m
(W
Digitized by the Internet Archive
in 2012 with funding from
University of Toronto
http://archive.org/details/dictionnairedetv6pt2vaca
:
-.'••
'
DICTIONNAIRE
DE
THÉOLOGIE CATHOLIQUE
CONTENANT
L'EXPOSÉ DES DOCTIUNES DE LÀ THÉOLOGIE CATHOLIQUE
LEURS PREUVES ET LEUR HISTOIRE
COMMENCÉ -SOUS LA DIRECTION DE
A. VACANT
DOCTEUR EN THÉOLOGIE. PHOFESSEl'R Ail GRAND SÉMINAIRE DE NANCY
CONTINUÉ SOUS CELLE DE
E. MANGENOÏ
PROFESSEUR A L'INSTITUT CATHOLIQUE DE PARIS
AVEC LE CONCOURS D UN GRAND NOMBRE DE COLLABORATEURS
Fascicule XLVI. Géorgie — ^B-ritce h
j>>™\
&
u Ottawa
PARIS '**ARX*
L1BHAIRIE LETOUZEY ET ANE
L. LETOUZEY, Succr
87, Boulevard Raspail — Rue de Vaugirard, 82
Imprimatur
Parisiis, die 31* Martii 1914.
j J-eo Ad., card. AMETTF.
Arch. Par.
LISTE DES COLLABORATEURS DU QUARANTE-SIXIEME FASCICULE
MM.
de patrologie à l'Institut
Barkillb, ancien protesseui
catholique de Toulouse.
Bernard, à Paris.
Bessk (le R. P. dom , prieur de Ligugé, à Chevetogne
(Belgiiiue).
Cayré (le R. P.), desaugustins de l'Assomption, à Kadi-
Keui, à Constantinople.
Coulo.n (le R. P.), des frères prêcheurs, professeur à
['Angelicum, à Rome.
Doublet, professeur de philosophie au lycée de Nice.
Edouard d'Alençou (le R. P.), des frères mineurs capucins,
archiviste de l'ordre, à Rome.
Forget, professeur de théologie à l'Université de Louvain
(Belgique).
Gatahd (le R. P. dom), bénédictin, à Saint-Michel de
Farnborough Angleterre).
Godet, à Rosnay (Vendée) (f le 2 juillet 1913).
Heurtebize (le R. P. dom), bénédictin de Solesrnes, à
Ryde (ile de Wight).
Ingold, à Colmar .Alsace).
Janin le R P. , des augustins de l'Assomption, à
Ka<li-lveu(.Nà Constantinople.
\^
^
^
P\
fi
MM.
Levesque, professeur d'Écriture sainte au séminaire de
Saint-Sulpice, à Paris.
Merlin (le R. P. ), religieux augustin, à Madrid (Espagne).
Michel, professeur de théologie à la Faculté de théologie
de Lille.
Oblet, supérieur du grand séminaire de Nancy, à
Bosserville (Meurthe-et-Moselle).
Ortolan (le R. P.), des oblats de Marie-Immaculée, à
Rome.
Palmieri (le R. P.), religieux augustin, à Rome. •
Pisanj, chanoine théologal, professeur à l'Institut catho-
lique de Paris.
Salembier, professeur d'histoire ecclésiastique à la Fa-
culté île théologie de Lille (f le 30 octobre 1913).
Servais (le R. P.), carme déchaussé, professeur de théo-
logie au scolasticat de Bruxelles (Belgique).
Toussaint, professeur de droit canonique à la Faculté de
théologie de Lille.
Van der Meersch, professeur de théologie au grand
séminaire de Bruges (Belgique).
Vkrnet, professeur d'histoire ecclésiastique au grand
séminaire de Saint-Paul-Trois-Chàteaux et à l'Institut
catholique de Lyon.
CONDITIONS ET MODE DE PUBLICATION
Le Dictionnaire de Théologie catholique paraît par fascicules in-4° de 160 pages (320 colonnes)
représentant la valeur de 3 vol. in-12 de 300 pages. — Une gravure hors texte tient lieu
de 16 pages de texte.
Le prix de chaque fascicule, rendu franco, est de 5 fr. net. payables dans la quinzaine
qui suit la réception de chaque fascicule.
Les fascicules ne se vendent pas séparément. Les exemplaires d'occasion ou de seconde
main ne sont ni complétés, ni continués.
1249
GEORGIE
1250
la tutelle des patriarches d'Antioche, cela contredit
maint document historique et cela paraît invrai-
semblable. L'Église de Géorgie se serait alors déclarée
autonome ou bien elle aurait fait sa soumission à
Constantinoplc qui avait depuis longtemps éclipsé tous
les autres patriarcats orientaux. Tout ce qu'on peut
admettre, c'est qu'il s'établit dès l'origine des relations
de bon voisinage entre les chrétientés de Géorgie et
celles d'Arménie, et que ces dernières, déjà mieux
organisées, ont pu aider celles-là, mais rien de plus.
V. Entre Arméniens et Géorgiens. — ■ Nous
venons de voir que les Arméniens prétendent avoir
converti la Géorgie au christianisme. Ils vont plus loin
encore et affirment que leurs catholicos ont exercé
une juridiction effective sur le pays voisin depuis
l'introduction de la vraie foi jusqu'à la fin du vie siècle,
c'est-à-dire pendant près de trois siècles. De leur côté, les
Géorgiens protestent énergiquement qu'ils n'ont jamais
eu de relations intimes avec les Arméniens et surtout
qu'ils n'ont à aucun moment dépendu de l'Église armé-
nienne. D'après eux, il a tout au plus existé entre les
deux Églises des rapports de bonne fraternité chré-
tienne, mais pas autre chose. 11 n'est pas facile d'opérer
le départ exact entre le vrai et le faux quand on se
trouve en présence d'assertions aussi opposées qu'un
patriotisme jaloux a certainement influencées. Nous
allons cependant essayer d'élucider la question à l'aide
des documents qui nous sont parvenus de cette époque
lointaine.
De prime abord, il semblerait que l'Église de Géorgie
a réellement été soumise à celle d'Arménie. Moïse de
Khorène, Agathange, la version arménienne de Fauste
de Byzance (le texte primitif a certainement été rema-
nié par le traducteur), etc., donnent plusieurs exemples
de la juridiction exercée par les catholicos arméniens
sur la Géorgie. Varthanès, fds de saint Grégoire
l'Illuminateur et son second successeur, établit son
fils aîné, Grégoris, âgé de quinze ans, catholicos des
Ibéiïens et des Aghovans ou Albanais. Fauste de
Byzance, Histoire, 1. III, c. v. Nersès le Grand (364 ?-
384), autre catholicos arménien, envoie pour gouverner
l'Église de Géorgie son diacre Job. Au commencement
du vc siècle, Mesrob, inventeur de l'alphabet arménien,
en compose un de même genre pour les Géorgiens et
s'occupe de faire traduire les Livres saints dans leur
langue. Nous verrons plus loin ce qu'il faut penser de
cette assertion. Enfin, un certain nombre d'éveques
géorgiens assistent au fameux synode national armé-
nien de Vagharchapat (491) qui adopta les erreurs mono-
physites et condamna le concile de Chalcédoine. Aux
textes arméniens que nous venons de résumer s'en
ajoutent d'autres qui ont une source géorgienne.
M. Marr, professeur à Saint-Pétersbourg, a découvert
plusieurs documents qui semblent donner raison aux
prétentions des Arméniens. Un recueil de Vies de
saints du xe siècle découvert par lui au monastère
d'fviron, au mont Athos, nous apprend qu'autrefois
les Géorgiens fêtaient les mêmes saints principaux que
les Arméniens. Marr, Voyage d'étude au mont Athos,
Saint-Pétersbourg, 1899 (en russe), p. 16. De plus, un
très ancien manuscrit géorgien du Sinaï dit que les
deux Églises avaient admis les usages si énergique-
ment condamnés par les prélats byzantins, c'est-à-dire
les madaghs (sacrifices) et le jeûne d'Artchavour
établi en mémoire de celui des Ninivites et que les
grecs ont toujours poursuivis de leurs anathèmes.
Marr, Rapport préliminaire sur les travaux concernant
le Sinaï... et Jérusalem, Saint-Pétersbourg, 1903 (en
russe), p. 12-13. Le Sinaï possède encore deux hymnes,
l'une en l'honneur de saint Grégoire l'Illuminateur
dans laquelle les Géorgiens sont appelés le « troupeau
de saint Grégoire, » l'autre en l'honneur de sainte Nino
qui cite la Géorgie comme faisant partie de l'Église de
DICT. DE THEOL. CATUuL.
saint Barthélémy Marr, op. cit., p. 41. (On sait que
les Arméniens veulent que cet apôtre ait évangélisé
leur patrie.) Saint Georges Mtatsmindéli, higouméne
du monastère des Ibères au mont Athos, un des prin-
cipaux traducteurs géorgiens du xie siècle, reconnaît
lui-même dans la préface de ses ouvrages que les
Arméniens avaient semé la « zizanie », c'est-à-dire
l'erreur, dans les textes des Livres saints, ce qui
l'obligea à reviser les traductions existantes. Khak-
hanachvili, Histoire de la littérature géorgienne, Tiflis,
1904 (en géorgien), p. 98. Cette infiltration des erreurs
arméniennes n'indiquerait-elle pas une union très
étroite entre les deux Églises ? Il est à peu près prouvé,
du reste, qu'une bonne partie des premières traduc-
tions de l'Écriture en géorgien fut faite sur le texte
arménien.
Nous avons expliqué plus haut les raisons pour
lesquelles il nous paraît impossible d'admettre que la
conversion de la Géorgie ait été l'œuvre des Arméniens.
Mais il ne s'ensuit nullement qu'il n'ait pas existé dans
la suite une union très étroite entre les deux Églises
et que la Géorgie n'ait pas dépendu pendant un certain
temps des catholicos arméniens. Devant la concordance
des textes que nous venons de résumer nous devrions
reconnaître que l'Église arménienne exerça momenta-
nément une juridiction effective sur tout ou partie de la
Géorgie. Il faut se rappeler, en effet, que ce pays ne for-
mait pas un seul royaume, mais plusieurs principautés
plus ou moins autonomes, en sorte que certaines pro-
vinces ont pu être soumises aux catholicos arméniens
sans que la nation tout entière participât à cette dépen-
dance. A quelle époque se serait faite cette union ?
Nous en sommes réduits à des hypothèses. La partie
orientale de la Géorgie tomba sous le joug des Perses
vers 498, comme l'Arménie en 451. Ce que nous savons
de la politique religieuse des chahs nous porte à croire
qu'ils ont probablement exercé une pression sur les
Géorgiens pour les soumettre à l'Église arménienne,
afin de les soustraire par là à une autorité spirituelle
étrangère à leur empire et nécessairement suspecte au
gouvernement.
Mais aux documents arméniens on peut opposer ceux
que la Géorgie fournit et qui ne méritent pas un moindre
crédit. Les Géorgiens se font fort du reste d'expliquer
ceux que leur opposent leurs adversaires. Il est donc à
peu près impossible, dans l'état actuel de nos connais-
sances, de se faire une opinion certaine sur la dépen-
dance de la Géorgie tout entière vis-à-vis des catholicos
arméniens. Nous aimons mieux laisser en suspens une
question aussi délicate, plutôt que de donner dans un
sens ou dans l'autre une conclusion hâtive. On com-
prend tpie les Géorgiens protestent contre l'union des
deux Églises, car si elle a réellement existé, elle a cn-
1 rainé des conséquences très graves au point de vue de
la foi. Les Arméniens ayant peu à peu admis les erreurs
monophysites, les Géorgiens en auraient fait autant.
Quant aux vingt-deux évêques géorgiens qui auraient
assisté au synode de Vagharchapat, les Géorgiens affir-
ment que c'était des Aghovans qui ne sont pas de même
race qu'eux. Les auteurs arméniens semblent leur
donner raison sur ce point.
Quelles qu'aient été les relations entre les deux
Églises, une violente réaction se produisit vers la fin
du vi° siècle, plus nationale peut-être que religieuse.
Sous l'impulsion du catholicos Kvirion (Kiouron, Ky-
ron, le Quiricus ou Quirinus des latins) de Mtzkhéta,
les Géorgiens secouèrent le joug du catholicos armé-
nien et se proclamèrent partisans du concile de Chal-
cédoine. Au synode de Tvin (596 ou 597), le catho-
licos arménien Abraham excommunia solennelle-
ment les dissidents et interdit sévèrement à ses
fidèles d'aller vénérer la relique de la vraie croix à
Mtzkhéta. A cette défense, Kvirion répondit en inter-
VI. - 40
1251
GEORGIE
1252
disant aux Géorgiens de se rendre en pèlerinage aux
sanctuaires arméniens de Vagharchapat. Kvirion
écrivit au pape saint Grégoire le Grand qui lui répondit
par une lettre de félicitations. Epist., 1. IX, epist. lxvii,
/'. /.., t. lxxvii, col. 1204. Depuis cette bruyante sépa-
ration une haine profonde a régné entre ces deux peuples
voisins. Elle s'est même accrue au cours des âges par
suite de torts réciproques et garde encore aujourd'hui
toute son acuité. Vincent de Beauvais, Spéculum hislo-
riale, t. u. 1. XXX, c. xcvm, qui écrivait au xme
siècle, en donne un curieux exemple : si un Géorgien,
passant devant une église arménienne, sent une épine
lui pénétrer dans le pied, il ne doit pas se baisser pour
l'arracher afin de ne point paraître s'incliner devant
l'église arménienne. Un voyageur du xviii0 siècle,
Chardin, Voyage en Perse, Amsterdam, 1711, p. 123,
rapporte qu'ils s'abhorrent mutuellement, qu'ils ne
s'allient jamais entre eux et que les Géorgiens ont un
mépris extrême pour les Arméniens qu'ils considèrent
à peu près « comme on fait des Juifs en Europe. » Cet
antagonisme violent explique les exagérations commises
de part et d'autre à propos de l'union temporaire des
deux Églises. Les Arméniens ont certainement donné
à l'influence qu'ils exercèrent en Géorgie une impor-
tance qu'elle n'eut pas, non seulement dans les débuts
du christianisme en ce pays, mais encore plus tard,
quand leurs catholicos y jouirent d'une certaine auto-
rité. D'autre part, les Géorgiens, sans doute dans le
but louable de protester qu'ils ne sont jamais tombés
dans les erreurs monophysites, ont nié systématique-
ment touti dépendance de leur Église vis-à-vis de celle
d'Arménie. La vérité se trouve peut-être entre ces
deux affirmations extrêmes. La conclusion qui semble
s'imposer, c'est que la Géorgie orientale a très proba-
blement dépendu pendant un certain temps du catho-
licos arménien et qu'elle se laissa alors entraîner dans
le monophysisme. Quant au reste du pays, il est
impossible de dire si oui ou non il a participé à cette
dépendance.
VI. Organisation de l'Église. Autonomie. —
Les tribulations multiples par lesquelles la Géorgie a
passé pendant de longs siècles, invasions répétées des
Perses, des Arabes, des Turcs, des Mongols, occupa-
lions étrangères, divisions intestines, etc., ont fait
disparaître un grand nombre de documents précieux
dont l'absence se fait vivement sentir aujourd'hui.
Le peu qui nous en reste présente un laconisme tel
que nous connaissons fort peu de chose sur la période
qui a suivi la conversion de la Géorgie au christianisme.
Encore faut-il ajouter que ces documents sont posté-
rieurs de plusieurs siècles aux événements qu'ils
racontent, ce qui amoindrit singulièrement leur valeur,
bien que la plupart se basent sur des textes plus
anciens. En l'absence de tout autre renseignement,
nous serons cependant obligés de nous en contenter.
11 est sûr que les premiers missionnaires envoyés
en Géorgie par l'empire byzantin ont introduit dans
. ce pays la liturgie byzantine. La langue employée
dans les cérémonies fut d'abord le grec. Mais quand
l'Église fut organisée et que la traduction des Livres
saints en géorgien eut été faite, c'est la langue natio-
nale qui prévalut. On ne saurait, en l'absence de docu-
ments certains, fixer la date à laquelle s'opéra cette
transformation. Il ne semble pas cependant qu'il
Uiille la reculer plus loin que le VIe siècle. Certains
indices nous permettent aussi d'affirmer que l'influence
syrienne se fit également sentir, soit dès le début, soit
au vi c siècle, à l'arrivée des missionnnaires syriens
dont nous aurons à reparler.
Nous avons vu plus haut que les documents géor-
giens donnent au premier évêque le nom de Jean. Son
apostolat, au dire de la Chronique de Géorgie, Brosset,
op. cit., 1. 1, p. 137, fut de courte durée. L'évêque Jacques
continua l'œuvre commencée et fit pénétrer peu à peu
le christianisme dans la niasse du peuple. Malheureu-
sement, les invasions fréquentes des Perses amenèrent
çà et là le rétablissement du culte du feu. Au commen-
cement du vc siècle, la religion chrétienne avait de ce
fait subi des pertes importantes. Le roi Artchil Ier
(410-434) chassa les Perses, proscrivit le mazdéisme
et réorganisa l'Église à laquelle il donna pour chef
l'évêque Mobidan. Celui-ci, secrètement partisan du
mazdéisme, essaya sournoisement de rétablir le culte du
feu, mais il fut découvert et excommunié par un sy-
node auquel le roi avait convoqué toutes les autorités
religieuses du pays. Quelque temps après, on fit venir
de Constantinople l'évêque Michel pour présider à l'é-
ducation du roi Vakhtang (446-499). Brosset, op. cit.,
t. i, p. 151. Ce Michel, devenu plus tard chef de
l'Église géorgienne, lutta vaillamment contre les maz-
déistes qui étaient loin d'avoir disparu. A la suite de
désaccords avec le roi — peut-être défendait-il simple-
ment les droits de l'Église contre les empiétements
du pouvoir civil — ■ il se vit remplacer par un autre
prélat grec venu de Constantinople. Ce serait à partir
de celte époque, vers 471, que, d'après la Conversion de
la Géorgie, Mtzkhéta aurait reçu son premier catholicos
ou patriarche. Taqchivili, Trois chroniques historiques
(en géorgien), p. 29. La création de douze nouveaux
diocèses, qui fut la conséquence de cet acte, amena une
diffusion plus rapide du christianisme. Brosset, op. cit.,
t. i, p. 195. Une nouvelle invasion perse, plus terrible
que les autres, eut lieu vers 498, causa des ruines
innombrables et valut la palme du martyre à beau-
coup de fidèles. Vers le milieu du vie siècle, treize
missionnaires vinrent de Syrie, sous la conduite de
saint Jean Zédadznéli, et durent recommencer en
grande partie l'évangélisation du pays. C'est à cette
époque, de la fin du ive au vi" siècle, qu'il faudrait
faire remonter la traduction de l'Écriture sainte en
langue indigène et l'introduction du géorgien dans la
liturgie. Les plus anciens manuscrits de la Bible qui
existent actuellement sont, au dire des archéologues,
du vne siècle, mais ils ont été copiés sur des textes
antérieurs. Nous étudierons cette question plus loin,
quand nous parlerons de la littérature géorgienne. Dès
le milieu du vic siècle, le catholicos fut choisi parmi les
prélats géorgiens. Le premier serait Saba ou Dassaba
(542-557).
La tradition constante en Géorgie veut que l'Église
de ce pays ait dès son origine dépendu de celle d'An-
tioche. Nous retrouvons la même opinion chez les
historiens grecs ou arabes, surtout à partir du xie siècle.
Aujourd'hui encore, les deux patriarches melkites
d'Antioche, le catholique aussi bien que l'orthodoxe,
revendiquent une autorité nominale sur l'Ibérie. Que
faut-il penser de cette suzeraineté exercée par Antioche
sur la lointaine Géorgie ? Nous avons résumé plus
haut la tradition relative à l'action apostolique de
saint Eustathe et au voyage qu'il aurait accompli
dans le Caucase. Si l'on n'admet pas que ce patriarche
se soit occupé de la conversion de la Géorgie, il est bien
difficile d'indiquer à quelle date a commencé la dépen-
dance. Dans les rares documents qui nous restent, nous
ne trouvons que des traces d'une juridiction effective
et rien de plus. Il nous est même impossible de préciser
à quelle époque elle a cessé. La tradition géorgienne
veut que ce soit sous Vakhtang, vers 471, quand la
Géorgie reçut son premier catholicos ou patriarche.
Un texte de BaLsamon semble donner raison à cette
opinion. Il apprend, en efl'et, qu'une décision synodale
d'Antioche décerna à l'archevêque d'Ibérie le privilège
de l'exemption, à l'époque du patriarche Pierre,
décision qui reconnaissait l'autocéphalie à l'Église
géorgienne, mais sous le patronage d'Antioche. P. G.,
t. txxxvn, col. 320. Quel est ce patriarche Pierre ?
1253
GÉORGIE
1254
Est-ce Pierre le Foulon (471) ou Pierre II, contem-
porain de Michel Cérulaire ? D'autres textes que nous
utiliserons plus loin semblent prouver qu'il s'agit du
premier, car il serait bien difficile de les expliquer
s'il s'agissait du second. Notons cependant que
beaucoup d'auteurs modernes se prononcent en
faveur de cette dernière hypothèse. La Conversion
de la Géorgie et les Annales s'accordent à dire que,
sur la demande du roi Vakhtang, l'empereur Léon Ier
fit désigner par le patriarche d'Antioche un prélat
pour remplacer l'évèquo Michel, qui avait déplu au
souverain, et que Pierre fut choisi comme catholicos.
Les deux actes ont dû se produire en même temps.
Les Annales de la Géorgie prétendent que l'autonomie
complète fut accordée par le VIe concile œcuménique
(680), Brosset, Histoire de la Géorgie, t. i, p. 235-G32,
mais il suffit de parcourir les actes de cette assem-
blée pour se convaincre qu'elle ne s'est pas occupée
de la Géorgie. Par contre, le moine melkite Nicon,
Bibliothèque Vaticane, Codices arabici, n. 76, p. 3G7,
et Éphrem le jeune, Brosset, op. cit., t. i, p. 229, tous
deux du xie siècle, résument un récit d'après lequel
deux moines géorgiens vinrent à Antioche, sous l'em-
pereur Constantin Gopronyme (741-775) et le patri-
arche Théophylacte (745-751), pour y exposer la
situation lamentable dans laquelle se trouvait leur
pays par suite de la conquête arabe. Il n'y avait
plus de catholicos depuis la mort de l'empereur Ana-
stase Ier (610). Les persécutions des infidèles avaient
jusque-là empêché les Géorgiens de recourir à Antioche.
Le patriarche assembla un synode et sanctionna un
acte en vertu duquel les évêques géorgiens étaient
autorisés à se réunir et à consacrer le catholicos qu'ils
auraient élu. Celui-ci n'avait plus d'autre obligation
vis-à-vis d'Antioche que de faire mention du patriarche
dans la liturgie et de payer une redevance annuelle.
Cette somme fut constamment acquittée jusqu'à
l'époque du patriarche Jean III (987-1010) qui céda
son droit à son collègue de Jérusalem. Le patriarche
d'Antioche se réserva aussi le droit d'intervenir dans
les troubles suscités par l'hérésie et d'envoyer dans ce
but un exarque en Géorgie. C'est ainsi qu'un patriarche
du nom de Théodore, Théodore Ier (751-753) ou Théo-
dore II (970-975) ou encore Théodore III (1034-1042),
envoya Basile le grammairien pour combattre l'hérésie
des Akakhtiens, dont nous ne connaissons que le nom.
En résumé, on peut admettre qu'après avoir été gou-
vernée par un catholicos qui tenait son autorité du
patriarche d'Antioche, l'Église géorgienne a obtenu
son autonomie religieuse vers le milieu du vm6 siècle,
peut-être même auparavant.
VII. Histoire politique du Ve au xme siècle. —
Quand le roi Vakhtang Gourgaslan, c'est-à-dire Loup-
Lion (446-499), monta sur le trône, la Géorgie était la
proie de ses voisins, surtout des Perses. Il battit les uns
après les autres les ennemis de son pays et le croyait
complètement libre lorsqu'il succomba glorieusement
avec son armée sous les coups des Perses. Ses succes-
seurs ne conservèrent qu'une autorité fort diminuée.
L'un d'entre eux, Bacour III (557-570), laissa des fils
mineurs qui, par peur des Perses, furent obligés de se
réfugier dans les montagnes. La famille des Bagratides,
appuyée par l'étranger, en profita pour reprendre le
gouvernement du pays et se substituer à la dynastie
sassanide. Ce sont les Bagratides qui ont régné sur
la Géorgie jusqu'à la fin du xvme siècle, au moment
où s'accomplit l'annexion à la Russie. Les Byzantins
avaient déjà réussi à s'emparer de la Géorgie occiden-
tale. L'empereur Maurice obtint la cession complète de
tout le pays et nomma curopalate, c'est-à-dire maré-
chal du palais, le roi Gouram (575-600), un Bagratide.
Cette suzeraineté de Byzance dura un demi-siècle
environ. Héraelius traversa la Géorgie dans sa marche
victorieuse contre Chosroès. Dès 642, les Arabes firent
leur apparition sous la conduite de l'émir Merwàn-Qrou
et semèrent les ruines un peu partout. En 717, un autre
émir, Iazîd, conquit à son tour la Géorgie, réduisant
les rois indigènes au rôle de simples exécuteurs de ses
ordres. Le Turc Bougha, venu de Bagdad, défit les
Arabes et ravagea le pays en 851. La Géorgie ne
retrouva son indépendance momentanée que sous
David le Curopalate dont l'intervention rendit à
Byzance un service précieux par la défaite du rebelle
Scléros (976). Il avait à peine réorganisé son royaume
que les Turcs Seldjoukides fondirent dessus et le
ruinèrent (seconde moitié du xie siècle). David II, le
Restaurateur (1089-1125), les chassa et fonda un
royaume qui allait de la mer Caspienne à la mer Noire,
de la chaîne du Caucase à la province de Kars. La
Géorgie connut son complot épanouissement sous la
reine Thamar (1185-1212), dont le nom est resté juste-
ment célèbre dans son pays.
VIII. L'Église géorgienne du vi° au xme siècle.
— Les épreuves multiples par lesquelles passa la
Géorgie durant cette époque troublée firent nécessai-
rement sentir leur contrecoup dans l'Église. Les musul-
mans usèrent de tous les moyens pour répandre leur
religion parmi le peuple. La constance des chrétiens
fut assez bonne pour que de nombreux martyrs répan-
dissent leur sang pour défendre leur foi. Les plus
célèbres sont saint Daniel et saint Constantin, mis à
mort vers 715, après avoir vaillamment combattu
pour leur pays, Brosset, op. cit., t. i, p. 262, le saint roi
Artchil, qui trouva une mort glorieuse vers 727, en
réclamant à l'émir Dchidchoun la liberté pour sa
patrie, et saint Gobroni, vers 912. Brosset, op. cit.,
1. 1, p. 275. On a conservé la vie de deux autres martyrs,
saint Abo de Tiflis, vers 786, et saint Constantin, prince
royal, mis à mort à l'âge de quatre-vingt-cinq ans par
le chef turc Bougha, en 853. Lebeau, Histoire du Bas-
Empire, t. xiii, p. 47, note 3. Enfin, il faut signaler le
martyre de saint Néophyte, évêque d'Urbnissi
(ixe siècle), ancien chef mulsuman converti au chris-
tianisme par le spectacle de la vie religieuse. Acta
sanclorum, octobris t. xn, 1885, p. 642.
Heureusement pour l'Église géorgienne, la puissance
musulmane décrut beaucoup vers la fin du xe siècle,
sans quoi elle aurait peut-être subi le sort d'autres
chrétientés orientales et disparu entièrement. Quand
les Bagratides reprirent le gouvernement du pays, une
réforme profonde s'imposait. Le clergé, cupide et
corrompu, se montrait inférieur à sa tâche au milieu
des églises en ruines. L'arrivée des Turcs Seldjoukides,
dans la seconde moitié du xie siècle, sema une fois de
plus la désolation en Géorgie. Brosset, op. cit., t. i,
p. 347. La persécution s'abattit terrible sur les fidèles
qui n'avaient pas pu trouver un refuge dans les mon-
tagnes. David II le Restaurateur (1089-1125) réussit à
repousser l'envahisseur et songea à profiter de ses
victoires pour rétablir l'ordre dans l'Église et dans
l'État. C'est pendant son règne que parurent les pre-
mières écoles régulièrement organisées, où l'on enseigna
la religion, la grammaire, les mathématiques et le
chant. L'école d'Arsène, dans la ville d'Icalto, forma
une génération d'hommes célèbres, entre autres le
fameux poète Chota Roustavéli, l'auteur de la Peau
de léopard. Pour compléter l'instruction des jeunes
gens, David II en envoya quarante au mont Athos,
où ils devinrent de remarquables traducteurs de livres
ecclésiastiques. Il fut lui-même bon théologien et bon
chrétien. Il organisa, en plusieurs points de son vaste
royaume, des hôpitaux et des asiles. C'est à lui qu'on
doit la célèbre cathédrale de Guélati, un des plus beaux
monuments de l'architecture géorgienne. Khakhanofï,
Histoire de Géorgie, Paris, 1900, p. 42. Il réunit aussi
un concile dans le but d'amener les Arméniens à
1255
GEORGIE
1256
renoncer au schisme et à l'hérésie. Brosset, op. cit., t. i,
p. 375. Cette tentative généreuse échoua complètement,
ainsi que toutes celles que les Géorgiens essayèrent dans
la suite.
La reine Thamar (1184-1212) s'occupa, elle aussi, de
réformes ecclésiastiques. Elle réunit un concile, princi-
palement dans le but de mettre fin aux abus introduits
par le catholicos Michel. Nous ne connaissons malheu-
reusement pas les décisions que prit cette assemblée,
car ses actes ne nous sont point parvenus. Brosset,
op. cit., t. i, p. 405. Beaucoup d'églises actuelles
remontent au règne de la reine Thamar qui se plut à
orner les sanctuaires. Parmi les chefs de l'Église de
cette époque, deux se rendirent célèbres par leurs
ouvrages, Arsène II (946-976) et Nicolas, démission-
naire en 1170.
IX. La vie religieuse en Géorgie. — Il est
impossible de préciser la date à laquelle la vie reli-
gieuse fit sa première apparition en Géorgie. Cepen-
dant, nous ne croyons pas que le monachisme ait
attendu plus tard que le vc siècle pour faire des
conquêtes parmi les Ibères. En effet, il jouissait à
cette époque d'une popularité très grande dans tout
l'Orient. De plus, les apôtres et les organisateurs de
l'Église en Géorgie n'avaient sans doute pas manqué
d'utiliser un moyen aussi propre à assurer la diffusion
de la vraie foi. Enfin, dès ce moment on signale des
moines géorgiens en Palestine. En tout cas, la vie reli-
gieuse était en pleine floraison au vie siècle. Les treize
missionnaires venus de Syrie, vers le milieu de ce
siècle, lui imprimèrent un élan merveilleux. Le pays
se couvrit de monastères que la piété des princes et
des simples fidèles se plut à doter richement. Les plus
célèbres furent ceux qu'établirent trois des mission-
naires syriens, Jean, David et Chio. Saint Jean, chef
de la mission, s'établit sur la montagne de Zaden,
ce qui lui valut le nom de Zédadznéli. Son monastère
fut détruit au xne siècle par les Turcs Seldjoukides.
.lordania, Chroniques, t. i, p. 73. Plus heureux que
celui-là, ceux que fondèrent saint David Garedjéli à
Garedja et saint Chio Mgviméli à Mgvimé, survécurent
malgré les vicissitudes par lesquelles ils durent passer,
à la suite des différentes invasions. Celui de Saint-
Chio, très peuplé, fut de tous les couvents géorgiens
le plus important, principalement à cause de l'in-
fluence qu'il exerça sur le développement de la science
ecclésiastique et de la vie de piété. Celui de Guélati,
près de Routais, fondé au xe siècle, peut seul être
considéré comme son rival sur ce point. La vie
religieuse devint tellement intense en Géorgie que,
non contente de couvrir le pays de couvents, elle
déborda encore sur l'empire byzantin, ainsi que nous
le verrons un peu plus loin. En 1765, le prince Vak-
houcht, fils de Vakhtang VI, comptait dans sa Descrip-
tion de la Géorgie, 79 monastères, ruinés pour la
plupart : 16 dans le Samtzkhé, 48 dans la Karthlie,
11 dans la Kakhétie et 4 dans l'Imérétie. Cf. Vak-
lioucht, Description géographique de la Géorgie, trad.
de Brosset, Saint-Pétersbourg, 1842. Pour être complet,
il faudrait ajouter à cette liste les couvents des autres
parties du pays, comme la Mingrélie et le Lazique. Ces
chiffres sont une preuve évidente de l'intensité que la
vie chrétienne avait reçue au cours des siècles et de la
ténacité avec laquelle les fidèles relevaient de leurs
ruines sans cesse renouvelées les sanctuaires du mona-
chisme. Nous ne possédons malheureusement que fort
peu de chose sur ces nombreux monastères. Les
bibliothèques de Tiflis et des autres villes de la Géorgie
montrent bien avec orgueil un grand nombre de manu-
scrits qui en proviennent, mais ils ne contiennent que
de très minimes détails sur la vie religieuse du pays.
X. Les Géorgiens dans l'empire byzantin. — ■
Les (zéorgiens suivirent le mouvement qui entraînait
les populations orientales, principalement celles de la
Cappadoce, vers les Lieux saints. Dès la fin du ive siècle,
un des leurs, Évagre, faisait déjà retentir l'Orient de
ses démêlés théologiques avec saint Jérôme. Un siècle
plus tard, Pierre l'Ibère, évêque de Maïouma, près de
Gaza, qu'on accuse à tort ou à raison d'avoir favorisé
l'hérésie eutychienne, faisait de nouveau connaître
en Palestine la race géorgienne. Baabe, Pctrus der
lberer, Leipzig, 1895. Les pèlerinages amenèrent tout
naturellement la fondation des monastères. Procope,
De asdiftciis, 1. V, c. ix, apprend que Justinien répara
le couvent des Ibères dans la Ville sainte et celui des
Lazes dans le désert de Jérusalem. Celui de la ville
aurait été fonde sous le roi Vakhtang (446-499).
Quant à celui des Lazes, on a voulu l'identifier avec
le célèbre monastère de Sainte-Croix. S'il faut en croire
les historiens géorgiens, c'est Pierre l'Ibère, fils du roi
Bacour, qui fonda le couvent de Saint-Sabas. En tout
cas, le nom de ce monastère revient à chaque instant
sous la plume des chroniqueurs nationaux; les princes
lui envoient de riches présents, ce qui indique au
moins qu'il y avait là des moines géorgiens. Il semble
même qu'ils y possédaient une église particulière,
comme les Arméniens. La conquête arabe arrêta
forcément le mouvement qui portait les Géorgiens vers
les Lieux saints. Le Commemorcdorium de casis Dei cl
monaslcriis, dans Itincra Hierosolymilana, Genève,
1880, t. i, p. 302, signale cependant, vers 808, plusieurs
de leurs moines au mont des Oliviers et à Gethsémani.
Vers 1050, le roi Bagrat, curopalate, aurait reçu,
grâce à l'empereur byzantin, la moitié du Calvaire et y
aurait établi un évêque de sa nation. Palestine explo-
ration fund, Quarterly statement, 1911, p. 185. Un peu
avant la fin du même siècle, les Géorgiens bâtissent le
couvent de Saint-Jacques le Majeur qui est depuis
passé aux Arméniens. Quant au monastère de Sainte-
Croix, il fut restauré (peut-être simplement fondé)
vers 1040 par le moine Prokhoré, ruiné par les Turcs
Seldjoukides trente ans plus tard et rebâti aussitôt
après l'arrivée des croisés. Une légende, qui s'est très
probablement formée à cette époque, y place le lieu
où fut coupé l'arbre dont on fit la croix du Sauveur.
Sainte-Croix fut un foyer de science ecclésiastique dont
l'influence se faisait sentir fortement en Géorgie où
ce monastère possédait de nombreuses propriétés.
La bibliothèque patriarcale grecque de Jérusalem
possède 147 manuscrits géorgiens qui en viennent.
L'église est encore couverte de peintures et d'inscrip-
tions laissées par les moines géorgiens. Ceux-ci conser-
vèrent le couvent jusqu'en 1685, époque à laquelle ils
durent le céder aux grecs. Leur conduite relâchée et
les dépenses excessives qu'ils firent les obligèrent, en
effet, à vendre successivement le Calvaire où ils avaient
été les maîtres pendant trois siècles, le couvent de
Saint-Jacques et huit ou dix autres qu'ils possédaient
dans la ville de Jérusalem. B. Janin, Les Géorgiens à
Jérusalem, dans les Échos d'Orient, 1913, p. 32, 211.
On trouve encore des Géorgiens dans plusieurs
autres monastères de Palestine, mais nous avons trop
peu de renseignements sur eux pour en parler avec
plus de détails. Nous avons vu que celui de Saint-
Sabas eut toujours à leurs yeux une importance consi-
dérable. Poussant plus loin encore leur désir de la
solitude, les Géorgiens allèrent jusqu'au mont Sinaï
où leur présence se révèle encore de nos jours par un
bon nombre de manuscrits. En Syrie, ils peuplaient
plusieurs monastères, dans les environs d'Antioche.
Ils s'y montrèrent même assez frondeurs vis-à-vis des
patriarches pour que le pape Grégoire IX leur écrivît
en même temps qu'aux Arméniens et aux grecs pour
les faire rentrer dans l'obéissance, en 1239. Archives
Vaticanes, Rcg. 19, fol. 40, n. 199. On trouve encore
des moines géorgiens en Chypre, au mont Olympe de
1257
GEORGIE
1258
Bithynie, dans les environs de Constantinople et de
Thessalonique. Tamarati, Église géorgienne, Rome,
1910, p. 315 sq.
Le mont Athos ne pouvait manquer de les attirer
nombreux. Ils y occupèrent pendant longtemps le
monastère qui porte encore leur nom, celui d'Iviron ou
des Ibères (xûv 'I6riptov). D'après un vieux manuscrit
géorgien de 1074, ce couvent fut fondé vers 971 par
un des seigneurs de la cour de David le Guropalate,
nommé Jean, qui avait d'abord pratiqué la vie reli-
gieuse au mont Olympe. Le nouvel higoumène vit
bientôt accourir auprès de lui une foule de ses compa-
triotes de toute condition, parmi lesquels plusieurs
personnages officiels. Tel ce Tornic, ancien général,
qui sortit momentanément de sa solitude pour com-
battre le rebelle Scléros (976). Le couvent des Ibères
au mont Athos devint, lui aussi, un foyer de science
ecclésiastique où l'on s'occupait surtout de traduire les
œuvres des Pères de l'Église grecque et de reviser les
anciennes versions de l'Écriture sainte et des livres
liturgiques. Ce fut même lui qui exerça le plus d'in-
fluence sur toute la nation. Les plus célèbres de ses
higoumènes furent, après Jean, saint Euthyme (964-
1028) et saint Georges Mtatsmindéli (1014-1066) qui
traduisirent en géorgien de nombreux ouvrages grecs.
Journal asiatique, 6e série, 1867, t. i, p. 333 sq. Au
xvie siècle, le monastère tomba aux mains des grecs
qui en ont depuis lors jalousement interdit l'entrée aux
Géorgiens, mais sans tirer aucun profit de la riche
collection de manuscrits laissée par les partants.
XI. Histoire politique du xme au xixe siècle.
— Après les règnes glorieux de David le Restaurateur
et de la reine Thamar, la Géorgie commença à con-
naître la décadence, à cause de la corruption de la
noblesse et des divisions nombreuses qui affaiblissaient
le pays. Les Mongols de Gengis-Kban ne tardèrent pas
à lui infliger un châtiment terrible en 1220-1221. Puis
ce fut le tour de Djélal-ed-Din, sultan du Khorassan,
qui ravagea la Géorgie de 1226 à 1230. Les Mongols
revinrent en 1236. La reine Roussoudane implora
alors contre eux le secours du pape Grégoire IX (1240),
qui ne put malheureusement rien entreprendre pour la
secourir. Finalement, les Géorgiens se résignèrent à
accepter la domination des Mongols dont ils devinrent
tributaires, vers la fin du xme siècle. Ils servirent
même pendant longtemps dans les armées de leurs
vainqueurs. Georges V, dit le Brillant (1318-1346),
réussit à se débarrasser de la tutelle des Mongols de
Perse, alors très affaiblis, et reconstitua son royaume.
Quarante ans après sa mort, Timour-Leng (Tamerlan)
fit une première apparition en Géorgie en 1386 et
renouvela à plusieurs reprises ses dévastations pendant
une vingtaine d'années. Brosset, op. cit., t. i, p. 652.
Le pays se releva un peu sous Alexandre Ier (1413-1442).
Le partage du royaume entre les fils de ce prince mit
de nouveau la division et accéléra la ruine. Cependant,
plusieurs rois cherchèrent à s'allier avec l'Occident
pour une croisade contre les Turcs, mais ces démarches
n'obtinrent pas de résultat. La chute de Constantinople
(1453) eut pour conséquence un encerclement plus
redoutable de la Géorgie. Turcs et Persans s'immis-
cèrent dans les querelles intérieures pour s'en attri-
buer les lambeaux. En 1469, le pays se démem-
bra en trois royaumes et cinq principautés. Les
princes qui gouvernaient cette malheureuse contrée
durent accepter officiellement l'islamisme pour conser-
ver leur trône. Quelques-uns restèrent secrètement
fidèles à la religion chrétienne, mais ce ne fut qu'une
exception. La Géorgie fut souvent dès lors le champ
de bataille où les deux puissants empires musulmans
se disputèrent la prédominance. Les Turcs pénétrèrent
dans la Géorgie occidentale en 1577 et la soumirent
tout entière. De leur côté, les Persans, conduits par
Abbas le Grand (1577-1628), s'attaquèrent à la Géorgie
orientale et la mirent au pillage. Abbas emmena
vers 1615 un million d'habitants environ qui furent
dispersés clans les différentes provinces de l'empire et
qu'il remplaça par des Arméniens et des Persans.
Nouvelle invasion en 1633 pour châtier le roi Téimou-
raz Ier qui avait relevé la tète. La Géorgie sembla
renaître sous Vakhtang VI (1703-1737), bien que ce roi
fût obligé de vivre assez longtemps loin de sa patrie. Le
relèvement s'accentua encore sous Héraclius II (1744-
1798) dont les victoires assurèrent pendant quelque
temps la tranquillité au royaume. Cependant le danger
de plus en plus pressant lui fit conclure une alliance
qui eut des conséquences funestes pour la Géorgie. En
1783, il se reconnut vassal de la Russie, ce qui lui attira
les vengeances du chah de Perse, Agha-Moliammed
Khan (1795). Son fils Georges XII (1798-1800) fut le
dernier roi de Géorgie. En 1801, l'empereur Alexan-
dre Ier proclama l'annexion de la Grousie ou Géorgie
proprement dite. La Mingrélie fut occupée en 1803,
la Gourie en 1810 et l'Imérétie enfin en 1814. Tout
le pays devint alors une simple province de l'empire.
La tyrannie des Russes remplaça dès lors celle des Turcs
et des Persans.
XII. L'Église géorgienne du xnie au xixe siècle.
— Nous venons de voir par quelles tribulations passa
la Géorgie du xme au xixc siècle. Cette période de
troubles intérieurs et d'invasions de la part des musul-
mans fut pour l'Église des plus funestes. Cependant il se
produisit pour elle une cause nouvelle de relèvement
intérieur. Ce sont les relations assez étroites que les
rois et les catholicos entretinrent avec Rome à partir
du règne de Roussoudane (1223-1247). Comme ces
rapports ont reçu dans la suite un développement
considérable, nous préférons leur consacrer une étude
spéciale.
Une question se pose tout d'abord. A quelle époque
la Géorgie s'est-elle séparée de l'Église catholique ? On
n'a encore trouvé aucun document, ni chez les écri-
vains indigènes ni chez les étrangers, qui puisse donner
quelques précisions sur ce point. On sait du moins que
les Géorgiens restèrent en général étrangers aux que-
relles suscitées à Rome par la sophistique byzantine.
Cependant, les moines du mont Athos durent très
probablement y prendre part et leur influence a pu
contribuer à détacher la Géorgie de l'Église universelle.
Leur indépendance ecclésiastique vis-à-vis des pa-
triarches byzantins atténua certainement l'animosité
des Géorgiens contre Rome, car il ne s'agissait pas pour
eux d'une question nationale. Les guerres interminables
qu'ils avaient à soutenir contre des ennemis sans cesse
renouvelés ne leur permettaient pas d'ailleurs de se mêler
beaucoup à ces querelles de théologiens. Jusqu'à la fin
du xiic siècle, ils continuèrent de faire mention du pape
dans leurs offices, au même titre que des patriarches
grecs. Brosset, op. cit., t. i, p. 457; Jordania, op. cit.,
t. i, p. 140, 142, 152. Il est probable que la séparation
s'est faite insensiblement, à cause du manque de rela-
tions entre la Géorgie et le monde occidental. Hono-
rius III, dans une lettre adressée en 1224 à la reine
Roussoudane, ne considère pas celle-ci comme schis-
matique, puisqu'il lui accorde ainsi qu'à son peuple
l'indulgence apostolique. Grégoire IX ne parle pas non
plus de séparation dans une bulle de 1233. Archives
Vaticanes, Reg. Val., 17, fol. 6. Toutefois, dans une
lettre que Roussoudane écrit au pape, elle lui promet,
si elle reçoit du secours contre les Mongols, de s'unir avec
tout son peuple à l'Église catholique. C'est la première
fois qu'on entend parler du schisme des Géorgiens.
Dans la réponse qu'il fit en 1240 à la reine et à son fils
David, Grégoire IX constate la séparation en ces
termes : « Aussi faut-il, très chers fils, que vous et vos
sujets reconnaissiez humblement le pontife romain,
1259
r.rcoRGTE
1200
successeur de Pierre et vicaire du Christ, comme le
Père et le chef de notre foi. Regrettez de n'avoir pas
suivi dans le passé cette ligne de conduite et efforcez-
vous de vous réunir à lui et à l'Église romaine
et de lui obéir en ce qui regarde le salut de votre
âme. » Archives Vaticanes, Beg. Val., lu, n. 198,
fol. 142.
Dans l'impossibilité de tracer, faute de documents
remontant à cette l'époque, une histoire complète de
l'Église géorgienne pendant les six siècles qui nous
occupent, nous nous bornerons à signaler les faits les
plus saillants qui sont parvenus jusqu'à nous Le catho-
licos Nicolas 11 n'hésita pas, vers 1245, à se présenter
devant le chef mongol Houlagou pour lui demander
d'empêcher le pillage des églises et des monastères que
ses chefs pratiquaient couramment sous prétexte de
lever l'impôt. Cette démarche hardie réussit pleine-
ment. Brosset, Histoire de la Géorgie, t. i, p. 541. En
1280, le même catholicos réunit un synode de tous les
évêques pour réprimer les abus du roi Démétrius II
(1273-1289) qui dissipait les biens ecclésiastiques. Ce
fut en vain, car le prince continua ses rapines. Son
exemple ne fut que trop imité par les seigneurs géor-
giens. Le clergé était loin d'ailleurs de se montrer à la
hauteur de sa tâche et ne manifestait pas une moindre
avidité de richesses. Cependant, Démétrius revint à
des sentiments plus chrétiens. Comme il avait cherché
à se soustraire au joug du redoutable Houlagou, celui-
ci lui ordonna de venir à son camp pour rendre compte
de sa conduite. Démétrius s'y rendit, malgré les sup-
plications du clergé et des fidèles, afin d'épargner à
son peuple un châtiment terrible et mourut dans les
supplices en victime volontaire. Brosset, op. cil.,
t. i, p. 608. L'Église géorgienne l'honore comme un
martyr.
Georges V le Brillant (1318-1346) réunit, lui aussi,
le catholicos et les évêques en un synode qui réforma
le clergé, rétablit la discipline ecclésiastique, ramena
les moines à l'observation de leurs règles et mit fin
aux désordres qu'avait causés la domination des
infidèles. La période de calme et de tranquillité que
ses victoires avaient assurée à son pays ne dura
pas longtemps. En 1386, Timour-Leng commençait
les redoutables incursions qui devaient se renouveler
pendant une vingtaine d'années. La religion fut de
nouveau persécutée, les chrétiens martyrisés, les
églises et les monastères pillés et dévastés. Alexan-
dre Ier (1414-1442) travailla à relever de leurs ruines
et l'Église et l'État. A partir du milieu du xve siècle,
nous ne savons à peu près rien de l'Église géorgienne
jusqu'aux premières années du xvnc siècle, sauf les
tentatives de rapprochement avec Rome et le succès
de la mission catholique. Nous en reparlerons plus loin.
Les luttes des Turcs et des Perses dont la Géorgie fut
longtemps la victime accumulèrent les ruines et aug-
mentèrent malheureusement aussi le nombre des
apostats. En beaucoup d'endroits, le christianisme fit
place à la religion du Prophète. Les rois et les nobles
donnèrent d'ailleurs un exemple funeste en acceptant
l'islamisme pour conserver leur situation. La religion
nouvelle, mêlée aux restes du paganisme ancien et au
christianisme, produisit cette» triple foi » dont parlent
les missionnaires catholiques et les ambassadeurs
russes. Khakhanoff, Histoire de Géorgie, Paris, 1900,
p. 61. La corruption des grands fut bientôt égalée
par celle du clergé. Les catholicos eux-mêmes n'étaient
plus qu'un jouet entre les mains des rois imposés au
pays par les Turcs ou les Persans. Vers 1625, les habi-
tants de la principauté de Samtzkhé, dans la Géorgie
occidentale, passèrent presque tous à l'islamisme qu'ils
pratiquent encore aujourd'hui. Dubois de Monpéreux,
Voyage autour du Caucase, Paris, 1839, t. i, p. 299. Un
peu avant cette date, un certain nombre de catholiques
de la même province, voyant que les Turcs ne persé-
cutaient pas les Arméniens parce que ceux-ci leur
rendaient de grands services en leur servant d'espions,
embrassèrent le rite arménien pour se mettre à l'abri
des vexations. Tamarati, op. cit., p. 478. Dans la
Géorgie orientale, les Persans se conduisaient à peu
près de la même façon que les Turcs dans la Géorgie
occidentale. Abbas le Grand (1557-1628) surpassa
tous les autres chahs par sa tyrannie et sa haine contre
les chrétiens. Un jour de Pâques, il massacra plu-
sieurs centaines de moines (5 000, s'il faut en croire les
documents géorgiens) dans le monastère de Saint-
David de Garédja. Pour mieux ruiner la Géorgie, il
déporta dans les différentes provinces de la Perse un
million environ de chrétiens qui, petit à petit, perdirent
leur foi pour embrasser l'islamisme (vers 1615).
Archives de la Propagande, Pcrsia, Giorgia, Mengrelia
e Tarlaria, t. ccix, p. 321; Pietro délia Valle, Viaggi,
Bologne, 1687, p. 198 sq. Parmi les martyrs les plus
célèbres qui moururent victimes de la persécution
d' Abbas, il faut citer le roi Louarsab (1623), Brosset,
Histoire moderne de la Géorgie, t. il, p. 51, et la reine
Kétévan de Kakhétie (1624), Archives de la Propa-
gande, Scritlurc riferite, Giorgia, t. i, p. 14, et le
confesseur de cette reine, le moine Moïse. Figueroa
D. Garcias de Silvia, L'ambassade en Perse, de 1617
à 1627, Paris, 1667, p. 134, 346.
A partir de cette époque jusqu'au rattachement de
la Géorgie à la Russie, nous ne connaissons plus guère
l'Église de ce pays que par les relations qu'elle entretint
avec les missionnaires latins. Un des catholicos qui
ont le plus fait pour assurer l'union avec Rome,
Antoine Ier (1744-1788), travailla d'abord à réformer
le clergé et le peuple. Dans un synode qui réunit tous
les évêques de Karthlie et de Kakhétie, il fit prendre
les plus sages décisions pour améliorer les mœurs
publiques, particulièrement en ce qui concerne les
empêchements de mariage. Le zèle avec lequel il pro-
tégeait la mission catholique fut la cause de sa perte.
A l'instigation du patriarche grec de Constantinople,
Cyrille V, qui voyait d'un très mauvais œil toute
tentative de rapprochement avec le monde catholique,
le roi Téïmouraz le destitua et le chassa du pays,
en 1755. Archives de la Propagande, Monte Caucaso,
t. iv, p. 72. On lui donna pour successeur un certain
Joseph (1755-1763), sous le pontificat duquel le roi
Héraclius II réunit une assemblée d'évêques pour
rétablir la discipline parmi le clergé. Le roi présenta
onze articles de lois à l'assemblée qui les approuva à
l'unanimité. La charte se trouve au Musée ecclésias-
tique de Tiflis, sous le n. 856. Antoine Ier, réfugié en
Russie, sembla oublier pendant son exil la faveur qu'il
avait accordée au catholicisme, car il fit constamment
profession de foi orthodoxe. Cependant il écrivit à la
même époque un ouvrage sur le Miserere, dans lequel il
se prononce ouvertement pour la primauté du pape. Il
revint en Géorgie à la mort du roi Téïmouraz, en 1781,
et occupa de nouveau le siège patriarcal jusqu'à sa
mort, en 1788. Il fut le premier prélat géorgien à se
rapprocher de l'Église russe et à en introduire les
usages dans sa patrie. Ce zèle russophile lui valut
même l'honneur de prendre place parmi les membres
du saint-synode. Malgré cette conduite équivoque, il
paraît cependant être toujours resté attaché à la foi
catholique et les missionnaires latins nous affirment
qu'il la confessa encore sur son lit de mort. Tamarati,
op. cit., p. 384. Très érudit lui-même, Antoine I"
donna une grande impulsion aux études ecclésiastiques
en rétablissant les séminaires et les écoles. Son succes-
seur, Antoine II (1788-1811), fut le dernier catholicos
que la Géorgie ait connu.
XIII. La Géorgie occidentale. — De bonne
heure, la Géorgie occidentale, appelée aussi Colchide,
12fit
GEORGIE
1262
s'était détachée du royaume pour former plusieurs
petits États, soumis d'abord aux Romains, puis aux
empereurs byzantins. Elle prit alors le nom de Lazique,
sous lecpiel on comprend toutes les tribus géorgiennes
qui habitaient au sud de l'Ingour et le long des côtes
de la mer Noire. La seule marque de dépendance de
ces États vis-à-vis de la cour de Byzance était une
espèce d'investiture que les basileis accordaient aux
nouveaux rois en leur envoyant les insignes de leur
dignité. L'empire byzantin avait fait des habitants
de ces provinces des garde-frontière destinés à barrer
la route aux envahisseurs. Les Perses virent dans la
conquête de Lazique un moyen sûr d'atteindre plus
facilement Constantinople. C'est pourquoi ils entre-
prirent contre les Byzantins une guerre longue et
acharnée, surtout à partir du règne de Justinien. Le
Lazique resta néanmoins sous la dépendance de
Constantinople jusqu'au commencement du xe siècle.
A cette époque, il fit son union au royaume de Géorgie
d'Abkhasie (Aphkhazétie en géorgien). Cette union
dura pendant plus de cinq siècles, jusqu'au partage de
la Géorgie entre les trois fils d'Alexandre Ier (1442).
De quel patriarcat dépendait l'Église du Lazique ?
Au moins depuis 628, année qui marqua l'écrasement
des Perses par Héraclius, sinon plus tôt, la Géorgie
occidentale fut soumise à la juridiction de Constan-
tinople. Dans une Notilia episcopatuum, composée
vers 650 et publiée par Gelzer, Ungedrucklc und
ungenùgend verôffentlichle Texte der Notiliœ episco-
patuum, dans Abhandlungen der k. bayer. Académie
der Wissenschaflen, Munich, 1900, p. 542 sq., le Lazi-
que forme une province ecclésiastique, dont le chef,
le métropolite de Phasis, étend sa juridiction sur
quatre suffragants, les évèques de Rhodopolis, de
Saésines, de Pétré et de Ziganes. On signale aussi
dans la même liste un évèché autocéphale en Abasgie.
Nous ne savons pas combien de temps dura la juri-
diction de Constantinople sur cette province lointaine.
En tout cas, le lien de dépendance n'existait plus au
début du xe siècle. Dans une autre Notitia episco-
patuum de cette même époque, Gelzer, op. cit., p. 357,
on trouve bien encore une province ecclésiastique
portant le nom de Lazique, mais elle ne comprend pas
des territoires vraiment géorgiens. La métropole,
Trébizonde, commande à sept évêchés suffragants
situés à peu près tous en Arménie. Les sièges indi-
qués vers 650 n'y figurent plus.
Du xc siècle à la fin du xive, la Géorgie occidentale
releva probablement du catholicos de Mtzkhéta. Mais
en 1390 nous la voyons gouvernée par un catholicos
particulier, du nom d'Arsène. Le domaine de ce
dernier comprenait l' Aphkhazétie, c'est-à-dire l'Imé-
rétie, la Mingrélie, le Gouria, le Samtzkhé, la Svanétie
et l'Aphkhazétie proprement dite. Le catholicos rési-
dait ordinairement à Bidchvinta ou Btunsta, dont
l'église célèbre passait pour avoir été bâtie par l'apôtre
saint André lui-même (1). L'origine de ce catholicat de-
meure plus obscure que celle du catholicat de Mtzkhéta.
Il est impossible de trouver dans les documents qui
nous restent de cette époque aucune indication ni sur
la date de son érection, ni sur les circonstances qui l'ont
accompagnée, ni sur le nombre des titulaires. La
division politique de la Géorgie en plusieurs princi-
pautés ne semble pas avoir été la cause principale de
cette séparation ecclésiastique. Tamarati, op. cit.,
p. 397. Il est probable que les patriarches d'Antioche
regrettaient d'avoir reconnu l'autonomie à l'Église
géorgienne, surtout depuis que les conquêtes arabes
avaient singulièrement amoindri leur puissance. On
a des preuves certaines qu'ils cherchèrent à profiter
des divisions qui existaient en Géorgie pour reprendre
au moins une partie de leur juridiction ancienne. On
peut citer, entre autres, des lettres adressées au catho-
licos de Mtzkhéta par des évoques du Samtzkhé,
dans lesquelles ils avouent s'être laissé entraîner par
les émissaires grecs. Ils promettent de ne plus en rece-
voir et de ne plus même faire mention du patriarche
d'Antioche à la liturgie. Jordania, Chroniques, t. iv,
p. 227, 265, 315. De même une charte de Dorothée,
patriarche d'Antioche (1484-1523), adressée à Mzéd-
chabouc, prince du Samtzkhé, fait les plus grands
éloges de lui et des évêques de la région, tandis qu'elle
traite d'impie et d'infidèle le roi de Géorgie, ce qui
semble indiquer une flatterie intéressée. Jordania, op.
cit., p. 316. Michel, patriarche d'Antioche, serait venu
dans la Géorgie occidentale vers 1470 pour régler diffé-
rentes affaires ecclésiastiques. Il aurait aussi sacré le
catholicos Joachim, qui n'est pas autrement connu.
Jordania, op. cit., p. 294. Un autre patriarche d'An-
tioche, Macaire III (1643-1672), vint plusieurs fois en
Géorgie au cours du xvne siècle. Jordania, op. cit.,
p. 482.
Le catholicos le plus célèbre de l'Aphkhazétie est
Evdémon Tchkhétidzé, mort en 1605, auteur de vingt-
trois canons ecclésiastiques qui sont entrés dans le
code géorgien compilé par le roi Vakhtang VI au
xvmc siècle. Malachie, qui était en même temps prince
de Gouria, demanda au pape Urbain VIII des mis-
sionnaires et les reçut avec faveur. Tamarati, op. cit.,
p. 401-403. Plusieurs de ses successeurs se montrèrent
également très accueillants pour les missionnaires
latins. Le dernier fut Maxime (1776-1795) qui mourut
à Kiev, au cours d'une ambassade auprès de Cathe-
rine II pour lui demander du secours contre les Turcs.
Maxime ne fut pas remplacé.
XIV. Organisation de l'Église géorgienne.
Liste des évêchés. — La Géorgie conserva jusqu'à
la fin de son indépendance un système politique et
social semblable sur beaucoup de points à celui de la
féodalité occidentale. Le clergé formait un corps indé-
pendant et privilégié, une société régie par ses propres
lois. Le catholicos, chef spirituel du pays, les métro-
polites, les archevêques, les évêques, les archimandrites,
les prêtres séculiers et les moines constituaient la
hiérarchie ecclésiastique. Brosset, Histoire de la Géor-
gie, Introduction, Saint-Pétersbourg, 1859, p. lxxix.
Comme pour les autres classes de la société, tout dom-
mage commis au détriment d'un ecclésiastique était
frappé d'une amende ou prix du sang, qui variait natu-
rellement suivant la dignité de la victime. Les tarifs
n'ont pas changé du vmc au xvie siècle. Les évêques
se mêlaient intimement à la vie nationale. Tout comme
ceux du moyen âge en Occident, ils accompagnaient
les armées sur le champ de bataille et il est probable
qu'ils tirèrent plus d'une fois l'épée.
Le catholicos est reconnu « roi spirituel » du pays,
Brosset, op. cit., Introduction, p. cix, dans les chartes
royales et dans les différents articles du code. Cela n'em-
pêchait pas les princes séculiers de le maltraiter, de le
déposer ou de le chasser au gré de leur caprice. Us
donnaient même souvent sa charge à des personnages
indignes, mais qui appartenaient soit à leur propre
famille, soit à une famille noble dont ils voulaient se
concilier les faveurs. Les intérêts spirituels étaient né-
cessairement négligés par ces prélats de cour, plus
occupés d'affaires temporelles, voire même militaires,
que du soin des âmes. Le titre de « roi spirituel •>
n'était cependant pas un vain mot. Il donnait au
catholicos une autorité réelle sur les citoyens et même
sur l'armée, au temporel comme au spirituel. Brosset,
op. cit., Introduction, p. cx-cxn.
Il ne semble pas que la Géorgie ait été divisée en
provinces ecclésiastiques bien déterminées. Du moins,
nous ne connaissons pas de document qui le prouve.
Il est probable que les diocèses se groupaient par pro-
vince civile, sans avoir eux-mêmes de limites exactes.
rjt;;;
GEORGIE
1264
La plupart des évèchés se trouvaient dans les cam-
pagnes ou dans les montagnes, parce que la résidence
de leurs titulaires était ordinairement dans les monas-
tères. Les évoques et les évèchés tiraient leur nom du
lieu de la résidence, ou du titre que portait l'église
cathédrale. Le nombre des évèchés varia suivant les
époques. Nous donnons ici la liste dressée au xvne siè-
cle par un missionnaire théatin, le P. A. Lamberti, qui
séjourna en Géorgie de 1630 à 1649. Sacra sloria dei
Colchi (Colc h ide sacra). Naples, 1657, p. 27-35. A l'époque
où écrivait cet auteur, beaucoup de ces évèchés avaient
déjà disparu à la suite des multiples épreuves qu'avait
subies la Géorgie.
Géorgie orientale.
Évèchés de la province de Karthlie.
1. Église patriarcale de 11. Tbiléli (de Tiflis).
Mtzkhéta.
12.
Maganéli.
2.
Zalkéli.
13.
(métropolitaine)
:î.
Iassiréli.
14.
Gerghitéli.
4.
Manéli.
15.
Santamléli.
5.
Coucouséli.
16.
Nicoséli.
6.
Pamboukélil.
17.
Ourbnéli.
7.
Actaléli.
18.
Nozouéli.
8.
Nakhidouréli.
19.
Rouéli.
9.
Bonéli.
20.
Ertatsmindéli.
10.
Siniskavéli.
Évèchés de
la province
de Kakhêlic.
1.
Allaverdéli (archevêché).
11.
Bodbéli.
2.
Zédadznéli.
12.
Lertéli.
3.
Djvaréli.
13.
Vanéli.
4.
Samébéli.
14.
Arimatéli.
5.
Roustvéli.
15.
Kiziqéli.
6.
Martkoféli.
16.
Cabaléli.
7.
Catatsnéli.
17.
Gaématéli.
8.
Pouznaréli.
18.
Ninotsmindéli.
9.
Nécresséli.
19.
Chéqéli.
10.
Tchiarambéli.
20.
Viginéli.
Évèchés de
la province
de Samtzkhé.
1.
Scaltéli.
11.
Anéli.
2.
Euphratéli.
12.
Ichkhnéli.
3.
Azilakéli.
13.
Ispiréli.
4.
Angéli.
14.
Artona.
5.
Scatbéli.
15.
Iskméli.
6.
Etbéli.
16.
Ortéli.
7.
Surskaléli.
17.
Arzérouméli.
8.
Matsqvréli.
18.
Koumourdoéli.
9.
Dadasnéli.
19.
Erousméli.
10.
Caréli.
GÉORGIE OCCIDENTALE.
Évèchés de la province de Mingrélie.
1. Dandréli.
2. Cagéli.
3. Moqvéli.
4. Bédiéli.
5. Tzaichéli.
6. Tchipouriasséli.
7. Khoféli.
8. Obougéli.
9. Tsqondidéli.
10. Saalindjaqéli.
Évèchés de la province d' Abkhasie.
1. Btsunta, résidence du ca- 2. Djikéli (archevêché),
tholicos de la Géorgie 3. Blaéli.
occidentale. 4. Anacopéli.
Évèchés de la province de Gouria.
1. Schiamomcmédéli. 3. Ninotsmindéli.
2. Blaéti.
Il y avait donc en tout soixante-dix-sept évèchés
en Géorgie. Peut-être le P. Lamberti en a-t-il omis
qui avaient déjà disparu depuis longtemps. Remar-
quons en passant qu'il n'y avait pas moins de vingt-
cinq églises cathédrales consacrées à la sainte Vierge,
ce qui indique chez les Géorgiens une grande dévotion
pour la Mère de Dieu.
L'Église géorgienne possédait d'immenses richesses
qui lui venaient des donations faites par les princes
ou par les simples lidèles. Mourier, L'art religieux au
Caucase, Paris, 1887, p. 43. Ces donations étaient
presque toujours grevées de certaines charges, ordi-
nairement des messes à dire ou des agapes à servir.
On entend par agapes, en Géorgie, un repas que l'Église
ou les fidèles doivent payer aux clercs, aux pauvres,
aux passants, en un mot à tous ceux qui se présentent,
en l'honneur des morts. Brosset, Histoire de la Géorgie,
Introduction, p. exiv. Cette pratique, qui est proba-
blement d'origine païenne, est toujours en honneur et
cause la ruine des familles. L'Église avait, tout comme
l'État, des vassaux et aussi des serfs qui faisaient
valoir ses propriétés. Brosset, op. cit., p. cxxvi. Ses
richesses étaient considérables à la fin du xvme siècle,
malgré les malheurs du pays et les pillages des grands,
puisque le gouvernement russe lui a enlevé pour plus
de 350 millions de francs d'immeubles. Issari, journal
géorgien de Tiflis, 1907, n. 110.
XV. Le régime russe en Géorgie. L'exarchat. —
Par le traité du 24 juillet 1783, conclu entre le roi
Héraclius II et l'impératrice Catherine II, le gouver-
nement russe s'engageait à maintenir sur le trône de
Géorgie la dynastie régnante et à garantir l'indépen-
dance de l'Église nationale vis-à-vis du saint-synode
de Pétersbourg. Dans un nouveau traité passé le
23 novembre 1799 entre le tsar Paul Ier et le roi
Georges XII, fils d'Héraclius, il revenait déjà sur ses
concessions. En effet, Georges XII devait abdiquer
et laisser la place à son fils David qui porterait le
litre de régent de Géorgie, dignité qui devait se trans-
mettre d'aîné en aîné à ses descendants. Rothiers,
Itinéraire de Tiflis à Constantinople, Bruxelles, 1829,
p. 64-70. Or, dès le 18 janvier 1801, le tsar Alexandre Ier
proclamait l'annexion pure et simple de la Géorgie à
l'empire russe. La Géorgie occidentale conserva encore
pendant quelques années une autonomie illusoire,
après quoi elle subit le sort des autres provinces. Nous
n'avons pas à nous occuper ici de la manière brutale,
coutumière aux Russes, avec laquelle s'opéra le chan-
gement de régime, ni des haines terribles que le gou-
vernement moscovite s'est attirées depuis plus d'un
siècle par les vexations qu'il a infligées aux Géorgiens.
Nous nous contenterons d'indiquer l'attitude qu'il
prit vis-à-vis de l'Église.
L'annexion de la Géorgie entraînait logiquement à
ses yeux la disparition de la dignité de catholicos
dont l'existence semblait une injure au saint-synode de
Pétersbourg et une grave atteinte portée à son auto-
rité. Pouvait-il, en effet, y avoir deux Églises ortho-
doxes dans l'empire des tsars ? C'est pourquoi l'em-
pereur Alexandre Ie1 écrivit au catholicos Antoine II,
le 10 juin 1811, pour lui déclarer que l'Église géor-
gienne ne pouvait pas rester autonome et que sa
dignité à lui n'avait plus aucune raison d'être depuis
l'annexion. Il le priait en conséquence de se rendre
en Russie où il conserverait les honneurs dus à sa
dignité, jouirait d'une pension convenable et prendrait
place parmi les membres du saint-synode. Tamarati,
L'Église géorgienne, p. 384. Antoine II fut obligé de
se rendre à cette invitation qui n'était qu'un ordre
déguisé. Il mourut en Russie en 1828. Pour ne pas
trop blesser la susceptibilité des Géorgiens, le gou-
vernement russe nomma d'abord un exarque indigène,
Varlaam Eristavi, pour succéder au catholicos. Six ans
après, quand il vit son autorité fortement établie
dans le pays, il jeta le masque et remplaça Varlaam
par un exarque russe, Théophylacte Roussanov (1817-
1821). Depuis cette époque, l'Église géorgienne, incor-
1265
GEORGIE
1266
porée de force à l'Église officielle de Saint-Pétersbourg,
a constamment été gouvernée par des exarques russes,
dont nous donnerons la liste un peu plus loin. Bien
qu'elle jouisse d'une organisation un peu spéciale,
elle n'est rien moins qu'autonome, comme on pourra
s'en rendre compte en étudiant sa situation canoni-
que.
La réforme ne se fit pas sans tiraillements. Un pre-
mier règlement, élaboré en 1811 par l'exarque Varlaam
Eristavi et le général Tornasov, gouverneur du Caucase,
n'eut pas de succès et fut remplacé par un autre en
1814, après la conquête de l'Imérétie. L'Église géor-
gienne tout entière, comprenant les diocèses de la
Géorgie proprement dite, de l'Imérétie, de la Mingrélic
et de la Gourie, était placée sous l'autorité d'un seul
exarque résidant à Tiffis et assisté non d'un consistoire,
mais d'un bureau synodal pour la Géorgie proprement
dite, tandis qu'un consistoire était créé à Koutaïs pour
l'Imérétie, la Mingrélie et la Gourie. Il y avait cinq
éparchies et un vicariat. Tous les autres évêchés furent
supprimés. Le bureau synodal entra en fonctions le
8 mai 1815.
Après trois ans d'expérience, on s'aperçut que la
nouvelle organisation n'était pas viable et ne répon-
dait pas suffisamment aux vues bureaucratiques du
saint-synode. En 1818, Théophylacte Roussanov, pre-
mier exarque russe, se chargea de rédiger un nouveau
règlement qui établissait en Géorgie une seule éparchie
portant les noms de Karthlie et Kakhétie, et donnait
un évêque à chacune des autres provinces : Imérétie,
Mingrélie et Gourie. Les évêques dépendaient direc-
tement de l'exarque qui résidait à Tiffis et gouvernait
l'éparchie de Karthlie et Kakhétie. En même temps, on
essaya d'introduire la procédure ecclésiastique pra-
tiquée en Russie. Jusque-là, on avait observé dans le
pays des coutumes ecclésiastiques tout à fait patriar-
cales. Les curés étaient à la fois juges, conseillers,
administrateurs et propriétaires. D'après un usage
ancien, le prince de Mingrélie et les seigneurs de la
province se réunissaient chez le métropolite pour
délibérer sur les affaires de la principauté. La plupart
des évêques appartenaient aux familles seigneuriales
et administraient leurs diocèses sans recourir aux
complications d'une chancellerie bureaucratique. Une
taxe sur le clergé, quelques contributions prélevées
sur la population par manière d'amendes judiciaires
et canoniques, suffisaient à les faire vivre avec les
revenus des biens ecclésiastiques. Les prêtres étaient
trop nombreux; un village de cent foyers en comptait
jusqu'à huit. Ajoutez à cela que les moines employaient
les nonnes comme servantes dans leurs couvents et
que les évêques s'occupaient plus de ramasser les
impôts que de célébrer les offices liturgiques. S'il faut
en croire les rapports russes, un évêque officiait en
moyenne dix fois en trente ans ! On devine que les
projets de réformes de l'exarque ne pouvaient plaire
au clergé. Celui-ci se révolta et entraîna avec lui toute
la population. On vit les ecclésiastiques s'enfuir avec
les femmes et les enfants dans les montagnes et les
forêts, emportant tout le matériel du culte, tandis que
les guerriers tenaient la campagne. Théophylacte,
aidé des Cosaques, réussit à grand'peine à imposer ses
réformes dans la Géorgie. La Mingrélie, l'Imérétie et
la Gourie ne les acceptèrent que plus tard à la suite de
répressions sanglantes.
Le saint-synode, fidèle à ses procédés de russifica-
tion, travailla méthodiquement à diminuer l'impor-
tance de sa nouvelle acquisition. Après avoir réduit à
cinq les nombreux évêchés qui existaient encore au
moment de l'annexion (une trentaine environ), il
éloigna les ecclésiastiques zélés, parce qu'il les soup-
çonnait de nourrir de l'antipathie contre le régime
russe, et les remplaça par des ecclésiastiques venus de
Russie qui occupèrent bientôt les postes les plus
importants. Ces immigrés, dont le saint-synode se
servait pour arriver à ses fins de dénationalisation,
étaient loin d'avoir tous de hautes qualités. C'était
parfois de véritables agents de police qui espionnaient
les Géorgiens pour le compte du gouvernement de
Saint-Pétersbourg. Leur zèle s'employa surtout à
faire disparaître tout ce qui avait un caractère national
géorgien, comme la langue et les usages particuliers.
C'est ainsi que le staro-slave, langue liturgique des
Russes, fut imposé dans les villes et dans les centres
un peu importants. Tamarati, op. cit., p. 385. Exarques
et simples prêtres acquirent en peu de temps des
fortunes scandaleuses, principalement en vendant les
biens d'Église, les riches ornements, les livres et vases
précieux dont la piété des fidèles avait enrichi les
églises et les monastères. On trouvera rénumération
de ces pillages, d'après un journal géorgien, l'Issari,
de Tiflis, n. 110, dans Tamarati, op. cit., p. 386-387.
A lui seul, le gouvernement russe enleva à l'Église
géorgienne tous ses biens immeubles, d'une valeur
de 137 600 000 roubles, c'est-à-dire plus de 350 millions
de francs.
A maintes reprises, le clergé géorgien éleva la voix
pour défendre le bien des âmes compromis par les
pasteurs indignes que la « sainte Russie » envoyait de
plus en plus nombreux. Les plaintes qu'il adressait au
saint-synode restaient ordinairement sans réponse, à
moins qu'elles ne valussent toutes sortes de vexations
à leurs auteurs qu'on accusait de vues intéressées ou
d'entente avec les éléments révolutionnaires. En 1901,
à l'occasion du premier centenaire de l'annexion de la
Géorgie à l'empire russe, quatre évêques indigènes
virent dans cette circonstance une occasion favorable
pour obtenir quelque adoucissement au régime odieux
que subissait leur Église. Ils adressèrent un rapport au
saint-synode pour lui demander l'institution d'une
chaire d'histoire ecclésiastique géorgienne à l'Académie
ecclésiastique de Saint-Pétersbourg. Le texte se trouve
dans Tamarati, op. cit., p. 387. Cette requête, bien
modeste cependant, n'obtint pas plus de succès que
les précédentes. Quatre ans plus tard, sous la pression
du mouvement révolutionnaire auquel la guerre mal-
heureuse contre le Japon donnait une force plus
grande, le gouvernement russe se décida à publier, le
17 avril 1905, le fameux « oukase de liberté », qui
accordait la liberté de conscience à tous les sujets de
l'empire. En Géorgie, clergé, noblesse, peuple, tout le
monde vit dans cet acte un encouragement à renou-
veler les revendications nationales. Le tsar et le saint-
synode reçurent de multiples pétitions qui demandaient
le rétablissement de l'autonomie ecclésiastique pour
la Géorgie. Les nobles présentèrent, le 11 octobre 1905,
au vice-roi du Caucase une lettre collective réclamant
la même faveur. Tamarati, op. cit., p. 393-395. L'espoir
de tous fut trompé. Le gouvernement s'étant un peu
raffermi, il fit la sourde oreille. De son côté, le saint-
synode, pour tromper le public et pour gagner du
temps, confia l'étude de la question à une commission
de vingt membres, qui étaient tous, sauf deux, des
ennemis acharnés des Géorgiens. Les deux membres
favorables, deux Géorgiens, ne furent jamais convo-
qués aux séances, sinon pour entendre des paroles
blessantes à l'égard de leur patrie. Comme il fallait s'y
attendre, la commission conclut que le projet de réta-
blissement d'une autonomie ecclésiastique en Géorgie
était absolument inacceptable. Les auteurs des péti-
tions se virent traiter de rebelles par le saint-synode
et plusieurs d'entre eux payèrent cher leur audace
La première victime fut Mgr Kirion, ancien vicaire de
l'exarque, inculpé de délits imaginaires inventés par
la police impériale. Il fut envoyé d'abord en Russie en
1909, puis enfermé l'année suivante dans un monastère
1207
GKORGIR
12G8
de Crimée, qu'il n"avait pas encore reçu l'autorisation
de quitter, au commencement de 1914.
L'exaspération des Géorgiens fut à son comble quand
ils virent sombrer l'espoir trop naïvement conçu d'une
autonomie à la fois politique et religieuse. L'action
énergique des partis révolutionnaires amena bientôt des
faits très graves. L'exarque Nicon fut assassiné en 1908;
le meurtrier, arrêté peu de temps après, réussit à s'en-
fuir avec la connivence de la population et à faire dis-
paraître toutes les pièces du procès. Le saint-synode
attendit deux ans que les esprits fussent un peu calmés
pour donner unsuccesseurà Nicon. L'exarque Innocent,
nommé en 1910, mourut subitement en septembre
1913 et fut remplacé dès le mois d'octobre suivant
par Mgr Alexis, évêque de Tobolsk. De 1905 à 1914,
plus de 30 000 Géorgiens ont été condamnés pour crimes
politiques. C'est dire que la répression russe a été
terrible.
XVI. Situation actuelle. — Le règlement de
1818 a subi divers remaniements, qui ne présentent pas
grand intérêt. L'organisation fondamentale est restée
la même. L'Église géorgienne est gouvernée par un
exarque soumis directement au saint-synode de Péters-
bourg et assisté d'un bureau synodal dont il est le
président de droit. Ce bureau comprend ordinaire-
ment cinq membres, dont un évêque, trois archiman-
drites et un archiprêtre. L'exarque, qui réside à Tiflis,
porte les titres de Karthlie et Kakhétie, administra
personnellement l'éparchie de Géorgie et a la haute
surveillance sur les trois autres diocèses qui font
partie de l'exarchat. Il est de droit membre du saint-
synode russe. L'éparchie d'Imérétie (siège à Koutaïs),
l'éparchie de Gourie-Mingrélie (siège à Poti)et l'éparchie
de Soukhoum (siège à Souhkoum-Kalé) sont les seuls
diocèses suffragants de l'exarque. On a parlé dernière-
ment de distraire de l'exarchat l'éparchie de Soukhoum,
jugée assez russifiée, pour en faire un diocèse autonome,
mais ce n'est là qu'un projet, de sorte qu'aujourd'hui
encore l'exarque de Géorgie étend sa juridiction sur
le territoire des six provinces ou gouvernements civils
de Tiflis, Bakou, Erivan, Elisabethpol, Koutaïs et
de la mer Noire. C'est à lui que revient la haute direc-
tion des établissements ecclésiastiques, à lui qu'appar-
tient de régler, soit par lui-même, soit par un recours
au saint-synode et à son procureur général, les conflits
qui surgissent entre le haut et le bas clergé ou parmi le
personnel des établissements ecclésiastiques. Notons
aussi que l'évêque russe de Bakou, bien que son diocèse
ne soit pas géorgien, prend une part active au gouver-
nement de l'exarchat. Il assiste souvent aux délibé-
rations du bureau synodal, et c'est lui cjui remplace
l'exarque, en cas d'absence ou de mort. Comme
dans les autres diocèses de la Russie, on trouve dans
l'exarchat géorgien, à côté des évêques proprement
dits qui administrent un diocèse, plusieurs évêques-
vicaires. L'éparchie de Géorgie (Karthlie-Kakhétie) en
compte deux, dont l'un porte le titre de Gori, et l'autre
celui d'Allaverdi. Ils aident l'exarque dans le gouver-
nement de son vaste diocèse. Par contre, les éparchies
géorgiennes ne possèdent pas de consistoires; ils sont
remplacés par des chancelleries. A ces particularités
près, l'administration de ces diocèses est calquée sur
celle des autres diocèses de l'empire russe.
Deux séminaires, celui de Tiflis et celui de Koutaïs,
pourvoient au recrutement du clergé. Le séminaire de
Tiflis, fondé en 1817 par l'exarque Théophylacte
Roussanov, comptait, en 1902, 177 élèves, dont
52 n'appartenaient pas à la caste sacerdotale. Celui de
Koutaïs ne date que de 1894. Il a spécialement pour
but de fournir des vocations ecclésiastiques à la Géorgie
occidentale. Il comptait, en 1902, 206 élèves, dont
58 n'appartenaient pas à la caste sacerdotale. Il faut
noter cette proportion de 28,7 0/0 de jeunes gens dont
les parents ne sont point membres du clergé; dans
le reste de la Russie elle est infiniment moindre. En
dehors des séminaires, il y a dans l'exarchat six écoles
diocésaines de garçons et deux écoles diocésaines de
filles pour l'instruction des enfants des familles cléri-
cales.
Les monastères existants sont au nombre de 34,
dont 27 d'hommes et 7 de femmes. Ils remontent pour la
plupart à une haute antiquité, ainsi que nous l'avons
vu précédemment. Établis loin de toute habitation,
et d'accès peu facile, ils ne voient point affluer les
aumônes des dévots pèlerins et végètent dans une
pauvreté voisine de la misère. Citons parmi les prin-
cipaux : 1° le monastère de moniales de Bodbissi,
fondé au xne siècle, près du tombeau de sainte Nino,
apôtre delà Géorgie; plusieurs fois détruit et relevé,
ce monastère ne remonte, dans sa forme actuelle,
qu'à 1889; 2° le monastère d'hommes de Gaétat, en
Imérétie, qui date du commencement du xnc siècle;
3° le monastère d'hommes de Saint-David Carédjéli,
à Garédja, dans le voisinage de Tiflis, fondé au
vie siècle par un des missionnaires venus de Syrie; il
fut pendant longtemps un centre monastique très
important, qui faisait la loi à onze autres couvents
disséminés dans les environs; il conserve les tombeaux
du fondateur saint David, et de son disciple, saint Dido;
4° le monastère d'hommes de Kvarbtakct, placé sous
le vocable de l'Assomption, fondé au xe ou au xnc siècle
dans les environs de Gori; 5° le monastère de femmes
de Mtzkhet-Samtavro, consacré à sainte Nino, et dont
l'église remonterait, s'il fallait en croire les traditions
locales, aux origines mêmes du christianisme en
Géorgie; cette église servit de cathédrale aux arche-
vêques de Samtavro jusqu'en 1811; 6° le monastère
de la Transfiguration établi à Tiflis, où les moines
dirigent une école paroissiale; 7° le monastère de Bid-
chvinto près de Soukhoum-Kalé, que les Russes appel-
lent le « Nouvel Athos. »
En 1900, le personnel monastique comptait 1 379
membres, dont 1 098 moines dans 27 couvents, et
281 moniales, novices en majorité, dans 7 mona-
stères. Les Géorgiens ne sont pas les seuls à peupler
les 34 couvents de leur pays. Les Russes en occupent
un certain nombre et forment même la majorité de la
population monastique. Les Géorgiens perdent de
plus en plus le goût de la vie religieuse pour se lancer
dans les intrigues politiques. Pendant la période révo-
lutionnaire qui agita le pays de 1904 à 1910, les moines
géorgiens maniaient, dit-on, plus volontiers la bombe
que le psautier. En tout cas, par haine de race, Russes
et Géorgiens habitent des monastères séparés. Le cou-
vent de Bodbissi, qui renferme le tombeau de sainte
Nino, est depuis vingt-cinq ans entre les mains des
Russes qui en ont fait sauter la vieille église à la dyna-
mite en 1889 pour en rebâtir une nouvelle qui ne
rappelât en rien le glorieux passé de ce couvent. Cet
acte de vandalisme a justement irrité les Géorgiens.
Quant au clergé séculier ou clergé blanc, il compre-
nait, en 1900, 62 archiprêtres, 1 647 prêtres, 231 diacres,
1 805 clercs inférieurs, ayant tous un poste fixe, et
3 archiprêtres, 68 prêtres, 8 diacres, et 17 clercs infé-
rieurs, en disponibilité. Les Russes entraient dans
ces différents nombres dans la proportion d'un tiers
environ. Cependant, ils ont une tendance marquée à
s'attribuer les postes les plus importants. Le nombre
des paroisses était de 1527, celui des églises de 2 455,
celui des chapelles privées de 9. La population ortho-
doxe montait à 1 278 487 âmes, en immense majorité
de race géorgienne, ainsi réparties : 374 405 dans
l'éparchie de Géorgie (Karthlie-Kakhétie), 478 290
dans celle d'Imérétie, 321 952 dans celle de Gourie-
Mingrélie, 103 750 dans celle de Soukhoum. Les sectes
étaient représentées par 50 000 membres, à peu près
12P.0
GEOROTE
1270
tous d'origine russe, dont 32 000 aux seuls Molokans.
On comptait 060 écoles paroissiales instruisant
26 070 élèves, dont 7 201 filles, plus 13 écoles établies
à côté des monastères, avec 546 élèves. Ces chiffres
donnés par les autorités russes sont fortement sujets à
caution, parce que le saint-synode a tout intérêt à
diminuer l'importance d'une Église qu'il n'arrive pas
à russifier. Tous les Géorgiens que nous avons pu con-
sulter affirment qu'il y a au moins 2 500 000 chré-
tiens de leur race dans la région du Caucase. En 1913,
il y avait 2 055 paroisses. Le gouvernement russe leur
donnait 809 868 roubles (2 105 000 francs) dont
400 000 seulement aux paroisses géorgiennes qui sont
au moins les deux tiers, et le reste aux paroisses russes.
L'exarchat eut, pendant quelque temps, son périodi-
que, le « Messager ecclésiastique de Géorgie », qui parut
fous les mois depuis le 1er juillet 1864 jusqu'en 1903. Le
manque de lecteurs fut la raison mise en avant pour
justifier sa suppression. La rédaction était établie au
séminaire de Tiflis. La revue, rédigée en géorgien, com-
prenait deux parties, une officielle et une non officielle,
avec un supplément en russe. Cf. C. Rounkéviteh,
L'exarchat de Géorgie, dans l'Encyclopédie théologique
orthodoxe de Lopoukine-Gloubovski, Saint-Pétersbourg,
1903, t. in, col. 717-753.
Ainsi que nous l'avons déjà remarqué, le clergé
russe immigré s'est tout naturellement attribué les
postes les plus importants et de meilleur rapport. 11
agit de même façon envers les ecclésiastiques géorgiens
qui se montrent favorables aux entreprises de saint-
synode et que leurs compatriotes s'obstinent à regarder
comme des traîtres à la patrie. L'exarque est toujours
un Russe de race et de tendances. Pour qui connaît les
procédés de gouvernement employés par le cabinet de
Saint-Pétersbourg vis-à-vis des autres races de l'empire,
il n'y a rien d'étonnant à ce que le saint-synode le
choisisse parmi les plus fermes champions de l'ortho-
doxie officielle, sans trop s'inquiéter de l'accueil que
lui réservent les fidèles. De plus en plus, le clergé russe
proscrit tout ce qui est purement géorgien. Le staro-
slave ou slavon est seul admis dans les cérémonies du
culte, au moins dans les villes et les centres les plus
importants. La langue et le chant géorgien ont été
refoulés dans les campagnes dont les paroisses moins
riches ne tentent pas la cupidité des Russes. Elles sont
d'ailleurs presque toujours attribuées aux ecclésias-
tiques géorgiens qui se montrent opposés à la politique
religieuse de l'exarque, malgré le désir sincère de conci-
liation qui anime ses trois suffragants. Ces derniers
sont presque toujours choisis parmi les ecclésias-
tiques géorgiens. Actuellement, l'évêque de Soukhoum
est cependant un Russe. Il n'est point besoin de noter
que le gouvernement russe ne nomme, pour gouverner
les éparchies, que des gens dont il est sûr.
La proscription des coutumes nationales, les procédés
vexatoires du clergé russe et la « trahison » de certains
prêtres géorgiens ont eu pour résultat la désertion en
masse des églises. Le peuple préfère s'abstenir de toute
pratique publique de religion plutôt que de pactiser
avec les « ennemis de la nation ». Les préoccupations
politiques contribuent plus à accentuer cet éloigne-
ment systématique que le souci de la dignité de l'Église.
Il y a quelques années, l'exarque Innocent se plaignait
même qu'un certain nombre de villages avaient
demandé qu'on leur construisît des mosquées 1 C'était
là sans aucun doute des gens mal convertis. Il y a
aussi des montagnards indépendants qui sont encore
à moitié païens, bien qu'ils reçoivent le baptême; ils
vont jusqu'à offrir des sacrifices de moutons dans les
grandes circonstances et à certains jours déterminés.
C'est à peine s'ils voient un prêtre de temps en temps.
On voit par ce rapide aperçu que la situation est loin
d'être brillante en Géorgie au point de vue de la reli-
gion. Il est probable qu'elle ira même en empirant, si
le régime politique ne change point.
La persécution entreprise par les Russes contre tout
ce qui est géorgien s'étend non seulement aux chrétiens,
mais encore aux musulmans. Les Hadjarélis, tribu
montagnarde des environs de Batoum, ayant demandé
récemment au gouvernement la permission de revenir
au christianisme à condition de pouvoir prier en géor-
gien, se sont vu refuser cette faculté. Les autorités
russes ont retiré aux Géorgiens musulmans le droit
d'enseigner leur langue nationale dans les écoles qu'ils
possèdent; elles leur imposent le turc pour les déna-
tionaliser. Il est vrai que ces musulmans passent outre
aux défenses du gouvernement et que celui-ci n'ose
pas les inquiéter. Il est difficile d'évaluer le nombre
des Géorgiens qui sont passés à l'islamisme pendant
la domination turque ou persane. Ils seraient de 600 à
800 000. Après la conquête russe, bon nombre d'entre
eux ont émigré en Turquie où on les confond souvent
avec les Tcherkesses ou Circassiens, sans doute parce
qu'ils portent le même costume. Il y en a 30 ou
40 000 dans la seule région d'Ismidt-Sabandja.
XVII. Liste des catholicos et des exarques. —
Xous donnons ici la liste des catholicos et des exarques
qui ont gouverné la Géorgie du ve siècle jusqu'à nos
jours, telle que l'a dressée le P. Tamarati dans son
Église géorgienne, Rome, 1910, p. 408-410. Cette liste
est forcément incomplète pour les catholicos, caries
documents font presque entièrement défaut pour
certaines époques. Il semble aussi qu'il y ait eu à
diverses reprises plusieurs catholicos à la fois. Les
dates indiquées par le P. Tamarati sont quelquefois
incertaines, ainsi qu'il l'avoue lui-même. La liste sera
du moins précieuse à consulter, parce qu'elle est la
seule qu'on ait dressée jusqu'à nos jours. Dans celle
des catholicos de la Géorgie occidentale notamment,
on remarquera des vacances considérables qui n'ont
peut-être pas eu lieu; mais l'auteur n'a évidemment
pu noter que les titulaires dont l'histoire nous a con-
servé le nom.
Catholicos de la Géorgie proprement dite.
1° Pierre I", 471.
33°
Talalé.
2° Samuel I", 513-528.
34°
Samuel VIII.
3° Pierre II.
35°
Sarméan.
4» Samuel II.
36°
Cyrille.
5° TaphtchiagI'r,T>28-:>42.
37°
Grégoire II.
6° Tchimag.
38°
Samuel IX.
7° Dassaba, 542-557.
39°
Georges II.
8" Evlalé, 555-557.
40°
Gabriel I".
9° Macaire, 557-570.
41°
1 lil.iiïiui
10° Simon-Pierre ou K\i-
42°
Arsène Ier.
rion, 590-604.
43°
Eussouki.
11° Samuel III.
44°
Basile Ier.
12° Samuel IV.
45°
Michel I", 947.
13° Samuel V.
46°
David Ier.
14» Barthélémy, 610-642.
47°
Arsène II, 946-976.
15° Jean Ier.
48°
Samuel X.
16° Babila.
49°
Simon.
17° Thabor.
50°
Melchisédcch I", 1035
18° Samuel VI.
51°
Chrysostome, 1042.
19° Evnon, 634-663.
52°
Georges III.
20° Taphtchiag II.
53°
Gabriel II, 1073.
21° Evlalé II.
54°
Jean III, 1105.
22° Jovel.
55°
Basile II.
23° Samuel VII.
56°
Épiphane.
24° Georges Ier.
57°
Nicolas Ier, 1170.
25° Kvirion II.
58°
Michel II, 1185.
26° Izdobosid.
59»
Théodore I", 1186.
27» Tév.
60°
Jean IV.
28° Pierre III.
61°
Arsène III, 1218-1226
29° Mania.
62°
Georges IV, 1226.
30° Jean II.
63°
Nicolas II, 1245-1282
31° Grégoire Ier.
64°
Abraham I", 1282.
32° Clément,
65°
Euthyme,
1271
GEORGIE
1272
66»
67°
68°
69°
70°
71°
72°
73°
74°
7;>°
76°
77°
78°
79°
80°
81°
82°
83°
84°
85°
86°
87°
88°
Basile III, 1318-1346. 89°
Nicolas III, 1337 90°
Georges V, 1393-139S. 91°
Elioz I", 1399-1419. 92°
Michel III, 1419-1428. 93°
David II, 142S. 94°
Théodore II, 1429-1438. 95°
David III, 1439. 96°
Chio I", 1441-1446.
David IV, 1 117-1 156. 97°
Marc, 1460-1464. 98°
David V, 1464-1479.
Évagre Ier, 1488. 99°
Ablac-Abraham, 1492- 100
1499. 101
Éphrem I", 1498-1500. 102
Évagre II, 1499-1502. 103
Dorothée I",1503-1516. 104
Jean V, 1516-1517.
Basile IV, 1518-1529. 105
Melchisédeeh II, 1524-
1540. 106
Jean VI, 1534-1548. 107
Simon I", 1544-1548. 108
Nicolas IV, 1552.
Domenti I", 1557-1560.
Nicolas V, 1562-1517.
Evdomios Ier, 1578.
Dorothée II, 1583-1585.
Domenti II, 15S3-1602.
Zébédée, 1610.
Jean VII, 1610-1615.
Christophore I", 1622-
1662.
Zacharie I", 1624-163::.
Evdomios II, 1631-
1649.
Domenti 111,1660-1675.
> David VI, 1672.
' Nicolas VI, 1676-1693.
' Jean VIII, 1688-1699.
' Bessarion, 1724-1735.
» Domenti IV, 1705-
1742.
> Nicolas VII, 1742-
1744.
• Antoine P ',1744-1 788.
' Joseph, 1755-1763.
> Antoine 11,1788-1811.
Catholicos de la Géorgie occidentale.
1° Arsène, 1390.
2° Joachim, 1470-1474.
3° Malachie P',1519-1533.
4° Evdémon Ier, 1558-
1578.
5° Malachie II, 1605-1639.
6° Maxime, 1640-1657.
7° Zacharie, 1656-1659.
8° Simon, 1659-1666.
9° Evdémon 11,1666-1675.
10° Hilarion, 1672.
11° David, 1682-1696.
12° Grégoire Ier, 1690.
13° Nicolas, 1705.
14° Grégoire II, 1712-1742.
15° Germain, 1742-1750.
16° Bessarion, 1750-1761.
17° Joseph, 1761-1776.
18° Maxime II, 1776-1795.
Liste des exarques.
Exarque géorgien.
1° Varlaam Eristavi, 1811-1817.
Exarques russes.
1° Théophylacte Boussa-
nov, 1817-1821.
2° Jonas Vasilievsky,1821-
1832.
3° Moïse Bogdanov-Pla-
tonov, 1832-1834.
4° Eugène Bajénov, 1834-
1844.
5° Isidore Nikolsky, 1844-
1858.
6° Eusèbe Ilinsky, 1858-
1877.
7° Joannice Boudniev,
1877-1882.
8° Paul Lébédev, 1882-
1887.
9° Pallade Baïev, 1887-
1892.
10° Vladimir Bogoiavlen-
sky, 1892-1898.
11° Flavien Gorodetzky,
1898-1903.
12° Alexandre Opotzky,
1903-1905.
13° Nicolas, 1905-1906.
14° Nicon, 1906-1908.
15° Innocent, 1910-1913.
16° Alexis, 1913.
XVIII. Le rite gréco-géorgien. — Les mission-
naires grecs qui évangélisèrent la Géorgie au ive siècle
introduisirent tout naturellement le rite de leur pays
d'origine et la langue grecque dans les cérémonies du
culte. Il est probable aussi qu'il y eut au début mélange
de rite grec et de rite syriaque, parce que la Syrie
exerça une influence certaine en Géorgie. Quand
I ' 1 ; Li li s e fut organisée et que la traduction de l'Écriture
sainte eut favorisé la réforme, la langue géorgienne
remplaça peu à peu le grec, pour le supplanter défini-
tivement. Il est fort difficile de préciser la date à
laquelle s'opéra ce changement important; il est pro-
bable toutefois qu'il s'acheva au vie siècle. Dès lors,
les Géorgiens, qui étaient en relations suivies avec
l'empire byzantin, adoptèrent les modifications
introduites dans la liturgie à Constantinople, du
ive au xie siècle. Le monastère des Ibères, au mont
Athos, et celui de Sainte-Croix, à Jérusalem, qui
jouissaient d'une très grande influence en Géorgie,
servirent pendant longtemps de trait d'union entre
l'Église nationale et celle de l'empire byzantin. Il ne
faut donc pas s'étonner que ce qu'on appelle parfois le
rite géorgien ne soit pas autre chose que la traduction
pure et simple du rite byzantin, vulgairement appelé
rite grec. Liturgie, office rituel, calendrier, tout est
identique chez les Géorgiens et chez les Gréco-Slaves.
A peine peut-on signaler quelques coutumes particu-
lières de peu d'importance, comme on peut en trouver
aussi dans certaines Églises grecques, en Syrie, par
exemple. Seul, le chant est différent. Au lieu d'adopter
les compositions musicales byzantines, les Géorgiens
ont conservé leur chant national dont les mélodies ont
un cachet tout à fait spécial. Aujourd'hui, ce chant,
proscrit par les autorités religieuses russes au profit
du chant moscovite, s'est réfugié dans les églises des
campagnes. Ainsi que nous l'avons dit un peu plus
haut, le staro-slave ou slavon tend aussi à supplanter
le géorgien dans les cérémonies du culte, de même que
les usages particuliers de l'Église russe font peu à peu
disparaître ceux qui sont communs aux grecs et aux
Géorgiens.
Il n'est pas jusqu'à l'architecture religieuse que les
Géorgiens n'aient empruntée aux grecs. Les premiers
monuments construits dans le Caucase semblent avoir
été l'œuvre d'architectes byzantins. Ceux de la meil-
leure époque, du xie au xvc siècle, reproduisent les
principaux éléments de la construction byzantine :
plan en forme de croix grecque, coupole, etc.; ils
offrent une ressemblance frappante avec les églises de
la Grèce dans la dernière période du moyen âge. On
retrouve aussi de nombreuses affinités avec les églises
des premiers siècles élevées en Asie Mineure, en Syrie
et particulièrement dans le Hauran. L'architecture
géorgienne, qui a subi tant d'influences diverses, est
donc essentiellement composite. Elle présente toute-
fois des caractères originaux qui la distinguent nette-
ment de l'architecture arménienne, sa voisine, qui a
subi les mêmes influences. On en trouvera une excel-
lente étude dans l'ouvrage de M. Mourrier, L'art au
Caucase, Bruxelles, 1907, p. 8 sq.
XIX. Hagiographie. — Bien qu'ils aient adopté
le calendrier byzantin et qu'ils célèbrent les mêmes
fêtes que les grecs, les Géorgiens y ont cependant
réservé une place à leurs saints nationaux. Nous les
indiquerons d'après l'étude que le P. N. Nilles, S. J.,
a publiée dans la Zeitschrifl fur katholische Théologie,
1903, p. 660 sq.
Janvier. 6. Saint Abo, martyr. — 14. Sainte Nino. —
14. Saints Louarsab et Artchil, rois et martyrs. —
19. Saint Antoine le Stylite. — 27. Saint David le
Bestaurateur, roi.
Février. 21. Saint Pierre, ermite.
Mars. 20. Saint Louarsab le Jeune, roi et martyr.
Mai. 7. Saint Jean Zédadznéli. — 9. Saint Chio,
ermite. — 13. Saint Euthyme, higoumène. — 14. Saint
Chalva, martyr.
Juin. 1. Saints Chio et ses compagnons, martyrs. —
27. Saint Georges, higoumène.
Juillet. 12. Saint Jean, higoumène. — ■ 29. Saint
Eustathe, martyr.
Août. 11. Saint Bajden, martyr. — 11. Saint Jean,
missionnaire.
Septembre. 13. Les six ermites, martyrs. — 13.
Sainte Kétévan, reine et martyre. — 14. Saints
Joseph et ses compagnons, martyrs. — 18. Saints Biz-
dina, Elisbar et Chalva, princes et martyrs. — 26.
Saints Isaac et Joseph, martyrs.
Octobre. 11. Sainte Chouchanike ou Suzanne,
reine et martyre. — 28. Saint Néophyte, évêque et
martyr. — 31. Saints David et Constantin, princes et
martyrs.
1273
GEORGIE
1274
Novembre. 6. Les dix martyrs. — 10. Saint Con-
stantin, prince et martyr. — 17. Saint Michel Gobroni
et ses compagnons, martyrs. — 19. Saint Hilarion,
ermite.
Décembre. 2. Saint Issé, évèque.
Fêtes mobiles. — 3° férié après Pâques, les saints
martyrs de Garedja. — 5e dimanche après Pâques,
saint Abib, évèque et martyr. — 6e dimanche après
Pâques, saint David de Garedja.
Nous donnerons quelques détails sur chacun de ces
différents saints. On trouvera la Vie de la plupart
d'entre eux dans Martinov, Annus ecclesiasticus grœco-
slavicus. Remarquons en passant que la plupart sont
morts dans les multiples incursions que la Géorgie
eut à subir de la part des Perses, des Arabes, des Turcs,
des Mongols et des Persans.
Saint Abo fut martyrisé à Tiflis par les Sarrasins
en 890. Nous avons résume plus haut la vie de sainte
Nino, en racontant la conversion de la Géorgie dont
elle fut le premier apôtre. Les saints Louarsab et
Artchil, rois de Géorgie, moururent pour la foi chré-
tienne lors de la dévastation de leur patrie par Merwàn-
Qrou ou le Sourd, en 741. Saint Antoine le Stylite,
surnommé Martqoph ou le Solitaire, est un des mis-
sionnaires venus de Syrie au vie siècle sous la conduite
de saint Jean Zédadznéli. Il mourut vers 620. Saint
David III, roi de Géorgie (1089-1125), surnommé le
Restaurateur, travailla à relever de leurs ruines l'É-
glise et l'État et se fit remarquer par son zèle pour
la reconstruction des églises et des monastères. Saint
Pierre de Maïouma, qu'il ne faut pas confondre avec
Pierre l'Ibère, un autre Géorgien qui fut évèque de la
même ville, pratiqua la vie religieuse à Maïouma,
près de Gaza, et mourut vers 452. Saint Louarsab le
Jeune, roi de Géorgie, fut étranglé par les Persans en
1622, après un cruel exil de sept ans. Saint Jean
Zédadznéli fut le chef des douze missionnaires venus
de Syrie au vie siècle pour achever l'évangélisation
de la Géorgie. Saint Chio, le Thaumaturge, un des
compagnons du précédent, ermite à Mgvimé, est un
des patrons de la Géorgie. Saint Euthyme, higoumène
du monastère des Ibères, au mont Athos, était le chef
des traducteurs des Livres saints et des écrits des
Pères, au xi° siècle. Il mourut en 1028. Saint Chalva,
prince d'Akhaltzkhé, mourut victime des Arabes après
avoir longtemps souffert en prison (1227). Saint Chio
et ses cinq compagnons périrent à une date non encore
précisée, sous les coups des Leskines, montagnards
musulmans du Caucase. Saint Georges, higoumène du
monastère des Ibères au mont Athos, fut un des
disciples et des successeurs de saint Euthyme, dans la
traduction des Livres saints.
Le fondateur de ce monastère célèbre fut saint Jean,
père de saint Euthyme, qui s'établit sur le mont Athos
vers 970 et mourut en 998. Saint Eustathe de Mtzkhéta
périt sous le fer des Perses en 581. Saint Rajdem, le
premier martyr géorgien, fut cruellement mis à mort
par le chah Piros, en 457. Saint Jean Zédadznéli
aurait été un des premiers missionnaires envoyés en
Géorgie par l'empereur Constantin, à la demande du
roi Mirian, et serait mort en 356. Les données histo-
riques sérieuses relatives à sa vie font complètement
défaut. Les six martyrs honorés le 13 septembre furent
mis à mort à Tiflis par les Perses. Ce sont : Etienne de
Hirsa, Zenon d'Icalto, Tbaddée de Stépan-Zminda,
Isidore de Samtva, Pyrrhus de Bréta et Michel dl'lnia.
Sainte Kétévan, reine de Géorgie, emmenée en capti-
vité par les Persans, mourut victime de son attache-
ment à la religion chrétienne et à la chasteté (1622).
Saint Joseph d'AUaverdi, ermite, fut massacré avec
plusieurs de ses compagnons, durant une incursion
des Perses en 650. Les princes Bizdina, Elisbar et
Chalva, faits prisonniers par les Persans, préférèrent
mourir plutôt que d'embrasser l'islamisme (1615).
Les saints Isaac et Joseph périrent à Tiflis, durant une
incursion des musulmans (808). Sainte Chouchanike
ou Suzanne refusa d'imiter son mari qui avait aban-
donné la foi catholique, et mourut martyre après six
ans de la plus dure captivité, en 458. Saint Néophyte
fut d'abord un chef musulman du nom d'Omar. Après
sa conversion, il entra dans un monastère et devint
évèque d'Urbnissi. Il mourut martyr des Sarrasins,
vers 825. Les saints David et Constantin furent au
nombre des victimes faites par Merwân-Qrou ou le
Sourd à Routais, en 741. Les dix martyrs honorés
le 6 novembre périrent au vie siècle. Leur vie et leur
office ont malheureusement disparu. Saint Constantin,
prince et martyr, fut mis à mort par le khalife Djafar,
en 849. Saint Michel Gobroni, d'Akhaltzikhé, com-
mandait les armées géorgiennes lorsqu'il fut tué par
les infidèles avec deux cents de ses soldats, en 920.
Saint Hilarion Vatchinazé, originaire de la Kakhétie,
prêtre et ermite, mourut à Thessalonique, vers 882.
Saint Issé, évèque de Cilcan, fut un des compagnons
de saint Jean Zédadznéli. Les saints martyrs de Garedja
périrent la nuit de Pâques 1621, massacrés dans l'église
de leur monastère par le fameux chah Abbas le Grand.
La tradition veut qu'ils aient été cinq mille. Saint
Abib, évèque de Nécressi et martyr, fut un des com-
pagnons de saint Jean Zédadznéli. Saint David de
Garedja, ermite, fonda la solitude monastique appelée
plus tard la Thôbaïde géorgienne. Il mourut vers
587.
XX. Langue et littérature géorgiennes. — -
Les linguistes n'ont pas encore pu se mettre d'accord
pour dire à quel groupe appartient la langue géorgienne.
Bopp et Brosset la rattachent à la famille indo-euro-
péenne; Max Millier veut qu'elle soit de la famille
touranienne; P. A. Trombetti, L' imita d'origine del
Hnguaggio, Bologne, 1905, p. 5, 216, voit dans le
géorgien et le basque l'anneau qui unit les langues
chamito-sémitiques aux langues indo-européennes;
d'autres enfin, comme Frédéric Millier, désespérant
de classer cette langue ainsi que d'autres qui appar-
tiennent à des peuples voisins des Géorgiens, en font
provisoirement un groupe à part, le groupe des « langues
caucasiques ». Quoi qu'il en soit de cette question que
des études plus approfondies éclairciront probable-
ment un jour, la langue géorgienne est une des plus
anciennes du monde. Beaucoup de savants, après
A. Gatteyra, Revue de linguistique, juillet 1881, t. xiv,
p. 285, et F. Lcnormant, Lettres assyriologigues, t. i,
p. 124-127, admettent une parenté étroite entre le
géorgien et l'idiome ourartique révélé par les inscrip-
tions de Van. Dans la suite des temps, la langue pri-
mitive s'est scindée en plusieurs dialectes locaux, tels
que le gouri-imérète, le karthli-kakhète, le pchav-
khevsour, le mesque, l'inguiloï. De même, un certain
nombre de mots étrangers, d'origine sanscrite, perse,
arménienne, grecque, latine, turque, russe, etc., se
sont peu à peu introduits dans la langue. La Géorgie
occidentale a principalement subi l'influence de la
Turquie, la Géorgie orientale celle de la Perse.
Le géorgien dispose de deux alphabets de trente-
huit lettres chacun, l'alphabet mkhédrouli ou civil,
introduit probablement par le roi Pharnavaz à la fin du
ivc siècle avant Jésus-Christ, et que J. L. Okromt-
cheldi croit emprunté à l'alphabet zend, et l'alphabet
khoutsouri, ou religieux, qui ne serait qu'une trans-
formation du mkhédrouli. Les Arméniens prétendent
que Mesrob a envoyé aux Géorgiens cet alphabet
religieux, après qu'il en eut composé un pour ses
compatriotes. Bien qu'il y ait plus d'une analogie
entre l'écriture géorgienne et l'écriture arménienne,
cette paternité est fort contestable, car il n'est même
pas démontré que Mesrob ait inventé l'alphabet armé-
127:.
GEORGIE
1270
nicn. Cf. Lynch, Armenia, Travels and éludes, Londres,
1901, t. i, p. 312. Le Dr R. von Aricht, Ist die JEhnlicli-
kcit des glagolitisehen mit dem grusinischen Alphabet
Zu/all ? Leipzig, 1895, admet que l'alphabet slave
primitif dit glagolitique est un emprunt fait à l'al-
phabet civil géorgien, ce qui est une nouvelle preuve
de l'antiquité de celui-ci.
La littérature géorgienne ne s'est pas bornée, comme
certaines autres, aux sciences ecclésiastiques; elle s'est
essayée également dans le domaine purement profane
e1 a donné de véritables chefs-d'œuvre en prose et en
vers. Malgré les vicissitudes de la vie nationale, on
peut dire qu'elle n'a pas cessé de produire un seul
instant depuis le commencement jusqu'à nos jours.
Alors que d'autres peuples orientaux se bornent à peu
près exclusivement aujourd'hui à des traductions d'ou-
vrages européens, les Géorgiens sont restés fidèles à
leurs traditions et ne subissent que faiblement l'in-
fluence occidentale.
On divise ordinairement l'histoire de la littérature
géorgienne en quatre périodes : la période primitive
ou préparatoire, du ve au xe siècle, la période classique,
du xe au xmc siècle, la période nouvelle, du xme au
xix1", enfin, la période moderne, du xixe siècle à nos
jours. Cette histoire est encore imparfaitement connue.
Il reste dans les diverses bibliothèques de la Géorgie et
de l'étranger une masse de manuscrits non encore
étudiés, dont la publication jettera certainement une
lumière nouvelle sur les siècles passés. Malgré ces
lacunes, nous pourrons donner de la littérature géor-
gienne un aperçu suffisant.
1° Période primitive. — 11 est tout naturel que les
premières productions littéraires de la Géorgie aient
été des traductions de l'Écriture sainte. On comprend
que dès le début les missionnaires eurent à cœur de
rendre intelligible aux fidèles le texte des Livres
sacrés. Un manuscrit du ixe siècle, conservé au musée
de la Société pour la diffusion de la littérature géor-
gienne, intitulé YÉpttre des apôtres — il renferme
toutes les Épîtres apostoliques — porte en suscription
qu'il a été copié sur un manuscrit plus ancien qui
remonte à la troisième année du règne d'Arcadius,
c'est-à-dire vers 398-399. Nous savons aussi que le
roi Pharsman (542-557) donna à Évagre, du monastère
de Saint-Chio, un Évangile qui avait appartenu au roi
Vakhtang (446-499). C'était peut-être celui que le roi
Artchil I" (410-434) fit traduire pour sa belle-fille,
la princesse perse Sagadoukte, mère de Vakhtang.
C'est très probablement dans l'idiome de la Perse que
fut faite cette traduction, mais elle prouve assez
clairement que l'Écriture sainte était déjà connue et
appréciée en Géorgie. Il ne manque pas d'autres
documents qui prouvent l'activité littéraire des Géor-
giens dans les premiers siècles du christianisme. Un
manuscrit de 897, appelé 1' <■ Évangile d'Adiche » en
Svanétic, semble avoir été copié sur un texte beaucoup
plus ancien. Parmi les livres de la bibliothèque de
Saiiil-Sabas, il existe un synaxaire géorgien du vne siè-
cle. Le Sinaï possède de nombreux manuscrits géorgiens
sur papyrus, menées, psautiers, etc., que l'on fait
également remonter au vne siècle, mais qu'on n'a pas
encore suffisamment étudiés, Vn ordo de messes trouvé
par Tischendorf fut copié en 941 sur un autre qui est
resté inconnu. Les quatre Evangiles de Xnissa, docu-
ment à peine recensé, portent la date de la créa-
tion 0110, ce qui revient à l'an 506 de notre ère, d'après
le système géorgien. Les Evangiles d'Urbnissa sont
du mi' siècle; ceux de Parkalissa et de Tbétissa ne
sont que des copies faites en 973 et 995 sur des manu-
scrits plus anciens.
Sur quel texte fuient faites ces traductions primi-
tives ? II est difficile d'admettre que l'Épître des
apôtres, qui remonte à 398-399, ait été traduite sur
un texte arménien, car Mesrob et Sahag n'avaient
pas encore entrepris de traduire les Livres saints dans
leur langue. Il est toutefois hors de doute que beaucoup
de ces traductions subirent l'influence des Arméniens.
Nous en avons pour preuve l'aveu de saint Georges
Mtatsmindéli. Khakhanachvili, Histoire de la littéra-
ture géorgienne, Tiflis, 1904, p. 98. Il reconnaît que la
zizanie, c'est-à-dire les erreurs des Arméniens, s'était
introduite dans le texte sacré. La Syrie exerça éga-
lement une certaine influence, surtout au vie siècle.
Mais, à partir du vne siècle, c'est du côté de Constan-
tinople que les Géorgiens vont principalement chercher
la lumière. L'influence grecque pénètre déplus en plus
et domine bientôt seule. Les importants monastères
géorgiens répandus dans l'empire byzantin dirigent
ce mouvement qui atteint son apogée aux Xe et
xie siècles. Livres saints, livres liturgiques, œuvres
des Pères, toutes les richesses ecclésiastiques des grecs
pénètrent donc après celles des Arméniens et des
Syriens.
Il ne faudrait pas croire cependant que le mouve-
ment littéraire se borna uniquement aux sciences
religieuses. Dès le début, l'histoire occupe une place
importante. L'ouvrage intitulé : la Conversion de la
Géorgie, dont la première partie au moins remonterait
au vne siècle, fait connaître une masse d'écrits plus
anciens fort précieux sur les premiers siècles du
christianisme en Géorgie et qui ont malheureusement
disparu. Une autre chronique importante de cette épo-
que paraît subsister dans une traduction arménienne
du xvine siècle. Le sujet principal de cet ouvrage
est la description de la Géorgie au temps du roi
Vakhtang Ier (446-499), composée par un certain Gou-
amber qui la continua jusqu'au règne d' Artchil II
(688-718). Enfin, les Annales géorgiennes, vaste compi-
lation exécutée au xviii0 siècle sous le roi Vakhtang VI
(1703-1738), sont basées sur une foule d'écrits histo-
riques très anciens qui relatent les origines et l'histoire
de la nation. Comme il y a une différence considérable
entre le récit de la Bible et celui des Annales, certains
auteurs veulent que ces documents soient antérieurs
à l'introduction du christianisme en Géorgie. Tamarati,
Église géorgienne, p. 28.
2° Période classique. ■ — La seconde période ou
période classique manifeste clairement l'influence
grecque, mais non point dans tous les genres littéraires.
Les couvents géorgiens de l'empire byzantin, parti-
culièrement celui du mont Athos, ceux d'Opisi, de
Chatbéri, de Saint-Chio Mgvimé, de Garedja et de
Guélati, en Géorgie, concentrent à eux seuls presque
tout le mouvement littéraire de l'époque. Au mont
Athos, saint Euthyme (964-1028) et saint Georges
Mtatsmindéli (1014-1066) dirigent une école de tra-
ducteurs qui font profiter leur patrie des ouvrages
grecs les plus importants. La Bible et les livres litur-
giques sont minutieusement revisés sur le texte grec.
Saint Euthyme publie à lui seul la traduction de
52 ouvrages et saint Georges de 17. On trouvera la
liste de 191 manuscrits géorgiens du mont Athos,
qui sont pour la plupart de cette époque, dans le
Journal asiatique, 6e série, 1867, t. i, p. 333-350. Elle
fut dressée en 1836 par le P. Hilarion, confesseur du
roi Salomon II. On y voit les œuvres de saint Atha-
nase, de saint Basile, de saint Grégoire de Nazianze,
de saint Jean Chrysostome, de saint Jean Damascène,
les vies d'une foule de saints, des synaxaires, des
ouvrages apocryphes, etc. M. Tsagarelli a publié dans
le Sbornik, revue de la Société russe de Palestine,
Saint-Pétersbourg, 1883, t. iv, p. 144-191, la liste
des 147 manuscrits géorgiens conservés dans la biblio-
thèque patriarcale de Jérusalem et qui viennent pour
la plupart du monastère de Sainte-Croix. Le Sinaï
possède aussi un certain nombre de manuscrits. Tous
1277
GÉORGIE
1278
ces ouvrages et même une bonne partie de ceux qui se
trouvent en Géorgie n'ont pas encore été suffisamment
étudiés.
Vers le milieu du xc siècle, le catholicos Arsène II
(94(3-976) écrit sous le titre l'Abeille une histoire de la
séparation des Géorgiens et des Arméniens; il aurait
aussi travaillé à une collection de vies de saints,
particulièrement de saints nationaux. Baumstark,
Die christlichen Lileralurcn des Orients, Leipzig, 1911,
t. ii, p. 104. A la même époque, Jean Pétrissy traduisait
les œuvres de Platon et d'Aristote.
A l'influence byzantine vint bientôt se joindre
l'influence des Arabes et des Perses. Les premiers
importèrent les sciences positives : mathématiques et
astronomie (ils avaient déjà, au vme siècle, établi un
observatoire à Tiflis). Les Perses enrichissent la litté-
rature géorgienne d'une série de compositions en prose
et en vers. Le règne de Thamar (1184-1212) est marqué
par l'éclosion d'oeuvres remarquables dues à cette
influence. Les poètes Tchakhroudzé et Chota Rous-
tavéli célèbrent la reine dans leurs poèmes; Sarghis
Tmogvéli compose le poème héroïque intitulé : Amiran-
Darédjuniani et le roman Visramiani. Mais de tous
les écrivains de cette époque, le plus remarquable est
sans contredit le poète Chota Roustavéli. Les Géorgiens
lisent et étudient toujours avec une respectueuse
admiration son œuvre principale, la Peau de léopard
ou mieux l'Homme revêtu de la peau de léopard, com-
posée sous la reine Thamar et que certains évoques
trop zélés du xvinc siècle condamnèrent comme impie.
Leist en a publié une traduction en allemand, Leipzig,
1880, et Achas Borin une autre en français, Paris, 1885.
3° Période nouvelle. — Après la période classique,
la littérature géorgienne tomba dans une décadence
profonde causée par les désastres extérieurs et les
troubles intérieurs qui bouleversèrent le pays : inva-
sions des Mongols, de Timour-Leng, des Persans, etc.
La prise de Constantinople par les Turcs en 1453
affaiblit pour toujours l'influence grecque qui était
déjà sur le déclin. La renaissance littéraire ne se pro-
duisit qu'au xviie siècle; elle se continua pendant le
siècle suivant.
Même l'époque la plus troublée de cette période,
du xm° au xvne siècle, nous a laissé de nombreuses
traductions et des écrits originaux, entre autres une
quinzaine de poèmes épiques. On rencontre aussi
quelques monuments de la législation civile et ecclé-
siastique, tels que les lois du roi Georges V le Brillant
(xive siècle), les lois de Béka, complétées au xv° siècle
par le prince Aghbougua, suzerain du Samtzkhé Saata-
bago. Au xiiic siècle, le catholicos Arsène publie des
règlements ecclésiastiques; au xive, l'archimandrite
Georges traduit en géorgien les canons de l'Église;
au xve, sur la proposition du catholicos Malachie, un
concile publie des ordonnances obligatoires pour tous
et confirmées par la signature de onze archevêques.
Ces ordonnances et les lois du roi Georges V, ainsi que
celles de l'atabek Béka et d'Aghbougua, firent plus
Lard partie du code du roi Vakhtang VI. Comme
œuvres historiques, citons : l'Histoire des rois d'Jmé-
rétic par le catholicos Arsène (xive siècle); la Des-
cription du Samlzklié-Saatabago par le moine Jean
Mangléli (xv° siècle), la Destruction de la Géorgie par
Ismacl du catholicos Domenti (xvie siècle), la Vie et
les actes des princes d'Imérétie, par le moine Evdémon.
La renaissance des xvn° et xvme siècles, sous les
rois Art chil, Téimouraz Ier,Téimouraz II, Vakhtang VI,
Iléraclius II, produisit des œuvres plus remarquables.
Artchil, roi de Géorgie et d'Imérétie, a laissé plusieurs
ouvrages poétiques, dont l'Arlchiliani, œuvre épique
qui retrace la vie et les actes de Téimouraz Ier. Ce
souverain occupe une place importante dans la litté-
rature géorgienne; il a traduit l'Histoire d'Alexandre
le Grand du pseudo-Callisthènes. Plusieurs autres
princes de la famille royale écrivirent aussi des traités
sur la théologie, la philosophie et l'histoire, ainsi que
des poésies. L'œuvre la plus importante est le poème
de David Gouramichvili qui raconte les malheurs de
la Géorgie au xvme siècle. Le prince-moine Saba
Soulkan Orbéliani, converti au catholicisme, et qui
avait voyagé en Europe, compose un dictionnaire et
un recueil de fables intitulé: Livre de la sagesse et du
mensonge. Vakhoucht, fils de Vakhtang VI, rédigea
une géographie et une histoire, la Vie de la Géorgie
ou Annales géorgiennes, d'après les riches matériaux
recueillis par le comité historique qu'avait formé son
père. Vakhoucht fit imprimer une édition complète
de la Bible à Moscou en 1742-1753. Enfin le catholicos
Antoine Ier, outre diverses traductions d'ouvrages
profanes, composa une théologie, un martyrologe,
des biographies de saints, etc.
4° Période moderne. — Cette période a produit un
grand nombre d'auteurs distingués, mais qui ne se
sont guère occupés que d'œuvres profanes. Dans la
première moitié du xixe siècle, la littérature est à peu
près exclusivement d'inspiration géorgienne; dans la
seconde au contraire, l'influence étrangère, russe ou
autre, se fait vivement sentir, sans exclure complè-
tement le nationalisme littéraire.
Citons dans la première moitié du siècle : le prince
Georges Eristavi, le premier dramaturge géorgien,
fondateur du journal Tsiscari (l'Aurore), les princes
Alexandre Tchavtchavadzé, Grégoire Orbéliani, Nico-
las Baratchvili, Vakhtang Orbéliani, Raphaël Eristavi,
les princesses Nino Orbéliani et Barbare Djordjadzé,
tous poètes remarquables, et le romancier Djonkadzé.
Cette première période est signalée par les travaux
littéraires et scientifiques des fils du dernier roi,
Georges XII; le prince David écrit un abrégé de
l'histoire de la Géorgie, son frère Jean recueille les
actes diplomatiques de Georges XII; Téimouraz
compose une excellente Histoire de la Géorgie; Bagrat
réunit les proverbes et dictons populaires. Le seul
auteur ecclésiastique à mentionner à cette époque est
l'évêque Gabriel d'Imérétie, prédicateur célèbre, dont
les sermons ont été traduits en anglais par Mahun,
évêque anglican de Broad-Windsor.
Après 1850, on remarque le prince Ilia Tchavl-
chavadzé, poète et romancier, fondateur du journal
Sakarloelos Moambé (le Messager géorgien), les princes
Akaki Tsérétéli et Mamia Gouriéli, poètes lyriques,
l'économiste N. Nicolatzé, le romancier Georges Tséré-
téli, auteur d'ouvrages d'archéologie et d'histoire,
Catherine Gabachvili, auteur de romans, le prince
Jean Matchabéli, traducteur des œuvres de Shakes-
peare. Parmi les dramaturges citons : le prince Raphaël
Eristavi, Eugène Tsagaréli et Alexandre Kazbek. Les
frères Rasikachvili consacrèrent leur talent poétique
à la description de la vie, des mœurs, des coutumes
des montagnards. Les historiens les plus connus sont
Platon Josséliani, Dimitri Bakradzé et F. M. Brosset,
orientaliste français, qui consacra une grande partie
de sa vie à l'histoire de la littérature géorgienne.
David Tchoubinof a composé de nombreux ouvrages
classiques ; A. Khakhanachvili s'est occupé de l'histoire
littéraire
Une partie de l'activité littéraire des Géorgiens se
dépense depuis longtemps en de nombreux journaux et
revues malgré les tracasseries de la censure officielle
russe qui supprime ou condamne impitoyablement
toute feuille dont les appréciations lui paraissent quel-
que peu libres. Il convient de citer les principaux
organes de la presse géorgienne pour montrer combien
est vivante et active l'élite intellectuelle du pays.
Les principaux journaux sont : Imereli (l'Irémétie),
qui se publie à Koutaïs; Khma Kakhetissa (la Voix de
1279
GEORGIE
1280
Kakhétie) à Télav; Karthli (la Karthlie) à Cori;
Iialoumi Gazcli (le Journal de Batoum); Sassoplo
Journali (le Journal du village); Coopcratsia (la Coopé-
ration), à Koutaïs; Sakhalkho Gazcti (le Journal du
peuple), à Tiflis : c'est le plus répandu; enfin Taviscou-
pali Sakarihlo (la Géorgie indépendante) qui se publie
en Europe. Citons parmi les revues : Ganatlcba (l' Illu-
mination), revue mensuelle; Kldé (le Rocher), revue
hebdomadaire, à Tiflis; Gantiadi (l'Aube), revue ecclé-
siastique, à Koutaïs; deux revues pour l'enfance :
Djidjeli (la Germinaison) et Naghdouli (le Ruisseau);
Mossavali (la Récolte), revue mensuelle agricole, à
Tiflis: Samkhournalo Pourlsêli (Feuille de médecine),
à Tiflis.
Le gouvernement russe a supprimé ces dernières
années plusieurs journaux importants, dont quelques-
uns très anciens, parce qu'ils publiaient des articles qui
n'avaient pas le don de lui plaire. Citons : lveria
(l'Ibérie), Droc ba (le Temps), Issari (la Flèche), Moambé
(le Messager), Tsnobis Pourlsêli (la Feuille de nouvel-
les), Tsiscari (l'Aurore), Crébouli (le Recueil), Eri (la
Nation).
Enfin, on rencontre en Géorgie une dizaine de
sociétés qui s'occupent de répandre dans le peuple le
culte de la tradition littéraire nationale ou de la civili-
sation en général. 1. La plus importante est sans con-
tredit, la Société pour la diffusion de la littérature
géorgienne, fondée à Tiflis en 1877. Elle vit des coti-
sations de ses membres, de donations et de fondations;
son budget annuel est de 200 000 roubles, c'est-à-dire
de 520 000 francs. La Société, dont le siège est à Tiflis,
a des succursales un peu partout, principalement à
Gori, Télav, Koutaïs, Batoum, Soukhoum-Kalé, Sam-
trédi, Bakou, Vladicavcase, etc. Elle possède à Tiflis
un musée historique et une bibliothèque de manuscrits
et de documents concernant la Géorgie. Son but est
d'éditer des manuels populaires et scientifiques et de
créer des bibliothèques populaires dans les villes et les
villages. Elle entretient aussi 15 écoles primaires. 2. La
Société des nobles du gouvernement de Tiflis s'occupe
de l'instruction de la jeunesse. Elle possède deux
gymnases à Tiflis, un pour les garçons et un pour les
filles. 3. 11 existe une société semblable à Koutaïs,
où elle dirige un gymnase; elle a de plus une école se-
condaire à Akhalisénaki. 4. La Société d'illumination
(d'instruction et d'éducation) à Tiflis; elle y possède
une école secondaire de filles. 5. La Société des dames
géorgiennes dirige à Tiflis une école professionnelle
gratuite pour les jeunes filles. 6. La Société géorgienne
d'histoire et d'ethnographie possède un musée à
Tiflis. Elle édite des manuscrits anciens et les œuvres
de ses membres. 7. Il existe une société semblable à
Koutaïs. 8. La Société de haute littérature vient en
aide aux écrivains géorgiens et publie leurs œuvres.
Citons encore une société pour l'enseignement commer-
cial, une autre pour l'enseignement agricole, trois so-
ciétés dramatiques à Tiflis, Koutaïs et Batoum; enfin
une société philharmonique à Tiflis, qui recueille les
chants populaires et qui dirige à Tiflis une école de
musique.
Terminons cet aperçu de la littérature géorgienne
en disant quelques mots sur les premiers livres im-
primés. En 1027, la Propagande publie un paroissien
et un catéchisme. Le roi Artchil fait ouvrir à Moscou
la première imprimerie géorgienne importante (1705)
qui édite tout d'abord le Psautier, puis la Bible tout
entière. L'évêque Anthime de Valachie, géorgien de
naissance, en fonde une autre, vers 1710, à Rimnic;
il la transfère ensuite à Targovncin, puis à Sviagov,
près de Bucarest, et l'envoie finalement en Géorgie
avec les ouvriers, après avoir imprimé le Kontakion.
Deux imprimeries s'établissent bientôt en Géorgie,
celle de Tiflis et celle de Koutaïs. Tiflis édite l'Évangile
en 1709, l'Horologion et le Kontakion en 1710. On
trouve encore des imprimeries géorgiennes dans diverses
villes russes, à Wladimir, à Krementchouk, à Saint-
Pétersbourg, à Novgorod, etc. Samébéli fait imprimer
a Novgorod (1739-1740) l'Horologion, la Paraclitiki
et l'Évangile. Moscou édite la Bible en 1733; le prince
Vakhoucht la révise et en fait une nouvelle édition
en 1742-1543; en 175G, le catholicos Antoine 1er
imprime tous les livres ecclésiastiques; en 1765,
paraissent les Épîtres, le Psautier et un nouvel
Horologion. La Bible géorgienne fut réimprimée de
1848 à 1884. Sur l'ordre du saint-synode, on travaille
actuellement à une nouvelle édition des Livres saints,
basée non sur le texte grec, mais sur la traduction
slave qui est connue pour ses fautes. Aussi l'accueil
que les Géorgiens font à cette œuvre est-il plutôt froid.
XXI. Mission latine. Du xme au xvne siècle. —
Les premiers missionnaires latins qui pénétrèrent en
Géorgie, vers 1230, étaient des franciscains. Une lettre
du pape Grégoire IX au roi de ce pays (avril 1233)
nous apprend qu'il envoyait ces apôtres non dans le but
de ramener les Géorgiens à l'unité qu'ils n'avaient
peut-être point encore rejetée, mais de convertir les
populations païennes des environs. Archives Vaticanes,
Reg. Val. 17, fol. 6. Quelques années plus tard, huit
frères prêcheurs envoyés par le même pape établis-
saient à Tiflis un monastère qui devint le centre de
leurs missions (1240). Tamarati, Église géorgienne,
p. 430. Malgré les calamités qui continuaient de fondre
sur la Géorgie, les papes ne cessaient pas de lui envoyer
des missionnaires. Nicolas IV écrit à deux reprises
(1289, 1291) au roi et au catholicos pour leur recom-
mander des franciscains. Langlois, Registre de Nico-
las IV, Paris, 1893, t. i, p. 391 ; t. n, p. 393, 904.
Au début du xivc siècle, les papes se préoccupent de
nouveau du sort religieux de la Géorgie. Jean XXII
écrit en 1321 au roi Georges V le Brillant (1318-1364)
pour le presser de revenir à l'unité romaine. Archives
Vaticanes, Ioan. XXII com. Reg. Val. 62, fol. 5.
Sept ans plus tard, il transférait à Tiflis l'évèché de
Smyrne, ruiné par les Turcs, puis il érigeait la capitale
de la Géorgie en siège épiscopal latin (1329). Le
premier titulaire de ce nouveau siège fut un ancien
apôtre de la Géorgie, le dominicain Jean de Florence,
qui gouverna la mission pendant dix-neuf ans. Tama-
rati, op. cit., p. 442. Les missionnaires latins, francis-
cains et dominicains, continuaient de venir nombreux
en Géorgie et de travailler à la conversion des païens
et au retour des schismatiques à l'union. Ch. de Saint-
Vincent, L'année dominicaine, Amiens, 1702, p. cvn;
Henrion, Sloria univcrsale dclle missioni catlolichc,
Turin, 1746, 1. 1, p. 125. Jean de Florence fut remplacé
en 1349 par Bertrand Colletti que Clément V transféra
à Ampurie et auquel il donna comme successeur
l'évêque Bertrame (1356). Le grand schisme d'Occident
fit sentir jusqu'en Géorgie ses funestes effets. Bertrame,
ayant pris parti pour le pape de Rome, Urbain VI,
se vit destituer par son rival d'Avignon, Clément VII,
qui le remplaça par un de ses partisans, le franciscain
Henri Ratz. Archives Vaticanes. Clem. VII com. Reg.
Vat. 228, fol. 39. Quelques années plus tard, Bertrame
fut rétabli sur son siège de Tiflis où il mourut en 1391.
Il eut pour successeur Léonard de Villaco, nommé
par Boniface IX, Archives Vaticanes, Boni/. IX,
ann. n, 1. XVII, fol. 168, puis par un certain Jean,
nommé à une date inconnue. En 1425, Martin V
choisit comme évêque de Tiflis le dominicain Jean de
Saint-Michel. Archives Vaticanes, Reg. Vat., Alarl. V,
1. XXXII, fol. 207. Nicolas V nomma un autre domi-
nicain, Alexandre, en 1450, et Pie II, en 1462, Henri
qui mourut la même année, puis Henri Wonst, un
franciscain. Le siège passa le 10 juillet 1469 à un
augustin, Jean Ymmink, et revint ensuite aux fran-
1281
GEORGIE
1282
ciscains qu comptèrent parmi eux les deux derniers
titulaires du siège de Tiflis, Albert Engel en 1493 et
Jean Schneider de Dortmund en 1507. Tamarati,
Église géorgienne, p. 450. Il y eut donc quatorze
évêques latins de Tiflis depuis la création du siège en
1329, jusqu'à sa disparition au début du xvi° siècle
A partir de ce moment, les missionnaires latins se
firent de plus en plus rares en Géorgie jusqu'à dis-
paraître tout à fait pendant un siècle environ. C'est
alors qu'ils furent momentanément remplacés par les
frères unis ou uniteurs, branche arménienne de la
famille de saint Dominique. Nous voyons, en effet, le
pape Paul III recommander deux de ces missionnaires
au roi de Géorgie, Louarsab (juin 1545). Archives
Vaticanes, Paul. III, ann. xi-xn, t. v, 1. CCXLV,
fol. 104. La mission des frères uniteurs semble avoir
eu un plein succès, puisque le pape envoya l'année
suivante un nonce en Géorgie, l'archevêque arménien
Etienne de Natchitchévan. Archives Vaticanes,
Paul. III, ibid., fol. 286.
XXII. Mission des Pères théatins (1626-1700).
— Pendant près d'un siècle, les Géorgiens furent privés
de missionnaires catholiques. Au début du xvnc siècle,
ils en demandèrent d'eux-mêmes. Les deux princes
Manukar et Alexandre s'adressèrent à ceux qui évan-
gélisaient la Perse, mais ils n'en obtinrent aucun.
Antoine de Govvea, Relation des grandes guerres cl
victoires obtenues par le roij de Perse Cha Abbas, p. 477.
Les princes de la Géorgie occidentale les imitèrent
bientôt. Le prince Dadian réussit à faire venir un
Père jésuite de Constantinople, le P. Louis Granger,
qui partit pour la Mingrélie en 1614 et commença un
apostolat fructueux que le manque de missionnaires
obligea d'abandonner. En 1624, la Propagande envoya
en Orient quatre Pères dominicains pour étudier la
situation. L'un d'eux visita la Géorgie et promit aux
princes de ce pays de leur faire envoyer des mission-
naires. On ne put malheureusement tenir ces pro-
messes. Archives de la Propagande, Persia, Giorgia,
Mengrelia e Tartaria, t. ccix, fol. 439 sq. Plusieurs
rapports favorables ayant été envoyés à la Propagande
par divers missionnaires, cette Congrégation se décida
à entreprendre le retour des Géorgiens à l'unité
calholique. Elle choisit pour cela l'ordre des théatins.
Le P. Pierre Avitabille partit de Rome en 1626 avec
deux autres Pères. En route, ils rencontrèrent, à
Messine, un moine géorgien, Nicolas Erbachi, envoyé
comme ambassadeur par le roi Téimouraz auprès du
pape et des autres souverains d'Europe. Silos, Historia
clericorum rcgularium, Rome, 1655, t. il, p. 588.
Nicolas Erbachi, après s'être converti à Rome, fit
fondera la Propagande une imprimerie pour la langue
géorgienne et imprima dans cette langue un petit
livre de prières et un dictionnaire italo-géorgien.
Tamarati, op. cit., p. 505. Les missionnaires théatins
n'arrivèrent en Géorgie qu'en décembre 1628. Leur
prédication et l'exercice de la médecine leur attirèrent
bientôt la sympathie générale, malgré les calomnies
répandues sur eux par des prêtres grecs venus de
Jérusalem pour quêter en faveur du Saint-Sépulcre.
Le retour de Nicolas Erbachi accentua encore cette
sympathie. Cependant le roi Téimouraz n'osa point
faire publiquement profession de foi catholique.
Deux nouveaux missionnaires théatins partirent pour
la Géorgie en 1630. Ils rencontrèrent à Malte le
1'. Pierre Avitabile, envoyé à Rome pour y exposer la
situation de la Géorgie et qui repartit bientôt avec
quatre nouveaux missionnaires, parmi lesquels le
P. Christophore Castelli qui joua un grand rôle dans
la suite. Il semblait que la mission allait se développer,
mais les dispositions du roi ayant complètement changé
sur le refus des Pères de lui verser une forte somme
qu'ils n'avaient pas d'ailleurs, tout espoir d'une conver-
DICT. DE THi.OL. CATHOL.
sion en masse de a nation fut perdu. Le pays tomba
bientôt sous la domination des Persans, ce qui ne
facilitait pas la tâche des missionnaires. A la suite de
cette conquête, la Propagande plaça, en 1633, la
mission de Géorgie, sous la juridiction de l'évêque
latin d'Ispahan. En même temps, on créait à Rome le
collège urbain de la Propagande, dont l'cvangélisation
de la Géorgie avait été l'occasion, et on y réserva deux
places pour les jeunes gens de ce pays. La mission
reprit une certaine importance, puis la peste et les
guerres qui désolaient la Géorgie orientale ne tardèrent
pas à la ruiner presque complètement. C'est alors que
plusieurs Pères théatins allèrent s'établir en Min-
grélie (1633) et deux autres en Gouric, l'année suivante.
Malheureusement, l'ordre ne sut pas borner son
apostolat à la Géorgie. Les résultats merveilleux que
les augustins obtenaient dans les Indes décidèrent le
P. Avitabile et plusieurs de ses compagnons à se rendre
dans ces missions lointaines. Ce fut la cause pour
laquelle fut abandonnée la mission de Gori, en Géorgie
(1638). Archives de la Propagande, Persia, Giorgia,
Mengrelia e Tartaria, t. ccix, fol. 391. Les mission-
naires de Gourie avaient reçu un excellent accueil
du prince Malachie, qui était en même temps catholicos
de la Géorgie occidentale. Ils établirent une école et
firent beaucoup de bien, malgré l'hostilité des prêtres
grecs. Galanus, Concilialio Ecclesiœ armense, t. m,
p. 169. La plus célèbre conversion opérée par un des
leurs, le P. Castelli dont nous avons parlé plus haut,
fut celle d'une princesse géorgienne, nommée Hélène,
que le prince de Mingrélie, Dadian, obligea à épouser
le chah de Perse, mais qui resta toujours catholique.
Cottono, De scriploribus clericorum rcgularium, p. 93.
La mort du prince-catholicos Malachie nuisit beaucoup
à la mission. L'hostilité du nouveau titulaire. Vakh-
tang, obligea le P. Castelli et son compagnon à quitter
le pays pour se réfugier en Mingrélie. Le missionnaire
persécuté fut bientôt appelé par Alexandre, roi d'Imé-
rétie. Là encore il fut en butte aux poursuites des
prêtres grecs. Le patriarche d'Alexandrie vint même
à Routais au nom de son collègue de Constantinople
demander au roi l'éloignement du P. Castelli, mais sa
démarche demeura sans succès. Le prestige des Pères
s'accrut beaucoup aux yeux du peuple par suite de
l'échec des grecs. Malheureusement, le prince Dadian
réclama le missionnaire et recourut même aux menaces
de guerre pour obliger le roi Alexandre à le laisser
partir. Archives de la Propagande, Persia, Giorgia,
Mengrelia e Tartaria, t. ccix, fol. 204. Cependant la
mission de Mingrélie que le P. Castelli venait renforcer
voyait grandir son influence. Le prince Dadian donna
aux théatins une belle église à Cipourias et douze
enfants à élever dans la foi catholique. Lamberti,
Isloria sacra dei Colchi, p. 323 sq. Ils réussirent à faire
défendre par le prince le trafic honteux des esclaves,
très important dans tout le pays, puisque les mar-
chands grecs et arméniens en emmenaient chaque
année une moyenne de deux mille de la seule Min-
grélie, pour les vendre aux Turcs. Archives de la
Propagande, Persia, Giorgia, Mengrelia e Tartaria,
t. ccix.fol. 393 sq. De même, ils réussirent à rebaptiser
nombre de personnes dont le baptême, conféré par des
prêtres ignorants et d'après des rituels fautifs, était
invalide. Ils firent disparaître les fautes qui s'étaient
glissées dans le rituel et instruisirent le clergé de ses
devoirs par rapport à l'administration des sacrements.
Cottono, op. cit., p. 96. Pour pouvoir donner le bap-
tême, ils durent recourir à des subterfuges, et le
conférer souvent sous prétexte de médecine. Silos, op.
cit., t. il, p. 631. Plusieurs conversions importantes
récompensèrent les missionnaires de leurs efforts.
L'archevêque grec de Trébizonde, Macaire, en tournée
de quêtes en Mingrélie, et l'archevêque géorgien
VI. —41
1283
GEORGIE
1284
Allaverdéli, tous deux farouches adversaires des
latins, se laissèrent loucher par la grâce et se firent
catholiques. Archives de la Propagande, Lcllere délia
Mengrelia, etc., t. cxxm, fol. 7; Lamberti, op. cit.,
p. 353. Puis ce fut le tour du prince Dadian que les
missionnaires baptisèrent et qui envoya des ambas-
sadeurs au pape Urbain VIII pour lui témoigner son
entière soumission. Archives de la Propagande, Lcllere
di Polonia, Moscovia, Valachia, Moldavia, Palestina,
Soria, Armcnia, Persia cl Tartaria, t. xi.ii, fol. 109. La
mort du prince en 1657 et la pénurie de sujets entraîna
la ruine de la mission des Pères théatins. Archives de
la Propagande, Lcllere délia Sacra Congregazione,
t. xxx, fol. 111. Dès 1660, un des leurs, le P. Galano,
établi à Constantinople, proposait à la Propagande
d'envoyer en Géorgie des religieux d'un autre ordre.
Archives de la Propagande, Asia e Cipro, t. ccxxvn,
fol. 33. Cependant la S. C. hésitait à enlever aux
théatins cette mission où ils avaient si bien travaillé.
Elle demanda à leur général de choisir de nouveaux
missionnaires aussi nombreux que possible. Archives
de la Propagande, Scritlure riferite, Giorgia, t. i, p. 12.
Le dernier départ de théatins eut lieu en 1691. Pendant
le court espace de temps que les religieux de cet ordre
ont évangélisé la Géorgie, ils ont produit un bien
immense par leur zèle apostolique, leur charité et
leur vaste érudition.
XXIII. Mission des Pères capucins (1661-1845).
— Nous avons vu que les théatins avaient dû, faute
de sujets, abandonner petit à petit la Géorgie propre-
ment dite pour se replier sur la Mingrélie. La Propa-
gande décida, le 16 juin 1661, de leur attribuer défini-
tivement cette dernière province et de confier le reste
du pays aux capucins. Michaël a Turio, Bullarium
capuccinorum, t. vu, p. 237. Le premier envoi compie-
nait cinq Pères et deux frères convers qui eurent
beaucoup de difficulté à pénétrer en Géorgie, à cause
des guerres avec les Turcs. Au commencement de 1663,
trois Pères arrivèrent à Tiflis, où ils s'installèrent. Un
d'entre eux, le P. Carlo-Maria de Saint-Marin, retourna
bientôt à Rome pour exposer la situation difficile où
se trouvaient les nouveaux missionnaires au point de
vue matériel et pour demander de prompts secours en
hommes et en argent. Après bien des pourparlers, il
obtint gain de cause. La mission put dès lors exercer
une influence considérable, d'autant plus que les Pères
capucins furent autorisés, comme les théatins, à
exercer la médecine avec prudence. Archives de la
Propagande, Lcllere délia S. Congregazione, t. m,
fol. 209; t. lv, fol. 39. Ils établirent une école et
bâtirent une église qui attira beaucoup de monde.
Archives de la Propagande, Atli délia S. Congregazione,
3 agosto 1671, p. 260. Ils traduisirent en géorgien le
catéchisme de Bellarmin et prièrent la Propagande
de le faire imprimer, ce qui n'eut lieu que dix ans plus
tard, en 1681. Leur apostolat ne s'exerçait pas unique-
ment dans la ville de Tiflis, il rayonnait encore dans les
régions environnantes. Archives de la Propagande,
Scritlure riferite, Giorgia, t. i, n. 27. Un moment, ils
crurent pouvoir conclure l'union de la nation tout
entière avec l'Église catholique, mais le projet ne put
être exécuté, parce que Mgr Piquet, délégué en Perse,
fut empêché de se rendre en Géorgie pour traiter cette
grave affaire. Archives de la Propagande, Scritlure
rijcrilc, t. i, n. 88.
Cependant les retours partiels à l'unité consolèrent
les missionnaires de cet échec. Le roi Georges embrassa
la foi catholique en 1686. Archives de la Propagande,
Acla S. Congregationis, feb. 1686, fol. 23. Il fut bientôt
imité par Euthyme, archevêque de la Géorgie, par son
propre frère, par plusieurs prêtres, Missionari l'oscani,
1. 1, fol. 737, et par le prince Barzim, dont la conversion
produisit une impression profonde. Le roi Georges,
chassé de ses États par une révolution, eut pour
successeur son neveu Cosrov-Khan, qui abjura le
mahométisme et se fit catholique. Parmi les autres
princes qui embrassèrent la cause de l'union, il faut
citer Soulkan, de l'illustre famille des Orbéliani, qui
se fit religieux sous le nom de Saba, et qui rendit les
plus grands services à la cause catholique en Géorgie.
Archives de la Propagande, Acla S. Congregationis,
an. 1714, n. 32, Giorgia, fol. 442. En 1714, le prince-
moine Saba se rendit en France et à Rome pour de-
mander la délivrance de son oncle, le roi Vakhtang,
prisonnier en Perse depuis plusieurs années, et pour
presser l'envoi de missionnaires, lazaristes ou jésuites.
Cette dernière démarche déplut aux capucins. Archi-
ves de la Propagande, Acla S. Congregationis, an. 1714,
n. 32, Giorgia, fol. 442. La Propagande décida de
passer outre, d'accord avec le gouvernement français.
Les lazaristes étaient sur le point de s'embarquer à
Marseille, lorsque la mort de Louis XIV remit tout
en question (1715). Tamarati, Église géorgienne, p. 605.
L'arrivée de nouveaux capucins en Géorgie diminua
le regret de cet échec. Le retour du prince-moine Saba
fut aussi une circonstance favorable au développe-
ment du catholicisme, à cause de l'influence dont il
jouissait dans son pays.
Depuis le commencement de leur mission, les capu-
cins étaient en butte aux persécutions des Arméniens
que les vexations des Persans obligeaient de plus en
plus à émigrer vers le nord. Tous les missionnaires
s'en plaignaient dans leurs lettres. Cf. Archives de la
Propagande, Acla S. Congregationis, an. 1709, n. 43,
Armenia, Giorgia, fol. 203. En 1669, il fallut l'inter-
vention personnelle du roi pour empêcher l'expulsion
des capucins de Tiflis. Archives de la Propagande,
Acla S. Congregationis, an. 1669, n. 20 b, Giorgia,
fol. 257. Une vingtaine d'années plus tard, les Armé-
niens, profitant de l'absence du roi, usèrent de violences
sur les capucins et tentèrent de détruire leur établisse-
ment. Le prince Barzim délivra les missionnaires. Le
renversement du roi Georges, protecteur de la mission
(1697), et les bouleversements politiques qui en furent
la conséquence permirent aux Arméniens de recom-
mencer leurs persécutions. Rome dut recourir au chah
de Perse et faire intervenir les puissances catholiques
pour protéger la mission menacée. P. Raphaël du Mans,
Estât de la Perse, Paris, 1890, p. 376. La persécution
reprit bientôt, car les Arméniens avaient réussi à
s'entendre avec les Géorgiens dévoués aux grecs et
avec les envoyés des patriarches de Constantinople et
de Jérusalem. Archives de la Propagande, Scritlure
riferite, t. dlxvi, n. 43. En 1717, quelque temps après
le retour du prince-moine Saba en Géorgie, les Armé-
niens se montrèrent encore plus hardis qu'auparavant.
Missionari Toscani, part. II, fol. 762 sq. Bientôt
cependant la situation changea. Le roi Vakhtang étant
rentré de Perse dans son royaume, il prit les mission-
naires sous sa protection et le prince-moine Saba
seconda leurs efforts de tout son pouvoir. Archives de
la Propagande, Litière délia S. Congregazione, t. cvn,
fol. 335; t. cviii, fol. 368, 377; t. cix, fol. 389. De
nouveaux troubles agitèrent le pays, mais n'empê-
chèrent point les capucins de développer leurs œuvres,
surtout en Imérétie et à Akhaltzkhé, alors occupée
par les Turcs. Plusieurs princes, comme les deux
Orbéliani, Jean et Vakhtang, parents de Saba, l'évêque
Chrislophore et d'autres personnages importants
embrassèrent alors le catholicisme. Une nouvelle per-
sécution des Arméniens chassa les capucins de Géorgie
et ferma leur église de Tillis (1742). Archives de la
Propagande, Monte Caucaso, Giorgia, t. n, n. 43, 44.
Grâce aux démarches de Rome, les missionnaires
purent rentrer quelques mois après.
L'évêque latin d'Ispahan, qui étendait toujours sa
1285
GÉORGIE
1286
juridiction sur la Géorgie, vint à Tiflis vers la même
époque et crut nécessaire d'y établir un vicaire épis-
copal. Il choisit pour cela le P. Niccolo de Girgenti,
des capucins, ce qui déplut au P. Claudio, préfet de la
mission, alors en voyage en Europe. A son retour, le
P. Claudio quitta la mission de Tiflis pour celle d'Akhal-
tzikhé, La querelle s'envenima à cause du manque
d'esprit de conciliation dont fit preuve le P. Niccolo
et de l'indépendance qu'il montra vis-à-vis du Père
préfet. Rome essaya en vain de calmer les esprits.
Archives de la Propagande, Lcltcrc dclla S. Congrc-
gazionc, t. clxxi, fol. 191; t. clxxiii, fol. 156. Les
démarches tentées de 1742 à 1750 pour faire nommer
un évêque latin à Tiflis n'aboutirent pas. En 1742,
une partie de la Géorgie occidentale, Akhaltzikhé
avec son district, alors sous la domination de la Tur-
quie, fut détachée du diocèse d'Ispahan et confiée
au délégué apostolique résidant à Constantinople. Ar-
chives de la Propagande, Scritlure non rifcrilc, Monte
Caucaso, Giorgia, t. Il, n. 29 a. Cet expédient, imaginé
pour remédier aux difficultés que présentait la visite
de la Géorgie par l' évêque d'Ispahan, n'obtint point
le succès qu'on en attendait. Les délégués apostoliques
n'allèrent jamais au Caucase et ne purent pas mettre
fin aux démêlés qui eurent lieu entre le clergé et les
fidèles et au sein même du clergé. L'absence d'un
évêque fut toujours funeste aux développements de la
mission catholique. En 1757, les capucins obtinrent de
Rome la permission de chanter en langue géorgienne
l'épître, l'évangile, le Gloria et le Credo à la messe
solennelle. En 1784, la même faveur fut étendue aux
Géorgiens qui suivent le rite arménien.
Les frères Orbéliani, dont nous avons parlé plus haut,
se faisant apôtres comme leur parent, le prince-moine
Saba, portèrent la foi catholique dans l'Imérétie ou
Géorgie occidentale, où ils convertirent le catholicos
Bessarion, le roi Alexandre, le prince de Ratcha, Ros-
tom, frère du catholicos, et d'autres personnages impor-
tants, Archives de la Propagande, Miscellanee varie. 1. 1,
cahier xm. Les capucins y établirent aussi une mission
que les envoyés du patriarche grec réussirent à ruiner
complètement. Archives de la Propagande, Scrillnre
non riferite, Monte Caucaso, Giorgia, t. n, n. 63. Les
Arméniens essayèrent d'en faire autant à Tiflis, mais
ils n'y parvinrent pas, même en promettant une somme
de 51 000 écus au catholicos Antoine Ier (1753). Ar-
chives de la Propagande, Scritlure non riferite, Monte
Caucaso, t. n, n. 69. Entre 1750 et 1755, le catholi-
cisme prit à Tiflis une importance considérable. Le
catholicos Antoine, plusieurs prêtres et religieux, une
soixantaine de princes et un grand nombre de fidèles,
étaient unis à Rome. Archives de la Propagande, ibid.,
n. 71. Les grecs et les Arméniens coalisés finirent
cependant par obtenir du roi l'expulsion des capucins,
vers 1757. Rome réussit par ses démarches auprès des
gouvernements français, autrichien et ottoman à faire
revenir les missionnaires à Tiflis, mais ils ne purent
pas rentrer en possession de leur église. Archives de la
Propagande, ibid., n. 76.
La Propagande forma alors le projet de fonder une
nouvelle mission auprès des montagnards du Caucase
et en confia la direction aux religieux de la congréga-
tion de Saint- Jean-Baptiste, malgré l'opposition des
capucins (1760). Archives de la Propagande, Lettcrc
dclla S. Congrcgazione, t. exevi, fol. 433. Les nouveaux
missionnaires, au nombre de cinq (trois religieux de la
congrégation et deux prêtres géorgiens élèves de la
Propagande), ne réussirent pas à atteindre leur desti-
nation et restèrent à Akhaltzikhé. Ils finirent par
abandonner leur projet primitif pour se fixer dans cette
nille où ils commencèrent leur apostolat. Ils n'y
vemeurèrent du reste pas très longtemps. Les Armé-
diens ne désarmaient toujours pas. En 17G9, ils
confisquèrent tous les biens ecelésiastiques de la mis-
sion et les mirent sous séquestre; puis, ils emmenèrent
les capucins en divers lieux où ils les retinrent prison-
niers. Archives de la Propagande, Scritlure non riferite,
Giorgia, t. ni, n. 1. L'intervention énergique de l'am-
bassadeur de France à Constantinople fit relâcher les
missionnaires, mais les simples fidèles ne cessaient pas
d'être molestés. La mission d'Imérétie, d'où les capu-
cins avaient été chassés, reprenait vie, et le roi lui-
même, Salomon, s'y montrait favorable au catholi-
cisme (1780). Pendant ce temps, le roi de Géorgie,
Héraclius II, écoutant les mauvais conseils des Armé-
niens, persécutait cruellement les convertis (1775). Il
en vint même à interdire à ses sujets de se faire catho-
liques, sous peine de deux mois de prison, de la bas-
tonnade, de la confiscation et de l'exil. Archives de la
Propagande, Scritlure non riferite, Giorgia, t. m, n. 60.
Héraclius, ayant fait alliance avec la Russie, les Per-
sans dévastèrent la Géorgie en 1795 et détruisirent
complètement la mission de Tiflis. Archives de la Pro-
pagande, Scritlure riferite, Giorgia, t. v, n. 16. L'an-
nexion du pays à la Russie en 1800 porta le dernier
coup à l'œuvre des capucins dans le Caucase. Ils
avaient à compter dès lors avec le fanatisme moscovite
qui interdisait de se faire catholique.
Les archevêques latins de Mohilev, probablement à
l'instigation du gouvernement de Pétersbourg, préten-
dirent dès 1783 exercer leur juridiction sur la Géorgie,
à cause du traité d'alliance conclu avec la Russie.
Archives de la Propagande, Scriliure riferite, t. iv, n. 28.
Tant que les capucins restèrent dans le pays, ils empê-
chèrent l'exécution de ce projet. En 1807, ils réussirent
à rebâtir l'église de Tiflis, Archives de la Propagande,
ibid., t. iv, n. 42, 46, puis ils en construisirent une
autre à Gori. Ibid., n. 69. Si la persécution n'était
plus autant à craindre, le manque de missionnaires
menaçait de ruiner l'œuvre commencée. En 1813, il
n'y avait plus que deux c apucins dans toute la
Géorgie. On leur donna comme préfet un prêtre armé-
nien, le pro-vicaire d' Akhaltzikhé. Archives de la Pro-
pagande, Letlere délia Sacra Congre gazione, t. ccxciv,
18 et 24 mai 1813; t. ccxv, fol. 70. Ils étaient trois en
1823. Quelques autres vinrent les aider plus tard,
mais en nombre insuffisant. Comme on avait omis
de former un clergé indigène, c'était à bref délai la
ruine de la mission. Elle fut de plus violemment atta-
quée par un prêtre d' Akhaltzikhé, ancien élève de la
Propagande, Paul Sciagulianti, qui fit cause commune
avec les Arméniens contre les latins et s'appuya sur le
gouvernement russe. Archives de la Propagande,
Scriliure riferite, t. v, n. 66. Ce dernier profita des
dissensions survenues entre le clergé arménien catho-
lique et les capucins pour expulser ceux-ci. sous
prétexte qu'ils étaient étrangers (février 1845). Tama-
rati, op. cit., p. 658. Les missionnaires, chassés bruta-
lement de leurs diverses maisons, se réfugièrent
à Trébizonde, d'où ils espéraient toujours pouvoir
pénétrer en Géorgie. Ils n'ont jamais pu réaliser leur
désir.
XXIV. Les catholiques géorgiens de 1845 a
nos .tours. — Après le départ des capucins, les
catholiques géorgiens restèrent plusieurs années sans
autre prêtre qu'un ancien élève de la Propagande.
L'intrigant Sciagulianti leur envoya en vain des prêtres
arméniens catholiques, les fidèles déclarèrent qu'ils
étaient de rite latin et qu'ils n'en suivraient pas d'autre.
Le gouvernement russe dut lui-même demander des
prêtres polonais qui administrèrent les églises sans
connaître la langue du pays. Le Saint-Siège conclut
en 1848 une convention avec le tsar Nicolas Ier, en
vertu de laquelle tous les catholiques de Géorgie, de
rite latin et de rite arménien, furent soumis à l'évêque
latin de Tiraspol, dont le siège venait d'être créé.
1287
GÉORGIE
1288
Acla PU IX, 1. 1, p. 110 sq. Les Arméniens calholiques
cherchèrent dès cette époque à s'emparer des églises
latines et de leurs biens, allant pour cela jusqu'à
prétendre qu'il n'y avait jamais eu de Géorgiens
catholiques, mais seulement des Arméniens. L'empe-
reur Alexandre III travaillait du reste à faire dispa-
raître le caractère national des Géorgiens au profit
de leurs ennemis : il interdit en janvier 188G de
se servir de la langue géorgienne dans les cérémonies
du ciille catholique; on ne pouvait plus ni prêcher ni
prier publiquement dans l'idiome national. En 1893,
il enleva aux Géorgiens, pour la donner aux Arméniens,
l'ancienne église de Tiflis, qui ne fut rendue que sur
les énergiques représentations du Saint-Siège. Malgré
ces persécutions de la part des Arméniens catholiques
soutenus par les pouvoirs publics, le nombre des
Géorgiens unis à Rome n'a pas cessé d'augmenter.
En 1903, ils ont pu construire une magnifique église
a Batoum. On en compte actuellement 40 000 environ,
dont <S 000 suivent le rite arménien, souvent malgré
eux, et 32 000 le rite latin. Le rite gréco-géorgien "est
sévèrement interdit aux catholiques, bien qu'ils aient
une dizaine de prêtres de leur race. Les fidèles dé-
pendent toujours de l'évêque de Tiraspol qui réside
à Saratov.
Depuis une dizaine d'années, il se produit en Géorgie
un mouvement assez puissant qui porte la nation
tout entière à se détacher de l'Église officielle de
Saint-Pétersbourg. La plupart des séparatistes vou-
draient s'unir ù Rome, des démarches avaient même
été commencées dans ce but. Malheureusement, elles
ont cessé, à cause de la difficulté que Rome semble
mettre à reconnaître le rite gréco-géorgien, peut-être
à cause de l'opposition irréductible des Russes. Si les
pouvoirs ecclésiastiques compétents se ne décident
pas à admettre la légitimité de ce rite, qui a une
douzaine de siècles au moins d'existence, il est bien à
craindre que le mouvement d'union n'échoue complè-
tement. Outre que les préoccupations politiques n'en
sont pas absentes, il y a aussi une minorité qui pré-
omise l'entente avec l'Église anglicane. Cette idée n'a
cependant pas jusqu'ici obtenu beaucoup de faveur.
C'est pour venir en aide à ses compatriotes catholi-
ques qu'un prêtre d'Akhaktzikhé, le P. Pierre Caris-
chiaranti (f 1890), fonda à Constantinople en 18G1
la congrégation de l' Immaculée-Conception. La nou-
velle famille religieuse s'établit dans le quartier de
Féri-Keuy, où l'église de Notre-Dame de Lourdes
qu'elle y construisit est devenue un lieu de pèlerinage
très fréquenté. L'œuvre avait surtout pour but de
former un clergé national qui pût travailler effica-
cement à l'extension du catholicisme en Géorgie. C'est
pour cela qu'au début les Pères suivirent le rite ar-
ménien ou le rite latin, suivant qu'ils s'adressaient à
des Géorgiens de l'un ou de l'autre de ces rites. On
devait aussi adopter le rite gréco-géorgien, mais l'au-
torité ecclésiastique n'en a pas encore permis l'usage,
au moins pour la messe. En effet, les Pères récitent
l'office en géorgien, administrent le baptême dans le
rite géorgien, mais ils disent tous la messe latine,
sauf un vieillard qui célèbre en géorgien. Notons
cepen lant que leur supérieur actuel a obtenu de
chanter quelquefois la messe dans le rite national,
pour certaines solennite's. La congrégation, qui suit
la règle de saint Benoit, comptait, au début de 1914,
1.» prêtres, dont 7 étaient missionnaires en Géorgie!
2 frères convers, 7 no virus, 2 postulants convers et
11 petits séminaristes originaires du Caucase. Outre
le cuvent de Féri-Keuy, elle possède encore a Con-
stanlinople uneécole du langue française dans Je quar-
tier de Papas-Keupru .
Le P. Carischiaranti a fondé aussi une communauté
de femmes sous le vocable de l'Immaculée-Conception.
La maison-mère esl à Fcry-Keuy. La congrégation
possède encore une école de langue française aux Dar-
danelles et une autre en Géorgie. Il y a 15 à 20 sœurs
en tout.
I. Ouvrages généraux. — Bacradzé, Histoire de la
Géorgie (en géorgien), Tiflis, 1889; Brosset, Histoire de la
Géorgie, 3 vol., Saint-Pétersbourg, 1849-1858; Additions
à l'histoire de la Géorgie, Saint-Pétersbourg, 1851; Biblio-
graphie analytique des ouvrages de M. M.-l'\ Brosset,
Saint-Pétersbourg, 1S87; Djanachvili, Histoire de l'Église
géorgienne (en géorgien), Tidis, 1866; Histoire de la Géorgie
(en géorgien), Tiflis, 1904; Jordania, Chroniques (en géor-
gien), 2 vol., Tidis, 1893; Khakhanoff, Aperçu géographique
et abrégé de l'histoire et de la littérature géorgiennes, Paris,
1900; Tamarati, L'Église géorgienne, Rome, 1910, ouvrage
très documenté, mais qui ne se dégage pas toujours du
parti pris national.
II. Origines et notions géographiques, ethnogra-
phiques, etc. — E. Babelon, Histoire ancienne de l'Orient,
Paris, 1885, t. iv; Bergeron, Relation des voyages en Tartarie,
Paris, 1034; Brosset, outre les deux ouvrages cités plus
liant, Rapports sur un voyage archéologique dans la Géorgie
et dans l'Arménie, 3 vol., Saint-Pétersbourg, 1849-1851 ;
divers articles dans les Mélanges asiatiques, t. ir et v;
P. C. de Cara, Gli Hycsos o Re Paslori, Rome, 1889; Gli
Helhei, Rome, 1894; E. Chantre, Recherches anthropolo-
giques dans le Caucase, 5 vol., Paris, 1855-1856; Dubois de
Montpéreux, Voyage autour du Caucase, 6 vol., Paris, 1839-
1840; Quelques notices sur la race caucasique, Paris, 1889;
P. de Lagarde, Gesammtlischcs Abhandlung; V. Langlois,
Essai de classification des suites monétaires de la Géorgie,
Paris, 1860; F. Lenormant, Les premières civilisations,
2 vol., Paris", 1874; Les origines de l'histoire d'après la Bible
et les traditions des peuples orientaux, 3 vol., Paris, 1880-1882 ;
Recherches sur les populations primitives, 2 vol., 2e édit.,
Paris, 18S1-1887; Histoire ancienne de l'Orient, 6 vol.,
Paris, 1881; Sur l'ethnographie et l'histoire de l'Arménie
avant les Achéménides, dans Lettres assyriologiques et épi-
graphiques, 2 vol., Paris, 1892; Maspero, Histoire ancienne
des peuples de l'Orient, Paris, 1907; H. Rawlinson, On the
Alarodians oj Raynaldi, Annales ccclesiastici, t. v, x, xi, xiv ;
Elisée Reclus, Nouvelle géographie universelle, Paris, 1881,
t. iv, vi, ix ; L'homme et la terre, 2 vol., Paris, 1905; Tli.
Reinach, Milhridate Eupator, roi de Pont, Paris, 1890;
Vakhoucht, Description géograpliique de la Géorgie (en
géorgien), trad. franc, par Brosset, Saint-Pétersbourg, 1812.
III. Histoire du christianisme en Géorgie. — En
dehors des ouvrages généraux cités plus haut, signalons :
Grégoire Abulpharage, Chronicon syriacum, Leipzig, 1749;
Baronius, Annales ccclesiastici, Rome, 1583-1588, t. i, ix ;
Martyrologium romanum cum notis, Rome, 1536; Fauste
de Byzance, Histoire, dans Collection des historiens anciens
et modernes de l'Arménie, de V. Langlois, Paris, 1867, t. i;
S. Grégoire le Grand, Epist., P. L., t. lxxxvii; Karbé-
lachvili, Hiérarchie de l'Église géorgienne (en géorgien),
Tiflis, 1904; R. Janin, Origines chrétiennes de la Géorgie, dans
les Échos d'Orient, Paris, 1912, p. 289 sq.; Les Géorgiens
à Jérusalem, ibid., 1913, p. 32, 211; Macairc III Za 'in
d'Antioche, Histoire de la conversion de la Géorgie, publiée
par Mme Olga de Lébédev, Rome, 1905; Moïse de Khorène,
Histoire d'Arménie, Venise, 1865; Palmieri, La conversione
ufjicialc dcgl'lbcri al crislianismo, dans Oriens christianus,
1902, p. 130; 1903, p. 148; La Chicsa georgiana e le suc
iirigini, dans Bcssarione, 2e série, 1901, t. vi; L. Petit, art.
Arménie, t. i; Rufin, II. E., P. L., t. xxi; Sabinini, Éden
cL la Géorgie (en géorgien), Saint-Pétersbourg, 1852; Socratc
et Sozomène, IL E., P. G., t. lxvii; Taqischvili, Trois
chroniques historiques (en géorgien), Tiflis, 1890; Vie de
sainte Nino (en géorgien), Tiflis, 1891 ; Rounkévitch, L'exar-
chat de Géorgie, dans l'Encyclopédie tliéologique orthodoxe,
Lopoukinc-GIoubovski, Saint-Pétersbourg, 1903, t. m,
col. 717-753.
IV. Missions catholiques en Géorgie. — L. Auvray,
Les registres de Grégoire IX, Paris, 1896, t. i; P. A. Carayon,
DiiciiiiKiits inédits concernant ta Compagnie de Jésus,
Poitiers, 1869, t. xx; <i. M. Coltono, De scriptoribus cleri-
corum regulurium, Païenne, 1753; Part. Ferro, Istoria délie
missione dei chierici regolari, 2 vol., Rome, 170 1; 1). Garcias
de Silvia Figueroa, L'ambassade en Perse, Paris, 1667;
Fontana, Sacrum thèatrum dominicanum, Rome, 1666,
t. u; C. Galanus, Conciliatio Ecclesiœ Armenœ cum romana,
3 vol., Rome, 1650-1654; Antoine de Gouvea, Relation des
1289
GÉORGIE — GERBERON
1290
grandes guerres el victoires obtenues par le roij de Perse,
Chah Abbas, Rouen, 1646; F. de Gubernalis, Orbis sera-
phicus. De missionibus inter infidèles, Rome, 1089; Henrion,
Histoire générale des missions catholiques, 2 vol., Paris,
18-12; J. Juvencus, Historia Societatis Jesu, Rome, 1710,
t. xvn ; A. Lamberti, Relazione délia Colchide, Naples,
1654; Sacra istoria dei Colchi (Colchida sacra), Naples,
1675; E. L:\nglois, Les registres de Nicolas IV, Paris, 1S93,
t. i; Marcellino da Civezza, Storia univcrsale délie missioni
jrancescane, 11 vol., Rome, 1857; Potthast, Regcsta ponti-
flcum romanorum, 2 vol., Rerlin, 1873; Pressuli, Regesla
Honorii papte III, Rome, 1895; Raphaël du Mans, Estât
de la Perse, Paris, 1890; Rocco da Cesinale, Storia délie
missioni dei cappuccini, Rome, 1878, t. ni; Rottiers, Iti-
néraire de Ti/lis à Constantinople, Bruxelles, 1829;Rubru-
quis, Voyage en Tartarie, dans Bergeron, Relations des
voyages en Tartarie, Paris, 1054; Ch. de Saint-Vincent,
L'année dominicaine, Paris, 1702; H. Sbaralea, Bullariiim
franciscanornm, Rome, 1749, t. i, n, iv; J. Silos, Historia
clericorum regulariurn, 3 vol., Rome, 1655; P. délia Valle,
Viaggi, 3 vol., Bologne, 1677; Annales de la Propagation
de la foi, Lyon, t. xvu, Mémoires du Levant, Lettres édi-
fiantes et curieuses écrites des Missions étrangères, Paris,
1780. On trouvera aussi de multiples renseignements aux
Archives de la Propagande, lettres, rapports, décisions, etc.
V. Langue et littérature. — ■ R. von Arich, Ist die
JEhnlichkeit des glugolitisehen mit dem grusinisclien Alphabet
Zufall ? Leipzig, 1895; A. Baumstark, Die christlichen
Literaluren des Orients, Leipzig, 1911, t. n; Khakhanoff ou
Khakhanachvili, Aperçu géographique et abrégé de l'histoire
et de la littérature géorgiennes, Paris, 1900; Histoire de la
littérature géorgienne (en géorgien), Titlis, 1904; Chota
Roustavéli, La peau de léopard (en géorgien); trad. alle-
mande par Leist, Der Mann in Tigerelle, Leipzig, 1880;
trad. franc, par Achas Borin, La peau de léopard, Paris,
1885; A. Trombetti, L'unità d'origine dcl linguaggio,
Bologne, 1905.
R. Janin.
1. GERARD André, jésuite français, né à Gap, le
30 mars 1608, admis au noviciat de la Compagnie de
Jésus le 26 septembre 1626, professa les humanités et
la rhétorique au collège de Dôle, la philosophie a Aix,
puis l'Écriture sainte, devint recteur des collèges
d'Arles et d'Embrun, tout en se livrant au ministère
de la prédication et en s'occupant avec ardeur de
controverses avec les protestants. Appelé à Rome
comme secrétaire du P. général pour les provinces de
France, il mourut dans cette ville le 26 décembre 1686.
On a de lui un Traité de controverses où il est démontré
par les propres principes de la religion prétendue qu'elle
n'est pas la bonne, Grenoble, 1661. En outre, un résumé
de son enseignement scripturaire : Medulla omnium
Epislolarum S. Pauli et Epislolarum eanonicarum san-
elorum ad varias ratiocin.ation.es contracta, Lyon, 1672.
Cf. Sommervogel, Bibliothèque de la C'° de Jésus, t. m,
eol. 1342 sq. ; Hurter, Nomenclator, 3" édit., t. ni, col. 58,
P. Bernard.
2. GÉRARD DE BOLOGNE, carme italien,
docteur et professeur de Paris, se signala par sa piété,
son érudition et son éloquence. Appelé par les voix
unanimes de ses confrères à la charge de général de
son ordre, il s'employa, pendant les 20 ou 21 années
qu'il l'occupa, à promouvoir parmi les siens l'amour
des études sacrées. Il mourut à Avignon, le 17 avril
1318, sans avoir pu achever son vaste ouvrage : Summa
theologiœ notabilis.il laissait manuscrites les leçons qu'il
avait données à Paris : Quœstiones variée, et Quodlibeta
varia. Grâce aux soins du canne Léonard Priulo, nous
avons de lui : In libros IV Sentcntiarum commentaria,
in-fol., Venise, 1622. Quoique fidèle à saint Thomas dans
l'ensemble de son enseignement, l'auteur s'en écarte
cependant quelque peu et se rapproche plutôt de Duns
Scot dans la question des universaux.
J. Trisse, Catalogus priorum generalium ord. carmel.,
dans Archiv fiir Literalur und Kirclicngcschiclite, t. v, p. 379;
Raphaël de Saint-Joseph, Prolegomena in S. iheologiam,
Gand, 1882, p. 80; Cosme de Villiers, Bibliotheca carme-
lilana, Orléans, 1752, t. i, col. 548-550; Richard et Giraud,
Bibliothèque sacrée, Paris, 1824, t. xn, p. 49; Daniel de la
Vierge-Marie, Spéculum carmelilanum, Anvers, 1680, t. i,
P^ 134; Petrus-Lucius, Carmelitana bibliotheca, Florence,
1593, fol. 31; Hurter, Nomenclator, 1906, t. i, col. 487-488.
P. Servais.
GERBAIS Jean, théologien, né vers 1629 à Rupois
dans le diocèse de Reims, mort à Paris le 14 avril 1699.
Il se fit recevoir en 1661 docteur en théologie de la
maison de Sorbonne et l'année suivante fut nommé
professeur d'éloquence au collège royal. L'Assemblée
du clergé le choisit pour réunir et publier les règle-
ments portés précédemment sur les réguliers. L'ou-
vrage parut avec les commentaires de François Ilallier
sous le titre : Ordinationes universi clcri gallicani
circa rcgularcs conditoe primum in comitiis gencrali-
bus anno 162Ô. Renovatœ et promulgalœ in comitiis
anni 1645 : cum eommenlariis Francisci Hallier,
in-4°, Paris, 1665. Jean Gerbais publia en outre :
Disscrlalio de causis majoribus ad capul concordalo-
rum de causis, cum appendice quatuor monumenlorum
quibus Ecclesiœ gallicanx liberlas in relinenda antiqua
episcopalium judiciorum forma confirmalur, in-4°, Pa-
ris, 1679 : cette dissertation fut condamnée par Inno-
cent XI dans un bref du 18 décembre 1680; sur
l'ordre de l'Assemblée du clergé, Jean Gerbais cor-
rigea son travail qui parut à nouveau à Lyon en
1685 et à Paris en 1690; Traité pacifique du pou-
voir de l'Église cl des princes sur les empêchements
du mariage avec la pratique des empêchements qui
subsistent aujourd'hui, in-4°, Paris, 1690; Lettre d'un
docteur de Sorbonne à une personne de qualité au sujet
de la comédie, in-12, Paris, 1694; Trois lettres d'un
docteur de Sorbonne à un bénédictin de la congrégation
de Saint-Maur touchant le pécule des religieux faits
curés ou évoques, in-12, Paris, 1695 : cet écrit fut nus
à l'index le 21 mars 1704; Lettre d'un docteur de
Sorbonne à une dame de qualité touchant les dorures
des habits des femmes, in-12, Paris, 1696; Traité du
célèbre Panorine (Nicolas Tudeschi) touchant le concile
de Basle mis en français, in-8°, Paris, 1697, ouvrage
condamné par l'Inquisition en 1699; Lettre de l'Église
de Liège au sujet d'un bref de Pascal II mis en français,
in-8°, Paris, 1097.
Nicéron, Mémoires pour servir à l'histoire des hommes
illustres, t. xiv, p. 130; Moréri, Dictionnaire historique, 1759,
t. v 6, p. 164; Journal des savants, 19 février 1691, p. 89;
28 mai 1696, p. 385; Acta eriiditorum Lipsice. Supplemen-
lum, 1692, t. i, p. 57, 625; Dr. Joh. Fr. von Schulte, Die
Geschiehte der Quellen und Literalur des canonischen Rechts,
in-8», 1880, t. ni, p. 621; Féret, La faculté de théologie
de Paris et ses docteurs les plus célèbres. Époque moderne,
Paris, 1905, t. iv, p. 362-368; Hurter, Nomenclator, 1910,
t. iv, col. 223,591.
R. Heurtebize.
GERBERON Gabriel, bénédictin, né le 12 août
1628 à Saint-Calais, dans le diocèse du Mans, mort à
l'abbaye de Saint-Denis le 29 mars 1711. Ses études
de philosophie chez les Pères de l'Oratoire à Ven-
dôme terminées, et âgé seulement de dix-neuf ans,
il fut choisi comme principal du collège de sa ville
natale. Il renonça bientôt à cette charge pour aller de-
mander l'habit bénédictin à Saint-Melaine de Rennes où
il fit profession le 11 novembre 1649. Ordonné prêtre
vers l'an 1655, il enseigna la rhétorique, la philosophie
et la théologie en divers monastères. A la suite de plain-
tes au sujet de son enseignement, et après avoir été sous-
prieur h Saint-Renoît-sur-Loire, il fut envoyé à l'abbaye
de la Couture du Mans, d'où, après être passé dans quel-
ques monastères de Bretagne, il alla à Saint-Germain-
des-Prés et s'y employa a l'étude des Pères. Il fit tous ses
efforts pour amener les supérieurs de la congrégation de
Saint-Maur à faire préparer une nouvelle édition des œu-
vres de saint Augustin. Malheureusement dom Gerberon
se montrait en toutes circonstances l'ardent défenseur
L291
GERBERON
1292
des doctrines jansénistes, se permettant les attaques
les plus dures contre ses adversaires. Ses supérieurs
durent alors l'éloigner de Paris et l'envoyèrent au pri-
euré d'Argenteuil, puis à l'abbaye de Corbie où il arriva
au mois de juin 1075. Il y remplit les fonctions de
sous-prieur. Dom Gerberon ne tarda pas à être accusé
de défendre et de propager le jansénisme; on lui
reprocha en outre d'avoir pris parli contre la cour dans
l'affaire de la régale. Aussi, le 14 janvier 1G82, un
exempt arrivait dans la ville de Corbie avec ordre d'ar-
rêter ce religieux et de le conduire à Paris. Averti
à temps, dom Gerberon prit la fuite, se retirant
d'abord à Amiens, puis dans les Pays-Bas. Là il essaya
de se justifier des accusations portées contre lui dans
un mémoire qu'il adressa au commencement de 1683
au marquis de Seignelay, secrétaire d'État. Afin de
se mieux cacher, il quitta l'habit religieux, prit le
nom d'Augustin Kergré et s'efforça par ses discours
et par ses écrits de répandre les doctrines jansénistes.
En 1689, à cause des guerres entre la France et la
Hollande, il se fit recevoir bourgeois de Rotterdam.
Toutefois il demeura peu dans cette ville; car dès
l'année suivante il était à Bruxelles où il vécut en
étroites relations avec Quesnel et les autres prétendus
défenseurs de la doctrine de saint Augustin et où il
publia bon nombre d'ouvrages. Le 30 mai, il fut
arrêté et mis en prison par l'ordre de Mgr de Precipiano,
archevêque de Malines. Son procès fut instruit et
dom Gerberon fut condamné comme défenseur opi-
niâtre du jansénisme, rebelle à l'autorité du Saint-
Siège, auteur de livres diffamatoires contre le pape et
les évèques, etc. Il était banni du diocèse et renvoyé
à ses supérieurs. Sous bonne escorte il fut conduit
hors du pays et enfermé à la citadelle d'Amiens où il
demeura jusqu'au commencement de 1707. Il fut
ensuite transféré au donjon de Vincennes, d'où il
sortit en 1710 après avoir signé, sur l'ordre de l'arche-
vêque de Paris, une profession de foi qu'il dut rati-
fier devant ses supérieurs à Saint-Germain-des-Prés.
Puis il fut envoyé à l'abbaye de Saint-Denis où il
mourut non sans avoir écrit une lettre au pape où il
prétend expliquer la signature qu'il avait mise à sa
profession de foi lors de sa sortie de prison. Dom Ger-
beron a beaucoup écrit et lui-même a donné une
liste volontairement incomplète de ses ouvrages. Mal-
heureusement presque tous furent composés pour
soutenir et propager les doctrines jansénistes et sont
l'œuvre d'un violent polémiste. Apologia pro Ruperlo
abbale Tuitiensi, in qua de eucharislica vcrilale eum
calholice saisisse et scripsissc dcmonslral vindex fraler
Gabriel Gerberon, in-8°, Paris, 1669 : excellent ouvrage
dirigé en partie contre Claude Saumaise qui avait
affirmé que l'abbé Bupert était opposé au dogme de
la transsubstantiation; Calécliisme de la pénitence
qui conduit les pêcheurs à une véritable conversion,
in-16, Paris, 1672 et 1675, traduction d'un ouvrage
en latin de M. Raucour, curé de Bruxelles : dom Ger-
beron l'a corrigé et y a ajouté deux méditations de
saint Anselme; Acla Marii Mercalora, S. Augustini
Ecclcsiœ doctoris discipuli, cum notis Rigberii thcologi
franco- grrmani, in-16, Bruxelles, 1673 : Rigbcrius est
un pseudonyme de dom Gerberon; Avis salutaires
de la B. V. Marie à ses dévols indiscrets, in-12, Lille,
1674 : traduction de l'écrit latin Monita salularia
de l'Allemand Adam Windelfts; dom Gerberon traita
le même sujet dans Lettre à M. Abelhj, évêque de
Rodez, touchant son livre de l'excellence de la sainte
Vierge, in-12, 1671; La fable du iems, ou un coq noir
qui bat deux renards, 1674 : les deux renards sont
l'évêque de Séez, Médavi de Grancé, et l'archevêque
de Rouen, de Harlay, plus tard de Paris; L'abbé
commendalaire par le sieur de Froismont, in-4°, Cologne,
1674 : la première partie de cet ouvrage avait paru
l'année précédente et est l'œuvre de dom Delfau;
Sentiments de Criton sur l'entretien d'un religieux
et d'un abbé touchant les commendes, in-12, Cologne
(Orléans), 1674; Sancli Anselmi ex Beccensi abbale
Cantuaricnsis archiepiscopi opéra : neenon Eadmeri
monachi Canluariensis Hisloria novorum cl alia
opuscula, in-fol., Paris, 1675 (P. L., t. clviii, eux);
Le combat spirituel, composé en espagnol par D. Jean
de Casi gniza, religieux de l'ordre de S. Benoit, et
traduit en français sur l'original manuscrit, in-12;
Paris, 1675; Catéchisme du jubilé cl des indulgences,
Paris, 1675; Dissertation sur V Angélus, in-12, Paris,
1675; Le miroir de la piété chrétienne, où l'on considère
avec des réflexions morales l'enchaînement des vérités
catholiques de la prédestination et de la grâce de Dieu,
et de leur alliance avec la liberté de la créature, par
Flore de Sainle-Foy, in-16, Bruxelles, 1676 : ce livre
fut censuré par plusieurs évêques; dom Gerberon se
défendit par l'ouvrage suivant : Le miroir sans tache
où l'on voit que les vérités que Flore enseigne dans le
miroir de la piété sont très pures, et que ce qu'on a
écrit pour les réfuter n'est rempli que d'injure:*, de
faussetés et d'erreurs, par l'abbé Valentin, in-16, Paris,
1680; Mémorial historique de ce qui s'est passé depuis
l'année 1647 jusqu'en 165,'i touchant les cinq proposi-
tions tant à Paris qu'à Rome, Cologne, 1676; Histoire
de la robe sans couture de Notre-Seigneur Jésus-Christ,
qui est révérée dans l'église du monastère des religieux
bénédictins d' Argenleuil., avec un abrégé de l'histoire
de ce monastère, in-12, Paris, 1676 : cet ouvrage a eu
de nombreuses éditions; Deux lettres d'un théologien,
l'une à M. le cardinal Grimaldi, archevêque d'Aix,
l'autre à M. l'archevêque de Reims : ces deux lettres
se trouvent dans un ouvrage intitulé : Le combat des
deux clefs ou défense du miroir de la piété chrétienne,
par M. Le Noir, théologal de Séez, in-12 (Reims),
1678; Jugement du bal et de la danse, in-12, Paris,
1679; La morale des jésuites justement condamnée
dans le livre du P. Moya, jésuite, sous le nom d'Amedeus
Guimsnius par la bulle de N. S. P. le pape Innocent XI,
in-12, 1681 ; Manifeste ou Lettre apologétique de dom
Gerberon, prêtre, sous-prieur de l'abbaye de Corbie,
à M. de Seignelay, 1683; La vérité catholique victo-
rieuse, Amsterdam, 1684 ; Essais de la plus sûre morale,
in-12, 1686 : traduction de l'ouvrage du P. Gilles
Gabrielis : Specimina moredis chrislianx et moralis
diabolicœ in praxi; dom Gerberon en avait publié
en 1682 une première édition qui fut condamnée a
Rome, sous le titre: Essais de théologie morale; Histoire
du formulaire qu'on fait signer en France, 1686; Lettre
à un seigneur d' Angleterre, s'il esl bon d'employer les
jésuites dans les missions, 1686; Défense de l'Église
romaine contre les calomnies des piotcstanls, contenant
le juste discernement de la croyance catholique d'avec
les sentiments des protestons et d'avec ceux des pélagiens
touchant le prédestination et la grâce, mis en français
par C. B. R., et les Entreliens de Dieudonné et de Romain
sur la même matière avec un Abrégé de l'hérésie des
pélagiens composés par G. de L., théologien, et mis en
français par A. K., in-12, Cologne, 1688; les diverses
parties composant cet ouvrage avaient été publiées
séparément en Hollande; L'Église de France affligée
où ion voit d'un côté les entreprises de la cour contre
les libertés de l'Église, et de l'autre les duretés avec
lesquelles on traite en ce royaume les évêques cl les
autres personnes de piété qui n'approuvent pas les
entreprises de l<i cour ni la doctrine des jésuites, par le
sieur Poitevin, in-12, 1688; Réflexions sur le plaidoyer
de M. Talon, avocat général, louchant la bulle de
N. S. P. le pape Innocent XI contre les franchises des
quartiers de Rome, in-12; La règle des mœurs contre
les fausses maximes de la morale corrompue, pour ceux
qui veulent suivre les voies sûres du salut et faire un
1293
GERBERON -- GERBERT DE IIORNAU
1294
juste discernement du bien et du mal, in-12, Cologne,
1G88; Méditations chrétiennes sur la providence de
Dieu à l'égard du salut des hommes par le sieur de
Pressigni, in-12, 1689; Occupations intérieures pendant
la messe! avec des prières avant et après la confession
et la communion, in-12, Bruxelles, 1689; La réno-
vation des vœux du baptême, vers 1689; Critique
ou Examen des préjugés du ministre Jurieu contre
l'Église romaine, et de la suite de l'accomplissement
des prophéties, par l'abbé Richard, in-4°, Paris, 1690;
Instructions courtes et nécessaires à tous les catholiques
des Pays-Bas touchant la lecture de l'Écriture sainte
en langue vulgaire, 1690, dom Gerberon prend la
défense d'an livre de Jean de Neercassel, évoque de
Castorie; Écrit contre la conduite et la doctrine de
M. l'archevêque de Malines, 1690-1691; Examen de
la réponse aux plaintes contre la conduite de M. l'arche-
vêque de Malines, 1690 ; La défense des censures du pape
Innocent XI et de la Sorbonne. contre les apologistes
de la morale des jésuites, soutenue par le P. Moija,
jésuite, sous le nom d'Amcdcus Guimenius, par le P. Oger
Liban Erbcrg, in-12, Cologne, 1690; Decrelumarchiepi-
scopi Mechliniensis, contra Scripturse sacrai lectionem,
notis illustratum, 1691; La morale relâchée, fortement
soutenue par M. l'archevêque de Malines, justement
condamnée par le pape Innocent XI, 1691 ; Justifica-
tion générale des plaintes que l'on avait faites des senti-
ments et de la conduite de M. l'archevêque de Malines,
Le véritable pénitent ou Apologie de la pénitence,
in-12 Cologne, 1692; Sanctus Anselmus per se docens,
in-12! Delft, 1692; Dialogus inter S. Anselmum et
Bosonem ejùs discipulum seu difficiillales circa S. An-
sclmi sententias a Bosone propositse et ab Ansclmo
dissohdœ, in-12, Cologne, 1692; Premier entretien d'un
abbé et d'un jésuite de Flandre sur la signature du
Formulaire, 1692; Second entrelien d'un abbé et d'un
jésuite de Flandre sur les intrigues par lesquelles
l'archevêque de. Malines lâche d'introduire ta signature
du Formulaire, et les impostures par lesquelles ont été
obtenues les bulles de Pie V et d'Urbain VIII contre
Baius et Jansénius, 1693; Quœstio juris poniificii circa
decretum ab Inquisilione romana adversus xxxi pro-
positions lalum, Toulouse (Hollande), 1693; Quœstio
juris : 1° An Caroli V ediclis leclio Scriplurœ sacrœ
prohibita sit; 2° An virgincs Birchianœ pœnas incur-
rerint a Carolo V stalulas, 1693; Avis politiques sur
le Formulaire, 1693; Difficultés adressées à M. de
Homes, évêque de Gand, par les catholiques de son
diocèse touchant la lecture de l'Écriture sainte en langue
vulgaire (1693, en Hollande); Michaclis Baii, celeber-
rimi in Lovaniensi Academia theologi, opéra : cum
bullis pontiflcum, et aliis ipsius causam speclanlibus,
jam primum ad romanam Ecclesiam ab convitiis
proleslanlium, simul ac ab arminiorum, cœlerorumque
hujusce lemporis pelagiunorum imposturis vindicandam,
collecta, expurgala, et plurimis, quse haclenus delilue-
rant, opusculis aucla : studio A. P. theologi, in-4°,
Cologne, 1696 ; à la fin du livre il y a un écrit intitulé :
Narralio chronologica causée Baii et vindicise Ecclesiœ
romana: a domno Gerberon; Adumbrata Ecclesiœ ro-
manœ catholicivque veritatis de gratia, adversus Mel-
chioris Leydeckeri in sua historia jansenismi hallu-
cinationcs, injuslasque criminationes, defensio : vindiee
Ignatio Eickenboom thcologo, 1696, in Batavia; Dé-
fense de l'Église romaine et des souverains pontifes,
sur la grâce, contre M. Leydecker, théologien d'Utrecht,
avec un écrit de M. Amauld et un recueil de plusieurs
autres écrits, pour l'histoire de la paix de l'Église sur
les questions du temps, Liège, 1697; Abailardus redi-
vivus, in quo exhibentur mores dialribœ theologiœ
P. Estrix, jesuitœ, in-4°; Contra novi Abailardi errorcs
Bernardus etiamnum exposlulat apud Clemenlem X,
in-l° : ces deux écrits sont dirigés contre Je P. Estrix,
jésuite, qui fut condamné par la cour de Rome;
dom Gerberon le fut peu après pour ses Disquisiliones
d'usé hisloricœ de prœdcstinalione gratuila et gratia
ex se efficaci, 1697; Conférence deDiodorc et de Théolime
sur les Entretiens de Cléanthe cl d'Eudoxc, in-8°, Paris,
1697 : défense des Provinciales; La véritable lettre de
M. l'abbé Le Bossu à un de ses amis sur le livre du
cardinal S foudroie, intitulé : Nodus prœdestinalionis
dissolutus,^ in-12, Paris, 1698; Lettre d'un théologien
à M. l'évêque de Meaux, touchant ses sentiments et sa
conduite à l'égard de M. l'archevêque de Cambrai,
avec l'excellent traité de S. Bernard de la grâce et du
libre arbitre, in-12, Toulouse, 1698; Seconde lettre
à M. Bossuet, évêque de Meaux, pour la défense de
M. de Cambrai;, où l'on montre que selon la plus saine
théologie on peut aimer Dieu purement pour lui-même,
in-12, Toulouse, 1698; Norisius aul jansenianus, aul
non auguslinianus demonstratur a Ludovico Mauguin
peninsulano, Rouen, 1699; Traité historique sur la
grâce et la prédestination par l'abbé de Saint-Julien,
in-12, Paris (Bruxelles), 1699; Abrégé de la doctrine
chrétienne touchant la prédestination et la grâce, contre
les semipélagiens, calomniateurs de saint Augustin,
Utrecht, 1700; Remontrance charitable à M. Louis
de Cicé, avec quelques réflexions sur la censure de l'As-
semblée du clergé, in-12, Cologne, 1700; Histoire
générale du jansénisme, contenant tout ce qui s'est passé
en France, en Espagne, en Italie, dans les Pays-Bas.
au sujet du livre intitulé : Auguslinus Cornelii Janscnii,
par M. l'abbé***, 3 in-12, Amsterdam, 1700; La
confiance chrétienne, in-12, Utrecht, 1700; Étrennes et
avis charitables à MM. les inquisiteurs, en vers, 1700; Le
chrétien désabusé, in-12, Leyde, 1701 ; Lettres de M. Cor-
nélius Jansénius, évêque d'Yprcs, et de quelques autres
personnes à M. Jean de Verger du Hauranne. abbé de
Sainl-Cyran, avec des remarques historiques et thêolo-
giques, par François du Vivier, in-12, Cologne, 1702;
Nouvelle logique en français par dialogues, Bruxelles,
1703. Dom Gerberon a laissé en outre un certain
nombre d'ouvrages inédits, dont le plus important
est : Les aventures de dom Gabriel Gerberon où il
raconte toute sa vie. Parmi les écrits qui lui ont été
faussement attribués, le plus célèbre est le fameux
Problème ecclésiastique proposé à M. l'abbé Boileau
de l'archevêché de Paris : à qui l'on doit croire de M. Louis
Antoine de Nouilles, évêque de Châlons en 1695, ou de
M. L. A. D. N., archevêque de Paris en 1696.
Processus officialis seu officii fiscalis curite ecclesiastieœ
MechUniensis contra Gabrielem Gerberon, in-4°, Bruxelles;
Ziegelbauer, Historia rei literaria- ordinis S. Benedieti,
t. iv, p. 138, 153, 172, 173, 174, 175, 423, 636: dom
Pli. Le Cerf, Bibliothèipie historique et critique des auteurs
de la congrégation de Saint-Maur. in-12, La Haye, 1726,
p. 157; dom Tassin, Histoire littéraire de la congrégation de
Saint-Maur, in-4% Bruxelles, 1770, p. 311; [dom François],
Bibliothèque générale des écrivains de l'ordre de saint Benoit,
t. 1, p. 377; de Lama, Bibliothèque des écrivains de la
congrégation de Saint-Maur, in-12, Munich et Paris, 1882,
p. 93, n. 212-263; H. Wilhelm, Nouveau supplément à
l'histoire littéraire de la congrégation de Saint-Maur, in-8",
Paris, 1908, t. 1, p. 242; Supplément au Nécrologe de
Port-Roijal, 11' part ie, in-4\ 1735, p. 498; Dictionnaire des
livres jansénistes, 4 in-12, Anvers, 1755, passim; Hauréau,
Histoire littéraire du Maine, in-12, Paris, 1872, t. v, p. 174.
B. Heubtebize.
GERBERT DE HORNAU Martin, abbé bénédic-
tin, né le 12 août 1723 à Horb sur le Nechar, dans le
Wurtemberg actuel, mort à l'abbaye de Saint-Biaise
le 13 mai 1793. 11 fit ses premières études à Ehingen,
puis à Fribourg-en-Brisgau, chez les jésuites, et, à
l'Age de douze ans, fut conduit au monastère de
Saint-Biaise dans la Forêt-Noire. Quelques années
plus tard, il v revêtit l'habit bénédictin, le 28 octo-
bre 1736 : après un an de noviciat, il y fit profession.
1295
GERRERT DE HORNAl1
GERRET
1296
Ordonné prêtre le 30 mai 1744, il fut presque aussilùl
chargé du soin de la bibliothèque. Il parcourut l'Alle-
magne, l'Italie, la Fiance, se mettant en relations
avec les savants de ces divers pays. Le 15 octo-
bre 1764, il fut élu prince-abbé de Saint-Biaise, et reçut
la bénédiction abbatiale des mains du cardinal Fran-
çois de Rodt, évèque de Constance. Aussitôt il s'em-
ploya à rétablir la discipline régulière dans son
monastère, pour lequel il rédigea de nouvelles consti-
tutions. Le 23 juillet 1768, un terrible incendie détrui-
sit l'abbaye, dont les religieux durent chercher un
refuge en divers monastères. L'abbé s'occupa sans
retard à relever son abbaye où, au bout de quatre ans,
les moines se trouvèrent réunis de nouveau et dont
l'église fut consacrée le 28 septembre 1783. Très estimé
des princes avec lesquels il eut à traiter pour la défense
des droits de son monastère, il se montra toujours
le fils très dévoué et très soumis du souverain pontife
Pie VI, qu'il visita lors de son voyage à Vienne.
L'activité de dom Martin Gerbert s'étendait à toutes
les dépendances de son abbaye et son intelligente
charité savait aller au-devant des besoins de tous ceux
qui vivaient dans sa principauté. Il vint en aide
autant qu'il le put aux émigrés français et tout
particulièrement aux prêtres fuyant devant la Révo-
lution, dans lesquels il voyait des confesseurs de la foi.
Malgré les soins qu'il apporta toujours au gouverne-
ment de son abbaye, il ne négligea jamais l'étude et
publia de nombreux ouvrages qui lui ont fait prendre
place parmi les premiers liturgisles et théologiens du
xvine siècle. Presque tous ont été imprimés par les
presses de l'abbaye de Saint-Biaise : Theologia vdus
et nova circa prœscntiam Chrisli in eucharislia. in-8°,
Fribourg, 1756; Principia Ihcologiœ exegeticœ. Prse-
mittunlur prolegomcna Ihcologiœ christianœ universœ.
Accedit mantissa de tradilionibus Ecclesiœ arcanis,
in-8°, Fribourg, 1757 ; Principia theologiœ symbolicœ
ubi ordinc symboli aposlolici prœcipua doclrinœ chri-
stianœ capila explicantur, in-8°, Fribourg, 1758; Prin-
cipia theologia: mystiese ad renovationem interiorem et
sanctificalionem christiani hominis, in-8°, typis San-
Blasianis, 1758; Principia theologiœ canonicœ quoad
superiorem Ecclesiœ formam cl gubcrnalionem, in-8°,
1758; Principia Ihcologiœ dogmalicœ juxla seriem tem-
porum et tradilionis ccelcsiasticœ digcsla, in-8°, 1758;
Principia Ihcologiœ moralis juxla principia cl legem
evangelicam, in-8°, 175S; De recto et perverso usa Ihco-
logiœ scholasticœ, in-8°, 1758; De ralione exercitiorum
scholaslicorum prœcipiie disputalionum cum inler catho-
licos, tum contra adversarios in rébus fidei, in-8°,
1758; Principia theologiœ sacramenlalis, seplcm sacra-
mentorum Novi Teslamenti doctrinam complexa, in-8°,
Fribourg, 1758; Principia theologiœ liturgicœ quoad
divinum officium, Dei cullum et sanclorum, in-8°, Fri-
bourg, 1759; Demonstralio verœ rctigionis vcrœquc
Ecclesiœ contra quasvis fedsas, in-8°, typis San-Bla-
sianis, 1760; De communione polestalis ecclcsiaslicœ
inler summos Ecclesiœ principes, ponlificem cl epi-
scopos, in-8°, 1760; De légitima ecclesiastica polcstate
cirai sacra et profana, in-8°, 1761; De chrisliana feli-
cilale hujus vitse, in-8°, 1762; De radiis divinitalis
in operibus natures providentiœ cl graliœ parles très,
in-8°, 1762; De sequa morum censura adversus rigi-
diorem et remissiorem, in-8°, 1763; Adparalus ad eru-
dilionem Iheologicam, inslilulioni tironis congregationis
S. Blasii destinants, in-8°, 1764; De selcclu Iheologico
cirai cj fectus sacramenlorum, in-8°, 1764; De eo quod
est juris divin i et ecclesiastici in sacramenlis, prœ-
sertim in sacramento confirmationis, in-8°, 1764; De
dierum festorum numéro minuendo, celebritale augenda,
in-8°, 1765; De peccalo in Spiriium Sanctum in hac
et altéra vita irremissibili. Accedit paraphrasis cum
nofis selectis in Epistolam S. Pauli ait Hcbrœos, in-8°,
1766; Consliluliones monasterii e congregationis ad
S. Blasium, in-fol., 1770; Taphographia principum
Austrise post mortem Palrum M. Ilerrgolt et R. Hcer
restitula, mnns accessionibus aucla, et hœc usque iem-
pora deducta, 2 in-fol., 1772; De translaiis llubsburgo-
Austriacorum principum cl corum conjugum ex ccclesia
Basilccnsi et monasterio Kônigs/cldcnsi in monaskrium
S. Blasii cadaveribus, in fol., 1772; Crypta San-Bla-
siana nova principum Auslriacorum, translaiis corum
cadaveribus ex Helvelia ad condilorium novum mona-
sterii S. Blasii in Nigra Sylva, in-4°, 1772 et 1775 ; Codex
cpislolaris Rudolphi I Romanorum régis, locuplelior
ex manuscripits bibliolhecœ Vindobonensis editus ac
commcnlario illustratus. Prœmitlunlur Fasli Rudol-
phini, cum ex ipsis ejus epislolis, tum ex ediis anti-
quis monumentis et scriptoribus. Accedunt diplomcda,
in-fol., 1772; Pinacolhcca principum Austriœ post mor-
tem Palrum M. Hcrrgolt et R. Heer recognila cl édita,
2 in-fol., 1773; Praxis regulœ S. Benedicli, ex gallica
lingua versa, in-8°, 1773; lier Alemanicum, accedit
Italicum et Gallicum, in-8°, 1773 : autre édition en
1774; une traduction en allemand parut en 1776;
De caniu et musica sacra a prima Ecclesiœ œtate usque
ad prœsens tempus, 2 in-4°, 1774; Scriplorcs ecclesia-
stici de musica sacra, polissimum ex variis Haliœ, Gal-
liœ et Germanise codicibus manuscriplis collecti, et nunc
primum publicaluce donali,3 in-4°, 1774; Velus liturgia
Alemannica, disquisitionibus prœviis, nolis et observa-
tionibus illustrala, 2 in-4°, 1776; Dœmonurgia theo-
logiee expensa, in-4°, 1776; Monumcnta veleris liturgiœ
Alemannicœ. Accedit pars ritualis et pars hermeneuiica,
2 in-4°, 1779; Historia Nigrœ Sylvœ ordinis S. Bene-
dicli coloniœ. Cum codicc diplomatico et variis tabulis
œri incisis, 3 in-4°, 1783-1784 ; Anrede am die versam-
mcltcn Ordcnsgcisllichen am vorabende der feierlichcn
Kircheneinwcihung zn Si. Blasien, in-8°, Saint-Gall,
1784; De Rudolpho Suevico, comité de Rhinfcldcn,
duce, rege, deque ejus illustri jamilia apud S. Blasium
sepulla, cryplœ huic anliquœ nova Auslriacorum prin-
cipum adjuncta cum aopendice diplomalum, in-4°,
typis San-Blasianis, 1785; Soliludo sacra siu exer-
citia spiritualia exdoclr.u't et exemplis sacrœ Scripturœ
et sanclorum Palrum, in usum pastorum E'desiœ,
in-8°, 1787; Ecclcsia militons, regnum Chrisli in terris,
in suis fatis reprœscnlala, 2 in -8°, 1789; Nabuchodo-
nosor somnians régna et regnorum ruinas a thcocralia
exorbitantium. Prodromus Ecclesiœ mililantis, 1791;
Jansenislicarum conlroversiarum ex doctrina S. Au-
gustini retraclatio, in-8°, 1791 ; Observalioncs in sœcu-
lum Chrisli terlium et quartum, in-8°, 1791; De sublimi
in evangelio Chrisli juxta divinam Verbi incarnati
nconomiam. Opus hoc edilum ab ejus successore abbate
Mauritio Ribellc, 3 in-8°, 1793; De périclitante hodierno
Ecclesiœ slalu, prœsertim in Gallia, in-8°, 1793;
Glossaria theotisca medii œvi. Unaquc specimina
codicum M. S. a sœculo i\ usque xm, in-8°, typis
San-Blasianis, 1865.
Scriplorcs ordinis S. Benedicti qui 1750-1880 fuerunl in
imperio Anslriaco-Hungarico, in-4°, Vienne, 1881, p. 115;
J.-B. Weiss, Trauerredc auf den verstorben Fiirsl-Abt
M. Gerbert zu Sanct-Blasien, in-4°, Saint-Biaise, 1793 ;
Bader, Furslabl Martin Gerbert von St. Blasien : ein Lebens-
bild aus dem vorigen Jahrhundcrt. in-S", Fribourg, 1875;
Krieg, Furslabl Martin Gerbert von St.'Blasien, in-4°, 1896;
G. Pfeilschifter, Fiirslabt Martin Gerbert von St. Blasien,
i.'i-8°, Cologne, 1912; Fétis, Biographie générale des musi-
ciens, 2e édit., in-S", Paris, 1874, t. m, p. 456; Feller,
Dictionnaire historique, 1848, t. iv, p. 94; Hurter, Nomcn-
dator, 1912, t. iv, col. 560-567.
B. Heurtebize.
GERBET Philippe-Olympe, une des grandes ligures
de l'épiscopat français au xixc siècle, directeur de
conscience admirable, penseur élevé et profond,
écrivain d'un rare mérite, naquit d'une famille très
1297
GERBET
1298
considérée à Poligny (Juia), le 5 février 1798. Après
avoir été l'un des élèves les plus brillants et les plus
appréciés du séminaire de Besançon, en 1818, il alla
poursuivre ses études théologiques à Paris, et s'y lia
d'une étroite et indissoluble amitié avec l'abbé de
Salinis, déjà lié lui-même avec Lamennais. Il lut or-
donné prêtre à Notre-Dame, le 1er juin 1822, par Mgr
de Quélen, et nommé second aumônier du collège
Henri- IV, dont l'abbé de Salinis était le premier au-
mônier; les deux prêtres avaient à cœur de se dévouer
à l'apostolat auprès des jeunes gens et de lutter
contre l'influence persistante des traditions voltai-
riennes. Lamennais les visitait assez fréquemment;
c'est dans le salon des aumôniers de Henri- IV qu'est
née, à la fin de 1822, l'école mennaisiennc, cette école
qui visait dans sa première étape, sans aucune préoc-
cupation politique, à promouvoir une restauration
religieuse, en renversant à la fois le rationalisme
contemporain et le gallicanisme officiel. Gerbet y
sera bientôt de Lamennais le disciple le plus intime
et le plus en vue. Jeune et fasciné par le génie d'un
maître aimé autant qu'admiré, il en partagera toutes
les opinions, jusqu'aux erreurs philosophiques et aux
doctrines libérales, et il s'emploiera, dix années durant,
à les servir de sa parole comme de sa plume. A La
Chesnaie, où il avait accompagné, en 1825, l'auteur
de YEssai sur l'indifférence, parmi les jeunes gens
groupés autour de lui, son aménité tendre adoucira les
brusques et pénibles variations de l'humeur du maître.
A Paris, au lendemain presque de la révolution de 1830,
Gerbet donnera, dans un esprit tout mennaisien, des
leçons de philosophie de l'histoire, qui ne laisseront
pas, nonosbtant mainte idée fausse ou risquée, d'être
fort applaudies, et qui seront publiées par quelques-
uns des auditeurs sous le titre de Conférences de philo-
sophie catholique. Dès 1824, il avait fondé, de concert
avec l'abbé de Salinis, sous le patronage de Lamennais,
le Mémorial catholique, revue mensuelle qui bientôt
acquit une haute importance littéraire, s'adjoignit,
à partir de février 1830, sa Revue catholique, et suggéra
à Pierre Leroux la pensée de créer le Globe, pour
opposer doctrine à doctrine. A l'initiative de l'abbé
Gerbet est aussi due la fondation, en 1830, de l'Avenir,
ce journal promis à une si courte et si orageuse carrière,
et dont Gerbet a été, de sa plume toujours prête, l'un
des principaux rédacteurs. Gerbet, enfin, se faisant le
champion de la philosophie du consentement universel
ou sens commun, y a consacré trois ouvrages, intitulés,
l'un, Des doctrines philosophiques sur la certitude dans
leurs rapports avec les fondements de la théologie (182G),
l'autre, Coup d'œil sur la controverse chrétienne depuis
les premiers siècles jusqu'à nos jours (1828), tous les
deux désavoués depuis et retirés par lui du commerce;
le troisième, Sommaire d'un système des connaissances
humaines, qui a été publié à la suite de l'ouvrage de
Lamennais sur Les progrès de la Révolution et de la
guerre contre l'Église (1829). Entre temps (1829), il
avait écrit pour le grand public son petit livre tendre
et profond des Considérations sur le dogme générateur
de la piété catholique, c'est-à-dire sur le mystère de
l'eucharistie.
Quand Grégoire XVI, par l'encyclique Singulari vos
du 13 juillet 1834, condamna tout ensemble et les
Paroles d'un croyant et le système philosophique
de Lamennais, l'abbé Gerbet, fidèle à l'esprit men-
naisien primitif, qu'aussi bien il ne désertera jamais,
se soumit à la voix du pape, sans équivoque ni arrière-
pensée. « L'Église, écrivait-il le 19 juillet 1834 à l'ar-
chevêque de Paris, est au-dessus de tout dans mon
cœur. » Il adhéra donc et absolument à la doctrine
promulguée par l'acte du souverain pontife, et cessa
même toute relation personnelle avec Lamennais
ouvertement révolté. Le collège de Juilly fut alors,
pour l'abbé Gerbet, un port de refuge;- il y paya sa
bienvenue par un beau et bon livre, souvent réédité,
qui a paru sous des noms d'emprunt (de Salinis et de
Scorbiac) en 1834 et qui mérite de vivre, le Précis de
l'idsloirc de la philosophie ; après quoi, choisi pour
directeur de la maison des hautes études que les abbés
de Salinis et de Scorbiac avaient fondée, non loin de
Juilly, au village de Thieux, il y fera des conférences
de philosophie durant plusieurs années. Mais, en même
temns que Gerbet, à Thieux comme à La Chesnaie,
travaillait à éclairer et à former un auditoire d'élite,
il prenait une part aelive au développement et à
l'action de la presse catholique en France. Outre ses
nombreux articles signés ou non signés, dans l'Univers
religieux, créé par l'abbé Migne en 1833 pour préparer
les voies à la liberté d'enseignement, il concourait avec
d'anciens mennaisiens en 183G à fonder V Université
catholique, organe périodique d'un genre tout nouveau,
qui se divisait en deux parties : l'une comprenant une
série de Cours, où la philosophie, l'histoire, les sciences
naturelles, l'archéologie, les arts étaient exposés et
enseignés en harmonie avec les dogmes et les senti-
ments chrétiens; l'autre consacrée, comme les revues
ordinaires, à des travaux détachés, à des appréciations
d'ouvrages nouveaux. Gerbet, qui fut longtemps
l'âme de l'Université catholique, en inaugura le premier
numéro par un Discours préliminaire sur la classifi-
cation des sciences qui fait ressortir, avec l'étendue de
son savoir et la pureté de son style, sa piété sacerdotale,
et qui est généralement réputé son chef-d'œuvre. On
y remarque aussi notamment, de Gerbet, un article
sur le Jocelyn de Lamartine, afin de dénoncer la dévia-
tion du génie du poète et la couleur panthéiste de sa
poésie (1836); des Réflexions (émues) sur la chute de
M. de Lamennais (183G-1837); une série d'études
sur les Rapports du rationalisme avec le communisme
(1850); et les Conférences d'Albéric d'Assise sur
l'économie politique, au point de vue chrétien (1810).
A la fin de 1838, l'ébranlement de sa santé l'ayant
forcé d'aller chercher le ciel du midi, l'abbé Gerbet
partit pour Rome; il y vivra dix ans, de 1839 à 1849,
estimé et chéri des membres les plus éminents de la
colonie française, honoré de la bienveillance particulière
des papes Grégoire XVI et Pie IX. Nous devons a
son séjour de Rome sa belle Esquisse de. Rome chrétienne,
2 vol., Paris, 1844-1850, où quelques pages toutefois
n'échappent pas au reproche de solliciter trop fortement
les monuments archéologiques. « La pensée fonda-
mentale de ce livre, a-t-il écrit, Préface, p. vi, est de
recueillir dans les réalités visibles de Rome chrétienne
l'empreinte et, pour ainsi dire, le portrait de son
essence spirituelle. » « Rome, écrit-il encore, t. i,
p. 398, est par ses édifices mêmes une cité éminemment
dogmatique. » Avec Pie IX, qu'il avait énergique-
ment soutenu, il s'enfuit à Gaëte en 1848, et là il se
décida, sur les instances de Mgr Sibour, archevêque
de Paris, à revenir en France. Mgr Sibour lui confia le
soin de préparer le concile provincial qui se tint à
Paris l'année suivante, et le fit nommer professeur
d'éloquence sacrée à la Sorbonne. Mais, bientôt après,
l'abbé Gerbet aima mieux se rendre à l'appel de son
vieil ami, M. de Salinis, nommé entre temps évêque
d'Amiens, qui le choisit pour vicaire général, et, de
1849 à 1854, il habitera l'évêché d'Amiens. La mission
lui échut, en 1852, de préparer et rédiger les décrets
qui devaient servir de base aux décisions du concile
provincial d'Amiens touchant le droit ecclésiastique
coutumier; et Gerbet eut la joie de voir Pie IX ap-
prouver pleinement et sanctionner, dans i'encyclique
Inter multipliées du 21 mars 1853, les décrets du
concile. En 1853, la translation solennelle de Rome
à Amiens des ossements d'une martyre amiénoise,
sainte Theudosie ou Thcodosie, valut à la littérature
1209
GERRET
GERMAIN
1300
française le beau Livre de sainte Théodosie, Amiens,
1S.Y1. Enfin, sur la proposition de l'empereur Napo-
léon III, Pie IX éleva l'abbé Gerbet, le 16 avril 1854,
sur le siège épiscopal de Perpignan. Évèquc, Gerbet
témoignera, comme toujours, de son attachement
profond aux doctrines romaines ainsi qu'à la personne
du souverain pontife, et il prendra vigoureusement
part à la défense de l'indépendance du Saint-Siège.
L'acte le plus important de son épiscopat fut l'In-
struclion pastorale du 23 juillet 1860 sur les diverses
erreurs du temps présent, un avant-coureur et un
modèle du Syllabus, qui lui mérita, pendant le voyage
qu'il fit à Rome en 1862, les éloges publics de Pie IX.
Voir Hourat, Le Syllabus, Paris, 1904, t. i. De retour
à Perpignan, il épancha devant son clergé ses pensées
et ses impressions, dans la Conférence sur Rome,
Perpignan, 1863. Ce fut son testament. Il mourut le
8 août 1864, tandis qu'il mettait la dernière main à
une brochure intitulée : La stratégie de M. Renan,
publiée après sa mort par Mgr de Ladoue, avec préface,
in-18, Paris, 1866.
Un choix des Mandements et instructions pastorales
de Mgr Gerbet a paru en 2 in-8°, Paris, 1875. M. Au-
gustin Vassal a publié récemment les Pensées de
Mgr Gerbet, Paris, 1911,
De Ladoue, Mgr Gerbet, sa vie et ses œuvres, 3 vol.,
Paris, 1872; Ricard, Gerbet et Salinis, 2" édit., Paris, 1883;
Kirchenlexikon, t. v, col. 356-360; abbé Gerbet, Mgr Gerbet,
évêque de Perpignan, dans G. Bertrin, Les grandes figures
catholiques du temps présent, t. i, p. 175-214; L. de la Save,
Mgr Gerbet, n. 87 des Contempo.ains, Paris, 1894; Hurtcr,
Nomenclator literarius, Inspruckr 1912, t. iv, col. 1178-
1181; H. Brémond, Gerbet, Paris, 1907; L'épiscopat fran-
çais depuis le concordat jusqu'à la séparation, in-4°, Paris,
1907, p. 474-475.
P. Godet.
GERDIL. — I. Vie. II. Œuvres.
I. Vie. — Hyacinthe-Sigismond Gerdil, un des noms
les plus saillants de l'Église d'Italie du xvnie siècle,
prêtre exemplaire de tout point, apologiste et métaphy-
sicien très distingué, mais aussi érudit universel, naquit
à Samoëns de Faucigny (Savoie), le 20 juin 1718, au sein
d'une pieuse famille de condition modeste, et entra, dès
l'âge de quinze ans, dans l'ordre des barnabites. Après
son noviciat, il fut envoyé de Bonneville à Bologne
pour y étudier la théologie et, par ses vertus comme
par sa science précoce, il y mérita l'estime et la con-
fiance de l'archevêque, Prosper Lambertini, le futur
Benoît XIV. En 1737, à dix-neuf ans, il fut chargé
d'enseigner la philosophie dans quelques maisons de
son ordre, d'abord à Macerata, puis à Casai, où, cinq
ans plus tard, il occupa la chaire de théologie morale.
Sur le conseil du pape Benoît XIV, le roi de Sardaigne,
Charles-Emmanuel III, lui confia l'éducation de son
petit-fils, ce Charles-Emmanuel IV qui abdiquera sa
couronne en 1802, et mourra sous l'habit de jésuite
à Rome en 1819; Gerdil se montra, dans l'acccomplis-
sement de sa tâche, le digne émule des Bossuet et des
Fénelon. Mandé à Rome par le pape Pie VI et sacré
évêque titulaire de Dybonne, il fut nommé cardinal
le 27 juin 1777, et, bientôt après, préfet de l'Index
et de la Propagande. Lorsque le général Berthier
occupa Rome au mois de février 1798, il fut réduit,
pour être à même de quitter la ville, à vendre sa
précieuse bibliothèque, et, séparé malgré lui de Pie VI,
qu'il était venu retrouver fidèlement à Sienne, il ne
dut qu'aux libéralités de deux amis, le cardinal
espagnol Lorenzana et l'archevêque de Séville Despuig,
de pouvoir se retirer en Piémont. A la mort de Pie VI,
il assista, en décembre 1799, au conclave de Venise, et
se vit presque à la veille d'être élevé au souverain pon-
tificat, si l'exclusive n'avait été prononcée contre lui au
nom de l'Autriche. Il suivit le pape Pie VII à Rome, et y
mourut le 12 août 1802, à quatre-vingt-quatrç ans..
II. Œuvres. ■ — ■ Les œuvres de Gerdil, écrites les
unes en français, les autres en italien ou en latin, et
toutes d'un style clair, simple et agréable, ont été
publiées par Fontana à Rome, 1806-1821, en 20 in-4°,
et à Naples, 1853-1856, 7 vol. Des travaux inédits
ont été imprimés dans les Analecla juris ponli/ïcii,
Ve série, Rome, 1852. Mais nombre des manuscrits
de la vieillesse du laborieux écrivain se sont perdus.
La réfutation des erreurs de son temps et la défense
des vérités chrétiennes comme des droits de l'Église,
tel avait été le but, inviolablement poursuivi, de
l'activité littéraire du cardinal Gerdil. Physique et
mathématiques, histoire, philosophie spéculative et
morale, droit civil et droit politique, pédagogie, théo-
logie et droit canon, il a tout abordé; c'est un esprit
encyclopédique. Sans parler ici de ses études pure-
ment profanes, qui lui valurent, en 1754 et en 1755.
deux lettres flatteuses de d'Alembert, je rappellerai
qu'il a été, en philosophie, de l'école de Malebranche
et qu'il en a renouvelé l'intuitionisme, en l'adoucissant
un peu. Théologien et canoniste, il a été le vigoureux
et habile champion de la primauté du Saint-Siège.
Parmi ses écrits théologiques, outre le Saggio d'is-
truzione teologica, composé peu après son arrivée à
Rome, je citerai, à cause de l'intérêt historique qui
s'y rattache, les Opuscula ad hierarchicam Ecclesix
constitulionem speclanlia, parus à Parme en 1789,
Œuvres, t. iv; puis la réfutation de deux opuscules
lancés contre le bref Super soliditale, qui condamnait
le joséphiste Eybel, Rome, 1789, Œuvres, t. v; une
remarquable critique de la rétractation de Fébronius,
Animadûsrsiones in Commenlar. J. Febronii in suam
relractationem, Rome, 1793, Œuvres, t. v; la critique
des théories canoniques de Slevogt et de Lakiez,
Œuvres, t. iv; des observations sur la bulle Auctorem
fidei du pape Pie VI, où il redresse quelques notes
de Feller, Opéra, t. vi, et dans Migne, Theologise cur-
sus completus, t. ix, col. 913-940. Dans le même vo-
lume, on trouve les traités De pontificii primalus
auctoritate in IJetri cathedra; Del malrimonio (contre
de Dominis et Launoy), et dans le t. vu sa Thcologia
moralis, son De Ecclesia ejusque notis ; le Mcmorie
nell'auloriià délia Chiesa e dcl romano ponte fice rilcvatc
dagli Alli apostolici.
Piantoni, Vita del card. G. S. Gerdil ed analisi délie sue
opère, Rome, 1831; Picot, Mémoires, 3e édit., Paris, 1855,
t. iv, p. 113; t. v, p. 47; t. vi, p. 411; t. vu, p. 135, 279;
Gams, Gescbichte der Kirche Cbristi im XIX Jahrhundert,
Inspruck, 1853, t. i, p. 293 sq.; Kirchenlexikon, t. v, p. 368-
365; Hurter, Nomenclator literarius, Inspruck, 1912, t. v,
col. 600, 609-615.
P. Godet.
1. GERMAIN Saint , patriarche de Constantinople
(715-729). — I. Vie. II. Œuvres.
I. Vie. — 1° Avant l'épiscopat. — Les premières
années de la vie de saint Germain sont très peu connues.
Il appartenait à une des plus grandes familles de
Byzance. Son père, le patrice Justinien, était très en
faveur à la cour d'Héraclius (610-641). Il semble avoir
moins été dans les bonnes grâces de Constant II
(641-668); il aurait même trempé dans le complot
qui mit fin aux jours de cet empereur. C'est du moins
pour ce motif que Constantin IV Pogonat (668-685)
le fit mettre à mort. Son fils, Germain, qui protestait,
comme de raison, fut fait eunuque et incorporé au
clergé de Sainte-Sophie (668). Quel âge avait-il alors ?
La Vie éditée par Papadapoulos-Kérameus dit qu'il
était encore un adolescent, et qu'il n'avait pas plus
de vingt ans. Par contre, d'après la lettre apocryphe
de Grégoire II à l'empereur Léon III l'Isaurien,
Mansi, Concil., t. xn, col. 959, qui lui donne quatre-
vingt-quinze ans précis en 729, il serait né en 634 et
aurait eu exactement trente-cinq ans, au moment où
il fut fait d'office clerc de la Grande Église,
1301
GERMAIN
1302
Nous n'avons pas de renseignements sur son éduca-
tion. Elle dut être très soignée, à en juger par le rang
de sa famille. M. Sokolof, dans la Bogolovskaïa enlsiclo-
pediu, croit qu'il suivit une des plus hautes écoles de
droit de Byzance. Il aurait aussi, dans sa jeunesse, fait
le pèlerinage de Jérusalem, d'après le clVJ[j.vr]ij.a t^ç
Mafia; tt]ç 'Ptojiataç, dans 1' 'ExxXirriOKmxr) àXr^Osta, 1883,
t. m, p. 213. D'abord simple clerc, il fut plus tard mis
à la tète de tout le clergé de Sainte-Sophie. Peut-être
est-ce à ce titre qu'il fut, avec le patriarche Georges,
un des promoteurs principaux du concile de 681; car
ce sont eux, si l'on en croit la pseudo-lettre de Gré-
goire II à Léon III, qui auraient persuadé l'empereur
d'écrire à Rome touchant la convocation d'un concile
œcuménique pour condamner le monothélisme. Quelle
fut son action sur le synode Quiniscxte ? M. Sokolof,
loc. cit., estime qu'elle fut considérable et que c'est
en récompense de ses services qu'il reçut alors, ou
peu après, la métropole de Cyzique. Nous ignorons à
quelles sources sont puisés ces renseignements. Le
seul document qui, à notre connaissance, détermine
la date de la promotion épiscopale de Germain est
la Vie, qui la retarde jusqu'au retour de Justinien II
de l'exil, c'est-à-dîre Vers 705-706. Mais elle n'a pas
asseye de valeur historique pour que sa seule allirmatioa
suffise à trancher la difficulté, qui persiste.
2° Saint Germain et le monothélisme. — Le nom de
Germain, en tant que métropolite de Cyzique, paraît
pour la première fois avec certitude dans le récit du
synode que réunit Philippique, en 712, pour renouveler
le monothélisme et supprimer le concile de 681. Encore
le trouvons-nous, avec ceux de Jean VI, patriarche,
et de saint André de Crète, dans la liste des prélats
qui, par économie, cédèrent aux violences dont usa
l'empereur. Théophane, Chronographia, édit. Boor,
an. 6204. Cependant Germain trouvait, dans le concile
même, de beaux exemples pour l'encourager à la
résistance. Lui-même raconte, dans le De hœrcsibus
et synodis, P. G., t. xvcin, col. 76, n. 38, qu'un certain
nombre d'évêques refusèrent de céder, et il cite en
particulier avec admiration la conduite de Zenon
de Sinope. Le Quien, Oriens christianus, t. i, col. 235-
237, se demande s'il ne se serait pas laissé entraîner
à condamner le VIe concile par un reste de rancune
personnelle contre Constantin Pogonat qui avait
convoqué cette assemblée. En tout cas, cette animosité
ne transpire pas dans le traité De hœresibus ri synodis,
qui est parfaitement serein à l'égard de l'empereur.
Certains auteurs, par exemple, Henschen, P. G.,
loc. cit., col. 22-23, se refusent absolument à admettre
la chute de saint Germain, qu'acceptent Baronius,
Pagi, Hefele, pour ne citer que quelques noms. Ils
affirment que Théophane et Nicéphore se trompent,
ce qui est difficilement acceptable en pareille matière
et concernant un personnage connu et vénéré comme
l'était saint Germain. Leurs raisons, d'ailleurs, ne
paraissent pas sans réplique. La participation au
concile de 681 prouve seulement, ce qui n'est pas
constesté, que le saint était partisan de la doctrine
catholique sur les deux volontés dans le Christ, mais
n'exclut pas absolument toute concession pratique,
purement extérieure, colorée d'économie et aussitôt
réparée. Il en est de même du concile de 787. Celui-ci,
d'ailleurs, entend parler surtout de la doctrine sur le
culte des images qu'il avait pour mission de définir
et dans laquelle saint Germain fut toujours impeccable.
Le récit fait par lui, dans le De hwresibus et synodis,
P. G., t. xcvm, col. 76, n. 38, de la malheureuse
tentative de Philippique, n'exclut pas non plus
sa faiblesse passagère. Si l'on veut serrer de près le
texte de sa narration, on y remarquera trois parties.
Dans la première, il mentionne les violences dont on usa
envers tous les évêques, pour les amener à signer des
écrits composés par quelques-uns contre le VIe concile
œcuménique ; la deuxième parle des partisans convaincus
de l'empereur, et la troisième de ceux qui lui résistèrent.
Même si Germain a été parmi les faibles qui ont signé,
rien ne s'oppose à ce que, vingt ans plus tard, il nomme
avec admiration les courageux qui restèrent inflexibles,
et avec indignation ceux qui furent peut-être la cause
de sa chute. Par contre, il est difficile de ne pas voir
une allusion à cette conduite dans le qualificatif
d'homme « à double sentiment » (Siyvwum)), que le
conciliabule iconoclaste d'Hiéria (754) lui infligea, en
le rayant des diptyques.
Que devint Germain dans la tourmente mono-
thélite ? Henschen, n. 8, croit qu'il fut expulsé de
son diocèse par l'empereur et qu'il se retira au monas-
tère de Chora, où, plus tard, il fut enterré. Mais tout
ce que nous venons de dire détruit cette affirmation
par la base. M. Sokolof le fait chasser par ses ouailles,
irritées de sa condescendance. Quoi qu'il en soit, Phi-
lippique fut bientôt détrôné (713) et la paix revint
avec Anastase (713-715). Le nouvel empereur étant
orthodoxe, tous les évêques revinrent au devoir :
Jean VI envoya même au pape une lettre pour s'ex-
cuser. Il expliquait sa conduite et celle des autres
prélats infidèles, par le principe de l'économie. Rome
n'eut qu'à pardonner. Jean, d'ailleurs, se montra digne
de cette miséricorde. Il mourut deux ans plus tard,
et c'est le métropolite de Cyzique, Germain, qui fut
appelé à le remplacer, le 11 août 715.
3° Premières années de son patriarcal. — Un synode
avait été réuni pour légitimer la promotion de Germain,
les translations d'un diocèse à l'autre étant interdites
par un canon d'Antioche. Mansi, Concil., t. xn, col. 735.
Notons aussi, avec l'acte officiel, que « cette translation
fut faite en présence du très saint prêtre Michel,
apocrisiaire du Saint-Siège. » Ibid. La Vie, écrite au
ixe siècle, voudrait même qu'on ait demandé expres-
sément au pape Léon (?) la permission de faire ce
changement. Cela est évidemment exagéré, mais
mérite d'être remarqué.
Le début du patriarcat de saint Germain doit être
fixé à l'année 715, 11 août. Voir, sur cette question,
E. W. Brocks, On ihe lisls of the patriachs of Cons-
lanlinople jrom 63 to 715, dans Byzantinische Zeit-
schrijt, 1897, t. vi, p. 33-54. La date finale a longtemps
fait difficulté. Il faut la placer au 19 janvier 729.
Voir Hubert, Observations sur la chronologie de Théo-
phane et de quelques lettres des papes (726 - 774),
ibid,, 1897, t. vi, spécialement p. 495-496. Le patriar-
cat de saint Germain n'a duré que treize ans et
demi et non quatorze et demi, comme le veut Théo-
phane, qui s'est trompé dans ses calculs, pour n'avoir
pas remarqué que l'indiction de l'année 726 a été
doublée par le gouvernement impérial, dans le but
de percevoir un double impôt.
L'un des premiers actes du patriarche fut la convo-
cation d'un synode d'une centaine de prélats, qui
proclama officiellement la foi reniée en 712 et ana-
thématisa les fauteurs du monothélisme, Sergius,
Pyrrhus, Pierre, Paul et Jean. Mansi, Concil., t. xn,
col. 257. Le Quien croit que le Jean excommunié ici
n'est pas le prédécesseur immédiat de saint Germain,
qui s'était rétracté et était mort catholique. Oriens
chrislianus, t. i, col. 236.
En 717-718, la ville de Constantinople fut assiégée
par les Sarrasins et ne fut sauvée que par le feu grégeois
qui incendia la flotte ennemie; l'année d'après, 719,
ce sont les Bulgares qui, soulevés par l'empereur
déchu, Anastase, viennent mettre le siège devant la
ville et ne se retirent qu'au prix de fortes sommes
versées par l'empereur. Mais le saint patriarche voyait,
au delà des agissements des hommes, la main de Dieu
qui conduit tous les événements du monde, et aimait
in'.
GERMAIN
1304
à attribuer à Marie cette délivrance, en même temps
que les deux autres dont la ville avait déjà été l'objet,
en 626 et en 077. En reconnaissance de cette triple
préservation, il institua, en l'honneur de la sainte
\ [i rge, un office d'une ordonnance toute spéciale,
connu sous le nom : ô àxoéOttîTOç Gjavoç. Pargoire, L'Église
byzantine de 527 à 847, p. 355-356. C'est la thèse
de Théarvic, dans les Échos d'Orient, 1904, t. vu,
p. 293-300; 1905, t. vin, p. 163-166. Cet auteur dis-
tingue dans l'acathiste i rois parties distinctes : l'hymne
composée par un mélode, dans un but d'actions de
grâces, peut-être pour la fête de l'Annonciation; le
synaxaire, discours du début du ixc siècle, sans doute;
enfui, la fête elle-même, ainsi que le xovtcJxiov, tous
deux œuvre de saint Germain. Il se base pour cela sur
un texte très explicite, publié en 1903, d'un manuscrit
latin de Saint-Gall, du ixe siècle. Cette thèse, adoptée
depuis lors par plusieurs savants, Krumbacher, de
Meester, Bouvy, a été contestée par M. Papadopoulos-
Kérameus, qui, ayant déjà fait à Photius l'honneur de
l'institution de cette fête, dans '() àxâOicrcoç G|avoS xa:
ô -aToiap/riç 4><ôt'.oî, Athènes, 1913, a gardé ses posi-
tions dans ' 0 -aTp-.âv//,; <I>r.iT'.oç xaî 6 àzàOiciTo; Gavo;,
1905, et ensuite dans un long article du Byzantiskii
Yrcmennik, 1908, t. XV, p. 357-383.
En 719, saint Germain baptisa le fils de Léon III,
Constantin. La cérémonie fut quelque peu troublée par
l'accident qui valut au futur empereur le surnom
de Copronyme, mais le patriarche sut immédiatement
relever les esprits, en voyant dans ce fait le présage
du mal que le jeune prince ferait un jour à l'Église.
Les dix premières années du règne de l'Isaurien furent
calmes. De l'activité de saint Germain à cette époque,
il reste, pour tout document, quelques modèles des
homélies pleines de foi et de piété, qu'il adressait à
son peuple, et un certain nombre de poésies ecclésias-
tiques, conservées dans les livres liturgiques.
4° Saint Germain et l'iconoclasme. Dernières années.
— Saint Germain fut la première victime de l'icono-
clasme après en avoir été le premier adversaire.
Durant trois ans, de 725, date du premier édit icono-
claste, jusqu'en 729, date de sa démission, il fut l'âme
de la résistance en Orient. Quelques évêques s'étaient
déclarés, dès le début, favorables aux doctrines offi-
cielles : c'était Théodose d'Éphèse, Thomas de Clau-
diopolis, Constantin de Nacolia. Ce dernier, blâmé par
son métropolite, Jean de Synnada, avait recouru au
patriarche, peut-être dans l'espoir de le gagner à sa
cause. Le métropolite, de son côté, porta l'affaire devant
saint Germain, qui, dans sa réponse, P. G., t. xcvni,
col. 156-162, lui résuma l'excellente leçon d'exégèse
biblique qu'il avait donnée au prélat novateur, pour
lui prouver que le culte des images n'est pas du tout
contraire au texte de l'Exode, xx, 4 : Non faciès
omnem- similitudinem ad adorandum eam. L'évêque,
devant cette semonce, fit les plus belles promesses,
mais, de retour clans son diocèse, se hâta de les oublier
et c'est pour l'en blâmer que Germain lui écrivit,
P. G., t. xcviii, col. 161-164. Une troisième lettre,
sur le même sujet, est adressée à Thomas de Clau-
diopolis. P. G., t. xevin, col. 164-188. Cet autre
iconoclaste de la première heure semble avoir mis
surtout en avant les objections des juifs et des musul-
mans, car le saint commence par le raisonner sur ce
point ; il lui rappelle ensuite que les images sont un
simple souvenir des exemples des saints et un encou-
ment à glorifier Dieu avec plus de zèle, col. 172;
en lin il donne le vrai sens de divers passages bibliques
et termine en l'invitant à la paix. Ces lettres sont
extraites des actes du VIIIe concile œcuménique, au-
quel elles furent lues, sur la proposition de saint
Taraise, et qui les approuva sans restriction.
Devant la résistance qu'il rencontrait, dans les
provinces surtout, l'empereur ne pouvait trop exiger
l'application de ses décrets. Même après la défaite des
révoltés des Cyclades, 726, il devait ménager l'oppo-
sition. A Constantinople, c'est Germain qui l'arrêtait.
On ne toucha pas aux églises tant que le saint fut là.
Tout au plus, peut-être, essaya-t-on alors de détruire
le christ de la Chalcé. Léon III semble avoir porté son
premier décret sans s'occuper du patriarche, et avoir
négligé d'abord de le gagner. Hefele, Histoire des con-
ciles, trad. Leclercq, t. ni, p. 612. Peut-être comp-
tait-il que la mort le débarrasserait bientôt de ce no-
nagénaire. Mais, en 728, il résolut de passer outre et
d'attirer Germain à ses vues ou de s'en débarrasser.
Il eut, à cette fin, avec lui une entrevue qui fut sans
résultat. Théophane, Chronographia, édit. Bonn, p. 625.
A en croire saint Jean Damascène, De imag. oral., n, 12,
et l'auteur de la Vie, 18, le brutal souverain osa même
souffleter le saint vieillard. Il en était réduit à éloigner
( iermain, s'il voulait poursuivre son œuvre. Pour voiler
l'odieux de cette mesure, il essaya, avec l'appui du
syncelle Anastase, de le faire passer pour un révolté,
coupable du crime de lèse-majesté.
Le biographe du saint nous apprend, n. 18, que
Léon III fit brûler les écrits que Germain avait
composés en faveur de la foi orthodoxe, ainsi que ses
discours, mais il est tout à fait fantaisiste lorsqu'il
nous conte, n. 19, que le patriarche, pour échapper
au tyran, se retira à Cyzique, dans un couvent de
femmes, où il prit le voile et en devint méconnaissable,
parce qu'il ressemblait parfaitement à une « vieille »
nonne. Peut-être, à cette époque, écrivit-il à Grégoire II.
On ne sait pas avec certitude non plus si la lettre du
pape, P. G., t. xcvni, col. 147-155, le trouva encore
patriarche. En effet, le 17 janvier 729, Léon III réunit
au palais un conseil d'État, silenlium, dans lequel
il chercha encore à gagner Germain. Celui-ci, n'espérant
rien obtenir de l'Isaurien, donna sa démission en
faisant sa réponse célèbre : « Si je suis Jonas, jetez-
moi à la mer; mais, ô prince, sans un concile général,
je ne puis pas innover en matière de foi. »
Le départ de saint Germain était un vrai désastre pour
la foi: son successeur, l'ambitieux Anastase, approuva
les vues de l'empereur et l'iconoclasme triompha en par-
tie. Les remarques suivantes de M. Hubert, Revue histo-
rique, 1899, t. lxix, p. 17-18, mettront encore en plus
vif relief l'influence qu'exerçait le saint: « Le nouveau
patriarche étant hérétique, il n'y avait plus maintenant
d'intermédiaire entre le pape et les catholiques orien-
taux. L'autorité qu'avait eue Germain passa tout en-
tière à Grégoire II. Le pape fut son véritable successeur.
L'Église romaine devait devenir le foyer de la résistance
à l'iconoclasme.»
Saint Germain, retiré du pouvoir, acheva ses jours
dans le calme, dans sa propriété de Platanion. C'est
là sans doute qu'il composa son traité De hxresibus
cl synodis, à en juger par les circonstances dans les-
quelles il se trouvait lorsqu'il écrivit. Voir n. 43. Il
mourut presque centenaire, disent les anciens sy-
naxaires, donc vers 733, si l'on prend pour base les
données de la première lettre de Grégoire II à Léon III.
Il fut enterré au monastère de Chora. Le synode icono-
claste de 754 l'excommunia et raya son nom des
diptyques. Il ne fut définitivement réhabilité qu'au
VIIe concile œcuménique, en 787.
II. Œuvres. — 1° Œuvre historique. — Il ne reste
de saint Germain, au point de vue historique, que
le traité Des conciles et des hérésies, P. G., t. xcvm,
col. 40-88. Il ne faut pas le confondre avec l'opuscule
Des six conciles généraux, qui a été à tort attribué à
Germain, voir Ceillier, Histoire générale des auteurs
ecclésiastiques, t. xn, p. 40-41, jusqu'à ce que le cardinal
Mai ait enfin publié, Spieilegium romanum, t. vu,
p. 3-74, l'ouvrage certainement authentique, dont nous
1305
GERMAIN
1300
nous occupons ici. SjU lilre complet est celui-ci :
AÔyoç 8i7]YTi[xaTty.ô; r.iy. tûjv ày!<»v auvoBtov xai xtov zatà
xaipoùç àvéxaOev ~w a7ïoa"CoXixij) xTjp-J-fjAaTi àvaspusiatûv
aîpsasojv. Il est dédié au diacre Anthime. En quelques
mots, il présente les auteurs de chacune des hérésies,
ses partisans, ses adversaires et les conciles qui l'ont
condamnée. Ainsi parle-t-il tour à tour de Simon le
Mage, 3, des manichéens, 4, des monlanisles, 5, des
gnostiques, 6, de Paul de Samosale, 7, de Sabellius,
8, d'Origène, 9, de l'arianisme, 10-19, des pneumato-
maques, 20-22, des apoliinaristes, 23, du nestoria-
nisnie, 24-26, de l'eutychianisme, 27-35, du mono-
thélisme, 30-38, et des débuts de l'iconoclasmc, 39-42.
Sur cet ouvrage, le cardinal Pitra fait les justes
remarques qui suivent : Haud prœlcrea dissimulandum
jam grandœvum scnem, omnibus subsidiis destitulum,
ac dolentem alienis manibus tradi palriarchii libros,
seque suis spoliari, forsan lubricse mémorise induisisse
nimium, nequc sanam rerum seriem perpeluo serva-
visse. Juris eccles. grœcorum historia et monumcnla,
t. n, p. 295. Ces quelques lacunes, bien excusables, vu
les circonstances qui en sont la cause, De heeresibus
cl synodis, loc. cit., n. 43, ne nous empêcheront pas
d'être de l'avis du cardinal Mai et de trouver excellent,
cijregium, ce petit traité, de le regarder même comme
une perle, gemmula.
2° Œuvres théologiques. — 1. Le seul traité en-
tièrement théologique qui ait été conservé, est le
[Isp! toi opou tt,; ÇwïJç, P. G., t. xcvin, col. 89-
132. Encore Photius a-t-il tenté d'en dépouiller saint
Germain à son profit, en le transcrivant dans la
q. cxlix, ad Amphilochium, sans la moindre mention
d'auteur, comme s'il était sien. Le cardinal Mai, qui
l'avait édité, Scriptorum velerum nova collectio, t. i,
p. 285-315, découvrit plus tard la fraude et restitua
l'ouvrage à son propriétaire dépossédé. Velerum scri-
ptorum bibliotheca nova, t. n, p. 082. Cet opuscule,
d'une lecture agréable et facile malgré l'élévation du
sujet, est une justification de la providence de Dieu
dans la mort, même subite, des hommes. La thèse est
nettement posée dans le n. 2; elle est conduite avec
méthode et aussi avec vigueur grâce à la forme dia-
loguée, adoptée dans tout le développement. Un
rationaliste idéal, B, attaque le dogme par des objec-
tions de toute sorte, prises dans la nature, la philosophie,
l'Écriture sainte, tandis que le tenant orthodoxe de la
pensée chrétienne, A, le réfute victorieusement. Les
théologiens remarqueront surtout les n. 10-14, où le
saint docteur développe ses vues sur la prescience
divine. C'est là, sans doute, que le cardinal Mai a
trouvé des passages favorables à la science moyenne.
2. D'après le cardinal Mai, Spicilegium roinanum,
t. vu, p. 74; P. G., t. xcvm, col. 87, saint Germain,
est aussi l'auteur d'un Commentaire sur Denys l'Aréo-
pagile, mêlé à celui de saint Maxime, P. G., t. iv,
col. 14.
3. Des quatre Lettres dogmatiques de saint Germain,
nous avons déjà analysé les trois qui concernent
l'iconoclasme. Il nous reste à ajouter un mot sur celle
qu'il écrivit aux Arméniens « en faveur des décrets
du concile de Chalcédoine. » P. G., t. xcvm, col.
135-140. Nous n'en possédons qu'une traduction
latine, faite sur le texte arménien que conservent les
mékhitaristes de Venise et éditée par Mai. Velerum
scriptorum bibliotheca nova, t. n, p. 082. L'authenticité
de cette lettre est prouvée, en particulier, par la
citation qu'en fait, au xne siècle, un concile de Tarse.
Dans le but de ramener à l'unité de l'Église le peuple
arménien, séparé à la suite du concile de Chalcédoine,
saint Germain s'attache à réfuter l'hérésie d'Eutychès
par un exposé très serré de la doctrine de Chalcédoine
et des Pères, en particulier de saint Léon. La réponse
dogmatique des Arméniens parut entièrement conforme
à la vraie foi; aussi furent-ils admis à la communion
sans plus de difficultés.
3° Œuvres oratoires. — Neuf homélies ont été
éditées, P. G., t. xcvm, sous la nom de Germain; sept
se rapportent à la sainte Vierge; des deux autres,
l'une a pour sujet la sépulture du corps de Noire-
Seigneur, et la dernière, la croix vivifiante. Avant d'en
examiner le contenu, il importe de décider si vraiment
toutes appartiennent à saint Germain, ou si l'on ne
pourrait pas les attribuer à Germain II, patriarche de
1222 à 1240, ou même à Germain III, patriarche
pendant trois mois, en 1267.
1. Homélies mai iules. — Ballerini, Sylloge monu-
mentorum, a étudié longuement la question de l'au-
thenticité des homélies mariales, et l'a admise pour
toutes. Dans le c. De homeliis Germano inscriplis
disquisilio crilica, Paris, 1855, t. i, p. 249-2S0, appuyé
tant sur des arguments intrinsèques que sur la date
des manuscrits, en particulier d'après le codexVaticanus
grœcus 4ô5, il reconnaît à saint Germain l'homélie
in sanctœ Mariée zonam, P. G., loc. cit., cul. 372; les
deux homélies sur la Présentation, ibid., coi. 292, 309;
les trois sur la Dormilion, ibid.: col. 340, 348, 300. En
faveur de ces dernières, la récente édition, faite par
M. S. Eustradiades, des lettres théolog:ques de Michel
Glykas, fournit un nouvel argument irrécusable. MiyowjX
Toi FÀuxà eîç tÔcç à/ïopîocç rfjç 6s£aç rpajpijç xscpcéÀaia,
Athènes, 1900, t. i. Cet écrivain du xnc siècle cite,
dans sa xxne lettre théologique, op. cit., p. 258-272, cha-
cun des trois discours en question et les attribue expres-
sément au Oeio't<xtoç Germain, c'est-à-dire évidemment à
Germain Ier. Dans le t. n, p. 285-287, Ballerini prouve
aussi que l'une des deux homélies sur l'Annonciation
connues sous le nom de Germain doit être attribuée
au premier, c'est celle qu'avait éditée Combefis,
Auclarium novum, t. n, p. 14-23 et qui est reproduite,
P. G., toc. cit., col. 320. Quelques auteurs semblent
encore hésiter sur son authenticité ? Ont-ils remarqué
qu'elle se trouve dans un manuscrit du xnc siècle '.'
Cf. II. Omont, Manuscrits grecs de la Bibliothiqu :
nationale, Paris, 1898, t. m, p. 372; cod. 542 de la
bibliothèque de Lyon. Cela coupe court à la plupart
des difficultés et rend à peu près sûre l'attribution
proposée.
Saint Germain est, avec saint André de Crète, un
des grands témoins du culte de Marie à son époque;
il en fut aussi un des plus grands propagateurs. Dans
les homélies qui nous restent de lui, deux pensées
reviennent sans cesse et semblent être le pivot de sa
mariologie : la pureté incomparable de la mère de Dieu
et son universelle médiation dans la distribution des
biens surnaturels aux hommes.
Le. premier point, mis en relief aussi par saint André
de Crète, contemporain de notre saint, est développé
spécialement dans les homélies sur la Présentation
et l'Annonciation. L'Église y a puisé les leçons de
l'office de l'Immaculée Conception et à bon droit, car
si on n'y trouve pas ce dogme signalé en propres
termes, il y est enseigné, sans aucun doute possible,
au moins d'une manière indirecte. Tant dans des
affirmations positives que dans d'innombrables com-
paraisons, Marie y est exaltée pour sa pureté incom-
parable, écartant toute souillure, sans la moindre
restriction ni pour une tache quelconque, ni pour un
moment de son existence. Le péché originel est évi-
demment exclu aussi. On remarquera, d'ailleurs, sur
le nombre, certaines expressions qui serrent de plus
près le dogme de l'immaculée conception : par exemple,
dans la nu homélie sur la Présentation, P. G.,
loc. cit., col. 313, Marie est appelée un dépôt de Dieu.
Tf,v ïv. H;oj -ap./.7.Ta0r|i'.r;v, confié au sein d'Anne; il
est inadmissible que le saint l'eût désignée ainsi, s'il
l'avait crue souillée par le péché au premier instant
1307
GERMAIN
1308
de son existence. Les homélies sur la Dormition
renferment la même insinuation : la mort de la sainte
Vierge n'y est pas attribuée au péché originel, seule
cause de la dissolution des corps, mais à de hautes
raisons providentielles. Voir la ;rc homélie sur la Dor-
mition, toc. cit., col. 345.
Sur l'autre point, la puissance d'intercession de
Marie et son rôle de médiatrice universelle dans la
distribution des biens surnaturels, saint Germain
«lépasse tous ses contemporains, même saint André de
Crète, et annonce saint Bernard, qui l'égalera, peut-
être, sans le dépasser. C'est surtout dans l'homélie sur
la ceinture de la Vierge et les deux sur la Dormition
que Germain se fit le propagateur de cette doctrine.
Voici, entre bien d'autres, un court extrait, fort
explicite : « O mère de Dieu, ton secours est puissant
dans l'ordre du salut; il n'a pas besoin de recomman-
dation auprès de Dieu... A penser à toi, on ne se lasse
pas; ton patronage est immortel, ton intercession
vivifiante, ta protection continue. Si tu ne prenais
les devants, il n'y aurait point d'homme spirituel :
personne n'adorerait Dieu selon l'Esprit... Personne ne
connaît Dieu que par toi, ô toute sainte. Personne
n'est sauvé que par toi, ô mère de Dieu; personne
n'échappe aux dangers que par toi, ô vierge mère :
personne n'est racheté que par toi. » 11e homélie sur
la Dormition, t. xcvm, col. 349. Dans la irc sur la
Dormition, il montre que Marie reste toujours présente
par son assistance au milieu des fidèles qui l'invoquent.
Voir, par exemple, col. 346.
On remarquera que dans l'homélie sur l'Annonciation
saint Germain adopte l'opinion curieuse, commune à
certains Pères grecs, d'après laquelle Marie aurait
conçu Jésus-Christ, au moment même où l'ange la
salua, avant qu'elle eût manifesté son consentement.
Voir M. Jugie, dans Byzanlinische Zeitschri/l, 1913,
p. 47.
2. Autres homélies. — Nous n'insisterons pas sur
les deux autres homélies attribuées à saint Germain,
P. G., loc. cit., col. 223-244, sur la croix vivifiante, et
col. 244-290, sur la sépulture du corps du Christ: un
trop grand doute plane sur elles. On ne les trouve pas
dans les manuscrits antérieurs au xmc siècle; Gretser
et Combefis, P. G., loc. cit., col. 243, ont nié l'authen-
ticité de cette dernière en se basant sur des critères
internes. Les mêmes arguments ont autant de valeur
pour la précédente. L'attribution n'en sera certaine
que lorsque auront été édités tous les discours de
Germain IL
4° Œuvres liturgiques. — Nous avons déjà signalé
l'institution de l'acathiste. Il reste à ajouter quelques
mots sur Y ln-.oyy. ÈjocX7)aiflreTUCJ] y.oci ixjcîTtx.r, Secopia,
V. G., loc. cit., col. 384-454, et les poésies religieuses
de saint Germain. 1. L"IoTopîa èxxÀTjataarixT) /.ai
rj.j7T.zr, Oeajpta est, avec la MuaTaytoyio: de saint
Maxime, le document le plus important de cette
époque pour l'histoire de la liturgie byzantine. C'est
un commentaire des messes orientales de saint Basile,
«le saint Jean Chrysostome et des Présanctifiés. Le
texte donné par Migne est la reproduction exacte de
la 6e édition, faite par Galland. Velerum Palrum
bibliolheca, Venise, 1765. Ce traité a été longtemps
attribué à Germain II, à cause de nombreuses inter-
polations du xie ou du xne siècle qui l'avaient rendu
suspect. Le cardinal Pitra en disait, en son style
énergique : Nonne trium sœculorum sannis vapulal
àvKJTopizï] historia? Nonne risu perilorum explosa
contemplalio nujstiea ? Nonne pulidis oppletur sequioris
sévi inepliis, non rancidulis fœtet urabum vocabulis,
non horret barbarie, quœ vix Germanum Nicsenum
decet ? Juris eccl. grœc. historia, t. Il, p. 97. 11 déses-
pérait lui-même de pouvoir discerner jamais dans cette
oeuvre la part authentique des morceaux interpolés,
lorsqu'il découvrit, au cours de ses recherches, un
document qui rendait possible ce travail, en servant
en quelque sorte de « pierre de touche », c'est la
traduction latine du traité original ou d'un abrégé
de ce traité, faite par Anastase le bibliothécaire
durant son séjour a Constantinople, en 869-870. Ce
précieux manuscrit n'a été édité qu'en 1905, par le
P. S. Pétrides, avec une introduction explicative,
dans la Revue de l'Orient chrétien, t. x, p. 287-309,
350-364. Voir P. de Meester, dans les Chrysostomika,
Borne, 1908, fasc. 2", p. 290. L'opuscule comprend
lxiii chapitres, dont cinq, lv, lvi, lvii, lxi, lvii,
empruntés à saint Maxime. Brigthman, The journal
of theological studies, 1903, t. ix, p. 218-267, 387-398,
a reconstitué le texte môme sur lequel Anastase a
fait sa traduction. Une lettre du même Anastase à
Charles le Chauve, éditée par Pétrides, ibid., attribue
formellement le commentaire en question à saint
Germain, mais en se basant uniquement sur la tradition
grecque d'alors, ut Grœci ferunt, ut jertur. Si, de ce fait,
il n'est pas absolument certain que saint Germain
en soit l'auteur, cela est du moins fort probable.
2. Pour ce qui concerne les poésies religieuses de
saint Germain, nous nous contenterons de résumer ce
qu'en écrit le cardinal Pitra, Juris eccl. grœc. historia,
t. ii, p. 296 : Cetera canonum sive canticorum ecclc-
siaslicorum palœstra est, dit-il, in qua vincit quoque
Germanus et facile princeps eminet. Il compte sous
le nom de ce mélode, cent quatre o-ctyrjpa et vingt-
deux canons, comprenant au moins cent soixante
odes. Tout cela est disséminé surtout dans les menées,
du mois de septembre au mois de février, de juin à
août, beaucoup de ces poésies sont destinées à la fête
de Noël. Ces constatations ont leur importance pour
l'histoire de la liturgie byzantine. Le savant cardinal
en conclut que les stovrctscia et les oixoi sont encore
inconnus à Sainte-Sophie, de même que rôy.tor,yo;.
Il ajoute à cette liste les œuvres liturgiques suivantes,
qui se trouvent dans des manuscrits antérieurs au
xme siècle : sù/â; majorum horarum in natalium vigi-
liis; officium integrum yovuxXioiaç in penlecostali cursu;
flebilia quiedam troparia in obitu monachorum.
5° Œuvres perdues. — Nous ne possédons pas, il
s'en faut, toutes les œuvres, théologiques, pastorales
ou polémiques, composées par saint Germain. Léon III
fit brûler celles qui lui tombèrent sous la main. Peut-
être les autres empereurs iconoclastes continuèrent-
ils cette besogne de vandale. Un des traités qui
avait échappé à ces tempêtes, mais qui s'est perdu
depuis, est l'AvTa-oooTixo; rj àvoOrjTo;. Photius le
connaissait et en a donné une analyse. Biblioth.,
cod. 233. L'auteur s'y proposait de prouver que
saint Grégoire de Nysse n'a pas du tout enseigné,
avec Origène, que les peines des démons et des damnés
sont temporelles. Il établissait la fausseté de cette
théorie origéniste par l'Écriture et par les témoignages
des Pères et à ce propos il justifiait saint Grégoire
de Nysse par diverses citations de ses écrits. Ceillier,
Histoire générale des auteurs sacrés et ecclésiastiques,
t. xii, p. 40.
En dehors des œuvres de saint Germain, les principales
sources à consulter sont : Bt'oç xai noXiTei'a xai ixepty.r,
OauixaTWv oirjYr.a-t; toO èv 'Ayt'oiç llaTpô; r,|Aà>v l'effiavoC,
éditée par A. Papadopoulos-Kérameus, dans Mavpoyop-
Si-reto; p'.6).ioQr,Xï), t. n,'AvéxScT« é/\>.r(vr.xi, p. 1-17; Ttic-
|j.vr|[j.a Tr,ç Mapia; xf,; Ttou.a'.a:, édité par M. Gédéon dans
rEx*.Xr)<Tta<TTixT| à).r,0eia, 1883, t. m, p. 211-229; Mansi,
Concil., t. xii, col. 255-258; S.Jean Damascène, De ima-
ginibus, orat. Et, 12, P. G., t. xciv, col. 1298; les lettres apo-
cryphes de Grégoire II à Léon III l'Isaurien, dans Mansi,
Concil.,t. Xli, col. 959, 975; P. G., t. Lxxxix.col. 511, 521;
voir à leur sujet L. Guérard, Les lettres de Grégoire II à
Léon l'Isaurien, dans les Mélanges d'archéologie et d'histoire,
1890, t. x, p. 44-60; Théophane, Chronographia, 6204-6222.
1309
GERMAIN
l.ild
passim; Nicéphorc, Apoleget icus minor, n. 3; Menées, dans
Sgnaxariuin Ecclesiœ Constantinopolilanx, édit. H. Delehay e,
dans Acta sanetorum, Bruxelles, 1902, novembris t. i;
Georges Hamartolc, Cedrenus, Zonaras en ont aussi parlé;
Baronius-Pagi, an. 712-730, passim; Henschenius, dans
Acta sanclorum, 1680, maii t. m; P. G., t. xcvnr, col. 19-36;
Fabricius, Bibliolheca grœca, P. G., t. xcvm, col. 9-18;
Ceillier, Histoire générale des auteurs sacrés et ecclésiastiques,
Paris, 1862, t. xii, p. 36-43; Galland, Bibliotlieca velerum
Patrum, dans P. G.,loc. cit., col. 17-18; Le Quien, Oriens
cliristianus, 1740, col. 755, 235; Mai, introductions diverses
reproduites P. G., loc. cit.; Pitra, Juris eccl. grœcorum
historia et monumenta, Rome, 1868, t. Il, p. 295-300;
Hefele, Histoire des conciles, trad. Leclercq, Paris, 1910,
t. m, 1. XVIII, c. i, n. 352; M. Gédéon, IIocTpiapxtxoï
nivxv.it;, Constantinople, 1890, p. 255-258; Kruinbacher,
Gescliichle der byzantinische Littcratur, 1897, p. 66-67;
Pargoire, L'Église byzantine de 527 à 847, Paris, 1905,
p. 254, 370; Bollandistes Bibliolheca hagiographica grœca,
Bruxelles, 1909, p. 97. Voir aussi l'art, de M. Barbier de
Montault, dans la Revue de l'art chrétien, 1892, p. 233,
et les encyclopédies : Kirchenlexikon, art. de Fechtrup,
1830; Dictionarg of Christian biography, 1880; Bogoslovs-
kaia entsiclopedia, art. de M. Sokolof, 1903; J. Andreef
a publié sur saint Germain, dans le Bogoslovskii ï'eslnik,
une étude d'ensemble, qui a paru en volume, S. German,
patr. Constant. (715-730), in-8°, Moscou, 1898, et a été
plus tard unie à une autre étude sur saint Taraise, dans
Germani Tarasii, patriarchi Constanlinopolskie, Moscou,
1907.
F. Cayré
2. GERMAIN, patriarche de Constantinople (1222-
1240), est célèbre par sa résistance aux latins et par
ses homélies. Il naquit à Anaplous sur le Bosphore.
Il était diacre de Sainte-Sophie, au moment de la
prise de Constantinople par les Francs, en 1204. Il se
retira alors dans un monastère, jusqu'à ce qu'en 1222,
Jean III Vatacès, empereur grec de Nicée (1222-1254),
l'en tirât pour en faire un patriarche « œcuménique »,
en résidence à Nicée. C'est dans cette ville qu'il mourut.
1240, et fut enterré. Son fanatisme antilatin, autant
que les miracles opérés sur son tombeau, lui a valu
d'être mis sur les autels par les grecs.
Sous son pontificat eurent lieu certaines tentatives
de rapprochement avec Rome; ce fut même lui qui en
eut l'initiative. En 1232, en eiîet, à l'instigation de l'em-
pereur, Jean Vatacès, qui craignait pour ses États, il
feignit de vouloir opérer l'union de l'Église grecque
à l'Église latine, et écrivit au pape Grégoire IX. une
lettre, assez impertinente d'ailleurs, en faveur de
l'entente des deux Églises. Mansi, Concil., t. xxm,
col. 245. Une autre épître, adressée en même temps
aux cardinaux, exaltait la grandeur de l'Église grec-
que. Raynaldi, an 1232, p. 50. Quoique Jroissé, le pape
accepta. Sa lettre, ferme mais très digne, faisait
entendre qu'il enverrait bientôt des ambassadeurs.
Mansi, loc. cil., col. 55. Ils vinrent en effet, en 1234, et
curent avec les grecs, à Nicée d'abord, puis à Nymphée,
près de Smyrne, sept colloques qui furent absolument
inutiles. On se sépara en se jetant mutuellement
l'analhème. Hefele, H isloirc des conciles, trad. Leclercq,
Paris, 1913, t. v, p. 15G5 sq. On trouvera dans
Mansi, loc. cit., col. 277-307, les Actes de ce concile.
Ils se terminent par une profession de foi du patriarche
et de son synode, col. 307-319. Il existe aussi de la
même époque, sur la même question, un autre acte
patriarcal et synodal fort intéressant, édité à Vienne
en 1796, avec le Xpovixôv rswpyioj xo\> <PpavrÇfj, et
intitulé : 'A7:âvT7]atç r.pôç tijv ToiauTT]v ôfAoXoytav toù'
r.xr.r.x rpï)Y<>ptoo y.xl jcpôç tobç û-' èxetvou oraXévTaç
$pê[iivoupioy; (frères mineurs) xat toù; Xoi-oùç r.tpl xrj;
EXKOpeuaewç to3 IlvrJ[j.aio; âyiou.
Depuis lors, Germain put montrer sans feinte son
vrai caractère et lutta avec ardeur contre l'envahis-
sement latin. II reste quatre lettres, comme témoins
de ses efforts. L'une est adressée au patriarche latin
de Constantinople; Démétracopoulos en a édité une
partie. 'OpGdSoFoç 'EXXâ;, Leipzig, 1872, p. 40-43.
Le même auteur, ibid., p. 39-40, résume une autre
lettre du patriarche adressée aux moines du couvent
de « La Pierre », près des Blachernes, pour les féliciter
de leur résistance aux latins, et les encourager à avoir
toujours la même horreur des innovations occidentales
sur le Filioque,les azymes, le purgatoire, etc. Les deux
autres lettres ont été éditées par Cotelier, Monumenta
Ecclesiœ greecœ, t. m, et sont reproduites clans Migne,
loc. cit., col. 001-622. Elles sont adressées aux fidèles
de Chypre, alors soumis à la domination franque des
Lusignan. L'une règle les rapports avec les clercs
latins et l'autre prend des mesures contre ceux qui
ont accepté de se soumettre au pape.
Non content de combattre le latinisme sur le
terrain pratique, Germain II ne dédaigna pas de le
poursuivre jusque dans le domaine thôologique.
Allatius, De consensione, p. 712, énumère un certain
nombre de traités que le patriarche composa contre
les hérésies latines, et dont on devine immédiatement
les titres : Sur la procession du Saint-Esprit; Des
a:ymcs; Du jeu du purgatoire; Du baptême. Ils sont
encore inédits et cela n'est guère à regretter, à en
juger par ce que nous connaissons et dont Le Quien
a écrit : « Il reste de lui quelques opuscules si vides
et si fades qu'il n'a presque rien été publié de pire
par des grecs, » et ce n'est point peu dire.
L'œuvre la plus considérable de Germain II est
oratoire. Le manuscrit de Coislin 278 contient de lui
quarante-six homélies et six catéchèses. Fabricius
en donne le sujet et les premiers mots. Huit seulement
ont été éditées. On en trouvera sept, P. G., t. cxl,
col. 601-755. Dans ce nombre, on en comprend deux
qui ont été parfois attribuées à saint Germain Ier et
ont été insérées dans ses œuvres : ce sont les homélies
sur l'adoration de la croix, P. G., t. xcviii, col. 221, et
sur la sépulture du corps du Christ, ibid., col. 243.
Quoiqu'on ne puisse l'aflirmer, il est très vraisemblable
que c'est Germain II qui en est l'auteur, à en juger
d'après le titre, le style, le sujet et l'âge des manuscrits.
L'homélie prononcée contre les Bogomiles, sur l'exal-
tation de la croix, loc. cit., col. 621, a un certain intérêt
historique, surtout si on la complète par VEpislula
ad Constantinopolitanos contra Bogomilos du même
auteur, que M. Ficker vient d'éditer dans son livre
Die Phundagiagiten, Leipzig, 1908, p. 115-125. Balle-
rlni, qui a édité l'homélie sur l'Annonciation, P. G.,
loc. cit., col. 677, l'attribue à Germain II par des
arguments assez probants. Sijllogc monumcnlorum,
Paris, 1857, p. 285-295. Les autres discours, publiés
dans Migne, sont les suivants : Sur la croix, col. 643-
659; Sur les images, col. 659-676; Sur les saints inno-
cents, col. 736-758. Avant de porter un jugement d'en-
semble sur l'œuvre oratoire de Germain II, il paraît
prudent d'attendre, avec Ehrliard, qu'un plus grand
nombre d'homélies aient été publiées. Dans l'homélie
sur l'Annonciation, il enseigne assez clairement le
dogme de l'immaculée conception.
Nous nous contenterons de signaler quelques actes
d'ordre canonique, sans grande importance, concernant
certains monastères. Miklosich-Miiller, Acta patr., t. i,
p. 87; Acta monasl., t. r, p, 298-303; Rhalli-Potli,
i]'jvtay[xa Uftov xavo'vcov, t. v, p. 106-113. C'est
sous son patriarcat que Jean III Vatacès, par un
chrysobulle de 1228, prit des mesures nouvelles pour
conserver aux églises les biens des prélats défunts.
Rhalli-Potli, loc. cit., p. 324-325. Une recension
nouvelle, avec une étude préparatoire, a été faite de
cette encyclique par M. Jules Nicole, Revue des éludes
grecques, 1894, t. vu, p. 68-80.
Nicéphore Calliste, Catalogus, P. G., t. cxlvii, col. 465;
Éphrem le Chronographe, Cœsares, P. G., t. cxliii, col. 373 ;
Georges l'Acropolite; Allatius, De consensione, 1648, p. 300,
1311
GE RM/UN - GÉROGH
1312
50S, 712; Le Quien, Oricns chrislianus, Paris, 1740, col. 278-
279, reproduit dans /'. G., t. cxl, col. 593-594; Fabricius,
Bibliotheca grœca, édit. Harles, t. xi, p. 162-171, reproduit
dans P. G., t. cxl, col. 593-602; Démétracopoulos, Grsecia
orthodoxa, 1872, p. 38-43; Sathas, Bibliotheca grœca mcd.,
Constant inople, 1873, t. n, p. 5; M. Gédcon, 1 laTptap-/xol
7tîvaxEç, Constantinople, 1890, p. 383-387; Krumbacher,
Gcschichte der byz. Literatar, 1897, p. 174; Hcfele, Histoire
des conciles, trad. Leclercq, Paris, 1913, t. v, p. 1565 sq. ;
Fcchtrup, Kirchcnlexikon, Fribourg, 18S8; Sokolof, Bogos-
lovskaia entsiclopedia, Saint-Pétersbourg, 1903. Voir plus
haut, t. ni, col. 138S.
