  3;  ix,  5,  2-7;  6,  3-6;  10,  4,  p.  484, 
508,  510;  l'un  et  l'autre  remettent  les  pécheurs  à 
l'ange  de  la  pénitence  pour  les  amender.  Sim.,  vm,  2,  5; 
4,  3;  ix,  7,  1-2,  p.  480,  484,  510,  512.  Mais  cette  ana- 
logie de  situations  et  de  missions  n'a  point  paru  suffi- 
sante à  Zahn,  Der  Hirt  des  Herm  is,  Gotha,  1868,  p.  263- 
278,  et  à  Bardenhewer,  Les  Pères  de  l'Église,  trad. 
franc.,  Paris,  1898,  t.  i,  p.  95,  pour  en  induire  l'identité 
des  personnes,  d'autant  plus  que  des  différences  de 
dénominations  et  d'attributs  sont  caractéristiques. 
C'est  ainsi  que  saint  Michel  est  toujours  qualifié  d'ange 
et  que  le  Fils  de  Dieu  ne  porte  jamais  ce  nom;  si  saint 
Michel  a  pouvoir  sur  le  peuple,  le  Fils  de  Dieu  n'est  pas 
seulement  le  maître  du  peuple,  Sim.,  v   6,  4,  p.  462, 


2281 


HERMAS 


2282 


il  est  encore  le  maître  de  la  tour,  son  propriétaire,  son 
possesseur;  il  en  dispose  souverainement:  ajOÉvTTjç, 
8e<tj:ot7]ç,  Sim.,  ix,  5,  2,  6,  7;  ix,  7,  1,  p.  508,  510;  et 
tandis  que  saint  Michel  grave  simplement  la  loi  dans 
le  cœur  des  fidèles,  «  cette  loi  est  le  Fils  de  Dieu,  tel 
qu'il  a  été  prêché  jusqu'aux  extrémités  du  monde.  » 
Sim.,  vin,  3,  3,  p.  484.  Cf.  Heurtier,  Le  dogme  de  la 
Trinité  dans  VÉ  pitre  de  S.  Clément  de  Rome  et  le  Pasteur 
d'Hermas,  Lyon,  1900. 

2°  Les  anges.  —  Hermas,  sans  parler  de  la  nature  des 
anges,  fait  allusion  surtout  à  leur  nombre  considérable 
et  à  leurs  diverses  fonctions.  Il  distingue,  comme  nous 
l'avons  déjà  ol  serve,  les  anges  supérieurs  des  anges 
inférieurs;  ceux-ci  sont  chargés  de  la  vigne  ou  des 
membres  de  l'Église,  Sim.,  v,  5,  3,  p.  460;  ils  travaillent 
à  la  construction  de  la  tour  mystique,  sous  la  direction 
des  six  anges  glorieux.  Sim.,  ix,  6,  2,  p.  510.  Les  anges 
glorieux  font  partie  du  conseil  de  Dieu  et  assistent  à 
la  délibération  qui  doit  donner  au  serviteur  l'héritage 
divin  et  à  son  corps  la  récompense  céleste.  Sim.,  v,  6, 
4-7,  p.  462.  Diverses  sont  les  fonctions  des  anges  :  il 
y  a  l'ange  de  la  pénitence,  qui  joue  un  si  grand  rôle 
dans  le  Pasteur;  il  y  a  l'ange  Thégri,  ©eypt,  préposé 
à  la  garde  des  bêtes  sauvages,  Vis.,  iv,  2,  4,  p.  382; 
il  y  a  surtout  saint  Michel,  dont  nous  avons  vu  le  rôle 
prépondérant.  Chaque  homme  a  son  ange  gardien, 
ôcyyeXo;  Sixa'.oaôvTjç,  dont  il  doit  suivre  les  inspirations  et 
les  conseils  pour  pratiquer  la  justice  et  se  préserver 
du  ma1.  Mand.,  vi,  2,  1-3,  p.  406.  Mais  il  a  aussi  un 
autre  ange,  ayyEXo;  ^ovripîaç,  ibid.,  qui  n'est  autre  que  le 
diable,  dont  il  doit  se  méfier,  car  celui-ci  est  l'inspira- 
teur et  l'instigateur  du  péché;  toutes  ses  œuvres  sont 
mauvaises.  Mand.,  vi,  2, 10,  p.  408.  Il  est  donc  à  redou- 
ter, car  il  pourrait  empêcher  l'accomplissement  des 
préceptes  et  faire  ainsi  manquer  le  salut.  Mais  il  ne 
peut  rien  sur  les  serviteurs  de  Dieu,  car  il  est  dominé 
par  l'ange  de  la  pénitence  :  Èyto  yàp  eao;j.at  |j.e6'  ûpuov, 
ô  àyysXoç  xfjç  [xETavoia;,  ô  xataxuptEuwv  aùxou,  Mand., 
xii,  4,  7,  p.  436;  il  les  tente,  mais  ceux  qui  sont  pleins 
de  foi  lui  résistent  avec  succès,  et  il  s'éloigne,  faute  de 
trouver  place  en  eux,  pour  entrer  dans  les  hommes 
vains,  dont  il  fait  ses  esclaves.  Mand.,  xn,  5,  4,  p.  436. 

3°  L'Église.  —  Hermas  donne  peu  de  renseigne- 
ments sur  l'organisation  de  l'Église.  Il  fait  allusion  à 
l'épiscopat  quand  il  dit  de  Clément  qui  enverra  son 
livre  aux  villes  du  dehors  selon  le  devoir  de  sa  charge  : 
èxEtvw  yàp  £7riTsipa7iTai.  Vis.,  n,  4,  3,  p.  350.  Il  parle 
des  presbytres  qui  président  l'Église.  Ibid.  Parmi  les 
pierres  qui  s'adaptent  parfaitement  à  la  tour,  il  signale 
celles  qui  figurent  les  apôtres,  les  évêques,  les  didas- 
cales  et  les  diacres.  Vis.,  ni,  5, 1,  p.  360.  Il  recommande 
aux  xporjyoujjLÉvoiç  et  aux  7ipcoTOxaG£8piToa<;,  d'éviter  toute 
dissension,  d'observer  la  discipline  pour  poinoir  faire 
avec  fruit  la  leç-m  aux  autres,  Vis.,  m,  9,  7-10,  p.  370  ; 
car  ils  étaient  peut-être  du  nombre  de  ces  fidèles  ambi- 
tieux qui  luttaient  pour  la  première  place  et  les  hon- 
neurs. Sim.,  vin,  7,  4,  p.  492.  A  une  époque  où  le 
charisme  de  prophétie  avait  ses  contrefaçons,  il  met  en 
garde  les  fidèles  contre  les  faux  prophètes  qui  n'étaient 
que  des  exploiteurs  de  la  crédulité  publique,  Mand , 
xi,  1-4,  p.  424,  tandis  que  le  prophète  selon  Dieu  se 
fait  reconnaître  à  la  probité  de  sa  vie,  à  son  humilité, 
à  son  ascétisme,  à  sa  discrétion,  ne  parlant  pas  en  secret, 
ne  répondant  pas  à  quiconque  l'interroge,  mais  s'expri- 
mant  en  public,  dans  l'assemblée,  sous  l'inspiration  de 
l'esprit  prophétique.  Mand.,  xi,  7-10,  p.  426.  Hermas 
fait  enfin  allusion  au  rôle  des  diaconesses,  quand  il 
nomme  Grapta,  chargée  du  soin  des  veuves  et  des  or- 
phelins. Vis.,  ii,  4,  3,  p.  350. 

Ce  qui  retient  surtout  l'attention  d'Hermas,  c'est 
l'Église  considérée  comme  une  société  de  saints  parfai- 
tement une.  Par  deux  fois  il  la  compare  à  une  tour  dont 
la  construction  ne  forme  qu'un  monolithe.  Une  pre- 


mière fois,  Vis.,  m,  cette  tour  est  représentée  comme 
bâtie  sur  les  eaux,  par  une  allusion  transparente  au 
baptême;  et  cette  tour  figure  l'Église,  qui  ne  comprend 
que  des  saints,  les  uns  déjà  sortis  de  ce  monde,  les 
autres  vivant  encore  sur  la  terre.  Il  n'y  a  pour  s'adap- 
ter parfaitement  à  elle  que  les  matériaux  appropriés, 
tels  que  les  pierres  cubiques  et  blanches,  c'est-à-dir.  les 
apôtres,  les  évêques,  les  didascales  et  les  diacres, 
qui  ont  marché  dans  la  sainteté  et  ont  bien  rempli 
leur  ministère,  les  martyrs  et  les  justes.  Quant  aux 
autres  pierres,  les  unes  gisent  au  pied  de  la  tour,  les 
autres  sont  brisées  et  rejetées  au  loin,  en  attendant 
qu'une  préparation  convenable  les  mette  à  même  d'être 
utilisées.  Une  seconde  fois,  Sim.,  ix,  la  tour  est  bâtie 
sur  un  immense  roc,  dans  lequel  est  pratiquée  une 
porte;  allusion  au  Christ  qui  est  la  pierre  et  la  porte 
de  l'Église.  Mais  cette  fois  les  pierres  qui  entrent  dans 
la  construction  à  titre  provisoire  représentent  toutes 
sortes  de  baptisés,  les  pécheurs  aussi  bien  que  les 
justes;  car,  avant  d'être  achevé,  l'édifice  doit  subir 
l'inspection  du  maître  qui,  éprouvant  les  pierres  em- 
ployées, écartera  celles  qui  ne  sont  pas  de  bon  aloi  pour 
les  livrer  à  l'ange  de  la  pénitence.  Et  celui-ci,  selon 
qu'elles  seront  devenues  aptes  ou  non  à  la  construction, 
reste  chargé  de  les  utiliser  ou  de  les  rejeter  définitive- 
ment. De  telle  sorte  qu'à  la  fin  l'Église  ne  comprend 
plus  que  des  saints  et  forme  un  corps,  pareil  à  un  mono- 
lithe brillant,  dont  les  membres  n'ont  qu'une  pensée, 
qu'un  sentiment,  qu'une  foi,  qu'une  charité.  Cf.  P.  Ba- 
tifTol,  L'Église  naissante,  2e  édit.,  Paris,  1909,  p.  222- 
224. 

4"  Le  baptême  et  la  vie  chrétienne.  —  Nature,  néces- 
sité, effets  du  baptême,  obligations  qu'il  impose.""au- 
tant  de  points  signalés  par  Hermas.  C'est  au  baptême 
par  immersion  qu'il  est  fait  allusion  :  «  On  descend 
mort  dans  l'eau  (baptismale),  et  on  en  remonte  vi- 
vant. »  Sim.,  ix,  16.  4,  p.  532.  Ce  sacrement  assure  la 
rémission  de  tous  les  péchés  antérieurs.  Mand.,  iv, 
3,  1,  p.  39!i.  11  imprime  un  sceau  tellement  nécessaire 
pour  faire  partie  de  l'Église  que  les  justes  de  l'Ancien 
Testament  n'ont  pu  prendre  place  dans  la  construction 
de  la  tour  et  en  former  les  trois  premières  assises 
qu'après  l'avoir  reçu.  Et  comme  c'était  la  seule  chose 
qui  manquait  à  leur  justice,  c'est  aux  apôtres  qu'ils 
ont  été  redevables  d'en  connaître  l'existence  et  la  néces- 
sité comme  aussi  d'en  recevoir  l'impression.  Sim., 
ix,  16,  3-7,  p.  532.  Cette  opinion  singulière  d'une  mis- 
sion posthume  des  apôtres  auprès  des  justes  de  l'An- 
cien Testament  en  vue  de  leur  prêcher  et  de  leur  confé- 
rer le  baptême,  a  bien  été  partagée  par  Clément 
d'Alexandrie,  Strom.,  n,  9;  vi,  6,  P.  G.,  t.  vui,  col. 
980;  ix,  col.  268-269,  mais  elle  est  restée  sans  autre 
écho  parmi  les  Pères.  Voir  t.  n,  col.  212.  Or,  »  celui  qui 
a  reçu  le  pardon  de  ses  péchés  (dans  le  baptême)  ne 
doit  plus  pécher,  mais  persister  dans  la  pureté  (baptis- 
male), »  Èv  àyvst'a  xaTo.xeiv.  Mand.,  iv,  3,  2,  p.  398. 
Il  est  pleinement  justifié,  et  cette  justification  confère 
une  sainteté  positive,  faisant  de  l'âme  la  demeure 
même  du  Saint-Esprit.  «  Conservez  votre  chair  pure 
et  sans  tache,  afin  que  l'Esprit,  qui  réside  en  elle,  lui 
rende  témoignage  et  que  votre  chair  soit  justifiée. 
Gardez-vous  de  laisser  monter  dans  votre  cœur  la 
pensée  que  votre  chair  est  périssable  et  d'en  abuser 
par  vos  souillures  (comme  faisaient  certains  gnostiques), 
car,  en  souillant  votre  chair,  vous  souillez  aussi  le 
Saint-Esprit,  et  si  vous  outragez  le  Saint-Esprit,  vous 
ne  vivrez  pas.  »  Sim.,  v,  7,  1-2,  p.  464.  Tel  était  le 
magnifique  idéal  proposé  au  baptisé. 

La  foi,  cela  va  sans  dire,  et  aussi  la  crainte  de  Dieu 
sont  recommandées  au  chrétien  par  le  Pasleur,  mais 
tout  particulièrement  la  continence.  «  Quiconque 
l'observe  (cette  continence)  sera  heureux  dans  cette 
vie,  et  aura  la  vie  éternelle  pour  héritage.  »  Vis.,  ni,  8 


JJS.i 


HERMAS 


2284 


4,  p.  308.  Il  ne  faudrait  pas  croire  que  ce  soi!,  là  un 
éclm  île  la  doctrine  outrée  des  encratites.  Car  être  conti- 
nent, aux  yeux  du  Pasteur,  c'est  s'abstenir  de  tout 
mal  et  faire  le  bien:  et  les  maux  dont  il  faut  s'abstenir 
sont  l'adultère  et  la  fornication,  l'ivrognerie,  l'orgueil, 
le  mensonge,  le  blasphème,  l'hypocrisie,  le  vol,  le  dol, 
le  faux  témoignage,  l'avarice,  la  concupiscence  mau- 
vaise et  tout  ce  qui  lui  ressemble.  Mani.,  vin,  2  6, 
p.  412.  Être  continent,  c'est  aussi  pratiquer  la  foi,  la 
crainte  de  Dieu,  la  charité,  la  concorde,  la  justice,  la 
vérité,  la  patience,  et  c'est  secourir  les  veuves,  les 
orphelins  et  les  pauvres,  exercer  l'hospitalité.  Mand., 
vm,  9-10,  p.  412.  Tout  autant  de  devoirs  qui  incombent 
a  la  vie  ordinaire  du  chrétien,  où  il  n'est  nullement 
question  de  l'ascétisme  cncratite,  mais  qui  montrent 
bien  qu'à  la  foi  on  doit  joindre  les  œuvres.  Nous  avons 
déjà  dit  comment  le  Pasteur  entendait  le  jeûne. 

Dans  l'état  de  justification,  tel  qu'il  est  constitué 
par  le  baptême,  l'homme  peut  acquérir  des  mérites, 
observer  les  commandements,  suivre  même  les  conseils 
e  pratiquer  des  vertus  héroïques  dignes  d'une  récom- 
pense spéciale.  Ceci  n'est  autre  que  l'affirmation  du 
dogme  catholique  relatif  aux  œuvres  surérogatoires. 
Pour  avoir  procédé  à  l'arrachement  des  mauvaises 
herbes,  opération  qui  ne  lui  avait  pas  été  pres-cite, 
le  serviteur  a  été  adopté  comme  cohéritier  du  Fils  de 
Dieu.  «  Observez  les  commandements  du  Seigneur,  et 
vous  plairez  à  Dieu,  et  vous  serez  inscrit  au  nombre  de 
ceux  qui  observent  ses  commandements.  Mais  si  vous 
faites  quelque  bien  qui  dépasse  les  commandements  de 
Dieu,  vous  vous  acquerrez  à  vous-même  une  gloire 
suréminente  et  vous  jouirez  auprès  de  Dieu  d'un  crédit 
plus  grand  que  vous  ne  pouvez  l'espérer.  »  Sim.,  v,  3, 
1-3,  p.  454. 

11  est  vrai  que  l'observation  des  commandements 
p irait  très  difficile  à  Hermas.  Mand.,  xn,  3,  4,  p.  432. 
Elle  n'est  pourtant  pas  impossible,  observe  le  Pasteur  ; 
il  suTit  de  se  persuader  qu'elle  est  possible  pour  en 
rendre  l'accomplissement  aisé.  Mand.,  xn,  3,  4-5, 
p.  432.  En  tout  cas  elle  est  obligatoire,  car  «  si  tu  ne  les 
observes  pas,  dit  le  Pasteur  à  Hermas,  Mand.,  xn, 
3,  6,  p.  432,  il  n'y  aura  de  salut  ni  pour  toi,  ni  pour  tes 
enfants,  ni  pour  ta  maison,  »  c'est-à-dire  pour  per- 
sonne Mais  il  y  a  le  diable,  remarque  Hermas,  Mand., 
xn,  5,  1;  et  le  Pasteur  de  répondre:  On  n'a  qu'à  Lri 
résister,  car  s'il  peut  lutter,  il  ne  peut  vaincre;  l'ange 
di  la  pénitence  est  là  pour  soutenir  les  efforts  du 
chrétien  tenté. 

5°  La  pénitence  et  le  silvt.  —  Comment  conserver 
Intact  le  sceau  baptismal,  pratiquer  la  chasteté  de  la 
vérité,  àyvûTY);  T7J;  àXr|9e!a;,  et  atteindre  cet  idéal  de 
perfection,  quand  la  fragilité  humaine  est  si  grande? 
Il  faut  tenir  compte  d'une  chute  toujours  possible, 
trop  souvent  réelle.  Le  chrétien  qui  succombe  doit-il 
désespérer  de  son  salut?  Ici  deux  solutions  se  présen- 
taient, radicalement  opposées  l'une  à  l'autre;  celle  des 
giostiques  relâchés  et  celle  des  rigoristes  outrés.  Les 
premiers  tenaient  pour  indifférente  toute  faute  com- 
mise après  le  baptême;  mais  c'était  là  «une  doctrine 
étrangère,  un  enseignement  d'hypocrites,  »  de  nature  à 
pervertir  les  serviteurs  de  Dieu,  surtout  les  pécheurs, 
e  î  ne  leur  laissant  pas  faire  pénitence  et  en  les  rassurant 
par  des  propos  insensés.  Sim.,  vm,  6,  5,  p.  490.  Par 
réaction  contrs  ce  cynique  relâchement,  d'autres 
p  -cchaient  un  rigorisme  outré  et  cherchaient  à  imposer 
nu  ascétisme  complet.  Comme  on  peut  le  voir  dans  les 
Aota  Thomœ,  Bonnet,  Aela  Thomse,  Leipzig,  1883, 
p.  11-13,  55-73,  et  dans  d'autres  pièces  apocryphes, 
Lds  que  les  Actus  Pétri  cum  Simone,  Lipsius,  Acta 
i'rtri,  Lelozig,  1891,  p.  85-87,  228-234,  et  VÉvangilc 
selon  les  Égyptiens,  Nestlé,  Novi  Teslamenli  supple- 
m"ntum,  Leipzig,  1896,  p.  72,  l'idéal  d'une  pureté 
intégrale,  d'une  continence  absolue,  devait  être  la  règle 


à  suivre.  L'auteur  de  la  77°  démentis,  7,  8,  9,  13,  15, 
Funk,  Opéra  Patrum  apnst.,  Tubingue,  1881,  t.  i, 
p.  152,  154,  158,  160,  162,  préconise  cet  ascétisme.  La 
solution  d'Hcrmas  est  plus  humaine;  elle  est  opposée 
à  ceux  qui  soutenaient  déjà,  comme  devaient  le  faire 
les  montanistes,  l'impossibilité  pour  le  chrétien  failli 
de  reconquérir  l'innocence  baptismale  et  d'obtenir 
après  le  baptême  le  pardon  de  ses  péchés. 

•  Dieu  est  plein  de  longanimité,  et  il  veut  que  l'appel 
adressé  par  son  Fils  ne  soit  pas  frustré.  »  Sim.,  vin, 
11,  1,  p.  496.  *  11  connaît  l'infirmité  de  l'homme  et 
l'astuce  du  diable,  et  il  a  pitié  de  sa  créature.  »  Mand., 
iv,  3,  4-5,  p.  398.  Lui  seul  assure  la  guérison  du  pécheur. 
Mand.,  iv,  1,  11,  p.  396.  Comment?  Par  la  ixsrâvo'.a. 
A  la  volonté  divine  de  sauver  les  baptisés,  à  la  miséri- 
corde de  Dieu  prête  à  pardonner  et  à  guérir,  doit  cor- 
respondre de  la  part  du  coupable  un  acte,  ou  mieux 
une  conduite  morale  qui  accepte  ce  moyen  et  s'y 
soumette.  Or,  il  ne  s'agit  ici  ni  du  sacrement  de  péni- 
tence, dont  Hermas  ne  parle  pas,  ni  du  processus 
canoniquement  institué  pour  la  réconciliation  officielle 
des  pécheurs,  tel  qu'il  ne  tarda  pas  à  fonctionner,  mais 
d'un  exercice  de  la  vertu  de  pénitence,  comportant 
beaucoup  plus  que  ce  que  signifie  le  mot  latin  de  pseii- 
tentia,  à  savoir,  un  changement  de  l'âme,  une  réforme 
intérieure,  un  renouvellement  moral,  une  transforma- 
tion des  idées,  des  sentiments  et  des  mœurs,  en  un  mot. 
une  vraie  conversion,  car  telle  est  la  force  du  mot  grec 
asiavota.  Et  cela  comprend,  avec  le  regret  du  passé  et 
le  ferme  propos  pour  l'avenir,  c'est-à-dire  avec  la 
contrition,  l'expiation  pénible  du  péché,  c'est-à-dire 
la  satisfaction.  «La  [Astàvoia  est  une  grande  prudence; 
car  celui  qui  l'accomplit  comprend  qu'il  a  péché,  se 
repent  de  son  acte,  ne  fait  plus  le  mal,  s'appliq  le  à  faire 
le  bien,  humilie  et  tourmente  son  âme  parce  qu'il  a 
péché.  »  Mand.,  iv,  2,  2,  p.  396. 

Cette  [Actavoia  s'applique  à  tous  les  péchés  sans 
distinction,  même  à  ceux  qui,  pour  un  temps  assez 
court,  vont  être  regardés  comme  des  cas  réservés, 
l'apostasie,  l'adultère  et  l'homicide.  Hermas  ne  parle 
pas,  il  est  vrai,  de  l'homicide,  mais  il  signale  les  adul- 
tères et  les  blasphémateurs.  L'épouse  adultère,  dit-il, 
Mand.,  iv,  1,  7,  p.  394,  doit  être  reçue  par  son  époux, 
si  elle  a  fait  pénitence  de  son  péché.  Quant  aux  apo- 
stats, ceux  là  peuvent  bénéficier  de  la  (juxâvota  qui  ont 
renié  de  bouche  et  non  de  cœur.  Sim.,  ix,  26,  5, 
p.  546 

Mais  cette  [Asxàvota,  si  elle  s'étend  à  tous  les  péchés, 
ne  convient  pas  indistinctement  à  tous  les  pécheurs  : 
elle  ne  sert  qu'aux  chrétiens  anciens,  et  non  à  ceux  qui 
viennent  d'être  baptisés  ou  le  seront  dans  la  suite. 
Ceux-ci  ont  bien  la  rémission  de  leurs  péchés  (par  le 
baptême),  mais  ils  n'ont  pas  la  ijEtâvoia.  Mand.,  iv,  3,  3, 
p.  398.  Cette  restriction  arbitraire  accuse  bien  le 
rigorisme  de  l'époque,  mais  elle  n'est  pas  seule,  car  il 
est  spéciflé  que  celui  qui  a  profité  de  la  [-uixvo'.a  ne  peut 
y  recourir  qu'une  seule  fois  :  [J.c'av  |j.stâvotav  ïyu.Mand., 
iv,  3,  6,  p.  398.  Si  donc  il  retombe  dans  le  péché,  il 
n'y  a  pas  à  compter  sur  le  secours  efficace  d'une  seconde 
Luravoia,  et  il  vivra  difficilement  :  àaufi<popo'v  èœt'.  t» 
ocvOpaSjcu  xi»  TotoÛTii),  SuaxoX'o;  yàp  Z-rpt-tzi.  Ibid.  C'est 
ainsi  que,  pendant  quelque  temps,  l'Église  introduira 
dans  le  régime  pénitentiel  une  restriction  de  ce  genre 
en  n'accordant  qu'une  seule  fois  au  chrétien  pécheur 
le  bienfait  de  la  pénitence  canonique. 

Ces  deux  points  établis,  le  Pasteur  énumère  par  trois 
fois  les  pécheurs  qui  peuvent  recourir  efficacement  à  la 
|j.Etâvoia.  Une  première  fois,  au  sujet  de  la  tour  bâtie 
sur  les  eaux.  Il  n'y  a  ici  de  définitivement  rejetés 
de  la  construction,  c'est-à  dire  de  l'Église,  et  privés  de 
salut,  que  les  fils  d'iniquité  :  ils  ont  exaspéré  le  Sei- 
gneur. Vis.,  n:,  6, 1,  p.  362.  Parmi  les  pierres  non  encore 
utilisées,  les  unes  gisent  près  de  la  tour,  les  autres  sont 


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HERMAS 


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brisées  et  rejetées  au  loin.  Les  premières  ne  sont  que 
momentanément  délaissées  parce  qu'elles  sont  encore 
impropres  à  la  construction.  Il  en  est  de  noires  :  ce 
sont  ceux  qui  ont  connu  la  vérité,  mais  n'y  ont  point 
persévéré.  Il  en  est  de  fendues  :  ce  sont  ceux  qui  n'ont 
pas  gardé  la  paix  vis-à-vis  les  uns  des  autres.  Il  en  est 
d'ébrêchées  :  ce  sont  ceux  qui  ne  possèdent  pas  la  justice 
intégrale.  Il  en  est  de  rondes  et  blanches:  ce  sont  les 
croyants  asservis  à  la  fortune,  qui,  au  moment  de 
l'épreuve,  ont  renié  le  Seigneur  en  vue  de  conserver 
leurs  richesses;  et  tel  fut  le  cas  d'Hermas.  Mais  toutes 
ces  pierres  pourront,  après  une  appropriation  néces- 
saire, faire  partie  de  la  tour  :  les  pécheurs  qu'elles 
figurent  pourront,  après  avoir  fait  pénitence,  prendre 
rang  dans  cette  société  de  saints  qu'est  l'Église.  Parmi 
les  pierres  brisées  et  rejetées  au  loin,  les  unes  roulent 
hors  du  chemin  :  ce  sont  ceux  qui  ont  eu  la  foi, mais  qui, 
par  le  doute,  ont  perdu  la  voie.  D'autres  sont  tombées 
dans  le  feu  :  ce  sont  ceux  qui  se  sont  éloignés  de  Dieu 
sans  songer  encore  à  se  repentir.  D'autres  enfin  sont 
tombées  près  de  l'eau,  mais  sans  pouvoir  y  entrer  : 
ce  sont  ceux  qui  ont  entendu  la  parole  (de  vérité) 
et  ont  voulu  recevoir  le  baptême,  mais  n'ont  pas  osé 
le  demander  afin  de  pouvoir  se  livrer  à  leurs  mauvais 
désirs.  Les  pécheurs  de  cette  triple  catégorie  pourront 
ils  recourir  à  la  (j.ê-:âvoia  et  prendre  place  dans  la  tour  ? 
A  cette  question  précise  d'Hermas  le  Pasteur  répond  : 
«  Ils  ont  la  [isxâvota,  mais  ils  ne  peuvent  point  prendre 
place  dans  cette  tour;  ils  seront  dans  un  lieu  bien  infé- 
rieur, mais  après  avoir  été  châtiés.  Ils  seront  transférés 
pour  avoir  eu  part  à  la  parole  du  juste.  Et  il  leur  arri- 
vera d'être  transférés  de  leurs  tourments,  s'ils  ont  au 
coeur  le  repentir  de  leurs  iniquités,  sinon  ils  ne  seront 
pas  sauvés  à  cause  de  la  dureté  de  leur  cœur.  »  Vis., 
in,  7,  5-6,  p.  366.  Autrement  dit,  ces  pécheurs  n'ont 
pas  encore  la  justice  requise  pour  faire  partie  de  la 
société  des  saints,  mais  ils  sont  en  voie  de  purification 
par  la  pénitence,  et  ils  restent  assurés  de  leur  salut. 

Une  seconde  fois,  dans  la  Similitude  du  saule,  tous 
les  chrétiens  reçoivent  une  branche  de  saule  qu'ils 
devront  représenter;  l'état  de  cette  branche  servira  à 
distinguer  ceux  qui  ont  mérité  le  salut.  Or,  sur  treize 
catégories  de  chrétiens,  trois  représentent  les  justes  et 
dix  les  pécheurs.  Ceux-ci  sont  livrés  à  l'ange  de  la 
pénitence;  mais  tous  ne  font  pas  également  pénitence 
d'une  manière  utile  à  leur  salut.  Dieu  a  prévu  ceux 
qui  en  profiteraient  et  .ceux  qui  feraient  semblant  d'y 
recourir.  Sim.,  vin,  6,  2,  p.  488.  Or  une  seule  de  ces 
dix  catégories  de  pécheurs  est  rejetée,  celle  des 
apostats  et  des  traîtres  :  ceux-là  sont  morts  défini- 
tivement à  Dieu.  Pourquoi  ?  Parce  que,  parmi  eux, 
•  aucun  ne  s'est  repenti,  bien  qu'ils  aient  entendu  ce 
que  je  t'ai  prescrit  de  leur  prêcher  (relativement  à  la 
[/.ETavotoc),  dit  le  Pasteur  à  Hermas;  la  vie  n'est  plus 
en  eux.  »  Sim.,  vin,  6, 4,  p.  490.  Toutes  les  autres  seront 
sauvées:  »  Tous  ceux  qui  se  seront  soumis  à  la  astavoia 
de  tout  leur  cœur  et  se  seront  purifiés  de  leurs  iniquités 
sans  en  ajouter  de  nouvelles,  auront  le  remède  de  leurs 
péchés  et  vivront  à  Dieu;  et  tous  ceux  qui  ajouteront 
à  leurs  péchés  et  marcheront  selon  les  désirs  du  siècle 
se  condamneront  à  la  mort,  »  Oavâtti)  éauioùç 
KaTaxp'voùCTiv.  Sim.,  vin,  11,  3,  p.  498. 

Une  dernière  fois  enfin,  au  sujet  de  la  tour  bâtie 
sur  le  roc,  il  y  a  d'abord  les  quatre  premières  assises 
définitivement  scellées  qui  représentent  les  patriarches, 
les  prophètes  et  les  justes  de  l'Ancien  Testament  ainsi 
que  les  apôtres  et  les  prédicateurs  de  l'Évangile.  Il  y  a 
ensuite  des  pierres  de  toute  sorte,  dont  quelques-unes 
sont  écartées  et  d'autres  provisoirement  employées 
jusqu'à  l'inspection  du  maître  de  la  tour,  qui  ne  retien- 
dra que  les  bonnes  et  confiera  les  autres  à  l'ange  de  la 
pénitence.  La  tour  reste  inachevée  pour  permettre 
aux  pécheurs  de  se  préparer  par  la  fistâvoia  à  leur  réin- 


tégration dans  l'édifice.  Les  pierres  sont  extraites  de 
douze  montagnes,  qui  représentent  le  monde  entier. 
Comme  plus  haut,  une  seule  catégorie,  celle  des  apostats, 
des  blasphémateurs  et  de  ceux  qui  ont  livré  les  servi- 
teurs de  Dieu,  est  irrémédiablement  condamnée  : 
ce  sont  des  endurcis  :  toj-o:;  8s  (j.;xâvoia  oux  ïaxi, 
ôâvaxo;  8s  est-.  Sim.,  ix,  19,  1,  p.  53G.  Cinq  autres, 
celle  de  ceux  qui  ont  conservé  la  simplicité,  l'inno- 
cence et  la  paix,  celle  des  apôtres  et  des  didascales 
qui  ont  prêché  comme  il  convenait  la  parole  de  Dieu, 
celle  des  évêques  et  des  hospitaliers,  celle  des  martyrs, 
et  celle  de  ceux  qui  ont  gardé  la  simplicité  des  enfants, 
sont  assurées  de  faire  partie  de  cette  tour.  Pour  les 
six  qui  restent,  la  jj-Etâvoia  est  la  condition  imposée. 
Plein  de  confiance,  Hermas  s'écrie  :  Spero  quia  omnes, 
qui  antea  peccaverunl,  libenler  acluri  sunt  psenilenliam, 
vilam  récupérantes.  Et  le  Pasteur  de  répondre  :  Qui- 
cumque  mandata  efficiunt,  habebunl  vitam...  Quicumque 
!  vero  mandata  non  servant,  fugiunt  a  sua  vita,  morti 
j  se  tradunl,  et  unusquisque  eorum  reus  fil  sanguinis  sui. 
Sim.,  x,  2,  3-4,  p.  560. 

Somme  toute,  parmi  les  anciens  baptisés,  tout  pé- 
cheur peut  obtenir  le  pardon  et  la  guérison  de  ses 
péchés,  à  la  condition  de  recourir  sérieusement  à  la 
u-stivoix. 

Cette  |j.ETocvoia  comporte,  chez  le  pécheur,  le  repentir 
sincère  du  péché,  le  ferme  propos  pour  l'avenir,  et 
une  purification  laborieuse.  Dieu  donne  alors  la  guéri- 
son,  IW.ç.  Mais  de  la  part  de  Dieu,  cette  (xsravoia  consti- 
tue une  grâce;  et  le  bon  usage  qu'en  fait  le  pécheur  en 
est  une  autre.  Dieu,  en  effet,  accorde  la  ;j.£Tïvoia  à  ceux 
qu'il  voit  disposés  à  purifier  leur  âme  et  à  le  servir  de 
tout  leur  cœur,  tandis  qu'il  la  refuse  à  ceux  dont  il 
prévoit  la  duplicité,  la  malice,  l'hypocrisie.  Sim.,  vm, 
6.  2,  p.  488.  C'est  pour  avoir  reçu  l'Esprit  de  Dieu 
que  les  uns  en  profitent,  et  c'est  par  leur  faute  que  les 
autres  la  rendent  inutile.  Le  Pasteur  dit  à  Hermas  : 
«  Tu  vois  combien  ont  fait  pénitence  et  ont  été  sauvés  ; 
c'est  afin  que  tu  comprennes  combien  grande  et  digne 
d'être  glorifiée  est  la  miséricorde  du  Seigneur,  lui  qui 
a  rempli  de  son  esprit  ceux  qui  ont  été  dignes  de  la 
ij.iTûévo'.a.  »  Sim.,  vm,  6,  1,  p.  488.  Mais  le  Seigneur  ne 
se  contente  pas  de  leur  donner  cet  esprit,  il  les  assiste 
encore  dans  l'accomplissement  de  leur  acte,  Sim., 
v,  3,  4,  p.  454;  il  écoute  favorablement  leur  prière. 
Sim.,  v,  4,  4,  p.  456. 

Voilà  déjà  en  germe  les  éléments  satisfactoires  du 
régime  pénitentiel  futur.  L'Église  doit  être  une  société 
de  saints.  Elle  croit  possible  la  conservation  intacte 
de  la  pureté  baptismale,  mais  elle  sait  aussi  combien  est 
grande  la  fragilité  humaine.  Au  pécheur,  elle  offre  après 
le  baptême  un  moyen  de  salut.  Et  de  même  qu'elle 
règle  l'initiation  et  administre  le  baptême,  elle  entend 
régler  l'administration  de  la  pénitence  et  intervenir  à 
la  fin  de  l'épreuve  satisfactoire  par  un  acte  juridique 
pour  réconcilier  officiellement  le  pécheur  converti. 
Mais  dans  ce  développement  de  la  discipline  péniten- 
tielle,  les  distinctions  arbitraires  du  Pasteur  disparaî- 
tront, et  son  rigorisme  fera  place  de  plus  en  plus  à  un 
régime  de  bénignité  et  d'indulgence.  Cf.  Rauschen, 
L'eucharistie  et  la  pénitence  durant  les  six  premiers 
siècles,  trad.  franc.,  Paris,  1910,  p.  139  sq.;  A.  Lelong, 
Le  Pasteur  d'Hermas,  p.  iv-vn,  lx-lxxv;  A.  d'Alès, 
L'édil  de  Callisle,  Paris,  1914,  p.  52-113. 

6°  Le  mariage.  —  Relativement  au  mariage  chré- 
tien, l'indissolubilité  du  lien  conjugal,  même  dans  le 
cas  d'adultère,  est  nettement  affirmée,  et  la  question  des 
secondes  noces  résolue  dans  un  sens  nullement  prohi- 
bitif. Voici,  en  effet,  les  cas  de  conscience  proposés  par 
Hermas  et  résolus  par  le  Pasteur.  —  1.  L'époux  pèche- 
t-il  s'il  vit  avec  sa  femme  coupable  d'adultère  ?  Non, 
s'il  ignore  sa  faute;  oui,  s'il  vient  à  la  connaître,  car 
alors  il  se  rendrait   complici  de  son  péché.  —  2.  Que 


2287 


HERMAS —  HERMÈS 


2288 


doit-il  faire  dans  le  cas  où  sa  femme  persévère  dans 
le  péché?  Il  doit  la  quitter  et  rester  seul,  car  s'il 
contractait  alors  un  nouveau  mariage,  il  commettrait 
lui-même  un  adultère.  Mand.,  iv,  1,  4-6,  p.  392-391. — 
3.  Si  l'épouse  adultère,  après  avoir  été  renvoyée,  a 
fait  pénitence,  non  pas  souvent  mais  une  fois,  [j.r\  èjcî 
tzoXxi  8é"toTç  yàp  BoûXotç  xoCÎ  0so3  [Aexâvoia  àaxiv  uaa, 
l'époux  doit  la  reprendre,  sans  quoi  il  commettrait 
une  fautecgrave.  Mand.,  iv,  1,  7-8,p.  394.  — 4.  Mêmes 
solutions  pour  la  femme,  quand  c'est  l'époux  qui 
tombe  dans  l'adultère.  Ibid. —  5.  Si  l'un  des  deux 
époux  vient  à  mourir,  le  survivant  pèche-t-il  en  se 
remariant?  Non,  mais  il  acquerrait  plus  d'honneur 
et  de  gloire  auprès  de  Dieu,  en  restant  dans  le  veu- 
vage. Mand.,  iv,  4,  1-2,  p.  378-400. 

7°  Les  subintroductœ.  —  Dans  la  Similitude  ix,  10, 
6,  p.  518,  Hermas  reçoit  du  Pasteur  l'ordre  de  rester 
près  de  la  tour  pour  attendre  l'arrivée  du  maître;  il 
est  confié  à  la  garde  des  vierges.  Mais,  la  nuit  appro- 
chant, il  voudrait  se  retirer;  et  les  vierges  de  lui  dire  : 
U.E0  r^û'j  -/.O'.u.Ylôrjarj  &;  àBsXço;,  xal  oùy^  toç  àvrjp. 
Sim.,  ix,  11,  3,  p.  520.  Elles  affirment  qu'elles  l'ai- 
ment, et  l'une  d'elles  l'embrasse.  Est-ce  une  allusion 
à  la  coutume  des  femmes  vivant  avec  les  clercs  sous 
le  nom  de  sorores,  subintroductœ,  àoE^cpai,  àya^Ta!, 
auvsiaazToi  ?  Hefele  l'a  cru,  Opéra  Patrum  apost., 
4e  éclit .,  Tubingue,  1855,  p.  xcvi;  mais  ni  Gaâb,  Der 
Hirt  des  Hermas,  Bàle,  1866,  p.  56-59,  ni  Zahn,  Der 
Hirt  des  Hermas,  Gotha,  1868,  p.  179-181,  ne  sont  de 
cet  avis.  Harnack  trouve  suspect  l'emploi  de  ces 
termes  xoiu,T)0TÎa7),  àya7rôiij.£v ,  -/.aTaç'.ÀEtv,  sans  regarder 
comme  vraisemblable  l'introduction  de  cette  coutume 
avant  le  me  siècle.  Funk,  à  son  tour,  Opéra  Patrum 
apost.,  p.  518-519,  rote,  sans  nier  que  le  Pasteur  y 
fasse  allusion,  estime  que  l'usage  des  subintroductœ 
s'est  introduit  au  ne  siècle,  et  il  appuie  son  opinion  sur 
le  langage  tenu  par  Tertullien,  De  jcjuniis,  17;  De 
virginibus  velandis,  14,  et  par  saint  Cyprien,  De 
habita  virginum,  19;  Epist.,  iv,  2.  Il  se  peut  fort  bien, 
quoiqu'on  n'en  puisse  pas  donner  une  preuve  positive, 
que  le  langage  du  Pasteur  ait  favorisé  cette  coutume, 
qui  ne  devait  pas  tarder  à  montrer  ce  qu'elle  renfermai! 
de  choquant  et  de  dangereux  pour  les  mœurs  et  à 
provoquer,  dès  la  fin  du  me  siècle  et  au  commence- 
ment du  ive,  son  interdiction  catégorique.  Cf.  concile 
d'Ancyre,  c.  19;  concile  de  Nicée,  c.  3,  dans  Lauchert, 
Die  Kanones  der  wichtigsten  altchr.  Concilien,  Leipzig, 
1896,  p.  34,  38.  Pour  le  concile  d'Elvire.  c.  27.  voir 
t.  iv,  col.  2388. 

I,  Éditions.  —  Lefèvre  d'Étaplcs,  Liber  Irium  virorum 
et  irium  spiriiualiiim  virginum,  Paris,  1513;  Cotelier,  Paires 
œvi  apostolici,  Paris,  1672;  Leclerc,  Paires  œvi  apostolici, 
Anvers,  1698;  Galland,  Bibliolheca  veterum  Patrum,  Venise, 
1765-1767;  Migne,  P.  G.,  t.  n;  Hefele,  Opéra  Patrum  apost., 
4e  édlt.,  Tubingue,  1855;  Tischendorf,  Hermœ  Pastor  grœce, 
Leipzig,  1856;  Anger  et  Dindort,  Hermœ  Pastor  grœce, 
Leipzig,  1856;  Dressel,  Patrum  apost.  opéra,  Leipzig,  1857; 
Hilgenfeld  a  publié  la  version  latine  dite  Vulgate,  Hermœ 
Pastor,  Leipzig,  1873;  2e  édit.  à  part,  et  le  texte  grec  dans 
Novum  a  Testamentum  extra  canonem  receptum,  Leipzig, 
1866;  Hermœ  Pastor  grœce,  Leipzig,  1881;  3"  édit.,  1887; 
Hollenberg,  Pastor  Hermœ,  Berlin,  1868;  Gebhardt, 
Harnack  et  Zahn,  Patrum  apost.  opéra,  Leipzig,  1877; 
2'  édit.,  1894;  Funk,  Opéra  Patrum  apost.,  Tubingue,  1881; 
2«  édit.,  1901  ;  A.  Lelong,  Le  Pasteur  d' Hermas,  Paris,  1912 
(texte  grec,  trad.  française  et  introd.);  Ant.  d'Abbadie  a 
publié  une  traduction  latine  de  la  version  éthiopienne 
d'Hermas,  Hermœ  Pastor,  dans  les  A bhandlungen  fur  die 
Kunde   des    Morgenlandes,   1860,  t.    u. 

H.  Travaux.  —  Outre  les  prolégomènes  et  les  notes  qui 
accompagnent  la  plupart  des  éditions,  on  peut  consulter  : 
Weinrich,  Disquisitio  in  doctrinam  moralem  ab  Ilerma  in 
Pastore  propositam,  1804;  Jachmann,  Der  Hirt  des  Hermas, 
Kœnigsberg,  1835;  Gaâb,  Der  Hirt  des  Hermas,  Bâle,  1866; 
Zahn.    Der  Hirt  des  Hermas,  Gotha,   1868;   Freppel,   Les 


Pères  apostoliques,  Paris,  1859;  4e  édit.,  1885,  p.  257-322; 
Lipsius,  Der  Hirt  des  Hermas  und  Montanismus  in  Rom, 
dans  Zeitschri/t  fur  wissenschaftliche  Théologie,  1865, 
t.  vin,  p.  266-308;  1866,  t.  IX,  p.  27-81  ;  Heyne,  Quo  tempore 
Hermœ  Pastor  scriptus  sit,  Kœnigsberg,  1872;  Donaldson, 
The  apostolical  Fathers,  2»  édit.,  Londres,  1874,  p.  351-382; 
Behm,  Ueber  der  Verfasser  des  Schri/t  welche  den  Tiiel 
«  Hirt  »  fuhrt,  Bostock,  1876;  Ledrain,  Deux  apocryphes  du 
II"  siècle,  avec  une  étude  sur  la  date  du  Pasteur  d'Hermas, 
Paris,  1871;  Nirschl,  Der  Hirt  des  Hermas,  Passau,  1879; 
E.  Benan,  L'Église  chrétienne,  3e  édit.,  Paris,  1879,  p.  401- 
425;  M.  du  Colombien,  Le  Pasteur  d'Hermas,  Paris,  188(1; 
Brull,  Der  Hirt  des  Hermas,  Fribourg-en-Brisgau,  1882; 
Duchesne,  Les  origines  chrétiennes,  édit.  lith.,  Paris,  1886; 
Link,  Cliristi  Person  und  Werk  im  Hirlen  des  Hermas, 
Marbourg,  1886;  Die  Einheit  des  Pastor  Hermas,  Marbourg, 
1888;  A.  Bibagnac,  La  christologie  du  Pasteur  d'Hermas, 
Paris,  1887  ;  Huckstaedt,  Der  Lehresbegriff  des  Hirlen, 
Anklam,  1888;  Baumgartner,  Die  Einheit  des  Hermas 
Buchs,  Fribourg-en-Brisgau,  1889;  Taylor,  The  wiiness  o) 
Hermas  to  the  four  Gospels,  Londres,  1892;  Spitta,  Studicn 
zum  Hirlen  des  Hermas,  Goettingue,  1896;  Fessier,  Instilu- 
liones  palrologiœ,  édit.  Jungmann,  Inspruck,  1890,  t.  i, 
p.  178  sq.;  Bardenhewer,  Les  Pères  de  l'Église,  trad.  franc., 
Paris,  1898,  t.  i,  p.  84-98;  Geschichte  der  altkirchlichen 
Litleralur,  Fribourg-en-Brisgau,  1902,  t.  i,  p.  557-578; 
J.  Bénazech,  Le  prophétisme  chrétien  depuis  les  origines 
jusqu'au  Pasteur  d'Hermas,  Cahors,  1901  ;  P.  Batiffol,  Les 
origines  de  la  pénitence,  Hermas  et  le  problème  moral  au 
ll«  siècle,  Paris,  1902  (ou  Revue  biblique,  1901,  t.  x,  p.  327- 
351);  Wenel,dans  Hennecke,Neii/es(amen(Zic/ie.Apocr{/p/ien, 
1904,  p.  277-279;  Kirchenlexikon,  t.  v,  col.  1839-1844; 
Dictionarg  of  Christian  biography,t.  Il, col.  912-921;  Bichard- 
son,  Bibliographical  synopsis,  Buffalo,  1887,  p.  30-36; 
Realencyclopâdie  fur  prolestantische  Théologie  und  Kirche, 
t.  vu,  p.  714-718;  The  catholik  eneyelopedia,  New  York, 
t.  vu,  p.  268-271;  Chevalier,  Répertoire.  Bio-bibliographie, 
t.  i,  col.  2132;  D.  Volter,  Die  Vi'sionen  des  Hermas,  etc., 
Berlin,  1900;  B.  Heurtier,  Le  dogme  de  la  Trinité  dans 
l'Épître  de  saint  Clément  de  Rome  et  le  Pasteur  d'Hermas, 
Lyon,  1900;  J.  Béville,  La  valeur  du  témoignage  historique 
du  Pasteur  d'Hermas,  Paris,  1900;  Mgr  Duchesne,  Histoire 
ancienne  de  l'Église,  Paris,  1906,  t.  i,  p.  225-235;  K.  Lake, 
The  Shepherd  of  Hermas  and  Christian  life  in  Rome  in  the 
second  century,  dans  Hariuard  Iheological  review,  1911,  t.  iv, 
p.  25-46  ;  K.  O.  Macmillan,  The  Shepherd  of  Hermas,  apoca- 
lypse or  allegory  ?  dans  The  Princeton  Iheological  review, 
1911,  t.  ix,  p.  61-94;  G.  Bardy,  Le  Pasteur  d'Hermas  et  les 
livres  hérétiques,  dans  la  iïeuiie  biblique,  1911,  p.  391-407; 
Baumeister,  Die  Elhik  des  Pastor  Hermœ,  Fribourg-en- 
Brisgau,  1912;  A.  d'Alès,  L'édit  de  Calliste.  Étude  sur  les 
origines  de  la  pénite  nce  chrét.  Paris,  1914,  p.  52-113  ;  A  propos 
du  Pasteur  d'Hermas,  dans  les  Études,  1912,  t.  cxxxn, 
p.  79-94;  C.  H.  Turner,  The  'Shepherd  of  Hermas  and  the 
problem  of  ist  texl,  dans  Journal  of  théol.  studies,  1920, 
t.  xxi,  p.  193-209. 

G.  Bareille. 

HERMES I.  Biographie.  II.  Doctrine.  III.  Con- 
damnation. 

I.  Biographie.  —  Le  philosophe  et  théologien 
Georges  Hermès  naquit  en  "Westphalie  à  Dreyerwalde 
sur  le  Rhin,  le  22  avril  1775.  Après  de  premières  études 
à  Rheine  au  collège  des  franciscains  (1787-1792\  il 
fit  sa  philosophie  et  ses  humanités  au  gymnase  de 
Munster  (1792-1794).  Les  doctrines  de  Kant  et  de 
Fichte  passionnaient  alors  les  esprits.  Hermès  céda  à 
l'engouement  général  et  sa  foi  subit  une  crise  très 
grave.  Les  cours  de  théologie  qu'il  suivit  à  l'Académie 
de  Munster  de  1794  à  1798,  loin  d'arrêter  ses  doutes, 
ne  firent  que  les  accroître.  Cependant  il  ne  s'abandonna 
point  tout  à  fait  à  l'incrédulité.  Content  d'un  attache- 
ment provisoire  à  la  foi  de  l'Église,  il  résolut  d'étudier 
à  fond  la  religion  catholique  afin  de  se  démontrer 
qu'elle  répond  à  toutes  les  exigences  de  la  raison.  Il 
fut  ordonné  prêtre  en  1799.  Avant  cette  date  et  pour 
donner  suite  à  son  projet,  il  accepta  la  charge  de  pro- 
fesseur au  collège  de  Munster.  Là  il  mena  de  front 
l'étude  de  la  théologie  et  de  la  philosophie,  il  lut  assi- 
dûment les  écrits  de  Kant  et  de  Fichte  et  il  réussit 
à  se  convaincre  de  l'inanité  de  leurs  objections  et  de 


2289 


HERMES 


2290 


la  vérité  intérieure  du  christianisme.  Mais  s'il  parvint 
à  se  débarrasser  de  ses  doutes,  il  resta  tributaire  de 
l'esprit  et  de  la  méthode  de  ces  philosophes.  Non 
seulement  il  n'accepta  jamais  qu'on  déclamât  contre 
eux  dans  des  articles  de  revue,  mais  il  céda  plus  tard 
à  la  tentation  de  faire  suivre  à  ses  disciples  la  route  qui 
l'avait  acheminé  lui-même  à  une  foi  sereine.  La  mé- 
thode du  doute  qu'il  devait  préconiser  si  téméraire- 
ment date  sans  doute  de  cette  époque.  Il  consigna  le 
fruit  de  ses  lectures  et  réflexions  dans  une  brochure 
qu'il  publia  à  Munster  en  1805  et  qui  fut  très  remar- 
quée :  Unlcrsuclumg  ùber  die  innere  Wahrheit  des 
Chrislenlhums.  Elle  lui  fit  même  obtenir  en  1807  une 
chaire  de  théologie  dogmatique  à  l'université  de 
Munster.  Ses  leçons  professées  en  langue  allemande, 
le  don  qu'il  avait  d'intéresser,  une  personnalité  impo- 
sante, mais  surtout  son  attention  à  éveiller  le  doute  et 
à  accorder  un  rôle  prépondérant  à  la  raison  en  tout 
genre  de  recherches,  comme  aussi  son  dévouement 
aux  intérêts  de  l'université,  lui  valurent  l'attachement 
passionné  de  ses  élèves  et  le  premier  rang  dans  le  corps 
professoral.  Tant  de  considération  et  de  succès  n'empê- 
chèrent pas  des  hommes  clairvoyants,  tels  que  les  frères 
de  Droste-Vischering,  de  souligner  le  danger  de  son  en- 
seignement et  notamment  son  esprit  de  défiance  vis-à- 
vis  de  la  tradition  ecclésiastique.  Hermès  ne  recueillait 
donc  pas  que  des  éloges,  il  fut  plus  d'une  fois  contredit. 
Plusieurs  rapports  sur  des  questions  d'études  que 
le  ministère  prussien  lui  avait  demandés,  mais  surtout 
la  publication  à  Munster,  en  1819,  de  l'Einleitung 
in  die  christkatholische  Théologie.  I  Theil,  philosophische 
Einleitung,  2e  édit.,  1831,  ouvrage  auquel  Hermès 
attachait  une  valeur  exceptionnelle  et  que  l'université 
de  Breslau  récompensa  par  le  doctorat  en  théologie 
décerné  à  l'auteur,  avaient  puissamment  accrédité 
le  professeur  de  Munster.  11  y  ajouta  :  Sludirplan  der 
Théologie,  Munster,  1819.  Cédant  aux  offres  réitérées 
du  gouvernement  royal,  Hermès  accepta,  en  1820,  une 
chaire  de  théologie  à  l'université  de  Bonn,  récemment 
créée  pour  la  province  rhénane  et  la  Westphalie. 
Sa  leçon  d'ouverture  sur  les  rapports  de  la  théologie 
catholique  avec  la  philosophie  eut  un  grand  reten- 
tissement. L'enthousiasme  soulevé  par  le  professeur 
fut  tel  qu'on  s'aperçut  à  peine  des  vues  erronées  du 
discours.  L'enseignement  de  Hermès  à  Bonn  eut  tout 
de  suite  beaucoup  de  vogue.  Les  étudiants  des  diverses 
facultés  en  grand  nombre  fréquentèrent  assidûment 
ses  cours.  Également,  les  anciens  élèves  de  Hermès 
à  Munster  avaient  témoigné  l'intention  de  le  suivre  à 
Bonn.  Ce  fut  l'occasion  d'un  incident  entre  le  vicaire 
général  de  Droste-Vischering  et  le  gouvernement 
royal.  A  la  défense  que  le  vicaire  général  avait  faite 
aux  étudiants  en  théologie  du  diocèse  de  Munster  de 
fréquenter  les  cours  d'une  université  sans  sa  per- 
mission expresse,  le  ministère  prussien  répondit  en 
prononçant  la  fermeture  de  la  faculté  de  théologie  de 
cette  ville,  mesure  qui  fut  maintenue  jusqu'après  la 
démission  de  Droste-Vischering.  Cependant  la  haute 
situation  du  professeur  Hermès  à  Bonn  ne  fut  pas 
longtemps  sans  nuage.  Sa  popularité  même  auprès  des 
étudiants  lui  créa  des  relations  très  tendues  avec  son 
collègue  Leber.  Un  instant,  en  1821,  Hermès  eut  la 
pensée  de  passer  à  l'université  de  Fribourg-en-Brisgau; 
et  en  1825,  il  offrit  même  au  ministère  royal  sa  démis- 
sion avec  demande  d'être  replacé  à  Munster.  11  ne  se 
décida  à  rester  à  Bonn  que  sur  une  intervention  du 
gouvernement,  et  quand  Leber,  désavoué  par  la 
faculté,  eut  abandonné  son  poste.  Après  le  départ  de 
Leber,  l'influence  de  Hermès  à  l'université  de  Bonn  fut 
absolument  prépondérante.  Pour  accroître  son  pres- 
tige, le  nouvel  archevêque  de  Cologne,  Mgr  Spiegel,  le 
nomma,  sans  qu'il  eût  à  quitter  sa  charge  de  professeur, 
chanoine  de  sa  cathédrale,  membre  de  son  conseil  et 


examinateur  synodal.  En  1829  Hermès  fit  paraître 
la  11°  partie,  Positive  Einleitung,  de  son  Introduction 
à  la  théologie  chrétienne-catholique,  2»  édit.,  1831.  Dans 
la  préface  de  l'ouvrage,  il  exprimait  l'espoir  de 
terminer  sa  Dogmatique  et  il  formait  le  projet  d'écrire 
une  histoire  des  dogmes.  Déjà,  pendant  un  an,  sur  les 
instances  du  ministère,  il  avait  traité  cette  matière 
dans  ses  cours.  Mais,  soit  goût  personnel,  soit  appré- 
hension de  la  tâche  dont  il  avait  peut-être  une  idée  peu 
juste,  et  qu'il  estimait  en  conséquence  difficile  pour  un 
catholique,  il  était  revenu  bientôt  à  ses  travaux  favoris 
sur  la  philosophie,  l'introduction  à  la  théologie  et  sur 
la  dogmatique.  La  mort  en  tout  cas  l'empêcha  de 
tenir  ses  promesses.  Accablé  par  ses  travaux  de  jour 
et  de  nuit,  il  mourut,  le  26  mai  1831,  après  une  pieuse 
réception  des  sacrements,  et  il  fut  inhumé  à  Bonn. 
Une  pierre  tombale  avec  cette  simple  inscription  : 
Georges  Hermès,  marque  le  lieu  de  son  repos. 

Les  œuvres  de  Hermès  comprennent,  outre  les 
écrits  déjà  mentionnés  et  qui  virent  le  jour  du  vivant 
de  leur  auteur,  un  ouvrage  posthume,  Christkatholische 
Dogmatik,  3  vol.,  Munster,  1834-1836,  publié  par  les 
soins  de  J.  H.  Achterfeld. 

II.  Doctrine.  —  Complaisance  manifeste  pour  la 
philosophie  kantienne,  qu'il  prétend  combattre,  mais 
sans  en  renier  la  méthode  ni  l'esprit,  oubli  volontaire  ou 
même  ignorance  de  la  tradition  et  de  l'enseignement  de 
l'Église  dans  la  façon  dont  il  expose  et  défend  les 
dogmes,  mépris  des  apologistes  anciens  et  modernes 
et  de  toute  autorité  théologique,  voilà  ce  qui  caracté- 
rise, en  somme,  le  système  de  Georges  Hermès.  Ce 
théologien  se  proposait  très  sérieusement  de  consolider 
les  fondements  de  la  religion  chrétienne-catholique. 
Poursuivie  dans  cet  esprit  particulier,  l'intention  très 
louable  de  Hermès  ne  pouvait  que  l'égarer,  mettre  en 
péril  la  foi  divine  même.  En  fait,  il  a  erré  très  étrange- 
ment et  sur  beaucoup  de  points;  par  la  tactique  et  les 
armes  dont  il  a  fait  choix  pour  défendre  et  faire  accep- 
ter la  vérité  révélée,  il  a  montré  clairement  qu'il  con- 
naissait mal  la  règle  de  notre  foi  et  jusqu'à  sa  nature. 

1°  Méthode.  —  La  méthode  hermésienne  est  celle  du 
doute.  Veut-on  se  démontrer  la  vérité  soit  extérieure, 
soit  intérieure  de  la  religion,  il  faut  commencer  par 
en  douter,  en  douter  jusqu'à  réponse  satisfaisante  de 
la  raison  sur  tous  les  points.  Différent  du  doute  carté- 
sien, celui  que  préconise  Hermès  s'étend  bien  au  delà 
et  il  n'est  pas  sitôt  abandonné.  Il  ressemble  encore 
moins  au  procédé  du  croyant  qui,  conservant  une  foi 
entière,  feint  de  ne  pas  savoir  et  tend  à  établir  par  le 
raisonnement  ce  qu'il  croit  avec  une  absolue  certitude. 
Le  doute  de  Hermès  est  positif,  universel,  constant  et 
il  s'impose  à  tous.  Ainsi  il  embrasse  et  très  sérieusement 
les  vérités  psychologiques,  métaphysiques,  morales  et 
religieuses,  toutes  les  vérités,  sans  en  excepter  aucune, 
même  la  vérité  évidente,  soit  de  fait,  soit  de  raison  : 
principe  de  contradiction,  existence  et  réalité  objective 
de  notre  moi,  données  immédiates  de  la  conscience, 
il  n'est  rien  à  quoi  il  ne  s'étende.  Et  c'est  à  travers  un 
doute  persistant,  rencontré  à  tous  les  détours  du 
chemin,  que  la  démonstration  de  l'apologiste  ou  du 
théologien  doit  progresser.  Ce  doute  retient  leur 
attention,  il  les  empêche  de  rien  nier,  de  rien  affirmer 
jusqu'à  ce  qu'une  nécessité  absolue  de  raison  les  con- 
traigne de  tenir  et  d'admettre  quelque  chose  pour 
vrai.  Non  seulement  l'infidèle  avant  de  croire,  mais 
le  croyant,  né  et  élevé  dans  la  vraie  foi,  doit  s'astreindre 
à  la  discipline  du  doute,  condition  indispensable  d'une 
croyance  prudente  et  raisonnée.  Hermès  exige  même 
de  ses  disciples  que,  dépouillant  toute  conviction,  toute 
préférence  pour  un  système  théologique  ou  religieux 
quelconque,  quand  ce  serait  le  catholicisme,  ils  se 
tiennent,  jusqu'à  possession  certaine  de  la  vérité,  dans 
une  indifférence   parfaite.    «   Nous   devons  être  prêt 


2291 


HERMES 


2292 


à  suivre  l'oracle  de  la  raison,  qu'elle  soit  en  contradic- 
tion ou  non  avec  les  données  théologiques  ou  reli- 
gieuses enseignées  jusqu'ici;  autrement  nous  péche- 
rions contre  notre  raison.  »  Introduction  positive, 
.Munster,  1S29,  p.  303.  Bref,  un  catholique  a  le  droit 
et  le  devoir  de  mettre  sa  foi  en  doute  ;  il  ne  peut  sans 
cela  raisonner  sa  croyance.  Si  méthode,  Hermès 
l'expose  au  long  dans  la  préface  à  l'Introduction 
philosophique  ;  il  en  fait  une  obligation  rigoureuse  à  ses 
disciples  dans  la  méthodologie  qui  précède  son  Intro- 
duction positive;  loin  qu'il  la  rétracte  dans  les  pages  par 
où  débute  sa  Dogmatique  spéciale,  il  en  étend  l'applica- 
tion à  l'étude  de  chaque  dogme  en  particulier.  Voir 
t.    vi,  col.  280-284. 

Peut-on  sortir  du  doute  et  parvenir  à  une  vraie 
certitude  ?  Cette  question,  Hermès  la  pose  comme  il 
suit  :  Y  a-t-il  pour  l'homme  une  détermination  sur  la 
vérité  qui  soit  sûre  ?  Quelles  voies  la  font  connaître  ? 
Peut-on  oui  ou  non  en  appliquer  une  à  la  démonstra- 
tion du  christianisme  ?  Introduction  philosophique, 
p.  83.  La  certitude  procède,  suivant  lui,  et  de  la  raison 
spéculative  et  de  la  raison  pratique  comme  d'une 
double  source  Moins  radical  donc  que  Kant  et  Fichte, 
il  ne  demande  pas  à  la  raison  pratique  seule  de  fonder 
et  de  garantir  toute  certitude;  bien  peu  large  cepen- 
dant est  la  part  en  ceci  qu'il  laisse  à  la  raison  pure. 
Au  reste,  comme  ces  philosophes,  il  entend  par  raison 
théorique  et  par  raison  pratique  non  deux  fonctions 
d'une  même  faculté,  mais  deux  facultés  absolues.  La 
raison  spéculative  tient  ce  qu'elle  affirme  pour  vrai 
et  réel  quand  elle  y  est  contrainte  par  une  nécessité 
insurmontable,  ne  pouvant  tenir  le  contraire;  autre- 
ment la  certitude  pour  elle  est  dans  cette  nécessité 
qu'elle  voit,  qu'elle  reconnaît  subir  par  une  sorte  de 
violence  physique.  Cependant  d'où  vient  que  l'assen- 
timent de  la  raison  pure  soit  nécessaire  ?  Serait-ce  un 
effet  de  la  perception  ou  de  l'évidence  de  la  vérité,  de 
la  réalité  objective  des  choses  ?  Hermès  le  nie  formelle- 
ment. Il  semble  bien  que  dans  le  tenir  pour  vrai  la  raison 
théorique  cède  à  une  impulsion  aveugle,  subjective, 
que  son  assentiment  prétendu  certain  se  résout  en 
une  foi  ou  croyance  à  la  vérité  et  réalité  de  son  objet. 
Hermès  avoue  par  ailleurs  que  la  conviction  nécessaire 
ou  le  tenir  pour  vrai  pourrait  bien  être  en  soi  un  pur 
phénomène,  une  illusion;  il  faut  pourtant  s'en  con- 
tenter; car,  et  il  ne  trouve  à  la  difficulté  d'autre  réponse, 
«  soit  que  ce  que  je  dois  tenir  pour  vrai  soit  vrai  ou 
faux  en  soi,  dit-il,  si  je  découvre  que  je  dois  le  tenir 
pour  vrai  et  que  je  ne  puis  pas  autrement,  alors  cela 
est  et  demeure  vrai  pour  moi.  »  Introduction  philoso- 
phique, p.  147.  Et  ce  genre  de  certitude  auquel  atteint 
la  raison  spéculative  n'a  lieu  que  pour  les  vérités  méta- 
physiquement  nécessaires.  Il  appartient  à  la  raison 
pratique  de  nous  rendre  certains  des  autres,  notam- 
ment des  faits  historiques  et  des  lois  de  la  morale.  Elle 
est  dite  alors  les  admettre  pour  vrais.  L'admettre  pour 
vrai  de  la  raison  pratique  consiste  en  un  acquiesce- 
ment libre  ou  consentement  volontaire  à  la  vérité  et 
à  la  réalité  des  choses.  Il  se  produit,  non  plus  comme 
le  tenir  pour  vrai  de  la  raison  pure,  par  une  nécessité 
inéluctable,  mais  en  vertu  d'une  obligation  morale  ou 
de  l'impératif  catégorique  kantien.  Conserve  en 
toi  et  dans  les  autres  la  dignité  humaine  :  tel  est  le 
suprême  impératif  catégorique,  le  but  auquel  toutes 
les  fins  pratiques  ou  morales  sont  ordonnées,  la  source 
d'où  provient  leur  force  obligatoire;  tel  est  aussi  le 
premier  critère  de  certitude  pour  la  raison  pratique. 
La  raison  pratique  est  donc  la  faculté  qui  admet  la 
vérité  en  même  temps  que  le  caractère  obligatoire  des 
choses  conformes  à  la  dignité  humaine.  Soit  un  devoir 
quelconque  envers  Dieu,  envers  soi  ou  envers  les 
autres,  auquel  l'homme  ne  peut  satisfaire  s'il  n'admet 
pour  vrai  et  réel  tel  ou  tel  objet  de  connaissance,  bien 


qu'en  lui  la  raison  pure  persiste  à  en  douter,  la  raison 
pratique  aura  et  gardera  la  persuasion  que  la  chose  est 
vraie  et  réelle.  Prenons  un  des  exemples  invoqués  par 
Hermès,  le  moins  étrange.  Nous  avons  le  devoir,  pour 
atteindre  notre  fin  morale,  faute  de  science  personnelle, 
de  recourir  à  l'expérience  des  autres,  notamment  à 
l'expérience  des  siècles  passés.  Or  comment  user  de 
ce  moyen  nécessaire  si  nous  n'admettons  pour  vraie 
la  connaissance  des  temps  antérieurs,  autrement  des 
faits  historiques.  Voilà  fondée  et  garantie  par  la  raison 
pratique  une  des  principales  certitudes,  celle  de 
l'histoire. 

Hermès  ne  prend  pas  la  peine  de  dissimuler  le 
conflit  toujours  possible  entre-  la  raison  pure  et  la 
raison  morale,  celle-ci  commandant  une  persuasion 
alors  que  celle-là  autorise  à  douter.  Qu'il  le  veuille  ou 
non,  c'est  une  cloison  étanche  qu'il  dresse  entre  la 
conviction  et  la  pratique.  L'impératif  catégorique 
n'oblige  directement  qu'à  vouloir  et  à  faire.  Qu'arri- 
verait-il  donc  si  le  doute  théorique  concernait  la 
licéité  de  l'action  ou  même  la  vérité  de  la  foi  ?  Il 
semble  qu'il  suffise,  conformément  aux  principes 
hermésiens,  de  vouloir  et  d'agir  comme  si  on  tenait  la 
foi  chrétienne  pour  certaine  pendant  que  la  raison 
pure  persiste  à  en  douter.  Au  reste,  est-il  aisé  toujours, 
en  beaucoup  de  cas  n'est-il  pas  impossible  d'établir  au 
regard  de  la  raison  pratique  que  tel  sujet  de  connais- 
sance ou  telle  persuasion  de  la  vérité  est  dans  un 
rapport  nécessaire  avec  la  dignité  humaine,  demeure 
l'unique  moyen  de  la  sauvegarder?  Quel  lien  rigou- 
reux y  a-t-il,  en  particulier,  entre  la  réalité  d'un  événe- 
ment de  l'histoire  et  la  fin  morale  d'un  individu 
déterminé  ?  Mais,  et  en  ceci  tout  particulièrement  se 
trahit  l'étroite  affinité  du  système  hermésien  et  de  la 
doctrine  kantienne,  la  raison  pratique  n'est  une  règle 
suprême  de  certitude  que  parce  qu'elle  est  autonome 
et  législatrice.  Tel  est  le  postulat  faux  que  plus  d'une 
fois  nous  aurons  l'occasion  de  mettre  en  relief  dans  les 
élucubrations  théologiques  de  Hermès.  Donc,  suivant 
lui,  la  raison  pratique  ne  relève  que  d'elle-même;  son 
impératif  catégorique,  elle  l'énonce  en  son  propre  nom. 
Il  n'est  pas  nécessaire  d'établir  au  préalable  que  Dieu 
est  le  fondement  et  la  source  de  toute  obligation  ni 
même  qu'il  existe,  la  raison  pratique  étant  à  elle-même 
sa  loi,  le  point  d'attache  de  tout  lien  moral.  Voir 
t.  vi,  col.  234-236.  Hermès  cherchait  le  mo  en 
d'asseoir  une  démonstration  véritable  du  christia- 
nisme :  il  crut  le  trouver  dans  la  raison  pratique.  Voici 
les  traits  principaux  d'une  apologétique  qu'il  fait 
reposer  tout  entière  sur  sa  théorie  de  la  certitude 
morale. 

2°  Apologétique.  —  L'apologétique  a  pour  objet 
d'établir  la  vérité  historique  et  le  caractère  obligatoire 
de  la  révélation  divine.  Ces  deux  points,  Hermès 
professe  ne  vouloir  pas  les  prouver  comme  toute  la 
tradition  catholique  avant  lui.  Il  estime  que  la  raison 
pure  ne  donne  pas  du  fait  de  la  révélation  une  certi- 
tude véritable,  mais  une  simple  probabilité,  si  grande 
qu'on  la  suppose.  Probables  seulement  sont  au  regard 
de  la  raison  spéculative  tous  les  miracles  et  les  pro- 
phéties qui  autorisent  la  mission  et  la  doctrine  de 
Jésus-Christ,  l'institution  par  lui  de  l'Église;  probables 
de  même  toutes  les  preuves  qui  garantissent  la  véracité 
du  Maître  ainsi  que  la  véracité  des  disciples,  voire 
même  l'axistence  du  Christ;  rien  que  probable  non 
plus  l'historicité  des  Livres  saints  qui  en  témoignent. 
Ce  sont  là  autant  de  faits  contre  lesquels  on  ne  se 
défendra  jamais  d'un  doute  théorique,  à  propos 
desquels  on  se  demandera  toujours  ou  s'ils  furent 
surnaturels  ou  même  s'ils  ont  existé.  Le  remède  à  ce 
doule  est  dans  la  raison  pratique  et  le  devoir  qu'elle 
impose  d'accepter  comme  vraies  et  réelles  les  croyances 
chrétiennes,  nonobstant  les  répugnances  de  la  raison 


2293 


HERMÈS 


2294 


pure.  Hermès  croit  flonc  pouvoir  passer  du  caractère 
obligatoire  de  la  religion  révélée  à  sa  vérité  objective. 
Si  l'on  demande  comment  il  se  fait  que  nous  soyons 
tenus  d'admettre  la  révélation,  il  distingue  entre  le 
cas  du  philosophe  et  celui  des  ignorants  et  des  simples. 
L'obligation  pour  les  ignorants  et  les  simples  se  confond 
avec  le  devoir  même  d'embrasser  la  vérité.  Ils  n'y 
peuvent  parvenir  d'eux-mêmes  et  par  leur  raison 
propre,  mais  seulement  par  le  moyen  d'une  révélation; 
partant,  cette  révélation,  ils  sont  moralement  con- 
traints de  la  recevoir  et  de  l'admettre  pour  vraie. 
Quant  au  philosophe,  la  révélation  ne  lui  est  pas  néces- 
saire comme  aux  autres;  il  ne  trouvera  donc  pas  en 
soi  le  motif  de  pressant  besoin  qui  la  lui  garantirait 
comme  certaine;  c'est  en  dehors  de  lui,  dans  le  devoir 
imposé  aux  ignorants  qu'il  apprendra  à  la  reconnaître 
objectivement  vraie.  Nous  acceptons  que  la  révéla- 
tion s'impose  à  notre  assentiment,  qu'elle  nous  oblige, 
à  la  condition  toutefois  qu'elle  soit  vraie.  Hermès  la 
déclare  vraie  parce  qu'obligatoire,  sa  logique  procède 
au  rebours  de  la  nôtre.  Mais  il  se  flatte  en  vain  d'aboutir 
par  le  moyen  de  la  raison  pratique  à  une  démonstra- 
tion certaine  de  la  religion  révélée.  A  vrai  dire,  il 
n'échappe  à  l'écucil  du  scepticisme  et  au  naufrage  des 
croyances  chrétiennes  où  l'entraînent  les  sophismes 
de  la  raison  pure  que  par  un  expédient  illusoire,  un 
misérable  biais  :  celui  d'un  acquiescement  pratique  à 
des  vérités  dont  il  renonce,  en  somme,  a  faire  la  preuve, 
mais  qu'il  s'effraie  de  voir  disparaître.  Invoquer, 
comme  il  le  fait,  en  faveur  de  notre  foi  et  comme  l'argu- 
ment de  fond  auquel  tous  les  motifs  de  crédibilité 
emprunteraient  leur  force,  l'ignorance  et  le  besoin  de 
croire  du  grand  nombre,  c'est  tomber  dans  une 
grossière  erreur.  L'édifice  entier  du  christianisme  a 
mieux  où  s'étayer  que  cette  base  étroite  et  de  fortune. 
L'apologétique  hermésienne  est  non  moins  étrange 
que  fausse.  On  s'en  aperçoit  mieux  quand  on  examine 
au  lieu  des  grandes  lignes  les  détails  de  sa  contexture. 
Rien  n'est  capital,  selon  l'apologétique  traditionnelle, 
comme  la  preuve  par  les  miracles.  A  la  suite  du  Maître, 
les  apôtres,  les  Pères  de  l'Église  et  tous  les  apologistes 
s'y  sont  référés  comme  à  un  argument  certain  de  la 
vérité  du  christianisme.  Veut-on  savoir  comment 
Hermès  s'y  prend  pour  établir  que  le  miracle  de  la 
résurrection  de  Lazare,  par  exemple,  n'est  pas  dou- 
teux ?  Il  observe  avec  la  science  incrédule  qu'on  ne 
peut  connaître  toutes  les  forces  secrètes  de  la  nature, 
partant  qu'en  présence  d'un  événement  qui  sort  des 
lois  ordinaires,  il  ne  sera  jamais  possible  de  prononcer 
avec  certitude  s'il  relève  de  la  nature  ou  d'une  cause 
surnaturelle.  Devant  cette  difficulté  qu'il  estime 
insurmontable  la  raison  pure  ne  peut  que  douter.  Mais, 
que  s'en  suivrait-il  si  on  ne  pouvait,  en  aucun  cas, 
dûment  constater  le  miracle  d'une  résurrection,  autre- 
ment une  mort  réelle  suivie  d'un  retour  véritable  à  la 
vie  ?  Il  serait  impossible  de  vérifier  les  décès;  de 
satisfaire  à  l'obligation  d'enterrer  les  morts;  on 
devrait  laisser  sans  sépulture,  au  risque  d'infecter  les 
airs  et  de  ruiner  la  santé  publique,  les  cadavres  même 
en  putréfaction.  Cependant  la  raison  pratique  inter- 
vient, qui  nous  contraint  au  respect  de  cette  loi  de 
l'hygiène,  et,  conséquence  bien  inattendue  1  nous  rend 
certains  du  miracle,  s'il  se  produit.  Voilà  un  des 
nombreux  et  plaisants  tours  de  force  par  lesquels 
Hermès  s'évertue  à  établir  entre  des  faits  de  l'histoire 
qui  sont  à  la  base  du  christianisme,  afin  d'en  maintenir 
la  vérité  objective,  et  le  devoir  moral,  tel  qu'il  s'impose 
à  chacun  dans  le  concret  à  un  moment  précis,  une 
connexion  nécessaire.  Tâche  ingrate  s'il  en  fut  ! 

3°  Nature  et  règle  de  la  (oi.  —  L'erreur,  pour  ainsi 
dire  classique,  de  Hermès  a  trait  à  la  foi.  De  la  foi 
théologique  il  méconnaît  le  motif  essentiel,  il  supprime 
le   caractère   surnaturel   et   libre.    Voici   d'ailleurs   la 


définition  qu'il  en  donne  :  «  La  foi  est  en  nous  un  état 
de  certitude  et  de  persuasion  par  rapport  à  la  vérité 
de  la  chose  connue,  état  auquel  nous  sommes  amenés 
par  l'assentiment  nécessaire  de  la  raison  théorique  ou 
par  le  consentement  nécessaire  de  la  raison  pratique.  » 
Qu'est-ce  à  dire  ?  Science  et  foi  ne  se  distinguent  plus 
comme  choses  d'ordre  différent.  Le  témoignage  de 
Dieu  qui  révèle  cesse  d'être  la  raison  formelle  pour 
laquelle  nous  croyons.  Ce  qui  nous  détermine  à  croire, 
c'est,  en  définitive,  l'évidence  naturelle  ou  la  vérité 
intime  des  choses  perçues.  Toute  ferme  persuasion  sur 
Dieu  et  les  choses  divines  constitue  proprement  la  foi, 
par  opposition  à  la  science.  Ainsi,  il  n'est  pas  néces- 
saire pour  croire  de  s'être  démontré  au  préalable 
l'existence  de  Dieu,  de  savoir  qu'il  a  parlé;  être  certain 
qu'un  Dieu  existe,  c'est  avoir  déjà  la  foi.  Hermès 
admet  sans  contredit  la  révélation  surnaturelle.  Mais 
l'assentiment  du  fidèle  à  cette  révélation  n'est  qu'une 
des  variétés  de  la  foi  divine;  quant  à  l'autorité  de 
Dieu  révélateur,  elle  représente  tout  au  plus  un 
principe  spécial  de  connaissance  sous  le  contrôle  de 
la  raison.  A  rencontre  donc  de  toute  la  théologie  catho- 
lique, Hermès  a  méconnu  la  souveraineté  du  motif 
formel  de  la  foi;  toute  foi,  suivant  lui,  est  de  sa  nature 
rationnelle,  en  ce  sens  que  toute  foi  procède  d'une 
nécessité  physique  ou  morale  de  la  raison. 

Le  système  hermésien  de  la  foi  ne  garde  une  appa- 
rente cohésion  que  grâce  à  plusieurs  confusions  d'idées. 
Hermès  a  confondu  certes  l'assentiment  donné  au 
témoignage  divin,  et  qui  est  proprement  l'acte  de  foi, 
avec  la  connaissance  préalable  qui  justifie  aux  yeux 
de  la  raison  cet  assentiment  ;  car,  selon  le  mot  de  saint 
Thomas,  la  raison  ne  croirait  pas  si  elle  ne  voyait  qu'il 
faut  croire.  Ce  sont  là  deux  actes  de  notre  intelligence, 
non  pas  de  même  nature  et  nécessairement  consécutifs, 
mais  d'ordre  différent,  entre  lesquels  s'intercale  un 
acte  de  la  volonté  libre.  La  connaissance  dont  le  propre 
est  de  rendre  l'acte  de  foi  raisonnable  et  prudent,  et 
que  l'apologélique  ou  science  de  la  crédibilité  peut 
revendiquer  comme  son  fruit,  s'arrête  au  seuil  de  la 
foi;  elle  ne  peut  être  considérée  comme  son  fondement 
homogène.  L'école  hermésienne  est  conséquente  avec 
elle-même,  lorsqu'elle  appelle  l'autorité  de  Dieu  révé- 
lant un  motif  de  crédibilité.  Hermès  s'est  mépris  non 
moins  grossièrement  sur  le  rôle  de  la  raison  dans  la  foi. 
L'acte  de  foi  théologique  est  d'ordre  intellectuel;  il 
exige,  par  conséquent,  l'entrée  en  exercice  de  l'intelli- 
gence humaine.  Notre  raison  a  pour  fonction  nou 
seulement  de  se  prononcer  sur  la  crédibilité  de  la 
révélation,  mais  encore  de  connaître  les  vérités  révélées. 
Or  Hermès  s'imagine  à  tort  que  connaître  ces  vérités, 
c'est  proprement  en  juger,  ou  les  saisir  dans  leur  évi- 
dence même.  Et  il  pensait  pouvoir  concilier  malgré 
tout  cette  démarche  de  la  raison  avec  l'humilité  de  la 
foi  chrétienne.  Quoique  très  exigeante  en  matière  de 
preuve,  la  raison  de  l'homme  fait  œuvre  encore  d'abné- 
gation, elle  se  livre,  toutes  les  fois  que  des  vérités 
s'imposent  à  son  adhésion  sans  perdre  toute  leur 
obscurité.  Hermès  a  enfin  confondu  deux  choses  que 
les  théologiens  distinguent  soigneusement  :  l'évidence 
de  la  vérité  perçue  en  elle-même  et  l'évidence  de  la 
crédibilité,  le  vrai  évident  et  '.'évidemment  croyable. 
C'est  pourquoi  il  n'a  pas  admis  qu'on  puisse  démontrer 
la  crédibilité  de  la  foi  chrétienne,  en  général,  ou  d'une 
vérité  révélée,  en  particulier,  sans  déroger  à  la  liberté 
et  au  mérite  de  la  foi.  Il  a  considéré  l'assentiment 
prudent  et  raisonnable  donné  à  la  révélation  surnatu- 
relle, comme  la  conclusion  nécessaire  d'un  syllogisme. 
Hermès  a  cru  sauvegarder  tout  de  même  le  caractère 
moral  de  la  foi  chrétienne  par  sa  distinction  de  la  foi  de 
connaissance  et  de  la  foi  du  cœur.  Il  n'y  a,  selon  lui,  de 
vraiment  théologique  et  libre  que  cette  dernière.  Elle 
représente  la  foi  que  les  théologiens  appellent  commu- 


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HERMÈS 


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nément  la  foi  vive,  la  foi  opérant  par  la  charité,  et  qu'il 
nomme  pour  sa  part  la  foi  efficace.  Voici  d'ailleurs  en 
quelsjtermes  il  la  décrit:  «  La  seule  vraiment  théolo- 
gique, quijnous  élève  au-dessus  des  choses  terrestres, 
qui  suit  la  volonté  parfaite  et  le  libre  désir  d'aimer 
Dieu  et  qui  nous  met  en  possession  du  domaine  parfait 
de  la  loi  et  de  l'esprit  sur  la  chair.  »  —  Seule  la  foi 
efficace,  est  libre,  seule  également  elle  est  surnaturelle, 
elle  requiert  la  grâce.  L'assertion  est  d'ailleurs  con- 
forme à  la  théorie  de  la  grâce  admise  par  Hermès  et 
ses  partisans.  Selon  les  théologiens  catholiques,  la 
grâce  nécessaire  à  la  foi  doit  affecter  tout  particulière- 
ment l'intelligence,  puisque  l'acte  de  foi  est  proprement 
une  adhésion  de  notre  esprit  et  que  dans  l'intelligence 
est  engendrée  et  se  répand  la  certitude  surnaturelle. 
Elle  n'affecte  que  la  volonté  et  nullement  l'intelligence, 
au   dire   des   hermésiens. 

Comme  Hermès  a  recommandé  la  méthode  du  doute 
et  son  usage  constant,  comme  il  confond  d'autre  part 
science  et  foi,  on  est  curieux  de  savoir  quelle  peut  bien 
être,  à  ses  yeux, la  règle  de  la  foi  catholique.  En  plus 
d'un?passage,  il  est  vrai,  il  nomme  l'enseignement 
infaillible  de  l'Église.  Cependant  il  ne  fait  aucun  cas 
de  l'autorité  de  l'Église  et  de  la  tradition,  quand  il 
aborde  l'étude  détaillée  des  dogmes.  N'exige-t-il  pas 
que  la  raison,  avant  de  les  admettre  et  comme  moyen 
sûr  de  les  reconnaître,  les  évoque  l'un  après  l'autre  à 
son  tribunal  ?  A  la  raison  il  appartient  de  décider  en 
dernier  ressort,  par  une  démonstration  rigoureuse,  s'ils 
sont  contenus  dans  les  sources  propres  de  la  foi,  à 
savoir  dans  la  parole  de  Dieu  écrite  ou  traditionnelle. 
Ce  n'est  point  tout  son  rôle.  Même  quand  il  est  établi 
qu'une  vérité  est  certainement  révélée,  la  raison  ne 
peut  ni  ne  doit  lui  donner  son  assentiment,  sinon  après 
s'être  assurée,  par  un  examen  interne  de  cette  vérité, 
qu'elle  n'implique  point  contradiction.  Autant  pro- 
clamer que  la  raison  humaine,  en  matière  de  foi,  est  la 
principale  ou  même  l'unique  règle. 

Hermès  a  erré  sur  de  nombreux  points  de  la  dogma- 
tique spéciale.  11  ne  pouvait  en  être  autrement,  étant 
donné  sa  méthode,  sa  règle  de  foi  et  les  principes 
kantiens  de  sa  philosophie.  Parmi  les  erreurs  que 
condamne  le  bref  de  Grégoire  XVI  nous  ne  parcour- 
rons que  les  principales. 

4°  Dieu  :  existence,  essence  et  attributs.  —  Hermès  a 
traité  de  Dieu  en  philosophe  et  en  théologien,  c'est-à- 
dire  qu'il  a  eu  recours,  pour  établir  son  existence  et  ses 
attributs,  aux  démonstrations  de  la  raison  spéculative, 
aux  jugements  de  la  raison  pratique  et  au  donné 
révélé.  Dans  V  Introduction  philosophique,  il  déclare  ne 
toucher  aux  attributs  que  dans  la  mesure  où  l'exigeait 
l'apologétique  chrétienne.  Il  en  traite  plus  à  fond  dans 
sa  Dogmatique.  Au  jugement  de  Hermès,  l'unique 
preuve  certaine  que  Dieu  existe  est  la  nécessité  tenue 
par  la  raison  théorique  d'une  cause  première  qui 
rende  compte  de  l'existence  des  êtres  contingents. 
Inopérants  sont  les  autres  arguments;  tel,  en  parti- 
culier, l'argument  qu'on  tire  de  l'ordre  du  monde,  cet 
ordre  pouvant  être  l'effet  du  hasard.  Il  ne  sert  même  de 
rien  d'en  grouper  plusieurs  sous  prétexte  de  les  ren- 
forcer les  uns  par  les  autres.  On  ne  réussit  par  là  qu'à 
les  rendre  tous  suspects.  On  ne  peut  non  plus  demander 
à  la  raison  pratique  de  prouver  l'existence  de  Dieu  : 
tous  les  arguments  qui  se  fondent  sur  l'obligation 
morale,  la  nécessité  d'un  législateur  et  d'une  sanction, 
sont  sans  valeur.  Du  moment  que  l'obligation  de 
respecter  en  soi  la  dignité  humaine  explique  tout  le 
devoir,  la  raison  pratique  ou  morale  est  à  elle-même 
sa  loi  et  sa  sanction  ;  elle  n'a  pas  besoin  de  Dieu.  Non 
moins  étrange  est  la  doctrine  hermésienne  sur  l'essence 
et  les  attributs  divins.  La  raison  théorique  établit  que 
Dieu  est  une  substance  existant  par  elle-même  .unique, 
éternelle,  personnelle,  distincte  de  tout  ce  qui  change 


dans  le  monde,  d'une  puissance,  d'une  science  et  d'une 
bonté  incompréhensibles.  Mais  elle  ne  peut  démontrer 
que  Dieu  diffère  d'une  substance  immuable  qui  ferait 
partie  du  monde,  tout  en  restant  étrangère  aux  chan- 
gements dont  le  monde  est  le  théâtre,  ni  davantage  que 
Dieu  est  un  pur  esprit  ou  que  ses  attributs,  notamment 
sa  puissance,  sa  science,  sa  sainteté,  sa  bonté  n'ont 
pas  de  limites.  Autant  de  vérités  dont  la  révélation 
seule  nous  donne  la  certitude. 

Venons  aux  attributs  que  la  raison  pratique,  à  son 
tour,  exige  en  Dieu.  Nous  verrons  sans  peine  en  cer- 
taines assertions  bizarres  des  conséquences  du  prin- 
cipe kantien  de  l'autonomie  de  la  raison  morale. 
Puisque  l'homme  est  à  lui-même  sa  fin,  puisqu'il  ne 
peut  être  rapporté  à  aucun  être,  cet  être  lui  fût-il 
infiniment  supérieur,  puisque  le  respect  de  sa  dignité 
personnelle  est  pour  lui  tout  le  devoir,  les  positions 
respectives  de  Dieu  et  de  l'homme  se  trouvent  essen- 
tiellement modifiées.  L'homme  et  non  plus  Dieu  sera 
le  centre  où  convergent  toutes  les  lignes  du  créé; 
l'homme  aura  presque  tous  les  droits,  et  Dieu  tous  les 
devoirs;  on  devra,  pour  apprécier  les  attributs  moraux 
de  Dieu  et  son  action  au  dehors,  les  considérer  du  point 
de  vue  exclusif  de  l'homme,  de  ses  propriétés  et  de  son 
opération  morale.  N'est-ce  pas  la  règle  qu'a  formulée 
Kant  :  «  Si  tu  veux  savoir  ce  que  c'est  que  Dieu, 
observe  ce  que  l'homme  doit  être  d'après  ce  qui  est 
prescrit  par  la  raison  pratique  ?  »  On  ne  peut  davan- 
tage méconnaître  les  caractères  essentiels  de  la  divinité, 
renverser  plus  complètement  toute  l'économie  de  la 
théologie  soit  naturelle,  soit  révélée.  Voici,  par  exemple, 
comment  on  doit  concevoir  la  justice  en  Dieu.  La  jus- 
tice est  le  principe  de  la  volonté  divine  qui  subordonne 
toutes  les  actions  de  Dieu  par  rapport  aux  créatures, 
au  droit  absolu  et  relatif  de  ces  créatures.  Elle  naît 
de  l'estime  que  Dieu  doit  avoir,  en  toutes  les  disposi- 
tions qui  la  concernent,  de  la  créature  raisonnable; 
elle  règle  sa  conduite  envers  chacune,  de  manière  à  ne 
point  blesser  son  droit  ni  le  droit  de  quelque  autre. 
Cette  mesure  s'étend  aussi  à  la  dispensation  des  moyens 
extérieurs  et  intérieurs  de  salut,  comme  la  grâce,  la 
prédication,  la  foi  ouïes  sacrements.  C'est  au  point  que, 
dans  la  répartition  des  dons,  Dieu  ne  pourrait,  sans 
injustice  pour  autrui,  se  montrer  libéral  envers 
quelqu'un  au  delà  des  bornes  établies  d'une  manière 
générale.  De  même,  Dieu  est  tenu  rigoureusement 
d'observer  dans  la  répression  du  mal  une  parfaite 
égalité.  Il  ne  pourrait  user  d'indulgence  vis-à-vis  de 
tel  ou  tel,  sans  blesser  le  droit  relatif  qu'ont  les  autres 
à  l'exemption  des  peines  et  à  l'usage  non  restreint  de 
leur  liberté.  Les  justes  notamment  peuvent  exiger 
que  Dieu  punisse  les  coupables  selon  la  mesure  des 
peines  une  fois  établies.  Si  cette  proportion  n'était 
gardée,  ils  auraient  sujet  d'accuser  Dieu  de  les  avoir 
soumis  à  une  loi  injuste  et  arbitraire,  en  les  contrai- 
gnant à  triompher  d'eux-mêmes  et  de  leurs  passions. 
Dieu  observe  donc  la  justice  non  par  un  droit  qui  lui 
est  propre,  mais  en  vertu  d'une  obligation  toute  en 
faveur  de  la  créature  raisonnable.  En  Dieu  aucun 
droit  de  punir  le  mal  moral  autant  qu'il  le  mérite,  ni 
à  cause  de  sa  malice  et  de  son  dérèglement  essentiels, 
ni  davantage  pour  l'atteinte  qu'il  porte  à  la  sainteté 
divine; en  Dieu,  aucun  droit  d'exiger  de  l'homme  satis- 
faction pour  les  offenses  qu'il  en  reçoit.  La  bonté 
pleine  de  sagesse  deDieu.et  non  sa  justice, a  primitive- 
ment décrété  la  récompense  ou  la  peine,  a  proportionné 
cette  récompense  ou  cette  peine  à  la  grandeur  du 
mérite  ou  de  la  faute.  La  justice  n'intervient  que  dans 
l'exécution  du  plan  divin,  afin  de  diriger  Dieu,  l'incli- 
nant à  respecter  le  droit  de  la  créature  raisonnable. 
Cette  doctrine, Hermès  la  présente  comme  conforme 
non  seulement  à  la  droite  raison,  mais  encore  aux 
|    Écritures,  et  il  déclare  faux  et  arbitraire  tout  ce  qu'ont 


2297 


HERMÈS 


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enseigné  sur  la  justice  vindicative  de  Dieu  les  théolo- 
giens   catholiques. 

La  liberté  essentielle  de  Dieu  dans  ses  œuvres  ad 
extra,  non  plus  que  sa  bonté  libre  et  gratuite  dans  la 
communication  de  ses  dons,  ne  sont  possibles  selon  les 
principes  de  la  théologie  hermésienne.  Dieu  doit 
vouloir  à  tous  les  êtres  raisonnables,  dit  Hermès,  tout 
le  bien  et  toute  la  félicité  qu'il  connaît  possible  et  dont 
ils  sont  capables,  et  la  félicité  dans  le  degré  le  plus 
parfait.  Autant  prétendre  que  n'importe  quel  don, 
voire  même  l'élévation  à  l'état  et  au  bonheur  surna- 
turels, est  exigible.  Hermès  fixe  pourtant  à  Dieu,  dans 
la  distribution  de  ses  grâces,  une  mesure  qu'il  ne  doit 
pas  dépasser.  Il  est  permis  à  Dieu  d'en  donner  à 
quelqu'un  toujours  de  nouvelles  et  autant  qu'il  peut, 
sans  nuire  aux  autres.  Passons  sur  ce  prétendu  tort 
ou  dommage  à  autrui;  mais  est-ce  là  l'idée  catholique 
d'un  Dieu,  qui,  n'étant  débiteur  de  ses  grâces  à  per- 
sonne, les  accorde  comme  il  veut,  à  qui  il  veut  et  dans 
la  mesure  qu'il  lui  plaît,  selon  le  dessein  toujours  juste 
et  droit  de  sa  volonté? 

Au  détriment  de  la  liberté  divine  encore,  Hermès 
exalte  l'indépendance  de  l'homme.  «  Dieu  ne  peut  en 
aucune  façon,  prétend-il,  par  des  commandements 
positifs  et  révélés,  prescrire  immédiatement  à  l'homme 
ni  certaines  dispositions  de  l'esprit  ni  certains  senti- 
ments du  cœur.  »  Par  là,  Hermès  n'entend  pas  seule- 
ment que  tout  précepte  de  ce  genre  présuppose  dans 
l'homme  la  ferme  persuasion  d'une  révélation  divine 
et  l'obligation  naturelle  d'en  accepter  les  dispo- 
sitions. Il  ne  dirait  rien  que  n'aient  aflirmé  et 
que  n'affirment  encore  tous  les  théologiens  ortho- 
doxes. Au  jugement  de  Hermès,  nous  avons  beau 
reconnaître  qu'un  précepte  positif  émane  vraiment 
d'une  autorité  et  d'une  révélation  divines,  notre  raison 
n'est  pas  assurée  pour  autant  que  son  objet  est  digne 
de  Dieu,  juste  et  vrai.  Il  faut  examiner  au  préalable  le 
commandement  en  lui-même,  établir  s'il  a  quelque 
rapport  avec  notre  raison,  enfin  juger  s'il  est  conforme 
ou  non  à  la  vérité  et  à  la  justice.  Jusque-là,  quoiqu'on 
sache  de  science  certaine  que  le  précepte  est  divin,  il 
ne  vaudra  que  comme  un  encouragement,  une  instruc- 
tion, une  règle,  et  non  comme  une  loi  obligatoire.  Les 
préceptes  positifs  révélés  n'obligeant  plus  directement 
et  par  eux-mêmes,  la  morale  chrétienne  est  amputée  de 
ses  principes  propres;  c'est,  par  le  fait,  son  élimination 
prononcée.  Voilà  du  moins  la  conséquence  immédiate 
la  plus  claire.  On  n'a  pas  de  peine  à  reconnaître  d'où 
procède  l'erreur.  Hermès  applique  ici  aux  vérités 
morales,  comme  il  applique  ailleurs  aux  vérités  dogma- 
tiques, sa  méthode  du  doute  et  sa  règle  de  foi  rationa- 
liste. 

La  raison  pratique  détermine  encore  en  Dieu,  ou 
plutôt  prescrit  moralement  à  Dieu, la  fin  qu'il  a  dû  se 
proposer  en  créant  toutes  choses.  Cette  fin  n'est  pas 
sa  gloire  extérieure  à  procurer,  ou  la  manifestation  de 
ses  perfections  essentielles,  quoi  qu'en  dise  la  tradition 
catholique.  Elle  ne  peut  être  que  la  félicité  des  créa- 
tures intelligentes.  Dieu  créa  l'homme  pour  l'homme, 
et  tout  le  reste  se  rapporte  à  l'homme,  à  sa  félicité  et 
la  plus  grande  possible.  Parler  de  gloire  extérieure  de 
Dieu,  c'est  avancer  une  chose  que  nulle  part  la  révéla- 
tion ne  certifie,  c'est  prêter  à  Dieu  un  égoïsme  ou  une 
ambition  que  la  raison  pratique  condamne.  Et  cepen- 
dant Hermès  ne  prouvera  jamais  qu'agir  pour  une  fin 
utile  et  se  proposer  en  agissant  une  fin  digne  de  soi 
sont  une  même  chose. 

Hypnotisé  par  son  principe  de  l'autonomie  de  la 
raison  pratique,  Hermès  a,  en  somme,  ramené  la  divi- 
nité aux  proportions  de  l'homme,  ou  même  voulu 
hausser  l'homme  au  niveau  de  Dieu. 

5°  État  de  l'homme  avant  la  chute;  le  péché  originel.  — 
Parmi  les  erreurs  de  Hermès,  le  bref  de  Grégoire  XVI 


a  signalé  encore  ses  vues  particulières  sur  la  condition 
de  nos  premiers  parents  et  le  péché  originel.jL'homme 
avant  la  chute  avait  avec  Dieu  une  double  ressem- 
blance :  l'une  physico-spirituelle,  résultant  des  facultés 
d'intelligence  et  de  volonté,  essentielles  à  l'être  raison- 
nable; l'autre  morale,  consistant  dans  une  rectitude 
de  sa  volonté.  Au  jugement  de 'Hermès,  cette  dernière 
est  proprement  le  privilège  de  l'état  d'innocence.  Elle 
impliquait  un  parfait  équilibre  des  facultés,  c'est-à-dire 
la  soumission  des  sens  à  la  raison,  une  intelligence  sans 
erreur  et  une  volonté  droite  dans  l'ordre  de  la  moralité. 
Cette  rectitude  faisait  de  la  nature  de  l'homme  une 
nature  intègre,  ou,  ce  qui  est  une  même  chose  pour  le 
théologien  allemand,  le  constituait  dans  un  état  de 
justice  et  de  sainteté,  l'homme,  en  vertu  de  cette  loi 
droite  de  ses  facultés,  étant  capable  de  produire  des 
actes  justes  et  saints.  Faut-il  regarder  cette  rectitude 
comme  surnaturelle,  un  don  absolument  gratuit  ? 
Hermès  répond  :  elle  n'est  pas  essentielle  à  l'homme, 
l'idée  d'homme  subsistant  sans  elle.  Mais  on  aurait 
tort  de  la  déclarer  surnaturelle,  puisqu'elle  ne  découle 
pas  de  la  grâce  sanctifiante;  il  faut  la  nommer  morale 
et  rien  de  plus.  Elle  est  gratuite,  car  l'homme  n'a  pu 
mériter  d'être  placé  dans  l'état  qu'elle  suppose. 
L'homme  eut-il  aussi,  dès  le  premier  instant,  la  grâce 
sanctifiante,  une  grâce  qui  l'élevait  à  un  état  absolu- 
ment au-dessus  de  sa  nature  ?  La  réponse  est  affirma- 
tive, mais  il  importe  d'en  comprendre  le  sens.  La  grâce 
sanctifiante,  suivant  Hermès,  est  la  bienveillance  de 
Dieu  pour  l'homme  juste  et  saint,  entendons  morale- 
ment intègre,  bienveillance  qui  lui  vaut  tous  les 
secours  surnaturels  pour  bien  agir.  Elle  n'est  donc 
pas  une  réalité  surnaturelle,  inhérente  à  l'homme  ;  elle 
découle  rigoureusement,  et  comme  un  droit  exigible, 
de  la  rectitude  morale.  On  voit  sans  peine  les  étroites 
affinités  du  système  hermésien  avec  les  erreurs  con- 
damnées de  Baias,  Jansénius,  Luther  et  Calvin. 

Ces  affinités  sont  non  moins  visibles  dans  la  con- 
ception du  péché  originel.  Le  formel  de  ce  péché, 
prétend  Hermès,  est  tout  entier  dans  la  concupiscence 
désordonnée.  La  rectitude  morale  suffisait  à  elle  seule 
à  rendre  Adam  et  Eve  justes  et  saints;  leur  faute  fit 
cesser  le  rapport  de  parfait  équilibre  entre  la  raison  et 
les  sens,  déterminant  ainsi  un  véritable  changement 
de  leur  nature.  Le  péché  originel  dans  leur  descendance, 
c'est  cette  même  concupiscence  désordonnée  dont  nous 
héritons  avec  la  nature  humaine.  Et  la  culpabilité 
transmise  à  la  postérité  d'Adam  consiste  tellement 
dans  ce  désordre,  qu'il  n'y  a  pas  lieu  pour  la  définir 
d'établir  un  lien  entre  le  péché  originel  et  la  faute 
actuelle  du  premier  homme  ni  même  faute  volontaire 
quelconque.  Dans  la  définition  de  la  tache  héréditaire 
il  ne  peut  être  question  non  plus  de  la  grâce  sancti- 
fiante perdue.  Autrement,  Adam  et  Eve,  parla  dispari- 
tion de  la  rectitude  morale,  devinrent  injustes  et  per- 
vers; ils  le  fussent  devenus,  même  sans  aucune  faute 
volontaire  de  leur  part,  par  le  fait  seul  de  la  concu- 
piscence; et  on  peut  en  dire  autant  de  leur  descendance. 
Si  on  objecte  que  le  baptême  efface  le  péché  originel 
sans  pourtant  faire  disparaître  la  concupiscence, 
Hermès  réplique  :  La  concupiscence  sans  la  grâce 
attire  l'homme  vers  le  mal  et  le  rend  abominable  à 
Dieu  ;  mais  dès  l'instant  que  la  grâce  est  reçue,  la  concu- 
piscence ne  peut  nuire,  rendre  l'homme  coupable  et 
un  objet  de  déplaisir  à  Dieu.  Réponse  de  l'erreur 
acculée,  et  qui  trahit  plus  d'un  rapport  de  conformité 
avec  le  système  prolestant.  Elle  justifie  d'ailleurs  le 
mot  de  Bellarmin  :  les  novateurs,  en  faisant  consister 
le  péché  originel  dans  la  concupiscence,  ont  fini  par  le 
réduire  à  rien.  Hermès  n'est  pas  loin  de  le  regarder 
comme  n'étant  pas  vraiment  un  péché.  N'est-ce  pas 
la  raison  pour  laquelle  il  le  nomme  constamment  la 
qualité   ou   disposition    coupable  '? 


2299 


HERMÈS 


2300 


6°  La  satisfaction  de  Jcsus-Christ.  —  La  chute  de 
l'homme  a  pour  pendant  sa  restauration  par  le  Christ 
rédempteur.  Hermès  traite  longuement  du  dogme 
catholique  de  la  satisfaction  de  Jésus-Christ.  Sous 
prétexte  de  ruiner  les  objections  sociniennes,  il  propose 
de  substituer  à  l'enseignement  des  théologiens  catho- 
liques un  système  qu'il  estime  plus  évangélique  et  non 
moins  orthodoxe.  D'accord  avec  tous,  il  admet  que 
la  satisfaction  de  Jésus-Christ  fut  réelle,  nécessaire, 
propre  à  apaiser  Dieu,  même  en  stricte  justice.  Mais 
voici  où  il  s'écarte  de  la  pensée  commune.  En  réalité, 
il  n'y  avait  en  Dieu  ni  offense  ni  irritation;  partant, sa 
justice  ne  pouvait  exiger  et  n'exigeait  en  fait  aucune 
expiation  ni  de  l'homme  ni  de  la  victime  substituée, 
le  Christ.  Les  peines  immenses  que  le  Christ  endura 
n'étaient  ni  vraiment  dues  pour  le  péché,  ni  demandées 
effectivement  par  Dieu.  Jésus-Christ  n'a  tant  souffert 
que  pour  faire  connaître  à  l'homme  ce  que  Dieu  aurait 
pu  exiger  de  lui  dans  l'hypothèse  qu'il  l'eût  voulu, 
•e  qui  eût  été  requis  pour  apaiser  Dieu  dans  l'hypo- 
thèse qu'il  se  fût  tenu  pour  oiîensé.  Ainsi  la  passion  et 
la  mort  du  Christ  ne  seraient  qu'une  mise  en  scène 
propre  à  instruire  l'homme,  «  lui  révélant  l'ineffable 
amour  de  Dieu,  son  infinie  majesté  »,  de  nature  aussi 
à  exciter  en  son  âme  une  vive  horreur  du  péché, 
l'amour  de  la  vertu  et  de  la  sainteté.  Ne  sont-ce  pas  là 
des  conséquences  du  système  hermésien  sur  la  justice 
divine,  sur  la  fin  assignée  à  l'œuvre  de  la  création  ?  La 
justice  de  Dieu  n'a  pas  à  intervenir  pour  venger  ses 
droits  méconnus,  mais  pour  protéger  et  favoriser  les 
droits  de  l'homme.  La  félicité  de  l'homme,  c'est  tout 
le  but  que  Dieu,  par  pur  amour  et  sans  aucun  égara  à 
soi,' s'est  proposé  en  créant  toutes  choses. 

Sur  le  terrain  de  la  chrislologic,  Hermès  a  plusieurs 
thèses  non  moins  contraires  à  la  doctrine  des  théolo- 
giens catholiques.  Notamment,  il  explique  le  descendit 
ad  inferos  du  symbole  en  ce  sens  que  l'âme  du  Christ 
entra  dans  l'état  commun  des  âmes  humaines  séparées. 
Dans  cet  état  elle  goûtait  le  bonheur  naturel  qui  peut 
convenir  à  l'âme  la  plus  sainte.  Hermès  lui  refuse 
d'ailleurs  la  jouissance,  avant  l'ascension,  de  la  vision 
béatifique.  Il  semble  tenir  aussi  que  la  divinité  se 
sépara  du  corps  du  Christ  durant  les  trois  jours  passés 
au  tombeau. 

7°  Justification  et  grâce  sanctifiante.  —  Hermès 
professe  sur  la  justification  une  doctrine  bizarre,  mais 
en  étroite  connexion  avec  ce  qu'il  enseigne  sur  l'état 
de  l'homme  avant  sa  chute,  sur  le  péché  originel  et 
sur  la  rédemption.  Il  distingue  une  double  justifica- 
tion :  l'une  habituelle,  qui  regarde  tous  les  hommes 
et  qui  les  délivre  du  péché  originel,  l'autre  actuelle, 
propre  aux  seuls  adultes.  La  justification  habituelle 
consiste  dans  la  volonté  positive  de  Dieu  d'accorder 
à  l'homme,  en  temps  favorable,  à  cause  de  la  satisfac- 
tion de  Jésus-Christ,  les  secours  actuels  qui  lui  seront 
nécessaires  pour  vaincre  la  concupiscence  désordonnée, 
autrement  le  péché  originel.  Universelle,  elle  s'étend 
à  tous  les  fils  d'Adam  comme  la  faute  héréditaire;  elle 
se  réalise  pourtant  en  chaque  individu  par  le  moyen 
du  baptême,  qu'il  est  nécessaire,  en  vertu  d'un  ordre 
positif  de  Dieu,  d'avoir  reçu  ou  de  désirer  recevoir. 
Cependant  le  baptême,  par  rapport  à  la  justification, 
n'est  qu'une  simple  condition  et  non  partie  intégrante; 
il  est  la  condition  positivement  imposée  à  l'homme 
d'être  réuni  extérieurement  à  l'Église  du  Christ. 
Nombreuses  et  déconcertantes  sont  les  questions  que 
soulève  cette  idée  nouvelle  de  la  justification.  La 
justification  ne  serait-elle  plus  une  régénération  inté- 
rieure de  l'homme,  régénération  telle  que  le  pécheur 
n'est  pas  seulement  réputé,  mais  qu'il  est  fait  vérita- 
blement juste  ?  Le  péché  originel, dont  la  grâce  actuelle 
a  pour  fonction  de  triompher  en  temps  opportun, 
subsisterait-il  toujours,  même  en  celui  qui  est  baptisé? 


Qu'est-ce  que  cette  justification  s' étendant  à  tous  les 
hommes  comme  une  bienveillance  de  Dieu,  que  leur  a 
méritée  la  satisfaction  du  Christ,  et  qui  ne  s'opère 
pourtant  que  par  le  moyen  du  baptême?  N'est-ce  pas 
une  erreur  profonde  de  considérer  le  baptême,  instru- 
ment nécessaire  de  régénération  et  de  sainteté,  source 
d'un  caractère  indélébile  dans  l'âme,  comme  une  simple 
condition  de  la  justification,  c'est-à-dire  comme  une 
chose  qui  lui  serait  extérieure  ?  Et  peut-on  laisser  croire 
que  le  baptême  ne  soit  qu'un  signe  de  réunion  au 
corps  de  l'Église? 

Ces  assertions  malsonnantes  et  fausses  ont,  toutes 
leur  point  de  départ  dans  une  conception  également 
erronée  de  la  grâce  sanctifiante  chez  Hermès.  Qu'il 
suffise  de  compléter  ce  que  nous  avons  dit  plus  haut. 
La  grâce  sanctifiante  se  distingue  de  la  grâce  actuelle 
comme  la  bienveillance  et  le  don  qui  en  procède.  Elle 
n'est  pas  inhérente  ou  intérieure  à  l'homme,  à  la 
manière  d'une  forme  qui  le  sanctifierait  ;  elle  se  réduit 
à  un  simple  rapport  de  l'homme  avec  Dieu.  Elle  est 
plutôt  un  mode  d'être  en  Dieu.  On  peut  la  définir  : 
une  bienveillance  positive  de  sa  part,  qui  l'incline  à 
accorder  à  l'homme  tous  les  secours  actuels  nécessaires 
pour  accomplir  le  bien  moral.  Aussi  la  grâce  sancti- 
fiante est  le  fondement  et  la  condition  de  la  grâce 
actuelle,  et  par  conséquent,  ajoute-t-il,  c'est  par  la 
nécessité  de  celle-là  qu'on  peut  mieux  prouver  la 
nécessité  de  celle-ci.  N'est-ce  pas  le  renversement  de 
la  doctrine  catholique  sur  la  grâce  ? 

Cet  exposé  sommaire  du  système  hermésien  montre 
à  quel  point  il  est  contraire  à  la  foi  orthodoxe  et  à  la 
théologie  catholique.  Tant  d'erreurs  manifestes,  tant 
d'assertions  téméraires  et  bizarres,  tant  de  contradic- 
tions même  procèdent  de  sa  méthode  comme  d'une 
source  unique.  Il  a  cru  légitime  de  parcourir  tous  les 
détours  du  doute  et  d'y  faire  passer  les  autres  après  lui, 
s'imposant  pour  règle  de  n'admettre  une  chose  comme 
vraie  que  si  sa  double  raison  individuelle  l'y  contrai- 
gnait. Il  a  donc  soumis  les  dogmes  catholiques  à 
l'épreuve  du  doute  universel  et  constant;  et  ils  en 
sont  sortis  non  pas  mieux  enchaînés  et  plus  lumineux, 
mais  faussés  et  méconnaissables.  Sansdoute.il  alimen'e 
sa  science  théologique  aux  deux  sources  de  l'Écri- 
ture et  de  la  tradition  qu'il  tient  d'ailleurs  pour 
infaillibles;  mais  loin  qu'il  s'incline  respectueusement 
devant  le  donné  révélé,  comme  tel,  il  le  plie  et  l'accom- 
mode, selon  sa  règle  suprême,  aux  exigences  de  la 
raison  spéculative  et  pratique.  La  méthode  hermé- 
sienne  n'était  bonne  qu'à  introduire  dans  l'enseigne- 
ment des  sciences  ecclésiastiques  un  rationalisme 
subtil  et  pernicieux.  Il  n'en  fallait  pas  davantage  pour 
motiver  l'intervention  du  saint-siège. 

III.  Condamnation.  • —  Du  vivant  de  Hermès,  sa 
doctrine  avait  été  plus  d'une  fois  l'objet  de  vives 
critiques.  Aussitôt  après  sa  mort,  les  attaques  se 
répétèrent,  et  si  véhémentes  que  ses  élèves  crurent 
devoir  fonder  une  revue  destinée  à  défendre  leur 
maître.  Elle  parut  à  Cologne  dès  l'année  1832,  sous  le 
titre  de  Zcitschrifl  fur  Philosophie  und  katholische 
Théologie,  et  dura  jusqu'en  1852.  Cependant  à  l'étran- 
ger les  idées  hermésiennes  étaient  jugées  avec  défaveur. 
Rome  s'émut  des  accusations  portées  contre  le  système 
nouveau  et  Grégoire  XVI  demanda  au  nonce  de 
Munich  un  rapport  sur  l'affaire.  Mais  l'archevêque  de 
Cologne,  Spiegel,  s'entremit  et  soutint  que  l'ortho- 
doxie de  Hermès  était  au-dessus  de  tout  soupçon.  Cette 
déclaration  d'un  évêque  en  faveur  d'un  enseignement 
peu  catholique  a  de  quoi  nous  surprendre.  Ce  qui 
l'explique  et  ne  la  justifie  pas,  c'est  d'abord  l'abaisse- 
ment général  des  études  ecclésiastiques  en  Allemagne, 
à  cette  époque,  c'est  ensuite  l'affirmation  de  Hermès, 
souvent  reproduite  par  ses  disciples,  qu'il  fallait  consi- 
dérer ses  écrits  comme  un  simple  préambule  pb.iloi.o- 


2301 


HERMÈS 


2302 


phique  à  la  théologie.  A  vrai  dire,  Hermès  avait  eu  la 
prétention  de  poser  les  fondements  d'une  apologétique 
chrétienne.  Comme  on  taxait  le  maître  de  pélagianisme 
et  de  socinianisme,  ses  élèves,  âpres  déjà  dans  la 
défense,  dépassèrent  les  1  ornes  et  se  montrèrent 
agressifs  vis-à-vis  de  leurs  adversaires,  qu'ils  accusaient 
de  renouveler  les  erreurs  de  Bautain  et  de  Lamennais. 
En  1833,  quelques  prélats  allemands  dénoncèrent  au 
saint -siège,  comme  contraire  à  l'enseignement  de 
l'Église,  la  méthode  hevmésienne.  C'était  au  fond  la 
seule  marche  à  suivre;  car  alors  tous  les  évêques 
allemands  n'étaient  pas  convaincus  du  danger  de 
l'hermésianisme.  Au  reste,  la  doctrine  et  l'esprit  de 
Hermès  se  répandaient  avec  une  rapidité  surprenante. 
Trente  chaires  de  théologie  étaient  occupées  par  des 
hermésiens,  et  les  professeurs  de  religion  dans  les 
gymnases  s'inspiraient  de  leur  système.  Le  pape  créa 
donc  une  commission  dont  fit  partie  le  jésuite  Perrone, 
pour  examiner  les  écrits  et  les  doctrines  de  Hermès. 
Une  circonstance  favorisa  singulièrement  les  adver- 
saires de  l'hermésianisme;  ce  fut  la  publication  par 
Achterfeld  de  la  Dogmatique  du  théologien  allemand. 
Entreprise  avec  la  pensée  de  servir  la  cause  du  maître, 
elle  contribua  à  le  faire  condamner.  Grégoire  XVI 
saisit  la  Congrégation  du  Saint-Office  de  l'affaire  et, 
sur  avis  conforme  des  cardinanx  inquisiteurs,  il  publia 
le  2G  septembre  1835  un  bref  de  condamnation.  Vint 
ensuite,  le  7  janvier  1836,  une  déclaration  du  souverain 
pontife  par  laquelle  les  deux  volumes  de  la  Dogmatique, 
parus  après  la  promulgation  du  bref,  étaient  compris 
dan?  la  condamnation  précédente.  Le  décret  pontifical 
signalait  en  ces  termes  les  maîtres  d'erreur,  dont 
Hermès  :  «  Ils  infestent  les  études  sacrées  par  des 
-doctrines  étrangères  et  dignes  de  réprobation,  ils 
profanent  sans  sourciller  l'enseignement  public  dont 
ils  sont  chargés  dans  les  écoles  et  les  académies,  et  ils 
altèrent  visiblement  le  dépôt  sacré  de  la  foi  que  pour- 
tant ils  se  flattent  de  défendre.  Et  parmi  ces  maîtres 
de  l'erreur  on  compte,  d'après  l'opinion  presque  géné- 
rale et  constante  de  l'Allemagne,  Georges  Hermès,  en 
ce  qu'il  s'écarte  audacieusement  de  la  voie  royale  de  la 
tradition  universelle  et  des  saints  Pères  pour  expliquer 
«t  défendre  les  vérités  de  la  foi,  et  qui,  la  méprisant  et 
la  condamnant,  ouvre  la  voie  ténébreuse  de  toutes 
sortes  d'erreurs,  et  «  par  le  doute  positif  qu'il  a  posé 
«  comme  base  de  toute  recherche  théologique  »,  et  par 
le  principe  en  vertu  duquel  «  il  veut  que  la  raison  soit 
«  la  norme  principale  et  le  moyen  unique  par  lequel 
«  l'homme  peut  acquérir  la  connaissance  des  vérités 
«  surnaturelles.»  —  Les  livres  de  Hermès  sont  dits  «con- 
tenir beaucoup  d'absurdités  et  d'assertions  contraires 
à  la  doctrine  de  l'Église  catholique,  notamment,  en  ce 
qui  concerne  la  nature  et  la  règle  de  la  foi,  la  sainte 
Écriture,  la  tradition,  la  révélation  et  le  magistère  de 
l'Église,  les  motifs  de  crédibilité,  les  preuves  habituelles 
<le  l'existence  de  Dieu,  l'essence  divine,  la  sainteté,  la 
justice,  la  liberté  de  Dieu,  et  la  fin  qu'il  s'est  proposée 
dans  les  œuvres  dites  ad  extra,  touchant  aussi  la 
nécessité  et  la  dispensation  de  la  grâce,  la  récompense 
«t  les  châtiments  éternels,  l'état  de  nos  premiers 
parents,  le  péché  originel  et  les  forces  de  l'homme 
déchu.  »  Le  bref  proscrit  et  condamne  ces  écrits  comme 
renfermant  des  doctrines  et  des  propositions  respecti- 
vement fausses,  téméraires,  captieuses,  conduisant 
au  scepticisme  et  à  l'indifférentisme,  erronées,  scanda- 
leuses, injurieuses  pour  les  écoles  catholiques.  Voir 
Denzinger-Bannwart,    Enchiridion,  n.   1618-1621. 

Le  bref  de  Grégoire  XVI  eut  sur  les  hermésiens 
l'effet  d'un  coup  de  foudre  inattendu.  Il  ne  rencontra 
pourtant  d'opposition  sérieuse  que  de  la  part  d'un 
groupe  de  professeurs.  Les  évêques  le  reçurent  avec 
soumission  et  s'employèrent  à  le  faire  exécuter.  A 
Cologne  seulement  il  donna  lieu  à  des  incidents.  Le 


vicaire  général  Hiisgen,  qui  administrait  l'archidiocèse 
depuis  la  mort  de  Mgr  Spiegel  et  qui  avait  autorisé 
l'impression  du  Ier  volume  de  la  Dogmatique,  garda 
le  bref  durant  huit  mois  sans  le  promulguer,  sous 
prétexte  qu'il  n'en  avait  pas  reçu  communication  du 
gouvernement  royal.  Le  nouvel  archevêque  Clément 
Auguste  publia  le  décret  et  exigea  la  soumission  des 
professeurs  de  l'université  de  Bonn  et  du  séminaire 
ecclésiastique  de  Cologne,  et,  sur  leur  refus  d'obéir, 
il  retira  l'autorisation  épiscopale  à  leurs  cours  publics. 
Le  professeur  Achterfeld,  qui  dirigeait  le  séminaire, 
répondit  par  des  menaces  de  renvoi  et  de  retrait  de 
bourses  à  l'adresse  des  élèves  qui  céderaient  aux 
injonctions  de  l'archevêque.  Les  étudiants  préférèrent 
quitter  tous  l'établissement,  les  moins  fortunés  s'en 
remettant  à  la  générosité  du  prélat,  qui  en  prit  soin. 
Mgr  Clément  prit  une  autre  mesure  énergique.  Il  fit 
rédiger  des  thèses  réprouvant  les  doctrines  condamnées 
par  le  bref  apostolique,  et  il  exigea  des  ordinands  et 
de  tous  les  candidats  aux  charges  ecclésiastiques 
qu'ils  affirmassent  par  serment  les  recevoir.  A  ce 
moment  les  rapports  de  l'Église  avec  l'État  prussien 
étaient  loin  d'être  bons.  Le  gouvernement  royal 
demanda  aux  professeurs  Bitter  et  Baltzer,  deux 
hermésiens,  leur  avis  sur  l'orthodoxie  catholique  des 
thèses  épiscopales.  Évidemment,  l'avis  fut  défavo- 
rable. Coupables  d'hermésianisme,  les  opposants  se 
donnèrent  encore  le  tort  de  courtiser  le  pouvoir  civil 
et  tombèrent  dans  le  libéralisme.  Les  hermésiens 
n'eurent  p;  s  honte  de  renouveler  la  fameuse  distinc- 
tion des  jansénistes  :  ils  avouaient  que  les  opinions 
condamnées  par  le  bref  du  pape  étaient  réellement 
condamnables,  mais  ils  prétendaient  en  même  temps 
que  Hermès  ne  les  avait  pas  enseignées,  que  ses  écrits 
ne  les  contenaient  pas.  Enfin  ils  ne  cessaient  de  répéter 
que  le  désaveu  par  le  pape  du  fidéisme  de  l'abbé 
Bautain,  était  une  approbation  du  système  de  Hermès. 
Voir  Elvenich,  Acta  hermesiana,  Gœttingue,  1836,  et 
à  rencontre,  W.  Zell,  Acta  antihermesiana,  Sittard. 
1836;  2e  édit.  plus  complète,  Batisbonne,  1838. 
Persuadés  que  le  saint- siège  connaissait  mal  la  doc- 
trine hermésienne,  enhardis  d'ailleurs  et  soudoyés 
par  le  gouvernement  prussien,  les  deux  professeurs 
Elvenich  et  Braun  demandèrent  et  obtinrent  de  Borne 
l'autorisation  de  venir  se  présenter  devant  le  pape. 
Grégoire  XVI  ne  s'était  montré  condescendant  que 
par  le  désir  de  les  convaincre  de  leur  erreur.  Pleing  de 
confiance  dans  le  succès  de  leur  cause,  ils  montrèrent 
tout  de  suite  qu'ils  étaient  venus  non  pour  être  in- 
struits, mais  pour  instruire,  non  pour  se  soumettre, 
mais  pour  obtenir  la  revision  du  procès  de  Hermès.  Ils 
n'eurent  pas  à  se  plaindre  de  l'accueil  qu'on  leur  fit, 
même  des  personnages  éminents.  Malgré  des  démarches 
sans  nombre,  d'habiles  menées,  ils  finirent  par  se 
convaincre  que  la  cause  de  Hermès  était  jugée,  et  ils 
durent,  après  un  an  de  séjour  à  Borne,  reprendre  le 
chemin  de  l'Allemagne  (1838).  Voir  leurs  Acta  romana, 
Hanovre  et  Leipzig,  1838;  Melelemata  theologica, 
ibid.,  1838.  Leur  Insuccès  entraîna  la  conversion  d'un 
grand  nombre  d'hermésiens.  Les  professeurs  du  sémi- 
naire de  Trêves  donnèrent  un  bel  exemple  d'obéissance 
dans  une  déclaration  publique.  Baltzer  lui-même  se 
soumit  en  1840.  Malheureusement  il  tourna  plus  tard 
au  gunthérianisme,  et  il  mourut  vieux  catholique. 
L'apparition  de  l'encyclique  de  Pie  IX,  Qui  pluribus 
abhinc  annis,  le  9  novembre  1846,  parut  aux  derniers 
adeptes  de  l'hermésianisme  une  occasion  de  relever 
la  tête.  Comme  elle  traitait  des  rapports  de  la  foi  et 
de  la  raison,  ils  prétendirent  que  leur  système  était 
absolument  conforme  à  l'enseignement  de  Pie  IX,  et 
qu'ainsi  le  bref  de  Grégoire  XVI  se  trouvait  rapporté. 
Le  coadjuteur  de  Cologne,  Mgr  de  Geissel,  dut  infirmer 
le  pape  de  l'attitude  des  opposants.  Une  réponse  de 


2303 


HERMÈS  —  HERMIAS 


2304 


Pie  IX  au  prélat,  où  il  confirmait,  le  25  juillet  1847, 
la  condamnation  portée  par  son  prédécesseur,  ruina 
leur  espérance,  mais  sans  les  persuader.  Voir  Den- 
zinger-Bannwart,  Enchiiidion,  n.  1631-163'1.  Les  doc- 
teurs Braun  el  Achterfeid  ne  répudièrent  jamais  com- 
plètement leur'erreur.  L'autorité  ecclésiastique  ne  laissa 
pas  cependant  de  les  traiter  avec  beaucoup  d'indul- 
gence. Braun  mourut  en  18C3  et  Achterfeid  en  1877. 
Le  concile  du  Vatican  a  porté  le  dernier  coup  à  la 
théorie  de  Hermès  sup  la  foi  et  à  sa  méthode  du  doute 
dans  le  c.  m  de  la  constitution  Det  Filius  et  dans  les 
canons' 2,   5   et   6   correspondants.  Voir  col.  117. 

G.  Esser,  Denksclirift  auf  G.  Hermès  (panégyrique), 
Cologne,  1832;  Droste-Hullohoft,  dans  Zeilschrift  fur 
Philosophie  unil  katholische  Théologie,  1832,  p.  1-29  (éloge); 
Reusch,  dans  Allgemeine  deutsche  Biographie,  t.  xn,  p.  192- 
196;  Kirchenlexikon,  Fribourg-en-Brisgau,  1888,  t.  ,v, 
col.  1878-1899;  Realenc'yclopàdie  fur  protestanlische  Théologie 
und  Kirche,  Leipzig,  1899,  t.  vu,  p.  750-756;  Perrone, 
Delocis  theologicis,  part.  III;  Id.,  Réflexions  sur  la  méthode 
introduite  par  Georges  Hermès  dans  la  théologie  catholique, 
dans  les  Démonstrations  éoangéliques  de  Aligne,  Montrouge, 
1843,  t.  xiv,  col.  945-1024;  H.  Reusch,  Der  Index  der 
verboienen  Bûcher,  Bonn,  1885,  t.  n,  p.  1113;  cf.  p.  844; 
Werner,  Geschichte  der  katholische  Théologie,  2e  édit.,  1889, 
p.  405-406,  423-424  ;  J.-M.-A.  Vacant,  Études  théologiques 
sur  les  constitutions  du  concile  du  Vatican,  Paris,  Lyon,  1895, 
t.  i,  p.  120-128;  t.  n,  p.  67-70,  76,  196;  Bruck,  Geschichte 
der  kalholischen  Kirche  in  Deutschland,  t.  n,  p.  496-497  ; 
trad.  franc.,  Paris,  1887,  t.  m,  p.  396-397  ;  Hurter,  Nomen- 
clator,  Inspruck,  1912,  t.  v,  col.  899-906;  Kirchliche  Hand- 
lexikon  de  Buchberger,  Munich,  1907,  t.  i,  col.  1932-1933; 
The  catholik  encyclopedia,  New  York  (1910),  t.  vu,  p.  276- 
279.  Pour  une  bibliographie  plus  complète,  voir  Kirchen- 
lexikon, t.  v,  col.  1898-1899;  Gla,  Repertorium  der  katho- 
lisch-theologischcn  Literatur,  Paderborn,  1901,  t.  i  b,  p.  355- 
370. 

A.  Thouvenin. 
1.  HERMIAS,   philosophe  chrétien.  —  I.   Sa  per- 
sonne. II.  Son  œuvre. 

I.  Sa  personne.  —  A  la  suite  des  œuvres  des  apolo- 
gistes du  iie  siècle,  se  trouve  un  tout  petit  traité  en 
dix  chapitres,  de  quelques  pages  à  peine,  sous  ce  titre  : 
'Ep[J.tou  çiÀojfJcpou  8iaauf|j.ô;  tûv  êÇii)  cpiXoaoçptov,  Her- 
miœ  philosophi  gcnlilium  philosophorum  irrisio.  P.  G., 
t.  Vt,  col.  1169-1180.  Ce  traité  offre  tant  d'intérêt  qu'on 
s'étonne  qu'il  ait  été  passé  sous  silence  par  les  auteurs 
ecclésiastiques  des  premiers  siècles.  11  porte  le  nom 
d'Hermias.  Mais  quel  est  ce  personnage  ?  où  et  quand 
a-t-il  vécu  ?  Autant  de  questions  insolubles  dans  l'état 
actuel  de  la  littérature  chrétienne  de  l'époque  patris- 
tique,  car  les  ren;  eignements  font  défaut  et  les  critères 
internes  se  réduisent  à  bien  peu  de  chose.  On  en  est  donc 
réduit'  aux  conjectures.  Les  uns  ont  voulu  identifier 
cet  Hermias  avec  -l'historien  grec  du  v  siècle,  Hermias 
Sozoniène,  niais  la  différence  de  style  est  trop  caracté- 
ristique; les  autres. avec  l'hérétique  Hertnias,  disciple 
d'Hermogène  et  chef  de  la  secte  des  heEmiens,  mais  rien 
ne  prouve  qu'il  ait  été  hétérodoxe.  Aussi  ces  deux  hypo- 
tbèjsw  ont-elles  été  abandonnées.  Cet.  Hermias  est 
qualifié  de  philosophe,  et  à  juste  titre,  semble-t-il,  si  l'on 
entend  par  là  la;  connaissance  des  philosophes  grecs  et 
de  leurs  systèmes.  En  les  appelant  ceux  «  du  dehors  », 
il  donne  à  entendre  qu'il  se  distingue  d'eux.  Peut- 
être  mime,  tout,  comme  saint  Justin  et  Tatien,  doiit  il 
a  certainement  connu  les  écrits,  a-t-il  déserté  leur  camp 
poui  embrasser  la  foi  chrétienne;  en  tout  cas,  il  ne  dit 
pas  le  moindre  mot  de  «cette  foi,  ni  de  Jésus-Christ, 
ni  de  l'É^li^e  11  montre  du  moins,  et  .cela  dès  les  pre- 
mières lignes,  qu'il  partageait  la  manière  de  voir  de 
-  1'apgtre  saint  Paul,  puisqu'il  se  propose  de  justifiercelte 
parole,  que  la  sagesse  de  ce  monde  est  une  folie  tfux 
yeyx  de  Dieu  :  f,  aoepia  tou  xdajj.ou  toutou  ;j/')pia  reapà  tio 
Oêfii.  1  Cor.,  m,  19.  L'époque  où  il'a  vécu  est  difficile  à 
fixer.    L'opinion  commune,  dit  Bardenhewer,Les  Pères 


de  l'Église,  trad.  franc.,  Paris,  1899,  t.  i,  p.  191,  le  fait 
vivre  a  l'âge  des  apologistes,  à  la  fin  du  ne  siècle  ou  au 
commencement  du  me.  On  se  fonde,  d'une  part,  sur 
le  nom  de  philosophe  donné  à  l'auteur  dans  le  titre  tra- 
ditionnel des  manuscrits,  comme  c'est  aussi  le  cas  pour 
saint  Justin,  pour  Athénagore  et  pour  d'autres  apolo- 
gistes; et,  d'autre  part,  sur  diverses  indications  de 
l'opuscule  lui-même  :  la  vie  et  la  chaleur  du  langage 
annoncent  une  époque  de  luttes,  où  les  écoles  des  philo- 
sophes sont  encore  florissantes,  où  le  christianisme 
n'a  pas  encore  remporté  la  victoire.  »  Mais  ce  sont  là 
des  points  de  repère  assez  vagues;  et  Diels,  son  dernier 
éditeur,  le  croit  beaucoup  plus  récent,  plutôt  du  v 
siècle,  sinon  du  vie.  Doxographi  grœci,  Berlin,  1879, 
p.  259-263.  Le  champ  reste  donc  ouvert  à  la  discussion. 

Ce  qui  est  certain,  c'est  que  l'auteur  s'adresse  à  des 
personnes  qui  lui  sont  chères,  ses  enfants,  des  disciples 
ou  des  fidèles  :  to  àyaKT|Toi.  Irrisio,  1,  P.  G.,  t.  vi, 
col.  1169.  Et  c'est  aussi  qu'il  peint  d'un  trait  vif,  acéré 
et  mordant  les  philosophes  païens  et  leurs  opinions;  il 
rappelle  le  ton  railleur  de  Lucien  dans  son  Hermolime 
ou  le  Choix  des  sectes  et  les  Secles  à  l'encan,  avec  cette 
différence  qu'il  appuie  plus  légèrement,  qu'il  ne  mani- 
feste pas  une  préférence  pour  le  système  d'Épicure  et 
qu'il  n'aboutit  pas  au  scepticisme  ;  mais  sa  critique  est 
tout  aussi  virulente  et  négative.  Tandis  qu'un  saint 
Justin  ou  un  Clément  d'Alexandrie  se  gardaient  de 
condamner  en  bloc  toute  philosophie,  parce  qu'on 
trouve  partout  des  parcelles  de  vérité  et  que  la  philo- 
sophie a  droit  à  être  cultivée,  Hermias  avoue  n'avoir 
qu'un  but,  celui  de  montrer  que  les  philosophes  sont  en 
contradiction  les  uns  avec  les  autres,  que  la  recherche 
des  choses  se  perd  dans  le  vague  et  l'inconnu  et  que  le 
résultat  reste  inexplicable  et  inutile,  vu  qu'il  ne  repose 
ni  sur  l'évidence,  ni  sur  un  enseignement  certain  : 
Pouao'[jl6vo;  8êïÇai  ttjv  èv  toi;  8oyij.aaiv  ouaav  aurtov 
èvavTtÔTr|Ta,  y.al  o>ç,  sî;  axupov  auTOÏ;  xat  àci&iaTOv  Jtpoeiaiv 
7)  ÇrjTTia'.ç  twv  ^paytiaToiv ,  zaî  totÉXo;  auTàiv  aTéziixpTov, 
xa!.  ayprjOTOV,  spyto  [rr|6svi  7rpo8rjÀw  xai  Xôyu)  aaçeï 
(k6atoô(j.Evov.  Irrisio,  10,  ibid.,  col.  1180.  Pour  un 
auteur  chrétien,  une  telle  conclusion  est  insuffisante  et 
laisse  une  déception,  quand  il  semblait  si  naturel 
d'indiquer,  au  moins  d'un  mot,  sinon  que  l'impuissance 
de  la  raison  démontre  la  nécessité  relative  d'un  ensei- 
gnement révélé,  du  moins  que  ce  que  la  philosophie 
païenne  n'avait  pu  atteindre  était  pleinement  donné 
par  la  foi  chrétienne.  Hermias,  comme  d'autres  aux 
origines  du  christianisme,  croyait  que  la  prétendue 
sagesse  de  ce  monde  provient  des  anges  déchus  et  attri- 
buait à  cette  origine  suspecte  son  impuissance  et  ses 
contradictions.  Irrisio,  1,  ibid.,  col.  1169.  Peut-être 
aussi,  à  l'exemple  de  Tertullien,  affichait-il  un  superbe 
dédain  pour  toute  curiosité  ou  recherche  d'ordre  phi- 
losophique et  scientifique  :  nobis  c  iriosilate  op  <s 
rion  est,  posl  Christiim  Jesum;  nec  inq.iisitione,  post 
Evangelium.  De  prœscripl.,  7,  P.  L.,  t.  il,  col.  2  •. 
Il  aurait  fait  partie,  dans  ce  cas,  du  nombre  de  ces 
ennemis  intransigeants  de  la  philosophie,  que  Clément 
d'Alexandrie  a  cru  pouvoir,  non  sans  raison,  censurer. 

II.  Son  œuvre.  —  L'auteur,  nous  l'avons  dit, 
prétend  justiPer  cette  parole  de  saint  Paul  :  la 
sagesse  de  ce  monde  ^esl  i  ne  folie  aux  yeux  de  Die>. 
Quant:  u  mode  de  jùstiilc.ation, il  s'estmanifestement 
inspiré  de  ce  passage  de  Tatien:«  Vous  suivez  les  ensei- 
gnements de  Platon,  mais  voici  qu'un  sophiste  de 
l'école  d'Hpicure  vous  résiste  ouvertemeut  en  face. 
Vous  voulez  vous  attacher  à  Aristote,  mais  c'est  alors 
un  sectateur  de  Démocrite  qui  se  moque  de  vous.  » 
Adv.  Grœros,  25,  P.  G.,  t.  vi,  col.  860.  Et  opposant 
philosophe  à  philosophe,  opinion  à  opinion,  sans  se 
préoccuper  le  moins  du  monde  de  l'ordre  chronolo- 
gique, de  la  suite  et  de  l'ensemble  des  doctrines  dont  il 
se  moque,  Hermias  montre  que  ces  doctrines  sont  con- 


2305 


IIERMIAS 


IIERMOGÈNE 


2306 


tradietoires  et  s'annulent  les    unes  les    autres    :  oûSs 
ajuçiova,  o-jûî  ôjAÔXoy*  Sôy^aT*.  Irrisio,  1.  col.  1169. 

Et  cette  contradiction  se  manifeste  d'abord  sur  la 
nature,  le  souverain  bien  et  la  destinée  de  l'âme  et  de 
l'homme.  <■  Tantôt  je  suis  immortel,  et  je  m'en  réjouis; 
tantôt  je  redeviens  mortel,  et  j'en  pleure.  Tantôt  je 
me  résous  en  diverses  matières  :  je  deviens  eau,  air, 
feu:  puis,  un  instant  après,  je  ne  suis  plus  ni  air,  ni  fen; 
on  fait  de  moi  une  bête  sauvage,  un  poisson.  Et  j'ai 
pour  frères  des  dauphins.  A  me  regarder,  je  redoute 
mon  corps  et  ne  sais  quel  nom  lui  donner  :  homme, 
chien,  loup,  taureau,  oiseau,  serpent,  dragon  ou  chi- 
mère: car,  au  gré  de  ces  amis  de  la  sagesse,  j'appartiens 
à  toutes  les  espèces  d'animaux...  Je  nage,  je  vole,  je 
m'élève  dans  les  airs,  je  rampe,  je  cours,  je  reste  assis: 
mais  voici  Empédocle  :  il  fait  de  moi  un  arbuste.  « 
Irrisio,  2,  col.  1172.  Tel  est  le  ton,  spirituel  et  sarcas- 
tique,  mais  un  peu  trop  superficiel. 

Si  les  philosophes  s'accordent  si  peu  sur  l'âme  et 
l'homme,  comment  s'entendraient-ils  sur  Dieu  et  le 
monde,  sur  les  principes  des  choses  ?  Moins  encore. 
Ce  qu'allègue  Anaxagore  est  combattu  par  Parménide, 
et  Parménide  est  contredit  par  Anaximène.  Irrisio, 
3.  Préfère-t-on  suivre  Enoédocle,  Protagoras  vous 
enlève  à  lui,  et  Thaïes  à  Protagoras,  et  Anaximandre 
à  Thaïes.  Irrisio,  4.  Grande  fut,  certes,  la  célébrité 
d'Archélaiis:  mais  Platon  ne  pensa  pas  comme  lui,  ni 
Aristote  comme  Platon.  Irrisio,  5.  Leucippe  traite  de 
nuée  la  doctrine  de  Phérécydc.  Irrisio,  6.  A  Démocrite, 
qui  rit,  s'oppose  Heraclite,  qui  pleure.  Lequel  enten- 
dre ?  Me  voilà  saturé  et  enivré  de  principes;  et  Épicure 
me  prie  de  ne  point  dédaigner  sa  belle  théorie  des 
atomes  et  du  vide.  O  Épicure,  le  meilleur  des  hommes, 
je  n'y  contredis  pas;  mais  Cléanthe,  mettant  la  tête 
hors  du  puits,  se  moque  de  toi.  Je  n'ai  qu'à  accepter 
ses  principes,  quand  accourent  à  moi,  du  fond  de  la 
Libye,  Carnéade  et  Clitomaque,  qui  repoussent  l'opi- 
nion de  tous  les  autres,  et  qui  prétendent  que  rien  ne 
peut  être  compris  et  que  toujours  à  la  vérité  se  mêle 
une  imagination  mensongère.  Que  devenir  ?  La  vérité 
échappe  à  l'homme  et  la  philosophie  tant  vantée,  loin 
de  posséder  la  science  des  choses,  n'est  qu'une  lutte 
contre  des  ombres  :  àX^Ûsia  èÇ  àvOpwTîmv  or/eiai,  fj  6s 
•Javo'jjj.Évr)  (p'.Àoaoçia  ay.toi.iay  Et  uâXXov  rj  ttjv  twv  ovtwv 
ïrtiaxrjij.Tjv  îfyei.  Irrisio,  7,  col.  1177.  Heureusement  le 
grave  Pythugore  me  livre  le  secret  de  tout  :  c'est  la 
monade.  Avec  des  lignes  et  des  nombres,  on  peut  tout 
mesurer.  Je  mesure  donc  le  monde,  le  feu,  l'air,  l'eau, 
l'empire  de  Jupiter  et  de  Neptune,  la  terre,  les  étoiles. 
Et  Épicure  me  crie:  Il  est  d'autres  mondes  encore.  En 
effet,  il  en  est  jusqu'à  mille  et  plus.  «  Me  voilà  donc 
obligé  de  visiter  une  multitude  d'autres  cieux,  de 
nouvelles  plaines  éthérées,  des  mondes  nouveaux.  Par- 
tons sans  plus  tarder;  prenons  des  provisions  pour 
plusieurs  jours,  et  parcourons  les  mondes  d'Épicure.  Je. 
vole  au  delà  des  limites  de  Thétys  et  de  l'Océan.  Arrivé 
dans  un  monde  nouveau  comme  on  arrive  dans  une 
nouvelle  cité,  j'ai  tout  mesuré  en  peu  d'heures.  Je  passe 
de  là  dans  un  troisième  monde,  puis  dans  un  quatrième, 
un  cinquième,  un  dixième,  un  centième,  un  millième  ; 
et  jusqu'où  donc  irai-je  ?  Ne  suis-je  pa«  bien  convaincu 
maintenant  que  tout  n'est  que  ténèbres,  nuit  trom- 
peuse, erreur  sans  fin,  conception  imparfaite,  abîme 
d'ignorance  ?  Pour  qu'il  soit  dit  que  mon  esprit  inves- 
tigateur n'a  rien  négligé,  je  compterai  jusqu'aux 
atomes  qui  ont  donné  naissance  à  tant  de  mondes. 
Mais  n'y  aurait-il  pas  quelque  chose  de  mieux,  de  plus 
essentiel  à  faire  ?  Est-ce  de  tout  cela  que  dépend  le 
bonheur  de  la  famille  et  de  la  cité?  »  Irrisio,  9,  10,  col. 
1177-1180. 

Telle  est  cette  satire  pleine  de  verve  où,  dans  une 
exposition  rapide,  spirituelle  et  dramatique,  et  sous 
une  tonne  ingénieuse  et  piquante,  sont  passés  en  revue 

DICT.    DE   THÉOL.  CATH. 


tous  les  systèmes  de  la  philosophie  grecque,  du  vic  siè- 
cle au  iic  avant  Jésus-Christ.  Elle  mérite  d'être  lue, 
à  titre  d'eeuvre  littéraire:  mais  elle  ne  saurait  passer 
pour  une  œuvre  apologétique,  faute  précisément 
d'avoir  rendu  témoignage  d'une  manière  positive  à 
la  vérité  du  christianisme.  Et  son  auteur  n'a  pas  droit 
à  prendre  place  au  môme  rang  que  saint  Justin, 
Athénagore    et    les  autres   apologistes   du   ne  siècle. 

Texte  dans  Migne,  P.  G.,  t.  vi,  col.  -1169-1180,  et  dans 
Otto,  Corpus  apologetarum  christianorum,  Iéna,  1872, 
t.  ix.  La  première  édition  de  l'Irrisio,  texte  grec  et  traduc- 
tion latine,  a  été  donnée  à  Bâle,  en  1553*  la  dernière  est  due 
à  Diels,  Doxographi  grœci,  Berlin,  1879,  p.  649-656.  Sur  la 
tradition  du  texte,  voir  Harnack,  Geschichle  der  altchristlichen 
Litteratur  bis  Eusebius,  part.  I,  Leipzig,  1893,  p.  782-783. 

Tillemont,  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  ecclésiastique 
des  six  premiers  siècles,  Paris,  1701-1709,  t.  m,  p.  67; 
Ceillier,  Histoire  générale  des  auteurs  sacrés  et  ecclésiastiques, 
Paris,  1858-1869,  t.  vi,  p.  332-333;  Freppel,  Les  apologistes 
chrétien'!,  3«  édit.,  Paris,  1887,  p.  55-74;  Bardenhewer, 
Les  Pérès  de  l'Église,  trad.  franc.,  Paris,  1899,  t.  i,  p.  190- 
191  ;  Geschichle  der  altkirchlichen  Litteratur,  Fribourg-en- 
Brisgau,  1902,  t.  i,  p.  299-303;  Kirchenlexikon,  t.  v,  col. 
1899-1900;  Smith  et  Wace,  Dictionary  o/  Christian  biogra- 
phy,  t.  ii,  p.  927-928;  U.  Chevalier,  Répertoire.  Bio-biblio- 
graphie, t.  i,  col.  2132. 

G.  Bareille. 

2.  HERMIAS,  hérétique.  G.  Salmon  croit,  selon 
toute  probabilité,  qu'Hermias  fait  double  emploi  avec 
Hermogène.  Dictionary  of  Christian  biography,  t.  m, 
p.  3.  Telle  est  également  l'opinion  de  Bardenhewer, 
Les  Pères  de  l'Église,  trad.  franc.,  t.  i,  p.  191.  Mais  il 
y  a  le  texte  formel  de  saint  Philastrius,  qui,  parmi  les 
hérésiologues  des  premiers  siècles,  est  le  premier  à 
parler  de  cet  hérétique,  et,  à  vrai  dire,  le  seul,  puisque 
saint  Augustin,  qui  en  parle  également,  n'a  fait  que  le 
résumer.  Or  il  distingue,  à  quelques  lignes  d'intervalle, 
Hermias  d'Hermogènc,  et  les  discinles  de  cet  Hermiis, 
les  hermiosites  ou  proclionites,  comme  il  les  appelle, 
des  hermogéniens.  Heer.,  55-50,  P.  L.,t.  xn,  col.  1169- 
1171.  Il  convient  donc,  semble-t-il,  de  maintenir  la 
distinction,  et  de  voir  en  Hermias  un  disciple  d'Her- 
mogène,  qui  concurrement  avec  Seleucus,  propagea 
sa  doctrine  dans  la  province  de  la  Galatie.  C'est  dire 
d'abord  qu'il  professait,  comme  Hermogène,  la  double 
erreur  de  croire  que  ta  matière  est  éternelle  et  que  le 
Sauveur,  a  i  moin  Mit  de  sou  ascension,  laissa  son  corps 
dans  le  soleil.  Mais,  par  ailleurs,  il  prétendait  que  les 
âmes  sont  tirées  de  la  matière  par  les  anges,  et.  non  par 
Dieu;  que  le  baptême  d'eau  esl  inutile,  parce  que  l'âme, 
formée  de  souffle  et  de  feu,  n'a  d'autre  tuiptême  à  rece- 
voir que  celui  de  l'esprit  et  du  feu,  dont  -avait  parlé 
saint  Jean-Baptiste;  qu'il  n'y  aura  ni  résurrection  de  la 
chair,  ni  jugement  futur,  attendu  que  ta-résurrection 
des  corps  n'est  autre  chose  que  la  procréation  incessante 
des  enfants;  que  le  Fils- de  Dieu  ne  s'est  pas  réellement 
incarné.  Connaissait-il  et  réprouvait-il  l'application 
faite  par  saint  Irénée  aux  évangélistes  de  la  célèbre 
\ision  d'Ézechiel'?  Nous  l'ignorons;  mais  Philastrius 
nous  apprend,  loc.cit.,  qu'il  en  faisait  une  tout  autre- 
application.  A  ses  yeux"';  en  effet,  le  lion  représentait  le 
roi  des  Parthes;  le  veau  ou  le  bœuf,  le  roi  d'Egypte;' 
l'aigle,  les  Romains;  et  l'homme,  les  gens  pieux^ 
Hermias  se -servait  de  la  Sagesse  de  Sirach. 

S.  Philastrius,  Hœr.,  55-56,  P.  L.,  t.  xn,  col.  1169-1171  ; 
S.  Augustin,  De  hœr.,  59-60,  P.  L.,  t.  xlii,  col.  41-42. 

Bardenhewer,  Les  Pères  de  l'Église,  trad.  franc.,  Paris, 
1899,  t.  i,  p.  191  ;  Migne,  Dictionnaire  des  hérésies,  Paris, 
1847,  t.  i,  p.  766;  Smith  et  Wace,  Dictionary  of  Christian 
biography,  t.  u,  p.  929;  t.  III,  p.  3. 

*>  G.  Bareille. 

HERMOGÈNE,  hérétique  de  la  fin  du  ne  siècle  et 
du  commencement.  dumc. 

1°  Les  sources.  ■ —  La  principale  source  {le  renseigne- 
ments sur,  Hermogène  est  Tertullien,  qui  ne  s'est  pas 


VI. 


73 


2307 


HERMOGÈNE 


2308 


■contenté,  vers  205  ou  206,  de  réfuter  par  écrit  un 
ouvrage  latin  où  cet  hérétique  soutenait  que  la  matière 
est  éternelle  et  que  l'âme  naît  des  énergies  de  la  matière 
et  non  du  souffle  de  Dieu,  mais  qui,  en  outre,  chaque 
fois  que  l'occasion  s'en  présentait,  l'a  nommé  en  termes 
peu  sympathiques.  De  prœscripl.,  30,  33;  Adv.  Valent., 
16;  De  anima,  1,3,  21,22,24;  De  monogamia,  16,  P.  L., 
t.  il,  col.  43,  46,  570,  646,  652,  685,  687,  951. 

Mais,  d'autre  part,  et  antérieurement  à  l'année  180, 
les  erreurs  de  ce  même  Hermogène  avaient  été  com- 
battues, au  témoignage  d'Eusèbe  de  Césarée,  H.  E., 
iv,  24,  P.  G.,  t.  xx,  col.  389,  par  saint  Théophile 
d'Antioche  dans  un  traité  npo;  ttjv  oct'pscrtv  'EpaoyÉvojç, 
qui  ne  nous  est  point  parvenu.  Cf.  Bardenhewer,  Ge- 
schichte  der  allkirchlichen  Litteratur,  Fribourg-en-Bris- 
gau,  1902,  t.  i,  p.  286-287.  On  ignorerait  donc  l'objet 
de  cette  première  réfutation  si  l'on  n'était  fonde  à 
croire  que  c'est  dans  le  traité  de  saint  Théophile  qu'ont 
puisé  soit  Clément  d'Alexandrie,  qui  rapporte  l'opinion 
singulière  dans  laquelle  Hermogène  soutenait  qu'au 
jour  de  son  ascension  le  Christ  avait  laissé  son  corps 
dans  le  soleil,  Ex  script,  prophet.,  56,  P.  G.,  t.  ix,  col. 
724,  soit  l'auteur  des  Philosophoumena,  qui  attribue  au 
même  hérétique  non  seulement  l'opinion  signalée  par 
Clément  d'Alexandrie,  mais  encore  les  erreurs  réfutées 
par  Terlullien,  et  quelques  autres.  Philosovh.,  vin, 
17,  édit.  Cruice,  Paris,  1860,  p.  417-418. 

Longtemps  après,  de  383  à  391,  saint  Philastrius, 
sans  faire  connaître  les  sources  où  il  a  puisé,  ajoute  de 
nouveaux  détails  totalement  inconnus  de  Tertullien. 
Il  semble,  en  effet,  attribuer  la  même  hérésie,  avec  une 
différence  de  noms,  aux  sabelliens,  aux  praxéens  et 
aux  hermogéniens,  ces  derniers  ainsi  appelés  du  nom 
de  leurs  chefs,  Praxéas  et  Hermogène,  qui  vécurent 
en  Afrique  et  furent  chassés  de  l'Église  pour  cause 
d'hérésie.  Il  attribue,  en  outre,  à  deux  hérétiques  de 
Galatie,  Séleucus  et  Hermias,  les  erreurs  d'Hermogène. 
User.,  54-56,  P.  L.,  t.  xn,  col.  1168-1171.  Plus  tard 
encore,  au  ve  siècle,  Théodoret  de  Cyr  signale  d'autres 
erreurs  d'Hermogène  et  note  que  cet  hérétique  fut 
réfuté  par  Origène.  Hœret.  lab.,  i,  19,  P.  G.,  t.  lxxxiii, 
col.  369.  Si  ce  dernier  renseignement  est  vrai,  et  rien  ne 
prouve  qu'il  soit  faux,  il  en  résulterait  que  la  réfutation 
d'Hermogène  par  Origène  s'est  perdue. 

D'après  ces  sources,  il  est  un  départ  à  faire  entre  ce 
qui  concerne  Hermogène  en  personne  et  ce  qui  regarde 
ses  disciples.  Des  renseignements  contemporains  il 
résulte  que  c'est  à  Antioche  ou  dans  les  environs  de  la 
capitale  de  la  Syrie,  et  du  temps  de  Marc-Aurèle  (161- 
180),  qu'Hermogène  a  répandu  d'abord  sa  doctrine  et 
recruté  des  disciples,  ce  qui  provoqua  l'intervention  de 
saint  Théophile.  De  là  il  passa  dans  l'Afrique  procon- 
sulaire, où  il  vivait  du  temps  de  Tertullien,  qui  parle 
toujours  de  lui  comme  d'un  personnage  encore  vivant 
et  bien  connu  à  Carthage 

2°  Le  personnage.  —  Aux  yeux  de  l'austère  Tertul- 
lien déjà  passé  au  montanisme,  Hermogène  présentait 
deux  tares,  celle  d'exercer  la  profession  de  peintre  et 
celle  d'avoir  contracté  un  second  ou  un  troisième 
mariage.  Sa  profession  trahissait  des  attaches  avec 
l'idolâtrie  et  son  état  d'homme  remarié  était  sans 
excuse  pour  les  montanistes,  adversaires  résolus  des 
secondes  noces.  De  là  ce  portrait  peu  flatteur  que  trace 
de  lui  la  plume  mordante  et  exagérée  de  Tertullien. 
«  Le  génie  inquiet  d'Hermogène,  dit-il,  le  destinait 
naturellement  a  l'hérésie.  Il  se  croit  éloquent  parce 
qu'il  parle  beaucoup;  son  impudence,  il  la  prend  pour 
de  la  fermeté;  et  dire  du  mal  de  tout  le  monde,  voilà 
ce  qu'il  appelle  l'oflice  d'une  conscience  vertueuse. 
Ajoutez  à  cela  qu'il  peint  illicitement  et  qu'il  se  marie 
assidûment  :  d'un  côté,  invoquant  la  loi  de  Dieu  dans 
l'intérêt  de  sa  passion;  de  l'autre,  la  méprisant  au 
profit  de  son  art;  deux  fois  faussaire,  et  par  le  pinceau 


et  p;~r  la  plume;  adultère  des  pieds  à  la  tète,  et  dans 
sa  doctrine  et  dans  sa  chair,  puisqu'il  participe  à  la 
con'agion  de  ceux  qui  réitèrent  le  mariage  et  qu'il  n'a 
pas  plus  persévéré  dans  la  règle  de  foi  que  cet  autre 
Hermog  ne,  dont  parle  l'api  tre.  Du  rang  des  chré- 
tiens il  est  passé  à  celui  des  philosophes,  et  de  l'Église 
à  l'Académie  et  au  Portique.  »  Adv.  Hermogenem, 
1,  P.  L.,  t.  ii,  col.  198. 

Bien  qu'il  n'ait  eu  affaire  qu'à  la  doctrine  erronée 
d'Hermog  ne,  Tertullien  ne  peut  s'emp  cher  de  déco- 
cher de  temps  en  temps  quelque  trait  satirique  contre 
sa  personne  ou  sa  profession.  C'est,  dit-il,  un  peintre, 
qui  fait  de  l'ombre  sans  lumière,  ibid.,  2,  col.  198; 
qui  n'a  rencontré  la  matière  éternelle  que  parmi  ses 
couleurs,  ibid.,  33,  col.  228;  qui,  habitué  à  épouser 
plus  de  femmes  qu'il  n'a  pu  en  peindre,  De  monogamie, 
16,  ibid.,  col.  951.  a  fait  son  propre  portrait  en  repré- 
sentant la  matière  à  l'état  informe  et  chaotique.  Adv. 
Hermog.,  45,  ibid.,  col.  238.  Heureusement,  cette  verve 
sarcastique  cède  la  place,  sous  la  plume  de  Tertullien, 
à  une  vigoureuse  et  maîtresse  réfutation  des  erreurs 
d'Hermogène. 

3°  Les  erreurs  d'Hermogène.  —  Tertullien  en  signale 
deux,  l'une  sur  l'origine  de  l'âme,  l'autre  sur  la  créa- 
tion du  monde,  et  il  a  consacré  un  livre  spécial  à  la 
réfutation  de  l'une  et  de  l'autre,  le  De  censu  animœ, 
qui  ne  nous  est  point  parvenu,  et  le  Adversas  Hermo- 
genem, dont  il  va  être  question. 

Relativement  à  l'âme  humaine,  Hermogène  la 
croyait  issue  des  seules  énergies  de  la  matière,  et  nulle- 
ment du  souffle  de  Dieu,  comme  il  est  raconté  dans  la 
Genèse.  11  est  regrettable  que  le  De  censu  animie  soit 
perdu;  mais  voici  en  quels  termes  Tertullien  y  fait 
allusion  :  De  solo  censu  animée  congressus  Hermogeni, 
qualenus  et  isturn  ex  malerise  potius  suggestu,  quam  ex 
Dei  flalu,  eonstitisse  prœsumpsit.  De  anima,  1,  P.  L., 
t.  ii,  ccl.  646.  Qui  a  fait  jaillir  l'âme  humaine  de  la 
matière?  Ce  sont  les  anges,  disent  les  disciples  d'Her- 
mogène, et  nullement  le  Christ.  Et  ainsi,  sur  ce  point 
capital  de  l'origine  de  l'âme,  le  désaccord  était  complet 
avec  la  doctrine  catholique. 

Relativement  à  l'origine  du  monde  actuel,  du  zm;j.o;, 
Hermogène  en  attribuait  bien  l'organisation  à  Dieu 
mais  non  la  création  proprement  dite.  Il  soutenait, 
en  effet,  l'existence  d'une  matière  neque  nata,  nequs 
facla,  nec  initium  habens  omnino  nec  flnem,  ex  qua 
Dominus  omnia  poslea  fecerit.  Adv.  Hermog.,  1,  P.  L., 
t.  ii,  col.  198.  Par  là  il  était  du  nombre  de  ces  mal<ria- 
riof,  comme  les  qualifie  Tertullien  à  l'aide  d'un  bar- 
barisme, ibid.,  25,  col.  219,  qui,  distinguant  la  matière 
informe  et  confuse  de  la  matière  organisée  et  ordonnée, 
prétendaient  que  Dieu  n'a  fait  le  monde  actuel  qu'au 
moyen  d'une  matière  préexistante  et  éternelle,  de  telle 
sorte  qu'au  lieu  d'en  être  véritablement  le  créateur,  il 
n'en  aurait  été  que  le  démiurge.  Une  telle  manière  de 
concevoir  la  matière  sous  deux  aspects  différents  avait 
pour  motif  d'expliquer  l'existence  du  mal  sans  en 
rendre  Dieu  responsable.  Ce  motif  était  illusoire,  et  la 
thèse  qu'il  prétendait  justifier,  insoutenable,  comme 
a  eu  soin  de  le  prouver  Tertullien. 

Voici  l'argumentation  d'Hermogène  :  Dieu  a  tiré 
le  monde,  ou  de  sa  propre  substance,  ou  du  néant,  ou 
d'une  matière  préexistante.  Or,  il  serait  absurde  de 
prétendre  qu'il  l'ait  tiré  de  sa  propre  substance,  parce 
que  les  êtres  ainsi  produits  seraient  autant  de  parcelles 
de  lui-même.  Dieu  n'admet  point  de  partage,  étant 
indivisible  et  immuable.  S'il  tirait  le  monde  de  lui- 
même,  il  serait  a  la  fois  complet  et  incomplet  :  complet, 
parce  qu'il  existe;  incomplet,  parce  qu'il  devient. 
L'être  parlait  exclut  le  devenir,  car  l'on  ne  devient 
que  parce  qu'on  n'est  pas  tout  ce  -que  l'on  pourrait 
être.  En  outre,  Dieu,  la  bonté  même,  n'a  pu  faire  que 
des  choses  bonnes.  Si  donc,  comme  le  prouve  l'expé- 


2309 


HERMOGÈNE 


2310 


rience,  il  existe  des  choses  mauvaises,  cela  ne  peut 
provenir  ni  de  son  choix,  ni  de  sa  volonté  :  il  faut 
nécessairement  qu'il  ait  trouvé  un  obstacle  dans  une 
matière  préexistante,  où  le  mal  a  son  origine.  Adv. 
Hermorj.,  1,  ibid.,  col.  190.  De  plus,  Dieu  no  saurait 
acquérir  de  nouveaux  titres  ni  de  nouvelles  perfections. 
Et  de  même  qu'il  n'a  jamais  cessé  d'être  Dieu,  il  a  dû 
être  toujours  Seigneur;  et  comment  Faurait-il  été 
sans  l'existence  d'une  matière  à  dominer?  Ibid., 
3,  col.  200.  Donc,  concluait  Hermogène,  des  trois  hypo- 
thèses qui  peuvent  servir  à  expliquer  l'origine  du 
monde  actuel,  les  deux  premières  sont  à  écarter,  et  la 
troisième  seule  doit  être  retenue.  C'était  là  supprimer 
l'un  des  dogmes  capitaux  du  christianisme,  celui  de 
la  création,  inscrit  au  symbole  des  apôtres. 

Que  répond  Tertullien?  Ceci  :  en  droit,  la  matière  ne 
peut  pas  être  éternelle;  en  fait,  rien  ne  prouve  que 
Dieu  ait  fait  le  monde  avec  une  matière  préexistante. 
D'où  la  conclusion  :  ce  monde  a  été  créé  par  Dieu 
•ex  nihilo  :  cette  expression  de  Tertullien  est  restée 
dans  la  langue  théologique. 

En  droit,  et  directement,  la  matière  ne  saurait  être 
éternelle  car,  en  la  déclarant  innata,  infecta  seternu, 
c'est  l'égaler  à  Dieu  et  faire  deux  Dieux,  puisque  c'est 
lui  attribuer  un  attribut  essentiellement  divin.  Or, 
veritas  sic  unum  exigit  Deum,  ut  solius  sit  quidquid 
ipsius  est.  Ibid.,  5,  col.  202.  C'est  plus  encore,  la 
rendre  supérieure  à  Dieu,  puisque,  d'après  l'hypothèse, 
Dieu  a  besoin  d'elle  et  est  sous  sa  dépendance  pour 
organiser  le  monde.  Ibid.,  7-8,  col.  203-204.  En  droit,  et 
indirectement,  Tertullien  prouve  encore  la  non-exis- 
tence d'une  matière  éternelle,  car  cela  implique  une 
contradiction;  il  est  contradictoire  que  ce  qui  est 
éternel,  étant  par  là  même  parfait,  puisse  être  mauvais 
comme  cette  prétendue  matière;  et  si  la  matière  est 
essentiellement  mauvaise,  le  mal  est  nécessaire;  alors 
pourquoi  le  combattre?  Si  Dieu,  avec  cette  matière 
essentiellement  mauvaise,  a  fait  quelque  chose  de  bon, 
il  l'a  changée;  or  ce  qui  est  éternel  ne  peut  changer. 
Ibid.,  11-12,  col.  206-208.  Quant  au  mal  qui  persiste, 
ou  Dieu  l'a  voulu,  ou,  ne  le  voulant  pas,  il  ne  l'a  pas 
•empêché  :  dans  l'un  et  l'autre  cas,  il  résulte  de  graves 
inconvénients.  Quant  au  bien  produit,  d'où  vient-il? 
De  la  matière?  c'est  impossible,  puisque  vous  la  décla- 
rez d'essence  mauvaise.  De  Dieu,  par  émanation? 
Pas  davantage,  puisque  vous  la  niez.  Il  reste  donc  qu'il 
a  été  créé  ex  nihilo.  Ibid.,  14-15,  col.  209-210.  Si  la 
matière  n'apparaît  ici  que  pour  justifier  Dieu  du 
reproche  d'être  l'auteur  du  mal,  Dieu  n'en  est  pas 
moins  l'auteur  du  mal  même  en  présence  de  cette 
matière.  Conséquemment,  la  matière  une  fois  exclue  par 
le  fait  même  que  disparaît  la  nécessité  de  sa  présence, 
il  n'y  a  plus  qu'à  tirer  cette  conclusion  :  Dieu  a  tout  fait 
de  rien,  ou,  en  d'autres  termes,  aucune  raison  n'existe 
d'admettre  une  matière  éternelle.  Ibid.,  16,  col.  211. 

En  fait,  rien  ne  montre  que  Dieu  ait  fait  le  monde 
avec  une  matière  préexistante.  Sans  doute,  par  une 
interprétation  violente  du  texte  de  la  Genèse,  et 
notamment  du  mot  principio,  du  terme  terra,  et  de 
l'imparfait  erat,  Hermogène  essayait  de  prouver  le 
bien-fondé  de  son  opinion,  mais  Tertullien  le  ramène 
à  une  interprétation  littérale  et  obvie  qui  la  ruine. 
Par  son  silence  relatif  à  une  matière  avec  laquelle 
Dieu  aurait  créé  le  monde,  l'Écriture  montre  assez 
qu'il  l'a  créé  de  rien.  Quant  à  une  matière  éternelle, 
ajoute  Tertullien,  je  la  cherche  vainement  dans  le 
récit  mosaïque;  Hermogène  a  pu  la  rencontrer  parmi 
ses  couleurs,  il  ne  la  trouvera  certainement  pas  dans 
les  Écritures  de  Dieu.  Ibid.,  19-32,  col.  214-228.  Donc 
salis  est  quod  omnia  et  jacta  a  Deo  constat,  et  ex  maleria 
non  constat;  quœ  eliam  si  fuisset,  ipsam  quoque  a  Deo 
Jaclam  credidissemus,  quia  nihil  innatum  prœler  Deum 
prœscribentes,   obtincremus.  Ibid.,  33,  col.  228. 


Avant  de  finir,  Tertullien  relève  les  contradictions 
d'Hermogène  dans  les  explications  qu'il  donne  sur 
l'état  de  cette  matière  et  sur  la  manière  dont  Dieu 
aurait  agi  sur  elle.  Et  d'abord,  de  crnsu  materiœ, 
votre  matière  serait  à  la  fois  corporelle  et  incorporelle, 
ibid.,  35-36;  bonne  et  mauvaise,  ibid.,  37;  localisée  et 
infinie,  ibid.,  38;  immuable  et  changeante,  ibid., 
39;  douée  d'un  mouvement  confus,  désordonné,  tel 
que  celui  de  l'eau  qui  bout  dans  une  chaudière,  ibid.. 
41-43.  Et  ensuite,  sur  le  mode  d'intervention  qu'il 
attribue  à  Dieu  :  Dieu  aurait  agi  sur  elle,  en  lui  appa- 
raissant ou  en  s'en  approchant,  apparens  et  appropin- 
quans,  à  la  manière  de  la  beauté  qui  frappe  l'esprit  ou 
de  l'aimant  qui  attire  le  fer.  Vraiment,  pour  un  Dieu 
qui  est  présent  partout,  c'est  un  voyage  lointain 
qu'on  prête  à  Dieu  pour  apparaître  à  la  matière  et  se 
rapprocher  d'elle.  Ibid.,  44,  col.  237.  Ce  n'est  pas  ainsi 
que  les  prophètes  et  les  apôtres  ont  enseigné  que  Dieu 
a  fait  le  monde.  Et  Tertullien  tire  la  conclusion  géné- 
rale, qui  ne  va  pas  seulement  à  ruiner  l'erreur  d'Her- 
mogène, mais  encore  à  prouver  la  création  ex  nihilo  : 
Igilur  in  quantum  constitit  materiam  nullam  fuisse, 
ex  hoc  etiam  quod  nec  talem  competat  fuisse  qualis 
inducitur,  in  lantum  probatur  omnia  a  Deo  ex  nihilo 
facta.  Ibid.,  45,  col.  238. 