F. Cayré.
GERMON Barthëlemi, jésuite français, né à Or-
léans le 17 juin 1GG3, admis au noviciat le 31 dé-
cembre 1G79, professa les humanités, la rhétorique et
la philosophie à Orléans avec une grande réputation
de science, tout en s'adonnant à des études fort
approfondies, mais trop peu méthodiques parfois, de
paléographie et de critique historique. Lorsque parut
l'ouvrage d'Adrien Baillet, De la dévotion à la sainte
Vierge et du culte qui lui est dû, Paris, 1693, le P. Ger-
mon intervint aussitôt, au nom de la théologie et de
l'histoire, pour relever les interprétations inexactes
des textes et des faits dans son livre : Trois lettres du
P. Germon d'Orléans, jésuite, à M. Hideux, curé des
Saints-Innocents, sur l'approbation qu'il a donnée au
nouveau livre de la dévotion à la sainte Vierge, 1G93.
11 lit preuve également d'une érudition déjà sûre dans
la Remontrance chrétienne à l'auteur de la traduction des
homélies de S. Chrysoslome, s. 1., 1693. L'auteur de
cette traduction en sept volumes était Nicolas Fon-
taine, qui accueillit d'ailleurs les observations qui lui
étaient faites, notamment sur quelques passages
relatifs à l'exégèse de l'Épître aux Hébreux. Une lutte
plus vive s'engagea à propos de l'Histoire des congré-
gations De auxiliis publiée par le P. Serry, dominicain,
sous le pseudonyme de l'abbé Le Blanc. Le P. Germon,
qui avait la partie belle, entra en lice par sa Lettre à
M. l'abbé *** Sur la nouvelle histoire des disputes De
auxiliis qu'il prépare, Liège, 1698. Le P. Serry se
défendit vigoureusement dans une brochure publiée
deux ans plus tard. Mais le P. Germon, s'en tenant aux
faits et aux textes, lui opposa coup sur coup deux
ouvrages décisifs : Questions importantes à l'occasion
de la Nouvelle histoire des congrégations De auxiliis,
Liège, 1701 (cf. Mémoires de Trévoux, juillet 1701,
p. 118-124; mai 1702, p. 17-22) et Errata de l'Histoire
des congrégations De auxiliis composée par l'abbé
Le Blanc, et condamnée par V Inquisition générale
d'Espagne, Liège, 1702, où le savant critique n'eut pas
de peine à mettre dans son plein jour la vérité. Cf. Jour-
nal îles savants, 1702, p. 428-433; Mémoires de Trévoux,
juin 1702, p. 133-140; Acla cruditorum, 1702, p. 442-
449. Le P. Germon fut moins heureux dans la polé-
mique engagée a propos du De rc diplomalica de
Mabillon, malgré les incontestables qualités d'éru-
dition et de pénétration qu'il déploya dans cette
longue et ardente controverse inaugurée par sa pre-
mière dissertation, De velcribus regum Francorum
diplomatibus et arle secernendi anliqua diplomaia vera
a falsis, Paris, 1703 (cf. Mémoires de Trévoux, janvier
1701. p. 107-119; Journal des savants, janvier 1704,
p. 3 sq.), suivie de la Disccplcdio secunda, Paris, 1706.
Les savants prirent parti pour et contre. Mais la diplo-
matique bénédictine eut pour elle les suffrages les
plus autorisés, ceux de l'abbé Fontanini, professeur
d'éloquence à Rome, de l'abbé Lazzarini, de Giatti,
jurisconsulte de Plaisance. Dom Coustant intervint
sur la question des manuscrits de saint Augustin, et
dom Ruinart sur les principes de la diplomatique.
Le P. Germon publia de nouvelles Disceptaliones,
Paris, 1707, et un curieux ouvrage : De velcribus hœre-
ticis ccclesiasticorum codicum corruptoribus, Paris, 1713,
et se retira de la discussion, fortement ébranlé, semble-
t-il, par les raisons de ses adversaires. Une lutte plus
grave et plus âpre s'engageait alors dans l'Église
même à propos de la bulle Unigenilus. Le P. Germon
crut plus utile de tourner ses armes contre les jansé-
nistes. Des divers travaux entrepris par lui dans ce
but, il ne reste qu'un Traité théologique sur les 101
propositions énoncées dans la bulle Unigenilus, publié
après sa mort, Paris, 1722. Le P. Germon mourut à
Orléans le 2 octobre 1718.
Jac.-Ph. Lallemant, Histoire des contestations sur la
diplomatique, Paris, 1708; C. Beretti, Istoria délia guerra
diplomatica. Milan, 1729; J. P. Ludwig, De bellis diploma-
licis, Paris, 1708; J. P. Ludwig, De bellis diplomalicis in
Gallia excitatis, Leipzig, 1720; J. Selnvabe, Kurze Erzàh-
lungcn der Streiligkeilen iiber die alten Urkunden, Meidelberg,
1785; Journal des savants, 1713, p. 209-219; Mémoires
de Trévoux, 1713, p. 795-817; 1716, p. 989-998; P. Daniel,
Histoire de France, Paris, 1755, t. i, p. clxxxv sq.; Som-
mervogel, Bibliothèque de la C" de Jésus, t. m, col.
1351-1357.
P. Bernard.
GÉROCH, né à Polling (Bavière) en 1093, après
avoir fréquenté diverses écoles d'Allemagne, fut mis
par l'évêque d'Augsbourg à la tète de l'école de son
Église. Il prit tout d'abord rang parmi les défenseurs
des droits du pontife romain et les promoteurs de la
réforme ecclésiastique. II censura courageusement les
mœurs du clergé, au milieu duquel il vivait, et il se
sépara de l'évêque Hermann, qui soutenait l'empereur
Henri V et son antipape Bourdin contre Calliste II.
Il dut se retirer à Reitenbuch, monastère de chanoines
réguliers du diocèse de Ratisbonne. Il fut nommé
en 1132 prévôt de la collégiale régulière de Reiches-
perg, fonction qu'il remplit jusqu'à sa mort (1169).
Ce fut, en Allemagne, un émule de saint Bernard,
travaillant à la réforme ecclésiastique et à la défense
du Saint-Siège par son action personnelle et par ses
écrits. Eugène III et ses successeurs lui témoignèrent
une grande confiance. Il entreprit plusieurs fois le
voyage de Rome. Le cardinal légat Gui se fit accom-
pagner par lui dans sa mission en Allemagne (1143).
Les empereurs le trouvèrent toujours hostile à leurs
entreprises schismatiques.
Géroch fut l'un des écrivains les plus féconds de
son temps. Ses écrits relatifs aux conflits entre les
empereurs et les souverains pontifes ont été réédités
parSackur dans les Libelli de lile imperatorum cl pon-
tificum sœeulis si et xii eonscripti, Hanovre, 1897, t. in,
p. 136-525, des Monumcnta Germanise liislorica. Ce
sont des extraits du Liber de œdificio Dci ; Epislola
ad Innoccnlium sur le clergé séculier et régulier; I.iber
de simoniacis ou De eo quod princeps hujus mundijam
judicatus est ; De ordinc donorum Spirilus Sancti ;
Contra duas hœreses ; De novilalibus hujus temporis ;
De invesligatione Anlichristi ; De gloria et honore Filii
hominis ; Opusculum ad cardinales; De quarla vigilia
noclis ; des extraits du Comment, in ps. i \n. Le recueil
complet de ses œuvres se trouve P. L., t. cxcin, exciv.
Ce sont, outre les travaux cités déjà, ses lettres, son
Comenlarius aureus in psalmos et canlica jerialia; son
commentaire du ps.LXiv est traité avec plus d'ampleur;
il est devenu le Liber de corruplo Ecries ise statu, dédié
au pape Eugène III. On lui doit encore: Epislola ad
Eberhardum, episcopum Bambergensem sur l'égalité
du Père et du Fils; Opusculum de gloria et honore
Filii hominis; Beatorum abbalum Formbacenseium
Berengeri et Wirntonis, ordinis sancti Bcnedicli, Vitse.
L'auteur de la Chronique de Reichersperg, publiée
par Ludwig dans sa Bibliotheca historica medii œvi,
lait connaître les services que Géroch a rendus à son
monastère et ses efforts pour la restauration de la
discipline religieuse.
Noble Gerhoh im Reichersperg- Lin Bild ans dem Lcben
1313
GEROCH
GERSON
1314
des Kirche im Ml Jahrhundert, in-8°, Leipzig, 1881 ;
Potthast, Bibliotheca hislorica medii œvi, t. i, p. 502-503;
dom Ceillier, Histoire générale des auteurs ecclésiasti(iues,
2° édit., Paris, 1S63, t. xiv, p. 627-033; Realencyclopàdie
fur protestanlische Théologie und Kirche, t. VI, p. 505-568
(avec bibliographie); The calholic cncgclopedia, New York,
1900, t. vi, p. 472 (avec bibliographie).
J. Besse.
GERSON (Jean le Charlier de). — I. Biographie.
II. Ses opinions sur le pape, le concile et la hiérarchie
ecclésiastique; son rôle au concile de Constance.
III. Sa théologie morale. IV. Sa théologie mystique.
V. Sa prédication.
I. Biographie. — Jean le Charlier dit de Gerson
naquit le 14 décembre 1303 au hameau aujourd'hui
détruit qui portait autrefois ce nom, et qui dépendait
du village de Barby, dans le diocèse de Reims, non
loin de Rethel (Ardcnnes). Son père s'appelait Arnauld
et sa mère Elisabeth la Chardenière : tous deux
étaient en excellent renom de foi et de piété. Ils eurent
douze enfants et Jean en était l'aîné. Il fréquenta les
écoles de Rethel, puis de Reims, et entra à quatorze
ans (1377) au fameux collège de Navarre à Paris.
Il y connut le futur évèque de Genève, Jean Courte-
cnissc, son contemporain, un peu plus âgé que lui.
Bibliothèque de l'École des chartes, 1904, p. 471.
II eut comme condisciples le futur cardinal Pierre de
Luxembourg et l'humaniste Nicolas de Clémangis, qui
étaient plus jeunes de quelques années. Ses maîtres
furent Laurent de Chavanges, Gilles des Champs qui
fut aussi honoré de la pourpre, et surtout le célèbre
Pierre d'Ailly, de Compiègne, dont il suivit les cours
pendant sept ans et dont il resta toujours l'ami dévoué.
D'Ailly assistait parfois à ses leçons et il l'appelle son
vénérable et très cher compagnon. Scrnio foetus in sy-
nodo Cameraccnsi ; Tractatus et sermones. De son côté,
Gerson lui dédia son livre intitulé : De vita spiriluali
anima'. Opéra, t. m, col. 3, et lui adressa parfois des
vers latins. Ibid., I. iv, col. 789. Il le nomma en plein
concile de Reims son illustre et vénéré maître (1408)
et au concile de Constance (1416) son incomparable pro-
fesseur. Jean Gerson fut promu licencié es arts sous
maître Jean Loutrier en 1381; baccalarius biblieus en
1388, il lut les Sentences en 1390 et devient licencié
en 1392. Il fut promu au doctorat en théologie, à
l'âge de 31 ans, en 1394. Cf. Denifle, Chartularium uni-
versilalis Parisiensis, t. ni, p. 454. Dès avant son doc-
torat, il avait composé plusieurs écrits. En 1387, il
prêcha devant le pape Clément VII d'Avignon, pour
provoquer la condamnation du dominicain Jean de
Monteson qui niait l'immaculée conception de la sainte
Vierge. Monteson fut condamné en effet et l'Aima
mider décida de rejeter de son sein les frères prê-
cheurs qui refuseraient de confesser cette vérité qui
est aujourd'hui un dogme. Notre docteur pense que
cette sentence prononcée contre les dominicains fut
trop dure : « Dieu sait, dit-il, et je l'ai plus d'une
fois montré, que je ne déteste point les mendiants et
que je n'ai point voulu leur destruction. » Et dans une
épître adressée aux élèves de Navarre, il réprouve la
sévérité de l'université dans cette occasion, Opéra,
t. i, p. 129; il regrette aussi les pertes que la science
et l'influence de l'université ainsi que la vertu des
étudiants ont faites par suite de l'absence forcée des
dominicains qui ne rentrèrent en grâce qu'en 1403.
Il prononça peu après le panégyrique de saint
Louis, roi de France, et lit ainsi ses débuts dans sa
carrière d'orateur qui devait être si brillante. 11 avait
conquis le doctorat depuis un an lorsque son maître
Pierre d'Ailly fut nommé évêque du Puy (1395).
Sur la proposition du jeune prélat, Gerson fut choisi
par Benoît XIII pour lui succéder dans le poste éma-
nent de chancelier de Notre-Dame et de l'université
(13 avril). C'est à partir de cette date qu'il commença
DICT. DE THÉOL. CATHOL.
à s'occuper d'une manière très active de l'extirpation
du schisme qui divisait depuis dix-sept ans l'Église
en deux parties ennemies et numériquement presque
égales. Ami de la paix et de l'union, il professa tou-
jours à l'égard du pontife de Rome et de celui d'Avi-
gnon des opinions très modérées. En mainte occasion,
il sut montrer sa vive répugnance pour les procédés
violents préconisés par certains membres de l'univer-
sité. Noël Valois, La France el le grand schisme, t. ni,
p. 71, 180. Aumônier du duc de Bourgogne, il fut
nommé doyen de l'église de Saint-Donatien à Bruges.
Gerson y demeura pendant quatre ans (1397-1401) et il
écrivit à cette époque le traité remarquable intitulé :
Senlentia de modo se habendi lemporc schismatis.
Schwab, Johanncs Gerson, p. 97, 152.
Dans les discussions souvent orageuses de ce temps
si troublé, le théologien trouvera peu de propositions
pratiques où se rencontrent plus de fermeté doctrinale
et plus de sérénité d'âme. Voilà pourquoi il nous
semble utile de résumer les points fondamentaux
sur lesquels Gerson émet son avis, salvo semper in
omnibus superiorum et sapicnliorum judicio : « Dans le
présent schisme, écrit-il, en une matière si douteuse
il est téméraire, injurieux et scandaleux d'affirmer
que tous ceux qui sont attachés à tel ou tel parti, ou
tous ceux qui veulent absolument rester neutres, sont
hors de la voie du salut, excommuniés ou suspects
de schisme. Il est licite et même prudent de prêter
obéissance à tel ou tel pape, mais sous condition tacite
ou expresse. Il est téméraire, scandaleux et sapiens hœre-
sim d'affirmer que les sacrements de l'Église n'ont pas
leur efficacité au sein du parti contraire, que chez nos
adversaires les prêtres ne sont pas ordonnés, les enfants
ne sont pas baptisés et l'eucharistie n'est pas consacrée.
Dans ce schisme,il est téméraire et scandaleux d'affirmer
qu'il n'est point permis d'ouïr la messe des dissidents et
de recevoir les sacrements de leurs mains. Il serait
plus utile, plus juste et plus sûr de chercher l'unité
de l'Église en agissant sur les deux compétiteurs à la
papauté, soit en employant la voie de cession, soit
celle de soustraction d'obédience, soit tout autre
moyen légitime de coaction. A quoi sert de vexer et
de troubler les âmes par l'excommunication ou autre-
ment? A quoi bon rejeter opiniâtrement une partie
des chrétiens de la communion de l'autre? » Opéra,
t. n, p. 3. D'Ailly, son maître, qui venait d'être nommé
évêque de Cambrai et qui avait été témoin des mêmes
excès, partageait tout à fait son avis et il s'en expli-
qua plus tard à plusieurs reprises. Discours du 11 dé-
cembre 1406 au concile de Paris, dans Bourgeois du
Chastenet, Nouvelle histoire du concile de Constance,
p. 153 sq., et Apologia concilii Pisani (1412), dans
Tschackert, Peter von Ailli, appendix, p. 31.
En 1398, Gerson ne vota pas la soustraction d'obé-
dience à l'égard du pape d'Avignon pour lequel
l'Église de France s'était dès l'abord déclarée. Il fut
un des premiers à démontrer que Benoît ne devait
pas être considéré comme hérétique ou schismatique
et qu'il n'était nullement à propos d'entamer, de ce
chef, une action contre lui. Opéra, t. n, passim. Par
suite, il réclama énergiquement la restitution d'obé-
dience, c'est-à-dire la cessation de cet état anormal
qui constituait un schisme dans un schisme. Cette
attitude conciliatrice, très conforme à son caractère,
lui attira alors et plus tard bien des rancunes peu
dissimulées.
Après la restitution d'obédience et le concordat du
30 mai 1103, Gerson, revenu de Bruges, célébra dans
un sermon enthousiaste la cessation partielle du
schisme, le triomphe des projets d'union et la fin de
ces longues querelles, trop semblables, disait-il, aux
luttes légendaires entre guelfes et gibelins. Dans son
discours du 4 juin, il compare Benoît à Antée qui
VI. — 42
1315
GERS ON
1316
reprend de nouvelles forces en touchant la terre sa
mère : « Ainsi, poursuit-il, le pontife d'Avignon, au
rude contact de l'épreuve, apprendra l'humilité et la
douceur. Par l'exercice de ces deux vertus, il luttera
contre le schisme et le fera bientôt disparaître. » Le
bon chancelier a le privilège des assimilations singu-
lières. Plus tard (9 novembre), il comparera Benoît,
évadé d'Avignon, à Jouas sortant du sein de la baleine.
Il ne nous paraît pas encore connaître à fond l'homme
dont il se fait le panégyriste outré, et il se montre ici
prophète peu clairvoyant.
En récompense de son dévouement, le souverain
pontife le nomma curé de Saint-Jean-en-Grève à
Paris, et unit cette charge à son office de chancelier.
Malheureusement, cette bonne entente entre Paris
et Avignon ne devait pas durer, et les belles espérances
que Gerson avait conçues ne se réalisèrent point. Les
concessions promises par Benoît au duc d'Orléans
ne furent pas accordées : le pape n'exigea guère
avec moins d'àpreté qu'autrefois les taxes aposto-
liques et tous les droits pécuniaires qu'il prétendait
avoir; il parut ne songer qu'à reculer les limites de
son obédience au détriment de celle d'Innocent VII,
qui venait de succéder à Urbain VI sur le siège romain.
Cette mauvaise volonté, cette négligence à tenir de
solennelles promesses, ces faux-fuyants sans cesse
renouvelés, ces prétentions de plus en plus injusti-
fiables allaient amener de nouveaux conflits.
Gerson, chancelier de l'université, était en ce temps
une des voix les plus écoutées du clergé français.
Le 1er janvier 1404, sept mois après le concordat,
l'éloquent docteur avait prêché devant Benoît à
Tarascon, et ne lui avait point ménagé les avertisse-
ments les plus graves. Son discours où, comme assez
souvent chez lui, le vrai se mêle au faux, avait eu un
très grand retentissement. Pierre d'Ailly, sincère
partisan du pape d'Avignon, s'en était ému. Gerson
répondit à son ancien maître, alors à la cour du pape;
il regretta de voir exagérer la portée de ses paroles et
de s'entendre attribuer des propos peu respectueux à
l'égard du pontife. Opcra, t. n, col. 74.
D'autre part, l'université se brouillait avec le duc
d'Orléans, le grand protecteur de Benoit, et se rappro-
chait du duc de Bourgogne, cet ennemi personnel de
son cousin d'Orléans et qui allait bien lot devenir son
meurtrier. L'Aima mater se plaignit du prince et
du pape; elle fit cesser toutes leçons pendant dix
semaines et Gerson se fit son porte-parole dans son
fameux discours intitulé : Vivat rcx (7 novembre 1405).
Aux vœux fails pour la santé de Charles VI, il mêla
non sans audace des attaques contre les procédés
arbitraires du duc d'Orléans.
L'université, de plus en plus mécontente de Benoît,
voulut renouveler la soustraction d'obédience qui
avait si peu réussi une première fois en 1398. D'Ailly
et Gerson tentèrent de s'y opposer avant le concile de
Paris, en 1400; ils s'elt'orcèrent de ramener leurs
collègues ;i des procédés plus modérés. Au sein de
l'assemblée qui s'ouvrit en novembre, et après de
très longues et très vives discussions, ils ne réussirent
qu'en partie; ils obtinrent que la soustraction adoptée
par les membres de. l'assemblée fût réduite à certaines
limites. Cf. L. Salembier, Le grand schisme d'Occident,
]). 221.
D'Ailly et Gerson firent aussi partie de l'ambassade
solennelle qui fut envoyée à Benoît en 1407. Tous deux
insistèrent fortement auprès du pontife pour qu'il
se démît de la papauté par une bulle formelle. Il
refusa. Plusieurs délégués voulurent alors briser
ouvertement avec lui. Ici encore d'Ailly et Gerson
firent triompher des sentiments plus pacifiques et
travaillèrent à retarder la rupture totale. IbiiL,
p. 229.
Tous deux furent aussi membres de la légation
envoyée à Grégoire XII. Ils furent témoins de !a
pusillanimité puérile ou plutôt sénile du pontife, ils
entendirent ses excuses pitoyables pour ne pas se
trouver au rendez-vous de Savone où il devait ren-
contrer Benoît, et eurent une noble altitude à l'au-
dience de congé du 28 juillet 1408. N. Valois, Biblio-
thèque de l'École des chartes, 1902, p. 232; Bibliothèque
nationale, n. 7371 et 12544. De retour à Gènes, ils
adressèrent de concert au pape romain une lettre
très digne et très touchante qui est restée jusqu'ici
inédite. Au nom de l'Église, ils le supplièrent une
dernière fois de tenir ses promesses, 15 septembre.
Bibliothèque Vaticane, n. 4000 et 4192. On sait que
ce fut en vain.
L'année suivante, Gerson assista au concile de Reims
et y prononça le discours d'ouverlure. Il donna à
ses auditeurs les conseils les plus pratiques sur l'instruc-
tion des fidèles, sur le bon exemple à leur donner et
sur l'administration des sacrements. Opéra, t. n,
col. 542 sq. Au cours de son sermon, il demande
qu'un théologien soit nommé pour donner des leçons
de science sacrée dans chaque église métropolitaine.
A ce propos, il rend grâces à son maître, l'illustre
évêque de Cambrai, qui a obtenu de Benoît XIII
que cel le faculté soit étendue à toutes les églises cathé-
drales et à toutes les collégiales notables. « Je ne sais
pourquoi, dit-il, ce projet si utile n'a pas encore été
mis à exécution. »
Marlot, l'historien rémois, ajoute que Gerson
examina de concert avec d'Ailly le cas de la voyante
Ermine, morte à Reims treize ans auparavant. Dans
une lettre que nous possédons encore, le chancelier
approuva la relation que Jean Morelle, chanoine de
Saint-Denis, avait écrite au jour le jour sur les faits
merveilleux qui étaient imputés à cette prophétesse.
Opéra, t. i, col. 83.
En cette même année, à cause de son attitude paci-
ficatrice, d'Ailly encourut l'indignation des univer-
sitaires acharnés contre Benoît. Le roi épousa leur
querelle et voulut faire arrêter l'évoque de Cambrai.
Clémangis et Gerson, ses élèves toujours fidèles, lui
écrivirent de touchantes lettres de condoléances. L.
Salembier, Pctrus de Alliacé-, 188G, p. 75 ; Gerson, Opéra,
t. ni, p. 429; N. de Clémangis, Opéra omnia, Episl.,
xliv. Gerson n'allait pas tarder à connaître lui aussi
les vicissitudes humaines et allait être poursuivi pour
un autre motif. Le 23 novembre 1407, le duc d'Orléans
était tombé dans une rue de Paris sous les coups de
lâches assassins stipendiés par le duc de Bourgogne.
Jean sans Peur assuma avec une singulière audace la
responsabilité du fait accompli, plaida sa propre
cause devant le roi Charles VI et chargea de sa défense
son conseiller Jean Petit (8 mars 1408). Celui-ci osa
professer ouvertement la théorie immorale du tyran-
nicide.
Le chancelier crut de son devoir de déférer cette doc-
trine au jugement de l'évêque de Paris et des maîtres
en théologie. Les docteurs condamnèrent d'abord sept,
puis neuf propositions de Jean Petit comme erronées
et scandaleuses: elles furent livrées au feu. Plus tard,
au sein du concile de Constance, Gerson dénonça de
nouveau les articles incriminés (juin 1415) et il le fit
sept fois en quinze jours. Les Pères rendirent leur sen-
tence sur ce point le G juillet, et condamnèrent le
tyrannicide d'une manière générale, sans prononcer
le nom du puissant duc de Bourgogne. Cette demi-
mesure ne contenta point Gerson et les Armagnacs du
concile.
Le chancelier prit la parole au nom du roi de France,
le 5 mai 1416, et protesta éloquemment contre la
sentence trop peu explicite qui frappait Jean sans
Peur. Opéra, t. n, p. 328; t. v, p. 353, 355, 362 sq.;
1317
GERSON
1318
Labbe-Mansi, Concil., t. xxvn, col. 728 sq. ; Schwab,
op. cit., p. G09.
Gerson n'avait assisté ni au concile de Pise (1409)
ni à celui de Rome (1412-1413), mais il les avait
hautement approuvés. Son rôle à Constance fut des
plus considérables. Il y arriva le 21 février 1415 avec
une délégation de l'université de Paris. Nous n'entre-
rons pas dans le détail du procès de Jean Huss,
Schwab, op. cit., p. 540-609; Constance (Concile de),
t. ni, col. 1213 sq., delà condamnation des flagellants,
Gerson, Opcra, t. n, p. 658, 660 ; voir Flagellants,
col. 16; de ses démêlés avec les Anglais qui, malgré
leur petit nombre, prétendaient former une nation
au sein du concile, N. Valois, op. cit., t. iv, p. 369;
de ses luttes doctrinales contre Matthieu Grabon, ce
grand adversaire des nouveaux ordres religieux, le
Guillaume de Saint-Amour du xve siècle. Gerson,
Opéra, t. i, p. 467; Hefele, Histoire des conciles, t. xi,
p. 103.
Nous parlerons plus bas de son attitude vis-à-vis
des trois papes qui se disputaient alors la tiare et des
théories qu'il eut l'occasion d'exposer au sein du
concile pour arriver à l'extinction du schisme.
Ce furent surtout ses luttes contre Jean sans Peur
qui lui attirèrent des disgrâces imméritées. Déjà,
à Paris, le duc de Bourgogne avait provoqué une
émeute contre lui. Sa maison avait été pillée et il
n'échappa aux assassins qu'on se réfugiant pendant
deux mois sous les voûtes de Notre-Dame. Après le
concile de Constance, pendant que le pape, l'empe-
reur, les Pères et les princes s'en retournaient avec
pompe dans leur pays (1418), Gerson apprenait que
Jean sans Peur avait juré sa perte et que la nation
picarde, au sein de l'université, avait demandé qu'il
fût désavoué, rappelé et puni alrociter. Opéra, t. v,
p. 374; Denifle, Charlul., t. iv, p. 300; Max Lenz,
Revue historique, t. ix, p. 470. Pour éviter un crime à
son persécuteur, il sortit de Constance le 15 mai 1418,
et prit le chemin de l'exil avec ses deux secrétaires
au concile, André et Ciresio. Il se retira en Allemagne,
à l'abbaye bénédictine de Mœlck, dont il avait connu
l'abbé à Constance. C'est là qu'il composa, à l'exemple
de Boèce, son traité : De consolatione thcologiœ. L'ar-
chiduc d'Autriche Frédéric voulut l'attirer dans son
université devienne. Gerson s'y rendit, mais n'y resta
point. Enfin, en novembre 1419, le chancelier apprit
la mort de son ennemi juré Jean sans Peur, tué par
les ordres du dauphin sur le pont de Montereau. Il
prit aussitôt la route de la France, mais il ne rentra
pas à Paris, livré aux factions et resté au pouvoir des
Bourguignons. Il se dirigea vers Lyon où l'appelaient
son frère, prieur des célestins, et l'archevêque Amédée
de Talaru. Schwab, op. cit., p. 767. C'est là qu'il passa
ses dernières années dans les exercices de la dévotion
et du zèle sacerdotal. Il y composa divers écrits
d'édification et en particulier son traité de théolo-
gie mystique ou pastorale bien connu : De parvulis
ad Christum trahendis. Joignant l'exemple au pré-
cepte, il aimait à s'entourer de petits enfants dans
l'église de Saint-Paul et il se plaisait à leur ensei-
gner les éléments de la doctrine chrétienne. Ces dix
années furent les plus douces de sa vie militante.
Il vécut assez longtemps pour écrire deux opuscules
sur Jeanne d'Arc, dont il défend la mission divine.
Cf. Quicherat, Procès, t. v, p. 462. Sa mort arriva le
12 juillet 1429 et les regrets de tous les gens de bien
le suivirent jusqu'au tombeau. On lui attribua des
miracles, et cinq martyrologes au moins lui donnent
le titre de bienheureux. Plus de cinquante conciles
particuliers et de nombreux écrivains ecclésiastiques
recommandent aux pasteurs « ce grand, pieux et
savant professeur, ce zélateur des âmes, ce directeur
hors ligne, ce modèle des ministres de l'Évangile... »
Les savants l'ont nommé doclor christianissimus et les
mystiques doctor consolalorius. Plusieurs statues lui
ont été élevées à Paris et à Lyon, et, dans l'églisj de la
Sorbonne, son image fait pendant à celle de Bossust.
II. Ses opinions sur l'Église et la hiérarchie;
SON RÔLE AU CONCILE DE CONSTANCE. ■ — On le Sait,
ce qui a manqué le plus aux théologiens du commen-
cement du xve siècle, c'est une doctrine ferme sur ce
que les théologiens appellent aujourd'hui le traite de
l'Église. Le gallicanisme, dont ils avaient puisé le germe
dans l'enseignement des grandes écoles, s'est développé
grâce aux expédients arbitraires qu'on s'est cru obligé
d'employer au milieu des événements malheureux du
grand schisme pour rétablir l'unité depuis si long-
temps compromise. On peut plaider les circonstances
atténuantes en faveur de notre Gerson. Il a eu des
maîtres peu sûrs; il a beaucoup étudié, en particulier,
Guillaume Occam, le plus mauvais génie du xive siècle.
Sa conduite pratique, nous l'avons vu, est, en général,
plus modérée et plus saine que ses théories.
On accuse d'Ailly et Gerson d'avoir été les pères
du gallicanisme et, à un certain point de vue, on n'a
pas tort. Remarquons toutefois, pour être juste, que,
quand il s'agit, en 1398, de la première soustraction
d'obédience, ces prétendus coryphées des opinions
antipontificales n'y eurent aucune part. En 1406,
lorsqu'on voulut rétablir la soustraction complète
d'obédience, ils opposèrent une résistance acharnée
aux projets de Simon de Cramaud, de Pierre Plaoul,
de Jean Petit et de Pierre le Roy. Deux ans après,
quand la révolte contre Benoît XIII se fit plus
violente et prépara une sorte de constitution civile
du clergé au sein du Ve concile de Paris, les résolutions
schismatiques de l'assemblée furent adoptées sans
eux, malgré eux et, on peut le dire, contre eux. N. Valois,
op. cit., t. iv, p. 23. Un peu plus tard, lorsqu'ils aban-
donnèrent Benoît XIII et Jean XXIII, c'est quand il
leur fut démontré que leur présence à la tête d'une partie
de l'Église était un obstacle à l'union. Pereat unus, non
imitas, dit saint Bernard.
Enfin, il est prouvé aujourd'hui que plusieurs traités
sur lesquels les adversaires de Gerson se sont parfois ba-
sés pour attaquer sa doctrine théologique ne sont pas de
lui, par exemple : De modis uniendi; Oclo conclusiones
quorum dogmalizatio ulilis videlur ad exlerminationcm
moderni schismalis; Sermo factus in die ascensionis an.
1400,etc. Enfin, les éditeurs protestants ou gallicans,
VonderHardt, Flacius Illyricus, Richer, Ellies Dupin,
ont rendu à sa mémoire de mauvais services en en fai-
sant un homme de parti et un précurseur pour leurs doc-
trines hétérodoxes.
Il est trop certain que le chancelier a soutenu à propos
du pape et du concile des théories erronées, condamna-
bles et plus tard condamnées. Sans doute, l'Église ro-
maine est indéfectible, mais, d'après lui, l'évêque de
Rome n'est pas l'évêque universel, jouissant d'un pou-
voir immédiat sur tous les fidèles ; la puissance est en lui
subjective et executive. Opéra, t. n, col. 259, 279. Bien loin
d'être infaillible, il peut tomber parfois dans l'hérésie.
Dans ce cas, s'il reste pape, on a le pouvoir de le lier, de
l'emprisonner et même de le jeter à la mer. Ibid., p. 221 ;
Noël Valois, op. cit., t. iv, p. 84. Toutefois, il n'est pas
l'adversaire du primatus qu'il affirme formellement être
de droit divin; c'est, dit-il, une primauté monarchique
instituée par le Christ surnaturellement et immédiate-
ment. Opcra, t. ii, col. 529. Quant au concile général, sa
doctrine n'est pas plus sûre. Il admet la supériorité
de l'Église et du concile œcuménique sur le pape, car
il ne voit pas d'autre moyen de sortir du schisme et
de revenir à l'unité. Les expédients temporaires devien-
nent pour lui des principes définitifs. C'est de l'oppor-
tunisme dans l'ordre ecclésiastique. Gerson se place
dans l'ordre exclusivement rationnel et pratique, et
1319
GERSON
1320
toute son argumentation a pour but de justifier les
manières de procéder les plus extraordinaires pour
arriver au résultat final désiré par toute la chrétienté.
Le souverain pontife est, d'après lui, justiciable du
concile qui peut le corriger et même le déposer. Opéra,
t. n, col. 201, 209 sq. Et il examine avec une sorte de
complaisance tous les cas de déposition. Quant à la
convocation et à la composition de cette assemblée,
il affirme avec d'Ailly que les quatre premiers conciles
œcuméniques n'ont pas été réunis par l'autorité du
pape, que non seulement les cardinaux, les évêques,
mais l'empereur et les princes, mais même le premier
chrétien venu, peuvent convoquer un concile pour
l'élection d'un pape unique et universellement reconnu.
De auferlbilitale papœ, Opéra, t. n, col. 209 sq. Selon
sa doctrine, les curés peuvent être appelés dans cette
assemblée et avoir voix délibérative aussi bien que les
évoques. De polcslale ccclesiaslica, ibid., t. n, col. 249.
Les pasteurs de second ordre ne sont-ils pas de droit
divin, d'après lui, les successeurs des soixante-douze
disciples '? Aucun fidèle ne doit être exclu du concile
général. Opéra, t. n, col. 205. On voit dans toutes ces
propositions comme un reflet des thèses les plus
avancées du franciscain révolutionnaire Guillaume
Occam. C'est l'ensemble de toutes ces erreurs que l'on
appellera plus tard le gersonisme et qu'au xvne siècle
Edmond Richer et Simon Vigor réduiront en système.
D'ailleurs, il faut le reconnaître, en le regrettant,
les actes de Gerson au sein du concile de Constance
furent en conformité avec ses dangereux principes.
Avec les délégués de l'université de Paris, il réclama
que les trois papes donnassent immédiatement leur
démission (février 1415). Partisan convaincu de la
supériorité des docteurs sur les évêques, il demanda
avec d'Ailly que les docteurs en théologie, en droit
canon et en droit civil eussent voix délibérative et
définitive in rébus fidei au sein du concile. C'était la
conséquence de ses tendances démocratiques et multi-
tudinistes. Cf. L. Salembier, Le grand schisme, p. 212,
299.
Le parti français poursuivait avec énergie le pape
Jean XXIII et réclamait sa démission. Schwab, op.
cit., p. 507; Von der Hardt, op. cit., t. Il, p. 265. Après
bien des pourparlers, Jean lut en public une renon-
ciation expresse et formelle avec une seule condition,
c'est que Benoît et Grégoire céderaient à leur tour.
Le 2 mars 1415, dans la 11e session solennelle, il répéta
cette importante déclaration.
Le 20 mars, la fuite du pape découragea au sein du
concile le parti modéré et déchaîna toutes les récla-
mations des violents. Le 22 mars au soir, Gerson
reçut de ses collègues de l'université mission de prêcher
à l'issue de la messe du lendemain. Prévoyant la
violence de ses affirmations, les cardinaux, malgré
l'initiative de Sigismond, refusèrent d'assister à la
cérémonie. Le chancelier, après avoir paraphrasé un
texte tiré de l'évangile du jour, livra aux méditations
du concile douze conclusions que nous résumons :
faculté pour l'Église de répudier le vicaire de son divin
Époux, en d'autres termes, de se séparer du souverain
pontife; obligation stricte pour le pape, sous peine
d'être réputé païen et publicain, de se conformer à la
règle de l'Église ou du concile qui la représente; droit
pour l'Église, sinon de détruire la plénitude de la
puissance apostolique, du moins d'en circonscrire
l'usage; faculté, dans beaucoup de cas, pour le concile
de se réunir même sans le consentement du pape;
obligation pour ce dernier de suivre la voie d'union
que le concile lui aura prescrite; dans le cas actuel,
obligation pour Jean XXIII d'abdiquer. Opéra, t. il,
col. 201. Cette pièce est le manifeste des plus violents
émanés des membres de l'assemblée. Gerson prit part
aux 111e, ive et ve sessions du concile, c'est-à-dire à
cet opus tumultuarium qui engendra les quatre fameux
articles de Constance; ceux-ci, on le sait, sont le
code du gallicanisme et ont préparé de loin les quatre
articles de 1682 (du 26 mars au 6 avril 1415).
Le 21 juillet 1415, eurent lieu à Constance des pro-
cessions solennelles pour obtenir la protection céleste
à propos du voyage de Sigismond, roi des Romains,
qui allait s'aboucher avec Benoît XIII (Pierre de
Lune). Gerson prit la parole dans cette circonstance
et vanta les décrets de la ive et de la ve session du
concile. Il exprima le désir de voir ces articles inscrits
sur la pierre de toutes les églises : Conscribcnda
prorsus esse mihi vidcrclur in eminentioribus locis, vel
insculpcnda per omnes ecclesias saluberrima hxc Dclcr-
minatio, Lex vel Régula, tanquam direclio fundamen-
lalis, cl vclul infallibilis, adversus monslruosum horren-
dumque o/[cndiculum quod haclenus positum erat per
mullos de Ecclesia. Opéra, t. n, col. 275.
Plus tard, dans un sermon prononcé à Constance
même, le second dimanche après l'Epiphanie, il essaya
de nouveau de défendre la théorie de la supériorité
du concile sur le pape et chercha visiblement à tran-
quilliser son âme en même temps que celle de ses
auditeurs : Vidi nuper sanctum Thomam cl Bonaven-
turam; hic relinquorum libros non habeo; dant supre-
mam el plcnam summo pontifici polcstalcm ecclesia-
sticam; recle procul dubio, sed hoc fulciant in compara-
lione ad singulos fidèles, et ecclesias particulares. Duni
el enim comparalio facienda fuisset ad auctorilalem Ec-
clesiœ sijnodaliler congrcgalse, subjecissent papam, et
usum poteslatis suie Ecclesiœ eidem tanquam mat ri
suœ... Nullum legi prxlcr Bonaventuram el Thomam :
cl tamen assero scnlcntiam conlrariam, quœ pontifici fa-
vet, a nullo theologo, nulloque sanclo doceri, imo hœre-
licam esse... Huic vcrilali jundedee supra pclram Scri-
plurse sacrœ quisquis a proposito delrahil, cadil in hsere-
sim jam damnatam, quam nullus unquam theologus,
maxime Parisiensis et sanctus asscruil... C'est toute
une série d'hypothèses gratuites et de contrevérités
évidentes.
En 1417, dans un autre traité, le chancelier emprunte
le mode lyrique et entonne un chant de triomphe et
d'actions de grâces : Bencdiclus Deus qui per hoc sacro-
sanclum concilium, illuslralum divinse legis lumine,
dante ad hoc ipsum vexationc prœsenlis schismalis
inlelleclum, libcravit Ecclcsiam suam ab hac peslifcia
perniciosissimaque doctrina. De poleslate ccclesiaslica,
consid. x, Opéra, t. n, col. 240.
Plus tard, en 1418, quand les ambassadeurs du roi
de Pologne voulurent faire condamner solennellement
par le pape le dominicain Jean de Falkenberg, déjà
reconnu coupable par les nations (nationaliler), Mar-
tin Vies en empêcha et leur répondit qu'il ne voulait
pas aller plus loin. Le chancelier jugea à propos de
s'élever contre cette décision et composa son traité :
Quomodo cl an liceat in causis fidei a summo pontifice
appcllare, scu ejus judicium declinarc. Dans cet opus-
cule il condamne formellement le décret du pape au
nom de la supériorité du concile général prononcée à
Constance, et ressasse toutes les objections du gallica-
nisme le plus avancé. Opéra, t. il, col. 303. Martin V
condamna cette proposition à la fin de 1418.
On le voit, Gerson persévère dans son erreur, et
nul acte, nul écrit, durant son exil et sa retraite de
onze années, ne laissent soupçonner qu'il ait renié ses
principes hétérodoxes. Cf. Bouix, De papa, p. 488.
Pourtant, dès 1416, il fut obligé de constater tris-
tement que, même après la décision du concile et la
manière d'agir de la sainte assemblée, il s'élevait
encore des voix pour nier la supériorité du concile sur
les papes. Il attribuait cette obstination « condam-
nable » au besoin de flagornerie, « poison mortel dont
l'organisme de l'Église est depuis longtemps imprégné
1321
GERSON
1322
jusqu'à la moelle. » Opéra, t. il, col. 247; Zaccaria,
p. 716. C'est à cause de ces opinions très ouvertement
énoncées que Gerson passe encore aujourd'hui, comme
d'Ailly son maître, pour un préparateur de la Réforme.
C'est aussi pour cette raison que des écrivains pro-
testants comme A. Jepp et Winkelmann, en Allemagne,
Schmidt, de Bonnechose et Jean Muller, en France,
ont pu le comparer à Wiclef et à Jean Huss. Tout ce
que nous avons dit jusqu'ici prouve que ces compa-
raisons sont injustes jusqu'à l'outrage envers notre
docteur. Cf. Féret, p. 272.
D'autres protestants, comme l'anglican Burnet,
ont étrangement exagéré certaines affirmations de
Gerson et ont mérité comme lui ce reproche de Bossuet :
« Peut-on souffrir qu'abusant d'un traité que Gerson
a fait De auferibilitale papœ, Burnet en conclût que,
selon ce docteur, on peut fort bien se passer du pape ?
au lieu qu'il veut dire seulement, comme la suite de
cet ouvrage le montre d'une manière à ne laisser aucun
doute, qu'on peut déposer le pape en certain cas.
Quand on raconte sérieusement de pareilles choses,
on veut amuser le inonde, et on s'ôte toute croyance
parmi les gens sérieux. » Histoire des variations,
1. VII, cxi.
Du côté catholique, nous avons aussi le devoir de
constater que certains théologiens ont fait à notre
docteur des reproches sévères et qu'ils n'ont guère
admis d'excuses en sa faveur. En France, nous trouvons
Bouix, très monté contre le chancelier, De papa, t. i,
p. 45G et 476, Petitdidier qui estime l'œuvre de Gerson
digne d'un éternel oubli. Diss.de concil. Constant., p. 3.
En Italie, il fut attaqué par Bellarmin et par Carrara,
qui l'appelle fanatique et furibond, De primatu ro-
mani poniificis, p. 243, en Allemagne, par Ziegelbauer.
Hurter, Nomenclalor, t. n, col. 1069.
Presque tous s'appuient surtout pour le condamner
sur le traité De modis uniendi qui, on le croit généra-
lement aujourd'hui, n'est pas de lui. C'est l'opinion
de Hergenrôther, Histoire de l'Église, trad. Belet,
t. iv, p. 243; de Pastor, Histoire des papes, t. i, p. 203;
de Finke, Forschungen and Qucllen, et d'Erler, Dietrich
von Nieheim, p. 473.
Et pourtant, d'après ce que nous avons dit jusqu'ici,
il est facile de retrouver la genèse des erreurs de
Gerson, l'évolution de ses fausses doctrines et de
reconstituer l'histoire de ses variations. Découragé par
la conduite et les tergiversations des papes rivaux,
consterné par l'échec de la voie de cession et des
autres moyens employés pour rétablir l'unité, il en
est arrivé à ne voir de remède nécessaire que dans la
convocation d'un concile général qui serait, dans l'hypo-
thèse, maître général et souverain infaillible dans
l'Église, et qui imposerait à tous la paix compromise
depuis près de quarante ans. De examinatione doclri-
narum, Opéra, t. i, col. 8.
Ce sont les ravages persistants du schisme, dit
Ballerini, qui poussèrent Gerson et les docteurs à pro-
poser et à soutenir la supériorité du concile général,
et le chancelier le déclare lui-même ouvertement.
Migne, Theologise eursus complelus, t. ni, col. 1360;
De poleslale ecclesiastica, Opéra, t. n, col. 239 sq.
« Le premier ou un des premiers dans la tradition
de la chrétienté, le chancelier a soutenu et fait accepter
le principe de la supériorité du concile général dans
l'Église et la non-infaillibilité doctrinale des papes.
Il ne voulut pas s'apercevoir qu'il rompait avec la
tradition unanime des Pères et des docteurs et même
avec les sentiments de toute cette école de Paris dont
il était fier d'être le disciple et dont il avait jadis
partagé les opinions. » De potestate eccles., consid. xn,
Opéra, t. n, col. 246 sq.
t Les décisions de Constance, en effet, inspirées en
partie par lui, changeaient la constitution essentiel-
lement monarchique de l'Église et en faisaient une
sorte de gouvernement représentatif dont le parlement
aurait été le concile général périodiquement convoqué.
Aussi, sur la conduite de Gerson en cette affaire,
nous adoptons entièrement le jugement équitable, et
au fond sympathique, de l'éminent cardinal bénédictin
C. Sfondrate : Gcrsonem nimio zelo, quo sui lemporis
abusus eljlagitia prosequebatur, extra justi reclique limites
abreplum esse, ne illi quidem neganl qui ejus palroci-
nium maxime susceperunt... Nemo negaveril fuisse Ger-
sonem seleclœ doctrines et pietalis et tamen opinionem
imbiberai pontificio adversam; idque, ut persuasum
omnino habeo, zelo Ecclesiam adjuvandi ambitione trium
pontificum misère collisam... Ignosce mihi, Gerson, non
sunt hxc verba Parisiensi toga, iantoque digna doclore,
luimanialiquid es passas, elquod ratio nondebuit, impelus
cdixil. Gallia vindicala, t. n, p. 125-126, 128.
Peut-être serait-il opportun de rappeler à ce propos
les paroles de Léon XIII adressées à M. Brunetière.
Il s'agissait d'un prélat qui a été lui aussi très attaché
aux idées gallicanes, et qui, à cause de cela, a été
critiqué parfois sans indulgence ; « Ce qui a vieilli
dans Bossuet, a-t-il dit, c'est son gallicanisme. On
peut excuser cette erreur et l'oublier aujourd'hui, en
considération de tant de génie et de tant de services
rendus. » Le grand pape n'aurait-il point parlé de la
même façon à propos de notre chancelier ?
Gerson ne s'adonna guère à la philosophie et à la
théologie purement dogmatique. Il n'a composé sous
ce rapport que quelques traités qu'on trouve aux
t. i et ii de ses œuvres. Il s'en occupa juste assez pour
laisser percer quelques opinions nominalistes qu'il
tenait de ses maîtres, et pour manifester ses défiances
et son dédain à l'endroit des subtilités d'une scolas-
tique de décadence. Qu'on lise la lettre très courte et
très substantielle que notre docteur a écrite à Bruges,
en 1400, et qui a pour titre De rejormatione Ecclesiœ.
Opéra, t. i, col. 121. Il se plaint amèrement des thèses
inutiles, sans fruit ni solidité, qui sont exposées et
défendues au sein de la faculté de théologie de Paris.
Il dénonce les étudiants qui font profession de mépriser
la Bible et les docteurs, et qui dédaignent de se servir
des termes employés par eux. n s'élève contre les
erreurs et les scandales ainsi produits par ceux qu'il
nomme les curiosi et les phantastici. Il a bien raison
de réclamer des maîtres la répression de ce déver-
gondage d'idées et la condamnation de ces disputes
purement verbales qui montrent une profonde dévia-
tion de l'esprit théologique.
Ses préférences sont tout acquises à la théologie
pratique, soit morale, soit mystique.
III. Sa théologie morale. — Constatons d'abord,
pour le regretter, le principe faux que place notre
docteur à la base de sa morale. La cause de tout
devoir, dit-il, est la volonté divine, qui décide souve-
rainement du bien et du mal, et rend nos actions
bonnes ou mauvaises, en permettant les unes et en
défendant les autres. Rien de juste ni d'injuste en
soi : la justice est ce qui est conforme au décret
suprême, l'injustice est ce qui s'en écarte. Comme si
Gerson craignait qu'on ne se méprît sur sa pensée, il
la précise de manière à rendre le doute impossible.
« Dieu ne veut pas certaines actions, dit-il, Opéra,
t. ni, col. 13, parce qu'elles sont bonnes; mais elles
sont bonnes, parce qu'il les veut, de même que d'autres
sont mauvaises parce qu'il les défend. » « La droite
raison, dit-il ailleurs, Opéra, t. ni, col. 26, ne précède
pas la volonté, et Dieu ne se décide pas à donner" des
lois à la créature raisonnable, pour avoir vu d'abord
dans sa sagesse qu'il devait le faire ; c'est plutôt le
contraire qui a lieu. » Il suit de là que la loi du devoir
n'a rien d'absolu ni d'invariable, et que les actions
que nous jugeons criminelles auraient pu tout aussi
132c
GERSON
1324
bien être vertueuses : conséquence exorbitante, qui
cependant n'est pas désavouée par Gerson, suivant
lequel, Opéra, t. i, col. 147, « les choses étant bonnes
parce que Dieu veut qu'elles soient telles, il ne les
voudrait plus ou les voudrait autrement que cela
même deviendrait le bien. » Ainsi notre docteur
pousse jusqu'à ses dernières limites ce système de
morale fondé sur le décret arbitraire de la divinité,
qui avait déjà été développé parDuns Scot et Occam,
et que son maître Pierre d'Ailly avait formellement
soutenu. Nullum est ex se peccalum, sed preecise quia
lege prohibitum. Principium in 1"" Sent., fol. iv.
verso; Principium in IIam Sent., fol. xiv; cf. Pelrus
de Alliaco, p. 224. On le voit, c'est un système faux
en lui-même, déplorable par ses résultats, qui n'exalte
la puissance de Dieu qu'aux dépens de sa sagesse et
de sa bonté et ébranle toute certitude. Il semble
ignorer les vrais caractères de la loi éternelle et la
conformité que doivent avoir avec elle toutes les lois
positives. Hàtons-nous de dire que, si la théorie de
Gerson sur les principes de la morale fondamentale est
erronée, ses ouvrages sont du moins remplis d'excel-
lentes observations de détail, et de maximes de con-
duite qui ne sauraient être trop méditées. Jourdain,
Dictionnaire des sciences philosophiques, 2e édit., p. 618;
Schwab, Johanncs Gerson, p. 286 sq.
N'attendons pas de notre auteur un traité complet
comprenant toutes les parties de la théologie morale.
Ses opuscules sont écrits au hasard des circonstances,
des besoins et des demandes. Ce n'est pas un cours
suivi. C'est un recueil de dissertations casuistiques et
pratiques, non thcologiœ cursus, sed excursus.
11 composa au concile de Constance (1415) un
traité de la simonie, alors trop en honneur dans les
trois obédiences qui se partageaient l'Église. Il se
tint plus en garde qu'Albert le Grand et d'Ailly contre
les erreurs de l'astrologie judiciaire, dans son Trilo-
gium astrologiœ theologizatœ. Opéra, t. i, col. 190;
t. m, col. 291. Il poursuivit avec non moins d'ardeur
la magie, Opéra, t. i, col. 206 sq., et les superstitions
de toute sorte. Opéra, t. n, col. 521 ; t. i, col. 208,
220.
Nous devons encore au moraliste: les Règles morales;
les Définitions des termes concernant la théologie monde;
la Vie spirituelle de l'âme; les Quatre vertus cardinales ;
les Impulsions (De impulsibus); les Premiers mouve-
ments et le consentement (De primis motibus et con-
sensu); les deux écrits sur les Passions de l'âme; les
Signes bons et mauvais; le Frein ou la Garde de la
langue ; un Avertissement pour les religieuses ; des Con-
clusions contre une conscience trop étroite et scrupuleuse,
contre la honteuse tentation du blasphème, contre la fête
des fous; une Explication de cette sentence : que votre
volonté soit faite; des réflexions sur la prière et sa
valeur, sur la consolation de la mort des amis, sur la
préparation à la messe; De pollutione nocturna; De
pollulione diurna. Certains autres écrits qui regardent
ou la doctrine des mœurs ou les règles de la discipline
ecclésiastique sont : la Juridiction spirituelle avec une
thèse sur la juridiction spirituelle et temporelle; la
Déclarcdion des défauts des ecclésiastiques ; les Excom-
munications, irrégularités et leur absolution; Y Art d'en-
tendre les confessions; la Manière de chercher les péchés
en confession; les Remèdes contre les rechutes (contra
recidivum peccali); le Double péché véniel, la Différence
entre les péchés mortels et les véniels ; Y Absolution dans
la confession sacramentelle; le Pouvoir d'absoudre et la
réserve des péchés, avec une lettre à un prélat sur la
modération à apporter dans la réserve des cas; les Indul-
gences; la Correction du prochain; le Désir cl la fuite de
l'épiscopat; la Vie des clercs; la Tempérance pour les
prélats dans le manger, dans le boire et les vêtements;
ja Manière de vivre pour tous les fidèles, ou règlement
pour tous depuis l'enfance jusqu'à la vieillesse, depuis
le simple artisan jusqu'aux nobles prélats.
Les enfants furent l'objet de sa particulière solli-
citude surtout, nous l'avons vu, vers la fin de sa vie.
Remarquons particulièrement son traité De parvulis
ad Christum trahendis. Opéra, t. m, col. 277. Il faut
encore signaler dans ce sens la Doctrine ou règlement
pour les enfants de l'Église de Paris; Y Adresse aux pou-
voirs publics au sujet de la corruption de la jeunesse
par des images lascives et autres choses semblables;
De l'innocence de l'enfant, défense du précédent opus-
cule. Ce dévouement a une de ses explications dans les
paroles suivantes extraites du Ressouvenir de saints
projets : « C'est par les enfants que doit commencer
la réforme de l'Église. » Opéra, t. n, col. 109. Il ne
s'occupa point seulement des enfants du peuple,
mais il prit encore la plume pour contribuer à l'édu-
cation de l'héritier du trône de France. « Si enseigner
tout enfant, disait-il, est louable et méritoire, com-
bien plus est-on en droit de le dire, quand il s'agit
d' « un enfant royal appelé à régner 1 » Il s'agissait
de son sérénissime prince et seigneur Charles VII,
puis il en fit autant en 1429 pour le futur Louis XI.
Opéra, t. m, col. 226, 235. Il composa en outre plusieurs
autres petits traités d'instruction et d'éducation
populaire qui montrent tout son zèle apostolique.
Mais la prédilection du chancelier se portait tou-
jours du côté des étudiants de l'université. C'est
ainsi que de Bruges il leur adressa deux lettres qui
sont comme une sorte de règlement intellectuel et
moral pour les élèves de son ancien et toujours aimé
collège de Navarre. Il leur recommande d'éviter
pomposa super insolitis arroganlia, de réprouver toute
nouveauté, surtout en morale, en même temps qu'il
leur donne les meilleurs conseils sur les auteurs qu'ils
doivent préférer aux autres et méditer dans le silence
et le recueillement. Dans une seconde lettre, il reproche
aux étudiants l'obstination dans les disputes et aux
maîtres certains défauts scandaleux. Il regrette enfin
que les sermons manquent aux élèves, même le di-
manche, à cause du départ des dominicains. Dans une
dernière admonition (1427), il les met en garde contre
la doctrine d'Ubertin de Casai, qui était un faux
spirituel de l'école de Joachim de Flore.
Gerson crut aussi de son devoir de prémunir, à
plusieurs reprises, la jeunesse studieuse surtout,
contre le livre sceptique et parfois obscène de Jean
de Meung qui a pour titre le Roman de la Rose. On a
plus d'une fois analysé cet ouvrage qui peint, non
point l'idéal, mais la vie réelle dans le sens le moins
élevé du mot. C'est un recueil de dissertations théolo-
giques, philosophiques, satiriques et en tout point
révolutionnaires. L'auteur est un rationaliste doublé
d'un épicurien, précurseur de Rabelais et de Voltaire.
Gerson rendit un grand service à la morale et au bien
public en réprouvant ce livre qui ad illicitam venerem
et libidinorum amorem excitât. C'était sans doute la
première fois que la théologie catholique condamnait
un roman. Celui-ci est véritablement la somme de
toutes les indisciplines intellectuelles et morales
au xme siècle, et a amplement mérité toutes les sévé-
rités de notre docteur. Opéra, t. ni, col. 297; Bourret,
p. 70.
IV. Sa théologie mystique. — Gerson préfère
cette science surnaturelle à toutes et il en donne
quatre raisons. La théologie mystique rend le chemin
qui conduit à Dieu plus facile et accessible à tous;
elle se suffit à elle-même, mais on ne saurait en dire
autant de la spéculative; elle produit, en particulier,
les vertus d'humilité et de patience, tandis que la
spéculative engendre souvent l'amour-propre, l'orgueil
et, par suite, les contestations; elle procure ici-bas
à l'âme dans le calme, et la sérénité enfin dont elle Jui
132"
GERSON
1326
assure la jouissance, comme un avant-goût de la
céleste béatitude.
Mentionnons d'abord la Montagne de contem-
plation, qui est son chef-d'œuvre en ce genre; mais
Gerson s'est aussi élevé jusqu'aux plus liantes régions
de la science sacrée, dans la Théologie mystique, à
laquelle il faut ajouter le travail postérieur : l'Éclair-
cissement scolasliquc de la théologie mystique; le
Carmen sur la purification des sens intérieurs; la Médi-
tation, traité qui porte le nom de Consolatorius ; Y Illu-
mination du cœur; la Simplicité cl la pureté du cœur; la
Direction et la droiture du cœur; VŒU et son objet;
les Remèdes contre la pusillanimité, les scrupules, les
consolations trompeuses de l'ennemi et les subtiles
tentations; les Diverses tentations du diable; Y É pitre
à ses sœurs pour enseigner ce que chacun doit penser
chaque jour; les Exercices appropriés aux dévols sim-
ples (De exercitiis discrelis devolorum simplicium);
les Trois traités sur les cantiques; les Douze considé-
rations que doit faire l'homme à l'égard de Dieu pour
que la prière soit exaucée; la Prière du pécheur lors-
qu'il a beaucoup d'inquiétudes sur ses péchés; les Quel-
ques pieuses méditations de l'âme sur l'Ascension; les
Plaintes des défunts dans le feu du purgatoire à l'égard
des amis sur la terre; le Testament quotidien du pèle-
rin, suivi de Considérations sur ce même sujet et ter-
miné par le Teslamcntum mclricum du même pèlerin;
les Conseils évangéliques cl l'état de perfection, où
l'auteur s'élève de l'ordre naturel aux hauteurs de
l'ordre surnaturel, en commentant ces mots : Ulrum
aurora mane rutilons solem ediderit; la pièce de vers
qui est Y Épilhalame mystique du théologien et de la
théologie sous la figure de Jacob et de Rachel et qui
s'ouvre ainsi :
Oro per cervos capreasque campl,
Oro sanctos per amoris ignés,
Per fidem sanctam, decus et honorem,
Jacob, amas me?
enfin une autre pièce de vers ayant pour titre: M iroir
de la vie humaine.
Les principes qui dirigent Gerson dans cette science
si délicate et si sublime ont été complètement résumés
par Schwab. D'après notre docteur, la théologie mys-
tique est la fin et l'achèvement suprême de toute dis-
cipline théologique en général, comme aussi elle ap-
proche beaucoup plus près de la vision béatiiique,
notre fin tout à fait dernière. Et de fait, au lieu que
la théologie scientifique se meut dans le domaine des
conceptions abstraites et du raisonnement discursif,
la théologie mystique est essentiellement une con-
naissance expérimentale de Dieu (experimentalis Dei
perceplio), transcendante à tout discours, qu'on peut
seulement vivre au dedans de soi-même, et vivre par
l'amour; si bien que c'est la vis affectiva qui y tient le
premier rôle. Pour y atteindre, il faut laisser absolu-
ment de côté toute détermination empruntée aux
créatures, et c'est en ce sens que la théologie mys-
tique est négative, qu'elle doit être ravie dans une
obscurité ou des ténèbres divines (rapi in divinam
caliginem) ; mais ce qui se trouve ainsi plongé dans la
nuit, ce sont uniquement les puissances inférieures
de l'âme, soit puissance de connaître, sens, imagina-
tion et raison (dans l'acception scolastique du terme,
c'est-à-dire comme faculté de raisonnement ou discur-
sive), soit puissance de désirer, appétition sensible et
même appétition rationnelle (en tant que subordonnée
à l'entendement discursif). Les puissances supérieures,
intelligence et surtout amour purs, ne s'en déploient
que plus librement, dans un acte ou plutôt un état
sublime de surélévation ou de ravissement ou de trans-
port spirituel (supermentalis excessus vel supra spiri-
tum), qui est tout ensemble « contemplation » et «dilec-
tion extatique » du souverain bien. Et par là dépasse-
t-il éminemment le simple savoir théorique. Par où l'on
comprend aussi qu'à la différence de la théologie dia-
lectique ou argumentative, la théologie mystique ne
requiert pas un acquis scientifique considérable, mais
seulement la foi en Dieu et l'amour de Dieu comme
Bien suprême, sans aucune science livresque; d'où il
suit qu'elle est à la portée des plus simples et même
des ignorants. En troisième lieu, elle a le privilège,
toujours par rapport à la théologie d'école, de nous
apporter, par l'adhésion et l'union à Dieu, fruit de
l'amour même, le parfait contentement de nos âmes
avec la totale et définitive pacification de nos désirs.
Cette union (union mystique) est d'ailleurs à entendre
dans un sens exclusivement moral, c'est-à-dire que l'âme,
en s'attachant à Dieu par l'amour, ne fait qu'un avec
lui par la parfaite conformité du vouloir, mais une
conformité tellement parfaite qu'elle rejaillit jusqu'à
la substance même de l'âme, qui adhère ainsi à Dieu
par son fond; à cause de quoi Gerson compare le
rapport de l'âme avec Dieu dans l'union mystique à
celui de la même âme avec la grâce sanctifiante (en
tant que distincte des vertus) dans la justification.
L'union mystique, enfin, ainsi définie, et par elle la
théologie mystique elle-même, avec l'amour dont elle
est l'expression, coïncide et s'identifie avec la prière
parfaite ou prière par excellence, qui ne consiste pas
en paroles, même imaginées ou intérieures, mais dans
un suprême ravissement de la pensée et du cœur au-
dessus d'eux-mêmes pour se perdre et s'absorber en
Dieu, sursum corda... ad Dominum.
Voilà pour la partie spéculative de la théologie mys-
tique. Gerson, en effet — et c'est une division qui lui
appartient en propre — y distingue en outre une partie
pratique, exposant les conditions et les moyens prépa-
ratoires (industrice) de la contemplation mystique. Ces
induslriœ sont les suivantes : 1° attendre l'appel de Dieu;
2° bien connaître son tempérament individuel; 3° avoir
égard à sa vocation et à son état; 4° tendre sans cesse
vers une perfection plus haute; 5° éviter autant que
possible la multiplicité des affaires et, en tout cas, ne
pas se laisser absorber par elles; 6° écarter tout vain
désir de science (toute vaine curiosité); 7° se tenir bien
calme et s'exercera la patience; 8° connaître l'origine des
affections et passions ; 9° choisir le temps et l'endroit qu'il
faut; 10° éviter toute exagération, soit en plus, soit en
moins, dans le sommeil et la nourriture; ll°s'entretenir
dans les pensées qui excitent de pieuses affections; 12°
écarter de son esprit toutes les images (ce qui est par excel-
lence modus simplificandi cor in medilationibus et produ-
cendi contemplationem).S>c\iwab,op. cit., p. 325 sq. Les trai-
tés mystiques de Gerson se trouvent surtout dans le t. ni
de ses œuvres (édition Ellies Dupin). Bien que dans ce ré-
sumé la science mystique telle qu'elle est exposée par
notre docteur paraisse très complexe, cependant l'auteur
désire que cette théologie soit mise en pratique par des
personnes simples, sans lettres, idiolœ (expression que
M. Jourdain a tort de traduire par idiots. Dictionnaire
des sciences philosophiques, p. 613).
Ses guides préférés sont Alexandre de Halos et saint
Bonaventure, dont il loue la doctrine mclliflua et ignea.
Opéra, t. i, col. 117. Dans les grandes discussions sur
la théologie mystique, qui ont eu lieu entre Bossuet
et Fénelon, Gerson est souvent cité par Bossuet.
L'évêque de Meaux combat comme lui Ruysbroeck,
ainsi que certains autres mystiques qui emploient
des enflures de style et des expressions exorbitantes
ou délibérément obscures. Il se montre aussi avec lui
l'adversaire de ceux qui s'en rapportent en tous points
à leur expérience personnelle pour échapper au juge-
ment de l'Église. Préface sur V Instruction pastorale de
M. de Cambrai, xxv; Préface sur les états d'oraison,
ni et iv.
1327
GERSON
1328
Sous le rapport mystique, Gerson est bien supérieur
à son maître Pierre d'Ailly dont les théories n'ont
rien d'original. Quand ces deux auteurs traitent les
mêmes questions, ils ne le font point de la même
manière. Lorsque, par exemple, il s'agit du discer-
nement des esprits, l'évêque de Cambrai donne les
règles de ce discernement, il cherche à en déterminer la
valeur et tombe dans ses erreurs et confusions coutu-
mières sur les notions d'évidence et de certitude. Voir
Discernement des esprits, t. iv, col. 1415; Pelrusde
Alliaco, p. 207. Gerson est plus pratique dans plusieurs
de ses traités ou sermons, De examinalionc doclrinarum.
Il cherche à distinguer les vraies révélations des
fausses, la bonne monnaie de la mauvaise, et exa-
mine quels sont ceux qui ont autorité pour discerner
les doctrines, le concile général, le pape, les prélats,
les docteurs diplômés ou non et ceux qui ont reçu à
cet effet un charisme spécial. 11 en est de même lors-
que tous deux traitent de la dévotion à saint Joseph.
D'Ailly, dans son traité De duodecim honoribus sancli
Joseph, a le privilège de la priorité, son opuscule est
un résumé de toute la matière théologique, il est bref
et absolu comme un syllogisme. Gerson est plus doux,
plus sympathique, plus orateur et plus poète; si le
premier est un esprit, le second est un cœur. D'Ailly
traite la question dogmatique; à Gerson revient l'expo-
sition morale, mystique et dévote. L'évêque de Cam-
brai est l'initiative féconde et l'exposition impecca-
ble; Gerson le développement oratoire et spirituel.
Opéra, t. iv, col. 732. Chacun dans son genre a gran-
dement contribué en France à la diffusion du culte
du saint patriarche.
Une dernière question se rapporte à la théologie
mystique de Gerson : est-il l'auteur de l'Imitation
de Jésus-Christ ? Onésime Leroy, Thomassy, Darche,
Cazères lui attribuent le plus beau livre qui soit sorti
de la main des hommes. Nous ne saurions être de cet
avis. Sans entrer dans les discussions toujours épi-
neuses sur la valeur et l'authenticité des manuscrits,
nous pensons qu'il y a trop de différences de style et
d'idées entre notre docteur et l'auteur de l'Imitation.
Nous croyons que ce livre a été pensé et écrit par un
Hollandais, qu'il reproduit la mystique de la congré-
gation des augustins de Windesheim, et d'ailleurs la
chronique de cet ordre rédigée par un contemporain
de Thomas à Kempis (f 1471), Jean Busch (f 1479),
attribue à Thomas la paternité de ce livre sublime.
C'était l'opinion d'Eusèbe Amort et de Rosweyde
autrefois, et c'est celle qu'ont soutenue Mgr Malou,
Spitzen, Les hollandismes de l'Imitation de J.-C,
1884; Funk, Kirchengesehichlliche Abhandlungen und
Untersuchungen, 1899, t. u, p. 373-374, 406-407; Vacan-
dard, dans la Revue du clergé français, octobre et
décembre 1908; Jeanniard du Dot, dans la Revue des
sciences ecclésiastiques, janvier 1905 sq.
Ce rayon manque sans doute à l'auréole mystique
de Gerson, mais beaucoup d'auteurs ont loué ses
théories qu'ils trouvent d'autant plus remarquables
que les faux spirituels pullulaient à son époque. Citons
seulement saint François de Sales dans la préface du
Traité de l'amour de Dieu : « Quant à Jean de Gerson,
dit-il, il a si dignement discouru des cinquante pro-
priétés du divin amour qui sont ça et là déduites du
Cantique des cantiques, qu'il semble que luy seul ayt
tenu le conte des affections de l'amour de Dieu.
Certes, cet homme fut extrêmement docte, judicieux
et dévot. »
V. Sa prédication. ■ — Le chancelier avait une
imagination féconde, un cœur impressionnable, une
intelligence aussi élevée que compréhensive et par-
dessus tout un zèle ardent pour le salut des âmes. Il
possédait donc toutes les qualités qui font les orateurs
éminents. De fait, il fut un des principaux prédica-
teurs de son siècle avec Nicolas Oresme, Jean Courte-
cuisse, le carme Eustache de Pavilly et l'augustin
Jacques Legrand.
Il est souvent cité par les orateurs les plus renommés
de l'âge suivant, comme, par exemple, le célèbre
Maillard et le cordelier Menot quand ils entretiennent
leurs auditeurs de la passion de Notre-Seigneur,
sujet que Gerson a traité plusieurs fois. Bibliothèque
nationale, n. 8188.
Non seulement on trouve chez lui le modèle de
l'art oratoire, mais on y rencontre encore une source
très féconde de renseignements historiques et d'allu-
sions aux événements politiques et religieux de l'époque.
Ainsi, par exemple, il parle souvent des malheurs du
temps, de la maladie du roi, des souffrances du peuple,
de l'invasion anglaise, des divisions de l'Église (1405).
En 1408, comme délégué de l'université, il émet
ses théories sur les fondements du pouvoir, les limites
de l'autorité souveraine et les obligations de ceux qui
la tiennent en main. C'est peut-être ce que le chancelier
a écrit de plus parfait en ce genre. Bibliothèque
nationale, n. 515, fol. 37. A la même époque, il pro-
nonce un discours après la réconciliation imposée
aux enfants du duc d'Orléans et à Jean sans Peur, son
meurtrier. Après le concile de Pise (1409), Gerson fut
chargé par l'évêque de Paris, qui s'unit en cette cir-
constance à l'université, de faire un discours contre
les prétentions des frères mendiants. Le jour de Noél
de cette même année, il prêcha en présence du roi le
sermon sur l'union des grecs, préconisée au sein du
concile. En 1413, il s'éleva dans un sermon contre les
factieux connus sous le nom de cabochiens. Dans son
édition de 1502, Wimpheling a classé à part les sermons
originairement faits en latin et ceux qu i ont été traduits
en cette langue. Ses sermons français, au nombre de
soixante-quatre, se trouvent à la Bibliothèque nationale
et à celle de Tours, et ont été étudiés spécialement
par l'abbé Bourret, devenu depuis évêque de Rodez et
cardinal. Us ont été prêches dans les principales
églises de la capitale et surtout dans la paroisse de
Saint- Jean-en-Grève.
Le plan de ces instructions est à peu près le même
que celui des sermons modernes, mais l'érudition du pré-
dicateur manque souvent de goût et de critique, et fait
un étalage parfois trop pompeux de textes disparates.
Au point de vue de la doctrine, Gerson traite surtout
les sujets de morale; il tonne avec énergie contre
l'orgueil, l'intempérance et le débordement des mœurs.
Il travaille avant tout à la réforme intérieure, il invite
à la pénitence, pœnitemini et crédite evangelio, tel est
son texte favori qu'il fit inscrire jusque sur son tom-
beau. Il menace ses ouailles des jugements de Dieu,
sans oublier pourtant les paroles d'espérance et de
consolation, doclor consolatorius.
Son style est loin d'être uniforme, il diffère selon
les auditoires. Précis et froid quand il expose le dogme,
il sait le plus souvent remuer les passions; il use
largement de l'allégorie et de la mise en scène. Sa
phrase a le piquant, la naïveté et l'originalité des
vieux chroniqueurs français, mais elle est toujours
digne, décente et de bon goût. Les discours qu'il
eut à prononcer devant la cour sont pour la plupart
des œuvres très travaillées dans lesquelles se trouvent
non seulement la vigueur et la profondeur du raison-
nement, mais encore les grâces du style et les meilleurs
ornements du langage.
Nous n'avons pas à nous occuper ici de ses
œuvres exégétiques, bien que le P. Cornely trouve
excellentes ses propositions de sensu lilerali Scriplurœ
et de causis errantium. Opéra, t. i, col. n sq. Il écrivit
aussi des commentaires sur les sept psaumes de la
pénitence et deux Lectures très utiles sur saint Marc.
Opéra, t. iv, col. 2, 203. Un de ses derniers traités fut
1329
GERSON — GERTMAN
1. •:;;(!
son explication du Cantique des cantiques. Comme
saint Thomas d'Aquin, il voulut terminer sa vie en
commentant la plus belle œuvre de Salomon. Ce fu-
rent ses nouissima verba, son chant du cygne ou plu-
tôt son chant du départ pour une vie meilleure.
Nous ne nous appesantirons pas non plus sur ses
œuvres poétiques françaises ou latines. Un manu-
scrit de la Bibliothèque nationale, n. 24865, lui attri-
bue le Jardin amoureulx de l'âme dévote avec les vers
qui suivent. Nous pensons que cet ouvrage doit être
restitué à d'Ailly. II a composé un bon nombre de
poésies dans le rythme de Virgile, de Prudence et de
Eortunat. Elles furent, dit-on, peu appréciées par ses
contemporains et il dut en prendre la défense : de là
Carminum suoruin honesta defensio decantaia Lugduni.
Il disait dans son apologie, Opéra, t. iv, col. 540 :
Vidit livor edax, ut (et) mea carmina
Despexit : nitida veste carent, ait...
Pour notre part, nous trouvons qu'elles ne sont pas
sans charme. Son œuvre poétique la plus longue est un
poème intitulé : Josephina, qui se compose de 4 800 vers
latins. Opéra, t. iv, col. 743. Il a été traduit par le P. Avi-
gnon, de Toulouse, missionnaire du Calvaire. Ce poème a
attiré l'attention et les éloges du célèbre critique Saint-
Marc Girardin, Tableau de la littérature française au
XVIe siècle, 1868, p. 224 sq. Cet article a paru dans la
Revue des deux mondes, le 15 août 1849. La longue pièce
de Gerson est pleine d'allégories qui ont tout à la fois un
sens moral et un sens philosophique, et elle emprunte
beaucoup aux Évangiles apocryphes. Enfin, nous ne par-
lerons pas des élucubrations politiques du chancelier,
qui ont été parfois sévèrement jugées; non plus que d'un
petit volume intitulé : L'esprit de Gerson, pamphlet
antipapal publié en 1G92. Voici comment Bossuet
juge cet ouvrage dans une lettre spirituelle adressée à
Mme d'Albert de Luynes : « Je ne connais de ce livre
que le nom de l'auteur (Eustache le Noble) qui est un
très malhonnête homme, et très ignorant en théologie. »
Lettre lxxiv.
Les œuvres complètes de Gerson furent éditées dès
le commencement de l'imprimerie, d'abord à Cologne :
Operum Johannis Gerson, cancellarii Parisiensis, in-fol.,
1483, t. i-m; 1484, t. iv. Voir le détail dans Schwab, op.
cit., p. 788, et pour les œuvres oratoires dans Bourret,
p. 20. Les deux éditions françaises, celle de Bicher,4 vol.,
Paris, 1606, et celle d Ellies Dupin, 5 in-fol., Anvers ou
plutôt Amsterdam, 1706, ont été faites sous l'influence
d'idées gallicanes et dans des vues de polémique reli-
gieuse. Elles ont été composées sans grand soin, avec
hâte et confusion, et ne sont pas sans de graves défauts.
La dernière est pourtant assez complète et contient
dans les quatre premiers volumes plus de quatre cents
traités de Gerson. C'est toujours celle que nous avons
citée, bien qu'on doive se mettre en garde contre le
mauvais esprit de l'éditeur.
Vers la fin de sa vie, Gerson se plaignait de voir cer-
tains de ses opuscules falsifiés et publiés d'une manière
incorrecte et souhaitait que la flamme les dévorât.
Qu'eùt-il dit, s'il avait pu prévoiries manipulations que
ses écrits allaient subir entre les mains des éditeurs de
l'avenir et les interprétations parfois fantaisistes et hété-
rodoxes auxquelles ils seraient livrés ?
Quant à ses sermons, nous espérons que bientôt quel-
que érudit les feraparaître dans leur originalité primitive
et d'après les manuscrits authentiques. Le grand public
pourra ainsi appréciera sa juste valeur un des monu-
ments les plus remarquables de notre littérature sacrée.
Telle fut la vie si agitée et telles furent les idées si
complexes de l'illustre chancelier de l'université de
Paris. Nous avons tâché de les résumer avec impar-
tialité et sans passion, sine ira et studio.
Il fut certainement un des hommes les plus sym-
pathiques de son époque, et son influence s'étendit
bien au delà des limites de son temps et de son pays.
Il se trompa parfois, mais, quand il exposa la vérité,
il dépassa les meilleurs. Appliquons à ses œuvres, en
le modifiant quelque peu, le vers connu de Martial :
Sunt mata, sunt quœdam mediocria, sunt bona plura.
B. Bess, Johannes Gerson und die kirchenpolitisehen
Parteien Frankreichs vor dem Konzil zu Pisa (dissert.),
in-S°, 1890; M. J. Boileau, Les variations doctrinales du
chancelier Gerson sur la souveraineté et l'infaillibilité ponti-
ficales avant, pendant et après le concile de Constance, pré-
cédées d'an exposé de sa vie et de ses œuvres, clans la Revue
du monde catholique, 1881, t. x, p. 60-80, 394-416, 627-645;
Emile de Bonnechosc, Les Réformateurs avant la Réforme,
X V* siècle, Gerson, Jean Huss et le concile de Constance,
2 in-8", Paris, 1844, avec des considérations nouvelles sur
l'Eglise gallicane depuis le grand schisme jusqu'à nos jours,
tbirf., 1853; 3» édit.,2 in-12, ibid., 1860; trad. allem., Leipzig,
1847; M. Bouix, Tractatus de papa, Paris, 1870, t. i;
E. Bourret, Essai historique et critique sur les sermons français
de Gerson, d'après les mss. inédits de la Ribliothèque impériale
et de la bibliothèque de Tours, in-8°, Paris, 1858 ; Jean Darche,
Le R. Jean Gerson, chancelier de Paris, docteur très chrétien
et consolateur, sa vie et son culte, son influence pour le culte
de Marie, etc., in-18, Paris, 1880; Dupré Lasalle, Éloge
de Jean Gerson, chancelier de l'Église et de l'université
de Paris, dans Académie franc., séance publ. (1838) ; discours,
in-4°, Paris (1838); dans Chroniq. de Champagne (1838), t. iv,
p. 125-129; A.-P. Faugére, Éloge de Jean Gerson, chancelier
de l'Église et de V université de Paris, dans Académie franc.,
séance publ., 1838; discours, in-S°, Paris, 1838; ibid., 1843;
P. Féret, La faculté de théologie de Paris et ses docteurs
les plus célèbres, moyen âge, Paris, 1897, t. iv, p. 223-273;
Ch. Jourdain, Doctrina Johannis Gersonii de theologia
mystica, in-8°, Paris, 1838; art. Gerson , dans le Dictionnaire
des sciences philosophiques (1875), p. 616-619; J.-B. L'Écuy,
Essai sur la vie de Jean Gerson, chancelier de l'Église et de
l'université de Paris, sur sa doctrine, ses écrits, et sur les
événements de son temps auxquels il a pris part, précédé
d'une introduction où sont exposées les causes qui ont préparé
et produit le grand schisme d'Occident, 2 in-8°, Paris, 1832;
On. Leroy, Corneille et Gerson dans V « Imitation de Jésus-
Clirist », in-8°, Paris, 1841; Valenciennes, Paris, 1842; ex-
trait, Paris, 1841; cf. J. (de), dans L'Univers catholique
(1842), t. xiv, p. 202-211; dans l'Investigateur (1844), t. iv,
p. 352; Gerson auteur de l' « Imitation de J.-Ch. », monument
à Lyon..., in-8°, Paris, 1845; A. L. Masson, Jean Gerson, sa
vie, son temps, ses œuvres, in-8°, Lyon, 1894; A. Lafontaine,
Jehan Gerson, Paris, 1906; Ed. Richer, Apologia pro Joanne
Gersonio, pro suprema Ecclesiœ et concilii generalis auctori-
tate..., in-4°, Leyde, 1676; L. Salembier, Petrus de Alliaco,
Lille, 1886; Le grand schisme d'Occident, 4° édit., Paris, 1902;
J.-B. Schwab, Johannes Gerson, professor der Théologie und
Kanzler der Universitut Paris, eine Monographie, in-8°,
Wurzbourg, 1858; Sfondrate, Gallia vindicata, Mantoue,
1711; R. Thomassy, Jean Gerson et le grand schisme
d'Occident, 28 édit., in-18, Paris, 1852; Noël Valois, La
France et le grand schisme, 4 in-8°, Paris, 1896-1902;
J. C. A. Winkelmann, Gerson, Wiclefus, Hussus inter se et
cum reformatoribus comparati, commentatio, in-4", Gœt-
tingue, 1857; Zaccaria, Antifebronius, 4 in-8°, 1768-1770.
L. Salembier.
GERTMAN Mathias était originaire de Turnhout,
petite ville de la Campine (Brabant), où avait pris
naissance, plus d'un siècle auparavant, le fameux
théologien de Louvain, Jean Driedo. Il appartenait
à une ancienne et noble famille. Né en 1614, il fit
de brillantes études à l'université de Douai; il y
obtint le bonnet de docteur en théologie, en 1640,
après avoir eu pour professeur l'illustre Sylvius. Il
reçut une chaire primaire de théologie en 1654 et il
remplaça probablement Valentin Bandour. Il fut
pendant quarante ans directeur du séminaire du roi.
Prévôt de Saint-Pierre à Douai en 1658, puis de Saint-
Amé en 1670, il fut en même temps chancelier de
l'université. Il joignit à ces emplois divers celui de
censeur de livres.
Il fut mêlé à deux affaires très importantes dans la
1331
GERTMAN
GERTRUDE LA GRANDE
l;;:i2
lultcdc la faculté contre le jansénisme et le gallica-
nisme.
En 1673, Adam Widenfeld, avocat de Cologne,
qui avait fréquenté les jansénistes de Gand, de Louvain
et de Paris, publia à Gand un opuscule intitulé :
Monita salularia B. Yirginis Mariœ ad cullores suos
indiscrclos. L'auteur mettait dans la bouche de la
Vierge Marie une série de reproches qu'elle adressait
à ses dévots sur la forme de leurs prières. Cet opuscule
fut traduit en français; l'une de ces traductions était
de dom Gerberon, bénédictin de la congrégation de
Saint-Maur, fort compromis dans les luttes jansénistes,
qui dut plus tard se réfugier en Hollande et fut ensuite
enfermé à Vincennes jusqu'à la rétractation de ses
erreurs. Un prêtre du diocèse de Tournai demanda à
son évêque Gilbert de Choiscul, janséniste avéré, la
permission de faire imprimer une traduction dont il
était l'auteur. Le prélat accorda l'autorisation. Cette
audacieuse attaque contre la dévotion à la sainte
Vierge causa une très vive impression dans la Flandre
et le Hainaut. Les jésuites et les récollets firent à
l'évêque de Tournai une très vive opposition. D'après
Foppens, Gertman publia à Douai une réfutation
péremptoire du livre de Widenfeld sous ce titre :
Jesu Christi monila maxime salularia de cullu dile-
clissimœ matri Marix débite exhibendo (1674). Nous
devons le dire cependant, Paquot pense que cette
réfutation eut pour auteur Henri De Cerf, aussi
professeur de théologie à Douai (t 1705).
Gertman prit aussi une part active à la protestation
que le recteur et le conseil de l'université adressèrent
à Louis XIV, le 9 mars 1683, à propos des fameux
articles de 1682, dont le roi réclamait l'enseignement
dans les chaires des facultés. Les professeurs de
théologie d'alors étaient Jacques Randour, neveu
de Valentin, Pierre Delalaing, Mathias Gertman et
Nicolas de la Verdure. Ces docteurs ne traitèrent point
la question de fond; ils n'auraient guère eu de chances
d'être écoutés; mais dans une lettre très respectueuse
dans la forme, très ferme et très fière au fond, ils
plaidèrent l'opportunité. Ils firent valoir de leur mieux
les traditions de leur illustre école et du pays, les
intérêts de la religion en Flandre, et leurs craintes
pour l'avenir de leur chère Aima mater. Le succès ne
fut pas immédiat. Louis XIV ne voulut point d'abord
prêter l'oreille à ces doléances, si légitimes qu'elles fus-
sent. Les maîtres refusèrent énergiquement d'enseigner
la Déclaration. On sait qu'en 1693, le roi, vaincu par
la résistance des souverains pontifes et de leurs nonces,
revint à résipiscence dans une lettre adressée au pape
Innocent XII. Il l'avertit qu'il avait donné les ordres
nécessaires « pour que les choses contenues dans cet
édit, touchant la Déclaration faite par le clergé de
France, à quoi les conjonctures passées l'avaient obligé,
ne soient pas observées. »
Gertman était mort le 29 novembre 1683; il ne
vit point la victoire finale de l'université de Douai.
I! fut inhumé dans la collégiale aujourd'hui détruite
de Saint-Amé. Une splendide épitaphe, rapportée par
Foppens et par Paquot, rappelait les principaux faits
de sa carrière professorale et signalait ses brillantes
qualités. Par son testament, il fonda une bourse
d'études de près de deux mille florins de rente en
faveur de ses parents et, à défaut d'eux, en faveur des
jeunes gens nés à Turnhout ou dans un rayon de huit
lieues de cette ville. Il légua aussi au séminaire sa
riche bibliothèque, à condition qu'elle restât acces-
sible aux docteurs, professeurs, licenciés et étudiants
de l'université. Gertman a composé plusieurs traités
de théologie. Son cours sur l'eucharistie, professé en
1643, se trouve en manuscrit à la bibliothèque de
Saint-Omer, n. 160.
Bouix, De papa, t. il, p. 125; Foppens, Bibliolheca
belgica (1739), t. n, p. 873; Séries doctorum Académies
Duacensis, ms. de la bibliothèque de Bourgogne à Bru-
xelles, 17Ô9-; Mgr Hautcœur, dans la Revue des sciences
ecclésiastiques, 1" série, t. m, p. 359; Paquot, Mémoires
]> ur servir à l'histoire littéraire des dix-sept provinces des
Pays-Bas, t. xvi, p. 291 sq. ; L. Salembier, Hommes et
choses de Flandre, p. 256; Van der Meersch, Biographie
nationale, publiée par l'Académie royale de Belgique,
t. vil, p. 079.
L. Salembier.
GERTRUDE LA GRANDE (Sainte). — I. Vie.
II. Doctrine. III. Influence.
I. Vie. — Sainte Gertrude ne nous est guère
connue que par les cinq livres de ses révélations;
encore ne nous renseignent-ils pas beaucoup sur sa
vie extérieure et ne suivent-ils point l'ordre chrono-
logique. Sa biographie se réduit donc à peu de chose.
On l'a confondue parfois avec sainte Gertrude
de Nivelles, fille de Pépin de Landen (f 659). Cf. M. del
Rio, Disiiuisilionum magicarum, 1. IV, c. i, q. m,
Lyon, 1608, p. 266. Par suite d'une confusion autre-
ment importante puisque, pendant des siècles, elle
a été générale et se retrouve dans les leçons de sa
fête au bréviaire romain (15 novembre), on l'a iden-
tifiée avec l'abbesse de son monastère. W. Preger,
Geschichte der denlschen Mystik im Miltelaller, Leipzig,
1874, t. i, p. 73-74, et les bénédictins de Solesmes
dans l'introduction des Rcvelationcs gerlrudianœ ac
mechtildianœi Poitiers, 1875, ont démontré qu'il y eut
deux Gertrude : Gertrude de Hackeborn, née en 1232,
abbesse en 1251, morte en 1291, et notre sainte, née
en 1256 et entrée au couvent à l'âge de cinq ans.
Fondé àMansfeld (1229), le monastère avait été trans-
féré à Rodardesdorf ou Rossdorf (1234), puis (1258) à
Helfta, aux portes d'Eisleben. Les bénédictins de
Solesmes, Rcvelationcs, t. i, p. xxvn, ont tenté d'accré-
diter l'opinion que les moniales adoptèrent d'abord
la règle de saint Benoît et, en conséquence, ont fait
de Gertrude une bénédictine. Le P. Ë. Michael, Die
heilige Mechtild und die heilige Gertrude die Grosse
Bencdictinerinnen ? dans la Zeitschrijt fur katholische
Théologie, Inspruck, 1899, t. xxm, p. 548-552, et dom
U. Berlière, Sainte M echtilde et sainte Gertrude la Grande
furent-elles bénédictines ? dans la Revue bénédictine,
Maredsous, 1899, t. xvi, p. 457-461, ont établi que
le monastère fut cistercien. Du reste, cistercien ou
bénédictin, sous l'habit blanc ou sous l'habit noir,
médiatement par Cîteaux ou de façon immédiate,
Helfta se rattachait toujours à saint Benoît et à sa
règle.
Passionnée pour les études littéraires, au point qu'elle
dira plus tard, Revel., 1. II, c. n, dans une de ces
énergiques formules d'humilité qui sont habituelles
aux saints, qu'elle avait alors aussi peu de souci de
son âme que de l'intérieur de ses pieds, Gertrude subit
une crise d'âme qui dura quelques semaines et se
« convertit » à la suite d'une vision du Christ (27 jan-
vier 1281). Dès ce jour, ce fut une vie nouvelle. Elle
s'adonna à la lecture des saints Livres, des Pères et
des théologiens (elle utilise, dans ses écrits, saint
Augustin, saint Grégoire le Grand, saint Bernard et
Hugues de Saint- Victor). Ayant un véritable talent
de parole, elle en profita pour le bien des religieuses
d'Helfta et des personnes du dehors qui venaient de
loin pour l'entendre. Elle n'eut d'autre emploi que
celui de suppléante de la sœur chantre, sainte Mech-
tilde de Hackeborn. Constamment malade, menant
le bon combat contre ses défauts, en particulier
l'amour-propre et l'impatience dont elle avait peine
à se défaire, vivant dans un état d'union habituelle
avec Dieu, admirablement pure, détachée, aimante,
elle fut privilégiée de grâces mystiques et reçut, mais
au dedans, non de façon visible, l'impression des
stigmates. Elle mourut, semble-t-U, peu après 1300,
1333
GERTRUDE LA GRANDE
1334
vers 1302 ou 1303, plutôt qu'à la date de 1310 proposée
par Prcgcr, op. cit., p. 78. Cf. G. Ledos, Sainte Ger
trude, Paris, 1901, p. C4-66, note.
II. Doctrine. — Sainte Gertrude écrivit, en
langue vulgaire, des traités, malheureusement perdus,
où elle expliquait des passages obscurs de l'Écriture et
reproduisait les plus belles sentences des Pères.
Cf. ReveL, 1. I, c. n, vin. Elle paraît avoir été l'une
des deux sœurs qui rédigèrent le Livre de la grâce
spéciale de sainte Mechtilde de Hackeborn. Cf. E. Mi-
chael, Geschichle des deulschcn Volkes vom drcizelinten
Jahrhunderl bis zum Ausgang des Mittelalters, Fribourg-
cn-Brisgau, 1903, t. ni, p. 181. Elle composa un petit
recueil d'Exercices (il y en a sept), dont un bon juge,
Mgr Gay, a déclaré, Les Exercices de sainte Gertrude,
dans la Revue du monde catholique, Paris, 1863, t. vi,
p. 665 qu' « on n'en peut dire le nombre, la plénitude,
la rigueur théologique et en même temps la splendide
poésie. Il rappelle tout ensemble et la richesse de
l'Aréopagite et la précision de saint Thomas. » Enfin
et surtout, nous possédons ses révélations. Écrites
en latin, comme les Exercices, elles se divisent en
cinq livres : le IIe est l'œuvre de la sainte, le Ier a
été écrit après sa mort par une moniale de son entou-
rage et les trois derniers l'ont été sur des notes prises
sous sa dictée. Le titre est Lcgalus divinœ pielalis,
Le héraut ou Le messager de l'amour divin, ou, selon
la remarque délicate du P. Bainvel, voir t. m, col. 309,
« pour rendre autant qu'il est possible la nuance
indéfinissable du mot pielalis, Le héraut de la bonté
aimante de Dieu. »
On a dit que sainte Gertrude fut « la sainte de l'huma-
nité de Jésus-Christ, comme sainte Catherine de
Gênes fut la sainte de la divinité. Ce caractère général
éclaire sa vie et nous explique son attrait qui fut la
familiarité. » E. Hello, Physionomie de saints, Paris,
1875, p. 405. On a dit également que sainte Gertrude
« a enseigné d'une manière admirable la théologie de
l'incarnation, » A. Lepître, Sainte Gertrude la Grande,
dans L'université catholique, 2e série, Lyon, 1897,
t. xxv, p. 232, qu'elle a été « la théologienne du Sacré-
Cœur, » Granger, Les archives de la dévotion au Sacré-
Cœur de Jésus et au Saint-Cœur de Marie, Ligugé,
1893, t. i, p. 306, et que, si elle n'a pas été choisie
pour être l'apôtre du Sacré-Cœur, « elle en a été, en
même temps que l'amante radieuse, le poète exquis
et le prophète. » Voir t. ni, col. 311; cf. col. 309-311.
Incarnation, miséricorde de Jésus et intimité con-
fiante avec lui. Sacré-Cœur, tel est, en effet, le
domaine de sainte Gertrude. Il convient d'y ajouter
l'eucharistie; peu ont poussé à la communion fré-
quente autant qu'elle et avec un sens si juste des
conditions requises. Cf. dom A. Basquin, La doctrine
de l'eucharistie dans les œuvres de sainte Gertrude, dans
O salularis hostia, Paris, 1903, t. n, p. 10-12, 22-24.
Et tout cela baigne, en quelque sorte, dans une atmo-
sphère liturgique. « C'est généralement d'un mot, d'une
expression, d'un verset, d'une strophe, d'une pensée,
d'une nuance, d'un geste, d'une circonstance de
la liturgie que naît pour elles (sainte Gertrude et
sainte Mechtilde de Hackeborn) le rayon qui vient
illuminer leur intelligence, échauffer leur cœur, fournir
un point de départ à leurs visions ou à leurs extases. »
Dom M. Fcstugière, La liturgie catholique, dans la
Revue de philosophie, Paris, 1913, t. xxn, p. 773.
Quand clic approuve des révélations, l'Église n'exige
pas qu'on leur accorde un assentiment de foi catho-
lique, mais seulement un assentiment de foi humaine,
juxta régulas prudentise, juxla quas prscdictœ. revelationes
sunl probabiles et pie credibiles, dit Benoît XIV, De
servorum Dci bcalifualione et bealificalorum canoni-
zalione, 1. III, c. ult. (lu), n. 15; on peut, poursuit-
il, rejeter ces révélations, dummodo id fiât cum débita
modestia, non sine ralionc et citra conlcmptum. Cette
règle vaut même pour les révélations d'une sainte
Brigitte, d'une sainte Hildegarde, approuvées formel-
lement par l'Église, à plus forte raison pour celles
de sainte Gertrude, qui n'ont pas été approuvées
aussi explicitement : le martyrologe romain (17 no-
vembre; cf., dans le bréviaire, la ve leçon de l'office
de la sainte) dit seulement que dono revelationum
clara extitit. Toutes ses affirmations ne s'imposent
donc pas à notre croyance. N'insistons pas sur telle
donnée pseudo-historique, par exemple, 1. IV, c. xlv,
qui a pu provenir de la Légende dorée. Rappelons-
nous surtout que le langage des saints et des mystiques
demande à être bien compris; il ne faut pas toujours
en presser à l'excès la lettre; il importe de tenir
compte de l'époque, du milieu, des habitudes intellec-
tuelles et religieuses du mystique. Puis, comment
raconter dignement les choses divines ? C'est ce qu'ont
remarqué deux écrivains très « profanes ». Les mots,
dit M. Maeterlinck, L'ornement des noces spirituelles,
de Ruysbroeck l'admirable, traduit du flamand,
2e édit., Bruxelles, 1908, p. 18, « ont été inventés
pour les usages ordinaires de la vie, et ils sont mal-
heureux, inquiets et étonnés, comme des vagabonds
autour d'un trône, lorsque de temps en temps quelque
âme royale les mène ailleurs. » Et, dans un ouvrage
qui, par ailleurs, n'est pas irréprochable, Le verger,
le temple et la cellule. Essai sur la sensualité des œuvres
de mystique religieuse, Paris, 1912, p. 184, C. Oulmont,
parlant des vocables par lesquels s'exprime « l'état
terrible et doux des cœurs saisis de l'amour divin »
et des « saintes folies » du langage des mystiques,
dit : « Les mots sont matériels, sans doute, mais,
illuminés par les lumières de la foi, ils deviennent
diaphanes; les mots sont alors comme les verrières
que traverse le soleil pour inonder de clarté l'édifice,
sans les briser au passage. Ils montent..., et les
hommes qui sont assez déraisonnables pour s'attarder
à l'enfantillage d'une formule, au mauvais goût d'une
métaphore, sont, disons-le, aveuglés, non par le
brasier ardent mais par la fumée mauvaise et épaisse
qui cache ce brasier pur et beau. » Faute d'avoir eu
la patience de pénétrer l'œuvre de sainte Gertrude,
W. James, L'expérience religieuse. Essai de psycho-
logie descriptive, trad. Abauzit, Paris, 1900, p. 298-299,
a traité de fadaises, de compliments naïfs et absurdes,
de puériles tendresses, les échanges d'amour entre
sainte Gertrude et le Seigneur Jésus. Il oublie que
ce langage, tout en revêtant la forme du temps où
vécut Gertrude, « enveloppe une vérité éternelle,
aussi douce et aussi consolante au xxe siècle qu'elle
put l'être au xme... Gertrude nous montre à quel
point l'amour de Dieu daigne s'individualiser, entrer
dans les menues circonstances d'une vie... Ces pauvres
et obscures petites vies que méprisent les grands de
la terre, elles sont l'objet de toute la sollicitude
divine... Beaucoup de ceux qui s'étonnent de voir
Gertrude demander à Dieu son aiguille (perdue dans
la paille) comprendront qu'une reine lui demande sa
couronne, mais la vie des saints nous transporte dans
ce monde de la charité dont parle Pascal, où le moindre
acte d'amour vaut plus que toutes les pensées de tous
les esprits et que tous les astres de toute la création...,
et nous pouvons songer que, dans cette naïve et
profonde anecdote, ce qui importe, c'est la valeur de
l'amour qui accompagne la demande et l'action de
grâces, et non celle que nos expertises humaines
accordent à l'objet demandé. » L. Félix-Faurc-Goyau,
Christianisme et culture féminine, Paris, 1914, p. 204-
208.
Quant au fond même des choses, certains passages
méritent un examen. E. Amort, De revelalionibus,
visionibus et apparilionibus privatis, Augsbourg,
1335
GERTRUDE LA GRANDE
1336
1744, a discuté de près, et non sans quelque rigueur,
toute une liste de textes difTieiles; il conclut qu'on
n'en peut rien tirer ni pour ni contre l'exactitude de
toutes les révolutions. Corneille de la Pierre, In Canl.,
vin, 6, cite sainte Gertrude, mais parce et cum grano
salis ubi res exigit, et note que ses révélations mulla
conlineanl sijmbolica idcoque symbolice interpretanda.
Quand on les replace dans leur contexte, les expres-
sions les plus capables de dérouter apparaissent
susceptibles d'une interprétation bénigne. Par exemple,
an est d'abord surpris d'entendre la sainte s'adresser
au Sauveur et lui demander de prier pour elle sa mère.
1. V, c. xxxiv. En réalité, c'est une façon de marquer
l'amour de Kotre-Seigneur pour Marie et la prière
que Jésus offre à sa mère pour Gertrude est un ordre
véritable. Il ne semble pas qu'une seule de ces diffi-
cultés soit inexplicable.
En tout cas, c'est bien à tort que \V. Preger, Ge-
schichle der Mysti!:, t. i, p. 126-130, a essayé de faire de
sainte Gertrude une aïeule du protestantisme : il ne
prononce pas ce gros mot, mais la manière dont il
parle de l'assujettissement à la loi cédant la place à
une liberté toujours sensiblement plus grande, de
l'effacement de l'ascèse monastique devant la joie et
la confiance, et de tout ce qu'il appelle « l'effort de
l'esprit de Gertrude vers une illumination croissante, »
ne laisse pas de doute sur sa pensée. Or, la liberté
d'esprit de la moniale d'Helfta est éminemment
orthodoxe. Elle proclame volontiers les mérites des
saints, les mérites des croyants; mais, objecte Preger,
quand il s'agit d'elle-même, elle n'entre pas dans ce
jeu, elle ne met en avant que son indignité et la grâce
divine. Et il note qu'en matière de reliques Jésus
lui dit : « Les plus précieuses reliques sont mes paroles ; »
qu'ayant su qu'on prêchait des indulgences de plusieurs
années, elle désira avoir des richesses afin de les offrir
pour gagner ces indulgences et, par ce moyen, de
racheter ses péchés, et Jésus de lui dire : « Je t'accorde,
de mon autorité souveraine, le pardon de tous tes
péchés, » 1. III, c. xi. Tout cela c'est le langage très
catholique des saints, c'est l'humilité, c'est l'affir-
mation de l'efficacité du désir et de l'amour, l'affir-
mation de la puissance miséricordieuse du Sauveur.
Tout cela, et bien d'autres détails, c'est le fait d'un
enfant « qui se sent libre dans la maison du Père; »
oui assurément, mais cette liberté est si peu d'essence
protestante que le P. Faber, d'une part, déclare,
avec tous les auteurs spirituels, que, sans la liberté
d'esprit on travaillerait en vain à la perfection,
qu' « il n'y a rien de comparable à la gloire d'une
âme libre sinon l'adorable magnificence de Dieu, »
Progrès de l'âme dans la vie spirituelle, trad. F. de
Bernhardt, 3e édit., Paris, 1857, p. 62; cf. tout le
c. iv, p. 49-62, et, d'autre part, désigne sainte Ger-
trude comme « un bel exemple » de cet esprit de
liberté qui est l'« esprit de la religion catholique. »
Tout pour Jésus, trad. F. de Bernhardt, 17e édit.,
Paris, 1867, p. 325,326. Entre divers traits qui servent
« à faire voir de quelle délicieuse liberté d'esprit elle
jouissait, » il mentionne l'habitude — que Preger,
p. 127-128, allègue à l'appui de sa thèse — • de ne pas
s'abstenir de communier parce qu'elle était impar-
faite ou n'avait pu accomplir tous ses exercices
ordinaires, se reposant sur la condescendance infinie
de Dieu et ne s'inquiétant que de recevoir l'eucha-
ristie dans un cœur brûlant d'amour. Et il conclut,
p. 329 : « Oh ! plût à Dieu qu'elle revînt dans l'Église
pour être ce qu'elle fut dans les siècles passés, le docteur
et le prophète de la vie intérieure! » Cf. p. 172-85.
III. Influence. — De son vivant, sainte Gertrude
exerça une notable influence. Après sa mort, et pour
longtemps, ses révélations demeurèrent à demi
cachées; on n'en connaît que deux exemplaires
manuscrits. Probablement elles furent dans les
mains d'Eckart. Cf. E. Ledos, Sainte Gertrude, p. m,
note. Au commencement du xvie siècle (1505), un
dominicain en publia une traduction allemande. L'hon-
neur d'avoir procuré leur diffusion appartient au char-
treux Jean Lansperge. Il en prépara la première édition
latine, qui fut publiée par l'éditeur de Denys le Char-
treux, Thierry Loher, également chartreux (1536),
avec ce titre : Insinuationes divinse pietalis. Lans-
perge, si dévot au Sacré-Cœur, cf. dom C.-M. Boutrais,
Un précurseur de la B. Marguerite-Marie Alacoque
au XVIe siècle. Lansperge le Chartreux: et la dévotion
au Sacré-Cœur, Grenoble, 1878, p. 55-62, n'avait pu
qu'être gagné par la doctrine gertrudienne; non con-
tent d'en être le propagateur, il en fut l'apologiste.
Son contemporain, Louis de Blois (Blosius), le pieux
abbé bénédictin de Lessies, en Hainaut (t 1566),
contribua aussi beaucoup à la gloire de Gertrude.
Il s'en inspire souvent. En particulier, son Monile
spirituale divinis revelationibus tanquam preeclaris
quibusdam gemmis exornalum est composé en bonne
partie d'extraits des écrits de la sainte qu'il appelle
familièrement de son petit nom, à l'allemande, Ger-
trudis sive Trutha, c. i, dans ses Opéra, édit. A. de
Winghe, Anvers, 1632, p. 587, et se termine par un
appendice (sur les quatre saintes Brigitte, Catherine
de Sienne, Mechtilde de Hackeborn, Gertrude) où
notre sainte est magnifiquement louée, p. 619-620.
Louis de Blois, dans sa dédicace d'un autre ouvrage,
l' Instilulio spirilualis, p. 295; cf. p. 621, traite d'ho-
mines superbi et animales ceux qui condamnent les
révélations de sainte Gertrude et disent que les écrits
de ce genre sont des songes de bonnes femmes. Il y
eut, en effet, des contempteurs de cette littérature
mystique, surtout parmi les protestants. Le prémontré
C. Oudin, Supplemenlum de scriploribus vel scriplis
ecclcsiaslicis a Bellarmino omissis, Paris, 1728 (la
lre édition est de 1686), p. 454, qualifie les œuvres de
sainte Gertrude à'opus devolioni mulicrum aptissimum.
Dans son Commentarius de scriptoribus Ecclesiœ anli-
quis, composé quand il eut passé au protestantisme,
il accentue cette note dédaigneuse, Leipzig, ,1722,
t. m, p. 237 : Opus devolioni mulierum cerebro la-
borantium aptissimum. Ni le protestantisme, ni le jan-
sénisme ne pouvaient apprécier équitablement des
révélations aussi opposées à leurs principes. On s'est
même demandé si Bossuet, en critiquant la spiri-
tualité d'un Taulère ou d'un Buysbroeck, n'aurait pas
« mis en défiance à l'égard d'auteurs beaucoup plus
sûrs, telle que sainte Gertrude, mais qui apparte-
naient au même pays. » A. Lepître, dans L'université
catholique, t. xxv, p. 226. Quoi qu'il en soit, malgré les
contradictions, la fortune de sainte Gertrude continua
de grandir, grâce à des éditions nouvelles du texte
latin des révélations et à une série de traductions
en langues française, italienne, espagnole, allemande;
en outre, toute une légion d'apologistes prit sa défense.
Voir les principaux noms dans une note de l'éditeur
de Louis de Blois, p. 621-622. Son culte fut autorisé
par le Saint-Siège, d'abord (1606) pour les moniales
de Saint-Jean-1'Évangéliste à Lecce, puis pour diverses
maisons religieuses, et enfin (1674) pour tout l'ordre
de saint Benoît. En 1678, son nom fut inscrit dans le
martyrologe. En 1738, Clément XII étendit son culte
à l'Église universelle. Cf. Benoît XIV, De servorum
Dci bealificaiione, 1. I, c. xli, § 11. Dans ces actes
officiels apparaît et est consacrée en quelque sorte
l'appellation de sainte Gertrude la Grande. Cf. Be-
noît XIV, op. cit., 1. I, c. xli, n. 39; 1. IV, part. II,
c. xviii, n. 16 : Sanctse Gertrudis quœ dicilur la Magna.
A quelle époque remonte l'épithète ? Il est difficile
de le dire; manifestement elle vise l'excellence de la
doctrine gertrudienne.
1337
GERTRUDE LA G RANDE — GE RVAIS DE BRISACH
I;;;i8
Après un arrêt (fin du xvme siècle et commen-
cement du xixe), la renommée et l'influence de Ger-
trude sont entrées dans une phase de développement.
Il faut l'attribuer à trois causes principales. Premiè-
rement, les progrès de la dévotion au Sacré-Cœur
ont appelé l'attention sur les écrits de la sainte.
Quand on traite du Sacré-Cœur, il est rare qu'elle
ne soit pas nommée et que des fragments du Héraut
de l'amour divin ne soient pas reproduits. Cf., entre
autres, E. Letierce, Le Saeré-Cceur, ses apôtres et ses
sanctuaires, Nancy, 1886, p. 28-40; Granger, Les
archives de la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus et au
Saint-Cœur de Marie, Ligugé, 1893; [dom L. Fromage],
L'année liturgique. Le temps après la Pentecôte, 9e édit.,
Paris, 1896, t. i, p. 487, 494-496; dom E. Vandeur,
La messe du Sacré-Cœur préparant à la communion
eucharistique, Louvain, 1913 (larges emprunts aux
Exercices); L. Cros, Le cœur de sainte Gerlrudc, 5° édit.,
Paris, 1913. Du reste, en dehors du culte qu'elle
rend au Sacré-Cœur, la piété chrétienne a compris
les ressources que lui offrent les révélations de Ger-
trude. Nous avons vu le cas que le P. Faber en faisait.
Parmi de nombreux témoignages qu'on pourrait
recueillir, qu'il suffise de signaler celui du Manuale
pietatis ex opcribus B. Gertrudis desumplum in usum
sacerdolum, Turin, 1870, réédition. Deuxième cause :
les bénédictins de Solesmes publièrent, en 1875, une
édition latine, et, en 1877, une traduction française
tics œuvres de Gertrude, l'une et l'autre supérieures
à ce que l'on possédait jusque-là; devenues aisément
accessibles aux lecteurs, elles ont eu une partie du
succès qu'elles méritent. Enfin, le vent est aux
études de mystique et de liturgie et à ce qu'on a appelé
le « bénédictinisme ». Sainte Gertrude bénéficie de
ce mouvement. Voir, par exemple, le P. Cros, L'année
de sainte Gertrude, nouv. édit., Paris, 1913 (extraits
sur les principales fêtes et sur les périodes liturgiques
de l'année), et, parmi les littérateurs, J.-K. Huys-
mans, En route, 5e édit., Paris, 1895, p. 430; L. Le
Cardonnel, Poèmes, Paris, 1904, p. 179. Dans ce
renouveau mystique, tout n'est pas également bon.
Un livre morbide, publié sous le pseudonyme de
Claude Sylve, et intitulé : La cité des lampes, Paris.
1912, obtenait naguère un succès scandaleux; l'auteur
cite à tort et à travers sainte Gertrude « et croit
pouvoir mettre en petites chansons les stigmates,
l'anneau des fiançailles, les délices de l'Époux, rabais-
sant les noces mystiques aux plus vulgaires émotions
humaines... Nous ne saurions trop nous élever contre
ces irrévérences, » a dit justement R. Vallery-Radot,
dans la Revue de la jeunesse, Paris, 1912-1913, t. vu,
p. 46. Cf., du même, L'homme de désir, Paris (1913),
p. 13. L'ouvrage si saint et si aimant de Gertrude
doit être lu et ne peut être compris que s'il est lu
dans un état d'âme qui s'harmonise avec celui de la
sainte.
I. Œuvres. — La première édition fut publiée, dans une
traduction allemande, par le dominicain Paul de Weida,
sous ce titre : Das Buch der Botseliaft der gôltlicher Gutikeit,
Leipzig, 1505. La première édition latine, préparée par
J. Lansperge, et intitulée : Insinuationes divinx pietatis,
parut, par les soins du chartreux T. Loher, à Cologne,
1536. Deux nouvelles éditions latines parurent, en 1662,
l'une à Paris, l'autre à Salzbourg; une autre encore à Paris,
1664. Les bénédictins de Solesmes ont donné une édition
latine améliorée sous le titre général : Revelationes gertru-
dianx ac meehtildianx, Poitiers, 1875; les oeuvres de sainte
Gertrude occupent le t. i, et comprennent les révélations,
avec leur titre de Legalus diuinœ pietatis, et les Exercitia.
Outre la traduction de Paul de Weida, nous avons, en
Allemagne, celles de Cologne, 1674; de M. Sintzel, Ratis-
bonne, 1847-1848, 3 vol., et 1876, 2 vol.; de J. Weissbrodt,
Fribourg-en-Brisgau, 1877, et 1900 (édition abrégée);
des Exercitia par dom M. Wolter, Ratisbonne, 5" édit.,
1896; en Italie, celles de V. Buondi, Venise, 1562, 1588,
1635, 1660, 1670, 1710; de L. Villani, Naples, 1879; de
C. Poggiali, Florence, 1886; en Espagne, celles de Madrid,
1605, 1689; en France, celles de J. Jarry, Paris, 15S0, sous
ce titre : Exercices dévots et spirituels dépendons du livre de
saincte Gertrude auquel est discouru de la piété divine; de
J. Ferraige, Lyon, 1634; de dom J. Mège, Paris, 1671,
1676, 1687; Avignon, 1842; Paris, 1866, 1879 (ces deux
dernières sans le nom du traducteur), extraits dans Migne,
Dictionnaire de mystique chrétienne, Paris, 1858, col. 557-
571; de l'anonyme Recueil très utile des plus signalées et
remarquables révélations de saincte Gerlrudc, Lyon, 1618;
des .Exercices, par dom P.Guéranger, Paris, 1863; cf. Ch. Gay,
dans la Revue du monde catholique, Paris, 1863, t. VI, p. 658-
667; des bénédictins de Solesmes (en fait dom L. Paquelin),
Poitiers, 1877; en Angleterre, celle de Londres, 2e édit.,
1871.
IL Sources. — La source principale et presque unique
est le Legatus divinœ pietatis. Il y a aussi quelques rensei-
gnements dans le Liber specialis gratix, au t. n des Reve-
lationes gertrudianx ac meehtildianx. Voir encore les bollan-
distes, Bibliotlwca hagiographica latina antiqux et medix
xlatis, Bruxelles, 1899, p. 520. Sur le monastère d'Helfta,
cf. M. Kruhne, Urkundenbuch der Klôster der Grafschaft
Mansfeld, dans les Geschichtsquellen der Provinz Sachsen,
Halle, 1888, t. xx, p. 127-297.
III. Travaux. — A. de Andrada, Vida de la gloriosa
virgen y abadessa S. Gertrudis de Eyslevio Manspheldense,
Madrid, 1663; trad. italienne par A. Vaiola, Rome, 1704;
trad. portugaise, Lisbonne, 1708; A.-M. Bonucci, S. Ger-
trude vergine la Magna, Rome, 1710; Venise, 1713;
Benoît XIV, De servorum Dei beati ficatione et beatifica-
lorum canoni:ationc, 1. I, c. xu, § 11, Prato, 1839, t. i,
p. 299-301 ; J. de Castâniza, Vida de la prodigiosa virgen
S. Gertrudis la Magna, Madrid, 1804; E.-L. Rochholz,
Drei Gaiigottinen, Walburg, Verena, und Gertrud ans dem
grrmanischen Frauenlebcn, Leipzig, 1S70; W. Preger,
Geschichte der deutschen Myslik im Mitlelalter, Leipzig,
1874, t. i, p. 71-78, 122-132; l'introduction des Revelationes
gertrudianx ac mcclitildianx, Poitiers, 1875; Kaulen,
dans Kirchcnlcxikon, Fribourg-en-Brisgau, 1888, t. v,
p. 473-476; Zockler, dans Realeneyclopàdie, 3e édit., Leipzig,
1899, t. vi, p. 617-618; cf. Hauck, 1913, t. xxm, p. 557;
G. Ledos, Sainte Gerlrudc, Paris, 1901; cf. J. Guiraud et
H. Joly, dans le Bulletin critique, Paris, 1901-1902, t. vu,
p. 633-635; t. vin, p. 17-20; E. Michael, Geschichte des
deutschen Volkes vom dreizehnten Jahrhundert bis zum Aus-
gang des Mittclallcrs, Fribourg-en-Brisgau, 1903, t. m,
p. 174-211; dom M. Festugière, La liturgie catholique, dans
la Revue de philosophie, Paris, 1913, t. xxn, p. 769-773;
L. Félix-Faure-Goyau, Une école de littérature mystique au
XIII' siècle. Le monastère d'Helfta, dans la Revue française,
25 mai 1913, p. 207-213, reproduit, avec des additions, dans
Christianisme et culture féminine, Paris, 1904, p. 165-210.
Voir, en outre, les autres travaux signalés au cours de cet
article et ceux qui sont indiqués par U. Chevalier, Réper-
toire des sources historiques du moyen âge. I. Bio-biblio-
graphie, Paris, 1903-1904, t. i, col. 1762-1763.
F. Vernet.
1. GERVA9S DE BRISACH, frère mineur capucin
de la province de Suisse, se nommait Brunk, et il
était docteur en philosophie et en droit quand il se
fit religieux. On le chargea d'enseigner la philosophie
et la théologie, ce dont il s'acquitta avec honneur,
comme le prouvent les deux ouvrages qu'il laissa en
ces matières. Le premier est un Cursus philosophicus
breoi et clara melhodo in 1res tomulos dislribulus,
3 in-8°, Soleure, 1687; Cologne, 1711. Le second est
un Cursus theologicus brevi et clara methodo in très
parles et sex tomulos distribulus, in quo omnes materise
Ihcologicse tain speculalivœ quam praclicœ : imo et
controversisticœ cum varictale senlenliarum contincnlur,
6 in-8°, Soleure, 1689-1690; 5e édit., Cologne, 1716;
6e, ibid., 1733. Le P. Gervais, après avoir été trois fois
provincial de Suisse, visiteur et commissaire général
en Flandre, mourut à Lucerne le 29 septembre 1717.
Bernard de Bologne, Bibliotheca scriptor. ord. min.
capuccinorum, Venise, 1747; Pie de Lucerne, Chronica
prov. Helvelicœ ord. S. P. Fr. capucinorum, Soleure, 1885,
p. 421; Hurter, Nomenclalor, Inspruck, 1910, t. îv, col. 618.
P. Edouard d'Alençon.
1339
GERVAIS DE SAINT-ÉLIE — GEZON
1340
2. GERVAIS DESAINT-ELIE(BIZOZERO),carme
déchaussé de la province de Lombardie, était né à
Milan le 21 octobre 1631. Il avait à peine quinze ans
quand il entra en religion. Il ne tarda pas à s'y distin-
guer par sa science autant que par sa piété. Profes-
seur et prédicateur éminent, il remplit, pendant de
longues années, les charges d'examinateur synodal
et de consulteur du Saint-Office à Bologne. Il mourut
à Milan, le 8 juillet 1696, après avoir publié : Il falso
cd il vzro, in-4°, Bologne, 1680; 4 in-12, Monti, 1686.
Il laissait en outre trois manuscrits in-fol. qui, mal-
heureusement, ne sont pas encore retrouvés : Tra-
ctalus de jure publico et jure privalo, melhodo théologien
eonjeclus; Universi juris canoniei compendium; De
thcologia parochorum.
Cosme de Yilliers, Bibliotheca carmeliiana, Orléans,
1752, t. I, col. 558-559; Henri du Très-Saint-Sacrement,
Collectio scriptorum ordinis carmelilarum excalceatorum,
Savone, 18S4, t. i, p. 239-240.
P. Servais.
GERVAISE Armand-François, né à Paris en 1660,
entra chez les carmes déchaussés, où il reçut le nom
d'Agalhange. On lui donna dans la suite une chaire
de théologie. Bossuet eut occasion de l'apprécier
pendant qu'il gouverna le couvent de Grézy dans le
diocèse de Meaux. Au retour d'une mission à Rome,
il entra à la Trappe pour mener une vie plus austère
(1695). Sa vie exemplaire lui attira la confiance de
Bancé, qui, encouragé par Bossuet, le fit nommer
abbé régulier de sa maison après la mort de dom
Zosime. L'expérience fut malheureuse. Gervaise,
après avoir bouleversé la communauté, dut donner
sa démission en 1698. Saint-Simon parle de lui en
termes fort sévères. 11 se retira à Longpont, au diocèse
de Soissons. Le reste de sa vie fut employé à travailler
et à publier des ouvrages historiques : Histoire de
Boèce, avec l'analyse de ses ouvrages et quatre disser-
tations théologiques, in-12, Paris, 1715; La vie de
saint Cyprien, dans laquelle on trouvera l'analyse
de ses ouvrages, des notes critiques et historiques et
des dissertations théologiques, in-4°, Paris, 1717;
La vie de Pierre Abélard, abbé de Saint- (iildas de Rhuys,
et celle d'Héloïse, son épouse, première abbesse du
Paraelet, 2 in-12, Paris, 1720; Lettres d'Héloïse et
d' Abélard, traduites en français, 2 in-12, Paris, 1723;
Histoire de Sugcr, abbé de Saint-Denis, 2 in-12, Paris,
1721; Défense de la nouvelle histoire de Suger, avec
l'apologie pour feu M. l'abbé de la Trappe contre les
calomnies de dom Vincent Thuillicr, in-12, Paris, 1725 ;
La vie de saint Irénéc, second évêque de Lyon, 2 in-12,
Paris, 1723; Vie de Rufin, prêtre de l'église d'Aquilée,
2 in-12, Paris, 1725; Vie de saint Paul, 3 in-12, Paris,
1734; L'histoire de la vie de saint Épiphane, in-4°,
Paris, 1738; Vie de saint Paulin, in-4°, Paris, 1743;
Histoire de l'abbé Joachim, de l'ordre de Cileaux, sur-
nommé le prophète, 2 in-12, Paris, 1745. Comme les
biographes de l'abbé de Bancé, de Marsollier et
Maupeou, l'avaient fort malmené, il publia sa justifica-
tion : Jugement critique, mais équitable, des Vies de
M. l'abbé de la Trappe, in-12, Troyes, 1742. Sa Vie
de M. de Rancé, abbé et réformateur de la Trappe,
ne put être publiée. Son Histoire générale de la réforme
de l'ordre de Cîlcaux, qui contient ce qui s'y est passé
de plus curieux depuis son origine jusqu'en 1728,
in-4°, Avignon, 1746, t. i, lui attira de gros ennuis
de la part des cisterciens non réformés, qui obtinrent
contre lui une lettre de cachet en vertu de laquelle il
fut enfermé à l'abbaye du Beclus, au diocèse de Troyes.
Ses Lettres d'un théologien à un ecclésiastique de ses
amis sur une dissertation touchant la validité des
ordinations des Anglais, qui avaient paru à Paris
en 1724, furent supprimées par ordre de l'autorité.
11 publia une réplique à la traduction de VHisloire du
concile de Trente de Fra Paolo Sarpi par le P. Courayer
et aux notes qu'il y avait ajoutées sous ce titre :
L'honneur de l'Église catholique cl des souverains pon-
tifes défendu contre les calomnies, les impostures et les
blasphèmes du P. Le Courayer, 2 in-12, Nancy, 1747.
Dom Gervaise est mort à l'abbaye du Beclus en 1751.
Ce fut un écrivain fécond, ayant des connaissances
étendues. Sa critique est souvent prise en défaut.
Il manque de mesure. Ses appréciations se ressentent
trop de la passion du moment.
Dubois, Histoire de l'abbé de Rancé cl de sa réforme,
in-8°, Paris, 1866, t. n, p. 482, 594-616; de Boislisle,
Mémoires de Saint-Simon, t. v, p. 386-409; dom François,
Bibliotlièquc générale des écrivains de l'ordre de saint BenoU,
t. i, p. 386-388; Picot, Mémoires pour servir à l'histoire da
XVIW siècle, 3e édit., Paris, 1853, t. n, p. 429; Ingold, Un
document inédit sur la querelle de Mabillon et de l'abbé
de Rancé, dans Mélanges Mabillon, in-8°, Paris, 1908,
p. 177-192; Hurter, Nomenclalor, 1910, t. iv, col. 1444,
1445; The catholic encyclopedia, New York, 1909, t. vi,
p. 535-536.
J. Besse.
GESVRES François, bénédictin, né à Soindres,
dans l'ancien diocèse de Chartres, mort près de Saint-
Pourçain, en mai 1705. Après quelques années passées
au collège des Grassins, à Paris, François Gesvres alla
étudier la théologie en Sorbonne. On lui offrit une
chaire de rhétorique à l'université de Paris. Il la
refusa pour aller, âgé de vingt-quatre ans, se consacrer
au Seigneur dans l'abbave de Saint-Faron de Meaux
(13 février 1681). Il fut" ordonné prêtre en 1687 et,
pendant quinze années, enseigna la philosophie et la
théologie à Saint-Bénigne de Dijon et à Saint-Denis.
Ses supérieurs lui demandèrent alors de travailler à
une théologie dogmatique pour les jeunes religieux
de leur congrégation. Il se mit à ce travail avec une
telle ardeur que bientôt il tomba malade. Il se rendait
à Vichy sur l'ordre des médecins, lorsque la mort le
surprit à une faible distance du monastère de Saint-
Pourçain, où il fut enseveli, le 13 mai 1705. Pendant
qu'il enseignait à l'abbaye de Saint-Denis, ses thèses
furent attaquées dans un libelle attribué aux jésuites,
et qui parut sous le titre: Thcologiœ scholasticœ tumu-
lus inlhesibus sandionysianis anni 1699; dom Gesvres
y répondit aussitôt par un très court écrit : Philo-
sophix sophisticœ in thesibus sandionysianis tumulus
sincerior, in-4° de cinq pages. L'année suivante,
il publia : Dcfcnsio Arnaldina, seu analytica synopsis
de correptionc et gratia ab Antonio Arnoldo doclore cl
socio Sorbonico anno 1664 édita, ab omnibus reprehen-
siirum calumniis vindicala, in-12, Anvers (Beims),
1700. L'auteur, après avoir exposé la doctrine de
saint Augustin sur la grâce, s'efforce de justifier les
bénédictins d'avoir introduit dans le t. x de l'édition
des œuvres de ce saint docteur l'analyse de son traité
De correptionc cl gratia par Antoine Arnauld.
Ziegelbauer, llisloria rei literaria; ordinis S. Benedicti,
t. il, p. 106; dom Ph. Le Cerf, Bibliothèque historique et
critique des auteurs de la congrégation de Saint-Maur,
in-12, La Haye, 1726, p. 172-174; dom Tassin, Histoire
littéraire de la congrégation de Saint-Maur, ln-4°, Bruxelles,
1770, p. 195; [dom François], Bibliothèque générale des
écrivains de l'ordre de saint Benoit, t. i, p. 388; Diction-
nairc des livres jansénistes, in-12, Anvers, 1755, t. i, p. 386;
Moréri, Dictionnaire historique, in-fol., 1759, t. v b, p. 180;
Hurler, Nomcnclator, 1910, t. iv, col. 826, note.
B. Heurtibize.
GEZON, premier abbé de Saint-Pierre et de Saint-
Marien de Tortone, en Lombardie, a écrit son traité de
l'eucharistie, comme il le dit dans sa préface, sous
le pontificat de Giselprand vers 950. Voir Ughelli,
Ilalia sacra, t. iv, p. 855. Il était prêtre de son diocèse,
quand cet évêque le revêtit de l'habit bénédictin,
pour le mettre à la tête du monastère qu'il venait
de fonder. Son traité, De corpore et sanguine Christi,
1341
GEZON
GHIL1M
1342
n'est guère qu'une transcription de celui de saint Pas-
chaseRadbert, auquel il a emprunté 23 chapitres. Manil-
lon, qui en avait trouvé deux manuscrits, n'a publié que
la préface et les titres des chapitres. Musœum ilalieum,
t. i, p. 89-95. Cf. p. 164, 207. Muratori, qui disposait
d'un troisième manuscrit de l'Ambrosienne de Milan,
en a édité la plus grande partie du texte, en omettant
seulement les chapitres empruntés à Radbert et les
passages cités des Pères, saint Cyprien, saint Ambroise,
saint Augustin et saint Grégoire. Anccdota, 1713, t. ni,
p. 237 sq. Migne a reproduit cette édition. P. L.,
t. cxxxvn, col. 371-406.
Ziegclbauer, Historia rei literariœ ordinis S. Benedicti, t. in,
p. 662; t. iv, p. 71 ; (doni François), Bibliothèque générale des
écrivains de l'ordre de S. Benoit, t. i, p. 390; Mabillon, An-
nalcs ordinis S. Benedicti, in-fol., Lucques, 1739, t. ni, p. 467;
Muratori, P. L., t. cxxxvn, col. 369-372; Hurter, Nomencla-
tor, 1903, t. i, col. S73, note.
E. Mangenot.
1. GHEZZ9 François, dominicain italien, né à Cùme
vers le commencement du xvne siècle. Il appartenait
à la province dominicaine de Lombardie, mais nous
ne savons à quel couvent. Après avoir enseigné la
théologie en plusieurs maisons de son ordre, à Cré-
mone, Vicence, Pavie, Plaisance, nous le retrouvons
tector primarius à Casale, en 1630; puis au studium
générale de Bologne, où il remplit les fonctions de
bachelier, puis de régent des études. C'est là aussi
qu'il reçut le grade de maître en théologie. Échard
dit que Ghezzi fut préposé au gouvernement de la
province de Lombardie. C'est peut-être une erreur; 1
nous trouvons, en effet, pour cette époque la liste
complète des provinciaux, sans que nous y voyions ]
figurer Ghezzi. Il fut en plusieurs endroits consulteur |
du tribunal de l'Inquisition. Mais il s'adonna surtout
à l'étude de saint Thomas et des questions de théo-
logie morale. On a de lui : 1° Théologies moralis sive
casuum conscienlix e D. Thomœ Aquinalis docloris an-
gclici, ac diuinœ volunlalis interprelis doctrina, 2 in-4°,
Plaisance, 1628-1629; 2" Arcana Ihcologiœ sclccliora
de Dco, de Verbo încarnato, de sacramenlis et de statu
scparalorum, in-4°, Pavie, 1030; Milan, 1630; 3° Thé-
saurus animx ex morali thcologia ad sensum D. Thomœ
Aquinalis explicala colleclus, etc. In hoc opère theologia
moralis omniscii D. Th. Aq. diuinœ volunlalis inlerprelis
in formam redigilur scholasticam, dilucidatur, ab objeclis
recenliorum omnium uindicalur, et quod sil fons omnium
summislurum manijcslalur, 4 in-fol., Milan, 1639. Le
même ouvrage parut sous une forme plus abrégée, avec
ce titre : Summa Ihcologiœ moralis doctoris angelici
D. Thomœ ex omnibus ipsitts operibus deprompla el ad
commodiorem usum ordine alphabetico digestet, 2 in-4°,
Plaisance, 1628-1629 ;in-8°, Avignon, 1668; in-12, Bor-
deaux, 1671 ; in-8°, Lyon, 1677 ; Anvers, 1681, etc. Louis
Bancel, dominicain, mort en 1685, donna à son tour une
édition de la théologie morale de Ghezzi, mais considéra-
blement modifiée, comme l'annonce le litre lui-même ;
Moralis D. Thomœ doctoris angelici ordinis prœdicaiorum
ex omnibus ipsius operibus ita exacte' deprompla, ulcen-
seri pessit opus novum, omnibus cujusque conditionis
personis, sed maxime confessariis cl concionaloribus
iitilissimum, in eo enim nedum casus conscientiœ resol-
vunlur, sed omnia cliam quœ ad mores speclant, mirum
in modum cxplicanlur. Adjecla sunt variis in locis décret i
summorum ponlificum, quibus juxla doclrinam S. docto-
ris plures opinioncs morales damnalœ fucrunl. Accedil
quoque opusculum de caslilale, in quo novum ac singu-
lare tradilur remedium, lam facile quam efficax ad hanc
virtulcm conjerens el etiam ad sanilalem, 2 in-4°, Avi-
gnon. Voir t. ii, col. 139.
Echard, Scriplores ordinis pra'dicatorum, Paris, 1719-
1721, t. it, p. 501, 506; Richard et Giraud, Dictionnaire
universel des sciences cédés., art. Glic'Ti ; Hurter, Norncn-
clator, Inspruck, 1907, t. ni, col. 889. R. CoCLON.
2. GHEZZI Nicolas, jésuite italien, né à Domaso,
sur le lac de Côme, le 13 mars 1683, admis dans la
Compagnie de Jésus le 20 octobre 1729. Successivement
professeur d'humanités, de rhétorique et de philosophie,
il se consacra bientôt à la théologie et acquit un
grand renom par ses travaux sur l'histoire du pro-
babilisme qui lui valurent aussi de très vives attaques
et de sérieux ennuis. Son premier ouvrage Saggio de'
Supplcmenti tcologici, morali c crilici, di cui abbisogna
la Sloria dcl probabilismo c dcl rigorismo, Lucques,
1745, lui attira les critiques acerbes de Daniel Concina
dans YEsame leologico del libro intitolato Saggio...,
Venise, 1745. Le P. Zaccaria avait déjà pris la défense
de son confrère, quand celui-ci publia ses Riflcssioni
su l'Esame leologico del Saggio de' Supplcmenti...,
Lucques, 1745. Le champ de la dispute s'étendit
aussitôt entre probabilistes et antiprobabilistes. Les
Pères C. Noceti, J. Sanvitale, J. François Richelmi
publièrent alors leurs traités en faveur du probabi-
lisme et la lutte devint ardente entre les deux camps.
Le P. Ghezzi crut devoir, pour la clarté de la discus-
sion, ramener la question aux principes premiers de la
morale philosophique. Il publia ses deux volumes
De' principi delta morale filosofia risconlrali co' principi
delta catlolica religione, Milan, 175S, ouvrage qui
souleva des tempêtes. Cf. Nova acla eruditorum Lipsiœ,
1754, p. 616 sq. Les adversaires du P. Ghezzi essayèrent
vainement de faire mettre l'ouvrage à l'Index. L'au-
teur crut opportun toutefois de publier une déclaration
sur quelques points plus vivement contestés, elle se
trouve dans la Storia letl. d'Italia, du P. Zaccaria,
t. ix, p. 72-82. Les antiprobabilistes firent paraître
à leur tour cette déclaration illustrée de commentaires
défavorables sous ce titre tendancieux : Ritratlazione
/alla dal P. Ghezzi per ordine delta S. C. dell' Indice.
Cf. Zaccaria, op. cit., p. 68; Nouvelles ecclésiastiques,
1754, p. 185; 1755, p. 116 ; 1758, p. 17. Le P. Ghezzi
mourut à Côme, au milieu de ces âpres discussions,
le 19 décembre 1766, fort ému du bruit qui se faisait
en Italie, en France et en Espagne autour de son nom
et des attaques violentes dont les doctrines de la
Compagnie de Jésus étaient l'objet à cause de lui.
Voir t. ii, col. 683-681.
Sommervogel, Bibliothèque de la C" de Jésus, t. ni,
col. 1377 sq. ; Zaccaria, Storia letl. d'Italia, t. ix, p. 72 sq.;
t. v, p. 134-148; t. vi, p. 142-164; Mémoires de Trévoux,
1744, p. 1032 sq. ; Mémoires pour servir de suite « l'histoire
de la morale des jésuites, 1762, p. 67; Hurter, Nomenclator,
3" édit., t. iv, col. 1627.
P. Bernard.
GH1L Joseph, jésuite autrichien, né à Prague
le 1er mars 1692, admis au noviciat de la Compagnie
de Jésus le 9 octobre 1707, enseigna les humanités, la
philosophie, puis pendant de longues années la théo-
logie morale et le droit canonique à Prague et devint
préfet des études et chancelier à l'université d'Olmutz.
Il reste de lui les ouvrages suivants : 1° Prodromus
malrimonii sive contractas sponsdlium, Prague, 1730;
2° Vulgatum virtutum cardinalium quaiernarium do-
ctrina spcculalivo-morali compendiose clucidalum, 01-
mutz, 1735; 3° Amussis vilœ moralis sive conscientia
proxima el interna actionum humanarum régula,
Olrnutz, 1737; 4° Homo mortalis resurgens ad immor-
talitatem methodo scolaslica theologice expensus, Olrnutz,
1758; 5° Immaculata virgo Maria, ibid., 1742. Le P.
Joseph Ghil mourut à Prague le 22 septembre 1746.
Sommervogel, Bibliothèque de la O de Jésus, t. ni,
col. 1410 sq.; Hurter, Nomenclator, 3° édit., t. iv, col. 1641.
P. Bernard.
GHILBN1 Jérôme, jurisconsulte, né à Monza,
le 19 mai 1589, mort à Alexandrie vers 1675. Ses
premières études terminées au collège des jésuites
L343
GHILINI — GIAGOMELLI
1344
de Milan, il alla à Panne suivre les cours de droit.
Devenu veuf, il entra dans les ordres et se fit recevoir
docteur en droit canon. Il fut abbé de Saint-Jacques
de Cantalupo, clans le diocèse de Naples, protonotaire
apostolique et chanoine de Saint-Ambroise de Milan.
Il ne resta que cinq années dans cette ville et vint
habiter à Alexandrie, où il termina sa vie. J. Ghilini
a publié, outre un volume de poésies : Dcl theatro d' uo-
mini klkrati, in-8°, Milan, 1633; in-4°, Venise, 1647;
Annali d' Alessandria délia suo origine flno ail' anno
MDCLIX, in-fol.. Milan, 1636; Praclabilcs casuum
conscienliœ resoluliones brevissimis conclusionibus cx-
plicalœ, in-8°, Milan, 1636.
Ph. Argelati, Bibliothcca scriptorum Mediolanensium,
in-fol., Milan, 1745, t. i, col. CS1 ; Tiraboschi, Sloria dcUa
Mlcralura italiana, in-8°, Milan, 1824, t. vm, p. 603, 624;
Nicéron, Mémoires pour servir à l'histoire des hommes
illustres, t. xxxix, p. 123; Moréri, Dictionnaire historique,
in-fol., 1759, t. v b, p. 184.
B. Heurtebize.
GIACOBAZZI (JACOBATIUS) Dominique appar-
tenait à la noble famille romaine des Iacobacci de
Faceschi, dont il fut le premier cardinal. Né vers le
milieu du xve siècle, il s'était plus spécialement appli-
que à l'étude du droit et en 1485 il obtenait une place
d'avocat consistorial. Quelques années plus tard, on le
trouve auditeur de Rote; en 1503, il est chanoine de
Saint-Pierre, avec une dispense pour le cumul des
bénéfices. Le 8 novembre 1511, Jules II lui confère le
siège épiscopal de Nocera de' Pagani et, comme tel
Giacobazzi prend part au concile du Latran. En 1513,
nous le voyons revêtu du titre et des fonctions de rec-
teur du Collège romain, de référendaire de la Signature
et de vicaire du pape pour le gouvernement spirituel
de Rome. Le 16 juillet 1517, Léon X le créait cardinal
du titre de Saint-Laurent in Panispcrna, qu'il aban-
donnait quatre jours après pour celui de Saint-Barthé-
lemy-en-rile. Le 14 août de la même année, il résignait
son évèché de Nocera en faveur de son frère André, qui
lui succédait également comme vicaire de Rome, et le
20 du même mois il optait pour le titre cardinalice de
Saint-Clément. Le 2 décembre 1519, il était pourvu du
siège épiscopal de Cassano, dont il se démit en faveur
de°son neveu Christophe, le 23 mars 1523, pour
reprendre celui de Nocera devenu vacant par la mort
du titulaire. La date du décès de Giacobazzi est incer-
taine; celle du 2 juillet 1527 paraît la plus vraisem-
blable, car le 13 janvier 1528 il avait un successeur à
Nocera; on sait seulement qu'il mourut hors de Rome,
ce qui a contribué à rendre douteux le lieu de sa
sépulture. On vante sa piété, sa science, sa courtoisie
et son habileté dans le maniement des hommes et des
affaires. Le cardinal Colonna le portait comme pape
au conclave où fut élu Clément VII. On attribue à
Giacobazzi des écrits De donalione Conslantini impe-
raloris et De ulroquc gladio in Eeclesia. Son neveu
Christophe, devenu cardinal à son tour, édita et dédia
à Paul III un volumineux ouvrage qu'il avait laissé
manuscrit, De concilia traclalus, in-fol., Rome, 1538.
Divisé en dix livres, cet ouvrage a mérité de trouver
place dans les grandes collections des conciles : Labbe
et Cossart, Apparatus II; Mansi, Paris, 1903, Intro-
ductio. Il avait déjà été réédité dans les Traclalus
uniuersi juris in untun collecli, Venise, 1581, t. xm, et
en partie, 1. III-X, par Roecabcrti, Bibliulhcca maxima
pontificia, Rome, 1698, t. ix.
Ciacconio-Oldoini, Vite et rcs gcslœ ponliflcum roma-
norum, Rome, 1677, t. m, col. 383; Jos. Carafa, De gijm-
nasio romano et ejus pro/essoribus, Rome, 1751; Moroni,
Dizionario di erudizione storico-ecclesiastica, Venise, 1846,
t. xxvi ; Ilurter, Nomenclator, Inspruck, 1906, t. n, col. 1225;
Paslor, Geschichle der Pàpste, Fribourg, 1906-1907, t. iv a
et 6; G. Van Gulik et C. Eubel, llierarchia cathoUca medii
sévi, Munster, 1910, t. tu. P. Edouard d'Alençon.
GIACOMELLI michei-Ange était né à Pistoie le
11 septembre 1695. Après avoir appris dans sa ville
natale tout ce que ses maîtres lui pouvaient enseigner,
il obtint en 1714 une place de boursier au collège de
Pise, et là se perfectionna dans les lettres et les sciences,
sans négliger la théologie, dont il couronna l'étude par
le grade de docteur en 1718. Son évêque lui offrait une
situation dans son diocèse, on lui proposait une chaire
à l'université de Pise; comme il préférait étudier, il
accepta avec empressement le poste de bibliothécaire
près de son compatriote le cardinal Fabroni, qui lui
permettrait de vivre au milieu des livres. Il travailla
avec le cardinal, qu'il seconda dans sa lutte énergique
contre le jansénisme et on lui attribue la rédaction de
certains Avvisi dali al crislianesimo intorno gli errori dcl
(jianscnismo c quesnellismo. Après la mort de Fabroni
(1727), Giacomelli passa au service du cardinal Colli-
gola, qui mourut en 1730; il s'attacha ensuite à la
famille Sacchetti, s'occupant de l'instruction des
enfants. En 1737, Clément XII le mit au nombre de ses
chapelains secrets et deux ans après il le faisait béné-
ficier de Saint-Pierre. Ces faveurs étaient méritées,
car tout en cultivant les belles-lettres, Giacomelli
mettait sa plume au service de l'Église et l'employait à
défendre ses intérêts, comme le montrent les Ragioni
délia sede aposlolica ncllc presenti controversie colla
Corte di Torino, 4 in-fol., Rome, 1732. IJ fut également
apprécié par Benoît XIV, dont il traduisit en latin les
Commentant de D. N. Jesu Chrisli Matrisquc ejus jeslis
et de missse sacrificio, retraclali atque aucti, in-fol.,
Padoue, 1745. Clément XII le nommait en 1759 secré-
taire pour les lettres latines et en 1762 secrétaire des
brefs aux princes. Quatre ans plus tard, il lui donnait
une stalle de chanoine à Saint-Pierre et bientôt après,
le 3 octobre 1766, il le créait archevêque titulaire de
Chalcédoine. Ce fut la fin de la carrière de Giacomelli :
Clément XIV, en elîet, circonvenu, dit-on, par des
jaloux, ne lui continua pas la confiance de ses prédé-
cesseurs. On a voulu voir dans cette mise à la retraite
une disgrâce causée par l'attachement du prélat aux
jésuites, mais peut-être fut-elle simplement motivée
par ses soixante-quatorze ans. Son esprit de foi et son
amour pour les livres lui firent oublier ce que la déci-
sion pontificale pouvait avoir de fâcheux, et il continua
ses travaux sur Platon, mais la mort ne lui laissa pas
le loisir de publier les Réflexions dont il avait préparé
le manuscrit. Elle arriva presque subitement, à la
suite d'un débordement de bile, le 17 avril 1774.
Très versé dans l'étude des classiques, Giacomelli
traduisit et publia en italien les Mémorables de Xéno-
phon, les Amours de Chéreas et de Callirhoé de Chariton,
1752, réédités dans la Collezione degli crolici greci, Flo-
rence, 1833, Y Electre de Sophocle, et le Promélhéc en-
chaîné d'Eschyle, 1754; il écrivit en un latin classique
des Prologues aux comédies de Piaule et de Térence, Rome.
1738; Pistoie, 1774. Ce n'étaient là que les délasse-
ments d'un humaniste qui avait fondé à Rome avec
des amis un Giornale de' lellerali, auquel il collabora
pendant les dix-huit années de son existence (1742-
1760). Il s'occupait, en effet, en même temps de tra-
vaux plus ecclésiastiques : au mois de juillet 1741, il
lisait, dans une séance au palais apostolique du Qui-
rinal, une dissertation historique De Paulo Samosa-
teno deque illius dogmatc cl hœrcsi. Dans la suite, il
édita Di S. Giovanni Crisostomo dcl saccrdo:io libri
sei volgarizzali e con annolazioni illuslrali, Rome, 1747,
puis S. Patris noslri Modesli archiepiscopi Ilierosoly-
milani encomium in dormitioncm SS. Deiparœ e grœco
latine reddilum cl notis illuslralum, in-4°, Rome, 1760;
P. G., t. lxxxvi, col. 3277-3312. Son dernier ouvrage,
Philonis episcopi Carpasii enarralio in Canticum canti-
corum grœcum texlum adhuc inedilum quamplurimis in
locis depravaturn cmendavil et nova interprétation
1345
GIACOMELLI — GIBERT
1346
adjccla nunc primum in lucem profert Michael Angélus
Giacomellus archiepiscopus Chalccdonensis, in-4°, Rome,
1772; P. G., t. xl, col. 9-154, montre que jusqu'à la
fin il conserva la verdeur de sa belle intelligence, car
il avait alors plus de soixante-quinze ans. On dit
qu'étant jeune, Giacomelli étudia spécialement la
géométrie; il avait aussi cultivé la poésie et sa pre-
mière œuvre fut une Raccolta di poésie per la solenne
coronazione délia S. immaginc di Maria Vergine dell'
Umiltà, Pistoie, 1715. Il n'avait pas non plus négligé
les beaux-arts, et il pouvait à bon droit prononcer au
Capitole, en 1739, une Orazione in Iode délie belle arti,
car il connaissait au moins la musique; on en a la
preuve dans La pace universale, componimento in
musica, Rome, 1751, publiée à l'occasion de la nais-
sance du duc de Rourgogne. Parmi les manuscrits
qu'il laissa, on mentionne un Ragionamento epislolarc
a monsignore Ignazio Buoncompagni Ludovisi sul
metodo da lenersi per impararc la lingua greca.
A. Matani, Elogio di Michel Angelo Giacomelli, Pise,
1775; Michaud, Biographie universelle, t. xvn, p. 293;
Richard et Giraud, Dizionario universale délie scienze eccle-
siastiche, Naples, 1846; Picot, Mémoires pour servir à l'Iiis-
toire ecclésiastique du XYlll" siècle, 3e édit., Paris, 1855,
t. iv, p. 479; Moroni, Dizionario, t. xxx, p. 200; Hurter,
Nomenclator, t. v, col. 87, note; Feller, Dictionnaire his-
torique.
P. Edouard d'Alençon.
GIBALIN (Joseph de), jésuite français, né dans le
Gévaudan, au diocèse de Mende, le 22 février 1592,
reçu dans la Compagnie de Jésus le 22 octobre 1607.
Après avoir enseigné la grammaire, les humanités,
la rhétorique et la philosophie, il occupa pendant
dix-huit ans la chaire de droit canonique au scolasticat
de Lyon avec une grande réputation de science que
la publication de ses divers traités sur des matières
canoniques alors spécialement discutées répandit bien-
tôt dans toute la France et à l'étranger. Le cardinal
de Richelieu lui demanda de rédiger un écrit « sur la
justice des armes de Louis XIII » et les juristes les
plus renommés le consultaient avec déférence dans les
cas embarrassants. Voici la liste de ses principaux
ouvrages : 1° Disquisitioncs canonicœ de clausura
regulari ex veleri et novo jure, Lyon, 1648; 2° De
irregularilalibus et impedimcnlis canonicis sacrorum
ordinum susccptionem et usum prohibcnlibus, Lyon,
1752; 3° Disquisitiones canonicœ et theologicœ de sacra
jurisdictione in ferendis pœnis et censuris ccclesiaslicis
ex veleri et novo jure, Lyon, 1656; 4° De usuris, commer-
ças, deque œquilale et usu fori Lugdunensis, cum accu-
rala usurarum, ejus quod inlerest, annorum rcdiluiim,
cambioriim, socictatum cl contracluum omnium explica-
lione, ex jure nalurali, ecclesiastico et civili, gallico et
romano, ibid., 1656. Ce traité, curieux par la nature
des problèmes soulevés et des solutions fournies,
contient les plus précieux renseignements sur les
opérations financières de l'époque; la II0 partie
instamment réclamée parut l'année suivante, sous ce
titre : Pars secunda complectens prœslanliorcs annuas
societates et cambia, ibid., 1657; 5° De simonia universel
traclalio thcologica cl canonica, in qua innumerœ
quœslioncs de sacris junclionibus sacramentorum admi-
nislratione, missarum slipendiis, dolibus monialium,
collatione, resignalionc et commulationc beneficiorum
ad usum utriusque fori explicanlur, ibid., 1659; 6° De
universa rerum humanarum negoliatione traclalio
scicnliftca utrique foro perutilis, 2 in-fol., ibid., 1663;
c'est un des premiers traités de droit canonique qui
ait cherché à élucider les questions d'économie poli-
tique et sociale; il mérite à ce point de vue le plus
grand intérêt; 7° Senlenlia canonica et lùerapolilica,
opus in quo singula qwz toto corpore juris ponlificii
sparsa sunt, ad certa et indubitata principia reducuntur,
privati Galliz niores ac jura cum romanis conciliantur,
DlCf. DE THEOL. CATHOL.
3 in-fol., ibid., 1670. Le P. Joseph'de Gibalin mourut
à Lyon l'année suivante, 14 décembre 1671, au mo-
ment oi'i il entreprenait la rédaction d'un ouvrage de
droit canonique et de morale dont la matière, rigou-
reusement divisée, devait comprendre quinze volumes.
Ses immenses travaux n'absorbaient point toute son
activité; il gouvernait en même temps le collège et le
noviciat de Lyon, dirigeait plusieurs communautés
religieuses qu'il réforma très heureusement en leur
donnant des règles qui furent sans le moindre change-
ment approuvées par le Saint-Siège. La sainteté du
P. de Gibalin, non moins que sa science et la prudence
de sa direction, lui avait valu la confiance et la pro-
fonde amitié de l'archevêque Camille de Neuville.
Sommcrvogel, Bibliothèque de la C'° de Jésus, t. ni,
col. 1400-1402; Hurter, Nomenclator, 3e édit., t. iv, col.
1657 sq.
P. Bernard.
GIBBONS Jean, jésuite anglais, né en 1544 près
de Wels, dans le Sommersetshire. Après de solides
études théologiques faites à Rome au Collège romain,
il devint chanoine de Bonn, mais renonça bientôt à
cette dignité qui en présageait d'autres pour entrer au
noviciat de la Compagnie de Jésus à Trêves en 1578.
Professeur de théologie fort remarquable, il ne tarda
pas à être nommé recteur du collège de cette ville où il
était vénéré de tous, mais sans renoncer pour cela aux
travaux de controverse concernant plus spécialement
l'anglicanisme. Il nous reste de lui : 1° Concerlalio
Ecclesiœ calholicœ in Anglia adversus calvinopapislas
et puritanos, Trêves, 1583, ouvrage qui contient une
fort émouvante et solide apologie des martyrs anglais
et de la valeur de leur témoignage ; 2° De sacrosancla
communione sub una specie, ibid., 1583; 3° Disputalio
Ihcologica de sanctis complectens omnes fere quaslioncs
noslri temporis controversas de illorum origine, canonisa-
lione, veneratione, vocationc, diebus festis, votis, peregri-
nationibus, rcliquiis cdque miraculis, ibid., 1583. Atteint
d'une grave maladie, le P. Jean Gibbons fut envoyé
à Willich pour se rétablir, puis transporté mourant
à l'abbaye d'Himmerod où il rendit saintement le
dernier soupir le 3 décembre 1589.
Sommervogel, Bibliothèque de la C" de Jésus, t. m, col.
1402-1404; Hurter, Nomenclator, 3" édit., t. m, col. 170.
P. Bernard.
GIBERT Jean-Pierre, issu d'une bonne famille de
robe, naquit à Aix au mois d'octobre 1660. Joseph
Gibert, son père, était conseiller du roi et référendaire
au parlement de Provence. Jean-Pierre entra dans la
cléricature, sans toutefois vouloir monter aux ordres.
Muni de ses grades en théologie et in utroque jure, il fut
invité, par l'évêque de Toulon, a enseigner dans son
séminaire; au bout de peu d'années, il revint à Aix, sur
les instances de sa famille, où il remplit les mêmes
fonctions. En 1703, Gibert se rendit à Paris; bénéfices
et emplois, il refusa tout, vivant simplement et secou-
rant généreusement les pauvres. Sa réputation de
canoniste le faisait consulter par tous et il mettait sa
science à leur disposition, tout en travaillant à la com-
position de nombreux ouvrages, conçus, cela se com-
prend, dans un esprit gallican très accentué, ce qui ne
l'empêchait pas d'être un prêtre pieux et zélé. Une
attaque d'apoplexie l'emporta le 2 novembre 1736. Il
laissait un bon nombre d'ouvrages dont voici la liste :
Les devoirs du chrétien renfermés dans le psaume cxvni,
in-12, Paris, 1705; Cas de pratique concernant les sacre-
ments en général et en particulier, in-12, Paris, 1709;
Doclrina canonum in corpore juris inclusorum circa con-
sensum parentum requisitum ad malrimonium filiorum
minorum disquisitio hislorica. in-12, Paris, 1709; mal-
gré le décret du concile de Trente, sess. xxiv, c. i,
De reform., il y soutient que les mariages des mineurs,
contractés sans le consentement des parents, sont nuls,
VI. - 4a
1347
GIBERT — GILBERT
1348
ou tout au~moins annulables par l'autorité compé-
tente, civile ou ecclésiastique; Mémoires concernant
l'Écriture sainte, la théologie scholaslique et l'histoire de
l'Église, pour servir aux conférences ecclésiastiques,
in-i'2, Luxembourg, 1710; Institutions ecclésiastiques
et bénéficiâtes suivant les principes du droit commun et
les usages de France, in-4°, Paris, 1720; 2° édit., 2 in-4°,
ibid., 1736; Dissertations sur l'autorité du second ordre
dans' le synode diocésain, in-4°, Rouen, 1722; Usages
de l'Église gallicane concernant les censures et irrégu-
larités, in-4°, Paris, 1724; on trouve aussi des exem-
plaires avec la date de 1750; Consultations canoniques
sur les sacrements en général et en particulier, 12 in-12,
Paris, 1725 ; Tradition ou histoire de l'Église sur le sacre-
ment 'de mariage, 3 in-4°, Paris, 1725; il y démontre, dit
1 lurter, que le mariage a été de tout temps soumis à la
juridiction de l'Église; Corpus juris canonici per régulas
nalurali ordine digestas usuque temperatas, ex eodem
jure et conciliis, Patfibus atque aliunde desumptas expo-
sili, 3 in-fol., Cologne, 1735; Genève, 1756; Lyon, 1737.
Gibert se proposait, dit-on, de traduire cet ouvrage en
français, quand il fut surpris par la mort: Les tendances
gallicanes, dont il cherche à se départir, se retrouvent
cependant dans cet ouvrage important et par la ma-
nière nouvelle employée par l'auteur et par la vaste
érudition juridique qui remplit ces pages. Après sa
mort parurent les Conférences de ledit de 1695 (sur la
juridiction ecclésiastique) avec les ordonnances précé-
dentes et postérieures sur la même matière, 2 in-12, Paris,
1757. Gibert enrichit de notes et de la vie de l'auteur
l'édition du Traité de l'abus de Charles Févret, Paris,
1736, et celle de la Theoria et praxis juris canonici de
Jean Cabassut, Lyon, 1738, bien qu'il s'y éloigne des
sentiments de l'auteur. On trouve aussi une editio novis-
sima du Jus ecclesiasticum universum de van Espen,
bien postérieure à sa condamnation (26 avril 1734),
annolationibus Joannis Pétri Giberli nuperrime aucla
et illuslrala, Venise, 1769 et 1781-1782. Il existe un
Éloge de Gibert par l'abbé Goujet, Paris, 1736; et on
trouve un Abrégé de sa vie dans la Lettre à M. Gibert,
professeur de rhétorique au collège Mazarin du P. Bou-
gerel, Paris, 1737.
P. Bougerel, Mémoires sur les' hommes illustres de Pro-
vence, Paris, 1752; Mémoires de Nicéron, t. xl: Michaud,
Biographie universelle, t. xvn, p. 317; Hurter, Nomenclator,
Inspruck, 1910, t. iv, col. 1285-1287, où l'on trouve de
nombreux renvois au Journal des savants et aux Mémoires
de Trévoux de l'époque.
P. Edouard Alençon.
GIBIEUF Guillaume, né à Bourges à la fin du
xvie siècle, fut un des premiers membres de l'Oratoire
où il entra en 1612, quittant la maison de Sorbonne,
ce qui occasionna la levée de boucliers du fameux
Edmond Richer contre la nouvelle congrégation.
Homme de tête et de grand bon sens, il fut le bras
droit du P. de Bérulle, spécialement pour les affaires
des carmélites de France dont, après la mort du
fondateur de l'Oratoire, il resta l'un des supérieurs.
Il publia en 1630 un traité: De liberlalc Dei et creaturœ,
qui fut vivement attaqué par les jésuites Th. Raynaud
et Annat, et où, a-t-on écrit, il se montre précurseur
du jansénisme. Mais s'il semble bien, en effet, que ses
idées sur la liberté se rapprochent de celles qu'allait
soutenir Jansénius dans l'A ugusl inus, jamais Gibieuf
ne donna son adhésion à une doctrine condamnée
par l'Église, et comme dit Hurter, sincère doctrinam
calholicam amavil, et, erroribus Jansenii damnatis, eas
i i corde reprobavit. En 1644, il écrivit une circulaire
aux carmélites pour les prémunir contre les erreurs
«le Port-Royal et leur interdire la lecture des ouvrages
de la sixte. En 1637, il publia un ouvrage sur les Gran-
deurs de la sainte Vierge, « qui passa plus paisiblement, »
comme dit Batterel. Un dernier ouvrage, Catéchèse
de la vie parfaite, composé pour les carmélites, ne fut
publié qu'en 1653. Le P. Gibieuf était ami de Descartes
et de Mersenne. Premier supérieur du séminaire
archiépiscopal de Saint-Magloire, il y mourut le
6 juin 1650.
Cloyseault, t. i, p. 138; Batterel, Mémoires, t. i, p. 233:
Ingold, Supplément ù la bibliographie oralorienne ; P. Féret,
La faculté de théologie de Paris et ses docteurs les plus célè-
bres. Époque moderne, Paris, 1907, t. v, p. 324-330.
A. Ingold.
GIBONAIS (Jean Artur de la), jurisconsulte, né
à Saint-Malo. le 16 février 1049, mort à Paris en jan-
vier 1728. Il commença par l'étude de la théologie
qu'il abandonna bientôt pour celle du droit. Au mo-
ment de sa mort, il était doyen de la chambre des
comptes de Bretagne. Il publia : De l'usure, interest et
profit qu'on tire du presl, ou l'ancienne doctrine sur le
presl usuraire opposée aux nouvelles opinions, in-12,
Paris, 1710 : ouvrage contre un écrit de René de la
Bigottière, président aux enquêtes du parlement de
Bretagne qui avait paru trop favorable à l'usure.
On doit encore à Jean de la Gibonais : Maximes pour
conserver l'union dans les compagnies, in-8°, Nantes,
1714; Recueil des édits, ordonnances et règlements con-
cernant les fondions ordinaires de la chambre des comptes
de Bretagne, tiré des titres originaux estant au dépôt
de ladite chambre, divisé en quatre parties cl mis en
ordre suivant la nature des matières, in-fol., Nantes,
1721 ; Succession chronologique des ducs de Bretagne
avec quelques observations et actes principaux, in-fol.,
Nantes, 1723.
De Kerdanet, Notices chronologiques sur les théologiens,
jurisconsultes... de la Bretagne, in-8°, Brest, 1818, p. 223;
Ropartz, Études sur quelques ouvrages rares et peu connus
du XVIIe siècle, écrits par des Bretons ou imprimés en Bretagne,
in-8°, Nantes, 1878, p. 217; dans la Revue de Bretagne et
de Vendée, 1863, t. i, p. 417; Levot, dans Revue celtique,
1871, t. I, p. 447; R. Kerviler, Répertoire général de bio-
bibliographie bretonne, in-8°, Rennes, 1880, t. i, p. 300;
Quérard, La France littéraire, t. iv, p. 426.
B. Heurtebize.
GIL Christophe, jésuite portugais, né à Braga
en 1555, admis dans la Compagnie de Jésus le 10 no-
vembre 1569. Professeur de théologie à l'université
de Coïmbre, puis à Évora, il se fit remarquer par la
profondeur de ses aperçus et la rigueur de sa méthode.
Porté de préférence, par la nature de son esprit et le
caractère de son éducation première, vers les questions
d'ordre spéculatif, il a laissé un important ouvrage sur
l'essence et l'unité de Dieu, très répandu dans les écoles
au début du xvue siècle : Commcntalionum theologi-
carum de sacra doclrina et essentia atque unilale Dei libri
duo, Lyon, 1500; Cologne, 1610; 1619; 1641. Nommé
censeur des livres à Rome, le P. Gil intervint dans les
discussions religieuses soulevées par les décrets de
la république de Venise relatifs aux biens d'Église et
écrivit une défense du monitoire de Paul V : Scritlo in
difesa de procedimenti di papa Paolo V contro i Decreli
délia republica di Vcnezia sopra i béni acquistati dalle
religiosi. Le P. Christophe Gil mourut à Salamanque
le 7 janvier 1608.
P. Franco, Imagem da Virtuâ em o novic. de Coimbra,
p. 459-469; Sommervogel, Bibliothèque de la C'° de Jésus,
t. m, col. 1411 sq.
P. Bernard.
1. GILBERT Jacques, professeur de théologie à
l'université de Douai, est surtout connu par son atta-
chement au parti janséniste et par le rôle qu'il a joué
dans la fameuse Fourberie de Douai. Né à Arras, il
lit toutes ses études sur les bancs de l'université douai-
sienne. Il était curé de Beaumetz-en-Cambrésis, lors-
qu'eut lieu à Paris l'Assemblée de 1682, et quand furent
moclamés les quatre articles. Le roi voulut forcer les
1349
GILBERT — GILBERT DE LA PORRÉE
1350
professeurs de Douai de les enseigner. Ceux-ci protestè-
rent avec énergie. L'intendant Le Peletier suspendit
alors les cours et les traitements des maîtres, et cher-
cha quelqu'un qui acceptât la Déclaration, afin de lui
donner la première chaire vacante. L'évêque d'Arras,
Guy de Sèva de Rochechouart, qui était ami des jan-
sénistes, proposa Gilbert, alors simple licencié, et le fit
accepter. Le nouveau maître, devenu docteur en 1684,
fut nommé vers la même date prévôt de Saint-Amé et
chancelier de l'université, et fit des adeptes parmi ses
élèves. En 1687, il publia, on devine dans quel esprit,
son Traclalus tlicologico-canonicus de scdis apostolicse
primatu, de conciliorum cecumenicorum auclorilate et
infallibiliiale, de regum in lemporalibus ab omni potestate
humana libertate, in-8°, Douai, 1687. Ce fut probable-
ment vers la même date qu'il composa ses Thèses theolo-
gicse quas exponit eximius D. ac mag. nosler Jacob us
Gilbert S. Th. doctor in Aima Duacena univcrsilatc.
On s'émut de ces doctrines publiquement enseignées.
Cinq docteurs de Sorbonne, par ordre de Louis XIV,
censurèrent ses erreurs jansénistes à propos de la
grâce et déclarèrent que ce docteur ne pouvait continuer
à enseigner sans préjudice grave pour l'université.
L'évêque d'Arras fut obligé de ratifier ce jugement
le 13 août 1687. Gilbert fut forcé de descendre de sa
chaire et envoyé en exil à Saint-Quentin par l'inten-
dant de Flandre, Dugué de Bagnols. Il persévéra malgré
tout à agir dans le sens janséniste.
C'est en 1690 qu'il reçut une lettre tout à la fois singu-
lière et flatteuse. Elle demandait à Gilbert des explica-
tions et des directions de conscience, et elle lui conseil-
lait, en retour, de rester dans ses emplois académiques
pour faire triompher le bon parti. « Gardez le silence,
ajoutait-on ; confiez vos lettres, vos livres et vos papiers
les plus secrets à un exprès sûr, qui les transmettra à
nos amis. Vous attirerez aussi sur vous la protection
de personnes très haut placées. » La lettre était signée :
Antoine A. Point de doute pour Gilbert, il s'agissait
du grand Antoine Arnauld, du pape janséniste. Après
avoir reçu quelques communications du même genre,
Gilbert se dessaisit de tous ses documents. La réponse
ne se fit pas attendre; une lettre de cachet l'exila à
Saint-Flour, puis à Thiers et à Pierre-Encise, non loin
de Lyon.
Gilbert ne fut pas la seule victime de ce mystificateur.
Deux professeurs à la faculté de théologie, Rivette et
Delaleu, et deux licenciés, Malpaix et de Ligny, reçurent
en même temps et par les mêmes voies des communica-
tions analogues. Quand le maître fourbe eut rassemblé
toutes les pièces à conviction, il envoya à la faculté de
théologie, en juin 1691, une dénonciation en règle sous
ce titre : Lettre d'un docteur de Douaij sur les affaires de
son unioersilé.La cause fut portée au conseil du roi, puis
à la Sorbonne (26 décembre), et bientôt après des lettres
de cachet envoyèrent Delaleu au Mans, Rivette à Cou-
tances, Malpaix à Saintes, et de Ligny à Tours, puis à
Carhaix en Bretagne.
Qui fut l'auteur de ces intrigues peu loyales ?
Arnauld accusa successivement le P. de Waudripont,
jésuite, puis les Pères Payen, Desruelles, Beckman,
Tellier et Rayer. Presque de nos jours, Sainte-Beuve
imputa la Fourberie au P. Lallemant. Il paraît certain
pourtant que les jésuites doivent être mis hors de
cause. D'autre part, Picot accuse le théologien Honoré
Tournély, professeur à Douai, d'avoir monté le coup,
ce qui paraît tout aussi invraisemblable. Pour nous,
nous pensons que le coupable est un étudiant ecclé-
siastique dont le style trahit l'origine wallonne et
dont plus tard peut-être on connaîtra le nom.
Quoi qu'il en soit, Gilbert, même dans son exil,
continua à exercer au sein des facultés de Douai son
influence malsaine. En 1702, Fénelon écrivait au
duc de Chevreuse : « L'université est fort affaiblie
et fort gâtée... M. Gilbert donne les canonicats de
Saint-Amé qui sont à sa nomination aux sujets les
plus ardents pour le jansénisme de sorte que Douay
est rempli des plus forts sujets de ce parti. Aussi toute
la jeunesse s'élève-t-elle dans ces sentiments sans
garder de mesure... Tout ce qui a un peu de talent et
d'étude se trouve prévenu. »
En 1711, les alliés s'étant emparés de Douai,
Jacques Gilbert adressa une requête aux députés
Hop et Geldermalsen du conseil d'État de La Haye,
disant que depuis vingt-quatre ans il est tombé en
disgrâce à la cour de France, qu'il a été exilé dans
diverses villes du royaume et finalement interné dans
le château de Lyon; il demandait qu'à l'occasion du
changement de domination à Douai, il pût rentrer
dans cette ville, où il était prévôt du chapitre de Saint-
Amé. Cette démarche ne paraît pas avoir eu de succès.
Gilbert mourut en 1712, et son corps repose à
Pietat, près de Condom. Obscur émule des Gerberon,
des Soanen et des Quesnel, il fit grand mal à l'uni-
versité de Douai. Il fut, presque seul heureusement,
ardent propagateur des idées jansénistes et antiinfaillibi-
listes quela faculté dans son ensemble répudia toujours.
D'Avrigny, S. J., Mémoires chronologiques et dogmatiques,
t. m, année 1691 ; Brou, S. J., Les jésuites de la légende,
t. il, p. 32; Desmons, Gilbert de Clioiseul, évéque de Tournai,
p. 360-301 ; Foppens, Historia et séries doctorum academiœ
Duacensis, ras, de la Bibliothèque royale de Bruxelles 17592;
J. Hild, Honoré Tournély und seine Stelluug zum Janse-
nismus, p. xx, 2S8; Le Glay, Cameracum chrislianum,
p. 110; Mémoires sur le chapitre de Saint-Amé à Douai,
p. 16; Th. Leuridan, Essai sur l'histoire religieuse de la
Flandre wallonne, p. 326; Nouvelles ecclésiastiques du 24 mai
1737; Plouvain, Soiwenirs, p. 280, 492, 798; Quesnel, Mé-
moires importants pour servir à l'histoire de la faculté de
théologie de Douai; Bcusch, Beitrâge zur Geschiehte des
Jesuilenordens, Munich, 1904, p. 69; L. Salembier, Hommes
et choses de Flandre, Lille, 1912, p. 267 sq.; H. Tour-
nély, Prwlec. theolog. de gratia Chrtsti, 1725, t. i, p. 452.
L. Salembier.
2. GILBERT Nicolas-Alain, théologien français,
né à Saint-Malo en 1762, mort en 1821. Il se destina
d'aboi d aux missions étrangères, mais obligé, à cause
de la faiblesse de sa santé, de rentrer dans son diocèse,
il devint curé de Saint-Pern. Après avoir été incarcéré
quelque temps à l'époque de la Révolution, il passa
en Angleterre, et s'établit à Whitby, dans le Yorkshire,
où il fonda une mission. En 1815, il rentra en France,
et eut le premier l'idée des missions à l'intérieur.
Il évangélisa ainsi les environs de Saint-Malo, et
porta son zèle dans une grande partie de la Bretagne.
C'est en Angleterre qu'il exerça son activité littéraire,
en publiant quelques ouvrages de controverse dont
voici les titres : A vindication of Ihe doctrine of the
calholic Church on the eucharist, Londres, 1800; An
enquiry if the marks of the (rue Church are applicable
lo ihe presbyterian Churches, Berwick, 1801; The
calholic doctrine of baplism proved bij Scriplures and
tradition, Berwick, 1802; A replu lo the falsc interpré-
tations lhat John Wesley has put on calholic doctrine,
Whitby, 1811.
Hoefer, Nouvelle bibliographie générale, Paris, 1857;
Dictionarg o/ national biography, Londres, 1908.
A. Gatard.
3. GILBERT DE LA PORRÉE. — I. Vie. II. Œu-
vres. III. Doctrines. IV. Influence.
I. Vie. — Gilbert de la Porrée (Gilberlus ou Gilli-
bertus ou Gisleberlus Porrelanus) naquit à Poitiers,
vers 1076. Passionné pour l'étude, il suivit les leçons
d'Hilaire, à Poitiers, de Bernard de Chartres, plus
connu sous le nom de Bernard Sylvestris, à Chartres
(vers 1100), puis, à Laon, des deux frères Anselme et
Raoul. De là il rentra probablement à Poitiers, et y
ouvrit une école. C'est à ce moment, d'après A. Clervaï.
1351
GILBERT DE LA PORRÉE
1352
Les écoles de Chartres au moyen âge, Chartres, 1895,
p. 164, qu'il aurait adressé à Bernard de Chartres la
lettre que l'on a supposée, mais à tort, écrite par lui
en 1141, lors de son dernier retour en sa patrie, et dans
laquelle il manifestait le vœu de revenir auprès de son
ancien maître. Nommé chancelier de l'église et, à ce
titre, préposé aux écoles chartraines, Bernard le manda.
Gilbert apparaît comme chanoine de Chartres dans un
document de 1124, et comme chancelier dans des textes
qui s'échelonnent de 1126 à 1137. Sur sa résidence de
plus de douze ans à Chartres les détails précis sont
rares. C'est alors qu'il écrivit la plupart de ses ouvrages
sur l'Écriture sainte, la théologie et la philosophie. Il
fut vite un maître en renom; une brillante foule de
disciples se groupa autour de sa chaire. Il s'éleva
contre les cornificiens, paresseux ou arrivistes, qui
protestaient contre la longueur du temps consacré aux
études. Jean de Salisbury, Mctalogicus, i, 5, P. L.,
t. cxcix, col. 832, dit qu'il avait coutume de leur con-
seiller le métier de boulanger, « le seul qui accepte
tous ceux qui n'ont pas d'autre métier ou d'autre
travail, un métier très facile à exercer et propre surtoul
à ceux qui cherchent plutôt leur pain que leur instruc-
tion. » Il s'occupa d'améliorer la bibliothèque. En 1140.
il était au concile de Sens, où fut condamné Abélard.
Celui-ci, qui avait pu le connaître à Laon auprès d'An-
selme, et qui avait, le premier de tous, signalé le péril
de ses théories philosophiques appliquées à la Trinité,
lui prédit qu'il serait condamné à son tour. En 1141.
nous trouvons Gilbert écolàtre à Paris. Il n'y resta
guère; il y eut pour élève Jean de Salisbury. En 1142, il
fut nommé évéque de Poitiers.
Là, ses idées soulevèrent des contradictions. Comme il
exposait, en plein synode diocésain (1146), ses doctrine
trinitaires, ses deux archidiacres, Calon et Arnaud,
surnommé « Qui ne rit pas », protestèrent vivement;
bien plus, ils allèrent le dénoncer au pape Eugène III.
L'affaire fut renvoyée à un concile qui se tint à Paris
en 1147. Saint Bernard y prit la parole contre Gilbert,
et, avec le saint, trois docteurs insignes : Adam du Petit-
Pont, Hugues de Champfleury, et Hugues d'Amiens,
archevêque de Bouen. Gilbert n'avait pas moins de
souplesse intellectuelle qu'eux; il s'expliqua si habi-
lement et, d'autre part, l'absence de ses écrits et les
affirmations contradictoires de ses adversaires et de ses
partisans rendaient la question si obscure que le pape
ajourna son jugement au concile de Beims (1148).
Pour l'histoire de ce concile nous avons quatre écri-
vains, de tendances diverses : Geoffroy d'Auxerre, qui
fut secrétaire de saint Bernard, et qui assista au concile ;
l'auteur (peut-être Jean de Salisbury) de YHistoria
ponlificalis, également présent au concile; Othon de
Fïeïsing, et l'anonyme qui écrivit le Liber de vera philo-
sophia. Le premier est naturellement pour saint
Bernard; les trois autres sont, avec des nuances, pour
Gilbert. A rapprocher leurs textes, on est autorisé à
conclure ce qui suit, cf. P. Fournier, Éludes sur Joachim
de Flore et ses doctrines, Paris, 1909, p. 64-05 : 1° Une
profession de foi en quatre articles, contraire à Gilberl,
fut rédigée par Geoffroy d'Auxerre, au nom de quelques
évêques français ; elle fut, d'abord, assez mal reçue par
les cardinaux, qui y virent une tentative de saint
Bernard et des Français en vue d'imposer à l'Église
romaine une déclaration doctrinale. 2° Cette profession
de foi fut publiée à Beims dans la salle de l'archevêché
dite salle du Tau — et non dans l'église Notre-Dame,
où s'était tenu le concile — après la fin du concile, en
présence seulement d'un certain nombre des évêques,
ce qui explique qu'elle ne figure point dans les actes
conciliaires. 3° Mais elle fut pleinement sanctionnée
par le pape. 4° Gilbert désavoua les propositions incri-
minées, en disant au pape, à l'énoncé de chacune
d'elles : « Si vous croyez autrement, je le crois comme
vous. » Cette rétractation dispensa le pape d'une con-
damnation directe de l'évêque de Poitiers. Tout se
borna à l'interdiction de lire ou de transcrire les
ouvrages de Gilbert sur Boèce avant qu'ils n'eussent été
corrigés par l'Église romaine.
Gilbert fut sans doute loyal dans sa soumission,
mais non sans croire qu'il avait été mal compris. Ne
parlons pas de son accueil dédaigneux à une demande
d'entrevue que lui adressa saint Bernard, afin d'exa-
miner ensemble, amicalement et sans esprit de conten-
tion, les passages de saint Hilaire que Gilbert avait
allégués en faveur de ses doctrines : il répondit que, si
l'abbé de Clairvaux voulait discuter les textes de saint
Hilaire, il devait commencer par aller à l'école et
prendre des leçons de dialectique. C'était là rancune
de théologien et d'évêque contre un rival qui avait
triomphé, plus encore que mépris pour un moine sans
lettres d'un homme « qui n'avait pas son égal dans les
lettres, dit Jean de Salisbury, ayant passé soixante ans
dans les études et les exercices littéraires. » Mais, au
rapport de ce même Jean de Salisbury, il refit le pro-
logue de son commentaire sur Boèce. « Il est juste et
nécessaire, disait-il, de changer les expressions qui
causent du scandale; rien ne nous oblige à modifier le
sens de propositions qui, sainement entendues, ne sont
point contraires à la doctrine de l'Église. » La sincérité
de l'obéissance n'est pas incompatible avec cet état
d'esprit; à coup sûr, ce n'est pas l'obéissance des
humbles.
Gilbert mourut le 4 septembre 1154, suivi, dans sa
tombe, par un concert d'éloges que lui valurent son
savoir et ses vertus épiscopales. Le plus touchant fut
celui de Laurent, doyen de son église. Cf. L. Delisle,
Rouleaux des morts, Paris, 1866, p. 362-363.
II. Œuvres. — Les principaux ouvrages de Gilbert
de la Porrée sont les Commentaires sur les ouvrages
tliéologiques de Boèce ou qui portent son nom et
le Liber sex principiorum. L'Histoire liltéraire de la
France, Paris, 1763, t. xn, p. 475, lui attribue deux
traités inédits De duabus naturis et una persona Chrisli
et De hebdomadibus seu De dignitate theologiœ, qui ne
sont en réalité que le Commentaire, celui-ci (sous un
titre différent) du IIe, celui-là du IVe traité de Boèce.
Cf. B. Hauréau, Histoire de la philosophie scolasliquc,
Paris, 1872, t. i. p. 451-452. Le Liber sex principiorum
complète l'œuvre d'Aristote, lequel, dans son Organon,
n'a expliqué suffisamment que les quatre premières
catégories; il s'attache aux six dernières catégories.
L'attribution à Gilbert, par l'Histoire littéraire de la
France, du Liber de causis, quoique renforcée par Ber-
thaud, Gilberl de la Porrée, évèque de Poitiers, 1892.
p. 11, 129-190, et par Clerval, Les écoles de Chartres au
moyen âge, p. 169, est encore discutée.
Les travaux scripturaires de Gilbert sont des Sermons
sur le Cantique des cantiques, des Commentaires sur les
Psaumes, Jérémie, peut-être saint Matthieu et l'Évan-
gile de saint Jean, saint Paul, l'Apocalypse. Nous pos-
sédons de lui deux lettres. Une prose rimée sur la
Trinité, qui lui fut reprochée au concile de Beims, est
perdue. Il y a des chances pour que les sermons d'un
Gilbert, que Pierre de Celle, Epist., clxvii, P. L., t.ccu,
col. 610, met à côté de saint Bernard, d'Hugues de
Saint-Victor et de Pierre (probablement Pierre le Man-
geur), aient eu pour auteur Gilbert de la Porrée plutôt
que Gilbert d'Auxerre, évêque de Londres, dit l'uni-
versel, dont le nom a été mis en avant par l'éditeur de
Pierre de Celle.
III. Doctrines. — Des quatre propositions de Gil-
bert qui furent condamnées à Beims, et que rapporte
Geoffroy d'Auxerre, Libcllus contra capitula Gilberti
Piclaviensis episcopi, P. L., t. clxxxv, col. 617-618, la
première affirmait une différence réelle entre Dieu,
d'une part, et, d'autre pari, l'essence et les attributs
1353
GILBERT DE LA PORREE
1354
divins; la seconde affirmait une différence également
réelle entre l'essence divine et les personnes divines;
la troisième, que seules les trois personnes sont éter-
nelles, et que les relations, propriétés, singularités ou
unités, etc., qui sont en Dieu, ne sont pas éternelles et
ne sont pas Dieu. Voir t. iv, col. 1165-1167, 1173-
1174, 1298; t. i, col. 2232-2233.
La quatrième proposition condamnée portait que la
nature divine ne s'est pas incarnée; à quoi le concile de
Reims opposa cet article : Credimus ipsam divinitatem,
sive substantiam divinam sive natwam dicas, incarna-
tam esse, sed in Filio. Attribuant l'incarnation à la per-
sonne du Fils, non à la divinité, Gilbert tombe dans un
« demi-nestorianisme », dans un adoptianisme, qui
aboutit à cette conclusion que les fidèles ne peuvent en
conscience rendre le culte de latrie à l'enfant de Beth-
léem ni au crucifié du Calvaire. Cf. J. Bach, Die Dog-
mengcschichlc des Mittelalters vom christologischen
Slandpunkle, Vienne, 1875, t. il, p. 145-150, 455-460.
L'autorité de Gerhoch de Reichersberg qui accuse Gil-
bert d'adoptianisme n'est pas de tout repos, voir 1. 1,
col. 415-416; mais les textes de Gilbert lui-même sem-
blent probants. Othon de Freising, Gesia Friderici im-
peraloris, 1. 1, c. i.v, dans Monumenta Germanise histo-
rica. Scriplores, Hanovre, 1868, t. xx, p. 380, mentionne
deux autres erreurs imputées à Gilbert, à savoir que le
Christ seul a mérité, et que le baptême n'est conféré
qu'à ceux qui doivent être sauvés. L'étude de la doc-
trine de Gilbert sur le péché originel, d'après son Com-
mentaire (inédit) sur les Épîtres de saint Paul, a permis
d'établir que « le fameux maître n'a fait que reproduire,
la plupart du temps presque littéralement, les vues de
saint Augustin sur la question. » R.-M. Martin, dans la
Revue d histoire ecclésiastique, Louvain, 1912, t. xm,
p. 684. Dans sa lettre à Matthieu, abbé de Saint- Florent
de Saumur, P. L., t. clxxxviii, col. 1255-1258, Gilbert
donne à deux consultations eucharistiques des conclu-
sions qui ont été admises par d'autres théologiens et qui
ne le sont plus, Un prêtre, s'apercevant, au moment de
la communion, que le calice était vide, avait versé dans
le calice du vin et de l'eau, et avait réitéré les paroles de
la consécration non seulement sur le calice mais encore
sur l'hostie consacrée; Gilbert fut d'avis que, le Christ
étant tout entier sous chaque espèce, le prêtre n'aurait
pas dû consacrer de nouveau l'hostie — ce qui est vrai
— et — ce qui est faux — qu'il aurait pu s'abstenir de la
consécration du vin. Que la communion sous une seule
espèce soit complète en elle-même et dans ses effets,
comme l'ajoute Gilbert, c'est exact, au contraire, et il
est intéressant de relever ce témoignage et l'usage de
l'Église, que Gilbert cite en preuve, de ne communier les -
enfants que sous l'espèce du vin et les malades, souvent,
que sous l'espèce du pain. Interrogé également sur le
cas d'un condamné à mort qui demanderait la commu-
nion, Gilbert dit qu'on devrait la lui refuser propter
reverentiam corporis et sanguinis Christi. Dans son
Ralionale divinorum officiorum, c. liv, cxxx, cxlii,
P. L., t. ccn, col. 60, 135, 151, Jean Beleth allègue l'au-
torité de Gilbert, qui avait été son maître.
En philosophie, Gilbert n'est ni un esprit très original
ni « un esprit entier : à côté de doctrines d'un pur sco-
lasticisme, on rencontre des illogismes et des défail-
lances. » Ses erreurs trinitaires ont leur point de départ
dans la distinction qu'il exagère entre l'essence com-
mune et l'essence individualisée, entre l'essence que
l'être possède et qui se retrouve semblable chez d'autres
êtres (subsistent ia id quo est) et la détermination indivi-
duelle qui pose 1 être dans l'existence réelle (substanlia,
id quod e*t) : t il semble faire de celle-ci une partie réel-
lement distincte de celle-là. Cédant à la même fâcheuse
tendance, il considère comme des subsislentia propres
dans l'individu certains attributs transcendentaux —
l'unité, par exemple — qui ne sont pas réellement
distincts de l'être même. » M. de Wulf, Histoire de la
philosophie médiévale, 2e édit., Louvain, 1905, p. 207.
Sur la question des universaux, il ne s'est pas prononcé
d'une manière ferme. Un texte ambigu de Jean de
Salisbury, Metalogicus, n, 17, P. L., t. cxcix, col. 875-
876, ajoute à la confusion. Aussi les historiens de la
philosophie ont-ils jugé diversement sa théorie. Il
paraît professer un réalisme modéré, qu'il n'a pas réussi
à exprimer dans une formule décisive.
Il serait intéressant de connaître toutes les sources de
Gilbert. L'école chartraine se caractérise par des préoc-
cupations littéraires, un alliage d'Aristote et de Platon
et l'étude des sciences physiques. Il y a tout cela dam
Gilbert, et, en outre, la familiarité avec les Pères latins,
particulièrement saint Hilaire, cf. Philippe de Harveng,
EpisL, v, P. L., t. ccin, col. 45-46, et même l'emploi des
Pères grecs. A Reims, il accumula, pour sa défense, les
textes patristiques : faciebat episcopus, dit Geoffroy
d'Auxerre, Epislola ad Albinum cardinalem, vi, P. L.,
t. clxxxv, col. 591, in libris beedi Hilarii cl de corpore
canonum in quorumdam Grœcorum epistolis verba minus
inUlligibilia. prtesertim in lanta feslinalione et in lanla
ac tali multitudine, lectitari. S'il est l'auteur du Liber
de causis, Gilbert fréquenta aussi les néo-platoniciens,
puisque cet écrit n'est qu'un remaniement d'un ou-
vrage de Proclus. Quant aux sciences physiques, le
Liber sex principiorum dépend de la physique péripa-
téticienne. « Tout ce que nous trouvons d'aristotéli-
cien en ce que Thierry de Chartres et Gilbert de la
Porrée ont dit du lieu, du mouvement du ciel, de la
fixité de la terre, est inspiré du IVe livre de la Physique
et des deux premiers livres du De cœlo et mundo; il est
donc permis de voir dans les traductions de Dominique
Gondisalvi et de Jean Avendeath les sources d'où sont
issues ces pensées péripatéticiennes. » P. Duhem, Du
temps où la scolaslique latine a connu la Physique
d'Aristote, dans la Revue de philosophie, Paris, 1909,
t. xv, p. 178; cf. p. 175-176; et Le mouvement absolu elle
mouvement relatif, 1907, t. xi, p. 557.
IV. Influence. — Gilbert de la Porrée eut des adver-
saires et des disciples. Son école est en train de sortir
de la pénombre ou elle est restée longtemps trop ina-
perçue.
Parmi ses adversaires, citons, avec ceux qu'il eut au
concile de Paris, ceux qui le combattirent à Reims :
saint Bernard, Robert de Melun, Pierre Lombard, et
probablement l'abbé Suger. Il fut attaqué violemment,
en compagnie d'Abélard, de Pierre Lombard et de
Pierre de Poitiers, par Gautier de Saint- Victor, dans le
Contra quatuor labyrinthos Franciae. Gerhoch de Rei-
chersberg le prit à partie dans sa campagne contre
l'adoptianisme. D'autres encore le réfutèrent, parfois
sans le désigner par son nom : tel le pseudo-Bède
(d'après Bach, op. cit., t. n, p. 151, note, ce serait Achard
de Saint- Victor), In librum Boelhii de Trinitate commen-
larius, P. L., t. xcv, col. 393. Sur les allusions à l'ensei-
gnement de Gilbert dans les Sententise (inédites) de
Gandulphe de Bologne, cf. J. de Ghellinck, Le mouve-
ment théologique du xne siècle, Paris, 1914, p. 186.
Les adversaires de Gilbert dénoncent un groupe de
ses partisans, qui se réclament plus ou moins des doc-
trines condamnées au concile de Reims. Saint Bernard,
In Canl., serm. lxxx, n. 9, P. L., t. clxxxiii, col. 1170-
1171, ayant rappelé cette condamnation, ajoute : « Je
ne parle pas contre l'évèque de Poitiers, car, dans ce
concile, il s'est humblement soumis à la sentence des
évêques, et a lui-même formellement réprouvé ces propo-
sitions et d'autres dignes de censure. Je parle pour ceux
qui, contrairement à l'interdit apostolique promulgué
dans cette assemblée, copient et lisent ce livre (sans
doute les Commentaires de Gilbert sur Boèce), s'obs-
tinent à suivre cet évêque en des idées qu'il a aban-
données et préfèrent en lui le maître qui enseigne
1355
GILBERT DE LA PORRÉE
1356
l'erreur au maître qui leur apprend a se corriger. » Ces
« porrétains » se recrutèrent en partie parmi les dis-
ciples que Gilbert forma à Chartres ou à Paris. Il en
vint d'ailleurs. Nous sommes mal renseignés sur leur
compte. C'était un disciple ce Nicolas d'Amiens, qui
nous était connu par son De arce fidei, et en qui des
travaux récents ont révélé un commentateur des Com-
mentaires de Gilbert sur Boèce et sur saint Paul. Cf.
M. Grabmann, Geschichle der scholaslischen Méthode,
Fribourg-en-Brisgau, 1911, t. n, p. 431-432. Un manu-
scrit des Commentaires de Gilbert sur Boèce donne,
avec l'image de Gilbert, celles de Nicolas et de trois
autres disciples, quorum nomina suscripla sunl quia
digni sunt : Jourdain Fantasma, un Anglais; Ives, qui
fut doyen de Chartres; Jean Belelh, l'auteur du natio-
nale divinorum offleiorum. Jean Beleth, nous l'avons vu,
cite Gilbert en matière liturgique. Bien ne prouve que
ni lui, ni le doyen de Chartres, ni Fantasma, aient
adhéré, après le concile de Beims, aux erreurs de Gil-
bert. Bien ne le prouve non plus pour ce Guillaume
Corborcnsis, qui dédia ù Gilbert une Explicatio quorum-
dam vocabulorum grsecorum, surtout si on doit l'iden-
tifier avec Guillaume de Corbeil ou, comme le propose
A. Clerval, Les écoles de Chartres au moyen âge, p. 187,
231, avec Guillaume de Combourg, abbé de Marmou-
tier, morts le premier en 1136 et l'autre en 1124, donc
avant le concile, et il n'est pas sûr que Guillaume ait
suivi les leçons de Gilbert. D'Ébrard de Béthune nous
savons seulement qu'il se rattache au « porrétanisme »
philosophique : ne simus nominales in hoc sed polius
porrelani, dit-il. Anlilurresis, c. i, Max. bibl. vct. Pa-
trum, Lyon, 1677, t. xxiv, p. 1529. Un anonyme, dans
une épitaphe conservée à la fin d'un manuscrit des
Commentaires sur Boèce, cf. Berthaud. Gilbert de la
Porrée, p. 318, fait de Gilbert un éloge enthousiaste qui,
par delà le « maître très célèbre, intrépide, sage, et supé-
rieur à tous les maîtres, » pourrait bien viser le théo-
logien hétérodoxe. Dans certains cercles du clergé sécu-
lier malveillants pour saint Bernard, on qualifiait Gil-
bert de la Porrée de prsesul prwsulum. Cf. Walter Mapes,
De nugis curialium, édit. T. Wright, Londres, p. 40;
The latin poems commonly altributed to Walter Mapes,
Londres, 1851, p. 54. Etienne de Alinerra, qui avait
assisté au concile de Beims, déclarait, au rapport d'Hé-
linand de Froidmont, Chronic, an. 1148, P. L., t. ccxn,
col. 1038, qui l'avait entendu souvent de sa bouche,
Bernardum nihil adversus Gislebertum prœvaluisse.
Jean de Salisbury, manifestement sympathique à Gil-
bert dans son Mctalogicus, est tout à fait pour lui si
YHistoria ponlificalis est son œuvre. Othon de Freising
lui est si favorable que, au moment de mourir (1158), il
craignit d'avoir outré l'éloge et demanda à son frère d'y
changer ce qui paraîtrait excessif.
11 y a, dans ce qui précède, parmi diverses incerti-
tudes, des preuves de l'existence d'un parti fidèle à
Gilbert, à sa mémoire et à ses doctrines. Des précisions
importantes sur le caractère de cette petite église se
sont produites au cours de ces dernières années.
B. Geyer a publié les Senlcntiœ divinitatis. Munster,
1909, d'un anonyme de l'école de Gilbert, qui dut écrire
entre 1140 et 1148. Cf. p. 62. L'auteur ne suit pas exclu-
sivement Gilbert; il fait des emprunts à la Summa
attribuée à Hugues de Saint- Victor, et il s'inspire d' Abé-
lard. Sur la question du péché originel notamment, il
dépend, ainsi que Nicolas d'Amiens, des théories abé-
lardiennes. Cf. B.-M. Martin, dans la Revue d'histoire
ecclésiastique, t. xm, p. 684-691. Mais l'ensemble de ses
idées, surtout son enseignement trinitaire et sa christo-
logie, cf. Geyer, p. 10-28, est gilbertin. Un autre sen-
tencier de l'école de Gilbert fut Baoul Ardent, qu'on
avait placé à tort au xie siècle et qui est de la fin du
XIIe. Cf. B. Geyer, Radulphus Ardens und das Spéculum
universale, dans la Tluologische Quarlalschrif l,Tubing,ue,
1911, t. xcm, p. 63-89. Un écrit anonyme, mis en lu-
mière par P. Fournier, Éludes sur Joachim de Flore,
Paris, 1909, et intitulé : Liber de vera philosophia,
reprend les thèses fondamentales de Gilbert, sauf son
adoptianisme, p. 81-86. Écrit après le IIIe concile œcu-
ménique de Latran (1179), il paraît avoir pour auteur
un religieux de la Provence ou du Languedoc, probable-
ment un supérieur écrivant pour l'instruction de ses
moines, très savant et tenant en défiance le savoir
humain, au courant de la langue et de la patristique
grecques. Il s'en prend à saint Bernard, à Hugues de
Saint- Victor et à Pierre Lombard. Contre eux il mul-
tiplie les citations des Pères. La tâche lui a été facilitée
par un de ses amis, maître A., chanoine de Saint-Buf,
un gilbertin lui aussi, lequel, pendant plus de trente ans,
a colligé, et publié ensuite sous le titre de Collcctio, les
autorités quas vidil ad doctrinam sancte Trinilatis et
ejusdem unilalis et Verbi incarnationis et corporis et san-
guinis Domini necessarias fore. Quel serait l'auteur du
Liber de vera philosophia? P. Fournier avait d'abord
pensé à Joachim de Flore. P. Mandonnet, Bulletin
critique, 2e série, Paris, 1901, t. vu, p. 70-73, a fait
valoir contre cette identification des raisons si fortes
que P. Fournier a nettement abandonné l'hypothèse
qu'il avait proposée. Cf. p. 99-100, note. Mais, que ce
soit par le chanoine de Saint-Buf, ou par le Liber de
vera philosophia, ou par un autre canal, ou directement,
il est certain que Joachim de Flore recueillit les doc-
trines de Gilbert de la Porrée. Son ouvrage contre
Pierre Lombard, le De unitate Trinilatis, qui fut solen-
nellement condamné au IVe concile œcuménique de
Latran, et divers passages de son Psallcrium decem chor-
darum et de son Commentaire de l'Apocalypse, sont
comme une réédition, assez conforme à l'exposé du
Liber de vera philosophia, de la grande erreur de Gilbert.
Tout le système de Joachim de Flore semble avoir été
influencé par cette vue. Après avoir séparé les trois
personnes dans le dogme, il divisa leur action dans
l'histoire, distinguant les trois âges de l'humanité sou-
mis à l'action distincte de chacune des trois personnes
divines : l'âge du Père, inauguré à la création; l'âge du
Fils, commencé à la rédemption; l'âge du Saint-Esprit,
qui allait s'ouvrir. « C'est ainsi, dit P. Fournier, p. 80,
que toute la postérité mystique de Joachim de Flore,
les spirituels et les fraticelles du xme siècle et du xive,
et, avec eux, tant d'âmes ardentes qui attendirent la
régénération de l'Église d'un avènement nouveau de
l'Esprit divin, descendent, par l'intermédiaire de l'abbé
de Flore, d'un théologien fort peu mystique, Gilbert
de la Porrée. »
En dehors de son école, Gilbert n'a pas affecté beau-
coup, de façon directe, l'œuvre de Pierre Lombard
Cf. B. Geyer, Die Scntentiœ divinitatis, p. 21-23; J. de
Ghellinck, Le mouvement théologique du XIIe siècle,
p. 108-109. A. Lasson, dans Ueberweg-Heinze. Grun-
driss der Geschichle der Philosophie der palrislischen und
scholaslischen Zeit, 9e édit., Berlin, 1905, p. 358, et
S. M. Deutsch, Realcncijklopâdie, 3e édit., Leipzig,
1898, t. v, p. 151, ont signalé à tort une dépendance
d'Eckart vis-à-vis de Gilbert de la Porrée relativement
à la différence entre Dieu et la divinité; sur ce point
Eckart s'exprime correctement. Voir t. iv, col. 2064.
Où l'influence de Gilbert fut réelle et durable ce fut
dans l'enseignement scolaire. Son Liber sex principio-
rum devint classique ; il eut cet honneur, qu'aucun
autre traité produit par la scolastique n'a connu, d'être
rangé auprès des écrits logiques d'Aristote, de Por-
phyre et de Boèce. Il fut commenté, entre autres, par
Albert le Grand et saint Thomas d'Aquin, au xme siè-
cle, le carme Geoffroy de Cornouailles et le franciscain
Antoine Andréa, au xive, et le dominicain Buonagrazia
d'Ascoli, au xv».
I. Œuvres. — Ont été imprimés : le Commentaire sur
1357
f.ILBERT DE LA POR RÉ E — GILLES DE ROME
1358
Boèce, Bâle, 1570, et P. L., t. lxiv, col. 1255-1300, 1301-
1310, 1313-1331, 1353-1412; le prologue de ce Commentaire
dans le ms. latin 18094 de la Bibliothèque nationale de
Paris, en partie par B. Hauréau, Notices et extraits de
quelques manuscrits latins de la Bibliothèque nationale, Paris,
1893, t. vu, p. 19-21, et en entier par M. Grabmann, Die
Geschichte der scolatischen Méthode, t. H, p. 417-419, note;
le Liber sex principiorum souvent, cl. Berthaud, Gilbert de
la Porrée, p. 10, et finalement P. L., t. clxxxviii, col. 1257-
1270 (les éditions antérieures à 149G offrent un texte con-
forme a celui des manuscrits; l'édition de Venise, en 1496,
substitua au rude latin de l'original une sorte de para-
phrase en latin élégant, due à l'humaniste Ermolao Bar-
baro; c'est le texte qui se lit dans la Patrologie latine); les,
Sermones super Canticum eanticorum, Strasbourg, 1497; le
Commentaire sur l'Apocalypse, Paris, 1512 (cf. des extraits
dans le prologue des Po^tillœ de Nicolas de Lire sur l'Apoca-
lypse); la letlre à l'abbé de Saint-Florent, P. L., t. clxxxviit,
col. 1255-1258; une lettre à Bernard de Chartres, par L. Mer-
let, Lettres d'Yves de Chartres et d'autres personnages de son
temps, dans la Bibliothèque de l'École des chartes, 4e série,
Paris, 1855, t. I, p. 461 des fragments du Commentaire sur
saint Paul par R.-M. Martin, dans la Reuue d'histoire ecclé-
siastique, Louvain, 1912, t. xm, p. 677-683, notes.
II. Principales sources. — S. Bernard, In Cant., serm.
lxxx, n. 8-9, P. L., t. clxxxiii, col. 1170-1171; Geoffroy
d'Auxerre, moine de Clairvaux et secrétaire de saint Bernard,
Sancli Bernardi vita prima, 1. III, c. v, n. 15; Episl. ad
Albinum cardinalem et episcopum Albancnscm de condem-
natione errorum Gilberli Porretani (cette lettre et un
certain nombre de textes relatifs aux conciles de Paris et de
Reims se lisent dans Labbe, Concilia, Paris, 1671, t. x,
p. 1105-1108, 1113-1128); Libellus contra capitula Gilberli,
P. L., t. clxxxv, col. 312, 587-596, 595-618; Othon de
Freising, Gesta L'riderici imperatoris, 1. I, c. l-lxi, Monu-
menta Germanise hislorica. Scriptores, Hanovre, 1868, t. xx.
p. 379-384; Historia poniificalis, Monumenta Germaniœ
historica, t. xx, p. 522-527; des extraits de Gautier de
Saint- Victor, Contra quatuor labyrinthos Francia', P. L.,
t. cxcix, col. 1129-1172; le 1. II dans B. Geyer, Die Sententiœ
divinilatis, p. 175*-199*; les SenlentUc divinitatis, publiées
par B. Geyer, dans les Beiiràge zur Geschichte der Philosophie
des Miltelallers, Munster, 1909, t. vu b-c; des fragments du
Liber de vera philosophia, dans P. Fournier, Études sur
Joachim de Flore et ses doctrines, Paris, 1909, p. 59-77 ; la
fin du prologue du Commentaire de Nicolas d'Amiens sur
le Commentaire de Boéce par Gilbert, publié par M. Grab-
mann, op. cit., p. 433-434, note.
III. Travaux. — ■ IL Ritter, Geschichte der Philosophie,
Hambourg, 1844, t. m, p. 437-474; B. Hauréau, Histoire de
ta philosophie scolastique, 2e édit., Paris, 1872, t. i, p. 447-
478; IL Beuter, Geschichte der religiôsen Aufkldrung im
Mittelaller, Berlin, 1877, t. n, p. 11-12, 309-311; J. Bach,
Die Dogmengeschichle des M ittelalters vom christoloqischen
Standpunkte, Vienne, 1875, t. n, p. 133-168, 457-460; IL
Usener, Gislebert de la Porrée, dans le Jahrbuch fur proles-
tantische Théologie, Leipzig, 1879, t. v, p. 183-192; J.Schwane,
Dogmengcschichte der mitlleren Zeit, Fribourg-en-Brisgau,
1882, p. 122-124; trad. A. Degert, Paris, 1903, t. iv, p. 190-
193; R.-L. Poole, Illustrations of the history of mediœval
thoughl in theology and ecclesiaslical politics, Londres, 1884;
Braunmùller, Kirchcnlcxikon, 2e édit., Fribourg-en-Brisgau,
1888, t. v, p. 599-601 ; Auber, Histoire générale, civile, reli-
gieuse et littéraire du Poitou, Poitiers. 1891, t. vin, p. 219-
220, 225, 237-238, 242-246, 272-274; T. de Régnon, Études
de théologie positive sur la Trm«é, Paris, 1892, t. n, p. 87-108;
Berthaud, Gilbert de laPorrée, évéque de Poitiers, et sa philoso-
phie (1070-1 154), Poitiers, 1892; cf. B. Hauréau, Journal des
savants, Paris, 1894, p. 752-760; P. Féret, La faculté de théo-
logie de Paris et ses docteurs les plus célèbres. Moyen âge, Paris,
1894, 1. 1, p. 153- 164; A. Glerval, Les écoles de Chartres au
moyen âge du \ ' au XVI" siècle, Chartres, 1895, p. 163-169,
185-188,261-264; E. Vacandard. Viedesaint Bernard, Paris,
1895, t. n, p. 328-343; R. Schmid, Realeneyklopàdie, 3» édit.,
Leipzig, 1899, t. vi, p. 665-667 ; Ueberweg-Heinze, Grundriss
der Geschichte der Philosophie der patristischen und scholas-
tischen Zeit, 9° édit., Berlin, 1905, p. 213-214, 218-219;
M. de Wulff, Histoire de la philosophie médiévale. 2P édit.,
Louvain, 1905, p. 204-207, 216-217; P. Fournier, Études sur
Joachim de Flore et ses doctrines, Paris, 1909; B. Geyer, Die
Sententin' divinitatis, p. 48-53; T. Heitz, Essai historique sur
les rapports entre la philosophie et la foi, de Bérenger de Tours
à saint-Thomas d'Aquin, Paris, 1909, p. 36-41 ; Dehove, Qui
prœcipui fuerint labente XII sœculo anie introductam Arabum
philosophiam lemperali realismi anlecessores, Paris, 1909,
p. 90-104; M. Grabmann, Geschichte der scholastischen
Méthode, Fribourg-en-Brisgau, 1911, t. n, p. 40S-438;
R.-M. Martin, Le péché originel d'après Gilbert de la Porrée
(j- 1154) et son école, dans la Revue d'histoire ecclésiasti-
que, Louvain, 1912, t. xm, p. 674-691 ; Hefele, Histoire
des conciles, trad. Leclercq, Paris, 1912, t. v, p. 812-817,
832-838; J. de Ghellinck, Le mouvement théologique du
XII' siècle. Études, recherches et documents, Paris, 1914
p. 108-109, 159-163.
F. Vernet.
1. GILLES (de son nom de religion) RICHARD,
carme belge, du couvent de Gand, docteur en théo-
logie et lecteur apostolique a la Sapience, a laissé
plusieurs traités imprimés à Venise en 1540 : De
romano ponlifice, discours prononcé en présence du
pape Paul III et de la cour pontificale; De regno
Clwisii; De gloria Hierosohjmœ; De dignitule hominis;
De ccclcsiaslica tinione; De dignitate sacerdotali; De
divinœ vocis virtute; De sapienlia spirilus; De insern-
labilibus Dei viis; De fœcunda Ecclesiœ slerililate.
Cosme de Villiers, Bibliotheca carmelilana, Orléans,
1752, t. i, col. 9-10; Le Mire, Bibliotheca ecclesiaslica,
Anvers, 1649, part. II, p. 36; Richard et Giraud, Biblio-
thèque sacrée, Paris, 1825, L xxi, p. 92; Hurter, Nomen-
clatoi; 1906, t. n, col. 1225-1226.
P. Servais.
2. GILLES DE CESARO, ainsi nommé du nom de
son pays près de Messine, mineur conventuel, très versé
dans la connaissance de l'histoire ecclésiastique et de
la patristique, fut de longues années missionaire en
Roumanie. Les manœuvres des grecs réussirent à le
faire rappeler en Italie et il était à Venise en 1678
s'occupant de la publication de son dernier ouvrage.
On possède de lui : Controversise Marcephesislarum
hserclicorum cum orthodoxa Ecclesia, ac nonnullorum
domesliconun cum aposlalica missione, opus in quo
hœreses, errorcs et novitates omnes a Marccphnsistis et
Photianis olim et novilcr inventa; contra latinos refcl-
luntur, in-4°, Messine, 1C64; la seconde partie de cet
ouvrage est consacrée à la mission de Roumanie et à
sa nécessité; Casuumconscicnlixbrcvissimaacoriginalis
expositio, in-4°, Venise, 1678; Apologise in Catalalinon
Nalhanaclis Xhichse Alheniensis in quibus 53 propo-
sitiones hœrelicalcs vel erroneœ ad hominem con/utunliir,
in-4°, Venise, 1678. Cet ouvrage, imprimé sur trois
colonnes, en grec, en latin et en italien, avait été
composé dès 1660 contre un certain Xhica, venu à
Rome en compagnie d'un évêque grec.
Mongitore, Bibliotheca Sicida, Palerme, 1707, t. i, p. 3;
Franchini, Bibliosofia e memorie di scriltori conventuali,
Modène, 1693, p. 162; Sbaralea, Supplementum et casti-
gatio ad scriptores ord. minorum, Rome, 1806.
P. Edouard d'Alençon.
3. GILLES DE ROME, plus connu peut-être sous
son nom latin JEgidius Romanus, de l'ordre des frères
ermites de Saint-Augustin, ordinairement appelés, en
France les grands augustins, mort archevêque de
Bourges, fut sans nul doute, tant à cause de la profon-
deur de son esprit que de l'abondance de ses ouvrages,
l'un des plus célèbres disciples de saint Thomas
d'Aquin A la fin du xme et au commencement du
xive siècle. Mais sa renommée même ayant offert un
aliment facile à la fantaisie des chroniqueurs, l'on doit
constater avec regret que, jusqu'à ces derniers temps,
la plupart des données biographiques qui le concernent,
en particulier celles qui ont trait à sa jeunesse, sont
restées enveloppées de doute et ont même donné prise
à de véritables contradictions. Dans le but de remettre
les choses au point, pour autant que nous le permet
l'état actuel des recherches critiques, nous nous ser-
virons principalement d'une étude du P. Mattioli,
augustin, appuyée elle-même en grande partie sur la
notice de notre auteur insérée au t. xxx de l'Histoire
littéraire de la France. — I. Vie. II. Ouvrages.
1359
GILLES DE ROME
1300
I. Vie. — Le premier point sujet à discussion est la
détermination de la famille à laquelle Gilles aurait
appartenu. La plupart des biographes de son ordre,
pour ne pas dire tous, le donnent comme étant issu
de la noble lignée des Colonna qui, à son époque,
compta, entre autres, deux cardinaux fameux pour la
part qu'ils prirent à la révolte contre Boniface VIII.
A cet accord s'oppose, au moins négativement, le
silence complet de tous les documents contemporains
qui ne le nomment jamais autrement que Âïgidius
Romanus. Toutefois, sans trop insister sur l'usage
constant, à cette époque, parmi les religieux, de ne se
désigner officiellement que par leur prénom suivi du
nom de leur pays d'origine, il convient de ne pas
perdre de vue que le premier historiographe des augus-
tins, le B. Jourdain de Saxe, qui le donne comme étant
« de la noble race des Colonna, » mourut octogénaire
en 1380, et par suite peut être considéré de son côté
comme à peu près contemporain.
Pour ce qui regarde la date précise de la naissance
de Gilles, également laissée incertaine, des calculs
basés sur l'année de sa promotion au doctorat per-
mettent d'affirmer qu'elle eut lieu en 1247 ou tout
au plus en 1246. Il entra très jeune et contre le gré
de ses parents dans l'ordre des augustins qui venait
tout récemment d'être reconstitué ou unifié. Le
biographe mentionné écrit que ce fut in setate adolc-
scenluli. Si l'on confronte ces paroles avec l'expression
dont se sert Gilles lui-même dans son testament dont
nous parlerons plus loin, où il affirme qu'il a été élevé
dès son enfance au couvent de Paris, de cujus uberibus
a puerilia nutrilus fui, tout en tenant compte de la
législation d'alors sur l'âge canonique de la profession
religieuse, il est permis de conjecturer qu'il fut envoyé
à la capitale de la France vers l'âge de quinze ans, en
partie sans doute pour être soustrait, comme saint
Thomas, à l'influence de ses parents, dangereuse pour
sa vocation. Tous les historiens sont du moins d'accord
pour remarquer que, s'étant consacré aux études
régulières, il y fit immédiatement des progrès merveil-
leux, grâce à son extraordinaire lucidité d'esprit, à
laquelle il dut plus tard le surnom de doclor funda-
tissimus. Les cours préliminaires une fois terminés,
il eut l'heureuse fortune de pouvoir suivre avec avidité
l'enseignement théologique de l'ange de l'École, en sa
seconde période de 1269 à 1271, c'est-à-dire pendant
trois ans au plus, et non treize, comme l'affirment erro-
nément de nombreuses notices biographiques. Appelé
ensuite à enseigner à son tour, d'abord la carrière des
arts, puis, à son couvent, le Maître des Sentences et la
Bible, le règlement de l'université à laquelle on s'était
empressé de l'immatriculer lui aurait permis de prendre
le doctorat dès 1279 ou 1280, si l'évèque de Paris,
Etienne Tempier, ne s'y était alors résolument opposé.
C'est que notre théologien, fort de ses qualités intel-
lectuelles, avait pris une part active aux discussions
de l'époque, se déclarant sans réserves partisan de
saint Thomas d'Aquin. Or, comme certaines opinions
de ce dernier n'avaient pas, comme on sait, l'approba-
tion d'Etienne Tempier, celui-ci n'hésita pas à censurer
officiellement plusieurs propositions soutenues en
classe par Gilles de Rome, sans qu'on ait encore pu
savoir au juste en quoi elles consistaient. Ce qui est
certain, c'est que le religieux augustin ne voulut pas
alors se rétracter. Ayant donc été appelé à Rome par
son supérieur général, il semble qu'il réussit à per-
suader ce dernier de la légitimité de sa cause : de fait,
il resta plusieurs années en Italie, ainsi qu'on le
déduit de différents chapitres de son ordre où on le voit
figurer à cette époque en qualité de bachelier de Paris.
Survint la mort de l'évèque. Le temps et l'éloignement
ayant diminué d'autre part l'ardeur combative de
Gilles, ses supérieurs, désireux de favoriser de leur
mieux la renommée du jeune savant, le recomman-
dèrent à Ilonorius IV en vue du doctorat. Celui-ci,
après s'être assuré préalablement des bonnes disposi-
tions du théologien, envoya alors un rescrit au nouvel
évêque de Paris, daté du 1er juillet 1285, dans lequel
il constate que Gilles est prêt à révoquer ce que
l'autorité académique jugerait opportun de révoquer,
et par suite se montre digne d'être admis aux hon-
neurs du doctorat. Raynaldi, Annales, an. 1285, n. 76;
F. Ehrle, dans les Slimmen aus Maria Laach, 1880.
t. xviii, p. 309; H. Denifle, Chariularium universitalis
Parisiensis, 1. 1, p. 633. Ces mesures ne durent guère
tarder à être exécutées, car à la fin de cette même
année l'on voit le religieux augustin chargé de compli-
menter le nouveau roi Philippe le Bel, à son retour de
Reims où il venait de se faire sacrer, au nom du corps
universitaire. Quoiqu'on ne possède pas de preuve
positive qu'il fût déjà docteur à cette date (la pre-
mière nous étant fournie par les Actes d'un chapitre
général tenu à Florence en 1287), l'on fait remarquer
à bon droit que cette désignation officielle serait
étrange dans la supposition qu'il n'eût pas encore ob-
tenu ce grade, tandis qu'elle s'explique à merveille s'il
était le dernier de la promotion. Il est vrai que, du
consentement des biographes, confirmé par l'introduc-
tion de l'ouvrage De regimine principunt, Philippe
le Hardi l'avait autrefois chargé de l'éducation du
jeune prince, mais si ce fait suffit à motiver la fami-
liarité du théologien avec le monarque, il n'en va
plus de la sorte lorsqu'il s'agit d'une représentation
officielle. Enfin les termes mêmes dont se sert le cha-
pitre général des augustins, auquel nous venons de
faire allusion, ne sauraient s'harmoniser que très
difficilement avec l'hypothèse d'une promotion toute
récente. C'est alors, en effet, que fut promulguée la
fameuse décision qui impose à tous les professeurs de
l'ordre de suivre en tout avec fidélité la doctrine et
même les opinions du frère Gilles, vu que celui-ci
« éclaire le monde entier de sa splendeur. » Voici du
reste le texte de cet important document : Quia
uenerabilis magislri nostri fratris Egidii doctrina
mundum universum illustrai, diffinimus et mandamus
inviolabililcr observari ut opinioncs, posiliones et
sententias scriplas et SCiHBEifbAS prœdicti magislri
nostri, omnes ordinis nostri lectores et studentes reci-
piant eisdem prœbenles assensum et ejus doetrinœ omni
qua poierunt sollicitudine, ut et ipsi illuminali, alios
illuminare possint, sicul seduli defensores. Acta cap.
gen. Florentiœ an. 12S7, dans Analecl. augusl., t. il,
p. 275. La liste des ouvrages composés par Gilles de
Rome suffit à expliquer l'espèce d'engoùment que
semble indiquer cette décision.
Guillaume de Thoco, dominicain, dit que Gilles inter-
vint, bien qu'indirectement, en faveur du droit des
évèques dans la question des privilèges dont se pré-
valaient certains réguliers au sujet de l'administration
des sacrements. En 1292, au chapitre tenu à Rome,
il fut élu par acclamation supérieur général des
augustins. Bien que les actes de son généralat fassent
défaut, l'on sait néanmoins que son principal souci
consista, après la réglementation des études, à étendre
son ordre par l'érection de nouveaux couvents. C'est
ainsi qu'on lui deit l'acquisition, sur intervention per-
sonnelle du roi de France, des domaines occupés
jusqu'alors par les Frères de la pénitence ou Frères
Sacchets, tombés en décadence à cette époque, où
fut bâtie peu après la maison qu'on appela le Grand
couvent des augustins à Paris. Sur la fin de son géné-
ralat, Boniface VIII, d'accord en cela avec Philippe
le Bel, le nomma archevêque de Bourges, signe évident
de la haute estime en laquelle il était alors tenu,
quand on réfléchit soit à sa qualité d'étranger, soit à
l'importance d'un tel siège, à l'époque où il lui fut
1361
GILLES DE ROME
1HG2
conféré. Voir Moroni, Dizionario liistorico ccclesias-
tico, au mot Bourges. Une autre preuve de la signifi-
cation de ce choix, ce sont les plaintes de certains
membres de l'aristocratie française adressées à cette
occasion au collège des cardinaux, plaintes qui don-
nèrent lieu à l'un des plus beaux éloges qui aient été
fait de Gilles de Rome. Voir Gallia christiana, t. n,
p. 76. Il est vrai que plus tard Philippe le Bel parut
regretter cette nomination, mais le véritable motif en
est tout à l'honneur de l'archevêque, puisqu'il s'agit
de la fermeté avec laquelle celui-ci défendait les droits
de la papauté contre les empiétements de l'autorité
civile.
Si l'on ajoute quelques rescrits pontificaux par les-
quels sont accordés à Gilles certains privilèges admi-
nistratifs en récompense de son dévouement au Sainl-
Siège, une ordonnance par laquelle il communique à
ses sufiragants l'avis d'avoir à célébrer la fête de saint
Louis dans leurs diocèses respectifs, son intervention
dans la condamnation de certaines thèses risquées du
docteur Jean de Paris sur l'eucharistie, une lettre par
laquelle il accuse réception de la bulle contre les
templiers, son assistance au concile de Vienne où il
prit personnellement parti contre ces derniers, enfin
des documents faisant allusion à des synodes provin-
ciaux présidés par lui à Bourges et une condamnation
à payer trente livres de Tours pour n'avoir pas fait
a temps sa visite ad limina du vivant de Clément V,
l'on aura les principaux traits que l'histoire nous ait
légués à son sujet depuis son élévation à l'épiscopat.
Il convient pourtant de signaler encore les deux testa-
ments qu'il rédigea quelque temps avant de mourir,
l'un du 25 mars 1315 et l'autre du 19 décembre 1316,
conservés tous les deux aux Archives nationales de
Paris, sous la cote 13694, n. 3 et 4. Il est question,
dans le premier, d'une certaine propriété ou maison
de campagne qu'il lègue à la province augustinienne
de France, en témoignage de sa gratitude pour avoir
été élevé à Paris depuis son enfance; l'autre, daté de
trois jours avant sa mort, contient un acte de donation
au couvent de Paris des nombreux et précieux livres
qu'il possédait à Bourges, soit au palais archiépis-
copal, scit au couvent des augustins de la même ville.
Il mourut le 22 décembre à Avignon où résidait alors
la curie pontificale. Ses frères en religion lui érigèrent
un monument dans leur église de Paris avec l'épitaphe
suivante : Hic jacet aula morum vitse mundilia |
Archi-philosophiœ Arislotelis perspicacissimus | com-
mentator | Clavis el Doclor Theologiœ lux in lucem \
reducens dubia \ Frater JEgidius de Roma Ord. Fra-
Irum Eremil. S. Augustini | Archicpiscopus Biluri-
censis qui obiil \ Anno D. MCCCXVI die xxn Men-
sis Deccmbris.
II. Ouvrages. — 1° Ouvrages de dialectique. — 1. In
artem vétéran commenlarius, Venise, 1507, 1582; Ber-
game, 1594; 2. In libros Priorum commenlarius, Venise,
1499, 1504, 1516, 1522, 1598; 3. In libros Posteriorum
commenlarius, Padoue, 1478; Venise, 1488, 1491, 1494,
1500, 1513, 1530; de nombreux manuscrits en sont
conservés en diverses bibliothèques : à la Nationale
de Paris, à celles de Toulouse, Bordeaux, Bruxelles,
n. 2911(5426), Florence, etc.; 4. In libros Elenchorum
sophislicorum commenlarius, Venise, 1496, 1499, 1500,
1530 (mss. à la Bibliothèque nationale de Paris, à Bàle,
Bruges, Oxford, Cambridge, Florence, Vatican, n. 93 3) ;
5. De medio demonstrationis traclatus, Venise, 1499,
1504 (mss. à la Nationale, n. 16170, à la Vaticane,
n. 772), cf. Aug. de Biella, augustin, Questio de medio
demonstrationis, defensiva opinionis domini lEgidii
Romani, Venise, 1496; 6. In libros Rhetoricorum com-
menlarius, Venise, 1481, 1555; Rome, 1482 (mss. à
la Nationale, à l'Arsenal, à la Sorbonne, à Padoue et
au Vatican, n. 775); 7. De differenlia rhetoricœ, poli-
licœ et ethicœ, Naples, 1525; 8. In poesim Arislotelis,
dont on ne connaît qu'une copie manuscrite à la
bibliothèque Bodléienne d'Oxford.
2° Ouvrages de philosophie. — 1. In libros Physico-
rum commenlarius, Padoue, 1483; Venise, 1491, 1496,
1502 (mss. à la Nationale, à la Sorbonne, à Bruges,
Lisbonne, à Vienne, à Venise, à Turin, au Vatican);
2. In libros de generationc et corruplione commenlarius,
libri duo, Naples, 1480; Venise, 1493, 1498, 1500,
1518, 1520, 1555, 1567 (mss. à la Nationale, à Saint-
Marc de Venise, à la Bibliothèque royale de Turin, au
Vatican, n. 2182); 3. De intenlionibus in medio tra-
clatus, Naples, 1525 (ms. au Vatican, n. 10): 4. In
libros île anima commenlarius, Pavie, 1491; Venise,
1496, 1499, 1500 (mss. à la Nationale de Paris, à
la bibliothèque Mazarine. à l'Arsenal, à l'Université,
etc.); 5. In parva naturalia commenlarius, ouvrage
donné comme douteux par les auteurs de VHisloire
littéraire de la France, mais taxé comme étant de Gilles
de Rome par l'ancienne université et cité par les
biographes augustins; 6. De bona jortuna, Venise, 1496,
1551 (mss. à la Bibliothèque nationale de Paris, à
Vienne, à Bruges, à Oxford, à Cambridge et à la
bibliothèque Ambrosienne de Milan); 7. In librum de
causis commenlarius, Venise, 1550 (mss. à la Biblio-
thèque nationale de Paris, à Bordeaux et à Saint-
Marc de Venise); 8. De jormatione corporis humani
tractalus, Paris, 1515; Venise, 1523; Rimini, 1626
(mss. à la Bibliothèque nationale de Paris, sous le
titre : De embnjonc seu /œ/o;à la Sorbonne, deux au
Vatican, un à la bibliothèque Palatine, n. 1086);
9. In XII libros Melaphgsicorum quœslioncs, Venise,
1499, 1500, 1552; cet ouvrage fut commenté par J.-B.
de Tolentino, à Venise 1505 (mss. au Vatican); 10. 7a
cosdem libros quœslioncs dispulabiles, Venise, 1500;
1505; 11. De primo principio, seu de esse el essentia
quœsliones, traclatus, Leipzig, 1413; Venise, 1493,
1503, 1504; 12. De esse el essentia anrea theoremata
XXII, s. 1., 1493; Venise, 23 mai 1503; Bologne, 1522
(mss. à la bibliothèque de Bourgogne, à Bruxelles,
sous le titre : Positiones de ente et essentia; à Florence,
Venise, Vienne, n. 3513, au Vatican, fonds Ottoboni,
n. 201); 13. De gradibus formarum, sioe de pliiralitate
jormarum, seu Contra gradus cl pluralilalem formarum
traclatus, Padoue, 1493; Venise, 1500, 1502; Naples,
1525; Venise, 1552 (mss. à la Nationale de Paris);
14. De gradibus formarum accidentalium in ordine ad
Chrisli opéra traclatus, Naples, 1525; Vienne, 1641
(mss. au Vatican, n. 773, et à la bibliothèque Angelica
à Rome, n. 619, 3); 15. De deceptione traclatus et quo-
modo sciens polest mala facere, cité par Ange Rocca
et Gandolfi; 16. De materia cœli contra averroistas
traclatus, Padoue, 1493; Venise, 1500, 1502 (ms. au
Vatican, n. 201); 17. De inlelleclus possibilis pliirali-
tate contra averroistas, Venise, 1502 (mss. à la Biblio-
thèque nationale de Paris, à Oxford, à Cambridge
et au Vatican, n. 86, sous le titre : De unilale intclte-
clus); 18. De erroribus philosophorum traclatus, ou-
vrage d'authenticité douteuse; éditions qui l'attri-
buent à Gilles de Rome, Vienne, 1482; Venise, 1581
(sans nom d'auteur à la Bibliothèque nationale de
Paris, n. 16195); 19. De parlibus philosophiœ essen-
lialibus, ac aliarum scientiarum differenlia et distin-
ctione, s. 1. n. d. ; s. 1., 1493; 20. In libros Politicorum
commenlarius : attribué à Gilles par les historiens de son
ordre; 21. In Œconomia Arislotelis commentarius, attri-
bué par les mêmes historiens (mss. à l'Ambrosienne
et à la bibliothèque augustinienne de Milan); 22. In
Boelium de philosophiœ consolatione expositio (mss. au
Vatican et ù la bibliothèque Ottoboni, n. 612, au nom
de Gilles de Rome); 23. Super libros ethicorum (mss. à
Cambridge, sans nom d'auteur); 24. De cometis vel
de significatione comclarum, dont l'authenticité est niée
13G3
GILLES DE ROME
1364
par les auteurs de YHisloire littéraire de la France, mais
qui est appuyée par un manuscrit du Vatican, n. 803,
et un autre de Bàle.
3° Ouvrages sur l'Écriture sainte. — 1. In tolum
canonem Bibliœ cl sufflcientiam librorum et excellen-
tiam sacrœ Scripturœ traclatus, signalé par les bio-
graphes, bien qu'inconnu de nos jours; 2. In librum Can-
ticorum commentarius, Rome, 1555 (mss. au Vatican,
169, 803);3. De laudibus divinœ sapientise super Psal-
mum xi.n Eructavil, etc., traclatus, Padoue, 1553;
Rome, 1555 (mss. à la Bibliothèque nationale de Paris,
à Bàle, à Oxford, à Vienne et au Vatican, n. 803);
4. In Epistolam ad Romanos commentarius, Rome,
! 555; 5. In Epislolas ad Corinthios, poslillœ seu libri II,
mentionné par l'auteur lui-même dans son commen-
taire sur les Sentences G. In Epistolas canonicas,
inceptus commentarius; 7. In Evangelium Joannis
traclatus duo; 8. In illud canonicœ. Joannis : Omne
quod est in mundo, etc., interpretatio. Ces trois derniers
ouvrages sont mentionnes par les anciens biographes.
4° Ouvrages de théologie. — 1. In I"" Scntentiarum
volumen unum, Venise, 1492, 1521 (mss. à la Biblio-
thèque nationale de Paris, à Laon, à la bibliothèque
Angelica, n. 624, et au Vatican, 194, n. 4331); 2. In IIum
Senlenliarum distincliones XXXIV, dédié à Robert,
roi de Sicile, s. 1. n. d.; Venise, 1482, 1581 (mss. à la
bibliothèque Mazarine provenant du couvent des
augustins de Paris, et au Vatican, n. 197); 3. In IIP"'
Sentcntiarum commentarius, Rome, 1623; avec les
précédents, à Rome, 1623 (ms. à la bibliothèque
Angelica, n. 197); 4. In IVm Scntentiarum, mentionné
par Philippe de Bergame, mais probablement apo-
cryphe ou confondu avec les précédents; il existe
néanmoins un ouvrage intitulé : Pétri Lombardi
sententiœ... cum commentariis Henrici Gorichenii,
jEgidii de Roma et Henrici de Urimaria, par Daniel
Agricola, O. M., in-fol., Bâle, 1510; seulement il ne
contient que des extraits des deux premiers livres de
Gilles de Rome sur le livre des Sentences ; 5. De corpore
Christi theoremata, Bologne, 1481; Cologne, 1490;
Venise, 1502; Rome, 1555 (mss. à la Bibliothèque
nationale de Paris, à Florence, à Bruxelles, à Padoue,
au Vatican, n. 594, à Troyes, à Poitiers, à Bâle, à
Venise); 6. De characlerc tractedus, Rome, 1555; 7.
De prœdestinatione, prœscientia, paradiso cl in/erno
traclatus, Naples, 1525; Rome, 1555; Vienne, 1641
(mss. au Vatican, n. 367, 196); 8. De subjcclo theologiœ
quœslio, Venise, 1503, 1504; 9. De arliculis fidei, sive
de dislinclionc arliculorum, sive exposilio symboli,
liber, Naples, 1525; Rome, 1555 (ms. à la bibliothèque
Angelica, n. 1 97); 10. Compcndium theologicœ veritatis
traclatus, d'une authenticité douteuse, bien que de
nombreux mss. portent le nom de Gilles, entre autres
celui du Vatican, n. 805; 11. De carecre liber I, éga-
lement douteux, si même il n'est pas identique au
traité De characlere indiqué plus haut; 12. De peccato
originali Iructalus, Oxford, 1479; Naples, 1525;
Rome, 1555 (mss. à la Bibliothèque nationale de Paris,
à l'Arsenal, à Cambrai, à Troyes, à Bàle, à Vienne, à
Munich et au Vatican, n. 813, 4545, 855, 196); 13. De
arca Noe traclatus, Naples, 1525; Rome, 1555; Vienne,
1641; 14. De divina influentia in beatos traclatus;
15. De mensura angelorum quœslioncs, Venise, 1505;
Rome, dans le recueil de Blado, 1555 (mss. au Vatican,
Ottoboni, n. 201, 613); 16. De cognitionc angelorum
quœstiones, Venise, 1503 (mss. au Vatican, Ottoboni,
n. 201); 17. De compositione angelorum quœstiones; d'a-
près Ossinger, il en existait un manuscrit au couvent des
augustins de Saint-Jacques de Bologne; 18. De molu
angelorum quœstiones; 19. De loco angelorum queestiones,
Venise, 1503, et, avec les deux traités précédents, 1521 ;
20. De resurrectione morluorum quœstiones VU, ou Quee-
stiones dispulalœ Parisiis, Naples, 1525; Vienne, 1641
(mss. à laBbiliothèque nationale de Paris, trois copies,
et à Oxford, collège Merton, n. 137); 21. Quodlibeta sex,
Bologne, 1481; Venise, 1496, 1502, 1504, 1513; Naples,
1525; Louvain, 1646 (mss. à la Bibliothèque nationale,
à l'Arsenal, à Paris, à Bruxelles, bibliothèque de Bour-
gogne, à Bâle, à Venise, à Padoue et au Vatican, n. 805) ;
22. Quodlibeta XXIV sive XXV (mss. à la bibliothèque
Angelica à Rome, ainsi qu'à la Bibliothèque nationale
de Paris sous le titre : Quodlibeta JEgidii de Roma); 23.
Contra expositioncm Pétri Joannis de Narbona super
Apocalijpsim, de mandata Bonijacii VIII, mentionné
par l'auteur, In III'"" Sent., part. II, q.n, a. 4; aucun
exemplaire n'est connu; 24. Exposilio super orationem
dominicain; 25. In salutalionem angelicam : Ave; ces
deux traités furent imprimés à Rome en 1555 et à Ma-
drid en 1648; le premier est parfois attribué à Gerson
(ms. au Vatican, n. 1277); 26. De ccclesiaslica potestate
libri 1res, composé à l'occasion des dissensions entre
Boniface VIII et Philippe le Bel, voir Ch. Jourdain,
Un ouvrage inédit de Gilles de Rome... en faveur de la
papauté, 1858; F. X. Kraus, dans Œsier. Vicrteljahr-
schri/t jùr kath. Théologie, 1862, p. 1 sq. ; édité à Flo-
rence, en 1908 (mss. à la Bibliothèque nationale de
Paris, n. 4229, à la bibliothèque des dominicains de
Florence, au Vatican, n. 4107, 5612, à l'Angelica, n. 130,
181, 367); cet ouvrage porte quelquefois le titre suivant:
Qusestio in utramque partem, sive de polestate ccclcsiastica
(Bibliothèque nationale de Paris, n. 15004) ; la première
partie est alors d'un autre auteur; 27. In jus cano-
nicum desumma Trinilaleel fide calholica, cap. Firmilcr
et cap. Damnamus, cl super Decrclalem : Cum Marlham,
de celcbralione missarum exposilio, Rome, 1555 (mss. au
Vatican, n. 779, et à la bibliothèque Angelica, n. 197);
28. Sermones ad clerum et ad populum, inédits et dissé-
minés en diverses bibliothèques, entre autres à Dresde,
sous le titre : De vitiis mundi, et au Vatican : De vitiis
et virtulibus, 3S9, n. 1277; 29. De rationibus seminalibus,
annoncé par l'auteur dans son commentaire sur l'Épître
aux Romains, xve leçon, et mentionné par quelques
biographes, mais sans exemplaire actuellement connu;
30. In ofjîcium missœ liber, sans exemplaire connu;
31. De defeetu et deviatione malorum culpse et pecca-
lorum a Verbo Iraclalus, Rome, 1555; 32. Hcxameron
siue mundo sex diebus condito, Padoue, 1544; Rome,
1555; Venise, 1521 (mss. à la Bibliothèque nationale
de Paris); 33. De rcminlialionc papœ traclatus, Rome,
1554, dans le recueil de Blado et de Roccaberti, t. n,
p. 1-64; 34. Contra exemplos liber, Rome, 1555; ms. au
Vatican, n. 562; attaqué par Jacques des Termes,
abbé de Charlieu et de Pontigny, Contra impugnalores
libcrlalum, dans Bibliolheca Palrum cisterciensium,
t. iv, p. 261-315; 35. Correctorium contra impugnantes
S. Thomam seu Defensorium, ouvrage attribué, comme
on sait, à différents auteurs, parmi lesquels certains
critiques se prononcent ouvertement pour Gilles de
Rome, voir, pour une discussion détaillée, Fernandez,
dans la Revista agusliniana, Valladolid, 1882, t. ni,
p. 141-151,365-371; Venise, 1516; Naples, 1644; 36.
Quomodo reges et principes possunt possessioncs et
bona regni pcculiaria ecclesiis elargiri, Rome, 1555
(mss. à la Bibliothèque nationale de Paris, n. 6786.
et à l'Angelica de Rome, n. 367 et 417); 37. De œvo,
extrait du commentaire sur les livres des Sentences;
38. De gratiarum aclione ad Bonijacium VIII, men-
tionné par les biographes, mais sans exemplaire connu;
39. De corpore Christi compendium, Rome, 1555 (mss.
au Vatican, n. 594, et à l'Angelica, n. 104); 40. De
regiminc principum, composé à la demande de Philippe
le Hardi pour l'éducation de son fils Philippe le Bel,
qu'il ne faut pas confondre avec l'ouvrage similaire
attribué à saint Thomas, lequel est beaucoup plus
Lref et d'authenticité douteuse. Cette œuvre, peut-
être la plus notoire de Gilles de Rome, fut traduite :
i3o;
GILLES DE ROME — GILLES DE VITERRE
1366
u) en français par Henri des Gauches, dont il existe
des manuscrits à la Bibliothèque nationale de Paris;
b) en italien, éditée par Fr. Corazzini en 1858, mais
entreprise dès 1288; c) en hébreu, dont on posséderait
un manuscrit à Leyde; d) en espagnol par Bernardo
ou Bernabe.évêque d'Osma, à la requête d'Alphonse XI
de Castille, Comienza cl Ubro inlitulado : Regimiento de
principes jecho y ordenado por Fr. Gil de Rome, de
la orden de S. Agustin, e fizolo trasladar en romance
D. Bernardo, obispo de Osma, por honra e ensena-
micnlo del mmj noble infante D. Pedro, fijo primero,
heredero del miuj allô e muy noble D. Alonso rey de
Castilla, de Toledo y Léon, in-fol., Séville, 1494. L'on
dit que d'autres traductions furent faites en por-
tugais, en catalan et en anglais. Quant à l'édition
latine originale, elle a été réimprimée à différentes
reprises : s. 1.. 1473; Rome, 1482; Venise, 1498, 1502;
Rome, 1556; Venise, 1585, 1598; Rome, 1607; avec
biographie de l'auteur, Venise, 1617. D'après l'His-
toire littéraire de la France, p. 525, les mss. en sont
tellement nombreux qu'on en rencontre à peu près
dans toutes les bibliothèques publiques de l'Europe;
l'augustin Léonin de Padoue en a fait un résumé,
publié par H. Mùller, dans Zeilschrijl fur die gesamte
Slaaisivissenschaft, Tubingue, 1888, t. xxxi, p. loi sq.
(mss. à Munich, bibliothèque royale, n. 8809, et à
l'Angelica, n. 750); présenté comme ouvrage de Gilles
de Rome à YAcademia dei Lincci en 1885 par
M. Narducci. Cf. V. Courdaveaux. JEgidii romani de
regimine principum doctrina, Paris, 1857.
Les idées de Gilles de Rome, principalement en théologie,
ont été exposées d'une manière synthétique dans Sehola
.Egidiana, sive theologia exantiquata juxta doctrinaux
S. Augustini ab JEgidio Columna expositam. C'est un cours
complet de théologie tiré en grande partie des œuvres de
Gilles et publié d'abord à Naples en 1683-1690, puis à Rome
en 1692-1696, par le P. Fred. Nicolas Gavardi, augustin.
N. Mattioli, O. S. A., Studio crilico sopra Egidio Romano
Cnlonna arcivescovo di Bourges dell' ordine Romitano de
sant' Agostino, dans V Anlologia agost iniana, Rome, 1896,
t. i; Histoire littéraire de la France, t. xxx, au mot : Gilles
de Rome; Analecta augustiniana, 1 907-1 908,;t. n, p. 278 sq.;
G. Boffito, Saggio di bibliograpa Egidiana, Florence, 1911;
Ossinger, Bibliotheca augustiniana, Ingolstadt, 1768, p. 237-
250; Féret, La faculté de théologie ci ses principaux doc-
teurs. Moyen âge, Paris, 1895, t. n, p. 168-169; Scheeben,
dans Kircbenlexikon, t. m, p. 690; Werner, Der Augustinis-
mus im spàteren Miitelaltcr, "Vienne, 1883, p. 225 sq. ; Hurter,
Nomenclator, 1906, t. n, col. 481-486.
N. Merlin.
4. GILLES DE V1TERBE, un des plus illustres
savants et cardinaux de l'ordre de Saint-Augustin.
Un historien de Viterbe, Bussi, Istoria délia citlà di
Vilerbo, Rome, 1742, t. i, p. 291, l'appelle Antonini
de son nom de famille, Ughelli, Caninius.
Ces renseignements sont erronés. Son père s'appelait
Antonin Canisio, et sa mère Maria del Testa. Plusieurs
de ses biographes, même Mgr Grana, déclarent que sa
famille, dépourvue des biens de la fortune, était d'une
condition très modeste; Gandolfo cite plusieurs docu-
ments pour révoquer en doute cette assertion, p. 16.
Gilles naquit vers 1465, cf. Fiorentino qui cite, p. 254,
un passage de l'Historia XX sseculorum, dans lequel
Gilles dit qu'il était enfant en 1469, à Viterbe, ou,
selon d'autres écrivains, à Canepina, et l'an 1488 il em-
brassa la vie religieuse dans l'ordre de Saint-Augustin.
Dans une lettre à Nicolas Mannio, publiée par Martène,
il raconte qu'il étudia la théologie, la philosophie, le
latin, le grec et l'hébreu dans plusieurs couvents de
l'ordre, a Amélia, à Padoue, dans l'Istrie, à Florence
et à Rome. Velcrum scriplorum colleclio, t. m, col. 1242.
Le P. Mariano de Genazzano, général des augustins,
l'appela à Rome et lui conféra le diplôme de maître
en théologie. Il lui témoigna une telle confiance
qu'il voulut se l'associer dans le gouvernement
de l'ordre. Lorsqu'il fut envoyé par Alexandre VI
comme ambassadeur auprès du roi de Naples, il se fit
accompagner de Gilles et, à leur retour, celui-ci
assista, à Sessa, le général à ses derniers moments, au
mois de décembre 1498, et dans la suite, il en fit trans-
porter les dépouilles mortelles au couvent des augus-
tins de Lecceto. Le P. Gilles s'était déjà rendu
célèbre dans toute l'Italie par son éloquence et son
érudition. Il avait prêché à Florence, Bologne, Ferrare,
Venise, Sienne, Naples, et partout il avait remporté
des triomphes. Sa renommée était si grande qu'Alexan-
dre VI voulut entendre ses sermons à plusieurs reprises.
Jules II lui écrivait le 4 novembre 1505 : Romam
est redeundum; tantum enim lui desiderium reliquisli,
ut ab omnibus in lege Domini cl salulcm animarum
quœrentibus expecteris. Pastor, Gcschichte der Pdpstc
seil dem Ausgang des Miltclallcrs, Fribourg, 1895,
t. m, p. 856. Le même pape l'envoyait à Venise.
en 1506, pour obtenir de la république qu'elle rendît
au Saint-Siège la ville de Faenza. Pastor, loc. cit.,
p. 588. La même année, à la mort du P. Augustin
Faccioni de Terni, général des augustins, il le nom-
mait vicaire général de l'ordre. C'est alors que commen-
cèrent ses premiers rapports avec Staupitz. Voir
Kolde, Die deutsche Augusliner Congrégation und
Johan von Staupitz, Gotha, 1879. L'année suivante,
au chapitre général tenu à Naples, le P. Gilles
était appelé au gouvernement de sa famille religieuse.
Son humilité l'engagea à fixer son séjour dans un
couvent solitaire du Mont-Cimino, près de Viterbe. Il y
vivait avec un petit nombre de religieux dans l'obser-
vance de la règle, et par ses lettres et ses exhortations
il s'efforçait de relever et vivifier l'esprit de son ordre.
Le 2 mai 1512, en présence de Jules II et des cardinaux,
il prononça le discours d'ouverture du concile de
Latran. Il y indiqua les maux dont l'Église soutirait, et
les bénédictions que, par le moyen des conciles, Dieu
fait pleuvoir sur elle. Pastor, loc. cit., p. 661. Ce dis-
cours excita la plus vive, admiration, et le cardinal
Sadolet, dans une lettre au cardinal Bembo, ne taris-
sait pas d'éloges sur son auteur. Au concile, le général
des augustins prit la défense des ordres mendiants,
qu'on menaçait de dépouiller de leurs privilèges et
exemptions. Dans ses lettres, surtout dans une lettre
aux augustins de Paris, il demandait aux religieux de
prier pour éloigner la tourmente, et les engageait à
réformer leur vie. Martène, loc. cit., col. 1262-1261.
A la mort de Jules II, Léon X témoigna à Gilles
la même bienveillance que son prédécesseur. En 1515,
il l'envoya à l'empereur Maximilien pour l'amener à
traiter la paix avec Venise et à combattre les Turcs.
En 1517, il le chargea d'une légation auprès du duc
d'Urbin. U lui écrivait familièrement et l'invitait à
quitter sa solitude de Cimino et à rentrer à Rome, où il
l'aurait revêtu de la pourpre romaine. Mais le P. Gilles,
qui avait été confirmé dans sa charge de prieur général
aux chapitres généraux de Viterbe (1511) et de Rimini
(1515), préférait l'humilité du cloîlie aux dignités ecclé-
siastiques. Cependant, au mois de juillet 1517 Léon X
le nomma cardinal, et l'envoya, l'année suivante,
comme ambassadeur à Charles-Quint, poui l'engager
à se mettre à la tête d'une nouvelle croisade contre
les Turcs, enorgueillis de leurs victoires en Perse. Les
charges que lui imposait sa nouvelle dignité obligèrent
Gilles à renoncer au gouvernement de son ordre, et à
le remettre entre les mains du P. Gabriel de Venise. U
annonça cette démarche à ses religieux dans une lettre
très touchante, qui est un véritable monument d'humi-
lité chrétienne. Martène, op. cit.. t. m, p. xxn. Au
retour de sa légation, le cardinal Gilles fut nommé
par Clément VII protecteur de l'ordre en 1523, pa-
triarche de Constantinople et évêque de Viterbe. On
lui confia l'administration des églises épiscopales de
1367
GILLES DE VITERRE
13fi8
Castro, Lanciano, Zara, Sutri et Népi. A Viterbe, le
cardinal donna l'hospitalité aux chevaliers de Rhodes,
que les Turcs, en 1522, avaient forcés à quitter leur
boulevard et il présida, comme légat du pape, leur
chapitre général (1527). La même année, au pillage de
Rome par les troupes impériales, il perdit sa riche
bibliothèque. La douleur, que cette perte lui causa fut
si vive et si forte qu'il tomba malade et resta une
année entière à Padoue. Clément VII le rappela à
Rome et, par une lettre très élogieuse, il l'engagea à
publier ses œuvres pour le bien de l'Eglise et les pro-
grès des sciences sacrées. Gilles se refusait par humilité
à mettre au jour ses écrits. Suivant les désirs du pape,
il travaillait avec le P. Nicolas Scutelli, augustin, à
traduire en latin plusieurs manuscrits grecs. La mort
vint le frapper au milieu de son travail le 12 ou le
21 novembre 1532. D'après l'opinion commune, il aurait
été le successeur de Clément VII sur le siège pontifical.
11 avait été, dès le début, un adversaire déclaré de
Luther.
Tous les contemporains de notre cardinal sont
unanimes à exalter ses mérites, ses talents et ses vertus.
Dans sa lettre à l'empereur Maximilien, Léon X
esquissait ainsi la physionomie morale de l'illustre
cardinal : Is quoniam est eximia integritate, riïigione,
doctrina, onmiumque propelinguariim qux nunc quidem
excohmlur, usum atquc scientiam, omnium bonarum
arlium disciplinas cognitas, et explicatas habel, le
hortor ut eum libcraliter excipias. cum mea. tum ipsius
eliam causa. Dans une lettre au cardinal Bembo, le
cardinal Sadolet ne peut se retenir de lui exprimer son
admiration pour l'éloquence du savant augustin :
Scimus enim experli pluries illam hujus viri mul-
centem omnium aures alque animos eximiam eloquen-
tiam vernacula quidem lingua elruscorum, quse Mi
palria est, abundantem, sed ex uberrimis et grœcœ
et latinœ erudilionis /ontibus deduclam. Magno enim
hic studio thcologiœ ac philosophie altissimis artibus
comités literas poliliores adjunxit. Labbe, Sacrosancta
concilia, t. xix, col. 668. Malheureusement, la plupart
de ses écrits sont encore inédits. Voici d'abord la liste
de ceux qui ont été imprimés : 1° Oratio ad lateranense
concilium, habita in sede lateranensi quinto nonas
maias 1512, Rome, 1512, dans Hardouin, Acta conci-
liorum, Paris, 1714, t. ix, col. 1576-1581; Labbe,
Sacrosancta concilia, Venise, 1732, t. xix, col. 225-235.
Elle a été résumée par Hefele, Conciliengeschichle,
t. vin, p. 501-506. L'édition donnée par Torelli, Secoli
agostiniani, t. vin, p. G27-629, reproduite par Curtius,
est incomplète et très fautive. Cf. Gandolfo, De ducentis
eeleberrimis augustinianis scriploribus, p. 20. 2° Oratio
habita post terliam sacri laleranensis concilii sessionem
in ccclrsia dive Maria Virginis de populo, de fédère
inilo inler Julium II ponlificem maximum et M.
Maximilianum imperatorem, Rome, 1512 ; 3° Epi-
stolœ selectse, recueillies par Mabillon dans un manu-
scrit de l'ancienne bibliothèque de San Giovanni à
Carbonara (Naples), et éditées par Martène, Veterum
scriptorum et monumenlorum amplissima collcclio,
Paris, 1724, t. ni, col. 1232-1268. Une lettre de Gilles
au P. Staupitz, datée du 26 juin 1510, concernant
Luther, a été publiée parHohn, Chronologia provinciœ
rheno-suevicœ ordinis jratrum eremilarum S. Auguslini,
Wurzbourg, 1744, p. 154, reproduite par Ossinger.
Quelques extraits de sa correspondance inédite ont paru
dans l' Archivio storico per le provincie napolilanc, t. ix
(1884). p. 430-452. Une lettre de Gilles au P. Gaspar
Ammon de Hasselt, O. S. A., a paru dans Henke et
Brun, Annales litlerarii, Helmstadt, 1782, t. i. p. 193.
Trois autres lettres, dont deux à Jean Reuchlin,
l'autre à Jean, Denis et Elisabeth Reuchlin, ont été
insérées dans Illustrium virorum epistolœ hebraicœ,
grœcœ et latinœ, ad Johannem Reuchlin Phorcensem,
virum nostra selalc doctissimum diversis temporibus
missiv, Hagenoe, 1519, fol. 96-98, reproduites ou men-
tionnées par Geiger, Johan Reuchlins Bricfweehscl
gesammclt und herausgegeben, dans Bibliothek des
litlcrarischen Vereins in Stuttgart, Tubingue, 1875,
t. cxxvi, p. 260-261, 276. Les trois lettres sont datées
des années 1516 et 1517.
Gilles a laissé un nom dans l'histoire de la littérature
italienne comme poète latin et italien, aussi bien que
comme philosophe. Deux de ses pièces italiennes ont
été publiées un grand nombre de fois. Nous citons
l'édition du P. Gandolfo. Fiori poelici dell'eremo agos-
tiniano raccolti ed illuslrati con un saggio délia vita di cia-
scun produltore dei medesimi, Gènes, 1682, p. 81-107. La
première pièce traite de l'excellence de la chasteté (La
Ludizia), et comprend 52 strophes. Elle a été reproduite
parCrescimbeni dans les Commentarii intorno alla istoria
délia volgar pocsia, Rome, 1711, t. ni, p. 225-235; cf.
ibid., Rome, 1710, t. n b, p. 204-205. La seconde pièce est
intitulée: Caccia bellissima di amore,et dans une poé-
tique allégorie met en garde la jeunesse contre les égare-
ments de l'amour. Elle comprend aussi 52 strophes,
et a été publiée un grand nombre de fois, Venise, 1537,
1538, dans les recueils de Dolce, d'Arrivabene, etc.,
par le P. Gandolfo, op. cit. Mais quelques historiens
de la littérature italienne sont d'avis que l'auteur de
cette pièce est Jean-Baptiste Lapini de Sienne.
Fontanini, Bibliotcca dell' cloquenza ilaliana, Venise,
1753, t. i, p. 291, dans les notes d'Apostolo Zeno.
Elle a paru sous le nom de Lapini dans la Scella di
slanze, par Augustin Ferentillo, Venise, 1572. Le
P. Gandolfo a publié deux poésies latines du même
auteur, une ode, in JEgidii Romani cardinalis laudes,
et une épigramme Domino Pctro mémorise magislro,
p. 79-80. Le Cod Ang. 1001, Narducci, p. 417, contient
trois églogues latines de Gilles : Paramellus et JEgon;
De ortu Domini; In resurrectionem Domini. La troi-
sième est en distiques; les deux premières en hexa-
mètres. Gilles serait aussi l'auteur d'une version latine
très élégante et fidèle de la célèbre pièce de Pétrarque
sur la sainte Vierge, Fontanini, op. cit., t. n, p. 46;
plusieurs madrigaux de Gilles en italien, à l'adresse de
Vittoria Colonna, tirés du manuscrit Magliabec-
chiano 720, ont paru dans le recueil de Trucchi, Poésie
italiane inédite di dugento autori dall origine délia
lingua infino al secolo decimosettimo, raccolte ed illus-
trate, Prato, t. m, 1847, p. 126-129;
D'autres ouvrages de Gilles ont été encore publiés : 1°
Promemoria ad Hadrianum papam VI de depravato statu
romanœ Ecclesiœ, et quomodo rejormari possilac debeat,
publiée par Ho fier, Analecten zur Geschichle Deutsch-
lands und Italiens, dans Abhandlungen der historischen
Classe der K. Bayer. Akad. der Wissenschafl, Munich,
1846, t. iv, n. 3, p. 62-89. Gilles conseille au pape de
s'adjoindre des hommes expérimentés et prudents dans
le gouvernement de l'Église, de frapper l'avarice et
l'ambition du clergé, de défendre l'abus des indul-
gences, le cumul des bénéfices, de renouveler l'organi-
sation administrative et ecclésiastique de la curie
romaine, de limiter les droits des princes temporels
dans la collation des bénéfices. 2° Cajetani Thiennensis
exposilio in libros de cœlo et mundo, cum jEgidii
Romani eremit. aug. quœstione de materia cseli, casti-
gante JEgidio Vilerbiensi, erem. augustiniano, Venise,
1502. Cette édition est mentionnée par Gandolfo dans
la liste des ouvrages de Gilles de Rome, p. 29. Le
P. Ange Gabriel de Sainte-Marie ne la cite pas dans le
catalogue des écrits de saint Cajétan de Tiene, Biblio-
tcca e storia degli scriltori di Vicenza, Vicence, 1772,
t. n, p. xxx-xxxm. Tomassini se borne à citer les
Commenlaria in libros de cœlo sans spécifier où ils ont
été imprimés. Bibliolhecœ patavinœ, Udine, 1639,
p. 55.
1369
GILLES DE VITERBE
1370
Parmi ses œuvres inédites citons : 1° Arislotelis
operum index ordine alphabetico digeslus, cod. Par.
65S9, Colalogus codicum manuscriptorum bibliotheese
regiœ, t. iv c, p. 260; 2° Arislotelis monumenta et
index de Arislotelis erroribus, ibid. ; 3° Liber Zohar
super libros Mosis, interprète JEgidio Vilerbiensi, cod.
Paris. 527, op. cit., t. m c, p. 43; 4° Liber qui dicilur
Temuna, eodem interprète, ibid. ; 5° Horlus nucis, eodem
interprète, ibid. ; 6° Annotaliones in librum Raziel,
ibid.; 7° Vocabulariurn linguse sanclœ, cod. Paris. 596,
op. cit., t. m c, p. 50; 8° Diversorum librorum hebrai-
eorum vocabula, cod. Paris. 597, ibid., p. 50; 9° Inter-
pretalio et annotaliones in librum decem Scphirot, cod.
Paris. 598, ibid., p. 50; 10° Inlerprelalio et annotaliones
in librum Magerchet haeloit ibid.; 11° Racanatensis
alias Recanalensis expositio in libros Mosis, ibid. ;
12° De arcana judœorum doclrina traclatus, cod. Paris.
3363, ibid., p. 402; 13° Ren Hacane liber qui Pelia
dicilur interprète JEgidio Vilerbiensi, cod. Paris. 3367,
ibid., p. 445; 14° Informalio contra lulheranam seclam,
attribué à Gilles par Mabillon, Ribliothcca bibliothc-
carum, Paris, 1739, t. il, p. 779, n. 14; 15° Liber de
revolutione 23 litcrarum hebraicarum secundum viam
Ihcologicam in lingua hebrœa, interprète JEgidio
Vilerbiensi, ibid., n. 37; 10° Opus contra hebrxos de
adventu Messiee et de nominibus divinis contra eosdem,
ibid., n. 53; 17° Dictionnarium sive liber radicum, cod.
Àng. 3. Cf. Narducci, Calalogus codicum manuscriplo-
runi in bibliolheca Angelica, Rome, 1893, t. i, p. 1. Je
ne sais pas si le contenu de ce manuscrit est identique
avec le contenu des ouvrages marqués aux numéros 7
et 8. Il est l'ébauche d'une traduction en latin du dic-
tionnaire de David, lils de Joseph Kimchi, rédigée
d'après les notes de Gilles, Pélissier, Manuscrits de
Gilles de Viterbe à la bibliothèque Angélique, Rome,
tirage à part de la Revue des bibliothèques, p. 4-5;
18° Hisloria vigi,nti sœculorum per lolidem psalmos
digesta, ad Leoncm X, cod. Ang. 351, Narducci, op.
cit., p. 177; cod. 502. Le premier manuscrit renferme
aussi les additamenla du cardinal Seripando sur les
papes Léon X, Adrien VI, Clément VII, Paul III,
Jules III, Marcel II et Pie IV. Au jugement du car-
dinal Ilergenrôther et du P. Laemmcr, ce travail, qui
esquisse vingt siècles de l'histoire de l'humanité avant
et après le Christ, peut soutenir la comparaison avec
le Discours sur l'histoire universelle de Bossuet. L'au-
teur y fait preuve d'une grande connaissance de
l'Écriture sainte, des auteurs sacrés et profanes, et de
profondes vues philosophiques. Pastor l'a souvent
utilisé dans son Histoire des papes. Vittorelli, Manni,
Georgius, Baluze, Ilôfler, Laeminer s'en étaient servis
avant lui. Le manuscrit original de cette oeuvre se
trouvait autrefois à la bibliothèque du couvent de
San Giovanni di Carbonara à Naples. Le cod. Ang.
a été décrit par Pélissier, p. 11-13, qui a donné une
analyse critique soignée de l'Historia viginti sœculorum,
dans sa thèse latine de doctorat : De opère historico
JEgidii cardinalis Viterbiensis, quod manuscriplum
lalet in bibliolheca quse est in urbe augustinianorum
Angelica ejusdemque operis cui tilulus pneesl « Hisloria
viginti sœculorum » vera indole, Montpellier, 1896 : il
relève l'importance de cet ouvrage pour l'histoire de
l'Eglise au xve siècle; 19° In librum primum Senlcn-
tiarum, ad mentem et doclrinam Plalonis, cod. Ang.
636, Narducci, op. cit., p. 281; 20° Senlentiarum liber
primus usque ad XVII dislinclionem ad mentem Pla-
lonis, ibid.; 21° De laudibus cnngregalionis ilicclanx,
cod. Ang. 1156, Narducci, op. cit., p. 487; 22° Epislolœ
jamiliares. Trois manuscrits de la bibliothèque
Angelica contiennent des lettres de Gilles ou de ses
correspondants. Le cod. 688, Narducci, op. cit.,
p. 292, renferme 85 lettres (1494-1517), adressées la
plupart à Gabriel de Venise, général des augustins; le
cod. 762, Narducci, op. cit., p. 316, renferme 10 lettres
en italien, adressées au P. Jean François Liberta, du
18 juillet au 6 août 1532, cf. Torelli, Secoli agosliniani,
Bologne, 1866, t. vin, p. 568; et une lettre du 3 avril
1531 au P. Sébastien de Rimini. Le cod. 1001, Nar-
ducci, op. cit., p. 416-41S, est le recueille plus riche des
lettres de Gilles. Elles y sont divisées en 8 livres. Le
compilateur de ce recueil, d'après le P. Gandolfo,
serait le P. Séraphim Ferri de Castellina, op. cit., p. 19.
P. Xiste Schier, dans les Addenda (inédits) ad Ossingcri
Eibliothecam auguslinianam, cod. Ang. 353, p. 203. Cette
correspondance de Gilles, d'après Pélissier, qui a
décrit les manuscrits ci-dessus mentionnés, est très
curieuse pour reconstituer les relations littéraires du
cardinal, et son action comme chef de l'ordre, p. 11.
La bibliothèque Vaticane possède en outre, un cer-
tain nombre de lettres adressées à Gilles, entre autres
à Aléandre. 23° Iragion,seu explanalio lillerarum hebrai-
carum,cod. Vat. 5808; 24° Dcmoribus Turcarum, perdu;
25° De Ecclesiœ incremenlo ad Julium II; 26° Annota-
liones in tria priora cupita Gencseos; 27° Liber dialo-
gorum. Ces trois ouvrages sont mentionnés par Ciac-
conius et Ellsius, sans aucune indication.
Pontanus, Opéra omnia, Venise, 1519, t. n; l'auteur y
publie Sermo JEgidii ad populum, fol. 156-158, et un dia-
logue dédié à vEgidius (Mgidius dialogus), p. 155-173,
qui renferme des notices biographiques et littéraires sur
le savant cardinal; Ambr. Flandini, Sermo de triplai vita
in festo divi Aurelii Augustini, Quadragesimaliam concio-
num liber qui gentilis inscribitar, ex elhnicorum christia-
norumque erudimentis collectus, Venise, 1523, p. 481-482;
Bembo, Epistohr, Venise, 1552, p. 261-264, 343-344, 486-487,
489-490, 492-493, 520-523; Jovius, Elogia virorum litteris
illustrium, Baie, 1577, p. 159-160; Giraldi, De poetis nostro-
rum temporum dialogi duo, Bille, 1580, t. u, p. 415; Panfilo,
Chronica /ratrum ordinis eremUarum S. Augustini, Rome,
1581, p. 73-80; Ferronus, De rébus gestis Gallorum, Bàle,
1601, p. 73-80; Galatini, De arcanis catholicœ veritatis,
Francfort, 1612, p. 22; Curtius, Virorum illustrium ex
ordine eremUarum D. Augustini elogia, Anvers, 1636,
p. 93-107; Corentini, De episcopis Viterbii summa chrono-
logica, Viterbe, 1640, p. 100-168; Aubéry, Histoire générale
des cardinaux, Paris, 1645, t. m, p. 289-293; Landucci,
Sacra Leccetana selua, Rome, 1647, p. 126; Ellsius, Enco-
miasticon augustinianum, Bruxelles, 1654, p. 14-15; Conte-
lori, Elenclius S. R. Ecclesiœ cardinalium ab anno 1430
ad annum 1459, Rome, 1659, p. 124-125 ; Oldoino, Athenœum
romanum, Pérouse, 1676, p. 32-33; Ciacconius, Vitx et res
gestse pontificum romanorum et S. R. Ecclesiœ cardinalium,
Rome, 1677, t. m, col. 395-399; Gandolfo, Fi'ori poetici
dell' eremo agostiano, Gênes, 1682, p. 71-78; Le porpore
agostiniane, Additione al dispaccio istorico curioso et erudito,
Mondovi, 1695, p. 36-43; Dissertatio hislorica de ducenlis
celeberrimis auguslinianis scriptoribus. Rome, 1704, p. 16-
•20; Palatio, Easti cardinalium omnium sanctœ romanœ
Ecclesiœ, Venise, 1703, t. n, col. 682-689; Piazza, La
gerarchia cardinalizia, Rome, 1703, p. 528 ; Eggs, Purpura
docta, Munich, 1714, t. u, p. 396-400; Le Mire, Auctarium de
scriptoribus ecclesiasticis, dans Fabricius, Bibliotheca eccle-
siaslica, Hambourg, 1718, p. 132-133; Colomiès, Ita-
lia et Hispania oricntalis, Hambourg, 1730, p. 41-46;
Michel de Saint-Joseph, Bibliographia critica sacra et
prophana, Madrid, 1740, t. i, p. 113-114; Bussi, Storia délia
citta di Viterbo, Rome, 1742, p. 291, 304 ; Jocher, Allgemeines
Gelehrten-Lexikon, Leipzig, 1750, t. I, p. 1624; Elogia
S. R. E. cardinalium pietate et doclrina illustrium, Rome,
1751, p. 106; Fabricius-Mansi, Bibliotheca latina, Padoue,
1754, t. i, p. 24; Sadolet, Epistolœ, vu et lxxxh, Rome,
1760, t. i, p. 18-20, 230; Ossinger, Bibliotheca augusliniana,
p. 190-198; Laurence Grana, évoque de Segni, Oralio in
(ancre JEgidii Viterbiensis, card. S. R. E., ex ms. codice
membranaceo bibliothecœ Marii Compagnonii Marcluscii
S. Iï. E. cardinalis amplissimi, eruta et a Johanne Christo-
phoro Amadutio nunc primum in lucem édita, Rome, 1781 ;
cette oraison funèbre ne contient presque pas de détails
biographiques sur Gilles; Cardella, Memorie storiche dei
cardinali délia santa romana Chiesa, Rome, 1793, t. iv,
p. 47-50; Moroni, Dizionario ecclesiastico, Venise, 1841,
t. vu, p. 211-215; Lnntori, Postrema sœcala sex religionis
13/1
GILLES LE VITERËE — GINOULHIAC
1372
auguslinian.se, Tolcntin, 1859, t. n, p. 4-10; Eremus sacra
augustiniana, Rome, 1874, t. i, p. 191-196; Laemmer, Zut
Kirchengeschichte des sechzehnten und siebenzehntcn Jahr-
hundcrts, Fribourg, 1S63, p. 65-67; Geiger, Johan Reuchlin,
sein Leben und seine Werke, Leipzig, 1871, p. 399, 404,
437, 450; A. \V., Wor der Reformation, dans Historisch-
politische Blitter, 1877, t. lxxix, p. 203; Kôlde, Die deulsche
Augustiner Congrégation und Johan von Staupitz; ein
lu ilrag zur Ordens und Re/ormationsgeschielUe, Gotha,
1879, p. 124, 197-198, 231-232, 238, 257, 272, 312, 324;
Hôaer,PapstAdrianVI, Vienne, 1880, p. 210-214; Fioren-
tino, Egidioda Viterbo ei Pontanianida Napoli, dans Archiuio
storico per le provincie napolitane, t. ix, 1884, p. 430-452;
ITcfele, Conciliengeschichte, t. vin, p. 501-506, 676, 692,
765, 768, 788; 1890, t. ix, p. 5, 177; Fiorentino, Risorgi-
mcnto fdosofwo nel Quattrocento, Naples, 1885, p. 251;
Gregorovius, Gescliichle der Sladt Rom im Millelalter,
Stuttgart, 1888, t. vin, p. 55; Kjrchenlexikon, 2° édit.,
Fribourg, 1890, t. i, p. 255-256; Pélissier, De opère historico
/Egidii cardinalis Viterbicnsis, Historia viginli sseculorum,
Montpellier, 1896; Pastor, GeschicMe der Papsle, Fribourg,
1906, t. iv a, p. 141, 470-471; Paquier, Jérôme Aléandrc,
Paris, 1900, passim.
A. Palmieri.
GILLOT Jacques, érudit français, né à Langres,
dans la première moitié du xvie siècle, mort à Paris
en janvier 1619. Il entra de bonne heure clans les ordres
et prit rang parmi les conseillers clercs du parlement,
dont il devint le doyen. Il était en même temps
chanoine de la Sainte-Chapelle de Paris et doyen du
chapitre de Langres. Très érudit, il était lié avec les
savants les plus estimés de son époque. On lui doit une
édition des œuvres de saint Ambroise, 3 in-fol.,
Paris, 15C9, et de saint Hilaire, in-fol., Paris, 1572.
Lors des troubles qui marquèrent la fin du règne de
Henri III, il prit parti contre la Ligue et fut un des
principaux auteurs de la Satyre Ménipée. Parmi ses
autres écrits nous mentionnerons : Actes du concile de
Trente en 1562 et 1563 pris sur les originaux, in-12,
Paris, 1607; Instructions et missives des rois très
chrétiens de France et de leurs ambassadeurs ; cl autres
pièces concernant le concile de Trente prises sur les
originaux, in-8°, Paris, 1608. Cet ouvrage eut plusieurs
éditions : la plus complète est celle qui fut donnée par
Pierre et Jacques Dupuy, in-4°, Paris, 1654; Traites
des droits et libertés de l'Église gallicane, in-4°, Paris,
1609.
Dupin, Table des auteurs ecclésiastiques du XVII» siècle,
in-8°, Paris, 1704, t. n, col. 1575; Roussel, Le diocèse de
Langres, in-8°, Langres, 1873, t. i, p. 172; Hurter, Nomen-
clator, 1907, t. m, col. 87-88.
B. Heurtebize.
GINOULHIAC Jacques-Wlarie-Achille, né à Mont-
pellier, le 3 décembre 1806, fit de fortes études,
surtout de sciences et de philosophie. Ordonné piètre
le 27 mars 1830, il fut aussitôt après nommé professeur
au grand séminaire de sa ville natale. Le 19 jan-
vier 1835, il prononça YOraison funèbre de Mgr Four-
nier, in-8°, Montpellier, 1835. Chanoine honoraire
en 1836, il devint aumônier du couvent de la Provi-
dence en 1837. L'archevêque d'Aix le prit, en 1839,
pour son vicaire général. Durant cette période, il
rédigea en grande partie les conférences ecclésiastiques
d'Aix. Il publia son Histoire du dogme catholique
pendant les trois premiers siècles de l'Église el jusqu'au
concile de Nicêe. Ire partie. De Dieu considéré en lui-
même. Unité de sa nature, Trinité de ses personnes,
2 in-8°, Paris, 1852; 2e édit., revue et augmentée,
3 in-8°, Paris, 1866. Il y déployait une grande érudi-
tion et il y montrait que les dogmes catholiques de
Dieu et de la Trinité n'étaient pas des produits
de la raison humaine, mais qu'ils appartenaient au
dépôt de la révélation chrétienne et que seule leur
explication avait pris plus de clarté et de précision
au cours des trois premiers siècles. L'introduction
de la seconde édition, datée du 1er décembre 1865,
indique les corrections et les additions faites à la
première. Mgr Braillard, évêque de Grenoble, lui
offrit, le 2 juin 1852, sa succession. Nommé le 9 dé-
cembre, préconisé le 7 mars 1853, Mgr Ginoulhiac
fut sacré à Aix, le 1er mai. Il écrivit aux évêques une
lettre sur les apparitions de la sainte Vierge à la Salette
et adressa au pape, en 1854, un Mémoire lithographie.
Il se prononçait en faveur de leur réalité. Plus tard,
en 1869, il approuva la fondation des religieuses de
Notre-Dame de la Salette. En 1860, il écrivit une
Lettre circulaire sur la situation actuelle des Étals de
l'Eglise, et le 20 décembre, il prononça une Allocution
aux obsèques de son prédécesseur. En 1861, il publia
le Catéchisme à l'usage du diocèse de Grenoble. En 1863,
il écrivit une Lettre... à l'un de ses vicaires généraux,
sur la Vie de Jésus par M. Renan. Il tint un synode
pour préparer les Statuts du diocèse, qui furent publiés
en 1864. Il expédia à ses prêtres une Lettre circulaire
sur les accusations portées dans la presse contre l'ency-
clique du 8 décembre 1864 el le Syllabus, Grenoble, 1865;
il y en eut trois éditions. Elle est reproduite dans
Baulx, Encyclique cl documents, Bar-le-Duc, 1865,
t. ii, p. 437-487. Il publia : Les Épîtres pastorales
ou réflexions dogmatiques et morales sur les Épîtres
de saint Paul à Timothèc et à Tile, in-12, Paris, Gre-
noble, 1866. Il fonda la Semaine religieuse en 1868,
et rétablit la liturgie romaine en 1869. II écrivit dans
la Semaine religieuse, sous la signature J., des articles
sur Le concile œcuménique, qui furent réunis avec
des éclaircissements et des notes, in-8°, Paris, 1869.