4°  Les  hermogéniens  ou  disciples  d' Hermogène.  — 
Comme  on  vient  de  le  voir,  Tertullien  ne  relève  que 
deux  erreurs  dans  Hermogène,  sans  faire  la  moindre 
allusion  à  un  rapport  quelconque  entre  lui  et  le  sabellia- 
nisme;  et  c'est  la  même  erreur  sur  l'origine  du  monde 
que  lui  attribue  l'auteur  des  Philosophoumena.  Celui-ci 
précise  que,  d'après  Hermogène,  Dieu  n'a  pas  utilisé 
toute  la  matière  préexistante,  mais  seulement  une 
partie,  laissant  l'autre  à  son  mouvement  désordonné; 
la  partie  organisée  est  le  y.oatxoç,,  l'autre  reste  I'ûXtj  àypîa 
xai  âcxoapoç.  Philosoph.,  vin,  17,  p.  417.  Hermogène, 
ajoute-t-il,  ibid.,  p.  418,  confesse  que  le  Christ  est  le 
Fils  de  Dieu,  qui  a  tout  fait;  qu'il  est  né,  comme  le 
raconte  l'Évangile,  de  la  Vierge  et  du  Saint-Esprit; 
qu'il  est  ressuscité  après  sa  mort  et  qu'il  apparut  corpo- 
rellement  à  ses  disciples,  èv  aiôjxaTt  ;  et  qu'en  remontant, 
vers  son  Père,  il  laissa  son  corps  dans  le  soleil.  Cette 
dernière  opinion,  il  l'appuyait  sur  ce  texte  mal  compris 
et  mal  interprété  du  psalmiste  :  In  sole  posuit  taberna- 
culum  suum.  Ps.  xvm,  6. 

Ces  erreurs  d'Hermogène  se  retrouvent  naturelle- 
ment chez  ses  disciples;  mais  ceux-ci,  non  moins  natu- 
rellement, ont  pu  en  emprunter  ou  en  inventer  d'autres, 
auxquelles  leur  chef  a  été  étranger.  Et  par  suite, 
si  Hermogène,  sur  la  question  de  personnes  divines,  est 
personnellement  à  l'abri  de  tout  reproche,  on  n'en 
saurait  dire  autant  de  ses  disciples.  Ceux-ci  ont  été 
nommément  accusés  de  sabellianisme  par  saint  Philas- 
trius.  Hœr.,  54,  P.  L.,  t.  xn,  col.  1168.  Ils  habitaient 
l'Asie  Mineure  et  étaient  plus  particulièrement  can- 
tonnés en  Galatie,  où  deux  personnages,  Séleucus  et 
Hermias,  propagèrent  l'hérésie  d'Hermogène.  Ibid.,  55, 
col.  1169-1170.  Parmi  les  erreurs  qui  leur  sont  attri- 
buées on  compte  les  suivantes.  D'après  eux,  le  diable  et 
les  démons  doivent  se  dissoudre  un  jour  et  retourner 
à  la  matière  première.  Théodoret,  Hœrrf.  fab.,  i,  19, 
P.  G.,  t.  lxxxiii,  col.  369.  Le  mal  procède  tantôt  de 
Dieu,  tantôt  de  la  matière.  Il  n'y  a  pas  eu  de  paradis 
visible.  Le  baptême  d'eau  est  inutile,  car  les  âmes, 
ayant  été  formées  de  souffle  et  de  feu,  n'ont  d'autre 
baptême  à  recevoir  que  le  baptême  d'esprit  et  de  feu, 
dont  avait  parlé  saint  Jean-Baptiste.  Le  monde  ter- 
restre est  à  vrai  dire  l'enfer.  La  résurrection  des  corps 
n'est  autre  que  la  procréation  des  enfants.  Philastrius, 
Hœr.,  55-56,  P.  L.,  t.  xn,  col.  1170-1171. 

La  secte  des  hermogéniens  n'a  pas  laissé  d'autre 
trace  dans  l'histoire.  Saint  Augustin,  De  hœr.,  41, 
en  parle  comme  d'une  chose  passée,  sans  rapporter 


2311 


HERMOGÈNE  —  HERSENT 


2312 


autre  chose  que  l'accusation  de  sabellianisme  relevée 
contre  elle  par  saint  Philastrius.  Nec  tamcn  istae 
(sabelliens,  praxéens  et  hermogénicns)  plures  sertie 
suiil;  stu  un  lus  se  lie  ptura  nomma,  ex  his  hominibus 
qui  in  ea  maxime  innoluerunt. 

Tertullien,  Adversus  Hermogenem,  P.  L.,  t.  n,  col.  197-238  ; 
Philosophoumena,  vin,  17,  édit.  Cruice,  Paris,  1860, 
p.  417-418;  Philastrius,  Hœr.,  54-56,  P.  L.,  t.  xn,  col. 
1168-1171;  Théodoret,  Hœret.  lab.,  i,  19,  P.  G.,  t.  lxxxiii, 
col.  369. 

Tillcmont,  Mémoires  pour  servir  à  l'Iiistoire  ecclésiastique 
des  six  premiers  siècles,  Paris,  1701-1709,  t.  m,  p.  65-68; 
Freppcl,  Tertullien,  3e  édit.,  Paris,  1887,  t.  n,  p.  265-287; 
Bardenhewer,  Les  Pères  de  l'Église,  trad.  tranç.,  Paris,  1899, 
t.  i,  p.  321  ;  Gescliiclitc  der  altkirchlichen  Litteratur,  Fribourg- 
en-Brisgau,  t.  i,  p.  344;  A.  Harnack,  Geschichte  der 
altchristlichcn  Litteratur,  t.  n,  p.  534-535;  Migne,  Diction- 
naire des  hérésies,  Paris,  1847,  t.  i,  p.  767-775;  Kirchen- 
lexikon,  t.  v,  col.  1900-1902;  Smith  et  Wace,  Dictionary  o/ 
Christian  biograpliu,  t.  m,  p.  1-3;  U.  Chevalier,  Répertoire. 
Bio-bibliographie,  t.  i,  col.  2132;  A.  d'Alès,  La  théologie 
de  Tertullien,  Paris,  1905,  p.  46-50,  104-106,  110,  112,  113, 
119,200. 

G.  Bareille. 

HERNHUTES,  secte    morave.    Voir  Zinzendorf. 

HERNIO  Jacques,  dominicain  breton,  néà  Rennes, 
prit  l'habit  au  couvent  de  la  même  ville.  Il  fut  reçu 
maître  en  théologie  le  7  décembre  1678.  Il  gouverna 
pendant  quatre  ans,  en  qualité  de  vicaire  général,  la 
congrégation  dominicaine  dite  de  Saint- Vincent- 
Ferrier,  comprenant  la  Bretagne  (1678-1682).  Il 
mourut  le  4  septembre  1706.  11  était  particulièrement 
versé  dans  les  études  de  droit  canonique  et  publia  sur 
ces  matières  un  Traité  de  l'usure,  avec  les  réponses  au 
traité  de  la  pratique  des  billets  et  à  une  dissertation  sur 
les  inl  rests  des  deniers  pupillaires  selon  l'usance  de 
Bretagne,  Rennes,  1699.  Un  jurirc.onsulte  breton, 
René  de  Kerhuel,  tenta  une  réponse  et  publia  un 
Traité  des  deniers  pupillaires  contre  le  livre  précédent, 
(Cologne),  1699.  Hernio  ne  répondit  pas. 

Coulon,  Scriptores  ordinis  prœdicatorum,  xviii1""  soec, 
1910,  p.  82  ;  Hurter,  Somenclator  /i/erarïiis,  Inspruck,  1910, 
t.  iv,  col.  961  et  note  2. 

R. Coulon. 

1.  HERRERA  (Alphonse  de),  dominicain  espa- 
gnol, du  couvent  de  Léon,  étudia  la  théologie  à  Saint- 
.lacques  de  Paris,  où  il  fut  assigné  par  le  chapitre 
général  de  Rome,  en  1530.  Il  ne  semble  pas  cependant 
qu'il  y  ait,  selon  la  coutume,  pris  les  grades  acadé- 
miques ;  du  moins  son  nom  ne  figure  pas  sur  les  listes 
des  licenciés.  D'après  Fernandez,  Concerlalio  prsedi- 
catoria,  Salamanque,  1618,  p.  486,  de  Herrera  fut 
nommé  prédicateurordinaire  de  Charles-Quint. 11  mou- 
rut vers  1558.  Des  auteurs  espagnols,  cités  par  Échard, 
font  son  éloge,  comme  d'un  homme  très  versé  dans  la 
science  des  Écritures,  et  intrépide  défenseur  de  la  foi, 
en  même  temps  que  prédicateur  éloquent.  11  composa 
un  traité,  De  valore  bonorum  operum  adversus  luthe- 
ranos  disceptalio,  Paris,  1540.  Martinez-Vigil  cite 
aussi  comme  étant  de  lui,  mais  publié  probablement 
après  sa  mort  :  Considerationes  de  las  amenazas  del 
juicio  y  pena  del  infierno  sobre  el  Psalmo  XLVin, 
Séville,  1617.  Thomassin,  dans  ses  Mémoires  sur  la 
grâce.  Louvain,  1668,  p.  268,  et  dans  les  éditions  qui 
.suivirent,  prétend  avoir  retrouvé  dans  Herrera  ses 
propres  idées  sur  la  grâce  et  sur  la  prédétermination 
physique  ;  mais  il  ne  paraît  pas  cependant  que  de 
Herrera  se  soit  jamais  écarté  de  la  doctrine  thomiste 
reçue. 

Echard,  Scriptores  ordinis  prœdicatorum.  Paris,  1719-1721, 
t.  n,  p.  165;  Martinez-Vigil,  La  orden  de  predicadorcs, 
Madrid,  1884,  p.  301. 

R.  Coulon. 


2.  HERRERA  (Augustin  de),  théologien  espagnol, 
né  à  San  Esteban  de  Gormez  le  28  août  1623,  reçu  au 
noviciat  de  la  Compagnie  de  Jésus  le  13  mars  1638, 
s'adonna  d'abord  à  la  prédication,  puis  enseigna  la 
philosophie  et  la  théologie  pendant  vingt-cinq  ans  à 
l'université  d'Alcala.  lia  publié  plusieurs  traités  im- 
portants :  De  prsedeslinalionc  sanclorum  et  impiorum 
reprobationc,  Alcala,  1671;  Tractatus  de  scientia  Dei, 
ibid.,  1672;  Tractatus  de  voluntale  Dei,  ibid.,  1673; 
Tractatus  de  allissimo  Trinilatis  myslerio,  ibid.,  1674; 
Tractatus  de  angelis,  ibid.,  1675.  Tous  ces  ouvrages 
se  font  remarquer  par  une  lumineuse  précision  de 
termes  et  de  pensée  comme  aussi  par  une  étonnante 
subtilité  de  recherches  souvent  ingénieuses,  toujours 
curieuses.  On  a  du  même  auteur  un  manuel  excellent 
de  théologie  morale  :  Medula  de  la  theologia  moral, 
Alcala,  1700,  et  une  défense  des  doctrines  du  P.  Hur- 
tado  de  Mendoza  :  Discursus  polilicus  el  apologeticus, 
Madrid,  1682.  Le  P.  de  Herrera  mourut  le  18  sep- 
tembre 1684  au  collège  d'Alcala,  dont  il  était  recteur. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  C'e  de  Jésus,  t.  iv, 
col.  312  sq.;  Hurter,  Nomenclator,  3e  édit.,  Inspruck,  1910, 
t.   iv,  col.  361. 

P.  Bernard. 

3.  HERRERA  (Pierre  de),  religieux  dominicain, 
né  à  Séville  en  1548,  entra  à  dix-neuf  ans  dans 
l'ordre,  au  couvent  de  Salamanque,  et  fit  profession  le 
24  février  1567.  Il  enseigna  la  théologie  suivant  la 
doctrine  de  saint  Thomas  a  l'université  de  Salamanque 
et  y  acquit  le  renom  d'un  théologien  du  premier 
mérite.  En  1593,  il  occupa  la  chaire  de  Scot.  Vers  la 

j  fin  de  l'année  1604,  la  première  chaire  de  théologie 
étant  devenue  vacante  par  la  mort  de  Bafiez,  elle  fut 
mise  au  concours  selon  la  coutume.  Elle  fut  fortement 
disputée  aux  dominicains  par  Alphonse  Curiel,  que  la 
plupart  des  docteurs  et  des  collèges  favorisaient 
Pierre  de  Herrera  l'emporta  cependant  sur  son  com- 
pétiteur et  fut  nommé,  le  22  décembre.  Clément  VIII 
l'en  félicita.  Le  frère  prêcheur  occupa  cette  chaire  à  la 
satisfaction  entière  de  l'université  jusqu'en  1617,  lors 
qu'il  devint  le  premier  titulaire  d'une  autre  chaire  de 
théologie,  fondée  par  Philippe  III.  Au  mois  de  février 
1621,  ce  roi  le  nomma  évèque  des  Canaries.  11  fut  sacré 
le  21  novembre  de  cette  année.  L'année  suivante,  il 
fut  présenté  au  siège  de  Tuy.  En  1630,  il  fut  transféré, 
à  Tarragone,  mais  il  mourut  à  Salamanque,  le  31  dé- 
cembre de  cette  année,  avant  d'avoir  pris  possession 
de  son  nouveau  siège.  Gravina  l'a  appelé  un  nouvel 
Aioth.  luttant  des  deux  mains:  il  a  loué  sa  subtilité 
dans  l'interprétation  de  saint  Thomas  et  sa  profondeur 
dans  celle  de  l'Écriture.  Vox  turluris,  part.  IL  c.  xxm. 
Un  seul  de  ses  ouvrages  a  été  imprimé  :  Tractatus  de 
Trinitale  D.  Thomœ  Aquinatis  cum  commentariis  et 
disputationibus,  in-4°,  Pavie,  1627,  édité  par  J.-B. 
Bubens.  Ai.toni  'avait  vu  à  Madrid  chez  un  dominicain 

j  un  traité  manuscrit  De  conceptione  Deiparse  Virgi  is. 
Les  autres  ouvrages  manuscrits  du  P.  Pierre  de 
Herrera  étaient  conservés  aux  archives  de  l'ordre  à 
Rome  :  ils  comprenaient  un  commentaire  de  toute  la 
Somme  de  saint  Thomas,  et  des  explications  morales 
et  littérales  de  l'Écriture  entière. 

Echard,  Scriptores  ordinis  prœdicatorum,  Paris,  1721 . 
t.  il,  p.  467;  Antonio,  Bibliotheca  hispana  nova,  Madrid,. 
1788,  t.  n,  p.  200-201  ;  Hurter,  Nomenclator,  Inspruck,  1907, 
t.  m,  col.  658. 

E.  Mangenot. 

HERSENT  Charles,  théologien,  né  à  Paris,  mort 
après  1660  au  château  de  Largoue,  en  Bretagne. 
D'après  Moréri,  il  était  docteur  en  Sorbonne,  mais  il 
ne  prit  jamais  lui-même  ce  titre  en  tète  de  ses  ouvrages. 
D'ailleurs,  il  était  entré  très  jeune,  vers  1615,  à  l'Ora- 
toire et  s'y  fit  remarquer  par  ses  prédications  véhé- 


2313 


HERSENT—  HERTZIG 


231' 


mentes   et  claires,   à  Troyes,   à   Dijon,   à  Angers,   à 
Langres  et  à  Paris.  Au  retour  d'un  voyage  à  Rome  et 
à  Lorette,  qu'il  avait  fait  sans  permission  en  1624, 
il  abandonna,  l'année  suivante,  sa  congrégation,  contre 
laquelle  il  écrivit  :  Avis  touchant  les  prêtres  de  l'Ora- 
toire, par  un  prêtre  qui  a  demeuré  quelque  temps  avec 
eux,  in-12,  1625;    et  Articles  concernant  la  congréga- 
tion   de    l'Oratoire    en    France,    aux    illustrissimes    et 
révérendissimcs    cardinaux,    archevêques    et   évêques   de 
l'Assemblée  du  clergé,  in-4°  et  in-8°,  1626;  réimprimé 
en    1670;    écrit    que    l'auteur    désavoue,    peu    après, 
pour  se  libérer  de  l'interdit  jeté  sur  lui  par  l'arche- 
vêque de   Paris   pour  un  autre  sujet,   par  un   autre 
libelle  •"    Jugement  sur  la    congrégation   de  l'Oratoire 
de  Jésus,  par  un  prêtre  qui  en  est  sorti  depuis  quelque 
temps,  in-12,  Paris,  1626.  Quelques  mois  avant,  il  avait 
fait  imprimer  :  In  D.  Dyonisii  Areopagitœ  de   myslica 
theologia    apparatus ,     interpretalio ,     nolœ,    commen- 
larii  et  paraphrasis,  in-8°,  Paris,  1626.  L'année  suivante, 
il  publiait  :  Éloge  funèbre  de  très  haute  et  très  puissante 
princesse  Madame  Gabrielle  de  Bourbon,  fille  naturelle 
du  roi  Henri  I V,  légitimée  de  France,  duchesse  de  La 
Valette,    première   femme   de   Jean-Louis   de   Nogaret, 
duc  d' Épernon  (trois  discours  prononcés  à  la  cathédrale 
de  Metz),  in-8°,  Paris,  1627,  ce  qui  lui  valut  apparem- 
ment  d'être   nommé   chancelier   de   l'église   de  Metz 
et  lui  donna  l'occasion  de  faire  paraître  un  traité  De  la 
souveraineté  du  roi  à  Metz,  pays  messin,  et  autres  villes 
et  pays  circonvoisins  qui  étaient  de  l'ancien  royaume 
d'Auslrasie  ou  Lorraine,  contre  les  prétentions  de  l'Em- 
pire, de  l'Espagne  et  de  la  Lorraine,  et  contre  les  maximes 
des  habitants  de  Metz  qui  ne  tiennent  le  roi  que  pour  leur 
prolecteur,  in-8°,  Paris,  1632.  Il  semble  qu'à  ce  moment 
Charles  Hersent  fut  rentré  à  l'Oratoire,  car  il  prend 
le  titre  de  révérend  père,   mais  le   P.  de  Condren,  su- 
périeur   général    de    cette    congrégation,    l'invita  en 
1634  à  en  sortir  de  nouveau,  à  cause  de  ses  trop  fré- 
quentes   invectives    contre    les    ordres    religieux.    Le 
P.  Batterel  croit  que  le    titre  de    révérend    père  ne 
prouve  rien,  et  qu'il  n'y  eut,  sous  le  P.  de   Condren, 
qu'un  projet    de  rentrera   l'Oratoire,  projet    qui   ne 
fut  pas  réalisé.  Le  bruit  ayant  été  répandu  que  Richelieu 
voulait  créer  à  son  profit  un  patriarcat  en  France  et 
ainsi    acheminer    ce    pays    vers    le    schisme,    Charles 
Hersent  fit  paraître  :  Optali  Galli  de  cavendo  schismate 
liber   paraeneticus,    in-8°,    Paris,    1640.    Cette    courte 
brochure,  écrite  avec  vigueur,  fut  saisie  et  condamnée, 
le  23  mars  1640,  à  être  brûlée  par  la  main  du  bourreau. 
Quelques  jours  plus  tard,  le  28  mars,  les  évêques  de  la 
province   de    Paris    la    condamnèrent.    Seize    prélats, 
réunis  à  Paris,  souscrivirent  cette  condamnation,  Cf. 
H.  Reusch,  Der  Index  der  rerbolenen,  Bo  n,1885,  t.  Il, 
p.  362,  et  quatre  théologiens  crurent  devoir  combattre 
le  libelle  de  Charles  Hersent  :  Rigault,  Apolrcpiicus  ad- 
versus  inanem  Optali  Galli  de  cavendo  schismate  panv- 
nelicum;  Isaac  Habert,  De  consensu  hierarchiœ  et  mo- 
narchies ; deMarca,  dans  Concordia  sacerdotii  et  imperii; 
le   jésuite   Rabardeau,  Oplalus   Gallus  benigna  manu 
sectus,    1641.    Une   rétractation   de   ce   libelle    se  lit 
dans  le  ms.  fran  ais  1 7623,  de  la  Bibliothèque  natio- 
nale, fol.  201-22  1  :  Optali  Galli  libellis  de  pienitenlia 
ad  i!l  strissimos  Ecclesin*  gallicanie    primates,   archi- 
episcopos  et  episcopos.  Il  demande  pardon  de  sa  faute, 
qu'il  rejette  sur  le  démon,  son  instigateur,  et  il  réf  te 
six   erreurs   qu'il    a   commises.    Des  Notée  ad  Optali 
Galli  libell  m  se  lisent,  fol.  2  ;8-238.  Étant  retourné  à 
Rome,  Hersent,  en  1645,  présenta  au  pape  Innocent  X 
un     mémoire    sur    la    bulle    d'Urbain    VIII    contre 
Jansénius  :  Super  bulla   Urbani    VIII    adversus  Jan- 
senium  animadversiones    quœdam,  reproduit    dans   le 
Journal  de  Saint-Amour,   IIIe    partie,  c.   vu,  p.  222. 
En  1650,  ayant  été  invité  à  prêcher  à  Saint- Louis-des- 
Français,  il  se  plut  a  faire  entrer  dans  l'éloge  du  saint 


les  questions  controversées  de  la  grâce.  Il  fit  imprimer 
cet  éloge  :  L'empire  de  Dieu  dans  les  s-Unls,  ou  bien 
l'éloge  de  saint  Louis  de  France,  etc.,  in-4°,  1651. 
A  la  suite  de  ce  discours,  il  fut,  à  bon  droit,  accusé 
de  jansénisme  et  cité  au  tribunal  de  l'Inquisition; 
il  refusa  de  comparaître  et  se  réfugia  à  l'hôtel  de 
l'ambassadeur  de  France.  Il  échappa  ainsi  à  une 
arrestation,  mais  il  ne  put  éviter  d'être  condamné  par 
contumace  et  excommunié.  Rentré  en  France,  il  fit 
imprimer  ce  panégyrique  avec  une  apologie  de  sa 
conduite,  qu'il  n'hésita  pas  à  dédier  à  Innocent  X. 
Hersent  se  retira  ensuite  près  du  marquis  d'Asserac, 
au  château  de  Largoue  en  Bretagne,  où  il  mourut. 
Outre  les  ouvrages  déjà  mentionnés,  Charles  Hersent 
publia  :  Discours  sur  la  prise  de  La  Rochelle,  in-8°, 
Paris,  1629;  La  Pastorale  sainte,  ou  paraphrase  du 
Cantique  des  cantiques  selon  la  lettre  et  selon  le  sens 
allégorique  ou  mystique,  in-8°,  Paris,  1635;  Le  sicré 
monument  dédié  à  la  mémoire  du  très  puissant  et  très 
invincible  monarque  Louis  le  Juste,  composé  en  trois 
discours  prononcés  à  Saint- Germain-V  Auxerrois,  Sainl- 
Gervais  et  Saint- Jacques-la- Boucherie,  in-8°,  Paris, 
1643;  De  la  fréquente  communion  et  du  légitime  usage 
de  la  pénitence,  ou  observations  sur  le  livre  de  M.  Ar- 
nauld,  in-4°,  Paris,  1644;  Le  scandale  de  Jésus-Christ 
dans  le  monde,  in-8°,  Paris,  1644. 

L  Batterel,  Mémoire*  domestiques  nour  servir  à  l'histoire 
de  l'Oratoire,  édit.  Ingold,  Paris,  1902,  t.  i,  p.  362-3S3: 
R.  Simon,  Lettres  critiques,  lettres  xx-xxvm,  t.  i:  Moréri, 
Dictionnaire  historique,  t.  v  b,  p.  644;  Mémo  rcs  clironolo- 
giques  et  dogmatiques  pour  servir  à  l'h'stoire  ecclésiastique 
depuis  1000  jusqu'en  1716,  in-12,  s.  1.,  1720,  t.  n,  p.  140- 
224;  fdom  Gerberon],  Histoire  du  jansénisme,  in-12,  Amster 
dam,  1700,  t.  i,  p.  332;  Dictionnaire  des  livres  jansénistes, 
in-12,  Anvers,  p.  221  ;  P.  René  Rapin,  Mémoires  sur  l'  É  jlise 
et  la  société,  la  cour,  la  ville  et  le  iansénisme,  in-8°,  Paris, 
1865,  t.  i,  p.  123,  167-170,  322-324;  P.  Féret,  La  faculté 
de  théologie  de  Paris  et  ses  docteurs  les  plus]  célèbres. 
Époque  moderne,  Paris,  1907,  t.  v,  p.  343-352. 

B.  HEURTEBIZE. 

HERTZIG  François,  controversiste  et  moraliste, 
né  à  Mugliz,  en  Moravie,  le  27  janvier  1674,  admis  au 
noviciat  de  la  Compagnie  de  Jésus  le  9  octobre  1693, 
enseigna  les  humanités  et  la  philosophie,  puis  la  théo- 
logie et  l'Écriture  sainte.  Il  écrivit  de  nombreux  ou- 
vrages, d'une  solide  doctrine,  qui  ont  trait  à  la  théo- 
logie morale  ou  pastorale,  surtout  à  la  controverse,  et 
qui  ont  rendu  son  nom  très  populaire  en  Allemagne 
au  xvme  siècle.  Son  Manuale  parochi,  seu  methodus 
compendiosa  munus  parochi  aposlolicum  rite  obeundi 
Augsbourg,  1716,  1717,  1720,  1721;  Venise,  1723,  etc., 
fut  le  manuel  classique  du  clergé  allemand  et  polonais 
de  même  que  son  Manuale  confessarii,  2  in-8°,  Augs- 
bourg, 1717, 1720, 1724;  Venise,  1723,  etc.  Ses  ouvrages 
de  controverse  embrassent  toutes  les  erreurs  en  cours  à 
cette  époque  :  protestantisme,  jansénisme,  quesnel- 
lisme,  doctrines  de  Bœhme,  de  Schwenkefeld  :  Calvinus 
Cornelii  Jansenii  Iprensis  episcopi  S.  Scripturœ,  ponti- 
fleibus,  conciliis,  et  sanctis  Palribus,  pnvsertim  Augus- 
tino  e  diametro  oppositus,  Breslau,  1716;  Proposilioncs 
Qucsnellii  per  bullam  Unigenilus  justissime  damnatw , 
Breslau,  1717;  Brunsbcrg,  1722;  Proposilioncs  Jan- 
senii et  Quesnellii,  Breslau,  1718;  Hœrcsis  bonorum,  ut 
se  vocant,  christianorum  a  Jacobo  Bcehm  inventa,  Bres- 
lau, 1718;  Hœresis  Schwenk/elica  eliam  nunc  per  quos- 
dam  Silesiœ  ducatus  inferioris  serpens,  Breslau,  1719. 
Le  meilleur  de  son  œuvre  se  trouve  condensé  dans  un 
traité  devenu  rare,  mais  dont  les  éditions  furent  nom- 
breuses dans  tout  le  cours  du  xvme  siècle,  le  Manuale 
conlrovcrsislicum  seu  methodus  compendiosa  veritatem 
fidei  catholicee  contra  errores  oppositos  nervose  propu- 
gnandi,  Breslau,  1718.  On  a  encore  du  P.  Hertziguu 
traité  ascétique  sur  la  n  ■■rt  :  Scientia  sanctorum 
nosse  mori,  Tarnopol,  1731,  et  des  Medilaliones  devo- 


2315 


HERTZIG  —  HERVET 


231& 


iissimœ,  Olmutz,  1739.   11  mourut  à  Breslau  le    17   fé- 
vrier 1732. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  C"  de  Jésus,  t.  iv, 
col.  328-330;  Hurter,  Nomenclator,  3e  édit.,  Inspruck, 
1910,  t.  iv,  col.  1050. 

P.  Bernard. 
HERVÉ  Noël,  surnommé  le  Breton,  domini- 
cain, était  issu  de  la  noble  famille  de  Nédellec.  Il 
était  né  au  diocèse  de  Tréguier,  on  ne  sait  à  quelle 
date.  Il  entra  jeune  dans  l'ordre  de  saint  Dominique 
au  couvent  de  Morlaix  et  y  fit  sa  profession  religieuse. 
Il  alla  ensuite  étudier  au  couvent  de  Saint-Jacques  à 
Paris.  Il  professa  les  sciences  humaines  et  divines  en 
divers  lieux  de  la  France.  Reçu  bachelier,  il  fut  appelé 
à  Paris  pour  y  expliquer  les  Sentences.  Vers  Pâques 
de  l'année  1307,  il  obtint  le  gracie  de  licencié  et  fut, 
pendant  deux  ans,  régent  et  professeur  à  l'école  de  la 
province  de  France  au  couvent  de  Saint-Jacques. 
Le  14  septembre  1309,  au  chapitre  de  Chartres,  il  fut 
élu  provincial  de  France.  Au  chapitre  de  Lyon,  le 
10  juin  1310,  il  devint  maître  général  de  l'ordre,  le 
xive,  il  succédait  à  Bérenger  et  il  fut  choisi  à  l'unani- 
mité, au  premier  tour  de  scrutin.  Il  remplit  cette 
charge  pendant  cinq  ans  et  trois  mois.  Au  retour  du 
chapitre  général,  tenu  à  Barcelone,  il  mourut  au  cou- 
vent de  Narbonne,  dans  la  nuit  du  6  au  7  août  1323. 
Saint  Antonin  dit  qu'il  était  très  subtil  en  logique  et  en 
philosophie.  On  a  signalé  des  commentaires  manu- 
scrits des  Catégories  et  du  livre  de  l'Interprétation 
d'Aristote.  Histoire  littéraire  de  la  France,  Paris,  1762, 
t.  xxiv,  p.  459.  Ses  principaux  ouvrages  de  théologie 
sont  les  suivants  :  In  IV  P.  Lombardi  libros  Scnten- 
tiarum,  in-fol.,  Venise,  1505  ;  Paris,  1647,  avec  le  traité 
De  potestale  papse,  déjà  publié  séparément,  Paris, 
1500;  in-4°,  1506;  Quodlibeta  IV,  in-fol.,  Venise,  1486; 
le  IVe  est  contre  Pierre  Auriol;  ils  ont  été  réédités 
avec  sept  autres  Quodlibeta,  qui  sont  dits  parva  par 
rapport  aux  précédents,  majora,  Paris,  1513;  on  y  a 
ajouté  huit  traités  :  De  bealitudine;  De  verbo;  De 
œlernitite  mundi;  De  materia  cseli ;  De  relationibus; 
De  unitate  formarum;  De  virtulibus;  De  motu  angeli. 
Un  fragment  du  traité  De  unitate  formarum  avait  été 
publié  sous  le  titre  De  formis,  dans  la  Summa  philoso- 
phica  de  Cosme  Alaman,  Paris,  1639;  il  était  regardé 
comme  un  écrit  authentique  de  saint  Thomas.  De 
secundis  intentionibus,  in-4°,  Paris,  1489;  Venise, 
1513. On  a  attribué  parfoisàHervél'opusculeXLVIII, 
publié  dans  les  œuvres  de  saint  Thomas  et  intitulé  : 
Tolius  Aristotelis  logicœ  summa.  On  a  mis  à  tort  sous 
son  nom  le  commentaire  des  Épîtres  de  saint  Paul,  qui 
est  de  Hervé  de  Bourgdieu.  Voir  H.  Denifle,  Die  abend- 
landischen  Schriftausleger  bis  Luther,  ùber  Justifia  Dei 
(Rom.,  i,  i?)  und  Justificatio,  Mayence,  1905,  p. 54-56. 
Noël  Hervé  est  peut-être  le  premier  dominicain  qui 
ait  défendu  solidement  la  doctrine  de  saint  Thomas 
contre  les  attaques  de  Duns  Scot  et  de  Hervé  de 
Gand  et  contre  les  opinions  de  Durand  de  Saint- 
Pourçain.  Cependant,  il  a  fait  quelques  concessions 
au  nominalisme,  que  le  dominicain  Jean  de  Naples 
a  relevées. 

Echard,  Scriptores  ordinis  prœdicalorum,  Paris,  1719, 
t.  i,  p.  533,  536;  B.  Hauréau,  Histoire  de  la  philosophie 
scolastique,  Paris,  1880,  t.  II,  p.  327  sq.;  P.  Féret,  La  faculté 
de  théologie  de  Paris  et  ses  docteurs  les  plus  célèbres.  Moyen 
âge,  Paris,  1896,  p.  388-390;  Mortier,  Histoire  des  maîtres 
généraux  de  l'ordre  des  frères  prêcheurs,  Paris,  1905,  t.  n, 
p.  531-572;  Kirchenlexikon,  2e  édit.,  Fribourg-en-Brisgau, 
1888,  t.  v,  col.  1916-1917;  Hurter,  Nomenclator,  Inspruck, 
1906,  t.  il,  col.  476-477;  Realencyclopàdie  fur  protestan- 
iische  Théologie  und  Kirche,  Leipzig,  1899,  t.  vu,  p.  771-773. 

E.  Mangenot. 

HERVET  Gentian  naquit  à  Olivet,  aux  portes 
d'Orléans,  en  1499.  Il  fit  ses  études  dans  l'un 
des  collèges  de  l'université  de  cette  ville.  Puis,  tout 


jeune,  il  commence  la  vie  de  précepteur  chez  les  grands- 
qu'il  mènera  pendant  de  longues  années.  Il  entre  dans 
la  famille  de  Laubespine,  puis  accompagne  le  savant 
Thomas  Lupset  en  Angleterre,  et,  probablement  par 
son  entremise,  devient  le  maître  des  enfants  de  la 
comtesse  de  Salisbury,  Arthur  et  Béginald  Pôle.  Il 
connaît  là  Linacre  et  More.  Il  suit  ses  élèves  en  Italie, 
à  Padoue  et  a  Venise,  et  noue  des  relations  avec  les 
humanistes  les  plus  célèbres  de  la  péninsule,  Egnazio, 
Andrelini,  Thoineo  Leonico.  Il  rentre  en  France  vers 
1533,  et  fait  partie  du  groupe  de  littérateurs  itinérants 
qui,  sous  la  direction  de  Jean  de  Taitas,  allaient  fonder 
à  Bordeaux,  au  collège  de  Guyenne,  l'un  des  foyers 
de  la  Renaissance  française.  Il  paraît  y  avoir  enseigné 
le  grec.  Mais  il  se  brouille  bientôt  avec  Tartas.  Il 
revient  à  Orléans,  où  il  est  nommé  professeur  de  grec 
à  l'université.  Il  publie,  en  1535,  à  Paris,  son  premier 
ouvrage,  Erudilionis  plenus  libellus  in  quo  cummultalum 
varia  nolatu  digna  de  pilis  et  barba  radenda  comprehen- 
duntur.  Il  renferme  trois  déclamations  d'école  sur  un 
sujet  que  le  pape  Jules  II  avait  mis  à  la  mode  :  le  port 
de  la  barbe  chez  les  ecclésiastiques.  L'année  suivante, 
il  dédie  à  Guillaume  du  Bellay  un  nouveau  volume,, 
qui  reproduit  le  précédent,  y  ajoute  quelques  discours 
sur  des  sujets  de  morale  et  la  traduction  d'un  opuscule 
de  Plutarque.  Tel  est  le  contenu  de  ce  petit  volume  : 
Gentiani  Herveti  Oraliones,  imprimé  par  Jean  Barbous, 
à  Lyon,  pour  le  compte  de  François  Gueiard,  libraire 
à  Orléans. 

Il  ne  reste  pas  longtemps  dans  ce  poste.  Mais  la 
raison  qu'en  donne  plus  tard  un  de  ses  adversaires, 
Loys  Micqueau,  paraît  être  une  pure  calomnie.  Après 
quelques  pérégrinations  dans  les  Flandres,  en  compa- 
gnie du  cardinal  de  Genève,  il  se  fixe  pour  quelque 
temps  à  Lyon.  Il  y  retrouve  des  amis  littéraires,  Jean 
de  Gouttes  et  surtout  son  compatriote  Etienne  Dolet. 
Celui-ci  imprime,  en  1541,  le  volume,  aujourd'hui 
très  l'are,  Sophoclis  Antigone  tragœdia  a  Genliano 
Herveto  Aurelio  traducla  e  grœco  in  lalinum.  Ejusdem 
epigrammala.  Dans  ces  dernières,  l'auteur  exprime 
déjà  très  vivement  les  sentiments  d'opposition  à  la 
Réforme  qu'il  manifestera  de  plus  en  plus.  Un  autre 
volume  sorti  des  mêmes  presses,  sous  le  titre:  Gentiani 
Herveti  quœdam  opuscula,  Lyon,  1541,  ajoute  à  l' An- 
tigone et  aux  épigrammes  quelques  discours  de  Hervet 
et  la  traduction  de  deux  sermons  de  saint  Basile.  Une 
dédicace  au  cardinal  de  La  Baume,  archevêque  de- 
Besançon,  datée  de  janvier  1541,  pourrait  faire  croire 
que  ce  volume  est  antérieur  au  précédent. 

Il  ne  semble  pas  que  Hervet  ait  jamais  partagé  les 
idées  affichées  par  Dolet.  Au  contraire,  il  parait  préoc- 
cupé de  combattre  le  matérialisme  plus  ou  moins 
avéré  du  groupe  d'humanistes  lyonnais  avec  lesquels 
il  avait  été  d'abord  en  relations.  Il  publie  à  cette  fin,, 
en  1544,  Aristotelis  Stagiritse  de  anima  libri  très,  tra- 
duction latine  du  texte  grec  et  du  commentaire  de 
Jean  Philopon.  Cet  ouvrage  est  dédié  à  Reginald  Pôle. 
La  même  année  paraît  Alexandri  Aphrodisœi  de  fato- 
et  deeoquodest  in  nostra  potestale  liber  unus,  traduction 
latine  du  texte  grec  dédiée  à  François  Ier  lui-même. 
L'immortalité  de  l'âme  et  la  liberté  humaine,  voilà 
les  croyances  que  niaient  plus  ou  moins  sourdement 
les  libertins  comme  Dolet,  Rabelais  ou  même  Jean  de 
Gouttes.  Ces  œuvres  de  Hervet  coïncident  avec  les 
poursuites  de  l'inquisiteur  Michel  Orry  —  nostre 
maistre  Doribus  ■ —  et  de  la  Sorbonne,  contre  les  parti- 
sans ou  les  suspects  de  cette  doctrine.  Mais  il  y  eut 
probablement  entre  Hervet  et  Dolet  autre  chose  qu'une- 
lutte  d'idées.  Dans  les  préfaces  et  les  privilèges  de 
ces  deux  traductions,  il  y  a  des  plaintes  et  des  pré- 
cautions contre  l'indélicatesse  de  certains  imprimeurs 
dont  la  pointe  paraît  bien  tournée  contre  Dolet.  Aucun 
historien  n'a  d'ailleurs  relevé  ni  expliqué  ces  allusions. 


2317 


HERVET 


'2318 


Mais  Lyon,  pas  plus  qu'Orléans  ou  Bordeaux, 
ne  satisfait  les  ambitions  ou  les  besoins  de  Her- 
vet.  Il  est  attiré  par  l'Italie.  Il  se  retrouve,  quel 
ques  années  plus  tard,  dans  la  famiglia  de  Regi- 
nald  Pôle,  devenu  cardinal.  Il  exerce  à  son  ser- 
vice ses  talents  de  traducteur,  qu'il  applique  sur- 
tout aux  écrivains  ecclésiastiques.  Il  prend  ainsi 
sa  part  des  travaux  préparatoires  aux  décrets  du 
concile  de  Trente.  Ainsi  paraissent,  en  1546,  à 
Venise,  Zachariœ  Scholastici  dialogus  Ammonium; 
en  1548,  à  Venise  encore,  Alexandri  Aphrodisiensis 
quœsliones  natarales  et  de  anima  morales;  puis,  la  même 
année,  Nicolai  Cabasillœ  de  divino  altaris  sacrificio. 
Mais  il  intervient  plus  directement  dans  leur  réda- 
ction. Il  fait  partie  des  congrégations  de  théolo- 
giens mineurs,  où  se  discute  leur  première  forme. 
C'est  ainsi  qu'il  donne  son  opinion  motivée,  le  28 
octobre  1540.  sur  le  projet  d'articles  concernant  la 
justice  imputative  et  la  certitude  de  la  grâce.  Il 
combat  la  première  et  il  admet  le  seconde.  De  même, 
Je  29  janvier  1547,  il  prend  part  à  la  discussion 
des  articles  concernant  les  sacrements  en  général, 
et,  le  12  février  1547,  à  celle  qui  élabore  le  projet 
d'articles  concernant  l'eucharistie.  Enfin,  en  mars,  il 
écrit  et  peut-être  prononce  un  long  discours  très  inté- 
ressant sur  les  traductions  de  la  Bible  en  langue  vul- 
gaire. Il  se  déclare  nettement  pour  l'utilité  et  même  la 
nécessité  de  semblables  traductions.  Archives  du  Vati- 
can. Rex  suec.  cod.  lat.  1570,  fol.  88-93  a.  Cf.  Maichle. 
Das  Dekret  de  editio'ie  et  usu  sacrorumlibrorum, 
Fribourg-en-Brisgau,  1914,  p.  73. 

Mais  le  concile  est  interrompu.  Reginald  Pôle  cède 
son  traducteur  à  son  collègue  Marcello  Cervini,  le  futur 
Marcel  II.  Hervet  continue  à  son  service  ses  publica- 
tions érudites.  C'est,  en  1549,  à  Bâle,  Theodoreti  epi- 
scopi  Cyrenensis  Eranistes;  la  même  année,  à 
Venise,  S.  Chrysostomi  opéra.  En  1551,  à  Florence, 
paraît  l'une  de  ses  traductions  les  plus  importantes 
et  qui  est  restée  célèbre.  Pietro  Vettori  avait  donné 
l'année  précédente  l'édition  princeps  du  texte  grec 
de  Clément  d'Alexandrie.  Hervet  le  mit  à  la  portée  des 
théologiens  dans  démentis  Alexandrini  omnia  quse 
quidem  exlanl  opéra  latine  facta.  Il  revint  plus  tard  sur 
ce  travail,  auquel  il  ajouta  un  commentaiie,  superficiel 
du  reste,  qu'on  peut  trouver  dans  l'édition  de  Potter. 
L'année  suivante  paraissent,  à  Florence,  Theodoreti 
commentarii  in  quatuordecim  S.  Pauli  epislolas,  et,  à 
Anvers,  S.  Joannis  Chrysostomi  aurea  in  Psatmos 
Davidis  ralena.  Mais  le  concile  reprend  ses  séances. 
Hervet  prend  de  nouveau  une  part  importante  à  ses 
travaux  préparatoires  en  particulier  pour  l'édition 
authentique  de  la  Bible  qui  était  en  projet.  Il  colla- 
tionne  pour  Cervini  le  codex  Beza,  que  Guillaume  du 
Prat,  évêque  de  Clermont,  avait  apporté  à  Trente. 
C'est  même  trè*  probablement  pai  lui,  selon  Hôpfl, 
Kardinul  Wilhelm  Sirlel's  Annolalionen  zum  neuen 
Testament  Fribourg-en-Brisgau,  1908,  p.  40,  que 
Robert  Estienne  put  utiliser  les  variantes  du  célèbre 
manuscrit  pour  Ycdilio  regia  du  texte  grec  du  Nouveau 
Testament. 

Mais  il  s'occupait  aussi  des  questions  dogmatiques 
et  disciplinaires  que  l'on  soulevait  au  concile.  L'une 
d'entre  elles  intéressait  plus  spécialement  la  France 
et  les  théologiens  français  :  la  question  des  mariages 
clandestins.  Hervet  lui  consacre  une  Oratio  ad  conci- 
Uum  Tridenlinum,  qua  suadetur  ne  matrimonia  quse 
contraliuntur  a  filiisfamilias  habeanlur  deineeps  pro 
leqitimis,  Paris,  1556.  Le  concile,  transféré  à  Bologne, 
n'eut  pas  alors  le  temps  de  la  traiter.  Hervet  sou- 
tient, au  point  de  vue  théologique,  les  principes 
que  l'on  retrouve  dans  le  célèbre  édit  d'Henri  II 
sur  H  nullité  des  mariages  clandestins.  Plus 
tard,    en    1561      quand    le     concile     reprendra    ses 


séances,  Hervet  donnera  de  son  discours  une 
nouvelle  édition,  dédiée  à  Jean  de  Morvillier,  évêque 
d'Orléans  et  ambassadeur  de  France  à  Trente.  La 
thèse  française  de  la  nullité  ayant  été  repoussée 
par  les  Pères,  l'ouvrage  de  Hervet  figure  à  l'Index  de 
Ouiroga.  Il  est  reproduit  dans  Le  Plat,  Monumenta 
ad  hiloriam  concilii  Tridentini  pertinentia,  t.  vi, 
p.  366-336. 

Mais  le  concileétait  de  nouveau  interrompu,  Cervini, 
devenu  Marcel  II,  mourait  après  un  très  court  ponti- 
ficat. Fleureusement,  le  rôle  joué  par  Hervet  l'avait 
j  mis  en  relation  avec  de  nouveaux  personnages,  en 
particulier  Jean  de  Hangest,  évêque  de  Noyon,  et 
Morvillier.  Le  premier  donna  à  Hervet  le  titre  de 
vicaire  général.  Le  second  le  nomma  à  la  cure,  alors 
importante,  deCravant,  près  deBeaugency.  Ces  nomi- 
nations n'interrompirent  point  ses  travaux.  Il  publie 
à  Paris,  en  1555,  Palladii  episcopi  Helenopolitani  histo- 
ria  lausiaca  et  Theodoreti  religiosa  hisloria,  et,  en  1561, 
Canones  sanclorum  aposlotorum.  Toutes  ses  études 
convergent  alors  autour  de  la  discipline  ecclésias- 
tique dont  la  restauration,  en  France,  est  à  l'ordre  du 
jour.  Pour  appuyer  ces  essais  de  réforme,  que  la 
menace  protestante  exige  de  plus  en  plus  impé- 
rieusement, il  publie,  en  1561,  De  reparanda  ecclr- 
siasticorum  disciplina.  Il  préconise,  comme  remède 
infaillible  à  tous  les  maux  de  l'Église,  la  rési- 
dence des  évêques.  C'était  aussi  la  seule  solution 
qu'avaient  trouvée  les  édits  royaux  du  même 
temps. 

La  controverse  protestante  prenait  une  acuité  tous 
les  jours  plus  grande.  Catherine  de  Médicis  essaie  de 
provoquer  une  entente  au  colloque  de  Poissy.  Morvillier 
y  députe  Hervet.  Les  actes  de  la  fameuse  assemblée 
n'ont  pas  gardé  trace  d'une  action  immédiate  du  curé 
de  Cravant.  Mais  il  fit  la  rencontre  de  l'homme  qui 
allait  décider  de  son  avenir.  Charles  de  Guise,  cardinal 
de  Lorraine,  l'avait  remarqué.  II  l'enrôla  dans  le 
groupe  de  théologiens  qu'il  voulait  former  pour  com- 
battre les  progrès  du  calvinisme.  Il  lui  offrit  une  stalle 
de  chanoine  en  son  archevêché  de  Reims,  avec  la 
perspective  d'une  chaire  à  l'université  qu'il  y  voulait 
fonder.  Avant  même  de  s'y  rendre,  Hervet  avait  en- 
tame la  polémique  avec  le  groupe  de  ministres  qui 
allaient  faire  d'Orléans  la  capitale  protestante  de  la 
France.  Il  publie,  en  1561,  à  Paris  une  Épistre  aux 
ministres  predicans  et  supposts  de  la  nouvelle  Église  de 
ceux  qui  s'appellent  fidelles  et  croyons  à  la  parolle.  La 
même  année,  il  traduit,  de  Guillaume  Lindanus,  un 
Recueil  d'aucunes  mensonges  de  Calvin,  Melanchthon, 
Bucere  et  autres  nouveaux  évangélistes.  Ce  volume  ren- 
ferme en  outre  différentes  pièces  l  rès  intéressantes  pour 
l'histoire  de  la  diffusion  du  protestantisme  dans  l'Or- 
léanais, un  Sermon  de  Gentian  Hervet  après  avoir  oui; 
prescher  un  prédicant  suspect  d'hérésie,  une  Epistre  du 
mesme  Hervet  par  laquelle  est  clerement  monstre  qu'en 
la  saincte  eucharistie  est  rcalement  et  de  faict  le  précieux 
corps  et  sang  de  Jesu-Christ,  et  surtout  une  Épistre  du 
mesme  Hervet  à  un  prédicant  sacramenlaire  qui  ce 
caresme  mil  cinq  cens  soixante  et  un  a  osé  publiquement 
dogmatiser  en  la  ville  de  Beaugency-sur-Loyre.  Il  y 
ajouta  la  traduction  de  trois  traités  de  saint  Jean 
Damascène,  saint  Grégoire  de  Nysse  et  saint  Nicolas 
de  Modon  sur  le  saint  sacrement  de  l'autel,  et  enfin, 
«  l'oraison  »  de  Gennade,  archevêque  de  Constanti- 
nople.  «  à  un  dieu  en  trois  personnes  ».  Les  protestants 
ne  laissèrent  naturellement  pas  passer  ces  attaques 
sans  réponse.  Hervet  publia  de  nouveau  contre  eux 
un  Brie/  discours  sur  certain  advertissement  au  lecteur 
duquel  les  ministres  de  la  nouvelle  Église  réformée  d'Or- 
léans ont  remparé  une  gentille  response  qu'ils  ont  faict 
imprimer  pour  respondre  aux  epistres  de  Gentian  Her- 
vet, Paris,  1562.  Enfin,  il  termine  cette  période  orléa- 


2319 


HERVET  —  HESPELLE 


2320 


naise  de  sa  polémique  pat  une  Épistre  envoyée  à  un  \ 
■quidam  fauteur  des  nouveaux  évangéliques,  dirigée  contre 
un  bourgeois  de  Beaugency,  niais  publiée  à  Reims  par 
Bacquenois,  l'imprimeur  du  cardinal  de  Lorraine. 

En  etïet,  dès  le  début  de  1562,  Hervet  résigne  sa 
cure  de  Gravant  et  se  fixe  à  Reims,  qu'il  ne  quittera 
plus.  Mais  il  ne  lâche  pas  ses  adversaires.  Aussitôt 
arrivé,  il  publie  un  Traité  de  purgatoire  auquel  sont 
confutées  les  opinions  des  no  ivea.ix  érangélisles  de  ce 
temps.  L'épître  dédicatoire  est  datée  du  18  février  1562. 
Puis  il  donne  les  Ruses  et  finesses  du  diable  pour 
tascher  a  abolir  le  saint  sacrifice  de  Jésus-Christ,  Reims. 
1562.  Là-dessus,  le  concile  de  Trente  se  réunit  à  nou-  | 
veau.  Hervet  fait  partie  de  la  suite  des  théologiens 
qui  accompagnent  le  cardinal  de  Lorraine.  De  son 
activité  on  connaît  surtout  les  deux  lettres  qu'il  écrivit, 
l'une,  le  28  février  1563,  au  P.  Salmeron,  l'autre,  le 
7  juin,  au  cardinal  Hosius,  sur  la  question  de  la 
résidence  des  évoques.  Il  y  soutient  tnergiquement  la 
thèse  française  du  droit  divin  des  évêques,  qui  fut  du 
reste  repoussée  par  les  Pères.  Ces  lettres  n'ont  été 
publiées  qu'au  commencement  du  xvne  siècle,  dans  le 
Mercure  jésuite.  Mais  il  est  difficile,  malgré  la  vivacité 
des  sentiments  qu'elles  révèlent,  de  douter  de  leur 
authenticité. 

Cependant  la  guerre  icligieuse  déchirait  la  France. 
Mais  elle  n'avait  pas  fait  taire  les  polémistes.  De 
Trente,  Hervet  adressa  «  au  peuple  de  Rheims  et  des 
environs  »  un  Discours  sur  ce  que  les  pilleurs,  voleurs 
ri  brusleurs  d'églises  disent  qu'ils  n'en  veullent  qu'aux 
moijnes  et  aux  prebslres,  Reims,  1563.  Ce  petit  livret 
lui  valut,  de  la  part  d'un  maître  d'école,  rémois  d'ori- 
gine et  fixé  à  Orléans,  une  première  réplique.  Response 
au  discours  de  M.  Gentian  Hervet,  par  J.  Loys  Mic- 
queau,  Lyon,  1564.  Hervet  lui  retourna:  une  Response 
de  Gentian  Hervet  contre  une  invective  d'un  maistre 
d'escolle  d'Orléans,  qui  se  dit  de  Reims,  Reims,  1564. 
D'où  Seconde  response  de  J.  Loys  Micqueau,  maistre 
d'escolle  à  Orléans,  aux  folles  resveries...  de  Gentian 
Hervet,  Orléans,  1564.  Sur  les  entrefaites,  Hervet  était 
rentré  à  Reims.  Il  y  prenait  une  part  active  aux  déli- 
bérations du  concile  provincial  de  1564,  où  le  cardinal 
de  Lorraine  faisait  adopter  les  décrets  de  Trente  et 
«  herchait  à  les  faire  appliquer.  Pour  seconder  ses  vues, 
Hervet  publiait  une  traduction  française  complète,  la 
première  en  date,  de  ces  décrets,  sous  le  titre:  Le  saint, 
sacré,  universel  et  général  concile  de  Trente,  traduit  de 
latin  en  françoys  par  Gentian  Hervet,  Rheims,  1561. 

Au  même  temps,  le  cardinal  de  Lorraine  donnait 
une  vive  impulsion  à  son  université,  qui  devait  avant 
tout  combattre  les  nouvelles  doctrines.  Hervet  semble 
avoir  fait  partie  du  corps  enseignant.  Mais  il  est  dilfi- 
cile de  dire  à  quel  titre.  D'ailleurs  il  continuait  inlassa- 
blement ses  polémiques.  En  1561  avait  paru  un  volume 
de  propagande  calviniste  intitulé  :  Sommaire  recueil 
des  signes  sacrez,  sacrifices  cl  sacremens  instituez  de  Dieu 
depuis  la  création  du  monde.  On  l'attribue  d'ordinaire  à 
Théodore  de  Bèze.  Hervet  y  répondit  par  i  ne  Confu- 
tation  d'un  livre  pestilenl  et  plein  d'erreurs,  nommé  par 
son  auteur  les  signes  sacrez,  Reims,  1565.  Il  composait 
la  même  année,  contre  du  Rozier,  son  Anliluigucs, 
c  est-à-dire  response  aux  escrils  et  blasphèmes  de  Hugues 
Sureau,  soy  disant  ministre  calviniste  à  Orléans.  Le 
volume,  en  effet,  est  daté  à  la  fin  :  de  Rheims,  le  troi- 
siesme  de  juin  1565.  Mais  il  ne  dut  paraître  qu'en  1567. 
Cette  polémique,  du  reste,  se  prolongea.  Mamix  de 
Sainte- A  Ideuonde  la  reprenait  en  1580  par  son  Com- 
mentaire et  illustration  de  iepistre  missive  de  M.  Gen- 
tian Hervet  aux  desvoiés  de  la  fog.  Le  vieil  écrivain 
reprit  la  plume  et  donna  au  public  une  Briefve  response 
.le  Gentian  Hervet,  chanoine  de  Reims,  à  un  livre  d'un 
huguenot,  asseurc  menteur  et  hypocrite,  contreiahant  le 
calholicque,  Douai,  1581.  En  1572,  il  avait  traduit  la 


Cité  de  Dieu  de  saint  Augustin  et  cet  ouvrage  eut  plu- 
sieurs éditions. 

Ses  dernières  années  paraissent  avoir  été  ass<  mbries 
par  des  querelles  canoniales  et  des  dénonciations.  Il 
existe  de  lui,  aux  Archives  vaticanes,  une  longue  lettre 
apologétique,  adressée,  en  1571,  au  cardinal  Sirlet. 
Hervet  se  défend  en  particulier  contre  le  reproche 
d'avoir  écrit  en  français  sur  des  questions  de  théologie. 
C'est  peut-être  la  raison  pour  laquelle  il  se  contenta, 
dans  ses  dernières  années,  de  revoir  ses  travaux  anté- 
rieurs et  d'en  donner  de  nouvelles  éditions.  Il  tra- 
vaillait à  so.i  Clément  d'Alexandrie  lorsqu'il  mourut 
en  1584.  Il  fut  enterré  à  Reims. 

Nicéron,  Mémoires,  t.  xvn,  p.  102;  t.  xx,  p.  108;  Débar- 
bouiller, dans  Les  hommes  illustres  de  l'Orléanais,  par 
Brainne,  Débarbouiller  et  Lapierre,  Orléans,  1852,  p.  364  sq.; 
Concilium  Tridentinum,  édit.  Elises  et  Merkle,  t.  v, 
p.  566  sq. 

A.    HUMBERT. 

HESER  Georges,  théologien  allemand,  né  à  Weyer, 
au  diocèse  de  Passau,  le  26  décembre  1609,  admis  au 
noviciat  de  la  Compagnie  de  Jésus  le  7  août  1625, 
enseigna  quelque  temps  les  belles-lettres  et  la  philoso- 
phie, puis  la  controverse  et  l'Écriture  sainte  à  Ingol- 
stadt  et  à  Munich,  s'adonna  spécialement  à  l'étude 
de  la  théologie  mystique  et  publia  d'importants  ou- 
vrages sur  l'auteur  de  l'Imitation  de  Jésus-Christ  et 
sur  sa  doctrine  :  Dioptra  Kempensis,  qua  Thomas  a 
Kempis...  demonslratur  verus  auclor  IV  librorum  de 
Imitatione  Christi,  Ingolstadt,  1650,  œuvre  de  rigou- 
reuse critique  basée  sur  l'étude  des  manuscrits  et  des 
sources.  Le  P.  Heser  est  le  premier  qui  ait  établi  un 
catalogue  généralement  exact  d'une  multitude  d'édi- 
tions de  l'Imitation  des  xvie  et  xviie  siècles  et  d'un 
grand  nombre  de  traductions  :  Vita  et  syllabus  operum 
omnium  Thomse  a  Kempis  ab  auctore  anonymo  sea 
cosevo  non  longe  post  obitum  illius  conscripta,  Ingol- 
stadt, 1650;  Paris,  1651;  Summula  apparatui  Conslan- 
tini  Cajetani  abbalis  ad  Joannem  Gerscn  restilulum 
opposila,  Ingolstadt,  1650.  Le  P.  Heser  ne  se  contenta 
point  de  revendiquer  avec  des  arguments  décisifs 
l'authenticité  de  l'Imitation  en  faveur  de  Thomas  a 
Kempis  contre  les  partisans  de  Gerson,  il  fit  de  l'ou- 
vrage lui-même  une  étude  philologique  et  littéraire  : 
Lexicon  Germanico-Thomœum,  Ingolstadt,  1651;  Obr- 
liscus  Kempensis,  Munich,  1669,  et  surtout  une  étude 
doctrinale  qui  est  une  véritable  somme  de  th  ologie 
îmstique:  Summa  theologise  mysticœ  venerabili  servi 
Dei  Thomse  a  Kempis  ex  qiatuor  libris  de  Imitation'' 
Christi,  Augsbourg,  1626,  plusieurs  fois  rcéditée  même 
de  i  os  jourset  traduite  en  allemand,  en  espagnol  et  en 
français.  Cf.  Jacques  Brucker,  La  doctrine  spirituelle 
de  l'Imitation  de  Jésus-t  hrist,  Paris,  1S80.  On  a  aussi 
du  P.  Heser  plusieurs  traitas  spirituels  tirés  de  la  doc- 
trine des  Près  de  l'fc  glise  :  Theriaca  l  .endœ  castilatis, 
Munich,  1677;  Hebdomas  officiosse  pietatis,  Ingolstadt, 
1653;  Munich,  1699,  1714,  etc.;  divers  commentaires 
sur  les  psaumes  de  David,  sur  les  cantiques  du  Bré- 
viaire et  un  recueil  de  cas  de  conscience.  Le  P.  Heser 
occupa  pendant  treize  ans  les  grandes  chaires  de 
Bavkre  et  mourut  à  Munich  le  9  mai  1686. 

Sommervogel,  Bibliothèque  de  la  O  de  Jésus,  t.  IV, 
col.  331-336;  Hurter,  Nomenclutor,  3«  édit.,  Inspruck, 
1910,  t.  iv,  col.  144  sq.  ;  de  Backer,  Essai  sur  le  livre 
de  l'Imitation,  Liège,  1802. 

P.  Bernard. 

HESPELLE  Augustin,  né  à  Neuville-Saint- Vaast 
(Pas-de-Calais),  le  9  décembre  1731,  fut  docteur  de  Sor- 
bonne  et  chapelain  des  Quinze- Vingts  à  Paris  jusqu'à 
la  Révolution.  On  lui  doit  :  Le  jansénisme  démontré 
et  condamné,  in-12,  Paris  ;  Le  chemin  du  ciel  ou  la  vie  du 
chrétien  sanctifiée  par  la  prière,  in-12,   Paris,   1773; 


2321 


HESPELLE  —  HESSELS 


2322 


Recueil  des  prières,  dédié  aux  carmélites  de  Saint-Denis, 
in-12,  Paris,  1774;  La  Théotrescie  ou  seule  véritable 
religion  démontrée  contre  les  athées,  déistes  et  autres  sec- 
taires, 3  in-12,  Paris,  1774;  2e  édit.,  Paris,  1780;  Le 
dédale  des  aberrations  du  chaos  français,  où  l'on  démon- 
tre qu'on  ne  peut  justifier  par  un  serment  la  soumission 
tles  lois  aux  caprices  des  individus  sans  saper  tout  prin- 
cipe de  morale,  in-8°,  Malines,  1797.  Cet  ouvrage  est 
une  réfutation  des  Réflexions  sur  la  déclaration  exigée 
des  ministres  du  culte  par  la  loi  du  7  vendémiaire  an  I V, 
in-8°,  Paris,  1796,  dues  à  la  collaboration  de  Bausset, 
évêque  d'Alais,  et  de  l'abbé  Émery;  L'aurore  du  Fiat 
lux,  in-8°,  Bàle,  1797;  Le  Fiat  lux  du  chaos  français 
où  l'on  voit  la  déviation  de  tout  principe,  de  toute  vérité 
et  de  toute  tradition,  in-8°,  Bruxelles,  1799;  L'unité  et 
l'indivisibilité  des  vérités  de  la  religion,  in-8°,  Paris, 
1800.  Ce  dernier  livre  amena  l'arrestation  de  l'auteur. 

Quérard,  La  France  littéraire,  t.  iv,  p.  102;  Hurter,  Nomen 
clator,  1912,  t.  v,  col.  307-308. 

J.  Besse. 

HESSELS  Jean  naquit  en  1522.  Il  vit  le  jour,  non  à 
Arras,  ainsi  qu'on  l'a  dit  parfois,  mais  à  Louvain,  où 
son  père,  Guillaume  Hessels,  était  connu  comme  un 
sculpteur  habile.  Nous  en  avons  la  preuve  notamment 
dans  son  épitaphe,  qui  débute  par  ces  mots  :  Joannes 
Hessels  a  Lovanio.  Certains  auteurs,  à  cause  peut-être 
de  la  forme  latinisée  et  plus  connue  de  son  nom, 
Hesselius,  l'ont  maladroitement  confondu  avec  Léo- 
nard-Jean Hasselinus  ou  Hasselius  (van  Hasselt), 
autre  théologien  belge,  auteur  d'une  dissertation 
De  Neclarii  Constanlinopolitani  facto  super  confessiones, 
qui  fut  député  à  Trente  par  Charles-Quint,  lors  de 
la  première  reprise  du  concile,  sous  Jules  III,  et  qui 
mourut  en  cette  ville  le  5  janvier  1552. 

Jean  Hessels  put  commencer  et  poursuivre  sa  forma- 
tion intellectuelle  sans  quitter  sa  cité  natale.  Après 
de  brillantes  humanités,  il  suivit  les  cours  de  philoso- 
phie à  «  la  pédagogie  du  Parc  »  et  sortit  premier  au 
concours  général  de  1541.  L'état  ecclésiastique  l'atti- 
rait. Il  aborda  l'étude  des  sciences  sacrées,  et  grâce  à 
des  qualités  d'esprit  extraordinaires,  fécondées  par 
une  application  intense,  il  échangea  vite  le  rôle  d'audi- 
teur contre  celui  de  maître.  Pendant  huit  ans,  il 
enseigna  la  théologie  et  l'Écriture  sainte  aux  jeunes 
religieux  prémontrés  de  l'abbaye  de  Parc,  près  de  Lou- 
vain. Le  19  mai  1556,  il  fut  promu  au  doctorat  en 
théologie,  en  même  temps  que  Martin  Baudewyns,  de 
Rythoven  (Martinus  Rythovius),  qui  allait  devenir 
bientôt  évêque  d'Ypres.  Nommé  alors  à  la  fois  titulaire 
«l'une  chaire  royale  de  théologie  à  l'université,  cha- 
noine du  chapitre  de  la  collégiale  de  Saint-Pierre  et 
premier  président  du  «  petit  collège  des  théologiens  », 
il  s'acquittait  de  ces  diverses  fonctions  avec  zèle  et 
succès  quand  une  mission  spéciale  l'obligea  à  les  inter- 
rompre. 

En  1562,  Pie  IV  avait  annoncé  la  réouverture  à 
Trente  du  concile  œcuménique,  suspendu  déjà  deux 
fois,  mais  dont  la  Providence  lui  réservait  l'heureux 
achèvement.  Il  désirait  vivement  que  toutes  les  nations 
catholiques,  et  la  Belgique  en  particulier,  y  fussent  re- 
présentées non  seulement  par  leur  épiscopat,  mais 
encore  par  l'élite  de  leurs  théologiens.  Telles  étaient 
aussi  les  intentions  de  Philippe  II  et  de  la  gouvernante 
Marguerite  de  Parme,  en  ce  qui  concernait  la  Belgique.  \ 
Après  divers  pourparlers,  trois  professeurs  de  Louvain 
furent  désignés  et  partirent  pour  le  Tyrol;  c'était 
Corneille  Jansen  (ou  Jansénius),  exégète  de  renom, 
plus  tard  évêque  de  Gand,  Michel  de  Bay  (ou  Baius), 
et  son  ami  Jean  Hessels.  Ce  choix,  quant  aux  deux 
derniers,  était  sans  doute,  comme  pour  Jansénius 
Oandavensis,  fondé  sur  une  réputation  méritée  de  piété 
et  de  savoir,  car  tous  deux,  dit  Palavicini,  étaient 
scienlia  et  cxcmplo  vilœ  conspicui,  mais,   suivant   le 


1    même  historien,  il  s'inspirait  en  outre,  dans  la  pensée 
!   du  nonce  Commendone,  du  cardinal  Granvelle  et  des 
I   légats-présidents   du  concile,  d'une  sage  diplomatie. 
Baius  avait  déjà  commencé  à  répandre  ses  opinions  à 
tout  le  moins  hardies  sur  la  liberté,  la  grâce,  les  bonnes 
œuvres;    Hessels,    lié    d'amitié    avec    lui,    partageait 
jusqu'à  un  certain  point  et  appuyait  ses  tendances;  on 
colportait  même,  sur  l'un  et  sur  l'autre,  un  mot  de 
Ruard  Capper,  qui  aurait  démêlé  et  signalé  en  eux, 
encore  étudiants,  l'étoffe  d'un  schisme.  Des  discussions 
bruyantes    avaient   éclaté;    l'archevêque    de    Malines 
était  parvenu   à   imposer  provisoirement   le  silence; 
mais  l'atmosphère  restait  chargée  de  nuages  et  d'ap- 
préhensions. Or,  on  pouvait  espérer  que  le  fait  de  vivre 
en  contact  intime  avec  Rome  et  tous  les  évêques  catho- 
liques et  de  lutter  avec  eux  contre  l'ennemi  commun, 
le    protestantisme,    serait   salutaire    aux    théologiens 
louvanistes,  en  leur  inspirant  une  juste  défiance  d'eux- 
mêmes  et  un  sentiment  d'attachement  plus  vif  à  la 
tradition  et  au  siège  de  Pierre.  Ajoutons  que,  à  l'égard 
d'Hessels  du  moins,  il  semble  que  cet  espoir  n'ait  pas 
été  trompé.  Quoi  qu'il  en  soit,  les  députés  belges  furent 
bien  accueillis  à  Trente,  et  leur  présence  ne  fut  ni  oisive 
ni  inutile.  Arrivés  seulement  après  la  XX IIe  session,  ils 
purent  encore  prendre  une  part  active  aux  trois  der- 
nières :  celles  du  15  juillet,  du  11  novembre,  des  3  et 
et  4  décembre  1563.  Tandis  que  Baius,  avec  l'évêque 
d'Ypres,  Rythovius,  était,  par  les  légats,  attaché  à  la 
commission  préparatoire  de  la  doctrine  sur  le  purga- 
toire,  et   Corneille   Jansen,   avec   Havet,   évêque   de 
Namur,  à  la  commission  des  indulgences,  Hessels  fut, 
en  compagnie  de  Richardot  d'Arras,  inscrit  dans  celle 
à  laquelle  incombait  l'étude  du  culte  des  images.  Nous 
savons  de  plus  que  tous  concoururent  aux  travaux  pré- 
liminaires concernant  l'Index  librorum  prohibilorum. 
Ce  sont  eux  qui  rédigèrent,  pour  le  Calechismus  roma- 
nus,  l'explication  des  dernières  demandes  du   Pater. 
C'est  également  à  leur  demande  que,  dans  les  décrets 
suppressifs  ou  restrictifs  des  exemptions  et  privilèges 
en  matière  de  bénéfices,  une  exception  fut  faite  en 
faveur  des  universités;  ils  étaient  justement  préoccu- 
pés de  conserver  à  Louvain  les  bienveillantes  et  utiles 
concessions  de  Sixte  IV,  de  Léon  X  et  d'Adrien  VI. 
De  retour  dans  la  vieille  cité  universitaire,  Hessels 
ne  reprit  pas  seulement  son  enseignement,   mais  il 
s'appliqua  plus  que  jamais  à  combattre,  par  la  plume 
autant  que  par  la  parole,  les  erreurs  du  protestantisme. 
Nous  avons  de  lui  une  lettre  écrite  en  1565  à  Cassander, 
qui,  conciliateur  et  pacificateur  à  outrance,  paraissait 
par  là  même  pencher  du  côté  de  la  Réforme.  Un  extraii 
de  cette  lettre  montre  le  zèle  pur  et  franc  qui  animait 
son   auteur  :    Usquequo  claudicas   in  duas  partes  :   Si 
Dominus  est  Deus,  sequere  eum;  si  aulem  Baal,  sequere 
eum.  Si  protestantes,  ut  aiunt,  sunl  veritatis  et  sinecrœ 
fïdei  prœcones,  sequere  eos  aperte.  Si  autem,  ut  rêvera 
est,  Ecclesia  catholica,  hoc  est,  papislica  est  ea  quœ  fun- 
data  est  ab  aposlolis  super  pelram,  adversus  quam  nun- 
quam  preevalcbunt  portée  inferi,  sequere  eam.  Nec  confi- 
das  le  tuo  ingenio  invenire  posse  prœler  eam  aliquem 
lulum  portum,  in  quo  securus  acquiesças...  Plantatio  quœ 
contra  hanc  insurgit,  sive  a  proteslantibus,  sive  ab  lus 
qui,  inler  catholicos  et  protestantes  veluli  medii,  ulroquc 
exlremo  se  inlelligentiores  reputant,  quia  a  P  tre  caelali 
non  est  plantata,  eradicabilur.  Au  témoignage  d'Aubert 
Le  Mire,  l'ardent  controversiste  s'adonnait  à  sa  tâche 
au  point  d'accorder  à  peine  à  son  corps  le  sommeil  né- 
cessaire. Aussi  bien  a-t-il  produit,  en  une  carrière  rela- 
tivement courte,  une  œuvre  considérable,  partie  exé- 
gétique,   partie   dogmatique   ou  polémique.   Mais  une 
telle  contention  ne  pouvait  manquer  de  ruiner  rapi- 
dement sa  santé.  Il  souffrait  de  la  gravelle,  et  une  at- 
taque d'apoplexie  l'emporta  le  7  novembre  1566,  au 
moment  où  il  allait  mettre  la  dernière  main  à  son  plus 


2323 


HESSELS 


HETTINGER 


2324 


grand  ouvrage,  le  Catechismus  lalinus.  Il  avait  qua- 
rante-quatre ans.  Il  fut  inhumé  dans  l'église  collégiale 
de  Saint-Pierre. 

Jean  Hessels,  nous  disent  ses  contemporains,  n'était 
pas  très  éloquent.  En  revanche,  la  nature  l'avait  mer- 
veilleusement doué  sous  le  rapport  de  l'esprit,  du  juge- 
ment et  de  la  mémoire.  De  plus,  son  entrain  et  sa  force 
de  résistance  au  labeur  studieux  tenaient  du  prodige. 
Hormis  cette  inclination  ou  condescendance,  tempo- 
raire, semble-t-il,  à  l'égard  du  baianisme,  que  j'ai 
signalée,  tout  en  lui  commandait  l'estime  et  le  respect. 
Le  cardinal  Bellarmin  l'appelle  virummultœ  doctrines  et 
judicii,  et  Nicolas  Sanderus  le  proclame  prseclarissi- 
mum  non  Academiœ,  sed  Ivlius  orbis  lumen. 

Nombreux  sont,  je  l'ai  dit,  les  livres  sortis  de  sa 
plume.  Nommons  les  principaux,  en  commençant  par 
la  théologie  et  l'exégèse.  On  remarquera  que  la  plupart 
n'ont  été  publiés  qu'après  la  mort  de  l'auteur.  Plusieurs 
ont  eu  d'ailleurs  de  nombreuses  éditions.  Je  me  borne- 
rai généralement  à  l'indication  des  premières.  1°  Cate- 
chismus latinus,  in-8°,  Louvain,  1571.  Il  traite  succes- 
sivement du  symbole,  de  l'oraison  dominicale  et  de  la 
salutation  angélique,  du  décalogue,  des  sacrements. 
C'est  donc  la  même  division  quadripartite  que  dans  le 
Catechismus  romanus,  avec  cette  seule  différence  que 
l'ordre  respectif  de  la  deuxième  partie  et  de  la  qua- 
trième a  été  interverti.  Au  reste,  il  ne  s'agit  pas  ici 
d'un  simple  exposé  populaire  de  la  doctrine  chré- 
tienne, mais  bien  plutôt  d'une  grande  œuvre  catéché- 
tique  dans  le  genre  de  celle  de  Pierre  Canisius,  c'est- 
à-dire  d'une  large  explication  du  dogme  et  de  la 
morale,  dont  les  éléments  ont  été  puisés  avec  science  et 
discernement  aux  trésors  de  la  patristique  et  surtout 
dans  saint  Augustin.  L'édition  originale  et  cinq  autres 
parurent  incomplètes,  ne  contenant  de  la  troisième 
partie  que  ce  qui  concerne  les  trois  premiers  sacre- 
ments :  c'est  là  que  la  plume  d'Hessels  s'était  arrêtée. 
Une  7e  édition,  publiée  en  1660,  a  été  complétée,  pour 
les  quatre  derniers  sacrements,  d'après  les  notes  du 
maître.  On  dit  que  quelques  infiltrations  de  baianisme 
ont  été  éliminées  par  Henri  Gravius,  le  premier  éditeur. 
2°  Commentarius  in  Passionem  dominicam,  in-8°,  Lou- 
vain, 1568.  3°  Commentarius  in  priorem  B.  Pauli  episto- 
lam  ad  Timolheum,  item  in  priorem  B.  Pétri  canonicam, 
in-8°,  Louvain,  1568.  4°  In  Epistolas  canonicas  Joannis, 
in-8°,  Anvers,  1601.  5°  Commentarius  in  Evangelium 
secundum  Matthxum,  in-8°,  Louvain,  1572.  6°  De 
schismaticis  templis  Judœorum  et  vero  Dci  templo,  ex 
hisloria  Josephi,  in-8°,  Louvain,  1572.  7°  Confutatio 
fidei  novitiœ,  quam  specialcm  vocanl,  aduersus  Joannem 
Monhemium.  Adjunctus  est  Traclalus  de  cathedra;  Pétri 
perpétua  perfectione  et  firmitate,  in-8°,  Louvain,  1562. 
Deux  excellents  traités,  qui  furent,  dès  1568,  réimpri- 
més l'un  et  l'autre  séparément.  Au  milieu  du  xvme 
siècle,  le  savant  Zaccaria  jugeait  encore  le  second  digne 
de  prendre  place  dans  son  Thésaurus  théologiens, 
t.  vu.  8°  De  invocalione  sanclorum,  contra  Joannem 
Monhemium  et  cjus  defensorem  Hcnricum  Artopœum, 
in-8°,  Louvain,  1568.  9°  De  communione  sub  unica 
specie,  adversus  Georgium  Cassandrum,  1578.  C'est  au 
même  Cassander  qu'était  adressée  la  lettre  dont  j'ai 
reproduit  ci-dessus  un  passage  objurgatoire,  qui  fait 
honneur  à  Hessels.  10°  De  corporali  prœsentia  corporis 
et  sanguinis  Domini  in  eucharistia.  in-8°,  Louvain, 
1564  et  1568;  Paris,  1583.  11°  Confutatio  confessionis 
hsereticœ  teutonice  emissse,  qua  ostendilur  eucharisliam 
esse  sacrificium  propitiatorium,  in-8°,  Louvain,  1567. 
12°  De  ofjicio  pii  virt,  vigenle  hœresi,  adversus  Cassan- 
drum, in-8°,  Anvers,  1566.  Le  petit  volume  de  ce  ri're 
qui  fut  mis  à  l'Index  fut  condamné  sans  nom  d'au- 
teur; il  n'est  donc  pas  l'ouvrage  de  Hessels,  qui 
porte  le  même  titre.  H.  Reusch;  Dr  Index  d  r  ver- 
bûlenen  Bûcher    Bonn,  1883,  t.  i,  p.  363.  Du  reste,  il 


ne  figure  plus  dans  les  éditions  réformées  depuis 
1900.  13°  Censura  de  quibusdam  sanctorum  historiis, 
in-8°,  Louvain,  1568.  La  Critique,  si  nous  en  croyons 
Molanus,  visait  un  Passionale  de  sanclis  per  annum, 
qui  était  en  usage  à  l'abbaye  de  Parc.  14°  Epistola  de 
conceptione  Virginis  Deiparse,  reproduite  par  Corneille 
Schulting,  au  t.  n  de  sa  Bibliolheca  ecclesiaslica. 
15°  Mentionnons  enfin  une  double  étude  sur  les  devoirs 
propres  aux  réguliers  :  Quœslio  ad  quid  teneantur  reli- 
giosi  vi  voti  sui;   item  de  obligationibus  religiosorum. 

Valère  André,  Fasti  academici  studii  gcneralis  iMvaniensis, 
Louvain,  1635,  p.  114;  Foppens,  Bibliolheca  belgica, 
Bruxelles,  1739,  t.  XI,  p.  658;  Hurter,  Nomenclator,  Ins- 
pruck,  1007,  t.  iv,  col.  36-37;  Van  Even,  art.  Hessels,  dans 
la  Biographie  nationale  de  Belgique,  Bruxelles,  1886-1887, 
t.  ix,  col.  320-322.  Sur  le  rôle  de  Hessels  au  concile  de 
Trente,  voir  surtout  la  revue  Der  Katholik,  1865,  t.  i, 
p.  358  sq. 

J.  Forget. 

HESYCHASTES.  Voir  Palamites. 

HETTINGER  François,  apologiste  et  théologien 
allemand,  né  à  Aschafîenbourg  le  15  janvier  1819. 
Après  ses  premières  études  faites  au  gymnase  de  sa 
ville  natale,  1836-1839,  il  alla,  à  la  rentrée  de  1839, 
suivre  les  cours  de  philosophie  et  de  théologie  à  l'uni- 
versité de  Wurzbourg.  En  1841,  il  fut  envoyé  au 
Collège  germanique  à  Rome  et  il  fréquenta  le  Collège 
romain  pendant  quatre  années.  Ordonné  prêtre  le 
23  septembre  1843,  il  prit  le  doctorat  en  théologie 
en  1845.  Le  3  octobre  de  cette  année,  il  fut  nommé 
chapelain  à  Alzenau;le  25  octobre  1847,  assistant  au 
séminaire  des  clercs  de  Wurzbourg,  et  le  20  mai  1852, 
sous-régent.  Il  publia  alors  ses  premiers  ouvrages, 
destinés  à  la  formation  sacerdotale  des  jeunes  clercs  : 
Das  Prieslerthum  der  katholische  Kirche,  Ratisbonne, 
1851;  2e  édit.  par  E.  Muller;  Die  Idée  der  geistlichen 
Uebungcn  nach  dem  Plane  des  h.  Ignalius,  Ratisbonne, 
1854;  2e  édit.  par  R.  Handmann,  1908;  Die  Liturgie 
der  Kirche,  Wurzbourg,  1856.  A  la  suite  d'un  voyage 
à  Paris,  il  avait  composé  :  Die  kirchlichen  und  socialen 
Zustande  von  Paris,  Mayence,  1852.  Le  1er  juin  1856.  il 
fut  nommé  professeur  extraordinaire  et,  le  16  mai  1857, 
professeur  ordinaire  de  patrologie  et  de  propédeutique 
à  l'université  de  Wurzbourg.  En  1859,  cette  univer- 
sité lui  donna  le  titre  de  docteur  honoraire  de 
philosophie.  Après  avoir  publié,  en  1862,  une  dissïrta- 
tion  :  Organismus  der  Wissenschajten,  il  fit  paraître 
son  grand  ouvrage  :  Apologie  des  Christenthums, 
5  in-8°,  Fribourg-en-Brisgau,  1863-1867,  qui  contient 
les  preuves  de  la  divinité  du  christianisme  et  de  la 
vérité  de  ses  dogmes.  Voir  t.  i,  col.  861-862,  1568.  Il 
en  parut  plusieurs  rééditions  :  1865-1867,  1867-1869, 
1871-1873,  1875-1880,  1899-1900,  1906  (les  dernières 
ont  été  retouchées  par  notre  collaborateur  Eugène 
Muller,  professeur  à  Strasbourg).  On  en  fit  une  traduc- 
tion française  sur  la  3e  édition  allemande  :  Apologie 
du  christianisme,  5  in-8°,  Bar-le-Duc,  1870;  Paris,  1891. 
Le  1er  janvier  1867,  Hettinger  fut  nommé  professeur 
d'apologétique  et  d'homilétique  et  il  prit  la  direction 
du  séminaire  d'homilétique.  Cette  année-là  il  fut 
recteur  de  l'université  de  Wurzbourg.  Dans  l'audience 
du  28  novembre  1867,  Pie  IX  nomma  Hettinger 
consulteur  pour  travailler  à  la  préparation  du  concile 
du  Vatican.  Le  cardinal  Caterini  l'en  informa  par 
l'intermédiaire  du  nonce  de  Munich.  Comme  Hergen- 
rœther,  il  répondit,  le  28  décembre  suivant,  qu'il 
acceptait  cette  charge  avec  reconnaissance,  mais  à  la 
condition  formelle  qu'il  ne  serait  pas  obligé  de  cesser 
son  enseignement;  il  ne  se  rendrait  à  Rome  qu'aux 
mois  de  mars  et  d'avril  et  à  l'automne,  du  début  de 
septembre  à  la  mi-novembre.  Le  9  février  1868,  la 
Congrégation  directrice  le  nomma  membre  de  la  com- 


2325 


HETTINGER 


HEXAMERON 


232C 


mission  théologico-dogmatique.  Colleclio  Lacensis, 
Fribourg-en-Brisgau,  1890,  t.  vu,  col.  1045,  1052. 
Il  suppléa  quelque  temps  son  ami  Denzinger  dans  la 
chaire  de  dogmatique  et  il  lui  succéda  après  sa  mort. 
Voir  t.  iv,  col.  450.  Il  publia  alors  :  Die  kirchliche 
Vollgewalt  des  apostolichen  Stuhles,  Fribourg-en- 
Brisgau,  1874,  qui  est  comme  l'appendice  de  son 
Apologie:  David  Fr.  Strauss,  ein  Lebensbild,  ibid.. 
1875.  Son  Lehrbuch  der  Fundamentallheologic  oder 
Apologetik  date  de  1879;  2e  édit.,  1888:  manuel  savant, 
mais  peu  adapté  à  l'enseignement  scolaire.  Voir  t.  i, 
col.  862.  Une  traduction  française  en  a  été  faite,  Paris, 
1888.  Voir  t.  i,  col.  1568.  Léon  XIII  nomma  Hettinger 
prélat  de  sa  maison,  le  21  novembre  1879,  et  il  le 
chargea  plusieurs  fois  de  traduire  ses  encycliques  en 
allemand.  Hettinger  lit  connaître  la  triste  condition  des 
protestants  au  point  de  vue  religieux  :  Die  Krisis  des 
Christenlums.  Proteslantismus  und  kalholische  Kirche, 
Fribourg-en-Brisgau,  1886.  Sur  la  fin  de  sa  vie,  l'ancien 
professeur  d'homilétique  publia  de  nouveaux  ouvrages 
pratiques  pour  le  clergé  :  Aphorismen  fur  Predigt  und 
Prediger,  Fribourg-en-Brisgau,  1888;  2e  édit.,  1907; 
Timothcus,  Brief  an  einen  jungen  Thcologcn,  Fribourg- 
en-Brisgau,  1891  (ouvrage  posthume  très  utile); 
2e  édit.,  1897;  3«  revue  par  A.  Ehrhard,  1909.  Les 
résultats  de  ses  voyages  furent  consignés  dans  cet 
écrit  :  Aus  Kirche  und  Welt,  2  in-8°,  Fribourg-en- 
Brisgau,  1885;  autres  éditions,  1887,  1893,  1897;  trad. 
espagnole  et  anglaise,  Fribourg-en-Brisgau,  1901, 1902. 
Il  a  donné  à  divers  périodiques  de  nombreux  articles, 
dont  plusieurs  ont  passé  dans  ses  grands  ouvrages. 
D'autres  concernent  le  Dante.  Hettinger  fut  frappé 
d'apoplexie  et  mourut  le  26  janvier  1890. 

Stamminger,  Gedenkblatl  in  der  Hochwurd.  Herrn  Dr. 
Franz  Hettinger,  2e  édit.,  Wurzbourg,  1890;  Renninger, 
dans  Der  Katholik,  1890,  t.  i,  p.  385-402;  Atzberger,  dans 
Jahresbericht  der  Gcerres-Gesellschafl  fur  1890,  p.  25-29; 
Kaufmann,  Fr.  Hettinger,  Erinnerungen  eines  dankbaren 
Schuters,  Francfort,  1891  ;  E.  Muller,  Notice  en  tête  de 
Y  Apologie  à  partir  de  la  7e  édit.,  t.  i;  Lauchert,  dans  Allge- 
meine  deuische  Biographie,  Leipzig,  1905,  t.  l,  p.  283-284; 
The  catholic  encgclopedia,  New  York,  t.  vu,  p.  307-308; 
Hurter,  Nomenclalor,  Inspruck,  1913,  t.  v  b,  col.  1433-1435. 

E.   Mangenot. 

HEXAMERON,  récit  de  la  création  du  monde  en  six 
jours  dans  la  Genèse.  —  I.  Le  récit  lui-même.  II.  Ses 
diverses  interprétations.  III.  Son  explication  littérale. 

I.  Le  récit  lui-même.  —  1°  Sa  place  et  son  rôle  dans 
la  Genèse.  —  Ce  récit,  qui  comprend  Gen.,  i,  1-n,  3, 
a  été  généralement  reconnu  comme  formant  l'intro- 
duction historique  du  livre  de  la  Genèse.  Voir  col.  1187. 
Il  en  est,  en  effet,  comme  le  préambule  nécessaire.  La 
Genèse,  étant  l'histoire  de  l'humanité  primitive  et  des 
débuts  du  peuple  juif,  devait  naturellement  commencer 
par  l'exposé  de  la  création  de  la  terre,  qui  était  l'habi- 
tation de  l'humanité,  des  astres,  qui  éclairent  les 
hommes  au  cours  de  leur  vie,  des  plantes  et  des  ani- 
maux, qui  leur  servent  d'aliments  et  de  compagnons  de 
travail,  du  premier  couple  enfin,  duquel  descendent 
tous  les  humains  Ainsi  la  cosmogonie  constitue  l'en- 
trée en  matière  de  l'histoire  des  premiers  hommes,  et 
elle  forme  le  début,  aussi  simple  que  grandiose,  de  la 
Genèse  et  de  la  Bible  entière.  L'auteur  de  la  Genèse 
l'a  rédigé,  ou  l'a  placé  en  tête  de  son  œuvre,  comme  un 
magnifique  frontispice.  Le  récit  de  la  création  du 
monde  fait  donc  partie  de  l'histoire  du  monde  habité; 
s'il  en  est  la  préface,  c'est  une  préface  qui  a  un  lien 
étroit  avec  l'ouvrage  qu'elle  précède  et  qu'elle  prépare. 
Ce  n'est  pas  une  pièce  adventice.  Aussi  on  n'a  pas  ad- 
mis l'opinion  de  Mgr  Clifîord,  évêque  de  Clifton,  qui 
voyait  dans  ce  récit  une  composition  complète  en  elle- 
même  et  absolument  distincte  du  livre,  un  hymne  sacré, 
ne  faisant  pas  partie  intégrante  du  livre  historique  qui 


le  suit.  The  daijs  of  ihc  week  and  the  wcrks  of  création, 
dans  The  Dublin  review,  avril  1881,  p.  321-322.  La 
forme  poétique  du  récit  était  un  des  arguments  que 
Mgr  Clifford  faisait  valoir  en  faveur  de  son  sentiment. 

2°  Sa  forme  littéraire.  — ■  Bie'n  que  le  récit  de  la  créa- 
tion du  monde  soit  disposé  d'une  façon  ingénieuse  et 
dans  un  cadre  tracé  d'avance,  il  n'a  aucun  des  carac- 
tères de  la  poésie  hébraïque;  il  n'est  écrit  ni  en  vers  ni 
en  membres  parallèles.  Il  n'a  pas  même  de  refrain, 
comme  on  l'a  prétendu.  C'est  un  récit  en  prose,  rédigé 
suivant  un  plan  déterminé  et  dont  le  ton  s'élève  seule- 
ment à  la  fin,  au  sujet  de  la  création  de  l'homme.  Mal- 
gré les  métaphores  et  les  anthropomorphismes  em- 
ployés, malgré  un  certain  rythme  de  la  phrase,  le  récit 
n'est  pas  une  sorte  d'ode,  d'hymne  religieux.  Le  schéma 
dans  lequel  l'auteur  a  distribué  ses  matériaux  ne  lais- 
sait aucune  liberté  à  son  imagination;  il  aurait  plutôt 
mis  obstacle  au  souffle  poétique  nécessaire  à  la  compo- 
sition d'un  hymne  ou  d'une  ode. 

L'ordre  suivant  lequel  le  sujet  est  disposé  est  reconnu 
par  tous  les  exégètes,  sauf  quelques  nuances.  L'auteur 
débute  par  l'indication  de  la  création  générale  du 
monde,  ciel  et  terre,  mais,  pour  la  terre  au  moins,  à 
l'état  élémentaire  et  non  encore  organisé,  i,  1,2.  C'est 
Vopus  creationis  des  scolastiques.  Cf.  S.  Thomas,  Sum. 
theol.,  I*,  q.  lxx,  a.  1.  La  suite  n'est  que  le  développe- 
ment de  cette  création  élémentaire,  et  comme  l'orga- 
nisation, i,  3-31,  puis  sa  sanctification,  n,  1-3.  L'orga- 
nisation du  monde  comprend  l'œuvre  des  six  jours,  et 
elle  se  termine  par  le  repos  divin  au  7e  jour  et  la  sancti- 
fication du  sabbat.  L'œuvre  des  six  jours  se  subdivise 
en  deux  triduums,  dont  le  dernier  jour,  à  savoir,  le 
troisième  et  le  sixième,  compte  deux  créations  dis- 
tinctes, tandis  que  les  quatre  autres  jours  n'en  ont 
qu'une  seule.  Ces  deux  triduums  partagent  l'œuvre 
divine  en  deux  parties,  que  les  scolastiques  ont  appe- 
lées opus  dislinctionis  et  opus  ornatus.  Dans  la  première 
moitié  de  son  œuvre,  Dieu  sépara  la  lumière  des  té- 
nèbres (lct  jour),  les  eaux  supérieures  des  inférieures 
(2e  jour),  les  eaux  inférieures  de  la  terre  (3e  jour);  dans 
la  seconde,  il  orna  les  diverses  parties  du  monde,  en 
plaçant  au  ciel  le  soleil,  la  lune  et  les  étoiles  (4e  jour), 
dans  les  eaux  et  dans  les  airs  les  poissons  et  les  oiseaux 
(5e  jour)  et  sur  la  terre  les  animaux  et  l'homme (6e  jour). 
Toutefois,  cette  division  ne  répond  pas  à  la  réalité, 
puisque  la  création  des  plantes  au  3e  jour  ne  rentre  pas 
directement  dans  l'œuvre  de  séparation.  Le  P.  Zaple- 
tal  a  cherché  à  l'améliorer,  en  remplaçant  le  mot 
ornatus  que  les  scolastiques  avaient  emprunté  à  la 
version  latine  de  Gen.,  n,  1,  par  celui  à'exerciltis,  qui 
rend  mieux  le  terme  hébreu  correspondant.  Il  a,  par 
suite,  modifié  la  division  de  l'œuvre  des  six  jours  en 
deux  parties  :  la  création  des  régions,  et  celle  des- 
armées d'êtres  qui  les  remplissent.  Les  régions  sont 
d'abord  formées  pour  recevoir  les  armées  :  la  lumière, 
qui  est  une  condition  primordiale  de  toute  organisa- 
tion, est  créée  au  1er  jour;  les  régions  sont  ensuite 
constituées:  le  ciel  pour  les  astres  et  l'air  pour  les 
oiseaux  (2e  jour),  l'eau  pour  les  poissons  et  la  terre 
pour  les  animaux  et  les  hommes  (3e  jour).  Les  armées 
sont  créées  après  les  régions  ;  les  astres  pour  peupler  le 
ciel  (4e  jour),  les  oiseaux  et  les  poissons  pour  peupler 
l'air  et  la  terre  (5e  jour)  et  les  animaux  vivant  sur  terre 
et  l'homme  (6e  jour).  Le  récit  de  la  création  dans  la 
Genèse,  trad.  franc.,  Genève,  Paris,  1904,  p.  105-113. 
Cette  disposition  ne  rend  pas  mieux  compte  de  la  créa- 
tion des  plantes  au  3e  jour,  et  elle  introduit  la  région  de 
l'air  qui  n'est  pas  marquée  explicitement  au  2e  jour. 
La  division  de  l'hexaméron  par  les  scolastiques,  même 
telle  qu'elle  est  améliorée  par  le  P.  Zapletal,  ne  répond 
donc  pas  parfaitement  au  plan  de  l'auteur,  et  on  ne 
peut  justifier  la  création  des  plantes  au  3e  jour  que  par 
des  considérations  étrangères  à  l'esprit  du  récit.  Il  faut 


2327 


HEXAMERON 


2328 


donc  se  contenter  de  la  simple  subdivision  en  deux 
triduums  et  de  la  simple  idée  de  commencement  et 
d'achèvement  des  œuvres,  que  Schammaï  avait  déjà 
remarquée  dans  le  récit  mosaïque  de  la  création. 
Talmu.l  de  Jérusalem,  traité  Haghiga,  n,  1,  trad. 
Schwab,  Paris,  1883,  t.  vi,  p.  276-277.  La  sanctifica- 
tion du  7e  jour  par  le  repos  divin  et  la  consécration  du 
sabbat,  n,  1-3,  termine  le  récit  et  fixe  l'origine  de  la 
semaine. 

Mais  cette  disposition  générale  n'épuise  pas  le  côté 
schématique  du  récit  de  la  création.  Chaque  jour  de  la 
création  a  sa  disposition  particulière,  qui  complète 
l'ordonnance  systématique  des  œuvres  de  la  création. 
Cette  disposition  comprend  sept  membres  qui  ne  se 
retrouvent  pas  tous  cependant  dans  l'œuvre  de  chaque 
jour,  et  sous  ce  rapport,  le  schème  n'est  pas  suivi  d'une 
manière  uniforme.  C'est  d'abord  l'expression  de  la 
volonté  créatrice  de  Dieu,  i,  3,  6,  9,  11,  14,  15,  20,  24, 
26;  elle  est  redoublée  au  3e  et  au  6e  jour,  dans  lesquels 
Dieu  opéra  deux  œuvres  distinctes.  Vient  ensuite  l'ac- 
complissement de  la  parole  divine,  exprimé  par  la 
l'orme  courte  et  précise  :  «  Et  cela  se  fit  ainsi  »,  i,  7,  9, 
11,  15.  24;  sa  mention  est  omise  au  1er  et  au  5e  jour 
comme  après  la  création  de  l'homme.  Cet  accomplisse- 
ment est  ensuite  décrit  dans  des  termes  analogues, 
sinon  identiques  à  ceux  du  commandement  divin, 
i,  3,  7,  12,  16,  17,  21,  25,  27;  il  n'est  omis  que  pour  la 
séparation  de  la  terre  et  des  eaux  au  3e  jour.  En  4e  lieu, 
Dieu  nomme  les  œuvres  qu'il  vient  de  créer;  mais  cela 
n'a  lieu  que  pour  les  trois  premières,  la  lumière  et  les 
ténèbres,  i,  5,  le  firmament,  8,  la  terre  et  les  mers,  10. 
Les  plantes,  les  astres,  les  animaux  et  l'homme  ne 
reçoivent  de  Dieu  aucun  nom.  Adam  nomme  les  ani- 
maux, ii,  19;  Dieu  nomme  Adam,  v,  2,  qui  donne  lui- 
même  un  nom  à  sa  femme,  il,  23.  En  5e  lieu,  Dieu 
trouve  bonnes  ses  créatures  :  la  lumière  seule  au 
1er  jour,  i,  4,  la  double  œuvre  du  3e  jour,  10,12,  celles 
du  4e,  18,  du  5e,  21,  et  la  première  du  6e,  25.  L'œuvre 
du  2e  jour  et  la  création  de  l'homme  n'ont  pas  cet 
éloge;  mais  la  création  entière,  quand  elle  est  terminée, 
■est  dite  très  bonne,  31.  En  6e  lieu,  la  bénédiction  de 
fécondité  est  donnée  aux  poissons  et  aux  oiseaux, 
i,  22,  et  à  l'homme  seulement,  28;  elle  n'est  accordée 
ni  aux  plantes  ni  aux  animaux  terrestres;  mais  le 
7e  jour,  qui  n'a  aucun  des  autres  membres  du  schéma, 
est  béni  et  sanctifié,  n,  3.  Enfin,  chaque  jour,  sauf  le  7e, 
se  termine  par  la  formule  :  «  Et  il  y  eut  soir  et  il  y  eut 
matin  »,  complétée  par  son  chiffre  ordinal,  i,  5,  8,  13, 
19,  23,  31.  11  faut  noter  encore  que  les  parties  de  ce 
schème  ne  se  suivent  pas  toujours  dans  le  même  ordre. 
11  en  résulte  que  la  symétrie,  quoique  voulue  et  cher- 
chée par  l'auteur,  n'a  été  pour  lui  qu'un  accessoire, 
puisqu'il  ne  l'a  pas  établie  absolument  parfaite  et 
régulière.  Il  est  vrai  que  la  version  grecque  dite  des 
Septante  présente,  à  l'aide  de  transpositions  et  d'addi- 
tions, une  symétrie  très  régulière.  Mais  cette  régularité 
même,  qu'on  ne  retrouve  pas  non  plus  dans  ce  qui 
reste  des  versions  d'Aquila,  de  Symmaque  et  de  Théo- 
dotion,  éveille  les  soupçons  et  fait  craindre  que  l'arran- 
gement n'ait  été  fait  après  coup.  Aucune  raison  intrin- 
sèque ne  milite  en  sa  faveur.  Cf.  F.  de  HummelauiT, 
Commcnlarius  in  Genesim,  Paris,  1895,  p.  83-81; 
Le  récit  de  la  création,  trad.  franc.,  Paris,  s.  d.  (1898), 
p.  15-22,  219-225. 

3°  Ses  caractères.  —  On  les  détermine  par  le  but  de 
l'auteur,  qui  paraît  avoir  été  double.  —  1.  L'auteur 
a  voulu  raconter  des  faits  réels,  ceux  de  la  création  du 
monde.  Il  enseigne  que  Dieu  a  créé  toutes  choses,  le 
ciel,  la  terre,  la  lumière,  les  astres,  les  végétaux,  les 
animaux  et  l'homme.  Son  récit  n'est  ni  un  mythe,  ni 
une  fiction,  ni  même  une  allégorie;  c'est  sinon  une 
histoire,  du  moins  une  description  réelle  de  faits 
»  entablement  accomplis.  La  forme  en  est  sobre  com- 


parativement surtout  aux  autres  cosmogonies,  claire 
et  aussi  précise  qu'elle  pouvait  l'être  dans  la  langue 
hébraïque  et  à  l'époque  reculée  où  l'auteur  écrivait. 
Quoique  celui-ci  ait  employé  des  images  et  des  méta- 
phores, il  n'a  pas  composé  un  poème,  où  tout  aurait 
été  imagé.  Son  récit  est,  au  contraire,  remarquable  par 
l'élévation  de  la  pensée,  la  précision  des  termes  et  la 
solennité  de  l'affirmation.  D'autre  part,  l'écrivain  n'a 
pas  voulu  rédiger  un  traité  savant,  faire  un  exposé 
scientifique  de  cosmologie.  Son  unique  dessein  étant 
d'établir  que  Dieu  est  le  créateur  de  toutes  choses,  il 
s'est  mis  à  la  portée  de  tous,  et  pour  exposer  les  vérités 
les  plus  profondes,  il  a  recouru  à  un  langage  populaire 
et  figuré  :  il  a  attribué  à  Dieu  la  parole  comme  à  un 
homme,  il  l'a  montré  commandant  aux  créatures  de  se 
produire,  s'encourageant  à  créer  l'homme,  approuvant 
son  œuvre,  la  trouvant  bonne  et  la  bénissant.  Mais 
pour  créer,  Dieu  n'avait  pas  besoin  de  parler,  sa  volonté 
suffisait  ;  les  anthropomorphismes  du  récit  ne  nuisent 
pas  à  la  réalité  des  vérités  essentielles  que  l'auteur 
voulait  enseigner.  La  créature  est  bonne  parce  qu'elle 
est  conforme  à  l'idée  que  le  créateur  en  avait,  en 
l'appelant  à  l'existence.  L'homme  pour  lequel  le  monde 
a  été  créé  est  le  centre  et  le  roi  de  la  création;  quoique 
formé  de  matière,  il  est  par  son  âme  l'image  de  Dieu; 
il  est  supérieur  au  reste  de  la  nature  terrestre  et  il  a  le 
droit  de  la  dominer  et  de  s'en  servir.  Dieu  n'a  créé 
qu'un  seul  couple,  duquel  dérive  toute  l'humanité.  Ces 
vérités  sont  enseignées  clairement  et  simplement,  sous 
une  forme  concrète  et  par  l'affirmation  de  faits  énoncés 
sans  commentaire  ni  théorie. 

2.  L'auteur  a  eu  un  second  but,  celui  d'inculquer  le 
précepte  positif  de  l'observation  du  sabbat,  en  indi- 
quant l'origine  divine  de  la  semaine.  Pour  cela,  il  a  pris 
le  travail  et  le  repos  de  Dieu  comme  modèles  du  travail 
de  l'homme  en  six  jours  et  de  son  repos  le  septième 
jour.  Il  a  donc  groupé  les  principales  œuvres  divines 
en  six  jours  de  vingt-quatre  heures,  constitués  par  un 
soir  et  un  matin.  Les  actes  créateurs  qu'il  mentionne 
sont  au  nombre  de  huit.  Or,  pour  les  introduire  dans 
son  cadre  de  six  jours  de  travail,  il  réunit  deux  de  ces 
actes  au  3e  et  au  6e  jour.  Le  cadre  delà  semaine  divine 
est  donc  factice  et  ne  représente  pas  la  succession  réelle 
des  œuvres  de  Dieu.  Aussi  bien  Dieu  aurait  pu,  s'il 
l'eût  voulu,  créer  tous  les  êtres  de  l'univers  en  un 
instant,  par  un  seul  acte  de  sa  volonté  toute-puissante 
et  il  aurait  pu  espacer  les  créations  particulières  autant 
qu'il  l'aurait  voulu.  Si  le  récit  de  la  Genèse  les  groupe 
en  six  jours  d'une  même  semaine,  ce  n'est  pas  une 
raison  de  penser  que  les  actes  créateurs  ont  été  produits 
dans  ce  laps  de  temps.  La  durée  de  vingt-quatre  heures 
ne  fixe  pas  les  limites  de  l'action  créatrice.  La  période 
de  six  jours  de  travail,  suivie  du  repos  divin,  appartient 
au  cadre  systématique  du  récit  et  ne  nous  renseigne 
pas  sur  la  durée  de  la  création  du  monde.  Elle  ne  sert 
qu'à  faire  du  travail  de  Dieu  le  type  du  travail  de 
l'homme. 

Quant  à  la  disposition  des  huit  actes  créateurs  dans 
le  cadre  des  six  jours,  suit-elle  l'ordre  historique  et 
chronologique  des  faits?  Les  scolastiques  y  ont  vu 
plutôt  un  ordre  logique,  quand  ils  y  ont  distingué 
Vopus  distinctionis  et  ï'opus  ornatus.  L'auteur  n'a  pas 
énoncé  toutes  les  œuvres  divines,  il  n'a  pris  que  les 
principales.  Pour  son  but  d'instruction,  il  n'avait  pas 
besoin  d'être  complet.  Il  a  envisagé  le  monde  tel 
qu'il  apparaissait  à  ses  yeux.  Il  a  considéré  le  ciel 
et  la  terre,  et  il  a  affirmé  qu'ils  avaient  été  créés  par 
Dieu;  il  a  vu  qu'ils  étaient  remplis  d'êtres  variés,  et  il 
a  dit  que  tous  ceux  qu'il  désignait  étaient  l'œuvre  du 
créateur.  Mais  son  énumération  n'est  ni  complète  ni 
scientifique,  et  il  s'est  borné  aux  grandes  catégories  des 
êtres.  Il  n'a  pas  parlé  des  minéraux,  et  parmi  les  végé- 
taux, il  n'a  nommé  que  le  gazon,  les  plantes  et  les  arbres 


2329 


HEXAMERON 


2330 


f.uitiers,  c'est-à-dire  les  espèces  les  plus  utiles  à 
l'homme,  celles  qui  sont  à  son  usage  constant.  Sa  no- 
menclature des  animaux  terrestres  est  aussi  simple  et 
d'ordre  aussi  pratique  :  elle  comprend  seulement  les 
animaux  qui  vivent  en  troupeaux,  les  bêtes  rampantes 
et  le  gibier;  cette  classification  est  faite  exclusivement 
au  point  de  vue  des  bergers  et  des  agriculteurs.  D'autre 
part,  dans  la  disposition  des  créatures,  l'auteur  va  tou- 
jours du  simple  au  composé.  Cette  disposition  est  donc 
plutôt  logique  que  strictement  chronologique;  elle  est 
le  résultat  d'un  raisonnement  très  simple  et  très  popu- 
laire. Elle  est  ainsi  adaptée  à  la  mentalité  de  lecteurs 
peu  instruits  des  sciences,  auxquels  elle  apprend  claire- 
ment, non  pas  seulement  cette  vérité  idéale  que  Dieu 
est  le  créateur  du  monde,  mais  bien  ces  faits  particu- 
liers que  tous  les  êtres  visibles  de  l'univers  sont  des 
œuvres  de  Dieu.  Cependant,  toute  succession  régulière 
n'est  pas  exclue  absolument  :  Dieu,  qui  a  créé  et  organisé 
le  monde,  ne  l'a  pas  fait  au  hasard;  dans  l'origine  des 
choses  il  a  suivi  un  ordre  de  succession  réel;  il  a  procédé 
du  moins  parfait  au  plus  parfait;  il  a  créé  les  éléments 
du  monde,  puis  les  réceptacles  des  êtres  et  enfin  les 
êtres  eux-mêmes  qui  habitent  ces  réceptacles.  Cet  ordre 
de  succession  est  rationnel,  et  il  est  digne  de  la  sagesse 
et  de  la  puissance  du  créateur.  Et  ce  n'est  pas  seule- 
ment une  idée  que  l'auteur  inspiré  enseigne  par  ce 
moyen;  c'est  un  fait  qu'il  affirme,  en  recourant  à 
un  procédé  intelligible  aux  esprits  les  plus  simples. 
La  Commission  biblique  n'a-t-elle  pas  reconnu,  le 
30  juin  1909,  qu'en  écrivant  le  Ier  chapitre  de  la  Genèse, 
l'intention  de  l'auteur  sacré  n'a  pas  été  d'enseigner 
scientifiquement  la  constitution  intime  des  choses 
visibles  et  l'ordre  complet  de  la  création,  mais  plutôt 
de  donner  à  son  peuple  une  connaissance  populaire, 
telle  que  le  langage  commm  la  comportait  à  cette 
époque,  accommodée  aux  sentiments  et  à  la  com- 
préhension des  hommes?  n.  7.  Acta  aposlolicœ  scdis, 
Rome,  1909,  t.  i,  p.  568. 

4°  Son  origine.  —  1.  Origine  mythique.  —  Pour  les 
critiques  rationalistes,  le  Ier  chapitre  de  la  Genèse  fait 
partie  du  code  sacerdotal  ou  de  la  source  P,  qui  est 
d'origine  récente  et  date  au  plus  tôt  de  la  fin  de  la 
captivité  des  juifs  à  Babylone.  Voir  col.  1194-1195. 
Toutefois,  s'ils  attribuent  à  l'auteur  du  code  la  par- 
tie schématique  du  récit,  quelques-uns  d'entre  eux 
estiment  qu'il  a  emprunté  les  matériaux  qu'il  a  intro- 
duits dans  ce  cadre  factice  à  une  ancienne  tradition 
d'Israël,  dérivée  elle-même  des  mythes  babyloniens  et 
phéniciens,  à  une  époque  bien  antérieure,  par  voie 
d'épuration  et  remaniée  et  retouchée  au  cours  des 
siècles,  avant  d'être  enfin  mise  par  écrit  dans  son  état 
actuel.  Ils  ont  comparé  le  récit  génésiaque  aux  mythes 
de  la  création  des  Assyro-Babyloniens  et  des  Phéni? 
ciens,  peuples  voisins  d'Israël,  et  ils  ont  constaté  entre 
eux,  à  côté  de  différences  qui  proviennent  de  milieux 
religieux  différents,  des  ressemblances  qui  prouvent  la 
dépendance  du  premier  vis-à-vis  des  autres.  On  con- 
naissait depuis  longtemps  la  cosmogonie  des  Baby- 
loniens, rapportée  par  Damascius  et  par  Bérose.  Mais 
un  texte  cunéiforme,  qui  a  été  découvert  en  1873  par 
George  Smith  dans  les  ruines  du  palais  d'Assurbanipal 
et  qu'on  a  nommé  la  Genèse  chaldéenne,  a  présenté  de 
nouveaux  rapprochements  avec  le  texte  de  la  Genèse. 
On  le  nomme  aujourd'hui  Enuma  Elié,  de  ses  premiers 
mots.  Le  texte  a  été  reproduit  dans  les  Transactions 
of  the  Society  of  biblical  archœology,  1875,  t.  iv  b,  p.  363; 
1876,  t.  v,  p.  426-440  (la  4e  tablette,  trouvée  par  Bas- 
sani, a  été  publiée  par  Budge,  Proceedings  of  the  So- 
ciety of  biblical  archœology,  1887,  t.  x,  p.  86);  par  Fried. 
Delitzsch,  Assyrische  Lesestùcke,  2e  édit.,  p.  82  sq.  ; 
dans  Cuneijorm  texts  from  Babylonian  tablels,  t.  xm; 
par  King,  Z7ie  seven  tablels  of  création,  Londres,  1902. 
t.  i  et  n  ;  par  le  P   A.  Deimel,  Enuma  Elis  sive  Epos 


babylonicum  de  crcatione  mundi,  Borne,  1912.  Il  a  été 
transcrit  et  traduit  par  G.  Smith,  Chaldean  account  of 
Genesis,  Londres,  1876,  p.  65-67;  Fox  Talbot,  Trans- 
actions of  the  Society  of  biblical  archœology,  t.  v,  p.  1- 
21;  Oppert,  dans  E.  Ledrain,  Histoire  d'Israël,  Paris, 
1879,  t.  i,  p.  411-421;  F.  Lenormant,  Les  origines  de 
l'histoire  d'après  la  Bible  et  les  traditions  orientales, 
2e  édit.,  Paris,  1880,  t.  i,  p.  507-516;  Schrader,  Keil- 
inschrifUn  und  das  Alte  Testament,  2e  édit.,  p.  1  sq. ; 
Sayce,  Hibbert  lecture,  p.  384  sq.  ;  Records  of  the  past, 
nouvelle  série,  t.  i,  p.  133  sq.  ;  H.  Winckler,  Keilin- 
schriftliches  Textbuch  zum  A.  T.,  Leipzig,  1892,  p.  88  sq; 
Zimmer,  dans  H.  Gunkel,  Schôpfung  und  Chaos  in 
Urzcil  und  Endzeit,  Gœttingue,  p.  401-417;  F.  Vigou- 
reux, La  Bible  et  les  découvertes  modernes,  6e  édit.,  Paris, 
1896,  t.  i,  p.  218-229;  Fried,  Delitzsch,  Das  baby- 
lonische  Wcllschôpfungepos,  Leipzig,  1896.  p.  92  sq.; 
Jensen,  Mythen  und  Epen,  dans  Keilinschri/lliche 
Bibliothek  de  Schrader,  Berlin,  1900,  t.  vi,  p.  2  sq.; 
P.  Dhorme,  Choix  de  textes  religieux  assyro-babylo- 
niens,  Paris,  1907,  p.  2-81.  Sur  ce  poème,  voir 
J.  Lagrange,  Études  sur  les  religions  sémitiques,  2e  édit., 
Paris,  1905,  p.  369-3S1.  On  a  constaté  entre  ce  poème 
et  le  début  de  la  Genèse  un  certain  nombre  de  res- 
semblances :  les  plus  frappantes  sont  la  mer  primitive 
ou  l'abîme  des  eaux,  dont  le  nom  Tehôm  se  rapproche  de 
Tiàmat,  la  séparation  des  eaux  et  la  production  du 
firmament,  enfin  la  création  des  étoiles. 

C.  Budde  fut  le  premier  à  émettre  l'hypothèse  que 
l'écrivain  biblique  aurait  emprunté  son  récit  de  la  créa- 
tion au  mythe  babylonien.  Die  biblische  Urgcschichte, 
Giessen,  1883,  p.  485.  Jensen  fut  plus  affirmatif,  parce 
qu'il  lui  parut  que  la  suite  des  événements  était  iden- 
tique dans  les  deux  documents.  Kosmologie  der  Baby- 
lonier,  Strasbourg,  1890,  p.  306.  H.  Gunkel  fit  une 
étude  complète  du  sujet.  Après  avoir  remarqué  d'abord 
que  le  chaos  primitif  et  la  création  des  astres  avaient 
été  empruntés  à  u'ie  tradition  babylonienne,  il  établit 
une  série  de  rapprochements  entre  la  Genèse  et  le 
poème  chaldéen,  et  il  conclut  à  la  dépendance  de  la 
première  relativement  au  second.  Les  différences  reli- 
gieuses qui  existent  entre  les  deux  documents  lui  firent 
reconnaître  que  l'auteur  du  code  sacerdotal  n'avait  pas 
emprunté  directement  au  poème  chaldéen  les  détails 
communs,  ainsi  que  le  prétendait  J.  Halévy,  Revue 
sémitique,  janvier  et  avril  1893.  Comme  il  avait  relevé 
dans  plusieurs  livres  de  l'Ancien  Testament  une  série 
de  textes  qui  lui  paraissaient  reproduire  des  données 
du  poème  chaldéen,  notamment  la  lutte  au  dragon  ou 
de  Tiamat  sous  les  noms  de  Bahab,  de  Léviathan  et  de 
Béhémoth  contre  Dieu  et  l'océan  primitif,  il  en  conclut 
que  la  tradition  hébraïque  avait  modifié  graduelle- 
ment le  mythe  de  Mardouk  et  que  l'écrivain  sacerdotal 
l'avait  recueillie  et  consignée  par  écrit  dans  cet  état  de 
retouche  et  de  remaniement.  Il  en  résultait  que  le 
mythe  babylonien  avait  été  connu  en  Israël  longtemps 
avant  la  captivité  à  Babylone  et  que  l'emprunt,  fait 
par  les  Israélites,  remontait  très  haut,  qu'il  était 
antérieur  à  l'époque  des  prophètes  et  que  rien  ne  prou- 
vait qu'il  ne  fût  pas  contemporain  de  la  venue  d'Abra- 
ham au  pays  de  Chanaan.  Schôpfung  und  Chaos  in 
Urzeit  und  Endzeit,  p.  1-170;  Genesis,  2«  édit.,  Gœt- 
tingue, 1902,  p.  103-115;  3e  édit.,  1909,  p.  101-131. 
Zimmern  a  tenu  aussi  l'origine  babylonienne  du  cha- 
pitre ier  de  la  Genèse  comme  démontrée,  cf.  Schrader, 
Die  Keilinschriflen  und  das  A.  T.,  3e  édit.,  Berlin,  1903. 
p.  506  sq.,  ainsi  que  Fned.  Delitzsch,  Babel  und  Bi bel, 
Leinzia,  1902,  p.  35.  Voir  aussi  M.  Jastrow,  Hebnw  and 
R  b'io  ia  •  t  dilion  .  Philadelphie,  1914,  c.  n,  qui 
réduit  au  minimum  l'influence  du  mythe  babylonien 
de  la  création  sur  le  chapitre  Ier  de  la  Genèse. 
Cf.  R  duc  bibliq  ,  1916,  p.  597,  598.  Le  génie 
hébreu  aurait  extrait  par  voie  d'abstraction   l'idée  de 


2331 


HEXAMERON 


2332 


la  création  du  monde  d'un  mythe  babylonien  qui  ne 
la  contenait  pas. 

Quelques  catholiques  ont  accepté  l'hypothèse  de 
l'origine  mythique  et  babylonienne  du  récit  mosaïque 
de  la  création.  La  tradition  chaldéenne  leur  a  paru  plus 
ancienne  que  la  forme  biblique,  qui  en  serait  sortie 
par  voie  d'épuration.  François  Lenormant  ouvrit  la 
voie.  Les  origines  de  l'histoire,  2e  édit.,  Paris,  1880, 
t.  i,  p.  1-5.  A.  Loisy-  l'a  suivi.  Les  mythes  chaldéens 
de  la  création  et  du  déluge,  Amiens,  1892,  p.  2-34; 
Le  monstre  Rahab  et  l'histoire  biblique  de  la  création, 
dans  le  Journal  asiatique,  9e  série,  1898,  t.  xn,  p.  44-67. 
C'était  seulement  une  hypothèse  très  vraisemblable, 
que  le  cadre  de  la  cosmogonie  mosaïque  avait  été 
fourni  en  partie  à  l'auteur  du  Pentateuque  par  la  tra- 
dition chaldéenne.  Études  bibliques,  Paris,  1901,  p.  70. 
Le  P.  Lagrange  admit  catégoriquement  que  le  cadre 
littéraire  de  la  cosmogonie  révélée  avait  été  emprunté 
au  poème  chaldéen,  non  sans  doute  par  une  imitation 
littéraire  directe,  mais  par  une  influence  ambiante. 
Hexaméron,  dans  la  Revue  biblique,  1896,  t.  v,  p.  397- 
407.  Holzhey  a  pensé  que  l'écrivain  sacré,  sous  l'action 
de  l'inspiration  divine,  a  épuré  le  mythe  païen  de  toute 
idée  polythéiste  et  l'a  animé  de  l'esprit  monothéiste 
pour  lui  faire  exprimer  les  idées  théologiques  qu'il 
voulait  enseigner.  Schôpfung,  Bibel  und  Inspiration, 
Stuttgart,  1902,  p.  39-41.  Th.  Engert  a  admis  aussi 
l'emprunt  indirect  du  chapitre  ier  de  la  Genèse  aux 
mythes  sémitiques.  Die  Urzeit  der  Bibel.  I.  Die 
Wtllschôpfung,  Munich,  1907,  p.  25-53.  Il  faut  observer 
que  ces  catholiques  n'admettaient  pas,  comme  on  le 
leur  a  reproché,  l'introduction  d'un  mythe  polythéiste 
dans  la  Bible;  ils  prétendaient  seulement  que  l'écrivain 
inspiré  avait  emprunté  aux  mythes  païens  un  simple 
cadre  littéraire  dans  lequel  il  avait  formulé  l'enseigne- 
ment révélé  du  monothéisme  primitif  et  de  la  création 
de  l'univers  par  le  Dieu  véritable  et  unique. 

M.  Vigouroux  avait  repoussé  d'un  mot  l'hypothèse 
de  l'emprunt  fait  par  la  Bible  aux  légendes  cunéi- 
formes, en  s'appuyant  sur  les  différences  du  récit 
mosaïque  et  du  poème  chaldéen  :  «  Moïse  a  un  tout 
autre  accent  et  ses  paroles  ont  une  tout  autre  signi- 
fication. »  La  Bible  et  les  découvertes  modernes,  t.  i, 
p.  237.  D'autres  critiques  catholiques,  sans  nier  non 
plus  les  ressemblances  entre  le  poème  chaldéen  et 
le  récit  mosaïque,  ont  noté  qu'elles  ne  portaient  que 
sur  des  points  accessoires  et  que  la  différence  fonda- 
mentale résidait  dans  l'esprit  religieux  qui  animait 
les  deux  documents.  Tandis  que  le  début  de  la  Genèse 
est  strictement  monothéiste  et  qu'il  enseigne  expressé- 
ment la  création  de  l'univers  entier  par  Dieu,  le  poème 
chaldéen  n'est  pas  seulement  polythéiste,  il  est  pan- 
théiste et  admet  l'éternité  de  la  matière  première;  il 
est  une  théogonie  autant  qu'une  cosmologie.  Les  deux 
documents  représentent  donc  des  vues  religieuses  sur 
le  monde  tout  à  fait  opposées  et  l'une  ne  peut  dériver 
de  l'autre.  Les  ressemblances  s'expliquent  par  la  com- 
munauté de  la  tradition  qui  leur  a  servi  de  point  de 
départ  et  qui  a  été  développée  dans  des  sens  absolu- 
ment différents.  Zapletal,  Le  récit  de  la  création, 
trad.  franc.,  p.  116-137;  J.  Nikel,  Genesis  und  For- 
schungen.  I.  Die  biblische  Urgeschichtc,  Munster,  1909, 
p.  8-18;  A.  Kirchner,  Die  babylonische  Kosmogonie 
und  der  biblische  Schôpfungsbericht,  Munster,  1910; 
M.  Helzenauer,  Commcnlarius  in  librum  Genesis, 
Graz  et  Vienne,  1910,  p.  31-34;  A.  Condamin,  Bab'j- 
lone  et  la  Bible,  dans  le  Diclionnai  e  apologétique  de 
la  foi  c  tholiq  e,  ('dit.  d'Aïs,  Paris,  1909,  t.  i, 
col.  337-339  cf.  col.  345;  Christus,  2e  édit.,  Paris, 
1916,  p.  700-703,  936.  Du  reste,  on  n'admet  géné- 
ralement pas  que  la  mythologie  chaldéenne  ait 
laissé  dans  la  Bible,  même  en  dehors  du  chapitre  Ier 
de  la  Genèse,  des  traces     appréciables.    Si   la   façon    ] 


poétique  de  décrire  la  lutte  de  Jahvé  contre  les 
monstres  Bahab (qui  personnifie  l'Kgypte),  Léviathan, 
et  autres  monstres  qui  désignent  les  puissances 
ennemies  d'Israël,  est  due  à  l'influence  de  quelque 
poème  mythique,  la  conception  du  mythe  est  com- 
plètement transformée  dans  la  Bible.  Ces  monstres 
n'y  sont  pas  représentés  commedes  principes  premiers 
(ainsi  Tiâmât,  qui,  dans  le  poème  chald  en,  est  la 
puissance  du  mal  et  des  ténèbres,  combattant  contre 
Mardouk  à  armes  égales1,  mais  comme  des  créatures 
de  Jahvé,  dont  le  Dieu  d'Israël  triomphe  en  souverain 
absolu.  Voir,  dans  le  Dictionnaire  de  la  Bible  de 
M.  Vigouroux,  les  articles  Béhémoth,  Crocodile,  Lévia- 
than et  Rahab.  Cf.  J.  Lagrange,  Éludes  sur  les  religions 
sémitiques,  p.  381-383. 

D'après  le  P.  Lagrange,  rien  n'empêche  que  des 
métaphores  du  c.  Ier  de  la  Genèse,  n'aient  été  em- 
pruntées a  des  traditions  babyloniennes.  Ce  qui  ne 
leur  a  pas  été  emprunté,  c'est  le  fait  même  de  la 
création  totale  par  un  pouvoir  spirituel,  fait  dont 
ces  traditions  n'ont  pas  le  moindre  soupçon.  Cet  ensei- 
gnement est  dû  à  la  révélation  primitive,  qui  a  pu 
être  renouvelée  à  des  hommes  choisis  par  Dieu,  tels 
qu'Abraham  et  Moïse.  Or,  ces  chefs  religieux  des 
Hébreux,  pour  faire  comprendre  des  vérités  surna- 
turelles à  un  peuple  grossier,  ont  pu  se  servir  d'ex- 
pressions courantes  et  de  traditions  populaires  em- 
pruntées aux  Babyloniens.  Encore  est-il  que,  pour 
le  c.  Ier  de  la  Genèse,  les  ressemblances  se  réduisent 
à  presque  rien.  Revue  biblique,  1916,  p.  5J8. 

2.  Origine  directement  révélée.  —  A  l'extrême  opposé 
d'un  emprunt  direct  ou  indirect  à  un  mythe  païen,  se 
place  le  sentiment  de  plusieurs  catholiques  qui  pré- 
tendent que  le  récit  biblique  de  la  création  a  été  direc- 
tement révélé  par  Dieu.  Ils  supposent  que  Dieu  a  dû 
révéler  à  Adam  ou  à  Moïse  le  fait  et  le  mode  de  la 
création,  dont  personne  n'avait  été  témoin  et  qui  ne 
sont  pas  accessibles  à  la  seule  raison  humaine.  Ce 
mode  de  révélation  directe  leur  paraît  nécessaire  pour 
sauvegarder  la  réalité  des  faits  racontés  et  de  l'ordre  de 
la  création  des  êtres.  Mais  tandis  que  les  uns  ne  se 
prononcent  pas  sur  la  manière  dont  Dieu  a  révélé  à 
notre  premier  père  ou  à  l'auteur  de  la  Genèse  le  fait  et 
l'ordre  de  la  création,  Th.  Lamy,  Commenlarium  in 
librum  Geneseos,  Malines,  1883,  t.  i,  p.  104;  L.  Murillo, 
El  Genesis,  Rome,  1914,  p.  222-227,  d'autres  sou- 
tiennent que  cette  révélation  a  dû  être  faite  par  Dieu 
à  Adam  au  moyen  d'une  vision  extérieure,  qui  faisait 
dérouler  sous  les  yeux  de  notre  premier  père  le  tableau 
des  six  jours  de  la  création.  C'est  le  protestant  I.  H 
Kurtz  qui  a  imaginé  ce  sentiment.  Bibel  und  Astro- 
nomie, Berlin,  1842.  Le  P.  de  Hummclauer  l'a  proposé 
plusieurs  fois.  Der  biblische  Schôpfungsbericht,  Fri- 
bourg-en-Brisgau,  1877;  dans  les  Stimmen  aus  Maria- 
Laach,  1882,  t.  xxn,  p.  97;  Comment,  in  Gcnesim, 
p.  69-74;  Le  récit  de  la  création,  trad.  franc.,  p.  229,  245, 
263-274.  Il  établit  son  sentiment  sur  un  argument  de 
parité,  tiré  de  la  vision  qu'Adam  a  eue  de  la  création  de 
la  femme,  Gen.,  n,  21,  et  sur  cette  raison  intrinsèque, 
que  le  récit  si  vivant  et  si  coloré  du  c.  Ier  de  la  Genèse 
est  plutôt  une  narration  de  choses  vues  et  entendues 
que  la  répétition  de  ce  qui  a  été  entendu  de  la  bouche 
d'un  autre.  Il  en  conclut  que  Dieu  a  révélé  à  l'homme 
le  procédé  de  la  création  en  le  lui  présentant  dans  une 
vision  comme  une  œuvre  de  six  jours,  et  c'est  la  seule 
manière  d'expliquer  les  six  jours.  Le  P.  Corluy  admît 
d'abord  la  vision  comme  possible,  Spicilegium  dogma- 
tico-biblicum,  Gand,  1884,  t.  i,  p.  188,  puis  comme 
vraisemblable.  Science  catholique  du  15  juillet  1889. 
G.  Hoberg  a  adhéré  à  l'explication  du  P.  de  Hummc- 
lauer, Die  Genesis  nach  dem  Lileralsinn  erklarl,  2e  édit., 
Fribourg-en-Brisgau,  1908,  p.  1-5.  La  vision  de  la  créa- 
tion n'a  pas  été  pour  Adam  purement  symbolique; 


2333 


HEXAMERON 


2334 


elle  a  été  littérale  pour  la  série  des  œuvres  révélées, 
■et  symbolique  seulement  pour  leur  disposition  dans 
les  six  jours  de  la  semaine.  Le  P.  Méchineau  s'est  rallié, 
lui  aussi,  à  l'hypothèse  de  la  vision.  L'historicité  des 
trois  premiers  chapitres  de  la  Genèse,  Rome,  Paris, 
Louvain,  1910,  p.  99-100,  151-152,  ainsi  que  P.  Lanier, 
La  Bible  et  les  origines  du  monde,  dans  la  Revue  du 
clergé  français,  1910,  t.  lxii,  p.  541,  et  le  P.  Dillmann, 
oblat,  Erklarungsversuche  zum  Sechstagewerk,  dans 
PastoT  bonus,  1913,  t.  xxv,  p.  723-736.  J.  Sim,  The 
draina  of  création,  dans  Expositor,  Londres,  1897,  t.  n, 
p.  309-320,  387-400,  450-459,  a  soutenu  aussi  la  théorie 
de  la  révélation  en  songe  ou  en  vision. 

Mais  l'explication  de  la  révélation  par  vision  n'est 
pas  nécessaire.  Le  texte  du  récit  ne  laisse  nullement 
supposer  qu'il  a  été  l'objet  d'une  vision,  et  son  style 
vivant  et  coloré  s'explique  tout  autrement.  Si  Adam 
a  vu  la  création  d'Eve  en  vision,  le  texte  l'exprime 
formellement,  et  la  parité  établie  entre  cette  création 
et  celle  du  monde  n'est  pas  prou  vte;  il  suffisait  que  Dieu 
révélât  la  création  du  monde  au  premier  homme  par 
n'importe  quel  moyen.  Il  n'était  pas  nécessaire  qu'il 
montrât  â  Adam  en  vision  comment  la  création  s'était 
faite,  ni  qu'un  récit  de  cette  vision  se  transmît  verba- 
lement d'Adam  à  Moïse.  Enfin,  la  distribution  des 
■œuvres  divines  dans  six  jours  de  la  semaine  s'explique 
tout  aussi  bien  par  une  classification  de  l'auteur  du 
récit,  faite  sous  l'influence  de  l'inspiration  divine. 

3.  Origine  traditionnelle.  —  Bien  que  le  fait  de  la 
création  soit,  d'après  le  concile  du  Vatican,  connais- 
sable  par  la  raison,  voir  t.  in,  col.  2192-2195,  et  que 
la  raison  donne  de  bons  arguments  en  faveur  de  la 
création,  ibid.,  col.  2100-2109,  parce  que  le  comment  de 
la  création  ex  nihilo  reste  mystérieux,  ibid.,  col.  2037, 
les  commentateurs  catholiques  de  la  Genèse  admettent 
tous  que  le  fait  et  le  mode  de  la  création  du  monde  ont 
été  révélés  par  Dieu  au  début  de  l'humanité;  mais  ils 
n'admettent  pas  pour  autant  que  le  récit  de  la  Genèse 
ait  été  directement  révélé  par  Dieu  à  Adam  et  à  Moïse. 
Quelques-uns  trouvent  une  preuve  de  la  révélation  pri- 
mitive de  la  création  dans  l'accord  foncier  que  pré- 
sentent, malgré  de  nombreuses  divergences  de  détail 
et  les  erreurs  polythéistes  qui  y  sont  mêlées,  les  tradi- 
tions de  tous  les  peuples  sur  la  création  du  monde. 
Cf.  H.  Luken,  Les  traditions  de  l'humanité,  trad.  franc., 
Paris,  Tournai,  1862, 1. 1,  p.  42-93.  La  révélation  primi- 
tive, altérée  chez  les  polythéistes,  se  serait  conservée 
pure  de  toute  erreur  dans  la  famille  d'Abraham  et  dans 
le  peuple  juif.  Un  écrivain  sacré,  soit  Moïse  lui-même, 
soit  un  de  ses  prédécesseurs  si  l'auteur  de  la  Genèse 
a  reproduit  un  morceau  antérieur,  sous  l'action  de 
l'inspiration  divine,  aurait  fixé  par  écrit  le  récit  tradi- 
tionnel et  nous  aurait  transmis  un  récit  exempt  de 
toute  erreur  et  vrai  dans  son  objet  J.  Selbst,  Das  Alte 
Testament,  dans  Handbuch  zur  Biblischen  Geschichte, 
6e  édit.,  Fribourg-en-Brisgau,  1910,  t.  i,  p.  105-108; 
M.  Hetzenauer,  Comment,  in  librum  Genesis,  p.  3  1-36. 
M.  Vigouroux,  comparant  la  cosmogonie  mosaïque  avec 
la  cosmogonie  chaldéenne,  admet,  à  cause  de  leurs  res- 
semblances, qu'elles  représentent  une  tradition  com- 
mune à  l'origine,  mais  qui  a  pris  des  couleurs  diverses 
en  passant  par  des  canaux  différents.  La  tradition 
biblique  est  plus  pure  et  plus  rapprochée  de  la  source 
que  les  traditions  chaldéennes,  qui  ont  été  altérées  et 
défigurées  par  les  idées  polythéistes  qu'elles  expriment; 
l'écrivain  inspiré  l'a  reproduite  sans  mélange  d'erreur 
et  comme  exprimant  la  vérité  révélée  par  Dieu  à  l'ori- 
gine. La  Bible  et  les  découvertes  modernes,  t.  i,  p.  237- 
238. 

4.  Origine  simplement  inspirée.  —  M.  Nikel  a  suivi 
une  autre  voie.  Constatant  que  les  traditions  cosmogo- 
niques  des  peuples  n'étaient  pas  d'accord,  il  a  nié 
qu'elles  prouvent  l'existence  d'une  révélation  ou  d'une 


tradition  primitive  sur  la  création  de  l'univers.  Bien 
plus,  si  Dieu  avait  révélé  aux  anciens  patriarches, 
Abraham,  Isaac  et  Jacob,  ou  au  premier  prophète 
inspiré  d'Israël,  à  Moïse,  le  mode  de  la  création 
première,  le  peuple  d'Israël  n'aurait  eu  qu'une  seule 
manière  de  parler  de  la  création.  Or,  indépendamment 
des  deux  récits  de  la  création  qui  se  suivent  dans  la 
Genèse,  i,  1-n,  4  a;  n,  4  6-25,  et  qui  ne  sont  pas  d'accord 
dans  la  manière  de  décrire  la  création,  on  trouve  dans 
l'Ancien  Testament  d'autres  descriptions  différentes 
de  la  création;  ainsi  Job,  xxxvm,  3-11;  Ps.  civ,  5-9; 
Prov.,  vin,  24-29.  Il  faut  donc  en  conclure  qu'il  n'y  a 
pas  eu  à  l'origine  de  récit  révélé  de  la  création  du 
monde,  et  que  le  c.  Ier  de  la  Genèse  est  l'œuvre  d'un 
auteur  inspiré,  qui  l'a  composé  librement,  d'après  ses 
connaissances  personnelles,  en  groupant  les  huit  prin- 
cipales actions  créatrices  de  Dieu  dans  les  six  jours  de 
la  semaine.  Bien  qu'étant  une  libre  composition  d'un 
écrivain  hébreu,  le  c.  Ier  de  la  Genèse  n'est  pas  cepen- 
dant une  œuvre  purement  naturelle.  Par  son  caractère 
monothéiste,  il  a  son  fondement  dans  l'idée  surnatu- 
rellement  révélée  de  Dieu,  telle  qu'elle  était  conservée 
dans  Israël  sous  l'influence  des  prophètes.  Il  est  donc 
venu  médiatement  de  la  révélation  surnaturelle,  puis- 
que les  idées  religieuses  et  morales  qu'il  exprime  ont 
été  révélées  et  ont  une  valeur  éternelle,  qui  est  indé- 
pendante du  progrès  des  sciences  profanes.  A  lie  und 
neue  Angrif/e  auf  das  A.  T.,  2e  édit.,  Munster,  1908, 
p.  15;  Das  A.  T.  im  Lichle  der  altorientalischen  For- 
schungen.    I.    Die    biblische    Urgeschichle,    p.    19-25. 

Pour  sauvegarder  donc  la  vérité  divine  et  révélée  du 
récit  de  la  création,  quoi  qu'il  en  soit  d'ailleurs  d'une 
révélation  primitive  de  la  création  faite  à  Adam,  il 
suffit  que  Moïse  ait,  par  l'effet  de  l'inspiration  divine, 
rédigé  ce  récit,  cf.  S.  Chrysostome,  In  Gen.,  homil.  vu, 
n.  4,  P.  G.,  t.  lui,  col.  65,  ou  même  l'ait  emprunté  à  un 
document  antérieur,  comme  le  pensait  F.  Kaulen, 
Einleilung  in  die  heilige  Schrift,  2e  édit.,  Fribourg-en- 
Brisgau,  1890,  p.  164,  et  l'ait  inséré  en  tête  de  son  écrit 
comme  un  document  vrai  et  digne  de  croyance.  Il  en 
résultera  que  les  faits  de  la  création  de  l'univers  et  des 
êtres  qui  le  peuplent  sont  garantis  par  l'inspiration 
divine,  et  par  conséquent  vrais  et  réels.  Il  n'en  résul- 
tera pas  que  l'ordre  de  ces  faits  et  leur  disposition  dans 
le  cadre  de  six  jours,  étant  une  libre  composition  d'un 
écrivain  hébreu,  même  inspiré,  sont  absolument  réels 
et  historiques.  L'ordre  des  œuvres  de  Dieu  et  leur  dis- 
tribution dans  les  six  jours  de  travail  divin  de  la  se- 
maine pourront  être  considérés  comme  une  vue  parti- 
culière de  l'auteur;  ce  sera  le  cas,  par  exemple,  pour  la 
place  donnée  à  la  création  du  soleil,  de  la  lune  et  des 
étoiles  au  4e  jour.  En  dressant  son  cadre  de  sept  jours, 
qui  ne  se  retrouve  dans  aucune  cosmogonie  païenne, 
l'auteur  y  a  disposé,  sous  l'inspiration  divine,  les  princi- 
paux actes  créateurs,  afin  de  présenter  aux  Israélites 
l'œuvre  de  la  création  comme  le  modèle  de  la  semaine. 
Ainsi  entendu,  le  c.  Ier  de  la  Genèse  ne  contient  ni 
mythe  ni  erreur,  mais  la  vérité  révélée,  exposée  sui- 
vant un  plan  que  l'auteur  s'est  tracé  lui-même,  de  son 
propre  esprit,  mais  sous  l'inspiration  divine.  Cette 
explication,  fondée  sur  l'inspiration  de  Moïse,  garantit 
la  vérité  objective  des  faits  racontés  aussi  bien  que  la 
théorie  de  la  vision.  Le  récit  de  la  création  est  donc  une 
narration  de  choses  vraiment  accomplies,  et  non  pas 
un  récit  de  choses  fabuleuses  tirées  des  mythologies 
ou  des  cosmogonies  pa  ennes,  une  série  d'allégories 
et  de  symboles  dépourvus  de  iv alité  objective  et  pro- 
posés sous  forme  d'histoire  pour  inculquer  des  vérités 
religieuses  et  philosophiques.  Cette  façon  de  l'envisa- 
ger est  donc  absolument  conforme  à  la  décision  de  la 
Commission  biblique,  du  30  juin  1909,  et  elle  corres- 
pond entièrement  à  sa  deuxième  réponse.  Acla  apo- 
tlolicse  sedis,  Rome,  1909, 1. 1,  p.  567. 


2335 


HEXAMERON 


2336 


C.  Holzey,  Schôpfung,  Bibel  und  Inspiration,  Stuttgart, 
1902;  H.  I.esêtre,  Les  récits  de  l'histoire  sainte.  La  création, 
dans  la  Revue  pratique  d'apologétique,  du  1"  lévrier  1906, 
t.  i,  p.  400-401;  E.  Dennert,  Die  Grenzen  der  Offenbarung 
im  biblischen  Schôpfungsbericht,  dans  Glauben  und  Wissen, 
1906,  t.  iv,  p.  47-57;  P.  Bachmann,  Der  Schôpfungsbericht 
und  die  Inspiration,  dans  Neue  kirchliche  Zeitschrijt,  1907, 
t.  xvii,  p.  383-406;  Der  Schôpfungsbericht  im  Unterricht, 
ibid.,  1907,  t.  xvm,  p.  743-762;  N.  Peters,  Glauben  und 
Wissen  im  ersten  biblischen  Schôpfungsbericht,  Paderborn, 
1907;  E.  Minjon,  Die  dogmatischen  und  literarischen  Grund- 
lagen  zur  Erklàrung  des  biblischen  Schopfungsberichtes, 
Mayence,  1910  (a  paru  dans  Der  Katholik,  1910,  p.  255-272, 
345-363,  409-434). 

II.  Les  diverses  interprétations  du  récit.  — 
Malgré  sa  clarté  et  la  facilité  de  sa  traduction,  le  récit 
de  la  création  a  reçu,  au  cours  des  âges,  diverses  inter- 
prétations, parce  qu'on  y  a  mêlé  souvent  des  idées 
étrangères,    empruntées    aux   sciences    de   la   nature. 

1°  Pendant  l'antiquité  ecclésiastique,  le  moyen  âge 
et  les  temps  modernes  jusqu'au  XVIIV  siècle.  —  Les 
Pères  apostoliques  et  apologistes  ont  parlé  de  la  créa- 
tion et  du  créateur,  voir  t.  m,  col.  2057-2064,  2112,  ils 
n'ont  pas  expliqué  l'Hexaméron,  ou  bien  leurs  expli- 
cations ne  nous  sont  pas  parvenues.  Cf.  S.  Théophile 
d'Antioche,  Ad  Autol.,  1.  II,  c.  xm,  P.  G.,  t.  vi,  col. 
1069-1071;  Anastase  le  Sinaïte,  Contempl.  anagog. 
Jn  Hexaem.,  1.  VII,  P.   G.,  t.  lxxxix,  col.  961  sq. 

1.  École  allégorique  d' Alexandrie.  —  Elle  est  héritière 
de  l'interprétation  allégorique  des  juifs  d'Alexandrie, 
qui, comme  Aristobule et  Philon,  voyaientdans  les  jours 
de  la  création  des  symboles  et  des  figures.  Clément 
admettait  avec  Philon  la  création  simultanée  de  toutes 
choses,  Strom.,  VI,  16,  P.  G.,  t.  ix,  col.  369,  tenait  la 
distinction  des  jours  non  comme  une  succession  réelle 
du  temps,  mais  comme  une  manière  de  parler  accom- 
modée à  l'intelligence  humaine  et  représentant  l'é- 
chelle graduée  des  êtres  de  l'univers.  Le  jour  dans 
lequel  Dieu  crée  le  monde,  c'est  le  Verbe.  Ibid.,  col.  376. 
Origène  justifiait  la  même  idée  sur  les  jours  géné- 
siaques,en  s'appuyant  sur  l'œuvre  du  quatrième  jour. 
II  est  impossible  qu'il  y  ait  eu  des  jours  réels  avant  la 
création  du  soleil  et  de  la  lune.  Les  trois  premiers  jours 
ne  furent  donc  pas  un  espace  de  temps;  c'est  une  figure 
qui  exprime  la  gradation  des  êtres.  De  principiis, 
1.  IV,  16,  P.  G.,  t.  xi,  col.  376-377.  Origène  avait 
exposé  les  mêmes  idées  dans  son  commentaire  sur  la 
Genèse,  dont  il  ne  reste  que  des  fragments.  Il  le  rap- 
pelle pour  répondre  à  une  objection  de  Celse,  et  il  cite 
Gen.,  n,  4,  pour  montrer  que  la  création  n'a  pas  eu 
lieu  en  l'espace  de  six  jours.  Cont.  Celsum,  1.  VI,  60, 
P.  G.,  t.  xi,  col.  1389.  Aussi  interprète-t-il  allégorique- 
ment  l'œuvre  entière  des  six  jours.  Homil.  in  Genesim, 
P.  G.,  t.  xn,  col.  145  sq.  Saint  Athanase  enseignait 
aussi  la  création  simultanée,  toutes  les  espèces  ayant 
été  créées  ensemble  par  un  seul  et  même  commande- 
ment. Orat.,  ii,  cont.  arianos,  n.  60,  P.  G.,  t.  xxvi, 
col.  276.  Saint  Cyrille  d'Alexandrie  interprète  plusieurs 
détails  du  récit  de  la  création  dans  un  sens  allégorique, 
mais  il  n'admet  pas  la  création  simultanée.  Glaph.  in 
Gen.,  1.  I,  P.  G.,  t.  lxix,  col.  13,  16.  Au  vn"  siècle, 
Anastase  le  Sinaïte,  tout  en  blâmant  l'abus  qu'Origène 
avait  fait  de  l'allégorie  dans  l'interprétation  du  récit 
de  la  création,  ne  fait  que  des  applications  allégoriques 
de  l'Hexaméron  à  l'Église  et  il  se  préoccupe  peu  de  la 
manière  dont  le  monde  a  été  créé.  In  Hexaemeron, 
prsef.,  P.  G.,  t.  lxxxix,  col.  856. 

2.  Écoles  d'Édesse  et  d'Antioche.  —  Saint  Éphrem, 
le  chef  de  l'école  d'Édesse,  rejette  expressément  la 
création  simultanée  et  il  admet  la  réalité  des  jours  de 
la  création,  qui  ont  été  des  jours  de  24  heures.  In  Gen., 
Opéra  syriaca,  Rome,  1737,  t.  i,  p.  6.  Le  saint  docteur 
expose  donc  successivement  quelles  créatures  ont  été 
produites  à  chacun  des  jours  de  l'Hexaméron.  Ibid., 


t.  i,  p.  6-18.  Cf.  Uhlemann,  Die  Schôpfung  (d'après 
saint  Éphrem),  dans  Zeilschrifl  fur  die  hislorische. 
Théologie,  1833,  t.  m,  p.  104-300.  L'école  exégétique 
d'Antioche  s'en  tenait  aussi  ordinairement  au  sens 
littéral  et  rejetait  les  allégories  forcées.  D'après  Philo- 
pon,  De  mundi  creatione,  1.  I,  c.  vm,  dans  Galhntl, 
Bibliotheca  veterum  Patrum,  t.  xn,  p.  480,  Théodore  de 
Mopsueste  admettait  la  création  progressive  et  il 
disait  en  particulier  que  les  ténèbres  n'avaient  disparu 
que  peu  à  peu  devant  l'apparition  graduelle  de  la 
lumière.  Saint  Chrysostome  repousse  la  théorie  de  la 
création  simultanée.  In  Gen.,  homil.  m,  n.  3,  P.  G., 
t.  lui,  col.  35.  Dans  ses  homélies  sur  la  cosmogonie 
mosaïque,  il  cherche  à  expliquer  le  texte  au  sens  littéral 
sans  prétendre  rendre  compte  de  ce  qui  dépasse  sa 
portée.  Sévérien  de  Gabales  a  prononcé  six  discours 
De  mundi  creatione,  dans  lesquels  il  enseigne  qu'au 
1er  jour,  Dieu  a  tout  tiré  du  néant  et  que  les  jours  sui- 
vants, il  n'a  fait  que  donner  la  forme  et  la  beauté  à 
cette  matière,  Orat.,  i,  n.  3,  4,  P.  G.,  t.  lvi,  col.  433, 
et  il  explique  l'œuvre  des  six  jours  d'après  cette  vue 
générale.  Théodoret  est  un  des  partisans  les  plus  déci- 
dés du  sens  littéral.  Dans  son  interprétation  de  l'Hexa- 
méron, il  admet  la  distinction  des  jours  et,  pour  expli 
quer  les  œuvres  de  chaque  jour,  il  cite  souvent  les 
opinions  de  ses  prédécesseurs,  sans  se  prononcer  lui- 
même.  Quœst.  in  Gen.,  inter.  vi-xvii,  P.  G.,  t.  lxxx, 
col.  88-97.  Cf.  Diestel,  dans  Theologische  Sludien  und 
Kritiken,  1866,  p.  229  sq.  Saint  Cyrille  de  Jérusalem 
fait  une  belle  description  de  la  création.  Cal.,  ix,  P.  G., 
t.  xxxin,  col.  641-656.  Dans  ses  autres  Catéchèses,  il 
dit  que  l'eau  est  le  principe  du  monde,  Cat.,  m, 
col.  433,  et  que  le  monde  a  été  créé  au  printemps. 
Cal-,  xiv,  col.  836.  Au  vie  siècle,  Cosmas  Indicopleuste 
emprunte  aux  auteurs  antérieurs  ce  qui  lui  paraît  de 
plus  plausible  sur  le  c.  Ier  de  la  Genèse  et  il  cite  souvent 
Sévérien  de  Gabales  dans  sa  Topographia  chrisliana, 
P.  G.,  t.  lxxxviii,  col.  51  sq.  Beaucoup  de  ses  idées 
scientifiques,  notamment  sur  la  forme  de  la  terre  et 
•des  astres,  sont  fausses,  parce  qu'il  prenait  à  la  lettre 
des  expressions  figurées  de  l'Écriture. 

3.  Les  Pères  cappadociens  et  leurs  imitateurs.  —  Ils 
tiennent  le  milieu  entre  l'école  alexandrine  et  l'école 
syrienne,  et  ils  mêlent  l'allégorie  â  la  lettre.  Tout  en 
admettant  le  principe  de  l'allégorisme,  ils  ne  l'ap- 
pliquent pas  a  l'œuvre  des  six  jours,  qu'ils  expliquent 
au  sens  littéral.  Sous  le  nom  de  création  simultanée, 
emprunté  aux  Alexandrins,  ils  entendent  la  création  de 
la  matière  élémentaire,  dont  l'élaboration  eut  lieu 
pendant  les  six  jours  mosaïques.  Ils  introduisent  la 
science  profane  dans  leur  interprétation  de  l'Hexa- 
méron. Saint  Grégoire  de  Nazianze  n'a  pas  fait  un 
exposé  détaillé  du  c.  Ier  de  la  Genèse.  Il  a  seulement 
expliqué  la  création  de  la  lumière  dans  un  de  ses  dis- 
cours. Orat.,  xliv,  n.  4,  P.  G.,  t.  xxxvi,  col.  609. 
Il  admettait  la  création  de  la  matière  première,  suivie 
de  son  organisation.  Ibid.,  et  Oral.,  n,  n.  81,  P.  G., 
t.  xxxv,  col.  488.  Saint  Basile  a  expliqué  l'Hexaméron 
en  neuf  homélies,  à  la  fois  exégétiques  et  pratiques. 
Dès  la  ire  homélie,  il  accepte  la  création  simultanée 
des  éléments  de  la  matière  et  son  organisation  durant 
les  six  jours  cosmogoniques,  n.  6,  7,  P.  G.,  t.  xix,  col. 
16-17,  20.  Ces  jours  sont  de  24  heures  et  les  trois 
premiers  ont  été  réglés  par  la  lumière  primitive.  Homil. 
n,  n.  8,  col.  48-49.  Il  résume  toute  la  science  de  son 
temps  dans  l'interprétation  de  chacun  des  six  jours. 
Son  Hexamêron  a  été  traduit  par  E.  Fialon,  Étude, 
historique  et  littéraire  sur  S.  Basile,  Paris,  1865,  p.  301- 
511.  Cf.  Cruice,  Essai  critique  sur  l'Hexaméron  dt 
S  Basile,  Paris,  1844.  Afin  d'expliquer  certains  pas- 
sages de  l'œuvre  de  saint  Basile,  saint  Grégoire  de 
Nysse  composa,  à  la  demande  de  leur  autre  frère, 
saint   Pierre    évêque   de   Sébaste,   un   nouveau   com- 


2337 


HEXAMEKON 


2338 


mentaire  de  l'Hexaméron.  Il  se  proposait  de  faire  un 
travail  plus  scientifique  que  les  homélies  de  son  frère, 
qu'il  voulait  compléter  au  sujet  des  trois  premiers 
jours  de  la  création.  Il  admit,  comme  lui,  la  création 
simultanée  de  tous  les  principes  des  choses,  et  il  expli- 
qua la  distinction  des  jours  par  la  nécessité  où  Moïse 
•était  de  mettre  de  l'ordre  dans  son  récit.  Les  créatures 
individuelles  ont  été  produites  durant  les  six  jours. 
In  Hexaemeron,  P.  G.,  t.  xliv,  col.  69,  72,  77.  Saint 
Grégoire  donne  ensuite  une  interprétation  littérale  du 
récit  mosaïque.  Ce  qui  caractérise  son  explication. 
<-'est  qu'il  montre  comment  la  matière  première  évolue 
selon  les  lois  posées  par  le  créateur  et  engendre,  non  au 
hasard,  mais  comme  Dieu  l'avait  prévu  et  voulu,  les 
divers  êtres  qui  apparaissent  successivement,  la  lu- 
mière d'abord,  séparée  des  ténèbres,  le  firm.  me  ît, 
la  séparation  des  eaux  et  de  la  terre  et  la  condensation 
de  la  lumière  primitive  en  astres  par  sa  rotation 
autour  de  la  terre.  C'est  donc  une  tentative  d'explica- 
tion scientifique  des  trois  premiers  jours  de  la  création. 
Sa  théorie  semble  bien  exiger  un  long  développement 
de  la  matière,  selon  les  lois  de  la  nature;  aussi  saint 
Grégoire  évite-t-il  avec  soin  de  se  prononcer  sur  la  durée 
des  jours  mosaïques. 

On  peut  rattacher  aux  Pères  cappadociens  Procope 
de  Gaza,  qui  avait  recueilli  toutes  les  explications  anté- 
rieures de  l'Hexaméron  et  qui  en  publia  seulement  un 
abrégé.  Il  reproduit  souvent  et  presque  littéralement 
le  commentaire  d'Origènc,  mais  il  admet  la  distinction 
des  jours,  le  sens  littéral  du  texte  et  plusieurs  des  opi- 
nions des  Cappadociens.  Les  jours  toutefois  ne  sont  que 
pour  l'ordre  du  récit.  Comment,  in  Gen.,  i,  5,  P.  G., 
1.  lxxxvii,  col  60-61.  Cependant,  la  lumière  primitive 
brilla  trois  jours,  avant  qu'elle  ne  soit  condensée  dans 
le  soleil,  i,  15.  Ibid.,  col.  85.  A  la  même  époque  (vie  siè- 
cle), Jean  Philopon  emprunta  à  saint  Basile  et  à  saint 
Grégoire  de  Nysse  ses  idées  sur  le  c.  ier  de  la  Genèse. 
Comme  eux,  il  admet  la  création  simultanée  de  la 
matière  élémentaire,  et  il  place  la  production  des  êtres 
particuliers  dans  l'espace  des  six  jours  mosaïques.  Il 
adopta  ensuite  successivement  les  explications  de 
saint  Basile  et  de  saint  Grégoire  de  Nysse,  de  manière 
à  former  un  commentaire  scientifique  de  l'Hexaméron. 
De  mundi  creutione  libri  VII,  dans  Galland,  Biblio- 
theca  veterum  Palrum,  t.  xn.  L'auteur  de  l'Hexaméron 
qui  porte  le  nom  de  saint  Eusthate  d'Antioche  n'a 
guère  fait  qu'un  extrait  des  homélies  de  saint  Basile. 
Comment,  in  Hexaemeron,  P.  G.,  t.  xvm,  col.  707  sq. 
Jacques  d'Édesse,  qui  écrivit  son  Hexaméron  en  708 
et  qui  mourut  avant  de  l'achever,  compose  plutôt 
une  encyclopédie  scientifique  qu'un  commentaire, 
appelle  création  première  la  création  des  quatre  élé- 
ments :  la  terre,  l'eau,  l'air  et  le  feu.  Il  décrit  l'état  de 
la  terre  avant  la  séparation  des  eaux.  P.  Martin, 
L'Hexaméron  de  Jacques  d'Édesse,  dans  le  Journal 
asiatique,  8e  série,  1888,  t.  xi,  p.  401-402,  421.  Cf.  In 
Gen.,  dans  S.  Éphrem,  Opéra  syriaca,  t.  i,  p.  116  sq. 
Saint  Jean  Damascène  emprunte  ses  interprétations 
<osmogoniques  aux  écrivains  antérieurs,  soit  à  ceux 
de  l'école  d'Antioche,  soit  surtout  aux  Pères  cappa- 
dociens. Il  ne  se  décide  pas  aisément  dans  les  questions 
controversées  et  il  se  borne  assez  souvent  au  rôle  de 
rapporteur.  De  fide  orlhodoxa,  1.  II,  c.  vi,  P.  G.,  t.  xciv, 
col.  880  sq. 

4.  Les  Pères  latins.  — ■  Ils  ne  se  groupent  pas  en  écoles 
bien  tranchées,  et  ils  joignent  leurs  idées  personnelles 
à  celles  de  leurs  devanciers.  Saint  Victorin  de  Peltau 
admet  la  distinction  réelle  des  jours  et  il  entend  le  récit 
biblique  littéralement,  mais  sans  donner  aucune  expli- 
cation scientifique.  Traclatus  de  fabrica  mundi,  P.  L., 
t.  v,  col.  301-314.  Lactance  a  touché  à  la  cosmogonie 
mosaïque  dans  ses  Inslitutiones  divinœ,  1.  II,  n.  5-13, 
P.  L.,  t.  vi,  col.  276-325,  mais  son  exposition  est  sur- 

D1CT.  DE  THÉOL.  CATH. 


tout  dogmatique.  Saint  Hilaire  de  Poitiers  a  emprunté 
à  la  théorie  alexandrine  la  doctrine  de  la  création  si- 
multanée. De  Trinitale,  1.  XII,  n.  40,  P.  L.,  t.  x,  col. 
58  sq.  Saint  Ambroise  a  prêché  à  Milan,  au  carême  de 
389,  sur  l'Hexaméron.  Il  s'est  beaucoup  servi  des 
homélies  de  saint  Basile,  et  il  a  exposé  à  la  fois  le  sens 
littéral  et  le  sens  mystique  du  texte.  Son  Hexaemeron 
est  divisé  en  six  livres,  correspondant  aux  jours  de  la 
création.  L'évêque  de  Milan  admet  la  création  de  la 
matière  élémentaire,  qui  est  ensuite  transformée, 
coordonnée  et  disposée  pendant  les  six  jours  de  la 
Genèse,  qui  sont  des  jours  de  24  heures,  P.  L.,  t.  xiv, 
col.  134  sq.  L'Hexaméron  de  saint  Ambroise  a  été 
traduit  par  Nourrisson,  Les  Pères  de  l'Église  latine. 
1856,  t.  i,  p.  275-278.  Saint  Jérôme  a  expliqué  quel- 
ques points  seulement  de  la  cosmogonie  mosaïque:  il 
établit  surtout  le  sens  littéral.  Quœst.  hebraiese  in 
Genesim,  P.  L.,  t.  xxm,  col.  935;  Epist.,  lxix,  ad 
Oceanum,  P.  L.,  t.  xxn,  col.  659. 

Saint  Augustin  s'y  est  repris  à  trois  fois  pour  com- 
menter la  Genèse.  Voir  t.  i,  col.  2300.  On  a  résumé 
déjà,  t.  i,  col.  2349-2355,  les  principales  idées  cosmo- 
logiques de  l'évêque  d'Hippone,  qui  fut  le  chef  de 
l'école  que  l'on  a  pu  appeler  éclectique,  parce  qu'elle 
empruntait  à  tous  les  autres  systèmes  d'interprétation 
Pour  lui,  la  création  a  été  simultanée,  et  les  jours  du 
récit  biblique  ne  sont  que  des  symboles  sur  la  signi- 
fication desquels  il  n'a  jamais  été  bien  fixé. 

Les  idées  de  saint  Augustin  ont  été  acceptées  par 
la  plupart  des  écrivains  ecclésiastiques  de  l'Occident, 
qui  l'ont  suivi.  La  création  simultanée  et  la  simple 
différence  des  œuvres,  disposée  en  six  jours  non  réels, 
ont  été  enseignées  par  saint  Prosper  d'Aquitaine, 
Senlcnlise  ex  Auguslino,  n.  141  sq.,  P.  L.,  t.  Li,  col. 
146  sq.;  par  Marius  Victor,  Comment,  in  Gen.,  c.  i. 
v.  13-21,  P.  L.,  t.  lxi,  col.  939;  Alelhia,  1.  I,  18-27, 
qui  voyait  toutefois  dans  les  six  jours  de  la  création 
des  œuvres  historiques,  édit.  C.  Schen  1  Corpus 
se  ipto  i.m  ecclcsiaslicon.m  lulinor  m,  Vienne,  1  S88, 
t.  xvi,  p.  3  1-1-3  5,441;  par  le  juif  ÏSJac,  auteur 
des  Quœsliones  ex  V.  et  N.  T.,  P  L.,  t.  xxxv,  col.  2213; 
par  Cassiodore,  Dio.  inslit.,  c.  i,  P.L.,  t.  lxx,  col.  1110; 
par  Junilius,  De  partibus  legis  divinœ,  n,  2,  P.  L.. 
t.  lxviii,  col.  25;  par  saint  Isidore  de  Séville,  Qtiœsl, 
in  Gen.,  c.  i-ii,  P.  L.,  t.  lxxxiii,  col.  209  sq.  ;  Sint.. 
1.  I,  c.  x,  ibid.,  col.  1153;  Elym.,\.  XI-XVII,  t.  lxxxii 
col.  297  sq.  ;  par  saint  Julien  de  Tolède,  Avnxstij.ïvtjjv, 
hoc  est  Conlrariorum,  1.  I,  cj.  i,  P.  L.,  t.  xevi,  col.  595; 
par  un  moine  de  la  Grande-Bretagne  qui  écrivait 
en  661,  De  mirabilibus  sac.  Scripluras,  1.  I,  c.  i,  P.  L., 
t.  xxxv,  col.  2151;  par  saint  Grégoire  le  Grand,  qui 
n'admet  la  création  simultanée  que  pour  les  éléments, 
Moralia  in  Job,  1.  XXXII,  c.  xn,  P.  L.,  t.  lxxxvi, 
col.  644-645;  par  le  pseudo-Eucher,  Comment,  in 
Gen.,  1.  I,  P.  L.,  t.  l,  col.  894;  par  Alcuin,  Inlcrrogat. 
et  responsioncs  in  Gen.,  P.  L.,  t.  c,  col.  515;  par 
Scot  Érigône,  De  diuisione  nalurœ,  P.  L.,  t.  cxxn, 
col.  43°;  et  par  sainte  Hildegarde,  xxxvill,  quœstio- 
num  soluliones,  q.  i,  P.  L.,  t.  c.xcvn,  col.  1040. 

Les  poètes  latins  du  vu  siècle,  sauf  Marins  Victor 
qui  a  admis  la  création  simultanée,  ont  été  fidèles 
à  l'opinion  commune  des  Pères  et  ont  interprété  le 
texte  du  c.  Ier  de  la  Genèse  dans  le  sens  historique  et 
grammatical.  Cyprien,  Genesis,  v.  1-19,  début  de 
l' Ilrptateuchus,  dans  S.  Cyprien  de  Carthage,  Opéra. 
Appendix,  édit.  Hartel,  Corpus  scriplorum  ecclesias- 
ticorum  lalinorum,  Vienne,  1871,  t.  ni,  p.  283-285; 
édit.  R.  Peiper,  ibid.,  1881,  p.  1-3;  Cl.  M.  Victor, 
Alelhia,  1.  I,  v.  1-220,  édit.  Schenkl,  ibid.,  t.  xvi, 
p.  364-372;  Comment,  in  Gen.,  1.  I,  v.  1-207.  ibid., 
p.  441-446;  Hilaire,  Metrum  in  Gen.,  v.  7-159,, 
P.  L.,  t.  l,  col.  1287-1290;  édit.  R.  Peiper,  Corpus 
de  Vienne,  t.  xxm,  p.  231-237;  Dracontius,  Carmen 

VI. —  74 


2339 


HEXAMERON 


2340- 


de  Deo,  !.  I,  v.  112-317,  P.  L.  t.  Lx,  co).  694-725;  S. 
Avit.  Poemata,  1.  I,  De  initio  mundi,  édit.  R.  Peiper, 
Monument  i  Germanise  historica.  Auctores  anliqui - 
simi,  Berlin,  1883,1.  vi  b,  p.  203-212;  Ul.  Cheva- 
lier, Œuvres  complètes  de  saint  Avit,  Lyon,  1890, 
p.  5-15. 

Le  Vénérable  Bède,  de  son  côté,  n'accepta  pas  la 
théorie  de  saint  Augustin  sur  la  création  simultanée, 
et  il  adopta  la  pensée  des  Pères  cappadociens.  Trompé 
par  cette  idée  que  la  terre  occupait  le  centre  du  monde, 
11  avait  d'abord  admis  qu'elle  avait  été  à  l'origine  dans 
sa  forme  présente,  mais  qu'elle  était  couverte  et  cachée 
par  les  éléments.  Hexaemcron,  1.  I,  P.  L.,  t.  xci,  col. 
18-39.  Mais  il  changea  d'avis,  et  dans  son  commentaire 
11  exposa  mieux  l'œuvre  de  la  création  première.  C'est 
toute  la  matière  élémentaire  qui  a  été  créée  avant  le 
premier  jour  et  organisée  pendant  les  six  jours,  qui 
furent  des  jours  de  24  heures.  Les  êtres  produits 
alors,  à  l'exception  de  l';'me  humaine,  ont  été  tirés 
par  Dieu  de  la  matière  préexistante.  Le  temps  qui 
a  précédé  les  six  jours  a  été  d'une  durée  indéfinie. 
Comment,  in  Pentatcuchum,  c.  i,  ibid.,  col.  191.  La 
même  doctrine  est  exposée  dans  un  ouvrage  douteux 
du  même  auteur.  Qusest.  super  Gencsim  ex  dictis 
Palrum  dialogus,  t.  xcm,  col.  236.  Le  Vénérable  Bède 
fut  le  premier  à  admettre  explicitement  un  long  inter- 
valle entre  la  création  de  la  matière  première  et  son 
organisation.  Alcuin  emprunta  à  Bède  son  explication 
de  la  matière  iLinentaire  et  informe,  élaborée  dans 
les  six  jours.  Queest.  in  Gen.,  P.  L.,  t.  c,  col.  517.  Raban 
Maur  transcrivit  le  commentaire  du  moine  anglo- 
saxon.  In  Gen.,  P.  L.,  t.  cvn,  col.  439.  Walafrid  Stra- 
bon  dépend  de  Bède,  Glossa  ordinaria,  Gencsis,  i, 
P.  L.,  t.  cxm,  col.  67  sq.,  ainsi  que  Wicbod,  Liber 
quœstionum  super  librum  Genesis,  P.  L.,  t.  xevi, 
col.  1106  sq.  ;  Haimon  d'Halberstadt  (ou  mieux 
d'Auxerre),  Expositio  in  Epist.  ad  Heb..  xi,  P.  L., 
t.  cxvm,  col.  901;  Honorius  Augustodunensis,  Hcxa- 
meron,  P.  L.,  t.  clxxii  ;  Rémi  d'Auxerre,  In  Gen.,i,  P.  L., 
t.  cxxxi,  col.  55;  Angelome  de  Luxeuil,  Comment,  in 
Gen.,  i,  P.  L.,  t.  cxv,  col.  13-14;  saint  Bruno,  fondateur 
des  chartreux,  Exposit.  in  Epist.  ad  Hcb.,  xi,  P.  L., 
t.  cliii,  col.  551;  saint  Bruno  d'Asti,  Exposit.  in  Gen., 
i,  P.  L.,  t.  clxiv,  col.  147-148;  Hervé  de  Bourgdieu, 
Comment,  in  Epist.  ad  Heb.,  xi,  P.  L.,  t.  clxxxi,  col. 
1644;  Hugues  d'Amiens,  Traclatus  in  Hexaemcron, 
n. 15-17,  P.  L.,  t.  cxcn,  col.  1253-1254.  Mais  l'école  de 
Saint- Victor  revint  à  la  première  explicat  ion  de  Bède.  Le 
ciel  et  la  terre  ont  été  créés  avec  les  quatre  éléments, 
puis  organisés.  Hugues  de  Saint- Victor,  Annolaliones 
elucidatoriœ  in  Pentcdeuchum,  P.  L.,  t.  clxxv,  col.  29; 
De  sacramenlis  fidei,  t.  clxxvi,  col.  173;  Richard  de 
Saint- Victor,  Exception.,  1.  II,  c.  vu,  P.  L.,  t.  clxxvii, 
col.  207.  Cette  explication  a  été  adoptée  par  Pierre 
Lombard.  Sent.,  1.  II,  dist.  XII,  n.  3-8,  P.  L.,  t.  cxcn, 
col.  676.  Rupert  de  Deutz,  De  Trinitate  et  operibus 
ejus,  Genesis,  P.  L.,  t.  clxvii,  col.  199,  et  Abélard, 
Exposit.  in  Hexaemcron,  P.  L.,  t.  clxxviii,  col.  731- 
734,  tout  en  admettant  la  création  de  la  matière  pre- 
mière avant  le  premier  jour,  tiennent  les  jours  de  la 
création  pour  des  jours  idéaux. 