Le 1er juillet 1867, il avait signé, au centenaire de
saint Pierre à Rome, l'adresse des évêques présents à
Pie IX pour lui manifester leur joie de la convocation
du concile du Vatican. Il prit plusieurs fois la parole
au concile : le jeudi 30 décembre 1869, à In 5e congré-
gation, sur le schéma de la doctrine chrétienne opposée
aux erreurs du rationalisme; le mardi, 22 mars 1870,
à la 31e congrégation, sur le c. iv de ce schéma; le
mardi 28 juin, à la 78e congrégation, sur le schéma de
l'Église. Au consistoire de la veille, il avait été préco-
nisé archevêque de Lyon. Il signa différents postulata :
le 12 décembre 1869 et le 2 janvier 1870, sur la bulle
Multipliées inler et l'ordre à suivre au concile; le 12 jan-
vier, pour la non-définition de l'infaillibilité pontificale;
le 1" mars, à propos du décret du 20 février touchant
l'ordre des matières à traiter sur l'Église; le 4 mai, les
plaintes sur la violation du concile; le 8 mai, contre la
préférence donnée à la primauté et à l'infaillibilité du
pape dans le schéma De Ecclesia; le 4 juin, contre
l'ordre donné de finir la discussion générale sur le
schéma; le 9 juillet, contre des additions faites à ce
schéma. Le 13 juillet, à la congrégation générale, il
dit: Non placel au sujet de la définition de l'infailli-
bilité. Le 17, il signa la lettre adressée à Pie IX par les
antiinfaillibilistes pour lui annoncer qu'ils n'assiste-
raient pas à la iv» session du concile, qui se tiendrait
le lendemain. Il n'y assista pas, en effet; il était rentré
à Grenoble le 20; mais de Lyon, où il s'était rendu le
3 août et où il fut intronisé le 11, il adressa, le 16, au
pape, une lettre par laquelle il adhérait au dogme de
l'infaillibilité pontificale. Voir Acta el décréta sacrosancli
cecumcnici concilii Valicani, dans Collcclio lacensis, Fri-
bourg-en-Brisgau, 1890, t. vu, p. 715, 731, 736, 754,
917, 920, 946, 962, 980, 9S4, 987, 992, 995, 996, 1039;
Granderath, Histoire du concile du Vatican, trad. franc.,
Bruxelles, 1909, t. n a, p. 58-60, 88, note, 93, 125, 161,
185, 345; 1911, t. n b, p. 33-37, 76, 115-121 (discours
sur la liberté la plus grande à laisser à la science). Il
publia ensuite : Le sermon sur la montagne, avec des
réflexions dogmatiques morales, in-12, Lyon, 1872.
En 1873, il réunit un synode et publia les Statuts syno-
daux, in-8°, Lyon, 1874. Son mandement de carême
de 1874 traitait la question sociale sous ce titre : Du
1373
GINOULHI'AC — GIOBERTI
1374
riche qui se perd et du pauvre qui se sauve. Ses forces
et sa raison déclinèrent bientôt, et il mourut à Mont-
pellier, le 17 novmbre 1875. Ses héritiers éditèrent un
ouvrage qu'il laissait manuscrit : Les origines du chris-
tianisme, 2 in-8°, Paris, 1878, dont le t. i contient les
documents et le t. n expose les faits et la doctrine.
Mgr Thibaudier, Mandement à l'occasion de la mort de
Mgr J.-M.-A. Ginoulhiac, Lyon, 1875; Lettre de Mgr l'évêque
de Montpellier au clergé de son diocèse au sujet de la mort
et des funérailles de Mgr l'archevêque de Lyon, 20 novem-
bre 1875, Montpellier, 1875; Mgr Cotton, Oraison funèbre
de Mgr Ginoulhiac, 14 janvier 1876, Lyon, 1876; L. Maret,
dans la France ecclésiastique pour 1876, Paris, p. 765-769;
L'èpiscopat français depuis le concordat jusqu'à la séparation,
in-4°, Paris, 1907, p. 263-264, 316-318; Catholic eneyelopedia,
New York, 1909, t. vi, p. 562; Hurter, Nomenclalor, 1913,
t. vfc, col. 1520-1521.
E. Mangenot.
GIOANNETTI André, cardinal de la sainte Église
romaine, né à Bologne le 6 janvier 1722, reçut au
baptême les noms de Melchior-Benoît-Lucidor, qu'il
changea pour celui d'André, alors qu'il revêtit l'habit
des camaldules au monastère de Ravenne. En 1740,
après sa profession, ses supérieurs l'envoyèrent à Rome
pour y faire ses études; quand il fut docteur, ils le
rappelèrent et le chargèrent d'enseigner la théologie au
monastère de Bertinoro. La renommée de sa science
franchit les murs du couvent et l'archevêque de Ra-
venne, Guiccioli, mort en 17G3, le choisit pour théo-
logien. Cette même année, il était nommé abbé du
célèbre monastère de son ordre à Classe, aux portes de
Ravenne. Il enrichit son église, augmenta la biblio-
thèque, accrut le musée; il fit dessécher les marais qui
l'environnaient et le rendaient insalubre. Toutefois,
les soins matériels ne lui faisaient pas négliger les autres
devoirs de sa charge : donnant l'exemple à tous, il
enseignait les novices, prêchait ses religieux, instrui-
sait les âmes et en dirigeait beaucoup, même au dehors
de l'abbaye. Pendant une disette, en 1766, bientôt
suivie d'une épidémie, il fut la providence de toute la
région, distribuant sans compter les provisions du
monastère et, quand les greniers et la caisse furent
vides, il emprunta pour payer le grain qu'il faisait
venir par mer. Après l'expiration de sa charge à Classe,
le P. Gioannetti fut appelé à Rome pour gouverner le
monastère de Saint-Grégoire au Cœlius (1773). Le
cardinal Braschi, le futur Pie VI, en était alors com-
mendataire; il eut occasion de connaître l'abbé, et
devenu pape il le créa, le 30 janvier 1772, évêque titu-
laire d'Imeria et administrateur de l'archidiocèse de
Bologne. Le 23 juin de l'année suivante, il le faisait
archevêque et lui donnait le chapeau. Le cardinal
André Gioannetti déploya dans l'administration de son
diocèse le même zèle que jadis à Classe; il en reste
comme preuves écrites de nombreuses lettres pasto-
rales aux fidèles et au clergé. En 1784, il en publiait
dix-huit réunies en un seul volume et qui forment un
cours raisonné de religion, dans lequel il s'applique à
combattre les objections. Elles sont complétées par un
Appendice sur la suprématie du Saint-Siège, contre
Tamburini, Eybel et autres partisans des doctrines
joséphistes. En septembre 1788, il réunit un synode
dont les actes, Synodus diœcesana Bononicnsis, in-4°,
furent publiés la même année. Lorsque la Révolution
chassa en Italie beaucoup de prêtres et de religieux
français, le cardinal de Bologne leur fut très hospita-
lier. Quand les États pontificaux furent envahis par
les armées de la Révolution, il ne craignit pas de rap-
peler avec fermeté, dans une lettre au sénat de Bologne
du9 janvier 1797 les droits et les lois de l'Église. L'année
suivante, Pie VI, emmené en captivité, passa par
Bologne; le cardinal accourut pour le consoler et put
l'entretenir pendant de courts instants. Il devait se
rappeler, alors, comment en 1782 il avait eu la joie de
lui faire un tout autre accueil, alors qu'il revenait de
Vienne et l'accompagnait à Imola pour la consécration
de la cathédrale. Les troupes autrichiennes ne tardè-
rent pas à chasser les envahisseurs et l'archevêque
s'employa à réparer les ruines matérielles et morales
qu'ils laissaient après eux. Il se rendit au conclave de
Venise qui nomma Pie VII et revint dans son diocèse
pour y mourir le 9 avril 1800.
Ami de la religion du 28 septembre 1825, reproduit dans
le Dictionnaire des cardinaux de Migne, Paris, 1857; Moroni,
Dizionario di erudizione slorico-ecclesiastica, Venise, 1845,
t. xxx, art. Gioannetti; Hurter, Nomenclator, 1912, t. v,
col. 327-328.
P. Edouard d'Alençon.
GIOBERTI Vincent, philosophe et publiciste
italien, né à Turin le 5 avril 1801, appartenait à une
famille très pauvre, et, devenu orphelin de bonne
heure, il ne dut qu'à la générosité d'une bienfaitrice
de pouvoir arriver au sacerdoce; en 1852, il était reçu
docteur en théologie, avec une thèse, De Deo el rcligione
nalurali, qui déjà trahit un certain penchant de l'auteur
à l'idéalisme. Esprit élevé et vigoureux, quoique peu
sûr, cœur chaud et imprégné de la foi chrétienne, mais
sans la douceur et la mesure qui conviennent au prêtre,
Gioberti remplira plus tard l'Italie de son nom. Les
imprudences de son langage en matière politique le
feront arrêter en 1833 et bannir après quatre mois de
détention. Expulsé du Piémont, il se réfugiera d'abord
en France, à Paris, puis à Bruxelles, où il occupera
un modeste emploi de professeur dans une institution
fondée par un de ses compatriotes. Pendant les quinze
années que dura son exil, de 1833 à 1858, il s'adonna
principalement à l'étude de la philosophie. Ce fut à
Bruxelles qu'il écrivit la Teoria delsovranaturale, 1838,
livre dans lequel la philosophie, la théologie, la politique
se mêlent et se confondent; Inlroduzione allô studio
délia filosofia, 1839-1840; Errori fdosofici d'Antonio
Rosmini, 1841, attaque aussi violente qu'inattendue
des théories rosminiennes. En même temps qu'il
accuse l'idéologie du prêtre de Rovereto d'être un
pur psycbologismc, qui rend impossible une ontologie
vraie et qui repose sur un principe rationaliste, Gioberti
se rattache à l'ontologisme de Malebranche, dont il
modifie seulement la forme, et il professe la doctrine
de la vision intuitive de Dieu. Par son idée que toute
chose est un concept et tout concept une chose, il
tend la main en quelque sorte au système hégélien
de l'identité des concepts et des corps, c'est-à-dire au
panthéisme et au matérialisme idéaliste. Quelques-uns
des ouvrages de Gioberti ont été traduits en français;
ses deux écrits, intitulés : Filosofia délia rivelazione,
et Protologia, n'ont été publiés qu'après sa mort à
Turin, l'un en 1856, l'autre en 1857.
Mais, plus encore que la philosophie, les questions
politiques et religieuses passionnaient Gioberti et lui
apportaient la célébrité; de Bruxelles il s'adressa, en
termes émouvants, aux Italiens, pour leur prêcher
l'idée de l'indépendance nationale et les adjurer de
revenir aux traditions chrétiennes de leur pays. Des
écrits politiques de Gioberti, on la diffusion n'étouffe
pas l'éloquence, je n'en citerai que deux : le Primalo
morale e policilo degli Flaliani, 1842, rêve d'une papauté
idéale, placée à la tête de la confédération italienne
et exerçant sur tous les peuples un arbitrage respecté;
le Gesuila moderno, 1847, diatribe amère contre la
Compagnie de Jésus.
Les événements de 1848 ramenèrent Gioberti en
Italie. Le roi de Sardaigne, Charles-Albert, ne se
contenta pas de lui rouvrir les portes de son pays, il
le nomma sénateur du royaume. Lorsque le pauvre
exilé de 1833 revint à Turin le 29 avril 1818, il fut
accueilli avec des transports de joie et célébré dans
des discours enthousiastes. Il parcourut comme en
1375
GIOBERTI — GIRARDEL
1376
triomphe les villes de la Haute-Italie et de l'Italie
centrale, Milan, Novare, Crémone, Plaisance, Parme,
Brescia, etc.; à Rome, le pape Pie IX lui accorda
trois audiences, le serra, paraît-il, dans ses bras et
I appela le Père de la patrie. Gioberti était alors à
l'apogée de sa popularité et de son prestige politique.
\piLS avoir été ministre sans portefeuille le 29 juil-
let 1848, il rentrait dans le ministère le 12 décembre,
avec le titre de président du conseil. Tombé du pouvoir
le 21 février 1849 à la suite d'intrigues secrètes de
Mazzini. il revint à Paris, avec une mission diploma-
tique; puis, il y vécut en simple particulier, dans une
profonde et laborieuse retraite, comme dans une
fière pauvreté, ayant refusé la pension que lui avait
offerte le gouvernement sarde. Il y mourut subitement
d'une congestion cérébrale dans la nuit du 26 octo-
bre 1852, et fut honoré à Turin de splendides funérailles.
Les vives attaques de son Rinnovamcnto d'Italia,
paru en 1851, contre le pouvoir temporel des papes,
avaient entraîné, le 14 janvier 1852, la mise à l'index
par le Saint-Office de tous ses écrits sans exception.
Massari, Ricordi biografici e carleggio di V. Gioberti,
Turin, 1869; Kraus, Essays, V série, p. 85 sq., Berlin,
1896; Louis Ferri, Essai sur l'histoire de la philosophie
en Italie au A/A" siècle, Paris, 1869, t. I, p. 387; t. Il, p. 140;
Mariano, La philosophie contemporaine en Italie, Paris,
1866.
P. Godet.
GIORGI Augustin, philologue et théologien italien
de l'ordre des ermites de Saint-Augustin, naquit à
Saint-Maur, près de Rimini en 1711. Entré en religion
à l'âge de seize ans, il se distingua rapidement parmi
ses condisciples par la promptitude et la sûreté de son
jugement. Ayant obtenu successivement tous les
grades qu'on peut acquérir dans la carrière de l'ensei-
gnement ecclésiastique, il fut chargé de cours d'abord
à Aquila, puis à Florence, à Milan, à Padoue et à
Bologne. Dans celte dernière ville, il se lia d'amitié
avec le savant Prosper Lambertini qui, une fois devenu
pape sous le nom de Benoît XIV, l'appela à Rome
pour lui confier la chaire d'Écriture sainte au collège
do la Sapience. C'est en cette qualité qu'il reçut la
mission de prouver victorieusement la parfaite ortho-
doxie du cardinal Noris dont YHistoria pclagiana
continuait à ne pas être du goût de certains théologiens
espagnols qui, malgré l'approbation romaine, persis-
taient à vouloir l'insérer dans leur Index des livres
prohibés. S'étant acquitté de cette tache d'une manière
très satisfaisante, le même pape le choisit peu après
comme directeur de la bibliothèque Angelica. Il fut
aussi procureur général de son ordre pendant dix-huit
ans consécutifs, puis, à la mort de François Vasquez,
vicaire général pendant plusieurs mois. Toutefois ce
qui le caractérise le plus, c'est son érudition et sa
connaissance de nombreuses langues orientales : on
affirme qu'il savait au moins douze idiomes étrangers
parmi lesquels l'hébreu, le chaldéen, le samaritain et
le syriaque. Il mourut à l'âge de quatre-vingt-six ans,
en 1797, estimé et respecté de tous, tant pour son désin-
téressement et ses vertus religieuses que pour son
savoir.
On a de lui : 1° Alphabetum thibeianum, missicnum
aposlolicarum eonvnodo editum, Rome, 17G2 : c'est
une collection de dissertations souvent très curieuses
sur l'alphabet, l'orthographe et la syntaxe de la
langue du Thibet, ainsi que sur la religion, la cosmo-
gonie et l'histoire civile et religieuse du même pays;
2° Fragmcntum Evangelii S. Joannis greco-copto-
thebaicum sœculi m et liturgica alia fragmenta veteris
thebaidensium Ecclesiee in lalinum visa cl illustrata,
Rome, L789; 3° une série de lettres et autres élucu-
brations plus courtes dont voici l'indication générale :
De arabicis interprelulionibus Veteris Teslamenti epi-
stola; De versionibus syriacis Novi Teslamenti rpislola;
Inscripliones Palmyren.se mussei capitolini explicatœ;
Judiciiim de Alexandri Sardii iheognnia; Fragmcntum
coplicum ex Actis S. Colulhi erutum ex membranis
vetustissimis sœc. v ac latine redditum; Anlirrheticus
advenus epislolas duas ab anongmo censore in disserla-
tionem commonitoriam Camilli Rlasii de feslo SS. Cordis
Jesu vulgatus; De miraculis S. Colulhi et reliquiis
aclorum S. Pancsnia martyris thebaica fragmenta duo :
accedunl fragmenta varia notis inserla, omnia ex musœo
Borgiano Velitcrno dcprompla et illustrata, etc. Un
certain nombre de ces travaux furent publiés sous
le titre : Doclrina Ecclcsise. et praxis cullus calholici,
Rome, 1782.
Fontani, Etogio del P. Giorgi, in-4°, Florence, 1798;
Fabronius, Vite Ralorum doctrina excellentium, Pise, 1804,
t. xvin, p. 1-50; J. Lanteri, Postrema sxcula sex religionis
augustinianœ, Rome, 1860, t. m, p. 213-219; Kliipfel,
Necrologium, p. 165-178; Biographie universelle de Mi-
chaud, t. xvii, p. 412-417; Picot, Mémoires pour servir à
l'histoire ecclésiastique du XVIIIe siècle, 3e édit., Paris, 1855,
t. vu, p. 336-337; Diccionario enciclopedico Hispano-
Americano de lilcratura, ciencias y artes, Barcelone, 1892,
t. ix, p. 429; Hurter, Nomenelator, 1912, t. v, col. 466-468.
N. Merlin.
GIRARDEAU Nicolas, né à Blois, docteur en
i théologie de la faculté de Paris, chanoine, officiai et
grand-vicaire d'Évreux, mourut vers 1750. On a de lui :
Prolegomena seu prselecliones theologicee de religione,
de verbo Dei seu scriplo seu tradito, de Ecclesia et
conciliis cum appendice de jure ecclesiastico, 3 in-8°,
Paris, 1743.
Quérard, La France littéraire, t. ni, p. 368; Hurter,
Nomenelator, 1910, t. iv, col. 1405.
B. Heurtebize.
GIRARDEL Pierre, né en 1575, à Chameroy, au
diocèse de Lan grès. Après ses premières études à
Langres, il vint à Paris. Il y fit la connaissance du
P. Joseph Bouruignoris, dominicain, du couvent de
Toulouse, qui, après avoir soutenu les épreuves de la
licence à Paris se disposait à retourner dans sa pro-
vince (159G). Il persuada au jeune Girardel de le suivre;
il devait enseigner la langue latine aux novices. En
1599, il demanda à être reçu dans l'ordre et y fit
profession le 8 septembre 1600. Après avoir consacré
quelque temps à l'étude de la théologie, il enseigna
d'abord la philosophie dès 1602, puis la théologie. Il
prit ses grades à l'université de Toulouse en 1G10.
Il avait été nommé inquisiteur de Toulouse et conserva
cette charge, sa vie durant. Deux ans après, en 1612,
il fut élu prieur du couvent de Toulouse et le gouverna
pendant trois années. Il remplit la même charge clans
les couvents de Saint-Honoré à Paris (1620), à Bor-
deaux (1623). Par deux fois, il fut fait vicaire général
de la congrégation dominicaine, dite Occitaine, en
1617 et 1626. Le maître général de l'ordre, Nicolas
Ridolfi, voulut se l'attacher, en qualité de compagnon,
et le fit venir à Rome, où il prit part aux délibé-
rations du chapitre général de 1629 en vertu d'une
permission spéciale du pape. Le P. Girardel revint en
France en 1631 pour y accompagner Nicolas Ridolfi.
De retour à Rome, l'année suivante, il y mourut le
8 février 1633, âgé de 57 ans. On a du P. Girardel :
1° Réponse à l'avertissement donné par les pasteurs de
l'Église prétendue réformée de Castres, louchant ceux
qui sont sollicités à s'en retirer et se rendre à la religion
catholique, Toulouse, 1618. Cet ouvrage parut sans
nom d'auteur. 2° Le P. Girardel avait composé sept
méditations sur le Pater, qui furent attribuées à
sainte Thérèse. Voici comment cela se fit. Selon son
habitude, le P. Girardel ne signait point ses ouvrages;
ces méditations furent imprimées d'abord en latin à
Cologne, puis traduites en français par Arnauld
d'Andilly, qui les fit paraître en 1670. Elles étaient
1377
GIRARDEL
GIRY
1378
données comme ayant été trouvées parmi les œuvres
de sainte Thérèse. Dans son Hisl. reformat. S. Theresiœ,
t. ii, 1. VI, c. vin, n. 5, le carme François de Sainte-
Marie reconnut que ces méditations n'étaient point de
sainte Thérèse. D'autre part, le P. Rey, qui avait
connu le P. Girardel et qui a laissé des mémoires sur
sa vie, affirme péremptoirement que ces méditations
sont bien de lui et non pas de sainte Thérèse. Le style
d'ailleurs le montre assez. On attribue encore au
P. Girardel un certain nombre d'écrits ascétiques, dont
les titres sont rapportés par Echard. Il avait aussi
entrepris sur la Somme de saint Thomas un grand
travail. Nous ne savons au juste de quoi il s'agissait.
Rien n'en parut
Echard, Scriptores ordinis prsedicalorum, Paris, 1719-
1721, t. ii, p. 477; Année dominicaine, Amiens, février
1679, p. 216; nouvelle édit., Lyon, février 1884, p. 215-228.
R. Coulon.
GIRARDIN Jean-Baptiste, théologien, prêtre du
diocèse de Besançon, mort le 13 octobre 1783 à Mali-
lencourt-Saint-Pancras, où il était curé. Il a publié :
Réflexions physiques en forme de commentaires sur le.
chapitre vin du livre des Proverbes depuis le verset 22
jusqu'au verset 31, in-12, Paris, 1758; pour faire suite
à cet ouvrage, il fit paraître : L'incrédule désabusé
par la considération de l'univers contre les spinosisles
et les épicuriens, 2 in-12, Épinal, 1766. On lui attribue
en outre : Lettre d'un gentilhomme à un docteur de ses
amis pour savoir s'il est obligé de se confesser au temps
de Pâques à son curé ou d'obtenir de lui la permission
de s'adresser à un autre confesseur, avec la réponse du
docteur, in-12, Épinal, 1762.
Quérard, La France littéraire, t. ni, p. 369; Hurter,
Nomenclalor, 1912, t. v, col. 302.
B. Heurtebize.
GSRDBALDI Sébastien, théologien de la congréga-
tion des barnabites, naquit à Porto Maurizio en 1654.
Ordonné prêtre, il s'adonna à l'enseignement et se
rendit célèbre dans les divers collèges de sa famille
religieuse, à Milan, à Macerata, à Bologne, et à Rome.
Ici, il fut nommé pénitencier et s'acquit une grande
renommée par sa connaissance approfondie de la
casuistique. Sa mort eut lieu au mois de mars 1720.
Voici la liste de ses écrits : 1° De seplem Ecclesise
sacramenlis, Bologne, 1706; l'ouvrage entier esL divisé
en dix traités; c'est une vaste encyclopédie de théo-
logie morale touchant les sacrements; l'auteur y
traite un grand nombre de questions particulières
qu'il est difficile de trouver dans les manuels de
théologie morale; 2° De principiis moralitatis actuum
humanorum deccmve prœceptis decalogi, Bologne, 1760;
cet ouvrage contient de savantes dissertations sur les
actes humains, le péché, les lois et les préceptes du
décalogue; 3° Juris naturalis, contractuum et censu-
rarum discussio, Bologne, 1717; on y trouve quatre
traités sur la justice et le droit général, la restitution,
les contrats, les censures et les peines ecclésiastiques.
Ces ouvrages ont paru en trois volumes sous ce titre
général : Universel moralis theologia fuxla sacros canones,
Venise, 1735. Ils ont été réédités en 5 in-fol. parle prêtre
vénitien Antoine Giandolini : Sebastiani Giribaldi Opéra
moralia, additis in nuperrima hac edilione, pluribus
suis signanter locis distribuas, ex edictis, decrelis, seu
institutionibus, atquc bullis Bcnedicti XIV, Bologne,
1756, 1758, 1760, 1762.
Pezzi, Scriplorum ex clericis regularibus congregationis
divi Paati catalogus per eorwndem cognomina alpliabetico
ordine digestus (inédit aux archives des barnabites à Rome).
A. Palmieri.
GIRY François naquit à Paris le 15 septembre
1635. Louis Giry, son père, avocat général près les
chambres d'amortissement et les francs-fiefs, était un
littérateur distingué, célèbre par ses traductions, et
DICT. DE ÏI1LOL CATIIOL.
membre du petit cénacle d'où sortit l'Académie fran-
çaise, dont il fut un des premiers membres. Avec un tel
père l'éducation de François ne pouvait manquer d'être
soignée; elle fut également chrétienne, et le désir de
servir Dieu l'emporta dans le cœur de notre adolescent
sur celui de se faire une situation avantageuse. A dix-
sept ans, il quittait furtivement sa famille pour entrer
au noviciat des minimes à Chaillot. Son père se munit
d'un ordre du parlement et fit ramener le fugitif à la
maison, espérant le faire changer de résolution. Fran-
çois fut inébranlable et finit par emporter le consente-
ment paternel; il put revêtir l'habit religieux le 19 no-
vembre 1652 et il prononça ses vœux le 30 novembre
de l'année suivante. Sous la sage direction du pieux
P. Barré, le fondateur des écoles charitables du Saint-
Enfant Jésus, notre jeune religieux fit de rapides pro-
grès dans la vertu et la science; celle-ci se manifesta
dans ses leçons comme professeur et dans deux soute-
nances publiques, la première à Amiens et la seconde
à Avignon, en présence du chapitre de son ordre et sous
la présidence du cardinal-légat; celle-là lui valut le
poste de confiance de maître des novices, qu'il ne
quitta que pour exercer les premières charges dans sa
province. Le P. Barré, qui avait apprécié les mérites de
son ancien élève, le désigna avant de mourir, 31 mai
1686, pour le remplacer comme directeur des écoles
charitables. Ce soin occupa une bonne part des deux
dernières années de sa vie, car il mourut saintement
le 20 novembre 1688. Une preuve de son zèle éclairé,
dans la direction des filles spirituelles que lui avait
léguées son confrère, se trouve dans un petit opuscule
intitulé : Méditations pour les sœurs maîtresses chari-
tables du Saint-Enfant Jésus, in-12, Paris, 1687. Son
nom comme auteur est plus connu par ses publications
hagiographiques; une des premières fut sa Disscrtalio
chronologica qua commuais et anliqua scnlenlia de anno
nalali cl œiale S. Francisci de Paula dcfendiliir, in-8°,
Paris, 16S0. Il travaillait déjà, pendant les loisirs que
lui laissaient ses devoirs, à la préparation de son œuvre
magistrale, dont le titre un peu long indique suffisam-
ment l'importance : Les vies des saints dont on fait l'office
dans le cours de l'année,... composées d'après Lipoman,
Surius, Ribadeneira et quelques autres auteurs par le
R. P. Simon Martin,... nouvellement recherchées dans
leurs sources, corrigées sur les actes originaux, qui ont
depuis paru au public, cl mises dans la pureté de notre
langue. Avec des discours sur les mystères de Noire-
Seigneur et de la sacrée Vierge,... grand nombre de vies
nouvelles,... le Martyrologe romain traduit en français...
et un Martyrologe des saints de France, 2 in-fo!., Paris,
1683. Il ne cessa jusqu'à la fin de sa vie de revoir et de
corriger cette œuvre et de l'augmenter pour une nou-
velle édition, 3 in-fol., 1687; elle parut encore après sa
mort, Paris, 1715, 1719, et elle sert toujours de base
aux recueils hagiographiques. On a vite fait de dire que
ce travail manque de critique. Pour le juger impar-
tialement, il faut se reporter à l'époque où vivait l'au-
teur, car on ne saurait vraiment prétendre qu'il fût
arrivé à un point que recherche encore la saine critique.
Il déclare lui-même avoir élagué bon nombre de fables,
tout en cherchant à garder un juste milieu, car il aimait
mieux passer pour trop crédule que de s'associer à ceux
qui ont peur du surnaturel. Il revit donc l'ouvrage de
son confrère, le P. Simon Martin, le corrigeant au point
de vue de la langue, refondant certaines légendes, en
ajoutant d'autres et le complétant par la biographie
des personnages contemporains morts en réputation de
vertu éminente. Quelques-unes de ces esquisses bio-
graphiques ont été imprimées séparément. Le Journal
des savants, rendant compte de la Vie du P. Giry par
le P. Claude Baiïron, Paris, 1691, écrivait qu'après
avoir enseigné la théologie de saint Thomas. « il se
dévoua à la théologie mystique, et prit la plume pour
VI. - 44
i:i7i»
GIRY
GISMONDI
1380
consacrer son premier travail à l'enfance de Jésus-
Christ. Cet ouvrage, continue le Journal, n'a pas encore
vu le jour. Peu après, il composa l'Entretien de Jésus-
Christ avec l'âme chrétienne, qu'il joignit à une poésie
d'Aspirations saintes, dont il y eut plusieurs éditions
à Paris et dans les provinces. Son petit Livre des cent
points d'humilité est entre les mains de tout le monde,
et la duchesse de Ventadour l'a fait imprimer à ses
dépens à Moulins. Les Explications, les notes et les
lions qu'il a faites sur la règle du tiers-ordre de
saint François de Paulc, sont recherchées par plusieurs
personnes de piété. » On lit encore au même endroit
qu'on retrouva dans ses manuscrits le dessein d'un
ouvrage en quarante chapitres, sous le titre de Sin-
gulttis animée pœnitentis, qui aurait été tout différent
de celui de Bellarmin De gemitu columbœ. Il laissait
aussi de nombreuses dissertations qui auront probable-
ment disparu, ainsi que ses restes ensevelis dans une
tombe de pierre en l'église du couvent de la place
Royale, rasée en 1803.
Journal des savants, 1698, t. xix, p. 444, d'après la Vie
du R. P. François dry, par le P. Claude Raffron, Paris,
1691; Morérl, Le grand dictionnaire historique, Paris, 1745;
Henri de Grczes, Vie du R. P. Barré, fondateur de l'Institut
des Écoles charitables du Saint-Enfant-Jésus dit de Saint-
Maur, Bar-le-Duc, 1892.
P. Edouard d'Àlençon.
GISBERT Jean, jésuite français, hé à Cahors
en 1630, admis au noviciat de la Compagnie de Jésus,
le 2 octobre 1654, enseigna la philosophie et la théo-
logie à Tournon, puis la théologie dogmatique à
Toulouse pendant dix-huit années avec un succès dû
à l'excellence de sa méthode et au caractère original
de son enseignement. Défenseur ardent de la scolas-
tique, le P. Gisbert chercha dès le début à renouveler
la théologie de son temps en donnant à la positive
et spécialement à l'étude des faits en connexion avec
le dogme une importance qui semblait excessive à
plusieurs et qui constituait vraiment ime intéressante
et hardie nouveauté. Son premier ouvrage où il
exposait et appliquait tout ù la fois sa méthode :
Vera idea theologiœ cum historia ccclesiaslica socialse,
sive quœsliones juris et facti theologiœ, Toulouse, 1676,
eut un immense succès. Réimprimé à Paris, à Gratz, a
Vienne, à Passau, à Augsbourg et dans d'autres villes,
il exerça une influence incontestable sur l'orientation
des méthodes théologiques en Allemagne dans tout
le cours du xvnie siècle. L'introduction contenait
une longue dissertation sur la méthode en théologie.
L'auteur gardait à la scolastique tous ses droits, mais
il s'élevait contre les excès de la dialectique et les
vaines subtilités d'école; il entendait ramener la
théologie à l'étude des questions vraiment fonda-
mentales de la religion et des vérités dogmatiques en
s'appuyant tout d'abord sur la base solide des textes
et des faits. La scolastique ne doit pas être une
métaphysique du dogme, mais une connaissance
raisonnée des matières de la religion, une dialectique
serrée, mais portant sur l'Écriture, les Pères, l'his-
toire de l'Église et l'antiquité sacrée. Dans le même
ordre d'idées et de tendances, le P. Jean Gisbert
entreprit bientôt une série de conférences théologiques
à l'Académie de Toulouse sur des matières historico-
dogmatiques. Les principales : Petrus Paulo concors
seu discordia Pclrum inlcr cl Paulum; De Zozimo
pontiflee in causa Pelagii et Cseleslii; Defensio Ecclcsiie
in negotio trium capitulorum; De Ilonorio pontiflee in
casu monothelilarum, furent publiées sous ce titre :
Disserlaliones Academicse seleclœ, ad ornatum chri-
slianse theologise cum historia ccclesiaslica nova methodo
•ocialse, Paris, 1688, et plusieurs fois rééditées. Il
serait intéressant de suivre dans les écrits du temps
l'impression produite par cette méthode alors si
nouvelle, mais qui ne semble pas avoir exercé sur les
études théologiques en France une influence compa-
rable à celle qu'elle obtint peu à peu à l'étranger.
Le Journal des savants, dans un article approfondi du
19 septembre 1689, avait attiré l'attention sur la
méthode théologique du P. Gisbert, dont il louait sans
réserve les mérites. « Il est difficile de former, disait-il,
une plus belle idée de théologie que celle que le
P. Gisbert vient de donner. » C'est seulement dans le
cours du xviii0 siècle que ces idées alors très neuves
pénétrèrent en Sorbonne, sans toutefois rénover son
enseignement. Le P. Gisbert avait conçu le projet de
publier une théologie complète, en une vingtaine de
volumes, suivant cette méthode à la fois scolastique,
historique et critique, dont il revendiquait à bon droit
la paternité et qui marque un étonnant effort dans
l'histoire de la théologie au xvnc siècle. Le Ier volume
parut en 1699 : Scicnlia religionis universel, sive chri-
stiana Iheologia historiœ ccclesiaslicœ nova methodo
sociala, quœstiones juris cl facti thcologicas complcctens,
Paris, 1789, suivi aussitôt du ne volume : Dcus in se
unus cl trinus, ibid., lorsque, pour des causes peu
connues, la publication cessa brusquement. Il est
vraisemblable que la méthode souleva des critiques
en haut lieu, car nous voyons à partir de cette date
le P. Gisbert abandonner ses chères études dogma-
tiques pour prendre part aux discussions soulevées
par la question du probabilisme. Le dernier ouvrage
sorti de sa plume a pour titre : Antiprobabilismus
seu tractatus Iheologicus fidelem lolius probabilismi
stalcrum conlinens, in qua ex ralionibus divinis accuratc
examinalur seu veriias seu falsilas ulriusquc probabi-
lismi in maleria morali, Paris, 1703. Le titre indique
exactement l'objet et la méthode de cet important
ouvrage dont le cardinal de Noailles avait accepté de
grand cœur la dédicace en ferme tenant de la doctrine
exposée. L'ouvrage souleva un vif émoi dans la
Compagnie de Jésus et au dehors, car, à la suite du
P. Thyrse Gonzalez, l'auteur combattait résolument
le probabilisme, en déclarant qu'il rétractait ses pre-
miers sentiments et un enseignement de vingt années,
pour se ranger à l'opinion des probabiliorisles. Pour lui,
il existe deux espèces de probabilisme : le probabi-
lisme rigide qui fait valoir la probabilité de la loi contre
la liberté, et le probabilisme mitigé qui soutient la
probabilité de la liberté contre la loi. Ces deux théories
lui paraissent également irrecevables. Sa conclusion
est que, soit en jugeant, soit en agissant, il est permis
de suivre le sentiment le plus probable, même quand
il est le moins sûr. Il ajoute que le surplus de proba-
bilité doit être considérable. Mais le critérium qu'il
propose pour régler sa conduite est fort complexe et
indécis. Pour lui le degré de probabilité requis pour
agir consiste dans une vraisemblance si grande que,
tout bien examiné, elle suffise pour persuader un
homme prudent, et elle le persuadera si l'esprit
s'aperçoit qu'elle n'a pas coutume de le tromper dans
de pareilles circonstances. Le système est jugé par
là même. Le P. Gisbert mourut à Toulouse le 5 août
1710, après avoir rempli pendant les dernières années
de sa vie la charge de provincial.
Sommervogel, Bibliothèque de la C" de Jésus, t. III,
col. 1463-1466; Hurter, Nomenclalor, 3e édit., t. iv, col. 956,
1285; Zaccaria, Thésaurus tlwologicus, t. vu, p. 776-795,
1409-1413 ; Lambert, Histoire littéraire du siècle de Louis XIV,
Paris, 1776, t. i, p. 116 sq.; Acla eruditor. Lipsise, 1707,
p. 373 sq.
P. Bernard.
GISMONDI Henri, théologien de la Compagnie de
Jésus. Né à Rome, le 29 avril 1850, il entre dans la
Compagnie le 1er janvier 1869, à Rome, achève ses
études classiques à Eppan en Tyrol, étudie la philo-
sophie à Maria-Laach, puis à Louvain, la théologie à
1381
GISMONDI
GLANVILLE
1382
Laval, puis à Poyanne. Il est envoyé en Syrie pour
apprendre les langues orientales en 1881-1883, et en-
seigne la théologie dogmatique à Beyrouth, qu'il quitte
en 1885, pour revenir un an à Manrèse. Il fait ensuite
un nouveau séjour à Beyrouth, où il continue l'étude
des langues orientales; redevient professeur de théo-
logie dogmatique en 1888. A la fin de cette année, il
rentre à Rome, où il enseigne, à l'université grégo-
rienne, les langues orientales, et, à partir de 1890,
l'Écriture sainte. En 1904, il cesse d'enseigner l'Écri-
ture sainte. Consulteur de l'Index en 1902, puis exa-
minateur apostolique pour le clergé romain, il devient
enfin consulteur de la Commission biblique, reviseur
îles livres. En 1910, il est nommé professeur de langues
orientales à l'Institut biblique et meurt, le 7 février
1912. lia publié : Lingum hebraicœ grammatica, Rome;
2e édit., Disciplina linguse hebraicœ tironibus accom-
modala, Rome, 1907; Linguœ syriacœ grammatica et
chreslomatiu cum glossario, 4 e édit., Rome, 1913;
Ebed-Jesu Sobcnsis carmina selecla ex libro Paradisus
Eden, textus syriacus et versio latina; S. Grcgorii
Theologi liber carminum iambicorum, versio syriaca
ecodice Londinensi Musai Britannici (édit. commen-
cée par le P. I. Bollig, S. J.); Maris, Amri et Slibœ
de patriarchis nestorianorum commcnliiria, e codicc
Vuticano cum versionc latina, Rome, 1896-1897.
A. Michel.
1. GIUSTIN1ANI Benoît, jésuite italien, né à Gènes
vers 1550, admis au noviciat de la Compagnie de Jésus
à Rome en 1567, enseigna d'abord la rhétorique au
Collège romain, puis la théologie à Toulouse, à Messine
et à Rome, et fut pendant plus de vingt ans recteur
de la Pônitencerie du Vatican. Sur l'ordre de Clé-
ment VIII, il accompagna le cardinal Cajctan pendant
sa légation de Pologne en qualité de théologien.
Célèbre surtout comme exégète par ses commentaires
des Épîtres de saint Paul et des Épîtres catholiques :
In omnes B. Pauli apostoli Episiolas explanationes,
2 in-fol., Rome, 1612, 1613; In omnes eatholicas
Epistolas explanationes, in-fol., Lyon, 1621, il a laissé
quelques ouvrages de controverse et de théologie :
Ascanii Torrii, theologi romani, pro libertatc ccclcsia-
slica ad Gallo-Francos apologia, Rome, 1607; Ducento
e più calumne opposte da Gio. Marsilio ail' lit. ec.
cardinale Bellarmino, confutate dal D. Ollaviu dc'Fran-
ceschi theologo Mèssinese, Macerata, 1607; Risposta
al Parère di Marcanlonio Cappella sopra le conlroversic
Ira il sommo ponte [ice e la republica di Venczia, Rome,
1697; Dispulalio de matrimonio injidelium. Le P. Gius-
tiniani était doué d'un remarquable talent oratoire.
A la mort d'Innocent IX, c'est lui qui fut chargé,
par un commun assentiment, de prononcer l'oraison
funèbre du pontife devant le collège des cardinaux.
Il mourut saintement à Rome le 19 décembre 1622.
Sommervogel, Bibliothèque de la C'° de Jésus, t. ni,
col. 1439-1491; Hurter, Nomenclator, 38 édit., 1911, t. n,
col. 234.
P. Bernard.
2. GIUSTINIANI Horace naquit le 28 février 1585
dans l'île de Chlo, que ses parents administraient pour
le compte de la république de Gènes. Envoyé à Rome
encore enfant, il s'y donna à l'étude et à la piété. A
vingt-cinq ans, suivant en cela l'exemple de son frère
Julien, il entra à l'Oratoire et continua ses études, tout
en se livrant à la prédication; ses sermons étaient
l'emplis d'exemples empruntés a l'histoire, qu'il recueil-
lait au courant de ses lectures. Le P. Giustinianifutun
des plus actifs promoteurs du culte de saint Philippe de
Néri, placé sur les autels par Urbain VIII (6 août 1623).
Sa vertu et sa science attirèrent sur lui les regards du
cardinal François Barberini, neveu du pape susdit, et
en 1632 il le nomma custode de la bibliothèque Vati-
cane à laquelle il était lui-même préposé. Ces fonctions
lui permirent de retrouver et de publier les Actes du
concile de Florence. Il était encore consulteur de la
Propagande, du Saint-Oiïîce et faisait partie de la Visite
apostolique. Le cardinal Barberini, titulaire de la
célèbre abbaye de Farfa, lui en avait déjà confié le
gouvernement et il obtint encore pour lui de son oncle
le siège de Montalto (10 septembre 1640). Ne se con-
tentant pas du titre et des revenus, le nouvel évêque
se rendit dans son diocèse et se fit le pasteur du trou-
peau confié à son zèle; la construction du palais épis-
copal fut le gage de la paix heureusement rétablie par
lui entre le clergé et la commune. Comme le climat lui
était contraire, Innocent X, dont la famille était alliée
aux Giustiniani, le transféra au siège de Nocera en
Ombrie, le 16 janvier 1645, et le 6 mars suivant il le
créait cardinal du titre de Saint-Onuphre. Cette pro-
motion lui fit interrompre la visite pastorale de son
nouveau diocèse, et, ne pouvant le diriger lui-même, il
se démit l'année suivante. Nommé bibliothécaire de la
sainte Église, il s'occupa activement du précieux dépôt
soumis à sa vigilance; il le fit mieux ordonner et établir
des catalogues, prenant part au travail et contribuant
généreusement aux frais. Grand-pénitencier, il se
montra admirable de patience et de bénignité, ne
permettant jamais qu'une supplique demeurât sans
réponse. Indulgent et pieux, savant et prudent, on le
nommait tout bas comme le pape futur, quand la mort
vint détruire les espérances que l'on fondait sur lui.
Après avoir reçu les derniers sacrements en pleine
connaissance, il se fit déposer sur le pavé de sa chambre
et c'est ainsi qu'il mourut le 25 juillet 1649. Pour
sépulture il n'en avait demandé d'autre que la tombe
commune des prêtres de l'Oratoire en l'église de Sainte-
Marie de la Vallicella. Les Acta sacri œcumenici concilii
Florentini ab Horalio Jusliniano, bibliolhecœ Valicanœ
custode primario, collecta, disposita et notis illuslrala,
in-fol., Rome, 1638, furent reproduits dans les collec-
tions générales des conciles. La bibliothèque Valli-
celliana de Rome, ancienne bibliothèque des oratoriens,
conserve plusieurs manuscrits de Giustiniani; l'un a
pour titre : Varia de collcclionibus summorum ponli-
ficum; les autres, donnés comme autographes par le
catalogue, sont les suivants : Notula de invcnlione cor-
porum sanctorum Sardiniic ; Adnolationes philosophiez
et iheologicœ ; De juslilia cl jure Iraclalus ; Scrmoncs
morales ; Collcctio resolutionum morulium et canoni-
carum. Ces Adnolationes sont peut-être celles qu'on lui
attribue sur la Somme de saint Thomas. On dit aussi
qu'il en écrivit d'autres sur un Traclalus de angelis,
composé en grec par Démétrius de Cydon, ainsi que
des traités sur la primauté de saint Pierre et les
sacrements des grecs.
La Vie du cardinal Giustiniani se trouve dans le manu-
scrit de son confrère Paul Aringhi, te vite e detli dei Padri c
fratelli délia congregazione deW Oratorio, t. i, n. 5, Bibl.
Vallicelliana, O. 5S; Ciacconio-OUloini, Vite et res gestœ
pontifîeum roman, et S. R. E. cardinalium, Rome, 1077, t. IV,
col. 675; Hurter, Nomenclator, 1907, t. ni, col. 1107-1108.
P. Edouard d'Alençon.
GLANVILLE (Barthélémy de) était, rapporte
Wadding, un docte frère mineur qui vivait dans la
seconde moitié du xiv8 siècle. Qu'il y ait eu à cette
date un franciscain appartenant à la famille, normande
d'origine, des barons de Glanville, comtes de Sufîolk.
nous pouvons le concéder à l'annaliste et aux auteurs
sur lesquels il s'appuie, mais que ce Barthélémy puisse
être identifié avec le frère Bartholonueus Anglicus,
auteur du De proprielatibus rerum, il est impossible de
l'admettre. Celui-ci, en effet, vivait cent ans plus tôt et
son livre était écrit et fort répandu dans la seconde
moitié du xme siècle. Salimbene de Parme, dont les
Chroniques datent de 1283, renvoie, à propos des élé-
phants de Frédéric II, au livre de Barthélémy d'Angle-
1383
GLANVILLE -- GLAS
1384
terre, et la citation est exacte. En 1286, l'université de
Paris fixait les prix de location de certains manuels;
un de ceux-ci est le De proprietatibus rcrum. Il serait
facile de multiplier les preuves, mais à quoi bon ? On
a de la peine à s'expliquer l'erreur de Wadding, car à
la date de 1231 il mentionne dans ses Annales ce frère
Barthélémy Anglais, qui arrivait comme lecteur à
Magdebourg, où il était envoyé par Jean Parcnti,
ministre général. Est-ce avant ou après son leclorat en
Allemagne que Barthélémy expliqua toute la Bible à
Paris, tolum Biblium cwsorie Parisius legil, comme
écrit le même Salimbene? Nous croyons que ce fut à
son retour, car au bout de quelques années il dut
revenir dans la province de France à laquelle il appar-
tenait, ainsi que nous l'apprend l'auteur des Confor-
mités : qui librum edidit De proprietatibus rerum de
provincia Francise fuit. Pierre Bidolfî de Tossignano
l'appelle Burgundus sive Anglicus et Sbaraglia a relevé
cette appellation de Bwgundia, sur un manuscrit
aujourd'hui disparu de la bibliothèque du sacré
couvent d'Assise; toutefois il fait remarquer que ce
n'était qu'une addition postérieure. Léopold Delisle a
voulu qu'il fût français, mais sans apporter de preuves
suffisantes, car Barthélémy ne fut pas le seul Anglais
entré chez les mineurs à Paris. Barthélémy d'Angle-
terre écrivit donc un Opus, dit aussi traclatus, snmma,
de proprietatibus rerum; et cet ouvrage, remarquait
judicieusement Salimbene, était divisé en dix-neuf
livres, quem ctiam tractation in XIX libellas divisil.
Notre auteur est donc par le fait le premier grand
encyclopédiste du moyen âge, car il parcourt en en-
tier le domaine scientifique de son temps. « Dieu, les
anges; l'âme raisonnable; la substance corporelle; le
corps humain et ses parties; les différents âges de la
vie; les maladies et les poisons; le monde et les corps
célestes; le temps et ses divisions :1a matière et la l'orme;
l'air; les oiseaux; leurs genres et leurs espèces; l'eau,
son utilité et ses habitants; la terre et ses parties; la
géographie des différentes provinces: les pierres et les
métaux; les herbes et les plantes; les animaux; les
accidents : couleur, goût, etc., tels sont les titres des
dix-neuf livres de cette encyclopédie Comme on le voit,
c'est surtout la physiographie qui en fait le fond; les
questions géographiques y sont traitées de main de
maître, et sur ce point, on peut aujourd'hui encore
consulter avantageusement le De proprietatibus rerum »
(Felder). 11 ne faut donc pas s'étonner de la grande
dillusion que l'œuvre de Barthélémy eut au moyen àgc :
on en trouve des exemplaires dans presque toutes les
grandes bibliothèques, et la Nationale de Paris en
possède à elle seule dix-huit exemplaires. Elle fut aussi
un des premiers ouvrages que l'on imprima et les édi-
tions incunables sont trop nombreuses pour être men-
tionnées; la première semble être celle de Cologne,
vers 1473; viennent ensuite celles de Lyon. 1480 et
1482, de Strasbourg, 1485, etc. De bonne heure le De
proprietatibus rerum fut traduit en diverses langues :
frère Jehan Corbichon, de l'ordre de saint Augustin,
l'avait « translaté de latin en françois l'an de grâce
Mil CCCLXXII parle commandement de très puissant
et noble prince Charles le Quint. » Philippe le Hardi.
duc de Bourgogne, payait quatre cents écus d'or un
exemplaire de celle traduction, aujourd'hui à la biblio-
llièque de Bruxelles. J.e propriétaire des choses fut im-
primé à Lyon dès 1482 et réimprimé plusieurs fois.
Citons encore la traduction flamande, Boeck van dru
proprieteyten dtr dingken, Harlem, 1485; la traduction
espagnole, El libro de las propriedades de las cosas,
transladado par jraij Yiccnte de Burgos, Toulouse, 1494;
une traduction anglaise par Jean Trevisa, imprimée
a Londres avant la fin du x\ e siècle. Le livre De rcrum
accidentibus, que quelques bibliographes ont mentionné
à part, esl le dix-neuvième du précédent ouvrage.
Un autre livre, De proprietatibus apum, que l'on a
indiqué comme de Barthélémy, est, d'après Sbaraglia, de
Thomas de Cantimpré. On cite encore parmi les ouvra-
ges de Barthélémy des Allegorise Veteris et Xovi Tesla-
menli, que Wadding croit reconnaître dans les Allc-
goriiv simul el tropologise in ulrumque Teslamenium,
Paris, 1574. Cette édition n'est que la reproduction, si
même elle en diffère autrement que par la feuille du
titre, de celle que donnait en 1550 le chartreux Gode-
froid Tilman, qui la publiait comme la seconde de ce
livre, paru près de trente ans auparavant chez Josse
Bade. Il y ajouta les Allegorise Psalmorum d'Othmar
Luscinus, ce qui a fait attribuer l'ouvrage entier à ce
dernier par Lelong. Les Allegorise imprimées sont-elles
de Barthélémy d'Angleterre ? Nous en doutons très
fort, car leur auteur fait des emprunts à des écrivains
postérieurs en date à Barthélémy, par exemple, il
cite un Guillaume « de Cailloe », que nous croyons être
Guillaume de Cayeux, qui vivait à la fin du xivc siècle,
et un Pierre de Ravenne, qui pourrait bien être celui
qui écrivait un siècle plus tard. Tilman considérait ce
livre comme un ouvrage récent. Peut-être l'ouvrage
authentique de Barthélémy se retrouverait-il dans le
manuscrit 14S de la bibliothèque communale d'Assise,
jadis du sacré couvent, où se trouve un traité intitulé :
Allegorise Veteris et Xovi Testament/' ; toutefois V Incipil
qu'en donne Sbaraglia nous en fait douter. Quant aux
Sermones, Postillœ, Chronicon de sànctis, etc., qu'on
attribue encore à Barthélémy, les indications sont trop
sommaires pour permettre un jugement. Enfin le livre
Contra Laurentium Vallam, que Wadding inscrit encore
sous son nom, ne peut être ni du vrai Barthélémy
d'Angleterre, ni du problématique Barthélémy de
Glan ville, qui aurait vécu en 13(50, car Valla lui est de
cent ans postérieur. Il fut écrit par un autre Barthélémy
Fado de Gènes. Le vrai et authentique Bartholomseus
Anglicus ne serait-il l'auteur que du Propriétaire des
choses, cela suffit à sa mémoire, car cela lui a valu le
titre honorifique de Magister de propriclcdibus.
Wadding, Annales minorant, an. 1231 et 1367; Scriptores
ord. minorant, Rome, 1650; Sbaraglia, Supplemenlum el
castigalio ad scriptores ord. min., Rome, 1807; nouv. édit.,
Rome, 1908; Hilarin Felder de Lucernc, Histoire des études
dans l'ordre de S. François, Paris, 1908, p. 259-286; L. De-
lisle, Histoire littéraire de la France, Paris, 1888, t. xxx,
p. 352; Servais Dirks, Histoire littéraire et bibliographique des
Irèrcs mineurs de l'observance en Belgique, Anvers, 1886,
p. 29; Pierre Ridolfi de Tossignano, Ilistoriarum seraphicx
religionis libri 1res, Venise, 1536, col. 311; Leto Alessandri,
Inventario delV antica bibliolheca del S. convenlo di Assisi,
compilalo nel 1381, Assise, 1906.
P. Edouard d'Alençon.
GLAS Jean, sectaire écossais (f 1773), naquit en
1695 dans le comté de Fifeshire, et exerça quelque
temps le ministère dans une paroisse presbytérienne.
11 forma parmi ses paroissiens une sorte de confrérie
dont les membres se réunissaient pour célébrer la
cène une fois par mois. Ce fut probablement dans ces
réunions qu'il exposa des principes sur la consti-
tution de l'Église qui le firent déposer du ministère
par l'assemblée générale des presbytériens, en 1730.
D'après lui, chaque Église particulière était indé-
pendante et pouvait se gouverner à sa guise; il niait
en particulier que l'État eût aucun droit de se mêler
des affaires de l'Église. Sa doctrine théologique était
une sorte de calvinisme. Il établit à Dundee une Église
séparée, dont les membres se faisaient remarquer par
des pratiques spéciales. Leur principal acte de culle
était la cène, qu'ils célébraient tous les dimanches,
et ils s'appliquaient à reproduire ce qui se faisait aux
temps apostoliques. Ils célébraient des agapes, et
avaient le baiser de paix: ils s'abstenaient de sang et
de la chair des animaux étouffés ; ils pratiquaient autant
que possible la communauté des biens. Glas mourut
i::s:.
GLAS - GLOIRE
1386
en 1773. Ses disciples, qui existent encore en petit
nombre, portent en Ecosse le nom de glassistes. On
les appelle sandemaniens en Angleterre et en Amé-
rique, où la secte fut introduite par son gendre San-
deman. Ses ouvrages parurent à Edimbourg en 17G1;
une seconde édition en 5 vol. fut publiée à Dundee
en 1782. Son Trealisc on ihe Lord's supper, Edim-
bourg, 1743, a été réimprimé à Londres en 18S3.
Dictionary of national biography, Realencyclopàdie fiir
protestant ische Théologie und Kirche, 3e édit., art. Sande-
manier; Hunt, Religious Ihought in England.
A. Gatard.
GLEY Gérard, né à Gérardmer (Lorraine), le
24 mars 1761, de parents pauvres, reçut les premières
leçons de latinité du vicaire de la paroisse, qui avait
été frappé de la justesse de ses réponses au caté-
chisme. Entré au collège deColmar en 1777, il y donna
des leçons pour subvenir à son entretien; il y fit la
philosophie et y commença la théologie, qu'il alla
terminer à Strasbourg en 1781. Dès lors, il fut ré-
pétiteur, et en 1783, il enseigna la philosophie et les
mathématiques. En 1785, il présenta une thèse pour
la licence en philosophie. Ordonné prêtre, le 24 sep-
tembre 1785, il fut nommé vicaire à la paroisse Saint-
Martin de Saint-Dié. Il fut professeur de philosophie
et de théologie au grand séminaire de la même ville,
en 1787. Il était aussi examinateur synodal. Il refusa
de prêter le serment de fidélité à la constitution civile
du clergé en 1791 et il s'expatria en 1792 en Allemagne.
Après avoir fait l'instruction de quelques enfants à
Cologne, il s'établit, en 1794, à Bamberg, où il obtint
une chaire de langues étrangères à l'université. A la
demande de l'évêque du diocèse, il fonda, en 1795,
un journal allemand qui eut une grande diffusion. Il
trouva dans les archives de la cathédrale une para-
phrase des Évangiles en langue francique de l'époque
de Louis le Pieux, qui fut transférée à Munich en 1802,
quand Bamberg fit partie de la Bavière, puis en 1806
à Paris, où elle se trouve à la bibliothèque de l'Institut.
On lui refusa l'autorisation d'en publier une traduc-
tion allemande. Le maréchal Davoust, passant à Bam-
berg au mois d'octobre 1806, voulut que l'abbé Gley
l'accompagnât dans la campagne de Prusse et de Po-
logne. Dans ses courses à la suite de l'armée française,
Gley visita les bibliothèques de diverses contrées. Au
nom du maréchal, il administra la principauté polo-
naise de Lowicz en Mazovie, et il fut choisi par le
gouverneur de Varsovie comme inspecteur de l'ins-
truction publique. Au mois d'octobre 1809, il lit le
voyage de Cracovie et de Vienne. Il revint en 1811
en Pologne qu'il quitta en 1812, lors de la retraite de
Moscou, pour rentrer en France. II avait traduit en fran-
çais Y Histoire de Pologne d'Adam Naréiswicz. Le 22 sep-
tembre 1813, il fut nommé principal du collège de Saint-
Dié et il travailla avec zèle, mais sans succès, à l'établis-
sement d'un petit séminaire dans cette ville. Voir sa
correspondance avec Grégoire à ce sujet, dans le ms. 958
de la bibliothèque municipale de Nancy. Il fut mis à la
tête des collèges d'Alençon (1815), de Moulins (1817)
et de Tours (1818). Révoqué en 1823, il se retira à
Paris, au séminaire des Missions étrangères. En 1824,
il fut nommé chapelain des Invalides, et il mourut
le 11 février 1830. Il était membre de la Société royale
des amis des sciences de Varsovie et chanoine hono-
raire de Gap.
Sans parler de ses ouvrages de grammaire, de
littérature et d'histoire profanes, il a publié : In
Elcmenla philosophiez lentamen, in-8°, Paris, 1817;
Historia philosophiœ, in-12. Tours, 1822; Philosophiœ
Turonensis instituliones ad usum collegiorum el semi-
nariorum, 3 in-12, Paris, 1823-1824; Histoire de noire
Sauveur exposée d'après le texte des saints Évangiles
selon l'ordre chronologique des faits, distribuée en
60 instructions cl précédée d'une harmonie des quatre
evangélistes, 2 in-12, Tours, 1819; Doctrine de
l'Église de France sur l'autorité des souverains pontifes
et sur celte du pouvoir temporel conforme à l'enseigne-
ment de l'Église catholique sur les lettres de M. d'Aviau,
archevêque de Bordeaux, in-8°, Paris, 1827; Journée du
soldai chrétien, sanctifiée par les bonnes œuvres et par
la prière, offerte à l'armée, in-32, Paris, 1827; Obser-
vations où l'on examine les faits et principes exposés
dans le Mémoire présenté au roi par les évêques de
France au sujet des ordonnances du 16 juin 1S2S, in-12,
Paris, 1828; M. l'abbé Dumonleil. sa cause devant les tri-
bunaux, ses défenseurs, leurs plaidoyers. Mémoire pour
l'Église catholique présenté à M. le premier président el
MM. les conseillers de la cour royale de Paris, les
premières el troisièmes chambres réunies, in-8°, Paris,
1828. L'abbé Gley a donné aussi plusieurs biographies
historiques à la Biographie universelle de Michaud et
au Bulletin des sciences de Férussac.
A. G., Notice sur l'abbé Gley, in-18, Épinal, 183G; Bio-
graphie universelle, t. lxv, p. 430-434; Nouvelle biographie
générale, t. xx, col. 818-820; Feller, Dictionnaire historigne,
Paris, 1848, t. iv, p. 135; Hurter, Nomenclator, 1912, t. v,
col. 944-945; E. Martin, Histoire des diocèses de Tout, de
Nancy et de Saint-Dié, Nancy, 1903, t. m, p. 52,297, 461.
E. Mangenot.
GLOIRE. On appelle gloire l'éclat qui s'attache à
quelqu'un à cause de l'excellence bien connue de son
élat, de ses mérites, de ses actions. De là. cette défi-
nition empruntée par saint Thomas à saint Augustin :
clara cum lande nolilia de bono alicujus, ou encore cette
autre, empruntée par saint Augustin à Cicéron, De
invenlionc, 1. II, c. i.v : frequens de aliquo fama cum
liude. Cf. S. Augustin, Cont. Maximinum, 1. II,
c. xiii, P. L., t. xlii, col. 770; In Joannis evangelium,
tr. C, n. 1; CV, n. 2, P. L, t. xxxv, col. 1891, 1905; De
diversis quœstionibus, q. xxxi, n. 3, P. L., t. xl, col. 22;
S. Thomas, Sum. thcol., I» IF, q. n, a. 3; P IF, q. cm,
a. 1, ad 3""; q. cxxxn, a. 1; Cont. gentes, 1. III,
c. xxix; De malo, q. ix, a. 1. Lcssius, In /"" /F Sum.
S. Thomœ, q. i, deullimo fine. a. 8, ne fait que reproduire
la définition de saint Thomas, en faisant toutefois ressor-
tir l'élément spécifique, la connaissance. La gloire, dit-il,
est NOT1T1A de alicujus excellentia pamens amorem, vene-
rationem el laudem.
La gloire peut être tout d'abord interne, gloria
inlrinscca, ou extérieure, gloria exlrinseca. La gloire
est interne, quand elle résulte de la connaissance et de
l'estime que l'être intelligent a de lui-même, de sa propre
excellence. Elle est extérieure, quand elle résulte de la
manifestation faite a autrui des dites perfections.
De plus, gloire interne et gloire extérieure peuvent
être envisagées sous leur aspect objectif ou fondamental
ou sous leur aspect formel. La gloire objective ou
fondamentale est constituée, comme l'indique le nom,
par l'objet lui-même, fondement de la gloire formelle.
Cet objet, fondement de la gloire formelle, c'est
l'excellence môme de l'être glorifié, excellence qui, une
fois connue, lui attire louanges, honneur, amour, soit
de lui-même, soit des autres êtres. La gloire est formelle
lorsqu'elle procède de l'intelligence, c'est-à-dire lors-
qu'à la gloire fondamentale s'ajoute la connaissance
qui entraîne à sa suite louanges et honneur. Clara cum
laude nolilia se rapporte donc à la gloire formelle,
de bono alicujus indique le fondement de cette gloire.
Lessius, loc. cit., et De perfectionibus moribusque
divinis, 1. XIV, c. i, n. 7.
Ces principes généraux rappelés, il faut examiner
successivement : I. La gloire de Dieu. II. La gloire des
élus. III. La gloire humaine.
I. GLOIRE DE DIEU. — L Dans la théologie. II. Dans
l'Écriture et chez les juifs.
1387
GLOIRE
1388
I. Dans la théologie. — La théologie s'occupe de
la gloire interne et de la gloire extérieure de Dieu.
r° Gloire interne de Dieu. — Le fondement de cette
gloire, c'est l'essence même divine, laquelle est la
peifec'tion absolue. La connaissance que Dieu a de
lui-même et de ses perfections in Unies engendre la
gloire divine interne, prise dans son acception formelle.
Et comme tout est un en Dieu, Dieu est sa gloire, il
est la Gloire, comme il est l'Être, la Vérité, l'Éternité.
Il est la gloire à l'exclusion de tout autre être, parce
que seul il est le bien absolu et que seul il peut avoir de
ce bien absolu une connaissance parfaite qui entraîne
une louange et un honneur adéquats. S. Thomas,
Expositio omnes S. Pauli epistolas, in Epist. ad
Hebneos, c. i, lecl. n,
La gloire, ayant sa raison formelle dans la connais-
sancefqui procède de l'intelligence, c'est au Fils, qui
procède du Père selon l'intelligence, que l'on rapporte
plus spécialement la gloire dans la Trinité. Il est le
rayonnement de la gloire du Père, Heb., i, 2 ; cf. Sap., vu ;
26, et le ps. messianique xxm, 7, 10. Voir F. Prat,
La théologie de saint Paul, Paris, 1908, t. i, p. 520;
J. Lebreton, Les origines du dogme de la Trinité,
Paris, 1910, t. i, p. 346 sq.
Cette gloire interne de Dieu est nécessaire : Dieu ne
peut pas ne pas la vouloir ni la chercher, puisque cette
gloire, c'est lui-même, nécessairement connu et aimé
de lui-même. Cf. S. Thomas, Sum. Iheol, I», q. xix,
a. 3 ; De veritate, q. xxm, a. 4.
2° Gloire extérieure de Dieu. --La gloire interne
eût pu suffire à Dieu, car, comme Dieu, elle est infime et
on ne lui peut rien ajouter. Lessius, De perlectionibus
moribusque divinis, loc. cit. Mais cependant, sans rien
ajouter au bonheur de Dieu, la gloire peut se mani-
fester à l'extérieur par des créatures qui rendent témoi-
gnage à la bonté du créateur. Cette gloire extérieure
n'est pas nécessaire d'une nécessité absolue, la création
étant un acte essentiellement libre, voir Création,
t. m, col. 2139-2150; mais elle est nécessaire d'une
nécessité hypothétique. Voir Absolument, 1. 1, col. 137-
138. Étant donné qu'il existe des créatures, ces der-
nières ne peuvent pas ne pas être ordonnées à la gloire
extérieure de Dieu comme à leur fin dernière. Voir
Création, t. m, col. 21G7 sq.; Fin dernière, t. v,
col. 2485. C'est là une vérité de foi, définie par le
concile du Vatican, sess. m, De Deo, rerum omnium
crealore, can. 5, Denzinger-Bannwart, n. 1805.
1. Gloire extérieure objective ou fondamentale. —
Les créatures inintelligentes ne peuvent être ordonnées
qu'à la gloire extérieure fondamentale ou objective,
puisqu'elles resteront toujours un simple reflet des
perfections divines et ne pourront apporter par elles-
mêmes à Dieu le tribut d'une louange ou d'un amour
voulus et conscients. Elle manifesteront donc simple-
ment la bonté et l'excellence de Dieu au regard des
créatures intelligentes.
2. Gloire formelle extérieure. Les créatures
intelligentes — il faut se rappeler que leur existence,
même dans l'hypothèse de créatures intelligentes
déjà existantes, n'est pas certainement nécessaire,
voir Création, t. m, col. 2168 — sont données à la
gloire extérieure formelle de Dieu, parce qu'étant
douées de raison, elles peuvent et doivent reconnaître
la bonté du créateur, reflétée dans les créatures, et
en exprimer à Dieu leurs louanges et leur gratitude.
Cf. I Cor., xi, 7. Voir les textes des Pères, t. m, col.
2165-2166. Citons toutefois ou rappelons, comme se
rapportant plus directement à la question présente,
S. Grégoire de Nazianze, Orat., xxxvm, c. ix, P. G.,
t. xxxvi, col. 320; Tertullien, Apologeticus, c. xvn,
/'. L., t. i, col. 375 sq.; S. Théophile, Ad Aulol., 1. I,
c iv sq., P. G., t. vi, col. 1029 sq.; S. Jean Chryso-
stome, In Epist. 1 ad Cor., homil. v, n. 2, P. G., t. lxi,
co!. 41-42; S. Grégoire de Nysse. In verba : Faciamus
homincm, homil. n, P. G., t. xliv, col. 277 sq. ; surtout
Athénagore, voir Création, t. m, col. 2165-2166, et
Lactance, De via Dei, c. xiv, P. L., t. vu, col. 122 sq.
La distinction entre la gloire fondamentale, fin des
créatures inintelligentes, et la gloire formelle, fin des
créatures intelligentes, est esquissée par saint Thomas,
Sum. theol., I", q. lxv, a. 2, et mieux marquée par
Lessius, loc. cil. Cf. A. Ferretti, Institutiones philo-
sophie moralis, Rome, 1899, t. i, th. m; D. Palmieri,
Traclatus de creatione, Prato, 1910, th. xi.
A. Michel.
IL Dans l'Écriture et chez les juifs. — Un coup
d'œil même rapide sur une concordance montre la
grande place qu'occupe l'expression gloire de Dieu dans
la littérature biblique. Peu de mots se trouvent aussi
souvent répétés dans les saints Livres, surtout dans
l'Ancien Testament. Il en est peu aussi qui aient une
valeur comparable pour qui veut approfondir l'histoire
de la théodicée dans la religion d'Israël. C'est à ce
point de vue que nous nous placerons de préférence,
sans négliger toutefois l'usage parallèle qu'en ont fait
les auteurs du Nouveau Testament. D'une façon
générale, le mot gloire de Dieu, tel qu'on le trouve dans
la Bible, peut se ramener à deux significations prin-
cipales, l'une sortant de l'autre par voie d'analogie
d'attribution. Le premier sens, Vanalogue principal,
s'identifie avec la manifestation de Dieu à ses créatures,
dans la nature et dans l'histoire; le second, analogue
dérivé, avec la manifestation de la créature à l'égard de
Dieu. Les deux sens s'appellent et se répondent ainsi
d'une manière symétrique. L'intérêt se porte, de toute
évidence, vers la première signification, l'autre n'étant
qu'accessoire. On va en suivre les diverses vicissitudes
à travers l'Ancien Testament, la théologie juive
postexilienne et le Nouveau Testament.
1° Dans l'Ancien Testament. — L'expression gloire
de Dieu correspond à ce que les anciens Hébreux
appelaient kâbôd Yehôvâh, c'est-à-dire la lumière
éblouissante qui, dans les théophanies, révélait la
présence de Jahvé. Cette conception fut empruntée, dès
l'origine, aux éclairs et aux traits de feu de l'orage. La
tradition israélite, aussi loin qu'on puisse la saisir,
a coutume d'associer les apparitions divines aux
phénomènes météréologiques. Jahvé est essentielle-
ment, pour les Hébreux, un Dieu de flamme, Exod.,
xix, 19; le tonnerre est sa voix, à ce point que l'hébreu
n'a pas, pour désigner la foudre, d'autre mot que celui
de qôl lahvê, voix de Jahvé. Ce Dieu a pour vêtement
la nuée sombre, Ps. cxvi, 21, pour armes de vengeance,
la grêle et les traits de la foudre. Exod., ix, 23, 24, 29;
Ps. xvn, 13. Il n'apparaît jamais sans orage et sans
tremblement de terre. Sa demeure principale, même
après le séjour des Israélites dans le désert, est toujours
le Sinaï. Jud., v, 5. Là, il réside au sein de la foudre;
de là, il accourt avec fracas quand son peuple a besoin
de lui. Il vient du sud, du côté de Séïr et de Pharan,
Deut., xxxm, 2; il éclate comme une aurore boréale;
la terre tremble, c'est le signal des jugements qu'il
va exercer pour venger Israël. Cf. Jud., v, 4; Ps. lxvii.
Deux psaumes, xvn et xxviii, d'une très haute
antiquité, réunissent à merveille toutes ces images
et ces conceptions; les lire in extenso dans la belle
traduction de M. Pannier, Le nouveau psautier du bré-
viaire romain, Lille, 1913, p. 70, 82. On les retrouve
éparses, mais toujours les mêmes, dans tout le cours
de l'histoire sacrée. Ainsi, sur le seuil du paradis
terrestre, c'est un feu vengeur qui en interdit l'accès
à Adam et Eve après leur faute. Geu., ni, 24. C'est
sous l'apparence d'une flamme que Dieu se révèle à
Abraham. Act, vu, 2; Gen., xv, 17. Au temps des
patriarches, on se représente Jahvé mangeant le sa-
crifice, au moment où la flamme dévore la victime,
1389
GLOIRIÎ
1390
humant la fumée de l'holocauste, y prenant plaisir.
Gen., vm, 21. Parfois, on voit Dieu monter dans la
flamme du sacrifice et disparaître avec la langue de
feu qui s'élève de l'autel. Jud., xm, 15 sq. C'est peut-
être parce que Dieu apparaissait comme un feu
dévorant et un Dieu de foudre, qu'on craignait de
mourir si l'on venait à le voir ou à s'approcher de lui.
Exod., m, G; xix, 12; xxiv, 2; Jud., vu, 22; xm, 22.
Sa lumière est si vive qu'on n'osait pas regarder sa
face, Exod., xxxm, 20-23; Is., vi, 2; III Reg., xix,
13; et que ceux qui, comme Moïse, avaient vu seu-
lement une partie de sa gloire, en gardaient un reflet
qui éblouissait les autres mortels. Exod., xxxiv, 29,
35. C'est surtout à l'époque sinaïtique que se multiplie
ce genre d'apparitions, toutes qualifiées de gloire de
Dieu. Le Dieu du Sinaï est un Dieu de foudre. Les
théophanies se font dans l'orage au milieu des vives
et fulgurantes clartés de l'éclair. La première fois
qu'il apparaît à Moïse, c'est sous la forme d'un feu.
Exod., m, 1 sq. Quand Moïse voulut le voir, Dieu la
prit, le plaça dans un trou de rocher, où il le fit tenir
debout, le couvrit de sa large main ouverte et passa;
il retira alors sa main, si bien que Moïse le vit par
derrière. Exod., xxxm, 18-23. D'autre fois, la gloire
de Dieu produisait l'éblouissement de l'azur. Un joui-
Moïse, Aaron et les principaux d'Israël gravirent la
montagne et virent Dieu. Sous ses pieds, c'était
comme un dallage de saphir, comme l'éclat du ciel
même. Exod., xxiv, 1, 2. 9-11, Dans la marche des
Israélites à travers le désert, .lahvé accompagne son
peuple sous la forme d'une colonne, sombre pendant
le jour, comme la colonne de fumée des caravanes,
lumineuse pendant la nuit, comme les falots enflammés
qui servent de signe de ralliement aux tribus qui
voyagent de nuit dans ces immensités. Exod., xm,
21 ; cf. xxxm, 9. A plusieurs reprises, durant ce
voyage, la gloire de Dieu apparut pour réprimer les
murmures du peuple et punir ses rébellions. Exod., xvi,
7-10; Num., xiv, 10; xvi, 19-42. Après la construction
du tabernacle, Jahvé, ou plutôt sa gloire, siège sur
l'arche, entre les ailes des deux chérubins, formant
socle et lui servant de trône. I Reg., iv, 4; II Reg.,
vi, 2; Ps. lxxix, 2; xcvm, 1. Au temps des juges,
Jahvé se révèle de préférence par une sorte de double
qu'on appelle le male'âk Jahvé, sans doute l'ange
chargé de porter ses ordres. Souvent il est difficile de
savoir si ce male'âk se distingue de Jahvé lui-même.
Voir vision de Manuel. Jud., xm. Le male'âk Jahvé,
en tous cas, était alors l'agent divin, toutes les fois
que Dieu entrait en rapport avec l'homme. Ce mode
de révélation n'était pas tout à fait nouveau et s'élait
produit, mais plus rarement peut-être, au temps des
patriarches. Gen., xxn, 15-18. A partir delà construc-
tion du temple par Salomon, Jahvé est dit demeurer
dans le debir, assis entre les ailes des anciens chérubins
de l'arche : là siégeait, dans une ombre mystérieuse,
la gloire de Jahvé; une nuée permanente remplissait
le sanctuaire et rappelait ceDe du tabernacle. Lev., xvi,
2. Jahvé résidait là; aucun œil humain ne le voyait.
Plus tard, il ne fut permis qu'au grand-prêtre d'entrer
dans le debir, une fois l'an. Les prophètes, dans le
récit de leurs visions, décrivent la gloire de Dieu,
telle qu'elle leur est apparue, avec un appareil d'images
à peu près le même : lumière éclatante, gerbes de
flammes, chars de feu, nuées, orages, éclairs. Isaïe et
Ézéchiel surtout fournissent ces descriptions : qu'on
relise, par exemple, la vision inaugurale d' Isaïe, vi, ?,,
et celle de l'annonce du jugement, n, 10-21. Une
mise en scène analogue se retrouve dans la première
vision d'Lzéchiel, i, 28; m, 23. La gloire de Dieu s'y
présente, sur les bords du fleuve Chobar, avec l'éclat
de l'arc-en-ciel. Le prophète la vit ensuite se diriger
vers le temple sous forme de nuée, vm, 4; x, 4, 18. Plus
tard, il en reparle à propos des plans de restauration
du nouveau temple : la gloire de Dieu s'avance du
levant et elle entre par la porte orientale pour remplir
tout l'édifice de sa splendeur, xliii, 45. Aggée fait à
peu près la même prédiction, n, 8. De là, chez les
juifs, les expressions classiques : le temple de la gloire,
Dan., m, 53; la gloire du temple. Esther, xiv, 9. Un
des derniers chapitres d' Isaïe, îx, 1, 2, prédit enfin
que la gloire de Dieu se lèvera sur Jérusalem restaurée.
Le livre des Psaumes et l'Ecclésiastique comptent
aussi parmi les livres de l'Ancien Testament où l'ex-
pression gloire de Dieu se retrouve le plus grand nombre
de fois, mais, la plupart du temps, avec le sens dérivé,
par exemple, quand ils exhortent toutes les créatures
à louer Dieu, à l'honorer, à le remercier, Ps. xxvm,
2, 9; lxvii, 35; lxx, 8; xcv, 3, 8; cm, 31, etc.; quand
ils parlent de la gloire des saints, reflet et participation
de celle de Dieu, Ps. xx, 6; lxxxiii, 12; cxlix, 5;
Eccl., xlv, 2, 8; li, 23; ou quand ils montrent, dans
les perfections des créatures, un effet et une image de
lagloiremêmedeDieu.Ps. vm, 6; xvm, 1, 2; cvn, 6.
2° Dans la théologie juive poslexilienne. — On sait
qu'à partir de l'exil, la notion de Dieu revêtit, dans
les targums et, plus tard, dans l'enseignement oral
des rabbins, un caractère plus prononcé de transcen
dance et de spiritualisation. Dieu n'a plus les formes
et les passions humaines. A Alexandrie d'abord, en
Palestine ensuite, on aime à se représenter en Dieu
un être transcendant, vivant au-dessus du monde,
agissant du haut du ciel, inaccessible à l'œil humain.
Chez Philon, ce mouvement aboutit à son point
extrême et vient remplacer, par d'ingénieux sens
allégoriques, ce que les anthropomorphismes et les
théophanies avaient de choquant pour des esprits grecs,
habitués au spiritualisme de Platon ou d'Aristote.
La version des Septante porte elle-même des traces
évidentes et nombreuses de ce soin à faire disparaître
ou à atténuer le plus possible, dans le texte sacré, les
théophanies et les images anthropomorphiques. La
même préoccupation se fait jour dans les targums
d'Onkelos et de Jonathan. Un des procédés auquel
on eut recours, pour adoucir ce que les apparitions
sensibles et les révélations de Jahvé avaient de trop
matériel, fut de transformer en sortes d'hypostases,
plus ou moins distinctes de Dieu, certains de ses
al tributs qu'on détachait du Dieu inaccessible pour
remplir, auprès des hommes, certaines missions. On
personnifia ainsi, tour à tour, la Sagesse, la Parole,
l'Esprit, la Demeure, enfin, la Gloire et la Splendeur
de Dieu. Eux seuls étaient censés être entrés en contact
direct avec le monde extérieur. Parmi tous ces repré-
sentants de la divinité, la gloire de Dieu fut un de ceux
dont le rôle eut le plus d'action : c'est, en effet, un
de ceux dont le nom revenait le plus souvent dans les
théophanies. Seulement, les targumistes se mirent à
l'appeler d'un nouveau nom; ils créèrent, à cet effet,
une expression araméenne: la gloire de Dieu, ou plutôt
sa présence, fut désignée par le mot Sekînâh, tiré du
verbe sâkan, habiter, sans doute en raison des nombreux
textes de l'Ancien Testament, qui faisaient résider
la gloire de Jahvé dans le temple, et qui, dans l'hébreu,
repèrent chaque fois le mol Sâkan. Cf. Exod., xxv,
8; xxix, 45; Num., v, 3; Ps. lxxiv, 2, etc. Cependant
on ne susbtitua pas purement et simplement le mot
sekînâh au mol kâbôd ; ce dernier, à part une exception,
Zaeh., il, 9, servit encore à désigner l'éclat de la
présence divine. Les targumistes, en effet, se mirent à
distinguer ht majesté de Dieu d'avec la lumière éblouis-
sante qui l'accompagne; la première s'appela sekînâh;
la seconde retint le nom primitif de kâbôd. Cf. Buxtorf,
Lexicon chald. talmud., au mot Sekînâh. Les targums
abondent en interprétations de ce genre. Ainsi, à propos
du passage si connu, Is., lx, 2, là où l'hébreu lit : le
1391
GLOIRE
1302
Seigneur se lèvera sur toi et on verra sa gloire sur
toi, le targum traduit : la Sekînâli ilu Seigneur résidera
en toi et sa gloire (kâbôd) brillera sur toi. Là où
l'hébreu semblerait localiser Dieu, les targuais rem-
placent le mot Dieu par l'expression Sekînâh. Dans le
Ps. lxxiii, 2, au lieu de : le mont Sion où lu habites,
les targums écrivent : où ta Sekînâh habite. Ce n'est pas
Dieu, ainsi que le porte l'hébreu, Deut., xxm, 14, qui
se promène dans le camp d'Israël, comme une senti-
nelle vigilante; c'est, d'après Onkelos, sa sekînâh qui
est chargée de ce soin. Lorsque Jacob, Gen., xxvm. l(i,
s'écrie : Dieu est dans ce lieu, le targum lit : la gloire
de la sekînâh est dans ce lieu. Quand l'Éternel ordonne
aux Israélites de lui dresser un sanctuaire, c'est, d'après
l'hébreu, Exod., xxv, 8, pour qu'il puisse résider au
milieu d'eux, tandis que, d'après le targum, c'est pour
que sa sekînâh y réside. C'est la sekînâh qui siège sur
les chérubins. I Reg., iv, 4; II Reg., vi, 2. Les targums,
obéissant toujours aux mêmes scrupules, n'osent même
pas dire que Dieu habite dans les cieux; au lieu de :
Dieu liabite dans les hauteurs des cieux, Is., xxxm, 53,
ils préfèrent : Dieu a placé sa sekînâh dans les cieux.
Cf. Is., xxxn, 15; xxxvm, 14. Même procédé là où
le texte hébreu dit qu'on a vu Dieu, qu'il est apparu à
quelqu'un. Ce n'est pas Dieu qu'on a vu, ou qui est
apparu, c'est sa sekînâh. Is., vi, 5; Exod.. ni, G;
Ezech., i, 1; Lev., ix. 4. Les juifs voisins de l'ère
chrétienne croyaient que la gloire de Dieu n'habiterait
le second temple qu'à la venue du Messie. Ezech.,
xliii, 7, 9; Agg., i, 8; il, 9; Zach., n, 10. Le Talmud,
Yoma, 9b, l'explique par ce fait que ce second temple a
été bâti sous Cyrus, descendant de Japheth, alors que
Dieu n'habite que sous la tente de Sem. En somme,
la sekînâh sert aux targumistes chaque fois qu'il y a
une théophanie réaliste à atténuer, un anthropomor-
phisme à supprimer. Elle semble avoir remplacé, dans
le Talmud, la Memra (le verbe) des targums et
remplir à peu près, dans la théologie palestinienne,
les mêmes fonctions que le Logos de Philon. Toutefois,
alors que la Memra des targums et le Logos alexandrin
sont actifs, la sekînâh est presque réduite à un r<">le
passif. Mais, quand on passe des targums aux Midra-
schim et au Talmud, il en est autrement : la sekînâh
cesse d'être inactive et elle agit comme le Logos ou le
Rûah (l'Esprit). Ainsi, le passage du Lev., xxvi, 12 :
« Je marcherai au milieu de vous et je serai votre Dieu »
devenait dans le targum : « Je placerai la gloire de ma
sekînâh parmi vous ; et ma Memra (parole) sera avec
vous. » Pour les Midraschim et le Talmud, la Memra
disparait complètement : il ne reste que la sekînâh
qui hérite de son emploi et de ses attributions. C'est
elle qui parle à Amos et aux prophètes, Pcsaehim, 73,
et l'expression mizmôr ledavid laisse entendre que la
sekînâh est, dans le Talmud, la source régulière de
l'inspiration divine. Si le grand-prêtre Élie s'est
mépris sur Anne, mère de Samuel, c'est que la ëekînâh
s'était retirée de lui. La Mischna a été donnée par Moise
sous les auspices de la sekînâh. Le Pirké Aboth, ni, 3,
dit que, si deux ou plusieurs hommes se réunissent
pour s'occuper de la Loi, la sekînâh est au milieu d'eux,
sentence qui rappelle Matth., xvm, 20. Les rabbins
enseignaient que la sekînâh était toujours présente
dans les synagogues, dans les écoles, dans les maisons
des hommes pieux. Sota, 17 a. On croyait généra-
lement fine la sekînâh n'habitait point le second
temple, mais on disait qu'elle était partout inséparable
d'Israël; elle avait accompagné les tribus dans l'exil
à Babylone et elle était présente dans la Diaspora,
partout où il y avait une colonie d'enfants d'Israël.
Les juifs croient encore aujourd'hui que la sekînâh,
après la destruction du temple par Titus, ne s'est pas
retirée de Jérusalem et qu'elle continue à couvrir le
mur ouest. Cf. Weber, Altsyn. Theol., 2e édit., p. (12.
L'activité de la sekînâh s'étendait jusqu'au sehôl;
c'est elle, d'après certains rabbins, qui, au dernier jour,
délivrera de la géhenne les Juifs que leurs fautes y
auront tenus enchaînés; ils sortiront de là ayant à
leur tête la sekînâh. Weber, op. cit., p. 3G8. Voir t. v,
col. 2374-2375.
3° Dans le Nouveau Testament. — En passant de
l'hébreu ou de l'araméen au grec, la kâbôd Yehôvâh
et la sekînâh deviennent la 3oEa tou 8eo3, avec les
mêmes sens et les mêmes acceptions; toutefois cette
gloire de Dieu est mise en relation spéciale avec le
Christ. Citons d'abord les passages où l'allusion à la
sekînâh est à peu près certaine ou tout au moins
transparente. Entre tous, le célèbre passage de saint
Jean, i, 14 : Et il a habité parmi nous, èascïjvwMV,
et nous avons vu sa gloire. Le rapprochement, du
verbe grec Èffîsr[vto<TEv avec le verbe hébreu sâkân,
habiter, racine de sekînâh, n'est pas purement fortuit,
mais voulu ou du moins pensé par l'auteur. L'Épître
de saint Jacques, n, 1, identifie le Christ avec la
sekînâh, evexs tt,v t:î<jxiv tou xupîou f,atôv 'Iirjao'j
XptoToQ [tt,ç î'Jçr,;] : ayez la foi de Noire-Seigneur
Jésus-Christ, la gloire. On peut aussi mettre en
parallèle les paroles du Pirké Aboth avec Matth.,
xvm, 20; Jésus serait la sekînâh. Cf. I Cor., n, 8, tou
x.'jo'.oj Tfjç oôEr,;. Un autre texte, tiré de la I Pet., iv,
14, semble renfermer la même idée, mais son interpré-
tation est plus contestable : to tïjç cdEr,; /al to tou
OsoC nvsû'[i.a : l'Esprit de gloire et l'Esprit de Dieu.
L'Esprit de gloire serait ici le Christ. Toutefois ce sens
est douteux. Ailleurs, Heb., i, 3, le Christ est donné
comme la splendeur delà gloire du Père, à-a'j-faa;j.a tv,;
3d?7jç et ici la 3o':a signifie la divinité, au sens de la
sekînâh du Talmud. Il est probable qu'en plusieurs
autres endroits du Nouveau Testament, les opinions des
rabbins sur la sekînâh ont une répercussion sensible.
Entre autres privilèges d'Israël, saint Paul énonce
avec emphase, dans l'Épître aux Romains, ix, 4,
f, 8o?a, la gloire, évidemment la sekînâh. La voix
qui rend témoignage au Christ, sur le Thabor, et qui
émane ûtzÔ tt,ç [j.£ya).o^p;j:oCi; SoEr,:, voir II Pet.,
r, 17; Matth., xvn, 15, reproduit l'interprétation
du targum de Jérusalem à propos de Gen., xxvm, 13;
la gloire de Jahvé dit : Je suis le Dieu d'Abraham.
Il y a peut-être comme un reflet des opinions d'écoles
sur l'activité de la sekînâh dans Rom., vi, 4, où
saint Paul dit que le Christ est ressuscité d'entre les
morts, par (8tà) la gloire du Père. Les miracles sont,
dans saint Jean, xi, 40, attribués à la gloire de Dieu.
Tout ce qui se rapporte au Christ reçoit aussi en
épilhète le mot gloire : l'évangile de gloire, II Cor.,
iv, 4; le ministère de gloire, II Cor., m, 8; les richesses
de sa gloire, Eph.. m, 16; son royaume, le royaume de
gloire. Marc, x, 37. Dans les apparitions, c'est encore
la gloire de Dieu qui projette ses rayons éblouis-
sants, Luc, il, 9, /.y.\ Sofa xupïou 7T£pi£Àajj.'|ev aùxo-jç ;
c'est elle qui environne Paul sur la route de Damas,
qui le jette à terre et lui parle. Act., ix, 3-5; xxn, 11.
Noter à-ô rr,ç So'Çtiç tou ç<oto; èxsîvou. C'est avec
elle que le Christ réapparaîtra à la parousie quand il
viendra juger le monde. Matth., xvi, 27; Marc, vm,
38; xin, 26. Par cette énumération de textes, on a pu
s'apercevoir que l'expression gloire de Dieu n'a pas,
dans la littérature néo-testamentaire, un sens spéci-
fiquement différent de celui de l'Ancien Testament et
de la théologie juive des siècles qui précèdent immé-
diatement l'ère chrétienne.
Lesêtre, art. Gloire de Dieu, dans le Dictionnaire de lu
Bible de M. Vigouroux; Hastings, A dictionarij o/ the
Bible, art. Shekinah; Kitto, Biblical encyclopœdia, t. m,
p. 820; Hamburger. Beat-Encyctopàdie fur Bibel und
Talmud, p. 1080; Weber, Jiid. Theol. ans Grund des Talmud,
p. 182; Gfrorer, Urclirislenthum, t. i, p. 301; Skinner,
L393
GLOIRE
1394
Dissertation on the Shekinali ; Vatt, Ghry o/ Christ;
Lcxicons de Lcvy et de Buxtorf.
C. Toussaint.
II. GLOIRE DES ÉLUS. — En soi, la béatitude des
élus dans le ciel est l'effet immédiat de la gloire que
Dieu leur communique. Voir S. Thomas, Sum. Iheol.,
ï" IIœ, q. m, a. 3. L'usage autorisé par la sainte fiori-
ture, cf. Job, xxn, 29; Prov., m, 35; Rom., v. 18;
I Cor., xv, 43; II Cor., iv, 17; Col., ï, 27; ni, 4; I Pet.,
v, 1, 4, 10, veut cependant, Salmanticenses, Cursus
ineologicus, De beetliludinc, a. 3, n. 4, que l'on identifie
gloire et béatitude des élus. L'existence de cette gloire
ou béatitude a été déjà suffisamment démontrée dans
ses fondements scripturaires et développements patri-
stiques, à l'art. Ciel, t. n, col. 2474 sq. Cette gloire
n'est pas simplement humaine, puisque essentielle-
ment elle est une participation de la gloire divine,
participation qui rejaillit même sur ses éléments ac-
cidentels. I Joa.. m, 2; II Pet., ï, 4. Tout en lais-
sant aux articles Béatitude, Benoit XII, Ciel, t. n,
col. 497-515, 657-690, 2474-2511; Corps glorieux,
t. m, col. 1879-1906; Intuitive (Vision), Mérite,
Prédestination, ce qui les concerne dans la question
complexe de la gloire des élus, il est nécessaire de faire
ici comme une synthèse de tout ce qui se rapporte à ce
sujet, en exposant les points qui ne seront pas envisagés
ailleurs. — I. Gloire essentielle. IL Gloire accidentelle.
III. Gloire consommée. IV. Degrés de la gloire.
V. Gloire et grâce, et questions connexes.
I. Gloire essentielle des élus. — 1° Enseignement
de l'Église. — On peut résumer cet enseignement en
quatre points, lesquels ont déjà été exposés : 1. La
gloire ou béatitude essentielle réside dans la posses-
sion du souverain bien, Dieu. Voir Béatitude, t. n,
col. 511, 512; Fin dernière, t. v, col. 2496. 2. Cette
possession n'est pas une absorption de la substance
de l'âme dans l'unité de la nature divine, comme l'ont
rêvé certains mystiques à tendances panthéistiques,
aux xme et xive siècles. Voir Hckart, t. iv, col. 2063,
et prop. 10 d'Eckart, condamnée par Jean XXII,
Denzinger-Bannwart, n. 510. 3. Cette possession
n'exige pas la réunion du corps à l'âme. On a donné
de cette vérité les preuves scripturaires et patris-
tiques à Benoit XII, t. n, col. 673-696. La preuve
philosophique, tirée de la psychologie, est indiquée
par saint Thomas, Sum. Iheol. , P IIa', q. iv, a. 5;
l'intelligence, dans l'opération de la vision béatifique,
sera indépendante de l'imagination. Cf. Suarez, De
ullimo fine hominis, disp. XIII; Lessius, De ullimo fine
hominis. q. iv, a. 5, n. 1. C'est parce qu'ils exigeaient
la réunion du corps à l'âme pour la béatitude essen-
tielle, que quelques Pères et théologiens, voir
Benoit XII, t. n, col. 657, reculaient jusqu'au juge-
ment l'entrée des élus dans la gloire. 4. Les témoi-
gnages de l'Écriture et de la tradition, voir Ciel,
t. n, col. 2474 sq., indiquent que cette possession
comporte la vision, l'amour et la jouissance de Dieu
par l'âme élue. Benoit XII a résumé l'enseignement
scripturaire et traditionnel touchant la gloire essen-
tielle des élus, en affirmant qu'ils « voient... la divine
essence d'une façon intuitive et même faciale » et que,
« par le fait de cette vision, les âmes de ceux qui sont
déjà morts jouissent de la divine essence et par le
fait même de cette vision et de cette jouissance, elles
sont vraiment bienheureuses et possèdent la vie et le
repos éternel. » Denzinger-Bannwart, n. 530. Le concile
de Florence, dans le décret pour les grecs, rappelle
cette doctrine en modifiant la formule de Benoît XII;
les élus a verront clairement Dieu lui-même, dans son
unité et sa trinilé, tel qu'il est. » n. 693.
Tel est l'enseignement authentique de l'Église;
la nature, l'objet, les propriétés des actes béatifiants,
constituant l'état de gloire, seront étudiés à Intuitive
( Vision). Dans le présent article, qui concerne la gloire
essentielle des élus prise en général, il suffira de com-
pléter cette vue d'ensemble, en rappelant les systèmes
théologiques greffés sur l'enseignement authentique
de l'Église.
2° Les systèmes théologiques. — Le magistère de
l'Église ayant précisé le dogme de la gloire essentielle
des élus en indiquant que cette gloire comportait la
vision et la jouissance de Dieu, le travail de la pensée
théologique a été, depuis le xme siècle, de vouloir pré-
ciser davantage encore cet enseignement, et de recher-
cher l'élément formel ou spécifique de la gloire essentielle
des élus. De là des opinions, les unes communément
abandonnées, les autres, librement encore disputées.
1. Opinions abandonnées. — a) Henri de Gand,
Quodlibel, XIII, q. xn; cf. VI, q. vi; Summa quœstio-
num ordinari«rum Iheologite, Paris, 1520, a. 45, q. v;
a. 49, q. ï, tout en reconnaissant à l'intelligence et à!a
volonté leurs opérations propres, même dans l'état de
gloire, ne voit dans la vision et la jouissance béatifiques
qu'une voie vers la gloire, mais non la gloire elle-même,
laquelle consisterait, selon lui, dans une irruption immé-
diate de la divinité dans l'âme, illapsus divinilalis in
substantiam animœ. Vasquez, In I'"" 1IV Sum. S.Tho-
mœ, disp. VIII, c. n; Suarez, De fine ullimo hominis,
disp. VI, sect. n, n. 7, nient que toile soit la doctrine
d'Henri de Gand. Mais elle est bien telle; voir Jean
de Saint-Thomas, Cursus théologiens, Paris, 1885, t.v,
In II-"" /■'' Sum. S. Thomiv, q. v, de adeptionc bealitudi-
nis, a. 2, n. 1, quoique difficile à comprendre, à cause du
mysticisme exagéré de l'auteur; Salmanticenses, Cursus
theologicus, Paris, 1878, t. v, De bealitudinr, disp. I, dub.
i, § 3. Parce qu'Henri de Gand maintient les opérations
de l'intelligence et de la volonté dans la béatitude
céleste, quoique à titre secondaire, sa théorie échappe à
la note d'erreur que semblerait, au premier abord,
devoirlui infliger la définition de Benoît XII. Médina,
O. P., In !■"" IV Sum. S. Thomse, Salamanque, 1582,
q. m, a. 1, pense toutefois qu'elle mérite la note de témé-
rité. Gilles de la Présentation, Dispulaliones de animœ et
corporis beatitudine, Coimbre, 1609, 1. IV, q. iv, a. 1, § 3.
n. 11, l'absout complètement, et, n. 16, donne le motif
de son assertion : le pape Benoît XII n'aurait pas voulu
définir autre chose que l'entrée immédiate au ciel des
âmes justes ou justifiées; il ne définit pas que la béati-
tude essentielle de ces âmes est constituée formelle par
une opération de l'âme. Jean de Saint-Thomas, loc. cit.,
n. 5, est hésitant et avoue ne pas comprendre suffisam-
ment la pensée d'Henri de Gand pour se prononcer.
b) Jean de Ripa, au dire de Capréolus qui le cite,
//: IV Sent., 1. III, dist. XIV, q. ï, a. 2, 3, aurait admis
que l'âme possède Dieu par la vision de Dieu lui-même,
sans aucun intermédiaire créé. La gloire de l'âme
serait donc comme une illumination projetée sur elle
par l'intelligence divine se connaissant et se glorifiant
elle-même. Cf. Suarez, De incarnalione, disp. XXIV,
sect. n. Cette théorie, empreinte de mysticisme
comme la précédente, semble s'inspirer du pseudo-
Denys, De hier, ceci., c. vu, P. G., t. m, col. 559.
Elle est professée par Hugues de Saint- Victor, De
sapienlia animœ Chrisli, P. /.., t. clxxvi, col. 851,
et cet auteur applique sa théorie à l'âme du Christ.
Summa sententiarum, tr. I, c. xvi, col. 74. Saint Bona-
venture, Jn IV Sent., 1. III, dist. XIV, a. 1, q. ï, rap-
porte que cette doctrine mystique plaisait à beaucoup,
et Grégoire de Rimini, Exposilio in II Sent., Milan. 1494,
dist. VII, q- n, nous apprend qu'elle fut publiquement
soutenue par des docteurs de Paris. Saint Thomas
semble la viser dans la Sum. Iheol., P II-1', q. ni, a. 1,
lorsque, se demandant si la béatitude est quelque chose
d'incréé, il conclut négativement, distinguant l'objet
de la béatitude de sa possession, c'est-à-dire la gloire
fondamentale de la gloire formelle.
1395
GLOIRE
1396
L'opinion de Ripa et des docteurs Je Faris n'a
jamais été censurée directement. Elle mérite cepen-
dant d'elle thêologiquement notée : Médina, loc. cit.,
la condamne comme hérétique; Zumel, In /•"" II''
Sum. S. Thomse commentaria, Salamanque, 1594,
q. m, a. 1 ; Suarez, De incarnalione, loc. cit. ; Grégoire de
Rimini, loc. cil., la trouvent périlleuse en matière de
Toi. Martinez, O.P., Commcntari.i super I /:""J>|; d.Thomœ,
Valladolid, 1617, q. m, a. 4, dub. i, concl. 2, la
note comme téméraire et contraire à la foi. Gilles
de la Présentation, op. cil., 1. IV, q. î, a. 4, § 41,
pense qu'elle est simplement téméraire; c'est aussi
l'avis de Curiel, l.ecturœ scu qusesliones in diui Thomas
.\qainalis I*m II*, Douai, 1618, q. iv, § 5. Vasquez,
tout en condamnant, ne se prononce pas sur la note
a infliger. Op. cit., disp. VII, c. n. La raison de cette
sévérité des théologiens est un double danger : l'absorp-
tion humaine dans l'opération divine, ce qui, indirecte-
ment, revient aux erreurs christologiques condamnées
à Chalcédoine et à Constantinople; la négation
implicite de la nécessité du lumen gloriœ, affirmation
condamnée au concile de Vienne. Denzinger-Bannwart,
n. 475. Voir Intuitive (Vision).
c) Saint Bonaventure, In IV Sent.. 1. IV, dist. XLIX,
a. 1, q. i,n. 5; q. iv, n. 17; cf. 1. III, dist. XIV, a. 1,q. i,
cherche ce que peut être celte modification, cette
forme nouvelle ajoutée à l'âme. Étant spirituelle, elle
sera nécessairement ou un habitus, ou une opération.
Pour lui, elle sera l'un et l'autre : elle est comme
partagée entre les actes de l'âme bienheureuse — et
cette formule restera chez beaucoup de théologiens
postérieurs — et les habitus dont procèdent ces actes.
L'auteur attribue toutefois l'élément formel de la
gloire aux habitus, et, en cela, sa théorie est complète-
ment abandonnée. Voir S. Thomas, loc. cit., a. 2. Les
habitus en efîet, ayant leur sujet soit dans l'essence,
soit dans les facultés de l'âme, sont présupposés à la
gloire, mais ne la constituent pas.
d) Quelques théologiens nominalistes avaient
enseigné que la béatitude, dans son élément formel,
était constituée par une opération, dans laquelle l'âme
serait entièrement passive. Dieu seul agirait en elle.
Gonet, Clypcus theologiiv thomislicœ, Paris, 1876,
t. m, tr. VIII, 75e homine, disp. III, a. 1, n. 1. Gonet
rapproche de cette opinion, en soi contradictoire,
toute opération étant un acte, l'hypothèse de quelques
théologiens catholiques, Grégoire de Valence, In /"'"
II* Sum. S. Thomœ, disp. I, q. m, p. n; Vega, O. M.,
Erpositio et defensio tridentini deertti, etc., Venise,
1548, ]. VI, c. vm ; Gilles de la Présentation, op. cit.,
q. i, a. 4, affirmant qu'il ne répugne pas, en soi, que,
par la puissance absolue de Dieu, l'âme soit constituée
dans l'état de gloire par une opération qu'elle n'élici-
terait pas elle-même. Gonet, loc. cit., § 7, fait remarquer
que cette passivité ne semble pas pouvoir s'accorder
avec les décisions portées par le concile de Trente
contre Luther relativement à la part active que l'âme
doit prendre aux opérations de l'ordre surnaturel.
Cf. sess. VI, iv, c. 4, Denzinger-Bannwart, n. 814. Voir la
théorie de Luther exposée par Denifle, Luther et le
luthéranisme, trad. franc., Paris, 1912, t. ni, p. 261-308.
D'ailleurs une telle façon de concevoir la gloire des élus
va directement contre les procédés habituels de la
providence qui agit en tout, non d'une façon violente
et contraire à la nature des êtres qu'elle gouverne,
mais d'une façon connaturelle à leurs facultés.
2. Opinions librement discutées. — a) Opinion
thomiste. — Pour les thomistes, l'élément formel de la
gloire essentielle est constitué par la vision béatifique.
L'élément formel de la gloire, c'est, en effet, disent-ils,
la possession du souverain bien : toute opération
concomitante ou complétive de l'acte de possession
ne peut appartenir au concept constitutif de l'essence
même, prise en ce sens strict, de la béatitude. Jean de
Saint-Thomas, op. cit., q. v, disp. II, a. 3, n. 12.
Or la prise de possession du souverain bien ne peut
se faire que par un seul acte, par un acte de l'intelli-
gence, reine de nos facultés, et faculté de l'appréhen-
sion. La volonté intervient avant par le désir, après,
par la jouissance; mais son opération propre ne peut
constituer cette prise de possession du souverain bien,
laquelle est l'élément formel, et, au sens thomiste,
essentiel, de la béatitude. D'ailleurs, la béatitude
étant l'objet même de la volonté ne saurait être
constituée par l'acte même de la volonté. S. Thomas,
loc. cit., a. 4 et ad 2"". L'opération de la volonté n'est
pas pour autant exclue de la félicité suprême; mais
I elle n'est que le corollaire et le complément obligé
de l'opération de l'intelligence : « Quand il s'agit de
Dieu, il n'y a point d'intermédiaire, pour le connaître
comme il est, il faut qu'il soit lui-même dans notre
esprit; aucune image ne peut le représenter, et, par
conséquent, la contemplation de Dieu et l'union à
l'être, à la réalité, à la substance de Dieu se confondent.
C'est pourquoi voir Dieu comme il est, c'est saisir Dieu
en lui ; posséder la pleine idée de Dieu, c'est posséder
Dieu lui-même. Et alors il y a entre Dieu et nous
l'union très haute, très étroite, très intime qu'il y a
entre une idée certaine, lumineuse et l'esprit qui l'a
conçue. Mais cette union ne se produit pas entre
l'esprit qui est la partie la plus intime de l'âme,
sans que l'âme soit toute pénétrée de la divinité.
L'âme n'est point pénétrée dans ces noces de lumière,
sans être imprégnée et débordée de perfection, sans
être ravie dans l'amour, sans être enivrée dans la joie,
sans devenir semblable à Dieu même, gardant sa
nature comme le fer rouge garde la sienne, mais
rayonnant de splendeur, d'amour, de béatitude
divine, comme le fer revêt les propriétés du feu qui
l'a embrasé. De sorte qu'avant tout, la béatitude,
c'est connaître, c'est voir, c'est vivre par l'extase de la
science cl de la lumière : Hœc est vita œterna, ut cogno-
scant le.solum Deum verum. » Janvier, Carême de 1903,
la béatitude, p. 122-123. C'est le sentiment de saint
Thomas, Sum. theol., V IL1', q. m, a. 4 et 8; P,
q. xxvi, a. 2; In IV Sent., 1. IV, dist. XLIX, q. i, a. 1,
q. n; Conl. génies, l. III. c. xxv, xxvi, xxvn; Quodl,
VIII, a. 19. Tous les thomistes et beaucoup d'autres
théologiens ont adopté sa thèse. Citons les principaux :
clans leurs commentaires sur la q. ni de la Id II''',
Cajétan, Capponi de Porrecta, Médina, Curiel, Mar-
tinez, Alvarez, O. P., Granado, S. J., et, loc. cit.,
disp. XIII, c. ni, Vasquez; Lessius, De beatitudine,
q. ni, a. 4, dub. n, penche vers cette solution qu'il
essaie de concilier avec la troisième opinion qui sera
exposée plus loin; dans son commentaire In Sum.
cont. génies, 1. III, c. xxv, xxvi, Sylvestre de Ferrare:
dans leurs commentaires In IV Sent., Durand de
Saint-Pourçain, 1. IV, dist. XLIX, q. iv; Capréolus,
I. I, dist. I, q. i, a. 1, concl. 6; 1. IV, dist. XLIX, q. i;
Soncinas, 1. I, dist. I, q. i, a. 1, concl. 6; Melchior Cano
défend la même thèse, De locis theol., 1. XII, c. xiv;
Fonseca, In I Mclaph., c. i, q. i, sect. vi: Conimbricen-
ses, Ethic, disp. III, q. m, a. 2; Bellarmin, Conlrov.,
De sanclorum beatitudine, c. n; Becan, S. J., Thco-
logia scholaslica, Paris, 1724, part. IL tr. I, c. i, q. m.
On trouvera l'exposé et la justification de l'opinion
thomiste dans Jean de Saint-Thomas, op. cit.. disp.
II, a. 3, n. 15-61, a. 4; Salmanticcnses, op. cit., dub.
iv; Gonet, op. cit., disp. III, a. 2; Billuart, Cursus
theotogiœ, Paris, 1878, t. iv, De nltimo fine, diss. II,
a. 2. Parmi les théologiens plus récents, citons
Mazzella, De Dco créante, disp. VI, a. 1, § 2, n. 1179;
C. Pesch, Prœlcclioncs ihcologicie, t. m, n. 449; Hurter,
Theol. dogm. eompendium, t. ni, tr. X, c. v; et, par un
simple mot jeté en passant. Billot, De novissimis
1397
GLOIRE
1398
Rome, 1903, q. v, thés, ix, p. 118. Beaucoup d'autres
se contentent de proposer les éléments constitutifs
de la gloire, vision, amour, joie béatifiques, sans
discuter la question de l'élément formel; voir, par
exemple, Perrone, Jungmann, etc.
Sans vouloir trouver leur opinion formellement
exprimée dans la sainte Écriture et chez les Pères, les
thomistes prétendent cependant appuyer leur doctrine
sur l'Écriture et la tradition. Bien que les textes
allégués par eux n'aient de force démonstrative com-
plète que pour garantir le fait de la vision héatiflque,
et qu'ils doivent nécessairement trouver leur place
à l'art. Intuitive {Vision), nous rappellerons briève-
ment ici les principaux, ceux que les théologiens
thomistes ont l'habitude d'opposer à leurs adversaires :
a. Sainte Écriture : Joa., xvn, 3; I Cor., xm, 12;
II Cor., v, G, 7; I Joa., ni, 2; Apoc, xxn, 3, 4; et,
moins directement, Joa., xiv, 8; Matth., v, 8; Ps. xvi,
15; lxxix, 4; lxxxiii, 8; Is., xxxm, 17; Exod.,
xxxm, 18, 19; b. Pères : saint Augustin, plus que tout
autre, a étudié la question de la béatitude. Voir les
textes cités, t. i, col. 2115; t. il, col. 506, n. 5. On
trouve chez ce Père d'autres expressions très fortes en
faveur de la thèse thomiste : Tota merces noslra visio
est, Ennr. in ps. mu, serm. n, P. L., t. xxxvn,
col. 1170; .Eterna est ipsa cognitio verilatis, De moribas
Ecclesiœ, 1. I, c. xxv, P. L., t. xxxn, col. 1331; Illos
beatissimos facil, quod scriplum est : tune jade ad
jaeicm; qui enim hoc invenerunt, illi sunt in beatitu-
dinis possessione, De libero arbilrio, 1. II, c. xiv,
P. L., t. xxxn, col. 1261; Illa cognilionc, illa visionc,
illa conlcmplalione satiabitur in bonis animée desi-
derium, De spiritu et liltera, c. xxxm, P. L., t. xi.iv,
col. 240. Cf. De Trinitale, 1. I, c. vin, P. L., t. xlii.
col. 957. On cite également, parmi les Pères qui
représentent la tradition des premiers siècles, S. Irénée,
Conl. hœr., 1. IV, c. xx, n. 6, 7; c. xxxvn, n. 7; 1. V,
c. xxxvi, n. 1, P. G., t. vu, col. 1035-1037, 1104, 1222;
S. Ambroise : Scriptura divina vilain bealam posuil
in cognilione divinitatis, De o[Jiciis ministrorum, \. II,
c. n, P. L., t. xvi, col. 104; S. Cyrille d'Alexandrie,
pour qui la félicité réside dans la souveraine contempla-
tion,Co/if. Julianum, 1. III, P. G., t. i.xxvi, col. 628-629;
S. Grégoire de Nazianze, Oralio in laudcm Cœsarii ira-
tris, n. 17, P. G., t. xxxv, col. 775 ; S. Grégoire de Nyssc,
De beatiludinibus, orat. vi, P. G., t. xi.iv, col. 1264 sq. ;
pseudo-Jérôme : Deum videre, infinila corona est, Breu.
in ps. lx.xxiv, p. L., t. xxv, col. 1073; S. Jean Damas-
cène, De fuie orlhodoxa, 1. IV, c. xxvi, P. G., t. xciv, col.
1228; le concile de Francfort, à la fin de sa lettre Adepi-
seopos hispanos, P.L., t. ci, col. 1316. On s'appuie égale-
ment sur l'autorité de S. Anselme, Monol., c. lxvi, n. 7.
8; Cur Deus homo, 1. II, c. i, P. L., t. clviii, col. 212,
214, 401; de S. Bernard ('?), Scrm.,\, de Assumplione :
Hase est merces, hic est finis fructus nostri laboris, visio
seilicet Dei, P. L., t. clxxxiv, col. 1003.
Maldonat, Comment, in IV evangelistas, a propos
de Joa., xvn, 3, reconnaît que la plupart des scolas-
tiques se sont appuyés sur ce verset pour se rallier
à l'opinion de saint Thomas. Il croit devoir s'en écarter,
parce qu'il y voit un argument indirect, mais réel,
en faveur de la thèse protestante, de la justification
par la foi seule. Les Salmanticenses, loc. cit., n. 56,
repoussent cette injure imméritée et semblent bien
indiquer que non seulement les scolasliqucs, mais les
Pères eux-mêmes ont enseigné l'opinion thomiste,
en sorte que cette opinion aurait ainsi une consécration
officielle. C'est exagéré. Jean de Saint-Thomas reste dans
des limites plus sages en afïirmant que l'opinion de
son école relève de la métaphysique et non du do-me.
loc. cit., n. 10 : Quidditates rerum, dit-il, n. 6, rimari et
speculari ad scholasticas disputationes perlinel, non ml
dogmala fidei. Voir aussi Gonet, toc. cit., n. 68.
Pour être complet, il faudrait faire l'exposé des sub-
tilités qui divisent l'école thomiste elle-même. L'élé-
ment formel de la gloire essentielle est-il la vision de
l'essence une ou de la trinité des personnes '? de l'es-
sence prise en soi ou considérée dans les attributs
divins ? Voir Suarez, De diuina subslantia cjusque
altributis, 1. II, c. xxn, xxm; Gonet, op. cit., disp. II,
a. 2, §1. En grande majorité, les thomistes pensent
que la vue de la trinité et des attributs divins est de l'es-
sence même de la gloire des élus. La vision b°atifique
est-elle à ce point l'élément formel de la béatitude, que
même sans amour les élus seraient heureux ? Suarez,
De fine ullimo, disp. VII, sect. i, n. 31; Gonet, op. cit.,
disp. III, a. 1, répondent avec la plupart des thomistes
que l'amour est le complément nécessaire de la vision.
S'agit-il d'une vision de l'intelligence spéculative ou
pratique, d'un acte simple ou composé? Voir S. Thomas,
Sum. theol., I» IP', q. m, a. 6, et ses commentateurs
sur cet article. De ces subtilités que signale en passant
Ripalda, De ente supernalurali, 1. IV, dip. C, sect. n,
n. 6, le théologien ne retiendra que ce qui est utile pour
expliquer l'objet et les propriétés de la vision intuitive.
b) Opinion scotisle. — Le principe fondamental de
cette opinion est que l'élément formel de la béatitude
essentielle réside uniquement dans une opération de
la volonté. Mais cette opération peut être ou l'amour,
et c'est l'opinion de Scot, ou la joie béatifique et c'est
l'opinion d'Auriol.
Scot, In IV Sent.,1. IV, dist. XLIX. q. iv, v, pense
que l'élément formel de la gloire essentielle des élus
réside dans l'acte d'amour d'amitié, opération de la
volonté humaine s'attachant a Dieu pour lui-même.
On peut citer, comme partisans de cette doctrine, Gilles
de Rome, Quodl., III, a. 19; Auriol, au témoignage de
Capréolus, In IV Sent., dist. I, q. i, a. 2, et de Médina, In
I"" II'\ q. iv, a. 4, aurait enseigné que l'acte de volonté
procéderait non de l'amour d'amitié, mais de l'amour
de concupiscence et consisterait dans la délectation,
dans la jouissance de l'âme possédant Dieu, son bien
suprême. De fait, à part le texte de saint Paul, I Cor.,
xm, 13, oii la charité est exaltée par-dessus toute
autre vertu, parce que vertu subsistant dans la gloire,
on ne peut guère trouver dans la sainte Écriture que
des textes désignant sous les noms de joie, de volupté
la gloire des élus, et appuyant ainsi l'opinion parti-
culière d'Auriol. Cf. Matth., xxv, 21; Ps. xxvi. 1;
xxxv, 9, 10; Joa., xv, 11; xvi, 22; I Joa., iv, 16;
Luc, xxn, 29, 30; Apoc, II, 7, 17. L'opinion de Scot
et celle d'Auriol, bien que se retrouvant dans toute
l'école scotiste avec des nuances diverses dont les
subtilités n'ont rien à envier à celles de l'école thomiste,
voir Ripalda, loc. cit., n. 8, ont peu de partisans, si on les
considère sous leur aspect exclusiviste. Les textes
qu'elles peuvent apporter en leur faveur, soit de la
sainte Écriture, soit des Pères, voir plus loin, ne
suppriment pas ceux que l'opinion thomiste revendique
pour elle. Aussi, une troisième opinion s'est peu à peu
formée dans la théologie catholique, qui prétend
expliquer la gloire essentielle des élus par l'opération
de l'intelligence et de la volonté réunies.
La raison fondamentale de l'opinion sotiste est
celle-ci : Dieu est notre béatitude, parce que notre
souverain bien. Or, en tant que souverain bien, il est
l'objet de la volonté et non de l'intelligence. L'opinion
d'Auriol, fait remarquer Suarez, De ultimo fine, disp.
VII, sect. i, n. 43; cf. disp. IX, sect. ni. n. 7, ne peut
se soutenir psychologiquement; la joie béatifique
n'est qu'une conséquence de la possession du souverain
bien; son objet est, non le souverain bien, mais la
possession qu'on en a; elle ne peut donc être la fin
dernière de l'homme. Cf. S. Thomas, Sum. theol.,
P II*, q. iv, a. 2; Cont. gentes, 1. III, c. xxvi. Quant
à l'opinion de Scot elle ne paraît pas davantage admis-
1399
G L 0 1 R E
1400
sible, parce que l'amour ne cause pas nécessairement
la possession de l'objet aimé. Les thomistes distinguent
l'objet dr la volonté, le souverain bien, objet de désir
ou de jouissance, de la formalité sens laquelle l'âme
est mise en possession de ce bien suprême. C'est par
l'appréhension de l'intelligence seule que cette pos-
session peut être réalisée. Salmanticenses, loc. cit.,
dub. iv, S 6-9; Jean de Saint-Thomas, loc. cit., a. 3, 4.
C'est, au fond, toujours la distinction de la gloire
objective et de la gloire formelle : cette dernière sup-
pose essentiellement un acte de connaissance. Voir plus
haut, col. 1387.
c) Opinion éclectique. — Combinant les deux opinions
précédentes, un grand nombre de théologiens, tant
anciens que modernes, voient dans l'opération de
l'intelligence (vision) et dans celle de la volonté
(amour et, par voie de conséquence, jouissance) les
éléments essentiels de la gloire des élus : Tertia sententia
asserit essenliam bealiludinis jormalis complecii adœ-
quate tum visionem, lum amorcm, negans eam vcl in sola
visione, vel in solo amore, sed in ulroque simul mil esse
aut apprehendi, Ripalda, op. cit.. disp. C, sect. n, n. 9;
c'est à cette opinion que se rallie Dante, Paradiso,
Cant. xxx, vs. 40, décrivant ainsi la gloire des élus :
Luce intellectual piena d'amore,
Amor di vero ben pien di letizin,
Letizia, che trascende ogni dolciorc.
Tant qu'il ne s'agit que d'affirmer la pluralité des
opérations comme élément formel de la gloire des élus,
les partisans de l'opinion éclectique sont d'accord.
Certains d'entre eux prétendent même que, sous cet
aspect général, leur opinion s'impose comme une
vérité définie par le décret de Benoît XII : ex lali
visione et foi irioXE... ncre beatœ, Denzinger-Bann-
wart, n. 530, et par suite de la condamnation de
l'erreur suivante des beghards : Quod quselibet intel-
leclualis natura in se ipsa naturaliter est beala, quodque
anima non indigel lumine gloriœ, ipsam élevante ad
Deum vwexdum et ex eo beale t-ruenduh. Denzinger-
Bannwart, n. 475. Ces exagérés sont, au dire de Jean
de Saint-Thomas, loc. cit., n. 6, Thomas de Strasbourg,
In IV Sent., Strasbourg, 1490, dist. XL1X, q. m, iv;
André Véga, op. cit., 1. VII, c. m; Corduba, O. M.,
Quœstionarium, Tolède, 1578, 1. I, q. xui, prop. 1,
arg. 10; Alphonse de Tolède, In IV Sent.. 1. I, dist. I,
q. n, a. 3, ad 3"". Sont mieux inspirés ceux qui défen-
dent cette doctrine à titre de simple opinion : S.Bona-
venture, dans le sens indiqué plus haut, In IV Sent.,
dist .XL IX, a. 1, q. i; Alexandre de Aies, Sum. ihcol.,
part. III, q. xxm, m. i, ad 1""; Albert le Grand,
Richard de Middletown, le Supplément de Gabriel
Biel, Pierre de la Palu, Holchot. Marsile d'Inghem,
Jean Major [Lemaire], Bassolis et même Occam, dans
leurs commentaires In IV Sent., l.IV, dis t. XL IX; Gilles
de Rome, Quodl., III, q. ult. Voir, sur ces anciens
théologiens, Gilles de la Présentation, op. cit., I. IV,
q. vu, a. 2, § 1. Il faut ajouter les noms de Salas, S. J.,
Disputationes in V"" //'' Sum. d. Thomse, Barcelone,
1607, tr. II, disp. II, sect. v; Tanner, S. J., In !■"" 77*.,
disp. I, q. m; Gilles de la Présentation op. cit., et sur-
tout les grands théologiens de la Compagnie de Jésus :
Suarez, De ultimo fine hominis, disp. VII, sect. i, n. 24-63;
Grégoire de Valence, In I"m Sum. S. Thomœ. q. xxvi,
disp. I, q. m, p. iv; Tolet, In IV Sent., 1. I, dist. I,
q. ii, a. 2, 3; et même Lessius, De ultimo fine hominis,
([. m, a. 4, dub. i; De summo bono et beatitudine sem-
piterna, 1. II, c. v. Le P. Neubauer dans la Théologie de
Wurzbourg, Paris, 1852, t. in, p. 2, s'exprime ainsi :
Ilnitiludo jormalis consistil initiative in visione Dei,
perfective in amore Dei, complétive in gaudio, quiète et
puce animi. Ripalda, loc. cit., et sect. m, professe cette
opinion avec une note particulière. Pour lui, la vision
de Dieu et l'amour de Dieu, pris ensemble ou pris
séparément, sont l'élément formel adéquat de la gloire
des élus ; et il explique son sentiment en se représentant
la béatitude essentielle comme composée de parties
quasi homogènes qui, prises séparément, forment
chacune une béatitude complète en son espèce. Voir
n. 13, 11. D'ailleurs, ici encore, les tenants de la même
opinion se divisent sur des points d'une extrême
subtilité. La question qui domine toutes les divergences
est celle-ci : l'opération de la volonté doit-elle avoir
une priorité sur celle de l'intelligence '? Controverse
justement qualifiée par Ripalda, après Occam.
J. Major et Vasquez, de arbilrariam et vocalem. Voir
Lessius, De summo bono, !. II, c. vi.
Les principales raisons sur lesquelles s'appuient les
partisans de ce troisième système sont les suivantes :
a. L'autorité de l'Écriture qui s'affirme autant en
faveur de l'opération de la volonté qu'en faveur de
l'opération de l'intelligence. Voir les textes plus haut,
col. 1397 et 1398. b. L'autorité des Pères : les thomistes
peuvent citer un certain nombre de Pères qui appuient
leur opinion; mais on peut en citer un aussi grand
nombre attribuant à l'amour et à la jouissance une
partie prépondérante dans la gloire des élus. Pour
saint Augustin, voir t. n, col. 506, 507; Epist.,
clv (lu), n. 12 : Una ibi virlus erit et id ipsum cril
virtus, pnvmiiimquc virtulis, quod dicit in sanclis
colloquiis homo QUI AMAT : mihi autem AVBMRERE Di:i>
BONUA1 est. Hoc illi erit plcna pcrfcctaquc sapientia,
EADEMQUE DEATITUDIN'tS VITA BEAT A, P. L., t. XXXIII,
col. 671; De doctrina chrisliana. 1. I, c. xxxn : Hsec
merces summa est ut ipso Dco per/ruamur, P. L.,X. xxxiv,
col. 32; Con/cssiones, 1. X, c. xxi, xxn, xxm, P. L.,
t. xxxn, col. 792, 793; De moribus Ecclcsiie, 1. I,
c. m : Bcalus, quantum existimo, nec Me dici polcst,
qui non habel quod amal... quid enim est aliud quod
dicimus frui, nisi prœslo habere quod diligis, P. L.,
t. xxxiii, col. 1312; cf. c. xv, col. 1322; De civitalc Dei,
1. XII, c. I : Beatiludinis igitur illorum (bonorum
angelorum) causa est adhxrere Deo,... quamobrem cum
quœrîtur quarc illi beali sinf, ccrle respondetur, qui
adhœrenl Deo, P. L., t. xli, col. 349, 350. Cette adhésion
à Dieu, source de la félicité, saint Augustin l'explique
ailleurs, Epist., cxvm, ad Dioscorum, n. 13, P. L.,
t. xxxm, col. 438, ou encore De moribus Ecelesiiv.
1. I, c. xiv : Quid erit aliud optimum hominis, nisi cui
inhœrere est bealissimum ? Id autem est solus, cui
inhserere certe non valemus, NISI dilectione, amore
caritate. P. L.,t. xxxm, col. 1321, 1322. Cf. Suarez,
De ultimo fine, loc. cit., n. 1. 5, 26; Ripalda, op. cit.,
sect. iv, n. 22. On apporte encore l'autorité de saint
Fulgence, Ad Monimum, 1. I, c. xvm, P. L., t. lxv,
col. 166; de saint Anselme, qui professe que la béati-
tude ex eommodis constat, De casu diaboli. c. iv; cf.,
Monol., c. lxviii; Cur Dcus homo, 1. II, c. i, P. L .
t. cLvm, col. 211,332, 401 ; de saint Bernard, Epist.,
xvm, P. L., t. clxxxii, col. 121, 122, et de plusieurs
théologiens du moyen âge, dont Pierre Lombard,
Sent.. 1. II, dist. I. c. Les deux principaux arguments,
théologiques sont l'un, la définition de Benoît XII,
où se trouve l'incise quod ex lali visione et fsvjtione;
cf. prop. 5 des beghards, Denzinger-Bannwart, n. 530,
475; l'autre, le texte du catéchisme ad parochos, où
on lit : Solida quidem beatitudo quam esses n.u. lu
communi nomine lied vocare, in eo sila est, ut devm
VIDEAMVS EJUSQUE PULCHR1TUD1NE l MIAMI R, C. XIII,
n. 7. d. La raison elle-même appuie cette opinion.
La gloire n'est-elle pas la souveraine perfection des
élus ? Or, la souveraine perfection ne peut être réalisée
en une seule opération, d'autant plus que la possession
de Dieu est le fait de la volonté aussi bien que de
l'intelligence.
3. Jugement d'ensemble. — Ces trois dernières
1401
GLOIRE
14U2
opinions, librement discutées dans l'Eglise, ont la
valeur d'opinion, rien de plus. 11 est clair que ni le
catéchisme du concile de Trente, ni le pape Benoit XII,
ni le concile de Vienne, pas plus que le concile de Franc-
fort dans sa lettre aux évèques espagnols, n'ont voulu
trancher la question, toute scolastique et d'ordre
métaphysique, de l'élément formel de la béatitude
essentielle. Qu'on attribue cette qualité à la vision de
Dieu ou qu'on l'attribue à l'amour ou à la jouissance
béatifique, peu importe; ce qui est important, c'est
qu'on ne sépare point ces opérations, en soi insépa-
rables. Et quand on parle de gloire essentielle, il faut
rester dans la limite dogmatique très nettement tracée
par le cardinal Billot : Hic a substantiel beatitadinis
contradislinguuntur solum Ma quse ab ea possunt sepa-
rari, ut per modum unius accipianlur lum visio Dci,
tum concomilans amor et jruilio. De novissimis, Borne,
1903, q. v, thés, ix, p. 118.
QuanL à l'autorité des Pères, on constate ici une fois
de plus ce qui a été dit à l'art. Béatitude, t. il, col. 504.
Seul ou à peu près seul, saint Augustin a formulé une
véritable théorie de la béatitude. C'est à lui seul qu'il
appartiendrait donc de patronner une opinion de pré-
férence aux autres. Or, on a vu (pie toutes se réclament
de lui. Les textes accumulés par Suarez et Bipalda ne
sont pas sans faire impression, mais il faut signaler
l'explication satisfaisante que Jean de Saint-Thomas,
op. cit., q. v, disp. II, a. 3, n. 22-28; a. 4, n. 4-G, donne
de la pensée de saint Augustin. L'amour, la jouissance
béati tiques ne sont, pour saint Augustin comme pour
saint Thomas, que le complément nécessaire de la
vision. Cette explication s'appuie surtout sur De
diversis quœsl. i.xxxm, q. xxxv, P. L., t. xl, col.
23, 24, et De libero arbilrio, 1. I, c. xn-xiv, P. /..,
t. xxxiii, col. 1134-1137.
Concluons donc que, pour définir la gloire, essentielle
selon l'enseignement de l'Église?, il faut faire abstrac-
tion de toutes les controverses d'école et en retenir
indistinctement les éléments inséparables, vision,
amour, jouissance béati tiques. C'est ainsi qu'avant
d'en venir à l'examen des opinions, le P. C. Pesch,
Prselection.es dogmatiese, t. ni, tr. II, prop. 40, expose
la question au point de vue doctrinal. Ce point servira
plus tard de point de départ quand on exposera la
nature, l'objet et les propriétés de ces actes, à l'art.
Intuitive (Vision).
S. Thomas d'Aquin, Sum. (licol., I > II '' , q. ni; I1, q. xxvi;
Cont. gentes, 1. III, e. xxv, xxvn; Opusc, II (I), c. cv-cvn;
In IV Sent., 1. IV, dist. XLIX, q. i, n;Cajétan, Sum. theol.
S. Thomiv, I" II1', q. ni; Suarez, De fine hominis, disp. VI,
VII, dans Opéra oninia, Paris, 183(>,t. iv; Lcssius.De summo
bono et wterna beatiludine, 1. II, III, dans Opnsciita, Anvers,
107(5; Jean de Saint-Thomas, De a leptinne beatitadinis,
disp. II, a. 1-4, dans Cursus theologicus, Paris, 1885, t. v,
q. v; Gilles de la Présentation, Disputationes de anima et
eorporis beatitudine, Coïmbre, 1609; Gonet, De ultiino
fine hominis, disp. III. dans Clypeus théologien thomistiac,
Paris, 1870, t. m; Hipalda, De ente supernatarali, disp. C,
Paris, 1871, t. m; Salmanticenses, De beatitudine, disp. I,
dans Cursus llieologicus, Paris, 1878, t. v; Pègues, Com-
mentaire littéral de la Somme théologique, t. vi, q. l-vi.
II. Gloire accidentelle. — Le principe général
qui nous sert de guide dans l'exposé de la gloire
accidentelle est celui que Gonet a formulé, op. cit.,
disp. III, a. 2, n. 09 : Pree oculis semper habendum
essentiam beatitadinis formalis esse assecutionem finis
ultimi seu objecli beat i [ici : unde. Ma actio vel illœ
actiones censendse sunt cd formalem beatitudinem
perlinere, quœ essentialiler et formaliler sunt assecuiio
finis ultimi : ■■ contra vro illœ qiuv ad rationem assc-
culionis finis ultimi cl objectiva: beatitadinis mate-
RI ALITER, ( OXCOMITAb TER VEL ACCIDENT UAIEHse liabcnl,
non speclant ad rationem formalem beatitadinis sed
cjns essentiam comilantur vel subsequunlur. Donc, tout
| ce qui n'est pas l'élément formel de la béatitude
doit être considéré comme clément étranger à la gloire
essentielle, et en quelque façon comme élément acci-
dentel. Mais il convient d'apporter une distinction :
ce peut être un élément matériel ou concomitant de
la gloire essentielle; on pourra l'appeler alors gloire
accidentelle, mais dans un sens tout à fait impropre;
ce peut être aussi un élément strictement accidentel :
accidentalia beatitudinis duplieiter sumi possunt : vel
pro iis quiv ab essentiel sunt non modo dislinela, verum
elium separabilia;vel pro iis quœ distinela quidem sunt,
tamelsi essentiam necessario et semper comilcnlur. Billot,
De novissimis, p. 118.
Aussi, pour être complet, nous distinguerons la
gloire accidentelle improprement dite de la gloire
accidentelle proprement dite.
lu Gloire accidentelle improprement dite. — Sous ce
nom générique, on peut grouper les différents éléments
de la béatitude, qui, inséparables de la gloire essentielle,
s'en distinguent cependant formellement. Bappelons,
pour éviter toute équivoque, que, dans le langage com-
mun,celte gloire accidentelle rentre dans la gloire essen-
tielle, selon la remarque du card. Billot. Voir col. 1401.
1. Conditions ou compléments nécessaires de la gloire
essentielle. — C'est la contrepartie de l'élément formel
de la gloire. Dans l'opinion thomiste, amour et jouis-
sance béatitiques sont le complément nécessaire de la
vision, élément formel, c'est-à-dire essentiel de la
gloire. Dans l'opinion scotiste, c'est la vision, au
contraire, qui n'est que la condition nécessaire de la
gloire, lin un sens, ce seraient donc des éléments
accidentels ou quasi accidentels de la gloire. Cf.
S. Thomas, Sum. theol., D IL', q. m, a. 4 : *\</ beati-
tudinem duo requiruntur : unum quod est esse beatitu-
dinis, aliud quml est quasi per >i: accidlss /;.//>,
scitieel delectatio ci adjuncta.
2. Propriétés de la gloire essentielle. — La perpé-
tuité de la gloire, l'impeccabilité de l'âme humaine
sont des propriétés intrinsèquement dérivées de la
vision béatifique. A ce litre, elles seront étudiées à
l'art. Intuitive (Vision); mais elles doivent être
signalées ici comme appartenant au complément de
la gloire essentielle.
3. Qualités glorieuses de l'âme béatifiée. — De même
que les corps glorieux ont des qualités propres, dont la
source est la gloire même de l'âme rejaillissant sur le
corps, voir Corps glorieux, t. ni, col. 1900 sq., de
même l'âme bienheureuse sera dotée de qualités glo-
rieuses qui correspondront aux opérations spécifiques
de la gloire, vision, amour, jouissance béatitiques.
Les théologiens appellent ces qualités dotes animée
beulœ, par une métaphore empruntée au terme du
droit, la dot de l'épouse. La gloire éternelle est comme
un mariage de l'âme avec Dieu : il est convenable que
l'épouse s'approche de l'époux ornée de qualités qui
la disposeront à jouir en paix de son mariage, en la
rehaussant aux yeux de son époux. Les théologiens
fondent leur doctrine des dotes animœ sur l'Écriture,
Apoc, xxi, 2. Cf. II Cor., xi, 2; Eph., v, 23-32. Pour
saint Thomas, les qualités sont, en soi, des habilus dispo-
sant l'âme à la parfaite béatitude. Ils sont donc distincts
des opérations qui constituent la gloire. Sum. theol.,
IIP SuppL.q. xcv, a. 1, 2. Ces qualités existent dans
l'âme du Christ et chez les esprits angéliques, mais non
à titre de dotes anima:', l'âme du Christ et les esprits
angéliques n'ayant pas la qualité d'épouses vis-à-vis
de Dieu et du Christ lui-même, a. 3, 4. Il y a trois dotes,
l'une, répondant à la vertu de foi, rend l'acte de vision
délectable, et, du nom de l'opération à laquelle elle
dispose l'âme, se nomme vision; les deux autres
établissent la convenance de l'objet au sujet et la
possession de celui-là par celui-ci; la convenance est
établie par la dilection, la jouissance (jruilio), ou
1403
GLOIRE
1404
la délectation qui expriment, sous des noms dilïé-
rents, la qualité répondant à la charité; la possession
de l'objet est réalisée par la jouissance dans le sens
d'appréhension ou compréhension ou tension vers
l'objet; toutes dénominations pour exprimer la même
qualité répondant à l'espérance, a. 5. Cf. S. Thomas,
In IV Sent., 1. IV, dist. XLIX, q. iv. Ontologiquement,
ces qualités sont les habilus de l'âme bienheureuse; or,
ces habitus sont au nombre de deux, le lumen gloritv
et la charité consommée. La qualité nommée vision,
c'est donc la lumière de la gloire élevant l'intelligence,
au-dessus de toute obscurité, dans les régions de
l'évidence et de la clarté ; la compréhension, c'est encore
la lumière de la gloire, éloignant tout obstacle à l'union
de l'âme avec Dieu; la dileclipn ou jouissance, c'est
toujours la lumière de la gloire jointe à la charité
consommée et disposant l'âme à jouir pleinement
de Dieu. Mazzella, De Deo créante, disp. VI, a. 4, n. 1240.
Cf. S. Thomas, III* SuppL, q. xcv, a. 5, ad 3" ' ;
Salmanticenses, op. cit., disp. II, dub. m; Billuart,
op. cit., diss. II, a. 5, § 1. Mais pour bien comprendre
comment ces habilus peuvent revêtir la formalité de
qualités glorifiant l'âme au titre de dots surnaturelles,
il faut leur restituer leur double aspect : en tant
que principes des opérations qui constituent la gloire
essentielle, ils ne peuvent être appelés dotes animer,
puisque, loin d'être la dot du mariage spirituel de l'âme
avec Dieu, ils sont ce mariage lui-même consommé
entre Dieu et l'âme. Mais, par le fait même, ils élèvent
l'âme à un état glorieux, très supérieur à l'état présent,
et dans lequel sont supprimées toutes les imperfections :
en tant que ces habitus de la lumière de gloire et de la
charité consommée élèvent ainsi l'âme et la rendent
apte à entrer en commerce direct avec Dieu, sans
aucune des obscurités de la foi, dans la pleine clarté
de la vision faciale, dans la pleine sécurité de la pos-
session de la divinité, ils lui donnent, vis-à-vis de Dieu,
une relation toute particulière qui fait véritablement
que l'âme est l'épouse dotée en vue de plaire à son
époux et de jouir pleinement de son union. A ce titre,
ils deviennent les dotes anima'. Jean de Saint-Thomas,
op. cil., q. v, disp. II, a. 8, n. 18.
Richard de Middletown, In IV Sent., 1. IV, dist.
XLIX, a. 3, q. vu, a substantiellement la même
doctrine que saint Thomas : pour lui, les dotes sont
vision, amour et sécurité, dont il fait un habilus spécial.
Pierre de la Palu, ibid., q. vin, a. 3, tout en maintenant
une thèse identique à celle du docteur angélique,
emploie les dénominations de vision, délectation,
dilection.
Avec saint Bonaventure, In IV Sent., I, IV, dist.
XLIX, a. 1, q. v; D. Soto, ibid., q. îv, a. 3, nous avons
des dotes animée une conception différente. Ce ne sont
plus des habitus, mais des opérations, car la lumière delà
gloii e, qui est V habilus des âmes élues, ne peut être iden-
tifiée avec ces qualités glorieuses. Suarez, op. cit., disp.
XI, sect.i, n. 4, fait remarquer à juste titre que c'est là
une pétition de principe et que saint Thomas enseigne
le contraire, IIP' SuppL, q. xcv, a. 5, ad 3"'". Si ces
habilus sont désignés par l'opération, vision, compré-
hension, délectation, etc., c'est parce que la perfection
de la béatitude, perfection à laquelle l'âme est par eux
disposée, réside en cet acte dernier, l'opération.
Vasquez, op. cit., disp. XVIII, c. n; Montesinos,
Commenlaria in /"" IV Sum. S. Thomœ, Alcala, 1622,
q. iv, a. 3, disp. VI, q. vi, maintiennent la thèse de
saint Bonaventure.
Ces controverses sont de minime importance et
renferment trop de subtilités. Une fois admis que
l'expression : dotes animx, est une métaphore pour
désigner l'élévation de l'âme à un état supérieur, peu
importe que cette élévation réside en des opérations
ou des principes d'opérations. Les théologiens actuels
n'accordent presque plus d'attention à cette question.
Parmi les théologiens contemporains, voir Mazzelki»
De Deo créante, Woodstock, 1877, disp. VI, a. 4, n. 1231-
1240; Pesch, Pnvlecliones donmatiew, Fribourg-en-Brisgau,
1899, t. in, n. 153. Anciens auteurs plus complets, Sal-
manticenses, De beatitudine, disp. II; Suarez, De ultimo fine
hominis, disp. XI, sect. i; Jean de Saint-Thomas, De ade-
ptionè beatitudinis, disp. II, a. 8; Gonet, Clypeus tlieologiœ
Ihomisticse, De Deo uHimo fine, disp. V, a. 1; Lessius,
De beatitudine, a. 3, dub. n; De sunimo bono et œterna
beatitudine hominis, 1. II, c. xx; S. Thomas, Sum. theol.,
III»' SuppL, q. xcv; In IV Sent., 1. IV, dist. XLIX, q. iv.
2° Gloire accidentelle proprement dite. — 1. Existence d
caractère spécifique de la gloire accidentelle proprement
dite. — Qu'en dehors de la gloire essentielle, vision,
amour, jouissance béatifiques, il y ait une autre gloire
pour les élus, c'est là une doctrine communément
admise: a) l'Écriture la suppose expressément, Luc, xv,
7, 10; Ps. exix, 5,6; Sap., m, 7; Matin., xix, 28; b) la
raison demande qu'une essence créée reçoive le complé-
ment de sa perfection dans ses accidents. Gloire essen-
tielle et gloire accidentelle sont ontologiquement des
accidents physiques de l'âme bienheureuse; le mot
accidentel est donc employé ici analogiquement pour
désigner une gloire qui s'ajoute à la gloire essentielle.
Suarez, op. cit., disp. XI, sect. il, n. 3.
Saint Thomas, Sum. theol. , I", q. xcv, a. 4, place
le principe de la gloire accidentelle dans le mérite lui-
même, non en tant qu'il procède de la charité, mais
en tant qu'il est proportionné à la nature ou à la
difficulté de l'œuvre méritoire accomplie. Envisagé
sous son premier aspect, le mérite est récompensé
par la gloire essentielle ; sous son second aspect,
par la gloire accidentelle. Cf. In Epist. D. Pauli ad
Romanos, c. vin, lect. v; I"° ad Cor., c. m, lect. n.
Suarez, loc. cit., n. 5-8, accepte difficilement cette
explication et, n. 9, lui substitue celle de la bonté
divine qui récompense les élus, non seulement dans les
limites de la justice, mais au delà, selon une mesure
bonam et confcrlam et coagilalam et superejjluentem.
Luc, vi, 38. Les deux conceptions peuvent se com-
pléter l'une l'autre. Pesch, op. cit., n. 474.
On peut toutefois se demander quel caractère
spécifique distingue la gloire accidentelle de la gloire
essentielle. Certains théologiens, Richard de Middle-
town, In IV Sent., I. IV, dist. XLIX, a. 5, q. i;
Gabriel Biel (suppl.), ibid., q. m, et même saint Tho-
mas, Sum. theol., P, q. xcv, a. 4; cf. In IV Sent., 1. IV,
dist. XII, q. n, a. 1, q. n, placent cette raison dans la
nature de l'objet de la béatitude : la béatitude essen-
tielle se rapporte à un objet incréé, la béatitude acci-
dentelle a un objet créé : gaudium (est) de bono crealo
(S. Thomas). Suarez, loc. cil., fait remarquer que cette
raison n'est pas complète, car la connaissance et
l'amour de Dieu, en dehors de la vision béatifique,
font partie, pour les élus, de la gloire accidentelle; au
contraire, la connaissance et l'amour des créatures,
vues et possédées dans l'essence divine, font partie de
la gloire essentielle, dont les créatures, vues et possé-
dées en Dieu, forment l'objet secondaire. Voir Intui-
tive (Vision). C'est donc au moyen de connaissance,
plutôt qu'à Vobjet connu, qu'il faut s'attacher pour
distinguer la gloire accidentelle de la gloire essentielle.
Aussi Suarez la définit-il exactement, semble-t-il :
Quwlibct perjectio bcali quœ versalur extra objecium
primarium et essenliale beatifitum, quod est Deus prout
bcali ficus est, id est claie visus. Remarquons d'ailleurs
que l'élément formel de la gloire, la connaissance, entre
ici en jeu pour en donner la définition exacte.
2. Détermination des différentes gloires accidentelles.
— a) Gloire accidentelle particulière ci certains élus. —
Cette gloire accidentelle, d'après les scolastiques,
est réalisée par les auréoles et les fruits spirituels ou
1405
GLOIRE
1406
évangêliques, auxquels il faut ajouter les caractères
sacramentels. Toutes les âmes ne les posséderont pas :
ce sera le privilège de certains élus. Les auréoles ont
déjà élé étudiées. Voir Auréole, t. i, col. 2571 sq.
Quant aux fruits spirituels ou évangéliques, il ne faut
pas les confondre avec les fruits du Saint-Esprit,
éhumérés dans l'Épître aux Galates, v, 22, 23. Voir
Fruits du Saint-Esprit, col. 944 sq. D'une manière
générale, la gloire essentielle peut être considérée en
elle-même comme le fruit de notre travail de sancti-
fication. Rom., vi, 22. Mais, plus spécialement, les
fruits spirituels désignent métaphoriquement, comme
les auréoles, une gloire accidentelle que Dieu accorde à
certains élus. La métaphore est empruntée à la para-
bole, du semeur. Matth., xm, 3-9. Les semences jetées
en terre produisent, les unes 100, les autres 60, d'autres
en lin seulement 30. C'est en se dégageant des liens
de la chair, pour progresser dans la vie spirituelle,
que l'homme obtiendra ces fruits : Fructus est quoddam
prxmium quod debelur homini ex hoc quod ex carnali
vila in spirilualem transit. S. Thomas, IIP'' Suppl..
q. xevi, a. 3. Plus l'homme se dégagera des liens de
la chair, et plus son fruit sera abondant : le fruit est
donc la gloire accidentelle proportionnée aux dispo-
sitions mêmes de l'âme s'engageant dans les voies
de la spiritualité, et par là il se distingue, non seule-
ment de la gloire essentielle, mais de l'auréole qui est
la récompense accidentelle de certaines œuvres excep-
tionnellement méritoires : Secundum ergo hoc fructus
dijfcrt ab aurea et ab auréola : quia aurca consislit in
ijaudio quod habelur de Deo, auréola vero in gaudio
quod habelur de operum perfeelione; sed fructus in
gaudio quod habelur de ipsa disposilione operanlis
secundum gradum spiritualitatis in quem proficit
ex semine verbum Dei. S. Thomas. In IV Sent.,
1. IV, dist. XLIX, q. v, a. 2, q. i. Cf. IIP Suppl.,
q. xevi, a. 2. Les fruits spirituels sont attachés prin-
cipalement à la vertu de continence qui seule nous
fait fructifier dans le sens du détachement de la vie
charnelle; les proportions de 100, 60 et 30 indiquées
par saint Matthieu représentent les trois sortes de
continence, celle des vierges, celle des veuves et celle
des gens mariés. S. Thomas, loc. cil., q. il, et in, a. 3, 4.
Cf. Gonet, op. cit., disp. V, a. 4.
Tous les anciens théologiens, et Scot lui-même,
In IV Sent., 1. IV, dist. XLIX, q. v, admettent que
l'auréole diffère ontologiquement des fruits spirituels,
et voient sous ces expressions métaphoriques des
réalités représentant certaines béatitudes accidentelles.
Des théologiens plus récents, Suarez tout particulière-
ment, op. cit., disp. XII, sect. m, considèrent que les
trois degrés exprimés par saint Matthieu ne signifient
pas nécessairement des degrés de gloire accidentelle.
La métaphore des fruits spirituels pourrait bien ne
désigner que les degrés de la gloire essentielle elle-
même. S. Thomas, In Evangel. Midlhœi, c. xm, adopte
ce sentiment. Cf. Pesch, op. cit., n. 511.
D'ailleurs, les Pères se sont prononcés en des sens si
divers qu'on ne peut trouver chez eux d'interpréta-
tion authentique. Saint Jérôme, In Matlh., P. L., t.
xxvi, col. 39, favorise l'interprétation de saint Thomas;
saint Augustin, Quœslioens in Evangel. sec. Matlh., ix,
P. L., t. xxxv, col. 1325; Paschase Radbert. In Matlh.,
part. VII, P. L., t. cxx, col. 490; Bruno d'Asti, ibid.,
P. L., t. clxv, col. 189, appliquent la parabole aux
martyrs, aux vierges, aux gens mariés. Bruno d'Asti,
loc. cit., entend également parler des contemplatifs,
des actifs et de ceux qui mènent une vie commune.
Cf. S. Grégoire le Grand, In Ezcchiclem, 1. I, homil.
v, n. 12, P. L., t. lxxvi, col. 826. Saint Augustin, De
sanela virginilale, c. xlv, P. L., t. xl, col. 423, expose
d'abord l'opinion que reprend saint Thomas, mais
conclut que ces différents fruits représentent plus gé-
néralement les différents degrés de vertu. Même inter-
prétation chez l'auteur de VOpus imperfeetum in
Matlh., P. G., t. lvi, col. 705. Théophylacte, In Matlh.,
P. G., t. cxxv, col. 284, applique la parabole aux
contemplatifs, aux actifs et à ceux qui débutent dans
la perfection de la foi. Les incipienles, proficienlcs et
perfecti se retrouvent chez Denys le Chartreux, In IV
Evangelia, Paris, 1555. La liturgie de l'Église fait allu-
sion, avec une application différente, à la parabole de
Matth., xm, 3, 9, dans l'hymne des laudes de saint
Jean-Baptiste, vierge, docteur, martyr, Secta 1er dénis
alios coronant, etc. Voir aussi : S. Jérôme, Adu. Jovin.,
1. I, n. 1; Epist., xlviii, n. 2, P. L., t. xxm, col. 212;
t. xxn, col. 495; S. Cyprien, Epist., lxxvi, n. 6, P. L.,
t. iv, col. 418, qui appliquent ces degrés aux degrés de
la gloire essentielle niés par les hérétiques de leur
temps. Cette dernière interprétation est la plus com-
mune chez les exégètes plus récents et correspond
mieux à la pensée de Notre-Seigneur. Les théologiens
font remarquer à bon droit que le caractère sacramentel
sera lui aussi un sujet de gloire accidentelle pour les
élus, parce qu'il restera la marque indélébile de leur
fidélité. Cf. S. Thomas, Sum. Iheol., III", q. xlv, a. 5,
ad 3"". Voir Caractère sacramentel, t. il, col. 1706.
S. Thomas, In IV Sent., 1. IV, dist. XLIX, q. v, a. 2; Sum.
thcol., î Suppl., q. xevi, a. 2, 3, 4; Suarez, De ultitno fine
hominis, disp. XI, sect. m, n. 5; Gonet, De ultimo fine
hominis, disp. V, a. 4; Knabenbauer, Evangelium secun-
dum Matllœum, Paris, 1892, p. 524, 525.
b) Gloire accidentelle commune à tous les élus. —
a. Dans l'âme. — Nous laissons présentement de côté
les biens d'ordre surnaturel que Dieu accorde, dès
ici-bas, à l'âme ornée de la grâce sanctifiante et qui
la suivront, pour sa gloire, dans le ciel. Il y a corres-
pondance entre la grâce et la gloire, et rénumération
de ces biens sera logiquement à sa place plus loin,
quand nous traiterons de la grâce et de la gloire.
Bappelons toutefois que ces perfections d'ordre sur-
naturel sont un motif de gloire accidentelle.
a. Biens de V intelligence. — La foi ne nous enseigne
rien directement en dehors de la vision béatifique.
touchant les perfections de l'intelligence glorifiée. Les
Pères enseignent communément, voir Intuitive (Vi-
sion), que l'ignorance et l'erreur ne peuvent trouver
place dans la connaissance des élus. Il faut entendre
cette ignorance dans un sens privatif, non négatif;
les élus, en elîet, auront toutes les connaissances
que comporte leur état; mais n'étant pas, par le fait
de la béatitude, omniscients, ils resteront dans la
nescience à l'égard de beaucoup de choses. S. Thomas,
In IV Sent., dist. XLIX, q. Il, a. 5, ad 8 .Mais
comme, d'autre part, la gloire doit être le comble de
tous les biens et la satisfaction de tous les désirs,
exige-t-elle, en plus de la vision intuitive, un mode
de connaissance d'ordre naturel qui en est comme
le complément et l'accessoire ?
Nous n'avons, sur ce point, que les opinions des
théologiens. — On admet communément contre Albert
le Grand, In IV Sent., 1. III, dist. XXXI, a. 10, avec
saint Thomas, Sum. theol., P, q. lxxxix, a. 5, 6, que
les habiius et les actes de la science acquise ici-bas
demeurent dans les âmes séparées, bien que le mode
d'agir de l'intelligence, tant que l'âme sera séparée du
corps, ne s'exercera plus par une conversion vers les
images sensibles, 1° IIa\ q. lxvii, a. 2. Cf. Capréolus, In
IVSenl..\. XXXI et XXXII, dist.III, q.un.,a.2,§ 2;
Durand de Saint-Pourçain,dist. XXXI, q. ni. La parole
de saint Paul,I Cor., xm, S. scienlia deslruelur, ne s'ap-
plique qu'à une grâce gratuitement donnée, analogue
aux dons de prophétie et des langues. Voir Estius, Bis-
ping, dans leurs commentaires sur ce passage. Le sou-
venir des événements, des personnes, des affections, des
luttes d'ici-bas suivra donc les âmes dans la gloire et
1407
GLOIHE
1408
sera pour elles un sujet de gloire complémentaire, |
si tout cela a été une occasion de mérite pour elles.
Cf. S. Thomas, ibid., a. 4, 8. Elles se réjouiront du j
bien accompli ici-bas. q. xxm, a. 6, ad 1"". — Les âmes,
comme les anges, peuvent se communiquer leurs
pensées, quelles que soient d'ailleurs les différentes |
explications scolastiques du langage angélique. Voir
Angéloi.ogie, t. i, col. 1241 sq.; S. Thomas, ibid., \
a. 2. C'est d'ailleurs une vérité que nous pouvons j
déduire de la gloire accidentelle que donne aux élus
la société des bienheureux. Cette société, voir plus
loin, ne peut contribuer à la gloire des élus qu'à la
condition d'être véritablement telle et de comporter
la communication des élus entre eux. — Outre ces deux
sciences, l'une acquise ici-bas, l'autre reçue des esprits
ou des âmes séparées, il est très probable que l'in-
telligence des élus recevra une nouvelle perfection
d'une troisième science, directement infusée par Dieu.
Certains théologiens, Grégoire de Valence, In /,'" Sum.
S. Thomas, disp. I, q. n, p. vi, q. iv, assert. 1; Les-
sius, De summo bono, 1. II, c. xix, n. 155, tout en ad-
mettant, en paroles, une science infuse chez les élus,
la nient en réalité. Les autres admettent communé-
ment cette science d'ordre naturel, mais infuse, chez
les élus, comme ils l'admettent dans l'humanité du
Christ. Cf. S. Thomas, Sum. theol., I", q. lxxxix, a. 1;
Suarez. op. cit., disp. VIII, sect. i, n. 9. Voir un bon
résumé de la question dans Billot, De Verbo incar-
nedo, Rome, 1912, thes. xx, § 1. — La vision béati-
tique n'empêche pas les autres opérations naturelles
à l'intelligence. La preuve théologique de cette as-
sertion se trouve dans la personne même du Verbe
incarné, en qui la vision béatifique s'alliait au fonction-
nement normal non seulement de l'intelligence et de la
volonté humaine, mais encore des facultés inférieures.
Cf. S. Thomas, De veriiate, q. xm, a. 3, 4; Billot,
De Vcrbo incarnalo, thes. xx, §3. Si cette alliance paraît
impossible dans le cas d'un ravissement où Iransiloire-
ment un simple mortel serait élevé à la vision intuitive,
comme le pensent, de saint Paul, saint Augustin,
Ad Paulinam, Epist., cxlvii (cxn), c. xm, n. 31, P. L.,
t. xxxm, col. G10, et saint Thomas, Sum. theol., IL IV,
q. clxxv, a. 3, 4; De veriiate, q. xm, a. 2, 3; In
Epist. II"" ad Cor., c. xn, lect. n, la même incompa-
ti bilité n'existe plus lorsqu'il s'agit de l'état de
béatitude. S. Thomas, Sum. theol., loc. cit., a. 4,
ad 1'"" et 2"ra; Terrien, La grâce et la gloire, Paris,
s. d. (1897), t. n, p. 292, 293.
Ces principes rappelés, on comprendra plus facile-
ment les hypothèses suivantes des grands théolo-
giens. — L'état de gloire étant l'état de la perfection qui
convient à chacun des élus, il semble nécessaire que
les intelligences qui n'ont pas reçu ici-bas la perfection
qu'elles eussent naturellement comportée, la reçoivent
connaturcllement de Dieu dès le premier instant de la
béatitude. L'intelligence doit être, sous ce rapport,
aussi favorisée que le corps, voir Corps glorieux,
l. m, col. 1898; donc elle doit recevoir de Dieu le
supplément de perfection qui lui manque. Elle ne le
pourra recevoir que par une science infuse per aceidens
des choses de l'ordre naturel. Suarez, op. cit., sect. il,
n. 5, appliquant les principes de saint Thomas,
Sum. Ihcl., L IL', q. m, a. C, 7. — La vision intuitive
ne procurant pas l'omniscience, et n'étant d'ailleurs,
quant à son intensité et à son extension, accordée
qu'en proportion de la grâce et des mérites de chaque
élu, laisse supposer que Dieu suppléerait, le cas échéant,
à l'insuffisance de la vision béatifique par une révéla-
tion nouvelle, appartenant par là-même à la gloire
accidentelle : Certc diccre possumus quœ in hoc capite
diximus (l'objet secondaire de la vision intuitive)
cum limilalione esse aecipienda cl quasi sub condilione,
si talia fuerint mérita bcaii in hac vila, ul per eu mcrueril
prœdicta omnia obtinerc cl videre per suam csscntialem
beatiludinem. Quod si talia non fuerint, salis erit, quod
PEU Gi.oniAM ACCIDEXTALEir, seu per novas rcvcla-
tioncs aligna videat. Suarez, De dioina substanlia
ejusque atlribulis, 1. II, c. xxvnr, n. 20. — Il semble
même qu'un certain nombre de choses ou d'événe-
ments ou d'actions ne doivent être connus cpie par
une science distincte de la vision intuitive et se rappor-
tant, par conséquent, à la gloire accidentelle. La vision
intuitive, en effet, comporte une connaissance tou-
jours actuelle de son objet, tant primaire que secondaire,
Sum. theol., 1", q. xn, a. 10, et cette connaissance,
parce que toujours en acte, est immuable et éternelle.
Voir plus loin, col. 1414. Or, il est peu admissible que
des actes comme les prières, les vœux, les fêtes,
les honneurs rendus et autres semblables concernant
les élus soient connus par les bienheureux par la
vision intuitive au même titre que l'essence divine
elle-même. En comparaison de la gloire essentielle, ce
sont événements de peu d'importance, surtout lors-
qu'ils sont déjà passés. D'ailleurs, il n'est point dans
l'ordre d'avoir constamment l'attention fixée sur les
honneurs et les hommages reçus. Et il faut ranger
aussi, au nombre des objets d'une science distincte
de la vision intuitive, les soucis de la prospérité des
œuvres fondées, les préoccupations matérielles, etc.
Lessius, De summo bono, 1. II, c. x, n. 69. Voir l'opi-
nion contraire dans Suarez, De atlribulis negalivis Dei,
c. xxviii, n. 18. — Enfin, les théologiens qui admettent
la simultanéité de la vision béatifique et de la science
infuse, portant toutes deux sur les mêmes objets,
acceptent volontiers que les mêmes connaissances
concourent à la fois, selon le mode qui les produit, à
la gloire essentielle et à la gloire accidentelle. C'est la
thèse de saint Augustin dans la double connaissance,
matinale et vespérale, des anges. Voir t. i, col. 1200;
cf. S. Thomas, Sum. theol., L, q. lviii, a. G, 7. La
sécurité et la continuité de la gloire accidentelle de
l'intelligence sont suffisamment sauvegardées en ce
que les élus pourront considérer quand et comme
ils le voudront les objets de cette gloire et passer sans
discontinuer de l'un à l'autre. Suarez, De ullimo fine
hominis, disp. XIV, sect. i, n. 4. — Telles sont les
hypothèses générales que l'on peut rappeler. L'art.
Intuitive (Vision) exposera, avec les détails voulus,
quels objets les élus atteignent par leur connaissance.
Outre les auteurs cités, consulter C. Pcsch, Pnelcctioncs
dogmaticœ, t. m, prop. 11, n. 476-484.
[j. Biens de la volonté. — Les perfections de l'intel-
ligence entraînent celles de la volonté, dans la béati-
tude accidentelle, comme dans la béatitude essen-
tielle. Il suffit donc, d'une manière générale, de dire
que la connaissance, dans l'une et l'autre béatitude,
se complète par l'amour et la jouissance. Cf. Joa., xvi,
24; Ps. xiv, 15. Saint Augustin résume la doctrine
catholique en quelques mots : Omncs bcali hubcnl
quod volunt. De Trinilate, 1. XIII, c. v; cf. c. vu,
P. L., t. xlii, col. 1020 sq.
Nulle contrariété de la volonté, dans la possession
et la jouissance des objets qu'elle peut désirer, aussi
bien dans la gloire accidentelle que dans la gloire
essentielle. Nulle tristesse possible, Is., xxv, 8; Luc,
vi, 24; Apoc, vu, 10, 17; xxi, 4; xxn, 3-5; car les
bienheureux n'en ont aucun motif, n'envisageant
toutes choses que selon l'ordre de la gloire divine,
laquelle est toujours réalisée par la manifestation
d'un des attributs divins, miséricorde ou justice.
Au sujet de la gloire accidentelle de la volonté, deux
problèmes se posent. D'abord, l'âme sainte désire se
réunir à son corps afin de faire participer celui-ci à sa
gloire. Ce désir, ne devant être satisfait qu'à la résur-
rection générale, n'entraîne-t-il pas à sa suite une
certaine tristesse présente? Ensuite, l'âme sainte ne
1409
GLOIRE
1410
souflïira-t-elle pas du souvenir de ses péchés ou de
la perte éternelle de ses amis et proches?
Saint Thomas a indiqué la solution du premier
problème. Sum. theol., F IF', q. iv, a. 5, ad 4"'" et 5"m.
L'âme n'éprouve aucune tristesse : ayant tout ce qu'elle
peut désirer, elle est satisfaite, quoiqu'elle ne possède
pas encore la gloire de toutes les façons dont il lui
serait possible de la posséder : elle attend donc qu'un
nouvel état lui permette de faire participer le corps
à sa gloire; mais elle ne souffre pas de cette attente,
ayant tout ce qu'elle peut avoir et désirer pour son
état présent. D'ailleurs, parler d'attente, c'est mal
s'exprimer. La gloire de l'âme est éternelle, c'est-à-
dire tout en acte, voir Éternité, t. v, col. 919 :
le temps n'existe plus, et c'est notre imagination qui
nous trompe lorsque nous nous figurons l'âme attendant
la résurrection. Cf. Billot, De novissimis, thés, ix, § 1,
in fine.
Le second problème a sa solution générale dans ce
que nous avons dit plus haut : les élus n'envisagent
toutes choses que selon l'ordre de la gloire divine :
ils jugeront les pécheurs comme tels, c'est-à-dire
comme ennemis de Dieu et, à ce titre, seront heureux
de les rejeter : Si homines nolunl salvari, sed in suis
peccatis obslinali sunt, beati eos considérant ut hostes
Dei et suos, et volunl eos débitas pœnas subire, etiamsi
in vila peccalores eorum amici et propinqui fuerunt,
quia non caro et sanguis regnum Dei obtinenl,scd amor
spiritualis, quo omnia in Dco et propter Deum amanlur.
S. Thomas, In IV Sent., 1. IV, dist. L, q. xi, a. 4.
Cf. Lessius, De summo bono, 1. II, c. xn, n. 88. Mais
cette solution ne pourra être pleinement comprise que
lorsqu'on aura exposé comment la vision béatifique
règle toutes les pensées, toutes les volontés, toutes
les affections des élus. Aussi, pour éviter les redites,
on voudra bien se reporter à Intuitive (Vision).
b. Dans le corps ressuscité. — La gloire de l'âme
rejaillira sur le corps : de là, une nouvelle gloire acci-
dentelle, qui a été étudiée à Corps glorieux, t. ni,
col. 1879. Mais la réunion de l'âme au corps reconsti-
tuera les facultés organiques, qui, dans l'âme séparée,
ne subsistaient qu'à l'état virtuel. S. Thomas, Sum.
theol., r, q. lxxvii, a. 8. La gloire accidentelle trouvera-
t-elle un nouvel élément dans l'exercice de ces facul-
tés sensibles? Cf. Job, xix, 27; Apoc, xn, 1; vu, 9,
pour les yeux; Apoc., iv, 10, 11; xiv, 3, 4; Tob., xni,
22, pour les oreilles. On adapte à l'odorat Cant., iv,
10, 15; au goût Apoc, n, 17. Les scolastiques ont
émis beaucoup d'hypothèses. Voir S. Thomas, Sum.
theol., IH,e Suppl., q. lxxxii, a. 4; et surtout Les-
sius, De summo bono, 1. III, c. vin, n. 101-103. Le
P. de Smet, Notre vie surnaturelle, Bruxelles, 1910,
t. i, p. 293, a bien résumé la doctrine de ces deux
théologiens en montrant que, si les jouissances pro-
pres aux trois sens plus matériels de la nature ani-
male, goût, odorat, toucher, devaient être spirituali-
sécs pour concourir à la gloire accidentelle des élus,
la chose est plus facile à expliquer pour la vue et
l'ouïe. La musique qui ravira les oreilles des élus,
après la résurrection, sera non seulement mentale,
mais vocale. S. Thomas, Sum. theol., IIP3 Suppl.,
q. lxxxii, a. 4; In IV Sent., 1. II, dist. II, q. n, a. 2,
ad 5""; Lessius, op. cit., c. vin, n. 99. La principale
gloire des yeux sera de contempler le corps glorieux
du Sauveur. S. Thomas, In IV Sent. 1. IV, dist.
XLIX, q. n, a. 2.
En plus des auteurs cités : Suarez, De îmjsteriis vilce
Chrisli, disp. XLVII, sect. vi.
c. Dans les biens extérieurs. — ■/.. Terre et deux
renouvelés. — Si le monde doit être renouvelé après
la résurrection générale, les cieux, la terre ainsi res-
taurés apporteront, par leur perfection même, un nou-
DICT. DE TllÉOL. CATHOL.
veau motif de gloire accidentelle aux élus. Le ciel
empyrée où habitent les bienheureux est à lui seul
un ravissant spectacle pour leurs yeux. Cf. Grégoire
de Valence, In I'm Sum. S. Thomœ, disp. V, q. n,
p. n, q. v; S. Thomas, Sum. theol., I", q. lxvi, a. 3;
Suarez, De mijsleris vitse Chrisli, disp. LVIII, sect. n;
Lessius, De summo bono, 1. III, n. 98, 99. Nous
ne nous attarderons pas à développer une doctrine
dont les fondements ont été suffisamment explorés
aux art. Fin du monde, t. v, col. 2516 sq., et Ciel,
t. n, col. 2504. Voir aussi de Smet, op. cit., p. 295, note.
(3. La société des élus. — Les élus se retrouveront
et se reconnaîtront au ciel, non seulement par la
vision intuitive, mais par les communications directes
qu'ils pourront avoir entre eux. Nier qu'ils puis-
sent communiquer directement entre eux serait leur
enlever un exercice légitime de leurs facultés, ce qui
est contre le concept même de la gloire, qui doit être
le comble de tous les biens et le rassasiement de tous
les désirs. Cette société n'est pas requise sans doute à
la gloire essentielle, mais elle fera partie de la gloire
accidentelle des élus. S. Thomas, Sum. theol., F IF',
q. iv, a. 8. Les élus s'aimeront au ciel « par l'effet de
la vertu de charité infuse qui demeurera en nous à
un degré de suprême perfection, de l'amour le plus
tendre et le plus ardent, qui sera encore nourri et
constamment accru par la connaissance toujours plus
parfaite que nous aurons de leurs perfections naturelles
et surnaturelles, bien supérieures à tout ce que nous
pouvons rencontrer ici-bas de plus ravissant parmi
nos semblables, et sans aucun mélange d'imperfection
positive déplaisante. » De Smet, op. cit., p. 303.
Cf. S. Thomas, Sum. theol., IF IF', q. xxvi, a. 13.
L'Écriture, parlant du ciel, le désigne souvent comme
le lieu de rendez-vous des élus, lieu où ils régneront
ensemble avec le Christ. Voir Ciei , t. n, col. 2470,
2477. Ils formeront donc une société, où ils se retrou-
veront et se connaîtront. Voir également Communion
des saints, t. m, col. 430, et, en particulier, ce qui
concerne l'Église triomphante, col. 467 sq. Rappelons
simplement ici que l'Écriture présente le séjour des
élus comme une société, un royaume, où, en compagnie
de Jésus, Luc, xxm, 43, et des anges, Matth., xvm,
10, les justes seront la joie du Seigneur, Matth., xxv,
21, 23, pour la vie éternelle. Matth., xxv, 46; xix, 17;
Marc, ix, 43-45. C'est encore un festin, où se réu-
nissent les convives, Luc, xxn, 30; Matth., vin, 11;
xxn, 1-14; xxvi, 29. Cf. Frey, Royaume de Dieu,
dans le Dictionnaire de la Bible de M. Vigouroux,
t. v, col. 1248, 1249. Les anges portent Lazare dans
le sein d'Abraham, Luc, xvi, 22; les habitants du
ciel se réjouissent à la conversion d'un pécheur, Luc,
xv, 7, 10; Marthe espère bien retrouver plus tard son
frère, Joa., xi, 24; Jésus, ripostant aux Sadducéens,
Matth. xxn, 30, dégage la société des élus des appé-
tits grossiers que l'état de gloire ne comporte plus;
mais suppose expressément que les élus se retrou-
veront.
La tradition propose également cette vérité. On
peut en trouver les témoignages explicites aux art.
Ciel et Communion des saints. La société des
saints et des anges, comme faisant partie du bonheur
des élus, est insinuée ou affirmée dans la Didachè,
xvi, 7; par S. Clément, !■' Cor., xxxiv, xxxv; par
Hermas, Paslor, Sim., ix, 27, 3; Vis., n, 7; par S. Po-
lycarpe, Ad Phil. ,n, l;v, 2; dans Y É pitre àDiognèie,
vi, 3; v, 5, 9; par S. Justin, Apol., n, 1; Dial. cuni
Tryph., 56 ; LTepl àvaaTaasfoç, 7, P. G., t. vi, col. 441,
612, 1589; par S. Hippolyte, De Aniichristo, 31, 59,
P. G., t. x, col. 752, 780 (voir, sur la vraie pensée
de S. Hippolyte, d'Alès, La théologie de S. Hippolyi'e,
Paris, 1906, p. 179 sq.); Clément d'Alexandrie, Pwd.,
n, 12; Strom., VII, 2, P, G., t. ix, col. 541; t. vin,
VI. - 13
1411
GLOIRE
1412
col. 40S; Origène, De princ, 1. II, c. xi, n. 6; 1. I,
c, vi, n. 2; De oraiione, n. 11, P. G., t. xi, col. 246,
1G6, 419; Terlullien, De anima, 55, P. L., t. n,
col. 712-714; S. Grégoire le Thaumaturge, Sermo pa-
ncgyricus in honorera sancli Siephani, 2, dans Pitra,
Analecla sacra, t. iv, p. 409. Mais déjà, à cette époque,
plusieurs Pères envisagent cette vérité sous l'aspect
qui nous occupe, à savoir que la société du ciel
sera la continuation des liens delà terre et contribuera
de ce chef à procurer aux élus une nouvelle gloire
accidentelle. Saint Irénée, commentant l'histoire du
mauvais riche et de Lazare, rappelle que « les âmes
continuent de se connaître et de se rappeler les
choses qui sont ici-bas. » Conl. hxr., 1. II, c. xxxiv,
n. 1, P. G., t. vu, col. 831. Saint Cyprien, arrêtant son
regard sur le ciel, assure que « nous y sommes atten-
dus par un grand nombre de personnes qui nous
sont chères, que nous y sommes désirés par une foule
considérable de parents, de frères et d'enfants qui,
désormais assurés de leur immortalité, conservent
encore de l'inquiétude pour notre salut. » De morta-
lilalc, c. xxvi ; cf. Epist., lvi, ad Thibarilanos, P. L.,
t. iv, col. 601, 357.
De beaucoup d'ouvrages de saint Ambroise, voir
Ciel, t, n, col. 2181, se dégage l'union mystique des
élus entre eux et avec le Christ. Mentionnons tout
particulièrement les espérances du saint évêque,
pleurant son frère Satyrus, mais auquel il espère
pouvoir bientôt se réunir, De excessu fralris Salijri,
1. I, n. 79; 1. II, n. 135; cf. n. 53 sq., P. L., t. xvi,
col., 1311, 1354, 1329. Saint Jérôme (voir t. n,
col. 2485), réfutant Vigilance, n'admet pas que les
saints ne puissent plus maintenir au ciel les relations
d'affection qu'ils ont pu avoir ici-bas. Epist., lxxv,
n. 2, P. L., t. xxn, col. 686. Saint Augustin, quelles
que soient les hésitations de sa pensée sur la nature
du ciel (voir t. n, col. 2485-2486), affirme que les élus
o se connaîtront, non pas parce qu'ils verront la face
les uns des autres (avant la résurrection), mais parce
qu'ils verront comme les prophètes ont coutume de
voir ici-bas et même d'une manière bien plus excel-
lente. » Serm., ccxliii, c. vi; cf. cccxvi, c. v, P. L.,
t. xxxvm, col. 1146, 1434. Cette certitude de la
réunion des élus au ciel est un thème de consolation.
Epist., xcn, n. 1,2, P. L., t. xxxm, col. 136. Pour
éviter les répétitions, notons simplement encore la
doctrine de saint Grégoire : « (Les bienheureux),
dit-il, reconnaissent ceux qu'ils ont connus en ce
monde, agnoscunl quos in hoc mundo noverant; ils
reconnaissent aussi, comme s'ils les avaient vus et
connus, les bons qu'ils ne virent jamais », velut visos
ac cognilos agnoscunl. Dial., 1. IV, c. xxxm; cf.
c. xxxiv, P. L., t. lxxvii, col. 373-376. Voir, repro-
duisant la doctrine de saint Grégoire, saint Julien
de Tolède, Prognoslicon, 1. II, c. xxiv, P. L., t. xevi,
col. 486; Haymon d'Halberstadt, De varietate libro-
rum, 1. I, c. vm, P. L., t. cxvin, col. 882; Honorius
d'Autun, Elacidarium, 1. III, n. 7, 8, P. L., t. clxxii,
col. 1161-1162. Dans un sens plus strictement philo-
sophique, signalons saint Paulin de Noie, pour qui
J'âmc, en vertu de sa céleste origine, survit au corps
et doit nécessairement conserver ses affections et ses
sentiments comme elle conserve sa vie. Poemata,
xviii, xxiv, P. L., t. lxi, col. 492, 620.
En ce qui concerne les Pères des Églises grecque
et syrienne, nous n'avons que peu de chose à ajouter
à l'art. Ciel, col. 2488-2492. De saint Jean Chryso-
stome, signalons tout particulièrement In Matlhxum,
homil. xxxi, n. 4, 5, P. G., t. lvii, col. 374 sq., et les
si touchantes consolations qu'il adresse île, vêcixepav
/jripEuaaaav, P. G., t. i.xvm, col. 600 sq. Cf. pseudo-
Athanase, Quxsliones ad Antiochum ducem, q. xxir,
P. G., t. xxvin, col. 609-612. Saint Théodore Studite
développe la même vérité en l'appuyant sur le fait
du jugement dernier. Ce jugement ne peut avoir lieu
qu'à la condition que tous les chrétiens se recon-
naissent; les douze apôtres, assis sur douze trônes,
Matth., xix, 28, ne pourront juger les nations qu'à
la condition de les connaître; Job ne pourra recevoir
le double de ses enfants, cf. Job, xlii, 10, 13, qu'à la
même condition de les reconnaître pareillement.
Il faut donc croire que « le frère reconnaîtra son frère,
le père ses enfants, l'épouse son époux, l'ami son ami... ;
tous nous nous connaîtrons, afin que l'habitation de
tous en Dieu soit rendue plus joyeuse par ce bienfait,
ajouté à tant d'autres, celui de nous connaîlrc les
uns les autres. » Serm. calech., xxn, P. G., t. xcix,
col. 538,539; cf. Epislolarium, 1. I, epist. xxix; 1. II,
epist. clxxxviii, ibid., col. 1005, 1573, 1577. Voir aussi
Photius, Epist., 1. III, epist. lxiii, Tarasio palricio,
jralri, P. G., t. en, col. 969 sq.
L'hagiographie, l'épigraphie, l'iconographie et plus
encore la liturgie fournissent de nombreux témoi-
gnages concernant cette société céleste qui sera l'une
des gloires accidentelles des élus. Voir Ciel. On lira,
avec fruit, sur le même sujet, S. Bernard, Serm., n,
in nalali sancti Victoris, n. 3, P. L., t. clxxxiii,
col. 374-375; Bossuet, Sentiment du chrétien louchant
la vie cl la mort, Œuvres complètes, Besançon, Paris,
1840, t. iv, p. 692 sq. ■ — Les élus pourront-ils trouver
quelque joie accidentelle du côté des habitants des
limbes ? « On peut regarder comme... probable qu'il
y aura des rapports d'amitié humaine entre (les
enfants morts sans baptême) et les bienheureux,
citoyens de la patrie céleste. Ceux-ci pourraient venir
converser avec eux, les consoler, les instruire de bien
des choses qui leur feront mieux connaître et aimer
Dieu... Cette croyance, si elle ne peut s'appuyer sur
aucun texte positif de la révélation divine, n'y ren-
contre non plus aucune contradiction positive. »
De Smet, op. cit., t. i, p. 304, note.
S. Thomas, Sum. theol, 1> II*', q. iv, a. 8; II» II»,
q. xxvi, a. 13; In IV Sent, I. III' dist. XXXI, q, n, a. 3;
et les commentateurs; Muratori, De paradiso regnique cœle-
slis gloria, Vérone, 1738; et, parmi les auteurs récents, Mon-
sabré, Carême de 1SS9, Le ciel, nc point; Élie Méric,
L'autre vie, Paris, 1912, t. n, c. ix; Blot, Au ciel on se
reconnaît, Paris, 1909.
III. Gloire consommée et accroissement de la
gloire. — La gloire ou béatitude consommée consiste
dans l'épanouissement complet de la gloire dans la
nature humaine totalement reconstituée. La gloire
consommée n'existera donc qu'après la résurrection.
Cette vérité se trouve affirmée dans la tradition,
mais non sous une forme toujours identique. Quelques
Pères et écrivains ecclésiastiques, jugeant que le corps
doit être réuni à l'âme pour que celle-ci puisse jouir
de la gloire, ont reculé la vision béatifique elle-même
jusqu'après la résurrection. Cette erreur a été con-
damnée par Benoît XII. Voir ce mot. Les autres,
tout en admettant la doctrine catholique que Be-
noît XII devait promulguer, varient dans leur façon
de s'exprimer touchant les rapports entre ce que nous
appelons maintenant, avec nos formules théoloçiques
précises, la gloire consommée et la gloire essentielle.
La gloire consommée ajoute quelque chose à la gloire
essentielle, voilà ce que tous sentaient et exprimèrent
en des formules parfois équivoques et qu'on a tâché
d'expliquer ailleurs. Voir Benoit XII, t. n, col. 684-688.
Ce qui nous reste à faire ici, c'est donc la mise au
point théologique de la différence qui existe entre
l'une et l'autre gloire. Cette mise au point peut se
résumer en deux propositions, dont la première est
nécessaire à l'intelligence de la seconde :
V? proposition : L'accroissement de la gloire acci-
GLOIRE
1414
dentelle dans l'âme séparée du corps n'ajoute rien for-
mellement à la gloire essentielle. — 1. Il peut y avoir, dans
i âme séparée du corps, accroissement de gloire accidentelle.
— Saint Thomas, 7/i IV Sent., 1. IV, dist. XII, q. h, a. 1,
q. n, prend occasion de la collecte de la inesse de saint
Léon, pape : Annue nobis, Domine, ut animas famuli
tui Leonis hsec prosil oblalio, pour expliquer comment
nos prières, nos sacrifices, nos hommages peuvent
concourir à la gloire des saints. « La gloire, dit-il,
c'est la récompense des saints: or, cette récompense
est double : c'est d'abord la joie essentielle qu'ils
reçoivent de la divinité; c'est ensuite une joie acci-
dentelle qu'ils reçoivent de n'importe quel bien créé.
Quant à la joie essentielle, selon l'opinion plus pro-
bable, ils ne peuvent recevoir d'accroissement; quant
à la joie accidentelle, cela leur est possible, du moins
jusqu'au jour du jugement. Comment, s'il n'en était
pas ainsi, leur joie s'accroîtrait-t-elle de la gloire de
leur corps ? Aussi leur gloire s'accroît par tous les
bienfaits qu'ils nous procurent, les anges du ciel se
réjouissant eux-mêmes de la pénitence d'un seul
pécheur, Luc, xv, 10; et ainsi les saints se réjouissent
de tout ce qui se fait en l'honneur de Dieu, et surtout
de tout ce par quoi nous rendons grâces à Dieu de
leur gloire. » Et le saint docteur conclut qu'il ne peut
s'agir, lorsqu'on parle de l'accroissement de la gloire
des élus, que d'un accroissement de gloire accidentelle.
Cf. Sum. thcol., I*, q. lxii, a. 9, ad 3"'°. La raison
théologique démontre la possibilité d'un tel accroisse-
ment. La gloire a son principe formel dans la con-
naissance, clara cum laude nolitia. Or, nous l'avons
vu, l'intelligence de l'âme séparée garde, même con-
comitamment avec la vision béatifique, ses opérations
propres. D'une part, tant de sujets de gloire, en dehors
de Dieu, subsistent sur lesquels l'intelligence pourra
s'arrêter. Ces sujets sont multiples. Sans compter
le souvenir de ses bonnes actions accomplies ici-bas,
l'âme bienheureuse pourra connaître, par une révéla-
tion progressive, voir plus haut, col. 1407, les choses
qui la concernent, les témoignages qu'on rend à son
mérite, les prières qu'on lui adresse, les hommages
qu'on lui rend. Cf. Lessius, De summo bono, 1. II,
c. ix, x. Sa gloire accidentelle croîtra donc en propor-
tion de ces révélations. Elle croîtra surtout en raison
des joies qu'apportera aux élus la société des saints,
S. Augustin, Enarr. in ps. CXLVII, n. 6, 9, 13, P. L.,
t. xxxvn, col. 1918, 1920, 1922; S. Bernard, In festo
omnium sanclorum, serm. v, n. 6, P. L., t. clxxxiii,
col. 478; cf. Billot, op. cit., §2; et dans cette société
tout particulièrement la vue du corps glorieux de Notre-
Seigneur. S. Thomas, In IV Sent., 1. I, dist. I, q. i,
a. 1, ad 3am; 1. III, dist. I, q. i, a. 3, ad 6um. D'autre
part, l'éternité participée, qui est celle des saints, si
elle exclut la multiplicité de la succession des opéra-
tions de la béatitude essentielle, voir Éternité, t. v,
col. 919, et Intuitive (Vision), n'exclut pas la multi-
plicité et la succession des opérations naturelles, qui
sont la béatitude accidentelle. Donc, rien ne s'oppose,
chez les âmes séparées, à un accroissement de béatitude
accidentelle.
Les théologiens discutent pour déterminer le prin-
cipe de cet accroissement. Les uns prétendent que, par
rapport à la gloire accidentelle, les élus sont encore
capables de mérite. Les autres rejettent cette opinion
comme moins probable, cf. S. Thomas, Sum. theol.,
T, q. lxii, a. 9, ad 3""; In IV Sent., 1. IV, dist. L,
q. n, a. 1, q. vi, et placent le principe de cet accroisse-
ment dans la vertu même de la béatitude. Voir Mérite.
2. L'accroissement de gloire accidentelle n'ajoute
rien formellement à la gloire essentielle. — C'est la doc-
trine commune, empruntée à saint Thomas par tous
les théologiens qui ont étudié la question. Tous les
biens créés qui peuvent être un sujet de gloire acci-
dentelle pour les élus sont renfermés en Dieu, qui est
la source de tous biens, n'ont de valeur pour les élus
que parce qu'ils valent en Dieu, et, de même que
Dieu n'ajoute rien à sa gloire et à sa béatitude en
donnant l'être aux créatures qui le glorifient, de
même l'élu n'ajoutera rien à l'élément formel de sa
gloire essentielle, c'est-à-dire à la vision et à l'amour
béatifique, par l'accroissement de sa gloire acciden-
telle : Cum bcaliludo nihil sil aliud quam adeplio
boni perfecti, quodeumque aliud bonum supcraddalur
divinse visioni aul jruilioni, non faciet mugis beatum;
alioquin Dcus esscl foetus bcalior condendo creaturas.
S. Thomas, De malo, q. v, a. 1, ad 4"m. Et In IV
Sent., 1. IV, dist. XLV, q. n, a. 2, q. iv, ad 3"", le
même auteur explique, à cause du même principe,
que les saints du ciel, quamvis de omnibus bonis
noslris gaudeant, non tamen sequitur quod mulliplicalis
nostris gaudiis eorum gaudium augmentelur forma-
lilcr, sed materiediter lanlum. Il n'y aura pas plus de-
joie, il y aura plus de sujets de joie. L'accroissement
de gloire ne fera donc qu'augmenter les motifs de
gloire, mais non la gloire elle-même : c'est là ce
que les théologiens veulent dire, en affirmant que
l'accroissement de gloire accidentelle est purement
matériel par rapport à la gloire essentielle.
2e proposition : L'accroissement de gloire qui résultera
de la réunion de l'âme au corps sera un accroissement
de gloire purement accidentelle. — En ce qui concerne
la gloire du corps ressuscité, la question ne se pose plus
de la même façon que pour la gloire accidentelle de
l'âme séparée. Nous n'avons pas à rappeler ici les
opinions et les discussions des théologiens touchant
le principe des qualités des corps des élus. Voir Jean
de Saint-Thomas, De adcplione bcatitudinis, disp. II,
a. 9, n. 4-15. A l'art. CoRrs glorieux, t. m, col. 1900-
1902, on a exposé la doctrine communément admise,
que la gloire essentielle de l'âme, la vision béatifique,
rejaillissant sur le corps, lui conférait ces qualités :
Quod corpus gloriosnm crit omnino subjeelum animée
rationali, non solum ut nihil in eo sit quod résistât
spirilui, quia hoc juil ctiam in corpore Adœ, sed eiiam
ut sit in eo aliqua perfeclio ef/lucns ab anima glori-
ficata in corpus, per quam habile redditur ad prsedictam
subjeelionem, quœ quidem perfeclio, dos glorificali cor-
poris dieilur. S. Thomas, In IV Sent., 1. IV, dist. XLIV,
q. n, a. 3, q. i. Mais si la gloire du corps n'est qu'un
rejaillissement de la gloire de l'âme, n'apportera-t-elle
pas un accroissement réel à la gloire essentielle ?
Benoît XII, voir t. il, col. 68G, n'a pas tranché dogma-
tiquement la question. On ne peut dire cependant
que ce soit un problème librement débattu : aujour-
d'hui la réponse négative est la doctrine communé-
ment admise. Mais il n'en a pas été toujours ainsi.
1. Ancienne opinion de saint Augustin, de saint
Bernard cl de quelques scolasliques. — Saint Augustin
a proposé une théorie assez différente. Pour lui, les
anges seuls jouissent pleinement de la gloire essentielle,
les âmes n'auront cette gloire pleinement qu'après
la résurrection; jusque-là, retardées par leur attrait
naturel vers le corps, elles jouissent de la vision
intuitive, mais d'une façon incomplète. Voir Augustin
(Saint), t. i, col. 2447, et Benoit XII, t. n, col. 686.
Saint Bernard a une doctrine analogue. Voir Bernard
(Saint), t. n, col. 781 ; Benoit XII, t. n, col. 689-690,
et la note de Mabillon dans la P. L., t. clxxxiii,
col. 465. On en trouve des échos jusque chez les doc-
teurs du moyen âge, Haymond d'Halberstadt, Exposilio
in Apocalypsim,]. II, c. xvi, P. L., t. cxvn, col. 1027;
Pierre Lombard, Sent., 1. IV, dist. XIXL, n. 5, P. L.,
t. cxcn, col. 959; S. Bonaventurc, In IV Sent., dist.
XLIX, part. II, a. 1, q. i, lequel affirme que la glorifi-
cation des corps apportera un accroissement de gloire
essentielle ex conscqucnli; S. Thomas lui-même, ibid.,
1415
GLOIRE
1416
q. i, a. 4, q. I, et IIP Suppl., q. xcm, a. 1 : Anima
separata naluraliter appétit corporis conjunclionem
et propter hune appelitum... ejus operalio qua in Dcum
jertur est mjxus intensa... Cependant, In IV Sent.,
1. IV, dist., XII, q. ii, a. 1, q. n, saint Thomas appelle
l'opinion opposée probabiliorcm. Cf. Richard de
Middletown, In IV Sent., dist. XLIX, a. 2, q. vu;
Marsile d'Inghem, ibid., q. xm, a. 3; Henri de Gand,
Quodl., VII, q. vi. Suarez, De ultimo fine hominis, disp.
XIII, sect. ii, n. 2, fait remarquer que les lettres
d'union du concile de Florence pourraient être inter-
prétées en ce sens; voir les Actes concernant la question
du purgatoire dans Mansi, Concil., t. xxxi, col. 488-
489. Tous ces auteurs s'appuient sur l'autorité de
saint Augustin.
2. Opinion singulière d'A. Toslal. — Notons en
passant, sur ce point, l'opinion assez singulière d'Al-
phonse Tostat, dans son commentaire sur l'Évangile
de saint Matthieu, c. v, q. lxiii : l'âme dégagée du
corps est, pour lui, plus apte à la vision béatifique
qu'unie au corps qui l'alourdit et la retarde. La gloire
essentielle subirait donc une espèce de diminution au
moment de la résurrection.
3. Doctrine aujourd'hui communément reçue. —
Saint Thomas s'est rétracte dans la Somme théo-
logique. Cf. Cajélan, In I"'" II", q. iv, a. 5. Essentielle-
ment, la gloire des élus demeure la même avant et
après la résurrection des corps : il y a accroissement
en extension, mais non en intensité, P IIœ, q. iv, a. 5,
ad 5"m; l'âme, avant la résurrection, jouit pleinement
de Dieu, mais avec le désir que cette plénitude
rejaillisse, lorsque ce sera possible, sur le corps.
Ibid., ad 4U". Ont enseigné la même doctrine parmi
les scolastiques, Durand de Saint-Pourçain, In IV
Sent., 1. IV, dist. XLIX, q. vu; Pierre de la Palu, ibid.,
q. vi ; J. Major, ibid., q. xm; Gabriel Biel, Suppl.,
q. v, a. 2; D. Soto, q. n, a. 4, etc. La gloire consommée,
dans cette opinion, n'ajoute donc à la gloire essentielle
qu'un accroissement d'extension, c'est-à-dire un ac-
croissement tout accidentel par rapport à la vision
béatifique, qui est l'essence même de la gloire.
Cette controverse est depuis longtemps oubliée;
les plus grands commentateurs de saint Thomas n'en
parlent pas ou la notent à peine en passant. Bellarmin
la signale, De sanclorurn beatiludine, c. v; Suarez lui
consacre une brève discussion, De fine ultimo hominis,
disp. XIII, sect. n; et les manuels de théologie la
passent ordinairement sous silence. Le cardinal Billot,
De novissimis, Rome, 1903, thés, ix, § 1, a résumé en
quelques lignes les raisons qu'apportent en faveur de
la doctrine aujourd'hui reçue Bellarmin et Suarez, loc.
cit., n 4-6, et Lessius, De summo bono, 1. III, c. n. Si le
corps pouvait influencer par sa présence ou son absence
l'intensité de la vision béatifique, il faudrait, en pre-
mier lieu, admettre avec Tostat une diminution de
gloire plutôt qu'un accroissement, au moment de la
résurrection; la même diminution se produirait chez
les anges, envoyés en mission sur terre. La coexistence
de la douleur et de la joie béatifique serait aussi
impossible dans le Christ. Il faudrait admettre que la
vision intuitive peut recevoir un accroissement
d'intensité; or, cela n'est possible ni ex parie objecli,
ni ex parle luminis gloriœ, ni ex parte potentiœ, comme
on le démontrera à l'art. Intuitive (Vision). Donc
l'âme possède, dès le premier instant de la béatitude,
toute la substance de la gloire, selon le mode propre
a l'éternité participée.
3° Conclusion. — En rapprochant les deux propo-
sitions précédentes nous arrivons à cette conclusion
que la gloire consommée est substantiellement la
même que la gloire essentielle. Sans doute, elle y
ajoute quelque chose de très réel, à savoir la gloire
accidentelle des corps glorifiés. Mais celte addition
est purement matérielle; c'est un objet de plus auquel
le même élément formel, toujours identique à lui-
même, de la gloire essentielle, c'est-à-dire la vision
béatifique, apporte son rayonnement et sa splendeur.
Si notre raison trouve quelque difficulté à admettre
ces explications, c'est que, le corps faisant partie
intégrante de la nature humaine, il nous semble que
la gloire de cette nature ne soit complète que par la
glorification du corps. Mais il suffira, pour dissiper
celle équivoque, de se reporter aux principes philo-
sophiques exposés à l'art. Béatitude, t. il, col. 511;
la béatitude parfaite ne pouvant consister que dans
une opération de l'âme, le corps n'est pas requis pour
elle. Cf. S. Thomas, Sum. thcol., I" IIœ, q. iv, a; 5, 6.
IV. Degrés de la gloire. — Le mot fin dernière
peut être pris dans deux acceptions différentes :
lin dernière objective, ou souverain bien dont la
possession assure aux élus la gloire ou béatitude; fin
dernière subjective formelle, ou relative, c'est-à-dire
la possession elle-même du souverain bien par les élus.
Voir Fin dernière, t. v, col. 2496. Sous le premier
aspect, tous les élus ont la même fin dernière, et,
par conséquent, participent à la même gloire; sous le
second aspect, la possession de la fin dernière comporte
différents degrés proportionnés aux moyens de chacun
des élus. S. Thomas, Sum. theol., P II* q. v, a. 2.
Les théologiens envisagent les degrés de la gloire à
un double point" de vue : 1° dogmatique, existence
même de ces degrés, et c'est la question qui rentre
dans l'objet de cet article; 2° théologique, explication
de la différence qui existe au ciel entre les élus et qu'on
rapporte à la vision intuitive et à la lumière de la
gloire qui accompagne nécessairement cette vision,
considérées soit seules, soit par rapport à l'intelligence
qu'elles perfectionnent. Cette deuxième question sera
traitée à Intuitive (Vision).
L'existence de différents degrés dans la gloire des
élus, niée directement par Jovinien, au ive siècle,
indirectement par Luther au xvie, a été authentique-
ment définie par le concile de Florence, dans le décret
d'union, Denzinger-Bannwart, n. 693; elle est supposée
par le concile de Trente, De juslificalione, can. 32,
n. 842. Elle est affirmée :1° par l'Écriture; 2° par la
tradition; 3° par la raison théologique. Mais cette
affirmation a été exagérée par certains auteurs dans
le sens d'une inégalité nécessaire entre chacun des élus.
I- DÉMONSTRATION HE LA DOCTRINE CATHOLIQUE. —
î ° L'Écriture. — On trouve l'inégalité des degrés de la
gloire des élus : 1. explicitement enseignée par Joa.,
xiv, 2; I Cor., xv, 41, rappelant qu'il y a « plusieurs
demeures dans la maison du Père céleste » et que les
différences de gloire des élus ressucités sont compa-
rables aux différences d'éclat du soleil, de la lune, des
étoiles; 2. expressément supposée, chaque fois qu'il est
question de rendre à chacun, au dernier jour, dans la
proportion de ses bonnes œuvres, Matth., xvi, 27;
I Cor., ni, 8; II Cor., ix, 6; la gloire au ciel est, en
effet, un véritable salaire, Matth., v, 12; x 42; xix, 17;
xx, 8; II Tim., iv, 8; II Joa., 8; Apoc., xxn, 12;
3. indiquée sous forme d'analogie dans certaines
comparaisons et paraboles, Dan., xn, 3; Is., lvi, 5;
Matth., vu, 1 , 2 ; x, 41 ; xm, 3-9, cf. col. 1405 ; Marc, iv
24; Luc,, vi, 38; xix, 16-20 4. implicitemenl affirmée
dans l'inégalité des peines de l'enfer. Luc, xn, 47, 48
Apoc, xvn, 7; cf. Enfer, t. v, col. 113
Jovinien, au dire de saint Jérôme, Adversus Jovi-
nianum, 1. II, n. 3, P. /,., t. xxm, col. 285, 286,
enseigna l'égalité de la récompense pour tous les élus,
en prétendant s'appuyer sur l'autorité de Matth., xx,
1-16. 11 s'agit de la parabole où les ouvriers, venus
dans la vigne du père de famille à différentes
heures de la journée, reçoivent indistinctement le
même salaire pour des durées fort inégales de travail.
1417
GLOIRE
1418
On n'a pas à faire ici l 'exégèse de celte parabole : il
suffit d'expliquer le sens allégorique du denier, salaire
dé tous les ouvriers sans exception. Sans s'arrêter à
l'interprétation singulière de Vasquez, In I"1 Sum.
S. Thomie, disp. XLVII, c. ni, lequel n'admet la
récompense que pour les derniers venus, et veut que
les premiers « appelés » n'aient pas été « élus », c'est-à-
dire sauvés, on peut dire avec l'unanimité morale des
Pères et des théologiens que le denier représente la
béatitude objective, égale pour tous, et non la béatitude
subjective, formelle ou relative, dans laquelle seule les
inégalités peuvent se produire. Cf. S. Thomas, Sum.
theol. I1, II'1', q. v, a. 2, ad 1'""; Bellarmin, De sanctorum
bcoliludine,c. v. Voir l'explication de la parabole, à ce
point de vue théologique, dans Suarez, De Deo uno,
1. II, c. xx, n. 8-20; cet auteur trouve même dans la
différence de traitement indiquée par les termes primi
et novissimi une preuve directe de l'inégalité de la
gloire chez les élus, n. 20. D'ailleurs, dans l'explication
d'une parabole, il n'est pas nécessaire que chacune des
phrases de la parabole trouve son application parti-
culière; il suffit que l'enseignement général soit donné.
S. Jean Chrysostome, In Maith., homil. lxiv, n. 3,
P. G., t. lvii-lviii, col. 612. Or, dans la parabole des ou-
vriers, il n'entre pas dans la pensée de Jésus d'enseigner
la répartition des récompenses proportionnellement aux
mérites de chacun, mais de rappeler que la gloire du
ciel ne doit pas se mesurer à l'ancienneté de la vocation,
ni à la durée du travail, mais à la fidélité à cette voca-
tion et à la ferveur avec laquelle on remplit son devoir.
Suarez, loc. cit.; cf. Salmanticenses, De visione Dci,
disp. V, n. 4; Becan, Theologiœ scholaslicœ, part. I,
tr. I, c. ix, q. ix, n. 3; Petau, De Deo Deique propric-
lalibus, I. VII, c. xi, n. 5. Les murmures des ouvriers,
la réponse du père de famille expliquant l'égalité
du salaire par son seul bon plaisir, ne s'opposent
pas à cette interprétation générale du denier, Maldo-
nat, In h. I. ; Suarez, loc. cit., et n'ont été introduits
dans la parabole que pour provoquer la réponse du
père de famille. Knabenbauer, In Evangelium Malthsei,
Paris, 1892, p. 176-177. Ces murmures n'indiquent
donc pas une tristesse ou une envie quelconque chez
les élus. S. Jean Chysostome, loc. cit. Cf., pour l'in-
terprétation de la parabole, Jean de Saint-Thomas,
Cursus théologiens, disp. XV, a. 6, n. 39; Hurter,
Theologise dogmaticx compendium, t. ni, n. 840; Petau,
op. cit., c. xi, en entier; Knabenbauer, op. t/7.,p. 171 sq.
Il faut se rappeler que la leçon, avec la menace qu'elle
renferme, est donnée directement aux juifs, les appelés
de la première heure; voir, dans leurs commentaires,
Corneille de la Pierre; dom Calmet, Van Steenkiste,
Schegg; mais elle doit s'appliquer également à tous
les hommes, S. Jean Chrysostome, loc. cit., n. 4, et
aux apôtres eux-mêmes. Cf. Fillion, Évangile selon
S. Matthieu, Paris, 1898, p. 390.
2° La tradition. — L'erreur de Jovinien fut, dès
son apparition, notée comme telle. Quelques scolas-
tiques, et, en particulier, les Salmanticenses, loc. cit.,
n. 1, affirment que cette erreur fut condamnée au
concile de Télepte. C'est une erreur. Voir Hefele, Histoire
des conciles, trad. Leclercq, t. n, p. 73. Il s'agit d'une
lettre synodale du concile de Milan, en 390, lettre très
probablement écrite par saint Ambroise et adressée
au pape Sirice. Hefele, loc. cit., p. 78; Mansi, Concil.,
t. m, col. 689. Cette lettre décrit ainsi l'hérésie de
Jovinien, en ce qui concerne la gloire des élus : Agreslis
ululatus est... diversorum gradus, abrogare meritorum
et pauperlalem qu.amd.am cœlestium remuneralionum
inducere, quasi Chrislo una sit palma, quam tribuit, ac
non plurimi abundcnl tituli prœmiorum, n. 2, P. L.,
t. xvi, col. 1124. Cette lettre est, du moins, un témoi-
gnage authentique de la tradition catholique. Jovinien
d'ailleurs avait été condamné pour cette erreur au
concile de Rome de la même année et le concile de
Milan ne faisait que renouveler la condamnation
portée à Rome. Voir Hefele, loc. cit. Le témoignage
de saint Jérôme, Adversus Jovinianum, 1. II, n. 34,
P. L., t. xxm, col. 333, est tout aussi concluant.
L'argumentation du saint docteur est fondée, non
seulement sur la raison théologique; mais sur l'autorité
de l'Écriture. Matth., xx, 25, 26; Joa., xiv, 2; I Cor.,
xv, 41.
C'est surtout en commentant Joa., xiv, 2, et I Cor.,
xv, 41, que les Pères ont proposé la doctrine authen-
tique sur ce point. — 1. Sur Joa., xiv, 2, voir S. Au-
gustin, In Joanncm, tr. LXVIII, n. 2, P. L., t. xxxv,
col. 1812; cf. De sancta virginitale, c. xxvi, P. L.,
t. xl, col. 410; S. Cyrille d'Alexandrie, In Joannis
Evangelium, P. G., t. lxxiv, col. 181 sq.; Tertullien,
Adversus gnosticos scorpiace, c. vi, P. L., t. n, col. 134;
De monogamia, c. x, P. L., t. n, col. 942; S. Cyprien,
De habilu virginum. n. 23, P. L., t. iv, col. 463, qui
ajoute à son commentaire cette remarque, que si le
Christ a dit qu'il y a plusieurs demeures dans la maison
de son Père, c'est pour nous exciter à mériter les
meilleures; cf. De exhortatione marlyrii, c. xn, xin,
P. L., t. iv, col. 673 sq. ; S. Hilaire, Tract, in ps. lxi v,
n. 5, P. L., t. ix, col. 415; S. Ambroise, De bono mortis,
c. xn, n. 53, P. L., t. xiv, col. 564; cf. In Lucam, 1. V,
n. 62, P. L., t. xv, col. 1653; S. Prosper, Senlenliarum,
364, P. L., t. li, col. 846; S. Grégoire le Grand,
Moral., 1. IV, c. xxxvi, P. L., t. lxxv, col. 677;
1. XXXV, c. xix ; cf. In Ezechielcm, 1. II, homil. iv,
n. 6, P. L., t. lxxvi, col. 777, 977. — 2. Sur I Cor.,
xiv, 41, voir S. Basile, De Spirilu Sanclo, c. xvi, P. G.,
t. xxxn, col. 133 sq. ; S. Cyrille d'Alexandrie, In Episl.
I ad Cor., P. G., t. lxxiv, col. 905; S. Jean Chryso-
stome, In I"m ad Cor., homil. xli, n. 2, 3, P. G., t. lxi,
col. 358 sq. ; Théodoret, Interpretatio Episl. Ie ad
Cor., P. G., t. lxxxii, col. 365; Tertullien, Adversus
gnosticos scorpiace, loc, cit. ; De resurreclione carnis,
c. lii, P. L., t. n, col. 872; S. Hilaire, Tract, in ps. lxiv,
P. L., t. ix, col. 416; S. Augustin, De sancta virginitatc,
loc. cit.; In Joannem, tr. LXVTI, n. 1, P. L.,X. xxxv,
col. 181; S. Jérôme, Adversus Jovinianum, loc. cit.;
S. Fulgence, Ad Trasimundum, 1. III, c. iv, De Trinitale,
c. xni, P. L., t. lxv, col. 271, 508; S. Grégoire le
Grand, Moral., l.XXXV.c.xix, P. L., t. lxxvi, col. 778 ;
S. Bernard, Apologia ad Gullielmum, c. iv, n. 9, P. L..
t. clxxxii, col. 904. S. Thomas explique le texte île
saint Paul des différences des seuls corps glorifiés.
In 7"" ad Cor., c. xv, lect. vi.
Le -P. Petau, De Deo Deique proprietalibus, 1. VII,
c. x, se demande si Origène ne serait pas tombé dans
l'erreur de Jovinien. Voici la traduction latine du
texte incriminé : Ego exislimo in ipso statim initio
bcatitudinis, qua jruuntur ii qui salvi fiunt, quoniam
nondum purgali sunt gui taies non sunl, inde oriri illam
luminis bealorum diflcrcntiam; sed postquam a loto
Chrisli regno omnia collecta jueriid scandala, quemad-
modum supra a nobis traditum est, parientesque iniqui-
latem cogilaliones in fornacem ignis fuerinl conjectie
delerioraque absorpta et intérim ad se redierinl hi qui
sermones mali filios admiserant, tune fulurum est ut
in Palris sui regno fulgeanl justi, unum solare facti.
In Matth., tom. x, n. 3, P. G., t. xin, col. 841. Ce texte
semble plutôt, et c'est aussi la remarque de Petau, loc.
cit., refléter l'erreur de \'apocalastase. Voir Enfer, t. v,
col. 58. Entre les élus et les damnés, qui taies non sunt,
il y a au début du bonheur des élus, une différence;
mais après la purification des damnés, la même
lumière resplendira en tous. Il s'agit de la gloire
objective et non de la gloire formelle. Entre les élus
eux-mêmes, parce qu'ils sont tous soumis à une
purification au jugement, il y a au début une différence.
Voir Feu du jugement, t. v, col. 2241. Cf. A. Michel,
1419
GLOIRE
1420
Origène et le dogme du purgatoire, dans les Questions
ecclésiastiques, 1913, t. il, p. 407.
3° La raison théologique s'appuie sur cette vérité
que la gloire correspond à la grâce et que grâce et
gloire sont l'objet du mérite. A des mérites égaux, à
des degrés de grâce différents correspondront par
conséquent des degrés de gloire différents. Cf. S. Thomas,
Sum. thcol.. V IV, q. exiv, a. 3, ad 3""; In IV Sent.,
1. II, dist. XXVII, q. i, a. 3; a. 5, ad 1
Cette raison théologique n'a aucune valeur pour
Luther et ses disciples, à cause du système protestant
touchant le principe de la justification. Voir ce mot.
En résumé, pour Luther, il n'y a pas de véritable
justice en nous-mêmes; nous ne méritons d'être
appelés justes que par l'imputation des mérites du
Christ. Or la justice du Christ est égale pour tous. La
conclusion d'un tel principe est que les élus, ne devant
rien à leur propre mérite, mais tout au Christ, jouiront
tous et chacun du même degré de gloire dans le ciel.
On exposera et réfutera à Justification le faux prin-
cipe adopté par Luther.
Jean de Saint-Thomas, loc. cit., n. 2, ajoute à la
raison théologique générale, une raison particulière
tirée de la liturgie : « L'Église, dit-il, rend des honneurs
très différents aux différents saints; elle vénère la
bienheureuse Vierge par-dessus les anges et les saints;
elle accorde aux apôtres un honneur plus élevé, et
elle en agit de même à l'égard de quelques élus qu'elle
paraît mettre à part. » Il y a là une simple indication,
non un argument véritable.
;/. EXAGÉRATION DE LA DOCTRINE CATHOLIQUE. -
Quelques théologiens, notamment Pierre de la Palu,
cité par Suarez, De allribulis negalivis Dei, c. xx, n. 2,
prétendent que l'inégalité des degrés de gloire chez les
élus est telle que le même degré de gloire ne pourra pas
être commun à plusieurs élus. Une telle opinion, en soi
plausible, paraît cependant devoir être rejetée comme
exagérée et trop absolue. En ce qui concerne les adultes
en effet, nous ne pouvons rien affirmer de précis; mais
rien ne s'oppose à ce que deux âmes se présentent au
tribunal de Dieu avec les mêmes mérites et le même
degré de grâce et, par conséquent, reçoivent le même
degré de gloire. Quant aux enfants morts avec le
baptême ou martyrisés avant l'âge de raison, on ne
voit pas quel pourrait être, entre eux, le principe d'une
inégalité de gloire.
L'argument de Pierre de la Palu repose sur Luc, xx,
36 : Si les hommes sont égaux dans le ciel aux anges,
les anges différant entre eux spécifiquement, il doit
en être de même des hommes. Tout d'abord, il n'est pas
certain que les anges soient tous inégaux en gloire,
Suarez, loc. cit., n. 7; la différence spécifique des anges
entre eux n'est qu'une opinion et ne concerne que
l'ordre naturel. Voir Angélologie, t. i, col. 1230.
Ensuite, la prédestination des hommes à la gloire
peut être indépendante du fait de la chute des anges ;
si les hommes tiennent dans le ciel la place des anges
déchus et sont par là les égaux des bons anges, c'est
peut-être simplement per accidens; d'où il suit que,
même en admettant comme vérité certaine l'inégalité
des anges entre eux, aussi bien dans l'ordre surnaturel
que dans l'ordre naturel, la même conclusion ne
s'imposerait pas pour les hommes.
D'autres théologiens s'emparent de I Cor., xv, 41,
et prétendent qu'aucune égalité n'existant entre le
soleil, la lune et les étoiles, il ne peut en exister dans
les degrés de la gloire céleste, dont l'éclat de ces astres
est l'image. C'est trop presser la comparaison de saint
Paul; la grandeur mathématique et l'éclat respectif
des astres n'ont rien de commun avec les degrés de
gloire des élus. Suarez, loc. cit.
S. Thomas, In Evangelium Joannis, c. xiv, lect. i; Sum.
theol., la II-'', q. v, a. 2; q. exiv, a. 3; In IV Sent., 1. II,
dist. XXVII, q. i, a. 3, 5; et surtout 1. IV, dist. XLIV,
q. i, a. 4, q. n, m, iv; Suarez, De Deo uno, 1. II, De atlri-
butis negalivis Dei, c. xx; Jean de Saint-Thomas, Cursus
tlieologicus, q. xn, part. I, disp. XV, a. 6; Salmanticenses,
Cursus tlieologicus. De visione Dei, tr. II, disp. V, dub. i;
Pctau, Theologica dogmata, De Deo Deique proprictatibus,
I. VII, c. x, xi; C. Pesch, Prwlectiones dogmaticiv, t. m,
n. 517-520; Hurter, Thcologùv dogmaticœ compendium, t. m,
tlies. ccLxxvi,n. 838 ; Jungmann, De novissimis, Ratisbonne,
1871, n. 140, 141, 142, 154,
V. Gloire et grâce, et questions connexes. —
Nous ne donnerons ici que quelques brèves indications,
toutes les questions touchées devant être exposées aux
art. Grâce, Mérite et Prédestination.
1° Gloire et grâce. ■ — 1. Existence d'un rappoil
entre la gloire et la grâce. — ■ Rappelons les principes,
qui seront développés à l'art. Grâce. La grâce est la
vie éternelle dans son principe, Rom., vi, 23; la
participation à la nature même de Dieu, II Pet., i, 3-11,
et, par conséquent, le principe d'une activité, d'une
vie nouvelle d'un ordre surnaturel, créé en nous à
l'image même du Christ Homme-Dieu, Rom., vi, 4:
II Cor., v, 17; Col., ni, 3, et qui doit aboutir à l'état
de gloire dans la société des élus. Rom., vi, 22; I Cor.,
i, 9; cf. I Joa., i, 3; Terrien, La grâce cl la gloire, t. i,
1. II, c. n. La grâce est donc le principe de la gloire,
puisqu'elle est le principe des opérations d'ordre
surnaturel, vision, jouissance, amour, qui constituent
voir col. 1395 sq., la gloire essentielle des élus et c'est
pourquoi dès ici-bas la pratique des vertus est déjà
en quelque sorte une gloire. Eccli., i, 11; xxin, 38.
Plus le principe sera puissant, plus les opérations
seront intenses : plus la grâce sera abondante, plus la
gloire sera parfaite. Il y a donc correspondance entre
l'une et l'autre; grâce et gloire « se rapportent [donc]
au même genre, la grâce n'étant en nous que le com-
mencement de la gloire, » S. Thomas, Sum. thcol., II"
1P', q. xxiv, a. 3, ad 2"'"; la gloire <• étant une grâce à
son état d'achèvement et de perfection, » Catechismus
concil. Trid., De oral, dom., p. iv, le degré de gloire
sera proportionné au degré de grâce, et tout accrois-
sement de grâce comportera un accroissement de gloire.
Concile de Trente, De justificatione, can. 32, Denzinger-
Bannwart, n. 842.
2. Nature de ce rapport. — a) Dans cette vie. —
a. Ce n'est évidemment pas un rapport d'identité ; dans
cette vie, en effet, il n'y a pas de gloire, parce que c'est
la demeure qui passe, le voyage vers la patrie, II Cor.,
v, 1-3; cf. I Cor., xm, 9, 12; Rom., vin, 18, 23;
Heb., xm, 14; le temps du labeur et du combat, que
doit suivre l'éternité de récompense dans la gloire.
I Pet., i, 3 sq.; II Tim., n, 1 sq.; cf. I Cor., xv, 19;
vu, 27 sq. La gloire n'est ici-bas le partage de per-
sonne, du moins d'une façon permanente; l'erreur
des béghards sur ce point a été condamnée au
concile de Vienne, Denzinger-Bannwart, n. 474; voir
lh';r,HARDs, t. n, col. 532; ce n'est qu'au ciel, après la
mort, que la gloire pourra être possédée dans la vision
béatifique.Denzinger-Bannwart,n.530;voirBENOiTXII,
t. n, col. 657 sq. Sur les exceptions possibles de la
sainte Vierge, de Moïse, de saint Paul, de saint Benoit,
et sur la gloire dont le Christ jouissait nonobstant sa
condition mortelle, voir Intuitive (Vision). D'ailleurs
la théologie de la gloire et celle de la grâce nous mon-
trent l'identification de la gloire et de la grâce comme
impossible. L'ordre de la grâce est constitué par
l'habilus qu'on appelle substanlivus (non qu'il soit
ontologiquement une substance, mais parce qu'il réside
dans l'essence même de l'âme) de la grâce habituelle,
d'où découlent, perfectionnant les puissances de l'âme,
les habitas operativi des vertus infuses, lesquels dis-
posent l'âme aux actes surnaturels, et les dons du
Saint-Esprit. Or, la gloire est formellement constituée,
1121
GLOIRE
1422
non par un habitus, mais par une opération de l'âme.
Voir plus haut, col. 1401. — b. Étant donné que l'opéra-
tion qui constitue la gloire est causée par la puissance
d'agir, perfectionnée ici par les habilus de l'ordre
surnaturel, la gloire se trouve donc, par rapport à la
grâce, dans un rapport qu'on peut ramener au rapport
d'elîet à cause. La grâce est donc vraiment cause
physique de la gloire, dans l'ordre de la cause vraiment
efficiente, à la différence des bonnes œuvres qui ne
causent la grâce et la gloire que méritoirement. Il n'est
pas besoin d'une nouvelle acceptation de l'âme par
Dieu à la gloire; cf. S. Thomas, Sum. theol., V' IV,
q. exi, a. 5; q. exiv, a. 3, à la filiation naturelle cor-
respond le droit â l'héritage; mais la grâce constitue
l'homme fils adoptif de Dieu et lui confère un droit
connaturel à l'héritage du ciel; et, comme l'homme
n'est pas naturellement capable d'hériter du ciel, la
grâce lui confère par elle-même cette capacité, en
communiquant â l'âme une qualité surnaturelle que
l'âme ne possédait point, et qui la rend formellement,
quoique analogiquement, participante à la nature
divine. Cf. Rom., vin, 16-18; Billot, De gralia, Rome,
1912, p. 136-137; Salinanticenses, Cursus theologicus,
tr. XIV, De gralia Dei, disp. IV, dub. n, § 2, n. 29.—
c. Mais si la grâce contient la gloire comme la cause
contient l'effet, il faut cependant dire que le rapport
de cause à effet n'est encore ici-bas que virtuel, d'autant
plus que, si la grâce rend par elle-même, sans accep-
tation nouvelle de Dieu, l'homme apte à la gloire,
l'obtention actuelle de la gloire nécessitera une nouvelle
intervention de Dieu. La gloire est constituée par une
opération qui requiert, dans l'âme glorifiée, l'infusion
d'un nouvel habilus, voir col. 1401, et Intuitive
(Vision), la lumière de la gloire. Dieu peut, de puissance
absolue, refuser cette intervention et de même qu'il
produit et conserve la grâce dans l'homme sur cette
terre sans la gloire, il pourrait à la rigueur le faire dans
l'autre vie. A l'inverse, on peut concevoir la possibilité
absolue d'une gloire conférée par Dieu à une âme
dépourvue de la grâce, parce que l'opération qui
naturellement provient de Yhabitus surnaturel, peut
provenir d'une simple motion actuelle par laquelle
Dieu élèverait transitoirement les facultés de l'âme;
mais un tel mode d'agir serait violent et en
dehors des voies posées par la sagesse et la justice
divines. Suarez, De gratia,\. VIII, c. m, n. 12; Salman-
ticenses, loc. cit. Il faut conclure avec saint Thomas,
Sum. theol., Ia IIœ, q. exiv, a. 3, ad 3'"", que, dès cette
vie, la grâce contient virtuellement la gloire et se
trouve par rapport à cette gloire dans la relation de
cause à effet et que, par là même, elles sont l'une et
l'autre dans le même genre ou plutôt, comme il s'agit
ici de l'ordre surnaturel qui échappe à nos classifications
scolastiques, qu'on peut les réduire au même genre.
Cf. Cont. génies, 1. IV, c. xxiv.
b) Dans l'autre vie. — Le rapport de la grâce à la
gloire restera substantiellement le même, mais il ne
s'agira plus ici d'un rapport virtuel de causalité,
puisque la grâce produira actuellement la gloire.
L'union physique de l'une et de l'autre n'en sera que
plus affirmée. La gloire actuellement possédée appor-
tera-t-elle des modifications à la grâce ou plutôt à
l'ordre surnaturel de la grâce ? c'est ce qu'il convient
de rechercher brièvement en exposant ce que l'état
de gloire, par rapport à l'ordre présent de la grâce,
ajoute, supprime, conserve en le modifiant.
a. Ce que l'état de la gloire ajoute. — La vision béati-
fique requiert l'infusion d'un nouvel habitus surnaturel,
la lumière de la gloire, dans l'intelligence glorifiée,
voir Intuitive (Vision); dans la volonté, nul habitas
nouveau ; pour aimer Dieu et en jouir dans la gloire,
la charité consommée dans cette gloire suffira par
elle-même. Voir Charité, t. n, col. 2226, n. 4. Comment
toutes les opérations qui constituent la gloire procèdent
de ces deux habitas, on l'expliquera à l'art. Intuitive
(Vision); mais on l'a déjà rappelé brièvement dans
le présent article, à propos des dotes animée bealse. Voir
col. 1402.
Il est inutile donc d'admettre, avec quelques rares
théologiens scolastiques, la nécessité, dans la gloire,
d'autres habilus ou qualités similaires pour expliquer
la sécurité dont jouissent les élus, Richard de Middle-
tov,n, In TV Sent, 1. IV, dist.XLIX, a. 3, q. vu, la
tension ou la compréhension de leur connaissance
béatifique. S. Bonaventure, ibid., a. 1, q. v; D. Soto,
ibid., q. iv, a. 3; Occam et plusieurs autres. Voir plus
haut, loc. cit. Cf. Suarez, De ultimo fine hominis, disp.
X, sect. n, n. 9, 10.
b. Ce que l'étal de gloire supprime. — Encore une
fois il ne s'agit que des suppressions dans l'ordre de la
grâce, le seul dont nous ayons à préciser le rapport
avec la gloire actuellement possédée.— a. La foi est
supprimée par la gloire. I Cor., xm, 8. L'inccrr possi-
bilité de la claire vue de Dieu et de la foi a été expliquée
à l'art. Foi, col. 449; elle est admise communément
par les théologiens, cf. Suarez, De fide, disp. V I, sect. ix,
n. 6, mais pour des raisons différentes. Les thomistes
n'y voient qu'une application particulière de leur doc-
trine de l'incompossiblité delà science et de la foi par
rapport au même objet. Voir Foi, col. 450. Or, disent-ils,
si la claire vue deDieu ne rend pas les élusoirniscients et
laisse à Eieu la possibilité de faire à ses élus de r ou"\ elles
révélations, l'état glorieux s'oppose à ce que ces révé-
lations se fassent d'une façon obscure : tout ce que
les bienheureux désireront savoir, ils le sauront et le
verront, sinon dans l'essence divine, du moins par le
moyen d'une science divinement infuse. Voir col. 1407.
Tout autre moyen que la science (laquelle satisfait
pleinement les légitimes exigences de l'esprit humain)
serait imparfait et, par conséquent, indigne de 1 état
glorieux. S. Thomas, Sum. theol., Ia II*, q. ixvii, a. 3,
5; 11° IL1', q. i, a. 4, 5; In IV Sent., 1. Ill.dist. XXXI;
Capréolus, In IV Sent., 1. III, dist. XXX I, a. 1 ; cf. Les-
sius, De summo 60/10, 1. II. c. x, n. 81, 82. Les théologiens
qui, comme Suarez et ses disciples, n'admettent pas
l'incompossibilité de la science et de la foi, recourent
à une autre explication, tirée uniquement de l'imper-
fection de la connaissance obscure par la foi. Suarez,
De fide, disp. III, sect. ix, n. 23; disp. VI, sect. ix, n. 7;
disp. VII, sect. v, n. 5; cf. Lessius, De summo bono,
1. II, c. xix, n. 159 sq.
En censéquence, l'état de gloire supprime chez les
bienheureux non seulement la vertu surnaturelle
infuse de foi, mais encore tout habitus surnaturel,
infus ou acquis, se rappertant à la foi, en particulier,
le don de science prophétique, tous les objets de
connaissance étant actuellement présents aux intel-
ligences glorifiées. Voir S. Thomas, Sum. theol., IP II*,
q. clxxiv, a. 5; Suarez, De ultimo fine hominis, disp.
VIII, sect. 1, n. 3 ; cf. De allributis negativis Dei, c. xxvm.
Il faut en dire autant de la science de la foi, c'est-à-dire
de la théologie; toutefois, les espèces intelligibles
acquises demeurent et resteront présentes à la mémoire
des élus qui, voyant clairement les mystères, y trou-
veront un sujet nouveau de gloire accidentelle par
rapport aux efforts méritoires qu'ils auront faits ici-bas
pour les atteindre moins imparfaitement. Suarez, De
ultimo fine hominis, loc. cit., n. 4-6, 12. L'opinion
contraire, improbable, est défendue par Cajétan,
Comment, in I"m Sum. theol. S. Thomic, q. 1, a. 2, et
Melchior Cano, De locis theol., 1. XII, c. n. Ces auteurs
assurent que l'obscurité n'est pas inhérente à la
théologie en tant épie science de la foi, mais en tant
qu'elle a ici-bas pour sujets des intelligences non encore
parvenues à la claire vision des mystères. Saint Thomas
n'a pas traité la question.
142c
GLOIRE
1424
Cette conséquence n'est elle-même qu'une opinion,
la plus probable, mais combattue cependant par quel-
ques théologiens. Autre, en effet, est l'affirmation de
saint Paul qui peut s'expliquer d'une façon orthodoxe
en disant que la foi ne s'exercera plus dans la gloire,
autre l'affirmation des théologiens qui nient, dans la
gloire, l'existence de la vertu même de la foi. Aussi
Durand de Saint-Pourçain, In IV Sent,, 1. III, dist.
XXXI, q. m, iv, croit-il pouvoir affirmer que, si la foi
ne s'exercera plus dans la gloire, du moins l'habitas
surnaturel de la foi demeurera, tout comme demeure
le caractère sacramentel. Même thèse chez Alexandre
de Aies, Sum. theol., III", q. i.xiv. m. vu; Thomas
de Strasbourg, In IV Sent., 1. 111, dist XXXI, a. 3, et
chez Sent. In IV Sent., 1. III, dist. XXXI, q. m, sauf
que Scot, tout en admettant que ïhabitns puisse être
conservé, dit qu'en fait, il ne l'est pas, parce qu'inutile.
On en trouve des traces dans saint Irénée, Conl. hœr.,
1. II, c. xxvin, n. 3, P. G., t. vu, col. 806; cf. la note
de Feuardent, col. 1580; les remarques de Massuet,
col. 361; dans Tertullien, De patientia, c. xn, xm,
P. L., t. i, col. 1269; et le Maître des Sentences, 1. III,
dist. XXIII, n. 4, P. L., t. exen, col. 805, semble
l'appuyer. Cette opinion n'est pas à rejeter entière-
ment. Suarez, De fide, disp. VI, sect. ix, n. 7, remarque,
conformément à ses principes antithomistes, qu'un
acte de foi reste possible, absolument parlant, aux
élus dans la gloire, mais que cela n'est, en fait, jamais
réalisé, il ajoute : « Cette impossibilité de fait doit
s'entendre de l'acte même de l'intelligence, l'acte
de croire, et, conséquemment, de l'acte efficace de la
volonté commandant l'adhésion de l'intelligence.
Mais si nous parlons du simple acte de pieuse affection
de la volonté, par lequel cette dernière se montre prête,
si besoin en est, à incliner l'intelligence vers la sou-
mission de la foi, un tel acte peut se retrouver chez les
bienheureux, parce qu'il est simplement un acte de
vertu, ne renfermant aucune imperfection qui répugne
à l'état de béatitude. D'où cette locution condition-
nelle : Si Dieu me commandait de croire, je le ferais, et
autres semblables, peuvent exister chez les élus; elles
impliquent, non la réalisation d'un acte de foi quel-
conque, mais simplement une pieuse disposition de
l'âme, possible chez les élus. » hoc. cit., n. 7. Cf. disp.
VII, sect., v, n. 4; De. incarnatione, disp. XVIII,
sect. iv. Suarez s'appuie sur saint Thomas, Sum. theol.,
IIIa, q. vil, a. 3, ad 2""\ et sur le commentaire de
Cajétan. — (3. L' 'espérance, dont l'objet est la béatitude
désirée comme notre propre bien, voir Espérance,
t. v, col. 631, 636, ne petit également coexister avec
la gloire. I Cor., xm, 13, et surtout Rom., vm, 24-25,
Mais sur ce point, plus encore qu'au sujet de la foi,
il y a divergence parmi les théologiens pour expliquer
cette cessation de l'espérance au ciel. Saint Thomas,
.S'»77i. theol., I1 IT", q. lxvii, a. 4, 5; IF II*, q. xvin,
a. 2, et ses disciples semblent l'entendre, non seule-
ment de. l'acte d'espérance, mais encore de la vertu et
de tout habitas se référant à l'espérance. Comment,
en effet, assigner une place à une vertu dont l'objet
propre est une béatitude absente, alors que cette
béatitude est non seulement présente, mais toujours,
et, dans sa substance, tout entière actuellement
présente ? S'il y a encore, dans le ciel, place pour un
certain amour intéressé à l'égard de Dieu, cf. Lessius,
De summo bono, 1. II, c. xix, n. 163 sq., cet amour pro-
cède de la charité consommée, la communication du
souverain bien à notre âme, laquelle est l'objet de cet
amour de concupiscence, étant la condition nécessaire
de L'acte de charité, par lequel nous aimons Dieu pour
lui-même. Cf. Esparza, Quœstioncs disputandse, Rome,
1664, De actibus humanis, q. iv, a. 5; Billot, De virtu-
libus infusis, proœmium de charitate; C. Pesch, De
virtutibus theologicis, n. 492 sq., 537 sq. Voir Charité,
t. n, col. 2220-2221. Tout différent est l'avis de Suarez :
Dico... in beatis mancre habitum spei quoad substan-
tiam ejus, quamvis non clicial in cis actus spei bcalitu-
dinis esscnlialis. De virlulc spei, disp. I, sect. vm, n. 5.
Les arguments de Suarez sont l'autorité de quelques
Pères (ceux que l'on a cités à propos de l'opinion de
Durand de Saint-Pourçain au sujet de la permanence
de la vertu de foi) ; la nécessité de rapporter à la vertu
d'espérance l'acte d'amour intéressé de Dieu, insépa-
rable de l'amour et de la jouissance béatifiques,
cf. Lessius, De summo bono, 1. II, c. xix, n. 163 sq.;
Mastrius, De virlule spei. q. xvm, acte qui ne renferme
en lui-même aucune répugnance vis-à-vis de la gloire
essentielle; la nécessité d'expliquer les actes d'espérance
louchant l'objet secondaire de cette vertu, glorifi-
cation des corps, béatitude des amis et des proches.
Les thomistes, avec saint Thomas, Sum. theol., I" IL1',
q. lxvii, a. 4, ad 3uœ, répondent que la vertu d'espérance
ne saurait exister, même vis-à-vis de son objet secon-
daire, lorsque cet objet se présente sans être enveloppé
de difficulté, sine ralione ardui : Non proprie dicilur
ediquis qui habel pecuniam, sperare se habilurum aliquid
quod statim in potestale ejus est ut emat. Et similiier
illi qui jam possident gloriam animœ, non proprie
dicenlur sperare, sed solum desiderare gloriam
corporis quœ ad gloriam animœ se habet ut inevilabile
accessorium. Billot, De virtutibus injusis, c. i, q. lxvii.
Voir la discussion dans Suarez, loc. cit., n. 6; Cajétan,
In Sum. S. Thomœ, III\ q. vu, a. 4.
c. Ce que la gloire conserve en le modifiant. ■ — La
grâce habituelle, principe de la gloire, est évidemment
supposée chez les élus; c'est la grâce consommée, qui
ne s'identifie pas cependant avec la gloire formelle des
élus. Cf. Billuart, Cursus tl.eologiœ, De gralia, diss. IV,
a. 5. Elle acquiert, par son épanouissement dans la
gloire, une perfection qu'elle ne peut atteindre ici-bas;
c'est la filiation divine dans un degré suréminent :
« les fils qui marchent encore dans la voie... sont, aux
glorieux habitants de la patrie, ce qu'est à l'homme
parfait un enfant à peine sorti des langes. » Terrien,
La grâce et la gloire, t. n, 1. IX, c. I. Cf. I Cor., xm,
11-13. Cette suréminence de la grâce s'épanouis-
sant dans la gloire ne se manifeste que médiatement,
c'est-à-dire par les perfections qui en découlent et
forment l'état surnaturel des âmes glorifiées. Outre
l'addition de la vision intuitive avec le lumen gloriœ
qui en est la condition nécessaire, l'état de gloire
conserve, en les perfectionnant : a. la vertu (infuse et
acquise) de charité, qui devient la charité consommée.
Voir l'explication à l'art. Charité, t. il, col. 2226, n. 4;
cf. S. Thomas, Sum. theol., V IL*', q. lxvii, a. 6;
IL II*, q. xxiv, a. 7, avec le commentaire de Cajétan,
et In IV Sent., 1. III, dist. XXXI, q. n, a. 2; p. les
dons du Saint-Esprit, voir t. iv, col. 1747-1748; y. les
vertus mondes, infuses et acquises. Les vertus morales
infuses, supposé, selon l'opinion la plus probable,
leur existence, demeurent dans l'état de gloire,
quoique ne s'exerçant plus par les mêmes actes,
matériellement considérés, qu'ici-bas : leur objet formel
reste toujours le même, à savoir rectum et mensura-
tum in quolibet génère motuum humanorum. Pour
la prudence et la justice, qui ont leur sujet dans l'intel-
ligence et dans la volonté, pas de difficulté; pour les
deux autres vertus qui, en tant que vertus infuses,
ont pour sujet dans la volonté, mais avec une relation
essentielle à l'appétit irascible et concupiscible, elles
ne demeureront que virtuellement dans les âmes
séparées, et réapparaîtront formellement après la
résurrection. S. Thomas, Sum. theol., V' II3*, q. lxvii,
a. 1, ad 3"m; cf. a. 2; Suarez, De ultimo fine ho-
minis, disp. X, sect. n, n, 3. Cf. Billot, De virtutibus
infusis, q. LXin, thés, n, § 2; q. lxvii, § 2. Étant donné
cette doctrine touchant la permanence des vertus
1425
GLOIRE
1426
infuses, la permanence des vertus acquises est facile-
ment démontrable. La vertu acquise n'est pas autre
que l'habitude d'où résulte une plus grande facilité
de produire des actes vertueux. Or, si la possibilité
d'actes vertueux provenant des vertus morales
infuses est démontrée dans l'état de gloire, il faut con-
clure que non seulement les vertus acquises subsiste-
ront, mais même que là où elles seront ou nulles ou
dans un état d'insuffisance et d'infériorité, Dieu les
infusera per accidens, conformément aux principes rap-
pelés plus haut à propos de la science infuse per accidens
dans l'âme des bienheureux. Cf. col. 1407. Enfin, il faut
dire que la gloire ne supprime pas le caractère sacra-
mentel, qui demeurera chez les élus comme une marque
perpétuelle de leur fidélité à leur vocation. Voir Carac-
tère sacramentel, t. il, col. 1706. Cf. S. Thomas,
Sum. IheoL, III', q. lxv, a. 5, ad 3"m.
L'ordre surnaturel, ici-bas, comporte aussi le secours
de la grâce actuelle. La grâce actuelle subsistera-t-ellc
chez les élus? Il semble qu'on doive répondre affir-
mativement, quoique non plus pour les mêmes effets
pour lesquels elle est donnée dans l'état de voie, non
plus bien entendu pour éviter le mal et faire le bien,
mais pour d'autres effets convenables à l'état de béa-
titude, en appliquant ici, toute proportion gardée, la
distinction qu'on a coutume de faire là où il est question
de la durée des vertus morales dans l'autre vie. La
principale raison qui appuie cette réponse, c'est que
les dons du Saint-Esprit demeurent chez les élus,
comme ils existaient clans l'âme bienheureuse de Notre-
Seigneur. Voir t. iv, col. 1748. Or, les dons sont des
habitudes passives, c'est-à-dire des dispositions à rece-
voir les motions du Saint-Esprit; habitudes qui doivent
nécessairement, partout où elles existent, avoir leur
emploi et conserver leur raison d'être. Nous voyons
dans l'Évangile que Jésus-Christ était conduit par son
Esprit, Matth., iv, 1; qu'il tressaillait sous l'action du
Saint-Esprit. Luc, x, 21, etc. Ainsi en sera-t-il dans le
royaume de la gloire, quoique nous ne puissions nous
faire une idée des mouvements que le Saint-Esprit
imprimera à ces heureux citoyens du ciel, des accents,
des cantiques que lui, le divin citharœdus, tirera de ces
âmes glorieuses. Apoc, xiv, 2-4. Or, ces motions, aux-
quelles sont ordonnés les dons, ont tout ce qu'il faut
pour vérifier la notion de grâce actuelle. D'autre part,
si l'on entend par grâce actuelle le concours divin
nécessaire pour le jeu régulier des vertus surnaturelles,
ce concours sera aussi nécessaire dans le ciel qu'ici-bas.
Voir Grâce. Cf. Billot, De gratta, Prato, 1912,
th. v, § 2.
Pour la première partie, voir la bibliographie complète
à l'art. Grâce : consulter spécialement Salmantiecnses,
De gratia, disp. IV, dans Cursus theologicus, Paris, 1878,
t. ix. — Pour la seconde partie, consulter les auteurs cités
au cours de l'exposition, mais particulièrement S. Thomas,
Sum. theol., I" II», q. lxvii; In IV Sent, I. III, dist. XXXI,
q. il; Suarez, De ultimo fine hominis, disp. XIII, sect. x, et
les différents traités De fide et De spe auxquels cet au-
teur renvoie lui-même; parmi les auteurs modernes,
C. Pesch, Pnvleetiones théologien*, t. m, n. 476-480, 485,
486.
2° Questions connexes. — Il suffit de les indiquer
brièvement : ce sont celles qui se rapportent au mérite
et à la prédestination.
La distinction fondamentale qui éclaire les discus-
sions relatives au mérite et à la prédestination est,
du côté de la gloire, la distinction entre gloire première
et gloire seconde. La gloire première est celle qui
correspond à la première grâce justifiante, que le
pécheur ne mérite pas, sinon de congruo. Voir t. m,
col. 1138 sq. Cf. Ripalda, De ente supcrnaturali, disp.
LXXXIX. C'est sur cette distinction qu'est construite
la théologie de beaucoup d'auteurs touchant la
prédestination. Voir ce mot. Quant au mérite, on
exposera, à l'art. Mérite, comment la gloire essen-
tielle est son objet tout comme la grâce, et dans quelle
mesure l'accroissement de gloire répond à l'augmenta-
tion des mérites. On a d'ailleurs déjà touché cette
question à propos de l'accroissement de la charité. Voir
t. n, col. 2230-2231. Ces questions sont connexes au
rapport de la gloire à la grâce, parce que le problème
de la prédestination à la gloire et celui du mérite de la
gloire dépendent intimement de la question de la
grâce, qui, dans l'ordre ontologique, précède et pro-
duit la gloire.
A. Michel.
III. GLOIRE HUMAINE. La gloire purement humaine
est celle qui se conçoit par rapport à une connaissance
purement humaine de notre excellence. Objective-
ment, elle est constituée par cette excellence elle-même,
abstraction faite de la connaissance dont elle peut être
ou devenir l'objet, et de l'honneur qui résulte de cette
connaissance. Elle existe soit dans l'ordre naturel,
soit dans l'ordre surnaturel. C'est ainsi que la femme
est la gloire de l'homme, I Cor., xi, 7; l'âme humaine,
la partie la meilleure de notre être, est nommée dans
l'Écriture kâbôd, gloire, de kâbâd, être illustre, Gen.,
xlix, 16; Ps. vu, 6; xxix, 13; evi, 9; evi, 2; les
nobles d'une nation sont appelés sa gloire. Is., v, 13;
vin, 7; x, 6; xvi, 14; xvn, 3, 4; Mien., i, 15; Judith, xv,
10. Voir Gloire, dans le Dictionnaire de la Bible de
M. Vigouroux, t. m, col. 251. Formellement, la gloire
humaine est constituée par l'honneur humain qui
rejaillit sur nous de la connaissance qu'on peut avoir
de notre excellence. Selon l'acception stricte du mot
« gloire », cette connaissance doit être le fait du grand
nombre, la gloire ne se concevant facilement qu'en
rapport avec une louange rejaillissant sur nous par
l'estime que la multitude fait de nos qualités. Mais,
dans un sens plus large, la gloire s'entend encore de
l'honneur qui rejaillit sur nous à la suite de la con-
naissance que peu de personnes ou même une seule
personne ont de notre excellence; bien plus, la connais-
sance personnelle que nous pouvons avoir de notre
valeur peut suffire à nous constituer, à nous-mêmes,
une certaine gloire. Cf. II Cor., i, 12; S. Thomos,
Sum. theol., IIa II*, q. cxxxn, a. 1; Demalo, q. ix, a. 1.
Cette gloire humaine peut être : 1° légitime et bonne;
2° désordonnée. En ce dernier cas, on l'appelle la
vaine gloire.
I. Gloire humaine légitime. — 1° Sa possibilité
morale. — Il semble difficile que la recherche de la
gloire humaine puisse être, moralement parlant,
légitime : « La louange, l'honneur et la gloire ne se
donnent pas aux hommes pour une simple vertu,
mays pour une vertu excellente. Car par la louange
nous voulons persuader aux autres d'estimer l'excel-
lence de quelques-uns; par l'honneur, nous protestons
que nous l'estimons nous-mesmes; et la gloire n'est
autre chose, à mon advis, qu'un certain esclat de
réputation qui rejaillit de l'assemblage de plusieurs
louanges et honneurs : si que les honneurs et louanges
sont comme des pierres précieuses, de l'amas desquels
reùscit la gloire comme un esmail. Or, l'humilité ne
pouvant souffrir que nous ayons aucune opinion
d'exceller ou devoir estre préférés aux autres, ne peut
aussi permettre que nous recherchions la louange,
l'honneur, ni la gloire, qui sont deues à la seule excel-
lence... » S. François de Sales, Introduction à la vie
dévote, part. III, c. vu. Il y a cependant des limites
raisonnables, dans lesquelles la recherche de l'estime
des autres ou de sa propre estime — ce qu'avec saint
Thomas, dans un sens large, nous avons appelé gloire
humaine — est légitime au point de vue de la morale.
En effet, il est légitime et naturel à l'homme de
rechercher la connaissance de la vérité : l'homme peut
1427
GLOIRE
1428
donc légitimement connaître et approuver, faire
connaître et faire approuver ce qui est bien en lui.
S. Thomas, loc. cit. Mais pour rester dans les limites de
la vérité, nous ne devons en premier lieu attacher
à la gloire humaine qu'une valeur humaine, c'est-à-
dire une valeur incertaine, non définitive, et infiniment
inférieure à celle que comporte, par exemple, la gloire
promise par Dieu aux élus : Quœrere gloriam ab
homine, ut homine, non est secundum se pravum, ut
ctllala ratio (celle apportée par saint Thomas au corps
de l'article) probal : sed, si quseratur gloria humana
ultra humanos limites, vel quia quœritur ab homine
lanquam a certo, vel magno testimonio, aul etiam ullima
teslimonio, tune vitium est inanis gloriœ. Cajétan, Com. in
jjum jjœ g Thomœ, loc. eit. En second lieu, il faut que
cette gloire humaine ne s'oppose pas à notre fin der-
nière et puisse être, au moins médiatement, rapportée
à Dieu. C'est le cas de tous les biens particuliers,
considérés comme mobiles de nos actions. Voir Fin
dernière, t. v, col. 2491-2492. Or, lorsqu'on recherche
la gloire humaine dans les limites convenables, même si
l'on ne pense pas explicitement à rapporter cette gloire
à Dieu, l'acte posé est cependant bon moralement,
parce que la gloire humaine recherchée légitimement
en faveur d'une vertu qui existe réellement en nous,
se rapporte médiatement à Dieu, fin de la vertu.
Cajétan, loc. cit., à la fin. A plus forte raison, sera
bonne, et même méritoire, la recherche de la gloire
humaine qui se propose immédiatement pour fin,
ou la gloire de Dieu, ou l'utilité du prochain, ou notre
utilité personnelle : 1. la gloire de Dieu, cf. Matth., v.
16; I Pet., ii, 12, en provoquant les autres à honorer
Dieu par l'exemple que nous leur donnerons, en leur
faisant connaître notre vertu personnelle et en les
entraînant à nous imiter; c'est ainsi que saint Paul
agit vis-à-vis des Romains, Rom., xv, 17 sq. ; 2. l'utilité
du prochain. Cf. Rom., xn, 17; xv, 2; I Cor., x, 32-33;
II Cor., xn, 1 sq. Saint François de Sales, continuant
sa pensée, s'exprime ainsi : « elle (l'humilité) consent
bien neantmoins à l'advertissement du Sage, qui nous
admoneste d'avoir soin de nostre renommée (Eccl.,
xli, 15), parce que la bonne renommée est une estime,
non d'aucune excellence, mais seulement d'une simple
et commune preud'homie et intégrité de vie, laquelle
l'humilité n'enpesche pas que nous ne reconnaissions
en nous-mesmes, ni par conséquent que nous en
desirions la réputation. Il est vraij que l'humilité
mespriseroil la renommée, si la charité n'en avait besoin;
mays, par ce qu'elle est l'un des fondemens de la société
humaine, et que sans elle nous sommes non seulement
inutiles, mays dommageables au public à cause du
scandale qu'il en reçoit, la charité requiert et l'humilité
a g grée que nous la desirions et conservions précieusement. »
Loc. cit. Envisagée sous cet aspect, la gloire humaine
ou plutôt l'estime des autres est un lien de concorde
et de charité, et « le mépris formel et complet de
l'estime des autres est le plus souvent une marque
d'orgueil, une manifestation de mépris pour ceux qui
nous entourent, et il nous est inspiré par le sentiment
exagéré et déréglé de notre supériorité. » De Smet,
Noire vie surnaturelle, t. il, p. 325-326. 3. Notre utilité
personnelle, dum considérât (homo), dit saint Thomas,
bona sua ab aliis laudari, de his gralias agit, et firmius
in cis persislit, De malo, loc. cit.; ainsi, pour affermir
les premiers chrétiens, saint Paul les encourage en
publiant le bien qu'ils font, ou en les proclamant
la gloire de l'Église. Rom., n, 10; xv, 14,29; xvi, 2-12;
I Cor., xvi, 10; II Cor., i, 14; vin, 2sq.; IThes.,n, 20,
etc. Saint François de Sales, loc. cit., exprime cette
fin de la gloire humaine d'une façon charmante :
« Outre cela, comme les feuilles des arbres, qui d'elles-
mesmes ne sont pas beaucoup prisables, servent
neantmoins de beaucoup, non seulement pour les
embellir, mais aussi pour conserver les fruitz tandis
qu'ilz sont encor tendres : ainsy la bonne renommée,
qui de soy-mesme n'est pas une chose fort désirable,
ne laisse pas d'estre très-utile, non seulement pour
l'ornement de nostre vie, mays aussi pour la conser-
vation de nos vertus, et principalement des verluz encor
tendres et joibles. L'obligation de maintenir ncslre
réputation, et d'estre tclz que l'on nous estime, force un
courage généreux d'une puissante et douce violence. »
Aussi les maîtres de la vie spirituelle recommandent-
ils de travailler à conserver la juste estime des autres
et à écarter ce qui pourrait injustement y faire tort,
comme seraient des accusations fausses, des reproches
mal fondés qui pourraient détruire ou diminuer cette
estime. Mais cette recherche de l'estime d'autrui doit
s'allier toujours au plus grand calme et à la plus
grande modération; dépasser les limites convenables
en cette matière, manifester des sentiments de colère
ou d'indignation serait témoigner qu'on accorde à la
gloire humaine plus qu'elle ne mérite et tomber dans
la faute de la vaine gloire. N'oublions pas, comme dit
encore saint François de Sales, que « la réputation n'est
que comme une enseigne qui fait connoistre où la
vertu loge : la vertu doit donq être en tout et partout
préférée...; il faut estre jaloux, mays non pas idolâtre,
de nostre renommée; et comme il ne faut offenser
l'œil des bons, aussi ne faut-il pas vouloir arracher
celuy des malins. » Loc. cit. L'humilité véritable est
la condition même de la magnanimité et de la modestie
qui doivent gouverner notre désir instinctif de la
gloire. Cf. S. Thomas, Sum. iheol, IP IP, q. cxxix,
a. 1, 2; Hugueny, Humilité, dans le Dictionnaire
apologétique de la foi catholique, t. il, col. 526. On con-
naît, sur ce point, le texte de saint Grégoire le Grand,
conciliant Matth., vi, 1, avec v, 16 : Sic aulem sit opus
in publico, quatenus intentio maneat in occullo ut et
de bono opere proximis pricbeamus exemplum, cl tamen
per inlentionem qua Dco soli placere quaerimus, semper
optemus secretum. Homil. in evangel., 1. I, homil. xi,
n. 1, P. L., t. lxxvi, col. 1115. En résumé : « L'amour
des louanges n'est pas en lui-même un sentiment
condamnable; il est même un acte vertueux, lorsqu'il
réunit les quatre conditions suivantes : 1. que ce qui
donne lieu à la louange soit une qualité vraiment
estimable, constitue une véritable perfection pour
l'être intelligent; 2. que cette qualité se trouve réelle-
ment en nous ; 3. qu'il n'y ait pas dans la louange un
caractère d'exagération qui fait qu'elle manque de
sincérité ou de justesse; 4. que le témoignage d'estime
soit rapporté par celui qui le reçoit à une fin digne
d'un être intelligent éclairé des lumières de la foi,
fin qui doit être en dernière analyse la gloire de Dieu,
le bien du prochain ou sa propre utilité. » De Smet,
op. cit., p. 333.
2° Sa possibilité psychologique. — Difficulté. —
Pour obtenir l'estime des autres, on veut paraître
parfait. Comment allier psychologiquement ce désir
de paraître parfait à l'extérieur avec la réalité de nos
imperfections intérieures ? Ne sera-ce pas l'hypo-
crisie ? Et lorsque nous nous montrerons, dans les
moments de surprise et d'oubli, tels que nous sommes
réellement, c'est-à-dire remplis de faiblesses et peut-
être de défauts, n'allons-nous pas scandaliser davan-
tage et détruire notre prestige ?
Réponse. — Si l'on voulait se contenter de parai tic
parfait, sans l'être réellement, la difficulté n'aurait
pas, au point de vue psychologique, d'autre solution
que dans l'hypocrisie. Il faut supposer que l'on désire
mériter l'estime d'autrui plus encore que l'obtenir.
« Dès lors, la préoccupation de nous montrer parfaits
sera d'un puissant secours pour nous prémunir contre
les mouvements irréfléchis des passions humaines.
Il nous arrive trop souvent de nous faire illusion sur
1429
GLOIRE
1430
le désordre de certains sentiments et de certains actes
et d'être tentés ainsi de les justifier à nos propres yeux
et de nous encourager à nous y entretenir. Il est beau-
coup plus facile de comprendre l'impression que ces
sentiments et ces actes doivent faire sur les autres, de
constater qu'ils doivent leur apparaître comme des
manifestations d'idées et de sentiments tout à fait
naturels, dans le mauvais sens du mot, c'est-à-dire
opposés aux idées et aux sentiments surnaturels qui
doivent être la règle de notre conduite. » De Smet,
op. cit., p. 330-331. Lorsque nos défauts apparaîtront,
l'estime qu'on aura de nous diminuera peut-être;
nous ne devons pas nous tourmenter de cette diminu-
tion, autrement que pour réparer le mal que nous
auront fait en nous abandonnant au mal. Nous
porterons ainsi le poids et la responsabilité de notre
faute, sans que pour cela il y ait le moindre sentiment
d'hypocrisie.
Instance. — Mais enfin, n'affichons-nous pas des
perfections que nous n'avons pas réellement ?
Réponse. — Non, ce n'est pas exact; car nous
possédons toujours, au moins dans l'intelligence et la
volonté, ces perfections dont on constate, à l'exté-
rieur, la manifestation. Et cela suffit pour que notre
vertu soit réelle. Qu'il y ait, au dedans de nous, des
luttes et des révoltes contre les idées élevées et les
nobles tendances que nous manifestons aux autres,
c'est possible; mais cela ne détruit en rien notre vertu
et « personne ne dira sérieusement que la sincérité
que nous nous devons les uns aux autres exige que
nous manifestions à tous les tentations et les résis-
tances intérieures qui rendent l'exercice de la vertu
plus ou moins difficile et nous font même tomber
parfois dans certaines faiblesses intérieures ou exté-
rieures. » De Smet, op. cit., p. 331, note. On peut sans
doute nous juger trop favorablement, en nous estimant
exempt de ces révoltes et de ces luttes. Mais de ce
jugement logiquement défectueux ne résulte ni de
notre côté l'hypocrisie, ni, de la part de ceux qui
nous voient, une louange fausse. 11 nous suffira
d'estimer cette louange à sa vraie valeur, qui est tout
humaine, c'est-à-dire essentiellement incertaine et
relative.
II. Vaine gloire. ■ — 1° Définition et nature. ■ —
La vaine gloire est la gloire purement humaine
recherchée d'une façon désordonnée. Or le désordre
peut s'introduire ici de trois façons : la vanité de la
gloire peut résider : 1. dans une erreur d'apprécia-
tion touchant le bien qui en est le fondement, lorsqu'il
s'agit, par exemple, d'un bien périssable comme les
biens de la fortune, d'une qualité morale qui n'existe
qu'en apparence et dont l'hypocrisie contredit le vrai
bien; 2. dans l'estime exagérée que l'on fait de la
louange des hommes, lesquels ne méritent pas un
crédit considérable; 3. dans la complaisance de notre
amour-propre excité par les louanges d'autrui, et
qui retient ces louanges pour lui-même, sans les
ordonner à Dieu, au bien du prochain ou à notre
utilité personnelle. S. Thomas, Sum. theol., IP IVe,
q. cxxxu, a. 1; cf. De malo, q. ix, a. 1. C'est ce que
saint François de Sales résume ainsi : « Nous appelons
vaine la gloire qu'on se donne ou pour ce qui n'est
pas en nous, ou pour ce qui est en nous, mays pas à
nous, ou pour ce qui est en nous et à nous, mais qui
ne mérite pas qu'on s'en glorifie. » Op. cit., part. III,
c. iv. Les autres sortes de désordres, par exemple, la
recherche d'une gloire personnelle au détriment de
celle d'autrui; le trop grand désir d'être glorifié, se
ramènent à la complaisance de l'amour-propre qui
refuse d'ordonner la gloire humaine à une fin digne de
notre qualité d'enfants de Dieu et de frères en Jésus-
Christ. Cf. Cajétan, loc. cit.
La vaine gloire s'oppose formellement à la vertu de
magnanimité, bien que matériellement elle puisse
se produire à l'occasion d'actes opposés à d'autres
vertus, par exemple, la cupidité, l'imprudence, etc.,
cf. S. Thomas, Sum. theol., loc. cit., a. 2, ad 1"",
parce que la magnanimité est cette partie de la vertu
de force qui règle l'usage des honneurs et de la gloire.
Ibid., q. cxxix, a. 1, 2; In IV Sent., 1. II, dist. XLII,
q. ii, a. 4.
2° Culpabilité. — Que la vaine gloire soit une faute,
la sainte Écriture l'atteste; cf. Is., xl, 6-8; Matth., vi,
1; Joa., v, 41; I Cor., iv, 7; Gai., iv, 26; Phil., n,
3, etc., et les Pères de l'Église ne manquent pas d'en
détourner les fidèles. Voir à la bibliographie. Les
théologiens considèrent qu'en soi la vaine gloire n'est
qu'une faute vénielle, parce qu'elle ne s'oppose pas à
la charité envers le prochain, ni à l'amour de Dieu.
Cependant saint Thomas admet qu'elle peut devenir
péché mortel s'il s'agit de tirer gloire d'une chose
offensant gravement Dieu, ou de préférer à Dieu,
par vaine gloire, un bien périssable et l'estime des
hommes, ou encore de faire de la vaine gloire sa fin
dernière. Loc. cit., a. 3. Les théologiens trouvent ces
sortes de péchés indiqués dans Ezech., xxvm, 2;
I Cor., iv, 7. Saint Alphonse de Liguori dit de la vaine
gloire comme de l'ambition qu'elle devient per
accidens péché mortel, vel ratione materiœ ex qua,
vel ratione damni quod proximo injertur. Theologia
moralis, édit. Gaudé, Rome, 1907, t. m, 1. V, c. in,
n. 66. Lcisque la vaine gloire porte sur une chose
offensant gravement Dieu, certains auteurs pensent
qu'on doit expliquer en confession de quelles choses
mauvaises on a tiré vaine gloire, parce que la vaine
gloire prend la gravité spécifique de ces choses;
ainsi l'enseignent Sanchez, Opus morale in prœcepta
dccalogi, Parme, 1723, 1. I, c. ni, n. 13; L. Lopez,
Inslruclorium conscientiœ, Salamanque, 1592, cité par
Busenbaum, mais à tort, car, part. I, c. v, q. ni,
il tient l'opinion communément enseignée; la spé-
cification des choses mauvaises dont on a tiré vaine
gloire n'est requise que quando quis gloriam et
laudem quœrit de peccalis morlalibus CUM COMPLA-
CENTIA earum. C'est l'opinion de saint Alphonse de
Liguori, loc. cit.; de Navarrus, Manuole confessariorum,
Venise, 1616, prœlud. iv, n. 4; de Castropalao, Opus
morale, Venise, 1721, tr. II, disp. II, p. n, n. 5; de Diana,
Diana: concorduti, Venise, 1698, t. vin, tr. X, resol. vi,
et même, quoi qu'en dise encore Busenbaum, Mcdulln
theologia: moralis. Tournai, 1848, 1. V, c. m. dub. i, n. 1 .
de Rodriguez, Summa casuum conscientiœ, Venise,
1628, part. I, c. lui, n. 14. Cf. de Lugo, Disputationcs
scholaslicœ et morales, Lyon, 1633-1654, De pœnilcniia,
disp. XXVI, n. 267. Il suffirait donc, s'il n'y a pas
complaisance aux péchés, de dire : « J'ai péché tant
de fois en cherchant louange et gloire de péchés
mortels, » sans spécifier de quels péchés il s'agit,
péchés que peut-être on n'a pas commis, ou qu'on a
déjà confessés, ou qu'on confessera plus loin. Navarrus,
loc. cit.
Les moralistes, appliquant les principes concernant
la gravité per accidens de la vaine gloire, en déduisent
qu'il y a péché mortel de vaine gloire : 1. chaque
fois qu'entendant louer quelqu'un ou soi-même à
cause d'une chose gravement coupable, on accueille,
on approuve cette louange, Sanchez, loc. cit.; Baldelli,
Disputationcs ex morali theologia, Lyon, 1637-1661,
1. III, disp. V, n. 12; 2. quand on blâme quelqu'un
de n'avoir pas commis un acte gravement coupable,
vengeance, fornication ; c'est le péché grave de
jactance joint à l'approbation du mal, Baldelli, loc.
cit., n. 11; 3. quand, introduisant par son influence
des modes nouvelles, on impose aux autres la nécessité
morale de se conformer à des usages dispendieux
qui les ruineront ou les empêcheront de payer leurs
1431
GLOIRE - GNOSE
1432
dettes, Baldelli, loc. cit. n. 18; 4, quand on simule
la sainteté avec la volonté de ne point l'acquérir,
Baldelli, loc. cit., n. 19; 5. quand on simule le mal,
à cause du scandale grave qui en résulte; les saints,
pour s'humilier, n'ont jamais fait que des actes en
soi indifférents, et n'ont jamais positivement provoqué
des jugements en leur défaveur. S. Alphonse, édit.
Gaudé, loc. cit., n. 67.
Mais puisqu'en soi la vaine gloire n'est qu'un péché
véniel — la coquetterie, par exemple, en est une
manifestation, Baldelli, loc. cit., n. 23 — une conclusion
s'impose, c'est qu'un motif de vaine gloire ne vicie
pas substantiellement, dans les cas ordinaires, la
moralité d'une bonne action. En effet, la vaine gloire
ne s'opposant pas à la vertu de charité, laisse subsis-
ter l'influence d'autres motifs louables. Lehmkuhl.
Thcologia moralis, t. i, n. 34, donne plusieurs exemples
de ce principe touchant les pratiques de dévotion
et la réception des sacrements. Si le motif de vaine
gloire ne vient qu'en second lieu et laisse la place
principale à un motif louable, la valeur de l'acte
posé en est d'autant moins diminuée. Lehmkuhl, loc.
cit. Si c'est l'inverse, et que prédomine le motif de
vaine gloire, pourvu que cependant ce motif ne soit
pas exclusif, l'acte posé ne sera pas encore vicié
substantiellement, du moins selon l'avis d'auteurs
sérieux, tels que Silvestre Prierias, Summa, Venise,
1612, au mot Varia gloria; Navarrus, op. cit., c. xxm,
n. 13.
3° Péchés dérivés. — La recherche de la vaine gloire,
étant une manifestation de l'orgueil, doit être considé-
rée, au même titre que l'orgueil, comme un vice
capital. S. Thomas, loc. cil., a. 4. Certains auteurs
distinguent même la vaine gloire de l'orgueil et
comptent ainsi huit vices capitaux. Cassien, Collaliones,
V, c. ii, P. 4., t. xlix, col. 611; S. Jean Damascène,
De oclo passionibus, n. 1, P. G., t. xcv, col. 80. Voici
comment le docteur angélique expose tous les dérivés
de la vaine gloire, a. 5 : « La fin de la vaine gloire
est de montrer sa propre excellence; ce que l'homme
peut faire de deux façons : d'abord, d'une manière
directe, en se vantant dans ses paroles, comme fait
la jactance. Si ce sont des choses qui provoquent
l'étonnement, on l'appelle présomption des nouveautés,
ce que les hommes admirent beaucoup d'ordinaire;
si ce sont des choses fausses, c'est l'hypocrisie. Il y a
encore une autre manière de manifester sa supériorité,
mais indirectement, en ne voulant pas paraître infé-
rieur aux autres. Cela peut avoir lieu de quatre façons :
1. quant à l'intelligence, en refusant d'abandonner
son sentiment pour se rendre à un avis meilleur, et
c'est ce que l'on appelle Y opiniâtreté; 2. quant à la
volonté, en ne voulant pas céder pour faire la paix,
et c'est ce qu'on appelle la discorde; 3. dans les paroles,
en se disputant avec bruit, et c'est ce qu'on appelle-
la contention ; 4. dans ses actions, en refusant d'exécuter
l'ordre d'un supérieur, et c'est ce qu'on appelle la
désobéissance. » Cf. S. Alphonse, loc. cit. Saint Thomas
emprunte sa nomenclature à saint Grégoire le Grand,
Moral., 1. XXXI, c. xlv, n. 88. P. L., t. lxxvi, col. 621.
S. Thomas, Sum. IheoL, II*» II;P, q. cxxxn; De mdlo,
q. i\ ; Cajétan, Comment, sur la q. cxxxii de la II11 II*;
S. Alphonse de Liguori, Thcologia moralis, édit. Gaudé,
Rome, 1907, t. ni, 1. V, c. ni, dub. i, et les moralistes cités
au cours de l'article; Billuart, Cursus théologies, Paris,
1878, t. vin, diss. II, a. 3, § 3; S. François de Sales, Intro-
ductiotl à la vie dévote, part. IIP, c. m, vu; Imitation de
Jésus-Christ, 1. I, c. vu; 1. III, c. xl; De Smet, Notre vie
spirituelle, Bruxelles, 1911, t. n, p. 324-335; les auteurs
spirituels, à la question de l'humilité.
Chez les Pères de l'Église, sur la vraie gloire et la vaine
gloire : Clément d'Alexandrie, Pwd., 1. I, c. vi; Strom., I,
c. xi, P. G., t. vin, col. 293, 748; Origène, De oralione,
n. 19; Conl. Cehum, 1. VII, n. 24, P. G., t. xi, col. 476 sq.,
1456 sq. ; In Jeremiam, homil. xi, n. 4, 7, 8, P. G., t. xiii,
col. 372 sq., 388 sq.; In Episl. ad Romanos, 1. II, n. 5,
P. 67., t. xiv, col. 879; S. Basile, In Hexaemeron, homil. v,
n. 2. P. G., t. xxix, col. 96-100; In ps. l.Xl, n. 4, col. 476 sq.;
Epist, 1. I, epist. xlii, n. 4, t. XXXII, col. 354; cf. Homil., xx.
De humilitale.t. xxxi, col. 525; Constitutiones monastiese,
c. x, col. 1372; c. xvi, col. 1378; S. Grégoire de Nazianze,
Oral., n, apologeliea, n. 51, P. G., t. xxxv, col. 461; Oral.,
xix, theologica, n. 4 sq., col. 1041; S. Grégoire de Nysse,
Oratio de morluis, P. G., t. xlvi, col. 497. Mais, parmi les
Pères grecs, c'est surtout saint Jean Chrysostome quî a
parlé le plus et le mieux de la vraie et de la vaine gloire.
Entre mille passages, on lira avec huit les suivants : Homil.
in kalendas, P. G., t. xlvii, col. 953 sq. ; Adversus oppu-
gnantes vitee monastieiv, 1. II, n. 5, 6, col. 337 sq.; Ad Theo-
dorum lapsum, 1. II, n. 3, col. 311 sq. ; De compunctione,
1. I, n. 4, col. 399,400; Ad Stagirium a dœmone vc.vatum,
I. I, n. 9, col. 445 sq. ; Ad viduam juniorcm, n. 5, 6, col. 605-
608; De sacerdolio, 1. III, n. 9; cf. 1. VI, n. 12, col. 646 sq.,
688; De Anna, serm. iv, n. 3, t. liv, col. 663-664; In Gen.,
homil. v, n. 5, 6; homil. xxn, n. 7, col. 53, 54; 195; Expo-
sitio in ps. Y, n. 6, t. lv, col. 69 : in ps. XLVIII,n. 8, col. 234;
cf. col. 510; in ps. XLIX, n. 11, col. 240 : in ps. VIII, n. 7,
col. 116 sq.; in ps. CXX, col. 377-379; In Matthœum,
homil. xix, t. lvii-lviii, col. 273 sq. ; homil. lviii (lix),
n. 4, col. 570 sq.; homil. iv, col. 51; homil. lxv (lxvi),
n. 4, col. 621 sq.; homil. XI, n. 8, col. 201; homil. lxxii
(lxxiii), col. 667 sq. ; In Joa., homil. ni (n), n. 5, t. lix,
col. 43 sq. ; homil. xxvm (xxvn), n. 3, col. 165 ; homil. xxix
(xxvm), n. 3, col. 170 sq. ; homil. xxxvni (xxxvn), n. 5,
col. 218 sq. ; In Acta apostolorum, homil. xxvm, n. 3,
t. lx, col. 212; In Epist. ad Rom., homil. xvn, n. 3, col. 567;
In Epist. I ad Cor., homil. xxxv, n. 4-6, t. lxi, col. 300-306;
cf. In Epis. II ad Cor., homil. xxix, n. 4, col. 601 sq. ;
In Epist. I ad Tim., homil. n, n. 2, 3, t. lxii, col. 511-516;
In Epist. ad Phil., homil. v, col. 213 sq. ; cf. homil. xiv,
col. 281 ; In Epist. ad Titum, homil. n, n. 3, 4, col. 673 sq. ;
Tertullien, De cultu fœminarum, 1. II, c. m, P. L., t. i,
col. 1319; Ad martyres, c. iv, v, col. 625-626; S. Cyprien,
Epist., xxx, P. L., t. iv, col. 303-307 : il s'agit d'une exhor-
tation aux martyrs de placer toute leur gloire en Dieu seul ;
S. Jérôme, In Epist. ad Gai., 1. III, c. vi, n. 26, P. L.,
t. xxvi, col. 423 sq.; Epist., xxn, n. 27; cvin, n. 3, t. xxn,
col. 412, 879; S. Augustin, dans ses polémiques antipéla-
giennes, a souvent parlé, en passant, de la vaine gloire;
voici cependant quelques endroits où il en traite plus direc-
tement : De civitate Dei, I. V, c. xn, xiii, xix, xx, P. L.,
t. xli, col. 154, 158, 165-167; Serm., cxxix, n. 2, t. xxxvm,
col. 721; Enarr. in ps. VII, n. 4, t. xxxvi, col. 99-100;
in ps. XXV, n. 12, col. 194; in ps. CXUX, n. 11, t. xxxvn,
col. 1955; Epist., clxxxviii, surtout c. n, t. xxxin, col.
848 sq. ; De correptione et gratia, c. xn, n. 37, 38, t. xliv,
col. 938-939; Contra duas epistolas pelagianorum, 1. IV,
c. xix, ibid., col. 626-628; De dono perseverantiœ, c. xxiv,
t. xlv, col. 1033-1034; In Joannis evangelium, tr. LVIII,
n. 3, t. xxxv, col. 1795; S. Grégoire le Grand, Moral., 1. VI,
c. vi, n. 3; 1. X, c. xxn-xxvn; 1. XIV, c. lui, n. 64, P. L.,
t. lxxv, col. 753, 945, 1073; 1. XVII, c. vu, vin, t. lxxvi,
col. 945 ; S. Bernard, De diligendo Deo, c. n, P. L., t. clxxxii.
col. 975 sq. ; De conversione ad clericos, c. vin, col. 811;
In dedicatione Ecclesin?, serm. IV, t. clxxxiii, col. 526 sq. ;
Scrmones de diversis, serm. vu, col. 558 sq.
A. Michel.
GNOSE, yvwatç, est en elle-même la connaissance
explicite des vérités révélées, la science de la foi.
Le mot, avec l'idée qui s'y rattache, se trouve dans
l'Évangile, Luc, xi, 52, et dans les Épîtres des apôtres,
I Cor., vin, 7; xiii, 8, etc., pour désigner, à côté de
la foi qui adhère à la révélation sur l'autorité du
témoignage divin, l'étude approfondie des dogmes
à l'aide des lumières de l'Écriture et de la tradition.
La gnose est donc le naturel et légitime exercice de
la raison chrétienne : c'est un besoin pressant, pour
quiconque pense, de chercher à éclaircir les vérités
révélées, à pénétrer les motifs et l'objet de la foi.
Nombre des recrues les plus anciennes du christia-
nisme, les Aristide, les Justin, les Tatien, les Pantène,
les Clément d'Alexandrie, etc., ne pouvaient qu'exciter
et développer cet impérieux besoin. Convertis à la
foi, ils ne laissaient pas de rester des philosophes
jusqu'à en porter d'ordinaire le manteau; ils con-
tinuaient d'allier avec la foi l'aspiration à la science,
1433
GNOSE
GNOSTICISME
1434
et ils avaient à cœur de montrer par leur exemple
qu'entre la foi chrétienne et la raison, il y a en défi-
nitive parfait accord. Mais bientôt, en face de la
vraie gnose, qui prend la foi pour règle et pour guide,
l'Église vit s'élever, notamment dans les 11e et
me siècles, sous des noms divers et en diverses con-
trits, la fausse gnose, qui se sépare entièrement de
la foi, et n'offre après tout qu'un amalgame de la
plupart des doctrines du vieux monde, juives ou
païennes, avec les dogmes de la révélation.
Devant cette gnose hérétique, yikoaoyia où /.z-.z.
Xpiaxdv, les Pères, jaloux de la saper par la base
et de maintenir les droits de la gnose orthodoxe,
çiÂoioiia /.7.-X XpioTo'v, ne se lassent pas de mettre
en lumière le principe fondamental de la connais-
sance chrétienne; à la prétention de construire
un système scientifique en dehors de la foi, par les
seules forces de la raison, unanimement ils opposent
l'absolue souveraineté de la foi prèchée par les apôtres
et gardée par la tradition vivante; anathème à qui
puise à des sources étrangères et fait œuvre de syncré-
tisme religieux 1 II fallait, à rencontre de l'orgueil
des sectaires, exposer la vérité et l'autorité de la doc-
trine chrétienne, à l'exclusion de toute autre, puis
justifier les dogmes aux yeux de l'intelligence et les
coordonner entre eux dans une vaste synthèse scienti-
fique. De cette double tâche la première fut celle en
particulier de saint Irénée dans son traité Contre les
hérésies, P. G., t. vu, et de Tertullien, soit en général
dans son bel ouvrage Des prescriptions des hérétiques,
soit dans ses livres Contre les valcntiniens, Contre
Hermogène, Contre Marcion, et le Scorpiaque, P. /..,
t. i-ii. La seconde tâche échut principalement, en
raison de leur tournure d'esprit personnelle et aussi de
leur ambiance, aux deux Alexandrins, Clément, P. G.,
t. viii-ix (voir 1. 1, col. 188 sq.), et Origène, ibid., t. xi-
xvn, qui ne la remplirent pas toutefois sans accrocs.
Ces Pères n'hésitèrent point à recourir dans ce but à
la philosophie, surtout à la platonicienne, dont ils goû-
taient spécialement la langue, voire dans une certaine
mesure la métaphysique; mais jamais, en aucune façon,
ils n'ont témoigné d'un éclectisme sans principe, qui
eut admis pêle-mêle christianisme et paganisme. En-
tendue en ce sens, l'accusation de platonisme, que l'on
a parfois intentée aux Pères de l'Église, est absurde
à la fois et démentie par l'histoire. Selon eux, la gnose
repose essentiellement sur l'étude de l'Écriture, faite
avec l'esprit des apôtres et suivant la croyance de
l'Église. « Le nom de gnoslique, écrit Clément d'Alexan-
drie, n'est mérité que par celui-là seul qui, ayant
blanchi dans l'étude de l'Écriture, garde la règle des
dogmes apostoliques et ecclésiastiques. » Slrom., VI I.
Entre la foi commune et la foi plus haute ou scienti-
fique, les Pères ne reconnaissent qu'une différence de
degré, non de nature.
Kuhn, Einleitung in die katholische Dogmatik, Tubingue,
1850, p. 309 sq.; Freppel, Saint Ircnée, Xe leçon, Paris,
188'j; Kraus, Histoire de l'É/jlise, nouv. édit. franc., Paris,
1905, 1. 1, p. 143 sq.
P. Godet.
GNOSIMAQUES, hérétiques du vu6 siècle, ainsi
appelés, comme le nom l'indique, yvûa'.ç, f**"/*), yveuat-
ux/o:, celui qui combat la science, parce qu'ils repous-
saient toute connaissance ou science de la religion
chrétienne comme inutile. A leurs yeux, vain est le
travail de ceux qui étudient les Écritures et se livrent
à des spéculations quelconques; car ce n'est point la
science que Dieu exige, mais seulement les bonnes
œuvres; ce n'est point le savoir qui sauve, c'est le bien-
vivre. Tertullien, pour blâmer la manie intempérante
des gnostiques, qui consistait, sous prétexte de science,
à multiplier les recherches et les spéculations, avait
bien pu dire avec quelque apparence de paradoxe :
Nobis curiositate opus non est, posl Christum Jesum;
nec inquisitione, posl Evangelium. Cum credimus, nihil
desideramus ultra credere, Prœscript., 67, P. L., t. il,
col. 20-21 ; mais il ne se refusait pas pour autant à faire
œuvre scientifique. Plus radicaux, les gnosimaques
condamnaient toute curiosité intellectuelle, tout tra-
vail d'exégèse ou d'interprétation scripturaire, tout
essai de systématisation théologique. Non sans raison,
saint Jean Damascène les range parmi les hérétiques ;
mais il ne nous fait connaître ni le lieu et l'époque
où ils vécurent, ni le rôle et l'importance deleur secte.
S. Jean Damascène, Hœr., lxxxviii, P. G., t. xciv,
col. 757.
G. Bareille.
GNOSTICISME. — I. Sources. IL Histoire. III.
Doctrine.
I. Sources. — Le meilleur moyen de se faire une
idée exacte du gnosticisme serait évidemment de con-
sulter les ouvrages où les gnostiques ont exposé leurs
doctrines; car ils ont beaucoup écrit. Mais, dans l'état
actuel de la science, ce moyen n'est pas à notre dispo-
sition; car de toute leur production littéraire il ne
reste que très peu de chose. Nous sommes d'abord loin
de connaître tout ce qui est sorti de leur plume sous
forme de lettres, de chants, de psaumes, d'homélies,
de traités, de commentaires. La plupart de leurs tra-
vaux ne nous sont connus que par leurs titres. Et c'est
à peine si nous possédons quelques fragments, grâce
aux écrivains ecclésiastiques qui les ont cités pour les
réfuter, et quelques rares ouvrages qui ont échappé
aux injures du temps. Signalons du moins ces titres,
ces fragments et ces ouvrages. Car, outre qu'ils sont
un témoignage d'une grande activité littéraire, ils
offrent un spécimen du genre adopté et de quelques
sujets traités.
1° Ouvrages gnostiques dont le litre est connu. —
Sans être complète, voici la liste de ces ouvrages, dont
le titre et l'existence sont attestés par les Pères.
De Simon de Gitton, une 'A-rJsxai; [AsystÀT], Philoso-
phoumena, Vf, 1, édit. Cruice, Paris, 1860, p. 249; des
'AvTtppï]Tixâ, pseudo-Denys, De div. nom.,\i, 2, P. G.,
t. m, col. 857.
De Basilide, un évangile, to xaxà Ba<jt/.£:8r,v eùayyl-
Xiov, Origène, In Luc, homil. i, P. G., t. xm, col. 1083;
S. Ambroise, In Luc, i, 2, P. L., t. xv, col. 1533;
S. Jérôme, In Matth., prolog., P. L., t. xxvi, col. 17;
des ' Eç7]yr]T'.xà il; to EÙayysXiov, en 24 livres, d'après
Agrippa Castor, Eusèbe, //. E., iv, 7, P. G., t. xx.
col. 317; l'auteur de la Disputatio Archclai cum Mancle
en cite deux passages du XIIIe livre, Disput., 55, P. G.,
t. ix, col. 1524; et Clément d'Alexandrie en cite un
autre tiré du XXIIIe, Slrom., IV, 12, P. G., t. vin,
col. 1289; des Hymnes, d'après un fragment d'Ori-
gène.
D'Isidore, un Qepi repo<r»uouç<j/'j^T]ç, Clément d'Alexan-
drie, Slrom., II, 20, P. G.,' t. viii, coi. 1057; des 'KÇrjr,-
Ti/.à tou ;:po<prJTOu llap/iôp, dont Clément d'Alexandrie
cite un passage tiré du Ier livre, Slrom., VI, 6, P. G.,
t. ix, col. 276; des 'Hôtxa ou 7:apaiv&Tissâ, sortes d'homé-
lies. Clément d'Alexandrie, Slrom., III, 1, P. G.,
t. vin, col. 1101.
D'Épiphane, un LTepi 3uaio<ruv7]ç. Clément d'Alexan-
drie, Slrom., III, 2, P. G., t. vin, col. 1105.
De Valentin, des Hymnes ou Psaumes, Tertullien,
De came Chrisli, 17, P. L., t. n, col. 781; des Épîlres,
entre autres celle à Agathopode, Clément d'Alexandrie,
Slrom., III, 7, P. G., t. vin, col. 1161; des Homélies,
entre autres une Ilepî tpîXtov, Clément d'Alexandrie,
Slrom., VI, 6, P. G., q. ix, col. 276; un De mali origine,
dont les Dialogues contre les marcioniles contiennent un
fragment, P. G., t. vu, col. 1273.
De Ptolémée, une 'E^taToXr) 7:po; «JXaSpav, conservée
par saint Épiphane, Hier., t. xxxin, 3-7, P. G., t. vu,
1435
GNOSTICISME
1436
col. 1281-1292; un commentaire In Joa. S. Irénée,
Cont. liœr., i, 8, 5, P. G., t. vu, col. 532.
D'Héracléon, des commentaires In Luc, Clément
d'Alexandrie, Slrom., IV, 9, P. G., t. vin, col. 1281; et
In Joa., dont Origène a discuté 42 passages, P. G.,
t. vu, col. 1293-1322. Voir A. E. Brooke, The frag-
ments of Hcraclcon, dans Tcxls and studics, Cambridge,
1891, t. i.
D'Alexandre, des Syllogismi. Tertullien, De canif
Christi, 17, P. L., t. n, col. 781.
De Théotime, un traité, dont Tertullien, sans en
donner le titre, qualifie le caractère allégorique : mul-
lum circa imagines legis operatus est. Adv. valent., 4,
P. L., t. ii, col. 546.
D'Apelles, un commentaire des «havrjpiôcjsi; de Philu-
niène, et des y>jAÀoyi<j[j.oi.Pseudo-Tertullien, De prœ-
scripl., 51, P. L., t. n, col. 71.
De Marcion, des Épîtrcs, Tertullien, Cont. Marc., i, 1 ;
iv, 4, P. L., t. ii, col. 248, 366; un Psalmorum liber,
d'après le fragment de Muratori, P. L., t. in, col. 193;
un Liber propositi finis, d'après la préface des canons
arabes du concile de Nicée, Mansi, Concil., t. n,
col. 1057; et des 'AvT'.Ofaa:, réfutées par Tertullien,
Cont. Marc., i, 19; iv, 1, P. L., t. n, col. 267, 363, 366.
De Cassien, des 'EÇr^Ti/â, Clément d'Alexandrie,
Slrom., 1,21, P. G., t. vin, col. 820; un Ilspi iyxoaTEÎa;
ou -i<-À EÙvou^îaç. Strom., III, 13, P. G., t. vin,
col. 1192.
2° Fragments gnostiques. — De toute cette produc-
tion gnostique il ne reste que quelques fragments épars
dans les œuvres des Pères. Clément d'Alexandrie avait
fait un recueil de 86 extraits valentiniens attribués à
un Théodote, personnage d'ailleurs inconnu. Ce recueil
porte le titre suivant : 'E/. tûv fckoSrjto'j xal ttjç àva-
ïoXw.7Jç xaXou[i£vï)ç BiBaaxaXîa; /.axa xobç OùaÀevrivou
ypôvovç ïr.'.-o[xai. P. G., t. ix, col. 653-697. Ruben en
a donné une édition critique : Clemenlis Alcxandrini
excerpta ex Thcodoto, Leipzig, 1881.
Dans son édition des œuvres de saint Irénée, doin
Massuet a inséré un recueil de fragments gnostiques
appartenant à Basilide, à Épiphane, à Isidore, à
Valentin et à Héracléon. P. G., t. vu, col. 1263-1322.
Mais cette liste est loin d'être complète. Il y manque
notamment sept passages des Syllogismes d'Apelles.
conservés par saint Ambroise dans son De paradiso, et
recueillis par Harnack, Sieben Bruchstùcke der Syllo-
gismen des Appelles, dans Texte und Untersuchungen,
Leipzig, 1890, t. vi, 3, p. 110-120, il y manque aussi
ceux qu'on trouve d'autres auteurs gnostiques, soit
dans les Philosophoumena, soit ailleurs. Beaucoup plus
complet est le recueil fait par Harnack, Allchristliche
Literalur, Die Ueberlieferung, t. i, p. 144-231.
3° Ouvrages gnostiques. — A part la lettre de Pto-
lémée à la femme ebrétienne Flora, mentionnée plus
haut, ou ne possède encore aucun ouvrage entier d'un
gnostique connu. Mais depuis quelques années, les
manuscrits d'Egypte nous ont donné, en des versions
coptes, quelques livres gnostiques. Ceux qu'on a décou-
verts jusqu'ici proviennent des sectes d'origine syrienne
et non des écoles alexandrines de Basilide, de Valentin
et de Carpocrate.
Un spécimen curieux de livre gnostique est la Pistis
Sophia, trouvée en copte, et publiée par Schwartze
et l'etermann, en 1851, à Berlin. C'est un véritable
roman gnostique, divisé en quatre livres, dont les
trois premiers ont été identifiés avec l'apocryphe connu
sous le nom de 'EptoTrJceiç Mapîaç et signalé par
saint Épiphane comme une pièce ophite.
Dans le papyrus de Bruce se trouvent deux traités
gnostiques traduits du grec, qui appartiennent au
même milieu gnostique que la Pistis Sophia. Le pre-
mier a été identifié avec les Livres de Jeu que la Pistis
Sophia attribue à Enoch; le second est sans titre et
mutilé au commencement et à la fin. Cf. E. Amélineau,
Notice sur le papyrus de Bruce, Paris, 1891, texte copte
et traduction française; C. Schmidt, Gnostiche Schrij-
len in koplische Sprache aus dem Cod. Bruc, Leipzig,
1892; Koplisch-gnostischc Schriflen, Leipzig, 1905, t. i,
dans Die griechischen chrisllichcn Schrillstcllcr der ersten
drei Jahrhunderle.
M. C. Schmidt a découvert dans une autre papyrus
du vc siècle, actuellement à Berlin, trois autres pièces
gnostiques coptes : un EjayyiAiov y.axà Mapiâu, dont on
trouve textuellement quelques passages dans saint
Irénée, Cont. hser., i, 21, P. G., t. vu, col. 661-669; une
y>jç:x 'Ij]<jou XpidTOu, véritable apocalypse dans le
genre de la Pistis Sophia, totalement inconnue jus-
qu'ici; et une Ilpaït; IIîtcoj.
4° Ouvrages des auteurs ecclésiastiques contre le gnos-
ticisme. — Si on était réduit, pour traiter le gnosticisme,
à n'utiliser que les renseignements de source purement
gnostique, on voit combien la tâche serait malaisée.
Heureusement une telle pénurie se trouve compensée
par les éléments d'information qu'on rencontre dans
les Pères; non certes que tous les ouvrages patristiques
contre la gnose nous soient parvenus, mais ceux qui
restent sont des plus précieux.
Il n'est guère d'auteur ecclésiastique du nc siècle
ou du commencement du m0 qui n'ait écrit contre les
hérésies en général, contre telle ou telle hérésie, contre
tel ou tel chef de la gnose ou sur quelque sujet parti-
culièrement attaqué par les gnostiques. Nous savons,
par exemple, que saint Justin avait composé un Euv-
toty;j.a /.arà -aaôiv Ttov ysyEvr,p.Évojv aipeaécov, comme
il nous l'apprend dans sa première Apologie, 26, et un
IIooç Mapxûova, d'après saint Irénée, Cont. hœr., iv,
G, 2, P. G., t. vu, col. 987. Agrippa Castor avait com-
battu et réfuté Basilide dans un ouvrage dont Eusèbe
signale l'existence sans en dire le titre, H. E., iv, 7,
P. G., t. xx, col. 317. Eusèbe signale de même un
autre ouvrage de Rhodon contre l'hérésie de Marcion,
H. E., iv, 13, P. G., t. xx, col. 460; mais il donne les
titres de ceux de Philippe de Gortyne et de Modestus,
Koct« MapxCcovo;, H. E., iv, 25, col. 389; de saint
Hippolyte, un Katà Mapxttovo; et un IIpoç à-âaa; Ta;
aipsasiç, H.E., vi, 22, col. 576; de saint Théophile
d'Antioche, un Katà Mapxîwvo; et un IIpoç tr,v aïpsaiv
'Epjj.oysvoj5, H. E., iv, 24, col. 389; et de Bardesane,
un Ka^à Map/icova BiâXoyo;. H. E., iv, 30, col. 401.
Parmi les ouvrages antignostiques qui ne nous sont
pas parvenus, il convient de signaler un Dialogue
contre Candide le valentinien, d'Origène, mentionné
par saint Jérôme, Apol. adv. lib. Rufini, n, 19, P. L.,
t. xxin, col. 442-443; un EUpî [Aovapyîaç, comme quoi
Dieu n'est pas l'auteur du mal, et un Ihp; ôySoàSo:,
contre la gnose valentinienne, attribués à saint Irénée
par Eusèbe, //. E., v, 20, P. G., t. xx, col. 484. Ter-
tullien nous apprend lui-même qu'il avait composé un
De censu animée contra Hermogenem, De anima, 3,
P. L., t. ii, col. 016, 652; et un Adversus Appellicianos,
De carne Christi, 8, P. L., t. n, col. 769. Pareillement
l'auteur des Philosophoumena fait allusion à deux
écrits sortis de sa main, dont il ne donne pas les titres,
Philosoph., I, 1, p. 2; et il signale un Katà (/.âycov et un
Ilspi Tf,c to'j r.avxôi oJaîaç. Philosoph., VI, 40; X, 32,
p. 305, 515.
Mais à défaut de tous ces traités, dont nous ne con-
naissons que le titre ou l'existence, nous possédons un
poème en vers hexamètres, en cinq livres, qui ont pour
titre : De Deo unico, De concordia velcris et novse legis,
De concordia Palrum Velcris et Novi Tcslamenli, De
Marcionis antilhesibus et De variis Marcionis hsere-
sibus. Ce poème Adversus Marcionem, P. L., t. ir,
col. 1053-1090, est loin d'avoir l'intérêt et l'importance
des Dialogues contre les marcionites, insérés parmi les
œuvres d'Origène, P. G., t. xi, col. 1713-1814, et connu
1437
GNOSTICISME
1438
sous le titre de De recta in Deum fide; c'est un travail
de science dialectique et théologique en même temps
qu'une source de premier ordre pour l'histoire des
Églises marcionites.
5° Saint Irénée. — Le premier en date et l'un des
principaux adversaires du gnosticisme est saint Irénée.
De toute sa controverse, une seule œuvre a survécu
dans une version latine; on ne possède que quelques
fragments de l'original grec. C'est la fausse gnose
démasquée et réfutée, ''EXE-f/o; xai àvateo-r, tf);
'is'j8'ovj;j.o'j yvoSastoc, citée sous le titre de Contra
hœreses. L'évèque de Lyon estimait que le seul fait
de dévoiler les doctrines ésotériques constitue une
victoire sur les gnostiques : adversus cos Victoria est sen-
tentix corum manifcslatio.Cont. hœr., i, 31, 3, P. G.,
t. vu, col. 705. C'en était une, en effet, mais dont il ne
s'est pas contenté, car il a pris soin de contrôler leurs
systèmes, tels qu'il les connaissait, avec l'enseignement
de l'Eglise et de les réfuter au nom de la raison, de
l'Écriture et de la tradition, donnant ainsi, le pre-
mier, l'exemple de la méthode dialectique qui sera
celle de la théologie. Quelles que soient les réserves
à faire sur le défaut d'ordre de son traité, il reste
l'une des principales sources de renseignements sur
la plupart des chefs gnostiques, plus spécialement sur
les valentiniens de l'école italique et sur les essais de
liturgie gnostique de Marc.
G0 Tcrlullicn. — Après saint Irénée et à sa suite, car
il l'a pris pour modèle dans son De prxscriplionibus et
son Adversus valentinianos, Tertullien a fait valoir
d'une manière très originale contre les gnostiques
l'argument de prescription. Dans quelques traités
spéciaux, comme Adversus Hermogcncm, De anima,
De carne Christi, De resurrcclionc carnis, il a discuté
certains points de doctrine niés ou travestis par les
gnostiques, tels que les dogmes de la création, l'anthro-
pologie, l'incarnation et la résurrection de la chair;
dans le Scorpiacc, il a réfuté les idées erronées des basi-
lidiens et des valentiniens sur le martyre, un sujet qui
a été repris par Clément d'Alexandrie. Mais c'est
surtout Marcion qu'il a pris à partie dans ses cinq livres
Adversus Marcionem, où il suit pas à pas et discute
les Antithèses de ce chef gnostique, montrant que la
différence imaginée entre le Dieu bon et le Dieu créa-
teur est arbitraire et inexistante, et que le Dieu créa-
teur, tant dénigré par ce « Loup du Pont, » est le
vrai Dieu, le Dieu unique. Tertullien complète saint
Irénée et constitue à son tour une source abondante de
renseignements.
7° Les Philosophoumena. — Ni l'évoque de Lyon,
ni le prêtre de Carthage n'ont négligé les rapports du
gnosticisme avec la philosophie; ils les ont signalés.
Mais, à vrai dire, c'est l'auteur des Philosophoumena
qui les a fait ressortir. « Nous voulons montrer, dit-il,
Philosoph., I, prol., p. 5-6, d'où les hérétiques ont tiré
leurs doctrines; ce n'est pas sur le fondement des
Écritures qu'ils ont bâti ces systèmes, ni en s'attachant
à la tradition de quelque saint qu'ils sont arrivés à ces
opinions. Leurs théories dérivent au contraire de la
sagesse des Grecs, des dogmes philosophiques, des
mystères mensongers et des contes des astrologues
errants. Nous exposerons donc d'abord les théories des
philosophes grecs et nous montrerons qu'elles sont plus
anciennes et, relativement à la divinité, plus respec-
tables que les doctrines des hérétiques. Nous mettrons
ensuite en regard les uns des autres les systèmes divers
des philosophes pour faire voir comment l'hérétique
a pillé le pbilosophe, s'est approprié ses principes, en
a tiré des conséquences plus condamnables et a formé
ainsi sa doctrine. » Il n'est question là que des héré-
tiques en général, mais la suite de l'ouvrage, quelque
incomplet qu'il soit, est une mine très riche sur les
divers personnages et les diverses sectes du gnosticisme.
8° Autres écrivains. — Après saint Irénée, Tertullien
et l'auteur des Philosophoumena, il convient de citer
Clément d'Alexandrie, non qu'il ait traité spécialement
du gnosticisme, mais parce que, loin de redouter les
termes de gnose et de gnostique, il s'en est emparé en
leur donnant une signification chrétienne en en reven-
diquant la propriété exclusive pour les fidèles disciples
du Christ, et parce que, le cas échéant, chaque fois
que s'en offrait l'occasion, il a signalé et discuté, lui
aussi, certains points de doctrine ou de morale sur
lesquels les partisans de la fausse gnose étaient parti-
culièrement répréhensibles.
Beaucoup plus tard, au ive siècle, saint Épiphane de
Salamine, marchant sur les traces de saint Justin, de
saint Irénée et de saint Hippolyte, a utilisé leurs hérésio-
logies, qu'il ne fait souvent que transcrire, mais les a
enrichies, notamment en ce qui touche aux nombreuses
sectes gnostiques, de renseignements dont il faut tenu-
compte, qu'il a puisés à d'autres sources, et qui con-
stituent une mine historique précieuse.
IL Histoire. — 1° Observations préliminaires. —
Au moment où parut le christianisme, le monde
romain était en pleine fermentation intellectuelle,
religieuse et morale. Les esprits étaient curieux de
toute idée nouvelle, avides de tout savoir, prêts à
s'initier à tous les mystères, à essayer tous les cultes, à
pratiquer tous les rites. Les faux oracles, les prestiges,
les sortilèges, les incantations et opérations magiques
jouissaient d'une grande vogue et donnaient un puis-
sant crédit aux devins, aux astrologues, aux mages
aux imposteurs et aux charlatans qui exploitaient
habilement la crédulité publique. Malgré les prohibi-
tions de la législation romaine, les cultes étrangers
étaient à la mode et pénétraient peu à peu, entourés
du mystère de leurs initiations secrètes et de leurs fêtes
nocturnes. C'est ainsi que s'étaient introduits le pan-
théisme égyptien avec le culte d'Isis et d'Osiris, le
naturalisme syrien avec le culte d'Astarté et de la
Bonne Déesse, le dualisme persan avec le culte de
Mithra et le mysticisme phrygien avec les Galles.
Au milieu de cette fermentation religieuse, le chris-
tianisme ne devait pas manquer d'être exploité à son
tour. Mais comme il était la condamnation radicale de
l'idolâtrie et du sensualisme sous toutes leurs formes,
il ne pouvait pas être accepté tel quel par les agitateurs
de l'époque. Ceux-ci, n'en pouvant méconnaître l'im-
portance et la valeur, se gardèrent bien de le négliger,
sauf à l'accommoder aux goûts du temps par une
contrefaçon ou un escamotage qui le rendait mécon-
naissable, avec la prétention d'en être l'expression
scientifique et de détenir ainsi authentiquement la
vérité absolue, la vérité qui sauve. Entreprise assuré-
ment audacieuse, car l'Église ne pouvait pas permettre
et ne devait pas tolérer un tel travestissement et une
telle exploitation, mais entreprise appelée à quelque
succès dans certains milieux cultivés et corrompus de
l'époque. Elle se dessina peu à peu et, sous l'action
de quelques chefs sans scrupule, elle prit au ne siècle
une ampleur extraordinaire, qui constitua pour le
christianisme un très grave danger. Sans la vigilance
et l'activité des chefs de l'Église et des auteurs ecclé-
siastiques, elle aurait complètement faussé le mouve-
ment chrétien et paralysé pour longtemps l'œuvre du
Christ et des apôtres. Il importe donc d'en signaler la
nature et l'origine, d'en esquisser la marche et les
succès et de noter les causes de son échec définitif.
2° Premières manifestations gnostiques en Asie Mi-
neure. — C'est en Orient, dans l'Asie proconsulaire,
et dès les temps apostoliques, autour d'Éphèse et dans
la vallée du Méandre, dans ce milieu de culture intel-
lectuelle sans ordre et sans frein, de curiosité éveillée,
de sensualisme et de mysticisme maladif, que se pro-
duisirent les premières manifestations gnostiques.
1439
GNOSTICISME
1440
Parmi les nouveaux chrétiens, plusieurs conservèrent
des habitudes païennes; natures faibles, à convictions
peu profondes, quelques-uns apostasièrent, comme
Phygelle et Hermogène; âmes inquiètes, tourmentées,
impatientes de la vraie doctrine, très sensibles aux
tables et aux nouveautés; esprits mal tournés, orgueil-
leux et brouillons, tels que Philète, Hyménée et
Alexandre. On agitait sans discrétion les matières
religieuses; questions, hypothèses, systèmes, tout deve-
nait prétexte à discussions, et tout servait aux agita-
teurs de conscience, à de prétendus sauveurs de
l'humanité. Timothée, à Éphôse, Epaphras. à Colosses,
jetèrent le cri d'alarme. A l'influence persistante du
judaïsme s'ajoutait celle du dieu Lunus, du mysti-
cisme phrygien, de l'ascétisme des Galles; il était
question de certaines abstinences, de pratiques d'humi-
lité, de néoménies; on usait d'artifices de langage, on
visait à la sublimité, on faisait appel à la philosophie.
Et voici déjà quelques traits caractéristiques du gnos-
ticisme. En outre, on essayait de rabaisser la grande
idée qu'on devait avoir du Sauveur; on réduisait son
rôle dans l'Église et dans le monde; on prétendait que
le Fils est trop grand pour s'être fait le médiateur, et
que c'est par les anges que doit s'opérer le salut.
Aussi, entre autres choses, saint Paul, pour cou-
per court à ces difficultés naissantes, proclame-t-il
le Christ l'image du Père; il le place au-dessus des
anges et affirme qu'il renferme tous les trésors de la
sagesse et de la science; il le dit créateur de tout ce qui
existe, rédempteur des hommes par son sang, possédant
la plénitude de la divinité. Sous ces expressions de
î'Épître aux Colossiens, nul doute que l'apôtre ne vise
des prétentions à caractère gnostique, comme celles
de faire du Sauveur un éon, de placer la sagesse et la
science, non dans la foi, mais dans la gnose, de défi-
gurer l'incarnation et la rédemption, d'attribuer la
création à un démiurge et l'œuvre rédemptrice à un
Christ fantôme. A remarquer surtout cette formule
singulièrement révélatrice : Iv côtiô xa-roixei ~àv tô
-Àrjffoaa 0ëOTT]TO; atoaaTizw;. Col., II, 9.
L'hérésie gnostique, avec son plérome et son docé-
tisme, est saisie là dans ses premières manifestations.
Dans les Pastorales, le tableau n'est plus une esquisse ;
sans viser tel ou tel système, sans citer tel ou tel nom,
saint Paul trace un portrait ressemblant du gnostique.
Il écrit à Timothée : « Garde le dépôt, en évitant les
discours vains et profanes, et tout ce qu'oppose une
science qui n'en mérite pas le nom, àvriOéu-i; -ft; ^£u8to-
vju.o'j yvtoîjsto;; quelques-uns, pour en avoir fait pro-
fession, ont erré dans la foi. » I Tim., vi, 20 II met
ainsi son disciple en garde contre les vaines disputes
de mots, contre les entretiens profanes qui profitent à
l'impiété et gagnent comme le cancer. Sans doute il fait
allusion aux fables juives, aux préceptes humains, ce
qui rappelle le pharisaïsme judaïsant, mais aussi aux
anges et aux généalogies sans fin, ce qui fait penser à
la théorie gnostique des éons. Et comme l'erreur a un
caractère doeète nettement marqué, il insiste de nou-
veau sur la nature humaine du rédempteur, sur la
réalité sanglante de la rédemption. Il annonce enfin
l'action néfaste de ces « calomniateurs, enflés d'orgueil,
amis des voluptés plus que de Dieu, ayant les dehors de
la piété sans en avoir la réalité, qui toujours appren-
nent sans pouvoir jamais arriver à la connaissance de
la vérité, et qui, viciés d'esprit et pervertis dans la foi,
s'opposent à la vérité. » II Tim., ni, 3-9.
Semblahlement les Épitres catholiques nous mettent
en présence de doginatiseurs, de révélateurs ou d'adep-
tes de systèmes qui sont aussi opposés à la foi qu'à la
morale : même prétention impudente de posséder le
secret et la certitude du salut dans une science supé-
rieure; même opposition de la gnose à la foi; même
tendance à rabaisser la personne et l'œuvre du Christ.
Mais de plus ces faux docteurs nient la divinité du
Sauveur, II Pet., n, 1, l'incarnation, la réalité de la
nature humaine du Christ, regardant les œuvre;
comme complètement indifférentes devant Dieu et
abusant de l'Écriture pour justifier leurs erreurs.
Avec saint Jean nous touchons à la fin du Ier siècle
et, dans cette fermentation de systèmes de la province
d'Asie, à la double émancipation de la foi, dans la
personne de Cérinthe, et des mœurs, dans celle de
nicolaïtes. Cérinthe, voir t. n, col. 2151-2155, était
d'Antioche, contemporain de Saturnin; il connaissait
la gnose syrienne et aussi, pour avoir séjourné à
Alexandrie, la gnose égyptienne; il considérait la
matière comme une chute, dégradation de l'esprit ou
de l'idée, fille des ténèbres, et donc mauvaise. Avec
les nicolaïtes, on constate l'aboutissement logique et
pratique du gnosticisme, qui s'abîme dans la boue; ils
prétendaient, en effet, échapper aux misères humaines
et ne point contracter de souillure dans les œuvres de
la chair, l'âme étant bien au-dessus par la possession
de la gnose. Saint Jean combattit énergiquement ces
erreurs.
Et lorsque, au commencement du ue siècle, saint
Ignace d'Antioche passa à Smyrne, il profita de l'oc-
casion, dans les quelques lettres qu'il écrivit, pour dé-
noncer les dangers de la gnose judaïsante, du docétisme,
et pour insister avec force sur la réalité de l'incarnation
et de la rédemption, contre ceux qu'il qualifiait d'em-
poisonneurs publics et de patrons de mort, Ad Smyrn.,
v, 1; d'athées et d'apparence saine, Ad TralL, x, qui
« s'abstiennent de l'eucharistie et de la prière parce
qu'ils ne confessent pas que l'eucharistie est la chair
de notre Sauveur Jésus-Christ, qui a souffert pour nos
péchés et que le Père, dans sa bénignité, a ressuscitée. »
Ad Symrn., vu, 1, Funk, Opéra Pair, aposl., Tubingue,
1881, t. i, p. 208, 238, 240.
3° Le gnosticisme en Syrie. — Quand saint Jean et
saint Ignace réprouvaient la gnose judaïsante, et no-
tamment le docétisme, il y avait déjà longtemps
qu'Antioche, la capitale de la Syrie, était devenue un
foyer de gnosticisme; elle le devait à Ménandre, dis-
ciple de Simon le Magicien.
1. Simon le Magicien. — Avant de se faire baptiser à
Samarie, Simon de Gitton avait pratiqué la magie et
conquis ainsi un puissant ascendant sur les Samaritains
qui l'appelaient Aûvaiu; toj 0eo3 r\ xaXe>'j;juv7j Mîyâ/r,.
Act., vm, 10. Le miracle et les grands prodiges dont
il fut le témoin, lors de la visite du diacre Philippe
à Samarie, le frappèrent d'étonnement. Et lorsque, à
l'arrivée des apôtres, Pierre et Jean, il vit que le Saint-
Esprit était donné par l'imposition des mains, il
n'hésita pas à offrir de l'argent pour posséder un tel
pouvoir . On sait la réponse sévère que lui fit saint
Pierre. Mais sans rompre aussitôt, puisqu'il demanda
aux apôtres de prier pour lui, il ne tarda guère à se
séparer de l'Église. A Tyr, il trouva son Hélène,
femme de mauvaise vie, mais qu'il dit être la brebis
perdue dont il avait assuré le salut. Et il se mit à
répandre sa doctrine, sans qu'on sache rien d'histori-
quement certain sur les lieux qu'il visita et sur la ville
qu'il choisit pour y tenir école.
Autant qu'on en peut juger par l'analyse de son
œuvre, dans saint Irénée et les Philosophoumcna, ce
dut être un homme cultivé, connaissant et citant les
poètes grecs, Philosoph., VI. 11, 15, 19, p. 249, 256, 263;
connaissant aussi les philosophes, notamment Platon,
Philosoph., VI, 9, p. 246; et ayant emprunté à Philon
la méthode exégétique qui consista à substituer, dans
l'interprétation de l'Écriture, le sens allégorique au
sens historique. Avec cela pratiquant la magie pour
éblouir les simples et se faire une clientèle. Esprit
remuant et ambitieux, voulant jouer un rôle religieux
cl se flattant peut-être de supplanter l'Église. Avait-il
1441
GNOSTICISME
1442
conçu et fixé sa doctrine au moment de demander et
de recevoir le baptême ? Le fait qu'il était déjà alors
qualifié comme nous l'avons vu et que la Grande Vertu
de Dieu est le dernier mot et comme la raison d'être de
son système, pourrait autoriser à le croire.
Quoi qu'il en soit, ce n'est pas sans raison qu'il a
passé aux yeux des écrivains ecclésiastiques pour le
père des hérésies qui, pendant les premiers siècles,
menacèrent le christianisme; car toutes ont quelque
rapport avec son système, pour le fond ou pour la
forme. C'est, en effet, Simon qui, le premier, a tracé le
cadre et indiqué les sujets du gnosticisme, en traitant
les questions relatives à la théogonie, à la cosmologie,
à l'anthropologie, à la sotériologie et à l'eschatologie.
Et c'est toujours dans ce cadre et autour de ces ques-
tions que chaque nouveau chef a brodé dans la suite
de nombreuses variantes, au gré d'une imagination et
d'une métaphysique sans frein. Il importe donc d'en
avoir une idée succincte.
Sans entrer dans des détails qui trouveront mieux
leur place à l'article qui lui sera consacré, rappelons à
grands traits son système, d'après les données des
Philosophoumena. — a) Théogonie. — Simon place en
tête de toutes choses le feu, non le feu matériel que
nous connaissons, mais un premier principe dont la
nature est si subtile qu'on ne peut la comparer qu'au
feu. Tel est le principe universel, la puissance infinie,
selon ces mots de Moïse : « Dieu est un feu dévorant. »
Deut., iv, 24. Ce feu n'est pas simple, mais double,
ayant un côté évident et un autre secret, l'un visible,
l'autre invisible; ce qui n'est autre chose que la théorie
de l'intelligible et du sensible, d'après Platon, ou de la
puissance et de l'acte, d'après Arislote. Ce feu est la
parfaite intelligence, le grand trésor du visible et de
l'invisible, le grand arbre que Nabuchodonosor avait
vu en songe. D'un autre nom, Simon l'appelle Celui
qui est, a été et sera, quelque chose comme la stabilité
permanente, l'immutabilité personnifiée : 6 éatôi;, utot:,
aTr,aoaevoç. Ce Dieu qui est, a été et sera, ayant en
partage l'intelligence et la raison, passe de la puissance
à l'acte : il pense, il parle sa pensée, il raisonne. Et
c'est chaque fois deux par deux, par couples ou
syzygies, qu'il se manifeste. De là, dans le monde
supérieur de la divinité, six éons : vo3ç et Ircivoia, çcovrj
et ovoaa, XoYWjio'ç et Êv8ujA7]atç ; et dans chaque syzy-
gie, l'un est mâle et l'autre femelle. Ces six éons res-
semblent au premier principe, passent comme lui de
la puissance à l'acte et produisent à leur tour, par voie
d'émanation, de nouveaux couples d'éons mâles et
femelles dans le monde du milieu. Mais, ici, dans ce
monde du milieu, paraît un nouveau personnage, lui
aussi appelé Celui qui est, a été et sera, et de plus Père,
à la fois mâle et femelle, sans commencement ni fin,
et qui joue un rôle semblable à celui du Premier
Principe dans le monde supérieur; c'est le Silence, la
Erpi, nommé père par l'È-ivoiot, émanée de lui; c'est la
septième puissance mêlée aux six éons. Dans ce monde
intermédiaire, de formation semblable à celle du monde
supérieur, trois nouvelles syzygies paraissent, exacte-
ment correspondantes aux trois syzygies du monde
supérieur : ce sont oùpavoç et yrj, rjXioç et teX^vt), àrjo
et jS'op. Six éons et une septième puissance, parce que,
selon la Bible, Dieu a créé le monde en six jours et
s'est reposé le septième; et cette septième puissance
n'est autre que l'Esprit dont il est écrit qu'il était
porté sur les eaux.
On surprend là un exemple de l'exégèse capricieuse
dont abusèrent les gnostiques ; on y surprend aussi la thé-
orie de l'existence de trois mondes superposés, qui se dé-
veloppent avec une parfaite similitude, comme on vient
de le voir pour les deux premiers. Mêmes hypothèses et
mêmes procédés dans tous les systèmes gnostiques, dont
on connaît la théogonie ou éonologie et la cosmologie.
DICT. DE THÉOL. CATHOL.
b) Cosmologie. — C'est la partie la moins nettement
accusée du système de Simon. Saint Irénée nous ap
prend du moins, Conl. hœr., i, 23, P. G., t. vu, col. 671,
que la pensée, Ijstvota, abandonnant le père, se tourna
vers les créatures inférieures et fit exister les anges et
les puissances qui ont créé le monde inférieur que nous
habitons. Ces anges et ces puissances, produits par la
pensée divine descendue jusqu'à eux, voulurent Ja
retenir, parce qu'ils ignoraient l'existence du père et
qu'ils ne voulaient pas être nommés le produit d'un
autre être quelconque. Ce fut là le principe de leur
faute, la cause de leur chute; et ce fut aussi ce qui
nécessita la rédemption. Mais créèrent-ils réellement
le monde ? Il n'est nullement question de la création
de la matière, chose inconnue des philosophes, mais
de l'organisation de cette matière attribuée à un
démiurge, que Simon et tous les gnostiques appellent
Dieu.
c) Anthropologie. — Les Philosophoumena abondent
en détails sur la création de l'homme, mais assez dif-
ficiles à saisir. Dieu, dit Simon, forma, sjcÀacrê, l'homme
en prenant de la poussière de la terre; il le forma
double et non simple, selon l'image et la ressemblance.
Phitosoph., VI, 14, p. 253. Laissons de côté tout ce qui
a trait à la propagation de l'espèce, à la formation et
au développement du fœtus, pour ne retenir que ce fait,
c'est que l'homme, étant l'œuvre des anges et puissances
prévaricateurs, était vicié dans son origine même,
participant ainsi à leur faute et soumis à leur pouvoir
tyrannique, et par suite avait besoin d'un sauveur.
d) Sotériologie. — ■ Les anges qui retenaient ènîvoia
prisonnière la maltraitaient pour l'empêcher de
retourner vers le père. Ils lui firent souffrir tous les
outrages jusqu'à ce qu'ils eussent réussi à l'enfermer
dans un corps humain. Depuis lors cette è^îvoia n'a pas
cessé, à travers les siècles, de passer de femme en
femme. Ce fut à cause d'elle qu'éclata la guérie de
Troie, car elle se trouvait alors dans le corps d'Hélène.
Le poète Stésichore, pour l'avoir maudite dans ses vers,
devint aveugle; mais s'étant repenti et ayant chanté
la palinodie, il recouvra la vue. Enfin de femme en
femme, â-îvoia, au temps de Simon, se trouvait dans
le corps d'une prostituée de Tyr. Philosoph., VI, 19,
p. 263. Il s'agissait de la délivrer. Le père envoya alors
un sauveur pour délivrer i-ivoiaet pour soustraire en
même temps les hommes à la tyrannie des anges. Ce
sauveur descendit du monde supérieur et changea de
forme pour passer au milieu des anges et des puissances
sans en être reconnu : c'était Simon lui-même qui, en
Judée, se montra aux juifs comme fils, en Samarie,
aux Samaritains, comme père, et ailleurs, aux gentils,
comme Saint-Esprit. Son arrivée dans le monde infé-
rieur avait été prédite par les prophètes, qui avaient
été inspirés par les anges créateurs. Et il s'était mis à
la recherche de la brebis perdue, èrtvoia; il la trouva à
Tyr, dans une maison de prostitution, et l'avait déli-
vrée dans la personne d'Hélène dont il avait fait sa
compagne. Pour sauver les hommes, il était apparu
comme l'un d'eux, tout en n'étant pas l'un d'eux, et il
avait paru souffrir, bien qu'il n'eût pas réellement
souffert. Croire en Simon et Hélène, c'était conquérir
la liberté et être assuré du salut. S. Irénée, Conl. hier.,
i, 23, 3, P. G., t. vu, col. 672; Philosoph., VI, 29,
p. 263-264.
c) Morale. — La seule condition de salut étant la
croyance en Simon et Hélène, la question des œuvres
bonnes ou mauvaises ne se posait pas ou se résolvait
dans la libre action. Simon étant venu délivrer les
hommes de la tyrannie des anges, et la loi étant
l'œuvre de ces anges, la conclusion pratique s'imposait :
il n'y avait qu'à mépriser la loi. Aussi, au rapport des
Philosophoumena, VI, 19, p. 264, la morale de Simon,
fondée sur l'indifférence des œuvres, était-elle crimi.
VI. — 46
1443
GNOSTICISME
1444
nellc; la promiscuité était admise; elle constituait la
parfaite dilection, la sanctification réciproque, tcXsia
àyâjîr), ryiov ocyiwv.
Tel est le cadre et telle est la méthode du gnosticisme.
Les gnostiques qui suivront n'auront qu'à utiliser
cette méthode et à remplir ce cadre; ils ont désormais
à leur portée tout ce qu'il faut pour séduire et tromper,
et ils vont agir en conséquence.
2. Ménandre. — Les disciples de Simon usèrent,
comme lui, de la magie, recoururent à l'usage des
philtres, interprétèrent les songes, eurent des statuettes
de Simon et d'Hélène, qu'ils adoraient. Saint Irénée
dit : Ilonim mystici sacerdotes lidibinose quidam vivunt,
magias autem perfi.ciu.nt, quemadmodum polest unus-
quisque corum. Exorcismis et incanlalionibus ulunlur.
Amatoria quoque et agogima, et qui dicuntur paredri cl
oniropompi, et qu.secu.mque sunl alia perierga apud cos
studiose exerceniw. Imaginem quoque Simonis hdbent
factam ad figuram Jouis, et Helense in figuram Minervse,
et has adorant. Conl. hser., i, 23, 4, P. G., t. vu, col. 672,
673.
L'un des ses disciples fut Ménandre, également de
Samarie. L'auteur des Philosophoumena se borne à
dire qu'il avait enseigné la création du monde par les
anges, l'hilosoph., VII, 28, p. 367; et voici ce que nous
apprend saint Irénée, Conl. hser., i, 23, 5, P. G., t. vu,
col. 673. « Ménandre, dit l'évêque de Lyon, parvint au
sommet de la science magique. Il disait que la Première
Vertu était inconnue de tous et qu'il était lui-même le
Sauveur envoyé par les puissances invisibles afin de
sauver les hommes. Selon son système, le monde avait
été créé par les anges qui, comme Simon l'avait dit
avant lui, n'étaient, aflirme-t-il, qu'une émanation de
evvoioc. Cette svvoict communiquait la science de la
magie qu'il enseignait lui-même et qui apprenait à
vaincre les anges créateurs du monde. Ses disciples
ressuscitaient en recevant son baptême, disait-il; ils
ne vieillissaient pas et demeuraient immortels. » Ibid.
Eusèbe spécifie ce qu'il faut entendre par cette magie.
« Personne, dit-il, ne pouvait, selon Ménandre, arriver
à être supérieur aux anges créateurs du monde, s'il
n'acquérait l'expérience de la magie que lui, Ménandre,
enseignait, et s'il ne participait à son baptême. Ceux
qui en étaient devenus dignes y trouvaient l'immorta-
lité, ils ne mouraient pas, restaient sans vieillesse
dans une vie immortelle. » //. E., m, 26, P. G., t. xx,
col. 272.
A la différence de Simon qui exigeait pour le salut
la croyance en sa propre divinité et en celle d'Hélène,
Ménandre exigeait la réception de son baptême et la
connaissance de la magie. Parla, il se substituait à son
maître. Et tandis que Simon n'avait fait que recourir
à la magie comme à un moyen d'en imposer aux
simples, il l'avait élevée au rang d'un moyen néces-
saire au salut.
3. Saturnin ou Satornilus. — Ménandre compta
parmi ses disciples Saturnin et Basilide. Saturnin
enseigna à Antioche et fut le chef du gnosticisme
syrien. Philosoph., VII, 28, p. 367. Sa doctrine n'était
autre que celle de Ménandre et de Simon. Sans en
changer l'économie générale, il y ajouta quelques dif-
férences caractéristiques. La voici résumée dans les
Philosophoumena, VII, 28, p. 367-369 : « Saturnin
enseigne qu'il y a un père inconnu de tous et qui a créé
les anges, les archanges, les vertus et les puissances.
Le inonde et tout ce qu'il renferme a été créé par les
anges. L'homme est une création des anges qui, après
avoir vu paraître l'image brillante qui était descendue
de la suprême puissance, ne purent la retenir parce
qu'elle remonta aussitôt vers celui qui l'avait envoyée.
Alors ils se dirent en s'exhortant les uns les autres :
Faisons l'homme à l'image et à la ressemblance. Cet
homme fut créé, mais il ne pouvait se tenir droit à
cause de la faiblesse des anges : il rampait à terre
comme un ver. La puissance d'en haut en eut pitié,
parce qu'il avait été créé à son image; elle envoya une
étincelle de vie qui releva l'homme et lui donna la vie.
Après la mort, celte étincelle retourne vers ce qui est
de la même espèce, et le reste se dissout, chaque partie
d'après la nature des éléments dont elle est formée.
11 démontre que le Sauveur n'était pas né, qu'il était
incorporel, sans forme ni figure, qu'il n'était apparu
comme homme qu'en apparence, et que le Dieu des
juifs était l'un des anges. Puis il ajoute que le père
ayant la volonté de détruire tous les princes, le Christ
vint parmi nous pour la destruction du Dieu des juifs
et le salut de ceux qui croient en lui : ce sont ceux qui
ont en eux-mêmes l'étincelle de vie. Saturnin dit qu'il
y a deux genres d'hommes formés par les anges : l'un
bon et l'autre mauvais. Et parce que les démons
venaient en aide aux mauvais, le Sauveur est venu
pour la destruction des mauvais et des démons, et pour
le salut des bons. Ils appellent le mariage et la pro-
création des œuvres de Satan. Un grand nombre de
ses disciples s'abstiennent de manger de la chair, et,
par cette feinte continence, en séduisent plusieurs.
Quant aux prophéties, les unes, disent-ils, ont été
faites par les anges créateurs du monde, les autres par
Satan, que Saturnin nomme un ange et dont il fait
l'adversaire des créateurs du monde et surtout du Dieu
des juifs. »
On voit les différences introduites dans le système
gnostique de ses prédécesseurs par Saturnin. Pour
expliquer la faute première qui sert d'origine ou de
cause au mal physique et moral, Simon avait ima-
giné l'emprisonnement de ri^ivcua par les anges dans
le corps humain; Saturnin se contente de dire que les
anges ont bien voulu retenir l'étincelle de vie envoyée
par le père, mais que, ne l'ayant pas pu, ils se
sont résolus à faire l'homme à son image et à sa
ressemblance. Dans l'anthropologie, Saturnin introduit
un élément nouveau, l'envoi par le Père de l'étincelle
de vie pour redresser l'homme, cette œuvre informe
des anges créateurs. Dans la sotériologie, c'est le même
docétisme; le salut est limité, quant aux hommes, à
ceux qui possèdent l'étincelle de vie, apparemment
aux seuls disciples de Saturnin. Le Christ venant
combattre le Dieu des juifs, c'est l'antinomisme qui
paraît et qui ira en s'accentuant chez un certain nombre
de représentants de la gnose et dans plusieurs sectes
gnostiques. Mais il vient combattre aussi les démons
et Satan, personnages dont il n'a pas encore été ques-
tion, et qui, ne pouvant être la manifestation du
premier principe parce que ce premier principe est bon,
représentent nécessairement le principe mauvais. Et
l'on trouve là l'influence du dualisme qui aboutira au
système de Marcion. Il est encore question, au moins
parmi les disciples de Saturnin, de la condamnation
du mariage et de la procréation comme œuvres de
Satan, et d'un certain ascétisme qui sera systématisé
dans l'encratisme. L'eschatologie enfin, sans être com-
plètement traitée, se dessine déjà : c'est, pour l'homme
sauvé, le retour de l'étincelle de vie dans le monde
supérieur, et la dissolution tout au moins de son corps.
4° Le gnosticisme à Alexandrie. — 1. Basilide. — Ce
fut Basilide, voir Basilide, t. il, col. 465-475, le condis-
ciple de Saturnin et le disciple de Ménandre qui d' An-
tioche alla à Alexandrie enseigner la gnose et fut le
premier gnostique égyptien connu. S. Irénée, Conl. hser.,
i, 24, P. G., t. vu, col. 674. Sans abandonner les pra-
tiques magiques de ses prédécesseurs, Cont. hœr., i. 24,
5, col. 678; voir Abraxas, t. i, col. 121-124, et sans se
séparer complètement de leur enseignement, il voulut
faire œuvre nouvelle et imagina le système le plus
compliqué, le plus abstrait, le plus métaphysique et
le moins facile à comprendre. Il admit, lui aussi, trois
1445
GNOSTICISME
1446
mondes superposés, le monde hypercosmique, le monde
intermédiaire ou supralunaire et le monde ordinaire ou
sublunaire. Dans le premier il plaçait le Dieu-néant;
le Néant qui existe, le Dieu-devenir, qui renferme tous
les germes, 7:à<jav ir,v îiavcr;i6p(uav, Philosoph., VII, 22,
p. 349, qui évolue ou passe de la puissance à l'acte,
grâce à une triple uîott)ç, dont le rôle est singulière-
ment expliqué. Dans le second, qu'il nomme le monde
de l' Esprit-limite, revsîîfja, ucOopiov, Philosoph., VII, 23,
p. 353, il plaçait 365 cieux, dont le premier, le plus
rapproché du monde supérieur, est appelé Vogdoade,
et dont le dernier, le plus rapproché du monde sub-
lunaire, est appelé l' hebdomade, chacun avec un chef
nommé Archon, et tous peuplés d'éons, qui procèdent
du Dieu-néant, par une voie qui ne peut être que celle
de l'émanation, bien que Basilide n'emploie pas ce
terme et semble répudier un pareil mode d'origine.
Le grand Archon de l'ogdoade, ignorant l'existence des
trois uîot7)ç et du Dieu-néant, se croit le premier de
tous les êtres et commet ainsi une faute d'ignorance et
d'orgueil qui aura besoin d'être rachetée. Il se donne
un fils qui est plus grand que lui. L' Archon de l'heb-
domade passe exactement par les mêmes errements
que le grand Archon; d'où l'on peut conclure que les
choses se passèrent de manière semblable dans chacun
des 363 autres cieux. A noter que l' Archon de l'hebdo-
made, qui n'est autre que Jéhovah, le Dieu des juifs,
est le créateur du monde sublunaire, et notamment de
l'homme, composé d'un corps, qui est destiné à périr,
d'une âme qui est descendue du monde intermédiaire,
de l'un des 365 cieux. Cette âme connaît Dieu naturel-
lement; elle est élue à raison même de sa nature,
Clément d'Alexandrie, Slrom., V, 1, P. G., t. ix, col. 12-
13; son élection s'est faite en dehors de ce monde
terrestre. Slrom., IV, 26, P. G., t. vin, col. 1376. Et
du fait qu'elle est élue, elle possède naturellement la
foi, véritable substance qui lui est inhérente et qui lui
permet de connaître la vérité sans démonstration
préalable et de posséder toute la gnose par simple
intuition. Slrom., II, 4, P. G., t. vin, col. 941. Nulle-
ment libre, elle est portée au péché et succombe fata-
lement quand l'occasion se présente; elle n'a donc
pas le droit de se glorifier de n'avoir pas péché. Etran-
gère à ce monde, elle n'y est descendue que pour être
honorablement punie par le martyre, en vue d'expier
des fautes commises dans une autre vie. Slrom., IV,
12, P. G., t. vm, col. 1292.
Dans le système de Basilide, le rachat se fait dans
le monde intermédiaire par un sauveur nommé Évan-
gile, qui appartient au monde supérieur et se confond
avec la première uiôrr,;. Descendu dans l'ogdoade, il
porte le salut et la science, c'est-à-dire la connaissance
du Dieu-néant et de la triple uîott);, qu'il manifeste au
fils du grand Archon; et par le fils il illumine le père,
qui reconnaît alors son ignorance, cause de son erreur,
la confesse et est par là même racheté. Pareillement
tous les éons de l'ogdoade sont alors illuminés et ra-
chetés. Ce procédé de rédemption dut être appliqué à
chacun des 365 cieux et de la même manière, puisque
nous le voyons appliqué ainsi au ciel de l'hebdomade.
Cela fait, tout rentre dans l'ordre au milieu du monde
intermédiaire. Reste à racheter le nombre sublunaire,
où se trouvait égarée la troisième uiott,;. Ici, nouveau
personnage; car la lumière qui avait lui sur le fils de
l'Archon de l'hebdomade descendit en Jésus, le fils de
Marie, l'illumina et le remplit de ses feux. Et alors la
troisième wJxr^ devint tellement subtile qu'elle put
prendre son essor, s'élever à travers et au-dessus de tous
les cieux de l' Esprit-limite jusqu'au Dieu-néant. Dès
lors plus de larmes ni de soulfrances dans le inonde
sublunaire; tous les hommes de la troisième uio'ir);
s'élèveront à la suite, et leur âme réintégrera le lieu de
son origine. Philosoph., VII, 27, p. 363. La rédemption
terrestre achevée, soit par un semblant d'expiation,
ainsi que le rapporte saint Irénée, Conl. hser., i, 24, 4,
P. G., t. vu, col. 677, ce qui paraît plus conforme au
docétisme gnostique, soit par une expiation réelle
selon ce qui est écrit dans les Évangiles, comme
lindique l'auteur des Philosophoumcna, VII, 27, p. 365,
une ignorance complète et universelle doit s'emparer
de tous les mondes et de tous leurs habitants. « Quand
tout cela sera définitivement accompli, quand tous les
germes confondus auront été dégagés et rendus à leur
place primitive, Dieu répandra une ignorance absolue
sur le monde entier, afin que tous les êtres qui les
composent restent dans les limites de leur nature et
ne désirent rien d'étranger ou de meilleur; car, dans
le; mondes inférieurs, il n'y aura ni mention, ni con-
naissance de ce qui se trouve dans les mondes supé-
rieurs, afin que les âmes ne puissent désirer ce qu'elles
ne peuvent posséder et que ce désir ne devienne pas
pour elles une source de tourments; car il serait la
cause de leur perte. » Philosoph., VII, 27, p. 363.
Tel est le système du premier gnostique égyptien.
L'influence du gnosticisme syrien s'y fait sentir; mais
ce n'est pas la seule. Basilide a tenu compte tout parti-
culièrement du dogme de la rédemption enseigné par
le christianisme, sauf à le modifier ou à le transformer
à sa guise. Mais il a introduit dans la gnose des éléments
nouveaux, tels que la nature de son Dieu-néant, la
manière de multiplier les cieux dans le inonde intermé-
diaire, la propriété des fils des Archons d'être plus
grands que leurs pères, l'ignorance qui doit envelopper
chaque monde à la fin des temps; et sur ces divers
points il est tributaire, soit de la cabbale, soit des
doctrines de l'ancienne Egypte, comme l'a démontré
Amélineau, Essai sur le gnosticisme égyptien, Paris,
1887, p. 139-152.
2. Isidore. ■ — ■ Fils et disciple de Basilide, Isidore
continua l'enseignement de son père. Philosophoumena,
VII, 20, p. 344. Nous ne savons pas s'il le maintint
dans son intégrité ou s'il lui fit subir quelque; trans-
formations. C'est aux disciples de Basilide que Clément
d'Alexandrie attribue la théorie des appendices de
l'âme, d'après laquelle les désirs de l'âme sont rendus
semblables aux désirs des animaux, loup, singe, lion,
bouc, dont elles possèdent les propriétés. Strom., IL
20, P. G., t. vm, col. 1056. Théorie fort commode pour
la libéra lion des instincts sans avoir de reproche à se
faire. Isidore en a combattu les conséquences immo-
rales, quand il a dit : « Si vous persuadez à quelqu'un
que l'âme n'est pas d'une seule pièce, mais que les
affections mauvaises viennent des appendices ajoutés
à celte âme, vous donnez aux criminels un excellent
prétexte pour dire : j'ai été forcé, j'ai été entraîné.
je l'ai fait malgré moi. j'ai fait l'action sans le vouloir.
Et cependant, c'est l'homme qui est le maître de sa
passion qui l'a vaincu parce qu'il n'a pas lutté contre
les appendices. » Cité par Clément d'Alexandrie,
Slrom., II, 20, P. G., t. vm, col. 1057. Il est certain
toutefois que, sciemment ou non, Basilide avait posé
les principes d'où devait découler logiquement la
libre action ou l'immoralité. Et il est certain égale-
ment qu'Isidore, dans la question du mariage qu'il
permet aux uns et qu'il déconseille aux autres, écrit
cette phrase équivoque et dangereuse : SëXTjffOCTcj
[xo'vov à-apTîjaai to xaXov /.al é-fCêûEiTai. Slrom., III,
i, P. G., t. vm. col. 1101. S'il sulfit, en effet, de
vouloir le bien pour le posséder, on pourra le vouloir
même en faisant le mal. Et telle est bien la consé-
quence pratique qu'en tiraient les basilidiens, puisque
Clément d'Alexandrie rapporte le passage d'Isidore où
elle se trouve, pour accuser leur inconduite. Ils pré-
tendaient, en effet, avoir toute licence pour pécher
puisqu'ils étaient parfaits, et être assurés de leur
salut, quelque faute qu'ils commissent, puisqu'ils
1447
GNOSTICISME
1448
étaient élus. Ibid., col. 1104. Cela prouve que déjà
le système du Basilide et d'Isidore se traduisait prati-
quement en immoralité. 11 ne restera plus qu'à jus-
tifier dogmatiquement l'immoralité : ce fut l'œuvre de
Carpocrate.
3. Carpocrate. — Originaire d'Alexandrie et gnos-
tique égyptien, Carpocrate, voir Cmipocrate, t. n,
col. 1880-1803, s'est beaucoup moins occupé de la
partie métaphysique du gnosticisme que de son appli-
cation pratique. 11 reste apparenté avec la gnose
syrienne, car c'est à Saturnin qu'il a emprunté celte
haine du Dieu des juifs et de sa loi, qui est l'une des
caractéristiques de son système. 11 doit à Basilide les
principes dont il tire rigoureusement les conséquences
logiques sans reculer devant l'abîme d'immoralité où
elles conduisent. 11 s'empare, sauf à la dénaturer étran-
gement, de l'hypothèse pythagoricienne de la métemp-
sycose pour pousser jusqu'à épuisement la série des
actes immoraux que toute âme doit commettre avant
d'être sauvée. Et il devient avec son fils Épiphane,
mort à dix-sept ans et adoré comme un dieu dans l'île
de Céphalénie, Clément d'Alexandrie, Slrom., III, 2,
P. G., t. vin, col. 1105, un professeur systématique
d'impudicité.
L'idée de rédemption n'est pas étrangère à son sys-
tème, et on va voir comment il l'entend. Le Sauveur
envoyé par le Père inconnu, qui ne pouvait supporter
l'intolérante domination des anges, et notamment
celle de Jéhovah, eut pour mission la défaite de ces
tyrans : ce fut Jésus, vrai fils de Joseph et de Marie,
né d'un père et d'une mère à la manière des autres
hommes, simple mortel, qui, se rappelant ce qu'il
avait vu dans une vie antérieure, s'éleva au-dessus
des autres hommes grâce à la fermeté de son âme, et
se prit d'un profond mépris pour la loi et les coutumes
des juifs. Et ce mépris fut le salut du monde. Quicon-
que le professe à l'égard des fabricateurs du monde
peut égaler et même surpasser Jésus et ses apôtres,
Pierre et Paul. Philosoph., VII, 32, p. 386.
Le mépris des anges et de Jéhovah, auteurs de la loi
qui règle l'ordre social et moral, entraîne le mépris
nécessaire de cette loi. La violer est dès lors un devoir
et un moyen de salut. Car la justice, d'après Épiphane,
n'est qu'une scoivwviot [j.e-' îarJTrj-oç, un droit égal pour
chacun de participer à tous les biens, particulièrement
au nécessaire exercice des rapports sexuels. Clément
d'Alexandrie, Strom., III, 2, P. G., t. vin, col. 1105-
1108. La communauté des femmes s'impose. Ibid.,
col. 1112. Et c'est dans un sens d'une obscénité révol-
tante que Carprocate interprète ce mot de saint Luc,
vi, 30 : -oevù Gcî-O'jvtt as SiSoj. Slrom., III, 6, P. G.,
t vm, col. 1157. De là, dans les réunions nocturnes,
des scènes de promiscuité et de débauche qualifiées du
mot chrétien d'àyâ-r;. Slrom., III, 2, P. G., t. VIII,
col. 1112. Et si par malheur une âme n'avait pas
épuisé toute la série des turpitudes, elle était condamnée,
après la mort, à habiter un autre corps pour satisfaire,
par la révolte complète contre la loi, à la nécessité de
son salut. Et c'est ainsi que Carpocrate entendait ce
mot de l'Évangile : A'on exies inde donec reddas novis-
simum quadrantem.]M.atth.,\,2&.S. Irénée, Cont. hœr.,
i, 25, 4, P. G., t. vu, col. 682-683. Voilà où en était
arrivé le gnosticisme égyptien à peine naissant. Et
il n'est pas étonnant que, dans ce courant d'antino-
misme outré, les sectes gnostiques se soient multipliées
pour honorer tous les révoltés de l'Ancien Testament.
I. Valentin. — Bien au-dessus de Carpocrate, d'Isi-
dore et de Basilide, se trouve l'un des chefs célèbres et
les plus influents du gnosticisme, Valentin. Avec lui
on touche à l'apogée de la gnose. Né dans la Basse-
Egypte, Valentin suivit les cours des écoles d'Alexan-
drie, où il apprit la philosophie platonicienne et
s'initia à toutes les doctrines de l'ancienne Egypte.
S'il ne fut pas le disciple de Basilide, il put entendre
ses leçons; il connaissait en tout cas son système ainsi
que celui de ses prédécesseurs, et resta fidèle au cadre
et à la méthode des gnostiques, en parant le tout
d'images et de conceptions nouvelles, qui donnent à
son enseignement un caractère à part. Sa réputation
et son influence furent grandes. Après avoir enseigné
à Alexandrie, il se transporta à Rome du temps du
pape Ilygin, y séjourna longtemps et y forma de
nombreux disciples, avant d'aller mourir en Chypre
où, au dire de saint Épiphane, il aurait fait le dernier
naufrage dans la foi. Ses disciples se partagèrent en
deux écoles, l'école orientale et l'école italique, diffé-
rentes d'opinion sur la nature du corps du Sauveur. Sa
doctrine personnelle ne se trouve exposée nulle part,
bien que l'auteur des Philosophoumcna entende parler
de son système qu'il dit emprunté, non aux Évangiles,
mais à Pythagore et à Platon, et qu'il qualifie d'hérésie.
Philosoph., VI, 29, p. 279. On ne peut que la recon-
stituer en étudiant celle de ses disciples, soit dans
l'école orientale au moyen des Extraits de Théodote,
des renseignements du pseudo-Tertullien, de Philas-
trius et des Philosophoumcna, soit dans l'école italique
au moyen du Contra hœrcses de saint Irénée. Et l'on y
retrouve, malgré la différence des détails, une économie
semblable à celle de ses devanciers dans la théogonie,
la cosmologie, l'anthropologie, la sotériologie et l'escha-
tologie.
a) École orientale de Valentin. — a. Théogonie. — Dans
le monde supérieur du plérome se trouve le Dieu
principe, le Un, le Père, seul d'après les uns, avec Eifij
pour compagne d'après les autres, doué de vertu pro-
lifique ou susceptible de développement. Ne voulant
pas rester seul, il engendre une dyade, le couple vouç
et àlr'fiv.y., d'où sort un second couple, Àoyoc et Çtorj,
qui lui-même produit avOpw-oç et i/.y.\rtai<x. En action
de grâces envers le Père incréé, l'Esprit et la Vérité
produisent dix nouveaux éons, la décade. A cette vue,
le couple Verbe et Vie voulant honorer la dyade d'où
il émane, produit douze éons, la dodécade. Pourquoi
dix éons d'abord et douze ensuite '? Ce choix est dû à
une influence pythagoricienne. Voilà donc 28 éons ou
30 si l'on y comprend le Père et le Silence, qui consti-
tuent le plérome, le monde supérieur. Au dernier degré
de la dodécade se trouve l'éon femelle aoiia à l'esprit
curieux et au désir ardent. A la vue des merveilles du
plérome, de la série des émanations et de la puissance
des éons, elle voudrait connaître les mystères qui lui
restent cachés et devenir à son tour principe d'émana-
tion. Constatant que le Père seul a procréé sans épouse,
elle désire imiter le Père et engendrer seule. Mais
n'étant pas incréée comme le Père, elle ne réussit qu'à
produire un être informe, kV.tpwpi*, qui est le fruit de
son péché d'ignorance et d'orgueil. Un tel être n'est pas
de nature à réjouir les éons du plérome; ceux-ci
craignent de devenir générateurs d'êtres difformes et
imparfaits et supplient le Père de secourir l'audacieuse
et infortunée aoiia, qui se lamente d'avoir produit un
avorton. Philosoph., VI, 29-31, p. 279-285.
Le Père exauce leur prière; il a pitié de croiia et
confie à vouç et à akr'fîivx le soin de tout arranger.
L'Esprit et la Vérité produisentalors un nouveau couple
d'éons, le Christ et l'Esprit-Saint, Xptordç et IIvîùux
ayiov, qui sont chargés de parfaire la forme incomplète
d'k'*Tp(D[j.a et de consoler aoçia. Le Christ et l'Esprit-
Saint commencent par séparer kV.tpwpia, afin que les
autres éons ne soient plus troublés par la vue de sa
difformité. Et pour rendre définitive cette séparation
nécessaire, le Père produit un nouvel éon, nommé
Limite, ô'poç, parce qu'il doit limiter le plérome; Croix.
crraupû'ç, parce qu'il ne laisse approcher du plérome
rien d'imparfait; et Participation, <j.£to/£jç, parce qu'il
participe à la fois du plérome et de la partie extérieure.
1449
GNOSTICISME
1450
"ExTptouLa,flls de uo^ta et nommé aussi aocpin extérieure,
se trouve désormais dans l'ogdoade. Le Christ et
l'Esprit-Saint rentrent dans le plérome, rejoignent vouç
et àÀY)'8=ta pour glorifier le Père. Philosoph., VI, 31,
p. 286-287.
Ainsi délivrés d'une présence importune et pacifiés
à jamais, les éons du plérome veulent témoigner leur
reconnaissance au Père incréé; et à eux tous, en donnant
chacun le plus pur de leur essence, comme fruit de
l'unité, de la paix et de la concorde rétablies, ils pro-
duisent l'éon Jésus, le grand pontife, 'Itjctou;.
Cette théogonie ou éonologie de l'école orientale de
Valentin est appuyée de la manière la plus extraor-
dinaire qu'il soit possible d'imaginer sur la Genèse et
les Évangiles. On y retrouve les éléments déjà connus
de Simon et de Basilide : un premier principe d'éma-
nation, les syzygies, l'éon limite, la chute due à l'igno-
rance et à l'orgueil, l'ogdoade; seuls, diffèrent le nom
et la distribution des éons, les péripéties de ao^ta et
d'k'xiptoaa.
b. Cosmologie. — ■ La sagesse extérieure, ïx.zpu>[j.a,,
abandonnée par le Christ et l'Esprit-Saint, se met à
leur recherche, remplie de frayeur, et aspire vers eux;
elle se met à les prier. Philosoph., VI, 32, p. 288. La
Pislis Sophia donne douze de ces prières qui ne sont
que la paraphrase de certains psaumes appliquée aux
malheurs d'IxTpcofjLa. Les éons du plérome lui envoient
l'éon Jésus qui doit apaiser ses douleurs et la prendre
pour épouse. L'éon Jésus trouve la sagesse extérieure
en proie à la crainte, au chagrin, à l'anxiété; il lui
enlève ces passions qu'il convertit en essences perma-
nentes : de la crainte, il fait l'essence psychique; du
chagrin, l'essence hylique; de l'anxiété, l'essence des
démons. Et chaque essence devient démiurge. Il y a
ainsi le démiurge de l'essence psychique, qui a l'esprit
faible et grossier, ne comprend rien à ce qu'il fait, car
c'est la sagesse qui agit à sa place; et il se croit Dieu.
Et cette sagesse, de l'ogdoade où elle se trouve, agit
partout dans le monde intermédiaire jusqu'à l'hebdo-
made. Le diable est le démiurge de l'essence hylique,
et Béelzébub celui de l'essence démoniaque. Philo-
soph., VI, 32-33, p. 289-291. Il est à remarquer que le
démiurge de l'essence psychique se trouve dans l'heb-
domade; et c'est très vraisemblablement le Dieu des
juifs. Dans ce monde intermédiaire il n'est question
que de l'ogdoade et de l'hebdomade, dont a parlé Basi-
lide. L'école valentinienne admettait-elle les 365 cieux ?
c. Anthropologie. ■ — C'est la partie sacrifiée du sys-
tème. L'homme étant un composé d'âme et de corps,
il s'ensuit que son âme vient du démiurge de l'es-
sence psychique, et son corps du démon, le démiurge
de l'essence hylique. Ce dualisme d'origine est une con-
ception bizarre. Mais Valentin partageait les hommes
en trois catégories : l'homme hylique l'homme psy-
chique, et l'homme pneumatique. L'hylique est ma-
tériel et sert d'hôtellerie au diable, à tous les ap-
pétits grossiers : c'est le païen dont le sort est fatale-
ment voué à la destruction. Le psychique, bien que
possédant une âme supérieure, est ignorant comme le
démiurge dont il est la création : c'est le chrétien, qui
peut descendre vers l'hylique ou s'élever jusqu'au
pneumatique, se perd dans le premier cas, se sauve
dans le second. Il ne possède que la foi, il n'a pas la
gnose, et c'est celle-ci qui est le moyen du salut. Le
pneumatique est l'homme parfait par excellence; il
reçoit du Verbe, de Jésus et de la sagesse des semences
d'immortalité, c'est-à-dire la gnose; il est élu dès le
principe; il est assuré de son salut. Philosoph., VI, 34,
p. 291-249.
d. Solériologie. — Le système valentinien comporte
une triple rédemption : celle du plérome, du monde
intermédiaire et du monde terrestre. Dans le plérome,
nous l'avons déjà indiqué, le trouble avait été intro-
duit par aosîa; ses désirs indiscrets, fruits de l'igno-
rance et de l'orgueil, avaient abouti à la production
d'un avorton. Et ce fut le couple Christ et Saint-Esprit
qui réparèrent sa faute et rétablirent la concorde et
la paix. Dans le monde intermédiaire, soit dans l'og-
doade où a été relégué Vh-o">[j.a, soit dans l'hebdo-
made où se trouve le démiurge, la rédemption s'opère
par le fruit commun du plérome l'éon Jésus, qui épouse
Iy.-pro;xa, la sagesse extérieure, et lui communique la
gnose supérieure. Et eV.Tptoua, à son tour, communique
cette science supérieure au démiurge ignorant de l'heb-
domade. Reste notre monde. Le Sauveur est ici un
autre Jésus, bien différent de celui qui rachète le monde
intermédaire. Le Jésus qui rachète notre monde ne doit
rien au plérome; il est uniquement redevable de sa for-
mation d'abord à ey.Tp<ojji«, l'épouse du premier Jésus,
qui lui communique quelque chose de l'ogdoade, et en-
suite au démiurge, qui lui communique quelque chose
de l'hebdomade, et enfin à la Vierge Marie, qui lui com-
munique quelque chose de la création terrestre. Ce
Jésus, sauveur de notre monde, qu'est-il en réalité ?
Sur la nature de son corps, on ne s'entendait pas parmi
les disciples de Valentin. Pour ceux de l'école italique,
c'était un corps psychique, c'est-à-dire ne renfermant
qu'une âme psychique; pour ceux de l'école orientale,
c'était un corps pneumatique, c'est-à-dire animé par
une âme pneumatique. Philosoph., VI, 35, p. 296.
Quelle était la véritable pensée de Valentin ? On
l'ignore. Quels hommes ce Jésus est-il venu sauver ?
Apparemment les seuls psychiques, puisque d'une
part les hyliques sont fatalement perdus par leur nature
et que, d'autre part, les pneumatiques sont certaine-
ment sauvés par leur qualité de gnostiques. Et com-
ment les a-t-il sauvés ? Par la réalité des souffrances,
par une expiation sanglante ? Ce n'est pas à croire,
el bien que rien ne fasse ici allusion au docétisme, le
docétisme était trop dans l'esprit du gnosticisme pour
que le système valentinien ait fait exception. Selon
toute vraisemblance, et conformément au principe
de similitude qu'on trouve dans chaque système, le
Jésus terrestre a sauvé les hommes comme le Jésus
du inonde intermédiaire et comme le couple, Christ-
Saint-Esprit, du monde supérieur, par la simple com-
munication de la gnose, par l'illumination de la science.
c. Eschatologie. — Il ne saurait être question du
corps, mais seulement de l'âme. « Si l'homme psychique,
dit l'auteur des Philosophoumcna, VI, 32, p. 290, se
rend semblable à ceux qui sont dans l'ogdoade, il
devient immortel, il monte dans l'ogdoade, qui est la
céleste Jérusalem. Si, au contraire, il se rend semblable
à la matière, il se corrompt et périt. » Et voici, d'après
un extrait de Théodote, Excerpta Thcodoli, 63, P. G.,
t. ix, col. 689, la nature de ce bonheur dans l'ogdoade :
« Les pneumatiques se reposeront dans le monde du
Seigneur, c'est-à-dire dans l'ogdoade qui est appelée
Seigneur. Les autres âmes (celles des psychiques sauvés)
demeureront dans l'hebdomade avec le démiurge
jusqu'à la fin des temps; alors elles monteront aussi
dans l'ogdoade, et là se fera un festin splendide, le
festin des noces de tous ceux qui auront été sauvés
jusqu'à ce que toutes choses soient devenues égales
pour tous, et que tous les élus se connaissent les uns
les autres. » Les psychiques sauvés ne seront donc
admis au bonheur de l'ogdoade qu'après un long séjour
dans l'hebdomade, séjour qui est épargné aux pneu-
matiques. « Alors les pneumatiques, ayant dépouillé
l'âme psychique, recevront les anges pour époux,
comme leur mère elle-même a reçu un époux, ils entre-
ront dans la chambre nuptiale qui se trouve dans
l'ogdoade en présence de l'Esprit (c'est-à-dire de
Sophia et de Jésus); ils deviendront les éons intelli-
gents, ils participeront à des noces spirituelles et
éternelles. » Excerpta Theodoti, 64, P. G., t. ix, col. 689.
1451
GNOSTICISME
1452
Nous sommes loin de l'eschatologie de Basilide; et si
le langage rappelle un peu celui de l'Évangile, nous
sommes encore loin de la félicité chrétienne, de la
vision intuitive et de la jouissance de Dieu. Ces noces
où les âmes pneumatiques seront les épouses des anges
et formeront avec eux des syzygies, reproduiront sans
doute l'image du plérome et de ses couples d'émana-
tii ns. et c'est en cette imitation, mais en dehors du
plérome, que consistera la ressemblance avec la divinité.
/. Murale. — Que devient la liberté humaine dans ce
système ? Il n'y a guère de place pour elle, du moment
qu'on est fatalement sauvé ou condamné d'après la
nature que l'on a. Elle ne s'expliquerait que pour les
psychiques qui peuvent se sauver ou se perdre. Les
Extraits de Théodote nous apprennent que l'école
valentinienne orientale enseignait le fatalisme astro-
logique. Excerpla Theodoti, 69-72, P. G., t. ix, col. 692.
Et si tout, dans la vie de l'homme, est réglé par le
mouvement des astres, leur lever et leur coucher, leur
entrée et leur sortie de l'un des signes du zodiaque, leur
conjonction, la liberté n'est qu'un vain mot. Cependant
d'après un autre extrait, 78, col. 093, l'influence des
astres ne se faisait sentir que jusqu'au baptême. Le
baptême, étant la purification, l'illumination de l'âme
par la gnose, n'enseignait pas seulement à l'homme
ce qu'il avait été, ce qu'il était devenu, où il se trouvait,
d'où il venait, où il allait, comment il avait été racheté
et ce que sont la génération et la régénération, mais
encore il donnait à l'homme la liberté, non toutefois
d'une manière certaine et infaillible; car il pouvait se
faire qu'au moment de descendre dans la piscine
baptismale, des esprits impurs descendaient avec le
catéchumène et en remontaient avec lui, mais en
détenant devers eux le sceau de la gnose et en laissant
les catéchumènes inguérissables pour toujours, lbid.,
col. 696. C'était donc une liberté illusoire, et cela se
comprend du moment que la gnose était une œuvre
d'élection. D'après Clément d'Alexandrie, Slrom., III,
1, P. G., t. vin, col. 1097, les disciples de Valentin
qui ont enseigné l'émanation par syzygie tenaient le
mariage pour honorable. Il n'en est pas moins vrai
qu'ils ont donné lieu, eux aussi, à des accusations
d'immoralité. L'inutilité des œuvres pour le salut
faisant partie de leur doctrine ouvrait la porte à tous
1rs débordements.
b) École italique de Valenlin. — Parmi les partisans
de l'école orientale, l'auteur des Philosophoumena,
VI, 35, p. 296, ne signale qu'un certain Axionicus,
d'ailleurs inconnu, et Bardesane, qui échappa à la
gnose et revint à une orthodoxie presque complète.
Voir Bardesane, t. n, col. 391-398. Parmi ceux de
l'école italique, il range Ptolémée et Héracléon, Se-
cundus et Épiphane, Marc et Colorbasus. Philosoph.,
VI, 35, 38, 39, 40, 56, p. 296, 302, 303, 304, 332. Voir
Bassus, t. n col. 476. C'est contre ceux-ci, particulière-
ment contre Ptolémée, celui qu'il appelle la « fine fleur »
de l'école valentinienne, que saint Irénée, très au cou-
rant du mouvement gnostique qui s'était produit peu
avant lui dans les vallées du Tibre et du Rhône, a écrit
sa réfutation. Et voici, d'après lui, le résumé du gnos-
ticisme valentinien de l'école italique; on y remarquera
facilement les différences légères qui le distinguent du
gnosticisme de l'école orientale.
a. Théogonie. ■ — L'école italique place au sommet et
au commencement de tout une syzygie, composée du
principe mâle nommé tour à tour le Premier Principe,
^poapyrj, le Premier Père, -oo^ât'op, ou l'Abîme, [JjOoç,
et du principe femelle désigné sous le nom de Pensée,
k'vvota, de Grâce, yâpiç, ou de Silence, «rcp). Ce premier
donne naissance à la syzygie Esprit et Vérité, voO; ou
[!',,',■■:•//[: et y.///ua, de laquelle émanent le Verbe et la
Nie, AcJyoç et 'l">r[, et de ces derniers l'Homme et l'Église,
stvOpwjto? et laxA-rçaia. Tel est le premier groupe d'éons
du plérome. Mais ici ce n'est pas la syzygie voue et
àÀr^Js'.x qui forme la décade, c'est Xo'yo; et X^; et
c'est la syzygie «vGowtïoç et Èy.xArjaîa, qui forme la
dodécade. Mais le dernier de tous ces éons, c'est encore
la Sagesse, aopta, dont le rôle n'est pas tout à fait le
même que dans l'école orientale. S. Irénée, Cont. hœr.,
i, 1, 1-2, P. G., t. vu. col. 445-449.
La Sagesse, éon femelle, transportée de plaisir, veut
s'élancer sans le secours de personne à la recherche de
la sublime connaissance. Mais, d'après les uns, elle est
détournée de son dessein par Féon-limite, ô'po;, qui lui
apprend que le Père est incompréhensible et ineffable;
et dès lors elle revient à elle et abandonne son témé-
raire projet. D'après les autres, au contraire, elle pro-
duit, en punition de sa faute, un fruit informe, qui ne
s'appelle pas ïxTpwpa, comme dans l'école orientale,
mais la Passion de la sagesse ou la Sagesse Achamoth,
ÈvOjar^'.ç -fi', aoepia; ou aoçia àxa>j.(oO. A la vue d'un tel
avorton, la Sagesse est prise de tristesse, de honte et de
crainte de le voir détruit; de là sa prière et la prière de
tous les éons du plérome à Dieu le Père, qui produit
alors l'éon à la fois mâle et femelle, la Limite, 6'poc,
chargé de purifier so^ia et de la rendre à l'époux
qu'elle a quitté. Un nouveau couple paraît alors, le
Christ et le Saint-Esprit, qui enseigne aux autres éons
à respecter les limites de leur nature et à ne pas cher-
cher à comprendre l'incompréhensible. Pénétrés de
cette doctrine, tous les éons n'ont plus qu'un désir,
celui de rendre grâce au Père; et chacun d'eux, faisant
émaner de lui-même ce qui est le meilleur de sa nature,
collabore à la production d'un nouvel éon, Jésus,
l'Astre, le Sauveur, le Fruit, le Verbe, le Tout. S. Irénée,
Cont. hœr., i, 2, P. G., t. vu, col. 452-465.
b. Cosmologie. — Comme IstTpw|j.a, Ivôûjujaiç ou àya-
p.wO reste à l'extérieur du plérome, dans l'obscurité et le
vide. L'éon Christ en a pitié et par l'intermédiaire de
l'éon Limite, dpoç, lui donne une forme. 'AyaiitôO, bien
que restaurée, se trouve saisie des mêmes angoisses que
sa mère, aoyia : de chagrin, parce qu'elle n'a pas com-
pris; de crainte, parce qu'elle a peur de ne plus
retrouver la lumière ou de perdre la vie; et d'ignorance,
parce qu'elle ne connaît pas les mystères du monde
supérieur. Mais c'est de ces souffrances que dérive
l'essence prochaine de la matière, l'âme du monde, le
démiurge. Le Christ envoie à sa place un autre éon,
le Consolateur, le Paraclet, le Sauveur Jésus, revêtu
par le Père de la toute-puissance nécessaire pour créer
les choses visibles et invisibles. Jésus est accompagné
d'anges. A son approche, ày a;xtôO se voile la face, puis
jette un regard furtif et accourt vers le Sauveur qui
complète définitivement sa forme et la délivre de ses
passions et de ses souffrances. Rendue joyeuse, ày auiôO
n'a qu'à contempler les anges, qui accompagnent
Jésus, pour concevoir et enfanter des fruits spirituels,
qui deviennent les créatures spirituelles. On a dès lors
les trois natures, matérielle, animale et spirituelle; il
n'y a plus qu'à leur donner une forme. Et c'est à quoi
s'applique àyaurôQ. Laissant de côté la nature spiri-
tuelle, dont l'information échappe à son action trop
peu puissante, elle forme de la substance animale le
démiurge, père et mère de tous les êtres créés. Or ce
démiurge ignore tout ce qui est au-dessus de lui; il agit
sans trop savoir ce qu'il fait; il crée les sept cieux sur
lesquels il domine, les sept mondes ou l'hebdomade.
Puis se servant de la matière qui est sortie des passions
d'àya;j.tôO, il crée tout ce qui se trouve dans l'univers.
Et il se croit seul auteur et seul maître. S. Irénée,
Cont. hœr., i, 4-5, P. G., t. vu, col. 477-504.
c. Anthropologie. — L'homme se trouve composé
d'une âme et d'un corps. Le corps sort de la matière;
la chair n'est que de la matière organisée; l'âme psy-
chique vient du démiurge; mais certains hommes ont
une âme pneumatique ; ils l'ont reçue d'àyajxoSÔ à l'insu
1453
GNOSTIGISME
1454
du démiurge. Et selon la prédominance de l'un des
éléments, les hommes sont divisés en trois catégories :
celle des hyliques, fatalement condamnés à périr
comme la matière; celle des psychiques, qui, ne possé-
dant qu'une foi simple et nue, et non la gnose, peuvent
pourtant se sauver par la gnose; et celle des pneuma-
tiques, assurés du salut par leur nature même. Pour ces
derniers, les œuvres ne sont pas nécessaires, car l'or
tombé dans la boue n'en conserve pas moins son éclat
et sa valeur. S. Irénée, Cont. hser., i, 5-6, P. G., t. vu,
col. 500-512.
rf. Solériologie. — Le Sauveur est, selon les uns, le
fils du Christ et de Marie; selon d'autres, le composé
d'une quadruple essence. Il est la forme visible du
quaternaire primitif, c'est-à-dire de pûOoç et de aiyrj,
de vou; et d'àXrJOaa; il tient d'àya[uiO l'essence pneu-
matique; du démiurge l'essence psychique; et de l'éco-
nomie divine, l'art avec lequel tout a été préparé. Au
moment du baptême il est descendu en Jésus sous
forme de colombe; il n'a nullement souffert, mais a
laissé souffrir Jésus. S. Irénée, Cont. hser., i, 7, P. G.,
t. vu, col. 512-520.
e. Eschatologie. — La rédemption opérée, ce monde
doit subsister jusqu'à la fin de toute chose matérielle,
c'est-à-dire jusqu'au moment où toute essence spiri-
tuelle sera parfaite. Alors àyapS8 entrera dans le plé-
rome et y sera l'épouse de l'éon Jésus, ce fruit du
plérome entier; elle formera avec lui une syzygie et
célébrera ses noces mystiques. Les pneumatiques la
suivront et deviendront les épouses des anges. Le
démiurge quittera l'hebdomade et montera dans l'og-
doade, suivi des psychiques qui auront atteint leur
fin. Et alors le feu du centre de la terre fera éruption;
toute matière, et donc les hyliques, sera consumée et
anéantie. S. Irénée, Cont. hœr., i, 7, 1-2, P. G., t. vu,
col. 512-516.
5° La gnose marcionite. — 1. Cerdon. — Certains
germes dont nous avons déjà signalé l'existence, tels
que ceux d'une opposition systématique au Jéhovah
de la Bible, au Dieu des juifs, se trouvent complète-
ment développés dans la première moitié du IIe siècle.
La responsabilité d'un tel développement remonte au
Syrien Cerdon, accouru à Rome sous le pontificat
d'Hygin, où il put rencontrer Valentin et ses disciples.
Voir Cerdon, t. n, col. 2138-2139. Cerdon ne paraît
guère s'être complu, à l'exemple de la plupart des gnos-
tiques, ses prédécesseurs ou ses contemporains, dans
les spéculations de haute métaphysique ou dans les
rêves d'une imagination sans frein; mais il a retenu
du gnosticisme l'antagonisme entre la matière et
l'esprit et le caractère nettement docète de l'incarna-
tion et de la rédemption; et il a puissamment insisté
sur l'opposition de deux Dieux, le Dieu bon, dont il fait
le père de Jésus-Christ, et le Dieu de la Bible, le Dieu
de la loi et des prophètes, qu'il qualifie simplement
de juste. A ses yeux, le Dieu bon doit contrecarrer le
Dieu juste, et c'est pour cela qu'il envoie le Sauveur.
De telle sorte que le salut consiste, pour les hommes,
dans la répudiation du Dieu des juifs et de sa loi : c'est
l'antinomisme posé en principe de salut. Sans doute
Cerdon répudie le mariage comme une source de cor-
ruption et semble condamner théoriquement les œuvres
de la chair; mais pratiquement son système, comme
tant d'autres, aboutit, en haine du Dieu créateur, au
cynisme le plus effronté, xuvtxtoTÉpw j3£io, comme dit
l'auteur des Philosophoumena, X, 19, p. 502. Son sou-
venir pâlit auprès de Marcion, dont il fut le maître,
ô otoctaxaÀoç, Philosoph., X. 19, p. 501, et, comme ajoute
Tertullien, V informalor scandait. Adv. Marcion., i, 2,
P. L., t. ii, col. 249.
2. Marcion. — Le « Loup du Pont, » comme l'appelle
Tertullien pour marquer à la fois le lieu de son origine
et la nature de son rôle dans le bercail de l'Église, a été
l'un des plus célèbres, sinon le plus grand, parmi les
chefs de la gnose. Il connaissait les philosophes.
L'auteur des Philosophoumena,VU,29, 30, p. 370, 380,
le rattache à Empédocle; plus explicite encore, Ter-
tullien indique les principales sources philosophiques
où il a puisé les divers éléments de sa doctrine : Mar-
cionis Dais a stoicis venerat. El ut anima interire dicatur
ab epicurcis observatur. Et ut carnis rumilulio negetur,
de una omnium philosophorum schola sumilur. El ubi
maleria cum Deo œquatur, Zcnonis disciplina est. El
ubi aliquid de igneo deo allegalur, Hcraclitus intervenit.
Prœscript., 7, P. L., t. n, col. 19. Marcion connaissait
aussi les gnostiques, Valenlin entre autres, et Cerdon
en particulier, puisqu'il systématisa sa doctrine. Mais
il avait d'abord été chrétien ; de Sinope, où il était né,
il vint à Rome vers la fin du règne d'Hadrien. Il fit un
don considérable à la caisse ecclésiastique. Tertullien,
Adv. Marcion., iv, 4, P. L., t. n, col. 365. Il chercha à
justifier les idées de son maître en se servant des
comparaisons évangéliques sur le vieux vêtement et
les pièces neuves, les vieilles outres et le vin nouveau.
Son hétérodoxie le fit chasser de l'Église; et le vrai
Dieu qu'il avait adoré tout d'abord, il le perdit en
perdant la foi. Tertullien, Adv. Marcion., i, 1, P. L.,
t. ii, col. 247. Il fut dès lors tenu en suspect, combattu
et réfuté par les écrivains ecclésiastiques. Quand saint
Polycarpe, le vieil évêque de Smyrne, vint à Rome, il
osa se présenter devant lui, en lui demandant : Me
reconnaissez-vous ? L' évêque lui répondit : Je connais
le premier-né de Satan. S. Irénée, Cont. hœr., ni, 3, 4,
P. G., t. vu, col. 853. Tertullien raconte, Prœscript.,
30, P. L., t. n, col. 42, que, sur la fin de sa vie, il chercha
à rentrer en grâce avec l'Église, qu'on lui aurait imposé
pour condition de ramener à la foi ceux qu'il avait
égarés, mais qu'il fut prévenu par la mort. Le mal qu'il
avait fait était considérable; car outre le grand nombre
de disciples qu'il eut, parmi lesquels sont nommés
Apelles, voir Apelles, t. i, col. 1455-1457, Lucien,
Potitus et Basiliscus, il fonda des communautés orga-
nisées comme celles de l'Église, avec des évêques, des
prêtres et des diacres; et cette organisation fut assez
forte pour se maintenir très longtemps, malgré les
persécutions pendant lesquelles les marcionites ne
reculèrent pas devant le témoignage du sang, et pour
ne pas se confondre, malgré des affinités particulières,
avec le manichéisme. Dans la première moitié du
ve siècle, Théodoret trouvait encore dans son seul
diocèse de Cyr dix mille marcionites.
Dans sa conception de deux divinités, l'une bonne,
l'autre juste, Cerdon dépendait de la théogonie gnos-
tique qui distinguait le Premier Principe du Démiurge.
Marcion en dépend tout autant. Mais, à ses yeux, le
Dieu juste, c'est-à-dire le Dieu de la Bible, le créateur
et le législateur, l'inspirateur des prophètes, devient le
Dieu mauvais, l'auteur du mal, l'ami des guerres,
absolument inconsistanl et en contradiction avec lui-
même. S. Irénée, Cont. hœr., i, 27, 2, P. G., t. vu,
col. 688; Philosoph., VII, 29, p. 370; Tertullien, Adv.
Marcion., i, 2; iv, 1, P. L., t. n, col. 248, 361. Le Dieu
bon est le Dieu de l'Évangile, en opposition radicale
avec le Démiurge, dont il a pris soin de combattre
l'œuvre néfaste. Tertullien, Adv. Marcion., i, 6; iv, 1,
P.\L., t. n, col. 252, 363. De là l'opposition si accentuée
entre le Nouveau Testament et l'Ancien. De là aussi
la caractéristique du rôle confié au Sauveur.
Ce Sauveur Jésus ne pouvait donc avoir rien reçu
du créateur. En conséquence, Marcion nia la réalité
de son incarnation, de sa naissance et de sa chair
humaine. Tertullien, De carne Christi, 1, 3, P. L., t. H,
col. 751, 757. Jésus est l'envoyé du Dieu bon, de celui
qui est supérieur au Démiurge; il est venu en Judée
sous Ponce Pilate; il s'est manifesté sous forme
d'homme et a combattu énergiquement la loi, les pro-
L455
GNOSTICISME
145G
phètes et loutes les œuvres du Dieu de la Bible. S. Irénée,
Conl. hii-r., i, 27, 2, P. G., t. vu, col. 088. Et c'est à
son exemple que les disciples de Marcion doivent lutter
de même : docétisme et antinomisme. Après sa mort
apparente, ce Sauveur Jésus est descendu aux enfers
pour y appeler les justes. Mais à sa voix, qu'ils prennent
pour celle de Jéhovah qui les a si souvent trompés,
Abel, Enoch, Noé, Abraham, les patriarches, les pro-
phètes et tous les saints de l'Ancien Testament restent
sourds. Par contre, Caïn et tous les maudits, les
sodomites, les Égyptiens et tous les gentils qui avaient
marché dans la voie du mal se présentent; le Sauveur
les délivre et les emmène avec lui dans son royaume.
S. Irénée, Cont. hœr., i, 27, 3, P. G., t. vu, col. 689.
Dans un pareil système, il ne pouvait pas être
question de la résurrection de la chair; car la chair,
œuvre détestable du Démiurge, du Dieu de la Bible,
doit être exterminée autant que possible. S. Irénée,
Cont. hœr., i, 27, 3, P. G., t. vu, col. 689. Le mariage
est donc condamné, car il servirait à perpétuer les
œuvres de la chair. Terlullien, Prsescript, 33; Adv.
Marcion., n, 29 ; iv, 7, P. L., t. n, col. 46, 281 sq., 486.
Aussi Marcion ne conférait-il le baptême qu'à des
célibataires ou à des eunuques. Adv. Marcion., n, 29;
iv, U, P. L., t. ii, col. 280, 382. Il donna lui-même
l'exemple d'un ascétisme rigoureux et conquit ainsi
une haute réputation d'austérité. Théoriquement sa
morale était sévère. Et tandis que, autour de lui,
carpocratiens, valentinicns, morcosiens et autres se
livraient aux plus honteux débordements, ses disciples
affichèrent des prétentions à la sainteté par l'ascé-
tisme et ne reculèrent pas devant le martyre. Mais,
pratiquement, le principe de l'opposition à la loi et
aux œuvres du Dieu de la Bible devait entraîner à
des désordres et aboutir, comme l'a indiqué l'auteur
des Philosophoumena, à la vie la plus cynique.
Pour échafauder un tel système, s'il est vrai, comme
l'a remarqué Mgr Duchesne, Les origines chrétiennes,
Paris, 1886, p. 165, que Marcion a écarté les rêveries
plus ou moins philosophiques, fauche sans pitié à
travers les romans théogoniques et renoncé au fatras
linguistique, au bric-à-brac des Basilide et des Valentin,
il est également vrai que, dans l'usage de l'Écriture, il
a procédé d'une manière toute contraire à celle des
gnostiques alexandrins. Au lieu d'allégoriser, il a
supprimé d'abord tout l'Ancien Testament, et il n'a
conservé du Nouveau que dix Épîtres de saint Paul, à
l'exclusion des Pastorales, et le seul Évangile selon
saint Luc. Et encore dans ce reste a-t-il eu soin de
retrancher tout ce qui allait contre sa propre doctrine,
comme les éloges de l'Ancien Testament, la généalogie
du Sauveur, les textes favorables à l'incarnation et à
la rédemption. C'est ce que saint Irénée appelait
circumtidere Scripluras, Evangelium, decurtare epislo-
las. Cont. heer., m, 11, 7, 9, 12, P. G., t. vu, col. 884,
890, 906. Mais, en dépit de ces habiles mutilations,
Terlullien a pris soin de prouver que ce qu'il lui avait
plu de retenir suffisait pour le condamner, et de
conclure : Cliristus Jésus in Evangelio tuo meus est.
Adv. Marcion., iv, 43, P. L., t. il, col. 468.
La doctrine de Marcion fut loin de rester intacte
parmi ses partisans. « Il y eut des hérésies à côté de la
doctrine du maître. C'est naturellement la théologie
qui en fut le prétexte. Tandis que Potilus etBasiliseus
demeuraient fidèles au dualisme primitif, Synéros et
Prépon dédoublaient le Démiurge et obtenaient ainsi
trois dieux, le bon, le juste, le mauvais. On donna
aussi un rôle à la matière, SXi\, au feu, nupivôç ©so';,
« e i a-dire au Dieu qui parla dans le buisson ardent.
Satan lui-même fut un thème à dogmatisme. Le plé-
rome se reconstituait. Vers la fin du ne siècle, Apelles
dirigea un mouvement de sens inverse qui ramena une
fraction du marcionisme à la monarchie, c'est-à-dire
au monothéisme. » Duchesne, Les origines chrétiennes,
p. 166.
6° Les diverses sectes gnostiques. — Il est difficile
d'imaginer le nombre des sectes qui se multiplièrent
sous le couvert du gnosticisme. Chaque chef forma la
sienne ou du moins donna son nom à ses partisans.
Mais à côté ou au sein même des foyers les plus puis-
sants, des écoles les plus célèbres, que de confréries,
que de groupes, que de divisions 1 C'était un grouille-
ment dans l'anarchie. Il suffisait que le premier venu
émît quelque prétention nouvelle, la moindre diffé-
rence ou la plus légère nuance doctrinale ou pratique,
pour voir surgir de nouveaux groupements. A défaut
de noms propres, empruntés aux nouveaux docteurs,
on prenait le nom d'un patriarche ou d'un personnage
de l'Ancien Testament, au besoin celui d'un acte ou
d'une attitude. Les Pères en signalent un grand
nombre. On trouve, dans saint Irénée et le pseudo-
Tertullien, les ophites, les caïnites, les séthites, Cont.
hœr., i, 30-34, P. G., t. vu, col. 694 sq.; Prsescript., 47,
P. L., t. ii, col. 63-66; dans les Philosophoumena, V,
p. 138-224 : les naasséniens ou ophites, les pérates, les
séthiens ou séthites ; dans Clément d'Alexandrie, Slrom.,
111,4; VII, 17, P. G., t. vin, col. 1137; t. ix, col. 552 :
les antitactes et les pérates ; dans Origène, Cont. Celsum,
vi, 28, 30, P. G., t. xi, col. 1137-1138 : les pérates et
les naasséniens. Mais c'est surtout saint Épiphane qui,
à côté des caïnites, Hœr., xxxvm, et des adamites,
Hœr., lu, signale toute une série de gnostiques sous
des noms bizarres : les borboriens, les coddéens, les
stratiotes, les phibionites, les zachéens.les barbélites,
Hœr., xxvi, 3, P. G., t. xli, col. 336-337, 653, 959,
qui pourraient bien n'être, comme l'a suggéré Améli-
neau, Le gnosticisme égyptien, Paris, 1887, p. 240-243,
que des termes servant à marquer les divers degrés de
l'initiation gnostique. Le gnosticisme a déterminé ou
plutôt précipité le détraquement des esprits et la cor-
ruption des cœurs, particulièrement dans les milieux
de culture médiocre, où la curiosité et l'avidité de
savoir se laissent prendre au seul nom de la science, de
la gnose, et dans les bas-fonds de la société, où les
instincts et les passions ne demandent qu'une appa-
rence de prétexte pour se déchaîner. Libre pensée et
libre action devinrent, grâce à lui, pendant plus d'un
siècle, un grave danger pour l'Église; mais l'Église, par
la plume de ses écrivains, qui démasquèrent et com-
battirent le gnosticisme. par la décision de ses chefs qui
sauvegardèrent l'intégrité et la pureté de la foi, en
condamnant les erreurs et en excommuniant les héré-
tiques, parvint à enrayer le mouvement, de telle sorte
que l'apogée du gnosticisme fut bientôt suivie d'un
rapide déclin et qu'à partir du me siècle les sectes
gnostiques, sauf les marcionites, ne firent plus que
végéter, sans éclat et sans force, en attendant de dis-
paraître.
III. Doctrine. — 1° Procédés et méthode. — Ce
n'est point au hasard, mais par un procédé bien arrêté,
que les chefs de la gnose sont arrivés à constituer
leurs systèmes. Et ce procédé se laisse facilement
entrevoir dans les emprunts qu'ils ont faits à la philo-
sophie et dans leur manière de plagier l'Église dans sa
méthode d'enseignement, dans ses rites et son orga-
nisation. Nous devons le relever brièvement.
1. Relativement à la philosophie. — Malgré l'extrême
complication de leurs systèmes et l'éclatante parure
dont quelques-uns les ont revêtus, les gnostiques ont
été, au point de vue philosophique, beaucoup moins
des inventeurs originaux que des éclectiques intem-
pérants. C'est à des sources multiples, en effet, qu'ils
ont puisé tous les éléments de leur métaphysique;
et sans faire connaître ces sources, ils ont amalgamé
de façon disparate des idées étrangères les unes aux
autres et n'ont abouti en fin de compte qu'à un syncré-
1457
GNOSTICISME
1458
tisme inconsistant. Les Pères n'ont pas manqué de
signaler la dépendance où ils sont vis-à-vis des princi-
paux représentants delà pensée hellénique : Pythagore,
Platon, Aristote, Empédocle, Heraclite, Épicure. En
outre, les gnostiques furent tributaires des religions de
la Chaldée, de la Perse, de l'Egypte et très vraisem-
blablement de l'Inde.
Le premier à indiquer quelques-unes de leurs atta-
ches avec la philosophie grecque a été saint Irénée.
A sa suite, Tertullien, caractérisant leur procédé, y a
vu une manie de discourir à perte de vue, un abus de
la dialectique : artificem struendi et destruendi, versi-
pellem in sentenliis, coaclam in conjecturis, duram in
argumenlis. operariam contentionum, molesiam etiam
sibi ipsi. omnia rclractantem, ne quid omnino tractaverit.
PrœscripL, 7, P. L., t. n, col. 20. Et l'auteur des
Philosophoumena a remarqué que, quelque inconsi-
stantes que soient les fables et les pensées grecques,
elles sont dignes de foi si on les compare à l'immense
folie de ces hérétiques. Plùlosoph., I, prol., p. 2. Dépen-
dants des Grecs, les gnostiques leur sont inférieurs
pour les avoir follement et maladroitement plagiés :
telle est l'appréciation des Pères.
2. Relative me ni à l'Écriture et à la tradition. — Les
gnostiques, il est vrai, ont vu dans cette utilisation de
la philosophie grecque et dans l'appareil scientifique
dont ils ont cherché à l'entourer, non un but, mais un
moyen d'influence et de propagande pour faire valoir
et imposer leur spéculation religieuse. Car le but qu'ils
ont réellement visé et poursuivi était d'exploiter le
christianisme à leur profit et au détriment de la reli-
gion chrétienne. Ne pouvant méconnaître l'importance
prise par le christianisme naissant dans le monde, ils
ont voulu le surpasser pour le supplanter. Et c'est
pourquoi ils n'ont pas hésité à emprunter sa méthode
d'enseignement appuyé sur l'Écriture et la tradition,
quelques-uns de ses dogmes, ses rites et son organisa-
tion, sauf bien entendu à leur faire subir les transfor-
mations jugées nécessaires par eux et à n'en plus
oITrir dès lors qu'une odieuse caricature.
C'est ainsi, par exemple, qu'ils firent appel, eux
aussi, au témoignage de l'Écriture et de la tradition.
Ils connaissaient les Livres sacrés, tant ceux de l'An-
cien Testament que ceux du Nouveau. Mais ils ne les
acceptaient pas tous, ni tout entiers. Dans leur choix
intéressé, ils pratiquaient d'habiles suppressions. Et
quant aux textes sacrés qu'ils consentaient à retenir,
ils savaient les solliciter par une interprétation allégo-
rique, qui touche souvent à l'extravagance et quel-
quefois à l'impudeur, pour en faire les garants de
leurs erreurs. Où -âaaiç, observe justement Clément
d'Alexandrie, Slrom., VII, 16, P. G., t. ix, col. 533,
où rcâijai;, ETîêita où têXeiai; eîprjuéva eî; tàç ioiaç
fj.ETâyo'jjt oôfaç. Clément blâme leur moyen déshon-
nète d'altérer la vérité et de piller arbitrairement
le canon de l'Église : où yàp yp7J tcots, xaOâ;:sp oî
làç a[pÉU£iç [aétiÔviêç Tïoioùai, jjloi/eûeiv Trjv àXrjOeiav,
où8è (i.fjv y.lêr.xew tÔv xavova ifjç 'ExxXt)<jÎocç, xat; î8iat;
È-iOuaiatç xaï çiXo8o?iai; yapiropiÉvouç. Strom., VII, 16,
P. G., t. ix, col. 545. Déjà signalée et combattue par
saint Irénée et Tertullien, cette audacieuse exploita-
tion de la sainte Écriture nous a valu la formule du
grand argument de prescription et la mise au point,
dès le iie siècle, des rapports de l'Écriture avec la
tradition orale, ainsi que de la nécessité de la tradi-
tion pour authentiquer et interpréter légitimement le
texte sacré. Nous y reviendrons plus loin. « Un témoi-
gnage qu'il n'est pas permis de négliger, dit Mgr
Duchesne, Les origines chrétiennes, édit. lith., Paris,
1886, p. 170, c'est celui que les grands gnostiques don-
naient aux livres du Nouveau Testament, surtout à
l'Évangile et aux Épîtres de saint Jean. Soit par des ci-
tations formelles, soit par des altérations reconnais-
sablés, soit par l'emploi de certains termes, Basilide
et Valentiu se montrent tributaires de ce que l'on
appelle parfois la théologie johannique. Il est difficile
qu'un livre ait des témoins plus rapprochés que ceux-
là. » On en peut dire autant pour l'Évangile de saint
Luc, dont Marcion s'est servi, en ajoutant que ces
témoins si rapprochés sont des plus probants en
faveur du Nouveau Testament.
Parallèlement à la tradition ecclésiastique, mais en
opposition avec elle, les gnostiques en faisaient valoir
une autre, la leur; car ils prétendaient en posséder
une; bonne preuve de l'importance attachée par eux à
l'enseignement oral, à la tradition vivante. Basilide
disait suivie la doctrine de Matthias et avoir eu pour
maître un certain Glaucias, interprète de saint Pierre.
Clément d'Alexandrie, Strom., VII, 17. P. G., t. ix,
col. 549. Valentin s'autorisait pareillement, tout
comme Basilide et Marcion, de ce même Matthias,
ibid., col. 552, et se donnait en outre pour disciple
d'un Théodas, familier de saint Paul. Ibid., col. 549.
3. Relativement aux apocryphes. — Ce n'est pas tout;
car à l'usage répréhensible de l'Écriture, les gnostiques
joignirent celui, non moins répréhensible, d'apocryphes
suspects, dont ils furent, sinon les auteurs, du moins
les exploiteurs intéressés. C'est le reproche que l'au-
teur des Constitutions apostoliques adresse à ces hommes
« qui calomnient la création, les noces, la providence,
la procréation des enfants, la loi, les prophètes. »
Const. apost., VI, 16, P. G., t. i, col. 956. Ces apo-
cryphes, pour mieux surprendre la bonne foi des
simples, portaient pour la plupart des titres sembla-
bles à ceux des livres de l'Ancien Testament et du
Nouveau. Il y eut ainsi des prophéties, telle que la
Prophétie de Barcoph ou Barcobas et Parchor, Clément
d'Alexandrie, Strom., VI, 6, P. G., t. ix, col. 276;
Eusèbe, H. E., iv, 7, P. G., t. xx, col. 317; des apo-
calypses, telles que V Apocalypse d'Adam, d' Abraham,
de Moïse, d' Élie; des assomptions, telles que VAssomp-
lion de Paul, d'isaïe; des Évangiles en très grand
nombre. Tous ces apocryphes n'existaient pas sans
doute dans la première moitié du ne siècle; mais plu-
sieurs circulaient déjà à cette époque, saint Irénée
affirme qu'ils étaient nombreux, bien qu'il ne nomme
que l'Évangile de Judas. Cont. hier., i, 20, 1; 30, 1,
P. G., t. vu, col. 653, 704. D'une manière générale,
Tertullien reprochait de même aux valentiniens et
aux marcionites, non seulement d'altérer et d'inter-
préter mensongèrement l'Écriture, mais encore d'ajou-
ter aux textes sacrés areana apocryphorum, blasphemise
fabulas. De resurrectione carnis, 63, P. L., t. n, col. 886.
L'auteur des Philosophoumena signale parmi les gnos-
tiques les Évangiles xat' Aîyj^Ttojç et xatà <~)'.>tj.àv,
V, 7, p. 144, 148. D'après Origène, In Luc., homil. i,
P. G., t. xm, col. 1803, il faut ajouter à ces deux évan-
giles apocryphes déjà cités ceux de Matthias, des Douze
apôtres et de Basilide. Et saint Jérôme, après avoir
énuinéré les Évangiles des Égypiens, de Thomas, de
Matthias, de Barthélémy, des Douze apôtres, de Basilide
et d'Apelles, donne à entendre qu'il y en avait encore
d'autres. In Matth., prol., P. L., t. xxvi, col. 17. Mais
c'est à saint Épiphane qu'on doit une énumération plus
complète de toute cette littérature apocryphe utilisée
dans les milieux gnostiques : les Prophéties de Barcobas,
l'Évangile d'Eve, les ' EptoTr^stç Mapia;, l'Apocalypse
d'Adam, les Livres de Seth, le PÉvva Mapia;, User.,
xxvi, 2, 8-3; les Livres de Moïse, Y Apocalypse d' Abra-
ham. Hœr., xxxix, 5, P. G., t. xli, col. 333, 344, 352, 369.
4. Relativement à l'Église. — Les gnostiques n'ont
pas emprunté seulement à l'Église sa méthode d'en-
seignement oral appuyé sur l'Écriture, ils l'ont encore
imitée dans ses cérémonies, ses rites, ses sacrements, ses
réunions. Si, dans quelques-unes de leurs sectes, cer-
tains termes spécialement consacrés par la langue chré-
1459
GNOSTICISME
1460
tienne pour désigner d'augustes mystères, furent dé-
tournés de leur sens pour signifier des actes de luxure
ou de promiscuité, tels que TeXsîa à.yâr.7\, àyiov àyitov.
Philosoph., VI, 19, p. 264» et y.otvtuvia, Clément
.1 Alexandrie, Strom., III, 4, 7'. r,., t. vin, col. 1133,
d'autres termes de cette même langue chrétienne
devinrent courants dans le style gnostique pour dé-
signer des objets différents ou pour exprimer des con-
cepts complètement étrangers au christianisme : tels,
les mots de foi. de salut, de rédemption. Cela prêtait
à l'équivoque, permettait de s'adresser à des fidèles et
préparait l'insinuation de la gnose. Car les gnostiques
faisaient du prosélytisme. Le but de leur prédication
n'était nullement de convertir les païens, mais de per-
vertir les chrétiens : non ctlmicos convertendi, sed nostros
evertendi, dit Tertullien. Prœscripl., 42, P. L., t. n,
col. 57. Ils élevaient leur propre édifice aux dépens de
la vérité; opus eorum non de suo proprio œdificio venil,
sed de veritatis destructione. Nostra suffodiunt, ut sua
œdificent. Ibid., col. 57. Aussi point de schismes parmi
eux. ou plutôt c'est le schisme qui fait leur unité. Ils
varient pourtant et à qui mieux mieux : dam unus-
quisque suo arbitrio modulatur quœ accepit, quemad
modum de suo arbitrio ea composuit ille qui tradidil.Ibid.,
col. 58.
Les gnostiques pratiquaient le baptême, avaient
leurs catéchumènes, leurs initiés, leurs prêtres. Ils
tenaient des assemblées, qui étaient loin de représenter
l'ordre et la discipline des réunions chrétiennes. Et
voici ce qui s'y passait : Quis catechumenus, quis fidelis
incerlum : pariler adeunl, pariter audiunt, pariler oranl;
cliam ethnicis, sisupervenerint, sanclum canibus et porcis
margarilas, licet non veras, jaclabu.nl... Pacem quoque
cum omnibus miscenl : nihil enim interesl illis. licet
diversa traclanlibus, dum ad unius veritatis expugna-
tioncm conspirent. Omnes tument, omnes scienliam polli-
cenlur. Ante suid perfeeli catechumeni, quam edocti.
Ipsœ mulieres Iwreticœ, quam procaces ! quœ audeant do-
ccre, conlendere, exorcismos agere. curationcs repromitlere,
forsitan et iingere. Ordinationes eorum temerariœ, levés,
inconstantes : nunc neophglos conlocanl, mine, sa'culo
obstrictos, nunc apostedas nostros... Itaquc alius hodie
episcopus, crus alius; hodie diaconus, qui cras leclor;
hodie presbyter, qui cras laicus; nam et laicis sacer-
dotalia mimera injungunt. Prœscripl., 41, P. L., t. u,
col. 56-57. Dans ce tableau, Tertullien ne parle que des
réunions publiques; la peinture des conciliabules
secrets et des réunions nocturnes défie toute plume
honnête. Il y est fait mention de deux sacrements, le
baptême et l'ordre. D'autre part, saint Irénée fait
allusion au sacrement de l'eucharistie, quand il raconte
les supercheries de Marc dans la contrefaçon du mys-
tère eucharistique. Cont. hœr., I, 13, 2, P. G., t. vu,
col. 580-581. Rappelons enfin l'organisation de la hié-
rarchie dans les églises marcionites, dont il a déjà été
question. Ces quelques détails, fort intéressants pour la
connaissance des origines chrétiennes, sullisent à
montrer la nature et la gravité du danger que le gnos-
ticisme créait à l'Église.
2° Théorie générale du gnusticisme. — 1. Problème à
résoudre. — A négliger les différences de détail qui dis-
tinguent, comme nous l'avons vu, les systèmes gnos-
tiques les uns des autres, et à ne tenir compte que de
leur fond commun, une théorie générale se dégage, qui
a pour point de départ la conciliation de l'existence de
Dieu avec l'existence de la matière. Dieu ne peut être
que parfait; et la matière passait aux yeux des gnos-
tiques comme d'essence mauvaise et comme le siège du
mal; elle ne pouvait donc pas être l'œuvre immédiate
de Dieu. Le difficile problème à résoudre était d'expli-
quer l'existence de ce monde matériel en sauvegardant
la perfection divine. Les philosophes s'y étaient essa\ es
et y avaient échoué; les gnostiques, en dépit de leurs
efforts, n'y réussirent pas davantage. Le christianisme
donnait une solution nette et parfaitement raisonnable :
ce monde a été directement créé par Dieu ex nihilo; il
n'est donc pas. et il ne peut pas être essentiellement
mauvais. Quant à l'existence du mal, qui est indéniable,
ce n'est point le fait de la puissance créatrice; le mal
est d'origine créée; il a été introduit dans l'œuvre
divine par la créature intelligente et libre; il est le
résultat d'un abus coupable de la liberté, d'une déso-
béissance; il est fils du péché. Cette solution, connue
des gnostiques, ne fut pas acceptée par eux. De là leur
conception erronée de la divinité; leur distinction arbi-
traire, dans le monde divin, d'une double sphère, celle
du Dieu suprême et celle du démiurge. Cette erreur
fondamentale vicie tout leur système.
2. Théogonie. — L'existence de Dieu ne fait pas de
doute; et pour la plupart des gnostiques, Dieu, quel que
soit le nom qu'ils lui donnent, est unique en principe.
Mais ce Dieu unique n'est qu'une puissance capable
de se développer. Il se développe, en effet, par un épa-
nouissement de lui-même, par émanations successive;;.
Le nombre de ces émanations n'est pas le même dans
tous les systèmes ; mais dans tous les systèmes il y a
deux groupes d'émanations, l'un qui compose le monde
supérieur, l'autre qui compose le monde intermédiaire;
l'un, au sommet duquel réside le Premier Principe;
l'autre, où se trouve le créateur, le démiurge. Cette
dualité du monde divin, dégagée de la multiplication
fantastique des éons qui la plupart procèdent par syzy-
gies, se réduit, dans le système de Marcion, à l'existence
et à l'opposition tranchée du Dieu bon et du Dieu juste,
le Dieu bon ne pouvant être l'auteur du monde matériel,
qui est l'œuvre du Dieu juste. A cette distinction arbi-
traire, mais commandée par l'erreur fondamentale du
gnosticisme sur la nature de la matière, les Pères répon-
daient par la proclamation de l'unité absolue de Dieu,
le même Dieu étant l'auteur immédiat de la création.
Ipse a semelipso jecit libère et ex sua poteslale, et dis-
posait, et per/ecil omnia... Ipse fabricator, ipse conditor,
ipse inventor, ipse factor, ipse Dominus omnium; cl
neque prœtcr ipsum, ncque super ipsum, neque Mater...
nec Deus aller... Hic jecit ea per semetipsum, hoc est per
Verbum et per Sapienliam suam, cselum, et lerram, et
maria, et omnia quœ in eis sunt : hic juslus, hic bonus;
hic est qui jormavit hominem. S. Irénée, Cont. hœr., n, 30,
9, P. G., t. vu, col. 822. Revenant à la charge et
discutant point par point les arguties de Marcion,
Tertullien épuise ce sujet. Il n'y a pas, il ne saurait y
avoir deux dieux, l'un bon, tel qu'on l'imagine, l'autre
juste, dont on fait le démiurge et que l'on confond ou
que l'on identifie avec le Jéhovah de la Bible. De la
notion même de Dieu, Tertullien conclut à son unité, et
il prouve que le seul vrai Dieu est précisément le Dieu
créateur, le Jéhovah de la Bible, tant dénigré par les
gnostiques. Ce Dieu unique est à la fois bon et juste,
bon en lui-même et par lui-même, juste à cause de nous,
et juste parce qu'il est bon : c'est l'admirable formule
de Clément d'Alexandrie : àyaôo; jxèv 6 ©soç ot' éautov,
Btxaioç S; 7;3t] Si' f,!j.à; scaî touto o'ti àyaOoç. Strom., I,
9, P. G., t. vin, col. 356. L'argumentation des Pères
contre le dualisme de Marcion vaut tout autant.
mulalis mulandis, contre l'hypothèse gnostique des
deux inondes supérieurs. Quant à la multiplication
fantaisiste des couples d'éons qui peuplent le monde
supérieur du plérome et le monde intermédiaire du
démiurge, elle n'a fait l'objet d'aucune réfutation sys-
tématique; les uns en jugeant l'exposé suffisant pour
en montrer l'absurdité, les autres, comme Tertullien
dans son Adversus valentinianos, se contentant de la
railler.
3. Cosmologie et anthropologie. — Le Dieu suprême
imaginé par les gnostiques n'a pu créer la matière, à
cause de l'incompatibilité absolue qui existe entre lui,
1461
GNOSTICISME
1462
qui est bon, et elle, qui est mauvaise. Il y a donc, entre
ce Dieu et la matière, place pour un créateur : ce créa-
teur, c'est le démiurge. Et voici comment les gnos-
tiques en ont expliqué l'existence, la nature et la fonc-
tion. En Dieu et par Dieu s'est opérée une première
manifestation divine : c'est un couple d'éons. mâle et
femelle, une syzygie; de ce couple est sorti un second
couple, et de celui-ci un troisième; et la série s'est con-
tinuée au gré de chaque constructeur de système, for-
mant le plérome divin. Or, au fur et à mesure que les
éons s'éloignent du Premier Principe, source de l'éma-
nation, se produit une diminution ou une dégradation
proportionnelle de l'être divin, si bien qu'à l'extrême
limite, le dernier éon ne possède que le minimum de
divinité. Il en possède pourtant assez pour rendre
encore la création impossible. Ici survient une hypo-
thèse nouvelle, celle d'une déviation dans l'intérieur
du plérome. Un éon, méconnaissant les devoirs de sa
nature, commet, par ignorance ou par orgueil, l'imper-
tinence de vouloir connaître ce qui est au-dessus de lui
ou de se croire le premier et le plus puissant de tous les
êtres : il dévie. En punition, il est aussitôt exclu du
plérome divin, et va dans le monde intermédiaire, qui
se peuple, à l'exemple du monde supérieur et d'une
manière semblable, d'une foule d'éons, dont le nombre
varie au gré des constructeurs de systèmes. Cet éon
prévaricateur chassé du plérome est maintenant ca-
pable de faire œuvre de démiurge, c'est-à-dire de créer
le monde matériel et l'homme. Sa nature ayant été
viciée par sa faute, son œuvre naturellement ne peut
être que viciée. Et voilà comment s'explique l'imper-
fection de ce monde et la présence du mal ici-bas.
L'idée chrétienne, comme on le voit, n'est pas tout à
fait étrangère à cette étrange conception, mais comme
elle est défigurée ! Car ce n'est là que substituer à la
chute des anges et de l'homme, telle que l'enseigne la
Bible, la chute d'un Dieu; remplacer un mystère, pro-
fond sans doute mais raisonnable, par une énormité
blasphématoire; c'est introduire au sein même de la
divinité la réalité d'une déchéance beaucoup plus cho-
quante que celle d'une créature, et finalement faire
quand même de Dieu l'auteur du mal.
4. Sotériologic. — Un autre dogme chrétien, celui de
la rédemption, a été aussi défiguré que celui de la créa-
tion. La rédemption s'explique raisonnablement dans
la doctrine chrétienne : c'est Dieu prenant en pitié la
misère de l'homme et venant à son secours par l'incar-
nation et la mort du Sauveur. Mais dans le gnosticisme?
Il y a là, il est vrai, l'éon coupable, le démiurge, qui
a jeté le trouble dans le plérome. Quel que soit le
mobile qui l'a poussé, il n'en a pas moins commis une
faute; il a donc besoin d'être guéri, relevé, sauvé, en
reprenant conscience de sa vraie nature, en se conten-
tant de sa position dans l'échelle des éons; et c'est en
cela que consistera son rachat.
Mais dans l'œuvre du démiurge, qui est une œuvre
mauvaise et destinée, assure-t-on, à périr, à quoi bon
la rédemption ? Il en est pourtant question, mais avec
cette nuance significative qu'il s'agit, non de la rédemp-
tion de ce monde, mais de la rédemption dans ce monde.
Car ce n'est pas ce monde, en tant que monde, qui est
racheté, c'est quelque chose d'étranger à ce monde et
qui se trouve dans ce monde. Ce monde, en effet,
d'après les gnostiques, est le séjour ou la prison d'un
élément, qui, abîmé dans la matière, y gémit et y
souffre, comme un pauvre être désorbité, que tour-
mentent le regret du séjour céleste et le désir de
retourner à son lieu d'origine, mais qui est réduit à
l'impuissance tant qu'un secours ne lui vient pas d'en
haut. Qu'on appelle cet élément divin, Pensée, Étincelle,
Filiation, Pneuma, peu importe; c'est uniquement cet
élément divin engagé dans la matière ou retenu pri-
sonnier par les anges qu'il s'agit de délivrer et qui est
délivré; le monde matériel n'est que le théâtre passager
de cette délivrance et doit être anéanti.
11 en est pareillement pour l'homme; car, en dépit
de son origine et de sa dépendance du démiurge,
l'homme se trouve aussi en possession d'un élément
supérieur, Image, Ressemblance, Étincelle divine ou
Élément pneumatique. Et dans l'homme c'est exclu-
sivement cet élément divin qui est racheté; car son
corps, formé de matière, est destiné à périr pour
toujours. La distinction gnostique de l'humanité en
trois catégories d'hommes, les hyliques, les psychiques
et les pneumatiques, ne doit pas donner le change. Les
pneumatiques sont des élus; ils possèdent déjà l'élé-
ment divin et, quoi qu'ils fassent, ils sont assurés de
leur salut. Les psychiques ne le possèdent pas, mais ils
peuvent l'acquérir s'ils embrassent la gnose, et dès
lors ils bénéficient du salut comme les pneumatiques;
sinon ils partagent le sort des hyliques qui, eux, à
raison même de leur nature matérielle, sont irrémé-
diablement exclus du salut. De la sorte la rédemption
gnostique n'embrasse pas toute l'humanité; elle tst
une certitude absolue pour les pneumatiques, un espoir
problématique pour les psychiques, une impossibilité
radicale pour les hyliques. En outre, elle laisse de côté,
dans ceux qu'elle atteint, la partie matérielle de la
personne humaine, le corps.
Dans ces conditions, le rôle du Sauveur est loin de
ressembler à celui du Jésus de l'Évangile; et la gnose,
ici, aboutit au docétisme, c'est-à-dire à la contrefaçon,
ou plutôt à la suppression des mystères de l'incarnation
et de la rédemption. Voir Docétisme, t. iv. col. 1480-
1501. L'éon sauveur appartient à l'un des premiers
rangs du monde supérieur. Pour accomplir sa mission,
il descend à travers les habitants du plérome et du
monde intermédiaire, sans se faire connaître d'eux,
mais en leur communiquant dans la mesure de leurs
besoins ce qui doit constituer leur bonheur définitif.
Arrivé à l'homme, comme il ne peut pas contracter
d'union avec la matière, il se contente d'habiter
quelque temps en Jésus, du baptême jusqu'à la passion
exclusivement. Ce n'est point lui qui souffre et meurt,
c'est Jésus seul. Il n'a donc eu de l'humanité que les
apparences. Le Jésus terrestre, le Jésus de l'Évangile,
n'a été que son réceptacle passager, son masque;
autrement dit, ce Jésus n'est pas Dieu. Et c'était là
ruiner le christianisme par sa base.
5. Eschatologie. — La rédemption, selon les gnos-
tiques, étant accomplie dans ce sens et de cette manière,
sans qu'il soit question de la résurrection de la chair,
cet autre dogme chrétien inscrit au symbole, chacun
des éléments divins reprendra sa place; l'ordre, la paix,
l'harmonie régneront dans les mondes supérieurs. Ce sera
la reconstitution de l'état primitif, une àjroy.aTcxa-aau.
Ainsi sera réparée la déviation de l'éon prévaricateur,
l'œuvre du démiurge. Nous sommes loin des fins
dernières, telles que les enseigne le christianisme.
L'enfer est remplacé par l'anéantissement; le ciel n'est
plus une récompense. La terre n'est que le théâtre où
l'envoyé du plérome sauve uniquement ce qui appar-
tient au monde supérieur.
3° La morale du gnosticisme. — Il est facile d'entre-
voir la morale qui peut sortir d'une pareille métaphy-
sique. La plupart des chefs gnostiques ont négligé
l'éthique dans leurs systèmes; mais ils ont posé des
principes, gros de conséquences fâcheuses. Et il s'est
trouvé parmi eux des logiciens déterminés qui ont tiré
de ces principes ces conséquences abominables et ont
réduit leur doctrine à n'être qu'une justification de
l'immoralité. Du reste, à défaut de théorie spéciale,
chaque gnostique, pour son compte, devait fatalement
aboutir au même résultat. Et cela se comprend; car du
moment que la possession de la gnose assure absolu-
ment le salut, il était bien superflu de s'inquiéter de la
\\r,\
GNOSTICISME
14G4
qualité morale des actes. Pour les uns, le monde et la
chair passant pour essentiellement mauvais, le mariage,
la procréation des enfants, la famille, la propriété
devaient être condamnés comme autant d'œuvres
mauvaises. Pour les autres, le gouvernement de ce
monde, appartenant à celui qui l'a créé, au démiurge,
n'était plus qu'une tyrannie intolérable contre laquelle
la révolte était un devoir; de ce côté on tomba en plein
antinomisme. Voir Antinomisme, t. i, col. 1391-1399.
Pratiquement, à quoi bon parler de vertus ou de
vices là où les actes sont indifférents ? Les vrais gnos-
tiques ne sauraient rien commettre de mauvais; les
hyliques sont incapables de faire des actes bons.
Survienne une épreuve, une mise en demeure sous
peine de mort de proclamer sa foi, le parjure est permis
pour éviter le martyre. Quant à ce qui regarde la chair,
il n'y a que deux partis à prendre, celui de la sévérité,
d'un ascétisme rigoureux, dont l'excès pratiquement
ne met guère à l'abri de l'excès contraire, ou celui du
relâchement qui facilite, autorise ou ordonne toutes
les dépravations. Le premier de ces partis n'a guère élé
qu'une exception parmi les gnostiques qui ne reculèrent
point devant le martyre; mais c'est le second qui a
compté un beaucoup plus grand nombre de partisans.
Quelques chefs, Marcion entre autres, ont pu pratiquer
personnellement une certaine austérité et recomman-
der à leurs disciples la gravité des mœurs; ils ont pu
même protester contre l'accusation d'immoralité. Mais
les principes posés par eux justifiaient d'avance
tous les excès. Et, en fait, le gnosticisme est devenu
finalement une école de débauches et d'infamies. Cela
suffit pour le condamner.
4° Résultats du mouvement gnostique. — 1. Danger
pour l'Église. — Dès son apparition aux temps apos-
toliques, à Samarie et en Asie Mineure, la gnose avait
éveillé des craintes pour l'orthodoxie de la foi, la pureté
de la morale et l'unité de l'Église. Elle n'était pourtant
pas encore systématisée en un corps de doctrine, ni
organisée en écoles et en sectes. Mais elle menaçait
déjà le christianisme d'un triple danger : d'un danger
doctrinal, qui n'était autre que l'exaltation de la
science au détriment de la foi et la contrefaçon des
principaux dogmes chrétiens; d'un danger moral, qui
n'allait à rien moins qu'à supprimer la responsabilité
et à débrider les passions; et d'un danger social, qui
jetait le trouble dans les communautés chrétiennes et
tendait à ruiner l'unité de l'Église. Ce triple danger
alla s'accentuant au fur et à mesure que, favorisée par
le succès, la gnose, passant de l'état amorphe à l'état
organisé, s'exprima dans un corps de doctrines et se
manifesta en écoles et en sectes. Dans la première
moitié du ne siècle, le danger fut des plus graves. Sans
la vigilance et l'activité des écrivains ecclésiastiques,
tels que Hermas, l'auteur de la II" Clemenlis et saint
Justin dès la première heure; sans l'attitude énergique
des chefs de l'Église qui n'hésitèrent pas à condamner
et à excommunier les principaux représentants de la
gnose, quels maux n'aurait pas suscités le gnosticisme ?
Vinrent alors les grands docteurs, saint Irénée, Ter-
tullien, saint Hippolyte, Clément d'Alexandrie, Ori-
gène, qui firent la critique des divers systèmes, en
révélèrent les inconséquences et les absurdités et,
montrant ce qu'ils avaient d'opposé à l'enseignement
catholique, achevèrent de les vaincre. Si bien qu'à
partir du mc siècle le danger de la gnose était conjuré.
Renan, qui n'a pas été sans montrer quelque sympathie
pour les gnostiques et leur œuvre, n'a pu s'empêcher
de faire cet aveu : « Tout cela, dit-il en parlant du
gnosticisme, L'Église chrétienne, Paris, 1879, p. 176-
177, était inconciliable avec le christianisme. Cette
métaphysique de rêveurs, cette morale de solitaires,
cet orgueil brahmanique qui aurait ramené, si on
l'avait laissé faire, le régime des castes, eussent tué
l'Église, si l'Église n'eût pris les devants. » « Ce qu'il y
avait de réellement grave, ajoute-t-il plus bas, p. 183-
184, c'était la destruction du christianisme qui était
au fond de toutes ces spéculations. On supprimait en
réalité le Jésus vivant: on ne laissait qu'un Jésus fan-
tôme sans efficacité pour la conversion du cœur: on
remplaçait l'effort moral par une prétendue science;
on mettait le rêve à la place des réalités chrétiennes,
chacun se donnant le droit de tailler à sa guise un
christianisme de fantaisie clans les dogmes et les livres
antérieurs. Ce n'était plus le christianisme, c'était un
parasite étranger qui cherchait à se faire passer pour
une branche de l'arbre de vie. » Par sa contrefaçon de
l'Église, dont il s'était posé en concurrent et en adver-
saire, le gnosticisme « eût tué l'Église, si l'Église n'avait
pas pris les devants. »
2. Témoignages du gnosticisme favorables à l'Église.
— D'une manière générale le mouvement gnostique,
par l'ampleur de son développement, par son extension
rapide et finalement par son insuccès, atteste l'impor-
tance du christianisme, la force, l'autorité doctrinale
et sociale de l'Église. S'il n'a pas suscité une œuvre de
synthèse théologique, encore prématurée à cette épo-
que, que de travaux n'a-t-il point provoqués, qui
restent, sur tant de points particuliers relatifs au
dogme, à la morale, aux croyances et aux usages
chrétiens, une source précieuse de renseignements ! Ces
réfutations de la gnose, nous les avons signalées ; nous
avons noté aussi, en passant, quelques-uns des services
Involontaires rendus par le gnosticisme au christia-
nisme.
Les dogmes chrétiens niés parles gnostiques, comme,
par exemple, celui de la résurrection de la chair, ont été
catégoriquement affirmés, conformément aux données
du symbole apostolique, et appuyés sur le témoignage
de l'Écriture. Les dogmes chrétiens étrangement défi-
gurés par eux, comme ceux de la création, de l'incar-
nation et de la rédemption, ont été vengés de leurs
attaques et maintenus dans leur réalité. A noter que
« tous les systèmes gnostiques font à Jésus-Christ une
place de premier ordre. Sans doute ils méconnaissent
la rédemption en réduisant le Sauveur à n'être qu'un
modèle au lieu d'une victime, mais sa préexistence
céleste et sa filiation divine ne font point doute pour
eux. Cette croyance, lorsqu'ils l'on empruntée à l'Église,
était puissante, arrêtée, parfaitement en vue. On peut
en dire autant de la doctrine relative à la divinité du
Saint-Esprit.» Duchesne.Les origines chrétiennes, p. 170.
De même la morale, particulièrement maltraitée par
les gnostiques, a été maintenue dans l'intégrité de
ses principes et la pureté de ses pratiques. Par l'affir-
mation de l'unité de la Loi et de l'Évangile, par l'iden-
tification du Dieu bon et du Dieu juste, par la procla-
mation que le Dieu de la Bible est le seul vrai Dieu, on
a prouvé que le décalogue est l'expression de la volonté
divine, à laquelle l'homme n'a pas le droit de se sous-
traire. Assurément les gnostiques cherchaient à se
justifier à l'aide des textes sacrés, qu'ils interprétaient
souvent d'une façon abominable, mais ils ont dû être
ramenés à une interprétation orthodoxe, telle que
l'entendait l'Église, et qui était la condamnation de
leur exégèse. Ils s'autorisaient aussi d'autres textes,
empruntés aux apocryphes, dans un même but de
dépravation; ces textes furent rejetés comme inaccep-
tables, et parfois expliqués dans un sens tout différent
de celui qu'ils lui donnaient.
Sans aller jusqu'à prétendre, comme l'a fait Renan,
L'Église chrétienne, p. 155-156, que,« tout en repoussant
les chimères des gnostiques et en les anathématisant,
l'orthodoxie reçut d'eux une foule d'heureuses idées
de dévotion populaire; » que « du théurgique l'Église fit
le sacramentel; » et que « ses fêtes, ses sacrements, son
art vinrent, pour une grande partie, des sectes qu'elle
1465
GNOSriCISME
1466
condamnait, » il importe de constater qu'en matière de
sacrements tout particulièrement, ce sont les gnos-
tiques qui ont emprunté à l'Église. Ils conféraient le
baptême, et voici la formule employée par certains
d'entre eux : Ecç ovo(j.a àyvoiffTou Ilocrpôç xwv oXtov, eîç
àW0eiav p]i£pa nâvTwv, xal eîç y.aTsX8ovT<X eî; ' I^aouv,
s!; ïvwffiv xaî à-oAuTpfoj'.v xai xoivcovîav TtSv 6uva;j.scov.
S. Irénée, Conl. ha>r., i, 28, 3, P. G., t. vu, col. 661.
Mais à quoi bon un baptême, faisait observer Tertul-
lien, Adv. Marcion., i, 28, P. L., t. n, col. 280, quand on
exclut le corps du salut ? Cui enim rei baptisma quoque
upud eum (Marcionem) exigilur ? Et in hoc iotum salutis
sacramentum carnem mcrgit exsorlem scriulis. Ils avaient
leur clergé : des lecteurs, des diacres, des prêtres, des
évêques, comme le rappelle Tertullien, Prœscript., 41,
/'. /.., t. n, col. 57; c'était du moins le cas des marcio-
nites. Ils célébraient l'eucharistie : tel le gnostique
Marc, qui, pour imiter ce que faisait l'Église, prenait
des calices pleins d'eau et de vin, et, après de longues
prières qu'il prononçait en forme de consécration pour
faire croire qu'il consacrait réellement et changeait ce
mélange en sang de Jésus-Christ, faisait paraitrc ces
mêmes calices pleins d'une liqueur rouge. S. Irénée.
Cont. hœr., i, 13, 2, P. G., t. vu, col. 580. Ces imitations
ou ces contrefaçons sacrilèges, dûment stigmatisées
par les Pères, montrent où étaient les vrais sacrements.
3. Service occasionnel rendu à l'Eglise par le gnosli-
(isme. — C'est le propre de l'hérésie en général de
provoquer, sur les points dogmatiques qu'elle attaque,
une défense appropriée et un progrès dans la connais-
sance. La gnose n'a pas échappé à ce genre de service
rendu à l'Église.
D'une part, en effet, sa méthode empruntée à la
philosophie et à l'enseignement chrétien a mis en avant
la raison, l'Écriture et la tradition. Et c'est justement
par ce procédé que les Pères ont réfuté la gnose. Saint
Irénée a ainsi inauguré, dans son traité contre les
hérésies, la méthode théologique, qui donne, comme il
convient, la première place aux données scripturaires
et traditionnelles, mais qui emprunte aussi à la raison
ses lumières pour la défense de la foi. Dès le IIe livre
de son traité, il se place sur le terrain philosophique, et
c'est au nom de la raison qu'il réfute les gnosliques;
au troisième et au quatrième, c'est sur le terrain ecclé-
siastique, au nom de l'Écriture et de la tradition. Et
ici, comme il constatait ce procédé arbitraire de la part
de Marcion et des autres de faire un choix parmi les
Livres sacrés ou, comme il dit, de circumeidere Scri-
pluras, de decurlare Evaiujelium secundum Lucam et
Epislolas Pauli, Cont. hœr., i, 27, 4; m, 12, 12, P. G.,
t. vu, col. 689, 906, comme aussi celui d'interpréter à
leur façon les textes qu'il leur plaisait de retenir, il eut
soin de faire remarquer que l'Écriture ne se lit, ne
s'expose et ne s'interprète sans mélange d'erreur et
sans danger que dans l'Église, où elle s'est conservée
fidèlement, sans additions ni soustractions, depuis les
apôtres. Cont. hœr., iv, 33, 8, col. 1077. La vraie gnose,
dit-il, car il ne recule pas devant ce terme tant vanté
par les gnostiques, la véritable règle de foi, la formule
de l'orthodoxie, la note caractéristique de la vérité,
c'est la tradition orale et vivante de l'Église; et cette
tradition se trouve dans la succession ininterrompue
des évêques dans les Églises fondées par les apôtres, et,
pour ne parler que d'une seule, « la plus grande et la
plus ancienne, connue de tous, dans l'Église fondée et
établie à Home par les très glorieux apôtres Pierre
et Paul. » C'est là qu'est la tradition qui confond tous
les novateurs; et il conclut : Ad hanc igitur Ecclesiam,
propter potiorem principulilatcm, necesse est omnem
convenire ecclesiam., hoc est cas qui sunt undique fidèles,
in qua semperab his, qui sunt undique, conservala est
quœ est ab apostolis traditio. Cont. hœr., ni, 3, 2,
col. 848-849.
La force d'un tel argument n'échappa point à Ter-
tullien. Tertullien sut la faire valoir d'une manière
originale dans son fameux argument de la prescription.
Les gnostiques, pour justifier leur manie de construire
des systèmes à grand renfort de spéculations et de
recherches, invoquaient ce texte : Quœrilc et invenielis,
Matth., vm, 7. Prœscript., 8, P. L., t. il, col. 21. Sans
nul doute, réplique Tertullien, il faut chercher pour
trouver, et pour croire dès qu'on a trouvé, et pour s'en
tenir à la foi. Ibid., 9, col. 23. Car à chercher toujours,
on ne trouve jamais, et on ne croit jamais. Ibid., 10,
col. 24. Ne cherche que celui qui n'a pas encore trouvé
ou qui a perdu. Ibid., 11. col. 25. Mais s'il faut chercher,
c'est chez nous, auprès des nôtres, et non chez les héré-
tiques : Quœranms ergo in nostro, et anoslris, etdenostro;
idquc dumtaxat quod, salua régula fidei, polest in quœ-
stionem devenire. Ibid., 12, col. 26.
Dans leurs recherches, les gnostiques s'appuient
sans doute sur la Bible et allèguent l'Écriture; mais ils
ne sont pas recevables. Ibid., 15, col. 28. Leurs re-
cherches sont sans profit, parce qu'ils n'admettent pas
tous les Livres sacrés, parce qu'ils font subir des retran-
chements ou des additions à ceux qu'ils reçoivent, et
parce qu'ils interprètent à leur gré ceux dont ils citent
les textes, 17, col. 30. Dès lors, l'unique question à
trancher préalablement est celle-ci : Quibus competat
fuies ipsa ? Cujus sint Scriplurœ ? A quo, et per quos,
et quando, et quibus sil tradila disciplina qua fiunt
chrisliani ? Ibid., 19, col. 31. Or, dit-il, le Christ a
confié la doctrine de la foi aux apôtres, et les apôtres
l'ont donnée aux Églises qu'ils ont fondées. Dès lors.,
toute doctrine qui s'accorde avec les Églises aposto-
liques, matrices et sources de la foi, est la véritable,
puisque c'est celle que ces Eglises tiennent des apôtres,
que les apôtres ont reçue du Christ et le Christ de Dieu.
Par contre, toute doctrine en opposition avec l'ensei-
gnement de ces Églises est également en opposition
avec celui des apôtres, du Christ et de Dieu; et par là
même, elle doit être répudiée.
Les apôtres, prétendaient les gnostiques, n'ont pas
tout connu; et s'ils ont tout connu, ils n'ont pas tout
enseigné; et s'ils ont tout enseigné, leur enseignement
a été altéré par les Églises. C'est à réfuter cette triple
hypothèse que s'applique Tertullien. 1. Ceux que Jésus-
Christ a établis maîtres, qu'il a instruits lui-même, et
auxquels il a envoyé le Saint-Esprit pour parfaire
leur instruction, ne peuvent pas ne pas avoir reçu la
révélation complète. Prœscript., 23, P. L., t. il, col. 34-
35. Alléguer l'exemple de Pierre repris par Paul, c'est
confondre une faute de conduite avec une erreur de
doctrine : Utique conversationis juit vilium non prœ-
dicationis. Ibid., col. 36. 2. Les apôtres auraient eu un
enseignement public et un enseignement secret; c'est
une erreur : point d'Évangile occulte chez eux. Ibid.,
25, col. 37. Ils ont prêché publiquement, mais avec la
prudence requise et selon leurs auditoires. Ibid., 26,
col. 38. Ils ont toujours été conformes à eux-mêmes,
dans leurs écrits particuliers comme dans leur parole
publique. 3. Les Églises auraient-elles, par leur faute,
altéré ou diminué l'enseignement apostolique "? Saint
Paul a bien repris les Galates et les Corinthiens.
Reprises ou non, les Églises apostoliques n'ont reçu
qu'une seule et même règle de foi. Ibid., 27, col. 40.
Cet accord des Églises apostoliques est un fait indé-
niable et caractéristique de la vérité : Quod apud
multos unum invenilur, non est erratum, sed traditum.
Ibid., 28, col. 40. Et revenant ad principolitalem vcrila-
lis cl posteritatem mendacitatis, c'est-à-dire à ce carac-
tère de la vérité d'être antérieure au mensonge, il
conclut : Id esse dominicumel verum, quod sit prius tra-
ditum: id autem extraneum et falsum, quod sit potier lus
immissum. Ibid., 31, col. 44. Or les gnostiques sont de
nouveaux venus; ils ont été chassés de l'Église tels
1467
GNOSTICISME — GOAR
1468
Valentin et Marcion. Us cherchent bien à se rattacher
aux apôtres, mais ils ne remontent jusqu'à eux que
par des sectes que les apôtres ont condamnées, ibid.,
33, col. 45; et par là même ils sont condamnés, eux
aussi. Ibid., 34, col. 47. Voyez, dit-il, les Églises apos-
toliques de Corinthe, de Philippes, de Thessalonique,
d'Éphèse. Voyez Rome, cui totam doclrinam aposloli
cum sanguine suo pro/uderunt. Ibid., 36, col. 49. Et ici
il rejoint saint Irénée, après avoir opposé aux gnos-
tiques une fin de non-recevoir, et forgé ce qu'il appelle
si bien ce cuneus veritalis. Admirable argument qui
montre que l'Ecriture elle-même, l'une des sources de
la révélation, dépend, pour son interprétation légitime
et authentique, de la tradition. Il sera repris, complété,
mais il a été formulé par saint Irénée et par Tertullien
pour combattre le gnosticisme; et il vaut contre toute
hérésie.
Pour les points de détail, spécialement traités par
Clément d'Alexandrie contre les gnostiques relative-
ment à la foi et à la gnose, à la recherche philosophique,
rrJ7r|<jtç, au vrai gnostique, à l'Écriture, à la tradition,
à la règle de foi, à l'Église, à la morale, à l'ascétisme, au
martyre et à l'eschatologie, voir Clément d'Alexan-
drie, t. ni) col. 137-200.
Massuet, Disserlationes in quinque Irenwi libros, P. G.,
t. vu, col. 23-382; Le Nourry, Disserhdiones de omnibus
Clcmentis Alcxandrini operibns, P. G., t. ix, col. 797-1481;
Tillemont, Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique
des six premiers siècles. Paris, 1(593-1712; Ceillier, His-
toire générale des auteurs sacrés et ecclésiastiques, Paris,
1729-1763, 1858-1863; Matter, Histoire critique du gnosti-
cisme, Paris, 1828; Strasbourg, 1843; Baur, Die christlichc
Gnosis, TuNngue, 1835; N'eander, Gnosliche Entwickelung
der vornehensten gnostisebische System, Berlin, 1815; Lèques,
Les caractères du gnosticisme (thèse), Toulouse, 1850;
Lipsius, Der Gnosticismus, Leipzig, 1860; Laurin, Du
gnosticisme (thèse), Aix, 1878; Harnack, Zur Quellenkritik
der Geschichle des Gnosticismus, Leipzig, 1873, dans Zeil-
schrift furdiehistorische Théologie, 1874, t. xliv, p. 143-226;
Geschichle der altchristlichen l.itleratur bis Eusebius, Leipzig,
1893-1897; Die Ueberlie/erung, Leipzig, 1882, t. i, p. 144-
231; Th. Mansel, The gnostic luvresies, édit. J. Lightfoot,
Londres, 1875; Mœhler, Gesammelte Sehriften, Batisbonne,
1839, t. i, p. 403 sq.; Hilgenfeld, Die Ketzergeschichle des
Vrchristenlhums, Leipzig, 1884; E. Amélineau, Essai sur
le gnosticisme égyptien, Paris, 1887; Kunze, De historiée
gnoslicismi fontibus noviv qua'sliones critica.', Leipzig, 1894;
L. Duchesne, Les origines chrétiennes (édit. lith.), Paris,
1886, p. 130-170, 248-251; Histoire ancienne de l'Église,
Paris, 1906, t. i, p. 153-194; Dôllinger, Beitrâge zur Sektcn-
geschichte des Mittelalters, Munich, 1890; E. de Faye,
Gnostiques et gnosticisme. Etude critique des documents du
gnosticisme chrétien aux IIe et IIIe siècles, Paris, 1913;
Kirchcnlcxiknn, l. v, p. 765-775; Realencyklopàdic fiir
proteslanlische Théologie und Kirche, t. vi, p. 728-738;
Dulionary oj Christian biographg, Londres, 1877-1887;
U. Chevalier, Répertoire. Topo-bibliograhie, col. 1312-1313.
G. Bareille.
GOAR Jacques, dominicain français et célèbre
helléniste du xvnc siècle. Il naquit à Paris en 1601;
après des études très approfondies surtout en grec et
en latin, il entra dans l'ordre de saint Dominique au
couvent de l'Annonciation, sis faubourg Saint-Honoré.
Il y prit l'habit, le 2 mai 1619; le 24 mai de l'année
suivante, il y fit profession entre les mains du P.Georges
Laugier, vicaire général de la congrégation occitaine.
Ses études de philosophie et de théologie achevées, il
devint lecteur au couvent de Toul. Il n'avait pas
cessé de s'adonner à l'étude de la littérature grecque
et désirait en faire sa principale occupation. Il profila
de la visite du maître général, Nicolas Ridolfi, en
France et de son séjour à Paris, pour demander
d'aller en Grèce dans le but de se perfectionner clans
la connaissance de la langue. Ridolfi le lui permit et il
partit en 1631 pour l'île de Chio; il fut nommé prieur
du couvent de Saint-Sébastien de la ville de Chio,
1 charge qu'il conserva pendant six années. Là, tout en
exerçant les fonctions de missionnaire apostolique, il
étudiait de près les rites de l'Église grecque, s'enqué-
rant des usages, entrant en rapport avec les personnes
le plus capables de le renseigner. Cependant, il ne
semble pas qu'il ait pu séjourner dans l'île après mars
1637, ainsi que le montre une lettre du 25 mars.
Probablement cette même année 1637, il revint à
Rome où il fut fait prieur du couvent de Saint-Sixte;
il eut alors l'occasion d'entrer en relations avec un
certain nombre de personnages, savants hellénistes,
tels que Léon Allatius, Basile Falasca, procureur géné-
ral des basiliens, Georges Coresio, Pantaléon Ligaridio,
etc. En 1642, il était de retour à Paris, où il est chargé
de la formation des novices ; mais dès l'année suivante, il
reprend le chemin de Rome, où il arrive dans le mois de
novembre 1643. En route, il visite toutes les bibliothè-
ques qu'il peut, pourexaminerleurs collections grecques.
Ce n'est qu'à son retour à Paris, le 24 juillet 1644,
qu'il décida de se mettre à la composition d'ouvrages,
pour lesquels il recueillait des matériaux depuis si
longtemps. Le 20 avril 1653, au chapitre d'Amiens,
il fut élu vicaire général de la congrégation occitaine;
confirmé à Rome dans cette charge le 10 juin, il
inaugura son gouvernement le 19 septembre. Malheureu-
sement il mourait dès l'année suivante, le 23 septembre.
Les travaux de Goar sur la liturgie et les cérémonies
de l'Église grecque sont des plus importants, surtout
par l'érudition et les recherches minutieuses qu'ils
révèlent. Ils ont servi de base à tous les autres travaux
de ce genre. Voici les principaux ouvrages de Goar,
dont les titres un peu longs sont pourtant d'un grand
intérêt: 1° Ej/oAciytov, sive Riluale grwcorum complc-
ctens rilus et ordines divinœ lUurgiœ, officiorum, sacra-
mentorum, consecralionum, benediclionum, junerum,
oralionum, etc., cuilibel personœ stalui vd tempori con-
gruens. juxta usum orientalis Ecclcsiœ : cum scleclis biblio-
theeee regiœ, barberinœ, Cryptœ-Ferratœ, sancli Marci
Florenlini, lilliunœ, allaiian.se, corcsianœ. et aliis proba-
lis ms. cl edilis exemplaribus collatum. Inlerprelationc
lalina, nec non mixlo burbararum vocum brevi glos
sario,œneis figuris et observationibus ex antiquis PP.
et maxime grœeorum thcologorum expositionibus illu-
stration, Paris, 1647; 1676, avec un nouveau titre;
Venise, 1530 (2e édit.); 2° Georgii Ccdreni compendium
hisloriarum ex v;rsione Guilielmi Xilandri cum cjus-
dem annotationibus. Accedunt huic edilioni prœtcr la-
eunas 1res ingénies et alias expletas, in Ccdrenum
P. Jacobi Goar ord. prœd. notœ posteriores, et Caroli
Annibalis Fabrolti J. C. glossarium ad eumdem. Item.
Joanncs Scylitzes Curopalates excipiens ubi Ccdrenus
desinit, nunc primum grœce edilus ex bibliotheca regia,
in-fol., Paris, 1647; 2 in-fol., Venise, 1729; 3° Georgius
Codinus Curopalala, de officiis magnœ Ecclcsiœ el Aulœ
Conslantinopolilanœ. Ex versionc P. Jacobi Grclseri, Soc.
Jesu, cum ejusdem in Codinum commenlariorum libris
tribus, cl de Imaginibus non manujaclis opère. In hac
edilionc pruier comparalum cum regiis mss. grircum
lexlum, cl reparatam latinam versionem, accedunt ine-
dili ex regia et Mazarina bibliotheca offlcialium catalogi,
et ad Codini menlem locuplctcs notœ. Adjungunlur rc-
centiores orienlalium episcopatuum nolilia', voces hono-
rariœ, appcllaliones, dignilalum indices, quibus postremis
sœculis ecclesiaslici vel aulici proccres salulabanlur, in-
fol., Paris, 1648. Cf. Sommervogel, Bibliothèque de la C10
de Jésus, t. m, col. 1802. 4° Georgii monachi el S. J'. N,
Tarasii palriarchœ C.P. quondam syneelli Chronographia
ab Adamo usque ad Dioclclianum (nunc primum) el
Niccphori palriarchœ C. P. breviarium chronographi-
cum ab Adamo ad Michaelis cl cjus P. Theophili
lempora. Ilis tabulœ ehronologicœ. et annolaliones
addilse, in-fol., Paris, 1652. 5° .S. P. N. Theophanis
Chronographia et Leonis grammatici ville recentiorum
1469
GOAR — GODEAU
1470
imperatorum interprète eedem Goario. Goar ne put
mener à bout ce travail; il fut terminé par Combefis
qui mit les notes de Goar à la fin, en y ajoutant les
siennes propres, in-fol., Paris, 1655. Lorsqu il entreprit
ce travail, Goar était déjà atteint d'une maladie d'yeux,
de sorte qu'il laissa s'y glisser pas mal de fautes, qui
furent relevées par le jésuite Pouisines dans son
retuspYÎou toj Ha/j;j.ÉpT| ..., 1666. A son tour, celui-ci
mérita d'être corrigé par Combefis. 6° Collectio elemen-
taris materiarum omnium saeris et divinis canonibas
eontentarum a minimo sacerdote et monacho Malthseo
Blaslare elucubrata simul et compacta. Cette version
latine du ms. grec conservé dans la bibliothèque royale
était enrichie de notes. Elle ne fut jamais publiée et se
conservait au couvent de Saint-Honoré, ainsi que l'ou-
vrage suivant. 7° Synodi Florentines ejus nimirum eau-
sarum Grœcorum pro/ectionis, et ad eam apparalus, cele-
bralionis,definitionis, reditus et evenluum ex ea subse-
quulorum in Ecclcsia Conslanlinopolilana, Grœconicse
videlicet adversus eam perducllionis accurata narredio :
auctorc Sylv^stro Syropulo magno ecclcsiarcha et dicœo-
phylace. Goar avait fait lui-même une copie du ms.
grec de la bibliothèque royale n. 1369, dont le commen-
cement manquait. Il en fit une traduction latine, mais
il n'eut pas le temps de l'annoter, non plus que de le
collationner sur d'autres manuscrits. La copie grecque
de Goar se conservait aussi au couvent de Saint-Honoré,
de même que le texte latin, celui-ci écrit sous sa dictée.
Il avait aussi songé à donner une nouvelle édition de
l'Historia universalis Joannis Zonarœ cum emendala
Hicronymi Wolphii Oclingensis versione Basilœ liô7
olim édita. Il mourut avant d'avoir pu réaliser son
désir. Combefis, qui avait eu la même pensée, ne put
non plus en venir à bout. C'est Du Cange qui pourvut
à cette nouvelle édition, 2 in-fol., Paris, 1687. Enfin
nous pouvons encore signaler de Goar : Altestalio Jacobi
Goariord.privd.de communione orienlalium sub specie
unica. Elle se trouve insérée dans Allatius, De. ..perpétua
consensione, col. 1659. Les œuvres historiques de Goar
ont trouvé place dans le Corpus scriptorum hisloriœ
Byzantinse, Bonn, 1878. Bon nombre des manuscrits
grecs rapportés par Goar de ses voyages en Orient pas-
sèrent à la Bibliothèque nationale.
Echard, Scriptores ordinis prœdicatorum, Paris, 171'.),
t. il, p. 574-575; Feller, Dictionnaire historique, Paris, 1818,
t. iv, p. 138; Xieéron, Mémoires pour servir à l'histoire des
hommes illustres dans la république des leltres, Paris, 1724-
1745, t. xix, p. 384 sq.; Renaudot, Collectio liturqiarum
orienlalium, Paris, 1716, t. i; Perpétuité de la foi, t. jv,
1. I, c. i, édit. Migne, t. ni, p. 21; Hurler, Nomenclalor
literarius, Inspruck, 1907, t. IV, col. 1210-1212; Sommer-
vogel, Bibliothèque de la Cle de Jésus, art. Poussines et
Gretzer; L. Delisle, Le cabinet des manuscrits, Paris, 1874,
t. il, p. 245; Danielis Miehaelis Inlroductio ad hislor. litlcr.,
1721, p. 99 et 100; Baudelot, De l'utilité des voyages, édit.
de 1727, t. n, p. 419; Touron, Histoire des hommes illustres
de l'ordre de saint Dominique, Paris, 1748, t. v, p. 357-363;
quelques lettres de Goar aux archives de l'ordre.
R. CouLON.
GOBAT Georges, un des principaux moralistes et
casuistes du xvne siècle. Né à Charmoille, dans la
principauté de Porrentruy, le 1er juillet 1600, il fut
reçu dans la Compagnie de Jésus le 1er juin 1618, et,
après avoir professé la littérature et la philosophie, se
livra exclusivement à l'étude et à l'enseignement de la
théologie morale, où il ne tarda point à acquérir la
réputation d'un maître. Sa haute vertu et la sagesse
de ses conseils lui firent confier d'importantes missions.
Après vingt-sept années d'enseignement théologique, le
P. Gobât fut chargé delà direction du collège de Hall,
puis de celui de Fribourg, et mourut à Constance le
23 mars 1679, en préparant une édition complète cle ses
œuvres, qui ont toutes pour objet la théologie morale.
1° Sensuset consensus doctorum de jubilco duplici etsus-
pensione indulgentiarum propositus, Inspruck, 1619; ce
dernier ouvrage qui contenait, avec une étude sur les
bulles d'Innocent X, une foule d'aperçus originaux et
quelques solutions nouvelles, attira aussitôt l'attention
du monde ecclésiastique sur le brillant professeur; le
traité fut réimprimé à Cracovie en 1651; 2° Thésaurus
ecclesiasticus indulgentiarum in quo omniadubia mora-
lin... proponunlur, ibid., 1650; Munich, 1650; Con-
stance, 1670; c'était le recueil le plus complet qui eût
alors paru sur ces matières ; il était précédé d'une re-
marquable dissertation sur la nature des indulgences
où abondaient encore les vues nouvelles; 3° Alphabe-
ticum communicantium, Constance, 1659; Inspruck,
1652; Munich, 1662: recueil de cas de conscience et
traité pratique sur la réception et l'administration de
la sainte eucharistie; 4° Clypeus elemenlium judicum
ulriusque fori, Constance, 1659; Munich, 1662; Con-
stance, 1663; cette dernière édition est de beaucoup la
meilleure; 5° Alphabeticum sacrificantium, Constance,
1660; Munich, 1663 : traité pratique etrecueil de cas de
conscience sur la célébration de la sainte messe;
i3"Thcologia juridico-moralis, seu accusai io canonica
ebriosi, ad divortium compellcndi, Munich, 1663;
l°Alphabetum baplizantium et confirmantium, Munich,
1663; 8" Alphabelum sacri audiendi et breviarii reci-
landi, Constance, 1664; 9° Alphabelum ordinis cl
exlremse unctionis, ibid., 1664; 10° Alphabctum matri-
moniede, 2 vol., ibid., 1665; 11° Alphabelum confessa-
riorum, ibid., 1666; 12° Alphabelum confitcntium,
ibid., 1667; tous ces ouvrages qui épuisent sur chaque
point la matière sont conçus d'après le même plan,
cher à l'auteur, des cas de conscience suivi de l'exposé
théorique de chaque question; 13° Clavis alphabclieo-
sacramcnlalis, id est, tractatus moralis de sacrameniii
in génère, ibid., 1667; 14° Alphabelum quadruplex quo...
explicalur materia voti, juramcnli, blasphcmix cl
superslilionis, ibid., 1672. Le P. Gobât avait entrepris
l'édition définitive de ses œuvres dans les Opéra
moralia, dont le rr tome parut à Ingolstadt en 1678,
lorsqu'il succomba à la tâche, au collège de Constance,
le 23 mars 1679. Dans les dernières années de sa vie,
il avait été recteur des collèges de Hall et de Fribourg
en Suisse où sa mémoire resta longtemps en véné-
ration. L'édition de ses œuvres fut reprise aussitôt par
le collège de Constance, et les deux derniers volumes,
publiés avec une apparente précipitation, parurent à
Munich en 1681. L'édition de Douai, 1700, en 3 in-fol.,
fut revue avec le plus grand soin et servit aux éditions
de Venise de 1710 et 1744. Les œuvres de Gobât
attirèrent l'attention de l'évèquc d'Arras, fort mal
disposé en faveur des doctrines de la Compagnie de
Jésus. Il les censura dans un écrit paru à Arras en 1703,
et qui provoqua une assez vive polémique. Plusieurs
ouvrages parurent en réponse pour justifier les doc-
trines incriminées : Justification des jésuites de Douai,
s. 1. n. d.; Apologie pour la doctrine des jésuites par le
P. Gabr. Daniel, Liège, 1703; Vindicise Gobaliamv,
17(16, important ouvrage du P. Christophe Rassler.
La doctrine de Gobât ne méritait point cette censure
sévère. Bien que certains points de détail ne puissent
plus être retenus aujourd'hui, « l'ensemble de sa
doctrine est solidement établi et, de son temps, il
était partout consulté. » Lehmkuhl, Theologia moralis,
Fribourg-en-Brisgau, 1888, t. n, p. 806.
Sommervogel, Bibliothèque de la C'° de Jésus, t. ni,
col. 1505-1512; Hurter, Nomenclator, 3» édit., 1912, t. ni,
col. 234; A. Valrey, Histoire du collèqe de Porrcntrug.
Porrentruy, 1868, p. 116 sq.
P. Bernard.
GODEAU Anioine, né à Dreux le 24 septembre 1605,
mort à Vence le 21 avril 1672. Après une jeunesse
mondaine, où il fut très remarqué à l'hôtel de Ram-
1*71
GODEAU — GODOY
1472
bouillet et surnommé « le nain de la princesse Julie ».
avocat au parlement de Paris, membre de l'Académie
française dès son origine, il reçut le sous-diaconat
en mai 1635 et la prêtrise en 1636. Nommé évèque de
Grasse le 21 juin 1636, préconisé le 22 septembre et
sacré à Paris le 14 décembre, il arriva le 28 septem-
bre 1637 dans sa ville épiscopale. Sans cesser de s'oc-
cuper de littérature et de suivre de loin la vie mondaine
où il avait brillé, il s'occupe activement de son diocèse,
tM chargé par Louis XIII de cbasser les cassinistes
de Lérins et de les remplacer par les mauristes en 1638,
est nommé le 20 décembre 1639 évèque de Vence dont
le diocèse est réuni au sien, ce qui ne fut ratifié que
par Innocent X le 7 décembre 1644. Godeau joua un
rôle important en Provence et dans les Assemblées
.générales du clergé en 1645-1646 et 1653. Louis XIV
avant demandé au Saint-Siège la désunion des deux
diocèses en 1653, Godeau résigna Grasse et garda Vence.
Il reparut à l'Assemblée générale de 1655-1657, admi-
nistra le diocèse d'Aix en 1660 durant l'absence du car-
dinal Grimaldi, continua à être remarqué en Provence,
surtout lors du voyage de la cour. Il fut un instant
question de lui comme précepteur du Dauphin. En 1761,
sur sa demande, Louis de Thomassin lui fut donné
comme coadj ut eur, après avoir été préconisé le 14 dé-
cembre au titre de Rhodiopolis et sacré le 25 février
1672 à Paris; Godeau mourut deux mois après le sacre
de Mgr de Thomassin. 11 a laissé un nombre considé-
rable d'ouvrages en prose et en vers. Parmi les premiers,
on peut mentionner ses Paraphrases sur les Épîtres de
saint Paul et les Épitres canoniques, ses Oraisons funèbres
(Louis XIII, Listolfi Maroni, évèque de Bazas, J.-B.
Camus, ancien évèque de Belley, Mathieu Mole, Jean IV,
roi de Portugal), ses Ordonnances et Instructions
synodedes, ses Instructions et prières chrétiennes, son
Histoire de l'Église, ses Vies des saints Paul, Augustin
et Charles Borromée, ses Tableaux de la pénitence, ses
Œuvres chrétiennes et morales, son Traité des séminaires,
ses Éloges de divers évêques, empereurs, rois, etc., son
Nouveau Testament. Dans ses ouvrages posthumes, ses
Homélies, sa Morale chrétienne, ses Lettres. Dans les
documents possédés par les archives départementales
des Alpes-Maritimes, divers mandements, lettres, etc.
Parmi les œuvres envers de Godeau, on peut signaler
ses Œuvres chrétiennes, ses Poésies chrétiennes, sa Para-
phrase des Psaumes, ses Hymnes (en l'honneur de sainte
Geneviève et de saint Charles Borromée), son Saint Paul.
En outre, un poème posthume, Les jasles de l'Église.
Protégé par Richelieu, mal vu par Mazarin, Godeau a
été mêlé aux querelles du jansénisme. Cousin deConrart,
il ne réussit pas à le convertir au culte catholique.
P. Tourtoureau, Oraison funèbre de Godeau (1672);
abbé Tisserand, Antoine Godeau, Paris, 1870; Histoire de
\'ence, Paris, 1860; R. Kerviler, Antoine Godeau, Paris,
1879; abbé Cognet, Antoine Godeau (thèse de doctorat),
Paris, 1900 : un index bibliographique et une table des
ouvrages de l'evêque s'y trouvent; G. Doublet, Godeau,
èvèijue de Grasse et de Vence, 2 in-8°, Paris, 1912, 1913
(le reste sous presse).
G. Doublet.
GODFROY ciaude-Eusèbe, jésuite français, né le
15 décembre 1817 à Armaucourt (Meurlhe), enseigna la
phvsique (1841-1845), l'Écriture sainteet l'hébreu (1845-
1853) au grand séminaire de Nancy, où son influence
contribua pendant dix ans à former une génération
de prêtres qui furent l'honneur du diocèse, et se fit
admettre dans la Compagnie de Jésus, au noviciat de
Saint-Acheul, le 8 septembre 1853. D'abord pro-
fesseur de philosophie au collège Saint-Clément de
Metz, il ne tarda pas à être envoyé à Paris à la rédac-
tion des Éludes religieuses que venaient de fonder les
Pères Daniel et Gagarin. Il s'occupa surtout de ques-
tions exégétiques et s'attacha à réfuter les principales
erreurs de Renan. On a de lui une assez longue série
d'ouvrages qui traitent surtout de questions ascétiques
ou de l'enseignement de la religion au peuple. Parmi
ses écrits apologétiques, il convient de citer : De l'exé-
gèse rationaliste, Paris, 1856; Motifs et précis de la foi
catholique contre tes erreurs du temps présent, Nancy,
1859; Voltaire : Son centenaire, Troyes, 1878. Son
zèle se dépensa dans les vingt dernières années de sa
vie à des œuvres d'apostolat qu'il sut rendre floris-
santes et qui rendirent son nom particulièrement cher
à la ville de Troyes. Il mourut à Flavignv-sur-Moselle,
le 4 avril 1889. *
Sommervogel, Bibliothèque de la C'e de Jésus, t. m,
col. 1518 sq. ; Lettres de Jersey, t. vin, p. 200 sq.
P. Bernard.
GODOY (Pierre de) fut un des meilleurs théolo-
giens que fournit au xvne siècle l'école dominicaine
espagnole. Il naquit à Aldeanneva, dans l'Estramadure,
diocèse de Plasencia. Il entra dans l'ordre dominicain
au couvent de San Esteban, à Salamanque, et y fit
profession. Il fut envoyé ensuite, pour y poursuivre
ses études, au collège Saint-Grégoire de Valladolid. Il
revint à Salamanque où il enseigna avec éclat dans
la première chaire de théologie de l'université. Comme
prédicateur, il eut aussi le plus grand renom. Après
vingt-cinq ans d'enseignement, Philippe IV voulut le
récompenser et le fit nommer à l'évêché d'Osma, choix
que ratifia Alexandre VII, le 31 mars 1664. Après avoir
gouverné cette église pendant plusieurs années, il fut
transféré à celle de Siguenza, en 1672. Voir Gams,
Séries episcoporum.p. 75. C'est sur ce siège qu'il mourut,
le 2 novembre 1687. Il ne semble pas pourtant que l'on
doive retenir cette date de 1687 donnée par Gams. En
effet, le 12 juillet 1677, Innocent XI nomme à l'évêché
de Siguenza Thomas Carbonel, lui aussi dominicain,
et le donne comme successeur à un certain Pierre, qui
ne peut être que Godoy. D'autre part, des relations
circonstanciées fournies à Cavalieri prouvent que Pierre
Godoy dut mourir dans le courant de la même année
1677. Les auteurs espagnols ont célébré sa générosité et
son amour des pauvres. On a de lui : 1° Dispulationes
theologicœ in IIP" partent D. Thomœ, 3 in-fol., Osma,
1666-1668; Venise, 1686; 2° Disputationcs theologicie
in I'm partem D. Thomœ, 3 in-fol., Osma, 1669-1671;
3° Disputationcs théologien- in I IIœD. Thomsc,'m-îo\.,
Osma, 1672. Plus tard ces ouvrages furent réunis et
parurent ensemble, in-fol., Venise, 1686; 7 in-4°. 1696;
7 in-fol., 1763. Cette édition contient des appendices
par J.-B. Gonet. Plusieurs écrits philosophiques de
Pierre Godoy parurent sous d'autres noms, ainsi que
le déclare Cavalieri, Galleria dei sommi ponte fici, etc.,
1. 1, p. 699. Il faut noter aussi comment il peut se faire
que l'on retrouve exactement les mêmes passages à
la fois dans Godoy, surtout dans ses commentaires
sur la I", et dans Gonet, Clypcus, etc. Voici comment
Echard explique la chose. L'enseignement de P.
Godoy à Salamanque eut un tel succès qu'aussitôt
l'on compta plus de mille exemplaires manuscrits
de ses leçons, qui non seulement se répandirent par-
tout en Espagne, mais aussi en Italie et en France.
Sans doute un exemplaire tomba entre les mains
de Gonet qui, en ce temps-là, préparait l'édition
de son Clypcus. Trouvant dans l'exposition du théo-
logien espagnol l'expression exacte de sa propre
pensée, il l'adopta et la fit ainsi passer dans son propre
travail. Néanmoins, on ne saurait sans injustice
accuser Gonet de plagiat, car lui-même, dans son
prologue au lecteur, t. i, s'est prévalu de son autorité
et l'a dit clairement. Il en est résulté que ces passages
de Godoy parurent dans l'ouvrage de Gonet, 1659 sq..
avant que l'auteur lui-même les ait publiés pour son
propre compte. Malgré cet aveu, il paraît que Godoy
fut peu satisfait du procédé de Gonet et deux de ses
1473
GODOY
GŒRRES
1474
amis et censeurs, François de Ayllon et Hyacinthe
de Parra, le lui reprochèrent, le premier dans le pro-
logue ad leclorem du traité De Trinitale, le second
dans la censure des Disputationcs in 1-"" 1PV. Echard
excuse Gonet, en disant que peut-être sans le stimulant
que Godoy reçut de la publication du CUjpeus, il ne se
serait point décidé à faire paraître son travail, qui eût
été ainsi perdu ou qui eût paru sous d'autres noms.
Echard, Scriptores ordinis pnvdicatorum, Paris, 1719,
1721, t. ii, p. 073-671; Fontana, Theatrum dominicanum,
Rome, 1666, p. 256; Mich. Cavalieri, Gallcria de' sommi
ponteflei, etc., Bénévent, 1696, t. i, p. 699; Ilurter, Nomen-
clator Uterarius, Inspruck, 1910, t. IV, col. 7; Gams, Séries
episcoporum, p. 75.
R. Coulon.
GOEPFFERT Georges, jésuite allemand, né à
Bischofsheim, dans le duché de Bade, le 8 décembre
1G35, entra dans la Compagnie de Jésus le 16 dé-
cembre 1656. Après avoir enseigné les humanités à
Mayence, la philosophie à Heiligenstadt et à Wurz-
bourg, il professa successivement la théologie à
Bamberg, à Wurzbourg, à Molslieim, à Fulda, devint
chancelier de l'université de Bamberg et mourut à
Wurzbourg le 14 septembre 1704. Il reste de lui quel-
ques thèses de théologie : Dux et lux divini judicii siv
Verbum incarnalum ex be(dissima Virgine natum,
Bamberg, 1697; JEnigma theologicum ex 1" parle
Summœ theologiœ desumptum. Deus unus et trinus,
ibid., 1698; Thèses theologicœ de inearnati Verbi
mysterio, ibid., 1698; De prolegomenis et principiis
juris canonici, ibid., 1698.
Sommervogel, Bibliothèque de la C'° de Jésus, t. ni,
col. 1527 sq.; Group, Collectio scriptoram Wircebwgentiwn,
Francfort, 1754, t. n, p. 511-526.
R. Coulon.
GŒRRES (Jean-Joseph de), né le 25 janvier 1776
à Coblentz, mort à Munich le 29 janvier 1848, est un
des hommes de son temps qui ont le mieux mérité
à la fois de l'Église et de leur patrie; personne, au
xixe siècle, ne s'est voué à la défense des droits de
l'Église et de la liberté politique et religieuse du
peuple allemand avec plus de persévérance et d'éclat.
Esprit universel, qui embrassait dans le vaste cercle
de ses connaissances les parties les plus diverses du
savoir humain, l'histoire et les sciences exactes, la théo-
logie et les sciences naturelles; âme de feu; plume
fertile autant que ferme et hardie, Gœrres a été, par
ses facultés puissantes comme par ses talents variés,
le second Leibniz de son pays, et il a exercé en Alle-
magne une influence considérable sur l'étude des
sciences ecclésiastiques. On distingue dans sa vie trois
phases, ayant chacune son caractère et sa physionomie
propre.
7re période: 1776-1800. Issu d'une famille bourgeoise
aisée, Gœrres fut élevé dans le gymnase de sa ville
natale, mais ne put, en raison des événements politiques,
suivre les cours de l'université de Bonn, où il avail
projeté d'abord d'aller étudier la médecine; le docte,
l'infatigable, le généreux Gœrres sera, par-dessus tout,
un autodidacte. En 1794, lorsque les victoires de la
République française l'eurent rendue maîtresse de la
rive gauche du Rhin et lui eurent ouvert Coblentz, le
jeune Gœrres se fit le champion enthousiaste des idées
républicaines et les célébra tant par sa vive parole dans
les clubs de sa patrie que par de spirituels et mordants
écrits, brochures ou articles de journaux; l'Église
catholique et ses institutions n'y furent même pas épar-
gnées. Cette exaltation juvénile, néanmoins, tomba
vite; le mirage des idées républicaines dura peu; à la
clarté de l'orage qui était venu fondre sur Coblentz,
Gœrres entrevit bientôt l'immense vanité de ses illu-
sions et, profondément désabusé, il laissa de côté la
politique, pour se tourner vers la science et vers l'art.
DICT. DE THÉOL. CATHOL.
On le vit s'adonner surtout à l'étude des sciences natu-
relles, et y rester plus ou moins enlacé dans les for-
mules panthéistes de Schelling, dont la philosophie
avait fasciné sa jeunesse.
2e période : 1801-1826. Pourvu de la chaire de
physique à l'école secondaire de Coblentz, le publiciste
d'hier, le laborieux et pénétrant écrivain, après avoir
traduit en 1801 les Tableaux synoptiques de chimie de
Fourcroy, faisait paraître, en 1803, ses Aphorismen ùb':r
die Organonomic, en 1805, une Exposition de la physio-
logie, et des Aphorismen ïiber die Organologie, en 1806,
les Aphorismen ùber Glaube und Wissen. Cette année
même, sur la chaude recommandation d'un savant
jurisconsulte, le professeur Thibaut, Gœrres était trans-
féré à l'université de Heidelberg, et y entamait une
série de leçons d'histoire et de littérature. Dans son
livre des Teulschen Volksbùcher, il excita l'intérêt pour
les obscurs et lointains domaines de la vieille Alle-
magne, et noua d'étroites relations avec les membres
de l'école romantique allemande, dont il fut l'un des
promoteurs. Mais l'animosité des protestants contre
cette école décida Gœrres en 1808 à quitter Heidelberg,
et, le projet de l'appeler à Landshut ayant échoué,
il reprit sa chaire à l'école secondaire de Coblentz.
Là, en poursuivant ses travaux sur le passé de l'Alle-
magne, il pénétra dans les mythes du monde asiatique
et publia, en 1810, son célèbre livre : Die Mylhcn-
(jcschichtc der asialischen Well, qui depuis a été dépassé,
mais qui fut alors pour les esprits cultivés une révéla-
tion. Quelques années plus tard, au commencement
de 1814, le patriotisme de Gœrres le ramena dans
l'arène politique. Quand l'Allemagne se souleva contre
la domination de l'empereur Napoléon Ier, Gœrres mit
sa plume au service de l'œuvre d'indépendance natio-
nale, et fonda, pour rallumer par son éloquence enflam-
mée le patriotisme des Allemands, une feuille hebdo-
madaire, le Rheinisehe Merkur. Ce journal acquit très
vite une importance extraordinaire, et telle que Napo-
léon put le tenir pour « la cinquième des puissances
coalisées contre lui » Mais, la guerre terminée, l'intré-
pide journaliste ne désarma pas; obstinément il demeu-
ra l'apôtre de la cause de la liberté des peuples. L'âpreté
de langage avec laquelle il dénonçait et flagellait les
plaies de l'époque, sans ménager les plus hauts person-
nages, blessa et irrita les hommes au pouvoir : le 10 jan
vier 1816, le Mercure rhénan était supprimé; Gœrres
fut révoqué de ses fonctions d'inspecteur de l'instruc-
tion publique. En 1819, il ne laissa pas, dans sa bro-
chure : Teutschland und die Révolution, de stigmatiser
l'attitude des gouvernements envers l'Église et de leur
rappeler avec sa force coutumière leurs engagements
sacrés envers leurs sujets catholiques. Rien ne put
arrêter la difïusion de la brochure ; l'écho que ces arden-
tes revendications trouvèrent dans toute l'Allemagne,
en YVestphalie notamment et clans les pays du Rhin,
fit sentir aux plus hautes régions du pouvoir la néces-
sité d'une entente religieuse avec Rome. Devant les
menaces et les tracasseries de la police, Gœrres s'enfuit
de Coblentz et fixa sa résidence à Strasbourg. Ce fut à
Strasbourg qu'il écrivit, en 1820, He'ldenbuch von Iran,
et l'année d'après, son Apologie personnelle contre les
procédés du bureaucratisme prussien, In Sachen des
Rheinprovinz und in cigener Angelegenheit, laquelle
parut à Stuttgart en 1822; il y prit aussi congé défi-
nitivement de la politique par une étincelante et patrio-
tique brochure: Europa und die Révolution ; désormais,
il sera tout à la science et a l'Église. Pendant son
séjour à Strasbourg, en effet, il apporta une colla-
boration active et très remarquée à la revue : Der
Kalholik, que Bœss et Weiss avaient fondée à Mayence
en 1821. De cette époque date, pour Gœrres, sous
l'influence de ses relations avec les Liebermann, les
Rœss, les Weiss, etc., un pas décisif dans l'évolution
VI. —47
1475
GŒRRES — GOLDHAGEN
1476
chrétienne. Gœrres n'avait jamais fait la guerre à
l'Église; mais il n'avait pas su dans ses premiers écrits
en apprécier le vrai caractère et le vrai rôle. Comme
ses idées politiques, ses idées religieuses allèrent tou-
jours se redressant et s'assagissant; elles finirent par
gouverner tout à fait sa pensée. Déjà, dans le Mercure
rhénan, il avait parlé en faveur du pape, et, dans sa
brochure : Teutschland und die Révolution, il avait dé-
fendu la liberté de l'Église, la hiérarchie ecclésiastique,
les jésuites, etc. Dans ses brillants articles du Catho-
lique, il eut pour but avant tout de servir la cause de
la religion; il en fut le puissant et généreux athlète.
<?e période : 1827-1848. Appelé par le roi Louis I"
de Bavière, en 1827, à la chaire d'histoire de l'univer-
sité de Munich, afin d'en accroître le lustre, Gœrres
eut à cœur, dans ses cours publics, dans ses conversa-
tions privées, dans ses ouvrages, de rendre à la science,
à la politiqu: et à l'art la base chrétienne que l'incré-
dulité frivole du xvin» siècle avait sapée. Il ensei-
gnera dans Munich avec un immense éclat, endoctri-
nant une foule de disciples, d'auditeurs bénévoles de
toutes nations; il sera le centre du groupe d'hommes
éminents qui y présidaient à la grande rénovation reli-
gieuse et artistique, les Dœllinger, les Mœhler, les
Phillips, les Cornélius, etc.; il écrira avec sa verve
coutumière dans le journal catholique, YEos. Il s'occupa
de l'Hexaméron et de la table des peuples de la Genèse :
Ueber die Grundlage, Gliederung und Zeitenfolge der
Weltgeschichte, Breslau, 1830; 2'' édit., 1880; Die Vôl-
kertafel des Pentaleuch. I. Die Japheliden und ihr Aus-
zug aus Arménien, Ratisbonne, 1845. Mais son œuvre
capitale, sera sa Mystique chrétienne, qu'il méditait
depuis Strasbourg et qu'il publia de 1836 à 1842, en
quatre volumes : monument de vaste érudition, où
l'auteur, resté fidèle à Schelling sur le terrain de la
physiologie et de la psychologie, veille soigneusement
à ne pas s'écarter du vrai point de vue chrétien; pro-
testation énergique contre le rationalisme des temps
modernes, et qui produisit au delà du Rhin une vive
sensation. La Mystique a été traduite en français par
M. Sainte-Foi, 5 vol., Paris, 1854-1855. Lorsque, en
1837, l'archevêque de Cologne fut jeté en prison, les
idées de toute sa vie sur les rapports de l'Église et
de l'État., comme sa vieille haine de l'absolutisme poli-
tique, inspirèrent à Gœrres son Athanasius : défense
éloquente et vigoureuse de Mgr de Droste-Vischering
en même temps que lumineux exposé des principes de
droit engagés dans l'alïaire; l'Allemagne catholique y
applaudit. Aux attaques des trois hommes de talent
qui se firent les avocats du gouvernement prussien,
H. Léo. Marheinecke et Bruno Bauer, Gœrres rispota
victorieusement par son livre : Die Triarier, qui donna
un mouvement singulier aux esprits en Allemagne
et que consacre l'approbation de Grégoire XVI. Sous
l'impression des affaires de Cologne, une revue nou-
velle avait été fondée : Die hislorisch-politischcn Blutler,
pour combattre les préjugés et les erreurs hostiles à
l'Église et à son histoire dans le monde. Gœrres en fut le
zélé collaborateur; pas un numéro de cette revue dans
lequel il n'ait inséré quelque article jusqu'à sa mort. En
1 s l"), il poussa un dernier cri pour l'honneur de l'Église
dans son livre: Die Wallfalui nach Trier, à l'occasion
des attaques lancées, l'année précédente, contre le pèle-
rinage national à la Sainte Tunique. Le soir de sa vie
fut assombri par les désordres que provoqua le séjour
de Lola Montez à Munich, et qui amena, sans atteindre
Gœrres lui-même, l'exil de plusieurs de ses amis. Gœrres
mourut à l'âge de 72 ans. « Priez pour les peuples, qui
ne sont plus rien, » avait-il dit sur son lit de mort; et
encore : « La conclusion est tirée, l'État gouverne,
l'Église proteste. »
Les œuvres politiques de Gœrres ont paru à Munich
en (i vol., de 1854 à 18G0; on a publié aussi à Munich
ses lettres en 3 vol., de 1858 à 1874. Une société
savante a pris son nom, Die Gœrres- Gesellschaft, et
continue son œuvre par des publications importantes.
J. Galland, Joseph von Gœrres, Fribourg-en-Brisgau, 1876;
Sepp, Gœrres und seine Zeitgenossen, Nordlingen, 1877;
Kirchenlexikon, t. v, p. 794-802; Realencyclopiidie fur
protestantische Théologie und Kirche, t. vi, p. 744-748;
Hurtcr, Nomenclator literarius, Inspruck, 1912, t. v,
col. 1125-1128; H. Briick, Geschichte der katholischen Kirche
im XIX Jahrhundert, 2e édit., Munster, 1903, t. Il, p. 488 sq.
et passim; Gœrres, n. 938 des Contemporains, Paris, 1910.
P. Godet.
GOETHALS. Voir Henri de Gànd.
GOLDHAGEN Herman, jésuite allemand, né à
Mayence le 14 avril 1713, entré dans la Compagnie
de Jésus le 13 juillet 1735, se fit remarquer de bonne
heure par ses savants travaux sur l'histoire de Mayence
et par ses nombreux ouvrages sur la philologie grecque
et latine, en particulier par ses Insliluliones linguee
latinœ et grsecœ, Manheim, 1750, si souvent réimprimées.
Nommé professeur de théologie à Mayence, il mit à
profit ses vastes connaissances linguistiques pour
rétablir le texte grec du Nouveau Testament contre
les interpolations protestantes ou les leçons arbitrai-
rement choisies et publia, avec un spicilège apo-
logétique, Kaivri BiaOrj/r, sive Novum D. N. J. C.
Tcslamcnlum grœcum cum variantibus lectionibus quee
démonstratif Vulgalam lalinam ipsis e grœcis N. T. codi-
cibus hodiedum exlantibus authenticam, Mayence, 1753.
Cf. Zaccaria, Saggio critico, t. n, p. 462-473. L'ouvrage
a été réédité à Liège, en 1839, par Pierre Kersten. Cf.
Journal de Kersten, t. v, p. 594 sq. Comme suite à ce
travail d'ordre exégétique et apologétique, Goldhagen
releva toutes les erreurs matérielles et les transforma-
tions de textes recueillies dans les écrits protestants
et publia un ouvrage de controverse qui fit grand
bruit en Allemagne : Betrugsanzcige in Rcligionschrijtcn
als in der Teutschcn Uebersctzung der allgemeincn Kir-
chengeschichlen, Francfort, 1756 ; Puis. Exegesis calholica
in prsecipuas voces sacrœ Scripturœ ab acatholicis alieno
sensu maie explicatas, Mayence, 1757, et un ouvrage
de circonstance fort remarquable par la richesse de
l'érudition et la sûreté de la méthode: Meletema bibli-
cophilologicum de religione Hebreeorum sub lege naturedi,
ibid., 1759, réimprimé dans le Thésaurus iheologicus de
Zaccaria, t. vin, et dans le Cursus théologies de Migne,
t. xv. Désormais c'est surtout contre le philosophisme
et le théisme que Goldhagen dirigera son effort; il
s'attachera surtout à réfuter les erreurs du temps et
à défendre les bases mêmes de la foi, préoccupé spéciale-
ment de prémunir la jeunesse des universités et défaire
parvenir jusqu'à elle la substance intacte des saines
doctrines. C'est dans ce but qu'il écrivit son Inlro-
ductio in sacram Scripluram Vetcris ac Novi Tcslamcnli
maxime contra theislas et incredulos, ibid., 1765, t. i;
1766, t. n ; 1768, t. m, puis divers ouvrages destinés
à une diffusion plus grande : Nôthiger Unterricht in
den Religionsgruden gegen die Gefahren der heuligen
Freidenkerei, Manheim, 1769; Denkbùchlein gegen die
Gefahren der Zeil, Mayence, 1772; Grundlehren des
Chrislenlums aus gôttlicher heiliger Schrifl, ibid., 1771,
1773; Schriflmâssigc Moral in einem kurzen Auszug der
hierzu dienlichen und erklàrten Schriftstellen, ibid., 1774.
Ce traité contient d'importantes remarques sur les
leçons de morale de Gellert parues à Leipzig, en 1770.
Toujours contre les protestants libéraux et les incré-
dules de l'époque, l'infatigable travailleur publiait ses
Vindicise harmonico-critiac etexegelicœ in sacram Scri-
pluram.. contra recentiorcs bibliomachosel varii nominis
incredulos, ibid., 1774, 1775, puis un ouvrage apologéti-
que contre les Juifs : Tralaetus Rabbi Samuclis errorum
Judseorum indicans circaobservalioncmlegis mosaicœ cl
1477
GOLDHAGEN
GOMAR
1478
Messiam qucm venturum esxpectant, ibid., d'après les
manuscrits. A ces travaux de pure érudition, le P. Gol-
dhagen ajoutait, pour ranimer en Allemagne le senti-
ment religieux, un solide traité spirituel sur la dévotion
au Sacré-Cœur de Jésus : Anweisung zu der hoehwichli-
gen Andacht zum heiligsten Hcrzen Jesu Chrisli, Saint-
Gai], 1767; Bamberg, 1763; Mayence, 1769, etc. Enfin,
dans le but de répondre plus rapidement et plus réguliè-
rement aux attaques pour ainsi dire quotidiennes diri-
gées contre la religion, le P. Goldhagen fondait la
première revue apologétique sous ce titre : Religions-
Journal, oder Auszùgc aus den beslen allen und neuen
Schriflslellern undVertheidigern der christlichen Religion
mil Anmerkungen. Cette revue paraissait tous les deux
mois et contenait, outre le périodique, des suppléments
et des pièces d'actualité imprimées à part. Goldhagen
la dirigea pendant dix-neuf ans, de l'année 1776 jus-
qu'en 1794. Cette publication fut reprise en 1797 à 1804,
sous le titre de Journal der Religion, Wahreit und
Litleralur. Elle rendit à la religion d'éminents services.
Ces multiples et absorbants travaux n'épuisaient
pas toutefois l'activité prodigieuse du P. Goldhagen.
En 1766, il était nommé procureur de la province du
Rhin supérieur et, en 1773, il recevait la charge de
conseiller ecclésiastique à Mayence, puis à Munich,
où il mourut à la tâche, le 28 avril 1794, au milieu
des tristesses et des appréhensions que suscitaient
en Allemagne dans le monde religieux les horreurs
et les menaces de la Révolution française.
Sommcrvogel, Bibliothèque de la Cle de Jésus, t. in,
col. 1538-1544; Hurter, Nomenelator, 3' édit., t. IV, col.
444 sq.
P. Bernard.
GOMAR et GOMARISME — I. Gomar. II.Goma-
risme.
I. Gomar ou Gomarus, et, d'après l'orthographe ori-
ginelle, Gomaer, François, théologien, exégète et polé-
miste protestant, naquit à Bruges, le 30 janvier 1563.
Ses parents, ayant embrassé les principes de la religion
dite réformée, émigrèrent en 1578 dans le Palatinat,
afin de pouvoir professer plus librement leur foi nou-
velle. Ils firent donner à leur fils une éducation soignée,
en rapport avec ses dispositions naturelles et avec
leurs propres convictions. Pendant trois ans, il suivit,
à Strasbourg, les leçons de Jean Sturm. De là, en 1580.
il passa à Neustadt, où les professeurs de la faculté
d'Heidelberg, principaux représentants et défenseurs
des opinions de Calvin, avaient été relégués par l'élec-
teur palatin, adepte fervent du luthéranisme. Il y eut
pour maîtres Zacharie Ursinus, Jérôme Zanchius et
Daniel Tossanus, tous trois très attachés à l'orthodoxie
calviniste. Vers la fin de 1582, il se rendait en Angle-
terre. Il y fréquenta, à Oxford, les cours de théologie
de Jean Reynold, et, à Cambridge, ceux de Guillaume
Whitaker. C'est dans cette dernière ville qu'il prit,
en juin 1584, le grade de bachelier. Il revint ensuite à
Heidelberg, où la faculté avait été réinstallée et où il
employa deux ans à se perfectionner dans la connais-
sance du grec et de l'hébreu. De 1587 à 1593, nous le
trouvons remplissant à Francfort les fonctions de pas-
teur du groupe hollandais de l'Église réformée. Mais
en 1593 la communauté qu'il dirigeait fut dispersée, et
on lui offrit une chaire de théologie à Leyde. Il l'accepta,
après avoir conquis le bonnet de docteur à Heidelberg.
Il était tout entier à sa tâche professorale quand, en
1603, on lui donna comme collègue, à son grand déplai-
sir, Jacques Arminius, déjà connu par ses tendances à
mitiger les effrayantes théories du prédestinatianisme
calviniste. Dès l'année suivante, il commençait contre
lui cette lutte âpre et sans merci, empreinte d'un véri-
table fanatisme, qui devait aboutir au partage de
l'Église néerlandaise en deux factions ennemies. Armi-
nius (voir ce mot) s'écartait, en effet, des sentiments
qui dominaient alors dans les écoles et dans les Églises
réformées de la Hollande. Il rejetait les dogmes de la
prédestination absolue et de la grâce irrésistible, et
rendant à Dieu la bonté et à l'homme la liberté, il
enseignait que la miséricorde divine et les mérites de
Jésus-Christ s'étendent à tout le genre humain, et que
la grâce n'entraîne pas au bien par une force nécessi-
tante sans le libre concours de la volonté à laquelle elle
est offerte. Gomar lui reprochait de ruiner ainsi non
seulement la doctrine prédestinatienne, mais encore
toute l'économie protestante du salut, toute la doctrine
de la justification par la foi, et d'incliner vers la thèse
catholique de la justification par les œuvres. « Je
n'oserais pas, disait-il, paraître devant Dieu après avoir
fait miennes les opinions d' Arminius. » Il eut la bonne
fortune de rencontrer, dès le début de sa campagne,
un fidèle allié et un solide appui en la personne de
Jean Bogermann, qui fut plus tard professeur de théo-
logie à Franeker et président du synode de Dordrecht.
Ses partisans portèrent d'abord le nom de gomaristes, au-
quel vint se joindre ensuite celui de contre-remontrants.
Les dissensions entre gomaristes et arminiens s'enveni-
mèrent bientôt au point'de faire craindre, dans certaines
provinces, qu'elles ne dégénérassent en une véritable
guerre civile. La masse du peuple tenait généralement
pour les croyances calvinistes pures, tandis que bon
nombre de théologiens et de personnages influents
étaient favorables aux idées nouvelles et plus indul-
gentes. Diverses tentatives de conciliation furent faites
à la demande ou avec l'assentiment du gouvernement.
11 y eut entre les adversaires plusieurs colloques ou
discussions publiques. En 1608, à deux reprises, Gomar
personnellement soutint un débat de ce genre devant
l'assemblée des États généraux; et l'année suivante,
une dispute plus solennelle encore mit aux prises deux
groupes de cinq champions chacun, Gomar figurant
toujours en tète des défenseurs de sa cause. La mort
d' Arminius, survenue en 1609, ne mit fin ni à la contro-
verse dont il avait été la cause ou l'occasion, ni à
l'ardeur avec laquelle les héritiers de ses vues théo-
logiques furent poursuivis partout où l'on crut les ren-
contrer. Pourtant, en 1611, Gomar eut comme un
moment de découragement et sembla vouloir aban-
donner le champ de bataille. Il s'était vainement
remué pour empêcher qu'on confiât la chaire délaissée
par son rival à un des amis de celui-ci, Conrad Vorstius.
Dépité de son échec et cle cette nomination, il donna
sa démission, quitta Leyde et se retira à Middelbourg,
où il se livra à la prédication, tout en faisant des leçons
de théologie et d'hébreu dans un établissement qu'on
venait de fonder sous le nom d'Illustre Schule. Mais,
en 1614, il consentit à reprendre une chaire de théo-
logie à la faculté protestante de Saumur, en France; et,
quatre ans plus tard, rentrant dans les Pays-Bas, il
devenait premier professeur de théologie et d'hébreu
à Groningue. Ce fut la dernière étape de sa carrière
errante, et elle embrasse une période de vingt-trois
années. On a noté, comme indice de son application
et de son prosélytisme scientifiques, qu'il n'avait,
durant tout ce temps, interrompu son enseignement
que deux fois, et cela pour se rendre aux assemblées
ecclésiastiques de Dordrecht et de Leyde. Au synode
national de Dordrecht (1618-1619), où il représentait les
États de Groningue, il fut, sinon le premier chef et
l'unique inspirateur, du moins l'un des principaux cory-
phées de la faction étroitement conservatrice, l'un
des ennemis les plus acharnés de ceux qu'il traitait
volontiers de novateurs, voire de papistes. C'est à lui,
en grande partie, qu'est due l'extrême rigueur des
décrets portés pour enlever aux arminiens toute pos-
sibilité de rattacher leurs théories particulières à la
doctrine officielle de l'Église réformée. Si entier était
son attachement à son propre système, si irréductible
1479
GOMAR
1480
son opposition au système contraire, qu'il fit écarter
plus d'une expression dogmatique qu'il jugeait admis-
sible en soi, mais dont il craignait que les adversaires
ne pussent se prévaloir. Il ne tint pas à lui que le synode
ne se prononçât formellement en faveur du supralapsa-
risme, qui regarde la chute d'Adam et la déchéance ori-
ginelle de tout le genre humain comme une conséquence
du décret de la prédestination. Mais s'il avait pu grou-
per autour de lui une poignée d'amis disposés à le
suivre jusqu'à cette affirmation extrême de l'idée pré-
destinatienne, la plupart des membres du synode, et
surtout les députés d'Angleterre et d'Allemagne, s'y
refusèrent obstinément. Force lui fut donc de se con-
tenter de formules qui proclamaient la toute-puissante
efficacité de l'élection divine en reléguant parmi les
questions d'école, librement discutables, le différend
entre supralapsaires et inl'ralapsaires. Après 1619, il
continua à s'adonner à ses travaux de théologie et
d'exégèse, et, en 1633, il fut de ceux qui collaborèrent,
à Leyde, à la revision de la version flamande de l'An-
cien Testament, souvent citée sous le nom de Bible
hollandaise. Il mourut, le 11 janvier 1641, âgé, à
quelques jours près, de soixante-dix-huil ans. Il avait
été marié trois fois et avait eu la douleur de voir son
unique fils le précéder dans la tombe.
Gomar fut un homme érudit et ardent au labeur stu-
dieux, presque aussi versé dans la connaissance de
l'hébreu que dans les querelles les plus subtiles de la
théologie; mais, au jugement de ses coreligionnaires
même, il manquait de critique, et l'ensemble de ses
actes nous révèle en lui une âme opiniâtre jusqu'à
l'entêtement, autoritaire et hautaine jusqu'à la raideur
et à la dureté. Albert Réville, tout en plaidant pour
lui les circonstances atténuantes, apprécie son rôle
doctrinal avec assez de justesse et de profondeur :
« Ce fut, dit-il, un caractère froidement et dogmatique-
ment passionné, intolérant, étroit, qui pour nous au-
jourd'hui n'a rien de sympathique, mais qu'il faut ju-
ger dans son cadre historique. Là il a sa grandeur
imposante et sombre, et il est de ceux qui aident à
comprendre le pouvoir étrange, ou plutôt le charme
indicible qu'exerça sur des esprits profondément reli-
gieux, inaccessibles à tout autre intérêt que celui de la
religion, le dogme calviniste de la prédestination. »
Dans les œuvres qui nous restent de Gomar on peut,
comme dans sa vie, faire deux parts : celle du théolo-
gicn-exégète doublé d'un hébraïsant ; celle du polé-
miste et du sectaire. Quelques-unes seulement avaient
paru de son vivant. L'ensemble, publié d'abord en 1644
à Amsterdam, par les soins des trois gomaristes, Jean
Vereem, Adolphe .Sibelius et Martin Ubbenius, fut
réimprimé, au même lieu, dès 1664. Il est intitulé :
Fr. Gomari opéra theologica oinnia, maximam partent
posthuma, suprema aulhoris volunlatc a discipulis edila.
Cet énorme in-folio, qui embrasse la matière de plu-
sieurs volumes ordinaires, a été distribué par les édi-
teurs en trois parties avec pagination distincte, dont
deux principalement exégétiques, et la IIIe, de contenu
fort mélangé. A la Ire (in-folio de 500 pages) appar-
tiennent : llluslrium ac selcctorum ex Evangelio Malthsei
locorum explicatio; Selcctorum Evangelii Lucœ (cap. i
et n) locorum illustrât io; Selcctorum Evangelii Joannis
locorum illuslralio. Chacun de ces titres nous présente
un commentaire étendu et approfondi d'un certain
nombre de passages spécialement intéressants ou
spécialement difficiles et discutables. Les explications
de tel ou tel verset particulier sont parfois développées
jusqu'à constituer une véritable dissertation. Mais on
y retrouve trop souvent le polémiste et le calviniste
sous l'exégète. Ainsi à Matthieu, xxm, 37, est rattachée
une longue étude, De gralia conversionis, où l'auteur
s'est proposé de combattre cette assertion des « semi-
pélagiens, des papistes et des novateurs : » Fidei origo
non est a solo Deo vocanle et régénérante, sed cliam a libero
volunlaiis concursu. De même, à propos de Luc, i. 77,
Gomar pose cette question : An remissio peecalorum sil
lola fidelium coram Deo justificatio ad vitam œternam
oblinendam, et sa réponse tend à prouver qu'aucune
obligation de peine ou expiation temporelle ne survit
au pardon de la faute.
Dans la IIe partie (in-folio de 544 pages) sont rangés
les ouvrages suivants : Analysis cl explicatio Episto-
larum Pauli; Explicatio Epistolœ Jacobi; Explicatio l-r
Pétri; Explicatio 1 l-v Pétri; Explicatio I'' Joannis ;
Explicatio ly Joannis; Explicatio Epistolœ Judœ ; Expli-
catio quinque priorum librorum Apocalypseos. Huit
Épîtres seulement figurent sous le nom de saint Paul;
les lettres aux Corinthiens, aux Lphésiens, à Timothée
et à Tite ne sont pas même mentionnées. Mais, qu'il
s'agisse des écrits de saint Paul ou d'autres livres, les
commentaires de cette série sont plus complets, plus
suivis que ceux de la première, et toujours cependant
entrecoupés de longs excursus tendancieux. On trou-
vera un nouvel échantillon de ces retours incessants au
genre polémique dans l'annexe aux c. xi et xn de
l'Épître aux Hébreux : De fidei per quam justificamur
natura.
La IIP partie (in-folio de 467 pages), dans laquelle
on a inséré des ouvrages ou opuscules déjà publiés à
part antérieurement, se subdivise elle-même en deux
sections, dont l'une est formée de Disputationes ou
Discussions théologiques, et l'autre, de Traités théo-
logiques. Les Disputationes, au sens qu'on a ici en vue,
ne sont pas autre chose que des. suites, des nomencla-
tures de thèses ou de propositions plus ou moins expli-
cites, qui se rapportent à différents points de croyance
ou de controverse religieuse et qui ont été développées
ou défendues par l'auteur « en diverses académies. »
Elles sont au nombre de trente-neuf. Il y en a une De
theologia, une autre De Scriptura sacra, plusieurs sur
Dieu et les personnes divines, d'autres De œtemo Dei
deercto; De divina hominum prœdcslinatione ; De crea-
tione mundi; De angelis; De legis divinœ et pontifuiœ
doctrinœ repugnanlia; De morte Jcsu Christi; De merilis
Chrisli c jusque beneficiis erga nos; De Pétri aposloli et
papœ romani repugnanlia ; De fide salviftca; De arti-
culorum fidei aposlolicœ et fidei romanse Ecclesiœ repu-
gnanlia; De hominis coram Deo juslificatione; De
justificalione contra ponlificiorum errores; De Ecclesia
Dei; De baplismi sacra; Scripturœ et Ecclesiœ romanœ
repugnanlia; De cœnœ Domini doctrina, S. Scripturœ et
Ecclesiœ Romœ repugnanlia; De sacerdolio Christi et
Melchisedech, et missifici sacerdotii cum ulroque repu-
gnardia; De cœnœ dominicœ et missœ repugnanlia; De
quinque falsis ponlificiorum sacramentis, etc. A la
différence des Disputationes, les Tractatus thcologici
comportent une étude plus ou moins fouillée, un exposé
plus ou moins complet de chaque sujet. Parmi les
travaux les plus importants présentés sous ce dernier
titre, nous notons : Conciliatio doctrinœ orthodoxœ de
providenlia Dei, déjà imprimé à Leyde, in-8°, en 1597;
Anticoslcri libri très. Dirigés contre l'Enchiridion con-
troversiarum, l'œuvre maîtresse de Fr. Coster, ces trois
livres traitent successivement : 1. De discrimine hœre-
ticorum et calholicorum, partie déjà publiée in-8°, à
Anvers, en 1599; 2. De sacra Scriptura, in-8°, Leyde,
1600; 3. De Ecclesia Christi, in-8°, Hanovre, 1603.
Viennent ensuite : Examen conlroversiarum de genealo-
gia Christi, in-8°, Groningue, 1631 ; Disserlatio de Evan-
gelio Mallhœi, quanam ling.ua sit scriptum, in-8°, Gro-
ningue, 1632; et l'auteur opine pour la langue grecque,
tout en avouant qu'il a contre lui le sentiment de la
plupart des anciens; Investigatio scnlcntiœ cl originis
sabbedi; Judicium de primo arliculo remonslrantium
de clectione et rcprobalionc ; Defensio doctrinœ de perse-
véranda sanclorum; Davidis Lyra, seu nova hebrœa
1481
GOMAR
1482
sacrée Scriplurœ ars poetica, canonibus suis descripta,
et exemplis sacris et Pindari ac Sophoclis parallclis
demonslrala, in-4», Leyde, 1637 : Gomar pensait
trouver la clef de la poésie hébraïque dans la quantité
des syllabes; mais cette thèse, complètement aban-
donnée aujourd'hui, fut victorieusement combattue,
dès 1643, par Louis Cappel, professeur à Saumur, dans
ses Animadversiones ad Novam Davidis Lyram.
II. Gomarisme. — 1° Gomarisme strict ou supralap-
suirc. — On pourrait prendre le terme de gomarisme
dans un sens rigoureusement étymologique et comme
désignant les opinions propres de Gomar sur la pré-
destination, celles qui eurent toujours ses sympathies,
auxquelles il a rendu témoignage en toute occasion,
qu'il a souhaité et tâché de propager autant que les
circonstances le lui ont permis, sans cependant jamais
parvenir à les faire triompher complètement. Ainsi
entendu, le gomarisme est moins un système publi-
quement et historiquement accepté sous ce nom qu'une
conviction personnelle, et il se confond de fait avec le
supralapsarisme. C'est donc la doctrine d'après laquelle
le péché originel et la déchéance du genre humain
rentrent tout aussi bien que la rédemption dans le
décret de l'élection divine. Que tel ait été le sentiment
extrémiste de Gomar, tous ses écrits en font foi. Son
commentaire du c. ix de l'Épître aux Romains, Opéra
thcolog. omnia, part. II, p. 58 sq., peut donner une idée
de la franchise avec laquelle il le proposait et des
arguments sur lesquels il prétendait l'appuyer. « On
se demande, dit-il, quelle est la portée des termes
massa et lutum (du y. 21). Ceux-là les ont mieux
pénétrés, qui les entendent, non de l'argile et de la
masse argileuse, mais de la masse humaine. Seulement
cette interprétation se divise elle-même, suivant qu'on
rapporte les deux expressions au genre humain à
créer ou au genre humain déjà créé et déchu. C'est la
première opinion que les théologiens les plus remar-
quables défendent comme vraie et cadrant parfaite-
ment avec le contexte. Pour eux donc, Yargile et la
masse désignent la matière informe ou la terre, de
laquelle, pour des fins déterminées, le bon plaisir de
Dieu, c'est-à-dire du potier céleste, a tiré le genre humain.
Que si quelques-uns soutiennent que ce sont les hommes
déchus en Adam qui deviennent l'objet d'une prédes-
tination à leurs propres fins, en d'autres termes, d'une
élection pour la vie ou d'une réprobation pour la ruine,
cette manière de voir ne plaît point à un bon nombre
de théologiens des plus distingués de l'univers chrétien,
et cela pour divers motifs. Et d'abord, elle répugne à
un principe universel de raison, ainsi qu'à la sagesse
de Dieu. Par là même, en etîet, qu'elle se définit ce en
vue de quoi une chose se fait, la fin est première dans
l'intention et dernière dans l'exécution. Par consé-
quent, il n'est point d'ouvrier sage dans l'esprit duquel
elle ne précède le début même de son activité. Cette
vérité a pour elle le consentement unanime des philo-
sophes sans nulle exception. C'est pourquoi le très
sage auteur du genre humain, Dieu, bien qu'il ait
décidé toutes choses en même temps, a cependant, au
point de vue de l'ordre, fixé d'abord la fin de l'homme
à créer avant de décider sa création. Autrement,
il aurait, contrairement à l'ordre de la sagesse et à
la nature de la fin, décrété les moyens tendant à
la fin avant cette fin elle-même. A bon droit tiendrait-
on pour insensé un potier qui déciderait d'abord
la fabrication d'un vase et ne se demanderait qu'en-
suite quel en sera l'usage. Pareille absurdité, qui
ne se conçoit pas chez un potier sage, se conçoit bien
moins en Dieu, source unique de toute sagesse et de
tout ordre stable. De plus, si le terme massa désignait
le genre humain déchu, on ne pourrait plus dire du
potier divin qu'il fabrique des vases, les uns pour
l'honneur, les autres pour l'ignominie; mais on dirait
que, des vases pleins d'ignominie, c'est-à-dire assu-
jettis au péché et à la malédiction, il a remis une partie
en honneur, laissant le reste dans son ignominie. » Un
peu plus loin, ibid., p. 61, 62, le commentateur ajoute :
« Si maintenant, parce qu'il s'agit d'une question non
encore tranchée, l'un ou l'autre, tenant ferme par
ailleurs à l'analogie de la foi, soutient que l'objet de la
prédestination'est l'homme déchu et que c'est celui-ci
qui est visé en cet endroit par le terme massa, ainsi
que le pensent quelques personnes même pieuses et
doctes, je ne m'y oppose point. Mais je me range, quant
à moi, à l'avis de Bèze, de Whitaker et d'un très grand
nombre d'autres théologiens illustres; et les raisons
qui m'y portent, je les ai, eu égard à mon dessein,
suffisamment indiquées pour qui voudra confronter
thèse avec thèse, arguments avec arguments. Ce sen-
timent ne blesse aucun des attributs de Dieu. En
revanche, comment le sentiment opposé ne va pas à
rencontre de la sagesse divine en plaçant, dans l'ordre
de la pensée et de l'intention, les moyens avant leur
fin, c'est ce que je n'ai pas encore pu saisir. Si quelqu'un
me démontre qu'il y a moyen de concilier ces choses,
je me rendrai, comme je le dois, à l'évidence. »
2° Gomarisme historique. — Ces dernières réflexions
de Gomar nous montrent qu'il saura, le cas échéant,
sans renoncer réellement à aucune de ses idées, se
rallier à des formules transactionnelles, et, s'accommo-
dant aux circonstances, se contenter, dans l'affirmation
publique du dogme prédestinatien, de ce qui sera mora-
lement possible. Le cas s'est réalisé, on l'a vu plus haut,
au synode de Dordrecht; et c'est ce qui a donné nais-
sance au gomarisme historique et pratique, à celui dont
l'expression officielle a pu devenir le centre et le point
de départ d'un parti. Comme tel, le gomarisme s'op-
pose directement à l'arminianisme. De là vient que,
pour l'historien, gomaristes et contrc-remontranls sont les
deux noms appliqués indifféremment aux adversaires
des remontrants ou arminiens. II s'ensuit qu'au point
de vue doctrinal, on peut définir brièvement ce goma-
risme comme le système qui, le supralapsarisme mis à
part, maintient la rigueur primitive des dogmes cal-
vinistes, à rencontre des mitigations proposées par
l'arminianisme et condensées dans les cinq fameuses
propositions. Voir Arminius. Le synode de Dordrecht
s'est prononcé sur chacun des cinq chefs. Quant à la
prédestination, de même qu'il en proclame le décret
absolu, immuable, unique cause pour laquelle les uns
reçoivent la foi, tandis que les autres ne la reçoivent
pas, Dieu donnant cette foi vive et vraie à tous ceux
qu'il veut retirer de la damnation commune, et à eux
seuls, la donnant du reste gratuitement et exclusive-
ment en vertu de son bon plaisir, sans supposer, « ni
comme cause ni comme condition, soit la foi et l'obéis-
sance de la foi, soit la sainteté, soit une autre bonne
qualité ou disposition quelconque, » Acta synodi nation.
Drodrechti habitée, sess. cxxxv, a. 6-10, p. 249-250;
de même il condamne la thèse d'après laquelle « la cer-
titude du salut dépendrait d'une condition incertaine »
et serait subordonnée à la persévérance dans le bien.
Ibid., a. 7, p. 254. La rédemption, ajoute-t-il, ainsi que
la grâce qui en découle, « est annoncée indifféremment
à tous les peuples; mais les élus sont les seuls à qui
Dieu a résolu de donner la foi justifiante, par laquelle
ils sont infailliblement sauvés. » Acta, sess. cxxxvi,
a. 7, 8, p. 257. On voit comment, dans tout cela, la doc-
trine de la prédestination particulariste est maintenue
et la possibilité du salut restreinte aux prédestinés. Pour
ce qui est de la nature déchue et du rôle de la grâce,
assurément celle-ci est indispensable à celle-là, d'au-
tant que l'homme, dépouillé par sa chute de tous les
dons divins, n'est que ténèbres et aveuglement dans
l'esprit, malice, dureté et corruption dans la volonté et
dans le cœur, impuissance complète à l'égard du salut.
1 ÎSS
G OMAR
1484
D'ailleurs, Dieu appelle sérieusement tous ceux à qui
l'Évangile est annoncé, en sorte que, s'ils périssent, on
ne peut en rejeter la faute sur lui. Il se fait pourtant
quelque chose de particulier dans ceux qui se conver-
tissent Dieu les appelant efficacement, en leur donnant
la foi et la pénitence. La grâce suffisante des arminiens,
« par laquelle le libre arbitre se discernerait lui-même, »
est rejetée comme une erreur pélagienne. La régénéra-
tion est représentée comme se faisant « sans nous, non
par la parole extérieure ou par une persuasion morale, »
mais par une opération qui ne « laisse pas au pouvoir
de l'homme d'être régénéré ou non, » d'être converti
ou non. Néanmoins, ajoute-t-on, la volonté renouvelée
n'est pas seulement poussée et mue par Dieu, mais elle
agit, étant mue par lui; et c'est l'homme qui croit et
qui se repent. La manière même dont s'accomplit en
nous cette opération de la grâce régénérante est incom-
préhensible; tout ce qu'on peut en dire, c'est que le
fidèle « sait et sent qu'il croit et aime son Sauveur. »
Ibid., a. 1, p. 263; a. 12, 13, p. 265. Ceci nous amène
naturellement à la doctrine du synode concernant la
persévérance. Elle se résume surtout en deux points :
l'inamissibilitô de la justification, et sa certitude par-
faite dans l'âme justifiée. Sur l'un comme sur l'autre
elle est très catégorique. Touchant l'inamissibilité,
voici la substance de ce qui est enseigné. Sans doute.
« dans certaines actions particulières, les vrais fidèles
peuvent se soustraire parfois et se soustraient en effet,
par leur faute, à la conduite de la grâce, poursuivre
la concupiscence, jusqu'à tomber dans des crimes
atroces. Par ces péchés énormes, ils offensent Dieu, se
rendent passibles de mort, interrompent l'exercice de
la foi, font une grande blessure à leur conscience, et
quelquefois perdent pour un temps le sentiment delà
grâce. » Dieu cependant ne permet pas qu'ils en
viennent jusqu'à « déchoir de la grâce de l'adoption
et de l'état de justification, jusqu'à commettre le
péché à mort ou contre le Saint-Esprit, jusqu'à être
damnés. La semence immortelle, par laquelle les vrais
fidèles sont régénérés, demeure toujours en eux malgré
leur chute. » En un mot, ils ne peuvent « ni perdre
totalement la foi et la grâce, ni demeurer finalement
dans leur péché jusqu'à périr. » Ibid., a. 4-8, p. 271, 272.
En ce qui regarde la certitude du salut, le synode n'est
pas moins explicite : « Les vrais fidèles, dit-il, peuvent
être et sont assurés de leur salut et de leur persévé-
rance, selon la mesnre de la foi par laquelle ils croient
avec certitude qu'ils sont et demeurent membres
vivants de l'Église, qu'ils ont la rémission des péchés et
la vie éternelle. Cette certitude ne leur vient pas d'une
révélation particulière, mais de la foi aux promesses
divines, du témoignage du Saint-Esprit, d'une bonne
conscience et d'une sainte et sérieuse application aux
bonnes œuvres.» Ibid., a. 9, 10, p. 272, 273. Enfin, la
détermination positive des vérités à croire est com-
plétée et confirmée par la condamnation des erreurs
opposées, et l'on repousse notamment l'assertion
d'après laquelle « les vrais fidèles peuvent déchoir et
déchoient souvent totalement et finalement de la foi
justifiante, de la grâce et du salut; •> celle aussi qui
soutient « l'impossibilité d'avoir durant cette vie, sans
révélation spéciale, aucune assurance de notre persé-
vérance finale. » Ibid., a. 3, p. 274.
Nous avons, dans ce qui précède, esquissé la quin-
tessence doctrinale du gomarisme. Pour le faire con-
naître complètement, il nous reste à dire un mot de
l'illogisme de ses procédés, de ses inconséquences pra-
tiques. Or, c'est encore dans l'histoire du synode de
Dordrecht qu'il se révèle à nous sous cet autre aspect.
On sait la manière non seulement hautaine et autori-
taire, mais dure, dont les arminiens y furent traités.
Depuis longtemps ils demandaient à pouvoir 'discuter
les points en litige devant une grande assemblée de
leurs coreligionnaires calvinistes. Cette satisfaction
leur avait été refusée de longues années durant. Enfin,
en 1618, les gomaristes, qui se sentaient de loin les
plus forts par le nombre et par la protection du sta-
thouder Maurice de Nassau, consentirent à l'entrevue
projetée. Mais, convoqués à Dordrecht et réunis, ainsi
qu'ils le déclarèrent eux-mêmes, Acla, p. 1, « par
l'ordre et l'autorité » des États généraux, ils ne vou-
lurent admettre leurs adversaires qu'à titre d'accusés
et en les avertissant qu'après avoir rendu compte de
leurs doctrines au synode, ils devraient se soumettre à
sa sentence. Cette consigne, intimée elle aussi par les
États, fut suivie avec tant de rigueur que les trois
ministres remontrants qui siégeaient comme députés
d'Utrecht se virent obligés d'échanger leurs sièges
contre le banc des prévenus et de se joindre au groupe
des suspects qui occupaient une place à part, au milieu
de la salle des séances. Les arminiens eurent beau pro-
tester, par la bouche d'Épiscopius, qu'ils n'enten-
daient comparaître que librement et qu'ils n'accep-
taient point d'être jugés par leurs accusateurs et leurs
ennemis ; ils eurent beau réclamer un débat contradic-
toire et demander qu'il leur fût permis, en justifiant
leurs assertions, d'y comparer et de critiquer les asser-
tions opposées, comme aussi de discuter la réprobation
des infidèles avec l'élection des fidèles. Vainement in-
sistèrent-ils pour n'avoir du moins à répondre qu'à
des questions formulées par écrit. Toutes ces demandes,
si naturelles, si légitimes entre partisans du libre
examen, furent brutalement écartées. On ne craignit
pas, pour se débarrasser d'insistances opiniâtres et
gênantes, de solliciter publiquement, sur les problèmes
et difficultés posés devant le synode, l'avis des États
généraux et de l'exécuter ensuite docilement. C'est
d'ailleurs en invoquant la même autorité séculière
qu'on ferma définitivement la bouche à tous les récla-
mants. On leur répondit « que le synode trouvait fort
étrange que les accusés voulussent faire la loi à leurs
juges et leur prescrire des règles; que leur conduite
était injurieuse non seulement au synode, mais encore
aux États généraux, qui l'avaient convoqué et lui
avaient commis le jugement; que, par conséquent, ils
n'avaient qu'à obéir. » Acta synodi, sess. xxv et
xxvi, p. 80, 82, 83. Et lorsque enfin les arminiens,
poussés à bout, se refusèrent formellement à accepter
des conditions qui étaient la négation de tous leurs
droits, on les exclut de l'assemblée, mais non sans les
avoir au préalable accablés de solennelles injures. C'est
dans la Lvne séance, le 14 janvier 1619, que cette
expulsion eut lieu; et ce jour, si nous en croyons des
historiens protestants, mérite d'être marqué comme
un jour néfaste, comme une date peu glorieuse pour le
protestantisme. Alors, en effet, le président Boger-
mann, qui ne s'était jamais montré très tendre pour les
récalcitrants, se surpassa, et, donnant libre cours à son
indignation contre eux, il prononça une philippique
passionnée, qu'il termina par cette apostrophe :
« Vous avez menti au début. Vous mentez encore à la
fin. Dimitlimini. Ile ! Ile ! » Des témoins de cette
scène, dignes de toute confiance, s'en déclarèrent
écœurés. Jacques Trigland, député de la Hollande sep-
tentrionale, connu d'ailleurs par son zèle pour la cause
des contre-remontrants, a écrit que, plusieurs années
après l'événement, il n'y repensait point sans en res-
sentir une sorte de frisson. Un autre, le savant Matthias
Martini, député de Brème, souhaitait de n'avoir ja-
mais mis le pied sur le sol des Pays-Bas. Après la crise
du 14 janvier, le synode poursuivit, en l'absence des
intéressés, l'examen de leurs doctrines, pour aboutir à
la condamnation qui fut officiellement ratifiée, le
23 avril, dans la cxxxve et la cxxxvic séance.
Une fois les doctrines proscrites, on n'en resta pas là,
mais on procéda contre lçs personnes, sans s'arrêter
1485
G OMAR
1486
aux scrupules de plusieurs députés étrangers, qui refu-
saient de s'associer à ce débat supplémentaire. Le
résultat de la nouvelle action fut une seconde sentence
qui, clouant les insoumis au pilori, marquait les prin-
cipaux d'entre eux comme victimes d'une prochaine
et cruelle persécution : tous furent, sur la proposition
de Bogermann, déclarés perturbateurs de l'Église et
déchus de toute fonction ecclésiastique; deux cents
lurent destitués de leurs fonctions, quatre-vingts
furent exilés. Ne parlons pas même de deux hommes
illustres, Olden Barneveldt et Hugo Grotius, que le
prince d'Orange parvint à faire condamner comme
criminels politiques, mais qui expièrent surtout, le
premier par sa mort sur l'échafaud, le second par un
long emprisonnement, leur attachement à Farminia-
nisme et aux franchises dont il était devenu le symbole.
Il est à peine besoin de remarquer combien tous ces
agissements sont en contradiction avec le principe qui
est à la base du protestantisme et avec l'histoire de ses
origines. Les arminiens n'ont pas manqué de souligner
ce trait et d'en faire grief à leurs persécuteurs. La
grande révolution religieuse du xvie siècle s'est ac-
complie au nom de la liberté des consciences indivi-
duelles : la Bible, que chacun, aidé ou non directement
par l'Esprit-Saint, interprétera à sa guise et de son
mieux, voilà pour tout protestant l'unique règle de foi,
l'unique autorité. Et ici, où deux systèmes sont en
présence, se réclamant l'un et l'autre de la Bible, nous
voyons la faction dominante revendiquer pour elle le
droit absolu d'imposer sa manière de voir et ne recon-
naître aux membres de la minorité d'autre droit que
celui de se soumettre. Il y a plus. Luther et les siens
avaient-ils assez déclamé contre Borne et contre le con-
cile de Trente, sous prétexte qu'on n'y admettait point
la discussion contradictoire, que les mêmes personnes
y étaient juges et partie, qu'on y condamnait des
absents sans avoir entendu leur défense, qu'on s'y
prévalait de l'appui du bras séculier ! Ce qui précède
nous montre comment tous ces reproches atteignent en
plein les gomaristes de Dordrecht; et ils n'atteignent
qu'eux. L' Église catholique, et le concile de Trente en
particulier, en rejetant les doctrines nouvelles, en exi-
geant des novateurs qu'ils se soumettent sans restric-
tion à la sentence conciliaire, en frappant de peines
ecclésiastiques les défenseurs obstinés de l'erreur,
restent dans la logique de leurs principes : du point de
vue catholique, la parole de Dieu, norme souveraine de
la foi, se manifeste à nous par la tradition aussi bien
que par l'Écriture; ou plutôt l'Écriture n'est qu'un?
forme et une partie de la tradition, et la tradition
trouve son expression authentique dans le magistère
des pasteurs, c'est-à-dire du pape et des évêques.
Quant au concours du pouvoir civil, si l'Église l'a
utilisé, si elle l'a parfois réclamé comme un droit,
jamais elle n'a renoncé à agir dans les affaires ecclésias-
tiques par son autorité propre, jamais elle n'a, comme
nous avons vu le synode de Dordrecht le faire, demandé
aux rois ou aux princes de lui tracer une ligne de con-
duite dans des matières relevant de sa juridiction et
soumises à son tribunal, de manière à se réduire, en
face de l'État, au rôle de servante ou, tout au plus, de
pouvoir exécutif. Concluons que les gomaristes de
Dordrecht n'ont pu défendre leur point de vue et leurs
thèses calvinistes qu'en reniant les principes essentiels
et générateurs du protestantisme et en tournant le dos
à tout le passé de la Béforme. Que penser de gens qui
déclament contre les idées et les méthodes de l'Église
catholique, quand on les voit, au beau milieu de leurs
déclamations, non seulement appliquer ces idées et ces
méthodes, mais les exagérer au delà de toute mesure,
les dépasser en les dénaturant de la façon la plus ab-
surde ? L'assemblée de Dordrecht et ses meneurs
pouvaient bien, après cela, se faire gloire de l'affran-
chissement des consciences par le protestantisme; ils
avaient sans doute le droit d'être pris au sérieux lors-
qu'ils félicitaient « l'Église belgique d'être délivrée de la
tyrannie de l'Antéchrist romain et de l'horrible ido-
lâtrie du papisme. » Cf. Gomari opéra, Dedicat., p. 1, 2;
Acla synodi nationalis Dordrechti habiUv, Prœjat., p. 1
et passim.
Ajoutons que le gomarisme, ainsi établi historique-
ment sur une suite d'inconséquences flagrantes, ayant
sacrifié toute logique, et l'on peut dire toute raison
et toute pudeur, au désir de triompher de l'arminia-
nisme, n'eut pas même l'honneur d'atteindre ce but.
Mosheim constate que les décrets de Dordrecht, loin
de détruire le système d'Arminius, ne servirent qu'à
le répandre davantage et à indisposer les esprits contre
les opinions rigides de Calvin. Les arminiens, dit-il,
attaquèrent leurs adversaires avec tant d'habileté,
de courage et d'éloquence qu'une multitude de gens
demeura persuadée de la justice de leur cause. Assuré-
ment, les fameux décrets furent reçus officiellement par
les États généraux des Pays-Bas et par les Églises
calvinistes de Suisse, de France et d'autres pays étran-
gers. Mais, en Hollande même, quatre provinces refu-
sèrent d'y souscrire; ils furent mal accueillis par l'opi-
nion publique en Angleterre, où l'on restait attaché
à la doctrine unanime des Pères, qui n'ont jamais
mis des bornes à la miséricorde divine; et, au bout
de quelques années, à la mort de Maurice de Nassau,
le protecteur et promoteur officiel du gomarisme, les
arminiens reprirent pied dans leur pays d'origine, s'y
reconstituèrent en corps et y bâtirent des églises.
D'ailleurs leurs idées se répandirent insensiblement.
C'est un fait constant qu'elles ont fini par s'implan-
ter dans les meilleurs esprits du calvinisme et par
s'y développer, au point qu'aujourd'hui elles y sont
souvent poussées jusqu'au pélagianisme et au soci-
nianisme, voire jusqu'au rationalisme le plus franc.
Ce qu'est devenue, au milieu de tout cela, l'interpréta-
tion du c. ix de l'Épître aux Bomains, sur laquelle
Gomar et les siens fondaient principalement leur sys-
tème, on pourra s'en rendre compte en parcourant le
tableau, très long et très bigarré, des dissentiments
actuels, tel qu'il est esquissé par J. Holtzmann, Lehr-
buch der neustestamentlichen Théologie, 2e édit., Tu-
bingne, 1911, t. Il, p. 188 sq.
Sur Gomar, voir surtout Van der Aa, Biographiseh
Woordenboek van Nederlanden, Harlem, 1862, t. vu, p. 281-
285; Foppens, Bibliotheca belgica, Bruxelles, 1739, p. 293-
294; J. Hegenboog, Historié van de Remonslranten, Amster-
dam, 1774; trad. allemande, Lengo, 1781; Realencyclopàdie
iiir prolestantische Théologie und Kirclie, 3e édit., Leipzig,
1899, t. vi, p. 763-764; The encyclopsedia brilannica, 11" édit.,
Cambridge, 1910, t. xu, p. 228; Vitœ et effigies professorum
Groningensium, p. 76 sq.
Sur le gomarisme, outre les ouvrages indiqués ci-des-
sus, Francisci Gomari Brugensis Opéra theologica ornnia,
maximum portera posthuma, suprema authoris voluntate a
discipulis édita, Amsterdam, 1644; 2e édit., Amsterdam,
1664; Acla synodi nationalis Dordrechti habitée, Dordrecht,
1620; trad. hollandaise, Dordrecht, 1621 ; trad. française,
Lcyde, 1624; Bossuet, Histoire des variations protestantes,
1. XIV, c. xvii-cxiv; Haselius, Historia concilii Dordraccni,
1724; G. Brandt, Historia reformalionis belgica; La Haye,
1726; Upey et Dermont, Gescbiedenis der Nederl. herv. Kerk,
Breda, 1819; Graf, Beitrag zur Geschicbte der Synode von
Dordrecht, Bâle, 1825; Mosheim, De auctoritate concilii
Dordrechtani, paci sacrœ noxia, Helmstaedt, 1726; Schaff,
A history of the creeds of christendom, New York, 1884,
t. m, p. 551 sq.; Augusti, Corpus librorum symbolicorum,
p. 198-240; Bergier, Dictionnaire de théologie, aux mots
Arminius et Gomar; Lichtenberger, Encyclopédie des sciences
religieuses, Paris, 1878, t. v, p. 626-628; Mcehler, La
symbolique, trad. franc., Besançon, 1836, t. n, p. 387-402;
Hergenrother, Histoire de l'Église, trad. franc., Paris,
1891, t. v,
J. Forget.
1487
GO NET
1488
GONET Jean-Baptiste, dominicain, né à Béziers,
entra dès l'âge de dix-sept ans dans le couvent des
prêcheurs de sa ville natale vers 1633. Docteur de
l'université de Bordeaux en 1640, il y enseigna la
théologie jusqu'en 1671, se faisant remarquer par
la sûreté de sa doctrine, en même temps que par son
ardeur à défendre l'école thomiste contre les attaques
de ses adversaires. En 1671, au chapitre provincial
tenu à Béziers, il fut élu provincial et exerça cette
charge jusqu'en 1675. Il revint à Bordeaux pour y
reprendre son enseignement qu'il continua deux ans;
mais, en 1677, lorsque l'on détruisit l'ancien couvent
du Chapelet pour agrandir le Château-Trompette,
Gonet éprouva de cette suppression un tel chagrin
qu'il ne voulut plus demeurer à Bordeaux. Il retourna
à Béziers, sa patrie, où il s'occupa à reviser ses ouvrages,
et où il mourut le 24 janvier 1681, âgé d'environ
soixante-cinq ans. L'enseignement de Gonet à l'univer-
sité de Bordeaux avait été marqué de quelques inci-
dents, qui intéressent l'histoire de la théologie. En
efïet, le 6 juin 1660, la faculté de théologie de Bordeaux
avait déclaré exempter d'hérésie les Lettres provinciales
de Pascal, ainsi que les Notes de Nicole caché sous le
nom de Wendrock. Toute l'université avait fait sienne
cette déclaration de la faculté de théologie représentée
par les trois professeurs, le prêtre séculier Hiérome
Lopez, l'augustin Arnal et le dominicain J.-B. Gonet.
La déclaration avait été consignée dans les Actes et
les archives de l'université. Elle se trouve à la suite
des Motifs pour faire voir que l'arrest du 5 novembre 1660,
qui interdit les professeurs en théologie de l'université
de Bordeaux, a esté rendu par surprise, in-4° de 4 pages.
Elle est signée des trois professeurs de théologie.
Mais, quelques mois après, quatre évèques et neuf
docteurs de la faculté de Paris, « après avoir diligem-
ment examiné ledit livre, » déclarèrent à leur tour « que
les hérésies de Jansénius condamnées par l'Église y
sont contenues et défendues..., ce qui est si manifeste,
ajoutent-ils, que si quelqu'un le nie, il faut nécessai-
rement ou qu'il n'ait pas lu ledit livre ou qu'il ne
l'ait pas entendu, ou ce qui pis est, qu'il ne croie pas
hérétique ce qui est condamné comme hérétique par
le souverain pontife, par l'Église gallicane et la sacrée
faculté de Paris. » Voir Dumas, Histoire des cinq propo-
sitions de Jansénius, Liège, 1699, t. i, p. 251. 252. Il est
clair que par ces paroles la faculté de théologie de Paris
visait surtout celle de Bordeaux. La conséquence
de cette déclaration fut que, le 23 septembre, intervient
un Arrest du Conseil d' Estât portant que le livre intitulé :
Ludovici Montaltii lillerse provinciales, sera lacéré et
bruslé par les mains de l'exécuteur de la haute justice,
puis la sentence du lieutenant civil donnée (le 8 octo-
bre 1660) en conséquence dudil Arrest. C'est le
titre d'une plaquette in-4n de 11 pages, imprimée
en 1660, à Paris, par les imprimeurs ordinaires du roi
et où se trouve aussi le Procès-verbal d'exécution, avec
l'avis et jugement des prélats et autres docteurs de la
sacrée faculté de théologie de Paris, qui ont examiné
ledit livre. Cette sentence fut exécutée le 14 octobre,
à la Croix du Trahoir. Le tour de la faculté de théo-
logie de Bordeaux arriva bientôt. En effet, le 5 no-
vembre 1660, le roi fait aux professeurs « très expresses
inhibitions et deffenses de faire aucune leçon de théo-
logie dans ladite université de Bourdeaux, ni ailleurs. »
Voir doni Devienne, Histoire de la ville de Bordeaux.
t. il, p. 142. Il faut noter pourtant, et les trois pro-
fesseurs de théologie le faisaient remarquer dans les
Motifs cités plus haut, p. 4 : « Ils n'ont pas loué
ledit livre, ils ne l'ont pas approuvé, ils ne l'ont pas
exempté des notes de témérité, de scandale, et autres
dont il était accusé; mais ils ont simplement dit qu'ils
n'y avaient point trouvé d'hérésie : Nullam in eo
hseresim a nobis repertam fuisse declaramus. » Trois
ans déjà s'étaient écoulés sans que les professeurs de
théologie aient pu reprendre leurs cours, lorsqu'au
mois d'août 1663 parvint au parlement de Bordeaux
la déclaration des six propositions enregistrées au
parlement de Paris le 30 mai 1663, et qui avaient
pour but d'attaquer l'autorité du pape. Elles étaient
comme l'esquisse des articles qui seraient arrêtés
dans l'Assemblée du clergé de 1682. Le 4 août 1663,
Louis XIV ordonna que les propositions seraient
« lues, publiées et enregistrées n dans tous les parlements
et dans toutes les universités du royaume. D'Argentré,
Collcctio judiciorum, Paris, 1755, t. m, p. 93. Les
volontés du roi furent exécutées, le 20 septembre 1663,
et les différentes facultés de l'université de Bordeaux
souscrivirent aux six propositions. Gonet fut du
nombre. Le P. Michel Camain, jésuite, ne voulut pas
souscrire. Voir le décret de l'université dans Ant. de
Lantenay, Mélanges de biographie cl d'histoire, Bor-
deaux, 1885, p. 53, note 2. On voit donc que Gonet
partageait les idées régnantes du gallicanisme. C'est
qu'à cette époque on ne croyait nullement la foi
engagée ou même compromise. Déjà en 1660, en ne
condamnant pas les Lettres provinciales, les docteurs de
l'université de Bordeaux n'avaient nullement entendu
défendre une doctrine qu'ils avaient eux-mêmes
condamnée en acceptant deux ans auparavant, le
28 février 1658, les bulles d'Innocent X et d'Alexan-
dre VII, décidant la double question de droit et de
fait dogmatique et le caractère hérétique des propo-
sitions de Jansénius, entendues au sens de l'auteur.
Même ils avaient fait « un décret par lequel ils avaient
résolu de ne donner aucun degré à ceux qui seront
suspects de jansénisme, ou qui voudront mettre en
dispute quelques-unes des dites propositions. » Motifs,
p. 5. De plus, en 1665, deux ans après avoir signé les
six propositions, les mêmes docteurs, et Gonet est du
nombre, signent le Formulaire d'Alexandre VIL On
voit donc que le gallicanisme de ces docteurs n'avait
pas le caractère d'opposition au pape qu'on se plaît
souvent à lui prêter. Les cours de la faculté de théo-
logie de l'université de Bordeaux ne furent repris
qu'en 1669 et non pas en 1662 comme l'écrit dom
Devienne, Histoire de la ville de Bordeaux, t. Il, p. 142.
Ils ne le furent qu'en vertu d'un Arrest du conseil
d'état portant le rétablissement de l'exercice de la
faculté de théologie en l'université de Bourdeaux, le
15 mai 1669. Voir cet arrêt très intéressant dans Ant.
de Lantenay, Mélanges, p. 59 sq. Il suit de tout cela
que l'enseignement de Gonet à l'université de Bordeaux
subit une interruption de près de neuf années, à dater
du 5 novembre 1660. D'après une lettre adressée à
Arnaud d'Andilly, le 30 novembre 1660, on lu: annon-
çait le départ du P. Gonet et celui de Lopez, théologal
de Bordeaux, pour Paris, probablement pour tenter de
faire rapporter le décret du 5 novembre. Nous ne savons
pas si, de fait, il le rendit à Paris. Voir Ant. de Lante-
nay, Alélanges, p. 103. Après les événements que nous
venons de rapporter, Gonet n'occupa plus guère la
chaire de théologie de Bordeaux que deux ans, de
1669 à 1671, date de son élection comme provincial.
En quittant l'enseignement en 1671, Gonet proposa,
pour le suppléer, le P. J.-B. Maderan, lui aussi de la pro-
vince dominicaine de Toulouse. Maderan occupa la
chaire de théologie jusqu'à ce que Gonet eût achevé
son provincialat. Sur Maderan, voir Scriptores ordinis
prœdicalorum, édit. Coulon, xvme siècle, p. 125-127.
Lorsqu'on 1677, Gonet se retira définitivement de l'en-
seignement, Maderan revint prendre sa place. Parmi
les ouvrages théologiques qui, à cette époque, eurent le
plus de vogue se place en première ligne le Clypeus theo-
logiœ thomislicse contra novos ejus impugnatores, 16 in-
12, Bordeaux, 1659-1669. C'est un traité complet de
théologie dogmatique. Il eut de nombreuses éditions. En
1489
GONET — GONNELIEU
1490
1080, il comptait déjà 9 éditions. Citons en plus de l'édi-
tion princeps parue à Bordeaux, celle de Cologne, 1671,
en 5 in-fol.; celle de Paris, 1669. Une édition plus
parfaite parue à Lyon en 1681 sous la surveillance
du P. Jean-Baptiste Gonneau, en 5 in fol. Cette édition
porte le titre de 4e édition. Gonneau ne fit aucune
modification qu'il n'en ait reçu chaque fois l'autori-
sation formelle de l'auteur; de sorte que cette édition
peut passer comme donnant la pensée définitive de
Gonet. Après la mort de l'auteur il y eut encore d'autres
éditions du Cli/peus : G in-4°, Paris, 1686; 5 in-fol..
Anvers, 1725; 1744-1753; Venise, 1753; 3 in-fol., 1772;
6 in-4°, Paris. 1876. Gonet mourut sans pouvoir
donner la partie morale de son cours de théologie; ce
fut le P. Maderan qui entreprit de le compléter sous
ce titre : Supplementum Clypei Iheologiœ thomistiese,
sive Dissertationes morales de officiis justitiiv, quibus
rcsolvuntur selecli casus conscicnliœ juxta doctrinam
D. Thomas, ex sacris canonibus, scnlenliis sanctorum
Patrum et theologicis ralionibus comprobatam et expla-
natam. Cet ouvrage en 5 in-4° était conservé avant la
Révolution chez les dominicains de Bordeaux; il se
trouve aujourd'hui parmi les manuscrits de la biblio-
thèque municipale, sous la cote 154. On peut en voir
le détail dans l'article sur J.-B. Maderan. Scriptores
ordinis prœdicalorum, édit. Coulon, xvme siècle, p. 126.
L'ouvrage est demeuré manuscrit. Gonet publia
encore Manuale thomistarum scu breuis theologiœ
thomisticœ cursus in graliam et commodum sludenlium,
ut facilius ac citius inspicere possint, quœ in Clijpeo
jusius cl laliori calamo conscripsil, 6 in-12, Béziers, 1680 ;
Lyon, 1680; 2 vol., Cologne, 1682; 6 in-12, Bolo-
gne, 1681; Padoue. 1704-1718, édition préparée par
Serry et portant aussi la marque de Venise (Hurter,
Nomenclalor, t. iv, col., 319, déclare cette édition
moins fidèle que les autres, mais sans dire pourquoi,
probablement à cause des notes de Serry); 6 in-12,
Padoue, 1729; Anvers, 1742; in-fol., Venise, 1778.
Dans son histoire des congrégations De auxiliis,
Venise, 1740, col. 569, Serry félicite l'auteur du
Manuel d'avoir corrigé dans sa 4e édition, Lyon, 1681,
ce qu'il avait enseigné touchant les effets du péché
originel, rc malurius discussa et altenlius ponderata,
p. 218, et d'avoir ainsi échappé à l'accusation de
molinisme, en proclamant cette doctrine chère aux
thomistes : hominem nedum originali peecalo spolia-
tum gratuitis, verum etiam in naturalibus vulneratum :
algue ideirco longe minores esse vires in homine lapso,
quam fuissent in homine puro. Un dernier ouvrage de
Gonet est intitulé : Dissertatio iheologica ad tractation
de moralilate actuum humanorum perlinens de probabi-
litate, in qua novorum casuislarum laxilates cl janse-
nianorum excessus ex doctrina D. Thomœ conjulanlur,
in-12, Bordeaux, 1664.
Echard, Scriptores ordinis prsedicatorum, Paris, 1719-
1721, t. il, p. 692-693; Ant. de Lantenay [Bertrand!, Mé-
langes de biographie et d'histoire, Bordeaux, 1885, p. 50-55,
56, 90, 92, 103; Laurent Josse Le Clerc, Remarques sur le
Dictionnaire de Bayle, art. Gonet; Hurter, Nomenclator
literarius, Inspruck, t. n, col. 308 sq.; on y trouve l'épi-
taphe composée par Jos. Gourgas et qui a disparu de
la 3e édition, 1910, t. iv, col. 317-319; Dollingcr-Beusch,
Geschichte der Moralstreitigkeilen, Nurdlingen, 1889, t. i,
p. 43, 100; t. ii, p. 67, 71; Serry, Historiée congregationum
de auxiliis, Venise, 1740, col. 569; Contenson, Theologia
mentis et cordis, II. Probabilitatis commentant, p. 163,
et passim. Voir Godoy.
R. Coulon.
GONNELIEU (Jérôme de), jésuite français, né à
Soissons, le 8 septembre 1640, entré au noviciat de Pa-
ris le 4 octobre 1657. Après avoir enseigné dans divers
collèges la grammaire et les humanités, il fut appliqué
à la prédication et aux fonctions du saint ministère.
Le caractère simple, mais chaleureux et tout apos-
tolique de son éloquence, atlira de grandes foules au
pied de sa chaire et la bonté aimable de cet homme
pénétré de l'esprit de Dieu lui gagna les cœurs. Il
opéra dans toutes les classes de la société de nom-
breuses conversions et dirigea dans les voies de la
piété des âmes d'une sainteté éminente. Aussi les
ouvrages de spiritualité composés parle P. de Gonnelieu
et qui ont porté si haut sa réputation d'ascète, se font
remarquer par une connaissance approfondie des voies
intérieures et de la conduite des âmes non moins que
par l'élévation et la solidité de la doctrine. Il convient
de citer parmi ses principaux écrits : 1° Les exercices
de la vie intérieure ou l'espril intérieur dont on doit
animer ses actions durant le jour, Paris, 1684; 2° Mé-
thode pour bien entendre la sainte messe et mener une
vie chrétienne dans le monde, Paris, 1690; 3° Pratiques
de la vie intérieure, 2 in-12, Paris, 1693, 1694; plusieurs
éditions ont pour titre : Sentiments de la vie intérieure;
4° Instruction sur la communion et la confession, Paris,
1694; 5° De la présence de Dieu qui renferme tous les
principes de la vie intérieure, Paris, 1703; 6° Méthode
pour bien prier, Paris, 1710; 7° Le sermon de Noire-
Seigneur à ses apôtres après la Cène, essai d'une expli-
cation littérale et morale du texte évangélique sous
forme d'homélies, Paris, 1712; 8° Nouvelle retraite de
huit jours à l'usage des personnes du monde cl du cloître,
Paris, 1734. La plupart de ces ouvrages ont eu de
très nombreuses éditions jusque dans la seconde
moitié du siècle dernier. L'ouvrage le plus souvent
réédité sous le nom du P. de Gonnelieu : L'Imitation
de Jésus-Christ, traduction nouvelle, Nancy, 1712,
n'est pas de lui, mais de Jean Cusson, imprimeur et
avocat au parlement. Dans son Essai bibliographique
sur le livre de l'Imitation et dans la Bibliothèque des
écrivains, 2<~ édit., t. i, col. 2179-2182, le P. de Backer
a relevé plus de 250 éditions qui attribuent cette
traduction au P. de Gonnelieu et Barbier n'a pas
manqué d'en faire un grief aux jésuites. Dissertation,
p. 64. Dom Calmet, Bibliothèque lorraine, p. 318, a
donné l'explication historique de ce fait étrange.
L'édition de Nancy, faite en 1712 par Jean-Baptiste
Cusson, contenait des réflexions et pratiques attribuées
au P. de Gonnelieu. Elle parut sous ce titre : L'Imi-
tation de Jésus-Christ, traduction nouvelle, dédiée à la
duchesse de Lorraine et de Bar, avec une pratique et une
prière èi la fin de chaque chapitre, par le R. P. Gonne-
lieu, de la Compagnie de Jésus, Nancy, J.-B. Cusson,
1712. Trompé sans doute par le titre, le Journal des
savants attribua dès 1713 la traduction elle-même au
P. de Gonnelieu et la disposition typographique du
titre dans les éditions suivantes ne fit que confirmer
l'erreur : L'Imitation de Jésus-Christ, traduction nou-
velle. Avec une pratique et une prière à la fin tic chaque
chapitre. Par le R. P. Gonnelieu, de la Compagnie
de Jésus. Paris, 1712, etc. Les Mémoires de Trévoux,
janvier 1716, p. 183, ont vainement réclamé contre cette
attribution. Quant aux Réflexions et pratiques, extraites
des œuvres du P. de Gonnelieu, elles reflètent le plus
pur esprit janséniste, avec toutes les atténuations vou-
lues, et comme l'observait en 1738 le P. Patouillet,
auteur de la préface du Dictionnaire des livres jansé-
nistes, si elles sont « dans le genre de celles de Gonne-
lieu, » elles ne peuvent à aucun titre lui être attribuées.
Mémoires de Trévoux, janvier 1738, p. 123. Néanmoins
d'innombrables traductions du livre de J.-B. Cusson,
publiées dans toutes les langues de l'Europe, continuent
a porter en titre le nom du P. de Gonnelieu. Épuisé
par ses travaux apostoliques, le saint religieux mourut
à la maison professe de Paris, le 28 février 1715.
La France littéraire, 1778, IIe partie, p. 143; Journal
des savants, 1713, p. 123; Mémoires de Trévoux, 1713,
p. 1403; 1716, p. 183; Sommervogel, Bibliothèque de la
Cle de Jésus, t. m, col. 1560-1567. P. Bernard.
1491
GONON
GONZALEZ DE ALBELDA
1492
GONON Benoît, célestin, originaire de Bourg,
fit profession au monastère de Lyon le 4 avril 1608.
Il s'est applique à l'hagiographie, à la littérature
ascétique et à l'histoire de son ordre. On a de lui :
Chronicon Deiparae Virginis, in-4°, Lyon, 1637, ou
recueil de miracles opérés par la Vierge; Viridctrium
bealse Yirginis Mariée, in-12, Lyon; Histoire de
Notre-Dame de Bonne-Nouvelle, révérée dans l'église
des célestins, in-12, Lyon, 1639; Les illustres pénitents
cl les charitables envers les pauvres, in-12, Lyon, 1641;
Histoires véritables et curieuses où sont représentées
les aventures étrangères des personnes illustres, in-12,
Lyon, 1644; La chasteté récompensée en l'histoire des
sept pucellcs, in-8°, Bourg, 1643; Historia sanclissimx
eucharistise, in-8°, Lyon, 1635; et Schola sanclorum
J'atrum, in-8°, Lyon. Sa Brevis historia ecleslinorum
Gallise n'a pas vu le jour. Il mourut à Lyon en 1656.
Elogia viroruin illustrium galliav congregationis celesti-
norum, p. 203; dom François, Bibliotlièque générale des
écrivains de l'ordre de saint Benoit, t. i, p. 403-404.
J. Besse.
GONTERY Jean, jésuite italien, né à Turin en 1562,
entra le 28 avril 15S4 au noviciat de la Compagnie
de Jésus à Borne, et de bonne heure professa la phi-
losophie et la théologie. Becteur d'Agen en 1592, puis
de Toulouse en 1598, il devint en 1603 premier recteur
de Béziers et s'adonna vivement aux polémiques
religieuses de son temps. Ses écrits méritent une place
marquante dans l'histoire de la controverse. Nous
devons nous borner à citer ici la liste de ses principaux
ouvrages. 1° Correction fraternelle {aile à M . du Moulin,
ministre du Pontcharanlon, sur le baptême cl les limbes,
Paris, 1607; 2° La vraie procédure pour terminer le
différend en matière de religion, ibid., 1607; 3° La
réponse du P. Gontery à la demande d'un gentilhomme
de la religion prétendue réformée touchant l'usage des
images avec une copie de la lettre gue le roi lui a envoyée
audit P. Gontery, ibid., la lettre d'Henri IV est
du 10 avril 1608; voir le Journal de l'Étoile sur la
discussion entre Gontery et Dumoulin et l'intervention
du chancelier; 4° Lettre au même gentilhomme touchant
la sainte eucharistie, ibid., 1608, traité qui provoqua
chez les réformés une active campagne de presse;
5° Réplique à la réponse que les ministres ont faite
sous le nom d'Eusèbe Philalèthe contre le traité des
images, Bouen, 1609; cet écrit est signé Antoine de
Bahastre; il fut le signal d'une nouvelle et violente
polémique dirigée surtout par le ministre Guéroud
et menée parallèlement à Paris, en Hollande et à
Bouen; elle se poursuivait encore en 1613; cf. Barbier,
Examen critigue..., p. 397 sq. ; 6° Les conséquences
auxquelles a été réduite la religion prétendue réformée
après avoir recogneu qu'elle n'avoil aucun fondement dans
la sainte Écriture, voire après y avoir renoncé, Bouen,
1609; Dieppe, 1609; Paris, 1610; Lyon, 1610, etc.;
7° La réfutation du faux discours de la conférence
entre le R. P. Gontery, S. J., et le sieur Du Moulin,
ministre de la religion prétendue réformée, Paris, 1609;
la conférence entre Gontery (nommé souvent Gontier
dans les écrits du temps) et Dumoulin, ménagée par
les soins de la baronne de Salignac, avait eu un
immense retentissement, comme on peut le voir par
la relation adressée à Henri IV par Gontery et repro-
duite dans le Mercure françois de 1609, p. 335 sq., et
dans d'autres recueils; cf. Baoul Bouthrays, Hislo-
riopolitographia, Francfort, 1610, p. 333; Mémoires de
Trévoux, 1714, p. 1312; 8° Déclaration de l'erreur de
notre temps et du moyen qu'il a tenu pour s'insinuer,
Bouen, 1609; Paris, 1610; 9° Réfutation d'un libelle
sur la conférence du P. Gonlery avec un ministre,
Paris, 1609; l'écrit ne mentionne point le lieu de la
conférence; mais il est vraisemblable qu'il s'agit de
la conférence d'Amiens, qui eut lieu cette année-là
même et dont l'objet fut discuté en divers opus-
cules ou traités; 10° Relation d'une conférence sur des
points de controverse entre Georges Frédéric, marquis
de Bade, et François, duc de Lorraine, Nancy, 1613;
c'est du colloque de Durlach qu'il est question;
l'ouvrage publié sous le pseudonyme de Simonin et
traduit en allemand par le P. Conrad Vetter, souleva
parmi les protestants du Wurtemberg et du Palatinat
une série de répliques et de diatribes contre les catho-
liques en général et les jésuites en particulier; 11° Let-
tres du P. Gontery. jésuite, à M. le Conte, gouverneur
de Sedan, Sedan, 1613; 12° Fuite honteuse des ministres
luthériens d'Allemagne, Pont-à-Mousson, 1613; 13° Ex-
position des sublilitez qui se font dans les disputes sur
la foy, Paris. 1613; 14° Réfutation complète des erreurs
de ce siècle, Charleville, 1613; 15° La pierre de touche
ou la vraie méthode pour désabuser les esprits trompez
sous couleur de Réformation, Bordeaux, 1613, t. i;
Paris, 1615, t. n et m; 16° Du juge des controverses
en général, Paris, 1616; 17° Application du traité
général à la controverse des vœux de la sainte religion,
ibid., 1616; 18° La ruine entière de la Confession de
foy des ministres, Caen, 1616; 19° Instruction du
procès de la religion prétendue réformée, Paris, 1617.
Le P. Gontery, qui s'était fait un grand renom de
prédicateur, était en même temps un habile et péné-
trant directeur des âmes. Ses œuvres de spiritualité
portent la marque d'une science théologique profonde
et d'une éminente sainteté. Il mourut à Paris, le
11 novembre 1616.
Sommervogel, Bibliothèque de la C'"- de Jésus, t. m,
col. 1567-1574; Hurter, Nomenclator, 3e édit., t. ni, col. 555.
P. Bernard.
1. GONZALEZ DE ALBELDA Juan, dominicain
espagnol, né à Navarrete, diocèse de Calahorra, entra
dans l'ordre au couvent de San Esteban de Salamanque,
où il fit profession le 18 janvier 1585. Après avoir
enseigné la théologie en plusieurs collèges de son ordre,
en Espagne, il fut appelé à Borne en qualité de régent
du collège Saint-Thomas de la Minerve en 1608, par le
général Augustin Galamini. On voit que les auteurs se
trompent qui font de Juan Gonzalez le compagnon de
Thomas Lemos dans les disputes De auxiliis. Elles
étaient terminées depuis le mois de février 1606, donc
deux ou trois ans avant l'arrivée de Gonzalez à Borne.
Après avoir enseigné trois ans à la Minerve, il revint
en Espagne. En 1612, il commença son enseignement
à l'université d'Alcala de Henarès, dans la chaire
fondée pour son ordre par le duc de Lerma. Il occupa
cette charge jusqu'à sa mort survenue en 1622.
Gonzalez de Albelda a composé Commenlariorum et
disputalionum in I""' partent Summœ S. Thomse de
Aquino volumina duo, Alcala, 1621; Naples, 1637.
Quelques auteurs, en particulier Ortega et d'autres de
la même école, ont voulu établir une opposition entre
la doctrine de Gonzalez sur la grâce efficace et la
doctrine courante de l'école thomiste, prétendant que
le professeur d'Alcala était favorable à la théorie de
Molina. Pour appuyer leur assertion, ils rapportaient
un passage de Gonzalez, part. I, disp. LVIII,sect. u,n. 1,
ainsi conçu : Dico primo, contra primam senlentiam
thomislarum recenlium : Non oporlet quod gralia prœve-
niens inlrinsccc inhœrens, quse in uno est efficax, sil
ctiam efficax in alio majori tenlalione tentalo. Ac proinde
non csl verum dicere, quod gralia prœvcniens intrinsece
inhserens, quse aliquando est efficax, debcat esse efficax
semper, cl in quoeunque supposito œgualiter tentato...
Ainsi que le fait remarquer Serry, Historia congreg. de
auxiliis, col. 609, bien que cette notion de la grâce
efficace ne soit pas celle généralement admise par les
thomistes, elle n'en est pas moins aussi éloignée que
possible du molinisme et se ramène à la grâce intrin-
sèquement efficace. Gonzalez n'entend dire autre chose
1493
GONZALEZ DE ALBELDA — GONZALEZ DE SANTALLA
1494
que ceci : que la ;;râce n'est accordée à l'homme qu'en
proportion du besoin personnel qu'il en peut avoir et son
efficacité est toujours en rapport avec le sujet; de
sorte que l'on peut dire avec raison que la môme grâce
ne saurait avoir la même efficacité en deux sujets
distincts, parce que le tempérament, la tentation, etc.,
ne sont pas les mêmes dans les deux. D'ailleurs,
toute la disp. LVII est consacrée à l'exposé de la notion
de la grâce efficace et Gonzalez s'y montre fidèle aux
enseignements de l'école thomiste. Pour la concor-
dance de sa doctrine avec celle de toute l'école, voir
Massoulié, In D. Thoma sui interprète, t. il, diss. III,
q. vi. D'autre part, Liévin de Meyer (Eleutherius),
dans son Hisloriœ controversiarum, s'appuyant sur un
passage qu'il interprète mal de Gonzalez, part. I,
q. xix, a. 8, disp. LIX, sect. n, n. 15, prétendait
qu'il était opposé à la notion de la predétermination
physique, telle qu'elle est admise par les thomistes.
Serry, op. cit., col. 767-768, rétablit le vrai sens de la
doctrine de Gonzalez.
Echard, Scriptores ordinis prœdicalorum, Paris, 1719-
1721, t. n, p. 427; Serry, Hist. congreg. de auxiliis, Venise,
1740, col. 609, 767-768; Hurter, Nomenclator literariu.t,
Inspruck, 1907, t. m, col. 657.
R. Coulon.
2. GONZALEZ DE 'LÉON Juan, dominicain
espagnol, régent du collège Saint-Thomas d'Aquin
du couvent de la Minerve, à Rome. Il laissa manuscrite
une relation des controverses de son temps, qui parut
après sa mort, à Liège, en 1708, sous ce titre: Conlro-
versiœ inter defensorcs liberlalis et prœdicctlorcs gratiœ
de auxiliis divins' gratiœ, tam excitantis quam adju-
vantis, tam operanlis quam cooperantis, tam su/ficientis
quam effieacis, et de extremis hœreticorum erroribus
circa camdem, Romœ anno 1635 et 1636 publicœ catholi-
corum utililali exposilœ. In quibus nec unum exlal
v.'rbum, quod non vel summorum ponlificum et sacrorum
eonciliorum definitionibus, vel sanetorum Patrum prœ-
cipue Augustini, Prosperi, Fulgentii, Anselmi, Hilarii
et D. Thomœ aucloritatibus julcialur, roboretur. appro-
betur, in-4°, Liège, 1708. L'auteur déclare avoir fait
toutes les recherches désirables sur ce qui s'est passé
dans les congrégations De auxiliis tenues sous Clé-
ment VIII et Paul V : Novi, vidi et expendi, quomodo se
gesserint arguenles e respondenles consideravi, etc. Étant
régent de la Minerve, il fit soutenir au mois de mai
1638, par P. Raymond Capisucchi, plus tard maître
du sacré palais et cardinal (t 1696), une thèse ainsi
énoncée : Verilales principes ex universa theologia ma/jni
Thomœ Aquinalis angelici docloris Ecclesiœ publiée
disputandas proponit Pr. Raijm. Capisuccus, in-fol.,
Rome, 1638.
Echard, Scriptores ordinis prœdieatorum, Paris, 1719-
1721, t. n, p. 486; Hurter, Nomenclator, Inspruck, 1907,
t. m, col. 670.
R. Coulon.
3. GONZALEZ DE SANTALLA Thyrse, jésuite
espagnol, né à Arganza, dans la province de Léon, le
18 janvier 1624, admis au noviciat de la Compagnie
de Jésus le 3 mars 1643, enseigna d'abord la grammaire
et la philosophie, puis la théologie à Salainanque
(1655-1665), avec un éclatant succès justifié par la
lucidité de son exposition, la force pénétrante de son
argumentation et un don de parole chaleureuse et
incisive qui souleva plus d'une fois l'enthousiasme
de l'auditoire. Adonné ensuite au ministère des
missions (1665-1670) et à la théologie ascétique, il
édita les Senlimcnlos y avisos espirituales du P. Louis
de la Puente, Madrid, 1671; le Tesoro escondido en las
enfermedades du même auteur, Madrid, 1672. Nommé
professeur de théologie à l'université de Salamanque
en 1676, il porta de préférence son enseignement sur
les questions controversées entre néo-thomistes et
jésuites, sans négliger pourtant les grandes discussions
dogmatiques ouvertes par les écrits jansénistes ou
les problèmes spéciaux d'apologétique posés en
Espagne par la conversion des musulmans à la foi
catholique. En 1680, commence la publication de
ses grands ouvrages théologiques : 1° Sclcelarum
dispulationum ex universa theologia lomus primus,
Madrid, 1680, ouvrage qui traite exclusivement des
thèses et positions du néo-thomisme sur l'essence et
les attributs, la science nécessaire, l'éternité et la
puissance de Dieu, la vision. Un traité intégral est
réservé à la volonté divine, et un autre à la science des
futurs contingents et tout particulièrement à la science
moyenne avec un essai-fort ingénieusement conçu et
lumineusement exposé dans sa concise précision sur
l'accord de la liberté humaine avec l'infaillibilité
de la science et de la prédestination divines et avec
l'efficacité des motions de la grâce. Le P. Thyrse
Gonzalez se mit par ce traité au premier rang des
adversaires du néo-thomisme. Les volumes suivants
parurent simultanément à Madrid en 1686; ils se
bornent, comme le premier, à un choix de questions
d'ordre métaphysique controversées dans l'école sur
la Trinité, la prédestination, etc. Le t. iv contient un
choix fort intéressant de controverses sur l'état de
I pure nature et sur les thèses jansénistes concernant
: l'ignorance invincible du droit naturel. La théorie
des théologiens de Louvain sur l'efficacité de la grâce
dans l'état de nature déchue est également soumise
j à une pénétrante et incisive critique qui embrasse à
ce propos tout le système théologique et les procédés
de combat des Lovaniens. 2° Manuduclio ad conver-
sionem Mahumclanorum, 2 in-8°, Madrid, 1687; Dil-
lingen, 1688. La I" partie, plusieurs fois réimprimée
à part, Dillingen, 1691; Lille, 1696; Madrid, 1097;
Naples, 1702, etc., est une démonstration serrée et
méthodique de la vérité de la religion catholique.
Elle a été utilisée contre les protestants. La IIe est
une critique complète de la religion musulmane.
Cf. Acta crudilor., 1697, p. 272-281; A. Mai, Scriplorum
veterum nova collcctio e Valicanis codicibus édita,
Rome, 1831, t. v, p. 77. 3° Traclatus théologiens de
certitudinis gradu quem infra /idem nunc habet senlenlia
pia de immaculalœ B. Virginis conceptione, Dillingen,
1690 ; 4° De infallibililate romani ponlificis in dcfinicndis
fîdei et morum conlroversiis extra concilium générale
cl non exspectalo Ecclesiœ consensu contra récentes
hujus injallibilitatis impugnalores, Rome, 1089. Rédigé
contre les propositions de l'Assemblée du clergé de
France en 1082, ce traité, fort complet et d'une haute
importance, fut imprimé par ordre d'Innocent XI
qui mourut avant la publication de l'ouvrage. Son
successeur Alexandre VIII, l'ayant fait examiner de
nouveau, craignit de s'attirer de graves ennuis avec
la cour de France et donna ordre de supprimer tous
les exemplaires. Très peu échappèrent à la destruction.
Un extrait de ce grand ouvrage parut à Barcelone,
en 1091, sous le même fifre. 5° Fundamentum theologix
moralis, id est, traclatus theologicus de recto usu opi-
nionum probabilium, Rome, 1694; trois éditions à
Rome la même année; neuf autres éditions à Anvers,
Naples, Dillingen, Paris, Cologne, etc., presque
aussitôt épuisées. Rarement ouvrage eut un pareil
retentissement. Il excita au sein même de la Compagnie
de Jésus, dont le P. Thyrse Gonzalez était alors
général, la plus vive opposition, car il combattait
directement la doctrine du probabilisme presque
universellement admise jusqu'alors et très vaillamment
défendue par les thélogiens de la Compagnie. Com-
mencé en 1671 et achevé en 1676, l'ouvrage était
depuis près de vingt ans soumis à l'approbation des
supérieurs sans avoir obtenu l'imprimatur. Nommé
général de la Compagnie de Jésus le 6 juillet 1687,
U495
GONZALEZ DE SANTALLA
GORDON
1496
le P. Thyrse Gonzalez, qui regardait le probabilisme
comme une théorie dangereuse et funeste dont il
importait de préserver son ordre, fit approuver son
traité par le P. Philippe de Saint-Nicolas, vicaire
général de l'ordre des carmes déchaussés, et par le
P. Marie Gabriel, visiteur général des cisterciens,
tous deux qualificateurs du Saint-Office. Les appro-
bations des deux réviseurs sont de janvier 1694.
L'ouvrage parut aussitôt. Le premier soin et le prin-
cipal souci de l'auteur sont d'établir que le probabi-
lisme. dont il fait remonter l'origine à Antoine de
( m. loue, religieuxde l'ordre de saint François, en 1571,
n'a pas pour auteurs les théologiens de la Compagnie,
ce qui est rigoureusement exact, qu'il n'est pas non
plus une doctrine particulière à la Compagnie, ce qui
est vrai encore, et il note avec soin que les premiers
adversaires de ce système sont précisément des jésui-
tes, les PP. Ferd. Rebelle, Paul Comitolus et André
Bianchi. Le fait est exact pour Comitolus (1609) et
pour Bianchi (1612). Mais ce sont les seuls que l'on
puisse citer parmi les adversaires du probabilisme
jusqu'en 1656 et le P. Thyrse Gonzalez se trouvait en
opposition avec la doctrine alors unanimement
admise par les membres de la Compagnie. Aussi les
cinq reviseurs nommés en 1673 par le Père général
Paul Oliva, à qui l'ouvrage était dédié, s'étaient-ils
énergiquement prononcés contre la publication du
manuscrit dans leur Jugement du 18 juin 1674. Cf. Con-
cilia, Dijesa délia Compagnici di Gesù, Venise, 1767,
t. ii, p. 31. Quand parut le décret de l'Inquisition du
2 mars 1679 condamnant par ordre d'Innocent XI
les 65 propositions entachées de laxisme, le nonce
de Madrid, Mellini, manda au pape qu'un professeur
de Salamanque avait combattu quelques années
auparavant des propositions condamnées, en parti-
culier la troisième, dans un écrit qui n'avait pu obte-
nir l'imprimatur. Le pape demanda une copie de
l'ouvrage, qu'il fit examiner par deux théologiens.
Sur le rapport du P. Lorenzo Brancacci di Laurea,
les cardinaux membres du Saint-Office décidèrent
en séance du 26 juin 1680 que le cardinal secrétaire
d'État enjoindrait au nonce de Madrid de transmettre
au P. Gonzalez la satisfaction du souverain pontife
avec ordre d'enseigner et de prêcher ses doctrines.
Thyrse Gonzalez n'eut connaissance de ce décret
qu'en 1693. Envoyé par la province de Castille à la
13e congrégation générale chargée d'élire le successeur
du P. Charles de Noyelle, Thyrse Gonzalez fut nommé
général de la Compagnie, et cette élection répondait
au vœu publiquement exprimé d'Innocent XI. Le
nouveau général, dès la première audience accordée
par le pape, reçut ordre de faire enseigner le probabi-
liorisme au Collège romain: le P. Jos. de Alfaro fut
chargé de cette mission. En même temps, la 13e congré-
gation rendait un important décret permettant aux
membres de la Compagnie d'enseigner le probabilio-
risme. Instilulum S. J., t. i, p. 667.