5.  Les  scolastiques.  —  Ils  ont  combiné  les  différents 
courants  de  la  tradition  ecclésiastique.  Ils  ont  cité 
les  interprétations  de  saint  Augustin,  et,  à  cause  de  sa 
grande  autorité,  ils  ne  les  ont  pas  condamnées,  si  on 
excepte  saint  Bonavenlure.  Cependant  ils  ne  les  ont  pas 
admises  non  plus,  et  en  particulier  ils  ont  rejeté  les 
jours  idéaux  pour  conserver  les  jours  réels  de  24  heures. 
S'ils  conservent  la  création  simultanée  des  éléments  du 
monde,  ils  n'admettent  plus,  sous  l'influence  d'Aris- 
tote,  la  matière  absolument  informe,  parce  que  la  ma- 
tière première  ne.  peut  absolument  pas  exister  sans 
Joime;  la  matière  élémentaire  était   donc  pour  eux 


douée  d'une  forme  imparfaite.  Sous  la  même  influence, 
ils  admettent  l'incorruptibilité  des  corps  célestes  et  ils 
adoptent,  sauf  saint  Bonaventure,  In  IV  Sent.,  1.  II, 
dist.  XII,  a.  2,  q.  i,  que  les  cieux  n'ont  pas  été  formés 
de  la  matière  première.  Seuls,  les  êtres  terrestres  ont 
donc  été  tirés  de  la  matière  première  et  créés  dans  leurs 
espèces  propres  au  cours  des  six  jours  de  la  création,  qui 
sont  des  jours  de  24  heures.  Alexandre  de  Halès,  Sum. 
theologiœ,  part.  II,  q.  xxxvi  sq.  ;  Albert  le  Grand, 
In  IV  Sent.,  1.  II,  dist.  XII;  Sum.  theoi,  part.  II, 
tr.  XI,  q.  xuvsq.;  S.  Bonaventure,  In  IV  Sent.,  1.  IJ,. 
dist.  XII, a.l,  q.  i;  S.  Thomas,  In  IV  Sent.,  1.  II,  dist. 
XII  sq. ;  Sum.  theol.,  I*,  q.  lxvi  sq. ;  Duns  Scot, 
In  IV  Sent.,  1.  II,  dist.  XII  sq. ;  Rcportata  Parlsiensia, 
1.  II,  dist.  XII.  Vincent  deBeauvais  joint  à  la  doctrine 
commune  des  observations  exactes,  prises  sur  la  na- 
ture.   Spéculum   naturale. 

La  doctrine  des  princes  de  la  scolastique  est  répétée 
par  tous  les  commentateurs  du  Maître  des  Sentences, 
de  l'Ange  de  l'école  et  du  docteur  subtil.  On  la  retrouve 
encore  dans  Suarez,  De  opère  sex  dierum,  1.  I  et  II, 
dans  Opéra,  Paris,  1856,  t.  m  (pour  lui,  la  terre  était 
cachée  sous  les  éléments),  et  dans  Petau,  De  sex 
primorum  mundi  dierum  officio,  1.  I,  dans  Théologien 
dogmata,  Paris,  1866,  t.  iv.  Cependant  le  cardinal  Cajé- 
tan,  au  xvie  siècle,  reprit  les  idées  de  saint  Augustin 
et  soutint  la  création  simultanée.  Comment,  in  Gen., 
c.  i,  Lyon,  1639.  Melchior  Cano  le  suivit  dans  cette 
voie,  sauf  qu'il  admit  la  réalité  des  jours  de  24  heures.. 
De  locis  theologicis,  1.  VII,  c.  i,  dans  Migne,  Cursus 
complelus  theologiœ,  t.  i,  col.  365. 

Les  commentateurs  de  la  Genèse,  à  partir  du  xvifr 
siècle,  suivent  de  très  près  le  texte  original  et  en 
exposent  le  sens  littéral.  Steuchus,  dans  sa  Cosmopœia, 
Lyon,  1535,  déclara  que  les  astres  avaient  été  créés 
au  1"  jour  avec  la  lumière,  mais  qu'ils  ne  furent 
visibles  qu'au  4e  jour.  Ambroise  Catharin  adopta  aussi 
cette  explication,  qui  devint  bientôt  la  plus  commune. 

2°  Du  XVIIIe  siècle  à  nos  jours.  —  1.  Systèmes  qui 
tiennent  compte  des  sciences  naturelles.  —  Les  progrès 
réalisés  dans  l'astronomie  et  les  sciences  physiques 
amenèrent  quelques  naturalistes  à  émettre  des  hypo- 
thèses soi-disant  scientifiques  sur  l'origine  du  monde. 
Les  premiers  attribuaient  de  différentes  manières  la 
conformation  actuelle  de  la  terre  au  déluge  de  Noé. 
C'étaient  des  neptuniens,  qui  expliquaient  l'origine  du 
monde  par  l'eau.  Les  plutoniens  l'expliquaient  par 
l'action  du  feu.  Buffon  demandait  100  000  ans  pour 
la  constitution  du  monde.  Dans  la  Philosophie 
:oologiq''e,  Lamarck  supprima  l'idée  d'époques,  de 
cataclysmes,  de  déluges,  que  Buffon  avait  exposée 
dans  Les  époques  de  la  natire,  et  la  remplaça  par 
l'idée  de  continuité  des  actions  naturelles.  Rien  de 
soudain  ;  un  terrain  géologique  est  la  suite  d'un 
autre  terrain  ;  rien  ne  se  crée,  tout  se  transforme. 
Le  système  cosmogonique  de  Kant,  développé  par 
Laplace,  les  études  géologiques  et  paléontologiques 
mirent  en  conflit  la  Genèse  avec  la  science.  Les  apolo- 
gistes chrétiens,  imitant  les  Pères  et  les  théologiens 
qui  avaient  presque  tous  expliqué  le  récit  biblique 
de  la  création  par  la  science  de  leur  temps,  tentèrent 
de  concilier  avec  la  Bible  les  conclusions  et  même  les 
hypothèses  des  astronomes,  des  géologues  et  des 
paléontologistes  modernes.  Ils  imaginèrent  divers 
systèmes,   plus   ou    moins   heureux,    de    conciliation. 

«)  Le  restilutionnisme.  —  Le  plus  ancien  de  ces 
systèmes  est  celui  de  la  restitution,  opérée  par  Dieu  en 
six  jours,  de  la  création  primitive.  Celle-ci,  indiquée 
au  verset  1er  du  récit  mosaïque,  a  eu  lieu  de  la  manière 
qu'expliquent  les  savants  :  elle  a  exigé  un  temps  consi  - 
dérable,  et  la  terre  s'est  constituée  progressivemen 
et  lentement,  suivant  l'ordre  des  diverses  couches 
géologiques.  Elle  a  été  suivie  d'un  cataclysme  épou- 


2341 


HEXAMERON 


2342 


vantable,  qui  a  bouleversé  la  terre  entière  et  l'a  repla- 
cée dans  l'état  de  confusion  décrit  au  verset  2e  du 
même  récit.  Dieu  aurait  alors  restitué  son  œuvre  pre- 
mière dans  l'ordre  qu'indique  la  Genèse  et  dans  l'inter- 
valle de  six  jours  naturels.  Les  principaux  partisans 
de  ce  système  furent  Rosenmùller,  Antiquissima  telluris 
historia,  Ulm,  1776;  Hetzel,  Die  Bibel  A.  und  N.  T., 
Lemgo,  1780;  Th.  Chalmers,  Reviewof  Cuvicr's  theory  of 
the  earth.  Edimbourg,  1814  (Cuvier  enseignait  que  toutes 
les  époques  géologiques  avaient  été  terminées  par  des 
catastrophes,  qui  avaient  détruit  les  formations  qui 
caractérisaient  les  époques);  Evidence  and  authorilij 
of  the  divine  révélation,  Edimbourg,  1814;  Desdouits, 
Les  soirées  de  Montlhérij,  entretiens  sur  les  origines 
bibliques,  Paris,  1836;  W.  Buchland,  Geology  and 
mineralogij  considered  wich  référence  to  nalural  theology, 
Londres,  1838;  L.  F.  Jehan,  Nouveau  traité  des  sciences 
géologiques,  1840;  N.  "Wiseman,  Twelve  lectures,  m, 
Londres,  1849;  trad.  franc.,  dans  Migne,  Démon- 
strations évangéliques,  Petit-Montrouge,  1843,  t.  xv, 
col.  160-172;  cf.  Note  sur  les  ouvrages  de  Buckland, 
ibid.,  p.  197-216;  G.  Molloy,  Géologie  et  révélation,  trad. 
Hamard,  2e  édit.,  Paris,  1890. 

Si  l'exégèse  n'a  rien  à  opposer  à  la  catastrophe  qui 
aurait  produit  le  chaos  de  la  Genèse,  la  géologie  ne 
constate  pas  l'existence  d'un  cataclysme  qui  aurait, 
vers  la  fin  de  l'époque  tertiaire,  bouleversé  le  globe 
terrestre  de  fond  en  comble  et  anéanti  la  flore  et  la 
faune  existantes.  La  transition  de  l'époque  tertiaire 
à  l'époque  quaternaire  s'est  faite  sans  commotion. 
Le  restitutionnisme  est  donc  abandonné,  et  l'hypo- 
thèse plus  récente  de  Stenzel,  Wellschôpfung,  Sintflulh 
und  Gott,  Die  Ueberlieferung  auf  Grund  der  Naturwis- 
senschaften  erklàrl,  Brunswick,  1894,  qui  attribue  le 
chaos  biblique  à  l'action  du  déluge,  est  encore  beau- 
coup moins  fondée. 

b)  Le  diluvionisme.  —  D'autres  ont  prétendu  que  les 
couches  géologiques  avec  les  plantes  et  les  animaux 
fossiles  étaient  l'œuvre  du  déluge  de  Noé,  et  que  la 
création  mosaïque  les  avait  précédées.  C.  F.  Keil, 
Biblischcr  Commentar  ùber  die  Bûcher  Mosc's,  Leipzig, 
1866;  P.  Laurent,  Éludes  géologiques,  philosophiques 
et  scripturales  sur  la  cosmogonie  de  Moïse,  Paris,  1863; 
A.  Sorign^t,  La  cosmologie  de  la  Bible,  Paris,  1854; 
J.  E.  Veith,  Die  Anfànge  der  Menschenwelt,  Vienne, 
1865;  A.  Bosizio,  Das  Hexacmeron  und  die  Géologie, 
Mayence,  1864;  Die  Géologie  und  die  Sùndfluth, 
Mayence,  1877;  V.  M.  Gatti,  Inslilutiones  apologetico- 
polemicœ,  1867;  A.  Trissl,  Sùndfluth  oder  Gletscher; 
Das  biblische  Sechstagwerk,  2e  édit.,  Munich,  Ratis- 
bonne,  1894;  G.  J.  Burg,  Biblische  Chronologie,  Trêves. 
1894. 

Rien  dans  la  Genèse  n'autorise  cette  hypothèse, 
qui  n'est  pas  admise  non  plus  par  les  géologues.  Les 
couches  sedimentaires  ont  exigé  de  longues  années 
pour  se  former,  et  elles  n'ont  pu  être  produites  pendant 
le  déluge,  qui  n'a  duré  qu'une  année,  et  toutes  d'ailleurs 
ne  se  sont  pas  déposées  sous  l'action  de  l'eau.  Ce 
système  n'aboutit  donc  pas  à  ses  fins,  et  il  ne  concilie 
pas  la  Bible  et  la  géologie.  Aussi  a-t-il  été  abandonné. 

c)  Système  concordiste  ou  périodisle.  —  Les  partisans 
de  ce  système  admettent  que  les  jours  de  la  création 
ne  sont  pas  des  jours  de  24  heures,  mais  qu'ils  repré- 
sentent de  longues  époques  ou  périodes,  durant  les- 
quelles les  œuvres  attribuées  par  la  Genèse  à  chacun  de 
ces  jours  se  sont  constituées.  Aussi  pensent-ils  établir 
par  ce  moyen  l'accord  des  sciences  de  la  nature  avec  le 
récit  mosaïque,  les  uns  jusque  dans  les  moindres  dé- 
tails, les  autres  dans  les  grandes  lignes  seulement. 
Pour  justifier  leur  interprétation  des  jours-époques,  ils 
prétendent  que  le  mot  yôm  ne  désigne  pas  nécessaire- 
ment un  jour  naturel  de  24  heures,  puisqu'il  est  em- 
ployé assez  souvent  dans  l'Écriture  dans  le  sens  d'une 


durée  indéterminée  Ainsi  en  est-il  dans  cette  formule 
du  récit  même  de  la  création  :  «  au  jour  que  »,  Gen., 
ii,  4,  dans  des  formules  analogues,  Gen.,  ni,  5,  et  dans 
des  expressions  telles  que  «  le  jour  du  salut  »,  Is.,  xlix, 
8,  «  le  jour  de  l'extermination  »,  E^éch.,  vu,  7,  cette 
dernière  étant  synonyme  de  temps.  Les  jours  géné- 
siaques  peuvent  donc  signifier  une  époque  indéter- 
minée. Les  jours-périodes  introduits  dans  le  récit 
mosaïque,  on  constatait  un  concordisme  frappant 
entre  l'ordre  des  œuvres  de  la  création  et  les  résultats 
obtenus  dans  l'étude  des  sciences  naturelles  par  les 
savants  modernes.  Les  premiers  concordistes  s'atta- 
chaient à  montrer  l'accord  de  la  Genèse  avec  les  don- 
nées de  la  géologie,  en  tenant  compte  de  l'état  de  la 
science  de  leur  temps.  G.  Cuvier,  Discours  sur  les 
révolutions  du  globe,  Paris,  1812,  avait  distingué  dans 
les  couches  géologiques  six  époques  qui  correspon- 
daient aux  six  jours  de  la  création,  mais  qui  étaient  sé- 
parées par  des  catastrophes  violentes,  qui  avaient 
bouleversé  les  œuvres  précédentes.  Son  interprétation 
fut  adoptée,  avec  des  retouches  et  des  précisions,  par 
Marcel  de  Serres,  De  la  cosmogonie  de  Moïse  comparée 
aux  faits  géologiques,  Paris,  1838,  par  F.  Krûger, 
Geschichte  der  Urwelt,  Quedlimbourg  et  Leipzig,  1822, 
par  Mgr  de  Frayssinous,  Défense  du  christianisme, 
Paris,  1825,  par  Auguste  Nicolas,  Éludes  philosophiques 
sur  le  christianisme,  Paris,  1842,  par  le  P.  J.-B.  Pian- 
ciani,  In  historiam  creationis  mosaicam  commentalio, 
Louvain,  1853.  Quand  la  théorie  des  dépôts  sedimen- 
taires fut  élaborée  par  C.  Lyell,  on  constata  que  les 
couches  géologiques  ne  correspondaient  pas  exacte- 
ment aux  œuvres  des  jours  génésiaques,  et  on  en  fut 
réduit  à  établir  l'accord  de  la  Genèse  et  de  la  géologie 
dans  les  grandes  lignes  seulement.  Si  l'âge  primaire 
ou  azoïque  a  précédé  l'apparition  des  êtres  vivants, 
celle-ci  ne  s'est  pas  produite  exactement  dans  l'ordre 
du  tableau  de  la  Genèse.  Tous  les  végétaux  n'ont  pas 
paru  à  la  même  époque,  et  la  faune  existe  aussitôt  que 
la  flore.  Les  concordistes  en  furent  réduits  à  dire  que  le 
récit  mosaïque  rapporte  tous  les  végétaux  au  3e  jour 
par  anticipation  et  qu'il  netie  itpas  compte  de  la  faune 
primitive  parce  qu'elle  ne  comprenait  ni  grands 
poissons  ni  oiseaux  ni  mammifères,  ces  représentants 
de  la  faune  étant  reportés  aux  5e  et  6e  jours.  Sous  béné- 
fice de  ces  remarques,  ils  reconnaissaient  que  l'âge  pa- 
léozoïque  correspondait  au  3e  jour,  l'âge  môsozoïque 
aux  4e  et  5e  jours,  et  les  âges  tertiaire  et  quaternaire  aux 
5''  et  6e  jours.  Beaucoup  de  concordistes  ne  se  bor- 
nèrent pas  à  mettre  d'accord  la  géologie  et  la  paléon- 
tologie avec  la  Genèse;  ils  voulurent  encore  établir 
la  concordance  du  récit  mosaïque  avec  l'astronomie, 
et  ils  découvrirent  la  nébuleuse  primitive  dans  le  chaos 
biblique.  Mais  c'était  introduire  dans  la  Bible,  qui 
n'a  aucune  prétention  scientifique,  non  plus  seulement 
les  résultats  de  l'étude  des  sciences,  mais  encore  les 
hypothèses  des  savants.  Aussi  le  concordisme  passa  par 
des  variations  successives,  et  il  alla  de  l'accord  complet 
et  jusque  dans  les  moindres  détails  à  l'accord  dans  les 
grandes  lignes  seulement  ou  à  un  concordisme  plus  ou 
moins  idéalisé. 

Le  concordisme  a  eu  de  nombreux  partisans,  surtout 
en  France,  où  il  a  été  enseigné  dans  les  séminaires. 
Nous  nommerons  les  principaux  seulement  :  H.  Miller, 
The  testimony  of  the  rocks,  Edimbourg,  1857;  J.  Ebrard, 
Der  Glaube  an  die  Schri/t  and  die  Ergebnisse  der  Natur- 
forschung,  Kœnigsberg,  1861;  G.  Meignan,  Le  monde 
cl  l'homme  primitif  selon  la  Bible,  Paris,  1869;  3e  édit., 
1879;  M.  Pozzy,  La  terre  et  le  récit  biblique  de  la  création, 
Paris,  1874;  H.  Reusch,  Bibel  und  Natur,  Fribourg- 
en-Brisgau,  1860;  trad.  franc,  par  Hertel,  Paris,  1867; 
J.  Fabre  d'Envieu,  Les  origines  de  la  terre  et  de  l'homme, 
Paris,  1873;  La  terre  et  le  récit  biblique  de  la  création, 
Paris,  1874;  Marin  de  Carranrais,  Études  sur  les  ori- 


2343 


HEXAMERON 


2344 


gines,  Paris,  1876,  p.  329-500;  F.  Pfafï,  Schôpfungs- 
geschichte  mil  besondcrcr  Berùcksichtigung  des  biblischen 
Schôpfungsberichtes,  2e  édit.,  Francfort -sur-le-Mein, 
1877;  F.  Vigouroux,  Manuel  biblique,  12e  édit.,  Paris, 
1906,  t.  i,  p.  479-534;  Les  Livres  saints  et  la  critique 
rationaliste,  5e  édit.,  Paris.  1890,  t.  ni,  p.  240-265; 
Jean  d'Estienne  (Ch.  de  Kirwan),  Comment  s' est  formé 
l'univers,  exégèse  scientifique  de  l'Hexaméron,  Paris, 
1S78;  2e  édit.,  1881;  A.  Arduin,  La  religion  en  face  de 
la  science,  3  in-8°,  Lyon,  1877-1883;  J.  Lefèvre.L'œuure 
du  quatrième  four  de  la  création  selon  la  Bible  et  la 
science,  Rouen,  1882;  A.  Motais,  Mo  se,  la  science  et 
l'exégèse,  Paris,  1882  ;  Moigno.  Les  Livres  saints  et  la 
science,  Paris,  1884,  p.  74-130;  Les  splendeurs  de  la  foi. 
t.  n,  c.  ni  ;  Raingeard,  Notions  de  géologie,  accord  de  la 
cosmogonie  scientifique  avec  la  cosmogonie  sacrée, 
2«  édit.,  Rodez.  1886,  p.  225  sq.;  Lavaud  de  Lestrade, 
Accord  de  la  science  avec  le  premier  chapitre  de  la  Genèse, 
Clermont-Ferrand,  1883;  2e  édit.,  Paris,  1885;  J.  Cor- 
luy,  Spicilegium  dogmatico-biblicum,  Gand,  1884,  t.  I, 
p.  210-227;  A.  Castelein,  La  première  page  de  Mo  se, 
Louvain,  1884;  P.  de  Foville,  Encore  les  jours  de  la 
création  (extrait  de  la  Revue  des  questions  scientifiques, 
avril  1884),  Bruxelles,  1884;  J.  Mir,  La  creaciun  segon 
que  se  conliene  en  el  primer  capitula  del  Génesis,  2e  édit., 
Madrid,  1890;  Thomas,  Les  temps  primitifs  et  les  ori- 
gines religieuses,  Paris,  1890,  t.  i,  p.  24-90;  Duilhé 
de  Saint-Projet,  Apologie  scientifique  de  la  foi  chré- 
tienne, 3e  édit.,  Paris,  1890,  p.  90-110,  131-152;  P.  Ha- 
mard,  dans  Molloy,  Géologie  et  révélation,  Paris,  1890, 
p.  342-407,  456-469;  art.  Cosmogonie  mosaïque,  dans  le 
Dictionnaire  de  la  Bible  de  M.  Vigouroux,  t.  n,  col. 
1034-1054;  Ch.  Robert,  dans  Motais,  Origine  du  monde 
d'après  la  tradition,  Paris,  1888,  Introduction;  La 
création  d'après  la  Genèse  et  la  science,  dans  la  Revue 
biblique,  1894,  t.  m,  p.  387-401;  C.  Braun,  Ueber 
Kosmogonie  vom  Stand  punk!  chrisllicher  Wissenscha/t. 
Munster,  1895;  3e  édit.,  1906;  A.  Gombault,  Accord 
de  la  Bible  et  de  la  science,  Paris, s.  d.  (1895)  ;  J.  Brucker. 
Questions  actuelles  d' Écriture  sainte.  Paris,  1895,  p.  170- 
'201;  J.  Guibert,  Les  origines,  Paris,  1896,  p.  1-21, 
226-230;  6e  édit.,  1910;  W.  K.  Perce,  Genesis  and  mo- 
dem science,  New  York,  1897;  W.  Waagen,  Dus 
Schopfungsproblem,  2e  édit.,  Munster,  1899;  G.  Gervis, 
La  gloriosa  rivelazione  intorno  alla  creazione  del  mondo, 
Florence,  1902  ;  A.  Lépicier,  L'opéra  Dei  sei  giorni 
secunda  la  iradizionc  e  la  scienza,  2  vol.,  Rome,  1905; 
cf.  Fabani,  Isetli  giorni  délia  creazione  ossia  scienza  e 
Biblia,  2e  édit.,  Sienne,  1905;  J  Gonzales  de  Arintero, 
Hexamcron  ij  la  ciencia  moderna,  Valladolid,  1901; 
E.  Schopfer,  Geschichte  des  A.  T.,  adaptation  franc., 
par  J.-B.  Pelt,  Histoire  de  l'Ancien  Testament,  4e  édit.. 
Paris,  1904,  t.  t,  p.  21-44;  Bibel  und  Wissenschaft, 
Brixen,  1896,  p.  153-200;  Zahm,  Bible,  science  et  foi, 
trad.  franc.,  Paris,  s.  d.  (1895),  p.  1-104  ;  J.  de  Abodal, 
La  cosmogonia  mosaiea,  Barcelone,  1906;  P.  Kreich- 
gauer,  Das  Sechslagewerk,  Steyl,  1908;  J.  A.  Chiri- 
siadis.  Harmonie,  zivischen  der  biblischen  Schnpfungs. 
lehre  und  der  neuercn  wisscnschafllichen  Forschung,  dans 
Jlâvta'.voç,  Alexandrie,  1918,  t.  x,  n.  23-28. 

Les  deux  principaux  fondements  du  concordisme 
ne  résistent  pas  à  un  examen  attentif.  D'abord,  le 
lerme  ijôm  n'est  employé  nulle  part  dans  l'Ancien 
Testament  avec  le  sens  précis  d'un  long  espace  de 
temps,  puisqu'on  ne  le  trouve  que  dans  des  formules 
adverbiales  ou  comme  synonyme  de  temps-  Mais  eût-il 
imême  ce  sens  ailleurs,  on  ne  peut  le  lui  donner  dans  le 
récit  de  la  création,  où  il  est  dit  que  chaeun  des  six 
jours  est  formé  d'un  soir  et  d'un  matin.  Les  trois  pre- 
miers eux-mêmes,  qui  ont  précédé  l'apparition  du 
soleil,  sont  fixés  parla  succession  régulière  des  ténèbres 
et  de  la  lumière.  Les  six  jours  sont  donc  bien  des  jours 
de  24  heures,  réglés  par  la  succession  du  jour  et  de  la 


nuit.  Quant  au  7e,  le  jour  du  repos  divin,  s'il  n'a  eu  ni 
soir  ni  matin,  on  ne  peut  en  conclure  qu'il  est  une  lon- 
gue période  qui  dure  encore.  Ce  jour  a.  dans  la  perspec- 
tive de  l'auteur,  la  même  durée  que  les  précédents, 
puisque,  avec  ces  jours  de  travail  de  Dieu,  il  forme  le 
type  complet  de  la  semaine  humaine,  qui  comprend  six 
jours  de  travail  et  un  de  repos  d'égale  durée.  Si  l'auteur 
sacré  n'a  pas  répété,  au  7e  jour,  la  formule  :  «  Et  il  y  eut 
un  soir  et  il  y  eut  un  matin,  »  c'est  qu'il  n'a  pas,  comme 
nous  l'avons  constaté  plus  haut,  appliqué  rigoureuse- 
ment à  chaque  jour  son  schème  littéraire,  et  qu'en  parti- 
culier il  s'en  est  départi  à  peu  près  complètement  pour 
le  7e  jour.  Quant  à  l'accord  avec  les  sciences  naturelles, 
il  n'existe  pas  réellement,  et  il  ne  peut  même  exister, 
puisque  le  ier  chapitre  de  la  Genèse  ne  contient  pas  un 
enseignement  scienrifique.  La  comparaison  de  ce  cha- 
pitre avec  les  sciences  n'a  abouti,  au  cours  des  âges, 
qu'à  fournir  des  systèmes  de  conciliation  successifs  et 
divergents,  et  le  concordisme  scientifique  des  derniers 
temps  est  aussi  caduc  que  les  interprétations  des  Pères 
de  l'Église,  des  exégètes  et  des  théologiens  du  moyen 
âge.  Il  n'y  a  pas  eu  de  périodes  géologiques  nettement 
séparées  ;  l'ordre  de  succession  des  êtres,  tel  que  les 
sciences  l'établissent,  n'est  pas  celui  que  Moïse  a  dressé  ; 
la  terre  n'a  pas  été  créée  avant  les  astres,  puisque  son 
mouvement  rotatoire  dépend  du  soleil,  et  les  étoiles 
n'ont  pas  été  formées  à  une  époque  spéciale.  Le  concor- 
disme a  donc  manqué  son  but,  et  il  n'a  pas  réussi  à 
établir  entre  la  Genèse  et  les  sciences  l'accord  qu'il 
cherchait.  Aussi  a-t-il  perdu  beaucoup  de  sa  vogue, 
surtout  depuis  que  Léon  XIII  a  déclaré,  dans  l'ency- 
clique Providenlissimus  Deus  du  18  novembre  1893. 
que  les  auteurs  sacrés  n'ont  pas  pour  but  d'enseigner 
les  choses  de  la  nature  et  qu'ils  en  parlent  conformé- 
ment aux  apparences.  Denzinger-Bannwart,  Enchin- 
dion,  n.  1947.  G.  Guttler  a  réfuté  le  concordisme. 
Naturforschung  und  Bibel  in  ihrer  Slellung  zur  Schôp- 
fung,  2e  édit.,  Fribourg-en-Brisgau,  1877,  p.  91-101; 
cf.  N.  Peters,  Bibel  und  Nalurwissenschafl,  Paderborn. 
1906;  H.  Schell,  Das  Siebenlagewerk  und  die  moderne 
Nalurwissenschafl,  dans  Aufwarls,  t.  i,  p.  513  sq. 

2.  Systèmes  qui  font  abstraction  de  la  science  el  veulent 
expliquer  le  récit  mosaïque  par  lui-même.  —  a)  L'allé- 
gorisme.  —  Les  partisans  de  l'allégorisme  ont  repris 
l'idée  de  la  création  simultanée,  émise  autrefois  par 
saint  Augustin.  Dans  le  1er  verset  de  la  Genèse,  Moïse 
affirme  que  Dieu  est  le  créateur  du  ciel  et  de  la  terre, 
mais  il  reprend,  dans  un  long  tableau  idéal,  les  diverses 
œuvres  de  la  création  et  il  les  distribue  dans  le  cadre 
imaginaire  des  six  jours  de  la  semaine,  qui  sont  des 
-jours  de  24  heures.  Son  exposé  esc  donc  une  pure 
allégorie,  imaginée  dans  le  but  de  présenter  l'acte  créa- 
teur comme  le  type  de  la  semaine  humaine,  et  les  jours 
ne  sont  que  six  parties  logiques  de  la  création.  Cette 
explication  a  été  présentée  par  Michelis,  Natur  und 
Offenbarung,  Munster,  1855,  t.  i;  par  Baltzer,  Die 
biblische  Schôpfungsgeschichte,  Leipzig,  1867,  1872; 
par  H.  Reusch,  dans  la  3e  et  la  4e  édition  de  son  livre  ; 
Bibel  und  Natur,  Fribourg-en-Brisgau,  1870;  Bonn, 
1876;  par  Stoppani,  Sulla  cosmogonia  mosaiea.  1887; 
par  le  P.  Semeria,  La  cosmogonie  mosa  que,  dans  la 
Revue  biblique,  1893,  p.  487-501;  1894,  p.  182-199.  Le 
tort  de  ce  système  est  de  présenter  le  chapitre  ier  de  la 
Genèse  comme  une  pure  allégorie,  sans  souci  de  la  vé- 
rité historique  du  récit.  De  fait,  il  n'y  a,  dans  ce  cha- 
pitre, aucune  trace  d'allégorie;  tout  y  est  simple  et 
clair,  et  l'auteur  veut  montrer  que  Dieu  a  réellement 
créé  toutes  les  œuvres  dont  il  parle;  seul,  le  groupe- 
ment en  six  jours  de  24  heures  peut  être  idéaliste. 

Abandonnant  l'allégorie  vulgaire,  le  P.  Lempl  a 
imaginé  ce  qu'il  appelle  une  allégorie  mystique  et 
prophétique.  Elle  consiste  à  comparer  métaphysique- 
rnent  les  longues  époques  de  la  création  à  des  jours  de 


2345 


HEXAMERON 


2346 


24  heures  et  à  représenter  la  création  entière  comme 
accomplie  en  six  jours  d'une  semaine  de  travail.  Par 
suite,  le  récit  de  la  création,  tout  en  ayant  réellement  un 
caractère  historique,  n'en  est  pas  moins  un  récit  pro- 
phétique et  mystique.  Aussi  le  prophète,  s'exprimant 
moins  clairement  qu'un  historien,  a  employé  la  méta- 
phore des  jours  de  24  heures  pour  désigner  les  longues 
périodes  de  la  création.  Theologisch-praklische  Quar- 
talschrifl,  Linz,  1898,  p.  9  sq.,  281  sq.  Mais  le  récit 
mosaïque  de  la  création  n'est  pas  une  œuvre  prophé- 
tique et  il  ne  présente  aucune  obscurité  mystique. 
L'allégorie  mystique  et  prophétique,  dont  aurait  usé 
son  auteur,  n'a  donc  aucun  fondement. 

b)  Le  poétisme.  —  Le  récit  mosaïque  de  la  création 
n'a  aucun  caractère  historique:  c'est  une  ode,  un 
hymne  religieux,  auquel  il  faut  laisser  son  caractère 
poétique  et  ne  rien  lui  demander  au  point  de  vue 
scientifique.  C'est  la  pensée  de  Mgr  Clifîord,  exposée 
plus  haut,  col.  2325  sq.  M.  Hauser  y  a  vu  aussi  une 
prière  et  un  cantique,  l'hymne  de  la  création,  Kalho- 
lische  Schveizblâtlcr,  1896,  p.  19  sq.  Mais  le  récit,  tout 
schématique  qu'il  soit,  n'a  rien  de  la  poésie,  et  il  se 
présente  comme  un  récit  historique,  prélude  d'un  livre 
historique.  (Voir  cependant  H.  Perennès,  Cantiques 
de  Sion,  Paris,  1919,  p.  9-14.) 

c)  La  théorie  de  la  vision.  —  Nous  l'avons  exposée 
déjà.  Voir  col.  2332  sq.  Elle  aboutit  à  cette  conclusion  : 
le  récit  de  la  Genèse  n'est  pas  le  récit  de  la  création, 
mais  celui  de  la  révélation  que  Dieu  a  faite  de  l'œuvre 
créatrice  à  Adam  par  le  moyen  d'une  vision.  Les  jours 
sont  donc  des  jours  naturels  dans  lesquels  Adam  a  vu 
s'accomplir  la  création.  Peut-être  sont-ils  des  symboles 
des  périodes  géologiques;  peut-être  aussi  l'ordre  des 
actes  créateurs  est-il,  dans  ses  grandes  lignes,  d'accord 
avec  la  réalité.  Mais  on  ne  peut  le  conclure  avec 
certitude,  puisque  le  but  de  la  révélation  divine 
était  seulement  d'apprendre  à  Adam  que  l'univers 
entier  est  l'œuvre  de  Dieu  et  que  l'homme  doit,  comme 
le  créateur,  travailler  pendant  six  jours  de  la  semaine 
et  sanctifier  le  septième  jour  par  le  repos. 

Conclusion. —  Aucun  de  ces  systèmes  ne  nous  paraît 
répondre  au  caractère  du  récit  mosaïque  de  la  création. 
L'auteur  sacré  ne  se  proposant  pas  de  donner  une  leçon 
de  cosmogonie  scientifique,  son  récit  n'a  rien  de  com- 
mun avec  les  sciences  naturelles,  et  tout  concordisme 
est  par  suite  exclu  de  son  intention.  D'autre  part,  il 
n'a  recours  à  aucune  allégorie  et  il  parle  clairement 
et  simplement  le  langage  de  son  temps.  Son  récit, 
quoique  rédigé  dans  un  cadre  systématique,  n'a  aucun 
caractère  poétique,  au  moins  clans  sa  forme  extérieure; 
c'est  de  la  prose,  dont  la  métaphore  n'est  pas  exclue. 
Rien  ne  prouve  enfin  que  Dieu  lui  ait  révélé  directe- 
ment son  exposé  de  l'œuvre  créatrice,  surtout  au 
moyen  d'une  vision,  dont  le  texte  ne  garde  aucune 
trace.  C'est  donc  simplement  un  écrivain  hébreu  qui, 
sous  l'inspiration  divine,  a  exprimé  une  vérité  que 
Dieu  avait  pu  révéler  à  l'humanité  primitive  et  qui 
s'était  transmise  dans  la  race  d'Abraham,  à  savoir  que 
Dieu  avait  créé  tous  les  êtres  de  l'univers.  Les  diverses 
créatures,  sorties  des  mains  de  Dieu,  sont  rangées  par 
lui  dans  un  ordre  à  la  fois  logique  et  chronologique,  et 
réparties  entre  six  journées  de  travail  divin,  suivies 
d'un  jour  de  repos,  pour  montrer  que  l'institution  de 
la  semaine  humaine  avait  été  établie  sur  le  modèle  de 
la  création  divine.  Cette  répartition  est  faite  et  l'œuvre 
de  la  création  est  décrite  dans  le  langage  populaire  du 
temps,  sans  prétention  scientifique.  Il  faut  donc 
expliquer  le  récit  mosaïque  comme  un  exposé  popu- 
laire, conforme  aux  apparences  exterieures.de  l'œuvre 
divine.  Cet  exposé,  écrit  sous  l'action  inspiratrice  de 
Dieu,  énonce  une  vérité  religieuse  et  la  réalité  de  l'acte 
créateur,  distribué  en  six  jours  de  24  heures.  Si  donc 
Moïse  a  écrit  selon  le  langage  de  son  temps  et  sans  pré- 


tention scientifique,  son  récit  doit  être  interprète 
indépendamment  des  cosmogonies  anciennes  et  mo- 
dernes, d'après  les  idées  des  Hébreux  et  non  pas  d'après 
celles  des  savants  d'aujourd'hui.  Sa  pensée,  ainsi  dé- 
terminée, sera  celle  qu'il  a  voulu  énoncer  et  qui  est 
garantie  par  l'inspiration  du  Saint-Esprit. 

Outre  les  commentaires  de  la  Genèse,  de  l'époque  patris- 
tique  et  du  moyen  âge,  indiqués  col.  1206-1207,  voir  les 
explications  spéciales  de  l'Hexaméron  :  un  fragment  de 
saint  Hippolyte  de  Rome,  P.  G.,  t.  x,  col.  584;  S.  Victorin 
de  Pettau,  Traclatus  de  fabriea  mundi,  P.  L.,  t.  v,  col.  301- 
314;  S.  Basile,  Homiliee  IX  in  Hcxaemcron,  P.  G.,  t.  xxix, 
col.  3-208  ;  cf.  S.  Grégoire  de  Nysse,  In  Hexacmeron  explica- 
apologetica,  P.  G.,  t.  xiav,  col.  61-124;  Sévériende  Gabales* 
In  mundi  creatione,  orat.  vi,  P.  G.,  t.  lvi,  col.  429-499; 
S.  Ambroise,  Hexaemeron,  libri  sex,  P.  L.,  t.  xiv,  col.  123- 
274  rseudo-Eusthate,  Comment,  in  Hexaemeron,  P.  G., 
t.  xviii,  col.  707-794  ;  J.  Philopon,  Comment,  in  mosaicam 
mundi  creationem,  I.  VII,  Vienne,  1630  ;  Jacques  d'Édesse, 
voir  P.  Martin,  L'Hexaméron  de  Jacques  d'Édesse,  dans  le 
Journal  asiatique,  8e  série,  Paris,  1888,  t.  xi,  p.  155-219, 
401-490;  Anastase  le  Sinaïte,  Anagogicarum  contempla- 
tion'tm  in  Hexaemeron  ad  Theophilum  libri  XII,  P.  G., 
t.  lxxxix,  col.  t-51-1078;  G.  Pisidès,  Hexaemeron  sive  cos- 
mopœia  (poème),  P.  G.,  t.  xcn,  col.  1425-1578  (cf.  ibid., 
col.  1399-1424);  S.  Bède,  Hexacmeron,  1,  IV,  P.  L.,  t.  xci, 
col.  9-190;  Wandelbert,  Libellas  de  creatione  mundi  (poème), 
dans'd'Achéry,  Spicilegium,  t.  il,  p.  62  sq.  ;  P.  L.,  t.  cxxi, 
col.  635-640  ;  Hildebert  du  Mans,  De  operibus  sex  dierum 
(poème),  P.  L.,  t.  clxxi,  col.  1213-1218;  Honorais  Augusto- 
dunensis,  Hexaemeron,  P.  L.,  t.  clxxii,  col.  253-266;  Hu- 
gues d'Amiens,  Tractatus  in  Hexaemeron,  dans  Martène, 
Anecdota,  t.  v,  p.  1136  (fragment  du  Ier  livre,  Gen.,  i,  1,  2, 
reproduit,  P.  L.,  t.  cxcn,  col.  1247-1256);  Abélard,  Expo- 
sitio  in  Hexaemeron,  I'.  L.,  t.  clxxviii,  col.  731-784'; 
Vincent  de  Beauvais,  Spéculum  naturale,  in-fol.,  Venise, 
1591  ;  pseudo-Bonaventure,  Expositio  sive  Sermones  XVII 
in  Hexaemeron;    A.  Steuchus,  Cosmopœia,  Lyon,  1535. 

Sur  les  Hexamérons  des  auteurs  ecclésiastiques,  perdus, 
manuscrits  ou  imprimés,  voir  I.  Bekker,  Prolégomènes  à 
'Hexaemeron  de  G.  Pisidés,  P.  G.,  t.  cxn,  col.  1385-1399. 
Sur  l'interprétation  de  la  cosmogonie  mosaïque  voir 
O.  Zôckler,  Geschichte  der  Beziehungen  zwischen  Théologie 
und  Wissenscliaft,  Gutersloh,  1877,  t.  i  ;  F.  Vigouroux,  La 
cosmogonie  mosaïque,  dans  Mélanges  bibliques,  Paris,  1882, 
p.  9-123;  Al.  Motais,  Origine  du  monde  d'après  la  tradition, 
édit.  Ch.  Robert.  Paris, 1888;  F.  de  Hummelaucr, Comment, 
in  Genesim,  Paris,  1895,  p.  49-58  ;  S.  Gamber,  Le  livre  de  la 
«  Genèse  »  dans  la  poésie  latine  du  V  siècle,  Paris,  1899, 
p.  86-103;  A.  Véronnet,  La  cosmogonie  biblique.  Étude 
historique,  dans  L'université  catholique,  Lyon,  1905, 
t.  xxvn,  p.  370-390;  F.  E.  Robbins,  The  hexaemeral  litera- 
ture.A  study  of  the  Greek  and  Latin  commentaries  on  Genesis, 
Chicago,  1912;  E.  Minjon,  Zur  Geschichte  der  Auslegung 
des  biblischen  Schôpfungsberichtes  dans  Der  Katholik, 
1912,  t.  x,  p.  128-135,  336-356,  404-417;  1913,  t.  xi,  p.  344- 
365;  1914,1.  xm,  p.  188,  200;  H.  iFalbesoner,  Geschichte 
der  Schôpfung  im  Liehte  der  Natur/orschung  und  Offenba- 
rung,  Ratisbonne,  1913;  G.  Schmidt,  La  révélation  primi- 
tive et  les  données  actuelles  de  la  science,  trad.  Lemonnyer, 
Paris,  1914,  p.  7-16;  A  Brassac,  Manuel  biblique,  14e  édit., 
Paris,  1917,  t.l,  p.  363-373  ;  H.  W  Schmidt,  Die  Schôpfungs- 
tage  im  Liehte  der  biblischen  und  naturwissenschaftlichen 
Forschungen,  Leipzig,  1917 

III.  Interprétation  du  texte.  —  Le  récit  de  la 
création  se  divise  naturellement  en  trois  parties  :  1°  l'af- 
I  rmation  de  la  création  de  l'univers  et  l'état  de  la  terre 
avant  l'œuvre  des  six  jours,  i,  1,2;  2°  l'œuvre  elle- 
même  des  six  jours,  3-31  ;  3°  le  septième  jour,  ii,  1-3. 

1°  L'affirmation  de  la  création  de  l'univers  et  l'élat 
de  la  terre  avant  l'œuvre  des  six  jours,  i,  1,  2.  —  La  con- 
struction de  ces  deux  versets  dans  le  texte  hébreu 
actuel  et  l'interprétation  qui  en  est  généralement  admise 
les  présentent  comme  deux  affirmations  distinctes. 
D'après  le  Talmud  de  Jérusalem,  traité  Meghilla, 
i,  9,  trad.  Schwab,  Paris,  1883,  t.  vi,  p.  217,  ce  serait 
un  des  treize  passages  que  les  sages  auraient  modifiés 
dans  la  version  des  Septante  pour  éviter  des  discus- 
sions   dogmatiques.    Raschi,    Abenesra   et   beaucoup 


2347 


HEXAMERON 


2348 


d'hébraïsants  modernes  à  leur  suite  ont  adopté  une 
autre  construction,  en  faisant  de  ces  deux  versets  une 
phrase  circonstantielle  dépendant  de  la  phrase  prin- 
cipale qui  débute  au  verset  3.  Ils  aboutissent  donc  à 
cette  traduction  :  «  Au  commencement,  lorsqu'Élohim 
créa  le  ciel  et  la  terre,  et  que  la  terre  était  vide  et  dé- 
serte..., Élohim  dit  ...  »  Cette  construction  est  gram- 
maticalement possible,  puisqu'elle  se  trouve  en  d'autres 
passages  de  la  Bible,  où  l'adverbe  relatif  est  omis  et 
où  le  verbe  est  au  prétérit.  Exod.,  vi,  28;  Num.,  ni,  1  ; 
Deut.,  iv,  15;  II  Par.,  xxiv,  11;  Job,  vi,  17;  Ps. 
lxxxix,  15;  Is.,  xxix,  1.  Or,  ici,  elle  s'imposerait,  dit- 
on,  parce  que  le  mot  rê'sît  n'est  jamais,  sauf  Is.,  xlvi, 
10,  employé  au  sens  absolu.  Son  état  construit  est  donc 
constitué  par  la  proposition  :  bârâ'  'elôhtm.  Le  verset 
2  formerait  une  parenthèse,  ou  bien  le  vav,  trois  fois 
répété,  serait  aussi  circonstanciel,  de  sorte  que  la  pro- 
position principale  ne  commencerait  qu'au  verset  9. 
Abenesra  la  faisait  commencer  au  verset  2.  Le  sens 
général  du  passage  n'en  serait  pas  changé;  seule,  la 
composition  du  récit  en  serait  modifiée,  en  ce  qu'elle 
ferait  commencer  la  création  de  l'univers  par  la  créa- 
tion de  la  lumière.  Mais  on  peut  fort  bien  considérer 
ré'stt  à  l'état  absolu  et  traduire  simplement  :  «  Au 
commencement  ». 

Ainsi  construit,  le  premier  verset  a  été  entendu,  ou 
bien  comme  un  sommaire  du  récit  entier,  ou  bien 
comme  signifiant  la  création  de  la  matière  première 
ou  élémentaire.  Or,  si  le  verset  2  marque  l'état  de 
confusion  de  la  terre,  il  ne  dit  rien  de  celui  des  cieux; 
par  conséquent,  le  verset  1er  ne  peut  désigner  l'état 
primitif  des  cieux  et  de  la  terre.  Les  cieux  et  la  terre 
que  Dieu  a  créés  au  commencement  sont  les  mêmes 
que  ceux  qu'il  a  ainsi  ncmmés  le  2e  et  le  3e  jour,  8,  9, 
et  qui  ont  été  achevés  le  6e,  n,  1.  Le  ciel  et  la  terre, 
chez  les  Hébreux,  représentent  tout  le  monde  visible, 
dont  la  création  est  racontée  au  chapitre  Ier  de  la 
Genèse.  Le  1er  verset  de  ce  chapitre  est  donc  un  som- 
maire du  récit  entier. 

Or,  c'est  au  commencement  que  Dieu  a  créé  tous  les 
êtres  visibles,  représentés  par  le  ciel  et  la  terre.  Ce 
cemmencement  doit  s'entendre  du  commencement  du 
monde  ou  des  êtres  créés,  et  par  conséquent  du  com- 
mencement du  temps.  Quant  à  l'acte  divin,  c'est  la 
création  ex  nihilo,  comme  le  signifie  clairement  le  verbe 
bârâ',  sinon  en  lui-même,  au  moins  dans  le  contexte. 
Voir  t.  m,  col.  2042-2046. 

Le  verset  2  décrit  l'état  très  imparfait  de  la  terre  : 
elle  était  tôhû  vâbôhû,  c'est-à-dire  déserte  et  vide. 
L'auteur  concentre  son  attention  sur  la  terre,  qui  sera 
l'habitation  de  l'homme  et  le  théâtre  de  l'histoire 
sainte  qu'il  veut  raconter  ensuite;  il  ne  parlera  des 
cieux  que  dans  leurs  rapports  avec  la  terre.  Or,  cette 
terre,  dans  l'état  primitif  où  Dieu  l'avait  créée,  était 
sans  culture  et  sans  les  plantes  et  les  habitants  qu'elle 
eut  plus  tard,  quand  Dieu  les  eut  créés.  Cf.  Is.,  xlv,  18; 
Jer.,  iv,  23-26.  La  terre  existait  donc,  et  il  n'est  pas 
question  ni  du  gouffre  ou  du  chaos  des  gnostiques,  ni 
par  conséquent  de  l'espace  vide  dans  lequel  Dieu  aurait 
placé  les  êtres,  comme  le  veut  Gunkel,  Genesis,  p.  91. 
En  même  temps,  les  ténèbres  étaient  sur  la  surface  de 
l'abîme.  La  lumière  n'existait  pas  encore  et  il  n'y  avait 
que  les  ténèbres,  qui  s'étendaient  sur  le  lehôm.  Le 
tehôm  était  l'abîme  des  eaux,  l'océan  mondial,  qui 
couvrait  la  terre  et  l'enveloppait.  Et  le  souffle  d'Élohim 
agitait  la  surface  des  eaux.  L'esprit  de  Dieu,  ce  n'est 
pas  un  vent  violent  produit  par  Dieu,  mais  le  souffle 
même  de  Dieu,  qui  émanait  de  lui  et  qui  agissait  sur 
l'abîme  des  eaux  pour  le  vivifier.  Son  action  était 
celle  d'agiter  la  surface  des  eaux  plutôt  que  celle  de 
planer  au-dessus  ou  de  la  couver.  Il  est  de  la  nature 
d'un  souffle  de  se  mouvoir  et  de  changer  de  place.  Le 
souffle  divin  primitif  mettait  ainsi  en  mouvement  la 


surface  des  eaux;  et  il  les  fécondait  en  quelque  sorte 
par  cette  agitation  pour  préparer  l'océan  à  la  vie  qu'il 
allait  y  introduire.  Cette  description  ne  représente  pas 
la  matière  élémentaire,  comme  l'ont  entendue  les  Pères 
et  les  scolastiques,  mais  un  état  de  confusion  la  plus 
entière  entre  la  terre,  les  ténèbres  et  l'eau.  Cet  état 
primitif  et  chaotique  cessa  par  l'œuvre  créatrice  de 
séparation  et  d'ornement  que  Dieu  opéra  en  six  jours. 
2°  Les  six  jours  de  la  création,  3-31.  —  i«  jour. 
Séparation  de  la  lumière  et  des  ténèbres,  3-5.  —  Toutes 
les  œuvres  des  six  jours  sont  appelées  à  l'existence  par 
la  parole  de  Dieu.  La  parole  de  Dieu  est  évidemment 
un  anthropomorphisme,  la  parole  étant  l'expression  de 
la  volonté  divine.  Voir  t.  ni,  col.  2129.  Au  milieu  des 
ténèbres  universelles,  Dieu  dit  d'abord  :  «  Que  la 
lumière  soit.  »  Et  la  lumière  fut.  L'exécution  suit  im- 
médiatement l'ordre,  et  elle  est  exprimée  dans  les 
mêmes  termes  que  l'ordre  lui-même.  La  lumière  est 
créée  la  première,  parce  qu'elle  est  la  condition  fonda- 
mentale de  tout  ordre.  Sans  elle,  en  effet,  tout  est  con- 
fus et  sous  les  ténèbres  rien  ne  paraît  exister.  «  Et  Dieu 
vit  que  la  lumière  était  bonne.  »  C'est  un  nouvel  anthro- 
pomorphisme, qui  signifie  que  la  nouvelle  créature 
répondait  à  l'idéal  divin  et  réalisait  le  décret  de  sa 
volonté.  «  Et  Dieu  sépara  la  lumière  d'avec  les  té- 
nèbres. »  Cette  séparation  ne  laisse  pas  supposer  que 
Moïse  regardait  la  lumière  comme  coexistant  avec  les 
ténèbres  dans  le  chaos  primitif.  Dieu  ne  tire  pas,  en 
effet,  la  lumière  du  chaos  ;  il  la  produit  par  un  acte  de  sa 
volonté,  et  sa  séparation  des  ténèbres  exprime  leur 
état  postérieur.  Moïse  se  représente  donc  la  lumière  et 
les  ténèbres  comme  deux  réalités  distinctes,  qui,  une 
fois  séparées,  reçurent  de  Dieu  des  noms  différents  : 
«  Et  Dieu  nomma  la  lumière  jour  et  les  ténèbres  nuit.  » 
Les  noms  leur  sont  donnés  après  leur  appel  à  l'exis- 
tence, et  si  Dieu  leur  impose  leurs  noms,  c'est  pour 
attester  son  domaine  suprême  sur  ses  créatures.  La 
lumière  est  appelée  jour,  et  les  ténèbres,  nuit.  Les 
ténèbres  ne  régneront  plus  constamment  sur  les  eaux. 
En  créant  la  lumière  et  en  la  séparant  des  ténèbres, 
Dieu  a  établi  l'alternance  régulière  du  jour  et  de  la 
nuit.  «  Et  il  fut  soir  et  il  fut  matin,  un  jour.  »  La  lumière 
créée  luit  donc  pendant  la  durée  que  Dieu  lui  a  fixée. 
Après  son  cours  naturel,  il  y  eut  soir,  c'est-à-dire  que 
les  ténèbres  reprirent  leur  cours  désormais  diminué  et 
réglé,  et  ce  cours  achevé,  il  y  eut  matin.  Or,  la  succes- 
sion du  jour  et  de  la  nuit  constitua  un  jour  entier, 
un  jour  de  24  heures.  Le  jour  régulier  et  complet  va 
donc  du  matin  au  matin,  et  cette  succession  constitue 
le  véritable  jour  officiel  de  24  heures;  c'est  pourquoi 
l'auteur  du  récit  emploie  le  nombre  cardinal  :  «  un 
jour  ».  Mais  comme  les  autres  jours  sont  désignés  par 
un  chiffre  ordinal,  la  première  succession  du  jour  et  de 
la  nuit  constitua  aussi  le  premier  jour  de  la  création. 
2e  jour.  Séparation  des  eaux  et  création  du  ciel,  6-8. 
—  "Et  Dieu  dit  :  Qu'il  y  ait  un  firmament  entre  les 
eaux  et  qu'il  sépare  les  eaux  des  eaux.  Et  Dieu  fit 
le  firmament  et  il  sépara  les  eaux  qui  sont  au-des- 
sous du  firmament  des  eaux  qui  sont  au-dessus  du 
firmament,  et  ce  fut  ainsi.  Et  Dieu  nomma  le  fn  ma- 
rnent ciel.  »  Le  râqyia',  que  Dieu  voulut  créer  et  qui 
fut  fait  pour  séparer  les  eaux  inférieures  des  eaux 
supérieures,  paraît  être  une  voûte,  une  sorte  de  dôme 
solide,  qui  tient  séparées  en  deux  compartiments  diffé- 
rents les  eaux  de  l'abîme  ou  de  l'océan  primordial. 
Il  n'est  rien  dit  de  la  matière  dont  il  est  fait.  Les  eaux 
inférieures  sont  les  eaux  de  la  mer,  v.  10.  Les  eaux 
supérieures  ne  peuvent  être  les  nuages;  elles  sont 
au-dessus  du  firmament.  Ce  firmament,  ce  sont  les 
cieux.  D'autres  écrivains  sacrés  se  sont  représentés 
les  cieux  comme  une  tente  que  Dieu  a  étendue  pour 
séparer  les  eaux,  Is.,  xl,  22;  Ps.  cm,  2-3,  comme 
une  étendue  pareille  à  un  miroir  poli,  Job,  xxxvn, 


2349 


HEXAMÉRON 


2350 


18,  et  soutenue  par  des  piliers.  Job,  xxvi,  11.  C'est 
derrière  ce  dôme  que  sont  placés  les  réservoirs  des 
«aux  supérieures,  Ps.  xxxn,  6,  7,  et  il  y  a  en  lui  des 
ouvertures  qui,  comme  des  treillis,  laissent  passer  la 
pluie.  Gen.,  vu,  11  ;  IV  Reg.,  vu,  2-19;  Ps.  lxxxvii,  23. 
Il  semble  bien  que  l'auteur  de  la  Genèse  se  représentait 
le  firmament  de  la  même  manière.  Quelle  qu'en  soit 
d'ailleurs  la  nature,  Dieu  l'a  créé  et  lui  a  donné  son 
nom,  un  nom  dont  la  forme  plurielle  indique  probable- 
ment la  croyance  à  la  pluralité  des  cieux. 

3°  jour.  Séparation  des  eaux  inférieures  et  de  la  terre, 
et  création  des  plantes,  9-13.  —  Une  partie  des  eaux  de 
l'abîme  étant  placées  au-dessus  du  firmament,  Dieu 
s'occupa  de  celles  qui  recouvraient  encore  la  terre  déjà 
existante,  mais  invisible.  «  Et  Dieu  dit  :  Que  les  eaux 
qui  sont  sous  les  cieux  s'assemblent  en  un  lieu  unique, 
et  que  le  sec  apparaisse.  Et  ce  fut  ainsi.  Et  Dieu  nomma 
le  sec  terre,  et  il  appela  mer  la  réunion  des  eaux.  Et 
Dieu  vit  que  cela  était  bon.  »  Ainsi,  par  l'ordre  de 
Dieu,  s'est  opérée  la  séparation  de  la  mer  et  de  la  terre. 
Les  éléments  confus  étaient  définitivement  distincts; 
il  n'y  avait  plus  qu'à  orner  la  terre,  le  ciel  et  la  mer. 
Les  plantes  sont  créées  le  troisième  jour.  «  Et  Dieu  dit  : 
Que  la  terre  produise  du  gazon,  des  plantes  portant 
semence,  des  arbres  fruitiers  faisant  des  fruits  selon 
leur  espèce,  ayant  en  eux  leur  semence  sur  la  terre. 
Et  il  en  fut  ainsi.  La  terre  produisit  du  gazon,  des 
plantes  portant  semence  selon  leur  espèce,  et  des  arbre; 
fruitiers  faisant  des  fruits,  ayant  en  eux  leur  semence 
selon  leur  espèce.  Et  Dieu  vit  que  cela  était  bon.  » 
Dieu  commanda  donc  à  la  terre  de  faire  pousser  les 
plantes,  et  la  terre  les  produisit  spontanément,  comme 
elle  produit  l'herbe  au  printemps,  tenant  ce  pouvoir 
de  la  parole  divine.  Dieu  lui  avait  ordonné  de  gazonner, 
et  elle  fit  sortir  du  gazon.  De  toutes  les  plantes,  l'auteur 
du  récit  ne  distingue  que  trois  catégories  :  le  gazon  ou 
l'herbe  verte,  les  plantes  à  graines  et  les  arbres  à  fruits. 
Cette  classification  est  extrêmement  simple  et  elle  ne 
suppose  pas  de  grandes  connaissances  en  botanique. 
Elle  est  faite  en  vue  de  l'utilité  des  plantes  pour  la 
nourriture  des  animaux  et  des  hommes,  et  elle  est 
disposée  suivant  leur  taille.  Les  plantes  à  graines  et  les 
arbres  à  fruits  paraissent  seuls  destinés  à  porter 
semence,  et  ils  sont  distincts  d'après  le  mode  de 
leur  production  séminale.  C'est  la  simple  nomenclature 
d'un  cultivateur  et  d'un  jardinier.  L'auteur  insiste  sur 
leurs  espèces,  dont  la  spécification  est  le  résultat  de  la 
volonté  divine.  Il  englobe  ainsi  équivalemment  dans 
sa  description  la  production  de  toutes  les  plantes 
terrestres.  Quant  à  la  distinction  spécifique,  elle  n'est 
pas  vraisemblablement  établie  d'après  les  principes 
de  la  science,  mais  plutôt  d'après  les  ressemblances 
extérieures  des  individus  de  la  même  espèce. 

4*  jour.  Création  du  soleil,  de  la  lune  et  des  étoiles, 
14-19.  —  La  terre  ainsi  séparée  des  eaux  et  couverte 
de  plantes,  Dieu  s'occupa  d'orner  le  firmament.  «  Et 
Dieu  dit  :  Qu'il  y  ait  des  luminaires  au  firmament  des 
cieux  pour  séparer  le  jour  d'avec  la  nuit,  et  qu'ils 
soient  pour  les  signes,  pour  les  temps,  pour  les  jours 
et  pour  les  années,  et  qu'ils  soient  en  luminaires  dans  le 
firmament  des  cieux  pour  luire  sur  la  terre  I  Et  il  en 
fut  ainsi.  Dieu  fit  les  deux  grands  luminaires  :  le 
grand  luminaire  pour  présider  au  jour  et  le  petit 
luminaire  pour  présider  à  la  nuit,  et  les  étoiles.  Et  Dieu 
les  plaça  dans  le  firmament  des  cieux  pour  luire  sur  la 
terre  et  pour  présider  au  jour  et  à  la  nuit  et  pour  sépa- 
rer la  lumière  d'avec  les  ténèbres.  Et  Dieu  vit  que 
c'était  bon.  »  Dieu  crée  au  ciel,  non  pas  des  réceptacles 
de  la  lumière,  mais  des  porte-lumière,  des  lampadaires. 
Il  les  y  place  et  il  leur  assigne  d'importantes  fonctions 
à  remplir  :  ils  sépareront  le  jour  et  la  nuit,  et  ils  servi- 
ront de  signes,  de  points  de  repère,  pour  régler  par 
leur  cours  régulier  les  temps,  les  jours  et  les  années, 


en  luisant  sur  la  terre.  Devenus  ainsi  les  régulateurs 
attitrés  de  l'alternance  constante  de  la  lumière  et  des 
ténèbres,  établie  au  1er  jour,  puisqu'ils  présideront 
successivement  au  jour  et  à  la  nuit,  ils  luiront  tour  à 
tour  sur  la  terre  et  ils  serviront  ainsi  à  calculer  les 
saisons  et  tout  le  calendrier,  jours,  mois,  années  et. 
temps  marqués.  Ce  sont  donc  des  créatures  de  Dieu  et 
ils  ont  reçu  du  créateur  une  destination  qui  découle 
de  leur  cours  régulier.  Ces  fonctions  seront  remplies 
surtout  par  les  deux  grands  luminaires.  Ceux-ci  ne 
sont  pas  nommés  par  leurs  noms,  mais  désignés  seule- 
ment par  leur  taille  et  selon  les  apparences  :  le  plus 
grand  (le  soleil)  pour  présider  au  jour,  le  plus  petit 
(la  lune)  pour  présider  à  la  nuit.  L'auteur  n'omet  pas 
les  étoiles,  qui  sont  des  astres  plus  petits,  et  il  les 
joint  à  la  lune  pour  présider  à  la  nuit.  Il  n'a  rien 
affirmé  sur  la  nature  des  luminaires  célestes;  il  n'a 
décrit  que  leur  destination  par  rapport  à  la  terre. 

5e  jour.  Création  des  poissons  et  des  oiseaux,  20-23.  — ■ 
Dans  l'œuvre  de  la  création,  la  vie  animale  suit  la  vie 
végétale,  et  après  les  luminaires  des  cieux  viennent  les 
habitants  de  l'eau  et  de  l'air.  Il  y  a  ainsi  gradation 
ascendante  dans  l'apparition  des  êtres.  «  Et  Dieu  dit  : 
Que  les  eaux  pullulent  une  pullulation  d'êtres  vivants, 
et  que  des  oiseaux  volent  devant  la  face  du  firmament 
des  cieux.  Et  Dieu  créa  les  grands  monstres  marins  et 
tous  les  êtres  vivants  qui  se  meuvent  et  dont  pullulent 
les  eaux,  suivant  leurs  espèces,  et  aussi  tous  les  oiseaux 
ailés  selon  leur  espèce.  Et  Dieu  vit  que  c'était  bon.  » 
Simultanément,  l'eau  et  l'air  sont  peuplés.  Dieu  veut 
que  la  vie  animale  se  manifeste  dans  les  eaux  de  la  mer, 
et  que  les  êtres  vivants  y  grouillent;  il  veut  aussi  que 
des  oiseaux  volent  devant  la  face  du  firmament  des 
cieux.  Dans  le  récit  de  l'exécution  de  la  volonté  divine, 
l'auteur  énumère  d'abord  les  grands  monstres  marins, 
puis  tous  les  êtres  qui  se  meuvent  dans  l'eau  et  la  font 
pulluler,  par  conséquent  toutes  les  espèces  des  poissons 
de  la  mer.  Les  espèces  des  volatiles  ne  sont  pas  men- 
tionnées en  détail.  Tous  ces  êtres  ne  sont  pas  attachés 
au  sol  comme  les  plantes;  ils  se  meuvent  librement  dans 
leur  élément  propre.  Ils  vivent  donc  d'une  vie  indé- 
pendante, et  ils  se  repro  luisent,  en  se  multipliant  par 
eux-mêmes.  Aussi,  après  avoir  vu  que  cette  création 
nouvelle  était  bonne,  Dieu  la  bénit,  en  disant  :  «  Soyez 
féconds,  multipliez-vous  et  remplissez  les  eaux  des 
mers,  et  que  les  oiseaux  se  multiplient  sur  la  terre.  »  La 
bénédiction  divine  confère  donc  aux  habitants  des 
mers  et  de  l'air  la  faculté  de  se  reproduire,  de  commu- 
niquer la  vie  dont  ils  jouissent,  de  croître  en  nombre 
et  de  remplir  les  domaines  qui  leur  sont  fixés. 

6e  jour.  Création  des  animaux  terrestres  et  de  l'homme, 
24-31.  —  Le  6e  jour  compte  deux  œuvres  comme  le  3e. 
Dieu  ordonne  la  création  des  animaux  de  la  terre,  et 
son  ordre  est  exécuté  aussitôt.  C'est  la  terre  elle-même 
qui  doit  faire  sortir  les  animaux  qui  vivent  à  sa  surface. 
Cependant  c'est  Dieu  qui  les  a  faits.  Malgré  la  dillé- 
rence  d'expressions  que  présentent  l'ordre  divin  et  son 
exécution,  il  est  certain  que  les  animaux  n'existent 
que  par  la  volonté  de  Dieu,  quelles  qu'aient  été  la 
matière  ou  la  manière  dont  Dieu  usa  pour  les  appeler 
à  la  vie.  Les  animaux  de  la  terre  sont  divisés  en  trois 
classes  d'après  leur  forme  et  leurs  relations  avec 
l'homme.  Dieu  a  fait  les  animaux  domestiques  ou  le 
bétail  ordinaire,  les  animaux  rampants  ou  les  reptiles, 
et  les  bêtes  sauvages  ou  proprement  les  bêtes  de  la 
terre.  Cette  répartition  est  faite  au  point  de  vue  des 
bergers  et  des  agriculteurs;  elle  n'a  rien  de  scienti- 
fique. Son  énumération  est  un  peu  différente  dans 
l'ordre  de  Dieu  et  dans  le  récit  de  son  exécution,  sans 
qu'il  y  ait  aucune  raison  spéciale  à  donner  de  la  dispo- 
sition suivie.  Ces  animaux  sont  aussi  créés  selon  leurs 
espèces,  et  Dieu  vit  que  son  œuvre  était  bonne.  Ce- 
pendant, l'auteur  n'a  pas  relaté  la  bénédiction  de  Dieu 


2351 


HEXAMERON 


2352 


leur  accordant,  comme  aux  poissons  et  aux  oiseaux, 
la  fécondité.  On  ne  peut  deviner  aucune  raison  spéciale 
de  celte  omission. 

La  seconde  œuvre  du  6e  jour  est  le  couronnement 
de  la  création  du  monde  visible.  Elle  est  décrite  plus 
longuement  que  toutes  les  précédentes,  et  elle  tend  à 
faire  ressortir  la  suprême  dignité  de  l'homme  dans 
l'ordre  des  créatures  terrestres.  Dans  la  parole  de  Dieu, 
le  ton  s'élève  et  il  est  très  solennel.  Dieu  prend  une 
décision  spéciale  au  sujet  de  cette  créature,  il  la  fait  à 
son  image  et  à  sa  ressemblance  et  il  l'établit  le  roi  de  la 
création.  «  Et  Dieu  dit  :  Faisons  l'homme  à  notre 
image  et  ressemblance,  afin  qu'il  domine  sur  les  pois- 
sons de  la  mer,  sur  les  oiseaux  des  cieux,  sur  le  bétail, 
sur  toutes  les  bêtes  de  la  terre  et  sur  tous  les  reptiles 
qui  rampent  sur  la  terre.  »  Dans  sa  résolution,  Dieu 
emploie  le  pluriel,  comme  lorsqu'il  veut  confondre  le 
langage  des  hommes  qui  bâtissaient  la  tour  de  Babel. 
Gen.,  xi,  7.  Dieu  ne  parle  pas  aux  anges,  dont  il  n'a 
pas  été  question  dans  tout  le  récit,  et  à  la  ressemblance 
desquels  l'homme  n'a  pas  été  créé.  Dieu  se  parle  à 
lui-même,  non  pas  sans  doute  en  employant  le  pluriel 
de  majesté,  dont  l'usage  ne  s'est  introduit  chez  les 
juifs  qu'à  l'époque  de  la  domination  perse,  cf.  1  Esd.,iv, 
18  ;  I  Mac,  x,  19,  mais  plutôt  parce  qu'il  y  a  en  lui  une 
plénitude  d'être  qui  lui  permet  de  délibérer  avec  lui- 
même  comme  plusieurs  personnes  délibèrent  entre 
elles.  Le  mystère  des  trois  personnes  divines  n'est  pas 
expressément  indiqué  par  ce  pluriel  de  résolution; 
il  le  serait  tout  au  plus  par  une  allusion  qui  n'a  pu 
être  saisie  qu'après  sa  révélation  explicite.  L'homme 
crue  Dieu  veut  créer,  ce  n'est  pas  Adam,  le  premier 
homme;  c'est  l'humanité  entière  dans  le  premier 
couple,  dont  elle  descend.  Dieu  veut  la  créer  à  son 
image,  selon  sa  ressemblance.  Les  termes  d'image  et 
de  ressemblance  auraient  encore  été  modifiés  par  les 
sages  dans  la  version  des  Septante  pour  éviter  une 
discussion  dogmatique.  Talmud  de  Jérusalem,  loc. 
cil.,  p.  217-218.  Les  deux  mots  hébreux  employés 
sont  à  peu  près  synonymes  et  ils  s'emploient  indiffé- 
remment l'un  pour  l'autre.  Cf.  Gen.,  v,  1-3;  ix,  6.  Ils 
ne  signifient  donc  pas  par  eux-mêmes  des  similitudes 
différentes,  comme  seraient  la  ressemblance  dans 
l'ordre  naturel  et  la  ressemblance  dans  l'ordre  surna- 
turel. Le  second  renforce  le  premier,  et  tous  deux  réu- 
nis désignent  l'image  la  plus  ressemblante.  L'auteur 
du  récit  n'explique  pas  en  quoi  consiste  cette  ressem- 
blance. Il  ne  s'agit  pas  d'une  ressemblance  purement 
extérieure  et  corporelle,  puisque  Dieu,  même  dans  ce 
récit  tout  anthropomorphiste,  n'a  point  de  corps. 
Puisque  la  ressemblance  suppose  une  nature  sem- 
blable, c'est  dans  sa  nature  spirituelle  que  l'homme  res- 
semble à  Dieu.  Or,  Dieu,  qui  est  pur  esprit,  est  intelli- 
gent, il  commande  par  la  parole  et  il  est  le  maître 
absolu  de  ses  créatures.  L'homme,  créé  à  son  image, 
participe  à  son  intelligence,  à  son  autorité  et  à  sa  domi- 
nation sur  les  autres  êtres  vivants.  Aussi  Dieu  ajoute- 
t-il  aussitôt  qu'il  le  crée  pour  qu'il  domine  sur  les  pois- 
sons de  la  mer,  sur  le  bétail  et  sur  toutes  les  bêtes  de 
la  terre  comme  sur  les  reptiles.  L'exécution  fut  con- 
forme à  la  résolution,  et  Dieu  créa  l'homme  à  son 
image.  De  plus,  il  ne  créa  qu'un  seul  couple  humain, 
duquel  toute  l'humanité  descend.  Dieu  ne  créa  pas  plu- 
sieurs espèces  d'hommes,  comme  il  l'avait  fait  pour  les 
plantes,  les  poissons,  les  oiseaux  et  les  animaux  ter- 
restres. L'auteur  ne  dit  pas  ici  comment  Dieu  créa  le 
premier  couple.  Sur  la  création  d'Adam,  voir  t.  i, 
col.  369  sq.  ;  et  sur  celle  d'Eve,  t.  v,  col.  1640  sq. 
Les  rabbins  plaçaient  encore  le  membre  de  phrase: 
»  Dieu  les  créa  mâle  et  femelle  »  parmi  les  treize 
p  issages  modifiés  par  les  sages  pour  éviter  des 
issions  dogmatiques,  parce  qu'ils  voulaient  trou- 
ver  dans    leur    texte    leur    opinion     sur  le    premier 


homme   androgyne.    Talmud   de  Jérusalem,  loc.   cit.* 
p.  218. 

Après  avoir  créé  les  premiers  hommes,  mâle  et  fe- 
melle, le  créateur  les  bénit  et  leur  donna,  comme  aux 
poissons  et  aux  oiseaux,  la  fécondité  et  le  pouvoir  de 
reproduction,  mais  il  ajouta  à  la  multiplication  de 
l'humanité  le  droit  d'occuper  la  terre  et  de  se  l'assu- 
jettir, comme  celui  d'exercer  l'empire  sur  tous  les  ani- 
maux vivants  de  la  création.  Puis,  pour  conserver  la 
vie  qu'il  a  créée,  Dieu  assigna  aux  hommes  et  aux  ani- 
maux leur  nourriture.  Le  monde  végétal  est  divisé  en 
deux  parts  :  à  l'homme,  qui  est  la  créature  la  plus 
digne,  Dieu  accorde  les  plantes  les  plus  nobles,  celles 
qui  portent  semence,  ou  les  céréales,  et  les  arbres  frui- 
tiers; aux  animaux,  la  verdure  des  prairies.  C'est  au 
moins  le  statut  divin  pour  le  temps  de  la  nature  inno- 
cente. Quand  Dieu  eut  ainsi  terminé  son  œuvre  créa- 
trice, il  jeta  comme  un  regard  sur  tout  ce  qu'il  avait 
fait,  et  il  vit  que  c'était  très  bon.  Chacune  des  créa- 
tions particulières  était  bonne,  leur  ensemble  était 
très  bon;  il  répondait  très  bien  à  l'idée  que  Dieu  avait 
voulu  réaliser.  Et  après  cela,  le  6e  jour  s'acheva  au 
matin  du  jour  suivant. 

3°  Le  7e  jour,  n,  1-3.  —  Ces  trois  versets  forment  le 
résumé  de  l'Hexaméron  et  énoncent  le  repos  sabba- 
tique. «  C'est  ainsi  que  furent  achevés  le  ciel  et  la  terre 
et  toute  leur  armée.  »  Les  cieux  et  la  terre,  créés  par 
Dieu,  i,  1,  ont  été  achevés,  ont  eu  leur  création  com- 
plète de  la  manière  qui  a  été  racontée  dans  l'œuvre  des 
six  jours.  Ils  ont  été  créés  avec  toute  leur  armée.  L'ar- 
mée des  cieux,  ce  sont  les  astres.  Deut.,  iv,  19;  xvn, 
3;  IV  Reg.,  xvn,  16;  Is.,  xl,  62;  Jer.,  vm,  32,  etc. 
Nulle  part  dans  l'Écriture  il  n'est  parlé  de  l'armée  de  la 
terre,  et  Néhémie,  se  référant  à  l'œuvre  créatrice,  ne 
rapporte  l'armée  qu'au  ciel.  II  Esd.,  ix,  6.  On  peut 
donc  penser  que  le  mot  hébreu  n'a  un  suffixe  pluriel 
que  par  une  simple  construction  grammaticale  qui  le 
rattache  aux  deux  mots  précédents.  En  réalité,  il  ne 
s'agirait  que  de  l'armée  des  cieux  et  de  l'œuvre  du 
4e  jour.  Cet  achèvement  de  l'œuvre  créatrice  eut  lieu, 
non  pas  le  7e  jour,  comme  on  lit  dans  le  texte  hébreu 
actuel  par  une  erreur  évidente,  quoique  les  rabbins 
prétendent  que  le  texte  a  été  corrigé  dans  la  version 
des  Septante  pour  résoudre  une  difficulté,  Talmud  de 
Jérusalem,  loc.  cil.,  p.  218,  mais  le  6e,  conformément 
au  texte  samaritain,  à  la  version  des  Septante  et  à  la 
version  syriaque. 

Le  7e  jour,  Dieu  se  repose  de  son  travail.  Le  repos  de 
Dieu  comme  son  travail  sont  de  véritables  anthropo- 
morphisines.  Dieu  a  créé  le  monde  par  sa  toute-puis- 
sance sans  perte  de  forces  et  sans  fatigue;  il  n'a  donc 
pas  besoin  de  repos.  S'il  est  présenté  comme  ayant 
travaillé  six  jours  et  se  reposant  le  7e,  c'était  pour 
signifier  que  l'homme,  dans  son  activité,  doit  se  régler 
sur  le  créateur,  travailler  six  jours  de  la  semaine  et  se 
reposer  le  7e.  Dieu  bénit  donc  le  7e  jour  et  le  sanctifia. 
La  bénédiction  du  7e  jour  est  une  bénédiction  spéciale 
que  les  autres  jours  n'ont  pas  reçue.  Elle  a  consisté 
dans  la  sanctification  qui  en  est  faite  :  ce  jour  a  été  un 
jour  saint,  dans  lequel  l'homme  ne  doit  se  livrer  à 
aucun  travail  pour  imiter  le  repos  de  Dieu,  et  qui  sera 
consacré  uniquement  au  service  de  Dieu.  La  cessation 
de  tout  travail  créateur  au  premier  sabbat  a  été  le 
motif  pour  lequel  tous  les  autres  sabbats  ont  été  bénis 
et  sanctifiés.  Et  voilà  comment  la  semaine  divine  de  la 
création  a  été  le  modèle  de  la  semaine  humaine  :  un 
jour  de  cessation  de  tout  travail  doit  suivre  les  six  jours 
de  travail. 

Conclusion.  —  Il  est  clair  que  l'auteur  inspiré  du 
récit  de  la  création  n'a  aucune  préoccupation  scienti- 
fique d'astronomie,  de  géologie,  de  botanique  et  de 
zoologie,  qu'il  n'a  pas  voulu  donner  un  enseignement 
scientifique  et  qu'il  a  parlé  des  choses  de  la  nature 


>353 


HEXAMERON  —  HEYNLIN 


2354 


à  la  manière  des  hommes  de  son  temps,  dans  un  lan- 
gage vulgaire  et  sans  portée  scientifique.  Cette  ma- 
nière de  traiter  des  choses  de  la  nature  a  été  reconnue 
juste  pour  tous  les  écrivains  sacrés  par  Léon  XIII,  en- 
cyclique Providentissimus  Dcus,  du  18  novembre  1893. 
Denzinger-Bannwart,  Enchiridion,  n.  1947.  Mais  si  la 
valeur  scientifique  du  chapitre  Ier  delà  Genèse  est  nulle, 
sa  portée  religieuse  n'en  est  pas  diminuée.  Moïse  y  a 
résumé  et  pour  ainsi  dire  condensé  les  vérités  théolo- 
giques fondamentales,  dans  un  langage  intelligible  à 
tous  les  esprits,  même  les  plus  simples.  Ses  conceptions 
cosmogoniques  sont  très  élevées  et  très  pures,  bien 
supérieures  a  toutes  les  cosmogonies  anciennes  dont 
elles  condamnent  les  erreurs.  Au  lieu  des  dieux  mul- 
tiples qui  se  combattent  entre  eux,  la  première  page 
de  la  Bible  hébraïque  ne  présente  qu'un  seul  Dieu, 
qui  a  créé  toutes  choses,  même  le  chaos  primitif,  d'où 
est  sortie  la  terre  par  la  seule  volonté  du  Tout-Puissant. 
Dieu  a  créé  de  rien  par  un  acte  de  volonté.  Tous  les 
êtres,  formés  par  lui,  dépendent  donc  de  lui,  même  les 
ténèbres  que  les  Babyloniens  faisaient  éternelles, comme 
le  ciel,  la  terre,  les  astres,  les  végétaux,  les  animaux  et 
les  hommes.  Dieu  a  posé  aussi  les  lois  de  la  nature  phy- 
sique en  donnant  à  chaque  être  sa  constitution  propre, 
et  il  n'a  créé  que  des  êtres  beaux  et  bons,  qui  répon- 
daient à  sa  volonté,  aussi  se  coin  plaît-il  dans  son  œuvre, 
qu'il  trouve  digne  de  lui.  Le  Dieu  unique,  créateur  de 
l'univers  entier,  est  donc  tout-puissant,  infli  iment 
sage  et  bon.  Les  anthropomorphismes,  emplov  es  pour 
décrire  l'activité  divine,  ne  diminuent  pas  ses  beaux 
attributs;  ils  ne  servent,  au  contraire,  qu'à  les  faire 
comprendre  aux  intelligences  les  plus  simples,  en  les 
mettant  ainsi  à  leur  portée.  Comme  l'homme  est  le 
centre  et  le  roi  de  toute  la  création  visible,  cette  créa- 
ture intelligente,  la  seule  qui  soit  faite  à  l'image  de 
Dieu,  doit  garder  évidemment  cette  ressemblance  et 
se  montrer  digne  de  sa  haute  dignité  et  de  sa  domina- 
tion sur  la  création  entière  que  Dieu  a  mise  à  sa  dispo- 
sition. S'il  doit  travailler  six  jours  de  la  semaine,  il 
doit  se  reposer  le  septième  et  consacrer  ce  jour  bénit 
et  sanctifié  dans  le  repos  au  service  de  Dieu. 

En  dehors  des  commentaires  modernes  de  la  Genèse,  qui 
sont  indiqués,  col.  1207,  on  peut  consulter  spécialement  sur 
le  c.  i"  :  Gutbcrlet,  Dos  Sechstagewerk,  Francfort,  1882; 
J.  Corluv,  Spicilegium  dogmatico-biblicum,  Gand,  1884, 
t.  i,  p.  163-227;  J.  Lagrange,  Hexaméron.  dans  la  Revue 
biblique,  1896,  p.  381-407;  FI.  de  Moor,  Le  récit  génésiaque 
de  la  création,  Louvain,  1890;  J.  Mir  y  Noguera,  La  creacion, 
Madrid,  1890;  F.  de  Hummelauer,  Nachmals  der  biblisclie 
Schôpfungsbericht,  dans  Biblischc  Sludien,  Fribourg-en- 
Brisgau,  1898,  t.  in,  fasc.  2;  trad.  franc,  par  Eck,  Le  récit 
de  la  création,  Paris,  s.  d.  (1898);  L.  Bigot,  Le  récit  élohiste 
de  la  création,  dans  la  Revue  du  clergé  français,  Paris,  1901, 
t.  xxvui,  p.  42-72;  F.  Kaulen,  Der  biblisclie  Schôiifungs- 
bericht,  Fribourg-en-Brisgau,  1902;  V.  Zapletal,  Der  Schôp- 
fungsbericht der  Gencsis,  Fribourg  (Suisse»,  1902;  trad. 
franc.,  Genève,  Paris,  1904;  2e  édit.,  Fribourg,  1911; 
C.  Berold,  Die  Schôpfungslegende,  Bonn,  1904;  A.  Netter, 
Les  six  jours  de  la  création,  Paris,  1903;  Gnaudt,  Der  mosaï- 
sche  Schôpfungsbericht,  Graz,  1906;  Gockel,  Schôpfungs- 
gcschichtliche  Theorien,  Cologne,  1907;  F.  Schwally,  Die 
biblischen  Schôpfungsberichte,  dans  Archiv  fiir  Religions- 
wissenschafl,  1907,  t.  ix,  p.  159-175;  F.  Bettex,  Das  erste 
Blatt  der  Bibel,  Stuttgart,  1906;  G.  Lasson,  Die  Schôpfung. 
Das  erste  Blatt  der  Bibel  fur  unsere  Zeit  erlàutert,  Berlin, 
1907;  S.  Euringer,  Das  naturwissensclmflliche  Hexaeme- 
ronpmblem  und  die  katholische  Exégèse,  dans  les  publi- 
cations du  séminaire  historique  de  Munich,  1907,  t.  m, 
p.25-45;  A.  Stacul,  Der  Schôpfungsbericht.  Eine  exegetisch- 
apologetische  Abhandlung,  Profsnitz,  190S;  J.  Guibert,  La 
cosmogonie  mosaïque,  dans  la  Revue  pratique  d'apologétique, 
Paris,  1909-1910,  t.  ix,  p.  271-275;  J.  Selbst,  dans  Hand- 
buch  zur  Biblischen  Geschichte,  6'  édit.,  Fribourg-en- 
Brisgau,  1910,  t.  i,  p. 113-144;  E.  Minjon,  Die  biblischen 
Schôpfungslage,  dans  Der  Katholik,  1911,  p.  458-465  ; 
K.  Budde,  Wortlaut  nd  Wcrdcn  der  erslen  Schopfungs- 
gcschichtcdans  Zeitschrift  fiir  altlcstumcntlicheWissenscha/t, 


1915,  t.  xxxv,  p.  65-97;  H.  Lenski,  Das  Hexaemeron 
dans  Theologische  Zeilblâtter,  1915,  t.  v,  n.  4;  P.  Humbert 
Das  fiïn/te  Schôp/ungswerU,  dans  Zeitscltrift  fiir  altesla- 
mentliche  Wissenscliaft,  1916,  t.  xxxv,  p.  137-141  ;  K. 
Buddé,  Zum  vierlen  Schôpfungstag,  ibid.,  t.  xxxyi,  p.  198- 
200;  J.  Touzard,  Les  origines  du  monde  et  de  l'humanité. 
La  création,  dans  L'École,  Paris,  1917-1918,  t.  IX,  p.  98-99, 
123-124,  191-195,  242-243,  266-267. 

E.  Mangexot. 
HEYENDAL  Nicolas,  né  à  Walhom  en  1658  au  dio- 
cèse de  Liège,  après  avoir  terminé  ses  études  au  collège 
des  jésuites  d'Aix-la-Chapelle,  fut  arrêté,  pendant 
qu'il  allait  à  Rome  frire  sa  théologie,  par  des  soldats 
Vénitiens,  qui  l'enrôlèrent  de  force  et  il  fut  retenu 
quatre  ans  captif  à  Corfou.  De  retour  chez  lui  et  ses 
études  faites  à  Louvain,  il  embrassa  la  vie  religieuse 
dans  l'abbaye  des  chanoines  réguliers  de  Rolduc,  dio- 
cèse de  Liège,  où  il  enseigna  la  théologie  et  l'Écriture 
sainte.  Ses  confrères  l'élurent  abbé  en  1712.  Il  s'ap- 
pliqua au  maintien  de  la  discipline.  Mais  sa  doctrine 
passait  avec  raison  pour  suspecte.  En  1698,  il  avait 
publié  :  Les  jours  évangéliques  ou  trois  cent  soixante-six 
vérités  tirées  de  la  morale  du  Nouveau  Testament,  in- 12, 
Liège.  Une  traduction  allemande,  qui  parut  sous  ce 
titre  :  Pieux  désirs  de  l'âme,  Aix-la-Chapelle,  1701,  fut 
blâmée  par  le  nonce  Bussy  et  attaquée  par  le  P.  D  Jsi- 
rant,  doyen  de  la  faculté  de  théologie  de  Louvain 
(1709).  Heyendal  publia:  L'orthodoxie  de  la  foi  et  de  la 
doctrine  de  l'abbé  et  des  religieux  de  Rolduc,  Liège.  1710. 
La  polémique  continua.  L'évèque  de  Liège  prohiba, 
comme  renfermant  des  doctrines  dangereuses,  la 
Dejcnsio  seriptorum  theologicorum  de  gratia  Christi 
dudum  a  B.  D.  Nie.  Heyendal...  luci  publiese  data, 
Liège,  1712.  La  faculté  de  théologie  de  Cologne  put 
censurer  six  propositions  extraites  de  cet  ouvrage 
(1714).  L'auteur  essaya  de  se  justifier  par  des  répliques. 
Son  activité  littéraire  n'était  pas  absorbée  par  ces 
luttes.  On  iui  doit  :  Lillerse  ecclcsiasticse  de  vita  et  obli- 
gationibus  ministrorum  Ecclesiœ,  in-12,  Liège,  1703,  et 
la  continuation  des  Annales  Roldcnses  ab  anno  1118- 
1700,  qui  forme  le  t.  vi  de  l'Histoire  du  duché  de  Lim- 
bourg  de  Ernst,  éditée  par  Lavalleye,  7  in-8°,  Liège, 
1837-1848.  Heyendal  mourut  le  5  mai  1733. 

Paris,  Histoire  du  diocèse  et  de  la  principauté  de  Liège, 
Liège,  1S68,  p.  87-94;  Allqemeine  deutsche  Biograpliie,  t.  xn. 
p.  363;  Biographie  nationale  de  Belgique,  t.  ix,  col.  340; 
Hurter,  Nomenclator,  1910,  t.  IV,  col.  1242-1243. 

J.  Besse. 

HEYNLIN  Jean,  docteur  et  professeur  de  la  Sor- 
bonne  à  Paris,  naquit  à  Stein,  petit  village  sur  le  Rhin, 
au  diocèse  de  Spire,  vers  l'an  1430.  Selon  l'usage  de  son 
temps,  du  nom  latinisé  de  son  pays  natal  (Lapis),  il  a 
été  appelé  jusqu'à  nos  jours.  Jean  de  Lapide,  Lapideus, 
La  pi  t  anus,  etc.,  et  c'est  sous  ce  nom  qu'il  est  justement 
célèbre.  En  1452,  il  était  déjà  ecclésiastique  et  suivait 
les  cours  universitaires  à  Leipzig  où  il  composa  à  cette 
époque  un  traité  sur  Aristote.  Il  se  rendit  de  là  à  Paris, 
entra  à  la  maison  de  Sorbonne,  y  fut  reçu  maitre  es  arts 
et  débuta  dans  la  carrière  de  professeur  par  l'enseigne- 
ment de  la  grammaire.  Le  fameux  humaniste  Jean  Reu- 
ter  était  au  nombre  de  ses  disciple:;,  et  le  non  moins 
célèbre  Jean  de  Amerbach,  imprimeur  à  Bàle,  fit  aussi 
ses  études  philosophiques  et  théologiques  sous  sa  direc- 
tion. Il  garda  toute  sa  vie  une  grande  vénération  pour 
son  maître,  et  lorsqu  il  imprima  la  logique  de  Porphyre 
et  d'Aristote  avec  le  commentaire  de  Jean  Heynlin,  il 
se  fit  un  point  d  honneur  de  se  déclarer  son  ancien  dis- 
ciple dans  la  souscription  finale  du  volume:  per  migis- 
Irum  Joannem  de  Amerbach  Lapidani  quondam  disci- 
pulum,  etc.  Cf.  Hain,  Repcrtorium,  n.  9919.  Vers  1459- 
1463,  Jean  Heynlin  enseigna  avec  éclat  la  philosophie 
péripatéticienne  en  Sorbonne  et  fut  un  des  chefs  des 
réalistes.  Appelé  à  professer  les  mêmes  doctrines  en  la 
nouvelle  université  de  Bàle,  il  se  distingua  parmi  tous 


2355 


IIEYNLIN 


2356 


ses  collègues  dans  l'enseignement.  Cf.  Janssen,  Histoire 
du  peuple  allemand,  1.  I,  c.  iv.  Il  rentra  à  la  maison  de 
Sorbonne  en  1466,  mais  son  départ  de  Bàle  ne  lui  fit 
point  perdre  l'estime  des  savants  et  la  confiance  des 
citoyens  qu'il  s'était  acquises.  Aussi,  quoique  absent,  il 
fut  nommé  notaire,  tabellion  public  et  juge  ordinaire 
de  la  ville,  14  octobre  1466.  C'est  probablement  à  cette 
époque  qu'il  reçut  le  bonnet  de  docteur  à  Paris  et  y 
enseigna  la  théologie.  Ses  collègues  le  nommèrent  en 
1467  préteur  de  la  Sorbonne,  en  1469  recteur  et  en  1470 
de  nouveau  préteur.  La  date  de  1469  et  le  nom  de  Jean 
lleynlin  font  partie  de  l'histoire  de  l'imprimerie  en 
général,  de  l'histoire  de  la  ville  de  Paris  et  aussi,  en 
quelque  sorte,  de  l'histoire  littéraire  de  France.  En  effet 
c'est  Heynlin,  alors  recteur  de  Sorbonne,  qui  fit  venir 
d'Allemagne  les  trois  ouvriers  typographes  Ulrich  Ge- 
ring,  Martin  Krantz  et  Michel  Freiburger,  les  établit 
dans  cette  maison  et  se  chargea  de  corriger  lui-même  les 
épreuves  de  leurs  produits.  Son  collègue  Guillaume  Fi- 
chet,  à  qui  on  a  voulu  faire,  à  tort,  l'honneur  de  l'éta- 
blissement de  la  première  imprimerie  à  Paris  et  en 
France,  a  réfuté  lui-même  cette  erreur  par  ces  paroles 
imprimées  dans  une  lettre  à  Heynlin  placée  en  tête  du 
premier  ouvrage  :  Gasparini  Pergamensis  Epistolarum 
opus,  sorti  de  l'atelier  de  la  Sorbonne  :  a  luis  quoque  Gcr- 
manis  impressoribus...  quos...  e  tua  Germania  libra- 
rios  ascivisli.  En  1472,  ou  environ,  Heynlin  alla  ensei- 
gner la  philosophie  à  Leipzig,  et  son  départ  occasionna 
la  sortie  de  la  Sorbonne  des  ouvriers  imprimeurs,  qui 
s'établirent  rue  Saint- Jacques,  Au  soleil  d'or  (1473).  Il 
n'entre  pas  dans  notre  cadre  de  spécifier  les  ouvrages 
imprimés  en  la  maison  de  Sorbonne,  mais  il  importe  de 
•  dire  que  Heynlin  avait  gardé  un  exemplaire  de  chaque 
ouvrage,  qu'il  les  donna  ensuite  avec  le  reste  de  sa  très 
riche  bibliothèque  à  la  chartreuse  de  Bàle,  où  ils  res- 
tèrent jusqu'à  la  suppression  de  ce  monastère.  Aujour- 
d'hui ils  sont  conservés  à  la  bibliothèque  de  l'univer- 
sité bâloise.  Heynlin  avait  vraiment  reçu  de  Dieu  le 
don  de  la  parole,  qui,  joint  à  une  mémoire  très  tenace 
et  à  sa  profonde  doctrine,  lui  fit  faire  beaucoup  de  bien 
dans  le  peuple  chrétien.  Il  connaissait  par  cœur  à  peu 
près  toute  l'Écriture  sainte  et  il  possédait  une  vaste 
connaissance  des  œuvres  des  Pères.  Aussi  sa  renommée 
comme  prédicateur  eut  bientôt  franchi  les  frontières 
d'Allemagne  et  de  France. 

Il  prêcha  à  Bàle  pendant  quatre  années  consécutives 
(1474-1478)  et  autant  de  temps  à  Baden  (1480-1484); 
■de  1476-1480,  on  l'invita  à  prêcher  plusieurs  fois  à 
Berne,  à  Tubingue,  à  Bàle  et  à  Baden.  Il  reprit  l'ensei- 
gnement de  la  philosophie  à  Tubingue,  en  1477,  et 
l'abandonna  définitivement  trois  années  après.  En 
1484,  il  fut  nommé  recteur  de  l'église  collégiale  de  Ba- 
den-Baden et  se  lia  d'amitié  avec  le  chanoine  Jean  de 
Hochberg,  chancelier  et  protonotaire  des  princes  de 
Baden,  qui,  à  son  exemple,  se  fit  chartreux  à  Bàle 
(1487)  et  mourut  prieur  de  la  chartreuse  de  Strasbourg 
(1501).  L'évêque  de  Bàle  offrit  à  J.  Heynlin  un  canoni- 
cat  dans  son  chapitre  et  l'emploi  d'écolâtre,  et  celui-ci 
accepta  et  vint  se  fixer  dans  cette  ville,  où  il  ne  cessa 
jamais  de  prêcher  au  peuple.  Mais  après  avoir  tant  tra- 
vaillé au  salut  des  âmes  dans  l'enseignement  et  dans  le 
ministère  de  la  prédication,  Heynlin  voulut  imiter 
saint  Bruno,  qui  avait  aussi  été  professeur,  écolâtre  et 
chanoine.  Il  se  décida  donc  à  quitter  le  monde  et  la  vie 
active,  et  le  15  août  1487,  après  avoir  prêché  dans  la 
cathédrale  de  Bàle,  il  se  retira  à  la  chartreuse  qui  était 
près  de  cette  ville.  L'ordre  apprécia  toute  la  valeur  du 
sujet  qui  venait  d'entrer  dans  son  sein,  et  lui  accorda  le 
privilège  de  faire  les  vœux  après  trois  mois  de  séjour 
dans  le  monastère.  J.  Heynlin  fit  profession  le  17  no- 
vembre 1487,  il  donna  à  son  couvent  une  bonne  partie 
de  ses  biens  et  sa  bibliothèque,  composée  de  233  vo- 
lumes reliés  et  de  50  brochés.  Dans  sa  cellule,  Heynlin 


ne  renonça  pas  à  l'étude,  ni  aux  préoccupations  litté- 
raires, en  coopérant  à  la  publication  des  bons  livres.  Il 
pressa  beaucoup  son  ami  Jean  Trithème,  abbé  de  Span- 
heim,  de  publier  les  deux  grandes  ouvrages  :  De  scrip- 
toribas  ecclcsiasticis  et  le  Catalogue  des  hommes  illustres 
d'Allemagne.  Le  premier  de  ces  livres  fut  imprimé  à 
Bàle  en  1494,  avec  une  lettre  préliminaire  intitulée  : 
Docto  ac  prœstanti  viro  domino  Joanni  de  Amerbach  in 
artibus  liberalibus  Parisiensi  magistro;  frater  Johannes 
de  Lapide,  monachus  ordinis  carthusiensis,  sacrarum 
lïtterarttm  humilis  et  indignus  ejusdem  studii  professor, 
plurimam  in  Domino  salutem  optât,  etc.  Ex  Carlhusia 
Basileœ  V  calend.  septembris  1494.  Cf.  Hain,  Reperto- 
rium,  n.  15613.  Jean  Amerbach  profita  du  voisinage 
de  son  ancien  maître  pour  l'engager  à  s'intéresser  aux 
éditions  patristiques  qu'il  voulait  imprimer.  Heynlin 
consentit  à  revoir  ces  œuvres  autant  que  l'observance 
claustrale  le  lui  permettait.  C'est  ainsi  que  le  célèbre 
imprimeur  put  faire  paraître  en  1489  le  Psalmorum 
explanatio  de  saint  Augustin;  en  1490,  le  De  civitate 
Dei.Dc  Trinitate,De  animœ  quanlilate,  in-fol.;  en  1491, 
le  commentaire  de  Cassiodore  sur  les  Psaumes;  en 
1492,  le  Consolatorium  theologicum  de  Jean  de  Dom- 
bach  et  les  œuvres  de  saint  Ambroise,  en  3  tomes  in-fol., 
cf.  Hain,  op.  cit.,n.  896;  en  1493,  les  lettres  de  saint 
Augustin,  in-fol.,  le  De  compunctione  cordis,  ainsi  que 
plusieurs  autres  opuscules  de  saint  Jean  Chrysostome. 
Cf.  Hain,  op.  cit.,  n.  5044-5047,  2088.  L'édition  des 
œuvres  complètes  de  saint  Augustin  publiée  aussi  par 
Amerbach, en  1506,  en  9  in-fol.,  renferme  les  traités  revus 
et  corrigés  par  J.  Heynlin.  Le  continuateur  de  la  Chro- 
nique de  la  chartreuse  de  Bàle,  dom  Georges  Zimmer- 
mann,  entré  au  noviciat  treize  ans  après  la  mort  de 
Heynlin,  assure  que  celui-ci  coopéra  également  à  l'édi- 
tion de  la  Bible  et  à  la  publication  des  œuvres  de  saint 
Grégoire  le  Grand  et  de  saint  Jérôme  faites  aussi  à  Bàle 
par  Jean  Amerbach.  C'est  dans  ces  occupations  avan- 
tageuses à  l'Église  et  à  la  science  que  dom  Jean  Heynlin 
termina  pieusement  sa  vie,  le  12  mars  1496. 

Ses  commentaires  sur  tous  les  livres  d'Aristote,  sur 
la  logique  de  Porphyre  et  les  explications  sur  les  livres 
des  principes  de  Gilbert  de  la  Porrée  furent  publiés 
par  Jean  de  Amerbach,  à  Bàle,  in-fol.,  s.  d.,  certaine- 
ment avant  la  mort  de  Heynlin,  cf.  Hain,  n.  9919  et 
13300,  puisque  Sébastien  Brant  lui  adressa  une  poésie  : 
De  logica  per  eum  explanata.  Le  commentaire  sur  les 
quatre  livres  De  amina  d'Aristote  se  trouve  manuscrit 
à  la  bibliothèque  de  l'université  de  Bàle,  X,  II,  20, 
F.  VIII,  9,  F.  VII,  II;  Expositio  prologorum  biblico- 
rum  Parisiis  habita;  Forma  tractandi  très  priores  libros 
Senlenliarum;  Quœstiones  Sorbonicse  sub  (Jo.  de  Lapide) 
et  ab  eodem  disputâtes,  maxime  de  peenitentia  ;  Ejusdem 
prœ/ationes  initio  librorum  aut  disputationum  :  recueil 
ms.  in-4°  conservé  dans  la  susdite  bibliothèque,  A.  VII. 
13;  cinq  volumes  de  Sermons,  mss  in-4°,  sont  aussi  à  la 
bibliothèque  de  Bàle  :  A.  VII,  8-12;  Epislola  ad  Jo. 
Hochberg,  Ecclesise  Badensis  canlorem,  de  qualitate  sa- 
cerdotis,  ms.,  ibid.,  A.  V.  26;  Quœstiones  theologiœ  et 
expectatoriœ  variée  sub  et  ab  eodem  doclore  Parisiis  dis- 
putatee,  etc.,  ms.  in-fol.,  ibid.,  A.  VI,  12;  Oraliones  duee, 
una  in  promolione  doctorum  théologies,  altéra  in  promo- 
tione  magistrorum  habita,  ms.  in-4°,  ibid.,  F.  IX,  5; 
Sermones  de  conceptione  béates  Maries,  mss  à  la  biblio- 
thèque de  la  reine  Christine  de  Suède,  au  Vatican, 
n.  82.  Cf.  Migne,  Dictionnaire  des  manuscrits,  t.  n, 
col.  1225.  Dom  Jean  Heynlin  a  écrit,  selon  Trithème, 
De  conceptione  immaculatee  Virginis,  mais  on  ne  sait 
pas  au  juste  quel  nom  donner  à  ce  travail.  Le  R.  P. 
Baglioni  dit  que  c'est  un  livre.  Cf.  Dilucidazione  cronol. 
dell'imm.  concezione,  Florence,  1852,  p.  264,  n.  31.  Il  est 
plus  probable  qu'il  s'agit  des  Sermons  indiqués  plus 
haut  et  de  cette  Prœmonitio  fratris  Joannis  de  Lapide 
cartusiensis...   circa  sermones  de    conceptione  gloriosse 


>357 


HEYNLIN  —  HICKEY 


2358 


Virginis  Mariée  per  quemdam  Meffreth  nuncupalum  col- 
lectes desl  traits  quid  in  hac  maleria  senliendum  ac  te- 
nendum  s  it,  cf.  Scrmones  Me/ fret,  édit.  de  Nicolas  Kessler, 
Bàle,  1488,  t.  m;  Main,  Reperlorium,  n.  11006.  On  re- 
grette la  perte  de  plusieurs  ouvrages  de  Heynlin  signa- 
lés par  Trithène  et  les  bibliographes  allemands,  parmi 
lesquels  se  trouvaient  un  Sommaire  de  la  Passion,  un 
livre  traitant  des  qualités  du  bon  prêtre,  un  recueil  de 
lettres,  etc.  Un  traité  de  Heynlin  fort  utile  aux  prêtres, 
intitulé  :  Resolulorium  dubiorum  circa  celebralionem 
missarum  occurrentium,  eut  un  grand  succès  aux  xve  et 
xvic  siècles.  Il  y  eut  six  éditions  in-4°  ou  in-8°,  s.  1.  n.  d., 
dont  cinq  indiquées  par  M.  Hain,  op.  cit.,  n.  9899-9903, 
et  une  autre,  in-4°,  notée  dans  le  catalogue  98e,  du  li- 
braire de  Munich,  Rosenthal,  n.  1130;  viennent  ensuite 
les  éditions  antérieures  à  1501,  enregistrées  par  Hain, 
n.  9904-9918,  avec  les  suivantes  :  Cologne,  Quentell, 
1501,  1504,  1506,  et  Jean  Landen,  1506;  Paris,  1502, 
1508,  s.  d.  (1510?),  1514,  1521,  1659;  Venise,  1513, 
1516;  Cracovie,  1519;  Strasbourg,  1520;  Tolède,  1527; 
Dillingen,  1558,  1559;  Bologne,  1566;  Brescia,  1567; 
Constance,  1596,  1598;  Padoue,  1599;  enfin,  il  convient 
de  rapporter  tout  le  titre  de  l'édition  faite,  en  1498,  à 
Périgueux,  qui  paraît  avoir  été  le  premier  ouvrage 
imprimé  dans  cette  ville  :  Resolutorium  dubiorum  circa 
celebralionem  missarum  occurrentium  per  vencrabilem 
patrem  dominum  Johannem  de  Lapide,  doctorem  theolo- 
gum  Parisiensem,ordinis  carlusiensis,ex  sacrorum  cano- 
num  probatorumque  doctorum  senlenliis  diligenter  col- 
lectum.  Impressum  Pelragoricensis  per  magislrum  Jo- 
hannem Carant-,  1498,  in-8°,  caractères  gothiques,  gra- 
vure xylographique.  Cette  rarissime  édition  a  échappé 
aux  recherches  de  M.  Hain.  Le  P.  Possevin,  traitant 
de  J.  Heynlin  (de  Lapide)  dans  son  Apparatus  sacer, 
dit  que  ce  docteur  écrivit  aussi  des  ouvrages  concer- 
nant les  humanités  ou  les  belles-lettres.  Voici  quelques 
titres  :  Inlroductorium  grammaticee,  inédit;  Dialogus  de 
arte  punctuandi,  publié  plusieurs  fois,  cf.  Panzer,  An- 
nales, t.  i,  p.  296,  297,  478;  t.  n,  p.  218,  216;  t.  iv, 
p.  135,  222;  t.  ix,  p.  223;  Gasparini  Barzizii  Pergamen- 
sis  epistolarum  opus,  imprimé  au  moins  douze  fois,  cf. 
Hain,  n.  2668-2679;  Laurcntii  Vallée  elegantiee  linguee 
■latinee,  imprimé  plusieurs  fois  à  Paris  et  à  Cologne; 
l'Abrégé  de  Tite-Live,  la  conjuration  de  Catilina  de 
Salluste,  les  œuvres  de  Térence,  de  Virgile,  de  Cicéron 
et  des  autres  auteurs  classiques  imprimés  en  la  maison 
de  Sorbonne.  Cf.  Auguste  Bernard,  De  l'origine  et  des 
débuts  de  l'imprimerie  en  Europe,  IIe  partie,  Paris, 
1853;  Taillandier,  Résumé  historique  de  l'introduction 
de  l'imprimerie  à  Paris,  Paris,  1837;  Alfred  Franklin, 
La  Sorbonne,  ses  origines,  sa  bibliothèque,  les  débuts 
de  l'imprimerie  à  Paris,  2e  édition,  Paris,  1875,  et 
tous  les  auteurs  qui  traitent  de  l'établissement  des 
premiers  imprimeurs  dans  la  maison  de  Sorbonne,  à 
Paris. 

Jean  Heynlin,  comme  beaucoup  d'autres  savants 
de  son  époque,  fut  consulté  au  sujet  d'un  aérolithe  qui, 
le  7  novembre  1492,  tomba  près  d'Ensisheim,  en  Al- 
sace. Il  rédigea  une  dissertation  intitulée  :  Conclusiones 
aut  propositiones  physicales  de  lapide  insigni,  pondère 
duorum  centenariorum  cum  dimidio,  qui  7  id.  non.  1492 
ex  nubibus  magno  cum  fragore  prope  Ensisheim,  oppidum 
Suntgoyœ  Alsatiœ  superioris,  decidit  et  dein  effossus  in 
ejusdem  oppidi  templo  catena  in  loeum  subliment  sus- 
pensus  est.  Dans  cette  étude,  Heynlin  réunit  les  hypo- 
thèses qui  pourraient  éclaicir  cet  événement,  mais  il 
paraît  qu'aucun  des  savants  consultés  ne  satisfit  l'at- 
tente du  peuple,  puisque  l'on  voit  encore  l'inscription 
placée  sur  l'aérolithe  ainsi  formulée  :  De  hoc  lapide 
multi  multa,  omnes  aliquid,  nemo  salis.  La  dissertation 
de  Heynlin  semble  avoir  été  imprimée.  Cf.  Alhenas 
Rauricas  et  la  Biographie  universelle  de  Michaud,  au 
mot  Pierre  (Jean  de  la  Pierre). 


Sébastien  Brant,  ami  de  Heynlin,  écrivit,  en  son 
honneur,  des  poésies  dévotes  et  un  petit  poème  sur 
saint  Bruno  et  l'ordre  des  chartreux,  et  à  l'occasion 
de  sa  mort,  il  composa  une  élégie  qui  a  été  publiée  dans 
le  recueil  de  ses  Varia  ctrmina,  Bâle,  1498. 

De  vita,  conversatione,  seriptis  et  obitu  domini  Joannis 
de  Lapide,sacrm  pagina;  doctoris  :  c'est  le  c.  iv  de  la  conti- 
nuation de  la  Chronique  de  la  chartreuse  de  Bâle  par  dom 
Georges  Zimmermann,  publiée  par  MM.  Vischer  et  Stern, 
Basler  Chroniken  herausgegeben  von  der  historischen  Gessei- 
schaft  inBasel,  etc.,  Leipzig,  1872;  Die  Reformations  Chro- 
nik  des  Karthàusers  Georg,  etc.,  Bâle,  1849;  F.  Fischer, 
J.  Heynlin,  gennant  a  Lapide;  akademischer  Vortrag, 
in-8°,  Bâle,  1851;  Une  visite  à  la  bibliothèque  de  l'université 
de  Bàle,  par  un  bibliophile  lyonnais,  Lyon,  1880;  Nicklês,  La 
chartreuse  du  Val  Sainte-Marguerite  à  Bâle,  in-8°,  Porren- 
truy,  1903;  Trithcmius,  Sienlerus,  Possevin,  Petrejus,  dans 
la  Bibliotheca  cartusiana;  Morozzo,  Thealrum  chronol.  S.  ord. 
ntrtit*.;  Le  Vasseur,  Ephemerides  ord.  cartus.,  t.  i;  Félibien 
et  Lobineau,  Histoire  de  la  ville  de  Paris,  Paris,  1725,  t.  n; 
Gabourd,  Histoire  de  Paris,  Paris,  1864,  t.  n;  Biographie 
universelle  de  Michaud  et  la  Biographie  générale  de  Didot, 
aux  mots  Fichet,  Pierre  (Jean)  et  Gering  (Ulric);  Kirchen- 
lexikon,  t.  v,  p.  2003;  Allgemeine  deulsche  Biographie, 
t.  xii,  p.  379;  Realencyclopddie  fiir  protestanlische  Théologie 
und  Kirche,  t.  vni,  p.  36-37;  P.  Féret,  La  faculté  de  théo- 
logie de  Paris  et  ses  docteurs  les  plus  célèbres.  Moyen  âge 
Paris,  1907,  t.  iv,  p.  162-165  (sous  le  nom  de  Jean  delà 
Pierre);  Hurtcr,  Nomenclator,  Inspruck,  1906,  t.  n,  col  1027- 
1030. 

,  S.    AUTORE. 

HICETES  A  la  suite  des  hérésies  dont  il  avait 
emprunté  la  liste  à  saint  Épiphane,  et  avant  d'énumé- 
rer  celles  dont  il  eut  une  connaissance  personnelle 
parce  qu'elles  lui  étaient  contemporaines,  saint  Jean 
Damascène,  puisant  à  une  autre  source,  signale  celle 
des  hicètes,  î/.étou.  Hser.,  lxxxvii,  P.  G.,  t.  xciv, 
col.  756.  C'étaient,  dit-il,  des  moines,  d'ailleurs  ortho- 
doxes, qui  avaient  pour  habitude  de  danser  et  de 
chanter  avec  des  moniales,  dans  le  but  d'imiter  le 
chœur  formé  par  Moïse  et  Marie  après  le  passage  de  la 
mer  Rouge.  Exod.,  xv,  1,  20,  21.  Mais  dans  ce  cas, 
ce  n'est  point  hicètes  qu'ils  auraient  dû  s'appeler, 
car  îxérai,  de  «muai,  signifie  prier,  supplier;  ils  au- 
raient dû  s'appeler  plutôt  yopeuTaî,  danseurs,  ou  <J»âXTai, 
chanteurs.  Le  mot  Uérat  évoque  bien  mieux  le  souve- 
nir de  la  secte  des  massaliens  ou  euchites.  Quoi  qu'il  en 
soit,  l'unique  caractéristique  qu'en  donne  saint  Jean 
Damascène  ne  justifie  pas  l'inscription  des  hicètes  au 
nombre  des  hérétiques;  elle  marque  simplement  un 
usage  fort  peu  recommandable  et  fort  dangereux 
au  point  de  vue  moral,  que  l'exemple  de  Moïse  ne 
saurait  suffire  à  justifier,  surtout  parmi  les  moines. 
L'existence  de  ces  hicètes  est  postérieure  à  l'empereur 
Marcien  (450-457)  et  antérieure  à  l'empereur  Héra- 
clius  (610-641). 

S.  Jean  Damascène,  Hser.,  lxxxvii,  P.  G.,  t.  xciv,  col.  756; 
Migne,  Dictionnaire  des  hérésies,  Paris,  1847,  t.  i,  col.  759, 
au  mot  Hélicites;  Smith  et  Wace,  Diclionary  of  Christian 
biography,  Londres,  1878-1882,  t.  ni,  p.  23. 

G.  Bareille. 

HICKEY  (Hiquaeus)  Antoine,  frère  mineur  ré- 
formé, originaire  de  la  baronnie  d'Island  dans  le  comté 
de  Clare  en  Irlande,  naquit  en  1586.  Le  1er  novembre 
1607,  il  revêtait  l'habit  religieux  au  collège  irlandais 
de  Saint-Antoine  à  Louvain,  où  il  trouva  comme 
maîtres  Hugues  Mac  Bhaird,  Wardeus  et  Hugues  Mac 
Caghwell,  Cavellus.  A  son  tour  il  professa  la  théologie 
à  Louvain  et  à  Cologne.  Il  enseignait  dans  cette  ville 
en  1619,  quand  son  célèbre  compatriote,  Wadding,  le 
demanda  à  son  ministre  général  pour  l'aider  dans  les 
travaux  qu'il  se  proposait  d'entreprendre.  Hickey  se 
rendit  à  Rome,  où,  au  couvent  de  Saint-Pien  e  in  Monto- 
rio  d'abord,  puis  au  collège  de  Saint- Isidore,  il  collabora 
fidèlement  avec  son  savant  ami,  qui  nous  a  laissé  de 


2359 


HICKEY 


Il  IKRACAS 


2360 


lui  ce  bel  éloge  :  Nullus  eo  aljabilior,  nullus  humilior, 
nullus  in  sludiis  inagis  assiduus.  Per  mcnses  integros 
hserebat  domi,  per  diem  univcrsum  vel  studebat.  vel 
orabat.  Son  premier  ouvrage  fut  une  apologie  de  sa 
famille  religieuse  :  Nitela  franciscaine  religionis  et 
abslersio  sordium  <iiiibus  eam  conspurcare  frustra  ten- 
tavit  Abrahamus  Rzovius,  in-4°,  Lyon,  1627,  publiée 
sous  le  nom  de  Dermitius  Thadseus,  qu'il  portait  avant 
son  entrée  en  religion.  Quand  Wadding  entreprit  l'édi- 
tion complète  des  œuvres  de  Duns  Scot,  le  P.  Hickey 
reçut  pour  sa  part  le  soin  de  préparer  les  Commentaires 
sur  le  IVe  livre  des  Sentences.  Ils  forment  3  in-fol., 
t.  vm-x,  de  l'édition  de  Lyon,  1639.  En  faisant  ce  tra- 
vail il  conçut  le  projet  d'écrire  de  semblables  commen- 
taires sur  les  trois  premiers  livres,  ut  plane  et  solide 
ex  conciliis  et  sanctis  Patribus  Scoti  doctrinam  corro- 
borarct,  et  impugnantium  ralionibus  satisfaceret,  dit 
encore  Wadding.  Il  commença  par  le  IIIe  livre,  mais 
n'alla  pas  au  delà  rie  la  VIe  distinction,  prévenu  par  la 
mort,  le  26  juin  1641.  Son  maître  le  fit  ensevelir  dans 
l'église  de  Saint-Isidore,  auprès  de  Mac  Caghwell,  et 
plaça  sur  sa  tombe  une  épitaphe  socio  gratissimo  et 
amico  optimo.  Il  promettait  de  publier  ses  écrits  inédits 
sur  le  IIIe  livre  des  Sentences,  ainsi  que  des  Respon- 
siones  ad  pleraquc  dubia  moralia  et  ascetica.  Le  P. Hic- 
key laissait  encore  un  travail  De  stigmatibus  sanclai 
Calharinœ  Senensis,  adressé  aux  cardinaux  de  la  S.  C. 
des  Rites,  et  un  ouvrage,  qualifié  par  Maracci  opus 
insigne  atque  omnibus  numeris  absolutum,  dans  lequel 
il  traitait  De  conceptione  immaculala  R.  Virginis 
Mariée.  On  conserve  au  couvent  de  Dublin  plusieurs 
lettres  originales  du  P.  Hickey,  relatives  aux  affaires 
d'Irlande,  car  son  pays  lui  demeura  toujours  cher,  et  il 
avait  rêvé  d'écrire  une  histoire  critique  de  son  île  natale 
en  collaboration  avec  plusieurs  savants  compatriotes. 
Quand  il  mourut,  il  était  définiteur  général  de  son 
ordre,  dignité  que  lui  avait  conférée  le  chapitre  tenu 
à  Rome,  en  1639. 

Wadding  et  Sbaralea,  Scriplnres  ordinis  minorum,  Rome, 
1806;  Hippolyte  Maracci,  Bibliotheea  Mariuna,  Rome, 
1(548;   The  catholic  encyclopédie!,  New  York,  1910. 

P.  Edouard  d'Alençon. 

HIÉRACAS  ou  HSÉRAX,  hérétique  dii  temps  de 
Dioclétien,  chef  de  la  secte  des  hiéracites. 

1°  Le  personnage.  —  C'est  surtout  à  saint  Épiphane, 
Hser.,  lxvii,  P.  G.,  t.  xlii,  col.  172-184,  qu'on  doit  la 
plupart  des  renseignements  sur  la  personne  et  les 
erreurs  de  ce  chef  de  secte.  Hiéracas  était  né  à  Léonto- 
polis,  en  Egypte,  dans  la  seconde  moitié  du  me  siècle. 
Il  était  médecin  de  profession;  sa  culture  littéraire  et 
scientifique  était  très  étendue  ;  il  étudia  même  l'astro- 
nomie et  la  magie.  Il  savait  la  Bible  par  cœur  et  avait 
commenté  le  commencement  du  livre  de  la  Genèse. 
Jusqu'à  l'âge  de  quatre-vingt-dix  ans,  il  ne  cessa 
d'écrire  et  composa  des  psaumes  ou  des  cantiques,  que 
devaient  chanter  ses  partisans.  Homme  d'une  très 
grande  austérité  et  orateur  à  l'éloquence  persuasive,  il 
fit  beaucoup  de  prosélytes,  qui  prirent  son  nom. 

Il  est  regrettable  que  ses  ouvrages  soient  perdus, 
surtout  son  Hexaméron,  car  ils  auraient  permis  de  se 
faire  une  idée  exacte  de  son  exégèse  et  de  sa  doctrine. 
Un  simple  mot  de  saint  Épiphane  donne  à  penser 
qu'il  interpréta  la  Genèse  d'une  manière  allégorique  : 
il  l'accuse,  en  effet,  d'avoir  nié  la  réalité  du  paradis 
terrestre,  mais  sans  dire  pourquoi.  On  en  est  donc 
réduit  aux  conjectures.  Voulait-il,  en  niant  cette  réalité, 
écarter  toute  objection  contre  l'idée  qu'il  se  faisait 
du  mariage,  puisque  c'est  au  paradis  terrestre  que 
Dieu  a  institué  l'union  de  l'homme  et  de  la  femme? 
N'élait-il  pas  plutôt  influencé  par  la  théorie  gnostique 
de  la  matière,  considérée  comme  essentiellement 
mauvaise  et  source  du  mal?  Ceci  expliquerait  son 
interprétation  allégorique  du  paradis,  lequel  ne  serait 


autre  que  le  séjour  du  monde  des  esprits,  d'où  les  anges 
tombèrent  pour  s'être  trop  épris  de  la  matière;  et  cela 
cadrerait  avec  son  ascétisme  et  sa  négation  de  la 
résurrection  du  corps;  car  il  n'admettait  que  la  résur- 
rection spirituelle  de  l'âme,  le  corps  n'étant  qu'une 
prison  dont  l'âme  est  délivrée  par  la  mort,  et  la  résur- 
rection du  corps  ressemblant  à  un  nouvel  emprisonne- 
ment de  l'âme.  Mais  s'il  en  est  ainsi,  Hiéracas  devrait 
être  rangé  parmi  les  encratites  gnostiques. 

On  ne  saurait  le  confondre  avec  le  personnage 
nommé  Hiérax,  signalé  comme  l'un  des  douze  disciples 
de  Manès,  par  Pierre  rie  Sicile,  qui  vivait  au  IXe  siècle, 
Hist.  Manich.,  16,  P.  G.,  t.  civ,  col.  1265;  ce  témoi- 
gnage est  trop  tardif  pour  permettre  de  faire  de 
l'Égyptien  Hiéracas  un  manichéen.  Les  auteurs  les 
plus  rapprochés  rie  l'époque  où  parut  et  se  développa  le 
manichéisme,  nomment  bien  trois  disciples  de  Manès, 
mais  aucun  d'eux  ne  s'appelle  Hiérax.  Du  reste,  saint 
Épiphane,  qui  a  soin  de  relier  entre  elles  les  hérésies 
dont  il  parle,  ne  marque  aucune  connexion  entre  celle 
des  hiéracites  et  celle  des  manichéens,  qui  la  précède 
dans  son  traité. 

2°  Ses  erreurs.  —  L'enseignement  d'Hiéracas  conte- 
nait quelques  erreurs,  commandées,  semble-t-il,  par 
la  conception  gnostique  de  la  matière  qui  est  au  fond  de 
son  système  :  telle,  par  exemple,  la  condamnation  du 
mariage.  L'Ancien  Testament,  observait-il,  enseigne 
la  crainte  rie  Dieu  et  réprouve  l'envie,  la  concupiscence, 
l'injustice,  etc.  Qu'est  venu  enseigner  de  nouveau  le 
Christ,  sinon  la  continence,  la  chasteté,  la  virginité? 
C'est  là,  selon  l'apôtre,  la  sainteté,  sans  laquelle  per- 
sonne ne  verra  le  Seigneur.  Heb.,  xn,  14.  Dans  la 
parabole  évangélique  des  dix  vierges,  si  les  unes  sont 
sages  et  les  autres  folles,  toutes  du  moins  sont  vierges. 
Le  mariage  dès  lors  n'a  plus  sa  raison  d'être;  simple- 
ment autorisé  dans  l'ancienne  loi,  c'est  un  état  d'im- 
perfection supprimé  désormais  par  l'Évangile.  On  lui 
objectait  le  mot  de  saint  Paul  :  honorabile  connubium 
in  omnibus.  Heb.,  xm,  4.  Hiéracas  répond  :  J'en 
appelle  à  ce  que  le  même  apôtre  dit  plus  loin  :  Je 
voudrais  que  tous  les  hommes  fussent  comme  moi, 
I  Cor.,  vu,  7,  c'est-à-dire  célibataires.  Paul  ne  tolère 
le  mariage  que  comme  un  moindre  mal,  en  vue  d'éviter 
la  fornication.  En  conséquence,  Hiéracas  n'admettait 
au  nombre  de  ses  partisans  que  des  célibataires  ou  des 
veufs,  des  vierges  ou  des  veuves.  Remarquons  qu'il 
acceptait  l'attribution  à  saint  Paul  de  l'Èpître  aux 
Hébreux  et  qu'il  trouvait  dans  son  exemplaire  cette 
Épître  avant  les  Épîtres  aux  Corinthiens.  Il  recevait 
aussi  les  Pastorales  de  saint  Paul,  bien  qu'on  ne  voie 
pas  comment  il  pouvait  en  concilier  certains  passages, 
tels  que  I  Tim.,  iv,  2,  avec  sa  propre  doctrine.  Il 
s'appuyait  notamment  sur  le  passage  où  il  est  dit  que 
les  femmes  doivent  se  parer  de  bonnes  œuvres,  I  Tim., 
ii,  10,  pour  exclure  du  royaume  des  cieux  les  petits 
enfants,  parce  qu'ils  ne  sauraient  le  mériter  par 
quelque  action  personnelle  dans  la  lutte  contre  le  mal 
ou  dans  la  pratique  du  bien.  En  outre,  il  niait,  comme 
nous  l'avons  déjà  dit,  la  résurrection  des  corps,  et 
n'admettait  qu'une  résurrection  spirituelle,  celle  des 
âmes. 

Sur  la  Trinité,  au  dire  de  saint  Épiphane,  Hiéracas 
aurait  eu  une  doctrine  conforme  à  celle  rie  l'Église, 
mais  il  ne  peut  s'agir  là  que  de  ce  qui  concerne  le  Père 
et  le  Fils.  Et  pourtant  saint  Épiphane  signale  ailleurs, 
Hœr.,  lxix,  7,  une  lettre  d'Arius,  également  citée 
par  saint  Athanase  et  saint  Hilaire  de  Poitiers,  dans 
laquelle  Arius,  opposant  sa  doctrine  à  celle  de  Valentin, 
rie  Manès,  de  Sabellius  et  d'Hiéracas,  déjà  réprouvés 
par  l'Église,  soutenait  l'orthodoxie  de  sa  foi  :  Nec  sicul 
Hiéracas,  lucernam  de  lucerna,  vel  lampadem  in  duas 
parles.  S.  Hilaire,  De  Trinitate,  iv,  12  ;  vi,  5,  P.  L., 
I.  x,  col.  105,  160.  A  vrai  dire,  la  formule  d'Hiéracas 


2361 


HIÉRACAS  —  HIÉRARCHIE 


2362 


quoique  condamnée  par  saint  Alexandre  d'Alexandrie, 
était  susceptible  d'une  interprétation  orthodoxe. 
Mais  Arius,  très  habilement,  ne  tenant  compte  que 
de  la  condamnation,  en  prolitait  pour  décrier  le  sym- 
bole de  Nicée,  on  il  est  dit  du  Fils  qu'il  est  lumière  de 
lumière.  Ut  fidei  hujiis  (celle  de  Nicée)  intelliijentia 
averteretur,  Hieracse  lampas  vel  lucerna  ad  crimen 
confitendi  ex  lumine  himinis  objecta  est,  comme  le 
remarque  saint  Hilaire.  De  Trinitate,  vi,  12,  col.  166. 

Quoi  qu'il  en  soit,  Hiéracas  se  trompa  sûrement 
sur  la  personne  du  Saint-Esprit.  S'appuyant  sur  un 
passade  du  livre  apocryphe  de  Y  Ascension  d'Isaïe, 
où  il  est  dit  que  Dieu,  dans  le  septième  ciel,  est  entouré 
de  deux  personnes,  celle  du  Fils  et  celle  du  Saint-Esprit 
qui  a  parlé  par  les  prophètes,  il  en  concluait  que  cet 
Esprit,  qui  prie  pour  nous  par  des  gémissements  inej- 
/ablcs,  Rom.,  vm,  26,  n'était  autre  que  Melchisédcch, 
(/iii  est  devenu  semblable  au  Fils  de  Dieu,  et  demeure 
prêtre  pour  toujours.  Heb.,  vu,  3. 

3°  La  secte  des  hiérurites.  —  On  comprend  que,  par 
l'austérité  de  sa  vie  beaucoup  plus  encore  que  par  sa 
science,  Hiéracas  en  ait  imposé  à  ceux  qui  voulaient 
faire  profession  d'un  ascétisme  rigoureux.  Le  nombre 
en  étail  grand  en  Egypte;  de  là,  la  formation  de  la  secte 
des  hicraciles.  Ceux-ci,  à  l'exemple  de  leur  maître, 
entendaient  mener  une  vie  d'ascètes  et  se  priver  de  la 
chair  de  toutes  sortes  d'animaux;  chez  la  plupart,  ce 
fut  une  imitation  réelle  et  effective:  chez  d'autres,  ce 
ne  fut  qu'une  feinte.  Ils  cherchèrent  à  faire  des  recrues 
parmi  les  solitaires  d'Egypte.  L'un  d'eux  se  rendit  au 
désert  près  de  saint  Macaire  et  menaçait  d'ébranler  la 
foi  des  moines  par  ses  arguments  spécieux.  Macaire 
avait  beau  répliquer,  c'était  sans  succès,  car  l'hérétique 
éludait  habilement  ses  réponses  et  soulevait  toujours 
quelque  nouvelle  dilliculté.  De  guerre  lasse  et  pour  en 
finir  avec  un  adversaire  aussi  dangereux,  il  lui  proposa, 
comme  moyen  péremptoire  de  savoir  qui  avait  raison, 
de  tenter  l'épreuve  de  la  résurrection  d'un  mort. 
L'hérétique  accepta,  à  la  condition  que  Macaire 
essayât  le  premier.  Macaire  se  mit  donc  en  prières  et 
ressuscita  réellement  un  mort.  Le  disciple  d' Hiéracas 
n'en  demanda  pas  davantage  et  s'enfuit  pour  toujours. 
Le  récit  de  ce  miracle  a  été  conservé  par  Rufln,  Vita 
Patrum,  28,  P.  L.,  t.  xxi,  col.  452;  par  Palladius,  Hist. 
lausiaca,  19,  P.  G.,  t.  xxxiv,  col.  1049;  par  Sozomène, 
H.  E.,  m,  14,  P.  G.,  t.  lxvii,  col.  1069;  et  par  Cassien, 
Collât.,  xv,  3,  P.  L.,  t.  xlix,  col.  996-998.  Que  la  secte 
des  hiéracites  ait  été  combattue  par  la  parole  et  par  la 
plume,  on  ne  pourrait  s'en  étonner;  mais  nous  n'en 
possédons  point  de  preuve  positive.  Seul,  l'auteur  du 
Prsedestina'us,  47,  P.  L.,  t.  lui,  col.  607,  affirme 
qu'un  certain  Aphrodisius,  évêque  de  l'Hellespont, 
personnage  d'ailleurs  inconnu,  aurait  écrit  contre  eux; 
mais  il  n'y  a  pas  d'apparence,  comme  l'a  remarqué 
Tillemonl,  Mémoires,  t.  iv,  p.  413,  que  leur  secte  se 
soit  étendue  jusqu'aux  bords  de  la  mer  Noire-  en  tout 
cas,  elle  n'a  guère  laissé  de  trace  dans  l'histoire. 

S.  Épiphane,  Hœr.,  lxvii,  P.  G.,  t.  xlii,  col.  172-184; 
S.  Augustin,  De  liœr.,  47,  P.  L.,  t.  xlii,  col.  38-39. 

Tillemont,  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  ecclésiastique 
des  six  premiers  siècles,  Paris,  1701-1709,  t.  m,  p.  73;  t.  iv, 
p.  411-413;  Ceillier,  Histoire  générale  des  auteurs  sacrés  et 
ecclésiastiques,  Paris,  1858-1869,  t.  v,  p.  597;  t.  vi,  p.  403-404; 
Walch,  Entwurf  einer  volslàndigen  Historié  der  Kelzereien, 
Leipzig,  1702,  t.  i,  p.  815-823;  Néander,  Allgemeine  Ge- 
schichte  der  christl.  Religion  und  Kirche,  4°  édit.,  Gotha,  1864, 
t.  il,  p.  488-492;  Bardenhewer,  Les  Pères  de  l'Église,  trad. 
franc.,  Paris,  1898-1899,  t.  i,  p.  292-293;  Geschichte  der 
altkirchlichen  Litteralur,  Fribourg-en-Brisgau,  1903,  t.  n, 
p.  215-210;  Migne,  Dictionnaire  des  hérésies,  Paris,  1847 
t.i,  p.777-778;  Kirchenlexikon,  t.  v,  col.  2005-2006;  Smith 
et  'W'ace,  Diclionary  o/  Christian  biograpluj,  t.  m,  p.  24-25; 
U.  Chevalier,  Répertoire.  Bio-bibliographie,  t.    i,  col.  2143. 

G.  Bareilt.e. 


HIERARCHIE.  —  I.  Notion.  II.  Origines.  III. 
Démonstration  de  son  existence.  IV.  Exposition  et 
réfutation  des  erreurs  contraires.  V.  La  hiérarchie  de 
l'Église  est  monarchique.  VI.  Développement  de  la 
hiérarchie  ecclésiastique. 

I.  Notion.  —  Dans  son  acception  la  plus  géné- 
rale, la  hiérarchie  est  la  répartition  de  l'autorité  dans 
un  ordre  subordonné  et  pour  un  but  déterminé.  Cette 
définition  s'applique  à  la  société  civile,  comme  à  la 
s  ciétô  religieuse.  Ainsi,  on  parle,  dans  l'ordre  civil,  de 
la  hiérarchie  administrative,  judiciaire,  militaire,  etc. 

Néanmoins,  d'après  sa  désignation  étymologique,  le 
terme  hiérarchie,  à p / r(  îspâ,  s'adapte  d'une  façon  spé- 
ciale à  l'ordre  divin  et  ecclésiastique.  C'est  ainsi  que 
la  définit  le  pseudo-Denys  l'Aréopagite  :  «  La  hiérarchie 
est,  d'après  nous,  une  ordination  sacrée,  science  et 
opération,  à  reproduire,  autant  que  possible,  la  d  ifor- 
mité,  et  à  monter,  en  proportion  des  illustra  ions 
divinement  infuses,  jusqu'à  l'imitation  de  la  divin  té.  » 
Hiérarchie  céleste,  c.  m,  §  1,  trad.  de  l'abbé  J.  Dulac, 
Paris,  1865;  P.  G.,  t.  ni,  col.  164.  Comme  consé- 
quence, il  explique  de  quelle  manière  la  no  ion 
véritable  de  la  hiérarchie  requiert  la  subordination 
des  êtres  qui  la  composent.  Il  indique  les  fonctions 
diverses  qui  leur  sont  attribuées  dans  la  purification, 
dans  l'illumination,  dans  la  perfection,  dans  l'union 
avec  Dieu. 

Au  point  de  vue  ecclésiastique,  la  hiérarchie  peut 
être  considérée  objectivement  et  subjectivement.  Objec- 
tivement, la  hiérarchie  n'est  pas  seulement  un  princi- 
pat  sacré:  c'est  plutôt  la  surveillance  et  l'administra- 
tion des  choses  sacrées  :  f|  twv  Uptôv  àp-/7J.  Subjective- 
ment, c'est  la  série  des  personnes  sacrées,  ayant  la 
mission  coordonnée  de  diriger  vers  sa  fin  surnaturelle 
la  société  chrétienne.  Comme  nous  le  démontrerons 
plus  loin,  la  hiérarchie  ecclésiastique  est  consti- 
tuée en  trois  degrés,  l'épiscopat,  le  sacerdoce,  le 
diaconat. 

Il  ne  faut  pas  cependant  conclure  de  cette  triple 
désignation,  que  cette  hiérarchie  est  multiple.  Ce  serait 
une  grave  erreur.  La  hiérarchie  établie  par  Jésus- 
Christ  pour  régir  la  société  spirituelle  est  une. 

La  plénitude  du  pouvoir  repose  sur  la  têle  du  pon- 
tife romain,  vicaire  visible  du  divin  Maître,  l'évêque 
des  évêques.  Sont  aussi  d'institution  divine,  participent 
au  triple  pouvoir  de  sanctifier,  d'instruire  et  de  gou- 
verner, les  évêques  placés  sous  la  direction  du  pape. 
Enfin,  en  vertu  de  l'ordre  reçu,  les  ministres  inférieurs 
qui  ferment  la  ligne  hiérarchique  possèdent,  du  moins, 
in  actu  primo,  in  habilitate,  les  autres  pouvoirs  spiri- 
tuels. Quoique  la  collation  des  saints  ordres  soit  le 
privilège  exclusif  de  l'épiscopat,  néanmoins,  un  simple 
prêtre,  autorisé  par  le  souverain  pontife,  peut  conférer 
les  ordres  mineurs,  le  sous-diaconat,  et  certains  auteurs 
ajoutent  même,  le  diaconat.  Il  peut  de  même  conférer 
le  sacrement  de  la  confirmation,  qui  n'est  régulière- 
ment administré  que  par  l'évêque. 

Cette  unité  de  la  puissance  hiérarchique,  confiée 
éminemment  au  pape,  se  manifests  non  seulement 
dans  la  communication  du  pouvoir  de  conférer  les 
ordres  que  le  successeur  de  Pierre  peut  faire  aux  clercs 
inférieurs,  mais  encore  et  d'une  manière  plus  accen- 
tuée, dans  la  participation,  parfois  très  large,  au  gou- 
vernement ecclésiastique  qu'il  accorde  aux  clercs  infé- 
rieurs. Le  divin  fondateur  de  l'Église  a  concentré 
tout  pouvoir  juridictionnel  aux  mains  de  saint  Pierre 
et  de  ses  successeurs,  et  il  n'en  a  rattaché  aucun,  d'une 
façon  précise  et  déterminée,  aux  deux  autres  ordres 
hiérarchiques,  sacerdoce  et  diaconat.  Il  en  résulte 
qu'il  y  a  des  évêques,  des  prêtres,  des  diacres  ns  possé- 
dant aucune  juridiction.  Néanmoins,  en  vertu  du 
sacrement  de  l'ordre  qu'ils  ont  reçu,  ils  sont  tous  aptes 
à  recevoir  communication  du  pouvoir  juridictionnel. 


2363 


HIÉRARCHIE 


2364 


Le  souverain  pontife  est  juge  de  l'étendue  plus  ou 
moins  large  dont  il  les  en  fera  bénéficier,  suivant  les 
circonstances.  Aux  évêques,  dont  le  pouvoir  est  ordi- 
naire, il  assignera  telle  portion  de  la  vigne  du  Sei- 
gneur qu'il  jugera  convenable  de  leur  attribuer.  Il 
déléguera  aux  autres  membres  de  la  hiérarchie  les 
pouvoirs  opportuns.  Ainsi,  un  diacre  pourra  être  supé- 
rieur à  un  prêtre,  même  à  un  évêque,  en  vertu  du  pou- 
voir juridictionnel  que  le  chef  de  l'Église  lui  aura 
conféré.  Aujourd'hui,  les  cardinaux,  prêtres  et  diacres, 
de  l'Église  romaine,  sont  au-dessus  des  évêques,  bien 
qu'ils  ne  possèdent  ni  le  caractère  ni  le  pouvoir  épisco- 
pal. 

11  en  est  de  même  du  pouvoir  doctrinal  conféré 
au  chef  de  l'Église.  Les  membres  inférieurs  de  la  hié- 
rarchie n'ont  ni  l'autorité  ni  le  droit  d'enseigner  la 
doctrine,  qu'à  condition  de  rester  unis  au  siège  apos- 
tolique. Le  sacrement  de  l'ordre  leur  confère  bien 
l'aptitude  radicale  à  devenir  les  hérauts  de  l'Évangile, 
mais  ils  doivent  recevoir  du  pape  ou  de  l'évêque  la 
mission  et  le  droit  de  prendre  la  parole  dans  la  société 
des  fidèles.  Ainsi  le  pape  peut  inviter  un  prêtre,  un 
diacre  à  siéger  dans  un  concile  et  à  y  donner  son  suf- 
frage même  en  matière  de  foi.  Un  évêque  peut  se 
faire  remplacer  dans  un  concile  par  un  prêtre  ordi- 
naire. 

La  hiérarchie  ecclésiastique  établie  par  Notre- 
Seigneur  est  donc  à  la  fois  une  et  trine,  à  l'image  de 
l'auguste  Trinité.  C'est  un  fleuve,  dont  les  eaux,  jail- 
lissant d'une  même  source,  se  répartissent  en  trois 
canaux  qui  sillonneront  le  monde  entier  dans  tous  les 
moments  de  la  durée.  Le  sacrement  de  l'ordre  est  la 
base  essentielle  de  cette  institution  divine,  une  et  non 
multiple.  Il  confère  au  souverain  pontife  le  pouvoir 
expedilus,  législatif,  judiciaire  et  coercitif.  Comme 
aucune  précision  n'a  été  formulée  dans  l'Évangile 
pour  la  juridiction  à  attribuer  aux  autres  membres, 
le  chef  souverain  de  l'Église  en  fait   la  répartition. 

Bref,  la  hiérarchie  se  définit  :  Ordo  sacrarum  in 
Ecclesia  personarum  quibus  sacrœ alicujus  functionis  ex 
u/Jicio  excrcendœ  poleslas  commiltilUT,  Les  Conférences 
d'Angers  disent  de  même  :  «  La  hiérarchie  est  une 
principauté  ou  magistrature  spirituelle,  composée 
de  divers  ordres  de  ministres,  subordonnés  les  uns 
aux  autres,  que  Jésus-Christ  a  instituée  pour  le 
gouvernement  et  le  service  de  son  Église.  »  Conf.  I, 
q.  ii,  édit.  de  1830,  p.  14. 

Le  Codex  juris  canoniei  pose  très  clairement  l'exi- 
stence et  les  degrés  de  la  hiérarchie  ecclésiastique,  en 
disant  des  clercs  :  Non  sunt  omnes  in  codem  gradu, 
sed  inlcr  eos  sacra  hierarchia  est  in  qua  alii  aliis  subor- 
dinaniuT.  Ex  divina  institulione,  sacra  hierarchia  ratione 
ordinis  eonslal  cpiscopis,  presbytcris  et  ministris  ;  ratione 
jurisdiclionis,  pontificatu  supremo  et  episcopatu  subor- 
dinato  ;  ex  Ecclesiw  aulem  institulione  alii  quoque  gradus 
accessere.  Can.  108,  §  2,  3. 

IL  Origines.  —  Divers  systèmes  ont  été  formulés 
pour  rendre  raison  du  développement  historique  de 
la  hiérarchie  ecclésiastique,  dès  le  début  du  christia- 
nisme. Un  premier  système  prétend  que  la  hiérarchie 
nouvelle  prit  pour  cadre  les  institutions  judaïques. 
Un  second  veut  que  l'organisation  cultuelle  des  Ro- 
mains ait  servi  de  base  à  son  expansion.  Un  troisième 
enfin  trouve,  dans  la  manière  dont  elle  s'est  répandue, 
les  éléments  qui  appartiennent  aux  deux  organisations, 
judaïque  et  romaine. 

let  système.  —  La  législation  juive  comptait,  en  effet, 
une  hiérarchie  composée  du  grand-prêtre,  des  prêtres 
et  des  lévites.  Ces  titres  et  les  fonctions  de  ces  ministres 
étaient  déterminés  par  la  loi  mosaïque.  Depuis  le 
retour  de  la  captivité  de  Babylone,  chaque  localité 
possédait  sa  synagogue,  ou  lieu  de  la  prière  et  de  l'en- 
seignement  des   scribes.    La   nation   avait   aussi   son 


sanhédrin,  ou  grand  conseil,  qui  siégeait  dans  la  capi- 
tale, à  Jérusalem.  En  outre,  un  sanhédrin  inférieur, 
composé  de  vingt-trois  juges  ou  arbitres,  était  constitué 
dans  les  villes  d'une  certaine  importance,  même  dans 
les  provinces  situées  en  dehors  de  la  Judée.  Enfin, 
un  petit  sanhédrin  fonctionnait,  pour  l'administration 
de  la  justice,  dans  les  moindres  agglomérations. 
Le  grand  sanhédrin  étendait  sa  juridiction  sur  tous  les 
autres  consails.  Le  grand-prêtre  le  présidait.  Les  sanhé- 
drins des  villes  importantes  étaient  placés  sous  la 
direction  de  maîtres  ou  rabbins,  appelés  plus  tard 
primati  et  didascali.  Après  la  ruine  de  Jérusalem,  le 
titre  de  patriarche  fut  conféré  au  chef  suprême  de  la 
nation  établi  à  Tibériade.  Parmi  les  primats,  ou  grands 
chefs  provinciaux,  ceux  d'Antioche  et  d'Alexandrie 
auraient  eu,  prétend-on,  une  autorité  plus  considérable 
à  raison  du  chiffre  élevé  de  population  juive  que  ces 
communautés   comptaient. 

Ce  système  hiérarchique  aurait  servi,  en  substance, 
de  modèle  à  l'organisation  des  pouvoirs  juridictionnels 
de  la  société  chrétienne.  Jésus-Christ,  lui-même,  en 
aurait  posé  les  bases,  en  confiant  autorité  aux  évêques, 
aux  prêtres  et  aux  diacres.  Les  Églises  de  Jérusalem, 
d'Antioche  et  d'Alexandrie  continuèrent,  sous  le  nou- 
veau régime,  à  jouir  du  prestige  qui  leur  était  précé- 
demment attribué.  Aussi,  concluent  les  partisans  de  ce 
système,  l'organisation  des  Églises  chrétiennes  se 
fit  d'après  les  grandes  lignes  de  l'organisation  de  la 
Synagogue.  La  société  mosaïque  étant  la  préparation 
des  institutions  chrétiennes,  rien  d'étonnant  que  la 
hiérarchie  nouvelle  ait  été  calquée  sur  l'ancienne. 
C'est  un  fait  providentiel. 

Bacchini,  De  ecclesiastieiB  hiérarchise  originibus,  Disser- 
tatio;  Grotius,  In  Act.,  vi  ;  Basnage,  Histoire  des  juifs, 
1.  VI,  c.  iv,  §  10;  Blanc,  Cours  d'histoire  ecclésiastique, 
Paris,  t.  i,  leçon  xlviii. 

2e  système.  —  L'évolulion  de  la  hiérarchie  catho- 
lique a  suivi  les  linéaments  de  l'organisation  romaine. 
En  effet,  la  constitution  des  Romains  possédait  un 
grand-pontife,  ponlifex  maximus,  qui  avait  la  préé- 
minence sur  tous  les  autres  ministres  du  culte  national. 
En  outre,  il  existe  une  grande  similitude  entre  l'organi- 
sation politique  de  l'empire  et  celle  des  centres  primi- 
tifs de  la  juridiction  ecclésiastique.  Les  tableaux 
descriptifs  rédigés  depuis  Constantin  le  démontrent. 
Les  Romains  avaient  divisé  l'univers  conquis  en  pro- 
vinces: leprœses  provinciœ,  représentant  de  l'empereur, 
tenait  tribunal  dans  les  grandes  cités,  dites  métropoles. 
11  recevait  ses  directions  de  Rome,  centre  de  l'unité  de 
tout  l'empire. 

Les  partisans  du  premier  système  ne  contestent  pas 
le  fait  de  l'adaptation  des  limites  juridictionnelles  de 
l'Église  à  celles  des  circonscriptions  civiles.  Néanmoins, 
ils  maintiennent  leur  opinion,  en  établissant  que  la 
hiérarchie  des  sièges  épiscopaux  et  des  juridictions 
était  empruntée  à  l'organisation  religieuse  hébraïque. 
Enfin,  ils  démontrent,  en  citant  à  l'appui  des  faits 
historiques,  que  l'Église  ne  se  faisait  pas  une  loi  de 
s'astreindre  à  la  ligne  de  démarcation  politique  des 
provinces  de  l'empire.  Souvent  les  papes  ont  agi  indé- 
pendamment de  ces  délimitations  civiles,  lorsque  le 
bien  des  âmes  et  l'expansion  évangélique  en  manifes- 
taient la  nécessité  ou  la  convenance.  Néanmoins,  le 
sentiment  contraire  a  prévalu. 

Bennetis,  Privil.  S.  Pétri,  t.  iv,  p.  107;  Cabassut,  Notitia 
Eccles.,  dissert.  XIV,  De  prov.  eccles.,  p.  51. 

■3e  système.  —  Il  tend  à  concilier  les  deux  opinions 
précédentes,  en  utilisant  leurs  données,  pour  les  fondre 
dans  une  unité  harmonique.  Il  relève,  dans  le  progrès 
de  la  hiérarchie  chrétienne,  l'influence  des  institutions 
juives  et  romaines,  en  proportions  équivalentes. 


2365 


HIERARCHIE 


2366 


Sans  doute,  les  adhérents  de  cette  opinion  admettent, 
comme  les  précédents,  que  l'Église  n'avait  nul  besoin, 
pour  le  succès  de  sa  propagation,  de  s'adapter  aux 
formes  politiques  des  institutions  profanes.  L'assistance 
divine  devait  suppléer  à  toute  faiblesse  humaine. 
Néanmoins,  l'action  providentielle  met  fréquemment 
en  jeu  les  causes  secondes.  Sous  l'inspiration  divine, 
les  apôtres  adoptèrent  un  type  d'organisation  ayant 
déjà  fait  ses  preuves  :  ils  tinrent  compte  de  l'ordre  de 
choses  existant. 

Ils  empruntèrent  à  l'organisation  mosaïque  la  pra- 
tique d'établissement  de  grands  centres  d'influence. 
Les  sanhédrins,  dont  l'autorité  dominait  dans  les 
grandes  cités,  leur  servirent  de  modèle.  Les  évêques 
furent  installés  dans  les  agglomérations  nombreuses, 
d'où  leur  prestige  rayonnait  sur  les  populations  envi- 
ronnantes. Le  centre  d'unité  évangélique  succédait  au 
centre  d'unité  mosaïque.  Une  nouvelle  organisation 
était  substituée  simplement  à  l'ancienne,  destinée  à 
disparaître. 

Par  ailleurs,  la  circonscription  romaine  fournit  les 
éléments  géographiques  de  la  hiérarchie  chrétienne. 
Des  prélats  furent  institués  dans  les  chefs-lieux  pro- 
vinciaux, avec  autorité  de  centraliser  les  églises  d'un 
rang  inférieur.  C'étaient  les  églises-mères,  les  églises 
métropolitaines,  installées  sur  le  plan  des  chefs-lieux 
des  provinces  civiles.  Ce  fut  au  point  que  le  concile 
d'Antioche,  en  l'an  341,  établit  en  principe  que  les 
évêques  d'une  même  province  devaient  reconnaître 
la  prééminence  de  celui  qui  occupait  le  siège  de  la 
métropole.  Canon  9.  Hefele,  Histoire  des  conciles, 
trad.  Leclercq,  Paris,  1907,  t.  i  b,  p.  717. 

Les  traditions  pontificales  antiques,  citées  par  le 
pseudo-Isidore,  confirment  ces  faits.  Pierre,  rappor- 
tent-elles, adopta  la  hiérarchie  du  culte  païen.  11 
institua  des  patriarches  et  des  primats  dans  les  grandes 
villes  où  siégeaient  les  pontifes  du  paganisme,  primi 
flamines,  puis,  dans  les  métropoles,  des  prélats  appelés 
archevêques,  à  la  place  des  archi- flamines;  enfin,  de 
simples  évêques,  dans  les  cités  de  moindre  importance. 
Dans  cet  ordre  d'idées,  on  érigea  d'abord  les  trois 
patriarcats,  dits  métropoles  royales,  de  Rome,  d'An- 
tioche et  d'Alexandrie;  plus  tard,  ceux  de  Constanti- 
nople  et  de  Jérusalem.  Dans  le  cours  des  siècles,  divers 
autres  sièges  épiscopaux  ont  ou  obtenu  ou  usurpé  le 
titre  de  patriarcats.  Mais  ces  dénominations  ne  répon- 
daient plus  aux  exigences  de  l'épanouissement  de 
l'Église.  Issues  des  contingences  historiques,  elles 
n'ont  eu  qu'une  durée  éphémère,  une  valeur  nominale. 

Eupoli,  Prielectiones  juris  ecclesiastici,  t.  Il,  p.  206; 
Berardi,  Comment,  in  jus  ecclesiasticum,  t.  i,  p.  102  sq.  ; 
Philipps,  Du  droit  ecclésiastique,  t.  n,  1.  LXVIII,  p.  18; 
Bianchi,  Délia  potesla  e  délia  politia  délia  Chiesa,  t.  iv, 
p.  17  sq. 

Pour  la  mise  au  point  de  ce  qu'il  peut  y  avoir  de  vrai 
et  d'historique  dans  ces  trois  systèmes,  touchant  l'orga- 
nisation de  la  hiérarchie  catholique  et  la  formation  des 
circonscriptions  ecclésiastiques,  voir  Duchesne,  Origines 
du  culte  chrétien,  Paris,  1889,  p.  1-14;  Diction,  d'arcli. 
chrét.  et  de  liturgie,  t.  îv,  col.  1212  sq.  Cf.  P.  Batifïol,  La 
paix constantinienne  et  le  caf/io/icisme,  Paris,  1914,  p.  114-121. 

III.  DÉMONSTRATION  DE  LA  HIÉRARCHIE  CATHO- 
LIQUE. —  Nonobstant  la  réalité  et  le  caractère  impo- 
sant des  considérations  historiques  et  doctrinales  que 
nous  venons  d'indiquer,  les  hérétiques  ont  effronté- 
ment nié  l'existence  de  la  hiérarchie  catholique. 
1°  Méconnaissant  la  nature,  l'action,  le  but  final  de 
l'institution  hiérarchique  de  l'Église,  les  sectes  protes- 
tantes ont  prétendu  qu'elle  était  invisible,  comme 
l'Église  elle-même.  Elles  oubliaient  qu'elle  avait  pour 
objet  l'instruction  et  la  sanctification  de  l'homme; 
que  ce  dernier  possède  deux  éléments  constitutifs, 
le  corps  et  l'âme,  la  matière  et  l'esprit,  auxquels  il 


fallait  s'adresser.  Par  ailleurs,  l'homme  ne  pénètre 
dans  le  domaine  des  connaissances  que  par  le  moyen 
d'organes  sensibles,  par  l'étude  des  objets  matériels. 
Aussi,  les  sacrements  ne  sont  que  les  signes  sensibles 
de  la  grâce  invisible;  la  prédication  n'est  que  le  véhi- 
cule de  la  doctrine  surnaturelle.  Dans  l'économie 
divine,  tout  est  donc  admirablement  adapté  à  l'orga- 
nisme humain.  Il  n'en  est  pas  autrement  de  la  hiérar- 
chie chrétienne.  Organisée  pour  régir  les  fidèles  par  la 
législation  appropriée  aux  fins  dernières,  pour  exercer 
la  juridiction  et  ramener  les  délinquants  dans  la  voie 
droite,  elle  ne  pouvait  être  que  visible  à  tous,  de 
sorte  qu'il  soit  plus  difficile  ce  l'ignorer  que  de  la 
connaître. 

Aussi  Jésus-Christ  a  établi  son  Église  sous  la  forme 
d'une  société  organisée:  il  l'appelle,  royaume,  cité, 
bercail,  vigne,  lumière  brillante.  Or  un  royaume  exige  un 
chef  suprême  qui  concentre  les  forces  dispersées,  et  les 
oriente  vers  le  but.  La  cité  implique  la  notion  du  gou- 
verneur; le  bercail  appelle  le  pasteur  conduisant  le 
troupeau;  la  vigne  a  absolument  besoin  du  vigneron, 
qui  la  cultive  et  la  préserve;  la  lumière  est  placée  sur 
le  candélabre  pour  qu'elle  puisse  rayonner.  Matth., 
v,  15;  xx,  1;  xni,  11-44. 

Jésus  a  conféré  à  ses  apôtres  le  droit  de  parler, 
et  a  ordonné  aux  fidèles  d'obéir  :  Qui  vos  audit  me 
audit;  et  qui  vos  spernit  me  spernit.  Luc.,  x,  16.  Il  y  a 
donc  dans  l'Église,  de  par  institution  divine,  une  auto- 
rité ayant  mission  d'instruire  et  de  régir  les  autres; 
des  hommes  préposés  à  la  garde  des  clefs  du  ciel, 
chargés  de  diriger  les  brebis  et  les  agneaux  constituant 
le  troupeau  du  Seigneur.  Or  là  où  se  trouvent  des 
chefs  constitués  en  dignité,  et  des  subordonnés  tenus 
à  la  déférence,  il  y  a  hiérarchie. 

Saint  Paul  ne  fait  que  constater  cette  disposition 
divine,  lorsqu'il  écrit  aux  Corinthiens,  I  Cor.,  xn,. 
28  :  Le  Maître  a  institué  dans  son  Église,  d'abord  les 
apôtres,  deuxièmement  les  prophètes,  troisièmement 
les  docteurs...  Qui  croira  que  tous  dans  l'Église  sont 
apôtres?  tous  prophètes?  tous  docteurs?  Dans  sa 
lettre  aux  Éphésiens,  îv,  11,  il  revient  sur  ce  point, 
avec  une  insistance  significative  :  «  Il  nous  a  donné 
des  apôtres  et  aussi  des  prophètes  et  aussi  des  évan- 
gélistes,  et  enfin  des  pasteurs  et  des  docteurs,  afin  de 
compléter  le  nombre  des  saints  par  l'œuvre  de  leur 
ministère  achevant  ainsi  la  formation  du  corps  du 
Christ.  » 

2°  Sans  doute,  au  point  de  vue  du  salut,  il  n'existe 
aucune  différence  entre  les  membres  de  l'Église  : 
tous  sont  appelés  à  la  sanctification  et  à  la  glorifica- 
tion. Ainsi,  Grecs  et  Romains,  civilisés  et  barbares, 
hommes  et  enfants,  vieillards  et  jeunes  gens  consti- 
tuent le  sacerdoce  royal,  l'héritage  du  Dieu  rédemp- 
teur. Néanmoins  cette  société  accuse  des  inégalités  de 
situation,  des  différences  de  droits,  des  variétés  de 
devoirs  et  de  fonctions.  L'enseignement  des  Pères 
et.  des  docteurs  n'a  pas  varié  à  ce  sujet  :  ils  ont  unani- 
mement admis  les  degrés  hiérarchiques  établis  si  clai- 
rement par  le  Christ.  D'après  eux,  rien  n'est  si  clair 
dans  l'Évangile  que  les  paroles  établissant  cette  orga- 
nisation, si  ce  n'est  les  termes  formulant  la  présence 
réelle  dans  le  sacrement  de  l'eucharistie.  Les  évêques 
ayant  Pierre  à  leur  tête,  comme  confirmateur  de  ses 
frères,  comme  gardien  des  clefs  du  ciel;  les  prêtres, 
appelés  à  exercer  leur  ministère  de  salut  sous  cette 
direction  autorisée;  enfin,  les  collaborateurs  inférieurs, 
participant  au  sacrement  de  l'ordre,  voilà  la  doctrine 
immuablement  enseignée. 

Dans  sa  session  XXIIIe,  c.  iv,  can.  6,  le  concile  de 
Trente  a  défini  cet  enseignement  et  frappé  d'anathème 
le  système  des  novateurs  :  Si  quis  dixerit,  in  Ecclesia 
catholica,  non  esse  hierarchiam,  divina  ordinatione 
instilutam,    quœ    constat    ex    episcopis,    presbyteris    et 


2367 


HIERARCHIE 


2368 


ministris,  anathcma  sit.  Denzingcr-Bannwart,  Enchi- 
ridion,  n.  966. 

De  nos  jours,  le  concile  du  Vatican  a  solennellement 
proclamé  la  doctrine  traditionnelle,  par  l'organe  de 
Pie  IX.  s  énonçant  dans  la  constitution  Paslor seternus, 
promulguée  le  18  juillet  1870.   lbid.,  n.    1821. 

3°  Comme  conséquence  immédiate  de  cet  exposé 
de  principe,  on  voit  ce  qu'il  faut  penser  du  système 
amorphe  des  anabaptistes,  quakers  et  séparatistes. 
Ils  a<  nul  lent  la  convenance,  l'utilité  même,  de  la 
hiérarchie,  ainsi  établie  dans  l'Église  catholique.  Mais 
ils  ne  veulent  pas  en  admettre  la  nécessité.  Ils  font 
abstraction  des  propositions  impératives  consignées 
dans  les  saintes  Écritures,  de  l'interprétation  tradi- 
tionnelle, inaltérablement  reproduite  dans  l'enseigne- 
ment public  de  l'Église. 

En  fait,  ils  oublient  que  les  passions  humaines, 
toujours  impatientes  du  joug,  ont  continuellement 
besoin  d'être  soumises  au  frein,  à  une  puissante  auto- 
rité qui  les  maîtrise  et  les  rappelle  à  la  ligne  du  devoir. 
Ces  considérations  seront  mises  en  plus  grand  relief 
dans  la  réfutation  des  erreurs  suivantes. 

IV.  Exposition  et  réfutation  des  erreurs.  — 
Les  erreurs  contraires  à  la  hiérarchie  catholique 
peuvent  se  ranger  sous  cinq  titres. 

11  y  a  des  sectes  protestantes  qui  rejettent  la  dis- 
tinction des  clercs  et  des  laïques  :  elles  réclament 
parité  entre  eux. 

D'après  les  protestants,  le  Christ  n'a  pas  établi  un 
sacerdoce  distinct  et  visible  :  tous  les  fidèles  sont 
prêtres  en  vertu  de  leur  baptême.  Ils  peuvent  prêcher, 
consacrer,  administier  tous  les  sacrements.  Seulement 
ils  ne  sauraient  exercer  ces  pouvoirs  qu'en  vertu  de 
la  délégation  populaire,  indispensable  à  l'exercice  de 
leur  juridiction,  comme  à  leur  élection.  Selon  ce 
concept,  le  système  démocratique  est  en  vigueur  dans 
l'Église. 

En  retour,  certains  schismatiques  admettent  l'insti- 
tution hiérarchique;  mais  ils  nient  obstinément  que 
la  primauté  de  juridiction  ait  été  conférée  à  saint 
Pierre  et  à  ses  successeurs. 

Les  partisans  de  Richer,  de  Fébronius,  De  statu 
Ecclcsiœ,  §  5,  6,  admettent  l'institution  hiérarchique 
et  l'établissement  de  la  primauté.  Seulement,  ils  ne 
veulent  pas  que  Pierre,  le  collège  des  apôtres  et  le 
corps  épiscopal  soient  les  dépositaires  de  l'autorité 
suprême.  D'après  eux  aussi,  le  bénéficiaire  direct, 
immédiat  du  pouvoir  spirituel,  c'est  la  société  des 
fidèles,  transmettant  aux  papes  et  aux  évêques  délé- 
gation juridictionnelle. 

De  l'énoncé  de  ce  système  à  son  adoption  par  les 
régaliens,  il  n'y  avait  qu'un  pas.  Il  fut  vite  franchi. 
Les  légalistes  proclament  en  effet  la  subordination  du 
pouvoir  spirituel  à  la  souveraineté  civile. 

Enfin,  quelques  hérétiques  appliquent  un  système 
d'évolution  historique  à  l'établissement  de  la  hiérar- 
chie dans  l'Église. 

1°  Dijjérence  entre  clercs  et  fidèles.  —  1.  Comment 
expliquer  autrement  l'acte  de  Jésus-Christ,  faisant 
choix  de  douze  apôtres  parmi  tous  ses  disciples  et 
leur  disant  :  Allez  aux  brebis  d'Israël;  prêchez-leur 
le  royaume  de  Dieu:  ce  que  vous  ayez  gratuitement 
reçu,  donnez-le  gratuitement?  Matth.,  x,  1;  Mare., 
m,  13;  Luc,  vi,  13.  Saint  Pierre  proclame  à  son  tour 
qu'il  a  reçu  mission  d'instruire  le  peuple:  Prœcepit 
nobis  prœdicare  populo  et  testifleari,  etc.  Act.,  x,  41. 
Saint  Paul  explique  la  différence  entre  apôtres  et 
peuples,  par  la  comparaison  des  membres  du  corps 
humain,  parmi  lesquels  existe  une  subordination  par- 
faite pour  le  bien  de  tout  l'organisme.  I  Cor.,  xn, 
12-30.  Voir  col.  225-226.  Il  est  inutile  de  répéter  les 
textes  cités  plus  haut,  affirmant  le  caractère  hiérar- 
chique de  l'Église  catholique. 


2.  Les  Constitutions  apostoliques  formulent  éner- 
giquement  cette  règle,  1.  II,  c.  xl  :  Neque  œquum  est, 
o  episcope,  ut  lu  qui  capul  es,  assenliaris  caudse,  id  est. 
laico,  sed  Deo  soli.  Elles  continuent  en  précisant  la 
situation  :  «  11  t'appartient  de  diriger  tes  subordonnés 
et  de  ne  pas  te  laisser  dominer  par  eux.  De  droit  natu- 
rel, ce  n'est  pas  le  fils  qui  commande  au  père  1  »  Que 
peuvent  opposer  les  protestants  à  des  principes  scriptu- 
raires,  traditionnels,  aussi  précis? 

3.  Ils  s'emparent  de  quelques  textes  isolés  et  les  in- 
terprètent en  un  sens  absolument  contraire  à  d'autres 
textes  catégoriques,  retenus  par  renseignement  univer- 
sel, comme  déclarations  décisives  de  l'inégalité  des 
membres  de  l'Église,  établie  d'ordre  divin.  Ainsi,  ils 
prétendent  que  toute  distinction  a  été  nivelée,  selon  ces 
paroles  :  Et  ponam...  universos  filios  luos  doctos  a 
Domino,  Is.,  lv,  13  ;  Et  non  docebit  ultra  vir  proximurn 
suum  cl  vir  fralretn  suum,  dicens  :  Cognosce  Dominum  ! 
Omnes  enim  cognoscent  me  a  minimo  eorum,  usque  ad 
maximum,  Jer.,  xxxi,  34;  Vos  unelionem  habelis  a 
Sancto  et  nostis  omnia....  non  necesse  habelis  ut  aliquis 
doceat  vos,  sed  sicut  unclio  ejus  docel  vos  de  omnibus 
L  Joa.,  n,  20,  27. 

11  n'est  pas  malaisé  de  ramener  ces  paroles  au  sens 
de  l'enseignement  traditionnel,  sans  faire  aucune 
violence  à  leur  portée  naturelle,  en  se  conformant  aux 
règles  de  la  saine  exégèse.  En  effet,  elles  indiquent  que 
les  fidèles  sont  éclairés  par  Dieu  :  rien  de  plus  juste. 
Mais  il  s'agit  de  préciser  le  procédé  choisi  par  le  ciel  à 
cet  effet.  Dieu  a  instruit  les  hommes,  d'abord  par  le 
Verbe  incarné  qui  a  révélé  toute  doctrine.  Puis,  il  a 
établi  le  ministère  apostolique  pour  répandre  l'ensei- 
gnement divin  à  travers  les  nations,  l'Église,  assistée 
de  son  Esprit,  pour  maintenir  dans  le  temps  l'intégrité 
des  doctrines  surnaturelles.  De  telle  sorte  que,  selon  la 
règle  énoncée  par  saint  Augustin,  la  parole  matérielle 
frappe  les  oreilles;  mais  le  maître  infuse  la  conviction 
dans  les  cœurs.  Sonus  verborum  noslrorum  dures 
perculit;  magister  inlus  est...  Admonere  possumus  per 
slrepilum  vocis  nostrse  :  si  non  sit  intus  qui  docel, 
inanis  fit  strepilus  nosler. 

2°  Négation  de  la  primauté  de  saint  Pierre  par  les 
schismatiques.  —  La  doctrine  catholique  enseigne  d'une 
façon  irréfragable  que  le  Christ  a  établi  une  autorité 
centrale,  souveraine,  à  laquelle  seraient  soumis  tous 
les  autres  pouvoirs  préposés  à  l'administration  par- 
tielle de  l'Église.  Ce  chef  suprême  a  été  divinement  et 
nommément  désigné;  c'est  l'apôtre  saint  Pierre,  dont 
les  successeurs,  pontifes  romains,  hériteront  de  la 
même  primauté,  sans  aucune  restriction.  Voir  Pape. 

1.  Contre  cette  thèse,  à  laquelle  souscrivent  les  fidèles 
de  tous  les  siècles,  les  schismatiques  objectent  le  texte 
de  saint  Paul  aux  Corinthiens,  I  Cor.,  m,  28,  et  celui 
aux  Éphésiens,  iv,  11-12:  Et  ipse  (Chrislus)  dédit 
quosdam  quidem  aposlolos,  quosdam  autem  prophelas. 
alios  vero  evangelislas,  alios  autem  paslorcs,  cl 
doctores,ad  consummationém  sanctorum  in  opus  minis- 
terii  in  œdificalionem  r.orporis  Chrisli.  Or,  en  tout 
cela,  disent-ils,  il  n'y  a  pas  trace  de  cette  prétendue 
primauté  d'un  apôtre. 

L'objection  est  vaine  et  inopérante.  En  effet,  saint 
Paul,  en  énumérant  tous  les  ministères,  n'a  eu  pour 
but  que  d'indiquer  aux  Corinthiens  et  aux  Éphésiens 
quelques-uns  des  dons  que  le  Christ  a  voulu  leur 
octroyer,  alin  de  faciliter  leur  salut.  Si  l'assertion  des 
adversaires  était  fondée,  il  résulterait  une  contradiction 
monstrueuse  entre  la  doctrine  du  Maître  et  celle  du 
disciple,  le  premier,  établissant  catégoriquement  un 
chef  du  collèce  apostolique,  le  second,  sapant  cette 
suprématie. 

2.  Ils  se  font  une  arme  de  l'opposition  de  saint  Paul 
à  saint  Pierre  :  Cum  autem  venisset  Cephas  Antio- 
chiam,  in  facicm  ei  resisti,  quia  reprehensibilis  eral... 