Aucun auteur jésuite ne soutenant cette doctrine,
le P. Thyrse Gonzalez se décida, après quatre années
d'attente, à publier lui-même en faveur du probabi-
liorisme un écrit qui, dans sa pensée, servirait de
préface à son traité encore manuscrit du Fundamcn-
lum theologiœ moralis. Cet écrit dont les assistants
n'eurent point connaissance, mais qui fut soumis à
l'examen de quelques jésuites, sans doute Alfaro et
Estrix, et approuvé par deux théologiens d'autres
ordres, fut imprimé à Dillingen sous ce titre : Traelatus
succinclus de reelo usu opinionum probabilium, en 1691.
La nouvelle, aussitôt répandue, combla de joie les
jansénistes et les ennemis de la Compagnie, qui
voyaient dans ce livre la condamnation officielle « de la
morale relâchée des jésuites » et qui espéraient bien
tirer profit des discussions et des conflits que cet
ouvrage ne pouvait manquer de susciter au sein de
l'ordre. Mais comme ce traité n'avait ni l'approbation
de la Compagnie ni celle du maître de sacré palais,
les assistants intervinrent au nom des constitutions
et ni le pape Innocent XII ni le maître du sacré palais
ne se montrèrent favorables à cette publication.
L'édition fut tout entière supprimée. Mais dans les
premiers mois de 1694, avec l'approbation du maître
du sacré palais Ferrari, le P. Thyrse Gonzalez put
faire paraître enfin son manuscrit de 1671. Tel est,
réduit a ses points essentiels, l'historique de cette
publication qui a donné lieu à tant de controverses
et de jugements souvent peu fondés. Voir, en particulier,
l'important ouvrage de Dôllinger et Reusch, Geschi-
chle der Moralstreiligkeiten in der romisch-katholischen
Kirche, Nordlingen, 1889, t. i, p. 123 sq., et l'article
de Reusch dans Prcussischc Jahrbùcher, 1888, t. lxviii :
Ein Krisia in Jcsuitenorden, p. 52-83.
Le P. Segneri, qui avait employé son crédit auprès
d'Innocent XII pour empêcher la publication de
l'édition de Dillingen, fut le premier à attaquer la
doctrine du Fundamenlum theologiœ. moralis sous
forme de lettre adressée à son ami Lattanzio Vajani :
Lettera terza nella quale si abbatono i fondamenli d'un
nuovo sistema, dans Opère, t. iv, p. 816-854. Rassler,
professeur à Dillingen, combattit avec plus d'énergie
encore l'ouvrage de Gonzalez dans sa Controversia
théologien tripartita de recto usu opinionum probabi-
lium, soutenue publiquement à l'Académie de Dillingen
et publiée en 1694. Les ennuis causés au P. Thyrse
Gonzalez par la publication de cet ouvrage ne firent
que s'accroître et les dernières années de sa vie furent
attristées. Dans ses Vindiciœ Socictatis Jesu hiscc
lemporibus cjusque doctrinarum purgatio, Venise, 1769,
ouvrage très important pour cette question et très
curieux, le dominicain Concilia a recueilli vingt-deux
documents relatifs au P. Gonzalez qui les avait remis
lui-même au cardinal Ferrari. Voir t. ni, col. 701-702.
Le P. Thyrse Gonzalez mourut à Rome le 22 oc-
tobre 1701.
Sommervogel, Bibliothèque de la C" de Jésus, t. m,
col. 1591-1602; Hurter, Nomenclator, 3e édit., 1910, t. iv,
col. 951 sq.; Crétineau Joly, Histoire de la Cle de Jésus,
t. IV, p. 345.
P. Bernard.
GOODWIN Ignace-Jacques, jésuite anglais, né
dans le Somerset en 1601, entré au noviciat de la
Compagnie de Jésus en 1623, fut employé durant
trente années dans les missions d'Angleterre et de
Hollande, où son aménité, sa sainteté douce et atti-
rante non moins que sa science profonde et son art
merveilleux d'exposer dans toute leur force et leur
clarté les vérités de la foi catholique ramenèrent une
foule de protestants à l'Église romaine. Il enseigna
la controverse, science dans laquelle il était passé
maître, et la théologie morale à Liège et mourut à
Londres le 26 novembre 1667. Il a laissé un ouvrage
de controverse fort estimé : Lapis Lydius eontrover-
siarum modernarum catholicos intcr et acatholicos,
Liège, 1656. Cet ouvrage, destiné aux controversistes
de profession, et spécialement aux maîtres de cette
science, fut souvent réimprimé en Allemagne, en
Bohême, en Pologne.
Sommervogel, Bibliothèque de la C" de Jésus, t. m,
col. 1007 sq. ; Hurter, Nomenelator, 3e édit., t. iv, col. 92.
P. Bernard.
1. GORDON Huntley Jacques, jésuite écossais,
né en 1541. entré à Rome au noviciat de la Compagnie
de Jésus le 20 septembre 1563. Il enseigna pendant
près de cinquante ans la philosophie, la théologie et
l'hébreu à l'université de Pont-à-Mousson, à Paris et
à Bordeaux. Sa haute réputation de sainteté, de
science et de prudence le firent choisir par le pape
1497
GORDON — GOSSELIN
1498
Paul V comme nonce apostolique en Irlande; mais
dénoncé et découvert au cours de ses voyages, il fut
appréhendé et jeté en prison en Ecosse où il travaillait
à propager la foi catholique et à relever le courage des
fidèles. Enfin libéré grâce à l'intervention de la cour
de France, il revint à Paris où il mourut le 16 avril 1620,
après avoir mis la dernière main à son grand ouvrage de
controverse : Controversiaram epitome in qua de
guœslionibus theologicis hac nostra setate controvcrsis
disputatur. Le i" volume, publié à Paris en 1612, a
pour objet les notes de la véritable Eglise et l'obliga-
tion de conscience qui s'impose à l'homme de recher-
cher la vérité et de l'embrasser une fois connue. Le
t. i, paru en 1018, traite presque exclusivement de
la sainte eucharistie contre les calvinistes. Le t. m,
publié à Paris en 1620 et dédié par reconnaissance
à Paul V, discute quelques points particuliers de
dogme et d'histoire ecclésiastique. Cf. L. Allatius,
De Ecclesiœ orientatis et occidentalis consensione,
Cologne, 1648, col. 1642 sq.
Sommervogel, Bibliothèque de la Cu de Jésus, t. m,
col. 1610-1613 ; Hurter, Nomenda/or, 31, édit.,t.m, col. 460 sq.
P. Bernard.
2. GORDON Lesmoir Jacques, théologien écos-
sais, né dans le comté d'Aberdeen, entré au noviciat
de la Compagnie de Jésus en 1573, à Paris, où il avait
achevé ses études universitaires. Professeur de théo-
logie morale, il publia une Theologia moralis universel,
2 in-fol., Paris, 1634, qui dénote une rare lucidité
d'esprit, un sens précis des réalités et une science
profonde soutenue et éclairée encore par l'expérience
d'une longue vie et par une grande habitude des
Ames. Le P. Gordon n'oubliait point ses compatriotes.
Dans les discussions théologiques qui occupaient
alors et passionnaient les esprits en Angleterrre, il
intervint à son tour par un solide traité d'apologétique
qui eut un certain retentissement : De catholica veritate
dialriba, Paris, 1623, dédié au prince de Galles. Il est
également l'auteur d'une Histoire universelle en 3 in-
fol., plusieurs fois réimprimée, et d'une série de com-
mentaires sur la Bible dont Richelieu avait accepté
la dédicace. Après avoir rempli la charge de recteur
à Toulouse et à Bordeaux, le P. Jacques Gordon
fut choisi comme confesseur par Louis XIII et mourut
à la maison professe de Paris le 17 novembre 1641.
Sommervogel, Bibliothèque de la Clc de Jésus, t. m,
col. 1011-1614; Ilurter, Notncnclator, 3e édit., t. m, col.
1032; Will. Forbes-Leith, Narrationes o/ Scoitish Calholicas,
Londres, 1889, p. 232 sq., 243 sq., etc.
P. Bernard.
GORITZ (François-Antoine de) était entré chez les
frères mineurs capucins de la province de Styrie le
1 1 février 1730. Ses mérites le firent successivement
arriver aux diverses charges de lecteur, gardien, déli-
niteur et provincial. Le P. François-Antoine consacrait
à l'étude tout le temps que lui laissaient ses diverses
fonctions et il composa des ouvrages de théologie,
d'histoire tant sacrée que profane, et une exposition de
la règle franciscaine, sans toutefois rien publier de ses
travaux. Quand Pie VI, se rendant à Vienne (1782),
passa par Goritz, le bon vieillard alla se jeter à ses pieds
et il aimait à rappeler avec quelle bonté le pape l'avait
aidé à se relever. Il mourut dans sa patrie au mois de
mars 1784. Parmi ses manuscrits il en était un que l'on
désirait voir imprimé : c'était un abrégé de théologie
canonique et morale sous forme de tableaux synop-
tiques. Le soin en fut confié à un compatriote de l'au-
teur, le P. Jérôme de Goritz, qui revit l'ouvrage, le
compléta par une citation plus précise des autorités
invoquées et le publia, en le dédiant à Pie VI, sous ce
titre : Epitome theologiœ canonico-moralis omnes seor-
sim in bis ceniis triginta tribus lubulis dure, distincte ac
breviler malerias practicas exhibais, confessariorum,
examinatorum, neenon examinandorum usibus accommo-
data, in-4°, Rome, 1796. L'ouvrage fut accueilli avec
faveur et les éditions se succédèrent rapidement; nous
pouvons citer : Venise, 1805; 3e, 1822; 4e, 1832; Naples,
1833; Sienne, 1837; Bassano, 1838; Paris-Lyon, 1821,
1825, 1829, 1841, 1845.
Jean-Marie de Ratisbonne, Appendix ad bibliothecam
scriplorum capuccinorum, Rome, 1852; Hurter, Notncnclator,
Inspruck, 1912, t. y, col. 544.
P. Edouard d'Alençon.
GORMAZ Jean-Baptiste, théologien espagnol, né
à Miedes le 24 juin 1650, admis au noviciat de la
Compagnie de Jésus le 17 juillet 1668, professa les
humanités au collège de Gandie, puis la philosophie
à Calatayud. Chargé de l'enseignement de la théologie
dogmatique à Valence, il fut bientôt appelé à l'uni-
versité grégorienne où l'avait précédé sa haute répu-
tation de théologien érudit et sage, ami des solutions
positives, frappées au coin du bon sens. Ce sont les
qualités qui distinguent, entre toutes, ses grands
ouvrages : 1° Traetatus de pœnilenlia, 2 in-8°, Rome,
1697; 2° Traetatus de Deo, de beatiludine, de actibus
humanis, de virlulibus theologicis in génère et in specic,
de fide, spe cl charitale theologica, Augsbourg, 1707;
3° Traetatus de justitia et jure, de sanclissimo incarna-
lionis mysterio, de saeramenlis in génère, et in specic de
sacramento baptismi, de confirmatione, de venerabili
cucharistia, de pœnilenlia virtulc et de pœnilenlia
sacramento, Augsbourg, 1709. Rappelé dans sa province
où ses remarquables dons d'administrateur trouvaient
un vaste champ d'action, il gouverna successivement
les collèges de Huesca, de Calatayud, de Saragosse,
puis la province d'Aragon où il s'elTorça de promouvoir
à un degré intense le goût des hautes études théolo-
giques. Le P. J.-B. Gormaz mourut à Saragosse le
9 mars 1708.
Mémoires de Trévoux, 1708, p. 1191-1204; Journal des
savants, 1708, p. 524 sq.; Sommervogel, Bibliothèque de la
C1" de Jésus, t. ni, col. 1617; Hurter, Nomenclator, 1910,
t. iv, col. 674.
P. Bernard.
GOSSELIN Jean-Edme-Auguste, né à Rouen, pa-
roisse Saint-Jean, le 28 septembre 1787, suivit ses
parents à Paris où ils étaient venus s'établir, et y fit
ses études classiques. Entré en philosophie au sémi-
naire Saint-Sulpice le 10 décembre 1806, il se fit
remarquer par ses talents, sa régularité et sa piété.
Tonsuré le 20 décembre 1800, il reçut le sous-diaconat
le 22 décembre 1810. Les sulpiciens ayant été expulsés
du séminaire par Napoléon en 1811, M. Gosselin fut
choisi pour occuper la chaire de dogme : il y resta
deux ans jusqu'à ce que la faiblesse de sa santé l'obligeât
de quitter. C'est durant cet intervalle qu'il reçut le
diaconat et la prêtrise. Il ne voulut point recevoir cette
dernière ordination des mains du cardinal Maury, mais
il s'adressa à M. André, ancien évêque de Quimper, qui
la lui donna dans l'église paroissiale de Saint-Cloud le
22 février 1812. Les sulpiciens étant rentrés en 1814,
et le nombre des élèves s'étant accru au point de ne
pouvoir tous tenir dans le séminaire de la rue du
Pot-de-Fer, on fut obligé de transporter à Issy le cours
de philosophie et la Solitude. M. Gosselin admis dans
la Compagnie fut chargé dans cette nouvelle maison
de remplir les fonctions de directeur et en même temps
de donner aux solitaires quelques leçons particulières
de théologie. En 1818, ces derniers ayant été placés
dans un local séparé, il n'eut plus que la charge de direc-
teur du séminaire d'Issy, où, depuis 1816 jusqu'à 1830,
des théologiens furent réunis aux philosophes. La révo-
lution de 1830 ayant diminué le nombre des étudiants
ecclésiastiques qui venaient de province à Paris et
le nouveau séminaire de la place Saint-Sulpice,
quoique non encore achevé, étant assez vaste pour
1499
GOSSELIN
GOTESCALE
1500
contenir tous les élèves de théologie, il ne resta plus
à Issy que des philosophes, dont M. Gosselin devint
en 1831 le supérieur. En 1844, le délabrement de sa
santé l'obligea de donner sa démission et d'aller passer
l'hiver à Nice. A son retour, il dut se borner à rendre
comme directeur quelques services à la maison dans
la mesure de ses forces. Grâce à sa prudence et à sa
régularité, il put achever cependant divers travaux
qu'il avait entrepris pendant qu'il était directeur ou
supérieur. Il écrivait les dernières pages de la Vie de
M. Émery, lorsqu'il mourut le 27 novembre 1858.
Les ouvrages de sa composition sont : 1" Méthode
courte et facile pour se convaincre de la vérité de la reli-
t/ion catholique, d'après les écrits de Bossuet, Fénelon,
Pascal et Bullet, 2 in-12, Paris, 1822. Ce petit ouvrage,
rédigé sur le plan de la cinquième lettre de Fénelon
à un protestant, a eu plusieurs éditions, revues et
augmentées en 1824, 1833, 1840, 1847. Une dernière
édition en fut faite en 1876, suivie d'une lettre pas-
torale de Mgr Darboy, sur la divinité de Jésus-Christ ;
2° Police historique et critique sur la sainte couronne
d'épines de N.-S. J.-C. et sur les autres instruments
de sa passion qui se conservent dans l'église métro-
politaine de Paris, in-8°, Paris, 1828; 3° Pouvoir du
pape sur les souverains au moyen âge ou Recherches
historiques sur le droit public de celle époque, relative-
ment à la déposition des princes, in-8°, Paris, 1839;
la 2e édition considérablement augmentée porte pour
titre : Pouvoir du pape au moyen âge, ou recherches
historiques sur l'origine de la souveraineté temporelle du
Saint-Siège, et sur le droit public au moyen âge relative-
ment à la déposition des souverains, précédées d'une
Introduction sur les honneurs et les prérogatives tem-
porelles accordées à la religion et à ses ministres chez
les anciens peuples, particulièrement sous les premiers
empereurs chrétiens, in-8°, Paris et Lyon, 1845;
3e édit., 2 in-8°, Louvain, 1845. L'ouvrage fut traduit
en allemand à Munster, 1847, en 2 in-8°; 4° Instructions
historiques, dogmatiques et morales sur les principales
(êtes de l'Église, par un directeur de séminaire, 2 in-12,
Paris, 1848; nouvelle édition augmentée d'une Médi-
tation pour chaque jour de fête et de plusieurs ins-
tructions, 3 in-12, Paris, 1850; l'ouvrage fut réédité
en 1861 et en 1880. Un bon nombre d'instructions de
cet ouvrage ont été reproduites dans Les magnifi-
cences de la religion, par l'abbé Henry; 5D il composa
aussi la Vie de M. Émery, neuvième supérieur de Saint-
Sulpice, qui n'a été éditée qu'après la mort de M. Gos-
selin, par MM. Philpin et Renaudet, 2 in-8°, Paris,
1861-1862; 6° Histoire littéraire de Fénelon ou Revue
historique et analytique de ses œuvres pour servir de
complément à son histoire et aux différentes éditions
de ses œuvres, in-8°, Paris et Lyon, 1843, et en tête
de l'édition des Œuvres de Fénelon de 1842; cette étude
revue et augmentée a été mise en tête de l' édition
de 1850; 7° M. Gosselin a laissé en manuscrits des
Instructions sur la prédication, un vol. in-4°;des Disser-
tations sur l'Écriture sainte, 3 in-4°; et surtout des
Mémoires pour servir à l'histoire de la Compagnie de
Saint-Sulpice sous forme de notices sur les supé-
rieurs généraux et sur les principaux actes de leur
administration depuis M. Olier jusqu'à M. Émery,
ainsi que sur les successeurs de M. Olier dans la cure
de Saint-Sulpice jusqu'à la Révolution, 3 in-4°.
Outre les livres de sa composition, M. Gosselin a
édité, seul ou en collaboration, plusieurs ouvrages im-
portants : 1° Il a donné son concours à l'édition
de Versailles des Œuvres de Bossuet publiée par
MM. Hémcy et Caron et y a composé plusieurs aver-
tissements, par exemple, celui qui est en tète des Élé-
vations, des Méditations sur V Évangile; 2° c'est lui qui
fut le principal éditeur des Qiuvrcs de Fénelon, arche-
vêque de Cambrai, publiées d'après les manuscrits
originaux et les éditions les plus correctes, avec un
grand nombre de pièces inédites, 22 in-8°, Versailles,
1820-1824; auxquelles furent ajoutées la Correspon-
dance de Fénelon, 11 in-8°, Paris, 1827-1829, et la
Table des Œuvres, in-8°, Paris, 1830; autre édi-
tion un peu abrégée en 1842, 4 in-8°; et une autre
plus complète de 1848-1852 en 10 in-8°; 3° il donna
d'après l'original, en 1834, le Traité de l'existence et
des attributs de Dieu et lettres sur la religion par
Fénelon; il y eut une 2e édition en 1845, in-12, Lyon
et Paris; 4° en 1850, il publia une nouvelle édition de
l'Histoire de Fénelon, par le cardinal de Bausset,
corrigée et augmentée d'après les manuscrits de
Fénelon et de nombreuses pièces authentiques, 4 in-8°,
Paris; 5" on lui doit également une nouvelle édition
du Traité de l'obéissance de M. Tronson, in-12, Paris,
1822 et 1846; une édition des Examens particuliers
de M. Tronson, dans laquelle il ajouta des examens
pour les principales fêles de l'année el pour le temps des
vacances, in-12 ; Paris, 1852 ;le Manuel du séminariste
ou entretiens sur la manière de sanctifier ses principales
actions par M. Tronson, 2 in-12, Paris, 1823 ; Lyon, 1832 ;
le Manuel de piété à l'usage des séminaires, in-32, Paris,
1825; en 1895, cet ouvrage était à la 24e édition; les
Méditations sur les principales obligations de la vie
chrétienne cl de la vie ecclésiastique de l'abbé Chenart,
docteur de Sorbonne, directeur au séminaire Saint-
Su)pice, 2 in-18, Paris, 1826; L'esprit de saint François
de Soles, extrait du recueil publié sous le même titre
par Jean-Pierre Camus, évêque de Belley; édition
corrigée et disposée dans un ordre plus méthodique,
in-12, Paris, 1841; La vraie et solide piété expliquée
par saint François de Sales, par Collot, disposée dans
un ordre plus méthodique, in-12, Paris. Dans l'Ami
de la religion, 19 et 21 juillet 1838, il donna une
Notice sur les Pensées de Pascal et sur leurs prin-
cipales éditions. Dans la même revue, il a public
plusieurs comptes rendus ou critiques d'ouvrages, sous
la signature G., ou anonymes. Il avait préparé une
édition disposée dans un ordre plus méthodique du
Catéchisme spirituel du P. Lorin.
Notice sur M. l'abbé Gosselin, par M. l'abbé Tresvaux,
dans l'Ami de la religion du 14 mai 1859 (dans le tirage à
part, elle est suivie d'une lettre du cardinal Matthieu,
archevêque de Besançon); Notice sur M. Gosselin, par
M. Philpin en tête de la Vie de M. Émery; L. Bertrand,
Bibliothèque sulpicienne ou Histoire littéraire de la C'e de
Saint-Sulpice, in-8°, 1900, Paris, t. n, p. 244-260. Ce dernier
ouvrage corrige quelques erreurs des deux précédentes
notices.
E. Levesque.
GOTESCALE ou GOTTSCHALK, esprit inquiet,
faux et opiniâtre, qui troublera l'Église gallo-franque
du ixe siècle par sa doctrine de la prédestination
absolue, était saxon d'origine. Dès son bas âge. il
fut offert par son père, le comte Bernon, à l'abbaye
de Fulda, et voué en conséquence à la vie du cloître.
Homme fait, il attaqua pour défaut de consentement
la validité de son engagement monastique et en
obtint l'annulation du concile de Mayence de 829.
Toutefois, son nouvel abbé, Raban Maur, ayant
protesté contre la décision du concile devant l'empe-
reur Louis le Débonnaire, cette décision fut rapportée;
Gottschalk ne fut autorisé qu'à changer de couvent,
sans pouvoir changer de condition; il quitta Fulda
pour l'abbaye d'Orbais, au diocèse de Soissons,
province ecclésiastique de Reims. Là s'appliquanl
passionnément à l'étude des ouvrages de saint
Augustin et de saint Fulgence, il se plut à recueillir
et à répandre parmi ses confrères d'Orbais les pas-
sages qui, détachés de leur contexte, ont une couleur
prédestinatienne. Il noua aussi des relations épisto-
laires avec les savants les plus célèbres de son temps,
avec Jonas, évêque d'Orléans, Servat Loup, abbé
1501
GOTESCALE
GOTHER
1502
de Ferrières, Ratramme, moine de Corbie, dans le
diocèse d'Amiens, etc. Ordonné prêtre à l'insu de
son évêque, Rothade de Soissons, par le chorévêque
Rigbold de Reims, il alla vers 847 en pèlerinage à
Rome. L'année suivante, à son retour, il eut dans
une vallée du Piémont, chez le comte Eberhard
de Frioul, de longues conversations théologiques
avec l'évêque de Brescia, Nothing, et il s'efforça
de le gagner par son système de la double prédes-
tination : bons et mauvais, élus et réprouvés, sont
également et de tout temps prédestinés, par la pré-
science et l'omnipotence divine, à leur sort actuel
et futur. Mais Nothing rencontra peu après en Alle-
magne le nouvel archevêque de Mayence, Raban
Maur, et lui dénonça les opinions de Gottschalk dont
il avait été choqué; un concile de Mayence condamna
le moine en 848 et le renvoya, pour être châtié, à
Hincmar de Reims, son métropolitain. Celui-ci fit
aussitôt condamner Gottschalk, au printemps de 849,
par le concile de Kiersy-sur-Oise, comme hérétique
incorrigible; Gottschalk fut en même temps dégradé,
et, conformément aux prescriptions de la règle de
saint Benoît contre les moines vagabonds et indociles,
publiquement fouetté; le cruel supplice ne cessa,
selon le récit indigné de l'archevêque de Lyon, saint
Rémi, qu'au moment où le novateur à demi-mort
jeta de ses mains dans le feu ses écrits, avec les pièces
justificatives qu'il avait rassemblées. Puis, crainte
que sa propagande ne nuisît aux âmes, on l'enferma
dans les prisons du monastère de Hautevilliers, au
diocèse de Reims, où on le traita, du moins au com-
mencement, avec assez de douceur. L'inflexible
Gottschalk ne se laissera pas abattre. Il composera
dans sa captivité deux professions de foi, P. L.,
t. cxxi, col. 346-350, 349-366, de longueur inégale,
et qui, sur les principaux points en litige, manqueront
de précision. Il dira vrai en assurant que Dieu ne
prédestine personne au péché, mais il prétendra que
Dieu prédestine semblablement, similiter omnino,
les bons à la vie, les mauvais à la mort. En oulre,
il écrira une lettre à l'archevêque de Lyon, Amolon,
pour lui exposer sa doctrine et la recommander du
nom de saint Augustin, et un petit livre, intitulé :
Pilacium (Pitlacium), dont il nous reste quelques
fragments, P. L., t. cxxv, col. 271-365, 370, 371, 372;
l'auteur y nie que Jésus-Christ soit mort pour tous.
Il avait demandé, tant sa conviction et son exaltation
étaient grandes, que, pour démontrer la vérité de sa
doctrine, on le soumît à l'épreuve du feu. Son défi
ne fut pas accepté; mais un certain intérêt s'éleva
en faveur du moine infortuné, contre le puissant
archevêque. Hincmar, soucieux de démasquer entière-
ment les erreurs de Gottschalk, combattra, vers le
milieu de l'année 849, la prédestination à la mort
dans un opuscule qui a péri, Ad reclusos cl simplices.
Des hommes très influents dans l'Église gallo-franque,
saint Prudence, évêque de Troyes, Servat Loup de
Ferrières, Ratramme de Corbie, Florus, diacre de
Lyon, et saint Rémi, évêque de la même ville, atta-
quèrent presque à la fois l'opuscule; sans prendre
positivement parti pour Gottschalk, ils s'apitoyaient
sur ses souffrances et soutenaient, en demeurant
dans les bornes de l'orthodoxie, la doctrine de la double
prédestination. En présence de cet orage inattendu,
Hincmar était à peu près seul; Raban Maur, qui
aussi bien mourra en 856, prétextant son grand âge
et ses infirmités, s'était retiré de la lice, et le concours,
sollicité par Hincmar, du philosophe rationaliste
Jean Scot Érigène, le compromettait au lieu de le
servir. Il y eut alors conciles contre conciles, ana-
thèmes contre anathèmes, et le dogme de la double
prédestination fut tour à tour proscrit et proclamé;
aux décrets du concile tenu à Kiersy en 853, et fidèle
écho des idées d'Hincmar, s'opposèrent, en 855, les
décrets du concile de Valence, confirmés en 859 par
le concile de Langres, et qui se prononçaient contre
les thèses d'Hincmar. Malgré les efforts du concile
national de Savonnières, en 859, pour rétablir l'union
entre les deux partis, la lutte se prolongea jusqu'en
860, au concile de Tuzey, près de Toul, qui se contenta,
sans mentionner les points de dissentiment, d'indiquer
les principes sur lesquels tous les esprits étaient
d'accord. La lettre synodale rend hommage à cette
vérité que le Christ est mort pour tous et précise,
en l'adoucissant, la notion de la prédestination. Le
conflit alla dès lors s 'attiédissant, et peu à peu il
s'apaisa. De son côté toutefois, Gottschalk captif
n'abandonnait pas ses opinions et s'acharnait contre
Hincmar. Dans l'hymne des vêpres, au commun de
plusieurs martyrs, l'archevêque, en 860, avait rem-
placé l'expression trina deitas, qui lui semblait à
juste titre impliquer la distinction arienne des trois
personnes, par celle de summa deitas; Gottschalk,
aveuglé par la haine et par une idée fausse de l'unité
divine, accusa Hincmar de sabellianisme. Homme
de talent, mais violent de caractère et nullement
mesuré dans son langage, Gottschalk sera entraîné,
dans ses dernières années, par les mauvais traitements
qu'il subissait, à des extravagances qui avoisineront
la folie. Par exemple, il assurait que Dieu lui avait
défendu de prier pour Hincmar, que le Saint-Esprit
même était descendu en lui et lui avait brûlé la barbe
et la bouche. Il refusait de recevoir aucun vêtement
des moines de Hautvilliers, à cause de leurs relations
avec Hincmar, et, pendant quelque temps, il resta
presque nu, jusqu'à l'entrée de l'hiver. Il prédit la
mort d'Hincmar et sa propre élévation sur le siège
de Reims dans un délai de deux ans et demi. Ce délai
passe, comme Hincmar s'obstinait à vivre, il écrivit
que Dieu amait mieux appeler plus tard à lui « ce
voleur, ce brigand, » fur et latro. Ni promesses ni
menaces n'eurent raison de l'indomptable Gott-
schalk; il persista sur son lit de mort et mourut dans
sa résistance le 30 octobre 868 ou 869.
Indépendamment de ses écrits en prose, composés
pour sa défense personnelle, Gottschalk a laissé
quelques rares poésies, P. L., t. cxxi, col. 345 sq.,
dont on ne saurait méconnaître l'importance dans
l'histoire littéraire. Ebert, Histoire de la littérature
du moyen âge en Occident, trad. franc., Paris, 1884,
t. il, p. 186-190.
Ilefelc, Histoire des conciles, trad. Leclercq, Paris, 1911,
t. iv, p. 137-186, 199-235 (voir la bibliographie, p. 138,
note); Gaudarci, Gottsclialk, moine d'Orbais, Saint-Quentin,
1888; Gorini, Défense de l'Église, 1866, t. m, p. 78-97;
B. Hauréau, Histoire de la philosophie scolastique, 1872,
t. i, p. 176-179; Schrôrs, Hinknwr, Erzbischof von Reims,
Fribourg, 1884, p. 88-174; J. Tunnel, La controverse pré-
destinatienne au IX" siècle, dans la Revue d'histoire et de
littérature religieuses, 1905, t. x, p. 47-69.
P. Godet.
GOTHER Jean, théologien et controversiste anglais,
mort en 1704. Né à Southampton de parents presby-
tériens, il devint catholique de bonne heure; en 1668, il
était au collège anglais de Lisbonne, où il fut nommé
préfet des études après son ordination au sacerdoce.
Envoyé en Angleterre en 1682, il exerça d'abord le
ministère à Londres, et se fit remarquer par son zèle
pour l'évangélisation des pauvres et des enfants.
L'avènement de Jacques II, en 1685, qui réveilla
l'espoir des catholiques en même temps que les craintes
des protestants, fut le signal d'une grande activité
littéraire parmi les théologiens anglicans; les dogmes
et les pratiques de l'Église catholique furent attaqués
de toutes parts. Plusieurs écrivains catholiques
défendirent leur foi et leurs usages sur des points
particuliers; Gother entreprit une réfutation générale
1503
GOTHER
GOTTI
1504
des calomnies des adversaires. Il intitula son livre : A
papist misrcprcscnted and représentée ■ or a twofold
character of popery. D'un côté, il y décrivait les catho-
liques tels qu'ils étaient dépeints par leurs ennemis;
de l'autre, il les représentait tels qu'ils étaient en
realité. Ce livre eut un succès immense, et s'attira de
la part des anglicans de nombreuses réponses, que
Gother ne laissa pas sans répliques, de sorte qu'il se
mit au premier rang des apologistes catholiques. Il
avait l'esprit vif, des connaissances étendues, et son
style excitait l'admiration de Dryden. « Avec moi,
disait le poète, il est le seul individu cjui sache écrire
en anglais. » Challoner publia un abrégé de l'ouvrage
de Gother qui eut de trente à quarante éditions.
La révolution de 1688 obligea les catholiques à
rentrer dans l'ombre; Gother devint alors chapelain
du château de Warkworth, dans le comté de North-
ampton; il s'y livra au ministère parmi les catho-
liques des environs, et il eut la gloire d'instruire et de
recevoir dans l'Église Challoner, plus tard vicaire
apostolique du district de Londres. Voir t. n, col. 2208.
C'est là qu'il composa un grand nombre d'ouvrages
tle spiritualité, qui eurent plusieurs éditions en 16 vo-
lumes, de 1718 à 1810.
En 1704, il fut nommé président du collège de Lis-
bonne, tandis que son nom était proposé à Rome
pour la charge de vicaire apostolique du district
occidental. Il s'embarqua pour le Portugal et mourut
en mer; le capitaine du navire fut tellement frappé de
sa sainteté, qu'il ne voulut pas qu'on jetât son corps
dans les flots; il l'emporta jusqu'à Lisbonne, où il
fut enseveli dans la chapelle du collège anglais; on y
voit encore son tombeau.
Migne, Catéchismes, t. n : vie de Goter; Diclionary of
national biography, Londres, 1908 ; Hurter, Nomenelatur
literarius, 1910, t. rv, col. 698; Burton, The life and limes of
bishop Challoner, 2 vol., Londres, 1909.
A. Gatard.
GOTTHARD Georges, théologien allemand, né
à Ingolstadt, a étudié au Collège germanique à Rome,
de 1573 à 1576, et y a pris les grades de docteur
en philosophie et théologie. Il était bon théologien
et il a laissé plusieurs ouvrages composés contre les
hérétiques de son époque : De bonorum operum cl
saeramcnlorum necessilate (deux discours), Ingolstadt,
1777; De confessione quœ altéra pars sacramcnli pœni-
lentiœ, ibid., 1572; Defensio Ecclcsiœ calholicœ (contre
les calomnies de Jacques Heerbrand et d'autres
sectaires), ibid., 1586; Apologia (contre la défense de
Heerbrand), ibid., 1588; Disputaliones, 1587. A son
retour en Allemagne, il fut nommé chanoine de Passau,
en 1570. Il assistait régulièrement au chœur, ce qui
était exceptionnel alors, et il régit les écoles de la
cathédrale. En 1584, il fut délégué par le chapitre
à Sirninga pour y soutenir les catholiques contre
les protestants. Il n'y obtint pas beaucoup de succès,
y eut beaucoup à souffrir et y courut même le risque
de sa vie. Il quitta la paroisse et reprit ses études.
Bien plus, par suite d'une calomnie portée contre lui,
il lui privé de son titre curial par l'évèque et le chapitre.
Il machina contre la vie de l'évèque, et il fut empri-
sonné, le 3 février 1589, et accusé du crime de lèse-
majesté. Il tua son gardien pour tenter de fuir.
Condamné à mort, il fut dégradé et il périt, le
6 mars 1589.
Dupin, Table des auteurs ecclésiastiques du XVIe siècle
col. 1323; Lauchert, dans Der Katholik, 1904, t. xxix,
p. 321-349; t. xxx, p. 41-01 ; Allgcmeine deutsche Biographie,
t. xlix, p. 490; Hurter, Nomenclaior, 1907, t. ni, col. 204,
note 2.
B. PIeurtebize.
GOTTI Vincent-Louis, dominicain, patriarche de
Jérusalem et cardinal-prêtre du titre de Saint-Sixte,
est un des représentants les plus marquants de la
science apologétique au xvmc siècle. Il naquit à
Bologne le 5 septembre 1664; son père, Jacques Gotti,
était professeur de droit à l'université de la même ville.
A l'âge de seize ans, il prit l'habit dominicain au
couvent de Saint-Dominique, en 1680, et après son
noviciat qu'il lit à Aucune, il fut reçu à la profession
en 1681. 11 commença ses études philosophiques sous
la direction du P.Jean-Marie délia Torre, voir Scripio-
res ordinis prœdicatorum, édit. Coulon, xvtii0 siècle,
p. 289, à Forli d'abord, puis il fut envoyé à
Salamanque, où l'enseignement théologique, qui se
donnait au collège dominicain, jouissait alors d'un
grand renom. Après avoir achevé son cours de théo-
logie, il soutint publiquement des thèses qui furent
très remarquées; on lui offrit même de demeurer à
Salamanque en qualité de professeur, honneur qu'il
déclina. C'est pendant son séjour à Salamanque qu'il
se lia avec le nonce Durati. Après avoir été ordonné
prêtre, vers la fin de 1688, des mains d'Antoine
de Monroy, archevêque de Compostelle et qui aupa-
ravant avait été général de l'ordre des frères prêcheurs,
voir Scriplores ord. preed., édit. Coulon, xvme siècle,
p. 222, Gotti revint en Italie et, après un très court
séjour, comme lecteur de philosophie, à Mantoue, il
fut assigné au collège de la Minerve, à Rome, pour y
enseigner également la philosophie. Regest. Mag. Gen.
Ant. Cloche. Il y demeura jusqu'en 1692, date à laquelle
il fut envoyé à Bologne, toujours avec les mêmes
fonctions de professeur de philosophie. Après un court
séjour au couvent de Faenza, où il commença l'ensei-
gnement de la théologie, il fut choisi en 1695, pour
succéder au P. Jérôme Bassano, O. P., dans la
première chaire de théologie de l'université de
Bologne. En même temps il enseignait la métaphysique
dans le collège de son ordre, du moins à partir de 1698.
A Bologne, Gotti avait retrouvé la protection du
cardinal Durati, qui avait été nommé légat a latere.
En 1708, il fut nommé prieur du couvent de Bologne
et après avoir rempli cette charge pendant deux
années, il fut élu provincial de la province domini-
caine de Lombardie. De nouveau, en 1714, il fut élu
prieur de Bologne, mais au bout d'un an, il dut résigner
sa charge, car Clément XI venait de le nommer
inquisiteur général de Milan. C'est de son séjour à
Milan que date son premier ouvrage : La vera Chicsa
di Cristo dimostrala da segni e da' dogmi, contra i duc
libri di Giacomo I'ieenino intitolati Apologia per i
riformatori, e per la rcligione riformala, c trionfo délia
vera rcligione, 2 in-4°, Bologne, 1719; Milan, 1734.
Cette édition de Milan corrigée fut traduite en latin par
le P. Vincent-Thomas Covi, O. P., et parut à Bologne
en 1750, 3 in-4°. Cet ouvrage, qui est un traité complet
d'apologétique, fut composé pour réfuter les erreurs
contenues dans deux écrits du ministre calviniste
Jacques Picenini. Le premier de ces ouvrages :
Apologia per i rijormalori e per la rcligione riformata,
contro le inveltive di P. Panigarolo c P Scgncri, in-4°,
Coire, 1706, avait déjà été réfuté par le P. André
Semery, jésuite, Brève difesa délia vera rcligione contro
il grosso volume di Giacomo Picenino apologisla de'
pretesi riformalori e riformali, in-4°, Brescia, 1710.
Le ministre avait répliqué par le second ouvrage :
// trionfo délia vera rcligione, in-4°, Genève, 1712,
auquel le P. Tonti, augustinien, avait répondu par un
autre ouvrage paru à Padoue, en 1713, sous le titre
de Dogmi délia Chicsa romana. Reprenant toutes les
propositions de Picenini, Gotti en fit une réfutation
systématique qui, au dire de Fontanini, constitue la
défense de la religion catholique la plus complète et la
plus exacte, qu'on eût encore écrite en langue italienne.
Cf. Ricchini, De vita et siudiis card. Gotlii, p. 20.
Cependant, quelqu'un à l'insu de Gotti avait glissé dans
1505
GOTTI
1506
son manuscrit, à l'adresse de Picenini et de ses col-
lègues, quelques expressions qui furent considérées
comme injurieuses et que lui reprocha un défenseur de
Picenini, Thomas Manella. Le P. Gotti désavoua
facilement des paroles qui étaient tout à fait opposées
à sa modération ordinaire. Il ne demeura que deux ans
inquisiteur de Milan. En 1717, il était de retour à
Bologne et était appelé à succéder à Benoît Bacchini,
abbé du Mont-Cassin, qui occupait à l'université la
chaire d'apologétique. De nouveau, en 1720, il fut élu
prieur de son couvent de Bologne et, l'année suivante,
il fut choisi pour la seconde fois pour provincial. C'est
en cette qualité qu'il prit part au chapitre général de
Borne, 1er juin 1721, réuni pour donner un successeur
au général de l'ordre, le P. Antonin Cloche; Gotti
réunit sur son nom un certain nombre de suffrages.
En 1725, an chapitre général, réuni à Bologne pour
remplacer le P. Augustin Pipia, nommé cardinal, de
nouveau le provincial de Lombardie eut beaucoup de
voix, sans être pourtant élu. Pendant ce temps, il
continuait ses travaux d'apologiste et de controver-
siste. En 1727, il fit paraître : Colloquia thcologico-
pokmica, in 1res classes distributa : in prima, sacrorum
minislrorum eœlibatus; in secundo romanorum pon-
tificum auctoritas in conciliis cl definilionibus ; in tertio
aliœ calholicœ veritales propugnanlur ; adjectis Grc-
rjorii VII vindiciis advjrsus Jacobi Picenini concor-
diam matrimonii cum ministerio, in-4°, Bologne, 1727.
L'occasion de ce nouvel écrit, ainsi que le note dans la
préface l'auteur lui-même, fut la découverte qu'il fit
au cours d'une de ses visites comme provincial d'un
livre de Picenini, paru en 1709 sous forme de dialogue,
en faveur du mariage des prêtres. Le ministre protes-
tant avait eu soin de répandre son écrit à profusion
à Saint-Moritz, lieu déjà très fréquenté, afin que de là
il passât plus facilement en Italie. C'est aussi dans ce
lieu que Gotti plaça les interlocuteurs de ses dialogues.
Il donne à ses personnages les noms choisis déjà par
saint Jérôme pour son dialogue contre les lucifériens.
Critobule défend les opinions de Picenini; Attique,
la doctrine de l'Église. Gotti nous apprend aussi qu'il
avait eu dessein, dans un but apologétique, d'écrire
ces dialogues en italien, mais il lui a paru plus conve-
nable de traiter ces matières en latin; plusieurs savants
lui ont témoigné le même désir. Le volume contient
trente-huit conférences, où l'auteur se révèle non
seulement en parfaite possession de la doctrine, mais
aussi très bien renseigné au point de vue historique sur
les lois et les anciens usages de l'Église. Pendant son
séjour à Bologne, le P. Gotti réunit sous le titre de
Bullarium Bononiense tous les diplômes, bulles, etc.,
concernant le couvent de Bologne. Ce travail resté
manuscrit fut d'une grande utilité au P. Brémond, qui
éditait alors le bullaire de l'ordre. Il rend hommage
au travail du P. Gotti dans la préface au t. i du
bullaire, p. lx. Mais le principal ouvrage de Gotti est
son traité de théologie, publié sous ce titre : Theologia
schoïasiico-dogmalica juxla incident D. Thomse Aquinatis
ad usum discipidorum, 16 in-4°, Bologne, 1727-1735;
6 in-fol., Venise, 1750; 3 in-fol., 1783. L'avertissement
placé par l'auteur en tête du icr volume est des plus
précieux, montrant que la théologie de l'École doit
être complétée par une étude plus attentive soit des
sources propres de la théologie, soit des hérésies à
combattre. Les paroles de Gotti méritent d'être citées :
« On voit, dit-il, entre les mains des maîtres et des
disciples, un assez grand nombre de cours théologiques,
les uns déjà imprimés et les autres en manuscrit;
mais la plupart de ces traités, tout remplis de questions
purement scolastiques, instruisent peu les jeunes gens
sur le fond de la religion, et ils ne paraissent destinés
qu'à leur remplir l'esprit de subtilités métaphysiques,
ou d'une infinité de disputes, qui ne regardent ni la
D!CT. DE THÉOL. TATUOL.
foi, ni la science ecclésiastique, ni par conséquent
aucune de ces vérités qui font aujourd'hui l'objet de
nos controverses avec les luthériens, les calvinistes,
les anabaptistes, les sociniens et les autres sectaires
des derniers siècles; trop souvent ceux mêmes qui se
vantent d'avoir fait leurs études de théologie se
trouvent hors d'état d'expliquer quels sont précisé-
ment les dogmes de ces différentes sectes : ils ne
sauraient dire ni ce qu'elles ont de commun, ni ce
qui les divise et entre elles et avec nous... Quelques
savants ont déjà traité les vérités de la foi, d'une
manière purement dogmatique et plusieurs autres ont
agité les questions de l'École, seulement en scolas-
tiques. On pouvait encore désirer qu'un théologien
entreprît d'unir l'un et l'autre, et c'est ce que je me
suis proposé de faire... » On le voit, c'est encore une
idée d'ordre apologétique et d'utilisation immédiate qui
est à la base de la méthode de Gotti. A ce point de vue
elle marque une évolution intéressante de la méthode
théologique. Il a soin d'ailleurs de faire remarquer, et
en cela il est vraiment traditionnel, que « dans toute
la Somme théologique il ne se trouve pas une seule
question, ni un seul article, qui ne serve en sa manière
ou à réfuter quelques erreurs, ou à prouver quelque
vérité utile à la religion. » Ce grand ouvrage attira plus
encore l'attention sur Gotti. Alors qu'il n'était encore
qu'archevêque de Bénévent, le cardinal Vincent-Marie
Orsini avait su apprécier les rares qualités d'esprit et
de cœur du provincial de Lombardie ; aussi, devenu
pape sous le nom de Benoît XIII, dans le consistoire
secret du 30 avril 1728, il nomma le P. Gotti patriarche
titulaire de Jérusalem et l'agrégea au Sacré-Collège.
Le 7 mai, il recevait ses insignes cardinalices des mains
du cardinal-légat de Bologne, Gregorio Spinola, et le
19 du même mois, il fut sacré par le cardinal Buon-
compagni, archevêque de Bologne, assisté des évêques
de Forli et de Faenza. Il reçut le chapeau à Rome
le 10 juin. Le pape le fit entrer aussitôt dans
presque toutes les Congrégations romaines. Malgré
tout le travail que lui donnait le soin de tant d'affaires,
le cardinal Gotti ne cessa jamais d'écrire contre les
ennemis de l'Église. En 1734, il fit paraître son traité :
De eligenda inlcr dissenlientcs chrislianos sententia
seu de vera inler chrislianos religione eligenda. Liber
adversus Joannem Clcricurn reformata-, al ainnt, reli-
gionis hominem, in-8°, Rome, 1734; Ratisbonne, 1740;
Vienne, 1749, avec les thèses soutenues par le P. Keri,
S. J. L'occasion de ce nouvel écrit du cardinal Gotli fut
le traité que fit paraître Jean Le Clerc, écrivain
prolestant de Hollande, sous le titre : Du choix il' un
sentiment. Ce livre avait été ajouté à la nouvelle édition
du traité de Grotius : De verilale religionis chrislianrc
liber, in-8°, Amsterdam, 1709. Dans cet écrit, l'Église
telle que les protestants l'avaient faite, surtout
d'après les doctrines de Calvin, était donnée pour la
véritable Église de Jésus-Christ. L'ouvrage du cardinal
Gotti détruit ces prétentions et, en quatorze chapitres,
expose les caractères de la véritable Église. Peu après
la publication de cette réfutation, il fit paraître une
autre démonstration de la vérité de la religion chré
tienne sous ce titre : Veritas religionis christian.se et libro-
rum, quibus innililur contra atheos, polyiheos, idololalras,
mohammedanos et Judseos demonslrala, 12 in-4", Rome,
1735-1740; 2 in-fol., Venise, 1750. Cette édition contient
en plus les Colloquia theologico-polemica et le De eligenda.
Le cardinal Gotli jouissait de la faveur du roi de Sardai-
gne, Victor-Amédée,etde son fils Charles-Emmanuel; il
fut également directeur de laprincesseClémentineSo-
bieski. Pendant le conclave de 1740, qui fit monter sur la
chaire de saint Pierre Benoît XIV, le cardinal Gotti con-
tracta une maladie de poitrine, qui bientôt dégénéra.
Néanmoins il ne se relâcha pas de son assiduité à l'étude,
et c'est dans la dernière période de sa vie qu'il commença
VI. — 48
1507
GOTTI
GOUDIN
1508
un commentaire sur la Genèse qu'il conduisit jusqu'au
xxv chapitre; c'est le seul de ses ouvrages, dit-on.
qui n'ait pus été imprimé. Cependant à partir de 1742
ses forces diminuèrent de plus en plus et, après quelques
jours de maladie, il mourut le 18 septembre 1742,
âgé de 78 ans. après quinze ans de cardinalat. Il fut
enterré dans l'église de son titre, à Saint-Sixte, sur la
voie Appia.
Facihini; De vita. et studiis Fr Vincentii Ludoiiu Gzttii
commentarius, Rome, 1742; paru encore dans la Raccollà
d'opuscoli scientifici e filologici, édit. Calogerà, t. xxviii,
p. 351-405; Echard, Scriptores ordinis prœdicatorum, Paris,
1719-1721, 1. 1, p. 814; Acta in Congregatîone... Casanatensi
ms. (Arch. génér. de l'ordre), t. i, p. 28, 29; Touron, Histoire
des hommes illustres de l'ordre de saint Dominique, Paris, 1749,
t. VI, p. 040-687; Thomas Ripoll, Epist. eneyel. in obitu card.
Ci, ltii, Rome, 27 septembre 1742 ; Richard et Giraud, Diction-
naire universel des sciences ecclésiastiques, Paris, 1760; Bullar.
ordinis preed., Rome, t. i (1729), p. Lx;t. vi (1735), p. 657,658,
659, 707 ; Hurter, Nomenclator lilcrarius, Inspruck, 1910,
t. îv, col. 1353-1358; Guarnacci, Hist. rom. pontif. et card.,
Rome, 1751, t. II, p. 525; Alexandre de Saint-Jean de la
Croix,' Hist. eccl. de Fleury, t. i, p. 234, 59; Vita audoris
edilioni venetœ 1750 prœmissa; Fantuzzi, Notiziedegli scriltori
bolognesi, Bologne, 1784-1794, t. IV, p. 191-205; Streber,
dans Kirchenle.vikon, t. v, p. 939.
R. Coulon.
GOTTRAW Pierre, né à Fribourg, en Suisse,
en 1577, reçu dans la Compagnie de Jésus en 1595.
Il enseigna successivement la littérature, la philosophie,
la controverse, l'Écriture sainte, la théologie morale
et dogmatique à Munich et à l'université de Dillingen
dont il fut recteur et pendant plusieurs années chan-
celier. Il mourut à Luceme, en avril 1640. Le P. Got-
traw a laissé divers ouvrages de philosophie et, sous
forme de thèses, quelques monographies dogmatiques:
1° De honorandis bcatis bcatorumque reliquiis ac
imaginibus, Munich, 1612; 2° De Ecclcsia mililanle
ejusque proprietalibus, Dillingen, 1615; 3° De fide,
ibid., 1615; 4° De judicio, ibid., 1616; 5° De jejunio
ecclcsiastico, ibid., 1617 ; 6° De decimis, ibid., 1618;
7° De necessariis ad valorem voii, ibid., 1623; 8° De
obligationc voli, ibid., 1523; 9° De volo religionis, ibid.,
1523.
Sommervogel, Bibliothèque de la Clc de Jésus, t. in,
col. 1626-1623; Hurter, Nomenclator lilerarius, 3e édit.,
t. m, col. 638.
P. Bernard.
GOTTSCHL1CH Charles, jésuite autrichien, né à
Neurode, le 23 décembre 1703, reçu dans la Compagnie
de Jésus le 24 septembre 1719, enseigna quelque temps
les humanités et la philosophie, puis fut définitivement
appliqué à la théologie, qu'il professa aux universités
de Prague et d'Olmulz avec un extraordinaire succès.
Son esprit subtil et curieux le portait volontiers à
l'étude des questions les moins accessibles, qu'il
savait pourtant serrer de près et auxquelles il apportait
d'ingénieuses solutions. Voici la liste de ses ouvrages :
1" Angélus naturœ sublimit/de, muncris exccllcntia,
attribulorum varielale admirandus, Prague, 1750;
2° Scieniia divina simplicis intelligeniise, visionis et
média theologice proposita, cum disserlalione dogmalico-
critica de providentia, prœdeslinatione et réprobation/',
ibid., 1750; 3° Vialor per fidem ambulans, ibid., 1571;
4" Continualio quseslionum theologicarum dogmalico-
critico-hisioricarum in Geneseos caput I, ibid., 1751;
5 Dispensalio in lege et leges dispensalionum, Prague,
1752; 6° De deerclis divinis opus thcologieo-scholaslieum
cum lucubradone apologetica, Olmutz, 1753; 7° Falsa
inonda Cundidi Zahler ad slateram veritalis examinala.
Opus apologelicum, ibid., 1753. Après avoir exercé la
charge «le chancelier de l'université d'Olmutz, le
P. Gottschlich acheva sa belle carrière au collège de
Telez (huit il était recteur et où il mourutlelO avril 1770.
Sommervogel, Bibliotlièque de la C" de Jésus, t. m,
col. 1630; Hurter, Nomenclator, t. iv, col. 666.
P. Bernard.
GOUDA (Jean de), né à Utrecht le 29 janvier 1571,
était issu de la noble famille de Gouda van Swindrecht.
Entré au noviciat des jésuites, à Tournai, le 21 mai
1588, il enseigna successivement dans divers collèges
de la Compagnie : professeur de latin à Tournai,
de philosophie à Douai ; de théologie morale à Anvers.
Il se distingua en outre comme prédicateur et comme
champion de la foi catholique contre l'hérésie calvi-
niste, qui, après avoir envahi les provinces septen-
trionales des Pays-Bas, cherchait, par tous moyens,
à s'étendre vers le sud. Durant une période de vingt-
cinq ans, il combattit les sectaires sans trêve ni merci.
par la parole et par la plume, employant générale-
ment, pour atteindre plus sûrement son but, la langue
flamande, qui était la langue du peuple. Le 17 juin
1610, il soutint, contre François Lansberge, ministre
évangélique à Rotterdam, une discussion publique
sur la transsubstantiation. Toutes les œuvres qui nous
restent de lui, livres ou brochures, au nombre d'une
vingtaine environ, se rapportent à des sujets de con-
troverse religieuse. Il y expose et justifie les dogmes
de la présence réelle et de la transsubstantiation, le
culte et l'invocation des saints, les points principaux
de la croyance traditionnelle attaqués par les nova-
teurs du xvie siècle, en réponse aux prédicants les
plus remuants de l'époque, notamment à François et
Samuel Lansberge, Henri Boxhorn, Henri Brand
Willemssen, Guillaume Perkinson, Jean Uytcnbo-
gaert, Daniel Castellan, Michel Hogius, ministres de
l'Église réformée à Botterdam, à Bréda, à Zicriksec,
à La Haye, à Middelbourg, à Zevenbergen. Il y a un
volume où, prenant à partie François Gomar, l'auteur
de la secte des gomaristes (voir ce mot) ou contre-
remontrants, il met en lumière l'inanité des thèses et
des arguments avancés par lui dans sa polémique
avec Arminius. Un autre, bien qu'écrit en flamand lui
aussi, nous annonce son objet en ce titre latin : Examen
de officio et auclorilale magistratus christiani in rebus
fidei ccclesiasticis. La plupart de ces ouvrages ou opus-
cules ont été publiés à Anvers, chez Verdussen ou
chez Plantin, de 1610 à 1615. Jean de Gouda mourut
à Bruxelles, le 28 décembre 1630. A son heure dernière,
il eût pu, comme saint Paul, se rendre le témoignage
qu'il avait vaillamment soutenu le bon combat. Il
s'était, en tout cas, montré le digne émule de son con-
frère et compatriote François Coster, surnommé le
maliens hsereticoriim, l'auteur de YEnchiridion contro-
versiarum.
C. Sommervogel, Bibliothèque de la C'° de Jésus, t. m,
col. 1631-1635; Hurter, Nomenclator literarius, 1907, t. m,
col. 724 ; Foppens, Bibliotheca belgica, p. 650.
J. FORGET.
GOUDIN Antoine, un des professeurs de philo-
sophie et de théologie les plus remarquables de la
seconde moitié du xvn° siècle, prit l'habit dominicain
au couvent de Limoges, en 1657. Il n'était âgé que de
dix-huit ans. Ses études achevées, il commença par
enseigner dans son couvent d'origine, où il se fit bien-
tôt remarquer par sa doctrine et son érudition. Vers le
même temps, le siège archiépiscopal d'Avignon était
occupé par Dominique de Marinis. Pour restaurer dans
son diocèse les études théologiques et particulièrement
l'étude de saint Thomas, il avait fondé à l'université
deux chaires : l'une de philosophie et l'autre de théo-
logie. Informé du rare mérite du jeune professeur de
Limoges, il demanda et obtint qu'il vînt à Avignon.
Le succès de son enseignement fut considérable et il
demeura à Avignon jusqu'à la mort de l'archevêque,
c'est-à-dire jusqu'en 1669. Ayant été élu prieur du
couvent de Brives, le P. Goudin quitta la Provence; il
1509
GOUDIN
l.S 10
occupa cette charge pendant trois ans. Le temps de
son gouvernement étant révolu, au lieu de retourner à
Avignon, il fut assigné par le général de l'ordre, Tho-
mas de Roccaberti, au noviciat général de Paris, au
faubourg Saint-Germain. C'est là qu'il enseigna la
théologie pendant plusieurs années. Dans la suite, il
fut admis à faire partie du collège de Saint- Jacques.
D'après Echard, Scriptores ord. prxd., t. n, p. 740, il
aurait pris le grade de docteur en théologie de l'uni-
versité de Paris, dignité qu'il n'avait pas eu l'occasion
d'obtenir encore. Cependant le nécrologe du couvent
de Saint-Jacques ne lui donne que le titre de bachelier;
dans le livre des Conseils, il signe Magister et se trouve
souvent nommé sapientissimus magister. Peut-être
était-il licencié sans avoir pris le bonnet de docteur.
De plus, il fut élu prieur de Saint- Jacques, c'est dans
l'exercice de cette charge, dans la force de l'âge, qu'il
mourut le 25 octobre 1695. Le P. Goudin a laissé des
ouvrages philosophiques et théologiques. Son traité
de philosophie intitulé : l'hilosophia juxla inconcussa
lutissimaque divi Thomse dogmala lom. iv comprehensa,
a eu de nombreuses rééditions jusqu'à notre époque.
La première est celle de Lyon, 1671, in-12; puis cor-
rigée et augmentée par l'auteur, in-12, Paris, 1674;
Bologne, 1680; Cologne, 1681, 1685; Trévise, 1706;
Cologne, 1724, 1726; Venise, 1744; Cologne, 1764;
Paris, 1851; Orvieto, 1859. Comme il s'en explique
lui-même dans la préface au lecteur, ce sont ses leçons
d'Avignon qu'il a ordonnées à l'usage des étudiants.
Aujourd'hui encore, ce manuel rend des services et
contient un excellent exposé des théories fondamen-
tales de la philosophie scolastique.
Le P. Goudin n'avait pu manquer de s'intéresser
vivement aux graves questions théologiques débattues
de son temps et en avait traité. Son contemporain,
le P. Echard, nous apprend, en effet, Scriptores, t. n,
p. 740, que le P. Goudin avait préparé un cours de
théologie, mais qui se conservait manuscrit au couvent
de Saint- Jacques. Il ne donnait là-dessus aucune expli-
cation. Mais dans une lettre plus confidentielle adres-
sée par Echard à la date du 1er septembre 1721 à son
ami et correspondant Laurent Josse Le Clerc, prêtre
de Saint-Sulpice, il disait : « On n'a pas pu juger à
propos de faire imprimer la théologie du P. Goudin
pour de bonnes raisons. » Quelles pouvaient être ces
raisons ? Il pouvait y en avoir de deux sortes : les
unes prises des circonstances du temps où cet ouvrage
aurait paru; d'autres plus personnelles à l'auteur et
intéressantes à connaître. Bertrand, dans son ou-
vrage sur Laurent Josse Le Clerc, Paris, 1878, p. 87,
en note, conjecture que ces raisons furent entièrement
extrinsèques à l'ouvrage. Ce n'est qu'en partie vrai. En
effet, lorsque Goudin mourut, les disputes sur la grâce
étaient dans toute leur effervescence. La tactique des
jansénistes était de cacher leur hérésie sous le nom de
nouveau thomisme et. par conséquent d'appeler moli-
niste quiconque ne pensait pas comme eux; d'un autre
côté, les intérêts de la vérité outragée par Jansénius
et aussi le souci de faire prévaloir les opinions d'une
école théologique opposée à celle des thomistes por-
taient certains esprits à confondre clans une même
réprobation thomisme et jansénisme. Comme on le sait,
pour pacifier les esprits, l'autorité civile était interve-
nue et sur la fin du xvne siècle, sous Louis XIV et sous
la Régence, les discussions publiques et les publications
étaient défendues en matière de grâce. Ainsi que le
fait remarquer Bertrand, loc. cit., c'est ce qui fait que
l'on trouve fort peu de renseignements sur ces ques-
tions dans les ouvrages qui parurent alors, au contraire
la plupart des pièces de polémique restaient anonymes.
De là vient aussi que l'ouvrage d'Echard est relative-
ment si pauvre en renseignements sur ces disputes,
alors que personne n'était mieux qualifié que lui pour
nous donner de ces luttes doctrinales une relation abon-
dante et fidèle. Bertrand pourtant n'a donné qu'une
raison extrinsèque de la non-publication des traités de
théologie du P. Goudin dès leur composition. N'y eut-
il que cela ? S'il avait eu connaissance d'une lettre de
Richard Simon à Goudin lui-même, qui était d'ailleurs
son ami intime, il aurait pu compléter son jugement par
quelques autres considérations, qui y sont touchées.
Cette lettre capitale pour l'histoire de la publication
de sa théologie fut adressée au P. Goudin, alors qu'il
était prieur du couvent de Saint-Jacques de Paris.
Elle est datée de Rouen, 1695, donc l'année même de
la mort de notre auteur. Elle figure dans le recueil des
lettres de Richard Simon, édit. d'Amsterdam, 1730,
t. iv, p. 228-236. D'après ce document, il semblerait
que, dans les disputes de ce temps, entre jésuites et
dominicains, le P. Goudin n'ait pas pris une attitude
aussi tranchée que plusieurs autres de ses confrères,
R. Simon nous apprend, en effet, qu'ayant besoin d'un
livre qui se trouvait dans la bibliothèque des Pères
jésuites, le P. Goudin ne se hasarde pas à l'aller cher-
cher, de peur que sa visite ne soit tenue, dit-il plaisam-
ment, pour suspecte à Saint-Jacques « et qu'il ne vienne
à passer pour un fauteur du molinisme, » parce que les
juifs ne doivent avoir aucun commerce avec les Sama-
ritains. D'après le sens de la lettre de Richard Simon,
qui, lui, était du parti moliniste, on pourrait conclure
que Goudin penchait vers une doctrine adoucie, tout
en restant fermement thomiste. « Il faut avouer, dit
Richard Simon, que ceux de votre ordre sont d'étran-
ges gens. Ils veulent que tout le monde se soumette
aveuglément aux opinions de leur école, comme si
c'était des décisions de quelque concile général. Vous
savez vous-même qu'il n'est pas aisé de marquer pré-
cisément, sur plusieurs articles, en quoi consiste le pur
thomisme. Il y a de la variété là-dessus même parmi
les vôtres. Je vous loue d'avoir bien voulu adoucir quel-
ques sentiments durs de vos thomistes sur la prédestina-
lion et la grâce efficace. Ils prétendent que cette grâce tire
son efficace de la seule toute-puissance de Dieu : ce qui
me parait fort dur. El en effet dans les écrits que vous
m'avez communiqués, vous lirez cette efficace de plusieurs
autres moyens dont Dieu, qui par sa science infinie con-
naît tout ce qui se passe dans le cœur de l'homme, se sert,
sans que vous favorisiez pour cela les sentiments de
Suarcz ou de Molina. Cette opinion est d'autant plus
raisonnable que vous l'avez appuyée sur des textes
formels de saint Thomas. » Si le prieur de Saint-
Jacques ne semblait pas, à en juger par Richard
Simon, partager certaines opinions plus rigoureuses
de quelques théologiens thomistes, ce n'était encore
qu'un premier pas; et Richard Simon espère le voir
renier la prédétermination physique, au sens des purs
thomistes. Il ne craint nullement de l'encourager à
faire ce dernier pas : « Mais après tout j'ose vous dire
que vous n'avez encore fait que la moitié du chemin.
J'aurois souhaité qu'en parlant de la grâce efficace,
vous n'eussiez point ajoute par elle-même, terme qui
est de ces derniers siècles, et qui est inconnu à toute
l'antiquité. Ce ternie renferme je ne sais quoi qui
semble détruire notre liberté, aussi bien que le mot
de physique ajouté à celui de prédétermination. »
Et pour convertir tout à fait le P. Goudin au sys-
tème opposé, il le conseillait dans ses lectures. « Je
vous communiquerai là-dessus, lui mandait-il, un
petit livre fort rare et curieux, qui a pour titre :
De religionc bestiarum. C'est un dialogue on l'on met
en évidence les sentiments de ces thomistes rigou-
reux, qui font agir les hommes en bêtes. L'auteur
est Théophile Raynaud, fameux jésuite, que vous
avez connu particulièrement. Quoi qu'il y fasse le
plaisant à son ordinaire, il y dit de très bonnes
choses : Ridendo dicerc quid vclat ? » Jusqu'ici, nous
1511
GOUDIN
1512
pouvons deviner que le P. Goudin, sans verser dans
le système théologique opposé à l'école thomiste,
n'était pas loin de se frayer une voie de milieu entre les
opinions plus rigoureuses d'un certain groupe et les
théories nouvelles. Mais il y a plus, dans la même
lettre, Richard Simon nous renseigne sur la nature des
difficultés qui pouvaient s'opposer à la publication des
traités théologiques du P. Goudin. Ainsi qu'il avait été
statué par le général de l'ordre, qui était alors le
P. Antonin Cloche, tout ouvrage paraissant sur ces
matières controversées de la grâce ou de la prémotion
physique, devait être envoyé à Rome, où il serait
examiné attentivement. Richard Simon, qui avait des
intelligences dans la place, avait aussitôt été averti des
difficultés que l'on ne manquerait pas de faire à la
publication de cet ouvrage. « J'ai appris, dit-il, de
plusieurs endroits, que vos Pères de Rome, qui font
profession d'être du nombre de ces rigoureux thomistes,
s'opposent à la publication de votre nouvel ouvrage, et
qu'ils ont nommé un de vos théologiens de Paris, pour
l'examiner et leur en rendre compte. » Il est certain
qu'à Rome, sous le gouvernement d'un homme tel que
le général Antonin Cloche, il n'y avait que très peu de
chances, pour que des doctrines opposées fussent ou-
vertement soutenues au sein d'un ordre qui avait
toujours fait profession d'une unité doctrinale parfaite.
Surtout, le P. Goudin et Richard Simon n'ignoraient
pas que depuis quelques années se trouvait, à Rome,
un théologien, qui dans leur pensée représentait bien
le parti de ces rigoureux thomistes, dont ils craignaient
si fort l'ingérence dans leurs affaires : c'était le P. An-
tonin Massouillé. Voir Coulon, Scriptores ord. preed.,
nouv. édit., sœc. xvm, p. 75 sq. C'est pourquoi Richard
Simon prend la peine d'avertir Goudin : « Le P. Mas-
souillé, qui a publié depuis peu à Rome un très gros
ouvrage sur cette matière — il s'agit de son Divus
Thomas sui inlerpres de divina motione et libcrtate
creata, 2 in-fol., Rome, 1692-1693 — ne vous sera pas
favorable. Il est persuadé, dit-on, que de s'opposer
aux opinions des jésuites sur la prédestination et sur
la grâce, c'est rendre un grand service à l'Église. »
C'est à croire vraiment que Richard Simon avait reçu
mission de tenter et de décourager le P. Goudin. Sur-
tout, il a grand'peur que l'ouvrage ne paraisse pas et
lui, qui n'est guère gêné par les scrupules de l'anony-
mat, engage son ami à se passer de toute approbation.
« En vérité, je vous plains, continue-t-il, votre habit
et votre profession ne vous permettent pas de publier
librement vos pensées. Le seul remède que je trouve
pour vous tirer de cet esclavage, est de faire imprimer
votre nouvel ouvrage sans mettre votre nom à la tête.
Je me chargerai volontiers du soin de cette impression.
L'on ferait ensuite connoitre par le moyen des jour-
naux le nom de l'auteur et son dessein. L'avis que
j'aurais à vous donner dans cette conjoncture, seroit
de ne rien dire en particulier de l'ouvrage du P. Mas-
souillé, tant à cause du rang qu'il lient à Rome auprès
du P. Cloche, votre général, que parce qu'il y est
estimé. Ce qui ne vous empêchera pas de le réfuter,
comme vous avez fait, sans le nommer. » D'ailleurs,
Richard Simon ne s'arrêtait pas là dans les conseils
qu'il donnait au P. Goudin; il lui conseillait l'innocent
stratagème que voici, afin d'établir une doctrine sans
avoir l'air de battre directement en brèche une autre
doctrine reçue. Il y avait alors dans la bibliothèque
du couvent de Saint-Jacques un manuscrit de Thomas
Rradwardin, qui fut archevêque de Cantorbéry (f 13 49).
Un certain nombre d'auteurs dominicains l'avaient
donné comme un des leurs, à tort d'ailleurs, comme
devait le montrer Echard dans ses Scriptores quelques
années après, t. i, p. 744. Richard Simon le savait aussi
et l'avait fait remarquer au P. Goudin. Cet auteur
avait écrit un traité contre les pélagiens, intitulé :
De causa Dei contra Pclagium et de virtule causarum,
Londres, 1618. L'ouvrage avait été composé, ainsi que
le portait le manuscrit de Saint- Jacques, en 1344.
L'édition de Londres avait été faite, au dire de Richard
Simon, par les soins des protestants, qui y retrouvaient
la doctrine de Calvin et regardaient Bradwardin
comme un des héros de leur parti. Le P. Goudin natu-
rellement connaissait cet écrit et ne faisait pas diffi-
culté d'avouer que l'auteur n'avait pas toujours gardé
une juste mesure. Pour Bradwardin, et de son temps,
le monde était pélagien, lotus cniin mundus posl Pela-
gium abiit. Prœfal. Même le Maître des Sentences,
selon lui, ne serait point indemne en quelques endroits
de pélagianisme, bien qu'il reconnaisse en même temps
qu'il ait été un des principaux sectateurs de saint
Augustin. Bradwardin, 1. II, c. x. Toujours d'après
Simon, qui veut exciter Goudin à entrer dans ses vues,
le théologien anglais, en matière de grâce, fait tout
remonter à saint Augustin, « il abandonne facile-
ment saint Chrysostome, saint Jérôme, et saint Jean
de Damas, qu'il croit être favorables aux pélagiens. »
Bref, cet auteur offrait un merveilleux terrain pour
combattre, sans en avoir l'air, ce qui aux yeux de Simon
passait pour excessif dans les théories thomistes en
pareille matière. « Le parti qu'il serait à prendre, dit-il,
en s'adressant au P. Goudin, dans cette occasion pour
rendre votre ouvrage plus spécieux et plus utile au
public, seroit d'attaquer vivement Bradwardin, ar-
chevêque de Cantorbéry, outré thomiste s'il en fût
jamais. » Selon lui, aussi, l'idée de Bradwardin, que
toute la tradition catholique sur la grâce se trouve
représentée par saint Augustin, doit être combattue,
car, dit-il : tous ces anciens docteurs, dont il rejette
l'autorité, n'ont pas prétendu s'opposer aux divins
écrits de l'Ancien et du Nouveau Testament sur la
grâce et sur la prédestination. Au contraire, ils ont
combattu par l'Écriture sainte les erreurs des gnosti-
ques et des manichéens sur ces matières. Il est bon que
vous observiez que l'archevêque de Cantorbéry, aussi
bien que les jansénistes de notre temps, ne commencent
la tradition de l'Église que par saint Augustin, après
lequeî suivent ses disciples : comme si saint Chrysostome
et toute son école, ou plutôt toute l'Église orientale
devoit être comptée pour rien, lorsqu'il s'agit de tradi-
tion. Bradwardin est assez hardi, pour ne pas dire témé-
raire, d'abandonner aux pélagiens les quatre premiers
siècles de l'Église. Je souhaite, concluait Richard
Simon, que, dans votre nouvel ouvrage, vous examiniez
ce fait, qui est d'une bien plus grande importance que
la science moyenne de Molina, sur laquelle vous vous
êtes étendu fort au long. C'est un jésuite particulier
qui n'a pas été même avoué de sa Société, au lieu qu'ici
il s'agit de la croyance de l'ancienne Église sur des
matières très importantes. »On voit que l'adversaire que
Bossuet combat tait s'en tendait à merveille à pousser son
monde. Richard Simon, qui paraît ainsi avoir été parfai-
tement au courant des choses de Saint- Jacques, ne perd
pas de vue le précieux manuscrit du P. Goudin, que son
auteur lui a communiqué et qu'il aura lu avec attention,
puisqu'il y trouve des longueurs sur cette question de
Molina. Dans une autre lettre de la même année,
adressée au P. Goudin, de Saint-Crespin, dans la forêt
de Lions, Lettres choisies de Monsieur Simon. Amster-
dam, 1730, t. iv, p. 246, il termine par ces mots :
« Tâchez de vous bien porter, surtout mettez vos papiers
en sûreté. Si je puis vous rendre quelque service en cela,
soyez persuadé que je ferai de mon mieux. »
Il serait du plus grand intérêt de savoir comment
Goudin accueillit les conseils de Richard Simon. Ce qui
est certain, c'est que l'auteur lui-même ne put de son
vivant s'occuper soit de l'examen, soit de la publication
de son ouvrage. La lettre de Richard Simon est du cou-
rant de 1695; cette même année, lorsque le P.Goudin se
1513
GOUDIN
1514
vit frappé à mort, il laissa son travail entre les mains du
P. Maisonneuve, religieux du même ordre et son ami.
Celui-ci, désirant le publier, demanda l'autorisation
du général de l'ordre, qui la lui refusa, à moins qu'il
ne fût très exactement revu et corrigé en conformité
avec le bon thomisme et d'après le livre du P. Massouillé.
Nous n'avons pu jusqu'ici retrouver les documents
ayant trait aux pourparlers qui durent s'échanger
entre Paris et Rome à ce sujet. Il nous paraît pourtant
fort plausible de penser que le manuscrit du P. Goudin
ou une copie ait été envoyée à Rome, conformément
aux décisions prises pour l'examen de tout ouvrage
sur les matières de la grâce. D'ailleurs, le P. Mas-
souillé se trouvant lui-même à Rome — il y mourut
en 1706 — • il pourrait plus facilement indiquer ce qu'il
pouvait y avoir à changer ou à reprendre dans l'ouvrage
en question. Quoi qu'il en soit, ce n'est qu'en 1723 que
l'on songea à faire paraître ce travail. Parmi les exami-
nateurs députés par le général de l'ordre, Augustin
Pipia, qui avait succédé au P. Cloche, nous remarquons
un Allemand, le P. Adolphe Schleipen. Ce n'est qu'un
indice de plus de ce que nous avancions tout à l'heure,
à savoir que l'ouvrage fut examiné à Rome. Nous
savons, en effet, que le P. Schleipen avait été appelé
à Rome, en 1722, comme théologien de la Casanate.
Voir Coulon, Le mouvement thomiste au XVIIIe siècle,
dans la Revue thomiste, juillet-août 1911. C'est sans
doute en cette qualité de membre du collège des doc-
teurs de la Casanate qu'il eut à juger l'ouvrage du
P. Goudin, avec un autre dominicain allemand, le
P. Tholen. Il est probable d'ailleurs qu'il ne restait
guère de corrections à faire et que le P. Massouillé
avait longuement examiné des écrits qui l'intéres-
saient plus particulièrement à raison de leur auteur et
des matières traitées. On avait cru bon d'attendre
quelque temps, avant de faire paraître un ouvrage
qui ravivait des polémiques regrettables. Bien qu'en
1723, la sévérité fût moindre en France à l'endroit du
thomisme, ce ne fut pourtant pas à Paris, mais à
Cologne, que les manuscrits de Goudin furent édités.
La théologie posthume parut sous ce titre : Traclalus
theologici poslhumi juxta inconcussa luiissimaque dog-
mala divi Thomse Aquinatis docloris angelici. De
seienlia et volunlutc Dei, de providentia, preedestinationc
et reprobalione atque de. gratia in duas parles divisi,
2 in-8°, Cologne, 1723. L'ouvrage paraissait avec
toutes les approbations des docteurs de l'ordre et était
dédié au général, Augustin Pipia. Une 2e édition de la
théologie de Goudin a été donnée de nos jours : Traclalus
theologici juxta inconcussa tutissimaque dogmata divi
Thomas Aquincdis docloris angelici. Nova edilio emen-
dala cura et studio P. F. A. M. Dummcrmuth O. P.,
2 in-8°, Louvain, 1874. Dans cette édition, on a sup-
primé, à tort, la dédicace à Pipia ainsi que la préface
du premier éditeur. Naturellement, jamais on n'avait
essayé d'élever le moindre doute sur la parfaite authen-
ticité des traités de Goudin.
La question très nette que nous pouvons nous poser
et qui intéresse l'histoire de la théologie, est celle-ci :
Les traités de théologie de Goudin que nous possédons
aujourd'hui représentent-ils absolument la pensée
théologique de l'auteur ou ont-ils été corrigés ? Nul
jusqu'ici n'en avait douté. Tout d'abord, nous devons
remarquer que même eût-on fait des corrections no-
toires, ceux qui les avaient ordonnées n'avaient nulle-
ment outrepassé leurs droits. Vivant, Goudin n'aurait
pas davantage échappé à la censure de ses ouvrages, et
certes il aurait grandement répugné à prendre le moyen
suggéré par Richard Simon pour échapper à une revi-
sion de ses écrits; l'auteur mort, ses écrits pouvaient
également paraître avec les corrections jugées bonnes.
D'ailleurs, dans toutes les patentes délivrées par les
supérieurs de l'ordre des prêcheurs auquel appartenait
le P. Goudin, on avait soin de spécifier que l'ouvrage,
dont on sollicitait V imprimatur, ne pourrait paraître
qu'une fois toutes les corrections faites par des re-
viseurs impartiaux. Rien de plus juste, car chaque
ouvrage en une certaine manière pouvait engager
l'ordre dont il émanait. Nous avons d'ailleurs la cer-
titude qu'Echard était au courant des difficultés que
pouvait offrir la publication de la théologie du P. Gou-
din. Il avait même été pressenti sur ce point par son
correspondant, Josse Le Clerc, dans une lettre datée
du 21 août 1721 et à laquelle nous avons déjà fait
allusion. Nous voyons, d'une part, par la réponse dis-
crète que fait Echard, le 1er septembre, que c'est là un
sujet délicat. « Je crois avoir marqué dit-il, parlant de
Goudin, tous ses ouvrages théologiques en gros (voir
Scriptores, t. n, p. 740), disant qu'il avait composé une
théologie, qu'il aurait imprimée, s'il n'eût pas été
prévenu de la mort œtate jlorente, car apparemment ce
monitum dont vous me faites l'honneur de me parler
est un extrait de ses sentiments sur ces matières, aussi
bien que ce que dit M. Simon dans ses lettres est une
partie de sa théologie, savoir son traité de la grâce, et
un bibliothécaire ne peut pas faire mention de ces minu-
ties. On n'a pas pu juger à propos de faire imprimer
celte théologie du P. Goudin pour de bonnes raisons. »
Ainsi donc Echard connaissait parfaitement la lettre
de Richard Simon à Goudin et par conséquent les
tendances que ce critique lui prêtait. Mais chose remar-
quable, alors qu'Echard, dans la même lettre, prend
soin de défendre la mémoire de Nicolai contre l'accusa-
tion d'avoir versé tout à fait dans le molinisme, il se
garde de rien dire de semblable touchant Goudin. Il
eût été fort désirable pourtant que cet auteur nous ait
donné son appréciation. Il écrivait avant la publication
de la théologie, qui ne parut que deux ans plus tard.
Pensait-il que les remarques de Richard Simon répon-
daient vraiment à l'état d'esprit de Goudin? Sa réserve
à l'égard d'un auteur mort depuis bien des années
nous le laisserait presque soupçonner. Mais en réalité
quelle attitude Goudin prenait-il dans les questions
signalées par Richard Simon ? Celui-ci l'affirme nette-
ment : « Je vous loue d'avoir bien voulu adoucir quel-
ques sentiments durs de vos thomistes sur la prédestina-
tion et la grâce efficace. Ils prétendent que cette grâce tire
son efficace de la seule toute-puissance de Dieu : ce qui
me paraît fort dur. Et, en effet, dans les écrits que vous
m'avez communiqués, vous tirez celle efficace de plu-
sieurs autres moyens dont Dieu, qui par sa science
infinie connaît tout ce qui se passe dans le cœur de
l'homme, se sert, sans cpie vous favorisiez pour cela
les sentiments de Suarez ou de Molina. » D'autre part,
nous avons appris tout à l'heure d'Echard qu'il avait
paru un monitum, qui était un extrait des sentiments
de Goudin sur ces matières de la grâce. Il s'agit bien
ici, semble-t-il, d'opinions au moins différentes des
opinions reçues. Or, si nous ouvrons la théologie de
Goudin au traité de la grâce et précisément au passage
visé par Richard Simon, nous n'y trouvons rien que de
très conforme avec la doctrine reçue dans l'école tho-
miste. C'est également de là toute-puissance de Dieu
que Goudin fait dériver l'efficacité de la grâce et nous
ne voyons nullement qu'il la fasse dériver d'autres
moyens, ainsi que l'en félicitait Richard Simon lui-
même. Nous ne pouvons que citer les paroles même
de notre auteur. Tractatus de gratia, Louvain, 1874,
p. 294 : Tertia senlcnlia statuit infallibilcm gratix e/fi-
caciam oriri ex omnipotentia divina, et supremo dominio
quod Deus habet supra corda hominum, sicut supra
omnia quœ in cœlo et sub ceelo sunt, uti eam expressere
Patres nostri, in congregationibus De auxiliis. Unde non
est infallibilitas prœscicnlise ut vult secundo senlcnlia,
sed causalitatis. Non enim infallibilitas operationis
gratiee fundatur in prœscientia nostri consensus, sed
1515
GOUDIN — GOUJET
1516
e contra infallibilis cerlitudo prœscientiœ fundatur in
infallibilitate divinee virtutis et causalitatis. Hanc sen-
lentiam tolus prsedicatorum ordo ut germanam S. Au-
guslini et S. Thomœ semper amplexus est, et pro ea ut
pro aris cl focis contra oppositam semper pugnavit, ut
merilo transfuga et proditor dominicanse doctrines dica-
lur, quisquis eam deserit. Eamdem esse calholicam do-
étrillant ab apostolo traditam etab Ecclcsia deineeps con-
tra pelagianum errorcm de/ensam omnino eensemus; et
licet opposilum nulla hwreseos nota inuramus, ne sedis
apostolicœ nondum propalatum contra eam judicium
anteverlamus, nulhdenus tamen cum doctrina gralia-
uli a S. Auguslino, et a pontifïcibus, ci a conciliis contra
pelagianos explicala est, posse cohœrcre, arbitramur.
Assurément, par une déclaration si nette d'orthodoxie
thomiste, nous ne voyons pas en quoi Goudin aurait
apporté un adoucissement à la doctrine communé-
ment reçue dans l'école. Il est ici aussi ferme cpie n'im-
porte quel champion des congrégations De auxiliis.
Il n'y a pas trace dans le traité de la grâce de Goudin,
tel que nous pouvons le lire, je ne dis pas d'une autre
explication de l'eflicacité de la grâce divine en dehors
de la toute-puissance de Dieu, ce qui serait assuré-
ment très grave de la part d'un thomiste, mais même
une allusion à d'autres moyens qu'aurait Dieu, en plus
de sa toute-puissance, d'assurer en nous l'efficacité
de sa grâce. Avouons-le sincèrement, le traité de la
grâce lu par Richard Simon ne paraît point être abso-
lument celui que nous avons sous les yeux. Bien loin
d'ailleurs d'obtempérer â l'invitation de son ami d'atté-
nuer la rigueur de sa théorie de la prémotion ou pré-
destination physique, Goudin l'affirme à chaque page
et la donne comme le principe même de l'efficacité de
la grâce. En effet, p. 306, après avoir énuméré les diffé-
rentes explications de l'efficacité de la grâce et en
avoir fait ressortir l'insuffisance, il en vient à l'explica-
tion thomiste : Quinlus modus graliœ cfjlcaciam in prœ-
molione physica polissimurn reponit. Hune communiter
tend schola thomistica... Atque ex ea nolione physica'
prœmotionis (quam ctium in ordine supcrnalurali locum
indubilatum esse débet, vel sallem hic supponimus ex
alibi diclis), jam facile intelligitur, eam non immerito
adhiberi ad explicandam divinœ graliœ efjicaciam...
Ainsi donc des deux points signalés par Richard Simon,
sur lesquels Goudin aurait adouci la doctrine commu-
nément reçue chez les thomistes, nul ne paraît établi,
d'après le texte que nous possédons. Inutile de dire
que les autres remarques de la lettre ne se trouvent non
plus vérifiées dans l'ouvrage de Goudin. Ainsi, Richard
Simon félicitait Goudin d'avoir bien voulu adoucir
quelques sentiments durs des thomistes sur la prédestina-
tion... Ici encore les propositions établies par Goudin,
telles du moins qu'elles nous ont été transmises,
n'offrent aucun « adoucissement » de la théorie tho-
miste visée par Richard Simon. En effet, Goudin y
soutient nettement les deux propositions suivantes :
1° Prœdeslinatio sumpta pro œterno Dci proposilo, quo
aliquos prie aliis clegil ad gloriam certissime perducen-
dos non csl ex aliquibus meritis aul alio motivo ex parte
crealurœ prœviso, sed ex graluita Dei misericordia, illos
prœ aliis specialius dilectos eligentis. Tractatus thcol.,
t. i, p. 303. 2° Gloria cl gredia in dccrelo prœdcslina-
tionis ita disponuntur, ut Deus primo gratis quibusdam
prœ aliis gloriam efficaciter dandam voluerit; deinde vero
ex illa intentionc ipsis média ad gloriam rerlo perducentia
prœparaverit : unde prœdeslinatio etiam ad gloriam
fuit. Ibid., p. 315.
Que conclure de tout cela ? Pour quiconque est tant
soit peu familiarisé avec l'histoire de la théologie de
cette époque, fort mal connue d'ailleurs, il n'y a rien
là qui doive surprendre beaucoup. Nous pouvons fort
bien admettre que le P. Goudin ait pu avoir quelques
opinions particulières à rencontre dç celles régnantes
dans l'école thomiste, qu'il les ait exposées dans sa
théologie; à l'examen, après sa mort, ces opinions
auront été corrigées et éliminées avec soin de ses manu-
scrits et c'est ainsi que ses traités de théologie ont pu
paraître. Tels quels, ils sont du thomisme le plus ortho-
doxe et ne pourraient en aucune façon attirer à l'au-
teur la lettre qui a donné lieu à l'examen que nous
venons de faire. Nous pourrions peut-être avancer que
Goudin corrigea lui-même le texte de sa théologie et
que c'est vraiment sa pensée intacte qui se trouve
encore exprimée dans ses traités. A cela il y a bien
quelques objections sérieuses, les voici : la lettre de
Richard Simon est de l'année même de la mort de
Goudin et tout nous porte à croire qu'elle est de l'été
de 1G95; or nous nous rappelons que Goudin mourut
le 25 octobre de la même année. De plus, la façon dont
parle Echard montre assez que sa théologie n'offrait
point toute garantie au point de vue thomiste. L'ex-
plication des corrections posthumes nous paraît plus
fondée. Ramenés ainsi dans les limites du plus pur
thomisme, les traités théologiques de Goudin méri-
taient assurément les louanges qu'on lui décernait dans
les différentes approbations, mises en tète de l'édition
de 1723. Parmi les raisons qu'il donne, dans son épître
dédicatoire, d'avoir placé cet ouvrage sous le patronage
du général de l'ordre lui-même, l'éditeur signale celle
d'avoir voulu protéger la mémoire de Goudin contre
ses détracteurs, contre les minus œquos rcrum œstima-
lores, qui injurie carpunl quod non capiunt... De même,
dans l'approbalio terlia, datée de Cologne, 23 mars
1723, les docteurs faisaient de l'œuvre de Goudin cette
apologie, dont le sens désormais nous est connu :
... nunc jure meritissimo in lueem prodeunt tractatus
de scientia et voluntale Dei, de abseonditis mysleriis
prii'destinationis, reprobationis et graliœ, ab hoc viro per
omnia eximio compositi, ex quorum studiosa lectionc
nobiscum, etiam invitas, agnosces et faleberis super cum
vere requievisse spiritum sancti Thomœ Aquinalis do-
cloris angelici, a quo ne vel ad apieem recessit, sed quoi
ponit eonclusiones,tot refert probutque dogmala angelica,
loi steduit fidei catholicœ propugnacula, lot opponil
hœresi elypeos thomislicos, etc.
Ainsi se trouve, pensons-nous, soulevé et élucidé un
point d'histoire qui n'est pas sans intérêt. Seule la dé-
couverte des manuscrits originaux des traités de Goudin
ou quelque relation faite à Rome sur cet ouvrage pour-
rait nous donner pleine satisfaction.
Echard, Scriplores ord. prwd., Paris, 1719-1721, t. il,
p. 740; Lettres choisies de M. Simon, Amsterdam, 1730, t. IV,
p. 228-236; L. Bertrand, Vie, écrits et correspondance litté-
raire de Laurent Josse Le Clerc, Paris, 1878. p. 87 (il ne cite
qu'une phrase relative à Goudin extraite de la lettre
(l'Echard; texte complet d'après Bibliothèque nationale,
fonds français [Bouhier], n. 24411, p. 20); Nécrologe de Saint-
Jacques de Paris, ms. (Arch. gén. de l'ordre), p. 324; Beg. des
maîtres généraux de l'ordre (ibid.); Hurter, Nomenclator,
Inspruck, 1910, t. iv, col. 320; citant Der Katholik, 1857,
t. n, p. 426, et Scheeben, 1. VI, n. 18.
R. Coulox.
GOUJET Claude-Pierre, érudit, né â Paris, le
19 octobre 1097, mort dans cette même ville le
1er février 1767. Il fit ses premières études chez les
jésuites et au collège Mazarin. Il entra ensuite chez les
Pères de l'Oratoire, où il resta peu, et obtint en septem-
bre 1720 un canonicat à Saint- Jacques-l'Hôpital.
Très attaché aux doctrines jansénistes, il se montre en
toutes circonstances l'adversaire des jésuites. Membre
de plusieurs académies de province, l'abbé Goujet a
beaucoup écrit et sur des sujets bien divers. Parmi
ses nombreux ouvrages, nous mentionnerons : Traité
de la vérité de la religion chrétienne, traduit du latin
de Grotius avec des remarques, in-12, Paris, 1724;
Vie de Rufin, prêtre de l'église d'Aquilée, par dom
Gervaise, refondue par l'abbé Goujet, 2 in-12, Paris,
1517
GOUJET — GOULU
1518
1724; Maximes sur la pénitence avec la solide dévotion
du rosaire, in-12, Paris, 1717; Principes de la vie
chrétienne, traduits du latin du cardinal Bona, avec une
pré/ace, in-12, Paris, 1728; Les vies des saints pour tous
les jours de l'année avec l'histoire des mystères de Noire-
Seigneur, 7 in-12, Paris, 1730 : eurent part à cet
ouvrage l'abbé Mésengui et le professeur Roussel;
Gémissements d'un cœur chrétien exprimés dans les
paroles du psaume cxrm, traduit des Soliloques écrits
en latin par M. Hamon, in-12, Paris, 1731; Continua-
tion des Essais de morale contenant la vie de M. Nicole
et l'histoire de ses ouvrages, in-12, Luxembourg, 1732:
Supplément au grand dictionnaire historique, dit de
Moréri, 2 in-fol., Paris, 1735 : de nombreux cartons
furent mis dans ces volumes sans la participation de
l'abbé Goujet, qui publia plus tard : Nouveau supplé-
ment au grand dictionnaire historique, dit de Moréri,
2 in-fol., Paris, 1749, et un volume d'Additions à ce
Nouveau supplément, 1750; Bibliothèque des auteurs
ecclésiastiques du XVIIIe siècle, pour servir de continua-
tion à celle de M. du Pin (avec deux lettres sur S. Denys
l'Aréopagile et les ouvrages qu'on lui attribue), 3 in-8°,
1736 et 1737 : le ive volume est demeuré manuscrit;
Vie de M. Singlin, directeur des religieuses de Port-
Royal, in-12, Utrecht (Paris), 1736; Dissertation sur
l'état des sciences en France depuis la mort de Charle-
magne jusqu'à celle du roi Robert, in-12, Paris, 1737;
La vie de messire Yialarl de Herse, évèque et comte de
Chdlons en Champagne, in-12, Utrecht, 1738 : une
Relation de miracles accompagne les éditions de 1740
et 1741 : l'abbé Goujet n'eut aucune part à la rédaction
de cette dernière partie; Prières cl a/ f celions chrétiennes,
avec des gravures qui représentent les actions du prêtre
célébrant la messe, ouvrage laissé impartait par jeu
M. Guijonncl de Verlron, mis en ordre, considérable-
ment augmenté et avec une préface, in-12, Paris, 1738;
Épîtres et Evangiles avec des réflexions, 3 in-12, Paris,
1738; Bibliothèque française, ou histoire de la littérature
française depuis l'origine de V imprimerie jusque au-
jourd'hui, avec un catalogue des ouvrages dont on parle
dans cette bibliothèque et un discours préliminaire,
18 in-12, Paris, 1740-1759 : plusieurs volumes sont
demeurés manuscrits; Vie de M. Duquel, avec le
catalogue de ses ouvrages, in-12, Paris, 1741; Mémoires
historiques et littéraires sur le collège rouai de France,
fondé par le roi François I", in-4°, ou 3 in-12, Paris,
1758; Crevier dans son Histoire de l'université ayant
critiqué certains passages de son ouvrage, l'abbé
Goujet lui répondit par une Lettre de l'auteur de l'his-
toire du collège royal de France à l'auteur de l'histoire
de l'université de Paris au sujet du collège royal de
France, in-12, Amsterdam, 1761 ; Histoire des inquisi-
tions, avec un discours sur quelques auteurs qui ont
traité de l'inquisition, 2 in-12, Cologne, 1759; Relation
abrégée de la vie et de la mort de Madame Marie-
Élisabclh Tricalet, veuve de M. Lcbceuf, in-12, Paris,
1761; Abrégé de la vie de M. Tricalet, directeur du
séminaire de Saint-Nicolas du Chardonnet, in-12, Paris,
1762; Éloge historique du cardinal Passionei, in-12,
La Haye, 1763; Histoire du pontificat de Paul V,
2 in-12, Amsterdam. 1765; Mémoires historiques cl
littéraires de l'abbé Goujet, ouvrage posthume publié
par l'abbé Barrai, in-12, La Haye, 1767. En outre,
l'abbé Goujet publia divers écrits dans les journaux
ou Mémoires littéraires pour lesquels il composa des
éloges historiques de personnages illustres de son
époque. Il collabora à un grand nombre d'ouvrages
qu'il annota ou pour lesquels il écrivit des préfaces,
par exemple, une édition des Cas de conscience de
Lainet et Fromageau, 1735; l'Histoire de la nouvelle
édition des œuvres de saint Augustin par les bénédic-
tins; la traduction des Actes des martyrs par Drouet
de Maupertuis; les Mémoires pour servir à l'histoire
de Port-Royal, etc. Il prit part à la continuation de
I Histoire ecclésiastique de Fleury par le P. Fabre, et
dom Ceillier lui dut diverses notes pour son Histoire
des auteurs sacrés et ecclésiastiques.
^ Barrai, dans les Mémoires historiques et littéraires de
l'abbé Goujet; Dague de Clairefontaine, Essai sur la mort
de l'abbé Goujet, a la suite de l'édition de l'Histoire de la
vie de Nicole de 1767 ; Dictionnaire des livres jansénistes, in-12
Anvers, 1755, t. iv, p. 20, 209; Picot, Mémoires pour servir
a l'histoire ecclésiastique pendant le XVIII' siècle, in-8°,
Paris, 1855, t. iv, p. 453; Moréri, Dictionnaire historique]
in-fol., 1759, t. v b, p. 300; Quérard, La France littéraire,
t. in, p. 423; Huiter, Nomenelator, 1910, t. iv, col. 1084
1175; 1912, t. v, col. 184-186.
B. Heurtebize.
GOULD Thomas, né à Cork en Irlande en 1657,
mort à Thouars en 1734. Il passa en France vers 1678,
et après avoir fait sa théologie à Poitiers, fut nommé
aumônier des ursulines de Thouars. Il s'appliqua
surtout à la conversion des protestants; son zèle
fut récompensé par de magnifiques succès. Ses prin-
cipaux ouvrages sont : Lettres à un gentilhomme du
Bas-Poitou, louchant la véritable croyance de l'Église
catholique, contre les dogmes qui lui sont faussement
imputés dans les écrits des ministres, 1705 ; 4e édit., 1720 ;
Traité du sacrifice de la messe, avec l'explication des
cérémonies qui s'y observent et la manière d'y assister
dévotement, selon l'esprit de la primitive Église, Paris,
1724; Entretiens où l'on explique la doctrine de l'Église
catholique par' l'Écriture sainte, Paris, 1727; Recueil de
différentes objections que font les protestants contre les
catholiques..., et des réponses des catholiques, Paris, 1735.
Dictionanj of national biography, Londres, 1908;Hœfer,
Nouvelle bibliographie générale, Paris, 1857; Hurtcr, No-
menelator literarias, Inspruck, t. iv, col. 1059.
A. Gatard.
GOULU Jean, né à Paris en 1576, entra chez les
feuillants en 1604, où on lui donna le nom de Jean
de Saint-François. Il remplit dans son ordre à deux
reprises les fonctions de supérieur général. Son père,
qui était un helléniste connu, l'avait familiarisé de
bonne heure avec la langue grecque. Ses premiers
travaux furent des traductions. Il corrigea une tra-
duction du traité de saint Grégoire de Nysse contre
Eunomius ; il traduisit les œuvres de saint Denis,
Paris, 1608, les Homélies de saint Basile sur l'Hexa-
méron, in-8°, Paris, 1616, et le Manuel d'Épictète,
in-8°, Paris, 1609. Ce dernier travail lui avait été
demandé par Henri IV pour la reine Marie de Médicis.
Une nouvelle traduction latine des Opéra sancli
Dionysii, qu'il avait soigneusement préparée, parut
après sa mort, in-8°, Paris, 1629. On lui doit une
édition du traité De œlerna bealitudine de saint
Anselme, in-8°, Paris, 1615, une traduction française
des Exercices spirituels du P. Augustin Manna, orato-
rien de Rome, in-16, Paris, 1613. II publia : La vie du
bienheureux François de Sales, évèque de Genève,
in-4°, Paris, 1624, qui lui avait témoigné autant
d'estime que d'affection. Il écrivit le Discours funèbre
sur le trépas de Nicolas Le Fèvre, évèque de Chartres,
conseiller et précepteur de Louis XIII, in-8°, Paris, 1612,
et une Exhortation au chapitre des feuillants, Paris,
1616. Ses Lettres de Fyllarque à Ariste, in-8°, Paris, 1627,
firent grand bruit au moment de leur apparition; il
s'en prenait, à la suite de dom André de Saint-Denis,
à Balzac, lequel était de taille à se défendre. Dom Jean
Goulu se lit apprécier comme controversiste. 11
réfuta le traité sur la vocation des gentils du théologien
protestant Pierre du Moulin, in-8°, Paris, 1620.
Il donna quelques années plus tard ses Vindicim
theologicœ ibero-polilicte ad catholicum regem Philip-
pum IV contra pscudo-theologi admoniloris caluinnias,
in-8°, Paris, 1628. Son intervention contre Balzac,
1519
GOULU — GOURMANDISE
1520
qui avait parlé librement des moines, déchaîna une
tempête littéraire. Tous les ennemis de Balzac s'en
donnèrent. Il y eut une littérature pour et contre.
La plume ne suffisait pas, on se servit de l'épée.
Le P. Goulu fut très apprécié du cardinal Du Perron,
du duc César de Vendôme et de sa femme Françoise
de Lorraine, et du pape Urbain VIII, qui l'avait connu
à Rome. Il mourut à Paris le 5 janvier 1629 et fut
enterré dans l'église des feuillants.
Montius, Cislercii rejlorescenlis, in-fol., Turin, 1690,
p. 73; Bayle, Dictionnaire historique et critique, 3° étlit., t. Il,
p. 1291-1293; dom François, Bibliothèque générale des
écrivains de l'ordre de saint Benoit, t. i, p. 408-409; Éloge
de Jean Goulu, dit de Saint-François, in-4°, Paris, 1629.
J. Besse.
GOURLIN Pierre -Sébastien ou Jean - Etienne,
théologien janséniste, né à Paris le 2(5 décembre 1695,
mort dans cette même ville, le 15 avril 1775. Ses
études terminées, il entra dans les ordres et fut ordonné
prêtre en 1721. Vicaire à Saint-Benoît, il refusa de
se soumettre à la bulle Unigenitus, et prit rang parmi
les appelants. Pour ce fait, il fut interdit par Mgr de
Vintimille, archevêque de Paris. Il persista dans sa
révolte jusqu'à la mort, renouvelant son appel dans
son testament. Ses supérieurs légitimes durent en
conséquence lui refuser les derniers sacrements qui
ne lui furent administrés qu'en vertu d'un arrêt du
parlement. Disciple du célèbre docteur Boursier, il
prit part à presque tous les ouvrages publiés alors par
les appelants, et, à l'exemple de son maître, composa
divers écrits pour plusieurs évêques ou curés qui
avaient recours à lui. De cet auteur nous mentionne-
rons : Lettre de plusieurs curés, chanoines et autres
ecclésiastiques du diocèse de Sens à Mgr leur arche-
vêque, 1er juillet 1731; Lettre des curés, chanoines et
autres ecclésiastiques du diocèse de Sens ù Mgr l'arche-
vêque, avec un Mémoire pour servir de réponse à la
lettre pastorale du 15 août 1731; Acte d'appel de la
constitution Unigenitus et du nouveau catéchisme
donné par M. Languet, archevêque de Sens, au futur
concile général interjeté par plusieurs curés, chanoines
et autres ecclésiastiques de la ville et du diocèse de Sens,
cl Mémoire justificatif où l'on fait voir les innovations
du nouveau catéchisme par rapport à la doctrine, son
opposition avec la doctrine commune des catéchismes,
la liaison de ces innovations avec la constitution Uni-
genitus, les pressants motifs qui ont obligé d'en inter-
jeter appel et la validité dudil appel, 2 in-4°, 1742-1755;
Instruction pastorale de Monseigneur l'archevêque
de Tours sur la justice chrétienne, in-12, Paris, 1749;
Les appelants justifiés, in-12; Observations sur la thèse
de l'abbé de Prudes, in-12, 1752; Lettres d'un théo-
logien aux éditeurs des œuvres posthumes de M. Petit-
pied, 2 in-12, Paris, 1756; Mandement et instruction
pastorale de Monseigneur l'évêque de Soissons portant
condamnation : 1° du commentaire latin du Fr. Har-
douin, de la Compagnie de Jésus, sur le Nouveau Testa-
ment; 2° des trois parties de l'Histoire du peuple de
Dieu, par le P. Isaac Bemujer; 3° de plusieurs libelles
publiés pour la défense de la seconde partie de cette
histoire, 7 in-12, Paris, 1760; Examen d'un nouvel
ouvrage du P. Berruyer, intitulé « Réflexions sur la foi »,
in-12, Paris, 1762; Catéchisme cl symbole résultans de la
doctrine des PP. Ilardouin et Berruyer, in-12, Avignon,
1762; Ordonnance et instruction de Mgr de Beauleville
contre les Assertions, 1764; Requête d'un grand nombre
de fidèles contre l'assemblée de 1765; Lettre d'un théo-
logien ù un évêque député à l'assemblée de 1765; Œuvres
posthumes de Mgr le duc de Filz-James. évêque de
Soissons, concernant les jésuites, 3 in-12, Avignon,
1769-1770 : presque toutes les pièces sont de Gourlin;
De la préparation à la sainte communion, in-12;
Institution cl instruction chrétienne, dédiée ù la reine
des Deux-Sicilcs, 3 in-12, Naples (Paris), ouvrage
réimprimé sous le titre de Catéchisme de Naples.
Après la mort de Gourlin, l'abbé Pelvert publia :
Tractatus theologicus de gralia Chrisli Salvaloris, ac
de prœdestinationc sanctorum in sex libros distribuais,
3 in-4°, s, 1., 1781. Dans les trente dernières années
de sa vie, Gourlin fut un des principaux rédacteurs
des Nouvelles ecclésiastiques. Il fut également l'éditeur
de l'ouvrage de l'abbé Antoine-Martin Roche : Traité
de la nature de l'âme cl de l'origine de ses connaissances,
2 in-12, Amsterdam, 1759.
Quérard, La France littéraire, in-8°, Paris, 1829, t. m,
p. 433; Picot, Mémoires pour servir à l'histoire ecclésias-
tique pendant le XVII I" siècle, in-8°, Paris, 1855, t. v, p. 442-
443; Sommervogcl, Bibliothèque de la C" de Jésus, in-4°,
Bruxelles, 1890, t. i, col. 1366, 1368, 1369.
B. Heurtebize.
GOURMANDISE. — I. Définition. II. Moralité.
III. Péchés dérivés. IV. Remèdes.
I. Définition. — La gourmandise, désir désordonné
du manger et du boire, est un vice opposé aux vertus
spéciales d'abstinence et de sobriété, lesquelles se rat-
tachent à la vertu générale de tempérance et modèrent
en nous, selon les données d'une sage raison, le désir et
l'usage de la nourriture et des boissons.
De là, deux sortes de gourmandise : 1° celle qui porte
à des excès dans le manger (gula, ingluvies, crapula);
2° celle qui porte à des excès clans le boire {ebriclas).
II. Moralité. — 1° Excès dans le manger. — La
gourmandise (gula), considérée comme tendance, est
un vice, parce qu'elle porte l'homme à violer les pres-
criptions de la loi naturelle réglant l'usage de la nour-
riture et de la boisson. Il faut manger pour vivre, dit le
proverbe. Pour entretenir la vie du corps, réparer ses
forces, être en état d'accomplir sa tâche quotidienne,
l'homme doit manger et boire. Le plaisir naturel qui
accompagne ces actes est destiné à les lui faire aimer et
désirer, et à rendre facile une opération qui autrement
lui répugnerait. Jouir de ce plaisir, lorsqu'on mange
et qu'on boit raisonnablement, n'est pas interdit; mais
le rechercher pour lui-même, manger et boire sans
nécessité, ou plus qu'il ne convient est un désordre
et une faute. L'excès, en matière de gourmandise, peut
venir de ce que l'on mange ou trop tôt et avant le temps
raisonnable (prœpropere), ou trop abondamment (ni-
mis), ou trop avidement (ardenter), ou des mets trop
délicats (laule) ou une nourriture apprêtée avec un soin
exagéré (sludiose).
L'excès dans le manger, ou l'acte proprement dit de
gourmandise, est gravement ou légèrement coupable.
Gravement, lorsque, dit saint Thomas, Sum. theol., II"
IF", q. cxlviii, a. 2, delcctationi inhwret homo tanquam
fini propler quem Deum conlemnit, paralus sciliect
contra prœcepta Deiagere, ut delectalion.es hujusmodi con-
sequatur. C'est le cas de ceux qui font passer les exi-
gences de leur gourmandise avant celles de la conscience
et qui, pour satisfaire à leur appétit, seraient disposés à
manquer gravement aux lois de Dieu ou de l'Église.
Tels sont ceux qui. par leurs excès de table, et par les
dépenses exagérées qui en sont la conséquence, se
mettent dans l'impossibilité de payer leurs dettes, dis-
sipent une fortune qu'ils ont le devoir de conserver ou
de protéger, ruinent leur santé, ou ceux qui par gour-
mandise négligent le précepte ecclésiastique du jeûne
et de l'abstinence.
Véniellcmenl, quand, dit encore saint Thomas, in
vitio guise inlelligitur inordinatio concupiscenliœ lanlutn
secundum ea qux sunt ad finem, ulpole quia nimis con-
cupiscil deleclaliones ciborum, non tamen ita quod propler
hoc facial aliquid contra legem Dei, c'est-à-dire quand
il y a disproportion entre le besoin raisonnable de nour-
riture et la quantité exagérée d'aliments consommés.
Si le désir immodéré des plaisirs de la table ne va pas
1521
GOURMANDISE
1522
jusqu'à faire transgresser un précepte grave, il n'y a
que faute de soi légère. Alors, en effet, il y a seulement
excès clans l'usage d'une chose en elle-même bonne et
permise, c'est-à-dire faute simplement vénielle.
C'est pourquoi, au sentiment de saint Liguori, que
suivent les théologiens actuels, le fait de manger avec
excès, usque ad vomitum, n'est pas une faute mortelle :
ce n'est que l'usage immodéré d'une chose en soi per-
mise. Même le fait de provoquer le vomissement au
milieu d'un repas, afin de pouvoir manger encore,
si répugnant qu'il soit, n'a pas une malice spécifique-
ment différente et reste de soi faute vénielle.
2° Excès dans le boire. — Si cet excès ne va pas
jusqu'à l'ivresse, il doit être apprécié selon les principes
qui viennent d'être exposés; s'il va jusqu'à l'ivresse, il
ajoute à la malice de la simple gula une circonstance
qui l'aggrave, la perte volontaire de la raison.
L'ivresse est parfaite ou imparfaite, selon qu'elle
fait perdre totalement ou non l'usage de la raison. La
première se reconnaît pratiquement à certains signes
non équivoques qui accompagnent nécessairement la
disparition de la faculté de se diriger, abolition momen-
tanée du sens moral, inconscience pendant laquelle on
ne sait plus ce qu'on fait, extravagances contrastant
violemment avec les habitudes normales, hésitations
caractéristiques dans la parole, marche titubante et
équilibre impossible à conserver, illusions des yeux qui
voient double ou ne voient pas, révoltes de l'esto-
mac, etc. La seconde existe quand l'excès ne va pas
jusqu'à la perte de la raison.
1. Caractère moral de l'ivresse en général. — Parfaite
ou imparfaite, l'ivresse est évidemment mauvaise, puis-
qu'elle suppose des libations immodérées, que ne justi-
fient nullement les besoins du corps et de la vie, dont
le seul but est la satisfaction d'une passion désor-
donnée, qui menacent ou troublent gravement l'usage
de la raison, dégradent l'homme et le mettent dans
l'impossibilité de connaître et de remplir ses devoirs.
L'ivresse imparfaite, n'étant que l'abus légèrement
excessif d'une chose permise et ne troublant pas com-
plètement l'usage de la raison, n'est de soi que faute
vénielle. Par accident, elle serait mortellement cou-
pable, si elle était la cause prochaine de quelque grave
désordre ou scandale, ruineuse pour la santé du
buveur, pour sa fortune ou celle des siens, si elle le
menait à la débauche ou si elle provoquait de sérieuses
discordes dans sa famille.
2. Moralité de l'ivresse par/aile. — L'ivresse parfaite
est une faute mortelle de soi. Elle est expressément
qualifiée comme telle par saint Paul. I Cor., vi, 10;
Gai., v, 21. A cause de ses tristes effets pour le corps
et pour l'âme, elle est énergiciuement blâmée dans
l'Écriture. Eccli., xxx, 40; xxxi, 38-40; Ose., iv, 11 ;
Prov., xx, 1 ; Matth., xxix, 49. Voir dans le Diction-
naire de la Bible de M. Vigoureux, art. Ivresse. Elle
est stigmatisée comme telle par les Pères, et entre
autres, par saint Basile, Serm., xvi, de ingluvit et ebrie-
tatc, P. G., t. xxxn, col. 1315-1327, qui, après avoir
décrit toutes les hontes et toutes les misères réservées
à l'homme ivre, conclut son dicours en ces termes :
Dominum non recipit ebrielas, Spiritum Sanction pro-
pcllil. Fnmus quidem abigil apes, dona vero spiritualia
fugat crapula. Ut autem id minime paliamur, careamiis
ne illi ingralo venlri obsequamur, ut seterna Ma bona
adipiscamur; par saint Ambroise, De Elia et jejunio,
P. L., t. xiv, col. 697-728; par saint Jean Chrysostome,
Homil. advenus ebriosos et de. resurreclione, P. G., t. h,
col. 433-436.
Cet excès, qui prive l'homme de sa raison, le dégrade,
fait de cette créature formée à l'image de Dieu un être
inférieur à la brute et l'expose sans défense aux pires
dangers comme aux plus mauvaises tentations, ne peut
être une faute seulement légère, sauf le cas où elle ne
durerait qu'un temps très court, moins d'une heure,
selon Lchmkuhl, Theologia moralis, t. i, n. 456, et
Noldin, Summa theologise moralis, t. i, n. 313, restric-
tion d'ailleurs plus spéculative que pratique, car celui
qui s'enivre ne sait pas combien de temps durera
l'ivresse.
Mais d'où vient cette malice grave du péché
d'ivresse? Selon plusieurs théologiens dont l'opinion
est aujourd'hui communément abandonnée, l'ivresse
volontaire est gravement coupable parce qu'en provo-
quant la perte de la raison, elle est cause directe d'un
désordre que rien ne peut excuser ni justifier. Arbitra-
mur eum qui répugnante potu biberel usque ad privatio-
nem ralionis fore proprie ebrium, sicut puella foret proprie
fornicaria qu.se meta morlis consentiret jornicalioni, dit
Billuart. Summa Summœ S. Thomse, tr. De temperantia,
diss. III, a. 2. D'après saint Thomas, elle vient avant
tout du double désordre dont l'ivrogne se rend cou-
pal de : a) en absorbant uniquement par plaisir une bois-
son dont il devait user pour un autre but; b) en l'absor-
bant avec excès, jusqu'à en perdre momentanément
l'usage de la raison, sans qu'aucun motif vienne justifier
cet abus en le rendant en quelque façon nécessaire.
La solution des cas particuliers variera, selon que
l'on adopte la première ou la seconde de ces opinions.
3. Solutions de quelques cas particuliers. — a) Usage
immodéré de liqueurs enivrantes. — Est-il toujours
interdit de boire jusqu'à l'ivresse complète, ou bien
est-il accidentellement et exceptionnellement permis
de le faire, pour se guérir de quelque maladie, pour
supporter les douleurs d'une opération chirurgicale,
pour échapper à la mort dont on est menacé si l'on
refuse de s'enivrer ?
Les théologiens qui considèrent l'ivresse volontaire
comme intrinsèquement mauvaise le nient, parce qu'il
n'est pas permis de faire le mal pour arriver au bien.
Mais selon d'autres, l'ivresse est coupable dans la
mesure où elle implique un excès que rien ne légitime,
ce qui est le cas ordinaire. Pourtant si boire plus que
ne le permet habituellement la vertu de sobriété n'est
pas le moyen d'assouvir une passion désordonnée et
brutale mais seulement le remède efficace du mal dont
on souffre et dont on a le droit de se guérir, cet acte
ne peut plus être qualifié de déraisonnable. Il devient
légitime, parce que, dans une certaine mesure, il devient
nécessaire. Ce qui est superflu pour l'homme en bonne
santé, remarque saint Thomas, Sum. Iheol., II;, II',
q. ci., a. 2, peut être nécessaire au malade, donc inter-
dit au premier et permis au second. Ainsi ce qui, en
temps ordinaire, est excessif et répréhensible. en cas
de maladie, cesse, par hypothèse, délie immodéré et
n'est pas objectivement une faute. Mais, dira-t-on,
l'état dégradant qui résulte de l'ivresse suffit-il pour
rendre absolument illicite l'usage d'un tel remède ?
Non, parce que l'on peut justement le considérer comme
voulu d'une manière indirecte et l'on peut appliquer
ici les règles générales de volontaire indirect : la santé
à recouvrer est un bien réel qui compense l'effet mau-
vais de l'ivresse simplement toléré et permet qu'on le
provoque. La boisson alcoolique serait donc, à ce point
de vue, assimilée aux substances pharmaceutiques
produisant un effet analogue. Ainsi pense saint Liguori,
Theologia moralis, 1. V, tr. De. peccalis, dub. v, n. Tii. à
qui cette opinion paraît probable en elle-même, et
mieux prouvée que l'opinion opposée, à condition
toutefois, dit-il, que l'on ne cherche pas directement
dans l'alcool l'effet abrutissant de l'ivresse, car ce serait
vouloir directement le mal, mais l'effet physiologique
excitant ou fortifiant l'organisme. Selon d'autres théo-
logiens, cette condition même n'est pas requise, puis-
que ce qui est excessif et déraisonnable dans les cas
ordinaires ne l'est plus ici et puisqu'il y a une raison
suffisante de tolérer les suites dégradantes de l'ivresse.
L523
GOURMANDISE
1524
Mêmes opinions et mêmes raisons en ce qui concerne
le deuxième cas. Est-il permis de boire jusqu'à l'ivresse
pour échapper totalement ou partiellement, par ce
moyen, à la douleur d'une opération chirurgicale? Les
théologiens qui regardent l'ivresse volontaire comme
intrinsèquemenl mauvaise le nient. Saint Liguori se
range à leur sentiment, parce que, selon lui, ce serait
provoquer la perte de la raison pour arriver à l'incon-
science et à l'insensibilité, donc faire le mal pour arriver
au bien. Mais cette raison est loin d'être démonstrative.
Ce que l'on cherche en réalité, c'est, avant tout, l'effet
physiologique de l'alcool qui, absorbé à forte dose, peut
diminuer ou détruire la sensibilité. Le reste n'est qu'in-
directement voulu. Et il semble bien que la raison soit
suffisante. On arrive au même résultat par l'emploi de
substances pharmaceutiques produisant des effets ana-
logues dont l'usage est universellement regardé comme
licite. A ce point de vue, remarque Génicot, Theologia'
moralis instilutiones, tr. IV, n. 185, iwltum discrimen
morale vidclnr inter hoc médium et alia, ex. gr. chlorofor-
mium, quir adhiberi soient. Mais enivrer un moribond
pour lui procurer l'avantage de mourir sans souffrance
n'est point permis parce que, à ce moment surtout,
l'homme a besoin de toute sa raison pour se préparer
au jugement de Dieu.
Le dernier cas, plutôt théorique que pratique, est
encore résolu de diverses manières. Un homme, menacé
de mort s'il refuse de boire avec excès, est-il coupable
si, pour échapper au danger, il consent à s'enivrer ?
Les théologiens qui regardent comme intrinsèquement
mauvaise toute ivresse volontaire l'affirment et saint
Liguori, s'appuyant sur un passage très clair, mais non
authentique de saint Augustin, se range à cette opinion
et la juge plus probable. Mais, au sentiment de Lessius,
les raisons pour lesquelles, d'après saint Thomas, l'excès
dans le boire est moralement coupable, n'existent plus
ici : ce n'est plus, en effet, le plaisir seul qui fait agir le
buveur, mais la nécessité qui le contraint malgré lui, et
si l'ivresse doit provoquer un résultat déplorable, il y a
un motif grave qui autorise à le tolérer : c'est la vie qui
est menacée et qu'il -s'agit de sauver. Cette manière de
voir est acceptable dans le cas où la violence est desti-
née à provoquer un simple excès de boisson; si elle
avait pour but de porter a une violation formelle de la
loi de Dieu, il serait toujours interdit d'y céder, dût-on
y perdre la vie. Ce serait, en effet, consentir au péché
formel.
b) Coopération à l'ivresse d'antrui. — Il y a, sans
aucun doute, péché mortel dans le fait de provoquer
sans raison l'ivresse chez autrui. On commet ce péché
par imprudence, en fournissant largement au buveur
les liqueurs fortes dont on sait qu'il abusera certaine-
ment, en l'excitant par des paris ou des provocations
à boire le plus et le plus longtemps possible, ou encore
en multipliant, sous prétexte d'amitié ou de politesse,
ces instances obsédantes qui forcent les gens à boire
plus que de raison. Autre chose est pourtant le fait
de donner abondamment, dans un repas, des vins ou
des liqueurs fortes, au risque d'occasionner par là cer-
tains abus et quelques ivresses. C'est un cas de coopé-
ration éloignée à la faute d'autrui : une raison légère
suffit à la rendre licite, à condition que l'intention soit
droite.
Mais s'il y a faute grave à provoquer sans raison
l'ivresse chez autrui, est-il permis de la provoquer pour
empêcher un mal, par exemple, pour empêcher l'ivro-
gne de commettre quelque crime, plus grave que le
péché de l'ivresse ?
( lui, selon Lessius, dont l'opinion semble vere proba-
bilis à saint Liguori, parce qu'il est juste, donc permis,
de préférer un moindre mal à un plus grand; or c'est
le cas.
Non, disent Ltolzmann, Arsdekin et le continuateur
de Tournély, parce que pousser quelqu'un à l'ivresse,
c'est le porter directement au péché, ce qui est toujours
interdit.
On peut du moins le penser pour le cas où le buveur
s'enivre sciemment et volontairement; car on le pousse
directement au péché formel. Mais en serait-il de même
au cas où le buveur serait surpris sans qu'il s'en doute ?
Alors il n'y aurait plus que péché matériel et il y aurait,
dans le fait qu'on évite par ce moyen un crime ou un
mal grave, une raison suffisante de le permettre (Lay-
mann, Bonacina, Salmanticenses).
Serait-il permis d'enivrer quelqu'un pour procurer
un bien, par exemple, pour lui arracher un secret, pour
échapper à sa surveillance et recouvrer sa liberté, ou
pour quelque motif analogue ?
Non, évidemment, si l'on n'a pas le droit d'exter
quer le secret que l'on veut arracher ou si l'on n'a pas
le droit de prendre la fuite.
Dans le cas contraire, si, par exemple, on a le droit de
faire parler le dépositaire du secret, ou le droit d'échap-
per par la fuite à une injuste détention, les moralistes
distinguent encore. Ou bien on peut user et provoquer
l'ivresse sans que le buveur s'en aperçoive : en ce cas, il
n'y a que faute matérielle et une raison sérieuse per-
mettra de la provoquer, ou bien il faut provoquer une
ivresse volontaire et coupable. Il serait encore permis
de la provoquer, selon Lessius, du moins si par là on
empêche un mal plus grand. Laymann le nie, parce que
ce serait porter directement quelqu'un au péché.
4. Dans quelle mesure l'homme est-il moralement res-
ponsable des péchés commis en état d'ébriété parfaite ? —
Dans la mesure où il les a prévus et voulus en en
posant la cause. En cas d'ivresse involontaire, rien
n'est voulu ni prévu; donc rien d'imputable. En cas
d'ivresse volontaire, les fautes sont imputables dans la
mesure où elles sont prévues et dès l'instant où elles le
sont.
Toutefois quelques théologiens remarquent nue
l'homme en état d'ivresse ne sachant plus ce qu'il dit,
des paroles qu'il profère nul ne tient compte. Par con-
séquent, ses insultes et ses injures n'atteignent per-
sonne, du moins généralement parlant, parce que cha-
cun les dédaigne. On ne lui imputera donc pas comme
une faute les expressions grossières qui chez un autre
seraient coupables, parce qu'en fait elles ne consti-
tuent pas une injure efficace. Il n'en est pas de même
des paroles obscènes ou des blasphèmes et des impiétés
qui lui échapperaient, qui gardent leur malice propre.
III. Péchés dérivés. — Saint Grégoire, Moral.,
1. XXXI, c. xlv, P. L., t. lxxvi, col. 621, attribue cinq
fdles à la gourmandise : de venlris ingluvie inepta
kvlitia, scurrililas, immunditia, multiloquium, hebe-
ludo sensus propagantur. Très sensible au plaisir du
manger et du boire, le gourmand apprécie trop ces
jouissances vulgaires quand il les possède et laisse alors
paraître, dans ses paroles et son attitude, une joie
niaise et déplacée (inepta leetiiia); trop gai pour sur-
veiller ses discours et ses actes, il se laisse aller à des
paroles irréfléchies, à un verbiage ridicule (stullilo-
quium), auquel se joint souvent le burlesque des gestes
ou des manières (scurrilitas). Cependant l'estomac se
charge outre mesure et l'on est menacé de ses révoltes,
comme aussi des révoltes de la chair surexcitée (im-
munditia). Les excès de table alourdissent le corps,
rendent difficile le travail de l'esprit, en diminuent la
facilité et le goût et finissent par émousser l'intelligence
(hebetudo sensus).
Ces conséquences fâcheuses de la gourmandise, déjà
fort sensibles en celui qui mange immodérément, sont
plus fortement accentuées chez quiconque abuse des
liqueurs enivrantes. Une lamentable expérience, sur
laquelle il serait superflu d'insister ici, l'a démontré
avec une triste évidence. Lorsque l'excès dégénère en
1525
GOURMANDISE
GOUSSET
1526
habitude et devient l'ivrognerie proprement dite, il est
la cause de maux incalculables pour l'individu, la fa-
mille et la société. Par l'alcoolisme, santé, fortune, in-
telligence, moralité sont menacées ou compromises chez
les individus. Pour la famille et la société, les suites
sont aussi désastreuses : c'est la fin de la paix domes-
tique, le commencement d'une foule d'attentats et de
crimes de toute nature et le début d'une dégénérescence
de la race, qui, à chaque nouvelle génération d'ivro-
gnes, s'accentuera de plus en plus. Voir Mgr Turinaz,
Lettre pastorale sur trois fléaux de la classe ouvrière,
Nancy, 1900; Mgr Gibier, Nos plaies sociales : la pro-
fanation du dimanche, l'alcoolisme, la désertion des cam-
pagnes, Paris, 1903.
IV. Remèdes. — Les remèdes efficaces capables de
guérir ce vice ne manquent pas, mais il est plus facile de
les indiquer que de les faire adopter.
1° Remèdes individuels. — Qui veut se guérir de la
gourmandise ou de l'ivrognerie : 1. doit éviter toutes les
occasions du péché et fuir les milieux où la tempérance
n'est pas strictement observée; 2. doit fortifier en lui-
même la vertu de tempérance par la pratique fréquente
de la mortification chrétienne, par la frugale simplicité
de ses repas, par le jeûne et par le retranchement de
quelques mets superflus; 3. doit la fortifier encore par
la considération des motifs naturels et surtout des mo-
tifs surnaturels, qui le portent si fortement à combattre
ce vice, et par la prière qui obtient toutes les grâces.
2° Remèdes généraux. — La plaie grandissante de
l'alcoolisme préoccupe en France et ailleurs tous ceux
qui pensent à l'avenir. Les moyens proposés pour com-
battre efficacement le terrible fléau sont ou des mesures
législatives rendant, soit par une réglementation plus
sévère, soit par des impôts plus élevés, l'abus de l'alcool
plus difficile ou plus coûteux, ou des campagnes de con-
férences et de presse destinées à éclairer l'opinion
publique sur les méfaits et les crimes de l'alcool, ou
les sociétés de tempérance. Voir Dr Bertillon, L'alcoo-
lisme et les moyens de le combattre jugés par l'expérience,
Paris, 1904; Vanlaev, Du fléau social; l'alcoolisme et
ses remèdes, Paris, 1897.
S. Thomas. Sum. lheot.,ll< IIœ, q. cxlix, cl ; S. Liguori,
Theologia moralis, 1. V, tr. De peccalis, c. m, dub. v. Tous
les théologiens moralistes cités au cours de l'article et spé-
cialement Jaugey, Preeleciiones théologies moralis, tr. De
quatuor virtulibus curdinalibus, sect. iv, c. in, Langres, 1875;
Ribet, Les vertus et les dons dans la vie chrétienne, I' partie,
c. xi.iv, xlv, Paris, 1912.
V. Ohlet.
GOUSSET Thomas, l'une des gloires théologiques
de l'épiscopat français du xix° siècle, l'adversaire
heureux du rigorisme et l'ardent promoteur de la
réaction antigallicane en France, né le 1er mai 1792
à Montigny-lès-Cherlieu, dans le diocèse de Besançon,
appartenait à une famille de modestes et pieux la-
boureurs. Il avait dix-sept ans, lorsque ses parents
consentirent, en 1809, à se séparer de lui et à le laisser
commencer ses études classiques; mais la vivacité
de son esprit et sdii application au travail le mirent
en mesure d'entrer, dès l'automne de 1812, au grand
séminaire de Besançon, et, cinq ans plus tard, le
22 juillet 1817, il était ordonné prêtre. L'année
suivante, après neuf mois de vicariat à Lure (Haute-
Saône), il était appelé au grand séminaire, pour y
professer successivement, treize années durant, le
dogme et la morale. L'abbé Gousset sera merveilleux
comme professeur; l'étendue et la précocité de son
savoir, ses idées nettes et fortes, son langage limpide
et toujours correct, sa voix mâle que relevait encore
un accent persuasif, produisaient sur les élèves une
impression profonde, et leur inspiraient une admira-
tion presque passionnée. Avec cette première phase
de sa longue et laborieuse carrière s'ouvre son action
réformatrice sur l'enseignement français de la théologie.
On voit l'abbé Gousset tour à tour annoter les Confé-
rences ecclésiastiques d'Angers, 0 in-8°, Besançon, 1823,
dans le sens romain, éloigné à la fois des excès du
rigorisme et des abus du relâchement; soutenir dans
sa brochure : Exposition de la doctrine de l'Église sur
le prêt à intérêt, Besançon, 1824, que la loi civile ne
suffit point à défaut de tout autre titre extrinsèque,
pour légitimer l'intérêt: rééditer les Instructions sur
le rituel de Toulon, 6 in-8°, ibid , 1827, en en comblant
par ses notes les lacunes et en en adoucissant où il
convient la sévérité; améliorer et compléter dans le
même esprit le Dictionnaire théologique de Bergicr,
8 in-8°, ibid,, 1827; publier enfin le Code civil commenté
dans ses rapports avec la théologie morale, Paris, 1827,
livre clair et précis, qui obtint en Belgique comme en
France un succès prodigieux et répandit au loin le
nom de son auteur. Depuis quelque temps déjà, bien
qu'élevé lui-même dans les principes du rigorisme
qui prévalaient partout au sein des séminaires de
France, l'abbé Gousset, à son étude personnelle des
vieux théologiens, avait entrevu les défectuosités et
les erreurs du système janséniste. La découverte
inattendue, en 1829, dans une librairie, d'un exem-
plaire de la Théologie morale du bienheureux Alphonse
de Liguori, alors peu connue et calomniée, lui révéla
toute la doctrine que sa science et son rare bon sens
lui faisaient pressentir. L'ébranlement de sa santé
l'ayant obligé, sur l'ordre des médecins, à partir pour
l'Italie en 1830, l'abbé Gousset fit à Rome, devant la
Confession de saint Pierre, le vœu, entre autres, de se
consacrer tout entier à la défense et à la propagation
de la théologie liguorienne; il y demeurera inviolable-
ment fidèle. De retour à Besançon, il s'empressa de
poser à la Pénitencerie, par l'entremise du cardinal
de Rohan, son archevêque, les deux questions ci-
dessous : 1° Un professeur de théologie peut-il suivre
et enseigner les opinions professées par le bienheureux
A. -M. de Liguori dans sa Théologie monde ? 2° Doit-on
inquiéter le confesseur qui, dans la pratique du tribunal
de la pénitence, suit toutes les opinions du bienheureux
A. de Liguori, par cette seule raison que le Saint-Siège
n'a rien trouvé dans ses ouvrages qui fût digne de
censure ? La réponse de la Pénitencerie, confirmée
par Grégoire XVI, fut, on le sait, affirmative sur la
première question, négative sur la seconde. Bientôt
après, l'abbé Gousset, que le cardinal de Rohan avait
nommé vicaire général du diocèse en 1831, lançait sa
Justification de la théologie morale du bienheureux
A. de Liguori, Besançon, 1832. Ce fut un coup de
foudre sur l'école rigoriste; le livre fit grand bruit;
on l'a traduit en italien, réimprimé en Belgique,
annexé en diverses éditions aux œuvres de l'évèque
de Sainte-Agathe.
Les écrits de l'abbé Gousset avaient mis son nom,
sa science et son esprit en pleine lumière. Grégoire XVI
le nommera, le 1er février 1836, évèque de Périgueux
et relèvera, le 13 juillet 1840, sur le siège archiépiscopal
de Reims; enfin, le 30 septembre 1850, Pie IX le
créera cardinal. Évèque, Mgr Gousset méritera le
titre de père des pauvres, tant ses libéralités envers
eux seront inépuisables ! Dans toutes les questions
où l'intérêt de l'Église est en jeu. il déploiera un zèle
éclairé; en 1841. il réclamera la liberté de l'enseigne-
ment avec énergie, et, trois ans après, de concert avec
ses suffragants, renouvellera ses réclamations; il ap-
plaudira aux efforts de dom Guéranger pour ramener
en France l'unité liturgique, et décrétera, le 15 juinl848,
le rétablissement dans son diocèse du rite romain;
jaloux de relever et d'affermir la discipline ecclésias-
tique, il convoquera et présidera trois conciles pro-
vinciaux, l'un en 1849 à Soissons, qui ne fut pas sans
retentissement et sans effet sur le reste de la France,
1527
GOUSSET — GOUTTES
1528
l'autre en 1853 à Amiens, qui marquera aussi dans
L'histoire «lu mouvement catholique, le troisième en
1857 à Reims, dirigé, comme les deux précédents,
par un dévouement absolu à l'Église.
Mais les honneurs et les devoirs de la charge épis-
copale n'interromperont ni ne ralentiront l'activité
littéraire de Mgr Gousset; l^aversion du rigorisme
janséniste, l'attachement au Saint-Siège, la piété
envers la Vierge Marie continueront de provoquer et
d'inspirer sa plume. Pour déraciner l'usage implanté-
dans notre pays de refuser le viatique aux individus
frappés de la peine capitale, il écrit sa Lettre à M. l'abbé
Blanc sur la communion des condamnes à mort, Reims,
1841. Il publie, en 1844, la première édition de sa
Théologie morale à l'usage des curés et des confesseurs,
2 vol., livre écrit en français, clairet solide, qui, venant
à son heure et répondant aux besoins de l'époque, a
eu le plus grand et le plus légitime succès; il a été
traduit en diverses langues, et on en comptait dans
la France seule, à la mort de Mgr Gousset, treize
éditions. L'auteur, quatre ans après, complète son
œuvre par la publication de sa Théologie dogmatique,
2 vol., Paris, 1848, destinée aux fidèles autant qu'aux
prêtres, et qui battait en brèche le gallicanisme,
comme la Théologie morale avait sapé le jansénisme.
En 1852, il dénonce au public par ses Observations le
Mémoire clandestin sur le droit coutumier et en réfute
avec fermeté la doctrine réellement schismatique
dans ses tendances et dans sa direction. Après la pro-
mulgation du dogme de l'immaculée conception,
Mgr Gousset fait paraître son livre : La croyance
générale et constante touchant l'immaculée conception
de la bienheureuse Vierge Marie, Paris, 1855, et y
relève dans l'introduction l'infaillibilité doctrinale
du souverain pontife. Son Exposition des principes
du droit canonique, Paris, 1859, est une apologie
courageuse et opportune de la vraie doctrine sur
la primauté du pape et les prérogatives du Saint-Siège.
Enfin, dans son ouvrage : Des droits de l'Église tou-
chant la possession des biens destinés au culte et la
souveraineté temporelle du pape, Paris, 1862, il dresse
un véritable monument canonique et historique en
l'honneur du droit, de l'inaliénabilité des biens de
l'Église et du domaine temporel de la papauté. Outre
les écrits susmentionnés, il en a laissé d'autres, composés
sous sa direction et avec sa collaboration, notamment
les Statuts synodaux de Périgueux, in-4°, 1837, et les
Actes de la province ecclésiastique de Reims, 4 in-4°,
1842-1844. Esprit supérieur par ses initiatives et par
ses ouvrages en même temps que bon, simple, cordial,
attachant, Mgr Gousset mourut à Reims le 22 décem-
bre 18G6, entouré d'hommages sincères et emportant
d'universels regrets; il les méritait à tous les titres.
Deglaire, Le cardinal Gousset, archevêque de Reims, Paris
(1865); H. Menu, Notice biographique sur Mgr le cardinal
Thomas Gousset, Reims (1866); I-'èvre, Histoire de son
Éminence Mgr Gousset, archevêque de Reims, Paris, 1882;
Th. Neveu, Le cardinal Gousset, dans les Contemporains,
n. 50, Paris, 1892; Besson, Panégyriques et oraisons funèbres,
Paris, 1870, t. n; llurter, Nomcnclator litcrarius, Inspruck,
11)12, t. v, col. 1351-1353; Gousset, Le cardinal Gousset,
sa vie, ses oeuvres, son influence, Besançon, 1003; L'épis-
copat français depuis le concordai jusqu'à la séparation,
in-1", Paris, 1907, p. 469, 500-503.
P. Godet.
GOUTTES Jean-Louis, évêque constitutionnel,
né à Tulle, le 21 décembre 1739. Avant d'embrasser
l'état ecclésiastique, il avait servi dans un régiment
de dragons et ses détracteurs ont raconté qu'il en
était mal sorti, mais ils n'en ont fourni aucune preuve.
Ordonné prêtre, l'abbé Gouttes exerça d'abord dans
le diocèse de Bordeaux, puis fut attaché à l'église
du Gros-Caillou, à Paris, après quoi il alla à Montauban,
où il avait obtenu un petit bénéfice. Ces divers emplois
ne l'empêchaient pas de séjourner de temps à autre
dans sa ville natale, où sa famille tenait un rang
honorable dans la bourgeoisie aisée. C'est là qu'il
fut mis eu relations avec Turgot, alors intendant.
de la province.
Ce jeune prêtre à l'esprit éveillé et hardi plut au
célèbre administrateur, qui l'encouragea à étudier
les problèmes économiques et finit par en faire son
collaborateur habituel. Il n'eut pas de peine à le
gagner à toutes ses idées; il semble même que l'abbé,
dont le jugement n'était pas aussi solide cjue son
intelligence était vive, exagéra les enseignements du
maître, comme il arrive à bien des disciples et se fit
le défenseur des opinions les plus audacieuses. Turgot
lisait attentivement ses mémoires, le chargeait d'en
composer sur certaines questions à l'ordre du jour,
s'appropriait ce qu'il y trouvait d'original et utilisait
cet écrivain à la plume bien taillée pour mettre en
circulation les idées neuves auxquelles il fallait que
l'opinion du public s'habituât.
C'est certainement sous l'inspiration de Turgot
que Gouttes rédigea sa Théorie de l'intérêt de l'argent
tirée des principes du droit naturel, de la théologie et de
la politique, contre l'abus de l'imputation d'usure,
Paris, 1780; 2e édit., augmentée d'une Défense, 1782.
Dans ce livre, il rompait ouvertement avec l'ensei-
gnement, alors unanime, des écoles; en prenant la
défense du prêt à intérêt, il était en avance d'un
demi-siècle et les arguments qu'il présentait ne sont
peut-être pas ceux qui ont amené les théologiens à se
départir des principes rigoureux qu'ils avaient long-
temps soutenus.
Par cette publication, l'abbé Gouttes se rangeait
parmi les écrivains qui travaillaient, plus ou moins con-
sciemment, à précipiter la Révolution, mais les projets
de réformes économiques et sociales étaient tellement
dans l'esprit du temps que nul ne songeait à lui tenir
rigueur de ses audaces. Au contraire, mis en évidence
par ses écrits, l'abbé Gouttes en tira pour lui-même
un profit matériel très appréciable. L'évèque de Tarbes,
M. de Gain-Montaignac, était lui aussi limousin d'origine
et s'intéressa à son brillant compatriote. Commenda-
taire de l'abbaye de Quarante, au diocèse de Narbonnc,
le prélat disposait de plusieurs cures relevant de cette
maison religieuse; celle d'Argilliers était fort désira-
bîle, car, située dans un pays riche, elle valait, en dîmes
sur les grains, l'huile et le vin, un revenu qui allait, sui-
vant les années, de 3 000 à 6 000 livres. Recommandé à
l'évèque, Gouttes fut nommé et triompha d'un com-
pétiteur qui avait usé de la procédure de « prévention
en cour de Rome » et était soutenu par l'archevêque
de Narbonne. Il fallut aller jusqu'au parlement de Tou-
louse et Gouttes en conserva rancune contre ce que les
gallicans appelaient « les empiétements de la cour
romaine. »
Le nouveau curé d'Argilliers jouissait d'une situation
très enviable : son physique noble, sa bonne grâce,
sa réputation de publiciste, la nouveauté des opinions
qu'il développait avec verve, les perspectives sédui-
santes qu'il ouvrait devant ses auditeurs faisaient de
lui l'oracle du clergé; on lui pardonna bien vite ses
origines étrangères. Aux fidèles, il tenait des discours
tout remplis des idées en vogue, il parlait rarement du
dogme, estimant que les paysans en savent toujours
assez sur ce point; il n'encourageait pas les dévotions,
ayant peu de goût pour ce qu'il appelait les supersti-
tions. Ses prônes étaient des leçons d'économie rurale
et domestique; il vantait les progrès de la science,
recommandait les procédés d'assolement, les fumures
et les méthodes d'élevage; il préconisait la plantation
des pommes de terre, la vaccine et l'allaitement mater-
nel ; il racontait les prouesses des aéronautes et les décou-
vertes des savants. Parfois, il lui arrivait de donner des
1529
GOUTTES
1530
conseils de tempérance, d'ordre et de probité et semblait
se souvenir alors qu'il était prêtre et curé. Ses parois-
siens le suivaient docilement, conquis par son vaste
savoir, et, se détachant petit à petit de leurs croyances
traditionnelles, s'acheminaient insensiblement vers la
totale indifférence religieuse.
Quand le clergé de la sénéchaussée de Béziers eut
à désigner son député aux États généraux, le curé
d'Argilliers fut élu. A Versailles, comme à Paris, il fut
l'un des meneurs du parti des curés qui apporta son
appoint au Tiers-État et lui assura la victoire. Dans
le travail quotidien, Gouttes déployait une activité
infatigable, prêt à parler, à rédiger, à mettre au
service des comités la compétence que lui valaient ses
études spéciales. Ses opinions était celles d'un royaliste
libéral, mais son loyalisme monarchique ne l'empê-
chait pas de réclamer l'égalité civile, l'abolition des
privilèges et le contrôle effectif des dépenses publiques
par les représentants de la nation. Passionnément
modéré, il ne sortait de sa mansuétude coutumière
que lorsqu'on s'avisait de contester les thèses qui lui
étaient chères. Comme un certain nombre de ses
collègues, il avait tenu à figurer dans les rangs de la
garde nationale et il lui arriva de siéger dans un
costume moitié clérical et moitié militaire; personne
ne s'avisa d'en rire, car à cette époque les grands
mots et les grands gestes étaient pris au sérieux par
une génération qui avait été nourrie des récits de
Plutarque.
Quand fut discutée la nouvelle organisation de
l'Église de France, Gouttes, qui faisait partie du
« Comité ecclésiastique », soutint quelques-unes de
ses théories paradoxales et en fit accepter plusieurs;
aussi, quand la constitution civile entra en vigueur,
il sembla équitable de lui réserver un siège épiscopal
et, à défaut d'autre, il obtint celui d'Autun que la
retraite de Talleyrand rendait disponible. Une der-
nière fois, le 24 février 1791, l'évêque d'Autun, démis-
sionnaire depuis plus d'un mois, avait consenti à user
de ses pouvoirs d'ordre pour donner des évêques à
une Église à laquelle il ne croyait pas, puis il était
rentré définitivement dans l'état séculier et s'était
regardé comme délié de toute obligation sacerdotale.
Gouttes, élu le 15 février 1791, fut sacré à Paris
par Lamourette, le nouveau « métropolitain » du
Rhône; il partit aussitôt pour organiser son diocèse.
Le département dont il devenait le chef spirituel
était un groupement artificiel de régions qui diffé-
raient par la nature de leur sol autant que par le
caractère de leurs habitants. Le clergé n'avait aucune
unité, mais l'élément assermenté y était pauvrement
représenté; ne trouvant nulle part le vicaire épiscopal
qui devait être son principal auxiliaire et même son
remplaçant pendant qu'il siégeait à l'Assemblée,
Gouttes appela près de lui son ami Victor de Lanneau;
c'était un Champenois, qui, après avoir été chanoine,
était entré dans l'ordre des théatins; ses talents
d'éducateur l'avaient fait mettre à la tête du collège
de Tulle où Gouttes l'avait connu et apprécié. Ayant
confié son diocèse à un homme de son choix, l'évêque
retourna à Paris.
A la séparation de la Constituante, Gouttes voulut
reprendre la direction de son clergé, mais il dut bien
vite reconnaître qu'on avait pris l'habitude de se
passer de lui; les vicaires épiscopaux avaient acquis
une autorité qui neutralisait la sienne; de plus, les
idées avaient marché, et tout en essayant de se hausser
jusqu'au diapason révolutionnaire, Gouttes resta
toujours un attardé. Il publia quelques mandements
dans lesquels il prêcha « le respect des lois » et enseigna
qu'il faut obéir « alors même qu'elles seraient injustes. »
Ce fanatisme de légalité devait bientôt le placer dans
le plus cruel embarras. Littérairement parlant, la
prose épiscopale de Gouttes n'existe pas : la compo-
sition est alourdie par d'interminables digressions; la
phrase est sans élégance, la pensée est vulgaire et se
traduit dans une forme où la banalité s'allie à la trivia-
lité. Quelles comparaisons ont pu faire ceux qui se
souvenaient du style aristocratique de Maurice
de Talleyrand ! de ces lettres vraiment épiscopales où,
en termes nobles respirant une hautaine déférence
pour ses lecteurs et souvent une onction qu'on eût pu
croire sincère, il cachait sous les fleurs d'une brillante
rhétorique la causticité de son esprit incisif 1 Auprès
de lui, Gouttes écrivait comme un lourdaud.
Lanneau s'était emparé du premier rôle politique :
Gouttes fut bien obligé de le lui laisser. S'eiïaçant,
il assista sans protester à la déprédation du patrimoine
de son Église et au pillage méthodique de tout ce que
la générosité et le goût avaient accumulé de trésors
dans les sanctuaires du diocèse. Pendant que Lanneau
trônait à la municipalité, au club, au comité révolu-
tionnaire et trouvait moyen de cumuler ces fonctions
avec celles de principal du collège, Gouttes parcourait
les campagnes et donnait la confirmation aux enfants
des paysans.
Au mois de novembre 1793, un vent d'anticléri-
calisme parcourut la France comme une tempête
furieuse : par ordre du comité révolutionnaire, les
prêtres devaient renoncer à leur titre pastoral, livrer
leurs lettres de prêtrise et répudier leur sacerdoce.
Lanneau conduisait ce mouvement : depuis près d'un
an, il s'était marié, et, en remettant ses papiers ec-
clésiastiques, il annonce que dans quelques jours il
va être père. Gouttes avait été profondément offensé
par ces scandales; il s'en était senti humilié dans sa
dignité sacerdotale, mais il n'avait pas eu le courage
de manifester son indignation. La loi autorisait le ma-
riage des prêtres; elle encourageait l'apostasie; en ser-
viteur aveugle de la loi, Gouttes en subissait les dispo-
sitions les plus odieuses.
Quelques jours plus tard, la cathédrale d'Autun
allait être dédiée au culte de la Raison; on organisait
des mascarades infâmes au cours desquelles Gouttes
savait qu'il serait invité à déposer ses insignes épisco-
paux et à abjurer sa foi. C'en était trop ! Cette fois, sa
conscience se souleva et, à la veille de la cérémonie
impie, il quitta la ville pour se réfugier dans une pro-
priété, propriété d'église, qu'il avait achetée pour en
faire sa maison de campagne. Ce fut son premier acte
de courage, et qui lui coûta la tète.
Les fureurs antireligieuses du début s'étaient
calmées; se faisant tout petit, Gouttes était rentré
à Autun et il avait pensé se faire bien venir en ofïrant
ses services au comité révolutionnaire qui l'employait
à écrire des lettres; le malheureux s'essayait à les
rédiger dans le style furibond qui était alors de
rigueur, mais sa bonne volonté ne désarma pas ceux
qui avaient juré sa perte.
La lettre et l'esprit de la loi ne permettaient pas
d'intenter des poursuites criminelles contre un prêtre
parce qu'il n'avait pas apostasie. Il fallut prendre un
détour : on se souvint que, le 9 avril 1793, au cours
d'une des tournées pastorales, l'évêque avait passé
une soirée au presbytère de Mont-Arroux (ci-devant :
Saint-Didier-sur-Arroux); dans l'abandon d'une con-
versation amicale, Gouttes avait rappelé les souvenirs
de sa carrière politique; il avait évoqué les grandes
journées révolutionnaires, raconté les luttes auxquelles
il avait été mêlé; il concluait en exprimant son admi-
ration pour les hommes de 89, pour la Constituante
où il avait travaillé à fonder la liberté. «Les Consti-
tuants valaient mieux que les membres de la Légis-
lative et surtout que ceux de la Convention 1 » Ces
réminiscences un peu chagrines étaient sans grande
portée : il se trouva pourtant parmi les convives
1531
GOUTTES — GOUVERNEMENT ECCLÉSIASTIQUE
1532
quelqu'un pour dénoncer Gouttes comme coupable
d'avoir s excité au mépris de la représentation natio-
nale. » On avait désormais un motif de le poursuivre
et, le 7 janvier 1794, il était incarcéré au couvent,
devenu prison, de la Visitation. Tous les convives du
fâcheux souper de Mont-Arroux furent arrêtés à leur
tour; ils étaient accusés de complicité par non-révé-
lation et le délateur lui-même fut poursuivi pour
dénonciation tardive !
Si amoindris que fussent les caractères sous le
régime de la Terreur, l'opinion se montra favorable
à l'évèque : Lanneau en convient; il constate « l'effer-
vescence, l'apitoyement que l'ex-grand-prètre incarcéré
occasionne dans le sexe dévot »; pour y mettre fin,
il ordonne de transférer le prisonnier à Mâcon, puis
à Paris. Le 10 mars, Gouttes entrait à la Conciergerie,
précédé d'une lettre où Lanneau le « recommandait »
à Fouquier-Tinville et concluait en disant : « J'espère
que l'exécution sera prompte. »
Ce fut en effet par un « tour de faveur » que la cause
fut appelée, le 26 mars, devant le tribunal révolu-
tionnaire; auprès de Gouttes étaient ses prétendus com-
plices. Ces prêtres constitutionnels avaient fait piètre
figure : tous avaient plus ou moins apostasie et cepen-
dant il s'en trouva deux qui eurent le cœur de défen-
dre leurévêque en rétablissant les faits et en montrant
le peu de portée des rêveries dont on avait mécham-
ment exagéré la gravité. Ces deux témoins furent
immédiatement inculpés pour avoir voulu soustraire
un coupable à la justice révolutionnaire et renvoyés
en prison; quant aux autres, ils étaient suffisamment
intimidés et ils répondirent ce qu'on voulut leur faire
dire.
Gouttes se défendit piteusement : « Mon arrestation
a eu pour cause mon refus de donner ma démission
d'évêque; je ne l'ai pas donnée, cette démission,
parce que j'aurais cru insulter le peuple en prévenant
son vœu, parce que lui seul m'ayant nommé, lui seul
pouvait me renvoyer; son opinion une fois co/.nue, tout
contrat cessait entre nous et il en eût été de moi comme
d'un valet renvoyé par son maître.. » Un valet ! J'étais
un valet ! Voilà la conception que ce fonctionnaire se fait
de l'épiscopat I En 1791, le corps électoral s'est mêlé
de singer l'opération de l'Esprit-Sainf en conférant
la juridiction à un individu dont il a cru faire un
évêque; il n'a fait qu'un valet ! En dépit de ses pro-
testations, Gouttes fut condamné à mort, et le soir
même du 26 mars, il était guillotiné.
On a prétendu que dans sa prison l'intrus avait été
visité par M. Émery et s'était réconcilié avec l'Église.
M. Émery énumère les prêtres qui ont recouru à son
ministère, mais Gouttes n'est pas de ce nombre.
Gouttes était un esprit faux, faussé par les paradoxes
philosophiques de son école. Sa vie était pure, son
cœur resta fermé à tout sentiment abject; sa per-
version résidait dans l'intelligence, mais son obstina-
lion était invincible. Il est à craindre qu'il ne soit mort
comme il avait vécu, en caressant sa chimère de
ramener « les beaux jours de la primitive Église. »
L'Église des constitutionnels n'a rappelé celle des
temps apostoliques que par la persécution qu'elle
suscita d'abord contre le clergé fidèle à Rome, mais
qui, se retournant contre elle, la fil misérablement
périr.
Œuvres de Gouttes, — Son Traité de l'intérêt de l'argent
a été publié sans nom d'auteur en 1780; la 2e édition, qui
est de 1782, est précédée d'une réponse aux critiques faites
à l'ouvrage. Barbier dit que ce traité n'est qu'une refonte
d'un livre paru sous le même titre et dont l'auteur serait
l'abbé Rullié. Il ajoute que Turgot collabora à l'œuvre de
Gouttes. — - Les travaux parlementaires de Gouttes sont
reproduits ou analysés dans le Moniteur et dans les Archives
parlementaires; on les trouvera en consultant les tables de
ces deux recueils. — Les mandements de Gouttes sont
énumérés et appréciés dans le livre de M. de Charmasse,
O.-L. Gouttes, évêque constitutionnel de Saône-cl-Loire, Au-
tan, 1898, qui a dépouillé et utilisé avec beaucoup de
soin tout ce qui avait paru à Autun et toutes les pièces
contenues aux archives de Maçon et d'Autun sur ce per-
sonnage.
Pour le procès de Gouttes, voir Archives nationales,
W, 340-623, et Bulletin du tribunal révolutionnaire, n. 9;
Pisani, Répertoire de l'épiscopat constitutionnel, Paris, 1907*
p. 317-320; Bliard, Jurcurs et insermentés, Paris, 1910;
Nouvelles ecclésiastiques, 1791, p. 127.
P. Pisani.
GOUVERNEMENT ECCLÉSIASTIQUE I. Pro-
position. II. Erreurs. III. Doctrine catholique.
I. Proposition. — 1° Comme nous l'établirons dans
cet article, le divin fondateur de l'Église n'a pas voulu
qu'elle fût une république, ni une oligarchie ou aris-
tocratie; mais il lui a donné un gouvernement essen-
tiellement monarchique. Les théologiens s'attachent
donc à démontrer la sagesse de ce choix, car il est hors
de doute que le Fils de Dieu a pu et a voulu gouverner
son Église, par celui des moyens qui est le meilleur et
le plus fructueux.
La concentration du pouvoir suprême dans les mains
d'un seul, disent-ils, est une garantie d'ordre, d'unité,
et, par suite, de force et de stabilité. La pluralité des
chefs, au contraire, ne peut engendrer que le désordre,
la confusion, la division, la faiblesse et l'instabilité. La
chose est si évidente qu'elle fut admise par toute l'an-
tiquité, aussi bien chez les Grecs et les Latins que chez
les Hébreux. Les philosophes, les orateurs, les histo-
riens et les poètes même n'ont qu'une voix pour le pro-
clamer. On connait le vers célèbre d'Homère, formulant
cet aphorisme : où* àyaOov rcoXuzotpavÎT] : eîc zoioxvo;
ïatto, etç paaiXtue, I. VII, c. n. Cf. Platon, Polit. ;
Aristote, Ethic, 1. VIII, c. x; Polit., I. III; Senèque, De
beneftciis, I. II; Plutarque, De monarchia ; Isocrate, A/i-
coclcs; Stobée, Florilegium, 45. Dans ce chapitre, cet
écrivain cite à l'appui de son sentiment de nombreux
passages d'auteurs anciens, entre autres, d'Hésiode,
d'Euripide, etc., qui tous concourent à confirmer
la vérité de la thèse qu'il a entrepris de défendre, et
qu'il résume dans le titre, dont il fait comme un
axiome : '6t. xâXXiorov îj u.ovapyta.
Tel fut aussi l'enseignement de l'antiquité chrétienne
Il nous suffira de citer parmi les Pères grecs : saint Justin;
Cohortalio ad Grœcos : la monarchie, dit-il, est une ga-
rantie plus grande contre la discorde et les divisions,
P. G., t. vi, col. 241; saint Athanase, Contra génies,
c. xxxvm : De même que la multitude des dieux con-
duit à l'athéisme, ainsi la multitude des princes conduit
à l'anarchie, et quand, dès lors, il n'y a plus de chef, se
produisent la confusion, les perturbations et la ruine de
la société. P. G., t. xxv, col. 75.
Les Pères latins parlent de même. Saint Cyprien, De
idolorum vanitate, c. vm, démontre, par l'unité de Dieu
gouvernant le monde, que la monarchie est le meilleur
et le plus naturel des gouvernements : Ad divinum im-
perium cliam de terris mutuemur exemplum. Quomodo
unquam regni societas, aut cum fuie ecepit, aul sine cruorc
desiil ? P. L., t. iv, coi. 576. Saint Jérôme, Episl. ad
Ruslicum monaehum, c. xv : Unus impcralor ; judex
iinus. Huma, ut condila est, simul habere duos fralres
reges non poluil. P. L., t. xxn, col. 1080.
Aux Pères font écho les théologiens. Cf. S. Thomas,
Contra génies, 1. IV, c. lxxvi, n. 3-4; Sum. theol., I»
II"', q. cm, a. 3; Suarez, De legibus, I. III, c. iv, n. 1,
Opéra omnia, 28 in-4°, Paris, 1856-1878, t. v, p. 184;
Bellarmin, Conlrov. gencralis, De summo ponlifice, 1. I,
c. i, Opéra omnia, 8 in-4°, Naples, 1872, t. i, p. 311;
Mazzella, De religione et Ecclesia, disp. III, a. 8, § 2,
in-8°, Rome, 1885, p. 438; Billot, De Ecclesia Christi,
part. II, c m, q. xm, § 1, in-8°, Rome, 1903, p. 528 sq.
1533
GOUVERNEMENT EGGLÉSI ASTIQUE
Les mêmes auteurs font remarquer avec raison que si
l'oligarchie est déjà une cause de ruine, puisque la plu-
ralité des chefs engendre la division, et que, selon le
mot du Sauveur, omne regnum in seipsum divisum deso-
labitur, Luc, xi, 17; Matth., xn, 25; la démocratie, qui
plus encore multiplie le nombre des chefs, divise la
société davantage, et l'expose aux pires dangers. En
outre, un monarque, de qui dépend tout un royaume,
que, dans son ensemble, il est porté à considérer comme
sien, recherchera et procurera plus le bien de la société
entière, que ne le fera une réunion de chefs, plus ou
moins nombreux, dont chacun croira devoir s'occuper
plus spécialement de la province, de la circonscription,
ou de la ville dont il est chargé, et mettra au second
plan, et peut-être au dernier rang de ses soucis, le ;
questions d'intérêt général. A fortiori, si la multitude
commande, comme cela est dans le régime démocra-
tique : alors, chaque individu, l'expérience ne le dé-
montre que trop, cherchera avant tout son avantage
personnel, ou celui de ses amis et de ses proches, sans
s'inquiéter beaucoup du reste, si tant est qu'il s'en
inquiète.
2° La monarchie, cependant, est de plusieurs sortes.
Elle est simple, ou mixte et tempérée, suivant que le
monarque a ou n'a pas la plénitude de la puissance
suprême, soit législative, soit judiciaire, soit executive,
indépendamment de tout autre individu ou assemblée.
Il est évident que si, en théorie, le gouvernement
d'un seul est chose préférable dans l'intérêt général de
la communauté, et pour les raisons alléguées plus haut
néanmoins, en pratique, vu la corruption de la nature
humaine, ou même son infirmité native, des inconvé-
nients graves et nombreux peuvent en résulter. N'est-
il pas à craindre que le pouvoir suprême ainsi concen-
tré dans les mains d'un seul, dont les caprices ne ren-
contreront aucun obstacle, ne dégénère en tyrannie,
en égoïsme démesuré, et, par conséquent, n'entraîne de
très graves dommages pour le corps social ? A cette
omnipotence, ne faut-il pas un contrepoids ? Où le
trouver, si ce n'est dans l'aristocratie et la démocratie,
quoique à des degrés divers ? Il semblerait donc oppor-
tun de donner à l'une ou à l'autre, ou peut-être à l'une
et à l'autre, un rôle à jouer dans le gouvernement de la
société. Ce serait, en un certain sens, limiter l'autorité
du monarque; mais ce serait, tout en conservant les
avantages de la monarchie, poser une salutaire barrière
devant elle, pour l'empêcher de tomber dans de regret-
tables excès, et de conduire le royaume aux abîmes.
En quoi consisterait ce rôle concédé à l'aristocratie et
à la démocratie ? Cela dépend, en principe, des cir-
constances et des milieux; mais on pourrait, par exem-
ple, tout en laissant au monarque le rôle prépondérant,
demander pour la confection des lois, ou du moins,
de quelques-unes, les plus importantes, le consente-
ment des citoyens les plus haut placés, et celui des
délégués du peuple. Par cette division des pouvoirs, il
ne resterait plus au monarque que la plénitude du
pouvoir exécutif. Ce serait bien pour lui une diminution
d'autorité — un tempérament ; — - mais aussi une néces-
sité pour l'intérêt de tous. Cf. Suarcz, Defensio fldei
calholicee adversus anglic. secl. errores, 1. III, c. ni, n. 3,
Opéra omnia, t. xxiv, p. 213. Nos itaque B. Thomam
aliosque theologos catholicos scquuti, ex tribus simpli-
cibus formis gubernationis, monarchiam cœteris ante-
ponimus, quamquam propler naturœ humetnœ corru-
ptionem, utiliorem censemus hominibus hoc tempore
monarchiam lemperatam ex aristocratie! et dimocralia
quam simpliciter monarchiam : modo tamen primœ par-
tes monarchise sinl, secundas habeal arislocratia, pos-
tremo loco sil dimocralia. Bellarmin, op. cit., t. i, p. 311.
Si, cependant, il existait une monarchie dans la-
quelle, en vertu de l'assistance divine, le prince ne
pourrait abuser de sa puissance, cette diminution d'au-
torité ne paraîtrait nullement nécessaire, ni même con-
venable, et la monarchie retiendrait, alors, en pratique,
toute sa perfection intrinsèque et ses avantages, tels
qu'elle les a en théorie.
3° On divise la monarchie en absolue et non absolue.
Quoique cette dernière semble, au premier abord, se
confondre avec la précédente, elle en diffère, néan-
moins, sensiblement. Toute monarchie absolue, en
effet, est une monarchie dans le sens strict du mot;
mais non réciproquement. Le mot absolue implique
quelque chose de plus que la monarchie simple ou
pure : c'est-à-dire l'exclusion de tout autre cogouver-
nement, même subordonné, comme le serait, par exem-
ple, celui de princes inférieurs, qui. sous la suzeraineté
du monarque suprême, gouverneraient des provinces,
des circonscriptions, ou des villes, par une autorité qui
leur serait propre et ordinaire. Dans la monarchie
absolue, le monarque a non seulement l'autorité su-
prême, mais totale, et tous ceux qui gouvernent, sous
lui, des étendues de territoire plus ou moins considéra-
bles, ne sont que ses délégués, ses commissaires, ou ses
représentants, en un mot, ses vicaires qu'il peu1',
révoquer à volonté. Cf. Palmieri, De romano ponlifice,
part. II, c. i, a. 1, thés, xvm, in-3°, Rome, 1377,
p. 437 sq.
Cette plénitude de puissance dans la monarchie pure,
ou non tempérée par les limites dont nous avons énu-
méré quelques-unes, n'implique pas, cependant, chez
le monarque, le pouvoir de faire dans le royaume tout
ce qu'il veut, au point de changer même la constitution
du pays. Si, par exemple, la constitution statuait que,
sous l'autorité pleine et complètement indépendante
du chef suprême, existât une hiérarchie dont les mem-
bres, quoique nommés par le chef lui-même, auraient
la charge d'administrer certaines parties de territoire
avec une autorité qui leur serait propre et ordinaire,
cette clause ne pourrait être détruite par le monarque.
La monarchie n'en resterait pas moins vraie monarchie,
quoique non absolue. Elle ne serait pas, en effet, une
monarchie tempérée par l'aristocratie, mais plutôt une
monarchie pure unie à l'aristocratie : monarchie, car
elle en aurait le décorum, la souveraine indépendance,
la prééminence et la stabilité; mais unie à l'aristocratie,
pour éviter l'inconvénient qui est le plus à redouter
dans une monarchie absolue : une centralisation exa-
gérée qui enlève à chaque province ou à chaque ville
son caractère propre, rend impossible toute initiative
individuelle, et détruit presque entièrement l'activité
régionale, en s'opposant à la diffusion égale de la vie
dans tous les organismes du corps social. Avec de véri-
tables princes à la tête des provinces, chacune de celles-
ci, quoique toujours dépendante du pouvoir suprême,
conserve son caractère spécial, et, pour ainsi dire, sa
personnalité, de sorte que, sans détriment pour l'unité
de l'ensemble, chaque province devient également un
centre de vie qui rayonne dans toutes les directions.
4° C'est cette forme de gouvernement que le Christ
a donnée à son Église : monarchie, non pas absolue, ni
tempérée par une aristocratie, mais unie à une aristo-
cratie, puisque, comme nous le rappellerons plus bas,
les évêques ne sont pas de simples vicaires du pape,
mais de vrais princes de l'Église, avec puissance propre
et ordinaire. En outre, non seulement la monarchie
ecclésiastique est unie à l'aristocratie, mais aussi, en
un certain sens, à la démocratie, puisque le suprême
monarque et les autres princes de la hiérarchie sacrée
n'obtiennent pas leur charge et leurs dignités par un
héritage qui en fasse comme l'apanage de certaines
familles privilégiées, mais par une élection qui n'exclut
de ces dignités aucune classe de citoyens. Cf. Pesch,
Prœlectiones dogmalicœ, De Ecclesia Christi, part. II,
sect. n, prop. 34, schol. i, n. 376, 9 in-8°, Fribourg-en-
Brisgau, 1897-1903, t. i, p. 235.
L535
GOUVERNEMENT ECCLÉSIASTIQUE
1536
Assurément, dit Bellarmin, c'est la meilleure forme
de gouvernement qu'on puisse souhaiter, et qui puisse
exister dans ce monde pervers ; c'est, en même temps,
la plus agréable et la plus utile, car tous s'attachent
davantage à une forme de gouvernement à laquelle
ils peuvent participer; optima, cl in hac mortali vita
maxime expetenda;... et prseterea in hac vita gralior cl
utilior. Bona quidem monarchise in hac inesse, pla-
num est... juluram aulem in omnibus yraliorem ex eo
perspici polcst, quod omnes illud genus regiminis magis
amant cujus participes esse possunl : quale sine dubio
est hoc nostrum. De romano pontifice, 1. I. c. m, Opéra
omnia,t. i, p. 31G. Cf. S. Thomas, Sum. theol., V II'',
q. cv, a. 1.
5° De quel nom spécial faudrait-il appeler cette mo-
narchie, qui, quoique vraie monarchie, n'est ni ahsolue,
ni tempérée, au sens strict du mot ? Il faudrait un mot
spécial qui n'existe pas : nescio utruni unquam istud
nomen inventum sit, seu etiam possil aliquando inveniri.
Card. Billot, De Ecclesia Chrisli, part. II, c. m, q. xm,
S 2. p. 535. Elle constitue, en effet, une monarchie tout
à fait sui generis, à laquelle on pourrait appliquer, non
sans raison, la parole liturgique, nec primàm sihilem
\ /> i EST nec habere sequentem. Billot, toc. cit.; Mazzella,
De rcligionc cl Ecclesia, disp. III, a. 8, n. 535, p. 426.
Cette considération préliminaire suffirait déjà, à elle
seule, à montrer dans quelles graves erreurs sont tom-
bés tous ceux qui ont imaginé que l'Église fût bâtie
sur le modèle des gouvernements humains, qu'ils
fussent monarchiques, aristocratiques ou démocrati-
ques, tempérés ou non. Cf. Wilmers, De Chrisli Eccle-
sia, Proleg., a. 3, in-8°, Batisbonne, 1897, p. 17 sq.
II. Erreurs. — 1° Erreurs de ceux qui voudraient
jaire du gouvernement ecclésiastique une sorte de mo-
narchie bicéphale. — Les premiers qui paraissent avoir
sérieusement combattu la forme monarchique du gou-
vernement ecclésiastique sont les grecs. Cette préten-
tion se fit jour peu après l'ère des persécutions, dès que,
avec la paix rendue à l'Église, des avantages temporels
commencèrent à entourer les dépositaires du pouvoir
spirituel. Ils voulurent la traduire en loi reconnue
par toute la catholicité, au IIe concile œcuménique,
Ier de Constantinople, en 381. Non seulement ils s'effor-
cèrent de placer au-dessus de toutes les Églises d'O-
rient celle de Constantinople qui, auparavant, n'était
pas même patriarcale, étant un simple suffragant de
l'exarque d'Héraclée, en Thrace; mais ils affirmèrent
qu'elle est l'égale de Borne, et n'est inférieure à celle-ci
que par l'ancienneté. Quant aux privilèges, elle les
possède à un titre égal, par la raison qu'elle est la
seconde Borne, oià to sivai aûirjv vÉav 'Pwjaïiv, motion
et motif qu'ils insérèrent frauduleusement dans le
troisième canon de ce concile. Cf. Mansi, Concil., t. m,
col. 578. On voit sans peine toute la portée de ce simple
membre de phrase. C'était proclamer que l'Église de
l'ancienne Borne jouit de son privilège d'être la mère
et maîtresse des Églises de l'univers entier, non de
par la volonté de Dieu manifestée par l'apôtre saint
Pierre qui voulut y établir son siège, mais par une
raison d'ordre purement politique, presque par simple
hasard : la majesté de la ville elle-même, siège de la
résidence impériale, du sénat et des grandes institutions
de l'empire. Donc, comme cela était possible et comme
les grecs en voyaient déjà le prélude dans les événe-
ments d'alors, si les révolutions humaines enlevaient
un jour à l'ancienne Borne sa prééminence politique,
et la faisaient descendre, sous ce rapport, au-dessous
de Constantinople qui marchait ostensiblement vers
un accroissement de splendeur, tandis que Borne dé-
clinait visiblement, l'Église de l'ancienne Borne suivrait
cette marche descendante par rapport à celle de Con-
stantinople, la Borne nouvelle, qui s'élèverait d'autant.
La monarchie ecclésiastique avait donc, à ce moment,
deux têtes : l'une dans l'ancienne Borne, et l'autre dans
li Borne nouvelle. A l'avenir, si elle n'en avait qu'une
seule, ce serait évidemment celle de Constantinople,
appelée à supplanter complètement sa rivale.
On sera moins surpris de cette ambition exorbitante,
si l'on se rappelle que les grecs avaient une tendance
très prononcée à classer les évêchés d'après l'impor-
tance politique des villes qui en étaient le siège, et à
calquer la division des provinces ecclésiastiques sur
les divisions des provinces civiles. Ils en avaient fait
déjà comme une règle, quarante ans auparavant, par
le 9e canon du concile d'Antioche, en 341. Cf. Mansi,
t. il, col. 1039. Nous les verrons, plus tard, insister
encore sur ce point, et persister à ne pas vouloir s'écarter
de ce principe, dans les 12e et 17e canons du IVe concile
œcuménique de Chalcédoine. Cf. Mansi, t. vu, col. 362;
Maassen, Der Primat des Bischofs von Rom und die
altcn Patriarcalkirchen, in-8°, Bonn, 1853, p. 3.
L'authenticité de ce 3e canon du IIe concile général
de Constantinople a été niée par Baronius, Annal,
cccles., a. 381, n. 35, 36, 12 in-fol., Borne, 1593-1607,
t. îv, p. 342 sq. ; mais il figure dans les anciennes collec-
tions de Socrate, H. E., 1. V, c. vm, P. G., t. lxvii,
col. 576, et de Sozomène, H. E., 1. VII, c. ix, ibid., col.
1436.
Au sens littéral, ce 3e canon n'accorde, cependant, à
l'évcque de Constantinople qu'une prééminence d'hon-
neur, TTûsayjsïa -7J; tijxtjç; mais les grecs l'entendirent
autrement et y virent une primauté égale, sous tous
rapports, à celle du pape. Cf. Mansi, t. vi, col. 607. Les
légats du pape saint Léon le Grand, au concile œcumé-
nique de Chalcédoine, en 451, le désavouèrent dans la
session xvi", Mansi, t. vu, col. 442; Hardouin, Colle-
clio conciliorum, t. n, col. 635 sq., et le pape le dénonça
comme le fait d'un petit nombre d'évèques, quorum-
dam episcoporum conscriptio, fait qu'on n'avait jamais
porté officiellement à la connaissance du Siège aposto-
lique, ni soumis à son approbation, comme cela était
nécessaire. Episl., evi, n. 2-5, P. L., t. liv, col. 997 sq..
1003, 1005, 1007; Mansi, t. vi, col. 204. Cf. S. Grégoire
le Grand, Epist., 1. VII, epist. xxxiv, P. L.,t.Lxxvn, col.
892 sq. Néanmoins, ce 3e canon fut, dans la suite, inséré
dans le Décret de Gratien, part. I, dist. XXII, c. 3,
mais avec cette rectification des censeurs romains :
Canon hic ex iis est quos apostolica romana Scdes a prin-
cipio et longo posl lempore non recepil... idque tandem,
pacis ac tranquilliiatis causa fuit Mis concessus, en
bien spécifiant, toutefois, qu'il ne s'agissait que d'une
primauté d'honneur. Cf. Mansi, t. xvi, col. 174; t. xxn,
col. 991; Hardouin, t. vu, col. 24 sq.; Denzinger, En-
chiridion, n. 362.
Ces tendances schismatiques des grecs et leur habi-
tude de s'appuyer sur le bras séculier leur étaient trop
naturelles et trop profondément enracinées dans
l'esprit pour que les désaveux venus de Borne pussent
les en détourner. Ils persévérèrent dans ces errements,
après le concile de Constantinople, mais en les accen-
tuant de plus en plus. Cf. Socrate, H. E., 1. VII,
c. xxvm, xlviii, P. G., t. lxvii, col. 801, 840; Théo-
doret, H. E., 1. V, c. xxvn, P. G., t. lxxxvi, col. 1256;
Tillemont, Mémoires pour servir à l'histoire ecclésias-
tique des six premiers siècles, 16 in-4°, Paris, 1693-1712,
t. xv, p. 700 sq.
Au IVe concile œcuménique de Chalcédoine, en 451,
les grecs, vers la fin, profitèrent de l'absence des légats
du Saint-Siège, pour définir, sous l'influence de la cour
de Byzance, dans la xv° session, can. 28, que l'évo-
que de Constantinople, quoique le second par rang
d'ancienneté après le pape de l'Église universelle, a
cependant les mêmes privilèges que lui. Us revenaient
ainsi sur le 3e canon du concile précédent, mais en le
précisant davantage. Cf. Mansi, t. vu, col. 246, 443 sq.,
452 sq. ; Hardouin, Collcctio conciliorum, t. u, col. 626,
1537
GOUVERNEMENT ECCLÉSIASTIQUE
1538
638, 642. Ils ne craignirent pas d'y affirmer hautement
cette énormité, qu'ils n'avaient osé qu'insinuer au con-
cile de Constantinople, à savoir : que les Parcs ont
accordé au siège de l'ancienne Rome les privilèges de
la primauté, parce que cette ville était la ville impé-
riale : Kaî yào Ttii Oprjvo) -fj; ^psaSuispa; 'Pwjatjç, oià to
BaaiXeûeiv tt)v zôXw èy.eivr[v, oî -n-épi; àr.rjùiOiMavi.
Ta -oîjSîix. Il était donc logique que, pour le même
motif, la nouvelle Rome, honorée par la résidence de
l'empereur, du sénat et des grands dignitaires de l'em-
pire, et jouissant des mêmes privilèges politiques que
l'ancienne ville impériale, reçût les mêmes avantages
dans l'ordre ecclésiastique. Ainsi ce n'est pas à saint
Pierre qu'ils attribuaient d'avoir placé le siège du sou-
verain pontificat dans la ville de Rome, mais aux Pères.
Lesquels ? ils ne le disaient pas. Or, ou bien ces
Pères étaient considérés en cela comme les témoins de
la tradition apostolique et divine et, alors, on ne pou-
vait étendre à Constantinople les privilèges spirituels
qu'ils reconnaissaient à l'ancienne Rome; ou bien, ils
avaient agi par eux-mêmes, de leur propre autorité,
par un consentement commun; mais alors, avant qu'ils
eussent attribué à Rome les privilèges de la primauté,
elle ne les aurait pas eus. Où donc, avant cette con-
cession des Pères, résidait le chef de l'Église, d'après
les grecs ? Était-elle acéphale ? Fut-elle une république
avant de devenir une monarchie ? Et si les Pères, dont
il est ici question, furent les apôtres eux-mêmes, il est
impossible de s'appuyer sur leur autorité pour formuler
quelque chose de semblable à l'égard de Constantinople
dont l'Église n'est pas de fondation apostolique, vérité
historique tellement certaine à l'époque du concile de
Chalcédoine, que les grecs pour soutenir leur prétention
n'osèrent pas invoquer le fait de la présence d'un apô-
tre à Byzance, au Ier siècle de l'ère chrétienne, mais
seulement celui de la présence de l'empereur, depuis
Constantin, c'est-à-dire trois siècles plus tard. Affirmer
aussi catégoriquement que Rome est redevable de sa
situation ecclésiastique à son caractère de capitale de
l'empire, c'est se mettre en contradiction avec la vérité
historique. On ne trouve, dans les écrits des apôtres,
rien qui justifie cette manière de voir. La tradition
aussi est muette sur ce point, et le Ier concile géné-
ral, celui de Nicée, en 325, n'a pas donné les préroga-
tives de la primauté au siège de Rome, mais déclare,
dans son 6e canon, qu'il a trouvé déjà établie, durant
les siècles précédents, cette situation privilégiée de la
ville de Rome. Cf. Mansi, t. n, col. 668, 687, 955, 1127;
Hardouin, 1. 1, col. 325, 463, 919; Maassen, Der Primai
des Bischofs von Rom..., p. 71, 76 sq., 90-95, 140.
Ce sentiment des grecs que !e rang d'un évêque dans
la hiérarchie sacrée devait être fixé, selon l'importance,
au point de vue civil, de la ville où est son siège, fut
réprouvé par le pape saint Léon le Grand, auquel il
appartenait d'approuver les canons du concile de Chal-
cédoine. Dans sa lettre, il fit remarquer la profonde
différence qui existe entre ce qui est du monde et ce
qui est de Dieu : alia ratio est rerum sœcularium, alia
diuinarum. Il rappelle nettement que ce qui assure à
une ville un rang élevé dans la hiérarchie ecclésiastique
n'est pas la présence d'un prince séculier, mais l'origine
apostolique d'une Église, sa fondation par les apôtres,
et le rang dans lequel eux-mêmes ont voulu l'établir.
Episl., civ, n. 3, P. L., t. liv, col. 995. Or, dit le même
pape à l'empereur Marcien, l'évêque de Constantinople
ne peut pas faire que cette ville, résidence impériale,
soit de fondation apostolique : regiam civilalem apo-
stolicam non polesl lacère sedem. Epist., cv. Cf. Mansi,
t. vi, col. 187 sq.; Epist., evi, n. 2, P. I -, t liv, col.
1003.
Il est certain que les apôtres avaient fondé des églises
de préférence dans les villes les plus considérables, afin
qu'elles constituassent comme des centres, d'où le chris-
tianisme pourrait plus facilement rayonner. C'est ainsi
qu'il arriva que, de fait, les métropoles ecclésiastiques
furent, d'ordinaire, établies dans les métropoles civiles ;
mais il n'y avait là qu'une concomitance et nullement
une relation de cause à effet. Ces sièges épiscopaux
furent donc des métropoles ecclésiastiques, non parce
qu'ils se trouvaient dans des villes importantes, mais
parce que les apôtres, pour des raisons d'utilité, les
avaient placés là. C'est ce que note avec soin saint Cy-
prien, dans une de ses lettres rapportée par Mansi, t. m,
col. 40 : Roma est Ecclesia principalis, quia est cathedra
Pétri. Le concile de Sardique s'exprime de même : Ad
capul, id est ad sedem Pétri, de singulis quibusque pro-
vinciis Domini référant sacerdoles. Hardouin, Collectio
conciliorum, t. i, col. 653. Saint Augustin, en divers
endroits, rappelle la même vérité. Contra lilleras Peli-
liani, c. li, P. L.,t. xliii, col. 300; Epist., clxii, n. 7,
P. L., t. xxxm, col. 707. Le pape Pelage Ier, dans sa
lettre Ad episcopos Tusciee, en 556, expose, à son tour,
le même principe. Cf. Mansi, t. ix, col. 716.
Cependant le 28e canon du IV0 concile de Chalcé-
doine, ainsi subrepticement voté, avait provoqué une
dernière session, la xvie. Mansi, t. vu, col. 423-454;
Hardouin, t. n, col. 623-644. Les légats du Saint-Siège
y protestèrent contre ce qui avait été tramé en leur
absence. Néanmoins, sous la pression des commissaires
impériaux, ce 28e canon qui portait si gravement atteinte
aux droits inaliénables de la chaire de saint Pierre, fut
maintenu par le servilisme des évêques grecs encore
présents; plusieurs, en effet, étaient déjà partis. Le
pape saint Léon le Grand, par lequel on chercha à le
faire confirmer, non seulement ne l'approuva pas,
mais le rejeta formellement, et le cassa, en vertu de
l'autorité du prince des apôtres, comme il le dit dans sa
lettre à l'empereur Marcien citée plus haut, dans celle
à l'impératrice Pulchérie, dans celles à l'évêque de
Constantinople lui-même et à plusieurs autres évêques
d'Orient. Cf. Mansi, t. vi, col. 195 sq., 198 sq., 207, 220,
234 sq.
L'absence des légats du pape et le refus de confir-
mation de la part du souverain pontife furent la cause
que ce 28e canon fut considéré comme non avenu, et
manque dans beaucoup de manuscrits des procès-
verbaux des sessions du concile de Chalcédoine, soit
latins, soit même grecs, soit arabes. Ils ne renfer-
ment que les 27 premiers canons. Cf. Mansi, t. vi,
col. 1169; t. vu, col. 370, 380, 400; Hergenrôther, Pho-
lius Patriarch von Conslanlinopcl, 3 in-80, Ratisbonne,
1867-1869, t. i, p. 74 sq.
Malgré ces protestations de saint Léon le Grand,
ainsi que celles de plusieurs de ses successeurs, les
papes Simplicius, Félix III et saint Gélase, les évêques
de Constantinople, soutenus par les empereurs, ne
cessèrent d'exercer les prétendus droits que leur con-
férait ce 28e canon. Ils allèrent même plus loin dans
leurs visées ambitieuses. Au temps du pape Pelage II
et de son successeur saint Grégoire le Grand, à la fin
du vie siècle et au commencement du vne, ils s'attri-
buèrent le titre de patriarche œcuménique, non dans
un sens restreint, comme on le trouve parfois déjà
dans les manuscrits antérieurs, mais en étendant la por-
tée de cette expression, au point qu'elle signifiait pa-
triarche de l'Église universelle, de même que les con-
ciles œcuméniques représentent la totalité des évêques
du monde entier. Leur prétention effrénée força le
pape saint Grégoire le Grand à écrire, à intervalles
rapprochés, de nombreuses lettres sur ce sujet, soit à
Jean, évêque de Constantinople, soit à l'empereur
Marcien, soit à l'impératrice Constance et aux autres
métropolitains de l'Orient. Cf. P. L., t. lxxvii,
col. 758, 962, 995, 1047, etc.
Pour réprimer cette ambition démesurée de l'évêque
de Constantinople, saint Grégoire le Grand refusa ce
DICT. DE THÉOL. CAI'HOL.
VI. - 19
1 :.:i!i
GOUVERNEMENT ECCLÉSIASTIQUE
1540
titre pour lui-même, quoiqu'il y eût droit, et ne con-
sentit à porter que celui de serviteur des serviteurs de
Dieu, titre qu'il légua à ses sucesseurs sur la chaire de
saint Pierre. Cf. Mansi, t. ix, col. 1210, 1214, 1217;
Ilardouin, t. vi, col. 932; Palmieri, De romano ponli-
fice, part. II, c. i, a. 1, thés, xix, p. 446-453.
Les évêques de Constantinople n'en continuèrent pas
moins à garder le titre prétentieux de patriarche
œcuménique. Puis, ils en vinrent à cet excès d'aberra-
tion de considérer Févêque de cette ville, non seule-
ment comme l'égal du pape, mais comme son supérieur,
ou plutôt le seul pape, lorsque, Constantinople conti-
nuant à être la résidence impériale, l'ancienne Rome
fut tombée aux mains des barbares, ou de ceux que les
grecs persistèrent à appeler dédaigneusement de ce
nom. Ils en voulaient à ce monde barbare qui, en
s'arrachant à la domination des empereurs, reconnut,
dès qu'il se fit catholique, la primauté des successeurs
de saint Pierre. Les conséquences de cet état d'esprit
furent une série de schismes temporaires, qui, en der-
nière analyse, aboutirent au schisme définitif, con-
sommé dans le milieu du xie siècle.
2° Erreurs de ceux qui voudraient faire du gouverne-
ment ecclésiastique une monarchie tempérée d'aristocratie.
— On voit ce sentiment paraître au grand jour, pour la
première fois, à la fin du xe siècle, en quelques cas
isolés, cependant, et qui n'eurent pas de suites immé-
diates. Ce furent, par exemple, en 991, les pages véhé-
mentes d'Arnould, évoque d'Orléans, contre ce qu'il ap-
pelait les prétentions pontificales. Cf. P. L., t. cxxxix,
col. 287-338. Gerbert, le futur Sylvestre II, partagea
aussi, quelque temps, ces idées. Cf. P. L., t. cxxxix,
col. 289. Mais, pendant les trois siècles subséquents, tous
les auteurs, théologiens ou canonistes, reconnaissent
encore, sans la moindre restriction, la forme pleine-
ment monarchique du gouvernement ecclésiastique.
Au commencement du xivc siècle seulement reparut
l'opinion que cette monarchie doit être, en vertu même
de son institution, tempérée par l'aristocratie épisco-
pale. Ces doctrines erronées sont clairement et longue-
ment exposées dans le principal ouvrage de Guillaume
Durand le Jeune, évêque de Mende, qu'il ne faut pas
confondre avec son oncle paternel, Guillaume Durand
l'Ancien, qui le précéda sur le siège épiscopal de cette
ville. Celui-ci, mort en 1296, avait professé ouverte-
ment, comme les grands théologiens de son époque,
entre autres saint Thomas et saint Bonaventure, la
thèse catholique de la monarchie pontificale. Dans son
célèbre Ralionale divinorum ofjiciorum, 1. II, De per-
sonis, c. i, n. 17, il avait dit : Sicut oslium cardine
regiiur, sic illias (papœ) auctoritale omnes Ecclesise
rcgunlur... Papa, id est, paler palrum... caput est om-
nium ponti/icum. a quo illi lanquam a capile membra
descendant, et de cujus pleniludine omnes accipiunt,
quos vocal in parlcm solliciludinis, non in plenitudincm
potestalis. Son neveu écrivit, en 1307, comme prépara-
tion au concile œcuménique de Vienne le Traciatus de
modo concilii generalis celebrandi, et corruptelis in
Ecclesia reformandis. Il ne se contente pas d'y dé-
peindre en couleurs extrêmement sombres les désor-
dres dont soufirait l'Église; mais il propose le remède
à tant de maux. D'après lui, on n'en saurait trouver
d'autre que celui d'un remaniement profond du gou-
vernement ecclésiastique, par une forte limitation ap-
portée au pouvoir du pape, et une large extension
accordée à celui des évêques, successeurs légitimes des
apôtres, qu'il s'attache à montrer en tout égaux à saint
Pierre : qui parem cum Petro honorcm et poteslatem
accepcrunl a Deo, part. III, tit. xxxvn. Les évêques,
dit-il, doivent être pratiquement, comme ils le sont
de droilt divin, maîtres absolus dans leur diocèse. En
outre, ils doivent participer effectivement au gouverne-
ment de l'Église universelle, et, pour cela, se réunir
tous les dix ans, en conciles généraux, souverains dans
leurs attributions, et dont le pape sera chargé de faire
observer les décrets.
C'est bien là, à n'en pas douter, le concept d'une
monarchie tempérée d'aristocratie. Le pape n'a plus
que le pouvoir exécutif. Le pouvoir législatif lui
échappe, et, comme tous les autres chrétiens, il est
soumis aux lois portées par l'épiscopat.
Cette doctrine n'eut aucun succès au concile de
Vienne, 1311-1312. Elle provoqua, au contraire, des
protestations nombreuses et l'affirmation réitérée que
le pape a pleine autorité sur l'Église entière, dispersée
ou réunie, et qu'il a juridiction immédiate et ordinaire
sur tous les chrétiens.
Mais les choses se passèrent autrement, un siècle
plus tard, au concile de Constance, réuni pour mettre
fin au grand schisme d'Occident. En face de cette
situation douloureuse et si profondément troublée de
l'Église partagée en deux, puis trois obédiences; à la
vue de trois pontifes se disputant la tiare, et s'excom-
muniant publiquement les uns les autres, les esprits
s'étaient agités, et l'on se demandait de toutes parts
quel était le meilleur moyen de remédier à un mal si
funeste, dont les conséquences étaient si déplorables.
Dès 1381, Pierre d'Ailly, professeur de théologie à l'uni-
versité de Paris, avait proclamé, dans un discours so-
lennel prononcé devant une assemblée nombreuse,
qu'il n'y en avait pas d'autre que la convocation d'un
concile général. Mais le concile général ne pouvait
atteindre ce but si désirable, qu'à la condition d'être
supérieur au pape et de pouvoir lui imposer son auto-
rité. L'orateur ne recula pas devant cette proposition.
Il la développa longuement, l'étayant de toutes les
preuves possibles, affirmant que le Christ ayant fait
son Église immortelle avait dû lui donner la puissance
de sortir d'un tel abîme. Donc, le concile général tenait
sa juridiction immédiatement du Christ, et avait plein
pouvoir pour légiférer et juger, tandis que le pape
n'était que le ministre du concile et l'exécuteur de ses
décrets. Si le pape venait à faillir dans la foi et à
s'écarter de la voie droite, le concile, son supérieur,
pouvait juger sa doctrine aussi bien que sa conduite,
le condamner et même le déposer, si le coupable persé-
vérait dans ses errements, scandalisait l'Église et
devenait un danger pour elle, au lieu de l'édifier, de
la soutenir et d'étendre son action sur les âmes. Voir
Ailly (Pierre d'), 1. 1, col. 647 sq.
Dans ces hardiesses de langage se reflètent les pen-
sées et les préoccupations d'un grand nombre des con-
temporains de l'orateur, et non des moins haut placés.
Professeurs de théologie, docteurs des universités, pré-
lats, abbés mitres, évêques et cardinaux même abon-
daient dans ce sens. Leur excuse est leur vif désir de
sortir de la situation inextricable dans laquelle on
se trouvait. Plusieurs même étaient plus radicaux
encore dans leur manière de concevoir l'essence du
gouvernement ecclésiastique, afin de découvrir dans
sa constitution le pouvoir qu'il avait de se réformer
lui-même. Un des plus illustres élèves de Pierre d'Ailly,
et son successeur dans la chaire de théologie de l'univer-
sité de Paris, quand le maître eut été promu à l'épis-
copat, le pieux Gerson, comme nous le verrons plus bas,
non seulement adopta ses principes sur le gouverne-
ment ecclésiastique, mais en poussa les conséquences
extrêmement loin, au point d'admettre que, le concile
pouvant faillir lui aussi dans la foi, comme le concédait
Pierre d'Ailly, l'infaillibilité promise par le Christ à son
Église ne reposait que sur la multitude des fidèles,
dont les évêques n'étaient que les mandataires ou les
délégués.
Les principes de Pierre d'Ailly furent appliqués par
le concile de Pise, qui, le 5 juin 1409, déposa les deux
papes, comme convaincus d'être schismatiques, héré-
1541
GOUVERNEMENT ECCLÉSIASTIQUE
1542
tiques, opiniâtres et incorrigibles. En conséquence, il
autorisa les cardinaux à procéder à une nouvelle élec-
tion pontificale. De ce conclave singulier sortit
Alexandre V; mais comme le concile de Pise était loin
d'être œcuménique, il ne fut pas reconnu par une
grande partie de la chrétienté, et, au lieu de deux papes,
on en eut trois. Le remède était pire que le mal.
Nous ne raconterons pas ici comment et en vertu de
quel prétendu droit le concile de Constance, convoqué
en 1414, en arriva à déposer deux papes, reçut la démis-
sion du troisième, et, le 11 novembre 1417, applaudit
à l'élection de Martin V. Cette épreuve, une des plus
terribles que l'Église ait traversées, se terminait enfin
par le retour du monde chrétien à l'unité; mais de
sérieuses tentatives avaient été faites par les membres
de cette tumultueuse assemblée contre la divine con-
stitution du gouvernement ecclésiastique. On y avait
affirmé, à diverses reprises, la supériorité du concile sur
le pape, et on avait proclamé la nécessité de la convo-
cation périodique des conciles généraux, pour con-
trôler, réglementer et diriger même l'administration
du chef de l'Église. Ces prescriptions furent arrêtées
dans la xxxixe session, celle du 9 octobre 1417, un
mois avant l'élection du pontife légitime, auquel on se
proposait de les imposer. Suivant le décret Frcquens,
le premier de cette session, les conciles généraux
devaient être réunis périodiquement, avec cette clause,
cependant, que le premier se tiendrait cinq ans après
celui de Constance; le second, sept ans après le premier,
et ensuite régulièrement de dix en dix ans. Chaque
concile, avant de clore ses travaux, fixerait le lieu et la
date des prochaines assises générales de l'épiscopat.
Mais si un schisme se produisait, le concile devrait, de
plein droit, se réunir dans l'année même, et aucun des
prétendants à la papauté ne le présiderait, tous étant
suspendus, ipso facto.
Dans la xl« session, 30 octobre, le concile décréta
et ordonna, au nom de l'Église universelle, que le futur
pape, à l'élection duquel on allait procéder, serait
obligé, de concert avec le concile, ou les représentants
de celui-ci, à travailler à la réforme de l'Église dans son
chef et dans ses membres, avant même la dissolution du
concile, et d'après un programme élaboré par le con-
cile lui-même. Ainsi le concile usait à l'avance de sa
prétendue autorité sur le pape futur, et lui signifiait
impérieusement ses volontés, auxquelles l'élu devrait
se conformer fidèlement. Si ces dispositions draco-
niennes laissaient subsister, en principe, la monarchie
pontificale, elles y apporteraient une notable restric-
tion D'aucuns y verront même plus qu'un simple tem-
pérament, et plutôt une véritable et gênante tutelle.
C'était bel et bien, au sens juridique du mot, une dimi-
nulio capilis. Mesures fort graves, ne tendant à rien
moins qu'à modifier, dans ses lignes essentielles, la
constitution du gouvernement ecclésiastique, telle que
l'avait établie le divin fondateur de l'Eglise. Elles ne
furent, d'ailleurs, jamais approuvées ou confirmées
par le pape, ni par Martin V, ni par aucun de ses suc-
cesseurs. Voir Constance (Concile de), t. m, col. 1200 sq.
Elles n'en eurent pas moins des conséquences extrê-
mement regrettables, et qui exposèrent l'Église aux
plus redoutables dangers. On s'en aperçut bien dans le
concile de Bàle que l'on prétendit imposer, en vertu
des décrets du concile de Constance, au pape Eugène IV,
successeur de Martin V, et qui finit par dégénérer en
conciliabule schismatique. Là se manifestèrent de plus
en plus ces tendances, ou plutôt ces intentions bien
arrêtées d'une partie de l'épiscopat de faire du concile
général un rouage permanent, ordinaire et nécessaire
du gouvernement ecclésiastique, et transformer ainsi
l'Église en monarchie parlementaire.
Ce mouvement d'opinion occasionna d'abord, cinq
ans après le concile de Constance, la réunion de celui
de Pavie-Sienne, qui se tint de 1423 à 1424 et fut
dissous prématurément, et comme à l'improvistc.
Mais, avant de se séparer, les membres de l'assemblée
eurent le temps d'indiquer un nouveau concile, qui,
suivant les prescriptions conciliaires de Constance,
devait se tenir en 1431. La ville de Bàle fut choisie à cet
effet, et Martin V, quoique à regret, avait acquiescé à
cette sorte de sommation. Mansi, t. xxvni, col. 1071 sq. ;
t. xxix, col. 11 sq. ; Hardouin, t. vin, col. 895, 1109,
1113. Il mourut au moment où le concile allait s'ouvrir,
20 février 1431. Le jour même de cette ouverture,
3 mars 1431, Eugène IV était élu; mais il avait dû,
avant l'élection, comme les autres cardinaux, pro-
mettre de se conformer en tout aux prescriptions du
concile de Constance, et de ne prendre aucune mesure
importante pour le bien de l'Église, non seulement
sans le conseil, mais aussi sans l'approbation formelle
du Sacré-Collège. C'était toujours la papauté mise
sous tutelle; une monarchie fortement tempérée d'aris-
tocratie, et un état de choses en opposition avec la
divine constitution du gouvernement ecclésiastique,
car le pouvoir suprême ne résidait plus dans le pape,
mais était partagé entre lui et le collège des cardinaux.
Le concile de Bàle renchérit encore sur ces préten-
tions cardinalices. Par ses exigences et ses menaces, en
effet, quoique le concile comptât encore peu d'évêques
présents, il manifesta une hostilité très marquée contre
le pape, et afficha la prétention de gouverner l'Église.
Les choses en vinrent à tel point que, vers la fin de
l'année, le 18 décembre, Eugène IV, par une bulle,
prononça la dissolution du concile. Cf. Mansi, t. xxix,
col. 564. A cet acte du souverain pontife, le concile
répondit en renouvelant les décrets conciliaires de
Constance, alfirmant expressément et formellement
qu'il ne pouvait être dissous par aucune puissance,
même papale, laquelle, au contraire, devait lui obéir,
sous peine d'être punie, même par la déposition; et que,
si le pape ne voulait pas réformer l'Église, en son chef
et en ses membres, le concile y pourvoirait de sa propre
et souveraine autorité. C'était la révolte. Les évêques
qui prirent de si graves décisions n'étaient pas nom-
breux encore, il est vrai; mais ils se sentaient soutenus
par l'opinion publique, et surtout par le personnel des
grandes universités d'Europe. Des livres furent écrits
pour démontrer la prétendue supériorité du concile
œcuménique sur le pape; et ce qui n'avait été imaginé
à Constance que comme un expédient pour terminer
le grand schisme, devint l'objet d'un enseignement
doctrinal, proposé comme vérité de foi catholique,
sapant dans sa base l'institution même de la papauté,
puisqu'il tendait à détruire, en fait, la primauté du
souverain pontife, en lui enlevant l'administration de
l'Église. Cf. Mansi, t. xxix, col. 90 sq., 409, 564; Har-
douin, t. vni, col. 1183, 1465, 1578. Nous n'entrerons
pas dans le récit de ces douloureux débats qui abou-
tirent à un nouveau schisme, lequel heureusement ne
fut pas de longue durée. Voir Bale (Concile de), t. n,
col. 113 sq. Mais ces mauvaises doctrines persistèrent,
comme un virus dans le corps social. Elles engen-
drèrent le gallicanisme, survécurent grâce à lui, s'éten-
dirent, et se formulèrent plus tard, dans les quatre
articles de la trop fameuse déclaration du clergé de
France, en 1682. Voir Gallicanisme. Cf. Palmieri, De
romano pontificc, part. II, c. i, a. 1, thes. xvi, p. 396 sq. ;
Mazzella, De religione cl Ecclcsia, disp. III, a. 8, §1,
n. 537, p. 428; Pesch, De Ecclcsia Christi, part. II,
sect. ii, prop. 34, n. 373 sq., Prœlcclioncs thcologicœ,
t. i, p. 233 sq. ; Wilmers, De Ecclcsia Christi, 1. II, c. m,
n. 134, p. 239 sq. ; Billot, De Ecclesia Christi, part. II,
c. ni, q. xni, § 2, p. 532-535. Ces erreurs se firent jour
encore à l'époque du concile du Vatican. Cf. Mgr Maret,
Le concile général et la paix religieuse, 2 in-8°, Paris,
1869; Le pape et les évrqucs, in-8°, Paris, 1869.
1543
GOUVERNEMENT ECCLESIASTIQUE
1544
3° Erreurs de ceux qui voudraient jaire du gouverne-
ment ecclésiastique une simple aristocratie sans aucun
chef suprême. — Tel est le sentiment de plusieurs sectes
qui, séparées de la véritable Église, gardent, néanmoins,
une certaine hiérarchie, et affirment que l'Église catho-
lique se compose des diverses Églises nationales, qui
ont leurs évêques et leur clergé, mais ne reconnaissent
pas la primauté du souverain pontife. Ces Églises,
ainsi séparées du centre de la catholicité, se prétendent
égales entre elles, et sur le même pied que l'Église
romaine. Elles affirment appartenir aussi bien que
celle-ci au bercail du Christ, le seul suprême pasteur,
qui aurait voulu, s^lon elles, donner à son Église un
gouvernement simplement aristocratique, par le moyen
des évêques successeurs des apôtres, évoques tous
égaux entre eux, comme le furent les apôtres. Toutes
ces Églises nationales, quel que soit leur nom, seraient
donc des parties ou des branches de l'Église universelle;
des Églises-sœurs qui, étant filles du même Père,
doivent être unies entre elles par la sympathie et le
respect mutuel, quoiqu'il n'y ait entre elles aucun lien
de subordination et d'obéissance. Elles vivent côte à
côte, et forment une sorte de fédération spirituelle.
Parmi les anglicans surtout, ce concept du gouverne-
ment ecclésiastique trouve un grand nombre de parti-
sans. On rencontre parmi eux, et se disant appartenir
à l'Église catholique : l'Église épiscopalienne d'Angle-
terre, ou haute Église, la High Church oj England;
celle d'Irlande, Church of Ircland; celle d'Ecosse,
Scollish cpiscopal Church. Celle des États-Unis s'appe-
lait, d'abord, Protestant cpiscopal Church; mais, depuis
plus d'un quart de siècle, elle a affirmé plus clairement
sa prétention d'appartenir à l'Église catholique, en se
faisant appeler American brandi of (lie calholic Church.
Ces diverses branches ne refuseraient pas de s'unir à
l'Église romaine, si celle-ci consentait à les reconnaître
comme des portions de la véritable Église du Christ.
Voir Catholicité, t. n, col. 2010 sq. Cf. Dôllinger,
L'Église cl les Églises, in-8°, Paris, 1861.
Quand ces diverses Églises séparées se réunissent en
congrès, sortes de conciles « pananglicans », où l'on
compte parfois de deux cents à trois cents évêques de
tous les pays soumis à la domination anglaise : îles
Britanniques, colonies, Indes, Australie, Afrique et
même des États-Unis de l'Amérique du Nord, elles
n'osent point formuler des décrets de foi, mais se
bornent à échanger des vues, chacun étant à peu près
libre de croire ce qu'il veut, et d'interpréter la Bible
à sa façon. Il n'y a, parmi elles, aucune autorité con-
stituée, apte à prendre une décision dogmatique ou dis-
ciplinaire, au sujet des points controversés qui les
divisent. Ces congress oj the bishops of ihe Anglican com-
munion, malgré le décor brillant qui les entoure d'ordi-
naire, prouvent, chaque fois, avec une évidence nou-
velle, l'impuissance radicale d'une Église dont la
forme de gouvernement serait simplement aristocra-
tique, corps social sans tète, et démontrent plus claire-
ment, par voie de contrasta, la divine sagesse du Christ,
qui a voulu que le gouvernement de son Église fût
nettement monarchique, avec une autorité suprême
pleine et entière résidant en un chef incontesté au-
quel tous doivent obéir. Voir Anglicanisme, t. i,
col. 1281 sq.; Amérique, t. i, col. 1050, 1074; Épisco-
palienne (Église), t. v, col. 365 sq. Cf. W. Palmer,
A trealise on the Church oj Christ, 2in-8°, Londres, 1850,
l. i, p. 229, 237, 276, 286, 383, 455; Lichtenberger,
Encyclopédie des sciences religieuses, aux nu ts Vieux
catholiques, Église anglicane, Église orientale orthodoxe,
13 in-8°, Paris, 1877-1882, t. Il, p. 725 sq.; t. iv,
p. 295 sq., 324 sq.; Wilmers, De Ecclcsia Christi, 1. V,
c. m, §2, p. 561 sq., 570-572; The calholic encijclo-
pedia, au mot Proteslanl episcopal Church in the United
States oj America, 15 in-4°, New York, 1907-1913, t. xi,
p. 436; t. xn, p. 493 sq. ; Coleman, The Church in
America, in-8°, New York, 1895.
On trouve ces audacieuses doctrines enseignées ex
professo clans le De republica christiana, publié par le
trop fameux Marc-Antoine de Dominis, archevêque de
Spalatro, successivement catholique, anglican, do nou-
veau catholique, puis encore hérétique, 3 in-fol.,
Londres, 1617, 1620, ouvrage plusieurs fois réédité, en
Allemagne surtout. L'auteur prétend y démontrer que
le vrai gouvernement ecclésiastique, tel qu'il a été
institué par le Fils de Dieu, n'est pas une monarchie,
mais une république aristocratique, car les apôtres,
dit-il, furent tous égaux, et les évêques le sont aussi.
Tous sont également les vicaires du Christ. Leur juri-
diction n'est pas restreinte à tel ou tel lieu, mais s'étend,
de soi, à l'Église universelle. La seule monarchie qu'on
pourrait admettre dans l'Église serait celle de l'évèque
dans son propre diocèse, ou celle d>; l'ensemble des
évêques des Églises particulières, qui, par leur union
en concile, forment la première autorité de l'Église uni-
verselle. Mais, de droit divin il n'existerait entre les
évêques aucune hiérarchie. I a primauté du pape ne
serait donc qu'une flagrante usurpation, qui ne peut
apporter que la confusion et le trouble dans le gouver-
nement ecclésiastique, par l'abaissement des évêques,
et l'oppression injuste des autres Églises nationales ou
régionales, l'Eglise romaine n'étant qu'une Église par-
ticulière au même titre que les autres. Le pape ne
serait pas plus le successeur de saint Pierre que ne le
sont les évêques des autres Églises fondées par lui. Ce
serait donc faux que l'Église universelle ait une tête, et
que son gouvernement soit celui d'une monarchie. Une
telle prétention ne serait que le résultat de l'ambi-
tion papale, source de tant de maux, at obstacle prin-
cipal à la paix de l'Église. Voir Dominis, t. iv,
col. 1670 sq. L'auteur s'efforça de propager ses idées
schismatiques et hérétiques dam plusieurs autres de
ses ouvrages, entre autres le Papatus romanus, in-4°,
Londres, 1617, où il tâche de démontrer l'origine
humaine du pontificat suprême, son développement et
son extinction. Cf. Kirchenlexikon, t. ni, col. 1949 sq. ;
The calholic cncyclopcdia, au mot Anglicanism, t. i,
p. 499 sq. ;W. Palmer, Harmonij oj Anglican doctrine
ii'ith the doctrine oj the Easlcrn Church, in-8°, Aherdeen,
1846; An appeal to the Scollish bishops and clcrgij,
in-8°, Edimbourg, 1849; Dissertations on subjecls rela-
ling lo the Orlhodox or Easlern calholic communion, in-8°,
Londres, 1853.
4° Erreurs de ceux qui voudraient faire du gouverne-
ment ecclésiastique une institution démocratique. — Le
premier auteur qui soutint cette doctrine qui, plus
encore que les précédentes, s'éloigne de la vérité catho-
lique, semble avoir été Marsile de Padoue, né en 1270,
mort en 1343, et qui dogmatisa au commencement du
xive siècle. Dans sa De/ensio pacis, publiée vers 1324, il
enseigna que, dans l'Église comme dans l'État, l'au-
torité réside dans le peuple, qui par les élections, la
délègue à ses représentants, la retire, ou la modifie.
Le vote de la majorité est la loi souveraine. Même au
concile, le peuple chrétien reste juge suprême de la foi
et de la discipline. Toute la hiérarchie sacrée, institu-
tion proprement humaine dépend de lui. Il peut la
changer, la transformer l'abroger même. Marsile de
I'adouc admet, cependant, encore le sacerdoce, mais
égal chez tous les prêtres, et avec cette clause que la
juridiction leur vient du peuple chrétien, ou de l'empe-
reur, en tant que celui-ci représente le peuple. Vers la
même époque, les fraticelles admettaient pratiquement
la même doctrine, sauf la soumission aux princes sécu-
liers. Voir Fraticelles, col. 771 sq. Ces erreurs mani-
festement hérétiques furent condamnées par le pape
Jean XXII Cf. Denzinger-Bannwart, n. 423 sq. ;
Mazzella, De religione et Ecclcsia, disp. III, a. 7, § 1,
1545
GOUVERNEMENT ECCLÉSIASTIQUE
1546
n. 517 sq., p. 413 sq. ; Pesch,De Ecclesia Christi, part. II,
sect. n, prop. 33, schol. n, n. 357, Prœkctiones theo-
logicœ, t. i, p. 220.
Guillaume Occain, franciscain, mort en 1347, pro-
fessa les mêmes idées dans son Dialogus sur la consti-
tution de l'Église. Parfois, cependant, il semble ad-
mettre une certaine primauté de Pierre et de ses suc-
cesseurs, mais à laquelle il est permis de se soustraire,
quand on s'aperçoit que celui qui en est honoré, en use
contre le bien général de l'Église, contre les droits tem-
porels des princes et contre ceux du peuple. Le pape
serait donc inférieur au concile, parce que celui-ci est
le représentant des fidèles. D'ailleurs, selon Occam, le
concile lui-même peut se tromper.
Durant le xiv° siècle, une série de théologiens s'en-
gouèrent de l'enseignement hétérodoxe d'Occam, et
leur influence ne se fit que trop sentir aux conciles de
Pise, de Bàle et de Constance. Si Pierre d'Ailly n'alla
pas jusque-là, le pieux Gerson, son élève, ne recula
point devant ces énormités. Il se montra partisan
déclaré du système démocratique, et, même multitu-
diniste, pour le gouvernement ecclésiastique. On voit
ces tendances très accentuées dans plusieurs de ses
ouvrages, tels que De polestate ecclesiaslica; De auje-
ribililate papse, etc., Opéra, t. n, col. 249, 216, 436.
Cf. Palmieri, De romano pontifice, Prolegomen., 12,
p. 66 sq. Voir col. 1318 sq.
Les hérésiarques du xvi° siècle embrassèrent avec
ardeur ces doctrines. Dans son livre De abrogalione
missœ privalte, part. II, Luther proclame que, parmi
le peuple chrétien, il ne doit y avoir aucune différence
de personnes et de dignités : ni clercs, ni laïques, ni
consécration, ni profession monacale, ou religieuse, etc.
Calvin tient un langage analogue dans son Institutio
chrisliana, 1. IV, c. vi, § 9; c. xx, n. 6-8; c. xli, n. 6,
in-fol., Bâle, 1536, 1559; Leyde, 1454; trad. franc.,
in-fol., Strasbourg, 1541 ; 3 in-8°, Genève, 1818. D'après
lui, tous les chrétiens sont également prêtres. Les di-
gnités ecclésiastiques ne seraient pas d'institution
divine, mais proviendraient uniquement de la libre
élection du peuple chrétien. Le peuple, dans son ensem-
ble, en effet, ne pouvant s'occuper de la prédication,
ou de l'administration des choses religieuses, a élu,
par lui, ou par le ministère des princes séculiers, quel-
ques individus pour qu'ils s'en occupassent. Mais
l'autorité de ces ministres sacrés ne leur provient que
de l'élection librement faite par le peuple chrétien.
Les puritains d'Angleterre voulurent imiter ce qu'ils
admiraient à Genève, et établirent le gouvernement
ecclésiastique sur la base du presbytérianisme. Selon
eux, ce régime était le seul conforme au Nouveau Tes-
tament.
Au conciliabule de Bàle, où les évoques furent rela-
tivement peu nombreux, mais où les simples prêtres se
comptèrent par centaines, et où des laïques furent
appelés à siéger, les réunions prirent, vers la fin surtout,
un caractère nettement démocratique; disons plus, net-
tement révolutionnaire.
Le concile de Trente, sess. xxiv, can. 4, 7, Den-
zinger-Bannwart, n. 837, 844, condamna ces aberra-
tions; mais elles n'en furent pas détruites pour cela.
Elles continuèrent à infecter certains esprits, qui,
néanmoins, se disaient catholiques. Beaucoup de galli-
cans, en effet, en vinrent là. Après avoir conçu le gou-
vernement ecclésiastique comme une monarchie forte-
ment tempérée d'aristocratie, ils descendirent, par une
conséquence naturelle, jusqu'à transformer cette mo-
narchie aristocratique en pure démocratie.
Edmond Bicher, professeur de théologie à l'univer-
sité de Paris, et syndic de la Sorbonne, divulgua ces
idées dans son opuscule, De ecclesiaslica et politica
polestate libellus, petit livre de peu de pages, mais de
beaucoup d'erreurs, in-4°, Paris, 1611, souvent réédité,
mais qui, un an après son apparition, fut condamné
en France par le cardinal Du Perron, dans le concile
provincial de Sens, tenu à Paris. Borne aussi le con-
damna, le 10 mai 1613. Si Bicher se rétracta, ce qui est
douteux, il le fit seulement in articulo mortis. Après son
premier ouvrage, en effet, il en avait publié une sorte
d'apologie : Demonstratio libri de ecclesiastica et poli-
tica polestate, cum aucloris lestamento, in-4°, Paris, 1622;
ouvrage mis, lui aussi, à l'index. Ce qui laisse craindre
que sa rétractation in extremis n'ait pas été sincère,
c'est que plusieurs de ses ouvrages posthumes, tirés de
ses manuscrits après sa mort, renferment les mêmes
erreurs : Traité des appellations comme d'abus, in-4°,
Cologne, 1701; Historia conciliorum generalium, in-8°,
Cologne, 1683; Vindiciœ doctrinse majorum scholse pa-
risiensis, in-4°, Cologne, 1683, ouvrage directement
composé contre les tenants de la monarchie ponti-
ficale, etc.
Parmi les jansénistes, les richéristes furent nom-
breux. Leur influence néfaste se maintint jusqu'à la
grande Révolution de 1789. Les richéristes formaient
un groupe compact à l'Assemblée nationale qui s'ap-
puya sur leurs principes pour forger la Constitution
civile du clergé. Cf. Feller, Biographie universelle, t. vu,
p. 261. Il ressort clairement, en effet, de l'enseignement
de Richer, que Notre-Seigneur aurait conféré la plé-
nitude de l'autorité à l'ensemble de l'Église, ou collec-
tivité. Les membres de la hiérarchie sacrée : prêtres,
évêques et le souverain pontife lui-même, n'ont d'au-
tres pouvoirs que ceux qu'ils tiennent de la délégation
que l'Église leur donne, en les élisant comme ses repré-
sentants, ou députés. De soi, la puissance est égale chez
les prêtres et chez les évoques. La différence ne provient
que de l'élection faite par le peuple chrétien, qui
nomme quelques-uns de ses membres, les évêques, pour
succéder aux apôtres, et quelques autres, les prêtres,
pour succéder aux soixante-douze disciples. À tous,
prêtres et évêques, la communication du sacerdoce de
Jésus-Christ est égale, quoique, pour le bon ordre et
hors des cas de nécessité, une partie des pouvoirs inhé-
rents au sacerdoce soit liée et comme paralysée dans
les simples prêtres. Ceux-ci n'en sont pas moins juges
de la foi, et conseillers nécessaires des évêques pour la
discipline. Même remarque pour le pape. Il n'a, en plus
des évêques, que l'autorité dont ceux-ci consentent à
ne pas user, et qu'ils lui délèguent, pour mieux assurer
l'unité. Mais ils demeurent libres de lui retirer cette
concession quand ils le croient opportun pour le bien
de l'Église. Ce qui est ainsi délégué au pape, c'est sur-
tout le pouvoir exécutif; mais le pouvoir législatif
s'exerce par les synodes de prêtres, ou les conciles
épiscopaux. Le pape est une sorte de doge exécuteur
des ordres du sénat; mais il ne possède aucune espèce
d'autorité propre dans les évêchés, où le moindre des
fonctionnaires locaux en a plus que lui. Pour exprimer
sa pensée, Richer se sert d'une comparaison singulière.
L'autorité ecclésiastique, dit-il, est dans le corps entier
de l'Église, comme la puissance de voir, ou d'entendre,
est dans l'homme vivant tout entier, quoiqu'elle ne
puisse s'exercer, pour le bénéfice du corps entier, de
par sa volonté et sous sa dépendance, que par le minis-
tère des sens, doués d'organes appropriés. Or, le corps
n'existe pas pour l'œil, mais l'œil existe pour le corps.
Donc.
Notons, parmi ceux qui embrassèrent et propagèrent
ces doctrines subversives, Ellies Dupin, De anliqua
Ecclcsiœ disciplina disserlationes hisloricœ, disp. III,
c. i;disp. VI, § 1, etc., in-4°, Paris, 1686; Cologne, 1691;
Noël Alexandre; Ricci, évêque de Pistoie et Prato;
Van Espen; Nicolas de Hontheim, son élève, ou Fébro-
nius, qui, cependant, a souvent noyé sa pensée dans
une foule de contradictions. Voir Fébronius, t. v,
col. 2118 sq. Cf. Mazzella, De religione et Ecclesia,
L547
GOUVERNEMENT ECCLESIASTIQUE
1548
disp. 111, a. 7, § 1, n. 519 sq., p. 414 sq.; Pesch, De
Christi Ecclesia, part. Il, sect. il, prop. 38, schol. n,
n. 357, Prœlectiones theologieœ, t. i, p. 220-225; Wil-
îiKis, De Chrisli Ecclesia, 1. II, c. vin, n. 135, p. 239-
242; Palmieri, De romano pontijlce, part. II, a. 1,
thés, xvin, p. 438 sq.
Au xixe siècle, ces théories furent encore soutenues
en Allemagne, à l'occasion du concile du Vatican. Les
évêques, disait Dôllinger, Allgemeine Zeitung, 11 mars
1870, ne sont que les représentants du peuple chrétien,
ses députés, ses chargés d'affaire, ayant la mission de
déclarer, en son nom, ce que le peuple chrétien croit,
en matières religieuses, comme l'ayant reçu de la tra-
dition. Simples mandataires, ils ne peuvent outre-
passer leurs pouvoirs sans s'exposer à être blâmés par
ceux qui les ont élus et rejetés par eux. Cf. Lichten-
lierger, Encyclopédie des sciences religieuses, t. it.
p. 725 sq.
5° Erreur de ceux qui voudraient faire du gouverne-
ment ecclésiastique un régime monarchique sous l'autorité
suprême d'un prince séculier. — C'est par l'attestation
publique de cette suprématie royale, ctiam in spirilua-
libus, que débuta le schisme anglican. Henri VIII,
n'ayant pu obtenir du souverain pontife l'annulation
de son mariage avec Catherine d'Aragon, résolut de se
passer du pape. Il fit donc déclarer, d'abord, par l'as-
semblée du clergé à Cantorbéry et par les universités
anglaises, en 1534, qu'on ne trouvait pas de preuves,
dans l'Écriture sainte, que le pape eût reçu de Dieu
sur le royaume d'Angleterre plus d'autorité et de juri-
diction que n'en possèdent les autres évêques. Il lit
déclarer ensuite aux mêmes prélats courtisans que le
roi est, après le Christ, le seul chef de l'Église dans son
royaume. Étant le chef de la nation au temporel, il
doit l'être et il l'est au spirituel aussi; et, de même
qu'il a le pouvoir d'établir des officiers civils pour l'ad-
ministration de ses États, il a aussi le droit d'instituer
des ecclésiastiques et des dignitaires de divers rangs
pour administrer l'Église, prêcher la parole sainte et
conférer les sacrements aux fidèles. Les évêques eurent
la complaisance coupable de reconnaître formellement
que toute leur autorité spirituelle leur venait du roi, et
dépendait absolument de sa volonté. Ceci convenu, le
roi se nomma un vicaire général, et, soit par lui-même,
soit par cet auxiliaire, adressa fréquemment des ins-
tructions aux prêtres pour leur désigner quels sujets
ils devaient traiter en chaire, ou quelles catégories de
personnes ils pouvaient admettre à la communion.
Ainsi ne pouvaient prêcher dans les églises que ceux
qui en recevaient le mandat ou l'autorisation du pou-
voir civil. La chaire ne devenait plus autre chose que
l'organe de transmission des volontés gouvernemen-
tales. Sous le règne d'Edouard VI, roi-enfant, suces-
seur d'Henri VIII, prêcher sur des sujets non autorisés,
comme, par exemple, la messe, les images, le carême,
etc., c'était s'exposer à la prison. Ce fantôme de roi
envoya des commissaires pour procéder, en son nom,
à la visite canonique des églises et des sacristies,
s'assurer que ses ordres étaient exécutés, et que l'on
prêchait réellement suivant ses volontés enfantines.
Les dogmes à croire, la morale à pratiquer, les céré-
monies liturgiques, les formulaires de prières, tout
était réglé sans appel par le roi, ou le parlement. Un
livre d'homélies fut même publié par l'autorité royale,
pour suppléer à l'insuffisance des prédicateurs.
Voilà à quel degré de servilisme et d'abaissement
peut en venir un clergé qui consent à se séparer du
vicaire de Jésus-Christ. Il peut même descendre plus
bas. Ce n'était pas assez pour le schisme d'avoir un
pape civil, il eut bientôt une papesse, la reine Elisabeth,
fille adultérine d'Henri VIII et d'Anne de Boleyn.
Consciente de sa supériorité, et prétendant à l'infailli-
bilité doctrinale, elle persécuta cruellement, durant
tout son règne, les catholiques qui refusaient de prêter
le serinent de suprématie spirituelle à sa personne.
Cf. The calholic cncyclopcdia, au mot Anglicanism, t. i.
p. 499 sq. ; Lichtenberger, Encyclopédie des sciences
religieuses, au mot Angleterre, t. i, p. 318 sq.
Le protestantisme, en général, s'est également sou-
mis presque partout à la suprématie civile. C'est là, d'ail-
leurs, comme une loi de l'histoire, ou plutôt comme une
réponse de la providence à ceux qui veulent secouer le
joug, si paternel pourtant, du père commun des fidèles.
La Russie a imité l'Angleterre, dans la constitution
d'un gouvernement ecclésiastique national sous la su-
prématie impériale. Cf. Lichtenberger, op. cit., au mot
Églises protestantes, t. IV, p. 342 sq.; The catholic cncy-
clopcdia, au mot Orthodox Church oj R ussia, t. xin, p. 261
sq. L'Autriche fut longtemps menacée d'un malheur
semblable, à la suite des infiltrations dans son sein des
doctrines de Fébronius, dont la divulgation était puis-
samment secondée par l'orgueilleuse ambition de
Joseph II et sa prétention de supplanter le pape dans
les États soumis à sa couronne impériale. Voir Fébro-
nius, t. v, col. 2020. Ce danger ne fut pas complètement
évité.
Au conciliabule de Bàle, plusieurs voix s'étaient
élevées déjà pour conseiller de recourir aux princes
séculiers, afin de s'affranchir plus sûrement du pape;
mais le conciliabule se contenta d'être révolutionnaire,
et de prononcer la suspense contre le pape Eugène IV.
III. Doctrine catholique. — 1° Le gouvernement
ecclésiastique institué par le Christ n'est pas une démo-
cratie. — Il n'est démocratie, ni aclu, ni radicalilcr.
Qu'il ne le soit pas aclu, c'est-à-dire que, de fait, la
multitude ne gouverne pas, c'est évident; tous recon-
naissent que la chose est impossible et absurde. Un
gouvernement-multitude ne serait que l'anarchie, la
confusion, le désordre et la ruine. Il est facile de démon-
trer aussi que, clans l'Église, le gouvernement n'est
pas une démocratie radicalilcr, en ce sens que la puis-
sance suprême vienne du peuple, auquel elle aurait été
conférée par Dieu, de façon que le peuple lui-même
choisisse le ministre qui doit l'exercer.
Ceux qui ont enseigné cette erreur, comme Richer et
autres, ont confondu le sujet en qui l'autorité réside,
et celui pour le bien duquel l'autorité a été constituée.
La puissance sociale qui est conférée à certains indi-
vidus ne l'est pas pour leur avantage personnel, il est
vrai, mais pour celui de la communauté. Si donc l'on
demande en faveur de qui la puissance ecclésiastique
a été constituée, il faut répondre évidemment qu'elle
l'a été en faveur de tous les fidèles, c'est-à-dire de
l'Église et de la communauté. Le grand apôtre le
disait d'une manière formelle : Omnia veslra sunl, sive
Paulus, sive Apollo, sive Cephas..., vos autem Chrisli.
Chrislus autem Dei. I Cor., ni, 22,23. Mais ceci est vrai
de toute forme gouvernementale, qu'elle soit démo-
cratique, aristocratique ou monarchique. Le monarque,
en effet, est un pasteur, un guide, un pilote, un père.
Néanmoins, affirmer que la puissance sociale est en
faveur de la multitude, et prétendre que cette multi-
tude est le sujet en qui réside radicalement celle
puissance, sont deux propositions absolument diffé-
rentes. La fin n'est pas le sujet. La fin de la lumière
solaire, par exemple, est de permettre à l'œil de voir
les objets extérieurs; il ne s'ensuit pas évidemment
que l'oeil soit la source même de la lumière solaire. Le
fait que la puissance sociale est en faveur Ce la commu-
nauté ne prouve donc pas que cette communauté soit
le sujet radical de cette puissance, et que, la possédant
en elle-même, elle ait la faculté de la transmettre à
qui bon lui semble; ce fait ne prouve qu'une chose :
c'est que la communauté a droit à ce que cette puis-
sance soit exercée pour son utilité propre, par une sage
administration. Or ce but si désirable peut être atteint,
1549
GOUVERNEMENT ECCLÉSIASTIQUE
U..V)
non seulement aussi bien, mais incomparablement
mieux, quand le sujet possédant l'autorité, loin d'être
élu par la multitude qui, le plus souvent, n'a pas
conscience de ses vrais besoins, l'est au moyen d'un
mode d'élection moins exposé à être vicié par l'igno-
rance ou les passions populaires.
Rien donc de plus faible que l'argument invoqué
par Richer, à savoir que la partie étant pour le tout, et
non le tout pour la partie, la divine sagesse du Christ,
on fondant son Église, a dû le pousser à donner la puis-
sance de juridiction plutôt à l'Église elle-même, qu'à
tel ou tel individu déterminé, et qu'il a, par conséquent,
donné la puissance des clefs à l'Église universelle, afin
que celle-ci en usât par le ministère de Pierre et de ses
successeurs. C'est là un grossier sophisme, basé uni-
quement sur la confusion de la fin et du sujet. Pour en
revenir, en effet, à la comparaison chère à Richer et
par laquelle il prétend étayer solidement son système,
la puissance de vision n'a pas été donnée à l'homme
de manière que le sujet premier en qui résidât cette
puissance fût l'ensemble de l'homme, âme et corps et
toutes les parties de celui-ci, au point que l'œil ne
serait que le mandataire, le délégué, ou le représentant
de toutes les parties du corps pour l'exercice de cette
puissance visuelle, hypothèse des plus ridicules; mais
la puissance de vision a été placée par le créateur
immédiatement, ianquam in subjecto, dans l'âme et
l'œil, quoique l'exercice de la puissance de vision soit
une aclio hominis et proplcr hominem et cœtera ejus
membra, suivant l'axiome classique, actiones sunl sup-
positorum.
On ne serait pas plus en droit d'invoquer pour cette
thèse au autre aphorisme de l'école : Propterquod unum-
quodque laïc, cl illud majus ! Ce principe, en général, ne
s'applique que dans les relations d'effet à cause effi-
ciente, mais nullement dans celles de finalité, car, par
exemple, si un professeur est savant, afin de pouvoir
instruire ses élèves, il ne s'ensuit nullement que ceux-ci
le soient plus que lui ; au contraire. De même, si la puis-
sance des clefs a été donnée à saint Pierre pour l'avan-
tage de l'Église, il ne s'ensuit nullement que l'Église,
dans son ensemble, ait plus de puissance que Pierre.
Il ne s'agit donc pas de savoir à quel sujet le Christ a
voulu confier l'exercice de la puissance des clefs, mais
à qui il a voulu confier cette puissance elle-même. On
ne peut pas prétendre que cette puissance ait été
conférée par le Christ à d'autres que ceux qu'il désigne
lui-même. Or, d'après ses paroles les plus explicites,
il conste que le Christ l'a conférée à des personnes
bien déterminées, c'est-à-dire aux apôtres, et plus
spécialement à saint Pierre.
La majeure de l'argument est évidente, car la puis-
sance par laquelle le Christ gouvernait les fidèles,
durant sa vie mortelle, était bien propre à lui, et
souverainement indépendante de toute concession ou
consentement de la foule. Cette puissance lui venait,
non des hommes, mais de Dieu, son Père : Data est mihi
omnis potestas in cœlo et in terra, Matth., xxvm, 18;
Dabo tibi génies hœreditatcm tuam. Ps. n, 8. Cette
puissance était la même que celle de Dieu, son
Père, auquel il est égal par sa divinité. Mais, en quit-
tant ce monde, le Christ était bien libre de commu-
niquer cette puissance à qui il voulait, de manière
que nul autre ne la possédât que ceux auxquels il
l'aurait communiquée. C'est un testament que le Christ
a fait à ses apôtres, en leur léguant sa puissance. Or, il
est de l'essence du testament que seules peuvent s'en
prévaloir les personnes expressément désignées par le
testateur. Nul n'a le pouvoir d'étendre cet acte au delà
de la volonté bien exprimée de celui qui l'a fait.
La mineure de l'argument n'est pas moins évidente.
Il^conste clairement par le texte évangélique que la
puissance de gouverner son Église a été donnée par le
Christ principalement à Pierre, et, avec Pierre, aux
autres apôtres, que le Christ s'était attachés par des
liens spéciaux, et qu'il avait placés dans une catégorie
à part, bien distincte de celle des simples fidèles, et
même des soixante-douze disciples. Cf. Matth., xvi,
18 sq. ; xxvm, 20; Luc, vi, 13 sq.; Joa., xxi, 15, etc.;
vérités mises en lumière par saint Paul. Rom., x, 15;
I Cor., v, 3, 4; xn, 29; Eph., iv, 11.
La tradition constante de l'Église manifeste bien
aussi que tel fut le sentiment des Pères et du peuple
chrétien. Est-ce que jamais, durant le long espace de
vingt siècles, furent convoqués des conciles œcumé-
niques de fidèles ? Où, dans l'histoire, rencontre-t-on la
moindre trace de semblables assemblées ? Dans quel
concile général l'épiscopat a-t-il jamais sollicité l'avis
ou le vote des simples fidèles, et même des prêtres ?
Oh n'a jamais reconnu non plus aux fidèles le droit
d'instituer les prélats ou les évêques, droit qui appar-
tient incontestablement à la suprême autorité du gou-
vernement ecclésiastique. Cette autorité ne réside donc
pas dans l'ensemble des fidèles, ianquam in subjeclo.
On n'accordait aux fidèles que la faculté d'exprimer
un désir, ou de porter témoignage sur les qualités in-
tellectuelles et administratives des candidats, et sur
la réputation dont ils jouissaient. Mais exprimer un
désir, ou porter un témoignage sur l'idonéité d'un can-
didat, et élire, ou instituer, sont deux choses totalement
différentes. Voir Élection des évêques; Élection
des papes, t. iv, col. 2256 sq., 2282 sq. Cf. Act., xv, 23.
La vérité de la proposition ressort également de cette
vérité catholique que l'ordre qui constitue les prêtres
et les évêques est un véritable sacrement, imprimant
un caractère spécial et ineffaçable, et, par suite, dis-
tinguant profondément et formellement ceux qui en
sont honorés des simples fidèles qui ne l'ont pas reçu.
Voir Ordre, Sacrement, Caractère sacramentel.
Que le Christ ait voulu que cette puissance conférée
à Pierre et aux apôtres fût, après eux, transmise à des
personnes bien déterminées, comme à leurs légitimes
successeurs, cela ressort aussi de ses propres paroles.
Matth., xxvm, 1C-20. Jésus-Christ parlant spécia-
lement à ses apôtres, leur dit : Eunles, docele omnes
génies... ecce ego vobiscum sum, omnibus diebus, usque ad
consummationem sœculi. Cf. Marc, xvi, 14-20. D'après
les paroles de son divin fondateur, l'Église doit durer
jusqu'à la fin des siècles, mais elle doit durer telle qu'il
l'a constituée lui-même, et avec la même forme de
gouvernement qu'il lui a donnée. Cf. Bellarmin, De
romano ponlifice, 1. 1, c vi, p. 317-319; Palmieri, De
romano pontijice, Prolegomen., § 12-15, p. 64-96 ; part. 1 1,
thés, xvin, n. 11, p. 438 sq. ; Wilmers, De Christi
Ecchsia, 1. I, c. v, a. 2, prop. 27, n. 75, p. 123-133.
2° Le gouvernement ecclésiastique institué par te Christ
n'est pas une monarchie sous l'autorité suprême d'un
prince séculier. — La multitude des fidèles n'étant pas
le sujet en qui réside la suprême puissance, comme nous
venons de l'établir, il est évident qu'elle n'a pu déléguer
cette autorité aux princes séculiers. La thèse des pro-
testants, des anglicans, des russes et des joséphistes,
relativement à la suprématie royale, ou impériale, dam
le domaine spirituel, croule donc par la base. Cf. Bel-
larmin, De romano ponti/lcc, 1. I, c. vu, p. 317-322;
Mazzella, De religione et Ecclesia, disp. III, a. 7, §2,
p. 415-425; Wilmers, De Cliristi Ecclesia, 1. I, c. v, a. 3
prop. 29, p. 134-140.
3° Le gouvernement ecclésiastique institué par le Chrisl
n'esl pas une aristocratie dont les membres posséderaient
une puissance égale en tous, ou dont les conciles généraux
seraient comme le sujet en qui résiderait la suprême puis-
sance, supérieure au pape. — Cela ressort des privilèges
et delà primauté d'honneur et de juridiction conférée à
Pierre et à ses successeurs relativement à l'Église uni-
verselle. Voir Pape, Infaillibilité du pape. Cf. Bel-
1551
GOUVERNEMENT ECCLÉSIASTIQUE
1552
larmin, De romano pontifice, 1. I, c. vm-xi, p. 322-334;
Franzelin, De Ecclesia Christi, sect. il, c. n, thés, x,
p. 124 sq.; Mazzella, op. cit., disp. III, a. 8, § 2, p. 431-
43S; Wilmers, op. cit., p. 18S sq.; Palmieri, De romano
pontifice, part. 1 1, thés, xvm, n. 3, p. 439-443 ; thcs.xix,
xx, p. 443-471; Pesch, De Ecclesia Christi, part. II,
sect. n, prop. 24, Prœlecliones, t. i, p. 227-233; Billot,
De Ecclesia, part. II, c. m, thés, xxv, xxx, p. 536-563;
C35-652.
4° Le gouvernement ecclésiastique institué par le Christ
est une monarchie. — En effet, le gouvernenu'iit est
monarchique lorsque : 1. le chef suprême est unique;
2. quand il possède la plénitude de la puissance:
3. quand tous les autres dignitaires ou magistrats
dépendent de lui ; 4. quand il peut juger tous les autres
memhres de la société et n'être jugé par aucun d'eux;
5. quand tous ceux qui veulent appartenir à cette
société et jouir des biens qu'elle renferme, sont obligés
d'adhérer et d'obéir à ce chef suprême, comme étant
le principe et le centre de l'unité sociale.
Tous ces points devant faire l'objet d'articles spé-
ciaux, il nous suffira ici de les énoncer, et de renvoyer
le lecteur aux articles Pape, Infaillibilité.
Pour le concept de monarchie, il n'est pas requis
cependant que le chef suprême puisse, à sa volonté,
abolir dans la société des magistratures qu'il n'a pas
instituées lui-même, comme nous l'avons établi au
commencement de cet article. La monarchie pontifi-
cale est donc vraiment monarchique, quoique le pape
ne puisse point abolir l'épiscopat qui est d'institution
divine, ni remplacer tous les évêques par de simples
vicaires apostoliques. Cf. Pesch, op. cit., n. 234 sq. Voir
Évêques, t. v, col. 1656 sq.
5° Le gouvernement ecclésiastique institué par le Christ
est donc une monarchie, non pas tempérée par l'aristo-
cratie, mais unie à l'aristocratie. — La monarchie
pontificale n'est pas tempérée par l'aristocratie épis-
copale, puisque le pape a la puissance suprême, pleine
et entière, propre, ordinaire et immédiate sur l'Église
universelle, comme sur chaque chrétien en particulier,
voir Pape; mais cette monarchie est divinement unie
à l'aristocratie épiscopale, puisque les évêques sont
d'institution divine, et que, de parla volonté du Christ,
ils sont, non pas de simples vicaires du pape, mais de
vrais princes dans l'Église, avec autorité propre et
ordinaire dans leurs diocèses. Voir Évêques, t. v,
col. 1702 sq.
Les auteurs qui, depuis le conciliabule de Baie et la
diffusion du protestantisme, ont écrit sur la nature du
gouvernement ecclésiastique et sa divine institution, sont
innombrables. Nous indiquerons ici les principaux et, pour
plus de clarté, nous les rangerons par périodes.
1° Au XV et au v Vf siècle. — J. de Turrecremata, Summa
de Ecclesia, in-fol., Rome, 1489; Salamanque, 1560; les IIe et
IIIe livres, De primaiu pontificis, furent insérés dans la
Bibliotheca maxima pontificia de Roccaberti, 21 in-fol.,
Rome, 1691-1699, t. xm, p. 283-611; Flores sententiarum
D. Thomœ, de auctoritate summi pontificis, Augsbourg, 1496;
Traclalus contra avisamentum ijuoddam basiliensium quod
non liceat appellare a concilio ad papam, inséré dans Mansi,
Concil., t. xxx, col. 1072-1094; Traclatus in /avorem
Eugenii IV contra décréta concilii Constantiensis in quo fuit
depositus Joannes XXIII, et contra gesta in concilio basileensi
adversus Eugenium I V, in-4° Venise, 1503; Mansi, t. xxx,
fol 550-590; Cajétan, De auctoritate papes et concilii, ulraque
invicem comparata, in-fol., Rome, 1511; De divina ponti-
ficatus romani pontificis constitutione et auctoritate, in-fol.,
Cologne, 1521; Thomas Netter, Doctrinale antiquitatum
fidei catholicœ, 3 in-fol., Paris, 1521-1532; Eck, De primatu
Pelri adversus Luderum (Lutherum), in-fol., Ingolstadt,
1520; Paris, 1521; Alphonse de Castro, Adversus hsereses,
1. XIII, in-fol., Paris, 1534; Faber, De poteslate papœ
adversus Lutherum, in-fol., Rome, 1529; Quod Petrus Romse
fuerit, et ibidem primus episcopalum gesseril, atque sub
Ncrone marlyrium passas fuerit, in-4°, Dillingen, 1516, 1553;
Melchior Cano, De locis theologicis, 1. VI, in-l", Salamanque,
150:',: Driedo, De locis theologicis, in-fol., Louvain, 1550;
Dobenek (Cochkeus), l'hilippicœ adversus Philippuni
Mclanchlon, in-4°, Leipzig, 1534; Hosius, De loco et aucto-
ritate romani pontificis in Ecclesia Christi et conciliis, in-fol.,
Cologne, 1567; Pighius, Asserlio hiérarchise ecclesiastica-,
ad Paulum III, in-fol., Cologne, 1538, ouvrage de haute
valeur; Masson (Jacobus Latomus), Tractatus de primaiu
romani pontificis, dans la Bibliotheca maxima pontificia
de Roccaberti, t. xm; Lindanus, De vera Christi Ecclesia,
in-fol., Cologne, 1572; Jean van den Rundere. Compendium
rerum tlwologicarum quœ hodie in conlroversiam agitantur,
in-fol., Anvers, 1562; Reginaldus Polus (Pôle, Poole), Pro
ccclesiasticœ unilatis defensione libri quatuor, in-fol., Rome,
1538; Pro primatu romanœ Ecclesia-, in-fol., Strasbourg,
1555; De summo pontifice Christi in terris vicario ejusque
officio et poteslate, ad regem Henricum VIII, in-fol., Louvain,
1569; Re/ormatio Anglica- an. 1SS6, in-fol., Rome, 1562;
Nicolas Harpsfield, Sex dialogi contra SS. pontificatus
oppugnalorcs, in quibus auctorum anglicanœ apologiœ
mendacia detegunlur, in-fol., Anvers, 1566; P. de Soto,
Defensio assertionis catholicœ fidei, c. lxxiv, in-fol., Anvers,
1557; Fr. Horantius (Orantés), De locis catholicis pro romand
fuie adversus Calvini institutiones, !. VI, in-fol., Venise,
1564; Fr. Turrianus (Torrès), De summi pontificis supra
concilium auctoritate, in-fol., Florence, 1551; Campeggi,
De auctoritate et poteslate romani pontificis, in-fol., Venise,
1562, inséré par Roccaberti, dans sa Bibliotheca maxima
pontificia, t. xix, p. 568 sq. ; Cantarini, De poteslate pontificis,
in-4», Paris, 1571; Venise, 1589; Gr. de Valentia, Analyste
fidei catholicœ, in-fol., Ingolstadt, 1585; Th. Stapleton,
Prineipiorum fidei doclrinalium demonstratio melhodica,
in-fol., Paris, 1579; De ntagnitudine Ecclesiœ romanœ,
in-fol., Anvers, 1599; Rellarmin, IIP Conlroversia generalis,
De summo pontifice, in-fol., Ingolstadt, 1586, Opéra omnia,
8 in-4°, Naples, 1872, t. i, p. 305-325; Suarez, Defensio fidei
catholicœ adversus anglicanœ sertœ errores, Opéra omnia,
23 in-4°, Lyon et Cologne, 1594-1655, t. xxm; 28 in-4°,
Paris, 1856-1878, t. xxiv.
2° Au XVII' siècle. — André du Val, Elenchus libelli de
ecclesiastica et politica poteslate pro suprema romanorum
pontificum in Ecclesia auctoritate, in-8°, Paris, 1612, 1613;
l'auteur s'y montre un des plus grands adversaires de Richer
et du richérisme, dont il prévoit toutes les conséquences
désastreuses; De suprema romani pontificis in Ecclesiam
poteslate, in-4», Paris, 1614; Traclatus de SS. pontificis
auctoritate, in-4°, Évreux, 1622, sous le pseudonyme de
Jean Lejan; Eudémon, Admonitio ad lectores librorum
Marci Antonii de Dominis, in-8°, Cologne, 1619; Boudot,
Pijthagorica Marci Antonii de Dominis nova metempsy-
chosis, in-8°, Paris, 1621; Beaulieu (Théophraste Bouju),
Défense pour la hiérarchie de l'Église et de Notre Saint-Père
le pape, in-8°, Paris, 1613; Ramon, De primatu S. Pétri et
SS. pontificum romancrum ejus successorum, in-4°, Toulouse,
1617; Martin Bécan, De republica ecclesiastica libri quatuor,
contra M. Anlonium de Dominis, in-8°, Mayence, 1618;
Nardi, Assertio suprema- poteslatis romani pontificis adversus
Ant. de Dominis, in-4°, Anvers, 1619; Coeffeteau, Pro sacra
monarchia Ecclesiœ catholicœ, apostolicœ et romanœ adversus
rempublicam Marci Antonii de Dominis, libri quatuor apo-
logetici, 2 in-fol., Paris, 1623; Maucler, De monarchia divina,
ecclesiastica, et seculari christiana, in-fol., Paris, 1622;
Fénelon, De summi pontificis auctoritate dissertatio. Œuvres
complètes, 10 in-8°, Paris, 1853, 1851, t. n, p. 1-127; Petau,
De Photino ha-rctico ejusque damnatione dissertatio, in-8",
Paris, 1636; De poteslate consecrandi et sacrificandi sacer-
dotibus a Deo concessa... diatriba adversus novam asserlionem
anonymi cujusdam (Grotii) qui christiani sacrificii conse-
crandi offerendique poleslatem eliam laicis atlribuit, in-8°,
Paris, 1639; Londres, 1685; Dissertationum ecclesiasticarum
libri duo, in-8", Paris, 1641; De ecclesiastica hierarchia libri
quinque, in-8°, Paris, 1643; Sirmond, De Photino luvretico
ejusque damnatione in quinque synodis, in-8°, Paris, 1651 ;
Concilia antiqua Galliœ a seculo IV ad -Y, 3 in-fol., Paris,
1629; Charlas, Tractatiis de libertalibus Ecclesiœ gallicanœ,
Liège, 1684; 3 in-4°, Rome, 1720; De la puissance de l'Eglise,
ou réponse au traité historique de M. Maimbourg de l'éta-
blissement et des prérogatives de l'Eglise de Rome et de ses
évesques, 1687; Primatus juridictionis romani pontificis
assertio, seu responsio ad dissertationem EU. Dupin de
primatu romani pontificis, in-4°, Cologne, 1700.
3° Au XVII f siècle. — Busaeus, Poleslas jurisdictionis
sacra- a supremo Ecclesiœ capite Christo in Petrum ejusque
successores romanos pontifices, ab his in episcopos immédiate
transfusa dissertatio hislorico-dogmatico-theologica, in-4°,
Fulda, 1758; Hiérarchise ecclesiasticœ ordo, dignitate et
1353
GOUVERNEMENT ECCLÉSIASTIQUE — GRACE
1554
potestate primus, seu episcopatus poteslate ordinis et juris-
dictionis simplici presbytero jure divino superior... asserlus et
vindicatus, in-4°, Fulda, 1758; Krupp, De verso ac geminoa
Christo instiluto societatis ac poteslatis ecclesiastica' systcmale,
in-8°, Bonn, 1782, ouvrage singulier : l'auteur, tout en
admettant la primauté du pape, nie que le gouvernement
ecclésiastique soit une monarchie; Glœtzge, Traclatus de
variis in hierarchia ecclesiastica ordinibus, in-8", Augsbourg,
1782; Molinelli, Del primate dell' aposlolo sait l'ietro e dei
romani ponte fie i suoi snecessori, in-8°, Rome, 1784; De
Stracutio, In ponlificii primatus jurisdictionem exercitatio,
in-8°, Palerme, 1784; Mozzi de'Capitani, Storia compendiosa
dello scisma délia nuova Chiesa d'Utrecht, in-8°, Ferrai e,
1785, 1786, livre que Pie VI loua par son bref du 8 juin 1785,
mais qui fut attaqué par Bossi, chanoine de Milan, Del
cattolicismo délia Chiesa d'Utrecht in-8°, Milan, 1780,
libelle mis à l'Index, l'année suivante; Mozzi répondit par
une réfutation victorieuse dans un ouvrage de longue
haleine, Storia délie revoluzioni délia Chiesa d'Utrecht,
3 in-8°, Venise, 1787; Bossi ayant répliqué par ses Lellcre
Ultrajetline, Mozzi lui répondit encore par la Riposta paci-
fica al cavalière Milanese, in-8°, Bergame, 1788; et par
Cinquanta ragioni e motivi pé'quali la Chiesa cattolica romana
deve essere pre/erita a tutte le odiose setle del cristianesimo,
in-8", Bassano, 1789; Cuccagni, De mutais Ecclesiee cl
imperii officiis erga religionem et publicam Iranquillilatcm,
in-8°, Pérouse, 1785, ouvrage contre le joséphisme; Lettere
paci fiche, in-8°, Rome, 1786; Ragionamento sulla podeslà del
romano pontefwc e sulla obbidienza che gli debono tutti i
cristiani, in-8°, Rome, 1787; Délia autorità c délia juris-
dizione del romano ponte fiée sulla crezionc e dislribuzione
de' vescovadi, sulla elezione e consecrazionc de' vescovi, c
sulla disciplina délia Chiesa, in-8°, Rome, 1788; Bianucci,
Libellas de concilio hierosolgmitano, et quod ex illo jus voti
decisivi in conciliis intuitu simplicium sacerdotum non
eruatur, in-8°, Rome, 1787; Pecci, De statu quœstionis circa
jura episcopalia, in-8°, Rome, 1787; Franceschi, An parochi
ad synodum diocesanum vocati, admittendi sini ad votum
decisivum, spectalo proprio ipsorum ac primitivo charactere,
in-8°, Pise, 1787; Martini, Responsio alque declaralio contra
librurn ab episcopo Collensi circa qua'slionem de decisivo
parachorum voto pra'lcctum, in-8°, Florence, 1787; Borgo,
Lettere ad un prelato romano sulla idea falsa, scismatica,
erronea, eretica, contradiltoria, ridicola, délia Chiesa formata
al modo di Pistoja, in-8°, Assise, 1788, 1790; Fuensalida
(Antoine Rasier), Analisi del concilio diocesano di Pistoja,
in-4°, Assise, 1790; Prediche polemiche sopra san Pietro e i
suoi successori e il divin loro i>rimato, in-S°, Foligno, 1784;
Muzzarini, Quale totalilà di consenso décida la controversia
nelle materic di fede, in-4°, Pérouse, 1790; l'auteur prouve
avec une grande solidité de doctrine qu'il n'est pas besoin
du consentement de l'Église universelle pour trancher
définitivement les controverses en matière de foi; Vannucci,
De originariis episcoporum juribus, de parochorum voto in
conciliis, et de suffragiorum in eisdem pluralitate, in-8°,
Rome, 1787; D. Foppoli, I.'ultimo tribunale degli appelli,
2 in-8°, Côme, 1784; I fondamanli délia dignità pontificia,
in-8°, Côme, 1789; Fontana, Difesa dell' episcopato contra
le moderne pretensioni di alcuni paroclii, in-8", Venise, 1789;
Moliner, Sobre cl primado del papa, in-8", Madrid, 1790;
Du Doyar, Lettres d'un chanoine pénitencier de la métropole
de... à un chanoine théologal de la cathédrale de... sur les
affaires de la religion, in-8°, Rouen, 1790, solide réfutation
du joséphisme, rééditée plus de vingt fois; Recco, Ragiona-
mento polemico délia esistenza di vera jurisdizione nella
Chiesa cattolica, stabilita nell' autorità del romano pontefice
e délia sua sede, in-8°, Rome, 1791 ; Sanna, Il peccato in
religione ed in logica degli atti e decreti del concilio diocesana
di Pistoja, 2 in-4°, Assise, 1791, l'une des meilleures
réfutations des nombreuses erreurs du concile de Pistoie;
Rérardier, Les principes de la foi sur le gouvernement de
l'Église, en opposition avec la constitution civile du clergé,
in-8°, Paris, 1791, dont il parut jusqu'à quatorze éditions
en un seul mois; L'Église constitutionnelle confondue par
elle-même, in-8°, Paris, 1792; Guasco, Dizionario Ricciano ed
anliricciano, in-4", Sora, 1793, réfutation de toutes les
erreurs des partisans de Ricci et du synode de Pistoie;
Marchetti, Testimoniale délia Chiesa di Francia sopra la
Costituzione civile del clero, in-8°, Rome, 1793; L'autorità
suprema del romano pontefice dimostrata, in-8°, Rome, 1787;
/ Ire capilali, in-8°, Rome, 1796; Bonola, Originarii diritli
episcopali, in-4°, Foligno, 1794, contre le synode de Pistoie;
Gerdil, De sacri regiminis ac praesertim pontificii primatus
proprio ac singulari jure, in omnis ecclesiasticx jioteslatis
communicandai ralione, in-4°, Rome, 1800; l'auteur publia
aussi un grand nombre d'opuscules sur le même sujet, les-
quels se trouvent dans les t. v-vn de ses œuvres complètes,
7 in-S°, Florence, 1844-1850.
4° Au XIX' siècle. — Muzzarelli, De auctoritate romani
pontificis in conciliis generalibus, 2 in-8°, Gand, 1815;
Infaillibilité du pape prouvée par les principes mêmes et le
sentiment universel de l'Église gallicane, in-12, Avignon, 1820,
1846; Anfossi, Difesa délia bolla Auctorem fidei, in-8°,
Rome, 1816; De Maistre, Du pape, 2 in-8», Lyon, 1818,
1821, 1830, 1845; Bruges, 1882; De l'Église gallicane dans
son rapport avec le souverain pontife, pour servir de suite à
l'ouvrage intitulé : Le pape, in-8°, Lyon, 1821, 1822, 1829,
1845, etc.; Adorno Hinijosa, El sinodo de Pistoya como es
en si o sea los jansenistas modernos convencidos de irreligion
y de anarquia, publié dans le t. xx de la Bibliotheca de
religion, 20 in-8°, Madrid, 1826-1829; Weith, Edmundi
Richcrii systema de ecclesiastica et politica poteslate confu-
Uitum, in-8<\ Malines, 1825; Giudetti, Difesa contro la falsa
dottrina del sinodo di Pistoja, in-8°, Lucques, 1827; Bouix,
De papa, 3 in-8°, Paris, 1809-1870; Guéranger, La monarchie
pontificale à propos du livre de Mgr l'évêque de Sura, Le pape
et les évêques, in-8", Paris, 1870; Puyol, Étude historique et
critique sur le renouvellement du gallicanisme au XVW siècle,
2 in-8", Paris, 1876; Palmieri, De romano ponlifice, Prole-
gomen., § 12-15; part. II, thés, xv-xx, in-8°, Rome, 1877,
p. 64-107, 387-471 ; Gréa, De l'Église et de sa divine consti-
tution, in-8°, Paris, 1885; Mazzella, De religione et Ecclcsia,
disp. III, a. 7, 8, in-8°, Rome, 1885, p. 408-438; Franzelin.
De Ecclesia Christi, sect. il, c. n, thés, x-xi, in-8°, Rome,
1887, p. 124-163; Wilmers, De Christi Ecclesia, Prolegomen.,
a. 3; 1. II, c. v, a. 2; 1. III, c. i, a. 2, in-8°, Ratisbonne, 1897,
p. 17 sq., 115-133, 188 sq.; Pesch, Prœlectiones iheologica-
dogmatica', De Ecclesia Christi, part. II, sect. i, prop. 3:;, :: I.
9 in-8", Fribourg-en-Brisgau, 1897-1903, t. n, p. 202-237;
Billot, De Ecclesia Christi, part. II, c. ni, q. Xll-xm, in-S",
Rome, 1903, p. 498-586; Turmel, Histoire de la théologie
positive, 2 in-8°, Paris, 1906, t. n.
T. Ortolan.
GOZZE Ambroise, d'une noble famille dalmate de
Raguse, entra clans l'ordre de saint Dominique au
couvent de sa ville natale. Maître en théologie et
religieux zélé, Paul V le choisit pour évoque des églises
réunies de Mercana et Trébigna en Dalmatie, le
25 juin 1609. Il fut sacré à Rome dans l'église de
Saint- Jean des Florentins par le cardinal Aquaviva,
le 5 juillet suivant. Il fut ensuite transféré au siè?4p de
Stagno, toujours en Dalmatie, le 23 mars 1615. C'est là
qu'il mourut le 13 juillet 1632. Gozze a public :
1 ° Rejormationcm calendarii perpetui juxla calendarium
Gregorianum: 2" Tabulant ordinationum capitulorum
generalium ordinis ab anno Domini 1542 usque ad
annum 1601, ms., aux archives de Raguse; 3° Lc-
ctiones super logicam Pétri Hispani; 4° Librum simi-
liludinum cl cxcmplorum 1090 pro prœdicaloribus;
5° Correciionem in commenlarios Ludovici Vives ml
libros S. Augustini De civitale Dei; 6° Correcliones in
figuras F. Antonii de Rcmpelogis eremitani ; 7° Cala-
logus virorurn ex familia preedicatorum in lileris
insignium, Venise, 1005, essai de bibliothèque domi-
caine qui trouvera son développement dans Alta-
mura, Fontana et surtout Echard.
Echard, Scriplores ordinis prœdicatorum, Paris, 1719-
1721, t. n, p. 414; Fontana, Sacrum theatrum dominicanum,
Rome, 1006, p. 234 et 299, a tort il donne 1020 pour date
de sa mort; M. Cavalieri, Galleria de sommi pontefici, etc.,
Bénévent, 1696, t. i, p. 554; même erreur que Fontana,
faite d'ailleurs par Echard lui-même; Gliubich, Diziona-
rio biografico degli uomini illustri délia Dalmazia, Vienne,
1856, p. 167 ; Gains, Séries episcoporum, p. 421; Bullar.
ordinis prœdicatorum, Rome, 1733, t. v, p. 721-726.
R. COULON.
GRACE. Nous étudierons successivement : I. la
grâce considérée en général; II. la grâce habituelle ou
sanctifiante; III. la grâce actuelle.
I. GRACE CONSIDÉRÉE EN GÉNÉRAI I. Notion.
II. Existence. III. Nécessité. IV. Distribution.
L555
GRACE
1556
1. Notion. — 1° Signification du mot. — Le mot
grâce, en latin gratia, en grec "/.«p'5, a différentes signi-
fications : nous en indiquerons les principales, qui se
rencontrent dans le Nouveau Testament.
Grâce signifie : 1. bienveillance, faveur que l'on a
à l'égard de quelqu'un, par exemple, gratia Dei eral in
illo, Luc, ii, 40, spécialement la bienveillance et la libé-
ralité de Dieu à l'égard des hommes, par exemple, gratia
vobis et pax a Deo Pâtre nostro, I Cor., i, 3; sed non sicul
delictum ita et donum. Si enim unius deliclo multi mortui
sunt : multo magis gratia Dei et donum... abundavit.
Rom., v, 15.
2. Grâce signifie aussi la conséquence ou l'effet de la
bienveillance, c'est-à-dire le bienfait, le don gratuit,
spécialement l'ensemble des dons concédés par Dieu
aux hommes en vue de leur sanctification et de leur
salut, un état de sainteté : exhorlamur ne in vacuum gra-
tiam Dci recipiatis, II Cor., vi, 1 ; habemus accessum per
fidem in gradam istam in qua slamus, Rom., n, 5;
obsecrans et obleslans hanc esse veram graliam Dei in
qua statis, I P. t., v, 12; crescitc in gratia Dci, II Pet.,
m, 18; ou bien un don spécial concernant le salut, par
exemple, cl obslupucrunl ex circumeisione fidèles, qui
vénérant cum Pelro : quia et in nalione gratia Spirilus
Sancti cjfusa est, Act., x, 45; secundum gratiam Dei,
quse data est mihi, ut sapiens architectus fiindamentum
posui, I Cor., in, 10; gratia Dei sum id quod sum et
gratia ejns in me vacua non fuit, sed abundanlius Mis
omnibus laboravi; non ego autem, sed gratia Dei mecum.
I Cor., xv, 10. Cf. I Tim., iv, 14; I Cor., xn, 4 sq. ;
II Cor., vin, 6; xn, 19.
Le mot grâce est aussi employé pour désigner la con-
dition de l'homme juste après la venue de Jésus-Christ
et la caractéristique de l'œuvre accomplie par le Christ :
dans ce sens, grâce est opposée à la loi (mosaïque) :
peccabimus, quoniam non sumus sub lege, sed sub gra-
tia ? Rom., vi, 15 ; lex per Moysen data est, gratia cl veri-
tas per Jesum Christum facla est. Joa., i, 17.
3. La grâce est une qualité d'une personne ou d'une
chose, qui la rend aimable ou agréable aux autres, par
exemple, ut dci (serino) gratiam audientibus, Eph., iv,
20; ha-c est gratia apud Deum. I Pet., n, 20.
4. Enfin grâce signifie la reconnaissance pour le bien-
fait reçu, par exemple, numquid gratiam habet servo
illi? Luc, xvn, 9; gratia Dei per Jcsum Christum,
Rom., vu, 25; gratias ago Deo meo semper pro vobis.
I Cor., i, 4.
Sur les significations du mot grâce, voir Wahl, Clavis Novi
Teslamenti, Leipzig, 1843; Grimm, l.exicon grœco-latinum in
libros Novi Tcstamenti, Leipzig, 1903; Hagcn, Lexicon bibli-
cum, Paris, 1907, t. n ; Zorell, Novi Teslamenti lexicon grœcum,
Paris, 1911.
2° Signification spéciale dans le langage théologique
— Il faut étudier spécialement le sens, indiqué en se-
cond lieu, celui de bienfait, de don gratuit, de chose
donnée par pure bienveillance, tout gratuitement, sans
qu'il y ait, de la part de celui qui la reçoit, un droit ou
une exigence. C'est la signification formelle, expliquée
par saint Paul, Rom., xi, 6 : il y parle des Israélites qui
sont arrivés au christianisme; ils ont été sauvés par le
choix divin, absolument gratuit, dû uniquement à la
bienveillance de Dieu à leur égard : « Si c'est par grâce,
dit saint Paul, ce n'est plus par les œuvres; autrement
la grâce cesse d'être une grâce. » Le don, en tant qu'il
est gratuit, est une grâce.
Tout don, fait par Dieu à ses créatures, est gratuit;
mais il y a une gratuité spéciale qui est propre à cer-
tains bienfaits et n'affecte pas les autres, c'est celle des
bienfaits surnaturels. Bien que le mot grâce désigne
souvent, chez les Pères, les dons naturels, cependant la
signification spéciale de don surnaturel, distinct de la
nature, est attachée par certains Pères au mot grâce,
même avant saint Augustin. Cf. Hurter, Compendium
thcologise dogmalicœ, Inspruck, 1890, t. m, n. 0, p. 5 sq.
Tertullien, Adversus Marcionem. 1. V, c xvn, expli-
que le texte, Eph., n, 10, et dit qu'autre chose est signi-
fiée par facerc, autre chose par condere : c'est le même
créateur qui est la cause des deux opérations, mais
l'effet en est différent; l'une (facerc) a pour terme la
substance ou nature, l'autre la grâce. Quantum enim ad
subslantiam fccil (Deus), quantum ad gratiam condidit.
Tertullien attribue à l'influence prépondérante de la
grâce les bonnes œuvres, la conversion, et dit : Hsec erit
vis divines gratiœ, potentior utique natura, habens in
nobis siibjacentem sibi liberi arbilrii polestalem... quœ
cum sil et ipsa naturalis alque mulabilis, quoquo vertitur,
natura converlilur. De anima, n. 21, P. L., t. n, col. G85.
Voir d'Alès, La théologie de Tertullien, Paris, 1905,
p. 264 sq., 326 sq. Saint Cyrille de Jérusalem, Cal.,
m, enseigne que ce n'est pas par nature que nous
sommes fils de Dieu, mais par adoption : cette adop-
tion, il l'appelle : ta grâce. P. G., t. xxxm, col. 444.
Saint Ambroise enseigne que celui qui n'est pas Dieu
par nature, l'est par grâce, comme l'homme, ou ne l'est
pas du tout, comme les démons. De incarnalionis
Domini sacramento, c. vin, n. 83, P. L., t. xvi, col. 839.
Saint Jérôme, Adversus Jovinianum, 1. II, n. 29, P. L.,
t. xxm, col. 326, parle de l'unité morale, qui constitue
la société chrétienne, la met en rapport avec Dieu et
fait en sorte que les hommes soient unis à Dieu : cette
union avec Dieu n'est pas le résultat de la nature, mais
bien de la grâce. Saint Augustin montre Dieu créant
dans les anges- la nature et leur faisant en même temps
largesse de la grâce. Simul in eis et condens naturam et
largiens graliam. De civilale Dei, 1. XII, c. ix, P. L.,
t. xli, col. 357. En défendant contre les pélagiens la
nécessité de la grâce, il est plus d'une fois amené à dire
ce qu'il entend par ce mot : c'est un ensemble de dons,
se rapportant au salut, et réellement distincts de la
nature et des perfections qui lui sont propres; si l'on
peut appeler grâce le don de la création, si l'on peut
appeler grâce ce par quoi l'homme se distingue de l'être
inanimé, de la plante et de la bête, cependant c'est une
grâce différente de celle par laquelle nous sommes pré-
destinés, justifiés, glorifiés. Celle-ci est propre aux chré-
tiens, elle n'est pas la nature, mais elle la sauve, elle
n'est pas un secours extérieur à l'homme, mais une
forme interne. Epist., clxxvii, n. 7; cf. Epist., cxciv,
n. 8; ccxvn, n. 11, P. L., t. xxxm, col. 767, 877, 982.
Le même docteur, De spiritu et littera, c. xxxm,
n. 57, P. L., t. xliv, col. 257, sedemandesi la volonté
de croire est un acte naturel ou un don de Dieu : il
marque ainsi la distinction entre nature et grâce. Saint
Cyrille d'Alexandrie exprime très clairement et de façon
tout à fait explicite la surnaturalité de la grâce :
par le Christ nous sommes élevés à une dignité surna-
turelle : v.i xo j-Èp çuaiv à?i<oaa... La créature, qui par
elle-même est esclave, est appelée à jouir de biens sur-
naturels par la seule volonté de Dieu. In Joa., 1. I,
c. ix, P. G., t. lxxiii. col. 153; cf. 1. XI, c. xi, t. lxxiv,
col. 553; De sancla et consubslanliali Trinilale, diaL iv,
t. lxxv, col. 882, 908. Dans les prières liturgiques le
caractère surnaturel de la grâce est exprimé principale-
ment par l'effusion du Saint-Esprit : Effunde, qusesu-
mus, Domine, Spirilum gratias super familiam tuam;
Spirilum nobis, Domine, tuit charilatis infunde, et par
l'opération du Saint-Esprit en l'âme : Mentes nostras
quxsumus, Domine, Sanctus Spirilus divinis prseparel
sacramenlis. Adsit nobis.., virtus Spirilus Sancli qui et
corda noslra clcmenter expurget. Sacramentarium leoni-
num, édit. Feltoe, Cambridge, 1890, p. 80, 134,27.
Les scolastiques ont approfondi cette notion et saint
Thomas explique que les dons naturels sont gratuits
parce qu'on ne peut pas les mériter. Les dons surna-
turels sont gratuits à double titre, parce qu'on ne peut
pas les mériter et parce qu'ils sont positivement indus
1557
GRACE
1558
à la nature à laquelle ils sont conférés. Gntia, secundum
quod gratis datur, excluait rationem debiti. Potest autem
inlelligi duplex debilum, unum quidem ex mcrito pro-
venions, quod refertur ad personam cujus est agcre meri-
toria opéra... Aliud est debilum secundum condilionem
nalurse; puta si dicamus debitum esse homini quod
habeat rationem et alla quse ad Iiumanam pertinent
naturam. Dona naluralia curent primo debito, non
aulem carent secundo. Sed dona supernaluralia ulroquc
debilo carent et ideo spccialius sibi nomen gratiœ vindi-
cant. Sum. thcol., V IF'1, q. exi, a. 1, ad 2'"".
Les théologiens définissent la grâce, considérée en
général : un don surnaturel (ou l'ensemble des dons
surnaturels) concédé par Dieu à une créature douée
d'intelligence en vue du salut éternel.
Il faut cependant observer que chez les scolastiques
anciens, tels que saint Bonaventure, saint Thomas, le
mot gratia, employé sans épithète, signifie, ordinaire-
ment, non la grâce considérée en général, mais la grâce
sanctifiante ou habituelle, en tant qu'elle se distingue
et des vertus infuses et du secours transitoire ordonné
immédiatement à l'opération. Cf. S. Thomas, In IV
Sent., 1. II, dist. XXVI; De veritale, q. xxiv, a. 14;
Cont. génies, 1. III, c. clvi; Sum. thcol., P IIœ, q. cix,
ex, a. 3, ad 3""; Capréolus, In IV Sent., 1. II, dist.
XXVIII, q. i.
3° Division de la grâce. — Saint Thomas, In IV
Sent., 1. II, dist. XXVI, q. i, a. 1, dit que le Saint-
Esprit lui-même, parce qu'il est gratuitement donné à
l'homme, peut être appelé grâce, bien qu'il faille
admettre, en l'homme justifié, un effet distinct de
Dieu et produit par lui : c'est la grâce créée. Cf. De
veritale, q. xxix, a. 1 ; Sum. theol., I», q. xliii, a. 3.
1. De là la distinction entre grâce incréée et grâce
créée. La grâce incréée est Dieu lui-même, en tant que
par son amour il se donne surnaturellement à l'homme.
La grâce créée est le don surnaturel produit en l'homme.
Cf. Suarez, De gratia, proleg. III, c. ni, n. 2, Opéra
omnia, Paris, 1856, t. vu, p. 137. Le même auteur, De
gratia, 1. VIII, c. n, t. ix, p. 313 sq., explique que la
grâce sanctifiante, bien qu'elle soit produite immédia-
tement par Dieu, a cependant une cause matérielle,
c'est-à-dire un sujet dans lequel elle est infuse; c'est
pourquoi l'action divine, qui produit la grâce sancti-
fiante, n'est pas une action créatrice ou une création
au même sens où l'est l'action de Dieu produisant de
rien une substance ou un être qui existe en lui-même,
sans qu'il soit inhérent à un autre être. Cette considé-
ration, qui concerne l'exactitude de la terminologie,
n'infirme en rien la notion vraie de la surnaturalité et
de l'extrinsécisme de la grâce. Cf. Maupréaux, Revue
auguslinienne, 1909, t. xv, p. 106 sq., 753 sq.
2. Quand on considère l'origine de la grâce, on peut
distinguer la grâce de Dieu et la grâce du Chriit
rédempteur. Grâce de Dieu est tout don surnaturel
concédé indépendamment des mérites du Christ ré-
dempteur. La grâce du Christ rédempteur est tout don
surnaturel concédé dépendamment de ces mérites.
Ainsi toutes les grâces proprement dites (nous ne
parions pas des bienfaits purement naturels) accordées
à l'homme après la chute d'Adam sont des grâces du
Christ rédempteur; les grâces, au contraire, concédées
aux anges et à nos premiers parents, avant le péché,
sont des grâces de Dieu. Nous avons dit du Christ
rédempteur : la distinction reste établie même si l'on
admet l'opinion de certains théologiens, suivant les-
quels l'incarnation du Verbe aurait eu lieu, en vertu du
décret actuel de la providence, même si Adam n'avait
pas péché, et, par conséquent, toutes les grâces auraient
été octroyées dépendamment du Christ, alors même
qu'il n'y eût pas eu de rédemption. C'est l'opinion de
Duns Scot, In IV Sent., 1. III, dist. VII, q. m; voir
Duns Scot, t. iv, col. 1890 sq.; autre est l'opinion de
saint Thomas, Sum. thcol., III», q. i, a. 3. Suarez, De
gratia, I. I, proleg. III, c. n, n. 9, t. vu, p. 135 sq.,
défend l'opinion de Scot.