2369 


HIERARCHIE 


2370 


Dixi  Cephœ  coram  omnibus  :  Si  tu,  cum  judœus  sis, 
gentiliter  vivis  et  non  juclaice,  quomodo  gentes  cogis 
judaizare?  Gai.,  n,  11.  Cet  argument,  chaque  fois 
réfuté,  est  renouvelé  des  gnostiques,  des  marcionites, 
de  Porphyre  et  de  Julien  l'Apostat.  11  n'en  vaut  pas 
mieux  pour  cela.  C'est  un  parrainage  plus  que  suspect. 
Quand  a-t-on  vu  qu'une  observation,  présentée  en 
toute  déférence  par  un  inférieur  à  son  supérieur, 
annihile  les  droits  de  ce  dernier?  Mais  saint  Paul  était, 
comme  Pierre,  apôtre  de  Jésus-Christ.  Gai.,  n,  7,  8. 
Il  serait  étrange  d'attribuer  cette  conséquence  à  ses 
paroles,  d'autant  que  l'apôtre  des  gentils  avait  reconnu 
l'autorité  de  Pierre  en  le  visitant  à  Jérusalem.  Gai., 
i,18 

Par  ailleurs,  il  n'y  eut  pas,  entre  les  deux  apôtres, 
conflit  de  juridiction.  La  discussion,  aussi  vive  qu'elle 
ait  pu  être,  portait  simplement  sur  la  conduite  prudente 
à  tenir  à  l'égard  de  populations  mélangées,  attachées  à 
leurs  observances  antiques.  Gai.,  n,  12,  13.  Les  avis 
pouvaient  différer.  Saint  Pierre  put  s'incliner  devant 
les  reproches  que  Paul  lui  fit  publiquement,  sans  perdre 
son  autorité  doctrinale.  11  ne  s'agissait  que  d'une 
question  de  discipline. 

3.  Les  ennemis  de  la  primauté  romaineontenfm  voulu 
tirer  parti  de  certaines  expressions  des  Pères,  concer- 
nant l'égalité  des  apôtres.  Bornons-nous,  sur  ce  point, 
aux  observations  suivantes.  Aucun  Père  de  l'Église 
n'a  contesté  ni  mis  en  doute  les  prérogatives  conférées 
à  saint  Pierre  et  si  nettement  consignées  dans  l'Évan- 
gile. Lorsque,  ce  principe  une  fois  établi,  ils  ont  noté 
des  points  de  comparaison  entre  les  divers  apôtres, 
ils  ont  admis  leur  égalité  à  d'autres  titres  :  par  exemple, 
à  l'égard  de  la  mission  directement  reçue  de  Jésus- 
Christ,  du  charisme  de  l'infaillibilité  personnelle  com- 
muniqué à  chacun,  du  droit  de  prêcher  l'Évangile  en 
t  ous  lieux,  d'exercer  une  juridiction  universelle,  d'établir 
des  églises  dans  toutes  les  régions.  Toutes  ces  préro- 
gatives, communes  aux  apôtres,  ont  disparu  avec  eux. 
Elles  n'ont  survécu  que  dans  les  successeurs  de  saint 
Pierre.  Voir  t.  i,  col.  1654-1656.  Cette  distinction 
fondamentale  a  été  toujours  maintenue  par  tous 
les  écrivains  ecclésiastiques  qui  ont  professé  la  saine 
doctrine  traditionnelle.  La  subordination  des  autres 
apôtres  à  l'autorité  de  saint  Pierre  n'a  pas  été  contestée 
par  eux  et  ne  pouvait  l'être. 

Enfin,  si  le  principat  du  premier  vicaire  du  Christ 
n'a  pas  toujours  été  mis  en  relief,  comme  il  l'est 
aujourd'hui,  il  y  avait  à  cela  une  raison  majeure.  Au 
début  de  la  fondation  de  l'Église,  à  raison  des  grandes 
et  nombreuses  prérogatives  conférées  à  chacun  des 
apôtres,  l'autorité  du  chef  principal  n'avait  pas  et  ne 
pouvait  pas  avoir  occasion  fréquente  de  s'exercer. 
C'est  au  sortir  de  cette  période  inaugurale  que  les 
auteurs  ont  eu  surtout  à  déterminer  d'une  façon 
précise  le  caractère  de  la  supériorité  du  souverain 
pontificat. 

3°  Les  partisans  de  Richcr  admettent,  en  principe, 
l'existence  de  la  primauté,  mais  ils  l'attribuent,  non 
au  pontife  romain,  mais  comme  directement  commise 
à  la  société  des  fidèles.  De  telle  sorte  que  les  chels 
catholiques  ne  seraient  que  les  délégués  de  la  commu- 
nauté, incapable  d'exercer  par  elle-même  la  juridiction 
qui  lui  a  été  remise.  C'est  le  système  démocratique, 
transporté  dans  le  domaine  religieux.  Cette  théorie 
heurte    de  front  l'enseignement  traditionnel. 

Lorsque  Pierre  confessa  la  divinité  de  Jésus- 
Christ,  le  fit-il  sur  les  instances  de  ses  frères?  Il  est 
impossible  de  le  soutenir.  Les  apôtres,  interrogés  par  le 
divin  Maître,  énoncèrent  les  avis  différents  de  leurs 
contemporains  sur  la  personne  de  Jésus  :  pour  les  uns, 
il  était  Jean-Baptiste,  pour  les  autres  Élie,  pour  les 
autres  Jérémie,  ou  l'un  des  prophètes.  Mais,  eux,  qu'en 
pensaient-ils?  Les  autres  apôtres  se  taisrient,  et  Pierre, 

DÏCT.   DE    THÊOL.    CATH. 


prenant  seul  la  parole,  proclama  que  Jésus  était  le 
Christ,  fils  du  Dieu  vivant.  Matth.,  xvi,  13-16.  Cette 
réponse    toute    spontanée    de    Pierre    fut-elle    faite, 
comme  on  le  prétend,  au  nom  des  autres  apôtres  et 
exprime-t-elle  leur  pensée?  Le  récit  de  saint  Matthieu 
ne  garde  aucune  trace  d'une  entente  préalable  aboutis- 
sant à  une  délégation  des  apôtres.  Les  autres  gardent  le 
silence;  Pierre,  seul,  exprime  son  sentiment  personnel. 
Aussi,  le  divin  Maître  le  loue  seul  :  «  Tu  es  bienheureux, 
Simon,  fils  de  Jona,  »  et  il  lui  déclare  :  Ce  n'est  pas  la 
chair  et  le  sang,  c'est-à-dire  ni  l'influence  ni  l'autorité  des 
hommes,  tes  frères,  tes  amis,  tes  collègues,  qui  ont 
provoqué  ta  réponse,  mais  c'est  mon  Père  du  ciel  qui  te 
l'a  révélée.  Matth.,  xvi,  13.  Et  Jésus  part  de  là  pour 
annoncer  à  Pierre  qu'il  sera  le  fondement  de  son  Église  : 
Tu  es  Petrus  et  super  hanc  petram  œdi/icabo  ecclesiam 
mcam...  Et    tibi    </a#b  claves  regni    cœlorum.  Matth., 
xvi,  18-19.  Cette  déclaration  et  les  autres  qu'on  lit  dans 
l'Évangile,  Luc.,  xxn,  32,  sont  des  attributions  person- 
nelles   exclusivement    propres  à  saint  Pierre.   Notre- 
Seigneur  n'y  fait  aucune  part  à  une  action  populaire, 
à  une  intervention  quelconque.  Jésus  confère  à  son 
apôtre  plein  pouvoir  législatif,  judiciaire  et  coercitif. 
Sans    doute,    indépendamment    de    ces    promesses 
personnelles,  indiquant  le  chef,  Jésus-Christ  a  aussi 
conféré  au   collège   apostolique   des   pouvoirs   et   des 
prérogatives  :  Sicut  misit  me  Pater  et  ego  millo  vos... 
quœcumque   ligcwcrilis   super  terram  crunl  lig<Ua  et  in 
cselo...   Joa.,   xx,  21.  Mais  Pierre  était  présent  dans  le 
groupe   apostolique.   Les   apôtres   n'ont  reçu  aucune 
prérogative  à  laquelle  n'aurait  participé  celui  d'entre 
eux   qui    d'ailleurs    avait   été  spécialement   favorisé. 
Saint  Beimrd  disait    donc    avec  raiso:i  :  Commiltens 
uni,    unilatem  commendat    in    uno     grege    cl   in  uno 
pastore.  De  consideralione,  1.  II, c.  vin,  P.  L.,  t.  clxxxii, 
col.     752.    Les     anciennes    erreurs,    contraires    à   la 
primauté  de  Pierre,  ayant  eu  leur   répercussion    jus- 
qu'à nos  jours,  ont  été  toujours  anathématisées. 

Marsile  de  Padoue,  au  début  du  xive  siècle,  soute- 
nait les  propositions  les  plus  subversives  en  son  ouvrage 
Dc/ensor  pacis.  Le  peuple  est  le  dépositaire  du  pouvoir; 
les  évêques  et  les  prêtres  tiennent  de  lui  leurs  droits. 
Voir  t.  vi,  col.  1110.  Saint  Pierre  n'a  pas  reçu  plus 
d'autorité  que  les  autres  apôtres  et  le  Christ  ne  l'a  pas 
constitué  le  chef  de  l'Église  ni  établi  son  vicaire; 
l'empereur  peut  corriger,  instituer  et  punir  le  pape; 
tous  les  prêtres,  pape,  archevêque  ou  simple  prêtre, 
sont,  de  par  l'institution  du  Christ,  égaux  en  autoiité 
et  en  juridiction.  Ces  propositions,  contraires  à  lÉcri- 
ture  et  à  la  foi  catholique,  ont  été  condamnées  par 
Jean  XXII  le  23  octobre  1327.  Denzinger-Bantrwart, 
n.  496-498. 

Au  xvie  siècle,  Luther  accueillit  ces  idées  avec 
enthousiasme.  Ni  pape,  ni  évêque,  ni  autre  homme 
quelconque,  disait-il,  n'a  droit  d'imposer  au  chrétien 
même  une  syllabe.  Au  siècle  suivant,  Marc-Antoine  de 
Dominis  établit  en  principe  que  le  consentement  des 
laïques  était  aussi  indispensable  que  celui  des  ecclé- 
siastiques pour  confirmer  un  dogme.  Voir  t.  iv, 
col.  1670-1671. 

Richer  émit  à  son  tour  les  propositions  suivantes 
dans  son  traité  De  ecclesiastica  et  polilica  polestale,  en 
1611  :  Le  Christ,  en  établissant  l'Église,  a  confié 
immédiatement  et  essentiellement  le  pouvoir  de 
juridiction  plutôt  au  corps  des  fidèles  qu'à  saint 
Pierre  et  aux  autres  apôtres.  Comme  conséquence, 
les  évêques  et  les  pontifes  romains  ne  sont  que  les 
mandataires  et  les  ministres  du  peuple,  comme  les 
yeux  sont  les  organes  du  corps.  Le  pouvoir  infaillible 
des  clefs  a  été  remis  à  la  communauté,  et  non  à  saint 
Pierre,  comme  on  l'assure  à  faux.  Voir  t.  vi,  col.  1112. 
La  Constitution  civile  du  clergé  voulut  aussi  implan- 
ter ces  pratiques  en  France.  D'après  elle,  les  évêques 

VI.   -  75 


2371 


HIERARCHIE 


2372 


et  les  curés  devaient  être  élus  par  le  suffrage  populaire, 
source  unique  du  pouvoir  religieux  et  ciyil. 

En  1848,  Mgr  Alïre,  archevêque  de  Paris,  con- 
damna une  semblable  erreur,  reproduite  dans  le 
journal  Le  Bien  social  en  ces  termes  :  «  Le  peuple 
catholique  est  électeur  souverain  des  dignitaires  de  la 
foi.  l'rop.  2.  »  «  C'est  à  la  voix  du  peuple,  au  jugement 
de  Dieu,  qu'il  faut  en  appeler,  pour  l'organisation 
future  de  la  hiérarchie  sacerdotale.  Une  pareille  amé- 
lioration serait  un  retour  à  la  constitution  primitive 
de  l'Église.  Prop.  4.  » 

Le  23  mai  1874  la  S.  C.  du  Concile  a  dû  porter  une 
excommunication  spécialement  réservée  contre  les 
prêtres  des  provinces  ecclésiastiques  et  patriarcales  de 
Venise  et  de  la  métropole  de  Milan,  qui,  élus  curés  ou 
\  icaires  au  scrutin  populaire,  osai  'nt  prendre  possession 
des  églises,  des  biens  ou  droits  ainsi  offerts,  et  exercer 
dans  ces  conditions  le  saint  ministère.  D'après  nombre 
d'auteurs,  cette  censure  s'étendait  à  la  catholicité  en- 
tière: elle  n'était,  en  effet,  que  l'application  à  un  cas  par- 
ticulier de  l'art.  C  de  la  constitution  Apostolicœ  sedis, 
frappant  d'excommunication  ceux  qui  portent  obstacle 
à  l'exercice  de  la  juridiction  ecclésiastique,  et  de 
l'art.  11.  visant  les  usurpateurs  de  la  juridiction  des 
biens  et   des  revenus  appartenant  aux  clercs. 

Enfin,  le  4  août  de  la  même  année,  la  S.  Pénite  icerie 
promulgua  l'excommunication  spécialement  réservée 
contre  les  membres  des  sociétés  dites  catholiques, 
fondées  pour  la  revendication  des  droits  du  peuple 
pour  l'élection  du  pape.  Cette  sanction  comprenait 
tous  ceux  qui  participaient  aux  actes  de  ces  sociétés 
d'une  façon  quelconque.  C'était  là  une  suite  des  infil- 
trations protestantes,  se  multipliant  en  tous  lieux,  à 
la  faveur  du  suffrage  universel,  que  les  sectes  voudraient 
établir  comme  origine  de  tous  les  droits.  Mais,  comme 
nous  l'avons  démontre,  les  principes  sur  lesquels  est 
basée  la  hiérarchie  ecclésiastique  sont  d'ordre  divin. 
Rien  ne  saurait  prévaloir  contre  eux.  L'Église  fait 
siennes  les  paroles  que  s'appliquait  saint  Paul,  avec 
une  légitime  fierté  :  Paulus  apostolus,  non  ab  hominibus, 
neque  per  hominem,  sed  per  Jcsum  Christum  et  Deum 
Patrem.  Gai.,  i,  1. 

Le  Codex  juris  canonici  a  fixé  en  ces  termes  l'ori- 
gine de  la  hiérarchie  ecclésiastique  :  Qui  in  ecclesia- 
sticam  hicrarchiam  cooplanlur,  non  ex  populi  vel  po- 
leslalis  sxcularis  consensu  aul  vocationc  adlegunlur  : 
sed  in  gradibus  poleslalis  o  dinis  conslituuniur  sacra 
ordinatione;  in  supremo  pontificeda,  ipsemel  jure  divino, 
adimplela  condilione  légitimée  electionis  ejusdemque 
acceplalionis  ;  in  reliquis  gradibus  jurisdiclionis,  cano- 
nica  missione.  Can.  109. 

A  cet  exposé  de  principes,  on  a  voulu  encore,  à  notre 
époque  d'engouement  pour  le  référendum  populaire, 
opposer  la  conduite  et  les  paroles  des  apôtres,  à  l'occa- 
sion de  l'élection  des  diacres,  Act.,  vi,l-6;xi,  4,  surtout 
l'invitation  adressée  par  saint  Pierre  aux  '  fidèles  : 
Considerate  ergo,  fralres,  viros  ex  vobis  boni  teslimonii 
sepiem..w.  quos  constituamus  super  hoc  opus. 

Mais  l'inspection  du  contexte  suffit  à  démontrer 
l'erreur  d'interprétation  de  nos  adversaires.  Le  peuple 
est  appelé,  ici,  à  désigner  ceux  qui  lui  paraissent 
dignes  par  leur  foi,  leur  moralité,  la  dignité  de  leur  vie, 
d'entrer  en  collaboration  avec  les  apôtres  surchargés 
de  besognes  secondaires.  Les  fidèles  de  Jérusalem  . 
qui  les  connaissent  sont  invités  à  rendre  témoignage 
à  ces  hommes  d'élite.  Mais  ils  ne  doivent  pas  les  consti- 
tuer en  dignité;  les  apôtres  eux-mêmes  les  institueront 
à  la  suite  de  cette  présentation  :  quos  constituamus 
super  hoc  opus.  C'est  ce  que  fait  ressortir,  avec  la  tradi- 
tion ininterrompue  de  l'Église,  le  docte  Bellarmin,  De 
summo  pontifice,  1.  I,  c.  vi  :  Populus  non  ordiwwil 
unquam,  neque  creavit  ministros,  neque  tribuit  Mis 
unquam  potcstalem,  sed  nominavil  solum  et  designavit, 


sive,  ut  veteres  loquuntur,  postulavit  eos  quos  ab  apostolis 
per  manus  imposilionem  ordinari  cupiebal.  Saint  Cy- 
prien  avait  déclaré,  déjà  d'une  façon  incisive:  Apostolos, 
td  est  episcopos  et  pfepositos,  Dominus  elegit,  diaconos 
aul  m  po^l  a  cc:i>ionem  Domini  in  ciehs  aposloli  sibi 
conslitucrunt,  episcopalus  S-ii  et  Ecclesiœ  miùsbos. 
EptsL,  m,  édit.  Hartel,  Vienne,  1S71,  t.  m,  p,  471. 

Le  principe  hiérarchique  et  le  droit  de  direction 
ainsi  sauvegardés,  il  ne  faut  cependant  pas  mécon- 
naître l'utilité  de  l'action  des  laïques,  circonscrite  dans 
les  limites  requises.  Parfois  leur  intervention  est  très 
bien  venue'  et  ne  saurait  qu'être  encouragée.  Ils  ont 
droit,  et  jusqu'à  certain  point  devoir,  de  défendre  les 
dogmes,  la  discipline,  les  rites  de  l'Église  contre  les 
assauts  des  incrédules. 

A  notre  époque,  l'autorité  ecclésiastique  ne  peut  que 
les  encourager  à  mettre  en  lumière  les  droits  du  sou- 
verain pontife,  des  évêques  et  du  clergé,  à  la  direction 
des  fidèles.  Connaissant  les  préjugés,  les  sophismes  qui 
ont  cours  dam  le  monde,  ils  peuvent  les  réfuter  avec 
grande  compétence  et  par  des  arguments  appropriés 
aux  divers  milieux. 

Dans  l'antiquité,  les  Athénagore,  les  Justin,  les 
Arnobe,  etc.,  ont  rendu  à  l'Église  d'éminents  services. 
De  nos  jours,  les  noms  des  apologistes  laïques,  des 
Joseph  de  Maistre,  des  de  Bonald,  des  Chateaubriand, 
des  Le  Play,  des  Veuillot,  etc.,  sont  sur  toutes  les 
lèvres. 

Les  conciles  provinciaux  tenus  en  France,  vers  le 
milieu  du  xixe  siècle,  recommandent  au  respect  des 
catholiques  les  écrivains  fidèles,  tout  en  traçant  à  ces 
derniers  la  ligne  de  conduite  qu'ils  ont  à  tenir,  en 
sauvegardant  les  droits  de  l'autorité  hiérarchique, 
entre  autres,  le  concile  de  Paris  en  1848,  celui  d'Avi- 
gnon en  1849,  celui  d'Amiens  en  1853.  Cf.  Mgr  Guérin, 
Les  conciles,  t.  in. 

Pie  IX  résume  cet  enseignement  dans  son  ency- 
clique du  21  mars  1853,  adressée  aux  évêques  de 
France  :  Vos  vehemenlcr  excitamus,  ne  inlermillatis 
viros  ingenio,  sanaque  doclrina  prœsianles  exhorlari,  ut 
viri  ipsi  opporluna  scripta  in  lucem  edant,  quibus  et 
populorum  mentes  illuslrare  et  serpentium  errorum  tene- 
bras  dissipare  contendant...  illos  viros  omni  benevo- 
lenlia  et  favore  prosequi  velitis,  qui  catholico  spirilu 
animati  ac  litleris  et  disciplinis  exculti,  libros  istinc  et 
ephemerides  conscribere  typisque  mandare  curant.  Dans 
l'encyclique  Providenlissimus  Dcus  du  18  novembre 
1893,  Léon  XIII  souhaite  aussi  que  les  savants  catho- 
liques utilisent  leurs  talents  à  la  défense  des  Livres 
saints  et  qu'il  se  forme  des  associations  qui  subven- 
tionnent les  spécialistes  travaillant  au  progrès  des 
études  scripturaires.  J.Didiot,  Traité  de  la  sainte  Écri- 
ture, Paris,  1894,  p.  59-61,  133-135,  229-230. 

Il  est  parfaitement  loisible  aux  laïques  de  prendre 
parti,  selon  leurs  préférences,  dans  les  questions  que 
l'Église  n'a  pas  tranchées,  d'adopter,  dans  les  discus- 
sions d'histoire,  des  sciences  diverses,  des  solutions 
qui  ne  portent  pas  ombrage  à  la  vérité  révélée.  Mais, 
même  en  ces  circonstances,  les  souverains  pontifes 
demandent  à  ces  écrivains  de  ne  se  départir  pas  des 
règles  de  déférence,  de  modération  et  de  charité  qui 
doivent  rester  en  honneur  parmi  les  chrétiens.  Cohi- 
beatur  scriplorum  licentia,  qui,  ut  aiebat  Auguslinus, 
senlenliam  suam  amantes  non  quia  vera  est,  sed  quia 
sua  est,  aliorum  opiniones  non  modo  improbanl,  sed 
illibcraliler  etiam  notant  alqu  ■  traducunt.  Benoît  XIV, 
const.  Sollicita. 

Enfin,  les  laïques  ne  sauraient,  en  conscience,  sou- 
lever des  débats  irritants  concernant  les  questions  de 
foi  ou  de  discipline  ecclésiastique  :  ces  sortes  de  diffi- 
cultés doivent  être  résolues  par  les  chefs  hiérarchiques. 
Le  devoir  des  laïques  est  de  déférer  à  ces  directions 
autorisées.  Dans  tous  les  cas,  les  écrivains  catholiques 


2373 


HIERARCHIE 


2374 


devront  incessamment  avoir  l'œil  ouvert  sur  les  actes   | 
•du   saint-siège   et  de  l'épiscopat.  La  prudence  chré- 
tienne leur  en  fait  un  devoir. 

4°Sijstcmes  régaliens,  destructifs  de  la  hiérarchie  divine. 
—  Il  y  a  trois  degrés  dans  l'erreur  des  régalistes  attri- 
buant juridiction  ecclésiastique  aux  princes  séculiers. 

Les  anglicans,  tout  en  reconnaissant  l'origine  divine 
de  l'épiscopat,  ne  lui  accordent  aucun  pouvoir,  même 
spirituel.  C'est,  d'après  eux,  l'autorité  civile  dont  les 
évoques  sont  mandataires  qui  leur  délègue  la  juridic- 
tion, dont  elle  seule  est  exclusivement  nantie. 

Le  synode  de  Pistoie  (1786),  les  joséphistes,  de  nom- 
breux juristes,  les  auteurs  de  la  Constitution  civile 
du  clergé,  des  articles  organiques,  accordent  à  l'Église 
la  faculté  de  réglementer  les  question-,  purement  spiri- 
tuelles; mais  ils  revendiquent  pour  le  pouvoir  civil  le 
droit  exel'  sif  de  connaître  des  questions  mixtes. 

Enfin,  1  •  rtalia,  Dupin  et  leur  école  n'excluent  pas 
absolument  l'Église  du  règlement  des  affaires  mixtes; 
mais  dans  les  conflits  survenus  à  ce  sujet, ils  n'hésitent 
pas  à  réclamer  pour  l'État  la  prédominance  et  la  souve- 
raineté. Cette  autorité,  disent-ils,  revient  au  prince  qui 
exerce  ainsi  le  noble  rôle  de  défenseur  des  canons  sacrés, 
de  protecteur  de  l'Église,  d'évêque  du  dehors,  à  l'instar 
des  Constantin,  des  Théodose,  des  saint  Louis.  Sur  ces 
traditions  reposaient  le  droit  du  parlement  de  refuser 
l'enregistrement  des  bulles  pontificales,  les  appels 
comme  d'abus,  l'exemption  du  roi  et  de  ses  ml;  istres 
des  censures  ecclésiastiques,  la  faculté  d'intervenir 
dans  les  conciles,  la  liturgie  et  les  règles  disciplinaires. 
Aux  chefs  de  l'Église  est  simplement  reconnue  la 
faculté  d'adresser  au  chef  de  l'État  d'humbles  remon- 
trances, des  réclamations  n'ayant  aucune  valeur  juri- 
dique, à  raison  de  l'indépendance  suprême  du  pouvoir 
séculier  On  le  voit,  c'est  le  bouleversement  complet 
de  la  hiérarchie  sacrée,  la  méconnaissance  radicale  des 
fins  surnaturelles  pour  lesquelles  l'Église  a  été  établie 
«n  société  indépendante,  sous  la  direction  de  l'Esprit- 
Saint.  Voilà  le  motif  pour  lequel  les  pouvoirs  séculiers 
ne  peuvent  se  prévaloir  d'aucun  droit  sur  les  choses 
spirituelles  :  telles  que  la  foi,  l'administration  des 
sacrements,  l'exercice  de  la  juridiction  du  for  interne 
et  externe,  etc. 

Les  déclarations  des  souverains  pontifes,  les  protes- 
tations séculaires  du  saint-siège  dans  tous  les  cas 
d'empiétement  de  1  État,  son  attitude  constante 
démontrent  son  irréfragable  droit.  Déjà  au  ve  siècle, 
saint  Gélase  écrivait  à  l'empereur  Anastase:  Duo  sunt, 
imperator  auguste,  quibus  principaliter  mundus  hic 
regilur  :  auctorilas  sacra  pontificum  et  regalis  polestas. 
Episi.,  vin,  P.  L.,  t.  lix,  col.  42. 

Osius  de  Cordoue  adressait  à  l'empereur  Constance 
ces  paroles  dans  une  letlre  que  saint  Athanase  a 
citée,  en  son  Histoi  e  des  arlms  aux  moi'ies,  n.  44  : 
Ne  rébus  misceas  ecclcsiasticis ;  neque  nobis  in  hoc 
génère  prœcipc;  sed  polius  ea  a  nobis  disce.  Tibi  Deus 
imperium  commisil;  nobis,  quse  sunt  Ecclesise  concre- 
didil.Quemadmodum  qui  tibi  imperium  subripil,contra- 
dicit  ordinationi  divinœ;  ita  et  tu  cave,  ne  quse  sunt 
Ecclesiœ,  ad  le  trahens,  magno  crimini  obnoxius  fias. 
Date,  scriptum  est,  quse  sunt  Csesaris  Csesari,  et  qux 
sunt  Dci  Dco.  P.  G.,  t.  xxv,  col.  745. 

Les  formules  qui  ont  revendiqué  l'indépendance 
du  magistère  spirituel  à  l'égard  du  pouvoir  civil  sont 
tellement  nombreuses  et  concordantes,  qu'on  pourrait 
en  former  des  volumes.  Pour  ne  rien  dire  des  autres  dé- 
clarations contemporaines  du  saint-siège,  Pie  X  a  con- 
firmé cet  enseignement  par  le  refus  clairvoyant  des 
cultuelles,  qui  tendaient  à  transmettre  aux  tribunaux 
séculiers  l'autorité  que  l'Église  a  constamment  reven- 
diquée sur  les  personnes  et  les  choses  sacrées. 

Institution  immédiatement  créée  et  organisée  par 
Dieu  lui-même,  pour  la  réalisation  des  fins  surnatu- 


relles de  l'homme,  on  ne  saurait  l'assujé'ir  aux  puis- 
sances civiles  qui  n'ont  pour  but  direct  que  l'acquisi- 
tion de->  avantages  temporels. 

Les  conséquences  qui  résulteraient  de  ce  système 
suffiraient  à  elles  seules  pour  le  faire  rejeter. 

En  effet,  saint  Pierre  a  reçu  le  pouvoir  de  lier  et  de 
délier,  avec  promesse  de  ratification  dans  le  ciel.  Or, 
combien  de  fois  ne  se  présenterait  pas  celte  anomalie  : 
ce  que  l'Église  et  Dieu  auraient  lié  serait  délié  par 
César;  ce  qui  aurait  été  délié  par  l'Église  et  Dieu  reste- 
rait lié  de  par  la  volonté  de  l'État. 

En  outre,  la  primauté  du  sùnt-siège  a  été  établie 
comme  origine  et  fondement  d'unité  de  la  société  spi- 
rituelle. Qu'adviendrait-il  si  elle  était  subordonnée 
aux  puissances  civiles  ?  Celles-ci  sont  nombreuses, 
diverses  et  souvent  opposées  entre  elles.  Il  en  résulte- 
rait que  l'Église,  ainsi  rendue  serve,  devrait  changer 
sa  législation,  ses  règles  des  mœurs,  son  symbole,  sui- 
vant le  caprice  des  princes.  Elle  devrait  épouser  de 
force  leurs  querelles,  au  grand  détriment  des  règles 
invariables  de  la  doctrine  et  des  principes  stables  de  la 
morale.  Aucune  unité  de  vue  et  de  direction  ne  pour- 
rait subsister.  Il  y  aurait  dans  l'Église  autant  de  sou- 
verainetés que  d'empires.  Les  princes  hérétiques, 
schismatiques,  juifs,  excommuniés  feraient  la  loi  aux 
fidèles,  selon  leurs  convenances. 

On  objecte  à  cette  doctrine  la  conduite  des  empe- 
reurs chrétiens  des  premiers  âges.  Ces  derniers  rece- 
vaient les  appels  faits  à  leur  tribunal,  même  des  juge- 
ments pontificaux;  ils  convoquaient  les  conciles  où  se 
rendaient  les  papes. 

Ces  faits  s'expliquent  à  la  lumière  de  l'histoire. 
Quelques  princes  ont,  il  est  vrai,  usurpé  ces  droits  qui 
ne  leur  appartenaient  pas.  D'autres  furent  induits  en 
erreur  par  les  hérétiques,  ou  même  ils  appartenaient 
aux  sectes  ennemies.  Jamais  l'Église  n'a  manqué  de 
protester  en  ces  circonstances. 

Si  les  empereurs  chrétiens  ont  pris  quelquefois  l'ini- 
tiative de  convoquer  des  conciles,  ils  n'ont  fait  que  la 
convocation  matérielle,  sans  jamais  songer  à  conférer 
l'autorité  spirituelle,  toujours  réservée  au  pontife 
romain.  Les  papes  et  les  évêques  avaient  besoin,  sur- 
tout dans  ces  époques  troublées,  de  la  force  publique 
pour  écarter  les  obstacles  qui  s'opposaient  à  l'exercice 
de  leurs  droits  hiérarchiques.  Les  subsides  leur  étaient 
indispensables  pour  leurs  réunions,  les  saufs-conduits 
devaient  être  accordés  pour  franchir  en  sécurité  de 
longs  espaces,  des  territoires  dangereux.  Rien  d'éton- 
nant de  voir  les  princes  séculiers  promulguer  les 
décrets  de  convocation  des  conciles  et  les  sanctionner. 
Voir  t.  m,  col.  644-653.  Pour  les  abus  que  ces  souve- 
rains pouvaient  commettre,  en  s'autorisant  de  cer- 
tains textes  de  l'Ancien  Testament,  voici  la  réponse 
faite  à  l'empereur  Constance,  qui  se  réclamait  d'un 
texte  du  Deutéronome,  xvm,  9  :  Vous  déclarez  que  le 
fidèle  serviteur  de  Dieu,  Moïse,  imposa  des  prescrip- 
tions aux  prêtres  du  Seigneur.  Puisque  vous  voulez  en 
faire  autant,  démontrez  donc  que  vous  avez  été,  vous 
aussi,  établi  par  le  Seigneur,  comme  notre  juge, 
maître  de  nous  imposer  les  ordres  du  démon  votre 
allié.  Vous  ne  pourrez  le  prouver;  loin  d'être  établi 
pour  commander  aux  évêques,  vous  leur  devez  obéis- 
sance. Si  vous  étiez  surpris  violant  leurs  ordonnances, 
vous  devriez  être  frappé  de  mort.  Lucifer  de  Cagliari, 
Pro  Athanasio,  ad  Constantium,  1.  I,  P.  L.,  t.  xin, 
col.  82f. 

On  voit  par  là  encore  de  quelle  façon  précise  il  faut 
entendre  ces  paroles  de  Constantin,  dont  les  régalistes 
ont  voulu  abuser  :  Le  prince  est  l'évêque  du  dehors  I 
Si  l'on  veut  dire  que  le  roi  doit  aider  l'Église  dans 
l'application  de  ses  lois  salutaires,  dans  la  résistance 
qu'elle  doit  opposer  aux  erreurs  envahissantes,  aux 
coups  portés  par  l'hérésie,  rien  de  plus  vrai.  Ces',  dans 


HIERARCHIE 


2376 


ce  sens  que  parlait  Constantin,  lorsqu'il  prononça 
ces  expressions  dans  un  repas  auquel  il  avait  convié  les 
évoques,  Eusèbe,  De  vita  Constantini,  1.  IV,  c.  xxiv, 
P.  G.,  t.  xx,  col.  Il'i2  :  Vos  quidem,  inquil,  in  Us,  quœ 
Ecclcsiœ  inlra  sunt,  cpiscopi  eslis.  Ego  vero  in  Us  quœ 
extra  gcrunlur.  La  signification  de  ces  paroles  est 
parfaitement  déterminée.  L'autorité,  la  valeur  des 
décrets  ecclésiastiques  provient  des  évêques;  le  prince 
les  appuie  de  tout  son  pouvoir,  pour  le  plus  grand  bien 
du  peuple.  Les  titres  de  rector  Ecclcsiœ,  rector  verse 
religionis,  conférés  par  certains  conciles  à  Charle- 
magne,  n'ont  et  ne  peuvent  avoir  une  autre  portée. 
C'est  ainsi  que  des  princes  chrétiens  ont  retiré  des 
décrets  publics,  quand  on  leur  faisait  comprendre 
qu'ils  étaient  contraires  aux  lois  ou  à  la  tradition 
ecclésiastiques. 

C'était  l'époque  où  saint  Léon  le  Grand  pouvait 
écrire  aux  puissants  de  la  terre,  qu'ils  étaient  consti- 
tués en  autorité  pour  aider  l'Église  :  Dcbes  incunc- 
tanter  aelvertcre  regiam  polcstatem  tibi,  non  ad  solum 
mundi  regimen,  sed  maxime  ad  Ecclcsiœ  prœsidium  esse 
collatam,  ut,  ausus  nejarios  comprimendo,  et  quœ  bene 
sunt  stcdula  defendas  et  veram  pacem  lus  quœ  sunt 
turbaia,  restituas.  Epist.,  clvi,  c.  m,  P.  L.,  t.  liv, 
col.  1130. 

Quant  à  l'affhmation  de  l'archevêque  parisien  de 
Marca,  Conccrdia  sacerdotii  et  imperii,  1.  Vil,  c.  n, 
que  les  empereurs  avaient  autorité  pour  la  revision 
des  jugements  pontificaux,  voir  t.  vi,  col.  1112-1113, 
c'est  une  pure  invention.  Loin  d'être  appuyée  sur  des 
preuves  rationnelles  ou  historiques,  cette  opinion  est 
dénuée  de  toute  valeur  et  rejetée  unanimement  par 
les  écoles  catholiques.  Nul  n'ignore  que,  bien  souvent, 
les  souverains  pontifes  ont  lutté  énergiquement  contre 
les  princes  séculiers,  pour  le  maintien  des  lois  ecclésias- 
tiques et  la  sauvegarde  de  leur  autorité. 

A  mesure  que  l'Église  fait  justice  des  procédés  du 
laïcisme  tyrannique,  qui  troublait  sa  hiérarchie  et 
l'exercice  de  son  autorité,  les  juristes  et  les  politiques 
multiplient  leurs  essais  d'empiétement  sur  la  liberté 
de  l'Église,  tout  en  proclamant  que  cette  dernière 
attente  sur  les  droits  de  la  souveraineté  civile.  Voir 
t.  vi,  col.  1124-1131.  De  ces  prétentions  ont  surgi  le  pla- 
cilum  regiumetl'exequatur.  Au  nom  de  ces  prétendus 
droits,  le  pouvoir  civil  croit  être  en  mesure  d'autoriser 
ou  d'interdire  la  publication  des  actes  pontificaux, 
d'empêcher  les  nominations  du  saint-siège  de  sortir 
leurs  effets  dans  le  royaume. 

Jamais,  jusqu'au  xv°  siècle,  on  n'avait  entendu  dire 
qu'un  représentant  de  l'autorité  civile  eût  porté  sem- 
blable atteinte  aux  prérogatives  du  pouvoir  religieux. 
Voir  t.  vi,  col.  1131-1135.  Les  rescrits  pontificaux,  les 
décrets  conciliaires  avaient  toujours  été  promulgués 
dans  le  monde  chrétien  sans  soulever  les  ombrages 
d'une  politique  jakuse.  Zaccaria,  Comandi  qui  puo, 
ubbidisca  qui  deve,  etc.,  Faenza,  1788,  p.  183. 

L'Église  a  toujours  repoussé  le  principe  de  ces  actes 
si  contraires  à  l'indépendance  du  saint-siège.  Pie  VI 
emprunte  le  texte  de  la  Déclaration  du  clergé  de 
France  de  lYnnée  1765  pour  réprouver  ces  abus  du 
pouvoir  civil  :  Minime  indigetis  regia  auciorilate 
ad  evulgandam,  ta.nqu.am  rcgulam  sanctœ  apostolicœ 
sedis,  responsioncm  in  re  merc  spirituali.  Novœ  hœ 
litterir,  19  mars  1792.  A.  Theiner,  Documents  irédils 
relalijs  aux  afl aires  de  la  Fiai  c  ,  J7»<>  à  J8vo,  Paris.. 
1857,  t.  I,  p.  132. 

Lorsque  l'Église  a  accepté  parfois  cette  formalité, 
dite  d'enregistrement  des  bulles,  par  suite  de  concor- 
dats, ou  d'entente  mutuelle,  ce  n'a  jamais  été  comme 
reconnaissance  des  droits  du  temporel  sur  la  hiérarchie 
spirituelle.  Elle  voulait  seulement  donner  plus  de 
solennité,  assurer  une  efficacité  plus  grande  à  ses 
propres  ordonnances. 


5°  Système  de  l'évolution  de  la  hiérarchie  dans  l'Église. 
—  Ces  théories  commencèrent  à  se  faire  jour  au  temps 
de  la  Réforme,  elles  furent  successivement  adoptées 
dans  les  divers  consistoires  protestants.  Prenons 
l'énoncé  de  Guizot,  le  représentant  le  plus  autorisé 
de  cette  école.  Histoire  de  la  législation  en  Europe, 
leçon  ii,  p.  46. 

Au  début,  il  regarde  la  société  chrétienne  comme 
une  simple  réunion  ayant  communauté  d'idées  et  de 
convictions.  Aucune  trace  d'organisation  hiérarchique 
ne  s'y  manifeste.  Dans  la  suite  cependant,  une  corpo- 
ration populaire  se  forme,  disciplinée,  rangée  sous 
l'action  de  magistrats  élus  par  l'assemblée.  Comme 
troisième  période,  l'illustre  historien  relève  la  distinc- 
tion plus  accentuée  des  prêtres  et  des  laïque-,  l'éta- 
blissement d'une  juridiction  complète,  une  magis- 
trature bien  assise.  11  assigne  enfin  le  xic  siè  'e,  dominé 
par  l'influence  de  Grégoire  VII,  comme  'e  point  de 
départ  de  .ce  qu'il  appelle  l'état  théocratique  et  monar- 
chique de  l'Église.  Guizot  trouve  même  l'explication 
des  variations  des  Églises  protestantes  dans  les  évo- 
lutions qu'il  attribue  à  l'élaboration  de  la  hiérarchie 
catholique.  Le  presbytérianisme,  l'indépendantisme,  le 
saccrdotalisme,  Y épiscopalisme,  etc.,  ont  été  les  phases 
variées  par  lesquelles  a  passé,  dit-il,  l'institution  chré- 
tienne. 

C'est  là  une  pure  illusion,  un  mirage  historique. 
L'auteur  évoque,  à  l'appui  de  cette  mouvante  théo- 
rie, des  preuves  d'imagination,  des  affirmations 
audacieuses,  presque  inconscientes.  Il  commence 
froidement  par  dénier  toute  valeur  aux  promesses 
si  péremptoires  de  Jésus-Christ  à  son  fondé  de  pouvoir, 
à  saint  Pierre.  «  Il  ne  faut  pas  prendre  ces  expressions 
à  la  lettre  :  il  ne  faut  pas  croire  que  le  pape  possédât 
dans  toute  sa  grandeur  le  pouvoir  qu'elles  lui 
attribuent.  »  Histoire  de  la  législation  en  France, 
p.  27.  Voilà  la  p  issante  exégèse  destin 'e  à  para- 
lyser les  oracles  évangéliques,  les  traditions  s  cu- 
laires.  à  réfuter  l'enseignement  de  l'Église  dans  tous 
les  temps  et  dans  tous  les  lieux,  à  réduire  à  néant 
l'existence  d'une  société  basée  sur  cette  organisation 
hiérarchique  que  tous  les  siècles  ont  reconnue  et 
acclamée. 

L'abbé  Gorini,  dans  son  ouvrage  si  consciencieux, 
Défense  de  l'Église  contre  les  erreurs  historiques  de 
MM.  Guizot,  Augustin  cl  Amédée  Thierry,  etc.,  3e  édit., 
t.  t,  a  relevé  les  erreurs  et  les  contradictions  accu- 
mulées dans  ce  système.  Guizot  s'est  honoré  en  les 
reconnaissant  et  en  remerciant  son  correcteur. 

Ainsi,  il  affirmait,  selon  les  besoins  de  sa  thèse, 
l'existence  d'un  corps  de  doctrine  établissant  la  hié- 
rarchie; puis,  il  finissait  par  nier  ce  qu'il  avait  accordé, 
devant  l'évidence  des  documents.  Il  constatait  encore 
l'unité  et  l'universalité  essentielles  de  l'Église,  l'unifor- 
mité de  sa  doctrine.  Néanmoins,  par  suite  d'une  aber- 
ration inexplicable,  il  voulait  que  toutes  les  sectes 
protestantes,  avec  leurs  négations  contradictoires, 
leur  séparation  irréductible  du  centre  de  vérité,  appar- 
tinssent au  corps  de  l'Église,  à  cette  société  dont  elles 
désavouaient  les  dogmes  et  répudiaient  les  principes  1 

Il  préconisait  la  grandeur  et  l'utilité  de  la  hiérarchie 
catholique.  11  énumérait  les  services  sans  nombre 
qu'elle  a  rendus  à  l'humanité;  les  avantages  qu'en  ont 
retirés  durant  les  siècles  toutes  les  classes  de  la  so- 
ciété. Comme  conclusion,  il  accusait  l'Église  d'avoir 
attenté  aux  droits  de  la  liberté,  à  l'indépendance  de  la 
raison,  à  la  dignité  humaine.  Il  appelait  toutes  les  sectes 
à   la  lutte  contre  cette   Église  qu'il  faudrait  détruire. 

De  l'admission  de  ce  système  étrange,  il  résulterait 
que  l'Église  catholique,  instituée  par  le  Christ  pour  être 
la  lumière  de  la  vérité,  le  foyer  de  la  sainteté,  serait 
au  contraire  un  amalgame  de  toutes  les  erreurs,  le 
réceptacle  de  tous  les  vices  déchaînés  par  les  sectes. 


2377 


HIERARCHIE 


2378 


La  vérilé  et  le  mensonge,  le  crime  et  la  vertu 
seraient  considérés  du  même  œil  par  Dieu,  qui  cepen- 
dant est  la  justice  essentielle.  Les  ennemis  de  sa  loi,  les 
négateurs  effrontés  de  sa  divinité,  de  ses  sacrements, 
de  sa  providence,  auraient  droit  aux  mêmes  récom- 
penses que  ses  plus  fidèles  serviteurs  I 

Enfin,  l'indifférence  doctrinale  deviendrait  la  règle 
de  la  vie  humaine.  Il  ne  resterait  rien  debout,  de  l'en- 
seignement du  Christ,  de  sa  morale,  de  l'unité  de  son 
Église,  de  l'autorité  des  pasteurs.  Chacun,  selon  son 
caprice,  ses  lumières  et  ses  préférences,  se  constituerait 
un  corps  de  doctrine,  un  décalogue  rejetant  toute  autre 
autorité,  toute  hiérarchie  !  11  suffit  d'énoncer  ces  consé- 
quences logiques  de  la  théorie  ainsi  formulée  pour  en 
faire  justice. 

V.  La  hiérarchie  de  l'Église  est  monarchique. 
—  Cette  thèse  est  le  corollaire  des  précédentes  propo- 
sitions. Dès  lors  que  la  primauté  de  juridiction  se 
trouve  concentrée  en  saint  Pierre  et  ses  successeurs; 
que  la  société  des  fidèles  ne  la  possède  pas  et  ne  la 
transmet  pas;  que,  bien  moins,  la  société  civile  n'en 
dispose  nullement;  qu'elle  a  été  ainsi  organisée  par 
le  divin  fondateur,  et  non  par  les  variations  histo- 
riques qui  se  sont  succédé  dans  le  cours  des  siècles,  il 
résulte  que  le  dépositaire  visible  du  pouvoir  souverain, 
spirituel,  est  bien  un  sujet  unique,  conformément  aux 
données  évangéliques. 

Les  historiens,  comme  les  théologiens  et  les  philo- 
sophes, ont  toujours  distingué  trois  tonnes  de  gou- 
vernement :  la  forme  démocratique,  reconnaissant  au 
peuple  le  pouvoir  souverain,  qu'il  délègue  dans  cer- 
taines conditions;  la  forme  aristocratique,  confiant  la 
puissance  directrice  à  la  partie  de  la  nation  formée  par 
les  nobles,  ou  bien  les  chefs  qui  s'imposent  par  les  ser- 
vices rendus;  la  forme  monarchique,  établissant  un 
seul  chef,  dépositaire  du  pouvoir. 

Quelle  est  donc  la  constitution  choisie  parNotre- 
Seigneur  pour  son  Église?  Est-ce  la  constitution  mo- 
narchique absolue  ?  ou  bien  cette  constitution  est-elle 
tempérée  par  un  certain  mélange  des  deux  autres 
formes? 

Faisons  d'abord  remarquer  que,  toutes  ces  formes  de 
gouvernement  étant  légitimes  en  elles-mêmes,  le  Sei- 
gneur eût  pu  en  adopter  indifféremment  l'une  ou 
l'autre.  Ici  il  est  question  de  savoir  quelle  est  celle  qui 
a  obtenu  sa  préférence.  Il  ne  s'agit  pas  d'établir  ce 
dernier  point  par  les  analogies  avec  les  formes  des 
autres  gouvernements,  ou  les  résultats  divers  qu'elles 
ont  donnés  pour  la  prospérité  publique,  dans  le  cours 
des  siècles. 

Puisque  enfin  Dieu  établissait  une  société  visible, 
tous  ses  organes  devaient  apparaître  au  grand  jour  : 
partant,  le  supérieur,  élément  essentiel  de  toute  société, 
devait  être  manifesté. 

1°  Dans  les  déclarations  que  nous  avons  citées 
jusqu'ici,  comme  dans  celles  que  nous  invoquerons, 
nous  trouvons  l'indication  d'un  seul  chef,  d'un  maître 
unique. 

Dès  lors,  on  pourra  bien  admettre,  dans  ce  gouver- 
nement monarchique,  l'influence  des  éléments  aristo- 
cratiques et  démocratiques.  Ces  deux  derniers  sys- 
tèmes, comme  tels,  sont  exclus  dans  leurs  caractères 
essentiels.  Ils  ne  sauraient  coexister  formellement 
avec  le  premier.  Celui-ci  peut  leur  faire  des  emprunts 
proportionnels  :  c'est  tout.  Le  monarque  est  à  la  tête 
du  gouvernement  entier;  les  différents  pouvoirs  lui 
sont  tous  subordonnés;  il  juge  les  autres,  sans  être 
justiciable  d'aucun  d'eux.  Tous  les  membres  de  la 
société  sont  tenus  de  se  grouper  autour  de  sa  personne, 
au  nom  des  intérêts  les  plus  sacrés. 

2°  Le  gouvernement  de  l'Église  se  présente  tel,  en 
ses  principes  fondamentaux.  Nul  ne  peut  le  con- 
tester. 


Nous  avons,  en  effet,  écarté  la  forme  démocratique. 
Elle  est  d'application  impossible  dans  son  acception 
rigoureuse.  Si  on  introduit  dans  l'Église  le  système 
de  la  délégation  des  pouvoirs,  elle  est  rejetée  par  l'en- 
seignement de  tous  les  siècles;  elle  ne  trouve  pas  une 
seule  base  acceptable.  Pierre  a  reçu  le  droit  de  régir 
les  fidèles;  ces  derniers  ont  le  devoir  d'obtempérer  à 
ses  directions.  Si  par  ces  expressions  :  forme  démocra- 
tique, il  faut  entendre  la  possibilité  pour  le  fidèle  du 
dernier  échelon  de  la  société  de  s'élever  au  plus  haut 
rang  de  la  hiérarchie,  il  serait  vrai  de  dire  que  l'Église 
est  une  société  démocratique.  Mais  ces  termes  géné- 
raux, équivoques,  doivent  être  évités  :  ils  prêtent  à 
erreur.  Cette  situation  très  simple  du  fidèle  dans 
l'Église,  cette  ascension  bien  connue  de  tous  peut 
s'énoncer  en  termes  clairs  et  précis,  sans  proclamer 
que  la  hiérarchie  religieuse  est  démocratique. 

3°  Le  gouvernement  aristocratique  ne  peut  pas  non 
plus  se  concilier  formellement  avec  l'institution  divine. 
Comme  le  déclare  le  concile  du  Vatican  :  Juxla  Euan- 
gclii  testimonium  (Matth.,  xvr,  16-19)  primitum  juris- 
dictionis  in  universam  Dei  Ecclesiam,  immédiate  et 
directe,  bealo  Petro  aposlolo  promissum  a  Christo 
Domino  fuisse.  Sess.  IV,  c.  i.  Denzinger-Bannwart, 
n.  1822.  En  effet,  les  paroles  Beatus  es...  Ego  dico  tibi. 
Pater  meus  revelavit  tibi...  Ta  es  Pelrus  sont  absolu- 
ment personnelles;  elles  ne  s'adressent  pas  au  collège 
des  apôtres,  m  lis  nommement  au  chef  du  collège 
apostolique.  Jésus-Christ  ne  lui  transmît  pas  non  plus 
une  juridiction  d'honneur.  II  lui  confère  ce  pouvoir  que 
possède  la  pierre  angulaire,  destinée  à  soutenir  tout 
l'édifice,  l'Église  entière.  Par  conséquent,  les  autres 
apôtres,  qui  feront  égaleuiînt  partie  de  l'Église,  ont 
reçu  de  Pierre  leur  force,  leur  sécurité,  leur  durée. 

II  résulte  de  là  que  le  pouvoir  souverain,  immédiate- 
ment fondé  par  Jésus-Christ  dans  l'Église,  revêt  la 
forme  monarchique.  Tellement  que  les  autres  autorités 
constituées  participent  à  l'autorité  spirituelle  par  l'in- 
termédiaire de  Pierre.  Ce  dernier  ne  succède  pas  à 
Jésus-Christ,  qui  ne  meurt  pas.  Il  exerce  le  vicariat 
universel  sous  la  dépendance  du  Christ,  tandis  que 
les  autres  l'exercent  sous  la  surveillance  du  prince  des 
apôtres. 

Évidemment,  les  évêques,  princes  de  l'Église  eux 
aussi,  institués  de  droit  divin,  ne  sont  pas  les  vicaires 
du  pape,  ni  des  chefs  soumis  à  l'élection  périolique  et 
révocables  au  gré  d'un  supérieur.  Ils  administrent  leur 
diocèse  respectif,  comme  province  définitiveme  ît  con- 
fiée à  leur  sollicitude.  Voir  t.  v,  col.  1702-1703.  Néan- 
moins, selon  l'expression  de  Bellarmin,  le  véritable 
monarque,  supérieur  à  tous,  c'est  le  souverain  pontife  : 
Romanum  pontificem  esse  vere  ac  proprie  momrcham 
et  omnibus  imperal  et  nulli  subjicitur.  Dz  rommo  pon- 
lïfïce,  1.  I,  c.  m,  à  la  fin. 

Sans  doute  encore,  dans  l'administration  ordinaire 
de  l'Église,  si  délicate,  si  étendue,  si  compliquée,  le 
pape  consultera  son  sénat,  composé  du  collège  cardi- 
nalice; voir  t.  n,  col.  1722-1723;  dans  les  circonstances 
extraordinaires,  il  fera  appel  à  des  conseillers  spéciaux, 
à  des  personnages  aptes  à  lui  donner  le  concours  de 
leurs  lumières,  de  leur  expérience;  cela  se  conçoit. 
Mais  en  dernière  analyse,  la  décision  ultime  lui  appar- 
tient. Il  peut  dire  au  Seigneur  comme  saint  Pierre  : 
In  verbo  autem  tuo,  laxabo  rete.  Luc,  v,  5. 

Les  preuves  de  la  constitution  monarchique  de 
l'Église  abondent  dans  l'Écriture  et  dans  la  tra- 
dition. 

1.  Dans  l'Écriture.  —  Notre-Seigneur  compare  son 
Église  à  un  royaume,  à  un  bercail,  à  un  édifice  bâti 
sur  un  seul  fondement,  à  une  société  gouvernée  par  un 
maître,  à  une  maison  dont  un  seul  garde  la  clef,  avec 
pouvoir  d'en  ouvrir  et  d'en  fermer  les  portes.  Or,  pas 
de  royaume  sans  roi,  de  bercail  sans  un  pasteur,  de 


HIERARCHIE 


2380' 


maison  sans  un  fondement  :  toutes  choses  indiquant 
direction  unique. 

En  outre,  ce  fait  ressort  des  prérogatives  conférées 
par  le  divin  Maître  a  saint  Pierre.  Il  lui  déclare  qu'il 
sera  le  fondement  de  son  Église,  le  pasteur  suprême, 
le  gardien  des  clefs,  le  soutien  de  ses  frères.  Ces  expres- 
sions écartent  toute  idée  de  pluralité  de  direction, 
de  partage  de  pouvoir  avec  une  aristocratie  ou  une 
démocratie  quelconque. 

2.  Dans  la  tradition.  —  Les  qualificatifs  scriptu- 
raires  que  nous  venons  de  produire  se  retrouvent 
dans  les  écrils  des  Pères,  avec  indication  soit  implicite, 
soit  explicite  du  titre  de  monarchie.  Citons  simplement 
les  déclarations  les  plus  remarquables. 

Le  concile  de  Florence  a  promulgué  le  décret  suivant: 
Definimus...  pontificem  romanum...  verum  Chrisli  vica- 
rium,  lotiusque  Ecclesiee  capul  et  omnium  christiano- 
ram  paircm  ce  doclorem  existere;  et  ipsi  in  bcalo  Pctro, 
pascendi,  regendi  ac  gubernandi  universalem  Ecclcsiam 
a  Domino  noslro  Jesu  Christo  plénum  potestalem  tradi- 
tam  esse.  Decrelum  pro  Greecis,  Denzinger-Bannwart, 
n.  694.  Saint  Pierre  est  donc  la  tête,  le  père,  le  docteur, 
le  dépositaire  absolu  de  la  magistrature  suprême  de 
l'Église;  donc  il  en  est  le  véritable  monarque,  l'attribu- 
tion qui  lui  est  faite  des  prérogatives  royales  le  dé- 
montre. 

Le  concile  de  Trente  s'exprime  de  la  même  façon  : 
Pontifices  maximi,  pro  suprema  auclorilale  sibi  in  uni- 
versa  Ecclesia  tredila,  causas  aliquas  criminum  gravio- 
ns, suo  poluerunl  peculiari  judicio  reservare.  Sess.  XIX, 
c.  vu,  Denzinger-Bannwart.  n.  '.03.  Comment  l'auto- 
rité pontificale  serait-elle  suprême,  apte  à  se  réserver 
les  causes  majeures  dans  l'Église  entière,  si  elle 
ne   dominait  tout  par  le  pouvoir  monarchique? 

La  même  conclusion  ressort  des  décrets  du  concile 
du  Vatican,  entre  autres,  dans  ces  passages,  const. 
Pastor  œlernus  :  Bealum  Petrum  cseteris  aposlolis 
prœponens,  in  ipso  inslituit,  ulriusque  principium 
(fidei  et  communionis)  ac  visibile  jundamentum... 
Docemus...  primalum  jurisdictionis  in  universam  Dei 
Ecclcsiam,  immédiate  et  directe  beato  Pctro  apostolo  pro- 
missum  atque  collatum  a  Christo  Domino  fuisse  :  Unum 
enim  cui  jampridem  dixerat.Tu  vocaberisCephas...  uni 
Simoni  Petro,  contulit  Jésus,  posl  suam  resurreclionem, 
summi  pasloris  et  reeloris  jurisdictionem.  Denzinger- 
Bannwart,  n.  1821. 

Le  saint-siège  a,  d'ailleurs,  fait  d'autres  déclara- 
tions formelles  sur  ce  point  de  doctrine. 

La  faculté  de  théologie  de  Paris  avait  censuré 
comme  hérétique  et  schismalique  l'enseignement  de 
l'apostat  Marc-Antoine  de  Dominis,  affirmant  que,  dans 
l'Église,  il  n'y  avait  qu'un  seul  chef,  un  seul  monarque, 
le  Chris1;que  la  forme  monarchique  n'avait  pas  été  éta- 
blie par  le  Christ  en  son  Église.  La  contradictoire  de 
ces  propositions,  notées  hérétiques  et  sehismatiqu.es,  est 
que  la  forme  monarchique  est  dogme  de  foi  dans  l'Église. 
Pie  VI  loua  la  censure  portée  par  l'université  de  Paris. 
Bref  Super  soliditate  du  23  i  ovevibre  1786. 

Dans  ce  même  bref,  le  souverain  pontife  réprouva 
la  proposition  d'Eybel,  disant  que  chaque  évêque  possé- 
dait dans  son  diocèse  un  pouvoir  aussi  étendu  que  le 
pape  :  il  voulait  que  la  forme  républicaine  ou  la  forme 
aristocratique  fût  l'idéal  du  divin  fondateur  sous  la 
présidence  d'honneur  du  souverain  pontife.  Or,  le 
pape  excluant  ces  systèmes,  il  résulte  que  la  constitu- 
tion monarchique  reste  la  seule  forme  de  l'Église. 

Pour  les  raisons  de  convenance  du  choix  de  cette 
Sorme,  voir  Gouvernement  ecclésiastique,  t.  vi, 
col.  1532-1533. 

4°  A  cette  démonstration  on  objecte  :  les  textes 
scripturaires  qui  paraissent  établir  la  parité  absolue 
des  apôtres  :  Quicumque  non  receperit  vos,  neque  au- 
dierit  sermoncs  vestros...,  Matth.,  x,  14  ;    Ego  rogabo 


Palrem  et  alium  Paraclilim  dabit  vobis,  Joa.,  xiv,  16; 
Sicui  me  misit  Pater  cl  ego  mitto  vos...  Accipile  Spiri- 
lum  Sanelum,  Joa.,  xx,  21,  22;  Data  est  mihi  omnis 
potestas  in  cœlo  et  in  terra  :  eunles  ergo...  Mat  h.,  xxvin, 
19.  C'est  donc  à  la  collectivité,  c'est-à-dire  à  l'ensemble 
des  apôtres  et  non  à  la  personne  de  Pierre,  qu'ont  été 
conférées  les  prérogatives  de  la  puissance  souveraine. 
Interpréter  dans  ce  sens  ces  paroles  sacrées,  serait 
introduire  une  confusion  extrême  dans  l'enseignement 
catholique;  ce  serait  mettre  Jésus-Christ  en  contradic- 
tion avec  lui-même.  Comment,  en  effet,  concilier  ces 
conclusions  avec  les  déclarations  formelles  adressées 
à  Pierre  et  longuement  citées  dans  les  pages  précé- 
dentes? Il  faut  donc  ne  pas  confondre  ici  le  charisme 
de  l'apostolat,  communiqué  à  tous  les  apôtres  sans  dis- 
tinction, avec  la  supême  magistrature,  le  pouvoir  sou- 
reriin,  expressément  délégué  à  saint  Pierre,  entérines 
catégoriques. 

1.  Les  adversaires  les  plus  acharnés  de  la  suprématie 
pontificale  ont  été  obligés  de  se  rendre,  en  définitive, 
à  cette  évidence  :  tels,  Marc-Antoine  de  Dominis, 
op.  cit.,  1.  VI,  n.  2;  Quesnel,  Idée  générale  du  libelle,  e'.c, 
1705,  p.  92;  Dupin,  De  antiquœ  Ecclesias  disciplina, 
diss.  IV,  c.  i,  §  3.  Bicher,  De  rclraclalione,  déclare  qu'il 
avait  puisé  l'erreur,  contraire  à  la  primauté  aposto- 
lique, dans  les  œuvres  infectes  de  Luther  et  Calvin  : 
Hanc  propositionem  seu  potius  hseresim  ex  pulidis 
Luthcri  et  Calvini  jontibus  hausisse  non  diffiteor. 

2.  Les  adversaires  exploitent  encore  le  passage  de 
l'Écriture  où  il  est  prescrit  de  dénoncer  à  l'Église 
ceux  qui  se  montrent  réfractaires  aux  monitions  fra- 
ternelles :  Die  Ecclesise.  Matth.,  xvm,  17.  Donc, 
affirment-ils,  le  tribunal  souverain  se  trouve  dans  le 
corps  de  l'Église,  non  dans  la  personne  de  Pierre.  Par 
suite,  ce  n'est  pas  la  forme  monarchique  qui  prédo- 
mine dans  l'Église. 

La  procédure  indiquée  en  ce  passage  prouve  précisé- 
ment le  contraire.  Il  y  est  recommandé,  en  effet,  de 
recourir  au  tribunal  de  l'Église,  à  son  autorité  suprême, 
à  la  suite  des  admonitions  insl  antes  des  hommes  privés. 
Par  conséquent,  ce  n'est  pas  en  ces  derniers,  groupés 
ou  séparés,  que  se  trouve  le  pouvoir  souverain,  mais 
bien  en  celui  qui  concentre  en  ses  mains  la  juridiction 
s'étendant  à  toute  l'Église.  Le  texte  ne  fait  allusion 
aux  tentatives  bien  infructueuses  des  inférieurs  de 
tout  genre  que  pour  mettre  en  relief  la  magistrature 
suprême  destinée  à  trancher  le  débat. 

3.  Il  est  encore  dit  dans  les  Actes  des  apôtres,  xv, 
6,  22,  que  les  apôtres  et  les  anciens  se  réunirent  en 
conseil  :  Conveneruntque  apostoli  et  seniores  videre  de 
verbo  hoc.  Plus  loin,  il  est  déclaré  que  la  décision  fut 
adoptée  avec  l'agrément  des  apôtres,  des  anciens  et  de 
toute  l'assemblée  :  Placuit  apostolis  et  senioribus^  cum 
omni  Ecclesia.  Aux  débuts  de  son  existence,  l'Église 
de  Jérusalem  n'était  pas  encore  organisée  en  société 
parfaite  et  son  chef  n'exerçait  pas  encore  ses  pouvoirs 
souverains.  Du  reste,  saint  Pierre  prend  le  premier  la 
parole  pour  dirimer  une  longue  contestation  et  quand 
il  a  parlé,  chacun  se  tait. 

On  ne  saurait  nier  non  plus  que  le  chef  souverain 
dans  l'Église,  nonobstant  l'assistance  divine,  est  tenu 
de  s'entourer  de  toutes  les  lumières  humaines;  cela 
l'empèche-t-il  d'être  vraiment  monarque,  chef  suprême? 
On  n'oserait  le  soutenir.  L'assemblée  de  Jérusa- 
lem a  longtemps  passé  pour  avoir  été  le  type  des  con- 
ciles œcuméniques,  présidés  par  le  pape  ou  ses  délé- 
gués. Les  souverains  les  plus  absolus  ont  leurs  conseils, 
leurs  parlements,  leurs  députations  provinciales,  asso- 
ciés à  l'administration  générale.  Ils  restent  néanmoins 
princes,  rois  ou  empereurs.  Ainsi  en  est-il  dans  le  gou- 
vernement ecclésiastique. 

4.  Puisque  le  Christ  est  le  véritable  chef  de  l'Église, 
le  principe  de  son  unité,  la  primauté  du  pape  est  pour 


2381 


HIÉRARCHIE 


HIEROCLÈS 


2332 


le  moins  inutile.  Le  pape  ne  peut  qu'être  un  membre 
de  cette  société. 

Sans  cloute,  le  Christ  est  l'unique  chef  invisible  de 
l'Église,  la  source  unique  des  grâces  répandues  dans 
les  âmes,  le  lien  puissant  de  l'unité  sociale  de  cette 
institution.  Mais  l'Église  est  aussi  une  société  visible. 
Il  lui  faut  un  chef  qui  parle,  qui  commande,  qui  main- 
tienne les  vérités  révélées,  protège  les  lois  divines  et 
préside  à  leur  exécution.  C'est  le  rôle  dévolu  au 
vicaire  du  Christ,  nanti  à  cet  effet  de  l'autorité  suprême. 
Comme  tel,  il  est  sans  doute  membre  de  l'Église,  mais 
avec  la  prérogative  de  chef  et  tète  de  ce  corps  mystique 
de  Jésus-Christ. 

5.  La  nécessité  ce  la  primauté  de  Pierre  est  si  peu  ur- 
gente, continuent-ils,  que,  dans  bien  des  circonstances 
et  d'assez  longues  périodes,  l'Église  s'est  passée  de  pon- 
tifes romains. 

Pour  déterminer  le  caractère  constitutionnel  de 
l'Église,  il  ne  faut  pas  la  juger  d'après  les  situations 
anormales,  qui  peuvent  se  présenter  pour  elle  comme 
pour  tous  les  autres  États.  Nous  avons  démontré  que, 
dans  son  état  normal,  elle  possède  les  éléments  monar- 
chiques. Ajoutons  que,  même  dans  les  périodes  de 
trouble,  de  transition,  ou  de  vacance  du  siège,  l'Église 
vit  de  son  passé  monarchique,  et  n'a  qu'une  préoccupa- 
tion, celle  de  procéder  à  l'élection  du  souverain  pontife. 
Elle  vit  de  son  passé  monarchique.  En  effet,  l'organi- 
sation de  l'Église  conserve  sa  pérennité.  Les  constitu- 
tions pontificales  pour  l'administration  générale,  pour 
la  réunion  et  la  tenue  du  conclave  restent  en  vigueur. 
Les  évêques  conservent  l'autorité  qui  leur  a  été  trans- 
mise par  le  successeur  de  saint  Pierre.  Des  définitions 
dogmatiques  ne  peuvent  être  faites  :  ce  n'est  ni  le 
corps  des  fidèles,  ni  celui  des  pasteurs  qui  peut  les 
formuler.  Enfin,  la  seule  mission  qui  incombe  dans 
ces  occurrences  à  l'Église  dispersée  et  à  ses  légitimes 
représentants,  c'est  de  choisir  le  primat  universel,  le 
vicaire  du  Christ,  le  successeur  de  saint  Pierre,  afin 
qu'il  reprenne  les  rênes  du  gouvernement,  dans  les 
conditions  dictées  par  le  divin  fondateur. 

VI.  DÉVELCPPEMENT  DE  LA  HIÉRARCHIE  ECCLÉSIAS- 
TIQUE. —  La  hiérarchie  sacrée,  qui  existait  dans 
l'Église  selon  l'institution  divine,  est  constituée  d'évê- 
ques,  de  prêtres  et  de  ministres.  Si  quis  dixerit,  in 
Ecclesia  calholica,  non  esse  hierarchiam  divina  ordina- 
tione  inslitulam,  quœ  constat  ex  episcopis,  [>resbyteris 
et  ministris,  analhema  sit.  Concile  de  Trente,  sess.  XX 1 1 1, 
can.  6,  Denzinger-Bannwart,  n.  966. 

Ce  sont  là  les  cadres  que  l'Église  complétera,  selon 
l'exigence  des  temps,  en  vertu  des  pouvoirs  qu'elle  a 
reçus,  pour  le  plus  grand  bien  des  âmes. 

Parallèlement  à  l'organisation  essentielle  du  Christ, 
se  développe  l'organisation  historique  créée  par  l'Église. 
On  peut  considérer  ce  développement  au  double  point 
de  vue  :  1.  de  la  hiérarchie  de  l'ordre  épiscopal,  complé- 
tée par  les  créations  des  patriarcats,  des  exarchats,  des 
primats,  des  archiépiscopats  ou  métropolitains,  des 
évêques  titulaires,  des  coadjuteurs,  des  chorévêques, 
des  archimandrites,  des  prélats  nullius,  etc.;  2.  de  la 
hiérarchie  de  juridiction.  Celle-ci  comprend  des  per- 
sonnages ou  bien  des  corps  ecclésiastiques,  ayant  reçu 
des  souverains  pontifes,  au  cours  des  siècles,  pouvoir 
juridictionnel,  en  vue  du  gouvernement  de  l'Église  : 
tels  sont  les  cardinaux,  les  dicastères  romains,  les 
légats  apostoliques,  les  nonces,  les  vicaires  et  préfets 
apostoliques,  les  divers  délégués  du  saint-siège  qui, 
sous  différentes  désignations,  participent  à  l'autorité 
apostolique.  L'exposé  de  ce  double  développement  est 
d'ordre  historique.  On  en  trouvera  les  éléments  dans 
d'autres  articles  de  ce  Dictionnaire. 

L'évolution  progressive  de  la  hiérarchie  ecclésias- 
tique s'est  produite  sous  l'influence  des  temps  et  les 
nécessités    de    la    propagation    de    l'enseignement    du 


Christ.  Certaines  formes  antiques  ont  disparu,  ou  menue 
été  supprimées,  c'est  dans  la  nature  des  choses.  Un 
reste,  le  pouvoir  divin,  donné  à  l'Église  pour  créer 
des  orga:  es  nouveaux,  afin  de  maintenir  la  foi,  lui  a  été 
conféré  ('ans  la  même  proportion,  pour  supprimer  ceux 
dont  la  nécessité  ou  la  convenance  n'existe  plus. 

Indépendamment  des  auteurs  cités  dans  le  corps  de 
l'article,  on  consultera  avec  grand  profit  les  ouvrages  sui- 
vants :  Petau,  De  Iheologieis  doginatibus,  Paris,  1870,  t.  vin, 
De  ecclesiastica  hierarchia,  1.  I-V;  Ferraris,  Prompla  biblio- 
theca,  au  mot  Hierarchia  ecclesiastica;  Bouix,  Traclatus  de 
principiis  juris  canonici,  part.  IV,  De  jure  Ecclesiœ  consli- 
tutivo;  Œuvres  de  saint  Denys  l'Aréopagite,  trad.  de  l'abbé 
J.  Dulac,  Paris,  1865,  De  la  hiérarchie  céleste;  F.  Wernz, 
Jus  Dccretalium,  2"  édit.,  1908,  t.  i;  Bacchiui,  De  eccle- 
siastica; hierarchiœ  origine,  Diss.,  in-4°;  Palmieri,  Tractatus 
de  romano  poniiftee,  th.  xi,  xn;  Philips,  Du  droit  ecclésias- 
tique, trad.  Crouzet,  Paris,  1850,  t.  n,  §  68;  Devoti,  De 
hierarcliia  ecclesiastica,  dans  Migne,  Theologiie  cursus,  t.  v, 
col.  1208;  Thomassin,  Ancienne  et  nouvelle  discipline  de 
l'Église,  édit.  Guérin,  1864,  t.  i,  c.  L;  Hurter,  Theologiie 
dogmatiae  compendium,  9»  édit.,  Tractatus  de  Ecclesia, 
de  causa  /ormali  Ecclesiœ,  th.  xlviij,  a.  3;  Ferrante,  Institn- 
tiones  canonicœ,   una  cum  logica  theologica,   tr.    II,   p.  47. 

B.    DOLHAGARAY. 

HIEROCLÈS,  philosophe  néoplatonicien,  ennemi 
des  chrétiens. 

1°  Sa  personne.  —  A  l'époque  où  fut  renversée 
l'église  de  Nicomédie,  au  début  de  la  persécution  de 
Diodétien,  en  303,  deux  pamphlétaires  peu  généreux 
attaquèrent  les  chrétiens  qui  ne  pouvaient  se  défendre. 
Lactancc,  alors  professeur  de  rhétorique  à  Nicomédie 
et  témoin  oculaire,  a  tracé  d'une  plume  vengeresse  le 
portrait  de  l'un  et  de  l'autre,  en  passant  leur  nom  sous 
silence.  Que  le  premier  fût  le  vieux  Porphyre  encore 
vivant  ou  Maxime,  le  maître  futur  de  Julien  l'Apostat, 
il  n'importe;  le  seeen  1  seul  nous  intéresse  ici,  c'était 
à  n'en  pas  douter  Hiéroclès. 

Celui-ci,  né  dans  un  peLit  bourg  de  la  Carie,  avait 
étudié  la  philosophie  et  embrassé  le  néoplatonisme. 
Fut-il  chrétien?  La  connaissance  approfondie  de 
l'Écriture  que  lui  reconnaît  Lactance,  Div.  inst.,  v,  2. 
P.  L.,  t.  vi,  col.  555,  pourrait  le  faire  croire;  il  aurait 
dans  ce  cas  apostasie  comme  Théolecne,  nuis  Lactance 
n'ose  pas  l'affirmer.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  entra  de 
bonne  heure  dans  la  carrière  administrative  et  fut 
successivement  gouverneur  de  Palmyre,  préfet  de  la 
Bithynie  et  d'Alexandrie.  Dans  une  inscription  trouvée 
â  Palmyre,  son  nom  est  cité  comme  gouverneur  de  cette 
ville,  sous  les  empereurs  Dioctétien  et  Maximin  et  les 
césars  Galère  et  Constance.  Corpus  inscript,  lai.,  t.  ni, 
n.  33.  C'est  là,  selon  toute  probabilité,  qu'au  moment! 
de  l'expédition  contre  les  Perses,  il  dut  entrer  en  écla- 
tions étroites  avec  Galère,  le  gendre  funeste  de  Dio- 
détien, et  préparer,  comme  le  croit  Mgr  Duchesne, 
De  Macario  Magnete,  Paris,  1877,  p.  19,  sou  ouvrage 
contre  les  chrétiens.  En  303,  il  remplaçait  a  Nicomédie, 
comme  préfet  de  la  Bithynie,  le  persécuteur  Flaccinus, 
non  pusillum  homicidam.  De  morte  persecutorum,  16, 
P.  L.,  t.  vu,  col.  218.  Il  y  continua  les  poursuites  de  son 
prédécesseur  contre  le  confesseur  Douât  et  y  publia  son 
Aoyo;  <piXaX7JÛ7)ç  7tpoç  touç  y  piaxtavoû;.  Il  dut  assister 
au  conseil  privé  de  l'empereur  qui  allait  décider  du 
sort  des  chrétiens.  Lactance  le  désigne  comme  l'un  des 
conseillers  responsables  de  la  persécution  :  Auctor  in 
primis  faciendœ  perseculionis,  Div.  inst.,  v,  2,  P.  L., 
t.  vi,  col.  555,  et  le  nomme  ailleurs  en  toutes  lettres  : 
auctor  et  consiliarius  ad  faciendam  perseculionem. 
De  morte  persecutorum,  16,  P.  L.,  t.  vu,  col.  218.  Un 
ou  deux  ans  après,  il  était  préfet  d'Alexandrie.  Là  il 
se  montra  sans  pitié  pour  les  chrétiens,,  insultant  les 
hommes  les  plus  respectables  et  livrant  à  des  proxé- 
nètes les  femmes,  épouses  ou  vierges.  Le  frère  d' Aphien, 
martyrisé  à  Césarée,  Edésius,  ne  put  supporter  de  telles 


2383 


IIIÉROCLÈS 


2384 


infamies  et  alla  jusqu'à  frapper  le  préfet  ;  pour  prix  de 
sa  courageuse  intervention,  il  fut  mis  à  la  torture  et 
jeté  a  la  mer  par  ordre  d'Hiéroclès.  Eusèbe,  De  marly- 
ribus  Palestinie.  5,  P.  G.,  t.  xx,  col.  1480.  C'est  là 
encore  qu'Hiéroclès,  apprenant  la  conversion  au  chris- 
tianisme de  son  collègue  Arrien,  le  fit  comparaître 
avec  le  saint  moine  Apollonius,  un  solitaire  de  la 
Thébaïde,  et  le  joueur  de  flûte  Philémon,  causes  de 
celle  conversion.  Et  comme  en  route  Apollonius  avait 
encore  converti  ses  gardiens,  Hiéroclès  fit,  dès  leur 
arrivée,  jeter  à  la  mer  tout  ce  groupe  de  fidèles.  Les 
flots,  dit  Rufin,  De  vitis  Patrum,  13,  P.  L.,  t.  xxt, 
col.  442,  leur  furent  non  une  mort,  mais  un  baptême. 
Voilà  quelques-uns  des  exploits  de  ce  philosophe 
néoplatonicien  arrivé  aux  plus  hautes  charges  de 
l'empire;  il  était  bon  de  les  rappeler  pour  souligner  le 
ton  ironique  de  son  langage  dans  son  libelle  contre  les 
chrétiens. 

2°  L'ouvrage.  —  C'est  à  Nicomédie,  en  303,  qu'Hié- 
roclès fit  paraître  son  ouvrage  en  deux  livres.  Il  l'écrivit, 
observe  Lactance,  Div.  instil.,  v,  2,  P.  L.,  t.  vi,  col  355, 
non  pas  Contre  les  chrétiens,  afin  de  n'avoir  pas  l'air 
de  les  poursuivre  dans  un  esprit  d'hostilité,  mais  Aux 
chrétiens,  afin  de  faire  croire  qu'il  voulait  leur  donner 
des  conseils  humains  et  bienveillants. 

Cet  ouvrage  ne  nous  est  point  parvenu,  et,  bien 
qu'il  ait  été  l'objet  d'une  réfutation  de  la  part  d'Eu- 
sèbe  de  Césarée,  il  est  difficile  ou  plutôt  impossible  de 
le  reconstituer,  car  les  citations  en  sont  trop  peu 
î  ombreuses  et  ne  permettent  par  d'en  rétablir  le  texte, 
comme  cela  a  pu  être  fait  pour  le  Aôyoç  à^Or,;  de 
CelsL-,  grâce  aux  nombreux  passages  textuellement 
rarportés  par  Origène.  Son  vrai  titre  semble  avoir  été 
Aoyoç  ziAalr'fir^  Tipoç  xoù;  y  p'.cfttavoôç;  Eusèbe  ne  le 
désigne  que  sous  celui  de  $iXaXri07)ç.  Son  contenu  nous 
est  connu  grâce  à  Lactance,  d'une  part,  et  à  Eusèbe  de 
Césarée,  d'autre  part.  D'après  Lactance,  Hiéroclès 
s'ellorce  d'y  établir  la  fausseté  de  la  sainte  Écriture, 
comme  si  elle  était  toute  remplie  de  contradictions;  il 
expose  les  chapitres  qui  paraissent  en  désaccord  entre 
eux;  il  les  énuiïière  en  si  grand  nombre  et  avec  une 
telle  connaissance  du  suiet,  qu'il  semblerait  parfois 
avoir  professé  la  relipion  qu'il  attaque.  Pour  discréditer 
les  témoins  du  Sauveur,  il  traite  avec  dédain  Pierre, 
Paul  et  les  apôtres,  gens  grossiers  et  ignares,  tanquam 
jalhc.ee  seminatores.  qui  gagnaient  leur  vie  par  le 
produit  de  leur  pêche  et  le  travail  de  leurs  mains, 
comme  s'il  soutirait  que  ce  ne  fût  pas  un  Aristarque 
ou  un  Aristophane  qui  ait  narré  les  faits  évangéliques. 
Div.  instil,  v,  2,  P.  1 '..,  t.  vi,  col.  555-556.  11  y  affirme, 
entre  autres  choses,  que  le  Christ,  exilé  par  les  Juifs, 
s'élait  livré  au  brigandage  à  la  tête  d'une  troupe  de 
neul  cents  hommes.  Ibid.,  v,  3,  col.  557.  Mais  comme 
il  ne  pouvait  nier  ses  miracles,  ii  essaie  de  les  rabaisser 
et  de  montrer  qu'Apollonius  en  avait  fait  de  sem- 
blables, et  même  de  plus  grands.  Car  le  but  secret  de 
son  livre  était  de  nier  la  divinité  de  Jésus-Christ.  Lac- 
tance s'étonne  qu'il  ait  négligé  Apulée.  Ihid.,  col.  558. 
Très  habilement,  Hiéroclès,  moins  scrupuleux  que 
Jemblique  ou  Porphvie,  qui,  tout  en  nourrissant  la 
haine  du  christianisme,  s'étaient  bien  gardés  de  faire 
appel  à  la  Vie  d'Apollonius  de  Tyane  par  Philostrate, 
fit  de  ce  lomai  d'aventures,  qui  n'est  au  fond  qu'une 
contrefaçoii  de  la  vie  du  Christ,  du  ministère  apostolique 
et  de  l'établissement  el'É-lise,voirt.  i,  col.  1509  1510, 
son  arme  de  guerre.  11  s  en  empara  comme  s'il  avait 
récucment  une  valeur  historique,  opposant  aux 
tenions  du  Christ,  qu'il  traite  de  à^aiBsutoi  et  de  yo^TE;, 
ces  hommes  doctes  et  amis  de  la  vérité,  tels  que 
Maxime  d'Egée,  Damis  le  philosophe  et  l'Athénien 
Philostrate,  qui  ont  voulu  sauver  de  l'oubli  les  faits 
et  g-stes  d'Apollonius  de  Tyane.  Eus  be,  Aav.  Hie  o- 
cli m,  4,  P.  G.,  t.  xxn,    col.    80.  Ce  n'ist  point  qu'il 


prétendît  faire  d'Apollonius  une  divinité,  comme  l'avait 
fait  Philostrate,  mais  simplement  montrer  en  lui  un 
ami  des  dieux,  bien  autrement  grand  que  Jésus; 
car,  beaucoup  plus  modéré  que  les  chrétiens,  qui 
n'hésitent  pas  à  proclamer  Dieu  Jésus-Christ  pour  quel- 
ques prodiges,  Si'  oXîyaç  TepatEia;  Tivàç  xov  'IriaoOv  ©sov 
àvayopsûouai.  il  ne  range  point  son  héros  au  nombre  des 
dieux.  Ibid.  C'était  clairement  donner  à  entendre  que 
Jésus  n'est  pas  Dieu,  et  par  là  même  ruiner  le  christia- 
nisme. 

Dans  sa  vive  et  mordante  riposte,  Eusèbe  de  Césarée, 
se  proposant  de  réfuter  ailleurs  les  allégations  menson- 
gères d'Hiéroclès,  constate  que  nul  n'avait  jusque-là 
attaqué  la  religion  chrétienne  avec  de  pareils  argu- 
ments; et  c'est  moins  au  texte  lui-même  d'Hiéroclès 
qu'il  s'en  prend  qu'à  la  source  même  où  il  a  puisé, 
c'est-à-dire  à  cette  Vie  d' Apollonius  de  Tyane.  11  la 
critique  vigoureusement  ;  il  en  montre  l'inconsistance 
les  contradictions  grossi  ires:  il  en  discute  un  à  un 
les  principaux  prodiges  attribués  à  Apollonius  et  il 
montre  que,  même  en  les  tenant  pour  authentiques, 
ils  s'expliquent  par  la  magie  qu'Apollonius  avait  apprise 
chez  les  brahmanes  ou  par  une  intervention  diabolique: 
auvsoyei'a  Sai|j.ovoç  ÉV.aaTOv  aûxto  BiaTTtTipiyOai  to'jtwv 
aatpoiç  Seî/vutou.  Adv.  Hieroelem,  35,  ibid.,  col.  845.  Si 
bien  qu'au  lieu  de  pouvoir  être  opposé  à  Jésus-Christ, 
comme  Hiéroclès  s'en  flattait,  cet  Apollonius  n'est  à 
ranger  ni  parmi  les  philosophes,  ni  même  parmi  les 
hommes  modérés  et  médiocres.  «  Mon  dessein,  dit 
Eusèbe,  n'est  pas  d'examiner  lequel  des  deux  (d'Apol- 
lonius ou  de  Jésus-Christ)  a  possédé  le  mieux  le 
caractère  divin  ou  a  fait  des  miracles  plus  nombreux 
et  plus  éclatants.  Je  ne  parlerai  point  de  l'avantage 
qu'a  Jésus-Christ,  notre  Sauveur  et  Seigneur,  d'avoir 
été  longtemps  à  l'avance  annoncé  par  les  prophètes 
sous  l'inspiration  divine,  ni  de  ce  que,  par  la  force  de 
sa  doctrine  céleste,  il  s'est  attiré  un  plus  grand 
nombre  de  sectateurs,  ni  de  ce  que,  pour  témoins  de  ses 
actes,  il  a  eu  ses  disciples,  gens  sincères  et  incapables 
d'en  imposer,  tout  prêts  à  subir  la  mort  pour  sou- 
tenir la  doctrine  de  leur  maître.  Je  ne  m'arrêterai  pas 
à  montrer  qu'il  est  le  seul  à  avoir  institué  une  école  de 
frugalité  destinée  à  durer  toujours,  ou  avoir  procuré 
le  salut  au  monde  par  la  vertu  de  sa  divinité,  attirant 
encore  aujourd'hui  à  son  divin  enseignement  une 
multitude  innombrable,  et  victorieux  de  toutes  les 
attaques  dont  il  a  été  l'objet  tant  de  la  part  des  princes 
que  de  la  part  des  peuples...  Je  ne  relèverai  pas  non  plus 
la  preuve  de  sa  puissance  divine,  si  sensible  encore  de 
nos  jours,  puisqu'il  suffit  d'invoquer  son  nom  sacré 
pour  délivrer  les  possédés  et  chasser  les  démons.  Rien 
de  pareil  dans  Apollonius  qui,  d'après  son  histoire 
écrite  par  Philostrate,  loin  d'être  un  dieu  et  de  pouvoir 
entrer  en  comparaison  avec  le  Sauveur,  n'est  pas  digne 
de  prendre  place  parmi  les  philosophes  ni  même  parmi 
les  hommes  de  movenne  importance  »  :  tî>ç  oùy  6'ti  ye  âv 
cpiXocdçoiç  àÀX'  oùSl  èv  È7risixÉ<Jt  xai  purpiotç  avSpâatv  otÇiov 
èyxpivE'.v.  Adv.  Hieroelem,  4,  ibid.,  col.  801. 

C'est  ainsi  qu'Eusèbe  de  Césarée,  plus  sévère  qu'Ori- 
gène,  qui  n'avait  vu  en  Apollonius  qu'un  philosophe 
magicien,  Contra  Celsum,  vi,  41,  P.  G.,  t.  xi,  col.  1357, 
ravale  ce  personnage,  en  discutant  le  lhre  où  sont 
racontés  ses  exploits.  Par  là  même  il  ruinait  la  thèse 
du  sophiste  Hiéroclès,  qui  fut  un  pamphlétaire  douce- 
reux et  hypocrite  non  moins  qu'un  persécuteur  éhonté, 
digne  de  Galère  et  de  Maximin. 

L'intervention  intempestive  d'Hiéroclès  invita  Lac- 
tance à  composer  son  ouvrage  Divinarum  inslilulionum. 
Ii  ergo  de  auibus  dixi,  cum,  prœsente  me  ac  dolente, 
sacrilegas  suas  litteras  explicassent,  et  illorum  superba 
impielatc  stimulalus,  et  veritatis  ipsius  conscientia, 
suscejd  hoc  munus,  ut  omnibus  ingenii  mei  viribus 
accusalorcs  justitiœ  rejularem.  Div.  instil.,  v,  4,  P.  L., 


2385 


HIÉROCLÈS  --  HILAIRE  (SAINT: 


2386 


t.  vi,  col.  502.  Mais  Laclance  ne  visa  pas  exclusivement 
Hiéroclès,  et  n'a  rappelé  aucun  exemple  particulier  de 
son  procédé  exégétique. 

Lactance,  Dio.  instil.,  v,  2-4,  P.  L.,  t.  vi,  col.  552-564; 
De  morte  persecutorum,  16,  P.  L.,  t.  vu,  col.  218;  Arnobe, 
Adversus  gentes,  i,  52,  P.  L.,  t.  v,  col.  780;  Eusèbe,  IIpô;  ta 
Ù7tb  'l'tÀoorpàrov  eïç  'AttoXXoJviov  tôv  Tuavéa  Sià  tr)V 
'IsdoxXeÎ  7tapa>,rlj6eî'(Tav  avxo-j  t£  xai  Xpc<rro-j  o-J-fxpKTiv, 
ou  bien  'AvTippr,Ti/.ô;  mpô;  y.-r) P.  G.,  t.xxn,  col.  796-868. 

Tillemont,  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  ecclésiastique 
des  six  premiers  siècles,  Paris,  1701-1709,  t.  v,  p.  48-49, 
606-607;  Ceillier,  Histoire  générale  des  auteurs  sacrés  et 
ecclésiastiques,  Paris,  1858-1868,  t.n,  p.  494;  t.  m,  p.  175-178; 
Bardenhewer,  Les  Pères  de  V  Église,  trad.  franc,  Paris,  1899, 
t.  i,  p.  28;  Geschichte  der  alll<irchlichen  Literatur,  Fribourg- 
en-Brisgau,  1903,  t.  n,  p.  478  ;  F.  Vigouroux,  Les  Livres 
saints  et  la  critique  rationaliste,  3e  édit.,  Paris,  1890,  1. 1, 
p.  189-199  ;  Allard,  La  persécution  de  Dioctétien,  Paris,  1890  ; 
A.  Harnack,  Altchristlielie  Litteralur,  p.  873;  P.  Batiflol, 
La  paix  constant inienne  et  le  catholicisme,  Paris,  1914, 
p.  148-149,  150-151.  162;  Kirchenlexikon,  t.  v,  col.  2012- 
2014;  Dictionarg  o/  Christian  bibliography,t  u,  p.  26-27; 
U.  Chevalier,  Répertoire,  Bio-bibliographie,  t.  i,  col.  21-43. 

G.   Bareille. 

1.  HILAIRE  (Saint),  en  latin  Hilarus,  pape  de  461  à 
468,  fut  le  successeur  immédiat  du  pape  saint  Léon, 
dont  il  avait  été  l'archidiacre.  C'est-  en  cette  qualité 
q  l'il  avait,  de  concert  avec  l'évoque  Jules  de  Pouzzoles, 
représenté  Léon  au  fameux  «  brigandage  d'Éphése  », 
présidé  par  Dioscore  d'Alexandrie,  en  449.  Hilaire  y 
avait  couru  les  plus  grands  dangers;  après  les  attentais 
connus  contre  l'évêque  de  Constantinople  Slanen,  il 
s'était  réfugié  dans  le  sanctuaire  où  était  le  tombeau  de 
saint  Jean  en  dehors  d'Éphése.  Il  attribua  toujours  son 
salut  à  la  protection  de  l'évangéliste  et,  devenu  pape, 
il  fit  ériger  une  chapelle  en  l'honneur  de  ce  saint  sur 
l'un  des  côtés  du  baptistère  du  Latran.  Aujourd'hui 
encore  on  lit,  sur  l'encadrement  de  la  porte  qui  du 
baptistère  conduit  à  l'oratoire,  les  mots  suivants  : 
Liberalori  sao  beato  Johanni  evangelistx  Hilarus 
episcopus  famulus  Christi.  Du  temps  de  Léon,  Hilaire 
avait  également  réglé,  à  la  demande  du  pape,  la  question 
du  comput  pascal.  Il  y  avait  eu  grande  discussion  entre 
grecs  et  latins  sur  la  date  de  Pâques  en  l'an  455. 
L'archidiacre  romain  s'adressa  à  un  savant  gaulois, 
Victorin  de  Limoges,  qui  expliqua  les  raisons  de  la 
discordance  entre  les  divers  computs  et  le  moyen  de 
l'atténuer.  Thiel,  Episl.,  u  et  m.  Le  cycle  de  Victorin 
resta  quelque  temps  en  usage  en  Gaule  et  en  Italie. 

Saint  Léon  était  mort  le  10  novembre  461  (donnée 
du  martyrologe  hiéronymien,  préférable  certainement 
à  celle  du  Liber  ponlificalis,  qui  indique  le  1 1  avril). 
L'archidiacre,  comme  c'était  la  coutume,  fut  aussitôt 
élu  pour  le  remplacer,  et  fut  ordonné  le  19  novem- 
bre 461.  Le  pontificat  d'Hilaire  est  la  continuation 
pure  et  simple  de  celui  de  son  illustre  prédécesseur. 

Depuis  le  concile  de  Chalcédoine  (451),  la  paix  reli- 
gieuse régnait  en  Occident,  et  l'autorité  impériale 
contenait  encore  l'agitation  monophysite,  qui  allait 
bientôt  reprendre  de  plus  belle.  Le  Liber  ponlificalis 
mentionne  une  décrétale  du  pape  Hilaire,  envoyée  à 
tous  les  évêques  d'Orient,  confirmant  les  trois  conciles 
de  Nicée,  d'Éphése  et  de  Chalcédoine  (on  remarquera 
l'absence  du  concile  de  Constantinople  de  381,  qui  ne 
sera  reconnu  par  Rome  que  cinquante  ans  plus  tard),  le 
tome  de  Léon,  condamnant  Éutychès,  Nestorius  et 
tous  leurs  adhérents,  et  en  général  toutes  les  hérésies. 
L'encyclique  confirmait  la  domination  et  la  primauté 
du  s  dut- siège  catholique  et  apostolique.  Il  n'y  a  pas 
lieu  de  soupçonner  l'exactitude  de  cette  donnée  du 
Liber  ponlificalis;  toutefois  il  n'est  resté  aucune  trace 
de  cette  correspondance  d'Hilaire  avec  l'Orient. 

Nous  sommes  mieux  renseignés  sur  l'activité  du  pape 
en  Occident.  Et  tout  d'abord  en  Italie  et  à  Rome. 
Il  fallait  s'y  opposer  à  l'invasion  arienne,  suite  de 


l'invasion  barbare;  car  s'il  y  avait  encore  en  Italie 
un  empereur  catholique,  Majorien,  mort  en  461,  puis 
Sévère  (461-465),  et  Anthemius  (467-482),  le  véritable 
chef  du  pays,  c'était  Ricimer,  un  Suève  arien.  Les  héré- 
tiques s'étaient  installés  jusque  dans  Rome  et  Ricimer 
avait  fait  élever  sur  le  Quirinal  une  église  arienne. 
Cette  église  fut  consacrée  sous  le  pape  Hilaire,  elle 
avait  son  clergé  organisé  et  son  évêque.  Hilaire  fut 
assez  heureux,  cependant,  pour  s'opposer  en  467  à 
l'érection  de  nouveaux  sanctuaires  hérétiques.  Un 
familier  de  l'empereur,  Anthemius  Philothée,  qui  est 
donné  comme  un  macédonien,  avait  obtenu  de  son 
maître  l'autorisation  d'élever  à  Rome  une  chapelle  de 
sa  secte.  Au  dire  du  pape  Gélase,  Jafîé,  n.  664;  cf. 
P.  L.,  t.  lix,  col.  73,  Hilaire  n'aurait  pas  craint  d'inter- 
pellé;' à  ce  sujet  l'empereur  en  pleine  basilique  de  Saint- 
Pierre  et  d'exiger  de  lui  le  serment  qu'il  ne  tolérerait 
point  ce  nouvel  empiétement. 

Le  sud  de  la  Gaule  n'était  point  encore  submergé 
complètement  par  l'invasion  barbare.  Hilaire  chercha 
à  favoriser  le  ralliement  de  l'épiscopat  gallican  autour 
de  la  métropole  d'Arles.  Sans  reconstituer  expressé- 
ment le  vicariat  pontifical  que  le  pape  Zozime  avait 
établi  en  faveur  de  Patrocle  d'Arles,  mais  qui  n'avait 
pas  survécu  à  la  mort  de  ce  pontife,  Hilaire  pressait 
volontiers  l'évêque  d'Arles,  Léonce,  de  se  mettre  en 
avant  et  d'agir.  Jaffé,  n.  552,  553,  554,  556,  562; 
Thiel,  Episl.,  iv,  vi,  vu,  rx,  xn.  A  plusieurs  reprises, 
il  lui  confia  des  missions  assez  délicates.  Et  d'abord  en 
462,  dans  l'affaire  d'Hermès.  Ce  dernier,  archidiacre  de 
Rusticus,  métropolitain  de  Narbonne,  avait  été  sacré 
par  celui-ci  évêque  de  Béziers.  Pour  des  raisons  in- 
connues, cette  ville  n'avait  pas  voulu  accepter  le  nou- 
vel évêque;  et  Rusticus,  par  compensation,  l'avait 
désigné  comme  son  successeur  sur  le  siège  de  Nar- 
bonne. Il  y  avait  là  une  double  irrégularité.  La  transla- 
tion d'un  siège  à  un  autre  était  formellement  interdite 
par  les  canons  de  Nicée  ;  la  coutume  n'autorisait  pas  non 
plus  un  évêque  à  désigner  lui-même  son  successeur. 
Plainte  fut  portée  à  Rome  contre  Hermès  Après  avoir 
demandé  sur  l'affaire  un  rapport  à  l'évêque  d'Arles, 
Jaffé,  n.  554;  Thiel,  Episl.,  vu,  Hilaire,  dans  un  synode 
romain  du  19  novembre  462,  où  assistaient  deux 
évêques  gaulois,  Fauste  de  Riez  et  Auxanius  d'Aix, 
prit  les  décisions  suivantes,  qui  furent  portées  à  la  con- 
naissance de  l'épiscopat  gallican.  Le  pape  se  montrerait 
bienveillant  à  l'égard  d'Hermès:  o:i  lui  laissait  le 
gouvernement  de  l'Église  de  Narbonne,  mais,  en  puni- 
lion  de  l'irrégularité  commise,  on  lui  enlevait,  sa  vie 
durant,  le  droit  de  métropolitain,  que  l'on  transférait 
au  doyen  d'âge  de  la  province.  A  la  mort  d'Hermès, 
le  siège  de  Narbonne  rentrerait  en  possession  de  ses 
droits  de  métropole.  Pour  éviter  à  l'avenir  le  retour  de 
semblables  abus,  le  pape  recommandait  d'observer 
fidèlement  les  règles  relatives  à  la  tenue  régulière  des 
synodes.  Le  métropolitain  d'Arles  tiendrait  la  main  à 
leur  exécution.  Au  cas  où  se  présenterait  quelque  cause 
plus  difficile,  on  devrait  en  référer  au  siège  apostolique. 
Jaffé,  n.  555;  Thiel,  Epist.,  vm. 

Dès  l'année  suivante  l'occasion  s'offrait  à  Léonce 
d'exercer  les  pouvoirs  que  lui  avait  délégués  le  saint- 
siège.  Le  10  octobre  463,  le  pape  lui  prescrivait  de 
mettre  fin  dans  un  concile  gaulois  aux  empiétements 
de  l'archevêque  de  Vienne,  saint  Mamert,  sur  les 
droits  de  la  métropole  d'Arles,  relativement  à  l'évêché 
de  Die.  Jaffé,  n.  556;  Thiel,  Epist.,  ix.  Une  circulaire 
pontificale  envoyée  aux  évêques  du  sud  de  la  Gaule 
leur  prescrivait  un  peu  plus  tard  (25  février  464)  de 
régler  suivant  les  désirs  du  siège  romain  l'affaire  de 
Mamert.  Sans  doute  le  pape  n'allait  pas  jusqu'au 
bout  de  son  droit  et  n'exigeait  pas  la  déposition  du 
coupable,  mais  il  voulait  que  Mamert  s'engageât  à 
respecter  désormais  les  droits  du  métropolitain  d'Arles, 


23S7 


HÏLAIRE  (SAINT) 


238g; 


sinon  on  lui  enlèverait  encore  ses  quatre  suffragants. 
Quant  à  l'évêque  de  Die,  ordonné  par  Mamert,  il 
devrait,  pour  exercer  régulièrement  sa  charge,  être 
confirmé  par  le  métropolitain  d'Arles.  Jafïé,  n.  557; 
Thiel,  Epist.,  x.  Quelques  années  plus  tard,  le  pape 
était  encore  obligé  d'intervenir  dans  une  querelle  du 
même  genre,  entre  Ingenuus,  évêque  d'Embrun,  et 
Auxanius,  évêque  d'Aix.  Jafïé,  n.  562;  Thiel,  Episl.,  xn. 
L'Église  d'Espagne  n'échappait  pas  davantage  à  la 
sollicitude  du  pontife.  Entre  463  et  464,  les  évêques  de 
la  Tarraconaise  s'adressaient  à  Rome  pour  se  plaindre 
des  agissements  de  l'évêque  de  Calahorra,  Silvanus.  Ce 
prélat,  dans  la  haute  vallée  de  l'Èbre,  se  signalait  par 
un  zèle  un  peu  intempestif.  Il  y  avait  peu  d'évêchés 
jusque-là  dans  cette  région  écartée;  il  se  mit  à  en 
fonder  sans  trop  s'inquiéter  de  son  métropolitain, 
l'évêque  de  Tarragone.  Au  besoin  même  il  imposait  les 
mains,  sans  plus  de  façons,  à  des  prêtres  qui  ne  rele- 
vaient aucunement  de  lui.  Contre  tous  ces  abus  les 
évêques  de  la  Tarraconaise  invoquaient  l'intervention 
souveraine  d'Hilaire.  Thiel,  Episl.,  xm.  Quelques 
mois  plus  tard  ils  s'adressaient  encore  au  pape,  mais 
cette  fois  pour  obtenir  une  faveur.  L'évêque  de  Barce- 
lone, Nundinarius,  avait  à  son  lit  de  mort  exprimé  le 
désir  que  l'on  choisît  pour  son  successeur  Irénée,  qu'il 
avait  autrefois  établi  chorévêque  dans  une  ville  de  son 
diocèse.  Le  concile  de  la  province  avait  ratifié  ce  désir; 
conscient  toutefois  de  l'irrégularité  commise,  il  voulait 
obtenir  la  dispense  du.  pape.  Thiel,  Epist.,  xiv. 

Ces  diverses  questions  furent  soumises  par  Hilaire  à 
un  synode  romain  qui  se  réunit,  le  19  novembre  465, 
dans  la  basilique  de  Sainte-Marie-Majeure.  Le  procès- 
verbal  très  complet  de  la  réunion  s'est  conservé.  Dans 
son  allocution  préliminaire,  le  pape  signala  les  points 
tle  discipline  qu'il  fallait  confirmer.  Des  abus  s'étaient 
introduits  dans  les  ordinations;  le  pape  rappelait  la 
défense  d'admettre  aux  ordres  (sacralos  gradus)  ceux 
qui  ont  épousé  une  veuve,  qui  se  sont  remariés,  ceux 
qui  sont  tout  à  fait  ignorants,  les  pénitents,  les  mutilés. 
Quiconque  aura  ordonné  un  sujet  présentant  ces  tares 
devra  lui-même  déclarer  nul  ce  qu'il  a  fait.  Par  accla- 
mation le  concile  se  rangea  à  l'avis  exprimé  par  le 
pnpe.  Celui-ci  parle  ensuite  de  !a  requête  des  évêques 
ef  pagnols  relative  à  la  translation  d'Irénée.  mais  d'une 
manière  défavorable.  Il  n'y  avait  que  trop  de  tenta- 
tions pour  les  évêques  de  considérer  leur  charge  comme 
un  bien  héréditaire,  dont  ils  pouvaient  disposer  au 
détriment  des  droits  d'élection  appartenant  au  peuple 
chrétien.  Le  pape  demandait  donc  au  concile  d'inter- 
dire cette  pratique.  Les  acclamations  des  évêques 
présents,  leurs  marques  de  désapprobation  lors  de  la 
lecture  de  la  requête  espagnole  confirmèrent  le  pape 
dans  son  idée.  Puis  on  alla  aux  voix,  et  le  pape  termina 
la  réunion  en  donnant  ordre  aux  notaires  pontificaux 
de  signifier  à  toutes  les  Églises  les  décisions  prises  au 
synode.  Thiel,  Episl.,  xv;  Mansi,  Coneil.,  t.  vu,  col. 
959-968. 

Lui-même  prit  soin  de  transmettre  aux  évêques 
d'Espagne  les  solutions  arrêtées.  Sans  doute  il  avait 
reçu  les  pétitions  à  lui  adressées  par  les  notables  des 
villes  où  Silvanus  de  Calahorra  avait  exercé  son  zèle 
intempestif.  Mais  fidèle  à  maintenir  les  droits  des 
métropolitains,  le  pape  rappelait  que,  sans  le  consente- 
ment de  ces  derniers,  nul  ne  pouvait  être  licitement 
ordonné  évêque.  On  agirait  cependant  avec  indulgence 
à  l'endroit  de  ces  ordinations  illicites;  le  pape,  de  son 
autorité,  les  confirmait,  à  condition  que  les  sujets 
ne  présentassent  aucune  des  irrégularités  canoniques. 
Quant  à  la  question  de  transfert  d'un  siège  à  un  autre, 
le  pape  se  montrait  entièrement  opposé  à  cette  ma- 
nière d'agir.  Irénée,  dans  l'espèce,  serait  donc  éloigné 
de  Barcelone,  et  renvoyé  à  son  église;  l'on  élirait  à  sa 
place  un  évêque  que  consacrerait  le  métropolitain; 


l'exemple  d'Irénée  pourrait  faire  croire  que  l'épiscopat 
est  héréditaire.  Que  si  Irénée  ne  voulait  pas  accepter 
la  sentence  pontificale,  il  serait  excommunié,  remo- 
vendum  se  ab  cpiscopali  consorlio  esse  cognosecd. 
Jafïé,  n.  560;  Thiel,  Epist.,  xvi.  En  même  temps  le 
pape  engageait  l'archevêque  de  Tarragone  à  défendre 
son  autorité  et  à  ne  rien  laisser  commettre  contre  les 
canons  de  l'Église. 

Hilaire  mourut,  selon  les  calculs  les  plus  exacts,  lé 
29  février  de  l'année  bissextile  468.  Il  avait  régné  6  ans 
et  3  mois.  Son  court  pontificat  est  surtout  mémorable 
par  l'affirmation  de  l'autorité  du  siège  de  Rome  en 
Espagne  et  en  Gaule. 

Le  Liber  ponlifiealis  dit  que  le  pape  Hilaire  avait 
fait  construire  deux  bibliothèques  à  Saint-Laurent, 
hors  des  murs  de  Rome.  Cette  donnée  était  peu 
vraisemblable;  Samuel  Berger  a  interprété  ce  passage 
d'une  Bible  (  bibliotkeca)  en  deux  volumes,  com- 
prenant les  deux  Testaments.  Dans  le  cahier  préli- 
minaire du  codex  Amialinus.  qu'on  a  tout  lieu  de 
croire  copié  sur  un  manuscrit  de  Cassiodore,  il  est 
parlé  d'une  division  de  l'Ancien  et  du  Nouveau 
Testament,  faite  par  le  pape  Hilaire.  Le  nom  de  ce 
pape  est  donc  ainsi  associé  à  la  Bible  latine,  et  la 
disposition  des  Livres  saints  indiquée  par  Y  Amialinus 
est  presque  exactement  celle  du  décret  de  saint 
Gélase.  Quoi  qu'il  en  soit,  la  Bible  du  pape  Hilaire 
ne  reproduisait  pas  sans  doute  la  Vulgate,  mais  plutôt 
une  ancienne  version  latine  de  la  sainte  Ecriture.  S. 
Berger,  La  Bible  du  pape  Hilarius,  dans  le  Bulletin 
critique,  Paris,  1892,  t.  xm,  p.  147-152. 

Jaffé,  Regesta  pontifîcum  romanorum,  2e  édit.,  Leipzig, 

1885,  t.  i,  p.  75-77;  Thiel,  Epistolœ  romanorum  pontifleum 
genuimv,  Brunswick,  1868,  1. 1,  p.  126-174  (donne  le  meilleur 
texte  des  lettres  d'Hilaire);  P.  G.,  t.  lviii,  col.  1-32  (texte 
souvent  défectueux);  Duchesne,  Le  Liber  ponti fwalis,  Paris, 

1886,  t.  i,  p.  92-93,  242-248;  Fastes  épiscopaux  de  l'ancienne 
Gaule,  Paris,  1894,  t.  i,  p.  126-131,  286-2S8;  Hefele,  Histoire 
des  conciles,  trad.  Leclercq,  Paris,  1908,  t.  n,  p.  900-905; 
Baronuis,  Annales  ecclesiastici,  édit.  Theiner,  Bar-le-Duc, 
1867,  t.  vin   p.  227-268. 

E.  Amann. 

2.  HILAIRE  (Saint),  évêque  de  Poitiers  vers  le 
milieu  du  ive  siècle,  Père  et  docteur  de  l'Église.  — 
I.  Vie.  II.  Écrits.  III.  Doctrine. 

I.  Vie.  — ■  l:>  Avant  l'épiscopat.  — ■  Hilaire  naquit 
dans  la  seconde  dizaine  du  ive  siècle  en  Aquitaine,  à 
Poitiers  même,  d'après  saint  Jérôme.  Comment,  in 
Episl.  ad  Gai.,  1.  II,  prœf.,  P.  L.,  t.  xxvi,  col.  355. 
Cf.  VenanceFortunat,M('scW/.,I.  II,  c.  xix  ;  1.  VIII,  ci, 
P.L.,  t.Lxxxvm,  col.  109,  261.  Issu  d'une  famille  dis- 
tinguée, il  reçut  une  éducation  libérale,  apparem- 
ment dans  sa  patrie  ;  car  les  lettres  étaient  alors  floris- 
santes en  Gaule,  S.Jérôme,  Episl.,  cxxi,  ad  Rusticum 
monachum,  6,  P.  L.,  t.  xxn,  col.  1075  ;  elles  l'étaient 
particulièrement  en  Aquitaine,  dont  la  capitale, 
Bordeaux,  était  un  vrai  centre  de  culture  intellec- 
tuelle. Ad.  Buse,  Paulin,  Bischof  von  Nota,  und  seine 
Zeit,  Ratisbonne,  1856,  t.  i,  p.  44.  Des  auteurs  rela- 
tivement récents  parlent  d'un  séjour  de  dix  ans  à 
Trêves,  à  Rome  et  en  Grèce;  mais  cette  assertion  n'est 
pas  appuyée  sur  des  données  primitives  et  reste  con- 
jecturale. Acla  sanctorum,  t.  i  januarii.  De  sanclo 
llilurio,  n.  23,  p.  785.  En  tout  cas,  les  écrits  du  saint 
docteur  témoignent  surabondamment  de  la  maîtrise 
dans  l'art  de  bien  dire  et  des  connaissances  variées 
qu'il  acquit,  comme  aussi  de  la  formation  philoso- 
phique à  base  néo-platonicienne  qu'il  reçut  dans  sa 
jeunesse.  A.  Feder,  Kulturgeschichtlichcs  in  dm  Wer- 
ken  des  hl.  Hilarius  von  Poitiers,  dans  Slimmen  cuis 
Maria-Laaeh,  1911,  t.  lxxni,  p.  30-45. 

Hilaire  naquit-il  de  parents  chrétiens  ?  Ceux  qui 
partagent  ce  sentiment  invoquent  surtout  L'autorité- 


2389 


IIILAIRE   (SAINT 


2390 


de Fortunal,  Vila  sancli  Hilarii,  i,  3,  P.  L.,  t.  ix,  col.  187, 
qui  nous  montre  son  héros  suçant  pour  ainsi  dire  avec 
le  lait  une  sagesse  ttflle  qu'on  aurait  pu  présager  en 
lui  le  futur  champion  de  la  foi,  préparé  dés  lors  par 
Dieu  aux  combats  et  aux  triomphes  de  l'avenir.  Mais, 
à  cette  phrase,  dont  le  sens  est  d'ailleurs  assez  peu 
précis,  on  oppose  diverses  allusions  qui  semblent  insi- 
nuer le  contraire  :  allusions  de  saint  Jérôme,  In  Is., 
c.  xlviii,  13,  P.  L.,  t.  xxiv,  col.  595,  de  saint  Augus- 
tin, De  doctrina  christlana,  n,  40,  P.  L.,  t.  xxxiv, 
col.  63,  d' Hilaire  lui-même.  In  ps.  lxi,  2  ;  De  Trinilale, 
VI.  19-21,  P.  L.,  t.  ix,  col.  396  ;  t.  x,  col.  171  sq.  On 
objecte  surtout,  et  à  bon  droit,  le  témoignage  du  saint 
docteur  au  Ier  livre  du  De  Trinilale.  Dans  un  récit  où 
il  est  difficile  de  voir  une  simple  fiction  littéraire,  il 
expose  comment  il  fut  amené  à  la  foi  chrétienne  : 
préoccupé  par  le  problème  de  notre  destinée  et  ne  ren- 
contrant pas  dans  la  philosophie  païenne  de  réponse 
qui  le  satisfît,  il  trouva  en  tin  la  lumière,  en  lisant  au 
début  de  l'Évangile  de  saint  Jean  la  doctrine  du  Verbe 
descendu  des  deux  et  donnant  à  ceux  qui  le  reçoivent 
de  pouvoir  devenir  eux-mêmes  des  fils  de  Dieu.  Belles 
pages  dont  le  cardinal  Pie  a  donné  un  commentaire 
saisissant,  avec  application  aux  erreurs  contempo- 
raines, dans  un  discours  prononcé  à  Rome  en  1870 
pour  la  fête  du  saint  docteur.  Œuvres,  t.  vi,  p.  552  sq. 

Un  fait  certain  domine  cette  controverse  :  Hilaire 
était  adulte  quand  il  reçut  le  baptême  :  Inauditis  ego 
his  nominibus  in  le  ita  credidi,  per  le  ila  renatus  sum. 
De  Trinitate,\l,  21,  t.  x,  col.  173.  D'un  mot  qu'il  dit 
ailleurs,  De  synodis,  91,  t.  x,  col.  545,  et  qui  se 
rapporte  à  l'année  où  il  partit  pour  l'exil  :  regeneratus 
pridern,  on  peut  conclure  qu'entre  l'époque  de  son 
baptême  et  celle  de  son  élévation  à  l'épiscopat,il  y  eut 
un  intervalle  de  temps  notable.  D'après  Fortunat, 
Vila,  i,  3,  6,  il  était  marié  et  père  d'une  fille,  nommée 
Abra;  mais  la  réception  du  baptême  devint  pour  lui  le 
point  de  départ  d'une  vie  chrétienne  très  fervente, 
austère  même  et  vouée  aux  intérêts  de  la  foi.  L'évêque 
de  Poitiers  l'attacha-t-il  dès  lors  à  son  église  en  lui 
conférant  quelque  degré  de  cléricalure  ?  Rien  ne  per- 
met de  répondre  à  cette  question. 

2°  Hilaire  évêque;  lutte  contre  iarianisme;  bannisse- 
ment.  —  A  la  mort  de  l'évêque  de  Poitiers,  probable- 
ment Maxence,  frère  de  saint  Maximin  de  Trêves, 
Hilaire  fut  appelé  à  lui  succéder.  Aeta  sanclorum, 
Comment,  histor.,  2.  L'é\érement  eut  lieu  avant 
l'année  355,  mais  il  est  impossible  d'en  fixer  la  date 
précise.  Nous  savons  seulement,  par  l'endroit  déjà  cité 
du  De  synodis,  qu'en  356,  à  la  veille  de  partir  pour 
l'exil,  le  nouvel  évêque  était  depuis  quelque  temps 
déjà  en  charge  :  in  episcopatu  aliquantisper  manens. 
h'aliquanlisper,  étant  en  opposition  avec  pridem  rrge- 
neratus,  doit  nécessairement  s'entendre  d'un  laps  de 
temps  restreint.  Il  est  donc  possible  que  la  date  de  350, 
donnée  couramment  par  les  historiens,  anticipe  un  peu 
sur  l'événement. 

Devenu  pasteur  d'âmes,  Hilaire  s'efforça  de  pra- 
tiquer ce  qu'il  dira  plus  tard,  De  Trinilale,  VIII,  1, 
col.  236  :  «  La  sainteté  sans  la  science  ne  peut  être  utile 
qu'à  elle-même.  Quand  on  enseigne,  il  faut  que  la 
science  fournisse  un  aliment  L  la  parole  et  que  la  vertu 
serve  d'ornement  à  la  science.  »  Le  Commentaire  sur 
l'Évangile  de  saint  Matthieu  date  de  cette  époque. 
D'un  autre  côté,  le  nouvel  évêque  possédait  dès  lors 
une  telle  réputation  de  vertu,  qu'elle  attira  près  de  lui 
le  futur  thaumaturge  des  Gaules;  c'est,  en  effet,  vers 
354  que  saint  Martin  vint  pour  la  première  fois  à 
Poitiers  et  y  fut  ordonné  exorciste.  Sulpice  Sévère. 
Vita  B.  Martini,  5,  P.  L.,  t.  xx,  col.  163;  dom  Cha- 
înant, Origines  de  l'Église  de  Poitiers,  p.  183. 

Hilaire  fut  bientôt  amené  par  les  circonstances  à 
jouer  le  rôle  important  qui  l'a  fait  appeler  l'Athanase 


de  l'Occident.  Près  de  trente  ans  s'étaient  écoulés 
depuis  le  concile  de  Nicée,  et  l'opposition  faite  à  la 
doctrine  de  la  consubstantialité  du  Verbe  n'avait  pas 
cessé.  Voir  Arianisme,  t.  i,  col.  1799  sq.  Pendant 
longtemps  la  Gaule  était  restée  à  peu  près  en  dehors 
des  agitations  qui  troublaient  l'Orient.  La  situation 
changea  en  353,  quand  la  révolte  de  Magnence  eut 
amené  en  Occident  l'empereur  Constance,  protecteur 
des  antinicéens.  Ce  prince  se  trouvant  à  Arles,  un 
concile  s'y  tint  en  octobre  ;  on  exigea  des  évoques  pré- 
sents qu'ils  souscrivissent  à  la  condamnation  de  saint 
Athanase,  et  saint  Paulin  de  Trêves  paya  son  refus 
d'un  exil  en  Phrygie.  Sur  les  réclamations  du  pape, 
l'empereur  consentit  à  la  réunion  d'un  nouveaa 
concile.  11  eut  lieu  à  Milan  au  printemps  de  355  ;  mais 
les  prélats  mandataires  de  Constance  y  suivirent  la 
même  tactique  qu'au  synode  d'Arles  :  forcer  les 
évêques  à  souscrire  à  la  condamnation  d'Athanase  et 
à  communiquer  avec  les  ariens.  La  noble  résistance  de 
quelques-uns,  Denis  de  Milan,  Eusèbe  de  Verceil  et 
Lucifer  de  Cagliari,  leur  valut  la  peine  du  bannisse- 
ment. 

L'histoire  ne  nous  dit  pas  si  saint  Hilaire  prit  part 
aux  conciles  d'Arles  et  de  Milan  ni  s'il  fut  engagé  dans 
la  controverse  dès  le  début  de  son  épiscopat.  Ses  senti- 
ments sur  le  fond  de  la  question  ne  peuvent  pas  être 
douteuxpour  qui  lit  le  commentaire  sur  saint  Matthieu, 
xxxi,  2  sq.,  P.  L.,  t.  ix,  col.  1066  sq.  ;  plus  tard 
l'évêque  de  Poitiers  rattachera  lui-même  à  l'exil  «  des 
saints  personnages  Paulin,  Eusèbe,  Lucifer  et  Denis  » 
l'attitude  militante  qu'il  piit  après  le  concile  de  Milan. 
Adversus  Conslantium,  2,  P.  L.,  t.  x,  col.  578.  C'est 
vers  la  même  époque  nous  apprend- il  encore,  De 
synodis,  91,  col.  545,  qu'il  connut  pour  la  première  fois 
le  symbole  de  Nicée  :  fulem  nicunam  nun.qu.am  nisi 
exulalurus  audivi;  mais  il  n'y  trouva  pas,  ajoute-t-il, 
une  doctrine  différente  de  celle  qu'il  tenait  déjà.  Il 
n'est  donc  pas  étonnant  qu'en  face  des  manœuvres  du 
métropolitain  d'Arles,  Saturnin,  rallié  aux  vues  de 
l'empereur  et  soutenu  par  les  puissants  évêques  de 
cour  Ursace  de  Singidunum  et  Vi  lens  de  Mursa,  Hilaire 
ait  compris  que  la  résistance  ouverte  s'imposait,  aux 
dépens  même  de  sa  tranquillité  et  de  ses  intérêts  per- 
sonnels. Fragm.  histor.,  i,  3,  P.  L.,  t.  x,  col.  629. 

L'évêque  de  Poitiers  entre  dès  lors  dans  la  pleine 
lumière  de  l'histoire.  Sous  son  initiative,  un  synode 
se  réunit  vers  la  lin  de  355,  très  probablement  à  Paris  : 
les  prélats  présents  se  séparèrent  de  la  communion 
d'Ursace,  Valens  et  Saturnin,  mais  décidèrent  de 
recevoir  à  la  communion  ecclésiastique  ceux  qui,  ayant 
failli  à  Milan,  viendraient  à  résipiscence.  Adv.  Con- 
stant., loc.  cil.  La  réplique  du  métropolitain  d'Arles  ne 
se  fit  pas  attendre;  dès  le  printemps  de  356,  il  con- 
voqua à  Déziers  un  synode  où,  sur  l'ordre  de  la  cour, 
Hilaire  dut  comparaître  pour  rendre  compte  de  sa 
conduite.  Ce  dernier  demanda  qu'on  examinât  d'abord 
la  cause  de  la  foi;  à  cette  fin,  il  présenta  un  mémoire 
composé  contre  l'hérésie  arienne  et  ses  chefs  d'alors  : 
cognitionem  demonstrandx  hujus  luvreseos  obtuli,  Adv. 
Const.,  2,  col.  579;  in  qua  patronos  hujus  hsereseos  inge- 
rendœ  quibusdam  vobis  leslibus  denuntiaveram.  De 
synodis,  1,  col.  481.  La  demande  ne  fut  pas  agréée; 
Saturnin  exigeait  sans  doute  ce  qui  avait  été  exigé  à 
Milan  :  la  communion  avec  les  évêques  de  son  parti  et 
l'acquiescement  à  la  condamnation  d'Athanase.  Un 
rapport  fut  adressé  à  Constance;  rapport  où,  vrai- 
semblablement, la  foi  politique  de  l'évêque  de  Poitiers 
était  mise  en  suspicion  et  qu'en  tout  cas,  il  traite  lui- 
même  de  fallacieux  et  d'insidieux  :  falsis  nuntiis 
synodi...  circumventuin  te  Augustum.  Ad  Constant., 
II,  2,  col.  563.  Saturnin  obtint  le  résultat  qu'il  vou- 
lait :  vers  le  milieu  de  356,  l'empereur  prononça  contre 
l'accusé  une  sentence  de  déportation  en  Asie  Mineure. 


2391 


HILAIRE  (SAINT) 


2392 


Récemment  on  a  rattaché  à  ces  événements  un  écrit 
de  saint  Hilaire  publié  jusqu'ici  sous  le  titre  :  Ad  Con- 
stanliuni  liber  primus,  P.  L.,  t.  x,  col.  557.  Comme  on  le 
dira  plus  loin,  ce  titre  devrait  être  considéré  désormais 
comme  périmé;  l'écrit  aurait  été  composé  au  lende- 
main du  synode  de  Béziers,  dans  un  but  apologétique  : 
soit  qu'il  faille  y  voir  un  fragment  égaré  de  l'Opiis 
historicum,  formant  primitivement  avec  plusieurs 
autres  la  première  partie  du  Liber  adversus  Valcnlcm  et 
Ursacium,  comme  le  veut  dom  Wilmart,  Les  fragments 
historiques  et  le  synode  de  Béziers  ;  soit  que  l'écrit  ait 
fait  partie  d'une  Lettre  adressée  aux  évèques  gaulois, 
comme  le  conjecture  dom  Chapman,  The  contestcd 
lellers  oj  pipe  Liberius,  3e  art.,  p.  331. 

3"  Hilaire  en  Orient,  356-360.  —  La  Phrygie  fut  le 
séjour  habituel  du  saint  docteur  pendant  les  années  de 
son  exil.  Comme  il  n'avait  pas  été  déposé  de  son  siïge, 
il  demeurait  dans  une  situation  relativement  favo- 
rable; il  put  communiquer  avec  ses  prêtres  et,  par  leur 
entremise,  garder  la  haute  administration  de  son 
diocèse.  Ad  Conslanlium,  II,  2,  col.  564.  Il  resta 
également  en  rapports  avec  l'épiscopat  gaulois,  le 
renseignant  et  l'encourageant  par  ses  lettres.  Quelle 
importance  il  attachait  à  ce  commerce  épistolaire,  on 
peut  en  juger  par  l'inquiétude  que  lui  causa,  pendant 
quelque  temps,  le  silence  de  ses  correspondants.  De 
synodis,  1,  col.  479.  Personnellement,  il  employa  ses 
loisirs  forcés  à  composer,  entièrement  ou  presque  en- 
tièrement, son  principal  ouvrage:  De  Trinilate;  c'était 
encore  une  manière  de  prêcher,  comme  il  le  dit  lui- 
même,  X,  4,  col.  346  :  Loquemur  enim  exsuies  per  hos 
libros,  et  sermo  Dei,quivinciri  non  potest,  liber  excurret. 
En  même  temps  il  profita  de  son  séjour  en  Asie 
Mineure  pour  s'instruire  à  fond  des  affaires  religieuses 
d'Orient.  Les  circonstances  lui  créèrent  une  situation 
privilégiée.  Quand  il  arriva  en  exil,  la  coalition  anti- 
nicéenne  était  triomphante:  en  Orient,  tous  les  grands 
sièges  épiscopaux  étaient  en  son  pouvoir;  en  Occident, 
le  pape  et  les  membres  les  plus  notables  de  l'épiscopat 
étaient  bannis.  Mais  à  ce  moment  même  les  germes  des 
divisions  cpii  couvaient  dans  le  parti,  nullement  homo- 
gène, des  antinicéens,  éclatèrent  :  il  y  eut  fractionne- 
ment en  trois  groupes  distincts  et  bientôt  hostiles  :  le 
groupe  extrême  des  ariens  purs  ou  anoméens,  ayant  pour 
chefs  Aétius  et  Eunomius,  le  groupe  en  apparence 
moins  avancé,  plus  politique  que  doctrinal,  des  ho- 
méens,  représenté  en  Orient  par  Acace  de  Césarée,  en 
Occident  par  LTrsace  et  Valens;  enfin  le  groupe  plus 
conservateur  des  homéousiens  ou  anciens  eusébiens, 
qui  se  ralliaient  autour  de  Basile  d'Ancyre.  Voir 
Arianismk,  t.  i,  col.  1821  sq. 

Fixé  en  Phrygie,  mais  ayant  une  grande  liberté  de 
mouvements,  l'évêque  de  Poitiers  se  trouvait  en 
contact  avec  ces  divers  groupes.  Dans  un  esprit  de 
zèle  apostolique,  il  fit  preuve  à  l'égard  de  tous  d'une 
large  condescendance  :  «  Je  n'ai  pas  considéré  comme 
un  crime,  dira-t-il  plus  tard,  d'avoir  eu  des  entretiens 
avec  eux,  ou  même,  tout  en  leur  refusant  la  communion, 
d'entrer  dans  leurs  maisons  de  prière  et  el'espérer  ce 
qu'on  pouvait  attendre  d'eux  pour  le  bien  de  la  paix, 
alors  que  nous  leur  ouvrions  une  voie  au  rachat  de 
leurs  erreurs  par  la  pénitence,  un  recours  au  Christ  par 
l'abandon  de  l'Antéchrist.  »  Adv.  Constant.,  2,  col.  579. 
Mais  ses  sympathies  allaient  naturellement  aux  homé- 
ousiens, d'autant  plus  qu'en  dehors  de  ce  groupe,  il  ne 
voyait  guère  el'intégrité  ni  de  vraie  piété.  De  synodis, 
63,  col.  522.  Les  événements  augmentèrent  encore  ces 
sympathies  et  préparèrent  les  voies  au  rôle  de  conci- 
liation que  les  antécédents  du  saint  docteur,  sa  science 
et  ses  relations  actuelles  lui  permettraient  de  jouer. 
Un  grand  synode  tenu  à  Sirmium  dans  l'été  de  357 
s'était  terminé  par  la  rédaction  et  l'imposition  d'une 
formule  de  foi,  élite  seconde  de  Sirmium;  formule  posi- 


tivement antinicéenne,  traitée  par  Hilaire  d'impiété 
blasphématoire.  De  synodis,  10,  col.  486.  L'année  sui- 
vante, au  synode  d'Ancyre,  présidé  par  Basile,  évêque 
de  cette  ville,  les  homéousiens  réagirent  vigoureuse- 
ment, en  formulant  une  série  d'anathèmes  contre  la 
doctrine  anoméenne,  et  même  contre  l'homéenne. 
Voir  t.  i,  col.  1823  sq.  Il  est  vrai  qu'à  ces  anathèmes  ils 
en  avaient  ajouté  d'autres,  dirigés  contre  la  doctrine 
sabellienne  et  contre  les  termes  nicéens  d'ûjAooûd'.ov  % 
TauTOoôatov,  consubstanticl  ou  étant  de  même  sub- 
stance. Si  les  homéousiens  semblaient  ainsi  maintenir 
la  vieille  accusation  de  sabellianisme  contre  la  foi  de 
Nicée,  il  n'y  avait  pas  moins  de  leur  part  répudia- 
tion formelle  de  l'arianisme  pur  et  acheminement 
notable  vers  l'orthodoxie.  Cette  réaction  acquérait,  au 
jugement  d'Hilaire,  une  valeur  d'autant  plus  grande 
que  Basile  avait  réussi  à  faire  approuver  les  actes  de 
son  synode  par  Constance  et  que,  possédant  la  faveur 
de  ce  prince,  il  paraissait  maître  de  la  situation.  De 
synodis,  78,  col.  530  sq. 

C'est  précisément  vers  cette  époque,  mars  358,  que 
l'évêque  de  Poitiers  reçut  enfin  un  courrier  des  Gaules. 
Il  apprit  avec  joie  qu'en  dépit  des  suggestions  et  des 
menaces  de  Saturnin,  ses  anciens  collègues  restaient 
fidèles  à  la  saine  doctrine;  de  cette  fie'.élité  ils  venaient 
de  donner  une  preuve  notable  en  anathômatisant  la 
seconde  formule  de  Sirmium.  De  synodis,  2,  3,  col. 
481  sq.  En  communiquant  cette  bonne  nouvelle  à 
l'exilé,  les  piélats  gaulois  lui  demandaient  de  les  ren- 
seigner sur  les  professions  de  foi,  présentes  et  passées, 
des  Orientaux.  Ibid.,  9,  col.  483.  Ce  fut  l'occasion  du 
Liber  de  synodis,  dont  il  sera  plus  amplement  question 
dans  la  suite  de  cette  étude.  En  composant  cet  écrit, 
Hilaire  ne  se  proposa  pas  seulement  de  satisfaire  à  la 
demande  de  ses  amis;  il  profita  encore  de  la  circon- 
stance pour  essayer  de  dissiper  les  malentendus  qu'il 
voyait  exister  des  deux  côtés  et  poursuivre  ainsi 
l'œuvre  de  conciliation  et  d'apaisement  déjà  entre- 
prise :  «  Pendant  tout  le  temps  de  mon  exil,  dira-t-il 
bientôt,  si  j'ai  tenu  à  ma  résolution  de  ne  céder  en 
rien  au  sujet  de  la  confession  du  Christ  je  n'ai  pour- 
tant voulu  repousser  aucun  moyen  honnête  et  accep- 
table de  procurer  l'unité.  »  Adv.  Constant.,  2,  col.  579. 

Hilaire  garda  la  même  attitude  au  concile  qui  s'ou- 
vrit à  Séleucie  le  27  septembre  359.  Convoqué  d'office 
à  cette  assemblée,  il  y  fut  accueilli  favorablement. 
Invité  à  exposer  sa  foi  d'évêque  gaulois,  il  le  fit  en 
professant  la  doctrine  nicéenne,  soigneusement  dé- 
gagée de  toute  attache  sabellienne;  aussi  fut-il  reçu 
par  les  Orientaux  à  la  communion  ecclésiastique  et 
admis  au  concile.  Sulpice  Sévère,  Historia  sacra,  n, 
42,  P.  L.,  t.  xx,  col.  153.  Rien  n'indique  qu'il  se  soit 
mêlé  activement  aux  discussions  qui  s'élevèrent  entre 
la  majorité  homéousienne  et  la  minorité  homéenne, 
mais,  dans  Y  Adversus  Conslanlium,  12-14,  col.  590  sq., 
il  a  laissé  de  ce  qu'il  vit  et  entendit  un  récit  précieux 
pour  la  connaissance  des  partis  et  des  idées  qui  se 
manifestèrent  alors.  Voir  t.  i,  col.  1828.  La  profession 
de  foi  souscrite  par  la  majorité  fut  la  seconde  formule 
élu  synode  d'Antioche,  inencœniis,  voir  t.  i,  col.  1801  ; 
formule  que  le  saint  docteur  juge  avec  indulgence,  en 
y  voyant  une  simple  réaction  contre  le  sabellianisme. 
De  synodis,  32-35,  col.  504  sq. 

L'heure  de  l'apaisement  n'était  pas  encore  venue. 
Le  groupe  basilien  manquait  d'unité  vraie;  à  côté  de 
membres  sérieux  et  bien  intentionnés,  il  en  contenait 
d'autres  qui  n'étaient  pas  guidés  par  un  amour  sin- 
cère de  la  vérité  ou  qui  professaient  en  réalité  des 
doctrines  absolument  incompatibles  avec  la  foi  de 
Nicée.  En  outre,  le  succès  de  l'entreprise  dépendait 
du  mobile  empereur  qu'était  Constance.  Depuis  plus 
d'un  an,  Ursace  et  Valens  travaillaient  à  le  ramener 
à  leurs  vues.  Ils  avaient  obtenu  la  division  de  l'unique 


2393 


IIILAIRE  (SAINT) 


2394 


concile  projeté  d'abord;  puis  à  Rimini,  où  ils  furent 
les  maîtres,  leurs  intrigues  et  leurs  violences  avaient 
amené  les  évèques  occidentaux  réunis  en  cette  ville  à 
signer  une  formule  insidieuse  qu'on  leur  présentait 
comme  une  concession  nécessaire  au  bien  de  la  paix. 
A  Séleucie,  la  minorité  acacienne,  qui  se  rattachait 
au  même  parti,  n'avait  pas  triomphé,  mais  elle  s'était 
empressée  d'envoyer  à  Constantinople  des  députés 
chargés  de  prévenir  Constance  en  leur  faveur  et  de 
réclamer  une  union  conçue  sur  une  base  plus  large. 
Quand  les  basiliens  se  présentèrent,  l'empereur  était 
de  nouveau  gagné  à  la  cause  homéenne.  Adversus 
Conslantium,  15 ,  col.  593. 

L'évêque  de  Poitiers  avait  suivi  les  basiliens  à  Con- 
stantinople; il  ne  put  qu'être  le  témoin  navré  du  revi- 
rement impérial.  Sans  perdre  courage,  il  adresse  à 
Constance,  vers  le  début  de  360,  la  requête  désignée 
couramment  sous  le  titre  de  Ad  Conslanlium  Augus- 
lum  liber  secundus,  P.  L.,  t.  xxi,  col.  563.  Suivant  Sul- 
pice  Sévère,  dont  l'affirmation  est  d'ailleurs  contes- 
table et  contestée,  cette  requête  aurait  été  suivie  de 
deux  autres  :  tribus  libcllis  publiée  datis  audienliam 
régis  poposcii,  ut  de  fide  coram  adversariis  discep- 
tarel.  Op.  cit.,  n,  45,  col.  154.  Hilaire  sollicitait  deux 
faveurs  :  celle  d'une  discussion  publique  avec  Satur- 
nin d'Arles,  auteur  de  son  exil,  afin  de  pouvoir  mon- 
trer la  fausseté  des  accusations  dont  il  l'avait  chargé, 
et  celle  d'une  comparution  en  présence  du  concile 
qui  se  tenait  alors  dans  la  ville  impériale,  afin  de 
pouvoir  y  défendre,  sur  l'autorité  des  saintes  Écri- 
tures, la  foi  orthodoxe.  Ad  Const.,  II,  3,  8,  col.  565,  569. 
L'empereur  n'accorda  ni  l'une  ni  l'autre  de  ces  de- 
mandes :  il  se  contenta  de  rendre  Hilaire  à  sa  patrie, 
sans  toutefois  rapporter  la  sentence  d'exil,  absque 
exsilii  indulgentia,  dit  Sulpice  Sévère,  n,  45,  col.  155. 
D'après  cet  auteur,  la  mesure  aurait  été  suggérée  au 
prince  par  les  ariens,  qui,  pour  se  débarrasser  d'un 
adversaire  gênant,  le  lui  auraient  présenté  «  comme 
semeur  de  discorde  et  perturbateur  de  l'Orient  ». 
Autre  serait  peut-être  la  réalité  d'après  Loofs,  art. 
Hilarius  von  Poitiers,  dans  Realencijclopâdie,  t.  vin, 
p.  63  :  s'appuyant  sur  ces  paroles  du  Contra  Conslan- 
lium, II,  col.  588:  fugere  mihi  sub  Nerone  licuil,U.  de- 
mande si  l'exilé  n'aurait  pas  pris  la  fuite.  La  con- 
jecture semble  admise,  ou  à  peu  près,  par  dom  Wil- 
mart,  L' Ad  Conslanlium  liber  primus,  p.  150  :  «  à 
moitié  renvoyé  de  Constantinople,  à  moitié  fugitif 
volontaire.  »  Ne  serait-ce  pas  prendre  le  mot  fugere 
dans  un  sens  trop  rigoureux? 

Hilaire  quitta  Constantinople  dans  la  première 
moitié  de  360,  probablement  au  début  d'avril.  Le 
Contra  Conslanlium  imperatorcm,  P.  L.,  t.  x,  col.  577, 
date  de  cette  époque,  qu'il  ait  été  composé  par  son 
auteur  avant  son  départ  de  la  ville  impériale,  ou  peu 
après,  pendant  le  voyage  de  retour.  Cette  invective 
vigoureuse  reflète  les  sentiments  d'indignation  qui 
animèrent  l'âme  du  saint  évêque,  alors  que,  revenus  au 
pouvoir,  les  homéens  imposèrent  leur  credo,  devenu  le 
credo  de  Constance,  et  se  vengèrent  de  leur  défaite 
momentanée  en  exerçant  de  terribles  représailles 
contre  les  homeousiens.  Tout  espoir  de  conciliation  et 
d'union  dans  un  avenir  prochain  disparaissait.  L'évê- 
que de  Poitiers  n'en  contribua  pas  moins,  pour  sa  part, 
à  l'œuvre  que  d'autres  devaient  mener  à  bonne  fin. 
Deux  ans  plus  tard,  au  concile  d'Alexandrie,  saint 
Athanase  reprendra  l'entreprise  dans  de  meilleures  con- 
ditions; puis  les  grands  docteurs  cappadociens  vien- 
dront assurer  le  triomphe  de  l'orthodoxie.  Leur 
glorieux  chef,  saint  Basile  de  Césarée,  se  rattache 
par  ses  antécédents  à  Basile  d'Ancyre,  qu'il  accom- 
pagna même,  comme  diacre,  au  concile  de  Constan- 
tinople de  360.  Avant  de  mourir,  Hilaire  aura  la  joie 
de   voir   la   plupart   des   évêques   homeousiens   qu'il 


avait  connus  à  Séleucie  se  rallier,  à  l'exemple  de  saint 
Cyrille  de  Jérusalem,  au  credo  nicéen.  Voir  t.  i,  col. 
1835  sq.,  1840.  D'ailleurs,  quittant  l'Orient,  il  n'a- 
bandonna pas  l'œuvre  qu'il  avait  tant  à  cœur  :  il 
allait  seulement  la  continuer  sur  un  autre  théâtre. 

4°  Retour  en  Gaule  et  dernières  années.  —  Le  saint 
évêque  revint  par  la  voie  de  mer;  il  passa  par  l'Italie 
et  notamment  par  Rome.  Sulpice  Sévère,  Vita  B. 
Martini,  6-7,  P.  L.,  t.  xx,  col.  164.  Il  dut  voir  le  pape 
Libère,  rentré  dans  cette  ville  depuis  deux  années,  mais 
tout  détail  manque;  on  peut  raisonnablement  conjec- 
turer qu'il  y  eut  échange  de  vues  au  sujet  de  la  cam- 
pagne antiarienne  à  mener  en  Occident.  Enfin  le 
grand  exilé  reparut  dans  sa  patrie  après  quatre  années 
d'absence,  probablement  avant  la  fin  de  360,  au  plus 
tard  au  début  de  361.  Quel  accueil  il  reçut,  on  peut  en 
juger  par  les  termes  hyperboliques  dont  saint  Jérôme 
s'est  servi:  Tune  Hilarium  deprœlio  rcverlcnlem  Gallia- 
rum  ecclesia  complexa  est.  Adversus  laciferianos,  19, 
P.  L.,  t.  xxiii,  col.  173.  Cf.  Fortunat,  Vita,  n,  P.  L., 
t.  ix,  col.  191. 

La  situation  politique  était  notablement  modifiée, 
j  depuis  que  les  troupes  cantonnées  à  Paris  s'étaient 
révoltées  et  avaient,  en  mai  360,  proclamé  Julien 
empereur.  Hilaire  n'avait  plus  à  craindre  l'interven- 
tion de  Constance;  il  se  mit  immédiatement  à  l'œuvre, 
avec  autant  de  décision  que  de  modération,  afin  de 
confirmer  dans  leurs  sentiments  les  évêques  restés 
fidèles  et  de  ramener  dans  le  droit  chemin  de  l'ortho- 
doxie ceux  qui,  par  timidité  ou  par  ignorance,  avaient 
faibli  et  souscrit  à  des  formules  erronées  ou  du  moins 
compromettantes,  comme  celle  de  Rimini.  Sous  son 
impulsion,  des  synodes  provinciaux  se  réunirent  de 
divers  côtés,  et  même  un  concile  national  à  Paris. 
Ceux  qui  rapportent  ce  dernier  à  l'année  360,  par 
exemple,  dom  Coustant,  Vita,  67-68,  P.  L.,  t.  ix, 
col.  156  sq.,  supposent  qu'Hilaire  n'y  assista  pas  en 
personne,  bien  qu'il  ait  été,  moralement  parlant, 
l'àme  de  l'assemblée;  mais  la  plupart  des  historiens 
placent  le  concile  de  Paris  en  361  (Baronius,  en  362) 
et  tiennent  que  l'évêque  de  Poitiers  s'y  trouva.  Tille- 
mont,  Mémoires,  t.  vu,  p.  755,  note  xv.  Un  document 
nous  est  parvenu,  où  sa  doctrine  et  parfois  même  son 
style  se  révèlent  :  c'est  la  lettre  synodale  du  concile 
aux  évêques  orientaux,  en  réponse  à  une  lettre  qu'Hi- 
laire avait  reçue  de  ceux-ci  depuis  son  retour  en 
Gaule.  Fragm.  hist.,  xi,  P.  L.,  t.  x,  col.  710.  La  dépo- 
sition de  Saturnin  d'Arles  et  de  Paterne  de  Périgueux 
consacra  la  défaite  de  l'arianisme;  ce  qui  explique 
cette  phrase  de  Sulpice  Sévère,  n,  45,  col.  155  : 
«  Tout  le  monde  reconnaît  que  notre  Gaule  est  rede- 
vable au  seul  Hilaire  du  bonheur  qu'elle  eut  d'être 
délivrée  du  crime  de  l'hérésie.  »  Bientôt,  la  mort  de 
l'empereur  Constance,  survenue  le  3  novembre  361, 
porta  également  un  coup  décisif  à  la  suprématie  ho- 
méenne en  Orient.  Les  évêques  exilés  rentrèrent  dans 
leurs  diocèses,  et,  dès  l'année  suivante,  saint  Athanase 
réunit  dans  sa  ville  épiscopale  le  célèbre  «  concile  des 
confesseurs  »,  où  fut  adoptée  la  même  politique  reli- 
gieuse de  conciliation  et  d'apaisement  que  l'évêque  de 
Poitiers  venait  d'inaugurer  en  Occident.  Voir  t.  i, 
col.  1834.  Chose  vraiment  providentielle  et  féconde 
en  heureux  résultats  que  cet  accord  à  distance  des 
deux  grands  champions  de  la  foi  nicéenne  au  ive  siècle. 
A  la  lutte  contre  l'arianisme  se  joignit  alors  la  lutte 
contre  le  paganisme  sous  Julien  l'Apostat.  Les  vio- 
lences exercées  en  Gaule  par  Dioscore,  vicaire  du  préfet 
Salluste,  déterminèrent  LIilaire  à  publier,  en  361  ou 
362,  un  mémoire  signalé  par  saint  Jérôme  :  Ad  prse- 
fectum  Salluslium  sive  contra  Dioscorum.  D'ailleurs, 
Julien  étant  mort  le  26  juin  363,  la  controverse  n'eut 
pas  de  suite.  Beaucoup  plus  importante  fut  la  cam 
pagne  apostolique  du  docteur  gaulois  en  Italie.  Peut- 


2395 


HILAIRE  (SAINT' 


2396 


être  se  rattache-t-elle  à  la  lettre  adressée  aux  évêques 
de  ce  pays  par  le  pape  Libère  en  363.  Fragm.  hisl.,  xn, 
col.  714.  Hilaire  travailla  d'abord  seul,  puis  en  com- 
pagnie d'Eusèbe  de  Yerceil,  lequel,  ayant  assisté  au 
concile  d'Alexandrie,  avait  reçu  la  mission  d'en  appli- 
quer les  décrets  en  Occident.  Aux  efforts  combinés  des 
deux  saints  répondirent  des  fruits  si  abondants  que 
Rufin,  H.  E.,  i,  31,  P.L.,  t.  xxi,  col.  502,  a  pu  les  com- 
parer à  deux  astres  splendides  éclairant  de  leur  lumière 
l'illyrie,  l'Italie  et  les  Gaules.  Il  souligne  particulière- 
ment les  succès  de  l'évèque  gaulois,  en  les  attribuant  à 
la  douceur  et  à  la  placidité  de  son  caractère,  ul  esset 
nalura  knis  et  placidus.  La  contradiction  vint  pourtant. 
Quelques  années  plus  tôt,  divers  passages  du  traité  De 
synodis  avaient  déplu  à  Lucifer  de  Cagliari;  Hilaire 
avait  fait  une  réponse  dont  quelques  lambeaux 
existent  encore,  sous  le  titre  d' Apologelica  ad  repre- 
Itcnsorcs  libri  de  synodis  responsa,  P.  L.,  t.  x,  col.  546. 
Mécontents  maintenant  de  l'indulgence  dont  on  faisait 
preuve  à  l'égard  des  évêques  qui  avaient  faibli,  les 
lucifériens  unirent  désormais  dans  une  commune  répro- 
bation les  noms  du  pape  Libère  et  de  ses  deux  lieute- 
nants, Hilaire  et  Eusèbe  de  Verceil.  Dom  Coustant,  Vila, 
n.  95-99,  col.  168  sq.  ;  dom  Chamard,  Origines,  p.  523  sq. 

L'évèque  de  Poitiers  n'en  continua  pas  moins  en 
Italie  son  œuvre  apostolique.  Le  siège  de  Milan  était 
occupé  par  Auxence,  l'un  des  chefs  homéens  que  le 
concile  de  Paris  avait  anathématisés.  En  364,  le  ch;  m 
pion  de  l'orthodoxie  jugea  que  le  moment  était  venu 
de  chasser  le  loup  de  la  bergerie.  Avec  Eusèbe,  il 
commença  une  campagne  pour  démasquer  Auxence  et 
soustraire  à  sa  communion  les  catholiques  milanais. 
L'évèque  menacé  fit  appel  à  l'empereur  Valentinien; 
comme  on  le  voit  d'après  un  fragment  conservé  dans 
le  Contra  Auxenlium,  15,  P.  L.,  t.  x,  col.  618,  il  se  plaçait 
sur  un  terrain  juridique  en  alléguant  les  décrets  du 
concile  de  Rimini  et  accusait  ses  adversaires  de  troubler 
la  paix  religieuse.  Ces  considérations  firent  impression 
sur  l'empereur;  venu  à  Milan,  en  novembre  364,  il 
interdit  toute  espèce  d'assemblée  chrétienne  en  dehors 
des  lieux  soumis  à  la  juridiction  d'Auxence.  Hilaire 
protesta  dans  une  requête  où  il  dénonçait  dans  l'évèque 
homéen  un  blasphémateur,  un  ennemi  du  Christ.  Ce 
qu'il  écrira  bientôt,  il  le  dit  dès  lors  :  «  De  paix,  je  n'en 
désirerai  jamais  sinon  avec  ceux  qui,  s'attachant  à  la 
doct.ine  sanctionnée  par  nos  Pères  à  Nicée,  anathéma- 
tisent  les  ariens  et  proclament  Jésus-Christ  vrai  Dieu.  » 
Contra  Auxenlium,  12,  col.  617.  Valentinien  décida 
qu'une  discussion  aurait  lieu  entre  les  deux  adver- 
saires en  présence  de  deux  hauts  fonctionnaires, 
assistés  par  dix  évêques.  Auxence  exposa  sa  foi  dans 
une  formule  où  il  rejetait  en  apparence  la  doctrine 
homéenne,  mais  se  servait,  sur  le  point  brûlant,  de 
termes  à  double  entente  :  natum  ex  Pâtre  Deum  verum 
filitun;  ce  qui  pouvait  signifier:  vrai  Dieu  ou  vrai  fils 
(au  sens  arien).  Les  commissaires  et  l'empereur  se  con- 
tentèrent de  la  profession  de  foi  d'Auxence,  et  comme 
Hilaire  voulait  dévoiler  ses  équivoques  et  ses  réti- 
cences :  lusit  quidem  ille  verbis,  quibus  possit  fallere 
et  eleclos,  ibid.,  10,  col.  615,  il  reçut  l'ordre  de 
retourner  en  Gaule.  La  publication  du  Contra  Auxen- 
tium  'ut  comme  une  protestation,  destinée  à  renseigi  er 
les  orthodoxes  sur  toute  cette  affaire  et  à  sauvegarder 
l'intégrité  de  la  loi.  Si  le  saint  docteur  n'obtint,  dans 
l'occurrence,  qu'un  succès  incomplet,  son  intervention 
n'en  eut  pas  moins  pour  effet  de  forcer  Auxence  à 
rejeter  extérieurement  le  symbole  d'Arius  et  à  se 
maintenir  désormais  dans  une  prudente  réserve.  En 
outre,  la  réaction  provoquée  à  Milan  parmi  les  fidèles 
préparait  de  loin  l'acclamation  de  saint  Ambroise 
comme  évêque,  à  la  mort  d'Auxence  (374). 

Rentré  définitivement  dans  son  diocèse,  l'évèque  de 
Poitiers  consacra  ses  dernières  années  au  bien  spiri- 


tuel de  son  peuple.  De  ses  homélies  d'alors  nous  avons 
l'écho  dans  le  Traclalus  super psalmos; car  il  semble  bien 
qu'à  celte  époque,  comme  au  début  de  son  épiscepat,  il 
donna  d'abord  sous  foim?  d'instructions  ce  qu'il  dis- 
posa ensuite  sous  form:  de  livre.  Coustant,  Vita,  24, 
109,  P.  L.,  t.  ix,  col.  135,  175.  En  mm?  temps  le 
dévoué  pasteur  s'efforçait  de  former  ses  Poitevins  à 
une  pratique  qu'il  avait  rencontrée  etgoùtéeen  Orient  : 
les  chants  d'église,  chants  de  prières  et  de  psaumes, 
chants  d'inmn  s  qu'il  composa  lui-même.  Il  voyait  là 
un  moyen  d'attirer  les  faveurs  du  ciel,  de  rendre 
hommage  à  la  Divinité,  de  mettre  en  fuite  les  démons  et 
d'écarter  les  fidèles  des  réjouissances  profanes.  In  ps. 
i.\iv,  12;  /ai,  1,  4;  cxvm,  litt.  v,  n.  14,  P.  L.,  t.  ix, 
col.  420,  424  sq  ,540.Dansles  h\m:ies  qu'il  composa,  il 
se  proposait  aussi  de  prémunir  son  troupeau  contre  le 
venin  dangereux  des  hérésies.  D'ailleurs  son  zèle  ne  se 
bornait  pas  au  commun  du  peuple;  sous  son  impulsion 
et  sa  direction,  des  âmes  éprises  d'un  idéal  plus  relevé 
s'engagèrent  dans  la  voie  des  conseils  évangéliques.  Le 
plus  grand  de  ses  disciples,  saint  Martin,  nous  est 
déjà  connu.  Apprenant,  dans  l'île  de  Gallinari  où  il 
s'était  retiré,  que  son  maître  avait  quitté  l'Orient  pour 
revenir  dans  sa  patrie,  il  s'empressa  de  courir  à  Rome, 
où  il  espérait  le  rencontrer;  quand  il  y  parvint,  Hilaire 
en  était  déjà  parti.  Il  le  rejoignit  à  Poitiers, et presqui 
aussitôt,  en  360  ou  361,  la  fondation  de  Ligugé  inau- 
gurait la  vie  monastique  en  Gaule.  Coustant,  Vita, 
86,  col.  164  ;  Chamard,  Origines,  xn,  p.  273;  Saint  Martin 
cl  son  monastère  de  Ligugé,  Paris,  1873,  c  v,  p.  35  sq. 
Parmi  les  vierges  que  le  glorieux  pontife  consacra 
lui-même  à  Dieu,  la  tradition  mentionne  spécialement, 
après  Abra,  sa  propre  fille,  Florentia,  noble  païenne 
qu'il  avait  convertie  en  Asie  Mineure  et  qui  le  suivit  en 
Aquitaine.  Fortunat,  Vita,  7,  col.  189;  Chamard, 
Origines,  c.  xv. 

Saint  Hilaire  mourut  à  Poitiers  :  «  la  sixième  année 
après  son  retour  d'exil  »,  dit  Sulpice  Sévère,  n,  45, 
col.  155,  mais  sans  déterminer  à  quelle  époque  précise 
ce  retour  avait  eu  lieu;  «  la  quatrième  année  du  règne 
de  Valentinie  i  et  de  Valons  »  (printemps  367  à  prin- 
temps 36  S),  dit  Grégoire  de  Tours,  Hisloria  Franco- 
rum,  i,  36,  P.  L.,  t.  lxxi.  col.  180.  Cette  dernière  donnée 
se  trouve  aussi  dans  la  Chronique  de  saint  Jérôme, 
avec  cette  particularité  que  des  manuscrits  de  cet 
ouvrage  rattachent  la  mo.'t  d'Hilaire,  non  pas  à  la 
quatrième,  mais  à  la  troisième  année  du  règne  des  deux 
empereurs.  R.  Helm,  Die  Chronik  des  Hieronymus, 
dans  Eusebius  Wcrke,  Leipzig,  1913,  t.  VI,  p.  245. 
A  ces  divergences  s'en  ajoute  une  autre,  relative  au  jour 
même  de  la  mort,  placé  par  quelques-uns  au  1er  no- 
vembre au  lieu  du  13  janvier,  suivant  l'opinion  com- 
mune. De  là  vient  qu'une  date  ferme  ne  peut  pas  être 
fixée,  les  avis  oscillant  entre  les  années  366,  367  et  368. 
Acta  sanctorum,  comment,  31  sq.;  Tillemont,  Mémoires, 
t.  vu,  p.  755,  note  xvm  ;  Coustant,  Vita,  113-115, 
col.  177  sq. ;  Chamard,  Origines,  p.  401.  L'Éj-lise 
romaine  fête  saint  Hilaire  le  14  janvier,  comme  con- 
fesseur pontife  et  docteur.  Ce  dernier  titre,  dont  il 
était  honoré  de  temps  immémorial  dans  beaucoup 
d'églises,  fut  officiellement  consacré  par  le  décret 
Quod  potissimum  de  la  S.  C.  des  Rites  et  le  bref  aposto- 
lique Si  ab  ipsis,  29  mars  et  13  mai  1851.  Correspon- 
dance de  Borne,  4e  année,  t.  i,  p.  233  sq.,  266;  Mgr  Pie, 
Œuvres,  t.  i,  p.  458-481. 

r'  Sources  anciennes':  les  œuvres  mêmes  de  saint  Hilaire, 
l'Historia  sacra  de  Sulpice  Sévère,  la  Vita  S.  Hilarii  de 
Fortunat  et  autres  écrits  précédemment  signalés;  le  tout 
synthétisé  par  dom  Coustant,  Vita  S.  Hilarii  ex  ejus  scriptis 
polissimum  collecta,  P.  L.,  t.  ix,  col.  123-184. 

Ouvrages  généraux  :  Acta  sanctorum,  Anvers,  1G43,  t.  i' 
januarii,  p.  782  sq.;  J.  Bouchet,  Les  Annales  d'Aquitaine, 
Poitiers,  1644,  c.  vi-xv;  Tillemont,  Mémoires  (1700),  t.  vu, 


,2397 


HILAIRE   (SAINT' 


2398 


p.  432-469,  745-758;  Histoire  littéraire  de  la  France  (1733), 
t.  i  6,  p.  139-194;  A.  de  Bi oglie.  L'Église  etl'empire  romain 
an  IV  siècle,  Paris,  1868,  II»  part.,  t.  i,  p.  355,  408  sq., 
429sq.;  t.  Il,  p.  475  sq.,  IIIe  part,  t.  i,  p.  14  sq.  ;  domF.  Cha- 
mard,  Origines  de  l'Église  de  Poitiers,  Poitiers,  1874,  1.  I; 
chan.  Auber,  Histoire  générale,  religieuse  et  littéraire  du 
Poitou,  Poitiers,  1885,  I.  III. 

Biographies  et  monographies  :  Ad.  Viehhauser,  Hilarius 
Pickwiensis  geschildert  in  seinem  Kampfe  gegen  den  Aria- 
nismus,  Klagenfurt,  1860;  J.  H.  ReinUens,  Hilarius  von 
Poitiers,  Schaffhausen,  1864;  E.  Dormagen,  Saint  Hilaire 
de  Poitiers  et  l'arianisme,  Saint-Cloud,  1864  ;  V.  Hansen, 
Vie  de  saint  Hilaire,  évéque  de  Poitiers  et  docteur  de  l'Église, 
Luxembourg,  1875  ;  J.  G.  Cazenove,  St  Hilary  of  Poitiers 
and  St.  Martin  of  Tours,  Londres,  1883;  P.  Barbier,  Vie 
de  saint  Hilaire,  évênue  de  Poitiers,  docteur  et  père  de  l'Église, 
Paris,  1887;  E.  Watson,  The  Life  and  writings  of  St.  Hilary 
of  Poitiers,  dans  A  sélect  l'brary  of  Nicene  and  post-Nicene 
Fathers,  2'  série,  Oxford,  1899,  t.  ix,  Introduction,  c.  i; 
A.  Largent,  Saint  Hilaire,  Paris,  1902;  G.  Girard,  Saint 
Hilaire,  Angers,  1905.  —  Articles  biographiques:  J.  G.  Ca- 
zenove, dans  Smith,  Diclionary  of  Christian  biography, 
Londres,  1882,  t.  m,  p.  54-66;  B.  Fechtrup.  dans  Kirchen- 
lexikon,  Fribourg-en-Brisgau,  t.  v,  col.  2046-2052;  F.  Loofs, 
dans  Realencyklopudie  tiïr  j>rotestanlisehe  Théologie  und 
Kirchc,  Leipzig,  1900,  t.  vm,  p.  57-67.  Voir,  en  outre, 
U.  Chevalier,  Répertoire...  Bio-bibliographie,  Paris,  1905, 
t.  i,  col.  2147  sq. 

II.  Écrits.  —  Bien  que  l'activité  littéraire  de  saint 
Hilaire  ait  été  inférieure  à  celle  des  grands  docteurs 
latins  qui  sont  venus  après  lui,  elle  reste  cependant 
notable  et  multiple  en  ses  manifestations.  L'ordre 
chronologique  ressortant  suiïisamment  de  la  no'ice 
biographique,  nous  grouperons  ses  écrits  d'après  leur 
importance  relative,  du  point  de  vue  théologique. 

/.  écrits  dogmatiques.  —  1°  De  Trinilate  libri 
duodecim,  P.  L.,  t.  x,  col.  25-472.  —  Ouvrage  capital 
du  saint  docteur,  contenant  une  exposition  et  une 
défense  méthodiques  de  la  doctrine  catholique  sur  les 
trois  personnes  divines,  et  plus  spécialement  sur  la 
consubstantialité  du  Père  et  du  Fils.  Le  titre  primitif 
semble  avoir  été  :  De  fîde.  Coustant,  Prœf  lio,  2-4, 
cri.  9  sq.  L'ensemble  de  l'ouvrage  remonte  sûrement  au 
temps  de  l'exil, 1.  X,  4,  col.  346  :  loquemur enimexsutes 
per  lios  libros.  Toutefois,  comrm  au  début  du  1.  IV, 
col.  97,  il  est  question  de  livres  antérieurs,  écrits  il  y  a 
déjà  un  certain  temps,  jam  pridem,  il  est  possible  que 
les  trois  premiers  livres,  au  moins  le  IIe  et  le  IIIe, 
aient  été  composés  avant  la  venue  d'Hilaire  en  Orient. 
L'hypothèse  est  d'autant  plus  plausible  qu'il  n'y  est 
pas  fait  mention  de  I'ôuooôœio;.  Par  là  s'expliqueraient 
diverses  particularités  relevées  par  Watson,  op.  cit., 
Introd.,  c.  i,  p.  xxxv,  par  exemple,  que  le  1.  Ve  soit 
appelé  second,  1.  V,  3,  col.  131,  et  que  le  1.  IIIe  soit  en 
partie  reproduit  dans  le  IXe.  L'auteur  a  su  d'ailleurs 
ramener  le  tout  à  l'unité  de  plan,  1. 1,20-36, col.  39-48; 
cf.  1.  VIII,  2,  col.  237. 

Le  traité  comprend  douze  livres,  dont  le  Ier  forme 
introduction.  Après  avoir  raconté  comment  il  a  été 
amené  à  la  foi  catholique,  le  saint  docteur  énonce  son 
dessein  :  défendre,  à  l'aide  des  divines  Écritures,  cette 
m  "nie  foi  contre  les  hérésies  courantes,  surtout  le 
safcellianisme  et  l'arianisme.  Dans  le  IIe  et  le  IIIe 
livres,  il  établit  d'une  façon  succincte  la  réalité  et  la 
vraie  notion  des  trois  personnes,  Père,  Fils  et  Saint- 
Esprit,  en  partant  de  la  -formule  baptismale,  Matth., 
xxvm,  19,  puis  la  distinction  personnelle  et  l'unité 
de  nature  du  Père  et  du  Fils,  en  s'appuyant  particu- 
lièrement sur  Y  Ego  in  Paire,  et  Pater  in  me  est.  Joa  , 
xiv,  10.  Avec  le  IVe  livre  commence  une  démonstra- 
tion plus  complète  de  la  doctrine  catholique  sur  la 
seconde  personne;  l'arianisme  est  pris  directement  à 
partie,  bien  qu' Hilaire  ait  toujours  soin  de  mettre  en 
relief  la  distinction  réelle  du  Père  et  du  Fils.  Après 
avoir  rapporté  le  symbole  d'Arius  et  rétabli,  à  ren- 
contre  des   fausses   interprétations,   le   vrai  sens   du 


terme  ôjiooJa:o;,  il  prouve  d'abord  la  divinité  de  Jésus- 
Christ  par  l'Ancien  Testament  :  théophanies  et  textes 
prophétiques,  1.  IV;  passages  où  le  Fils  nous  apparaît 
associé  au  Père  dans  des  œuvres  et  des  prérogatives 
divines,  1.  V.  Il  établit  ensuite  par  les  écrits  du  Nouveau 
Testament  la  consubstantialité  des  deux  personnes  en 
traitant  successivement  de  deux  points  étroitement 
liés  entre  eux,  mais  susceptibles  d'argum  -nts  distincts  : 
la  filiation  naturelle  du  Christ  et  sa  divinité;  la  pre- 
mière appuyée  par  les  témoignages  multiples  que  le 
Fils  s'est  rendus  à  lui-m?me  ou  que  d'autres  lui  ont 
rendus,  1.  VI;  la  seconde  manifestée  par  divers  indices  : 
nom  de  Dieu  donné  au  Christ,  propriété  dont  jouit 
tout  fils  naturel  d'avoir  la  m 'me  nature  que  son  père, 
puissance  divine  que  révèlent  les  œuvres  du  Sauveur, 
unité  absolue  et  ressemblance  parfaite  avec  le  Père, 
1.  VII.  La  démonstration  est  complétée,  au  livre  suivant, 
1.  VIII,    par  l'éclaircissement   du   texte  :    Ut  omnes 
imam  suit,  sicul  tu,  Pater,  in  me,  et  ego  in  le,  Joa.,  xvn, 
21,  dont  les  ariens  abusaient  pour  éluder  la  force  de 
l'Ego  et  Palcr  unum  sumus,  Joa.,  x,  30;  complétée 
aussi  par  différents  passages  du  Nouveau  Testament 
d'où  ressort  l'unité  de  substance  entre  le  Père  et  le  Fils, 
par  exemple,- ceux  qui  attribuent  à  l'un  et  à  l'autre  les 
mîmes  relations  à  l'égard  du  Saint-Esprit.  Les  quatre 
derniers   livres   sont  une   confirmation   indirecte   par 
l'explication  des  textes  objectés  :  1.  IX,  textes  évan- 
géliques  où  Notre-Seigneur  déclinerait  lui-même  le  titre 
de  Dieu  ou  des  attributs  divins,  tels  que  l'omniscience, 
Marc,  ix,  18;  xm,  32.  et  professerait  sa  totale  dépen- 
dance et  son  infériorité  de  nature  par  rapport  au  Père, 
Joa.,  xi,  9,  et  xiv,  28;  1.  X,  textes  attribuant  au  Christ 
des  sentiments  inadmissibles  dans  une  personne  divine, 
crainte    et    tristesse,    douleur,    anxiété    et    faiblesse, 
Matth.,   xxvi,    38-39;  xxvn,    46;   Luc,    xxm,    46; 
1.    XI,  textes  relatifs  au  Sauveur  ressuscité  et  main- 
tenant   en    lui   la    subordination    et    l'infériorité    par 
rapport  au  Père;  1.  XII  texte  des  Proverbes,  vm,  22  : 
Dominus  creavil  me,  auquel  se  rattachaient  les  for- 
mules captieuses  d'Arius  :  Erat  quando  non  erai;  Non 
fuit  antequam  nasceretur,  etc.  Le  saint  docteur  termine 
cet  ouvrage  remarquable  en  résumant  une  dernière  fois 
la  doctrine  catholique  sur  les  trois  personnes  de  la 
Trinité. 

2°  De  synodis,  P.  L.,  t.  x,  col.  475-546,  parfois 
rattaché  au  précédent,  comme  XIIIe  livre,  dans  les 
anciens  manuscrits.  Coustant,  Prœj.,  1,  col.  471.  En 
réalité,  c'est  un  écrit  distinct,  composé  après  le  tremble- 
ment de  terre  du  24  août  358,  qui  détruisit  presque 
entièrement  la  ville  de  Nicomédie,  et  avant  le  choix 
définitif  des  deux  endroits  qui  devaient  lui  être  sub- 
stitués pour  la  grande  réunion  d'évêques  occidentaux 
et  orientaux  (pie  l'empereur  Constance  avait  décrétée, 
De  synodis,  8,  col.  483;  par  conséquent,  sur  la  fin  de 
358,  au  plus  tard  au  début  de  359.  Envoyé  sous  forme 
de  lettre  aux  évêques  des  provinces  de  Germanie,  de 
Gaule  et  de  Bretagne,  cet  écrit  visait  aussi,  dans  la 
pensée  de  son  auteur,  les  homéousiens;  car,  si  le  prélat 
exilé  se  proposait  de  renseigner  ses  collègues  d'Occi- 
dent sur  la  foi  des  Orientaux,  il  désirait  en  même 
temps  poursuivre  son  œuvre  de  conciliation  en  faisant 
connaître  les  préjugés  et  les  malentendus  qui  pouvaient 
exister  de  part  et  d'autre.  De  la,  indépendamment  du 
préambule,  1-8,  deux  parties  dans  cette  lettre  :  l'une 
historique,  9-65,  l'autre  dogmatique,  66-91.  Dans  la 
première,  qui  s'adresse  directement  aux  évêques 
occi  lentaux,  Hilaire  rapporte  la  seconde  formule 
ou  «  blasphème  »  de  Sirmium,  puis  les  douze  ana- 
thèmes  lancés  contre  cette  formule  par  les  homéou- 
siens au  synode  d'Ancyre,  enfin  il  passe  en  revue  les 
divers  symboles  émis,  depuis  le  concile  de  Nicée,  par 
les  eusébiens  ou  leurs  continuateurs,  aux  conciles  d'An- 
i  tioche  in  encœnits,   de  Sardique  ou  Philippopolis,  de 


2399 


HILAIRE   (SAINT1 


2400 


Sirmium  en  351.  Interprétant  ces  professions  de  foi 
d'après  les  erreurs  qu'elles  visaient  directement  et  la 
préoccupation  dominante  chez  leurs  auteurs  d'éviter 
le  sabelÙanisme,  le  saint  docteur  s'efforce  de  montrer 
comment  elles  sont  susceptibles  d'un  sens  orthodoxe. 
Dans  la  seconde  partie,  il  expose  sa  propre  croyar  ce, 
puis  il  se  tourne  vers  les  Orientaux,  qui,  d'un  côté, 
se  séparaient  des  ariens  proprement  dits  et,  de 
l'autre,  récusaient  le  terme  d'ô[a.oojato;,  pour  essayer 
de  détruire  leurs  préventions;  il  explique  le  véritable 
sens  du  mot,  en  écartant  les  fausses  interprétations,  et 
montre  aux  homéousiens  que,  s'ils  veulent  soutenir 
leur  ôiAoïoiffioç  d'une  façon  orthodoxe,  ils  doivent 
nécessairement  y  voir  un  équivalent  de  l'ôfiooiSaio; 
nicéen.  L'entente  n'est  possible  qu'à  cette  condition: 
ut  probari  possil  homœusion,  non  improbemus  homou- 
sion,  91,  col.  543. 