3. Par rapport au sujet qui reçoit la grâce, celle-ci
est externe ou interne. Externe est tout don surnaturel
qui est en lui-même et reste extrinsèque à l'homme, par
exemple, la prédication de la vérité révélée, la loi
divine révélée par Dieu, les exemples des saints, les
miracles. Certains théologiens étendent fort loin cette
dénomination et l'appliquent à des effets, en soi natu-
rels, mais ordonnés par Dieu à la sanctification sur-
naturelle ou au salut éternel des hommes. Ad gratiam
externam, prxter prœdicationem Evangelii, cxemplum
Chrisli aliaque facla supernaluralia recte revocantur
bénéficia per se naluralia, quibus Deus ulitur ad nos
supernaturaliler movendos, ut rcmolio occasionis pec-
candi, societas bonorum hominum, felices rerum eventus,
cliam morbi, inforlunia cl ipsa mors. IIœ quidem res per
se sunl iiidijjerentcs, sed nihilominus Deus ex benevo-
lenlia potest cas disponere, ut simul cum gratia interna
salutem conducant. Pesch, Prœlcctiones dogmaticœ,
Fribourg-en-Brisgau, 1908, t. v, n. 25. Mais nous ne
comprenons pas comment on peut appeler grâces
actuelles ces réalités qu'on vient d'énumérer : c'est
donner lieu à des confusions. La grâce interne est tout
don surnaturel qui se trouve dans le sujet qui le reçoit.
Cf. Suarez, De gratia, proleg. III, c. ni, n. 10 sq.,
t. vu, p. 139 sq.
4. Saint Thomas, Cont. génies, 1. III, c. cl, cliv;
Sum. thcol., I" IIœ, q. cxr, a. 1, expose la distinction
entre la grâce gralum faciens et la grâce gratis data. La
première unit à Dieu et lui rend agréable l'homme qui
la reçoit : c'est un don qui sanctifie celui auquel il est
octroyé. Pour saint Thomas, c'est la grâce sanctifiante
seule. La grâce gratis data est un don par lequel celui
qui la reçoit coopère à amener les autres au salut : c'est
donc un bienfait concédé principalement en vue du
salut d'autrui. A ce genre de dons se rapportent les
charismes, indiqués par saint Paul, I Cor., xn, 8.
Alexandre de Halès, Sum. theol., part. III, q. lxxiii,
m. n, et saint Bonaventure, In IV Sent., 1. II, dist.
XXVIII, a. 2, q. i, Opéra omnia, Quaracchi, 1882 sq.,
t. ii, p. 682 sq., désignent par l'expression gratis dala,
non seulement les dons, que nous venons d'indiquer,
mais encore ce que nous appelons maintenant la grâce
actuelle. Suarez, op. cit., c. iv, n. 15, p. 147 sq., et les
théologiens modernes classent sous le genre gratum
faciens tout don surnaturel interne concédé à l'homme
en vue de son salut personnel, et sous le genre gratis
data tous les secours accordés à quelqu'un en Mie du
salut des autres. Cf. Jungmann, De gratia, 6e' édit.,
Batisbonne, 1896, n. 9; Hurter, op. cit., n. 10.
5. La grâce actuelle est un secours transitoire par
lequel l'homme est mû par Dieu à une opération salu-
taire; la grâce habituelle est un don, qui est infus dans
l'âme et y demeure inhérent, à la manière d'une qua-
lité permanente. Saint Thomas n'emploie pas l'expres-
sion actualis gratia, mais il connaît la réalité indiquée
maintenant sous cette dénomination. Cf. Sum. theol.,
P IIœ, q. ex, a. 2.
D'autres distinctions sont encore en usage : nous en
parlerons plus loin, quand nous expliquerons l'essence
de la grâce habituelle et de la grâce actuelle.
II. Existence. — Avant de démontrer l'existence
de la grâce, il faut préciser la notion de la réalité
désignée par ce mot.
Nous avons dit plus haut que nous entendions par
grâce tout don surnaturel fait par Dieu à une créature
intellectuelle en vue du salut éternel. La grâce, consi-
dérée sous ce concept générique, existe : en effet, l'état
du premier homme, tel qu'il est décrit au livre de la
Genèse, implique des dons positivement indus à la
nature humaine. La révélation, proprement dite, c'est-
1559
GRACE
1560
à-dire la manifestation d'une vérité failc directement
par Dieu à une créature, est un bienfait surnaturel.
Toute créature douée d'intelligence est par là même
positivement ordonnée à connaître, notamment à
connaître Dieu et, jusqu'à un certain point, ses œuvres.
( '.cl l e connaissance naturelle est proportionnée au degré
d'intellectualité de la créature et s'obtient par des
moyens à sa portée. Mais aucune créature ne peut
avoir d'elle-même une exigence ou un droit à ce que
Dieu lui-même lui parle ou l'instruise. Cf. Mercier,
O. P., dans la Revue thomiste, 1902, t. x, p. 30(5 sq. ;
1908, t. xvi, p. 525.
La révélation divine, alors même qu'elle ne com-
prendrait pas des mystères proprement dits, est tou-
jours une communication surnaturelle de Dieu avec la
créature : elle est une grâce externe par rapport à celui
auquel elle s'adresse. La révélation, considérée objec-
tivement, c'est-à-dire l'ensemble de vérités révélées
par Dieu et proposées avec les motifs suffisants de cré-
dibilité, peut avoir pour conséquence la foi; cette foi
peut être naturelle; il n'y a aucune impossibilité physi-
que à ce que l'homme, par la seule activité de ses
facultés, admette sincèrement pour vrai ce qu'il sait
être révélé par Dieu et qu'il acquière cette conviction,
par son intelligence et par sa volonté, sans qu'il y ait
en lui un principe surnaturel et subjectif d'action.
Ainsi, en supposant l'incarnation, c'est-à-dire l'union
hypostatique d'une nature humaine avec une personne
divine, cette humanité pourrait avoir pour principale
fonction de susciter, dans les âmes, comme objet de
connaissance et d'amour, des actes de foi, d'espérance,
de charité, de reconnaissance, etc. Ces actes internes
pourraient être, quant à leur entité ou substance, pure-
ment naturels ; mais ils seraient surnaturels quant à
leur origine, quant à leur dépendance d'une union
surnaturelle, l'incarnation, quant à leur dépendance de
l'homme-Dieu : ces actes rentreraient dans la catégorie
de ces effets que les théologiens appellent surnaturels
quoad modum, c'est-à-dire quant à la manière dont ils
furent produits. Nous sommes d'avis que l'homme
peut, avec ses seules forces naturelles, croire des mystè-
res proprement dits, des vérités cjui surpassent la
portée naturelle de son intelligence : en ce cas, cette foi
serait naturelle quant à son entité et à sa substance, et
elle serait surnaturelle, non seulement quant au mode
dont elle a été produite, mais encore à un titre nouveau
parce que son objet matériel lui-même est au-dessus
de l'ensemble des vérités que l'intelligence créée peut
d'elle-même atteindre. Cf. Mercier, dans la Revue
thomiste, 1907, t. xv, p. 43 sq. ; David, De objecto
formait actus supernaluralis, Bonn, 1913.
On prouve donc déjà l'existence de la grâce, consi-
dérée en général, quand on démontre l'incarnation du
Verbe, l'enseignement de Jésus par ses paroles et ses
exemples, ses miracles, l'institution de l'Église et de
ses sacrements ; quand on démontre les effets, produits
dans les âmes, par l'activité du Christ : la foi, la per-
fection des chrétiens : ce sont des effets internes,
surnaturels au moins quant à leur mode de production,
et, par là-même, des grâces. Ils seraient de plus une
grâce, à un titre nouveau, si l'on démontrait qu'ils sont
le résultat d'une providence spéciale de la part de Dieu,
d'une élection, d'un acte particulier d'amour et de
bienfaisance en vertu de laquelle Dieu concède de fait
ces effets salutaires aux uns, et non aux autres. Il était
nécessaire de distinguer ces différentes raisons for-
melles de surnaturalité pour définir la réalité dont nous
voulons démontrer l'existence : il s'agit maintenant de
la grâce interne, c'est-à-dire d'une entité surnaturelle,
permanente ou transitoire, infuse par Dieu à l'âme,
surajoutée à son essence ou à ses facultés, devenant
principe d'opération surnaturelle et salutaire. Nous
prouverons cette doctrine par l'Écriture sainte, puis
par l'autorité des Pères, nous indiquerons enfin les
hérésies contraires.
1° Preuve tirée de V Écriture sainte. — 1. Enseignement
de Jésus-Christ. — Nous y trouvons énoncée l'assertion
fondamentale concernant l'origine et le maintien de
la vie nouvelle, surnaturelle et salutaire. Cette vérité
est rapportée par saint Jean. Sur l'historicité de ces
paroles, voir Lepin, La valeur historique du quatrième
Evangile, Paris, 1910, t. n, p. 8 sq., 240 sq.
Nicodème vient interroger le Christ sur le royaume
de Dieu, que prêchait Jésus ; Jésus lui dit : « En vérité,
en vérité, je vous le dis, nul, s'il ne naît de nouveau, ne
peut voir le royaume de Dieu... Nul, s'il ne renaît de
l'eau et de l'Esprit, ne peut entrer dans le royaume de
Dieu. Ce qui est né de la chair est chair et ce qui est né
de l'Esprit est Esprit. » Joa., m, 3, 5. Le Christ enseigne
donc que l'homme, pour être admis au royaume de
Dieu et, par conséquent, pour être sauvé, doit renaître
d'une manière immatérielle; cette naissance est le
commencement d'une vie nouvelle : de même que la
naissance selon la chair donne la vie physique et
matérielle, ainsi la naissance selon l'Esprit donne la
vie spirituelle. « Le royaume de Dieu est spirituel :
pour y entrer il faut être esprit; mais être esprit, c'est
avoir un autre être; on ne peut l'acquérir que par une
nouvelle naissance et ce ne peut être que par une
naissance selon l'Esprit, car de même que ce qui est né
de la chair est chair, ainsi ce qui est né de l'Esprit est
Esprit. » Lepin, op. cit., p. 179. Le Christ parle donc ici
d'une transformation de l'âme, d'une vie produite en
elle directement par un rite sacré et l'action immaté-
rielle de l'Esprit, et non d'une vie réalisée naturelle-
ment par l'activité humaine.
La vie, dont parle ici Jésus, est la même que celle
qu'il nomme, lorsqu'il dit : « Je suis le pain de vie. »
Joa., vi, 48. En effet, la renaissance spirituelle est le
commencement de la vie propre à ceux qui font partie
du royaume de Dieu, royaume qui se réalise déjà sur
cette terre et se continue éternellement dans l'autre
vie; la vie dont parle Jésus, quand il dit : Je suis le
pain de vie, est aussi celle de ceux qui font partie du
royaume, cette vie qui commence sur la terre et con-
tinue éternellement : « Je suis le pain vivant qui est
descendu du ciel... et le pain que je donnerai, c'est ma
chair, pour le salut du monde... En vérité, en vérité,
je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de
l'homme, et ne buvez son sang, vous n'aurez pas la vie
en vous-mêmes. Celui qui mange ma chair et boit mon
sang a la vie éternelle... Je suis le pain vivant descendu
du ciel. » Joa., vi, 51-54. La manne était une nourriture
miraculeuse, destinée à entretenir la vie corporelle, et
elle ne suffisait pas à la maintenir sans fin, à empêcher
la mort. La chair du Christ est aussi une nourriture; il
est évident qu'elle n'est pas destinée à entretenir la
vie corporelle des hommes, mais bien la vie spirituelle
et salutaire; cette vie qui, par sa nature, dure éternel-
lement. L'enseignement de Jésus peut se résumer
ainsi : « Pour avoir part à la vie éternelle, il faut com-
munier au Christ, manger sa chair et boire son sang;
cette communion fait passer en nous sa vie, lui-même,
si bien que nous sommes en lui et lui en nous, en vertu
de quoi nous avons droit à être par lui ressuscites au
dernier jour pour vivre éternellement. » Lepin, op. cit..
p. 250. Si nous rapprochons cette doctrine de celle qui
faisait l'objet de l'entretien de Jésus avec Nicodème,
nous conclurons : la vie, commencée dans l'âme par
la renaissance spirituelle, a une nourriture qui lui
convient; cette nutrition se fait par la manducation
réelle du corps de Jésus et la susception réelle de son
sang; la vie dont nous parlons, est ainsi caractérisée :
elle est la vie du Christ en nous. Cette vie n'est pas la
vie charnelle du Christ, mais une vie d'ordre spirituel;
cette vie n'est pas le résultat d'actes humains; elle
1561
GRACE
1562
n'est pas une perfection morale acquise par l'activité
de l'homme, mais elle est l'effet immédiat et de la
renaissance spirituelle et de la nutrition opérée par la
communion. Voir Communion, Eucharistie. Cette vie
est encore décrite par le Christ comme étant l'influence
vivifiante émanée de lui dans l'âme des fidèles, in-
fluence qui est le principe des actes salutaires : « Je
suis la vigne, vous êtes les sarments. Celui qui demeure
on moi, et en qui je demeure, porte beaucoup de fruits :
car, séparés de moi, vous ne pouvez rien faire. » Joa.,
xv, 5 sq. Cette union avec ie Christ inclut la charité
et celle-ci fait que la Trinité entière habite dans l'âme
du juste, xiv, 23.
2. Enseignement de saint Paul. — II n'entre pas
dans notre plan de faire un exposé complet de la doc-
trine de saint Paul concernant la grâce; nous nous
contenterons d'indiquer ce qui est requis à la démon-
stration que nous avons en vue. Pour saint Paul aussi,
l'origine de la justification de l'homme est sa renais-
sance au baptême. Tit., m, 5 sq. Cette renaissance est
une résurrection. Le baptême a pour effet immédiat la
mort au péché et la vie dans le Christ, a) « Ignorez-vous
(lue nous tous qui fûmes baptisés dans le Christ nous
fûmes baptisés en sa mort. Nous fûmes donc ensevelis
avec lui par le baptême (qui est) en sa mort, afin que
comme le Christ ressuscita des morts par la gloire du
Père, de même aussi nous marchions dans la nouveauté
de vie. Si, en effet, nous fûmes greffes sur lui par la
ressemblance de sa mort, nous le serons aussi par (celle
de) sa résurrection, sachant que notre vieil homme fut
crucifié avec lui afin que le corps du péché fût détruit,
pmr que nous ne soyons plus esclaves du péché; car
celui qui est mort est affranchi du péché. » Rom., vi,
3-7. Mourir au péché, c'est être séparé du péché, c'est
être délivré de la culpabilité du péché, c'est être délivré
de sa tyrannie et être mis en mesure de résister à ses
assauts. Le baptême délivre complètement de tout ce
qui est péché : « Plus de condamnation pour ceux qui
sont dans le Christ Jésus. » Rom., vin, 1. Hier, ils
pouvaient être idolâtres, impudiques, voleurs, détrac-
teurs, blasphémateurs; ils ont été « purifiés, sanctifiés,
justifiés au nom du Seigneur Jésus-Christ. » I Cor., vi,
11. L'affranchissement du péché n'est pas l'effet d'actes
ou efforts moraux de l'homme, par lesquels il corri-
gerait peu â peu ses vices et deviendrait maître de ses
passions; mais il est l'eiïet immédiat et instantané du
baptême lui-même, en tant qu'il symbolise la mort de
Jésus et reçoit une efficacité spéciale â rendre les
hommes participants aux fruits salutaires de la mort
de Jésus : c'est l'efficacité religieuse et transcendante
du baptême même. Cf. Tobac, Le problème de la justi-
fication dans saint Paul, Louvain, 1908, p. 246 sq.
b) La vie nouvelle est une participation de la vie du
Christ. Cette participation consiste à revêtir le Christ :
« Vous tous, en effet, qui avez été baptisés dans le
Christ, vous avez revêtu le Christ. Plus de juif ni de
grec..., tous vous êtes un dans le Christ. » Gai., ni,
27, 28. « Le baptême nous revêt du Christ : revêtus du
Christ, nous sommes fils de Dieu; revêtus du Christ,
nous ne sommes qu'un en lui. Pour que le raisonnement
tienne, il faut que le Christ, dans lequel nous sommes
plongés et que nous revêtons, soit conçu comme une
forme qui nous enveloppe, nous pénètre et nous
unifie. » Prat, La théologie de saint Paul, Paris, 1912,
t. il, p. 373 sq.
La vie nouvelle, reçue au baptême, consiste dans une
influence réelle (physique) et surnaturelle (comme nous
le démontrerons) du Saint-Esprit dans l'âme : cette
assertion ressort très bien du texte de saint Paul : « Dieu
nous a sauvés par le bain de régénération et de renou-
vellement de l'Espiït-Saint, qu'il a répandu sur nous
avec abondance par Jésus-Christ notre Sauveur, afin
que, justifiés par la grâce de celui-ci, nous devenions
héritiers, en espérance, de la vie éternelle. » Tit.,
m, 5-7. « En négligeant les points accessoires, le
baptême est un bain de régénération et de renouvel-
lement : un bain qui purifie l'âme de toutes les souil-
lures passées; de rég'n'ration, parce qu'il est une
seconde naissance par l'eau et le Saint-Esprit, qui nous
rend enfants de Dieu, comme la première nous a consti-
tués enfants de colère : de renouvellement, parce que,
sous l'influence de l'Esprit créateur, le néophyte dé-
pouille le vieil homme, revêt le nouveau, se trans-
forme dans tout son être... Le baptême, c'est aussi le
don du Saint-Esprit répandu dans nos cœurs... avec
l'abondance de ses dons. » Prat, op. cit., p. 374 sq.
Le baptême produit donc dans l'âme une transformation
réelle; elle est comme une naissance nouvelle qui donne
une vie nouvelle et celle-ci consiste dans l'influence
interne du Saint-Esprit qui est répandu dans l'âme et
y est imprimé comme un sceau, arrhes de notre héri-
tage. Eph., i, 13-14; II Ccr., i, 21. Cette transformation
physique, que nous venons d'indiquer, s'actualise et
s\xprime dans une transformation morale, l'exercice
des œuvres bonnes et salutaires. Le baptisé est une
nouvelle créature : « Quiconque est en Jésus-Christ est
une nouvelle créature. » II Cor., v, 17; un être nouveau
qui est destiné à des opérations nouvelles : « Nous
sommes son ouvrage, ayant été créés en Jésus-Christ
pour faire de bonnes œuvres, que Dieu a préparées
d'avance afin que nous les pratiquions. » Eph., n, 10.
Le principe de cette activité nouvelle est l'influence du
Saint-Esprit : influence permanente qui fait du chré-
tien le temple où habite l'Esprit-Saint, I Cor., m, 16-
17; vi, 19; influence aussi qui est une source d'action :
l'Esprit nous métamorphose graduellement en l'image
du Seigneur glorieux, II Cor., m, 18; il nous fait prier,
Rom., vin, lô sq. ; il est cause de toutes les manifesta-
tions de la vie salutaire dans les chrétiens. Cf. Tobac,
Dictionnaire apologétique de la foi catholique, t. n,
art. Grâce, col. 336; Prat, op. cit., p. 240. Ce dernier
auteur, op. cit., p. 421 sq., expose l'analogie qui existe
entre la vie dans le Christ et la vie dans l'Esprit.
Ce qu'il importe de démontrer maintenant, c'est la
surnaturalilé de cette réalité interne conférée à l'âme
par le baptême. Cet effet est surnaturel d'abord quant
au mode dont il est produit : ce n'est pas une perfection
acquise par l'activité humaine, mais infuse du dehors :
c'est le baptême (une ablution avec une formule) qui
fait exister dans l'âme l'influence vivifiante, caracté-
risée par la présence de l'Esprit-Saint; cet effet n'est
pas naturel à un rite humain, considéré comme tel.
L'influence vivifiante dont nous parlons est encore
surnaturelle en elle-même, dans sa réalité physique; en
effet, elle est une participation â la vie qui est propre à
Dieu lui-même. La communication naturelle entre le cré-
ateur et la créature consiste en ce que Dieu produise les
substances finies avec les accidents qu'elles réclament,
leur conserve l'être, qui leur est propre, les meuve aux
actions qui leur conviennent et les dirige ou gouverne
toutes d'après le plan divin. De cette façon Dieu reste
infiniment élevé au-dessus de tout le créé et n'a aucune
communication personnelle avec la créature. Celle-ci, si
elle est douée d'intelligence, peut, au moyen des autres
créatures, connaître le créateur ainsi que les obliga-
tions morales qui résultent et de la dépendance des
êtres créés vis-à-vis du créateur et des relations qu'ils
ont entre eux. Mais aucune créature ne peut réaliser
ni exiger une communication immédiate avec Dieu tel
qu'il est en lui-même. Toute communication de Dieu
tel qu'il est eu lui-même est surnaturelle; or c'est ce
qui se réalise dans le baptême. L'influence vivifiante,
qu'elle produit, est surajoutée à la nature et l'unit direc-
tement à Dieu; elle fait résider Dieu en l'âme, y fait
surgir une activité vitale particulière, due à l'influence
de l'Esprit-Saint, Gai., v, 25, et qui consiste dans le
IV,,;
GRACE
1561
règne du Saint-Esprit vivant dans l'àmc, Rom., vin,
2, 14 : elle est donc une participation directe à la vie
qui est propre à Dieu.
Cette surnaturalité se démontre encore par cette
considération que l'homme, en recevant l'influence
vivifiante, dont nous parlons, devient fils adoplif de
Dieu. Gai., iv, 46; Rom., vm, 14-17. L'homme, et
toute créature, est, en vertu de sa nature, serviteur de
Dieu, et ne peut avoir d'autre rang auprès de lui. Si
donc l'homme est élevé à la dignité de fils de Dieu,
celle-ci est absolument surnaturelle, comme aussi la
qualité qui réalise en lui cette filiation. De plus,
l'adoption comporte le droit à l'héritage, à jouir des
biens qui sont propres à Dieu et ne correspondent pas
à l'exigence de la nature créée. Voir Adoption subna-
turelle, t. i, col. 431 sq.
Nous avons donc trouvé, dans la doctrine de saint
Paul, l'affirmation de l'existence de la grâce interne
proprement dite : une réalité physique, infuse dans
l'âme, essentiellement surnaturelle, ordonnée au salut.
3. Enseignement d'autres apôtres. — Saint Jacques
alfirme aussi la génération spirituelle, i, 18, et l'habi-
tation du Saint-Esprit en nous, iv, 5.
Saint Pierre enseigne aussi que les élus de Dieu sont
sanctifiés par l'Esprit-Saint, I Pet., i, 2; qu'ils sont
régénérés, 3, non d'une semence corruptible (comme
dans la génération naturelle), mais par une semence
incorruptible, par le Verbe vivant de Dieu et perma-
nent. I Pet., i, 23. La seconde Épître de saint Pierre
contient un texte célèbre, i, 4, dont l'interprétation est
malheureusement difficile. Il est assurément très proba-
ble que le texte contient l'attestation de la participation
des chrétiens, dès cette vie, à la nature divine. Cette
affirmation n'aurait rien de surprenant après ce que
nous a dit saint Paul touchant la communication aux
fidèles de l'Esprit de Dieu et la Ire Épître de saint
Pierre touchant la sanctification par l'Esprit, i, 2.
Toutefois le texte allégué est obscur et le sens n'en est
pas définitivement fixé. Cf. Tobac, Dictionnaire apolo-
gétique de la foi catholique, art. Grâce, col. 339.
Saint Jean enseigne que la pratique de la justice est
la conséquence d'une naissance spirituelle : le juste est
engendré par Dieu et porte en lui une semence divine;
il est enfant de Dieu. Joa., i, 12 sq. ; I Joa., n, 29; m,
1 sq. Déjà sur cette terre le juste est engendré à la vie
éternelle et cette génération se réalise dans l'union
avec le Fils, I Joa., v, 11 ; cf. Joa., xv, 5 sq. ; elle a pour
conséquence l'imitation du Christ, I Joa., n, 6, mais
elle ne reçoit son complément qu'après la mort, lorsque
le juste voit Dieu tel qu'il est : c'est alors que le juste
acquiert la parfaite ressemblance avec Dieu, m, 1-3. Le
juste demeure en Dieu et Dieu en lui : l'Esprit-Saint,
qui nous a été donné, rend témoignage de notre union
avec Dieu, m, 24. C'est la même idée exprimée par
saint Paul : « L'esprit lui-même rend témoignage à
notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. » Rom.,
vm, 16. L'influence divine dans l'âme est appelée
onction; elle est principe de connaissance vraie : celle-ci
unit à Dieu, au Père et au Fils, n, 20-28. La vraie
charité aussi est une conséquence de notre connaissance
spirituelle, iv, 6-8.
La doctrine de saint Jean, comme celle des autres
apôtres, aboutit donc à la même conclusion que nous
avons tirée des Épîtres de saint Paul : il existe une
grâce interne. Car de l'exposé que nous avons fait, il
résulte que la sainteté spécifiquement chrétienne n'est
pas une simple orientation nouvelle de la vie morale
déterminée par la foi en la révélation ; elle n'est pas for-
mellement une perfection morale acquise par l'activité
humaine soutenue par un secours de Dieu ainsi que par
l'exemple du Christ, et caractérisée par l'imitation des
vertus du Sauveur, mais elle consiste formellement
dans une renaissance spirituelle et surnaturelle réalisée
dans l'âme par l'infusion d'une entité physique qui
transforme l'âme et fait de l'homme un fils de Dieu,
un membre du Christ, un temple du Saint-Esprit. De
ce principe transcendant dérive l'activité morale du
juste et son progrès en sainteté. Joa., xv, 4-5; Eph.,
n, 8-10; iv, 20-24; I Pet., n, 1-2; II Pet., m, 18.
C'est la même conclusion qu'exprime M. Tobac dans
l'article très érudit, que nous avons cité plusieurs fois :
on y trouve un exposé complet des fondements scrip-
turaires de la doctrine de la grâce.
2° Preuve tirée de la tradition. — 1. Les Pères aposto-
liques expriment occasionnellement les vérités que nous
venons d'exposer et en accentuent l'une ou l'autre.
Nous nous servirons du texte et de la traduction
publiés sous la direction de MM. Hemmcr et Lejay, Les
Pères apostoliques. Paris, 1907 sq.
Saint Clément de Rome, dans la Irc Épître aux
Corinthiens, enseigne que c'est le sang de Jésus-Christ
qui a mérité au monde entier la grâce de la pénitence :
celle-ci est accordée à tous les hommes qui ne la re-
fusent pas, vm, 4. La grâce de la pénitence est une
influence interne, qui transforme l'homme, xxxvm, 3,
et elle est évidemment surnaturelle, puisqu'elle dépend
de l'effusion du sang du Christ. C'est la grâce de Dieu
qui revêt l'homme de vertus, xxx, 3, qui donne notam-
ment la vie dans l'immortalité, la splendeur dans la
justice, la vérité dans la franchise, la foi dans la con-
fiance, la continence dans la sainteté, xxxv, 1 sq., la
charité, l. Les chrétiens forment une portion sainte,
un peuple particulier à qui il est donné de pratiquer la
sainteté, xxx, et où chaque âme peut plaire à Dieu,
lxiv; les chrétiens constituent un seul corps sur lequel
est répandu un seul esprit de grâce, xlvi, 4 sq. Les
justes sont les élus de Dieu, ibid. : leur justice ne résulte
pas formellement de leurs œuvres, ni de leur conduite,
mais elle dépend de la volonté de Dieu ; celle-ci a pour
effet la vocation et l'homme y répond par la foi,
xxxn. Cette foi et ce qui en résulte est l'effet de la
grâce, xxx, xxxv, lxiv. Cependant la foi seule ne
suffit pas à la sainteté : il faut la coopération énergique
de l'homme, xxxiii, lix, lxii, lxiii. Voir Clément I",
t. m, col. 52 sq.
Saint Ignace d'Antioche enseigne aussi que c'est à
la mort de Jésus que nous devons notre vie, Ad Magn.,
ix, 1 ; Ad Smyrn., i, 2; c'est par la vigueur, donnée par
son sang, que les chrétiens exercent la charité. Ad
Eph., i, 1 sq. C'est à la grâce de Jésus qu'est dû l'effet
de la pénitence salutaire. Ad Philad., vm, 1. « A qui-
conque fait pénitence et se rallie à l'unité de Dieu
autour du siège épiscopal, la grâce de Jésus-Christ
assure la délivrance de tout lien. De cette métaphore
de lien, Ignace tire un double effet : la grâce de Dieu
fera tomber, pour les vrais pénitents, les liens du péché;
d'autre part elle resserre ces liens de la charité chré-
tienne qui sont l'honneur des enfants de Dieu et le
gage du salut. » A. d'AIès, La discipline pénilenlicllc,
iic siècle, dans les Recherches de science religieuse, 1913,
t. iv, p. 205. Jésus habite en l'âme chrétienne, il y est
Dieu résidant en elle, l'amour que nous lui portons est
un signe de sa présence en nous. Ad Eph., xv, 3. Jésus
est notre éternelle vie, qui nous unit à Jésus et à son
Père. C'est avec l'aide de Jésus que nous repousserons
victorieusement tous les assauts du prince de ce monde,
pour jouir enfin de Dieu. Ad Magn., i, 2. Saint Ignace
insiste sur la nécessité des bonnes œuvres : l'apostolat
du bon exemple, Ad Eph., x; c'est par les bonnes
œuvres que l'on reconnaît ceux qui appartiennent au
Christ, ibid., xiv, xv; c'est aux bonnes œuvres que sera
proportionnée la récompense. Ad Pohjc, vi, 2. Cf. Tixe-
ront, Histoire des dogmes. Paris, 1905, t. i, p. 139 sq.;
Lelong, Les Pères apostoliques, Paris, 1910, t. m.
Saint Polycarpe est moins explicite, Il rappelle l'as-
sertion de saint Paul : c'est de la grâce et non des
1565
GRACE
i:.h;
œuvres que nous vient le salut, il dépend de la volonté
de Dieu par Jésus-Christ. Ad Phil., i, 3. Dans les cha-
pitres suivants, il exhorte vivement les Philippiens à
l'exercice des vertus, mais c'est à Dieu qu'il attribue le
repentir et l'accroissement des vertus, xi, xn.
L'Épître de Barnabe dit que c'est à la mort du
Seigneur que nous devons la rémission des péchés, y, 1,
cette rémission des péchés est une rénovation inté-
rieure de l'âme; le Seigneur nous y donne une autre
empreinte, comme s'il nous créait à nouveau, vi, 11;
alors nous sommes créés à nouveau de fond en comble :
c'est ainsi que Dieu habite réellement en nous, en notre
intérieur, xvi, 8. Suit la description des effets salu-
taires de l'habitation de Dieu en nous. Au commence-
ment de sa lettre, l'auteur attribue à l'intensité de la
grâce la perfection de ceux auxquels il s'adresse : « Je
me réjouis plus que tout autre chose et au delà de
toute mesure de votre vie spirituelle, bienheureuse et
illustre, tant est bien implantée la grâce du don spiri-
tuel que vous avez reçu, » i, 2.
Ces textes permettent de conclure que leurs auteurs
ont la conviction suivante : l'homme devient saint
dépendamment de l'influence de la mort de Jésus-
Christ; cette influence efface les péchés et rend juste.
Cette justification est une rénovation intérieure; elle
fait habiter Dieu en l'âme et donne à celle-ci une acti-
vité nouvelle. C'est la grâce, considérée en général; elle
est, en effet, intérieure, comme il est évident, et, en
réalité, surnaturelle, car elle est bien distincte de l'in-
fluence que Dieu, comme créateur, exerce à l'égard de
toute créature; elle met l'âme en communication spé-
ciale et directe avec Dieu, en lui conférant une vie
nouvelle, caractérisée en ce qu'elle est une participa-
tion à la vie divine; la grâce est donc une réalité sur-
ajoutée à la nature humaine, une réalité qui surpasse
celle-ci et l'élève au-dessus d'elle-même.
2. Cette même conviction est exprimée et expliquée
par les Pères des siècles suivants. Selon saint frénée,
le Christ nous a rachetés par son sang : il a donné son
âme pour notre âme, sa chair pour notre chair : en ré-
pandant sur nous l'Esprit-Saint, il a rétabli l'union
entre l'homme et Dieu ; il a fait descendre Dieu vers
l'homme par l'Esprit. Conl. hœr., 1. V, c. i, P. G., t.
vu, col. 1121. C'est par l'effusion du Saint-Esprit que
l'homme est rendu spirituel et parfait, qu'il acquiert la
similitude (distincte de l'image naturelle) avec Dieu,
qu'il devient le temple de Dieu, c. VI, col. 1137 sq. ;
cette influence de l'Esprit est intime et de sa nature
permanente, de telle sorte que l'homme parfait se
compose de trois éléments : le corps, l'âme et l'Es-
prit. Loc cit. L'âme, docile au Saint-Esprit, le garde,
est purifiée par lui et élevée à la vie de Dieu; l'âme,
au contraire, qui cède aux appétits charnels, perd l'Es-
prit, c. ix, col. 1144 sq. La similitude avec Dieu est
ce que nous avons perdus en Adam, 1. III, c. xvm,
col. 932. C'est pourquoi nous avons besoin de renaître
par le baptême, 1. V, c. xv, col. 1166; tous peuvent
être sauvés parce que tous peuvent, par le baptême,
renaître en Dieu, les enfants, les jeunes gens et les
vieillards, 1. II, c. xxn, col. 784. Assertion remarquable,
qui exprime la conviction que le baptême produit son
effet surnaturel, même dans les enfants, et par consé-
quent, indépendamment d'actes du sujet qui reçoit le
sacrement.
Clément d'Alexandrie enseigne aussi la renaissance
spirituelle par le baptême, où l'on devient fils adoptif
de Dieu; l'habitation du Saint-Esprit dans l'âme du
juste; la similitude divine (distincte de l'image), simi-
litude donnée par une qualité mystérieuse, inhérente à
l'âme; la nécessité de la grâce dans l'ordre du salut.
Voir Clément d'Alexandrie, t. ni, col. 171 sq.,
174 sq.
Origène prouve aussi l'existence de la grâce : la
sainteté est une grâce, une participation du Saint-
Esprit. De principiis, 1. I, c. i, n. 3, P G . t. xi, col. 122;
In Epist. ad Rom., I. V, n. 3, P. G., t. xiv, col. 1038.
Quant à l'exercice de la perfection, il est une œuvre
commune au secours de Dieu et au libre arbitre : il
faut à l'homme une force divine pour qu'il puisse être
honnête et persévérer dans le bien. De principiis,
1. III, c. i, n. 1, 18, 22, P. G., t. xi, col. 249, 289 sq.,
301 sq. Origène ne dit rien sur la nature de ce secours
divin, mais il parle de l'influence spéciale que Dieu
exerce en vue du salut, influence attestée par diffé-
rents textes de l'Écriture sainte; cette influence laisse
intacte la liberté : c'est la thèse que défend Origène.
Tertullien « signale, d'après les expressions mêmes de
la Genèse, une double ressemblance de l'homme avec
Dieu, une ressemblance de nature (ad imaginem Dci)
et une ressemblance de grâce (ad simililudinem ejus).
La première est indélébile, la seconde, ruinée par le
péché originel, peut revivre par le baptême : le sacre-
ment rend à l'âme l'Esprit-Saint, principe de cette
ressemblance. » De baptismo, c. v. Cf. d'Alès, La théo-
logie de Tertullien, Paris, 1905, p. 264. A propos du
texte : DU estis, Ps. lxxxi, 6, Tertullien montre dans
la vie de la grâce une participation de la créature à la
vie divine. Advcrsus Hermogenem, c. v. A. d'Alès,
op. cit., p. 263; cf. p. 326 sq. Tertullien enseigne aussi
l'influence de la grâce sur le libre arbitre. Op. cit.,
p. 268 sq.
Saint Cyprien, sans s'arrêter à exposer une doctrine
sur la grâce, en atteste cependant l'existence : il en-
seigne notamment cjue le baptême donne à l'homme
une nouvelle naissance, une transformation complète;
qu'alors l'homme commence à appartenir à Dieu et à
être animé par le Saint-Esprit. Ad Donalum, n. 4,
P. L., t. iv, col. 200. Les enfants aussi peuvent et
doivent être baptisés, parce que l'on ne peut priver
aucun homme de la grâce de Dieu. Epist., lix, P. L.,
t. ni, col. 1015.
La doctrine de saint Athanase a été exposée à l'art.
Athanase, t. i, col. 2174. Remarquons que saint
Athanase dit qu'Adam, après avoir perdu, par son
péché, les dons reçus, fut réduit à sa condition natu-
relle, col. 2168.
Saint Basile a sur la grâce sanctifiante et surna-
turelle une doctrine qui mérite d'être signalée. L'Esprit-
Saint a comme propriété personnelle d'être la puis-
sance sanctificatrice. Epist., ccxxxvi, n. 6, P. G.,
t. xxxn, col. 884. Les trois personnes divines sont
saintes par nature; les anges ne le deviennent que par
participation de l'Esprit. Cette sainteté, communiquée
du dehors, est un accident, distinct de la nature, peut
se perdre, bien qu'elle soit intimement unie à l'être.
Advcrsus Eunomium, 1. III, n. 2-3, P. G., t. xxix,
col. 657 sq. La même assertion doit s'entendre de toute
créature : aucune n'est sainte par nature, elle ne le
devient que par participation. Epist., clix, P. G.,
t. xxxn, col. 621. Les anges ont reçu leur nature par le
Verbe; leur sainteté y a été ajoutée par le Saint-Esprit.
Ce n'est pas par l'exercice progressif des vertus que les
anges sont devenus dignes de recevoir le Saint-Esprit,
mais c'est par un don gratuit qu'ils ont reçu la sainteté,
un don ajouté à leur nature, au moment même de leur
création, et pénétrant leur être; c'est pourquoi ils ne
peuvent que difficilement pécher. In ps. xxxn, n. 4,
P. G., t. xxix, col. 333. C'est par un acte volontaire et
libre que les anges sont déchus de la condition dans
laquelle ils avaient été crées. Homil. quod Deus non est
causa malorum, n. 8, P. G., t. xxxi, col. 345. C'est aussi
par l'abus de sa liberté que le premier homme est
déchu de son état, qu'il a été soumis aux maladies et à
la mort. Op. cit., col. 344. Adam a transmis aux autres
le péché. Homil. dicta tempore famis et siccitalis, n. 7,
P. G., t. xxxi, col. 324. Les hommes se sauvent en
1567
GRACE
1568
tant qu'ils sont régénérés par la grâce qu'ils reçoivent
au baptême : c'est là que commence leur vie, De
Spiritu Sanclo, c vin, n. 26, P. G., t. xxxn, col. 113;
c'est là qu'ils reçoivent la rémission du péché et la
force vivifiante du Saint-Esprit, c. xv, n. 35, col. 129;
suit une belle description des effets du baptême, où
saint Basile signale, entre autres, la confiance d'appeler
Dieu du nom de Père, la participation à la grâce du
Christ, n. 36, col. 132. C'est à l'influence active du
Saint-Esprit, à son secours, que saint Basile attribue
les œuvres saintes des anges, notamment le culte qu'ils
rendent à Dieu et l'ordre qui règne entre eux, c. xvi,
col. 136 sq. C'est aussi à l'influence du Saint-Esprit
qu'est attribué l'exercice delà perfection chez l'homme :
saint Basile enseigne que l'Esprit-Saint est toujours
présent clans les justes, mais qu'il n'y opère pas tou-
jours, c xxxvi, n. 61, col. 180. C'est là, croyons-nous,
l'affirmation implicite de l'existence de ce que nous
appelons la grâce actuelle. Cette assertion est corro-
borée par d'autres textes : c'est par le Saint-Esprit que
nous sommes rendus capables de rendre grâces à Dieu,
n. 63, col. 184. Saint Basile exhorte à prier afin d'ob-
tenir de Dieu de bonnes pensées, Epist., vu, P. G.,
t. xxxn, col. 244; il rend grâces à Dieu pour le secours
spirituel accordé par Dieu au milieu des luttes pour la
piété. Episl., lxxix, col. 453. Le secours donné par
Dieu à celui qui se relève de la chute du péché est
comparé à l'action de celui qui soutient sur les eaux
un enfant qui ne sait pas nager. In ps. x.\jx, n. 2,
P. G., t. xxix, col. 309. Voir Schwane, Histoire des
dogmes, trad. Degert, Paris, 1903, p. 77 sq. ; Scholl,
Die Lehre des heiligen Basilius von der Gnade, Fribourg-
en-Brisgau, 1881.
L'existence de la grâce interne (considérée en géné-
ral) est exposée en maints endroits des écrits des autres
Pères. Cf. Hummer, Des hl. Gregor von Nazianz Lehre
von der Gnade, Kempten, 1890; Cyrille de Jéru-
salem, t. m, col. 2555, 2561 sq. ; Ambroise, t. i,
col. 499. Quant à saint Jean Chrysostome, voir notam-
ment Calèches, ad illuminandos, i, n. 3, P. G., t. xlix,
col. 227; In Joa., homil. xlvi, n. 1, P. G., t. lix,
col. 257; In Malthxum, homil. lxix, P. G., t. lviii,
col. 650; In Epist. I ad Cor., homil. xxiv, P. G.,
t. lxi, col. 198; cf. t. li, col. 51; Cyrille d'Alexan-
drie, t. m, col. 2517 sq. ; cf. Mahé, Revue d'histoire
ecclésiastique (Louvain), 1909, t. x, p. 30 sq., 467 sq.;
De Groot, Sludien (Nimègue), 1913, t. xlv, p. 343 sq.,
501 sq.
Au début du ve siècle surgit l'hérésie pélagienne.
Voir Pélagianisme. Il semble bien que l'erreur de
Pelage concerne directement la nécessité d'un secours
divin pour observer les commandements et exercer la
vertu : Pelage nie que la grâce, en tant qu'elle est un
secours interne, soit nécessaire, et affirme que la
volonté humaine a, par elle-même, assez de vigueur
pour accomplir tous ses devoirs et, par conséquent,
rendre l'homme juste.
Mais nous croyons devoir insister sur ce point :
Pelage ne s'attaquait pas formellement à ce que nous
appelons maintenant la grâce actuelle, en tant qu'elle
se distingue de la grâce habituelle; il s'attaquait à la
grâce considérée en général, telle que la notion en était
répandue dans l'Église, comme il ressort de la doctrine
des Pères, que nous avons exposée plus haut. Saint
Augustin, de son côté, défend avant tout la nécessité
de la grâce, notamment sa nécessité absolue en tant
qu'elle est un secours ajouté à la volonté libre : l'in-
fluence de la grâce sur Yaclivité humaine est ainsi mise
en lumière. Mais cette influence n'est pas due seule-
ment à ce que nous appelons la grâce actuelle, elle est
aussi due à ce que nous appelons la grâce habituelle,
les vertus infuses, les dons du Saint-Esprit. Quand
saint Augustin parle de la grâce, requise à l'observation
des commandements, il ne parle pas exclusivement de
la grâce actuelle. Voir, par exemple, Epist., clxxxvi,
n. 3; De natura et gralia, 1. I, c. i, iv; De gralia et libero
arbilrio, c. xiv, n. 27; Opus imperjeclum contra Julia-
num, 1. II. n. 226, P. L., t. xxxm, col. 317; t. xliv,
col. 247, 249, 897; t. xlv, col. 1247 sq. Il faut entendre
le mot gralia, ou l'expression auxilium graliœ, dans un
sens large : ils peuvent désigner ou l'ensemble des dons
accordés pour le salut ou l'un de ceux-là. Cf. Jacquin,
dans la Revue d'histoire ecclésiastique (Louvain), 1904,
t. v, p. 742. Il faut tenir compte de la même remarque
pour interpréter les documents qui contiennent la
condamnation du pélagianisme et du semi-pélagia-
nisme. La doctrine de saint Augustin, voir Augustin,
t. i, cri. 2380 sq., constitue un événement important
dans l'histoire du maintien et du développement de la
foi chrétienne. Saint Augustin a défendu l'existence
de la grâce, sa nécessité, sa surnaluralité, sa compati-
bilité avec la liberté humaine.
Cette même doctrine fut officiellement approuvée
d'abord par le pape Innocent Ier, ensuite par le pape
Zosime en 418, et par le pape Célestin Ier en 431. Elle
est exposée dans le document intitulé : De gralia Dei
indiculus ou prœleritorum sedis apostolicœ episcoporum
aucloritatis. Denzinger-Bannwart, Enchiridion, 1911,
n. 129 sq. Sur l'origine, la valeur et la doctrine de ce
document, voir Célestin, t. n, col. 2502 sq. On y
affirmait surtout la nécessité de la grâce pour la rémis-
sion des péchés, pour la résistance aux tentations, pour
l'observation des préceptes, pour toute œuvre salu-
taire, notamment depuis le commencement de la foi.
La même doctrine fut de nouveau sanctionnée au
concile d'Orange en 529. Denzinger-Bannwart, n.174 sq.
Mais la discussion d'un siècle a eu pour résultat
une plus grande précision : dans ce concile on a surtout
déclaré la nécessité de la grâce prévenante pour tout
acte qui commence la conversion, pour toute pensée
ou toute affection par lesquelles l'homme adhère, comme
il le faut, à l'Évangile. Nous aurons à revenir, dans la
suite de cet article, sur les principales assertions émises
dans ces conciles.
3° Les hérésies. — On comprend mieux une doctrine
en étudiant les erreurs qui y sont opposées; de plus, les
hérésies successives ont été pour l'autorité ecclésias-
tique les occasions de préciser la doctrine catholique.
Nous indiquerons sommairement les grandes hérésies
concernant la grâce et nous ferons voir ainsi les princi-
pales étapes du développement de la pensée chrétienne
sur ce sujet.
1. Le pélagianisme, insistant sur la liberté, essen-
tielle à l'homme, a nié que la volonté humaine avait été
affaiblie par suite du péché d'Adam et se trouvait
inclinée au mal. Il a nié aussi qu'Adam fut créé dans
un état supérieur à celui où naissent maintenant tous
les hommes. Pelage a nié encore la nécessité de la grâce
interne, en tant qu'elle est un secours, qu'elle est une
vigueur ajoutée à la volonté. L'homme peut toujours,
disait-on, par la vigueur esscntitlle ou naturelle de sa
volonté libre, résister au mal et faire le bien : la nécessité
morale de la grâce n'existait donc pas pour Pelage et
ses adeptes. Ont-ils nié de fait l'existence de toute
grâce interne ? Les auteurs ne s'accordent pas sur la
réponse à donner à cette question. Sur le pélagianisme,
voir Tixeront, Histoire d"s dogmes, Paris, 1909, t. n,
p. 436 sq. Quoi qu'il en soit, les documents ecclésias-
tiques, condamnant les erreurs de Pelage, ont affirmé
l'existence de la grâce interne, notamment dans l'asser-
tion de la justice originelle, et, ensuite, dans les canons
qui concernent la nécessité de la grâce interne, notam-
ment la nécessité d'un secours accordé à l'infirmité
actuelle de l'homme, sans lequel il lui est impossible
d'observer les commandements divins, et la nécessité
d'une impulsion interne pour faire des actes salutaires.
1569
GRACE
1570
2. Luther et Calvin sont à l'opposé de Pelage. Ils
enseignent que la nature humaine, depuis le péché
d'Adam, est essentiellement viciée; la nature humaine
maintenant est inévitablement sujette au désordre de
la concupiscence, la volonté est radicalement incapable
de faire un acte moralement bon, le libre arbitre
n'existe plus. L'homme ne peut donc pas, en lui-même,
être ou devenir juste devant Dieu. Sa justification ne
peut provenir que d'un principe extrinsèque, mais
cette justification ne consiste pas dans l'infusion d'un
don surnaturel, qui pénètre les âmes et leur devient
inhérent. Cf. Realencyklopâdie fur protestantische Théo-
logie, Leipzig, 1899. t. VI, p. 722. C'est une simple impu-
tation de la justice du Christ; la condition requise à
cette imputation est la foi (fuies fidueialis) : seule elle
est requise et seule elle suffit. Cette foi n'est pas une
vertu infuse, une qualité surnaturelle; on ne parvient
pas à déterminer quelle est, d'après Luther, son essence.
Luther a parlé fréquemment de la grâce et emprunte
ses expressions à l'Écriture sainte et à la prédication
catholique; cependant il n'admet pas l'existence de In
grâce interne proprement dite, ni habituelle, ni actuelle.
Elle est d'ailleurs logiquement exclue de son système
doctrinal et inconciliable avec lui : en effet, Luther ne
connaît qu'une justification extrinsèque à l'homme,
simplement imputée; il n'y a pas de dépendance réelle,
pas d'enchaînement interne entre l'activité vitale et la
justification : l'homme est au point de vue moral
radicalement vicié; toutes ses œuvres sont mauvaises,
que l'homme soit juste ou qu'il ne le soit pas; dès lors
la grâce n'a aucune raison d'être, elle n'a aucun rôle
à remplir; elle n'est pas requise comme un secours
interne, surajouté aux facultés naturelles et corrobo-
rant l'homme dans l'observation des préceptes et
l'exercice de la vertu ; car Luther n'admet pas la liberté
et nie que la perfection morale soit connexe avec la
justification; la grâce n'est pas requise non plus comme
un principe de surnaturalisation, car Luther nie que la
nature humaine, dans l'état actuel, puisse être intrin-
sèquement surnaturalisée et positivement ordonnée
vers Dieu. La négation de la grâce, dans la doctrine de
Luther, est confirmée par son enseignement sur l'étal
du premier homme : cet état de rectitude vis-à-vis de
Dieu était naturel, dû aux facultés simplement na-
turelles de l'homme, comme la lumière est exigée par
l'œil, dû à la connaissance et à l'amour, qui appar-
tiennent en propre à la nature humaine. Cf. Ripalda,
De enlc supernaliirali, 1. I, disp. XX, sect. i, Paris, 1870,
t. i, p. 194. Le concile de Trente a défini la réalité de
la grâce interne, habituelle et actuelle, sess. vi, c. v-
vn. Denzinger-Bannwart, n. 797 sq., et mis en lumière
son caractère surnaturel. Sur la doctrine de Luther
concernant les points exposés, voir Denifle, Luther el
luthéranisme, trad. Paquier, Paris, 1910 sq., t. n, p. 451
sq. ; t. m, p. 176 sq., 246 sq., 281 sq. ; Hartmann Grisar,
Luther, Fribourg, 1911-1912, t. i, p. 737 sq.; t. m,
p. 40 sq. ; Ilefner, Die Enlslehungsgeschichte des Trien-
ter Rechl/ertigungsdekret, Paderborn, 1909, p. 4 sq. Sur
la doctrine de Calvin, qui est d'accord avec Luther
pour nier la grâce, voir Calvinisme, t. n, col. 1400.
3. Baius n'a pas nié que Dieu, dans l'ordre du salut,
agisse immédiatement sur l'âme, il admet, au con-
traire, l'influence réelle du Saint-Esprit produisant
l'acte de charité : cet acte, qui dépend de la foi, est le
principe de tout acte moralement bon, de telle façon
qu'aucun acte moralement bon n'est possible sans la
charité provenant du Saint-Esprit. Baius, De charilole,
c. iii-iv. Ce qui constitue l'erreur propre à Baius, c'est
qu'il considère l'influence salutaire de Dieu comme due
a la nature humaine et par conséquent naturelle; ce
qu'il appelle dons du Saint-Esprit sont surajoutés à la
nature en ce sens que celle-ci ne peut pas les produire,
mais ils ne sont pas surajoutés en ce sens qu'ils sont
DICT. DT. TI1ÉOL. CATHOL.
positivement indus ou surnaturels. Cf. Baius, De prima
hominis justifia, c. i-iv, x-xi; De meritis operum, c. iv,
vi, ix ; Apologia summo ponlifici Pio V, n. 20. L'Église,
en condamnant la doctrine de Baius, a donc surtout
affirmé la surnaluralité de ces réalités qui constituent
l'ordre des dons salutaires, elle a affirmé l'existence de
la grâc'e en tant que celle-ci est surnaturelle. Sur la
doctrine de Baius et l'interprétation des documents
ecclésiastiques à son sujet, voir Baius, t. n, col. 41;
cf. Colladoncs Brugenses, 1913, t. xvm, p. 09, 133, 207.
Pour la doctrine de Jansénius et de Quesnel, nous
renvoyons aux articles qui leur seront consacrés.
4. Le rationalisme, né du protestantisme, rejette
tout surnaturel, toute influence surnaturelle de Dieu
sur l'âme; et tout surnaturel externe à l'homme, tel
que la révélation. Le principe fondamental du ratio-
nalisme est exprimé dans la 3e proposition du Syllabus
de Pie IX : « La raison humaine, sans avoir aucune-
ment égard à Dieu, est le seul arbitre du vrai et du
faux, du bien et du mal, elle est à elle-même sa loi, et,
par ses seules forces naturelles, elle suffit à procurer le
bien des individus et des peuples. » Denzinger-Bann-
wart. n. 1703. Le modernisme n'a pas, semble-t-il,
défendu des thèses qui contiennent explicitement la
négation de la grâce, mais son système est radicale-
ment incompatible avec la doctrine catholique de la
grâce. En effet, d'abord, le modernisme ne peut
admettre aucun ordre surnaturel : celui-ci est exclu et
par l'agnosticisme et par l'immanentisme vital. L'agnos-
ticisme rejette la connaissance de tout être imma-
tériel et nie qu'on en puisse démontrer l'existence.
Dieu, l'âme ne sont plus objet de connaissance pro-
prement dite, ni de science; seulement les phénomènes,
c'est-à-dire les manifestations externes des êtres, sont
connaissables; dès lors, pour le modernisme, toute
entité surnaturelle, parce qu'elle est immatérielle, est
considérée comme inconnaissable; on n'en peut pas
tenir compte dans l'explication de la vie des individus.
L'immanentisme va plus loin encore et nie positive-
ment tout ordre surnaturel : en effet, pour lui, toute
religion est l'effet de l'évolution du sentiment religieux
inhérent à l'homme; en tout homme il y a un besoin du
divin, de là surgit le sentiment religieux qui est une
adhésion du divin (à l'inconnaissable); cette adhésion
est, en quelque sorte, une intuition, en tant qu'elle est
nécessaire et spontanée, mais, d'autre part, elle est
obscure et aveugle, parce qu'elle ne constitue pas une
connaissance nette et raisonnée de son objet, qui est le
divin : cette adhésion s'appelle la foi. Or l'homme
réfléchit sur cette foi, forme et exprime d'abord des
assertions vulgaires et simples, ensuite il trouve des
assertions plus nuancées et plus distinctes : quand
celles-ci sont sanctionnées par l'autorité religieuse, elles
sont des dogmes. Mais ces dogmes sont nécessairement
liés au sentiment religieux et lui correspondent; or ce
sentiment religieux, parce qu'il est vital, est changeant
et se modifie réellement avec le temps et les événe-
ments; il en résulte que les dogmes aussi sont muables.
Par conséquent, toutes les religions, et tout ce qu'elles
contiennent en fait de dogmes, ne sont pas autre chose
qu'un effet naturel de l'évolution naturelle du senti-
ment religieux, qui lui aussi est naturel. Dans cette
théorie, on nie évidemment toute influence surna-
turelle de Dieu, notamment toute révélation propre-
ment dite, et on affirme que toute foi, toute vertu,
surgit spontanément de l'âme et correspond à son
besoin naturel.
Quant à la grâce interne, proprement dite, soit
habituelle, soit actuelle, elle est exclue par le moder-
nisme : d'abord, si l'on rejette toute révélation pro-
prement dite, on ne peut plus connaître l'existence
d'une entité immatérielle et en soi surnaturelle; ensuite,
si toute foi religieuse, toute vertu n'est que l'évolution
VI. - 50
1571
GRACE
1572
naturelle «lu besoin divin, il n'y a plus de place pour la
grâce dans la sainteté humaine; enfin si l'on disait que
l'examen dos tendances psychologiques de l'homme
conduit à la conclusion qu'un secours de Dieu est
nécessaire, ce secours serait naturel, puisqu il est exigé
par la nature humaine.
Les passages de l'encyclique Pascendi, qui concernent
ce que nous venons d'indiquer, se trouvent dans Den-
zinger-Bannwart, n. 2072, 2074, 2077, 2079, 2089, 2094.
Pour un exposé plus développé, on pourra consulter ce
que nous avons écrit dans les C^'lationes Brugcnscs,
1908, t. xiii. p. 111, 195, 275; outre les auteurs cités là,
voir Miehelet, Dieu et l'agnosticisme contemporain,
Paris. 1909; Rosa, L'enciclica Pascendi e il modernismo,
Rome, 1909; Bessmer. Philosophie und Théologie des
Modernismus, Fribourg-en-Brisgau, 1912; Valensin,
dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique,
art. Immanence, col. 569 sq.
5. Nous avons indiqué plus haut la théorie de
Luther et de Calvin : les protestants croyants ont,
semble-t-il, abandonné peu à peu la doctrine de leur
maître et se sont, en plusieurs points, rapprochés de
la foi catholique. Cf. Krogh-Tonningh, Die Gnadcn-
lehre unit die slillc Reformation, Christiania, 1894; De
gratia Chrisli et de libero arbitrio, Christiania, 1898.
Les protestants libéraux, qui au fond sont rationa-
listes, n'admettent pas la réalité de la grâce. M. Har-
nack, Dogmengeschichle, Fribourg-en-Brisgau, 3e édit.,
1897, t. m, p. 75 sq., reconnaît que saint Augustin
admet que la grâce est une réalité, une force agissante,
mais il dit que c"est une erreur. Nous avons démontré
plus haut que saint Paul et les Pères, tant grecs que
latins, ont enseigné la réalité de la grâce, la transfor-
mation réelle de l'homme, transformation physique et
morale, sous l'inHuence interne du Saint-Esprit dans
l'âme. Nous n'avons pas à nous occuper ici du subjec-
tivisme qui, en M. Harnack, préside à l'interprétation
de l'origine des dogmes. Voir Dogme, t. iv. col. 1582 sq.
III. Nécessité. — Nous ne parlons pas ici de la
nécessité d'une révélation divine, mais de la nécessité
de la grâce interne. Nous exposerons les questions
indiquées par saint Thomas d'Aquin, Sum. theol., Ia
II '. q. cix. Mais il faut d'abord exposer la notion de
nécessité : il y a nécessité physique et nécessité morale.
Quand on considère ce qui est requis à l'opération
humaine, on distingue une double nécessité : ce que la
faculté, en elle-même, prise dans son entité, exige pour
que l'opération puisse se produire, est nécessaire physi-
quement, par exemple, pour connaître naturellement,
l'intelligence humaine exige en elle une image de l'objet
à connaître (species intelligibilis impressa); ce qui est
requis, non pour mouvoir ou déterminer telle faculté à
tel acte, mais pour que les hommes, dans les conditions
ordinaires de la vie et d'après la commune manière de
vivre, agissent de telle ou telle manière, est nécessaire
moralement, par exemple, pour que les entants par-
viennent au développement normal de leur intelli-
gence, il leur faut l'enseignement.
Cette distinction est différente d'une autre, admise
aussi en théologie : nécessité de précepte, et nécessité
de moyen. Une chose est nécessaire au salut, de néces-
sité de précepte, quand elle est nécessaire précisément
parce qu'elle est imposée ou ordonnée : ainsi entendre
la messe le dimanche est nécessaire de nécessité de
précepte, parce que cet acte nous est imposé; si, sans
raison suffisante, on l'omet volontairement on trans-
gresse la loi, on commet le péché et ainsi on met
obstacle au salut. Une chose est nécessaire de nécessité
de moyen, quand elle est requise formellement comme
moyen pour atteindre un lait, c'est-à-dire quand elle y
ordonne positivement et en est cause formelle ou
efficiente ou dispositive et qu'elle est précisément
requise à ce Litre : ainsi la grf'ce sanctifiante, comme
nous le démontrerons plus loin, est nécessaire au salut,
de nécessité de moyen.
1° Nécessité de la grâce pour connaître le vrai. —
L'homme, menu- dans l'état actuel du genre humain,
est physiquement apte à connaître chacune des vérités
d'ordre naturel, et leurs divers ensembles, qui consti-
tuent les sciences diverses. Cette assertion se prouve
en philosophie et se déduit de l'essence même de l'in-
telligence humaine. Cf. S. Thomas, Sum. theol., F IF',
q. cix, a. 1. Cette conclusion n'est pas infirmée, en
théologie, par la doctrine du péché originel, car par
suite de ce péché l'homme n'a pas été intrinsèquement
déformé dans ses facultés naturelles.
Il nous faut noter spécialement que l'homme, môme
dans l'état actuel du genre humain, est physiquement
capable de connaître les vérités fondamentales de
l'ordre moral, telles que l'existence de Dieu, l'existence
de la loi naturelle et de sa sanction, l'immortalité de
l'âme. Cette assertion est contenue dans divers docu-
ments émanés de l'autorité ecclésiastique. Voir la
6e proposition, souscrite par Bautain, t. n, col. 483;
la 2e proposition, souscrite parBonnetty. Ibid., col. 1022.
La capacité physique de l'homme à connaître avec
certitude, par la force naturelle de son intelligence,
l'existence de Dieu, a été définie au concile du Vatican
et cette déclaration a été reprise et expliquée dans le
serment antimoderniste. Voir t. iv, col. 824 sq.
Enfin, toutes les vérités qui constituent les préam-
bules rationnels de la foi surnaturelle peuvent être
connues par la seule raison naturelle. Voir Foi, col.
188 sq.
Nous concluons donc qu'aucune grâce interne n'est
physiquement requise pour que l'homme connaisse les
vérités d'ordre naturel. On ne peut affirmer non plus
que la foi surnaturelle est, clans l'ordre actuel de la
providence, moralement nécessaire pour que l'homme
échappe aux erreurs même dans le domaine de la
connaissance naturelle; mais il est incontestable que
l'adhésion aux vérités révélées donne à la raison
humaine des principes qui la guident et la raffermissent
dans l'acquisition de connaissances d'ordre naturel,
notamment en métaphysique. Comme nous l'expose-
rons plus loin, une grâce interne (soit actuelle, soit
habituelle) est physiquement nécessaire à tout acte
positivement salutaire; il en résulte la nécessité physi-
que de la grâce pour le jugement de crédibilité ou, au
moins, de crédentité, et pour l'acte de foi lui-même;
mais cette assertion générale soulève des questions
spéciales, nombreuses et difficiles, exposées à l'article
Foi, col. 237 sq. ; la question se pose aussi si l'acte de
foi divine, c'est-à-dire l'adhésion inielectuellc à une
vérité révélée par Dieu, adhésioa ui a pur objet
formel l'autorité de Dieu-révélateur, peut se faire
naturellement ou bien exige physiquement une grâce
interne : c'est la question de l'objet formel des actes
salutaires. Voir Billot, De virlutibus injusis, Rome,
1901, p. 68 sq.; David, De objecta formait aclus salu-
laris, Bonn, 1913.
2° Nécessité de la grâce pour faire le bien. — Nous
nous occupons ici des actes faits par l'homme en cette
vie : un acte moralement bon est un acte libre, con-
forme avec la règle déterminant l'activité humaine en
tant qu'elle mène à l'obtention de la fin dernière; la
conformité de l'acte libre avec cette règle est formel-
lement la moralité.
Mais, dans l'ordre actuel de la providence, la fin
dernière, considérée subjectivement, c'est-à-dire la
possession menu de Dieu, qui constitue la béatitude,
est absolument surnaturelle : elle consiste, en elîet,
dans la vision intuitive de l'essence divine; tous les
actes au moyen desquels l'homme tend positivement
(soit médiatement, soit immédiatement) vers cette fin,
sont appelés salutaires. Mais l'homme peut ignorer
1573
GRACE
1574
cette fin, et peut s'en détourner, et cependant con-
naître et faire librement des actes conformes à la loi
naturelle ou à certaines lois positives. De là, il faut
distinguer les actes salutaires et les actes simplement et
uniquement honnêtes.
Une double question se pose maintenant : la "race
est-elle nécessaire pour que l'homme fasse des actes
simplement honnêtes; est-elle nécessaire pour que l'on
puisse faire des actes salutaires ?
1. Nécessité de la grâce pour les actes salutaires. —
Nous entendons ici, par salut, la sainteté ou la nerfec-
lion morale, telle qu'elle est exigée dans l'ordre actuel,
les fruits de la rédemption du Christ, le bonheur éternel
dans l'autre vie; salutaire est toute action qui conduit
positivement l'homme à cet ordre de choses ou qui
émane de l'homme en tant qu'il y participe déjà.
Jésus Christ enseigne que rien n'est possible dans
l'ordre du salut sans la grâce. Après avoir exposé la
perfection morale que doivent réaliser ses disciples,
Matth., v, 1-vn, 6, il indique le moyen d'y parvenir :
c'est la prière persévérante qui obtient le secours
divin, Matth., vu, 7-11; ce secours, ce principe de
perfection morale, c'est le Saint-Esprit. Luc, xi, 13.
Ceux qui sont les disciples du Christ possèdent le
royaume de Dieu. Luc, vu, 32. Personne ne peut
entrer dans le royaume de Dieu sans renaître par l'eau
et le Saint-Esprit, Joa., in, 5; cette vie nouvelle est
mystique et surnaturelle, puisqu'elle a le Saint-Esprit
pour principe. Il existe une union intime et mystique
entre le Christ et ses disciples : il est la vigne et ses
disciples en sont les branches; c'est du Christ qu'ils
doivent recevoir la vie qui les rend capables de faire
des œuvres saintes ; sans le Christ ils ne peuvent accom-
plir aucune œuvre qui appartient à cet ordre, Joa., xv,
1-5; il s'agit ici de la même vie surnaturelle, de cette
vie qui s'obtient dans une seconde naissance par le
Saint-Esprit. Cette vie dans le Christ a pour consé-
quence l'observation des préceptes divins, qui a son
principe dans l'amour envers le Christ, ibid., 8-10, et
avec cet amour coexiste l'habitation de la sainte
Trinité dans l'âme. Joa., xiv, 23. Ces textes ensei-
gnent donc la nécessité d'une influence surnaturelle,
interne, vitale pour toute autre œuvre salutaire. Le
Christ, parlant du commencement de la vie chrétienne
chez les adultes, c'est-à-dire de la foi en lui, affirme que
cette foi est un don de Dieu ; que personne ne croit sans
qu'il n'y soit attiré par le Père, Joa., vi, 44, G5-6G; il
s'agit ici encore d'une influence surnaturelle.
Saint Paul, I Cor., ni, 4-6, parle de ceux qui prêchent
l'Évangile et dit que ce n'est pas à leur prédication
qu'est due la foi de ceux qui les écoutent, mais à l'in-
fluence divine. C'est aussi à l'influence divine que les
prédicateurs doivent d'avoir des pensées opportunes
dans leur prédication, II Cor., m, 5; on peut en
conclure que les fidèles aussi n'ont pas de pensées salu-
taires sans l'influence divine. Le salut, le fait d'être
participants de la rédemption du Christ, est indépen-
dant des actions humaines, comme telles, même de
l'observation de la loi comme telle : il est un don
gratuit de Dieu; ceux qui le reçoivent sont créés dans
le Christ, c'est une nouvelle existence qu'ils reçoivent.
Rom., m, 22-28; Eph., n, 8-10. C'est donc à la grâce
qu'est due l'activité salutaire tout entière. Le travail
personnel, que l'homme, déjà justifié, doit faire pour
persévérer, est encore, en dernière analyse, dû à l'in-
fluence divine : c'est Dieu qui opère en l'homme le
vouloir et l'exécution de l'œuvre salutaire. Phil., n, 12, 13.
Cf. Prat, La théologie de saint Paul, t. n, p. 125 sq.
La nécessité de la grâce pour être délivré de la servi-
tude du péché, pour être capable de l'éviter, est aussi
clairement exprimée par saint Paul, par exemple, Rom.,
vi, 17; vu, 7-vin, 2; Eph., n, 3; le fait d'obtenir la
justification est un effort, non des actions volontaires
comme telles, mais de la miséricorde divine, Rom., ix.
16; cet effet, comme il résulte de l'ensemble de la
doctrine de saint Paul, est la grâce interne : celle-ci
est donc absolument nécessaire à tout ce qui mène
l'homme à l'état de justification. Cf. Hartmann,
Lchrbuch der Dogmalik, Fribourg-en-Rrisgau, 1911,
p. 423 sq.
Quant à la tradition, remarque le même auteur, il
y a différence, au point de vue qui nous occupe, entre
les Pères avant et après l'hérésie pélagienne, et, pour
l'époque qui précède Pelage, entre les Pères grecs et les
Pères latins, p. 424 sq.
Quoi qu'il en soit de ce dernier point, on ne trouve
chez les Pères, avant saint Augustin, aucune négation
de la nécessité de la grâce; au contraire, beaucoup
l'affirment, par exemple, S. Irénée, Conl. hœr., I. III,
c. xvn, n. 2, P. G., t. vu, col. 930; Tertullien, De anima,
c. xxi, P. L., t. n, col. 685; Origène, De principiis,
1. III, c. i, xvni, xxii, P. G., t. xi, col. 289, 291, 301;
S. Ambroise, In Lucam, 1. II, 84, P. L., t. xv, col. 1583;
Marius Victorinus, In Epist. ad Phil., n, 12 sq., P. L,,
t. vin, col. 1212; S. Grégoire de Nazianze, Orat., xxxvn,
13, P. G., t. xxxvi, col. 297; S. Grégoire de Nysse,
Orat., iv, de oratione dominica, P. G., t. xliv, col. 1166;
De instilulo chrisliano, P. G., t. xlvi, col. 304; S. Jean
Chrysostome, In Genesim, homil. xxv, 7, P. G., t. lui,
col. 228. Cf. Tixeront, op. cit., t. n, sur les Pères grecs,
p. 145 sq., sur les Pères latins, p. 280 sq.
La doctrine de Pelage, développée par Celestius et
défendue avec ardeur par Julien d'Éclane, voir
Augustin, t. i, col. 2280 sq., contenait la négation de
la nécessité de la grâce; on y affirmait que l'homme
peut, par sa libre volonté, vouloir et réaliser tous les
préceptes divins et, par conséquent, être juste devant
Dieu. On ne distinguait pas entre les préceptes de la
loi naturelle et ceux qui sont surajoutés par la révéla-
tion; on considérait tout l'ensemble des obligations
qui incombent à l'homme, et on affirmait leur obser-
vation possible par l'énergie de la volonté.
Contre cette thèse générale Augustin écrivit, à la fin
de l'année 412, le livre De spirilu cl littcra, où, après
avoir indiqué l'erreur, c. n, n. 4, il expose la doctrine
catholique : l'homme, bien qu'il soit libre, alors même
qu'il connaisse ses devoirs, doit cependant recevoir le
Saint-Esprit, qui lui donne l'amour requis à l'accom-
plissement du bien moral, c. m; c'est lui qui est la
source de la perfection morale, c. v, de la délivrance
du péché, c. vi, de la justice ou de la vie réellement
bonne au point de vue moral, c. vu, P. L., t. xlii,
col. 202-207. Cette même doctrine fut défendue par
Augustin dans divers écrits subséquents, voir Augus-
tin, 1. 1, col. 2296 sq., dans divers conciles, voir Hefele,
Histoire des conciles, trad. Leclercq, t. n, p. 168 sq.,
et dans les lettres du pape Innocent Ier, de 417, P. L.,
t. xx, col. 584, 586, 587, 591. L'important concile de
Carthage, qui s'ouvrit le 1er mai 418 et où plus de deux
cents évèques se trouvaient réunis, proclama la néces-
sité de la grâce notamment dans trois canons : la grâce
divine, par laquelle l'homme est justifié, ne procure
pas seulement la rémission des péchés commis, mais
elle est un secours donné pour que l'homme évite les
péchés, can. 3; cette même grâce est un secours, non
seulement en ce sens qu'elle nous fait connaître ce que
nous devons faire et éviter, mais en ce sens qu'elle nous
fait aimer et nous rend aptes à réaliser nos devoirs,
can. 4; cette grâce n'est pas donnée pour que nous
puissions avec elle accomplir plus facilement ce qui
nous est ordonné, mais elle est donnée pour que nous
devenions capables d'accomplir les préceptes divins :
ce que nous ne pouvons pas sans elle. Denzinger-
Bannwart, n. 103-105. Ces canons furent approuvés
par le pape Zosime, dans sa célèbre Epislola tracloria.
Ces décisions proclament donc la nécessité absolue
1575
GRACE
1576
de la grâce interne (considérée en général), pour obtenir
la justification et pour ne pas la perdre par le péché.
Innocent Ier avait déjà déclaré la nécessité de la grâce
pour la persévérance du juste, P. L., t. xx, col. 587, et
Zosime, dans la lettre citée, attribue à l'influence divine
sur le cœur des hommes et sur leur libre arbitre toute
pensée sainte, tout pieux dessein et tout bon mouve-
ment de la volonté : l'influence divine, dont il est
question ici, est la grâce. Ce texte est emprunté au
document appelé Prœtcrilorum scdis apostolicx episco-
porum aaclorilalis, publié probablement sous Sixte III
i 132-440) et admis comme l'expression de la foi de
l'Église. La doctrine de ce document est bien résumée
dans sa conclusion : « Nous professons hautement que
tous les bons sentiments et toutes les bonnes œuvres,
tous les efforts et toutes les vertus, par lesquels, depuis
le premier début de la foi, nous nous dirigeons vers
Dieu, ont vraiment Dieu pour auteur; nous croyons
fermement que tous les mérites de l'homme sont pré-
cédés par la grâce de celui à qui nous devons et de
commencer à vouloir le bien et de commencer à le faire. »
Voir Célestin, t. n, col. 2058. Les arguments donnés
pour prouver cette nécessité sont la doctrine scriplu-
raire, exprimée dans les textes que nous avons cités
plus haut; ensuite la pratique établie dans l'Église,
de prier pour obtenir de Dieu la foi et tout ce cjui aide
au salut; de là le principe : ut legem credendi lex statuai
supplicandi. Denzinger Bannwart, n. 139. On ne peut
pas exagérer la portée de cet axiome, on ne peut pas
considérer toute prière liturgique comme expression de
la foi de l'Église. L'auteur des Capitula parle ici de
prières que font les ministres de l'Église pour que la
foi soit donnée aux infidèles, pour que les idolâtres
soient délivrés de leurs erreurs, que les juifs voient la
lumière de la vérité, etc. Cf. dom Cabrol, dans le Dic-
tionnaire d'archéologie chrétienne et de liturgie, art.
Célestin Ier, t. n, col. 2795 sq. Mais remarquons que
l'auteur des Capitula indique le principe d'où résulte
la valeur de son argument : ce sont des prières sacer-
dotales, que les apôtres nous transmirent, que toute
l'Église catholique emploie uniformément dans tous
les lieux du monde; c'est l'universalité et l'antiquité de
l'emploi de ces prières qui en fait un témoignage
authentique de la foi de l'Église et la loi de la croyance.
Cette doctrine, avant d'être exprimée dans les Capi-
tula, avait été exposée par saint Augustin, De dono
perseveranlise, c. xxm, n. 63, P. L., t. xliv, col. 1051.
Quand ce document fut publié, l'erreur, désignée
plus tard sous le nom de semi-pélagianisme, avait déjà
fait son apparition. Sur son origine, voir Jacquin, dans
la Revue d'histoire ecclésiastique (Louvain), 1904, t. v,
p. 266 sq. Il semble que ce soit la doctrine de saint
Augustin sur la prédestination qui ait donné lieu au
déliât; mais ici nous avons à considérer la nécessité de
la grâce, et spécialement la doctrine de Cassien. Celui-
ci paraît d'abord admettre, d'une manière générale, la
nécessité de la grâce pour tout acte qui appartient au
salut, même pour le commencement de la bonne
volonté. Collât., III, c. xvi, xix, P. L., t. xi.ix, col.
578 sq., 581. Mais bientôt Cassien précise son ensei-
gnement. Il pense que de nous-mêmes nous pouvons
avoir parfois du moins un commencement de bonne
volonté : In his omnibus cl gralia Dci cl libellas noslri
declaralur arbitrii cl quia suis inlerdum motibus homo
ad virtutum appelilus possil extendi, semper vero indi-
gent adjuvari... Etiam per nalurw bonum quod bcneficio
crealoris indultum est, nonnunquam bonarum volun-
tatum prodire principia, quœ lumen nisi a Domino diri-
gantur, ad consummationem virtutum peivenire non
possunt, Collât., XIII, c. ix, col. 918-920. Aussi Dieu,
pour dispenser sa grâce exige-t-il, ou attend-il quelque-
fois de nous tles efforts préalables d'une bonne volonté.
Ibid., c. xm, col. 932. Voir Cassien', t. n, col. 1823 sq. ;
I Fauste de Riez, t. v, col. 2103 sq. ; Jacquin, dans la
Revue d'histoire ecclésiastique, 1904, t. v, p. 280 sq. ;
1900, t. vin, p. 294 sq. ; Hefele, op. cil., t. n, p.1090 sq.;
Tixeront, op. cit., t. m, p. 276 sq., auquel nous avons
emprunté l'exposé précédent.
Cette doctrine fut réfutée par saint Augustin dans
deux traités, De pnvdestinatione sanclorum, P. L.,
t. xliv, col. 959-992; De dono perseverantiœ, P. L.,
t. xlv, col. 993-1034; plus tard par saint Prosper
d'Aquitaine dans son livre Contra collatorem, P. L.,
t. li, col. 215-276. Signalons quelques assertions : saint
Augustin insiste sur ce point que le commencement de
la foi est dû à la grâce, De prœdcstinalionc sanclorum,
c. ii, 3, P. L., t. xliv, col. 961 sq. ; plus loin, vin, n. 10,
il dit : Fides igitur et inchoata et perfecla, donum Dci
est : et hoc donum quibusdam dari. quibusdam non dari,
< mnino non dubitcl, qui non vult mani/eslissimis sacris
Lilleris repugnarc, col. 972; cf. c. xvn, col. 983; c. xxi,
col. 992. Dans le traité De dono perscveranliœ, il
enseigne que nul mérite humain n'existe avant la grâce,
c. xix, n. 49, P. L., t. xlv, col. 1023. Cf. c. x:xiv,
col. 1033. Dans ces textes il s'agit de la grâce propre-
ment dite, c'est-à-dire du secours divin spécifique-
ment salutaire. Sur la distinction des deux ordres de
grâce, voir Augustin, 1. 1, col. 2387. Saint Prosper nie
que les pensées pieuses viennent de la seule volonté
libre, elles proviennent de l'inspiration de Dieu, Contra
collai., c. xn, P. L., t. li, col. 244; la bonne volonté, par
laquelle on adhère à Dieu, appartient à l'homme, mais
elle naît sous l'inspiration divine, col. 245 sq. L'homme
ne peut pas par son énergie propre s'élever aux com-
mencements de sa sanctification, col. 216; aucune
œuvre salutaire ne peut se faire sans la grâce; bien
qu'on rencontre des actions louables chez les impies,
elles ne sont pas véritablement vertueuses : Ergo
cmnia quœ ad vilam et pietatem pertinent, non per
naluram, quse vitiala est, habemus, sed per graliam,
qua nalura reparalur, accepimus. Sec ideo œslimarc
debemus in naturalibus Ihesauris principia esse virtu-
tum, quia multa laudabilia rcperiunlur etiam in ingeniis
impiorum. Quœ ex nalura quidem prodeunt, sed quoniam
ab eo qui naluram condidit recesserunt, virlutes esse non
possunt, col. 250; la liberté reste entière sous l'action
de la grâce, celle-ci porte la volonté au bien et l'y
affermit : opitulatioms divinœ gratiœ stabilinunta sunl
voluntatis humanœ, col. 255. Cf. les définitions de Cas-
sien jugées par saint Prosper, col. 255 sq. Voir Ful-
gence de Ruspe, col. 970 sq.
La nécessité de la grâce, étendue à tous les actes
salutaires, était donc enseignée par ceux qui étaient
les mieux en situation d'exposer la doctrine catho-
lique; elle fut proclamée officiellement au IIe concile
d'Orange, en 529, convoqué par saint Césaire d'Arles,
voir Césaipe, t. n, col. 2168 sq. ; Tixeront, op. cit.,
t. m, p. 304 sq., et confirmée par le pape Boniface IL
Au point de vue doctrinal, il faut remarquer que ce
concile décrit davantage les actes qui peuvent précéder
la foi, notamment le pius credulilalis a/fectus, et sur-
tout qu'il précise la raison de la nécessité absolue de
la grâce, par ces expressions sicut oporlel ad salutem.
Ce n'est plus la raison générale qu'on invoque, à
savoir que la nature humaine est viciée, que le libre
arbitre est infirme, mais on affirme l'incapacité de la
nature à tout acte salutaire comme tel. Les canons les
plus importants sont les suivants; nous les résumons :
Ce n'est pas à la prière humaine que la grâce est
concédée, mais c'est la grâce qui fait que nous la
demandions, can. 3; Dieu n'attend pas que par notre
propre volonté nous désirions être purifiés de nos
péchés, niais c'est par l'infusion et l'opération du
Saint-Esprit en nous que nous concevons ce désir,
can. 4. Le commencement de la foi, le désir de croire
(credulitatis affectas) est un don de la grâce, c'est-à-dire
1577
GRACE
1578
une inspiration de l'Esprit-Saint, et n'est pas un effet
naturel, can. 5. C'est par l'infusion et l'opération du
Saint-Esprit en nous que nous pouvons réaliser la foi,
les désirs, les efforts, les prières comme il faut (sicul
oportcl) ; sans la grâce nous ne le pouvons pas, can. 6.
Par la seule énergie de la nature, on ne peut ni conce-
voir, ni choisir, comme il convient (ut expedit), aucun
bien qui appartient à l'ordre du salut de la vie éter-
nelle; on ne peut, sans l'illumination et l'inspiration du
Saint-Esprit, consentir à la prédication salutaire de
l'Évangile (sive salulari, id est, evangelicœ prœdicalioni
consentire... Le sens semble bien être celui-ci : on ne
peut, sans la grâce du Saint-Esprit, consentir à la pré-
dication de l'Évangile, précisément parce qu'elle est
salutaire), can. 7. Voir les textes dans Denzinger-
Bannwart, n. 176-180. Le concile de Trente a établi
la même doctrine, sess. vr, c. i, v-vi, can. 1-6. Den-
zinger-Bannwart, n. 793, 797-798, 811-816.
Ces textes contiennent l' affirmation de la nécessité
de la grâce pour tout acte salutaire; cette nécessité
résulte donc, non d'une difficulté que l'homme éprouve
à se vaincre (car il s'agit aussi d'actes faciles), mais de
l'incapacité complète de la nature humaine à produire,
par elle-même, un acte salutaire. Cette idée se confirme
par le 19e canon, Denzinger-Bannwart, n. 192, où il
est dit : « Si la nature humaine demeurait dans cet état
d'intégrité, dans lequel elle a été établie (par Dieu, en
Adam), elle ne pourrait s'y maintenir par elle-même,
sans le secours de son créateur. Par conséquent, puis-
qu'elle ne peut, sans la grâce de Dieu, conserver le
salut, comment pourrait-elle, sans la grâce de Dieu,
recouvrer ce qu'elle a perdu? » L'homme, qui n'est pas
sujet au désordre de la concupiscence, ne peut pas, par
la seule perfection de sa nature, accomplir le bien qu'il
doit réaliser pour rester juste devant Dieu; la nécessité
de la grâce, dont il s'agit ici, ne correspond donc pas â
cette difficulté morale d'éviter le péché qui est due au
désordre de la concupiscence; elle ne correspond pas
non plus à une difficulté morale d'un autre genre, car
saint Augustin, auquel est emprunté le texte dont il
s'agit, enseigne qu'Adam pouvait sans difficulté et sans
lutte éviter le péché, De correptione et gratia, n. 29,
35, P. L., t. xliv, col. 954, 937; la nécessité, dont il
s'agit, semble donc correspondre à une incapacité phy-
sique de la nature humaine à accomplir le bien salutaire,
à agir salutairement : d'où la nécessité physique de
la grâce. Saint Augustin, Episl., clxxxvi, n. 37, P. L.,
t. xxxin, col. 830; cf. De natura et tjralia,c. xlviii, n.56,
P. L., t. xliv, col. 271 ; Enchiridion, c. evr, P. L., t. xl,
col. 282 sq., ne précise pas davantage cette nécessité.
Les théologiens ont expliqué plus tard cette donnée
et ont notamment reconnu à la grâce une double
fonction : celle de guérir de l'infirmité morale, prove-
nant du désordre introduit par le péché originel; la
grâce, en tant qu'elle est ordonnée à cet elïet, est
appelée medicinalis ou sanans; l'autre fonction consiste
à être un principe d'activité qui surpasse absolument
la nature humaine et à élever, par conséquent, l'opé-
ration humaine à un ordre nouveau, l'ordre surna-
turel; la grâce, en tant qu'elle produit cet effet, est
appelée élevons.
De ce que l'Église a défini que la grâce est requise à
tout acte salutaire, comme tel, même à une simple
pensée- ou à un désir salutaires, les théologiens ont
logiquement conclu que cette nécessité est physique et
que la grâce a pour fonction de rendre formellement sa-
lutaire l'opération dont elle est le principe. Mais qu'est-
ce qui fait que l'acte soit salutaire? C'est qu'il est dans
l'ordre de la fin dernière à laquelle l'homme tend par
cette opération. Or, nous savons, d'autre part, que cette
fin dernière, la vision intuitive de Dieu, est absolument
surnaturelle; pour qu'un acte soit réellement propor-
tionné â cette fin, il doit donc être aussi surnaturel ; c'est
donc à surnaluraliser l'acte que consiste la fonction de
la grâce élevante et cette surnaturalisation est la raison
de sa nécessité absolue et physique. Cf. S. Thomas,
In IV Sent.,1. II, dist. XXIX, a. 1 ; Sum. IheoL, P II*
q. cix, a. 2, 5; Sylvestre Ferrariensis, Comm. in Sum-
mum conl. genl., 1. III, c. cxlvii.
Notons encore que la thèse de la nécessité absolue de
la grâce pour tout acte salutaire contient implicite-
ment l'assertion que l'homme a besoin de la grâce pour
se préparer positivement à la justification. Saint Thomas
en indique la raison intrinsèque : Dieu, qui meut tous
les êtres au bien considéré en général, et par consé-
quent les meut vers lui, meut à une fin spéciale les
hommes qu'il mène à la justification; cette fin spéciale,
c'est Dieu lui-même, possédé surnaturellement; c'est
pourquoi Dieu doit mouvoir d'une manière spéciale,
surnaturellement, les hommes vers la justification.
Sum. theol., V IV, q. cix, a 6. Le concile de Trente,
sess. vi, c. vi, décrit cette préparation. Denzinger-
Bannwart, n. 798.
2. Nécessité de la grâce pour les actes simplement
honnêtes. — a) Dans l'état actuel de l'humanité, l'homme
esl capable, sans le secours de la grâce interne, de faire
certains actes moralement honnêtes. — Cette thèse est
théologiquement certaine, comme il ressort de l'ensei-
gnement commun des théologiens et des documents
ecclésiastiques, que nous indiquerons. Le démonstra-
tion repose sur le principe qu'après le péché d'Adam, le
libre arbitre n'a pas été détruit, bien qu'il ait été
affaibli. Concile de Trente, sess. vr, c. i, Denzinger-
Bannwart, n. 793. Voir une note sur cette formule
dans la Revue thomiste, 1912, t. xx, p. 70 sq. Ce prin-
cipe admis, la conclusion s'impose. En effet, l'homme a
la capacité physique de poser des actes moralement
honnêtes, car il est obligé d'observer la loi naturelle;
de plus, les actes moralement honnêtes ne sont pas
toujours plus difficiles que les actes moralement mau-
vais : c'est une constatation d'expérience; l'homme
est donc, même dans l'état actuel du genre humain,
physiquement et moralement capable de poser, par les
seules forces de sa nature, des actes moralement bons.
Cf. S. Bonaventure, In IV Sent., 1. II dist. XXVIII,
a. 2, q. ni; dist. XLI, dub. n, Opéra omnia, Quaracchi,
t. n, p. 689, 956; S. Thomas, Sum. theol., P II*
q. cix, a. 2; IP II*, q. x, a. 4; Soto, De natura et
gratia, Paris, 1549, 1. I, c. xxi; Suarez, De gratia, 1. I,
c. vm, n.4, Opéra omnia, t. vu, p. 403; Bellarmin, De
gratia et libero urbilrio, 1. V, c. ix, De eontroversiis,
Prague, 1721, t. iv, p. 337.
C'est surtout en condamnant les erreurs de Baius
que l'autorité ecclésiastique a déclaré la doctrine catho-
lique concernant la capacité naturelle de l'homme à
faire des œuvres moralement honnêtes. Voir Baius,
t. il, col. 83 sq. Au même objet se rapportent plusieurs
propositions condamnées de Quesnel et du synode de
Pistoie. Denzinger-Bannwart, n. 1351, 1352, 1355,
1389, 1390, 1394, 1523, 1524.
Baius invoquait surtout l'autorité de saint Augustin
pour défendre l'incapacité de l'homme à faire des actes
honnêtes sans la grâce. Telle n'était pas la doctrine de
l'évêque d'Hippone : il admet que l'homme puisse, par
ses propres moyens, poser des actes moralement bons
(encore qu'en règle très générale, à de pareils actes
s'ajoutent des circonstances qui les rendent moins bons
ou mauvais). Cf. De spiritu et lillera, c. xxvn sq.,
P. L., t. xliv, col. 229 sq. ; S. Prosper, Conl. collât,
c. xin, n. 5, P. L., t. l, col. 250. Sur la doctrine
de saint Augustin concernant ce point, voir Faure,
Enchiridion S. Aurelii Augustini, Naples, 1847, p. 1 sq. ;
Neveu, dans Divus Thomas, 1905, p. 372 sq.; Hefele,
Histoire des conciles, t. n, p. 1101: Schwane, op. cit.,
t. m, p. 175; Tixeront, op. cit., t. n, p. 486 sq. ; Au-
gustin, t. i, col. 2376 sq. Spécialement sur le sens de
1379
GRACE
1580
cette formule : omne quod non est ex fide, pcccatum est,
voir Pesch, Prxlection.es dogmalicœ, t. v, n. 144 sq.
Nous croyons utile de signaler ici certaines expres-
sions de saint Augustin, qui, à première vue, semblent
s'opposer à la doctrine que nous venons d'indiquer.
Dans son Contra duas cpislolas pelagianorum, 1. I.
c. ii, n. 7, P. L., t. xliv, col. 553, l'évèque d'Hippone
dit, par exemple, ceci : nec potest homo boni aliquid
vdlc, nisi adjuvetur ab co qui malum non potesi velle,
hoc est gralia Dei per Jcsum Chrislum. Il affirme ici la
nécessité d'un secours divin pour tout acte bon; et ce
secours est la grâce proprement dite, c'est-à-dire le don
gratuit qui rend la volonté juste, et qui suppose la foi,
qui elle-même est un don gratuit. Dans le passage, d'où
la phrase susdite est tirée, Augustin enseigne que le
libre arbitre n'a pas été détruit par le péché originel,
n. 5, col. 532, mais que cette liberté (cette parfaite
indépendance pour faire le bien), qui existait au
paradis terrestre et qui permettait à l'homme de
réaliser pleinement la justice, n'existe plus; il résulte
de là : a) que l'homme peut faire librement des actes
mauvais, et, par conséquent, être véritablement cou-
pable; b) qu'il n'a plus, pour réaliser le bien, la même
aptitude qu'il a pour réaliser le mal; il se trouve dans
un état où il est dominé par la concupiscence et dans
lequel il ne peut plus éviter tout péché; il ne peut être
délivré de cet état que par la grâce du Christ. Après
cela Augustin ajoute : Sed hsec voluntas quœ libéra est
in malis, quia delectalur malis, ideo libéra in bonis non
est, quia liberata non est; nec potest homo boni aliquid
velle nisi adjuvAur ab co qui malum non potest velle,
hoc est gratia Dei per Jcsum Chrislum. Cet aliquid boni
désigne donc un bien qui est dans l'ordre du salut, un
bien qui appartient à cet état où l'homme est délivré
de la domination de la concupiscence.
Il ne s'agit donc pas ici de tout acte simplement
honnête, au point de vue purement naturel. Et à
Julien d'Éclane qui s'attaque au passage en question,
Augustin répond : « C'est la charité qui veut le bien, et
la charité vient de Dieu; ce n'est pas par la lettre de la
loi (qu'on fait le bien), mais par l'esprit de la grâce. »
Opus imper/ectum contra Julianum, 1. I, n. 94, P. L.,
t. xlv, col. 1111.
Plus loin, au 1. III, n. 110, col. 1295, saint Augustin
dit : Nemo est liber ad agendum bonum sine adjutorio
Dei. D'après le contexte, l'adjulorium Dei indique la
grâce du Christ; cependant il ne s'agit pas ici du libre
arbitre et d'une bonne action en particulier, mais de
la vigueur habituelle de la volonté à faire le bien, à
éviter tout péché; cette vigueur habituelle ne s'obtient
que par la grâce; elle seule guérit l'infirmité qui a
atteint la nature humaine par suite du péché originel.
Au 1. VI, n. 15, col. 1535, il est dit : Si ergo hi,
quorum contra carnem jeun spirilus concupiscil, ad sin-
gulos aclus indigent Dei gratia, ne vincantur, qualcm
libcrtalem volunlatis haberc possunt, qui nondum de
polestalc eruti lencbrarum, dominante iniquilale, nec
eerlarc cceptrunl, aut, si certarc volucrunt, nondum
liberalœ voluntatis servitute vincuntur. Dans ce passage,
le saint docteur parle de ceux qui possèdent la grâce
divine et sont délivrés de l'esclavage de la concu-
piscence; cependant ils doivent encore lutter, et ce
n'est qu'avec le secours de la grâce de Dieu qu'ils
remporteront la victoire, qui les fera jouir du royaume
éternel. Dans ce combat, la prière est plus importante
que la force, car c'est par la prière qu'on obtient la
force dont on a besoin. Les chrétiens ont constam-
ment besoin du secours de la grâce pour n'être pas
vaincus dans la lutte contre la concupiscence et le
secours de la grâce affecte chacun de leurs actes. Saint
Augustin semble bien avoir dans l'idée la victoire
salutaire, celle qui est propre au chrétien et méritoire
de la vie éternelle.
S'il en est ainsi, ceux qui ne sont pas chrétiens, et
n'ont pas la grâce, n'auront pas la vigueur de la
volonté (libertatem voluntatis) requise à la victoire;
ceux-ci ne luttent même pas, ou s'ils veulent lutter, ils
sont vaincus. Saint Augustin n'affirme donc pas qu'il
faut le secours de la grâce pour toute victoire sur une
tentation, même si cette victoire est simplement
honnête, non salutaire; de plus, il dit que ceux qui ne
sont pas encore sous le régime de la grâce peuvent
vouloir lutter. Ce vouloir lutter est un acte moralement
bon et il semble bien que saint Augustin admet que
cet acte peut se faire sans le secours de la grâce.
Remarquons encore que saint Augustin parle ici de la
grâce considérée en général et que l'influence dont il
parle ne peut être restreinte à la grâce actuelle; de
l'endroit cité on ne peut pas conclure que saint Au-
gustin enseigne qu'il faut, dans les hommes justes, une
grâce actuelle pour chaque acte salutaire. Suarez, De
gratia, 1. I, c. n sq., expose longuement une série de
questions se rapportant à la nécessité de la grâce pour
l'opération moralement bonne; quelques-unes seront
traitées dans la suite.
Nous avons affirmé la capacité de l'homme à faire,
sans le secours de la grâce, des actions moralement
bonnes; il ne s'ensuit pas rigoureusement que de fait
les hommes accomplissent, sans le secours de la grâce,
des actes moralement bons. Voir Baius, col. 85. Bien
que cette dernière assertion ne soit pas établie par
une déclaration officielle de l'Église, elle est admise
cependant par la plupart des théologiens. Nous
n'adhérons donc pas à l'opinion de Vasquez, ni à celle
de Ripalda, dont il sera parlé plus loin.
La doctrine, que nous avons exposée, a pour corol-
laires les deux assertions suivantes : les infidèles peu-
vent faire des actions qui ne sont pas des péchés;
l'homme, en état de péché mortel, ne pèche pas néces-
sairement dans tous les actes qu'il pose. Voir Pal-
mieri, De gratia actuali, Wulpen, 1885, thés, xxi,
p. 99 sq.; Baius, t. n, col. 83 sq.
Une autre conséquence est la distinction qui con-
cerne la manière dont on peut observer la loi : l'obser-
vation quant à la substance des actes, quoad subslan-
tiam operum, et l'observation quant au mode d'agir,
ce qui revient à une qualité accidentelle de ces actes.
quoad modum agendi. Par substance des actes, nous
entendons ici l'essence de l'acte humain au point de
vue de la moralité, par exemple, ce qui est requis pour
qu'une action soit réellement un acte de religion, un
acte de justice, etc. Par le mode d'agir on peut entendre
toute qualité accidentelle de l'acte, par exemple, la
facilité avec laquelle il se fait, son intensité; mais, en
théologie, on entend sa surnaturalité ; saint Thomas et
saint Bonaventure désignent par le modus agendi la
surnaturalité qui rend l'acte méritoire de condigno.
Cf. S. Thomas, In IV Sent., 1. II, dist. XXVIII, q. i,
a. 3; Sum. theol., F II-1', q. cix, a. 4; S. Bonaven-
ture, In IV Sent., 1. II, dist. XXVIII, a. 1, q. m,
Quaracchi, t. n, p. 680; Billot, De virlutibus infusis,
proleg., c. m, § 1, n. 4, Rome, 1901, p. 78; De gralia
Chrisli, Rome, 1912, p. 68 sq.
Cette distinction a été violemment attaquée par
Luther, parce qu'elle était incompatible avec son
opinion sur la corruption essentielle de la nature
humaine et son incapacité radicale de faire un acte
moralement bon. Cf. Denifle, Luther und Lulhertum,
t. i, p. 519; Grisar, Luther, t. i, p. 110, 115, 160. Elle
est encore incompatible avec la doctrine de Baius,
parce qu'il tient que tout acte moralement bon est aussi
méritoire de la vie éternelle. De meritis operum, 1. II,
c. ii, vi. C'est pourquoi l'on trouve, parmi les propo-
sitions condamnées de Baius, la 61e qui dit : « La
distinction que font les docteurs d'une double manière
d'accomplir la loi divine, l'une se bornant à la sub-
i:,si
GRACE
1.582
stance de l'œuvre commandée, l'autre ajoutant un
certain mode ou caractère méritoire qui rend les
œuvres dignes de conduire le sujet au royaume des
cieux, est une distinction chimérique qu'il faut rejeter. »
De îzinger-Bannwart, n. 1061. Voir Baius, t. n, col. 79.
b) Les théologiens se sont occupés spécialement de
la capacité de l'homme déchu à vaincre les tentations.
Il s'agit ici d'une victoire moralement honnête, non
salutaire.
La plupart admettent que l'homme peut, sans le
sec mrs de la grâce, résister à certaines tentations, au
moins aux tentations légères. Cf. Soto, De nalura et
gratin, 1. I, c. xxi, Paris, 1549, fol. 83; Suarez, De
ijratia, 1. I, c. xxin, n. 13, Opéra omnia, t. vu, p. 483;
Gotti, Thcologia scholaslico-dogmatica, t. n, tr. VII, De
divina gratia, dub. ix, n. 5, Venise, 1750, p. 318.
Mais beaucoup enseignent que l'homme ne peut pas,
sans le secours de la grâce, résister à aucune tentation
grave : tel est l'énoncé de la thèse défendue par Suarez,
cp. eit.,1 I, c. xxiv, n. 8, p. 492 ; Gotti, loc. cit., n. 15 ; Maz-
zella, De gratia Christi, Rome, 1892, n. 390. La raison
qu'ils apportent pour soutenir cette thèse est l'infirmité
de la nature humaine concernant le bien moral; aussi le
texte de saint Paul, I Cor., x, 13. Cependant ce texte
et les textes des conciles concernant la nécessité de la
grâce ne permettent pas d'établir que l'homme ne
peut, sans le secours de la grâce, résister à aucune
tentation grave. C'est pourquoi d'autres théologiens,
par exemple, Hurter, op. cit., n. 47, parlent de la
victoire sur toutes les tentations qui assaillent l'homme.
Le P. Pesch, op. cit., n. 157, fait une remarque très
opportune : il semble, que l'on a tort de proposer
cette thèse : l'homme, sans te secours de ta grâce, ne
peut vaincre aucune tentation grave. Qu'est-ce, en effet,
qu'une tentation grave ? On ne pourra guère donner
d'autre réponse que celle-ci : une tentation grave est
celle qui sollicite l'homme avec tant de force que, sans
la grâce, il est moralement incapable de résister. Cette
explication contient une tautologie. Si l'on veut décrire
la nature même d'une tentation grave, on ne par-
viendra pas à la déterminer de telle façon que l'on
puisse alors démontrer la thèse; les documents de la
révélation ne donnent aucune description de cet objet.
Il est donc plus exact de proposer la thèse suivante :
Tout homme, qui pendant un temps considérable jouit
de l'usage de la raison, rencontre des tentations si graves
qu'il ne peut les vaincre, sans le seccurs de la grâce.
Cette assertion est alors une explication de la thèse
générale, que nous exposerons plus loin. Pour les
arguments, voir Pesch, op. cit., n. 159 sq.
La question, que nous venons d'exposer, a donné
lieu à diverses opinions qui ont une portée plus géné-
rale; nous les exposerons ici afin de mieux faire ressortir
le lien logique qui les unit.
Vasquez, In /"" II*, q. cix, a. 2, disp. CLXXXIX,
c. vm sq., Anvers, 1622, p. 401 sq., a soutenu une
opinion qui n'a guère été suivie par les théologiens.
Il enseigne que l'homme ne peut vaincre aucune ten-
tation, même la plus légère, sans le secours de la grâce
du Christ. Il s'efforce d'abord de montrer que cette
opinion est contenue dans la doctrine des Pères et des
conciles, c. vm-xiii.
Nous ne pouvons entrer dans cette discussion, mais
il nous faut noter comment Vasquez explique sa thèse :
les êtres privés de raison agissent nécessairement,
leur opération est toujours déterminée par leur nature,
et Dieu, en tant que créateur, les meut à produire
l'opération telle qu'elle est contenue in actu primo dans
leur nature. Mais l'homme est libre, et par conséquent
indifférent : l'action volontaire, qu'il pose librement,
n'est pas déterminée par la nature humaine; mais
cette action dépend d'une pensée et cette pensée n'est
pas au pouvoir de l'homme; cette pensée dépend de
Dieu, non pas en ce sens qu'elle est toujours produite
par Dieu dans l'intelligence, mais en ce sens qu'elle
dépend de la proscience et de la providence divines.
C'est donc de Dieu qu'il dépend que l'homme ait telle
pensée en vertu de laquelle il résiste à la tentation,
plutôt que telle autre pensée à laquelle il succom-
berait; si Dieu, qui connaît de toute éternité l'in-
flumce de telle pensée sur tel homme dans telles condi-
tions, l'ait en sorte que l'homme ait, de fait, la pensée
en vertu de laquelle il résiste à la tentation, c'est là
un bienfait de Dieu, c. xv sq. Cette cogitalio congrua
est donc un bienfait spécial de Dieu (il aurait pu
donner une cogitalio non congrua) et parce que, dans
l'ordre actuel de la providence, tous les bienfaits sont
accordés conséquemment aux mérites du Christ, cette
cogitalio congrua peut donc s'appeler auxitium gratiœ
per Chrislum, c. xvn sq. Cette cogitalio congrua n'est
pas seulement un secours dû à la protection externe
de Dieu, mais c'est une inspiration interne, qui produit
une bonne affection par laquelle nous résistons à la
tentation; rien n'empêche que cette pensée opportune
soit produite en nous par des causes secondes externes;
c'est Dieu qui les a disposées par sa providence, c. xvi,
n. 142, p. 423. Cette grâce, ajoute Vasquez, n'est pas
un secours qui, quant à sa nature ou substance, est
surnaturel, comme est le secours qui nous est donné
pour faire des actes salutaires; le secours, dont il
s'agit, est en soi d'ordre naturel, proportionné à la
nature, il ne requiert aucun principe nouveau pour le
produire; il est cependant une grâce parce qu'il procède
de la libéralité et de la miséricorde de Dieu à notre
égard et que Dieu aurait pu ne pas nous l'accorder,
c. xvi, n. 144, p. 424. Bellarmin, De gratia cl libero
arbitrio, 1. V, c. vu, p. 334, semble défendre la même
thèse. Son explication cependant ne coïncide pas avec
celle de Vasquez.
L'opinion de celui-ci diffère de celle qui fut défendue
par Baius et condamnée dans la 30° proposition. Voir
Baius, t. ii, col. 88. Vasquez, en effet, n'exigeait pas
la grâce proprement dite et ne fondait pas son opinion
sur une fausse idée de la connexion de la grâce avec la
nature, telle qu'elle se trouve chez Baius.
Cependant le sentiment de Vasquez n'a guère de
partisans. C'est à juste titre, nous semble-t-il, car,
d'abord, dans les textes des conciles, réunis contre le
pélagianisme, on ne trouve pas cette distinction entre
la grâce, quant à son être, surnaturelle, et la grâce,
([liant à son être, naturelle; ensuite la cogitalio congrua,
dont parle Vasquez, bien qu'elle soit un bienfait de
Dieu, ne peut pas s'appeler grâce, parce qu'elle n'appar-
tient pas à l'ordre surnaturel; une bonne pensée natu-
relle, prévue et donnée par Dieu, n'est pas une grâce
proprement dite, au sens théologique du mut, alors
même qu'elle devient l'occasion d'un acte salutaire,
qui s'opère après la grâce proprement dite. Cf. Suarez,
op. cit., c. xm, n. 3 sq., p. 436 Pesch, op. cit., n. 126 ;
Billot, De gratia Christi, p. 80.
L'opinion de Vasquez, que nous venons d'exposer,
est intimement connexe avec une assertion plus
générale, défendue par le même auteur : il faut un
secours spécial de Dieu, au sens expliqué, pour tout
acte moralement bon. Op. cit., disp. CXC, c. xn,
n. 117 sq., p. 462 sq.
Ripalda, De ente supernalurali, t. n, 1. V, disp. CXIV,
sect. iv-v, p. 541 sq., réfute cette opinion, en ce sens
que le secours requis par Vasquez ne peut pas s'appeler
la grâce et n'appartient pas à l'ordre surnaturel, ni â
l'ordre des secours proprement salutaires. Mais Ri-
palda, tout en admettant que la nature humaine est,
par ses propres forces, capable de faire des actes mora-
lement bons, soutient que de fait, dans l'ordre actuel,
d'après le plan établi par Dieu, aucun acte morale-
ment bon ne s'accomplit sans qu'il soit aussi surnaturel
15S
GRACE
1584
et par conséquent l'effet d'une grâce proprement dite
et intrinsèquement surnaturelle. Dieu, dit-il, en desti-
nant la nature humaine à la fin surnaturelle et aux
œuvres qui conduisent vers elle, a décidé de toute
éternité qu'aucun elîort pour accomplir un acte de
vertu ne serait accordé, sans que la volonté créée ne
soit prévenue par un secours intrinsèquement surna-
turel. Op. cit., sect. xin, n. 123, p. 556. L'auteur expose
et défend longuement cette thèse. Op. cit., t. i, 1. I,
disp. XX, sect. n. Elle est liée chez lui à une autre
explication concernant la foi. Op. cit., t. iv, De virtu-
tibus, sect. xvn. D'après Ripalda, comme nous venons
de le voir, même chez les païens, tous les actes sont ou
bien mauvais, ou bien surnaturellement bons. Dès lors,
les actes par lesquels les païens s'efforcent de connaître
Dieu sont aussi surnaturels. Ces actes sont méritoires
de congruo et les païens peuvent ainsi arriver à l'amour
de Dieu au-dessus de tout; cet amour sera surnaturel
et pourra ainsi obtenir la justification. L'homme serait
ainsi justifié sans connaître la révélation et sans avoir
la foi proprement dite. Op. cit., t. i, 1. I, disp. XX,
sect. xii, xxii, xxm. Nous n'avons pas à réfuter cette
opinion concernant la foi. Voir Schifïini, De virlutibus
in/usis, Fribourg-en-Brisgau, 1901, n. 168 sq. ; Pesch,
op. cit., t. vin, De virlutibus, 1908, n. 468 sq.
Mais l'opinion de Ripalda, concernant la nécessité
de la grâce surnaturelle, ne nous semble pas prouvée.
Nous ne trouvons pas valides les arguments exposés
pour établir que Dieu donnerait à chaque homme une
grâce proprement dite chaque fois qu'il doit poser un
acte moral; nous pensons qu'il y a des actes morale-
ment bons et simplement naturels. Cf. Palmieri, De
gralia actuali,p. 254; Schifnni.De gralia divina, n. 105.
Mais nous considérons comme très probable le sen-
timent du cardinal Billot, De gratia, p. 79 sq., qui
n'admet pas qu'il existe deux espèces de grâces : l'une
naturelle, quoad modum, l'autre surnaturelle, quoad
substantiam; il enseigne que Dieu, dans l'ordre actuel,
ne donne que des grâces intrinsèquement surnatu-
relles, de façon que tous les actes qui procèdent d'une
grâce sont, dans leur entité, surnaturalisés. Cette
thèse s'appuie sur les deux arguments suivants : a) les
Pères et les conciles, en affirmant la nécessité de la
grâce, ne parlent que d'une sorte de grâce, la grâce de
Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est la grâce que nous
devons au Christ en tant qu'il est notre rédempteur
et sauveur, c'est la grâce qui nous conduit au salut;
or, la grâce, qui nous conduit au salut, est intrinsè-
quement surnaturelle, nous l'exposerons en parlant de
l'essence de la grâce; b) cet argument est confirmé par
la considération suivante : la grâce actuelle est ordonnée
à l'opération. Si la grâce, que certains auteurs appel-
lent surnaturelle quant au mode seulement, faisait
partie de ce que les conciles appellent la grâce de Notrc-
Seigncur Jésus-Christ, il y aurait donc des actes
salutaires, qui, dans leur entité, seraient naturels.
Mais comment admettre cette assertion? Si l'on dit
que ces actes ne conduisent pas positivement au salut,
mais négativement, alors surgit la question : que signifie
conduire négativement ? Ce conduire négativement, par
exemple, ne pas commettre un péché nouveau, peut
obtenir un moyen positif de salut, c'est-à-dire la grâce
intrinsèquement surnaturelle, ou il ne le peut pas. S'il
ne le peut pas, il ne conduit donc pas au salut, et l'on
devrait conclure que la grâce du Christ ne conduit pas
;;u salut. Si, au contraire, il le peut, il faudra admettre
qu'un acte, naturel quant à sa substance, est le com-
mencement de la vie éternelle. Cette conclusion ne
semble pas conciliable avec les données de la foi.
c) Dans l'état actuel de l'humanité, l'homme (dans les
conditions ordinaires et normales) est incapable, sans
le secours de la grâce, d'observer tous les préceptes de la
loi, mi d'éviter tout péché mortel. — Cette thèse appar-
tient à la doctrine catholique, mais quant à la note
théologique qu'il faut lui assigner, le cardinal Billot
fait une remarque importante, De gralia Chrisli,
p. 69 sq. : certains théologiens distinguent les préceptes
de la seuie loi naturelle et les préceptes ajoutés par la
loi de la grâce (par exemple, le précepte de croire, de
recevoir les sacrements), et établissent une différence
entre ces deux catégories de préceptes au point de vue
de la nécessité morale de la grâce. Cette distinction
semble tirer son origine de l'opinion d'après laquelle
les actes surnaturels, comme tels, auraient un objet
formel différent ; il s'en suivrait que ces actes seraient
surnaturels quant à la substance même de l'opération,
et que, par conséquent, l'homme serait physiquement
incapable, sans le secours de la grâce, d'accomplir les
œuvres prescrites par la loi de la grâce. Dès lors, la
question de la nécessité monde de la grâce a été res-
treinte à l'accomplissement de la seule loi naturelle.
Mais, dans les documents ecclésiastiques, on ne trouve
pas de définition explicite concernant la nécessité
morale de la grâce pour l'observation des préceptes de
la seule loi naturelle; d'où les théologiens concluent
que cette thèse est au moins théologiquement certaine.
Mais si on n'adhère pas à l'opinion, qui assigne un
objet formel spécifiquement différent aux actes surna-
turels comme tels — et il semble bien que cette opinion
doive être rejetée — il n'y a plus de raison de limiter
la nécessité morale de la grâce à l'observation de la
seule loi naturelle. Les déclarations de l'Église faites
au temps de la controverse pélagienne ne contiennent
pas la distinction susdite, et affirment, sans restric-
tion, la nécessité de la grâce pour que l'homme puisse
observer la loi et éviter le péché. En ce sens, la propo-
sition est de foi.
Néanmoins, l'assertion restreinte à l'observation de
la seule loi naturelle est vraie, et elle se déduit des
arguments que nous indiquerons.
Les théologiens, qui considèrent uniquement l'inca-
pacité morale de l'homme à observer la loi naturelle,
ajoutent d'ordinaire, dans l'énoncé de leur thèse, les
mots : du moins pendant un temps considérable. On ne
peut pas préciser cette durée, mais il est certain que la
difficulté d'éviter tout péché mortel devient plus forte
avec le temps ; pour l'homme, privé du secours de la
grâce, la lutte contre les tentations devient plus pénible,
quand elle se prolonge, la probabilité d'être sujet à des
tentations particulièrement difficiles à vaincre aug-
mente, la persévérance exige des efforts continus, une
vigueur d'âme croissante.
Enfin, pour nous rendre pleinement compte du sens
de la thèse, il faut observer que, d'après le cardinal
Billot et d'autres auteurs, il s'agit ici de l'homme qui
connaît toute la loi; on fait donc abstraction de ceux
qui ne connaissent que les tout premiers principes de
la loi naturelle, comme il en est beaucoup, semble-t-il,
parmi les peuples non civilisés. Cf. card. Billot, De
gratia Christi, p. 68.
Pour démontrer la thèse, l'argument principal est
tiré de l'Épître de saint Paul aux Romains, vu, 7-
vm, 2. Nous supposons admis que le moi, dont saint
Paul décrit la misère morale, représente l'homme aux
prises avec la concupiscence sous le régime de la loi et
succombant dans cette lutte inégale. Cf. Tobac, Le
problème de la justification dans saint Paul, Louvain,
1908, p. 102 sq. ; Prat, La théologie de saint Paul, Paris,
1908, t. i, p. 316 sq. Voici donc renseignement de
saint Paul : la loi mosaïque, bien qu'elle soit bonne en
elle-même, est devenue occasion de péché et de mort;
le juif, constitué sous ce régime comme tel, est l'esclave
du péché, vendu au péché; la raison de cette captivité
est la concupiscence, d'où résulte la lutte, décrite par
saint Paul, qui a pour issue la défaite de l'homme et sa
captivité; c'est seulement par la grâce du Christ que le
1585
GRACE
158(1
juif est délivré de cette misérable situation morale et
devient capable de réaliser la vertu à laquelle il ne
pouvait atteindre sous le régime de la loi mosaïque.
Cette doctrine nous amène à faire le raisonnement
suivant : si le juif, constitué sous le régime de la loi
mosaïque, ne peut pas échapper au péché mortel, et
cela par suite de la concupiscence, le païen, et tout
homme qui n'est pas régénéré dans le Christ, ne pourra
pas non plus, et pour la même raison, éviter pendant
longtemps tout péché mortel; le secours de la grâce est
donc nécessaire, dans l'état actuel de l'humanité,
pour que l'homme puisse observer toute la loi ou
éviter tout péché mortel.
Si nous considérons, en outre, la raison de cette
infirmité, c'est-à-dire la concupiscence, et l'obstacle
qu'elle met à l'observation de la loi naturelle, si, de
plus, nous considérons ce que l'expérience nous apprend
sur la difficulté d'accomplir tout ce qui est commandé
par cette loi, nous pouvons conclure que la doctrine
générale de l'apôtre s'applique aussi en particulier à
l'observation de la seule loi naturelle, que, par consé-
quent, l'homme est incapable, sans le secours de la
grâce, d'observer tous les préceptes de la loi naturelle,
même quant à la seule substance des actes, et d'éviter
tout péché mortel.
Cette même explication vaut pour, les documents
ecclésiastiques et la doctrine des Pères. Parmi ceux-ci,
il faut citer surtout saint Augustin, De spiritu et littera,
c. iv, n. 6; c. xix, n. 32, P. L., t. xliy, col. 203, 220;
Opus imperjedum centra Julianum, 1. I, n. 85 sq.,
P. L., t. nia, col. 1105 sq. Cf. les canons 3-5 du concile
de Carthage, Denzinger-Bannwart, n. 103-105. Remar-
quons que ces documents exigent la grâce pour l'ac-
complissement même des préceptes et ne limitent pas
explicitement cette exigence à l'accomplissement salu-
taire de la loi.
Saint Thomas, Sum. Iheol., P IV, q. cix, a. 2, 4,
expose la nécessité de la grâce, a. D'abord, la grâce
est nécessaire pour que l'homme puisse accomplir toutes
ses obligations et éviter tout péché : c'est la nécessité
morale delà grâce. Cette nécessité n'existait pas avant
le péché d'Adam, car alors l'homme était dans l'état
d'intégrité de nature (sur cet état d'intégrité, voir
Collationes Brugenses, 1913, t. xviii, p. 356, 434,
492); dans cet état, l'homme n'éprouvait aucune
difficulté à accomplir tous ses devoirs et il avait, en
lui, la vigueur suffisante pour éviter tout péché; dans
cet état, la grâce n'était pas nécessaire à l'observation
de la loi, quant à la substance des actes; mais la grâce
était alors requise pour surnaturaliser la substance des
actes, ou, comme l'on dit, pour l'observation de la loi,
quant au mode d'agir. Après la chute d'Adam, l'homme
a perdu l'état d'intégrité, sa nature est devenue infirme,
viciée, il est sujet à une lutte pénible entre l'esprit et
la chair, il n'a plus la vigueur requise pour résister
aux tentations, et, par conséquent, pour accomplir
toujours ce qui lui est prescrit : la grâce est nécessaire
maintenant comme remède à cet étal maladif, elle est
requise pour guérir la nature : c'est la gratia sanans.
b. De plus, la grâce est encore requise pour surnatura-
liser les actions des hommes; en tant que la grâce
produit cet effet, elle est la gratia elevans; à ce titre,
elle est requise de nécessité physique, car aucune faculté
opérative n'est capable de produire par elle-même un
acte intrinsèquement surnaturel.
3. La thèse de la | nécessité morale de la grâce
a suscité différentes questions, qu'il nous faut indi-
quer.
a) D'abord, la grâce est-elle nécessaire à l'homme
pour aimer Dieu par-dessus toutes choses ? Il ne s'agit
point de la charité essentiellement surnaturelle, mais
d'un amour naturel. Nous venons de démontrer que
l'amour parfait effectif, qui consiste dans l'observation
intégrale de la loi divine, n'est pas possible sans la
grâce. Il s'agit donc de l'amour affectif, c'est-à-dire
d'un acte intérieur de bienveillance et de complai-
sance envers Dieu, non point une simple velléité, non
point un désir vague et conditionnel, mais un acte
d'attachement explicite si sincère que l'on préfère le
créateur à toutes choses. Voir Charité, t. n, col. 2234.
Cet acte, car il s'agit d'un acte, et non d'un habilus
acquis, peut-il être le produit de nos énergies naturel-
les? Suarez, De gratia, 1. I, c. xxxm, Opéra, t. vu,
p. 549 sq. ; Bellarmin, De gratia el libero arbitrio,
1. VI, c. vu, De conlroversiis, t. iv, p. 381; Sylvius,
In I II', q. cix, a. 3, concl. 6», Anvers, 1696, p. 0 11 :
Billuart, De gratia, diss. III, a. I, Summa, Paris, s. d.,
t. in, p. 87 ; Hugon, Hors de V Église point de salut, Paris,
1907, p. 148 sq., adoptent l'opinion négative; l'opinion
affirmative est défendue par beaucoup de théologiens,
parmi lesquels Cajétan, In 7anl //'', q. cix, a. 3; Soto,
De nalura et gratia, 1. I, c. xxii, Paris, 1549, fol. 90 b;
Molina, Concordia, q. xiv, a. 13, disp. XIV, m. m;
Mazzella, Ds gratia Christi, Rome, 1892, n. 417 sq. ;
Huiler, Compendium theologiœ dogmaticœ, t. ni, n. 66;
Pesch, op. cit., n. 128. Billot, De gratia Christi, p. 68,
ne tranche pas la question.
Nous adhérons à l'opinion qui admet la capacité
naturelle de l'homme à faire, même dans l'état actuel
de la nature déchue, un acte d'amour parfait naturel à
l'égard de Dieu, mais avec une restriction cependant;
nous ne parlons pas de l'adulte qui déjà a commis
personnellement le péché mortel et est demeuré dans
cet état. Nous considérons l'adulte qui n'a pas encore
commis un péché mortel personnel. On ne peut pas
nier que l'homme ait la capacité physique de produire
un acte d'amour parfait envers Dieu, puisque cet acte
rentre dans l'objet du premier précepte de la loi
naturelle, et que la nature humaine n'a pas été radi-
calement déformée par le péché originel; de plus,
l'homme ne subit pas constamment l'assaut de tenta-
tions graves, et quand il pense explicitement qu'il est
obligé à observer tous les commandements de Dieu, il
peut vouloir sincèrement éviter tous les péchés mortels,
vouloir résister à toutes les tentations, vouloir s'im-
poser les sacrifices exigés par là ; il peut donc avoir
aussi, au moins de temps en temps, la capacité morale
de faire l'acte d'amour dont il s'agit. Soto, op. cit.,
fol. 91 b, exprime la thèse, que nous défendons, en ces
termes : Aclus ilte singularis quo objective... Deus dili-
gilur, habere quis polesl extra gratiam, imo extra fidem.
Potest enim quis naluraliler illam habere animi affe-
ctionem, quœ est : Volo Deo in omnibus el per omnia
placerc. Le même auteur déduit de cette thèse le corol-
laire suivant, digne d'attention : « Dans l'homme
justifié, il n'y a aucun acte dont le semblable, quant à
la substance de l'acte, ne puisse se trouver dans
l'homme qui n'a pas la grâce. •< Op. cit., fol. 92.
Le P. Hugon, op. cil., p. 150, propose contre cette
thèse l'argument suivant : une faculté malade et
blessée n'arrivera jamais à l'acte parfait de la nature
saine; or l'acte d'amour de Dieu par-dessus toutes
choses est l'acte le plus noble de la volonté saine; donc
dans l'état actuel de la nature déchue et malade, la
volonté n'arrivera jamais à faire l'acte d'amour parfait
envers Dieu.
Nous répondrons que la majeure est vraie quand il
s'agit d'une faculté, qui agit nécessairement et est
intrinsèquement déformée, mais on ne peut pas
l'affirmer quand il s'agit d'une faculté qui est libre et
n'est pas intrinsèquement déformée. Il s'agit ici notam-
ment de la volonté; or cette faculté n'est pas intrinsè-
quement déformée par suite du péché originel; elle
est capable de vouloir tout bien qui lui est présenté
par l'intelligence; or l'intelligence peut naturellement
connaître que Dieu est en lui-même le bien infini,
1587
GRACE
1588
qu'il doit être aimé par-dessus toute chose, que l'on
doit renoncer à tout ce qui n'est pas conforme à sa
volonté; dés lors la volonté est physiquement capable
de produire cet acte d'amour. Ce que l'on appelle la
vulnrratio naturse est la rupture de l'harmonie qui
existait entre les différentes facultés de l'homme, cf.
S. Thomas, Sum. theoi, P IF, q. lxxxv, a. 3; la
volonté, il est vrai, éprouve de la difficulté à vouloir
le bien, mais cette difficulté n'est pas toujours actuelle
et ne s'oppose pas à un acte particulier de vertu ; nous
ne voyons pas comment elle s'opposerait toujours à
l'acte d'amour parfait.
Nous ne pouvons pas admettre non plus cette autre
considération : <■ Si l'homme ne réalise jamais et ne
peut même pas réaliser sans la grâce son intention de
plaire toujours à Dieu, et de ne jamais l'offenser, c'est
une preuve que ce ferme propos n'existe pas sans la
grâce. » Hugon, op. cit., p. 150. D'abord, l'homme peut
ignorer qu il ne peut pas, sans la grâce, éviter tout
péché mortel, et penser qu'il a assez d'énergie pour
résister toujours aux tentations. De plus, un homme
peut sincèrement faire un propos, que plus tard, par
faiblesse, il n'exécute pas. Sylvius, loc. cit., fait juste-
ment observer que, pour que l'acte d'amour de Dieu par-
dessus tout et le propos absolu d'observer tous les
commandements soit considéré comme ferme, il n'est
pas requis que l'homme évite de faire tout péché mortel
pendant sa vie; on peut avoir un acte sincère et parfait
d'amour, qui cependant ne fasse éviter tout péché
mortel que pendant un certain temps.
Enfin si l'homme fait naturellement un acte d'amour
parfait, cet acte ne le justifie pas, précisément parce
qu'il est naturel; il n'y a en cela aucune difficulté
spéciale, nous semble-t-il : il n'est pas démontré que
l'homme ne puisse pas, pendant un certain temps,
avant la justification, rester exempt de tout péché
mortel personnel, pourquoi lui serait-il moralement
impossible de faire un acte d'amour parfait naturel,
tout en étant encore dans l'état où l'a mis le péché
originel? Sylvius, loc. cit., soutient qu'il faut une grâce
pour l'acte d'amour parfait, mais admet qu'une grâce
actuelle suffit. Si l'on dit que Dieu, dans l'ordre actuel,
ne permettra jamais que l'homme fasse un acte d'amour
parfait purement naturel, on ne prouve pas par là que
cet acte est moralement impossible à l'homme : la néces-
sité de la grâce requise, dans cette hypothèse, serait
d un ordre différent que celui de la nécessité morale
de la grâce.
Quant à l'opinion de saint Thomas, Sum. theol.,
F IF\ q. cix, a. 3, elle n'est pas facile à saisir parce
qu'il n'explique pas ce qu'il entend par diligere Deum
super omnia : s'agit-il d'un simple acte transitoire
d'amour parfait ou bien d'un acte d'amour qui oriente
tellement la volonté vers Dieu et rend cette orienta-
tion si ferme que l'homme en devient capable d'éviter
tous les péchés, môme véniels? Nous pensons qu'il
s'agit de cette dernière disposition : c'est ainsi que
l'interprète Cajétan. In /•'"" //■'', q. cix, a. 3. S'il en est
ainsi, saint Thomas enseignerait donc ceci : l'homme,
dans l'état de nature déchue, ne peut aimer Dieu
efficacement de façon à éviter tout péché, sans le
secours de la grâce, mais il peut faire par ses seules
forces naturelles un acte d'amour parfait transitoire,
correspondant à sa nature.
C'est bien cela que saint Thomas avait admis, In
IV Sent., 1. II, dist. XXVIII, a. 3, ad 2"m, où il met
au même rang, quant à ce qui nous occupe l'acte de
charité et celui des autres vertus : Sicut aliarum vir-
lulum actus dupliciter considerari possunl, vcl secundum
quod sunl a virtule, vel secundum quod antecedunt vir-
lutem; ita eliam est de caritate; potesl enim aliquis, ctiam
curitatem non habens, diligere proximum et Deum,
eliam super omnia, ut quidam dicunl; et hoc diligere
inti lliyitur actus caritatis sub preecepto directe cadere,
et non solum secundum quod a caritate procedil.
Quant à la suite logique des idées de saint Thomas
dans la question citée de la Somme, voici comment
nous la comprenons : à l'art. 3, il a donc enseigné
que l'homme, dans l'état actuel de nature déchue,
peut, par ses seules forces naturelles, poser l'acte
(quoad substantiam actus) commandé par le premier
précepte, mais qu'il ne peut pas accomplir complète-
ment ce commandement, parce qu'il ne peut pas éviter
tout péché et que tout péché est contraire au premier
précepte, étant contraire à l'amour de Dieu. Ensuite
saint Thomas, à l'art. 4, se demande d'une manière
générale si l'homme peut, par ses seules forces natu-
relles, accomplir les préceptes de la loi, c'est-à-dire
tous les préceptes. Il répond que l'homme, clans l'état
de nature déchue, laissé à ses seules énergies natu-
relles, ne peut observer tous les préceptes, même
1 seulement quant à la substance des œuvres com-
mandées : le sens est que l'homme, dans l'état de
natuie déchue, livré à ses seules forces naturelles, ne
peut pas, au moins pendant un temps considérable,
éviter tout péché mortel. Ceci est confirmé à l'art. 8, où
saint Thomas enseigne, en outre, que l'homme, dans
l'état de nature déchue, s'il a déjà commis un péché
mortel, ne peut pas, sans le secours de la grâce, s'abs-
tenir longtemps de tomber dans de nouveaux péchés
mortels.
b) Ces assertions définissent l'impuissance morale
à faire le bien, à laquelle l'homme est sujet dans l'état
de nature déchue. Une autre question se pose main-
tenant : quel est le secours requis pour remédier à celle
infirmité ?
Cette infirmité consiste, en réalité, dans la difficulté
à faire le bien; cette difficulté provient, d'une part, du
désordre de la concupiscence, en vertu duquel surgis-
sent des excitations à des actes mauvais, et, d'autre
part, du manque de vigueur mentale (intellectuelle et
volontaire), d'où il résulte que l'homme cède aux
impulsions désordonnées et donne librement son con-
sentement à un objet moralement mauvais. Pour
remédier à cela, quand il s'agit de la seule loi naturelle,
il suffirait que Dieu donne des secours naturels et
transitoires; qu'il suscite, par exemple, des pensées
qui éclairent vivement l'intelligence sur le bien à faire
ou le mal à éviter, qu'il suscite des affections puissantes
vers le bien, des aversions fortes vers le mal. Ces
secours seraient donc, quant à leur entité, naturels.
Par conséquent, à ne considérer que ce qui est requis
ex natura rei à l'accomplissement de la seule loi natu-
relle, on doit conclure qu'il suffirait d'avoir des secours
qui en eux-mêmes sont d'ordre naturel : je crois que
les théologiens sont d'accord sur ce point.
Mais si l'on pose la question de fait, si l'on demande :
Dieu, dans l'ordre actuel de la providence, accorde-t-il
des secours entitativement surnaturels pour l'obser-
vation de la loi naturelle ? la réponse des auteurs n'est
plus unanime. Remarquons d'abord qu'il ne s'agit pas
ici de dons purement naturels qui, au moyen de la
grâce surnaturelle, peuvent contribuer à l'exercics de
la perfection, ou bien peuvent y contribuer, comme on
dit, négativement ou removendo prohibais: telles sont, par
exemple, une intelligence puissante et bien formée, une
volonté énergique, une heureuse complexion corporelle;
nous ne parlons pas non plus des dons externes, par
exemple, les bons exemples, la prédication de l'Évan-
gile. La distinction qui nous occupe concerne les
grâces actuelles internes. Les grâces actuelles surnatu-
relles quoad substantiam sont des motions dont l'en-
tité même est surnaturelle, et les grâces actuelles sur-
naturelles quoad modum tantum sont des motions
dont l'entité est naturelle, mais qui sont données, ou
bien comme par miracle, ou bien qui sont positivement
1589
GRACE
1590
ordonnées par Dieu à des grâces ultérieures, surnatu-
relles quoad substanliam. Sur cette notion de la grâce
naturelle quoad inodum tanlum, voir Suarez, op. cit.,
1. I, c. xxiv, n. 20 sq., p. 495 sq.; Ripalda, op. cit.,
1. I, disp. I, sect. iv, p. 5 sq.
Certains théologiens posent la question d'une ma-
nière générale : quel secours est requis à l'observation
de la lui naturelle? Les uns répondent : il faut la grâce
surnaturelle quoad substanliam, ainsi répond la Theo-
logia Wirceburgensis, Paris, 1853, t. iv, n. 313, p. 315;
d'autres répondent : il suffît de la grâce surnaturelle
quoad modum, ainsi Mazzella, op. cit., n. 384, 390,
p. 258, 265.
Mais il est nécessaire de distinguer ici diverses
questions. D'abord, la grâce sanctifiante est-elle, de fait,
requise à l'observation de toute la loi naturelle, pro-
longée pendant un temps considérable ? Saint Thomas
répond affirmativement, Sum. Iheol., l" IV, q cix,
a 8; et après lui Cajétan, In /"" 77", q. cix, a. 8;
Suarez, op. cit., 1. I, c. xxvn, n. 3 sq., p. 511, qui
remarque : cette opinion est celle que défendent main-
tenant le plus grand nombre de théologiens ; Gotti,
Theologia scholastico-dogmatica, Venise, 1750, t il,
tr. VI, dub. vu, n. 31, p. 313; Hugon, op. cit., p. 133 sq.;
Schiffîni, 73c gratia, n. 98; Billot,- De gralia, p. 101 sq.
Ce sentiment est solidement étayé par les arguments
suivants : a. la doctrine de saint Paul, Rom., vu,
24-vin, 2, établit ce qui suit : l'homme sous le régime
de la loi mosaïque, comme tel, ne peut pas éviter le
péché mortel; pour être délivré de cet état, l'homme a
besoin de la grâce du Christ. La grâce, dont il est ici
question, semble bien être celle qui constitue pour
l'homme un état différent, l'état de l'homme justifié;
c'est donc la grâce justifiante qui est exigée, b. Les
conciles semblent parler dans le même sens : le concile
de Carthage de 418 exige la grâce de la justification pour
que l'homme puisse accomplir les commandements de
Dieu, can. 5, Denzinger, n. 105; le concile d'Orange de
529 enseigne que le libre arbitre, affaibli dans le premier
homme, ne peut être guéri que par la grâce du baptême,
can. 13. Denzinger, n. 180. La raison qu'indiquent ces
conciles pour expliquer la nécessité de la grâce est l'infir-
mité de l'homme déchu, c'est 1 impuissance morale à
faire le bien et cette impuissance, comme nous l'avons
dit plus haut, s'étend à l'observation continue de la
seule loi naturelle, c. Le sentiment est corroboré par un
argument de raison théologique : pour que l'homme
soit capable d'éviter, pendant longtemps, le péché mor-
tel, il faut que sa volonté soit orientée habituellement et
fermement vers le bien moral, qu'elle soit donc animée
d'un amour constant pour Dieu, ou bien soutenue par la
crainte habituelle des peines dues au péché ou par
l'espoir des biens promis par l'exercice de la vertu; or,
dans l'ordre actuel de la providence, c'est la grâce
sanctifiante avec les dons connexes qui sont le moyen
établi par Dieu pour obtenir cet état que nous avons
décrit.
De ce que nous venons d'exposer on conclura que
l'observation continue des préceptes divins exige,
avec la grâce sanctifiante, la foi et la charité surna-
turelle. Cf. Suarez, loc. cit., n. 14-21.
Vasquez, op. cit., disp. CXCVI, c. ni, p. 524, émel
une opinion singulière : il n'admet pas la nécessité
morale de la grâce sanctifiante en ce sens que l'homme
en a besoin pour être délivré de son infirmité à l'égard
du bien ; mais, dit-il, si l'homme observe de fait la loi
naturelle, avec le secours de la grâce actuelle, il se fera
qu'il obtiendra de Dieu l'esprit de pénitence et de
componction, et sera ainsi justifié. Donc l'observation
durable de la loi naturelle ne se réalisera pas de fait,
sans que l'homme ait la grâce sanctifiante. Cette
assertion ne résout pas la question qui nous occupe et
qui concerne la nécessité morale de la grâce.
Avec la grâce sanctifiante sont requises aussi des
grâces actuelles, nous l'exposerons plus loin. C'est au
sujet de ces grâces actuelles que Suarez se demande
si elles sont toutes surnaturelles quoad subslanliam, ou
s'il y en a aussi qui ne sont surnaturelles que quoad
modum : il admet l'existence de ces dernières, loc. cit.,
n. 22-24; Gotti est du même avis, loc. cit., n. 38,
p. 314. Mais comme nous l'avons dit plus haut, nous
estimons bien plus probable l'opinion qui soutient
que toutes les grâces actuelles, que Dieu accorde, sont
surnaturelles quoad substanliam. Cf. Billot, De gratin,
p. 79 sq.
Saint Thomas, De vcrilale, q. xxiv, a. 12; Sum.
Iheol, P IP', q. cix, a. 8, examine la question de
l'homme qui a déjà commis le péché mortel : il montre
qu'il y a pour lui une raison spéciale qui requiert la
grâce sanctifiante; en effet, l'adhésion à une créature,
comme à une fin dernière, constitue une disposition
positive à des péchés nouveaux; il faut la grâce sancti-
fiante avec la charité pour enlever cette inclination
perverse, et orienter fixement le cœur de l'homme vers
Dieu.
4. Objections. — La doctrine concernant la nécessité
morale de la grâce a fait surgir quelques objections
dont il nous reste à parler.
La première concerne la liberté. Ce qui est nécessaire
n'est pas libre; or la transgression de la loi naturelle est,
d'après ce que nous avons exposé, nécessaire pour
l'homme déchu; donc cette transgression n'est pas
libre, et, par conséquent, ne constitue pas un péché
formel. La difficulté trouve sa solution dans la dis-
tinction entre nécessité physique et nécessité morale :
ce qui est nécessaire de nécessité physique n'est pas
libre, c'est vrai; ce qui est nécessaire de nécessité
morale, s'il s'agit d'une nécessité morale concernant
certains actes en particulier, pourrait n'être pas libre
de cette liberté suffisante au péché; mais ce qui est
nécessaire d'une nécessité morale indéterminée, n'affec-
tant aucun acte en particulier, cela peut être parfaite-
ment libre. La nécessité morale de pécher, dont nous
avons parlé, est une nécessité indéterminée; nous
disons que l'homme ne peut pas éviter tous les péchés,
mais qu'il garde sa liberté physique vis-à-vis de l'obser-
vation de chacun de ses devoirs. Saint Thomas exprime
cette assertion en ces termes : L'homme..., avant
d'être réparé par la grâce justifiante, peut éviter
chaque péché mortel (polesl singula peccala mortalia
vilarc) et les éviter tous pendant un certain temps...;
mais il ne peut se faire qu'il reste longtemps sans
commettre un péché mortel. Sum. Iheol., P IP
q. cix, a. 8. Le P. PalmJeri, De gratia actuali, p. 239
sq., expose très bien l'impuissance morale d'éviter le
péché : il parle directement de l'impuissance du juste
à éviter les péchés véniels, mais son explication vaut
aussi pour l'impuissance morale de l'homme non jus-
tifié à éviter le péché mortel. Parce que cette impuis-
sance morale est indéterminée, au sens expliqué, il
n'est pas exact de dire que l'homme, sans le secours de
la grâce, ne peut vaincre aucune tentation grave.
Une autre objection est celle qui résulte de l'état de
pure nature. Nous admettons cette possibilité sans
aucune restriction : Dieu aurait pu créer l'homme sans
lui donner aucun don préternaturel ou surnaturel, et
en le laissant, par conséquent, sujet à la concupiscence,
à l'ignorance, à la maladie et à la mort. Cf. S. Thomas,
7n IV Sent., dist. XXXI, q. i, a. 1 et a. 2, ad 3"m. Sur
la doctrine condamnée de Baius, voir Baius, t. n,
col. 71 ; sur l'opinion des augustiniens, voir Augusti-
nianisme, t. i, col. 2487, 2490. Voici donc la difficulté :
nous avons dit que la nécessité morale de la grâce
s'explique par la concupiscence, d'où résulte la diffi-
culté d'observer les préceptes divins; or, la concu-
piscence est naturelle et elle ne semble pas être plus
1591
GRACE
1592
intense dans l'ordre actuel qu'elle n'eût été dans
l'ordre de pure nature; par conséquent, la grâce eût été
aussi nécessaire dans l'ordre de pure nature : ce qui
répugne, puisque la grâce ne peut, à aucun titre,
appartenir à l'ordre de la nature. Voici les principes
qui donnent la solution de cette difficulté : nous
admettons que la concupiscence est naturelle, cf.
S. Thomas, Sum. IheoL, 1° II-1', q. lxxxv, a. 6; on ne
peut affirmer que la concupiscence eût été, dans tout
ordre de pure nature, aussi intense qu'elle est mainte-
nant : tout en restant dans l'ordre de nature pure,
l'homme aurait pu avoir une perfection plus ou moins
giande, cf. Canisius, Quid est homo, édit. Scheeben,
Mayence, 18G2, p. 184; cependant un grand nombre
de théologiens admettent que l'homme, dans l'état
actuel, n'est pas intrinsèquement plus faible au point
de vue moral, qu'il n'eût été dans un ordre possible
de pure nature. Cf. Cajétan, In I-"" IIK, q. lxxxv, a. 3;
q. cix, a. 2; Soto, De nalnra et gratia, 1. I, c. xm,
cl. 48; Suarez, De gratia, proleg. IV, c. vin, Opéra,
t. vu, p. 206; Bellarmin, De gratia primi hominis,
c. v. n. 12, p. 8; Billuart, De gratia, diss. II, a. 3;
Palmieri, De Deo créante, Rome, 1878, thés, lxxviii;
Collationes Brugenses, 1905, t. x, p. 462 sq. En admet-
tant cela, nous nions qu'on en puisse conclure la
nécessité de la grâce dans l'ordre de pure nature. En
effet, si, dans cet ordre, les hommes, livrés à leurs seules
énergies naturelles, eussent été moralement incapables
d'observer, pendant un temps considérable, la loi
naturelle, Dieu aurait dû leur donner un secours, mais
ce secours n'eût pas été la grâce : Dieu aurait disposé
les conditions extérieures de la vie de façon que
les hommes fussent moralement capables d'éviter le
péché mortel ou il aurait agi intérieurement sur les
pensées et les tendances de l'homme ; mais cette
influence divine eût été naturelle. C'est la réponse
commune des théologiens.
5. Une autre question est intimement connexe avec
la thèse que nous expliquons : Comment connaissons-
nous la nécessité morale de la grâce ? Est-ce par la révé-
lation ou est-ce par la raison naturelle? C'est par la
révélation. En effet, c'est elle, et elle seule, qui nous
fait connaître l'existence de la grâce et l'influence
qu'elle exerce; c'est aussi par le texte de saint Paul et
par les déclarations des conciles que nous avons prouvé
la nécessité morale de la grâce et la raison de cette
nécessité, c'est-à-dire l'impuissance morale des homme:,
à éviter le péché mortel. Quand on considère, à la
lumière de la seule raison naturelle, l'état général de
l'humanité, on constate que les hommes, en général,
éprouvent une grande difficulté à observer les pré-
ceptes divins, que beaucoup les transgressent; mais
on ne peut pas établir, avec certitude, l'impuissance
morale dont il a été question. De plus, il importe de
le remarquer, on ne peut pas considérer la nécessité
morale de la grâce comme si elle était une exigence
psychologique, constatée par la conscience. En effet,
quand l'homme rentre en lui-même et examine ce
qui se passe en lui, il découvre des désirs désordonnés,
des passions violentes vers des délectations prohibées,
des péchés, une lutte continuelle entre l'esprit et la
chair; mais il découvre aussi qu'il est physiquement
libre, qu'il peut résister aux tentations s'il le veut
fermement, que. s'il a péché, c'est qu'il a librement
cédé, qu'il a librement voulu ce qu'il savait être mora-
lement mauvais. La constatation de la difficulté à
faire le bien, la constatation des péchés, est donc la
constatation de la concupiscence et de la liberté; or
les passions qui surgissent, l'opposition entre les
désirs vers le bien et les désirs vers le mal, sont choses
naturelles à l'homme, la liberté est une propriété de
la volonté et son exercice appartient à l'homme, comme
tel; en constatant tous ces faits psychologiques,
l'homme connaît sa nature dans sa réalité et en cela il
ne peut pas découvrir qu'il lui manque un principe
d'activité. L'homme peut savoir aussi qu'il est capable
de décisions fermes, d'efforts énergiques de volonté,
que la répétition de tels actes engendre Vhabitus et que
celui-ci donne la facilité et la vigueur dans l'opéra-
tion; il saura aussi qu'il a en lui-même de quoi pro-
duire ces habitus ; encore une fois, l'homme ne pourra
pas constater en lui le besoin d'un principe d'activité
qu'il n'a pas.
Si l'homme ne se contente plus de la connaissance
que lui fournissent la conscience psychologique et les
raisonnements qu'il fait à propos de? faits constatés
en lui-même, mais s'il examine ce qui se passe chez les
autres, et que, par induction, il apprenne à connaître
que les hommes, en général, éprouvent une grande
difficulté à faire le bien, que beaucoup tombent
fréquemment dans le péché mortel, que beaucoup
s'adonnent à des vices honteux, il constatera que le
genre humain est de fait dans une situation misérable;
mais il comprendra aussi que cette situation est
naturelle ; que les maux physiques, l'ignorance, le péché
et les vices s'expliquent par l'activité proprement
humaine, qui est celle d'un être composé de corps et
d'âme. Mais si, pensant à la providence et aux per-
fections divines, l'homme conjecture que l'état misé-
rable du genre humain est la conséquence et le châti-
ment d'un péché primitif (sur cette conjecture, voir
S. Thomas, Conl. gent., 1. IV, c. lu; Jungmann, De Deo
crealore, 4eédit., Ratisbonne, 1883, n. 339 sq. ; Mgr Waf-
felaert, Méditations théologiques, Bruges, 1910, p. 71),
il pourra conjecturer que l'homme a perdu une situa-
tion meilleure; mais il ne saura pas si actuellement
existe encore un de ces dons que Dieu aurait concédés
à l'homme primitif. Si enfin l'homme est frappé de la
sainteté de l'Église catholique ou d'une autre de ses
propriétés, et finit par savoir qu'elle est la déposi-
taire de la vérité, alors il pourra connaître et l'exis-
tence de la grâce et sa nécessité; ce sera par la foi et
non par une constatation de la conscience psycho-
logique.
Même quand, selon les procédés ordinaires de la
providence (je ne parle pas des influences extraordi-
naires que Dieu peut exercer), Dieu agit en nous par
la grâce, celle-ci n'est pas objet de conscience : ni le
païen, ni le chrétien ne peuvent, par la conscience
psychologique, constater en eux-mêmes l'existence d'une
grâce, soit actuelle, soit habituelle; les actions, produi-
tes par la grâce, dans l'intelligence ou dans la volonté,
sont objet de conscience; nous pouvons constater en
nous de bonnes pensées, de bons désirs, mais nous ne
connaissons pas ces actes comme surnaturels, nous ne
les distinguons pas d'actes naturels semblables; les
impulsions salutaires, c'est-à-dire les illuminations et
les inspirations du Saint-Esprit, ne permettent pas à
l'homme de constater, par la conscience psychologique,
que la grâce existe en lui, et l'absence de ces impul-
sions ne permet pas à l'homme de constater qu'il en a
un besoin psychologique ou que la nature appelle le
surnaturel. La nécessité morale de la grâce appartient
à l'ordre surnaturel et nullement à l'ordre des exigences
psychologiques naturelles; car l'homme n'est pas
physiquement incapable d'observer toute la loi natu-
relle, d'éviter tout péché; il éprouve à cela une diffi-
culté grande, différente chez les divers individus, telle
cependant que les hommes, considérés en général, ne
la surmontent pas de fait, mais y succombent. De ce
que nous avons exposé il résulte qu'elle est sophistique
et erronée, cette transposition, établie par certains
auteurs, en vertu de laquelle ils transportent dans
l'ordre psychologique, en les considérant comme faits
subsistants dans la raison et la conscience, les faits de
l'ordre historique, connus par la révélation, tels, par
1593
GRACE
1594
exemple, que la nécessité morale de la révélation, la
nécessité morale de la grâce. Cette transposition a
donné lieu à une méthode d'apologétique, que nous
n'avons pas à apprécier ici : on en peut voir l'exposé
par le P. Le Bachelet, Dictionnaire apologétique de la
foi catholique, art. Apologétique, t. i, col. 232 sq.
La «race interne, proprement dite, est essentiellement
surnaturelle et, par conséquent, positivement indue à
la nature humaine; d'où il résulte que la grâce ne
correspond pas à une indigence psychologique de cette
nature et qu'elle n'est pas le terme auquel tende une
faculté quelconque propre à la nature humaine; qu'elle
entre dans l'âme, c'est-à-dire qu'elle y est produite
immédiatement par Dieu, sans qu'elle corresponde à
un besoin d'expansion de la nature humaine, connu"
telle. Voir le développement de ces assertions dans les
Collationes Brugenses, t. xiv (1912), p. 678 sq.; t. xix
(1914), p. 103, 170.
G. Nécessité spéciale de la grâce pour certaines œuvres
salutaires. — En nous occupant de la grâce, considérée
en "encrai, nous avons exposé jusqu'ici d'abord ce qui
concerne la nécessité de la grâce pour les œuvres
salutaires, comme telles, ensuite ce qui concerne la
n eessité de la grâce pour les œuvres simplement
honnêtes au point de vue moral ; il nous reste à indiquer
brièvement quelques questions spéciales. Saint Tho-
mas, Sum. theol., I" II1', q. cix, a. 5, se demande si
la grâce est requise pour que l'homme puisse mériter
la vie éternelle, et il répond affirmativement. L'argu-
ment qui établit cette assertion est celui-ci : aucune
opération ne peut surpasser la faculté d'où elle pro-
cède, ni produire un effet qui soit d'un ordre supérieur à
celui du principe actif qui opère. Or la vie éternelle est
une fin qui n'est pas en proportion avec la nature
humaine, mais qui surpasse son activité propre. Donc
l'homme ne peut pas, par ses propres forces naturelles,
produire des opérations qui soient proportionnées à la
vie éternelle, par conséquent, il ne peut pas, par ses
forces naturelles, produire des œuvres méritoires, au
sens propre du mot. C'est la grâce qui doit donner à
nos œuvres cette qualité qui les transporte dans l'ordre
de la (in dernière. Nous ne nous occupons pas ici des
conditions diverses requises à l'acte méritoire. Voir
Mérite. Cf. S. Thomas, op. cit., q. exiv. La nécessité
de la grâce pour le mérite fut affirmée au concile
d'Orange, Denzinger-Bannwart, n. 191, plus explicite-
ment dans la condamnation de diverses propositions de
Baius, Denzinger-Bannwart, n. 1012, 1013, 1015, 1017 :
l'Eglise y enseigne que c'est par la grâce que l'acte
humain est rendu formellement méritoire et non par sa
seule conformité avec la loi morale. Il s'agit ici de la
grâce sanctifiante. Voir Baius, t. n, col. 78 sq.
L'homme déjà justifié et mis en possession de la
grâce sanctifiante a besoin, en outre, de grâces ac-
tuelles pour vivre vertueusement et éviter le péché :
c'est ce qu'enseigne saint Thomas, Sum. theol., I' II*,
q. cix, a. 9; mais ici surgit la question controversée
entre les théologiens : faut-il, dans l'homme justifié,
une grâce actuelle pour chaque acte salutaire ? La ré-
ponse ne se trouve pas, à notre avis, dans les documents
officiels de l'Église, mais dépend de la notion que l'on
a sur l'essence de la grâce actuelle ; c'est pourquoi nous
réserverons cet exposé à la partie où nous traiterons de
l'essence de la grâce actuelle.
L'homme justifié a besoin de grâces actuelles pour
persévérer dans le bien pendant un temps considérable;
c'est la doctrine exprimée dans le document intitulé :
De gratia Dci indiculus, Denzinger-Bannwart, n. 132 :
>< Aucun homme, même après avoir été renouvelé par la
grâce du baptême, n'est capable de vaincre les pièges
du démon et de résister aux désirs de la chair, à moins
que, par un secours quotidien de Dieu, il ne reçoive de
persévérer dans sa bonne conduite. » II s'agit donc ici
de la difficulté d'éviter le péché; pour la vaincre il ne
suffit pas que l'homme soit en état de grâce; il faut un
autre secours. Le texte cité n'en indique pas la nature;
mais les théologiens enseignent qu'il s'agit de grâces
actuelles, notamment d'illuminations intellectuelles,
qui dissipent l'ignorance, et d'inspirations dans la
volonté, qui s'opposent aux mouvements désordonnés
de la concupiscence. Cf. S. Thomas, loc. cil. Comme
nous l'avons exposé plus haut, cette difficulté morale
n'est pas telle que l'homme, même sans la grâce sanc-
tifiante, ne puisse résister à certaines tentatioi.s et
éviter pendant un certain temps tout péché mortel;
cette difficulté morale n'est pas plus grande chez
l'homme justifié; par conséquent la nécessité de grâces
actuelles, dont nous parlons maintenant, doit s'en-
tendre d'une nécessité morale et d'une nécessité qui
concerne l'observation de tous les devoirs qui obligent
sous peine de péché mortel pendant un temps consi-
dérable. Saint Augustin, dans son traité De dono persc-
mranliœ, parle de la persévérance finede, de celle qui
fait que l'homme meurt en état de grâce et est sauvé
pour l'éternité; à ce titre, la persévérance est un don
spécial de Dieu, et l'effet propre de la prédestination :
c'est pourquoi l'homme est de lui-même incapable de
réaliser cette persévérance finale, et tous les bienfaits
par lesquels Dieu amène l'homme à ce résultat sont,
par là même, spécialement gratuits. Cf. op. cit., surtout
c. m, vin, ix, xvn, xxiv, P. L., t. xlv, col. 997, 1004,
1014 sq., 1018, 1033. C'est aussi de la persévérance
finale qu'il faut entendre le can. 10 du concile d'Orange.
Denzinger-Bannwart, n. 183. Ce don ne consiste pas
dans une grâce habituelle, ni dans une entité d'un
genre spécial, mais dans un ensemble de bienfaits et de
grâces efficaces, qui sont l'effet d'une protection parti-
culière de Dieu. Cf. S. Thomas, Sum. theol., V IP1',
q. cix, a. 10. Le concile de Trente définit aussi que la
persévérance finale est un don spécial de Dieu. Den-
zinger-Bannwart, n. 806,832. Cf. Suarez, De gratia, I. X,
c. v sq., Opéra omnia, t.ix, p. 590 sq., où l'on trouve
exposées différentes questions qu'il n'est pas nécessaire
de détailler ici. Notons seulement que la persévérance
n'est pas ce don qu'on appelle la confirmation dans la
grâce. Op. cit., c.vm, p. 607 sq. Dans l'ordre actuel de la
providence, l'homme, qui est justifié et qui persévère
dans cet état, ne peut pas cependant, sans un privilège
tout spécial, éviter, pendant toute sa vie, tout péché
véniel. C'est l'assertion définie par le concile de Trente,
sess. vi, can. 23. Denzinger-Bannwart, n. 833, qui
déclare en même temps que le privilège susdit a été
accordé à la Vierge Marie. La doctrine mentionnée
repose sur l'interprétation des paroles du Pater :
dimilte nobis débita nostra, demande qui doit être faite
par tous les justes et qui suppose qu'ils commettent
réellement des péchés. Un autre fondement est l'asser-
tion de saint Jacques, ni, 2 : « Nous péchons tous en
beaucoup de choses » et celle de saint Jean, I Joa., i, 8 :
« Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous
séduisons nous-mêmes. » Ces textes expriment l'inca-
pacité morale de l'homme juste à éviter tout péché; il
s'agit du péché véniel qui ne fait pas déchoir l'homme
de l'état de justification. Cette doctrine fut déclarée au
concile de Carthage, qui l'appuie sur les textes cités,
can. 6-8. Denzinger-Bannwart, n. 106-108. Saint Augus-
tin, comme le remarque le P. Hurter, Theologise dog-
matiese compendium, t. m, n. 4 1, avait été d'abord
moins affirmatif sur ce point, mais, après le concile
mentionné, il n'hésite plus à défendre l'impossibilité
pour le juste d'éviter tous les péchés véniels. Contra
tliias epislolas pclagianorum, I. IV, c. x, n. 27, P. L.,
t. xliv, col. 629 sq. Cf. S. Jérôme, Dialogus adversus
pelagianos, 1. II, n. 4, P. L., t. xxm, col. 537; S. Léon,
Serin., XV, c. i, P. L., t. liv, col. 174; S. Gélase Ier,
Dicta adversus pelagianam hœrcsim, P. L., t. lix,
1595
GRACE
1596
col. 110 sq. L;i raison de cette infirmité morale est bien
expliquée par saint Thomas. Sum, theol., P IF',
q. cix, a. 8 : < L'homme (justifié) ne peut pas éviter
tout péché véniel à cause de la corruption de l'appétit
inférieur de la sensualité; l'homme peut bien (physi-
quement) par sa raison réprimer chacun des mouve-
ments (désordonnés); c'est pourquoi ils deviennent (si
on ne les réprime pas) volontaires et sont péché; mais
il ne peut pas (moralement) les réprimer tous : quand il
s'efforce de résister à l'un d'eux, il arrive qu'un autre
surgisse, et la raison ne peut pas toujours veiller de
façon à les réprimer tous. » Cf. S. Thomas, De vcrilalc,
q. xxiv, a. 12.
Saint Thomas examine encore une autre question
concernant la nécessité de la grâce : est-elle nécessaire
pour que l'homme puisse se relever de l'état de péché ?
11 répond qu'à cet effet sont requises et la grâce actuelle
et la grâce habituelle : la grâce actuelle pour mouvoir
la volonté à se soumettre à Dieu; la grâce habituelle
pour rendre à l'âme la splendeur surnaturelle qu'elle
a perdue par le péché. Sum. Ihcol., F IF', q. cix, a. 7.
Déjà le IIe concile d'Orange avait exprimé la nécessité
de la grâce pour la délivrance du péché : « Un malheu-
reux ne peut être délivré de sa misère que par la misé-
ricorde divine qui le prévient. — Si la nature humaine
ne peut sans la grâce conserver le salut qu'elle a reçu,
elle peut encore bien moins le recouvrer si elle l'a
perdu. » Can. 14, 19, Denzingcr-Bannwart, n. 187, 192.
IV. Distribution de la grâce. — Ce titre nous
amène à parler d'un des plus grands mystères du
traité de la grâce. En effet, remarque le P. Hurter,
op. cit., n. 73, si l'on se demande pourquoi Dieu a
distribué moins libéralement ses grâces avant l'avè-
nement du Christ qu'après celui-ci, pourquoi main-
tenant il l'accorde avec parcimonie à tant de peuples
plongés jusqu'à ce jour dans les ténèbres et dans
l'ombre de la mort, pourquoi tel homme est appelé
par Dieu, efficacement, de façon à ce qu'il réponde à
sa vocation, et tel autre ne l'est pas de cette façon,
alors qu'il eût été possible à Dieu d'obtenir cet effet;
pourquoi de deux hommes, coupables des mêmes
crimes, l'un en vient à se repentir et l'autre reste en-
durci dans le mal, on ne peut donner d'autre réponse
que celle de saint Paul : « O profondeur inépuisable et de
la sagesse et de la puissance de Dieu 1 Que ses juge-
ments sont insondables et ses voies incompréhensibles.»
Rom., xi, 33. Nous ne chercherons donc pas à con-
naître le pourquoi de la distribution inégale des
bienfaits divins, nous nous contenterons de la persua-
sion que toute l'œuvre de Dieu est réglée par son infinie
sagesse et sainteté, que, de sa part, il n'y a aucun
manque d'équité, que sa bénignité et miséricorde sont
infinies.
Mais cette conviction n'empêche pas d'examiner s'il
y a des règles générales d'après lesquelles Dieu accorde
de fait ses dons salutaires. Nous passerons successive-
ment en revue différentes classes de personnes : les
justes, ceux qui sont déjà en état de grâce; les pécheurs,
ceux qui, par leur faute personnelle, ont perdu l'état
de grâce; les infidèles, notamment ceux à qui la révéla-
tion chrétienne semble n'être pas parvenue. Nous ne
parlerons pas des enfants et de ceux qui ne sont jamais
parvenus à l'usage de la raison : ceux-ci ne peuvent
et c sauvés que par le baptême, voir Baptême, t. n,
col. 192 sq. ; la question de savoir comment à leur
égard se réalise la volonté salvifique de Dieu doit être
exposée à l'art. Prédestination.
1° Tous les justes reçoivent les ejrûccs suffisantes
pour qu'ils puissent observer tous les commandements,
l>ar conséquent persévérer dans la justification et se.
sauver. - — Cette assertion est un point de foi, comme
nous le verrons dans les documents que nous citerons.
Elle est contenue d'abord dans l'enseignement de
Jésus : « Car mon joug est doux et mon fardeau léger. »
Matth., xi, 30. « Le joug est une image rabbinique qui
exprime la direction ou la discipline. » Rose, Évangile
selon saint Matthieu, Paris, 1906, p. 91. Le Christ parle
donc ici de l'ensemble de ses préceptes que ses disciples
doivent mettre en pratique : la réalisation de cette per-
fection est à leur portée et n'est pas une discipline
insupportable comme était celle des Pharisiens. Mais,
comme nous savons, d'autre part, que l'homme, même
justifié, a besoin de grâces actuelles pour observer les
commandements divins, nous concluons de la parole de
Jésus que tous les justes auront ces grâces, de telle
sorte que le fardeau imposé par le Christ leur sera réel-
lement léger. C'est dans le même sens qu'il faut en-
tendre les paroles de saint Jean : « Car c'est aimer Dieu
que de garder ses commandements. Et ses commande-
ments ne sont pas pénibles, parce que tout ce qui est né
de Dieu remporte la victoire sur le monde, et la victoire
qui a vaincu le monde, c'est notre foi. » I Joa., v, 3, 4.
C'est par la foi que l'homme devient fils de Dieu, qu'il
reçoit la grâce sanctifiante et a droit aux grâces ac-
tuelles au moyen desquelles il peut vaincre les assauts
de l'esprit mondain; c'est grâce à cette force que les
commandements divins ne sont pas pénibles pour celui
qui est né de Dieu, c'est-à-dire justifié.
Saint Paul enseigne que les justes, comme tels, sont
dans la condition voulue pour être sauvés, que par
conséquent rien ne leur manque pour atteindre ce but.
Rom., v, 8-10; vin. Spécialement il leur promet le
secours divin requis pour résister aux tentations. I Cor.,
x, 13.
Saint Augustin inculque cette assertion : que Dieu
n'abandonne pas le juste si celui-ci ne se sépare pas de
lui, que Dieu accorde à l'homme tout ce qu'il lui faut
pour persévérer. Enarr. in ps. xxxix, n. 27, P. L.,
t. xxxvi, col. 450 sq. ; De nalura et gratia, n. 29, P. L.,
t. xliv, col. 261.
Le IIe concile d'Orange a porté cette définition :
« D'après la foi catholique nous croyons qu'après avoir
reçu, parle baptême, la grâce, tous les baptisés, par le
secours et la coopération du Christ, peuvent et doivent,
s'ils veulent fidèlement coopérer, accomplir tout ce qui
est requis au salut de leur âme. » Denzinger-Bannwart,
n. 200. Le concile de Trente définit aussi que l'obser-
vation des commandements n'est pas impossible à
l'homme justifié. Sess. vi, c. xi, Denzinger-Bannwart,
n. 804, et can. 18, n. 828. Ensuite Innocent X a déclaré
hérétique cette proposition de Jansénius : « Certains
préceptes de Dieu sont impossibles aux hommes justes,
(même) s'ils veulent (les observer) et s'y efforcent, avec
les forces qu'ils ont clans cette vie : il leur manque aussi
la grâce au moyen de laquelle l'(observation) en devien-
drait possible. » Denzinger-Bannwart, n. 1092. Enfin le
concile du Vatican affirme de nouveau que les justes,
par la grâce de Dieu, peuvent persévérer. Sess. m,
c. m, Denzinger-Bannwart, n. 1794.
La providence divine dispose donc les événements
et distribue ses secours de façon que tous les justes
soient en état d'éviter toujours le péché mortel; ceci
est vrai de tous les justes, même de ceux qui se trou-
veraient en dehors de la vraie Église du Christ; néan-
moins ceux qui sont réellement incorporés à la société
instituée par Jésus reçoivent, en général, plus de grâces
que les autres, et c'est dans cette société que le Sauveur
choisit ces hommes dans lesquels il réalise, avec leur
libre coopération, la sainteté héroïque. L'abondance
des secours divins internes et leur efficacité se mani-
festent dans cette sainteté, qui est la note caractéristique
de la vraie Église du Christ.
2° Les pécheurs doivent, dans la matière qui nous
occupe, être l'objet d'une mention spéciale et les théo-
logiens leur consacrent une thèse qui, communément,
s'énonce dans les termes suivants : Aux pécheurs qui
1597
GRACE
1598
ont la foi, marrie à ceux qui sont obstinés dans le mal.
Dieu accorde le secours suffisant pour qu'ils puissent se
convertir.
1. La première partie de la proposition est considérée
comme étant de foi; la seconde, celle qui concerne les
obstinés, comme théologiquement certaine. Cependant,
remarque M. Van Noort, De gralia, Amsterdam, 1903,
n. 90, à considérer les déclarations des conciles et la
prédication ordinaire et universelle, telle qu'elle se
fait de nos jours, on ne voit pas comment la seconde
partie de la thèse ne soit pas de foi aussi bien que la
première.
La démonstration de la thèse a son point de départ
dans les assertions scripturaires concernant la miséri-
corde divine à l'égard des pécheurs. Celle-ci est décrite
en des termes qui en font ressortir l'étendue, qui nous
montrent Dieu voulant la conversion des pécheurs,
même des plus misérables; il faut donc admettre que
I )ieu donne les moyens (c'est-à-dire les grâces actuelles)
requis à la conversion. « Je suis vivant, dit Jéhovah; je
ne prends pas plaisir à la mort du pécheur, mais à ce
que le méchant se détourne de sa voie et qu'il vive. »
Ezcch., xxxin, 11. La sollicitude spéciale du Christ
pour les pécheurs est attestée par le fait qu'il accepte
de prendre part à leur repas et par la réponse qu'il fait
à ceux qui s'en étonnent : « Je ne suis pas venu appeler
à la pénitence les justes, mais les pécheurs. » Luc, v, 32.
Saint Paul exalte la longanimité de Dieu qui invite les
pécheurs à la pénitence. Rom., n, 4. Saint Pierre parle
de même et assure que Dieu ne veut pas qu'aucun
pécheur périsse, mais veut que tous viennent à la
pénitence. II Pet., ni, 9.
Quant à la doctrine des Pères sur ce point, voir les
indications de Bellarmin, De gratia et libero arbitrio,
1. II, c. v; de Pesch, Prœleclioncs dogmaticœ, t. v, n. 224,
292, 297; de Rouët de Journel, Encluridion palrisli-
cum, Fribourg-en-Brisgau, 1911, n. 346 de l'Index theo-
logicus.
Suarez, De gralia, 1. IV, c. x, n. 1, Opéra omnia,
t. vin, p. 305, invoque, à l'appui de la thèse dont il
s'agit, deux déclarations du concile de Trente; mais
il semble qu'elles ne constituent pas un argument
valide. En effet, l'une, sess. vi, c. xiv et can. 29,
Denzinger-Bannwart, n. 807, 839, affirme que ceux
qui, par leur péché, ont perdu la grâce de la justification
peuvent récupérer celle-ci sous une excitation divine
au moyen du sacrement de la pénitence. L'autre décla-
ration, sess. xiv, c. i, Denzinger-Bannwart, n. 894,
établit la nécessité du sacrement de pénitence pour
obtenir le pardon des péchés commis après le baptême.
Certains théologiens proposent l'argument suivant :
Tout pécheur a l'obligation de se convertir; or, s'il ne
recevait aucune grâce, il ne pourrait avoir cette obliga-
tion; donc il n'est pas privé de toute grâce. Je concède
la majeure; mais je distingue la mineure; s'il ne recevait
aucune grâce, parce que lui-même met obstacle à la
réception de cette grâce, je nie la mineure; s'il ne rece-
vait aucune grâce alors même qu'il n'y met pas ob-
stacle, je concède. Je distingue de la même façon la
conclusion. Voici comment se justifie la distinction :
un homme qui a la foi, en état de péché mortel, peut
naturellement, c'est-à-dire sans une excitation interne
et surnaturelle, penser à l'obligation qu'il a de se con-
vertir; il peut, par exemple, rencontrer quelqu'un qui
lui rappelle l'obligation de faire la confession pascale
et il peut immédiatement refuser de satisfaire à ce
devoir; cet homme n'en reste pas moins obligé à se
convertir et il a pensé à cette obligation, sans qu'une
grâce surnaturelle soit intervenue. Cet homme cepen-
dant a eu l'occasion de faire un acte bon, au moins
naturel; s'il l'avait fait, il n'aurait pas mis obstacle
à la grâce interne. L'homme peut donc transgresser la
loi de Dieu et être formellement coupable sans qu'une
grâce surnaturelle ne l'ait auparavant excité à satis-
faire à la loi; par le péché, et par la répétition des
péchés, l'homme met un obstacle à la réception de la
grâce. Dans ces lignes nous avons apprécié l'argument
proposé et montré qu'il ne répugne pas que, dans un
cas particulier, l'homme soit oblige de se convertir,
même hic et nunc, et que néanmoins il ne soit pas
excité surnaturellement à cet acte, parce qu'il a lui-
même mis obstacle, par un nouveau péché, à l'effusion
de la grâce divine. Nous ne pouvons pas déterminer les
cas particuliers où Dieu concède des grâces actuelles,
mais, d'une manière générale, nous pouvons dire qu'il
le fait surtout lorsque l'homme doit observer un pré-
cepte surnaturel et principalement au moment de la
mort. Y a-t-il des hommes qui, après avoir passé un
long temps dans le désordre moral, après avoir multi-
plié leurs péchés et résisté fréquemment aux grâces
divines, n'en reçoivent plus? Nous ne saurions donner
à cette question une réponse péremptoire. Dieu peut
permettre qu'un homme, dans l'acte même du péché
mortel, perde l'usage de la raison, ou meure. II semble
que Dieu pourrait aussi permettre qu'un homme, tout
en conservant l'usage de la raison, ne reçoive plus de
grâces actuelles internes; notre thèse ne dit pas plus
que ceci : à tous les pécheurs Dieu donne les grâces
suffisantes à leur conversion. Quoi qu'il en soit de la
question posée, il faut éviter certaines assertions, qu'on
entend parfois, comme celle-ci : il y a pour chaque
individu un nombre déterminé de péchés au delà
duquel Dieu n'accordera plus de grâces. Cf. Tanquerey,
Synopsis theologise dogmaticœ, 2e édit., Tournai, 1895,
De gralia, n. 88.
2. Il n'y a aucun nombre de péchés, aucun degré de
malice qui, considéré objectivement, pose une limite à
l'exercice de la miséricorde divine; c'est pourquoi les
théologiens enseignent que Dieu accorde aux pécheurs,
même obstinés, les grâces suffisantes à leur conversion.
L'obstination consiste dans une certaine fermeté de la
volonté dans son adhésion au mal moral. L'obstination
est complète, quand il n'y a plus possibilité de conver-
sion; c'est le cas pour les démons et les hommes
damnés. L'obstination est incomplète quand il y a pos-
sibilité, mais grande difficulté pour la volonté à changer
son orientation. Sur cet état, voir S. Bernard, De considé-
ration^ 1. I, c. n, n. 3, P. L., t. clxxxii, col. 738; S.Tho-
mas, De verilale, q. xxiv, a. 11; Sum. theol., Ia IL'',
q. lxxix, a. 3; Lessius, De divinis perfectionibus,
1. XIII, c. xiv, n. 31; Billot, De personali et originali
peccato, Prato, 1910, p. 90 sq. L'obstination incomplète,
celle à laquelle l'homme peut être sujet sur cette terre,
a pour cause efficiente l'homme lui-même qui, par la
répétition des péchés, engendre en lui l'habitude per-
verse, d'où dérivent l'inclination intense ainsi que la
promptitude à commettre de nouveaux actes mauvais
et la difficulté à renoncer aux habitudes invétérées;
l'homme devient aussi cause méritoire (causa meriloria),
parce que, par l'abus qu'il fait des grâces précédentes,
il s'attire, comme peine, la diminution de grâces ulté-
rieures. Cf. Van Noort, op. cit., n. 90. Il pourrait se
faire aussi qu'il résulte une certaine obstination d'un
seul péché commis avec une malice extraordinaire.
Nous disons que Dieu accorde des grâces suffisantes
même aux pécheurs obstinés, a) parce qu'il n'est aucun
péché, ni aucun nombre de péchés dont l'homme ne
puisse obtenir le pardon, cf. S. Thomas, Sum. theol., D
IIœ, q. lxxxvi, a. 1; b) parce que la miséricorde divine
est décrite dans l'Écriture et par les Pères comme s'éten-
dant jusqu'aux extrêmes misères; c) parce que Dieu
donne aux pécheurs, môme obstinés, tant d'occasions de
conversion, tant de secours externes : nous ne pouvons
douter que Dieu n'accorde en même temps les excita-
tions internes suffisantes à la conversion.
3° Tous les infidèles négatifs reçoivent de Dieu le
1.MH1
GRACE
1600
secours suffisant pour qu'ils puissent se sauver. — 1. Nous
parlons ici des infidèles négatifs, c'est-à-dire de ceux
qui n'ont pas la foi, mais sans Eaute de leur part, de
ceux qui n'ont pas refusé d'admettre la révélation
chrétienne, mais n'ont pas eu l'occasion d'y adhérer.
Les infidèles positifs rentrent dans la catégorie des
pécheurs.
Nous disons aussi le secours suffisant, admettant que
ce secours peut être ou remote ou proxime sufficiens, et
nous abstenant de préciser plus loin la nature de ce
secours. Dans ce sens, la proposition est défendue com-
munément par les théologiens et tenue pour theolo-
giquement certaine.
Sa démonstration repose d'abord sur le texte de
saint Paul : « Avant tout j'exhorte donc à faire des
prières... pour tous les hommes... Cela est bon et agréa-
ble aux yeux de Dieu notre Sauveur, qui veut que tous
les hommes soient sauvés et parviennent à la connais-
sance de la vérité. » I Tim., n, 1-4. Ce texte, tel qu'il
est aujourd'hui communément expliqué, contient
l'affirmation de la volonté salvifique de Dieu, étendue
du moins à tous les adultes. Cette volonté salvifique ne
peut être véritable et sérieuse que si Dieu accorde à
ious les adultes le secours suffisant, au moins remote
sufficiens, pour le salut de chacun. La concession du
secours suffisant est confirmée par ces paroles de saint
Jean: «Il (le Verbe) était la vraie lumière qui éclaire tout
homme. » Joa., i, 9. Sans entrer ici dans l'exposé des
divergences d'opinions concernant le texte original lui-
même et son interprétation, nous pouvons affirmer que
des Pères et des commentateurs en très grand nombre
virent dans ces paroles l'affirmation que Dieu, de son
côté, accorde une lumière surnaturelle à tout homme
adulte, qui, d'autre part, ne met pas d'obstacle a la
réception de son concours. L'enseignement des Pères
concernant ce point a été étudié récemment avec beau-
coup de soin et de compétence par M. Capéran, Le pro-
blème du salut des infidèles. Essai historique, Paris, 1912.
C'est une doctrine traditionnelle que tous les hommes
peuvent se sauver et qu'ils reçoivent ce qui leur est
requis pour atteindre ce but. C'est dans ce sens que les
Pères, avant le pélagianisme, ont interprété le texte de
saint Paul. I Tim., n, 1-4. Saint Augustin l'a expliqué
d'une autre façon, mais n'a pas été suivi. Cf. Capéran,
op. cit., p. 49, 93, 97-103; pour saint Augustin, p. 11G sq.
Parmi les Pères, dont le témoignage est particulière-
ment important, il faut citer Orcse, Liber apologeticus
contra Pelagium de arbitra liberlale, n. 19-21, P. L.,
t. xxxi, col. 1188-1190, et surtout l'auteur du De voca-
lione omnium geniium qui cherche explicitement la
solution de cette question : Quseritur ulrum velit Dcus
omnes homines salvos fieri et quia negari hoc non polcst,
cur volunlas omnipolenlis non implealur, inquirilur.
L'auteur enseigne, comme saint Augustin, que les
vertus des païens ne sont pas des vertus véritables, que
la foi, nécessaire au salut, est un don absolument gra-
tuit, que cependant Dieu veut sincèrement sauver tous
les hommes, qu'il donne à tous les grâces générales,
mais qu'il ne donne pas à tous les grâces spéciales. De
vocatione omnium gentium, 1. II, c. xi, xxv, P. L., t. li,
col. 706, 710 sq. « La distinction entre les dona generalia
et les munera specialia est très heureuse, dit M. Capé-
ran, op. cil., p. 141. L'originalité du De vocatione
omnium geniium consiste justement en ce que l'auteur
s'en est servi pour expliquer le passage de saint Paul
dont les pélagiens se prévalaient contre les augus-
tiniens. » C'est par celte distinction que se dissipe
l'antinomie apparente de la question que l'auteur s'est
proposé de résoudre et il l'a trouvée implicite dans le
texte de saint Paul : Sidvalor omnium liominum, ma-
xime fulelium, I Tim., iv, 10 : « cette maxime, très simple
dans sa concision et très énergique, si on la considère
d'un regard calme, dirime toute la controverse en ques-
tion. En disant : Qui est salvalor omnium hominum,
l'apôtre confirme que la bonté de Dieu s'étend, univer-
selle, sur tous les hommes. Mais en ajoutant : maxime
fulelium, il montre qu'une portion du genre humain,
moyennant le mérite d'une foi divinement inspirée, est
élevée par des bienfaits spéciaux au suprême et éter-
nel salut. Cela se passe sans aucune iniquité de la part
d'un Dieu très juste et très miséricordieux, dont le
jugement en ces dispensations de grâce ne doit pas être
discuté avec arrogance mais loué avec tremblement. »
De vocatione omnium geniium, 1. II, c. xxxi, col. 71G.
Dans un second synode tenu à Arles, vers 475, on con-
damna l'opinion d'après laquelle le Christ n'est pas
mort pour tous, et n'a pas voulu le salut de tous les
hommes; on ne peut admettre non plus que le damné
n'a pas reçu les secours nécessaires au salut. Cf. Hefele,
Histoire des conciles, trad. Leclercq, t. n, p. 909 sq. Les
seolastiques ont accentué l'enseignement de la volonté
salvifique étendue à tous les hommes et mis en lumière
cette loi providentielle : des moyens de salut sont
olïerts à tous les hommes. Ils ont aussi rencontré les
diverses objections que suscite cette assertion, notam-
ment celle qui concerne la nécessité de la foi et la néces-
sité d'appartenir à l'Église. Ce n'est pas ici l'endroit
d'exposer en détail ce qui concerne ces matières. Cf.
Capéran, op. cit., p. 109-218. Voir Église, t. iv, col.
2155-2175; Foi, t. vi, col. 512.
Parmi les erreurs jansénistes condamnées en 1690
par Alexandre VIII nous trouvons cette proposition :
« Les païens, les juifs, les hérétiques et d'autres sem-
blables ne reçoivent aucune influence de Jésus-Christ,
d'où l'on conclut logiquement qu'il n'y a en eux qu'une
volonté nue et impuissante, sans aucune grâce suffi-
sante. » Denzinger-Bannwart, n. 1295. Il faut donc ad-
mettre que l'influence du Christ s'étend aussi aux
païens, etc., que la grâce suffisante est donnée aussi aux
personnes infidèles, etc.; on ne pourrait cependant pas
conclure de ce texte que tous les païens, juifs, héré-
tiques, etc., reçoivent de fait la grâce suffisante. Le texte
ne fait pas plus qu'énumérer des catégories de per-
sonnes auxquelles la grâce est accordée. Mais la doc-
trine qui a dicté la condamnation est celle qui concerne
la volonté salvifique de Dieu et qui affirme que Dieu
donne à tous les hommes le secours suffisant au salut.
C'est ce principe qui constitue la raison théologique de
la proposition que nous avons démontrée.
2. Mais la difficulté surgit quand il faut expliquer
comment Dieu réalise sa volonté salvifique, notamment
comment il rend possible la foi nécessaire au salut, étant
donné que tant d'hommes semblent privés de toute
connaissance concernant la révélation divine. Ce n'est
pas cette question qu'il nous faut traiter ici. M. Capé-
ran. dans l'Essai théologique, qui fait suite à son Essai
historique, nous paraît avoir bien exposé et défendu la
solution de ce problème, voir surtout p. 83 sq. Mais la
foi n'est pas la première grâce, il y a des grâces qui
précèdent la foi, cf. Denzinger-Bannwart, n. 1376,
1377, 1379; il peut y avoir des secours, destinés immé-
diatement à donner à l'homme le moyen d'éviter le
péché et qui ne sont pas encore un moyen immédiat
d'arriver à la foi. Pour expliquer la proposition démon-
trée plus haut, nous devons donner des éclaircissements
sur le terme secours suffisant.
Remarquons d'abord que les théologiens se conten-
tent d'enseigner que tous les hommes auront le secours
au moins remole sufficiens ad salutem. Que faut-il
entendre par là? Plusieurs admettent, sous cette déno-
mination, des motions surnaturelles quoad modum lan-
tum, c'est-à-dire des impulsions, en elles-mêmes natu-
relles, mais ordonnées par Dieu à des secours surna-
turels dans leur entité, que l'homme recevra s'il
coopère aux premières motions. Nous avons exposé
ci-dessus que l'existence des secours quoad modum
If.nl
GRACE
1602
surnaturels n'est pas certaine. De plus, nous pensons
qu'on ne pourrait condamner l'opinion qui dirait qu'un
païen a eu le secours remole suffleiens ad salutem, même
sans recevoir des illuminations ou inspirations inter-
nes, quoad modum surnaturelles. Voici pourquoi : un
adulte a la capacité morale d'observer, sans la grâce,
la loi naturelle pendant un certain temps et d'éviter
tout péché mortel; pendant ce temps néanmoins il
peut pécher mortellement et multiplier les péchés.
Si donc un adulte s'adonne au péché, il met lui-même
obstacle à la bienveillance divine à son égard, il semble
que Dieu peut permettre qu'il reste dans cette misère
et qu'il y meure; alors il sera damné pour ses propres
péchés personnels, nullement pour le seul péché origi-
nel, ni pour l'absence delà foi en lui. Dans le casque
nous venons d'indiquer, l'homme semble avoir eu le
secours suffisant; car, comme le dit saint Thomas,
Conl. gent., 1. III, c. clxiii, Dieu aide l'homme à éviter
le péché aussi au moyen de la lumière naturelle de la
raison et au moyen d'autres biens naturels qu'il con-
fère. Cette remarque est encore confirmée par Sylvestre
le Ferrarais, Commcnlurius in Summum contra gcnliles,
1. III, c. clix, Lyon, 1586, p. 600, qui, parlant du
pécheur, dit qu'il doit attribuer à lui-même de rester
privé de la grâce (sanctifiante), même s'il n'a pas
le secours divin requis pour se préparer à la grâce
(sanctifiante) : eliam déficiente sibi divino auxilio ad
gralise pra'paralioncm necessario. Cet auteur admet,
donc que le pécheur puisse, en raison de sa culpabilité,
rester privé de grâces actuelles ordonnées à la prépa-
ration à la justification; ne peut-on pas dire la même
chose du païen, dont il est question ?
Quoi qu'il en soit, il est une doctrine de saint Thomas,
Suni. theol., Iil If, q. lxxxix, a. 61, dont il faut tenir
compte. Il y enseigne que tout homme, même le païen,
quand il est arrivé au plein usage de la raison et est par
conséquent capable de délibérer, doit ou bien s'ordonner
lui-même à sa véritable fin qui est Dieu, ou bien s'en
détourner en plaçant sa fin dernière ou son bonheur
définitif en des biens créés; dans le premier cas,
l'homme, d'après saint Thomas, est justifié, c'est-à-dire
qu'il a la grâce sanctifiante; dans le second cas, il
commet un péché mortel. Cf. Pègues, Commentaire
français littéral de la Somme théologique de saint Thomas,
Toulouse, 1913, t. vm, p. 816 sq. De cette doctrine, il
résulte que tout homme, au moment où il doit poser
l'acte décrit ci-dessus, est ]>révcnu d'une grâce propre-
ment dite, qu'il peut, au moins, par inspiration divine
interne, faire un acte de foi surnaturelle; il faut donc,
d'après cette opinion, admettre que Dieu accorde de fait
à tous les hommes les grâces actuelles suffisantes à l'acte
de foi et à l'acte de charité par lequel ils puissent s'or-
donner vers leur fin dernière surnaturelle. D'après cette
donnée le secours suffisant au salut comprendrait donc
toujours des grâces actuelles proprement dites, c'est-à-
dire des illuminations et des inspirations surnaturelles.
Tous les commentateurs n'interprètent pas de même
façon la pensée de saint Thomas. Le cardinal Billot,
par exemple. De virtulibus infusis, Rome, 1901, thés.
vu, p. 172, admet aussi que, pour l'adulte, il n'y a
pas de milieu entre l'état de grâce et l'état de péché
mortel personnel, mais avec cette restriction régula-
riter saltem loquendo, et par cela il entend le cas de
l'adulte auquel est parvenue déjà la connaissance de la
révélation et de la fin surnaturelle. D'autres auteurs
entendent la doctrine exposée d'une façon absolue, en
ce sens qu'elle concerne tout adulte sans exception. Voir
aussi Schifflni, De gratia divina, n. 310, 315. Mais alors
à l'enseignement de saint Thomas, on pourrait opposer
ce que saint Thomas dit lui-même, De vcrilale, q. xiv,
a- H, ad 1 : Il n'\ a aucun inconvénient à admettre
que tout homme doit croire explicitement certaines
vérités, même s'il s'agit de quelqu'un qui est élevé dans
DICT. DE THÉOL. C.VIHOL.
les bois ou au milieu des animaux : car c'est une fonc-
tion de la providence divine de procurer à chacun les
moyens nécessaires au salut, pourvu qu'il n'y mette pas
obstacle. Si quelqu'un, élevé comme nous l'avons dit,
se conforme à ce que dicte sa raison naturelle dans la
poursuite du bien et la fuite du mal, il faut tenir abso-
lument que Dieu, ou bien par une inspiration interne
révélerait à cet homme les vérités qu'il doit croire, ou
bien lui enverrait un prédicateur de la foi, comme il a
envoyé Pierre à Corneille. » Ce qui attire ici notre
attention, c'est l'assertion: si quelqu'un, élevé comme
nous l'avons dit, se conforme à ce que dicte sa raison
naturelle; il semblerait, à première vue, que saint Tho-
mas veut dire : si un homme, éclairé par sa raison natu-
relle, observe pendant un certain temps la loi naturelle
et évite tout péché mortel, Dieu lui accordera d'arriver
à la foi proprement dite et surnaturelle. Si telle était
la pensée de saint Thomas, elle ne s'accorderait pas
avec la thèse qu'il défend dans la Somme et où il dit que
tout homme, arrivé à l'âge de discrétion proprement
dite, se trouve dans la nécessité de s'orienter dans la
recherche de son bonheur, et d'être justifié ou de com-
mettre le péché mortel. Voici une solution qu'on nou ,
a proposée : dans la réponse du livre De vcritale, les
paroles : si ductum naluralis ralionis scquereliir in appe-
litu boni et fuga mali, peuvent s'entendre du premier
moment où la raison naturelle s'éveille et où l'homme
délibère. C'est alors même que Dieu intervient, et cet
homme, allant à Dieu, conduit par sa raison naturelle,
atteint, par l'inspiration intérieure et par la foi, Dieu
sous sa raison de fin surnaturelle. Tout en suivant les
préceptes que dicte la raison naturelle, cet homme
aurait cependant de Dieu une connaissance surna-
turelle, la foi suivie d'un amour surnaturel, et serait
justifié par l'infusion de la grâce sanctifiante. On pour-
rait encore proposer une autre interprétation : cet
homme, à supposer même que dans son premier acte
il n'eût pas été à Dieu comme il devrait et que par
suite il se trouvât en état de péché mortel, pourrait
cependant, dans la suite de sa vie, observer les pré-
ceptes de la loi naturelle, et, sous le coup de grâces
actuelles suffisantes que Dieu accorde à tout homme,
s'orienter vers Dieu au moins tel qu'il peut le connaître
par sa raison; s'il fait cela, Dieu complétera dans ce
mouvement (soit par inspiration interne, soit par un
prédicateur) tout ce qu'il faudra pour que ce mouve-
ment soit surnaturel et puisse aboutir à la sanctifi-
cation du sujet. Nous croyons donc que la réponse de
saint Thomas ne s'oppose pas à sa doctrine exposée
plus haut. L'interprétation que donne de cette réponse
M. Capéran, op. cit., Essai théologique, p. 49, semble
difficile à admettre : « Estimant que la foi explicite à
l'incarnation, à la rédemption et à la trinité est indis-
pensable à partir de la promulgation de l'Évangile,
Thomas d'Aquin enseigne que tout infidèle qui fait de
son mieux ne mourra pas sans avoir connu ces mys-
tères, cela ne veut pas dire que l'infidèle n'obtienne la
grâce de la justification qu'après les avoir connus. »
Mais si l'homme est déjà sanctifié, il peut donc être
sauvé : il n'encourra donc pas nécessairement la dam-
nation, comme le disait l'objection à laquelle répond
saint Thomas. Sur la doctrine de saint Thomas, con-
cernant le point qui nous occupe on lira aussi avec uti-
lité un article de M. de Guibert, dans le Bulletin de titté-
rature ecclésiastique, Toulouse, 1913, p. 337 sq.
Le P. Schifflni, op. cit., n. 313, indique ainsi les
étapes par lesquelles le païen adulte peut parvenir à la
foi et à la conversion : quand l'infidèle arrive à l'usage
de la raison, son intelligence lui dicte l'existence de
Dieu. Dieu alors, par des grâces actuelles, l'illumine et
l'inspire pour qu'il reconnaisse l'existence de l'Être
suprême et conçoive le désir d'une connaissance plus
parfaite de la vraie religion et de la morale. Si l'infidèle
VI. — 51
1603
GRACE
1604
ne correspond pas à cette première vocation, Dieu ne
donne pas des secours proximc sufficienlcs à la foi surna-
turelle. Mais plus tard Dieu renouvelle ses motions
salutaires. Si le païen y consent et y coopère, Dieu
donne des secours ultérieurs pour qu'il puisse concevoir
la foi formelle et parfaite. Si le païen consent a cela,
Dieu donne la grâce pour qu'il puisse recevoir le sacre-
ment de baptême ou le sacrement de désir.
4° La doctrine, que nous avons exposée, est parfois
exprimée par l'adage : Facicnti quod in se est, Deus non
dclî gai ïjrutiafii. Les scolastiques anciens ont donné
cette formule d'après des expressions analogues trou-
vées chez les Pères. Cf. Tabarelli, De gratia Christi.
Rome, 1908, p. 132. La plupart des anciens scolastiques
ont entendu cette assertion en ce sens : à celui qui, au
moyen du secours de grâces actuelles, fait ce qu'il peut,
Dieu ne refuse pas la grâce sanctifiante. Voir, à ce sujet,
S. Bonavcnturc, In IV Sent., 1. II, dis t. XXVIII, a. 2,
q. 1, Opéra, t. n, p. G82; S. Thomas, Sum. theol., I» II' .
q. cix, a. 6; q. cxn, a. 3; l'auteur de l'opuscule, Com-
pendium totius theologicœ veritalis, cf. la note du Dr Bit-
tremieux, dans Paslor bonus, 1913, t. xxv, p. 650 sq. :
Cajétan, In Sum. theol., Ia II"', q. cix, a. 6; sur d'autres
auteurs, voir Palmieri, De gratia actuali, thés, xxxiv,
n. 5, p. 302 sq. Mais Molina, Concordia, q. xiv, a. 13,
disp. X, Paris, 1876, p. 43, explique l'adage en ce sens :
à celui qui fait ce qu'il peut par ses énergies naturelles
Dieu donne toujours les secours actuels suffisants pour
qu'il arrive à la foi et ultérieurement à la justification.
Cette explication est, pour Molina, l'expression d'une
thèse concernant la distribution de la grâce. Quoiqu'il
enseigne que les bonnes œuvres naturelles ne peuvent
d'aucune manière exiger ou mériter une grâce, il sou-
tient cependant que le Christ a obtenu que fût établie
par Dieu cette règle : à tout homme qui, par ses seules
forces naturelles, fera le bien moral qu'il peut, le secours
de la grâce sera accordé, de façon que le salut de
l'homme, aussi longtemps qu'il vit sur la terre, dépend
de son libre arbitre; Molina établit ainsi une connexion
infaillible entre une vie naturellement honnête et la
concession de la première grâce. La même opinion est
défendue par Suarez, De gratia, 1. IV, c. xv sq., Opéra,
t. vm, p. 310; Lessius, De gratia efficaci, c. x; par
Mazzella, op. cit., n. 863; Jungmann, De gratia, h. 212
sq.; Pesch, op. cit., t. v n. 215; Mgr WalTelaert, Mé-
ditations lliéologiques, t. i, p. 79 sq. L'opinion ne peut
pas être taxée de semipélagianisme; cette hérésie en-
seignait au fond que les bonnes œuvres naturelles
étaient d'elles-mêmes un titre exigitif à recevoir la
grâce; Molina, et ceux qui le suivent, nient cela et
tiennent que les bonnes œuvres naturelles ne sont
pas autre chose qu'une disposition négative à la grâce,
en ce sens qu'elles empêchent l'homme d'y mettre posi-
tivement obstacle par le péché. C'est pourquoi l'opinion
de Molina ne méritait pas la censure que lui infligeait
l'Assemblée du clergé de France, en 1700. Cf. Hugort,
Hors de f Église point de salut, Paris, 1907, p. 91. Néan-
moins l'opinion de Molina ne semble pas solidement
étayée, parce qu'il admet une connexion infaillible entre
la vie honnête naturelle et la concession de la grâce. D'où
Vient celle infaillible connexion '? Elle vient d'un pacte
que Dieu aurait fait avec le Christ, ou d'une règle que
Dieu se serait tracée, d'après lesquels il accorderait la
grâce à tout homme qui évite le péché mortel. Mais
nous n'avons aucun argument par lequel on puisse
démontrer l'existence de ce pacte ou de cette règle. De
plus, il nous semble que ce décret, que l'on attribue à
Dieu, n'est pas conciliable avec la gratuité, sainement
en tendue, qui appartient à la notion de la grâce. Cette
gratuité, en elfet, implique que dans l'homme et dans
ses (envies naturelles il n'y a de fait aucun titre à rece-
voir la première grâce. Or si l'on dit que la vie honnête
naturelle est de fait une condition à laquelle Dieu a
infailliblement rattaché la concession de la grâce, on
doit logiquement conclure que la vie honnête naturelle
esl devenue en réalité, par une disposition divine, un
titre à recevoir la grâce : d'où contradiction.
lui fin il est impossible de déterminer ce que com-
porte la vie honnête pour qu'elle soit la condition à
laquelle Dieu donnerait la grâce. On trouvera ces argu-
ments développés par Ilugon, op. cit., p. 84 sq. ;
Schifhni, De gratia divina, n. 306 sq., 313, 319; Taba-
relli, op. cit., p. 128-136; Billot, De gratia Christi,
p. 198-204. Nous dirons donc avec saint Thomas :
« Le seul fait de ne pas mettre obstacle à la grâce est
déjà l'œuvre de la grâce. » In Epist. ad Hcbrœos, c. xn,
lect. m, Comment, in omnes S. Pauli Epistolas, Turin,
1896, t. n, p. 436. Qu'on ne nous oppose pas un texte de
Pie IX dans sa lettre adressée aux évêques d' Italie, le 10
août 1863, Denzinger-Bannwart, n.1677 : car Pie IX n'y
dit pas que ceux qui ignorent invinciblement notre reli-
gion observent la loi naturelle sans le secours de la grâce.
Il se peut que les infidèles, avec le secours de la grâce,
observent la loi naturelle pendant un certain temps, avant
d'arriver à la foi surnaturelle. Notons en dernier lieu
que les bonnes dispositions naturelles, les bonnes habi-
tudes acquises, surtout un jugement droit et une natu-
relle connaissance vraie concernant Dieu, sans être
un titre à recevoir la grâce, sont cependant utiles au
salut; car elles rendent plus facile la coopération à la
grâce, parce qu'elles enlèvent chez l'homme ce qui est
un obstacle à cette coopération, en particulier les faux
préjugés et les vices.
II. GRACE HABITUELLE OU SANCTIFIANTE — Dans
l'article précédent, nous avons établi l'existence de la
grâce considérée en général, en tant qu'elle est une
réalité interne à l'homme et surnaturelle; nous avons
constaté aussi une double fonction de la grâce : elle est
une force permettant à l'homme d'éviter le péché mortel
et d'accomplir ses devoirs ; elle est aussi un principe de
surnalurcdisalion, rendant formellement scdulairc l'acti-
vité qui dérive d'elle. Nous devons maintenant recher-
cher l'essence de la grâce et nous divisons la matière de
cette enquête en deux grandes parties : l'une a pour
objet la grâce habituelle ou sanctifiante, l'autre, la
grâce actuelle. Sur la grâce sanctifiante: I. Existence
II. Essence. III. Effets. IV. Propriétés. V. Dispositions
requises pour la recevoir. VI. Causes.
1. Existence. — 1° Données scripluraires. — 1. Le
Christ, comme nous l'avons indiqué plus haut, a ensei-
gné que l'homme, pour être sauvé, doit renaître spiri-
tuellement, être par conséquent vitalement transformé.
Ioa.,m, 3, 5. Le principe de cette vie est une influence
vivifiante, qui part du Christ, vivifie l'homme et l'unit
au Christ. Joa., xv, 1-5.
2. Saint Paul enseigne que l'homme est rendu juste
et saint, non par ses propres efforts ou ses œuvres per-
sonnelles, mais par un don gratuit de Dieu. Rom., m,
21-22; Tit., m, 4-7. Cf. Prat, op. cit., t. n, p. 350-366.
Voir Justification. Ce don comporte la rémission des
péchés : du péché originel, Rom., v, 18-19, des péchés
personnels, I Cor., VI, 11, et une réelle rénovation de
l'homme, une naissance nouvelle, Tit., m, 4-7; cette
naissance nouvelle donne une nouvelle nature, car par
cette naissance l'homme est une nouvelle créature,
Eph., ii, 8-10; Gai., vi, 15, et ce par quoi il est créature
nouvelle est aussi ce par quoi il devient capable d'une
activité salutaire, Eph., ii, 8-10, qui est une vie nou-
velle. Rom., vi, 3-6; Gai., n, 20.
Il s'agit donc ici d'un étal de sainteté et il est réalisé
par une réalité, une nature permanente infuse dans
l'âme humaine. Cet état de sainteté (et la réalité qui la
constitue) est caractérisé ultérieurement par une triple
relation qui lui est indissolublement inhérente : une
relation avec Dieu le Père, dont le juste est le fils adop-
1603
GRACE
1606
iif, une relation avec le Saint-Esprit qui habite dans le
juste, une relation avec Jésus-Christ, une union mys-
tique avec le Christ dont le juste est un membre vivant
recevant de lui l'influx vital, comme les membres du
corps vivant de la tète. Rom., vin. 15-17; (lai., iv. 1!»;
Rom., vin, 9-11 ; Eph., IV, 14 sq.; Col., il, 18. Cf. Prat,
op. cit., p. 450 sq. Nous avons réuni ici ces diverses
données pour permettre de jeter un coup d'oeil d'en-
semble sur la doctrine de l'apôtre : ces notions diverses
expriment une même réalité que nous appelons grâce
sanctifiante, et ont été ultérieurement analysées et
expliquées par les Pères et les théologiens, comme nous
l'exposerons dans la suite. Mais pour l'objet qui nous
occupe, à savoir, l'existence de la grâce sanctifiante,
nous devons encore insister sur ce point : la sainteté,
dont parle l'apôtre, n'est donc pas une perfection
morale acquise par les opérations de l'homme, elle n'est
pis le produit naturel de l'activité humaine, elle est
infuse par Dieu dans l'âme, notamment au moyen du
baptême. Tit., m, 4-7. De plus, cette sainteté infuse
n'est nullement due à l'homme comme tel, car Dieu la
donne aux uns et non pas aux autres; enfin les opéra-
tions naturelles de l'homme ne sont pas un titre, ne
constituent pas une exigence à recevoir ce don : « Nul
homme ne sera justifié devant lui (Dieu) par les œuvres
de la loi... Maintenant, sans la loi... ceux qui sont jus-
tifiés le sont gratuitement par sa grâce. » Rom., m, 20-
24. La sainteté est un efïet de la prédestination divine;
celle-ci dépend d'une libre décision de Dieu, Rom., vin,
20; Eph., i, 4-11, qui a pour dernière raison la miséri-
corde divine : « L'élection (à la sainteté et au salut) ne
dépend ni de la volonté ni des efforts (de l'homme),
nuis de Dieu qui fait miséricorde. » Rom., ix, 16; xi, 5.
i. Mais lorsque Dieu notre Sauveur a fait paraître sa
bonté et son amour pour les hommes, il nous a sauvés,
non à cause des œuvres de justice que nous faisons,
mais selon sa miséricorde, par le bain de régénération
et en nous renouvelant par le Saint-Esprit, qu'il a
répandu sur nous... » Tit., m, 4-6.
Saint Paul nous enseigne donc l'existence d'un don
sanctifiant et sa complète gratuité.
Les textes cités en dernier lieu nous apprennent
explicitement la gratuité du don sanctifiant, en mon-
trant que les bonnes œuvres comme telles, ou naturelles,
ne constituent pas l'homme saint ou juste; déplus, que
ces œuvres ne sont pas, devant Dieu, un litre exigeant
ce don sanctifiant, qu'elles ne sont donc pas méritoires.
C'est la première raison pour laquelle le don sanctifiant
est positivement indu à l'homme. Mais ceci implique
déjà que le don sanctifiant n'est pasuneentiténaturelle:
car s'il l'était, il serait le résultat nécessaire des bonnes
œuvres naturelles opérées par l'homme. L'essence de ce
don nous est ultérieurement expliquée par ses effets, no-
tamment, par ceci que l'homme en le possédant devient
fils adoplif de Dieu, temple du Saint-Esprit: cette
dignité est absolument surnaturelle : d'où il résulte que
l'entité, qui confère cette dignité, est en elle-même
surnaturelle, positivement indue à toute créature.
3. Saint Jacques enseigne aussi que la justification
s'obtient par une naissance, due à la bienveillance
divine, i, 18; pour saint Jean, l'homme juste est né de
Dieu et la semence de Dieu demeure en lui. I Joa., m, 9.
L'état de sainteté est aussi appelé par saint Jean une
onction reçue, qui demeure dans l'homme, il, 27.
2° Les Pères reprennent et expliquent le même ensei-
gnement. L'auteur de l'Epître de Barnabe présente
deux assertions très significatives : « lui nous renouve-
lant par la rémission des péchés, il nous a mis une autre
empreinte, au point d'avoir l'âme de petits enfants,
justement comme s'il nous créait à nouveau; car c'est
de nous que parle l'Ecriture lorsque (Dieu) dit au Fils :
Faisons l'homme à notre image et ressemblance, » vi,
11-12. Plus loin : « C'est en recevant la rémission de nos
péchés... que nous devenons des hommes nouveaux,
que nous sommes recréés de fond en comble, » xvi, 8
(traduction Laurent-IIemmer, Les Pères apostoliques,
Paris, 1007, t. i, p. 51 sq., 91). Tertullien enseigne qu'au
baptême l'âme acquiert une ressemblance spéciale avec
Dieu, différente de la similitude qu'elle a par sa nature.
De baplismo, n. 5. Cf. d'Alès, La théologie de Tertullien,
Paris, 1005, p. 264. Saint Basile décrit la présence du
Saint-Esprit dans l'âme et la compare à la présence de
la forme dans la matière, de la faculté de vision dans
l'œil, de l'art dans l'artiste : le Saint-Esprit est toujours
uni aux justes, mais il n'opère pas toujours en eux des
effets tels qu'il en produit chez les prophètes, ou dans
les guérisons ou dans d'autres opérations miraculeuses.
De Spiritu Sanclo, c. xxxvi, n. 61, P. G., t. xxxn,
col. 180. Saint Grégoire de Nazianze décrit, sous des
noms divers, la grâce reçue au baptême et enseigne
qu'il faut baptiser les enfants, quand ils sont en danger,
bien qu'ils ne puissent pas s'apercevoir de la grâce qui
les sanctifie. Orat., xl, in sanctum baplisma, n. 3 sq., 28,
P. G., t. xxxvi, col. 361 sq., 399. Saint Jean Chrysos-
tome explique pourquoi le baptême est appelé un bain de
régénération : c'est parce que l'homme y est de nouveau
créé et formé ; il y reçoit cette beauté, que Dieu avait
accordée au premier homme, et qui est produite par la
grâce du Saint-Esprit. Calechesis, i, ad illuminandos,
n. 3, P. G., t. xlix, col. 226 sq. Cf. Cat., n, n. 1,
col. 232 sq. Saint Cyrille d'Alexandrie est encore
plus explicite sur la réalité de la grâce interne
et sanctifiante : « Il y a pour l'homme une for-
mation simple; comme lorsque notre premier père
Adam fut formé de la terre... Après ce mode de création,
il y a la formation qui nous est propre â chacun de nous :
chacun est formé dans le sein de la mère ; c'est par cette
voie que tous nous venons à l'existence. Il y a ensuite
cette formation par laquelle nous devenons enfants de
Dieu, élevés intellectuellement par la connaissance des
lois divines à une beauté surnaturelle, celle qui pro-
cure â nos âmes l'ornement des vertus : cette beauté est
la beauté spirituelle. 11 y a en même temps la formation
dans le Christ â l'image du Christ par la participation
au Saint-Esprit. Le Christ est formé en nous grâce au
Saint-Esprit qui introduit dans nos âmes une certaine
forme divine par la sanctification et la justice. C'est
ainsi que s'imprime en nous le caractère de l'hypostase
de Dieu le Père, grâce au Saint-Esprit qui nous assimile
à lui par la sanctification. » In Jsaiam, 1. IV, orat. Il,
P. G., t. lxx, col. 936-937 (traduction du P. Mahé,
dans la Revue d'histoire ecclésiastique, Louvain, 1909,
t. x, p. 485). Cf. Weigl, Die Heilslehre des hl. Cyrill von
Alexandrien, Mayence, 1905, p. 181 sq. Nous aurons à
revenir plus tard sur la doctrine de saint Cyrille. Saint
Augustin enseigne que la justification est due à une
réalité interne, à une forme, dont Dieu revêt l'homme.
De spiritu et littera, c. ix, n. 15, P. L., t. xliv, col.
208 sq.; De Trinilate. I. XV, c. vm, n. 14, P. L., t. xlii,
col. 1068. Cette justice est de Dieu, parce qu'elle
est donnée par lui, mais elle est nôtre parce qu'elle est
en nous. De gratia Chrisli, c. xm, P. L.. l.xi.iv, col. 367.
Le docteur Pohle, Lehrbuch der Dogmatik, Paderborn,
1011, t. il, p. 546 sq., indique les principaux textes de
saint Augustin et en conclut qu'ils établissent que la
grâce sanctifiante est la cause formelle de notre justi-
fication. Saint Augustin enseigne aussi que le Saint-
Esprit habile dans les enfants baptisés, bien qu'ils ne le
sachent pas. Epist., c.i.xxxvn, n. 26, P. L., t. xxxm,
col. 841.
3° Les scolasliques supposent l'existence de la grâce
admise comme un dogme de foi; ils en recherchent sur-
tout la réalité : ils établissent qu'elle est une chose créée,
infuse dans l'âme humaine, surnaturelle; cette notion
d'une grâce qui informe l'âme a été mise en lumière,
d'abord par Alexandre de Haies d'après Heim, Das
ItiOT
GRACE
iros
Wesen der Gnade bei Alexander Halesius, Leipzig, 1905,
p. lu sq. Cf. Albert le Grand, Summa iheologiœ, part. II,
tr. XVI, q. xcvm, m. i. Ils en étudient l'essence. Ils
en recherchent le pourquoi, la raison d'êlre; celle-ci se
déduit de la connaissance d'autres vérités : nous avons
ainsi, pour confirmer la thèse de l'existence de la grâce,
les arguments de raison théologique: ils consistent en ce
que d'une vérité révélée, au moyen d'une autre pré-
misse non révélée, on conclut à l'existence de la grâce.
Nmis indiquerons trois arguments de ce genre, et nous
voulons directement démontrer la réalité de l'influence
surnaturelle de Dieu en l'âme.
1. Argument tiré de la fin dernière surnaturelle. —
L'homme est appelé à posséder Dieu surnaturellement
par la vision béatifique; or l'homme doit tendre à cette
lin par ses propres actes et ceux-ci doivent être propor-
tionnés à la fin qu'ils doivent obtenir; pour que ces
actes soient proportionnés à cette fin, il faut qu'ils
soient surnaturels; pour que ces actes puissent être
surnaturels, ils doivent provenir d'un principe surna-
turel, par conséquent d'une forme surnaturelle, infuse
dans l'âme. Cet argument est précisé par cette consi-
dération qu'obtenir sa fin dernière est, pour l'homme,
la mériter : un acte n'est formellement et adéquatement
méritoire (aclus mcrilorius de condigno) que pour
autant qu'il est intrinsèquement proportionné au bien
auquel il donne droit, à la récompense qu'il exige :
pour qu'un acte soit intrinsèquement proportionné a
la vision béatifique, il faut qu'il soit intrinsèquement
surnaturel, par conséquent, intrinsèquement surnatu-
ralisé par un principe surnaturel dont il procède. Il faut
donc qu'à la nature humaine soit surajoutée une forme
qui soit principe d'opération surnaturelle. Cet argu-
ment est indiqué par Pierre Lombard, Sent., 1. II,
dist. XXIV, c. i; développé par Alexandre de Halès.
Summa theologica, part. III, q. lxix, m. v, a. 2;
cf. Heim, op. cit., p. 59 sq. ; par Albert le Grand,
Summa Iheologiœ, part. II, tr. XVI, q. xcvm, m. n;
par saint Thomas d'Aquin, In IV Sent., 1. II, dist.
XXVIII, q. i, a. 1; Summa cont. yent.,\. III, c. cli; De
virtulibus in communi, q. i, a. 10; Sum. theol., Ia IF',
q. cix, a. 2, 5. C'est là une doctrine constante et, on
peut dire, fondamentale chez saint Thomas.
2. Argument tiré de la bienveillance spéciede de Dieu
à l'égard de l'homme juste. — Saint Bonaventure, In
IV Sent, 1. II, dist. XXXVI, q. i, a. 1, Opéra omnia,
Quaracchi, t. n. p. G31, expose très clairement cette
démonstration : Dieu est juge équitable; il ne donne
approbation et bienveillance que pour autant que
l'homme est réellement digne d'approbation et de bien-
veillance; s'il approuve et a pour agréable un homme
de préférence à l'autre, c'est que dans le premier il y a
un bien, un don, qui n'existe pas dans l'autre. Cette
considération est expliquée de la manière suivante : la
connaissance divine ne peut être en défaut; par consé-
quent Dieu ne juge l'un meilleur que l'autre, sinon
parce que le premier a en lui une réalité, cjui le rend
digne d'approbation, et qui ne se trouve pas chez
l'autre. La bienveillance divine n'est pas une affection
nouvelle, qui surgit et est causée en Dieu, mais c'est la
production d'un effet, et par conséquent il y a un efïet
produit dans celui qui est le terme de la bienveillance
divine. Saint Bonaventure ajoute : la volonté divine, en
tant qu'elle donne son approbation, ne subit aucun
changement ; dès lors, quand quelqu'un commence à
être l'objet de l'approbation ou de la bienveillance
divine, c'est en lui qu'a dû se produire un changement;
ce changement m- lient être qu'un don reçu de Dieu:
par conséquent ce par quoi un homme est agréable à
Dieu, la grâce, est une réalité infuse par Dieu en l'homme.
Saint Thomas, Sum. theol., Ia IF', q. ex, a. 1, expose
le même argument : il fait ressortir explicitement la
différence entre l'amour qui est dans la créature et
l'amour qui est en Dieu ; l'amour, qui est en la créature,
est causé en elle par un bien préexistant; l'amour qui
est en Dieu, est lui-même cause du bien qui est le
terme de cet amour. C'est pourquoi toute dilection en
Dieu a pour conséquence un bien produit dans la créa-
ture. La dilection spéciale de Dieu à l'égard de la créa-
ture raisonnable élevée à l'ordre surnaturel produit en
elle un don surnaturel. Cf. In IV Sent.,]. II, dist. XXVI,
q. i, a. 1; Summa cont. gent., 1. III, c. clv; De veritale,
q. xxvn, a. 1; Bellarmin, De justificatione impii, 1. II,
c. ni, n. 26, 31, 32.
3. L'existence de la grâce est confirmée par le dogme
du péché originel. D'après la doctrine de l'apôtre, Boni.,
v, 12 sq., définie au concile de Trente, Denzinger-Bann-
wart, n. 787 sq., tous les hommes qui naissent d'Adam
(à moins qu'un privilège ne les en exempte) sont, par
le seul fait de leur origine, constitués pécheurs devant
Dieu, sujets d'une culpabilité originelle. D'après le prin-
cipe indiqué ci-dessus, Dieu, dont la connaissance est
infaillible, ne peut pas considérer comme coupables
ceux qui ne le sont pas : il faut que chez les enfants il y
:ùt réelle culpabilité. Celle-ci ne peut pas être constituée
en eux par un acte moral mauvais, ni être un habitus
résultant d'une faute personnelle. Cette culpabilité ne
peut donc être que la privation d'une perfection qui
ordonnerait positivement l'âme vers Dieu. Mais cette
perfection ne peut pas être purement naturelle, car la
nature humaine, telle qu'elle se trouve chez les enfants,
n'est pas essentiellement viciée et elle possède les fa-
cultés requises pour que l'homme tende naturellement
à Dieu; ces facultés sont l'intelligence et la volonté.
Dès lors le péché originel ne se conçoit que par la pri-
vation d'une perfection surnaturelle, d'une perfection
qui, ajoutée à la nature, ordonne habituellement et
positivement celle-ci vers Dieu. Il faut donc que, dans
l'ordre actuel de la providence, un don surnaturel ait été
accordé, en Adam, à la nature humaine un don surnatu-
rel dont la privation constitue précisément ce désordre
moral, cette culpabilité, qui est le péché originel. Celui-ci
peut maintenant encore être enlevé de l'âme des enfants,
notamment par le baptême, qui rend les hommes justes
et saints, en produisant en eux la perfection réelle qui
constitue la sainteté surnaturelle. Cette explication de
l'essence du péché originel est celle de saint Thomas.
Sum. theol., D IF', q. lxxxi sq. Cf. Ia, q. xcv; card.
Billot, De pcrsonali et originali peccato, Prato, 1910,
p. 177 sq. Saint Thomas, dans ses premières œuvres,
avait admis l'opinion de Pierre Lombard d'après la-
quelle le premier homme n'avait reçu, au moment de la
création, que des dons préternaturels, et non la grâce
sanctifiante, gralia grulum faciens : celle-ci, dès lors,
n'était pas un élément constitutif de la justice originelle.
mais plus tard saint Thomas a rejeté cette explication
et a enseigné que la gralia gralum faciens était un élé-
ment constitutif, et le principal, de la justice originelle.
Cf. de Baets, De ralione et naturel peccati originedis,
Louvain, 1899, p. 19 sq.
4° Définitions de l'Église. — ■ II en est deux qui con-
cernent la grâce sanctifiante : le concile de Vienne
(1311-1312) déclare plus probable le sentiment qui tient
qu'au baptême tous les hommes, aussi bien les enfants
que les adultes, reçoivent la grâce informante (gratiam
informanlem) et les vertus. Denzinger-Bannwart, n. 410.
La controverse ne portait pas sur l'existence de la grâce
informons, mais sur le point de savoir si elle était
donnée ainsi que les vertus aux enfants. Le concile sup-
pose la croyance à l'existence de la gralia informons et
confirme cette conviction. Le concile de Trente, sess. vi,
c. vu, définit que « la justification ne consiste pas seu-
lement dans la rémission des péchés, mais encore dans
la sanctification et rénovation de l'homme intérieur
par la réception volontaire (chez les adultes) de la
grâce et des dons... L'unique cause formelle de celte
1609
GRACE
1610
justification est la justice de Dieu, non celle par la-
quelle il est lui-même juste, mais celle par laquelle il
nous rend justes : par cette justice, reçue de Dieu, nous
sommes renouvelés, et en réalité nous sommes justes;
nous recevons en nous la justice et chacun la reçoit
dans la mesure que le Saint-Esprit détermine, d'après
son vouloir et aussi selon la disposition et la coopéra-
lion propre à chaque individu. » Denzinger-Bannwart,
n. 799-800. C'est la théorie de Luther sur la justification
imputative qui fut l'occasion de la définition citée. Le
concile inculque ce point doctrinal : que la justification
n'est pas un acte forinsèque (une sentence judiciaire),
par lequel Dieu déclare l'homme juste, mais un acte
par lequel Dieu le rend réellement juste, en infusant
dans son âme un nouveau principe de vie surnaturelle.
Cf. Hefner, Die Enstehungsgeschichte des Trienter Rech-
fertigungsdekretes, Paderborn, 1909, p. 263; pour l'his-
toire de ce décret, voir op. cit., p. 165 sq.
II. Essence. — Le concile de Trente ne s'est pas
prononcé sur les controverses théologiques concernant
l'essence de cette grâce, notamment il n'a pas donné de
solution à cette question : si la grâce sanctifiante est
réellement distincte de la charité infuse, si la grâce
sanctifiante a pour sujet immédiat l'essence même de
l'âme ou la volonté, comment il faut entendre l'habita-
tion du Saint-Esprit dans l'homme juste. Cf. Hefner,
op. cit., p. 260, 264. Nous exposerons succinctement les
sentiments des théologiens sur ces questions.
1° D'abord, c'est une assertion au moins théologi-
quement certaine que la grâce sanctifiante est une
réalité distincte de Dieu et produite par lui. Cela
ressort clairement du décret du concile de Trente : la
cause formelle de notre justification n'est pas la justice
même de Dieu, ce n'est pas par elle que nous sommes
rendus justes; c'est donc par une justice réellement
distincte de celle-là, par une justice créée et infuse dans
l'âme. Ce qui confirme cette affirmation, c'est que la
justice, par laquelle les hommes sont rendus justes, a
des degrés différents chez les divers individus et est
proportionnée à leur disposition. On peut d'ailleurs
démontrer qu'il est impossible que Dieu soit uni à
l'homme comme une forme à une matière, ou plus géné-
ralement, comme l'acte à la puissance; en effet, puisque
Dieu est l'être subsistant en lui-même, il est impossilde
qu'il informe un autre être comme un accident informe
et modifie une substance, dans laquelle il est inséré.
(Remarquons que l'union hypostatique du Verbe avec
la nature humaine ne consiste nullement en ce que le
Verbe devienne la cause formelle de l'humanité, mais
l'être de celle-ci. Voir Incarnation.) Le sentiment de
Pierre Lombard n'a plus de partisans, il n'en avait pas
beaucoup de son temps, comme il l'avoue lui-même.
Sent, 1. I, dist. XVII, c. i, n.6. Il soutenait que la charité
surnaturelle, qu'il identifiait avec la grâce sanctifiante,
n'était pas une réalité créée et infuse dans l'âme, mais
l'Esprit-Saint lui-même, produisant en nous l'amour de
Dieu. Le Saint-Esprit était donc, d'après cette opinion,
la cause formelle de notre justification; ce qui ne peut
se concilier avec le décret du concile de Trente et notam-
ment avec le canon 11e de la vie session : « Si quelqu'un
affirme que les hommes sont justifiés ou bien par la seule
imputation de la justice du Christ, ou bien par la seule
rémission des péchés sans la grâce et la charité qui est
infuse dans leur âme par V Esprit-Saint et qui leur est
inhérente..., qu'il soit anathème. » Denzinger-Bann-
wart, n. 821. Sur l'exposé et la réfutation de l'opinion
de Pierre Lombard, voir S. Thomas d'Aquin, Sum.
theol., II» If, q. xxiii, a. 2; S. Bonaventure, In
IV Sent., 1. I, dist. XV II, part. I, q. i, Opéra, Quaracchi,
t. i, p. 292 sq.
2° La grâce sanctifiante est donc une réalité dis-
tincte de Dieu, créée, infuse et inhérente en l'âme; elle
ne peut pas être une substance, ni complète ni incom-
plète; car une substance créée, complète, ne peut pas
communiquer son être à une autre substance complète,
telle, par exemple, que l'homme; la substance incom-
plète s'unit à un autre élément de façon à constituer
avec lui une substance complète, d'une espèce déter-
minée : il est évident que la grâce sanctifiante ne con-
stitue pas avec l'homme une nouvelle substance ou
nature, une espèce d'être substantiel. Il reste donc que
la grâce sanctifiante est un accident; si l'on considère
les divers genres d'accidents, on conclut qu'elle ne peut
appartenir qu'à la qualité. Cf. Casajoana, Disquisi-
tiones scholastico-dogmaticœ, Barcelone, 1888, t. iv,
p. 581. La grâce sanctifiante est donc une qualité,
c'est-à-dire une forme modifiant intrinsèquement l'âme
ou lui conférant une perfection déterminée, acciden-
telle. Cf. S. Thomas, Sum. theol. , D If", q. xxix, a. 2.
Les théologiens expliquent ultérieurement l'essence de
la grâce sanctifiante en disant qu'elle est un habitus
entitalivus. Cf. S. Thomas, De veritate, q. xxvn, a. 2,
ad 7"m; Suarez, De gratin. 1. VI. c. iv, n. 1, Opéra, t. ix,
p. 20; Bellarmin, De gratia et libero arbitrio, 1. I, c. ni,
p. 227; Pesch, Prielecliones dogmatiese, t. v, n. 312 sq.
3° L'opinion de beaucoup la plus probable soutient
que la grâce sanctifiante est réellement distincte de la
vertu infuse de charité. Ce sentiment est défendu par
Alexandre de Halès, Sum. theol., part. III, q. lxix,
m. ii, a. 4; cf. Heim, op. cit., p. 48, 50-52; S. Bonaven-
ture, In IV Sen(.,l. I, dist. XVII, part. I, q. m, Opéra,
t. i, p. 299; 1. II, dist. XXVI, dub. n; dist. XXVII, a.
1, q. ii, Opéra, t. n, p. 648, 656; S. Thomas, Sum. theol.,
I* II35, q. ex, a. 3; Capréolus, In IV Sent., 1. II, dist.
XXVI, a. \.De/ensiones theologiœ, Tours, 1900 sq., t. ni,
p. 256 sq. ; Denys le Chartreux, Summa fidei orlhodoxœ,
1. II, a. 118, Opéra omnia, Montreuil-sur-Mer, 1896 sq.,
t. xvn, p. 326; Cajétan, In I"" II'', q. ex, a. 35; Suarez,
De gratia, 1. VI, c. xn, Opéra, t. ix, p. 70 sq. ; Ripalda,
De ente supernaturali, 1. VI, disp. CXXXII, sect. iv,
n. 53, t. n, p. 702 sq. ; Mazzella, De gratia, n. 958 ;
Schiffini, De gratia divina, n. 203, 3; Van Noort,
De gratia Chrisli, Amsterdam, 1908, n. 142; card.
Billot, De gratia Chrisli, p. 140; de Baets, De gratia
Christi, Gand, 1910, p. 62 sq. L'opinion contraire a été
soutenue par Duns Scotjn IV Sent.,]. II, dist. XXVII;
par Molina, Concordia, in q. xiv, a. 13, disp. XXXVIII,
Paris, 1876, p. 221; par Bellarmin, De gredia et libéra
arbitrio, 1. I, c. vi, p. 232 sq.
La distinction réelle se déduit de la considération
suivante : la charité est un habitus opérations, un prin-
cipe immédiatement ordonné à la production de l'acte
de charité; or, ce principe prochain d'opération, qui est
à l'instar d'une faculté, suppose un principe éloigné
(principium remotum) qui soit à l'instar d'une nature.
Cet argument est développé par saint Thomas, De veri-
tate, q. xxvn, a. 2, où, se basant sur l'analogie entre
l'ordre naturel et l'ordre surnaturel, il montre que
l'homme, qui, par sa nature propre, est radicalement
ordonné à sa fin naturelle, doit recevoir aussi une réalité
qui élève sa nature et lui confère une dignité propor-
tionnée à la lin surnaturelle à laquelle il est destiné.
Cette dignité spéciale est conférée par la grâce sanc-
tifiante, tandis que la charité infuse est ce par quoi la
volonté est inclinée vers la fin surnaturelle, et les
autres vertus sont données pour que l'homme soit
capable d'exécuter les œuvres surnaturelles par les-
quelles il acquiert la fin surnaturelle. La distinction
réelle des divers dons naturels et la connexion qui
existe entre eux est aussi clairement décrite par saint
Thomas, De virlulibus in communi, q. i, a. 10. Un autre
argument est donné par M. de Baets, op. cit., p. 63 : la
charité est une faculté appétitive intellectuelle surna-
turelle ; elle suppose donc une connaissance propor-
tionnée; celle-ci (sur la terre) est la foi. Par conséquent
la foi est de par sa nature antérieure à la charité; mais
1611
GRACE
1612
nous savons que la foi est distincte de la grâce: il faut
néanmoins admettre entre la grâce (qui donne l'être
surnaturel) et la foi (qui est le principe immédiat de
connaissance surnaturelle) une relation, qui ne peut
être que V antériorité de la grâce par rapport à la foi. La
grâce est donc (par sa nature) antérieure à la foi et réel-
lement distincte de celle-ci; la foi est antérieure à la
charité; il est donc impossible que la grâce soit la même
réalité que la charité, puisque celle-ci est (par sa nature)
postérieure à la foi et que la grâce est, par sa nature,
antérieure à la foi.
Corollaires. — 1. Puisque la grâce sanctifiante est
réellement distincte de la charité et qu'elle est le prin-
cipe éloigné de toute l'activité surnaturelle, elle est donc
comme une nouvelle nature et elle a son siège propre
dans l'essence même de l'âme humaine, tandis que les
vertus infuses ont leur siège propre dans les facultés
opératives de l'âme. Voir saint Thomas, Sum. theol.,
I» II®, q. ex, a. 4; Ia, q. c, a. 1, ad 2"", où il enseigne
que la grâce sanctifiante est la radix jusiilise originalis ;
c'est pourquoi la justice originelle avait primordiale-
ment son siège dans l'essence même de l'âme. Cf. Ia II®,
q. lxxxiii, a. 2, ad 2"m; De malo, q. iv, a. 4, ad 1"™.
2. La grâce sanctifiante est formellement une parti-
cipation de la nature divine. Nous avons exposé que la
grâce sanctifiante est une qualité surnaturelle, le prin-
cipe éloigné de l'activité surnaturelle, et une réalité qui
se trouve dans l'essence même de l'âme humaine. Pour
préciser ultérieurement ce que cette grâce est en elle-
même, il faut considérer quelle est sa fonction propre :
elle consiste à ordonner l'essence de l'âme à la fin sur-
naturelle, en d'autres termes, elle rend l'âme radica-
lement apte à la vision intuitive de Dieu et à l'amour qui
en résulte; par cette vision et cet amour l'âme participe
elle-même à l'opération qui est propre à Dieu; car se
connaître et s'aimer en lui-même est pour Dieu l'opé-
ration qui lui est propre. Or par nature divine nous en-
tendons formellement ce que nous concevons en Dieu
comme le principe radical de l'opération qui est propre à
Dieu : la nature est donc le principe radical de l'opé-
ration par laquelle Dieu se connaît et s'aime lui-même;
mais puisque l'homme, par la vision béalifique, parti-
cipe à l'opération cognoscitive qui est propre â Dieu, et
par l'amour béatifique à l'opération appétitive qui
est propre à Dieu, il en résulte que la grâce sanctifiante,
principe radical en l'homme de cette double opération,
est formellement une participation de la nature divine.
Cf. Terrien, La grâce et la gloire, Paris, 1897, t. i,
p. 80 sq., 252 sq. ; card. Billot, De virtutibus in/usis,
Rome, 1901, prolog., p. 30; Mazzella, De gratia,
n. 1000 sq., qui expose aussi, n. 1002, une opinion diffé-
rente défendue par Ripalda, De ente supernaturali,
disp. CXXXII, n. 105. La participation, dont nous
venons de parler, est physique, comme les vertus infuses
et la vision béatifique sont des réalités physiques; mais
cette participation physique est analogue comme l'est
nécessairement toute participation d'une perfection
divine. Cf. de Baets, op. cit., p. 45.
3. D'après ce qui précède, l'on comprend pourquoi
la grâce sanctifiante est pour l'homme à l'instar d'une
nouvelle nature : ce n'est pas une nature, au sens strict,
parce que c'est un accident, mais elle est comme une
nouvelle nature parce qu'elle rend l'âme, dans son
essence, radicalement apte à l'activité surnaturelle et
parce que les vertus infuses sont comme les facultés
opératives de la grâce. Cf. S. Thomas, Sum. theol., I"
II10, q. ex, a. 4, ad 4"™.
4. La grâce sanctifiante, bien qu'elle soit unique
dans son espèce, a été considérée notamment sous deux
aspects différents, d'après les effets qu'on lui assigne:
les anciens scolastiques l'ont distinguée en grâce opé-
rante et grâce coopérante. Quand l'homme justifié pro-
duit, par une vertu infuse, une opération surnaturelle,
la grâce sanctifiante en est le principe éloigné et le rend
méritoire : à ce titre la grâce sanctifiante est dite coopé-
rante; quand l'homme n'agit pas, la grâce sanctifiante
le rend cependant formellement agréable à Dieu : à ce
titre elle est dite opérante. Voir S. Bonaventure, In IV
Sent., 1. II, dist. XXVII, a. 1, q. i, et dub. i, Opéra,
l. n, p. 651, 068; S. Thomas, In IV Sent., 1. II, dist.
XXVI, q. i, a. 5; Sum. theol., P II®, q. exi, a. 2;
Capréolus, In IV Sent., 1. I, dist. XVII, q. i, concl. 3»,
op. cit., t. n, p. 73; Denys le Chartreux, Summa fidei
orthodoxie , I. II, a. 119, op. cit., t. xvn, p. 327.
5. Nous avons exposé ce qui concerne l'essence de la
grâce sanctifiante et sa surnaturalité; considérons-la
en relation avec la nature, et plus précisément, avec
l'essence de l'âme où elle a son siège. L'âme humaine
est une forme substantielle immatérielle; c'est pour
cela qu'elle est capable de recevoir en elle cette forme
accidentelle, immatérielle, qui est à l'instar d'une nou-
velle nature. Cette capacité de l'âme humaine est ce
qu'on appelle une puissance obédicnlielle : c'est la simple
capacité de recevoir, de la part de Dieu, une forme
surnaturelle, une forme à laquelle la nature n'a aucune
exigence ni aucune disposition positive. Sur la notion
de la puissance obédientielle, voir S. Thomas, De veri-
tate, q. xxiv, a. 3, ad 3"n; De virtutibus in communi,
q. i, a. 10, ad 13""; Sum. theol., IIP, q. xi, a. l;Cajétan,
Com. in Dm, q. i, a. 1 (n. 9); Sylvestre le Ferrarais,
Com. in Sum. cont. gent., 1. IV, c. lxxxi, Lyon, 1586,
p. 753.
La grâce sanctifiante, par conséquent, ne répond pas
à un besoin d'expansion de la nature, ne complète pas
celle-ci dans son ordre, mais elle l'élève intrinsèquement à
un ordre de perfection supérieure, elle l'élève à un ordre
d'activité qui est absolument au-dessus de la sphère
d'activité de la créature, elle rend l'âme participante à
la nature divine et positivement disposée ou ordonnée
à la vision béatifique. De tout cela il résulte que la grâce
sanctifiante c/i/re dans l'homme, bien qu'elle ne corres-
ponde pas à un besoin de la nature humaine (ce qui se
conçoit clairement quand on pense à l'infusion de la
grâce chez les enfants, par le baptême), que la grâce
sanctifiante y est un principe premier d'activité vitale
et surnaturelle; ce principe est complété, dans son
ordre, par les vertus infuses, qui ont leur siège dans les
facultés de l'âme et qui sont les principes immédiats
des actes surnaturels. Il en résulte enfin que la grâce
sanctifiante est, en même temps, une forme absolu-
ment surnaturelle et une vraie perfection de l'homme.
Voir S. Thomas, De virtutibus in communi, q. i, a. 10,
et le commentaire de Mgr Waffelaert, Méditations théo-
logiques, Bruges, 1910, p. 508, note 1. C'est dans la
capacité de. la nature à recevoir de Dieu le surnaturel
que se trouve le point d'insertion du surnaturel, c'est
par là qu'il pénètre dans la vie de la créature. Cf. de
Tonquédec, L'immanence, Paris, 1913, p. 169; Colla-
tiones Brugenses, t. xix (1914), p. 103 sq.
III. Effets. — • Nous considérons ici l'effet formel
de la grâce en l'âme et ce qui, sans être, d'après certains
théologiens, l'effet formel, en est cependant une consé-
quence nécessaire.
1° L'effet formel de la grâce en l'âme est la déi/or-
mité, c'est-à-dire que l'âme, en recevant la grâce sanc-
tifiante, est transformée et acquiert une ressemblance
toute spéciale avec Dieu, précisément parce qu'elle
est rendue participante de la nature divine.
2° L'effet formel de la grâce sanctifiante est aussi
l'ablation ou rémission du péché mortel, comme le dit
saint Thomas : formaliter enim gratia inhœrendo expellit
culpam. De veritate, q. xxvm, a. 7, ad 4"m. Il n'est pas
possible que l'homme soit, en même temps, parla g.'àce
(et la charité qui lui est indissolublement unie), positi-
vement ordonné, orienté vers Dieu, et, par le péché
mortel, positivement détourné de Dieu. Suarez, De
1613
GRACE
1614
gratia, 1. VII, c. xviv, Opéra, t. ix, p. 250, dit qu'il n'y
a pas de répugnance physique à ce que la grâce soit
conservée par Dieu dans une âme qui commet actuel-
lement le péché mortel; cette assertion est vraie. Mais
nous n'admettons pas ce que Suarez dit, c. xx, n. 7,
p. 254 : « Malgré l'opposition et la répugnance conna-
turelle (entre le péché mortel et la grâce), Dieu, de sa
puissance absolue, peut passer outre et conserver la grâce
dans celui qui a péché (mortellement) sans lui remettre
le péché. » Nous sommes d'avis qu'une telle attitude
répugne absolument à la sagesse divine et que, par con-
séquent, il est absolument impossible qu'elle se réalise
en Dieu. Cf. Pesch, Praeleetiones dogmatieœ, t. v, n. 335 ;
Schiffmi, De gratia, n. 178; spécialement le cardinal
Billot, De gratia Christi, p. 221 sq., où réminent auteur
réfute l'opinion de Duns Scot.
3° Beaucoup de théologiens enseignent que, dans une
pure créature (homme ou ange), la grâce sanctifiante
la rend formellement fils adoptif de Dieu. Voici pour-
quoi : la grâce sanctifiante rend le sujet où elle réside
formellement participant de la nature divine, confère
le droit à la vision béatifique et amène d'autres dons
qui déjà mettent le sujet en communication avec Dieu,
priait est in semelipso. Par là, la créature devient partici-
pante du bien qui est propre à Dieu lui-même, et comme
elle est, vis-à-vis de Dieu, une personne exlranea, il en
résulte que, par la grâce sanctifiante, elle est constituée
fils adoptif; car l'adoption se définit : Persouie extraneœ
in filium et hœredem graluita assumptio. D'après
la doctrine que nous exposons, l'adoption n'emporte
aucune réalité distincte de la grâce sanctifiante et n'est
pas autre chose que la dignité qui, dans une pure créa-
ture, résulte immédiatement et nécessairement de la grâec
sanctifiante. Nous adhérons à cette doctrine, mais nous
croyons plus exact de dire que l'adoption surnaturelle
est, dans la créature, la résultante immédiate et néces-
saire de la grâce sanctifiante : d'abord parce que l'effet
formel de la grâce sanctifiante est, à proprement parler,
la déiformilé. Cf. card. Billot, De Vcrbo incarnalo, 5e édit.,
Prato, 1912, thés, xvi, ad l""1, p. 201. Ensuite, dans
l'humanité du Christ, où il y a la grâce sanctifiante, il
n'y a pas l'adoption ; la raison en est que, pour qu'il y
ait adoption, il faut qu'il y ait une personne étrangère.
Or l'humanité du Christ n'est pas une personne, elle
n'est et ne peut pas être fils; par conséquent elle ne
peut pas être un fils adopté. Il n'y a en Jésus-Christ
qu'une seule personne et celle-ci est le fils naturel de
Dieu, elle n'est donc pas une personne étrangère. « Ce
défaut d'extranéiié exclurait également l'adoption, si le
Père ou le Saint- Esprit s'étaient incarnés : car ils n'ont
pas le titre de Fils naturel, ils ne sont pas des personnes
étrangères à la Trinité. » Portalié, art. Adoptianisme.
t. i, col. 420; cf. col. 411.
Mais Lessius, qui a été suivi par Petau et par quel-
ques théologiens, peu nombreux, défend une autre opi-
nion : il soutient que la grâce sanctifiante rend l'homme
formellement juste, mais ne le constitue pas fils adoptif
de Dieu; cette dernière dignité est constituée par la
présence du Saint-Esprit dans l'âme sanctifiée. Cette
opinion a été exposée et critiquée à l'art. Adoption
surnaturelle, t. i, col. 428 sq. 434 sq. Bien que nous
admettions que la notion de fils adoptif de Dieu est
réalisée par la grâce sanctifiante infuse dans l'homme,
nous admettons aussi que la présence du Saint-Esprit
est inséparable de la grâce sanctifiante créée et que la
participation 11 la nature divine, telle qu'elle existe
maintenant, comprend deux éléments que l'on peut
distinguer, à savoir, la grâce créée et la grâce incréée.
L'on peut dire aussi que la grâce créée est une dispo-
sition par rapport à la grâce incréée. Cf. Weigl, Die
Heilslehre des hl. Cyril von Alexandrien, p. 221 sq.
4° Ceci nous amène à un autre point de doctrine :
V inliabilalion ou la présence de Dieu dans l'âme du
juste. Il est de foi que Dieu est présent d'une façon
spéciale dans l'âme du juste; cette vérité est énoncée
plus d'une fois dans l'Écriture sainte, notamment Joa.,
xiv, 23; I Cor., m, 16; vi, 10; Boni., vm, 9-11. Les
Pères aussi l'ont fréquemment exposée : citons, à titre
d'exemple, S. Athanase, Epist, i, ad Serapionem, n. 26,
P. G., t. xxvi, col. 586; S. Basile, De Spiritu Sanclo,
c. ix, n. 23; c. xxvi, n. 61, P. G., t. xxxn, col. 109,
180 sq. ; S. Cyrille d'Alexandrie, De sancla et consub-
siantiali Trinitate, dial. vu, P. G., t. lxxv, col. 1089;
cf. Weigl, op. cit., p. 184 sq.; S. Augustin, Epis/..
clxxxvii, n. 26, P. L., t. xxxm, col. 841.
11 n'y a aucun doute sur le fait de l'inhabitation du
Saint-Esprit dans l'âme du juste, aucun doute non plus
quant à l'inhabitation des trois personnes de la très
sainte Trinité, mais il existe une controverse entre les
théologiens sur la manière d'expliquer la présence
divine qui est propre à l'homme justifié.
Petau, Theologia dogmalica, t. n, De Trinitate, 1. VIII,
c. vi, Anvers, 1700, p. 471 sq., enseigne que l'union de
Dieu avec le juste est propre et spéciale au Saint-
Esprit en ce sens que le juste est uni immédiatement à
la troisième personne seule cl, par elle, médialement,
aux deux autres. Voici ses paroles : lllam eum juslnrum
animis conjunclionem Spiritus Sancti, sive statum adop-
tiviun filiorum, communi quidem personis tribus oonve-t
nire divinilati : sed qualenus in hypostasi, sive persona
incsl Spiritus Sancti : adeo ut cerla qusedam ratio sit qua
se Spiritus Sancti persona sanctorum juslorumque men-
tibus applicat, qu.Be civleris personis eodem modo non
competit. Op. cit., p. 473. Sur l'opinion de Petau, voir
le judicieux article du P. Mahé, dans la Revue d'histoire
ecclésiastique (Louvain), t. x (1909), p. 470-477. Le
même auteur expose ensuite la doctrine de saint
Cyrille d'Alexandrie et fait voir qu'elle ne coïncide pas
avec l'opinion de Petau : saint Cyrille n'enseigne pas
que la personne du Saint-Esprit est elle-même spéciale-
ment appliquée ou unie à l'âme des justes, de façon à
ce que cette union soit propre à la troisième personne de
la Trinité; mais il enseigne que l'œuvre de la sancti-
fication, réalisée dans l'âme par les trois personnes, et lu
présence des trois personnes en l'âme, convient à un
titre spécial à la personne du Saint-Esprit : ce litre est
en réalité ce qui caractérise le Saint-Esprit en vertu
même du mode dont il procède du Père et du Fils.
Bien qu'il ne faille pas « chercher chez saint Cyrille la
distinction entre propriétés et appropriation, » op. cit.,
p. 480, il nous semble que la doctrine de saint Cyrille
est objectivement la même que celle des théologiens
qui enseignent que la présence divine dans l'âme du
juste est attribuée au Saint-Esprit par appropriation.
mais saint Cyrille fait mieux ressortir le fondement
ontologique de cette appropriation, c'est-à-dire le
caractère personnel du Saint-Esprit : c'est précisément
la raison pour laquelle on peut et on doit attribuer au
Saint-Esprit l'œuvre de notre sanctification. La
connexion objective entre la personnalité du Saint-
Esprit et l'œuvre de notre sanctification semble être ce
qui distingue la doctrine de saint Cyrille de l'opinion
de Petau, d'une part, et de l'opinion des autres théolo-
giens, d'autre part.
Chez les scolastiques, comme le fait observer Weigl,
op. cit., p. 126, le rôle de la grâce incréée est au second
plan, et l'attention est surtout portée sur la filiation
divine conférée par la grâce créée elle-même. Le senti-
ment de saint Thomas concernant la présence divine en
l'âme juste se résume en ceci : dans l'ordre naturel, Dieu
est présent en toute créature, Sum. thcol., I\ q. vin,
a. 1, 3; Dieu est présent dans les créatures raisonnables
d'une façon spéciale, c'est-à-dire en tant qu'il est
l'objet de leur connaissance et de leur amour, a. 3.
Dans l'ordre surnaturel, il y a d'abord l'infusion de la
grâce (grâce sanctifiante et vertus connexes); ensuite
ît-.n
GRACE
1616
la grâce fait que l'homme atteigne Dieu par une con-
naissance surnaturelle et par un amour surnaturel :
c'est en cela précisément que consiste l'habitation de ]
Dieu. Et qui't cognoscendo et amando, crcatura rationalis
sua operatione attingit ml ipsum Deum, secundum islum
specialem modum Deus non solum dicitur esse in crcatura
ralionali sed habilare in ca sicut in tcmplo suo. Sam.
theol., I'. q. xi. m, a. 3. La gratia gralum faciens est for-
mellement ce qui dispose l'âme à posséder en elle-même
Dieu, le Saint-Esprit. Ibid., ad 3'"". Saint Thomas en-
seigne aussi que l'union surnaturelle de l'âme avec Dieu
est commune aux trois personnes de la sainte Trinité,
non seulement en ce sens que les trois personnes sont
cause efficiente de l'union, mais encore en ce sens
qu'elles sont également le terme de cette union. Sum.
theol., III», q. m, a. 4, ad 3"'". Cette conclusion suit
logiquement du principe énoncé plus haut : en effet, si
l'habitation divine consiste en ce que Dieu est objet de
connaissance et d'amour surnaturels, et si, comme tous
les théologiens l'admettent, c'est la même connaissance
et le même amour surnaturels par lesquels nous possé-
dons les trois personnes de la sainte Trinité, il en
résulte que les trois personnes sont de même manière le
terme de notre union surnaturelle avec Dieu. Aussi
saint Thomas admet que c'est par appropriation que
l'inhabitation divine est attribuée au Saint-Esprit, en
raison de la charité, qui a une ressemblance spéciale
avec cette personne divine. De verilale, q. xvn, a. 3,
ad 3"u. Le sentiment de saint Thomas peut se carac-
tériser, nous semble-t-il, en disant que l'inhabitation
de Dieu dans l'âme du juste consiste fondamentalement
dans l'infusion et la conservation de la grâce sancti-
fiante, et formellement dans la possession de Dieu par la
connaissance et l'amour surnaturels : cette possession
est d'ordre intentionnel.
Les auteurs qui ont adhéré, avec des nuances diverses
d'interprétation, à l'opinion de Petau ont été indiqués
à l'art. Adoption surnaturelle, t. i, col. 429 sq. ; il
faut y ajouter Mgr Waffelaert cjui a repris l'examen de
cette question et défendu le sentiment de Petau en la
développant. Collaliones Brugenscs, t. xv (1909),
p. 441, 513, 625, 673; t. xvi (1910), p. 5. Voici le résumé
de cette opinion : l'union du juste avec Dieu n'a pas
pour cause formelle la grâce créée, qui ne se trouve que
dans l'âme et n'est que la cause dispositive de l'acte
par lequel on jouit de Dieu; mais l'union, dont il s'agit,
consiste formellement en ce que la troisième personne
de la sainte Trinité est appliquée à la personne humaine
tout entière, la rend participante de la nature divine,
lils adoptif de Dieu et l'unit avec l'objet de la fruilion,
c'est-à-dire avec Dieu. Le Père et le Fils sont aussi
l'objet de notre fruition, mais le Saint-Esprit est seul
le terme de l'union; celle-ci est une union personnelle,
c'est la personne humaine qui est immédiatement unie
à la personne du Saint-Esprit, et c'est par lui et en lui
que le Père et le Fils habitent dans le juste. L'union
susdite consiste dans une relation réelle, d'ordre inten-
tionnel, dont le terme est le Saint-Esprit en tant qu'il
est une personne distincte du Père et du Fils, et qui,
par cette application du Saint-Esprit, donne à l'homme
une dignité morale nouvelle, une personnalité morale, la
dignité de fils adoptif de Dieu. Collai. Brug.,X.xvi,i). 9-14.
Parmi les auteurs récents qui se sont prononcés
contre l'opinion de Petau, il faut signaler Ilugon,
Revue thomiste, 1912, t. xx, p. 1 sq.; Prat, Théologie de
saint Paul, IIe partie, Paris, 1912, p. 418 sq. ; Blondiau,
dans les Collaliones Namurcenses, t. xn (1912-1913),
p. 333 sq.
5° Un autre effet de la grâce sanctifiante consiste à
rendre formellement méritoires les actes de l'homme
justitié : comme il est établi par la condamnation de
Baius. Dënzinger-Bamrwart, n. 1013, 1015. Mais cette
question doit être exposée à l'art. Mérite.
IV. Propriétés. — Les théologiens en considèrent
généralement trois : la cognoscibilité, V inégalité et l'aug-
mentation possible, l'amissibilité.
1° La cognoscibilité. — De ce que nous avons précé-
demment exposé, il résulte que la notion de la grâce
sanctifiante nous vient de la révélation divine et que
c'est en raisonnant sur les données révélées que nous
avons pu déterminer davantage l'essence de cette entité
surnaturelle.
La question qui se pose maintenant est celle-ci :
l'homme peut-il savoir qu'il a en lui-même la grâce
sanctifiante ?
1. h' Écriture sainte, nous semble-t-il, ne donne
aucune réponse certaine à cette question. Les textes,
qu'on invoque généralement pour prouver que l'homme
ne peut pas savoir qu'il est en état de grâce, n'ont pas
de valeur démonstrative. En efïet, le texte : sunt justi
ttltjue sapientes et opéra eorum in manu Dei sunt : et
iamen nescit homo utrum amorc an odio dignus sit,
Eccle., ix, 1, si on le considère dans son contexte,
signifie : l'homme, sur cette terre, ne peut conclure des
événements qui le concernent, de sa prospérité ou de
son malheur, qu'il est agréable à Dieu ou qu'il ne l'est
pas ; car les événements heureux et malheureux arri-
vent aussi bien à l'homme juste qu'à celui qui ne l'est
pas. On ne peut donc pas expliquer ce texte de l'incer-
titude de l'état de grâce. Cf. Gietmann, Commentarius
in Ecclcsiastcn, Paris, 1890, p. 275; E. Podechard,
L'Ecclésiasle, Paris, 1912, p. 408. Le texte : De propi-
tialo peccalo noli esse sine metu, Eccli., v, 5, ne signifie
pas que l'homme doive douter de la rémission de ses
péchés, mais qu'il ne peut s'enhardir à multiplier ses
péchés, en escomptant leur pardon. Cf. Knabenbauer,
Commentarius in Ecclcsiasticum, Paris, 1902, p. 82 sq.
Saint Paul, I Cor., iv, 4, dit : Pour moi, il m'importe
fort peu d'être jugé par vous ou par un tribunal humain :
je ne me juge pas moi-même; car, quoique je ne me sente
coupable de rien, je ne suis pas pour cela justifié; mon
juge, c'est le Seigneur . D'abord, quand l'apôtre dit : je
ne suis par pour cela justifié, il ne s'agit pas, au moins
directement et littéralement, de la justification interne
par la grâce; mais il dit : quoique je me sois acquitté de
ma mission apostolique de telle façon que ma con-
science ne me reproche rien, cependant je n'ose pas me
juger et me déclarer un ministre fidèle. Quelques théo-
logiens, qui admettent ce sens littéral, en déduisent une
conclusion, concernant l'incertitude de l'état de grâce;
l'apôtre, disent-ils, affirme qu'il ne peut pas, avec cer-
titude, savoir s'il n'a pas manqué à son devoir dans
l'exercice du ministère apostolique. Or ce qu'il dit ici
de lui-même, doit pour la même raison, ou a fortiori,
se dire de tous les chrétiens, quant aux obligations qui
leur incombent; par conséquent personne ne peut
savoir avec certitude s'il est exempt de péché. Cette
conclusion s'entend du péché mortel et on en déduit
que l'homme ne peut pas connaître avec certitude s'il
est en état de grâce. A notre avis, cette conclusion n'est
pas contenue dans les prémisses; en effet, l'apôtre ne
parle pas nécessairement du péché mortel, comme s'il
disait : je ne me reconnais pas coupable d'un péché
mortel dans l'exercice de mon ministère apostolique.
L'apôtre parle en général : ma conscience ne me
reproche rien, cependant il se peut que j'aie manqué à
mon devoir. On ne peut pas interpréter sa parole ainsi :
ma conscience ne me reproche rien, cependant il se
peut que j'aie commis un manquement qui constitue
un péché mortel. L'assertion de l'apôtre se vérifie s'il
s'agit d'un simple péché véniel, qui n'empêche pas
l'état de grâce. Remarquons enfin que l'apôtre ne dit
pas : quoique ma conscience ne me reproche rien,
cependant il se peut que je sois actuellement coupable
d'un péché; mais il parle du jugement à porter sur sa
manière d'agir antérieure : de ce qu'il ne puisse pas
1617
GRACE
1618
savoir avec certitude qu'il n'a commis aucune faute
dans son ministère, il ne résulte pas nécessairement
qu'il ne peut pas savoir avec certitude s'il est main-
tenant en état de grâce. Ses paroles contiennent néan-
moins un conseil de prudence concernant le jugement
de chacun sur sa valeur morale et conséquemment sur
son état de grâce : c'est ce qu'insinue le concile de
Trente en employant les mêmes mots dont s'est servi
saint Paul. Sess. vi, c. xvi, Denzinger-Bannwart,
n. 810. Cf. Cornely, Commenlarius in priorem Episto-
lam ad Corinthios, Paris, 1890, p. 103 sq.
Dans son Épître aux Romains, vm, 16, l'apôtre a
un passage qu'on a invoqué en faveur de la certitude
que chacun doit avoir de son état de grâce : « Cet
esprit lui-même rend témoignage à notre esprit que
nous sommes enfants de Dieu. » Le sens n'est pas que
l'Esprit-Saint fait savoir à chaque homme justifié qu'il
est réellement, maintenant, enfant de Dieu. Le texte
grec est celui-ci : TJv;j.aoTjp;ï ~£o 7zvsÛ[a3ti t)jj.<jûv; ce qui
signifie : l'Esprit divin témoigne avec notre esprit que
nous sommes enfants de Dieu. C'est une confirma-
tion du verset précédent : « Vous avez reçu un esprit
d'adoption en qui nous crions : Père. » L'apôtre con-
firme ici la coopération de l'Esprit à notre oraison,
dans laquelle nous invoquons Dieu comme notre Père.
Cette coopération n'est pas une révélation sur l'état de
notre âme. De plus, cette coopération ne peut pas être
connue par la conscience psychologique. Enfin, l'Es-
prit-Saint peut exciter un croyant, en état de péché
mortel, à crier vers Dieu : notre Père.
2. Les Pères ne semblent pas avoir, sur la question
qui nous occupe, un enseignement précis, ni unanime.
On cite un passage de saint Jérôme, commentant
l'Ecclésiaste, ix, 1, P. L., t. xxm, col. 1080 : « Les
œuvres des justes sont dans les mains de Dieu, et
cependant ils ne peuvent pas savoir maintenant s'ils
sont aimés par Dieu ou s'ils ne le sont pas, ils ne savent
discerner si les peines, qu'ils endurent, sont l'épreuve
de leur vertu (qui en triomphera) ou l'occasion de leur
supplice. » Saint Jérôme exprime ici une certaine incer-
titude des justes concernant leur état moral vis-à-vis
de Dieu. L'incertitude de l'homme juste concernant son
immunité de tout péché est exprimée par saint Au-
gustin. De per/eelione justitise, c. xv, n. 33, P. L.,
t. xliv, col. 309. Enfin saint Grégoire, répondant à la
question que lui avait faite une personne angoissée par
le doute concernant la rémission de ses péchés, dit que
sa question est inutile : « Il ne faut pas que vous soyez
sûre de la rémission de vos péchés, avant le dernier
jour de votre vie, où vous ne pourrez plus déplorer vos
fautes. Avant ce jour, il faut toujours craindre les
fautes et les expier par vos larmes quotidiennes. »
Episl., 1. VII, epist. xxv, P. L., t. lxxvii, col. 878. Ces
textes s'opposent à la doctrine de Luther, dont nous
parlerons plus loin, mais ne permettent pas de définir
la nature de la connaissance que chaque homme peut
avoir de sa justification, ni de déterminer à quel degré
de persuasion peut arriver cette connaissance.
3. Les scolastiques ont explicitement posé la ques-
tion et y ont répondu. Alexandre de Halès, Sum. theol.,
part. III, q. lxxi, m. m, a. 1-3, enseigne que l'homme
ne peut pas connaître son état de grâce, par cette con-
naissance scientifique, qui est un moyen infaillible de
savoir : en effet, la grâce est l'effet de la bienveillance
divine à notre égard ; et l'on ne peut obtenir une
connaissance scientifique de cette bienveillance. Mais
l'homme, qui a la foi, peut acquérir une connaissance
expérimentale de son état de grâce : il peut, en effet,
éprouver en lui les signes de cette grâce, notamment la
lumière dans l'intelligence, et dans la volonté, la joie et
lapaix. Albert le Grand, /n IVSent.,\. I, dist. XVII, a.5,
Opéra omnia, Paris, 1893, t. xxi, p. 473, parle explici-
tement de la charité et dit : aucun homme, sans révé-
lation spéciale, ne peut savoir s'il a la charité; cela,
pour deux raisons : d'abord, parce que la charité, bien
qu'elle soit connaissable en elle-même, ne se manifeste
cependant pas suffisamment à nous, à cause du tumulte
de la concupiscence et de l'imagination; ensuite, parce
que l'amour naturel a parfois un acte tout semblable à
l'acte de la charité (infuse) : ainsi on pourrait prendre
l'un pour l'autre. Saint Bonaventure est plus précis :
l'homme, sans révélation spéciale, ne peut pas savoir
certiludinaliter s'il a en lui la charité, mais il peut le
savoir conjecluraliter,en se fondant sur différents signes;
la première raison qu'il expose pour prouver que
l'homme ne peut pas connaître ccrlitudinalilir la pré-
sence de la charité en lui, est celle qui était indiquée
par Alexandre de Halès : on ne peut pas connaître
eertitudinaliter qu'on est agréable à Dieu. La seconde
raison est celle qui fut indiquée par Albert le Grand :
on ne peut pas avec certitude discerner toujours l'acte
de charité infuse de l'acte de charité naturelle, notam-
ment de l'acte qui est l'effet d'une vertu acquise,
In IV Sent., 1. I, dist. XVII, part. I, q. m, Opéra omnia,
Quaracchi, t. i, p. 299; cf. 1. III, dist. XXIII, dub. iv,
op. cit., t. m, p. 503, où il est enseigné que l'homme ne
peut pas avoir une connaissance expérimentale certaine
de la présence de la grâce sanctifiante et de la charité
en lui. Saint Thomas d'Aquin expose, en divers endroits
de ses œuvres, la question qui nous occupe, notamment
In IV Sent., 1. I, dist. XVII, q. i, a. 4; 1. IV, dist. IX,
q. i, a. 3, sol. 2a; dist. XXI, q. u, a. 2, ad 2am; De veri-
tate, q. x, a. 10; Quudlibelum VIII, a. 4; Sum. theol.,
Ia II'1', q. cxn, a. 5 : nous y trouvons la même doctrine,
que nous avons signalée, et les mêmes raisons pour
l'étayer. Dans la Somme théologique, loc. cit., il indique
trois signes d'où l'homme peut conjecturer son état de
grâce : se délecter en Dieu, mépriser les choses mon-
daines, n'avoir pas conscience d'être coupable d'un
péché mortel. Duns Scot enseigne la même doctrine,
In IV Senl.,\. IV, dist. I, q. m;q. iv, a. 5; q. xiv, a. 4,
ainsi que Cajétan, In Sum. theol., Ia II1*', q. cxn, a. 5.
4. Le concile de Trente. — Luther avait expose s;i
théorie de la /ides (iducialis et en était arrivé à ensei-
gner que chaque homme doit croire fermement, avec
une certitude inébranlable, qu'il est justifié. Cf. Hart-
mann-Grisar, Luther, Fribourg, 1911-1912, t. i, p. 3113
sq. ; que si l'homme doute de son état de grâce, il
perd, par le fait même, sa justification. Cette doctrine
fut condamnée en 1547, en la session vi du concile, de
Trente, qui déclare notamment les points suivants : a)
on doit croire que la rémission des péchés ne s'obtient
que gratuitement par la miséricorde divine à cause du
Christ; cependant la confiance ou la certitude qu'on
prétendrait avoir de la rémission de ses péchés n'est
pas ce qui en réalité procure celte rémission; b) on ne
peut dire que ceux qui sont réellement justifiés doivent
affirmer, sans aucune hésitation, qu'ils sont justifiés, ni
que personne est absous de ses péchés ou justifié à
moins qu'il ne croie fermement qu'il est absous et jus-
tifié... c) Car, si aucun homme pieux ne doit douter de
la miséricorde divine, du mérite du Christ, de la vertu
et efficacité des sacrements, tout homme d'autre part,
s'il se considère tel qu'il est en lui-même, s'il considère
sa propre faiblesse et indisposition, peut craindre et
trembler pour son état de grâce, puisque personne ne
peut savoir par une certitude de foi, sous laquelle ne
peut se cacher l'erreur, s'il a reçu la grâce divine. Den-
zinger-Bannwart, n. 802. Quant à l'histoire de ce dé-
cret, et aux discussions qui l'ont précédé, voir Hefner,
Die Enlslehungsg eschichle des Trienler Rechtfertigungs-
dekretes, Paderborn, 1909, p. 297 sq. ; Merkle, Concilii
Tridentini diariorum pars I"-, Fribourg-en-Brisgau,
1901, p. 98, 101, 109, 593, 000; Elises, Concilii Triden-
tini Actorum pars altéra, Fribourg-en-Brisgau, 1911,
p. 727 sq.; Gaucher, La certitude théologique de l'étal de
Ifil9
GRACE
1620
grâce et le concile de Trente, dans les Etudes francis-
caines, 1910, t. xxiii. p. 353 sq-, 600 sq.
Le concile a condamné la doctrine luthérienne, mais
n'a pas voulu atteindre les opinions divergentes qui
s'étaient manifestées, au sein même du concile, entre
les catholiques; il est donc établi : a) qu'aucun fidèle
n'est obligé de croire qu'il est justifié, c'est-à-dire que
sa propre justification n'est pour personne un objet de
celte foi qui est nécessaire au salut; b) que tout fidèle
peut légitimement (sans faute morale) craindre pour
son état de grâce et qu'il peut avoir des raisons logique-
ment fondées pour avoir un doute à ce sujet. Le concile
alors ajoute le motif de cette dernière assertion : c'est
là, à proprement parler, un argument qui ne peut pas
être mis au mime rang que la définition elle-même,
mais qui cependant a grande autorité, parce qu'il est
l'expression de la pensée commune des Pères du concile.
Cet argument est le suivant : « Puisque personne ne
peut savoir par une certitude de foi, sous laquelle ne
peut se cacher l'erreur, s'il a reçu la grâce divine. » Des
controverses qui ont eu lieu, avant qu'on ne soit arrivé
à cette formule, voir Hefner, op. cit., p. 304 sq., il
résulte que le concile ne semble pas avoir entendu dire
autre chose que ceci : la connaissance que l'homme peut
avoir de sa justification n'est pas de telle nature qu'elle
soit objectivement incompatible avec l'erreur, comme
l'est notre foi, et par conséquent l'homme ne peut
jamais logiquement avoir, concernant sa propre justi-
fication, une certitude égale à celle avec laquelle il
adhère aux vérités révélées par Dieu.
C'est pourquoi cette assertion n'exclut même pas
l'opinion de Catharin. Cf. Pallavicini, Concilii Triden-
tini historié/, 1. VIII, c. xn, n. 10-12, Anvers, 1677,
p. 762 sq. Catharin distinguait la foi catholique ou uni-
verselle, par laquelle tous les fidèles croient les vérités
révélées par Dieu et proposées à tous comme telles, el
la foi privée ou particulière, par laquelle un homme
croit une proposition, ou bien parce qu'elle lui a été
personnellement révélée par Dieu, ou bien parce
qu'elle est déduite d'une autre proposition de foi.
L'homme, d'après Catharin, peut connaître avec cer-
titude sa propre justification par cette foi privée. Voici
pourquoi : celle-ci suppose, en dehors des cas de révé-
lation divine, que l'homme juge exactement ses pro-
pres actes et il se peut que l'homme se trompe en cela :
donc cette foi privée n'est pas celle que le concile a
indiquée par ces mots : [ides, cui non potest subesse fal-
snm. Somme toute, le concile de Trente n'a rien changé
à la doctrine des théologiens catholiques, sur le point
en question.
5. Après la définition du concile de Trente. — L'opi-
nion de Catharin a été combattue par Soto, Apologia
Fr. Dominici Solo, etc., dans son livre De natura et
gratia, Paris, 1549, fol. 269 sq., et ne semble pas avoir
trouvé beaucoup de partisans. Les théologiens se sont
plutôt rangés du côté de Soto, et ont défendu sa thèse,
mais avec des nuances diverses assez notables. De nos
jours, on tend à accentuer l'assertion qu'on peut avoir
de sa propre justification une véritable certitude.
Soto, op. cit., 1. III, c. xi, fol. 247, exprime sa thèse
en ces termes : Quamvis possil homo in hac vita per-
grandes habere conjecturas status sui in conspectu Dei,
nemo lamen prieler spéciale revelationis privilegium
potest tantam obtinere ccrlitudinem légitima: suœ ac-
tionis, qua cooperamur moventi Deo, aul légitima- recep-
lionis sucramenti, ut œquo assensu judicel se esse in gra-
tia illo quo chrisiianm asseniitur articulis fidei. Soto
parle de certitude considérée au point de vue de l'objet,
fol. 239, et affirme que l'homme ne peut pas, si sa ma-
nière de penser est correcte et si elle correspond à son
objet, être persuadé de sa propre justification avec la
même fermeté qu'il est persuadé des articles de foi.
Cette assertion, est, au fond, contre celle de Catharin;
car celle-ci n'excluait pas que la foi privée, dont il
s'agissait, pût avoir une fermeté d'adhésion égale à
celle de la foi universelle. Remarquons ensuite que la
raison invoquée par Soto est celle-ci : l'homme ne peut
pas avoir une certitude absolue de la valeur morale de
ses propres opérations ou de la réception fructueuse des
sacrements. Le manque de certitude absolue quant à
cela empêche la certitude absolue quant à l'état de
grâce. Pour déterminer le degré de la fermeté dans
L'adhésion, dont il s'agit, Soto dit que l'homme peut
avoir, à ce sujet, de très fortes conjectures : pergrandes
conjecturas, aussi, une opinion très intense : intentis-
sima opinio, fol. 248, verso. Il admet qu'on pourrait
avoir de sa justification une persuasion égale à celle
que l'on a de l'existence de la ville de Constantinople,
quand on n'a jamais été en cette ville. C'est là une
persuasion de foi humaine et, bien que Soto n'emploie
pas le mot, cette foi est susceptible d'une véritable
certitude. Bien plus, elle est telle que la plupart des
théologiens n'admettent pas qu'elle puisse être égalée
par la certitude qu'on peut avoir de son état de grâce,
comme nous le dirons plus loin.
Bellarmin, De justificatione, 1. III, c. xi, n. 24-27,
dans Controu., Prague, 1721, t. iv, p. 501, note qu'il y
a parmi les catholiques trois opinions : celle de Catha-
rin, qui non seulement exclut tout doute, mais ajoute
que les justes peuvent avoir de leur justification une
certitude de foi divine...; la seconde opinion n'admet
pas la certitude de foi divine, mais affirme cependant
que les justes peuvent arriver, et en général arrivent
(notamment les hommes parfaits) à une telle sécurité,
qu'ils n'aient aucune crainte au sujet de leur justifica-
tion, absolument de la même manière que nous croyons
sans aucune hésitation que César a régné en Italie, que
Constantinople est une ville de Thrace. Bellarmin n'ap-
prouve pas cette opinion. La troisième, qui est plus
communément admise, n'enlève pas toute crainte,
mais cependant toute anxiété et hésitation, même tout
doute, si l'on désigne par ce mot l'état de celui qui
n'ose pas adhérer à l'une des deux assertions contra-
dictoires. Il y a pour les fidèles, au sujet de leur justi-
fication, une certitude morale pour l'intelligence, l'es-
pérance et la confiance pour la volonté. Cette certitude
morale a son origine dans l'expérience ou la conscience
qu'on a de la charité el des bonnes œuvres : c'est pour-
quoi on peut l'appeler une certitude morale et conjec-
turale. Op. cit., p. 502, n. 31.
Suarez, De gratia, 1. IX, c. xsq., Opéra, t. ix, p. 539
sq., distingue d'abord la certitude théologique et la cer-
titude de foi. Le certitude de foi repose immédiatement
sur la révélation divine, tandis que la certitude théo-
logique n'\ est fondée que médiatement, c'est-à-dire
au moyen d'un raisonnement; en effet, la certitude
théologique, proprement dite, se trouve dans une con-
clusion tirée d'un principe divinement révélé, et d'un
autre principe qui est évident de connaissance natu-
relle, ou qui est absolument certain par l'expérience
naturelle, n. 1, p. 539. Suarez n'admet pas que le juste,
sans une révélation spéciale, ou une inspiration équi-
valente, puisse avoir cette certitude théologique de sa
justification, et il dit cjue presque tous les théologiens
sont d'accord en cela; il démontre ensuite pourquoi
l'homme ne peut pas avoir cette certitude thôologique,
n. 6-19, p. 510-546. Au c. xi, il se demande si l'homme
peut obtenir une vraie certitude concernant son état de
grâce. Après avoir énuméré plusieurs auteurs, qui le
nient, et d'autres qui l'affirment, il exprime sen opinion :
il peut y avoir un degré de fermeté dans l'adhésion, que
l'on appelle certitude, non seulement parce qu'il exclut
le doute négatif ou suspensif de l'assentiment intel-
lectuel, mais encore parce qu'il exclut aussi tout doute
prudent ou moral. Dans cette certitude-là il peut y
avoir des degrés différents. Le degré suprême de fer-
1621
GRACE
1622
meté semble s'obtenir quand on a un témoignage con-
stant et universel concernant un fait, par exemple,
l'existence de Rome. Le degré infime semble s'obtenir
quand on a le témoignage de plusieurs ou d'un grand
nombre de témoins occulaires, dignes de foi, surtout
quand il n'y a aucune raison probable de soupçonner le
mensonge, ou bien quand la qualité des personnes qui
témoignent augmente leur crédit. Entre ces deux degrés,
qui viennent d'être décrits, il y a place pour plusieurs
degrés intermédiaires, n. 1-2, p. 546 sq. Après cela
Suarez établit que l'homme peut avoir une certitude
morale de son état de grâce, bien qu'elle ne se trouve
pas ordinairement chez tous les justes, n. 3-8, p. 547-
549. Quant au degré de fermeté, n. 9, qu'il faut recon-
naître à cette certitude, il semble être un intermédiaire
entre le degré suprême et l'infime degré, dont il a été
parlé ci-dessus; notamment il peut exister sans aucune
crainte actuelle de se tromper, sans aucun doute actuel,
n. 10; cependant il ne semble pas pouvoir atteindre le
degré de certitude que peut avoir de l'existence de
Rome celui qui n'y a jamais été. Soto cependant ad-
mettait, pour l'état de grâce, ce degré de certitude,
n. 11 sq. Parmi les théologiens récents, les uns défen-
dent la thèse de Suarez. Hurter, Compendium théologie
dogmatiese, t. m, n. 217, admet la certitude conjectu-
rale et morale, plus ou moins ferme, mais qui exclut
toute crainte actuelle et tout doute prudent. La même
assertion est défendue, semble-t-il, par le P. Pesch,
Prœleclioncs dogmatiese, t.v, n. 369 ; Tabarelli, De gratîa,
Rome, 1908, p." 349; Pohle, Lerbueh (1er Dogmatik, t. n,
p. 589; je l'ai défendue dans mon traité : De gratia
divina, Rruges, 1910, n. 199 sq. Cependant, Schifiini,
De gratia divina, n. 319, et le cardinal Billot, De gratia
Chrisli, p. 200 sq., n'admettent pas que l'homme puisse
avoir, sans révélation spéciale, une certitude quelconque
proprement dite, concernant son état de grâce; ils n'ap-
pellent certitude que l'adhésion d'une connaissance
qui, de sa nature, ne peut jamais être sujette à l'erreur,
qui exclut donc tout doute logiquement possible. Il
nous faut mentionner encore l'opinion exposée par
M. Gaucher, dans son opuscule : Le signe infaillible de
l'état de grâce, le Perreux (Seine), 1907. L'opinion de
l'auteur peut se résumer ainsi : a) tout acte surnaturel
de charité parfait implique la justification : b) or, dans
l'ordre providentiel actuel, tout acte d'amour de Dieu
pour lui-même et par-dessus tout est un acte surnaturel
de charité parfaite, tout au moins chez celui qui a la
connaissance et la certitude de la révélation chrétienne.
c) Mais il est possible au chrétien adulte d'avoir la cer-
titude absolue d'avoir émis un acte d'amour de Dieu
pour lui-même et par-dessus tout, d) Donc il est possible
au chrétien adulte d'avoir la certitude absolue, théolo-
gique, d'être actuellement en état de grâce. Cette thèse,
quant à son fond, n'est pas condamnée par la définition
du concile de Trente, mais appelle cependant, à notre
avis, des réserves. En effet, d'abord l'expression signe
infaillible est inexacte : il s'agit du jugement que
l'homme adulte doit porter sur son propre acte de
volonté et ce jugement peut être fréquemment erroné,
parce que les hommes se font facilement illusion sur
leurs propres dispositions; ensuite des théologiens émi-
nents sont d'avis que l'homme ne peut guère savoir
avec une certitude absolue s'il a fait un acte d'amour
parfait, par lequel il aime Dieu apprêt ialive par-dessus
tout. Dans ces conditions, on ne peut présenter l'acte
d'amour comme un signe infaillible de l'état de grâce;
considéré objectivement, cet acte n'est pas un élément
de connaissance suffisamment significatif; de plus, la
conclusion qu'on en tire suppose plusieurs assertions,
concernant la sumaturalité, le degré requis pour qu'il
y ait acte d'amour parfait, etc., assertions sur lesquelles
existent des controverses, qui empêchent de présenter
comme infaillible le moyen de connaître l'état de grâce.