Cet  appel  à  l'entente  sur  une  large  base  de  concilia- 
tion, ou  du  moins  la  critique  faite  par  Hilaire  du  terme 
ôuotoôaioç,  ne  plut  pas  à  tous  les  nicéens,  à  Lucifer 
de  Cagliari  en  particulier.  Ccustant, Prsef.,  9.  col.  473; 
Kiùger,  Lucifer,  Bischoj  von  Calaris,  Leipzig,  1886, 
p.  38  rq.  Le  docteur  gaulois  s'expliqua  dans  une  réponse 
dont  il  î  e  nous  reste  que  de  maigres  fragments:  Apolo- 
gctica  ad  reprehensores  libri  de  synodis  responsa,  P.  L., 
t.  x,  col-  545-548.  Ces  fragments  montrent  du  moins  que 
l'auteur  du  livre  incriminé  savait  parfaitement  dis- 
tinguer entre  ce  qu'il  appelle  la  pieuse  acception  de 
1'ôaoiojaioç  et  les  interprétations  différentes  qu'on 
pouvait  donner  de  ce  mot-programme.  Un  peu  plus 
tard,  en  359,  saint  Athanase  publiait  à  son  tour  un 
De  synodis.  Voir  t.  i,  col.  2157.  La  différence  clans  le 
but  que  les  deux  docteurs  se  proposaient  et  dans  les 
circonstances  où  ils  écrivirent,  l'un  avant,  l'autre 
après  les  conciles  de  Rimini  et  de  Séleucie,  explique 
suffisamment,  en  del  ors  de  toute  divergence  c'octri- 
nale,  la  diversité  de  ton  et  d'appréciation.  Ibid., 
col  1831  sq.;  Ccustant,  Prœf.,  5,  13,  14,  col.  474,  477. 
Saint  Jérôme  estimait  assez  l'œuvre  d'Hilaire  pour  la 
copier  de  sa  propre  main,  alors  qu'il  était  à  Trêves. 
Epist.,  v,  ad  Florenlium,  P.  L.,  t.  xxn,  col.  337. 

3°  Écrits  dogni(diques  apocryphes  ou  douteux.  ■ — 
Quelques  autres  écrits  ont  été  attribués  à  saint  Hilaire, 
mais  sans  qu'aucun  offre  des  garanties  sérieuses.  Les 
deux  pièces  :  De  Patris  et  Filii  unilate;  De  essentia 
Patris  et  Filii,  P.  L.,  t.  x,  col.  883-887,  887  888,  sont 
de  purs  centons,  provenant  du  traité  De  Trinilatr, 
ou  même  d'autres  auteurs.  Sont  tenus  communément 
pour  apocryphes  :  une  sorte  d'apologie,  publiée  au 
xvme  siècle  par  Trombelli,  Epislola  seu  Libcllus, 
P.  L.,  t.  x,  col. 733-750;  cf.dom  G.  Morin,  dans  Bévue 
bénédictine,  1898,  t.  xv,  p.  97  sq.  ;  Bardenhewer,  Ge- 
schichle,  t.  ni,  p.  387;  un  Scrmo  de  dedicatione  Ecclcsiœ, 
avec  préface  du  même  Trombelli,  P.  L.,  t.  x,  col.  877- 
884;  une  homélie,  In  commemoralione  S.  Pauli,  impri- 
mée dans  le  Spicilcgium  de  Liverani,  Florence,  1803, 
p.  113  sq.  Un  extrait  de  traité  sous  forme  de  questions 
et  de  réponses,  relatives  aux  principales  erreurs 
ariennes,  a  été  publié,  en  1903,  par  le  Dr  H.  Sedlmayer 
dans  les  Silzungsberich!c  de  l'Académie  impériale  de 
Vienne,  t.  cxlvi,  sous  ce  titre  :  Der  Traclalus  contra 
arianos  in  der  Wiener  Hilarius-Handschrijl.  La  pré- 
sence de  ce  fragment  dans  un  manuscrit  du  vie  siècle 
qui  renferme  le  De  Trinilate,  l'a  fait  attribuer  à  saint 
Hilaire,  mais  il  n'existe  aucune  preuve  tant  soit  peu 
concluante  en  faveur  de  cette  attribution.  Dom  Morin, 
Hilarius  V Ambrosiasler,  appendice,  dans  Revue  béné- 
dictine, 1903,  t.  xx,  p.  125-131;  Bardenhewer,  op.  cit., 
t.  m,  p.  379.  Les  Spuiin,  de  saint  Hilaire.  ont  été 
édités  par  le  P.  Feder,  dans  le  Corpus  de  Vienne, 
Leipzig,  1916,  t.  lxv. 

//.  ÉCRITS  EXÉGÉT1QVES.  - —  1°  In  Evangclium 
Matthœi  commentarius   en  33  chapitres,  P.  L.,  t.  ix, 


col.  917-1078.  C'est  le  premier  écrit  de  saint  Hilaire 
que  nous  possédions;  il  remonte  au  début  de  son  épi- 
scopat.  Manque  la  préface,  dont  quelques  lignes  se 
trouvent  dans  les  Fragments  recueillis  par  Coustant, 
P.  L.,  t.  x,  col.  723,  citées  d'après  Cassien,  De  incar- 
nalione,  vu,  24,  P.  L.,  1. 1.,  col.  251  ;  de  même,  semble- 
t-il,  la  fin  ou  conclusion.  L'ouvrage  se  présente  sous 
(orme  de  livre,  ix.  11,  col.  1027,  quoiqu'il  en  soit  de  la 
conjecture  probable  qui  en  rattache  la  première  origine 
à  des  homélies  prêchées  aux  fidèles  Coustant,  Vila, 
24;  Admonitio,  8,  col.  135,  912.  L'auteur  ne  c  .minente 
pas  tout  le  texte  évangélique,  mais  seulement  certains 
passages,  probablement  ceux  qui  avaient  été  lus  à 
l'église.  Il  s'en  tient,  sans  discussion  critique,  à  la 
seule  version  latine,  en  se  préoccupant  moins  de  la 
lettre  que  de  l'esprit,  et,  quoiqu'il  sache  distinguer, 
dans  les  faits  et  les  discours,  le  sens  littéral  du  sens 
spirituel  ou  moral,  c'est  à  ce  dernier  qu'il  s'attache 
pour  en  tirer  des  considérations  propres  à  instruire  et 
à  édifier.  Par  cette  méthode  d'interprétation  allégo- 
rique, Hilaire  se  rapproche  d'Origène,  dont  l'exégèse 
est  souvent  la  sienne.  Non  pas  qu'il  faille  voir  dans  le 
commentaire  du  docteur  gaulois  une  traduction  ni 
même  une  adaptation  d'une  œuvre  du  docteur  alexan- 
drin, le  contraire  est  suffisamment  prouvé  par  Coustant, 
Admonitio,  2,  3,  col.  900  sq.  ;  mais  on  peut  se  demander 
s'il  y  a  eu  dès  lors  influence  directe  du  second  sur  le 
premier.  Les  uns  le  nient,  par  exemple,  Reinkens, 
op.  cit.,  p.  70  rq.,  et  Loofs,  art.  cit.,  p.  50;  d'autres, 
comme  Watson,  op.  cit.,  Introd.,  c.  i,  p.  vu-vin,  ne 
croient  pas  pouvoir  expliquer  autrement  les  ressem- 
blances qu'il  est  facile  de  constater.  Les  «capitula  »  ou 
«  canones  »,  titres  et  sommaires  mis  en  tête  des  cha- 
pitres, ne  sont  pas  de  saint  Hilaire,  ils  ont  été  ajoutés 
après  coup. 

2°  Traciatus  super  psalmos,  P.  L.,  t.  x,  col.  231-908; 
édit.  nouvelle  par  A.  Zingerle,  dans  Corpus  scriplorum 
ecclcsiasticorum  latinorum,  Vienne,  1891,  t.  xxn,  — 
Ouvrage  beaucoup  plus  considérable  que  le  précédent, 
composé  par  saint  Hilaire  après  son  retour  d'exil. 
Divers  indices,  en  particulier  les  allusions  à  une  lecture 
préalable  des  psaumes,  In  ps.  XIII,  2  ;  xi  v,  1 ,  col.  295, 299, 
*  permettent  d'affirmer  que  l'exposition  sous  forme 
d'homélies  précéda  la  rédaction  sous  forma  de  livre. 
Coustant,  Admon.,  23,  col.  232.  L'exemplaire  dont  se 
servait  saint  Jérôme,  De  viris  illuslr  ,  100  comprenait 
les  psaumes  i,  n,  li-i.xii,  cxviii-cl  ;  les  éditions  mo- 
dernes ont,  en  outre,  les  psaumes  xin,  xiv,  lxiii-lix, 
non  contestés,  et  ix,  xci,  const estes,  cf.  Zingerle,  p.  xiv; 
ce  qui  fait  en  tout  50  ou  58  psaumes,  sans  compter  le 
Prologus  ou  Inslructio  psalmorum,  où  l'auteur  expose 
ses  principes  sur  l'interprétation  des  saintes  Lettres. 
Fortunat  paraît  insinuer,  Vita,  14,  col.  193,  que 
son  prédécesseur  avait  commenté  le  psautier  intégra- 
lement :  scripta  Davidici  carminis  sermone  colhurnalo 
per  singula  rescravil.  En  tout  cas,  l'œuvre  ne  nous 
est  point  parvenue  clans  son  intégrité,  puisqu'il  y  a, 
dans  les  psaumes  que  nous  possédons,  des  allusions 
à  d'autres  qui  font  défaut. Coustant.,  Admon., 4-7,  col. 
223  sq. 

La  méthode  d'interprétation  est  la  même  que  dans 
le  commentaire  de  l'Évangile  de  saint  Matthieu. 
Cependant  deux  particularités,  dues  sans  doute  au 
séjour  d'Hilaire  en  Orient,  sont  à  noter.  Le  commen- 
tateur se  préoccupe  davantage  de  dégager  le  sens 
littéral;  aussi  a-t-il  recours  à  diverses  traductions, 
latines  et  grecques,  surtout  à  la  version  des  Septante, 
et  parfois  mention  est  faite  d'opinions  diverses  : 
Prolog.,  l;Inps.irr,9;  cxxiv,  1,  col.  232  sq.,  352,679. 
En  outre,  la  filiation  origéniste  est  non  seulement 
manifeste,  .mais  assez  notable  pour  qu'on  puisse 
parler  de  paraphrase,  de  vulgarisation,  d'adaptation, 
en  entendant  toutefois   une   adaptation   large,  où   le 


2401 


HILAIRE   (SAINT) 


2402 


disciple,  poursuivant  son  propre  but,  garde  son  origi- 
nalité et,  a  l'occasion,  son  indépendance.  Watson, 
op.  cil.,  p.  xun  sq.  Si,  mentionnant  le  commentaire 
sur  les  psaumes  dans  le  De  viris  illustribns,  saint  Jé- 
rôme semble  attribuer  au  docteur  gaulois  le  rôle  de 
simple  »  imitateur,  ajoutant  un  peu  du  sien,  nonnulla 
etiam  de  suo  addidit  »,  ces  paroles  ne  doivent  pas  se 
prendre  trop  a  la  lettre;  parlant  ailleurs  d'Hilaire  et 
de  Victorin,  le  même  critique  substitue  à  l'idée  de 
vulgaire  interprète  celle  d'auteur  pouvant  se  réclamer 
d'une  œuvre  personnelle  :  non  ut  interprètes,  sed  ut 
auctores  proprii  operis  Iranstulerunt,  Epiât.,  lxxxiv, 
ad  Pammarhium,  7,  P.  L.,t.  xxii,  col.  749.  Cf.  Cons- 
tant, Admon.  13,  col.  227;  Bardenhewer,  op.  cit., 
t.  in,  p.  374. 

3°  Tractalus  in  Job.  —  Ce  commentaire,  dont  il  ne 
reste  que  deux  fragments  sans  importance,  P.  L., 
t.  x,  col.  723-724,  est  signalé  plusieurs  fois  par  saint  Jé- 
rôme, en  particulier  De  viris  illust.,  100  :  Tractatus  in 
Job,  quos  de  grœco  Origenis  ad  sensum  transluHl. 
A  en  juger  par  ce  que  le  même  docteur  dit  ailleurs, 
Apologia  adv.  libros  Rufini,  i,  2,  P.  L.,  t.  xxm, 
col.  399,  le  commentaire  sur  Job  devait  être  assez 
étendu,  puisque,  avec  le  commentaire  sur  les  psau- 
mes, il  représenterait  environ  40  000  lignes  tra- 
duites d'Origène;  ce  qui,  d'après  certains  calculs, 
donnerait,  pour  le  Tractatus  in  Job,  à  peu  près  les  deux 
septièmes  du  Tractatus  super  psalmos  dans  son  état 
présent.  Watson,  op.  cit.,  p.  xl.  Rien  de  certain  sur 
l'époque  où  l'écrit  fut  composé.  Dom  Coustant  conjec- 
ture, Vila,  44,  col.  145,  qu'Hilaire  l'aurait  fait  en 
Asie  Mineure  pour  se  consoler  des  souffrances  et  des 
peines  de  l'exil;  mais  d'autres,  comme  dom  Rivet, 
Histoire  littéraire  de  la  France,  t.  I  b,  p.  182,  et  dom 
Ceillier,  Histoire  générale  des  auteurs  sacrés,  t.  iv, 
p.  C4,  s'appuyant  sur  le  terme  d'homélies  dont  saint 
Jérôme  et  saint  Augustin  se  sont  servis  en  parlant  de 
cet  ouvrage,  l'estiment  composé  à  Poitiers,  comme 
les  autres  commentaires. 

4°  Liber  ou  Tractatus  miisteriorum.  —  Signalé  par 
saint  Jérôme,  De  viris  illuslribus,  100,  mais  supposi 
perdu,  cet  écrit  fut  pendant  longtemps  une  énigme. 
La  plupart  conjecturaient  qu'il  s'agissait  d'une  sorte 
de  sacrameutaire,  dont  le  contenu  se  serait  ensuite 
fondu  dans  des  recueils  liturgiques.  Voir  Constant, 
Prœj.  gen.,  23,  col.  21;  Rivet,  op.  cit.,  p.  191;  Rein- 
kens,  op.  cit.,  p.  267.  En  1887,  une  heureuse  décou- 
verte, faite  par  J.-F.  Gamurrini  dans  la  bibliothèque 
d'Arezzo,  restitua  un  peu  plus  du  tiers  de  l'ouvrage, 
c'est-a-dire  deux  fragments  notables,  contenus  dans 
un  manuscrit  du  xie  siècle.  En  outre,  cinq  ou  six  pas- 
sages ont  été  reproduits  ou  résumés  par  Pierre  Diacre, 
Scolia  in  quœstionibus  Veleris  Testamenti  ;  voir  Biblio- 
theca  Casinensis,  1891,  t.  v  a,  et  dom  Wilmart,  Le 
De  mgsteriis  de  S.  Hilaire  au  Mont-Cassin,  dans  la 
Revue  bénédictine,  1910,  t.  xxvn,  p.  12.  Enfin  Bernon 
de  Reichenau  (f  1048)  a  cité,  Ratio  generalis  de  initio 
adventus  Domini secundumauctoritatem  Hilarii  episcopi, 
P.  L.,  t.  cxlii,  col.  1086  sq.,  un  texte  d'une  quinzaine 
de  lignes  en  le  référant  à  un  Liber  officiorum  qui 
s'identifie,  en  réalité,  avec  le  Liber  mysteriorum. 
Dom  Wilmart,  Le  prétendu  Liber  offl'iorum  de  saint 
Hilaire  et  l'Avent  liturgique,  dans  la  Revue  bénédictine, 
1910,  t.  xxvii,  p.  500. 

L'autbenticité  des  fragments  publiés  par  Gamurrini 
est  incontestable,  surtout  depuis  l'examen  critique 
qui  en  a  été  lait  en  1905  par  H.  Lindemann.  M  us  le 
Liber  mysteriorum  n'a  rien  à  voir  avec  la  liturgie;  il 
traite  seulement  de  prophéties  et  d'actions  ou  de 
types  symboliques.  Aussi  rentre-t-il  dans  la  série 
des  écrits  exégétiques  de  l'évêque  de  Poitiers.  Un 
principe  est  énoncé  au  début,  qui  en  explique 
l'idée  :  «  Tout  ce  qui  est  contenu  dans  les  saintes 

D1CT.    DE    THÉOL.   CATB. 


Lettres  se  rapporte  à  la  venue  en  ce  monde  de  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ,  soit  en  l'annonçant  prophéti- 
qucrmnt,  soit  en  la  figurant  par  des  faits,  soit  en 
la  confirmant  par  des  exemples  :  et  dictis  nuntial, 
et  factis  exprimit,  et  confirmât  exemplis.  Tels,  le 
sommsil  d'Adam,  le  déluge  au  temps  de  Noé,  la  béné- 
diction de  Melchisédech,  la  justification  d'Abraham, 
la  naissance  d'Isaac,  la  servitude  de  Jacob.  Le  prin- 
cipe est  appliqué,  dans  un  Ier  livre,  aux  patriarches 
depuis  Adam  jusqu'à  Moïse;  dans  un  IIe,  aux  pro- 
phètes, le  fram^nt  conservé  ayant  pour  objet  Osée 
et  l'épouse  de  fornication,  puis  Rahab,  à  propos 
d'Osée,  i,  2.  Hilaire  dut  composer  cet  écrit  dans  les 
dernières  années  de  sa  vie,  car  on  y  trouve  quelques 
réminiscences  du  commentaire  sur  les  Psaumes,  et 
dans  ce  commentaire  lui-mîmî,  In  ps.  cxxxvin,  4, 
col.  795,  le  sujet  traité  dans  le  Liber  mysteriorum  est 
énoncé  comme  à  l'état  de  projet. 

Le  P.  Fêler  a  édité  le   Trr  talus  m]slen>rum,  en 
tête  du  t.  lxv  du  Corpu-;  de  Vie  nie,  Leipzig,  1916. 

5°  Écrits  douteux  ou  apocryphes.  —  Saint  Jérôme 
nous  apprend,  De  viris  illuslr.,  100,  que  de  son  temps 
quelques-uns  attribuaient  à  l'évêque  de  Poitiers  un 
écrit  sur  le  Cantique  des  cantiques,  mais  il  ajoute  ne 
pas  connaître  lui-m'me  cet  ouvrage.  Malgré  la  cita- 
tion, faite  par  le  IIe  concile  de  Séville,  tenu  en  619, 
d'un  témoignage  apporté  à  une  »  Exposition  de  l'Épître 
à  Timothée  »  par  saint  Hilaire,  P.  L.,  t.  x,  col.  724, 
et  malgré  quelques  autorités  de  date  postérieure 
cf.  Reinkens,  op.  cit.,  p.  272,  il  ne  semble  pas  que 
l'évêque  de  Poitiers  ait  été  réellement  l'auteur  d'un 
commentaire  sur  les  Épîtres  de  saint  Paul.  En  tout 
cas,  les  fragments  considérables  d'un  commentaire 
de  ce  genre,  qui  ont  été  publiés  par  le  cardinal  Pitra, 
Spicilegium  Solesmense,  t.  i,  p.  49-159,  n'ont  pu  être 
mis  sous  le  nom  de  saint  Hilaire  que  par  une  erreur, 
reconnue  plus  tard  par  l'éditeur;  l'œuvre  est,  en  effet, 
de  Théodore  de  Mopsueste.  Bardenhewer,  op.  cit., 
t.  ni,  p.  377.  Le  commentaire  sur  les  sept  Épîtres 
canoniques,  qui  se  trouve  imp  imé  dans  le  Spicile- 
gium Casinense,  t.  ni,  est  de  saint  Hilaire  d'Arles. 
Enfin  l'on  considère  généralement  comme  apo- 
cryphes trois  fragmeits  publiés  par  le  cardinal  Mai, 
Nova  Pitrum  bibliolheca,  Rome,  1852,  t.  i  a:  le  1er,  sur 
le  début  de  l'Évangile  de  saint  Matthieu  ou  la  généa- 
logie de  Notre-Seigneur,  p.  477-484;  le  2e,  sur  le 
début  de  l'Évangile  de  saint  Jean,  ou  la  génération  du 
Verbe,  p.  484-489;  le  3e,  sur  Matth.,  ix,  2  sq.,  ou  la 
guérison  du  paralytique.  Même  jugement  semble 
devoir  être  porté  sur  un  fragment  relatif  à  la  chute  de 
nos  premiers  parents,  Gen.,  m,  6-12,  publié  dans  le 
Spicilegium  Solesmense,  t.  i,  p.  159-165. 

À.  Zingerle,  Studien  ru  Hilarius'  von  Poitiers  Psalmen- 
commentar,  dM\s]Sitzung^berichle  de  l'Académie  de  Vienne, 
1885,  et  Der  [Marias-Codex  voit  Lyon,  1893,  t.  cvm 
et  cxxvin  ;  Zum  hilarianischen  Psalmencomrnentar,  et 
Die  lateinischen  Bibelcilate'bei  S.  Hilarius  non  Poitiers, 
dans  Kleine  philologische  Abhandlungen,  4«  fasc,  Inspmek, 
1887,  p.  55-75,  75-89;  Fr.  Schellauf,  Rationem  afferendi 
locos  litterarum  divinarum,  quam  in  traetntihus  super  psal- 
mos seqai  videtur  S.  Hilarius,  episcopus  ''Pict/vtiensis,  illus- 
travit,  Gratz,  1898  ;  F.  J.  Bonnassieux,  Les  Évangiles  syn- 
optiques de  saint  Hilaire  de  Poitiers.  Étude  et  texte  (thèse  de 
doctorat  en  théologie),  Lvon,  1903;  II.  Jeannotte,  Les 
«  capitula  »  du  Commentarius  in  Mallhvewn  de  S.  Hilaire 
de  Poitiers,  dans  Biblische  Zeitechrift,  FribourK-en-Bris- 
gau,  1912,  t.  x,  p.  36-45;  A.  Souter,  Quotalions  from  the 
Epistles  of  St.  Paul  in  St.  Hilary  on  the  Psalms,  dans  The 
journal  of  theological  sludies,  Oxford.  1916,  t.  xvm,  p.  73-77; 
H.  Jeannotte,  Le  psautier  de  saint  Hilaire  de  Poitiers, 
Paris,  1917. 

J.-F.  Gamurrini,  S.  Hilarii  tractatus  De  mgsteriis  et 
Hymni  et  S.  Silviss  Aquitaïue  Pcegrinalio  ad  loca  sancta, 
Rome,  1887,  dans  Bibliolheca  deW  Accademia  storico- 
giuridica,  t.  iv-vi  ;  dom  Fernanl  Gabrol,  Les  écrits  inédits 


VI. 


76 


240c 


HILAIRE   (SAINT; 


2404 


de  soinl  Hilaire  de  Poitiers,  dans  la  Revue  du  monde  catho- 
lique, 1SSS.  I.  xcm,  p.  213-222;  H.  Lindemann,  Des  M. 
Hilarius  von  Poitiers  «  liber  mysteriorum  »,  Munster  en  Wes- 
phalie,  1005;  G.  Mercati,  A  supposed  Liber  officiorum  of 
Hilaru  o/  Poititrs,  dans  Journal  o/  theological  studies,  Ox- 
ford, 1907,  t.  vu,  p.  429  sq.  ;  The  «  three  weecks' advent  » 
o/  Liber  officiorum  S.  Hilarii,  iftid.,1909,  t.  x,  p.  127  sq.; 
dom  A.  Wilmart,  Le  De  mijslcriis  de  saint  Ililaire  au  Mont- 
Cassin,  et  Le  prétendu  Liber  officiorum  de  saint  Hilaire  et 
l'Avent  liturgique,  dans  la  Revue  bénédictine,  1910,  t.  xxvu, 
p.  12-21,  500-513. 

TH.  ÉCRITS    B1ST01UC0-P0LÉM1QVES.    —    \°'Ad    Con- 

stantium  Augustum,  P.  L.,  t.  x,  col.  557-572.  — Sous 
ce  titre  sont  compris,  dans  les  éditions  courantes, 
deux  pièces  distinctes  et  déne  mmées  Lifter  primus, 
Liber  secundas.  La  seconde  partie  est  intimement 
lice  avec  le  séjour  de  saint  Hilaire  à  Constantinople, 
au  début  de  l'année  360  :  Rogo,  ut  présente  synodo 
quas  nunc  de  fuie  litigat,  8,  col.  569.  C'est  une  requête 
adressée  à  Constance,  et  dont  le  contenu  est  suffi- 
samment connu  par  ce  qui  a  été  dit  plus  haut, 
col.  2393.  La  première  partie  se  présente  dans  des 
conditions  très  différentes.  Elle  comprend  une  lettre 
collective  à  l'empereur,  2-5,  suivie  de  réflexions  sur 
les  menées  des  ariens,  6-7,  et  d'un  récit  sur  ce  qui 
s'était  passé  récemment  au  synode  de  Milan  de  355. 
Jusqu'à  ces  derniers  temps,  on  voyait  dans  cet  écrit 
une  apologie  adressée  a  Constance  par  Hilaire  ou  par 
un  concile  gaulois  tenu  en  355  sous  sa  présidence. 
Mais  dans  une  étude  sur  Le  Ad  Constanlium  liber 
primus,  parue  en  1907,  dem  A.  Wilmart  a  établi 
que  cet  écrit  contient  une  lettre  adressée  aux 
empereurs  \  ar  le  concile  de  Sardique,  tenu  en  343, 
lettre  utilisée  par  l'évêque  de  Poitiers  à  titre  de 
document  historique,  et  que  cette  lettre  est  à  réin- 
tégrer avec  tout  le  reste  dans  les  Fragmenta  historica, 
cemme  pièces  faisant  partie  intégrante  d'un  même 
i  il.  Dès  lors,  la  question  rentre  dans  le  pro- 
blème général  des  Fragments  historiques  dont  il 
sera  traité  plus  loin,  et  le  titre  inexact  :  Ad  Con- 
stanlium liber  primus,  lequel,  du  reste,  ne  figure  pas 
dans  le  catalogue  de  saint  Jérôme,  doit  être  consi- 
déré désormais  comme  périmé. 

2°  Contra  Constantium  imperatorem,  P.  L.,  t.  x, 
col.  573-603,  avec  une  pièce  additionnelle  sur  le  mys- 
tère de  la  génération  divine,  col.  603-60(5.  —  Écrit 
adressé  sous  forme  de  lettre  aux  évêques  gaulois,  car 
l'appellation  de  «  frères  »  avec  les  allusions  faites  au 
passé,  n.  2,  el  le  récit  concernant  le  synode  de  Sélet  cie 
ne  comportent  pas  d'autre  interprétation;  les  apo- 
strophes <  irectes  n  l'empereur  relèvent  manifestement 
du  style  ora  ore  Coustant  Prœvia  disserl.,  13,coL  576; 
cf.  Vit',  >M>,  ]'.  L.,  t.  ix,  col.  102.  Hilaire  lait  un  appel 
vibrant  à  la  résistance  ouverte,  sur  le  terrain  de  la 
foi,  contre  l'Antéchrist  qu'est  Constance.  Cette  atti- 
tude, différente  de  celle  qu'il  avait  eue  jusqu'alors, 
il  la  justifie  en  stigmatisant  à  grands  traits  la  poli- 
tique religieuse  de  l'asti  cieux  et  mobile  empereur, 
depuis  le  svnode  d'Arles  jusqu'au  lendemain  du  con- 
cile de  Séleucie.  Le  ton  virulent  de  cet  écrit,  qui  lui 
a  fait  donner  souvent  le  titre  d'Invective,  s'explique 
par  les  évéi  emenls  qui  le  provoquèrent  ;  il  fut,  en 
.  compose  après  le  synode  tenu  à  Constantinople 
en  janvier-février  300,  alors  que  Constance,  consacrant 
officiellement  la  supiémalie  homéenne,  prétendit  im- 
poser à  tous  les  évêques  un  credo  impérial,  la  formu'e 
de  Niké.  Voir  t.  i,  col.  1827,  1829.  Saint  Jérôme  sup- 
pose, il  est  vrai,  De  viris  illuslr.,  100,  que  l'écrit  fut 
composé  api  es  la  mort  de  Constance:  et  alius  in 
Constanlium,  quem  posl  mortem  (iui  scripsit;  mais 
ce"e  hypothèse  ne  tient  pas  devant  l'affirmation 
positive  de  l'auteur  lui-même,  car  il  parle  du  synode 
de  Milan  (355),  comme  ayant  eu  lieu  cinq  ans  aupa- 
avant,  quinlo  abhinc  anno,  2,  col.  579.  Étant  données 


la  nature  et  la  destination  de  l'écrit,  la  distinction 
faite  par  d'autres  entre  la  rédaction,  qui  serait  de  360, 
et  la  publication,  qui  aurait  été  différée,  est  purement 
arbitraire.  Dom  Wilmart  estime,  toc.  cit.,  p.  149, 
que  le  Contra  Constantium  <•  a  probablement  perdu 
sa  finale,  comme  l'indique  M.  Loofs,  et  quoi  qu'en 
pense  dom  Coustant,  probablement  aussi  son  inti- 
tulé »,  assertion  discutable,  d'après  Bardenhewer. 
op.  cit.,  t.  m,  p.  386.  La  pièce  additionnelle  sur  le 
mvstère  de  la  génération  divine  ne  semble  pas  primi- 
tive mais  tirée  du  De  Tiinit  le.  Dom  Wilmart,  loc. 
cit.,  note  2,  conjecture  après  dom  Rivet,  non  sans 
quelque  vraisemblance,  que  le  traité  de  saint  Hilaire, 
auquel  se  réfère  Arnobe  le  Jeune,  lorsqu'il  cite  une 
allocution  du  pape  Célestin  dans  un  concile  tenu  à 
Rome  au  commencement  du  mois  d'avril  430.  est  le 
Ad  Const  nlium  inper  lorem.  G.  Morin,  Amobe  F 
Jeune,  dans  Éludes,  textes,  dicouveils,  etc.,  Maredsous 
et  Paris,  1913,  t.  i,  p.  345. 

Le  P.  Feder  a  édité  le  Liber  ad  Coistai  ti  m  im- 
p-ialo^m,  au  t.  lxv  du  Copus  de  Vienne,  Leipzig, 
1916. 

3°  Contra  arianos,  vel  Auxenlium  Mediolanemen, 
P.  L.,  t.  x,  col.  609-618.  —  Saint  Jérôme  signale  cet 
écrit,  De  viris  ill.  100  :  elegans  libellus  contra  Auxen- 
lium. C'est  une  lettre  adressée  aux  évêques  et  aux 
fidèles  orthodoxes  sur  la  lin  de  304  ou  au  début  de 
365,  dans  les  circonstances  indiquées  plus  haut, 
col.  2395.  Après  avoir  dénoncé  dans  les  ariens  du  jour, 
les  Valens,  les  Ursace  et  les  Auxence,  des  suppôts 
d'Antéchrist  qui  méconnaissent  l'esprit  évangélique 
et  minent  l'intégrité  de  la  foi,  le  saint  docteur  raconte 
ce  qui  s'est  passé  à  Milan  entre  lui  et  Auxence;  en 
terminant,  il  transcrit,  après  en  avoir  montré  le  côté 
faible,  la  profession  de  foi  de  ce  dernier,  exemplum 
blasphemiœ  Auxentii,  13-15.  Manquent  deux  pièces 
mentionnéee  au  cours  de  l'écrit  :  un  mémoire  présenté 
par  Hilaire  à  Valentinien,  7,  et  un  document  relatif 
aux  actes  du  concile  de  Rimini,  quse  gesta  sunl  in 
concilio  Arimincnsi,  que  l'évêque  de  Milan  avait  joht 
à  sa  profession  de  foi,  15. 

4P  Ad  pra'jectum  Sallusliurn,  sive  contra  Dios- 
corum.  —  Le  titre  seul  de  ce  mémoire,  datant  de 
361-362,  nous  a  été  conservé  par  saint  Jérôme,  De  viris 
illusl..  100.  La  perte  est  d'autant  plus  regrettable 
que  saint  Hilaire  y  donnait  sa  mesure  comme 
littérateur,  quid  in  lilleris  posset  oslendit,  au  jugement 
du  docteur  dalmale.  Episl.,  lxx,  ad  Magnum,  o, 
P.  L.,  t.  xxn,  col.  668. 

5"  Fragmenta  ex  opère  hislorico,  P.  L.,  t.  x,  col.  627- 
724. —  Dom  Coustant  a  groupé  sous  cette  appellation 
quinze  documents,  comprenant  chacun  une  ou  plu- 
sieurs pièces  d'une  grande  importance  pour  l'histoire 
de  l'arianisme  \crs  le  milieu  du  ive  siècle  :  actes  con- 
ciliaires, professions  de  foi,  lettres  de  papes,  d'évèques 
el  d'en  pleurs,  avec  quelques  débris  de  glose  intermé- 
diaire. Ces  documents  fuient  d'abord  recueillis  par 
Pierre  Pithou,  d'après  un  manuscrit  du  xve  sucle, 
où  ils  formaient  deux  séries,  la  première  anonyme, 
la  seconde  mise  sous  le  nom  de  saint  Hilaire,  P.  L., 
t.  x,  col.  619,  625.  Nicolas  Le  Fèvre  les  publia  à  Paris 
en  1598,  deux  ans  après  la  mort  de  Pithou.  Dom  Cous- 
tant reprit  le  travail  dans  son  édition;  il  abandonna 
la  division  en  deux  séries  comme  défectueuse,  disposa 
les  matériaux  d'après  un  ordre  chronologique  plus 
rigoureux,  et  les  donna  pour  fragments  d'un  ouvrage 
historique,  commencé  par  l'évêque  de  Poitiers  à 
Constantincple  et  commué  par  la  suite,  mais  resté 
inachevé,  ou  du  moins  ne  nous  étant  pas  parvenu 
dans  son  intégrité.  Prœfat.  in  fragmenta,  col.  621  sq. 
Enfin,  il  identifia  l'ouvrage  d'où  ces  fragments  pro- 
venaient, avec  un  écrit  mentionné  par  saint  Jérôme, 
De  viris  illust.,  100  :  Liber  adversus  Valentem  el  Un  a 


2405 


HILAIRE    (SAINT1 


2406 


cium,  hisloriam  Ariminensis  ci  Scleuciensis  synodi 
conlinens.  D'où  ce  titre  général,  col.  627,  emprunté 
au  manuscrit  utilisé  :  Fragmenta  ex  libro  sancti  Hilarii 
Piclavicnsis  provincix  Aquilanise,  in  quo  sunt  omnia 
quœ  ostendunt  [qua  ratione]  vel  quomodo,  quibusnam 
causis,  quibus  inslanlibus  sub  imperaiore  Constantio 
laclum  est  Ariminense  concilium  contra  iormcllam  Ni- 
cœni  Tractatus,  quo  univcrsœ  hsercses  comprehensœ 
iranl.  Sans  affirmer  l'authenticité  absolue  de  toutes 
les  pièces,  par  exemple,  celle  de  la  lettre  libérienne 
Studens  paci  (frag.  iv,  col.  678  sq.,  note),  il  en  main- 
tint l'authenticité  relative  ou  hilarienne,  et,  avec 
saint  Jérôme,  Apologia  adv.  libros  Rufini,  III,  19,  P.  L., 
t.  xxm,  col.  443,  il  écarta,  Prsef.,  1,  4-8,  col.  619  sq., 
l'hypothèse  d'interpolations  suggérée  par  un  récit 
de  Rufm,  De  adultcratione  librorum  Origenis,  P.  G., 
t.  xvii.  col.  628. 

Ces  conclusions  ne  furent  pas  universellement  ac- 
ceptées. Dans  les  Acla  sanclorum,  t.  vi  septembris, 
Anvers,  1757,  p.  754-780,  le  bollandiste  Stiltink 
déclara  tous  les  fragments  apocryphes,  sauf  le  premier. 
Tendant  longtemps,  beaucoup  s'en  tinrent  à  ce  ver- 
dict; Dardenhewer  écrivait  encore,  Les  Pères  de 
l'Église,  trad.  Godet,  2e  édit.,  Paris,  1905,  t.  n,  p.  289  : 
«  11  est  probable  que,  sauf  le  premier  morceau,  tout 
cela  est  apocryphe.  »  D'autres,  moins  absolus,  ad- 
mettaient l'authenticité  d'un  certain  i  ombre  de  frag- 
ments; Reinkens,  par  exemple,  celle  des  dix  premiers. 
Certains,  comme  Massari,  allaient  jusqu'à  faire  un 
triage  entre  les  différentes  pièces  d'un  seul  et  même 
frrgment,  ;  dmettant  les  unes  et  rejetant  les  autres.  La 
controverse  portait  surtout  sur  les  frfgments  relatifs 
aux  événements  survenus  après  les  conciles  de  Rimini 
et  de  Séleucie,  et  plus  spécialement  encore  sur  les  frag- 
ments iv  et  vi,  contenant  les  quatre  lettres  libérieni  es 
Studens  paci,  Pro  deifico,  Quia  scio  vos,  Non  doceo. 
Des  études  récentes  ont  profondement  modifié  l'état 
de  la  question.  En  1905,  Max  Schiklanz  attira  l'atten- 
tion sur  un  manuscrit  du  ix<  siècle,  conservé  à  la 
bibliothèque  de  l'Arsenal,  à  Paris,  cod.  lat.  483,  dont 
dépendent  les  deux  manuscrits  moins  anciens  que 
Pithou  et  dem  Coustant  avaient  utilisés.  Les  Frag- 
menta historica  n'y  sont  pas  groupés  en  séries;  mais 
en  tête  de  ce  qui,  dans  l'édition  Pithou-Le  Fèvre, 
ferme  la  première  série,  on  lit  :  Incipit  liber  secundus 
hilari  pictaviensis,  etc.,  et  à  la  fin:  Explicit  zûci  hilari 
ex  opère  hislorico;  cf.  Coustant,  Prœf.,  2,  P.  L.,  t.  x, 
col.  619,  donnant,  d'après  une  autre  lecture  :  Incipit 
liber  S.  Hilarii...  Explicit  liber  S.  Hilarii.  Schiklanz 
admit  l'authenticité  des  onze  premiers  fragments,  où 
sont  compris  ceux  qui  renferment  les  lettres  libé- 
riennes; il  les  partagea  en  deux  groupes  :  d'un  côté, 
frac ments  i,  n,  iv,  vi,  x,  foimant  un  écrit  que  saint  Hi- 
laire  aurait  publié  en  360;  de  l'autre,  fragments  n,  ni, 
vm,  ix,  v,  vu,  rattachés  à  un  autre  écrit  sur  le  concile 
de  Rimini  qui  daterait  de  361-362.  Les  quatre  der- 
niers fragments  étaient  rejetés,  comme  postérieurs  à 
l'époque  où  saint  Hilaire  aurait  composé  son  ouvrage. 
Un  an  plus  tard,  B.  Marx  signalait  une  dépendance 
littéraire  manifeste,  d'une  part,  entre  plusieurs  pas- 
pages  du  Liber  contra  arianos  de  Phébade  d'Agen 
(357  ou  358),  P.  L.,  t.  xx,  col.  13,  et  du  De  fuie  orlho- 
doxa  contra  arianos  (auteur  incertain  entre  360  et 
370),  P.  L.,  t.  xx,  col.  31,  de  l'autre,  entre  des  passages 
correspondants  des  deux  premiers  fragments  hila- 
riens  et  du  Ad  Constanlium  liber  primus.  Soumettant 
ensuite  le  contenu  de  ces  dernières  pièces  à  un  examen 
approfondi,  il  jugea  qu'elles  étaient  antérieures  au 
Liber  contra  arianos  et  au  traité  De  fide  orlhodoxa, 
et  qu'elles  se  rattachaient  à  des  événements  survenus 
avant  l'exil  de  l'évèque  de  Poitiers. 

S'inspirant  de  toutes  ces  données,  dont  Wilmart 
poussa  les  recherches  plus  avant  dans  deux  études  pu- 


bliées en  1907  et  1908,  et  proposa  plusieurs  conclu- 
sions notables.  L'écrit  intitulé  couramment  Ad  Con- 
slantium  liber  primus  n'a  rien  à  voir  avec  un  synode 
parisien  qui  se  serait  tenu  en  355;  en  réalité,  il  nous 
restitue  un  document  qu'on  croyait  perdu,  la  requête 
adressée  en  343  aux  empereurs  par  les  évêques  occi- 
dentaux du  concile  de  Sardique.  Le  fragment  i,  pré- 
face d'Hilaire,  le  fragment  n,  encyclique  de  Sardique 
et  synodale  de  ce  concile  au  pape  Jules,  plus  la  requête 
de  ce  concile  aux  empereurs,  c'est-à-dire  le  prétendu 
Ad  Constanlium  liber  primus,  peut-être  aussi  le  frag- 
ment v,  lettre  Obsecro,  de  Libère  à  Constance,  et  les 
deux  premières  lettres  du  fragment  vi,  qui  sont  de 
Libère  aux  évêques  récemment  proscrits  à  Milan  et 
à  Cécilien  de  Spolète, forment  la  substance  d'un  libelle 
historique,  publié  par  l'évèque  de  Poitiers  en  356, 
à  la  veille  de  son  exil,  pour  se  justifier  lui-même  et 
compenser  l'inutilité  de  ses  efforts  en  faveur  de  l'ortho- 
doxie au  synode  de  Béziers.  A  ce  libelle  s'ajoutèrent, 
en  361  et  en  367,  deux  autres  écrits  qui  comprenaient 
le  reste  des  Fragmenta  historica.  L'ensemble  semble 
avoir  été  désigné  par  saint  Jérôme,  De  viris  illustr., 
100,  sous  le  titre  de  Liber  adversus  Valenlem  et  Vrsa- 
cium.  Bu  fin  en  parle,  loc.  cit.,  quand  il  affirme  que, 
pour  ramener  ceux  des  évêques  qui  avaient  signé  la 
perfide  fo;mu'e  de  Rimini,  îfilaire  composa  un  livre 
donnant  sur  toute  l'affaire  des  renseignements  com- 
plets,   librum   instructionis   plenissirrœ. 

Les  mêmes  vues  se  retrouvent,  un  peu  modifiées, 
surtout  développées  et  plus  largement  synthétisées, 
dans  un  travail  du  P.  Alfred  Feder,  S.  J.  Chargéd'éeliter 
les  Fragmenta  historica  et  quelques  autres  menus  écrits 
de  saint  Hilaire  dans  le  Corpus  scriptorum  ecclesias- 
licorum  lalinorum  de  Vienne,  t.  lxv,  publié  en  1916, 
il  a  préalablement  étudié,  en  prenant  pour  base 
le  codex  de  la  bibliothèque  de  l'Arsenal,  la  tradi- 
tion manuscrite,  le  contenu  objectif  et  l'origine  des 
Fn  gments,  puis  publié  le  résultat  de  ses  fécondes 
recherches  dans  les  Silzungsberichle  de  l'Académie 
des  sciences  viennoise.  Particulièrement  intéressant, 
du  point  de  vue  qui  nous  occupe,  est  l'essai  de 
reconstruction  partielle  fait  par  l'auteur,  Append.  V, 
p.  185,  et  qui  résrme  en  quelque  sorte  ses  principales 
conclusions.  L'ouvrage  primitif  aurait  porté  le  titre 
el  Opus  hisloricum  adversus  Valenlem  cl  Ursacium, 
et  ccmpïs  trois  livres,  eompisés  successh  ement  et 
publiés,  le  premier,  en  356,  après  le  synode  de  Béziers; 
l'autre,  dans  l'hiver  de  359-360,  après  les  conciles  de 
Rimini  et  de  Séleucie;  le  troisième,  en  367,  après  le 
retour  à  l'orthodoxie  deGerminius,  évêqueeleSiimium, 
par  conséquent  dans  les  derniers  mois  de  la  vie 
el'Hilaire  ou  immédiatement  après  sa  mort.  Ces  dates 
de  publication  et  les  dates  assignées  à  diverses  pièces 
entraînent  quelques  changements  dans  la  distribution 
des  fragments.  Livre  Ier  :  fragments  i  et  n;  pseudo- 
Ad  Constanlium  liber  primus;  très  probablement  aussi 
fragment  m,  encyclique  des  Orientaux  de  Sardique. 
Livre  II  :  fragment  x,  lettre  des  Orientaux  de  Séleucie 
apx  députés  de  Rimini;  très  probablement,  fragments 
iv  à  ix,  diverses  lettres  du  pape  Libère  et  pièces  rela- 
tives aux  conciles  de  Rimini  et  de  Niké.  Livre  III  :  do- 
cuments relatifs  à  la  réaction  nicéenne  en  Occident, 
après  le  concile  de  Rimini  :  synodale  de  l'assemblée  de 
Paris  aux  Orientaux;  lettres  d'Eusèbe  de  Vereeil 
à  Grégoire  d'Elvire,  du  pape  Libère  aux  évêques 
d'Italie  et  de  ceux-ci  aux  Illyriens;  confession  homéou- 
sienne  de  Germinius  de  Sirmium;  synodale  de  Singi- 
dunum;  lettre  de  Germinius  à  ses  collègues  de 
Pannonie  pour  leur  annoncer  son  adhésion  à  la  foi 
nicéenne.  L'Opus  hisloricum  s'identifie,  partiellement 
du  moins,  avec  les  écrits  mentionnés  par  saii  t  Jé/ôme 
et  par  Rufin.  Lès  Fragments  ne  sont  pas  les  matériaux 
d'une  œuvre  que  son   auteur  n'aurait  y  as  achevée: 


2407 


HILATRE    (SAINT 


2408 


ce  sont  des  extraits,  faits  en  Italie,  «lès  avant  la  fin  du 
ivp  siècle,  semble-t-il,  par  un  anonyme  qui  les  aurait 
accompagnés  de  notes  marginales  et  qui  se  proposait 
sans  doute  d'en  tirer  parti  pour  un  nouvel  exposé  de  la 
controverse  arienne.  Rien  dans  la  tradition  manuscrite 
n'a'itorise  à  distinguer  entre  fragments  et  fragments, 
(  uand  il  s'agit  de  la  provenance  ou  de  l'authenticité 
hilarienne. 

Cette  dernière  assertion  tire  une  grande  importance 
de  son  application  aux  quatre  lettres  si  discutées  du 
pape  Libère  :  Studens  paci,  où  il  accepte  la  communion 
des  évêques  orientaux  et  brise  avec  saint  Athanase, 
Fragm.  iv,  col.  679  ;  Pro  deifico  timoré,  où  il  accentue 
la  même  attitude  et  proclame,  en  outre,  son  adhésion 
à  une  profession  de  foi  admise  à  Sirmium  par  plusieurs 
de  ses  frères  dans  l'épiscopat,  Fragm.  vi,  col.  689; 
Quia  scio  vos  et  Non  doceo,  où  les  mêmes  assertions  se 
retrouvent  avec  l'expression  d'un  vif  désir  de  rentrer 
à  Rome.  Ibid.,  8,  10,  col.  693-695.  Le  P.  Feder  estime 
que,  du  point  de  vue  critique,  l'authenticité  hilarienne 
des  fragments  iv  et  vi  n'est  pas  moins  établie  que  celle 
des  autres,  et  qu'il  n'y  a  pas  lieu  d'admettre  l'hypo- 
thèse d'interpolations  lucifériennes,  en  ce  qui  concerne 
les  quatre  lettres  du  pape  Libère  ni  celle  d'Eusèbe  de 
Verceil  à  Grégoire  d'Elvire.  Fragm.  xi,  5,  col.  713. 
11  importe  seulement  de  remettre  les  documents  à  leur 
place  et  à  leur  date  dans  l'histoire.  Ainsi,  la  lettre 
Studens  paci,  où  l'abandon  de  saint  Athanase  par 
Libère  est  présenté  comme  un  fait  accompli,  contient 
une  donnée  manifestement  fausse,  quand  on  la  suppose 
écrite  en  362;  de  là  vient  que  tant  d'auteurs  ont  conclu 
directement  contre  l'authenticité  de  cette  lettre,  et 
indirectement  contre  celle  des  trois  autres,  étant  donnée 
l'étroite  parenté  littéraire  des  quatre.  La  question  est 
tout  autre,  si  la  lettre  Studens  paci  n'est  pas  de  362, 
mais,  comme  les  trois  autres,  de  367,  d'après  une 
rectification  proposée  par  Schiktanz,  admise  ensuite  et 
habilement  défendue  par  Mgr  Duchesne  dans  son 
étude  sur  Libère  et  Forlunalien.  A  quoi  s'ajoute  la 
phrase  du  Contra  Constantium,  11,  col.  589,  où,  par 
allusion  à  la  minière  dont  s'était  fait  le  retour  de 
Libère  à  Rome,  Hilaire  dit  à  l'empereur  :  «  Malheu- 
reux, dont  je  ne  sais  dire  si  tu  as  commis  un  plus 
grand  crime  en  le  renvoyant  à  Rome  qu'en  l'envoyant 
en  exil  1  »  D'ailleurs  l'authenticité  hilarienne  des 
Fragmenta  hislorica  n'exclut  pas  l'hypothèse  d'inter- 
polations tendancieuses  de  moindre  importance,  dues 
probablement  à  celui  qui,  à  l'origine,  fit  les  extraits; 
tels,  par  exemple,  à  la  fin  des  lettres  Pro  deifico 
timoie  et  Quia  scio,  les  anathèmes  contre  le  pape. 
Fragm.  vi,  6,  9,  col.  691,  694. 

Après  avoir  exposé  toutes  ces  conclusions,  Bar- 
denhewer  ajoute,  Geschichte,  t.  m,  p.  384  :  «  Naturel 
lement  le  dernier  mot  n'est  pas  encore  dit  sur  ces 
conjectures.  »  Rien  de  plus  légitime  que  cette  réserve, 
admise  par  le  P.  Feder  lui-même,  quand,  résumant 
les  résultats  de  son  enquête,  Append.  I,  p.  151,  il 
dislingue  soigneusement  le  certain  du  probable.  Plu- 
sieurs points  semblent  acquis  :  existence  de  deux  écrits 
historico-polémiques,  composés  l'un  à  la  suite  du  sy- 
node de  Béziers,  l'autre  après  les  conciles  de  Rimini 
et  de  Séleucie;  identification  de  ces  deux  écrits,  eu 
du  moins  du  second,  avec  le  Liber  adversus  Valen- 
tem  et  Ursacium;  insertion  dans  le  premier  écrit, 
comme  partie  intégrante,  du  Ad  Constantium  liber 
primus.  Les  autres  points  restent  plus  ou  moins  dans 
le  domaine  de  la  conjecture  et  de  la  discussion.  Ainsi 
en  est-il  de  l'attribution  de  certains  fragments  à  tel 
groupe  plutôt  qu'à  tel  autre,  comme  le  prouvent 
assez  les  combinaisons  partiellement  différentes  du 
P.  Feder,  toc.  cit.,  de  dom  Wilmart,  L' Ad  Constantium 
liber  primas,  p.  296;  La  question  du  pape  Libère,  p.  36, 
et    de   dom   Cliapman,    The  conlesled    lelters    o/    pope 


Liberius,  p.  328  sq.  Ainsi  en  est-il  de  la  réduction  des 
trois  groupes  de  documents  à  un  seul  ouvrage  d'en- 
semble qu'on  suppose  totalement  achevé;  car  l'absence 
complète  de  glose  narrative  dans  les  fragments  du 
dernier  groupe  permet  de  se  demander  avec  M.  Schanz, 
Geschichte  der  rômischen  Litleralur,  IVe  part.,  t.  i, 
p.  266  sq.,  s'il  ne  faudrait  pas  y  voir  des  pièces  justi- 
ficatives attendant  une  mise  en  œuvre  plutôt  que  la 
troisième  partie  d'un  ouvrage  achevé.  Ainsi  en  est-il 
surtout  de  la  question  d'authenticité  en  ce  qui  con- 
cerne les  lettres  du  pape  Libère;  car  la  controver  e 
demeure,  comme  l'attestent  les  récentes  cri  tiques  de  dom 
Chapman  et  des  Pères  Savio  et  Sinthern,  soit  qu'il 
s'agisse  de  l'authenticité  absolue,  soit  qu'il  s'agisse 
de  l'authenticité  relative,  c'est-à-dire  de  la  prove- 
nance hilarienne  des  fragments  où  ces  lettres  son1 
contenu  s.  Et,  certes,  il  faut  bien  reconnaître  que 
le  narralivus  texlus  faisant  suite  aux  lettres  Studens 
paci  et  Pro  deifico  timoré,  Fragm.  iv,  2,  et  vr,  7,  col. 
681,  692,  présente  de  réelles  difficultés,  s'il  est  pris 
tel  quel  et  comparé  au  contenu  des  lettres  ou  aux 
sentiments  de  saint  Hilaire  connus  par  ailleurs, 

11  n'en  reste  pas  moins  vrai  que,  dans  leur  ensemble 
et  peut-être  dans  leur  totalité,  moralement  parlant,  le> 
Fragmenta  hislorica  sont  une  œuvre  du  docteur  gau- 
lois et  qu'ils  fournissent  sur  l'histoire  de  l'arianisme 
à  son  époque  des  informations  d'autant  plus  pré- 
cieuses qu'un  grand  nombre  des  documents  conservés 
dans  celte  collection  ne  se  trouvent  pas  ailleurs. 

Stiltincg,  Aela  sanclorum,  t.  vr  septembris,  Anvers, 
p.  754-780  ;  J.  Masseri,  Sopra  i  frammenti  attribuiti  a  S.  Hi- 
larin,  dans  Zaccaria,  Raccolta  di  disserlazioni  de  storia 
ecclesiastiea,2-  édit.,  Rome,  1841,  t.  m,  diss.  V,  p.  38-46; 
Reinkens,  op.  cit.,  1.  II,  ex,  p.  210  sq.;  M.  Schiktanz,  Die 
Hilarius-Fragmenle  (thèse  de  doctorat),  Breslau,  1905  ; 
B.  Marx,  Zwei  Zeugen  fur  die  Herkun/l  der  Fragmente 
1  und  2  des  sog.  Opus  hisloricum  S.  Hiltvii,  dans  Theolo- 
gischc  Quartalschrift  Tubin^ue,  1906,  t.  lxxxviii,  p.  390- 
406;  dom  A.  Wilmart,  L'Ad  Constantium  liber  primas 
de  S.  Hilaire  de  Poitiers  et  les  Fragments  historiques,  dans 
la  Renne  bénédictine,  1907,  t.  xxiv,  p.  149-179,  293-317; 
Id.,  Les  Fragments  historiques  et  le  sgnode  de  Béziers  en  3J6, 
ibid.,  1908,  t.  xxv,  p.  225-229;  A.  L.  Feder,  Slwlien  zu 
Hilarius  von  Poitiers.  I.  Die  sogenannte  Fragmenta  hislorica 
und  der  sog.  Liber  I  ad  Constantium  Imperatorem.  II.  Bi- 
schojsnamen  und  Bischofssitze  bei  Hilarius,  dans  Sitzungs- 
berichte  der  K.  Académie  der  \V issenscha, ten  in  Wien,  Phil. 
liist.  Klasse,  Vienne,  1910,  1911,  t.  clxv,  4"  fasc;  t.  CLXvr, 
5e  fasc.  —  En  particulier,  sur  la  question  du  papa  Libère 
en  connexion  avec  les  Fragments  iv  et  vr  :  L.  Saltet,  La 
formation  de  la  légende  des  papes  Libère  et  Félix,  dans  Bul- 
letin de  littérature  ecclésiastique,  Toulouse,  1995,  p.  229—2  56  ; 
Les  lettres  du  pape  Libère  de  357,  ibid.,  1907,  p.  279-2st; 
F.  Savio,  La  qnestione  di  papa  Liberio,  c.  v,  Roms,  1907  ; 
Mgr  Duchesne,  Libère  et  Fortunalien,  dans  les  Mélanges 
d'archéologie  et  d'histoire,  publiés  par  l'École  française 
de  Rome,  1908,  t.  xxvm,  p.  31-78  ;  P.  Sinthern,  De  causa 
papse  Liberii,  dans  Stauorum  lilterx  théologies,  Prague.  1903, 
t.  iv,  p.  137-185;  dom  A.  Wilmart,  La  question  du  pape 
Libère,  dans  la  Reuue  bénédictine,  1908,  t.  xxv,  p.  360-367; 
F.  Savio,  Nuoui  sludi  sulla  qnestione  di  pipa  Liberio. 
Rome,  1909,  §  7  sq.;  dom  .1.  Chapimn,  The  conteslel  letters 
o/  pope  Liberius,  dans  la  Revue  bénédictine,  1910,  t.  xxvti, 
p.  32,  172,  325;  F.  Savio,  Punti  conlrouersi  nella  qnestione 
del  papa  Liberio,  Rome,  19.1 1,  §  6. 

6°  Lettres  et  hi/mncs.  —  Parmi  les  écrits  d'Hilaire, 
saint  Jérôme  mentionne  quelques  letfies  :  nonnullie  ad 
diversos  epislolse.  Abstraction  faite  de  l'opinion  émise 
par  dom  Chapm.m,  art.  cité,  p.  331,  d'après  qui  les 
fragments  i,  ii,  m,  et  Y  Adversus  Constantium  liber 
primas  auraient  formé  une  lettre  adressée  en  356  aux 
évêques  gaulois,  il  ne  reste  plus  en  ce  genre  que 
l'Epislola  ad  Abram  filiam  suam,  suivie  de  l'hymne 
Lucis  largilor  oplime,  P.  L.,  t.  x,  col.  519-554.  L'au- 
thenticité  de  cette  lettre,  niée  par  Érasme  et  plusieurs 
autres,   a  clé  miintenue  par  dom  Couitant,    Admo- 


2409 


HILAIRE    f  SAINT' 


2410 


nitio,  col.  547;  le  docte  bénédictin  admet,  cependant, 
une  certaine  différence  entre  le  contenu  de  la  lettre 
telle  que  nous  la  possédons  et  le  résumé  que,  dans  sa 
Vila  S.  Hilarii,  i,  6,  P.  /-..  t.  ix,  col.  188,  Fortunal 
donne  de  la  lettre,  portant  la  signature  du  saint  doc- 
teur, la  uelle,  afti  met-il,  se  conservait  encore  de  son 
temps  à  Poitiers.  Actuellement,  la  plupart  des  cri- 
tiques sont  défavorables  à  l'authenticité  de  la  lettre 
imprimée  par  Coustant;  quelques-uns  étendent  ce 
jugement  à  la  letlre  mentionnée  par  Fortunat,  par 
exemple,  B.  Krusch,  Fortunali  opéra  pedeslria,  p.  vi, 
dans  Monumenla  Germanise  historica.  Auctorum  anti- 
quissimorum,  Berlin,  1885,  t.  iv  b.  D'où  l'expression 
de  fille  légendaire  ou  imaginaire  dont  se  sont  servis 
divers  auteurs  en  parlant  d'Abra.  D'autres, -comme 
Reinkens,  op.  cit.,  p.  232,  et  Bardenhewer,  Geschichte, 
t.  m,  p.  387,  estiment  que  les  difficultés  d'ordre  intrin- 
sèque, tirées  du  genre  et  du  style  peu  hilariens  de  la 
leitre  actuelle,  ne  valent  pas  contre  la  lettre  primitive, 
à  en  juger  par  le  résumé  de  Fortunat.  13e  même 
l'hypothèse  d'après  laquelle  la  lettre  aurait  été  fa- 
briquée pour  mettre  sous  le  nom  d'Hilaire  l'hymne 
Lucis  largitor  oplime  est  sans  valeur,  quand  il  s'agit 
de  la  lettre  primitive,  puisque,  dans  le  résumé  de  For- 
tunat, il  n'est  question  ni  de  cette  hymne  ni  d'aucune 
autre.  A  plus  forte  raison  a-t-on  le  droit  de  ne  pas  relé- 
guer dans  le  domaine  de  la  légende  la  Tille  d'Hilaire, 
honorée  d'un  culte  public  le  12  décembre,  sous  le  nom 
d'Abra  ou  Apra.  Auber,  Vie  des  saints  de  V  Église 
de  Poitiers,  Poitiers,  1858,  p.  542;  Acta  sanctorum. 
Tabulœ  générales,  dans  l'Elenchus  des  prsetermissi, 
p.  398  :  S.  Apra  plia  S.  Hilarii  Pictavis,  7  ">  dec. 

La  question  des  Hymnes  est  d'une  portée  plus  géné- 
rale. Saint  Jérôme  en  attribue  à  l'évêque  de  Poitiers, 
dans  son  catalogue,  De  viris  illuslr.,  100  :  et  liber  hym- 
norum.  En  633,  le  IVe  concile  de  Tolède  sanctionna 
l'usage  de  chanter  dans  les  offices  ecclésiastiques 
des  hymnes  à  la  louange  de  Dieu  et  en  l'honneur  des 
apôtres  et  des  martyrs,  «  comme  celles  que  les  bienheu- 
reux Hilaire  et  Ambroise  ont  composées  ».  Mansi, 
Coneil.,  t.  x,  col.  622.  Vers  la  même  époque,  saint  Isi- 
dore de  Séville,  De  ecclesiast.  o/ficii;,  i,  6,  P.  L., 
t.  lxxxiii,  col.  743,  revendique  pour  l'évêque  de 
Poitiers  la  gloire  de  s'être  distingué  le  premier  dans 
ce  genre  de  composition,  hijmnorurn  carminé  flo- 
ruit  primas.  La  généralité  de  ces  affirmations  a  favo- 
risé les  attributions  conjecturales  ou  purement  arbi- 
traires, surtout  avant  que  la  découverte  du  manuscrit 
d'Arezzo,  en  1887,  eut  fourni  à  la  critique  des  bases 
d'appréciation  plus  solides.  Jusqu'alors,  diverses 
hymnes  avaient  été  mises  sous  le  nom  de  saint  LIilaire  : 
sept,  par  Daniel,  Thésaurus  hymnologicus,  t.  i,  n.  1-7; 
huit,  par  Wrangham,  dans  Julian,  Dictionanj  o/  hym- 
nology,  p.  522;  neuf,  par  d'autres.  En  premier  lieu 
viennent  trois  hymnes,  dont  l'une  :  Lucis  largilor 
splendide,  en  huit  strophes,  a  été  publiée  par  Coustant 
en  appendice  à  ÏEpislola  ad  Abram,  P.  L.,  t.  x, 
col.  551,  et  identifiée  par  lui  avec  l'hymne  du  malin 
qu' Hilaire  annoncerait  à  sa  fille,  eu  mime  temps 
qu'une  hymne  du  soir,  à  la  fin  de  sa  letlre  :  Intérim 
tibi  hijmnum  matulinum  cl  serotinum  misi.  L'hymne 
du  soir  serait,  d'après  quelques-uns,  l'Ad  cseli  clara 
non  sum  dignus  sidéra,  formant  un  abécédaire  de 
vingt-trois  strophes  avec  une  doxologie.  Constant,  qui 
ne  la  considérait  pas  comme  étant  de  saint  Hilaire, 
en  a  rapporté  seulement  quatre  strophes,  P.  L.,  t.  x, 
col.  553  sq.  ;  on  la  trouve  complète  dans  diverses  col- 
lections :  Mai,  Nova  Patrum  bibliolheca,  1. 1,  p.  491; 
A.  Daniel,  Thsaurus  h'jm  ologic.is,  t-  iv,  p.  127; 
E.  Duemmler,  Monumenta  Germanise  historica.  Poetx 
lalini  sévi  Carolini,  t.  i,  p.  147;  Pitra,  Analecta 
sacra  et  classica,  t.  v,  p.  138;  Dreves,  Analecta  hymnica 
medii  sévi,  t.  î.  p.  1-18.  De  ces  deux  hymnes  on  peut 


rapprocher  une  autre  :  Hijmnum  dical  turba  [ralrum, 
publiée  comme  la  précédente  dans  plusieurs  collec- 
tions :  Tommasi,  Opéra,  t.  n,  p.  405;  Daniel,  Thésau- 
rus, t.  i,  p.  I*t3;  Cl.  Blume,  Die  Hymnen  desThesaurus 
hymnologicus  H.  A.  Daniels  und  anderer  Hymnus- 
Ausgaben,  t.  i,  p.  264,  etc.  Viennent  ensuite  trois 
hymnes  du  bréviaire  mozarabique  :  Deus  Pater  ingé- 
nue, In  matutinis  surgimust  Jim  meta  noclis  tran- 
siit,  P.  L.,  t.  lxxxvi,  col.  201,  205.  939  ;  Cl.  Blume, 
Die  mozarabischen  Hymnen,  p.  71,  102;  de  même, 
trois  hymnes  du  bréviaire  romain,  relatives  à  l'Epi- 
phanie, au  carême  et  à  la  Pentecôte  :  Jésus  refulsil 
omnium,  Jesu  guadragenaritr,  Beata  nobis  gaudia, 
reproduites  par  Cl.  Blume,  Die  Hymnen  des  Thé- 
saurus h<mnolo:;icus,  t.  i  a,  p.  51,  58,  97.  Pour 
le  dossier  bibliographique  de  toutes  ces  hymnes, 
voir  U.  Chevalier  Repertorium  hymnologicum,  Lou- 
vain,  1892  sq.,  passim,  d'après  la  première  lettre  des 
Incipit. 

La  découverte  de  Gamurrini  apporta  dans  le 
débat  un  élément  nouveau;  car,  au  traité  De  mys- 
teriis  s'ajoutaient  des  hymnes  dans  la  reproduction 
qu'il  donna  du  manuscrit  d'Arezzo,  p.  28  :  Incipiunt 
hymni  eiusdem...  Malheureusement  cette  seconde 
partie  n'est  pas  mieux  conservée  que  la  première:  elle- 
contient  seulement  trois  hymnes,  et  tontes  incom- 
plètes, à  tel  point  qu'on  peut  se  demander  si  ce  que 
nous  possédons  représente  le  quart  du  recueil  primi- 
tif. La  provenance  hilarienne,  d'abord  contestée, 
voir  Watson,  op.  cit.,  p.  xi.vh,  semide  aujourd'hui  com- 
munément admise.  Bardenhewer,  Geschichte,  t.  m, 
p.  388.  Le  texte,  donné  par  Gamurrini,  a  été  plusieurs 
fois  revisé  et  amendé  :  en  1904  par  Mason,  The  first 
Latin  Christian  poet;  en  1907,  par  Dreves,  Analecta 
hymnica,  t.  i;  en  1909,  par  W.  Meyer,  Die  drei  arezza- 
ner  Hymnen.  Le  P.  Feder  l'a  re.  rodirtt  ilans  le  Corpis 
te  iplorum,  t.  lxv,  p.  2JJ  sq.  Les  trois  hymnes  ont 
pour  objet  l'Hommj-Dieu  et  son  œuvre  rédemptrice. 
Dans  la  première,  le  poète  chante,  d'une  façon  incisive, 
mais  un  peu  sèche  et  parfois  abstruse,  la  génération 
éternelle  du  Verbe  et  ses  rapports  avec  Dieu  le 
Père.  La  pièce  comprend  vingt  strophes  acrostiches 
alphabétiques,  allant  des  lettres  A  à  T.  Les  strophes 
sont  de  quatre  vers  et  se  composent,  en  général,  de 
glyconiens  et  d'asclépiades  qui  s'entre-croisent  ; 
par  exemple,    la   seconde   strophe  : 

Bis   nobis  genite  Deus, 
Gliriste,   dum  innato  nasceris  a  Dec, 
vel  dum  corporeum  et  Deum 
mundo  te  genuit  virgo  puerpera. 

Dans  la  seconde  pièce,  Hilaire  met  en  scène, 
semLle-t-il,  l'âme  d'un  néophyte  régénéré  le  jour  de 
Pâques,  el  lui  fait  célébrer  la  glorieuse  résurrection 
du  Sauveur,  prélude  et  gage  de  notre  future  victoire 
sur  la  mort.  Comme  la  précédente,  celle  hymne  est 
acrostiche  alphabétique,  comptant  dix-hait  strophes, 
allant  des  lettres  F  àZ.  Les  strophes  sont  de  deux  vers 
ïambiques  triinètres;  exemp'.e,  la  deuxième  strophe, 
qui  trompa  Gamurrini  en  lai  faisant  attribuer  la  com- 
position de  cette  pièce  à  une  femme,  peut-être  Floren- 
tia  : 

Renata  sum  — ■  o  vila;  l;el;c  exordia  — 
novisque  vivo  christiana  legibus. 

Dans  la  dernière  pièce,  le  poète,  se  proposant  de 
chanter  les  combats  el  le  triomphe  du  second  Adam. 
présen  e  Satan  d'abord  victorieux  du  genre  humain, 
puis  troublé  à  la  venue  du  Christ;  les  strophes  ab- 
sentes devaient  dépeindre  la  victoire  de  ce  dernier. 
Sujet  tout  à  fait  conforme  aux  idées  émises  par  le 
docteur  gaulois,  fnps.  LXV,  1,  P.  L.,t.  ix,  col.  425  sq  , 
alors  qu'il  fait  devant  ses  Poitevins  l'éloge  des  chains 
ecclésiastiques.  11  reste  de  cette  hymne  neuf  strophes  et 


2411 


HILAIRE   (SAINT; 


2412 


demie,  dont  chacune  compte  trois  vers  trochaïques  de 
s  pt  pieds  el  demi;  c'est  le  rythme  que  Fortunat 
imitera  plus  tard,  dans  le  Ponge  lingua  gloriosi  lau- 
ream  cerfaminis.  Exemple,  la  première  strophe,  d'après 
la  leçon  de  W.  Meyer  : 

Adœ  carnis  gloriosa  et  caduei  corporis, 

in  cœlesti  rursum  Adam  concinamus  praelia, 

per   quae  primum  Satanas  est  Adam  victus  in  novo. 

On  a  relevé  dans  ces  pièces  des  irrégularités  el  des 
licences;  ce  qui  a  fait  dire  à  Bardenhewer,  Les  Pires 
de  l'Église,  2e  édit.,  t.  n,  p.  292,  que,  pour  nier  ia 
provenance  hilarienne  d'une  hymne  contestée,  «  on  est 
mal  venu  d'arguer  de  l'incorrection  prosodique  ». 
Mais  il  semble  aussi  que,  pour  porter  un  jugement 
équitable,  il  faille  tenir  compte  de  la  prédominance 
de  l'accent  tonique  sur  la  quantité  et  des  modifications 
survenues  dans  la  prononciation  et  ayant  amené,  par 
voie  de  conséquence,  des  changements  radicaux  dans 
la  prosodie.  Mason,  art.  cit.,  p.  423  sq.  ;  dom  J.  Parisot, 
Hymnographie  poitevine,  p.  12.  On  comprend,  eu  reste, 
que  ces  premiers  essais  de  poésie  sacrée  n'aient  pas 
joui  d'un  succès  durable;  malgré  l'élévation  de  la 
pensée  et  la  vigueur  de  l'expression,  les  hj  mnss  con- 
servées dans  le  manuscrit  d'Arezzo  manquaient  des 
qualités  qui  font  les  chants  populaires. 

Des  autres  hj  mues  attribuées  à  l'évêque  de  Poitiers, 
il  n'en  est  pas  une  seule  dont  l'authenticité  soit  com- 
munément admise.  Six  n'ont  aucun  titre  réel  à  figurer 
parmi  les  œuvres  de  saint  Hilaire.  Tel  est  le  cas  poul- 
ies trois  h\ mnes   du  bréviaire  mozarabique;   l'attri- 
bution de  ces  pièces  au  docteur  gaulois  vient  d'une 
méprise  de  Daniel  dans  l'interprétation  d'une  référence 
donnée  par  T<  mm  isi.  Tel  est  également  le  cas  pour  les 
trois  hymnes  du  bréviaire  romain.   Voir  Cl.  Blume, 
Die  mozarabischen  Hymnen,  p.  49  sq.  ;  A.  S.  Walpole, 
Hymns  altributed  to  Milan;  of  Poitiers.  Re:  tent  les  trois 
autres.  Malgré  la  faveur  dont  a  joui,  pendant  long- 
temps   auprès    de  beaucoup,  «  l'hymne  du  matin   », 
qu'Hilaire  aurait  envoyée  à  sa  fille  Abra,  Lucis  largitor 
splendidc,  l'authenticité  de  cette  pièce  a  été  contestée 
de  nos  jours  par  divers  critiques,  Reinkens,  Watson, 
Walpole,  etc.  Blume  et  Dreves  l'ont  définitivement 
rejetée,  Hymnologischc  Beiliâge,  t.  m,  p.  84  sq.,  pour 
des    raisons    intrinsèques    et    extrinsèques.    L'hymne 
Ad  cœli  clara  non  sum  dignus  sidéra,  donnée  pour 
hilarienne   par   Pitra   et  plusieurs  autres,   olïre   bien 
dans  la  facture  quelques  traits   de  parenté  avec  la 
piem'ure  du  manuscrit  d'Arezzo,  mais  ces  faibles  in- 
dices sont  accompagnés  de  dissemblances  et  de  parti- 
cularités ejui  semblent  témoigner  d'une  i  pique  moins 
ancienne  et  font  attribuer  la  pièce  à  Paulin  II  d'Aqui- 
lée  (t  802).  Dreves,  Analecta,  t.  l,  p.  151.  La  dernière 
hymne,  Hymnum  dicat  turba  fratrum,  se  présente  dans 
de  meilleures     conditions  :    au    ixe  siècle,    Hincmar 
de  Reims  en  cite  deux  vers  sous  le  nom  de  saint  Hilaire, 
De  una  et  non  trina  deilate,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  486,  et 
elle   est  attribuée   au   même   docteur  dans   plusieurs 
manuscrits  remontant  jusqu'au  vie  siècle.  Aussi  l'au- 
thenticité est-elle  maintenue  par    Blume,    Analecta, 
t.  li,  p.  269  sq.,  el  quelques  autres  critiques,   comme 
dom   Parisot,  Walpole   et    D.eves,  malgré  une    vive 
opposition,  représentée  surtout   par   W.   Meyer,    Das 
Turincr    Bruclcslûck    der    allcslen     irischen     Liturgie, 
p.    207;  Die  drei  Arezzaner  Hymnen,  p.  423.  La  pièce 
f:gure  da  îs  le  vol  ime  du  Corpus  édité  pi  r  le  P.  Fe  er, 
p.  217,  so  s  la  rubrique  :   Il.,mn.is  d.:biis. 

En  dehors  des  hymnes  précédentes,  deux  autres 
chants  sacrés  ont  été  rattachés  au  nom  de  saint  I  lilaire 
par  quelques  auteurs  anciens  :  le  Gloria  in  excelsis  Deo, 
par  le  pseudo-Alcuin,  De  divinis  offlciis,  40,  P.  L., 
t.  ci,  col.  1248;  le  Te  Deum  laudamus,  par  saint  Abbon 
de    Fleury    (f  1004),    Quœslioncs    grammaticales,    19, 


P.  L.,  t.  cxxxix,  col.  532;  cf.  Coustant,  Prœ[.  gen.,  21 , 
22,  P.  L.,  t.  ix,  21;  Mgr  Cousseau,  Mémoire  sur  le 
Te  Deum  (1836),  dans  Œuvres  historiques  et  archéo- 
logiques, Paris,  1891,  t.  i,  p.  269-286.  Mais  ni  l'une  ni 
l'autre  de  ces  attributions  n'est  recevable.  L'hymne 
angélique  est  antérieure  à  saint  Hilaire;  il  est  seu- 
lement probable  qu'il  l'ait  traduite  du  grec  en  latin 
et  introduite  d'Orient  en  Occident.  Cl.  Bluma,  Der 
Engelhymnus  Gloria  in  excelsis  Deo,  dans  Stimmm 
aus  Maria-Laach,  1907,  t.  lxxiii,  p.  45,  62.  Pour  ce 
qui  est  du  Te  Deum,  l'affinité  d'expressions  ou  de 
pensées  qu'on  relève  entre  tel  ou  tel  verset,  et  tel  ou 
tel  passage  du  De  Trinitale,  par  exemple,  III,  7, 
col.  79,  est  manifestement  insuffisante  pour  établir 
une  relation  de  dépendance  en  faveur  du  docteur 
gaulois.  Dom  G.  Morin,  L'auteur  du  Te  Deum,  et 
Nouvelles  recherches  sur  l'auteur  du  Te  Deum,  dans  la 
Revue  bénédictine,  1891,  t.  vu,  p.  154  sq.;  1894,  t.  xi, 
p.  54;  dom  P.  Cagin,  Te  Deum  ou  Illalio?  p.  113, 
172,  179,  197,  dans  Scriplorium  Solcsmense,  Appel- 
durcomb,  1906,  t.  i  a. 

Mentionnons  enfin  deux  écrits  poétiques  mis  par- 
fois, mais  à  tort,  sous  le  nom  de  saint  Hilaire.  Le 
premier  intitulé  :  In  Genesim,  ad  Leonem  papam, 
est  un  poème  de  198  hexamètres  sur  l'origine  du 
monde,  la  chute  de  l'homme  et  le  déluge,  imprimé 
avec  les  œuvres  de  saint  Hilaire  d'Arles,  P.  L.,  t.  ï-, 
col.  1287-1292.  L'autre  écrit,  fragmentaire,  De  evan- 
gelio,  est  un  poème  où  la  naissance  du  Sauveur  et 
l'adoration  des  Mages  sont  célébrées  en  114  hexa- 
mètres; il  fut  publié  d'abord,  en  1!ï3j,  par  H.  C.  M.  Rit- 
tig,  puis,  en  1852,  par  Pitra,  Spicilcgium  Solcsmense, 
t.  ï,  p.  166-170.  R.  Pieper,  qui  a  réédité  les  deux 
poèmes  dans  le  Corpus-  scriplorum  ecclesiasticonun 
latinorum,  Vienne,  1891,  t.  xxm,  p.  231-239,  270-274, 
les  attribue  l'un  et  l'autre  à  un  Hilaire  qui  aurait  été 
le  contemporain  et  le  compatriote  de  son  homonyme, 
le  saint  évêque  d'Arles.  Bardenhewer,  Geschichte, 
t.  m,  p.  389  sq. 

B.  Hoelscher,  De  SS.  Damasi  papœ  el  Hilaiii  episc.  Picta- 
viensis  qui  ferunlur  hgmnis  sacris.  (Programme),  Munster, 
1858  ;  Reinkens,  op.  cit.,  p.  309-318;  J.  Kayser,  Beilràge  zur 
Geschichte  und  Erklarung  der  Kirclienhymnen,  Paderborn, 
1866;  2e  édit.,  1881,  p.  52-88;  S.  W.  Duflield,  Hilary  of 
Poitiers  and  the  earliest  latin  hymns,  dans  The  prrsbyterian 
review,  New  York.  1883,  t.  iv,  p.  710-722  ;  J.  F.  Gamurrini, 
S.  Hilarii  Iraclatus  De  mysteriis  et  Hymni,  Rome,  1837; 
dom  F.  Cabrol,  Les  écrits  inédits  de  saint  Hilaire  de  Poitiers, 
1888,  toc.  cit.  ;  G.  M.  Dreves,  Das  Hymnenbuch  des  hl. 
Hilarius,  dans  Zeitschrift  liir  kalholische  Théologie,  Ins- 
pruck,  1888,  t.  xn,  p.  358-369;  dom  J.  Parisot,  Hymno- 
graphie poitevine.  I.  Saint  Hilaire,  Ligugé,  18'JS,  W.  Meyer, 
Das  Turiner  Bruchsliick  der  àllesten  irischen  Liturgie, 
dans  Naclirichlen  von  der  Kônigl.  Gesellsiha,'t  der  Wissen- 
schaften  zu  Gôtlingen.  Philologisch-historische  Klasse  a  is 
dem  Jahre  1903,  Gœltingue,  1904,  p.  165-214;  A.  J.  Mas  »j, 
The  /irsl  Lalin  Christian  poet,  dans  Journal  o/  theological 
studies,  Oxïord,  1904,  t.  v,  p.  413-422;  A.  S.  Walpole, 
Hymns  altributed  to  Hilary  o/  Poitiers,  ibid.,  1905,  t.  vi, 
p.  599-603;  Cl.  Blume  et  G.  M.  Dreves,  Analecta  hym- 
nica  medii  sévi,  t.  xxvn,  Die  mozarabischen  Hymnen 
des  allspanischen  Ritus,  p.  49  sq.,  71,  102;  Lateinisclie 
Hymnendichler  des  Millelalters,  ibid.,  t.  L,  p.  3-9,  151  ; 
Die  Hymnen  des  Thésaurus  Hymnologicus  H.  A.  Daniels 
und  anderer  Hymnen- Ausgaben.  I.  Die  Hymnen  des  5-11 
Jahr.  und  die  Irish-Keltische  Hymnodie,  ibid.,  t.  Li,  p.  9  sq., 
51,  58,  97,  sq.,  261  sq.,  269  ;  ld.,  Hymnologische  Beitràge, 
Leipzig,  1908,  l.  m,  p.  84-86  ;  W.  Meyer,  Die  drei  Arezza- 
ner Hymnen  des  Hilariui  von  Poitiers  und  Etwas  uber 
Rhythmus,  dans  Nachrichlen  von  der  K.  Gesellschaft  der 
Wissenschafien  zu  Gôttingen.  Philol.-hist.  Kl.,  1909,  p.  397- 
423. 

7°  Saint  Hilaire  comme  écrivain.  —  L'évêque  de 
Poitiers  a  sa  place  dans  l'histoire  de  la  littérature 
et  de  l'élocruence  chrétienne  au  ive  siècle.  Tous  lui 
reconnaissent   d'éminentes    qualités   :    l'élévation    et 


"2413 


IIILAIRE    (SAINT) 


2414 


l'originalité  dans  la  conception  et  dans  la  manière  de 
traiter  les  questions,  la  vigueur  dans  le  raisonnement, 
une  conviction  intime  et  persuasive,  une  certaine 
impétuosité  qui  l'a  fait  appeler  par  saint  Jérôme, 
Comment,  in  Epist.  ad  Gai.,  1.  II,  prrcf.,  P.  L.,  I.  xxvi, 
col.  355,  i  le  Rhône  de  l'éloqaence  latine  ».  Rhéteur, 
il  usa  résolument  des  ressources  que  son  art  lui  four- 
nissait, non  par  pôdantisme,  mais  par  conscience  pro- 
fessionnelle et  par  esprit  apostolique,  pour  mieux 
gagner  ses  lecteurs  à  la  doctrine  qu'il  soutenait.  Aussi, 
dans  une  invocation  qu'il  adresse  à  Dieu,  De  Trini- 
tale,  I,  38,  col.  49,  demande-t-il,  non  seulement  la 
lumière  de  l'intelligence  et  l'attachement  inviolable 
à  la  vérité,  mais  encore  la  propriété  des  termes  et  la 
noblesse  de  l'expression,  verborum  significationem, 
diclorum  honorem.  Saint  Jérôme  pense,  Epist.,  lxx, 
ad  Magnum,  5,  P.  L.,  t.  xxn,  col.  668,  que,  dans  le 
De  Trinilate,  Hilaire  s'est  inspiré  des  Inslitutiones 
de  Quintilien,  pour  le  style  comme  pour  la  division  de 
l'ouvrage  en  douze  livres.  Des  études  récentes  ont 
montré  la  justesse  de  ce  jugement;  voir  en  particu- 
lier H.  Kling,  De  Hilario  Pictaviensi  artis  rlieloricœ 
ipsiasqae,  ut  jertur,  institulionis  oratoriœ  Quintilianœ 
studioso,  avec  tableau  comparatif,  p.  20  sq.  Hilaire 
est  réellement  de  l'école  du  grand  maître  parle  carac- 
tère serré,  vif  et  nerveux  de  son  style,  comme  par  les 
fleurs  de  rhétorique  dont  il  l'orne;  mais  il  est  loin  de 
rester  au  niveau  de  son  modèle,  soit  pour  la  pureté 
et  la  sobriété  de  la  diction,  soit  pour  la  sûreté  et  la 
délicatesse  du  goût  littéraire.  Vivant  en  Gaule  et  à 
une  époque  de  décadence,  où  un  genre  artificiel  et 
maniéré  était  à  la  mode,  l'évèque  de  Poitiers  partagea 
moins  pourtant  que  beaucoup  de  ses  contemporains 
les  défauts  communs:  déploiement  excessif  delà  symé- 
trie et  de  l'antithèse,  abus  de  l'apostrophe,  emploi 
d'expressions  trop  elliptiques  ou,  au  contraire,  de 
périodes  surchargées  et  compliquées.  Souvent,  il  est 
vrai,  l'obscurité  vient  plutôt  de  la  hardiesse  et  de  la 
profondeur  de  la  pensée,  mais  parfois  elle  tient  au 
vague  ou  à  l'élasticité  de  termes  non  définis,  à  des 
antilogies  apparentes  dont  rien  ne  facilite  la  solution, 
à  la  facilité  avec  laquelle,  dans  l'usage  des  mots, 
l'auteur  passe  d'une  acception  propre  à  une  acception 
figurée  ou  d'un  sens  absolu  à  un  sens  relatif.  Le  juge- 
ment porté  par  saint  Jérôme,  Epist.,  lviii,  ad  Pauli- 
num,  10,  P.  L.,  t.  xxn,  col.  585,  a  certainement  sa 
part  de  vérité  :  «  Saint  Hilaire  se  dresse  sur  le  cothurne 
gaulois,  et,  comme  il  se  pare  des  fleurs  de  la  Grèce,  il 
s'engage  parfois  dans  de  longues  périodes;  ses  ouvrages 
ne  sont  pas  faits  pour  des  lecteurs  d'une  portée  mé- 
diocre. »  Appréciation  qui  ne  va  nullement,  dans  la 
pensée  du  docteur  dalmate,  à  dénigrer  un  homme 
qu'ailleurs,  Comment,  in  Is.,  1.  VIII,  prsef.,  P.  L., 
t.  xxiv,  col.  281,  il  range  parmi  les  maîtres  de  l'élo- 
quence. 

III.  Doctrine.  — ■  Dans  les  écrits  de  saint  Hilaire, 
la  doctrine  antiarienne,  trinitaire  et  chrislologique, 
vient  naturellement  en  première  ligne.  Les  commen- 
taires exégétiques  dépassent  cependant  cet  objet  et 
donnent  lieu  à  une  synthèse  plus  étendue,  mais  arti- 
ficielle, car  l'évèque  de  Poitiers  n'a  pas  présenté 
lui-même  sa  doctrine  sous  une  forme  systématique. 
Une  question  s'ajoute,  d'ordre  apologétique  :  s'il  est 
vrai  que  saint  Jérôme  a  donn'5  comme  un  certificat 
général  d'orthodoxie  aux  ouvrages  d' Hilaire,  en  écri- 
vant à  Lœta,  Epist.,  cvn,  12,  P.  L.,  t.  xxn,  col.  877  : 
Hilarii  libros  ino/fenso  decurrat  pede,  il  n'est  pas  moins 
vrai  que  des  attaques  ont  été  formulées  plus  tard; 
attaques  réduites  à  neuf  chefs  par  dom  Coustant,  Prse- 
fatio  generalis,  c.  vi,  et  reprises  dans  le  procès  cano- 
nique institué  par  la  S.  C.  des  Rites,  quand  il  fut  ques- 
tion de  conférer  solennellement  à  l'évèque  de  Poitiers 
le  titre  de  doctor  Ecclesijc.  PLis  récemment,  de;  théolo- 


giens protestants  ont  incriminé,  ou  compromis  par 
leurs  interprétations,  d'autres  points  de  l'enseignement 
trinitaire  ou  christologique  de  l'Athanase  gaulois. 
Ces  attaques  seront  signalées  et  discutées  ea  même 
temps  que  seront  exposées  les  matières  connexes. 
J.  Écriture  SAINTE.  —La  doctrine  de  saint  Hilaire 
sur  le  premier  fondement  de  notre  foi  peut  se  grouper 
autour  de  quatre  points  :  l'autorité,  le  canon,  les  ver- 
sions et  l'interprétation  des  Livres  sacrés. 

1°  Autorité.  —  Souveraine  est  l'autorité  des  Écri- 
tures, ces  oracles  célestes  où  tout  est  vrai  et  utile; 
où  tout  est  élevé,  divin,  conforme  à  la  raison  et  parfait. 
In  ps.cxvin,  litt.  xviii,  5;  cxxxr,  1,  col.  622,  678. 
S'adaptant  à  notre  faiblesse,  qui  a  besoin  de  choses 
visibles  pour  comprendre  les  invisibles,  les  saintes 
Lettres  enseignent  les  choses  spirituelles  par  les  corpo- 
relles et,  à  l'aide  des  choses  visibles,  rendent  témoi- 
gnage aux  invisibles.  Inps.cxx,  7,  11,  col.  656,  658. 
S'il  faut  entendre  conformément  à  la  prédication 
évangélique  ce  qui  a  été  dit  dans  les  écrits  de  l'Ancien 
Testament,  si  l'autorité  prophétique  et  apostolique 
nous  suffit,  Instruclio  psalmorum,  5;  In  p;.  CXL,  2, 
col.  235,  825,  c'est  qu'à  la  base  de  cette  autorité  et 
de  cette  prédication  il  y  a  l'autorité  même  de  Dieu, 
qui  a  parlé  par  les  prophètes  d'abord,  puis  par  les 
apôtres  :  Omnia  a  divino  Spiritu  per  David  dicta, 
Instr.  7  ;  propheia  semper  Dei  Spiritu  plenus. 
Inps.Ll,  15,  col.  277,  317.  De  même  saint  Paul  :  per 
loquentem  in  se  Christian  loqucns.  De  TrinUai:,  XII,  3, 
col.  435.  Aussi,  parlant  en  ce  dernier  endroit  d'une 
prophétie  relative  à  Jésus-Christ,  Hilaire  voit-il  une 
contradiction  en  ce  que  l'apôtre  puisse  ignorer  cette 
prophétie  ou,  la  connaissant,  puisse  en  fausser  le  sens. 
2°  Canon.  —  Le  prologue  des  Psaumes,  15,  col.  241, 
contient  un  canon  de  l'Ancien  Testament  où  sont  énu- 
mérés  vingt-deux  livres,  autant  que  de  lettres  dans 
l'alphabet  hébreu.  Comme  le  commentateur  s'inspire 
manifestement  d'Origène,  In  ps.  I,  P.  G.,  t.  xn, 
col.  1084,  et  que  le  docteur  alexandrin  parle  formel- 
lement du  canon  juif,  y.aO"E?pa!oj;,  il  n'y  a  nulle  rai 
son  d'entendre  le  disciple  autrement  que  le  maître. 
L'évèque  de  Poitiers  dit  encore,  ce  qui  n'est  pas  dans 
Origène,  que  certains  ajoutent  les  livres  de  Tobie  et  de 
Judith  obtenant  ainsi  un  total  de  vingt-quatre  livres, 
ce  qui  répond  au  nombre  des  lettres  dans  l'alphabet 
grec.  Personnellement,  Hilaire  utilise  les  deutéro- 
canoniques  comme  les  autres  ;  pour  l'Ancien  Testa- 
ment, il  les  cite  en  réalité  tous;  pour  le  Nouveau,  il 
cite  l'Épître  aux  Hébreux  sous  le  nom  de  saint  Paul, 
celle  de  saint  Jacques,  la  IIe  de  saint  Pierre  et  l'Apoca- 
lypse sous  le  nom  de  saint  Jean.  Voir  Coustant, 
notes  a  et  d.  P.  L.,  t.  ix,  col.  241  sq.  ;  F.  Vigouroux, 
Canon  des  Écritures,  dans  Dictionnaire  de  la  Bible, 
t.  ii,  col.165,  181  ;  voir  aussi,  plus  haut,  t.  n,  col.  1577, 
1581.  Voir  A.  Souter,  Quotaliois  from  the  Epi  il  s  of 
St.  Pa.il  in  St.  Hila-y  oi  th'  Psalm;  dans  Journal 
of  theological  slJdùs,  octobre  1916,  t  xviii,  p.  73-77. 
Par  ailleurs,  Hilaire  sait  rejeter  les  apocryphes, 
tels  que  le  livre  d'Hénoch,  In  ps.  cxxxn,  6,  col.  748, 
et  tenir  compte  des  doutes  que  la  divergence  de  la 
tradition  manuscrite  peut  provoquer,  par  exemple,  à 
propos  de  la  sueur  de  sang,  Luc,  xxn,  43-44.  De  Tri- 
nilate, X,  41,  col.  375. 

3°  Versions  —  Il  existe,  onl'a  vu  déjà,  une  différence 
de  procédé  entre  les  commentaires  sur  saint  Matthieu 
et  sur  les  Psaumes.  Dans  le  premier,  l'auteur  s'en 
tient  purement  au  texte  latin  dont  on  se  servait  à 
Poitiers;  dans  l'a.itre,  il  s'aide,  non  du  texte  hébreu, 
car  il  ignorait  cette  langue,  mais  de  diverses  traduc- 
tions, latines  ou  grecques,  surtout  de  la  version  des 
Septante.  Il  professe  pour  cette  dernière  une  estime 
et  une  vénération  spéciales  :  translatio  illa  seniorum 
LXX  et  légitima  et  spiritualis,  In  ps.  ux,  1,  col.  383: 


2415 


HILAIRE  (SAINT 


2416 


estime  et  vénération  fondées  non  seulement  sur 
l'ancienneté  de  cette  version,  mais  encore  et  surtout 
sur  les  prérogatives  qu'il  attribuait  à  ses  auteurs.  S'il 
ne  parle  pas  des  légendaires  cellules,  ni  d'inspiration 
proprement  dite,  il  tient  du  moins  ces  interprètes  pour 
les  successeurs  des  soixante-dix  vieillards  auxquels 
Moïse  avait  confié  l'explication  de  la  Loi  et  qui,  en 
conséquence,  possédaient  une  science  spirituelle  et 
;te  pour  pénétrer  le  sens  intime  des  psaumes.  In- 
slructio,  8:  cl.  lnps.il,  2,3, col.  238, 262 sq.  Rien dedoc- 
trinal,  assurément,  dans  cette  manière  de  voir.  Plus 
importantes  sont  les  citations  bibliques  qui  se  rencon- 
trent  dans  les  écrits  du  docteur  gaulois;  comme  il  se 
servait  d'un  texte  latin  antérieur  à  la  revision  de  saint 
Jérôme,  ces  citations  fournissent  un  apport  apprê- 
ciable  à  l'histoire  de  l'ancien  texte  biblique.  Des  études 
spéciales  indiquées  ci-dessus,  col.  2402,  il  résulte  que  le 
texte  utilisé  par  l'évêque  de  Poitiers  diffère  de  celai 
(pion  lit  dans  le  psautier  romain  et  des  autres  textes 
courants  ;  d'après  les  conclusions  de  F.-J.  Bonnas- 
sieux,  op.  cit.,  p.  124  sq.,  il  faudrait  regarder  le  texte 
t  comme  un  témoin  très  ancien  de  la  recension  dite 
irlandaise  ».  En  réalité,  ce  n'était  ni  le  texte  africain  ni 
le  texte  italien,  mais  un  texte  «  européen  »,  généra- 
lement usité  en  Gaule  au  ive  siècle.  H.  Jeannotte,  Le 
psautier  de  saint  Hilaire  de  Poitiers,  Paris,  1917. 

4°  Interprétation.  ■ —  Du  point  de  vue  exégétique, 
les  commentaires  sur  saint  Matthieu  et  sur  les  psaumes 
présentent  un  intérêt  particulier  à  un  double  titre  : 
ils  comptent  parmi  les  plus  anciens  monuments  du 
genre,  et  ils  ont  grandement  contribue  à  introduire 
en  Occident  la  méthode  d'interprétation  spirituelle 
ou  allégorique,  destinée  à  un  si  brillant  avenir.  Le  fon- 
dement de  cette  méthode,  pour  saint  Hilaire,  c'est  la 
distinction  entre  le  texte  pris  au  sens  obvie,  simpli- 
citer  intellectus,  et  considéré  plus  à  fond,  inspectus 
interius,  d'après  les  diverses  notions  ou  relations  dont 
les  choses  et  les  actions  directement  signifiées  ou  ex- 
primées par  la  lettre  sont  susceptibles  ;  de  là  résulte  un 
sens  plus  relevé,  auquel  le  docteur  gaulois  s'arrête  de 
préférence  :  rclictis  his  quœ  ad  communem  inlclliyen- 
tiam  patent,  causis  interioribus  immoremur.  In  Malth., 
xn,  12,  col.  987.  En  d'autres  termes,  au  delà  du  sens 
historique  ou  grammatical,  qui  s'attache  à  la  lettre  et 
qui  est  le  sens  vulgaire,  il  y  a  un  sens  profond,  qui 
s'attache  non  plus  à  la  lettre  elle-même,  mais  à 
la  chose  signifiée  ou  à  l'action  exprimée  par  la  lettre; 
sens  qui  reçoit  les  épithètes  de  spirituel,  intérieur, 
typique,  céleste  :  epi  ituli,  ii  tclligentia,  In  ps.  cxix,2, 
col.  043  ;  inlrrior  inlelligenlia,  interioris  significantise 
inleltigentia,  ordotypicœ  significantise,  cselestis  intelli- 
gentia.  In  Matlh.,  h,  2  ;  vm,  8,  9  ;  xx,  2,  col.  924,  957, 
1028. 

Nettement  formulée  et  couramment  appliquée  clans 
le  commentaire  sur  saint  Matthieu,  la  mélhode  d'inter- 
prétation allégorique  est  encore  plus  accentuée  dans 
le  commentaire  sur  les  psaumes.  Coustant,  Admonitio, 
8-12,  col.  224  sq.  Là  saint  Hilaire  considère  l'Ancien 
Testament  tout  entier  comme  une  prophétie  et  une 
ligure  du  Nouveau,  surtout  du  Fils  de  I  >ieu  fait  homme. 
Sunt  emm  universa  allegoricis  et  ti/picis  eontexta  virlu- 
libus,  per  quœ  omnia  \unigeniti  Dei  filii  in  corpore... 
saeramenta  panduntur.  Instruetio,  5,  col.  235.  Com- 
parer la  phrase  du  Liber  mysteriorum  citée  ci-dessus, 
col  2401  sq.  "Aussi,  en  niant  le  Christ,  les  hérétiques 
ont  perdu  la  clef  qui  ouvrj  à  l'esprit  la  pleine  intelli- 
gence des  saintes  Écritures.  Ibid.,  6,  col.  230.  Non  pas 
que  tout  doive  s'appliquer  directement  à  Notre-Sei- 
gneuret  à  son  œuvre,  car  Hilaire  rejette  cette  supposi- 
tion comme  excessive,  mais  en  ce  sens  que  tout  se  rap- 
porte îiu  moins  indirectement  à  ces  objets.  D'ailleurs, 
nulle  opposition  entre  le  sens  littéral  et  le  sens  spirituel  : 
est  seulement  rejetée  l'opinion  de  ceux  qui  voudraient 


s'en  tenir  à  une  méthode  d'interprétation  purement  ou 
exclusivement  littérale.  In  ps.Liv,  9;  cxxiv,  1;  cxxvi, 
1,  col.  352,  079,  093. 

Si  de  la  théorie  nous  passons  à  la  pratique,  une  dis- 
tinction s'impose.  Le  saint  docteur  prétend,  en  prin- 
cipe, ne  pas  substituer  sa  propre  conception,  mois 
seulement  adapter  son  interprétation  aux  données 
contenues  dans  l'Écriture.  In  Malth. .  vu,  S,  col.  950; 
Coustant,  Admonitio,  5-7,  ccl.  911.  En  fait,  quoi  qu'il 
en  soit  de;  applications  mystiques,  souvent  très  belles 
et  très  instructives,  que  l'orateur'  rattache  au  texte 
sacré,  dans  beaucoup  de  cas  l'interprétation  reste 
subjective  et  purement  accommodatice,  parfois  même 
elle  est  forcée.  Sur  ce  point  et  quelques  autres,  moins 
intéressants  du  point  de  vue  doctrinal  que  pour  l'his- 
toire de  l'exégèse  ou  de  la  prédication  homiiélique. 
voir  R.-M.  de  La  Broise,  art.  Hilaire,  dans  le  Diction- 
naire de.  la  Bible,  t.  m,  col.  703  sq.,  et  R.  Simon,  His- 
toire critique  du  Vieux  Testament,  Rotterdam,  1085, 
p.  404  sq.;  du  Nouveau  Testament, ibid.,] 093, p. 127 sq. 
Une  remarque  faite  dans  ce  dernier  ouvrage,  p.  132,  a  son 
importance  :  autre  est  la  méthode  employée  de  préfé- 
rence par  l'évêque  de  Poitiers  dans  ses  deux  commen- 
taires, alors  qu'il  se  propose  d'édifier  les  fidèles;  autre 
est  l'usage  qu'il  fait  du  texte  sacré  quand  il  expose  ou 
défend  la  foi  catholique.  Dans  ce  dernier  cas,  il  s'at- 
tache au  sens  littéral  et  il  le  traite,  en  général,  avec 
une  maîtrise  à  laquelle  les  plus  grands  docteurs  ont 
rendu  témoignage;  tels  saint  Jérôme,  Episl.,  lv,  ad 
Amandum,  P.  L.,  t.  xxn,  col.  504,  et  saint  Augustin, 
De  Trinitale,  VI,  10,  P.  L.,  t.  xlii,  col.  931  :  non  medio- 
cris  auctoritatis  in  tractalione  Seriplurarûm  cl  assertione 
fidei  vir  exstitit.  Cf.  Watson,  op.  cit.,  Introd.,  p.  lxi; 
Cornely,  Introd.  gen.,  p.  053. 

//       DIEU.       ÊTRE     'SUPRÊME)   ET    {CRÉATEUR;     MONDE, 

anges,  hommes.  —  La  doctrine  de  saint  Hilaire  sur 
Dieu  mériterait  d'être  exposée  en  détail,  si  la  question 
n'avait  pas  été  déjà  touchée,  t.  iv,  col.  1099  sq.  Rap- 
pelons qu'à  l'affirmation  très  accentuée  de  l'incom- 
préhensibilité  divine  se  joint  l'affirmation  non  moins 
vigoureuse  de  la  faculté  native  que  possède  l'homme 
de  connaître  l'existen  e  de  Dieu  par  la  voie  des  créa- 
tures :  Quis  enim  mundum  conluens,  Deum  esse  non 
sentiat?  In  p  .  lu,  2,  col.  326.  Car  le  monde  chante 
magnifiquement  les  louanges  de  son  auteur  et  pro- 
clame hautement  sa  puissance  et  sa  majesté.  In  ps.LXV, 
0  ;  LXVIII,  29  ;  CXXXIV,  11  ;  CXLYII1,  5  sq.,  col.  420,  488, 
757  sq.,  881  sq.  Rappelons  encore  que  le  texte  de 
l'Exode,  m,  14,  où  Dieu  se  définit  :  Ego  sum  qui  sum, 
ravit  d'admiration  le  docteur  gaulois  et  lui  fait  saisir 
dans  la  notion  d'Être  une  notion  première  à  laquelle 
se  rattachent,  immédiatement  ou  médiatement,  toutes 
les  propriétés  essentielles  de  la  divinité.  A.  Beck,  Die 
Trinitûtslehre  des  hl.  Hilarius  von  Poitiers,  c.  n.  Parmi 
ces  propriétés,  celles  qui  sembleraient,  à  première 
vue,  s'opposer  à  toute  dictinction  en  Dieu,  ne  sont 
pas  moins  accentuées  que  les  autres;  telles  la  simpli- 
cité et  l'unité  :  divinum  et  œternum  nihil  nisi  unum 
esse  cl  indi//ercns;  lolum  in  co  quod  est,  unum  est;  ex 
simplicilate  perfectus.  De  Trinitale,  I,  4;  VII,  27; 
IX,  01,  col.  28,  223,  330. 

Ainsi  conçu,  Dieu  est  l'Être  souverainement  par- 
fait et  heureux  de  lui-même,  qui  crée  le  monde  par 
pure  bonté,  pour  communiquer  aux  autres  quelque 
chose  de  sa  propre  béatitude,  ex  optima  ac  bencvola 
bcatitudine.  In  ps.  il,  14,  col.  269.  Ce  n'est  pas  le  Dieu 
des  seuls  É\angiles,  comme  le  voulaient  les  mani- 
chéens ;  c'est  le  Dieu  de  la  Loi  et  des  Évangiles,  les 
deux  Testaments  ayant  un  même  auteur.  In  p-.LXU,  9; 
CXXXVU,  7,  col.  448,  788.  Dieu  sage  et  bienveillant, 
dont  la  prescience,  non  moins  que  la  providence, 
s'étend  à  tout.  Inps.  CXXl,  10;  CXXXVIII,  41,  col.  665, 
813.  C'est  faire  également  preuve  d'impiété,  que  de 


2417 


IIILAIRE    (SAINT 


2418 


nier  son  existence,  ou  de  ne  pas  le  reconnaître  pour 
l'auteur  du  monde,  livré  dès  lors  à  l'évolution  fortuite 
de  forces  nécessaires  et  aveugles.  In  p  -.  VIII,  2;  ixv,  7, 
col.  251,  427.  A  ces  erreurs,  Hilaire  oppose  la  notion 
de  Dieu  créateur,  c'est-à-dire  de  qui  tous  les  autres 
êtres  tiennent  leur  origine,  ayant  été  tirés  par  lui  dn 
néant  :  ipsum  a  nemine,  sed  ex  eo  onviia;  marient  ex 
nihilo  su.bstitu.la,  d  gratiam  ex  eo  quod  sunt,  creatori  sno 
debent.Inps.LXIlI,^;  CXLVlil,  5,  col.  411,  881.  D'où  le 
caractère  de  contingence  absolue  qui  s'attache  à  tout 
ce  qui  n'est  pas  Dieu  :  quia  illa  ex  conditione  crcalionis 
suie,  id  est  proj(  cta  de  nihilo,  habeant  id  in  se  necessitatis 
ut  non  sint.  In  Mallh.,  xxvi,  3,  col.  1057.  Aussi  rien  de 
ce  qui  a  été  créé  ne  peut-il  subsister  sans  qu'une  action 
divine  continue  lui  conserve  l'existence.  In  p:.  XCI,  7, 
col.  498. 

Cortingent  par  nature,  le  monde  ne  peut  être,  de 
droit,  éternel;  il  ne  l'est  pas  davantage  en  fait  :  et  per 
trmpus  quidem  non  ambiquum  est  quin  ea,  quœ  nunc 
cœperint,  anle  non  fuerinl.  Les  anges  furent  créés 
d'abord  dans  le  premier  ciel,  avant  les  temps  et  les 
siècles.  De  Trinilale,  XII,  6,37,  col.  442,  456;  Contra 
Auxenl.,  6,  col.  612.  Vint  ensuite  le  monde  sensible, 
dont  Dieu  produisit  toutes  les  parties  instantanément, 
par  un  sim.  le  Fiat,  sans  qu'il  y  ait  à  mettre  une  dis- 
tinction entre  le  commencement  et  la  conso-  mation 
de  chaque  œuvre,  In  p\  CXVIII,  lilt.  x,  4,  7,  col.  5(  5  sq., 
mais  non  pas  en  ce  sens  que  toutes  les  parties  aient  été 
produites  simultanément  ;  car  les  paroles  du  De  Tri- 
nilale, I,  40,  col.  458  sq  :  cicli,  lerrœ  cœterorumque 
elcmentorum  creatio  ne  levi  sallem  momento  opendionis 
discernilur,  où  l'on  a  prétendu  lire  le  contraire,  s'appli- 
quent, dans  le  contexte,  à  la  création  active,  réellement 
instantanée,  puisqu'il  n'y  a  succession  ni  dans  la  pensée 
ni  dans  la  volonté  ni  dans  l'action  divine.  Enfin  le  roi 
du  monde  sensible  parut,  l'homme,  dont  la  foi  mation 
présente  une  particularité:  elle  nous  est  dépeinte  dans 
la  Genèse  comme  n'étant  pas  due  à  un  simple  Fiai, 
mais  cem  e  luisant  d'abord  l'objet  d'une  délibération 
préalable,  puis  accomplie  par  les  mains  divines,  et 
accomplie  en  trois  actes  successifs  :  création  de  l'âme, 
production  du  corps  formé  de  la  terre  et  vivification 
de  ce  dernier  par  son  union  à  l'âme.  Rapportant,  arl  i  • 
trairement  d'ailleurs,  Gen.,i,  27,  à  la  création  de  l'âme, 
et  Gen.,  n,  7,  à  la  formation  et  à  la  vivification  du 
corps,  Hilaire  regarde  ces  deux  dernières  actions 
comme  ayant  eu  lieu  longtemps  après  la  première, 
longe  postea.  Inps. CXVIII,  lit t .  x,  1,4-6;  CXXIX,5,  col. 
563  sq.,  721. 

Les  anges  sont  des  êtres  spirituels,  nalurœ  spirilales, 
virilités  spiritales,  dont  les  propriétés  sont  symbolisées 
par  les  appellations  scripturaires  d'esprit  et  de  Jeu. 
In  ps.  CXXXVI.5,  col.  786  sq.  ;  De  Trinilale, 11,  il,  col. 
136.  Hilaire  suppose  constamment  l'existence  d'anges 
bons  et  d'anges  m  mvais,  appelant  les  uns  anges  célestes 
ou  .simplement  anges,  les  autres  anges  prévaricateurs 
ou  dînions,  esprits  malins  et  puissances  de  l'air.  In 
Mallh.,  v,  11;  xi,  5  ;7nps.zxra,  24,  col.  948, 980,  460. 
Une  fois  il  fait  mention  d'  «  anges  pris  de  passion  pour 
les  filles  des  hommes  »,  mais  sans  rien  préciser  et  d'une 
façon  incidente,  à  propos  d'un  détail  contenu  dans  le 
livre  apocryphe  d'Hénoch  et  dont  il  ne  veut  pas  tenir 
compte.  In  ps.  CXXXII,  6,  col.  748  sq.  Aux  appellations 
d'anges,  archanges,  trônes,  etc.,  correspondent  des 
ministères  dilïérents.'7/i  ps.  CXVIII.  litt.  m,  10,  col.  522. 
Dieu  se  sert  de  ces  bienheureux  esprits  dans  le  gouver- 
nement de  l'Église  militante  et  particulièrement  pour 
assister  les  fidèles,  non  qu'il  ait  besoin  d'un  concours 
étranger,  mais  en  faveur  des  hommes,  trop  faibles  pour 
marcher  seuls  vers  le  but  à  atteindre  et  surtout  pour 
lutter  avantageusement  contre  les  esprits  mauvais. 
In  ps.CXXIV.ÏT.CXXIX.7  ;cxxxiv,  17;  CX'XXVII,  5,  col. 
682,  722,  761,  786.  Présents  à  la  fois  au  ciel,  auprès  de 


Dieu,  et  sur  la  terre,  auprès  de  nous,  les  anges  président 
à  nos  prières  et  présentent  nos  désirs  au  Seigneur,  mais 
ils  témoignent  aussi  contre  les  pécheurs.  In  ps.cvni  S; 
In  Mallh.,  xvm,  5,  ccl.  507.  1020.  lis  introduisent  les 
justes  dans  l'éternel  repos.  In  ps.  lvii.  6,  7,  col.  372. 

Dans  une  lettre  adressée  au  pape  saint  Grégoire, 
Epist.,  1.  III,  epist.  liv,  P.  L.,  t.  lxxvii,  col.  602, 
l'évêque  Lieinianus  semble  attribuer  à  l'évêque  de 
Poitiers  d'avoir,  avec  Origène,  cru  les  astres  animés  et 
d'en  avoir  fait  des  esprits.  Rien  ne  justifie  cette  impu- 
tation. Coustant,  Prœf.  gen.,  n.  29,  col. 24  sq.;  Ceillier, 
op.  cit.,  t.  îv,  p.  Mi. 

L'homme  se  compose  d'une  double  substance  :  l'une 
extérieure  et  terrestre,  qui  est  le  corps  ou  la  chair; 
l'autre  intérieure  et  céleste,  qui  est  l'âme  raisonnable, 
immortelle,  incorporelle  et  suivant  laquelle  l'homme  a 
été  fait  à  l'image  de  Dieu.  Inps. lui. 8;  cxvill, litt. x, 
67;  CX.T/.i',4-6,  col.  342,  5  56,  720  sq.  En  ce  qui  concerne 
la  spiritualité,  une  controverse  existe  sur  la  pensée  du 
saint  docteur  à  cause  de  l'épithète  de  corporelle  qu'il 
donne  à  l'âme,  //;  p  •.  CXVIII,  litt.  xix,  8.  col.  629,  et 
surtout  à  cause  de  cette  atlirmation  plus  générale,  In 
Matth.,  v,  8,  col.  946  :  Nihil  est  quod  non  in  substantia 
sua  et  creationc  cirporeum  sit;  et  omnium,  sive  in  cœlo 
sine  in  terra,  sive  visibilium  sive  invisibilium,  elementa 
jormata  sunt.  Nam  et  animarum  species,  sive  obtincn- 
tium  corpora,  sive  corporibus  exsulantium,  corpoream 
tamen  nalurœ  suie  subslanliam  sortiuntur,  quia  omne 
quod  crealum  est,  in  aliquo  sit  necesse  est.  Claude  Ma- 
mert,  prêtre  viennois  (f  vers  474),  a  trouvé  là  l'une  des 
deux  erreurs  qu'il  attribue  au  docteur  gaulois:  unum, 
quod  nihil  incorporeum  crealum  dixit.  De  statu  ani- 
marum, 1.  II,  c.  ix,  n.  3,  P.  L.,  t.  lui,  col.  752.  Opinion 
partagée  par  divers  critiques,  tels  qu'Érasme,  Schultes, 
récemment  Fôrster,  Zur  Théologie  des  Hilarius,  p.  670, 
et,  pour  le  seul  commentaire  sur  saint  Matthieu, 
Watson,  op.  cit.,  p.  vu.  D'autres  opposent  avec  raison 
les  passages  des  deux  commentaires  où  les  âmes 
humaines  sont  appelées,  non  moins  que  les  anges,  des 
natures  ou  substances  spirituelles  :  In  Matth.,  ix,  20, 
col.  974,  in  subslaUiam  spirilualis  animse;  In  ps.  CXXIX, 
4,  col.  720,  quarum  (naturarum)  alla  spiritulis.  Il 
semble  donc  cpie,  dans  les  textes  objectés,  saint  Hilaire 
ait  pris,  comme  d'autres  Pères  anciens,  les  termes 
corporidis  et  corporcum  dans  un  sens  large,  pour 
indiquer  soit  le  rapport  de  l'âme  au  corps  auquel  elle 
est  unie,  soit  toutes  les  réalités  qui  concourent  à  l'exis- 
tence concrète  d'une  nature  créée  n'ayant  pas  l'absolue 
simplicité  de  la  nature  divine.  Coustant,  Prœf.  gen., 
n.  255  sq.,  col.  120,  et  notes  sur  les  textes  objectés 
col.  629,  945;  Petau,  De  Deo,  1.  II,  c.  i,  n.  15;  De 
angelis,  1.  I,  c.  n,  n.  11  ;  c.  m,  n.  12,  éc  it  Thomas,  t.  i, 
p.  170;  t.  iv,  p.  12,  19;  Noël  Alexandre,  Historia  eccle- 
siastica,  Lucques,1734,  t.  iv,  c.  vi,  a.  13,  n.  4,  p.  138. 

L'origine  de  l'âme  humaine  donne  lieu  à  une  autre 
controverse.  Tous,  rem  irquc  le  saint  docteur,  nous 
sommes  naturellement  portés  à  croire  que  les  âmes  ont 
Dieu  pour  auteur.  In  ps.  LXII,  3,  col.  602.  Mais  s'agit-il 
d'une  action  créatrice'?  Il  importe  de  distinguer  entre 
l'âme  du  premier  homme  et  celles  de  ses  descendants. 
On  ne  peut  douter  qu'au  jugement  d'Hilaire,  l'âme 
d'Adam  ait  été  l'objet  d'une  action  strictement  créa- 
trice, In  ps.  LXIII,  9,  ex  a'Jlalu  Dei  ortam;  LXVII,  22; 
CXVIII,  litt.  x,  n.  7,  col.  111,  458,  566.  Plusieurs  textes 
semblent  appliquer  la  même  doctrine  aux  autres  âmes, 
en  particulier  De  Trinilale,  X,  20,  22,  col.  358  sq.  : 
Cum  anima  omnis  opus  Dei  sit...,  quœ  utique  nunquam 
ab  liomine  gignenlium  originibus  prœbetur.  Cf.  In 
Matth.,  x,  24,  col.  976  :  In  naluram  animœ,  quœ  ex 
ajflatu  Dei  venit.  Aussi  le  docteur  gaulois  est -il  commu- 
nément rangé  parmi  les  partisans  du  créalianisme 
strie  enien1  e:. te  nu.  Watson,  op.  cit.,  p.  lxviii;  J. 
Schwane,    Dogmengeschichte,   2°   édit.,   t.    n,    p.   423; 


2419 


HILAIRE   (SAINT' 


2420 


Fôstcr,  op.  cit.,  p.  i  71.  Celte  manière  de  voir  n'a  pas 
paru  certaine  au  l)r  A.  Beck,  Die  Lettre  tics  ht.  Ililarius 
von  Poitiers  utul  Teriullian's  ùber  die  Enlslchung  der 
Seelen,  dans  Philosophisches  Jahrbuch,  Fulda,  1900, 
t.  xin,  p.  37-44.  D'après  l'évêque  de  Poitiers,  pense-t-il, 
les  i.mes  des  descendants  d'Adam  ne  seraient  pas 
créées  immédiatement  par  Dieu;  car,  bien  que  les 
âmes  ne  soient  point  transmises  par  voie  de  génération, 
comme  les  corps,  néanmoins  celui  qui  engendre  produit 
tout  entier  l'être,  semblable  à  lui-même,  dont  il  est  le 
père.  De  Trinitatc,  VII,  28;  X,  19-22,  col.  224,  357. 
De  là  vient  que  le  saint  docteur  a  cité,  parmi  les  mys- 
tères de  l'ordre  naturel,  l'origine  de  l'âme  avec  d'autres 
productions  non  créatrices,  telle  que  la  formation  du 
corps.  In  ps.  XCI,  3,  4  ;  CXXIX,  1,  col.  495  sq.,  719.  Mais 
cette  interprétation  de  la  doctrine  hilarienne  reste  fort 
contestable.  Dans  le  second  passage  invoqué,  le  seul 
qui  ait  une  réelle  importance,  l'auteur  du  De  Trinitatc 
soutient  que  Notre-Seigneur,  cemme  homme,  nous  est 
consubstantiel,  quoiqu'il  ne  tienne  activement  d'Adam 
ni  son  corps  ni  son  âme,  l'un  et  l'autre  ayant  été  pro- 
duits par  le  Saint-Esprit.  Il  ajoute:  Quasi  vero si lanhun 
■ex  Virgine  [assumpsissel  corpus,  mots  omis  dans  lé.li- 
tion  de  Migne],  assumpsisset  quoque  ex  cadem  et  ani- 
mant, cum  anima  omnis  opus  Dei  sit,  carnis  vero 
generatio  semper  ex  carne  sit,  etc.  Phrase  dont  voici  le 
sens  :  «  Comme  si,  dans  l'hypothèse  où  Jésus-Christ 
aurait  tenu  son  corps  de  la  Vierge  seule  (c'est-à-dire 
sans  l'opération  du  Saint-Esprit),  il  aurait  aussi  reçu 
d'elle  son  âme  ;  car  toute  âme  est  l'œuvre  de  Dieu,  alors 
que  la  chair  est  toujours  engendrée  de  la  chair.  » 
Rétablie  ainsi,  l'argumentation  d'Hilaire  confirme,  en 
réalité,  la  production  immédiate  de  l'âme  humaine 
par  Dieu.  Coustant,  Prœjat.  gcn.,  n.  250,  col.  118. 

Destiné  à  partager  la  béatitude  même  de  Dieu,  mais 
devant  en  mériter  ici-bas  la  possession  en  faisant  un 
bon  usage  de  sa  liberté  et  en  se  servant  des  créatures 
pour  connaître  et  vénérer  son  créateur,  l'homme  avait 
été  d'abord  constitué  dans  un  état  privilégié  de  justice, 
de  félicité  et  de  paix.  In  p..  Il,  15  s.  ;  CXVIII,  litt.  x,  1, 
col.  270,  564.  Hilaire  fait  allusion  à  ces  heureux  débuts 
quand  il  parle  de  notre  vie  actuelle,  sujette  à  tant  de 
misères,  comme  venant  d'Adam,  mais  n'ayant  pas 
commencé  avec  lui  :  ab  Adam  namque  ista  icepil,  non 
cum  Adam  inchoata  est.  In  ps.  cxlv,  2  ;  cf.  cxlix,  3,  col. 
865,  886.  Si  le  saint  docteur  n'établit  pas  de  ligne  de 
démarcation  entre  ce  qui,  dans  l'ensemble  des  dons 
primitifs,  se  rattachait  à  la  nature  ou  revenait  à  la 
grâce,  il  n'en  suppose  pas  moins  évidemment  l'exis- 
tence de  cette  dernière.  Quand  il  considère  l'œuvre 
de  la  réparation,  il  y  voit  le  recouvrement  de  la  per- 
fection primitive,  et  notamment  de  la  grâce  :  Sed 
rursum  Dei  gratta  imperlita  gentibus,  postquam  in 
aquee  lavacro  fons  vivus  cffluxil.  In  Matth.,  xn,  23, 
col.  992.  L'homme  atteindra  le  terme  suprême  de  sa 
destinée  quand,  par  la  pleine  connaissance  de  Dieu, 
il  obtiendra  la  consommation  de  l'image  divine  en  son 
âme.  £j  Trinilate,   IX,  49,  col.  432  sq. 

m.  Trinité.  ■ —  L'analyse  des  écrits  dogmatiques  de 
saint  Hilaire  nous  a  donné  une  idée  générale  de  son 
enseignement  sur  le  mystère  fondamental  de  la  foi 
chrétienne.  Plusieurs  points  de  cet  enseignement  ont 
été  attaqués.  Érasme  et  quelques  autres  s'en  prirent 
d'abord  à  la  doctrine  relative  au  Saint-Esprit,  dont 
l'évêque  de  Poitiers  n'aurait  pas  nettement,  ou  du 
moins  expressément,  affirmé  la  divinité.  De  nos  jours, 
l'attaque  a  porté  plutôt  sur  la  personnalité  ou  distinc- 
tion réelle  de  la  même  personne.  Comme,  d'après 
Hilaire  lui-même,  le  terme  à' Esprit  S  inl  s'applique 
soit  au  Père,  soit  au  Fils,  ceux  des  théologiens  protes- 
tants qui  ont  prétendu  découvrir  dans  les  premiers 
siècles  de  l'Église  une  croyance  «  binilaire  »,  par  oppo- 
sition à  la  croyance  «  trinitaire  »,  ont  été  naturellement 


portés  à  interpréter  en  ce  sens  la  doctrine  d'Hilaire, 
soit  en  général,  soit  dans  son  commentaire  sur  saint 
Matthieu,  composé  avant  qu'il  n'eût  subi  l'influence 
de  la  théologie  orientale;  voir,  par  exemple,  Loofs,  art. 
Ililarius  von  Poitiers,  dans  RcalencijklopàJie  fiir  pro- 
leslantische  Théologie  und  Kirche,  3e  édit.,  t.  vm, 
p.  60  sq.  Si  ces  critiques  étaient  fondées,  ce  ne  serait 
pas  seulement  la  personne  du  Saint-Esprit,  ce  serait 
la  notion  même  de  la  Trinité  chrétienne  qui  serait  en 
cause. 

L'enseignement  relatif  à  la  personne  du  Fils  a  donr.é 
lieu  à  une  attaque  non  moins  grave.  Elle  se  rattache 
a  une  thèse  singulièrement  audacieuse  :  la  doctrine  de 
la  consubstanlialité,  entendue  dans  le  sens  où  elle  a 
fini  par  prévaloir  dans  l'Église,  aurait  eu  pour  père 
Basile  d'Ancyre,  le  chef  du  parti  homôousien.  Voir 
Arianisme,  t.  i,  col.  1839;  Basile  d'Ancyre,  t.  n, 
col.  462  sq.  Saint  Hilaire  qui,  pendant  son  exil,  entre- 
tint des  relations  d'amitié  avec  cet  évêque,  aurait  l'un 
des  premiers  subi  son  influence,  assimilé  1'ôp.ooûato; 
nicéen  à  I'ôlioio'jct'.oç  basilien  et,  de  la  sorte,  «  trouvé 
dans  l'interprétation  homoïousienne  de  YôpooÙGios  le 
point  de  jonction  de  la  théologie  orientale  et  des  lor- 
mules  occidentales  ».  J.  Gummerus,  Die  Homôusia- 
nische  Partie  bis  zum  Tode  des  Constantius,  Leipzig, 
1900,  p.  114;  ouvrage  analysé  et  discuté  par  G.  Ras- 
neur  dans  la  Revue  d'histoire  ecclésiastique,  Lou- 
vain,  1903,  t.  iv,  p.  189-260,  411-431  :  L'homoio:- 
sianisme  dans  ses  rapports  avec  l'orthodoxie,  deux  arti- 
cles, dont  le  second  porte  directement  sur  la  question 
hilarienne.  Les  preuves  apportées  sont  :  la  parenté 
doctrinale  d'Hilaire  et  des  homéousiens;  son  attitude 
à  leur  égard  pendant  son  stjour  en  Asie  Mineure; 
surtout  le  traité  De  synodis.  Car  l'évêque  de  Poitiers 
y  justifie  ou  excuse  les  multiples  professions  de  foi 
émises  en  Orient  depuis  le  concile  de  Nicée;  il  y 
accepte  ou  laisse  passer  des  formules  qui  s'arrêtent  à 
l'unité  spécifique  du  Père  et  du  Fils,  ou  qui  subor- 
donnent le  premier  au  second,  ou  qui  attribuent  la 
génération  du  Verbe  à  la  volonté  du  Père;  enfin  il  y 
défend  expressément  l'ôuccoûato;,  c.  lxxii  sq.  ■ —  Telle 
est  l'attaque.  Ce  qu'elle  vaut,  un  exposé  succinct  du 
véritable  enseignement  de  saint  Hilaire  le  fera  voir. 

lu  Croyance  trinitaire.  —  Dans  le  commentaire  sur 
saint  Matthieu,  n,  6,  col.  927,  l'évêque  de  Poitiers 
signale  la  manifestation  symbolique  des  trois  per- 
sonnes divines  au  baptême  de  Notre-Seigneur.  Plus 
loin,  xin,  6,  col.  991  sq.,  il  applique  mystiquement  au 
«  mystère  de  la  foi,  celui  du  Père,  du  Fils  et  du  Saint- 
Esprit  en  leur  unité  »,  la  parabole  du  levain  qu'une 
femme  prend  et  mêle  dans  trois  mesures  de  farine. 
Mais  c'est  à  la  formule  baptismale,  Matth.,  xxvm, 
19,  qu'il  rattache  l'expression  distincte  et  le  fonde- 
ment principal  du  «  mystère  de  la  Trinité  régénéra- 
trice »  :  Baplizare  jussit  in  nomine  Patris  et  Filii  et 
Spirilus  Sancti,  id  est,  in  con/essione  et  Auctnris,  et 
Unigeniti,et  Doni.  De  Trinilate,  I,  36;  II.  1,  col.  48-50. 
Ou  encore,  «  mystère  de  la  Triade  »,  sacramenlum 
Triadis  quœ  a  nostris  Trinitas  est  nuncupala.  In- 
strurlio  psalm.,  1 3,  col.  210.  Qu'aux  yeux  du  saint  doc- 
teur le  Père,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit  soient  des  réalités 
distinctes  ou  des  termes  subsistants,  la  chose  est  mani- 
feste par  cela'  seul  qu'aux  sabelliens,  réduisant  ces 
termes  à  trois  déni  minai  ions  diverses  d'une  seule  et 
même  personne,  il  oppose  la  foi  catholique,  d'après 
laquelle  aux  trois  noms  correspondent  des  réalités 
distinctes.  De  Trinilate,  I,  21  ;  II,  5,  col.  39.  54.  Aussi, 
parlant  des  trois  hypostascs  que  les  eusébiens  affir- 
mèrent en  311  au  synode  d'Antioche  in  encœniis,  voir 
Arianisme,  t.  i,  col.  1810,  il  justifie  l'expression  en 
l'interprétant  dans  le  sens,  plus  accessible  à  des 
esprits  latins,  de  trois  personnes  ayant  chacune  leur 
subsistance    propre   :    tres   substanlias    esse   dixerunl. 


2421 


HILAIRE   (SAINT) 


2422 


subsislenlium  personas  per  substanlias  edocentes.  De 
syn.,  32,  col.  504.  Les  trois  n'en  restent  pas  moins  un 
par  la  nature,  la  substance  ou  l'essence,  ternies  syno- 
nymes dans  le  style  hUarien.  De  syn.,  12,  col.  490;  cf. 
Th.  de  Régnon,  Études  de  théologie  positive  sur  la 
sainte  Trinité,  Paris,  1892,  lr»  série,  p.  219.  Il  y  a  donc 
en  Dieu,  sous  le  rapport  de  l'unité,  opposition  entre  la 
notion  de  nature  et  celle  de  personne  :  non  persona 
Deus  unus  est,  sed  naturel.  De  syn.,  69,  col.  526;  De 
Trinitale,  V,  10,  col.  135.  Entre  les  personnes  elles- 
mêmes  il  y  a  distinction,  mais  il  n'y  a  pas  union,  il  y  a 
seulement  unité  de  substance  :  unum  sunt,  non  unione 
personœ,  sed  substantiœ  unitatc.  De  Trinitulc,  IV,  42, 
col.  128.  Comme  la  nature  ou  la  substance,  et  par  con- 
séquent la  divinité  n'est  pas  multipliée,  il  ne  peut  être 
question,  pour  un  catholique,  de  plusieurs  dieux.  Ibid., 
1,  38  ;  De  syn.,  56,  col.  49,  519.  Ainsi  conçue,  la  Trinité 
comprend  essentiellement  trois  personnes  proprement 
divines,  homogènes,  consubstantielles ;  c'est  la  Trinité 
orthodoxe,  diamét  ralement  opposée  à  la  Trinité  arienne, 
composée  de  personnes  hétérogènes  dont  l'excellence 
intrinsèque  et  la  dignité  décroissaient  au  fur  et  à 
mesure  qu'on  s'éloignait  du  premier  ternie.  Voir 
Aiuavisme,  t.  i,  col.  1787. 

2°  Consubslanlialilé  du  Père  et  du  Fils  :  Hilaire  fut-il 
homéousianisle  ?  —  Que  le  Père  et  le  Fils  soient  deux 
personnes  réellement  distinctes,  dont  la  seconde  tienne 
de  ses  rapports  à  la  première  ses  propriétés  et  ses 
appellations  :  progenies  ingeniti,  unus  ex  uno,  verus  a 
vero,  vivus  a  vivo,  perfectus  a  perfeeto,  virtutis  virlus, 
sapientiœsapienlia,  qloriu  gloriir.  imago  invisibilis  Dei, 
forma  Patris  ingeniti,  De  Trinitale,  II,  8,  col.  57;  que 
le  Fils  ne  soit  pas  un  être  créé,  c'est-à-dire  tiré  du 
néant,  et,  par  le  fait  même  passant  à  un  moment 
donné  de  la  non-existence  à  l'existence;  mais  qu'il  ait 
été  engendré  par  le  Père  de  sa  propre  substance  et  de 
toute  éternité;  que,  semblable  au  Père  en  substance, 
il  soit,  comme  lui,  vraiment  et  proprement  Dieu; 
c'est  la  thèse  même  de  saint  Hilaire  dans  le  De  Trini- 
tale. Mais  cette  doctrine  est  déjà  réellement  contenue 
dans  le  commentaire  sur  saint  Matthieu.  On  y  lit, 
par  exemple,  xvi,  4,  col.  1008,  que  le  Fils  est  éternel 
comme  le  Père,  cuisit  ex  œlernitate  parenlis  œlernilas  ; 
qu'il  est  Dieu  de  Dieu,  sans  que  pour  cela  il  y  ait  deux 
dieux,  ex  Deo  Deus  unus  in  ul roque.  Si,  dans  un  autre 
e.idro.t,  xx:ci, 3,  col.  1607,  on  peut  relever  cette  expres- 
sion moins  heureuse  :  pencs  quem  eral  anlequam  nasce- 
relur,  il  suffit,  pour  écarter  toute  méprise,  d'ajouter  les 
mots  qui  suivent  :  eamdem  scilicet  œlernilatem  esse  et 
gignentis  et  geniti.  D'après  le  contexte,  le  saint  docteur 
a  directement  en  vue  les  ariens  qui  niaient  l'éternité 
du  Fils  et  le  tenaient  pour  une  créature  tirée  du  néant; 
à  rencontre,  il  aiïirme  que  le  Verbe  était  Dieu  dès  le 
commencement,  qu'il  n'a  pas  été  tiré  du  néant,  mais 
qu'il  est  né  «  de  ce  qui,  antérieurement  à  sa  naissance 
[logiquement  parlant],  était  en  celui  qui  lui  a  donné 
naissance  »;  en  d'autres  termes,  il  est  né  de  l'éternelle 
substance  du  Père,  dont  il  partage  l'éternité.  Qu'une 
telle  génération  soit  pour  nous  incompréhensible,  ce 
n'est  pas  Hilaire  qui  en  disconviendra.  Th.  de  Régnon, 
op.  cit.,  3e  série,  t.  i,  p.  265. 

A  toute  génération  proprement  dite  s'attache  l'idée 
de  similitude  ou  égalité  de  nature  entre  le  générateur  et 
l'engendré.  De  Trinitale,  V,  37;  IX,  44  ;  De  syn.,  17, 
20,  col.  15;.,  347,  493,496.  Prise  en  soi,  cette  considé- 
ration mène  directement  à  l'unité  spécifique  du  Père 
et  du  Fils  ;  sous  ce  rapport,  elle  est  déjà  décisive  contre 
l'arianisme  strict  ;  d'où  l'usage  qu'en  a  fait  l'évêque  de 
Poitiers,  comme  les  autres  Pères,  saint  Athanase  en 
particulier.  Mais  eu  Dieu,  la  conséquence  va  plus  loin, 
jusqu'à  la  consubstantialité  parfaite,  jusqu'à  l'unité 
numérique  ou  indentitô  de  substance,  exprimée  par 
J'ôo.oo'jaioç   nicéert;   car  l'Être  suprême    étant    essen- 


tiellement un,  éternel,  simple,  immuable,  infini,  la 
nature  divine  n'est  pas  plus  susceptible  d'être  multi- 
pliée numériquement  que  de  l'être  spécifiquement. 
Th.  de  Régnon,  op.  cil.,  lre  série,  p.  372  sq.  Pour  les 
mêmes  raisons,  saint  Hilaire  exclut  une  génération  du 
Verbe  où  interviendrait  l'idée  de  fractionnement,  de 
perte,  de  diminution,  de  scission,  d'extension  ou  dila- 
tation, de  transfusion,  d'émission,  de  passibilité.  De 
Trinitale,  III,  3,  17;  VI,  35,  col.  77,  86,  185.  Cette 
génération  ne  peut  être  que  la  communication,  faite  au 
Fils  par  le  Père,  d'une  seule  et  même  substance,  possé- 
dée tout  entière  par  celui  qui  la  donne  et  tout  entière 
par  celui  qui  la  reçoit  :  Quod  in  Paire  est,  hoc  et  in 
Filio  est,  et  uterque  unum;  du  m  et  Pater  nilùl  ex  suis 
amittil  in  Filio,  et  Filius  lotum  sumit  ex  Pâtre  quod 
Filius  est;  lotum  a  loto,  Deum  et  Filium.  De  Trinitale, 
III,  3;  VII,  41;  VIII,  52,  col.  77,  234,  276;  cf.  In 
Matth.,  xvi,  4,  col.  1008. 

L'unité  de  substance  que  cette  doctrine  contient, 
est  manifestement  l'unité  numérique  :  Absolute  Pater 
Deus  et  Filius  Deus  unum  s  uni,  non  unione  personœ, 
sed  substantiœ  uniiate;  per  generationem  nalivitalemque 
imitas  ejusdem  in  ulroque  nalurœ;  inlellige  unitatem, 
dum  non  divid.ua  natura   est.   De    Trinitale,    IV,  42; 

VII,  41;  IX,  66,  col.  128,  234,  336.  Hilaire  se  sert 
parfois,  il  est  vrai,  d'analogies  empruntées  à  des  unions 
qui  ne  supposent  pas  l'unité  numérique  de  substance; 
telle,  par  exemple,  l'union  qui  existe  entre  Jésus-Christ 
et  les  communiants  ou  entre  les  fidèles  eux-mêmes.  Il 
s'en  sert  pour  répondre  aux  ariens,  qui  prétendaient 
réduire  l'Ego  et  Pater  unum  sumus,  Joa.,  x,  30,  à  une 
simple  union  morale  ou  de  volonté,  en  s'appuyant  sur 
cet  autre  texte,  xvn,  21  :  Ut  omnes  unum  sint,  sicul 
tu,  Pater,  in  me,  et  ego  in  te.  Même  l'union  qu'on  allègue, 
répond-il,  n'est  pas  une  simple  union  des  volontés,  car 
le  lien  qui  unit  les  fidèles  entre  eux  est,  dans  son  prin- 
cipe, la  foi  cl  le  baptême,  réalités  communes  à  tous  et 
distinctes  de  leurs  volontés  particulières;  encore  moins 
l'union  entre  Jésus-Christ  et  les  communiants  est-elle 
uneunion  purement  morale,  puisqu'elle  a  pour  principe 
et  pour  lien  le  corps  du  Seimieur,  réellement  et  physi- 
quement un  dans  tous  les  commu  liants.    De  Trinitale, 

VIII,  7,  8,  16,  col.  241,  21  s;  Coustant,  Prtef.  gen., 
n.  77-79,  col.  43  sq.  Mais  en  se  servant  de  ces  analogies, 
le  saint  docteur  ne  prétend  nullement  assimiler  à  ces 
sortes  d'unions  l'unité  qui  existe  entre  la  première  et 
la  seconde  personne  de  la  Trinité;  cette  unité  transcen- 
dante, il  la  distingue  m  me  expressément  de  l'unité 
spécifique  qui,  seule,  se  rencontre  dans  les  deux  termes 
de  la  génération  lu  m  une  :  Non  est  corporalium  natu- 
rarutn  isla  conditio,  ul  insint  sibi  invicem,  ut  subsis- 
tentis  nalurœ  habeant  per/eetam  unitatem,  ul  manens 
Unigenili  nalivitas  a  paternse  divinitatis  sil  intepara- 
bilis  veritate;  Unigenito  tantum  istud  Deo  proprium  est. 
De  Trinitale,  VII,  41,  col.  234. 

Rien  de  plus  propre  à  confirmer  la  réelle  pensée 
d'Hilaire,  que  sa  doctrine  de  la  circuminsession.  Si  ce 
terme,  qui  est  de  latinité  scolastique,  ne  se  lit  pas  dans 
ses  écrits,  il  n'en  faut  pas  moins  compter  parmi  les 
vérités  que  le  saint  évêque  a  le  plus  et  le  m'eux 
exploitées,  la  chose  dont  ce  terme  est  l'expression, 
c'est-à-dire  l'existence  du  Père  et  du  Fils  l'un  dans 
l'autre,  Joa.,  xiv,  10, avec  ses  conséquences:  insépara- 
Lilité  du  Père  et  du  Fils  dans  l'action,  Joa.,  v,  19;con- 
naissance  adéquate  qu'ils  ont  l'un  de  l'autre,  Matth., 
xi,  27;  Joa.,  x,  15  ;  visibilité  du  Père  dans  le  Fils,  Joa.. 
xiv,  7,  9.  Mais  d'où  viennent  toutes  ces  propriétés?  De 
l'unité  de  substance  ou  de  nature.  Ainsi  en  est-il  pour 
l'existence  des  deux  l'un  dans  l'autre  :  Alium  in  alio, 
quia  non  aliud  in  ulroque;  unu  [ides  est  Palrem  in  Filio, 
cl  Filium  in  Pâtre  per  inseparabilis  nalurœ  unitatem 
conflteri,  non  confusam,  scu  indiscretam.  De  TrinilaU , 
III,  4;  VIII,  41,  col.  78,  267.  De  même,  pour  la  cor.- 


2423 


HILA1RE   [SAINT1 


2424 


iiïce  mutuelle  :  Cognilio  allerius  in  allero  est, 
quia  non  differt  aller  cib  altero  nalura;  et  pour  l'insé- 
parabilité  dans  l'action  :  Conscientia  in  se  natures 
paternes,  quse  in  se  operalur  opérante.  De  Trinilale, 
VI  1,5;  IX,  45,  col.  203,  318. 

Des  théologiens  protestants,  comme  Dorner,  Ent- 
wicklungsgeschichte  der  Lehre  von  d,  r  Person  Chrisli, 
t.  i,  p.  900  fq.,  et  Fôrster,  op.  cit.,  p.  (  5!,  oit  prétendu 
voir  dans  quelques  texl.es  relatifs  à  la  connaissance 
mutuelle  du  Père  et  du  Fils,  notamm  ait  In  Matth.,  xi, 
12,  col.  983  sq.,  et  De  Trinilale,  II,  3,  col.  52,  «une 
sorte  de  construction  spéculative  de  la  Trinité,  partant 
de  lidée  de  la  conscience  de  soi-même  en  Dieu  »,  à 
savoir,  d'une  conscience  consistant,  pour  le  Père  et  le 
Fils,  dans  la  connaissance  qu'ils  ont  l'un  de  l'autre. 
(est  là  une  interprétation  arbitraire,  dépendante  de 
conceptions  philosophiques,  mo  lernes  et  systéma- 
tiques, sur  les  rapports  entre  la  conscience  et  la  per- 
sonnalité.  Dans  le  premier  texte,  Ililaire  commente 
ainsi  le  Nemo  novit  Filium,  nisi  Pater,  etc.  :  Eamdem 
ulriusque  in  mutua  cognitione  esse  substantiam  docet; 
c'est  tout  simplement  trouver,  dans  la  connaissance  par- 
faite que  le  Père  et  le  Fils  ont  1  un  de  l'autre,  la  preuve 
de  leur  unité  de  substance.  Dans  l'autre  texte  on  lit  : 
Pater  aulem  quomodo  eril,  si  non  quod  in  se  subslanliœ 
atque  nalurœ  est,  agnoscal  in  Filio?  Le  raisonnement 
revient  à  ceci  :  Ce  minent  le  Père,  considéré  comme  tel, 
existera-t-il,  s'il  n'a  pas  un  Fils,  et  un  Fils  dans  lequel 
il  reconnaisse  sa  propre  substance  et  sa  nature  ?  D'après 
ce  texte  et  autres  semblables,  si  l'on  voulait  songer  à 
une  construction  spéculative  de  la  Trinité,  c'est  aux 
notions  de  paternité  et  de  filiation,  caractéristiques  de 
la  première  et  de  la  seconde  personne,  qu'il  faudrait 
recourir;  l'aboutissant  logique  serait  la  doctrine  augus- 
tinienne  des  personnes  divines,  d'un  côté,  s  identifiant 
dans  l'absolu,  nature,  essence,  substance,  divinité,  etc., 
tle  l'autre,  constituées  en  m'me  temps  que  distinguées, 
dans  leur  personnalité,  par  les  propriétés  d'origine 
active  ou  passive,  qui  sont  d'ordre  relatif.  Mais  l'évêque 
de  Poitiers  n'a  pas  tiré  lui-m'me  ces  conséquences,  soit 
qu'il  ne  les  ait  pas  distinctement  perçues,  soit  que, 
luttant  contre  les  ariens,  il  ait  jugé  préférable  de  ne  pas 
entrer  dans  le  domaine  des  constructions  spéculatives, 
comme  il  a  jugé  préférable  d'éviter,  en  général,  les 
tei mes  techniques  ou  spécifiquement  philosophiques. 
Th.  de  Régnon,  op.  cit.,  3e  série,  t.  i,  p.  542. 

L'ô;jlooj3'.&;  du  symbole  de  Nicée  signifiant  que  le 
Fils  est  consubslantiel  au  Père,  Ililaire  ne  pouvait  qu'en 
être  le  partisan,  du  jour  où  il  le  connut.  Dans  ses  écrits 
dogmatiques,  il  le  défend  contre  les  attaques  et  les 
fausses  interprétations  des  adversaires.  De  Trinilate, 
IV,  4,  6;  De  stjn.,  67-76,  col.  98  sq.,  525  sq.  Mais  le  fait 
que  d'abord,  comme  il  nous  l'a  dit  lui  mime,  il  ait 
tenu  l'idée  exprimée  par  le  mot  sans  connaître  ce 
dernier;  le  fait  que  plus  tard  encore,  par  exemple,  dans 
le  IIe  et  le  III  livre  du  De  Trinitale,  il  ait  exposé  la 
doctrine  orthodoxe  sans  employer  la  formule  nicéenne, 
prouve  qu'il  savait  distinguer  entre  le  dogme,  qui  est 
un,  et  l'expression  du  dot  me,  qui  peut  être  multiple, 
quand  des  équivalents  réels  existent.  Cette  considé- 
ration explique  comment,  sans  être  lui  mêm  *  homéou- 
sien,  le  saint  évêque  a  pu  admettre  la  foimule  g>;j.oio'jct.oç, 
a' une  substance  semblable;  foimule  susceptible  d'un 
sens  faux  et  d'un  sens  exact.  On  peut  vouloir,  en 
l'employant,  animer  la  similitude  en  niant  l'unité  ou 
l'identité  eie  substance  entre  le  Père  et  le  Fils;  la 
formule  est  alors  hétérodoxe,  car  la  multiplication 
m  mérique  de  la  substance  divine  entraîne,  de  soi,  le 
dithéisme  ou  le  trithéisme.  Mais  on  peut  aussi  vouloir 
simplement  aîïhmer  que  le  Fils  est  semblable  au  l'ère 
quant  à  la  substance,  pour  accentuer  la  réalité  sub- 
stantielle de  l'un  et  de  l'autre  ou  le  caractère  d'imagedu 
Férc,  qui  convient  au  Fils  d'après  les  saintes  Écritures; 


dans  ce  cas,  l'unité  ou  identité  de  substance  n'est  pas 
niée,  elle  est  m'me  virtuellement  affirmée  par  epii- 
conque  oppose  rôij-oioôcto;  à  l'àvo'ixoio;  êtes  ariens  et 
rejette  en  m'me  temps  le  dithéisme  ou  le  trithéisme. 
Le  procédé  d'Hilaire,  dans  le  traité  De  synodis,  con- 
siste précisément  à  montrer  aux  heméousiens  qu'il  leur 
est  impossible  de  soutenir  logiquement  l'ôjAOïoûaioç  de 
la  seconde  façon  sans  admettre  1'ôu.ooûaio;  entendu 
sainement,  dans  le  sens  où  les  Pères  de  Nicée  l'avaient 
pris:  Quid  fid.m  mn  m  il  homoousion  damnas,  qui  m 
per  homoiousii  p;ofcs>ior>em  non  pot. s  roi  piobaie? 
De  stin.,  88,  col.  540.  Abstraction  faite  eles  détails 
l'argumentation  peut  se  résumer  en  ces  quelques  mots  : 
dans  le  Père  et  le  Fils,  Dieu  l'un  et  l'autre,  pas  de 
similitude  quant  à  la  substance  sans  égalité  de  nature; 
pas  d'égalité  de  nature  sans  unité  ou  identité  de  nature. 
Th.  de  Régnon,  op.  cil.,lTe  série,  p.  374  sq.  ;  G.  Rasneur, 
loc.  cit.,  p.  12  1.  Raisonner  ainsi,  ce  n'est  pas  chercher 
dans  la  doctrine  homéousienne  l'interprétation  exacte 
de  l'ciijLoojaio;,  comme  le  prétend  Gummerus;  c'est, 
au  contraire,  prendre  pour  mesure  l'ôjAooûaio;  et 
relever  1'  ôaoïoûatoç  au  mime  niveau. 

Qu'on  puisse  signaler  eles  affinités  entre  la  théologie 
hilarienne  et  la  théologie  homéousienne,  il  n'y  a  pas 
lieu  de  s'en  étonner;  mais  les  points  de  doctrine  habi- 
tuellement allégués  ne  sont,  ni  en  eux  m  mes,  ni  dans 
leur  origine,  exclusivement  ou  spécifiquement  hemé- 
ousiens. Par  exemple,  Hilaire  attribue  la  génération  du 
Fils  non  pas  seulement  à  la  nature,  mais  à  la  volonté 
du  Père,  ut  voluit  qui  potuit,  De  Trinilale,  III,  4,  col. 
77;  mais  cette  manière  de  voir  n'est  pas  propre  aux 
homéousiens,  elle  se  rencontre  aussi  chez  eles  nicéens 
et,  dans  leur  pensée,  tend  uniquement  à  rejeter  une 
génération  où  le  Père  agirait  comme  sormis  à  une  sorte 
de  coaction.  Voir  Arianismk,  t.  i,  col.  1814.  De  mèm.\ 
saint  Hilaire  applicjue  le  Pater  major  me  est,  Joa.,  xiv, 
28,  à  Jésus-Christ  considéré  dans  ses  deux  natures, 
De  Trinilale,  IX,  54,  col.  237  sq.;  In  ps.  cxxxvm, 
17,  col.  801;  m  lis  cette  interprétation,  qui  est  égale- 
ment celle  d'autres  auteurs  postnicéens  pleinement 
orthodoxes,  ne  cache  aucune  arrière-pensée  de  subor- 
dinatianisme,  car  il  s'agit  d'une  prééminence  ou  pré- 
séance u'orure  purement  relatif,  fondée  sur  ta  propriété 
que  possède  le  Père  d'être  en  lui-même  l'Innascible  et, 
par  rapport  au  Fils,  le  Principe  ;  comme,  par  ailleurs,  le 
Père  communique  toute  sa  substance  au  Fils,  il  n'en 
résulte  dans  celui-ci  ni  différence  de  nature  ni  véritable 
infériorité  :  Minor  jam  non  est,  cui  unum  esse  donatur; 
liccl  paternœ  nuncupalionis  proprielai  différai,  tam  n 
natura  non  differt.  De  Trinitale,  ÎX,  51,  col.  325;//!  ps. 
CXXXYIII,  17,  col.  801.  Cf.  Baltzer,  Die  Théologie  des 
ni.  ttilurius,  p.  23  sq;  Th.  de  Régnon,  op.  cit.,  3e  série, 
t.  i,  p.  170. 

Toutefois,  puisqu'il  s'agit  surtout  du  De  synodis,  il 
importe  de  distinguer  le  problème  doctrinal  et  le  pro- 
blème critique,  ou  la  croyance  d'Hilaire  et  son  inter- 
prétation des  formules  homéousiennes.  Écrivant  pour 
rapprocher  les  évêques  d'Orient  et  d'Occident,  le  saint 
docteur  a  pu  être  entraîné  par  son  désir  de  conciliation 
et  par  ses  sympathies  personnelles  à  juger  trop  favo- 
rablement les  symboles  orientaux,  à  laisser  dans 
l'ombre  les  côtés  défectueux  et  à  mettre  en  relief  les 
côtés  acceptables.  La  supposition  est  d'autant  plus 
fondée  que  saint  Athanase,  composant  un  an  plus  tard 
un  écrit  de  même  titre,  porta  sur  quelques-unes  eles 
formules  homéousiennes  un  jugement  plus  sévère. 
Voir  t.  i,  col.  1831  sq.  ;  Valois,  note  93  sur  Socrate, 
H.  E.,  n,  29,  P.  G.,  t.  lxvii,  col.  279.  Mais  il  faut  aussi 
reconnaître  que  la  différence  d'appréciation  s'explique 
en  grande  partie  par  la  diversité  des  buts  et  des  cir- 
constances. L'Athanase  de  l'Occident  composa  son 
écrit  avant  le  concile  de  Rimini,  alors  que  le  parti 
boméousien,  franchement  opposé  au  parti  anoméen  et 


2425 


HILAIRE    (SAINT) 


2426 


jouissant  de  la  faveur  impériale,  semblait  promettre 
un  retour  à  la  pleine  orthodoxie  ;  l'Athanase  de  l'Orient 
composa  le  sien  après  le  même  concile,  dont  le  résultat 
avait  été  l'écrasement  du  parti  homéousien  et  la  su- 
prématie du  parti  homéen  avec  l'intrusion  d'un  credo 
impérial  :  le  temps  n'était  plus  aux  ménagements  ni 
aux  essais  de  conciliation.  Coustant,  Prie/,  in  librum 
de  synodis,  13-17,  col.  476  sq.  ;  Th.  de  Régnon,  op.  cil., 
3e  série,  t.  i,  p.  247.  Et  pourtant,  aux  jugements 
sévères  sur  les  symboles  se  joint,  chez  l'évêque 
d'Alexandrie,  une  attitude  conciliante  à  l'égard  des 
lioméousiens  et  de  leur  mot  d'ordre.  Voir  t.  i,  col.  1831. 
Du  reste,  Hilaire  n'avertit-il  pas  lui-même  ses  lec- 
teurs, De  syn.,  8,  col.  484,  de  ne  pas  se  prononcer  avant 
d'avoir  pris  connaissance  de  tout  son  écrit?  Or,  à  la 
fin,  il  exhorte  de  toutes  ses  forces  les  lioméousiens  à 
se  rallier  simplement  à  la  foi  de  Nicée.  N'était-ce  pas 
laisser  entendre  que,  s'il  les  croyait  en  bonne  voie, 
il  ne  les  croyait  cependant  pas  arrivés  au  terme?  Il 
eut  l'occasion  de  s'expliquer  là-dessus.  Il  avait  écrit, 
De  syn.,  78,  col.  530  :  Quanlam  spem  revocandse  verse 
fldei  altulislis,  constanter  audacis  perfidise  impelum 
retundendo!  La  phrase  ayant  été  critiquée,  il  répliqua 
dans  ses  Apologctica  responsa,  4,  P.  L.,  t.  x,  col.  546  : 
«  Je  n'ai  pas  parlé  de  retour  à  la  vraie  foi,  mais  ex- 
primé seulement  l'espoir  qu'ils  donnaient  de  ce  re- 
tour :  non  enim  cos  veram  fidem,  sed  spem  revocandse 
fldei  atlulisse  dixi.  »  Dès  lors,  on  peut  se  demander  si, 
dans  les  interprétations  bénignes  du  saint  évêque, 
il  n'y  avait  pas  parfois  une  manière  délicate  de  favo- 
riser le  retour  complet  des  lioméousiens,  en  leur  fai- 
sant comprendre  quel  sens  ils  devaient  donner  à  leurs 
formules  pour  les  rendre  acceptables. 

3°  Esprit-Saint  :  personnalité  et  divinité.  —  Hilaire 
a  spécialement  traité  de  la  troisième  personne  de  la 
Trinité  dans  trois  endroits  du  De  Trinitate,  II,  29-35, 
col.  69-75;  VIII,  19-31,  col.  250-260;  XII,  55-57,  col. 
469-472.  La  doctrine  est  beaucoup  moins  développée 
que  pour  les  deux  autres  personnes,  et  cette  circon- 
stance a  donné  lieu  aux  attaques  rapportées  col.  2419. 
En  ce  qui  concerne  la  distinction  réelle  et  la  person- 
nalité, la  vraie  pensée  du  docteur  gaulois  ressort  plei- 
nement de  sa  croyance  trinitaire.  Dans  ses  écrits, 
avant  comme  après  l'exil,  il  présente  le  Saint-Esprit 
comme  rentrant  dans  la  Trinité  chrétienne  au  même 
titre  que  le  Père  et  le  Fils;  c'est  à  propos  du  Saint- 
Esprit,  joint  aux  deux  autres  clans  la  formule  fonda- 
mentale de  notre  foi,  qu'il  a  dit  :  «  Nous  n'avons  qu'un 
tout  imparfait,  s'il  manque  quelque  chose  au  tout.  » 
De  Trinitate,  II,  29,  col.  69.  Ce  qu'il  prétend  soutenir, 
c'est  une  Trinité  non  miins  opposée  au  modalisme  de 
Sabellius  qu'au  subordinatianisme  d'Arius  ;  Trinité 
où  le  Saint-Esprit  ne  doit  se  confondre  ni  avec  le  Père, 
qui  seul  est  innascible,  ni  avec  le  Fils,  qui  envoie 
l'Esprit  Paraclet.  De  Trinitate,  II,  4-5;  De  syn.,  32, 
53-55,  col.  52  sq.,  504,  519.  Quand  il  établit  que  le 
Saint-Esprit  existe,  les  raisons  apportées  vont  à  prou- 
ver qu'il  existe  comme  troisième  terme  d'une  Trinité 
réelle  et  comme  sujet  de  propriétés  convenant  à  un 
être  subsistant  :  il  tient  son  origine  du  Père  et  du  Fils, 
Pâtre  et  Filio  auctoribus  confilendus  est;  il  est  envoyé, 
do.iné,  reçu,  obtenu.  De  Trinitate,  II,  29,  col.  69.  Il 
procède  du  Père,  et  tient  du  Fils  tout  ce  qu'il  a;  il  est 
du  Père  par  le  Fils,  q  ii  ex  le  per  unigenilum  luum  est. 
Ibid.,  VIII,  20;  XII,  57,  col.  251,  472.  La  procession 
ab  ulroque  est  équivalemment  contenue  dans  ces  affir- 
mations; elle  serait  même  formellement  exprimée 
dans  le  fragment  qui  se  lit,  P.  L.,  t.  x,  col.  726  :  ambo 
unum  principium  Spiritus  Sancti  sunt,  si  l'authenticité 
de  ce  fragment  était  acquise.  La  dénomination  de 
Spiritus  Sanctus  s'applique  parfois,  il  est  vrai,  au  Père 
et  au  Fils,  mais  il  n'y  a  en  cela,  remarque  Hilaire,  rien 
qui  doive  troubler,  in  quo  nihil  scrupuli  est,  puisque 


les  deux  noms  composants,  esprit  et  saint,  conviennent 
réellement  aux  trois  personnes.  Coustant,  Prsef.  yen., 
68,  col.  39;  Th.  de  Régnon,  op.  cit.,  3e  série,  t.  n, 
p.  292  sq.  Nulle  difficulté  contre  la  personnalité  dis- 
tincte de  celui  auquel  cette  dénomination  est  spécia- 
lement attribuée,  du  moment  où  cette  personnalité 
distincte  est  établie  par  ailleurs  ;  et  elle  l'est,  notam- 
ment par  le  titre  de  Don  et  d'Esprit  Paraclet,  qui  nous 
est  envoyé  par  le  Père  et  le  Fils.  De  Trinitate,  II,  30- 
32  ;  VIII,  25,  col.  70  sq.,  254. 

La  divinité  du  Saint-Esprit  est  contenue  dans  cette 
doctrine  comme  la  conclusion  dans  les  prémisses.  La 
pensée  d'Hilaire  se  confirme  quand,  revenant  sur  le 
sujet,  comme  si,  parmi  les  lioméousiens  d'alors, 
l'erreur  des  pneumatomaques  avait  eu  déjà  des  parti- 
sans, il  refuse  catégoriquement  de  mettre  l'Esprit- 
Saint  au  nombre  des  créatures.  L'Écriture,  qui  nous 
montre  l'Esprit  procédant  du  Père,  Joa.,  xv,  26,  ne 
nous  a  pas  révélé  le  mode  de  cette  procession,  comme 
elle  l'a  fait  pour  la  seconde  personne  en  la  proclamant 
engendrée;  mais  il  suffit  que  l'Esprit  Paraclet  soit  du 
Père  par  le  Fils,  qu'il  soit  l'Esprit  de  Dieu  et  que, 
comme  tel,  il  pénètre  jusqu'aux  profondeurs  de  Dieu, 
I  Cor.,  n,  10,  pour  que  nous  devions  refuser  de  voir  en 
lui  un  être  créé  :  Nulla  te  nisi  res  tua  pénétrai...  Tuum 
est  quidquid  te  init.  De  Trinitate,  XII,  55,  col.  469.  Cela 
étant,  pourquoi  saint  Hilaire  n'a-t-il  jamais  expressé- 
ment donné  au  Saint-Esprit  l'appellation  de  Dieu  ? 
Question  secondaire,  dont  on  peut  dire  ce  qu'il  dit  lui- 
même  :  Neque  sit  mihi  inutilis  pugna  verborum.  Ibid., 
56,  col.  471.  Peut-être  l'exilé  d'Asie  Mineure  a-t-il 
délibérément  évité  l'emploi  d'un  terme  qui,  n'étant 
pas  encore  appliqué  à  la  troisième  personne  dans  les 
symboles  officiels,  aurait  pu  créer  de  nouvelles  diffi- 
cultés, soit  entre  lui  et  les  lioméousiens,  soit  entre  les 
lioméousiens  eux-mêmes.  Coustant,  Prsef.  in  lib.  de 
Trinitate,  12-16,  col.  14  sq. 

Il  reste  que,  sur  le  Saint-Esprit  comme  sur  le  Fils 
Hiliire  a  proposa  et  défendu  la  doctrine  catholique, 
telle  qu'elle  était  énoncée  de  son  temps,  et  que  son 
enseignement  ne  mérite  pas  les  critiques  sévères  qu'on 
lui  a  parfois  adressées,  suivant  la  juste  nrmrque  de 
A.  Beck,  op.  cit.,  p.  236.  Entre  le  commentaire  sur 
saint  Matthieu  et  les  écrits  composés  pendant  ou  après 
l'exil,  il  y  a  progrès  manifeste,  progrès  dû  en  partie 
à  l'étude  de  la  théologie  orieitale;  mais  ce  progrès 
n'accuse  pas  une  différence  de  doctrine,  il  porte  seu- 
lement sur  une  intelligence  plus  profonde,  une  expo- 
sition plus  ample  et  une  expression  plus  circonspecte 
d'un  même  fond  doctrinal. 

iv.  Jésus-christ.  — Saint  Hilaire,  défendant  contre 
les  ariens  la  consubstantialité  du  Fils  de  Dieu,  se 
trouvait  par  le  fait  même  en  face  de  la  personne  de 
Jésus-Christ,  celui-ci  n'étant  rien  autre  que  le  Fils  de 
Dieu  né  d'une  Vierge  pour  le  rachat  du  genre  humain. 
De  Trinitate,  II,  24,  col.  66.  «  Mystère  de  notre  salut  », 
dont  le  docteur  gaulois  parle  avec  la  conviction  la 
plus  intime  et  la  piété  la  plus  profonde.  Nul  sujet  où  il 
ait  marqué  davantage  l'empreinte  de  son  esprit 
chercheur  et  original  ;  nul  sujet  aussi  où  il  ait  donné 
plus  de  prise  à  la  critique.  Soit,  à  titre  d'exemple,  cette 
affirmation  massive  de  E.  Cunitz,  dans  Y  Encyclopédie 
des  sciences  religieuses,  art.  Hilaire  de  Poitiers,  Paris, 
1879  t.  vi,  p.  245  :  «  On  n'a  pu  s'accorder  jusqu'à  ce 
jour  sur  la  q  les  ion,  si  les  idées  qu'Hilaire  professa 
sur  la  cliristolo|ie,  et  eu  particulier  sur  la  nature  de 
Jésus-Christ,  sont  conformes  ou  non  au  dogme  catho- 
lique. »  Il  importe  de  dégager  les  grandes  lignes  de 
son  enseignement,  avant  d'examiner  en  détail  les 
points  incriminés. 

1°  Doctrine  chrislologique.  — -  Toutes  les  affirma- 
tions capitales  de  la  foi  catholique  relativement  au 
Verbe  incarné,  en  particulier  celles  qui,  plus  tard,  ont 


2427 


H  IL  AIRE    f  SAINT 


2428 


été  solennellement  proclamées  contre  le  nestoria- 
nisme  et  l'eatv  chianisme,  se  rencontrent,  et  souvent 
formulées  avec  beaucoup  de  netteté,  dans  les  écrits 
de  l'évèque  de  Poitiers.  Le  terme  d'incarnation,  de- 
venu classique  chez  les  latins,  ne  s'y  trouve  point  ; 
le  mystère  est  désigné  par  des  expressions  équiva- 
lentes, comme  sacramentum  corporaiionis,  myslerium 
assumptœ  carnis,  mysterium  dispensationis  evangeliese ; 
mais,  habituellement,  le  saint  docteur  parle  d'une 
façon  plus  concrète  en  considérant  l'union  du  Fils 
de  Dieu  a  la  chair,  assumptio  carnis,  au  corps,  as- 
sumplio  corporis,  ou  à  notre  nature  signifiée  par  le 
tenue  d'homme,  assumptus  homo  ab  unigenito  Dei. 
In  ps.  lxviii,  25,  col.  486.  L'unité  d'être  ou  de  per- 
sonne physique  est  fortement  accentuée  :  Unus  alquc 
idem  Dominus  Jésus  Christus,  Verbum  caro  factum. 
I  c  Trinilale.  X,  62,  col.  391.  Jésus-Christ,  c'est  donc 
le  Fils  unique  du  Père  éternel,  subsistant  d'abord 
comme  Dieu,  puis  simultam  ment  comme  Dieu  et 
•  comme  homme,  mais  ne  faisant,  après  comme  avant 
l'incarnation,  qu'un  seul  Fils  de  Dieu,  fils  naturel 
et  non  pas  adoptif  :  Hic  et  verus  cl  proprius  est  Filius, 
origine,  non  adoplione  :  natus  est,  non  ut  esset  alii  s  et 
alii  s,  sed  ut  ante  l  ominem  Deus,  suscipiens  homincm 
homo  et  Deus  posset  intelligi.  De  Trinilale,  III,  1 1  ;  X, 
22,  col.  82,  360.  Si,  dans  un  passage  objecté  au  procès 
canonique  pour  le  doctorat,  De  Trinilate,  II,  27,  col.  68, 
le  mot  d'adoption  apparaît,  il  suffit  de  répondre  que 
ce  mot  ne  tombe  pas  sur  un  être  concret,  considéré 
comme  sujet  d'une  filiation  adoptive,  mais  unique- 
ment sur  la  chair,  en  tant  que  prise  gratuitement, 
et,  dans  ce  sens,  adoptée  par  le  Fils  de  Dieu,  carnis 
humililas  adoplalur.  C'est  en  vertu  de  cette  unité 
d'être  ou  de  personne  que  toutes  les  actions  et  toutes 
les  merveilles  opérées  par  Jésus-Christ  sont  d'un 
Dieu  :  omnia  opéra  Chrisli  omnesque  cjus  villutes  i  i 
Dei  esse  lai  dandas.  In  Mallh.,  vm,  2,  col.  !  59.  Cf.  De 
Trinilate,  IX,  5,  col.  284. 

La  divinité  de  Jésus-Christ  découle  de  son  identité 
personnelle  avec  le  Verbe.  Hilaire  la  prouve,  en  outre, 
De  Trinilale,  1.  III-IV,  par  les  nombreux  témoignages 
de  la  sainte  I  criture  qui  la  supposent  ou  l'expriment, 
preuve  largement  développée  et  déjà  presque  aussi 
complète  que  dans  nos  cours  actuels  d'apologétique. 
Les  théophai  ies  elles-mêmes  servent  au  saint  doc- 
teur pour  établir  la  divinité,  en  même  temps  que  la 
distinction  du  Père  et  du  Fils,  par  exemple,  1.  IV,  42; 
1.  V,  17,  col.  128,  139.  Mais  la  divinité  n'absorbe  pas 
l'humanité;  les  deux  natures  coexistent,  sans  se  con- 
fondre et  sans  cesser  d'être  parfaites,  chacune  en  son 
espèce  ;  Jésus-Christ  est  aussi  vraiment  homme  qu'il 
est  vraiment  Dieu,  et  réciproquement  :  habens  in  se 
tolum  verumque  quod  homo  est,  et  totum  verumque  quod 
Deus  est.  De  Trinilate,  X,  19,  col.  357.  In  ps.  L1V,  2, 
col.  348.  Comme  homme,  il  possède  une  nature  hu- 
maine réelle  et  semblable  à  la  nôtre  :  non  aliéna  oui 
simulutœ naturas  hominem  adsumpsit,  li;  ps.  cxxx\  ni. 
3,  col.  793;  par  conséquent,  il  se  compose  d'un  corps 
et  d'une  âme  comme  les  nôtres  :  carnis  alquc  anima: 
homo,  nostri  corporis  alquc  animœ  homo.  De  Trinilale, 
X,  19,  col.  357  ;  In  ps.  un,  8,  col.  342.  Les  erreurs 
arienne  et  apollinariste,  d'après  lesquelles  le  Verbe 
lui-même  aurait  tenu  lieu,  en  Jésus-Christ,  d'âme, 
ou  du  moins  d'âme  raisonnable,  sont  formellement 
rejetées.  De  Trinilale,  X,  22,  50  sq.,  col.  359,  383. 
A  cette  dualité  de  natures  complètes  se  rattache 
une  double  personnalité,  au  sens  juridique  et  moral 
du  mot  :  non  con/undenda  persona  divinitatis  et  cor- 
poris est.  In  p.'.  cxxxriu,  5,  col.  795.  C'est ,  sous  un  autre 
apect,  le  Christus  spiritus  et  le  Christus  Jcsus.  De 
Tiinitale,  VIII,  46,  col.  271.  D'où  la  nécessite,  quand 
il  s'agit  du  Verbe  incarné,  de  distinguer  ce  qui,  dans 
les  saintes  Lettres,  se  rapporte  au  Dieu  et  ce  qui  se 


rapporte  à  l'homme;  en  outre,  quand  il  s'agit  de 
l'homme,  il  faut  distinguer  encore  ce  qui  convient  au 
Christ  Jésus,  vivant  ici-bas  d'une  vie  mortelle  et  pas- 
sible, de  ce  qui  convient  au  même  vivant  au  ciel  d'une 
vie  glorieuse.  En  négligeant  ces  distinctions,  les  ariens 
se  font,  contre  la  divinité  de  Jésus-Christ,  une  arme 
de  ce  qui  prouve  uniquement  la  réalité  de  son  incar- 
nation ou  de  sa  vie  mortelle  et  passible.  ///  ps.  Lir,2  ; 
CXXXVin,  2,  3,  20,  col.  348,793  sq.,  802;  De  Trinilate, 

X,  62,  col.  391. 

Jésus-Christ,  le  Fils  de  Dieu  fait  homme,  est  roi 
et  prêtre  éternel.  In  Mallh.,  i,  1,  col.  919.  Son 
royaume  est  d'ordre  spirituel  et  concerne  la  Jérusalem 
céleste;  son  sacerdoce,  figuré  par  celui  d'Aaron  et 
mieux  encore  par  celui  de  Melchisédech,  est  supérieur 
au  sacerdoce  lévitique  :  Jésus-Christ  est,  par  excel- 
lence, le  prince  des  prêtres,  le  souverain  prêtre. 
In  ps.  11,24,  26;  CXVin,  litt.  m,  7;  exix,  prol.,  5,  col. 
275  sq.,  520,  644  sq.  L'onction  royale  et  sacerdotale, 
qu'il  a  reçue  comme  homme,  a  pour  fondement  la 
divinité  même.  In  p.' .  CXXXII,  4,  col.  747  ;  De  Trinilale, 

XI,  18  sq.,  col.  412  sq.  Surtout.  Jésus-Christ  est  sau- 
veur et  rédempteur;  c'est  pour  remplir  cet  office  qu'il 
s'est  fait  homme  et  qu'il  est  venu  parmi  nous.  In 
Mallh.,  xvi,  9,  col.  1011  :  De  Trinilale,  VI,  43;  X,  15, 
col.  194,  353;  In  ps.  li,  9,  col.  314.  En  s'incarnant,  il 
s'est  en  quelque  sorte  uni  tout  le  genre  humain,  à 
titre  de  second  Adam  :  naturam  scilicet  in  se  tolius 
humani  generis  assumens;  Adam  c  cœlis  secundus. 
In  ps.Ll,  17  ;  lxviii,  23  ;  In  Matth.,  iv,  12,  col.  318, 484, 
935.  Comme  Dieu  homme,  il  est  médiateur  naturel 
entre  Dieu  et  les  hommes  :  illo  ipso  inler  Dcum  et  ho- 
mines  MED1ATOR1S  sacramcnlo  ulrumque  unus  existens. 
De  Trinitale,  IX,  3,  col.  283. 

Hilaire  ne  fait  pas  la  théorie  de  l'œuvre  rédemp- 
trice; il  se  contente  de  la  décrire  par  ses  effets  multi- 
ples, qui  s'étendent  à  l'âme  et  au  corps  :  et  animes  et 
corporis  est  redemplor.  In  Matth.,  ix,  18,  !  73.  Dans 
cette  description,  il  s'inspire  manifestement  des  sain- 
tes Écritures,  par  exemple,  Inps.LXVin,  14;  cxxxr, 
15;  CXXXVin,  26,  col.  478,  776,  805;  De  Trinilate,  I, 
13,  col.  35.  Incidemment,  il  parle  du  démon  qui,  en 
faisant  mourir  l'innocent,  commit  un  abus  de  pou- 
voir, où  il  trouva  sa  propre  condamnation,  Inpt. lxviii, 
8,  col.  475  ;  simple  manière  de  concevoir  et  d'exprimer 
un  des  effets  de  l'œuvre  rédemptrice,  le  triomphe  de 
Jésus-Christ  brisant  <■  par  sa  mort  la  puissance  de 
celui  qui  a  l'empire  de  la  mort,  c'est-à-dire  du  diable  ». 
Heb.,  n,  14.  Ailleurs,  le  saint  évêque  suppose  que 
l'empire  exercé  sur  les  hemmes  par  les  démons  ne  re- 
posait pas  sur  la  justice  et  le  droit,  mais  venait  d'une 
usurpation  coupable  de  ces  esprits  pervers,  ex  injusto 
alque  peccatore  et  perverso  jure  dominanlium.  In  ps.  il, 
31,  col.  280,  Plus  importants  sont  les  caractères  attri- 
bués à  l'action  médiatrice  du  Sauveur.  Caractère 
d'oeuvre  satisfaetohe  dans  la  Passion,  vflicio  quidim 
ipsa  satisjaclura  pcenali,  et  de  sacrifice  dans  l'offrande 
sanglante  que  Jésus-Christ  a  faite  de  lui-même  sur  la 
croix,  hosliam  se  ipse  Deo  T'alri  volunlaric  offerendo. 
Inps.  liii,12,13;  CXLIX, 3,co\.  344  sq.,  886.  Caractère 
de  restauration  totale  dans  la  rédemption  prise  en 
son  ensemble,  en  tant  qu'elle  comprend  non  seulement 
les  souffrances  et  la  mort,  mais  encore  la  résurrec- 
tion et  les  autres  mystères  glorieux  du  nouvel  Adam, 
puisqu'on  lui,  chef  de  l'humanité  rachetée  et  primier- 
né  d'entre  les  morts,  c'est  l'homme,  image  de  Dieu, 
qui  est  ramené  à  sa  condition  primitive  et  atteint 
sa  perfection  dernière.  De  Trinilale,  XI,  49, col.  432  sq. 
Au  titre  de  médiateur  entre  Dieu  et  les  hemmes 
se  rattache  une  autre  fonction  :  Jésus-Christ  a  été 
pour  nous  un  témoin  des  choses  célestes,  et  il  nous  a 
fait  connaître  Dieu.  In  Matth.,  xxm,  6,  col.  1047; 
De  Trinilate,  III,  9,  22,  col.  80,  90.  Hilaire  accentue 


2429 


IIILAIRE   (SAINT] 


2430 


encore  plus  celte  pensée,  quand  il  dit  que  la  connais- 
sance de  Dieu  vient  de  Dieu  seul  et  que,  si  le  Fils  de 
Dieu   ne  s'était  pas  fait  homme,   l'homme  n'aurait 
pu  connaître  Dieu.  De  Trinitate,  I,  18,  col.  38;  in  ps. 
CXI. m,  8,  col.  847.  Assertion  dont  quelques  partisans 
de  l'incarnation  en  toute  hypothèse  se  sont  emparés, 
en  la  rapprochant  d'un  autre  passage,  où  il  est  ques- 
tion d'une  loi  générale  de  progrès  qui  s'impose  à  notre 
nature  et  la  porte  à  désirer  toujours  une  perfection 
plus  grande:  naturœergo  nosliœ  nécessitas  in augmenlum 
semper  mundi  lege  provecla,  non  imprudenter  projectum 
naturœ  potioris  exspeelat.  De  Trinitate,  IX,  4,  col.  283. 
Voir,  par  exemple,  Watson,  op.  cit.,  p.  lxi\,  lxxii,  et 
su  tout  F.  M.  Risi,  Sul  molivo  primario  délia  incarna- 
zionedclVerbo,  Rome,  1898,  t.  m,  n.  146-173, p.  124  sq. 
Mais  y  a-t-il  vraiment  un  rapj  ort  objectif  entre  les 
textes  du  docteur  gaulois  et  la  théorie  spéciale  d'une 
incarnation  indépendante,  en  son  existence,  de  tout 
péché  V  La  connaissance  de  Dieu  que  le  Fils  de  Dieu 
avait  le  privilège  exclusif  de  nous  communiquer  ne 
doit  pas  s'entendre  d'une  connaissance  quelconque, 
comme  si,  en  dehors  de  l'incarnation,  Dieu  eût  été 
complètement  ignoré  des  hommes  :  cette  supposition 
est  contraire  à  la  doctrine  générale  de  saint  Hilaire, 
car,  s'il  proclame  Dieu  inénarrable,  il  nie  en  même 
temps  qu'on  puisse  l'ignorer  :  ut,  licel  non  ignorabilem, 
lumen  inenarrabilem  scias.  De  Trinitate,  II,  7,  col.  57. 
11  s'agit  d'une  connaissance  surnaturelle  en  son  objet 
e1  spéciale  en  son  mode,  celle  que  le  Fils  de  Dieu,  vi- 
vant au  sein  du  Père  et  son  image  parfaite,  peut  nous 
donner  de  tout  ce  qui  en  Dieu  surpasse  absolument 
les  forces  propres  de  notre  esprit  ;  telles,  la  nature  et 
la  vie  intime  de  Dieu  ;  en  particulier  ses  relations  de 
paternité  à  l'égard,  soit  du  Fils  unique  qu'est  Jésus- 
Christ,  soit  des  fils  d'adoption  que  nous  sommes.  De 
Trinitate,  III,  17,  col.  85  sq.  De  tels  textes,  sous  la 
plume  de  l'évêque  de  Poitiers  comme  sous  celle  des 
autres  Pères,  sont  un  pur  écho  des  mystérieuses  pa- 
roles de  Jésus  :  «  Personne  ne  connaît  le  Père  si  ce 
n'est  le  Fils,  et  celui  à  qui  le  Fils  a  daigné  le  révéler  », 
Matth.,  xi,  27  ;  ou  encore  :  «  Philippe,  qui  m'a  vu,  a 
vu  aussi  le  Père.  »  Joa.,  xiv,  9.  L  argument  tiré  d'une 
tendance  générale  et  constante  au  progrès  n'est  pas 
plus  eli  cace.    Hilaire   n'invoque  pas  cette  tendance 
comme  exigeant  ou  prouvant  par  elle-même   le   fait 
de    l'incarnation;   il  l'invoque  seulement,  le  contexte 
en    témoigne,    pour    montrer    que  l'idée   d'un   Dieu 
naissant  homme  et  en  même  temps   restant  ce  qu'il 
était  auparavant,  n'a  rien  qui  puisse  ébranler   notre 
espérance,  puisque,  <  ans  l'hypothèse  Dieu  n'est  nul- 
lement diminué  et  que,  de  son  côté,  notre  nature  ne 
sort  pas  des  lois  qui    la  régissent    en    attendant    du 
fait  même  de  son  union  avec  une  nature  supérieure 
un  accroissement  de  perfection.  Mais  déjà  nous  tou- 
chons aux   problèmes  où  la  spéculation  se  mêle  à  la 
doctrine  proprement  dite  et  qui  méritent  un  examen 
spécial. 

2  Le  dépouillement  du  Christ  (kénose).  - —  Celte 
notion  apparaît  fréquemment  dans  le  De  Trinitate  et. 
dans  VExposilio  in  psalmos.  Habituellement  exprimé 
par  les  termes  équivalents  d'exinanire  ou  evacuare, 
littéralement,  vider,  d'après  la  force  de  la  formule 
grecque,  èxévtoaev  éauT(5v,  ce  dépouillement  porte  sur 
la  «  forme  de  Dieu  »,  a  laquelle  le  Christ  renonce, 
par  opposition  à  la  «  forme  de  serviteur  »,  dont 
il  se  revêt  :  se  ex  forma  Dei  exinaniens  cl  formam 
se  vi  suscipiens,  De  Trinitate,  VIII,  45,  col.  270;  se 
de  forma  Dei  évacuons,  formam  servi  assumons.  In  ps, 
CXLiii,  7,  col.  846.  Parfois,  par  abréviation  ou  con- 
struction elliptique,  Hilaire  parle  du  Dieu  qui  s'est 
vidé  de  lui-même,  ou  du  Christ  qui  s'est  anéanti  :  ex 
mysterio  évacuait  a  se  Dei;  exinanîentis  se  humilil  s. 
De  Trinitate,  IX,  14;  X,  48,  col.  293,  432.  Il  consi- 


dère ce  dépouillement  comme  nécessaire,  la  «  forme 
de  Dieu  »  n'étant  pas  compatible  avec  la  «  forme  de 
serviteur  »  que  le  Christ  devait  prendre  en  s'incar- 
nant,  non  convenienle  sibi  formas  ulriusque  concursu. 
De  Trinitate,  IX,  14,  col.  292.  Cf.  l.n  ps.  lxviii,  25,  col. 
485.  La  mission  rédemptrice  achevée,  la  «  forme  de 
serviteur  »  cesse,  et  la  «  forme  de  Dieu  »  reparaît  dans 
le  Christ  glorifié.  Amplification  originale  de  la  doc- 
trine de  saint  Paul,  Phil.,  n,  5  :  Hoc  senlite  in  vobis 
quod  et  in  Chrislo  Jesu,  qui  cum  in  forma  Dei  esset, 
non  rapinam  arbitratus  est  esse  se  œqualem  Deo,  sed 
semetipsum  exinanivit,  formam  servi  accipiens.  Ce  que 
le  docteur  gaulois  entend  par  les  mots  :  non  rapinam 
arbitratus  est,  etc.,  il  l'explique  ailleurs  par  cette  pé- 
riphrase :  Manens  enim  in  forma  Dei,  non  vi  aliqua 
sibi  ac  rapina,  id  quod  erat,  pra'sumendum  exislimavit, 
scilicet  ut  Deo  esset  œqualis.  In  ps.  cxvni,  litt.  xiv,  10, 
col.  539  sq.  Cf.  De  Trinitate,  VIII,  45,  col.  270  :  non 
sibi  rapiens  esse  se  œqualem  Deo.  Ce  qui  donne  cette 
interprétation  du  verset  paulinien  :  «  Étant  dans  la 
forme  de  Dieu,  il  n'a  pas  jugé  devoir  s'arroger  de 
force,  comme  l'on  ferait  d'une  proie,  l'égalité  avec 
Dieu  ;  mais  il  s'est  vidé  (de  la  forme  de  Dieu),  pre- 
nant la  forme  de  serviteur.  »  Interprétation  semblable 
en  substance  à  celle  de  la  plupart  des  Pères  grecs. 
F.  Prat,  La  théologie  de  saint  Paul,  Paris,  1909,  t.  i, 
p.  445  sq. 

Toute  cette  doctrine  a  trait  à  ce  qu'Hilaire  appelle 
la  dispensalio,  c'est-à-dire  l'économie  de  la  rédemp- 
tion, ou  l'ensemble  des  dispositions  providentielles 
qui  concernent  ce  mystère.  11  s'en  suit,  pour  le  Verbe 
incarné,  un  état  d'obscurité,  d'humilité,  d'infirmité, 
qu'entraînait  sa  qualité  de  second  Adam,  appelé  à 
réparer  les  ruines  causées  par  le  premier.  Qu'entend 
le  saint  docteur  par  la  «  forme  de  Dieu  »,  dont  le  Verbe. 
en  s'incarnant,  s'est  dépouillé  ?  Cette  question  est 
d'autant  plus  importante  que.  suivant  la  propre  remar- 
que de  l'évêque  de  Poitiers,  les  ariens  abusaient  de 
ce  qui,  dans  l'Écriture,  est  dit  du  Fils  comme  homme, 
pour  porter  atteinte  à  sa  divinité. £)e  Trinitate,  IX,  15, 
col.  293.  Des  théologiens  protestants  ont  prétendu 
trouver  dans  Hilaire  leur  théorie  de  la  kénose,  théorie 
d'après  laquelle  le  Verbe,  en  se  faisant  hemme,  se 
serait  temporairement  dépouillé  des  attributs  divins, 
de  quelques-uns  du  moins,  ou  même  de  sa  person- 
nalité divine;  d'où  cette  description  humoristique 
d'Aug.  Sabatier,  Esquisse  d'une  philosophie  de  la  re- 
ligion, 5e  édit.,  Paris,  1898,  p.  179  sq.  :  «  Kénose, 
c'est-à-dire  la  théorie  suivant  laquelle  le  dieu,  préexis- 
tant et  éternel,  se  suicide  en  s'incarnant  pour  renaître 
progressivement  et  se  retrouver  dieu  à  la  fin  de  sa  vie 
terrestre.  »  Sur  la  théorie  en  général,  voir  F.  Lichten- 
berger,  dans  Encyclopédie  des  sciences  religieuses,  t.  m, 
p.  152;  Cii.  Hodge,  Sy.  tenu  tic  th  ologn,  1  oiu'res,  1 87  ! , 
1.  n,  p.  '31  ;q.;  F.  Prat,  op.  cit.,  t.  n,  p.  239;  sur 
l'application  à  saint  Hilaire:  Loofs,  art.  Kcnosis,  dans 
Realencyklopadie  fur  protestantische  Théologie  und 
Kirche,X.  x,  p.  254;  J.  B.  Wirthmi  lier,  Die  Lehredeshl. 
Hilarius  von  Poitiers  iiber  die  Srlbstcntàusserung  Christi, 
préface,  Ratisbonne,  1865.  Qu'il  suffise  de  signaler  deux 
des  principaux  fauteurs  de  cette  singulière  théorie  : 
Dorner,  EntinicktungsgeschicMe  der  Lehre  von  der  Per- 
son  Christi.  2e  édit.,  t.  i,  p.  1047,  et  G.  Thomasius, 
Christi  Person  und  Werke.  2e  édit.,  Erlangen,  1857. 
IIe  part.,  p.  175.  Le  premier  s'attache  à  une  phrase 
où  ce  verset  du  psalmiste  :  in  finis  sum  in  limo 
pro}undi  et  non  est  substantia,  est  ainsi  commenté  par 
Hilaire  :  Non  utique  substantia  quœ  assumpla  habe- 
batur,  sed  quœ  se  ipsam  inaniens  hauserat.  In  ps. 
lxviii,  4,  col.  472.  Prenant  le  mot  substantia  dans  le 
sens  de  personnalité  (constituée  par  la  conscience 
de  soi-même),  Dorner  conclut  que,  d'après  le  docteur 
gaulois,   le   Verbe  s'incarnant   s'est   dépouillé   de  sa 


2431 


I-1ILAIRE    (SAINT' 


2432 


personnalité,  et  par  le  fait  même  de  sa  conscience 
di\  inc.  Thomasius  s'appuie  sur  un  autre  passage, 
De  Trinitate,  XI,  48,  col.  431,  où  il  est  question  de  la 
vertu  illimitée  du  Fils  de  Dieu  comme  s'ét  <nt  res- 
treinte, autant  que  l'exigeait  l'humble  condition  du 
corps  humain  qu'il  s'était  approprié;  donc  le  Verbe, 
en  s'incarnant,  s'est  dépouillé  de  ses  attributs  divins 
d'ordre  relatif  :  toute-puissance,  omniscience,  ubi- 
quité. 

Indépendamment  des  fausses  suppositions  qu'elles 
renferment,  ces  interprétations  sont  incompatibles 
avec  la  doctrine  générale  du  saint  évêque  sur  l'im- 
mutabilité divine  et  sur  la  consubstantialité  parfaite 
du  Père  et  du  Fils.  Qu'elles  soient  également  con- 
traires à  sa  réelle  pensée  sur  le  dépouillement  du 
Christ,  c'est  chose  démontrée  par  beaucoup  d'au- 
teurs :  soit  catholiques,  comme  Co  stant,  P.  L.,\.  ix, 
col.  292,  485;  Wirthm  lier,  op.  cit;  Baltzer,  Die 
Christologie  des  hl.  Hilarius  von  Poitiers,  p.  5  sq.  ;  soit 
protestants,  comme  Ch.  Gore,  Dissertations  on  subjecls 
connected  with  Ihe  incarnation,  Londres,  1895,  p.  147  sq.  ; 
Loofs,  art.  Kenosis,  op.  cit.,  p.  254.  La  «  forme  de 
Dieu  »,  dont  le  Verbe  se  dépouille  en  s'incarnant, 
ne  peut  être  ni  la  personnalité  divine,  ni  la  nature 
divine  considérée  soit  en  elle-même,  soit  dans  ses  pro- 
priétés absolues  ou  relatives,  puisque  Hilaire  affirme 
expressément  la  permanence  intégrale  de  l'une  et  de 
l'autre  :  evacualio  fonnœ  non  est  abolitio  naturse,  quia 
qui  se  évacuât,  non  caret  sese,  et  qui  accipit,  manel, 
De  Trinitate,  IX,  14,  col.  293;  ita  ut  naturœ  poste- 
rions adjectio  nullam  defeclionem  naturœ  anlerioris 
afferret.  Inp  .  liv,  2,  col.  348-  L'ubiquité  du  Verbe  ne 
subit  pas  plus  d'éclipsé  que  sa  nature  ou  sa  puissance  : 
in  forma  servi  manens,  ab  omni  intra  extraque  cseli 
mundique  circulo  cseli  ac  mundi  Dominus  non  abfuit. 
De  Trinitate,  X,  16,  col.  355.  Le  seul  changement 
qu'il  y  ait,  c'est  dans  l'état  oi  la  manière  d'être: 
non  virtutis  nalurœque  damno,  sed  habitas  demutatione. 
De  Trinitate,  IX,  38,  col.  309.  Entendez  la  condition 
ou  la  manière  d'être  de  Dieu  considérée  pour  ainsi 
dire  par  le  dehors,  c'est-à-dire  l'état  de  gloire  propre 
à  une  personne  divine.  Le  point  de  départ,  où  le  dé- 
pouillement commence,  a  pour  contre-partie  le  point 
d'arrivée,  où  le  dépouillement  cesse,  en  d'autres  termes 
le  retour  du  Christ  à  l'état  de  gloire  dont  jouit  le 
Père:  in  naturœ  paternœ  gloriam,  ab  ea  per  dispen- 
sationem  evacuatus,  assumilur,  De  Trinitate,  IX,  41, 
col.  315,  ad  resumendam  gloriam  Dci  Patris.  In  ps. 
cxxxvm,  5,  col.  795. 

Mais  ce  dépouillement  de  l'état  de  gloire  propre  à 
une  personne  divine  doit-il  s'entendre  dans  un  sens 
absolu,  comme  si  le  Verbe  ne  l'eût  i4  s  possédé  effec- 
tivement, du  jour  où  il  se  fit  homme  et  tant  que  dura 
sa  mission  ici-bas  ?  Tout  autre  est  la  pensée  de 
l'évèque  de  Poitiers.  L'incompatibilité  qu'il  dit  exister 
entre  la  «  forme  de  Dieu  »  et  la  «  forme  de  serviteur  », 
non  conveniente  sibi  formée  ulri  sque  concursu,  s'ap- 
plique au  Christ,  considéré  comme  subsistant  dans 
la  nature  humaine,  Chrislus  Jésus,  Chrislus  homo, 
et  non  pas  au  Christ  considéré  comme  subsistant 
dans  la  nature  divine,  Chrislus  spiritus;  car,  so  s 
ce  dernier  aspect,  le  Christ  est  essentiellement  dans 
la  même  «  forme  »  que  le  Père,  dont  il  est,  comme 
Fils,  l'image  parfaite  :  Quam  enim  signaveral  Dcus, 
aliud  prse'erquam  Dei  forma  esse  non  potuit:  nec  se- 
parari  polest  a  Dei  forma,  cum  in  ea  sit,  De  Trinitate, 
VIII,  45,  47,  col.  270  sq.  ;  aboleri  aulem  Dei  forma, 
ut  lanlum  servi  essel  forma,  non  potuit.  I  i  ps.  LXVIII,  25  ; 
cxxxvm,  2,  col.  485,  793.  Dans  le  texte  allégué  par 
Dorner  :  Non  utique  substanlia...  quse  se  ipsam  ina- 
niens  hauserat,  il  suffit  d'achever  la  lect  re  de  la 
phrase,  pour  comprendre  que  l'assertion  doit  s'en- 
tendre dans  le  sens  purement  relatif  de  non-existence 


apparente  :  nullo  aulem  mo  'o  se  caruil,  qui  se  ipsum 
exinanivit  évacuons;  nec  tamen  idipsum  videbalur 
exstare.  Aussi  le  saint  docteur  afQrme-t-il  la  coexistence 
des  deux  «  formes  »  dans  l'unique  personne  du  Verbe 
incarné  :  Unum  eumdemque  non  Dei  defeclione,  sed 
hominis  assumplione  profilenlis  et  in  forma  Dei  per 
naluram  divinam,  et  in  forma  servi  ex  conceplione 
Spiritus  Sancti  secundum  habilum  hominis  repertum 
fuisse.  De  Trinitate,  X,  22,  col.  360. 

L'unité  de  personne  et  la  dualité  de  natures,  sou- 
lignées dans  ce  dernier  texte,  donnent  véritablement 
la  clef  du  problème.  Subsistant  dans  la  nature  divine, 
comme  Fils  et  Verbe,  le  Christ  est  essentiellement 
dans  la  «  forme  de  Dieu  »,  c'est-à-dire  dans  l'état 
de  gloire  propre  à  une  personne  divine,  mais  ne  se 
manifestant  pleinement  qu'a  i  ciel;  subsistant  dans 
une  nature  humaine  semblable  à  la  nôtre,  il  fut  et  il 
apparut  ici-bas  dans  «  la  forme  de  serviteur  »,  c'est- 
à-dire  dans  un  état  d'obscurité,  d'humilité  et  d'in- 
firmité. Faute  d'avoir  tenu  compte  de  cette  distinc- 
tion ou  d'en  avoir  compris  la  portée,  des  auteurs 
n'ont  vu  que  des  incohérences  dans  les  divers  pas- 
sages du  docteur  gaulois;  d'autres  ont  jugé  sa  doc- 
trine beaucoup  plus  compliquée  qu'elle  ne  l'est  en 
réalité. 

Un  dernier  passage,  De  Trinitate,  IX,  38,  col.  310, 
confirmera  l'explication  donnée  en  la  complétant.  Saint 
Hilaire  y  parle  de  l'unité  ou  égalité  entre  le  Père  et 
le  Fils  comme  brisée  par  l'incarnation,  puis  rétablie 
par  la  résurrection  et  l'ascension  du  Sauveur.  Il  veut 
dire  qu'avant  l'incarnation  le  Fils  était  purement 
et  simplement,  en  toute  sa  personne,  dans  la  «  forme 
<  e  Dieu  »,  sur  un  pied  de  parfaite  égalité  avec  le 
Père,  vivant  comme  lui  dans  l'état  de  gloire  propre 
à  une  personne  divine:  en  s'unissant  à  la  nature 
humaine  telle  qu'il  l'a  prise,  il  change  de  condition, 
il  cesse  d'être  purement  et  simplement,  en  toute  sa 
personne,  dans  la  «  forme  de  Dieu  »,  car,  en  tant  que 
subsistant  dans  la  nature  humaine,  il  est  dans  la 
«  forme  de  serviteur  ».  S'il  demande  au  Père  de  pos- 
séder la  gloire  dont  il  jouissait  auprès  de  lui  avant  la 
création  du  monde,  c'est  donc  qu'en  sa  condition 
actuelle,  il  n'est  pas  tout  entier  en  posses  ion  de  cette 
prérogative  :  non  erat  idipsum  lotus,  quod  i  t  fieret 
precabalur.  In  pi.  n,  27,  col.  277  L'unité,  l'égalité  se 
rétablissent  seulement  le  jour  où,  son  humanité  étant 
souverainement  glorifiée,  le  Fils  se  retrouve,  purement 
e  si  iplement,  en  toute  sa  personne,  dans  la  «  forme 
de  Dieu  »,  dans  l'éclat  qui  convient  à  une  personne 
divine  et  qui  contraste  merveilleusement  avec  l'obscu- 
rité, l'humilité  et  l'infirmité,  dont  il  fut  enveloppé 
ici-bas.  En  ce  sens  Hilaire  a  pu  dire  du  Christ  glorifié 
qu'il  est  désormais  Dieu  tout  entier,  et  non  pas  en 
partie  seulement;  non  ex  parte  Deus,  sed  Deus  lotus, 
De  Trinitate,  XI,  40,  col.  425;  qu'i  reprend,  en  toute 
sa  personne,  la  «  forme  de  Dieu  »,  l'égalité  avec  le 
Père,  dont  il  s'était  dépouillé  pendant  sa  vie  mortelle, 
conformément  à  l'économie  de  la  rédemption  :  nunc 
donalio  nominis  formœ  reddidit  œqualilalcm,  De  Tri- 
nitate, IX,  54,  col.  324;  et  rursum  in  gl  ria  Dei  Palris 
est,  forma  videlicel  servi  in  gloriam  ejus  cujus  forma 
ante  manebat  proficienie.  Inps.  cxxxvm,  19,  col.  802. 

Cette  doctrine  suppose  manifestement,  dans  le  Fils 
de  Dieu  fait  homme  et  vivant  ici-bas,  une  certaine 
limitation,  en  particulier  une  limitation  de  puissance; 
mais  celte  limitation  ne  porte  point  sur  la  puissance 
divine  du  Verbe  prise  en  elle-même,  elle  porte  uni- 
quement sur  l'exercice  de  cette  puissance  par  rapport 
à  la  sainte  humanité  du  Sauveur;  le  Verbe,  en  la 
prenant,  ne  l'a  pas  dotée  des  prérogati  s  réservées 
au  temps  de  la  glorification  suprême  :  se  ipsum  exina- 
niens,  est  intra  se  latens,  et  intra  suam  ipse  vacuefaclus 
polestutem.  De  Trinitate,  XI,  48,  col.  432.  La  limita- 


2433 


HILAIRE   (SAINT; 


2434 


tion  s'étend-elle  aussi  à  la  science  humaine  du  Christ? 
La  question  se  pose  à  propos  du  texte  :  De  die  autem 
Mo  vel  hora  nemo  scit;  neque  angeli  in  cselo,  neque 
Filius  nisi  Pater,  Marc,  xm,  32,  objecté  par  les 
ariens.  Il  faudrait  répondre  par  raflirmative  s'il  était 
prouvé  que,  d'après  Hilaire,  Notre-Seigneur  s'attribue 
une  ignorance  réelle;  mais  la  preuve  n'est  pas  faite. 
Dans  le  long  passage  où  il  discute  l'objection  arienne, 
le  saint  évèque  nie  catégoriquement  une  telle  igno- 
rance. De  Trinitate,  IX,  58-75,  col.  328-342.  Il  ne 
nous  dit  pas,  il  est  vrai,  s'il  entend  parler  de  Jésus- 
Christ  à  la  fois  comme  Dieu  et  comme  homme;  la 
plupart  des  considérations  qu'il  propose  s'appliquent 
même  au  Dieu;  mais  quelques-unes  valent  aussi  de 
l'homme,  celle-ci  par  exemple,  n.  59,  col.  329  :  Hanc 
Me  diem  ignorât,  cujus  et  in  se  lempus  est,  et  per  sacra- 
mentum  ejus  est  ?  Etenim  adventus  sui  dies  iste  est, 
de  quo  apost  'lus  (Col.,  ni,  4)  ait  :  Cum  autcm  Christus 
appartient  vita  vestra,  tune  et  vos  cum  eo  apparebilis 
in  gloria.  Les  textes  qu'on  peut  opposer  sont  ineffi- 
caces. Les  deux  principaux,  De  Trinitate,  IX,  73, 
Non  ergo,  et  X,  8,  col.  348,  sont  d'une  authenticité 
plus  que  douteuse.  Si,  dans  un  autre  endroit,  le  com- 
mentateur rattache  au  dépouillement  du  Christ 
l'ignorance  dont  il  a  fait  profession  :  qui  se  forma  Dei 
évacuons  ac  formam  servi  assumens,  infirmum  naturce 
nostree  hominem  usque  ad  ignoratie  diei  atque 
horœ  scienliam  sit  professus,  In  ps.  cxlii,  2,  col.  838, 
rien  n'indique  qu  il  s  agisse  dune  ignorance  réelle 
ou  intérieure,  et  non  pas  d'une  ig  orance  apparente 
ou  extérieure  :  non  ignorationis  infn  mitalem,  sed 
tacendi dispens.tion  m.  De  Trinitate, X, 8,  col.  348.  Cf. 
A.  Beck,  op.  cit.,  p.  200  sq.,  210. 

3°  Durée  de  l'union  hypostalique.  —  Nul  doute  que 
saint  Hilaire  ne  soutienne,  en  principe,  la  perpétuité 
de  l'union  entre  le  Verbe  et  la  nature  humaine  qu'il  a 
prise  :  naturam  carnis  nostrse  jam  inseparabilem  sibi 
homo  natus  assumpsil,  mansuro  in  seternum  in  Deo 
homine.  De  Trinitate,  VII,  13;  IX,  7,  col.  246,  286.  Il 
y  avait  là,  dans  les  principes  du  saint  docteur,  une 
condition  essentielle  à  l'œuvre  rédemptrice  ici-bas, 
et  la  glorification  suprême  de  Jésus-Christ,  succédant 
à  la  période  de  dépouillement,  n'exigeait  pas  moins 
impérieusement  la  présence  au  ciel  de  son  humanité 
sainte,  puisque  cette  glorification  devait  avoir  pour 
sujet  l'Homme-Dieu  :  cum  glorifica:i  se  rogat,  non 
utique  natune  Dei,  sed  assumptioni  humanitalis  hoc 
proficil.De  Trinitate,  X,  7,  col.  348;  In  ps.  cxliii,  17, 
col.  846. 

Quelques  textes  n'en  ont  pas  moins  donné  lieu  à  deux 
difficultés  d'inégale  importance.  La  première  est 
d'une  portée  restreinte,  car  elle  concerne  le  seul  corps 
du  Sauveur,  pour  le  court  espace  de  temps  qu'il  resta 
privé  de  vie  et  mis  au  tombeau.  Séparé  alors  de  l'âme, 
le  fut-il  aussi  du  Verbe?  Hilaire  semble  l'affirmer 
dans  son  interprétation  du  premier  cri  jeté  par  Notre- 
Seigneur  en  croix,  un  peu  avant  sa  mort  :  Clamor 
vero  ad  Deum,  corporis  vox  est,  recedentis  a  se  VerbiDei 
contestata  dissidium,  In  Malth.,  xxxi,  6,  col.  1074  sq.  ; 
cf.  In  ps.  liv,  12,  361  :  ipsehuic  emortuo  et  intra  sepul- 
chrum  reliclo  corpori  divinœ  naturse  sunt  tribui  con- 
sortium. Il  y  eut  don<-  abandon  du  corps  par  le  Verbe. 
Mais  s'agit-il  d'un  abandon  absolu,  en  vertu  duquel 
le  Verbe  aurait  suspendu  momentanément  son  union 
personnelle  avec  le  corps  mourant,  ou  s'agit-il  seu- 
lement d'un  abandon  relatif,  consistant  en  ce  que  le 
Verbe,  acceptant  la  séparation  de  son  âme  et  de  son 
corps,  aurait  par  le  fait  même  livré  à  la  mort  ce  der  ;ier, 
cui  discessio  immortalis  animie  mors  est?  Inps.cxxxi,9, 
col.  734.  Pris  en  lui-même,  le  texte  peut  s'interpréter 
et  a  été,  de  fait,  interprété  dans  les  deux  sens;  mais 
la  seconde  interprétation,  donnée  par  Coustant, 
P.  L.,t.  ix,  col.  1073,  note  g;  Wirthmiïller,  op.  cit., 

D1CT.  DE  THÉOL.  CATH. 


p.  71,  et  autres,  trouve  un  point  d'appui  positif  dans 
cet  autre  passage,  De  Trinitate,  IX,  62,  col.  391  : 
Habes  in  conquerenle  ad  mortem  relictum  se  esse,  quia 
homo  est.  Du  reste,  quoi  qu'il  en  soit  de  la  glo>e  con^ 
tenue  dans  le  commentaire  sur  saint  Matthieu,  c'est 
dans  le  traité  De  Trinitate,  postérieur  en  date  et  pro- 
prement théologique,  qu'il  faut  chercher  la  pensée 
définitive  de  l'évêque  de  Poitiers.  Elle  n'est  pas  dou- 
teuse, car  il  affirme  avec  beaucoup  de  relief  l'unité 
d'être  ou  l'identité  personnelle  entre  le  Christ  et  son 
corps  inanimé  :  spoliata  enim  caro  Christus  est  morluus; 
neque  alius  est  commendans  spiritum  et  exspirans,  ne- 
que  alius  est  sepultus  et  resurgens,  De  Trinitate,  IX, 
11  ;  X,  63,  col.  290,  392;  cf.  In  ps.  cxxxi,  9,  col.  734  : 
unigenito  et  in  corpore  manenti  Deo  (mors)  requies  fuit. 
Sur  toute  cette  question,  voir  Coustant,  Prasf.  gen., 
c.  iv,  §  4,  n.  160-181,  col.  78  sq. 

L'autre  difficulté,  d'une  portée  plus  générale  et 
largement  traitée  par  le  même  écrivain,  §  5,  n.  182- 
187,  191-194,  col.  87-95,  se  rapporte  à  l'humanité  glo- 
rifiée. Saint  Hilaire  distingue  trois  états  du  Christ  : 
antehominem,  in  homine,  post  hominem.  Inps.  cxxxvui, 
19,  col.  802  ;  De  Trinitate,  IX,  6,  col.  285.  Dans  le  pre- 
mier, Jésus-Christ  est  Dieu,  ante  hominem  .Deus;  dans 
le  second,  il  est  Homme-Dieu,  homo  et  Deus  ;  dans  le 
troisième,  il  se  retrouve  simplement  Dieu,  nunc  Deus 
tai.tum.  De  Trinitate,  X,  22  ;  X I,  40,  col.  360, 425.  Serait- 
ce  que  l'humanité  glorifiée  disparaîtrait,  absorbée  par 
la  divinité  ?  Dans  ce  cas,  l'union  hypostatique  dispa- 
raîtrait aussi,  pour  faire  place  à  une  confusion  de  na- 
ture, comme  dans  la  doctrine  monophysite.  Des 
textes  comme  celui-ci  :  susceptus  homo  in  naturam  di- 
viniialis  accepius,  In  ps.  ixr,  12,  col.  429,  sembleraient, 
au  premier  aspect,  présenter  ce  sens.  Après  ce  qui  a 
été  dit  ci-dessus  du  dépouillement  du  Christ,  la  diffi- 
culté se  réduit  à  une  question  de  terminologie.  L'état 
dénommé  par  Hilaire  post  hominem  ne  signifie  rien 
autre  chose  que  l'état  du  Sauveur  glorifié,  alors 
qu'ayant  quitté  la  «  forme  de  serviteur  »,  revêtue 
ici-bas,  il  a  repris  au  ciel,  en  toute  sa  personne,  la 
«  forme  de  Dieu  »,  l'état  de  gloire  propre  à  quelqu'un 
qui  est  Dieu.  Le  nunc  Deus  tanlum  signifie  qu'au  ciel 
Jésus-Christ  est  purement  et  simplement  en  «  forme 
de  Dieu  »,  De  Trinitate,  IX,  38,  col.  310;  il  ne  signifie 
nullement  que  la  nature  humaine  disparaît.  Voici  en 
effet  l'explication  qui  suit  immédiatement,  XI,  40  : 
non  abjecto  corpore,  sed  ex  subjcclione  translate  ;  neque 
per  defectionem  abolite,  sed  ex  clarificatione  mutalo; 
cf.  IX,  6,  col.  285  :  tolus  homo,  totus  Deus.  Ce  qui  dispa- 
raît, ce  n'est  pas  la  nature  humaine  prise  en  elle-même; 
ce  sont  toutes  les  imperfections  qui  s'attachent  à  cette 
nature  non  glorifiée  et  que  la  «  forme  de  serviteur  »  sup- 
pose :  ut  in  Dei  virlutem  et  spiritus  incorruptionem 
transformata  carnis  corruptio  absorberetur,  De  Trini- 
tate, III,  16,  col.  85;  corruplionis  scilicet  natura  per 
profectum  incorruptionis  absorpla.  In  ps.  cxxxvm,  23, 
col.  804.  Rien  de  plus  propre  à  confirmer  cette  conclu- 
sion, que  la  manière  dont  le  docteur  gaulois  interprète 
le  texte  de  saint  Paul,  ICor.,  xv,  24-25  iDeinde  finis, 
cum  tradiderit  regnum  Deo  et  Patri,  etc.,  dont  Marcel 
d'Ancyre,  au  rapport  d'Eusèbe,  Contra  Marcellum,  n, 
4,  P.  G.,  t.  xxiv,  col.  314  sq.,  abusait  étrangement 
pour  soutenir  qu'après  le  jugement  dernier,  le  Verbe 
se  dépouillerait  de  la  nature  humaine.  Les  mots  : 
Deinde  finis,  etc.,  signifient  la  consommation  ou 
l'état  définitif  des  élus,  et  non  pas  la  fin  du  Christ  en 
tant  qu'homme  ;  le  Christ  restera  chef,  dans  son  huma- 
nité glorifiée,  de  tous  les  élus  glorifiés  avec  lui.  De 
Trinitate,  XI,  39,  col.  424  ;  In  ps.  ix,  4  ;  lxi,  5,  col.  393, 
424.  Voir  Coustant,  loc.  cit.,  §  6,  col.  £5  sq. 

4°  Conception  de  Jésus-Christ;  virginité  et  maternité 
de  Marie.  —  Que  Jésus-Christ,  Fils  de  Dieu,  ait  été 
conçu  et  enfanté  par  Marie,  et  par  Marie  vierge,  c'est 

VI.  —  77 


2435 


HILAIRE   (SAINT 


2436 


là  un  thème  qui  revient  trop  fréquemment  dans  les 
écrits  de  l'évêque  de  Poitiers  pour  qu'il  soit  nécessaire 
de  nous  y  arrêter.  Ce  n'est  pas  seulement  la  virgi- 
nité de  Marie  concevant  et  enfantant  qu'il  aflïrme,  c'est 
aussi  la  virginité  après  l'enfantement  ou  la  virai  ni  lé 
perpétuelle  qu'il  professe  et  défend  contre  ceux  qui 
l'attaquaient;  dans  les  «frères  de  Jésus  »  il  voit  des 
enfants  de  saint  Joseph,  nés  d'un  premier  mariage. 
In  Matth.,  i,  3,  4,  col.  921  sq.  La  maternité  de  Marie 
est  une  conséquence  de  sa  conception  et  de  son  enfan- 
tement; aussi  est-elle  appelée  par  Hilaire  mère  de 
Jésus,  mère  du  Christ,  ibid.,  et  ailleurs,  De  Trinitate, 
II,  26,  col.  67  :  mère  du  Fils  de  Dieu.  Son  rôle  par  rap- 
port au  Verbe,  en  tant  qu'homme,  fut  exactement 
celui  d'une  mère  dans  la  conception,  la  gestation  et  la 
mise  au  jour  de  son  fruit  :  quœ  officio  usa  malerno,  sexus 
sui  naturam  in  conceptu  et  partu  hominis  exsecuta  est. 
De  Trinitate,  X,  17,  col.  356.  Nulle  difficulté  pour  les 
deux  derniers  actes;  mais  il  n'en  va  pas  de  même 
pour  le  premier.  Comme  le  saint  docteur  attribue 
aussi  au  Saint-Esprit  la  conception  du  Sauveur,  ex 
conceptu  Spiritus  Sancli  Virgo  progenuit,  De  Trini- 
tate, X,  35,  col.  371,  deux  questions  interviennent  : 
que  faut-il  entendre  ici  par  l'Esprit-Saint,  et  quel 
rôle  Hilaire  attribue-t-il  à  celui  que  cette  appella- 
tion désigne?  L'une  et  l'autre  de  ces  questions  ont 
donné  lieu  à  des  controverses  sérieuses. 

En  plusieurs  endroits,  la  conception  de  Jésus-Christ 
est  attribuée  au  Saint-Esprit  en  des  termes  qui  sem- 
blaient faire  de  celui-ci  le  sujet  de  l'incarnation,  par 
exemple,  De  Trinitate,  II,  26,  col.  67  :  Spiritus  Sanc- 
tus  desuper  veniens  Virginis  inleriora  sanctificavii,  et 
in  his  spirans  naturse  se  humanx  carnis  inmiscuit,  et 
id  quod  alienum  a  se  erai,  vi  sua  ac  potestate  prœsumpsit. 
La  conclusion  serait  rigoureuse  si,  dans  ce  texte,  l'ap- 
pellation de  Spiritus  Sanctus  désignait  la  troisième 
personne  de  la  Trinité.  Mais  cette  interprétation  est 
formellement  contraire  à  l'enseignement  du  docteur 
gaulois;  pour  lui,  comme  pour  tout  catholique,  c'est 
la  seconde  personne  de  la  Trinité,  le  Verbe,  le  Fils 
unique  de  Dieu  qui  s'est  incarné  :  Verbum  Deus  caro 
facturn:  natus  Unigenitus  Deus  ex  virgine  homo,  De 
Trinitate,  I,  33;  VIII,  5,  col.  33,  284;  Dei  Filio  in 
filium  hominis  ex  partu  virginis  nalo.  In  ps.  Lin,  5,  col. 
340.  La  phrase  incriminée  s'explique,  en  général, 
par  l'élasticité,  déjà  signalée,  de  l'appellation  Spiritus 
Sanctus,  en  particulier,  par  ce  fait  que  saint  Hilaire, 
comme  beaucoup  d'autres  Pères  anciens,  rapporte  à 
la  seconde  personne  le  verset  évangélique,  Luc,  i,  35  : 
Spiritus  Sanctus  superveniet  in  te,  et  virlus  Alsissimi 
obumbrabit  tibi.  Cf.  Coustant,  Praef.  g*n.,  58  61,  col. 
351;  Baltzer.  Die  Théologie  des  hl.  Hilarius,  p.  46, 
not.  2.  Dans  cette  hypothèse,  c'est  le  Verbe  ou  le  Fils 
qui  s'est  formé  lui-même  le  corps  et  toute  la  nature 
humaine  dont  il  allait  se  revêtir  :  per  Verbum  caro 
factus,  In  Matlh.,  n,  5.  col.  927  ;  Dei  Filius  natus  ex 
Virgine  est  et  Spirilu  Sancto,  ipso  sibi  in  hac  opcralione 
famulante,  et  sua,  videlicet  Dei,  inumbranle  virtule, 
corporis  sibi  initia  consevit  et  exordia  carnis  institu.it; 
assumpla  sibi  per  se  ex  Virgine  carne;  sed  ut  per 
se  sibi  assumpsil  ex  Virgine  corpus,  ita  ex  se  sibi 
animam  assumpsit.  De  Trinitate,  II,  24;  X,  15,  22, 
col.  66,  357. 

Deux  choses,  pourtant,  sont  à  distinguer  :  l'action 
productrice  de  la  nature  humaine  du  Christ,  et  le 
rapport  personnel  d'union  qui  doit  exister  entre  les 
deux  termes  de  l'incarnation,  à  savoir  le  Verbe  et 
la  nature  humaine.  Ce  rapport  personnel  d'union  est 
propre,  exclusivement  propre  à  la  seconde  personne 
de  la  Trinité,  car  c'est  le  Verbe  qui  s'incarne,  c'est  le 
Fils  de  Dieu  qui  devient  fils  de  l'homme  ;  de  là,  dans 
les  textes  précédents,  ces  formules  expressives  :  ipso 
sibi  in  hac  operalione  famulante;  sibi  initia   c  nsevil ; 


sibi  assumpsit.  La  production  de  la  nature  humaine 
du  Christ  se  ramène  à  une  autre  notion,  celle  de  cau- 
salité efficiente  ;  Hilaire  lui-même  y  voit  un  terme 
de  la  puissance  et  de  l'action  divine  :  et  sua,  videlicet 
Dei,  inumbranle  virtule;  angélus  efficienliam  divinœ 
operationis  oslendil;  si  enim  conceptum  carnis  nisi 
ex  Deo  Virgo  non  habuit,  De  Trinitate,  II,  24,  26; 
X,  22,  col.  66  sq,  359  ;  ex  Spiritu  scilicet  et  Deo  natus. 
In  ps.  cxxu,  3,  col.  669.  Comme  la  puissance  et  l'action 
divines  sont  communes  aux  trois  personnes,  la  pro- 
duction de  la  sainte  humanité  leur  est  aussi  commune. 
Elle  peut  néanmoins  s'attribuer  à  la  seconde  per- 
sonne à  un  titre  spécial,  à  cause  du  rapport  intime  qui 
existe  entre  cet  effet  et  le  mystère  de  l'incarnation. 
De  même,  l'appellation  de  Spiritus  Sanctus,  appropriée 
maintenant  à  la  troisième  personne,  peut  également 
s'appliquer  à  la  seconde,  puisque,  considéré  dans  sa 
nature  divine,  le  Fils  est  lui-même  Esprit  et  Saint. 
De  Trinitate,  III,  30,  col.  71.  Cf.  Coustant,  Prsef.  gen., 
62  65,  col.  37  sq. 

L'autre  question,  relative  au  rôle  joué  par  le  Verbe 
dans  la  conception  de  sa  propre  humanité,  trouve 
dans  ce  qui  précède  un  commencement  de  solution. 
L'évêque  de  Poitiers  attribue  formellement  au  Verbe 
un  rôle  de  causalité  efficiente.  Mais  dans  quelle  mesure? 
Deux  interprétations  opposées  sont  en  présence.  On 
peut  concevoir  le  Verbe  comme  cause  efficiente  de  sa 
nature  humaine  par  voie  de  création  proprement  dite, 
en  sorte  que  le  corps  du  Christ,  non  moins  que  son 
âme,  soit  produit  indépendamment  de  toute  matière 
préexistante.  Dans  cette  hypothèse,  Marie  ne  serait 
pas  cause  dans  la  conception  de  Jésus  ;  son  rôle  se 
bornerait  à  recevoir  et  à  porter  dans  son  sein  l'em- 
bryon humain  créé  par  le  Verbe,  puis  à  mettre  au 
jour  l'enfant  divin.  Au  xne  siècle,  un  prévôt  du  nom 
de  Jean,  Joannes  prsepositus,  engagé  dans  une  contro- 
verse avec  le  prémontré  Philippe  de  Harvengt,  abbé 
de  Bonne-Espérance  en  Hainaut  (f  1183),  entendit 
ainsi  diverses  assertions  de  saint  Hilaire,  celles-ci 
entre  autres  :  Neque  Maria  corpori  originem  dédit; 
ipse  enim  corporis  sui  origo  est,  De  Trinitate,  X,  16, 18, 
col.  355  sq.  ;  il  les  attaqua  comme  contraires  à  la 
doctrine  de  l'Église  catholique,  qui  voit  dans  la  chair 
de  Marie,  vraie  mère  de  Jésus,  la  matière  dont  le  corps 
de  celui-ci  fut  formé.  Philippe  de  Harvengt,  Epist., 
xxn,  xxiv,  P.  L.,  t.  cciii,  col.  170,  172.  L'attaque  fut 
renouvelée  à  plusieurs  reprises,  au  xvie  siècle,  par 
Érasme,  au  xixe  par  Baur,  Die  christliche  Lehre  von 
der Dreieinigkeit,  Tubingue,  1841,  t.  i,  p.  686,  et  quel- 
ques autres,  notamment  Watson,  op.  cit.,  p.  lxxi  sq. 
Ce  dernier  auteur  expose  avec  plus  de  développe- 
ment ce  qu'il  croit  être  la  pensée  de  l'évêque  de  Poi- 
tiers. D'après  les  textes  déjà  cités  et  quelques  autres, 
De  Trinitate,  II,  25;  III  19,  col.  66,  87  :  in  corpusculi 
humant  formam  sanctse  Virginis  utero  inserlus  accrescil 
et  cerlo  non  suscepit  (Virgo)  quod  edidit,  aucune  portion 
de  la  substance  de  Marie  ne  serait  entrée  dans  la  com- 
position du  corps  humain  de  Jésus.  Deux  théories 
d'Hilaire  sont  invoquées  à  titre  d'argument  confir- 
matif.  La  première,  d'ordre  théologique,  vient  du 
parallélisme  que  le  saint  docteur  établit,  selon  l'apôtre, 
1  Cor.,  xv,  47,  entre  le  premier  et  le  second  Adam  : 
l'un  et  l'autre  sont  l'œuvre  immédiate  du  Christ,  avec 
cette  différence  qu'au  lieu  d'être  terrestre,  le  corps 
du  second  est  céleste,  comme  devant  son  origine  à 
l'action  du  Saint-Esprit,  et  non  point  à  des  éléments 
terrestres,  non  terrenis  inchoatum  corpus  elemenlis. 
De  Trinitate,  X,  17,  44,  col.  356,  378.  L'autre  théorie, 
d'ordre  physiologique,  se  rattache  à  une  explication 
de  la  génération,  contraire  à  celle  d'Aristote,  et  dont 
témoigne  Eschyle,  Euménidrs,  vers  658  sq.,  quand  il 
nous  montre  Apollon  déchargeant  d'un  parricide 
Oreste,  meurtrier  de  Clytemnestre,  sur  ce  motif  que  la 


437 


HILAIRE   (SAINT) 


2438 


mère  n'est  pas  l'auteur,  mais  seulement  la  nourrice 
•de  l'embryon   humain  : 

Où/.  £<JTi   [J.Tj-cr]p   rj    x£y.Xïi|j.6Vou  xéxvou 

tox.e'j;.    xp'jyo;   oï   K'jaaTo;   vso<j7co'pou. 

Conformément  à  cette  explication,  Hilaire  tient  que, 
dans  la  génération,  le  corps  de  l'entant  doit  au  père 
toute  sa  substance;  à  la  femme  revient  la  fonction, 
purement  subsidiaire,  de  recevoir  l'embryon  dans  son 
sein,  d'en  aider  le  développement  et  de  le  mettre  au 
jour.  Marie  ayant  rempli  cette  fonction  par  rapport 
à  Jésus,  l'évêque  de  Poitiers  a  pu  dire  qu'elle  a  été  sa 
mère  au  même  titre  que  les  autres  femmes  sont  mères 
de  leurs  enfants.  De  Trinitate,  X,  16,  col.  355. 

Si  cette  interprétation  était  exacte,  une  objection 
grave  existerait  contre  la  doctrine  d'Hilaire  sur  la 
maternité  de  Marie;  car  cette  maternité  dépend  fina- 
lement de  ce  fait,  que  Marie  ait  conç  i  Jésus  réellement, 
c'est-à-dire  de  sa  propre  substance:  ce  qui  faisait  dire 
à  saint  Irénée,  Cont.  hser.,  II,  32,  n.  1,  P.  G.,  t.  vu,  col. 
955  sq.  :  Errant  igilur,  qui  dicunl  eum  nihil  ex  Vir- 
gine accepisse:  si  enim  non  accepit  ab  homine  substan- 
liam  carnis,  nequc  homo  faclus  est,neque  filins  hominis. 
Argumentation  d'autant  plus  pressante  que  Jésus- 
Christ  n'ayant  pas  eu  de  père  en  tant  qu'homme,  il 
n'a  pu  entrer  dans  la  famille  humaine,  comme  rejeton 
d'Adam  et  notre  frère,  qu'en  tenant  sa  chair  de  Marie. 
Heureusement  l'interprétation  qui  fait  dire  le  con- 
traire à  saint  Hilaire,  est  de  tout  point  inacceptable, 
■comme  l'ont  montré,  d'abord  Philippe  de  Harvengt, 
dans  ses  lettres  au  prévôt  Jean,  Epist.,v,vi,  vm,  P.  L., 
t.  ccin,  col.  36,  46,  57,;  cf.  xxv,  lettre  de  Hunald,  col. 
174,  puis,  d'une  façon  plus  complète,  Coustant,  Preel. 
gzn.,  c.  iv,  §  1,  col.  30  sq.,  et  ceux  qui,  récemment, 
ont  étudié  le  problème  de  près  ;  tels,  parmi  les  catho- 
liques, Wirthmùller,  op.  cit.,  p.  55  sq.  ;  Baltzer,  Die 
Christologie  des  ht.  Hitarins,  p.  184;  parmi  les  protes- 
tants, Dorner,  op.  cit.,  t.  i,  p.  1042;  Fôrster,  op.  cit., 
p.  660  sq. 

Hilaire  nous  présente,  en  effet,  la  chair  et  le  corps 
de  Jésus-Christ,  non  pas  seulement  comme  portés  et 
mis  au  jour  par  la  Vierge,  mais  comme  conçus,  engen- 
drés, pris  d'elle:  assumpta  per se  sibi  ex  virgine  carne; 
ex  virgine  conceptum  (corpus);  quod  generatur  ex  vir- 
gine, De  Trinilale,  X,  15,  35,  col.  353  sq.,  371;  naturœ 
noslrœ  sibi  ex  virgine  corpus  assumens.  In  ps.  cxvm, 
litt.  xiv,  8,  col.  592.  Corrélativement,  Marie  nous 
apparaît  comme  engendrant  d'elle-même  la  chair  et 
le  corps  du  Sauveur  :  caro  perfectam  ex  se  carneni 
generans;  perjeclum  ipsa  de  suis  non  inminuta  gene- 
ravit;  gcnuit  exsc  corpus.  DeTrinitate,  111,19;  X,  35, 
col.  87,  371.  Par  là,  et  par  là  seulement,  s'explique 
la  relation  de  consanguinité  que  le  saint  docteur 
établit  entre  Jésus-Christ  d'une  part,  de  l'autre  ses 
ancêtres  juifs  et  même  tous  les  descendants  d'Adam 
déchu  :  ex  David  semine  procrcandum,  In  Matlh., 
xxm,  8,  col.  1047;  de  Judx  frutice;  a  vitiis  eorum, 
qui  sibi  secundum  carnem  consanguinei  habcbantur, 
alienus.  In  ps.  LXVII,  28;  hXVlil,  10,  col.  463,  476. 

C'est  à  tort  qu'on  fait  appel  au  parallélisme  entre 
le  premier  et  le  second  Adam,  sous  le  rapport  de  la 
formation  immédiate  par  Dieu,  en  supposant  dans 
les  deux  cas  une  création  proprement  dite.  Non  seule- 
ment ce  parallélisme  n'est  pas  affirmé  dans  les 
textes  allégués,  mais  il  est  positivement  contraire  à 
la  doctrine  de  l'évêque  de  Poitiers  ;  d'après  lui, 
comme  d'après  la  sainte  Écriture,  le  corps  du 
premier  Adam  ne  fut  pas  proprement  créé,  c'est- 
à-dire  tiré  du  néant,  mais  il  fut  formé  du  limon 
terrestre  :  nam  sumitur  pulvis,  et  lerrena  materies 
formatur  in  hominem,  aut  prwparatur.  In  ps.  CXVI1I,  litt. 
x,  7,  col.  566.  De  même,  le  corps  du  second  Adam 
ne  fut  pas  proprement  créé,  mais  il  fut  formé  de  la 


Vierge.  Aussi,  dans  un  passage  où  il  distingue  expres- 
sément le  corps  et  l'âme  de  Jésus-Christ,  Hilaire 
s'exprime-t-il  d'une  façon  différente,  suivant  qu'il 
s'agit  de  l'un  et  de  l'autre;  il  dit  le  corps  pris  de  la 
Vierge,  mais  non  pas  l'âme  :  ut  per  se  sibi  assumpsit 
ex  Virgine  corpus,  ila  ex  se  sibi  animam  assumpsit. 
De  Trinitate,  X,  22,  col.  359. 

C'est  à  tort  également  qu'on  invoque  une  théorie 
de  la  génération  humaine  rivale  de  la  théorie  aristo- 
télicienne. La  question  n'est  pas  de  savoir  si  ces  deux 
théories  ont  existé  chez  les  anciens,  mais  s'il  y  a  des 
raisons  positives  d'attribuer  à  l'évêque  de  Poitiers 
la  théorie  qu'on  prétend.  Non  seulement  ces  raisons 
n'existent  pas,  mais  la  doctrine  du  saint  ne  cadre 
nullement  avec  cette  attribution. 

La  fausse  supposition  d'un  corps  proprement  créé 
étant  écartée,  que  signifient  les  textes  où  le  saint 
docteur  reporte  au  seul  Verbe  l'origine  ou  l'existence 
du  corps  humain  qu'il  s'est  uni  ?  La  réponse  est  dans 
ce  texte  :  Genuil  ex  se  corpus,  sed  quod  conceptum  esscl 
ex  Spirilu.  De  Trinitate,  X,  35,  col.  371.  Dans  la  géné- 
ration normale  il  ne  suffit  pas  que  la  femme  ait  en 
elle-même  une  parcelle  de  substance  susceptible  de 
devenir  un  embryon  humain;  il  faut  que  l'homme 
intervienne,  exerçant  un  rôle  actif  et  prépondérant, 
en  sorte  que,  finalement,  on  doit  lui  attribuer  l'origine 
"  ou  l'existence  de  l'être  engendre.  Dans  la  génération 
humaine,  mais  surnaturelle  du  Christ,  l'homme  n'in- 
tervient point  ;  le  Verbe  supplée,  par  un  acte  de  sa 
vertu  toute-puissante,  à  ce  qui  manque  de  ce  côté-là; 
c'est  donc  au  Verbe,  et  au  Verbe  seul,  qu'il  faut  attri- 
buer l'origine  ou  l'existence  de  l'embryon  humain, 
qu'il  forme  en  vivifiant,  par  l'adjonction  d'une  âme 
qu'il  crée,  la  parcelle  de  substance  corporelle  emprun- 
tée à  Marie.  On  ne  trouve  rien  de  plus  ni  rien  de  moins 
dans  les  passages  où  sont  exclus,  dans  la  génération 
divine  ou  humaine  du  Christ,  les  elementa  originis 
nostrse,  De  Trinitate,  VI,  35,  col.  185;  cf.  III,  19,  col. 
87;  c'est-à-dire,  l'apport  fourni  par  l'homme  dans 
la  génération  naturelle,  mais  non  pas  l'apport  fourni 
par  Marie  comme  par  les  autres  mères.  De  même  dans 
un  autre  texte,  mal  compris  parfois  :  Et  quamvis  tan- 
tum  ad  nalivitatem  carnis  ex  se  darct  (Maria),  quantum 
ex  se  feminse  edendorum  corporum  susceptis  originibus 
impenderent,  non  tamen  Jésus  Chrislus  per  humanœ 
conceptionis  coaluit  naturam.  De  Trinitate,  X,  15,  col. 
354.  Le  sens  n'est  pas  hypothétique  :  «  Quand  même 
elle  donnerait...  »  ;  il  est  positif,  mais  avec  opposition 
entre  le  premier  et  le  second  membre  de  phrase  : 
«  Et  quoiqu'elle  donnât  d'elle-même...,  cependant 
Jésus-Christ  n'a  pas  été  soumis,  dans  sa  conception, 
aux  lois  communes  de  la  génération  humaine.  »  C'est 
dans  le  même  sens,  eu  égard  à  l'origine  ou  à  la  cause 
efficiente  comme  aussi  à  la  personne  du  Verbe  s'unis- 
sant  un  corps  humain,  et  non  pas  eu  égard  à  la  con- 
stitution intime  de  ce  corps,  que  saint  Hilaire  parle 
de  corps  céleste,  comme  il  parle  de  conception  céleste, 
De  Trinitate,  X,  18,  35,  col.  356  sq.,  371,  ou  encore 
du  second  Adam  venu  des  cieux:  Et  cum  ait  secundum 
hominem  de  cselo,  originem  ejus  ex  supervenientis  in 
Virginem  Sancti  Spiritus  aditu  testatus  est.  Ibid.,  17, 
col.  356.  Cf.  Coustant,  Prœf.  gen.,  n.  72,  73,  col.  41. 
Il  est  seulement  vrai  que,  dans  la  pensée  d'Hilaire, 
le  corps  de  l'Homme-Dieu  possède,  en  vertu  de  son 
origine  transcendante,  des  propriétés  ou  perfections 
spéciales  ;  de  là  une  nouvelle  question,  non  moins 
délicate  et  plus  difficile  que  la  précédente. 

5°  Sensibilité  et  possibilité  du  Christ.  —  Conçu 
d'une  vierge  par  l'opération  du  Saint-Esprit,  l'Homme- 
Dieu  ne  tombait  nullement  sous  la  loi  du  péché:  Solus 
extra  peccalum.  In  ps.  cxxxriu,  47,  col.  815.  Son  corps 
n'a  rien  des  vices  qui  s'attachent  aux  nôtres;  sa 
chair  n'est  pas  une  chair  de  péché,  mais  ressemble 


2439 


MILAIRE   (SAINT) 


2  440 


seulement  à  notre  chair  dépêché.  De  Trinilate,  X,  25, 
col.  364  sq.  Les  misères  propres  à  nos  corps,  engen- 
dres selon  la  loi  du  péché,  sont  étrangères  au  corps 
dont  la  conception  fut  surnaturelle  :  extra  lerreni 
est  corporis  mala,  non  terrenis  inchoatum  elementis. 
De  Trinitate,  X,  44,  col.  378.  Quelle  est  la  portée  de 
cette  dernière  affirmation?  Car  il  y  a  des  affections 
qui  sont,  prises  en  elles-mêmes,  indépendantes  de 
toute  idée  de  péché  ou  de  vice;  tels  les  maux  physi- 
ques ou  infirmités  corporelles  d'ordre  commun  : 
faim  et  soif,  fatigue  et  sommeil,  souffrance  et  mort  ; 
telles  encore  les  passions  dans  le  sens  large  du  mot  : 
crainte,  tristesse,  douleur,  avec  les  larmes  qui  peu- 
vent en  être  la  conséquence  ou  l'expression.  Jésus- 
Christ  fut-il  soumis  à  ces  affections,  et  de  quelle 
manière  ?  La  doctrine  de  saint  Hilaire  sur  ces  divers 
points,  en  particulier  sur  la  douleur  en  Jésus-Christ, 
donne  lieu  à  des  objections  spéciales;  il  importe  de 
procéder  avec  d'autant  plus  de  discrétion  que  beau- 
coup d'auteurs  appliquent  trop  facilement  à  ces 
diverses  affections  des  textes  du  saint  docteur  dont 
la  portée  est  plus  restreinte. 

1.  En  général,  Jésus-Christ  fut-il  soumis  aux  infirmités 
et  affections  humaines;  et  de  quelle  manière  ?  —  La 
réponse  à  la  question  de  fait  n'offre  aucune  difficulté. 
Hilaire  attribue  nettement  au  Sauveur  nos  infir- 
mités physiques  :  nalurœ  nostrse  infirmilales  homo 
natus  assumens.  In  ;>s.  CXXXVIII,  3,  col.  794.  Ailleurs,  il 
entre  dans  le  détail  :  «  Né  d'une  vierge,  il  s'était 
avancé  du  berceau  et  de  l'enfance  jusqu'à  l'âge  parfait  ; 
il  avait  vécu  en  homme,  passant  par  le  sommeil,  la 
faim  et  la  soif,  la  fatigue  et  les  larmes  ;  maintenant 
il  va  être  tourné  en  dérision,  flagellé,  crucifié.  »  De 
Trinitate,  III,  10,  col.  81.  La  mort  devait  s'ajouter, 
comme  dernier  complément  de  cette  vie  humaine  : 
ad  explendam  q  idem  hominis  naturam,  etiam  morli  se... 
subjecil.  In  ps.  lui,  14,  col.  346.  Ces  affections,  en  parti- 
culier la  flagella  ion,  le  crucifiement  et  la  mort, 
disent  manifestement  souffrance  physique  :  Passus 
quidem  est  Dominus  Jésus  Christus,  dum  cœditur, 
dum  suspendilur,  dum  cruciflgitur,  dum  morilur.  De 
Trinilate,  X,  23,  col.  362.  Ainsi,  passion  physique 
ou  organique,  suivant  le  sens  que  le  saint  évêque 
donne  lui-même  à  ce  mot  :  Passio  esleorum  quse  sunt 
illata  perpessio.  De  syn.,  49,  col.  516.  Ce  qui  vaut  des 
infirmités  physiques  vaut  aussi  de  l'âme.  Hilaire  ne 
pouvait  méconnaître  une  doctrine  expressément  en- 
seignée par  les  saintes  Lettres,  qui  nous  montrent 
Jésus-Christ  soumis  à  la  crainte  et  à  la  tristesse,  ou 
versant  des  larmes.  Matth.,  xxvi,  37  sq.  ;  Marc,  xiv, 
33  sq.  ;  Luc,  xix,  41  ;  Joa.,  xi,  35.  Il  ne  l'a  pas  mé- 
connue :  mœstus  fuit  et  flevil;  jlet  interdum,  et  ingemis- 
cit,  et  tristis  est,  In  ps.  lui,  7  ;  lxvui,  12,  col.  341,  377  ; 
tout  cela  réellement:  vere  Jesum  Chrislum  flevissenon 
dubium  est.  De  Trinitate,  X,  55,  col.  387. 

Mais  de  quelle  manière  Jésus-Christ  fut-il  soumis 
aux  infirmités  physiques  et  aux  affections  communes 
de  notre  nature  ?  Autrement  que  nous.  Une  première 
différence  concerne  l'objet  des  affections  de  l'âme; 
Hilaire  n'admet  pas  que,  dans  l'Homme-Dieu,  la  tris- 
tesse, la  crainte,  les  larmes  aient  porté  sur  ses  propres 
maux,  comme  sa  mort  ou  les  humiliations  et  les  souf- 
frances de  la  Passion  :  nec  meluendi  de  se  in  eum  infir- 
milalem  incidisse  aliquam  ;  non  ergo  sibi  tristis  est, 
neque  sibi  orat.  De  Trinitate,  X,  10,  37,  col.  350,  373. 
D'après  le  texte  évangôlique,  Jésus  fut  triste  jusqu'à 
la  mort,  mais  non  pas  à  cause  de  la  mort;  sa  tristesse 
venait  des  apôtres  et  de  nous.  Ibid.,  36  sq.,  41,  col. 
371  sq.,  376.  Il  ne  deman<  a  pas  que  le  calice  s'éloi- 
gnât de  sa  propre  personne,  mais  qu'il  passât  à  ses 
disciples  et  qu'ils  le  bussent  avec  lui  :  transilum  calicis 
non  sibi,  sed  suis  deprecatur.  In  Matth.,  xxxi,  5, 
col.  1068.  De  même  pour  les  larmes  :  ce  n'est  pas  sur 


lui-même  que  Jésus  a  pleuré,  mais  sur  nous  :  ut  flens 
non  sibi  flerel...,  sed  nobis.  De  Trinilate,  X,  24,  55  sq., 
63,  col.  364,  387  sq.,  392. 

Une  autre  différence  tient  à  la  modalité  des  infir- 
milés  physiques  et  des  affections  de  l'âme  :  elles  ne 
s'imposaient  pas  au  Christ  comme  elles  s'imposent 
à  nous;  en  lui,  elles  étaient  volontaires  à  un  double 
titre.  D'abord,  préalablement,  car  le  Fils  de  Dieu  n'est 
pas  susceptible  de  ces  infirmités  et  de  ces  affections 
dans  sa  nature  propre,  celle  qu'il  tient  de  son  Père 
céleste,  mais  seulement  dans  la  nature  humaine  qu'il 
a  faite  sienne  librement,  en  la  prenant  par  condescen- 
dance pour  sauver  le  genre  humain.  Tel  est  le  sens, 
et  l'unique  sens,  comme  l'affirme  justement  Coustant, 
Piœf.  gen.,  n.  144-147,  col.  70  sq.,  d'un  certain  nombre 
de  textes,  tels  que  ceux-ci  :  his  omnibus  non  natura, 
sed  ex  assumptione  subjectus,  In  pi.  Lin,  7,  col.  341 
(édit.  Zingerle,  p.  140)  ;  non  fuit  ergo  unigenilo  Dei 
naturalis  inftrmilas,sed  assumpta  ;  suscepilcrgo  infir- 
mitates,  quia  homo  nascitur.  In  ps.  cxxxvm,  3,  col.  475, 
794.  C'est  dans  le  même  sens,  semble-t-il,  qu'Hilaire 
a  dit  du  Verbe  qu'il  a  voulu  pâtir,  sans  être  passible  : 
pâli  voluil  et  passibile  esse  non  petuit.  De  syn.,  49,  col. 
516.  En  second  lieu,  ces  infirmités  et  ces  affections 
furent  volontaires  même  si  l'on  considère  Jésus-Christ 
en  tant  qu'homme;  car  il  n'était  pas  nécessairement 
soumis  aux  causes,  agents  ou  forces,  qui  les  produisent, 
tenant  de  son  origine  surnaturelle  et  de  son  union 
personnelle  avec  le  Verbe  une  vertu  capable  de  faire 
échec  à  ces  causes,  s'il  le  voulait  et  quand  il  le  vou- 
lait :  dum  pati  vull.  quod  pâli  ei  non  licet  ;  ut  sitiens 
silim  non  polalurus  depellerel,  et  e  uriens  non  se  cibo 
escse  alicujus  expleret...,  vel  cum  polum  et  cibum  accepit, 
non  se  necessitati  corporis,  sed  consuetudini  tribuit.  De 
Trinitate,  IX,  7;  X,  24,  col.  286,  364;  potensnon  mori, 
etiam  timorem  in  se  mortis  ingruentem  non  renuit; 
extra  necessitatem  et  limoris  posilus  et  doloris;  permis- 
sum  corpus  passioni  est,  sed  permissa  sibi,  dominala 
mors  non  fuit.  Inps.  LIV,  6;  lxvui,  i;  CXXXIX,  14,  col. 
350,  471,  821. 

Ces  textes  et  autres  du  même  genre  ne  sont  pas 
sans  difficulté  ;  dans  la  controverse  déjà  signalée 
entre  Philippe  de  Harvengt  et  le  prévôt  Jean,  ils 
donnèrent  lieu  à  discussion.  Le  prévôt  soutenait 
qu'en  Jésus-Christ  la  passibilité  est  naturelle,  bien 
qu'acceptée  volontairement.  Epist.,  xxiv,  P.  L.,t.  cem, 
col.  173.  L'abbé  de  Bonne-Espérance,  invoquant  les 
textes  de  saint  Hilaire,  voyait  dans  l'impassibilité 
la  condition  naturelle  de  l'Homme-Dieu;  l'infirmité 
physique  et  la  souffrance  ne  pouvaient  donc  exister 
dans  son  corps  et  dans  son  âme  qu'en  vertu  d'une 
intervention  spéciale  et  miraculeuse  du  Verbe,  prœter 
natun  m  cl  permiroculum.  Epist. ,xxv,  Hunaldiadpiw- 
po  Hum,  P.  L.,  t.  ce  ni,  col.  175  sq.  Voir  t.  vi,  col.  1015- 
1016.  Les  vues  de  Philippe  de  Harvengt  se  retrou- 
vent dans  Baur,  op.  cit.,  t.  i,  p.  689;Watson,  op.  cit., 
p.  lxxv,  et  quelques  autres.  Mais  cette  interpréta- 
tion est  loin  de  s'imposer.  Les  textes  qu'on  invoque 
prouvent  uniquement  que  le  Verbe  pouvait  toujours 
soustraire  sa  nature  humaine  à  l'influence  des  lois 
qui  régissent  la  nôtre.  Ainsi  en  fut-il,  par  exemple, 
pendant  les  quarante  jours  de  jeûne  au  désert;  la 
faim  se  fit  seulement  sentir  quand,  ce  temps  étant 
écoulé,  le  Verbe  ramena  son  corps  aux  conditions 
normales  de  notre  vie  :  Vi  tus  illi  qu  dri  ginl  di  rum 
non  mota  jejunio,  naturœ  suœ  hominem  dereliquil.  In 
Matth.,  m,  2,  col.  928.  C'est  donc  que,  laissée  à  elle- 
même,  la  nature  humaine  du  Sauveur  était  vraiment 
susceptible  d'éprouver,  comme  nous,  le  besoin  d'ali- 
ments. La  même  idée  se  retrouve  expressément  ail- 
leurs :  Qui  se  somno  et  lassitudini  sœpe  commiserity 
etiam  usque  ad  sitis  et  esuritionis  necessitatem.  In  ps. 
lxvui,    6,    col.    474;    cf.    Baltzer,   Die    Christologie 


2441 


HILAIRE  (SAINT; 


2442 


des   M.   Hilarius,   p.    24    sq.  ;    Wirthmuller,  op.  cit., 
p.  61  sq. 

Toutefois,  une  distinction  est  possible;  distinction 
qu'Hilaire  n'a  pas  exprimée,  mais  que  la  synthèse 
de  sa  doctrine  paraît  suggérer.  Le  Verbe  a  pu  douer 
sa  nature  humaine,  corps  et  âme,  d'une  vertu  ou  force 
spéciale,  limmunisant  en  principe  contre  toute 
infirmité,  mais  n'étant  ni  nécessairement  ni  toujours 
en  acte.  Dans  cette  hypothèse,  les  infirmités  peuvent 
se  dire  naturelles  ou  surnaturelles,  suivant  qu'on  les 
considère  par  rapport  à  la  nature  humaine  du  Christ, 
prise  en  elle-même,  dans  ses  éléments  constitutifs, 
ou  par  rapport  à  cette  même  nature  envisagée  comme 
unie  au  Verbe  et  possédant,  à  ce  titre,  une  vertu  ou 
force  supérieure,  mais  d'ordre  surnaturel.  Telle  fut, 
au  fond,  la  distinction  proposée,  au  xne  siècle,  par 
Hunald,  choisi  pour  arbitre  par  Philippe  de  Harvengt 
et  le  prévôt  Jean  :  Ex  natura  namque  humanitatis 
pulat  (Philippus)  illum  conlraxisse,  quod  nos  ex  gratia 
credimus  eum  habuisse;  quomodo  prœter  naluram  et 
per  miraculum  dolu.it,  qui  dolendi  potentiel  carnali  non 
caruit?  Epist.,  xxv,  P.  L.,  t.  cem,  col.  176,  179.  Voir 
t.  vi,  col.  1016-1017. 

2.  En  particulier,  Jésus-Christ  fut-il,  ici-bas,  soumis 
à  la  douleur  ?  —  Question  complexe  et  difficile,  ne 
serait-ce  qu'à  cause  de  la  multiplicité  des  opinions, 
provoquées  d'ailleurs  par  les  antilogies  que  présente, 
à  première  vue,  l'ensemble  des  textes  hilariens.  Un 
exposé  succinct  du  problème  est  nécessaire  pour  com- 
prendre le  point  précis  de  la  difficulté  et  sa  réelle 
portée. 

a)  Le  problème.  —  Saint  Hilaire  traite  plus  directe- 
ment la  question  de  la  douleur  en  Jésus-Christ  au 
livre  dizième  De  Trinitate;  toutefois  il  ne  l'envisage 
que  d'une  façon  spéciale,  en  vue  des  ariens.  Ceux-ci 
niaient  la  divinité  de  celui  qui,  dans  les  Écritures, 
est  appelé  Fils;  ils  le  regardaient  comme  un  esprit 
créé  qui  tenait  lieu  d'âme  en  Jésus-Christ,  et  dès  lors 
toutes  les  affections  attribuées  à  celui-ci  dans  les 
saintes  Lettres  retombaient  directement  sur  le  Verbe, 
considéré  dans  sa  nature  propre.  Aussi,  pour  prouver 
que  le  Verbe  ou  le  Fils  était  d'une  nature  inférieure 
à  celle  du  Dieu  suprême,  ils  partaient  des  textes 
êvangéliques  relatifs  à  Notre-Seigneur,  où  il  s'agit 
de  crainte  et  de  douleur  :  comment  serait-il  vrai  Dieu, 
puisqu'il  nous  apparaît  sans  cette  puissance  sûre 
d'elle-même  qui  bannit  la  crainte  et  sans  cette  incor- 
ruptibilité de  l'esprit  où  la  douleur  n'a  point  de  place? 
ut  quitimuitet  doluil,non  fuerit  inea  potestatis  securi- 
iate  quse  non  timet,  vel  in  ea  spiritus  incorruptionc  quse 
non  dolel.  Il  s'agit  donc  d'une  crainte  et  d'une  dou- 
leur qui  atteignent  l'esprit;  crainte  mêlée  de  tris- 
tesse et  de  douleur  anxieuse,  qui  va  jusqu'à  se  trahir 
par  de  profonds  gémissements,  sous  le  coup  de  la 
peine  corporelle  endurée  :  et  humanee  passionis  trepi- 
daverit  metu,  et  ad  corporalis  pœme  congemuerit  atro- 
■citatem.De  Trinitate,  X,  9.  col. 349;  cf.  I,  31,  col.  45  sq. 
Idée  déjà  exprimée  avec  non  moins  de  relief  dans  le 
commentaire  sur  saint  Matthieu,  xxxi,  1-3,  col.  1066  : 
et  ideo  in  eo  doloris  anxietas,  ideo  spiritus  passio  cum 
corporis  passione,  ideo  melus  mords. 

Pour  répondre  à  la  difficulté,  il  ne  suffit  pas  de  faire 
appel  à  la  distinction  classique  entre  Jésus-Christ 
Dieu  et  Jésus-Christ  homme;  c'eût  été,  dans  l'occur- 
Tence,  une  pétition  de  principe,  tant  qu'on  n'aurait 
pas  fait  d'abord  admettre  à  l'adversaire  la  divinité 
du  Verbe.  Le  docteur  gaulois  prend  une  autre  voie; 
répondant  ad  hominem,  il  s'efforce  de  montrer  aux 
ariens  qu'ils  interprètent  mal  les  textes  évangéliques 
«n  supposant  dans  Jésus-Christ  des  sentiments  de 
crainte,  de  tristesse,  de  douleur  qui  auraient  porté 
sur  ses  propres  maux,  blessures,  souffrances  et  mort. 
C'est  ainsi  qu'il  est  amené  à  étudier  de  plus  près  la 


douleur  en  Jésus-Christ  :  «  Mais  peut-être  a-t-il  craint 
les  peines  corporelles,  et  les  liens  des  cordes  qui  de- 
vaient le  serrer  violemment,   et  les  blessures  faites 
par  les  clous  qui  devaient  le  tenir  suspendu  à  la  croix? 
Voyons  donc  quel  corps  fut  celui  du  Christ  homme, 
pour  que  la  douleur  ait    pu  l'atteindre  en  sa  chah- 
blessée,  attachée  et  suspendue  à  la  coix.  »  De  Trini- 
tate, X,  13,  col.  352.   Suit  immédiatement  un  passage 
curieux  et  d'une  grande  portée,  où  l'évêque  de  Poi- 
tiers explique,  non  pas  précisément  ce  qu'est  la  dou- 
leur corporelle,  mais  comment  ou  dans  quelles  condi- 
tions elle  existe  en  nous.  «  Telle  est  la  nature  des  corps, 
qu'étant  unis  à  l'âme  qui  les  vivifie  et  leur  commu- 
nique sa  faculté  de  sentir,  ils  ne  sont  plus  une  matière 
inerte  et  insensible;  touchés,  ils  sentent;  blessés,  ils 
éprouvent  de  la  douleur...  Sous  l'influence  de  l'âme 
qui  les  possède  et  les  pénètre,  ils  sont,  en  effet,  suscep- 
tibles d'impressions  diverses,  agréables  ou  pénibles. 
Quand  donc  il  y  a  douleur  dans  les  corps  percés  ou 
blessés,  l'âme  sensible  qui  leur  est  unie  reçoit  le  sen- 
timent  de   la   douleur  :    cum    igitur    compuncta    aul 
effossa  corpora  dolent,  sensum  doloris  transfusa;   in  eu 
animée  sensus  admitlit.  Enfin,  la  douleur  infligée  au 
corps   s'étend  jusqu'à    l'os;   mais,   quand  on   coupe 
l'extrémité  des  ongles,  les  doigts  restent  insensibles, 
et  s'il  arrive  qu'un  membre,  tombant  en  corruption, 
cesse  d'être  chair  vive,  on  pourra  couper  ou  brûler, 
sans  qu'elle  éprouve  de  douleur,  cette  chair  qui  n'est 
plus  unie  à  l'âme.  Ou  encore,  s'il  faut,  pour  une  rai- 
son grave,  tailler  dans  le  vif  et  qu'à  l'aide  d'un  nar- 
cotique on  assoupisse  la  vigueur  de  l'âme,  en  sorte 
qu'absorbée  par  l'action  violente  des  sucs  administrés, 
elle  perde  le  souvenir  et  le  sentiment,  on  peut  couper 
les   membres   sans   qu'ils   ressentent   la   douleur   et, 
quelque  profonde  que  soit  la  plaie  faite  par  la  bles- 
sure, la  chair  demeure  insensible,  comme  l'âme  elle- 
même,  dont  le  sens  est  comme  engourdi.  Ainsi  c'est 
par  le  corps,  uni  à  une  âme  faible,  que  le  sens  de  cette 
dernière,  faii.Ie  lui  aussi,  est  atteint  par  la  douleur.  » 

Hilaire  distingue,  on  le  voit,  entre  l'impression 
douloureuse  qu'éprouve  le  corps  soumis  à  un  mal 
physique  et  le  sentiment  formel  de  la  douleur  qui,  par 
contre-coup,  résulte  dans  l'âme  unie  au  corps;  mais  ce 
contre-coup  n'a  lieu  que  si  l'âme  unie  au  corps  est  faible 
et,  comme  telle,  douée  d'un  sens  faible.  De  là  cette 
conclusion  que  le  saint  docteur  tire  aussitôt,  n.  15, 
col.  363  :  Si  la  nature  humaine  de  Jésus-Christ,  consi- 
dérée dans  ses  éléments  constitutifs,  le  corps  et  l'âme, 
a  été  soumise  dans  sa  formation  aux  mêmes  condi- 
tions que  les  nôtres,  c'est  chose  naturelle  que  Jésus- 
Christ  ait  senti  la  douleur  propre  a  nos  corps  ;  mais, 
s'il  a  été  lui-même  l'auteur  immédiat  de  son  corps 
et  de  son  âme,  les  impressions  qui  furent  en  lui  ont 
dû  répondre  à  la  condition  et  à  la  perfection  spéciale 
de  son  corps  et  de  son  âme,  secundum  anima;  corpo- 
risque  naluram  necesse  est  et  passionum  fuisse  naturam. 
C'est  la  seconde  hypothèse  qui  est  la  vraie;  en  vertu 
de  sa  conception  surnaturelle  et  de  son  union  person- 
nelle au  Verbe  divin,  Jésus-Christ  fut  exempt,  en  son 
corps  et  en  son  âme,  de  l'infirmité  qui  s'attache  aux 
nôtres  par  suite  de  leur  origine  vicieuse  :  animi  et 
corporis  nostri  perfectus  est  nalus  ;  habuit  enim  corpus, 
sed  originis  suse  proprium,  neque  ex  vitiis  humanœ 
conceplionis  existais;  nec  est  in  vitiosa  hominis  infir- 
milate,  qui  Christus  est.  De  Trinitate,  X,  15,  25,  col.  354, 
364,  366. 

Ces  principes  une  fois  posés  et  développés,  l'évêque 
de  Poitiers  en  fait  l'application  aux  souffrances  en- 
durées par  le  Sauveur;  il  dissocie  alors  les  deux  idées 
de  passion  et  de  douleur  :  In  quo  (Jesu  Christo),  quam- 
i>is  aut  ictus  incideret,  aut  vulnus  descenderet,  aut  nodi 
concurrerent,  aut  suspensio  elevaret,  afferrenl  quidem 
liœc  impetum  passionis,  non  lamen  dolorem  passionis 


2443 


HILAIRE    (SAINT) 


2444 


inferrent...  Passas  quidem  est  Dominas  Jésus,  dum 
cœditur,  dum  suspendilur,  dum  crucifigitur,  dum 
moritur;  sed  in  corpus  Domini  irruens  passio,  née 
non  fuit  passio,  nec  lamen  naturam  passionis  exseruit, 
dum  et  pœnali  ministerio  desœvit,  et  virtus  corporis  sine 
sensu  pœnœ  vim  pœnœ  in  se  desasvientis  excepit,  n.  23, 
col.  361  sq. 

Abstraction  faite  de  ce  que  les  mots  :  virtus  corporis, 
peuvent  signifier,  ce  qui  ressort  nettement  de  ce  pas- 
sage, c'est  la  distinction  et  l'opposition  entre  deux 
séries  d'affections  :  d'un  côté,  la  passion  physique  ou 
organique,  la  peine  entendue  dans  le  même  sens,  l'une 
et  l'autre  considérées  sous  leur  aspect  agressif,  impetus 
passionis,  vis  pœnse,  pcenale  ministerium;  de  l'autre 
côté,  la  douleur  comme  contre-coup  de  la  passion 
physique,  la  peine  sentie  ou  ressentie  et,  par  suite,  la 
passion  et  la  peine  agissant  suivant  leur  nature  ou 
leur  propriété,  dolor  passionis,  sensus  pœnœ,  naturam 
passionis  exscrens  passio.  De  ces  deux  séries  d'affec- 
tions, la  première  est  admise  en  Jésus-Christ,  la  se- 
conde est  rejetée  :  habens  ad  patiendum  quidem  corpus, 
et  passus  est;,  sed  naturam  non  habens  ad  dolendum, 
n.  23,  cf.  35,  col.  361  sq.,371.  Et  cela,  en  vertu  de  la 
perfection  propre  à  la  nature  humaine  de  l'Homme- 
Dieu,  et  tout  d'abord  à  son  âme  qui  pénètre  et  régit 
son  corps  comme  force  immanente:  Si  dominici  corporis 
sota  ista  nalura  sil,  ut  sua  virtute,  sua  anima  feratur 
in  humidis,  et  insistât  in  liquidis,etexstructatranscurrat 
quid  per  naturam  humani  corporis  conceplam  ex  Spi- 
ritu  carnem  judicamus  ?  Ibid.,  col.  363. 

Qu'il  n'y  ait  pas  là,  pour  saint  Hilaire,  une  idée 
secondaire  et  lancée  en  passant,  mais  une  idée  délibé- 
rément admise  et  jugée  importante,  le  soin  et  l'insis- 
tance qu'il  met  à  développer  sa  pensée  l'indiquent 
suffisamment;  car  il  la  reprend  sous  diverses  formes 
au  cours  du  même  livre,  surtout  quand  il  établit, 
n.  44,  col.  378,  un  rapprochement  entre  Jésus-Christ 
pendant  sa  Passion  et  certains  martyrs  qui,  dominant 
la  faiblesse  de  leur  nature  par  le  saint  enthousiasme 
de  la  foi  et  de  l'espérance,  cessaient  de  sentir  leurs 
souffrances  et,  au  milieu  des  tourments,  se  réjouis- 
saient :  sui  quoque  sensus  ac  spiritus  corpus  efficitur 
ut  pati  se  desinat  sentire  quod  patilur.  Fait  d'où  le 
saint  docteur  tire  un  argument  a  fortiori  :  El  quid  nobis 
de  natura  dominici  corporis,  et  descendenlis  de  cœlo  filii 
hominis  adhuc  sermo  sit  ? 

Même  doctrine  dans  les  autres  écrits  d'avant  ou 
d'après  l'exil.  Dans  le  commentaire  sur  saint  Matthieu, 
xxxn,  7,  col.  1069,  Notre-Seigneurnous  est  présenté 
priant  pour  ses  disciples,  afin  qu'ils  boivent  le  calice 
d'amertume  comme  il  le  boit  lui-même,  sine  spei 
diffulentia,  sine  sensu  dploris,  sine  metu  mortis.  La 
distinction  entre  la  passion  et  la  douleur,  entre  la 
peine  et  le  sentiment  de  la  peine,  se  retrouve  expres- 
sément dans  le  commentaire  sur  les  Psaumes  :  Et 
quanquam  passio  illa  non  fueril  conditionis  etgeneris, 
quia  indemutabilem  Dci  naturam  nulla  vis  injuriosse 
perturbalionis  offenderet,  lamen  susccpta  voluntarie 
est,  offïcio  quidem  ipsa  satisfaclura  pœnali,  non  lamen 
pœnœ.  sensu  lœsura  patientem...  Suscipiens  nalurales 
ingruentium  in  se  passionem  (quibus  dolorem  palien- 
tibus  necesse  est  infcrri)  virlutes,  ipse  lamen  a  naturœ  suœ 
virtute  non  exciditutdoleret.  In  ps.  Lin,  12,  col.  344.  De 
même  :  Suscepil  ergo  infirmilales,  quia  homo  nascitur; 
et  putatur  dolere  quia  patilur,  caret  vero  doloribus 
ipse,  quia  Deus  est.  El  cum  habitat  in  nobis,  cumquc 
inflrmilates  noslras  suscipit,  et  cum  susceplis  infirmita- 
libus  non  dolet.  In  ps.  cxxxviu,  3,  col.  794. 

Les  textes  qui  précèdent  ne  contiennent  pas  tous 
les  éléments  du  problème;  d'autres  s'ajoutent  qui 
rendent  un  son  différent,  et  parfois  même  contraire, 
en  sorte  qu'on  peut  ramener  le  tout  à  quatre  séries  : 
a.  Textes  où    la   douleur   est   niée,  par  exemple,  en 


dehors  des  exemples  déjà  donnés  :  quo  sensu  ralionis 
intelligit  Dominum  nostrum  Jesum  Chrislum...  vulnera 
non  permittentem  dolori,  vulneratum  dolere?  De  Tri- 
nitate,  X,  33,  col.  370  ;  non  vis,  impie  hœreic.,et  tran- 
scunle  palmas  clavo  Christus  non  dolueril?  Ibid.,  45, 
col.  379;  (3.  Textes  où  la  douleur  est  affirmée  :  qui 
et  flevit,  et  doluil,  De  Trinitate,  X,  56,  col.  388;  et  dolet 
ipse  quidem,  In  ps.  lxvui,  1,  col.  471;  y.  Textes  où  la 
douleur  est  en  même  temps  niée  et  affirmée,  ce  qui 
suppose  une  diversité  d'aspects  :  Et  pro  nobis  dolet, 
non  et  doloris  noslri  dolet  sensu,  De  Trinitate,  X,  47, 
col.  381;  3.  Textes,  déjà  cités,  où  la  distinction  et 
l'opposition  existent  entre  pati  et  dohre.  Dès  lors,  il 
est  facile  de  comprendre  combien  sérieusement  se 
pose  ce  problème  :  d'après  saint  Hilaire,  Jésus-Christ 
fut-il  ici-bas  soumis  à  la  douleur? 

b)  Les  opinions  ou  interprétations.  —  On  en  compte 
trois  générales.  —  a.  Les  uns,  prenant  dans  un  sens 
absolu  les  textes  exclusifs  de  la  douleur,  ont  jugé  que 
le  docteur  gaulois,  trompé  par  une  conception  trop  ab- 
straite de  la  perfection  due  à  la  nature  humaine  du 
Verbe  incarné,  n'a  réellement  pas  admis  dans  l'Homme- 
Dieu  le  sentiment  de  la  douleur  corporelle.  Telle  fut 
l'opinion  de  Claudien  Mamert,  De  statu  animœ,  1.  II, 
c.  ix,  n.  3,  P.  L.,t.  lui,  col.  754;  il  relève  chez  Hilaire 
cette  assertion  inexacte  :  nihil  doloris  Chrislum  in 
passione  sensisse.  Voir  t.  vi,  col.  1013.  La  même 
opinion  fut  soutenue,  au  moyen  âge,  par  Bérenger  et 
par  le  prévôt  Jean  dans  sa  controverse  avec  Philippe 
de  Harvengt.  Epist.,  xxn,  xxm,  xxiv,  P.  L.,  t.  cciii, 
col.  170-174;  cf.  dom  Berlière,  Philippe  de  Harvengt? 
abbé  de  Bonne-Espérance,  c.  iv,  dans  la  Revue  béné- 
dictine, Maredsous,  1892,  t.  ix,  p.  200  sq.  Au  rapport 
de  saint  Bonaventure  et  de  saint  Thomas,  In  IV  Sent, 
1.  III,  dist.  XV,  q.  ii,  a.  3,  expos,  text.,  Guillaume- 
d'Auvergne,  évêque  de  Paris,  partagea  le  même  avis 
seulement  en  ce  qui  concerne  le  traité  De  Trinitate, 
car  il  estimait  qu'il  y  avait  eu  rétractation  dans  un 
ouvrage  postérieur;  opinion  reprise  par  Petau,  De 
incarnatione,  1.  X,  c.  v,  n.  5-6,  où  il  identifie  avec  le 
commentaire  sur  les  Psaumes  l'ouvrage  où  l'auteur 
du  De  Trinitate  se  serait  corrigé  en  attribuant,  au 
moins  implicitement,  la  douleur  à  l'Homme-Dieu,, 
notamment  In  ps.  lx Vin, 4-5,  col.  472  sq. D'autres  s'en 
tiennent  à  l'interprétation  rigoureuse  de  Claudien 
Mamert;  tels,  pour  citer  quelques  noms  parmi  beau- 
coup, Érasme  dans  la  préface  à  son  édition  des  œuvrer 
de  saint  Hilaire;  Baronius-Pagi,  Annales,  an.  563, 
n.  4,  t.  x,  p.  214;  plus  récemment,  Watson,  op.  cit.r 
p.  lxxiii  sq.;  Baltzer,  Die  Christologie  des  hl.  Hilarius, 
p.  23-32,  avec  cette  remarque  toutefois  qu'Hilaire 
admet  le  Christus  dolet,  en  attachant  à  ce  dernier  mot 
l'idée  de  passion  ou  souffrance  objective  ;  G.  Bauschen, 
Die  Lehre  des  hl.  Hilarius  von  Poitiers  ùberdie  Leidens- 
fàhigkcit  Christi,  dans  Theologische  Quarlalschrifl, 
Tubingue,  1905,  t.  lxxxvii,  p.  424-438;  dom  Laurent 
Janssens,  Summa  theol.,  t.  iv,  p.  542  sq.,  concluant, 
p.  552  :  Credimus  proin  mentem  S.  Hilarii  ab  <  phtharlo- 
doketarum  excessu  non  tantopere  distare. 

b.  A  rencontre  de  cette  première  opinion  s'en  pré- 
sente une  autre  qui  nie  l'erreur  attribuée  au  saint 
docteur;  les  textes  incriminés  doivent  s'entendre- 
de  Jésus-Christ  en  tant  que  Dieu.  Ce  fut  l'interpréta- 
tion de  Lnnfranc  contre  Bérenger,  Epist.,  l,  ad  Regi- 
naldum,  P.  L.,  t.  cl,  col.  545  :  Virlus  corporis,  id  est, 
divinilas  assumens  ipsum  corpus,  sine  sensu  pœnœ, 
quantum  ad  ipsam  allinct,  vim  pœnœ,  id  est,  in  carne 
assumpta,  desœvientis  excepit.  Coustant,  Piœf.  gen., 
n.  123-137,  col.  63  sq.,  a  suivi  la  même  interpréta- 
tion, non  pour  tous  les  textes,  mais  pour  quel- 
ques-uns, comme  De  Trinitate,  X,  23,  48,  où  virtus 
corporis  est  le  sujet;  ces  textes  doivent  s'expliquer 
par  les   passages   correspondants   des   commentaires- 


2445 


IIILAIRE   (SAINT; 


2446 


sur  saint  Matthieu  et  sur  les  Psaumes,  où  il  s'agit 
manifestement  de  Jésus-Christ  considéré  dans  sa 
nature  divine  :  quod  dolorem  divinitatis  nalura  non 
sentit.  In  ps.  LUT,  12,  col.  344.  Il  faut  également  tenir 
compte  des  erreurs  que  l'Athanase  de  l'Occident 
avait  en  vue,  erreurs  des  ariens,  qui  prétendaient 
attribuer  au  Verbe  lui-même  les  affections  de  crainte, 
de  tristesse  et  de  douleur.  Beaucoup  d'auteurs  se 
sont  ralliés  à  cette  seconde  opinion;  tels  de  nos  jours 
Franzelin,  De  Verbo  incarnato,  th.  xlii,  schol.  1  ; 
Stentrup,  Chrislologia,  th.  lvi,  t.  n,  p.  896  sq.;  Hurter, 
Thcologiœ  dogmatkœ  compendium,  lleédit.,  Inspruck, 
1903,  t.  m,  p.  399;  Ch.  Pesch,  De  Verbo  incarnato, 
3«-"  édit.,  Fribourg-en-Brisgau,  1909,  n.  228,  où  la 
solution  est  donnée  pour  commune. 

c.  Une  troisième  opinion  s'ajoute,  qui  tient  une 
sorte  de  milieu  entre  les  précédentes  :  saint  Hilaire 
écarte  bien  la  douleur  de  Jésus-Christ,  même  en 
tant  qu'homme,  mais  il  l'écarté  dans  un  sens  relatif, 
et  non  pas  absolu,  c'est-à-dire  entendue  telle  qu'elL 
existe  en  nous,  avec  les  diverses  imperfections  qui 
l'accompagnent  et  qui  sont  une  suite  du  péché  ori- 
ginel, notamment  avec  le  caractère  de  souffrance  qui 
s'impose  et  qui  trouble.  Philippe  de  Harvengt  pro- 
posait déjà  cette  interprétation,  en  disant  de  l'évêque 
de  Poitiers  :  Hujus  eum  infirmitalis  non  crédit  exsti- 
tisse,  ut  scilicet  invitus  quidquam  molestiœ  vel  in  anima 
vel  incorpore  paterelur.Episl.,  \,P.L.,  t.  cem,  col.  40. 
Ce  fut,  en  substance,  la  solution  préférée  des  grands 
docteurs  scolastiques,  comme  saint  Thomas,  loc. 
cit.  :  Solutio  Magistri  consista  in  hoc  quod  simpliciter 
noluit  removere  a  Chrislo  dolorem,  sed  tria  quse  sunt 
circa  dolorem:  primo  dominium  doloris...;  secundo 
meritum  doloris...;  tertio  necessitatem  doloris. 

Coustant  met  aussi  à  profit  cette  interprétation 
pour  expliquer  une  partie  des  textes  hilariens,  loc.  cit., 
n.  131-136,  col.  66  sq.  De  même  Hurter  dans  son  édi- 
tion du  traité  De  Trinitale,  Sanclorum  Palrum  opus- 
cula  selecta,  2e  série,  t.  iv,  notes  sur  les  passages  diffi- 
ciles du  livre  Xe,  p.  454,  463  sq.,  466,  468,  473.  Ajou- 
tons le  suffrage  d'auteurs  récents,  soit  protestants, 
comme  Dorner  et  Fôrster,  soit  catholiques,  comme 
Wirthmùller,  Schwane  et  spécialement  A.  Beck,  Die 
Lehre  des  hl.  Hilarius  von  Poitiers  ùber  die  Leidens- 
fàhigkeil  Chrisii,  et  autres  articles  signalés  dans  la 
bibliographie.  D'après  ce  dernier  écrivain,  la  question 
traitée  par  Hilaire  au  livre  Xe  De  Trinitate  porterait 
sur  la  cause,  et  non  pas  sur  l'existence  de  la  douleur 
en  Jésus-Christ  :  une  seule  force  pouvait  agir  natu- 
rellement sur  le  corps  de  l'Homme-Dieu,  la  force 
même  du  Verbe;  toute  autre  force  ne  pouvait 
exercer  d'influence  que  d'une  façon  éventuelle  et 
dépendante;  d'où  il  suit  que  le  sentiment  de  la  dou- 
leur n'était  possible  en  Jésus-Christ  qu'en  vertu 
d'une  volonté  positive  de  la  part  du  Verbe.  Le  Dr  Beck 
se  contente  cependant  d'une  volonté  antécédente, 
venant  de  ce  que  le  Verbe  a  pris  librement  un  corps 
semblable  au  nôtre,  tandis  que  Dorner,  Forster, 
Wirthmùller  et  autres  exigent,  dans  chaque  circon- 
stance, un  acte  de  volonté  formel  et  distinct. 

Le  principal  fondement  de  cette  troisième  inter- 
prétation se  tire  de  la  combinaison  ou  de  la  concilia- 
tion de  deux  séries  de  textes  :  d'un  côté,  la  douleur 
est  positivement  attribuée  à  l'Homme-Dieu  ;  de 
l'autre,  dans  les  textes  où  elle  est  niée,  on  trouve 
des  termes  restrictifs  qui  réduisent  implicitement 
la  négation  à  un  sens  relatif:  assumptacaro...  passio- 
num  est  permissa  naturis,  nec  tamen  ita  ut  passionum 
conficeretur  injuriis,  n.  24,  col.  364;  quam  igitur 
infirmitatem  dominatam  hujus  corpori  credis,  cujus 
titntam  habuit  natura  virlutem?  n.  27,  col.  367;  extra 
corporis  noslri  infirmitatem  est  (corpus  illud),  quod 
spiritalis  conceptionis  sumpsit  exordium,  n.  35,  col.  371; 


et  pro  nobis  dolet,  non  et  doloris  nostri  dolet  sensui  ne- 
scil  in  Christo  apostolus  trepidalionem  doloris,  n.  47,  48, 
col.  381.  D'ailleurs,  pour  répondre  à  l'objection  arienne, 
ne  suffisait-il  pas  d'exclure  de  l'Homme-Dieu  une 
douleur  qui  eût  été  ou  nécessaire,  ou  méritée,  ou 
dominatrice  et  troublante  ? 

c)  Conclusions.  - —  Le  lecteur  ne  s'étonnera  pas 
que,  dans  une  question  si  complexe  et  si  discutée, 
il  soit  nécessaire  de  procéder  par  degrés,  en  allant 
du  plus  certain  au  moins  certain.  Et  d'abord,  quoi  qu'il 
en  soit  d'une  exclusion  absolue  de  la  douleur,  saint 
Hilaire  l'écarté  incontestablement  de  l'Homme-Dieu 
dans  le  sens  relatif  qui  vient  d'être  expliqué.  Les  textes 
invoqués  et  les  arguments  apportés  par  les  partisans 
de  la  troisième  opinion  prouvent  surabondamment 
cette  première  assertion.  Mais,  en  réalité,  le  saint 
docteur  n'exclut  pas  la  douleur  d'une  façon  absolue, 
puisqu'il  l'affirme  en  termes  catégoriques  dans  la 
seconde  série  de  textes  signalés  ci-dessus,  col.  2443,  sq. 
La  douleur  attribuée  par  Hilaire  à  f  Homme-Dieu 
est  souvent  une  douleur  purement  spirituelle,  indé- 
pendante de  toute  douleur  corporelle  ;  ainsi  en  est-il 
de  la  douleur  que  le  Sauveur  ressentit  pour  les  péchés' 
ou  pour  les  maux  des  hommes.  Mais  cette  interpré- 
tation ne  convient  pas  à  tous  les  passages  ;  parfois 
il  s'agit  manifestement  de  la  douleur  corporelle  : 
Percussus  ergo  est  Dominus,  peccala  nostra  suscipiens, 
et  pro  nobis  dolens,  ut  in  eo  usquead  infirmitatemcrucis 
morlisque  percusso,  sanitas  nobis  per  resurrectionem 
ex  mortuis  redderetur...  Hune  igitur  ita  a  Deo  perseculi 
sunt,  super  dolorem  vulnerum  dolorem  persecutionis 
hujus  addenles.  Inps.  lviii,  23,  col.  484.  Beste  à  con- 
cilier les  deux  séries  de  textes  apparemment  contra- 
dictoires, ceux  qui  affirment  et  ceux  qui  nient  la 
douleur  en  Jésus-Christ. 

Cette  conciliation  ne  peut  pas  s'obtenir  par 
une  simple  distinction  entre  Jésus-Christ  en  tant 
qu'homme  et  Jésus-Christ  en  tant  que  Dieu,  comme 
si  la  douleur  n'était  exclue  que  de  la  nature  divine. 
Même  quand  il  s'agit  de  certains  textes  qui  semblent 
décisifs  aux  tenants  de  la  seconde  opinion,  par  exem- 
ple, In  ps.  LUI,  12  col.  344  :  quod  dolorem  divinitatis 
natura  non  sentit,  on  peut  se  demander  s'il  est  bien 
vrai  qu'ils  écartent  la  douleur  du  Verbe  considéré 
uniquement  dans  sa  nature,  ou  s'ils  ne  l'écartent 
pas  plutôt  du  Verbe  considéré  dans  toute  sa  personne, 
du  Verbe  en  tant  que  Dieu,  premièrement  et  dans  un 
sens  absolu,  du  Verbe  en  tant  qu'Homme-Dieu,  secon- 
dairement et  dans  un  sens  relatif.  En  tout  cas,  l'in- 
terprétation ne  tient  pas,  si  l'on  considère  l'ensemble 
des  textes,  et  non  pas  tels  ou  tels  en  particulier.  C'est 
au  Verbe  en  tant  qu'homme  qu'Hilaire  attribue  ces 
affections  :  pâli  passus  est,  vim  pœnœ  in  se  desœvientes 
excepit,  et  refuse  les  autres  :  non  tamen  dolorem  pas- 
sionis  injerrent;  et  virtus  corporis  sine  sensu  pœnœ  vim 
pœnœ  in  se  desœvientis  excepit.  Dans  ce  dernier  texte, 
l'expression  virtus  corporis  ne  doit  pas  s'entendre 
du  Verbe,  considéré  dans  sa  nature  divine,  comme 
saint  Thomas  le  faisait  déjà  remarquer,  loc.  cit.  :  Sed 
huic  non  consonant  verba  auctoritaiis,  quœ  jaciunl  men- 
iioncm  de  Chrisii  carne.  Vainement  fait-on  appel  aux 
passages  où  l'évêque  de  Poitiers  donne  au  Verbe 
divin  l'appellation  de  Virtus  ou  de  Virtus  œterna; 
ce  sont  là  des  appellations  notablement  différentes 
de  cette  autre  :  virtus  corporis,  prise  dans  le  contexte 
et  déterminée  d'ailleurs  par  divers  passages  du  même 
livre  :  At  vero  si  dominici  corporis  sola  ista  nalura  sit, 
ut  sua  virlute,  sua  anima  feralur  in  humidis;  cujus 
(corporis)  lantam  habuit  natura  virlutem;  quod  si  hœc 
in  Christi  corpore  virtus  fuit;  nempe  et  Allissimi  virtus 
virlutem  corporis,  quod  ex  conceptione  Spirilus  virgo 
gignebat,  admiscuit.  De  Trinitale,  X,  23,  27,  28,  44, 
col.  363,  367,  368,  378.  Il  s'agit  d'une  vertu  propre 


2447 


HILAIRE  (SAINT: 


2448 


à  la  nature  humaine  du  Christ  et  qu'elle  doit  à  sa 
conception  surnaturelle  et  à  son  union  personnelle  avec 
le  Verbe,  soit  qu'on  assimile  cette  vertu  à  une  force 
dont  le  Verbe  pouvait  user  ou  ne  pas  user,  à  son  gré, 
pour  protéger  sa  sainte  humanité  contre  la  souffrance 
et  la  douleur,  soit  qu'on  considère  cette  vertu  comme 
affectant  intrinsèquement  cette  humanité  en  la  ren- 
dant naturellement  incapable  des  mêmes  affections. 
D'ailleurs  dans  les  circonstances  où  le  docteur  gau- 
lois écrivait,  la  distinction  proposée,  entre  Jésus- 
Christ  comme  Dieu  et  Jésus-Christ  comme  homme, 
aurait  été,  on  l'a  déjà  vu,  inefficace,  puisque  les  ariens 
ne  niaient  pas  l'impassibilité  de  la  nature  divine, 
mais  niaient  l'existence  d'une  nature  divine  dans  la 
personne  de  Jésus-Christ. 

L'explication  des  différents  textes  et  la  solution 
des  antilogies  ne  peuvent  pas  s'obtenir  non  plus  par 
le  simple  rejet  d'une  douleur  qui  ne  serait  pas  volon- 
taire de  la  part  du  Sauveur;  car  Hilaire  n'écarte 
pas  moins  toute  souffrance,  toute  passion  physique 
qui  ne  serait  pas  volontaire,  et  cependant  quand  il 
oppose  patiet  dolere,  il  admet  l'un  et  écarte  l'autre. 
Il  semble  qu'il  faille  recourir  à  une  distinction  impli- 
citement contenue  dans  la  doctrine  du  saint  évêque 
et  condensée  pour  ainsi  dire  dans  cette  assertion  : 
Et  pro  nobis  dolel,  non  et  doloris  nostri  dolet  sensu.  Il  y 
eut  dans  l'Homme-Dieu  douleur  endurée  pour  nous, 
mais  sans  le  sentiment  qui  s'attache  à  notre  douleur. 
Pour  trouver  dans  Hilaire  lui-même  le  fondement  de 
cette  solution,  il  faut  revenir  au  passage  capital,  De 
Trinitate,  X,  14,  où  il  a  essayé  d'expliquer  philoso- 
phiquement la  genèse  de  la  douleur  en  nous  :  Cum 
igitur  compuncla  aul  effossa  corpora  dolent,  sensum 
doloris  transfusée  in  ea  animse  sensus  admittit.  Il  y  a 
donc  d'abord  douleur  physique,  organique,  qui  est 
douleur  du  corps  vivifié  par  l'âme  ;  c'est  ce  que  le  saint 
docteur  appelle  ailleurs  passio  avec  l'idée  annexe  de 
coup  reçu,  de  violence  exercée,  de  peine  infligée, 
impetus  passionis,  vis  pœnœ,  pœnale  ministerium. 
Ensuite  il  y  a,  par  répercussion  naturelle,  douleur 
dans  l'âme,  quand  celle-ci  est  faible,  douleur  inté- 
rieure qui  dit  réaction  contre  le  mal  physique  ou  la 
lésion  organique  et  accompagnée  de  malaise  et  de  tris- 
tesse ou  de  crainte,  suivant  que  le  mal  est  actuelle- 
ment subi  ou  appréhendé  comme  futur.  Quand  Hilaire 
parle  de  la  douleur  corporelle  et  qu'il  l'affirme  :  pro 
nobis  dolet,  et  dolet  ipse  quidem,  il  s'agit  de  la  douleur 
physique  ou  de  l'impression  pénible  qui  affecte  le 
corps  vivifié  par  l'âme,  quand  il  est  blessé,  percé, 
atteint  de  quelque  façon  dans  son  intégrité.  Quand, 
parlant  encore  de  la  douleur  corporelle,  le  saint  doc- 
teur écarte  de  Jésus-Christ  le  sensus  doloris  ou  le 
dolere  en  opposition  au  pati,  il  s'agit,  non  plus  de 
l'impression  pénible  qui  se  produit  dans  l'organe 
ou  le  corps  atteint,  mais  du  sentiment  de  la  douleur 
qui,  par  contre-coup,  serait  provoqué  dans  l'âme  de 
l'Homme-Dieu  en  y  produisant  les  mêmes  effets  qu'en 
nous.  Cette  seconde  acception,  spéciale  et  restreinte, 
des  mots  dolere,  sensus  doloris,  s'explique  par  l'état 
de  la  controverse:  dans  leur  attaque  les  ariens  partaient 
<Ic  l'existence  en  Notre-Seigneur  d'une  douleur  non 
purement  physique,  mais  surtout  morale,  comme  on 
l'a  vu  ci-dessus,  col.  2441. 

Pourquoi,  admettant  en  Jésus-Chrisl  la  douleur  phy- 
sique, saint  Hilaire  écarte-t-il  de  son  âme  le  sentiment 
de  la  douleur,  sentiment  qu'il  semble  même,  par  sa 
manière  de  parler,  identifier  avec  la  douleur  formelle 
et  qu'en  tout  cas  il  considère  comme  une  infirmité 
de  notre  nature, indigne  de  l'Homme-Dieu?  Peut-être 
faut-il  attribuer  cette  manière  de  parler  et  de  voir 
à  une  influence  philosophique.  Saint  Augustin  rap- 
porte, De  civitate  Dei,  XIV,  15,  P.  L.,  t.  xli,  col.  424, 
cette  définition  de  la  douleur,  empruntée  sans  doute 


aux  stoïciens  :  Dolor  carnis  tantummodo  ojfensio  est 
animse  ex  corpore,  et  queedam  ab  ejus  passione  dissensio; 
sicut  animée  dolor,  quee  tristilia  nuncupatur,  dissensio 
ab  his  quee  nobis  nolenlibus  accidunt.  Cette  notion 
supposée,  si,  par  hypothèse,  il  y  avait  passion  physique, 
impetus  passionis,  vis  pœnee,  sans  qu'il  y  eût,  de  la 
part  de  l'âme,  dissentiment  ni,  par  suite,  réaction, 
le  sentiment  de  la  douleur  ou  la  douleur  formelle 
n'existerait  plus,  à  proprement  parler.  Cette  hypo- 
thèse n'est-elle  pas  celle  d'Hilaire?  Comme  il  n'a 
jamais  dit  expressément  ce  qu'il  entend  par  le  sensus 
doloris,  cette  considération  reste  conjecturale;  mais 
elle  trouve  un  sérieux  point  d'appui  dans  le  fait 
qu'Hilaire  s'arrête  presque  toujours  à  l'aspect  moral, 
beaucoup  plus  qu'à  l'aspect  physique  de  la  douleur 
corporelle.  Aussi,  dans  le  procès  du  doctorat,  un 
défenseur  du  saint  évêque  jugea-t-il  opportun  de 
faire  le  rapprochement  suivant  :  «  Remarquez  d'abord 
que,  dans  l'opinion  des  anciens  philosophes,  la  con- 
stance du  sage  ne  peut  être  atteinte  par  aucune  peine, 
par  aucune  douleur;  leur  opinion  a  été  traduite  en 
formules  qui  semblent  exprimer  que  le  sage  ne  sent 
ni  fatigue,  ni  douleur.  Est  invulnérable,  dit  Sénèque, 
non  ce  qui  n'est  pas  frappé,  mais  ce  qui  n'est  pas 
blessé.  Peu  importe  au  sage  que  des  traits  lui  soient 
lancés,  puisqu'il  n'est  pénétrable  à  aucun  d'eux...  Or, 
saint  Hilaire  s'est  servi  des  mêmes  images  pour  ex- 
primer la  vertu  du  Christ  :  «  Les  coups  dont  il  fut 
«  frappé,  les  blessures  dont  il  fut  déchiré,  les  meur- 
«  trissures  du  crucifiement  eurent  l'impétuosité  de  la 
«  souffrance,  sans  en  avoir  la  douleur,  de  même  que 
«  le  trait  qui  traverse  l'eau,  le  feu  ou  qui  frappe  l'air, 
«  ne  peut  y  produire  son  effet  naturel.  »  Je  ne  nie  pas, 
ajoute  Sénèque,  que  le  sage  souffre;  nous  ne  voulons 
pas  dire  qu'il  ait  la  dureté  de  la  pierre,  car  il  n'y  aurait 
pas  de  vertu  à  supporter  ce  qu'on  ne  sent  pas;  mais 
les  traits  qu'il  reçoit,  il  les  émousse,  il  les  guérit,  il  les 
comprime.  Saint  Hilaire  dit  également  «  que  la  chair 
«  assumée,  l'homme  tout  entier  est  livré  aux  souffrances 
«  naturelles,  non  toutefois  de  sorte  à  être  accablé  par 
«  elles.  »  Ainsi,  d'après  saint  Hilaire,  le  Christ  a  reçu 
l'impétuosité  de  la  souffrance,  sans  le  sentiment  de 
cette  souffrance,  de  la  même  manière  que  Sénèque 
a  dit  que  le  sage,  inaccessible  à  la  douleur,  debout  et 
sans  trouble,  maître  de  soi-même,  demeure  dans  une 
haute  placidité.  »  Correspondance  de  Rome,  4e  année 
(1851),  t.  i,  p.  236. 

Entendue  de  la  sorte,  la  doctrine  de  l'évêque  de 
Poitiers  ne  se  rapproche  pas,  autant  que  l'ont  pré- 
tendu les  partisans  de  la  première  opinion,  du  docé- 
tisme  ou  de  l'aphthartodocétisme,  puisque  Hilaire  ad- 
mettait et  défendait,  non  seulement  la  réalité  de  la 
nature  humaine  dans  l'Homme-Dieu,  mais  encore 
l'existence  en  lui  de  la  souffrance  et  même,  d'après 
l'explication  proposée,  de  la  douleur  physique.  Est-ce 
à  dire  que  cette  doctrine  est  de  tout  point  recevable? 
Nullement.  L'auteur  du  De  Trinitate  s'est  fait  une 
idée  trop  abstraite  de  la  perfection  propre  à  l'huma- 
nité du  Sauveur;  il  a  considéré  trop  exclusivement 
la  dignité  de  l'union  hypostatique  et  n'a  pas  tenu 
suffisamment  compte  de  l'état  d'infirmité  physique 
auquel,  par  condescendance  et  pour  nous  racheter, 
le  nouvel  Adam  a  voulu  se  soumettre.  Aussi  s'est-il 
trompé  quand  il  a  écarté  de  Jésus-Christ  toute  crainte 
et  toute  tristesse  qui  aurait  eu  pour  objet  ses  propres 
maux,  ses  souffrances  et  sa  mort  ;  de  même,  quand  il 
a  repoussé,  comme  une  infirmité  indigne  de  l'Homme- 
Dieu,  tout  sentiment  de  douleur  morale  que  la  dou- 
leur physique  ou  matérielle  aurait  provoquée.  De 
là  des  interprétations  forcées  et  inadmissibles  de 
certains  textes  scripturaires,  tels  que  Matth.,  xxvi, 
38  sq.  L'erreur,  d'ordre  secondaire  et  portant  sur  un 
point  qui  n'avait  pas  encore  été  suffisamment  éclairci, 


2449 


HILAIRE    fSAINT 


2450 


trouve  son  excuse  dans  les  circonstances  de  temps  et 
de  lieu  où  l'auteur  écrivit. 

v.  grâce  et  péché.  — -  La  doctrine  de  saint  Hilaire 
sur  la  grâce  est  intimement  liée  à  sa  doctrine  sur  le 
péché.  Comme  les  écrivains  sacrés,  il  a  coutume  d'en- 
visager l'homme  tel  qu  il  est  maintenant,  dans  l'état 
de  nature  déchue,  exilé  de  cette  bienheureuse  «  Sion,  où 
l'on  vit  sans  convoitise,  sans  douleur,  sans  crainte, 
sans  péché.  »  In  ps.  cxxxvi,5,  col.  779.  L'origine  de 
cette  déchéance  est  dans  le  péché  du  premier  père, 
qui  s'étend  à  tous  ses  descendants  :  In  unius  Adee 
errore  omne  hominum  genus  aberravit.  In  Matth., 
xvni,  6,  col.  1020.  En  s'avouant  conçu  dans  l'iniquité, 
le  prophète  royal  associe  manifestement  à  sa  propre 
naissance  l'idée  de  péché  :  Scil  sub  peccati  origine... 
se  esse  nalum.  In  ps.cxvm,  litt.  xxn,6,  col.641.  De  là 
cette  loi  d'infirmité  et  dépêché  qui  demeure  en  nous, 
même  après  le  baptême  :  manente  in  nobis  eliam  se- 
cundum  apostolum  et  origine  et  lege  peccati.  Inps.  lviii '.. 
4  ;  cxviii,  litt.  xv,  col.  375,  601  sq.  Concupiscence 
pour  le  corps,  ignorance  pour  l'âme,  tels  en  sont  les 
effets  généraux  qui,  sans  être  eux-mêmes  péché  pro- 
prement dit,  nous  portent  cependant  au  péché,  In 
Matth.,  ix,  23,  col.  976  ;  In  ps.  cxviii,  litt.  i,  8,  col. 
507:  ipsa  Ma  vitiorum  nostrorum  incentiva;  litt.  iv, 
8,  col.  530  :  qua  (lenlatione)  tanquam  per  viam  ad  pec- 
catum  itur.  Aussi  ni  la  bonté  parfaite,  qui  fut  l'apa- 
nage du  premier  homme  en  son  état  premier,  ni  la 
pleine  observation  des  commamiements  ne  se  ren- 
contrent maintenant  en  personne  ici-bas.  In  ps./,//,  11; 
cxviii,  litt.  m,  6,  col.  329,  520. 

A  cette  infirmité  de  notre  nature  déchue  se  rattache 
le  rôle  médicinal  de  la  grâce.  Sans  employer  le  mot, 
Hilaire  suppose  la  chose,  quand  il  proclame  la  néces- 
sité de  la  prière  et  du  secours  divin  qu'elle  implore 
pour  surmonter  les  tentations  qui  viennent  de  la 
chair,  du  monde  et  du  démon,  ou,  d'une  façon  géné- 
rale, pour  accomplir,  et  même  connaître  nos  devoirs. 
In  ps.  lxiii,  6;  CXVIII,  litt.  i,  12;  litt.  x,  17,  18;  litt. 
xv,6;  cxxxvni,  15,  col.  409,  509,  569,601  sq.,  790.  Il 
n'affirme  pas  en  termes  moins  illimités  ni  moins  nets 
le  rapport  de  dépendance  intime  et  absolue  que 
l'homme  conserve  en  tout  vis-à-vis  de  Dieu  :  si  non 
in  omnibus  opus  est  Dei  misericordia,  etiam  omnia 
nobis tanquamex nostro  sintvindicemus,  In  ps.  CXXIII,  2, 
col.  675.  Affirmation  qui  semble  dépasser  déjà  l'idée 
d'un  secours  purement  médicinal;  en  tout  cas,  c'est 
une  grâce  d'une  vertu  supérieure,  élevant  les  facultés 
ou  sanctifiant  l'âme,  que  l'évêque  de  Poitiers  suppose 
en  maint  endroit,  par  exemple,  quand  il  considère  le 
secours  divin  comme  nécessaire  à  l'intelligence  et  à  la 
volonté  en  vue  des  actes  que  les  adultes  doivent  pro- 
duire pour  mériter  la  vie  éternelle.  In  ps.  cxviii,  litt.  i, 
12-15;  litt.  x,  15,  col.  509  sq.,  569  sq.;  ou,  quand  il 
montre  Dieu  convertissant  miséricordieusement  le 
pécheur  «  et  lui  rendant  le  principe  de  nouveaux 
biens  »,  In  ps.  cxxv,  8,  col.  689  ;  ou,  quand  il  associe 
à  l'idée  de  la  justification  et  du  baptême  celle  de 
régénération  ou  de  rénovation  intérieure,  de  robe 
nuptiale,  de  temple  divin  orné  de  sainteté,  In  Matth., 
ix,  24,  col.  976  :  cum  ergo  innovamur  baptismi  lavacro  ; 
xxn,  7,  col.  1044  :  vestitus  autem  nuplialis  est  gloria 
Spiritus  Sancti;  In  ps.  lxiv,Q,  col.  416:  ornandum  hoc 
Dei  iemplum  est  sanctitate  atque  justifia;  CXVIII,  litt. 
m,  16,  col.  525  :  regenerationis  gratiam. 

Hilaire  n'affirme  pas  seulement  la  nécessité  de  la 
grâce,  il  en  affirme  aussi  la  gratuité,  par  opposition 
aux  œuvres  de  la  loi  et  de  la  nature  :  Si  justifia  juisset 
ex  lege,  venia  per  gratiam  necessaria  non  fuisset.  In 
Matth.,  ix,  2,  col.  963.  Le  salut  nous  vient  de  la  mi- 
séricorde divine;  gratuit  pour  tous  est  le  don  de  la 
foi,  gratuit  le  don  de  la  justification  et  de  la  rémis- 
sion des  péchés  :  Salus  nostra  ex  misericordia  Dei  est; 


gratuilam  gratiam  Deus  omnibus  ex  fidei  justifications 
donavil;   dono    gratise,    vilee   anlerioris    crimina  omit- 
tuntur.  In  ps.  cxviii,  litt.  vi,  2,  col.  543;  In  Matth., 
xx,  7;  xxi,  6,  col.  543,  1030,  1043.  La  foi   est  essen- 
|    tiellement  à  la  base  de  la  justification  :  fides  enim  sola 
justifleat.  In  Matth.,  vin,  6,  col.  961.  Elle  est   égale- 
ment à  la  base  de  tout  acte  méritoire,  en   sorte  que, 
sans  elle,  rien  ne  peut  avoir  de  valeur  pour  le  salut. 
In  ps.  xiv,  8;  lxiv,  3;  cxxxvi,  12,  col.  304,  414,  783. 
Si  grande  même,  au  jugement  du  saint  docteur,   est 
l'excellence  de  la  foi  (considérée  sans    doute  comme 
vertu)  que  jamais  elle  ne  cessera,  pas  plus  que  l'espé- 
rance, à  plus  forte  raison,  la  charité.  Fragm.   hist.,  r, 
1,  col.  627.  Néanmoins  la  foi  seule  ne  suffit  point,  ni 
la  prière  seule,  In  ps.  cxviii,  prolog., 4  ;  cxxxm,  5,  col. 
502,  751  sq.  ;  à  l'une  et  à  l'autre,  il  faut  joindre   les 
bonnes  œuvres,  comme  un  aliment  qui  entretient   la 
vie  de  l'âme  :  habemus  hic  cibum  spiritualem,  animam 
nostram  in  vitam   alentem,  bona  scilicet  opéra.  In  ps. 
cxxvin,  6,  col.  706.  Il  y  a  même  une  certaine  con- 
nexion entre  la  pratique  des  bonnes  œuvres  et  la  con- 
naissance de  la  doctrine  :  nisi  fidelium  operum  usus 
prœcesserit,doctrinœ  cognitio  non  apprehendetur.  In  ps. 
cxviii, litt.  ii,  10,  col.  516.  Appuyées  sur  la  grâce  et 
la  foi  du  Christ,  les  bonnes  œuvres  deviennent  mé- 
ritoires et,  sous  les  conditions  requises,  donnent  droit 
à  la  récompense  promise  :  nos  vero  salutem  tanquam 
debitum  postulamus;  pactum  denarium   tanquam  de- 
bitum  postulat.  In  ps.  cxviii,  litt.  xix,  3  ;  cxxx,  1 1 ,  col. 
626,  725.  Hilaire  semble  même   concevoir  l'élection 
des  hommes  à  la  gloire  comme  dépendante  des  mérites 
prévus  :   Non  res  indiscreli  judicii  electio  est,  sed  ex 
merili  deleclu  facta  discrelio  est.  In  ps.  LXIV,  5,  col.  415. 
Don  de  la  bienveillance  divine,  la  grâce  n'en  est 
pas  moins  destinée  à  tous  par  celui  qui  est  venu  ici- 
bas  pour  tous  et  qui,  ayant  soin  du  genre  humain, 
n'a   pas   cessé    d'appeler,    en  tous   temps,  tous   les 
hommes  à  l'observation  de  la  loi.  In  Matlh.,  ix,  2  ; 
xx,  5,  col.  962,  1029.  La   voie  du  salut  est  ouverte 
à  tous  :    omnibus  enim  palet  aditus  ad  salutem.   De 
mysteriis,  14,  édit.  Gamurrini,   p.    15.    De  lui-même, 
Dieu  ne  repousse  ni  ne  rejetle  personne;  seules  notre 
résistance  et  notre  négligence  peuvent  mettre  obstacle 
à  ses  dons.  Adam,  repentant,  a  été  pardonné  et  glo- 
rifié dans  le  Christ.  In  ps.  cxviii,  litt.  n, 3;  exix,  4, 
col.   512,   468.    L'existence   du   libre   arbitre   ressort 
manifestement  de  toute  cette  doctrine.  Hilaire  accen- 
tue   fortement    cette   vérité,    qu'il   s'agisse    d'Adam 
déchu  et  de  ses  descendants.  In  ps.//,  16;  cxF///,litt. 
xxn,  4,  col.  270,  641.  Aussi  l'homme  qui  pèche  est-il 
toujours  responsable  et  inexcusable.    In  pu.  cxl,  6, 10, 
col.  827,  830.  Si  Dieu  connaît  d'avance  l'usage  que 
nous  ferons  de  notre  liberté,  ceci  témoigne  de  la  per- 
fection de  sa  science,  et  non  pas  d'une  loi  de  néces- 
sité qui  s'imposerait  au  pécheur  et  le  porterait  irré- 
sistiblement au  mal  :   ipso  potius  hoc  sciente,  quam 
aliquo    ad    necessitalem    genilo    naturamque    peccati. 
In  ps.  lvii,  3,  col.  269. 

Cette  vive  préoccupation  de  sauvegarder  le  mérite 
et  la  liberté  n'aurait-elle  pas  mené  trop  loin  le  doc- 
teur gaulois  ?  L'accusation  a  été  formulée,  même 
par  des  catholiques,  comme  dom  Ceillier,  op.  cit.,  t.  iv, 
p.  72  :  «  On  trouve  sur  cette  matière  plusieurs  propo- 
sitions, en  différents  endroits  de  ses  ouvrages,  qui 
font  de  la  peine  et  qui  ne  paraissent  pas  s'accorder 
avec  la  doctrine  de  saint  Augustin,  qui  est  celle  de 
l'Église.  »  Abstraction  faite  des  propositions  qui, 
lues  dans  le  contexte,  sont  irrépréhensibles,  et  d'au- 
tres qui  ne  peuvent  être  sérieusement  incriminées 
que  sous  l'influence  de  préjugés  d'école,  celles-là 
méritent  d'être  signalées,  où  le  commencement  de 
l'acte  salutaire  et  la  volonté  de  croire  paraissent  ré- 
servés à  l'homme,  la  part  de  Dieu  venant    après:  Est 


2451 


HILAIRE  (SAINT 


2452 


ergo  a  nobis  cum  oramus,  exordium,  ut  munus  ab  eo 
s/7...  Est  quidcm  in  fuie  manendi  a  Deo  munus,  sed 
incipiendi  a  nobis  origo  est.  Et  voluntas  nosùa  hoc 
proprium  ex  se  habere  débet,  ut  velil;  Deus  incipienli 
incrementum  dabit...  Divinœ  misericordiœ  est,  ut  vo- 
lentes  adjuvet,  incipientes  confirmet,  adeuntes  recipiat; 
ex  nobis  autcminilium  est,utilleperftciat,Inps.cxvill, 
litt.  v,  12;  litt.  xiv,  20;  litt.  xv,  10,  col.  538  sq.,598, 
610.  Ces  phrases  ne  rendent-elles  pas  un  son  semi- 
pélagien  ?  Elles  le  rendraient  si,  en  affirmant  que  le 
commencement  de  l'acte  salutaire  ou  la  volonté  de 
croire  vient  de  nous,  le  saint  docteur  entendait  parler 
d'une  volonté  ou  d'une  action  indépendante  de  toute 
grâce,  même  prévenante.  Mais  sa  doctrine  générale 
ne  permet  pas  de  faire  cette  supposition,  et  il  suffit 
d'ailleurs  de  considérer  attentivement  le  contexte  de 
ces  phrases,  qui  visent  une  objection  fataliste,  païenne 
ou  manichéenne,  pour  se  îendre  compte  qu'Hilaire 
songe  uniquement  à  sauvegarder  le  caractère  de  li- 
berté et,  dans  un  certain  sens,  d'initiative  personnelle 
qui  revient  à  l'homme  dans  l'acte  de  foi,  comme  dans 
la  prière  et  toute  autre  action  méritoire.  C'est  dans 
le  même  sens  que,  parlant  ailleurs  de  la  bienheu- 
reuse éternité,  inaccessible  pourtant,  d'après  sa  propre 
doctrine,  aux  mérites  de  la  loi  et  de  la  nature,  il  dit  : 
De  noslro  igitur  est  beala  Ma  seternitas  promerenda, 
prœstandumque  est  aliquid  ex  proprio  ut  bonum  veli- 
mus,  malum  omne  vitemus,  totoque  affectu  prœceplis 
cœlestibus  obtemperemus.  In  Matth.,  vi,  5,  col.  953. 
C'est  dans  le  même  sens  encore  que,  parlant  de  ceux 
qui  devaient  croire  au  Fils,  le  saint  évêque  n'admet 
pas  qu'ils  aient  reçu  de  celui-ci  la  volonté,  entendant 
manifestement  par  là  une  volonté  de  croire  qui  serait 
comme  implantée  de  toute  pièce  en  eux,  ne  laissant 
pas  de  placé  à  ce  que  l'idée  même  de  mérite  suppose 
d'initiative  personnelle  :  quœ  (voluntas),  si  data  esset, 
non  haberet  fldes  prœmium,  cum  fidem  nobis  nécessitas 
affixœ  voluntalis  intcrret.  De  Trinilate,  VIII,  12,  col. 
244.  Voir  Coustant,  Prœf.  gen..  §  9,  n.  261-262, 
col.  123  sq.  ;  Noël  Alexandre,  Hist.  eccl.,  t.  v,  diss. 
XXII,  p.  372. 

VI.  sacrements,  église.  —  L'œuvre  de  la  sanctifi- 
cation des  âmes  s'opère  par  les  sacrements  de  l'Église  : 
sanclificalas  sacramenlis  Ecclesiœ  animas.  In  ps.  CXXXI, 
23,  col.  741.  Hilaire  n'explique  pas,  il  est  vrai,  ce 
qu'il  entend  ici  par  ce  terme  de  sacrements  ;  mais  nous 
rencontrons  dans  ses  écrits  plusieurs  des  rites  carac- 
téristiques de  la  vie  chrétienne,  auxquels  ce  terme 
s'applique  depuis  longtemps  dans  un  sens  spécial  et 
réservé. 

1°  Baptême.  —  A  la  base  de  l'édifice,  comme  «  pre- 
mier degré  dans  la  voie  du  salut  »,  vient  le  «  sacre- 
ment du  baptême,  de  la  nouvelle  naissance,  de  la 
régénération  »,  où,  grâce  à  la  vertu  de  la  parole, 
Matth.,  xxvn,  19,  et  de  l'eau  que  le  Sauveur  a  consa- 
crée par  son  propre  baptême,  nous  sommes  lavés  de 
nos  péchés,  héréditaires  ou  personnels,  dépouillés 
du  vieil  homme,  renouvelés  en  Jésus-Christ  et  faits 
enfants  adoptifs  de  Dieu.  Inslruciio  psalm,.  n  ;  In  ps. 
LXUI,  7, 11;  lxv,  1,  col.  239,  410,  412,  428  ;  In  Matth., 
ix,  24,  col.  976;  De  Trinitale,  VI,  44;  De  njn.,  85, 
col.  193,  538.  Un  est  le  baptême,  comme  est  une  la 
foi  du  Christ,  sans  laquelle  il  n'y  a  ni  régénération, 
ni  baptême.  Ad  Constant,  n,  6,  col.  567.  Cependant 
le  baptême  d'eau  ne  nous  élève  pas  à  un  tel  degré  de 
pureté,  qu'il  n'y  ait  plus  lieu  à  des  compli  ments  ou 
perfectionnements  ultérieurs,  soit  par  la  descente  du 
Saint-Esprit,  soit  par  l'épreuve  du  feu  après  la  mort, 
soit  par  la  mort  elle-même  ou  par  le  martyre  sanglant. 
In  ps.  cxvill,  litt.  ni,  5,  col.  519. 

2°  Confirmation.  —  Que  peut  signifier,  dans  ce  der- 
nier texte,  cette  descente  du  Saint-Esprit  jointe  à 
une  sanctification  qui  perfectionne  l'œuvre  du  bap- 


tême ?  La  réponse  parait  donnée  par  Hilaire  dans 
son  commentaire  sur  saint  Matthieu,  alors  que,  traitant 
du  baptême  de  Notre-Seigneur  sur  les  bords  du  Jour- 
dain, il  montre  dans  la  descente  visible  de  l'Esprit 
sous  forme  de  colombe  le  symbole  visible  de  ce  qui 
s'opère  en  ceux  qui  reçoivent  le  baptême  chrétien  : 
ut  ex  eis  quœ  consummabantur  in  Christo,  cognosce- 
remus,  post  aquœ  lavacrum,  et  de  cœlestibus  portis 
Sanctum  in  nos  Spiritum  involare,  et  cœlestis  nos  unc- 
tione  perfundi.  In  Matth.,  n,  6,  col.  927.  Or,  dans  le 
même  commentaire,  iv,  27,  col.  927,  cette  descente 
du  Saint-Esprit,  qui  vient  après  le  baptême,  se  trouve 
comprise  avec  le  baptême  lui-même  sous  le  terme  de 
sacrement,  mais  emplo\  é  au  pluriel  :  in  baptismi  et 
Spiritus  sacramentis.  Les  deux  choses  équivalent  pour 
le  chrétien  à  ce  que  furent  pour  les  apôtres  le  baptême 
d'eau  et  la  descente  du  Saint-Esprit,  au  jour  de  la 
Pentecôte,  sous  forme  de  langues  de  feu  :  sacramento 
aquœ  ignisque  perfecti.  In  Matth.,  n,  10,  col.  934  sq. 
Le  «  sacrement  de  l'Esprit  »  revient  donc,  en  sub- 
stance, à  notre  sacrement  de  confirmation.  Peut-être 
y  aurait-il  encore  une  allusion  au  même  rite  dans 
ces  lignes,  écrites  à  propos  de  l'imposition  des  mains 
faite  par  Jésus  sur  la  tête  des  enfants  :  Munus  enim 
et  donum  Spiritus  Sancti  per  impositioivm  manus  et 
precatienem,  cessante  legis  opère,  erat  gentibus  largien- 
dum.  In  Matth.,  xix,  3,  col.  1024.  Voir  Coustant, 
notes  sur  ces  divers  passages. 

3°  Eucharistie.  —  Nombreux  sont  les  passages  où 
l'évêque  de  Poitiers  mentionne  la  sainte  eucharistie  : 
sacramenlum  sancti  cibi,  sacramenlum  potus  cœlestis, 
In  Matth.,  ix,  3,  col.  963;  sacramenlum  communicalœ 
carnis  et  sanguinis,  De  Trinitate,  VIII,  15,  col.  247; 
divinœ  communionis  sacramentum.  In  ps.  lxviii,  17, 
col.  480.  Parlant  de  saintes  hosties  profanées  par  des 
hérétiques,  il  lance  cette  exclamation  indignée  :  In 
ipsum  Chrislum  manus  missœl  Contra  Constant,  II, 
col.  585.  Quand  Notre-Seigneur  consacra  son  corps 
et  son  sang,  Judas  avait  quitté  le  cénacle,  indigne 
qu'il  était  de  participer  au  divin  mystère.  In  Matth., 
xxx,  2,  col.  1065.  Déjà  nettes  en  elles-mêmes,  ces 
expressions  tirent  une  portée  plus  grande  encore  du 
célèbre  passage,  De  Trinitate,  VIII,  13-17,  col.  245  sq., 
où,  voulant  établir  que  l'union  des  fidèles  entre  eux 
n'est  pas  une  simple  union  morale  ou  des  volontés, 
mais  qu'elle  repose  sur  un  fondement  réel  et  physique, 
le  docteur  gaulois  fait  appel  au  corps  et  au  sang  de 
Jésus-Christ,  envisagé  comme  lien  ou  principe  d'unité 
entre  les  fidèles  :  Si  enim  vere  Verbum  caro  factum 
est,  et  vere  nos  Verbum  carnem  cibo  dominico  sumimus, 
quomodo  non  naturaliler  manere  in  nobis  existimandus 
est,  qui  et  naturam  carnis  nostrœ  jam  inseparabilem 
sibi  homo  natus  assumpsit,  et  naturam  carnis  suœ  ad 
naluram  œlernitatis  sub  sacramento  nobis  communicandœ 
carnis  admiscuit?  lia  enim  omnes  unum  sumus,  quia 
et  in  Christo  Paler  est,  et  Christus  in  nobis  est  Rappe- 
lant ensuite  les  paroles  du  Sauveur,  Joa.,  vi,  56  sq.  : 
«  Ma  chair  est  vraiment  une  nourriture,  et  mon  sang 
est  vraiment  un  breuvage.  Celui  qui  mange  ma  chair 
et  boit  mon  sang  demeure  en  moi  et  moi  en  lui  »,  il 
conclut  :  De  veritate  carnis  et  sanguinis  non  relictus 
est  ambigendi  locus.  Nunc  enim  et  ipsius  Domini  pro- 
fessione,  et  fuie  nostra  vere  caro  est,  et  vere  sanguis  est 
El  hœc  accepta  atque  hausta  id  efficiunt,  ut  et  nos  in 
Christo,  et  Christus  in  nobis  sii.  Anne  hoc  veritas  non 
est  ?  Affirmations  vigoureuses,  dont  les  champions  de 
la  vérité  catholique  ont  su  tirer  parti  contre  les  enne- 
mis de  la  présence  réelle;  par  exemple,  au  xne  siècle, 
contre  Bérenger,  Guitmond,  archevêque  d'Aversa, 
De  corporis  et  sanguinis  Christi  veritate  in  eucharistia, 
1.  III,  P.  L.,  t.  cxlix,  col.  1474  sq.  ;  au  xvie  et  au  xvne 
siècle,  contre  les  novateurs,  les  cardinaux  Bellarmin, 
De  sacramento  eucharisliœ,  1.  II,  c.  xn,  et  Du  Perron, 


2453 


HILAIRE    (SAINT 


2454 


Traité  du  saint  sacrement  de  l'eucharistie,  1.  II,  c.  xi, 
Paris,  1622,  p.  263  sq. 

A  la  nature  de  l'eucharistie  répond  le  merveilleux 
effet,  qui  est  lui  propre,  de  nous  préparer  à  l'union 
parfaite  avec  Dieu  au  ciel,  en  nous  faisant  vivre  dès 
ici-bas  d'une  vie  divine,  dont  Jésus-Christ  lui-même 
est  directement  le  principe  :  cibus,  in  quo  ad  Dei  con- 
sortium prœparamur  per  communionem  sancti  cor- 
poris;  cujus  hsec  virtus  est,  ut  ipse  vivens  eos  qui  se 
accipiant  vivificet.  In  ps.  lxiv,  14  ;  cxxvn,  10,  col.  421, 
709.  Aussi  rien  ne  s'oppose  à  ce  qu'Hilaire  soit  réelle- 
ment l'auteur  d'une  phrase  relative  à  la  communion 
quotidienne,  qui  lui  est  attribuée  par  les  Pères  du 
VIe  concile  de  Tolède,  c.  x,  P.  L.,  t.  x,  col.  725  :  Quid 
enim  tam  vult  Deus,  ut  quotidie  Christus  habitet  in 
nobis,  qui  est  panis  vitse  et  panis  e  cœlo?  et  quia  quoti- 
diana  oratio  est,  quotidie  quoque  ut  dctur,  oralur. 

Sacrement,  l'eucharistie  est  aussi  sacrifice.  Les  do- 
cuments historiques  conservés  dans  YOpus  historicum 
nous  montrent  rapprochées  et  associées  les  idées  d'autel 
et  de  sacrifice,  de  prêtres  consacrant  et  portant  sus- 
pendu au  cou  le  corps  du  Seigneur,  et  ce  saint  corps 
désigné  lui-même,  par  métonymie,  sous  l'appellation 
de  sacrifice  :  disturbati  altaris  in  ipso  sacrificiorum 
tempore;  consecratum  Domini  corpus  ad  sacerdolum 
colla  suspensum  ;  saa  ifium  a  s:mclis  et  integris  sa- 
ccrdotibus  confeclum.  Fragm.,  Il,  66;  ni,  9,  col.  643, 
665.  Dans  ses  propres  écrits,  Hilaire  associe  égale- 
ment les  idées  de  prêtre  et  d'autel  :  protraxtrunt  de 
allario  sacerdoles,  Contra  Constant.,  II,  col.  589;  il 
parle  de  la  table  des  sacrifices,  d'après  saint  Paul, 
I  Cor.,  x,  21,  du  sacrifice  d'action  de  grâces  et  de  lou- 
ange qui  a  remplacé  l'obi  ition  sanglante  des  anciennes 
victimes,  et  de  l'immolation,  dans  la  nouvelle  loi,  de 
l'Agneau  au  sang  rédempteur.  In  pu  LXIII,  19,  26; 
ex  vin,  litt.  xvin,  8,  col.  482,  486,  624.  Enfin,  à  propos 
des  paroles  prophétiques  de  Jacob,  Gen.,  xxvn,  27  : 
Ecce  odor  filii  mei,  sicut  odor  agri  pleni  quem  benedixit 
Deus,  il  remarque  que  les  biens  spirituels  dont  nous 
jouissons  maintenant,  en  particulier  le  grand  sacre- 
ment de  l'unité  et  de  l'espérance  chrétienne,  ont  été 
jadis  manifestés  à  l'aide  de  noms  empruntés  à  des 
choses  corporelles  et  communes,  puis  il  ajoute  ces 
mots  qui  semblent  une  allusion  à  quelque  reste  de 
la  discipline  du  secret  :  quod  scientes  intelligent,  In  ps. 
cxxi,  12,  col.  666  ;  à  rapprocher  d'une  allusion  au 
néophyte  dont  l'instruction  spirituelle  n'est  pas 
encore  achevée  :  nondum  tamen  formatas  fidei,  non- 
dum  doctrinis  spiritualibus  eruditum.  In  ps.  lxiii,  7, 
col.  410. 

4°  Autres  sacrements.  —  Us  ne  sont  ras  mentionnés 
dans  les  écrits  de  l'évêque  de  Poitiers  sous  la  déno- 
mination de  sacrements;  mais,  pour  plusieurs,  les 
éléments    essentiels   s'y   trouvent   implicitement. 

1 .  Pénitence.  —  Ainsi  en  est-il  pour  la  pénitence  ;  car 
le  pouvoir  de  lier  et  de  délier,  donné  aux  apôtres, 
Matth.,  xvin,  18,  est  entendu  du  pouvoir  de  remettre 
et  de  retenir  les  péchés,  de  telle  sorte  qu'en  cas  de 
rémission,  il  y  ait  sentence  de  pardon  ratifiée  au  ciel  : 
ut  quos  in  terris  ligaverint,  id  est,  peccalorum  nodis 
innexos  reliquerint,  et  quos  solverint,  confessione  vide- 
licel  veniœ  receperint  in  salutem,  hi  apostolicœ  senten- 
tise  in  cselis  quoque  aut  soluti  sint  evit  ligati.  In  Matth., 
xvin,  8,  col.  1021.  La  confession  des  péchés  apparaît 
fréquemment  dans  le  commentaire  sur  les  Psaumes, 
comme  moyen  d'obtenir  le  pardon  :  confitendum  est 
crimen,  ut  obtinealur  et  venia;  ubi  peccati  confessio 
est,  ibi  et  justifleatio  a  Deo  est,  In  p".  cxrin,  litt.  ni,  19  ; 
cxxv,  10,  col.  526,  690  ;  mais  la  généralité  du  mot 
et  parfois  le  contexte  même  ne  permettent  pas 
de  songer  à  la  confession  sacramentelle  ;  tout  au 
plus  pourrait-il  y  avoir  une  allusion  voilée  à  la 
pratique   chrétienne   dans    des   textes  comme   celui- 


|  ci  :  Nihil  occullum,  nihil  clausum,  nihil  obligalum 
sub  Dei  confessione  in  corde  relinendum  est.  In  ps.  LXI, 
6,  col.  398. 

2.  Ordre.  —  Saint  Hilaire  enseigne  le  pouvoir  d'ordre 
conféré  aux  apôtres  et  aux  prêtres  du  Nouveau  Tes- 
tament :  pouvoir  de  consacrer  et  d'administrer  le 
pain  céleste,  In  Matth.,  xiv,  10,  col.  1000  ;  pouvoir 
de  poser,  comme  seuls  ministres  légitimes,  l'acte  au 
sacrifice,  sacrificii  opus  sine  presbytero  esse  non  po- 
tuit,  Fragm.,  n,  16,  col.  643  ;  d'une  façon  plus  géné- 
rale, pouvoir  d'exercer  le  ministère  divin  de  la  justi- 
fication. In  ps.  cxxxriil,  34,  col.  810.  Ce  pouvoir  se 
transmet  par  une  ordination  en  règle,  réservée  à  l'é- 
vêque et  accompagnée  d'une  effusion  de  l'Esprit- 
Saint,  De  syn.,  91,  col.  544  :  ordinati  enim  ab  his  sumus  ; 
Contra  Constant.,  27,  col.  602  :  a  quo  sacerdotium 
sumpsit;  In  ps.  LXVII,  12,  col.  451  ;  Sancloque  Spiritu 
irrigali.  Autant  d'allusions  au  rite  sacramentel,  sans 
que  ce  rite  soit  jamais  décrit  ni  même  énoncé  d'une 
façon  déterminée. 

3.  Mariage.  —  Il  n'est  question  du  mariage  qu'in- 
cidemment. Avec  saint  Paul,  Hilaire  y  voit  un  état 
bon  et  licite,  quoique  inférieur  en  mérite  à  l'état  de 
virginité  et  de  sainte  viduité.  In  ps.  cxviii,  litt.  xiv,  4  ; 
cxxrn,  7,  felix  Ma  et  beata  virginitas;  cxxxi,  24, 
quanta  viduarum  dignitas...,  col.  596,  707,  742.  Dans 
le  commentaire  sur  saint  Matthieu,  les  paroles  de- 
Notre-Seigneur,  rapportées  par  cet  évangéliste,  v,  32  : 
Qui  dimiscrit  uxorem  suam,  excepta  fornicalionis  causa, 
facit  eam  meechari,  sont  interprétées  en  ces  termes  : 
nullam  aliam  causam  desinendi  a  conjugio  prœscribens, 
quam  quse  virum  prostiluix  uxoris  societate  pollueret. 
In  Matth.,  v,  22,  col.  940.  Est-ce  à  dire  que,  dans  ce 
cas,  la  dissolution  du  mariage  est  absolue,  y  compris 
le  lien  même?  Beaucoup  ont  entendu  en  ce  sens  l'as- 
sertion du  saint  docteur,  mais  en  dépassant,  semble- 
t-il,  la  portée  certaine  des  termes  employés,  desinendi 
a  conjugio;  il  peut  s'agir,  non  pas  de  l'union  consi- 
dérée en  droit  ou  du  lien,  mais  de  l'union  considérée 
en  fait,  et  cessant  sans  préjudice  du  lien,  par  la  sépa- 
ration complète  et  perpétuelle  des  conjoints.  Cous- 
tant,  note  sur  ce  passage  ;  Noël  Alexandre,  Hisl. 
eccl.,  t.  iv,  p.  138. 

5°  Église.  —  Au-dessus  des  sacrements,  dont  elle 
est  la  dépositaire  et  la  dispensatrice,  apparaît  l'Église, 
société  des  fidèles  intimement  unis,  concordem  fide- 
lium  ccelum,  In  ps.  cxxxi,  23,  col.  741,  «  fondée  par 
Notre-Seigneur  et  affermie  par  les  apôtres.  »  De  Tri- 
nitate,  VII,  4,  col.  202.  Héritière  des  noms  qui  conve- 
naient à  l'antique  Sion,  «mont  du  Seigneur,  maison 
du  Seigneur,  sainte  cité  du  grand  roi  »,  etc.,  l'Église 
se  caractérise  mieux  encore,  pour  l'évêque  de  Poitiers, 
par  ses  rapports  au  Christ,  dont  elle  est  l'épouse,  la 
bouche  et  surtout  le  corps  mystique.  In  ps.  cxxvil,  8; 
OXXViii,  9,  29,  col.  708,  715,  807.  A  ces  rapports  elle 
doit  cette  infaillibilité  dans  la  foi,  que  l'auteur  du 
De  Trinilate  invoque  si  souvent  contre  les  hérétiques,, 
avec  autant  d'assurance  que  de  fierté  :  evangelica 
atque  apostolica  Ecclesiœ  fldes  nescit,  pia  Ecclesiœ 
fldes  damnât,  De  Trinilate,  VI,  9,  10,  col.  163  sq.;  de 
même,  cette  assistance  continuelle  contre  les  tem- 
pêtes qui  l'assaillent,  comme  jadis  la  barque  montée 
par  le  Sauveur.  In  Matth.,  vu,  9;  xiv,  13  sq.,  col. 
957,  1001  sq.  Singulier  spectacle,  celui  de  cette  Église 
dont  le  propre  est  de  vaincre  quand  on  la  frappe,  de 
briller  davantage  quand  on  l'attaque,  de  progresser 
quand  on  l'abandonne  1  De  Trinitale,  VII,  4,  col.  202. 

L'Église  est  une,  una  omnium;  une  comme  corps 
du  Christ  et  une  dans  sa  foi.  De  Trinilate,  VII,  4,  col. 
202  ;  In  ps.  CXXI,  5,  col.  662.  Ceux  qui  se  séparent  d'elle 
ou  qu'elle  retranche  de  sa  communion  deviennent 
par  le  fait  même  étrangers  au  Christ  et  tombent  sous, 
l'empire  du  démon.  In  p:.  cxviii,  litt.  xvi,  5,  col.  607 


!455 


HILAIRE   (SAINT; 


245G 


Nulle  intelligence  vraie  de  la  parole  divine  en  dehors 
d'elle  :  nulle  voie  pour  aller  au  ciel  qui  ne  doive  passer 
par  ce  mont  de  Dieu;  point  de  repos  en  dehors  de 
cette  arche.  In  Matth.,  xiii,  1,  col.  993;  In  ps.  cxlvi,4; 
CZLVI,  12,  col.  301,  874.  D'ailleurs,  si  l'iïglise  est  une 
en  elle-même,  elle  n'en  est  pas  moins,  par  destination, 
universelle;  tous  les  hommes  sont  appelés  à  en  faire 
partie,  et  ses  progrès  dans  le  monde  sont  admirables, 
bien  que  tous  ne  répondent  pas  à  l'appel.  In  Matth., 
vu,  10,  col.  958;  In  ps.LXVll,  20,  col.  457.  Elle  contient, 
du  reste,  des  membres  d'inégale  valeur,  justes  et  pé- 
cheurs, purs  et  impurs.  In  ps.  i,  4;  lu,  13;  In  Matth., 
n xxiii,  8,  col.  252,  331  sq.,  1075. 

Une  et  catholique,  l'Église  est  encore  essentielle- 
ment hiérarchique.  Comme  l'antique  synagogue,  elle 
comprend  des  prêtres  et  des  ministres  sacrés,  puis  le 
reste  du  peuple,  cui  non  sacerdoiii,  ncque  ministerii, 
sed  timoris  ofjlcium  est.  In  ps.  cxxxiv,  27,  col.  766  sq. 
llilaire  nomme  expressément  les  évêques,  les  prêtres 
et  les  diacres,  en  ajoutant  les  clercs,  sans  préciser 
davantage  :  cum  râpèrent  episcopos,  presbyteros  et 
diaconos,  et  omnes  clericos  in  cxsilium  mittercnt.  Fragm., 
n,  11,  col.  640.  Les  évêques  sont  les  princes  du  peuple 
chrétien.  In  Matth.,  xxvm,  1,  col.  1058.  Ils  sont  les 
yeux  de  l'Église,  comme  les  apôtres  dont  ils  ont  re- 
cueilli la  succession.  Inps.  cxxxvin,  34,  col.  810.  Pour 
comprendre  quelle  haute  idée  le  saint  docteur  avait 
de  sa  charge  et  des  devoirs  qui  s'y  attachent,  il  suffit 
de  lire  la  description  de  l'évêque,  d'après  saint  Paul. 
De  Trinitate,  VII,  1,  col.  236.  Notable  est  le  témoi- 
gnage qu'il  rend  à  la  foi  et  à  la  primauté  de  saint 
Pierre  :  primus  credidit,  et  apostolatus  est  princeps. 
In  Matth.,  vi,  6,  col.  956.  Mais  c'est  surtout  la  pro- 
fession de  foi  en  la  divinité  de  Jésus-Christ,  émise 
par  l'apôtre  auprès  de  Césarée,  et  la  magnifique  ré- 
plique du  Sauveur  qui  provoquent  l'admiration 
d'Hilaire  :  O  in  nuncupatione  novi  nominis  felix 
Ecclesiœ  fundamcntum,  dignaquc  sedificalionis  illius 
petra,  quse  injernas  leges  et  omnia  mortis  claustra  dis- 
solverent  !  O  bcatus  cœli  janitor,  cujus  arbitrio  claves 
seterni  adilus  traduntur,  cujus  terrestre  judicium 
prœjudicata  auctorilas  sil  in  cselo  :  ut  quse  in  terris  aul 
ligala  sinl  aut  soluta,  statuli  cjusdcm  conditionem 
obtineant  et  in  cselo  !  In  Matth.,  xvi,  7,  col.  1010. 
Cf.  De  Trinitate,  VI,  20,  36,  38,  col.  172,  1861;  In  ps. 
CXXXI,  4,  col.  730.  Mais  Pierre  n'aurait-il  pas,  en  re- 
niant son  Maître,  perdu  ces  prérogatives  ?  Dans  son 
premier  ouvrage,  l'évêque  de  Poitiers  semble  presque 
excuser  la  faute  :  et  vere  prope  jam  sine  piaculo  ho- 
minem  negabat,  quem  Dei  filium  primus  cognoverat, 
In  Matth.,  xxxn,  4,  col.  1071;  mais  dans  le  commen- 
taire sur  les  Psaumes,  il  y  va  plus  franchement  et  se 
contente  de  dire  que  Notre-Seigneur  pardonna  sim- 
plement une  faiblesse  immédiatement  pleurée  :  et 
neganti  quidem  claves  tamcn  rcgni  cselorum  non  adcmil. 
In  ps.  m,  12,  col.  330. 

La  croyance  à  la  communion  des  saints  se  mani- 
feste dans  les  écrits  d'Hilaire  :  d'une  façon  générale, 
par  la  dénomination  d'Église  appliquée  à  la  société 
des  fidèles  ici-bas  et  au  ciel,  Ecclesia  vel  quœ  nunc  est, 
vel  quse  cril  sanclorum,  In  ps.  CXXXII,  6,  col.  748  ;  plus 
particulièrement,  par  la  vénération  rendue  aux  re- 
liques des  saints  et  au  sang  des  martyrs,  dont  la  vertu 
était  souvent  attestée  par  des  faits  miraculeux. 
Contra  Constant.,  II.  col.  584.  Quelques  articles  du 
symbole  primitif  se  dégagent  d'allusions  aux  points 
de  foi  que  les  adultes  devaient  professer  avant  de 
recevoir  le  baptême  :  prius  confitenlur  credere  se  in 
Dei  Filio  et  in  passione  ac  resurrectione  ejus;  et  re- 
nascens  non  conjessus  es  ex  Maria  Filium  Dei  natum? 
In  Matth.,  xv,  8,  col.  1006  ;  De  Trinitate,  IX,  51, 
col.  322.  Voirdom  Ceillier,  op.  cit.,  p.  78  sq.,pour  quel- 
ques autres  usages  des  temps  primitifs. 


ru.  escb  {TOLOGIE.  —  La  doctrine  de  saint  Hilaire 
sur  les  tins  dernières  est,  dans  son  ensemble,  scripturaire. 
Elle  présente  cependant  sur  plusieurs  points  ce  que 
dom  Constant  appelle,  Prsej.  gen.,  §5,  col.  87,  des  ma- 
nières de  parler  spéciales,  singulares  loculiones,  qui 
ont  donné  lieu  à  des  attaques  et  demandent  quelques 
explications. 

1°  Mort.  —  La  mort,  décrétée  par  Dieu  contre 
notre  premier  père  en  cas  de  désobéissance,  vient 
par  le  fait  même  de  la  loi  du  péché,  ex  lege  peccati 
consequitur,  et  revêt  pour  tous  les  descendants  d'Adam 
un  caractère  pénal,  nobis  pcenalis  demutatio  est.  In  ps. 
LXI,  18;  lxii,  6;  cxxxi,  9,  col.  318  sq..  404,  734. 
Quelques-uns,  comme  Hénoch,  Élie,  Moïse,  Jean 
l'Évangéliste,  ont-ils  échappé,  provisoirement  du 
moins,  à  l'application  de  la  loi  commune?  Pure  ques- 
tion de  fait,  que  le  saint  docteur  ne  touche  qu'en 
passant  et  d'une  façon  peu  ferme,  en  rapportant  les 
opinions  courantes.  In  Matth.,  xx,  10,  col.  1032  ; 
De  Trinitate,  VI,  39,  col.  189.  Personnellement,  il 
ne  semble  pas  douter  de  la  mort  de  Moïse,  comme  le 
montre  dom  Coustant,  In  Matth.,  loc.  cit.,  note  d  ; 
pour  saint  Jean,  il  se  contente  de  rapporter  ce  qui 
est  dit  dans  l'Évangile,  Joa.,  xxi,  22,  23,  sans  se  pro- 
noncer nettement  pour  l'une  ou  l'autre  des  deux  in- 
terprétations concevables  :  sic  usque  ad  adventum 
Domini  manens,  et  sub  sacramento  divinœ  volunlalis 
relictus  et  depulatus,  dum  non  neque  non  mori  dicitur 
et  mancre.  De  Trinitate,  loc.  cil.  Quoi  qu'il  en  soit  de 
ce  point  secondaire,  Hilaire  enseigne  catégorique- 
ment que  le  temps  de  l'épreuve,  et  par  conséquent  du 
mérite  et  du  démérite,  cesse  avec  la  mort  :  tune  enim 
ex  merito  prseterilse  voluntalis  lex  jam  constituta  aut 
quielis  aut  peense  excedenlium  ex  corpore  suscipit  vo- 
luntatem.  In  ps.  li,  23.  Cf.  liv,  10;  cxlii,  8, 9,  col.  323, 
343,  840.  Cette  loi  établie,  dont  l'alternative  est  le 
repos  ou  la  peine,  trouve  son  application  aussitôt 
après  la  mort,  comme  on  le  voit  par  la  parabole  du 
pauvre  Lazare  et  du  mauvais  riche,  placés  immédia- 
tement l'un  dans  le  séjour  des  bienheureux  et  le  sein 
d'Abraham,  l'autre  dans  le  lieu  des  supplices  :  quorum 
unum  angeli  in  sedibus  beatorum  et  in  Abrahse  sinu 
locaverunt,  alium  slalim  peenœ  regio  suscepit.  In  ps.  //, 
48;  cf.  CXXii,  11,  col.  290,  673.  Pour  les  damnés, 
c'est  la  peine  du  feu  subie  dès  lors  :  absorbet  ignis 
etiam  antequam  resurgant.  In  ps.  LVII,  5,  col.  371. 

2°  Vision  béatifique.  - — ■  La  vision  immédiate  de 
Dieu  est,  d'après  saint  Hilaire,  la  grande  récom- 
pense et  la  suprême  perfection  des  élus.  In  Matth., 
iv,  7,  col.  933;  In  ps.  cxviil,  litt.  vin.  7;  cxxi,  1,  col. 
554,  661.  Mais  les  âmes  des  justes  jouissent-elles  de 
cette  vision  dès  qu'elles  entrent  au  ciel?  La  réponse 
affirmative  semble  une  conclusion  légitime;  car  le 
saint  docteur  promet  au  bon  larron,  avec  l'entrée 
au  paradis,  la  possession  de  la  pleine  béatitude,  et 
consummalœ  beatitudinis  delicias  promillens.  De  Tri- 
nitate, IX,  34,  col.  370.  Il  affirme  que  les  âmes  bien- 
heureuses, étant  dans  le  Christ,  se  reposent  par  le 
fait  même  en  Dieu,  ergo  hi  qui  in  Christo  erunt,  erunt 
in  Dei  requic,  et  que  «  la  face  de  Dieu,  c'est-à-dire 
le  Christ,  image  du  Dieu  invisible,  leur  est  intimement 
présente,  unicuique sanclo  adcril.  »  In  ps.  XCI,  9  ;  CLXII, 
9,  col.  499,  840.  Deux  sortes  de  textes  peuvent  faire 
obstacle  :  d'abord,  ceux  où  la  vision  de  Dieu  semble 
rattachée  à  l'avènement  glorieux  du  Christ  ou  au 
jugement  dernier  :  cum  judicii  die  aderil,  cum  visi- 
bilis  nobis  in  gloria  paternse  majeslatis  assistel,  tune 
nos  faciei  suse  lumine  illuminabit.  In  ps.  cxviii,  litt. 
xvu,  12,  col.  619;  tradel  aulem  Deo  Palri  regnum,  et 
tune  quos  regnum  Deo  tradiderit,  Deum  videbunt.  De 
Trinitate,  XI,  39,  col.  424.  A  ces  textes  s'en  ajoutent 
d'autres,  où  les  fidèles  sont  présentés  comme  mis  en 
réserve  sous  la  garde  du  Seigneur  et  placés  provisoi- 


!457 


HILAIRE    (SAINT) 


2458 


rement  dans  le  sein  d'Abraham  :  tempus  vero  mortis 
habet  intérim  unumquemque  suis  legibus,  dum  ad  ju- 
dicium  unumquemque  aut  Abraham  réservât,  aut 
pœna;  per  custodiam  Domini  fidèles  omnes  rescrvabun- 
tur,  in  sinu  scilicct  intérim  Abrahœ  collocati.  In  ps.  II,  48  ; 
cxx,  16,  col.  290,  060.  Mais  ces  textes  s'opposent-ils 
réellement  à  la  jouissance  immédiate  de  la  vision 
intuitive  ?  Parfois  il  est  question  des  justes  morts 
avant  la  venue  de  Notre-Seigneur,  alors  que  l'entrée 
du  ciel  restait  fermée  aux  enfants  d'Adam;  ainsi  en 
est-il  probablement  dans  le  texte  objecté  du  Ps.  cxx; 
cf.  cxvui,  litt.  xi,  3;  cxxxviii,  22,  col.  572  sq.,  804. 
Le  «  sein  d'Abraham  »  est  une  expression  biblique 
dont  le  sens  est  large  et  varie  nécessairement,  suivant 
qu'on  considère  l'état  des  âmes  avant  ou  après  l'as- 
cension du  Sauveur.  L'idée  de  réserve,  appliquée  aux 
âmes  bienheureuses,  s'explique  aisément  eu  égard 
au  jugement  dernier,  qui  suppose  la  résurrection  des 
corps  et  qui  seul,  par  conséquent,  amènera  pour 
l'homme  tout  entier,  corps  et  âme,  l'état  définitif 
de  glorification,  et  peut,  dans  le  même  sens,  s'appeler 
le  jour  où  se  fera  l'éternelle  rétribution  de  la  béatitude 
ou  du  châtiment  :  judicii  enim  dies  vel  beatitudinis 
relribulio  est  œterna,  vel  pœnse.  In  ps.  il,  48,  col.  290. 
Aussi,  dans  la  première  série  des  textes  objectés,  ce 
n'est  pas  précisément  de  la  vision  de  Dieu  prise  en 
elle-même  qu'il  s'agit,  mais  de  la  vision  de  Notre- 
Seigneur  apparaissant  dans  son  humanité  glorieuse  aux 
hommes  ressuscites  ou  de  la  vision  de  Dieu  consommée 
en  tous  ceux  qui  doivent  en  jouir  pendant  l'éternité. 
Coustant,  Prœf.  gen.,  n.  210-218,  col.  101  sq.  ; 
Muratori,  De  paradiso,  regnique  cœlestis  gloria  non 
cxspectata  corporum  resurrectione,  Vérone,  1738,  c.  xi, 
p.  98  sq.  ;  xn,  p.  107  sq. 

3°  Résurrection.  —  Toute  cette  doctrine  contient 
évidemment  celle  de  l'universelle  résurrection  des 
corps,  fondée  sur  l'universelle  rédemption  :  cum 
omnis  caro  redempla  sil  in  Christo  ul  rcsurgal.  In  ps.  LV, 
7,  col.  360.  Résurrection  très  différente  pour  les  justes 
et  pour  les  pécheurs,  comme  l'enseigne  saint  Paul, 
I  Cor.,  xv,  51  sq.  :  glorieuse  pour  les  premiers,  humi- 
liante et  douloureuse  pour  les  autres,  adeo  ul  confun- 
danlur;  resumplo  ad  pœnas  cor  pore  puniendos.  In  ps.Lll, 
16  sq.  ;  lv,  9,  col.  334,  361.  Il  y  aura  restauration 
des  mêmes  corps  qui  auront  préexisté  :  confracta 
reparabit,  non  ex  alia  aliqua,  sed  ex  veteri  atque  ipsa 
originis  suas  maleri  i.  In  ps.  n,  41  ;  cf.  lv,  12,  col.  285  sq., 
362.  Quelle  difficulté  en  cette  restauration  pour  celui 
qui,  au  début,  a  pu  former  entièrement  ces  mêmes 
corps  ?  In  Matth.,x,  20,  col.  974  ;  In  ps.  LXill,  9  ;  CXXII, 
5,  col.  411,  670.  Les  corps  ressuscites  auront  la  stature 
de  l'homme  parfait  ;  mais  demander  quels  en  seront 
la  forme  et  le  sexe,  ou  grâce  à  quels  aliments  ils  de- 
meureront éternels,  c'est  poser  des  questions  non 
seulement  oiseuses,  mais  injurieuses  envers  Dieu, 
dont  la  providence  et  la  puissance  sont  également  sans 
bornes.  In  Matth.,  v,  8-10;  xxm,  3-4,  col.  946  sq.,  1045. 