Qnant au fond de la thèse : a) la première proposition :
« tout acte surnaturel de charité parfaite implique la
justification » n'est pas, à proprement parler, définie,
mais elle est certaine et la conviction des Pères du
concile de Trente sur cet objet est exprimée dans un
considérant du décret concernant le sacrement de péni-
tence. Sess. xiv, c. iv, Denzinger-Bannwart, n. 898;
voir Charité, t. n, col. 2236 sq. b) La seconde propo-
sition est celle-ci : dans l'ordre actuel de la providence
tout acte d'amour de Dieu pour lui-même et par-dessus
tout est un acte surnaturel de charité parfaite, tout au
moins chez celui qui a la connaissance et la certitude
de la révélation chrétienne (je suppose que l'auteur veut
dire : chez celui qui a la foi). Cette assertion n'est pas
théologiquement certaine, c) La proposition suivante :
« il est possible au chrétien adulte d'avoir la certitude
absolue d'avoir émis un acte d'amour de Dieu pour
lui-même et par-dessus tout » est controversée; elle
est niée ou mise en doute par des théologiens de grande
valeur et elle est connexe avec d'autres questions con-
troversées, notamment avec la question de savoir ce
qui est réellement requis pour qu'il y ait acte d'amour
parfait à l'égard de Dieu, comme avec la question de
savoir si un acte d'amour parfait peut s'accomplir par
les seules forces de la nature. Si donc l'on tient compte
de l'enseignement théologique, tel qu'il existe aujour-
d'hui, on ne peut pas admettre cette conclusion : l'acte
do charité est un moyen pour le fidèle adulte d'avoir la
certitude absolue, théologique, d'être actuellement en
état de grâce.
Après cet exposé de la doctrine défendue par les théo-
logiens, nous exprimons brièvement notre conclusion.
1. L'homme adulte, sans révélation spéciale, ne peu!
pas croire de foi divine et, par conséquent, ne peut pas
connaître avec la certitude qui est propre à cette foi,
c'est-à-dire infailliblement, qu'il est en état de grâce.
Cette proposition est la doctrine même qui fut établie
au concile de Trente ou, du moins, en résulte immédia-
tement. Sur l'infaillibilité de l'acte de foi, voir Foi.
col. 369 sq., 387 sq. Ici il convient de remarquer la dif-
férence entre l'objet qui nous occupe et un autre objet
qui peut être connu de foi divine. Les théologiens en-
seignent que l'homme qui a baptisé un enfant peut
croire de foi divine, et avec une certitude absolue, que
l'enfant baptisé est en état de grâce. Voici pourquoi :
il est révélé que si quelqu'un reçoit validement le bap-
tême et ne met aucun obstacle à son effet, il est justifié;
or, l'enfant ne peut pas mettre obstacle à l'effet de
baptême; celui qui baptise, d'autre part, peut con-
naître, avec certitude absolue, qu'il a eu l'intention
requise au baptême valide, qu'il a bien prononcé les
paroles de la forme sacramentelle et qu'il a versé de
l'eau véritable sur le corps de l'enfant; par conséquent,
dans le cas indiqué, celui qui a baptisé peut savoir de
certitude absolue que la condition exprimée dans la
proposition révélée est vérifiée et dès lors il peut croire
de foi divine que la conséquence est réalisée aussi : si
cet enfant est validement baptisé, il est justifié; or cet
enfant est validement baptisé par moi; donc il est
justifié. Remarquons bien que la mineure est connue
par la conscience psychologique de celui qui a baptisé;
en effet, son intention, la prononciation des paroles,
l'acte de verser de l'eau sont objet immédiat de la con-
science psychologique. C'est pourquoi l'homme peut en
avoir une certitude absolue. Je dis que l'homme peut
en avoir une certitude absolue, et j'admets qu'il peut
aussi ne pas l'avoir. Cette certitude ne s'obtient plus
quand il s'agit de l'adulte, comme nous le verrons plus
loin : ce qui est requis et suffit à son état de grâce n'est
pas l'objet immédiat de sa conscience psychologique.
2. L'adulte ne peut pas avoir une certitude scienti-
fique, au sens propre du mot, de son état de grâce.
D'abord, nous excluons cette certitude qui est propre
1623
GRACE
1024
à la conclusion théologiquement certaine. Celle-ci
s'obtient par un raisonnement dont l'une des pré-
misses est une vérité révélée, et l'autre, une proposition
de connaissance naturelle, mais absolument certaine,
telle qu'elle n'admet pas la possibilité de l'erreur, vu la
nature de la connaissance à laquelle elle appartient. Or,
pour le cas qui nous occupe, la prémisse révélée revient
à une proposition conditionnelle, par exemple, si
l'homme reçoit tel sacrement, dans telles conditions, il
est justifié; mais les propositions qui affirment la
réalisation de la condition sont ou absolument cer-
taines, comme dans le cas expliqué plus haut du
baptême de l'enfant, et alors la conclusion est de foi,
ou bien les propositions, dont il s'agit, ne sont pas
absolument certaines, et alors la conclusion ne peut
pas l'être : on n'aura donc pas une conclusion théolo-
giquement certaine. Sur la différence à établir entre une
conclusion révélée implicitement et formellement et une
conclusion théologique, voir Foi, col. 383, et les auteurs
cités.
Pour mieux comprendre pourquoi l'on ne peut avoir,
au sujet de sa propre justification, une certitude scien-
tifique, au sens propre du mot, ou une certitude équi-
valente, quant à la fermeté, il faut considérer de quelle
manière l'état de grâce pourrait être un objet de notre
connaissance. Voici l'exposé succinct et clair du car-
dinal Billot, De gralia Christi, p. 208 sq. : l'existence de
la grâce sanctifiante serait connue avec certitude ou
bien en elle-même, ou bien dans ses effets, ou bien
dans ses causes, ou bien dans les conditions auxquelles,
d'après la révélation, est nécessairement lié l'état de
grâce. Or, aucun de ces éléments ne permet d'obtenir
une certitude proprement dite. En effet, a) la grâce ne
peut pas être perçue par nous en elle-même, c'est-à-dire
par intuition; car ni l'âme elle-même, ni ses facultés
opératives, ni ses habitudes acquises naturellement, ne
peuvent être connues immédiatement en elles-mêmes; à
plus forte raison, ne pourra-t-on avoir cette connais-
sance d'un habitus surnaturel, tel qu'est la grâce sancti-
fiante, b) Les effets de la grâce sanctifiante seraient les
actes dans lesquels elle exerce une influence; les actes
sont l'objet immédiat de notre conscience psychologi-
que; mais nous ne pouvons pas en percevoir la surna-
luralité : la conscience ne perçoit directement que la
substance de l'acte, qui, dans cette vie, est la même et
dans l'acte naturel et dans l'acte surnaturel corres-
pondant, c) Les causes de la grâce sanctifiante sont
Dieu, qui en est la cause principale, et les sacrements,
qui en sont cause instrumentale : quant à Dieu, sa
présence ou son absence en nous ne nous sont pas
connaissables. Quant aux sacrements, la validité de
leur administration ne peut jamais être connue, par
l'adulte qui les reçoit, avec une parfaite certitude; car
cette validité dépend d'actes internes du ministre et
(si on excepte le baptême) de la validité de son ordi-
nation sacerdotale. Ensuite un sacrement validement
administré ne produit pas toujours la grâce sancti-
fiante dans celui qui ne la possède pas : celui-ci, en
effet, peut n'avoir pas les dispositions requises, d) Les
conditions auxquelles est lié, pour l'adulte, l'état de
grâce, sont la foi surnaturelle, l'espérance surnaturelle,
la charité surnaturelle ou l'attrition surnaturelle; or
ces habitus surnaturels ne sont pas connaissables en
eux-mêmes; les actes non plus, parce qu'on ne peut pas
les discerner d'actes naturels correspondants. De plus,
peut-on avoir une conscience parfaitement claire du
degré de l'amour envers Dieu et du degré de la contri-
tion ? En d'autres termes, peut-on connaître avec une
certitude parfaite que l'acte que l'on produit actuel-
lement, est, quant à sa substance, un acte parfait
d'amour pour Dieu, tel qu'il est la disposition ultime à
la justification ? Tel est le doute exprimé par l'émi-
nciit théologien; nous admettrions cependant que
l'homme peut avoir conscience d'un acte parfait
d'amour de Dieu, tel qu'il est, quant à la substance de
l'acte, la disposition dernière à la justification. Mais
nous ne pourrons jamais savoir avec certitude parfaite
que cet acte est surnaturel, puisque, d'une part, nous
ne pouvons en percevoir immédiatement la surnatu-
ralité et que, d'autre part, la distribution des grâces
ne nous est pas suffisamment connue pour que nous
puissions affirmer, dans les cas particuliers, que tel
acte e.t certainement surnaturel. Nous concluons donc
que l'homme ne peut pas avoir de son état de grâce
une certitude scientifique proprement dite ou une
certitude qui, quant au degré de fermeté, équivaut à
celle-là.
3. L'homme peut avoir, concernant sa propre justi-
fication, une connaissance conjecturale, qui exclut tout
doute prudent, et, par conséquent, il peut avoir une certi-
tude au sens large du mot, qui équivaut à une certaine
certitude morale.
Dans les deux propositions précédentes, nous avons
parlé de la certitude qui est propre à l'acte de foi divine
et de la certitude qui est propre à l'acte de science ou à
la conscience psychologique. Il nous reste à considérer
la certitude morale, celle qui a son motif unique ou
principal dans ie témoignage des hommes. Mais cette
certitude, comme nous l'avons dit plus haut avec
Suarez, admet les degrés différents de fermeté : le
degré suprême se trouve dans cette certitude que
l'homme, qui n'a jamais été à Rome, peut avoir de
l'existence de cette ville; cette certitude est telle qu'elle
exclut, chez l'homme normal, tout doute possible. Nous
n'admettons pas que l'homme puisse avoir une telle
certitude concernant sa justification. Cependant cette
opinion n'a pas été condamnée par l'Église. Nous
admettons que l'homme vertueux, surtout après avoir
passé un temps considérable dans l'exercice d'une vie
vraiment chrétienne, peut logiquement et raisonnable-
ment exclure tout doute prudent, c'est-à-dire tout
doute objectivement probable, concernant sa propre
justification, et, par conséquent, juger qu'il est en
état de grâce sans craindre actuellement de se tromper :
c'est là un jugement certain, au sens large du mot,
par opposition au jugement qui est seulement probable.
Nous avons déjà vu plus haut que cette proposition
est défendue par Suarez, qui a été suivi en cela par
beaucoup de théologiens. Mais il nous faut montrer
d'abord que cette assertion n'est pas opposée à celle du
concile de Trente qui dit : quilibel, dum seipsum
suamque propriam infirmitatem et indispositionem
respicil, de sua gralia jormidare et limere polest, cum
nullus seirc valeai eerlitudine fidei, cui non polest
subesse falsum, se gratiam Dei esse conseculum. Denzin-
ger-Bannwart, n. 802. Le concile condamne ici l'hérésie
luthérienne et affirme que chaque homme peut (raison-
nablement et licitement) craindre qu'il ne soit pas en
état de grâce; la raison est, d'une part, la faiblesse de
l'homme, d'autre part, l'impossibilité d'avoir concer-
nant sa justification une certitude de foi; cette der-
nière certitude exclut tout doute possible; l'homme ne
peut jamais (ni raisonnablement ni licitement) douter
un seul instant d'une vérité révélée par Dieu, il ne
peut jamais craindre de se tromper quand il adhère à
une vérité révélée. Cette absence de crainte ne peut se
vérifier pour la connaissance de l'homme concernant
son état de grâce et, en ce sens-là, chaque homme peut
(raisonnablement et licitement) douter de son état de
grâce, concevoir la crainte de n'être pas justifié; il
peut consentir à cette crainte et l'entretenir. Cepen-
dant le concile ne dit pas que l'homme ne peut pas,
après un examen sérieux, faire disparaître tout doute
prudent et toute crainte réellement fondée. Le doute
reste toujours possible, comme dans beaucoup de cas
de certitude morale.
1(325
GRACE
Iti'iii
L'assertion, que nous défendons, est appuyée sur les
considérants que voici : a) L'homme peut connaître,
sans douter prudemment, qu'il a les disposition;
requises quant à la substance des œuvres pour recevoir
validement et fructueusement le sacrement de péni-
tence : la foi, l'espérance, la charité au moins imparfaite
ou attrition, l'intégrité formelle dans l'accusation des
péchés; il ne peut pas avoir un doute fondé que Dieu
lui refuse les grâces nécessaires pour que les actes exigés
soient surnaturels, soient sicut oporlct ad salutem. Il
peut aussi exclure tout doute prudent concernant la
validité de l'ordination sacerdotale du prêtre et celle
de l'administration du sacrement; il entre ici diverse?
choses en considération; mais si l'on tient compte et
de la providence spéciale avec laquelle Dieu conduit
son Église et des lois morales qui régissent la manière
d'agir des hommes, il semble bien que l'on puisse, en
beaucoup de cas, exclure le doute prudent sur la vali-
dité de l'administration du sacrement de pénitence, en
le considérant de la part du prêtre. Dans ce cas, le
jugement repose sur les témoignages ou des signes équi-
valents à l'attestation par la parole, et, s'il y a certitude,
c'est une certitude morale, b) L'homme qui a la foi
peut avoir conscience qu'il fait un acte d'amour parfait
à l'égard de Dieu, un acte d'amour parfait, quant à la
substance de l'acte; il ne peut pas penser prudemment
que Dieu lui refuse la grâce requise à la surnaturalité
de cet acte. Remarquons que cette connaissance est,
aussi dans ce cas, conjecturale : c'est d'un signe, l'acte
de charité, que l'on part pour arriver, au moyen d'autres
considérations, à la conclusion : cet acte de charité est
surnaturel. Dans ce cas, la certitude n'est pas du même
ordre que dans le cas précédent; mais le degré de fer-
meté ne semble guère surpasser la certitude morale
exposée ci-dessus c) Il y a certaines dispositions habi-
tuelles qui permettent à l'homme de conjecturer son
état de grâce : n'avoir conscience d'aucun péché mortel,
expérimenter qu'on a la délectation de l'amour de Dieu,
qu'on a le mépris des choses mondaines, etc. De ces
dispositions, que l'on connaît directement quant à la
substance de leurs actes, on conjecture, au moyen de
divers principes, qu'elles sont un effet de la grâce sanc-
tifiante et des grâces que Dieu donne à ceux qui vivent
dans son amitié. Cette conjecture peut arriver à la
certitude morale, dont nous parlons, cl) Enfin la manière
d'agir et la conviction des lidèles pieux confirment
notre thèse : ceux-ci, en effet, notamment ceux qui se
confessent régulièrement et communient fréquem-
ment, qui se préparent avec grand soin à la réception
de ces sacrements, s'ils ne sont pas scrupuleux, ne
pensent pas qu'ils sont probablement en état de péché
mortel; on les troublerait violemment si on devait leur
imposer celte conviction. Je ne vois pas comment ils
échapperaient à une angoissante tristesse, s'ils devaient
toujours aboutir à ce jugement : il est probable que je
suis en état de péché mortel. Quand une âme a bien
compris tout le désordre qu'implique le péché mortel
(même en faisant abstraction de la crainte de la peine
éternelle), quand cette âme est réellement dominée par
l'amour de bienveillance à l'égard de Dieu, elle ne
pourrait trouver du repos si elle devait penser : il est
probable que je suis en état de péché mortel, en d'autres
ternies : pour penser prudemment je dois penser que
peut-être je suis en état de péché mortel. Remarquons
bien que la confiance ne peut rien contre ce jugement :
la confiance réside dans la volonté, elle a pour objet les
secours à obtenir de Dieu et elle est basée sur la foi
concernant la miséricorde divine; aussi l'on peut tou-
jours avoir confiance qu'on sera sauvé, qu'on échap-
pera à l'enfer, pourvu qu'on n'entretienne pas dans sa
volonté une affection positivement contraire à son état
de grâce. Mais la confiance ne peut changer en rien le
jugement que l'on porte sur l'état actuel de son âme.
Ce jugement dépend de l'examen sérieux et loyal de ses
propres dispositions et actions, de la connaissance des
moyens établis par Dieu pour obtenir sa grâce et de
l'usage que l'on fait de ces moyens. Si, après un examen
fait logiquement et prudemment, on aboutit à un
doute prudent sur son état de grâce, ce doute ne peut
pas être dissipé par la confiance : celle-ci ne peut rien
changer à la rectitude des opérations intellectuelles qui
ont précédé le jugement en question, et ne peut pas
apporter un élément nouveau de connaissance ; elle ne
concerne que les biens à obtenir.
2° Inégalité. — 1. Doctrine catholique. — a) Nous
avons démontre que l'état de justice était réalisé par la
grâce, c'est-à-dire par un don (ou un ensemble de dons)
interne, infus dans l'âme, permanent en elle, de plus,
surnaturel et, quant à son obtention, indépendant des
œuvres naturelles de l'homme, notamment de l'obser-
vation, comme telle, de la loi mosaïque ou de la loi
naturelle : en ce sens, nul homme ne sera justifié devant
Dieu par les œuvres de la loi. Rom., ni, 20. L'homme
adulte, pour recevoir la grâce sanctifiante ou justifiante,
doit s'y disposer par certains actes, comme nous l'expo-
serons plus loin. Mais quand l'homme adulte est jus-
tifié, qu'il a donc reçu en lui cet état nouveau, il doit
agir conformément à cet état et il doit s'efforcer de
l'augmenter en lui. C'est la doctrine de saint Paul,
Eph., iv, 11-16 : la perfection morale croissante de la
société chrétienne doit s'obtenir par la coopération de
chaque individu à l'influence qu'il reçoit du Christ; la
charité et l'union au Christ peuvent et doivent aug-
menter dans chaque individu, mais dépcndamnient de
sa propre activité, de sa coopération à l'influence du
Christ. Une exhortation semblable au progrès est
adressée aux justifiés par saint Pierre. I Pet., n, 1-2;
II Pet., m, 18. Ce par quoi l'homme est rendu juste et
saint (notamment la charité, Eph., iv, 15) est donc sus-
ceptible d'augmentation en lui et croît de fait d'après
l'activité morale et salutaire de chaque individu.
Si l'on désigne l'état de grâce par l'habitation de
Dieu en l'homme, l'on dira aussi que Dieu habite iné-
galement dans les âmes : Non œque Dcus omnes inha-
bitat : nec ad camdem mensuram omnibus infunditur.
C'est l'assertion de saint Jérôme, Adversus Jovinianum,
I. Il, n. 29, P. L., t. xxni, col. 325, et l'explication,
qui suit, montre qu'il s'agit de l'inégalité de ce qui
rend l'homme fils de Dieu, participant de la nature
divine.
b) Les scolastiques ont enseigné que la grâce sanc-
tifiante et les vertus infuses, qui en sont réellement dis-
tinctes, se trouvent inégalement dans les hommes et
sont susceptibles d'augmentation. Saint Thomas, Sum.
theol., I» IF', q. exil, a. 4, explique que la grâce sanc-
tifiante est plus grande chez l'un que chez l'autre;
cette diversité peut dépendre immédiatement des dis-
positions dans lesquelles se trouve l'homme au moment
où il reçoit la grâce. Mais ce n'est pas la raison princi-
pale de l'inégalité; cette raison est la providence divine
qui distribue inégalement ses dons et produit ainsi la
beauté morale dans l'Église. Cf. Suarez, De gratia,
I. Vf II, c. i, Opéra, t. ix, p. 453 sq.
c) Luther n'admet pas que la grâce soit une réalité
infuse dans l'âme, il ne reconnaît que la bienveillance
intrinsèque de Dieu, qui consiste uniquement dans la
rémission des péchés et qu'on obtient par la foi (fuies
fiducialis). L'état de justice, chez l'adulte, ne requiert
aucune disposition autre que la foi, et l'état de justice
se maintient par la foi, indépendamment des actions
bonnes ou mauvaises; il n'y a chez l'homme aucun
mérite. Dès lors, il n'y a chez lui aucun titre à ce que sa
justice augmente; elle ne le pourrait pas d'ailleurs,
car elle n'est pas autre chose que l'imputation de la
justice du Christ, qui, elle, est évidemment toujours la
même. Le concile de Trente, dans la session vi, a con-
1627
GRACE
1628
damné cette hérésie et a défini que la justice infuse a
des degrés différents chez les hommes et que sa mesure
dépend notamment des dispositions de celui qui la
reçoit; que les hommes justiliés, par l'exercice d'ac-
tions vertueuses et l'observation des préceptes divins,
croissent en cette justice conférée par la grâce; que les
bonnes actions de l'homme justifié sont méritoires et
méritent notamment l'augmentation de la grâce.
Denzinger-Bamrwart, n. 800, 803, 834, 842. Remar-
quons ici que, pour l'objet qui nous occupe, Baius est
radicalement opposé à Luther et à Calvin : pour Baius,
la justice consiste, à proprement parler, dans l'obser-
vation des commandements, et la justice augmente
à mesure que la fidélité à l'exercice des œuvres com-
mandées est plus parfaite; il réfute longuement la doc-
trine de la justification sans les œuvres. Baius, De ju-
slitio, c. i-x. Ce qui, en ce point, rendait suspecte la doc-
trine de Baius, c'est qu'il ne tenait pas compte de la
grâce sanctifiante infuse dans l'âme, ni des vertus
infuses, et que sa théorie ne permettait pas d'admettre
que les enfants fussent réellement, par le baptême,
justes et saints. C'est pourquoi fut condamnée la pro-
position 42e : <• La justice qui justifie l'impie par la foi
consiste formellement dans l'obéissance à la loi, qui
est la justice des œuvres, et non pas dans une grâce
infuse qui fait l'homme enfant adoptif de Dieu, le
renouvelle intérieurement et le rend participant de la
nature divine, de sorte qu'étant ainsi renouvelé par
le Saint-Esprit, il puisse ensuite vivre saintement et
obéir à la loi divine. » Denzinger-Bannwart, n. 1042.
Voir Baius, t. n. col. 100. Cette condamnation con-
firme la doctrine du concile de Trente, c'est la rénova-
tion intérieure, obtenue par l'infusion de la grâce, qui
est le principe de la perfection morale salutaire; c'est
après avoir reçu la grâce et par elle que l'homme peut
exercer les vertus, et les œuvres qu'il fait, sous l'in-
fluence de la grâce, méritent l'augmentation de celle-ci.
</) C'est en tant qu'elles sont méritoires que les
bonnes œuvres causent l'accroissement de la grâce. En
elTct, la grâce est un accident surnaturel; c'est pour-
quoi il est produit immédiatement par Dieu en l'âme
et ne peut avoir que Dieu pour cause efficiente prin-
cipale ; s'il existe, pour la production de la grâce, des
causes secondes, celles-ci ne peuvent être qu'instrumen-
tales. Les actes de l'homme ne peuvent, en aucune façon,
produire physiquement la grâce. L'entité de celle-ci
dépend de Dieu qui l'infuse. C'est pourquoi les actes
salutaires, que l'homme fait sous l'influence de la
grâce, n'augmentent pas physiquement l'entité de
celle-ci. mais sont seulement un titre exigitif de cet
accroissement qui est physiquement produit par
Dieu.
2. Deux points controversés pcirmi les théologiens. —
'/) Le premier concerne en quoi consiste l'augmentation
intrinsèque de la grâce. Saint Thomas, Sum. Ihcol.,
IIa II"', q. xxiv, a. 5, enseigne que la charité surnatu-
relle augmente essentiellement par le fait qu'elle s'im-
prime plus profondément dans l'âme et par conséquent
rend celle-ci plus semblable au Saint-Esprit; il nie que
l'augmentation de la charité se fasse par addition d'une
nouvelle entité à l'entité préexistante. Voir aussi In
I V Sent., 1. II, dist. XVII, q. n, a. 1. Cf. Capréolus,
Defensiones theologiee divi Thomœ Aquinalisjn IV Sent.,
1. I. dist. XVII, q. n. Tours, 19(10 sq., t. n, p. 94 sq. La
même explication doit être appliquée a l'augmentation
delà grâce sanctifiante. Saint Bonaventure, In IV Sent.,
I. II, dist. XXVII, a. 2, q., Opéra, t. il, p. 064, préfère
l'opinion qui explique l'augmentation de la grâce par
adjonction (per additionem), c'est-à-dire par l'infusion
d'une nouvelle grâce ajoutée à la préexistante et se
fondant avec elle, de façon à constituer une seule qua-
lité augmentée. Sur cette opinion, voir les scholia des
éditeurs des œuvres de saint Bonaventure, Opéra,
Quaracchi, t. i, p. 309, 313; t. n, p. 665. Cette question
regarde (dus directement les vertus infuses. Voir
Vertus.
b) La grâce sanctifiante reçoit-elle immédiatement
une augmentation, chaque fois que l'homme justifié
accomplit une œuvre surnaturelle quelconque, fût-elle
très faible au point de la ferveur '? Saint Thomas répond
négativement, et exige que l'homme soit positivement
disposé à recevoir l'augmentation par un acte propor-
tionné â cette augmentation. Sum. theol., I» II"",
q. exiv, a. 8, ad 3"". Cf. Billot, De gratin Christi, thés.
xxi, p. 274 sq. L'opinion contraire est défendue par
Suarez, De gratia, 1. IX, c. m, n. 15 sq. ; 1. XII, c. vm,
n. 4. Cette question rentre dans l'art. Mérite.
e) Il semble communément admis aujourd'hui que
la grâce sanctifiante ne s'augmente jamais sans que ne
s'augmente aussi toutes les vertus infuses, qu'aucune
vertu infuse ne s'augmente sans que ne s'augmente
aussi la grâce sanctifiante, enfin qu'il y a toujours pro-
portion entre l'intensité de la grâce sanctifiante et celle
des vertus infuses. Cf. Mazzella, De virlulibus infusis,
Borne, 1884, n. 133 sq.; Billot, De virlulibus in/usis,
Rome, 1901, p. 14 sq., 160 sq.
3. Diminution. — La grâce sanctifiante est suscep-
tible d'augmentation et, de fait, augmente intrinsè-
quement en l'homme, soit par la réception des sacre-
ments, soit par les œuvres méritoires. Diminue-t-elle
aussi parfois intrinsèquement ? Non, répondrons-nous
avec Suarez, De. gratia, 1. XI, c. vm, n. 1 sq., Operu,
t. ix, p. 679 sq., qui n'admet pas la probabilité de l'opi-
nion contraire. En effet, la grâce sanctifiante, dans son
être, dépend uniquement de Dieu, qui la produit et la
conserve. Son entité physique ne dépend pas de nos
actes, et ceux-ci ne peuvent physiquement ni la produire,
ni la détruire, ni l'augmenter, ni la diminuer. Il reste
à demander si Dieu ne la diminue pas en raison directe
de nos actes moralement mauvais : nous répondons
négativement. Car, quand l'homme commet le péché
mortel, la grâce lui est immédiatement enlevée, comme
nous l'exposerons ci-après. Quant au péché véniel,
«) il n'est pas cause méritoire de cette diminution : en
effet, il n'est pas une aversion de Dieu, cf. Billot, De
nulura et ralione peccnli personalis, Rome, 1894, thés, ix,
p. 105 sq., par conséquent il n'est pas contraire à l'or-
dre moral qui subordonne l'homme à Dieu; c'est pour-
quoi il n'exige pas que Dieu diminue le principe radical
qui ordonne l'homme â sa fin dernière surnaturelle; b) il
n'introduit pas en l'homme une disposition qui s'oppose
à l'intensité de la grâce, car il n'est pas contraire à la
grâce. Les péchés véniels, bien qu'ils ne produisent
pas la diminution de la grâce, s'opposent cependant à
l'exercice des vertus et empêchent l'augmentation de la
grâce. Ensuite les péchés véniels, fréquemment com-
mis, produisent une habitude mauvaise qui dispose
l'homme au péché mortel. Cf. Billot, De virtutibus in-
fusis, p. 47 sq.
3° Amissibililé. — 1. L'Écriture sainte enseigne que
l'homme peut pécher et perdre par là son état de
justice. Cf. Ezech., xxvin, 24; xxxm, 12; Joa., xv, 6;
I Cor., ix, 27. Jovinien, d'après saint Jérôme, enseignait
que ceux qui ont reçu le baptême ne sont plus sujets à
la tentation; saint Jérôme réfute cette doctrine, Ad-
versus Joviniunum, 1. II, n. 1, P. L., t. xxm, col. 281 sq.
Saint Augustin, De correptione et gralia, c. vm, n. 17 sq.,
/'. L., t. xliv, col. 925 sq., enseigne que le juste peut
pécher, que tous ne persévèrent pas. Luther enseignait
que la justification demeurait aussi longtemps que
l'homme conservait la foi, que la justification était
conservée indépendamment des œuvres, même concur-
remment avec le péché. Cf. Hartmann-Giïsar, Luther,
t. n, p. 152 sq. Calvin enseignait aussi l'inamissibilité
de la grâce. Voir Calvinisme, t. il, col. 1405 sq. Ces
hérésies furent condamnées au concile de Trente, dans
1629
GRACE
1630
la session vi, c. xv, Denzinger-Bannwart, n. «08, et
notamment dans ces deux canons : « Si quelqu'un
affirme que l'homme, une fois qu'il est justifié, ne peut
plus pécher, ni perdre la grâce et que, par consé-
quent, celui qui tombe dans le péché, n'a jamais
été justifié, qu'il soit anathème. — Si quelqu'un
affirme qu'il n'y a pas d'autre péché mortel que
l'infidélité, ou bien que la «race, une fois reçue, ne
se perd par aucun péché, quelque grave et énorme
qu'il soit, excepté par le péché d'infidélité, qu'il soit
anathème. » Denzinger-Bannwart, n. 833, 837. Nous
devons signaler ici aussi l'erreur de Michel de Molinos
qui, parti de principes tout différents de ceux des protes-
tants, était arrivé à soutenir des conclusions contraires
à la doctrine de l'amissibilité de la grâce : il enseignait
que l'homme pouvait parvenir à un degré tel d'union
avec Dieu que les actes mauvais ne lui étaient plus
imputés et qu'il ne pouvait plus perdre la grâce. Cette
erreur fut condamnée par Innocent XI en 1687. Cf.
Denzinger-Bannwart, notamment n. 1272-1281.
2. I.a raison intrinsèque de l'amissibilité de la grâce
se trouve : </) dans la possibilité de commettre le péché
mortel, ce qui est une conséquence nécessaire de la
liberté de l'être créé, qui n'a pas atteint sa fin dernière;
b) dans la contrariété ou opposition entre le péché
mortel et la grâce sanctifiante. Celle-ci, comme nous
l'avons exposé, est le principe radical, qui ordonne ou
oriente l'homme vers Dieu, et elle est inséparablement
unie à la charité infuse, de façon que, si elle dis-
parait, la grâce sanctifiante ne peut plus demeurer.
Saint Thomas, Sum. theol., IIa IIœ, q. xxiv, a. 12,
démontre que le péché mortel doit nécessairement
chasser la charité de l'âme : « dans un même sujet, une
entité disparaît quand celle qui lui est contraire sur-
vient. Or, tout acte de péché mortel est directement
contraire à la charité, quant à ce qui lui est essentiel,
c'est-à-dire qu'elle fait aimer Dieu par-dessus tout
et qu'elle fait que l'homme se soumet entièrement à
Dieu, lui rapportant tout ce qu'il a. Il est donc de
l'essence de la charité qu'elle aime Dieu de façon à vou-
loir se soumettre à lui en toutes choses et suivre en tout,
comme règle d'action, les préceptes divins; car tout ce
qui est opposé aux préceptes divins [c'est-à-dire le
péché mortel] est contraire à la charité, et par consé-
quent, est tel, en lui-même, qu'il s'opposa à la coexis-
tence de la charité. Si la charité était une vertu acquise
dépendamment de l'activité de l'homme, elle ne serait
pas nécessairement expulsée par un seul acte qui lui
est contraire... Mais la charité, puisqu'elle est une
vertu infuse, dépend de l'action divine qui la produit :
Dieu se comporte dans l'infusion et la conservation de
la charité comme le soleil dans l'illumination de l'air.
De même que la lumière cesserait d'être dans l'air si
un obstacle s'opposait à l'action illuminatrice du soleil,
ainsi aussi la charité cesse d'exister dans l'âme dès
qu'un obstacle s'oppose à l'action divine qui produit
la charité dans l'âme. Or, il est évident que tout péché
mortel, qui est contraire aux préceptes divins, est un
obstacle à l'action divine, dont nous avons parlé; car
par le fait même que l'homme, dans un acte libre, pré-
fère l'objet du péché à l'amitié de Dieu (qui exige que
nous suivions la volonté divine), immédiatement par
un seul acte de péché mortel la charité se perd. »
Remarque. a) De ce qui précède on peut conclure
que les œuvres bonnes sont nécessaires à la conserva-
tion de la grâce, non pas en ce sens que les actions
exerceraient une influence physique qui maintiendrait
l'entité de la grâce, mais en ce sens qu'elles sont la condi-
tion requise à cette conservation. En elîet, il y a poul-
ies adultes, des actions obligatoires, dont l'omission
constitue un péché mortel. « Si quelqu'un affirme que
l'homme justifié, quelque soit le degré de perfection
auquel il est arrivé, n'est pas tenu à l'observation des
commandements de Dieu et de l'Église, mais n'est
tenu qu'à croire, qu'il soit anathème. » Concile de
Trente, sess. vi, can. 20, Denzingcr-Iiannwart, n. 830.
De plus, il est d'autres œuvres qui sont requises, per
accidens, et indirectement : en effet, des prières, des
œuvres de miséricorde peuvent être la condition sine
qua non, à laquelle Dieu a rattaché l'octroi de grâce;
actuelles ultérieures, plus abondantes, par lesquelles
l'homme surmonte les tentations, qu'il ne vaincrait
pas sans ce secours : c'est la juste remarque du P. Hur-
ter, Theol. dogm. comp., t. m, n. 222.
b) Saint Thomas, Sum. theol., II» IIœ, q. xxiv, a. 10,
dit : Peccatum mortale totaliter corrumpit charitalem et
effective, quia omne peccatum mortale. contrariatur cha-
rilali, ut infra dicelur, et eliam meritorie, quia cum pec-
cando morlaliler aliquis contra charitalem agit, dignum
est ut Dcus ei subslrahal charitalem. On comprend pour-
quoi le péché mortel soit cause méritoire de la dispari-
tion de la charité : en effet, le péché mortel, étant
l'aversion volontaire de l'homme à l'égard de Dieu, a
pour peine connaturelle que Dieu cesse d'influer en
l'homme cette vertu par laquelle l'homme aime Dieu
par-dessus toutes choses. Mais comment faut-il en-
tendre que le péché mortel soit cause efficiente de la
disparition de la charité? Certes, ce n'est pas en ce
sens que l'action de pécher détruirait physiquement
Ventilé surnaturelle, qui est la vertu infuse de charité,
cf. S.Bonaventurc, In IV Sent., 1. îf, dist. XXVf, a. 1,
q. v, Opéra, Quaracchi, t. n, p. 641; mais en ce sens
que le péché mortel est une disposition, d'ordre inten-
tionnel, essentiellement contraire à la charité et à la
grâce sanctifiante, et, par conséquent, incompatible avec
elles : celte disposition a donc pour effet nécessaire que
Dieu cesse d'influer et de conserver la charité et la
grâce dans l'âme; c'est en ce sens que le péché est une
cause efficiente de la destruction de la charité et de la
grâce. Voir l'explication de Cajétan, In Sum. theol.,
ID If, q. xxiv, a. 10; de Suarez, De gratin, 1. XI,
c. iv, Opéra, t. ix, p. 655.
V. Dispositions a la grâce. — Les enfants et ceux
qui ne sont jamais parvenus à l'usage de la raison ne
doivent avoir aucune disposition pour recevoir, par le
baptême, la grâce sanctifiante. Nous nous occupons
donc uniquement des adultes, c'est-à-dire de ceux qui
ont atteint l'usage de la raison.
Remarquons d'abord qu'on distingue disposition
négative et disposition positive : on appelle disposition
négative ce qui écarte ou détruit un obstacle à recevoir
un effet ou à poser un acte; on appelle disposition
positive ce qui ordonne positivement un être à recevoir
une perfection ou à poser un acte. Considérons, par
exemple, un morceau de bois humide : l'humidité est
un obstacle à ce que le bois s'enflamme; si le bois est
séché, cet obstacle est enlevé : le bois aura ainsi une
disposition négative à brûler; mais supposons qu'on
mette dans ce bois une matière facilement inflam-
mable, cescra pour lui une disposition positive à brûler.
Quant à l'homme, la connaissance naturelle de Dieu
et de ses perfections détruit l'obstacle qui consiste dans
l'erreur: cette connaissance naturelle est une disposi-
tion négative à la foi surnaturelle; l'illumination interne
du Saint-Esprit est une disposition positive à la foi.
Faisons observer, en passant, qu'on ne peut pas logi-
quement distinguer besoin positif et négatif; le besoin
d'une chose est formellement l'exigence de cette chose,
c'est-à-dire la nécessité d'une chose due à l'être auquel
elle fait défaut ; quelle que soit l'origine du besoin,
celui-ci suppose toujours une disposition positive (soit
prochaine soit éloignée) à la perfection qui fait défaut.
Personne ne nie qu'il puisse y avoir des dispositions
négatives à la justification et à la grâce : telles sont la
connaissance naturelle des choses divines, les bonnes
qualités naturelles, l'absence de vices.
llvil
GRACE
1632
1. Il n'y a pas, sans la grâce actuelle, de dispositions
positives à la justification : cette assertion est contenue
dans la définition générale du IIe concile d'Orange, où
il est dit que l'homme, par la seule vigueur naturelle, et
vins l'illumination ou l'inspiration du Saint-Esprit, ne
lient ni concevoir ni choisir aucun bien, connue il le
faut pour le salut. Denzinger-Bannwart, n. 180.
2. Les adultes doivent se disposer positivement à rece-
voir la grâce sanctifiante par des actes surnaturels. —
Telle l'ut toujours la foi de l'Église catholique : on peut
s'en convaincre en considérant ce qu'elle a toujours
exigé des adultes avant de les admettre au baptême.
Noir Baptême, t. n, col. 212 sq. ; Catkchuménat,
col. 1971. Cf. dom de Puniet. art. Calêchuménat, dans
le Dictionnaire d'archéologie chrétienne et de liturgie,
t. n, col. 2579; Rituale romanum, t. il, c. iv. Saint Tho-
mas expose la raison intrinsèque de cette nécessité,
Sum. thcol., Ia II*, q. cxiii, a. 3, 4 : la nature humaine,
douée d'intelligence et de volonté libre, exige que
l'homme obtienne la sainteté et atteigne sa fin dernière
par des actes conscients et délibérés; ces actes doivent,
en outre, être surnaturels pour qu'ils soient propor-
tionnés à la fin à laquelle ils tendent. Il en résulte que
ces actes, physiques et surnaturels, sont formellement
dans l'ordre moral, et non dans l'ordre physique. Celte
conclusion se déduit aussi de ce que l'infusion de la
grâce a lieu chez les enfants sans (pie ces actes existent,
(.'est au concile de Trente que fut explicitement
définie la doctrine catholique concernant les disposi-
tions des adultes à la justification. Sess. vi, c. VI,
Denzinger-Bannwart, n. 797-780. Pour les détails, nous
renvoyons à l'art. Justification.
3. îl est une autre question qui concerne directement
l'infusion de la grâce sanctifiante. Les anciens scolas-
tiques et notamment saint Thomas enseignent que la
justification de l'impie en dehors de la réception des
sacrements, c'est-à-dire que la justification de l'adulte
(en état de péché mortel personnel) au moyen de l'acte
de contrition parfaite, se fait instantanément : ils
entendent par là que l'acte libre est en même temps la
détestation du péché et l'amour à l'égard de Dieu, et
que la grâce sanctifiante est infuse au même instant
que se produit cet acte. Cf. le scholion des éditeurs des
Opcra sancti Bonuvcnlurœ, t. IV, p. 427. Saint Thomas
cnseigne,en outre, que l'infusion de la grâce sanctifiante
et de la charité infuse est, quant à la nature, antérieure
à l'acte de contrition et que cet acte est élicité par la
vertu infuse elle-même. Sum. Iheol., I» II*, q. cxm,
a. S; De veritalc, q. xxvn, a. 8; Cajétan, Di Sum. Iheol.,
I1 II'. q. cxm, a. 8; Soto, De natura cl gratia, I. II,
c. xviii, fol. 172; Vasquez, Commenlaria et disputa-
tior.es in Summam S. Thomœ, Anvers, 1621, In Dm II',
I. ii, disp. CCII, c. m. p. 711 sq. ; card. Billot, De gratia
Chrisli, thés, xvn, p. 231 sq. Suarez, au contraire, De
gratia, 1. VIII, c. XII, Opéra, t. ix, p. 366 sq., enseigne
que cet acte surnaturel, par lequel le pécheur se dispose
proxime à recevoir la grâce sanctifiante, ne procède
pas effective de la grâce habituelle ou de Y habitas infu-
sus charilatis, mais est produit par un autre secours,
c'est-à-dire par une grâce actuelle adjuvante, et
qu'alors seulement arrive l'infusion de la grâce sanc-
tifiante. La même opinion est soutenue par Lugo, Dis-
putationes scholasticœ et morales, Paris, 1868 sq., t. iv,
/). pœnilentia, disp. VIII, sect. vu, p. 490 sq. ; par
Gotti, Thcologia scholaslico-dogmatica, Venise, 1750,
t. n, tr. VII, q. il, dub. IV, § 6, p. 390 sq.; par Pesch,
/Va*/. dogm.,t v, n. 360; par Mgr Wafïclaert, Anno-
lationes in tractation de virlulibus theologicis, Bruges,
l'ion, p. 155.
Certes, il n'y a pas de répugnance à ce que l'acte de
contrition parfaite soit produit par une grâce actuelle,
et que, dès que cet acte est produit, soit produite en
l'âme la grâce sanctifiante, avec les vertus qui lui sonl
connexes. Mais il ne semble pas y avoir une raison suf-
fisante d'admettre ce secours actuel, comme nous le
dirons plus loin. La principale objection que l'on pré-
sente à l'opinion de saint Thomas est celle-ci : Si
l'acte de contrition parfaite est la disposition ultime
à la justification, il s'ensuit que la grâce sanctifiante
et la vertu infuse de charité sont données parce que
1 homme est contrit et elles sont natura postérieures
à l'acte; mais si la grâce sanctifiante et la vertu de cha-
rité infuse sont le principe efficient d'où procède l'acte
de contrition parfaite, il s'ensuit cpie la grâce sancti-
fiante et la vertu infuse de charité sont données pour
que l'homme soit contrit, et elles sont nalura antérieures
à l'acte. Or, il est impossible que la grâce sanctifiante
et la charité infuse soient données et parce que l'homme
est contrit et pour qu'il le soit; il est impossible que ces
dons soient et antérieurs à l'acte et postérieurs au
même acte. On répond à cela, logiquement, nous sem-
ble-t-il, en distinguant la mineure, c'est-à-dire en dis-
tinguant diverse; raisons formelles d'après lesquelles
la grâce et la vertu infuse influent dans le même acte
et exercent ainsi des causalités formelles différentes;
d'après l'une de ces raisons formelles, les dons dont il
s'agit sont nalura antérieurs à l'acte, d'après l'autre,
ils lui sont postérieurs.
Voici comment le cardinal Billot, op. cit., p. 233 sq.,
explique el défend l'opinion de saint Thomas. D'abord,
l'on admet communément que l'acte de contrition par-
faite et l'infusion de la grâce sanctifiante se font au
même instant. Dés lors, si l'acte de contrition parfaite
était produit (elicilus) par la seule grâce actuelle, et non
par la grâce habituelle, il faudrait admettre la coexis-
tence d'une double élévation de la même faculté opé-
ralive, l'une habituelle, l'autre transitoire : ce qui est
impossible; car l'élévation transitoire, qui se fait par la
grâce actuelle, ne peut exister qu'en l'absence de l'élé-
vation habituelle, au défaut de laquelle la première
supplée.
Maintenant quant aux raisons diverses de causalité,
voici d'abord un exemple emprunté à Soto : le vent
ouvre la fenêtre et pénètre par là. L'entrée du vent est
la cause efficiente de l'ouverture de la fenêtre, et l'ou-
verture de la fenêtre est la cause dispositive de l'entrée
du vent. Si vous considérez l'ordre de la cause effi-
ciente, la fenêtre s'ouvre parce que l'air entre. Si vous
considérez l'ordre de la causalité dispositive, l'air
entre parce que la fenêtre s'ouvre. D'après la première
considération, l'entrée de l'air est nalura antérieure,
et l'ouverture de la fenêtre est nalura postérieure;
d'après la seconde considération, c'est l'ouverture de la
fenêtre cpii est nalura antérieure, et l'entrée qui est
nalura postérieure. On aura la même chose dans la
matière que nous étudions : l'infusion de la grâce cor-
respond par analogie à l'entrée du vent, et la produc-
tion de l'acte de contrition à l'ouverture de la fenêtre.
Pour mieux le comprendre, distinguons par la raison
un double moment dans un seul et même instant phy-
sique, et distinguons une double formalité aussi bien
dans la grâce qui est infuse que dans l'acte de contri-
tion qui est produit. Au premier moment, on doit
considérer la grâce habituelle dans son infusion, en
tant qu'elle meul et élève l'âme, étant ainsi grâce opé-
rante, principe de l'acte de contrition, qui est disposi-
tion ultime à la justification. Au second moment, on
doit considérer la même grâce habituelle dans sa pos-
session (c'est-à-dire en état d'être possédée parl'homme)
en tant cpie déjà elle informe l'âme et exerce l'effet qui
lui est propre; ainsi elle est grâce coopérante, principe
de l'acte de contrition en tant qu'il est méritoire de la
vie éternelle. Si donc nous considérons l'acte de con-
trition précisément en tant qu'il est disposition ultime
à la justification, il procède réellement de la vertu
infuse de la charité; mais en tant (pie celle-ci tient lieu
1633
GRACE
1634
d'une simple motion à l'acte (et cette simple motion,
transitoire, à l'acte serait donnée, si la disposition
ultime à une forme ne devait exister au même instant
physique que cette forme). Si nous considérons l'acte
de contrition comme méritoire de la vie éternelle, il
procède de la vertu infuse en tant qu'elle est possédée
par l'âme et l'informe. Ce n'est donc pas sous la même
formalité que l'on considère la grâce sanctifiante
quand, d'une part, l'on dit que, dans son infusion, elle
est nalura antérieure à l'acte de contrition, et, d'autre
part, que, dans sa possession, elle est natura posté-
rieure à ce même acte; de même, ce n'est pas sous la
même formalité que l'on considère l'acte de contrition
quand on dit, d'une part, que cet acte, en tant qu'il est
disposition ultime à la justification, est nalura antérieur
à l'obtention de la grâce, et, d'autre part, que ce même
acte, en tant qu'il est méritoire, est natura postérieur à
la grâce. Enfin le bien-fondé de la distinction apparaît
clairement quand on fait attention à ceci : l'acte de
contrition parfaite en tant qu'il est disposition ultime
à la justification, et à ce peint de vue antérieur à la
grâce sanctifiante, se trouve être une cause maté-
rielle ; la grâce en tant qu'elle est le principe de cet
acte, et à ce point de vue antérieure à l'acte de contri-
tion, se trouve être une cause efficiente. Ainsi donc dis-
paraît la contradiction qui s'exprimait dans l'objection
exposée plus haut: il n'est pas vrai que la grâce sanc-
tifiante soit, en même temps, et sous le même aspect,
antérieure et postérieure au même acte de contrition.
VI. Causes. — Le concile de Trente, sess. vi,
c. vu, Denzinger-Bannwart, n. 799 sq., énumère les
causes de la justification : nous y trouvons indiquées
celles qui concernent la grâce sanctifiante elle-même.
Sur les différents genres de causes, voir Cause, t. a,
col. 2019 sq. — 1° La cause finale de la grâce, c'est-à-
dire le bien à l'obtention duquel est ordonnée la grâce,
est double : d'abord, la fin dernière, et celle-ci encore
est double : absolue : c'est la gloire extrinsèque de Dieu ;
relative, subjective, c'est la béatitude (subjective) éter-
nelle de la créature, c'est-à-dire la vision intuitive de
Dieu. Voir Intuitive (Vision). Sur la notion de fin
dernière, voir Fin, t. v, col. 2481-2499. La lin immé-
diate est la sanctification surnaturelle de la créature,
car l'effet formel de la grâce sanctifiante est la déi-
formité, c'est-à-dire une ressemblance spéciale et sur-
naturelle avec Dieu, une participation surnaturelle et
formelle à la nature divine. Celte entité est produite
par Dieu dans l'essence de l'âme afin de rendre celle-ci
apte à agir surnaturcllement au moyen des vertus
infuses, et notamment a aimer Dieu surnaturcllement ;
c'est en cette charité que consiste essentiellement la
perfection morale ou sainteté. Voir S. Thomas, De vir-
lutibus in communi, q. i, a. 10; Sum. theol., IIa IIœ,
q. xxiii, a. 1-8; Charité, t. n, col. 2225 sq. La grâce
habituelle dont nous parlons est à juste titre appelée
sanctifiante, parce qu'elle est le principe radical de la
sainteté surnaturelle (qui seule est la sainteté véritable
dans l'ordre actuel de la providence) et qu'elle est insé-
parablement unie à la charité surnaturelle en laquelle
consiste formellement la rectitude parfaite de la vo-
lonté à l'égard de Dieu, c'est-à-dire la sainteté.
2° La cause efficiente principale de la grâce sancti-
fiante est Dieu seul : seul, il peut la produire et l'in-
troduire dans l'âme. Voir S. Thomas, Sum. theol., I»
II'1', q. c.ix, a. 7: q. cxn, a. 1; Suarez, De gratta,
1. VII, c. xxv, Opéra, t. ix, p. 301 sq. La cause effi-
ciente instrumentale est, à titres divers, le sacrement
et l'humanité du Christ : sur la causalité propre aux
sacrements, voir Sacrements; sur la causalité propre
à l'humanité du Christ, voir S. Thomas, Sum. theol..
IIIa, q. xlviii, a. 6. C'est ici que vient la question : la
justification de l'homme ou l'infusion de la grâce est-
elle un miracle '.' Si par miracle on entend un effet sen-
D1CT. DE THEOL. CATHOL.
sible produit par Dieu, en dehors du cours naturel des
choses, déterminé par les lois physiques, alors il est
évident que l'infusion de la grâce n'est pas un miracle.
Si l'on considère que l'infusion de la- grâce se fait par-
fois d'après des règles générales, établies par la provi-
dence, et parfois en dehors de ces règles, par exemple,
au cas d'une conversion subite et parfaite d'un pécheur,
la justification dans ce cas pourra être dite miracu-
leuse : ce sera un effet miraculeux, quoad modum fa-
ciendi, et dans l'ordre moral. Voir S. Thomas, Sum. theol.,
1*11*, q. cxiii, a. 10; Suarez, op. cit.,n. 7 sq., p. 303 sq.
3° La cause matérielle de la grâce est l'âme humaine,
en ce sens que l'essence de l'âme est le sujet immédiat
dans lequel ce don est infus. Nous avons vu plus haut
que chez l'adulte sont requises des dispositions posi-
tives à la réception de la grâce, ce sont des actes divers,
tels que la foi, l'espérance, l'attrition dans le sacrement
de la pénitence et dans les autres sacrements, voir
Attrition, t. i, col. 2239, 2245 sq. ; la contrition ou la
charité parfaite en dehors des sacrements. Voir Con-
trition, t. m, col. 1684. Mais ces actes ne sont pas
absolument nécessaires, puisque, dans les enfants,
incapables de ces opérations, la grâce sanctifiante est
produite par le baptême. Cf. S. Thomas, De verilale.
q. xxviii, a. 3, ad 11 L'âme humaine est donc par
elle-même en état, c'est-à-dire en puissance obédien-
tielle, de recevoir la grâce : celle-ci est produite immé-
diatement par Dieu, et comme elle est absolument
surnaturelle, elle ne sort pas ex polcnlia nalurali mate-
;/.c. Dès lors, puisque la création se définit : produciio
ex nihilo sui et subjeeti, on peut dire que la grâce est
créée, produite de rien. Mais ici intervient une distinc-
tion concernant la terminologie et provenant non du
mode dont est produite la grâce, mais de son essence
même. En effet, la grâce est un accident, par consé-
quent elle n'existe pas en elle-même, mais seulement
en une substance dans laquelle elle est infuse. Or, être
créé convient à proprement parler aux êtres qui exis-
tent en eux-mêmes, c'est-à-dire aux substances et non
aux accidents. De même que ceux-ci ne sont pas exis-
tants, mais coexistants, ainsi les accidents ne sont pas
créés, mais concréés. Ceci s'applique avant tout a
l'acte par lequel Dieu crée une substance en même
temps que ses accidents, par exemple, pour Adam,
d'après l'opinion la plus probable, son âme fut au
même instant créée, ornée de la grâce et infuse au
corps. Mais alors même que la production de l'accident
vient après la production de la substance, quand la
production de l'accident est une produciio ex nihilo sui
cl subjeeti, on dit encore correctement que cet accident
es1 concréé. Cf. S. Thomas, Sum, theol., [», q. xlv, a. 1 ;
De potentiel, q. m, a. 8, ad 3""'. A cet endroit saint
Thomas explique très nettement sa pensée; voici ses
paroles que nous commenterons : Gratia, cum non sil
forma subsistens, nec esse nec fiai ci proprie per se corn-
petit : unde non propric crealur per modum illum quo
substantiœ per se subsislenles ercanlur. Infusio tamen
gratiœ accedit ad rationem crealionis in quantum yralia
non habet causam in subjeclo, nec efficientem, nec lalem
materialcm in qua sit hoc modo in polentia, quod per
agens naturale educi passif in actum, sicut est de aliis
formis naturalibus. La grâce sanctifiante n'est pas une
forme subsistante, c'est-à-dire une forme qui existe en
elle-même (elle n'est qu'un accident); c'est pourquoi il
ne lui convient pas, à proprement parler, d'exister ou
de devenir; par conséquent il ne lui convient pas, à
proprement parler, d'être créée; les substances seules,
les êtres existants en eux-mêmes sont, à proprement
parler, créés. La grâce cependant est produite, et Dieu
seul peut être la cause efficiente principale de cette
production comme le dit explicitement saint Thomas,
Sum. theol.. III», q. lxii, a. 1 : Hoc modo (lanquam causa
principalis) nihil potest causare graliam nisi Deus quia
VI. — 5>
1635
GRACE
1636
gralia nihil est ciluul quant quœdam paiticipata simi-
liludo divins natures. La «race, qui est produite immé-
diatement par Dieu, est ainsi, et au même instant.
infuse dans l'âme : cette production-infusion est une
opération qui doit être rapportée au genre de l'opéra-
tion créatrice, parce que la grâce n'a pas, dans lesujel
où elle est infuse (c'est-à-dire dans l'âme), sa cause
efficiente, ni la cause matérielle d'où elle est tirée ou
extraite; la grâce ne peut pas être produite de l'âme,
comme les formes naturelles peuvent sortir de leur
(anse matérielle par l'action d'un agent naturel. Saint
Thomas oppose ici l'action divine, qui produit la grâce
et l'infuse à l'âme, à l'action d'une cause naturelle qui
l'ait sortir une forme d'un sujet où elle était en puis-
sance : parce que ce dernier point ne se réalise pas dans
la production de la grâce, celle-ci n'est pas educlio
jormse ex potentiel materiœ, mais appartient au genre de
la création. Suarez,De gratta, 1. VIII, c. n, n. 16, Opéra,
t. ix, p. 318, dit aussi que la production de la grâce
n'est pas de même espèce ou de même ordre que réduc-
tion d'une forme faite par un agent naturel, et, quant à
la manière réelle dont est produite la grâce, il n'y a pas
de différence entre cet auteur et saint Thomas. Mais il y
a divergence quant à la terminologie: d'après saint
Thomas, la production de la grâce doit être rapportée
au genre de l'opération créatrice; d'après Suarez, au
contraire, elle doit être rapportée au genre de l'opération
qui fait sortir la forme de la matière : gralia educilur de
potenlia obedientiali animée seu subjecli in quo immé-
diate fit. Op. cit., n. 13, p. 317. Cette manière de parler
est inexacte; en effet, la grâce est bien produite dans
l'âme et y est inhérente; mais l'âme humaine n'est par
elle-même aucunement ordonnée à recevoir la grâce,
celle-ci n'est pas contenue en puissance dans l'âme,
n'en sort point et n'est pas faite de l'âme : la grâce,
étant essentiellement surnaturelle, est tout simple-
ment surajoutée à l'âme, qui par elle-même n'a aucun
rapport avec la grâce et n'a que la possibilité de la
recevoir ; cette possibilité n'est pas distincte de l'es-
sence de l'âme et se réalise tout entière dans la seule
immatérialité de l'âme. Saint Bonaventure, Inl V Sent,
I. Il.dist. XXVI. q. m; dist. XXVIII, dub. i, Opéra,
t. n. p. 638 sq.,690, fait bien ressortir que la grâce est
dans l'âme, comme dans son sujet, mais qu'elle vient de
Dieu comme de sa cause : elle ne tire pas son origine
des principes de l'âme. Il expose aussi qu'il y a deux
sortes d'habilus : les uns ont leur origine dans la
faculté opérative et sont produits par la répétition des
actes; ils donnent à la faculté, dans laquelle ils se
trouvent, une aptitude à agir. Mais il y a un habitas
qui nous vient du ciel; qui ne dépend pas uniquement
du sujet dans lequel il se trouve, mais beaucoup plus
de celui d'où il vient. Cet liabilus, la grâce, ennoblit la
faculté et l'élève au-dessus d'elle-même.
4° La cause méritoire de la grâce est le Verbe in-
carné : par les œuvres faites dans son humanité en
l'honneur de Dieu, surtout par sa passion et par sa
mort, il a obtenu une nouvelle concession de la grâce
en faveur du genre humain. Voir S. Thomas, Sum.
theol., III*, q. xi.vni, a. 1; card. Billot, De sacramentis,
Rome, 1893, l. i, p. 49. L'homme ne peut pas mériter
de condigno la grâce sanctifiante; voici ce que dit le
concile de Trente, sess. vi, c. vin, Denzinger-Bann-
wart, n. 809 : « C'est gratuitement que nous sommes
justifiés, parce que rien de ce qui précède la justifica-
t ion, soit la foi, soit les œuvres, ne peut mériter la grâce
de la justification. » L'acte de charité parfaite surna-
turel, qui est, comme nous l'avons exposé, la disposi-
tion ultime à la justification, ne peut être la cause méri-
toire de la justification, bien qu'il puisse être cause
méritoire de la vie éternelle. L'homme qui, avant d'être
justifié, coopère aux grâces actuelles, et par elles se
dispose positivement a la justification, peut la mériter
de congruo. Ces questions
ticle Mérite.
bavent être traitées à l'ar-
lll. GRACE ACTUELLE. — I. Existence. IL Essence.
III. Division. IV. Efficacité. V. Nécessité de la grâce
actuelle pour l'homme justifié.
I. Existence. — Dans la première partie de cet
article nous avons démontré l'existence de la grâce
considérée en général, en entendant par là tout don
interne et surnaturel, par lequel l'homme est rendu
capable de faire des œuvres salutaires et de mettre en
pratique les préceptes divins, dont l'observation est
requise à l'obtention de la béatitude éternelle. Dans
la seconde partie nous avons considéré en particulier ce
don, qui est appelé la grâce sanctifiante : elle est habi-
tat Ile et permanente, elle est pour l'homme à l'instar
d'une nouvelle nature, d'où dérive, au moyen des
vertus infuses, l'activité surnaturelle. Nous recherchons
maintenant s'il existe des influences surnaturelles qui
sont des impulsions dont toute la raison d'être consiste
à mouvoir l'homme immédiatement et exclusivement
à des actions salutaires.
1° L'Écriture sainte nous fait connaître l'existence
1 de telles entités. — 1. Le Christ, parlant des adultes et
de leur adhésion à son œuvre, dit : « Nul ne peut venir
à moi, si le Père qui m'envoie ne l'attire. » Joa., vi, 44.
Venir au Christ signifie ici croire, comme le Sauveur
l'explique : « Il y en a parmi vous quelques-uns qui ne
croient pas... C'est pourquoi je vous ai dit que nul ne
peut venir à moi, si cela ne lui a pas été donné par mon
Père. » Joa., vi, 64, 65. Donc pour que l'homme croie
au Christ il ne lui suffit pas d'entendre la prédication
de la doctrine chrétienne, ni d'avoir cette connaissance
et ces désirs qui peuvent résulter naturellement de
cette audition, mais il faut que le Père l'attire. Il y a
donc ici une influence divine, qui s'exerce dans l'inté-
rieur de l'homme. Elle est expliquée par Jésus : « Qui-
conque a entendu le Père et qui a reçu son enseigne-
ment vient à moi. » Joa., vi, 45. L'influence divine, qui
attire l'homme à la foi, comporte un elfet produit dans
son intelligence et l'éclairant sur la vérité. Cette con-
clusion est confirmée par cette parole : « Il est écrit
dans les prophètes : Ils seront tous enseignés par Dieu.
Quiconque a entendu le Père et reçu son enseignement
vient à moi. » Joa., vi, 45. Les assertions prophétiques,
auxquelles Jésus fait allusion, se trouvent dans Isaïe,
liv, 13, et dans Jérémie, xxxi, 34, et elles enseignent
que l'économie messianique aura pour prérogative
l'influence immédiate de Dieu, éclairant les intelli-
gences humaines sur la vérité.
Cette même influence est affirmée encore dans les
Actes, xvi, 13 sq. : « Le jour du sabbat, nous nous ren-
dîmes hors de la porte, sur le bord d'une rivière, où
nous pensions qu'était le lieu de la prière. Nous étant
assis, nous parlâmes aux femmes qui s'étaient assem-
blées. Or, dans l'auditoire était une femme nommée
Lydie : c'était une marchande de pourpre.... craignant
Dieu, et le Seigneur lui ouvrit le cœur pour qu'elle fût
attentive à ce que disait Paul. » Ici donc aussi la pré-
dication est nettement distinguée de l'influence pro-
duite immédiatement par Dieu sur l'âme de Lydie :
c'est cette influence qui la rend efficacement attentive
et fait qu'elle comprend ce qui lui est prêché. Sans exa-
miner à fond l'essence de cette influence divine, nous
pouvons dire qu'elle est surnaturelle, d'abord pane
qu'il s'agit d'une communication spéciale et d'un secours
spécial de Dieu, secours qui n'est pas compris dans le
concours général que Dieu doit à sa créature, ensuite
parce que ce secours interne et spécial est donné pré-
cisément pour un acte salutaire et par conséquent
appartient à l'ordre des dons surnaturels, comme nous
l'avons démontré en établissant la nécessité de la grâce
pour tout acte salutaire. Remarquons enfin cpie lin-
1637
GRACE
luis
iluence décrite est, de sa nature, transitoire, car elle
est tout entière ordonnée à Yack de foi. Elle est encore
réellement distincte de la grâce sanctifiante, puisqu'elle
est donnée avant la justification.
2. L'influence divine, interne et intime, requise à la
foi salutaire, est enseignée par saint Paul : « Moi j'ai
planté, Apollos a arrosé, mais Dieu a fait croître.
Ainsi celui qui plante n'est rien, ni celui qui arrose;
Dieu, qui fait croître (est tout). » 1 Cor., m, 6. Paul a
rempli à Corinthe le rôle de celui qui plante : il a le
premier prêché l'Évangile aux Corinthiens et a mis
dans leurs âmes la semence de la foi; après son dépari
est arrivé Apollos, qui par sa prédication a, pour ainsi
dire, arrosé ce que Paul avait planté. Mais de même
que, pour la moisson naturelle, ceux qui plantent et
ceux qui arrosent ne font pas autre chose que réaliser
les conditions externes requises à la croissance, ainsi
en est-il des prédicateurs pour la moisson spirituelle;
ils proposent ce qui est nécessaire à la foi, mais ils ne la
produisent pas. La cause véritable de la croissance de
la plante est sa force vitale interne qui lui est donnée
par Dieu; c'est encore l'influence interne et vitale
donnée par Dieu, ou la grâce. Cf. Cornely, Commen-
tarius in priorem Epislolam ad Corinlhios, Paris, 1890,
p. 78. Dans la pensée de saint Paul, les prédicateurs de
l'Évangile sont les coopérateurs, ayvepyoî, de Dieu dans
l'œuvre de la sanctification des hommes : leur activité
se termine à ce qui est extérieur à la foi et à la sancti-
fication; celles-ci sont l'effet du secours interne qui
vient de Dieu. Ce secours n'est pas le concours général
de Dieu, car il est dans l'ordre de la foi et de la justifi-
cation, qui sont des dons gratuits et qui dépendent des
mérites de Jésus-Christ, comme l'expose l'apôtre, Rom.,
m, 22-24; Eph., il, 8-10; ce sont des dons surnaturels
comme nous l'avons démontré en exposant l'existence
de la grâce considérée en général. Enfin ce secours sur-
naturel est actuel, c'est-à-dire qu'il est essentiellement
ordonné et qu'il se termine à des actes qui sont requis
préalablement à l'état de justification.
Dans les justes il est aussi une influence du Saint-
Hsprit, qui détermine des actes, notamment des sup-
plications. Rom., vin, 15, 26. C'est encore par cette
influence que l'homme peut résister volontairement
aux assauts de la concupiscence. Rom., vu, 5-vm, 5.
La coopération des prédicateurs à l'œuvre de la con-
version des hommes est, elle aussi, un cfïet d'une in-
fluence divine spéciale : « Ce n'est pas que nous soyons
par nous-mêmes capables de concevoir quelque chose
comme venant de nous-mêmes, mais notre aptitude
vient de Dieu. » Il Cor., m. 5. Dieu, qui, parsa grâce
interne, produit la foi dans les âmes, exerce encore son
influence sur l'intelligence des prédicateurs et la rend
apte à concevoir les pensées opportunes. De ce texte
on peut conclure que l'aptitude à penser salutairemenl,
chez ceux qui arrivent à la foi, est aussi l'effet de la grâce
divine actuelle. Saint Paul compare les Corinthiens
convertis à une lettre écrite, par son ministère, non
avec de l'encre, mais par l'Esprit du Dieu vivant, 3 :
l'interprétation la plus probable de ces paroles les
explique de l'action interne et surnaturelle que l'Es-
prit-Saint exerce sur les âmes et par laquelle il pro-
duit en elles des actes salutaires; en ce sens, le texte
confirme l'existence des grâces actuelles.
Le texte de l'Épître aux Philippiens, n, 13 sq. :
« Ainsi, mes bien-aimés, comme vous avez toujours
été obéissants, travaillez à votre salut avec crainte et
tremblement..., car c'est Dieu qui opère en vous le
vouloir et le faire, selon son bon plaisir, » n'est pas
expliqué de la même manière par tous les interprètes,
notamment pour ce qui concerne la portée des mots
avec crainte et tremblement. Cf. Prat, Théologie de saint
Paul, t. ii, p. 125 sq. ; Knabenbauer, Commentarius in
Epislolas ad Ephesios, ad Philippenses et ad CoLossenses,
Paris, 1912, p. 225 sq. Quoi qu'il en soit, les paroles de
l'apôtre contiennent l'affirmation d'une influence in-
terne et surnaturelle sur l'activité mêmes par laquelle
les justes se sanctifient, notamment sur l'acte de vou-
loir le bien et son exécution, sur la résolution de bien
faire et sa mise en pratique. L'apôtre n'explique pas
en quoi consiste cette influence sur la volonté, mais,
d'après sa doctrine générale, nous devons comprendre
que c'est un effet de l'Esprit-Saint qui habite dans les
justes. On ne peut pas conclure de ce texte qu'une
influence spéciale et surnaturelle est requise pour cha-
cun des actes salutaires dans l'homme justifié : l'apôtre
considère en général l'activité par laquelle l'homme se
sanctifie : il doit agir lui-même et opérer son salut,
mais il ne peut pas le faire seul; il doit être aidé par
Dieu qui agit intimement en lui, suscite de bonnes réso-
lutions et renforce la volonté dans leur exécution. Ainsi
l'activité salutaire de l'homme dépend réellement de
Dieu, et l'homme doit craindre parce qu'il peut perdre
ce secours divin.
2" Les Pères, avant le pélagianisme, enseignent aussi
l'existence d'une influence surnaturelle affectant direc-
tement les actes salutaires et l'existence d'un secours
divin surajouté à l'énergie humaine pour résister aux
tentations ou pour réaliser les actes vertueux. Saint
Ignace d'Antioche dit que c'est avec l'aide de Jésus
que nous repousserons victorieusement tous les assauts
du prince de ce monde. Ad Magn., i, 2. Clément
d'Alexandrie connaît l'influence de la grâce sur les
actes de la volonté et y voit deux forces conjuguées.
Voir Clément d'Alexandrie, t. m, col. 174 sq.
Origène connaît aussi cette influence divine qui se
surajoute à l'énergie volontaire et la renforce, sans
cependant détruire la liberté. De principiis, 1. III,
c. i, n. 22, P. G., t. xi, col. 289, 301. La nécessité du
secours divin, qui laisse intacte la liberté humaine, est
aussi affirmée par saint Éphrem. Cf. Tixeront, Histoire
des dogmes, t. n, p. 213. Tertullien décrit la puissance
de la grâce divine qui surpasse l'énergie naturelle et
fléchit le libre arbitre. De anima, n. 21, P. L., t. n,
col. 285. Cf. d'Alès, La théologie de Tertullien, p. 270 sq.
Marius Victorinus, In Epist. ad Phil., n, 12, 13, P. L.,
t. vin, col. 1212, expose très bien aussi comment notre
activité salutaire dépend et de nous et de Dieu : c'est
nous qui voulons, mais c'est Dieu qui opère en nous
l'acte de vouloir et qui donne l'efficacité au vouloir
salutaire. Saint Cyrille de Jérusalem, Cal., xvi. P.».
P. G., t. xxxm, col. 244, décrit comment le Saint-
Esprit illumine l'intelligence par de bonnes pensées.
L'influence spéciale de Dieu sur les actes salutaires
de connaissance et de volition se trouve maintes fois
affirmée par saint Basile, De Spiritu Sancto, c. xxvi,
n. 61 sq. ; Epist., vu. lxxix, P. G., t. xxxn, col. 180,
184, 244, 453 ; par saint Grégoire de Nysse, cf. Tixeront,
op. cit., p. 145; par saint Grégoire de Nazianze, cf.
Hummer, Des hl. Gregor Nazianz Lehre von der Gnade,
Kempten, 4890, p. 6G sq. ; par saint Jean Chrysostome,
In Joa., homil. xlvi, 1; In Epist. 7ara ad Cor., homil.
xxiv,l ,P. G., t. lix, col. 257 ; t. i.xi, coï. 198. Saint Cyrille
d'Alexandrie montre la grâce agissant dans les actes par
lesquels l'homme se prépare à la justification. Gf.Weigl,
Die Heilslehre des hl. Cyrill von Alexandrien, p. 138 sq.
C'est surtout dans les œuvres de saint Augustin
écrites contre le pélagianisme et dans les documents
des conciles réunis contre cette hérésie, qu'il faut
chercher la doctrine catholique concernant la grâce
actuelle, c'est-à-dire du secours donné précisément
pour les actes qui sont salutaires en celui qui les pro-
duit; nous ne parlons pas de ce qu'on appelle mainte-
nant les charismes ou graliœ gratis datœ.
L'homme, de lui-même, peut pécher; mais il ne peut
pas produire des œuvres de justice (opéra justa) ou
observer tout ce qui comporte la justice sans le secours
K;->
GRACE
1640
de Dieu : ce secours est interne, mais c'est un secours
et il faut que l'homme y ajoute l'effort spontané de
sa volonté; c'est ainsi que Dieu opère en nous notre
salut. Ce secours, la grâce divine, non seulement nous
fait voir ce que nous devons faire, mais nous aide à
réaliser ce qu'il nous a montré. Ce secours consiste dans
la connaissance certaine du bien à faire et dans la
délectation victorieuse (scientia cerla, delectatio victrix);
c'est Dieu qui nous fait connaître ce qui nous était
caché, et qui rend agréable ce qui ne nous plaisait pas.
De peccalorum meritis et remissione, 1. II, c. v, xix, P. L.,
t. xi.iv, col. 153 sq., 170. La nécessité du secours divin
pour éviter le péché est affirmée dans De naliira cl
gralia, c. xxvi, P. L., t. xliv, col. 261. Ces livres
furent écrits par Augustin avant le concile de Carthagc
en 418. Là on définit que la grâce est un secours donné
à l'homme pour qu'il puisse éviter le péché, can. 3 ; que
ce secours consiste et dans la connaissance et dans
l'amour de ce que nous devons faire, can. 4; que ce
secours est nécessaire pour accomplir les préceptes
divins, can. 5. Denzinger-Bannwart, n. 103-105. Dans
les canons, que nous venons de citer, il est question de
la gralia justificalionis : ce tenue ne désigne pas uni-
quement la grâce sanctifiante; il désigne aussi ces
secours qui influent sur l'intelligence et la volonté et
aident ainsi surnaturellement l'homme à faire le bien;
cette portée du terme ressort de la description même
qui est donnée de la gralia justificationis dans ces
décrets. Saint Augustin, De gratia Christi, écrit en 418,
indique très clairement que, sous le nom de grâce, il
faut entendre un secours surajoute aux facultés natu-
relles, 1. I, c. m, P. L., t. xliv, col. 361 sq., qui influe
sur l'acte même par lequel nous voulons le bien, c. v, vi,
col. 363, qui est une connaissance et une dilection
infuses par Dieu dans l'âme, c. xm, xiv, xxvi, col. 367,
368, 374, notamment aliquod adjutorium bene ageiidi
adjunctum naturse alque doctrinœ per inspirationem
flagrantissimx cl lnminosissirn;v charitatis, c. xxxv,
col. 378. On sait que le mot charilas ne désigne pas
toujours, chez saint Augustin, la vertu infuse de
charité, ni l'acte de charité parfaite. Souvent il désigne
généralement toute inspiration vers le bien, par oppo-
sition à l'amour des choses inférieures, à la concu-
piscence. Cf. 'fixeront, Histoire des dogmes, t. n,
p. 486. C'est ce dernier sens qu'a le mot charilas dans
le texte que nous venons de citer.
Quand il s'agit d'actes salutaires, c'est-à-dire d'actes
par lesquels l'homme se prépare positivement à la
justification ou exerce la sainteté chrétienne, il esl
toujours question d'un secours surnaturel. Voir Augus-
tin', t. i, col. 2387. La grâce surnaturelle et interne,
qui influe sur les actes salutaires, sans détruire le
libre arbitre, est aussi affirmée dans le document Indu-
culus, c. 12. Denzinger-Bannwart, n. 141. Cf. Célestin,
t. n, col. 2058 sq. Saint Prosper, Contra Collatorcm,
c. vu, n. 2, 3, P. L., t. li, col. 230 sq., décrit les diverses
allections, produites par le Saint-Esprit, par lesquelle
les hommes sont attires au Christ, d'après le texte,
Joa., vi, 44. Le IIe concile d'Orange affirme plus caté-
goriquement encore l'existence de la grâce actuelle et
sa nécessité : personne ne peut avoir une pensée salu-
taire, ni croire, sans une illumination et une inspira-
tion du Saint-Esprit, can, 7. Denzinger-Bannwart, n.180.
3° Les scolasliques anciens se sont occupés de la
grâce sanctifianle plus que de la grâce actuelle; ils nous
ont néanmoins exposé l'existence et la nécessité de
celle-ci. Cf. S. Bonaventure, In IV Sent., 1. II, dist.
XXVIII, a 2, q. i, Opéra omnia, Quaraechi, t. m.
p. 682; S Thomas, Quodl., I, a. 7; Sum. theol., I' II',
q cix, a. fi; q. exi, a. 2; q. cxn, a. 2. Dans ces passages
saint Thomas parle d'un secours intérieur et gratuit,
c'est-à-dire surnaturel, qui meut l'âme au bien salu-
taire; il ne s'agit donc pas de la coopération naturelle
de Dieu; de plus, saint Thomas distingue explicitement
une double grâce : le secours divin qui nous meut à
vouloir et à exécuter le bien, et le don habituel infus.
Sum. theol., I" II*', q. exi, a. 2. Ces passages sont tout
différents de celui qu'on lit In IV Sent., 1. II, dist.
XXVIII, q. i, a. 4, où le saint docteur semble ne pas
exiger, pour la conversion de l'adulte, la grâce actuelle
proprement dite. Sur la grâce actuelle, voir aussi Duns
Scot, t. iv, col. 1899 sq. ; Capréolus, In IV Sent..
1. II, dist. XXVIII, a. l.concl. 6, t. vi, p. 286; Dcnys
le Chartreux, Summa fidei orthodoxœ, 1. II, a. 117,
118, t. xvn, p. 325 sq.
1° Le concile de Trente a repris la définition du
IIe concile d'Orange, Denzinger-Bannwart, n. 813,
mais de plus a exposé ce qu'il entend par grâce pré-
venante et quels sont les effets qu'il lui faut attribuer.
C'est à la grâce prévenante qu'il faut attribuer le
commencement de toute activité salutaire, notamment
de toute l'activité par laquelle l'homme adulte par-
vient à la justification. La grâce prévenante comporte
avant tout la vocation ; Dieu touche le cœur de l'homme
par l'illumination ou l'inspiration (ces deux termes sont
synonymes) du Saint-Esprit, l'homme la reçoit en lui.
et peut librement y consentir ou la rejeter; il doit
agir, c'est-à-dire coopérer à cette impulsion pour
arriver à la justification, de façon que l'activité salu-
taire soit reflet et de la grâce de Dieu et de la libre
volonté de l'homme. Les différents actes par lesquels
les adultes, excités et aidés par la grâce, se disposent à
la justification, sont notamment la foi, la crainte,
l'espérance, la charité initiale, la détestation des péchés,
le propos de recevoir le baptême, de commencer une
vie nouvelle et d'observer les commandements divins.
Sess. vi, c. v et vi, Denzinger-Bannwart, n. 797-798.
On trouvera une explication plus détaillée du sens de
ce décret dans Hefner, Die Enlslehungsgeschichte des
rTrienter Rechl/erligungsdekretes, p. 139 sq., qui cite à
propos, p. 154, une remarque d'André de Vega, Tri-
denlini decrcli de justificationc expositio et defensio,
Cologne, 1572, p. 89 : « Les Pères du concile, en énu-
mérant ces six dispositions, n'ont pas eu l'intention
d'affirmer qu'elles soient toujours toutes nécessaires, et
que personne ne peut être justifié si l'une ou l'autre
fait défaut. Quant à l'ordre de succession d'après lequel
elles sont exprimées, ils n'ont pas voulu établir qu'il
est toujours observé soit par Dieu soit par l'homme
dans la préparation à la justification. »
Les hérésies et les controverses qui, après le concile de
Trente, ont surgi au suj et de la grâce actuelle, concernen t
non pas son existence, niais sa nature et sou efficacité.
II. Essence. — 1° Doctrine catholique. — 1. Les
textes, que nous avons cités pour démontrer l'existence
de la grâce actuelle, nous ont déjà fait connaître que
celle-ci consiste dans une influence divine, surajoutée à
l'énergie naturelle, influence qui fait que l'homme
connaît ce qu'il doit savoir, aime et veut ce qu'il doit
vouloir pour être sauvé. Mais comme cette connais
sance et cette volition se réalisent dans des actes d'in-
telligence et de volonté, tous les théologiens enseignent
que le concept de grâce actuelle comprend des actes
et des actes d'intelligence et de volonté : sous cette
forme, la thèse est un dogme de foi, exprimé dans le
can. 7 du IIe concile d'Orange. Denzinger-Bannwart.
n. 180. En précisant davantage, on donne le nom
d' illumination à l'influence exercée par Dieu sur lin
telligence, et le nom d'inspiration à l'influence exercée
par Dieu sur la volonté. Cependant, chez les Pères, ces
termes sont souvent synonymes, et l'un des deux
s'emploie fréquemment pour désigner les deux effets.
On admet aussi que Dieu, en vue d'aider l'homme à
bien agir, opère parfois sur les facultés sensibles, notam-
ment sur l'imagination, l'appétit sensitif : ces influences
(Usines peuvent rentrer aussi dans la catégorie des
lfi'il
GRACE
1642
grâces actuelles. Cf. Palmieri, De gratia actuali, thés.
xn, p. 44. Le même auteur, thés, xm, p. 46, applique
encore le concept de grâce actuelle anx influences
exercées sur nous par les créatures, qui sont en dehors
de nous, mais dont l'action est réglée par la providence.
Ce sont là des grâces externes. Celles-ci sont, dans le
cours ordinaire des choses, l'occasion ou la condition
requises à l'octroi des grâces internes; nous ne nous
occupons que des dernières.
2. Les actes, que nous considérons maintenant, sont
avant tout des actes indélibérés, qui se produisent
indépendamment d'une délibération et d'une élection
libre, qui préviennent notre activité libre et auxquels
nous pouvons consentir ou que nous pouvons rejeter.
u) Comme l'homme ne peut rien vouloir sans qu'il ne
connaisse l'objet de sa volition, il est évident que le
commencement de l'activité salutaire se trouve dans
un acte d'intelligence; comme cet acte est l'effet de
la grâce divine, il est évident qu'il y a des illumina-
tions immédiates et surnaturelles, c'est-à-dire que Dieu
suscite directement en l'homme des pensées salutaires,
les actes cognoscitifs par lesquels l'homme perçoit sicul
nporlet ce qui est requis à l'obtention de la foi ou à
l'exercice subséquent de cette vertu ou à la pratique de
la perfection chrétienne. Les textes cités plus haut,
Joa., vi, 44; Act.,xvi, 13; I Cor., m, 6, ne s'expliquent
qu'en admettant des illuminations immédiates. C'est
d'elles que parlent les Pères dans les passages indiqués
ci-dessus. Nous y ajouterons une déclaration impor-
tante de saint Augustin : « Tous les hommes de ce
règne (du règne du Christ) seront enseignés par Dieu,
ils ne recevront pas la doctrine de la part des hommes.
Ou s'ils la reçoivent par eux, ce qu'ils en comprennent
leur est révélé intérieurement : Et si ab hominibus
audiunt, tamen quod intelligiint inlus datur, inlus
coruscat, inlus revclalur. Que font les hommes qui
parlent du dehors? Que fais-je moi qui vous parle '?...
Celui qui plante et qui arrose agit extérieurement :
c'est ce que nous faisons. Mais ni celui qui plante n'est
quelque chose ni celui qui arrose, mais celui qui donne
la croissance, Dieu. C'est cela (qui est exprimé par ces
mots) : ils seront tous enseignés par Dieu. » In Joannis
Evang., tr. XXVI, n. 7, P. L., t. xxxv, col. 1610.
b) Nous avons vu que Dieu influe aussi sur la volonté
pour la mouvoir au bien salutaire. Or on se demande
s'il y a des inspirations immédiates, c'est-à-dire si Dieu
produit immédiatement dans la volonté des actes
indélibérés comme il en produit clans l'intelligence. La
raison pour laquelle se pose cette question est celle-ci :
quand dans l'intelligence se produit la perception
d'un objet, et quand celui-ci est représenté comme bon,
aimable, désirable ou comme mauvais, haïssable, il
surgit connaturellement dans la volonté des actes
correspondants d'amour, de désir, d'aversion, de répu-
gnance; Dieu pourrait donc, en produisant immédia-
tement des pensées salutaires, faire naître, par ce
moyen, donc médiatement, des mouvements salu-
taires dans la volonté : ce seraient des inspirations
médiates. Les textes de l'Écriture sainte et ceux des
conciles peuvent, à la rigueur, s'interpréter en n'admet-
tant que des inspirations médiates; aussi les théolo-
giens tiennent que ce n'est pas un dogme de foi qu'il
y a des inspirations immédiates; mais aujourd'hui ils
admettent leur existence comme certaine. Cf. Jung-
mann, De gratia, n. 34; Palmieri, op. cit., thés, vin;
Hurter, op. cit., t. ni, n. 19; Einig, De gratia. Trêves,
1896, thés, i; Pesch, Prœl. dogm., t. v, n. 19. Cette
thèse est beaucoup plus conforme au texte de saint
Paul. Phil., il, 13, aux canons des conciles, notam-
ment à celui qui dit : Cum sit vtrvuqoe donum Dei
il s< iiie quid facere debeamus et diligEDE ut faciamus,
Denzinger-Bannwart, n. 104, et à celui-ci : Quod ila
Deus in cordibus liominum atque in ipso libero operetur
arbilrio, ut sancla cogitatio... omnisque motus voluirlatis
t x Deo sit, op. cit., n. 135 ; ici encore le bon mouvement
de la volonté est présenté comme venant immédia-
tement de Dieu aussi bien que de la bonne pensée. La
même doctrine est exprimée dans les prières liturgi-
ques; par exemple, dans le Sacramenlarium leonianum,
édit. Feltoe, Cambridge, 1896, p. 81, on lit l'oraison
suivante : prœsta nobis, Domine, quœsumus, auxilium
gratin' tiuv,ul sine qua nihil boni possumus eadem lar-
gienle digne quœ tua sunt et < OGITAKE valeamus et FACERE.
Dans le Missel romain, l'oraison du vme dimanche
après la Pentecôte dit : Largire nobis semper spirilum
cogitandi quœ recta sunt propitius et AGEND1 : ut qui sine
t,: esse non possumus, secundum te vivere valeamus. C'est
aussi la doctrine de saint Augustin qui insiste spécia-
lement sur l'influence divine dans la volonté, notamment
sur Yinspiratio charitatis. -Voir les textes cités plus haut.
L'assertion se prouve par un argument de raison
théologique : la nécessité de la grâce, nous l'avons
établi dans la première partie de notre article, est une
nécessité physique, celle d'élever nos actes à l'ordre
surnaturel. Par les illuminations immédiates, l'intel-
ligence est élevée, mais non la volonté; or il y a aussi
des actes salutaires dans la volonté, et, à un certain
point de vue, c'est en elle qu'ils se trouvent surtout; il
faut donc encore dans la volonté des inspirations im-
médiates et surnaturelles pour qu'il puisse exister en
elle des actes surnaturels, en l'absence des vertus infuses.
2° Controverse théologiquc. — C'est à la fin du
xvr- siècle qu'a commencé la grande controverse sur
l'essence et sur l'efficacité de h: ^ràce actuelle. L'occa-
sion en a été la publication de l'ouvrage de Molina,
Concordia liberi arbilrii cum graliœ donis, etc., en 1588.
II semble que ce n'est pas Molina qui le premier a
conçu et enseigné la doctrine qui caractérise cette
œuvre, cf. de Scorraille, François Suarez, Paris, 1912,
t. i, p. 356 sq. ; mais c'est à l'apparition de ce livre
qu'a commencé l'opposition menée principalement
par Banez. Voir Banez, t. n. col. 143; de Scorraille,
np. cit., p. 363 sq.
La question controversée en ce qui concerne l'es-
sence de la grâce actuelle est avant tout celle-ci : la
grâce excitante consiste-t-elle uniquement dans les
actes vitaux indélibérés, ou bien faut-il admettre des
entités ou motions transitoires, qui, produites dans la
faculté opéralivc, appliquent celle-ci à son acte, et ont
par conséquent pour terme immédiat l'acte vital indé-
libéré. D'après la première opinion, Dieu produit im-
mèdiatement l'acte vital lui-même, l'influence divine
tombe sur l'acte lui-même, non sur la faculté opérative,
il est absolument simultané à l'opération de la créa-
ture qui vitalement produit le même acte. D'après le
second sentiment, Dieu agit immédiatement dans la
faculté opérative et la meut physiquement à produire
vitalement son acte : cette motion physique qui fait
produire l'action de la faculté opérative est parsa nature,
nulura (non tempore), antérieure à l'opération à laquelle
elle se termine et est pour cela une prémotion physique.
Certains théologiens disent que dans la Bible, dans
les écrits des Pères, dans les documents de l'Église, il
n'est pas fait mention de ces entités transitoires ou
motions, qu'on n'y parle que d'actes (bonnes pensées,
bonnes affections) attribués à une influence spéciale et
immédiate de Dieu; que par conséquent il ne faut pas
admettre l'existence de ces entités (enlilales fluentes).
Cet argument ne vaut rien. On ne peut pas, en effet,
présupposer qu'il faille trouver dans la Bible ou dans
les documents, contenant la révélation, l'explication
scientifique de toutes les réalités dont ils nous appren-
nent l'existence. L'Écriture sainte et les documents de
la révélation enseignent que Dieu, pour nous aider à
agir salutairement, produit en nous des actes indéli-
bérés, mais ils ne disent pas comment Dieu les produit.
GRACE
1644
Cette question esi laissée à notre investigation et c'est
par la métaphysique qu'il nous faut déterminer l'es-
sence de ces effets divins dont nous parlons. Aussi c'est
à la question métaphysique du concours divin que se
rattache logiquement et historiquement la controverse
indiquée. On a exposé, dans ses grandes lignes, la doc-
trine de la coopération divine à l'art. Concours divin,
t. m, col. 781 sq. ; niais il faut que nous insistions da-
vantage sur l'opinion de saint Thomas pour la com-
parer à celle de Molina.
1. Aclcs indélibérés. — 11 nous faut parler premiè-
rement de la coopération divine, en général, ensuite de
la coopération surnaturelle de Dieu, ou de la grâce
actuelle. Nous indiquerons hrièvcment la doctrine de
saint Thomas, celle de Molina, ((.'lie que nous défendons
avec ses arguments.
a) Doctrine de saint Thomas. — a. Ce docteur en-
seigne que Dieu coopère à toute opération de la créa-
ture. In IV Sent., 1. II, dist. XXXVII, q. n, a. 2; Sum.
Iheol., Ia, q. cv, a. 5; I:l IIœ, q. cix, a. 1, 9. Il distingue
quatre manières diverses selon lesquelles se fait cette
coopération et les énumère dans :ette conclusion : Sic
ergo Deus est causa aclionis cujuslibet inquanlum dot
l'irlulem agendi, et inquanlum conservai eam, cl inquan-
tum applicat aclioni, et inquanlum cjus virilité omnia
alia virlus agit. De polentia, q. m, a. 7. Voir Concours
divin, t. m, col. 785 sq. 11 nous faut considérer davan-
tage le troisième mode exprimé par ces mots : inquan-
tum applicat aclioni. Saint Thomas, dans le corps de
l'article cité, fait observer que ce troisième mode est
distinct des deux premiers : Sed quia nulla res perscip-
sam movet vel agit, nisi movens non molum. tertio modo
dicitur una res esse causa aclionis altcrius inquantum
movet ad agendum : in quo non intelligitur collaiio aul
conservai io virtutis aclivœ, sed applicatio virtutis ad
actioxeh'- Cette application à agir est une entité phy-
sique reçue dans la faculté opérative, un être incomplet :
Virtus naluralis (c'est-à-dire la faculté opérative), quw
est in rébus naluralibus in sua inslitulione collata, inesl
eis ut quœdam forma habens esse ralum et firmum in
natura. Sed lu quod a deo fit in rc nalurali, quo actua-
i.iter agat, est ut intentio sola habens esse quodua m
INCOMPLEI'I i/ T.oe. cil., ad 3'm. Il y a donc une im-
pulsion physique, qui n'est qu'impulsion et, pour cette
raison, un être incomplet; cette impulsion est produite
par Dieu dans la faculté et elle constitue celle-ci émettant
son opération. Cette impulsion est la motion à agir.
motion que ne peut pas avoir d'elle-même la faculté
opérative : nec virtuti nalurali conferri poluit ut moveret
seipsam. Ibid. La faculté opérative est passive quant
à la réception en elle de ladite motion : In operatione
qua Deus operatur movendo naturam non operatcii
natura. Loc cit., ad 2"m. La même doctrine est ex-
primée dans l'opuscule Compendium Iheologiœ, c.cxxx :
Necesse est quod omnia agentia per quœ Deus ordincm
sux gubernationis adimplct, virtute ipsius Dei agant.
ageue igilur cujuslibet ipsorum a Deo causatub, sicul
et MOTUS MOB1L1S A MOTIONE MOVENTIS. Cf. Sum. thcol.,
I», q. cv, a. 5. Il résulte donc que saint Thomas ensei-
gne la prémolion physique, c'est-à-dire que, selon lui, la
coopération divine implique une entité physique pro-
duite par Dieu dans la faculté opérative, cette entité
est essentiellement l'impulsion à agir et, par conséquent
par sa nature même, antérieure à l'opération dont elle
est le principe, d'où son nom : prémotion.
t>. Quant à l'ordre surnaturel, saint Thomas dis-
tingue ce que nous appelons grâce habituelle de ce que
nous appelons grâce actuelle : Dupliciter ex gratuita
Dei volunlate homo adjuvalur. Uno modo, inquanlum
anima hominis movetur a Deo ad aliquid cognoscendum
vel volendum vel agendum. Et hoc modo ipse graluilus
effectus non est qualitas, sed motus quidem animée :
exclus enim movenlis in moto est moins. Sum. Iheol., I»
IIœ, q. ex, a. 2. Si l'on met ce texte en relation avec
la doctrine de saint Thomas concernant la coopération
divine avec toute créature agissante, on ne peut douter
que le docteur angélique admet une prémotion aux
actes salutaires de connaissance et de volonté : Dieu,
en effet, meut l'âme à connaître et à vouloir; c'est un
effet gratuit, c'est-à-dire surnaturel, et il n'est que
motion, impulsion à agir; c'est pourquoi il n'est pas, à
proprement parler, une qualité : il n'est qu'un être
incomplet, purement transitoire, qui n'a pas, en l'âme,
esse ralum ae firmum. Cf. Sum. Iheol., Ia IVe. q. cix,
a. G et 0, où saint Thomas indique comme première
raison de la nécessité de Vauxilium graliœ : nulla res
ci râla polcst in quemeumque actum prodire, nisi virtute
molionis divinse. A la doctrine, telle que nous l'avons
exposée, ne s'oppose pas le texte de saint Thomas.
In IV Sent., 1. I, dist. XLV, q. î, a. 3 : Inomnibus quo-
rum potentiel activa determinata est ad unum effeclum
nihil requiritur ex parle agentis adagendum supra polen-
tiam complétant, dummodo non sit impedimentum ex
defeetu rccipienlis ad hoc quod sequatur effectus. Saint
Thomas parle ici des actions nécessaires naturelles,
c'est-à-dire des opérations qui sont déterminées ou
spécifiées par une forme reçue dans la nature ou dans
la faculté opérative; quand la faculté opérative est
déterminée par une forme à produire un effet déterminé,
la faculté est alors complète au point de vue de la
spécification de l'acte; rien n'est requis ultérieurement
dans cet ordre. Mais cela n'exclut pas la nécessité de la
prémotion physique, qui ne spécifie pas l'opération,
mais la fait sortir de la faculté. La nécessité de la pré-
motion physique est d'un ordre différent de celui de
la spécification de l'acte; cette motion est requise pour
que la créature puisse passer de l'état de repos à l'état
d'action, a non agendo ad agendum. Quantumcumque
natura aliqua corporalis vel spiritualis ponatur perfecta,
NON POTEST ]N SUUM ACTUM PBOCEDEliE NISI MOYEATUIl
a deo. Sum. thcol., Ia IL'*, q. cix, a. 1. La prémotion
tion physique est donc requise aussi dans la volonté à
chaque fois qu'elle commence à vouloir, cf. Sum. thcol. ,
I1 IP', q. ix, a. 4; elle est donc requise pour cet acte
indélibéré, qu'on appelle voluntas ut natura. Cf. In IV
Sent., 1. III, dist. XVII, q. i, a. 1, q. m, ad lu"; Sum.
Iheol., IIIa, q. xvin, a. 3. Nous parlerons plus loin de
l'acte libre.
b) Doctrine de Molina. — Elle est radicalement di-
fférente de celle de saint Thomas.
a. Dans l'ordre naturel, le concours divin est une
influence divine qui ne tombe pas immédiatement sur
la faculté opérative, et qui n'atteint que l'opération elle-
même, émise par la faculté : il n'admet pas que Dieu
meuve la créature à agir, qu'il y ait, de la part de Dieu,
une impulsion, par sa nature, antérieure à l'opération
et véritablement cause efficiente de l'émission de l'acte :
il rejette donc toute prémotion physique. L'opinion de
Molina est exposée, Concordia, a. 13, q. xiv, disp. XXVI,
Paris, 1876, p. 152 sq. Après avoir indiqué l'opinion
de saint Thomas concernant l'influence divine qui
applique la créature à l'opération, et avoir avoué que
cette doctrine lui semble difficile à admettre, Molina
expose son opinion : De même que la cause seconde (la
créature) émet immédiatement son opération et par
celle-ci produit le terme ou l'effet, ainsi Dieu, par un
concours général, in Hue immédiatement dans la même
opération et par celle-ci produit le terme ou l'effet.
C'est pourquoi le concours général de Dieu n'est pas
une influence sur la cause seconde, comme si celle-ci
était d'abord mue à opérer : Quo fit ut concursus Dei
generalis non sit influxus Dei in CAUSAM- SECUNDAM,
quasi ili.a pmus eo mot a AGAi... Cette assertion est
nettement contradictoire à la thèse de saint Thomas et
exclut précisément toute prémotion physique. A la
lin de sa dissertation, p. 158, Molina dit encore que
1645
GRACE
1646
l'effet est produit et par Dieu et par la créature, mais
la causalité est partagée; ni Dieu, ni la cause créée
n'est cause entière, complète de l'effet. Pour expliquer
cela, Molina introduit l'exemple resté célèbre : nox
SECUS W CUM DUO VRAHUNT NAVIMTOTUS MOTUS PROF1-
SClCITUn Ail UNOQUOQUE TRABENTIUM, SED NON TANQUAM
A IOTA CAUSA MOTUS, SIQUIDE.V QUIVIS EOIiUM SIMUL
EFFICIT CUM altero omnes ac singulas partes ejusdem
motus. Ceci encore est inconciliable avec la doctrine
de saint Thomas : pour lui, en effet, Dieu est cause
entière, totale, de l'opération de la créature, et la
créature aussi est cause entière et totale, chacune dans
son ordre; l'activité de la créature est tout entière
subordonnée à l'activité de Dieu; par conséquent la
coopération, dont il s'agit, ne peut pas être comparée
à celle des hommes qui, en tirant, font avancer un
navire; dans ce dernier cas, l'activité de chacun est,
en soi, indépendante de celle de l'autre, non subor-
donnée, et par suite, au vrai sens, simultanée, tandis
que, pour saint Thomas, l'activité de la créature est
subordonnée à celle de Dieu, et celle-ci, en consé-
quence, est par nature antérieure à celle-là. Cf. Contra
gent., 1. III, c. lxvii, lxx; voir aussi Molina, op. cit.,
disp. XXX, p. 178.
b. Quant à l'ordre surnaturel, Molina fait consister
la grâce actuelle prévenante uniquement dans les actes
vitaux, op. cit., disp. XLV, p. 25G; ces actes vitaux
sont produits par Dieu, mais il n'y a qu'une distinc-
tion de raison entre l'influence de la créature dans le
même acte, disp. XXXVIII, p. 215 sq. ; quand il s'agit
d'actes posés par l'homme avant qu'il n'ait les habitus
infus, Dieu influe en tant qu'il possède lui-même émi-
nemment Vhabiius de la foi infuse, et en tant qu'il
supplée la causalité qui est propre à cet habitus,
p. 219 sq. Molina n'admet donc pas d'entité physique,
transitoire et surnaturelle, qui physiquement surna-
turalise l'acte, et, en ce sens, produit l'effet que pro-
duirait Vhabiius infus. Suarez défend la même opinion
que Molina : pour le concours naturel, voir Opuscula
theologica, opusc. I, 1. I, c. v-vn, Opéra omnia, t. xi,
p. 22-35; pour la grâce, voir De gratia, 1. III, c. i,
n. 12; c. iv, n. 2, Opéra omnia, t. vin, p. 8, 16. Notons
ses paroles : Ego vero nullum taie auxilium internum,
polenliisque anima- inhœrens, prœter aclus vitales et
acliones corum,nec alias qualilates perse infusas agnosco,
p. 8; Ego vero censco nullam ialcm enlitatcm infundi,
quœ sit prior, lempore vcl nalura, ipso aclu graliœ exci-
tanlis, vel principium proximum ejus, sed solum Spi-
ritum Sanclum immédiate ac per seipsum infundere hos
actus elevando polentiam ad conficiendum illos, p. 16.
Cependant quant à l'explication ultérieure de la
manière dont ces actes indélibérés et surtout les actes
délibérés sont rendus surnaturels, il y a divergence
entre Molina et Suarez. Cf. Mazzella, De gratia, n. 148-
153. Bellarmin n'adhère pas à l'opinion de Molina ni
pour le concours divin naturel, ni pour la grâce actuelle
qui a pour terme l'acte indélibéré; il admet la prémo-
tion physique et dit que le sentiment qui la défend
est celui de saint Thomas. Cf. De gratia et libero arbi-
trio, 1. IV, c. xvi, p. 324'; De novis conlroversiis inter
Patres quosdam ex urdinc pnvdicalorum cl P. Ludovicum
Molinam ex Societate Jcsu, § 3, publié par le P. Le
Hachelet, Auctarium Bellarminianum, Paris. 1913,
p. 107; voir aussi, p. 10, 19 sq., 31, 34, 92. Mais Bellar-
min rejette la prédétermination physique dans l'acte
d'élection. Voir op. cit., p. 109 sq., 179 sq. ; De gratia d
libero arbilrio, 1. I, c. xn.
c) En ces dernières années, notamment après la
publication de l'encyclique JEterni Patris (1879) par
Léon XIII, plusieurs philosophes et théologiens ont
défendu la doctrine qui établit la nécessité de la prémo-
tion physique, mais qui rejette la prédétermination phy-
sique de l'acte d'élection. Voici comment ils raisonnent.
a. Tout être créé qui passe de la capacité d'agir à
l'acte, c'est-à-dire qui passe de l'état potentiel ou de
repos à l'état d'activité ou d'exercice actuel, donc tout
être qui commence à agir, doit être physiquement
appliqué à agir par un autre être; or cet autre être est
Dieu; donc toute créature est appliquée par Dieu à
l'opération. La majeure n'est que l'explication du prin-
cipe analytique : omne quod movelur ab alio movetur;
c'est-à-dire que tout changement qui se produit dans
un sujet exige l'action d'un être en acte. Cf. card.
Mercier, Ontologie, Louvain, 1902, n. 186 sq., p. 375 sq.
L'agir ou l'opération est une perfection physique que
n'a pas en soi l'être qui n'agit pas, et que, par consé-
quent, il ne peut pas se donner à lui-même, car aucun
être ne peut donner ce qu'il n'a pas; la capacité de
recevoir une perfection ne peut pas la réaliser; donc la
capacité d'agir ne peut pas être cause efficiente de
l'action et le sujet qui est uniquement capable d'agir,
qui est en puissance vis-à-vis de son opération, ne peut
pas seul et par soi-même s'élever à l'ordre de perfec-
tion qui constitue l'opération actuelle. La mineure
s'explique : la perfection, dont il est question, est l'opé-
ration, c'est une perfection transcendentale, dont la
cause première est l'être qui, par essence, est l'action,
c'est-à-dire Dieu. Un être corporel peut recevoir d'un
autre corps une application immédiate à l'action, mais
cet autre corps, pour appliquer le premier, a besoin
d'une application provenant d'un troisième corps, et
ainsi de suite; il faut donc nécessairement arriver, dans
cet ordre de causalité, au premier être qui meut, sans
être mû lui-même, c'est-à-dire Dieu. Les êtres imma-
tériels et les êtres vivants, comme tels, ne peuvent être
appliqués immédiatement et physiquement à leurs
actes vitaux que par Dieu seul. Outre cette influence
divine, qui consiste formellement à appliquer l'agent à
son action, il faut l'influence divine dans l'opération
elle-même, en tant que celle-ci est aussi un pur être.
Cette dernière influence n'est pas non plus un concours
purement simultané. Voir card. Billot, De gratia,
proleg., i, p. 25 sq.
b. La coopération divine, dont nous venons de
démontrer la nécessité, est réalisée par la prémolion
physique. Tout être créé, qui commence à agir, passe
réellement et physiquement de puissance à acte,
acquiert une perfection. Ce passage, comme nous
l'avons vu, se fait par une impulsion divine qui préci-
sément fait sortir l'acte de la puissance; il faut donc que
cette impulsion soit une entité, reçue dans la faculté
opérative et mouvant physiquement celle-ci à émettre
l'opération, à émettre l'action; cette entité est donc,
par son essence, antérieure à l'action et est donc une
pré/nul ion /thi/sique.
c. Dans l'ordre surnaturel, il faut une prémotiuii
physique surnaturelle, qui détermine physiquement les
actes indélibérés d'intelligence et de volonté, par les-
quels l'homme est excité et aidé à poser des actes déli-
bérés salutaires. Nous avons démontré précédemment,
d'après la doctrine catholique, l'existence de ces actes
indélibérés. Nous en cherchons maintenant l'explica-
tion. Or, il faut remarquer, d'abord, que ces actes indé-
libérés sont produits immédiatement par Dieu, qu'ils ne
dépendent pas d'actes précédents; qu'ils constituent
une influence spéciale, par laquelle l'homme connaît et
aime sicul oporlet ad salulem. En quoi consiste cette
influence ? Les actes dont il s'agit sont vitaux, c'est-à-
dire des actes qui émanent de la faculté opérative et
qui y restent : il faut donc que Dieu applique la faculté
à agir, qu'il la fasse entrer en activité, ce qui se fait par
la prémotion physique. Cette prémotion appartient à
l'ordre surnaturel, car elle est produite immédiatement
par Dieu, elle est mise dans une créature qui n'a aucune
exigence h être mue ainsi; car, avant d'avoir cette pré-
motion, la créature n'est pas constituée en acte premier
[647
GRACE
1048
vis-à-vis de cette opération: enfin cette prémotion se
termine à une opération surnaturelle. Dans l'homme,
qui n'a pas encore les valus infuses, ni les dons du
Saint-Esprit, la prémotion physique doit être en même
temps une entité surnaturelle qui transitoirement élève
ou surnaturalise intrinsèquement la faculté opérative
et rende ainsi l'acte lui-même intrinsèquement surna-
turel. En effet, bien qu'il ne soit pas de loi que les actes
indélibérés salutaires sont intrinsèquement surnaturels
celte assertion est communément admise par les théo-
logiens et elle se déduit de la nécessité absolue de la
grâce pour tout acte salutaire. Or, pour que l'acte vital
indélibéré soit intrinsèquement surnaturel, il faut que
la faculté, d'où il procède, soit en elle-même surnatu-
ralisée, car l'opération n'est pas autre chose que l'actua-
tien ou l'actualité de la faculté opérative, cf. S. Tho-
mas, Sum. theol, I\ q. liv, a. 1 ; De polcntia, q. m,
a. 1: l'acte donc est émis tel qu'il est contenu dans la
faculté qui l'émet; si alors la faculté est intrinsèque-
ment naturelle, l'acte le sera aussi. Il faut donc que la
faculté soit intrinsèquement .surnaturalisée par une
entité transitoire, virlus fluens, qui fait transitoire-
ment ce que l'habitus surnaturel fait d'une façon per-
manente. Dans le cas exposé, la prémotion physique
apporte donc aussi la surélévation de la faculté. Bien
qu'il y ait là deux fonctions distinctes, elles peuvent
être exercées par la même entité. Voir Guillermin,
dans la Revue thomiste, 1902, t. x, p. 386; Salmanti-
censes, Cursus theologicus, tr. XIV, disp. V, dub. vi,
§ 3, n. 125, p. 486. Quand l'homme possède déjà les
vertus infuses et les dons du Saint-Esprit, la prémo-
tion physique à l'acte indélibéré ne sera que la motion
appliquant à l'acte une faculté habituellement surna-
turalisée et déterminant celle-ci à son objet. Les théo-
logiens récents qui, sans admettre la prédétermination
physique dans l'état d'élection, admettent la pré-
motion physique à l'acte indélibéré sont : H. Gut-
berlet, Dogmatische Théologie, Mayence, 1897, t. vin,
j). 25sq.,415 sq. ; Pignataro, De gratin (lith.). thés, xv,
p. 170; Terrien, La grâce et la gloire, t. ii, p. 365; Del
Val, Sacra thcologia dogmatica, Madrid, 1906, t. u,
p. 499; Herrmann, Institutioncs theologiœ dogmaticœ,
Rome, 1908, t. n, p. 207, n. 1130; Tabarelli, De
gralia Christi, Rome, 1908, p. 244; card. Billot, De
gratia Christi, p. 148; Van der Meersch, De divina
gratia, Bruges, 1910, n. 279, 281; Manzoni, Compen-
dium theologiœ dogmalicœ, Turin, 1911, t. m, n. 290,
302. L'entité qui est prémotion physique et suréléva-
tion de la faculté appartient reduclive (par réduction)
au genre d'accident qui est la qualité et se nomme
exactement qualitas fluida. Cf. Guillermin, dans la
Revue thomiste, t. x, p. 392; card. Billot, De gratia
Christi, p. 154.
Corollaire. — a. La prémotion physique surnaturelle
est donc ce en quoi consiste essentiellement la grâce
excitante : elle est la motion divine, l'influence pro-
duite immédiatement par Dieu dans l'âme et elle a
pour terme l'acte vital : celui-ci est l'effet immédiat de
la motion.
Telle est la thèse exprimée par le cardinal Billot,
op. cit., p. 142, en ces termes : Gratia actualis dupliciter
consideratur : primo quidem SECl vdi v se, deinde vero
in sua proximo et necessario EFFECTU. Considerata in
suo proximo et necessario EFFEcru nihil aliud es/ quam
actus supernaturalis indeliberalus polcntia; a Deo motic,
qui quidam vero sensu in nobis esse dicitur sine nobis. Al
sumpta secundumSE est motio in facultate recepta,
principians ejusmodi actus. Les théologiens récents, que
nous avons cités, en sont donc revenus, pour les actes
indélibérés, à l'opinion défendue parBaiïez et son école.
Cf. Alvarez, De auxiliis. 1. VII, disp. LVII, n. 1,
p. 497; 1. VIII, disp. LXXIV, p. 618.
Les auteurs, qui n'admettent pas cette opinion, sont
d'avis que la grâce excitante consiste essentiellement et
uniquement dans l'acte vital lui-même et que cet acte
lui-même est produit immédiatement par Dieu. Cepen-
dant ils ne donnent pas tous la même explication du
mode dont cet acte est produit et est rendu surnaturel.
Ces uns disent que Dieu lui-même supplée l'élévation
qui est produite par la vertu infuse dans l'acte qui
émane d'elle : c'est ce qu'on appelle élévation externe ou
extrinsèque. Voir cette opinion dans Mazzella, De gratia
Christi, n. 149 sq. ; Lahousse, De gralia, n. 105; Pesch,
Prselection.es dogmatica', t. v, n. 57. Le P. Palmieri, De
gratia actuali, thés, xvi et xvn, croit que l'acte est
surnaturalisé par un mode qui n'est pas réellement
distinct de la faculté, ni de l'âme. Cette opinion est
réfutée par Lahousse, op. cit., n. 100. Mgr Waffelaert,
Méditations théologiques, t. r, p. 637 sq., enseigne que
l'acte vital est surnaturel parce que Dieu s'unit transi-
toirement la faculté créée comme un instrument par
lequeî et dans lequel il produit une action déterminée; il
la produit, non seulement en tant qu'il lui donne l'être,
mais en tant qu'il la fait être telle. Xous avouons ne pas
comprendre comment, d'après ces explications, on
aurait un acte qui serait en même temps vital et surna-
turel dans son entité. Cf. Billot, op. cit., p. 150 sq.
Certains théologiens invoquent, contre notre thèse, ce
principe : Dieu peut produire immédiatement par lui-
même tout effet qu'il peut produire aussi par une
cause seconde; ils en concluent que Dieu peut pro-
duire immédiatement par lui-même un acte surnaturel
sans employer pour cela une cause seconde, une entité
créée, une virtus fluens. Nous nions le principe et la
conclusion; Dieu ne peut pas faire l'impossible; il ne
peut pas produire un acte intellectuel sans une faculté
qui est l'intelligence; il ne peut pas produire un acte
vital sans une faculté vivante d'où il procède et dans
lequel il reste. Ainsi encore il ne peut pas réaliser un
acte vital surnaturel sans que, dans la faculté d'où
cet acte émane vitalement, il y ait un principe réel
de surnaturalisation; si cela n'y est pas, l'acte éma-
nera vitalement et non surnaturalisé.
b. Le rôle de la grâce excitante se conçoit donc
ainsi : Dieu, au moins dans les conditions ordinaires,
dispose par sa providence les événements extérieurs à
l'homme, par exemple, la prédication, la lecture, cer-
lains faits particuliers comme la maladie, la mort
d'une personne chère, etc., et puis il prédétermine lui-
même l'intelligence à des pensées opportunes d'ordre
pratique et la volonté à des affections correspondantes.
Ainsi la volonté se trouve être affectionnée vers un
bien salutaire, par exemple, vers un acte vertueux à
poser, ou elle conçoit de l'horreur pour un acte mau-
vais. C'est ainsi que la volonté est aidée à faire l'acte
délibéré, à choisir librement de vouloir ce bien vers
lequel elle est actuellement poussée ou de ne pas vou-
loir ce mal à l'égard duquel elle a actuellement horreur.
Les auteurs ascétiques nous donnent la description des
effets de la grâce dans l'âme. Voir, par exemple, De
imitatione Christi, 1. III, c. n sq. ; S. François de
Sales, Traité de l'amour de Dieu, I. VIII, c. x sq.,
Œuvres complètes, Annecy, 1894, t. v, p. 89 sq. ; Jan-
vier, La grâce (conférences de N.-D. de Paris), Paris,
1 910, p. 99 sq. Sur la connexion entre les grâces actuelles
et les dons du Saint-Esprit, cf. Dons, t. iv, col. 1735
sq., 1775 sq. ; Billot, De virlulibus in/usis, p. 178 sq.
tue autre opinion est défendue par Mgr Waffelaert,
Collationes Brugenscs, 1913, t. xvm, p. 6 sq.
2. Actes délibérés. — Nous avons parlé jusqu'ici des
actes vitaux d'intelligence et de volonté, qui sont les
termes immédiats des prémotions surnaturelles, des
impulsions ou mouvements instinctifs de l'Esprit-Saint
sur notre âme : ces actes-là sont indélibérés, c'est-à-
dire indépendants de toute délibération de notre part.
U nous faut considérer maintenant les actes délibérés :
1649
GRACE
lfifW
ce sont les actes de volonté qui, consécutivement à
la délibération intellectuelle, constituent l'élection, le
choix libre, et aussi les actes qui sont commandés par
l'élection. Mais la controverse dont nous nous occu-
pons porte uniquement sur l'acte libre de la volonté.
a) Doctrine de saint Thomas. — a. Il faut distinguer
deux genres de motion dans la volonté : l'une est celle
qui procède de l'objet, c'est-à-dire du bien connu par
l'intelligence; le bien connu meut, en ce sens qu'il
excite l'appétit; l'autre motion est celle qui procède
de la cause efficiente, c'est-à-dire de ce qui agit physi-
quement dans la volonté, de ce qui l'incline intérieure-
ment et lui fait exercer l'opération. « La volonté peut
être mue par deux principes : par l'objet, et c'est ainsi
qu'on dit que ce qui est aimable meut l'appétit (appe-
tibile apprehensum movet appelitum); et d'une autre
manière par ce qui met intérieurement la volonté en
mouvement (alio modo ab eo quod inlerius inclinai
volunlatem ad volendum). » S. Thomas, Sam. thcol., F
IIœ, q. lxxx, a. 1. Cf. Ia, q. xcv, a. 4; q. evi, a. 2; De
verilate, q. xxn, a. 9; De malo, q. ni, a. 3; Del Prado,
De gratta et libéra arbitrio, Fribourg (Suisse), 1907, t. i.
p. xvin ; t. il, p. 143 sq. ; t. m, p. 13, 98 sq.
Ces deux genres de motions ont chacun une fonction
propre : la motion qui procède de l'objet concerne la
spécification de l'acte, la motion qui procède de la
cause efficiente concerne l'exercice de l'acte, c'est la
doctrine explicite de saint Thomas, Sum. theol., F II11',
q. ix, a. 1. I.a volonté, comme toute autre faculté,
quand elle commence à agir, doit être mue ou appliquée
à agir : c'est la prémotion physique dont nous avons
parlé plus haut. Cf. Sum. thcol., loc. cit., a. 4 et 9.
b. Il faut distinguer aussi, dans la volonté, deux
genres d'actes : l'un est l'acte spontané, naturel, qui
suit nécessairement l'appréhension intellectuelle d'un
objet sous la formalité de bien ou de mal : c'est la
voluntas ut nalura. L'autre est l'acte par lequel la vo-
lonté choisit, veut un bien alors qu'elle pourrait en
vouloir un autre, c'est la voluntas ut ratio ; c'est l'acte
qui suit la délibération ou le conseil. Cf. Sum. thcol., F
IF, q. xiv, a. 1, 2; II» II11', q. xlvii, a. 1, ad 2""'; III»,
q. xvm, a. 4, ad 2"m; De malo, q. xvi, a. 4. L'acte dont
nous parlons est décrit par saint Thomas en ces termes :
Proprium liberi arbitrii est cleclio. Ex hoc enim liberi
arbitrii esse dicimur quod possumus unum recipere alio
recusalo, quod est eligere. Sum. thcol., F, q. lxxxiii, a. 3.
Parmi les biens particuliers qui sont l'objet de l'élec-
tion humaine, se trouve aussi le vouloir même : la
volonté peut vouloir ne pas vouloir ou vouloir consi-
dérer tel bien, prendre une décision sur telle question,
etc. Potcst autem ratio apprehendere ut bonum non
solum hoc quod est vellc aut agere, sed hoc eliam quod est
non velle et non agere. Sum. thcol., Ia IF1', q. xm, a. 6.
Mais l'acte par lequel la volonté choisit est toujours un
acte positif, alors même qu'elle choisit ne pas vouloir
quelque chose ou ne pas consentir à une inclination.
Cette négation est l'objet de l'acte libre. Sum. thcol.,
F IF', q. i.xxi, a. 5. Il s'agit de voir maintenant
comment cet acte procède de la volonté. Nous suppo-
sons que cette faculté est en acte de vouloir un bien
comme une fin : alors elle-même se meut à vouloir ce
qui est ordonné à cette fin, c'est-à-dire elle se meut à
l'élection, à l'acte de choisir : Inlclleclus per hoc quod
cognoscit principium, redurit scipsum de potenlia in
actum quantum ad cognilionem conclusionum; et hoc
modo movet seipsum: et simililer voluntas per hoc quod
inilt finem, movet scipsam ad volendum ca quœ sunt ad
finem. Op. cit., q. ix, a. 3. Il s'agit d'un passage de la
puissance à l'acte : l'intelligence qui est en acte de
comprendre un principe est capable (est en puissance)
d'avoir la connaissance des conclusions contenues dans
ce principe; or l'intelligence se meut elle-même à cet
acte. De même la volonté qui actuellement veut une
fin est capable (est en puissance) de poser l'acte par
lequel elle choisit les moyens à cette fin; or la volonté
se meut elle-même à cet acte. Il s'agit ici de tout acte
d'élection, quel que soit son objet, qu'il soit, au point
de vue moral, bon ou mauvais, et il s'agit de l'émana-
tion physique de cet acte : la volonté elle-même en est
cause efficiente. Cette causalité concerne l'exercice
même de l'acte de choisir et elle dépend de l'activité
par laquelle la volonté veut la fin : c'est cette fin qui
constitue la volonté principe actif ou moteur de tout
ce qui doit servir à réaliser cette fin. Loc. cit., ad 1'""
et 3"'". Saint Thomas, après avoir expliqué comment
la volonté se meut elle-même, examine à l'art. 4 si la
volonté est mue par quelque principe extérieur. 11
répond affirmativement : la volonté est mue par Dieu.
La raison est celle-ci : pour commencer à agir, pour
poser le premier acte de vouloir, celui qui concerne la
fin, la volonté doit être mue, doit être appliquée à agir,
cette application vient de Dieu. Quant à cet acte, la
volonté ne se meut pas elle-même, elle est mue : Dieu
est la cause efficiente de cet acte. On voit clairement la
différence, au point de vue de la causalité efficiente,
entre l'acte qui est motion spontanée, nécessaire, à un
bien comme une fin (voluntas ut natura) et l'acte qui
est l'élection (voluntas ut ratio) : au premier acte la
volonté est appliquée physiquement par Dieu, au
second acte elle s'applique physiquement elle-même.
A l'art. G de la même question, saint Thomas se de-
mande si la volonté est mue par Dieu seul comme par
un principe extérieur. Il répond que Dieu seul peul
mouvoir la volonté. Il explique la nature de cette
motion dans la réponse à la troisième objection. Nous
l'interprétons ainsi : Dieu meut la volonté au bien,
c'est-à-dire que la nature de la motion divine consiste
à mouvoir la volonté vers l'objet représenté (par l'in-
telligence) comme bon : c'est l'objet formel général de
la volonté. Sans cette motion l'homme ne peut rien
vouloir, il ne peut pas passer de l'état de non-activité
à l'activité actuelle. Mais l'homme, au moyen de la
raison, au moyen de la délibération, se détermine à
vouloir ceci ou cela, qui est vraiment un bien ou un
bien apparent. Deus movet volunlatem hominis sicut
universalis molor ad universale objectum volunlalis, quod
est bonum, et sine hac universali molione homo non potesl
aliqùid velle, sed homo per rationem déterminât se ad
volendum hoc vel illud, quod est verc bonum vel apparens
bonum. Remarquons que saint Thomas explique par
là pourquoi l'homme peut pécher : c'est parce que lui-
même se détermine à vouloir ceci ou cela.
Saint Thomas n'enseigne donc pas qu'il faut une
seconde prémotion physique, une application physique
spéciale pour l'acte d'élection; il semble au contraire
l'exclure en montrant nettement la différence, au point
de vue de l'émanation de l'acte, entre la volition spon-
tanée d'un bien comme fin et l'élection des moyens.
Ceci n'exclut pas évidemment l'influence divine sur
l'élection, en tant que cet acte reçoit de Dieu l'être :
cette influence se ramène au quatrième mode d'après
lequel Dieu agit en toute créature, et elle n'est pas un
concours simplement simultané, mais elle est aussi,
par sa nature, antérieure à l'acte; seulement elle ne
constitue pas formellement cette application à l'acte
qui est requise quand une faculté opérative à l'état de
repos passe à l'agir actuel. Ce que nous venons de
dire concerne à proprement parler l'exercice de l'acte
électif. Mais cet acte est d'une nature spéciale, il n'est
pas spécifié objectivement par une forme qui est impri-
mée dans la faculté comme l'est l'espèce intelligible
dans l'intelligence. La spécification vient de l'objet
représenté par l'intelligence. La volonté ne peut vouloir
actuellement que ce qui est présenté actuellement
comme bon par l'intelligence. Mais pour le cas de
l'acte libre, la volonté n'est pas déterminée nécessai-
L651
CRACE
10.r>2
renient par l'objet représenté dans l'intelligence. La
déterminât ion tant objective que physique de la voli-
tion libre, c'est-à-dire le vouloir ceci plutôt que cela,
provient de la volonté. La réponse de saint Thomas
citée ci-dessus dit que l'homme se détermine à vouloir
ceci ou cela: parce que cette détermination vient de
l'homme, et non de Dieu, l'homme peut pécher. L'es-
sence même de la liberté exige que la détermination
de l'acte vienne de l'homme : non enim esset homo
liberi arbitrii, nisi ad cum determinalio sui operis perli-
nerel, ut ex proprio judicio eligerct hoc aut illud. In IV
Sent., 1. II, dist. XXVIII, q. i, a. 1. C'est parce que
cette détermination provient de l'homme, que l'acte
libre lui est imputé et que cet acte peut être méritoire.
Sum. theol., Ia II-1', q. xxi, a. 4, ad 2'"". Remarquons
cette assertion concernant la liberté dans la nature
humaine du Christ : Voluntas Christi, liccl sit delcrmi-
nata ad bonum, non est tamen determinala ad hoc vel
illud bonum. El ideo perlinet ad Chrislum eligere. Op.
cit., IIIa, q. xvm, a. 4, ad 1"°. Cf. De veritate, q. xxix,
a. G, ad l"m; De malo, q. vi, a. unie. L'indétermination
ou indifférence physique concernant tel ou tel bien à
choisir est donc de l'essence même de l'élection. Cette
indifférence physique disparaît par l'acte physique
d'élection, et cet acte, comme tel, vient de l'homme;
c'est pourquoi il reste toujours contingent : ce n'est pas
Dieu qui par sa prémotion fait disparaître l'indéter-
mination, mais c'est l'homme lui-même. Sum. theol.,
I1 II a', q. x, a. 4. C'est encore parce que l'homme se
détermine lui-même à vouloir qu'il a la maîtrise (domi-
nium) sur son acte : cl ideo determinalio actus relin-
quitw in potcstale rationis et voluntatis. De polenlia,
q. m, a. 7, ad 13"m. D'après ces textes donc, l'homme,
en acte de vouloir un bien final, choisit un bien comme
moyen, et en choisissant il détermine formellement et
physiquement son propre acte d'élection; c'est pour-
quoi il en est maître et il en est responsable. Dieu
laisse à la volonté l'indifférence physique, qui est essen-
tielle à l'acte libre ou contingent. Dieu n'infuse donc
pas une entité physique dont l'effet formel et immédiat
serait d'enlever l'indifférence physique de ia volonté et
de prédéterminer physiquement l'acte d'élection. Par
conséquent saint Thomas n'enseigne pas la prédéter-
mination physique à l'acte d'élection.
L'interprétation que nous venons de proposer est
conforme à celle de Capréolus, In IV Sent., 1. II,
dist. XXIV, q. i, a. 1, concl. 5% et a. 2, § 3; dist. XXV,
q. i, a. 3, Opéra, t. iv, p. 202, 208 sq., 233, 224, 249 sq. ;
de Cajétan, In Sum. theol., I\ q. LX, a. 2. Elle est
explicitement défendue par Jean de Gonzalez de
Albeda, O. P., Comment, in Sum. theol., Naples, 1037,
disp. LVIII, sect. il, t. il, p. 86; par Boniface Grandi,
O. P., Cursus theologicus, Ferrare, 1692, t. i, p. 46 sq. :
par d'autres auteurs de l'ordre des frères prêcheurs
cités par le P. Guillermin, qui lui-même a exposé cette
doctrine avec une spéciale compétence, dans la Revue
thomiste, 1902, t. x, p. 655; par le P. Jeiler, Sancli
Bonavenlune principiu de concursu Dei generali, Qua-
racchi, 1897, p. 69 sq.; par le P. Pignataro, De Deo
crealore, Rome, 1905, p. 517 sq.; par le cardinal Billot,
De gratia Christi, p. 21 sq. Parmi les auteurs récents qui
n'admettent pas cette explication, il faut citer le
P. Pègues, Commentaire français littéral de la Somme
théologique, Toulouse, 1907 sq., t. v, p. 304 sq.; t. vi,
p. 300 sq.
b) Doctrine de Molina. — Comme nous l'avons
exposé plus haut, Molina n'admet qu'un concours
divin simplement simultané, et cela pour toute opé-
ration de la créature : il n'établit, sous ce rapport,
aucune dilférence entre l'acte indélibéré et l'acte déli-
béré, entre l'acte appelé voluntas ut nulura et l'acte
appelé voluntas ut ratio. Cf. Concordia, disp. XXVII sq.,
p. 158 sq. De plus, il faut remarquer la définition qu'il
donne de l'acte libre ou élection : Agens liberum dicilur
quod posilis omnibus requisitis ad agendum potcsl agere
vel non agerc, aut ila agere unum ut contrarium agere
possit. Concordia, disp. II, p. 10. Si l'on met cette
définition en rapport avec la doctrine de Molina, il en
résulte (pie la liberté consisterait aussi en ce que la
volonté, quand toutes les conditions requises à son
opération sont vérifiées, peut agir ou n'agir pas, choisir
ou ne pas choisir. Nous ne nous rangeons pas à cet
avis : la liberté ne consiste pas en ce que la volonté
puisse agir ou n'agir pas, mais en ce qu'elle peut
choisir, c'est-à-dire vouloir ceci plutôt que cela. Quand
les conditions requises à cet acte, l'élection, sont véri-
fiées, l'acte se produit nécessairement; mais il peut
avoir pour objet de ne pas penser à telle chose, de ne
rien vouloir concernant telle chose.
c) D'après la doctrine de saint Thomas, telle que
nous l'avons exposée, nous admettons les propositions
suivantes : a. quand la volonté commence à agir,
c'est-à-dire à vouloir indélibérément, elle doit être
mise en acte, ou appliquée à agir par une prémotion
physique de la part de Dieu; b. quand la volonté est
ainsi en état d'activité et veut un bien final, elle se
détermine physiquement elle-même à vouloir ceci ou
cela; une seconde prémotion physique ou application à
l'acte n'est plus requise. Mais nous le répétons, l'in-
fluence divine, qui constitue le quatrième mode d'après
lequel Dieu opère en toute créature, est nécessaire.
Cf. Billot, De gratia Christi, p. 19 sq. c. La prédéter-
mination physique à l'acte d'élection est, à notre avis,
inconciliable avec la liberté d'indifférence et avec la
sainteté de Dieu. a. La prédétermination serait une
entité physique, infuse à la volonté, antérieure par sa
nature à l'acte d'élection et déterminant physiquement
et intrinsèquement celui-ci, c'est-à-dire faisant physi-
quement vouloir ceci plutôt que cela, en d'autres
termes enlevant précisément l'indifférence physique de
la volonté par rapport à l'objet à vouloir; dès lors
l'homme lui-même n'aurait rien à déterminer physi-
quement dans cet acte, il n'aurait aucune maîtrise sur
le choix, il ne pourrait pas en être responsable, il ne
serait pas libre. p. Si la prédétermination physique
était nécessaire, elle le serait à tout acte d'élection,
quel que soit son objet. Dès lors Dieu prédéterminerait
physiquement et de la même manière l'acte qui a pour
objet un bien dans l'ordre moral, et l'acte qui a pour
objet un bien apparent qui, dans l'ordre moral, est un
mal; donc Dieu serait cause physique et immédiate du
péché comme il l'est de l'acte vertueux. Il serait cause
du péché, non pas seulement en tant qu'il est une
opération physique, mais encore en tant qu'il est un
acte moralement désordonné, car c'est Dieu qui aurait
déterminé la volonté à vouloir ceci (le mal moral)
plutôt que cela (le bien moral).
d. Dans l'ordre surnaturel, la grâce actuelle excitante
consiste, comme nous l'avons exposé plus haut, dans la
prémotion physique surnaturelle qui a pour terme l'acte
indélibéré de l'intelligence et l'acte indélibéré de la
volonté. Quand l'homme est ainsi excité à vouloir un
bien salutaire, il ne faut plus une nouvelle application
à l'acte d'élection pour le consentement à la grâce :
l'homme se détermine lui-même à vouloir ceci, par
exemple, l'objet salutaire vers lequel il est porté par
l'impulsion de la grâce excitante, ou cela, un objet
différent. Quand l'homme est en état de grâce et
possède par conséquent les vertus infuses, il est clair
qu'il ne faut aucune virlus fluens supernaluralis pour
surnaturaliser intrinsèquement l'acte libre de consen-
tement : il émane d'une faculté intrinsèquement surna-
turalisée par V habitas . Mais quand il s'agit de l'homme
| privé des vertus infuses, faut-il alors une virlus fluens
i supernaluralis nouvelle pour surnaturaliser intrinsè-
! quement l'acte libre du consentement ? Les molinistes
1653
GRACE
1654
et d'autres théologiens répondent que non; ils disent
que la surnaturalisation, produite par la motion à
l'acte indélibéré et restée encore dans la volonté quand
celle-ci se détermine au consentement, suffit à surna-
turaliser cet acte de consentement. Cf. Guillermin, dans
la Reuue thomiste, 1902, p. 657 sq.; Billot, De gralia
Chrisli, p. 155 sq. Il y a cependant à cette thèse une
réelle difficulté : la virlus fluens de l'acte indélibéré se
termine à cet acte et semble ne pas pouvoir surna-
turaliser un autre acte, l'acte d'élection. Le P. Pigna-
laro, De gratin (lith.), p. 221 sq , enseigne qu'il faut
une nouveile virtus fluens supernaturalis pour l'acte
d'élection.
III. Division. — Saint Thomas, Sum. theol., I» IIœ,
q. exi, indique une triple division, a savoir : gratia
(jratum /aeiens et gratia gratis data, operans et coopérons,
prœveniens et snbsequens. Nous avons expliqué déjà le
sens de la première; il nous reste à parler des deux
suivantes, ainsi que d'autres dont saint Thomas ne
parle pas à l'endroit cité.
1° Grâce opérante et coopérante. — Cette distinction
a son fondement dans la doctrine de l'Écriture sainte :
on y montre Dieu excitant l'homme au bien salutaire,
Eph., v, 14; II Tim., i, 9; Apoc, m, 20, et l'aidant à
réaliser ce bien. Rom., vin, 26. 30; Apoc, m, 20.
Saint Augustin explique clairement ce double effet dû
à la grâce divine : Ipse ut velimus operatur incipiens,
qui volcntibus eooperalur perficiens... Ut ergo velimus
sine nobis operatur; cum aulem volumus et sic volumus
ut faciamas, nobiscum cooperalur : tamen sine, illo vel
opérante ut velimus, vel coopérante cum volumus, ad
bona piclalis opéra nihil valemus. De gralia cl libéra
arbitrio, c. xvn, n. 33, P. L., t. xliv, col. 901. Le
IIe concile d'Orange exprime aussi la distinction
susdite : Mull t Deus facit in homine bona quœ non facit
homo (c'est la grâce opérante). Nulla vero facit homo
bona quœ non Deus prœslat ut facial homo (c'est la
grâce coopérante). Quoties bona agimus Deus in nobis
tdquc nobiscum ut operrmur operatur. Denzinger-
Bannwart, n. 192, 182.
Saint Thomas, loc. cit., a. 2, explique cette distinc-
tion en disant qu'elle exprime divers effets de la grâce,
et non diverses entités : c'est la même grâce qui est
tantôt opérante et tantôt coopérante. Cette diversité
d'effet se trouve réalisée aussi bien pour la grâce sancti-
liante que pour la grâce actuelle. La grâce sancti-
fiante est opérante (non effective, sed formaliler), en
tant qu'elle rend formellement l'âme agréable à Dieu,
et coopérante en tant qu'elle est principe de l'acte
méritoire, qui est un acte libre; c'est-à-dire quand
l'homme justifié opère librement un acte salutaire,
c'est la grâce sanctifiante qui est ie principe du
caractère méritoire de cet acte : c'est en ce sens qu'elle
est coopérante. La grâce actuelle est opérante en tant
qu'elle a pour effet une opération salutaire au point
de vue de laquelle notre âme est seufement mue et
Dieu seul est moteur; elle est coopérante quand elle
a pour effet une opération à laquelle notre âme se
meut elle-même en même temps qu'efle y est mue.
Cette définition oiïre quelque diffieufté dans son
application. Il paraîtrait à première vue que la grâce
est opérante quand elle se termine à l'acte indélibéré,
et coopérante quand elle se termine à l'acte délibéré,
c'est-à-dire au consentement libre donné à l'impulsion
divine. Mais tel ne semble pas être le sens de saint
Thomas : d'après lui. la grâce est opérante par rapport
à l'acte indéliiéré et aussi par rapport à l'acte délibéré,
par rapport au consentement librement donné; mais
quand l'homme par ce consentement s'est fixé une
fin à atteindre et qu'il y tend par des actes commandés
par la volition de cette fin, alors la grâce qui soutient
l'homme dans l'exécution de sa volonté est coopé-
rante. Cf. Cajétan, In Jam Il'\ q. exi, a. 2; Soto, De
nalura et gratia, 1. I, c. xv, fol. 62; Alvarez, De auxiliis,
disp. LXXXII, c. xlvii; Billot, De gratia Christi,
p. 101 sq. Il faut remarquer encore que la distinction
susdite peut s'appliquer à une opération salutaire
particulière ou bien à l'œuvre totale de la sanctifi-
cation personnelle.
2° Grâce prévenante et subséquente. — Cette termi-
nologie a son origine dans les. Psaumes lviii, 11, et
xxii, 6 : Misericordia ejus prœveniet me; misericordia
ejus subsequetur me. Saint Augustin, invoquant ces
textes, enseigne que tous les actes salutaires de
l'homme sont un effet de la grâce divine et il la décrit
en ces termes : Ubi quidem operamur et nos, sed illo (Deo)
opérante cooperamur. Prœvenit aulem ut sanemur, qui cl
subsequetur ut eliam sanali vegetemur ; prœvenit ut vo-
cemur, subsequetur ut glorificemur; prœvenit ut pic vi-
vamus, quia sine illo nihil facere possumus. De nalura
et gralia, c. xxxi, n. 35, P. L., t. xliv, col. 264. De
même dans l'écrit Contra duas c/iislolas pelagianorum,
1. II, c. ix, n. 21, P. L., t. xliv, col. 586, il attribue
le commencement de l'amour du bien à la grâce par
laquelle Dieu nous prévient, et l'achèvement à la grâce
qui suit. Sous cette terminologie saint Augustin dé-
signe donc des effets différents de la grâce considérée
en général. C'est dans le même sens que s'exprime
l'Église dans certaines oraisons liturgiques : Tua nos,
quœsumus, Domine, gratia semper et prœveniat et sc-
qualur. Orat. dom. XVI po?l Penlescosten. Aetiones no-
slras... adspirando prœveni cl adjuvando prosequere ut
cuncta nostra operatio et oratio a le semper incipial et
per te cœpta finiatur. Oral, in sabbato quai. temp. Qua-
dragesimœ.
Saint Thomas, loc. cit., a. 3, enseigne la même
chose : cette distinction ne considère que l'ordre de
priorité ou de postériorité qui s'établit entre les
divers effets attribués à la grâce, soit habituelle soit
actuelle; par exemple, vouloir délibérément un bien
salutaire et puis exécuter cette détermination sont
deux effets de la grâce; quant au premier, elle est
prévenante, quant au second, elle est subséquente.
Saint Thomas indique d'autres applications, et dans
sa réponse ad 2""', il affirme de nouveau que cette
distinction ne concerne pas l'essence de la grâce,
mais seulement ses effets : la grâce en tant qu'elle est
prévenante n'est donc pas, de ce chef, réellement
distincte de la grâce subséquente; la grâce subsé-
quente, en tant qu'elle appartient à la gloire céleste,
ajoute saint Thomas, n'est pas réellement distincte
de la grâce prévenante par laquelle nous sommes
justifiés en celte vie. La chanté de cette vie ne dispa-
raît pas au ciel, mais elle y est perfectionnée: de
même la lumière de grâce (c'est-à-dire la grâce sancti-
fiante) est fa même en cette vie et clans l'autre; il en
est ainsi parce que la charité et la grâce sanctifiante
n'incluent, dans leur concept, aucune imperfection.
La doctrine de saint Thomas est, quant à sa sub-
stance, la même qu'expose Pierre Lombard, Sent.,
1. Il, dist. XXVI, et que tenaient les scolastiques
anciens. Cf. S. Bonaventure, In IV Sent., 1. II, dist.
XXVI, q. vi, Opéra omnia, t. n, p. 615 sq., et les
Scholia, p. 646, 655.
3° Grâce excitante et adjuvante. — Nous trouvons
ces termes chez saint Augustin : Quocirca quoniam
quod a Deo nos averlimus nostrurn est, et hsec est voluntas
mala; quod vero ad Dcum nos convertimus, nisi ipso
excitante et adjuvante non possumus, et hœc est voluntas
bona. De piccaliiriim merilis et remissione, 1. II, c. xvm,
n. 31, P. L., t. xliv, col. 169. Le concile de Trente s'est
servi des mêmes termes pour décrire la conversion de
l'adulte et les dispositions requises à sa justification ;
c'est depuis lors que la distinction susdite a été uni-
versellement employée par les théologiens. Le concile
parle des grâces actuelles : chez les adultes, le commen-
1655
GRACE
1656
cernent de la justification doit provenir de la grâce
prévenante, c'est-à-dire de la vocation; par la grâce
excitante et adjuvante, s'ils y consentent librement et
y coopèrent, ils sont disposés à la conversion et à la
justification; l'opération de Dieu et la coopération de
l'homme sont, en outre, expliquées comme il suit : c'est
Dieu qui touche le cœur de l'homme par l'illumina-
tion du Saint-Esprit; l'homme peut librement accepter
cette inspiration en y consentant (assentiendo), il peut
aussi la rejeter en voulant autre chose (dissenliendo).
Sess. vi, c. v, et can. 3, 4, Denzinger-Bannwart,
n. 797, 8t3, 814. Le concile établit ici, contre les pro-
testants, la nécessite de la grâce et de la libre coopéra-
lion de l'homme : dans l'œuvre de la conversion, la
première part revient à la grâce qui prévient, meut,
excite; sous l'empire de cette excitation, l'homme peut
librement y consentir ou refuser le consentement; s'il
consent, il coopère avec la grâce. La grâce divine
produit l'illumination et l'inspiration : ce sont des actes
indélibérés; le consentement ou le dissentiment, de la
part de l'homme, sont des actes délibérés.
Le concile ne dit rien sur une distinction réelle entre
la milice excitante et la grâce adjuvante; sous cette
double dénomination il désigne le principe d'où
dépend et auquel répond le libre consentement et la
libre coopération de l'homme; mais ce consentement
peut aussi ne pas être donné : c'est alors le dissenti-
ment. C'est le libre choix de l'homme qui détermine
l'un ou l'autre effet. Après le concile, beaucoup de
théologiens, tant de l'école moliniste que de l'école
banésienne, ont appliqué principalement, sinon exclu-
sivement, les termes expliqués plus haut à la grâce
actuelle, et leur ont donné un sens restreint : ils
entendent par grâce excitante la grâce en tant qu'elle
suscite l'acte indélibéré dans l'intelligence et dans la
volonté; par grâce adjuvante, la grâce en tant qu'elle est
principe de l'acte délibéré. De plus, ils considèrent
comme synonymes, d'une part, les termes opérante,
prévenante, excitante; d'autre part, les termes coopé-
rante, subséquente, adjuvante. VoirMolina, Concordia,
q. xiv, a. 13, disp. XVII, p. 37; disp. XXXIX,
p. 223; Suarez, De gratta, 1. III, c. xx, n. 8, p. 90; c. xxi,
n. 14, p. 94; c. xxm, n. 3, p. 100; c. xxiv, n. 6, p. 104;
Goudin, De gratia Dei, q. v, a. 1, p. 252 sq. ; Billuart,
Tractatus de gratia, diss. V, a. 1, Summa S. Thomte,
Paris, s. d., t. ni, p. 123 sq.
Molina, Concordia, q. xiv, a. 13, disp. XXXIX,
p. 222 sq. ; disp. XL, p. 229 sq.. enseigne que la grâce
excitante, prévenante, opérante est la même réalité
que la grâce adjuvante, coopérante, subséquente; la
première consiste dans les actes vitaux indélibérés; si
l'homme consent (ce qui se fait par le seul acte délibéré
de la volonté), cette même grâce est adjuvante. Bellar-
min, De gratia et libero arbiirio, 1. I, c. xn, n. 29, p. 244,
n'admet pas cette assertion; pour lui, la grâce coopé-
rante est efficace ab intrinseco; mais non pas au sens
où l'explique l'école banésienne, c'est-à-dire en admet-
tant la prédétermination physique; Bellarmin réfute
cette opinion. Loc. cit., n. 8 sq. ; cf. Le Bachelet, Aucta-
rium Bellarminianum, p. 101 sq. Notons encore que
Bellarmin, De gratia et libero arbitrio, c. xiv, n. 8,
p. 249, n'admet pas que la grâce opérante concerne
uniquement l'acte indélibéré, mais elle a pour effet le
premier acte délibéré de la conversion; tandis que la
grâce coopérante a pour effet les actes subséquents.
C'est pourquoi Bellarmin donne cette distinction
comme une subdivision de la grâce efficace. Mais cette
opinion est connexe avec la grande question de l'effi-
cacité de la grâce actuelle que nous exposerons plus
loin.
4° Grâce suffisante et efficace. — Sur le sens qu'avaient
ces mots avant les controverses du xvie siècle, voir
Schneeman, Weiterc Entwiclaiung des thomistisch-
molinischcn Controverse, Fribourg-en-Bri=gau, 1880,
p. 124 sq. Actuellement ces termes indiquent une
division adéquate de la grâce actuelle. Certains théo-
logiens en donnent une explication qui suppose le
système auquel ils adhèrent et proposent par consé-
quent une définition réelle. Pour le moment nous ne
donnons qu'une définition purement nominale : la
grâce est efficace quand elle est infailliblement connexe
avec l'acte salutaire délibéré; elle est seulement suffi-
I ante quand elle procure à l'homme le pouvoir d'agir
salutairement, mais n'obtient pas ce résultat. En disant
de la grâce efficace qu'elle est infailliblement connexe
avec l'acte volontaire délibéré, nous faisons abstrac-
tion de la manière dont se réalise cette infaillibilité;
nous faisons abstraction de la question de savoir si la
raison de cette infaillible connexion se trouve dans la
grâce elle-même ou seulement en Dieu, c'est-à-dire
dans sa science infaillible.
L'existence de la grâce seulement suffisante et celle de
la i^ràce efficace est un point de doctrine admis par tous
les catholiques et contenu dans le dépôt de larévélation.
1. Écriture sainte. — En effet, elle nous révèle que
la grâce est nécessaire pour tout acte salutaire, qu'avant
la justification il n'est donné que des grâces actuelles,
qu'après sa justification l'homme a encore besoin de
grâces actuelles pour persévérer. D'autre part, Dieu
donne à ceux qu'il appelle les grâces réellement et
pleinement suffisantes pour qu'ils puissent suivre cet
appel; il donne aux justes toutes les grâces véritable-
ment suffisantes pour qu'ils puissent persévérer dans
leur état et éviter le péché mortel. Cependant il est
des hommes qui, de fait, refusent de faire ce à quoi
Dieu les pousse, qui résistent à la grâce; d'autres, au
contraire, consentent aux impulsions divines et les
suivent. Il y a donc des grâces simplement suffisantes,
et il y a des grâces efficaces. L'existence des premières
est affirmée dans la plainte du Christ : « Jérusalem,
Jérusalem..., que de fois j'ai voulu rassembler tes
enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous
ses ailes, et vous ne l'avez pas voulu. » Matth., xxin, 37.
II y a donc des juifs qui ont reçu des grâces suffisantes
à la foi, mais qui librement et coupablement y ont
résisté. Saint Paul dit aux juifs : « Ou méprises-tu les
richesses de sa bonté, de sa patience et de sa longani-
mité ? et ne sais-tu pas que la bonté de Dieu t'invite à
la pénitence ? Par ton endurcissement et l'impéni-
tence de ton cœur, tu t'amasses un trésor de colère
pour le jour de la colère et de la manifestation du juge-
ment de Dieu, qui rendra à chacun selon ses œuvres. »
Rom., n, 4-5. Saint Etienne s'écrie : « Hommes à la
tête dure, vous résistez toujours au Saint-Esprit. »
Act., vu, 51.
2. Les Pares. — Saint Irénée, en interprétant
Matth., xxm, 37, enseigne que ceux qui ont opéré le
bien (il s'agit du bien salutaire) en seront récompensés
parce qu'ils ont opéré le bien alors qu'ils auraient pu ne
pas l'opérer; et ceux qui n'auront pas opéré le bien
seront punis, parce qu'ils n'ont pas opéré le bien alors
qu'ils auraient pu le faire. Cont. hier., 1. IV, c. xxxvn,
n. 1, P. (!., t. vu, col. 1099. Saint Irénée décrit ici
la liberté (libertas clectionis) vis-à-vis de la grâce cjue
Dieu concède à tous : les uns y coopèrent librement et
font ce bien dont la grâce les a rendus capables; les
autres librement ne coopèrent pas et ne font pas ce
dont la grâce les a rendus capables; il y a donc une
grâce suffisante et inefficace et une grâce efficace. Cette
efficacité dépend, au moins partiellement, de l'exer-
cice du libre arbitre. Une doctrine semblable est exposée
par saint Jean Chrysostome, Homil., vin, n. 1, P. C..
t. liv, col. 65. Pour la doctrine des autres Pères,
cf. Habert, Theologia Patrum grœcorum, 1. II, c. vi sq. ;
Tournély, De gratia Chrisli, Paris, 1724, t. n, q. vu,
a. 2, p." 369 sq.
1657
GRACE
1658
La doctrine de saint Augustin doit spécialement
attirer l'attention. Il ne s'est pas appliqué à démon-
trer ex professo l'existence de ce que nous appelons
grâce suffisante; il est, au contraire, plus préoccupé
de l'efficacité de la «race : ce qui s'explique par
le fait que sa mission était de défendre la nécessité
de la grâce. Néanmoins Augustin montre clairement
qu'il admet une grâce suffisante, c'est-à-dire une grâce
donnée par Dieu pour que l'homme puisse agir salu-
tairement et cependant frustrée de cet effet parce que
l'homme résiste à ce secours divin. a) Quant au pre-
mier point, c'est-à-dire que la grâce est un secours
donné pour que l'homme puisse agir salutairement,
notons les textes suivants : Sanat Drus non solum ut
deleat quod peccavimus, sed ut prsestet etiam ne peecemus.
De naturel et gratia, c. xxvi, n. 29, P. L., t. xliv,
col. 261. Le secours dont parle saint Augustin est la
grâce du Christ et celle-ci, notamment quand il s'agit
d'éviter le péché, comprend des grâces actuelles. Ce
secours dont il est ici question est encore requis pour
persévérer dans la justice, pour vivre dans la rectitude
morale : ce secours est de fait accordé aux justes, parce
que Dieu ne les abandonne pas lorsqu'eux-mêmes
n'abandonnent pas Dieu : non deserit, si non deseratur.
Loc. cit. Ce secours divin ne détruit pas le libre arbitre,
mais il n'est utile qu'à celui qui veut, qui veut humble-
ment, et qui ne s'enorgueillit pas, comme si les énergies
de sa seule volonté suffisaient à pratiquer la justice.
Op. cit., c. xxxn, n. 36, col. 265. La nature humaine est
blessée; elle est, par suite de la concupiscence, dans un
état où elle ne peut éviter tout péché; pour la délivrer
de cet esclavage, il faut la charité qui est infuse dans
nos âmes par le Saint-Esprit, op. cit., c. liii-lin,
col. 276-281; par cette charité l'homme est délivré de
la nécessité morale de pécher. Op. cit., c. lxvi, n. 7'.».
col. 280. Par conséquent au degré de charité corres-
pond le degré de justice : charitas ergo inehoata, inchoata
justitia est; charitas provecla, provecla juslitia est;
charitas magna, magna justitia est ; charitas perfecla,
pcrjccii justitia est. Cette charité n'est pas le résultat
de notre nature, ni de nos œuvres, mais elle est l'effet
du Saint-Esprit, qui par là porte remède à notre infir-
mité et coopère à notre guérison : c'est en cela que
consiste la grâce de Dieu par Jésus-Christ. Op. cit.,
c. i.xx. n. 84, col. 290. Cf. De gratia Chrisli, 1. I, c. xxxv.
n. 38, P. L.. t. xliv, col. 378. Saint Augustin décrit
ici la grâce divine considérée en général, en tant qu'elle
est secours ajouté à la nature. « Il ramène toutes les
affections humaines à l'amour de Dieu..., mais il
n'entend pas alors par charité la vertu théologale de
ce nom, ni même l'amour de Dieu en général; il étend
le sens du mot charité à tout amour honnête, à tout
acte de vertu, à toute bonne volonté conforme à
l'ordre éternel. » Le Bachelet, Baius, t. n, col. 91. La
grâce ainsi entendue est opposée à la concupiscence :
celle-ci est la force qui incline l'homme au mal et
l'entraîne; la charité est la force opposée par laquelle
l'homme peut éviter le péché, mais il ne l'évite que
librement. Cf. aussi De gratia Christi, c. xlvii, n. 52,
col. 383; Contra duas epistolas pclagianorum, 1. IV,
c. vi, n. 12, col. 617 sq. ; De gratia et libero arbilrio, c. iv,
n. 6 sq., col. 885 sq.
b) Saint Augustin enseigne donc que la grâce est le
secours suffisant pour que l'homme puisse éviter le
péché et augmenter en lui la justice; mais la grâce
n'obtient son effet que par la libre coopération de
l'homme, et quand celle-ci fait défaut, la grâce
n'obtient pas l'effet auquel elle est ordonnée. Ce point de
doctrine a été clairement enseigné par saint Augustin
après que, par la grâce divine, il avait bien compris
que la grâce est distribuée à titre gratuit et qu'elle est
nécessaire également au commencement de la foi.
Cf. De prsedestinatione sanctorum, c. iv, n. 8, P. L.,
t. xliv, col. 965; De dono perseverantise, c. xx, n. 52,
/'. /.., t. xlv, col. 1026. C'est en écrivant sa disserta-
lion a Simplicien que cette lumière lui est venue.
Dans cet écrit le saint docteur parle notamment de la
vocation : il y a une vocation efficace, qui obtient
infailliblement son effet, parce qu'elle est si bien
adaptée aux dispositions du sujet qu'elle obtient de
fait le consentement; une autre vocation n'est pas
ainsi adaptée aux dispositions du sujet et n'obtient
pas le consentement. Cf. Augustin, t. i, col. 2390.
La même idée est exprimée dans la lettre ccxvn
écrite vers 427 : saint Augustin y réfute celui qui
lient que le commencement de la foi n'est pas dû à la
grâce, mais au libre arbitre, c'est-à-dire au consente-
ment naturel que l'homme donne après qu'il a entendu
proposer la doctrine et la loi divine. Saint Augustin
enseigne la nécessité de l'influence divine interne, qui
prévient l'homme, prépare sa volonté et fait que
i homme consente; cet effet s'obtient parce que cette
grâce interne est apte, accommodée au consentement
qu'elle doit obtenir; l'effet ne serait pas obtenu si Dcus
non vocalione illa atta alque sécréta sic agerrt sensum ut
( idem accommodarct assensum. P. L., t. xxxm, col. 980.
Saint Augustin enseigne donc que l'efficacité de la
grâce consiste à obtenir le consentement de l'homme.
Pour l'objet qui nous occupe maintenant, le texte du
De spiritu et litlera, c. xxxm, xxxiv, P. L.. t. xliv,
col. 257 sq., est de la plus haute importance. Saint
Augustin y pose la question : « L'acte de volonté par
lequel nous croyons est-il un don de Dieu, ou bien
procède-t-il naturellement du libre arbitre ? Il répond
d'abord que le libre arbitre reste, que par lui l'homme
peut croire et aussi ne pas croire, employer bien ou
mal sa liberté. Néanmoins l'acte par lequel nous
croyons doit être attribué à Dieu; non en ce sens qu'il
sort du libre arbitre reçu par Dieu dans la création,
mais bien en ce sens que cet acte est l'effet de l'in-
fluence divine sur notre âme; c'est cette influence cpii
produit l'acte de croire; cependant il reste toujours
vrai que le consentement (à la grâce prévenante) ou
le dissentiment appartient à la volonté de chacun :
profeclo cl ipsum vellc crederc Deus operatur in liominc
et in omnibus miscrieordia cjus prœvcnil nos; consentire
autem vocalioni Dei. pet ab ea dissenlire, sicut dixi,
propriœ voluntatis est. P. L., t. xliv. col. 240 sq. Saint
Augustin explique ensuite comment cette assertion
n'est pas en opposition avec le principe qui, pour lui,
est fondamental dans I;; doctrine de la grâce : Quîd
habes quod non accepisli ? Les dons qui sont désignés
ici, l'âme ne peut ni les recevoir, ni les avoir qu'en
consentant : elle consent aux dons divins; c'est pourquoi
ce qu'elle a et ce qu'elle reçoit est de Dieu, mais rece-
voir et avoir est le fait de sa propre volonté. Si l'on
demande pourquoi, parmi les hommes, l'un est tra-
vaillé parla grâce, de façon à arriver à la persuasion
et à l'acte de foi, et pourquoi l'autre ne l'est pas ainsi,
il ne reste qu'à répondre : O allitudo divitiarum.
Rom., xi, 33. Loc. cit. Saint Augustin enseigne donc
ici que, sous l'influence actuelle de la grâce, l'homme
peut y donner ou refuser son consentement : il peut
consentir; la grâce est donc suffisante à obtenir cet
effet; il peut refuser ce consentement, la grâce est
alors inefficace. Nous avons ici la notion de la grâce
véritablement, mais exclusivement suffisante, non
efficace. Nous parlerons plus loin de la pensée de saint
Augustin sur la nature de l'efficacité de la grâce.
Beaucoup d'auteurs croient trouver la notion de la
grâce suffisante et inefficace dans le livre De corre-
ptionc et gratia, c. x sq., P. L., t. xliv, col. 931 sq.,
où saint Augustin distingue le secours sans lequel
l'homme ne peut pas persévérer, adjuiorium sine quo
non, et le secours par lequel l'homme persévère en
réalité, adjutovium quo. Ces auteurs identifient la
1659
GRACE
1660
grâce suffisante avec Vadjutorium sine quo non, et la
grâce efficace avec Vadjutorium quo. Cela n'est pas
exact. D'abord, pour saint Augustin, Vadjutorium sine
quo non est l'ensemble des dons concédés à Adam
avant son péché, c'est l'ensemble des dons par les-
quels Adam pouvait persévérer dans l'état d'intégrité
dans lequel il avait été créé. Cet ensemble de dons
comporte-t-il des grâces internes actuelles excitantes ?
On ne peut l'affirmer avec certitude, comme nous
L'exposerons plus loin. En supposant qu'on l'admette,
on ne pourrait pas en conclure que saint Augustin
enseigne qu'il existe maintenant, dans l'état de nature
déchue, des grâces purement suffisantes. Car le secours
qu'il oppose au premier est l'ensemble des dons qui
réalisent de fait la persévérance finale chez les pré-
destinés, dans l'état actuel de la nature déchue : c'est
pourquoi il appelle cet adjulorium quo une gratta
potenlior parce qu'elle a pour effet de faire surmonter
de grandes difficultés qui n'existaient pas pour Adam.
L'adjulorium quo est donc l'ensemble de dons qui est
efficace en ce sens qu'elle réalise la persévérance finale;
Vadjutorium sine quo est un ensemble de dons qui eût
été suffisant pour obtenir la persévérance d'Adam dans
l'état d'intégrité; mais il n'est pas question ici de la
grâce actuelle excitante, accordée après la chute
d'Adam, et qui peut être ou bien seulement suflisante
ou bien efficace. Cf. Palmieri, De gratia acluali, thés.
xlvi, n. 8, p. 409 sq.
3. Les conciles et actes officiels de l'Église. — Le
IIe concile d'Orange déclare : « Conformément à la
foi catholique, nous croyons que tous les baptisés,
après avoir reçu la grâce au baptême, peuvent par le
secours et la coopération du Christ, s ils veulent fidè-
lement travailler, remplir tout ce qui est requis au
salut. » Denzinger-Bannwart, n. 200. Tous les baptisés
ont donc le secours surnaturel suffisant, et par consé-
quent les grâces actuelles nécessaires pour satisfaire
à toutes leurs obligations; comme en réalité tous
n'évitent pas le péché, il y a donc des grâces actuelles
vraiment mais exclusivement suffisantes.
La même doctrine est exprimée au concile de
Trente. Denzinger-Bannwart, n. 804. De plus, ce
concile a employé à peu près les mêmes termes dont
s'est servi saint Augustin, dans son livre De spiritu et
litlera, c. xxxiv, pour exprimer la liberté de l'homme
sous l'influence de la grâce excitante, et le pouvoir
qu'il a d'opposer son dissentiment â l'impulsion divine :
le concile ne dit pas explicitement que cette motion est
vraiment suffisante à obtenir le consentement, mais
cette motion est implicite dans ce qu'il dit; sans la
grâce l'homme ne peut pas se préparer à la justifi-
cation; sous l'influence de la grâce l'homme peut y
refuser son assentiment (illam ab/icerc polcst); il doil
y consentir pour qu'il se convertisse. 11 s'agit ici de
grâces internes actuelles excitantes, données avant la
justification. Denzinger-Bannwart, n. 797, 814.
Luther et Calvin, ainsi que Baius, niaient l'existence
de la liberté, et dès lors, au moins implicitement, la
grâce vraiment et seulement suflisante. Voir Baius,
t. ii, col. 81 sq. ; Calvinisme, t. n, col. 1401 sq. Les
calvinistes, appelés postlapsaires, au synode de Dor-
drecht (1618-1619), rejetèrent explicitement la distinc-
tion de la grâce en suffisante et efficace, et n'admi-
rent que la grâce efficace. Cf. Guillermin, Revue thomiste,
1901, t. ix, p. 509 sq.
Mais c'est surtout Jansénius et ses disciples qui ont
nié la distinction susdite, et ont soutenu que, dans
l'état actuel de la nature déchue, il n'y avait pas de
grâce suffisante qui ne fût en même temps efficace, et
que, lorsque l'homme n'opérait pas le bienetn'accom
plissait pas les préceptes, c'était parce que la grâce qui
les eût rendus possibles lui avait manqué. Jansénius,
Augustinus, t. ni. D&gralia Chrisli, I. III, c. i. Louvain,
1640, col. 249 sq. Innocent X en 1653 condamna cinq
propositions de Baius, parmi lesquelles il déclarait héré-
tique celle-ci : « Dans l'état de la nature déchue on ne
résiste jamais à la grâce intérieure. « Denzinger-Bann-
wart, n. 1093. Les jansénistes continuèrent à défendre
la même doctrine, au moins quant à sa substance;
ils furent condamnés à différentes reprises. Alexan-
dre VI IL en 1690, condamna cette assertion : « La
grâce suffisante, dans l'état où nous sommes, est plus
pernicieuse qu'utile, de façon â ce qu'on puisse légiti-
mement faire cette prière : De la grâce suffisante
délivrez-nous, Seigneur. » Denzinger-Bannwart, n. 1296.
Voir t. i, col. 754. En 1713, Clément IX condamna les
erreurs de Quesnel, et notamment celle-ci : « Quand
Dieu veut sauver une âme et qu'il la touche de sa
grâce intérieure, aucune volonté humaine ne lui résiste.»
Op. cit., n. 1363. La même erreur, renouvelée au synode
de Pistoie, fut condamnée en 1794 par Pie VI. Op. cit.,
n. 1521.
4. Après les discussions que nous venons d'indiquer,
les théologiens ont clairement défini la notion de la
grâce véritablement et seulement suffisante. Voici en
quels termes l'expose Tournély, De gratia Chrisli, t. n,
q. vu, p. 309 : Nomine gratiœ sufficienlis eam Ecclesia
intelligit quie expedilam cl relalivam ad présentes sub-
jccli circumstanlias conferl voluntati ad opus bonum
polenliam, ac vires pares et xquales superandœ opposila'
concupiscenliœ; nec aliter etiam intelligit gratiœ inte-
riori rcsisti, quam quod co privalur e/fcclu, quem relative
ad oppositam actualem coneupiscenliam ex ordinalione
et voluntale Dei hic et nunc habere potesl. Certains théo-
logiens, pour démontrer l'existence de cette grâce,
emploient l'argument suivant : Dieu veut le salut de
tous les hommes; or sans la grâce suffisante, l'homme
ne peut pas se sauver; donc Dieu donne à tous les
hommes les grâces suffisantes au salut; mais il y a des
hommes qui ne se sauvent pas; donc il existe des
grâces vraiment et seulement suffisantes. Cette argu-
mentation n'est pas concluante; la première conclusion
ne découle pas strictement des prémisses. Nous admet-
tons cjue Dieu veut, de volonté conditionnée (non
absolue), le salut de tous les hommes, et que par consé-
quent il donne à l'homme le secours suffisant, c'est-à-
dire au moins le secours remote sufficiens au salut. Mais
il n'est pas démontré que ce secours remole sufficiens
est nécessairement la grâce actuelle proprement dite,
c'est-à-dire l'illumination surnaturelle de l'intelligence
et l'inspiration surnaturelle de la volonté. Dès lors il
n'est pas démontré par là que tous les hommes reçoi-
vent, de fait, des grâces proprement dites et qu'il y en
a qui ne sont que suffisantes. En effet, d'après ce que
nous avons exposé en parlant de la distribution de la
grâce, il ne répugne pas qu'un homme adulte puisse
mourir sans avoir reçu des grâces proprement dites,
car les théologiens admettent que l'homme peut, pen-
dant un certain temps, observer la loi naturelle, sans
la grâce; il a donc alors le secours suffisant, l'énergie
naturelle pour éviter tout péché mortel. Mais si pen-
dant ce laps de temps il commet le péché mortel et
le multiplie, il met obstacle à l'effusion des grâces de
Dieu sur lui : peut-on affirmer que Dieu lui donnera
encore des grâces actuelles proprement dites ?
5. La notion de la grâce suflisante que nous avons
exposée soulève une difficulté : Comment la grâce suffi-
sante, mais inefficace, peut-elle être un bienfait de
Dieu ?
Quand on considère cette grâce en elle-même, elle
est un don de Dieu, un secours gratuit, conférant à
l'homme le pouvoir d'agir salutairement. Cette notion
essentielle ne change pas par le fait cjue cette grâce
n'obtient pas son effet, car ceci dépend de la liberté
humaine; l'homme pourrait consentir, mais il choisit
le dissentiment, c'est lui qui n'use pas comme il faut
1661
GRACE
1662
du bien qui lui est oclroyé par Dieu; mais l'excitation
surnaturelle à l'acte surnaturel est et reste un réel
secours concédé par Dieu.
Cependant, dira-t-on, Dieu prévoit que l'homme ne
consentira pas à cette grâce; il prévoit qu'en maintes
circonstances l'octroi de la grâce seulement suffisants
devient une occasion de péché et de damnation éter-
nelle. Par conséquent, au moins dans ces cas, la grâce
seulement suffisante n'est pas un bienfait de Dieu. A
cela on répond que l'octroi des grâces suffisantes est et
reste toujours l'effet de la volonté salvitique de
Dieu, de cette volonté par laquelle Dieu veut sincère-
ment, bien que conditionnellement, le salut de tous les
hommes et l'octroi des moyens nécessaires à leur salut;
chaque fois que Dieu accorde une grâce suffisante, il
le fait afin que, par elle, l'homme puisse agir salutaire-
ment et il donne ce pouvoir parce qu'il veut le salut de
cet homme. La prévision de l'absence d'effet de cette
grâce (absence qui est duc à la libre résistance de
l'homme) ne change pas la disposition bienveillante
d'où procède la concession de la grâce, et ne lui enlève
pas sa raison de bienfait. Si l'on dit : cependant il
vaudrait mieux pour l'homme n'avoir pas reçu la
grâce suffisante; cela est vrai, mais ce mal dépend,
non de la grâce suffisante comme telle, mais du libre
refus d'y coopérer de la part de l'homme. On peut dire
aussi que, pour l'homme damné, il vaudrait mieux
n'avoir jamais vécu, cf. Matth., xxvi, 24; cependant
la vie est toujours un bienfait de Dieu. Cf. Mazzella,
De gralia Christi, n. 525 sq. L'explication de la conci-
liation de la volonté salvitique de Dieu avec la pré-
destination et la réprobation doit être donnée ailleurs.
6. Ce que nous avons exposé jusqu'ici, en prenant
comme point de départ la définition nominale de la
grâce suffisante et efficace, fait partie de la doctrine
catholique elle-même. La controverse entre les théo-
logiens catholiques concerne la réalité de la grâce,
l'entité dans laquelle se vérifie la notion expliquée
jusqu'ici. Ainsi les auteurs de l'école bafiésienne défen-
dent l'existence d'une grâce véritablement suffisante
quoique inefficace, et la disent réalisée dans les motions
divines internes qui se terminent aux actes indélibérés ;
c'est ainsi que l'homme a le pouvoir d'agir salutairc-
ment; c'est la grâce suffisante; mais pour que l'homme
produise de fait l'acte libre du consentement, il faut
une nouvelle grâce actuelle, qui prédétermine physi-
quement l'acte délibéré; cette seconde motion est la
grâce efficace. Cf. Billuart, De gralia, diss. V, a. 2,
p. 130. De ce que nous venons de dire il résulte que,
pour toutes les écoles catholiques, la grâce actuelle
excitante exerce toujours une causalité objective ou
intentionnelle ; en effet, les illustrations intellectuelles,
qui sont produites physiquement par Dieu dans l'in-
telligence, exercent une influence en tant qu'elles pré-
sentent dans la connaissance le bien ou le mal et
qu'elles sont connaturellement accompagnées de l'af-
fection correspondante dans la volonté, amour ou
aversion; c'est ainsi que ces actes intellectuels meuvent
objectivement ou intentionnellement la volonté. Cf. S.
Thomas, Sam. theol., P II1", q. ix, a. 1; Billuart,
op. cit., diss. V, a. 5, p. 141. L'all'cction elle-même,
produite aussi par Dieu, et constituant un acte indé-
libéré, ne détermine pas physiquement le consente-
ment; elle le rend possible et y incline; mais cette
inclination vis-à-vis de la détermination de l'acte
libre, est formellement une influence, qui appartient à
la motion objective. Cette assertion est commune à
l'école moliniste, à l'école bafiésienne et à l'école augus-
tinienne, au moins à celle qui professe l'augustia-
nisme modéré. Ce que nous venons de dire au sujet de
la motion objective ne tranche pas une autre question,
celle-ci : la grâce prévenante exerce-t-elle sur l'acte du
consentement une influence d'ordre purement objectif
ou moral, comme est l'influence de persuasion qu'on
exerce sur la volonté d'un homme par les conseils, les
exhortations, ou bien exerce-t-elle aussi une influence
physique. Les auteurs, même dans l'école moliniste, ne
semblent pas d'accord pour répondre à cette question.
Voir sur ce point quelques indications dans Schifiini,
De gralia divina, n. 154; une note du P. Guillermin,
dans la Revue thomiste, 1902, t. x, p. 68. On peut
admettre que la grâce excitante exerce une influence
physique sur le libre arbitre sans en conclure que cette
influence entraîne, par son efficacité intrinsèque, le
consentement, l'acte bon délibéré.
IV. Efficacité. — r. AVANT i \ CONTROVERSE m
\ vi> siècle. — Les théologiens ne semblent pas avoir
fait, avant cette époque, de l'efficacité de la grâce
actuelle un objet spécial de leurs recherches. Nous
indiquerons brièvement ce que l'on peut trouver sur
ce sujet dans saint Augustin et dans saint Thomas.
1° D'après saint Augustin. — Dans l'exposé doc-
trinal concernant la grâce, on peut, distinguer chez
saint Augustin trois périodes : d'abord celle qui va
jusqu'à l'année 396, pendant laquelle il s'était repré-
senté la grâce comme un salaire que l'homme doit
mériter par sa foi, comme une récompense que Dieu
octroie à ceux qui s'en sont rendus dignes; ensuite vers
la fin de l'année 396 ou au plus tard au cours de l'an-
née 397, par la méditation des paroles : Quis enim te
disccrnil ? I Cor., iv, 7, il reconnaît qu'il a fait fausse
route, et il comprend que ce n'est pas par la foi que
l'homme mérite la miséricorde divine, mais que c'est
la miséricorde divine qui donne la foi, en d'autres
termes, que tout acte salutaire, tout commencement
du salut, dépend de la grâce divine, d'un don accordé
gratuitement par Dieu; enfin la troisième période
commence en 416-417 avec le commentaire d'Augus-
tin sur l'Évangile de saint Jean ; il y expose la gra-
tuité absolue de la grâce, en connexion avec la prédes-
tination; celle-ci est absolument certaine en Dieu et
indépendante de la présence des œuvres faites par les
hommes en dehors de la grâce; d'où il résulte que le
salut de tout homme est un effet entièrement pro-
duit par la grâce divine, et celle-ci le réalise indecli-
nabiliter cl insuperabiliter. De correplionc cl gralia,
c. xii, n. 38; cf. c. xiv, n. 43, P. L., t. xliv, col. 839,
942; cf. Opus imperfection contra Julianum, 1. III,
c. clxvi, P. L., t. xlv, col. 1217. Nous donnons ce
résumé d'après Weinand, Die Gotlcsidee der Grundzug
der Wellansehauung des ni. Augustinus, Padcrborn,
1910, c. ix, p. 115 sq.
Tels sont les principes généraux d'Augustin sur
l'efficacité de la grâce considérée en général. Il enseigne
donc que le salut de l'homme est un effet inéluctable
de la prédestination divine, mais l'activité divine sur
l'âme ou la grâce infuse dans l'âme ne détruit pas
la liberté humaine : la coopération de l'homme reste
libre. Ce point a été démontré à l'art. Augustin, t. i,
col. 2387 sq. Nous n'avons pas à exposer ici la notion
augustinienne de la prédestination : sur ce sujet on
lira l'art. Augustin, t. i, col. 2390 sq., mais aussi les
observations et réserves exposées par M. Van Crom-
brugghe et par le P. Jacquin dans la Revue d'histoire
ecclésiastique (Louvain), t. iv (1903), p. 534; t v (1904),
p. 732 sq. Sur la notion augustinienne de la volonté
salvitique en Dieu, voir les mêmes auteurs, loc. cit.,
t. v, p. 498 sq., 740 sq. La question qui nous occupe
est celle-ci : saint Augustin a-t-il expliqué le mode de
causalité exercée par la grâce actuelle excitante sur
le consentement libre ? Saint Augustin enseigne qu'il
y a une action de la grâce sur la volonté, que néanmoins
celle-ci demeure fibre, et que cependant c'est à l'in-
fluence de la grâce divine qu'il faut attribuer le fait
du consentement libre de l'homme.
Mais celte influence est elle physique ou consiste-
1663
GRACE
166^
t-elle dans une motion inorale '? Saint Augustin ne le
dit pav Pans son ouvrage De diversis quœslionibus
ad Simplicianum, 1. I, q. n, n. 13, P. L.,t. xl, col. 118
sq., en parlant de la vocation à la foi et du consente-
ment qui suit, il dit: Xon potest cffcclus misericordia'
Dei esse in hominis poleslule, ut frustra Me misereatur
si homo nolit ; l'efficacité de la vocation dépend de
Dieu, et cette efficacité consiste en ce que la vocation
est congrue, c'est-à-dire bien adaptée, proportionnée
aux dispositions de celui dont elle obtiendra le con-
sentement libre : Mi enim eleeli qui eongrucnler vocali ;
Dieu connaît comment il doit agir sur l'homme pour
que celui-ci consente : nullius Deus frustra miserelur :
cujus autrui miserelur, sie eum vocat, quomodo seit
ci congruere, ut vocantem non respuat. C'est la même
explication qu'il donne dans ses œuvres postérieures,
quand il dit : Prœparalur voluntas a Domino. De gratia
et libero arbilrio, c. xvi, n. 32 ; De prœdcstinatione
sanctorum, c. v, n. 10; c. vi. n. 11; c. xx, n. 42, P. L.,
t. xliv, col. 900, 968, 990. Cf. Rotmanner, DerAugu-
stinismus, Munich, 1892, p. 23 sq. L'influence exercée
par Dieu est interne : agit enim omnipolens in cordibus
hominum etiam motum Doluntatis eorum, ut per eos
agat quod per eos agere voluerit. His et talibus testimoniis
divinorum cloquiorum salis, quantum existimo, mani-
jestalur operari Deum in eordibus hominum ad incli-
nandas eorum volunlaies quoeumque voluerit. De gratia
et libero arbilrio, c. xxi, n. 42, 43, P. L., t. xliv, col. 908.
909. Cf. Jacquin, loc. cit., p. 746. Celte influence divine
produit des illuminations dans l'intelligence et des
inspirations dans la volonté. De pecealorum meritis et
remissione, 1. II, c. xix; De gratia Chrisli, 1. I, c. xxiv,
n. 25, P. L., t. xliv, col. 170, 373.
De tout ce qui précède, il résulte que, pour saint
Augustin, la grâce est efficace parce qu'elle agit d'une
façon bien adaptée aux dispositions du sujet, et parce
qu'elle obtient ainsi le libre consentement de l'homme;
cet effet est infaillible, parce que Dieu sait comment
il doit préparer la volonté humaine au consentement
à donner. Mais saint Augustin n'explique pas davan-
tage le mode de causalité exercée par la grâce actuelle:
en particulier il n'explique pas en quoi consiste préci-
sément l'influence de cette grâce sur l'acte libre et la
connexion qui existe entre les deux.
2° D'après saint Thomas. — Ce saint docteur ne
semble pas non plus avoir traité cette question. 11
expose les principes généraux d'après lesquels on
connaît l'activité de Dieu en la créature; nous avons
exposé plus haut qu'il enseigne qu'une prémotion
physique est nécessaire à l'opération de la créature, à
chaque fois que celle-ci commence à agir. Nous avons
expliqué aussi pourquoi nous sommes d'avis que saint
Thomas n'admet pas une nouvelle prémotion physique,
e'est-à-dirc une nouvelle application à l'acte pour l'acte
libre, c'est-à-dire pour l'élection; nous avons spéciale-
ment nié que sa doctrine implique la prédétermination
physique à l'acte libre, prédétermination qui consiste-
rait à déterminer physiquement la volonté à un objet
de son choix plutôt qu'à l'autre. Les mêmes principes
doivent être appliqués pour expliquer l'action surna-
turelle de Dieu sur l'âme. Quant à la prédestination et
à la science divine, nous n'avons pas à en parler ici.
Billuart, De gratia. diss. V, a. 4, p. 138, cite en faveur
de son sentiment les paroles suivantes de saint Tho-
mas : Tungil aposlolus auxilium sibi prœslilum ad
minisleriorum execulionem; hujusmodi autem auxilium
duplex fuit : unum quidem ipsa facullas excquendi, aliud
ipsa operatio seu aclualitas. Facultalem autem dut
Deus infundendo virtulem et giatiam, per quas efficilur
homo polens et aplus ad operandum. Sed ipsam opera-
lionem confert in quantum m nobis intérim operatur
movendo et instigando ad bonum..., in quantum virtus
cjus operatur in nobis velle et perficcre pro bona volun-
tale. In Episl. ad Eph., c. ni, lect. n, p. 35. De ce texte
Billuart conclut qu'outre la grâce suffisante qui donne
le pouvoir de bien agir, il faut une autre grâce, la grâce
efficace, pour que l'homme de fait agisse bien, et il
entend parler de la grâce actuelle. Cette assertion ne
se trouve pas dans le texte de saint Thomas : d'abord,
il parle explicitement de l'exécution du ministère apos-
tolique; mais admettons que l'on puisse expliquer de la
même manière tous les actes salutaires. Saint Thomas
distingue la faculté d'agir et l'opération elle-même; la
faculté d'agir doit s'entendre ici de dons habituels,
infus; l'opération est produite par Dieu en tant qu'il
meut intérieurement et porte au bien; c'est la grâce
actuelle excitante par laquelle est obtenue la coopé-
ration de l'homme; saint Thomas ne dit pas élu tout
qu'au delà de la motion par laquelle l'homme est
excité au bien il faut une nouvelle grâce actuelle qui
détermine physiquement le consentement. Ce saint, De
nialo, q. vi, a. un., ad 3"", enseigne que Dieu meut
immuablement (immulabililer) la volonté à cause de
l'efficacité de l'énergie qui la meut. On peut appliquer
cela à la grâce et dire que l'effet, l'acte salutaire, est
obtenu infailliblement à cause de l'efficacité de la
grâce; on en conclurait que la grâce est efficace ab
inlrinseco. Cette conclusion ne tranche pas la ques-
tion : on peut dire que c'est à la causalité propre de la
grâce qu'est dû l'acte salutaire, mais il reste à expli-
quer en quoi consiste cette causalité; est-ce une
influence physique, est-ce une influence morale, com-
ment atteint-elle l'acte libre '? L'article du R. P. Guil-
lermin, Revue thomiste, t. x, p. 658 sq., nous indique
plusieurs auteurs, appartenant à l'ordre des frères
prêcheurs, qui interprètent la doctrine de saint Tho-
mas tout autrement que ne l'a fait Bafiez. Cf. aussi
Wagner, De gratia sufficienli, Gratz, 1911.
//. depuis la fin du xvi' siècle. -- C'est Molina
qui a posé explicitement la question de l'efficacité de
la grâce sanctifiante.
1° Doctrine de Molina. — 1. Exposé. — Cette doc-
trine comprend de multiples assertions connexes entre
elles, mais concernant directement des objets diffé-
rents, par exemple, le concours général de Dieu dans
les opérations des créatures, la prescience divine, la
prédestination; nous ne considérerons ici que ce qui
concerne directement l'efficacité de la grâce actuelle.
a) D'après Molina, le secours de la grâce actuelle
implique une double différence avec le concours géné-
ral de Dieu dans les actes libres ; d'abord, le secours
de la grâce actuelle, comme telle, consiste en ce que
par elle la volonté humaine est positivement inclinée
ou mue à un acte salutaire délibéré; ainsi cette grâce
(c'est-à-dire l'acte indélibéré) est cause efficiente de
l'acte délibéré et de la surnaturalisation de celui-ci;
dans le concours général, au contraire, il n'y a pas d'in-
fluence divine qui applique la volonté à agir, ni qui
soit cause efficiente de l'acte libre; ce concours n'af-
fecte que le libre arbitre en acte : influxus immedialus
una eum libero arbilrio in aclu. Ensuite, le secours de
la grâce actuelle est antérieur à l'acte libre auquel il
lui est ordonné et il a sur lui une priorité de temps
ou au moins de nature; tandis que, pour le concouis
général, dans l'ordre naturel, il n'y a aucune priorité :
ce concours est absolument simultané, n'existe que
dans l'acte. Concordia, q. xiv, a. 13, disp. XLI, p. 239.
La grâce actuelle consiste essentiellement en des
actes vitaux indélibérés, produits surnaturellement
par Dieu dans l'intelligence et la volonté; quand
l'homme est sous l'influence de ces actes, il peut tou-
jours y consentir ou y refuser son consentement; s'il
consent, la grâce obtient l'effet pour lequel elle esl
donnée et devient efficace; si, au contraire, l'homme ne
consent pas, la grâce n'est que suffisante et inefficace;
par conséquent l'efficacité de la grâce consiste formel-
1665
GRACE
1666
lement en l'acte d'élection, le choix du libre arbitre.
Concordiez, disp. XII, XXXVI, XXXVII, XL, XLV,
p. 55, 206, 208, 230, 256. D'où il résulte qu'entre
la grâce efficace et la grâce seulement suffisante, il n'y
a aucune différence entitalive, ni essentielle, ni quali-
tative, ni quantitative (ou d'intensité); il en résulte
encore que, si deux hommes sont influencés par une
grâce prévenante égale, il pourra se faire que l'un se
convertisse et que l'autre ne se convertisse pas; même
il est possible qu'un homme se convertisse avec un
secours inférieur à celui qui est accordé à un autre
homme qui ne se convertit pas. Concordia, disp. XII,
p. 51; XXXIX, p. 222. Cf. Lessius, Opusc. De gralia
efficaci, c. xvm, n. 7. L'infaillibilité de la connais-
sance divine concernant l'eflicacité de la grâce provient
de la science moyenne par laquelle Dieu, antérieure-
ment à tout acte libre de sa propre volonté, connaît
quel sera le choix de toute volonté libre placée dans
des conditions déterminées. Concordia, disp. LUI,
m. m, p. 364 sq.
b) Les arguments sur lesquels s'appuie ce système
sont principalement l'existence de la liberté sous
l'influence de la grâce actuelle et, en particulier, l'ex-
pression de cette vérité contenue dans le décret du
concile de Trente : il y est dit que l'homme peut libre-
ment recevoir et rejeter l'inspiration divine, qu'il peut
librement y consentir et y refuser son consentement.
Denzinger-Bannwart, n. 797, 814. Quant à la connais-
sance divine, ce qu'on appelle science moyenne est
celle qui a pour objet les actes libres qui seraient réa-
lisés si une condition se vérifiait qui cependant ne se
vérifiera jamais. L'existence de cette connaissance
en Dieu se démontre par le texte : « Malheur à toi, Coro-
zaïn 1 Malheur à toi, Bethsaïde 1 Car si les miracles qui
ont été faits au milieu de vous avaient été faits dans
Tyr et dans Sidon, il y a longtemps qu'elles auraient
fait pénitence sous le cilice et la cendre. » Matth., xi,
21. Quant au mode d'après lequel Dieu connaît cet
objet, Molina assigne la perfection infinie de Dieu qui,
dans son essence, voit toutes les déterminations pos-
sibles de toutes les volontés possibles. Concordia,
disp. XLIX, L, LU, p. 289, 303, 317, 330.
2. Critique. — o) L'explication proposée concer-
nant le concours général divin nie toute prémotion
physique et, d'après ce que nous avons exposé plus
haut, est inadmissible. Le concours simultané, appli-
qué à l'ordre surnaturel, n'explique pas comment un
acte vital puisse être intrinsèquement surnaturel dans
l'homme qui n'a pas les vertus infuses.
L'eflicacité attribuée à la grâce elle-même, quand
on parle de grâce efficace, est attribuée par Molina,
non à la grâce, mais au libre arbitre et dès lors la cau-
salité de la grâce semble ne pas atteindre le terme
auquel elle est ordonnée, c'est-à-dire l'acte, libre.
La science moyenne, qui doit être admise en Dieu
si l'on ne considère que l'objet spécial qui lui est assi-
gné, c'est-à-dire les futuribles, n'est pas suffisamment
démontrée si l'on considère le mode de celle connais-
sance, notamment ce qui est en Dieu le médium obje-
ctivum dans lequel il perçoit les futuribles.
b) Quant aux arguments, l'existence du libre arbitre
doit être maintenue et elle est parfaitement sauvegardée
dans le système de Molina. Le P. Guillermin, Revue
thomiste, 1902, t. x, p. 66, écrit très judicieusement :
« Avouons-le sans détour : l'avantage du molinisme est
de présenter sur notre responsabilité dans le péché-
une explication en apparence très simple et qui dégage
facilement la responsabilité de Dieu. Ce n'est pas,
comme certains se l'imaginent, que le molinisme ouvre
plus abondantes les sources de la miséricorde et de la
grâce divines et qu'il propose une grâce suffisante
plus agissante. Non. C'est, au contraire, parce qu'il
demande moins de Dieu et qu'il laisse davantage à la
DICT. Dli THÉOL. CATHOL.
part de l'homme. Quand Dieu a concouru à susciter
en notre âme les connaissances et les impulsions indé-
libérées, il a fini sa tâche. A l'homme maintenant
d'achever l'œuvre, en ajoutant son consentement,
comme aussi, en ne l'ajoutant point, de rendre la grâce
vaine et stérile. » De plus, l'explication de Molina est
plus conforme que les autres au texte du concile de
Trente, sess. vi, c. v, Denzinger-Bannwart, n. 797,
814, où il enseigne que l'homme peut et consentir à
l'excitation divine et n'y pas consentir; c'est en con-
sentant qu'il coopère à l'excitation divine. C'est donc à
une même grâce que l'homme peut librement consentir
ou refuser le consentement; dès lors à la grâce suffi-
sante il ne faut ajouter que le consentement libre pour
que la grâce soit efficace; la notion de celle-ci n'impli-
c[ue donc pas une grâce spécifiquement ou numérique-
ment distincte de la grâce suffisante. Pour ce qui
concerne la science divine, la connaissance qui a pour
objet les futuribles est affirmée dans le texte de Matth.,
xi, 21, mais de cette assertion on ne peut tirer aucune
conclusion concernant le mode dont cette connais-
sance se réalise en Dieu.
2° Doctrine de Banez cl de son école. — 1. Exposé. —
a) Elle enseigne, comme nous l'avons déjà dit, ejuc la
grâce actuelle consiste essentiellement en une motion
surnaturelle qui se termine à un acte vital d'intelli-
gence ou de volonté. Mais il faut distinguer deux espè-
ces de grâces actuelles : l'une qui a pour terme l'acte
indélibéré, c'est la grâce excitante; l'autre qui a pour
terme l'acte délibéré de la volonté, l'acte du consen-
tement à l'excitation divine, c'est la grâce adjuvante.
11 y a donc une différence réelle et intrinsèque entre la
grâce excitante et la grâce adjuvante. Remarquons
cependant qu'il y a connexion entre l'influence morale,
exercée par les actes indélibérés, et l'acte délibéré; il
serait erroné de penser que la grâce adjuvante est
infuse à la volonté, indépendamment des dispositions
réalisées par les actes indélibérés. De plus, il importe
de noter encore que « la grâce efficace prise dans sa
totalité ne consiste pas dans un don unique et simple
qui par lui seul obtienne tout l'effet, par exemple,
l'acte salutaire de foi et de charité. Non. Pour que cet
acte soit effectivement posé, il faut le concours de
plusieurs choses, de plusieurs grâces partielles, sans
lesquelles le libre arbitre ne pourrait jamais le pro-
duire : grâces extérieures de prédication, d'événements,
de faits impressionnants..., illuminations intérieures de
l'intelligence, souvenir des bienfaits de Dieu, pieuses
émotions de la volonté, etc. Cependant toutes les grâces
extérieures ou intérieures n'aboutiraient à rien si, fina-
lement, la volonté ne se déterminait à produire l'acte
salutaire. Or, pour procéder à cet acte, elle a besoin
d'une motion subjective actuelle... » Guillermin, Revue
thomiste, 1902, t. x, p. 382 sc[. C'est précisément cette
dernière impulsion qui est appelée grâce efficace. Dans
le système de Banez, cette dernière impulsion consiste
précisément dans une prédétermination physique de
la volonté à l'acte délibéré, c'est une entité physique,
transitoire, infuse par Dieu dans la volonté et elle a
pour fonction de faire physiquement que la volonté
veuille hic et ruine consentir à la grâce excitante. Donc
la grâce excitante est la même que la grâce suffisante,
et la grâce efficiente est la même que la grâce adju-
vante. La grâce efficace est donc une entité numéri-
quement et spécifiquement distincte de la grâce sulli-
sante, et elle doit nécessairement y être ajoutée pour
cpi'il y ait consentement libre. D'après cela, la grâce
est intrinsèquement efficace (efflcax ab intrinseco) :
quand l'homme consent, ce n'est pas lui qui rend effi-
cace la grâce, mais son acte est un signe qu'il a eu la
grâce efficace. Il en résulte encore que, si l'on compare
entre elles la grâce suffisante et la grâce efficace, on
peut dire que la grâce suffisante est celle qui confère
VI. - 53
kii'.T
GRACE
lues
à l'homme le pouvoir de bien agir; mais pour que, de
fait, il agisse bien, c'est-à-dire pour qu'il utilise, de
fait, le pouvoir qui lui est conféré, il faut une nouvelle
grâce, plus puissante, c'est-à-dire la grâce efficace. Sur
ce système, voir Alvarez, De auxiliis, disp. XXII,
p. 177 sq.; disp. LXXII, n. 3, p. 611; disp. LXXI1I,
n. 2, p. (.1 1: disp. LXXXIII, p. 660 sq.; Goudin, De
gratia Dei, q. v, a. 4, § 4. p. 306; Billuart, De gratia,
diss. V, a. I. Opéra, t. m, p. 138.
Quant à la connaissance divine concernant le con-
sentement de l'homme, elle s'explique précisément
par cette prédétermination physique: Dieu a décidé,
de toute éternité, de donner telles et telles prédéter-
minations physiques; c'est dans le décret ayant pour
objet ces prédéterminations que Dieu connaît tous les
actes délibérés salutaires.
b) Les arguments sur lesquels s'appuie cette doc-
trine sont d'abord la nécessité d'admettre la complète
dépendance de l'homme et de toutes ses opérations vis-
à-vis de l'influence divine; si l'on rejette la prédéter-
minât ion physique, il faut admettre que l'acte libre,
comme tel, est indépendant de l'influence divine et
lui échappe; l'homme serait lui-même cause première
de cet acte. Ensuite, on dit encore que la prédéter-
mination physique explique seule l'infaillible con-
nexion entre la uiàce et le consentement humain, que,
par conséquent, il faut que cette prédétermination
physique se démontre par la science infaillible que
Dieu doit avoir de tous les actes de l'homme.
2. Critique. — a) Les théologiens, qui appartiennent
;i l'école dont nous venons d'esquisser l'enseignement,
professent sincèrement la doctrine catholique sur la
grâce suffisante et la liberté humaine, mais l'expli-
cation qu'ils proposent de ces dogmes est, à notre avis,
logiquement inconciliable avec eux.
a. Quant à la grâce suffisante, elle est telle, d'après
ces théologiens, parce qu'elle donne le pouvoir d'agir
salutairement, parce qu'elle met l'homme dans la
condition où il peut poser l'acte libre du consentement;
cependant une autre grâce, réellement et spécifique-
ment distincte, est requise pour que l'homme émette,
de fait, le consentement; ainsi donc la grâce suffisante
ne perfectionne la faculté opérative que dans l'ordre
potentiel et la laisse à l'état statique, elle ne fait pas
passer à l'exercice le libre arbitre considéré strictement
en lui-même et n'atteint pas l'acte second. Cf. Billuart,
loc. cit.; Guillermin, Revue thomiste, 1902, t. x, p. 671 sq.
Si l'on objecte que l'on ne peut appeler suffisante une
grâce à côté de laquelle une autre grâce est requise
pour que l'effet soit obtenu, ces théologiens répondent :
cela est vrai si l'on tient au sens grammatical du mot,
mais ce n'est plus vrai si l'on considère le sens théo-
logique. Car cette grâce est suffisante dans son genre;
la grâce requise en outre est dans un autre genre. Voici
comment s'exprime Billuart, op. cit., p. 139 : Equidem
non est sufficiens in omni génère et ordine, cum requirahir
(ilm allerius generis et ordinis, sed est sufficiens in suo
génère et ordine : et dicimus quod sic loqui sit loqui in
sensu proprio cl prout communiter loquimur. Billuart
cite ensuite divers exemples pour montrer que, d'après
la façon ordinaire de parler, on peut appeler suffisante
la grâce dont il a indiqué la nature. En admettant
qu'on puisse justifier l'expression au point de vue de la
terminologie, on ne peut nier que la notion de grâce
suffisante, défendue par ces théologiens, ne répond pas
a la réalité qui fait l'objet de notre étude. En effet,
il s'agit de l'acte délibéré salutaire; or, la doctrine
catholique enseigne qu'il existe vis-à-vis de cet acte-là
une grâce réellement suffisante et cependant inefficace,
une grâce, par conséquent, qui confère réellement à
l'homme tout ce qui lui est nécessaire pour le consen-
lomenl cl qui cependant ne l'obtient pas. Mais dans
l'opinion, que nous critiquons, une telle grâce n'existe
pas, car celle qui est appelée suffisante finit à l'acte
premier, elle n'atteint pas physiquement l'acte second,
c'est-à-dire l'acte salutaire délibéré; mais celui-ci ne
peut pas se produire, si Dieu n'ajoute à la grâce, dite
suffisante, une autre qui physiquement et immédiate-
ment cause le consentement; donc si cette seconde
grâce, la grâce efficace, n'y est pas, l'homme ne peut
pas consentir à la première grâce; celle-ci n'est donc
pas réellement suffisante à obtenir l'effet auquel elle
est destinée. Non seulement le consentement de
l'homme est requis, mais ce consentement ne peut pas
se produire avec cette grâce; il en faut une autre plus
puissante d'un autre ordre. Donc, dans ce système,
il n'y a pas de grâce réellement suffisante, qui soit
inefficace par la libre résistance de l'homme.
A cette dernière assertion, les théologiens bafïé-
siens répondent : Dieu est prêt à donner la grâce effi-
cace à tous ceux à qui il donne la grâce suffisante; il
ne la refuse qu'à celui qui, par sa faute, résiste à la
première grâce, faute qui est, par sa nature, antérieure
à la dénégation de la grâce efficace. Cette explication
ne résout pas la difficulté. En elîet, on dit : Dieu, en
concédant la grâce suffisante, offre en même temps de
donner la grâce efficace, et la donnera si l'homme n'y
met pas obstacle par sa résistance. Mais dans la doc-
trine banésienne, cette résistance est un acte libre,
délibéré; cet acte ne se produit que par une prédé-
termination physique infuse par Dieu dans la volonté;
l'homme ne peut résister à la grâce suffisante que
pour autant que Dieu le prédétermine physiquement à
cet acte de résistance; on devrait donc admettre que
Dieu, en même temps, offre la prédétermination phy-
sique au consentement et cependant prédétermine phy-
siquement l'homme au dissentiment, c'est-à-dire à
l'obstacle qui empêche la concession de cette grâce
qu'on dit offerte. Il en résulte cjue ce qu'on appelle
offrir la grâce efficace ne correspond pas à la réalité.
Ce qui confirme cette conclusion, c'est que, d'après
l'opinion critiquée, les décrets de Dieu concernant
l'octroi des grâces efficaces ne présupposent par notre
choix, mais le précèdent; donc on ne peut pas dire:
Dieu prédétermine physiquement la volonté de tel
homme à la résistance de telle grâce parce qu'il a
prévu que l'homme refuserait son consentement; mais
c'est Dieu qui est cause de cette prédétermination
antérieurement à la prévision de l'acte humain.
b. La liberté humaine n'est pas mieux sauvegardée
que la grâce suffisante. La liberté humaine consiste
essentiellement dans la propriété que l'homme possède
de choisir, c'est-à-dire de vouloir ceci plutôt que cela.
A cet effet, il faut que la volonté humaine elle-même
détermine physiquement cet acte qui est choisir, c'est-
à-dire qu'à l'instant où émane cet acte, existe cette
indifférence active, au moyen de laquelle la volonté
elle-même émet et détermine le choix. Cette indiffé-
rence active est absolument requise pour qu'il y ait
imputabilité du choix; en effet, si la volonté ne peut
pas se déterminer elle-même à vouloir ceci ou cela,
l'acte de volition ne peut pas lui être imputé, elle ne
peut pas être responsable, elle ne peut pas mériter ou
démériter. Par exemple, si Dieu, par une grâce actuelle
excitante, meut moralement ou objectivement un
homme à entendre la messe le dimanche, cet homme
doit vouloir ou bien aller à la messe, ou bien ne pas
aller à la messe (soit directement, soit indirectement,
en voulant, par exemple, ne pas songer à cela, ou en
voulant autre chose); pour que le choix lui soit impu-
table, il faut qu'à l'instant où il émet la volition, il soit
réellement et physiquement indifférent à l'un et à
l'autre objet; si une cause qui lui est extrinsèque
produit physiquement la détermination du choix,
sa détermination ne peut pas lui être imputée. Par con-
séquent, dans le système banésien, la liberté humaine,
1669
GRACE
1670
avec l'imputabilité qui lui est propre, n'est pas logi-
quement défendable, car c'est Dieu qui par la prédé-
termination physique cause immédiatement le choix
de l'homme et cette causalité divine est, par sa nature,
antérieure à la coopération humaine; la prédétermi-
nation physique enlève donc précisément cette indiffé-
rence physique qui est essentielle à l'émision de l'acte
libre et la condition sine qua non de son imputabilité.
Si donc l'efficacité de la grâce consiste précisément
en cette prédétermination, il en résulte que l'efficacité
de la grâce enlève la liberté, l'imputabilité et le mérite.
Qu'on ne dise pas : la volonté humaine se détermine
elle-même en vertu de la prédétermination divine,
comme la cause seconde qui agit sous l'influence de
la cause première. Il s'agit ici d'une opération spéciale
qui diffère de toutes les autres précisément en ce qu'elle
n'est pas déterminée physiquement ni par son objet,
ni par une forme, qui fasse que l'acte émis soit préci-
sément tel : pour l'intelligence, par exemple, c'est
l'espèce intelligible qui détermine entièrement l'acte
cognoscitif; dans ce cas, la motion divine a pour fonc-
tion de faire sortir l'acte de sa faculté, la motion divine
se termine formellement à l'exercice de l'acte. Il en est
de même de toutes les autres opérations. Mais l'acte
libre seul a pour propriété d'être déterminé subjective-
ment par la faculté elle-même qui l'émet, en tant qu'elle
a maîtrise sur son acte; les objets présentés par l'intel-
ligence spécifient l'acte en ce sens que c'est à l'un ou
à l'autre que l'acte se terminera, mais aucun d'eux pris
isolément (dant l'hypothèse de l'acte libre) nesulfit à
déterminer le choix. Dès lors, si Dieu par une entité phy-
sique détermine la volonté humaine à vouloir hic et
nunc,eeci plutôt que cela, la volonté humaine subit cette
détermination, elle est déterminée et ne peut pas sedéter-
miner elle-même sous l'influence de la prédétermination
divine; il n'y a pas une double prédétermination, l'une
divine, l'autre humaine. Dans l'hypothèse de laprédé-
termination physique, il est vrai que cet acte est émis
vitalement par la volonté, mais cela ne réalise pas l'es-
sence de l'acte libre ; celui-ci doit sortir vitalement de la
volonté de telle façon qu'il soit déterminé quant à son
objet (vouloir ceci) par la volonté elle-même, et que pré-
cisément pour cela il soit imputable à celui qui l'a émis.
Si l'on exigeait une prémotion physique non détermi-
nante quant à l'objet du choix, mais produisant le seul
exercice de l'acte libre, on ne détruirait pas la notion
de liberté.
On dira peut-être : la nécessité de l'acte vient tout
entière de ce que la faculté qui le produit est remplie
par lui; si elle n'était pas remplie par l'objet de cet
acte, si elle est plus vaste que son objet, elle pourra
être mue, prémue déterminément à ce choix, elle ne
sera en rien nécessitée. Or, dans le cas qui nous occupe,
la volonté n'est pas remplie par son objet, puisque le
bien qu'elle choisit est un bien particulier. Donc si elle
choisit sous la détermination de Dieu, la volonté n'est
pas nécessitée, elle reste libre. Cf. Revue thomiste, 191 1,
p. 393. Nous répondons que cette explication ne sau-
vegarde pas la notion de liberté qui, à notre avis, doit
être admise. En effet, de ce qu'une faculté n'est pas
remplie par son objet, il résulte que son objet ne suffit
pas à déterminer l'acte de cette faculté, que, par con-
séquent, cet acte n'est pas, d'une manière absolue,
nécessité par son objet. Mais l'absence de cette néces-
sité-là ne suffit pas à la liberté d'indifférence qui impli-
que l'imputabilité du choix; pour que celle-ci soit
réalisée, il faut que la volonté elle-même se détermine
activement à vouloir ceci plutôt que cela, il faut qu'un
principe extrinsèque (par exemple, Dieu) ne vienne
pas enlever à la volonté cette causalité qui est précisé-
ment la raison de la maîtrise sur son propre choix
et de l'imputabilité de celui-ci. Il y a donc à distinguer
une double nécessité vis-à-vis d'un acte : celle qui pro-
vient de l'objet (ainsi l'homme qui jouit de la vision
intuitive de Dieu est nécessité à aimer cet objet qui
remplit sa faculté), et celle qui provient d'une déter-
mination physique de la faculté de volonté à un acte
qui a pour objet un bien qui ne remplit pas toute la
faculté. Quand cette dernière détermination physique
se réalise par un principe extrinsèque à la volonté,
celle-ci n'a plus la maîtrise sur son acte et celui-ci ne
lui est pas imputable.
Enfin il reste la distinction classique des baiïésiens :
in sensu divisa, et in sensu composito. La volonté
serait libre m sensu divisa, c'est-à-dire quand la pré-
détennination physique n'est pas encore dans la
volonté; celle-ci ne serait pas libre in sensu composito,
c'est-à-dire quand la prédéterminalion physique est
produite. Cette distinction ne lève pas la difficulté;
elle ne laisse pas subsister ce qui, à notre avis, est essen-
tiel à l'acte libre, à savoir l'indifférence active de la
volonté se déterminant au choix. En effet, dans le
système banésien, si l'on considère la volonté en acte
premier, elle ne peut pas physiquement se déterminer
au choix, parce que la prédétermination physique
divine n'existe pas ; dès que celle-ci existe, la volonté
est physiquement déterminée à vouloir ceci plutôt que
cela. Il n'y a donc pas de place pour l'indifférence
active et la maîtrise de la volonté sur son acte. Ce qui
ressort plus clairement quand on considère ce que nous
avons dit plus haut ; il faut, dans le système banésien,
une prédétermination physique à tout acte d'élection.
Considérez la volonté en acte premier, supposez-la
mue par une grâce actuelle excitante (qui a pour terme
l'acte indélibéré) à un acte délibéré de vertu; si aucune
prédétermination physique ne survient (hypothèse
impossible), elle ne peut physiquement émettre aucun
choix, si survient la prédétermination physique au
consentement elle est physiquement déterminée à
consentir, si survient, au contraire, la prédétermina-
tion physique au dissentiment, elle est physiquement
déterminée à vouloir ne pas consentir. Il n'y a donc
aucune indifférence physique active, aucune maîtrise
de la volonté sur son acte. Et — il faut bien que nous
le répétions ici — la prédétermination physique infuse
par Dieu ne dépend pas de la prévision qu'il a des dis-
positions de l'homme d'après lesquelles il consentirait
ou refuserait le consentement, indépendamment de la
prédétermination physique.
b) Quant aux arguments généraux proposés pour
étayer la doctrine banésienne, a. le premier est celui
de la dépendance complète de l'homme vis-à-vis de
Dieu. Certes l'on doit admettre (pie toute créature et
quant à son être et quant à ses opérations dépend
réellement et absolument de Dieu; il faut admettre
encore que, dans l'ordre du salut, tout acte salutaire
dépend de la grâce et de Dieu qui est seule cause de
celle-ci. Mais le système banésien n'est pas la seule
explication possible de cette dépendance. Nous ne
pensons pas que pour la sauvegarder il faille admettre
la prédétermination physique. En effet, Dieu, en créaul
les êtres doués de volonté libre, leur a donné une faculté
dont l'opération, qui lui est propre, l'élection, est essen-
tiellement diverse de toutes les autres opérations; celle
dilTércnce consiste précisément en ceci, que la volonté
veut ceci plutôt que cela, alors qu'elle pourrait vou-
loir cela plutôt que ceci; or il y a dans ce choix une
réelle indépendance physique qui ne peut pas être
enlevée sans que périsse l'essence même de l'acte libre.
Cette indépendance physique soustrait-elle la volonté
à la souveraine domination de Dieu ? Non, parce que
Dieu peut mouvoir la créature intelligente à tout acte
volontaire sans détruire cette indépendance qui est
le propre de l'acte d'élection. Cette assertion est pour
nous une conclusion nécessaire de la connaissance
de la nature humaine et de la connaissance de la nature
L671
GRACE
1672
divine; nous savons que l'homme est libre, que cette
liberté consiste essentiellement dans le pouvoir de
choisir: d'autre pari, que Dieu ne détruit pas son
œuvre, niais qu'il meut toute créature de la manière
qui convient à sa nature; nous concluons donc que
celle liberté, que cette indépendance qui lui est essen-
tielle, doivent subsister, que par conséquent Dieu ne
meut pas l'homme de façon à ce que cette liberté dis-
paraisse. Si donc la prédétermination physique est
incompatible avec la liberté que nous connaissons, nous
devons logiquement nier la prédéterminât ion physique.
Cette négation doit être maintenue alors même que
nous ne parviendrions pas à trouver une explication
adéquate de la manière intime dont Dieu agit clans ses
créatures. Dans ce cas, il faudrait se contenter du prin-
cipe général énoncé par saint Thomas : « La provi-
dence divine ne détruit pas la nature des choses, mais
la conserve. Puis donc que la volonté est un principe
actif qui n'est pas déterminé à un objet, mais qui est
indifférent vis-à-vis d'un grand nombre (principium
aclivum non détermination ad unum, sed indifferenter
se habens ad mulla), Dieu la meut de telle façon qu'il
ne la détermine pas nécessairement à un objet, mais
son mouvement (son acte) reste contingent et ne
devient pas nécessaire, si ce n'est quand il s'agit des
objets vers lesquels elle est mue naturellement »
Snm. theol., F IV, q. x, a. 4. Saint Thomas, en répon-
dant à la question concernant le mode d'après lequel
Dieu agit dans la volonté, exclut avant tout ce qui
serait inconciliable avec la liberté, notamment une
détermination physique qui enlèverait la contingence
île l'acte, c'est-à-dire l'indifférence active qui est le
propre de la liberté.
b. Nous donnons une réponse semblable à l'argu-
ment tiré de la connaissance divine. Il faut admettre
e1 l'on démontre que Dieu doit connaître tous les actes
libres de l'homme, qu'il les connaît en lui-même, in
semelipso; mais la difficulté surgit quand il faut assi-
gner le moyen objectif dans lequel Dieu connaît les
actes libres. On propose comme moyen de connais-
sance les décrets déterminants, c'est-à-dire les décrets
de la volonté divine qui décident de donner à tel
homme dans de telles conditions telle prédétermina-
tion physique qui produit l'acte de volonté; ce moyen
de connaissance, nous le rejetons comme inconciliable
avec la liberté humaine. Celte incompatibilité étant
démontrée, il faut la maintenir alors même que l'on ne
parviendrait pas à assigner d'une manière absolument
satisfaisante le moyen objectif dans lequel Dieu con-
naît les actes libres. Il ne serait pas logique d'affirmer
a priori que nous devons connaître ce qui, dans l'es-
sence divine, est le moyen objectif dans lequel Dieu
connaît les actes libres. Quant à nous, nous ne voyons
aucune contradiction dans la science moyenne, bien
que cette explication ne résolve pas pleinement toutes
les difficultés. Mais ce n'est pas ici le lieu d'exposer ce
cpii concerne la science divine.
:;■■ Doctrine de Bellarmin. — 1. Exposé. — Cet émi-
nent théologien n'est ni moliniste ni banésien dans
son enseignement concernant l'efficacité de la grâce
actuelle. 11 tient pour fausse l'opinion de Molina qui
dit tpie l'efficacité de la grâce dépend de la volonté
humaine, et il n'admet pas sans restriction l'assertion
d'après laquelle une même grâce obtiendrait chez un
individu la conversion et ne l'obtiendrait pas chez un
autre, ni l'assert ion d'après laquelle une grâce moindre
obtiendrait la conversion chez l'un, alors qu'une grâce
plus puissante ne l'obtiendrait pas chez l'autre. Il lient
pour fausse l'opinion de Banez qui dit cpie la grâce clïï-
ice prédétermine physiquement la volonté au con-
sentement.
Il enseigne que l'efficacité de la grâce dépend d'elle,
c'est-à-dire que la grâce est efficace «6 inlrinseco. Celte
efficacité consiste dans la congruité du secours donné,
et ce secours détermine moralement la volonté au
consentement, de façon que le consentement suive
immanquablement, non nécessairement, mais libre-
ment. Quand Dieu veut que quelqu'un se convertisse,
il lui parle intérieurement, l'exhorte et l'inspire de la
façon qui lui convient, de sorte que cet homme ne
repousse pas l'appel divin. Cette opinion, ajoute Bel-
larmin, est incontestablement celle de saint Augustin.
Cette opinion, dit-il, sauvegarde et l'efficacité de la
grâce et la liberté humaine; parce que la grâce ne
détermine pas physiquement la volonté, elle laisse
l'homme réellement libre de consentir ou de ne pas
consentir; parce que la grâce détermine moralement la
volonté, elle fait que l'homme y consente immanqua-
blement. Cette explication sauvegarde encore la pré-
destination, lui conserve la certitude, la gratuité en
même temps que l'indépendance de la prévision des
œuvres humaines. Bellarmin admet aussi la science
moyenne. L'exposé de la doctrine de Bellarmin se
trouve principalement dans son écrit : De novis con-
troversiis inter patres quosdam ex ordine prœdieatorum
et P. Ludovicum Molinam, dans Le Bachelet, Aucla-
rium BeUarminianum, p. 101 sq. Voir aussi Bellarmin,
De (jratia et libéra arbitrio, 1. I, c. xn, p. 243 sq.
2. Critique. — Cet exposé dans ses grandes lignes nous
semble vrai et exact ; il resterait à déterminer davan-
tage en quoi consiste la congruité de la grâce.
4° Doctrine de Sucerez. — 1. Exposé. — Suarez ensei-
gne que la grâce est efficace ab extrinseco, c'est-à-dire
que la grâce est rendue efficace par le consentement
humain. Il admet aussi que la grâce ne sera efficace que
si elle est congrue; mais cette congruité semble réalisée
principalement par des circonstances externes à la
grâce et non par la qualité ou l'intensité intrinsèques
de la grâce; d'où il résulte qu'un homme se convertira
avec une grâce en elle-même inférieure, mais donnée
à un moment opportun pour le sujet auquel elle est
concédée. Opuscula theologica, opusc. I, 1. III, c. xxi,
n. 5 sq., Opéra omnia, t. xi, p. 284 sq. Cette congruité
n'est pas telle qu'elle soit par elle-même la cause de la
connexité objective entre la grâce actuelle excitante
et le consentement; cette connexion n'est réalisée que
pour autant que Dieu connaît que tel homme consen-
tira de fait à telle grâce. Sur la doctrine de Suarez et
les autres opinions qui appartiennent au congruisme,
voir Congruisme, t. ni, col. 1120 sq., mais l'opinion
de Bellarmin concernant l'efficacité de la grâce n'est
pas la même que celle de Molina.
2. Critique. — En faisant abstraction de ce qui dans
la doctrine de Suarez concerne le concours général
de Dieu, la science divine et la prédestination, la notion
qu'il donne du congruisme et de la connexion entre la
L;iàce excitante et le consentement semble insuffisante.
Dans ce système sont sauvegardés le libre arbitre et
la réalité d'une grâce suffisante quoique inefficace.
5° Doelrinc des augustiniens. — Elle a été exposée
et critiquée à l'art. Augustinianisme, 1. 1, col. 2485 sq.
6° Doctrine de Tournély. — 1. Exposé. — Elle se
sépare de la précédente, notamment en ce qu'elle dis-
tingue la grâce accordée pour les oeuvres faciles et la
grâce donnée pour les œuvres difficiles : il y a une grâce
actuelle excitante qui par elle-même suffit à obtenir
le consentement libre : c'est la grâce qui est donnée
pour des œuvres faciles et aussi pour la prière. Si
['homme consent à cette grâce, il en obtiendra d'autres
qui seront alors suffisantes pour l'accomplissement
d'oeuvres difficiles. De gratia Christi, t. n, q. vu, a. 4,
concl. 5, p. 448 sq. Saint Alphonse de Liguori admet
la même opinion en la précisant : pour les œuvres
difficiles, il faut une grâce efficace ab inlrinseco, qui
détermine la volonté au consentement et qui ordinaire-
ment consiste en une délectation victorieuse, parfois en
1673
GRACE
1674
un acte d'espérance, de crainte, etc. Pour les œuvres
faciles, il y a une grâce qui n'est pas efficace ab intrin-
seco relativement à l'œuvre salutaire; notamment
cette grâce suffisante donne à chacun le pouvoir de
prier (l'acte de la prière est parmi les œuvres faciles),
et celui qui prie obtient la grâce efficace ab inlrinseco.
Opéra dogmatica, tr. V, § 7, édit. Walter, Rome, 1903,
t. i, p. 528. Voir son article, t. i, col. 916. Le P. Jean
Hermann a proposé et adopté le sentiment de son père
saint Alphonse. Trachrfus de divina gratta secundum
S. Alphonsi de Ligorio doclrinam et mentem, Rome,
190-1, p. 337-501.
2. Critique. — Cette doctrine ne répond pas direc-
tement à la question posée par les théologiens, â savoir
si la grâce est efficace ab intrinseco ou ab extrinseco.
Elle contient de justes considérations sur la doctrine
de la distribution des grâces, et notamment elle met
en relief l'importance de la prière; c'est par elle que
l'homme obtient de fait des grâces plus nombreuses
et plus influentes; on peut dire que, en règle générale,
c'est par la prière que l'homme reçoit les grâces effi-
caces par lesquelles il se sauve; mais cette connexion
entre la prière et les grâces subséquentes ne résout
pas la question du mode selon lequel la grâce produit
le consentement; en particulier, elle ne résout pas la
question du mode selon lequel la grâce qui excite à la
prière est efficace. De plus, la théorie de Tournély a
d'autres inconvénients. Voir art. Augustinianisme,
t. i, col. 2498. Dans le même article, col. 2496, on a
indiqué l'opinion du P. Guillermin, qui mérite d'atti-
rer l'attention des théologiens.
Conclusion. — 1° D'après l'exposé succinct de ces
diverses doctrines, il semble qu'on peut, quant à leur
substance, les ramener à trois catégories, en ne tenant
pas compte des divergences qui concernent l'explica-
tion ultérieure des principes et leur application.
1. D'après Baftez, l'efficacité de la grâce consiste
dans la prédétermination physique : c'est la grâce
adjuvante (réellement distincte de la grâce excitante)
qui, surajoutée à la grâce excitante, cause physique-
ment l'acte du consentement ; il y a donc une connexion
physique et nécessaire entre cette grâce et l'acte déli-
béré; c'est là, au plein sens du mot, une grâce efficace
par elle-même, efficax ab intrinseco.
2. D'après Molina, il n'y a pas île prédétermination
physique et par conséquent pas de connexion physique
et nécessaire entre la grâce et l'acte délibéré. La cau-
salité physique de la grâce actuelle se trouve tout
entière dans l'acte indélibéré d'intelligence et de
volonté. Ces actes disposent l'homme au consente-
ment, l'y inclinent, mais ce consentement est produit,
causé par la volonté se déterminant elle-même libre-
ment; précisément pour cela il n'y a pas de connexion
physique et nécessaire entre la grâce et l'acte délibéré
du consentement, et par conséquent il n'y a pas de
grâce efficace par elle-même; dans ce système on
a, au sens plein du mot, une grâce efficace ab extrin-
seco.
Pour préciser le sens de l'expression effleax ab extrin-
seco, remarquons que Molina parle de la grâce exci-
tante, et que, par son efficacité, il entend l'émanation
de l'acte du consentement; comme, d'après lui, cette
émanation est causée physiquement par la volonté
sans aucune prémotion physique divine, il résulte que
cet acte est surajouté à la grâce excitante qui en est
réellement distincte et par conséquent l'efficacité dont
il s'agit est extrinsèque à la grâce excitante. Les bané-
siens appellent aussi efficacité de la grâce l'émanation
même de l'acte du consentement ; comme, d'après
eux, cette émanation est causée physiquement par la
prédétermination divine, il résulte que cet acte est
l'effet immédiat et physique de la grâce et que la cau-
salité physique de celle-ci atteint l'être et la détermi-
nation de cet acte; c'est pourquoi on dit que cette
grâce est par elle-même ou intrinsèquement efficace.
Mais il faut remarquer que la grâce qui est efficace au
sens expliqué n'est pas la grâce excitante, mais une
grâce réellement et essentiellement distincte de celle-
là et surajoutée.
3. D'autres théologiens défendent une opinion
moyenne. Ils n'admettent pas la prédétermination
physique, mais ils n'admettent pas non plus l'absence
de toute connexion intrinsèque entre la grâce et l'acte
du consentement; la grâce excitante, d'après eux,
produit une disposition, une inclination qui, parce
qu'elle est telle (c'est-à-dire parce qu'elle produit tel
acte déterminé, indélibéré, ou bien parce qu'elle pro-
duit une inclination de telle intensité), obtient, de
fait, le consentement; c'est donc dans la congruité de la
grâce excitante relativement au sujet que consiste la
connexion de la grâce avec le consentement; d'après
cette opinion, la grâce est dite aussi efficace ab intrin-
seco, mais cette efficacité intrinsèque diffère radica-
lement de l'efficacité intrinsèque défendue par les
banésiens. La première n'est pas physique, elle est
morale : aussi l'appelle-t-on une prédétermination
morale. La congruité ou prédétermination morale est
susceptible d'explication plus développée, mais il est
essentiel à la doctrine exposée que la volonté est cause
physique efficiente de son acte délibéré ainsi que de la
détermination de celui-ci, de plus que cette détermi-
nation est réellement contingente, c'est-à-dire que la
volonté qui, sous l'influence de la grâce excitante, se
détermine au consentement, aurait pu physiquement
se déterminer au non-consentement, à la résistance.
Cette opinion est donc toute différente de celle de
Jansénius qui concevait l'appétit volontaire comme
une balance qui penche nécessairement du coté ou la
pression est plus forte, cf. Guillermin, Revue thomiste,
1903, p. 22 sq. ; elle est aussi différente de l'opinion des
augustiniens rigides chez lesquels la délectation vic-
torieuse semble bien causer physiquement la prédé-
termination de l'acte du consentement, bien que cette
prédétermination exerce une causalité toute diffé-
rente de celle qui est exposée dans le système bahésien.
Sur l'opinion des augustiniens rigides, voir Augusti-
nianisme, t. i, col. 2485 sq. ; dans le même article,
col. 2495 sq., est exposée la doctrine de la prédéter-
mination morale. Si l'on exclut l'opinion de Tournély,
qui introduit une distinction sans fondement, et si
l'on s'en tient à admettre une congruité intrinsèque,
mais relative aux dispositions des individus, auxquels
est donnée la grâce excitante, et dont l'effet propre est
de mettre le sujet dans telle disposition où de fait il
consentira librement, cette opinion nous semble sau-
vegarder la liberté humaine et l'efficacité de la grâce.
Les hommes, par leurs paroles et leurs actes, peuvent
persuader aux autres de faire ou d'omettre telle chose ;
ils sont parfois si puissants qu'ils peuvent faire chan-
ger les résolutions des autres; Dieu qui agit à son gré
dans l'intérieur même de l'âme pourra donc obtenir
toujours le consentement de l'homme ; il pourra par
conséquent réaliser chez les divers individus la sain-
teté surnaturelle telle qu'il la désire. Nous ne voyons
pas sur quoi est fondée l'assertion du P. Portalié, art.
Augustinianisme, t. i, col. 2497 : « De fait, l'expé-
rience prouve que Dieu n'emploie pas universellement
ce moyen (la prédétermination morale). Il n'est ni
vrai, ni vraisemblable que Dieu donne à tous ceux
qui font bien (même dans les plus petites choses, une
légère aumône, etc.) une abondance de grâces mora-
lement irrésistible, en sorte qu'il leur serait non seule-
ment plus difficile, mais moralement impossible de
résister; l'expérience de chaque âme semble établir
qu'il n'en va point ainsi. » Cette assertion suppose
d'abord qu'il faut pour tout acte salutaire, même chez
1G75
GRACE
1676
l'homme juste, une grâce spéciale excitante ou une
série de grâces; cette thèse n'est pas démontrée et nous
ne l'admel I on: pas, comme nous l'exposerons plus loin.
Le P. Portalié s'appuie sur l'expérience; nous nous
demandons en vain ce que l'expérience pourrait établir
concernant le mode de l'influence de la grâce actuelle
excitante sur l'acte de consentement. L'homme a la
conscience psychologique de ses actes cognoscitifs
et appétitifs, qu'ils soient indélibérés ou délibérés.
L'homme peut donc avoir conscience d'une inclina-
tion puissante vers un bien, ou d'inclinations répétées
vers telle bonne action, il pourra avoir conscience de sa
délibération et du lait qu'il pose un consentement
pleinement délibéré, il pourra, par la foi et par une con-
naissance conjecturale, savoir cpie telle inclination est
l'effet d'une grâce actuelle, et que, par conséquent, il a
librement consenti à une grâce; mais il ne pourra pas
avoir conscience de la nature intime de la connexion
de la grâce actuelle excitante avec le consentement qui
a suivi. Il en est de même lorsque, délibérément, il
refuse le consentement à une inclination puissante ou
à une série de motions vers un bien; il aura conscience
et de l'inclination et de sa résistance délibérée, mais
son regard ne pourra pas pénétrer davantage dans
son activité psychologique et savoir pourquoi il a
refusé son consentement; il ne peut que constater le
fait de son refus délibéré et la possibilité du consente-
ment. Il en est de même pour les actions faciles, qui
ne sont précédées d'aucune lutte; quand Dieu, par
une grâce actuelle, fait surgir dans un homme bien
disposé la pensée d'une bonne action et que cet
homme immédiatement, bien que délibérément, con-
sent et pose l'acte vertueux, il pourra savoir qu'il a
librement consenti à l'impulsion susdite, mais sa con-
science ne lui manifestera pas quelle est précisément
l'influence exercée par cette grâce; il n'y a pas de
raison de nier que c'est de la congruité de cette impul-
sion que dépend le consentement, et que, par consé-
quent, cette grâce excitante a été une prédétermina-
tion morale. La notion de celle-ci n'implique pas
nécessairement l'idée d'inclination véhémente ou
d'impulsion irrésistible ou victorieuse d'une opposi-
tion. La prédermination morale ne dit pas autre chose
qu'une inclination vers le bien telle qu'elle obtient de
fait le consentement libre.
Mais ici surgit la question de l'infaillibilité de la
connexion entre la grâce excitante et le consentement.
Quand on parle d'infaillibilité on parle d'une connais-
sance : il ne peut s'agir ici que de la connaissance
divine. Car lorsque l'homme consent librement, il a
conscience qu'il pourrait ne pas consentir et que son
consentement est contingent. Quand il s'agit de l'in-
fluence exercée par un homme sur un autre, le premier
ne peut avoir qu'une connaissance conjecturale du
consentement ou non-consentement du second. Dieu
connaît infailliblement tous les actes libres que pose-
raient tous les hommes dans toutes les circonstances où
ils pourraient se trouver; nous tenons que Dieu con-
naît cela en lui-même et notamment dans sa causa-
lité divine. Mais quel est précisément le moyen objec-
tif dans lequel Dieu connaît ses actes ? Ce n'est pas le
lieu de traiter cette question. Nous dirons simple-
ment que la congruité de la grâce excitante, cette
congruité qui est relative à chaque individu et qui con-
stitue la prédétermination morale, est pour Dieu un
moyen de connaître infailliblement le consentement,
il la non-congruité, qui suppose toujours la suffisance
de la grâce, est le moyen de connaître infailliblement
le non-consentement. I.a prédestination est donc infail-
lible et les moyens dont elle se sert obtiennent imman-
quablement leur effet.
2° De ce que nous venons d'exposer, il résulte que
la différence entre la grâce seulement suffisante et la
grâce efficace n'est pas une différence essentielle; que,
si l'on considère la grâce d'une manière absolue, cette
différence n'est ni qualitative, ni quantitative; la con-
gruité, propre à la grâce efficace, est une congruité
relative au sujet auquel elle est donnée; il peut donc se
faire que telle inspiration soit efficace chez tel individu
dans telles circonstances et ne le soit pas chez un
autre; il peut se faire aussi qu'une inspiration plus
intense soit inefficace chez tel homme, alors qu'une
grâce moins intense soit efficace chez un autre.
3° Il faut rappeler encore qu'entre le terme de la
causalité physique et efficiente de la grâce excitante,
c'est-à-dire l'acte indélibéré, et le consentement déli-
béré il y a nécessairement, si on peut parler ainsi, solu-
tion de continuité. Le P. Guillermin, Revue thomiste,
1902, t. x, p. 673, explique très bien cette assertion :
" Il y a une grande différence entre la manière d'agir
de la volonté libre sous la motion divine et la manière
d'agir des facultés d'ordre purement physique. En
celle-ci, l'action divine A produit toujours une motion
passive A' de laquelle découle ensuite nécessairement
l'effet corrélatif a. Les agents physiques, en effet, agis-
sent toujours conformément aux modifications qu'ils
ont subies; un corps soumis à l'action de la chaleur
communiquera la chaleur au même degré où il l'aura
lui-même reçue. Aussi dit-on des agents physiques
qu'ils sont dans leurs opérations plutôt passifs qu'ac-
tifs, potius aguntur quam agunt. Il en va tout autre-
ment pour la volonté libre. Sans doute ici encore l'ac-
tion divine A produit dans la faculté une impulsion
une motion passive A'. Mais la liberté de la volonté
consiste précisément en ce qu'entre la motion passive
A' et l'acte a correspondant il n'y a qu'un lien contin-
gent et, puisque la volonté créée est défectible, il peut
arriver, Dieu le permettant ainsi, qu'elle entrave le
résultat de la motion et que l'acte a soit intercepté.
Pour mieux entendre comment la défection peut se
produire sous la motion actuelle de Dieu, on doit se
rappeler que, d'après l'enseignement thomiste, il faut
considérer dans la motion physique naturelle ou sur-
naturelle un double aspect. Sous le premier aspect, elle
est un effet de Dieu, une motion passive reçue dans
la volonté; sous le second aspect, elle est principe actif,
ou plutôt la faculté activée par la motion divine passi-
vement reçue devient, par elle et avec elle, principe
actif d'opération : Aclus procedil ab agente in aclu. Or,
l'agent libre se distingue de l'agent nécessaire en ce
que celui-ci, une fois activé, procède fatalement à la
production de l'acte, tandis que l'agent libre y procède
librement et suivant ce qu'il lui plaît de vouloir. Si cet
agent libre est indéfectiblement parfait dans ses choix,
il procédera immanquablement, quoique librement,
à la production de l'acte auquel l'active la motion
divine. Mais si cet agent libre est défectible, il pourra
toujours défaillir, et sûrement il défaillira quelquefois,
à moins que Dieu par une protection gratuite particu-
lière, ne le préserve et ne le soutienne actuellement; et
sa défaillance consistera précisément en ce qu'il choi-
sira de ne pas procéder activement à l'acte auquel il
est mû et actionné par la motion passive reçue de
Dieu. » Donc la motion divine qui est passivement
reçue et qui a pour terme l'acte indélibéré ne prédé-
termine pas physiquement l'acte délibéré; celui-ci est
contingent. De plus, il ne faut pas, outre l'impulsion
indiquée A, une nouvelle impulsion divine qui, phy-
siquement, cause et détermine l'acte délibéré; celui-ci
émane de la volonté déjà en acte par l'impulsion A' et
c'est la volonté elle-même qui le détermine. Nous con-
cluons (pic la division de la grâce actuelle en suffisante
et en efficace concerne formellement la grâce excitante;
si celle-ci est congrue, au sens expliqué, c'est-à-dire
si elle est telle qu'elle obtient immanquablement le
consentement, elle est efficace; elle est, au contraire,
1077
GRACE
1G78
seulement suffisante, si elle n'a pas cette congruité qui
est suivie du consentement.
Nous n'avons guère cité d'auteurs dans l'expose de
notre conclusion, et nous ne saurions faire le triage des
théologiens en déterminant exactement quelles sont
les propositions admises par les uns et par les autres,
car il y a, à ce point de vue, des divergences nom-
breuses et souvent il est impossible de saisir exacte-
ment la pensée d'un auteur sur l'explication de la cau-
salité de la grâce. Nous croyons cependant que notre
conclusion est conforme à la doctrine de Bellarmin,
dans son écrit De novis controversiis, cité plus haut, et
que ce théologien souscrirait à ces trois assertions :
1° l'efficacité de la grâce actuelle excitante ou la con-
nexion immanquable entre la grâce excitante et le con-
sentement libre de la grâce consiste formellement en sa
congruité relative, relative au sujet auquel elle est
conférée et en ce sens l'efficacité est intrinsèque; 2° il
n'y a pas de différence essentielle entre la grâce simple-
ment suffisante et la grâce efficace; même il n'y a pas
entre elles de différence qualitative ou quantitative, si
on considère la grâce interne en elle-même, abstrac-
tion faite des dispositions du sujet dans lequel elle
entre; 3° la division entre grâce seulement suffisante
et la grâce efficace est une subdivision de la grâce exci-
tante, et pour que la grâce excitante soit efficace, il
n'est pas requis qu'une nouvelle grâce prévenante soit
ajoutée à la première.
V. NÉCESSITÉ DE LA GRACE ACTUELLE POUR L'HOMME
justifié. — 1° Doctrine de l'Église. — Il ne peut être
question ici que des adultes, arrivés à l'usage de la
raison; les autres ne peuvent par poser d'actes salu-
taires. Nous parlons ici de la conservation de l'état
de justice : elle requiert des actes délibérés salutaires,
notamment l'observation des commandements divins.
Nous n'exposons pas ici ce qui concerne la persévé-
rance finale. Voir Persévérance.
L'homme adulte justifié ne peut pas, sans le secours de
grâces actuelles, éviter, pendant un temps considérable,
tout péché mortel. — 1. Cette assertion est contenue
implicitement dans ces textes de l'Écriture sainte où
l'on mentionne, d'une part, les grandes difficultés que
rencontre le juste dans l'exercice de sa perfection
morale, et, où on indique, d'autre part, que l'énergie,
requise à la persévérance, est duc au secours divin ; ce
secours ne peut pas être uniquement l'ensemble des
dons habituels; il s'agit donc de grâces actuelles. Les
textes, auxquels nous faisons allusion, sont les sui-
vants : « Au reste, mes frères, forlifiez-vous dans le
Seigneur et dans sa vertu toute-puissante. Revètez-
vous de l'armure de Dieu, afin de pouvoir résister aux
embûches du diable. Car nous n'avons pas à lutter
contre la chair et le sang, mais contre les princes, con-
tre les puissances, contre les dominateurs de ce monde
de ténèbres, contre les esprits (répandus) dans l'air.
C'est pourquoi prenez l'armure de Dieu afin de pouvoir
résister au jour mauvais et, après avoir tout surmonté,
rester debout. » Eph., vi, 10-13. «Ainsi donc que celui
qui croit être debout prenne garde de tomber. Aucune
tentation ne vous est survenue, qui n'ait été humaine;
et Dieu, qui est fidèle, ne permettra pas que vous
soyez tentés au delà de vos forces; mais, avec la ten-
tation, il ménagera aussi une heureuse issue en vous
donnant le pouvoir de la supporter. » ICor.,x, 12,13.
«Travaillez à votre salut avec crainte cl tremblement...,
car c'est Dieu qui opère en vous le vouloir et le faire,
selon son lion plaisir. » Phil., n, 12, 13.
2. Dans le document nommé Indiculus de gratia, le
c. ni ou vi dit : « Personne, même renouvelé par la
grâce du baptême, n'est capable de surmonter les
embûches du démon et de vaincre les convoitises de la
chair, s'il n'a reçu, par un secours de Dieu, chaque jour
renouvelé, la persévérance dans une bonne vie, » Den-
zinger-Bannwarl, n. 132. Voir Célestin, l. n, col. 2054.
Le IIe concile d'Orange enseigne que le secours divin
doit être toujours demandé même par ceux qui déjà
sont régénérés et sanctifiés, pour qu'ils puissent arriver
à une fin heureuse ou pour qu'ils puissent persévérer
dans l'exercice du bien. Denzinger-Bannvvart, n. 183.
Le concile de Trente affirme aussi la nécessité de la
grâce pour que les justes puissent être victorieux dans
leur lutte contre la chair, le monde et le démon, et la
nécessité d'un secours spécial pour qu'ils puissent per-
sévérer dans la justice reçue. Denzinger-Bannwart,
n. 806, 832. Quant au sens de l'expression secours
spécial, nous pensons qu'elle désigne les grâces actuelles
qui procurent à l'homme l'énergie suffisante à éviter le
péché mortel et que, par conséquent, l'expression
auxilium spéciale ne désigne pas la même chose que
celle qui est signifiée par l'expression : magnum per-
severantise donum, qui indique la persévérance finale
obtenue. Cf. Hefncr, Die Enslehungsgeschichle des
Trienter Rechtfertigungsdekretes, p. 352;Straub, Ueber
den Sinn des 22 Canons der 6 Siszung des Concils von
Trient, dans Zcilschrift fur katholische Théologie, 189 7,
t. xxi, p. 188 sq., 221 sq.
3. Les scolastiques exposent la raison de la nécessité
des grâces actuelles chez les justes. Il s'agit de la diffi-
culté qu'éprouve l'homme à remplir fous ses devoirs,
à résister à toutes les tentations. Cette difficulté a son
origine psychologique dans la concupiscence, d'où
résultent l'ignorance et les passions désordonnées.
L'homme justifié est, par le fait même, rectifié dans le
fond de son âme : il possède la grâce sanctifiante, il a la
vertu infuse de foi, par laquelle son intelligence est
intrinsèquement et surnaturellement soumise et ordon-
née à Dieu, il a la charité infuse par laquelle sa volonté
est intrinsèquement et surnaturellement orientée
vers Dieu; mais néanmoins il reste en lui le désordre de
la concupiscence et ce qui en résulte; c'est pour y
remédier qu'il a besoin d'être éclairé dans son esprit,
fortifié dans sa volonté : cet effet s'obtient par les grâces
actuelles, c'est-à-dire par les illuminations de l'intelli-
gence et les inspirations de la volonté; au moyen de ces
impulsions Dieu dirige l'homme justifié dans l'exer-
cice de la sanctification et le protège contre les tenta-
tions. Les impulsions, dont nous parlons, sont surna-
turelles; car elles disposent et aident positivement
l'homme à accomplir des actes salutaires. Non, venons
de résumer la doctrine de saint Thomas, Sum. theol.,
D IF, q. cix, a. 9. 10. Cf. S. Bonaventure, In IV Sent.,
1. II, disl. XXVIII, a. 2, ([. ii, Operaomnia. t. n. p. 685
sq. ;Cajétan, In Sum. theol., D If. q. cix, a. 9. Ainsi
s'explique la nécessité morale des grâces actuelles chez
l'homme juste : celle-ci comporte donc que l'homme
juste a besoin d'être, au moins de temps en temps,
secouru par des grâces actuelles.
2° La controverse théologique concerne la nécessité
physique de la grâce actuelle et a pour objet cette
question : l'homme juste doil-il recevoir une grâce
actuelle pour tout acte salutaire ? La question se pose
spécialement pour l'homme juste, car celui-ci possède
les dons surnaturels, habituels, notamment les vertus
infuses; on se demande donc si. dans l'homme juste,
ces principes habituels suffisent à surnaturaliser intrin-
sèquement les actes de vertu et si, par conséquent, une
grâce actuelle est encore requise.
Un grand nombre de théologiens enseignent la néces-
sité de la grâce actuelle pour chaque acte salutaire du
juste; l'opinion contradictoire cependant a des défen,
seurs autorisés, notamment Cajétan, In Sum. theol.,
D II'11, q. cix, a. 9; Soto, De natura et gratia, 1. III,
c. iv, fol. 207; Molina, Concordia, q. xiv, a. 13, disp. IV,
p. 20; disp. VIII, p. 38; Bellarmin, De gratia cl libero
arbilrio, 1. VI, c. xv, n. 51, p. 399; Billuart, De gratia,
diss. III, a. 9, p. 110; Terrien, La grâce et lu gloire, t. i,
1679
GRACE
1G80
p. 180: t. ii. ]). 58; Pignataro, De gratin (lithogr.)i
p. 127: Billot, Or virlulibus in/usis, thés, vu, p. 173;
De gralia Chrisli, thés, v, § 2, p. 109; Konings, De
gralia divina, Louvain, 1907, prop. 0a, p. 20; Merkel-
bach, Revue ecclésiastique de Liège, t. vin (1912-1913),
p. 237 sq. Celte seconde opinion, que j'ai défendue
dans mon traité De gralia divina, n, 338, exige d'abord
quelques éclaircissements.
a) Saint Thomas, Sum.theol., Ia IIœ, q. cix, a. 9,
parlant de la nécesstié de la grâce actuelle, enseigne
que l'homme juste en a un double besoin : d'abord, il
a la nécessité générale en vertu de laquelle aucune
créature ne peut commencer à agir sans une motion
divine; ensuite il a une nécessité spéciale qui dépend
de la condition présente de la nature humaine : cette
nécessité est l'impuissance morale de l'homme à faire
le bien, impuissance qui a son origine dans la corrup-
tion de la chair et l'ignorance de l'intelligence. D'après
cela il semblerait, à première vue, que pour tout acte
salutaire chez le juste il faut une grâce actuelle et que
celle-ci consiste dans la prémotion physique requise à
l'opération. Mais il nous faut considérer les choses de
plus près. Saint Thomas distingue ici la ^ràce sancti-
fiante : habituale donum per quod nalura humana cor-
rupla sanelur, et etiam sanata elevclur ad operanda
opéra meriloria vitiv seternse quœ exeedunt proportionem
naturœ, et la grâce actuelle : auxiltum gratiœ ut a Deo
moveatur [homo] ad agendum. Ce qui est appelé moveri
a Deo est une motion générique; cette motion divine
comprend deux espèces bien distinctes : la motion par
laquelle Dieu applique à l'action la faculté opérative,
et la motion spéciale par laquelle Dieu, suscitant des
actes indélibérés dans l'intelligence et dans la volonté,
excite l'homme à des actes délibérés salutaires. La
motion de la première espèce a sa raison d'être dans
l'incapacité physique où se trouve toute créature de
passer, par elle-même, de la puissance à l'acte, de
passer de l'état de repos à l'état d'activité. Cette
nécessité est la même pour tout commencement d'opé-
ration, et par conséquent l'homme justifié a besoin, lui
aussi, de cette prémotion divine; car les habitus sur-
naturels, pas plus que les habitus naturels, ne mettent
la faculté opérative en mouvement, ne lui font pro-
duire un acte. Si l'on donne le nom de grâce actuelle
à cette motion, que nous venons de décrire, on dira
qu'il faut une grâce actuelle pour toute opération salu-
taire de l'homme juste, mais elle n'est pas entitative-
ment surnaturelle, cf. Billot, De viriutibus in/usis,
p. 174, et ne mérite le nom de grâce que parce que cette
motion se termine à un acte surnaturel, à un acte sur-
naturalisé par Yhabilus infus et dépendant de Dieu en
tant qu'il est l'auteur de l'ordre surnaturel.
Cette motion n'est pas un secours spécial : elle est
exigée par la faculté qui (étant donné les conditions
dans lesquelles elle se trouve) doit émettre son acte;
mais elle n'ajoute rien à l'énergie de l'homme au point
de vue de l'acte salutaire. Tandis que, pour la motion
de la seconde espèce, il en va tout autrement : cette
dernière est l'illumination et l'inspiration du Saint-
Esprit, elle est un secours spécied, car elle ajoute à
l'énergie de l'homme en vue des actes salutaires; elle
dissipe les ténèbres de son esprit : elle incline sa volonté
à choisir le bien; elle remédie aux blessures occasion-
nées par le péché originel.
b) C'est donc de ce secours spécial qu'il s'agit, de ce
qu'on appelle proprement la grâce actuelle excitante.
Nous soutenons l'opinion qui dit qu'une telle grâce
n'est pas requise pour chaque acte salutaire délibéré
dans l'homme justifié.
La démonstration de celle thèse se résume dans
l'argumenl suivant : Si la grâce actuelle excitante était
requise pour chaque acte salutaire de l'homme justifié,
elle le serait ou bien à cause de la surnaluralité de
l'acte salutaire, ou bien à cause de l'application de la
faculté opérative â son acte, ou bien à cause de la fai-
blesse humaine vis-à-vis du bien à accomplir, ou bien
à cause d'une loi établie par Dieu; or aucun de ces
litres n'implique celte nécessité; elle n'est donc pas
admissible.
La mineure s'explique : a. Les facultés opératives,
notamment l'intelligence et la volonté, sont, chez le
juste, intrinsèquement élevées et portent en elles ces
diverses inclinations surnaturelles qui ordonnent la
faculté à émettre les actes correspondants : ce sont
les vertus infuses théologales et morales. Celles-ci,
quand l'homme justifié émet un acte de foi, de charité
ou d'une autre vertu, le surnaturalisent intrinsèque-
ment, à peu près comme les vertus naturellement
acquises influent sur l'acte, qui leur correspond, quand
il est émis. 11 n'est donc pas requis qu'un aulre prin-
cipe de surnaturalisation soit ajouté à l'instant où
s'émet l'acte correspondant à une vertu infuse.
b. La grâce actuelle excitante n'est pas requise pour
appliquer la faculté opérative à son acte. Cette appli-
cation n'est pas autre chose que la motion de la cause
première, motion requise pour que la faculté passe de
l'état de non-activité à l'opération actuelle. Mais la
cause première, comme telle, doit mouvoir, au même
titre, toute cause seconde, comme telle; que celle-ci
soit dans l'état simplement naturel, ou qu'elle soit,
par les dons infus, élevée à l'ordre surnaturel, la pré-
motion physique remplit la même fonction : faire pas-
ser la faculté opérative à l'acte qu'elle doit émettre;
cet acte est spécifié et déterminé entitativement, non
par la prémotion physique, mais par la faculté d'où
il sort; c'est la faculté qui le fait être tel; cet être tel
dépend et de l'objet auquel tend hic et nunc l'activité
de la faculté et des habitus dont la faculté est pourvue.
Donc la surnaturalité intrinsèque de l'acte ne provient
pas de l'application de la faculté à son acte, mais de
la virlus /luens supernaluralis (quand il n'y a pas de
vertu infuse), ou de Vhabitus surnaturel infus. Cette
conclusion n'est pas infirmée par la doctrine qu'expose
saint Thomas, Sum. thcol., Ia IL1*, q. lxviii, a. 2,
où il parle de la nécessité des dons du Saint-Esprit. Les
vertus infuses, parce qu'elles sont surnaturelles, ne
sont pas possédées par l'homme aussi parfaitement que
le sont les habitus naturels; c'est pourquoi les vertus
infuses ne suffisent pas pour que l'homme puisse, d'une
façon aussi sûre que ferme, marcher, en tout et conti-
nuellement, vers sa fin surnaturelle; il faut qu'il ait
en lui l'instinct même de celui qui a cette fin pour
connaturelle, c'est la personne même du Saint-Esprit.
Les dons du Saint-Esprit sont concédés précisément
pour que l'homme soit rendu docile à cet instinct du
Saint-Esprit, c'est-à-dire à ces illuminations de l'in-
telligence et à ces inspirations de la volonté, qui consti-
tuent la grâce excitante. La nécessité de celle-ci n'est
donc pas du tout celle de la prémotion physique à
chaque commencement d'opération, mais elle est d'un
ordre tout différent. Quand saint Thomas, dans sa
réponse à la 2e objection de l'article cité, dit : per
virtulcs theologicas et mondes non ila per/icitur homo in
ordine ad ultimum finem, quin semper indigcal moveri
quodam superiori instinetu Spirilus Sancti, ratione jam
dicta, il n'affirme pas la nécessité d'une grâce excitante
à chaque acte salutaire du juste, mais « il veut dire
simplement qu'il n'est aucun moment ni aucun acte où
cette motion ne puisse pas être requise; mais non
qu'elle soit en effet toujours requise et pour chaque
acte. C'est pour tout sujet destiné à la lin surnaturelle
et non pour chaque acte ordonné à cette fin, que saint
Thomas requiert, comme une chose absolument néces-
saire, les dons du Saint-Esprit. » Telle est la remarque
du P. Pègues, qui interprète avec beaucoup de préci-
sion l'article cité. Commentaire français littéral de la
1G81
GRACE
1682
Somme Ihéologïque, Toulouse, 1913, t. vin, p. 309-
316. La même doctrine est exposée par le cardinal
Billot, De virtuiibus infusis, p. 174 sq.
c. L'infirmité humaine vis-à-vis du bien à accomplir
n'est pas telle qu'elle exige une grâce excitante pour
chaque acte salutaire, car souvent l'homme ne ren-
contre pas une difficulté considérable à choisir et à
réaliser l'acte vertueux. De même que le pécheur peut
agir parfois honnêtement, poser un acte naturel et bon,
sans le secours d'une grâce, ainsi, a fortiori, l'homme
justifié pourra user des vertus infuses, poser des actes
surnaturels et bons, sans le secours de la grâce exci-
tante.
d. Enfin on n'a pas de raison solide pour établir
l'existence d'une loi divine d'après laquelle aucun acte
salutaire ne serait accompli par un juste, sans qu'il y
ait été excité par une grâce actuelle. Certes on nous
propose le texte où le Christ dit que le juste ne peut
rien faire sans lui, Joa., xv, 5, mais cette assertion ne
concerne pas exclusivement le secours actuel, dont nous
parlons; il y est parlé de la grâce, considérée en général,
qui comprend la grâce sanctifiante, la charité, etc.
Nous rencontrerons les textes des conciles et des Pères
dans les objections, qu'il nous reste à examiner.
c) Objections. — Elles sont les arguments proposés
par les auteurs qui défendent la nécessité de la grâce
excitante pour chaque acte salutaire chez l'homme
juste. Ces objections sont de deux espèces : les unes
ont leur point de départ dans une assertion philoso-
phique ; les autres dans un texte tiré des conciles ou des
Pères.
Objections philosophiques. — a. Pour que l'homme
juste puisse agir salutairement, il faut qu'il pense à
l'œuvre qu'il va accomplir; or, cette pensée est une
grâce actuelle excitante; donc une grâce actuelle
excitante est requise à chaque acte salutaire.
Nous concédons la majeure; nous nions la mineure.
Celte pensée peut être un acte naturel qui est l'occa-
sion et non la cause de l'acte salutaire. Supposons, par
exemple, qu'un homme ait pris la résolution de faire
un acte d'adoration interne à chaque fois qu'il voit une
église. L'action de voir l'église et l'acte de mémoire,
qui en résulte, suffisent pour que cet homme fasse
l'adoration interne. On ne voit pas pourquoi serait
requise dans ce cas une spéciale illumination ou inspi-
ration du Saint-Esprit.
Un autre exemple : l'homme justifié, en entendant
prêcher les vérités révélées par Dieu ou en lisant leur
expression, dans un livre, peut immédiatement faire
un acte de foi surnaturelle, il peut aussi faire des actes
d'autres vertus dont la pensée lui est suggérée; cet
homme possède tous les principes requis à l'émission
d'actes intrinsèquement surnaturels qui sont l'objet
des différentes vertus chrétiennes. Par là, on peut se
rendre compte de l'importance des vertus acquises
ou naturelles, notamment de celles qui s'acquièrent
par la répétition d'actes surnaturels, voir à ce sujet de
Ripalda, De ente supernaturali, t. i, disp. LUI, p. 499;
Pesch, Privlecliones dogmatiese, t. vm, De virtutibus,
n. 14 ; Billot, De virtutibus infusis, Proleg., n,§ 3, p. 50
sq. ; ces vertus acquises donnent à l'homme une cer-
taine facilité pour accomplir les actes surnaturels, elles
font aussi diminuer et même disparaître les obstacles
à l'exercice des vertus surnaturelles. Le jugement pra-
tique d'où procède l'acte libre, délibéré et salutaire,
doit être, à notre avis, surnaturel; il le sera parce qu'il
procède de la prudence infuse, vertu qui règle l'exercice
de la sainteté chez l'homme juste; il ne faut pas, à
notre avis, une grâce actuelle excitante à chaque fois
qu'agit la vertu surnaturelle de prudence. Voir Colla-
tiones Brugenses, 1907, t. xn, p. 25G sq., 395 sq. Les
événements, tels que prédication, lecture pieuse, bons
exemples, qui sont pour l'homme justifié l'occasion
d'exercer les vertus surnaturelles, doivent être attri-
bués à la providence divine et sont des bienfaits et
secours externes; on ne peut pas les confondre avec
la grâce actuelle interne.
b. La vertu infuse est une qualité potentielle qui,
pour passer à l'acte, requiert une excitation ou pré-
motion; or celle-ci doit être dans le même ordre que
Yhabitus qu'elle met en mouvement, elle doit donc être
surnaturelle; donc à chaque fois que l'homme émet un
acte salutaire par une vertu infuse, à chaque fois aussi
il lui faut une excitation surnaturelle; donc une grâce
actuelle.
Cette objection peut recevoir une double réponse :
Si l'on admettait (ce que nous n'admettons pas) qu'il
faut une prémotion eniilativement surnaturelle pour
causer l'émission de tout acte appartenant à une vertu
infuse, et si on appelait grâce actuelle cette prémotion,
on dirait donc qu'une grâce actuelle est requise à
chaque acte salutaire que fait le juste; mais on ne
pourrait pas déduire qu'est requis à chaque acte ce
secours spécial que nous appelons proprement la grâce
actuelle excitante; ce secours spécial, dont nous avons
parlé plus haut, consiste en l'influence ou l'instinct du
Saint-Esprit, et a pour terme l'acte indélibéré d'intelli-
gence et de volonté, la pensée salutaire, l'affection
salutaire; celles-ci sont un secours surajouté à l'énergie
humaine et disposent positivement l'homme à vouloir
délibérément tel acte de vertu. Ce secours spécial est
donc d'une nature toute différente de cette prémotion
physique, qui, d'après l'hypothèse, mettrait en activité
la vertu infuse; de plus, d'après la doctrine de saint
Thomas, ce secours spécial, cet instinct, tombe direc-
tement sur les dons du Saint-Esprit, et non sur les
vertus infuses. Par conséquent, quand les théologiens
énoncent cette proposition : une grâce actuelle est
requise, même chez le juste, pour tout acte salutaire,
il faut qu'ils déterminent ce qu'ils entendent par grâce
actuelle, car la prémotion ou prédétermination phy-
sique à l'acte délibéré est une réalité essentiellement
dilïérente de l'illumination et de l'inspiration du Saint-
Esprit.
La réponse directe, que nous donnons à l'objection
proposée, distingue la majeure et nie la mineure :
L'habitus surnaturel... exige une excitation distincte
de celle qui est requise pour l'acte même émis par la
faculté, je le nie; l'habitus surnaturel... exige l'exci-
tation qui est demandée par l'acte lui-même, je le con-
cède.
Voici l'explication de cette distinction. Il faut
d'abord insister sur la différence essentielle entre un
habitas et une faculté opérative : celle-ci est une qua-
lité essentiellement ordonnée à agir, à émettre une
opération; Yhabitus opératif est une qualité surajoutée
â la faculté opérative, la modifiant intrinsèquement
en lui donnant une disposition bonne ou mauvaise par
rapport à l'opération. Dans le cas qui nous occupe,
Yhabitus est une qualité infuse par Dieu, surnaturali-
sant intrinsèquement la faculté opérative et lui con-
férant proprement une capacité positive à émettre des
actes surnaturels déterminés (par exemple, les actes
de charité, de religion, etc.). L'habitus infus n'apporte
pas, par lui-même, une facilité ou une propension à
exercer des actes tels, mais son essence consiste dans
une inclination vers ces actes, dans une adhésion ù
l'objet de ces actes vertueux. Voir Billot, De'jnirtu-
libus infusis, Proleg., n,§ 1, p. 35. Par conséquent, la
faculté opérative et Yhabitus ne sont pas deux facultés
dont chacune exige une motion physique à l'acte;
toute motion physique à l'acte doit tomber sur la
faculté opérative; c'est elle qui émet l'acte. Cet acte
sera influencé par l'habitus correspondant qui est
précisément la disposition positive de la faculté à telle
espèce d'actes; quand l'homme justifié émet un acte
lus;!
GRACE
1684
de charité, cet acte sera toujours influencé par la
vertu infuse de charité, parce que la charité est essen-
tiellement l'inclination surnaturelle de la volonté à
l'acte de charité. Il en est de même des habitus natu-
rels; quand un homme, qui s'est acquis l'habitus d'une
science, applique son intelligence à l'opération de cette
espèce, l'habitus influence nécessairement sa pensée.
Il ne faut donc pas une motion ou excitation spéciale
et surnaturelle pour mouvoir la vertu infuse; celle-ci,
à proprement parler, ne peut pas être mue à l'acte,
mais elle influence toujours l'acte qui lui correspond,
quand il est émis; elle est ainsi avec la faculté un même
principe d'opération. Le concours général de Dieu
suffit à mettre en activité la faculté opérative, qui,
elle, agit d'après l'habitus qu'elle contient.
Cette thèse nous semble confirmée par la doctrine de
saint Thomas concernant le mérite : il enseigne que
chez l'homme justifié (au moins chez celui qui a émis
l'acte de charité parfaite) tout acte humain, qui est
moralement bon, est aussi méritoire de condigno;
d'après cela, il n'y a pas, chez le juste, d'acte bon
naturel, mais tout acte bon est surnaturel, donc émis
par la faculté en tant qu'elle est ornée d'une vertu
infuse. De malo, q. n, a. 5, ad 7"™; Cajétan, In Sum.
theol., I" II1', q. vin, a. 3; Soto, De natura cl gratia,
1. III, c. iv, fol. 207; Terrien, La grâce et la gloire, t. n,
p. 26; Collaliones Brugenses, 1907, t. xn, p. 13, 321;
Billot, De gratia Christi, thés, xx, p. 255.
Saint Thomas, nous l'avons vu plus haut, n'enseigne
pas qu'il faut une grâce actuelle excitante pour chaque
acte bon chez le juste; il exige le concours général de
Dieu pour toute opération salutaire, en tant qu'elle est
passage de puissance à acte. Sum. theol., Ia IIœ,
q. cix, a. 9.
Un corollaire de notre thèse, c'est que la grâce
actuelle excitante n'était pas nécessaire en Adam
avant la chute; parce qu'il n'était pas sujet à la con-
cupiscence et parce qu'il n'était pas sujet à l'erreur ni
à l'ignorance, il n'avait pas besoin de ce secours spécial
qui consiste en l'illumination et l'inspiration du Saint-
Esprit. Voir Molina, Concordia, q. xiv, a. 13, disp. IV,
p. 19; Bellarmin, De gratia primi hominis, c. iv, p. 0;
De novis conlroversiis, dans Le Bachelet, Auclarium
Bellarminianum, p. 111; Becan, Summa theologica,
tr. III, De angelis, c. n, q. v, p. 108; ColUdiones Bru-
genses. 1913, l. xvm, p. 492.
Objections tirées de l'Écriture, tles Pères et des con-
ciles. — a. S;iint Paul écrit : » Ainsi, mes frères..., tra-
vaillez à votre salut avec crainte et tremblement...
car c'est Dieu qui opère en vous le vouloir et le faire,
selon son bon plaisir. » Phil., il, 13.
On ne peut pas conclure de ces paroles que saint
Paul enseigne la nécessité d'une grâce actuelle exci-
tante pour chaque acte salutaire du juste. D'abord,
il n'est pas certain qu'il parle exclusivement de la
grâce actuelle; il se peut qu'il entende la grâce en
général, impliquant et la grâce habituelle et un secours
spécial actuel donné de temps en temps.
Si l'on admet qu'il s'agit exclusivement de la grâce
actuelle, ce qui est plus'probable, nous ne pouvons pas
déterminer quelle est précisément, d'après lui, le secours
dont le terme est « le vouloir et le faire. » Enfin, et sur-
tout, on ne peut pas dire que saint Paul affirme la
nécessité d'une grâce actuelle pour chaque vouloir et
chaque faire ; il parle" du salut, delà persévérance (au
moins temporaire) dans l'exercice de la sainteté; l'ob-
tention de cette persévérance requiert que Dieu agisse
intérieurement en l'homme et lui fournisse de l'énergie
surnaturelle par laquelle il veuille le bien et réalise ses
résolutions; mais saint Paul ne dit pas que le juste ne
peut émettre aucun bon propos, ni en exécuter aucun,
sans une grâce actuelle excitante.
b. Saint Augustin, De natura et gratia, c. XXVI,
n. 29, P. L.. t. xi.iv, col. 261, dit: « De même que
l'oeil corporel, alors qu'il est parfaitement sain, ne
peut voir sans le secours de la lumière, ainsi l'homme
parfaitement justifié ne peut vivre dans la rectitude
morale, sans le secours de la lumière éternelle, accordé
par Dieu. Dieu donc guérit non seulement pour effacer
nos péchés, mais encore pour nous donner le moyen de
ne plus pécher. »
Saint Augustin enseigne que l'homme, déjà pleine-
ment justifié, a encore besoin du secours surnaturel
divin pour éviter le péché, donc pour se maintenir
dans l'état de justice. Il n'enseigne pas qu'il faille
un nouveau secours actuel pour chaque acte bon.
Quant à la comparaison dont il se sert, on ne peut pas
dire que l'influence de la lumière sur l'oeil signifie
nécessairement l'influence de secours actuels renou-
velés à chaque acte salutaire; l'influence de la lumière
dont l'œil a besoin, même quand il est sain, est une
influence continue et n'est pas une excitation à l'acte.
Saint Augustin semble donc faire allusion à la nécessité
physique de la grâce considérée en général, dont l'in-
fluence est continuellement nécessaire à l'exercice de
la rectitude morale surnaturelle et à la résistance aux
tentations, mais il ne dit pas que cette grâce est un
secours actuel excitant, requis pour émettre chaque
acte bon, ou éviter chaque péché. C'est dans le même
sens qu'il faut interpréter les textes que nous avons
cités plus haut, col. 1579, notamment celui-ci : non
polest homo boni ediquid relie, nisi adjuvetur ab eo qui
malum non polest velle, hoc est gratia Dei per Jcsum
Christum. Contra duas epistolas pelagianorum, 1. I, c. n,
n. 7, P. L., t. xliv, col. 553. On ne peut affirmer que
cet adjulorium signifie exclusivement la grâce actuelle
excitante.
c. Le pape Zosime dit: Quod ergo tempus intervenii
quo ejus non egeamus auxilio ? In omnibus igitur acti-
bus, causis, cogitationibus, motibus adjulor et prolector
orandus est. Dcnzinger-Bannwart, n. 135. Le pontife
enseigne qu'il n'est aucun temps, aucune circonstance
où l'homme puisse se passer du secours divin, de la
grâce; qu'il faut, par conséquent, la demander sans
cesse. Mais il ne dit pas du tout que l'homme justifié a
besoin d'une nouvelle grâce excitante pour chaque
acte salutaire.
d. Le c. ix de Y Indiculus dit : « Dieu agit de telle
façon sur le cœur des hommes et sur leur libre arbitre
que toute pensée sainte, tout propos pieux, tout mou-
vement de la bonne volonté, soit de Dieu. » Loc. cit.
De nouveau est enseignée ici la nécessité de la grâce
pour chaque acte salutaire, mais il s'agit de la grâce
considérée en général et l'on ne parle pas exclusive-
ment de ce secours spécial, que nous appelons la grâce
actuelle excitante.
e. Le II0 concile d'Orange, dans le 7e canon, dirigé
contre les semipélagiens, parle directement de la
nécessité de l'illumination et de l'inspiration du Saint-
Esprit pour toute pensée salutaire, toute élection salu-
taire, pour le consentement à l'Évangile. Denzinger-
Banmvart, n. 189. Il s'agit ici, nous scmblc-t-il, des
actes salutaires qui précèdent la justification. De plus,
nous ne pouvons affirmer que le concile entend par
illumination et inspiration du Saint-Esprit précisé-
ment et exclusivement ce que nous appelons mainte-
nant grâce actuelle excitante. D'autant plus que dans
le canon précédent le concile désigne la grâce néces-
saire aux actes salutaires par les mots : per injusionem
d inspirationem Spiritus Sancti in nobis. Le canon 10e,
op. cit., n. 183, enseigne la nécessité de la grâce pour
la persévérance des justes.
/. Le concile de Trente, sess. vi, c. xvi, op. cit.,
n. 809, dit : « Le Christ Jésus, comme la tète à l'égard
des membres et comme la vigne à l'égard des branches,
exerce incessamment son influence sur les hommes
1685
GRACE
1686
justifies eux-mêmes; celte influence précède toujours
et accompagne et suit leurs bonnes actions; sans cette
influence ces œuvres ne peuvent en aucune façon être
agréables à Dieu, ni méritoires. »
Le concile enseigne en cet endroit que c'est par l'in-
fluence du Christ que les justes accomplissent leurs
bonnes actions, observent la loi et méritent la vie éter-
nelle. Cette influence est ce qui rend leurs œuvres salu-
taires et méritoires. En quoi se réalise cette influence ?
Il semble qu'il s'agit ici d'une grâce opérant constam-
ment et résidant habituellement en l'homme, à la
manière d'une source de vie, c'est-à-dire de la grâce
sanctifiante et des vertus et des dons connexes avec
elle; de ces liabitus se vérifie ce qui est dit dans le texte
cité : toujours cette influence précède et accompagne
et suit les bonnes actions.
On peut admettre aussi que le concile entend parler
de la grâce considérée en général, comprenant l'en-
semble des dons habituels et actuels dont le juste a
besoin pour vivre persévéramment de la vie chré-
tienne. Mais on ne peut absolument pas trouver dans
ce texte l'assertion qu'une grâce actuelle excitante est
requise à chaque œuvre salutaire de l'homme justifié.
Le concile affirmerait-il jamais que ce secours spécial
suit toujours chaque bonne action ? Que pourrait-il
signifier par là ?
Au cours de notre article nous avons indiqué, au sujet des
diverses questions et des opinions, les principaux auteurs
à consulter. Nous n'en dresserons pas ici la liste complète,
mais nous exposerons une vue d'ensemble sur la bibliogra-
phie du sujet, pour que chaque lecteur puisse en acquérir
facilement une connaissance détaillée.
1° La doctrine des Pères concernant la grâce n'est, pour
l'époque antérieure au Ve siècle, que fragmentairement
exposée : Habcrt, Théologies gra'corum Patruni vindicatx
circa universam materiam gratia', Wurzbourg, 1863;
Schwane, Histoire des dogmes, trad. Degcrt, Paris, 1904,
voir la table au mot Grâce; Tixeront, Histoire des dogmes,
t. i, Théologie anténicéenne, Paris, 1905; t. ri, De suint
Athunase à saint Augustin, Paris, 1909 : voir les tables au
mot Grâce. — Ouvrages spéciaux : Kœrber, S. Irenœus de
gratin sanctificante, Wurzbourg, 1865; Scholl, Die Lettre des
heiligen Basilius von der Gnade, Fribourg-en-Brisgau, 1881 ;
Hummer, Des ht. Gregor von Nazianz Lettre von der Gnade,
Kempten, 1890; Weigl, Die Heilslehre des ht. Cgrill von
Alexandricn, Mayence, 1905; Mahé, La sanctification d'après
saint Cyrille d'Alexandrie, dans la Revue d'histoire ecclésias-
tique (Louvain), 1909, t. x, p. 30, 469. Voir aussi dans ce
dictionnaire les articles consacrés à chacun des Pères.
Saint Augustin a exercé une influence prépondérante sur
l'expression de la doctrine catholique ; ses écrits au sujet de la
grâce se trouvent indiqués â l'art. Augustin, t. i, col. 2313,
sa doctrine, col. 2375 sq., la bibliographie qui la concerne,
col. 2460; il faut y ajouter : Jacquin, La question de la pré-
destination aux Ve et VIe siècles, dans la Revue d'histoire ecclé-
siastique (Louvain), 1901, t. v, p. 265, 725; Weinand, Die
Gollesidee, der Grundzug der Weltanschauung des ht. Augus-
linus, Paderborn, 1910, p. 114. Sur les conciles au sujet du
pélagianisme : Hefele, Histoire des conciles, trad. Leclercq,
Paris, 1908, t. n, p. 168. La doctrine des Pères après saint
Augustin est brièvement indiquée par Tixeront, op. cit.,
t. m, La fin de l'âge patristique, Paris, 1912, p. 274 sq.; voir
aussi la table au mot Grâce. — Sur la doctrine des Pères
concernant la distribution de la grâce : Capéran, Le problème
dit salut îles infidèles, Essai historique, Paris, 1912. Saint
Anselme a un ouvrage intitulé : De concordia prfescientiœ,
prœdeslinalionis et gratta tum libero arbitrio, P. L t, ; ivni
col. 507. Voir Anselme, t. i, col. 1340. Saint Bernard a un
Tractatus de gralia et libero arbitrio. P. L., t. clxxxii,
col. 1001 sq. Voir Bernard, t. n, col. 753, 776 sq.
2° Pierre Lombard dans son Sentenliarum libri IV (Lou-
vain, 1546), 1. II, dist. XXVI-XXVIII, donne un court
traité De gratia. Les scolastiques, qui ont commenté l'œuvre
du Maître, ont, au même endroit, développé la doctrine
susdite.
Saint Thomas l'expose aussi dans la Summa theologica,
T-' If'.q. cix-cxrv; c'est au même endroit que les commen-
tateurs ont placé l'examen des questions concernant la
grâce. Capréolus mérite une mention spéciale, parce qu'il
indique les opinions des scolastiques antérieurs et, s'il y a
lieu, défend contre elles la doctrine de saint Thomas :
Johannis Capreoli Defensiones theologiœ divi Thomœ, édit.
Paban et Pègucs, Toulouse, 1900 sq., voir t. iv, p. 255-316.
Parmi les travaux faits sur les scolastiques antérieurs au
concile de Trente et concernant la grâce nous nous conten-
terons de signaler : Ileim, Das Wesen der Gnade... bei
Alexander Ilalesius, Leipzig, 1907; Dummermuth, 5. Tho-
mas et doctrina prxmotionis phgsicœ, Paris, 1886; Frins,
.S'. Thomœ doctrina de cooperatione Dei, Paris, 1892; Jeiler,
S. Bonaventurœ prineipia de concursu generali, Quaracehi,
1897; Ude, Doctrina Capreoli de in/luxu Dei in actus volun-
tatis humanœ, Graz, 1905 (voir sur ce livre une note de
mon traité De gredia divina, n. 327); Krogh-Tonning, Der
letzte der Scholusliker, Fribourg-en-Brisgau, 1904.
3° Le concile de Trente dans sa session VIe (13 janvier
1547) a publié le très important décret sur la justification :
voir Hefner, Die Entstehungsgeschichte des Trienter Recht-
fertigungsdekretes, Paderborn, 1909, avec la bibliographie
qui y est donnée; Ehses, Concilii Tridentini Actorum pars
altéra, Fribourg-en-Brisgau, 1911; parmi les théologiens
qui ont écrit après ce décret : Soto, De natura et gralia,
Paris, 1549; Tapper, Opéra, Cologne, 1588, t. I, a. 7, p. 181 ;
t. il, a. 8-11, p. 1-139; sur la doctrine de Baius, voir Baius,
t. n, col. 63.
4° Sur l'histoire de la controverse De auxiliis : Schnee-
niann, Controversiarum de divina' gratin: liberique arbitrii
concordia initia et progressas, Fribourg-en-Brisgau, 1881;
de Bégnon, Banez et Molina, Paris, 1883; de Scorraille,
Suarez, Paris, 1912, t. i, p. 402 sq. Voir Banez, t. n, col. 145.