4°  Dernier  avènement  et  jugement.  —  Après  la  ré- 
surrection des  corps,  auront  lieu  le  second  avènement 
du  Christ  et  le  jugement  dernier,  l'un  et  l'autre  rap- 
pelés ou  décrits  par  l'évêque  de  Poitiers  d'après  les 
données  évangéliques.  In  Matth.,  xxvi,  1,  col.  1056;  De 
Trinitale,  III,  16,  col.  85;  In  ps.  cxvin,  litt.  xvn,  12, 
col.  619.  Deux  questions  s'y  rattachent,  qui  sont  loin 
de  présenter  chez  le  docteur  gaulois  toute  la  netteté 
désirable.  La  première  concerne  ceux  qui  seront  jugés. 
En  plusieurs  endroits,  les  hommes  apparaissent  par- 
tagés en  deux  groupes  :  d'un  côté,  les  croyants  et  les 
incroyants,  les  fidèles  et  les  infidèles,  les  pieux  et  les 
impies,  en  entendant  par  là  ceux  qui  sont  tels  pure- 
ment ou  simplement;  de  l'autre,  ceux  qui  tiennent  le 
milieu,  où  la  foi  et  l'infidélité,  la  piété  et  l'impiété 
s'entremêlent  :    gui   medii  sint,   ex  utroque  admixti, 


|    nculri  tamen  proprie.  Hilaire  semble  affirmer  que  ces 
derniers  seuls  auront  à  subir  un  jugement  :   in  eus 

I  ergo  judicium  est,  quod  jam  et  in  incredulis  aclum  est, 
et  in  credentes  non  necessarium  est;  inlelligitur  in  eos 
reliquum  esse  judicium,  qui  pro  gestorum  qualitate 
inler  peccala  ftdemque  sint  judicandi.  In  ps.  I,  16-17; 
lvii,  7,  col.  259  sq.,  373.  Si,  dans  ces  textes,  il  fallait 
entendre  le  jugement  dans  le  sens  ordinaire  du  mot, 
il  s'ensuivrait  que  les  justes  et  les  impies  seraient 
soustraits  à  tout  jugement,  soit  particulier,  soit  uni- 
versel, car  les  raisons  alléguées  ne  valent  pas  moins 
contre  l'un  que  contre  l'autre;  nous  serions  en  face 
d'une  erreur  grave,  attribuée  de  fait  à  l'évêque  de 
Poitiers,  comme  l'indique  dom  Co  stant,  n.  220,  col. 
106.  Mais  cette  supposition  introduit  dans  sa  doctrine 
une  réelleincohérence,  :  uisqu'il  enseigne  formellement, 
à  plusieurs  reprises,  que  tous  comparaîtront  devant 
le  tribunal  du  Christ  et  seront  jugés  par  lui  :  cum 
omnis  caro  redempla  in  Christo  sil,  et  omnem  assister? 
anle  tribunal  ejus  nece  se  sit;  judicalurus  ipse  de  omni- 
bus. In  ps.  LVi,l,  col.  630;  De  Trinitale,  VI,  3,  col.  159. 
La  conciliation  est  à  chercher  là  où  dom  Coustant 
la  place,  n.  226,  col.  108  sq.,  à  savoir  dans  le  sens 
spécial  qu'Hilaire  attache  au  mot  et  à  l'idée  de  juge- 
ment, en  partant  du  verset  5  du  Ps.  i,  qu'il  explique 
en  ce  passage  :  Proplerea  non  résurgent  impii  in  ju- 
dicium, et  en  s'inspirant  aussi  de  Joa.,  m,  ■  18,  qu'il 
cite,  n.  15,  col.  259  :  Qui  crédit  in  me,  non  judicatur; 
qui  autcm  non  crédit,  jam  judicatus  est.  Par  jugement, 
il  n'entend  pas  ici  une  simple  sentence,  énonçant 
purement  et  simplement  le  salut  ou  la  damnation 
par  l'application  d'une  loi  préexistante  et  contenant 
expressément  le  cas  en  question;  il  entend  une  sen- 
tence précédée  d'un  examen  qui  porte  sur  un  cas 
complexe,  non  contenu  expressément  dans  la  loi,  où 
il  y  a  du  pour  et  du  contre,  et  par  conséquent  sujet 
à  discussion.  Voici,  en  effet,  la  raison  qu'il  donne 
pour  exclure  le  jugement  dans  le  cas  des  croyants  et 
des  incroyants  purement  et  simplement  tels  :  Quid 
enim  necesse  est  judi  are  credcntem  ?  judicium  enim  ex 
ambiguis  rébus  existit,  et  ambiguilate  adempta,  judicii 
non  desideralur  examen  :  ex  quo  ne  infidèles  quidern 
necesse  est  judicari,  quia  ambiguilas,  quin  infidèles 
sint,  non  resedit,  n.  17,  col.  259.  Le  jugement  est  déjà 
porté  dans  l'Évangile,  Joa.,  ni,  18;  il  s'agit  seulement 
de  constater  le  fait  et  d'appliquer  la  sentence.  C'est 
dans  le  même  sens  qu'Hilaire  dit  de  Notre-Seigneur, 
par  allusion  à  Luc,  xn,  9  :  Negantcs  se  non  jam  judi- 
cabit  utique,  sed  negabit.  De  Trinitale,  VI,  3,  col.  159. 
Négation  qui  sera  précisément  la  sentence  de  répro- 
bation, le  Nescio  vos.  Matth.,  xxv,  2.  Et  ceci  fait  dire 
au  saint  docteur  que  le  juste  est  jugé  dès  ici-bas, 
puisque  les  anges  le  conduisent  dans  le  sein  d'Abra- 
ham :  juslo  tamen  jam  in  terris,  quia  per  angelos  in 
Abrahse  sinum  deduclus  sit,  judicalo,  secundum  illud  : 
Qui  crédit  in  me,  non  judicatur,  sed  transit  de  morte  in 
vitam  ;  qui  autemnon  crédit,  jam  judicatus  est.  Il  s'agit 
évidemment,  dans  ce  dernier  cas,  du  jugement  par- 
ticulier. Coustant,  n.  222,  col.  107.  Mais  qu'est  le 
jugement  universel,  sinon  la  manifestation  et  comme 
une  sorte  de  ré,  étition  publique  du  jugement  parti- 
culier? Il  n'es'  donc  pas  nécessaire  de  supposer  avec 
le  même  auteur,  n.  228.  col.  110,  que  le  sort  des 
hommes  compris  dans  le  groupe  intermédiaire  ne 
sera  fixé  qu'au  second  avènement  du  Sauveur.  Cette 
assertion  n'est  pas  de  saint  Hilaire;  il  résulte  seule- 
ment de  ce  qui  précède  que,  d'après  lui,  ces  hommes 
ne  seront  pas  jugés  de  la  même  façon  que  les  autres, 
soit  immédiatement  après  leur  mort,  soit  à  la  fin  du 
monde. 

L'autre  question  se  rapporte  à  ce  que  saint  Hilaire 
appelle  «  le  feu  du  jugement  ».  Une  première  fois,  il  y 
fait  allusion,  en  s'appuyant  sur  I  Cor.,  ni,  15  :  Mulli 


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HILAIRE   (SAINT 


2460 


secimdum  apostolum  lanquam  per  ignem  erunt  sah>i, 
cum  dcfsecatis  et  peruslis  vitiis,  ut  argentum  igni- 
lum,  probabiles  judicentur.  Inps.Lix,  11,  col.389.  Il  y 
revient  à  propos  du  baptême  quand,  déniant  à  ce 
sacrement  la  vertu  de  nous  conférer  une  pureté  abso- 
lument parfaite,  il  énumère  plusieurs  sortes  de  puri- 
fications ultérieures,  en  particulier  celle  que  le  feu  du 
jugement  opère,  quse  judicii  igné  nos  decoquet.  In  ps. 
cxvin,  litt.  m,  5,  col.  519.  Plus  loin,  n.  12,  col.  522  sq., 
il  parle  encore  du  jour  et  du  feu  du  jugement, 
pour  en  exciter  la  crainte  :  An  cum  ex  omni  otioso 
verbo  rationem  simus  prœstiluri,  dicm  judicii  concu- 
piscemus,  in  quo  nobis  est  ille  indefessus  ignis  subeun- 
dus  (al.  obeundus),  in  quo  subeunda  sunt  gravia 
illa  cxpiandse  a  pcccatis  animse  supplicia  ?  Le  saint 
évêque  ajoute,  à  titre  d'argument  confirmatif  :  Beatœ 
Mariée  animam  gladius  perlransibil,  ut  rcvelentur 
multorum  cordium  cogilationes.  Luc,  n,  35.  Si  in 
judicii  scveritatem  capax  Ma  Dei  Virgo  ventura  est, 
desiderare  quis  audebit  a  Deo  judicari  ? 

D'après  ce  dernier  texte,  il  semble  que  la  Mère  de 
Dieu  elle-même  n'aurait  pas  échappé  au  feu  du  ju- 
gement. Mais  de  quel  jugement  et  de  quel  feu  s'agit- 
il  ?  Le  défenseur  de  saint  Hilaire  au  procès  du  doc- 
torat résume  comme  il  suit  l'explication  donnée  par 
dom  Constant,  Prsef.  gen.,  §  8,  col.  211  sq.  :  «Comme 
on  dit  dans  la  Genèse  que  Dieu  plaça  à  la  porte  du 
paradis  un  chérubin  armé  d'un  glaive  de  feu  ;  en  outre, 
saint  Paul  ayant  dit  que  les  œuvres  de  tout  homme 
seront  éprouvées  par  le  feu  :  les  anciens  Pères  de 
l'Église  crurent  que  personne  n'entrerait  au  paradis 
qu'en  passant  par  ce  glaive.  Ils  enseignèrent  en  même 
temps  que  les  saints  ne  seraient  pas  atteints  par  ce 
feu,  dont  la  violence  serait  plus  ou  moins  sensible  à 
raison  des  souillures  que  chacun  devrait  expier.  Puis- 
que les  Pères  se  croyaient  obligés  par  l'autorité  de 
l'Écriture  à  reconnaître  là  une  loi  générale  pour  tous 
les  hommes,  quel  tort  a  saint  Hilaire  de  n'avoir  pas 
établi  une  exception  en  faveur  de  la  Mère  de  Dieu,  et 
d'avoir  cru  qu'elle  passerait  par  un  feu  qui  devait 
toarner  à  la  gloire  des  saints?  En  se  servant  de  cet 
exemple  pour  montrer  l'immutabilité  de  la  loi,  il  in- 
dique clairement  qu'il  considère  la  Mère  de  Dieu 
comme  la  plus  sainte  et  la  plus  noble  des  créatures.  » 
Correspondance  de  Rome,  loc.  cit.,  p.  236. 

Ces  considérations  suffisent  pour  montrer  que  la 
doctrine  exprimée  par  l'évêque  de  Poitiers  ne  présente 
rien  d'incompatible  avec  l'honneur  de  Marie.  Mais 
est -il  certain  qu'en  parlant  du  glaive  qui  devait  trans- 
percer l'âme  de  la  Vierge,  il  ait  eu  réellement  en  vue 
le  glaive  du  feu  porté  par  le  chérubin  gardien  de  l'en- 
trée du  paradis?  En  rapportant  les  paroles  du  vieil- 
lard Simôon,  il  a  pu  songer  à  l'interprétation  d'Origène, 
In  Lucam,  homil.  xvn,  P.  G.,  t.  xm,  col.  1845,  inter- 
prétation d'ailleurs  inadmissible,  d'après  laquelle  des 
légers  mouvements  de  doute  auraient  traversé  l'âme 
de  Marie  au  temps  de  la  Passion;  on  comprendrait 
mieux  alors  pourquoi  et  comment  le  saint  docteur  a 
pu  considérer  la  Vierge  comme  soumise  à  la  rigueur 
du  jugement  divin.  Quant  au  feu  du  jugement,  destiné 
à  purifier  les  âmes,  expiandœ  a  peccatis  animse  sup- 
plicia, il  semble  s'identifier  avec  le  feu  du  purgatoire, 
mais  jouant  un  double  rôle,  suivant  une  conception 
d'Origène,  In  Exod.,  homil.  vi,  4;  In  ps.  xxxvi,  1, 
P.  G.,  t.  xu,  col.  354,  1337,  qu'Hilaire  aurait  adoptée 
en  la  rattachant  à  l'enseignement  de  saint  Paul, 
I  Cor.,  m,  13, 15  :  d'abord,  éprouver  les  âmes,  et  unius- 
cu jusque  opus  quale  sit  ignis  probabil;  puis,  les  puri- 
fier quand  il  y  a  lieu  :  si  cujus  opus  arseril,  detrimen- 
lum  patidur;  ipse  autan  salvus  erit,  sic  tamen  quasi 
per  ignem.  Voir  t.  v,  col.  2242-2243. 

5°  Éternité.  —  Après  le  jugement  dernier,  c'est  la 
double  élernité,  qui  commence  pour  les  hommes  res- 


suscites. Éternité  de  malheur  pour  les  damnés;  car 
ils  ne  seront  pas  annihilés,  non  in  nihildm  dissoluti, 
In  ps.  i,  14,  col.  258,  mais  ils  retourneront  en  enfer  pour 
y  souffrir  comme  auparavant,  non  plus  seulement 
dans  leurs  âmes,  mais  aussi  dans  leurs  corps.  In  ps. 
lxix,  3,  col.  491.  Hilaire  insiste  sur  la  peine  du  feu 
qui  n'aura  jamais  de  fin  :  corporalis  et  ipsis  selernilas 
dcstinabitur,  ut  ignis  œterni  in  ipsis  sit  a-lerna  ma- 
teries.  In  J\Iatth.,i\,  12,  col.  949.  Cf.  Jn  p,.  li,  19;  ly, 
4,  col.  320,  439  :  inextinguibilis  ignis  cremalurus; 
selemum  igncm  œlemis  pcenis  prœparalum.  Éternité 
de  bonheur  pour  les  élus,  glorifiés  dans  leurs  corps 
comme  dins  leurs  âmes.  Piises  en  dehors  de  tout 
contexte  et  de  la  terminologie  hilarienne,  quelques 
expressions  pourraient  suggérer  l'idée  d'une  sorte 
de  transformation  substantielle  du  corps  humain, 
par  exemple  :  nisi  glorificato  in  naturam  spiritus 
corpore,  vilœ  verse  in  nobis  non  potest  esse  natura; 
mais,  dans  ce  texte  comme  dans  une  foule  d'autres, 
le  mot  de  nature  n'a  nullement  son  sens  premier 
d'essence  ou  élément  spécifique;  il  s'applique  aux 
qualités  et  à  l'état  d'un  être.  Hiliire  veut  simplement 
parier  d'un  changement  de  condition  dans  les  corps 
ressuscites  des  élus,  corps  qui,  de  mortels,  de  corrup- 
tibles, d'infirmes,  de  pesants,  deviennent  immortels, 
incorruptibles,  lumineux,  agiles,  à  la  manière  des  es- 
prits :  posl  demulationem  resurreclionis,  tcrreni  cor- 
poris  nostri  efjecta  gloriosiore  natura.  Ibid.,  4,  col.  519. 
Quelque  chose  disparaît  assurément,  puisque  la  résur- 
rection nous  est  présentée  comme  «  la  fin  de  la  vie 
humaine  et  de  la  mort  »,  De  Trinitale,  XI,  43,  col.  428  ; 
mais  ce  qui  disparaît,  ce  ne  sont  pas  les  corps  pris  en 
eux-mêmes  ou  dans  leur  substance,  ce  sont  les  corps 
tels  qu'ils  sont  ici-bas,  avec  leurs  vices  et  leurs  im- 
perfections :  hoc  nobis  erit  regnum  Dei,  cum  omnibus 
vitiorum  nostrorum  acuLis  conlusis,  labes  erit  corporeœ 
infirmilatis  absorpta;  peccati  lege  resoluta,  cum  dc- 
mulalionis  gloriosœ  profectu,  selernilas  animse  corporis- 
que  jam  sine  peccati  corpore  rependclur.  In  ps.  Il,  42; 
lxii,  6,  col.  287,  404.  C'est,  en  substance,  la  doctrine 
même  de  saint  Paul,  I  Cor.,  xv,  42-44.  Co.  stant, 
n.  189,  193  sq.,  col.  91,  94  sq.  Pour  la  connexion  qui 
existe  entre  cet  état  définitif  des  bienheureux,"'  où  le 
péché  est  vaincu,  où  la  mort  est  anéantie,  où  l'ennemi 
ne  règne  plus  »,  In  ps.  n,  42,  col.  287,  et  ce  que  le  saint 
docteur  appelle  le  royaume  de  Dieu,  en  tant  que  dis- 
tinct du  royaume  du  Christ,  voir  ci-dessus,  col.  2456. 

VI II.  CONCLUSION  :  ORTHODOXIE,  THÉOLOGIE,  1UJLE  PRO- 
VIDENTIEL. —  Saint  Jérôme  savait  ce  qu'il  disait 
quand  il  écrivait  à  Lseta,  Epist.,  cvn,12,  P.  L.,t.  xxn, 
col.  877  :  Athanasii  epislolas  et  Hilarii  libros  inofjcnso 
decurrat  pede;  Morum  tractatibus,  Morum  dclectelur 
ingeniis,  in  quorum  libris  pietas  fidei  non  vacilict.  Rien 
ne  permet  d'incriminer  l'orthodoxie  de  l'évêque  de 
Poitiers,  en  entendant  par  là  la  conformité  de 
croyance  et  d'enseignement  aux  doctrines  définies  ou 
tenues  expressément  par  l'Église  catholique.  La  plu- 
part des  erreurs  qui  lui  ont  été  attribuées  ne  sont 
pas  réelles  ;  celles  qui  le  sont,  très  peu  nombreuses, 
portent  sur  des  points  secondaires,  qui  n'avaient 
encore  été  ni  sanctionnés  par  le  magistère  ecclésias- 
tique ni  élucidés  par  les  maîtres.  Il  suffît,  du  reste, 
de  jeter  les  yeux  sur  les  éloges  recueillis  par  doni 
Constant,  sous  le  titre  de  Selecta  vclcrum  testimonia 
de  sancto  Hilario,  P.  h.,  t.  ix,  col.  203-208,  pour  voir 
en  quelle  estime  le  docteur  gaulois  était  tenu  par 
des  hommes  tels  que  saint  Jérôme  et  saint  Augustin. 
De  quel  respect  témoignent  ces  lignes  de  l'évêque 
d'Hippone  :  Ecclcsiœ  calholiese  adversus  hsereticos 
acerrimum  dejensorem  venerandum  quis  ignoret  Hila- 
rium  episcopum  Gallum  ?  Contra  Julianum,  1.  I, 
c.  m,  n.  9,  P.  L.,  t.  xliv,  col.  645.  Et  cet  autre  pas- 
sage, où  le  même  docteur  invoque  contre  son  adver- 


2461 


II ILAIRE    (SAINT)   —    HILAIRE   DE   PARIS 


2462 


saire  pélagien  l'autorité  du  saint  évoque  :  Calholicus 
loquitur,  insignis  Ecclesiarum  doctor  loquilur,  Hilarius 
loquitur.  Ibid.,  1.  III,  c.  vin,  n.  28,  col.  693.  En  confir- 
mant ofiiciellement  le  titre  de  doctor  Ecclesié  à  l'é- 
vêque  de  Poitiers,  Pie  IX  n'a  fait  que  ratifier  le  ju- 
gement d'Augustin. 

Si  de  la  croyance  proprement  dite  nous  passons 
à  la  théologie,  considérée  comme  science  qui  explique 
et  coordonne  les  vérités  de  la  foi,  le  principal  mérite 
et  la  note  caractéristique  d'Hilaire,  c'est  d'avoir 
entrepris  le  premier  la  fusion  ou  la  conciliation  de 
deux  courants  qui,  jusqu'alors,  étaient  restés  diver- 
gents. Il  y  avait,  d'un  côté,  le  courant  latin,  de  carac- 
tère positif  et  plutôt  moral,  un  peu  fruste  dans  ses 
conceptions  et  ses  formules.  Tertullien,  Novatien  et 
Cyprien  en  étaient  les  principaux  représentants.  De 
l'autre  côté,  apparaissait  le  courant  grec,  plus  riche 
et  d'allure  plus  spéculative,  qui  se  rattachait  surtout 
à  Origène.  En  s'inspirant  de  l'un  et  de  l'autre,  Hilaire 
fut  initiateur,  comme  il  le  fut  aussi  sur  le  terrain  de 
l'exégèse  et  de  l'hymnographie  chrétienne.  Il  ne 
cite  pas,  il  est  vrai,  les  auteurs  qu'il  utilise,  et  les 
sources  de  sa  théologie  n'ont  été  qu'imparfaitement 
étudiées;  nul  doute  pourtant  que  le  douhle  fonds  ne 
se  manifeste  dans  l'ensemble  de  ses  écrits,  ceux 
d'avant  et  ceux  d'après  l'exil.  Exceptionnellement,  à 
propos  de  l'oraison  dominicale,  deux  Pères  sont  cités  : 
saint  Cyprien,  uir  sanclœ  mémorise,  et  Tertullien,  dont 
Hilaire  dit  que,  par  sa  défection,  il  a  enlevé  beaucoup 
d'autorité  à  ses  écrits,  d'ailleurs  recommandables, 
consequens  error  hominis  delraxii  scriplis  proba- 
bilibus  aucloritatcm.  In  Matth.,  v,  1,  col.  943.  Sans 
être  nommé,  Origène  est  largement  utilisé,  au  moins 
dans  le  commentaire  sur  les  Psaumes,  et  des  rémi- 
niscences d'autres  Pères  grecs,  par  exemple,  de  saint 
Athanase,  se  rencontrent  incidemment.  Mais  dans 
les  emprunts  qu'il  fait,  l'évêque  de  Poitiers  reste 
personnel,  soit  par  le  développement  ou  le  tour  de  la 
pensée,  soit  par  la  liberté  qu'il  prend  de  choisir,  et, 
au  besoin,  de  corriger  ce  qu'il  utilise.  Watson,  op.  cit., 
Introd.,  c.  i,  p.  v  sq.,  xv  sq.,  xlii  sq.  Par  cette  initia- 
tive opportune,  Hilaire  procura  un  double  avantage 
à  la  théologie  occidentale  :  il  l'enrichit  de  nouveaux 
et  féconds  éléments,  en  même  temps  il  contribua  à 
préciser  et  à  fixer  la  terminologie  dogmatique  de 
l'avenir.  Mais  il  subit  le  sort  commun  des  initiateurs  : 
ceux  qui  vinrent  après  lui  et  profitèrent  de  ses  tra- 
vaux le  dépassèrent,  soit  par  le  génie,  comme  les 
Augustin,  soit  par  le  style  et  la  clarté,  comme  les 
Ambroise  et  les  Léon;  leur  gloire  éclipsa  la  sienne. 
Pourrait-on  sans  injustice  oublier  ce  qu'ils  lui 
doivent,  et  méconnaître  l'influence  indirecte  qu'il  a, 
par  leur  entremise,  exercée? 

Quant  au  rôle  providentiel  d'Hilaire,  il  est  tout 
entier  résumé  dans  le  titre  d'Athanase  de  l'Occident, 
dont  la  postérité  l'a  honoré.  Qu'il  ait  mérité  ce  titre 
comme  évêque,  par  l'attitude  ferme  et  vaillante  qu'il 
prit  dès  le  début  dans  la  controverse  arienne,  par  ses 
luttes  viriles,  par  son  exil  fructueux,  par  son  action 
à  la  fois  réconfortante  et  pacifiante  sur  ses  collègues 
gaulois,  la  première  partie  de  cette  étude  l'a  suffisam- 
ment montré.  Ce  même  titre,  il  ne  le  mérite  pas  moins 
comme  docteur,  puisque  son  œuvre  maîtresse  et  sa 
gloire  la  plus  pure,  c'est  d'avoir,  comme  le  grand 
évêque  d'Alexandrie,  défendu  héroïquement  la  divi- 
nité du  Verbe  avec  la  pleine  conscience  de  l'impor- 
tance souveraine  qui  s'attache,  dans  la  religion  chré- 
tienne, à  ce  dogme  vital  et  central  :  recolens  hoc  vel 
prsecipue  sibi  salulare  esse,  non  solum  in  Deum  credi- 
disse,  sed  etiam  in  Deum  Patrem  ;  neque  in  Christo 
tanlum  sperasse,  sed  in  Christo  Dei  Filio;  neque  in 
crealura,  sed  in  Deo  creatore  ex  Deo  nato.  De  Trinilale, 
I,  17,  col.  37.  A  tous  ces  titres,  l'Église  de  France  peut 


être  fière  de  celui  que  Dorner,  op.  cit.,  p.  1037,  a  rangé 
parmi  les  Pères  «  les  plus  difficiles  à  comprendre, 
mais  aussi  les  plus  originaux  et  les  plus  profonds  »  et 
que,  d'un  autre  point  de  vue,  Petau  a  parfaitement 
caractérisé,  De  incarnatione,  1.  X,  c.  v,  n.  1  :  Galli- 
canœ  quondam  Ecclesise  decus  et  columna. 

I.  Auteurs  catholiques.  —  Dom  Coustant,  Prœfatio 
generalis,  n.  40  sq.,  P.  L.,  t.  ix,  col.  29-126;  dom  Ceillicr, 
Histoire  générale  des  auteurs  sacrés  et  ecclésiastiques,  nouv. 
édit.,  Paris,  1865,  t.  iv,  c.  i,  a.  12;  Noël  Alexandre,  Historia 
ecclesiastica  Veteris  Novique  Testamenti,  Lucques,  1734, 
t.  iv,  c.  vi,  a.  13,  p.  135  sq.  ;  Correspondance  de  Rome, 
4e  année,  1851,  t.  i,  p.  233-237  :  confirmation  du  titre  de 
docteur,  en  honneur  de  saint  Hilaire,  évêque  de  Poitiers; 
Hugo  Laemmer,  Cœlestis  urbs  Jérusalem.  Aphorismen, 
Fribourg-en-Brisgau,  1866,  p.  113-148  :  Beilage.  Die  Auf- 
nahme  des  hl.  Hilarius  von  Poitiers  indus  Album  der  Kirchen- 
lehrer;  R.  P.  Largent,  Saint  Hilaire,  Paris,  1902,  II«  part., 
c.  ii;  J.  Schwane,  Dogmengeschichte,  2e  édit.,  Fribourg-en- 
Brisgau,  1895,  t.  ii,  passim,  voir  Index,  p.  887,  au  mot 
Hilarius;  J.  B.  Wirthmuller,  Die  Lehre  des  hl.  Hilarius  von 
Poitiers  ùber  die  Selbstentàusserung  Christi  vertheidigt  gegen 
die  Entstellungen  neuerer  protestantischen  Theologen,  Ratis- 
bonne,  1865;  Dr  Baltzer,  Die  Théologie  des  St.  Hilarius  von 
Poitiers  (programme  de  cours),  Rottvveil,  1879;  Id.,  Die 
Christologie  des  hl.  Hilarius  von  Poitiers  (Festschrift), 
Rottvveil,  1889  ;  A.  Beck,  Die  Trinilàtslehre  des  hl.  Hilarius 
von  Poitiers,  Mayence,  1903,  dans  la  collection  Forschungen 
zur  christlichen  Lileralur  und Dogmengeschichte,  de  Ehrhard 
et  Kirch,  t.  m,  fasc.  2  et  3;  Id.,  Die  Lehre  des  hl.  Hilarius 
von  Poitiers  (und  Tertullian' s)  iiber  die  Entstehung  der  Seelen, 
dans  Philosoi>hisches  Jahrbuch,  Fulda,  1900,  t.xin,  p.  37-44  ; 
Id.,  Kirchliche  Studien  und  Quellen,  Amberg,  1903,  p.  82- 
102  :  Die  Lehre  des  St.  Hilarius  von  Poitiers  iiber  die  Leidens- 
fàhigkeit  des  Leibes  Christi;  G.  Rauschen,  Die  Lehre  des 
hl.  Hilarius  von  Poitiers  ùber  die  Leidensfàhigkeit  Christi 
(contre  le  précédent),  dans  Theologische  Quartalschrift, 
Tubingue,  1905,  t.  lxxxvii,  p.  424-439  ;  A.Beck,Die£e/ire 
des  St.  Hilarius  von  Poitiersùber  die  Leidensfàhigkeit  Christi 
(réplique),  dans  Zeitschrift  fur  katholischc  Théologie,  Ins- 
pruck,  1906,  t.  xxx,  p.  108-122;  'ibid.,  p.  295-305,  nouvelle 
réponse  de  Rauschen,  et  p.  305-310,  nouvelle  réplique 
de  Beck. 

II.  Auteurs  protestants.  —  E.  W.  Watson,  op.  cil., 
Introd.,  c.  II,  Oxford,  1899;  J.  A.  Dorner,  Entwicklungs- 
geschichle  der  Lehre  von  der  Pcrson  Christi  von  den  àlteslen 
Zeilen  bis  auf  die  neueste  dargeslellt,  2e  édit.,  Stuttgart, 
1845,  part.  I,  p.  1037  sq.;  Th.  Fôrster,  Zur  Théologie  des 
Hilarius,  dans  Theologische  Studien  und  Kritiken,  Gotha, 
1888,  t.  lxi,  p.  645-686;  en  plus,  quelques  autres  ouvrages 
cités  au  cours  de  cette  étude. 

X.  Le  Bachelet. 
3.  HILAIRE  DE  PARIS,  dans  le  siècle  François- 
Eugène  Mongin,  né  à  Paris  le  23  novembre  1831,  était 
prêtre,  docteur  en  théologie  et  en  droit  canon  quand  il 
entra  au  noviciat  des  frères  mineurs  capucins  de  la  pro- 
vince de  France  le  2  août  1859.  Après  la  division  en 
trois  provinces,  il  demeura  dans  celle  de  Lyon.  Pendant 
plusieurs  années  il  remplit  les  fonctions  de  lecteur,  dont 
il  fut  déchargé  afin  de  lui  donner  plus  de  temps  pour  ses 
travaux.  Dieu  lui  avait  donné  une  intelligence  vérita- 
blement supérieure  et  l'avait  enrichi  de  talents,  mais  le 
sens  pratique  lui  faisait  défaut  et  il  manqua  d'équilibre 
dans  sa  vie  comme  dans  ses  ouvrages.  La  discipline 
régulière,  qui  aurait  dû  le  préserver  des  écarts,  fut 
insuffisante  et  il  était  obligé,  en  1904,  de  quitter  sa 
famille  religieuse,  dont  il  aurait  pu  être  une  des  gloires. 
Accueilli  comme  hôte  par  les  franciscains  irlandais  de 
Saint-Isidore  à  Rome  et  envoyé  par  eux  dans  le  cou- 
vent solitaire  de  Castel  Sant'Elia,  au  diocèse  de  Nepi  et 
Sutri,  il  y  menait  une  vie  de  calme  et  de  travail  qu'un 
douloureux  accident  vint  brusquement  interrompre. 
Le  18  juillet  1904, il  prenait  un  bain  dans  une  rivière 
près  de  Nepi,  avec  un  jeune  prêtre;  l'un  des  deux 
appela  l'autre  à  son  secours  :  ils  périrent  ensemble  et 
le  lendemain  on  retrouva  leurs  corps  enlacés  dans  une 
étreinte  qui  avait  été  mortelle.  Voici  les  principaux 
ouvrages  qui  ont  donné  une  certaine  notoriété  au  nom 


2463 


HILAIRE    DE    PARTS 


ITILARION 


2464 


du  P.  Hilaire  de  Paris.  11  avait  conçu  le  plan  d'une 
théologie  universelle  dans  laquelle  il  rapporterait  tout 
au  mystère  de  la  sainte  Trinité,  cause  exemplaire  et 
finale  de  toute  la  science  théologique  :  montrant  toutes 
les  sciences  humaines  régies  dans  leurs  principes  par  la 
théologie  et  ramenées  par  elles  à  la  gloire  de  la  sainte 
Trinité.  Le  plan  était  grandiose  et  l'entreprise  qualifiée 
de  colossale.  On  l'encouragea  à  se  mettre  à  l'œuvre  et 
en  1867  il  annonçait  que  le  icr  volume  était  sous  presse. 
En  même  temps  il  débutait  par  le  Cur  Deus  hamo.  Dis- 
sirlalio   de   motivo    incarnationis,   in-8°,    Lyon,    1867. 
Abandonnant  l'opinion  scotiste,  l'auteur  suivait  celle 
de  saint  Thomas.  En  1886.  il  faisait  paraître  sous  le 
titre  :  Cur  Deus  homo   ou  motif  de  V incarnation,  une 
analyse  du  premier  traité,  suivie  de  deux  lettres  sur  le 
même  sujet,  in-12,  Currière.  Revenons  à  la  Thcologia 
universaïis,  qui  devait  compter  15  volumes,  mais  dont 
les  trois  premiers  seuls  furent  publiés,  in-8°,  Lyon, 
1868-1871.  Le  i«  renferme  la  Préface,  une  Introductio 
de  theologia  in  génère  et  un  Prologus  de  theologia  univer- 
sali.  Le  nc  et  le  me  traitent  de  la  Prœparatio  universaïis 
iheologiœ,  ou  théologie  polémique.  Effrayé  peut-être 
par  les  proportions  que  prenait  son  travail,  l'auteur 
n'alla  pas  plus  loin  dans  cet  ordre  de  matières  et  passa 
à  d'autres  travaux.  En  1870,   a  l'époque  du  concile, 
le  P.  Hilaire  se  rendit  à  Rome,  théologien  de  l'évêque  de 
Genève,  le  futur  cardinal   Mermillod;    à  cette  occa- 
sion il  pub'ia  avant  la  définition  dogmatique  une  Dis- 
serlatio    brevis  de  dogmate  infallibilitatis  romani  pon- 
tificis,  in-12,  Lyon,  1870;  elle  fut  suivie  de  trois  autres 
opuscules,   De  concilio   Vaticano;   De  particularismo, 
hoc  est  de  gallicanismo  et  italianismo;  De  duplici  italia- 
nismo,   in-12,    Lyon,    1870,    qui   furent    de   nouveau 
publiés  dans  le  volume  intitulé  :  De  dogmaticis  defini- 
tionibus  et  de  unanimitate  morali,  in-8°,  Fribourg,  1871. 
Presque  simultanément  il  faisait  paraître  deux  ouvra- 
ges, non  sans  mérite  :  Eegula  fralrum  minorum  juxta 
romanorum  poniificum  décréta  et  documenta  explanala, 
in-4°,  Lyon,   1870;  Exposition  de  la  règle  des  frères 
mineurs  avec  l'histoire  de  la  pauvreté,  in-12,  ibid.,  1872, 
mais  dans  lesquels  ne  manquent  pas  les  exagérations  et 
les  opinions  hasardées,  qui  plus  tard  motivèrent  leur 
condamnation  par  le  Saint-Office,  quand  l'auteur  mérita 
les   sévérités    de   Rome   (12   juin    1895).    Avant   que 
Léon  XIII  ne  réformât  la  règle  du  tiers-ordre,  les  supé- 
rieurs des  trois  familles  du  premier  ordre  franciscain  se 
préoccupaient,  de  commun  accord,  de  faire  trancher 
différentes  questions  controversées  et  d'arriver  à  la 
rédaction  d'un  Manuel  général,  qui  pût  servir  de  base 
aux  ouvrages  de  vulgarisation  ou  de  dévotion.  Dans  ce 
but,  les  supérieurs  du  P.  Hilaire  firent  appel  à  son  éru- 
dition et  il  composa  un  Liber  terlii  ordinis,  que  suivirent 
leManualcei  \eLiberde  chordigeris,3  in-4°, Rome,  1881- 
1883,  imprimés  à  peu  d'exemplaires  pour  les  Congréga- 
tions romaines  qu'intéressait  la  question.  Plus   tard, 
quand  ce  travail  fut  devenu  inutile  par  suite  des  modi- 
fications de  Léon    XIII,  il    les    utilisa  et    publia    le 
Liber  terlii  ordinis  S.  Francisci  Assisiensis,  gr.  in-8°,  à 
deux  colonnes,  de  900  pages,  Genève  et  Paris,  1888,  qui 
est  la  mine  la  plus  riche  à  exploiter  pour  l'histoire  du 
tiers-ordre  franciscain,  ses  privilèges  et  l'explication 
de  sa  règle.  Notre-Dame  de  Lourdes  et     l'immaculée 
conception,  in-8°,  Lyon,  1880,  est  un  travail  d'un  genre 
tout  différent,  qui  nous  montre  le  génie  de  l'auteur  mis 
en  éveil  par  cette  inscription  qu'il  avait  lue  autour  de  la 
tête  radieuse  de  la  statue  de  la  Madone  de  Lourdes  : 
«   Je  suis   l'Immaculée   Conception.    »    Pourquoi,   se 
demandait-il,  cette  forme  abstraite  et  non  pas  :  «  Je 
suis  la  Vierge  immaculée  »?  Il  en  profita  pour  donner 
un  volume  que  l'on  peut  qualifier  de  traité  théologique 
complet  sur  le  dogme  de  l'immaculée  conception.  Dif- 
férentes revues  théologiques  se  faisaient  un  honneur  de 
compter  le  P.  Hilaire  parmi  leurs  rédacteurs  :  la  Science 


catholique,  novembre-décembre  1887  et  janvier  1888, 
publiait  :  Oà  est  le  ciel  ?  Méditation  d'un  philosophe. 
Les  Nouvelles  annales  de  philosophie  ct.tholique,  impri- 
mées à  Nancy,  éditaient  en  1889  deux  aitres  disser- 
tations, l'une  L'animcdion  immédiate  réfutée,  l'autre  le 
Sijstème  du  ciel,  dans  laquelle  il  se  donne  la  tâche  de 
faire  concorder  les  données  de  l'astronomie  avec  la 
théologie.  Il  fut  moins  bien  inspiré  en  publiant  dans 
la  même  revue.  Garches,  1891,  Les  sentiments  d'un 
philosophe  sur  la  scholastique  en  général  et  sur  saint 
Thomas  en  particulier,  qui  furent  condamnés  par  le 
Saint-Office  (21  février  1894).  Nous  sommes  arrivés  à 
la  période  douloureuse  de  la  vie  du  P.  Hilaire,  dont 
nous  n'avons  pas  à  parler  ici.  Dans  la  retraite  que  nous 
avons  dite  il  prépara  l'édition  de  l'ouvrage  anonyme 
intitulé  :  Seraphicœ  législations  textus  originales,  in-8°, 
Quaracchi,  1897;  Rome,  1901,  dans  lequel  sont  publiés 
d'après  les  originaux  les  principaux  documents  ponti- 
ficaux qui  forment  la  législation  des  trois  ordres  fran- 
ciscains. Mentionnons  encore  les  Prselectiones  theologia' 
dogmatiese  ad  methodum  scholasticam  redactœ  de  l'abbé 
Dubillard,  professeur  au  séminaire  de  Besançon,  plus 
tard  cardinal-archevêque  de  Chambérv,  4  in-8°, 
Paris  et  Besançon,  1884-1885,  éditées  comme  le  déclare 
l'auteur,  prœhabitis  cl  plurimum  conferentibus  in  dog- 
matica  speciali  tractatibus  theologicis  R.  P.  Hilarii 
Parisiensis;  il  avait  eu,  en  effet,  communication  des 
traités  demeurés  manuscrits  du  docte  capucin. 

M.  Buchberger,  Kirchliches  Handlexikon,  Munich,  1907, 
1. 1,  col.  1968;  Analecta  ord.  min.,  1. 1,  p.  382  ;  Hurter,  Nomen- 
clator,  Inspruck,  1913,  t.  v,  col.  1524  et  2056,  note. 

P.  Edouard  d'Alençon. 

4.  HILAIRE  DE  SEXTEN  (Catterer),  frère 
mineur  capucin  de  la  province  du  Tyrol  septentrional, 
né  le  15  décembre  1839,  entré  en  religion  le  19  août 
1858,  ordonné  prêtre  en  1862,  commença  par  se  livrer 
aux  travaux  du  ministère  des  âmes.  Au  bout  de  dix  ans 
ses  supérieurs,  qui  l'avaient  averti  de  se  préparer  à 
cette  fonction,  lui  confiaient  la  chaire  de  théologie 
morale,  qu'il  devait  occuper  pendant  vingt-cinq  ans 
au  couvent  de  Méran.  Cédant  aux  instances  du  minis- 
tre général,  il  finit  par  publier  un  Compendium  theo- 
logiœ  moralis  juxta  probalissimos  auctores,  ad  usum 
confredrum  theologorum  terlii  anni,  2  in-8°,  Méran,  1889. 
Il  le  continua  par  le  Traclatus  pastoralis  de  sacramenlis, 
ad  usum  theologorum  quarti  anni  et  cleri  in  cura  ani- 
marum,  in-8°,  Mayence,  1895,  auquel  fit  suite  le  Trac- 
tatus  de  censuris  ecclcsiasticis,  cum  appendice  de  irre- 
gularilcde,  in-8°,  ibid.,  1898.  Le  P.  Hilaire  publia  en 
outre  de  nombreuses  solutions  de  cas  de  conscience  et 
des  dissertations  de  théologie  morale  et  pastorale  dans 
la  revue  Limer  Quartalschrifl.  Après  une  vie  bien  rem- 
plie et  consacrée  uniquement  à  la  gloire  de  Dieu  et  au 
salut  des  âmes,  le  bon  religieux  mourait  dans  son  cou- 
vent de  Méran  le  20  octobre  1899.  Il  étai  ^depuis  1882 
examinateur  synodal  du  diocèse  de  Trente  et  avait  été 
pendant  trois  ans  ministre  de  sa  province  du  Tyrol, 
de  1889  à  1892. 

M.  Buchberger,  Kirchliches  Handlexikon,  Munich,  1907, 
t.  i,  col.  1968;  Hurter,  Nomenclator,  Inspruck,  1913,  t.  v, 
col.  2056. 

P.  Edouard  d'Alençon. 
1.  HILARION.  moine  bénédictin  de  la  congréga- 
tion de  Sainte- Justine,  qui  vivait  à  Vérone,  au 
couvent  des  Saints-Nazaire-et-Celse,  dans  la  seconde 
moitié  du  xve  siècle,  et  qui  mourut  à  Rhodes  en  se  ren- 
dant en  Terre  Sainte,  dans  les  premières  années  du 
siècle  suivant.  Un  de  ses  compatriotes,  Virgilio  Zava- 
rise,  a  résumé  son  œuvre  littéraire  dans  les  deux  ver* 
suivants  : 

Hilarion  monachus  quoque,  Fontanella  propago. 
Optimus  interpres,  vates,  orator  et  idem. 


2465 


HILARION   —    HILDEBERT   DE    LAVARDIN 


2466 


C'est   surtout   comme  traducteur   qu'Hilarion   est 
connu.  On  lui  doit  d'abord  la  version  des  Instructions 
de  l'archimandrite  Dorothée,  dédiée  à  Olivier  Carafa, 
cardinal-évêque    de    Naples    (1458-1484).    Théophile 
Raynaud  la  trouvait,  il  est  vrai,  aperle  misera  et  men- 
dosissima,    Hagiologium   lugdunense,    au   t.    vm    des 
œuvres  complètes,  Lyon,  1662,  p.  21;  mais   Joseph 
Scaliger  en  jugeait  autrement,  De  emendalione  tem- 
porum,  p.  xxvni  des  Prolégomènes;  aussi  figure-t-elle 
dans  la  2e  édition  des  Orthodoxographa,  Bâle,  1569, 
p.  198,  et  dans  Y Auctarium  de  Fronton  Le  Duc,  Paris, 
1624,  t.  i,  p.  742;  puis  dans  toutes  les  éditions  succes- 
sives de  la  Bibliotheca  Palrum  de  Paris,  de  Cologne  et 
de  Lyon,  dans  celle  de  Galand,  t.  xn,  p.  371,  et  enfin 
dans  Migne,  P.  G.,  t.  lxxxviii,  col.  1611-1844.  Appelé 
à  Rome  par  Sixte  IV  (1471-1484),  Hilarion  exécuta, 
pour  la  grande  édition  des  œuvres  de  saint  Jean  Da-   | 
mascène  par  Fabro,  la  traduction  de  la  Dialectique 
du  saint  docteur,  et  cette  collaboration  est  rappelée 
en  tète  de  l'ouvrage  par  une  épigramme  due  à  un  com- 
patriote du  traducteur,  le  Véronais  Celso.  C'est  sans 
doute  durant  son  séjour  à  Rome  que  notre  moine 
élabora,  en  le  dédiant  à  Sixte  IV,  le  Compendium  des 
livres  d'Aristote  conservé  dans  le  manuscrit  3009  de 
la  bibliothèque  Vaticane,  ainsi  que  le  Compendium  de 
la    Rhétorique     d'Hermogène,    imprimé    successive- 
ment à  Venise,  à  Fribourg  et  à  Strasbourg.  Par  contre, 
le  Legendarium  nonnullorum  sanclorum,  paru  à  Milan, 
en  1494,  comme  supplément  à  Jacques  de  Voragine, 
ne  provient  pas  de  notre  Hilarion,  mais  d'un  homo- 
nyme, bénédictin  lui  aussi,  mort  à  Mantoue  en  1521. 
C'est  ce  qu'a  prouvé  Armellini,  Bibliotheca  benedicto- 
tassinensis,  1731,  t.  i,  p.  223,  contrairement  à  l'asser- 
tion de  Fabricius,  d'Oudin  et  d'autres,  parmi  lesquels 
on  est  surpris  de  rencontrer  le  docte  Scipione  Maftei, 
dans  sa  Verona  illustrala,  2e  édit.,  Milan,  1825,  t.  in, 
p.  219-220.  Comme  œuvre  originale,  Hilarion  nous  a 
laissé  en  grec  un  petit  traité  sur  les  azymes,  intitulé  : 
Oralio  dialectica  de  pane    grœcorum    mijstico,    et    lali- 
norum  azgmo.  Publié  pour  la  première  fois,  d'après 
un  manuscrit  de  Leyde,  par  Jean  Meursius,  dans  ses 
Divina  varia,  Leyde,  1619,  puis  dans  les  œuvres  com- 
plètes du  même  Meursius,  parues  à  Florence  par  les 
soins  de  Jean  Lami,  t.  vin,  p.  779,  il  a  été  traduit  en 
latin  par  Léon  Allatius,  qui  l'inséra  dans  sa  Grsecia 
orthodoxa,  t.   i,  p.   655-662,  d'où  Migne  l'en  a  tiré, 
P.   G.,  t.  clviii,  col.  977-984.  L'opuscule  d'Hilarion 
est  exclusivement  dirigé  contre  un  vieux  pamphlet 
composé   sur   le    même  sujet,   au  temps    de   Michel 
Cérulaire,  par  un  moine  rageur  de  Studium,  Nicétas 
Stethatos,  et    que    le    hasard   d'une  rencontre  avait 
mis  entre   les    mains   de   notre   auteur.   Hilarion    en 
réfute  les  puérils   arguments   et   s'efforce  de  prouver 
que    l'usage    latin    se    réclame    de    l'exemple    même 
du  Christ,    qui    a    célébré   la   Pàque    avec   du  pain 
azyme.  Mais  plus  équitable   que   le  fougueux   polé- 
miste qu'il   avait   entrepris  de  réfuter,   il    s'abstient 
de    condamner  l'usage  contraire   des    Orientaux    et 
termine  par  ces    belles  paroles,  qui  devraient  domi- 
ner toute  discussion  en  cette  matière  :   Et  hœc  scripsi 
vobis,    grœci    amicissimi,    non    panem  veslrum,    quem 
adorons    œque    ac    noslra    azijma    revercor    incusans  ; 
sed    exponens,    neque    probe,    neque     ut    christianum 
addecet,  vos  gercre,  dum  latinorum  azijma  dicto  faclo- 
que    lœditis,    injuriaque     afficitis.     Nicolas    Comnène 
Papadopoli,  Prœnotiones  mystagogiese  ex  jure  canonico, 
Padoue,  1697,  p.  361,  mentionne  encore,  comme  étant 
d'Hilarion,  un  Liber  de  processione  Spiritus  Sancli. 
Mais  on  sait  de  combien  d'auteurs  et  d'ouvrages  ima- 
ginaires  l'ex-jésuite   crétois   a   enrichi   la   littérature 
byzantine.  Nous  tiendrons  donc,  jusqu'à  preuve  du 
contraire,  cet  autre  traité  pour  non  avenu. 

f  L.  Petit. 

DICT.    DE    THÉOL.    CATH 


2.  HILARION,  abbé  bénédictin,  né  à  Gênes  et'mort 
à  Saint-Martin  de  Pegli  vers  1591.  Il  fit  profession  de 
la  vie  religieuse  à  l'abbaye  de  Saint-Nicolas  de  Bus- 
chetto  le  21  mars  1533  et  se  fit  remarquer  comme 
orateur  sacré.  Après  avoir  été  prieur  et  abbé  de  son 
monastère,  il  se  retira  à  Saint-Martin  de  Pegli,  paroisse 
dépendante  de  son  abbaye.  Il  publia  :  De  latissimo 
avaritise  dominatu  libri  quatuor,  in-4°,  Brescia,  1567; 
De  cambiis  libri  duo,  in-4°,  Brescia,  1567;  l'auteur 
n'admet  pas  la  licéité  des  opérations  du  change; 
Commenlaria  scu  animadversiones  in  sacrosancta 
quatuor  Evangelia  ad  verum  chrislianismum  continen- 
dum  non  inulilia,  in-4°,  Brescia,  1567.  On  a  encore 
de  cet  auteur  plusieurs  volumes  de  sermons.  Une  série 
de  17  discours  formant  un  tiaité  de  La  fréquente  com- 
munion se  trouve  à  la  suite  de  Sermoni  fatti  aile 
monache  di  Brescia,  in-4°,  Brescia,  1565. 

M.  Armellini,  Bibliotheca  benedictino-cassinensis,  in-fol.. 
Assise,  part.  III,  p.  226;  Ziegelbauer,  Historia  rei  literiariw 
ordinis  S.  Benedicti,  t.  iv,  p.  46;  [doin  François],  Bibliothèque 
générale  des  écriuains  de  l'ordre  de  Saint-Benoit,  t.  i,  p.  497. 

B.  Heurtebize. 
3.  HILARION  DE  MOGLÉNA,  que  le  Répertoire 
des  sources  historiques  d'Ulysse  Chevalier  désigne 
vaguement  comme  évêque  Meglinen.,  était  évêque 
de  Mogléna,  la  Meglen  ou  Moglen  des  Bulgares, 
dans  les  montagnes  de  même  nom  (en  turc  Karadj- 
Ova),  au  nord-est  du  lac  d'Ostrovo;  le  titulaire  du 
siège  réside  actuellement  à  Florina,  au  187e  kilomètre 
de  la  voie  ferrée  de  Salonique  à  Monastir.  Mention 
d'Hilarion  est  faite  dans  ce  dictionnaire  parce  que  s'a 
vie  fut  presque  exclusivement  consacrée  à  lutter 
contre  les  manichéens,  les  arméniens  et  surtout  les 
bogomiles,  qui  peuplaient  toute  la  région  de  Monastir, 
la  Bitolia  des  Slaves  et  la  Pélagonia  des  textes  grecs 
du  moyen  âge.  Il  en  convertit  quelques-uns;  contre 
les  récalcitrants,  il  recourut  au  bras  séculier,  et  l'em- 
pereur Manuel  donna  ordre  de  les  chasser  tous  du  pays. 
Il  mourut  le  21  octobre  1164,  et  son  nom  figure  parmi 
les  saints  du  calendrier  des  Églises  slaves.  Sa  vie  a  été 
écrite  par  Euthyme,  le  dernier  patriarche  bulgare  de 
Tirnovo.  et  traduite  en  allemand  par  E.  Kaluzniacki  : 
Werke  des  Pcdriarches  von  Bulgaricn  Euthijmius  (1375- 
1393)  nach  den  besten  Handschriflen,  in-8°,  Vienne 
1901,  p.  27-58.  Avant  cette  excellente  publication 
nous  n'en  possédions  qu'un  résumé,  donné  par  les 
bollandistes  dans  les  Acla  sanctorum,  octobris  t.  ix, 
p.  405-408,  et  par  Martinov,  Annus ecclesiaslicus  grœco- 
slavicus,  in-fol.,  Bruxelles,  1864,  p.  253-257. 

f  L.    Petit. 

HILDEBERT  DE  LAVARDIN.— I.  Vie.  II.Écrits. 

I.  Vie.  —  Il  naquit  à  Lavardin,  près  de  Montoire, 
ancien  diocèse  du  Mans  (Loir-et-Cher)  en  1056.  Il  ne 
fut  pas  moine  à  Cluny,  quoi  qu'en  ait  écrit  l'éditeur  de 
ses  œuvres,  dom  Beaugendre.  C'est  au  Mans  qu'il  dut, 
selon  toute  vraisemblance,  se  former  aux  études. 
L'école  de  cette  ville  était  alors  florissante.  L'évoque 
Hoel  (1085-1097)  lui  en  confia  la  direction,  en  atten- 
dant de  lui  conférer  la  dignité  d'archidiacre  (1092). 
La  meilleure  partie  du  clergé  et  le  peuple  se  trou- 
vèrent d'accord  pour  l'élever  à  l'épiscopat  (1097).  Cette 
élection  se  fit  à  rencontre  d'Hélie,  comte  du  Maine,  et 
de  Guillaume  Le  Roux,  roi  d'Angleterre;  elle  fut  éga- 
lement désapprouvée  par  des  membres  du  clergé  qui  ne 
craignirent  pas  de  porter  contre  Hiklebert  des  accusa- 
tions graves  et  fausses  devant  saint  Yves,  évêque  de 
Chartres.  Le  nouvel  évêque  du  Mans  eut  ainsi  à  s'af- 
franchir lui-même  de  la  servitude  de  l'investiture.  Il  le 
fit  avec  prudence  et  sans  faiblesse.  Il  put  soustraire 
aux  patrons  laïcs  un  certain  nombre  d'églises  et  les 
faire  rentrer  dans  le  patrimoine  commun.  Malgré  ses 
démêlés  pénibles  avec  le  roi  d'Angleterre  et  le  comte  du 
Maine,  il  s'occupa  très  activement  de  son  diocèse.  Les 


VI. 


78 


24G7 


HILDEBERT    DE    LAVARDIN 


HILDEGARDE    (SAINTE 


2468- 


intérêts  spirituels  réclamaient  ses  soins  autant  que  les 
intérêts  temporels.  Au  retour  d'un  voyage  qu'il  fit  à 
Rome  (1107)  et  dans  les  Deux-Siciles,  où  Roger,  fils 
de  Robert  Guiscard,  lui  fit  le  meilleur  accueil,  il  eut  à 
réprimer  les  excès  de  langue  du  prédicant  Henri, 
disciple  de  Pierre  de  Bruis,  qui  ameutait  les  fidèles 
contre  le  clergé.  Voir  col. 2178.  Ilréussit  à  faire  achever 
la  construction  de  son  église  cathédrale. 

A  la  mort  de  Gilbert,  archevêque  de  Tours,  Hilde- 
bert  recueillit  sa  succession  (1125).  Il  eut  à  résister 
dès  le  début  aux  empiétements  du  roi  Louis  le  Gros  sur 
l'administration  de  son  Église.  Ce  prince  prétendait  lui 
imposer  contre  tout  droit  un  doyen  et  un  archidiacre 
de  son  chapitre  cathédral.  Sa  constance  et  sa  modé- 
ration finirent  par  triompher  des  rigueurs  employées 
contre  lui  dans  le  but  de  fléchir  sa  volonté.  Au  milieu 
de  ces  difficultés,  il  chercha  toujours  un  appui  dû  côté 
du  souverain  pontife  et  de  son  légat.  Il  eut  le  chagrin 
de  ne  pouvoir  mettre  un  terme,  après  la  mort  de  Bau- 
dri,  évêque  de  Dol  (1130),  aux  prétentions  métropoli- 
taines de  cette  Église.  Le  pape  Honorius  II  l'avait 
chargé  précédemment,  sur  la  demande  de  Conan,  duc 
de  Bretagne,  d'assembler  avec  son  légat,  Girard  d'An- 
goulême,  un  concile  pour  remédier  aux  désordres  qui 
troublaient  cette  province  et  qui  eut  lieu  à  Nantes  en 
1127.  Voir  Mansi,  ConciL,  t.  xxi,  col.  351.  Il  dédia 
pendant  ce  voyage  l'église  abbatiale  de  Saint-Sauveur 
de  Redon.  A  la  mort  d'LIonorius  II,  sa  bonne  foi  se 
laissa  surprendre  par  Gérard  d'Angoulême,  partisan 
de  Pierre  de  Léon,  l'antipape  Anaclet.  Mais  saint  Ber- 
nard eut  tôt  fait  de  le  gagner  à  la  cause  du  pape  légi- 
time. Innocent  II.  Hildebert  mourut  le  18  décem- 
bre 1133. 

Ce  fut  l'un  des  meilleurs  évêques  de  son  temps. 
Doux,  affable,  toujours  disposé  à  rendre  service,  com- 
patissant envers  les  pauvres  et  les  affligés,  dévoué  au 
maintien  de  la  discipline  et  des  bonnes  mœurs,  à 
l'instruction  des  clercs  et  des  fidèles,  sincèrement  atta- 
ché aux  lois  de  l'Église,  prêt  à  tous  les  sacrifices  pour 
la  défense  de  ses  droits,  généreux  envers  les  monastères 
et  les  églises,  il  s'attira  l'estime  de  saint  Anselme,  de 
saint  Hugues  de  Cluny,  de  saint  Bernard  et  des  person- 
nages les  plus  vertueux.  Bien  que  plusieurs  écrivains  lui 
aient  décerné  le  titre  de  saint,  il  n'a  jamais  été  l'objet 
d'un  culte  liturgique  ni  au  Mans  ni  à  Tours.  Bien  qu'il 
ait  joué  un  rôle  considérable  au  Mans  et  à  Tours,  sa 
renommée  comme  évêque  n'égale  pas  devant  la  posté- 
rité celle  que  lui  ont  value  ses  écrits.  Sa  réputation  fut 
incontestée  jusqu'au  xive  siècle.  Les  maîtres  le  propo- 
saient à  l'admiration  et  à  l'imitation  de  la  jeunesse  des 
écoles.  Ses  vers  passaient  pour  des  chefs-d'œuvre  de  la 
littérature  chrétienne;  on  le  surnommait  egregius  ver- 
sificator.  On  apprenait  ses  lettres  par  cœur. 

II.  Écrits.  —  Baluze  prépara  une  édition  des  œuvres 
d'Hildebert,  qu'il  ne  put  achever.  Les  matériaux  réunis 
par  lui  sont  conserves  à  la  Bibliothèque  nationale 
parmi  ses  notes,  CXX.  Dom  Eeaugendre  fut  plus  heu- 
reux; son  édition  parut  à  Paris  en  1708.  Le  chanoine 
Bourassé  l'a  publiée  de  nouveau  avec  des  suppléments 
dans  la  P.  L.  de  Migne  en  1854.  L'édition  de  dom 
Beaugendre  a  été  sévèrement  critiquée  par  ses  con- 
frères, auteurs  de  l'Histoire  littéraire  de  la  France,  1754, 
t.  xi,  par  l'augustin  Xyste  Schier,  Dissertalio  de  Hil- 
deberli  operibus,  eorum  genuitate,  inlegritale,edilionibus, 
in-4°,  Vienne,  1767,  par  Victor  Leclerc,  en  1841,  dans 
?es  remarques  sur  l'Histoire  littéraire,  2e  édit.,  t.  xi, 
p.  20-2G,  et  par  Hauréau.  Nous  manquons  d'une  édi- 
tion à  laquelle  on  puisse  se  fer. 

Hauréau  a  fait  de  ses  poésies  une  étude  conscien- 
cieuse. Son  examen  porte  sur  les  Carmina  miscellanea, 
édités  par  Beaugendre,  les  pièces  de  même  nature 
imprimées  ailleurs  ou  restées  manuscrites.  La  critique 
qu'il  a  faite  des  141  sermons  que  lui  avait  attribués 


dom  Eeaugendre  a  été  désastreuse  :  54  appartiennent 
à  Geoffroy  Babion,  25  à  Pierre  Lombard,  24  à  Pierre 
Comestor,  7  à  Maurice  de  Sully,  21  ne  peuvent  être 
attribués  à  personne,  2  font  double  emploi,  4  peuvent 
être  d'Hildebert,  4  lui  appartiennent  sûrement.  La 
Bibliothèque  des  Pères  ne  lui  en  avait  attribué  que  trois. 
Dom  Beaugendre  a  publié  en  premier  lieu  les  lettres 
classées  suivant  leur  objet  en  trois  livres;  le  Ier  com- 
prend les  lettres  de  piété  et  de  morale;  le  IIe,  celles- 
qui  ont  trait  au  dogme  et  à  la  discipline;  le  IIIe,  la  cor- 
respondance d'amitié.  C'est  l'un  des  meilleurs  monu- 
ments littéraires  du  xne  siècle  :  la  langue  est  excel- 
lente, les  pensées  fines;  il  y  a  beaucoup  à  prendre  pour 
l'histoire.  Nous  n'avons  rien  de  mieux  dans  ses  écrits. 
On  les  a  fréquemment  copiées.  Ses  opuscules,  que  l'édi- 
teur donne  après  les  sermons,  comprennent  une  Vie  de 
sainte  Radegonde  et  une  autre  de  saint  Hugues,  abbé 
de  Cluny,  dont  l'authenticité  ne  semble  pas  douteuse; 
un  dialogue  en  prose,  en  vers,  De  quœrimonia  et  con- 
flictu  carnis  et  spiritus,  un  Tractatus  theologicus,  où 
l'on  trouve  un  exposé  de  la  doctrine  chrétienne  basé 
sur  l'Écriture  et  les  Pères,  qui  est  un  essai  de  la  mé- 
thode destinée  à  renouveler  sous  le  nom  de  scolastique 
l'enseignement  de  la  théologie,  et  quelques  opuscules 
liturgiques.  Les  poèmes  occupent  dans  le  recueil  de  ses 
œuvres  la  place  la  plus  importante.  On  y  trouve  quel- 
ques proses  et  des  épitaphes. 

Dom  Beaugendre,  Venerabilis  Hildeberti  Turonensis 
archiepiscopi  opéra,  tam  édita  quam  inedita,  in-fo!.,  Paris, 
1708;  P.  L.,  t.  clxxi,  col.  1-1463;  Histoire  littéraire  de  la- 
France,  Paris,  1869,  t.  xi,  p.  250-412;  dom  Ceillier,  Histoire 
générale  des  auteurs  ecclésiastiques,  t.  xiv,  p.  207-225; 
Hauréau,  Histoire  littéraire  du  Maine,  t.  vi,  p.  117-159; 
Notice  sur  les  mélanges  poétiques  d'Hildebert  de  Lavardin, 
dans  les  Notices  et  extraits  des  manuscrits,  t.  xxvm  b, 
p.  289-448;  Notice  sur  les  sermons  attribués  à  Hildebert  de 
Lavardin,  ibid.,  t.  xxxn  b,  p.  107-166;  de  Déservillers,  Un- 
évêque  au  XIIe  siècle.  Hildebert  et  son  temps,  in-8°,  Paris, 
1877;  Dieudonné,  Hildebert  de  Lavardin,  évêque  du  Mans, 
archevêque  de  Tours  (1056-1133),  sa  vie,  ses  lettres,  in-8°, 
Paris,  1898;  Franz  Barth,  Hildebert  von  Lavardin  (7056- 
1133)  und  dos  kirchliche  Slellenbestzungsrecht,  in-8°,  Stutt- 
gart, 1906;  Realencyclopàdie  fur  protestanlische  Théologie 
und  Kirche,  t.  vm,  p.  67-71. 

J.  Besse. 

HILDEBRAND.  Voir  Grégoire  VII  (saint),  col. 
1791-1804. 

HILDEGARDE  (Sainte).  —  I.  Vie.  II.  Œuvres- 
I.  Vie.  —  Sainte  Hildegarde  naquit  à  Bôckelheim 
(diocèse  de  Mayence),  vers  l'an  1100,  à  peu  près  sûre- 
ment en  1098.  Elle  fut  la  dixième  enfant  de  la  famille; 
cette  circonstance  décida  ses  parents  à  l'offrir  à  Dieu,, 
qui,  sous  la  loi  ancienne,  exigeait  la  dîme.  Quand  elle 
eut  huit  ans,  ils  la  présentèrent  à  Jutta  (Judith),  fille 
du  comte  de  Spanheim,  laquelle  s'était  retirée  près 
du  monastère  de  Disenberg,  au  mont  Saint-Disibode 
(Disibodenberg),  pour  y  vivre  en  recluse,  et  voyait 
des  imitatrices  de  son  exemple  se  grouper  autour 
d'elle.  Jutta  admit  Hildegarde  comme  oblate  sous  la 
règle  de  saint  Benoît.  Au  bout  de  sept  années  de  noviciat, 
Hildegarde  reçut  le  voile.  Après  la  mort  de  Jutta 
(1136),  elle  assuma  la  direction  de  la  petite  commu- 
nauté. En  1147,  ou  peut-être  en  1149  ou  1150,  elle 
partit  avec  dix-huit  religieuses  et  vint  se  fixer  à  Bingen, 
au  mont  Saint-Rupert  (Rupertsberg).  C'est  à  ce  mo- 
ment qu'elle  commença  de  devenir  illustre.  Sa  gloire  a 
rejailli  sur  Bingen,  dont  le  nom  est  devenu  inséparable 
du  sien;  elle  est  appelée  communément  sainte  Hilde- 
garde de  Bingen. 

L'influence  d'Hildegarde  fut  extraordinaire.  On  s'en 
rend  compte  par  sa  correspondance,  qui  la  montre  en 
rapports  avec  des  papes,  des  cardinaux,  des  arche- 
vêques, des  évêques,  des  abbés,  de  simples  moines,  des 
rois,  des  ducs,  des  gens  de  toute  condition  et  de  divers- 


2469 


HILDEGARDE   (SAINTE' 


2470 


pays.  De  partout  les  visiteurs  accouraient  demander 
ses  conseils.  Elle  entreprit,  en  dépit  d'une  santé  misé- 
rable, des  voyages  sans  nombre  dans  l'Allemagne. 
L'édification  et  la  reforme  du  peuple  chrétien,  et  surtout 
des  monastères,  donnent  l'explication  de  tant  de  lettres 
et  de  courses.  Bien  que  vouée  à  la  vie  contemplative 
par  sa  profession  et  par  son  attrait  intime,  Dieu,  dit 
P.  Franche,  Sainte  Hildegarde,  Paris,  1903,  p.  69, 
«  lui  confia  un  ministère  public.  Il  en  fit  son  porte- 
messages,  sa  voyageuse  à  travers  les  consciences,  la 
redresseuse  des  torts  commis  à  son  égard,  celle  qui 
devait  réveiller  les  âmes  de  leurs  oublis  épais  et  de  leurs 
sommeils  profonds.  » 

Parmi  des  difficultés  venues  du  dehors  et  du  dedans, 
Hildegarde  gouverna  sagement  son  monastère  et  lui 
imprima  un  essor  remarquable.  En  1165,  elle  fonda,  à 
Eibingen,  sur  l'autre  rive  du  Rhin  ■ —  la  rive  droite  ■ — ■ 
à  une  lieue  de  Saint-Rupert  et  presque  aux  portes  de 
Rudesheim.  une  nouvelle  maison  sous  le  vocable  de 
s;<int  Gisilbert  (Gilbert).  Elle  fit  des  miracles.  Ces 
prodiges,  si  providentiels  qu'ils  soient,  s'effacent  devant 
le  miracle  permanent  de  sa  carrière  «  d'apôtre  puisant 
directement  ses  inspirations  à  même  le  ciel...  Là  est... 
sa  forme  de  sainteté  à  elle,  et  dont  les  miracles  ordi- 
naires ne  sont  que  les  avenues  communes  à  tous.  » 
P.  Franche,  Sainte  Hildegarde,]).  192,193.  Le  miracle 
est  aussi  dans  cette  humilité  qui  fut  «  comme  son  am- 
biance et  son  atmosphère  ».  La  liturgie  exerça  sur 
Hildegarde  une  action  décisive;  «elle  est,  par  sa 
spiritualité,  dit  dom  M.  Festugière,  La  liturgie  catho- 
lique, dans  la  Revue  de  philosophie,  Paris,  1913,  t.  xxn, 
p.  770,  une  vraie  moniale  de  la  vraie  tradition;  elle 
vit  du  bréviaire  et  de  la  messe  chantée  conventuelle- 
ment.  » 

Hildegarde  mourut  le  17  septembre  1179.  Des  guéri- 
sons  se  produisirent  sur  sa  tombe,  et  le  concours  des 
pèlerins  fut  tel  que  les  religieuses  étaient  troublées 
dans  la  récitation  de  l'office  et  leurs  exercices  de  règle. 
L'archevêque  de  Mayence  enjoignit  à  la  sainte  de  ne 
plus  accomplir  de  miracles  extérieurs  en  ce  lieu  de  sa 
sépulture.  Elle  obéit;  à  partir  de  ce  moment,  son 
intercession  n'obtint  plus  que  des  faveurs  spirituelles. 
En  1233,  Grégoire  IX  ordonna  de  procéder  à  une 
enquête  de  canonisation.  Cette  tentative  n'aboutit 
point;  Innocent  IV  et  Jean  XXII  la  recommencèrent 
sans  résultat.  On  n'est  pas  fixé  sur  la  nature  des 
obstacles  que  rencontra  une  canonisation  en  apparence 
si  facile;  on  sait  seulement  que  Grégoire  IX  jugea  le 
premier  procès  fautif  et  en  prescrivit  un  second.  En 
tout  cas,  dès  le  xme  siècle,  la  fête  d'Hildegarde  fut 
célébrée  à  l'abbaye  de  Gembloux;  au  xive  siècle  elle 
paraît  dans  le  bréviaire  bénédictin.  Des  martyrologes 
particuliers  l'honorent,  au  moins  à  partir  du  xve  siècle, 
et  son  nom  est  inscrit  dans  le  martyrologe  romain,  à  la 
date  du  17  septembre. 

II.  Œuvres.  —  1°  Liste,  chronologie,  sujet,  état 
du  texte.  —  Le  premier  en  date  (1141-1151)  et  le  plus 
important  des  ouvrages  de  sainte  Hildegarde  est  le 
Scivias  (abréviation  de  Sci  vias  Domini;  cf.  sur  ce 
titre  l'explication  d'Hildegarde  dans  le  fragment  de 
la  lettre  De  modo  visitalionis  suœ  publié  par  les  bollan- 
distes,  Analecta  bollandiana,  Bruxelles,  1882,  t.  i, 
p.  599).  Dans  le  préambule  du  Liber  vitœ  meritorum, 
cf.  Pitra,  Analecta  sacra,  Mont-Cassin,  1882,  t.  vm, 
p.  7-8,  elle  dit  que,  de  1159  à  1164,  elle  composa  les 
Subtilitates  diversarum  nalurarum  creaturarum,  la 
Sgmphonia  harmonise  cselesiium  rcvelationum,  YIgnota 
lingua,  et  des  lettres,  cum  quibusdam  aliis  exposilio- 
nibus.  Ces  derniers  mots  peuvent  désigner  les  Exposi- 
tiones  quorumdam  Evangeliorum,  VExplanatio  regulœ 
sancti  Benedicii,  VExplanatio  symboli  sancli  Athanasii. 
Le  Liber  vitœ  meritorum  fut  écrit  de  1159  à  1164; 
le  Liber  divinorum  operum  de  1164  à  1170  au  plus  tôt. 


Les  deux  Vies  de  saint  Disibode  et  de  saint  Rupert 
sont  des  environs  de  1173.  On  ignore  la  date  du  Liber 
composites  medicinœ  de  segritudinum  causis,signis  atque 
curis,  de  diverses  œuvres  liturgiques,  poétiques,  musi- 
cales. Des  nombreuses  lettres  que  nous  possédons  il 
n'en  est  guère  qu'on  puisse  estimer  antérieures  à  1148; 
en  général,  les  dates  précises  manquent.  Sur  la  chrono- 
logie des  lettres  échangées  entre  la  sainte  et  Guibert 
de  Gembloux,  cf.  H.  Herwegen,  Les  collaborateurs  de 
sainte  Hildegarde,  dans  la  Revue  bénédictine,  Mared- 
sous,  1904,  t.  xxi,  p.  382-388.  La  lettre  qui  contient  les 
XXXVIII  quseslionum  sotutiones  est  de  1177. 

Le  Scivias,  le  Liber  vitœ  meritorum  et  le  Liber 
divinorum  operum  forment  une  trilogie  insigne.  Dans  le 
Scivias,  Hildegarde  fait  œuvre  dogmatique.  C'est 
plutôt  la  moraliste  qui  apparaît  avec  le  Liber  vitœ 
meritorum.  Le  Liber  divinorum  operum  est  d'ordre 
scientifique;  rattachons-y  les  Subtilitates  diversarum 
naturarum  creaturarum  ou  Liber  simplicis  medicinœ,  et 
le  Liber  compositœ  medicinœ,  qui  embrassent  toute 
l'histoire  naturelle  au  point  de  vue  de  la  médecine 
pratique.  L'Ignota  lingua  est  «  une  sorte  de  volapiick  », 
et  peut-être  «  un  travestissement  des  deux  langues  que 
possédait  Hildegarde,  l'allemand  et  le  latin,  amalgamés 
au  gré  de  la  fantaisie  ou  d'après  une  méthode  déter- 
minée de  substitution  de  voyelles  et  de  diphtongues 
à  d'autres.  »  P.  Franche,  Sainte  Hildegarde,  p.  96. 

Nous  n'avons  pas,  malheureusement,  cette  editionem 
vere  principem,  omnibus  numeris  absolulam,  que  le 
cardinal  Pitra,  Analecta  sacra,  t.  vm,  p.  xix;  cf.  p.n, 
600,  appelait  de  ses  vœux.  L'édition  du  Scivias  par 
Lefèvre  d'Étaples  (1513),  reproduite  par  Migne,  est 
défectueuse;  les  variantes  fournies  par  Pitra,  p.  503- 
517,  600-603,  et  la  nouvelle  édition  d'A.  Damoiseau 
(1893),  l'ont  améliorée,  mais  sans  conduire  à  un  texte 
de  tout  repos.  Pitra,  par  un  choix  de  variantes,  p.  603- 
607,  a  montré  combien  laisse  à  désirer  le  texte  du  Liber 
divinorum  operum,  des  lettres  et  des  Carmina,  donné 
par  Migne.  Les  Expositiones  quorumdam  Evangeliorum 
n'offrent  probablement  pas  le  texte  d'Hildegarde,  mais 
des  rédactions  de  ses  religieuses  écrivant  dans  le  calme 
de  leur  cellule  ce  qu'elles  avaient  entendu  au  chapitre. 
Entre  le  texte  de  l'édition  de  1533  des  Subtilitates 
diversarum  naturarum  creaturarum  et  celui  d'un  manu- 
scrit du  xvc  siècle  qu'a  utilise  le  nouvel  éditeur,  le 
D'  Daremberg  (dans  la  Palrologie  de  Migne),  il  y  a  con- 
tinuellement non  seulement  des  variantes  de  détails, 
mais  encore  des  changements  substantiels;  l'écrit  origi- 
nal a  été  indignement  revu,  augmenté  et  défiguré. 
La  fameuse  lettre  Ad  prœlatos  Moguntinenses,  P.  L., 
t.  cxcvn,  col.  218-243,  renferme  dix  pièces  différentes 
cousues  bout  à  bout.  L'authenticité  de  quelques 
lettres  n'est  pas  très  sûre.  P.  von  Winterfeld,  Die  vier 
Papslbriefe  in  der  Briefsammlung  der  h}  Hildegard, 
dans  Ncues  Archiv  der  Gesellschaft  fur  altère  deulsche 
Gesrhichtskunde,  Hanovre,  1901,  t.  xxvin,  p.  237-244, 
a  prouvé  que  les  trois  lettres  de  papes  qui  ouvrent  le 
recueil  des  lettres  d'Hildegarde,  dans  P.  L.,  t.  cxcvn, 
col.   145,   150-151,   153,  sont  apocryphes. 

On  a  faussement  attribué  à  Hildegarde  le  Spéculum 
futurorum  temporum  ou  Pentachronon  (ainsi  désigné 
parce  qu'il  est  divisé  en  cinq  temps,  qui  commencent 
en  1100);  c'est  une  chaîne  des  prophéties  de  la  sainte, 
que  Gebenon,  prieur  d'Everbach,  composa  en  1220. 
Plusieurs  prophéties  apocryphes  ont  été  imprimées 
sous  le  nom  d'Hildegarde.  Cf.  F. -A.  Reuss,  P.  L., 
t.  cxcvn,  col.  143;  Pitra,  p.  xxn.  Une  prétendue 
Revelalio  Hildcgardis  de  Iralribus  quatuor  mendicanlium 
ordinum,  où  l'apostat  C.  Oudin,  Commentarius  de 
scriptoribus  Ecclesiœ  antiquis,  Leipzig,  1722,  t.  ij, 
col.  1572,  si  hostile  pourtant  aux  révélations  des 
femmes,  admirait  la  peinture  tracée  d'avance  des 
méfaits  des  ordres  mendiants  et  des  jésuites,  est  une 


2471 


I1ILDEGARDE   (SAINTE) 


2472 


supercherie  grossière,  qui  pourrait  remonter  au  temps 
des  luttes  de  Guillaume  de  Saint-Amour  contre  les 
dominicains  et  les  franciscains  et  qui  aurait  subi  des 
changements  dans  la  suite.  Cf.  Papcbroch,  Acta 
sanclorum,  3e  édit.,  Paris,  1865,  martii  t.  i,  p.  665- 
666;  Stilting,  ibid.,  septembris  t.  v,  p.  676;  J.-G.-V. 
Engelhardt,  Observationes  de  prophetia  in  fralres 
minores  falso  adscripla,  Erlangen,  1833. 

2°  La  composition  des  œuvres.  —  Dès  l'âge  de  trois 
ans,  Hildegarde  vécut  habituellement  dans  le  monde 
ries  visions  surnaturelles.  En  1141,  un  trait  de  feu  parti 
du  ciel  entr'ouvert  pénétra  son  cerveau  et  son  cœur. 
<  A  l'instant,  je  recevais  l'intelligence  du  sens  des 
Livres  saints,  c'est-à-dire  du  psautier,  de  l'Évangile  et 
des  autres  livres  catholiques  de  l'Ancien  et  du  Nouveau 
Testament  »,  raconte-t-elle,  préface  du  Scivias,  dans 
Pitra,  Analecta  sacra,  t.  vin,  p.  504.  En  même  temps 
une  voix  d'en  haut  lui  disait  :  «  Cendre  de  cendre, 
pourriture  de  pourriture,  dis  et  écris  ce  que  tu  vois  et 
entends.  »  Hildcgarde,  par  humilité,  ne  voulait  pas 
écrire.  Mais  la  voix  insistait,  et  la  maladie  fondit  sur 
elle  jusqu'à  ce  qu'elle  obéît.  Or,  sa  culture  littéraire 
se  bornait  à  savoir  lire  et  écrire,  ainsi  qu'à  une  con- 
naissance élémentaire  du  latin.  Elle  eut  donc  besoin  de 
collaborateurs  pour  suppléer  aux  insuffisances  de  sa 
formation  intellectuelle. 

Le  premier  collaborateur  d'Hildegarde,  comme  l'a 
établi  dom  H.  Herwegen,  de  qui  nous  résumons  ici  les 
belles  études  publiées  par  la  Revue  bénédictine,  Mared- 
sous,  1904,  t.  xxi,  fut  Volmar,  moine  de  Disibodenberg, 
plus  tard  premier  prœposilus  (chargé  de  la  direction 
des  moniales  et  de  l'administration  des  biens)  du 
monastère  de  Rupertsberg,  le  confident  le  plus  intime 
de  la  sainte  abbesse.  Il  corrigea  les  expressions  d'Hil- 
degarde «  suivant  les  règles  de  la  grammaire,  mais  sans 
chercher  à  les  revêtir  des  ornements  du  style  »,  dit-elle. 
Pitra,  p.  432-433.  En  même  temps  que  Volmar,  deux 
filles  spirituelles  d'Hildegarde  prêtaient  leur  main  à 
son  œuvre  ;  tandis  que  Volmar  avait  la  charge  de  gram- 
mairien, elles  tenaient  la  plume  et  écrivaient  sous  la 
dictée  de  leur  mère  et  amie.  Hildegarde  allègue,  en 
tête  de  ses  écrits  mystiques,  le  «  témoignage  »  de  Vol- 
mar et  des  deux  moniales.  Ce  témoignage  paraît  être 
«  non  pas  en  faveur  de  la  sainte,  mais  plutôt  du  lecteur 
à  qui  sont  proposés  des  mystères  si  sublimes.  Il  doit 
avoir  la  certitude  que  l'auteur  n'était  pas  sans  témoin, 
quand  il  écrivait  des  choses  aussi  sublimes,  que  ces 
1  rmoins  avaient  confiance  en  la  sainte  et  se  portaient 
garants  de  ce  qu'elle  proposait  ».  Le  moine  et  les  mo- 
niales «  attestent  donc  que  l'abbesse  ne  se  hâta  point 
de  publier  ses  révélations,  mais  qu'alors  enfin  elle  se 
mit  à  écrire  lorsque  Dieu  par  une  maladie  la  contrai- 
gnit à  obéir.  »  Revue  bénédictine,  t.  xxi,  p.  201,  307. 
Après  la  mort  de  Volmar,  Louis,  abbé  de  Saint- 
Eucher  de  Trêves,  et  Wescelin.  prévôt  de  Saint-André 
rie  Cologne,  lui  succédèrent  comme  collaborateurs  de 
la  sainte.  Mais  leurs  occupations  ne  leur  permettaient 
pas  de  séjourner  longtemps  à  Rupertsberg.  Pendant 
leur  absence,  ils  se  firent  remplacer  par  les  moines 
Codefroy  et  Thierry,  les  biographes  d'Hildegarde.  Pour 
ia  collaboration  de  Louis  et  de  Wescelin,  nous  avons  un 
texte  qui  ne  laisse  pas  de  doute;  pour  celle  de  Godefroy 
!  t  de  Thierry,  nous  avons  des  probabilités.  La  tâche 
des  uns  et  des  autres  doit  être  placée  entre  la  mort  de 
Volmar  (plutôt  après  qu'avant  1170,  cf.  Revue  béné- 
dictine, t.  xxi,  p.  386-388)  et  l'arrivée  de  Guibert  de 
Gembloux  (1177).  Leur  collaboration  ne  fut  qu'occa- 
sionnelle, tandis  que  celles  de  Volmar  et  du  moine  de 
Gembloux  s'exercèrent  d'une  façon  continue  (celle-ci 
de  1177  à  la  mort  de  la  sainte  en  1179). 

Hildegarde  avait  appelé  Guibert  uniquement  pour 
avoir  un  correcteur  assidu.  Quelle  fut  la  nature  de  cette 
collaboration  ?  «  Ce  n'est  pas  sans  quelque  appréhen- 


sion que  l'on  voit  un  homme  dont  le  style  manque  abso- 
lument de  simplicité  et  de  naturel,  un  homme  possédé 
de  la  manie  de  corriger  et  de  changer,  devenir  le  colla- 
borateur de  notre  sainte.  »  Il  tenta  tous  les  efforts  pour 
qu'elle  lui  permît  de  revêtir  ses  écrits  des  ornements  du 
style,  ainsi  qu'il  s'exprime.  Elle  céda  enfin  à  ses  ins- 
tances, mais  en  marquant  deux  restrictions  :  elle 
exigeait  de  conserver  pleinement  le  sens  du  moins 
quant  aux  visions,  salva,  sicut  prœmisi,  quantum  ad 
visiones  pcilinet,  sensuum  quos  posuerim  inlcgrilate, 
et  la  permission  se  limitait  aux  écrits  qu'elle  avait 
jusqu'à  ce  jour  adressés  à  Guibert  ou  qu'elle  lui  adres- 
serait à  l'avenir.  «  Guibert  a-t-il  bien  rempli  ce  mandat, 
a-t-il  fidèlement  observé  ces  restrictions?  Pour  autant 
que  les  textes  permettent  de  juger,  nous  croyons  devoir 
répondre  affirmativement  »,  conclut  dom  Herwegen. 
Revue  bénédictine,  t.  xxi,  p.  393;  cf.  p.  393-396. 

3°  Valeur  des  révélations.  —  Sainte  Hildegarde,  dans 
la  lettre  De  modo  visitationis  suœ,  cf.  Pitra,  p.  331-334, 
s'explique  sur  le  caractère  de  ses  visions.  Elle  était 
plongée  dans  une  lumière,  qu'elle  appelle  «  l'ombre  de 
la  lumière  vivante  ».  Et,  ut  sol,  luna  et  stellse  in  aquis 
apparent,  dit-elle,  ila  scriplurœ,  sermones,  virtules  et 
quœdam  opéra  hominum  formata  mihi  in  illo  resplen- 
clcnl.  Ses  sens,  cependant,  agissaient  dans  leur  sphère 
propre.  C'est  en  parfait  état  de  veille,  les  yeux  ouverts, 
le  jour  et  la  nuit,  qu'elle  recevait  ses  visions.  Quand  il 
plaisait  à  Dieu,  son  âme  montait  sur  les  hauteurs  du 
firmament  et  allait  au  milieu  des  peuples  divers  habi- 
tant des  pays  éloignés.  Parfois,  et  non  fréquemment, 
dans  cette  lumière  elle  voyait  une  autre  lumière,  quse 
Lux  vivens  mihi  nominala  est,  ajoute-t-elle,  et  quando, 
et  quomodo  illam  videam  proferre  non  valeo  ;  atque 
intérim,  dum  illam  video,  omnis  tristilia  et  omnis 
anguslia  a  me  auferlur,  ita  ut  tune  velut  mores  simplicis 
pucllœ  et  non  vetulœ  mulieris  habeam. 

Telles  que  ses  écrits  nous  les  livrent,  les  visions 
d'Hildegarde  sont  des  visions-images.  Elles  suivent 
toujours  le  même  processus  :  dans  la  lumière  qui  luit 
en  elle,  comme  sur  un  écran,  une  image  lui  apparaît 
de  forme  matérielle  et  agrandie.  C'est  une  montagne, 
un  coin  de  firmament,  un  abîme,  un  édifice,  une  tour, 
une  silhouette  de  bête  ou  d'homme  ou  de  monstre 
(ces  dernières  sont  particulièrement  saisissantes). 
«La  sainte  voit  donc:  elle  ne  saisit  pas  tout  d'abord. 
Alors,  du  foyer  de  lumière,  une  voix  s'exhale  qui 
explique  la  signification  symbolique  et  mystique  de  la 
projection.  Nous  étions  avec  la  voyante  devant  une 
énigme,  et  l'énigme  se  change  en  un  tableau  d'où  se 
dégage  l'enseignement  doctrinal,  historique,  prophé- 
tique, ou  moral.  »  Franche,  Sainte  Hildegarde,  p.  160- 
161.  L'Écriture  est  abondamment  mise  à  contribution, 
mais  sans  qu'Hildegarde  cesse  d'être  originale  dans  le 
tour  de  ses  expressions  et  la  forme  de  ses  images. 

Du  reste,  elle  décrit  et  elle  explique  à  la  façon  de 
son  temps,  qui  aime  l'allégorie,  se  plaît  aux  subtilités, 
ne  redoute  pas  les  crudités  du  style  et,  «  si  facilement, 
éparpille  la  grimace  dans  la  splendeur  des  formes  archi- 
tecturales. N'oublions  pas,  dit  justement  Franche, 
p.  160,  que  Dieu  agit  sur  des  instruments  humains 
qu'il  pourrait  transposer,  mais  dont  il  respecte  les 
données  et  les  aptitudes,  évitant  de  les  dénaturer  et 
de  les  délocaliser.  Hildegarde  résume  en  elle  tout 
l'esprit  religieux,  toute  la  mystique  du  moyen  âge.  » 
C'est  se  tromper  lourdement  que  de  qualifier  d'«  élu- 
cubrations  d'une  femme  malade  »  et  de  «  visions  ob- 
scures, biscornues  et  incohérentes  »,  comme  l'a  fait 
A.  Mobilier,  dans  la  Revue  historique,  Paris,  1904. 
t.  lxxxv,  p.  88,  les  révélations  de  la  bénédictine  de 
Bingen,  sous  prétexte  qu'elles  portent  la  marque  de 
leur  siècle,  que  certains  des  matériaux  qui  servent  à 
traduire  sa  pensée  sont  pour  nous  hors  d'usage.  Certes, 
il  y  a  profit,  pour  comprendre  Hildegarde,  à  la  replacer 


2473 


HILDEGARDE   (SAINTE) 


2474 


dans  son  milieu,  comme  A.  Molinier  y  invite,  à  rappro- 
cher de  ses  œuvres,  par  exemple,  «  la  biographie  de 
sainte  Marie  d'Oignies  par  Jacques  de  Vitry,  les  lettres 
d'Olivier  le  scolastique,  ou  encore  le  De  Andchristo 
de  Géroh  de  Reichersperg  et  le  De  duabus  civitatibus 
d'Otto  de  Freisingen  »,  à  étudier  «  le  mouvement 
mystique  dont  l'Allemagne  et  principalement  les 
vallées  du  Rhin  et  de  la  Meuse  furent  alors  le  théâtre  ». 
Mais,  loin  de  la  diminuer,  ces  comparaisons  mettent  en 
valeur  la  beauté  de  ses  écrits  et  ce  qu'ils  gardent  de 
jeune,  de  vivant,  de  splendide,  en  dépit  de  détails 
vieillis  et  de  conceptions  surannées.  Stilting,  Acla 
sanctorum,  septembris  t.  v,  p.  655,  se  déclarait  stupé- 
fait de  ce  qu'une  femme  ignorante  et  dépourvue 
d'études,  consultée  sur  les  questions  les  plus  difficiles 
de  la  théologie  et  de  l'Écriture,  eût  donné  sans  hésita- 
tion des  réponses  parfaites.  Là  est,  en  effet,  la  mer- 
veille :  une  moniale,  qui  sait  à  peine  lire  et  écrire,  en 
même  temps  qu'elle  est  la  bonne  conseillère  des  plus 
illustres  de  ses  contemporains,  publie  un  ensemble  de 
travaux  aux  vastes  proportions  qui  sont  «  une  Somme 
de  toute  la  science  du  moyen  âge  »,  et  qui,  «  à  travers 
les  faiblesses  manifestes  qui  sont  la  part  humaine  de 
cette  œuvre  »,  étincellent  de  beautés,  devancent  de 
beaucoup,  en  matière  scientifique,  les  connaissances  du 
xiie  siècle,  et  évoluent  dans  les  sphères  du  dogme  «  avec 
une  sûreté  de  vue  bien  merveilleuse  quand  on  pense 
que  cette  humble  religieuse  n'eut  pas  de  maîtres 
humains.  »  Franche,  Sainte  Hildegarde,  p.  158, 159, 163. 
L'Église  a-t-elle  approuvé  les  ouvrages  de  sainte 
Hildegarde?  Ne  tenons  pas  compte  des  lettres  d'appro- 
bation des  trois  papes,  Eugène  III,  Anastase  IV  et 
Adrien  IV,  qui  se  lisent  dans  Migne  et  qui  ont  été 
reconnues  apocryphes.  Si  la  lettre  d'Eugène  III  n'est 
pas  authentique,  les  moines  Godefroy  et  Thierry, 
Vila  sanclse  Hildegardis,  1.  I,  c.  i,  n.  5,  P.  L.,  t.  cxcvn, 
col.  95,  nous  apprennent  qu'il  y  eut  une  lettre  de  ce 
pape  encourageant  la  sainte  à  écrire  quœcumque  pcr 
Spirilum  Sanclum  cognovissel;  elle  fut  rédigée  à  la 
suite  d'une  enquête  de  délégués  pontificaux  et  de  la 
lecture  par  Eugène  IV  du  commencement  du  Scivias 
(probablement  vers  la  fin  de  1147'!.  Sur  le  rôle  de  saint 
Rernard,  cf.  E.  Vacandard,  Vie  de  saint  Bernard, 
Paris,  1895,  t.  n,  p.  318-319,  322,  324.  On  a  cru  qu'Hil- 
degarde  vint  à  Paris  et  à  Tours,  qu'elle  confia  ses 
ouvrages  à  Maurice  de  Sully,  afin  qu'il  les  fît  examiner 
par  les  maîtres  de  l'université,  et  que  Guillaume 
d'Auxerre  les  «rendit  en  affirmant  quela  doctrine  d'Hil- 
degarde  était  celle  des  maîtres»  mu  gistrorumsenlentia,  et 
que  dans  ses  ouvrages  non  esse  verba  humana  sed  divina. 
Cf.  les  Acla  inquisilionis  de  virtulibus  et  miraculis  s 
sanclse  Hildegardis  (du  temps  de  Grégoire  IX),  n.  9, 
dans  Acla  sanctorum,  septembris  t.  v,  p.  699.  Ce  voyage 
d'Hildegarde  semble  légendaire.  Cf.  E.  Vacandard, 
op.  cit.,  t.  ii,  p.  326;  Franche,  Sainte  Hildegarde, 
p.  79-82.  Il  est  possible  que  Guibert  de  Gembloux, 
qui  alla  à  Saint-Martin  de  Tours  vers  1180,  ait  consulté 
les  professeurs  en  renom  de  Paris  sur  les  œuvres  d'Hil- 
degarde et  que,  plus  tard,  par  une  confusion  assez  natu- 
relle, peut-être  par  l'inadvertance  d'un  copiste,  on  ait 
attribué  à  Hildegarde  elle-même  cette  consultation  et 
ce  voyage.  Grégoire  IX,  «  qui  fut  un  pape  de  doctrine  », 
dit  Franche,  p.  163,  soumit,  avec  la  vie  et  les  miracles 
de  la  sainte,  «  ses  écrits  à  un  examen  rigoureux,  à 
une  sévère  discussion,  sans  qu'on  y  relevât  une  erreur 
—  témoignage...  probant...  de  l'orthodoxie  de  sa  théo- 
logie, puisqu'il  émane  de  l'autorité  doctrinale.  »  En 
réalité,  nous  n'avons  pas  une  déclaration  explicite  de 
Grégoire  IX.  Nous  savons  seulement  qu'il  ordonna  de 
reprendre  le  procès  de  canonisation  à  cause  des  vices 
de  forme  de  la  première  enquête.  Cf.  Acta  sanctorum, 
septembris  t.  v,  p.  678.  Tout  porte  à  croire  que 
les    ouvrages   d'Hildegarde  subirent   à  leur    honneur 


l'épreuve  de  l'examen  en  vue  du  culte  public  à  rendre 
à  leur  auteur;  rien  de  positif  ne  l'établit. 

Bref,  toute  l'approbation  officielle  des  révélations  de 
sainte  Hildegarde  se  réduit  à  l'encouragement  à  écrire 
tout  ce  que  lui  faisait  connaître  le  Saint-Esprit,  qui  lui 
vint  du  pape  Euglne  III  dans  les  circonstances  que 
nous  avons  dites  (Benoît  XIV,  De  servorum  Dei 
beatificatione  et  beatorum  canonizationc,  1.  II,  c.  xxv, 
n.  3;  c.  xxxu,  n.  11;  1.  III,  c.  ult.,  n.  18,  Bassano,  1767, 
t.  ii,  p.  118,  139,  278,  n'en  mentionne  pas  d'autre), 
et  à  l'inscription  de  son  nom  dans  le  martyrologe 
romain.  C'est  moins  que  l'Église  n'a  fait  pour  une  sainte 
Brigitte  et  une  sainte  Thérèse;  c'est  assez  pour  attri- 
buer une  haute  valeur  aux  révélations  hildegardiennes. 
Quand  l'Église  approuve  des  révélations  privées,  elle 
ne  les  impose  pas  à  la  foi  des  fidèles;  c'est  un  laissez- 
passer  qu'elle  donne,  non  une  déclaration  positive 
d'authenticité.  A  plus  forte  raison  en  va-t-il  de  la 
sorte  quand  elle  se  prononce  comme  dans  le  cas  pré- 
sent. La  liberté  de  l'adhésion  reste  donc  entière; 
mais,  à  la  suite  de  l'assentiment  relatif  de  l'Église,  on 
est  fortement  incliné  à  admettre  l'existence  de  dons  sur- 
naturels lorsqu'une  femme  illettrée,  qui  s'affirme  éclairi  e 
d'en  haut,  traite  magnifiquement  des  plus  hautes 
questions,  et  que,  par  ailleurs  —  c'est  le  cas  pour  Hilde- 
garde —  elle  est  une  merveille  de  vie  humble   et  sainte. 

4°  Les  prophéties.  —  Faut-il  attribuer  des  prophéti'  s 
à  Hildegarde?  Ses  contemporains  le  firent.  Au  xma 
siècle,  Gebenon  d'Everbach  recueillit,  sous  le  titre  de 
Spéculum  juturorum  temporum,  tout  ce  que  la  sainte 
de  prsesenti  statu  Ecclesise  et  de  juturis  temporibus  usque 
ad  Antichristum  et  de  ipso  Antichristo  prophelavit. 
Pitra,  p.  483.  Le  bollandiste  Stilting,  au  xvme  siècle, 
se  complut  à  relever  toutes  les  prophéties  qui  lui 
parurent  accomplies.  Cf.  Pitra,  p.  xvi-xvn.  Au  xixe  siè- 
cle, Gôrres,  La  mystique  divine,  naturelle  et  diabolique, 
trad.  C.  Sainte-Foi,  Paris,  1855,  t.  i,  p.  468,  vit  dans 
des  faits  récents  la  réalisation  de  ce  qu'elle  avait 
annoncé.  Il  y  a  mieux;  un  anonyme,  dans  un  article 
intitulé  :  Le  passé,  le  présent  et  l'avenir  de  l'Église, 
publié  par  la  Revue  du  monde  catholique,  Paris,  1874, 
t.  xl,  p.  23-31,  prétendit,  développant  une  pensée  de 
Gebenon,  dans  Pitra,  p.  488,  qu'Hildegarde  est  l'aigle 
de  l'Apocalypse,  vm,  13,  l'aigle  second  succédant  direc- 
tement à  saint  Jean,  qui  fut  l'aigle  premier,  que  l'esprit 
prophétique  se  serait  éteint  jusqu'à  elle  et  encore  après, 
sainte  Brigitte  et  sainte  Catherine  de  Sienne  n'étant 
que  des  prophètes  partiels,  qu'elle  a  contemplé  les 
destinées  de  l'Église.  Sans  adopter  «  cette  hypothèse 
intéressante  sans  doute,  mais  peut-être  un  peu  con- 
fiante »,  et  tout  en  jugeant  que,  si  Dieu  lui  a  révélé 
le  mystère,  «  il  ne  lui  a  pas  transmis  le  verbe  qui  éclaire 
ces  ténébreuses  régions  de  l'avenir  »,  Franche  admet 
que  les  écrits  d'Hildegarde  «  contiennent  l'annonce 
du  protestantisme  »  et  que,  dans  sa  lettre  au  clergé  de 
Cologne,  en  particulier,  P.  L.,  t.  cxcvn,  col.  244-253. 
il  est  aisé  de  saisir  «  tout  le  dessin  de  la  Réforme  •>. 
Sainte  Hildegarde,  p.  171,  129,  131;  cf.  p.  181. 

Un  mot  de  Gebenon  aide  à  ramener  ces  interpréta- 
tions à  de  justes  limites.  Des  lecteurs  sont  rebutés  par 
l'obscurité  des  livres  d'Hildegarde;  ils  ne  comprennent 
pas,  dit  le  bon  prieur  d'Everbach,  quod  hoc  est  argumen- 
tum  verse  prophétise,  omnes  enim  prophétie  obscure  loqui 
quasi  in  usu  habent.  Pitra,  p.  485.  La  vérité,  c'est  que  les 
prédictions  d'Hildegarde,  sans  en  excepter  celles  qu'on 
a  appliquées  au  protestantisme,  sont  si  obscures  et, 
d'ordinaire,  formulées  en  des  termes  si  vagues,  si  géné- 
raux, que  nous  ne  pouvons  en  faire  état  avec  certitude. 
Où  l'on  signale,  par  exemple,  le  portrait  des  luthériens 
il  serait  aussi  légitime  de  distinguer  celui  des  cathares. 
Incapables  de  discerner  sûrement  l'accomplissement  des 
prophéties  hildegardiennes  dans  les  siècles  écoulés  entre 
la  sainte  et  nous,  plus  encore  ne  sommes-nous  pas  en 


2475 


HILDEGARDE    (SAINTE' 


2476 


mesure  de  déchiffrer  «race  à  elle  l'énigme  des  temps 
futurs  et  de  la  fin  du  monde.  Constatons  seulement  que, 
à  la  différence  de  tant  d'écrivains  de  tous  les  âges  et 
spécialement  du  sien,  Hildegarde  ne  crut  pas  à  l'immi- 
nence de  l'arrivée  de  l'Antéchrist.  Dies  mœroris  et 
tristilias  nondum  adsunt,  dit-elle.  Liber  divinorum 
operum,  pari.  III,  vis.  x,  n.  15,  P.  L.,  t.  cxcvu,  col. 
1017.  Cf.  Gebenon,  dans  Pitra,  p.  484,488.  Que  si  elle 
dit  ailleurs,  Scivias,  1.  III,  visio  xi,  P.  L.,  t.  cxcvu, 
col.  716,  que  l'Antéchrist  in  brcvissimo  tempore  vcniet, 
elle  signifie  par  là  que,  l'incarnation  ayant  eu  lieu  au 
sixième  âge  du  monde,  qui  correspond  à  la  partie  du 
jour  qui  s'écoule  de  none  à  vêpres  (depuis  3  heures  du 
soir  jusqu'à  6  heures),  et  conc  lorsque  le  monde  courait 
déjà  à  son  déclin,  le  septième  âge  est  venu,  celui  qui  cor- 
respond à  la  chute  du  jour,  le  dernier  de  la  vie  de  l'huma- 
nité, quelle  que  soit  la  durée  de  cet  âge,  connue  de  Dieu 
seul.  Cf.  col.  714-716.  Cf.  encore  sa  correspondance  avec 
sainte  Elisabeth  de  Schonau,  P.L.,t.  cxcvu,  col. 215-217. 

5°  La  théologie.  —  Un  exposé  méthodique  et  complet 
de  la  théologie  d'Hildegarde  serait  d'un  grand  prix. 
Le  Scivias,  à  lui  seul,  est  un  traité  dogmatique  qui 
passe  en  revue  Dieu  dans  son  unité  et  sa  trinité,  les 
anges,  l'homme,  la  déchéance  et  le  relèvement,  l'An- 
cien Testament  et  le  Nouveau,  l'eucharistie  et  les 
sacrements.  l'Église  et  les  fins  dernières.  Force  nous 
est  de  nous  borner  à  des  indications  rapides. 

Voici  un  aperçu  des  données  doctrinales  de  la  longue 
lettre  composite  Ad  prsclatos  Moguntinenses.  Sur 
l'eucharistie,  après  avoir  signalé  la  pratique  de  la  com- 
munion à  peu  près  mensuelle  dans  son  monastère, 
P.  L.,  t.  cxcvu,  col.  219,  elle  formule  le  dogme  de  la 
transsubstantiation  et  emploie  le  mot,  col.  224.  Voir 
t.  v.  col.  1291.  A  propos  de  la  corruption  des  espèces 
eucharistiques  par  la  moisissure  ou  de  leur  manduca- 
tion  par  des  animaux,  elle  dit  :  ista  iamen  in  sacramento 
visibili  vel  sola  specie  exteriori  sunt,  virtuie  et  gralia 
ipsius  sacramenti  illibala  et  incorrupia  divinitus 
conservala,  col.  225;  sa  solution  de  ce  problème,  qui 
avait  embarrassé  tant  de  ses  contemporains  et  de  ses 
prédécesseurs,  n'est  pas  entièrement  heureuse.  Elle 
s'exprime  exactement  sur  le  cas  d'une  messe  où,  par 
négligence,  le  vin  aurait  manqué  dans  le  calice,  col.  225. 
Si  quelqu'un  ne  peut  recevoir  la  communion  à  cause  du 
péril  de  vomissement,  elle  veut  que  le  prêtre  mette 
l'eucharistie  sur  la  tête  et  le  cœur  du  malade  en  implo- 
rant pour  lui  la  grâce  divine,  col.  227.  Ailleurs,  surtout 
dans  le  Scivius,  1.  II,  vis.  vi,  elle  reprend  ce  beau  sujet 
de  l'eucharistie,  non  sans  exagérer  l'importance  de 
l'eau,  qu'elle  semble  égaler  à  celle  du  pain  et  du  vin, 
col.  532.  La  communion  normale  des  adultes  qu'elle 
mentionne  est  la  communion  sous  les  deux  espèces, 
nisi  prœ  simplicilale  accipienlis  sacerdos  timeat  peri- 
culum  ef/usionis;  s'il  en  est  ainsi,  le  communiant,  à 
l'instar  des  enfants,  ne  recevra  que  l'espèce  du  pain. 
Le  célébrant  doit  employer  les  paroles  et  les  vêtements 
qui  furent  en  usage  dans  l'antiquité.  Celui  qui  est  en 
état  de  péché  mortel  est  tenu,  avant  de  célébrer,  à 
confesser  sa  faute  à  un  prêtre,  col.  533  ;  cf.  col.  535. 
La  loi  du  célibat  s'impose  à  lui,  quoiqu'il  y  ait  eu  de 
bonnes  raisons  pour  qu'elle  ne  fût  pas  imposée  aux 
premiers  temps  de  l'Église,  col.  543-544. 

Revenons  à  la  lettre  Ad  pnelulos  Moguntinenses.  Elle 
offre  des  vues  intéressantes  sur  nos  premiers  parents, 
L'état  d'innocence  et  la  chute.  Ne  nous  arrêtons  pas  à 
cette  thèse,  qu'Adam  et  Eve  péchèrent  et  furent  expul- 
sés du  paradis  terrestre  le  jour  même  de  leur  création, 
col.  222-223;  cf.  col.  530;  Hildegarde  l'a  en  commun 
avec  Dante,  Paradiso,  xxvi,  139-112,  et  nombre  de 
théologiens.  Voyons  plutôt  la  belle  théorie  sur  la 
musique  sacrée,  le  chant  liturgique.  D'après  J.-K.  Huys- 
mans,  En  rouir,  5e  édit.,  Paris,  1895,  p.  429,  Hilde- 
garde   définirait  excellemment    l'art  :    «  une  réminis- 


cence à  moitié  effacée  d'une  condition  primitive  dont 
nous  sommes  déchus  depuis  l'Éden.  »  Sous  cette  forme, 
la  définition  n'est  pas  d'Hildegarde;  l'idée  est  bien 
d'elle.  Avant  sa  faute,  dit-elle,  Adam  partageait  le 
chant  des  anges.  Le  péché  rompit  le  charme,  brisa  les 
cordes;  de  ces  harmonies  angéliques  l'homme  ne  garda 
que  ce  souvenir  vague,  indéfini,  que  nous  avons,  au 
réveil,  des  images  qui  ont  visité  nos  songes.  Mais  Dieu 
rendit  aux  prophètes  quelque  chose  des  clartés  intellec- 
tuelles et  des  suaves  harmonies  qui  avaient  été  le  lot 
d'Adam  avant  l'exil.  Instruits  par  l'Esprit  de  Dieu, 
ces  prophètes  ont  composé  des  cantiques  et  des 
psaumes  et  fabriqué  toutes  sortes  d'instruments  de 
musique.  A  leur  exemple,  les  sages  ont  inventé,  par 
un  art  humain,  divers  genres  d'instruments  de  musique, 
pour  chanter  au  gré  de  l'âme  essentiellement  musicale, 
symphonialis  est  anima,  et  rappeler  cet  Adam  in  eu  jus 
voce  sonus  omnis  harmonise  et  totius  musiese  artis, 
antequam  delinqueret,  suavitas  erat.  Le  démon  est 
hostile  au  chant  qui  vient  du  Saint  Esprit,  et  s'efforce 
de  supprimer  ou  de  troubler,  dans  le  cœur  de  tout 
homme  et  aussi  dans  le  cœur  de  l'Église,  la  confession 
et  la  beauté  de  la  louange  divine.  Malheur  à  qui  impose 
silence,  sans  de  graves  raisons,  à  ces  chants  de  louanges  1 
Consortio  angelicarum  laudum  in  cselo  carebunt  qui 
Deum  in  terris  décore  suse  laudis  injuste  spoliaverunl, 
col.  221.  Ce  thème  reparaît  plus  d'une  fois  dans  les 
œuvres  d'Hildegarde.  Dieu,  dit-elle,  Liber  vitee  meri- 
lorum,  part.  V,  c.  lxxvii,  dans  Pitra,  p.  217,  doit 
être  loué  par  les  hommes  comme  il  l'est  par  les  anges, 
quoniam  et  homo  in  duabus  partibus  apparel,  scilicet 
quod  Deum  laudat  et  quod  bona  opéra  in  se  ostendit..., 
nam  homo  per  laudem  angelicus  est,  et  per  sancta  opéra 
homo  est.  Et,  part.  IV,  c.  xlvi,  De  planctu  et  symphonia 
animœ,  p.  171,  elle  a  cette  phrase  exquise  :  Anima 
hominis  sijmphoniam  in  se  habet,  et  symphonizans  est, 
unde  eliam  mulloties  planclus  educit  cum  symphoniam 
audit,  quoniam  de  patria  in  exilium  se  mismm  meminit. 
Ce  n'est  pas  seulement  le  langage  des  anges,  c'est  encore 
celui  des  animaux  que  l'homme  a  cessé  de  comprendre 
en  péchant;  les  éléments  ont  été  viciés  à  la  suite  du 
péché  originel.  Cf.  Liber  vitse  meritorum,  part.  III,  c.  i-ii, 
xxiii,  lxxx;  part.  IV,c.lii,  dans  Pitra,  p.  105-106, 116, 
141,  173;  Liber  divinorum  operum,  part.  III,  vis.  x, 
n.  20,  P.  L.,  t.  cxcvu,  col.  1022:  Subtililales  diversarum 
nalurarum  creaturarum,  1.  VIII,  prœf.,  col.   1337-1340. 

Dans  la  lettre  Ad  prœlalos  Moguntinenses,  enfin,  il 
est  question  des  hérétiques,  c'est-à-dire  des  cathares 
principalement  sinon  exclusivement,  semble-t-il,  et, 
s'adressant  aux  rois  et  aux  princes,  Hildegarde  dit  : 
Populum  istum  ab  Ecclesia,  facullatibus  suis  privatum, 
expellendo,  et  non  occidendo,  e/fugate,  quoniam  forma 
Dei  sunt,  col.  232-233.  Voir  encore  contre  les  cathares 
une  lettre  de  1163,  dans  Pitra,  p.  348-351,  et  une  lettre 
au  clergé  de  Cologne,  P.  L.,  t.  cxcvu,  col.  248-253. 
Cf.  Gebenon,  dans  Pitra,  p.  487. 

Recueillons,  çà  et  là,  quelques  opinions  d'Hildegarde. 
Les  âmes  de  ceux  qui  sont  morts  sans  baptême  et  sans  " 
faute  grave,  mais  avec  des  fautes  légères,  habitent  une 
région  ténébreuse  où  elles  souffrent  la  peine  de  la 
fumée;  celles  de  ceux  qui  sont  morts  sans  faute  légère, 
les  enfants  par  conséquent,  sont  dans  les  ténèbres,  mais 
ne  souffrent  pas  de  la  fumée.  Liber  vitse  meritorum, 
part.  VI,  c.  ix,  dans  Pitra,  p.  224-225.  Le  feu  de  l'enfer 
n'a  pas  la  même  nature  que  le  feu  terrestre,  et  le  feu 
du  purgatoire  de  igné  gehennœ  accensus  non  est.  xxxvm 
qusestionum  soluliones,  q.  xxxm,  P.  L.,  t.  cxcvu, 
col.  1051-1052.  Les  âmes  des  élus  ne  jouiront  d'une 
béatitude  parfaite  qu'après  le  jugement  universel, 
quand  elles  auront  été  réunies  à  leurs  corps.  Liber  vitse 
meritorum,  part.  I,  c.  xxx,  l;  part.  II,  c.  xxxvi,  dans 
Pitra,  p.  21,  29,  78-79.  En  attendant,  ajoute-t-elle. 
part.    V,    c.    lxxix,    p.    217-218,    terreslris    paradisus 


2477 


HILDEGARDE   (SAINTE) 


2478 


purgatis  et  de  pœnis  [purgatorii]  ereplis  mox  dalus  est; 
lux  autem  illa  cœleslis,  quam  homo  nec  intueri  nec  discer- 
nere  potesl,  gloriosis  et  virtuosis  animabus,  quarum 
virtuies  ex  vi  divinitalis  proccsserunt,  mox  prseparata 
est.  Hildegarde  se  range  donc  parmi  les  partisans  du 
délai  de  la  vision  béatifique  ou,  plutôt,  du  délai  de  la 
plénitude  de  la  vision  réservée  aux  justes;  cf. part.  II, 
•c.  xxxiv-xxxvi.  p.  77-79;  on  sait  que  l'Église  ne  s'était 
pas  encore  prononcée  définitivement  là-dessus.  Voir 
t.  ii,  col.  657-696.  El!e  admet  que  Dieu  créa  simultané- 
ment la  matière  de  toutes  les  choses  célestes  et  ter- 
restres, et  que  les  six  jours  de  la  Genèse  sex  opéra  sunl, 
quia  incceptio  et  compkiio  singuli  cujusque  operis  dies 
dicitur.  xxxvm  quœslionum  solutiones,  q.  i,  P.  L., 
t.  cxcvn,  col.  1040.  Elle  donne  au  mot  rationalitas  les 
sens  divers  de  «  Verbe  »,  «  inspiration  divine  »,  «  foi 
chrétienne  »,  »  âme  humaine  »,  «  créature  raisonnable  », 
etc.  Cf.  Pitra,  p.  75,  note  4;  p.  249,  note  2;  A.  Da- 
moiseau, Documenta  quœdam  sacrée  Scripturse  cum 
doctrina  sanclœ  Hildegardis  de  rationalitale  collata, 
Gênes,  1894.  Elle  paraît  exclure  l'immaculée  concep- 
tion de  Marie.  XXXVIU  quœstionum  solutiones,  q.  xxn, 
P.  L.,  t.  cxcvn,  col.  1047;  cf.  pourtant  le  Scivias, 
1.  II,  vis.  m,  col.  457.  Elle  exige  la  confession  pour  la 
rémission  des  péchés.  Si  quelqu'un  n'a  pas  un  prêtre 
à  qui  se  confesser  au  moment  de  la  mort,  tune  alii 
homini  quem  eodem  tempore  opportunum  habet  ea  mani- 
lestei;  s'il  n'a  personne  à  qui  les  manifester,  qu'il  les 
confesse  à  Dieu  coram  démentis  cum  quibus  eliam  illa 
perpetravit.  Scivias,  1.  II,  vis.  vi,  col.  549. 

De  ces  opinions  de  sainte  Hildegarde  quelques-unes 
sont  simplement  curieuses  ou  ont  été  abandonnées. 
Le  plus  souvent  elle  suit  le  grand  courant  de  la  tradition 
catholique  et  touche  à  la  théologie  en  théologien  con- 
sommé. Citons-en  un  exemple  mémorable.  Un  maître 
de  l'université  de  Paris,  Odon,  plus  tard  abbé  d'Ours- 
camp  et  cardinal-évêque  de  Frascati,  consulta  la  béné- 
dictine de  Bingen  sur  la  doctrine  de  Gilbert  de  la 
Porrée  et  de  beaucoup,  plurimi,  affirmant  que  «  la  pater- 
nité et  la  divinité  n'est  pas  Dieu  ».  Hildegarde  répon- 
dit par  une  lettre  où  elle  expose  magistralement  la 
doctrine  qui  allait  être  sanctionnée  par  l'Église.  Cf.P.L., 
t.   cxcvn,  col.  351-353,  et,  mieux,  Pitra,  p.  539-541. 

6"  Les  sciences.  —  La  partie  scientifique  de  l'œuvre 
d'Hildegarde  est  inégale.  «  A  côté  de  faits  très  bien 
observés,  d'idées  neuves,  d'aperçus  féconds,  on  ren- 
contre, dit  A.  Battandier,  Revue  des  questions  histo- 
riques, Paris,  1883,  t.  xxxm,  p.  4*16,  des  recettes  ridi- 
cules, des  raisonnements  presque  absurdes  et  de  véri- 
tables puérilités,  pour  ne  rien  dire  de  plus.  »  Cf.,  par 
■exemple,  ce  qu'elle  raconte  du  lion,  de  l'ours,  de  l'âne. 
Subtililates  diversarum  naturarum  creaturarum,  c.  ni, 
iv,  ix,  P.  L.,  t.  cxcvn,  col.  1314-1317,  1320.  Des 
lacunes  il  faut  rendre  responsables,  plus  encore  que 
la  sainte,  la  science  de  son  temps  et,  sans  doute,  aussi 
les  altérations  des  copistes.  Les  mérites  sont  notables. 
Dans  sa  préface  des  Subtilitates,  F.-A.  Reuss,  P.  L., 
t.  cxcvn,  col.  1121-1122,  écrit  :  «  11  est  certain  qu'Hil 
di^arde  connaissait  beaucoup  de  choses  ignorées  par  les 
docteurs  du  moyen  âge,  et  que  les  chercheurs  de  notre 
siècle,  après  les  avoir  retrouvées,  ont  présentées  comme 
nouvelles.  »  Mais  tout  cela  n'apparaît  que  par  une 
longue  étude.  Hildegarde  n'est  pas  un  écrivain  facile; 
■elle  a  son  style,  sa  terminologie,  bien  à  elle.  Deux 
excès  sont  à  éviter  :  d'une  part,  n'envisager  que  les 
éléments  défectueux  de  ses  œuvres  scientifiques,  et, 
d'autre  part,  donner  à  des  expressions  obscures,  impré- 
cises, une  portée  qu'elles  n'ont  pas  et  lui  attribuer  des 
découvertes  qu'elle  ne  soupçonna  point.  A.  Battandier, 
Revue  des  questions  historiques,  t.  xxxm,  p.  415-420, 
signale  quelques-uns  des  points  qui  ont  été  mis  en 
lumière  par  la  science  moderne  et  que  la  sainte  aurait 
devinés  ou  aperçus  :  l'action  chimique  et  magnétique 


des  différentes  substances  sur  les  organes  du  corps 
humain;  les  lois  de  l'attraction  universelle;  le  soleil, 
et  non  la  terre,  au  centre  du  firmament;  la  circulation 
du  sang,  etc.  Peut-être  pourrait-on  voir,  dans  un 
passage  du  Scivias,  1.  III,  vis.  xn,  P.  L.,  t.  cxcvn, 
col.  730,  où  il  est  dit  que,  le  monde  fini,  le  soleil,  la  lune 
et  les  étoiles  seront  immobiles,  quia  finilo  mundo 
jam  in  immutabililate  sunl,  un  lointain  pressentiment 
de  cette  conclusion  qu'on  a  tirée  de  la  loi  de  la  dégra- 
dation de  l'énergie,  à  savoir  que  l'univers  tend  vers  une 
fin  qui  n'est  pas  le  néant,  mais  le  repos.  Voir  t.  v,  col. 
2549-2550.  Cf.,  sur  la  partie  scientifique  des  œuvres  de 
la  sainte,  les  monographies  citées  dans  notre  biblio- 
graphie et  les  ouvrages  indiqués  par  E.  Michael,  Ge- 
schichle  des  deutschen  Volkes  vom  dreizehnten  Jahrhun- 
dert  bis  zum  Ausgang  des  Mittelalters,  Fribourg-en- 
Brisgau,  1903,  t.  m,  p.  421,  note  1. 

I.  Œuvres.  —  La  Patrologie  latine,  t.  cxcvn,  contient  : 
145  lettres,  col.  145-382;  le  Scivias,  col.  383-738  (d'après 
l'édition  défectueuse  de  Lefèvre  d'Étaples,  Liber  trium 
spiritualium  virorum  Hermœ,  Uguetini  et  fratris  Roberti, 
et  trium  spiritualium  virginum  Hildegardis,  Elisabelhœ  et 
Mechtildis,  Paris,  1513)  ;  le  Liber  divinorum  operum  simplicis 
hominis,  col.  741-1038;  les  Triginta  oclo  quœstionum  solu- 
tiones, col.  1037-1054;  l'Explanatio  regulœ  sancti  Benedicli, 
col.  1053-1066;  l'Explanatio  sgmboli  sancti  Athanasii, 
col.  1005-1084;  la  Vita  sancti  Ruperti,  col.  1083-1094;  la 
Vila  sancti  Disibodi,  col.  1095-1116;  la  Physica  ou  Subtili- 
tates diversarum  naturarum  creaturarum,  col.  1125-1352.  Les 
Analecta  sacra  Spicilegio  Solesmensi  parata,  t.  vin,  Nova 
sanctx  H ildegardis  opéra,  Mont-Cassin,  1882,  du  cardinal 
Pitra  contiennent:  le  Liber  Dite  merilorum,  p.  1-244;  les 
Expositiones  quorumdam  Evangeliorum,  p.  245-327  ;  145  nou- 
velles lettres,  p.  328-440,  518-582  (d'Hildegarde,  ou  adres- 
sées à  Hildegarde,  ou  relatives  à  Hildegarde;  dans  le  nombre, 
le  préambule  de  la  Vita  sancti  Disibodi,  p.  352-357;  l'épi- 
logue de  la  Vila  sancti  Ruperti,  p.  358-368;  la  lettre  De 
excellentia  beati  Martini  episcopi,  p.  369-378);  les  Carmina, 
p.  441-467;  des  fragments  du  Liber  composite  medicinœ  de 
œgritudinum  Causis,  signis  atque  curis,  p.  468-482;  des 
variantes  et  suppléments  aux  écrits  d'Hildegarde  déjà 
édités,  p.  489-495,  503-507,  600-607;  des  fragments  de 
YIgnota  lingua,  p.  497-502.  Pour  la  langue  inconnue  et  les 
chants,  voir  J.-P.  Schmelzeis,  Dos  Leben  und  Wirkenderheil. 
Hildegardis  nach  den  Quellen  dargestelt,  nebst  einem  Anhang 
liildegard'scher  Lieder  mit  ihren  Melodien,  Fribourg-en-Bris- 
gau,  1879  (donne,  avec  un  fac-similé,  cinq  de  ces  cantiques 
traduits  en  musique  ordinaire);  F.  W.  E.  Roth,  Die  Lieder 
und  die  unbekannle  Sprache  der  heil.  Hildegardis,  dans  les 
Fontes  rerum  Nassaicarum,  Geschichtsquellen  von  Nassau, 
Wiesbaden,  1880,  t.  l,  fasc.  3;  A.  Damoiseau,  Novœ  edilionis 
operum  omnium  sanctx  Hildegardis  experimenlum,  Sampier- 
darena,  1893-1895,  a  publié  une  nouvelle  édition  du  Scivias. 
Les  bollandistes,  Analecta  bollandiana,  Bruxelles,  1882,  t.  i, 
p.  598-600,  ont  imprimé  un  texte  plus  complet  et  des 
variantes  pour  la  lettre  De  modo  visitationis  sua',  éditée 
par  Pitra,  p.  331-334.  P.  Kaiser  a  édité  le  Liber  composite 
medicinœ  de  œgrititdinum  causis,  signis  atque  curis  sous  ce 
titre  :  Hildegardis  causœ  et  curœ,  Leipzig,  1903.  Dom  H.  Her- 
wegen,  Revue  bénédictine,  Maredsous,  1904,  t.  xxi,  p.  308- 
309,  a  édité  un  épilogue,  probablement  écrit  après  coup, 
du  Liber  divinorum  operum.  Les  lettres  anciennement 
connues  ont  été  traduites  en  allemand  par  L.  Clarus  (VolcU), 
Ratisbonne,  1854;  le  Scivias  a  été  traduit  en  français  (sur 
le  texte  de  l'édition  de  1513)  par  R.  Chamonal,  Paris,  1912. 
Mentionnons  enfin  le  Spéculum  fulurorum  temporum,  extrait 
des  œuvres  d'Hildegarde  par  Gebenon,  prieur  d'Everbach 
(1120),  publié  fragmentairement  par  Pitra,  p.  483-488. 

H.  Sources.  —  Nous  n'avons  pas  la  biographie  de 
la  sainte  qu'avait  écrite  son  premier  collaborateur,  le  moine 
Volmar.  Mais  nous  possédons  la  biographie  commencée 
par  le  moine  Godefroy  et  continuée  par  le  moine  Thierry, 
P.  L.,  t.  cxcvn,  col.  91-130,  et  celle  de  Guibert  de  Gem- 
bloux,  dans  Pitra,  p.  407-414  :  compléter  les  lettres  de 
Guibert  de  Gembloux  relatives  à  cette  biographie  publiées 
dans  Pitra,  p.  405-407,  414-415,  par  les  textes  publiés  dans 
les  .4na/ecfa  bollandiana,  Bruxelles,  1882,  t.  i,  p.  600-608. 
Une  Vie  en  forme  de  leçons  pour  l'office  public  (au  nombre 
de  huit)  a  été  publiée  par  Pitra,  p.  434-438.  Cf.,  sur  les 
anciennes  Vies  d'Hildegarde,  les  bollandistes,  Bibliotheca 
i    hagiographicalatinaantiquœ  etmediœœtatis,  Bruxelles,  1898- 


>79 


HILDEGARDE   (SA  INTE)  —  HILTON    OU  HYLTON 


2'iKO 


1S99,  t.  i,  p.  585-5SG,  et,  sur  quelques-unes  des  questions  qui 
se  posent  au  sujet  de  ces  Vies,  H.  Herwegen,  Revue  béné- 
dictine, Maredsous,  190-4,  t.  xxi,  p.  396-402;  G.  Sommer- 
feldt,  Zu  den  Lebensbescltreibungen  der  Hildegardis  von 
Bingen,  dans  le  Neues  Archiv,  Hanovre,  1910,  t.  xxxv, 
p.  572-5S1.  Les  Acta  inquisitionis  de  virtutibus  et  miraculis 
sanctte  Hildegardis  (lors  du  procès  de  canonisation,  en  1233) 
ont  été  publiés,  d'après  une  copie  incomplète,  dans  les  Acta 
sanctorum,  septembris  t.  v,  p.  697-700  (reproduction  dans 
P.  L.,  t.  cxcvn,  col.  131-140),  et,  d'après  l'original  des  trois 
chanoines  de  Mayence  enquêteurs,  par  P.  Bruder,  dans  les 
Analecta  bollandiana,  Bruxelles,  1883,  t.  n,  p.  118-129. 
J.  Stilting,  Acta  sanctorum,  septembris  t.  v,  p.  467-673,  a 
groupé  quelques  témoignages  anciens  concernant  la  sainte; 
on  peut  y  joindre  celui  de  sainte  Elisabeth  de  Schônau, 
dans  W.  Preger,  Geschichte  der  deutschen  Mystik  im  Mitlel- 
alter,  Leipzig,  1874,  t.  i,  p.  33-34. 

III.  Travaux.  — ■  C.  Henriquez,  Lilia  Cistercii  sive  sacra- 
rum  virginum  cisterciencium  origo,   instituta  et  res  geslœ, 
Douai,  1633,  t.  i,  p.  286-338;  J.-A.  Fabricius,  Bibliotheca 
latina  mediœ  et  infimse  œtatis,  Hambourg,  1735,  t.  ni,  p.  770- 
780;  J.  Stilting,  De  sancta  Hildegarde  virgine  commentarius 
prsevius,  dans  les  Acta  sanctorum,  septembris  t.  v,   Anvers, 
1753,  p.  629-679,  reproduit  dans  P.  L.,  t.  cxcvn,  col.  9-90; 
dom  R.  Ceillier,  Histoire  générale  des  auteurs  sacrés  et  ecclé- 
siastiques, Paris,  1763,  t.  xxm,  p.  95-106;  J.  C.  Dahl,  Die 
heil.  Hildegardis,  Aebtissin  in  dem  Kloster  Rupertsberg   bei 
Bingen,   Mayence,   1832;  F.  A.   Reuss,   De  libris  physicis 
sanetœ    Hildegardis    commentalio     historico-medica,     Wurz- 
bourg,   1835;   Der  heil.   Hildegard  Subtililatum  diversarum 
naturarum   crealurarum   libri    IX,  die  wertlwollste    Urkunde 
deulscher  Natur    und  Heilkunde  aus  dem  Mittelalter,  wissen- 
schaftlich  gewiirdigt,  dans  les  Annalen  des  Vereins  fur  nassau- 
nische  Altertumskunde  und  Geschichtsforschung,  Wiesbaden, 
1859,   t.   vi,   p.   50-106;   C.   Jessen,    XJeber  Ausgaben   und 
Handschriften    der    medicinischnaturhisloricben    Werke    der 
heil.  Hildegard,  dans  les  Sitzungsberichte  der  K.  Akademie 
der    Wissenschaflen,    Math.-natur.    Classe,    Vienne,    1862, 
t.  xlv,  p.  97-116;  Deutschlands  ersle  Naturforscherin,  dans 
l'nsere  Zeit,  Leipzig,  1881,  t.   i,  p.  305-310;  W.  Preger, 
Geschichte   der  deutschen    Mystik   im    Mittelalter,   Leipzig, 
1874,  t.  i,  p.  13-27,  29-37;  J.-P.  Schmelzeis,  Die  Werke 
der  heil.   Hildegardis   und   ihr  neuesler  Kritiker,  dans  les 
Historisch-politische  Blàller,  Munich,  1875,  t.  lxxvi,  p.  604- 
628,  659-689;  Dos  Leben  und  Wirken  der  heil.  Hildegardis, 
Fribourg-en-Brisgau,   1879;  Kirchenlexikon,  2e   édit.,  Fri- 
bourg-en-Brisgau,   1888,  t.   v,  col.  2061-2074;      Richaud, 
Sainte  Hildegarde,  sa  vie  et  ses  œuvres,  étude  théologique, 
Aix,  1876;  A.  von  der  Linde,  Die  Handschriften  der  K.  Lan- 
desbibliolek  in   Wiesbaden,  Wiesbaden,  1877;  J.-B.  Pitra, 
Analecta  sacra,  Mont-Cassin,  1882,  t.  vin,  p.  i-xxn;  A.  Bat- 
tandier,  Sainte  Hildegarde,  sa  vie  et  ses  œuvres,  dans  la 
Revue   des   questions   historiques,    Paris,    1883,   t.    xxxin, 
p.  395-425  ;  J.  Martinov,  dans  la  Revue  du  monde  catholique, 
3«  série,  Paris,  1884,  t.  xxiv,  p.  839-854;  L.  Aubineau, 
Épaves,    Paris,    1886,    p.    368-393;    F.  W.  E.    Roth,    Zur 
Bibliographie  der  heil.  Hildegardis,  dans  Quartalblàtler  des 
historischen     Vereins     fur     das     Grossherzogthum     Hessen, 
Darmstadt,  1886,  p.  221-233;  1887,  p.  76-86;  Die  Codices 
des   Scivias  der  heil.   Hildegardis   O.   S.  B.   in  Heidelberg, 
Wiesbaden  und  Rom  in  ihrem  Verhàltniss  zu  einander  und 
der  Editio  princeps  1513,  ibid.,  1887,  p.  18-25;  Beitràge  zur 
Biographie  der  Hildegard  von  Bingen,  O.  S.  B.,  sowie  zur 
Beurtheilung  ihrer  Visionen,  dans  Zeitschrift   fur   kirchliche 
Wissenschaft   und  kirchliches   Leben,   Leipzig,   1888,   t.   ix, 
p.    453-471  ;  H.    Delehaye,  Guibert,    abbé   de   Florennes  et 
de  Gembloux,  dans  la  Revue  des  questions  historiques,  Paris, 
1899,  t.  XL VI,  p.  5-90;    E.    Vacandard,  Vie   de  saint  Ber- 
nard,   abbé    de  Clairvaux,   Paris,    1895,  t.  n,  p.   317-327; 
Benrath,  Realencyklopàdie,  3"  édit.,  Leipzig,  1900,  t.  VIII, 
p.   71-72;   P.   Kaiser,   Die  naturwissenschaftlichen  Studien 
der  Hildegard  von  Bingen,  Berlin,  1901;  P.  Franche,  Sainte 
Hildegarde,  Paris,  1903;  dom  H.  Herwegen,  Les  collabora- 
teurs de  sainte  Hildegarde,  dans  la  Revue  bénédictine,  Paris, 
1904,   t.   xxi,   p.   192-203,  302-315,  381-403;  cf.  Analecta 
bollandiana,  Bruxelles,  1905,  t.  xxiv,  p.  302-304;  Die  heil. 
Hildegard   von   Bingen   und   das   Oblateninslitut,   dans   les 
Studien  und  Miltheilungen  zur  Geschichte  des  Benediktinor- 
dens  und  seiner  Zweige,  Salzbourg,  1912,  t.  xxxin,    p.  543- 
552;  J.  May,  Die  heilige  Hildegard  von  Bingen    aus  dem 
Orden  des  h.  Benedikt  (1098-111 U),  Kempten,  1911;  L.  Bail- 
let,  Le    miniatures  du  Scivias  de  sainte  Hildegarde  conservé 
à    la    bibliothèque   de   Wiesbaden,   Paris,   1912   (extrait   des 


Monuments  et  mémoires  publiés  par  l'Académie  des  inscrip- 
tions et  belles-lettres,  Paris,  1912,  t.  xix);  J.  Gmelch,  Die 
Kompositionen  der  heiligen  Hildegard  (70  chants  du  ms.  de 
Wiesbaden  reproduits  par  la  phototypie),  Dusseldorf,  1913  ; 
Francesca  Maria  Steele,37ie  life  and  visions  o/  St.  Hildegarde, 
Londres,  1914. 

F.  Vernet. 
HILTON  ou   HYLTON  Walter  (Gautier),  écrivai  î 
ascétique  anglais,  chanoine  de  Thurgarton.  dans  le 
Nottingham,  décédé  le  6  mars  1395.  Depuis  le  xvie  siè- 
cle jusqu'à  nos  jours,  on  a  dit  et  répété  qu'il  avait  été 
religieux  de  la  chartreuse  de  Shene,  dans  le  Surreyshire, 
au  diocèse  de  Winchester,  et  qu'il  y  était  mort  vers 
1440.  Mais,  outre  que  cette  maison  d'enfants  de  saint 
Bruno  ne  date  que  de  1414,  des  preuves  certaines  éta- 
blissent qu'il  n'a  jamais  été  chartreux.  C'est  d'abord 
l'absence  de  son  nom  dans  les  listes  des  défunts  annon- 
cés à  tout  l'ordre,  chaque  année,  par  la  carte  du  cha- 
pitre  général.    C'est  ensuite  la  déclaration   expresse 
qu'il  fit  qu'il  n'était  pas  religieux  dans  la  lettre  De 
origine  rcligionis,  où  il  loue  l'ordre  des  chartreux.   11 
est  vraisemblable  que  la  qualité  de  chartreux  et  la 
fausse  date  de  sa  mort  proviennent  de  ce  que  le  plus 
ancien   et  peut-être  le  plus  complet  recueil  de  ses 
œuvres  porte  la  souscription  finale  qu'il  fut  copié  le 
29  novembre  1433  permanus  magistri  Joannis  Dygoun 
reclusi  Bethlchem  de  Shene.  Ce  recueil  se  trouve  actuel- 
lement à  la  bibliothèque  du  collège  de  la  Madeleine, 
à  Oxford,  sous  le  n.  2234,  95.  Cf.  Puyol,  Descriptions 
bibliographiques  des  manuscrits  du  livre  De  imitatione 
Chrisii,  Paris,  1898,  p.  327,  n.  5.  Ainsi,  parce  que  le 
chartreux  de  Shene,  Jean  Dygoun,  eut  soin  de  recueil- 
lir les  œuvres  de  W.  Hilton,  on  a  présumé  que  celui-ci 
florissait,  vers  la  même  époque,  dans  le  même  monas- 
tère. Mais,  en  Angleterre,  depuis  quelques  années,  on  a 
justement  protesté  contre  cette  supposition.  Cf.  The 
scale  of  perfection  de  Hilton,  publiée  par  le  R.  P.  Guy, 
bénédictin,  ainsi  que  l'édition  faite  par  le  P.  Dalgairns 
et  la  préface  de  M.  Ingram  à  sa  publication  des  an- 
ciennes traductions  anglaises  de  l' Im ilat ion,  Londres^ 
1893,  p.  x. 

Cependant  si  la  vie  de  W.  Hilton  est  obscure,  sa  répu- 
tation est,  au  contraire,  très  grande.  Il  est,  en  effet, 
célèbre  à  double  titre,  dont  l'un  est  mérité,  l'autre  sera 
encore  longtemps  problématique.  Ses  compatriotes  le 
considérèrent  avec  raison  comme  un  des  meilleurs 
maîtres  de  la  vie  intérieure  à  cause  des  œuvres  spiri- 
tuelles qu'il  écrivit.  Son  Échelle  de  la  perfection,  au  juge- 
ment du  B.  Thomas  More,  était  un  des  trois  livres  ascé- 
tiques dont  la  lecture  fréquente  pouvait  entretenir  la 
dévotion  dans  le  peuple  anglais.  Cf.  Puyol,  L'auteur 
du  livre  De  imitatione  Christi,  irc  section,  Paris,  1899, 
p.  447.  Mais  si  cette  estime  est  fondée,  il  n'en  est  pas  de 
même  de  l'honneur  qu'on  lui  fait  en  le  mettant  au 
nombre  des  auteurs  présumés  des  quatre  livres,  ou  de 
quelques-uns  des  livres,  qui  forment  l'ouvrage  immor- 
tel de  l'Imitation  de  Jésus-Christ.  A  notre  avis,  il  serait 
téméraire  de  répéter  encore  que  W.  Hilton  a  autant 
de  droits  au  titre  d'auteur  de  l'Imitation  qu'en  a 
Thomas  a  Kempis.  Depuis  que  la  critique  a  établi  qu'il 
était  mort  en  1395,  et,  partant,  n'a  pu  vivre  dans  la 
chartreuse  de  Shene  fondée  en  1414,  dix-neuf  ans  après 
son  décès,  la  question  est  devenue  plus  compliquée. 
Aucun  des  manuscrits  anglais  favorables  à  cette  opi- 
nion n'est  antérieur  à  1400,  et  il  est  certain  que  les  par- 
tisans de  Thomas  a  Kempis  n'accepteront  pas  la  con- 
clusion suivante  formulée  par  Mgr  Puyol  :  «  Hilton  a 
fait  (?)  une  recension  et,  sans  doute,  une  traduction  de 
l'Imitation,  mais  il  ne  l'a  pas  composée.  »  Op.  cit., 
p.  340,  note  3. 

M.  Éd.  Bernard  a  donné  le  catalogue  des  œuvres  de 
Hilton  avec  l'indication  des  bibliothèques  où,  de- 
son  temps,  elles  se  trouvaient  manuscrites  :  1°  Scala 
perfectionis,  in-fol.    Londres   1494    in-4°   1507,  1059 


2481 


HILTON   OU    IIYLTON  WALTER   —    HINCMAR 


2482 


trad.  anglaise  par  le  R.  P.  Guy,  Londres,  1869;  par  le 
P.  Dalgairns...  Morozzo  appelle  cet  ouvrage  Scala 
spirilualis  et  dit  qu'il  se  trouve  ms.  à  Oxford,  au  collège 
de  la  Madeleine.  Cependant  Baie  et  Fabricius  ont 
marqué  ces  deux  traités  spirituels  comme  étant  des 
ouvrages  distincts;  2°  De  castitale  et  munditia  sacer- 
dotum,  lib.  I,  ms.  à  Gand  chez  les  dominicains  et  dans 
l'abbaye  Isaacensi,  d'après  Morozzo.  Il  y  a  trois  édi- 
tions d'un  ouvrage  anonyme  ayant  le  même  titre  et 
faussement  attribué  à  saint  Bonaventure  :  Liber  de 
castitate  et  munditia  saccrdotum  et  cœterorum  altaris 
ministrorum,  Leipzig,  1491,  1498  et  1499.  Cf.  Hain, 
Repertorium,  n.  3504-3505;  Opéra  S.  Bonaventurœ, 
Quarracchi  (Florence),  t.  vm-(1898),  Prolegomena, 
p.  cxvi.n.  18;  3°  W.  de  Hilton  Epistohv,  recueil  ms.  du 
British  Muséum  de  Londres,  indiqué  dans  le  Diction- 
naire des  manuscrits  de  Migne,  t.  n,  col.  123,  n.  115; 
4°  Traciatus  de  nobilitate  animœ,  divisé  en  deux  livres, 
dont  le  Ier  a  93  chapitres  et  le  IIe  en  a  47;  une  copie 
ms.  sur  papier,  datée  de  1498,  se  trouve  à  la  biblio- 
thèque publique  de  Marseille,  sous  le  n.  729;  5°  Epis- 
iola  magislri  W.  Hilton  de  utilitale  et  prœrogativis  reli- 
gionis,  et  prœcipue  ordinis  carlusiensis  ad  magislrum 
Jo.  Torpe.  Cette  lettre  se  trouve  à  présent  réunie  à 
plusieurs  autres  traités  de  W.  Hilton,  dans  le  codex  ms. 
du  collège  de  la  Madeleine  d'Oxford,  n.  2234.93.  Elle 
a  été  mal  intitulée  par  les  anciens  bibliographes.  Ainsi 
Fabricius  donne  le  titre  :  De  origine  religionis  d'après 
Pits,  et  deux  fois  De  utilitale  religionis  selon  Baie; 
Morozzo  la  partage  en  trois  livres  divers  intitulés  : 
De  origine  religionis,  De  utilitale  ejusdem,  De  prsero- 
gativa  religionis  et  a  noté  les  bibliothèques  où,  de  son 
temps,  on  pouvait  les  trouver;  6°  A  dévote  book,  ms. 
de  1608  existant  à  la  bibliothèque  royale  de  Bruxelles, 
dite  de  Bourgogne,  sous  le  n.  2545,  et  contenant  la 
traduction  anglaise  d'un  traité  ascétique  de  W.  Hilton 
dont  le  titre  n'a  pas  étéautrementspécifié;  7° De  conso- 
lalione  in  tribulationibus  ad  magislrum  Joannem  Torpe; 
8°  De  remediis  contra  lentalioncs  carnis.  Dans  un  recueil 
ms.  in-fol.  de  la  Bibliothèque  nationale  de  Paris  se 
trouve  l'ouvrage  de  W.  Hilton  intitulé  :  Liber  doctrinal 
contra  tribulaliones  et  carnis  lentationes,  qui  probable- 
ment a  été  formé  par  la  réunion  des  deux  livres  pré- 
cédents. Cf.  l'art.  Hilton,  dans  la  Biographie  univer- 
selle de  Michaud;  9°  Baculus  contemplalionis,  ms. 
latin;  10°  De  conlemplalione  ad  mulierem  quamdam 
devotam,  ouvrage  anglais  et  peut-être  aussi  en  latin, 
ms.  au  collège  Saint-Benoît,  à  Cambridge;  11°  Pro 
sacris  imaginibus,  ou  De  tolerandis  imaginibus,  ms. 
au  collège  de  Lincoln  à  Oxford;  12°  De  modo  sancte 
vivendi,  ms.  à  Zutphen,  chez  les  frères  mineurs; 
13°  De  communi  vita  ad  laicum;  14°  De  ascensionibus 
spiritualibus ;  15°  De  idolo  cordis;  16°  De  musica  eccle- 
siastica,  et  plusieurs  autres  traités  qui,  selon  Morozzo, 
se  trouvaient  ms.  à  la  bibliothèque  publique  d'Oxford. 
L'ouvrage  De  musica  ecclesiastica  commence  comme 
le  Ier  livre  de  l'Imitation  par  les  paroles  de  l'Évangile  : 
Qui  sequilur  me,  etc.,  et,  en  Angleterre,  les  manuscrits 
cartusiens  de  Y  Imitation  ne  donnent  à  cet  ouvrage 
d'autre  titre  que  celui  de  Musica  ecclesiastica.  Cepen- 
dant ces  codices  anglais  ne  contiennent  pas  uniformé- 
ment les  quatre  livres  de  l'Imitaiion,  comme  on  peut 
le  voir  dans  la  liste  suivante.  Sur  le  continent,  il  y  a  un 
autre  manuscrit,  également  carlusicn,  qui  renferme  les 
trois  premiers  livres.  C'est  le  codex  appelé  Burgensis  II, 
c'est-à-dire  second  ms.  de  l'Imitation  provenant  de 
r  ancienne  chartreuse  du  Val-de-Grâces,  près  de  Bruges, 
en  Belgique.  Il  se  trouve  à  présent  à  la  bibliothèque 
royale  de  Bruxelles,  dite  de  Bourgogne,  sous  le  n.  15131 
ou  15138.  Quoi  qu'il  en  soit  des  droits  de  W.  Hilton 
au  titre  d'auteur  de  l'Imitation  ou  de  la  plus  ancienne 
traduction  anglaise  de  ce  livre,  divers  critiques  les  lui 
ont  attribués. 


Henri  Warthon,  Usserii  de  scripluris  vernaculis  Auc- 
tarium,  1690;  le  docteur  Lee,  dans  la  préface  de  sa  tra- 
duction anglaise  des  opuscules  de  Thomas  a  Kempis, 
1710;  "Woldebrand  Vogt,  Conjecturée  de  auclore  libri  De 
imitatione  Christi,  dans  l'Apparalus  lillerarius  Sociela- 
tis  colligentium,  collectio  II;  Weckel,  1.  118,  p.  376  sq.  : 
cf.  Mgr  Puyol, L'auteur  du  livre  de  V Imitation  de  Jésus- 
Christ,  ne  section,  Paris,  1900,  p.  151;  Fabricius, 
Bibliolheca  latina  médise  et  inflmœ  œtalis,  t.  ni,  p.  108; 
Coolidge,  Notes  and  queries,  mars  1881;  cf.  Mgr  Puyol, 
loc.  cit.,  p.  153;  Jean-Charles  Ingram,  dans  son  étude 
sur  les  trois  plus  anciennes  traductions  anglaises  de 
l'Imitation,  Londres,  1893,  a  attribué  à  W.  Hilton  la 
plus  ancienne  des  versions  faites  en  Angleterre.  Cf. 
Puyol,  op.  cit.,  ire  section,  Paris,  1899,  p.  341.  Selon 
M.  de  Grégory,  il  y  a  eu  autrefois  des  imitât ionistes  qui 
n'ont  attribué  à  W.  Hilton  que  le  seul  IVe  livre  de 
l'Imitation,  en  s'appuyant  sur  le  titre  suivant  d'un  des 
deux  codices  mss  appartenant  au  monastère  de  Saint- 
Micbel  de  Venise,  et  signalés  par  Mittarelli  :  Incipit 
dévolus  traciatus  de  sacramento  altaris  a  quodam  mona- 
cho  ordinis  cartusiensis. 

Mgr  Puyol  a  publié  la  liste  des  manuscrits  qui  con- 
tiennent l'Imitation  sous  le  titre  de  De  musica  ecclesias- 
tica. Descriptions  bibliographiques  des  manuscrits...  du 
livre  De  imitatione  Christi,  Paris,  1898. 

Outre  les  imitationistes,  Pits,  Baie,  Possevin,  Gesner, 
Petrejus,  Morozzo,  Oudin,  Fabricius,  les  Biographies  de 
Michaud  et  de  Didot. 

S.  Auto re. 

1.  HINCMAR,  archevêque  de  Reims,  naquit  vers 
l'an  806.  Il  appartenait  à  une  ancienne  et  noble  famille 
de  France.  Sérieux  et  bien  doué,  l'enfant  fut  envoyé 
à  l'abbaye  de  Saint-Denis  où,  sous  la  direction  de 
l'abbé  Hildwin,  il  reçut  une  éducation  remarquable. 
A  la  cour  de  Louis  le  Pieux,  où  il  avait  suivi  Hildwin, 
Hincmar  s'initia  à  l'an  de  gouverner.  Mais  ce  n'est 
qu'en  834,  après  avoir  accompagné  son  protecteur  dans 
son  exil  en  Saxe,  qu'il  entra  officiellement  au  service  de 
l'empereur. 

A  la  mort  de  Louis  le  Pieux,  il  s'attacha  à  la  fortune 
de  Charles  le  Chauve,  dont  il  resta  toujours  un  sujet 
dévoué  et  incorruptible.  Sa  loyauté  vis-à-vis  de  son 
roi  devait  lui  valoir  l'hostilité  tenace  de  l'empereur 
Lothaire.  Au  sujet  de  cette  longue  lutte,  voir  Lesne, 
Hincmar  et  l'empereur  Lothaire,  élude  sur  l'Église  de 
Reims  au  j.re  siècle,  Paris,  1905. 

Cependant,  malgré  certaines  oppositions,  Hincmar 
fut  élu  au  siège  métropolitain  de  Reims,  vacant  depuis 
la  déposition  d'Ebbon,  par  les  évoques  des  provinces 
de  Reims  et  de  Sens,  réunis  au  concile  de  Beauvais 
(18  avril  845).  Aussitôt  il  mit  sa  jeune  énergie  à  réfor- 
mer l'Église  soumise  à  sa  juridiction,  surtout  au  concile 
de  Meaux  (847),  à  réorganiser  son  diocèse  et  à  recon- 
quérir les  biens  ecclésiastiques  aliénés. 

L'opposition  qu'il  ne  cessa  de  manifester  aux  préten- 
tions de  l'empereur,  dès  le  début  de  son  épiscopat,  lui 
causa  de  graves  ennuis.  Lothaire,  en  effet,  désirant 
avoir  à  Reims,  dont  dépendait  une  partie  de  son  terri- 
toire, un  homme  gagné  à  son  ambition,  voulut  dépossé- 
der Hincmar  de  son  siège.  On  trouva  facilement  un 
prétexte.  Hincmar  avait  déposé  un  certain  nombre  de 
clercs,  comme  illégitimement  ordonnés  par  Ebbon 
après  sa  réintégration  anticanonique  de  840.  Ebbon 
se  saisit  de  cette  occasion  pour  remettre  en  question 
la  légitimité  de  sa  déposition  et  les  clercs  réclamèrent 
contre  la  mesure  qui  les  frappait.  Les  prétentions 
d'Ebbon  ne  trouvèrent  point  d'appui  à  Rome  et  les 
évêques  de  la  Gaule  les  repoussèrent.  Quant  aux  récla- 
mations des  clercs,  elles  aboutirent  à  la  déclaration  du 
concile  de  Soissons  (853),  que  leur  ordination  était 
invalide  et  leur  déposition  régulière.  Léon  IV  refusa 
de  sanctionner  cette  décision,  mais  elle  obtint  l'appro- 


2483 


IIINCMAR 


2484 


bation  de  Benoît  III,  sous  cette  réserve  toutefois,  que 
le  rapport  d'Hincmar  reposait  sur  l'exacte  vérité. 
C'était  la  victoire  définitive  d'Hincmar.  Cf.  L.  Sallet, 
Les  réordinations,  Paris,  1907.  p.  129-137. 

Entre  temps  avait  éclaté  la  lutte  de  la  double  pré- 
destination que  souleva  Gottescale.  Entendu  et  con- 
damné au  concile  de  Mayence  (848),  le  moine  saxon 
fut  ensuite  livré  à  Hincmar,  son  métropolitain,  auquel 
incombait  le  soin  de  le  punir  et  de  le  ramener  à  la 
véritable  doctrine.  Enfermé  à  Hautvillers,  Gottescale, 
isolé  de  la  lutte,  ne  put  continuer  lui-même  sa  propa- 
gande, mais  il  trouva  des  collaborateurs.  Cependant  la 
bataille  ne  reprit  qu'à  l'occasion  d'un  écrit  d'Hincmar 
sur  les  théories  de. Gottescale  et  intitulé  :  Ad reclusos 
et  simplices  in  Remensi  parochia,  P.  L.,t.  cxn,  col.  1519. 
Cet  opuscule  provoqua  une  réponse  pleine  de  vigueur 
et  d'esprit  due  à  la  plume  de  Ratramne,  moine  de 
Corbie. 

Dédaignant  une  controverse  avec  un  simple  moine 
ou  incapable  de  lui  répondre,  Hincmar  fit  appel  à  des 
■concours  amicaux.  Nous  possédons  les  réponses  de 
Loup  de  Ferrières,  Epist.,  cxxix,  ad  Ilincmarum, 
P.  L.,  t.  exix,  col.  606-608,  et  de  Prudence  de  Troyes, 
P.  L.,  t.  cxv,  col.  971-1018.  Leur  exposé  de  la  doctrine 
ne  le  satisfit  point,  car  il  ne  cadrait  pas  avec  ses  théo- 
ries et  même  les  contredisait  souvent.  11  sollicita  alors 
le  secours  de  Raban  Maur,  qui,  prétextant  son  grand 
âge  et  l'inutilité  de  la  discussion,  se  récusa.  Aban- 
donné de  ce  côté  et  poussé  par  de  nouvelles  attaques, 
il  s'adressa  à  Jean  Scot,  qui,  dès  851,  écrivit  son  De 
divina  prœdeslinalione,  P.  L.,  t  cxxn,  col.  355-440. 
Ce  livre  où  les  sophismes  abondent  déchaîna  une  véri- 
table tempête  contre  son  auteur  et  son  instigateur  et 
provoqua  une  réponse  passionnée  de  Prudence  de 
Troyes,  P.  L.,  t.  cxv,  col.  1009-1376,  et  une  autre 
d'un  anonyme  de  la  province  de  Lyon,  P.  L.,  t.  exix, 
col.  101-250.  L'appui  qu'Hincmar  trouva  dans  Amolon 
de  Lyon,  qui  condamna  de  nombreuses  propositions 
tirées  des  théories  de  Gottescale,  Epist.  ad  Gofhcs- 
ch  deum,  P.  L.,  t.  cxvi,  col.  8 1-96,  fut  passager,  et,  l'ar- 
chevêque étant  mort,  Hincmar  reçut  de  Lyon  un  écrit 
où  sa  personne  et  ses  théories  étaient  malmenées, 
P.  L.,  t.  cxxi,  col.  985-1068. 

Au  fond,  la  querelle  n'était  qu'une  question  de  mots 
•et  les  deux  camps  ne  s'écartaient  point  de  l'orthodoxie. 
Hincmar  et  ses  amis  se  plaçaient  sur  le  terrain  pratique 
•et  moral  et  défenda'ent  avec  âpreté  la  liberté  et  la 
possibilité  pour  chacun  d'opérer  son  salut,  les  autres 
se  lançaient  dans  des  théories  spéculatives,  voulant 
préserver  de  la  moindre  atteinte  lr  toute-puissance 
absolue  de  Dieu.  Mais  dans  l'ardeur  de  la  lutte  les  uns 
et  les  autres  s'accusaient  réciproquement  ou  de 
semi-pélagianisme  ou  de  prédestinatianisme. 

Bientôt  la  lutte,  jusqu'ici  purement  littéraire,  allait 
continuer  dans  les  conciles.  Au  synode  de  Quierzy 
(853),  convoqué  en  toute  hâte  par  Charles  le  Chauve, 
qui  voulait  mettre  un  terme  à  ces  vaines  discussions, 
les  quelques  prélats  présents  formulèrent  leur  doctrine 
en  quatre  articles.  De  Lyon  arriva  bientôt  la  réponse 
à  la  définition  conciliaire  et  cela  sous  forme  d'une 
critique  acerbe  de  chacun  des  articles.  P.  L.,  t.  cxxi, 
col.  1083-1134.  Mais  ce  n'était  qu'un  prélude.  Les 
évêques  des  provinces  de  Lyon,  Vienne  et  Arles, 
rassemblés  au  concile  à  Valence  (8  janvier  855),  pu- 
blièrent 23  canons,  rédigés  par  Ebbon,  évêque  de 
Grenoble  et  neveu  de  l'ancien  archevêque  de  Reims. 
Six  de  ces  canons  sont  une  riposte  directe  aux  quatre 
articles  de  Quierzy. 

Obligé  de  se  défendre,  Hincmar  prit  la  plume  et 
rédigea  un  ouvrage  en  trois  livres  dont  il  ne  reste  que 
la  dédicace  au  roi.  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  49-56.  Bientôt 
il  (tait  l'objet  d'une  nouvelle  attaque  de  Prudence  de 
Troyes.  Epist.  ad  Wenil,  P.  L.,  t.  cxv,  col.  1365-1368. 


Visé  à  nouveau  par  les  conciles  de  Langres  et  de 
Savonières  (859),  Hincmar  composa  pour  sa  défense 
son  grand  ouvrage  :  De  prœdestinatione  Dei  et  libero 
arbitrio,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  55-474,  qui  n'est  qu'une 
compilation  de  textes  empruntés  à  l'Écriture  et  aux 
Pères,  où  l'ordre  et  la  clarté  font  presque  totalement 
défaut.  Il  est  à  peu  près  nul  au  point  de  vue  théolo- 
gique. Toute  son  argumentation,  qui  revient,  sous 
mille  formes  différentes,  consiste  en  ceci  :  que  si  Dieu 
prédestine  les  méchants  à  l'enfer,  il  est  lui-même  l'au- 
teur du  péché,  puisque  c'est  le  péché  qui  mérite  l'enfer. 
Il  semble  confondre  la  prescience  de  Dieu  et  la  pré- 
destination, qui  n'en  est  qu'une  conséquence. 

Enfin,  au  concile  de  Thusey  (octobre  860)  une  récon- 
ciliation au  moins  apparente  se  produisit  entre  les 
adversaires  et  la  lutte  cessa. 

Dès  le  début  de  la  controverse  sur  la  prédestination, 
Hincmar  s'était  élevé  contre  la  formule  trina  deitas, 
comme  contraire  à  la  foi  et  équivalente  de  deitas 
triplex.  Il  l'avait  remplacée  par  summa  deitas  dans 
l'hymne  Sanctorum  meritis  inchjla  gaudia,  du  commun 
de  plusieurs  martyrs.  Des  protestations  véhémentes 
se  produisirent  contre  ce  changement  arbitraire,  sur- 
tout parmi  les  moines,et  l'un  d'eux,  Ratramne,  écrivit 
contre  Hincmar  un  ouvrage  entier,  perdu  aujourd'hui. 
Encouragé  par  l'exemple  du  moine  de  Corbie,  Gottes- 
cale publia  plusieurs  écrits  dont  l'un  seulement  nous  a 
été  conservé  par  Hincmar,  qui  le  cite.  Certaines  de  ses 
expressions  prêtaient  à  la  critique  et  avaient  des  ten- 
dances ariennes.  L'occasion  s'offrait  bonne  à  Hincmar 
pour  attaquer  son  vieil  adversaire.  Aussi  écrivit-il 
contre  lui  sa  Collectio  ex  sacris  Scripluris  et  orthodoxo- 
rum  dictis  de  una  et  non  trina  deitate,  sanctse  videlicel 
et  inscparabilis  trinilalis  unilate  ad  refellendas  Gothes- 
chalci  blasphemias  cjusque  nsenias  refutandas,  P.  L.. 
t.  cxxv,  col.  473-618,  rédigée  probablement  entre  864 
et  868.  L'auteur,  au  lieu  de  développer  les  principes 
de  la  doctrine,  s'attache  pas  à  pas  aux  affirmations 
de  son  adversaire  et  les  réfute  les  unes  après  les  autres. 
Cette  méthode  l'oblige  à  de  multiples  répétitions,  iné- 
vitables, mais  fatigantes.  De  plus,  comme  toujours, 
son  argumentation  consiste  uniquement  dans  un 
amoncellement  de  citations  patristiques  et  passe 
souvent  à  côté  de  la  question  sans  la  toucher.  En  fait 
de  raisonnement,  il  ne  connaît  que  le  principe  d'auto- 
rité. 

On  ne  sait  point  si,  après  l'apparition  de  cet  ouvrage, 
la  lutte  continua.  Mais  il  est  probable  qu'Hincmar 
fit  le  nécessaire  pour  que  le  prisonnier  d'Hautvillers 
fût  réduit  au  silence. 

Ces  deux  questions  de  la  prédestination  et  de  la 
formule  trina  deitas  sont  les  seules  où  Hincmar  ait 
cherché  à  faire  preuve  de  connaissances  théologiques. 
Il  est  même  probable  que.  sans  l'occasion  que  lui  fournit 
Gottescale,  il  se  serait  peu  intéressé  aux  controverses 
dogmatiques.  Voir  col.  1500-1502. 

Cependant  on  peut  glaner  çà  et  là  dans  ses  écrits 
quelques-unes  de  ses  idées  sur  des  points  particuliers. 
Ainsi  il  croit  au  changement  réel  du  pain  et  du  vin  au 
corps  et  au  sang  du  Christ  et  s'élève  contre  les  théories 
de  Scot,  qui  ne  voit  dans  l'eucharistie  qu'une  figure  ou 
un  mémorial.  Sirmond,  Hincmari  opéra,  Paris,  1645, 
t.  i,  p.  767;  t.  ii,  p.  97  sq.,  141,  844.  Comme  Radbert, 
il  semble  croire  que  la  communion  ne  nourrit  pas  seule- 
ment l'âme,  mais  aussi  le  corps,  Sirmond,  t.  il,  p.  844; 
Carmen  ad  B.  M.  V.,  vers  45  sq.,  et  comme  lui  il  con- 
fesse l'identité  du  corps  eucharistique  du  Christ  avec 
celui  qui  fut  attaché  à  la  croix,  Sirmond,  t.  h,  p.  90, 
844,  et  que  la  messe  est  le  renouvellement  quotidien 
du  sacrifice  de  la  croix.  Sirmond,  t.  n,  p.  90,97.  Ses 
théories  sur  ces  différents  points  devaient  être  déve- 
loppées dans  son  ouvrage  sur  les  sacrements,  aujour- 
d'hui perdu.  Il  admet  que  le  Christ  a  quitté  le  sein  de 


2485 


HINCMAR 


2486 


la  Vierge,  non  d'une  façon  naturelle,  mais  clauso 
utero.  Sirmond,  t.  i,  p.  631,  762,  767.  Il  composa  aussi 
un  livre  sur  la  vénération  des  images  du  Sauveur  et 
■des  saints,  mais  le  titre  seul  nous  en  a  été  conservé. 

A  part  ces  quelques  détails  on  ne  trouve  point  chez 
Hincmar  des  conceptions  théologiques  particulières. 
Il  est  un  théologien  positif  qui  ne  s'appuie  que  sur 
l'autorité  des  Pères  et  de  l'histoire. 

Hincmar  eut  deux  occasions  de  montrer  ses  vastes 
connaissances  du  droit  canon.  La  première  lui  fut 
fournie  par  les  évêques.  de  Lorraine  qui,  en  860,  lui 
posèrent  d'abord  vingt-trois  questions,  puis  sept 
autres  au  sujet  de  la  répudiation  par  Lothaire  de  son 
épouse  Teutberge.  Il  fit  droit  à  leur  demande  et  écrivit 
son  De  divorlio  Lolharii  et  Teutbergse,  P.  L.,  t.  cxxv, 
■col.  623,  où,  sans  se  laisser  influencer  par  la  person- 
nalité de  l'époux  qui  était  en  jeu,  il  posa  avec  clarté 
et  précision  les  règles  sévères  de  la  doctrine.  On  le  sent 
sur  son  propre  terrain.  Ses  décisions  sont  basées  sur  la 
Bible  et  ses  exégètes  et  sur  le  droit  canon.  Il  s'appuie 
même  sur  certaines  pratiques  de  la  vie  quotidienne  qui 
témoignent  d'une  superstition  incroyable.  Interrog. 
15,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  716  sq.  Cf.  Neues  Archiv  der 
Gesellschafl  fur  altère  Gcschichtskunde,  1905,  p.  693- 
701  ;  Revue  des  questions  historiques,  1905,  p.  5-58. 
Vers  la  même  époque  parut  aussi  son  ouvrage  :  De 
coeicndo  et  cxstirpando  raptu  viduarum,  pucllarum 
ac  sanctimonialium,  P.  L.,  t.  cxxv,  col.  1077,  adressé 
au  roi. 

Mais  nulle  part  ne  s'étale  avec  autant  d'ampleur  et 
de  suite  sa  science  du  droit  canon  que  dans  son 
Opuseulum  LV  capitulorum,  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  290- 
494,  dans  lequel  il  combat  son  neveu,  Hincmar  de 
Laon,  qui,  à  l'aide  du  pseudo-Isidore,  réclamait 
l'indépendance  des  évêques  vis-à-vis  de  leur  métro- 
politain. Il  est  regrettable  que  dans  cette  lutte  il  ne  se 
soit  pas  contenté  de  la  plume,  mais  qu'il  ait  procédé 
avec  une  certaine  cruauté  à  l'égard  de  l'évèque  révolté. 
Aussi  est-il  jugé  par  les  auteurs  de  l'Histoire  littéraire 
de  la  France  avec  une  sévérité  compréhensible. 

Dans  ses  théories  sur  les  relations  du  pouvoir  ecclé- 
siastique et  du  pouvoir  civil,  il  est  nettement  pour  la 
subordination  du  second  vis-à-vis  du  premier.  Cf. 
M.  X.  Arquillière,  art.  Gallicanisme,  dans  le  Diction- 
naire apologétique  de  la  foi  catholique,  Paris,  1911,  t.  il, 
col.  240-241. 

Mais  tous  ces  travaux  ecclésiastiques  n'absorbèrent 
point  son  activité  intellectuelle.  Les  questions  pure- 
ment politiques  l'occupèrent  aussi.  C'est  ainsi  qu'il 
écrivit  :  De  régis  persona  et  regio  ministerio,  P.  L., 
t.  cxxv,  col.  833  ;  De  fide  Carolo  régi  servanda,  col.  961; 
Pro  institulione  Carlomanni,  col.  993. 

Il  s'essaya  aussi  dans  la  versification  et  nous  avons 
de  lui  quelques  poèmes. 

Des  nombreuses  lettres  d'Hincmar  il  ne  reste 
qu'environ  80.  Mais  leur  importance  dépasse  celle 
d'une  correspondance  privée,  car  beaucoup  traitent 
de  questions  religieuses  et  politiques  et  s'adressent  au 
roi,  au  pape  ou  à  des  synodes  et  agitent  de  grands 
problèmes.  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  9  sq. 

Hincmar  fut  aussi  historien.  Ce  titre,  cependant,  il  ne 
le  mérite  point  par  la  Vie  de  saint  Rémi.  P.  L.,  t.  cxxv, 
col.  1129,  qu'il  écrivit  en  878.  Elle  n'est,  en  effet,  qu'un 
ouvrage  d'édification  et  un  développement  souvent 
subjectif  de  la  Vie  composée  par  Fortunat.  C'est  une 
œuvre  historique  tout  à  fait  inférieure. 

Il  se  montre  sous  un  jour  meilleur  dans  les  Annales 
de  Sainl-Bertin,  dont  il  fut  le  continuateur  de  861  à  882. 
Il  mêle  aux  faits  des  considérations  générales  qui 
témoignent  d'une  ampleur  de  vue  considérable  et 
d'un  esprit  pénétrant.  Mais  on  y  retrouve  son  style 
compliqué  et  maniéré,  qui  nuit  à  la  clarté  de  l'expo- 
sition. 


Sa  vie  extrêmement  agitée  s'acheva  le  21  dé- 
cembre 882.  11  avait  composé  lui-même  les  vers  qui 
devaient  orner  son  tombeau. 

Flodoard,  Historia  Remcnsis  ecclesiœ  libri  III,  dans 
Monumenta  Germaniœ,  Scriplores,  t.  un,  p.  475  sq.  ;  Histoire 
littéraire  de  la  France,  t.  v,  p.  544-594  ;  Gess,  Merkwiïrdig- 
keilen  aus  déni  Leben  und  den  Schriften  Hinkmars,  1806  ; 
C.  Diez,  De  Hincmari  vita  et  ingenio,  Sens,  1859  ;  Noorden, 
Hinkmar,  Erzbischof  von  Reims...,  Bonn,  1863  ;  Loupot, 
Hincmar,  archevêque  de  Reims,  sa  vie,  ses  œuvres,  son 
influence,  Reims,  1869;  Vidieu,  Hincmar  de  Reims,  Paris, 
1879;  Sdraleck,  Hinkmars  von  Reims  kanonistisches  Gutach- 
ten  ùber  die  Ehescheidung  des  Kônigs  Lothar  II,  Fribourg- 
en-Brigsau,  1881;  Schrors,  Hinkmar  von  Reims,  sein  Leben 
und  seine  Schriften,  Fribourg-en-Brisgau,  1884;  Gundlach, 
dans  Zeitschrift  fur  Kircliengeschichte,  t.  x,  p.  93-258; 
Lesne,  Hincmar  et  l'empereur  Lothaire,  étude  sur  l'Église 
de  Reims  au  IXe  siècle,  Paris,  1905;  Manitius,  Ilandbuchder 
klassischen  Altcrtumswissenchaft,  Munich,  1911;  Hurter  No- 
menclator,  Inspruck,  1903,  t.  i,  col.  801-806.  Sur  les  querelles 
avec  Gottescale,  Mabillon,  .4c/a  sanctorum  ordinis  S.Rene- 
dicli,  t.  iv  6,  p.  lviii-lxxiv  ;  H.  Freystedt,  dans  Zeitschrift 
fur  Kirchengeschichle,  1897,  t.  xvni  a,  p.  161  et  529,  et  dans 
Zeitschrift  fur  wissenschuflliche  Théologie,  1892,  t.  xxxvi  ; 
Hefele  Histoire  des  conciles,  trad.  Leclercq,  Paris,  1911, 
t.  iv  a,  passim,  spécialement  p.  197-206,  220-227,  232-237. 

H.  Netzer. 

2.  HINCMAR,  évêque  de  Laon,  naquit  dans  le 
Boulonnais.  Il  était  par  sa  mère  le  neveu  de  l'arche- 
vêque de  Reims,  Hincmar,  qui  se  chargea  de  son  édu- 
cation. A  la  mort  de  Pardule,  évêque  de  Laon  et  grand 
ami  de  sou  oncle,  le  jeune  clerc  fut  élevé  à  l'épiscopat 
et  succéda  à  Pardule  (début  de  858). 

Sa  vie  peut  se  résumer  dans  la  lutte  qu'il  soutint 
contre  son  oncle.  L'évèque  de  Laon,  en  effet,  s'éleva 
contre  les  prétentions  d'Hincmar  de  Reims  qui  ten- 
daient à  augmenter  de  plus  en  plus  la  dépendance  des 
suffragants  vis-à-vis  du  métropolitain.  Il  revendiqua 
àprement  le  droit  des  évêques  en  s'appuya  nt  sur 
le  pseudo-Isidon .  Emprisonné  quelque  temps  par 
Charles  le  Chauve  pour  avoir  défendu  les  biens  ecclé- 
siastiques contre  les  usurpations  royales  et  avoir 
refusé  de  reconnaître  la  compétence  des  tribunaux 
civils  dans  les  conflits  ave;  les  évêques,  il  jeta  l'inter- 
dit sur  son  diocèse  pour  la  durée  de  sa  captivité.  Son 
oncle  leva  cette  peine  et  la  lutte  sourde  allait  devenir 
violente. 

Elle  éclata  à  l'occasion  de  la  fête  célébrée  à  Gondre- 
ville  pour  la  prise  de  possession  de  la  Lorraine  par 
Charles  (novembre  869).  Hincmar  de  Laon  y  publia 
pour  sa  défense  une  collection  de  textes  tirés  du  pseudo- 
Isidore, P.  L.,  t.  cxxiv,  col.  1001-1026.  Son  oncle 
lui  répondit  par  son  Opuseulum  LV  capitulorum, 
P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  290-494,  dans  lequel  il  porte  une 
foule  d'accusations  contre  son  neveu.  Toutes  les 
tentatives  de  réconciliation  furent  vaines  et  Tévêque 
de  Laon  reprit  la  plume  contre  son  métropolitain  pour 
l'attaquer  de  la  façon  la  plus  acérée.  P.  L.,  t.  cxxiv, 
col.  1027-1070. 

Le  synode  de  Douzy  (août  871),  que  présidait 
Hincmar  de  Reims,  appela  la  cause  à  son  tribunal. 
L'évèque  de  Laon  fut  déposé  et  privé  du  droit  de 
remplir  toute  fonction  sacerdotale. 

Adrien  II,  à  qui  Hincmar  en  avait  appelé,  demanda 
la  revision  du  procès  et  exigea  de  surseoir  à  la  nomi- 
nation d'un  successeur.  L'archevêque  de  Reims  et 
les  évêques  français  protestèrent  contre  cette  décision 
du  pape,  qui  cessa  toute  intervention  dans  l'affaire. 
Jean  VIII,  à  l'occasion  du  couronnemsnt  de  Charles  le 
Chauve  (Noël  875),  approuva  la  déposition  d'Hincmar, 
qui  fut  exilé  et  emprisonné  un  certain  temps.  Le 
comte  Bezon  de  Vienne  lui  fit  crever  les  yeux  et  ce 
n'est  que  sur  l'intervention,  auprès  de  Jean  VIII, 
des  évêques  réunis  en  concile  à  Troyes  (août  878) 
que  son  sort  fut  adouci.  On  lui  rendit  une  partie  des 


24S7 


HINCMAR  _   HIPPOLYTE   (SAINT, 


2488 


revenus  du  diocèse,  et  il  lui  fut  permis  de  célébrer  la 
niasse  pontiiicalement.  11  mourut  l'année  suivante. 

Cellot,  Vila  Hincmari  junioris,  dans  son  Concilinm  Duzia- 
ccnse,  Paris,  1658,  p.  1-60;  P.  L.,  t.  c&.mv.  col.  967-97S; 
Histoire  littéraire  de  la  France,  t.  v,  p.  522;  Schrôrs,  oans  le 
J-'irchenlexikon;  Hetele,  Histoire  des  conciles,  trad.  Leclerrq, 
Paris,  1911,  t.  iv  b,  p.  613-619;  Hurter,  Nomenclator, 
Iuspruck,  1903,  t.  i,  col.  806-807. 

H.   Netzer. 
HIPPOLYTE  (Saint).—   I.    Sa  personne.    II.   Ses 
œuvres.  III.  Sa  théologie. 

I.  Sa  personne.  —  Nulle  personnalité  de  l'ancienne 
Église  chrétienne  n'est  restée  aussi  longtemps  et  aussi 
profondément  mystérieuse  que  celle  d'Hippolyte.  A 
vrai  dire,  c'est  seulement  depuis  le  milieu  du  xixe  siècle 
qu'elle  commence  à  s'éclairer.  Groupés  par  les  critiques, 
les  renseignements  épars  dans  l'antiquité  ecclésiastique 
nous  permettent  de  faire  revivre  cette  première  grande 
apparition  de  la  théologie  occidentale  au  début  du 
111e  siècle.  Nous  commençons  à  entrevoir  en  Hippolyte 
un  docteur  aussi  illustre  et  plus  informé  que  son  con- 
temporain Origène,  un  homme  d'Église  d'allure  aussi 
hautaine  que  les  plus  grands  évêques  du  me  siècle, 
un  antipape  qui,  durant  plusieurs  années,  élève  chaire 
contre  chaire  dans  la  communauté  romaine,  un  confes- 
seur et  un  martyr  enfin,  qui  rachète,  par  son  sacrifice 
et  sa  pénitence  un  peu  tardive,  les  égarements  passa- 
gers où  l'a  entraîné  son  orgueil. 

Or,  tout  cela,  les  premiers  historiens  et  les  premiers 
critiques  ecclésiastiques  l'ont  ignoré  à  peu  près  complè- 
tement. Moins  d'un  siècle  après  la  mort  d'Hippolyte, 
Eusèbe,  qui  dans  la  bibliothèque  de  Jérusalem  avait 
trouvé  les  œuvres  du  docteur  romain,  en  donnait  un 
catalogue  volontairement  incomplet;  mais  s'il  con- 
naissait le  caractère  épiscopal  d'Hippolyte,  il  ne  pou- 
vait dire  de  quelle  Église  il  avait  été  le  chef.  H.  /•;., 
1.  VI,  c-  xx  et  xxn.  Cinquante  ans  plus  tard,  saint  Jé- 
rôme complétait  dans  le  De  viris  illustribus,  61,  le  cata- 
logue des  œuvres  d'Hippolyte  donné  par  Eusèbe;  dans 
ses  commentaires  sur  les  Écritures,  il  citait  à  plusieurs 
reprises  le  premier  exégète  occidental;  dans  plusieurs 
de  ses  lettres  il  y  faisait  allusion,  mais,  tout  comme 
Eusèbe,  il  avouait  son  ignorance  relativement  au  siège 
épiscopal  occupé  par  Hippolyte.  Voir  la  collection  com- 
plète des  références  de  saint  Jérôme,  dans  Lightfoot, 
The  apostolic  Fathers,  part.  I,  Londres,  1890,  t.  n, 
p.  329-331,  et  dans  Harnack,  Geschichie  der  allchristli- 
chen  Lillcratur,  t.  i,  p.  611.  Si  les  érudits  les  plus  consi- 
dérables du  ive  siècle  sont  si  maigrement  renseignés 
sur  la  personne  d'Hippolyte,  comment  s'étonner  que 
les  écrivains  moins  érudits  de  l'ancienne  littérature 
chrétienne  aient  ignoré  complètement,  sinon  les  écrits, 
au  moins  le  personnage  du  docteur  romain  ? 

Chose,  curieuse,  c'est  en  Occident,  à  Rome,  sur  le 
théâtre  même  de  son  activité,  qu'Hippolyte  a  été  le 
plus  méconnu.  Écrites  en  grec,  à  une  époque  où  le  latin 
prenait  dans  l'Église  romaine  une  place  de  plus  en  plus 
considérable,  ses  œuvres  seraient  bientôt  illisibles  pour 
le  commun  des  théologiens;  émanées  d'un  schisma- 
tique,  elles  devaient  soulever  contre  elles  pas  mal  de 
préjugés.  Ces  deux  circonstances  expliquent  à  peine 
l'oubli  profond  dans  lequel  sont  tombées  en  Occident 
les  productions  d'Hippolyte.  Au  dire  de  saint  Jérôme, 
saint  Ambroise,  pour  la  rédaction  de  son  Hcxaméron, 
aurait  mis  largement  à  contribution  Hippolyte.  Episl., 
lxxxiv,  P.  L.,  t.  xxn,  col.  743.  Saint  Jérôme  lui- 
même,  quelquefois  en  les  citant,  très  souvent  peut-être 
sans  le  dire,  a  utilisé  les  œuvres  de  son  prédécesseur. 
Le  pape  Gélase  (492-496),  en  recueillant  les  témoi- 
gnages relatifs  à  la  double  nature  du  Christ,  a  cité 
d'Hippolyte  un  fragment  de  quelques  lignes  (texte 
dans  de  Lagarde,  p.  30-31;  cf.  Biblioihcca  Palrum 
Lugduncnsis,  t.  vin,  p.  704).  Et  c'est  tout  pour  l'Occi- 


dent, puisque  l'on  ne  peut  faire  état  de  l'utilisation 
par  le  donatiste  Tichonius  du  commentaire  sur  l'Apo- 
calypse. Et  pendant  que  les  érudits  achevaient  de 
perdre  le  souvenir  des  œuvres  d'Hippolyte,  la  légende 
s'exerçait  en  paix  sur  sa  mémoire.  Dans  l'inscription 
à  l'endroit  même  de  sa  sépulture,  le  pape  Damase 
(366-384)  fait  de  l'antipape  de  218  un  prêtre  attaché 
au  schisme  de  Novat  (après  251).  Le  te'xte  est  dans 
De  Rossi,  Inscriptiones  chrislianze  urbis  Romœ,  Rome, 
1887,  t.  ii,  p.  82.  Prudence  s'empare  de  cette  donnée 
fantaisiste  de  Damase,  et  en  fait  le  thème  d'un  des- 
plus beaux  poèmes  du  Péri  Stephanon.  De  passione 
sancti  Hippohjti,  P.  L.,  t.  lx,  col.  530-556.  Mais  voici 
qui  est  mieux.  Le  roman  composé  au  vie  siècle  sur  le 
martyre  de  saint  Laurent,  fait  une  place  à  Hippolyte. 
Mais  ce  dernier  a  quitté  la  toge  du  docteur  pour  la 
chlamyde  du  soldat;  il  est  devenu  vicaire  du  préfet  de 
Rome.  Chargé  en  cette  qualité  de  la  garde  du  diacre 
romain,  il  se  convertit  à  la  vue  des  miracles  opérés  par 
Laurent,  et  meurt  martyr  avec  sa  nourrice  Concordia 
et  dix-huit  autres  personnes.  Texte  du  martyre  dans 
de  Lagarde,  p.  v-xm.  C'est  sous  ce  déguisement 
qu'Hippolyte  figure  aujourd'hui  encore  au  bréviaire 
romain  et  au  martyrologe,  le  13  août.  Un  peu  aupa- 
ravant la  confusion  s'était  encore  établie  entre  notre 
docteur  et  un  martyr  du  même  nom  enterré  à  Porto. 
C'est  ce  qui  explique  le  titre  d'évêque  de  Porto  (epi- 
scopus  Porluensis),  attribué  à  Hippolyte  par  plusieurs 
documents.  Le  Porto  dont  il  est  ici  question  est  évi- 
demment le  Portus  romanus  de  l'embouchure  du  Tibre, 
à  quelque  distance  d'Ostie.  On  a  demandé  comment  le 
pape  Gélase  a  pu  faire  d'Hippolyte  un  évèque  de 
Bostra  en  Arabie,  et  comment,  encouragés  par  cette 
distraction  singulière,  quelques  critiques  modernes 
sont  allés  chercher  jusqu'au  sud  de  l'Arabie,  aux 
environs  d'Aden,  un  Portus  romanus  où  ils  pussent 
situer  cet  évêque  en  disponibilité.  De  tous  les  Occiden- 
taux, le  Chronographe  de  354  est  le  seul  à  fournir  sur  le 
compte  d'Hippolyte  des  renseignements  exacts,  encore 
que  très  certainement  incompris  de  lui-même  et  de  ses 
lecteurs.  Dans  sa  liste  des  évêques  romains,  première 
ébauche  du  Liber  pontiftcalis,  il  donne  à  propos  du 
pape  Pontien  le  renseignement  suivant  :  Eo  temporc, 
Ponlianus  episcopus  et  Hippolylus  prcsbylcr  exules  sunt 
deporlali  in  Sardinia  in  insula  vocina  (  =  nociva), 
Severo  et  Quintiano  coss.  (en  235)  in  eadem  insula 
discinctus  est  (il  démissionna)  VI  kal.  octobr.  et  loco  ejus 
ordinalus  est  Anlheros  xi  kal.  dec.  coss.  suprascriplis  ; 
et  dans  la  liste  des  dépositions- de  martyrs,  on  lit  aux 
ides  d'août  :  Hippolyti  in  Tiburtina  et  Pontiani  in 
Callisti.  Monumenla  Germanise  historica,  Auclorcs 
anliquissimi,  t.  ix,  p.  74-75,  72. 

Sans  mieux  connaître  le  personnage  d'Hippolyte, 
les  Orientaux,  à  partir  du  ive  siècle,  ont  fréquemment 
cité  les  ouvrages  de  notre  docteur.  Apollinaire  de 
Laodicée  le  mentionne  à  propos  de  Daniel,  n  et  vu. 
Mai,  Scriptorum  vcterum  nova  collectio,  t.  i  b,  p.  173. 
Épiphane  le  cite,  Hser.,  xxxi,  33,  P.  G.,  t.  xli,  col. 
540,  et  lui  emprunte  une  bonne  partie  des  renseigne- 
ments contenus  dans  le  Panarion.  Palladius  (vers  421) 
consigne  dans  l'Histoire  Lausiaque  un  récit  qu'il  a  lu 
dans  Hippolyte,  un  homme,  dit-il,  de  la  génération 
apostolique.  P.  G.,  t.  xxxm,  col.  12-51.  L' Eranistes 
de  Théodoret  (en  446)  donne  à  diverses  reprises  plu- 
sieurs citations  d'Hippolyte,  évêque  et  martyr.  P.  G., 
t.  lxxxiii,  col.  85,  172,  176,  284,  332,  401  (en  tout 
dix-sept  citations  et  quelques  références).  Vers  500, 
André  de  Césarée,  dans  son  commentaire  sur  l'Apoca- 
lypse, fait  appel  à  plusieurs  reprises  à  Hippohlc. 
Cramer,  Calenie  in  Apocahjpsim,  p.  176.  Cyrille  de 
Scythopolis,  en  555,  dans  la  Vita  sancli  Euthymii, 
Cotelier,  Ecclcsise  grœcœ  monumenta,  t.  iv,  p.  82,  s'en 
rapporte  aux  données   chronographiques  du  docteur 


2489 


HIPPOLYTE  (SAINT; 


2490 


romain.  A  peu  près  à  la  même  époque,  Léonce  de 
Byzance  mentionne  parmi  les  Pères  anténicéens 
Ignace,  Irénée,  Justin,  et  les  évêques  romains  Clément 
et  Hippolyte.  P.  G.,  t.  lxxxvi,  col.  1213.  Quelques 
années  plus  tard,  vers  578,  Eustrate  de  Constantinople 
renvoie  au  commentaire  sur  Daniel  composé  par  Hip- 
polyte, martyr  et  évêque  de  Rome.  Vers  la  fin  du 
vie  siècle,  Etienne  Gobar,  au  dire  de  Photius,  Bibliotheca, 
cod.  232,  P.  G.,  t.  cm,  col.  1104-1105,  cite  à  trois  re- 
prises l'autorité  d'Hippolyte.  On  trouvera  dans 
Harnack  et  dans  Lightfoot,  loc.  cit.,  les  autres  réfé- 
rences des  auteurs  byzantins,  assez  nombreuses  entre 
le  vne  et  le  xne  siècle.  Les  plus  importantes  sont  celles 
données  par  Photius.  Le  célèbre  érudit  analyse  som- 
mairement, Bibliotheca,  cod.  48,  P.  G.,  t.  cm,  col.  84- 
85,  un  ouvrage  intitulé:  EUpt  toû  Traytoç,  ou  encore  Ilept 
Tïjç  xou  zavTo;  aÎTta;,  ou  encore  Ilspi  xfjç  tou  rcavrà;  oûaîaç, 
attribué  par  certains  manuscrits  au  juif  Josèphe. 
Il  n'a  pas  de  peine  à  montrer  l'inexactitude  de  cette 
attribution,  et,  cherchant  à  identifier  l'auteur,  il 
hasarde  le  nom  de  Caius,  un  prêtre  (?)  qui  résidait  à 
Rome  et  à  qui  l'on  attribuait  également  le  Labyrinthe. 
A  la  fin  de  ce  dernier  traité,  sur  lequel  nous  revien- 
drons, l'auteur  déclarait  avoir  également  composé  un 
livre  sur  l'essence  de  l'univers.  L'attribution  (fautive 
d'ailleurs)  à  Caius  du  Labyrinthe  entraînait  donc 
aussi  la  composition  par  ce  même  auteur  du  Ilepi  to3 
-avTôç.  Le  cod.  121  de  la  Bibliothèque,  ibid.,  col.  401, 
donne  le  signalement  d'un  ouvrage  qui  est  marqué 
expressément  comme  étant  d'Hippolyte,  un  disciple 
d' Irénée.  C'est  un  traité  contre  trente-deux  hérésies, 
commençant  par  les  dosithéens  et  allant  jusqu'à  Noët 
et  les  noétiens.  Enfin  le  cod.  202,  ibid.,  col.  673,  men- 
tionne le  commentaire  d'Hippolyte,  évêque  et  martyr, 
sur  Daniel  et  le  traité  sur  le  Christ  et  l'Antéchrist  dont 
Photius  analyse  rapidement  le  contenu. 

On  voit  par  ces  diverses  références  que  les  Byzantins 
n'avaient  pas  complètement  perdu  de  vue  le  grand 
docteur  romain.  Au  xive  siècle,  Nicéphore  Calliste,  H.  E., 
1.  IV,  31,  P.  G.,  t.  cxlv,  col.  1052,  pouvait  donner  un 
catalogue  de  ses  œuvres  plus  complet  que  ceux  d'Eu- 
sèbe  ou  de  saint  Jérôme.  Les  Orientaux  de  diverses 
langues  avaient  traduit  depuis  longtemps  les  ouvrages 
d'Hippolyte;  c'est  partiellement  par  des  versions 
syriaques,  arabes,  arméniennes,  coptes,  slavonnes, 
géorgiennes,  que  nous  pouvons  aujourd'hui  restituer 
une  partie  de  l'œuvre  de  cet  écrivain.  A  la  fin  du 
xme  siècle,  le  nestorien  Ebed-Jesu,  au  n.  7  de  son 
catalogue,  signalait  les  œuvres  principales  d'Hippo- 
lyte, dans  Assémani,  Bibliotheca  orientalis,  t.  m,  p.  15; 
il  est  très  vraisemblable  que  les  œuvres  signalées 
étaient  à  l'époque  traduites  en  syriaque.  Un  siècle 
avant  lui,  Denys  Barsalibi,  dans  un  commentaire 
encore  inédit  sur  l'Apocalypse,  citait  cinq  fragments 
d'un  ouvrage  d'Hippolyte  contre  Caius. 

C'est  au  xvie  siècle  qu'une  découverte  inattendue 
attire  soudainement  l'attention  des  critiques  ecclésias- 
tiques sur  Hippolyte  et  son  œuvre.  En  1551,  on  mit 
au  jour  dans  le  Cimetière  d'Hippolyte,  sur  la  voie 
Tiburtine,  une  statue  représentant  le  docteur  romain, 
en  costume  de  philosophe,  assis  sur  une  cathedra  de 
forme  antique.  La  tête  de  la  statue  avait  disparu; 
mais  sur  diverses  surfaces  du  siège  on  pouvait  lire  des 
inscriptions  qu'on  a  fini  par  identifier.  Voir  dans  P.  G., 
t.  x,  col.  881-885,  une  reproduction  de  la  statue,  d'ail- 
leurs fortement  restaurée,  telle  qu'on  la  voit  au  musée 
du  Latran;  pour  les  inscriptions,  le  meilleur  texte  dans 
Harnack,  Altchristliche  Litteratur,  p.  606-610.  La  sta- 
tue est  certainement  du  me  siècle;  elle  a  été  érigée  peu 
de  temps  sans  doute  après  la  mort  d'Hippolyte,  peut- 
être  même  de  son  vivant,  par  les  admirateurs  du 
maître.  Ils  n'ont  pas  voulu  que  la  postérité  ignorât  les 
titres  du  docteur  à  leur  reconnaissance,  et  ils  ont  gravé, 


d'abord  sur  les  deux  côtés  du  siège,  le  cycle  pascal 
imaginé  par  Hippolyte,  ensuite  sur  la  partie  incurvée 
du  dossier,  à  main  droite  d'un  observateur  regardant 
dans  la  même  direction  que  la  statue,  une  liste,  volon- 
tairement incomplète,  de  ses  ouvrages.  La  sagacité 
des  épigraphistes  et  des  critiques  s'est  exercée  sur  cette 
liste,  sans  jamais  la  tirer  complètement  au  clair.  C'est 
en  combinant  les  données  de  l'inscription  avec  celles 
que  fournissaient  Eusèbe,  Jérôme  et  Nicéphore  Cal- 
liste  qu'on  a  commencé  à  se  rendre  un  compte  plus 
exact  de  l'activité  d'Hippolyte.  En  1716  et  1718 
J.  A.  Fabricius  donnait  une  première  édition  d'en- 
semble, que  Migne  a  reproduite,  P.  G.,  t.  x,  col- 
261-962.  Mais  l'on  peut  dire  que,  si  le  théologien  com- 
mençait à  réapparaître  dans  ces  fragments  souvent 
informes,  l'homme  restait  toujours  aussi  profondément 
inconnu;  et  les  conjectures  allaient  leur  train  sur  le 
compte  de  ce  mystérieux  personnage. 

Seule  la  publication  des  Philosophoumena,  1851,  per- 
mettrait de  retracer  d'une  manière  certaine  les  phases 
principales  de  l'activité  d'Hippolyte.  Ce  nom  est  appli- 
qué, d'une  manière  fort  impropre  d'ailleurs,  à  un 
traité  contre  les  hérésies  dont  la  principale  caractéris- 
tique est  de  rattacher  chacune  des  erreurs  contre  le 
dogme  chrétien  à  un  système  philosophique  grec, 
préalablement  bafoué.  Le  Ier  livre,  exposé  des  opi- 
nions philosophiques,  était  connu  et  publié  depuis 
1710,  par  J.  Gronovius,  Thésaurus  grœcarum  antiqui- 
tatum,  t.  x.  En  1842,  Minoides  Mynas  découvrit  au 
Mont-Athos  et  apporta  en  France  une  partie  considé- 
rable (peut-être  tout  le  reste)  de  l'ouvrage  conservé 
dans  un  manuscrit  du  xive  siècle.  Le  tout  fut  publié, 
sous  les  auspices  de  Villemain,  par  E.  Miller,  qui  attri- 
bua à  Origène  la  paternité  de  l'œuvre  :  Origenis  Phi- 
losophoumena, sive  omnium  hœresium  refutatio,  Oxford, 
1851.  Cette  attribution  fut  vite  contestée.  Dès  le 
début  du  traité,  l'auteur  se  donnait  comme  évêque; 
il  avait  pris  une  part  active  aux  discussions  qui 
avaient  eu  lieu  à  Rome  lors  de  l'apparition  du  moda- 
lisme;  il  s'était  posé  en  adversaire  du  pape  Zéphyrin, 
en  rival  du  pape  Calliste.  Aucun  de  ces  traits  ne  pou- 
vait convenir  à  Origène,  dont  la  vie  est  si  connue.  A 
qui  attribuer  les  Philosophoumena  ?  Divers  noms 
furent  mis  en  avant  :  Tertullien,  dont  la  situation  à 
Carthage  rappelait  assez  celle  de  l'auteur  à  Rome;  le 
prêtre  (?)  Caius,  auquel  Photius  attribuait,  bien 
qu'avec  des  restrictions,  la  composition  d'un  Laby- 
rinthe. Or  l'auteur  des  Philosophoumena  commence 
son  Xe  livre  en  déclarant  qu'il  vient  de  détruire,  dans 
les  livres  précédents,  le  labyrinthe  des  hérésies;  il  fait 
allusion,  1.  X,  p.  32,  à  un  traité  Llspl  T7jç  tou  ^xvtoç  oùai'a? 
antérieurement  composé  par  lui-même.  Et  Photius 
avait  lu  en  plusieurs  manuscrits  le  nom  de  Caius  à  la 
marge  d'un  traité  du  même  nom.  Dôllinger  eut  le 
mérite  de  montrer  dès  1853  que  ces  diverses  hypo- 
thèses devaient  être  écartées;  résolument  il  désignait 
Hippolyte  comme  le  seul  auteur  possible  des  Philoso- 
phoumena. Presque  aussitôt  sa  démonstration  rallia 
l'ensemble  des  critiques.  A  la  suite  de  la  découverte 
de  l'épitaphe  damasienne  dont  il  a  été  question  plus 
haut,  J.-B.  De  Rossi,  il  est  vrai,  contesta  les  principales 
conclusions  de  Dôllinger.  Hippolyte,  partisan  du 
schisme  de  Donat,  martyr  dans  une  persécution  qui 
ne  pouvait  être  antérieure  à  celle  de  Valérien,  ne  pou- 
vait guère  s'identifier  avec  un  docteur  romain,  en 
pleine  floraison  à  l'époque  de  Zéphyrin,  auteur  d'un 
schisme  sous  le  pontificat  de  Calliste.  Cette  argumen- 
tation, qui  a  pour  point  de  départ  la  vérité  des  faits 
rapportés  par  Damase,  a,  pendant  quelques  années, 
empêché  plusieurs  critiques  de  se  rallier  à  la  thèse 
de  Dôllinger.  Mgr  Duchesne,  dans  son  cours  auto- 
graphié  sur  les  Origines  chrétiennes,  t.  n,  p.  332-352, 
hésite   encore    à   se   prononcer   pour   l'attribution    à 


2491 


HIPPOLYTE   (SAINT) 


2492 


Hippolyte  des  Philosophoumena,  et,  sans  se  rallier 
pleinement  aux  vues  de  De  Rossi,  il  déclare  que  «  la 
tradition  monumentale,  liturgique,  légendaire,  qui  se 
développa  autour  du  tombeau  d'Hippolyte,  ne  per- 
met pas  d'affirmer  qu'on  ait  eu  à  Rome  au  ive  siècle 
le  moindre  souvenir  d'une  attitude  schismatique  prise 
par  le  docteur  en  face  des  papes  ses  contemporains.  » 
Mais  à  présent  toutes  les  hésitations  semblent  définiti- 
vement levées.  La  comparaison  entre  les  ouvrages  les 
plus  authentiques  d'Hippolyte  et  les  Philosophoumena 
met  en  évidence  une  parenté  d'expressions  et  de  pen- 
sées qui,  à  elle  seule,  autoriserait  l'identification. 
D'autre  part,  une  fois  que  l'on  a  dans  le  texte  de  Pho- 
tius  remplacé  par  le  nom  d'Hippolyte  celui  de  Caius 
si  timidement  avancé  par  la  critique,  tout  s'éclaire 
dans  les  données  de  la  tradition.  Enfin  et  surtout 
l'attribution  des  Philosophoumena  à  Hippolyte  per- 
met de  relier  d'une  manière  infiniment  simple  tous 
les  renseignements  que  nous  possédons  par  ailleurs 
sur  le  docteur  romain.  Dès  lors  comment  faire  état  des 
simples  conjectures  énoncées  avec  tant  d'hésitation 
par  l'inscription  damasienne  ?  Aussi  Mgr  Duchesne 
attribue-t-il  catégoriquement  à  Hippolyte  la  compo- 
sition des  Philosophoumena,  dans  son  Histoire  ancienne 
de  l'Église,  Paris,  1906,  t.  i,  p.  313. 

Et  voici  la  reconstitution  du  personnage  d'Hippo- 
lyte qui  semble  actuellement  la  plus  plausible.  Durant 
le  premier  quart  du  ine  siècle,  le  prêtre  Hippolyte  est 
incontestablement  la  personnalité  la  plus  marquante 
de  la  communauté  romaine.  De  ses  origines  nous  ne 
savons  rien;  Photius  affirme  par  deux  fois  qu'il  a  été 
disciple  d'Irénée,  mais  il  est  bien  difficile  de  tirer  quel- 
que chose  de  ce  renseignement  un  peu  tardif  et  peut- 
être  conjectural.  Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  que,  vers 
212,  Origène  venant  à  Rome  assiste  à  une  prédication 
d'Hippolyte  et  celui-ci  trouve  le  moyen  de  glisser  un 
éloge  bien  senti  de  son  émule  alexandrin.  La  capitale 
de  l'empire  était  à  cette  époque  le  théâtre  de  luttes 
ardentes  entre  diverses  tendances  chrétiennes  qui 
toutes,  par  leur  exagération,  peuvent  conduire  à  de 
graves  erreurs.  Le  problème  trinitaire  se  posait  avec 
beaucoup  d'acuité.  Des  deux  notions  de  l'unité  divine 
et  de  la  trinité  des  personnes,  laquelle  devrait  l'empor- 
ter? On  spéculait  beaucoup  à  cette  époque,  dans  le 
milieu  romain,  sur  la  monarchie  divine,  tant  et  si  bien 
que,  pour  la  sauvegarder,  certains,  comme  Théodote 
de  Byzance,  Théodote  le  banquier  et  plus  tard  Arté- 
mon,  en  étaient  arrivés  à  sacrifier  délibérément  la  divi- 
nité de  Jésus.  Une  telle  doctrine  différait  trop  du 
christianisme  authentique  pour  pouvoir  se  produire 
longtemps  sans  attirer  sur  elle  l'attention  et  les  condam- 
nations de  l'autorité  ecclésiastique.  Tandis  que  le  pape 
Victor  excommuniait  Théodote,  le  prêtre  Hippolyte 
combattait  avec  énergie  une  doctrine  si  contraire  à  la 
tradition  chrétienne. 

Mais  presque  aussitôt,  d'autres  chrétiens  se  mirent  à 
sauvegarder  d'une  manière  toute  différente  l'unité, 
la  monarchie  divine.  Repoussant  de  toutes  leurs 
forces  la  théologie  du  Logos,  qui  avait  son  point  de 
départ  dans  le  IVe  Évangile  et  qui  s'était  développée 
surtout  par  l'effort  des  apologistes,  ils  ne  voulaient 
admettre  qu'une  différence  purement  nominale  entre 
le  Père  et  le  Fils.  Ces  idées  modalistes  avaient  déjà 
subi  deux  échecs,  l'un  à  Carthage,  où  Praxéas,  leur 
plus  illustre  représentant,  avait  été  excommunié, 
l'autre  à  Smyrne,  où  Noët  avait  encouru  une  condam- 
nation du  même  genre,  quand  elles  vinrent  tenter  la 
fortune  à  Rome.  Elles  se  présentaient  en  opposition 
extrême  avec  la  doctrine  théodotienne  qui  venait 
d'être  condamnée;  peut-être  les  échecs  subi,  à  Car- 
thage et  à  Smyrne  avaient-ils  rendu  leurs  partisans 
plus  modérés  dans  l'expression  de  leur  pensée.  Tou- 
jours est-il  que  ces  monarchiens  d'un  nouveau  genre   I 


n'excitèrent  d'abord  aucune  répulsion  dans  la  masse 
des  fidèles.  Le  pape  Zéphyrin,  qui  ne  semble  pas  avoir 
été  très  versé  dans  les  subtilités  théologiques,  n'y  vit 
pas  malice,  lui  non  plus.  11  permit  de  fréquenter  l'école 
fondée  par  Cléomène,  un  des  disciples  de  Noët.  Phi- 
losopha 1.  IX,  6.  Bref,  pendant  quelques  années  à. 
Rome,  on  ne  parla  plus  que  de  monarchie. 

La  prépondérance  d'une  telle  doctrine  ne  faisait 
pas  l'affaire  d'un  docteur  comme  Hippolyte,  tout 
pénétré  de  la  doctrine  philosophico-théologique  du 
Logos.  De  toutes  ses  forces  il  résistait  aux  nouveaux 
docteurs,  leur  arrachait  parfois  l'aveu  de  leurs  erreurs, 
mais  les  voyait  très  vite  revenir  à  leurs  idées  premières. 
Il  avait  entrepris  tout  spécialement  d'éclairer  Sabel- 
lius,  mais  celui-ci,  séduit,  au  dire  d'Hippolyte,  par  les 
belles  paroles  de  l'archidiacre  Calliste,  oubliait  très 
vite  les  leçons  reçues  et  retournait  aux  dogmes  de 
Cléomène.  Il  aurait  fallu,  d'après  le  prêtre  romain, 
une  énergique  intervention  de  l'autorité  ecclésias- 
tique. Or,  Zéphyrin  ne  savait  plus  où  donner  de  la  tête. 
Conseillé  par  Calliste,  il  faisait  des  professions  de  foi 
que  n'auraient  pas  désavouées  Noët  et  ses  disciples  : 
«  Moi,  disait-il,  je  ne  connais  qu'un  seul  Dieu,  Jésus- 
Christ,  et,  en  dehors  de  lui,  aucun  autre  qui  soit  né  et 
qui  ait  souffert»:  Èyto  oloa  é'va  ôsov  Xpiaxàv  '  Irjaouv  xal 
7rXvjV  a'jxou  é'xepov  oùSÉva  yîvrÎTOv  xaî  ^aOr]Tov.  Il  est 
vrai  qu'aussitôt  il  ajoutait  :  «  Ce  n'est  pas  le  Père  qui 
est  mort,  mais  le  Fils  »  :  où  y  ô  riaTTjp  àraÔavEV,  àXÀà  â 
Yioç.  Mais  quand  Hippolyte  le  pressait  un  peu  vive- 
ment, Zéphyrin  ne  pouvait  s'empêcher  de  lui  faire 
remarquer  le  dithéisme  latent  dans  ses  formules  : 
àraxâXêt  ï)|i£{  S'.âsouç.  Philosoph.,  1.  IX,  11. 

La  discussion  allait  s'exaspérant  de  plus  en  plus. 
La  colère  d'Hippolyte  visait  nettement,  derrière  le  pape 
en  charge,  son  conseiller  Calliste.  Nous  n'avons  pas  à 
discuter  ici  les  accusations  portées  contre  ce  dernier 
par  l'auteur  des  Philosophoumena.  Voir  t.  n,  col.  1384- 
1387.  Ce  qu'il  y  a  de  trop  certain,  c'est  que,  le  jour  où 
Calliste  fut  élu  pour  remplacer  Zéphyrin,  Hippolyte, 
déçu  peut-être  dans  ses  ambitions,  en  tout  cas  fort 
irrité  contre  son  ancien  adversaire,  n'hésita  pas  à  se 
séparer  de  la  communion  du  pape  légitime.  Il  déclara 
qu'il  ne  voulait  avoir  aucun  rapport  avec  un  pontife 
fauteur  d'hérésie;  il  fonda  une  Église  en  face  de  la  com- 
munauté romaine,  et  semble  y  avoir  réuni  un  certain 
nombre  d'adhérents.  Calliste,  de  son  côté,  ne  voulut 
pas  qu'il  fût  dit  qu'on  se  séparait  de  lui  à  cause  de  ses 
doctrines;  il  excommunia  Sabellius.  Mais  rejeter  le 
modalisme,  ce  n'était  point,  tant  s'en  faut,  adhérer 
pleinement  à  la  théologie  du  Logos  professée  par 
Hippolyte.  Ce  dernier  persévéra  donc  dans  son  schisme. 
Durant  tout  le  pontificat  de  Calliste,  il  ne  cessa  d'atta- 
quer avec  la  dernière  injustice  les  actes,  même  les  plus 
raisonnables,  de  son  rival,  et  sa  rancune  s'exhala 
dans  les  Philosophoumena,  dont  la  partie  relative  à 
Calliste  est  un  véritable  pamphlet.  Cette  attitude 
d'Hippolyte  persévéra  sous  les  deux  successeurs  •  de 
Calliste,  Urbain  et  Pontien.  Heureusement  pour 
l'honneur  d'Hippolyte,  la  persécution  vint  mettre  un 
terme  à  cette  situation  sans  issue.  L'édit  porté  par 
Maximin  le  Thrace,  dès  son  arrivée  au  pouvoir,  proscri- 
vait les  chefs  des  Églises  comme  responsables  de  l'en- 
seignement de  l'Évangile.  Le  pape  Pontien  fut  arrêté; 
Hippolyte  l'antipape  ne  tarda  pas  à  le  rejoindre  en 
prison;  l'un  et  l'autre  furent  frappés  de  condamnation 
capitale  :  ils  furent  déportés  aux  mines  de  Sardaigne. 
Dans  les  misères  du  bagne  les  deux  confesseurs  finirent 
par  se  réconcilier;  et,  s'il  faut  en  croire  la  tradition 
rapportée  par  Damase,  Hippolyte  donna  à  ses  adhé- 
rents le  conseil  de  se  rallier  à  l'Église  légitime.  Ce  qu'iL 
y  a  de  certain,  c'est  que,  une  fois  la  paix  rendue  à 
l'Église,  le  pape  Fabien  obtint  de  faire  transférer  à 
Rome   les   corps   des   deux  confesseurs.    Pontien   fut 


2493 


HIPPOLYTE    (SAINT 


2494 


enterré  dans  la  catacombe  de  Calliste;  Hippolytc,  dans 
une  crypte  de  la  voie  Tiburtine.  C'est  là  que  ses  admi- 
rateurs lui  élevèrent  la  statue  découverte  au  xvie  siècle. 
C'est  là  aussi  que,  vingt  ans  plus  tard,  fut  enterré  le 
diacre  Laurent.  La  proximité  des  deux  tombeaux  faci- 
litera plus  tard  la  confusion  des  souvenirs,  à  une 
époque  où  avait  complètement  disparu  des  esprits  la 
grande  mémoire  de  l'illustre  docteur  romain. 

Sur  le  personnage  d'Hippolyte  tous  les  travaux  antérieurs 
à  1851  sont  à  négliger  complètement.  Les  études  les  plus 
importantes  sur  le  sujet  sont  les  suivantes  :  I.  Dôllinger, 
Hippolylus  wid  Kallistus  oder  die  Rômische  Kirche  in  der 
ersten  Hàlfle  des  III  Jahrhunderts,  Ratisbonne,  1853;  H.  Chr. 
Wordsworth,  St.  Hippolytus  and  the  Church  of  Rome  in  the 
early  part  of  the  n/century,  Londres,  1853  et  1880;  F.  C.  Over- 
beck,  Quœstionum  Hippolylearum  spécimen,  Iéna,  1864; 
Cruice,  Études  sur  de  nouveaux  documents  historiques  emprun- 
tés à  l'ouvrage  récemment  découvert  des  Philosophumena, 
Paris,  1853  ;  Histoire  de  l'Église  de  Rome  sous  les  pontificats  de 
Victor,  de  Zéphyrin  et  de  Calliste,  Paris,  1856. 

La  question  est  rouverte  par  De  Rossi,  nombreux  articles 
dans  le  Bullellino  di  archeologia  christiana,  dont  on  retrou- 
vera le  relevé  exact  dans  Lightfoot,  p.  308.  Contre  les  vues 
émises  par  De  Rossi,  Funk,  Zur  Ilippolytusfrage,  dans  His- 
torisch-polilische  Blàtter,  1882,  t.  lxxxix,  p.  889-896;  pour 
De  Rossi,  Allard,  Les  dernières  persécutions  du  III'  siècle, 
2«  édit.,  Paris,  1898,  p.  369-377. 

Un  résumé  très  complet  de  la  question  d'Hippolyte  dans 
Lightfoot,  The  apostolic  Fathers,  part.  I,  Londres,  1890,  t.  u, 
p.  316-477;  Lightfoot  reste  encore  hésitant  sur  le  person- 
nage d'Hippolyte.  Les  dernières  hésitations  sont  levées  par 
G.  Ficker,  Studien  zur  Hippolylirage,  Leipzig,  1893,  et  sur- 
tout par  H.  Achelis,  Hippolytstudien,  Leipzig,  1897,  dans 
Texte  und  Untersuchungen,  t.  xvi,  fasc.  4.  Une  bonne  re- 
constitution de  la  vie  d'Hippolyte  dans  Duchesne,  Histoire 
ancienne  de  V  Église,  t.  i,  p.  292-323. 

II.  Ses  œuvres.  ■ — ■  En  s'aidant  des  catalogues 
fournis  par  Eusèbe,  saint  Jérôme,  Ebed-Jésu  et  Nicé- 
phore  Calliste,  en  contrôlant  ces  listes  par  les  données 
de  l'inscription  mutilée  de  la  statue,  en  ajoutant  les 
références  éparses  dans  l'ancienne  littérature  chré- 
tienne, tant  grecque  et  latine  qu'orientale,  on  arrive 
non  sans  peine  à  un  inventaire  à  peu  près  complet  des 
œuvres  d'Hippolyte.  Mais  la  chronologie  de  cet  en- 
semble d'ouvrages  est  encore  loin  d'être  arrêtée.  Voir 
un  inventaire  et  un  classement  chronologique  dans 
A.  d'Alès,  La  théologie  de  saint  Hippolyte,  Paris,  1906, 
p.  xlvii  sq.  A  défaut  de  l'ordre  chronologique,  irréali- 
sable, on  adoptera  ici  l'ordre  logique. 

Éditions  d'ensemble.  —  La  première  fut  donnée  par 
J.-A.  Fabricius,  S.  Hippolyti  episcopi  et  martyris  opéra 
grœce  et  latine,  Hambourg,  1716,  t.  i;  1718,  t.  n;  Gallandi, 
Bibliotheca  veterum  Patrum,  Venise,  1766,  t.  n;P.  G.,  t.  x, 
reproduit,  partiellement,  Fabricius;  P.  A.  de  Lagarde, 
Hippolyti  romani  qux  (eruntur  omnia  grœce,  Leipzig  et 
Londres,  1858,  édition  faite  un  peu  hâtivement  comme 
de  Lagarde  l'a  reconnu  lui-même.  Il  l'a  complétée  dans  les 
Analecta  syriaca,  Leipzig  et  Londres,  1858,  p.  73-91,  et  dans 
Ad  analecta  sua  appendix,  p.  24-28;  collection  de  textes 
orientaux  dans  Pitra,  Analecta  sacra,  Paris,  18S3,  t.  iv 
(par  Paulin  Martin).  L'Académie  des  sciences  de  Berlin  a 
commencé  la  publication  des  oeuvres  d'Hippolyte,  dans  Die 
Griechischen  christlichen  Schri/tstcller  der  ersten  drei  Jahrhun- 
derte;  nous  la  désignerons  par  le  mot  édition  de  Berlin. 

1°  Œuvres  de  polémique.  —  1.  Philosophoumena, 
titre  incorrect  et  qu'il  faudrait  remplacer  par  celui  de 
Kaxà  Ttauûv  aipéastuv  eXe-p/o;,  réfutation  de  toutes  les 
hérésies.  Ce  livre  n'a  pas  d'attestation  en  dehors  de 
Photius,  qui  le  nomme  le  Labyrinthe,  et  l'attribue, 
par  simple  conjecture,  au  prêtre  (?)  Caius.  Nous  avons 
dit  plus  haut  les  circonstances  de  sa  publication.  On 
admet  d'ordinaire  que  l'ouvrage,  tel  que  nous  le  possé- 
dons, est  incomplet,  les  1.  II  et  III  auraient  entière- 
ment disparu.  M.  d'Alès  a  contesté  cette  idée  généra- 
lement admise.  D'après  lui,  et  son  hypothèse  semble 
fort  plausible,  le  1.  IV  de  Miller  devrait  se  subdiviser 


de  la  manière  suivante.  Les  n.  1-27  formeraient  le  I.  II, 
consacré  aux  mystères  du  paganisme;  mutilé  au  début 
et  à  la  fin,  le  livre  serait  néanmoins  conservé  en  très 
grande  partie.  Le  1.  III,  mutilé  lui  aussi  à  ses  deux 
extrémités,  serait  représenté  néanmoins  par  un  frag- 
ment respectable,  comprenant  les  n.  28-48.  Enfin 
les  n.  49-51  seraient  la  partie  principale  du  1.  IV  de 
l'original.  Op.  cit.,  p.  80  sq. 

Si  l'on  admet  cette  hypothèse,  on  voit  qu'il  s'en  faut 
de  peu  que  nous  ne  possédions  l'ouvrage  entier  d'Hip- 
polyte. Le  but  de  l'auteur  est  nettement  indiqué  dès 
le  début;  il  s'agit  de  montrer  que  les  hérésies  ne  tirent 
leur  origine  ni  de  l'Écriture  ni  de  la  tradition,  mais 
simplement  des  philosophies  païennes  (èx  Soy^âttov 
cpiXoao«pouu.év(ov),  des  mystères  et  de  l'astrologie.  En 
conséquence,  les  quatre  premiers  livres  exposent  les 
théories  hellènes;  à  partir  du  1.  V  sont  décrites  les 
hérésies  que  l'auteur  s'efforce,  par  un  procédé  souvent 
artificiel,  de  rattacher  à  un  des  systèmes  de  philosophie 
ancienne.  Les  renseignements  fournis  par  Hippolyte 
sont  loin  d'avoir  tous  une  égale  valeur.  Ses  connais- 
sances sur  la  philosophie  grecque  sont  des  plus  super- 
ficielles et  empruntées  à  quelque  compilation  sans 
autorité.  Les  théories  gnostiques  sont  exposées  le  plus 
souvent  d'après  saint  Irénée,  et  l'auteur  a  bien  marqué 
la  filiation  des  divers  systèmes.  Le  1.  V  est  celui  qui 
laisse  l'impression  la  plus  trouble.  Les  notices  consa- 
crées aux  naasséniens,  pérates,  séthiens  et  au  gno- 
stique  Justin,  demandent  à  être  examinées  de  très  près  : 
on  a  été  jusqu'à  soutenir  qu'en  cet  endroit  Hippolyte 
avait  été  la  dupe  d'un  faussaire  qui  lui  aurait  commu- 
niqué, moyennant  finance,  des  renseignements  ima- 
ginaires sur  des  sectes  peut-être  inexistantes  (Salmon, 
Stâhelin).  Mais  le  dernier  mot  n'est  pas  encore  dit 
dans  cette  controverse.  Les  débuts  du  1.  IX  exposent 
longuement  les  conflits  d'Hippolyte  avec  le  moda- 
lisme;  c'est  la  partie  la  plus  personnelle,  mais  aussi  la 
plus  contestable,  de  tout  l'ouvrage,  celle  où  s'exhale 
toute  la  rancune  d'Hippolyte  contre  Calliste.  Le  der- 
nier livre  s'ouvre  par  une  récapitulation  des  erreurs 
mentionnées  plus  haut  et  se  termine  par  une  admi- 
rable synthèse  de  l'enseignement  chrétien. 

Éditions.  —  Pour  l'édition  de  Gronovius,  voir  plus  haut; 
elle  a  été  reproduite  par  le  bénédictin  De  la  Rue  dans  l'édi- 
tion des  œuvres  complètes  d'Origène.  Première  édition 
complète:  E.  Miller, Origenis philosophumena,  Oxford,1851. 
Il  faut  lui  préférer  celle  de  L.Duncker  et  F.  G.  Schneidewin. 
S.  Hippolyti  episcopi  et  martyris  Refutationis  omnium 
hœresium  librorum  decem  quœ  supersunt,  Gœttingue,  1859. 
Elle  est  reproduite  dans  P.  G.,  t.  xvi  c  (dans  les  œuvres 
d'Origène).  P.  Cruice,  Philosophumena  sive  hœresium 
omnium  confutatio,  opus  Origcni  adscriplum,  Paris,  1860. 
Excellente  édition  du  1.  I,  au  point  de  vue  de  l'histoire  de 
la  philosophie  grecque,  dans  H.  Diels,  Doxographi  grieci, 
Berlin,  1879,  p.  551-576.  On  attend  incessamment  l'appari- 
tion de  l'édition  de  Wendland  dans  le  Corpus  de  Berlin. 

Sur  la  question  relative  au  1.  V,  G.  Salmon,  The  Cross. 
Références  in  the  Philosophumena,  dans  Hermathena,  t.  v, 
(1885),  p.  389-402;  et  H.  Stâhelin,  Die  gnoslichen  Quellen 
Hippolyts,  dans  Texte  und  Untersuchungen,  t.  vi,  fasc.  3.  En 
sens  contraire  :  de  Faye,  Revue  de  l'histoire  des  religions, 
1902,   t.   xlvi,  p.   161   sq. 

Bonwetsch  a  voulu  démontrer  que  la  finale  certainement 
inauthentique  de  YÉpitre  à  Diognèle  (c.  xi-xn)  était  un 
fragment  d'une  œuvre  d'Hippolyte.  D'autres  critiques  ont 
prétendu  en  retrouver  la  place  dans  les  lacunes  des  Phi- 
losophoumena. Les  références  dans  Bardenhewer,  Altkir- 
chliche  Litteralur,  t.  n,  p.  512. 

2.  Sûvray^a  r.pùi  àridcua;  toc;  aîpétjeiç,  traité  contre 
toutes  les  hérésies.  Il  est  mentionné  par  Eusèbe,  saint 
Jérôme,  Nicéphore;  Photius  le  décrit  comme  étant 
la  réfutation  de  32  hérésies.  Bibliolh.,  cod.  121.  Hip- 
polyte lui-même  y  fait  allusion  dans  le  début  des  Philo- 
sophoumena. Ce  traité  est  perdu,  sauf  peut-être  la  finale 
que  beaucoup  de  critiques  reconnaissent  dans  un  écrit 


2495 


HIPPOLYTE   (SA\NT 


2496 


d'Hippolyte  intitulé  :  'Ou'.Àia  e!ç  Tr;v  oupsaiv  NotjtoutivÔç. 
Mais  ]  ipsius  a  montré  que  l'on  peut  reconstituer  le 
squelette  tout  au  moins  de  l'ouvrage  en  rapprochant 
l'une  de  l'autre  trois  hérésiologies  :  le  Libellus  adversus 
omîtes  hœreses  qui  se  lit  à  la  suite  du  De  prsescriptione 
hœreticorum  de  Tertullien,  le  Panarion  d'Épiphane  et 
le  De  hœrcsibns  de  Philastrius  de  Brescia. 

Quant  à  Y  Homélie  contre  Noët,  Bardenhewer  se 
refuse  à  y  voir  une  partie  du  Syntagma,  elle  est  beau- 
coup trop  longue  pour  rentrer  dans  le  cadre  restreint  de 
cet  ouvrage.  Harnack,  Chronologie,  t.  n,  p.  221,  a  pro- 
posé une  explication  qui  semble  satisfaisante.  Hip- 
polyte  aurait  composé  un  syntagma  assez  développé 
dont  aurait  fait  partie,  comme  conclusion,  cette  homé- 
lie. Il  aurait  également  rédigé,  suivant  une  méthode 
qui  se  retrouve  au  1.  X  des  Philosophoumena,  un 
abrégé  de  son  ouvrage.  C'est  cet  abrégé  seul  qu'aurait 
connu  le  pseudo-Tertullien,  tandis  qu'Épiphane  aurait 
eu  en  main  le  texte  complet  d'Hippolyte,  et  que  Phi- 
lastrius aurait  mis  en  œuvre  d'une  part  l'abrégé, 
d'autre  part  les  renseignements  complémentaires  qu'il 
trouvait  dans  Épiphane,  sans  en  connaître  la  source. 

Le  Syntagma  avec  sa  finale  contre  Noët  serait  de 
l'époque  où  les  conflits  avec  les  monarchiens  n'avaient 
pas  encore  toute  leur  acuité.  Duchesne,  Origines  chré- 
tiennes, t.   Il,  p.  304;  Harnack,  Chronologie,  loc.  cil. 

Le  texte  de  V Homélie  contre  Noët  dans  de  Lagarde,  p.  43- 
57.  Pour  la  reconstruction  du  Syntagma,  l'ouvrage  capital 
est  Lipsius.Zur  Quellenkritik  des  Epiphanios,  Vienne,  1865, 
p.  33-70;  Die  Quellen  der  altesten  Ketzergescltichte  neu  un- 
tersucht,  Leipzig,  1875. 

3.  E7C0u8<xau,a  /.axa  T7,ç  ApT£p.covo;  aîpsasjoç,  traité 
contre  l'hérésie  d'Artémon.  Eusèbe,  H.  E.,  1.  V, 
c.  xxviu,  donne  de  copieux  extraits  d'un  traité  dont  il 
ne  cite  pas  l'auteur,  contre  Artémon,  un  monarchien 
dynamiste.  Les  critiques  sont  à  peu  près  d'accord  pour 
considérer  ces  fragments  comme  appartenant  à  ce  livre 
d'Hippolyte,  intitulé  :  le  Labyrinthe  et  que  Photius, 
sur  la  foi  d'une  remarque  marginale,  attribuait  à 
Caius.  Où  ils  diffèrent,  c'est  sur  le  contenu  du  livre. 
Bardenhewer  veut  y  voir  une  attaque  contre  le  monar- 
chianisme  sous  toutes  ses  formes,  aussi  bien  la  forme 
dynamiste  (les  deux  Théodote,  Artémon),  que  la  forme 
modaliste  ou  patripassienne  (Noët,  Praxéas,  Sabellius). 
11  croit  donc  devoir  rapporter  à  ce  Petit  labyrinthe 
aussi  bien  Y  Homélie  contre  Noël  que  le  fragment  contre 
Artémon.  Harnack  est  d'un  autre  avis.  Pour  lui,  le 
Petit  labyrinthe  était  exclusivement  dirigé  contre  lemo- 
narchianisme  dynamiste.  Il  y  a  trop  de  différence  entre 
l'opinion  d'un  Théodote  et  celle  d'un  Noët  pour  qu'on 
en  puisse  faire  l'objet  d'une  même  réfutation.  Le  Petit 
labyrinthe  est  donc  identique  au  Sîtou8atju,a  xonk  ttjç 
'  \-.TiucDvo;  aîpéaeioç;  il  daterait  de  230,  après  les 
Philosophoumena.  Chronologie,  t.  il,  p.  224.  C'est  aussi 
l'opinion  que  semble  adopter  Duchesne,  Histoire 
ancienne  de  l'Église,  t.  I,  p.  303. 

Le  texte  des  fragments  dans  Eusèbe,  H.  E.,  1.  "V,  c.  xxvm. 

4.  npoçMaozî'jJva,  traité  contre  IVIarcion.  Ilestsignalé 
par  Eusèbe,  saint  Jérôme,  Nicéphore.  Était-ce  le  titre 
original?  C'est  douteux.  Quelques  critiques  ont  voulu 
l'identifier  avec  le  Ilepl  tàyaOou  y.a!.  r.odîv  -o  zav.dv,  men- 
tionné sur  la  statue.  Ce  n'est  pas  impossible;  les  spécu- 
lations sur  l'origine  du  mal  étaient  un  point  important 
de  la  doctrine  de  Marcion.  Il  ne  s'est  rien  conservé  de 
ce  traité. 

5.  La  statue  mentionne  aussi  un  traité  intitulé  : 
Ilepi  /ivî;u:"iv  kizoaxoXwi]  -apâôoa'.ç.  Ces  mots  s'ap- 
pliquent-ils à  un  seul  écrit  ou  à  deux?  En  l'absence  de 
tout  renseignement  sur  le  contenu,  les  conjectures  les 
plus  diverses  ont  été  émises.  Les  uns  y  voient  un  écrit 
dirigé  contre  le  montanisme;  d'autres,  une  compilation 


canonique  dont  les  éléments  sont  entrés  plus  tard  dans 
le  1.  VIII  des  Constitutions  apostoliques.  Achelis  a 
voulu  distinguer  une  àizovto'ÏMr^  zapàoosiç  qu'il  iden- 
tifie avec  les  Canons  d'Hippolyte  (voir  plus  loin), 
et  un  ITsci  yapta[j.âxtov,  pamphlet  dirigé  contre  le  pape 
Zéphyrin.  W.  H.  Frère  a  repris  la  question,  Early 
ordination  service-,  dans  Jotrnal  of  th  ological  itudies, 
1914-1915,  t.  xvi,  p.  323-271,  et  a  démontré,  d'après 
les  documents  apparentés,  l'existence  de  deux  écrits 
différents  :  un  traité  des  charismes,  ou  des  dons  spi- 
rituels, et  une  tradition  apostolique  sur  les  ordinations, 
qui,  selon  lui,  serait  conservée  dans  les  Canons  d'Hip- 
polyte. Ed.  Schwartz,  dès  1910,  et  dom  K.  Connolly, 
en  1916,  ont  reconnu  la  distinction  des  deux  ouvrages 
en  identifiant  toutefois  la  Tradition  apostolique  sur 
les  ordinations  avec  YOrdonnance  ecclésiastique  égyp- 
tienne. Voir  plus  loin. 

6.  A  la  ligne  qui  précède,  la  statue  fait  mention  d'un 
ouvrage  intitulé  :  Ta  ûrap  tou  zoera  '  I<i>ocvvï)v  EùayyeXt'o'j 
xal  'AiîoxaXiStJiEMç,  que  le  nestorien  Ebed-Jesu  signale 
comme  une  défense  de  l'Apocalypse  et  du  quatrième 
Évangile.  Le  titre  indique  assez  que  l'œuvre  était 
dirigée  contre  ceux  qui,  pour  des  raisons  plus  théolo- 
giques que  critiques,  contestaient  l'origine  apostolique 
des  écrits  johanniques,  et  que  saint  Épiphane  appellera 
plus  tard  les  Aloges.  Il  semble  ne  s'en  être  rien  conservé 
en  dehors  de  quelques  fragments  utilisés  par  saint  Épi- 
phane. Hser.,  li.  L'ouvrage  daterait  des  débuts  du 
me  siècle  (Harnack,  Duchesne). 

7.  KsçâXaia  y.atà  Tafou,  Capila  adversus  Caium.  Ils 
sont  mentionnés  par  Ebed-Jesu  comme  un  ouvrage 
distinct  du  précédent.  Quelques  fragments  ont  été 
retrouvés  dans  un  ms.  d'un  commentaire  sur  l'Apo- 
calypse du  monophysite  Bar-Salibi  (vers  1170).  Le 
prêtre  romain  Caius,  tout  en  acceptant  le  IVe Évangile, 
rejetait  l'origine  apostolique  de  l'Apocalypse,  sur- 
tout en  haine  du  montanisme,  qui  cherchait  dans  ce 
livre  un  appui  pour  ses  théories.  Dans  un  dialogue 
contre  Proclus,  il  critiquait  vivement  certains  passages 
de  l'Apocalypse  en  leur  opposant  des  passages  contra- 
dictoires, au  moins  en  apparence,  tirés  des  Évangiles. 
Voir  t.  il,  col.  1311.  Des  Capila  d'Hippolyte,  si  l'on 
en  juge  par  les  fragments  conservés,  devaient  être 
consacrés  à  résoudre  ces  apparentes  antinomies.  L'ou- 
vrage serait  de  peu  postérieur  au  précédent. 

Le  texte  des  Capita  en  syriaque  et  en  anglais,  dans 
J.  Gwynn,  Hippolytus  and  bis  Heads  against  Caius,  dans 
Hermathena,  1888,  t.  vi,  p.  397-418;  cf.  1890,  t.  vu,  p.  137- 
150;  dans  A.  Harnack,  Die  Gwijnnschen  Kajus-und  Hip- 
polylusfragmente,  dans  Texte  und  Untersuchungen,  t.  VI, 
fasc.  3,  p.  121-133,  et  dans  Zahn,  Geschichle  des  Neutesto- 
mentlichen  Kanons,  t.  n,  p.  973-991  ;  surtout  dans  l'édi- 
tion de  Berlin,  Hippolytus,  t.  i  b,  p.  241-247. 

8.  Le  Katà  Brjptovoç  y.x\  "HXixo;  tSv  aipexiy.cov  -:y. 
OsoXoyt'aç  y.a.1  tjapzwdEioç  zaxà  otocj(£Îov  Xoyoç,  cité  par 
Anastase  l'Apocrisiaire,  P.  L.,  t.  cxxix,  col.  664  sq  . 
comme  étant  d'Hippolyte,  évêque  de  Porto,  et  dont  les 
fragments  ont  été  réunis  par  de  Lagarde,  p.  57-63, 
est  certainement  inauthentique.  La  question  de  son 
origine  et  de  sa  date  est  encore  loin  d'être  résolue. 

2°  Écrits  apologétiques  et  dogmatiques.  —  1.  Un 
traité  1 1 e p ï  irjç  toC  ttcxvtoç  oùaiaç,  probablement  iden- 
tique au  IIpoç  "EXXrjva;  /.ai  Tcpo;  lIXaTtova  yj  x.a.1  rcepi  tou 
ravxo;  de  la  statue,  est  mentionné  par  Hippolyte  lui- 
même  à  la  fin  des  Philosphoumcna,  1.  X,  32,  par  saint 
Jérôme,  Epist.,  lxx,  P.  L.,  1.  x\u,  col.  667,  et  par 
Photius,  Biblioleca,  cod.  48.  Un  passage  important 
s'en  est  conservé  dans  les  Sacra  parallela,  attribués 
à  saint  Jean  Damascène.  Il  devait  contenir  l'exposé 
des  idées  philosophiques  d'Hippolyte  relativement  a 
la  création,  et  la  synthèse  qu'il  opposait  aux  conjec- 
tures de  Platon  et  des  autres  philosophes  grecs. 


2497 


HIPPOLYTE    (SAINT) 


2498 


Texte  dans  l'édition  de  Lagarde,  p.  68-73;  mieux  dans 
Holl,  Fragmente  vornicànischen  Kirchenvàter  aus  den  Sacra 
Parallela,  Leipzig,  1899,  p.  137-143,  dans  Texte  und  Unter- 
suchungen,  t.  xx,  fasc.  2. 

2.  L"Ano8eixTWT)  -po;  '  IouSaiou;  n'est  garantie  que 
par  le  témoignage  des  mss  qui  la  donnent,  et  son 
authenticité  est  loin  d'être  admise  par  tous.  Harnack  y 
verrait  volontiers  un  fragment  d'un  ouvrage  d'Hippo- 
lyte,  mais  remanié  par  un  monophysite. 

Texte  dans  de  Lagarde,  p.  63-68. 

3.  L'ArdoeiÇiç  Ix  xôiv  àyûov  ypaçûv  Jtepî  Xp'.atou  xal 
zepï  tou  'AvTi/pîaxou,  ou  par  abréviation  le  traité  sur 
V Antéchrist,  mentionné  par  saint  Jérôme  et  Nicéphore, 
utilisé  par  Apollinaire  de  Laodicée,  par  André  de  Cé- 
sarée,  cité  par  Germain  de  Constantinople,  P.  G., 
t.  xcvm,  col.  417,  est  le  seul  ouvrage  d'Hippolyte 
qui  nous  ait  été  conservé  au  complet.  Il  semble  avoir 
été  composé  en  202,  au  moment  où  parurent  les  pre- 
miers édits  de  persécution  de  Septime-Sévère.  Beau- 
coup de  chrétiens  s'imaginèrent  alors  que  la  fin  du 
monde  était  proche,  et  que  l'Antéchrist  allait  bientôt 
se  manifester.  Un  ami  d'Hippolyte  a  consulté  le  doc- 
teur sur  ces  points  difficiles.  Le  livre  est  la  réponse  à 
cette  consultation.  C'est  l'exposé  le  plus  complet,  rela- 
tivement à  l'Antéchrist, 'de  toute  l'ancienne  littérature 
chrétienne.  Il  faut  en  distinguer  soigneusement  le 
traité  Ilepl  (juvTsXêîaç  tou  xo'au.ou,  De  consummatione 
mundi,  compilation  tardive. 

Les  anciennes  éditions  sont  toutes  dépassées  par  celle  de 
Berlin,  t.  i  b,  p.  1-47.  Pour  l'établissement  du  texte,  il  con- 
viendra de  tenir  compte  de  divers  fragments  arméniens, 
syriaques,  arabes  et  grégoriens,  signalés  ultérieurement. 
Recension  dans  Bardenhewer,  Altkirchliche  Litteratur,  t.  n, 
p. 522,  et  Achelis, Hippolytstudien,  Texte  und  Vntersuchungen, 
p.  90-92.  Texte  du  De  consummatione  mundi,  dans  l'édition 
de  Berlin,  t.  i  b,  p.  289-303. 

4.  Dans  la  partie  la  plus  douteuse  de  l'inscription 
''st  signalé  un  Ilepl  Qsoù  xal  aapxo;  àvaatâaEto;  que 
connaissent  également  saint  Jérôme  et  Nicéphore,  et 
dont  Anastase  le  Sinaïte  donne  un  court  fragment. 
P.  G.,  t.  lxxxix,  col.  301.  Six  fragments  en  ont  été 
conservés  dans  divers  mss.  syriaques  où  ils  se  donnent 
comme  extraits  d'un  sermon  à  l'impératrice  Mammée 
sur  la  résurrection  des  corps.  Autant  qu'on  en  peut 
juger  par  ces  courts  extraits,  Hippolyte  répondait  dans 
cet  ouvrage  aux  questions  de  son  auguste  correspon- 
dante, qui  lui  avait  demandé  des  éclaircissements  sur  ce 
point  important  de  la  dogmatique  chrétienne. 

Le  texte  au  mieux  dans  l'édition  de  Berlin,  1. 1,  p.  251-254. 

5.  On  a  voulu  identifier  avec  l'écrit  précédent  le 
npoTpsTï-uxôç  Jjpôç  EeSripeïvav,  signalé  lui  aussi  par 
la  statue.  La  distance  qui  sépare  ces  deux  titres  ne 
permet  guère  de  les  identifier;  la  découverte  des 
fragments  syriaques  du  LTepl  àvaaxâaeo^  a  achevé  de 
ruiner  l'hypothèse  de  l'identification.  Il  ne  subsiste 
rien  du  lIpoTpETTTixoç. 

6.  Dans  son  catalogue  Ebed-Jesu  mentionne  un 
titre  qu'on  a  traduit  en  grec  Ilepl  oîxovoui'aç  et 
qu'Assémani  avait  commenté  en  lisant  :  De  dispensa- 
iione,  hoc  est  de  ceconomia  Chrisli  in  carne  seu  de 
mysterio  incarnationis.  Aucune  autre  attestation. 

7.  Un  manuscrit  géorgien  de  Schatberd,  découvert 
par  Man,  contient,  entre  autres  traités  d'Hippolyte 
attestés  par  ailleurs,  une  dissertation  «  sur  la  foi  »  dont 
l'authenticité  est  loin  d'être  établie.  Le  texte  géorgien 
est  une  traduction  de  l'arménien;  il  a  été  traduit  en 
russe  par  Karlelar,  du  russe  en  allemand  parBonwetsch. 
C'est  sous  cette  forme  qu'on  le  trouvera  dans  Texte  und 
Untersuchungen,  t.  xxxi,  fasc.  2,  Die  unler  Hippolyts 
Namen  uberlieferle  Schrifl  ùber  den  Glauben. 

DICT.   DE    THÉOL.  CATH. 


3°  Écrits  exégêliques.  —  Hippolyte  est  le  plus  ancien 
des  grands  exégètes  de  l'Occident,  il  semble  que  sa 
sagacité  se  soit  exercée  sur  presque  tous  les  livres  de  la 
Bible.  Malheureusement,  c'est  aussi  la  partie  de  son 
œuvre  qui  a  le  plus  souffert  du  temps  ;  sauf  le  Commen 
taire,  sur  Daniel,  il  ne  nous  reste  que  des  fragments 
informes  de  cette  énorme  production  exégétique. 
Ils  peuvent  suffire  à  la  rigueur  à  caractériser  la  manière 
d'Hippolyte.  Comme  le  remarque  fort  justement 
Photius,  il  ne  pratique  pas  encore  l'exégèse  qui  s'at- 
tache à  expliquer  mot  par  mot  le  texte  sacré.  Ses 
commentaires  seraient  plutôt  une  suite  de  dissertations 
sur  les  passages  principaux  des  Livres  saints.  Sans 
craindre  l'allégorie  où  se  complaisait  à  la  même  époque 
l'école  alexandrine,  Hippolyte  témoigne  cependant 
de  plus  de  sobriété,  et  s'attache  davantage  au  sens 
grammatical  et  historique.  Voici  la  liste  des  titres, 
des  fragments  ou  des  ouvrages  conservés. 

1.  Ancien  Testament.  —  a)  Des  parties  de  la  Genèse 
ont  été  certainement  commentées  par  Hippolyte,  bien 
qu'il  semble  prématuré  de  parler  d'une  exposition 
complète  de  ce  livre.  Bardenhewer  croit  pouvoir  rame- 
ner à  quatre  les  passages  sur  lesquels  s'est  exercé  notre 
exégète  :  a.  la  création;  b.  le  paradis  et  la  chute;  c.  la 
bénédiction  d'Isaac;  d.  la  bénédiction  de  Jacob.  De 
tout  ceci,  il  ne  reste  que  des  fragments,  réunis  au 
mieux  dans  l'édition  de  Berlin,  t.  i  b,  p.  49-81,  87-97, 
mais  qui  doivent  être  complétés  par  les  morceaux 
arméniens  et  géorgiens  récemment  découverts.  Ils  sont 
dans  Bonwetsch  :  Drei  georgisch  erhallene  Schri/ten  von 
Hippolytus  :  Der  Segen  Jakobs,  der  Segen  Moses',  die 
Erzàhlung  von  David  und  Goliath,  dans  Texte  und 
Vntersuchungen,  t.  xxvi,  fasc.  1.  Le  texte  grec  de  la 
bénédiction  de  Jacob  a  été  retrouvé  sous  le  nom 
d'Irénée  et  publié  dans  la  même  collection,  t.  xxxvm, 
fasc.  1,  par  Diobonoutis,  Constantin  etBeïs,  Hippolyts 
Schrijt  ùber  der  Scgnungen  Jakobs. 

b)  Saint  Jérôme  mentionne  un  commentaire  sur 
l'Exode;  mais  il  a  pu  se  tromper  et  traduire  d'une 
manière  inexacte  l'expression  d'Eusèbe  sîç  ti  Liera 
£?ar)'[iEpov.  En  fait,  il  ne  reste  actuellement  aucune 
trace  d'un  commentaire  sur  ce  livre,  pas  plus  que  sur 
le  Lévitique.  Eusèbe  pensait  probablement  à  des 
explications  sur  les  Nombres  (c.  xxii-xxm,  épisode  de 
Balaam)  et  sur  le  Deutéronome  (c.  xxxm,  bénédiction 
de  Moïse),  dont  il  subsiste  quelques  fragments;  on  les 
trouvera  aux  mêmes  endroits  que  les  fragments  sur  la 
Genèse:  édit.  de  Berlin,  t.  i  b,  p.  82-84,  97-119; 
Bonwetsch,  p.  47-78. 

c)  On  y  trouvera  également  un  fragment  sur  Ruth  : 
ex  T7Jç  âpixrivsiaç  '  PoûO,  découvert  récemment  par  Achelis 
dans  un  ms.  de  l'Athos  :  édit.  de  Berlin,  t.  i  b,  p.  120. 

</)  Du  commentaire  sur  les  Rois,  il  subsiste  quatre 
citations  relatives  à  l'épisode  d'Elcana  et  d'Anne, 
conservées  par  Théodoret;  une  fort  belle  homélie  sur 
David  et  Goliath,  que  viennent  de  nous  rendre  des 
versions  arménienne  et  géorgienne;  un  fragment  sur 
la  pythonisse  d'Endor,  sîç  ÈYyajTpi(j.uOov,  mentionné 
par  la  statue  et  retrouvé  dans  les  Chaînes.  Textes  dans 
l'édition  de  Berlin,  ibid.,  p.  121-123,  et,  pour  les  nou- 
velles découvertes,  dans  Bonwetsch, /oc.  cit.,  p.  79-93. 

e)  La  statue  signale  également  un  commentaire  sur 
les  Psaumes,  dont  parlent  aussi  saint  Jérôme  et  Nicé- 
phore, et  dont  Théodoret  a  tiré  plusieurs  citations.  Ces 
passages  sont  tout  ce  qui  nous  reste  de  certainement 
authentique.  La  plupart  des  scolies  recueillies  dans  les 
Chaînes  par  Bandini  (17G4),  de  Magistris  (1795), 
Pitra  (1883)  et  mises  sous  le  nom  d'Hippolyte  ne  peu- 
vent être  conservées.  Pour  l'examen  de  ces  passages, 
édition  de  Berlin,  ibid.,  p.  127-153,  et  Achelis,  Hippo- 
lytstudien, p.  124-137. 

/)  Un  commentaire  surles  Proverbes,  IlEpi  IIapoiu.'.c3v, 
est  mentionné  par  saint  Jérôme,  Nicéphore  et  Suidas, 

VI,—  79 


2499 


HIPPOLYTE    (SAINT) 


250» 


Lexikon,  édit.  Bcrnhardy,  p.  1058.  De  nombreuses 
citations  en  sont  conservées  dans  les  Chaînes,  et  ont 
été  recueillies  par  Achelis  pour  l'édition  de  Berlin, 
ibid.,  p.  157-175.  Au  dire  de  Bardenhewer,  cette 
édition  serait,  sur  ce  point,  défectueuse;  on  y  aurait 
admis  des  textes  contestables,  tandis  qu'on  en  excluait 
des  textes  authentiques,  en  particulier  le  fragment  re- 
latif à  Proverbes,  ix,  1-5,  et  qui  interprétait  le  texte 
sacré  dans  le  sens  eucharistique.  Ce  passage  se  retrouve 
sous  le  nom  d'Hippolyte  dans  le  Quœstiones  et  res- 
ponsiones  d'Anastase  le  Sinaïte,  P.  G.,  t.  lxxxix, 
col.  593.  D'après  Harnack,  Chronologie,  p.  247,  ce 
fragment  est  interpolé  dans  ses  deux  recensions,  celle 
d'Anastase  le  Sinaïte  et  celle  qui  est  donnée  par  de  La- 
garde;  mais  il  a  certainement  un  noyau  authentique. 
Textes  à  chercher  dans  de  Lagarde,  p.  196-200,  et 
dans  l'édition  de  Berlin. 

g)  Saint  Jérôme  mentionne  un  commentaire  sur 
l'Ecclésiaste,  dont  un  fragment  relatif  à  l'Eccle.,  n,  10, 
est  donné  par  Achelis,  édit.  de  Berlin,  ibid.,  p.  179. 
Sans  se  prononcer  sur  l'authenticité,  Harnack  estime 
que  cette  scolie  n'est  pas  sans  intérêt. 

h)  Un  commentaire  sur  le  Cantique,  sî;  to  àau,a, 
est  signalé  par  Eusèbe,  saint  Jérôme,  Georges  le 
Syncelle,  Chronographia,  édit.  de  Bonn,  p.  674,  Ana- 
stase  le  Sinaïte,  P.  G.,  t.  lxxxix,  col.  592.  Il  a  été 
publié  par  Bonwetsch  dans  l'édition  de  Berlin,  t.  i, 
p.  343-374,  à  l'aide  de  fragments  entièrement  dispersés. 
Un  peu  plus  tard,  Marr  découvrit  un  manuscrit  géor- 
gien qui  semble  bien  donner  au  complet  le  commen- 
taire sur  le  Cantique.  Bonwetsch  a  mis  cette  découverte 
à  la  portée  des  lecteurs  occidentaux.  Hippolyts  Kom- 
menlar  zumHohenliedauj  GrundvonN.  Marrs  Ausgabe 
des  grusinischen  Textes  herausgegeben,  dans  Texte 
und  Untersuchungen,  t.  xxm,  fasc.  2. 

0  Théodoret  cite  quelques  lignes  d'un  commentaire 
d'Hippolyte  sur  le  début  d'Isaïe  :  h.  to3  Ào'you  tou  et; 
àpy7]v  tou  'Hœou'ou,  qui  est  également  signalé  par  saint 
Jérôme.  Il  n'en  existe  pas  d'autres  traces.  Texte  dans 
de  Lagarde,  p.  142,  et  dans  l'édition  de  Berlin,  t.  i  b, 
p.  180.  —  Aucune  trace  d'une  œuvre  sur  Jérémie. 

/)  Eusèbe  connaissait  également  un  commentaire 
sur  des  parties  d'Ézéchiel,  s't'ç  [xspr]  tou  '  ltÇv/.rfl.  Il 
en  subsisterait  un  fragment  anonyme  dans  Anastase  le 
Sinaïte,  P.  G.,  t.  lxxxix,  col.  596,  et  un  important 
fragment  syriaque  sur  Ézéch.,  i,  5-10,  où  se  trouve  la 
comparaison  entre  les  quatre  évangélistes  et  les  ani- 
maux fantastiques  d'Ézéchiel.  Texte  syriaque  dans 
Pitra,  Analecta  sacra,  t.  iv,p.  41-47;  trad.  latine,  p.  311- 
317;  trad.  allemande  dans  l'édition  de  Berlin,  t.  i  b, 
p.  183  sq. 

k)  De  tous  les  commentaires  d'Hippolyte,  le  plus  lu 
a  été  incontestablement  celui  de  Daniel,  eîç  tov  AavirfX, 
mentionné  par  saint  Jérôme,  Georges  le  Syncelle, 
Ebed-Jesu,  Nicéphore,  conservé  à  l'état  plus  ou  moins 
complet  par  un  grand  nombre  de  mss,  et  qu'il  a  été 
possible  de  publier  à  peu  près  intégralement  en  grec. 
Il  comprend  quatre  livres;  le  Ier  commente  Dan.,  i, 
et  l'histoire  de  Susanne  (Dan.,  xm);  le  IIe,  Dan.,  n 
et  m,  avec  le  cantique  des  trois  jeunes  hommes;  le 
IIIe,  Dan.,  iv-vi;  le  IVe  enfin,  Dan.,  vn-xn.  Il  ne 
manque  donc  au  commentaire  pour  être  complet  que 
l'épisode  de  Bel  et  du  dragon  (Dan.,  xiv);  il  est  très 
vraisemblable  qu'Hippolyte  ne  l'a  point  expliqué, 
car  il  n'en  subsiste  point  de  traces.  Écrit  sous  le  coup 
de  la  persécution  de  202,  le  commentaire  est  à  rap- 
procher du  Traité  sur  l'Antéchrist.  Dans  ce  dernier, 
Hippolyte  n'avait  pas  cherché  à  calculer  l'époque  pro- 
bable du  second  avènement  de  Jésus;  ici,  au  contraire, 
par  égard  pour  l'indiscrétion  humaine,  le  docteur  con- 
sent à  préciser  les  circonstances  du  dernier  jugement. 
L'empire  romain  doit  disparaître  avant  la  venue  du 
séducteur.  Mais  il  lui  reste  encore  longtemps  à  vivre. 


Car  Jésus  étant  venu  sur  terre  l'an  3500  du  monde, 
et  le  monde  devant  durer  6  000  ans  (chaque  millé- 
naire correspondant  à  un  des  jours  de  la  création), 
c'est  seulement  au  terme  du  sixième  millénaire  que 
paraîtra  l'Antéchrist.  On  voit  combien  les  préoccu- 
pations eschatologiques  dominent  notre  auteur. 

WTJne  première  édition  critique  du  texte  avait  été  donnée 
par  O.  Bardenhewer,  Des  heiligen  Hlppolytus  von  Rom 
Kommentar  zum  Buch  Daniel,  Fribourg-en-Brisgau,  1877; 
elle  est  toujours  à  consulter,  même  après  l'apparition  de 
l'édition  de  Berlin,  t.  i  a,  p.  1-340,  qui  donne  à  la  fois  le 
texte  grec  (établi  d'après  de  nombreux  mss,  dont  la  liste  est 
pourtant  incomplète)  et  une  traduction  allemande  de  la 
version  slave.  Les  fragments  syriaques  ne  sont  utilisés- 
que  dans  l'apparat  critique  et  dans  une  traduction  alle- 
mande. On  le  trouvera  avec  une  traduction  latine  dans 
Pitra,  Analecta  sacra,  t.  iv,  p.  47-51,  317-320. 

I)  Du  commentaire  sur  Zacharie,  signalé  et  proba- 
blement utilisé  par  saint  Jérôme,  il  ne  subsiste  rien. 

2.  Nouveau  Testament.  —  Les  écrits  exégétiques 
sur  le  Nouveau  Testament  ne  sont  probablement 
que  des  homélies  sur  des  péricopes  évangéliques. 
L'ouvrage  sur  l'Apocalypse  mériterait  seul  le  nom  de 
commentaire. 

a)  Sur  la  foi  de  saint  Jérôme,  Achelis  a  cru  pourtant 
devoir  attribuer  à  Hippolyte  un  commentaire  sur  saint 
Matthieu.  Il  considère  comme  en  faisant  partie  un  cer- 
tain nombre  de  scolies  rassemblées  dans  les  Cnaînes- 
et  qui  toutes  se  rapportent  à  Matth.,  xxiv,  c'est-à-dire 
à  un  passage  eschatologique.  C'est  au  même  chapitre 
qu'appartient  le  texte  d'Hippolyte  cité  par  Denys 
Barsalibi  et  publié  par  Gwynn,  Hippolytus  on  St.  Mat- 
thew,  xxiv,  15-22,  dans  Hermathena,  1890,  t.  vu,  p.  137- 
150.  Mais  Achelis  l'a  restitué  aux  Capita  adversus 
Caium. 

L'existence  d'un  commentaire  sur  Matthieu  reste 
donc  incertaine.  Au  cas  où  on  l'admettrait,  c'est  à  cet 
ouvrage  qu'il  conviendrait  de  rapporter  le  Xo'yoi;  eî;  ir^v 
tôSv  TaXâvxcûv  8tavo[j.riv,  explication  de  la  parabole  des 
talents,  citée  par  Théodoret,  P.  G.,  t.  lxxxiii,  col.  172. 

Texte  dans  l'édition  de  Berlin,  t.  i  b,  p.  197-209;  cf. 
Achelis,  Hippolytstudien,  p.   163-169. 

b)  Un  Xôyo;  etç  toù;  oûo  XrjaTixç,  dont  Théodoret  cite 
trois  fragments,  a  été  également  rapporté  à  un  prétendu 
commentaire  sur  l'Évangile  de  saint  Luc,  dont  nous 
n'avons  pas  d'autres  nouvelles.  Je  ne  sais  pourquoi 
Achelis  veut  en  faire  une  explication  de  Joa.,  xix,  31. 
Nous  sommes  vraisemblablement  en  présence  d'une 
homélie  sur  Luc,  xxm,  39  sq.  Édit.  de  Berlin,  t.  i  b,. 
p.  211. 

c)  On  lit  parmi  les  œuvres  attribuées  à  saint  Chry- 
sostome,  P.  G.,  t.  lxii,  col.  775-778,  une  homélie 
ïtç  tov  -£Tpa7][j.epov  AaÇapov,  qui  dans  plusieurs  mss 
arméniens  porte  comme  inscription  :  B.  Hippolyti 
Bostrorum  episcopi  ex  commenlario  in  Evangelium 
Johannis  et  in  resurrectionem  Lazari.  L'authenticité 
de  ce  texte  ne  serait  pas  contestable,  d'après  Harnack, 
Chronologie,  t.  n,  p.  253.  Mais  de  là  à  conclure  à  l'exis- 
tence d'un  commentaire  sur  le  IVe  Évangile,  il  y  a  loin 
encore. 

Texte  grec  dans  l'édition  de  Berlin,  t.  i  b,  p.  211-227; 
texte  arménien  avec  trad.  latine  dans  Pitra,  Analecta  sacra^ 
t.  n,  p.  226-231  ;  t.  iv,  p.  64-68,  331-335. 

d)  Il  est  vraisemblable  qu'en  dehors  du  traité  contre 
les  Aloges  où  il  défendait  l'Apocalypse,  Hippolyte  a 
composé  un  autre  écrit,  peut-être  un  commentaire  sur 
ce  livre.  Il  est  nommé  par  saint  Jérôme,  et  on  pense  en 
avoir  retrouvé  des  traces  dans  des  citations  d'André 
de  Crète,  de  Jacques  d'Édesse,  mais  surtout  dans  un 
commentaire  arabe  sur  l'Apocalypse  rédigé  en  Egypte 
au  xme  siècle  et  qui  est  peut-être  l'œuvre  du  jacobite 
Ben-Assal. 


2501 


HIPPOLYTE    (SAINT) 


2502 


Les  citations  d'André  de  Crète,  dans  Achelis,  Hippolyt- 
studien,  p.  182-184.  La  citation  de  Jacques  d'Édesse,  tra- 
duite en  allemand,  dans  l'édition  de  Berlin,  t.  i  b,  p.  236; 
les  passages  du  commentaire  arabe  dans  la  même  édition, 
p.  231-236,  sont,  paraît-il,  inutilisables  à  cause  des  fautes  de 
traduction.  Ils  ont  été  publiés  en  arabe  par  de  Lagarde, 
Ad  analecta  sua  syriaca  appendix,  Leipzig  et  Londres,  1858. 
ur  ce  commentaire  arabe  lui-même,  Ewald,  Abhandlungen 
zurorientalischen  und  biblischen  Literatur, part.  I,  Gœttingue, 
1832,  p.  1-11. 

4°  Clironographie  et  droit  ecclésiastique.  —  1.  La  liste 
de  la  statue  mentionne  un  travail  intitulé  :  'Auo'oeiÇi; 
ypovtovTou  ITâcr/a  xai  xà  (peut-être  xaxà  xa)  èv  tu  nîvocxi. 
11  s'agit  évidemment  du  comput  pascal  imaginé  par 
Hippolyte,  et  des  tables  gravées  d'autre  part  sur  la 
statue.  En  dehors  de  ces  tables,  il  ne  subsiste  que 
quelques  fragments  grecs  et  syriaques.  Le  cycle  pascal 
commençait  à  la  première  année  d'Alexandre-Sévère 
(222);  il  parut  une  merveille  aux  contemporains  d'Hip- 
polyte,  obligés  jusque-là  d'emprunter  aux  juifs  alexan- 
drins leur  comput  pascal.  En  réalité,  Hippolyte  eut  le 
tort  de  s'imaginer  qu'il  pouvait  s'improviser  astro- 
nome. Il  raille  dans  les  Philosophoumena  les  calculs, 
moins  fantaisistes  qu'il  ne  pensait,  des  astronomes 
grecs;  les  siens  devaient  se  trouver,  bien  vite,  encore 
plus  sujets  à  caution.  Tel  qu'il  l'avait  calculé,  son  cycle 
lunaire  contenait  une  grosse  erreur  qui  le  mit  bientôt 
en  désaccord  avec  la  lune  et  le  rendit  impropre  au 
calcul  de  la  Pàque.  Vingt  et  un  ans  plus  tard,  en  243, 
un  auteur  inconnu  essaya  de  le  corriger,  sans  en  modi- 
iier  le  principe.  Il  exposa  son  système  dans  le  De 
pascha  computus  qui  figure  parmi  les  œuvres  apo- 
cryphes de  saint   Cyprien,  P.  L.,  t.  iv,   col.    937-974. 

Le  texte  des  tables  provisoirement,  dans  P.  G.,  t.  x, 
col.  875-884;  le  fragment  cité  par  le  Clironicon  pascale, 
également  dans  P.  G.,  t.  xcn,  col.  80.  Un  examen  critique 
du  cycle  d'Hippolyte  dans  la  Chronique  d'Elias  de  Nisibe  se 
trouvera  dans  Pitra,  Analecta  sacra,  t.  iv,  p.  56,  324. 

De  ce  comput  pascal,  Harnack,  Allchrislliche  Lille- 
ratur,  t.  v,  p.  625;  Chronologie,  t.  il,  p.  233,  distingue 
un  traité  Oepi.  tou  à-p'ou-xay  a,  dont  un  fragment  est  cité 
par  le  concile  de  Latran  en  649,  Labbe  et  Cossart, 
Concil.,  t.  vi,  col.  288,  et  deux  autres  dans  le  Livre 
de  Timolhée  JElure  contre  le  concile  de  Clialcédoine. 
Pitra,  Analecta  sacra,  t.  iv,  p.  55  sq.,  323  sq.  Achelis  a 
donné  place  à  ces  fragments  dans  l'édition  de  Berlin, 
t.  i  a,  p.  267  sq.;  leur  authenticité,  d'après  Harnack, 
ne  serait  pas  contestable. 

2.  Une  'A^û'oei?'.;  jçpo'vwv,  c'est-à-dire  une  chronique, 
est  signalée  par  la  statue,  et  par  Hippolyte  lui-même. 
Philosophoumena,  1.  X,  30.  Le  texte  grec  passait  pour 
avoir  entièrement  disparu  quand  Bauer  en  découvrit 
des  passages  importants  dans  un  ms.  de  Madrid.  L'in- 
térêt de  ce  texte,  qui  est  très  fragmentaire,  vient  sur- 
tout de  ce  qu'il  confirme  les  hypothèses  sur  trois 
adaptations  latines  que  l'on  supposait  dérivées  de  la 
chronique  d'Hippolyte.  Il  s'agit  :  a)  de  la  chronique 
dite  Liber  generationis  hominum,  qui  va  de  la  création 
du  monde  à  l'an  234;  b)  de  la  Chronica  Herosii,  qui 
forme  une  des  parties  de  l'écrit  anonyme  appelé  le 
Chronographe  de  l'an  354;  c)  enfin  du  Chronicon 
Alexandrinum  de  Mommsen,  plus  ordinairement  dési- 
gné sous  le  nom  de  Barbants  Scaligeri.  Quelques  docu- 
ments byzantins  fournissent  aussi  un  contingent 
appréciable  à  la  reconstitution  de  la  chronique  d'Hip- 
polyte. Le  tout  témoigne  d'un  effort  pour  harmoniser 
les  données  bibliques  avec  l'histoire  générale.  Hippo- 
lyte d'ailleurs  n'y  est  pas  plus  original  que  dans  ses 
autres  œuvres.  C'est  à  Jules  Africain  et  probablement 
aussi  à  la  Chronographie  de  Clément  d'Alexandrie, 
Strom.,  I,  21,  P.  G.,  t.  vm,  col.  820-889,  qu'il  a  emprunté 
les  grandes  lignes  de  son  travail. 


Les  fragments  du  texte  grec  original  et  des  adaptations 
latines  correspondantes,  dans  A.  Bauer,  Die  Chronik  des 
Hippolytos  im  Matritensis  grœcus,  121,  dans  Texte  und 
Untersuchungen,  t.  xxix,  fasc.  1.  Les  trois  chroniques  la- 
tines, dans  Monumenta  Germaniœ  historica,  Auctores  anti- 
quissimi,  t.  ix 

3.  On  lit  dans  une  lettre  de  saint  Jérôme  :  De  sabbato 
quod  quœris,  utrum  jejunandum  sit,  et  de  eucharistia, 
an  accipienda  quolidie...  scripsil  quidem  et  Hippolytus 
vir  discrlissimus,  et  carptim  diversi  scriptores  e  variis 
auctoribus  edidere.  Episl.,  lxxi,  6,  P.  L.,  t.  xxn, 
col.  672.  Au  dire  des  critiques,  cette  phrase  suppose 
qu'Hippolyte  avait  rédigé  quelque  ouvrage  sur  les 
usages,  sinon  sur  les  lois  ecclésiastiques.  En  fait,  le 
nom  d'Hippolyte  se  lit  en  tête  de  trois  collections 
d'ordonnances  soi-disant  apostoliques  :  à)  Les  Consti- 
tuliones  per  Hippolytum,  qui,  à  quelques  expressions 
près,  reproduisent  presque  mot  pour  mot  le  VIIIe  livre 
des  Constitutions  apostoliques;  b)  l'Ordonnance  ecclé- 
siastique égyptienne  (jEgyplische  Kirchenordnung),  qui 
subsiste  en  des  traductions  copte,  éthiopienne,  arabe, 
et  dont  une  vieille  version  latine  intitulée  :  Canones 
sanclorum  aposlolorum  per  Hippolytum  donne  aussi  des 
fragments  importants;  c)  enfin  les  Canons  d'Hippolyte 
en  arabe,  qui  traitent  en  38  numéros  des  consécrations, 
des  divers  degrés  de  la  hiérarchie  ecclésiastique,  du 
baptême,  des  jeûnes,  de  l'agape,  de  l'eucharistie,  des 
diverses  réunions  du  culte,  de  la  prière,  des  sépultures. 
Ces  trois  collections  sont  étroitement  apparentées, 
mais  leurs  relations  ne  sont  pas  exprimées  de  la  même 
manière  par  les  divers  critiques.  Pour  Achelis,  les 
Canons  d'Hippolyte  seraient  une  œuvre  authentique 
du  docteur  romain,  et  ne  seraient  pas  différents  de 
l'AjroaToÀ'.y.T)  Tiapocooa'.;  mentionnée  par  la  statue;  de  ce 
texte  primitif  dériveraient  successivement  l'Ordon- 
nance ecclésiastique  égyptienne,  les  Canones  per  Hippo- 
lytum, enfin  le  VIIIe  livre  des  Constitutions  aposto- 
liques. Funk  renverse  complètement  cet  ordre,  prend 
comme  point  de  départ  les  Constitutions  apostoliques, 
et  comme  dernier  terme  les  Canons  d'Hippolyte.  Son 
opinion  était  de  plus  en  plus  adoptée;  elle  excluait 
la  composition  directe  par  Hippolyte  des  recueils 
actuellement  existants  ;  mais  rien  n'empêchait  d'attri- 
buer au  docteur  romain  l'idée  première  d'avoir  ras- 
semblé les  usaçes  et  les  lois  ecclésiastiques,  et  entre  les 
opinions  extrêmes  d'Achelis  et  de  Funk,  divers  au- 
teurs avaient  proposé  des  compromis. 

La  question  est  débattue  dans  les  deux  sens  par  Achelis, 
Die  àltesten  Quellen  des  Orientalischen  Kirchenrechts.  I.  Die 
Canones  Hippolyti,  dans  Texte  und  Untersuchungen,  t.  vi, 
fasc.  4  (Leipzig,  1891),  et  par  Funk,  Die  Apostolischen 
Konstitutionen,  Rottenbourg,  1891.  Voir  t.  ni,  col.  1529- 
1534.  J.  Wordsworth,  The  ministry  o/  grâce,  Londres,  1901. 
p.  21,  admit  à  la  base  de  tous  ces  écrits  une  ancienne 
Ordonnance  de  l'Église,  qui  est  perdue.  II  fut  suivi  par 
A.  N.  Maclean,  The  ancient  Church  Orders,  Cambridge,  1910, 
et  par  Frère,  loc.  cit.  Cette  conclusion  fut  discutée  par 
C.  H.  Turner,  dans  le  Journal  of  theological  studies,  1914- 
1915,  t.  xvi,  p.  542-547.  V.  Bartlet,  ibid.,  1916,  t.  xvn. 
p.  248-256,  a  repris  l'opinion  d'Achelis  et  rapporté  l'ori- 
gine de  l'ancienne  Ordonnance  ecclésiastique,  en  Syrie, 
au  milieu  du  m"  siècle.  Voir  encore  A.  Nairne,  ibid., 
p.  398-399. 

Cependant,  dès  1910,  la  question  avait  reçu  une 
solution  différente.  Edouard  Schwartz,  Ucber  die 
pscudoapostolischen  Kirchenordnungen,  dans  Schriften 
der  wissenschafllichen  Gesellschaft  in  Stras  burg,  in-4°, 
Strasbourg,  n.  6,  avait  brièvement  rattaché  I'Ajco- 
ffToXtxi)  roxpâSoai:  de  la  statue  distincte  du  Ihpî  yapi- 
au-âxtov,  de  l'Ordonnance  ecclésiastique  égyptienne,  qui 
était  l'œuvre  de  saint  Hippolyte  et  représentait  ainsi 
les  pratiques  de  Borne.  Ces  conclusions,  indiquées 
seulement  en  passant,  reçurent  bon  accueil  en  Aile- 


"2503 


HIPPOLYTE    (SAINT) 


2504 


magne  et  ailleurs.  Leur  auteur  les  renforça  dans  un 
compte  rendu  de  l'ouvrage  de  Th.  Schermann,  Weihe- 
rituale  der  rômischen  Kirche  am  Schlusse  des  ersten 
Jahrhundcrts,  publié  dans  Oriens  christianus,  1915, 
nouv.  série,  t.  n,  fasc.  2,  p.  347-354. 

Il  était  réservé  à  dom  René-Hugues  Connolly, 
bénédictin  anglais  de  l'abbaye  de  Downside,  de 
donner  une  démonstration  solide  des  conclusions 
suggérées  par  Schwartz.  The  so-called  egyptlan 
Church  order  and  derived  documents,  dans  Texls  and 
studies  de  Robinson,  Cambridge,  1916,  t.  vin,  n.  4. 
Par  la  comparaison  des  textes  des  prières  de  l'ordi- 
nation d'un  évêque  dans  les  Canons  d'Hippolyte, 
l'Épilomé  du  VIIR  livre  des  Constitutions  apostoli- 
ques, ces  Constitutions  elles-mêmes,  l'Ordonnance 
ecclésiastique  égyptienne  et  le  Testament  de  N.-S.  Jésus- 
Christ,  dom  Connolly  a  constaté,  p.  11-54,  une  iden- 
tité parfaite  entre  l'Épilomé  et  l'Ordonnance,  un  ac- 
cord fréquent  de  cette  Ordonnance  avec  les  Constitu- 
tions apostoliques,  là  où  celles-ci  diffèrent  des  Canons 
d'Hippohjte  et  du  Testament.  Les  deux  premiers  écrits 
sont  donc  en  contact  immédiat  et  il  est  impossible 
d'interposer  entre  eux  les  trois  autres  documents, 
quoique  les  Constitutions  apostoliques  aient  eu  un 
contact  avec  l'Ordonnance  égyptienne  plus  direct  que 
les  Canons  d'Hippohjte  et  le  Testament.  Quelle  est 
maintenant  la  priorité  des  Constitutions  apostoliques 
et  de  l'Ordonnance  ?  Les  Constitutions  présentant  le 
caractère  d'un  texte  développé  ou  interpolé,  la 
priorité  en  somme  doit  être  accordée  à  l'Ordonnance, 
dont  l'Épilomé  n'est  qu'un  abrégé.  L'Ordonnance 
doit  donc  être  considérée  comme  la  source  première 
de  toute  cette  littérature.  Connolly,   p.   54-134. 

Deux  documents,  rattachés  au  nom  d'Hippolyte 
par  leur  titre,  l'Épilomé  et  les  Canons,  dérivent  ainsi 
parallèlement  de  l'Ordonnance  égyptienne.  La  men- 
tion d'Hippolyte  ne  proviendrait-elle  pas  de  la  source 
commune  ?  N'y  aurait-il  pas  quelque  indice  que  cette 
source,  l'Ordonnance  égyptienne,  aurait  autrefois  été 
attribuée  à  saint  Hippolyte  ?  C'est  ici  qu'intervient 
la  distinction,  mentionnée  plus  haut,  entre  le  Ilspi 
7apt<ru.dtTtov  et  L''AîtocToXoà]  ^apâooaiç,  inscrits  sur 
la  même  ligne  de  la  statue.  Cette  distinction  est 
établie  par  la  comparaison  des  documents  qui  déri- 
vent de  l'Ordonnance  égyptienne.  En  effet,  parmi  les 
sous-titres  du  texte  grec  de  l'Épilomé,  on  lit  les  deux 
suivants  :  A'.oasxaXta  itov  ctYtû)v  à~oiTÔ/.")v  r.ip.  yaotc- 
ixdttov;  AiarâEnç  t<ov  àytcjv  owtoaToXwv  r.tpl  yeipoTovtûv 
Bià  I--oÀuxo'j.  Ces  titres  ne  sont  que  des  développe- 
ments de  la  ligne  précitée  de  la  statue  et  le  second 
assigne  au  Ihpt'/.E'.  Potoviûv  le  caractère  d'une  tradition 
apostolique,  qu'il  rattache  expressément  à  saint  Hip- 
polyte. Or,  le  prologue  des  fragments  latins  de  l'Ordon 
nance  égyptienne  fournit  le  lien  qui  existait  entre  ces 
deux  développements  des  titres,  des  dons  divins  et 
d'une  tradition  apostolique.  E.  Hnuler, Didascalia  apos- 
tolorum  fragmenta  veronensia  latina,  Leipzig,  1900, 
p.  101-103.  Les  Constitutions  apostoliques,  1.  VIII,  3, 
établissent  le  même  rapprochement,  mais  sans  nommer 
Hippolyte.  Ce  nom  a  sans  doute  été  empruntée  l'Or- 
donnanceégyplienne  par  l'auteurde  V  Épitomé.  L'Ordon- 
nance elle-même  présente  ce  qu'ellecontient  surlesordi- 
nations  comme  une  tradition  apostolique.  On  peut 
en  conclure  que  1''  A^oiTo/.ixr,  icapâSoaiç  de  la  statue 
désigne  l'écrit  du  docteur  romain  sur  les  ordinations, 
qui  nous  a  été  conservé  dans  la  soi-disant  Ordonnance 
ecclésiastique   égyptienne,    Connolly,    p.    135-149. 

L'ancienne  'AjcootoX'.xy]  7capâ8o3tç  de  saint  Hip- 
polyte, ainsi  reconstituée,  est  un  document  du  plus 
haut  prix  pour  l'histoire  de  la  théologie  et  de  la  disci- 
pline romaine  dans  la  première  moitié  du  me  siècle. 
Hippolyte  a  décrit  ce  qu'il  avait  sous  les  yeux  ;  eût- 
il  mis  à  cette  description  son  empreinte  personnelle, 


qu'il  resterait  néanmoins  un  témoin  tout  particuliè- 
rement qualifié.  11  y  aura  toutefois  à  déterminer  à 
quelle  époque  de  sa  vie, avant  ou  pendant  son  schisme, 
il  a  composé  cet  ouvrage  et  quelle  influence  ont  pu 
exercer  sur  sa  rédaction  les  circonstances  de  la  vie 
de  l'auteur. 

Voir  R.  H.  Connolly,  The  ordination  prmjers  of  Hip- 
polytus,  dans  Journal  of  theological  studies,  1916,  t.  xvm, 
p.  55-58;  A.  d' Aies,  dans  les  Recherches  de  science  religieuse, 
Paris,  1918,  t.  vin,  p.  132-138. 

5°  Homélies  et  odes.  — 1.  Il  est  incontestable  qu'Hip- 
polyte  a  prononcé  de  très  nombreuses  homélies;  on 
peut  même  affirmer  que  ses  commentaires  sur  l'Écri- 
ture étaient  primitivement  des  homélies.  En  dehors 
des  fragments  déjà  cités  l'on  connaît  au  moins  de  nom 
plusieurs  homélies  de  notre  docteur. 

Saint  Jérôme  mentionne,  De  viris  ill.,  61,  une  ^poi- 
oiAiXîa  de  laude  Domini  Salvcdoris,  in  qua  prsesente 
Origene  se  loqui  in  ecclesia  significal.  Ce  séjour  d'Ori- 
gène  à  Rome  est  à  situer  en  l'an  212.  Il  ne  reste  rien 
de  cette  homélie. 

Nous  avons  signalé  plus  haut  l'homélie  rspifou  râoya 
distincte  du  comput  pascal  et  dont  quelques  fragments 
se  sont  conservés. 

On  possède  au  complet,  en  grec  et  clans  une  version 
syriaque,  le  texte  d'une  homélie  intitulée  :  Ao'yo;  etç  xà 
àyia  6sotpâveia.  C'est  en  réalité  un  discours  à  propos 
d'un  baptême  illustre.  L'authenticité  est  bien  dou- 
teuse; Achelis  attribue  la  paternité  de  l'œuvre  à  quel- 
que évêque  oriental  du  ive  ou  du  v«  siècle.  Batiffol 
n'hésite  pas  à  en  faire  honneur  à  Nestorius.  Cependant 
on  a  voulu  en  ces  dernières  années  en  démontrer  l'au- 
thenticité,  pour  la  plus   grande   gloire   d'Hippolyte. 

Texte  grec  :  de  Lagarde,  p.  36-43  ;  édition  de  Berlin,  t.  i  l>, 
p.  257-263.  Texte  syriaque  dans  Pitra,  Analecta  sacra,  t.  rv, 
col.  57-61.  Discussion  sur  l'authenticité  :  Achelis,  Hippolyt- 
Studien,  p.  194-202;  Batiffol,  Hippolytea,  dans  Revue  biblique, 
1898,  t.  vu,  p.  119-121;  Sermons  de  Nestorius,  ibid.,  1900, 
t.  ix,  p.  341-344.  Pour  l'authenticité,  F.  Hôfler,  'Iuitio- 
XÛtou  e!;  ta  âyix  ôeoçàvsia,  Munich,  1904. 

2.  Aux  lignes  21  et  22  de  l'inscription,  on  a  cru  lire  : 
ùiBoct  (s)!;  ;:âcja;  t<xç  ypacpaç,  odes  sur  toutes  les  Écri- 
tures. Lightfoot  voulait  y  voir  des  résumés  en  vers  sur 
les  écrits  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament;  le 
canon  dit  de  Muratori  ne  serait  autre  chose  qu'une 
mauvaise  traduction  latine  d'une  composition  mé- 
trique de  ce  genre,  que  Lightfoot  ne  craignit  pas  de 
restituer.  C'est  une  conjecture  hardie.  Batiffol  propo- 
sait de  lire  cntouoai  et  voyait  dans  le  texte  une  indica- 
tion sur  l'ensemble  des  travaux  scripturaires  d'Hippo- 
lyte. 

Il  paraîtrait  qu'il  faut  lire  non  pas  wSaî  s!;,  mais 
simplement  à)Sat  :  a;  les  deux  points  devant  le  S  signi- 
fiant que  la  lettre  est  prise  avec  sa  valeur  numérique  : 
200.  Cette  lecture  est  susceptible  à  son  tour  d'une 
double  interprétation  :  a)  deux  cents  odes.  (Voilà) 
tous  les  écrits  (d'Hippolyte);  b)  des  odes.  (Soit)  deux 
cents  écrits.  En  ce  dernier  cas,  le  chiffre  de  deux  cents 
se  rapporterait  à  tout  l'ensemble  de  l'œuvre  d'Hippo- 
lyte. Les  deux  interprétations  ont  chacune  leur  diffi- 
culté. Et  ce  petit  problème  n'est  encore  pas  résolu; 
il  reste  qu'il  faut  lire  wSat;  mais  la  postérité  n'a  pas 
conservé  le  souvenir  de  travaux  poétiques  d'Hippo- 
lyte 

Sur  cette  question,  Lightfoot,  The  apostolic  Fathers. 
I.  Clément  of  Rome,  Londres,  1850,  t.  n,  p.  405-413;  Batiffol, 
Les  prétendues  Odse  in  Scripturas  de  saint  Hippolyte,  dans  la 
Revue  biblique,  1896,  t.  v,  p.  268-271. 

Si  l'on  veut  essayer  de  fixer  au  moins  provisoire- 
ment la  physionomie  intellectuelle  d'Hippolyte,  on 
peut  prendre  le  cadre  proposé  par  d'Alès  et  distinguer 
dans  son  activité  trois  phases.  La  première  est  celle  de 


2505 


HIPPOLYTE    (SAINT) 


2506 


travaux  scripturaires,  homélies  et  commentaires,  tels 
que  nous  avons  essayé  de  les  recenser.  Nous  pouvons 
la  juger  surtout  à  l'aide  de  trois  ouvrages  qui  nous 
sont  conservés  à  peu  près  dans  leur  intégrité,  le  Traité 
sur  l'Antéchrist,  le  Commentaire  sur  Daniel  et  le  Com- 
mentaire sur  le  Cantique  des  cantiques.  La  seconde 
phase  est  surtout  caractérisée  par  les  luttes  entreprises 
contre  les  ennemis  de  la  foi  :  successivement  les  gnos- 
tiques,  les  monarchiens,  les  aloges  et  tous  ceux  qui  s'y 
rattachent  sont  attaqués  et  mis  en  déroute  par  Hippo- 
lyte.  Le  S'jvxaypt.a  7tpôç  ftâjaç  xàç  aîpéaeiç,  que  l'on  peut 
reconstruire  dans  ses  grandes  lignes,  le  Traité  contre 
Arlémon,  les  Capita  contra  Caium  nous  permettent  de 
restituer  assez  exactement  cette  deuxième  phase.  La 
troisième,  la  moins  honorable  pour  Hippolyte,  est 
celle  de  sa  lutte  personnelle  contre  Zéphyrin  et  Calliste. 
Nous  la  jugerons  au  mieux  par  les  Philosophoumena. 
C'est  à  ces  diverses  œuvres  ainsi  classées  qu'il  faut 
demander  maintenant  la  synthèse  des  doctrines  d' Hip- 
polyte; mais,  avant  de  l'aborder,  disons  un  mot  de 
l'écrivain  lui-même.  Photius,  un  bon  juge,  avait  déjà 
remarqué  que  le  style  de  notre  auteur  est  «  clair,  dis- 
tingué, sans  recherche,  bien  qu'on  ne  puisse  pas  le 
qualifier  d'attique.  »  Bibliotheca,  cod.  121,  à  propos  du 
Hùvxaypva;  cf.  202,  à  propos  du  Commentaire  sur  Da- 
niel. En  fait,  Hippolyte  n'est  point  un  styliste,  mais 
si  la  diction  est  d'ordinaire  simple  et  unie,  elle  atteint 
quelquefois  à  l'éloquence,  la  phrase  devient  nom- 
breuse, rythmée;  la  finale  des  Philosophoumena  est 
à  ce  point  de  vue  fort  remarquable.  Quand  la  rancune 
d'Hippolyte  s'exhale,  elle  trouve  facilement  le  mot 
tranchant,  la  coupe  de  phrase  incisive;  les  détails  se 
présentent  avec  une  vivacité  sans  pareille  aux  yeux 
de  l'auteur;  la  narration  des  antécédents  de  Calliste 
est,  malgré  toute  son  injustice  et  sa  partialité,  un  petit 
chef-d'œuvre.  C'est  l'art  de  la  composition  qui  a  le 
plus  manqué  à  notre  auteur,  aussi  bien  qu'à  tous  ses 
contemporains,  païens  ou  chrétiens. 

III.  Sa.  théologie.  —  1°  Synthèse  de  l'enseignement 
d'Hippolyte.  —  Dans  les  dernières  pages  des  Philoso- 
phoumena, Hippolyte,  après  avoir  montré  les  erreurs 
débitées  par  la  philosophie  païenne  et  les  hérétiques 
qui  s'en  sont  inspirés,  cherche  à  ébaucher  une  synthèse 
de  la  doctrine  chrétienne,  1.  X,  32-34.  C'est  aux  chré- 
tiens que  l'humanité,  en  quête  de  vérité,  doit  s'adresser 
pour  trouver  la  connaissance  véritable  de  Dieu,  du 
monde,  de  la  vertu.  Le  principe  fondamental  de  cette 
connaissance,  c'est  la  croyance  en  un  seul  Dieu,  prin- 
cipe unique  et  éternel  créateur,  qui  par  sa  volonté  a 
tout  créé  du  néant,  £7tonr)<je  xà  ovxa  où/,  ovxa  7rpoxEpov. 
Voilà,  pour  débuter,  la  claire  réfutation  de  l'éternité 
de  la  matière,  enseignée  par  les  Grecs,  et  du  dualisme 
où  sont  venus  échouer  tant  de  systèmes  hérétiques. 
C'est  en  produisant  au  dehors  de  lui   le  Verbe,  sa  rai- 
son immanente,  que  Dieu  commença  l'œuvre  de  la 
création.  C'est  le  Verbe,  le  Logos  divin,  qui  donne  à 
chaque  individu  sa  nature  et  son  existence,  suivant 
les  décrets  immuables  de  Dieu,  xauxa  Aôyw  sOT)tj.toûpyet. 
(ô   Geo;),    êxéptoç    yc'vveaÛat    [aï]    Suvâpieva  rj    wç    syÉvsxo. 
Les  anges  sont  des  créatures  de  Dieu,  de  nature  ignée, 
sans  sexe  :  jy.  :xjpô;  eiva'.  àyysAouç   ôp-oXoyw,  /.ai  où  xoû- 
xo'.ç  7tapêtvat  OrjXeiâç.  Au-dessus    de    toute  la    création 
(visible),  Dieu  place  comme  chef  l'homme,  lequel  n'est 
ni  Dieu,  ni  ange;  si  l'homme  veut  devenir  Dieu,  il  n'a 
qu'à  obéir  aux  ordres  de  son  créateur;  trouvé  fidèle 
dans  les  petites  choses,  il  recevra  ainsi  une  magnifique 
récompense. 

Aussi  bien  le  mal  existe  dans  le  monde;  mais  Dieu 
n'en  est  pas  l'auteur.  Le  mal  a  pour  origine  la  volonté 
humaine  défaillante.  La  loi  cependant  a  été  donnée  à 
l'homme  pour  le  préserver  du  mal,  et  dans  un  vigou- 
reux raccourci  Hippolyte  montre  les  invitations  adres- 
sées   à    l'hcmme    par   tant   d'intermédiaires,    les   pa- 


triarches, Moïse,  les  prophètes,  tous  illuminés  par 
l'action  du  Verbe  de  Dieu.  C'est  lui  qui,  par  tant  de 
moyens,  poursuit  l'homme,  ne  voulant  point  l'en- 
chaîner par  une  inexorable  nécessité,  mais  l'appelant 
à  profiter  par  un  libre  choix  de  la  sainte  liberté  :  où  jita 
àvayy.rjçoo'jÀaytoyojv,  àÀÀ'  s^'ÈÀsuOept'av  éxouaîco  7Cpoaipêd£i. 
/.aX<3v.  Finalement,  c'est  le  Verbe  lui-même  que  le  Père 
envoya  sur  la  terre,  non  plus  pour  parler  par  les  pro- 
phètes, mais  pour  se  manifester  lui-même.  Né  de  la 
Vierge,  il  a  voulu  passer  par  les  divers  âges  de  la  vie 
humaine,  afin  d'être  lui-même  la  loi  pour  tous  les  âges. 
Pour  bien  montrer  que  Dieu  n'a  rien  créé  de  mauvais 
en  soi,  il  a  voulu  prendre  un  corps  pétri  du  même  limon 
que  nous,  xoSxov  avOpto^ov  l'apuv  Ix  xou  y.aO'fjjjLàç  œupâ[iaxo; 
yeyovéva'..  Afin  de  ne  point  paraître  autre  que  nous, 
il  a  supporté  la  fatigue,  il  a  voulu  avoir  faim,  avoir  soif, 
il  a  eu  sommeil,  il  n'a  pas  rejeté  la  souffrance,  il  a  obéi 
à  la  mort,  mais  aussi  il  a  manifesté  sa  résurrection;  il 
recommençait  ainsi  en  lui-même  ce  qui  se  passa  en 
l'homme,  afin  que  toi,  non  plus,  dans  la  souffrance, tu 
ne  désespères  pas,  mais  que,  reconnaissant  ta  condi- 
tion, tu  attendes  avec  confiance  ce  que  tu  peux  un 
jour  posséder  par  lui. 

«  Telle  est,  continue  le  docteur  dans  un  beau  mouve- 
ment d'éloquence,  telle  est  la  vraie  doctrine  sur  la  divi- 
nité; Grecs,  Barbares,  Chaldéens,  Assyriens,...  je  vous 
conseille  d'y  venir  pour  connaître  la  vraie  doctrine  et 
éviter  les  châtiments  de  l'enfer.  C'est  en  croyant  au 
Dieu  véritable  que  tu  pourras  les  éviter,  que  tu  auras 
part  à  l'immortalité;  qu'au  royaume  des  cieux  tu 
deviendras  le  compagnon  de  Dieu  et  le  cohéritier  du 
Christ,  sar)  os  ô(jL'.X7jxri;  6sou  xai  auy-/:Àr|povô'pioç  Xpiaxdç. 
Affranchi  des  passions,  des  souffrances,  de  tous  les 
maux,  te  voilà  déifié,  yéyovoc;  yàp  6sô;.  C'est  le  Christ, 
Dieu  parfait,  ô  y.axà  jxâvxo>v  Geoç,  qui  a  décidé  de  laver 
le  péché  des  hommes,  de  rénover  pleinement  l'homme 
ancien;  ayant  imité  la  bonté  de  celui  qui  est  bon,  tu 
lui  deviendras  semblable  et  tu  seras  honoré  par  lui, 
car  Dieu  ne  s'appauvrit  pas,  en  te  faisant  Dieu  pour 
sa  gloire.  » 

Il  n'est  guère  d'écrivains  de  l'ancienne  Église  qui 
nous  aient  laissé  une  synthèse  aussi  compréhensive  de 
l'enseignement  chrétien.  Sans  nous  attarder  à  en 
reprendre  tous  les  éléments,  nous  allons  examiner  ceux 
qui  présentent  le  plus  de  difficultés  à  raison  de  leur 
différence  avec  la  doctrine  aujourd'hui  courante. 
2°  Doctrine  trinitaire.  —  C'est  évidemment  la  théorie 
du  Logos  qui  demande  à  être  étudiée  de  plus  près. 
Hippolyte  ne  l'a  point  créée  de  toutes  pièces  et  l'on 
retrouverait  aisément  dans  saint  Justin  tous  les  élé- 
ments de  son  système,  mais  la  lutte  avec  les  diverses 
tendances  hérétiques  mentionnées  plus  haut  a  forcé 
le  docteur  romain  à  préciser  quelques-unes  des  don- 
nées de  l'apologiste,  et  cette  précision  même  n'a  pas 
été  sans  nuire  à  la  vérité,  voire  à  l'orthodoxie  de  la 
théorie. 

Qu'il  faille  distinguer  dans  le  Sauveur  un  double 
élément,  l'un  divin,  l'autre  humain,  c'est  ce  dont 
Hippolyte  est  persuadé  comme  toute  l'ancienne  Église. 
Et  c'est  la  foi  de  l'ancienne  Église  que  le  docteur 
romain  oppose  aux  novateurs  qui,  de  Théodote  à 
Artémon,  prétendent  que  le  Christ  est  tout  simple- 
ment un  homme.  Contre  Artémon;  Eusèbe,  H.  E.,  v, 
28.  Où  la  difficulté  commence,  c'est  quand  il  s'agit 
d'apprécier  les  relations  entre  cet  clément  divin  et  la 
personne  même  du  Père.  En  d'autres  termes,  le  pro- 
blème qui  se  posait  avec  une  acuité  croissante  à  l'é- 
poque d'Hippolyte  était  beaucoup  moins  le  problème 
christologique  que  le  problème  trinitaire.  La  sainte 
Écriture,  le  Nouveau  Testament  en  particulier,  en 
fournissait  les  données  :  la  distinction  en  Dieu  de  trois 
noms,  et  donc  aussi  de  trois  réalités  distinctes;  et  en 
même  temps  l'affirmation  la  plus  absolue  de  la  foi 


2507 


HIPPOLYTE    (SAINT) 


2508 


monothéiste  transmise  à  l'Église  par  Israël.  C'est 
contre  cette  apparente  antinomie  que  se  heurtait  la 
perspicacité  des  docteurs,  qui  voulaient  épuiser  jus- 
qu'au bout  en  cette  délicate  matière  les  droits  de  la 
raison  humaine.  A  l'époque  d'Hippolyte  deux  doc- 
trines se  trouvent  en  présence.  La  première  accen- 
tuait d'une  manière  dangereuse  pour  la  distinction 
des  personnes  l'unité  divine.  La  seconde,  celle  de 
notre  auteur,  semblait  porter  atteinte  à  cette  même 
unité,  pour  mieux  sauvegarder  la  distinction  des  per- 
sonnes. Si  l'on  pense  qu'à  cette  époque  la  terminologie, 
plus  tard  classique  en  la  matière,  est  à  peine  ébauchée, 
que  les  diiïérents  termes  d'essence,  de  substance,  d'hy- 
postase,  de  personne  n'ont  point  encore  été  soigneuse- 
ment délimités,  on  comprendra  que  la  bonne  foi  de 
plusieurs  des  combattants  soit  hors  de  cause,  alors 
même  que  leurs  expressions  s'éloignent  considérable- 
ment de  ce  qui  sera  plus  tard  l'orthodoxie. 

Telle  pourtant  qu'elle  est  rapportée  dans  les  Philo- 
sophoumena,  1.  X,  6-10,  la  doctrine  de  Noët  et  de  ses 
disciples  devait  paraître  suspecte  même  aux  esprits 
les  moins  sagaces  et  les  moins  prévenus.  Selon  eux, 
le  Père  et  le  Fils  s'identifient  complètement,  tov  ocutov 
uîôv  elvai  Xéyet  xaî  rcaTÉpa.  Avant  que  le  Père  ne 
s'incarnât,  il  s'appelait  à  juste  titre  le  Père;  mais 
quand  il  lui  plut  de  naître  parmi  nous,  il  devint  le 
Fils,  Yevvï]8etç  ô  ufôç  èyÉveto  auxo;  éautou.  Il  y  a  donc 
identité  absolue  entre  le  Père  et  le  Fils,  seuls  les  noms 
les  différencient.  C'est  le  Père  qui  a  souffert  sur  la 
croix  (d'où  le  nom  de  patripassiens  donnés  par  nous 
aux  docteurs  de  cette  école);  celui  qui  a  été  percé  de 
clous,  c'est  bien  le  Dieu  de  l'univers,  le  Père,  t)âoi;  xaxa- 
naYÉvxa  toutov  tov  twv  SXiov  6eov  /.aï  rcaxÉpa  sivai  Xeyouctiv. 

A  en  croire  Hippolyte,  dont  le  témoignage  ici  est 
manifestement  entaché  de  partialité,  Calliste,  alors 
qu'il  n'était  que  diacre  de  Zéphyrin,  aurait  partagé 
plus  ou  moins  expressément  les  idées  de  l'école  patri- 
passienne.  Devenu  pape,  il  aurait  sans  doute  excom- 
munié Sabellius,  un  des  maîtres  les  plus  en  vue  de 
l'école;  mais  la  profession  dé  foi  que  lui  prête  Hippo- 
lyte est  loin  de  corriger  complètement  l'erreur  du 
modalisme.  Nous  la  rapportons  ici,  moins  pour  la 
discuter,  que  pour  faire  saisir,  par  antithèse,  la  doctrine 
que  lui  oppose  Hippolyte. 

«  Le  même  Verbe,  aurait  dit  Calliste,  est  identique  au  Fils, 
identique  au  Père;  ce  sont  là  deux  noms  différents,  mais  ils 
s'appliquent  à  un  esprit  unique,  indivisible.  On  ne  peut  donc 
dire  :  autre  chose  est  le  Père,  autre  chose  est  le  Fils,  oûx  aXXo 
EÏvai  uïTEpa,  aXXo  5è  uldv,  ils  ne  sont  qu'une  seule  et  même 
chose,  êv  8s  v.ai  tô  aùtô  CiTtàp/etv;  tout  est  plein  de  l'esprit 
divin,  le  monde  supérieur  et  le  monde  inférieur.  L'esprit 
incarné  dans  la  Vierge  n'est  pas  autre  que  le  Père,  mais  il  est 
identique  avec  lui.  C'est  ainsi  qu'il  est  écrit  :  «  Ne  crois-tu 
pas  que  je  suis  dans  le  Père  et  que  le  Père  est  en  moi  ?  » 
Ce  que  l'on  voit,  c'est-à-dire  l'homme,  c'est  le  Fils,  mais 
l'esprit  contenu  dans  le  Fils,  c'est  le  Père:  tô  pv  PXetcôjaevov 
otceo  ètrriv  av8pcùltoç,  toûto  eïvcct  tov  uîôv,  tô  6e  èv  tw  ulû 
ytopTieèv  riveima,  toûto  slvat  tov  Ttaxâpa.  Car,  dit-il,  je  ne 
dirais  pas  deux  dieux,  le  Père  et  le  Fils,  mais  un  seul.  Le 
Père  qui  est  en  lui  s'étant  adjoint  la  chair,  l'a  divinisée  en  se 
l'unissant  et  l'a  faite  un  avec  lui.  Ainsi  le  Père  et  le  Fils 
s'appellent  un  seul  Dieu,  et  ce  Dieu  étant  une  seule  per- 
sonne ne  peut  être  deux.  Ainsi  le  Père  a  souffert  en  même 
temps  que  le  Fils  (a  compati  au  Fils,  crv|j.7;E7iov6Evai  :m 
uîÛ),  car  il  ne  veut  pas  dire  que  le  Père  a  souffert  (c'est-à- 
dire  il  ne  veut  pas  être  patripassien)  et  qu'il  est  une  seule 
personne  (avec  le  Fils)  pour  échapper  au  blasphème  contre 
le  Père.  » 

Il  n'est  pas  discutable  que  cette  doctrine  soit  nette- 
ment modaliste.  Franzelin,  qui  voulait  en  défendre 
l'orthodoxie,  a  été  obligé  pour  y  réussir  de  remplacer 
par  des  points  la  phrase  la  plus  compromettante  :  «  Ce 
que  l'on  voit,  c'est-à-dire  l'homme,  c'est  le  Fils,  mais 
l'Esprit  qui  est  contenu  dans  le  Fils,  c'est  le  Père.  » 
De  Deo  trino  secundum  personas,  Rome,  18G9,  p.  149- 


150.  M.  d'Alès  n'est  pas  plus  heureux  quand  il  écrit  : 
«  Donc  Hippolyte  échoue  dans  sa  tentative  pour  trou- 
ver Calliste  en  défaut.  En  voulant  le  convaincre  d'hé- 
résie, il  n'a  réussi  qu'à  mettre  dans  sa  bouche  une 
série  de  propositions  très  acceptables.  La  première,  il 
est  vrai,  fait  exception.  »  La  théologie  de  saint  Hippo- 
lyte, p.  15.  Cette  doctrine  est  proprement  la  même 
que  celle  combattue  par  Tertullien  à  la  fin  de  son 
traité  Contre  Praxéas,  et  que  Franzelin  estime,  à  juste 
titre,  hérétique.  Que  Calliste  l'ait  proposée,  c'est  une 
autre  affaire,  et  il  faudrait  être  bien  partial  pour  accep- 
ter d'emblée  cette  accusation  unique,  venue  d'un 
adversaire  acharné.  Voir  t.  u,  col.  1337-1338. 

Quoi  qu'il  en  soit  d'ailleurs,  c'est  à  rencontre  de  ces 
théories,  patripassionisme  brutal  de  Noët,  patripas- 
sionisme  mitigé  attribué  à  tort  ou  à  raison  à  Calliste, 
qu'Hippolyte  élabore  son  système  personnel.  Il  est 
exposé  dans  l'Homélie  contre  Noël,  finale  du  Synlagma. 
et  dans  les  deux  derniers  livres  des  Philosophoumena. 
Le  premier  texte  serre  de  moins  près  la  question,  mais 
il  est  important  à  signaler  comme  marquant  la  pre- 
mière étape  de  la  pensée  d'Hippolyte. 

«  10.  Dieu  étant  simple,  sans  aucun  être  qui  lui  fût  con- 
temporain, voulut  créer  le  monde.  Il  le  conçut,  le  voulut,  et 
par  sa  parole  il  le  produisit;  çÔEYS-â^evoç  inoir^gv  ;  le  monde 
aussitôt  existe  devant  lui,  selon  sa  volonté;  rien  n'est  co- 
éternel  à  Dieu.  Il  n'y  avait  rien  en  dehors  de  lui  :  mais  tout 
en  étant  seul,  il  était  multiple,  |j.ôvo;  (iv  itoXûç  t,v,  car  il 
n'était  pas  sans  Parole,  sans  Sagesse,  sans  Puissance,  sans 
Conseil,  Ôiàoyoç,  ao"Oço;,  àSvvaTOÇ,  àêo'JXE'jTO;.  Tout  était 
en  lui,  et  lui  était  tout.  Quand  il  le  voulut,  et  comme  il  le 
voulut,  au  temps  déterminé  par  lui  il  fit  paraître,  eSe'.-;:,  sa 
Parole,  tov  Xôyov  <xxizo-j,  par  laquelle  il  a  tout  fait.  Dès  qu'il 
veut  il  fait,  dès  qu'il  projette  il  accomplit,  dés  qu'il  parle 
il  montre  l'effet  de  sa  parole,  dès  qu'il  se  met  à  façonner  il 
fait  éclater  sa  Sagesse.  Car  tout  ce  qui  a  été  fait  résulte  de  sa 
Parole  et  de  sa  Sagesse;  par  sa  Parole  il  crée,  par  sa  Sagesse 
il  ordonne.  Il  créa  donc  comme  il  le  voulut,  car  il  était  Dieu. 
Mais  comme  chef,  conseiller  et  instrument  de  création,  il 
engendrait  le  Verbe.  Ce  Verbe  qu'il  avait  en  lui  à  l'état  invi- 
sible, il  le  rend  visible  en  prononçant  le  premier  mot.  C'est 
une  lumière  qui  naît  d'une  lumière,  il  le  tire  de  lui  pour  en 
faire  le  maître  de  la  création.  C'est  son  intelligence  à  lui; 
jusque-là  il  n'était  visible  qu'à  Dieu  seul,  invisible  au  monde, 
il  le  fait  voir  alors  au  monde  afin  qu'en  le  voyant,  le  monde 
puisse  être  sauvé.  —  11.  De  cette  façon,  il  y  eut  un  autre 
par  rapport  à  Dieu,  xcù  outoiç  itapcffrato  a-JT(ô  ItEpov.  Mais 
en  disant  autre,  je  ne  dis  pas  deux  Dieux;  j'entends  comme 
une  lumière  produite  par  une  lumière,  comme  une  eau  qui 
sort  d'une  source,  un  rayon  qui  s'échappe  du  soleil.  La 
puissance  est  une;  elle  vient  de  l'être  qui  est  tout;  le  Père 
est  tout,  xo  6e  itâv  Ttaxrtf,  c'est  de  lui  que  vient  la  puissance 
Verbe,  fijvaij.iç  Xôyoç.  Le  Verbe  est  l'intelligence  qui,  appa- 
raissant dans  le  monde,  s'est  montrée  comme  Fils  de  Dieu. 
Tout  vient  de  lui;  lui  seul  procède  du  Père.  » 

C'est  la  doctrine  classique  des  apologistes  du  ne  siè- 
cle; mais  Hippolyte,  dans  son  exposition,  a  soigneuse- 
ment évité  la  formule  malsonnante  :  le  Verbe  est  un 
autre  Dieu,  employée  par  saint  Justin.  Dialogus  cum 
Tryphone,  56,  P.  G.,  t.  vi,  col.  597.  Il  exprime  aussi 
avec  plus  de  netteté  la  doctrine  des  deux  états  succes- 
sifs du  Verbe,  l'état  immanent,  éternel,  Xdyo;  èvBiocGsto;, 
et  l'état  extérieur,  temporel,  coordonné  à  la  création 
du  monde,  Xôyoç  Tcpoyopixo'ç. 

Notre  auteur  reviendra  avec  plus  de  netteté  encore 
sur  cette  distinction  dans  la  finale  des  Philosophoumena, 
1.  X,  33,  et  il  mettra  en  un  relief  plus  fort  l'évolution 
du  Verbe  en  trois  phases  distinctes.  Par  là  même  il 
accentue  la  partie  la  plus  contestable  de  sa  théorie,  à 
savoir,  cette  conception  d'un  changement  dans  les 
rapports  entre  le  Verbe  et  Dieu.  De  tout  temps  le 
Verbe  existe  en  Dieu,  dont  il  est  la  pensée  immanente. 
La  personnalité  du  Verbe  se  dégage  dans  la  prolation 
(génération)  qui  produit  hors  de  Dieu  cette  pensée 
immanente  Cette  génération  est  rapidement  caracté- 
risée :  «  Dieu  engendre  premièrement  de  lui-même  sa 


2509 


HIPPOLYTE    (SAINT] 


2510 


Parole,  non  point  un  simple  son,  où  Xôyov  io;  tpcovrlv, 
mais  la  pensée  immanente  de  l'univers,  aXX'èvSiàOsxov 
cou  -av-o;  Xoyiafxôv.  C'est  le  seul  qu'il  n'engendre  point 
du  néant,  car  le  Père  est  lui-même  l'être,  et  c'est  de  lui 
que  procède  l'engendré.  Ainsi  proféré  ou  produit,  le 
Verbe  crée  le  monde,  dont  il  porte  en  lui-même  l'exem- 
plaire, et  il  le  crée  suivant  la  volonté  du  Père,  dont  il  est 
l'exécuteur.  Le  monde  est  tiré  du  néant,  il  n'est  donc 
pas  Dieu,  il  est  donc  périssable;  le  Verbe,  au  contraire, 
étant  de  Dieu,  est  Dieu  lui-même,  il  est  l'essence  de 
Dieu,  toutou  ô  Xôyo;  txo'vo;  à?  aÙTou,  810  xaï  Oeoç,  ouata 
'j-iy/ui-i  6eou.  Cette  génération  du  Verbe  est  libre  d'une 
liberté  absolue;  c'est  quand  il  le  veut,  et  comme  il  le 
veut,  que  le  Père  exprime  son  Verbe.  Enfin  l'incarna- 
tion confère  plus  spécialement  au  Verbe  le  titre  de  Fils. 

On  voit  immédiatement  les  très  graves  défauts  de 
'la  théorie.  Outre  qu'elle  introduit  dans  les  relations 
divines  un  changement  incompatible  avec  l'immuta- 
bilité de  l'Être  éternel,  elle  ne  laisse  pas  d'inquiéter 
au  point  de  vue  de  l'égalité  des  personnes  divines.  Il  y 
a  chez  Hippolyte,  comme  chez  tous  les  partisans  de  la 
théorie  philosophique  du  Logos,  un  subordinatianisme 
latent,  et  qui  se  révèle  par  occasion.  A  ce  point  de  vue 
une  phrase  des  Philosophoumena  mérite  d'être  relevée. 
«  L'homme,  dit  l'auteur,  n'est  ni  Dieu,  ni  ange,  qu'on 
ne  s'y  trompe  pas  :  s'il  avait  voulu  te  faire  Dieu,  il  le 
pouvait;  tu  as  l'exemple  du  Logos.  Ayant  voulu  te 
faire  homme,  il  t'a  fait  ainsi,  s',  yàc  Oso'v  as  T]0£Àr|a£ 
vTotfjaai,  Èoûvaxo*  l'/stç  toù  AdyouTO  7:àca&£iyua-  av6pcjj7iov 
ôéXiov,  avOp")-ov  ne  èrcowiaev,  X,  33.  11  semblerait  donc 
que  c'est  par  un  choix  libre  et  volontaire  que  Dieu 
attribue  au  Logos  la  dignité  divine. 

Rien  de  plus  dangereux  ne  se  peut  imaginer;  et  l'on 
se  demande  si  Zéphyrin  et  Calliste  n'avaient  pas  rai- 
son quand  ils  signalaient  le  dithéisme  impliqué  dans 
les  formules  d'Hippolyte.  Ce  dernier  avait  beau  pro- 
tester qu'il  n'admettait  pas  deux  dieux,  la  théorie  à 
laquelle  il  s'attachait  aboutissait  toujours  à  un  déve- 
loppement divin  où  l'unité  de  la  substance  ne  se  trou- 
vait guère  en  sûreté.  Et  si  l'on  ajoute  que,  dans  tout  ce 
développement,  la  personne  du  Saint-Esprit  ne  joue 
qu'un  rôle  extrêmement  effacé,  on  verra  tout  ce  qui 
manque  à  la  théologie  d'Hippolyte  pour  être  la  doc- 
trine trinitaire  de  l'avenir.  Elle  est  l'aboutissant  de  la 
systématisation  proposée  par  Justin,  Tatien,  Athéna- 
gore,  Théophile,  mais  elle  en  marque  aussi  le  point 
d'arrêt.  Ce  sera  dans  une  autre  direction  que  s'élabo- 
rera au  ive  siècle  la  théologie  de  la  Trinité. 

3°  Autres  questions  théologiques.  —  Pénétré  comme 
il  l'était  de  l'influence  continuelle  exercée  par  le  Verbe 
dans  le  monde  créé  par  lui  et  sans  cesse  conservé  par 
son  action,  Hippolyte  n'avait  point  de  peine  à  admettre 
la  doctrine  de  l'inspiration  prophétique  et  celle  de 
l'inerrance  de  l'Écriture  sainte,  qui  en  est  la  consé- 
quence. (Les  textes  rassemblés  très  complètement 
dans  d'Alès,  p.  111.)  Il  n'y  a  donc  aucune  différence 
à  mettre  dans  le  respect  que  l'on  accorde  à  l'Ancien 
et  au  Nouveau  Testament.  Le  canon  de  l'Ancien  Tes- 
tament reçu  par  Hippolyte  est  celui  des  juifs  helléni- 
sants ;  notre  docteur  met  sur  le  même  pied  toutes  les 
parties  du  livre  de  Daniel.  D'ailleurs,  ni  le  texte 
hébreu,  ni  le  canon  palestinien  ne  le  préoccupent.  C'est 
aux  Septante  qu'il  s'adresse  et,  pour  Daniel,  à  Théodo- 
tion.  Son  canon  du  Nouveau  Testament  présente 
encore  quelque  flottement.  L'Épître  aux  Hébreux 
n'est  pas  attribuée  à  saint  Paul;  il  n'y  a  pas  de  trace 
des  Épîtres  de  Jean  et  de  Jude  (mais  cette  circon- 
stance peut  tenir  à  l'état  très  fragmentaire  de  la  tradi- 
tion littéraire).  Quelques  apocryphes  semblent  cités 
sur  le  même  pied  que  les  écrits  canoniques.  Mais  les 
grandes  lignes  du  canon  d'Hippolyte  répondent  assez 
exactement  à  ce  que  l'on  sait  par  ailleurs  du  canon 
romain  au  ine  siècle. 


Le  concept  de  la  rédemption  est  à  rapprocher  de 
celui  de  l'inspiration  scripturaire.  Sans  doute,  la  mort 
du  Christ  a  une  importante  signification  dans  l'his- 
toire religieuse  de  l'humanité,  et  Hippolyte  reprend 
fidèlement  les  expressions  pauliniennes  sur  la  mort 
rédemptrice  :  8>.à  Oavâxou  Oâvaxov  vixrjja;,  dit-il  du  Christ. 
De  Antichristo,  26,  t.  i,  p.  19.  Il  n'en  reste  pas  moins 
que  la  spéculation  de  notre  docteur  voit  surtout  l'ac- 
tion rédemptrice  dans  cette  connaissance  de  Dieu 
ménagée  par  le  Verbe  divin  soit  dans  la  nature,  soit 
dans  l'histoire,  soit  dans  la  loi  et  les  prophètes,  soit 
enfin  dans  l'Évangile  :  àXrjûsta  Iv  tco  xo'<t[j.ci)  tpavsï;  kXi\- 
Ôsiav  èût'SaÇiLv.  In  Daniel.,  iv,  41,  t.  i,  p.  292. 

C'est  l'Église  qui  continue  sur  la  terre  cette  œuvre 
de  rédemption.  Elle  est  la  sainte  assemblée  de  ceux 
qui  vivent  dans  la  justice,  la  maison  spirituelle  de  Dieu, 
l'assemblée  des  saints,  r\  xXijaiç  twv  àyîtov.  In  Daniel., 
i,  14,  ibid.,  p.  23.  Cette  conception  très  élevée  de  l'É- 
glise explique,  si  elle  ne  les  justifie  pas  complètement, 
les  reproches  adressés  par  Hippolyte  à  l'administra- 
tion ecclésiastique  de  Calliste.  Ce  dernier  estimait  à 
juste  titre  qu'un  rigorisme  trop  étroit,  bon  peut-être 
dans  une  petite  communauté  fervente,  était  impos- 
sible dans  l'Église  chrétienne  telle  que  l'avaient  faite 
de  longues  années  de  paix.  Pour  la  rémission  des  péchés 
en  particulier,  l'ancienne  discipline  qui  refusait  à 
jamais  le  pardon  de  certaines  fautes  était  incompa- 
tible avec  la  nouvelle  organisation  de  l'Église  du 
me  siècle.  Sous  peine  de  réduire  la  communauté  chré- 
tienne à  n'être  plus  composée  que  de  catéchumènes, 
il  fallait  d'urgence  pourvoir  à  la  réconciliation  de  ceux 
que  la  faiblesse  entraînait  à  des  fautes  considérées 
jusque-là  comme  excluant  de  l'Église.  Hippolyte, 
comme  Tertullien  d'ailleurs,  en  fit  à  Calliste  un  grief. 
Philosoph.,  1.  IX,  12.  Dans  l'espèce,  la  mesure  prise 
par  le  pontife  était  autrement  sage  que  l'attitude 
outrée  du  docteur.  Autant  en  faut-il  dire  de  la  question 
des  mariages  clandestins,  autorisés  par  Calliste  entre 
des  femmes  de  condition  noble  et  des  chrétiens  de 
condition  tout  à  fait  inférieure,  esclaves  ou  affranchis, 
malgré  la  loi  civile.  C'est  la  première  fois,  ce  n'est  pas 
la  dernière,  qu'on  voit  le  droit  canonique  ne  pas  ad- 
mettre toutes  les  théories  de  la  législation  séculière;  et 
l'on  ne  peut  faire  un  grief  au  pape  d'avoir  donné  sur 
ce  point  une  solution  libératrice.  Quant  aux  accusa- 
tions formulées  par  Hippolyte  sur  la  facilité  déplo- 
rable de  Calliste  à  réconcilier  des  évêques  coupables, 
ou  à  autoriser  dans  le  clergé  l'usage  du  mariage  ou 
même  la  bigamie  successive,  il  faut,  avant  de  les  impu- 
ter au  compte  du  pontife,  se  demander  jusqu'à  quel 
point  la  passion  a  défiguré  les  faits  allégués  par  un 
adversaire.  Voir  t.  n,  col.  1338-1342.  Sans  être  mon- 
taniste,  Hippolyte  nous  apparaît  comme  un  rigoriste 
outré  dans  sa  conception  de  l'Église. 

Cette  Église  a  reçu  du  Christ  la  dispensation  des 
sacrements.  Le  baptême  est  la  source  qui  fait  jaillir 
dans  l'Église  le  breuvage  d'immortalité,  par  lui  nous 
participons  à  la  grâce  du  Christ.  In  Ruth,  édit.  de  Ber- 
lin, t.  i  b,  p.  120.  Il  est  le  sceau  que  le  Sauveur  donne 
aux  siens  et  auquel  l'Antéchrist  opposera  un  autre 
sceau.  De  Antichristo,  c.  vi,  ibid.,  p.  8.  L'eucharistie 
est  le  gage  laissé  à  l'Église  par  le  Christ,  comme  Juda 
avait  laissé  à  Thamar  son  anneau,  son  bracelet  et  son 
bâton,  «  et  nous  recevons  son  corps,  et  son  sang  est  le 
gage  de  la  vie  éternelle  pour  quiconque  s'en  approche 
avec  humilité.  »  In  Gen.,  xxxvin,  19,  ibid.,  p.  36. 
Quand  la  Sagesse  de  Dieu  s'écrie  :  «  Venez,  mangez 
mon  pain,  buvez  le  vin  que  je  vous  ai  préparé,  »  elle  ne 
désigne  rien  d'autre  que  la  chair  divine  du  Sauveur, 
et  son  sang  précieux  qu'il  nous  donne  à  manger  et  à 
boire  pour  la  rémission  de  nos  péchés.  In  Prov.,  ix, 
1-5,  édit.  de  Lagarde,  p.  199.  C'est  le  vin,  délicieux 
par-dessus  tout,  que  nous  a  préparé  le  Christ.  In  Cant. 


2511 


HIPPOLYTE    (SAINT)  —  HIRSCHER 


2512 


i,  4,  dans  Texte  und  Untersuchungen,  t.  xxin,  fasc.  2, 
p.  31  :  la  chair  céleste  à  laquelle  l'humanité  régénérée 
souhaite  d'unir  sa  propre  chair.  In  Canl.,  m,  4,  ibid., 
p.  66;  c'est  le  sacrifice  nouveau  offert  aujourd'hui 
parmi  toutes  les  nations,  et  dont  l'avènement  de 
l'Antéchrist  amènera  la  suppression.  In  Daniel.,  édit. 
de  Berlin,  t.  ia,  p.  280;  cf.  De  Antichristo,  t.i  b,  p.  27. 

Les  doctrines  eschatologiques  d'Hippolyte  sont 
également  un  curieux  mélange  des  idées  anciennes  qui 
persévéraient  dans  l'Église  et  de  conceptions  plus 
nouvelles.  La  crise  montaniste  avait  sauvé  l'idée,  tou- 
jours subsistante  depuis  les  origines,  de  l'imminence 
des  derniers  temps  ;  le  millénarisme,  d'autre  part,  tel 
qu'y  avaient  adhéré  Irénée  et  Justin,  avait  encore  bien 
des  partisans.  A  rencontre,  des  esprits  avertis  comme 
Caius  rejetaient  rigoureusement  tout  cet  illuminisme 
et  leurs  négations  n'allaient  pas  sans  porter  quelque 
atteinte  à  l'inspiration  de  l'Apocalypse.  Hippolyte 
essaya  une  voie  moyenne  entre  le  mysticisme  d' Irénée, 
dont  il  procède,  et  l'agnosticisme  qui  se  révélait  dans 
Caius.  Sans  être  très  éloignée,  la  fin  des  temps  n'est 
pas  encore  imminente.  C'est  à  quoi  tendent  les  dé- 
monstrations du  Commentaire  sur  Daniel  et  du  traité 
De  V Antéchrist. 

Quand  les  temps  seront  accomplis,  se  manifestera 
définitivement  le  jugement  de  Dieu.  Alors  les  saints 
entreront  en  possession  du  royaume  de  Dieu.  Ce  der- 
nier n'est  point  conçu  d'après  les  idées  millénaristes 
et  Hippolyte  interprète  à  rencontre  des  conceptions 
d' Irénée  le  fameux  passage  de  l'Apocalypse,  xx,  2-5, 
qui  a  donné  naissance  à  toutes  ces  théories.  Les  mille 
ans  dont  il  est  question  sont  un  chiffre  symbolique 
qui  marque  seulement  la  splendeur  du  règne  éternel 
promis  aux  justes.  Capita  contra  Caium,èàit.  de  Berlin, 
t.  i  b,  p.  246-247.  Le  dernier  jugement  mettra  immé- 
diatement les  justes  en  possession  du  règne  éternel. 
In  Daniel.,  t.  i  a,  p.  222.  En  attendant  cette  grande 
manifestation  de  la  justice  divine,  les  âmes  de  tousles 
morts,  bons  et  méchants,  sont  enfermées  dans  l'qcSinç, 
dont  le  traité  Contre  les  Grecs  ou  De  la  cause  de  l'uni- 
vers, -spi  Tfj;  ioù  ;:avTÔ;  ouata;,  contient  une  assez 
longue  description.  Deux  demeures  y  sont  détermi- 
nées, l'une  pour  les  justes,  l'autre  pour  les  pécheurs. 
Celle  des  justes  est  à  droite;  c'est  le  sein  d'Abraham, où 
ils  vivent  dans  la  jouissance  des  biens  visibles  et 
l'attente  des  biens  éternels.  A  gauche  est  la  demeure 
des  pécheurs,  séparée  de  l'autre  par  un  infranchissable 
abîme.  Elle  est  située  aux  abords  de  la  géhenne;  ils 
peuvent  apercevoir  les  flammes  qui  doivent  les  tortu- 
rer un  jour  dans  leur  corps.  C'est  le  commencement  de 
leur  expiation.  Au  jour  marqué  par  Dieu  aura  lieu  la 
résurrection  générale,  les  corps  des  justes  seront  revê- 
tus d'immortalité  et  de  gloire,  ceux  des  pécheurs  renaî- 
tront avec  toutes  leurs  maladies  et  leurs  misères  pour 
le  châtiment.  Adv.  Grsecos,  édit.  de  Lagarde,  p.  68-73. 
On  voit  ce  qui  manque  encore  à  l'eschatologie  d'Hip- 
polyte pour  être  définitive.  Sur  ce  point,  comme  sur 
d'autres,  l'évolution  de  la  théologie  est  commencée; 
elle  est  encore  loin  d'être  achevée.  Disciple  d' Irénée, 
formé  par  les  écrits  des  apologistes,  il  résume  le  passé 
dont  il  a  rejeté  plus  d'un  héritage,  il  prépare  un  avenir 
qui  n'est  encore  qu'en  espérance.  C'est  la  signification 
principale  de  son  œuvre,  pour  autant  que  nous  pou- 
vons la  restituer.  Est-ce  à  dire  que  de  nouvelles  décou- 
vertes ne  viendront  pas  un  jour  changer  la  physiono- 
mie, encore  trop  incertaine.de  ce  grand  docteur  romain? 

Sur  la  doctrine  d'Hippolyte,  voir  surtout  A.  d'Alès,  La 
théologie  de  saint  Hippolyte,  Paris,  1906,  et  la  très  remar- 
quable synthèse  de  Bonwetsch,  dans  Realencyclopàdie  fur 
protestantische  Théologie  und  Kirche,  t.  vin,  p.  132-135; 
Duchesne,  Les  origines  chrétiennes  (autographie),  t.  n, 
p.  284-296,  303-320. 

E.   Amann. 


HIQU/EUS.  Voir  Hickey,  col.  2358-2359. 

HIRSCHER  'Jean-Baptiste,    théologien    de   l'école 
catholique  de  Tubingue,  naquit  le  20  janvier    1788, 
à  Altergarten  (Wurtemberg),  d'une  famille  de  culti- 
vateurs.   Après    deux   années   d'études   théologiques 
à    Fribourg-en-Brisgau  (1807-1809),    il   fut    ordonné 
prêtre  en  1810.  En  1812,  il  devint  répétiteur  au  sémi- 
naire d'Ellwangen,  où  il  eut  Mœhler  comme  élève. 
En  1817,  il  obtint  la  chaire  de  théologie  morale  et  de 
pastorale  à  l'université  de  Tubingue,  et  il  y  enseigna 
pendant  vingt  ans.  En  1837,  il  passa  à  Fribourg-en- 
Brisgau,  où  il  eut  la  chaire  de  morale  jusqu'en  1863. 
Il    était   devenu    chanoine    du    chapitre  en    1839   et 
doyen   en   1850.   Comme  sa  doctrine  était  discutée, 
il  refusa  d'être  coadjuteur  des  évêques  de  Fribourg 
et  de  Rottenbourg.   11  mourut  à  Fribourg,  le  4  sep- 
tembre 1865.  C'était  un  prêtre  d'une  conscience  sûre, 
d'une    piété    ardente,   mais    d'une    intelligence   par- 
fois  aventurée.    Son   esprit   se   complaisait  dans  les- 
considérations  pratiques  plutôt  que  dans  les  spécu- 
lations théoriques.   Ses  débuts  comme  publiciste  ne 
furent  pas  heureux.  Sa  brochure  :   Missœ  genuinam 
nolionem  eruere  e  jusque  celebrani.'se  rectam  melhodunt 
monstrare  lentavit  J.-B.  Hirscher.  Accedunl  duœ  for- 
mula;  missales   linijua   vernacula   exaratœ,   Tubingue, 
1821,  contenait  des  doctrines  nouvelles  et  proposait 
des  réformes.  La  messe  y  était  envisagée  comme  un 
acte  public  de  la  communauté;  aussi  l'auteur  deman- 
dait-il la  suppression  des  messes  privées,  la  commu- 
nion sous  les  deux  espèces  et  l'emploi  de  la  langue  vul- 
gaire au  lieu  du  latin.  Deux  messes,  rédigées  en  alle- 
mand, illustraient  la  théorie  par  un  programme  pra- 
tique. La  brochure  fut  condamnée  par  la  S.  C.  de 
l'Index,  le  20  janvier  1823.  Une  version  allemande, 
faite  par  Diepold,  parut  en  1838.  Le  converti  Hurter  et 
I    le  baron  von  Rinck,  son  ami,  reprochèrent  plus  tard  à 
Hirscher  de  ne  pas  s'être  soumis  à  cette  condamna- 
tion. Dans  une  lettre,  du  5  janvier  1845,  à  Hurter,  il 
répondit  qu'il  avait  écrit  à  Rome  qu'il  croyait  à  la  doc- 
trine catholique  du  concile  de  Trente  sur  l'eucharistie, 
et  que  ses  écrits  postérieurs  étaient  corrects  au  sujet 
de  la  messe.  Hurter  et  de  Rynck  ne  trouvèrent  pas  la 
justification  suffisante.  H.  Hurter,  Fried.  von  Hurter  und 
seine  Zeil,  1876,  t.  n,  p.  70-73.  Hirscher  réussit  mieux 
dans  ses  ouvrages  sur  la  prédication  et  le  catéchisme. 
Il  voulait  ramener  la  prédication  à  l'explication  de 
l'Évangile,  que  les   fidèles  liront  et  que  les  prêtres 
commenteront  en  chaire.  Les  homélies  remplaceront 
utilement  les  thèmes  abstraits  de  la  morale  naturelle 
qui  manquent  d'efficacité,  et  elles  ne  dureront  qu'un 
quart  d'heure  :  Ueber  das  Verhàllniss  des  Evangeliums 
zu  den  theologischen  Scholastik  der  neueslen  Zeit  im 
katholischen    Deutschland.    Zugleich    als    Beitrag    zur 
Katechetik,  Tubingue,  1823.  Autres  ouvrages,  visant 
à  la  pratique  pastorale:  Die  kalholische   Lehre  vont 
Ablasse  mit   besonderer  Bilcksicht  auf  ihre    pratische 
Bedeulung,  Tubingue,  1826;  2e  édit.,  1830;  3e,  1835; 
4e,  1844;  6e,  1855;  trad.  franc.,  Paris  1855:  Ansichlen 
von  dem  Jubilâum  und  unmassgcblische  Andeutungen 
zu  einerzweckmassigen  Feyerdesselben,  Tubingue,  1826  ; 
2°  édit.,  1830;  Belrachtungen  liber  sâmmlliche  Evan- 
gelien  der  Fasten  mit  Einschluss  der  Leidengeschichtr, 
Fur  Seelsorqer  und  jeden  gebildelen  Chrisien,  Tubingue, 
1829;  2' édit.,  1830;  3e,  1832;  4e,  1839;  7e,  1843;"  8% 
1848  ;  Katechetik,  oder  :  Der  Beruf  des  Seelsorgcrs  die  ihm 
anverlraunle  Jugend  im  Chrislenthum  zu  unterrichlen 
und  zu  erziehen  nach  seinem  ganzem    Umfange  darge- 
slelll.  Zugleich  tin  Beitrag  zur  Théorie  eines  christka- 
tholischen  Kalechismus,Tuhm£uc,  1831  ;  2e  édit.,  1832  .- 
3e,    1834;    4e    augmentée    et    retouchée,    1840.   Il   y 
critiquait    la  manière  dont  se  faisait   alors    le    caté- 
chisme. 


2513 


HIRSCHER 


IIIZLER 


2514 


Son  cours  de  morale  eut  une  portée  plus  vaste  :  Die 
christliche  Moral  als  Lehre  von  der  Verwirklichung  des 
i/iitllichen  Reichcs  in  der  Menschcil,  3  in-8°,  Tubingue, 
1835-1837;  2e  édit.,  1836;  3e,  1838  ;  5e,  1851.  Il  fut 
remanié  et  amélioré  à  chaque  édition:  mais  il  n'a  pas 
la  forme  classique  des  manuels;  c'est  plutôt  une  série 
de  considérations  pieuses  et  de  méditations  sur  la  vie 
chrétienne.  La  morale  chrétienne  était,  pour  l'auteur,  la 
réalisation  du  règne  de  Dieu  dans  l'humanité,  et  il 
publiait  un  catéchisme  historique  de  ce  règne,  depuis 
la  création  jusqu'à  son  épanouissement  complet  dans 
le  ciel.  Le  P.  Kleutgen  l'a  souvent  critiqué  dans  sa 
Théologie  der  Vorzeil,  t.  v.  Au  t.  ir,  Hirscher  y  reprit 
«es  vues  sur  la  prédication  populaire.  Il  joignit  de 
nouveau  l'exemple  à  la  théorie,  et  il  publia  une  série 
d'homélies  :  Belrachlungen  ùber  die  sonntâglichen 
Evangelien  des  Kirchenjahrcs.  I.  Die  Evangelien  vom 
Advent  bis  Ostern  enthaltend,  Tubingue,  1837;  2e  édit., 
1839  ;  3',  1841  ;  II,  après  la  Pentecôte,  1843  ;  5e  édit., 
1818,  1852;  ûber  die  sonnlûglichen  Episleln,  2  vol., 
1860,  1862.  A  l'enseignement  de  la  religion  se  rattache 
aussi  Die  Gcschiehte  Jesu  Chrisli  des  Sohnes  Gotlcs  und 
Wcltheilandes,  Tubingue,  1839;  2e  édit.,  1840.  Le  théo- 
ricien de  la  catéchétique  publia  deux  catéchismes  : 
Kalechismus  der  christkcilholischen  Religion,  Carlsruhe 
■et  Fribourg-en-Brisgau,  1842  ;  Der  kleinere  Katechis- 
mus  der  christkulholischen  Religion,  ibid.,  1845,  qui 
eurent  plusieurs  éditions,  de  1845  à  1862.  Le  petit 
catéchisme  fut  accepté  dans  l'archidiocèse  de  Fribourg 
■et  conservé  jusqu'à  la  mort  de  l'auteur.  Le  P.  Kleutgen 
les  a  encore  critiqués.  Voir  V.  Thalhofer,  Enlwicklung 
des  katholischen  Kalechismus  in  Deutschland  von  Cani- 
sius  bis  Deharb",  p.  114-116,  144-151.  La  brochure  : 
Nachlrag  zur  Verstûndigung  ùber  der  von  mir  heraus- 
gegebsn  Kalechismus,  Fribourg-en-Brisgau, 1843,  traite 
de  l'importance  du  catéchisme.  Les  Beitràge  zur 
Homihtik  und  Katechelik,  1832,  ont  été  traduits  en 
français  sous  ce  titre  :  Traité  sur  les  homélies  et  les 
catéchismes,  Besançon,  1859.  Hirscher  a  puissamment 
influé  sur  le  réveil  de  la  théologie  pastorale  en  Alle- 
magne. 

Il  se  lança  encore  dans  l'étude  des  questions  sociales 
de  son  temps.  Il  publia  d'abord,  en  trois  fascicules,  des 
Erôrterungen  ùber  die  grossen  rcligiosen  Frgcn  der 
Gegemvart,  Fribourg-en-Brisgau,  1846,  1855,  1857  ; 
2e  édit.,  1865.  Il  y  expose  les  principes  des  relations 
entre  l'Église  et  l'État,  et  il  propose  librement  ses  vues 
personnelles  sur  des  réformes  à  introduire  dans  l'Église. 
On  lui  reprochait  son  esprit  de  conciliation  avec  le  gou- 
vernement. Il  traita  !e  même  sujet:  Die  kirchlichen 
Zùstande  der  Gegemvart,  Tubingue,  1849,  d'après  l'ou- 
vrage de  Lorente:  Projet  d'une  constitution  religieuse, 
1820.  Ses  projets  furent  critiqués  par  Dieringer  et 
Heinrich  dans  Der  Katholik;  ces  articles  furent  réunis 
en  brochure  :  Die  kùchliche  Reform,  eine  Beleuchtung 
der  H  irschef  schen  Schrift  :  die  kirchlichen  Zuslande, 
etc.,  Mayence,  1849,  et  l'ouvrage  fut  mis  à  l'Index  par 
décret  du  25  octobre  1849.  Hirscher  se  soumit  à  la 
condamnation  du  saint-siège  et  rétracta  ses  erreurs. 
11  répliqua  toutefois  à  ses  adversaires  :  Aniworl  an  die 
Gegner   meiner    Schrift,  2  éditions  en  1850.  Malgré  ses 


vues  libérales,  il  soutint  fortement  l'archevêque  de 
Fribourg-en-Brisgau  dans  le  conflit  qu'il  eut  avec  le 
pouvoir  politique  du  duché  de  Bade,  et  son  exemple 
entraîna  le  clergé,^  qui  pourtant  le  suspectait,  dans 
l'obéissance  à  l'archevêque.  A  cette  affaire  se  rap- 
portent les  ouvrages  suivants  :  Die  Bistumsynode,  1849  ; 
Zur  Orientirung  ùber  den  derzeitigen  Kirchenstreil, 
1854. 

Signalons  encore  Dus  'Leben  der  seligsten  Jungfrau 
Maria,  1859  ;  7e  édit.,  1899  ;  Selbstàuschungen,  1865. 
Hirscher  fut  un  des  fondateurs  et  des  collaborateurs 
de  la  Theologische  Quarlalschri/t.  Ses  articles  traitent 
de  la  pastorale  et  de  la  prédication.  Voir  Ed.  Vermeil, 
Jean-Adam  Mœhler  et  l'école  catholique  de  Tubingue 
(1815-1840),  etc.,  Paris,  1913,  p.  479,  480,  486,  pour 
les  articles  publiés  de  1819  à  1840.  Rolfus  a  édité  : 
Nachgelassene  kleinere  Schri/len  de  Hirscher,  Fribourg- 
en-Brisgau,  186k 

Tiibinger  theologische  Quartalschrift,  1866,  p.  298  sq.  ; 
B.  Wôrner  et  B.  Gams,  J.  A.  Molher.  Ein  Lebensbild,  Batis- 
bonne,  1866,  p.  124-130;  courte  préface  de  Bolfus,  op.  cit.  ; 
Badisclie  Biographien,  Carlsruhe,  1881,  t.  i,  p.  372-377; 
Lauchert,  dans  la  Revue  internationale  de  théologie,  1894, 
p.  627-656  ;  1895,  p.  260-280,  723-738  ;  1896,  p.  151-174; 
Kirchenlexikon,  2°  édit.,  t.  vi,  col.  28-34;  Allgemeine 
deutsche  Biographie,  Leipzig,  1880,  t.  xn,  p.  470-472; 
Realencyklopàdie  fur  protestanlische  Théologie  und  Kirche, 
3»  édit.,  1900,  t.  vm,  p.  145-146  ;  G.  Goyau,  L'Allemagne 
religieuse,  le  catholicisme,  Paris,  1905,  t.  in,  p.  273-276; 
Catholic  eneyelopedia,  New  York,  1910,  t.  vu,  p.  363-365; 
M.  Buchberger,  Kirchliches  Handlexikon,  Munich,  1907, 
t.  i,  col.  1987;  Hurter,  Nomenclator,  3e  édit.,  Inspruck, 
1912,  t.  v,  col.  1385-1388  ;  Ed.  Vermeil,  op.  cit.,  p.  331-333, 
338-340,  365-368,  479-480,  486,  488-489  ;  H.  Beusch,  Der 
Index  der  verbotencn  Biicher,  Bonn,  1885,  t.  n,  p.  1112-1113. 

E.    Mangenot. 

H IZLER  Jacques, moraliste  allemand,  né  à  Kicklin- 
gen,  dans  le  diocèse  d'Augsbourg,  le  4  novembre  1712, 
reçu  au  noviciat  de  la  Compagnie  de  Jésus  le  13  sep- 
tembre 1730,  enseigna  la  philosophie  et  la  théologie 
morale  à  Augsbourg,  puis  la  théologie  dogmatique  à 
Inspruck.  II  se  fit  remarquer  par  la  clarté  et  la  rigou- 
reuse précision  de  ses  décisions  en  matière  morale.  On 
a  de  lui  plusieurs  importants  ouvrages  :  Instiluliones 
theologiœ  moralis  de  obligalione  restituendi,  Augsbourg, 
1755;  De  virtutibus  thcologicis,  fîde,  spe  et  charitate, 
Ingolstadt,  1758;  Institutiones  theologiœ  moralis  de 
sacramenlis  in  génère,  Augsbourg,  1756  ;  Ingolstadt, 
1759;  Quœstio  lacti  an  major  fides  sit  habenda  probabi- 
listis  aut  antiprobabilislis  in  adlegandis  auctoribus 
eorumque  doctrinis,  ibid.,  1759.  Le  P.  Hizler  mourut  à 
Kicklingen  le  13  août  1785,  après  avoir  été  recteur  de 
Mindelheim  et  supérieur  du  pensionnat  de  Dillingen. 
Après  la  suppression  de  la  Compagnie  de  Jésus  en 
1773,  il  avait  continué  en  Bavière  sa  vie  apostolique 
dans  les  plus  humbles  exercices  du  ministère  des  âmes, 
toujours  fidèle  aux  moindres  règles  de  son  institut. 

Sommerrogel,  Bibliothèque  de  la  C1'  de  Jésus,  t.  IV, 
col.  397;  Hurter,  Nomenclator,  3e  édit.,  Inspruck,  1912, 
t.  v,  col.  549. 

P.  Bernard. 


LISTE    DES    COLLABORATEURS 


DU     TOME     SIXIÈME 


MM. 

Amann,  aumônier  au  collège  Stanislas  à  Paris,  puis 
professeur  de  patrologie  et  d'histoire  ecclésiastique 
à  la  Faculté  de  théologie  catholique  à  Strasbourg 
(Bas-Rhin). 

Atdjan,  mékithariste  à  Saint-Lazare  de  Venise  (Italie). 

Autore  (le  R.  P.  dom),  chartreux,  à  la  Chartreuse 
de  Florence,  puis  prieur  de  la  Gertosa  di  S.  Martino 
sopra  Napoli  (Italie). 

Bareille,  ancien  professeur  de  patrologie  à  l'Institut 
catholique  de  Toulouse. 

Bernard,  à  Paris. 

Besse  (le  R.  P.  dom),  bénédictin,  prieur  de  Ligugé, 
à  Chevetogne  (Belgique). 

Bigot,    curé    de   Saizerais   (Meurthe-et-Moselle). 

Bonet-Maury,  à  Paris  (f  en  1919). 

Bouché,  professeur  de  théologie  à  la  Faculté  de 
théologie  de  Lille. 

Cayré  (le  R.  P.),  des  augustins  de  l'Assomption,  à 
la   maison    de    Kadi-Keuï,    à   Constantinople. 

Clerval,  professeur  d'histoire  ecclésiastique  à  l'In- 
stitut catholique  de  Paris  (t  le  26  octobre   1918). 

Constantin,  aumônier  du  lycée  Henri-Poincaré,  de 
Nancy. 

Coulon  (le  R.  P.),  des  frères  prêcheurs,  professeur  à 
Y  Angelica,  à  Rome. 

Dolhagaray,  chanoine  pénitencier  à  Bayonne  (f  13 
janvier  1918). 

Doublet,  professeur  de  philosophie  au  lycée  de  Nice. 
Dubruel,  à  Toulouse. 

Dutilleul  (le  R.  P.),  de  la  Compagnie  de  Jésus, 
professeur  d'histoire  ecclésiastique  au  scolasticat 
d'Enghien  (Belgique). 

Edouard  d'Alençon  (le  R.  P.),  des  frères  mineurs 
capucins,  archiviste  de  l'ordre,  à  Rome,  puis  à 
Paris. 

Forget,  professeur  de  théologie  à  l'Université  de 
Louvain  (Belgique). 

Gardeil  (le  R.  P.),  des  frères  prêcheurs,  à  Paris. 

Garriguet,  ancien  supérieur  du  grand  séminaire  de 
La  Rochelle. 

Gatard  (le  R.  P.  dom),  bénédictin,  à  l'abbaye  de 
Farnborough  (Angleterre). 


MM. 
Ghellinck  (le  R.  P.  de),  de  la  Compagnie  de  Jésus, 
bibliothécaire  au  Collège  théologique  de  Louvain 
(Belgique). 

Godefroy,  professeur  au  grand  séminaire  de  Nancy, 
puis  supérieur   à  Bosserville  (Meurthe-et-Moselle). 

Godet,  à  Rosnay  (Vendée)  (f  le  2  juillet  1913). 

Goyau,  à  Paris. 

Harent  (le  R.  P.),  de  la  Compagnie  de  Jésus,  pro- 
fesseur de  théologie  au  scolasticat  d'Ore  Place 
(Angleterre). 

Heurtebize  (le  R.  P.  dom),  bénédictin  de  Solesmes 
à  Ryde  (île  de  Wight). 

Humbert,   professeur  à  Paris. 

Ingold,   à  Colmar  (Haut-Rhin). 

Janin  (le  R.  P.),  des  augustins  de  l'Assomption,  à  la 
maison  de  Kadi-Keuï,  à  Constantinople. 

Jugie  (le  R.  P.),  des  augustins  de  l'Assomption,  à 
la  maison  de  Kadi-Keuï,   à  Constantinople. 

Largent,  professeur  honoraire  à  l'Institut  catholique 
de  Paris. 

Le  Bachelet  (le  R.  P.),  de  la  Compagnie  de  Jésus, 
professeur  de  théologie  au  scolasticat  d'Ore  Place 
(Angleterre). 

Lévesque,  professeur  d'Écriture  sainte  au  séminaire 
de  Saint-Sulpice,  à  Paris. 

Mandonnet  (le  R.  P.),  des  frères  prêcheurs,  profes- 
seur de  théologie  à  l'Université  de  Fribourg  (Suisse). 

Merlin  (le  R.  P.),  augustin,  à  Madrid  (Espagne), 
puis  curé  à  Saint- Épain  (Indre-et-Loire). 

Michel,  professeur  de  théologie  aux  Facultés  catho- 
liques de  Lille. 

Milon,  prêtre  de  la  Mission,  ancien  secrétaire  général 
de  la  congrégation,   à   Paris. 

Moncelle,  professeur  au  collège  de  la  Malgrange, 
à   Jarville   (Meurthe-et-Moselle). 

Netzer,  à  Paris. 

Oblet,  supérieur  du  grand  séminaire,  puis  curé-archi- 
prêtre  de  la  cathédrale  de  Nancy. 

Ortolan  (le  R.  P.),  des  oblats  de  Marie-Immaculée, 
à  Rome. 

Palmieri  (le  R.  P.),  augustin,  à  Rome,  puis  à  Phila- 
delphie (États-Unis  d'Amérique). 


LISTE     DES     COLLABORATEURS 


MM. 

Pernin  (le  R.  P.),  des  oblats  de  Saint-François  de 
Sales,  supérieur  provincial,  à  Albano  Laziale  (Italie). 

Petit  (S.  G.  Mgr),  des  augustins  de  l'Assomption, 
archevêque  latin  d'Athènes  (Grèce). 

Pisani,  chanoine  théologal,  professeur  à  l'Institut 
catholique   de   Paris. 

Salaville  (le  R.  P.),  des  augustins  de  l'Assomption, 
supérieur  du  grand  séminaire  latin  d'Athènes  (Grèce). 

Salembier,  professeur  d'histoire  ecclésiastique  aux 
Facultés  catholiques  de  Lille  (|  le  30  octobre  1918). 

Servais  (le  R.  P.),  carme  déchaussé,  professeur  de 
théologie    au    scolasticat    de   Bruxelles    (Belgique). 

Thouvenin,  professeur  de  théologie  au  grand  sémi- 
naire de  Nancy,  puis  aumônier  de  l'hospice  de 
Ludres    (Meurthe-et-Moselle). 


MM. 

Tobac,  professeur  d'Écriture  sainte  au  grand  sémi- 
naire de  Malines  (Belgique). 

Toussaint,  professeur  de  droit  canon  aux  Facultés 
catholiques  de  Lille. 

Vacandard,  aumônier  du  lycée  Corneille,  à  Rouen 
(Seine- Inférieure). 

Van  der  Meersch,  professeur  de  théologie  au  grand 
séminaire  de  Bruges  (Belgique). 

Vernet,  professeur  d'histoire  ecclésiastique  au  grand 
séminaire  de  Saint-Paul-Trois-Chàteaux  (Drôme)et 
à  l'Institut  catholique  de  Lyon. 

Villien,  professeur  de  droit  canonique  à  l'Institut 
catholique  de  Paris. 

Vogt,  professeur  à  l'Université  de  Fribourg,  curé  à 
Genève  (Suisse). 


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