5° C'est surtout après que cette controverse s'est élevée
que le traité de la grâce a été développé par les théologiens :
on trouvera leurs écrits cités, dans ce dictionnaire, aux
articles qui leur sont consacrés. Nous signalerons les œuvres
principales, sans distinction d'écoles, en tenant compte,
autant que possible, de l'ordre chronologique de leur appa-
rition : Molina, Concordia, Paris, 1876; Bellarmin, De contro-
versiis, Prague, 1721, t. iv; Auctarium Bellarminianum, édit.
Le Bachelet, Paris, 1913; Alvarez, De auxiliis divina' gratia-,
Lyon, 1611; Vasquez, Commentaria ac disputaiiones in
Summam S. Thotnw, Anvers, 1621, t. n ; Suarez, Opéra
omnia, Paris, 1857-1858, t. vu-xi; Jean Gonzalez de Albeda,
Commentaria in D"' part. Sum. theol., Naples, 1637; de
Bipalda, De ente supernalurali, Paris, 1870; Gonet, Cly-
peus theologiœ thomisticœ, Cologne, 1677; Goudin, De gratia
Dei, Louvain, 1874; Salmanticenses, Cursus theologicus,
t. v, De gratia, etc., Lyon, 1679; Grandi, Cursus theologicus,
Ferrare, 1692, t. i; Casinius, Quid est homo, édit. Scheeben,
Mayence, 1862; Tournély, De gratia Christi, Paris, 1725;
Gotti, Theologia scholastico-dogmatica, Venise, 1750, t. n,
tr. VI; Billuart, Summa sanctiThomœ Itodientis academiurum
moribus accommodata, Paris, s. d., t. m; Wirceburgenscs
(Kilber), Theologia, Paris, 1853, t. iv; S. Alphonse de Liguori,
De modo quo gratia operattir, De magno orationis medio,
dans les Opéra dogmatica, édit. Waltcr, Borne, 1903, t. i,
p. 517; t. il, p. 629; Buzi, L. Berti librorum XXXVII de
theologicis disciplinis synopsis, Wurzbourg, 1770.
6° Ouvrages récents : Scheeben, Natur und Gnade,
Mayence, 1861 ; Die Herrlichkeit der gbltlichen Gnade, Fri-
bourg-en-Brisgau, 1862; Mazzella, De gratia Cltristi, 3e édit.,
Borne, 1892; Palmieri, De gratia actuali, Gulpen, 1885;
Ilurtcr, Theologia- dogmaticœ compendium, 9'' édit., Ins-
pruck, 1896, t. m; Satolli, De gratia, Borne, 1886; Hein-
ricli-Gutbcrlcl, Dogmatische Théologie, Mayence, 1897,
t. vin; Terrien, La grâce et la gloire, 2 in-12, Paris, 1897;
Pesch, Prœlectiones dogmaticœ, 3° édit., Fribourg-en-Bris-
gau, 1907, t. v; Pignataro, De gralia Cltristi (lithogr.).
Borne, 1900; Froget, De l'habitation du Saint-Esprit, 2e édit.,
Paris, 1900; Schiffini, De gratia divina, Fribourg-en-Bris-
gau, 1901 ; Lahousse, De gratia divina, Bruges, 1902; L. Hu-
bert, Thèses de gratia sanctificante, Paris, 1902; de Baets,
Quœsliones de operationibus divinis, Louvain, 1903; Guil-
lermin, La grâce suffisante, dans la Revue thomiste, 1901-1903,
t. ix-xi; Hermann, Tractatus de divina gratia, Borne, 1904;
Pohle, Lehrbuch der Dogmatik, 5e édit., Paderborn, 1912,
t. il; Del Val, Sacra theologia dogmatica, Madrid, 1906, t. n;
Del Prado, De gratia et libero arbitrio, Fribourg (Suisse),
1907; Gaucher, Le signe infaillible de l'état de grâce, Le Per-
reux, 1907; Van Noort, De gratia Christi, Amsterdam, 1908;
Tabarelli, De gratia Christi, Borne, 1908; Billot, De gralia
Christi, 2" édit., Borne, 1912; Waffelaert, Méditations théo-
logiques, Bruges, 1910; Van der Meersch, De divina gratia,
Bruges, 1910; de Baets, De gratia Christi, Gand, 1910; Jan-
li.sT
GRACE ■- GRADES THÉOLOGIQUES
IUSS
vier, La grâce (Conférences de Notre-Dame de Paris), Paris,
1910 : Manzoni, Compendium théologies dogmaticœ, Turin,
191 1 . t. m ; David, De objecta formait actus salularis, Bonn,
1913; Wagner, Doctrina de gratin sufficienti, Graz, 1911;
Pègues, Commentaire français littéral de la Somme théolo-
gique, Toulouse, 1907 sq. (en voie de publication) : ont paru
t. i-viii, jusqu'à la q. lxxxix de la I' II*.
.1. Van der Meersch.
GRADENIGO (GRADONICUS) Jean-Jérôme, né
à Venise, le 19 février 1708, fit son éducation chez les
jésuites de Ferrare. A dix-neuf ans, il disait adieu au
inonde, où la noblesse de sa naissance lui assurait un
brillant avenir, pour entrer chez les théatins, dont il
revêtit l'habit, le 29 juillet 1727. Il y compléta ses
études sacerdotales et s'acquit vite une réputation de
zèle et de science, qui le fit appeler, en 1734, par son
compatriote, le cardinal Quirini, évêque de Brescia,
comme professeur au séminaire. Ses vacances étaient
employées au ministère dans les campagnes environ-
nantes, il se reposait de l'enseignement et des travaux
scientifiques par la prédication et de longues séances
au confessionnal. Sa famille religieuse le nomma visi-
teur, et par trois fois le choisit comme procureur général.
Cette charge l'amenait à Rome, où il se faisait avanta-
geusement connaître, si bien que Benoît XIV chercha à
l'y retenir, en lui proposant un poste de consultcur dans
les Congrégations romaines. Comme il se jugeait inutile
à la cour pontificale, il déclina toutes les offres et
rentra à Brescia. Il venait d'arriver à Rome pour la
troisième fois, en qualité de procureur, quand il apprit
que le sénat de Venise l'avait proposé au pape pour
l'archevêché d'Udine. Clément XIII voulut le consa-
crer lui-même, le 2 février 1766. Jean- Jérôme se rendit
sans retard à son poste, où il succédait à un parent,
qui avait marqué son passage par l'érection d'une
somptueuse bibliothèque, qu'il se plut à enrichir de
livres, de manuscrits et d'objets antiques. Pour lui, il
attacha son nom à la construction d'un nouveau sémi-
naire et à la fondation d'un hôpital qu'il institua son
héritier. Il reste un monument de son zèle épiscopal
dans les deux volumes intitulés : Cure paslorali di Gian
Gerolamo Gradenigo de' chierici regolari, veseovo di
Udinc, 2 in-4°, Udine, 1776; le icr contient ses discours
et le ii° ses mandements. Il venait de publier sa der-
nière lettre pastorale, quand Pie VI lui écrivait, le
8 avril 1786 : Dum igilur in débitas (ibi laudes gratula-
tionesque effundimur, non possumus non identidem
exclamarc : utinam talcs tuique similes episcopos, his
prœsertim lemporibus, in Ecclcsia haberemus quam-
plurimos. Cet éloge était la récompense d'une vie
entièrement consacrée aux devoirs de son état; elle
s'acheva, le 30 juin de la même année, et le pieux et
savant évêque fut enseveli dans sa cathédrale.
Il laissait de nombreux ouvrages dont voici les prin-
cipaux : Letlera istorico-critica sopra tre punti eoncer-
nenli la questione del probabilismo c probabiliorismo,
in-4°, Brescia, 1750; De nova S. Gregorii Magni editione
Venetiis procuranda dissertatio epistolaris, qui parut
pour la seconde fois, secundis curis retractaia et aucla,
Rome, 1753, à la suite de son autre ouvrage, S. Grego-
rius Magnus pontifex maximus a criminationibus
Casimiri Oudin vindicatus; elle fut encore insérée dans
le t. xvi de cette édition de Venise, 1768-1776, des
œuvres de saint Grégoire. On a encore de lui : Brixia
sacra. I'onlificum Brixianorum séries commentario hi-
slorico illuslrata..., accessit codicum mss. elenchus in
arehivo Brixiensis cathedralis asservalorum, in-4°, Bres-
cia, 1755; Raggionamento islorico-critico intorno alla
lettera.tu.ra greco-ilaliana, in-8°, Brescia, 1759, qui ren-
ferme aussi une lettre au cardinal Quirini, intorno
agi' Italiani che dal secolo xi in/ïn verso cdla fine del
secolo xiv seppero di greco, lettre qui avait déjà paru
à Venise, en 1744, à la suite d'un article du Giornale
de' letlerali de Florence; Tiara et purpura venela ab
anno 1379 ad annum 1759, in-4°, Brescia, 1761; la
première partie de cet ouvrage, consacré aux papes et
aux cardinaux vénitiens, est du cardinal Quirini, les
deux dernières de Gradenigo; De siclo argenleo Brixiœ
anno 1744 reperto in eu civitatis parle quam ducentos
anle annos Hebrœi incolabant, in-8°, Venise, 1765;
Rome, 1766. Plusieurs de ces ouvrages historiques ont
aussi trouvé place dans des collections d'opuscules dont
nous omettons l'indication.
Antoine François Vezzozi, Scriltori de' cherici regolari
detti theatini, Rome, 1780, part. I, p. 410-421; Joseph
Cappelletti, Le Chiese d' Italia, Venise, 1851, t. vin, p. 858;
Hurter, Nomenelatnr, Inspruck, 1912, t. v, col. 428-429.
P. Edouard d'Alençon.
GRADES THÉOLOGIQUES. On donne ce nom à
des titres honorifiques décernés au nom et de par l'au-
torité de l'Église, à ceux qui ont fait preuve, devant un
jury spécial, d'une certaine science. Ces titres confèrent
parfois certains droits ecclésiastiques.
Les grades actuels sont le baccalauréat, la licence, le
doctorat ou la maîtrise.
Ces grades sont d'origine relativement récente et
leurs plus anciennes traces ne semblent pas remonter
au delà de l'époque d' Irnérius et de la restauration des
études juridiques à Bologne à la fin du xie et au com-
mencement du xn"1 siècle. C'est le titre de docteur qui
est le plus ancien. Encore, à cette époque, était-il un
qualificatif de fonction plutôt qu'un qualificatif de
science : on disait doctor, comme on disait magisler ou
dominus, pour désigner celui qui enseignait réellement,
effectivement, qui instruisait des élèves. Pendant
longtemps le titre de docteur est le seul grade connu.
Voir Docteur, t. iv, col. 1501 sq.
Le baccalauréat n'est pas, à l'origine, un titre scien-
tifique; le nom de baccalarius, bachelier, apparaît au
ixc siècle pour désigner le possesseur d'une baccalaria,
parcelle de terre soumise au vasselage; plus tard, les
baccalarii sont de jeunes soldats qui aspirent à devenir
bannerets. Par analogie, sans doute, on donna le même
titre de baccalarii ou baccalaurei aux jeunes étudiants,
et ici, spécialement aux étudiants de théologie ou de
droit canonique qui avaient suffisamment avancé leurs
études pour pouvoir aspirer au doctorat. On en distin-
guait communément, mais à Paris surtout, deux caté-
gories, les baccedaurei cursores et les baccalaurei for-
mait. Les conditions d'accès étaient, au moyen âge,
assez variables : il fallait, en tout cas, un certain nombre
d'années d'études et de cours, de six à huit ans. Après
avoir entendu, le temps requis, les leçons d'un maître,
le candidat passait un examen dont le succès lui per-
mettait de faire sa determinalio, discussion de thèse qui
avait lieu en carême. Le minimum d'études requis
entre l'immatriculation de l'élève et la delerminatio
était d'environ deux ans. La determinalio honorable-
ment subie, le candidat recevait la prima laurea, le
droit de porter 4a cappa ronde et de faire lui-même des
leçons. Ces leçons consistaient soit à répéter aux étu-
diants moins bien doués ou d'instruction inférieure les
leçons du maître, soit à expliquer les livres dont le
maître ne s'occupait pas. En théologie, on commençait
par être baccalaureus biblicus, faisant des leçons sur
l'Écriture sainte, puis on devenait baccalaureus senlcn-
tiarius en expliquant les libri Senlenliarum de Pierre
Lombard. Ceux qui en étaient encore à ce premier
degré du baccalauréat étaient dits baccalaurei cursores
ou currcnles, parce qu'ils continuaient de courir comme
leurs cadets aux leçons des maîtres. Ils devenaient
baccalaurei formait quand ils expliquaient le 1. III des
Sentences. Les statuts de l'université de Paris obli-
geaient le bachelier à répondre au moins une fois, entre
le premier cours et les leçons sur les Sentences, à
l'examen de la tentative sous la direction d'un maître.
Plus tard, on réserva le titre de bachelier formé à ceux
MIS!»
GRADES THÉOLOGIQUES — GRAFF
1690
qui avaient enseigné pendant quatre ans la théologie
scolastique. Au xvme siècle et depuis quelque temps
déjà, les bacheliers n'enseignaient plus la théologie, ni
les autres sciences. Schmalzgrueber n'en fait plus état
dans sa définition du bachelier : Veniunt baccalau-
reorum nomine Mi, qui sui in scientia profectus primum
lestimonium publicum sunt conseculi; il ajoute, d'après
le canoniste Mandosi (vers 1554), qu'en Italie on ne
requiert plus le baccalauréat comme préliminaire au
doctorat. Jus ecclesiasiic, t. v, p. 220, in lit. De magi-
slris, §1, n. 1. Après le baccalauréat, l'étudiant conti-
nuait de travailler afin de se préparer à la licence.
La licence était moins un grade qu'un examen de
passage. C'était l'état du baccaluureus formatus qui,
après un certain supplément de travail, avait demandé
la licenlia docendi au chancelier, le permis d'enseigner
en son nom propre et non plus sous l'immédiate direc-
tion d'un maître, et de recevoir le doctorat. De fait, le
droit d'enseigner n'était pas réservé exclusivement aux
docteurs, et l'on vit, à Bologne même, le juriste Aldric
enseigner avec grand succès sans être docteur. Mais
c'est là un exemple un peu exceptionnel. D'ordinaire,
la licence n'était pas à proprement parler un grade.
Voici, en efïet,la définition qu'en donne encore Schmalz-
grueber : Licenlicdi ila dicti a licentiaquœ in hoc gradu
concedilur promoto, ut, qiiandociimque velit, possit ascen-
dere ad gradum docloris vel magistri... Veniunt hoc
nomine illi quibus collata est licenlia, seu facilitas gradum
supremum seu matjislerium, docloralum, in aliqua
Jacullaie, cum volueriul, capessendi. Ibid., n. 2. Ce serait
seulement à partir du xvii° siècle que, pour éviter les
frais du doctorat, beaucoup de candidats se seraient
bornés à la licence.
Ces grades ne peuvent être conférés es sciences cano-
niques et pour valoir au point de vue de la discipline
ecclésiastique que de par l'autorité de l'Église, qui
seule a compétence pour examiner et apprécier la
doctrine. Historiquement, toutefois, il est possible que
des universités de simple érection royale ou impériale
aient délivré valablement ces diplômes. Aujourd'hui,
la discipline est très ferme, l'Église n'a point reconnu
les grades délivrés par les facultés de théologie recon-
stituées par la seule autorité civile de l'État en France,
et elle ne confère qu'à des universités ou à des sémi-
naires qui dépendent d'elle le droit d'accorder ces
grades.
De plus, elle impose la profession de foi à tous ceux
qui sont promus à un grade académique. Pie IV, bulle
In sacrosancta, 13 novembre 1564.
Mais, comme compensation, elle accorde aux gradués
certains privilèges. On a indiqué déjà, voir Docteur,
les privilèges du gracie suprême; les autres en ont reçu
aussi quelques-uns. Le concordat de 151(3 entre Léon X
et François Ier faisait, dans la collation des bénéfices,
une part de faveur aux baccalaurci formati de théo-
logie, et à tous les gradués accordait une préférence
dans la collation des bénéfices. Mais, en général, les
textes ne parlent que des licenciés et des docteurs. Aux
églises cathédrales on devra promouvoir des licenciés
ou des docteurs, concile de Trente, sess. xxu, c. n,
De reform.; licenciés et docteurs seront préférés pour
les dignités et fonctions d'écolàtre, sess. xxm, c. xvm,
De reform.; aux licenciés et docteurs seront autant que
possible réservées toutes les dignités et la moitié au
moins des canonicats dans les cathédrales et dans les
collégiales insignes, sess. xxiv, c. xn, De reform.: le
chanoine pénitencier sera licencié ou docteur, ibid.,
c. vm ; docteurs ou licenciés seront les archidiacres,
ibid., c. xn ; licencié ou docteur, le vicaire capitulaire;
licenciés ou docteurs, les examinateurs synodaux, ibid.,
c. xvm. D'ailleurs l'enseignement affirmait assez com-
munément que les licenciés jouissaient de tous les
droits et privilèges des docteurs, et ce pour une raison
qu'énonce ainsi Schmalzgrueber : ... quodjura illael pri-
vilégia docloribiis compelant non ratione solemnilalis adhi-
bitse in promotione, sed ratione excellenlis doctrinee, quie
per examina manifcstalur, et per licentiee concessionem
légitime approbalur; in promotione autem, cum ea absque
novo cxperimcnlo fiai, non creseil, nec magis apparct. Ce
que le docte auteur conclut ainsi : dicendum licentialos
jure doclorum censeri in favorabilibus, non ve.ro in odio-
sis : conscqucnler, admillendos ad dignitates, bénéficia et
officia ad quse admitlunlur doclorcs, nisi expresse requi-
ralur promolionis qualitas. Loc. cit., n. 35 et 36.
Voir Smalzgrueber, op. cit. ; Reilïenstuel, Jus canonicum,
l.V Décret., in tit. v, De magistris, et les commentateurs des
Décrétales, à ce titre; P. Hinschius, Das Kirchenrecht, t. iv,
p. 650, 689; Du Cange, Glossarium média' et infimo- Intini-
tatis, au mot Baccalarius, etc.; Kirchenlexikon, au mot Uni-
versitât; Realencyclopàdie, ibid.; Catholic encgclopedia, au
mot Arts ; Thurot, De l'organisation et de l'enseignement dans
l'université de Paris au moyen âge, Paris, 1850; H. Denifle,
Die Univcrsitâten des Mitlelalters, Berlin, 1885.
A. Villien.
GRADI Etienne, issu d'une famille noble de Raguse,
fut abbé de Saint-Cosme et Saint-Damien et préfet de
la bibliothèque Vaticane sous Alexandre VIL En 1664,
il accompagna à Paris le cardinal Chigi, envoyé par le
susdit pontife son oncle, pour terminer les difficultés
survenues entre les deux cours. Il mourut à Rome, le
2 mai 1683, âgé de soixante-dix ans. On a de lui des
poésies latines éditées à part, comme le De laudibus
reipubliciv Veneise et cladibus palriœ suœ carmen,
Venise, 1675, ou bien dans les recueils, par exemple,
Fcstinalio bealœ. Virginis Elisabclam invisentis, latine,
grsece, oralorie ac poelice pertractata a Slcphano Gradio
Ragusino, Oclavio Cusano Mediolancnsi, Francesco
Maria Rho Mediolancnsi, in-4°, Rome, 1631; et les
Seplem virorum illuslrium poemata, Amsterdam, 1672;
des discours : Oratio de eligendo summo pontifice sede
vacante posl obitum Alexandri VII, in-4°, Rome, 1667;
Amsterdam, 1672; In fiincrc Cœsaris Rasponi S. R. E.
cardinalis, in-1", Rome, 1676. Il publia, sous le nom
de Marini Statilii, une Responsio ad Joli. Chrisloph.
Wagenselii et Hadriani Valesii dissertationes de Tragu-
riensi Pelronii fragmento, in-8", Paris, 1666; Amster-
dam, 1670. Il donna à son compatriote, Jean Lucius de
Trau, Appiani Alexandrini romanorum hisloriarum
île bello illijrico liber c grœco-latinc reddilus, qui parut
avec l'ouvrage de Lucius De regno Dalmatiœ et Croatia-,
Amsterdam, 1668. Le cardinal Mai a édité dans le
t. vi b de la Nova Patrum bibliotheca, Rome, 1853, le
commencement d'une I.eonis Allatii vila, dont il avait
retrouvé le manuscrit. Voir t. i, col. 830. Son dernier
travail fut la Dispulalio de opinione probabili cum
P. Honorato Fabri Socielatis Jcsu theologo, in-4°, Rome,
1678; Malines, 1679. Cette discussion n'est point écrite,
comme le dit Hurter, contre le Pitanophilus de Fabri,
Rome, 1659, mais contre V Apologeticus doclrinœ mora-
lis Socielatis Jesu, Lyon, 1670, voir t. v, col. 2052, et à
la suite de controverses entre eux au sein de la S. C.
de l'Index, dont Gradi était consulteur, au sujet de la
Theologia moralis de Vincent Baron. Voir t. n, col. 425.
Il y prend la défense de Baron et de Fagnan, voir t. v,
coi. 2067, contre les attaques de Fabri. On lui attribue
aussi des Dissertationes phijsico-malhcmalicœ, Amster-
dam, 1680.
Sébastien Dolci, Fasli lillcrario-ragusini, Venise, 1767;
Hurter, Nomenclator, Inspruck, 1910, t. iv, col. 613-614.
P. Edouard d'Alençon.
GRAFF Gabriel, jésuite hongrois, né à Pribor,
le 20 mars 1696, entra au noviciat de la province
d'Autriche à l'âge de 17 ans; après avoir élé appliqué
à l'enseignement des mathématiques et s'être fait
remarquer par son esprit généralisateur, il occupa
une des chaires de philosophie à Tyrnau, puis la
1691
GRAFF — GRANCOLAS
1692
chaire de théologie dogmatique à Kaschau. C'était
l'époque où Jacques Facciolati menait vigoureusement
la lutte contre la philosophie spéculative et répandait
parmi la jeunesse universitaire ses théories spécieuses
sur l'enseignement de la philosophie purement histo-
rique. Le P. Gabriel Grafl fut chargé de réfuter le.
sophismes du dangereux novateur. Il publia dans ce
but son Problema philosophicum orbis literali judicio
proposilum, édité aux frais de l'université de Kaschau,
1731, ouvrage d'une sobre érudition, mais qui met
bien en relief, à la lumière des principes, la nécessité
d'une doctrine philosophique, et pratiquement de la
doctrine aristotélicienne, l'n appendice résume métho-
diquement tout ce qui pouvait avoir trait alors à
l'histoire du philosophe de Stagire et à la critique de
son œuvre. Le P. Grafî a laissé en outre dans son
Thésaurus Ecclcsiœ Chrisli per jiibihrum infidèles
dispensari solilus, Kaschau, 1735, une série de thèses
sur le péché, la grâce et le mérite. Après avoir été
recteur des collèges de Tyrnau et de Bude, il fut
nommé censeur des livres et directeur de l'imprimerie
universitaire de Kaschau et mourut dans celte ville,
le 21 avril 1759, en grande réputation de sainteté.
Sommervogel, Bibliothèque de lu C'e de Jésus, t. m,
col. 1058; Hurtcr, Nomenclalor, 3>' édit., Inspruck, 1907,
t. m, col. 739.
P. Bernard.
GRAFFIIS (Jacques de), bénédictin, d'une noble
famille de Capoue, né vers 1548, mort à Naples le
19 octobre 1620. Entré dans l'ordre de saint Benoit,
il fit profession à Saint-Sévérin de Naples le 3 avril
1572. Docteur in utroque jure, il fut censeur des livres
et grand-pénitencier du diocèse de Naples. Il fut en
outre pendant quelques années maître des novices à
Saint-Georges-Ie-Grand de Venise. Jacques de Grafliis
refusa toujours les dignités ecclésiastiques : il dut
toutefois accepter le titre d'abbé titulaire que Paul V,
qui l'estimait pour sa vertu et sa doctrine, lui avait
accordé. Il publia les ouvrages suivants : Decisionum
aurearurn easuum conseienliœ pars I in IV libros
divisa, in-4°, Venise, 1591; une édition locupletata
et auela fut publiée en 1593; Decisionum aurearurn
pars II, tribus libris dislincta, in-4°, Venise, 1595;
autre édition aucta, purgata et cmendala, en 1611;
Appendix lam primi quam secundi tomi Decisionum
aurearurn in qua non solum mutin in prsedictis tomis
contenta exactius cl diligenlius explicantur ; sed eliam alia
plurima de psenitentia, et easuum reservatione, de indul-
genliis, de cxcommunicalione, d de electione, regimine
animarum, confessariis ac pœnitentibus admodum ulilia
et necessaria adducuntur, in-4°, Bologne, 1603; Addi-
lamcnta ad primum et secundam partem Decisionum
aurearurn, in quibus prœter ea quie alias venlilata et
discussa fucre graviter, nonnulla eliam nunc recenter
prioribus auclarii vice apposita et quœdam pariter plane
nova pertractata accesseru.nl, in-4°, Venise, 1610; Consi-
liorum sive responsorum easuum conscicnliw t. i libris
quinque juxla Decrelalium numerum et ordinem dislri-
butorum, 2 in-4°, Venise, 1610; Practica quinque easuum
summo ponlifici reservalorum juxla dccrclum démen-
tis VIII cl eliam reservalorum episcopis et archiepi-
scopis Ilaliœ, et ctiam interprclalio undecim easuum
prselcdis rcgularibus reservalorum, m- A", Naples, 1609;
De arbitrariis confessariorum quœ atlinent ad casum
conseienliœ libri duo, in-4°, Naples, 1613. Jacques de
Grafliis publia en outre : Sermones spiriluales lotius
anni, in-4°, Venise, 1595. Tous ces ouvrages eurent plu-
sieurs éditions. Parmi les manuscrits qu'il laissait se
trouvait un traité De potestate papse que PaulVordonna
de déposer à la bibliothèque Vaticane.
Armcllini, Bibliotheca benedictino-casinensis, in-fol., Assise,
1731, part. II, p. 4; Ziegelbaucr, Ilisloria rei literariie
untinis S. Denedicti, t. iv, p. 13G, ICI, 249; [dom François],
Bibliothèque générale des écrivains de l'ordre de saint Benoit,
t. i, p. 112; Ilurter, Nomcnelator, 1907, t. m, col. 600-601.
B. Heurtebize.
GRANADO Jacques, théologien espagnol, né à
Cadix en 1574, admis au noviciat de la Compagnie de
Jésus à Montilla en 1589. Professeur de philosophie
au collège de Saint-Herménégilde à Séville, il exerça
une grande influence sur les esprits par la largeur de
ses conceptions et la sagesse de ses conclusions. On lui
confia bientôt après la chaire de théologie et il ne
tarda pas à attirer sur lui l'attention des théologiens
de son temps par son traité magistral sur l'immaculée
conception de Marie : De immaculata B. V. Dei Geni-
trieis M. conceplione, sive de singulari illius immu-
nilide ab originali peccato per Jesu Chrisli filii ejus
cumulatissimam redemptionem, Séville, 1617. Le grand
ouvrage qui a fondé sa réputation est son commentaire
de la Somme de saint Thomas, remarquable par la
profondeur de la doctrine et la lucidité de la méthode :
Commcnlarii in Summum thcologiœ S. Thomœ, 8 in-fol.,
dont les trois premiers parurent à Séville, 1623-1629,
et les cinq autres à Grenade, 1633. Le dernier tome
ci m tient une table des matières et des textes scriptu-
raires fort précieux pour les recherches. Les trois
premiers volumes ont été réimprimés à Pont-à-Mousson
en 1624. Devenu recteur de Séville, le P. Granado fut
nommé procureur général de sa province à Rome,
qualificateur du Saint-Office et mourut recteur de
Grenade le 5 janvier 1632, avant d'avoir pu mener à
bonne fin l'impression de ses commentaires. Son oraison
funèbre prononcée par le P. Georges Hemelman se
trouve en tète du volume : In IIP" partem, Grenade,
1633. La sainteté de sa vie excita partout l'admiration;
sa mortification rappelle celle des grands pénitents.
Séville garda longtemps le souvenir de son héroïque
charité lors des débordements du Guadalquivir. Ce
fut le P. Jacques Granado qui introduisit à Séville
l'usage de célébrer, par une octave solennelle, la fête
du Corpus Chrisli. Alegambe, dans sa Bibliothèque,
p. 366, le juge digne d'être mis au nombre des hommes
les plus éminents de la Compagnie.
Sommervogel, Bibliothèque de la C" de Jésus, t. m,
col. 1666 sq.; Hurter, Nomenclalor, 3e édit., Inspruck, 1907,
t. m, col. 664 sq. ; Nieremberg, Firrnamento religioso, p. 616-
627; François de Soto, A la piadosa memoria del vénérable
P. Diego Granado, Séville, 1632; Hemelman, Panegyricus
funebris in obitum P. Granati, en tête du t. iv des Com-
menlarii de Granado; Cordara, Historia Socielatis Jesu,
part. IV, p. 650.
P. Bernard.
GRANCOLAS Jean, théologien et liturgiste, né vers
1660, mort subitement à Paris le 1er août 1732. Doc-
teur en Sorbonne en 1685, il devint chapelain du duc
d'Orléans, frère de Louis XIV, dont il prononça l'orai-
son funèbre publiée à Paris, in-4°, 1701. Il fit ensuite
partie du clergé de l'église Saint-Benoît de Paris. Très
versé dans l'étude de l'antiquité chrétienne, il est l'au-
teur de nombreux ouvrages qui, pour la plupart, mal-
gré la rudesse du style, et un défaut d'ordre réel, sont
encore fort recherchés par les érudits. Grancolas a
publié : Traité de l'antiquité des cérémonies des sacre-
ments, in-12, Paris, 1692; De l'inlinclion ou de la cou-
tume de tremper le pain consacré dans le vin, in-12, Paris,
1692; Le quiétisme contraire à la doctrine des sacrements,
avec l'histoire cllaréjutcdionde celte hérésie, in-12, Paris,
1693 ; à cet écrit il faut joindre : Lettre de M. Grancolas,
docteur en théologie de la faculté de Paris, pour se justifier
du reproche injuste que lui fait un auteur d'avoir dit le
pape Innocent XI suspect de quiétisme, Journal des sa-
vants, mai 1720, p. 506; Instructions sur la religion
tirées de l'Écriture sainte, in-12, Paris, 1693; La science
des confesseurs, ou la manière d'administrer le sacrement
de pénitence, in-12, Paris, 1696; Histoire de la commu-
1693
GRANCOLAS — GRANDE-BRETAGNE ET IRLANDE
1694
nion sous une seule espèce avec un traité de la concomi-
tance, ou de la présence du corps cl du sang de Jésus-
Chrisl sous une seule espèce, in- 1 2, Paris, 1696; L'an-
cienne discipline de l'Église sur la confession, et sur les
pratiques les plus importantes de la pénitence, in-12,
Paris, 1697 ; Heures sacrées, ou l'exercice du chrétien ]>our
entendre la messe et pour approcher des sacrements, tiré
de l'Écriture sainte, in-12, Paris, 1(197: La tradition de
l'Église sur le péché originel et sur la réprobation des
enfants morts sans baptême, in-12, Paris, 1698; L'an-
cien pénilcnliel de l'Église, ou les pénitences que l'on im-
posait autrefois pour chaque péché et les devoirs de tous
les états tl professions prescrits par les saints Pères et par
les conciles, in-12, Paris, 1698; Le traité des liturgies ou
1 1 manière dont on a dit la sainte messe dans chaque siècle
dans les Églises d'Orient et d'Occident, in-8n, Paris, 1698;
L'ancien sacramenlaire de l'Église où sont toutes les an-
ciennes pratiques qui s'observaient dans l'administration
des sacrements chez les grecs et les latins, 2 in-8°, Paris,
1698-1699; Traité de la messe et de l'office divin où l'on
trouve une explication littérale des anciennes pratiques
et des cérémonies de l'Église, in-12, Paris, 1713; Disser-
tations sur les messes quotidiennes et sur la confession,
in-12, Paris, 1715; Les catéchèses de saint Cyrille de
Jérusalem avec des notes cl des dissertations dogmatiques,
in-4°, Paris, 1715; Le bréviaire des laïques, ou l'office
divin abrégé, in-12, Paris, 1715; Critique abrégée des ou-
vrages des auteurs ecclésiastiques, 2 in-12, Paris, 1716;
Instructions sur le jubilé, avec des résolutions de plusieurs
cas sur celle matière, in-12, Paris, 1722; Commentaire
historique sur le bréviaire romain avec les usages des
autres Églises particulières et principalement de V Église
de Paris, 2 in-12, Paris, 1727; dans un chapitre l'auteur
y expose un projet d'un nouveau bréviaire; cet ouvrage
de Grancolas justement estimé malgré quelques idées
singulières fut traduit en latin, in-4°, Venise, 1734;
L' Imitation de Jésus-Christ, traduction nouvelle, avec
des réflexions cl des prières ci la fin de chaque chapitre, des
notes cl l'ordinaire de la messe, latin-français, et une dis-
sertation sur l'auteur de ce livre, in-12, Paris, 1729 : l'au-
teur de l' Imitation pourrait être le franciscain Huber-
tin de Casale; Histoire abrégée de l'Eglise, de la ville cl
de l'université de Paris, 2 in-12, Paris, 1728 : ouvrage
qui fut supprimé à la demande du cardinal de Noailles.
Après la mort de Grancolas fut publié : Liturgie an-
cienne et moderne, ou instructions historiques sur l'insti-
tution des prières et des fêles de l'Église, in-12, Paris,
1752.
Nouvelles ecclésiastiques, 6 septembre 1732; Journal des
savants, 2 avril 1G96, 20 mai, 8 juillet, 16 septembre 1097,
3 et 17 mai 1700, 7 mars 1701, avril 1713, p. 428, mars 1716,
p. 248; Supplément pour les mois mai-août lT2S,p.dOO; Dupin,
Bibliothèque des auteurs ecclésiastiques du XVIIe siècle, suite
de la Ve partie, in-8°, Paris, 1719, p. 335; Moréri, Diction-
naire historique, t. v b, p. 327; Walcb, Bibliotheca Iheolagica,
in-8», Iéna, 1762, t. m, p. 399, 698, 709; Picot, Mémoires
pour servir èi l'histoire ecclésiastique pendant le XVIll" siècle,
in-8°, Paris, 1853, t. H, p. 459; Quérard, La France littéraire,
t. m, p. 444; dom Guéranger, Institutions liturgiques, 2° édit.,
in-8°, Paris, 1880, t. il, p. 113, 225, 233, 357; P. Féret, La
/acuité de théologie de Paris et ses docteurs les plus célèbres.
Époque moderne, Paris, 1911, t. vu, p. 28-36; Hurler,
Nomenclator, 1910, t. iv, col. 1317-1319.
B. Heurtebize.
GRANDERATH Théodore, théologien allemand,
né à Giesenkirchen, province rhénane, le 19 juin 1839,
fit ses études au gymnase de Neuss et pendant un an
suivit les cours de la faculté de théologie deTubingue.
Admis au noviciat de la Compagnie de Jésus le 3 avril
1860 à Munster en Westphalie, il se distingua au cours
de ses études philosophiques par la pénétration de
son esprit et l'étendue de son savoir. En 1874, il est
chargé de l'enseignement du droit canonique au sco-
lasticat de Ditton Hall, en Angleterre, puis pendant
onze ans, de 1876 à 1887, de l'enseignement de la
théologie et de l'apologétique. Entre temps il publia
dans les Slimmcn d'importants articles sur les évèques,
t. vi, p. 53-71; sur l'élection du pape, t. vi, p. 401-415;
t. vu, p. 139-156; sur les gouvernements et l'élection
pontificale, t. vm, p. 36-53, 180-196, 389-408; t. ix,
p. 117-137; sur l'étendue de l'infaillibilité pontificale
d'après le décret du concile du Vatican et quelques
documents inédits, t. xxxviii, p. 49-69, 162-183. Dans
la Zeilschri/t fur kutholischc Théologie d'Inspruck
parurent plusieurs dissertations savantes qui mirent
en relief l'étendue de son savoir et la sûreté de sa
doctrine, notamment sur la controverse relative à la
filiation divine, t. v, p. 283-319; t. vu, p. 492-540,
593-638; sur la nécessité de la révélation, t. vi, p. 283-
318; sur l'existence des mystères, t. x, p. 497-511,
595-602; sur la valeur doctrinale des décrets des
Congrégations romaines, t. xix, p. 623-650. Il collabore
en outre au Kirchenlexikon, t. vi, col. 1442-1451,
Hdrcsie.
Après la mort du P. G. Schneemann, fondateur de
la Collectio lacensis, le P. Granderath fut appelé à
Exaeten, vers la fin de 1887, pour achever l'impression
du VIIe volume de la collection, qu'il enrichit d'im-
portants documents. Ce sont les Acla et décréta sacri
(ccumenici concilii Vaticani, Fribourg-en-Brisgau, 1890.
Il consacre désormais tous ses instants à réunir les
matériaux pour une histoire complète du concile du
Vatican. En 1892, paraissent les Constilutiones dog-
malicœ SS. cecumcnici concilii Vaticani ex ipsis ejus
aetis explicaUc alque illustrâtes, Fribourg-en-Brisgau.
L'année suivante, il va s'établir à Borne et Léon XIII
met à sa disposition sans nulle réserve tous les docu-
ments des archives Vaticanes. Professeur d'apologé-
tique à l'université grégorienne en 1897-1898, il
s'acharne à sa tâche plus que jamais. Dans les derniers
mois de 1901, deux volumes étaient prêts pour l'im-
pression et le troisième à peu près rédigé, quand la
maladie due à un excès de travail obligea le P. Gran-
derath à quitter tout travail et à reprendre le chemin
de l'Allemagne. Il ne tarda pas à succomber à Val-
kenberg le 19 mars 1902. L'histoire du concile du
Vatican fut éditée par le P. Conrad Kirch qui avait
aidé l'auteur dans ses travaux et fait les dernières
collations de documents aux archives romaines.
L'ouvrage parut sous ce titre : Geschichle des Vatica-
nischen Concils von seiner erslen Ankilndigung bis zu
seiner Verlagung nach den authentischen Dokumenten,
Fribourg-en-Brisgau, 1903-1906. Le ior volume con-
sacré aux préliminaires du concile est plus complet
que l'ouvrage de Cecconi; les deux derniers volumes
contiennent les discussions de l'assemblée; pour la
première fois les Actes complets se trouvent utilisés,
surtout les discours prononcés dans les congrégations
générales. Tous les documents de premier ordre relatifs
à l'agitation des esprits en dehors du concile ont été
mis soigneusement à contribution. L'ouvrage est de
première valeur. Une traduction française : Histoire
du concile du Vatican a paru à Bruxelles, 1907-1910.
Hurter, Nomenclator, 3- édit., Inspruck, 1913, t. v,
col. 1988 sq. ; Lauchert, Biographiscbcs Jalirbuch, Berlin,
1904, t. vu, p. 265.
P. Bernard.
GRANDE BRETAGNE ET IRLANDE. On étu-
diera successivement : I. la situation du catholicisme
depuis la Béformation; II. les publications catholiques
sur les sciences sacrées.
I. GRANDE-BRETAGNE ET IRLANDE. SITUATION
RELIGIEUSE. — Il est nécessaire de traiter séparément
des trois pays, Angleterre, Ecosse et Irlande.
I. Angleterre. — 1° Sous Henri VIII et ses deux
premiers successeurs. — Au moment de la séparation
î.ior.
GRANDE-BRETAGNE ET IRLANDE
um
d'avec Rome, l'Angleterre était divisée au point de vue
ecclésiastique en deux provinces, celle de Cantorbéry,
dont l'archevêque avait le titre de primat, avec seize
diocèses sufïragants, et celle d'York, avec deux suf-
fragants. L'épiscopat était loyalement attaché au Saint-
Siège, et si l'hérésie de AYiclef avait laissé certains
ferments de révolte dans les esprits, ces ferments
n'auraient pas suffi à séparer l'Angleterre de Rome
s'ils n'avaient été habilement mis en œuvre par
Henri VIII et ceux qui vinrent après lui. Comme nous
l'avons dit plus haut, voir t. i, col. 1281, le roi n'avait
d'autre dessein que d'enlever l'Angleterre à la juri-
diction de Rome, tout en conservant la doctrine
catholique, et il persécuta ceux qui pensaient autre-
ment que lui, tant ceux qui voulaient rester fidèles au
pape que ceux qui avaient des tendances calvinistes
et luthériennes. A la fin de son règne, très peu de ses
sujets étaient satisfaits de l'état de choses établi.
Beaucoup étaient en complète sympathie avec les
réformateurs allemands, tandis que la grande majorité
désirait revenir à l'obédience du pape. Sous les deux
règnes suivants, ces deux partis eurent l'ascendant
l'un après l'autre. Avec le jeune Edouard VI, tout ce
qui restait du papisme fut aboli, et tous les biens
ecclésiastiques qu'Henri VIII avait épargnés furent
confisqués, tandis que les évoques qui avaient conservé
un esprit plus catholique, comme Gardiner et Bonner,
furent envoyés à la Tour. Les violences qui accom-
pagnèrent ces mesures provoquèrent une réaction, de
sorte que, quand Marie monta sur le trône en 1553, elle
avait avec elle tout le peuple d'Angleterre pour le
rétablissement de la religion catholique. A la demande
du parlement, l'absolution fut accordée à la nation
par le cardinal Pôle le 30 novembre 1554, et le catho-
licisme redevint la religion d'État.
2° Sous Elisabeth et Jacques ICT. — Mais bientôt, le
17 novembre 1558, la reine et le cardinal mouraient
à quelques heures d'intervalle, et un des premiers
soins d'Elisabeth fut de détruire tout ce qui avait été
fait sous le règne précédent. Les deux premières lois
qu'elle arracha à son parlement furent l'Acte de supré-
matie et l'Acte de conformité. Le premier obligeait
tous ses sujets à la reconnaître comme « le seul suprême
gouverneur de ce royaume aussi bien dans les causes
spirituelles et ecclésiastiques que dans les temporelles; »
l'autre imposait l'usage dans toutes les églises du
second Pruijer book d'Edouard VI, et ordonnait à tous
les laïques d'assister à cet office dans les églises parois-
siales les dimanches et fêtes. Tous les évêques refusèrent
d'accepter ces lois, sauf un, Kitchen, évêque de Llan-
daff, qui put ainsi conserver son siège, tandis que les
autres étaient dépossédés; la moitié du clergé suivit
les évêques; quant aux laïques, ils se soumirent en ma-
jorité, tout comme ils avaient accepté les changements
faits à la religion sous Henri VIII, sous Edouard VI et
sous Marie. Il n'entre pas dans notre sujet de raconter
comment Elisabeth se procura de nouveaux évêques,
mais il est bon de remarquer que c'est ainsi que l'Église
officielle d'Angleterre devint un département de l'État.
Les évêques sont nommés par la couronne, et l'élection
par les chapitres n'est qu'une comédie. Le roi envoie
aux chanoines le « congé d'élire », mais il a soin d'en-
voyer en même temps le nom de celui qu'il faut élire.
De même les convocations ou assemblées ecclésiastiques
des deux provinces ne peuvent traiter les questions de
leur ressort avant d'avoir reçu du roi des « lettres
d'affaires ». Le roi est l'arbitre souverain dans toutes
les causes qui intéressent la foi et les mœurs, et ses
décisions, données par son conseil privé, sont irré-
formables.
A partir de ce moment, les catholiques ne purent
exercer leur culte qu'en cachette, au risque des peines
les plus sévères. Beaucoup d'entre eux crurent pouvoir
transiger avec leur conscience; ils assistaient aux
services schismaliques avec plus ou moins de régularité,
tout en protestant qu'ils ne faisaient qu'obéir à une
loi civile, et ils saisissaient toutes les occasions d'aller
à la messe célébrée par les prêtres restés fidèles, dont
un grand nombre était demeuré dans le pays. Elisabeth
et ses conseillers fermaient les yeux, dans l'espoir qu'à
mesure que les anciens prêtres disparaîtraient, les
laïques embrasseraient facilement la nouvelle religion.
Mais c'était une erreur. Les catholiques commencèrent
bientôt à mieux comprendre leur devoir, et la dimi-
nution du nombre des prêtres fit songer au moyen de
recruter un clergé suffisant.
C'est alors (1568) que William Allen, depuis cardinal,
fonda le séminaire de Douai, le premier de ces collèges
qui pendant de longues années furent une pépinière
d'apôtres et de martyrs pour les lies Britanniques.
Elisabeth vit avec déplaisir les nombreux missionnaires
qui furent envoyés en Angleterre, et sauvèrent l'ortho-
doxie parmi les catholiques; la bulle par laquelle saint
Pie V déliait ses sujets du serment de fidélité mit le
comble à sa colère, et les sévérités contre les catho-
liques redoublèrent.
Dans le désarroi causé par le changement de religion,
l'Église catholique en Angleterre était gouvernée direc-
tement par le Saint-Siège, mais à cause de la distance,
chaque missionnaire faisait à peu près ce qui lui sem-
blait bon. Il en résultait de graves inconvénients, d'au-
tant plus qu'il y avait des dissensions entre les mis-
sionnaires. Tout cela faisait désirer un supérieur demeu-
rant dans le pays, et beaucoup demandaient un évêque.
Goldwell, le dernier évêque catholique de Saint-Asaph,
qui résidait à Rome, obtint du pape la permission de se
rendre en Angleterre, mais il mourut en chemin. Il fut
question alors de nommer deux évêques, mais le car-
dinal Allen, à l'avis duquel se rangea le jésuite Persons,
fit prévaloir l'avis de déléguer un simple prêtre avec des
pouvoirs extraordinaires. En 1598, Clément VIII, après
avoir recueilli les votes du clergé anglais, nomma
Georges Blackwell, auquel fut donné le titre d'archi-
prêtre. Un chapitre de douze prêtres assistants lui fut
adjoint, et le pays divisé en douze circuits, à la tète de
chacun desquels était un de ces prêtres. L'essai ne fut
pas heureux. Cette organisation nouvelle rencontra une
forte opposition, et il n'y eut que trois archiprêtres.
En 1623, Grégoire XV accorda aux catholiques anglais
un évêque, dans la personne de Guillaume Bishop, qui
mourut l'année suivante.
Pendant ce temps Jacques Ier avait succédé à Eli-
sabeth en 1603, et les catholiques crurent pouvoir
espérer du fils de Marie Stuart un traitement plus
bénin, mais ils furent cruellement déçus. Les lois
pénales furent renouvelées, les prêtres bannis du
royaume, et les catholiques reçurent la défense d'en-
voyer leurs enfants à l'étranger pour faire leur édu-
cation, et d'avoir pour eux des écoles en Angleterre.
3° Sous Charles /cr et les autres Sluarls. — Charles Ier
n'était pas persécuteur; il aurait volontiers laissé les
catholiques tranquilles, et en 1625 un successeur fut
donné à Bishop, qui se nommait Richard Smith. Mais
Charles avait compté sans son parlement, qui était
tout à fait protestant; on a remarqué que les rigueurs
exercées contre les catholiques coïncidèrent avec les
sessions du parlement. Un bon nombre de prêtres et de
laïques furent mis à mort. L'évêque Smith dès 1628
avait été obligé de se retirer en France, où il mourut
en 1655. De là il gouvernait l'Église d'Angleterre par
l'intermédiaire d'un chapitre de dix-neuf chanoines
fondé par son prédécesseur, chapitre qui continua à
exercer une certaine juridiction en Angleterre pendant
trente ans après la mort de Smith, jusqu'à ce que
quatre vicaires apostoliques fussent nommés par le
Saint-Siège.
<<3-
l-H
a
M
Z
w
w
z
0
<
H
I
W
Q
z
0
<:
M
Q
W
g'
Un
en
<
-W
_)
U
u
w
CD
«
U
z
O
aï
eu
1697
GRANDE-BRETAGNE ET IRLANDE
|l,!)S
La persécution fit rage après la décapitation de
Charles Ier jusqu'à la mort de Cromwell. Charles II
eut d'abord la pensée de tolérer les catholiques, et de
leur permettre l'exercice de leur culte dans les maisons
particulières, mais il céda devant l'intransigeance du
parlement, et les lois pénales furent de nouveau mises
en vigueur. Plusieurs catholiques furent mis à mort
sous ce règne, entre autres le vénérable Olivier Plunkett,
archevêque d'Armagh, qui fut exécuté à Tyburn en
1681. Son sang fut le dernier versé pour la religion en
Angleterre. Depuis Henri VIII, trois cent quarante-
deux martyrs avaient scellé leur foi de leur sang.
Sous Jacques II, qui était catholique, l'exercice de
la religion n'eut plus aucune entrave, et le Saint-Siège
divisa l'Angleterre en quatre districts, à la tète de
chacun desquels il mit un vicaire apostolique. Le roi
favorisait ses coreligionnaires de tout son pouvoir,
mais son zèle mal réglé, que Rome même trouvait
intempestif, lui aliéna le cœur de ses sujets, et son court
règne de trois ans finit par la révolution de 1688.
4° De la révolution à la fin du \ixe siècle. — Le règne
de Guillaume III s'ouvrit par le Bill oj righls, d'après
lequel aucun prince catholique ou marié à une catho-
lique ne pouvait régner en Angleterre, et afin d'obvier
à toute fraude, le souverain fut obligé de faire publi-
quement à son couronnement et devant tout le parle-
ment une déclaration que le parlement de Charles II
avait exigée de tous ceux qui recevaient une charge
Cependant un esprit de tolérance commençait à pré-
valoir, à cause surtout des progrès de l'indifférence
religieuse au xvmc siècle. En 1778, une première loi
fut votée, qui allégeait un peu le joug des catholiques;
elle fut complétée, en 1791, par une autre loi qui pres-
crivait aux catholiques un serment de fidélité compa-
tible avec leur conscience. En retour, ils étaient dis-
pensés du serment de suprématie; plusieurs de leurs
incapacités légales étaient abolies, et on tolérait leurs
écoles et leur culte.
La Révolution française eut un bon résultat pour
le catholicisme dans les Iles Rritanniqucs. Les collèges
fermés sur le continent furent rouverts en Angleterre;
les communautés religieuses fondées à r étranger ren-
trèrent dans leur pays, et les prêtres français émigrés
— il y en eut plus de 8 000 — contribuèrent à l'exten-
sion de la religion tant par l'exemple de leur pieuse vie
que par leurs travaux apostoliques.
Enfin les catholiques anglais furent à peu près com-
plètement émancipés en 1829, grâce à l'agitation exci-
tée et entretenue en Irlande par O'Connell. En 1840,
Grégoire XVI porta le nombre des vicaires aposto-
liques de quatre à huit, et dix ans plus tard Pie IX
rétablissait la hiérarchie. L'Angleterre fut érigée en
province ecclésiastique, composée du siège métropo-
litain de Westminster et de douze évêchés sufïragants ;
des dédoublements portèrent dans la suite ce nombre
à quinze.
DIOCESES
I. Westminster
Northampton
Nottingham
Portsmouth
Southwark
II. Birmingham
Clifton
Menevia
Newport
Plymouth
Slirewsbury
III. Liverpool
Hexham et Newcastlc.
Leeds
Middlesbrough
Salford
Total
PRÊTRES
séculiers réguliers
391
66
88
90
271
206
58
27
13
71
79
316
208
157
75
251
:400
ISO
20
47
208
319
107
73
00
49
55
12
141
49
35
37
80
1472
ÉGLISES
ÉCOLES
et chapel.
publiques
second.
192
76
77
12
98
13
101
32
222
78
153
32
71
19
48
9
76
4
77
18
60
12
185
29
148
11
116
10
68
11
145
21
1 837
387
5 929
332
576
1 838
5 077
1 036
839
110
383
451
3 300
880
822
1 027
1 529
24 129
ECOLES
primaires
1 183
ÉLÈVES
117
34 401
25
3 584
47
8 004
53
6 320
110
20 894
122
26 576
30
3 718
16
2 090
1 1
13 446
28
»
43
11 558
181
80 000
114
40 592
67
25 658
45
10 874
141
55 757
POPULATION
CATHOLIQUE
343 472
256 200
14 899
37 000
51 388
150 000
85 000
20 750
9 987
59 890
23 000
58 641
371 767
200 787
119 281
51 856
295 000
1 805 446
civile ou militaire, afin d'écarter les papistes. Par cette
déclaration le souverain niait la transsubstantiation et
déclarait que « l'invocation de la Vierge Marie ou de
tout autre saint, ainsi que le sacrifice de la messe,
suivant l'usage actuel de l'Eglise de Rome, sont super-
stitieux et idolâtres. » Puis, par différentes lois, les
catholiques fuient frappés de beaucoup d'incapacités
légales qu'il serait trop long d'énumérer; la plus exor-
bitante fut celle qui le. empêchait de recevoir des
terres en héritage ou de les acheter, à moins de renier
leur foi; s'ils refusaient de le faire, leur propriété
pendant leur vie passait à leur plus proche paient
protestant. En même temps tous les prêtres étaient
frappés d'emprisonnement à vie, et s'ils étaient con-
vaincus d'avoir dit la messe, celui qui les dénonçait
recevait une récompense de cent livres. Ces lois exor-
bitantes furent mises en force dans beaucoup de cas.
D1CT. DK TIIÉOL. CATIIOL.
5° /•'/(// actuel de l'Église catholique en Angleterre. —
En 191 1, Pie X a divisé l'Angleterre en trois provinces
ecclésiastiques.
La province de Westminster se compose de l'arche-
vêché de Westminster, avec les quatre évêchés suf-
fragants de Northampton, Nottingham, Portsmouth
et Southwark.
La province de Birmingham se compose de l'arche-
vêché de Birmingham, avec les cinq évêchés sufïragants
de Clifton, Newport, Plymouth, Slirewsbury, et Mene-
via dans le pays de Galles.
La province de Liverpool se compose de l'archevêché
de Liverpool, avec les quatre évêchés sufïragants
d'Hexham et Newcastle, Leeds, Middlesbrough et
Salford.
Le tableau ci-dessus donne la statistique générale.
Il faut remarquer que le nombre extraordinaire des
VI. - .',1
1G99
(, MANDE-BRETAGNE ET IRLANDE
1700
prêtres réguliers dans les deux diocèses de Portsmouth
et de Soulhwark est dû (en 1914) à la présence d'un
grand nombre de religieux exilés de France.
Tous ces chiffres sont extraits du Catltolic dircclory
pour l'année 1914. Pour les diocèses où il y a des chiffres
ronds, le nombre des catholiques n'est qu'approxi-
matif.
L'archevêque de Westminster a en quelque sorte la
dignité de primat sans en avoir le titre. D'après la
constitution du 28 octobre 1911, c'est lui qui préside
les assemblées des évoques d'Angleterre, et qui les
convoque; c'est lui qui représente ses frères dans l'épis-
copat dans les relations avec le gouvernement civil,
toutefois après avoir demandé leur avis, qu'il est obligé
de suivre; il a de plus le droit d'user du pallium et de
faire porter la croix devant lui dans toute l'Angleterre.
La nomination des évêques se fait de la manière
suivante. Lorsqu'un siège est vacant, le chapitre se
réunit, et désigne au scrutin secret trois candidats,
dont les noms sont transmis par ordre alphabétique à
l'assemblée des évêques. Ceux-ci font parvenir à Rome
les noms désignés par les chanoines, en y ajoutant leurs
réflexions sur les candidats, souvent même ils ajoutent
un quatrième nom. C'est d'après ces données que le
Saint-Siège fait te choix définitif; mais il arrive parfois
que le pape choisisse en dehors des noms proposés soit
par le chapitre, soit par les évêques.
Chaque diocèse possède maintenant un chapitre
dont les vacances sont remplies par le pape lorsqu'elles
se produisent en certains mois, et dans les autres,
alternativement par l'évèque et le chapitre, mais dans
ce dernier cas les chanoines se bornent à proposer trois
noms que l'évèque transmet au pape. La nomination
du prévôt appartient toujours au souverain pontife.
Les chanoines n'ont pas l'office canonial quotidien; la
plupart sont à la tête d'une mission, et ils se réunissent
une lois par mois, récitent au chœur l'office de tierce,
assistent à la messe capitulairc et tiennent leur réunion.
En souvenir des anciens chapitres monastiques qui
existaient dans plusieurs cathédrales d'Angleterre, le
chapitre du diocèse de Newport est toujours composé
de bénédictins; l'évèque lui-même appartient à cet
ordre.
L'évèque est assisté d'un vicaire général qui est
presque partout chargé d'une mission, et membre
du chapitre; il y a aussi dans chaque diocèse des
vicaires forains ou doyens, qui président les conférences
ecclésiastiques, et jouissent des pouvoirs qu'il plaît à
l'évèque de leur donner.
Il n'y a pas en Angleterre de paroisses proprement
dites; les diocèses sont divisés en missions qui, après
tout, diffèrent à peine des paroisses ordinaires. Beau-
coup de ces missions sont confiées à des religieux, qui
sont nommés après entente entre les évêques et les
supérieurs réguliers.
Le clergé anglais ne reçoit aucun salaire du gouver-
nement pour le ministère paroissial. Chaque diocèse
possède un fonds destiné au traitement de l'évèque, à
l'ouverture de nouvelles missions, aux subventions
qu'il peut être nécessaire de donner aux prêtres; ce
fonds est entretenu par des donations et des legs.
Lorsqu'une mission a été fondée, si un revenu ne lui a
pas été assigné par le fondateur, le clergé qui en est
chargé n'a d'autres ressources que la charité des fidèles
pour son entretien et l'entretien de la mission. Les
aumônes des fidèles se recueillent de cinq manières
approuvées par le quatrième concile de Westminster :
1° la location des bancs et chaises; 2° le droit d'entrée,
perçu à la porte, de ceux qui n'ont pas loué de places;
3° les quêtes faites à l'église; 4° les quêtes extraordi-
naires; 5° les quêtes à domicile. Les prêtres sont
soumis à un contrôle assez sévère pour l'emploi des
sommes ainsi recueillies.
Les possesseurs légaux des biens ecclésiastiques sont
toujours des trusts ou sociétés civiles composées d'un
nombre plus ou moins grand de membres qui donnent
toutes les garanties désirables; on évite ainsi les droits
considérables de mutation qui se produiraient à la
mort de chaque évêque.
L'éducation en Angleterre est réglementée par la loi
de 1902. D'après cette loi, l'éducation tant primaire
que secondaire est confiée aux conseils de comté poul-
ies comtés, aux conseils de ville pour les villes. Ces
conseils sont soumis pour les matières d'éducation au
Bureau central de V instruction, qui exerce un certain
contrôle en envoyant ses inspecteurs dans les écoles, et
en prononçant en dernier ressort sur les difficultés
locales qui pourraient s'élever. Par ailleurs, les conseils
sont les maîtres, et ils exercent leur autorité au moyen
d'un comité d'éducation nommé par eux, et pris en
partie parmi leurs membres, en partie parmi les asso-
ciations techniques, y compris les associations des
écoles libres. Le gouvernement fournit les trois quarts
des dépenses.
Ce qui intéresse les catholiques, c'est que sous cette
loi les écoles libres peuvent être incorporées. Pour cela,
le gouvernement demande aux administrateurs de ces
écoles : 1 . de fournir gratuitement le terrain et les
bâtiments; 2. de les tenir en bon état, cependant le
conseil prend à sa charge les réparations exigées par
l'usure quotidienne; 3. de faire toutes les améliorations
demandées par l'autorité; 4. de se soumettre aux règle-
ments et aux exigences de la loi.
En somme, les possesseurs des écoles libres en
demeurent propriétaires; ils gardent aussi l'adminis-
tration de leurs écoles, sauf à accepter deux adminis-
trateurs sur six, nommés par le comité du conseil; ils
peuvent y faire donner l'instruction religieuse de leur
choix, mais seulement au commencement et à la fin
des classes, aux enfants que leurs parents n'auront pas
retirés. Pour tout le reste, l'école est semblable aux
écoles publiques, mômes programmes, même ensei-
gnement, mêmes inspecteurs, mêmes subventions, c'est-
à-dire que l'État paie les trois quarts de; dépenses,
tandis que l'autre quart est payé par l'autorité locale.
Quant à l'engagement ou au renvoi des maîtres et
maîtresses, il est soumis au veto de l'autorité locale, qui
ne peut l'exercer que pour des raisons d'ordre pro-
fessionnel.
Opposition peut être faite à l'ouverture d'une école
libre, si elle est déclarée non utile par l'autorité locale,
ou par les administrateurs des autres écoles de l'endroit,
ou par dix contribuables. En ce cas, c'est le Conseil de
l'instruction publique qui décide si l'école est utile ou
non.
Presque toutes les écoles catholiques d'Angleterre
vivent et fleurissent sous ce régime vraiment libéral.
Ceci ne veut pas dire que le régime soit parfait; il y a
toujours possibilité d'abus, et les journaux catholiques
rapportent de temps en temps des exemples d'injus-
tices commises par les autorités locales, et non réparées
par le Bureau central. Pour obvier autant cjue possible
à ces inconvénients, les évêques d'Angleterre et d'Ecosse
ont établi un conseil catholique d'éducation composé
de quatre-vingt-quinze membres, qui représente offi-
ciellement les évêques et la communauté catholique.
Ce conseil est reconnu par le gouvernement, comme
ayant pouvoir d'agir dans les difficultés qui peinent
s'élever entre les administrateurs des écoles et le
Bureau d'éducation.
Ce conseil s'occupe aussi du recrutement du personnel
enseignant, au moyen d'écoles normales. Il y a une
école normale pour les instituteurs, confiée aux prêtres
de la Mission, et sept pour les institutrices, dont une
en Ecosse, dirigées par des religieuses de différentes
congrégations. La disproportion s'explique par ce fait
1701
GRANDE-BRETAGNE ET IRLANDE
1702
que dans la plupart des écoles l'enseignement est donné
par des femmes, et ces écoles sont presque toujours
mixtes.
L'enseignement secondaire catholique est très flo-
rissant en Angleterre. Il y a un grand nombre de
collèges tenus soit par des prêtres séculiers, soit par
des religieux, soit même par des laïques ; quelques-uns
d'entre eux peuvent rivaliser avec les plus célèbres
collèges anglais. Quant aux pensionnats de jeunes
filles, le nombre en dépasse deux cents. Les religieuses
du Saint-Enfant-Jésus ont ouvert à Londres une école
normale secondaire où les maîtresses peuvent se pré-
parer aux examens pour le diplôme conféré par l'uni-
versité de Cambridge; beaucoup de religieuses de dif-
férents ordres vont y passer l'année d'études néces-
saire, bien que ce diplôme ne soit pas requis dans
renseignement secondaire, qui est entièrement libre.
Il n'y a pas d'université catholique en Angleterre.
Pendant longtemps, les laïques déplorèrent l'impossi-
bilité où ils étaient de donner à leurs fils l'éducation
supérieure qui les mettrait à la hauteur de leurs conci-
toyens, mais les statuts des universités s'y opposaient,
car à Oxford tous les étudiants, et à Cambridge tous
ceux qui se présentaient aux grades universitaires
devaient prêter le serment de suprématie royale, et
signer les trente-neuf articles. Vers le milieu du xixe siè-
cle, cette obligation fut supprimée; alors quelques
jeunes catholiques commencèrent à fréquenter les
universités, et même en 1861 un terrain fut acheté à
Oxford, où Newman devait établir un Oratoire. Mais
devant l'opposition soulevée par Manning et Ward, il
dut renoncer à son projet, et Rome, sollicitée d'inter-
dire aux catholiques la fréquentation des universités,
se contenta de traiter la chose suivant les règles de la
théologie à propos de l'occasion prochaine de pécher;
de fréquentes dispenses étaient données par les évèques
et par Rome même, à des jeunes gens qui donnaient
toutes les garanties de résistance à l'atmosphère pro-
lestante et même irréligieuse d'Oxford et de Cam-
bridge. Après la mort de Manning, le cardinal Vaughan,
son successeur, vit qu'il serait préférable de donner
une permission définitive, et, de concert avec les autres
évoques, il présenta au Saint-Siège une pétition des
laïques à cet effet. La permission fut accordée en 1895,
pourvu que les précautions nécessaires fussent prises
pour sauvegarder la foi des étudiants. Les jeunes
catholiques qui vont aux universités ne sont point
réunis dans un collège spécial, mais ils ont un aumônier
qui les réunit dans une chapelle où ils remplissent
leurs devoirs religieux, et où des conférences leur sont
données par divers prédicateurs. Un comité, présidé par
un évèque, s'occupe de recueillir les fonds nécessaires,
de nommer l'aumônier et d'inviter les conférenciers.
On a fondé à Cambridge et à Oxford des maisons
pour les ecclésiastiques qui désirent prendre les grades ;
certains ordres religieux ont aussi des maisons afin
d'assurer cette facilité à leurs jeunes sujets, les béné-
dictins à Oxford et à Cambridge, les jésuites et les
capucins à Oxford. Les sœurs du Saint-Enfant-Jésus
ont aussi ouvert à Oxford une maison où les religieuses
des différents ordres peuvent se préparer aux grades.
Il y a pour la formation du clergé divers séminaires,
dont les principaux sont Ushaw, Oscott, St. Edmund's
et Wonersh; à l'étranger, le collège anglais à Rome, et
des collèges à Lisbonne et à Valladolid. Un séminaire
pour les missions étrangères a aussi été fondé par le
cardinal Vaughan.
Les catholiques en Angleterre ont un certain nombre
d'hôpitaux; ils ont aussi des orphelinats, des écoles
pour les sourds-muets et les aveugles, et des maisons de
correction. De plus, ceux qui sont dans les institutions
publiques analogues ont toute liberté de pratiquer
leur religion. Les administrateurs des workhouses ou
dépôts de mendicité et des asiles d'aliénés peuvent
nommer et payer des aumôniers catholiques, et en
pratique cela se fait partout. Les aumôniers des prisons
sont nommés par le ministère de l'intérieur et reçoivent
un traitement convenable. Il y a aussi une quinzaine
d'aumôniers militaires et une vingtaine d'aumôniers
de la marine avec traitements fixes, tandis qu'environ
cent trente prêtres sont rétribués suivant les services
qu'ils rendent.
En somme, les catholiques jouissent d'une grande
liberté en Angleterre; ils sont cependant encore frappés
de quelques incapacités légales. Le Bill of righls, d'après
lequel le souverain ne peut ni être catholique ni épouser
une catholique, est toujours en vigueur, mais la décla-
ration blasphématoire que cette loi lui imposait a été
abolie en 1911 grâce à la fermeté de Georges V; main-
tenant le souverain se contente de déclarer qu'il pro-
fesse « la religion protestante établie par la loi. » On
croit généralement que, d'après l'acte d'émancipation
de 1829, aucun catholique ne peut être lord chance-
lier d'Angleterre ni lord lieutenant d'Islande, mais il
paraît que la loi peut être entendue d'une autre manière.
Enfin les ordres religieux n'ont pas d'existence légale
en Angleterre, mais la tolérance dont ils jouissent
équivaut à une liberté complète, sauf qu'ils ne peuvent
posséder en tant qu'ordres religieux. Leurs propriétés,
comme les biens ecclésiastiques dont il a été parlé plus
haut, sont gérées par des trusts, ou sociétés civiles. Les
prêtres catholiques ne peuvent faire partie de la
Chambre des Communes; mais ceci est à peine une
incapacité, car les clergymen anglicans sont dans le
même cas, tandis que les ministres dissidents peuvent
être élus députés.
La presse catholique n'est représentée par aucun
journal quotidien; les principaux journaux hebdo-
madaires sont le Tablet, le Catholic Times et l'Universe.
Les deux principales revues catholiques sont la Dublin
rcvieiv et le Month.
Outre les grandes associations internationales, comme
la Propagation de la foi, la Sainte-Enfance, la Société
de Saint- Vincent de Paul, qui sont florissantes en
Angleterre, les catholiques anglais ont établi un certain
nombre d'œuvres de doctrine et de bienfaisance, dont
les principales sont : la Catholic Association; son but
est d'établir des relations sociales entre catholiques,
et de promouvoir les intérêts catholiques par tous les
moyens possibles. La Catholic truth Society qui a pour
but la publication de livres et brochures à bon marché,
capables d'affermir les catholiques dans la foi, et de
dissiper les préjugés et erreurs des protestants. La
Société de Saint- Anselme, qui fait examiner par ses
comités les livres non catholiques, afin de signaler ceux
qui peuvent être lus sans danger pour la foi ou les
mœurs. La Catholic young men's Society, qui compte
environ 22 000 membres et a 197 branches, est quelque
chose comme l'Association de la jeunesse catholique
en France. Presque toutes les missions ont des clubs
pour les hommes, les jeunes gens et les enfants; de plus,
il faut citer la Catholic boy's brigade, dans laquelle les
jeunes garçons de quatorze à dix-sept ans sont orga-
nisés en bataillons et reçoivent une formation semi-
militaire, et les Catholic boy-scouts. La Catholic Union
of Grcat Britain s'applique à promouvoir les intérêts
catholiques de toutes les manières possibles.
II. Ecosse. — 1° Depuis la Réformation jusqu'au
rétablissement de la hiérarchie. — L'Ecosse demeura
catholique jusqu'en 1560, et à ce moment le pays
comprenait deux provinces ecclésiastiques, celle de
St. Andrews, composée du siège archiépiscopal et de
si\ évèchés suflïagants, et celle de Glasgow, qui possé-
dait quatre évèchés outre le siège archiépiscopal. Le
sort des catholiques d Ecosse suivit celui des catho-
liques anglais, sauf que la persécution fut plus intense;
170c
GRANDE-BRETAGNE ET IRLANDE
de sorte que nous n'avons pas à entrer dans les détails.
Le dernier évèque écossais fut le cardinal Beaton,
archevêque de Glasgow, qui mourut à Paris en 1603;
déjà les catholiques d'Ecosse avaient été mis sous la
juridiction de l'archiprètre d'Angleterre (1598). Le
premier vicaire apostolique anglais étendit sa juridic-
tion sur l'Ecosse, mais ce pays fut bientôt mis sous la
juridiction de préfets apostoliques, de 1629 à 1694.
En 1694, Innocent XII nomma un vicaire apostolique,
et en 1727, Benoît XIII divisa le pays en deux vicariats
qui furent portés à trois par Léon XII en 1827. A cette
époque, le nombre des catholiques était d'environ
70 000, et ce nombre s'accrut rapidement à la suite
de l'Acte d'émancipation de 1829, qui s'appliqua à
l'Ecosse aussi bien qu'à l'Angleterre.
2° Depuis le rétablissement de la hiérarchie jusqu'à
nos jours (1914). — En 1878, Léon XIII rétablit la
hiérarchie ecclésiastique en Ecosse. Il y a maintenant
dans ce pays deux archevêchés, celui de St. Andrews
et Edimbourg, avec quatre évêchés sufïragants, et celui
de Glasgow, qui n'a pas de suffragants. Voici les statis-
tiques que nous avons pu nous procurer (1913-1914) :
persécution commença en Irlande. L'archevêque de
Cashel et l'évêque de Mayo furent torturés, et le pays
ravagé en grande partie. Mais à cette époque les Irlan-
dais avaient des chefs qui les excitaient à la révolte, et
ils étaient capables de traiter d'égal à égal avec le
pouvoir royal. Sous Jacques Ier, la persécution devint
plus violente. Le clergé reçut l'ordre de sortir du pays ;
on poursuivit les prêtres qui restaient, et il y eut de;
martyrs. L'Acte de suprématie fut remis en vigueur, et
dans l'Ulster, les propriétaires furent chassés et leurs
biens livres à des protestants anglais et à des presby-
tériens écossais, Ce système continua sous Charles Ier
et sous le gouvernement qui lui succéda, Cromwell
s'empara de l'Irlande, et y établit ce système des Land-
lords dont le pays soulîre encore. Les catholiques res-
pirèrent un peu sous Charles II, bien que les injustices
dont ils avaient été victimes fussent loin d'être réparées ;
le court règne de Jacques II ne put rien changer à leur
uiuation.
GuillaumelII fit de belles promesses aux catholiques,
mais le parlement irlandais refusa de les ratifier, et fit
au contraire de nouvelles lois pénales. Les catholiques
DIOCÈSES
PRÊ1
séculiers
RES
réguliers
ÉGLISES
ET
CHAPELLES
ÉCOLES
PRIMAIRES
ÉLÈVES
POPULATION
CATHOLIQUE
St. Andrews et Én'ii-
BOURG
Argjll
Dunkeld
Total '
1
80
47
29
38
31
246
13
28
17
2
46
93
63
45
37
56
133
50
19
32
15
26
97
11 868
2 085
2 004
5 218
3 245
58 940
63 000
12 000
12 500
33 000
18 469
380 000
471
106
427
239
83 360
518 969
Le nombre approximatif des catholiques en Ecosse
est de 518 969. Comme on le voit, près des quatre
cinquièmes de cette population appartient au diocèse
de Glasgow, et il faut ajouter que 90 ou 95 pour cent
de ces catholiques sont irlandais ou d'origine irlandaise.
L'organisation de l'Église en Ecosse est la mémo
qu'en Angleterre; nous n'avons pas, par conséquent, à
répéter ce que nous avons dit au paragraphe précédent.
11 y a en Ecosse deux séminaires pour la formation du
clergé, l'un à Blairs, près d'Aberdeen, l'autre à Kilpa-
trick, près de Glasgow. De plus, il y a un collège
écossais à Rome, et un autre à Valladolid; un certain
nombre de séminaristes écossais reçoivent leur for-
mation en France dans divers séminaires, aux frais des
t fondations écossaises ».
111. Irlande. — 1" Dci>uis la Réformation jusqu'à
l'émancipation des catholiques. - — La hiérarchie n'a
jamais été éteinte en Irlande. En 1541, Henri VII 1
parvint à rassembler un parlement à Dublin composé
d'Anglo- Irlandais et d'Irlandais qui lui donna le titre
de roi et imposa à l'Irlande l'Acte de suprématie qui
reconnaissait le rci comme chef de l'Église. Mais ni le
clergé, ni le peuple ne se soumirent, et Henri ne put
que supprimer les monastères comme il l'avait fait en
Angleterre. Plusieurs membres de ces communautés
payèrent leur fidélité de leur vie, les autres fuient
expulsés et demeurèrent sans ressources. Edouard VI
ne réussit pas mieux à faire l'Irlande protestante, cl à
la lin du règne de Marie le pays tout entier était encore
catholique.
Elisabeth tout d'abord n'appliqua ni l'Acte de supré-
matie, ni l'Acte de conformité, mais après son excom-
munication par saint Pie V, elle devint furieuse, et la
furent exclus du parlement, du barreau, de l'armée et
de la marine, de toutes les charges civiles, et des con-
seils municipaux. Ils ne pouvaient ni avoir d'écoles en
Irlande, ni fréquenter celles de l'étranger, ni hériter
d'aucune terre, ni prendre une propriété à bail; il leur
était interdit d'avoir des armes, et de posséder un che-
val valant plus de 125 francs. Ils ne pouvaient épouser
des protestants; si le fils d'un catholique devenait pro-
testant, il héritait de toute la propriété. Tous les reli-
gieux devaient quitter le royaume, aussi bien que les
évêques et les vicaires généraux; quant au clergé infé-
rieur, il pouvait rester, à condition d'être enregistré, et
il était défendu d'avoir des clochers ou des cloches aux
églises. Tels sont les principaux points de ce code pénal
qui a pesé sur l'Irlande pendant de longues années
sans pouvoir en faire un pays protestant.
Cependant le parlement irlandais, qui jusqu'alors
avait toujours cédé devant le parlement anglais, au
point de se laisser enlever le droit de légiférer pour
l'Irlande, commença à montrer un certain esprit d'in-
dépendance. Un parti nationaliste protestant se forma,
auquel les catholiques prêtèrent leur concours, et le
résultat fut que les lois pénales furent moins stricte
ment appliquées. En 1774, un serment d'allégeance
remplaça le serment de suprématie; en 1778, les catho-
liques furent autorisés à prendre des terres à bail; en
1782, ils reçurent la permission d'avoir des écoles, avec
l'autorisation de l'évêque protestant, et d'assister à la
messe sans être obligés de dénoncer le prêtre; les
évêques catholiques furent autorisés à rester dans le
royaume, et on cessa de récompenser les enfants des
catholiques quand ils devenaient protestants. En 1792,
ils purent avoir des écoles sans l'autorisation de l'évêque
1705
GRANDE-BRETAGNE ET IRLANDE
1706
protestant, ils furent admis au barreau, et les mariages
entre catholiques et protestants furent légalisés. En
1793, ils reçurent le droit de voter pour les élections
parlementaires et municipales, ils furent admis aux
universités et à toutes les charges civiles, sauf à quel-
ques charges supérieures; ils étaient encore exclus du
parlement, et ne pouvaient obtenir quelques-uns des
plus hauts grades militaires.
En 1795, une loi fut votée par le parlement irlandais
qui fondait le séminaire de Maynooth, afin de donner
l'éducation au jeune clergé que la Révolution française
avait chassé des séminaires du continent. Une somme
de 800 000 francs fut votée comme frais de construc-
tions, et pendant prés de cinquante ans la Chambre des
Communes en Angleterre vota une somme de 200 000 fr.
pour l'entretien de ce collège. Le parlement irlandais
fut supprimé en 1800, mais Grattan, bien que pro-
testant, continua à être le champion des catholiques au
parlement anglais, où il entra en 1805. Son but était
d'obtenir l'émancipation complète des catholiques, et
ce but fut enfin atteint, aussi bien pour l'Angleterre
que pour l'Irlande, en 1829, grâce aux efforts d' O'Con-
nell.
2° Étal actuel de l'Église catholique en Irlande. —
L'Irlande est divisée en quatre provinces ecclésias-
tiques : Armagh, avec huit suffragants ; Dublin, avec
trois suffragants; Cashel, avac huit sulïragants; Tuam,
avec cinq suffragants, ce qui donne un total de vingt-
huit diocèses. Le tableau suivant donne la statistique :
nairement l'évèque pour le diocèse, le curé pour la
paroisse, le supérieur pour les ordres religieux; les
églises ne paient pas d'impôts, non plus que les écoles.
Le gouvernement prête de l'argent à un taux peu élevé
aux prêtres catholiques comme aux ministres des
autres religions pour se bâtir des résidences, mais ces
résidences ne sont pas exemptes d'impôts, et ne sont
pas la propriété personnelle de celui qui les bâtit; elles
passent à ses successeurs.
En 1869, eut lieu la séparation de l'Église protestante
d'Irlande d'avec l'État; les catholiques furent ainsi
délivrés du fardeau que faisait peser sur eux la néces-
sité de payer la dime, mais en même temps l'allocation
accordée à Maynooth était supprimée, aussi bien que
celle que le gouvernement faisait aux presbytériens.
Comme compensation, une somme de près de 25 mil-
lions de francs fut votée pour être partagée entre les
catholiques et les presbytériens; ceux-ci reçurent deux
fois autant que les autres.
Les établissements publics ont des aumôniers catho-
liques comme en Angleterre, rétribués par le gouverne-
ment pour les prisons, par les autorités locales pour les
autres établissements. Les maisons de correction et les
écoles industrielles sont presque toutes en mains catho-
liques, mais elles doivent être approuvées par le gou-
vernement, et sont soumises à son inspection; elles
sont maintenues en partie par une allocation du gou-
vernement, et en partie par des impôts locaux.
L'éducation en Irlande est soumise à une législation
DIOCÈSES
Armagh
Meath
Ardagh
Clogher
Derry
Down et Connor
Diomore
Kilmore
Raphoe
Dublin
Kildare et Leighlin . .
Ferns
Ossory
Cashel et Emly. '. , . .
Cloyne
Cork
Kerry
Killaloe
Limerick
Ross
Waterford et Lismore.
Tuam
Achonry
Clonfert
Elphin
Galway
Killala
Total
CLERGÉ
POPULATION
PAROISSES
EGLISES
,- — «w-
^~- —
-,
- —
séculier
régulier
catholique
non catholiq.
55
156
149
39
150 033
84 921
66
144
155
12
132 892
10 272
41
75
101
4
100 819
8 512
40
87
109
6
101 162
57 178
39
80
114
»
125 387
97 118
60
116
147
21
156 693
514 573
18
42
51
4
43 014
71 187
42
90
104
»
109 319
24 447
26
52
80
»
97 515
27 364
76
193
315
299
428 533
115 274
49
164
133
18
130 377
18 791
41
92
113
20
99 208
9 603
41
96
108
11
83 519
6 029
46
84
117
17
111 185
4 659
47
103
136
»
132 518
9 386
35
70
130
74
171 575
25 183
51
99
121
11
199 948
6 123
57
143
142
18
127 012
6 866
48
94
115
54
111 170
6 853
11
22
28
»
31 801
3 026
39
76
115
46
114 494
6 823
56
123
143
7
193 768
4 194
22
41
51
»
80 553
2 242
24
46
48
26
41 162
1 782
33
86
100
4
125 743
7 661
30
53
58
24
70 576
1 931
22
39
39
»
61 876
3 576
1 115
2 466
3 022
715
3 331 852
1 135 574
Les diocèses sont divisés en paroisses; pour le reste,
l'organisation est à peu près semblable â celle de l'Église
catholique en Angleterre. Pour l'élection des évêques,
les curés prennent part au scrutin pour le choix des
trois noms qui sont soumis à l'assemblée des évêques de
la province. Douze diocèses n'ont pas de chapitre.
Les propriétaires des biens ecclésiastiques sont ordi-
spéciale. La loi de 1831 établissait un Conseil national
d'éducation, qui aurait la charge de l'instruction pu-
blique. D'abord, les catholiques n'eurent que deux
membres sur sept, et le résultat fut que l'enseignement
était entre des mains protestantes. Mais grâce à leurs
revendications, il fut statué en 1861 que le nombre
des membres du conseil serait élevé â vingt, dont la
1707
GRANDE-BRETAGNE ET IRLANDE
1708
moitié devaient être catholiques; l'un des deux secré-
taires est aussi catholique, de même que la moitié des
inspecteurs. Les écoles sont de deux sortes. Les unes
appartiennent à des sociétés composées ordinairement
du curé et de deux autres membres; dans ce cas, le gou-
vernement paie les deux tiers des frais de construction,
et les réparations sont à la charge des propriétaires. Les
autres sont la propriété du conseil, et alors le gouver-
nement paie les frais de construction et prend les
réparations à sa charge.
Les maîtres et maîtresses reçoivent leur salaire du
gouvernement. Quatre écoles normales les fournissent,
une appartient au conseil, deux sont catholiques, et la
quatrième dépend de l'archevêque protestant de Du-
blin. Beaucoup de ces écoles nationales sont tenues par
des religieux ou des religieuses. Il y en avait en 1901
8 569, avec 446 827 élèves catholiques et 155 382 pro-
testants. En outre, on comptait 97 écoles primaires
appartenant à des communautés catholiques, avec
14 891 élèves, et 471 autres écoles primaires, qui con-
tenaient 10 245 élèves catholiques contre 9 412 pro-
testants. Quant à l'enseignement secondaire, chaque
année l'intérêt de 25 millions de francs est consacré
à donner des prix et des bourses, ainsi que des alloca-
tions aux collèges, sans distinction de croyances, sui-
vant les résultats des examens. On comptait 510 de
ces établissements en 1901, avec 38 564 élèves, dont
25 647 catholiques.
Les catholiques d' Irlande ont pendant longtemps
réclamé une université qui leur permît d'avoir part à
l'enseignement supérieur sans sacrifier leurs croyances.
Trinity Collège à Dublin leur était bien ouvert, mais ils
ne pouvaient oublier que cette université avait été
précisément fondée pour être le boulevard du protes-
tantisme en Irlande. Ce n'est pas ici le lieu de raconter
l'essai malheureux tenté en 1854 avec l'aide de New-
man. En 1908, une université fut établie, sous le nom
d'université nationale d'Irlande, qui ne répond pas
complètement aux désirs des catholiques, mais qu'ils
ont cependant acceptée, parce que les influences catho-
liques y auront la prédominance. L'archevêque catho-
lique de Dublin en est le chancelier, et elle est composée
de trois collèges, l'un à Dublin, le second à Cork, et le
troisième à Galway.
Outre un certain nombre de séminaires diocésains,
les jeunes clercs reçoivent leur formation surtout au
collège de Saint-Patrick, à Maynooth, magnifique éta-
blissement, le plus grand séminaire du monde, qui con-
tient environ 600 étudiants. Il y a aussi le collège irlan-
dais de Paris, celui de Rome, et un autre à Sala-
manque. Le collège de Ail Hallows, près de Dublin,
forme des prêtres qui vont exercer le ministère dans les
pays où les Irlandais émigrent.
On a pu voir dans le tableau ci-dessus que le nombre
des religieux prêtres est considérable; presque tous les
ordres y sont représentés. Il faudrait citer aussi plu-
sieurs congrégations de frères qui donnent l'instruction
dans les écoles. Quant aux religieuses, elles sont innom-
brables. Les religieux ne desservent pas de paroisses
en Irlande.
La presse catholique est bien représentée en Irlande.
11 faut citer surtout le Frecman's journal et le Daily
indcpendcnl, journaux quotidiens de Dublin; Ylrish
lalholic et le Leader, hebdomadaires, et parmi les
revues, Ylrish monthly, rédigée par les jésuites, Ylrish
rosarij, par les dominicains, et enfin Ylrish ecclesias-
tical record et Ylrish theological quarterly, qui parais-
sent toutes deux à Maynooth.
Il n'existe pas d'étude historique proprement dite sur
l'organisation de l'Église dans les Iles Britanniques depuis
la Réformation. On pourra prendre pour guides les trois
articles England, Scotland, Ireland, dans Catholic encyclo-
pedia, 15 vol., Londres et New York, 1907-1912. Chacun de
ces articles donne une bibliographie très abondante. On
trouvera beaucoup de détails épars dans les ouvrages sui-
vants : la collection Calcndars of Slate papers, citée ù la fin
de l'article Anglicanisme ; Lingard, Ilislory o/ England,
jusqu'en 1GS9; Dodd, Cluirch hisiorg o/ England from lôOO
to 10SS, édit. Tierney, Londres, 1839; Flanagan, A hisiorg
oj the Churcli in England, jusqu'en 18f>0, Londres, 1857;
lîutler, Historical account of the laws respecling the Roman
catholics, Londres, 1795; Lilly et Wallis, A manual o/ the
laiv spccially af/ecting eatholics, Londres, 1893; et aussi une
suite de biographies et monographies parues de nos jours,
et qui font honneur à la génération actuelle des catholiques
anglais : E. Burton, The li/e and times o/ bishop Challoner,
Londres, 1909; B. Ward, The eue of catholic émancipation,
Londres, 1911-1912; The dawn o/ the catholic revival in
England, Londres, 1909; W. Ward, The life and times of
cardinal Wiseman, Londres, 1897; The life of John Henry
cardinal Newman, Londres, 1912; Purcell, Life of cardinal
Manning, Londres, 1896; Snead-Cox, The life of cardinal
Vaughan, Londres, 1910; Purcell et de Lisle, Life and
letters of Ambrose Phillips de Lisle, Londres, 1900. Ces
ouvrages parlent aussi des questions intéressant l'Ecosse
el l'Irlande, car la législation en tant qu'elle affectait les
catholiques était la même pour les trois pays. Pour l'état
actuel, voir The catholic directory, publié chaque année
pour l'Angleterre a Londres, pour l'Ecosse à Edimbourg,
et pour l'Irlande à Dublin.
II. GRANDE-BRETAGNE ET IRLANDE. Publications
catholiques sur les sciences caerces. — I. Période
celtique. II. Période anglo-saxonne. III. De la con-
quête normande au schisme d'Henri VIII. IV. Du
schisme d'Henri VIII à la fin du xvme siècle. V. Du
commencement du xixc siècle à nos jours.
I. Période celtique. — 1 ° Il est curieux de constater
que les plus anciens monuments qui nous restent de
l'activité littéraire des Celtes en matière de théologie
viennent d'un hérésiarque, Pelage, né probablement
en Bretagne de parents irlandais. Ce fut à Rome qu'il
professa ses erreurs sur la grâce, mais son hérésie fut
introduite en Bretagne par un certain Agricola, et s'y
répandit très vite. Son commentaire sur les Épîtres de
saint Paul y jouit longtemps, aussi bien qu'en Irlande,
d'une faveur exceptionnelle, et nous en avons encore
une traduction irlandaise; cependant le pélagianisme
n'infecta jamais l'Église d'Irlande.
Les Vies des saints irlandais, gallois et bretons sont
le produit le plus luxuriant de l'activité littéraire
celtique. Malheureusement on doit les appeler aussi
produits de l'imagination. Les Celtes ont toujours un
goût très vif pour le merveilleux, et les auteurs de ces
Vies, écrivant longtemps après la mort des personnages,
et ayant surtout un but d'édification, ne résistaient pas
au désir d'entasser sur leur héros tout ce qui pouvait
frapper les esprits et provoquer les cœurs à la véné-
ration et au zèle.
Toutefois tout n'est pas à rejeter dans ces pieux
romans; de patients travailleurs se sont acharnés à
démêler le vrai du faux, et sont arrivés à dégager
de récits légendaires des faits historiques. On y
trouve aussi de très appréciables renseignements
sur maints aspects du monachisme dans les pays
celtiques, en Irlande et en Ecosse aussi bien qu'en
Angleterre.
On croirait facilement qu'un pays si riche en monas-
tères a produit de nombreuses règles, d'autant plus
qu'à cette époque chaque monastère devait avoir sa
règle propre. Cependant il nous est resté très peu de
chose de cette littérature qui fut probablement abon-
dante. Nous rencontrons bien un certain nombre de
compositions qui portent le nom de règles, mais ces
compositions, écrites en vers irlandais, ne sauraient se
comparer aux « grandes règles orientales ou latines.
Elles sont beaucoup plus courtes que celles-ci, et encore
qu'elles fournissent incidemment des détails intéres-
sants sur l'organisation monastique, la composition de
l'office divin dans la liturgie celtique, la vie du cloître
1709
GRANDE-BRETAGNE ET IRLANDE
1710
ou les occupations des moines, elles ne consistent le
plus souvent qu'en des successions de sentences et
d'exhortations ascétiques, sans lien entre elles, et d'un
caractère assez différent de celles qui se rencontrent
dans les règles continentales. La versification a sans
doute été adoptée pour faciliter la fixation des préceptes
dans la mémoire du disciple; mais en revanche elle a dû,
par ses exigences tyranniques (car les règles de la poésie
irlandaise sont très compliquées), contrarier le maître
dans l'expression de sa pensée; puis elle l'a entraîné
souvent à des développements poétiques, vagues et
superflus, sans même préserver son œuvre des chances
d'interpolation. »
Nous ne citerons que celles de ces compositions qui
répondent mieux à ce que nous entendons par règlej
monastiques. La Règle en vers de saint Ailbe d'Emlij
([ vers 540), très probablement écrite par un des suc-
cesseurs du saint, se basant sur les enseignements de
son maître. Une courte règle en prose irlandaise, écrite
par saint Columba (f 597 ?) d'Iona pour des ermites.
La règle de saint Mochuta, ou Carthach de Rathin
( f 636). Enfin une règle écrite par Maelruain de
Tallaght (t 792 ?) pour les Culdées, espèces de cha-
noines réguliers.
Nous ne pouvons passer sous silence une règle célèbre
écrite en latin par saint Colomban (f 615). Bien que
composée à Luxeuil pour des moines gaulois, elle est
un monument du génie celtique, et porte l'empreinte
des traditions ascétiques et disciplinaires irlandaises.
Elle a considérablement influencé la Régula cujusdam
palris ad monachos, dont on ignore l'auteur, et on
retrouve son influence dans deux autres règles où elle
se mélange discrètement à l'élément bénédictin, la
Régula cujusdam patris ad virgines, que dom Gougaud
rattache, avec beaucoup de vraisemblance, au monas-
tère de Faremoutiers, qui reçut sa règle de saint Eus-
tase, successeur de saint Colomban à Luxeuil, au com-
mencement du vnc siècle. L'autre est la Régula Magistri
composée par un auteur inconnu à la fin du vne siècle
ou au commencement du vin0.
Les monastères bretons ne nous ont transmis aucune
règle écrite.
Tous ces monastères, aussi bien bretons qu'irlandais,
étaient des foyers de vie religieuse, où l'on priait, où l'on
menait une vie ascétique rigoureuse, mais aussi où l'on
se livrait avec ardeur et même passion aux travaux
intellectuels. On y cultivait, outre la langue nationale,
le grec et le latin, de manière à pouvoir lire non seu-
lement la Bible et les Pères, mais aussi les auteurs
profanes, dont les citations et les réminiscences émail-
lent les œuvres des écrivains celtes. Ils nous ont laissé
de nombreux ouvrages de grammaire, de dialectique,
de métrique, de géographie et d'astronomie.
Mais toute cette culture profane n'avait pour but,
en principe, que de rendre les esprits aptes à la leclio
divina, c'est-à-dire à l'étude de la pensée divine ren-
fermée dans son expression biblique et dans la tradi-
tion. C'est cette littérature purement ecclésiastique qui
doit nous occuper ici.
2° Écriture sainte. — Jusqu'au vie siècle, on cite la
Bible, en pays celtique, d'après des versions antérieures
à la Vulgate, surtout celles du type dit « européen ».
Au vie siècle, nous voyons la Vulgate prendre pied dans
les Iles Britanniques. Gildas la cite, et elle gagne du
terrain à mesure que les usages romains s'implantent
dans ces régions. Cependant les manuscrits du Nouveau
Testament ne contiennent pas un texte pur; la Vulgate
y est mélangée soit de textes appartenant à l'ancienne
version, soit de traductions offrant des particularités
proprement irlandaises, si bien que dans ces manuscrits
depuis le vne jusqu'au x° siècle, et même plus récents,
nous avons un texte spécial dont on trouve les témoins
même sur le continent. Pour l'Ancien Testament et
même les Epîtres de saint Paul, les manuscrits ont
presque complètement disparu.
Nous possédons aussi un nombre considérable de
gloses bibliques en vieil irlandais, mais aucune ne nous
est parvenue dans les autres idiomes celtiques. Il existe
aussi des commentaires soit en latin, soit en irlandais,
de divers livres de la Bible, surtout des Psaumes, qui
étaient d'un usage courant pour la prière liturgique et
la prière privée. Le seul livre de l'Ancien Testament en
dehors du Psautier, dont il subsiste un commentaire
d'origine irlandaise, est le livre dTsaïe, commenté par
Joseph le Scot, peut-être aussi le livre de Job. Il y a
divers travaux sur les Évangiles et les Épîtres de saint
Paul; et des fragments d'un commentaire sur l'Évan-
gile de saint Jean par Scot Érigène. La plupart de ces
travaux sont inédits.
La lecture des manuscrits irlandais montre aussi que
les auteurs de cette race se sont abondamment inspirés
des apocryphes.
3° La théologie. — Le principal représentant de la
théologie celtique est Jean Scot Érigène, voir t. v,
col. 401 sq. ; on peut citer aussi un certain Dungal,
défenseur de l'orthodoxie contre Claude, évèque de
Turin, qui repoussait le culte des images de la croix et
du Sauveur, comme aussi la pratique des pèlerinages et
l'invocation des saints. Deux ouvrages anonymes, le
De tribus habilaculis, attribué à saint Augustin, et le
De duodecim abusionibus sœculi, attribué successive-
ment à plusieurs auteurs, ont très probablement été
composés en Irlande. De ce que le commentaire de
Pelage était très lu en Irlande au vme siècle et au ixe,
on a conclu que son hérésie y était en faveur, mais tout
porte à croire que c'est là une opinion exagérée. Il ne
faut pas omettre de mentionner la littérature eschato-
logique, très abondante, où l'esprit celte a donné
carrière à sa passion pour le merveilleux.
4° Le droit canonique. — Nous trouvons dans les
pays celtiques deux sortes de collections canoniques, les
canons disciplinaires et les pénitentiels. Les uns et les
autres ont une importance considérable; en effet, ils
ne sont pas restés dans les Iles Britanniques, mais ils
ont pénétré sur le continent dans la seconde moitié
du vme siècle, et ont contribué puissamment à la
formation du droit cccléssiatique chez les Franc;, après
avoir été reçus avec faveur par les Anglo-Saxons eux-
mêmes.
Parmi les canons disciplinaires, nous trouvons d'abord
deux séries dont l'une remonte vraisemblablement au
temps de saint Patrice, tandis que l'autre fut proba-
blement élaborée au sein d'un ou de plusieurs synodes
irlandais du vne siècle. Outre ces canons procédant
directement de l'autorité ecclésiastique, nous rencon-
trons en Irlande plusieurs recueils d'origine non offi-
cielle, mais d'une grande importance à cause de la
vogue qu'ils eurent. Tout d'abord VHiberncnsis, com-
pilation de sentences et de textes répartis sans ordre
apparent en soixante-sept livres, subdivisés eux-mêmes
en un certain nombre de chapitres, sur tout ce qui
touche à la discipline chrétienne, à la vie religieuse, au
gouvernement des âmes. On attribue cette œuvre à
deux canonistes irlandais, Ruben, ou Rubin Mac
Conad, qui mourut en 725, et Cucumne ou Cuchuimne
le Sage, mort en 745, de sorte que la compilation
aurait été faite dans le premier quart du vme siècle.
Ces deux auteurs ont des tendances nettement « roma-
nistes »; ils ont à cœur de travailler à l'enracinement
des coutumes romaines récemment introduites dans
leur pays. Un caractère spécial de cette collection est
l'influence que la Bible a exercée sur son contenu. Lin
bon nombre des sentences et des lois qu'elle contient
sont tirées de la sainte Écriture, et les auteurs ont
même tenté d'acclimater en Occident plusieurs^insti-
tutions d'un caractère nettement mosaïque, tellesque
1711
GRANDE-BRETAGNE ET IRLANDE
1712
l'année jubilaire, la distinction entre les aliments purs
et impurs, etc. Le Liber ex lege Moysi est une brève
série de textes extraits du Pentateuque, faite en Irlande
au vmc siècle; il faut y ajouter les Canones Adamnani
qui comprennent des interdictions alimentaires, et une
petite collection sur les dîmes, De decimis et primogeni-
tis et primiiivis in lege. le tout d'inspiration hébraïque.
Les pénitentiels nous font connaître un régime sin-
gulier, qui prit naissance chez les Celtes, d'où il se
répandit chez les Anglo-Saxons et sur le continent.
C'est celui de la pénitence tarifée, suivant lequel une
pénitence en rapport avec la gravité de la faute est
imposée au pécheur par le ministre du sacrement
d'après des tarifs d'oeuvres satisfactoires contenus dans
des opuscules appelés pénitentiels. Pour les crimes les
plus graves : inceste, parricide, parjure, etc., ces tarifs
prescrivent soit l'exil, soit la réclusion dans un monas-
tère pendant un temps plus ou moins long; pour les
fautes d'une gravité moindre, la satisfaction consiste
en des jeûnes plus ou moins prolongés, des prières, des
flagellations, des aumônes. On y trouve aussi le sys-
tème des équivalences et commutations d'oeuvres satis-
factoires, qui portaient le nom d'arrea, du vieil irlan-
dais arra, équivalent, substitution. Un curieux traité
sur les arrea, rédigé en vieil irlandais vers le vme siècle,
donne ces arrea comme applicables aux âmes des tré-
passés.
Les plus anciens pénitentiels paraissent originaires
de la Bretagne celtique, comme l'indiquent leurs titres
et aussi plusieurs particularités de leur contenu. Ce
sont les Excerpla queedam de libro Davidis, les canons
du Synodus Aquilonalis Britanniœ, l'Altéra synodus
Luci Vicloriœ, la Prsefatio de pœnilenlia du pseudo-
Gildas, tous probablement du vie siècle, et les Canones
wallici, sans doute de la première moitié du vne. Le
plus ancien pénitentiel irlandais est un recueil du
vie siècle placé sous le nom d'un certain Vinniaus. Les
pénitentiels postérieurs, celui de Colomban et celui de
Cummian, ce dernier du vne ou du vme siècle, en pro-
cèdent largement.
5° On peut rattacher à l'histoire le livre De excidio
Britanniœ, composé par Gildas le Sage, personnage
énigmatique qui fut, dit-on, moine de Bangor et fon-
dateur du monastère de Bhuys en Bretagne. C'est une
invective continuelle contre le peuple breton, ses rois
et son clergé, un réquisitoire brutal évidemment exa-
géré.
Nous pourrions dresser une longue liste d'auteurs à
consulter, mais nous croyons préférable de renvoyer au
livre de dom Louis Gougaud, Les chrétientés celtiques,
Paris, 1911, ouvrage indispensable à quiconque désire
étudier ces questions. On y trouvera une biographie classifiée
très complète.
II. Période anglo-saxonne. — Nous n'avons pas
à raconter ici comment l'Église celte fut refoulée dans
le pays de Galles par les invasions anglo-saxonnes; les
grands monastères qui étaient en môme temps des
écoles de savoir demeurèrent dans ce pays, et plus tard,
lorsque les envahisseurs furent devenus chrétiens, nous
les voyons demander à ceux qu'ils avaient repoussés
la science dont ils étaient devenus avides. Les étudiants
saxons se pressaient dans les écoles celtiques, soit dans
le pays de Galles, soit en Irlande, où ils étaient si nom-
breux qu'Aldhelm, évêque de Sherborne, s'en plai-
gnait, car, disait-il, ils trouveraient d'aussi bons
maîtres en Angleterre. En effet, les moines romains qui
avaient converti les Anglo-Saxons furent pour eux des
éducateurs. Sous l'impulsion de saint Augustin et de
ses successeurs, ainsi que des évêques des autres sièges
et d'abbés comme Benoît Biscop, des écoles furent
fondées en différents endroits, qui rivalisèrent avec les
écoles celtes.
Un nom éclipse tous les autres pendant cette période,
c'est celui de Bèdc. Cet humble moine, qui aurait pu
être original, ne voulut pas l'être; il se contenta de
n'être qu'un compilateur intelligent, pensant qu'il
était plus utile de sauver la pensée des autres à une
époque où toutes les traditions classiques et littéraires
étaient menacées de périr. Il fut comme une sorte de
réservoir de toutes les connaissances antérieures, et ce
fut grâce à lui que le flambeau de la science se ralluma
dans l'école d'York qu'il fonda, et illumina le continent
où il fut porté par Alcuin. S'il ne peut prétendre au
premier rang comme exégète et théologien, par son
histoire d'Angleterre et ses biographies il s'est mis à la
tête des historiens et annalistes du moyen âge. Ces
quelques remarques suffiront ici; la vie et les œuvres
du grand moine ont été décrites, t. n, col. 523.
Avant lui nous n'avons à citer qu'Aldhelm, évêque
de Sherborne, voir t. i, col. 393, dont le style de mau-
vais goût recouvre une inspiration élevée et vraiment
chrétienne, et son élève saint Boniface, voir t. ii,
col. 1005, qui par sa carrière de missionnaire appartient
à l'Allemagne, mais qui est anglo-saxon par sa nais-
sance et son éducation. Il ne faut pas oublier le moine
bouvier Ccedmon, de Whitby (vnc siècle), qui, dans
ses traductions et amplifications en vers de la Bible,
nous a laissé un des plus anciens et des plus intéressants
monuments de la langue anglo-saxonne.
Après Bède, nous rencontrons d'abord son disciple
Egbert, archevêque d'York de 735 à 766, qui fonda en
sa ville épiscopale une école célèbre, et qui nous laissa
un Pontifical, précieux monument de la liturgie au
ixe siècle, un Dialogue sur l'institution catholique, et un
Pénitentiel fort intéressant pour l'histoire du droit
canon. De l'école d'York sortit Alcuin, qui la dirigea
avant de passer au service de Charlemagne. Voir t. i,
col. 687.
Les moines que nous venons de nommer, aussi bien
que les évêques saxons, étaient d'intrépides collection-
neurs de manuscrits, et les bibliothèques monastiques
d'Angleterre devinrent fort riches. Les moines eux-
mêmes travaillèrent à les enrichir par la copie et l'en-
luminure des manuscrits. Plusieurs précieux manuscrits
de la Bible nous viennent des monastères celtes et
anglo-saxons de cette époque; nous ne mentionnerons
que le codex Amiatinus, le plus ancien de ceux qui con-
tiennent la Vulgate complète, écrit à Wearmouth au
vme siècle sous la direction de l'abbé Ceolfrid, élève de
Benoît Biscop et maître de Bède.
Nous ne saurions passer sous silence le roi Alfred le
Grand (871-900), qui, après avoir délivré son peuple
des Danois, travailla à le relever de la barbarie où
l'avait plongé la destruction des monastères par les
envahisseurs. Il sut s'entourer d'hommes instruits qu'il
fit venir des pays étrangers, et avec leur aide traduisit
du latin en anglo-saxon les ouvrages qui lui parurent le
plus propres à former l'éducation de son peuple. Ce
sont : la Régula pastoralis de saint Grégoire, l'Histoire
de Paul Orose, YHisloire ecclésiastique du vénérable
Bède, la Consolation philosophique de Boèce;de plus, il
paraît à peu près démontré aujourd'hui que la première
idée et même l'exécution de la Chronique saxonne
remonte à lui. C'était le premier essai d'une histoire
nationale dans la langue nationale.
Il y eut d'ailleurs d'autres chroniqueurs, comme
Asser (t 909) à qui on attribue, outre la Vie d'Alfred,
une chronique d'Angleterre depuis Jules César, et
yEthelweard (f 974), qui écrivit aussi une chronique
très fidèle.
Les invasions danoises avaient aussi relâché les liens
de la discipline. Parmi les réformateurs, nous devons
mentionner saint Dunstan, archevêque de Cantorbéry,
voir t. iv, col. 1947, et son ami ^Ethelwold, abbé
d'Abingdon, puis évêque de Winchester, qui traduisit
la règle de saint Benoît en anglais, et composa unecon-
1713
GRANDE-BRETAGNE ET IRLANDE
1714
cordance des règles monastiques sur le modèle de celle
de saint Benoît d'Aniane, mais avec un caractère natio-
nal prononcé.
Ici encore nous nous contenterons île renvoyer à un seul
livre, celui de dom Cabrol, L'Angleterre chrétienne avant les
Normands, Paris, 1909, qui contient une bibliographie très
complète de cette époque. Il faut aussi lire les articles sur
les principaux personnages mentionnés dans le Dictionnaire
d'histoire et de géographie ecclésiastiques.
III. De la conquête normande au schisme
d'Henri VIII (1066-1534). — La conquête normande
ne ralentit pas l'ardeur pour l'étude que nous avons
signalée aux deux époques précédentes; elle l'aug-
menta plutôt en faisant pénétrer dans les Iles Brita-
niques un élément nouveau dont la présence se fit
bientôt sentir dans toutes les branches de la science
sacrée.
1° Théologie dogmatique. — Nous rencontrons tout
d'abord deux Italiens venus en Normandie, l'un, Lan-
franc, pour s'y faire une carrière, l'autre, saint Anselme,
pour y chercher le moyen de mener la vie parfaite.
Tous deux se rencontrèrent à l'abbaye du Bec, dont ils
furent prieurs l'un après l'autre; tous deux aussi se
succédèrent sur le siège de Cantorbéry, et lui donnèrent
un éclat qu'il n'avait encore jamais eu. Lanfranc, qui
dans sa jeunesse avait été un juriste éminent, s'occupa
surtout de choses pratiques, et s'appliqua à réformer
l'Église d'Angleterre qui en avait besoin; il se lança
aussi dans les luttes théologiques en écrivant contre
Bérenger, et son zèle le porta à corriger les exemplaires
fautifs de la sainte Écriture et des écrits des Pères.
Saint Anselme, voir t. i, col. 1327, avec ses mono-
graphies qui nous donnent un cours à peu près complet
de théologie dogmatique, a ouvert une nouvelle voie à
la théologie en l'unissant à la philosophie, et a mérité
d'être appelé le père de la scolastique.
Nous ne saurions passer sous silence Robert Pullus
ou Pulleyn, qui brilla surtout à Paris où son enseigne-
ment mérita l'approbation de saint Bernard, mais qui
enseigna aussi la théologie à Oxford, de 1130 à 1135,
en un temps où les écoles de cette ville ne portaient pas
encore le nom d'université. Il fut comme un précurseur
de Pierre Lombard en publiant avant lui huit livres de
Sentences où l'on pourrait désirer un peu plus d'ordre.
Un autre Anglais, Robert, évêque de Hereford, écrivit
aussi un Livre des Sentences ou Somme théologique,
encore inédite. Il enseigna à Paris où il eut pour élèves
plusieurs de ses compatriotes qui devinrent célèbres :
saint Thomas Becket, Jean de Cornouailles, qui attaqua
la célèbre proposition de Pierre Lombard : Chrislus
secundum qnod est homo non est aliquid ; et surtout Jean
de Salisbury, philosophe et théologien remarquable,
peut-être l'homme le plus instruit de toute l'Europe,
qui dans son Polijcralicus attaque d'un style mordant
les abus qui régnaient dans l'État et dans l'Église,
tandis que dans le Metalogicus il défend victorieuse-
ment la foi chrétienne contre les sophistes qui abu-
saient de la dialectique. Il mourut évêque de Chartres
en 1180. Il avait eu pour élève à Paris Pierre de Blois,
qui, après avoir été précepteur de Guillaume II, roi de
Sicile, vint en Angleterre en 1169 et y remplit diverses
charges ecclésiastiques jusqu'à sa mort qui arriva en
1200. Il se fit remarquer par sa sainteté aussi bien que
par sa science, et on l'a appelé un des derniers Pères
de l'Église. Ses ouvrages abordent tous les points de la
science sacrée.
Il faut faire honneur à l'Angleterre du grand fran-
ciscain Alexandre de Halès, le docteur irréfragable, voir
t.i, col. 772, sq. ; mais qui ne lui appartient que par la
naissance. D'autres franciscains devaient bientôt illus-
trer l'université d'Oxford, qui commença à sortir de
l'ombre dans les premières années du xme siècle.
Ils y arrivèrent en 1221, et y trouvèrent un protec-
teur puissant dans Robert Grosseteste, chancelier de
l'université, dont la forte personnalité domine toute
la première moitié du xm° siècle en Angleterre. Il
ouvrit ses cours publics dans le couvent des franciscains
en 1236, et consacra toute son ardeur à la prospérité
de celte école, qui devint ainsi le centre de la faculté de
théologie d'Oxford. Il est impossible de nommer ici
tous les maîtres qui y enseignèrent; leurs écrits d'ail-
leurs se réduisent à des commentaires sur le livre des
Sentences. Nous citerons Adam de Marisco, voir t. i,
col. 387, élève et ami intime de Grosseteste, qui con-
tinua les traditions de son maître à la tète de l'école, et
dont les lettres nous font pénétrer dans la vie intellec-
tuelle du xine siècle. On ne peut rattacher à cette école
Roger Bacon, voir t. n, col. 8, qui étudia, il est vrai, à
Oxford, mais qui ne devint franciscain qu'à un âge
avancé; Duns Scot, voir t. iv, col. 1865, au contraire,
lui a donné un éclat incomparable.
Les dominicains eurent aussi en Angleterre des théo-
logiens remarquables. En 1248, nous trouvons, à
Oxford, Thomas Kilwardby, qui, outre Aristote, com-
menta les livres des Sentences et une partie de la Bible.
En 1272, il devint archevêque de Cantorbéry, et dans
une visite qu'il fit à Oxford, condamna plusieurs pro-
positions parmi lesquelles se trouvait la doctrine de
saint Thomas sur l'unité de la forme substantielle dans
l'homme. Au commencement du siècle suivant, Thomas
de Jorz, du même ordre, s'attaqua à Duns Scot dans
son commentaire sur les livres des Sentences, où il
donne d'abord la doctrine du Maître, puis celle de Scot,
qu'il réfute sur tous les points où celui-ci s'écarte de
saint Thomas.
11 est impossible d'énumérer les théologiens de ces
deux ordres et de plusieurs autres qui à cette époque
commentèrent les livres des Sentences; beaucoup de
leurs œuvres sont restées en manuscrit. Nous ne pou-
vons cependant passer sous silence Jean de Galles,
franciscain de Worcester, vers la fin du xne siècle,
qu'on avait surnommé Arbor vitœ à cause des fruits
d'érudition et d'édification qu'il produisait.
Au xive siècle, nous trouvons encore un grand
nombre de théologiens franciscains, dont plusieurs com-
battirent les doctrines de leur confrère et compatriote
Guillaume d'Occam, tandis que le dominicain Robert
Holcoth, qui mourut de la peste en 1379, se rendait
célèbre par ses œuvres théologiques et scripturaires.
Jean Bacon (f 1346) illustrait l'ordre des carmes; il se
rapproche des scotistes et des nominalistes, et fonda
une école nouvelle à laquelle un chapitre général obligea
tout l'ordre à se rallier, mais en vain, car la doctrine
de saint Thomas prévalut dans l'ordre des carmes.
L'Irlandais Thomas Palmerston (f 1330) nous a laissé
une Somme de toute la théologie, et Thomas Bradwar-
dine (f 1349), archevêque de Cantorbéry, combattit le
pélagianisme avec tant d'ardeur qu'il sembla tomber
dans l'extrême opposé. Un autre Irlandais, Richard
Eitzralph (f 1360), archevêque d'Armagh, a laissé une
Somme en dix-neuf livres sur les questions concernant
les arméniens et les grecs. Il attaqua les ordres men-
diants, qui furent défendus par le dominicain anglais
Henri Bietwcll et le franciscain gallois Roger Conway.
Quelques bénédictins commentèrent aussi les livres
des Sentences, parmi lesquels il faut citer Gautier
Bederichtwort, et Jean Boekingham (t 1378) qui se fit
moine à Cantorbéry après avoir été évêque de Lincoln.
L'hérésie de Wiclef suscita une légion de théologiens
de tous les ordres religieux qui le combattirent; il est
impossible de les nommer tous. Le premier qui entra
en lice fut le carme Jean Kiningham (f 1399), mais le
plus célèbre fut un franciscain, Guillaume de Water-
ford (t 1397). La lutte continua au siècle suivant où
nous remarquons surtout le carme Etienne Patrington,
qui mourut en 1418 évêque de Chichester, et l'augustin
171.'.
GRANDE-BRETAGNE ET IRLANDE
1716
Philippe Repington, qui, après avoir soutenu Wiclef,
le combattit, et mourut, en 1434. évêque de Lincoln et
cardinal. Le plus rude adversaire de Wiclef, au xvc siè-
cle, fut Thomas Netter, de l'ordre des carmes, mort en
I 130, dont les œuvres furent un véritable arsenal poul-
ies théologiens qui, à l'âge suivant, combattirent le
protestantisme. L'augustin Jean Bury, vers le milieu
du siècle, combattit Beginald Peacock, évèque de
Saint-Asaph, qui enseignait beaucoup d'erreurs et qui
fut déposé dans un synode de Lambeth, en 1457.
A la fin du siècle, il faut citer l'augustin Thomas
Penket, qui savait Scot par cœur (f 1487), et au com-
mencement du suivant, l'Irlandais Maurice O'Fihely,
mineur conventuel, archevêque de Tuam, qui, lui
aussi, fut un scotiste convaincu, et mourut subitement
en 1513.
2° Théologie pratique. — ■ C'est à peine si à cette
époque on trouve un théologien qui se soit appliqué
d'une manière spéciale aux questions de morale. Ces
questions sont traitées avec la théologie dogmatique
et le droit canon. Nous citerons ici quelques auteurs
qui n'ont pas traité le dogme d'une manière expresse.
Saint Edmond de Cantorbéry, voir t. iv, col. 2103,
nous a laissé des constitutions synodales et un Spécu-
lum Ecclesiœ où il parle des sacrements, de la discipline
et des rites; Barthélémy, évêque d'Exeter (f 1184),
avait composé un pénitentiel, tandis que trois cano-
nistes, Gilbert l'Anglais, Alain et Jean de Galles, fai-
saient des collections de Décrétales au commencement
du xme siècle. Un peu après, Richard l'Anglais, qui
mourut évêque de Durliam en 1237 après avoir occupé
plusieurs autres sièges, laissait un Ordo judiciarius et
des Dislincliones sur les décrets, où il avait rapproché
de chaque décret les divers endroits où la même ques-
tion était traitée. Au siècle suivant, Jean de Burgo
(t 1386) écrivit un traité intitulé: Pupilla oculi, où il
traite de l'administration des sacrements, du déca-
logue, et de plusieurs autres points utiles pour le minis-
tère pastoral. La liturgie est représentée par saint
Osmond (f 1099), évêque de Salisbury. Il nous a
laissé un Liber ordinalis, et a doté son Église d'une
liturgie qui s'est répandue dans tout le sud de l'Angle-
terre et même en Irlande, et y a été la forme de la
prière publique jusqu'à la Réforme. Les anglicans
cherchent maintenant à la faire revivre. Nous devons
aussi mentionner Gilbert, abbé de Bangor, puis évêque
de Limerick, mort quelque temps après 1139, qui, dans
une lettre De usu ecclesiaslico, exhorta le clergé irlandais
à se régler sur le rite romain.
Enfin nous clorons cette période par deux auteurs
ascétiques, l'Écossais Adam, de l'ordre de Prémontré,
voir t. i, col. 389, et le franciscain irlandais Malachic
Mac Aeda, mort en 1348 archevêque de Tuam, qui a
écrit Septem peccalorum mortalium venena.
3° Écriture sainte. — Les auteurs qui ont traité de
l'Écriture sainte ex professo sont assez clairsemés
pendant cette période, mais on doit se souvenir que
l'Écriture sainte formait le fond de tout l'enseignement
théologique. Il faut dire aussi que beaucoup de com-
mentaires écrits à cette époque sont encore enfouis
<lans les manuscrits, d'où plusieurs mériteraient d'être
tirés.
Osberne de Gloncester, vers 1150, composa un com-
mentaire en forme de dialogue sur l'Hexateuque, sauf
le Lévitique; vers la même époque, Clément de Llan-
thony faisait une concordance des Évangiles qui fut
traduite en anglais par Wiclef, et Gilbert de Hoyland
continuait les sermons de saint Bernard sur le Cantique
des cantiques. Gilbert Foliot, mort en 1188 évêque de
Londres, commenta aussi le Cantique des cantiques.
Alexandre Neckam, chanoine régulier de Saint-Au-
gustin (j 1215), a laissé une œuvre scripturaire consi-
dérable, encore en manuscrit: de même Robert Bacon
(t 1248), un des premiers dominicains anglais, et
Thomas Wright (t 1249), trinitaire, archevêque de
Tuam. Nous ne saurions oublier Etienne Langton,
archevêque de Cantorbéry (f 1228), à qui nous sommes
redevables de la division de la Bible en chapitres que
nous conservons encore avec quelques retouches. Il la
fit lorsqu'il enseignait à Paris, et son œuvre se trouve
dans le manuscrit 14417 de la Bibliothèque nationale.
On a attribué, mais à tort, cette division à Hugues de
Saint-Cher; celui-ci se servit, pour composer sa concor-
dance, de l'aide de deux dominicains anglais, Richard
de Stevenesby et Jean de Darlington, qui fut depuis
archevêque de Dublin. Jean Peckam, franciscain, arche-
vêque de Cantorbéry (t 1292), laissa une concordance
d'une autre sorte, qui fut publiée à Paris en 1513, et à
Cologne en 1513 et en 1541 sous ce titre : Collectarium
diuinarum senlenliarum Bibliœ. Les textes de la Bible
y sont groupés sous certains titres qui en font une
compilation utile pour les prédicateurs. Une compila-
tion du même genre, où les mots de la Bible sont dis-
posés par ordre alphabétique, et expliqués suivant les
différents sens qu'on peut donner à l'Écriture, a pour
auteur un certain Maurice dont on sait très peu de
chose. Richard de Hampoole (f 1349) traduisit le
Psautier en anglais et fit un commentaire sur les
Psaumes, traduit en anglais de nos jours, et publié à
Oxford en 1884. D'autres, comme le franciscain Guil-
laume Briton (f 1356), qui pourrait bien avoir été
cistercien, et le bénédictin Roger (vers 1360), sur-
nommé Computisla, s'appliquèrent à donner le sens
des mots de la Bible.
Au xve siècle, nous trouvons un certain nombre de
commentateurs anglais, mais leurs ouvrages sont restés
inédits, sauf une lourde exposition des Lamentations
de Jérémie par le franciscain Jean Lathbury, 1482, s. 1.
Dans les premières années du xvie siècle, nous n'avons
à signaler que le célèbre doyen de Saint-Paul, Jean
Colet, voir t. m, col. 362, et Robert Shirwoode, qui
donna des notes sur l'Ecclésiaste, Anvers, 1523.
4° Histoire ecclésiastique et hagiographie. — Les his-
toriens sont légion. Il serait impossible de les énumérer
tous dans un article comme celui-ci; nous devrons
nous contenter de nommer les principaux, et de ren-
voyer pour le reste au Dictionnaire d'histoire ecclé-
siastique. Il n'y avait guère de monastère qui n'eût sa
chronique; on y racontait au jour le jour les événe-
ments qui intéressaient la communauté, mais le chro-
niqueur s'intéressait aussi souvent aux événements
contemporains, et plusieurs d'entre eux, qui avaient
vraiment le sens historique, nous ont donné des ou-
vrages de grande valeur.
Nous rencontrons d'abord un Irlandais, Tigernach,
abbé de Clonmacnois (t 1088), qui composa des
Annales irlandaises vraiment remarquables. Il les
écrivit dans la langue de son pays, mais elles furent
traduites en latin et publiées sous cette forme par
O'Connor, Rerum hibernicarum scriplores. Elles furent
continuées par Augustin Mac Grady (f 1405), puis
par un autre jusqu'en 1407. Son disciple Marianus
passa en Allemagne, et vécut comme reclus à Mayence
pendant treize ans; il y composa un Chronicon, comblé
de louanges par Orderic Vital, qui a eu de nombreuses
éditions. P. L., t. cxlvii.
En Angleterre, il nous faut signaler, entre beaucoup
d'autres de moindre note, deux hagiographes, moines
de Cantorbéry, l'un, Osberne, au temps de Lanfranc,
l'autre, Eadmer, voir t. îv, col. 1977, au temps de
saint Anselme, dont il écrivit la vie, outre celle de
plusieurs autres saints.
Guillaume de Malmesbury dépasse les autres his-
toriens anglais du xn° siècle par ses Gcsta regum anglo-
rum, Londres, 1840, 1887, et ses Gesla pontificum
anglorum, Londres, 1870. Guillaume de Newburgh, de
1717
GRANDE-BRETAGNE ET IRLANDE
1718
l'ordre de Saint-Augustin, l'égala presque avec son
Historia rcrum Anglteanarum, et tous deux laissent,
loin derrière eux Geoffroy de Monmouth (t 1154),
dont la fabuleuse Historia Brilannise, Londres, 1844,
contient la plus ancienne forme que nous connaissions
des romans de la Table ronde, et Henri de Huntingdon
qui écrivit Historia Anglorum, Londres, 1596 ; Francfort,
1601. En Irlande, Marianus O'Gorman composait vers
1170 un Martyrologe, tandis qu'à Rome un Anglais,
nommé Boson (f 1178), écrivait les Vies de treize
papes insérées par Baronius dans ses Annales.
Au xme siècle, nous avons des chroniqueurs inté-
ressants, comme Roger de Hoveden (f 1204), Guil-
laume le Petit (t 1208). Giraud de Barri (Giraldus
Cambrensis), dont les ouvrages peu critiques con-
tiennent cependant des indications qu'on chercherait
vainement ailleurs; Gervais de Cantorbéry, Ralph de
Diceto, et Roger de Wendover (t 1237), dont la chro-
nique est appelée Flores hisloriarum. Mais ils sont tous
éclipsés par Mathieu Paris, qui cependant doit beau-
coup à ses prédécesseurs, en particulier à Roger de
Wendover. A la même époque, Thomas d'Eccleston
racontait l'arrivée des frères mineurs en Angleterre, et
plusieurs autres, tels que Jean de Wallingford, Jean
de Tayster et Thomas Sprottus, écrivaient des chro-
niques.
Le xive siècle ne nous donne pas de chroniqueurs de
marque. Le dominicain Nicolas Trivet (f 1328), et le
cistercien Adam de Murcmuth (t 1347) nous ont laissé
des chroniques, tandis que Jean de Tynemouth (f 1348),
moine de Saint-Alban, compilait un ouvrage important
intitulé : Sanctilogium Angliœ, Walliœ, Scotiœ et Hibcr-
niœ, Oxford, 1901. Ranulphe Higden (f 1363) s'élève
au-dessus des autres dans son Polychronicon continué
par Jean de Malvern, puis par Adam de Usk; il faut
encore citer à cette époque le Chronicon Anglise de Jean
de Peterborough (f 1368), et les Annales Hiberniœ de
Jacques Grâce (t 1370), meine de Kilkenny. Vers le
même temps, 1 Écossais Jean de Fordun (f 1386)
écrivait son SeolichronicoK, continué par son secrétaire
Walter Bower. Cette chronique eut plusieurs éditions,
la dernière à Edimbourg, 1872.
Au commencement du xve siècle, le franciscain Jean
Clynn, de Kilkenny, nous donne des Annales irlan-
daises, Dublin, 1848, tandis que son confrère anglais
Thomas Otterburne (t 1411) écrivait une histoire
d'Angleterre, Oxford, 1732. Un peu plus tard, nous
rencontrons une autre histoire d'Angleterre écrite par
Thomas Walsingham (t 1422), moine de Saint-Alban,
dernière édition, Londres, 1863, et une histoire de la
fondation de Cambridge par Nicolas Cantlow (f 1441),
carme de Bristol. L'n autre carme, Thomas Scropus,
(t 1491), évèque de Dromore en Irlande, nous a laissé
un Chronicon, ou histoire de l'ordre des carmes, Anvers,
1680. Enfin, au commencement du xvie siècle nous
trouvons un martyrologe compilé par Richard With-
ford, moine brigittin de Sion, près de Londres.
IV. Du schisme d'Henri VIII a la fin du
xviii« siècLE (1534-1800). — 1° Théologie dogmatique.
— Le schisme d'Henri VIII donna un nouveau carac-
tère à la théologie dogmatique. De scolastique qu'elle
était à l'époque précédente, elle devint surtout polé-
mique; les écrivains qui se bornèrent à traiter les ques-
tions théologiques d'une manière spéculative sont très
rares; au contraire, les controversistes sont fort nom-
breux, et on peut dire que la controverse a absorbé
presque toute l'activité littéraire à cette époque.
Chose étrange, le premier nom anglais qui se pré-
sente à nous dans la lutte contre le protestantisme est
celui d'Henri VIII, qui, en 1521, publiait contre Luther
son livre intitulé : Asserlio septem sacranh nlorum, dans
la composition duquel il fut aidé par Jean Fisher. Voir
t. v, col. 2555. Fisher, qui publia une riposte à l'attaque
que Luther avait faite contre ce livre, fut bientôt obligé
de prendre parti contre son maître en s'opposant au
divorce et en refusant de prêter le serment de supré-
matie, ce qui le conduisit au martyre. Le même sort
attendait le chancelier Thomas More, qui, lui aussi,
refusa d'approuver le divorce. Plusieurs théologiens
écrivirent contre ce divorce, qu'Etienne Gardiner, voir
t. vi, col. 1156, soutint par son livre De vera obedientia.
Cuthbert Tunstall, évèque de Durham, fut plus cou-
rageux, et mourut en prison sous Elisabeth en 1555; il
a laissé une dissertation De verikde corporis et san-
guinis Domini in eueharistia, Paris, 1554, et une autre
Contra impios blasphcmatores Dei pnedestinationis,
Anvers, 1555. Ensuite nous rencontrons deux théo-
logiens qui méritent des articles spéciaux, Réginald
Pôle (f 1558), qui soutint dans ses écrits la primauté
du pape, et Richard Smith (f 1563), qui combattit
surtout les calvinistes. Thomas Harding (t 1572),
converti du protestantisme, et le dominicain Thomas
Heskin défendirent la présence réelle et le sacrifice de
la messe contre les attaques des théologiens protestants.
Tous deux moururent en exil. Pendant ce temps, Jean
Fowler établissait à Louvain une imprimerie d'où
sortirent de nombreux ouvrages anglais pour la défense
de la foi catholique, et il faisait lui-même un excellent
résumé de la Somme théologique de saint Thomas
(t 1579).
Le long règne d'Elisabeth, qui vit l'établissement
définitif du protestantisme, nous fournit une période
de brillants polémistes, qui défendirent vaillamment la
religion catholique. Le jésuite Edmond Campion, voir
t. ii, col. 1448, paya son courage de sa vie, on l'honore
maintenant comme un martyr; après lui nous citerons
Richard Bristow, voir t. u, col. 1133, Nicolas Sanders,
voir son article, dont le livre De visibili monarchia
Ecclesiœ, Louvain, 1571, eut le don d'exciter au plus
haut point les colères anglicanes, et qui mourut de pri-
vations, en Irlande, où il avait été envoyé comme nonce
par Grégoire XIII; le bénédictin écossais Ninian
Wingate, qui combattit Jean Knox et les calvinistes
dans son pays; le cardinal Guillaume Allen, voir t. i,
col. 215, qui le premier eut l'idée de fonder à l'étranger
des collèges pour la formation de prêtres anglais, et
enfin Thomas Stapleton, voir son article, le prince des
controversistes.
Après eux, nous citerons encore Archimbald Hamil-
lon (f 1581), qui combattit les calvinistes en Ecosse;
Jean de Feckenham (t 1585), le dernier abbé de West-
minster, qui passa vingt-cinq ans en prison; le jésuite
Jean Gibbons (f 1589), qui publia Concerlatio Ecclesiœ
eatholicœ in Anglia, etc., voir col. 1346, et son confrère
Arthur Faunt, voir t. v, col. 2099, qui combattit surtout
les protestants d'Allemagne; Guillaume Rainolds,
converti de l'anglicanisme, dont les ouvrages méritent
un article spécial.
Sous Jacques Ier, nous rencontrons le célèbre jésuite
Robert Persons, voir son article, et ses deux confrères
écossais Jean Hay et Jacques Gordon Huntley, qui
écrivirent contre les hérétiques, tandis que l'archi-
prêtre Georges Blackwell (t 1613) et le juriste Guil-
laume Barclay, voir t. n, col. 389, entraient en contro-
verse avec Bellarmin et soutenaient les principes galli-
cans sur les rapports de l'autorité civile avec l'autorité
ecclésiastique. A la même époque, écrivaient Guillaume
Bishop, voir t. i, col. 1178, le bénédictin Edouard Mai-
hew (t 1625), qui composait en anglais A trealise of the
grounds of the old and new religion, le franciscain Bona-
venture Jackson (f 1627), qui par son Calvinolurcis-
nuis mettait en émoi les calvinistes qu'il comparait aux
niahométans; Sylvestre Noms (f 1630), qui écrivit
The antidote, or ireatise oj thirty conlroversies againsl
scelaries, Saint-Omer, 1618; et Edouard Weston
(f 1633), qui fut surtout apologiste. Pendant ce temps.
1719
C.RANDE-RRETAGNE ET IRLANDE
1720
deux franciscains irlandais, Hugues Cavcllus, voir t. n.
col. 2045, et Florent Connus, voir t. m. col. 1150,
cultivaient la philosophie et la théologie dogmatique.
Il faut aussi rattacher à ce règne le jésuite Thomas
Fitzhcrhert, voir t. v, col. 2561, dont les traités sur les
rapports de la politique et la religion parurent en 1606
et en 1610, et son confrère Jean Fisher (t 1641), dont
le vrai nom était Percy, qui disputa sur la foi devant le
roi Jacques Ier, et qui publia sa dispute sous ce titre :
An answerunio the nine points of controversy, proposée
by our laie sovereign, Saint-Omer, 1625. Il a aussi laissé
un ouvrage remarquable intitulé : A treatisc of failli,
Londres. 1600.
Les jésuites se distinguèrent encore sous le règne
suivant. Parmi leurs nombreux théologiens nous signa-
lons Laurent Anderton, voir t. i, col. 1178; Henri
Fitz-Simons, voir t. v, col. 2561, et Guillaume Malone
(t 1656), qui démontra l'antiquité de la religion catho-
lique romaine contre le célèbre Ussher. Les autres
ordres sont aussi représentés, par exemple, par le fran-
ciscain Bonaventure Hocquard, qui a écrit Perspecti-
vum liitheranorum et calvinislarum, Vienne, 1648, et le
bénédictin Guillaume Johnson (f 1663), qui, dans
Novelly reprcsl, établissait solidement la position i\(
l'Église catholique. Dans le clergé séculier, nous trou-
vons Mathieu Kellison, qui mourut en 1641, après avoir
dirigé pendant de longues années le collège de Douai.
Un ministre anglican converti, Thomas Vane, dans
A losl sheep returned home, Paris, 1648, donna un excel-
lent exposé des motifs de revenir à la religion catho-
lique.
Pendant ce temps, les franciscains irlandais ensei-
gnaient la théologie scolastique dans les collèges fondés
sur le continent pour leurs compatriotes. Jean Ponce
enseignait à Rome la doctrine de Scot; Antoine Hickey
(t 1641) publiait les œuvres du grand docteur francis-
cain; François Bermingham (f vers 1656) écrivait une
Somme théologique de Dco uno et trino, suivant la mé-
thode du docteur angélique et l'esprit du docteur sub-
til; François Molloy faisait paraître un traité De incar-
nalione Verbi divini. Patrice Raw, de l'ordre de Saint-
Augustin, fit aussi paraître des traités sur les fins der-
nières, et sur diverses autres questions théologiques.
A mesure que les collèges se développèrent à l'étran-
ger, la théologie scolastique fut plus cultivée. Ainsi
sous Charles II nous rencontrons le dominicain Jean-
Baptiste Hacket (f 1676), Conlroversorium Iheologicum
sur la pars secunda du docteur angélique ; Henri Holden
(t 1662), Divinir fldei analgsis, Paris, 1652, dans Mignc,
Cursus complctus thcologiœ, t. vi ; Luc Wadding (voir son
article), non moins savant théologien qu'historien et
exégète; le franciscain irlandais Antoine Bruodine
(t 1664), Œconomia minorilicœ scholœ, Prague, 1633,
manuel de théologie scolastique dans l'esprit du doc-
teur subtil; le jésuite Thomas Compton (f 1666), Cursus
theologicus, exposition de la Somme de saint Thomas ;
le carme Laurent de Sainte-Thérèse (voir son article);
Augustin Gibbon, de l'ordre de Saint- Augustin (f 1676),
qui outre, son Spéculum Iheologicum, Mayence, 1669,
publia un excellent ouvrage de controverse intitulé :
Lutherocalvinismus schismedicus quidem sed reconcilia-
bilis, Erfurt, 1663.
La polémique contre les protestants fut loin d'être
négligée à cette époque. Outre Thomas Bailey, voir
t. n. col. 491, et Jean Barnes, voir t. n, col. 423, nous
devons signaler plusieurs jésuites qui écrivirent soit
en faveur de la transsubstantiation, soit pour défendre
l'autorité et l'infaillibilité de l'Église. Pierre Talbot
(t 1680), qui devint archevêque de Dublin, après être
sorti de la Compagnie, publia en anglais : A treatise oj
the nature oj catholic faith and heresy, Rouen, 1657, et
en outre De efficaci remedio contra atheismum et hœre-
sim, Paris, 1674, une histoire des iconoclastes et une
histoire du manichéisme et du pélagianisme. Le plus
remarquable théologien de ce temps fut le franciscain
Christophe Davenport (f 1680), qui trouva moyen au
milieu de ses travaux apostoliques de composer des
ouvrages nombreux et solides, parmi lesquels nous
mentionnerons : Systema fidei, Liège, 1648, et Deus,
naturel et gratia, Leyde, 1634, où il traite de la prédes-
tination, des mérites et de la justification suivant la
doctrine de Scot; il y avait ajouté une critique des
trente-neuf articles de la confession anglicane dans un
esprit assez conciliant, si bien que cet appendice fut
mis à l'Index en Espagne, bien qu'il eût été autorisé
à Rome. II fut traduit en anglais et publié avec une
introduction par F. G. Lee, Londres, 1865. Il faut citer
encore le franciscain irlandais Raymond Caron, voir
t. n, col. 1799, sir Kcnelm Digby, voir t. iv, col. 1307,
cl l'Irlandais Jean Sinnich, fauteur du jansénisme.
Sous Jacques H, nous n'avons à citer que Richard
Archdekin, voir t. i, col. 1759, et Jean Gother, voir t. vi.
col. 1502, qui écrivirent des ouvrages de controverse,
et le franciscain irlandais Bonaventure Baron qui,
outre des ouvrages de philosophie, publia des traités
de théologie où il défend la doctrine de Scot : De Trini-
lale, Lyon, 1666; De Dco uno, ibid., 1670; De angelis,
Florence, 1676.
Le xvine siècle nous présente quelques bons polé-
mistes. Edouard Hawarden, dont les écrits sont très
remarquables; Jean Constable (t 1740), qui écrivit
contre le livre de le Courayer en faveur des ordinations
anglicanes, et critiqua l'histoire de l'Église en Angleterre
de Ch. Dodd; le plus remarquable fut Richard Chal-
loner, vicaire apostolique du district de Londres. Voir
t. ii, col. 2208.
La théologie scolastique ne fut pas négligée. Le
franciscain irlandais Antoine Ruerk composait un
Cursus théologies scholaslica> d'après les principes et sur
le plan de Scot, Valladolid, 1746, et le bénédictin
écossais Marianus Brockie (f 1757) défendait aussi le
docteur subtil dans son ouvrage : Scotus a Scoto propu-
gnalus; il défendit aussi la bulle Unigenitus contre
Quesnel, il donna en outre une édition du Codex regu-
larum de Holsten, avec des additions, 1759.
Les attaques des incrédules contre la religion révélée
donnèrent naissance à un nouveau genre de théologie,
l'apologétique, qui commença à être cultivée en Angle-
terre vers le milieu du siècle, et laissa dans l'ombre
l'ancienne controverse avec les protestants : le nouveau
danger était plus grave que l'ancien, car il tendait à
saper par la base les fondements même du christia-
nisme, et les anglicans eux-mêmes eurent des apolo-
gistes de grande valeur. Nous citerons quelques noms :
Simon Berington (f 1755) disserta sur plusieurs pas-
sages de la Genèse; Antoine O'Brien (f 1764) écrivit
un traité de la révélation, Prague, 1762; Luc Joseph
Hook (f 1796) donna Religionis naturalis et revelatœ
prinr.ipia, Paris, 1752; Arthur O'Leary, franciscain
irlandais, écrivit Défense of the divinily of Christ ami
the immortality of the soûl, 1771; Jacques Barnard
démontra par l'Écriture et la tradition The divinily of
our Lord Jésus Christ, dans une série de lettres à
Priestly, et publia un autre ouvrage d'apologétique :
A gênerai view of the arguments for the divinily of Christ
and plurality of persons in God, Londres, 1789 et 1793.
Enfin Georges Hay, vicaire apostolique en Ecosse,
célèbre par ses travaux apostoliques, ne le fut pas
moins par ses œuvres d'apologétique.
2° Théologie monde, ascétique, liturgie. — ■ Nous
réunissons ces trois matières, car les auteurs qui les ont
traitées sont très peu nombreux, aussi bien d'ailleun
que les exégètes et les historiens; la nécessité de
défendre l'orthodoxie contre le protestantisme fut
la cause de cette disette. L'ordre de saint Benoît pro-
duisit à cette époque un casuiste remarquable, Grégoire
1721
GRANDE-BRETAGNE ET IRLANDE
1722
Sayer, qui mourut à 32 ans en 1602, tandis que
Richard Hall (f 1604), chanoine et officiai de Saint-
Omer, publiait un traité De quinqucparlita conscientia,
Douai, 1598. Jean Pits (f 1616), qui fut surtout his-
torien, donna un traité De legibus. Trêves, 1592, et un
autre De beutiludine, Ingolstadt, 1595; Raymond
Caron, voir t. n, col. 1799, s'occupa de théologie pas-
torale, ainsi que son compatriote Nicolas Donellan
(t 1679). Le jésuite Antoine Terill ou Ronville défendit
le probabilisme; le dominicain Michel Mac Quilin
(t 1714) écrivit sur la contrition, et le bénédictin Jean
Townson (f 1718) publia un Enchiridion confessario-
rum, Hildesheim, 1705.
L'ascétique est représentée par Richard Whitford
(t 1541), de l'ordre de Sainte-Brigitte, qui écrivit
beaucoup de livres de piété, mais qui mérite d'être tiré
de l'oubli à cause de sa traduction de Y Imitation, la
meilleure des traductions anglaises de ce livre, qui fut
rééditée à Londres en 1872. La théologie mystique
nous olïre un grand nom, celui du bénédictin David
Augustin Baker (f 1641), qui dans son beau livre :
Sancta Sophia, donne de précieuses directions pour
l'oraison de contemplation. 11 faut aussi citer sa péni-
tente, Gertrude More, bénédictine (t 1633), dont
les Confessiones amantis viennent d'être rééditées,
Londres, 1911.
3° Écriture sainte. — On est étonné de rencontrer
si peu de commentateurs de l'Écriture sainte à une
époque où la Bible devenait officiellement la seule règle
de foi en Angleterre. Il faut peut-être voir là une sorte de
réaction contre le principe protestant, et il est à remar-
quer que tous les ouvrages de controverse qui sont
si nombreux s'appuyaient précisément sur la Bible
pour soutenir la doctrine catholique. Edouard Lee,
mort en 1544 archevêque d'York, appartient à la
période précédente par ses travaux scripturaires. Il
publia des Annotationes sur les deux éditions du Nou-
veau Testament d'Érasme, où il disait trouver plus de
trois cents erreurs. Érasme jugea ses critiques assez
sérieuses pour lui répondre. Raph Baynes, mort en
1560 évêque de Coventry sous le règne de Marie Tudor,
laissa un bon commentaire du livre des Proverbes,
Paris, 1550. Alain Copc, mort en 1580 chanoine de
Saint-Pierre de Rome, donna une Vie de Notre-Sei-
gneur reproduisant le texte des quatre évangélistes.
En 1582, mourait Grégoire Martin, le principal au-
teur de la version catholique anglaise de la Bible, dont
le Nouveau Testament parut à Reims en 1582, et
l'Ancien Testament à Douai en 1610. Léandre de Saint-
Martin, bénédictin, président de la congrégation an-
glaise, publia : Biblia sacra juxta ediliones ante corre-
ctionem clcmentinam vulgatas, avec des notes et gloses
de toutes sortes, Anvers, 1634, et de plus édita des
ouvrages de théologie et d'Écriture sainte de plusieurs
auteurs. Deux jésuites irlandais, Paul Sherlock (f 1646)
et Pierre Redan (f 1651), commentèrent l'un le Can-
tique des cantiques, Lyon, 1635, et l'autre les livres
des Macchabées, Lyon, 1651, et leur confrère écossais
lacques Gordon (t 1641) publia un commentaire de
la Bible entière, Paris, 1632, qui fut loué par Richard
Simon. Il est aussi l'auteur d'une théologie morale, Paris,
1631. Challoner, dont nous avons déjà parlé, avec l'aide
du carme François Blyth, corrigea et annota le Nou-
veau Testament de Reims, mais on regarde cette cor-
rection comme peu heureuse, Londres, 1738. Nous cite-
rons enfin la nouvelle version des Écritures d'Alexan-
dre Geddes, voir t. vi, col. 1176, qui fut interdite par
les vicaires apostoliques; Jean Earle (| 1818) réfuta
les erreurs de Geddes.
4° Histoire ecclésiastique. — Les historiens aussi so.it
peu nombreux, et il n'y a rien à signaler de bien remar-
quable dans cette période. Hector Boice a donné une
Hisloria Scotorum, Paris 1526, qui n'a pas une grande
valeur; il aida Guillaume Elphinstone, évêque d'Aber-
deen. à fonder l'université de cette ville en 1505, et il
en fut principal jusqu'à sa mort en 1536. Nicolas Har-
psfield (f 1575) composa une Hisloria anglicana ecclc-
siaslica, Douai, 1622, et six dialogues où il réfute les
mensonges historiques des protestants, Anvers, 1566.
L'Écossais Tyrie écrivit un savant traité De antiquila-
libus Ecclesia; scolicœ, Rome, 1594, et Jean Pits (f 1616)
publia, outre ses ouvrages de théologie morale, De illu-
slribusAnqliœscriptoribus, Paris, 1619. En 1627, parais-
sait à Bologne YHistoria ecclesiastica gentis Scotorum
de Thomas Dempster, ouvrage peu digne de foi, où
l'auteur entasse une grande quantité de fables, et ne
recule devant aucune exagération pour rehausser l'im-
portance de son pays. Il l'avait fait précéder en 1622
d'un Apparatus, cum menologio Scotorum, qui n'est pas
plus digne de foi. Vers le même temps, Thomas Messin-
gham donnait un Florilcgium insulie sanclorum, Paris,
1624, et, quelque temps après, Jacques Colgan publiait
à Louvain Acta sanclorum Hiberniœ, 1645. Le jésuite
Michel Alford (f 1652), dans une suite d'ouvrages inti-
tulés : Fidcs regia brilannica... anglo-saxonica... angli-
cana, Liège, 1663, décrivit l'Angleterre catholique des
origines à l'année 1189; il publia aussi Brilannia Mu-
slrataoù il traite des questions fort intéressantes pour
la théologie : la Pàque des Bretons, le mariage des clercs,
l'union de l'Église bretonne avec l'Église romaine,
Anvers, 1641. Richard Smith (t 1655), évêque de
Chalcédoine, qui eut maille à partir avec les réguliers,
composa Florum ccclcsiaslicœ gentis Anglorum libri VII,
Paris, 1654. Le franciscain Luc Wadding (j 1657)
publia à Lyon en 1625 ses Annales minorum, qu'il
compléta par un autre ouvrage : Scriptorcs ordinis
minorum, Rome, 1650. Il faut citer encore le bénédictin
Thomas Andcrton, voir t. i, col. 1178, avec son Ilistorg
of the iconoclasls, et le jésuite Nathanaèl Southweil
(Sotvellus), qui revit et poursuivit jusqu'en 1675 la
Bibliotheca scriptorum Socielalis Jesu, Rome, 1676.
Au xvme siècle, nous avons Charles Dodd (| 1737),
qui écrivit Church hislonj of Fngland, éditée de nouveau
à Londres en 1839 par Tierney; Edouard Burgis
(î 1749), The Annals of the Church, Londres, 1738,
comprenant les cinq premiers siècles; le bénédictin
Charles Walmesley (t 1797), vicaire apostolique du
district occidental, fit paraître General hislory of the
Christian Church, 1771, qui n'est autre chose qu'un
commentaire de l'Apocalypse.
Enfin nous rencontrons deux hagiographes de valeur
dans la personne de Challoner, voir t. n, col. 2208, et
dans celle d'Alban Butler (f 1773), dont les Vies des
saints sont universellement connues.
V. DU COMMENCEMENT DU XIX0 SIÈCLE A NOS JOURS.
— ■ 1° Théologie dogmatique et apologétique. — Le
xix° siècle nous fournit un grand nombre d'apologistes
qui écrivirent soit contre les incrédules, soit contre les
protestants. Nous ne citerons que les plus remarquables.
Tout d'abord deux évèques dont le nom n'est pas oublié
en Angleterre, Guillaume Poynter (f 1827), vicaire
apostolique de Londres, qui sut gouverner son district
avec sagesse, en un temps de grandes difficultés entre
les fidèles et les pasteurs; il laissa Chrislianitij, or the
évidences and character of the Christian religion, 1827,
ouvrage excellent admis par Migne dans ses Dénions
Initions évangéliques, t. xm. Le second est Jean Millier
(t 1826), vicaire apostolique du district du Centre (Mid-
land), dont l'œuvre apologétique est encore classique.
Le jésuite Charles Plowden (f 1821) défendit l'infail-
libilité du Saint-Siège, et prit une part active aux con-
troverses qui divisaient alors les catholiques anglais.
Les laïques même se mêlèrent à la lutte. Charles Butler
(t 1832), secrétaire de ce comité catholique qui causa
tant de dilficultés aux vicaires apostoliques, écrivit
The book of the roman catholic Church, Londres, 1825,
1723
GRANDE-BRETAGNE ET IRLANDE
172*
que l'on trouve dans les Démonstrations évangéliques
de Migne, t. xn, sous ce titre : L'Église romaine défen-
due contre les attaques du protestantisme. 11 laissa aussi
Historicalmemoirs of English, Irish and Scotiîsh catho-
lics, Londres, 1819, où il se laisse entraîner par l'esprit
de parti: il fut corrigé par Millier. On a aussi de lui des
Horœ bibliar. 3V édit., Londres, 1817. Guillaume Eusèbe
Andrews, voir t. i, col. 1186, simple imprimeur de
Norwich, travailla de concert avec Milner, et rendit de
grands services à la foi catholique par ses revues et ses
livres. En Irlande, Jacques Doyle, auguslin, qui mourut
évêque de Kildarc en 1834, fut un vaillant champion
du catholicisme, qu'il défendit non moins par l'action
que par la plume. Il laissa Analysis of the divine jailli,
Londres, mais il est célèbre surtout par ses Lettres au
Dr Magee, archevêque anglican de Dublin, où il fait
un saisissant tableau de l'immutabilité de l'Église
romaine, en contraste avec les variations des réfor-
mateurs.
Deux autres laïques méritent d'être mentionnés.
l'Irlandais Thomas Moore (t 1852), le célèbre poète,
qui fit œuvre d'apologiste très utile dans son livre :
Travels of an Irish gentleman in search of a religion,
Londres, 1833, et l'Anglais Frédéric Lucas (f 1855),
quaker converti, qui donna les raisons de sa conversion
dans l'ouvrage : Rcasons for becoming a catholic,
Londres, 1839, mais qui aida surtout le catholicisme
par la fondation du journal-revue The Tablet, qui
commença à paraître en 1840, et continue de nos jours
à combattre pour la bonne cause. Jean Bell (t 1854)
mérite aussi d'être mentionné pour son ouvrage : The
wanderings of the human intellect, ou dictionnaire des
diverses sectes qui ont divisé la religion chrétienne.
A cette époque, vécut un homme qui laisse bien loin
derrière lui tous ses contemporains, le cardinal, Wise-
man (11865), mais nous ne faisons que le mentionner ici,
car l'importance de son action et de ses écrits mérite
un article à part. Nous en dirons autant du bénédic-
tin Guillaume Bernard Ullathorne (f 1889), évêque de
Birmingham, qui travailla d'accord avec lui, et comme
lui sut accueillir les hommes éminents que le mou-
vement d'Oxford ramena dans l'Église catholique. Les
deux figures les plus remarquables parmi ces convertis
sont les cardinaux Newman ( t 1890) et Manning
(t 1892), qui auront chacun un article spécial. Frédéric
Oakeley (t 1880) laissa plusieurs ouvrages d'apologéti-
que et de dévotion. Guillaume George Ward (f 1882)
qui, bien que laïque et marié, fut nommé parWiseman
professeur de théologie dans son séminaire, occupe une
place à part dans la littérature catholique par ses
écrits de toute sorte. Edgar Estcourt, voir t. v, col. 850,
est surtout connu par son étude sur les ordinations
anglicanes. Un autre converti célèbre est Thomas Alliez
(t 1903), qui immédiatement après sa conversion écri-
v it The Sre of Peter the rock of the Church, où il prouve
que toute juridiction vient du Saint-Siège. Son ouvrage
principal est The formation of christendom, en huit
volumes qui parurent successivement à Londres, de
1865 ;i Î.S96; il y traite de la constitution interne de
l'Église et de ses rapports avec la société civile. Le
rédemptoriste Thomas Bridgett (t 1899), outre plu-
sieurs ouvrages d'histoire et de biographie qui se font
remarquer par la solidité et l'érudition, a publié His-
tory of the holg cucharist in England, Londres, 1881.
2° Écriture sainte, histoire ecclésiastique, ascétique,
liturgie. — Nous avons peu d'auteurs à citer sur tous
ces sujets. Il est triste de constater que les catholiques
anglais n'ont ni introduction à l'Écriture sainte, ni
commentaire de la Bible dans leur langue. Il y a eu des
essais; en 1852, paraissait à Dublin A gênerai intro-
duction lo the sacred scriplures par Joseph Dixon,
archevêque d'Armagh, mais on ne rencontre ce livre
nulle part maintenant, pas plus que l'édition de la
Bible de Douai que Georges Haydock donna à Man-
chester, 1812-1814, avec des notes extraites de divers
commentateurs. Après eux, nous ne trouvons personne
jusqu'au jésuite Coleridge (f 1893) qui écrivit The life
of our life, vie de Jésus-Christ en de nombreux volumes,
qui est plutôt un ouvrage ascétique qu'une explication
de l'Evangile, et qui a été traduit en français. La même
année mourait Guillaume Clifford, évêque de Clifton,
dont les opinions spéciales sur la cosmogonie mosaïque
furent publiées en 1881 dans la Dublin review.
L'histoire fut un peu plus cultivée à cette époque.
Joseph Berington (f 1827), malgré ses opinions erro-
nées sur beaucoup de sujets, a laissé des ouvrages
historiques de valeur, entre autres, A lilerary hislorg of
the middle âges, Londres, 1814. Jean Daniel (f 1823)
écrivit Ecclcsiastical hislorg of the Brilons and Saxons,
Londres, 1815; nous avons déjà parlé de Charles Butler
et des corrections que lui fit Milner; celui-ci fit aussi
œuvre d'historien en même temps que d'apologiste
dans son Hislorg civil and ecctesiaslical and Survcij of
the anliquities of Winchester, 1798-1801.
L'Irlande eut aussi ses historiens ecclésiastiques à
cette époque. Jean Lanigan, qui au siècle précédent
avait été professeur d'hébreu et d'herméneutique à
Pavie, revint en Irlande où il écrivit An ecclesiastical
hislorg of Ireland lo the xm cenlurg, ouvrage érudit
d'une sage critique, Dublin, 1822-1829. Robert King
publiait A primer of the history of the holg catholic
Church in Ireland, 1834; Cotton donna Fasli Ecclesiœ
hiberniese, Dublin, 1847-1860; d'autres s'occupèrent de
diocèses particuliers.
Mais le plus illustre des historiens catholiques an-
glais fut sans contredit John Lingard, dont les deux
ouvrages : Hislorg and anliquities of the Anglo-Saxon
Church, et A hislorg of England font autorité même
auprès des protestants, et sont en même temps un
monument d'apologétique. Thomas Flanagan (f 1865)
écrivit A historg of the Church in England depuis les
origines jusqu'au rétablissement de la hiérarchie en
1856; ouvrage court, mais bien fait et fort utile. Le
jésuite Georges Oliver s'occupa surtout du diocèse
d'Exeter et du comté de Devon, et Marc Tierney
continua l'histoire de l'Église d'Angleterre de Dodd.
Deux jésuites, Jean Monis (f 1893) et Guillaume Water-
worth (f 1882), écrivirent divers ouvrages sur des points
spéciaux de l'histoire de l'Église catholique en Angle-
terre.
On trouve beaucoup de matériaux pour l'histoire
ecclésiastique d'Irlande dans The pastoral lelters ami
other wrilings of cardinal Cullcn, Dublin, 1882, et dans
les Lettres, sermons et discours de Jean Mac Haie,
archevêque de Tuam, Dublin, 1883 et 1888. Le jésuite
Denis Murphy, outre Our martyrs, Dublin, 1896, où il
raconte la vie de ceux qui souffrirent en Irlande sous
les lois pénales, a publié The Armais of Clonmacnois,
ou histoire d'Irlande depuis les origines jusqu'en 1408,
Dublin, 1896.
Parmi les nombreux auteurs de livres de piété qui
ont écrit en Angleterre, nous ne signalerons que Faber,
voir t. v, col. 2045, et Ullathorne, dont nous avons
déjà parlé.
L'archéologie chrétienne et la liturgie ont été très
étudiées en Angleterre à notre époque, surtout, il faut
bien l'avouer, par des anglicans. Quelques catholiques
cependant se sont fait un nom dans l'une et l'autre
science. Guillaume Maskell (t 1890), qui devint catho-
lique en 1850, avait publié avant sa conversion The
ancient liturgg of the Church of England, où il met en
parallèle avec la liturgie romaine les anciens rites de
Sarum, Bangor, York et Hereford, Londres, 1811;
2e édit., Oxford, 1882; et Monumenta rilualia Ecclcsiu-
anglicanœ, extraits des anciens rituels, pontificaux, etc.,
de Salisbury avec dissertations cl notes, Londres, 1846;
1725
GRANDE-BRETAGNE ET IRLANDE
GRASSI
1726
2e édit., Oxford, 1882. Daniel Rock, chanoine de South-
wark (f 1871), écrivit deux ouvrages de valeur : The
Churcli oj our falhcrs, où il étudie la foi et les pratiques
religieuses en Angleterre au moyen du rite de Saruin,
et Hierurgia, or the hohj sacrifice of the mass, réédités à
Londres, le premier en 1903, l'autre en 1900. Jacques
Spencer Northcote publia, en collaboration avec Guil-
laume Brownlow, Roma solterran^a, intéressant abrégé
de l'ouvrage de J.-B. de Rossi.
Hurtcr, Nomcnclator literarius theologiœ calholictu, 3e édit.,
Inspruck, 1903-1913; Leslie Stcphen et Sidney Lee, Diclio-
narij o/ national biograpluj, Londres, 1908-1913, ouvrage
excellent, où les biographies des catholiques sont écrites
avec impartialité; Gillow, Literary and biographical dictio-
nanj o/ Englisli catholics, Londres, 1885-1902. Voir aussi
les ouvrages cites a la fin des articles spéciaux sur certains
auteurs anglais.
A. Gatard.
GRANDI Antoine-Manie, religieux barnabite, né
à Vicence en 1761. Il étudia au collège d'Udine, et,
le 28 octobre 1777, il prit l'habit religieux au noviciat
de Monza. Ordonné prêtre, après avoir eu le diplôme
de docteur en théologie à l'université de Pavie, il
enseigna les mathématiques et les belles-lettres à
Milan, à Crémone, à Bologne. Les troubles survenus
en Italie à la suite de la Révolution française l'obli-
gèrent à se réfugier à Vicence auprès de sa famille.
En 1801, il fut appelé à Rome par ses supérieurs et prit
une part très active aux travaux de l'Académie de
religion catholique. Le 19 avril 1807, il fut nommé
procureur général de sa congrégation; le 10 no-
vembre 1819, pro-vicaire général et, le 27 mars 1822.
vicaire général. Il mourut la même année, le G no-
vembre. La plupart de ses ouvrages imprimés ne
rentrent pas dans le domaine de la théologie. Nous
nous bornons donc à citer : 1° Disserlazione suite
viriazioni in dottrina obbicllate al Chicsa catlolica, le
quali non pregnidicano punlo alla verità ed infalli-
bililà di Ici, Rome, 1805; 2° Opérette divole dcl Rcmo
l'adre Franccsco Luigi Fonlana, proposlo générale dei
ehierici rcgolari di San Paolo, con la vila di lui, Rome,
1823. Le P. Piantoni donne la liste complète de ses
écrits imprimés et de ses dissertations théologiques
médites, p. 117-120.
Ccsari, Elogio latino c italiano dcl reuerendissimo Padrc
Antonmaria Grandi, vicentino, vicario générale délia congre-
gazionc di S. Paolo, Vérone, 1823; Nardurti, Notizie bio-
grafiche intorno al R. P. D. Antonio Maria Grandi vieariu
générale dei PP. barnabiti, Rome, 1823; A. C. (Cesari), Per
la morte dcl P. Antiono Grandi vicentino, vicario générale dei
barnabiti in Roma, epistola, Vérone, 1822; Piantoni, Elogio
storico al reuerendissimo Padre don Antonmaria Grandi bar-
nabila, Rome, 1858; Colombo, Profili biograflei d'insigni
barnabiti, Lodi, 1871, p. 211-211.
A. Palmieri.
GRANDIN Martin, théologien, né à .Saint-Quentin
le 11 novembre 1604, mort à Paris le 16 novembre
1691. Ses premières études terminées à Noyon et à
Amiens, il vint âgé de 17 ans à Paris, et s\>.donna à la
théologie. Admis au collège du cardinal Lemoine, il y
enseigna la philosophie. Docteur en Sorbonne, aprè;
quelques années de ministère paroissial, il obtint une
chaire de théologie en 1638, et la conserva jusqu'à sa
mort, estimé de tous autant pour sa science que pour sa
piété. Il se l'efusa à souscrire à l'enregistrement des
quatre articles. Grandin était principal du collège de
Dainvillc et supérieur de plusieurs communautés reli-
gieuses. Après sa mort parut : Martini Grandini do-
cloris cl socii Sorbonici, sacrée facultalis Parisicnsis de-
cani, emerili in thcologia professoris, opéra, 5 in-l°,
Paris, 1710-1712. Cet ouvrage fut publié par les soins
de Charles Du Plessis d'Argentré, plus tard évêque de
Tulle, qui y ajouta quelques dissertations.
Moréri, Dictionnaire historique, t. v b, p. 335; I'icot,
Essai historique sur l'influence de la religion en France
pendant le XVII" siècle, in-8°, Paris, 1824, t. n, p. 314;
Quérard, La France littéraire, t. ni, p. 446; Hurter, Nomen-
clator, 1910, t. IV, col. 322-324, 1005.
B. IIeurtebize.
GRANDVILLERS Jacques, théologien suisse, né
à Delémont en 1674, entré dans la Compagnie de Jésus
en 1690, enseigna la philosophie, puis la théologie
scolastique à l'université de Dillingen de 1712 à 1721.
Il se fit un nom qui reste avec honneur dans l'histoire
de l'apologétique par un ouvrage dirigé contre les
athées de son temps : Deus argumenlis moralibus ab
alhcorum impietale vindicalus, Ingolstadt, 1710, et
surfout par son Ecclesia romana, sola credibilis et vera,
Dillingen, 1716, qui est un des premiers essais de
systématisation de la théologie fondamentale. Ces
deux ouvrages ne forment d'ailleurs qu'un résumé
succinct de son enseignement où il se distingua surtout
comme un initiateur. Devenu recteur des collèges de
Fribourg en Suisse, de Soleure et de Porrentrui,
instructeur de la troisième probation, il mourut à
Ebersperg, le 25 août 1752.
Sommervogel, Ribliothéque de la C" de Jésus, t. m,
col. 1672; Hurter, Nomenclalor, 3e édit. .Inspruck, 1910, t. iv,
col. 1376.
P. Bernard.
GRAPPIN Jean, né à Vellemcnfroy (Haute-Saône),
au diocèse de Besançon, le 8 décembre 1791,
entra dans la congrégation de la Mission ou des
lazaristes le 27 septembre 1819. Il fut supérieur du
grand séminaire de Saint-Flour, puis assistant du
supérieur général de sa congrégation. II mourut le
4 novembre 1846. Pendant qu'il était à la tête du
séminaire de Saint-Flour, il a publié un livre qui a été
discuté dans les controverses où, vers 1840, la presse
irréligieuse attaqua violemment l'enseignement des
séminaires. C'étaient les Collationes practicee in sexlum
et nonum Decalogi preeceptum neenon in conjugatorum
officia, jussu illustrissimi et reverendissimi D. D. Fran-
cisco Maries Eduardi de Gualy episc. S" Flori éditée et
pro seminario suo adoplatœ, in-12, Lyon, 1833. Un
ministre protestant, Athanase Coquerel, attaqua
violemment l'ouvrage de Grappin dans une brochure
intitulée : Lettre à M. l'archevêque de Paris, sur la
querelle de l'université et de l'épiscopat, et sur les
Collalioncs practiese à l'usage du séminaire de Sainl-
Flour, in-8°, Paris, 1844. Voir l'Univers du 8 fé-
vrier 1843, le Journal des Débals du 15 mai de la même
année, ainsi que l'Ami de la religion. L'auteur n'avait
fait que reproduire sous une forme méthodique, en
inclinant d'ailleurs vers les opinions un peu sévères
qui prévalaient à cette époque, l'enseignement des
principaux écrivains qui ont traité cette partie de la
théologie morale. C'est aussi Grappin qui est l'auteur
d'un petit manuel de piété intitulé : Veni mecum,
destiné aux élèves du sanctuaire, du séminaire de Saint-
Flour, suivi de l'office de la sainte Vierge, in-32,
Saint-Flour, s. d.
Notices bibliographiques sur les écrivains de la congré-
gation de la Mission par un prêtre de la même congrégation
[E. Rosset], in-8°, Angoulême, 1878; Semaine catholique
du diocèse de Saint-Flour, 3 mai 1899.
A. MlLON.
GRASSI François, lazariste, naquit le 26 octo-
bre 1715 à Castiglione, au diocèse de Lodi (Italie).
Il entra dans la congrégation des lazaristes à Gênes,
en 1731. Saut quelques années où il fut supérieur du
collège Albcroni à Plaisance (Italie), sa vie tout entière
fut consacrée a l'enseignement. Il mourut à Plaisance
en 1773, âgé de 58 ans. Quelques thèses qu'il fit soutenir
par ses élèves au collège Alberoni à Plaisance donnèrent
lieu à d'assez vives polémiques. Il expliqua en détails
sa théorie, sur les points contestés, dans un ouvrage
1727
GRASSI — G R ATI EN
1728
dont voici le titre : Dissertatio de principio ralionis
sufficicnlis in duas partes distributa ; in quorum prima
agilur de ipso principio ejusque extensione ad causas
cliam libéras; in altéra de usa ejusdem prinripii in
theologia rcvclata, in-4», Lugano, 1773. L'auteur,
cédant aux instances de ses amis, se décida à publier
celte dissertation pour répondre aux attaques de ses
adversaires, mais il fut surpris par la mort, au moment
même où tout était prêt pour l'impression, et ce fut
un de ses amis qui se chargea de ce soin. Grassi se
montre dans cet ouvrage partisan décidé des doctrines
de Leibnitz, Wolf et Boscowich, et entreprend de
démontrer que le principe de la « raison suffisante »
donne la solution du grave problème qui divise les
thomistes et les molinistes au sujet de la grâce efficace
et de la liberté humaine; enfin qu'on peut déduire de
ce principe un système complet sur la grâce, qui
mettra d'accord toutes les écoles, sans exiger d'aucune
l'abandon de ses principes essentiels. On peut douter,
a-t-on écrit justement, que Grassi ait convaincu un
seul de ses adversaires. îl réédita, en y faisant de
nombreuses additions, le cours de philosophie du
jésuite Sagner : Instituiiones philosophiez in usum
scholarum.... a Gasparo Sagner, 4 in-8°, Plaisance. 1767.
On lui attribue aussi une édition de la Théologie de
Habert publiée à Plaisance en 1772.
Notices bibliographiques sur les écrivains de la congré-
qalion de la Mission par un prêtre de la même congrégation
[E. Rosset], Angoulême, 1S78; La congregazione délia Mis-
sione in Jtalia, Paris, 1881, p. 374.
A. Milon.
GRATANIUS ou DE GRACE Thomas, religieux
augustin belge, naquit à Liège en 1554. 11 se consacra
principalement à la prédication, et, dans les diverses
charges qu'il occupa, notamment celle de provincial à
partir de 1610, à l'extension de son ordre. La province
augustinienne de Belgique dut en grande partie à ses
conseils et à ses exemples de s'orienter à cette époque
vers l'instruction de la jeunesse en acceptant la direc-
tion de nombreux collèges d'humanités, ce qui fut une
des grandes causes de sa prospérité pendant le xvie el
le xvne siècle. Ce Pèie mourut à Anvers en 1627, à
l'âge de 73 ans. Il avait auparavant donné au public :
1° Anastasis augustiniana in qua scriplores ordinis
eremitarum S. Auguslini qui abhinc sœculis aliquot
vixerunl, una cum neolericis, in sericm digesti sunt, An-
vers, 1613 ; 2° Orationcs in vilain Christi, Liège, 1626.
Ossinger, Bibliolheca augustiniana, Ingolstadt, 17GS;
.T. Dclaporte, Chronique du couvent de Tournai, manuscrit
conservé à la bibliothèque de ladite ville; J. Wils, Obiluaire
des augustins de Louvain, dans les Analecles pour servir éi
l'histoire de Belgique, t. xxx, p. 381.
N. Merlin.
1. GRATIEN. On étudiera successivement : 1° la
vie e! l'œuvre de ce canoniste ; 2° la théologie dans
les sources où il a puisé et chez les glossateurs de son
Décret.
I. GRATIEN. VIE ET ŒUVRE. —I. Vie. — Gratien est le
nom d'un moine bolonais du mi'' siècle rendu célèbre
par la compilation canonique qui porte le nom de
Decrelum Gratiani,le Décret de Gratien. Nous sommes
peu renseignés sur sa personne. Où était-il né? Peut-
être à Chiusi, en Toscane, comme l'affirme, au siècle
suivant, Martinus Polonus dans sa Chronique, mais sans
donner de référence. Nous ignorons totalement l'année
de sa naissance, le nom et la situation de ses parents,
car il faut renvoyer aux légendes le récit qui circula
au moyen âge et qui faisait de Gratien, de Pierre
Lombard, l'auteur des Sentences, et de Pierre Co-
ine tor, l'auteur de VHistoria scolastica, trois frères
adultérins. Cette légende, dont on trouve trace dans
un pa sage des Flores temporum, œuvre d'un frère
mineur de la lin du xnr siècle, ne repose que sur
l'imagination. 11 était italien, moine camaldule au
couvent des Saints-Nabor-et-Félix à Bologne, où
il enseigna le droit. D'où venait-il ? Quelle avait été
jusque-là sa vie ? Nous l'ignorons. On ne sait pas
davantage sur quoi repose l'affirmation qu'il serait
devenu évèque de Chiusi. Nulle part on ne le voit
nommé autrement que Magister Gratianus, sans aucun
qualificatif qui laisse deviner un clerc revêtu de
l'épiscopat. Nous ignorons aussi l'époque de sa mort,
sinon qu'elle dut arriver certainement avant le
IIIe concile de Latran (5 mars 1179). En effet, la
Summa Parisiensis du manuscrit de Bamberg, et
celle de Simon de Bisignano, deux commentaires du
Décret de Gratien, compilés avant le IIIe concile de
Latran, parlent de Gratien comme d'un mort; peut-
être même sa mort est-elle plus ancienne, car dans la
Summa ou Stroma de son disciple Roland Bandinelli,
qui fut écrite avant que Roland ne devînt pape,
en 1159, sous le nom d'Alexandre III, nulle part on ne
laisse penser que Gratien soit à cette époque encore
vivant.
II. Œuvre. — Si la personne est peu connue,
l'œuvre l'est au contraire beaucoup, et son authenti-
cité n'a jamais été et ne peut pas être révoquée en
doute, étant affirmée dès les origines par les contem-
porains. Elle a pour titre : Concordanlia (ou Con-
cordia) diseordanlium canonum. Ce titre lui a-t-il été
donné par Gratien lui-même ? On ne peut l'affirmer
avec une entière certitude; toutefois l'affirmation
ne serait pas improbable, car la Summa Ru fini,
commentaire qui parut vers 1165, peu de temps donc
après la mort de Gratien, attribue au compilateur de
la collection le choix de ce titre : ... universo operi
titulum prœscribit discordaktium canonum concor
D1A.V, cf. .1. Fr. von Sehultc, Gcschichte der Qui lien
und der Lilcratur des canonischen Rcchls, t. i, p. 250,
et, avant Rufin, Roland fait indubitablement allusion
à ce titre quand il dit : Cum ergo de negotiis ccclesia-
slicis concoroia canonum a gai; Gratien lui-même
semble l'indiquer en divers endroits de son œuvre,
par exemple, dans ce dictum après le c. 24, dist. L,
quomodo igilur hujusmodi aucloriiatum dissonantia
ad concordiam revocari valeat, et la Summa Lipsiensis,
qui daterait d'environ 1186, écrit plus clair encore :
unde non sine ralione lilulus tali operi inscribilur :
IXCIPir CONCORBIA DISCORDANTIUM CANONUM. Quant
au litre Decrelum Graliani, qui est le plus employé,
c'est le titre courant donné dès la fin du xne siècle
par les commentateurs et les écrivains, peut-être en
souvenir du Decrelum d'Yves de Chartres et du
Decrelum de Burchard que le volume de Gratien était
destiné à remplacer. On le nomma aussi Décréta,
Corpus Decrelorum, Liber canonum, voire Corpus
juris, si bien que les textes que les collections posté-
rieures, même les collections officielles, apportèrent,
furent déclarés extra (Corpus deerctorum ou juris)
vaaanles. Gratien, ce fut pendant un laps de temps
assez considérable, jusqu'à l'apparition de la collection
des Décrétales de Grégoire IX, le Droit.
Qu'est-ce au juste que ce Decrelum ? Nous l'avons
nommé jusqu'ici une compilation. C'est plus et mieux.
Ce n'est pas une pure et simple collection de décrets
comme les siècles précédents en avaient connu
beaucoup. Non seulement, comme ces compilations
antérieures, il comprenait le plus grand nombre
possible de textes des Pères, décrets des conciles et
des papes, qui formaient la base du droit canonique;
non seulement, comme les plus récentes de ces collec-
tions antérieures, il avait réparti ces textes non par
ordre chronologique, mais par matières, réunissant
les décisions sous certains titres systématiques; ce
par quoi le Decrelum se distinguait de toutes les
collections précédentes, c'est qu'il était en même temps
1729
GRATIEN
1730
un traité de science canonique. Gratien ne se bornait
pas à mettre bout à bout les textes parfois contradic-
toires : il s'efforçait de les accorder, solverc conlraric-
tates, d'établir des solutions, par des observations d'or-
dinaire très brèves qui portent le plus souvent le
nom de dicta Gratia.nL Sans doute l'exposé exprès du
Maître est réduit au strict minimum, mais il existe;
chacune de ses questions ou de ses distinctions est une
thèse, chacune des causœ de la seconde partie est un
vrai cas, une vraie espèce juridique que Gratien se
donne à résoudre. Le but didactique de l'ouvrage en
ressort avec la plus incontestable évidence.
Le Dccretum, on vient de le dire, se divise en plu-
sieurs parties. La Irc se subdivise à son tour en cent
une distinctions (c'est le nom de chaque section)
comprenant un plus ou moins grand nombre de canons
ou textes séparés, qui se pourraient répartir sous deux
chefs, les vingt premières distinctions formant un
traité général De jure naturœ et conslitulionis terminé
par une étude sur les sources écrites du droit : conciles,
décrétâtes pontificales: les quatre-vingt-un autres un
traité des ordinands ou De clericis. La IIe partie est
divisée en trente-six causœ, dont chacune pourrait
former un tout sous un titre particulier, comme
causa simoniacorum, tractatus conjugii, etc.; chaque
cause est subdivisée en questions réunissant chacune
plusieurs canons. Une de ces questions, la 111e de la
cause XXXIII forme un traité de la pénitence en
7 distinctions. Enfin la IIIe partie, divisée en 5 dis-
tinctions, traite des sacrements et des sacramen-
taux. On cite les textes delà Ire partie en indiquant
le numéro du canon en chiffres arabes et celui de la
distinction en chiffres romains : cf. ci-dessus c. 24,
dist. (ou D.) L; ceux de la IIe, en indiquant le numéro
du canon en chiffres arabes, celui de la cause en chiffres
romains, celui de la question de nouveau en chiffres
romains, par exemple, c. 4, C. (ou Caus.) III q. (ou
qusest.) ii, ce qui veut dire le canon 4 de la cause IIIe,
question ne, dans la IIe partie du Décret. La section
spéciale De pœnitcnlia dans cette partie est citée fort
brièvement, parce qu'il n'y a aucun danger de confu-
sion : on écrira ainsi c. 24, D. IV, De pœnit., ce qui
signifie le c. 24 de la distinction IV clans le traité
De psenitenlia qui forme la me question de la
cause XXXIII. Ceux de la IIIe partie sont cités
comme dans la Ire, avec l'addition des mots De
consecralione ou De cons., parce que la Ire distinction
traite en commençant de la consécration des églises.
Ces divisions n'ont pas toutes Gratien pour auteur.
La division de la Ire partie en deux sections parait bien
être de lui, mais non la répartition en cent une dis-
tinctions : une preuve sérieuse en est le l'ait que toute
la distinction LXXIII est une palea, c'est-à-dire qu'elle
est postérieure à Gratien. C'est au contraire à Gratien
lui-même qu'on devrait la division de la IIe partie
en trente-six causes : on ne peut lui attribuer la sub-
division de chaque cause en questions ni en particulier
celle de la caus. XXXIII, q.m, De pwnitentia. On ne peut
même affirmer comme indubitable que la IIIe partie
ait été séparée par Gratien, car maintes fois les
manuscrits la désignent sous la dénomination de
cause XXXVII. On ne peut non plus attribuer à
Gratien le sectionnement de tous les canons, le dénom-
brement de ces canons n'étant pas le même dans les
manuscrits et dans les éditions imprimées. Em. Fried-
berg, dans les prolégomènes de son édition de Gratien,
déclare, en effet, que la Ire partie du Décret compte
huit cent quatre-vingt-dix c. dans les manuscrits et
neuf cent soixante-treize dans les éditions imprimées;
la IIe, deux mille cent soixante-dix-neuf contre deux
mille cinq cent soixante-seize; la IIIe trois cent quatre-
vingt-neuf contre Uni; cent quatre-vingt-seize.
Ce que l'on peut attribuer à Gratien, c'est donc,
DICT. DE llll.nl.. CATHOL.
d'une part, les grandes lignes de la division^et son
développement logique, la Ire partie contenant ce
qu'on pourrait nommer le jus quod perlinct ad personas,
les deux autres le jus quod pertinet ad actioncs et res.
(Que la méthode n'ait pas été suivie sans défaillances,
qu'il y ait de trop nombreuses digressions, le traité
n'en a pas moins rendu d'immenses services qui ont
été la cause de son succès.) On peut, d'autre pari,
attribuer au Maître les summaria des distinctions
et des questions, la position du cas qui forme l'intro-
duction des causse, les paragraphi marquant la sous-
division d'une question en plusieurs parties et ceux
auxquels on a réservé spécialement le nom de dicta
Graliani, commentaires qui exposent la thèse du
Maître; de même, paraît-il, le plus grand nombre des
sommaires des canons, les rubricœ, ainsi nommées
parce qu'on les écrivait autrefois en rouge, et qui
résument en peu de mots tout le sens du texte cité
au-dessous. Mais il n'est pas certain qu'on doive
toujours à Gratien l'indication des sources qui lui ont
fourni ses textes; d'ailleurs, sauf pour les canons des
conciles de Latran de 1123 et 1139, quelques décré-
tais de Pascal II et d'Innocent II, et des passages
du droit romain, qu'il a pu citer d'après les originaux,
il s'est borné pour le reste à le citer d'après les collec-
tions en cours, en particulier le Dccretum d'Yves
de Chartres. De plus, il ne faut pas attribuer à
Gratien l'insertion de certains textes, nommés paleœ,
on ne sait pourquoi, peut-être parce qu'elles furent
insérées par un disciple et commentateur Pauca-
palea; de ces paleœ le nombre est incertain.
Une question dont la solution demeure encore
controversée est celle de la date où parut la collection.
Les divers auteurs qui s'en sont occupés fixent cette
date entre 1140 et 1150 ou 1151, il n'y a pas à tenir
compte des dates en deçà ou au delà. Récemment,
M. Paul Fournier, le savant historien des sources du
droit canonique, a cru pouvoir atteindre le maximum
de précision dans les conclusions suivantes d'une
élude publiée par la Revue d'histoire et de littérature
religieuses, mars-juin 1898, et tirée à part in-8° de
51 p., sous le titre : Deux controverses sur les origines
du Décret de Gratien : « 1° Le Décret de Gratien a été
mis à contribution par les Sentences de Pierre Lombard,
composées certainement après 1145, et suivant toutes
les apparences, peu après 1150. 2° Le Décret de Gra-
tien a été très vraisemblablement rédigé vers 1140,
ou tout au moins à une époque plus voisine de 1140
que de 1150. »
Quelle est l'autorité du Décret ? Il n'a comme tel,
c'est-à-dire comme collection, aucune autorité légale.
Cette autorité, il ne l'a reçue ni des papes ni de la
coutume. Benoît XIV l'a dit avec sa précision accou-
tumée : Graliani dccretum, quanlumvis pluries rom.
ponlificum cura cmcndalum fuisse non ignoretur,
vim ac pondus legis non habet, quin immo inter omnes
reccplum est, quidquid in ipso conlinclur, tuntum
auctoritatis habere, quantum ex se habuisset, si nunquam
in Graliani eollcctionc inserlum foret. De synodo diœce-
sana, I. VII, c. xv, n. G. Les textes qu'il contient
n'acquièrent donc de ce fait aucune authenticité nou-
velle. Les corrections faites au xvie siècle par la
commission connue sous le nom de Corrcclorcs romani
ont produit un texte plus fidèle, mais l'approbation
donnée aux résultats par Grégoire XIII n'a pas
changé le caractère originel de la collection : celle-ci
est demeurée ce qu'elle avait toujours été, une œuvre
privée. Toutefois, sans avoir valeur officielle, le Décret
a servi longtemps de base à l'enseignement des écoles.
11 fut pour le droit canonique, quand l'enseignement
de cette science se sépara de celui de la théologie, ce
que furent pour la théologie les Sentences de Pierre
Lombard. Il forma la trame de l'enseignement, le
VI.
55
1731
GRATIEN
1732
texte que les maîtres commentèrent et enrichirent
de aloses, et plus d'un canon put prescrire ainsi une
valeur légale qu'il ne tenait pas de son origine, sans
compter que les commentaires et gloses nous marquent
très clairement le sens que leurs contemporains
donnaient à tel ou tel texte.
On comprend qu'une œuvre de ce genre fût l'objet
d'un grand nombre de copies. Elle dut en être aussi
plus d'une fois la victime, ce qui explique la nécessité
des corrections faites au xvic siècle. Dès le xve siècle
on en publia trente-neuf éditions. Mais elles laissèrent
toutes beaucoup à désirer. Les meilleures, sans la
glose, sont celles de Em.-L. Richter, 1836, et de
Em. Friedberg, 1879 : cette dernière n'est pas parfaite
sans doute, elle surpasse pourtant toutes les précé-
dentes, soit quant à la correction du texte, soit quant
aux prolégomènes qu'il lui a donnés.
La bibliographie utile tient en peu d'ouvrages, dont
voici les principaux : Sarti et Fattorini, De claris archi-
gymasii Bononicnsis professoribus, édit. de 1896, Bologne;
J. Fr. von Schulte, Die Geschichte der Quellen und der Lite-
ratiir des Canonischen Redits, t. i, p. 46-75, qui complétera
aussi la bibliographie antérieure à 1875; Laurin, Inlro-
duetio in Corpus juris canonici, 1889; le travail indiqué plus
haut de M. Paul Fournier, Deux controverses sur les origines
du Décret de Gratien, qui conduit jusqu'à 1898 la biblio-
graphie, spécialement sur la date de composition du Décret;
Em. Friedberg, dans les prolégomènes, p. ix-cii, de son
édition du Décret, Corpus juris, t. i (1879). Commode
résumé dans Ph. Schneider, Die Lehrc von den Kirchen-
rechtsquellen, 2° édit., 1892, p. 106-125; plus sommaire
encore dans J. B. Sâgmuller, Lchrbuch des kalholischen
Kirclicnrechts, S 41, 2e édit., 1909, p. 149 sq.
A. VlLLIEN.
II. GRATIEN. LA THÉOLOGIE DANS SES SOURCES ET
CHEZ LES GLOSSATEURS DE SON DÉCRET Si le
Décret de Gratien ouvre aux matières tbéologiques une
place plus ou moins grande selon les cas, les recueils
antérieurs auxquels il fait des emprunts, et les glossa-
teurs subséquents qui le commentent, se caractérisent
par un mélange analogue de questions dogmatiques et
de droit canonique. Souvent même, chez ceux-ci
comme chez ceux-là, la théologie prend beaucoup plus
d'extension que chez Gratien. Les rapports mutuels
des deux sciences, à cette époque, influent sur leur
développement. C'est à ce titre que ces deux séries de
recueils, les sources de Gratien, et les travaux de ses
glossateurs (Glossœ, Summiu), doivent intervenir dans
l'histoire des doctrines théologiques; à plus d'un point
de vue, elles intéressent même l'histoire du dogme, sur-
tout dans les traités De Ecclesia et de romano pontiflee
et De sacramentis in génère et in specic; l'histoire de
l'enseignement scolaire, de l'élaboration des program-
mes et des méthodes, peut s'éclairer aussi de cette étude.
— I. Considérations générales sur les points d'attache
de:; matières théologiqucs avec les recueils canoniques.
IL Rapports des collections canoniques avec la théo-
logie et le dogme, avant Gratien. III. Rapports des
commentaires et des gloses des canonistes avec le
dogme, après Gratien.
1. Considérations générales. — Il n'y a pas lieu
de s'occuper de l'aspect de plus en plus juridique que
prennen t , vers cette époque, le gouvernement de l'Église
et son organisation hiérarchique. Cette question regarde
l'histoire beaucoup plus que la théologie; sa place est
donc ailleurs. Elle appelle toutefois ici une remarque :
sans doute, il serait puéril de vouloir nier la marche
rapide, à ce moment, du droit ecclésiastique vers la
centralisation gouvernementale ; mais, d'autre part,
1' « amalgame entre dogme et droit, » dont Harnack fait
si grandement état, Lchrbuch der Dogmengcschichte,
4e édit., Leipzig, 1909, t. ni, p. 347, et en général,
q. 347-354, se présente, dans son exposé, sous un jour
qui n'est pas de nature à éclairer complètement la
matière. Car l'absence presque complète de décisions
doctrinales, depuis l'apparition des Fausses Décrétâtes,
s'explique, entre autres, par la barbarie de la période :
dans ces milieux peu cultivés, l'hérésie ne trouvait pas
le terrain préparé, et si elle se fait jour, elle est purement
« grossière et matérielle, » comme le disait déjà Ampère.
Histoire littéraire de la France avant le xu* siècle, Paris,
1840, t. m, p. 273. Plus tard, par exemple, sous
Alexandre III, les questions théologiques occupent la
papauté beaucoup plus que ne le laisse entrevoir Har-
nack. Op. cit., p. 350. La manière dont les canonistes
entendent l'interprétation des lois mobiles et immobiles,
par exemple, dit déjà toute la différence qu'ils mettent
entre les choses de foi et les choses de mœurs, comme
le serait la dîme. Ibid., p. 351. Ce n'est pas la papauté,
du reste, qui fait entrer dans les collections canoniques
le chapitre dogmatique le plus important et le plus dog-
matiquement formulé ; c'est Yves de Chartres, lequel
n'est certes pas en progrès sur les canonistes grégoriens
dans l'affirmation des droits du Saint-Siège. Enfin, pré-
cisément au moment où ce caractère s'accuse davan-
tage dans l'Église, le mélange de la théologie et du
droit devient beaucoup moins intense, à en juger par
les travaux des représentants des deux sciences. Déjà,
chez Gratien, disparaissent beaucoup de ces matières
de pure foi, en dehors du De consecralione. Le dévelop-
pement que nous exposons ici ne peut donc être en
connexion bien intime avec le mouvement dont s'oc-
cupe Harnack et dont, avec quelques nuances, nous
retrouvons l'esquisse chez Seeberg, Lehrbuch der Dog-
mcngeschichtc, 2e édit., Berlin, 1913, t. ni, p. 116-118.
C'est bien plutôt aux conditions de l'enseignement
scolaire qu'il faut attribuer les rapports entre les deux
sciences et les emprunts qu'elles se font mutuellement,
surtout dans le domaine de la méthode et de la docu-
mentation.
Cette revue des sources ne s'étendra guère au delà de
l'époque du concile de Latran en 1215, non pas qu'à
cette date les rapports entre les deux sciences aient pris
fin. Loin de là; les services rendus aux théologiens par
les dossiers patristiques des canonistes se perpétuent
pendant tout le moyen âge, jusqu'à se manifester dans
la documentation d'Occam, de Wyclif et de Jean Huss.
Les manuscrits des Sentences de Pierre Lombard, non
moins que les commentaires des grands théologiens sur
les Sentences, montrent combien le Décret de Gratien
était continuellement utilisé par leurs études. Le De
consecralione surtout alimentait de ses textes l'exposé
théologique. Mais tout cela est déjà bien postérieur à la
période de l'élaboration des deux sciences et d'impor-
tance à peu près nulle dans l'histoire des dogmes; c'est
surtout au moment où la théologie commence à s'or-
ganiser en un corps de système, qu'il est utile de recher-
cher quels éléments elle fait intervenir et à quels auxi-
liaires elle a recours.
II faut remarquer que tout ce qui est dogme parmi
ces éléments n'est pas pour cela hors de sa place en
droit canon ; il est des manifestations extérieures de la
foi, récitation publique des divers symboles, serment
de fidélité, profession de croyances, etc., que l'Église,
société organisée, exige de ses ministres ou des chré-
tiens en général. Rien d'étonnant doncsices formules,
ou les textes qui en donnent la substance, trouvent leur
place dans les collections canoniques, auparavant
comme certains textes des Pères et des conciles avaient
trouvé accès dans la législation impériale, à un moment
où le christianisme était devenu religion d'État. Codex
theodosianus, I. XVI, 1, édit. Mommsen et Meyer.Berlin,
1905, p. 833; Codex justinianus, 1. I, 1, édit. Kriiger,
Berlin, 1877, p. 7-18; voir aussi Alivisatos, Die kir-
chîiche Geselzgebung des Kaisers Juslinian I, dans Neue
Studien zur Geschichte der Théologie und der Kirche,
Berlin, 1913, t. xvn, p. 3 sq., 21. Ce n'est donc pas pro-
prement en cela que consiste l'entrée de la théologie
173^
GRATIEN
1734
dans les collections canoniques. D'allure plus spéciale-
ment théologique est le développement considérable
que prennent ces passages, jusqu'à se transformer par-
fois en vrais chapitres de théologie positive, comme l'on
en trouve chez Burchard de Worms, Decrelum, 1. XIX
et XX, P. L., t. cxl, col. 943-1058; chez Yves de
Chartres, Decrelum, part. XVII, P. L., t. clxi, col. 967,
et chez d'autres.
Cette intrusion de la théologie dans les recueils de
droit canonique provient, en première ligne, du genre
même de ces recueils et du rôle auquel les destinent
leurs auteurs : ils veulent être pratiques avant tout et
ont pour but de mettre à la disposition du clergé, sur-
tout du supérieur ecclésiastique, tous les renseigne-
ments indispensables pour la direction d'un diocèse ou
d'une partie de diocèse. Ils appellent cela un recueil
manuel, un enchiridion, un codicillam manualem. C'est le
mot qu'emploient Réginon de Prum et d'autres après
lui. YVassersehleben, Reginonis... libri duo de synodalibus
causis cl disciplinis ecclcsiasticis, Leipzig, 1840, praef.,
p. 1, 2; collection inédite du Vatican, ms. 1339, dans
Theiner, Disquisitioncs crMcie, p. 272. Les peuples
commençaient à peine à sortir de la barbarie post-caro-
lingienne; en de tels moments, la théologie pouvait
être réduite au strict nécessaire : ni la prédication, ni
les connaissances du clergé n'exigeaient grand'chose
encore, comme on peut le voir dans les canons des
conciles qui s'occupent de l'homélie dominicale et des
livres nécessaires aux clercs. Voir J. de Ghellinck, Le
mouvement théologique du XIIe siècle, Paris, 1914, p. 34.
Il va sans dire que la prédominance est attribuée par
ces recueils aux parties pratiques; c'est dans celles-ci
que s'élargit principalement la place de la théologie.
Avant tout, les sacrements et leur administration font
l'objet d'une attention spéciale; de même, les chapitres
sur les droits du Saint-Siège à l'obéissance, et sur ses
prérogatives de souveraineté, d'universalité, d'infailli-
bilité, etc.
En outre, les développements donnés à une matière,
de préférence à d'autres, seront déterminés par la nature
même des sources utilisées, ou par l'objet des contro-
verses agitées à l'époque ou dans le pays de l'auteur;
c'est le cas pour la prédestination et la grâce, chez Bur-
chard de Worms; pour le sacrement de l'eucharistie,
chez Yves de Chartres et chez Gratien; pour la valeur
des sacrements conférés par les indignes, chez tous les
auteurs contemporains de la querelle des investitures.
Un but nettement déterminé et consciemment pour-
suivi commande, chez d'autres, le choix des matières
traitées et des documents utilisés : c'est le cas chez
Anselme de Lucques et chez ceux dont il dérive ou
auxquels il sert d'exemple; ils veulent tous la réforme
ecclésiastique et, pour l'accomplir, la reconnaissance
des droits du Saint-Siège. Beaucoup de ces questions
étant théologiques non moins que canoniques, la solu-
tion qu'il fallait donner sur le terrain pratique, au for
intérieur comme au for extérieur, supposait déjà,
moyennant la réserve apportée plus loin, une réponse
sur le terrain doctrinal.
S'il est des traités qui élaguent une bonne partie des
matières dogmatiques et se restreignent généralement
au seul côté canonique, ils ne rompent pas complète-
ment toutefois avec les habitudes régnantes qui ont uni
les deux sciences; l'on peut citer, comme exemple, la
Panormic d'Yves de Chartres; dans le traité des sacre-
ments, elle fournit sur la confirmation presque autant
de matières que la plupart des œuvres théologiques du
xn» siècle, et sur l'eucharistie, elle présente tout un
agencement de textes patristiques dirigés contre Bé-
renger, et relatifs à la transsubstantiation et à la per-
manence des accidents. Les canons formulés dans ce
chapitre et les inscriptions qui leur servent de titre,
souvent avec beaucoup de précision, passeront en bloc
dans le Décret de Gratien. D'autres fois, les développe-
ments relatifs au monde invisible des anges et des
démons, ou aux fins dernières, peuvent avoir été ins-
pirés par le désir de faire cesser un certain nombre de
croyances et de coutumes superstitieuses, auxquelles
le folklore des peuples enfants ouvrait si large place :
c'est là, croyons-nous, la raison de ces chapitres dans le
Décret de Burchard (fin du 1. XX, p. 41-55); de son
recueil, ils ont passé chez quelques-uns de ses copistes,
comme on le verra plus loin.
Outre cette communauté de matières, qui n'est pas
sans influence sur les essais de la codification théo-
logique — ceux-ci suivent d'assez près la codification
canonique — les rapports entre les deux sciences au
moyen âge s'accusent encore par l'emploi des mêmes
textes patristiques, car les recueils canoniques servent
souvent de dossier patristique aux théologiens, et par
la même méthode dans la conciliation des autorités
patristiques. Jusqu'à l'époque de Gratien, la théologie
sera plutôt tributaire des canonistes. Dans ces divers
domaines, à partir du second quart du xn° siècle, la
relation s'établit en sens inverse. Abélard, Hugues de
Saint-Victor et Pierre Lombard, pour citer quelques-
uns des principaux noms, trouveront souvent écho
chez les canonistes, et ceux-ci puiseront à pleines mains
chez les théologiens, quand ils s'occupent de théologie.
IL Exposé des relations entre les deux
sciences jusqu'à Gratien. — 1° Matières communes.
— ■ 1. Collections jusqu'à la fin de l'époque carolingienne.
— Ces relations commencent surtout avec le groupe des
collections rhénanes, représenté par Réginon de Prum
et Burchard de Worms. Les recueils précédents, comme
le Codex canonum ecclesiaslicorum et la Colleclio decre-
lorum romanorum ponlificum de Denys-le-Petit, P. L.,
t. lxvii, col. 139, 230, la collection dite Avellana, édit.
Guenther, dans le Corpus scriptorum ecclesiaslicorum de
Vienne, 1895, t. xxxv, la Brevialio canonum de Fulgence
Lerrand, P. L., t. lxvii, col. 949-962 (courte collection
qui suit l'ordre des matières dans ses 232 numéros,
mais ne donne qu'un résumé), le Brcviarium canonum,
ou mieux la Concordiu canonum de Cresconius, P. L.,
t. lxxxviii, col. 829-942 (l'ordre des matières, satis-
faisant au début, disparaît bientôt de la suite), plus
tard la collection Irlandaise, édit. Wasserschleben, Die
Irische. Kanoncnsammlung, Leipzig, 1885, ou se conten-
tent de suivre la liste chronologiques de textes sans
souci de l'ordre méthodique des matières, ou sont trop
éloignées des essais de la codification théologique, et,
par suite, n'exercent qu'une influence indirecte sur les
prédécesseurs de Gratien, ou sont trop courtes ou
conçues dans un sens trop spécial pour ouvrir leurs
colonnes aux textes théologiques : Colleclio Avellana,
répertoire par ordre historique, précieux surtout pour
l'histoire ecclésiastique depuis 367 jusqu'à 553; Bre-
vialio canonum, court résumé; Concordia canonum de
Cresconius, puisée dans Denys-le-Petit, donne pas mal
de textes sur la rebaptisation, can. 62 sq., op. cil.,
col. 870; la Collection irlandaise, à part le 1. XLVII sur
la pénitence, op. cit., p. 196-203, n'a rien de théologique,
pas même dans les 1. XXXVIII, De docloribus Ecclesicc,
chapitre de pastorale, p. 141-146, ou LVII, De hœrcticis,
p. 233. 11 y a bien aussi l'exemple de l'Hispana, dou-
blée bientôt d'une table systématique des matières
(voir 1. IV, tit. iv, v, symboles de foi; l.VIII, De Deo et
quœ sunt credenda de illo; Maassen, Geschichte der Qucl-
len und der Literatur des Canonischen Rechls, Gratz,
1870, t. i, p. 667-717, 813-820; d'Aguirre, Colleclio
maxima conciliorurn omnium Hispanise, Rome, 1754,
t. iv, p. 9-56), et celui de la célèbre collection des Fausses
Décrétâtes (Hinschius, Decrekdes pseudo-Isidorianse,
Leipzig, 1863, p. 99 sq., Trinité et incarnation, etc.;
Môhler, Fragmente aus und ûber Pseudo-Isidor, dans
Thcologische Quartalschrijt de Tubingue, 1829, p. 177;
173:
GRATIEN
1736
1832, p. 3. ou Schrifien und Aufsàtze, édit. Dollingcr,
Ratisbonne, 1839, p. 283 347; P. Fournier, Élude sur
les fausses Décrétâtes, dans la Reuue d'histoire ecclésias-
tique, 1906, t. vu. p. 36, et Dictionnaire apologétique de
la foi catholique, t. i, col. 903-910; Décrétales, t. iv,
toi. 212-222), qui font, l'une et l'autre, une place au
dogme. Mais tout cela n'est pas comparable à l'impor-
tance que prend la théologie dans les collections rhé-
nanes. Avec Y Anselmo dedicala qui leur sert de source,
celles-ci sont parmi les grandes collections, les pre-
mières en date qui abandonnent l'ordre chronologique
pour assurer désormais le triomphe à un groupement
plus méthodique des matières; par suite, leur plan
logique met davantage en relief la part qu'elles font à
la théologie.
2. Groupe des collections rhénanes. — Au début du
xe siècle, Réginon, De causis et disciplinis ecclcsia-
sticis, P. L., t. cxxn, col. 175, dominé plus que tout
autre par des préoccupations d'ordre pratique, parle de
sujets dogmatiques dans les rapports qu'ils peuvent
avoir avec la conduite morale; les matières liturgiques
et sacramentelles sont à citer ici : eucharistie, 1. 1, 63 sq. ;
extrême-onction, 1. I, 106 sq. ; baptême, 1. I, 265 sq. ;
pénitence, 1. I, 292 sq. ; ordre, 1. I, 399 sq. ; mariage, 1. II,
101 sq. Mais tout cet ensemble est fort élémentaire
encore, comme du reste l'annoncent les questions
lxxxii-xcvi de l'interrogatoire placé en tête de l'oeuvre
et destiné à la visite des paroisses.
La collection du nord de l'Italie, V Anselmo dedicala,
du nom d'Anselme II, archevêque de Milan, à qui elle
est dédiée (883-897), a aussi quelques passages relatifs
aux matières théologiques, comme sur le baptême et la
confirmation dans sa partie IX ; l'eucharistie et la péni-
tence font défaut ; la primauté de l'Église romaine inter-
vient dans la lrL' partie (ms. de Bamberg, P. I, 12,
fol. 106, 107, 221-227, etc.; Fournier, L'origine de la
collection Anselmo dedicala, dans les Mélanges P. F. Gi-
rard, Paris, 1912, extrait).
Beaucoup plus que Réginon et que V Anselmo dedi-
cala, ses deux modèles principaux, Burchard de Worms
augmente la part des matières théologiques ; son Decre-
/um, composé avant 1023, commence par la primauté du
pape et donne de longs développements à divers sacre-
ments : 1. I, 2, 3; 1. IV, P. L., t. cxl, col. 726, baptême
et confirmation; 1. Il, col. 717, ordre et devoirs du
prêtre; 1. III, 56, col. 719, matière de la catéchèse, etc.
Si le chapitre sur l'eucharistie, quoi qu'en dise Bur-
chard, laisse beaucoup à désirer, 1. V, col. 751, le cha-
pitre de pastorale intitulé : De visilaiione infirmorum,
1. XVII I, col. 937, parle de la rémission des péchés et de
l'extrême-onction. Les deux derniers livres, surtout,
intéressent la théologie : le XIX, Correclor cl medicus.
qui n'est pas à enlever à Burchard, est un traité fort
développé de l'administration de la pénitence au
xic siècle. A. Lagardecn a donné récemment une analyse
détaillée, Le manuel du confesseur au XIe siècle, dans la
Revue d'histoire cl delillérulure religieuses, nouvelle série,
1910, t. i, p. 542-550, mais les conclusions qu'il en tire
appellent des réserves. L'importance de ce traité
s'affirme jusque dans les copies qu'on en fait en Alle-
magne au xmc et au xve siècle. Ce XIX' livre de Bur-
chard ouvre désormais au De pœnilcnlia une place à
part dans les collections canoniques ; même les auteurs
dis recueils canoniques à l'époque de la réforme gré-
gorienne, puis les compilateurs du groupe français,
agiront souvent comme Burchard, jusqu'au moment
où Gratien fera entrer dans son traité sur la pénitence
diverses questions dogmatiques (texte de Burchard
dans P. L., t. cxl, loc. cit., et dans Schmitz, qui fait
intervenir quelques nouveaux manuscrits, Die Bussbii-
cher und das kanonische Bussverfahren, Dusseldorf.
1898, t. ii, p. 407). Le 1. XXe est de matière essentiel-
lement théologique comme le dit son litre Spcculatoi;
spcculalur enim de pmdestinalione, etc., ibid., col.
1013-1058: âme humaine, chute et liberté, grâce, pré-
destination, anges et démons, fins dernières, prière
pour les morts, etc., Antéchrist.
Les nombreuses collections qui copient Burchard ou
s'inspirent de lui. et parmi lesquelles il faut citer la Col-
leelio duodeeim partium (inédite, mss. de Bamberg, /'. /,
13, et P. 3, 10, etc.), reproduisent la plupart de ces
matières. On les retrouve, un siècle plus tard, jusque
dans le Pohjcarpus et dans la collection italienne du
Vatican 1346. Theiner, op. cit., p. 345, 355, etc.;
de Ghellinck, op. cit., p. 287. Yves de Chartres les fait
même entrer dans son Decrclum, mais non plus dans
sa Panormia.
3. Groupe des collections grégoriennes. - — Après le
groupe des collections rhénanes, il faut mentionner un
groupe plus important encore : il doit son origine à ce
grand mouvement de réforme auquel est attaché le
nom de Grégoire VII et qui est devenu célèbre dans
l'histoire par la querelle des investitures à laquelle il
donna lieu. La première caractéristique de ces collec-
tions dans le développement de la théologie et du
dogme, réside dans l'affirmation des droits du Saint-
Siège, primauté, infaillibilité, etc. L'autre a trait sur-
tout aux questions sacramentaires; la valeur des sacre-
ments conférés par les indignes y est l'objet de déve-
loppements spéciaux. Cela seul nous dit déjà combien
les traités théologiques De Ecclesia et romano ponlifice
et De sacramenlis in génère peuvent trouver de rensei-
gnements précieux dans les travaux des canonistes
grégoriens. Ceux-ci avaient été précédés dans leurs
essais de réforme par un groupe de recueils, qui se fait
jour surtout au sud de l'Italie; mais cette tentative
avait été sans succès, semble-t-il. (Note d'un mémoire
communiquée à l'auteur par M. P. Fournier, sur les
collections canoniques du pays de Bénévcnt et du sud
de l'Italie.) C'était l'appui de la papauté qui devait
assurer le triomphe à l'œuvre réformatrice. Les collec-
tions grégoriennes aboutissent à préciser, dans les
points qu'on vient d'indiquer, l'expression du dogme
et de la théologie, non pas seulement grâce aux formules
qu'elles emploient, ou dont elles favorisent la diffusion.
Elles obtiennent encore ce résultat par la pratique
qu'elles répandent de plus en plus clans les mœurs et qui,
à son tour, se traduit dans les exposés didactiques. Ces
collections, fort nombreuses, sont surtout représentées
par les noms suivants : en tète, vient un recueil anonyme
du milieu du xic siècle environ, la Collection en 74 titres,
inédite encore (Thaner prépare une édition; bonne étude
et indication du contenu et des titres dans P. Fournier,
Le premier manuel canonique de la réforme au xi* siècle,
dans les Mélanges d'archéologie et d'histoire publiés par
l'École française de Rome, 1894, t. xiv, p.147-223; quel-
ques chapitres imprimés d'après l'édition de Wendel-
stcin,parPilhou,Corfr\rca/iom<m velus Ecclesiœ romaine,
Paris, 1687, p. 177-180). Ce recueil donne une place pré-
pondérante au De primalu romaine Ecclesiœ. C'est le
titre que lui donnent divers manuscrits du reste : Sen-
lenliœ Palrum de primalu romaïuv Ecclesiœ, d'après le
titre de ses premiers chapitres. La collection en 74 titres
sera imitée par une vingtaine de collections qui dérivent
d'elle. Les documents qu'elle utilise proviennent tous
des collections antérieures, si bien qu'on a pu dire de
l'auteur qu'il ne fait pas une innovation, mais qu'il
restaure l'ancien droit. C'est le premier essai (voir les
titres i, ii, puis xx, xxm, xxv), du reste encore très
imparfait, d'une codification canonique et théologique
d'un De Ecclesia cl de romano ponlifice. Malheureuse-
ment, tout n'est pas de même valeur, le pseudo-Isidore
ayant alimenté ce recueil comme tous les autres du
moyen âge.
Après la Collection en 14 litres, qui prend l'initiative
en cette matière, il faut signaler surtout les œuvres
1737
GRATIEN
1738
(l'Anselme de Lucques (t 1080), du cardinal Deusdedit
(septembre 1087), et de Bonizon de Sutri (pas avant
1089). Sur d'autres collections encore inédites, l'on peut
consulter la dissertation des Ballerini, De antiquis cano-
inun colleclionibus, iv, 17, 18, dans leur édition des
œuvres de saint Léon, P. /...t. lvi, col. 346 ; Theiner, op.
cit., p. 338, 341, 345, 350; Fournicr, mémoire cité des
Mélanges d'archéologie el d'histoire, t. xiv, p. 209-223.
Les droits du Saint-Siège et divers points intéressant la
théologie de l'Église et du pape sont clairement for-
mulés ici. Voir quelques affirmations dans les ouvrages
cités, comme celles de Deusdedit, édit. Wolf von Glan-
vell, Die Kanonessammlung des Kardinals Deusdedit,
Paderborn, 1905, 1. I, 6, 18, 48, 50, 53, 54, 57, 58, 59, 63,
65, 68, 70, etc. ; Anselme de Lucques, Collectio eanonam,
édit. Thaner, Inspruck, 1906, 1. I, 12, 13, 57, 60, 65, 67,
68; 1. XII, 42, 47, etc.; Bonizon de Sutri, Deerelum,
1. IV, 4, 7, 9, 16, etc., dans Mai, Nova Palrum biblio-
theca, t. vu, part. III, p. 29, 47, etc. ; de Ghellinck, op.
cit., p. 292-294. Ce mouvement de réforme, en con-
nexion intime avec les fameuses propositions du Dic-
tatus papa\ restitué de nos jours à Grégoire VII par
Peitz et d'autres à sa suite, Das original Regisler Gre-
gors VII, Exkurs ni, p. 272 sq., dans Sitzungsberichle
der k. Akademie der Wissenschafien in Wien, philos.-
histor. Klasse, 1911, t. clxv, p. 272-286, affirme sa vita-
lité jusque dans le succès même de ces collections;
celles-ci se répandent rapidement partout et se multi-
plient en un grand nombre de manuscrits, surtout
celles en 74 titres et celle d'Anselme de Lucques, dont
les copies dépassent six fois et davantage le nombre
des manuscrits connus de Deusdedit ou de Bonizon.
Mais tandis que la question mentionnée tantôt, au
sujet des sacrements, entre tout de suite dans les ou-
vrages de dogmatique, il faut attendre le xvie siècle
pour que le traité de l'Église et du pape prenne défini-
tivement sa place dans les cours de théologie; cela ne
veut pas dire que dans les siècles précédents, au
xne et xme siècle surtout, les idées des théologiens ne
fussent pas nettes et claires à ce sujet. Voir Grabmann,
Die Lehre des Thomas von Aquin, von der Kirche als
Gotteswcrk, Batisbonne, 1903. Mais la pratique même
dont on vivait dispensait d'une systématisation théo-
rique en théologie. Le traité De Ecclesia et de romano
ponlificc se préparait ainsi son entrée d'une double
manière dans les essais de la codification théologique,
comme on l'a dit plus haut; il y a d'abord l'affirmation
nette et précise des droits du Saint-Siège, telle que la
formulent Anselme de Lucques, Deusdedit et les autres
grégoriens; il y a, en outre, le mouvement des idées
qui correspond à celui des faits et des événements.
Avant de se formuler en thèse précise dans les recueils
dogmatiques, l'idée de la suprématie papale et des
droits du Saint-Siège est en quelque sorte vécue et pra-
tiquée. Les recueils grégoriens contribuent pour une
large part à la faire passer dans les mœurs et préparent
ainsi la voie aux textes qui entreront dans la codifica-
tion théologique. Ce qui peut servir en quelque sorte de
contre-épreuve à ce que nous affirmons ici, c'est que
d'autres essais de réforme, comme ceux dont il a été
question plus haut, et qui s'affirment dans quelques
collections canoniques du sud de l'Italie, n'aboutissent
à aucun résultat sérieux; il leur manquait l'appui du
siège de Borne. Les événements du xive siècle font
constater qu'un progrès sur le terrain même de l'en-
seignement universitaire théologique en ce moment,
eût évité les violents conflits dus aux idées conciliaires
pendant le siècle qui précède la réforme.
Passons à la théologie sacramentaire de ces recueils ;
l'on sait qu'à ce moment même commence le grand
travail de la codification théologique, qui aboutira à
constituer le IIIe livre des traités de l'école abélar-
dienne et presque tout le IVe livre des Sentences de
Pierre Lombard, dont tous Ici centres théologiques
feront leur Liber texlus pendant plus de trois siècles : nou-
velle manifestation du lien étroit qui unissait ces deux
branches des sciences sacrées. Plusieurs des recueils
qui s'inspirent des idées grégoriennes puisent en même
temps chez Burchard de Worms; ce qui garantit la sur-
vivance à divers chapitre; théologiques du Decretum
rhénan. Le De pœnilenlia, notamment, fait son entrée
dans les traités grégoriens ou dans les exemplaires
remaniés de ces collections. Mais ici la question dogma-
tique n'est pas encore au premier plan; la question
morale et l'histoire de l'administration de la pénitence
sont surtout l'objet de l'attention : de tout cela la théo-
logie positive peut déjà tirer des ressources, rien que
pour l'histoire des usages pénitentiels, les formules et
les conditions de l'absolution et de la satisfaction, etc.
Voir de Ghellinck, op. cit., p. 295. Quelques autre;
parties ne se haussent pas encore beaucoup au-dessus
des recommandations d'ordre pratique données par
Burchard, telle, par exemple, la collection d'Anselme de
Lucques, 1. IX, inédit (table des chapitres dans Mai,
Spicilegium romanum, t. vi, p. 352-375, d'après la
seconde recension de la collection). Il faut attendre la
répercussion de la controverse de Bérenger sur les
recueils chartrains pourvoir apparaître la note dogma-
tique en cette matière. Par contre, de nombreux cha-
pitres sur la dédicace des églises, comme dans la. Col-
lection en 74 litres et diverses collections italiennes iné-
dites (de ecclesiis sacrandis... el sacramenlis carum, etc.),
préparent déjà les voie; à la dist. I du De consecratione
de Graticn. En même temps, l'emploi fréquent du mot
sacramentum, chez les canonistes et chez les liturgistes,
fournit abondante matière à l'étude des sacrements et
des sacramentaux. Mais le principal problème qu'agite
en ce moment la théologie sacramentaire est celui de
la valeur du sacrement dans le cas de sa collation par
un indigne. Elle commence surtout à occuper les esprits
après l'apparition de la Collection en 74 titres, c'est-à-
dire après les grandes mesures de déposition décrétées
par les conciles réformateurs sous Hildebrand et Gré-
goire VII : élément de controverse qui déborde d'ail-
leurs des collections canoniques et des traités théolo-
giques, pour envahir toutes les productions polémiques,
épistolaires, historiques, voire exégétiques, de l'époque.
Les tenants des systèmes les plus opposés se rencontrent
parfois dans le même camp, et il est assez curieux de
remarquer que tous ne voient pas dans le problème une
question de dogme : il en est qui veulent, comme Boni-
zon, Decretum, dans Mai, Nova Palrum bibliolheca,
Borne, 1854, t. vu, part. III, p. 2, restreindre la ques-
tion au seul terrain disciplinaire. Voir de Ghellinck, op.
cit., p. 295-297; Saltet, Les réordinalions, Paris, 1907,
p. 173-360; Mirbt, Die Publizislik im Zeilaller Gre-
gors VII, Leipzig, 1894, p. 372-462.
4. Groupes des collections charlraines. — Les recueils
du groupe français qui viennent au jour ensuite et dont
les collections chartraines forment le principal noyau,
surtout le Decretum d'Yves et sa Panormia, se font
remarquer, au point de vue qui nous occupe ici, par
une double caractéristique. S'ils ouvrent la place moins
large aux préoccupations romaines des recueils gré-
goriens, ils enrichissent de nouveaux documents la
partie théologique aussi bien que la partie canonique.
L'on peut en donner comme exemple le Decretum, la
première des œuvres chartraines dans l'ordre chronolo-
gique (avant la fin du xie siècle), qui conserve les parties
dogmatiques de Burchard et les développe même. Voir
1. I, 253; 1. II; 1. XVII, 1-11, 121, etc., P. L., t. clxi,
col. 120, 135, 967, 1015, etc. Mais peu après, la seconde
œuvre d'Yves et la plus parfaite, celle qui allait régner
en maîtresse jusqu'à l'apparition du Décret de Gratien,
la Panormia, se met en devoir d'élaguer une bonne
partie de ces matières théologiques. Une comparaison
L739
G R ATI EN
1740
entre la Panormia et le Decretum est fort suggestive à
ce sujd : Yves cependant y ouvre encore la place à
divers sujets de dogme, 1. I, 1-7, 8-162, P. L., t. clxi,
col. 1045, etc. En second lieu, malgré cette allure plus
exclusivement canonique, c'est dans les collections
cliartraines, dans la Panormia non moins que dans le
])i crelum, que fait son entrée pour la première fois tout
un chapitre de théologie dogmatique : celui sur l'eucha-
ristie, De corpore et sanguine Domini. 11 faut y voir
le contre-coup des erreurs de Bérenger, qui avaient semé
le trouble un peu partout. Ce traité, plus soigné peut-
être qu'aucun autre, donne un libellé remarquable aux
inscriptions des canons sur la transsubstantiation et la
survivance des espèces ; Gratien en bénéficiera. Voir Eu-
charistie au xne siècle, t. iv, col. 1256-1257 et 1294-
1295. Du reste, l'exemple de la Panormia, qui s'inter-
disait une bonne partie des sujets dogmatiques abordés
jusque-là par les canonistes, ne devait pas être suivi
partout, et les tendances représentées par Burchard ne
disparaissent que lentement. Par contre, comme on le
verra plus loin, l'œuvre maîtresse d'Yves aura son
retentissement en théologie de diverses manières.
Citons ici, parmi les productions qui subissent l'in-
fluence des recueils d'Yves de Chartres, le traité cano-
nico-théologique d'Alger de Liège, Liber de miseri-
cordia et justilitia, qui ne s'occupe que de quelques
sujets pour leur donner de grands développements :
questions relatives aux sacrements, aux réordina-
tions, etc., P. L., t. clxxx, col. 857-969. Les cir-
constances de l'époque mettaient au premier plan les
graves problèmes des sacrements des indignes. Le Pohj-
carpus du cardinal Grégoire s'occupe des mêmes matiè-
res et en outre imite Burchard de Worms, dans son der-
nier livre, qui n'a rien de canonique : fins dernières,
anges gardiens, etc., titres des chapitres dans Theiner,
op. cit., p. 342-345. Vers le même moment, la collection
dite Cœsarauguslana, du lieu où on l'a découverte,
Saragosse, contient aussi beaucoup de chapitres dogma-
tiques sur l'eucharistie. En outre, ces deux dernières
collections semblent se ressentir des discussions que les
dialecticiens avaient mises à l'ordre du jour ace moment
sur le rôle de la ratio et de l'auctoritas : nouveau pro-
grès sur Yves de Chartres, qui, sans doute, fournit la
plupart de ces textes, mais les dispose sans aucun ordre
à divers endroits. Voir de Ghellinck, Dialectique cl
dogme aux Xi*-XH* siècles, dans les Mélanges offerts à
Cl. Bâumker, Sludien zur Gcschichlc der Philosophie,
Munster, 1913, p. 94. Dans les ouvrages cités plus haut,
l'on pourra trouver encore d'autres collections issues
des recueils chartrains ; elles font toutes une place plus
ou moins grande aux matières théologiques. Voir de
Ghellinck, Le mouvement théologique, p. 304-306;
P. Fournier, Les collections canoniques attribuées à Yves
de Chartres, dans la Bibliothèque de l'École des chartes,
1897, t. lviii, p. 426, 430, 624, etc.
5. Gratien. — • L'œuvre de Gratien, pour avoir une
allure beaucoup plus juridique, ne manque pas, elle non
plus, de laisser une place aux matières théologiques.
Avec les nombreux passages des dislinctiones et causas,
qui traitent de divers aspects de la question sacra-
mentaire, sacramenla necessilalis, extrême-onction et
sa réitérabilité, valeur des sacrements des indignes, des
excommuniés, etc., rôle de l'Écriture et des Pères dans
les arguments d'autorité, procession du Saint-Esprit
ab ulroque, etc., il faut mentionner ici deux traités
importants, le De pxnitentia d'abord, puis toute la
partie III, dite De consecraliom, du Decretum. Là, sont
agitées des questions essentiellement dogmatiques.
Dans les collections précédentes, l'on a pu assister
à la préparation graduelle de ces développements de la
doctrine pénitentielle, ou mieux de l'administration de
la pénitence. Mais à rencontre de Burchard, d'Yves et
des collections italiennes qui fixent une large place à la
partie pratique de la pénitence, le De pœnileniia de
Gratien aborde directement le côté dogmatique de la
question et montre clairement le contre-coup des écoles
de théologie dans l'enseignement du droit canon. L'exa-
men des thèses énoncées alors par les théologiens et
l'étude du texte même de Gratien fixe exactement le
sens de la célèbre question qui fait l'objet de la dist. I
du De pxnitentia : Si sola contrilione cordis... crimen
possit deleri (caus. XXXIII, énoncé de la cause) et des
quœritur qu'elle soulève : Ulrum sola cordis contrilione
et sécréta salis/aclione absque. oris confessione, quisque
possit Deo satisfacere, dist. I. Voir Friedberg, p. 1148,
1159. Ce n'est pas la nécessité, d'une manière absolue,
de la confession qui fait l'objet de ce chapitre — elle
était admise sans conteste — ■ mais le rôle propre de la
confession dans le processus de la rémission. A ce sujet,
voir Schmoll, Die Busslehre der Frùhscholastik, dans
les Vero/lenllichungen aus dem kirchenhistorischen Semi-
nar, 3e série, Munich, 1909, t. v, p. 39 sq. ; de Ghellinck,
Le mouvement théologique, p. 307, 344; A. Debil, Le
De pœnitcntia de Gratien, dans la Revue d'histoire
ecclésiastique, avril 1914, t. xv.
Le De consecralione s'occupe de diverses matières
sacramentelles et liturgiques : dédicace des églises,
eucharistie, baptême, confirmation, etc., en cinq dis-
tinctions de longueur fort inégale. Ici encore, l'on peut
constater l'aboutissement de deux siècles de codifica-
tion. Contentons-nous de citer les nombreux passages
relatifs aux sacramentaux, dans les chapitres sur la
consécration des églises et ailleurs ; le mot toutefois de
sacramentalia n'est pas employé encore par Gratien :
c'est Pierre Lombard qui l'emploie le premier, semble-
t-il, et en tout cas, il se rencontre bien longtemps avant
la grande époque théologique d'Alexandre de Halès
chez divers glossateurs du canoniste bolonais. Voir
Gillmann, Die Siebenzahl des Sakramente bei der Glos-
satoren des Gratianischen Dekrels, dans Der Katholik
(extrait), 1909, p. 8.
La partie dogmatique, sur la conversion dans l'eu-
charistie et la permanence des accidents, mérite aussi
une mention spéciale, comme diverses fois déjà l'on a
eu l'occasion de le faire remarquer. Voir Eucharistie au
xne siècle, où l'on trouvera un énoncé précis de théo-
logie sur la transsubstantiation et les accidents eucha-
ristiques permanents formulé par les seuls titres
des canons : ceux-ci empruntent beaucoup à Yves de
Chartres. Panormia, 1. I, 123-162, P. L., t. clxi, col.
1071-1084. La haute considération dont jouit Gratien
dans toute la chrétienté était en tout ceci un sûr garant
de la fixité du dogme. L'extension prise par les pro-
blèmes sacramentaires dans le De consecralione a même
décidé les glossateurs de Gratien à donner à cette partie
1 1 1 le nom de De sacramentis, de re sacramentaria, etc.
Voir les préfaces de Rufin, d'Etienne de Tournai, etc.,
citées à la bibliographie. Le même nom, du reste, sert
de titre à la partie III, dans un des plus anciens manu-
scrits du Décret, utilisé par Friedberg (Cologne, chapitre
de la cathédrale, CXXV1I, ancien Darmstadt, 2513),
Leipzig, 1878, p. xcv. Un bon nombre des commen-
tateurs de Gratien ne manqueront pas de tirer parti de
ces matières, pour étendre davantage encore la doctrine
théologique dans leurs écrits.
Mais avant de quitter Gratien, il faut rappeler encore
un autre passage, dist. XXIII, can. 8, Presbyter, bien
qu'il n'appartienne pas au De consecralione. La portée
qu'il a dans une question dogmatique est indéniable;
l'on ne peut, en effet, perdre de vue cet enseignement
de Gratien dans le problème si souvent débattu de la
matière du sacrement de l'ordre. La tradition des
instruments a eu, comme chacun le sait, les préférences
de beaucoup de théologiens, souvent même d'une ma-
nière exclusive; mais le texte de Gratien, si hautement
respecté dans tout le cours des siècles, a fait toujours
1741
G R ATI EN
1742
retenir dans la pratique l'imposition des mains, avec
l'invocation du Saint-Esprit; Gratien ne parle pas des
instruments. Voir J. de Ghellinck, Le traité de Pierre
Lombard sur les sept ordres ecclésiastiques, ses modèles,
ses copistes, dans la Revue d'histoire ecclésiastique, 1910,
t. xi, p. 32-39. C'est un des points où les anciens
rapports entre la théologie et le droit canon auraient dû
amener les théologiens à jeter un regard sur le domaine
de leurs confrères.
2° Dossier palristique. — Une autre matière d'échan-
ges entre le droit canon et la théologie est celle des
textes patristiques et de la méthode qui préside à leur
utilisation. L'identité ou la ressemblance des questions
abordées amenait nécessairement cet échange de bons
procédés ; l'on indiquera rapidement ici les principaux
points de vue qui intéressent la période d'élaboration
de la codification théologique. Il est permis de dire
sans exagération que les œuvres de systématisation
théologique ont pris pendant longtemps comme dossier
patristique les anciennes collections canoniques; mais
il ne faudrait pas étendre ce rôle des recueils canoniques
jusqu'à exclure toutes les autres sources de documen-
tation patristique. La Glossa de Walafrid Strabon con-
tinue à alimenter la théologie, et les citations de la
patristique grecque des six premiers siècles, chez Pierre
Lombard et d'autres, lui viennent habituellement par
ce canal. Le Sic et non d'Abélard qui, du reste, n'est
pas indépendant des collections canoniques, est un
autre répertoire qui eut son heure de succès. Puis, sur
des sujets spéciaux, des ressources patristiques pré-
cieuses sont fournies aux théologiens par les opuscules
de Pierre Damien sur les sacrements des indignes, à
l'époque des investitures, par les traités eucharistiques
de Paschase Radbert, de Lanfranc, de Guitmond
d'Aversa et d'Alger de Liège, par les Colleclanea de
Pierre Lombard sur les psaumes et sur saint Paul; l'on
doit reconnaître aussi chez quelques théologiens, comme
le Magisler, la lecture personnelle de saint Augustin.
Mais, même après ces restrictions, la part de documen-
tation théologique qui revient aux collections cano-
niques est encore considérable. La preuve s'en trouve
dans les aveux de divers théologiens, comme l'auteur
des Senlentiœ divinilalis : Dicitur enim in canonibus, à
propos d'un texte de saint Jérôme, édit. Geyer, dans les
Beilrùge zur Gcsehichle der Philosophie des Mittelallers,
Munster, t. vu, p. 119, ou comme Hugues de Saint-
Victor : Sicut sacri canones deftniunt, De sacramenlis,
1. II, part. VII, 4, P. L., t. clxxvi, col. 461; ou comme
Geolîroi de Clairvaux, à propos de Gilbert de la Porée.
Lettre au cardinal d'Albano, n. 6, P. L., t. clxxxv,
col. 591.
L'étude comparée des textes des théologiens et des
collections canoniques fournit une preuve nouvelle :
c'est surtout la Panormia d'Yves de Chartres qui sert
d'arsenal aux théologiens; Alger de Liège y puise pour
ses Senlentiœ; Abélard pour son Sic et non; Hugues de
Saint- Victor pour son De sacramentis; l'auteur de la
Summa Sententiarum en fait autant, ainsi que celui
des Senlentiœ divinitatis, et celui des Sentences du ma-
nuscrit de Sidon (inédit, manuscrit du Vatican 1345).
Voir Hiifïer, Beitrage zur Gcsehichle, p. 34, 35, etc. ;
P. Fournier, Les collections canoniques attribuées à
Yves de Chartres, dans la Bibliothèque de l'École des
chartes, 1897, t. lviii, p. G51, 656, 661, etc.; Geyer, op.
cit., p. 36; J. de Ghellinck, Le mouvement théologique,
p. 312-316. Auparavant Anselme de Lucques, pour
citer un des plus importants recueils grégoriens, avait
largement documenté Bernold de Constance et d'autres.
J. de Ghellinck, Theological lileralure during the inves-
titure struggle, dans The Irish theological quarlerly,
1912, t. vu, p. 340-341.
Nulle part, peut-être, cette utilisation des ouvrages
canoniques pour la documentation textuelle n'est plus
visible que chez le contemporain de Gratien, Pierre
Lombard. A peine le Décret est-il terminé que le Magi-
sler sententiarum recourt aux trésors d'information pa-
tristique que contient cette collection. Les études dé-
taillées poussées sur ce terrain ont même contribué à
fixer définitivement le rapport chronologique des deux
œuvres; nombre de textes, même en dehors du De con-
secralione et du De pœnilenlia, ont passé de Gratien
chez Pierre Lombard. Voir l'édition annotée de Qua-
racchi, S. Boncwenturse Opéra omnia, 1882-1889, t. i-iv;
Baltzer, Die Sentenzen des Petrus Lombardus, dans les
Sludien zur Gcsehichle der Théologie und der Kirchc,
Leipzig, 1902, t. vin.
3° Harmonisation des « auetoritates » en cas de diver-
gence. — Outre sa documentation patristique, la théo-
logie doit au droit canon, à l'époque de l'élaboration
des premiers recueils systématiques, une partie de sa
méthode d'interprétation en cas de divergence dans les
textes. Mais tandis que, dans les matières précédentes,
le droit canon était le grand fournisseur, ici s'établit
tout un service de prêts et d'emprunts qui, en fin de
compte, rend les canonistes débiteurs de la théologie.
Le conflit des auetoritates, ou ces oppositions appa-
rentes des textes patristiques ou scripturaires, n'était
pas nouveau du reste. A un moment ou le principal tra-
vail se réduisait à la compilation, la juxtaposition de
ces textes, dans l'ordre méthodique des matières,
devait faire apparaître ces dissonances dans toute leur
acuité. Les idées médiévales contribuaient à rendre le
conflit plus délicat : une haute considération entourait
toujours les auteurs sacrés ou profanes, déclarés au-
thenlici, canonici; l'on allait même jusqu'à orner d'une
auréole un certain nombre d'entre eux, que l'on croyait
éclairés par l' Esprit-Saint. De là, des difficultés fort
graves auxquelles se heurtait la tâche de l'harmonisa-
teur; tous, théologiens et canonistes, depuis l'auteur de
la Colleclio Hibernensis et Hincmar jusqu'à Bernold de
Constance, Yves, Abélard et Alger de Liège, avouent
sans détour la situation embarrassée où ils se trouvent
et cherchent le moyen d'y remédier; au début du
xne siècle, le travail de l'harmonisation aboutit à
faire créer une formule qui aura du succès : non sunt
adversi sed diversi, dit-on; d'Anselme de Laon, elle
passe à Abélard, à Gerhoch et à Arnon de Reichers-
berg, à Hugues Métel, à Robert de Melun, etc. Cela
n'empêche pas toutefois Gratien de donner comme titre
à son œuvre une expression antithétique, qui énonce le
mal à côté du remède, Discordant ium canonum concor-
dia, jusqu'à ce que le nom de Decretum, plus court,
finisse par supplanter ce premier titre. Les glossateurs
subséquents, Paucapalea, Roland, etc., insistent beau-
coup sur ce but de conciliation qui préside au travail de
Gratien ; pour les preuves de ce qui est dit ici en résumé,
voir de Ghellinck, op. cil., p. 317-326.
Parmi les essais d'harmonisation, il faut citer ceux
qui mettent en relief les rapports de la théologie et du
droit canon aux siècles de leur élaboration originelle :
ils se rattachent aux noms d'Isidore de Séville, de Ber-
nold de Constance, d'Yves de Chartres et finalement
d'Abélard, dont le procédé sera immédiatement mis en
pratique par les représentants les plus classiques des
deux sciences.
D'après Isidore, il faut donner la préférence à celui
des synodes : Cujus anliquior aut polior exslal auctori-
las. Episl., iv, 3, P. L., t. lxxiii, col. 901. Ce principe
que Dôllinger reproche aux grégoriens, Der Papsl und
das Concil, von Janus, Leipzig, 1869, p. 107 sq., auquel
renvoie Harnack Dogmengeschichle, 4e édit., Leipzig,
1910, t. m, p. 350, n. 1, est répété avec des applica-
tions diverses par la Collection irlandaise, par Alcuin,
Raban Maur, la Prisca canonum colleclio de Mai, Bur-
chard de Worms, Anselme de Lucques, Yves de Char-
tres, le cardinal Grégoire (Polycarpus), Deusdedit (pro-
L 7 43
G R A T I E X
1744
logue), abélard et, finalement. Gratien, dist. L, c. 28,
à la fin. Un théologien contemporain de la querelle des
investitures, Bernold de Constance, un des écrivains les
plus féconds de ce moment et qui a le mérite d'être
revenu à la saine doctrine dans la question des sacre-
ments des indignes, donne aux premiers essais d'har-
monisation une forme plus satisfaisante: peut-être
s'inspire-t-il pour ce travail d'un ancien traité d'Hinc-
mar aujourd'hui perdu. Voir Saltct, Les réordinations,
p. 395 sq. ; Thaner, dans son édition de Bernold, Monu-
menta Germanise historien, Libelli de litc imperatorum
et pontificum, t. il, p. 112. Bernold pose, comme règle,
la connaissance du contexte complet et non de l'extrait
seul, la comparaison avec d'autres décrets, l'examen
des circonstances de temps, de lieu, de personne, les
causes originelles de ces canons et les différences qui
séparent ceux qui sont d'une portée absolue et
ceux qui permettent ou qui constituent une dis-
pense. De excommun icalis vitandis, dans les Libelli
de lite, t. n, p. 139-140. Ailleurs, Bernold ajoute
encore la condition de l'authenticité des pièces. De
prudenti dispensalione ecclesiasticarum sanclionum,
c. xm, P. L., t. cxlyiii, col. 1267. Le principal
canoniste antérieur à Gratien, Yves de Chartres, con-
sacre à la matière une monographie spéciale qui, sous
le titre de De consonanlia canonum, sert de préface à ses
recueils; la correspondance du grand évèque contient
du reste un grand nombre de passages similaires.
Comme nouvel élément, avec la restriction toutefois
que Bernold avait déjà préludé à cette explication,
Yves fait surtout intervenir la distinction entre les lois
nécessaires ou immuables et les lois contingentes, et,
par suite, il développe sa grande théorie de la dispense.
P. L., t. clxi, col. 47-49. Abélard, qui reprend toutes
les idées de ses prédécesseurs théologiens ou canonis-
tes, ouvre un nouveau chapitre dans cette histoire : celui
où la théologie apporte aux canonistes une contribu-
tion de valeur. Comme préface à son célèbre ouvrage
du Sic et non, P. L., t. clxxviii, col. 1339-1349, il for-
mule ses réflexions, dont plusieurs sont d'une justesse
remarquable; quelques-unes sont originales, les autres
avaient déjà été énoncées précédemment; elles ont pour
objet les circonstances de temps, de lieu, de personne,
la distinction entre les lois absolues et les préceptes dont
on peut dispenser, etc.; mais elles sont répétées ici
plus nettement dans un exposé systématique, qui prend
pour point de départ quelques-uns des principes de la
sémantique moderne. Le principal apport d'Abélard
est celui qui est contenu dans la grande règle suivante :
facilis ciutem plerumque conlroversiarum solulio reperie-
iur, si cadem verba in diversis significationibus a diversis
auctoribus posita defendere poterimus. Ibid., col. 1344.
Ce principe s'appuie sur de fort sages considérations qui
tiennent compte du but des Pères, de la manière dont
ils adaptaient leur langage aux destinataires de leurs
écrits, etc. De la théologie, ce principe allait tout de
suite passer dans le droit canon ; on rencontre son appli-
cation fréquente chez Gratien, comme l'a montré
Thaner, Abelard und dus canonische Rechl, Gratz, p. 23.
Pierre Lombard et les théologiens, non moins que Gra-
tien et les glossateurs du Décret, en font un usage con-
stant. Ils vont même jusqu'à en abuser; ou tout au
moins négligent-ils plus d'une fois de contrôler sur le
terrain des faits l'hypothèse des significations multi-
ples. Un peu plus tard, l'œuvre de Pierre de Blois n'ap-
porte rien de bien nouveau; c'est un petit traité qui
résume et éclaire par beaucoup d'exemples ce qui avait
été dit de bon précédemment. Opusculum de distin-
ctionibus in canonum inlerprelalionibus adhibendis, édit.
Reimarus, Berlin, 1837, p. 6-9. Mais il n'est pas néces-
saire de poursuivre cette histoire au delà de la seconde
moitié du xna siècle; le dossier ne s'enrichira guère
plus. C'est à Yves de Chartres et à Abélard que revient
la principale part des progrès, et malgré les excès ou les
applications maladroites des règles qu'ils ont tracées, il
y a lieu de leur faire une place de choix dans l'histoire
de l'herméneutique et de la manipulation des textes
palrisliques. Voir de Ghellinck, Le mouvement théo-
logique du xne siècle, c. v, p. 320-338; Grabmann,
Die Geschichte der scholaslischen Méthode, t. i, p. 236-
238. Les théologiens qui les suivent leur doivent beau-
coup.
III. Rapports des commentaires et des gloses
DES CANONISTES AVEC LE DOGME APRÈS GRATIEN.
Comme on l'a déjà insinué plus haut diverses fois, les
œuvres des canonistes continuent toujours, après l'é-
poque de Gratien, à alimenter les écrits des théologiens ;
ceux-ci trouvent là tout un répertoire de textes patristi-
ques. auquel ils recourent constamment.il n'y a pas lieu,
croyons-nous, de développer longuement la preuve de
cette assertion. Cela nous ferait sortir de la période de
l'élaboration des deux sciences, dans laquelle surtout il
esl instructif d'étudier les rapports et les échanges entre
les deux groupes d'auteurs. Aussi bien, avec Gratien, les
recueils canoniques ont fini, ou peu s'en faut, de grossir
leur dossier patristique; désormais, les additions de tex-
tes consistent en décrétâtes des papes de l'époque, et le
travail du canoniste est avant tout consacré à la glose
et au commentaire des canons livrés par Gratien ou par
les nouveaux recueils de Compilutioncs et de Décré-
tales. Il nous suffira donc de mentionner ici un ou deux
exemples de ces rapports entre les deux sciences, sur le
terrain de la documentation patristique. Ce qui nous
retiendra davantage ensuite est le développement des
matières communes pendant la période de l'élaboration
théologique, c'est-à-dire pendant les cinquante ou
soixante ans qui séparent la mort de Pierre Lombard
des premières Sommes du xiiie siècle; cet exposé peut
prendre fin en 1215 environ, avec le IVe concile de
Latran.
1° Documentation patristique. — L'utilisation des
recueils canoniques par les théologiens des siècles sui-
vants, surtout l'utilisation du Décret de Gratien, nous
est attestée par le grand nombre des exemplaires anno-
tés des Sentenliie de Pierre Lombard. Cet ouvrage
devenu classique dans toutes les universités, pour l'en-
seignement de la théologie, porte fréquemment dans les
marges de ses folios l'indication des endroits du Décret
qui ont fourni la documentation patristique, ou que
l'on regardait soit comme les sources, soit comme des
loci paralleli du Lombard. Avec les passages pris à la
Glossa de Walafrid Strabon, ou les loci paralleli de
Hugues de .Saint- Victor, ces mentions sont les plus fré-
quente;, parmi celles que l'on rencontre au moins dans
le domaine des notes critiques. Des manuscrits de toute
provenance et de tous les pays, de bibliothèques monas-
tiques ou séculières, portent la trace de ces études com-
parées; parfois, ce sont de vraies références bibliogra-
phiques qui renvoient les étudiants théologiens aux
recueils canoniques. Pour plus de renseignements, voir
l'étude publiée dans la Revue d'histoire ecclésiastique,
1913, t. xiv, p. 511, 705, sous le titre : Les notes març/i-
nales du Liber Senlcntiarum, par J. de Ghellinck.
En outre, il n'est pas rare de voir les grands théolo-
giens emprunter au droit canon, non moins qu'à la
Glossa de Strabon, les textes patristiques qui servent
d'appui ou d'objection à leurs thèses. Citons, au hasard
saint Bonaventurc, qui puise chez Gratien tantôt sans le
dire, tantôt en mentionnant le Décret, par exemple,
In IV Sent., 1. IV, dist. X, part. I, act. un., q. n, Opéra,
Quaracchi, t. iv, p. 219; S.Thomas, Sum. theol., IIP'
Supplem., q. lxxxii, a. 3 (voir toutefois l'édition
vaticane, Rome, 1900, t. xn, p. 128), etc. ; Duns Scot,
In J V Sent., 1.1 V, dist. X, q. iv, Opéra, Lyon, 1639, t. vm,
p. 532. Plus haut, nous avons déjà cité l'exemple
d'Occam à propos de l'eucharistie, Quodlibela, par
174;
G R ATI EN
1746
exemple, II, 19; IV, 39, Strasbourg, 1491. L'on pour-
rait encore ajouter, parmi les dissidents, Wyclif et
Jean Huss et d'autres. Wyclif, De eucharistia traclalus
major, édit. Loserth, dans les publications de la Wiclif
Society, Londres, 1892, c. v, vu, etc., p. 129, 154, 163,
172, 173, 184, 221, etc.; Huss, Super IV Sententiarum,
édit. de Wenzel Flasjshans et Marie Kominkova,
Prague, s. a. (après 1900), 1. IV, dist. III, 4; VIII, 7;
XII, 3; XIV, 6; XV, 5, p. 530, 556, 577, 590, 596, etc.
2° Matières commîmes. — Ce qui est plus important
pour l'histoire de la théologie et même du dogme, à
l'époque qui suit Gratien, est le développement que
donnent les canonistes aussi bien que les théologiens à
certaines matières théologiques. La haute situation
faite au Décret de Gratien dans les écoles amenait néces-
sairement ce résultat : le maître commentait dans le
Liber lextus les passages qu'il rencontrait; par suite, la
part faite au dogme se retrouve dans les gloses ou dans
les commentaires, avec toute la différence d'étendue qui
sépare au moyen âge le texte du commentaire. Il était
difficile à un commentateur de passer à côté de longs
traités, comme celui de l'eucharistie, sans leur ajouter
quelque chose de son cru; il en va de même pour beau-
coup d'autres matières, comme on le verra bientôt. De
plus, les habitudes de l'enseignement ecclésiastique à
Bologne facilitent ce développement des sujets théo-
logiques; l'on passe d'une chaire à une autre; au
moins un certain nombre des maîtres de Bologne, qui
suivent immédiatement Gratien, sont théologiens et
canonistes, et ils laissent successivement une œuvre
dans chacune des deux sciences sacrées : l'on peut citer
parmi ces maîtres Roland Bandinelli (plus tard
Alexandre III), qui, à côté de ses travaux canoniques, a
fait un recueil de Sentenliœ théologiques; Ognibene, si
l'identification faite par Denifle du canoniste et du sen-
tencier se vérifie, en fait autant ; Gandulphe de Bologne,
célèbre glossateur aux opinions fort arrêtées, s'occupe
aussi de théologie et nous donne, à son tour, ses Sen-
tentiee, qui sont principalement un résumé de celles du
Lombard; Sicard de Crémone, outre son Mitrale litur-
gique, compose une Summa de droit canon et parle de
ses dissertations théologiques, Mitrale, ni, 6, P. L.,
t. ccx, col. 117, qui ne nous sont point parvenues;
Lothaire de Segni, (plus tard Innocent III), cultive avec
succès les deux sciences, à Paris comme à Bologne, et
reste reconnaissant à ses anciens maîtres Huguccio et
Pierre de Corbeil. Tout son traité De sacro allaris
mysterio, P. L., t. ccxvn, col. 773-916, porte la trace de
ces préoccupations, et donne son avis en maint en-
droit sur les questions scolaires discutées par les théo-
logiens et les canonistes, surtout aux 1. II et IV, ibid.,
col. 851, etc. Les œuvres, autres que celles des cano-
nistes proprement dits, mêlent du reste assez fré-
quemment les deux branches : sans nous attarder à
diverses Sommes inédites de la fin du xne siècle, il faut
donner une mention à l'œuvre de Raoul l'Ardent,
décrite par Grabmann, Geschichte (1er seholaslischen
Méthode, t. i, p. 246-257, et située par Geyer, Radalfus
Ardens und das Spéculum universelle, dans la Theologi-
sche Quartalschrijt, 1911, t. xem, p. 63-89; citons aussi
un recueil anonyme de Sententiœ (Vatic, ras. 1345)
qui voyage jusqu'à Sidon en Palestine et qui consacre
cinq de ses dix-huit parties à des sujets juridiques; la
Gemma ecclesiastica de Giraud le Cambien, composée
vers 1197, et dédiée à Innocent III qui la lit avec inté-
rêt, donne à la théologie, non moins qu'au droit canon,
une part importante.
D'autres fois, sans être officiellement doublé d'un
théologien, le maître en droit canon fait une large place
aux doctrines théologiques et donne même à divers
chapitres de son exposé une allure théologique beau-
coup plus que canonique. C'est le cas, par exemple, pour
Etienne de Tournai (t 1203), comme l'avait déjà fait
remarquer von Schulte, Die Geschichte der Quellen und
Literalur des canonischen Rechls, t. i, p. 135, et, cette
fois, la lecture de la Summa d'Etienne confirme par-
faitement ce jugement : nous y trouvons marne quel-
ques bons renseignements sur les avis des maîtres con-
temporains en théologie, Die Summa des Stephanus
Tornacensis liber das Dccrclum Graliani, édit. von
Schulte, Giessen, 1891, p. 273, et passim. Du reste, même
chez d'autres auteurs, plus strictement canonistes,
la mention d'opinions théologiques, avec l'indication
des auteurs qui les soutiennent, n'est nullement une
exception; en ce point, Huguccio, le principal glossa-
teur du Décret (f 1210), ne fait nullement exception,
bien qu'à son sujet von Schulte cite des noms qui n'ont
pas tous été retrouvés dans l'œuvre du grand canoniste.
Op. cit., p. 165, n. 27. Sans doute, divers auteurs se
refusent à faire entrer dans leurs traités des matières
qu'ils regardent plutôt du domaine de leurs voisins :
tels, chez les canonistes, Roland, qui supprime le De
pœnilenlia, Die Summa Magistri Rolandi, édit. Thaner,
Inspruck,1874,p. 193; Simon de Bisiniano (inédit), voir
von Schulte, Zur Geschichte der Litcratur liber das Dekret
Grattons, dans les Sit:un<jsberichlc der k. Akademte
der Wissenschaflen, de Vienne, Philos. -histor. Klasse,
1870, t. lxiii, p. 330; Sicard de Crémone (inédit), voir
von Schulte, ibid,, p. 352, etc. D'autres fois, c'est une
question tout entière qu'on laisse à l'examen soit des
théologiens, soit des canonistes, comme le fait Sicard,
von Schulte, ibid., p. 252, à propos de l'eucharistie, ou
Pierre de Poitiers, à propos de l'ordre et d'autres sacre-
ments. Sentent», I. V, 14, P. L., t. ccxi, col. 1257.
Mais, en somme, le cas est plutôt exceptionnel, et les
mêmes matières continuent à être traitées par les deux
séries d'auteurs. Il régne, à ce moment-là, une hésitation
assez singulière à propos du sens même du mot thcolo-
gla; tantôt, l'on oppose nettement les matières canoni-
ques et les matières théologiques : examlnl Iheologico reli-
quimus, comme le dit Sicard, loc. cit. ; ou : in Sententiis
reservamus, selon l'expression de Roland, loc. cit.;
tantôt on range le droit canon parmi les sciences théo-
logiques, comme le montrent les exemples de Rufin ou
de ses contemporain;. Une somme qui débute à peu
près comme celle de Paucopalea, dit : inter cèleras theo-
logiœ disciplinas, sancloriun Patrum décréta et concilio-
rum stalula non postremumobtinent locum. Maassen,Pau-
capalea, Ein Beitrag zur Litteraturgeschichte des cano-
nischen Rechls im Mittelalter, dans les Siztungsberichte
déjà cités de Vienne, 1859, t. xxxi, p. 505. Rufin, ou
un de ses copistes, reconnaît que tout l'ouvrage de
Gratien est un traité de théologie complet : Summam
quamdam totius théologien' paginée contineri in hoc
libro, née hune librum perfecte scienti déesse posse univer-
silatis sacrœ paginée nolitiam. Préface de Rufin, dans la
recension amplifiée du manuscrit de Gœttingue, von
Schulte, Die Geschichte der Quellen, etc., p. 249; voir
Singer, Die Summa Decrelorum des Magister Ruflnus,
Paderborn, 1902, p. cxlii-cxliv.
Par suite même de cette habitude, l'on peut prévoir
déjà que les rapports entre les deux sciences s'affirment
surtout parle développement des matières communes :
c'est dire que, pour faire l'histoire des doctrines théo-
logiques, il y a lieu d'avoir continuellement l'œil
ouvert sur les écrits des canonistes. L'on rencontre chez
eux un bon nombre d'assertions dites en passant, ou
d'exposés systématiques, qui peuvent rendre service
à l'histoire des doctrines. Parfois, ils fournissent des
renseignements sur des sujets qui semblent, à première
vue, assez étrangers aux préoccupations des juristes :
citons, comme exemple, les idées d'Huguccio et d'autres
sur l'immaculée conception de Marie. Sur d'autres ma-
tières, comme la valeur de l'argument d'autorité, la
force probante des textes bibliques et diverses questions
de principe, ils émettent des affirmations précieuses.
1747
GRATIEN
1748
A propos de l'autorité pontificale, leurs commentaires
intéressent de près le traité De Ecclcsia et de romano
pontip.ce. Car l'on ne peut nier que ie Décret de Gratien
et les travaux des canonistes suivants n'aient favorisé
l'exercice de la suprématie romaine, contrairement à
l'appréciation défavorable que portait le cardinal Pitra,
Analecta novissima, t. i, p. 144, appréciation dont les
attaques de Luther, des gallicans et de Dôllinger
avaient du reste fait justice par avance. L'expression
dont on a si souvent donné une interprétation fantai-
siste, sur l'étendue des droits du pape : Romanus pon-
lifex omnia jura... ccnselur habcre, remonte en sub-
stance jusqu'à l'époque d'Huguccio. Voir Gillmann, Ro-
manus pontifex omnia jura in scrinio peclorissui eense-
tur habere, dans YArchiv fur katholisches Kirchenrecht,
1912, t. xcn, p. 3-17.
Mais le traité des sacrements surtout appelle ici l'at-
tention : les nombreux problèmes touchés par Gratien
à propos de l'ordre, de la pénitence, du mariage et de
l'extrême-onction dans les deux premières parties, et
les longs développements donnés dans le De consecra-
tionc à divers sacramentaux, comme la dédicace des
églises, à l'eucharistie surtout, au baptême et à la con-
firmation, amènent sans cesse les glossateurs à faire des
incursions dans le domaine des théologiens. Ce serait
sortir du cadre de cette notice que de donner l'exposé
de toutes ces questions; qu'il nous suffise d'en indiquer
quelques-unes avec leurs sources; à un moment où la
systématisation des doctrines sacramentaires occupait
principalement l'attention des théologiens, les rensei-
gnements offerts par les écrits des canonistes peuvent
être d'une fort grande utilité; ils le sont d'autant plus
qu'il y a divergence entre eux dans la manière d'envi-
sager certaines questions; par suite, la pleine lumière
ne peut se faire que par la connaissance des productions
de l'une et de l'autre branche. Il n'est pas rare, du reste,
qu'une idée, avant tout chère aux canonistes, ait son
représentant chez les théologiens, et réciproquement.
Contentons-nous d'en mentionner quelques-unes. Pour
le détail des œuvres, l'on pourra recourir aux travaux
cités dans la bibliographie ; les sources inédites sont plus
nombreuses encore que les ouvrages déjà imprimés; le
nombre de ces derniers heureusement ne tardera pas
à augmenter.
3° Développement des principales questions sacra-
mentaires.-— La définition des sacrements, qui depuis
Bérenger, Yves de Chartres et Abélard, a attiré l'at-
tention des canonistes comme des théologiens, tend à
placer l'essence du sacrement dans l'objet matériel;
cette manière d'envisager les choses, familière aux
canonistes comme Gandulphe et Huguccio, par exemple,
se retrouve aussi chez Hugues de Saint- Victor; c'est ce
qu'a fait remarquer Pourrat, La théologie sacramentaire,
Paris, 1910, p. 35. La définition que donne le célèbre
Victorin est copiée par divers glossateurs, tels qu'Hu-
guecio et Rufin; elle a quelque temps la préférence sur
celle de Pierre Lombard; mais cfUe-ci finit par l'em-
porter.
C'est au canon 32 de la dist. II du De consécration/',
ou parfois en tête du De consecralionc, que nous trou-
vons habituellement ces développements sur la défini-
tion des sacrements : ils se rangent autour de la défini-
tion succincte, attribuée à saint Augustin, et qui, depuis
Bérenger, ne cesse plus de se répandre à l'abri de cet
illustre patronage; elle a de la vogue avant l'enseigne-
ment d' Abélard; car Yves de Chartres, un canoniste,
l'emploie déjà avant lui. Voir J. de Ghellinck, Le mou-
vement théologique, p. 341, note 3.
La nomenclature des sept sacrements se rencontre
fréquemment chez les glossateurs et l'on voit par là
combien inexacte est l'affirmation de J. Freissen dans
son ouvrage, fort précieux du reste : Geschichte des
J<anonischi n Eherechfs bis zum Verfall der Glosscnli-
teralur, 2e édit., Paderborn, 1893, p. 33 sq., qui réduit
au seul Rufin, parmi les canonistes, les témoins du
nombre septénaire. Le fait est d'autant plus à signaler
que, parmi les successeurs immédiats de Pierre Lom-
bard, les théologiens ne sont pas aussi nombreux que
les canonistes dans la série de ces témoins. Mais, en
même temps, se fait remarquer toute une classification
des sacrements et des sacramentaux, qui se rattache de
fort près aux idées de Hugues de Saint- Victor; elle est
reproduite ou développée, avec des nuances variées,
par des glossateurs comme Rufin, Etienne de Tournai,
Jean de Faenza et Sicard de Crémone, par l'auteur de
la Summa Lipsiensis et Huguccio de Ferrare, par des
théologiens, comme Simon de Tournai, et par un anno-
tateur anonyme de Pierre Lombard. Pour le détail,
voir J. de Ghellinck, Le mouvement théologique, p. 359-
369. Les longues pages données toujours à la consécra-
tion et à la dédicace des églises, d'après une habitude
qui datait de loin, comme on l'a vu plus haut, attiraient
l'attention sur cette matière des sacramentaux.
A propos du caractère sacramentel, les glossateurs
offrent une ample matière : ce qui montre jusqu'à quel
point l'affirmation ancienne était fantaisiste, qui faisait
d'Innocent III le créateur de cette doctrine. Pierre
Lombard emploie déjà le mot, et les travaux des cano-
nistes, inédits ou imprimés, donnent une riche moisson
bien avant Innocent III. Par suite, le travail de Brom-
mer, Die Lehre vom Sacramcntalen Charakler in der
Scholastik bis Thomas von Aquin, dans les Forschungen
:ur christlichen Literatur- und Dogmengeschichte, Pader-
born, 1907, t. vm, solide d'ailleurs, mais uniquement
basé sur les sources imprimées, peut se compléter par
un bon nombre de documents inédits.
La réitération des sacrements, surtout celle de l'ordre,
est fréquemment étudiée dans les recueils canoniques ;
ce qui a été dit, à propos des collections issues pendant
la querelle des investitures, doit se répéter à propos
des glossateurs; les discussions sur cette matière con-
tinuent à se produire dans l'école jusqu'au triomphe
de la théorie de Gandulphe ; Pierre Lombard et d'autres
théologiens avec lui demeurent hésitants pour certaines
applications. Voir Saltet, op. cit., passim.
La terminologie même des traités théologiques sur
les sacrements peut largement puiser dans les Glossx et
les Summœ des canonistes. Il a déjà été question des
termes : characlcr et sacramenlalia; l'on peut y ajouter
des expressions, comme opus opcralum ou opérons, etc.,
qui donnent l'occasion, sous la plume des glossateurs,
à des développements instructifs, ou comme forma,
materia, etc., qui vont se précisant de plus en plus.
L'on peut mentionner ici encore le mot transsubstan-
tiatio, qui est fréquemment employé par les canonistes,
si bien que parmi les vingt ou trente témoins de l'usage
du terme, antérieurement à 1215, un groupe imposant
est fourni par les canonistes ; ceux-ci viennent presque
tous en tête dans la série chronologique. Voir Eucha-
ristie au xnc siècle, t. v, col. 1290-1293, et complé-
ments dans les Recherches de science religieuse,l9V2,{. m,
p. 255, par J. de Ghellinck, A propos du premier emploi
du mol transsubsluntiation.Vne autre formuledont l'his-
toire littéraire remonte d'ailleurs bien plus haut que
l'époque de Gratien : sacramentononeslfacienda injuria,
revient souvent chez tous les auteurs. Dès l'époque des
investitures, elle apparaît dans les écrits des polémistes
ou des canonistes, comme on peut le voir dans les
Libellide lite imperalorum et rom. pontiftcum,dé'yd men-
tionnés ailleurs, et dans l'ouvrage de Saltet, Les réor-
dinations, passim.
Parmi les sacrements in specie, il y aurait trop à citer
pour que l'on puisse y songer ici. Les quelques indica-
tions suivantes donneront une idée de tout ce qu'il
y a à recueillir chez les canonistes à côté des théolo-
giens. C'est surtout la théologie de l'eucharistie qui se
1749
GRATIEN
1750
trouve avantagée ici : présence réelle, transsubstantia-
tion, persistance des espèces, durée de la présence réelle,
interprétation de la profession de foi de Bérenger, qui
donne occasion à des gloses intéressantes, etc., toul
cela est fortement développé.
Il en va de même avec l'extrênie-onction, où une
question revient souvent : celle de la réitérabilité; elle
est longuement discutée chez les théologiens dogma-
tiques, chez les canonistes et chez les moralistes; les
cisterciens conféraient ce sacrement, en cas de maladie
prolongée, une fois par an; partout, les avis sont par-
tagés sur la réitération ou sur les raisons théoriques qui
la permettent.
Il a déjà été question, plus haut, de la pénitence,
ainsi que du mariage; ici, il est bon de mentionner les
idées sur l'essence du sacrement dans le rite matrimo-
nial et sur les diverses espèces d'empêchements, notam-
ment celui qui a eu son heure de succès chez les cano-
nistes et qu'on faisait dériver du sacrement de péni-
tence; il est exposé entre autres par Fr. Gillmann, Das
Ehehinderniss der geislliehen Verwandtschaft aus der
Busse, dans Der Katholik, 1910, t. xc (extrait). A
propos de l'ordre, il faut encore une fois rappeler la
tradition des instruments et les nombreuses contro-
verses qui ont lieu chez les théologiens sur la matière
de ce sacrement; les gloses des canonistes sont fort
précieuses pour l'examen dogmatique du problème au
point de vue historique. Voir l'article déjà cité : Le
Irailé des sept ordres ecclésiastiques chez Pierre Lombard,
ses modèles et ses copistes, dans la Revue d'histoire ecclé-
siastique, 1910, t. xi, p. 32-39.
La forme du baptême, à propos du baptême conféré
in nomine Jesu, ou in nomine Christi, revient assez
souvent aussi. Voir l'étude fortement documentée de
Gillmann, Taufe in Namen Jesu oder im Name Christi,
dans Der Katholik, 1912 (extrait). Les questions de
l'institution de divers sacrements, en particulier, la
confirmation et l'extrême-onction, se rencontrent assez
souvent chez les canonistes, avec des affirmations qui
corrigent ou partagent les idées inexactes qui régnent
chez leurs confrères, les théologiens.
Parmi les sacrements, l'on établit aussi quelques
divisions que Gratien et d'autres avant lui avaient déjà
indiquées : telle la division en sacramenla necessitatis
ou voluntatis, communia ou voluntaria, qui donne occa-
sion à des précisions ou à des explications intéressant
l'histoire de la théologie.
L'on peut en dire autant d'un rite qui revient dans
divers sacrements et sacramentaux, l' impositio manuum
dont les diverses espèces sont décrites dans des tableaux
schématiques fréquemment reproduits, comme chez
Sicard de Crémone, dans diverses Summa? anonymes,
chez Huguccio, etc. De là, elles passent assez souvent
dans les notes marginales des Sentences de Pierre Lom-
bard.
Il est inutile de prolonger davantage cette nomen-
clature, le lecteur trouvera dans la bibliographie ci-
jointe les principaux travaux imprimés qui l' éclaire-
ront et le renseigneront davantage, en attendant que
paraisse un travail d'ensemble, en préparation actuel-
lement, sur cette période. Les gloses imprimées dans
les marges du Corpus juris conservent quelques-unes de
ces formules abrégées et peuvent rendre déjà quelque
service. Il a fallu se borner ici à donner une simple
orientation qui peut suffire pour le but poursuivi :
même quand il s'agit de l'époque où la théologie
médiévale achève d'élaborer son manuel d'enseigne-
ment, l'histoire du dogme et des systèmes théologiques
ne peut négliger ces sources juridiques; les produc-
tions canoniques de l'âge qui précède Gratien, ou
des deux générations qui le suivent, apportent les
matériaux les plus abondants à l'esquisse du dévelop-
pement historique de la théologie.
Ce n'est pas le lieu de donner ici une bibliographie com-
plète. Nous nous contenterons de donner les renseignements
suffisants pour orienter le lecteur dans cette vaste littérature
et pour lui faciliter le contrôle des idées développées dans
l'article qui précède.
I. Renseignements généraux sur les collections
canoniques et les canonistes. — Nomenclatures plus ou
moins détaillées de Pohle, Kanonensammlungen, dans Kir-
chenlexikon, 1883, t. n, col. 1845-1868; de von Schulte, Kano-
nensammlungen, dans Realencyklopddie, 1901, t. x, p. 2-
12; de Besson, Canons (Collections of ancient), dans Catholic
cncyclopedia, 1908, t. m, p. 281-287. Pour la période qui
précède Gratien, l'ouvrage capital est celui de Maassen (t. i,
seul paru, jusqu'au milieu du ixe siècle), Geschichle der
Qnellen und der Lileratur des Canonisclien Rechls, Gratz,
1870; excellentes notices dans la dissertation des Ballerini,
De antiquis collectionibus et collecloribus canonum, appendice
de leur édition des Opéra S. Leonis Magni, Venise, 1757,
t. ni; P. L., t. lvi, col. 11-354; A. Gallandius, De vetustis
canonum collectionibus dissertationum Sylloge, Venise, 1778;
Theiner, Disquisitiones criticce in prœcipuas canonum et
dccrclalium eollecliones, Rome, 1836 (demande à être con-
trôlé).
Pour la période qui suit Gratien, le principal ouvrage (à
rectifier en beaucoup) de détails) est celui de Fr. von Schulte,
Geschichte der Quellen des canonisclien Rechts, Stuttgart,
1874, t. i. Le même auteur a donné de longues dissertations,
souvent fort utiles, sur un certain nombre de glossateurs ou
de collections anonymes, dans ses Beilràge zur Literatur iiber
das Dekret Grattons, publiées dans les Sitzungsbericide der
philosopliisch-historichen Classe der kais. Akademie der Wis-
senscha/ten, de Vienne, t. lxiii, p. 287, 299; t. I.xiv, p. 93;
1870, t. lxv, p. 21 et 595; 1871, t. lxviii, p. 37.
La période qui s'écoule entre les fausses Décrétales et le
Décret de Gratien a fait l'objet d'un grand nombre d'études
de la part de P. Fournier, qui prépare un travail d'ensemble
sur les divers groupes de ces collections. Les principales de
ces études ont été citées dans l'article; voir une énumération
plus complète dans J. de Ghellinck, Le mouvement théolo-
gique du XII» siècle, Paris, 1914, p. 276 sq., passim.
Bon résumé, court mais substantiel, de toute la littéra-
ture canonique, dans Tardif, Histoire des sources du droit
canonique, Paris, 1887 (à compléter par les travaux parus
plus récemment).
II. Éditions des œuvres. — Celles qui précèdent Réginon
de Prum jusqu'aux Fausses Décrétales inclusivement ont été
indiquées déjà, col. 1734 sq. Voici par ordre chronologique la
liste des auteurs cités, dont les œuvres sont imprimées :
Réginon de Prum, Reginonis libri duo de synodalibus causis
et disciplinis ecclesiasticis, par Wasserschleben, Leipzig,
1840; édition préférable à celle de Baluze, reproduite dans
P. L., t. cxxxn, col. 175 sq. ; Burchard de Worms, Decretum,
dans P. L., t. cxl, col. 537 sq. ; Schmitz, Die Bussbiiclier und
das kanonische Bussver/ahren, Dusseldorf, 1898, t. Il, p. 407-
467 (édition du Pénitentiel, 1. XIX de Burchard) ; Deusde-
dit, Die Kanonessammlung des Kardinals Deusdedit, par
V. Wolf von Glanvell, Paderborn, 1905, 1. 1 (seul paru), texte
sans l'introduction critique et les tables, que la mort a
empêché l'auteur de publier ; l'édition de Martinucci, Collectio
canonum, Venise, 1869, est fort inférieure; Anselme de
Lucques, Collectio canonum, par Fr. Thaner, Inspruck, 1906,
quatre premiers livres parus; table des chapitres, d'après une
recension remaniée, dans Mai, Spicilegium romanum, Rome,
1841, t. vi, p. 379; Bonizon de Sutri, extraits, surtout du
1. IV, dans Mai, Noua Patrum bibliotheca, Rome, 1854, t. vu,
part. III, p. 1-76; Yves de Chartres, Decretum et Panormia,
P. L., t. clxi, col. 9 sq., et 1037 sq. ; Alger de Liège, Liber de
misericordia et juslitia, P. L., t. clxxx, col. 857-969 ; Gratien,
Discordantium canonum concordia, ou Decretum, P. L.,
t. c.lxxxvii, col. 17 (édition Bœhmer); édition meilleure de
Friedberg, Corpus juris canoniei, Leipzig, 1878, t. 1; Pau-
copalea, Die Summa des Paucopalea iiber das Decretum Gra-
tiani, par Fr. von Schulte, Giessen, 1890; Roland Bandinelli,
Die Summa Magistri Rolandi, nachmals Papstes Alexander
III, par Fr. Thaner, Inspruck, 1874; Rufin, Die Summa
Decretorum des Mag. Rufinus, par H. Singer, Paderborn,
1902; à préférer à l'édition défectueuse de von Schulte,
Giessen, 1892; Etienne de Tournai, Die Summa des Stepha-
nus Tornacensis iiber das Decretum Gratiani, par Fr. von
Schulte, Giessen, 1891.
Les autres collections sont inédites: la Collection en 7 4 titres,
la Triparlita,\a Colleclio duodecim partium, la Collection en
dix livres, etc., ainsi que les œuvres canoniques de Simon
1751
G R ATI EN
1752
de Bisiniano, de Sicard de Crémone, de Jean de Faenza,
d'Huguccio, etc., la Summa Coloniensis, la Sunmia Parisien-
sis, ta Summa Lipsiensis, etc. L'édition d'Huguccio est en
préparation. L'on trouve dans les marges des anciennes édi-
tions du Decretum, par exemple, celle de Lyon, 1C84 (t. i du
Corpus juris canonici), un certain nombre de gloses des pre-
miers glossateurs; voir l'étude de von Sclmlte, Die Glosse
zum Dekrct Gratians von ihrcn Anfàngen bis au/ die jùngslen
Ausgaben, dans les Denksehriflen der k. Akademie der Wis-
senschaften, de Vienne, 1872, t. xxi.
III. Rapports entre la théologie et le droit canon.
— Indications précieuses dans les travaux déjà mentionnés
de P. Fournier et dans Saltet, Les réordinations, Paris, 1907,
passim. La question a été traitée dans une esquisse rapide
par J. de Ghellinck, Le mouvement idéologique, Paris, 191 1,
p. 277-369 ; voir dans cet ouvrage les compléments bibliogra-
phiques. L'on peut consulter avec profit les nombreux arti-
cles de Fr.Gillmann sur les glossateurs du Décret, parus dans
l'Arehtv fur katholischen Kirehenreclil, Mayence, et dans Der
Katholik, Mayence, depuis 1906-1907. Pourrat, La théologie
sacramentaire, Paris, 1910, parle surtout des théologiens.
L'ouvrage de G. L. ilahn, Die Lehre von den Sakramentcn
in ihrer geschichtlichen Entwickelung, Breslau, 1864, se can-
tonne pour la littérature canonique a peu prés uniquement
dans le Décret de Gratien.
J. de Ghellinck.
2. GRATIEN (ou plus exactement GRAZIAN1)
Jean-Baptiste-Guillaume, évêque constitutionnel,
né à Saint-Philippe de Verceil (Piémont) le 24 juin
1747. Il appartenait à la congrégation de la Mission,
où il avait été admis le 11 octobre 1767. 11 fit ses vœux,
à la maison-mère de Paris, le 13 octobre 1769. Il fut,
pendant les années cpii précédèrent la Révolution,
supérieur du séminaire de Chartres. Il était profondé-
ment attaché aux principes gallicans et jansénistes et,
dans un Traclalus scolaslicus de conlraclibus jœnerati-
liis, in-12, Chartres, 1790 (ne se trouve pas à la Biblio-
thèque nationale), il adoptait relativement au prêt à
intérêt les opinions que l'école économique soutenait
contre l'enseignement commun des théologiens. Ce
prêt n'était contraire ni au droit naturel ni au droit
divin. Son opinion fut combattue par Ambroise Rendu.
Considérations sur le prêt à intérêt, par un jurisconsulte,
in-8°, Paris, 1806.
Quand fut publiée la constitution civile, on dit que
Gratien avait promis à son évêque, M. de Lubersac,
de la combattre; cependant il prêta le serment et fit
paraître un écrit pour le justifier : Exposition de mes
sentiments, etc. ; il en résulta une polémique assez
acerbe dans laquelle intervint le janséniste Jabinaud,
qui, se séparant de ses amis, avait pris position parmi
les adversaires de la constitution civile.
Par son savoir et ses vertus, Gratien avait sur le
clergé chartrain une influence aussi considérable que
justifiée et qu'il mit au service des idées nouvelles.
Quand le curé de Saint-Michel, Nicolas Bonnet, eut
été élu évêque, en remplacement de M. de Lubersac,
il fut son principal conseiller; pieux et régulier, l'intrus
d'Eure-et-Loir était de talents très médiocres et en fait
Gratien gouverna l'Église de Chartres pendant un an;
il le fit avec autorité, montrant une fermeté dont Bonnet
était incapable.
Le 26 février 1792, Gratien fut élu évêque de Seine-
Inférieure et « métropolitain des Côtes de la Manche, »
il succédait à Louis Charrier de La Roche, qui, décou-
ragé par les mauvais vouloirs qu'il avait rencontrés,
avait donné sa démission dès le mois d'octobre 1791.
Sacré dans la cathédrale de Rouen le 18 mars, par
Lindet, évêque de l'Eure, assisté de Bonnet, de Chartres,
et deMassieu, de l'Oise, Gratien vint occuper son siège
usurpé dans des conditions qui déjà étaient peu rassu-
rantes. « Son épiscopat, écrit l'abbé Cochet, historien
du diocèse de Rouen, fui triste et laborieux. Charrier
avait connu les beaux jours de l'enthousiasme et de la
nouveauté; son installation avait été pompeuse; celle
de Gratien fut lugubre. Quand Charrier visitait le dio-
cèse, son passage ressemblait à celui d'un triomphateur;
Gratien, au contraire, n'éprouve guère que la tolérance
de la part de l'autorité civile, qui, préoccupée d'une mul-
titude d'embarras extérieurs, faisait à peine attention
à lui. Aussi, dans ses visites pastorales, plus de cor-
tège, plus de canons, plus de fêtes, plus de cérémonies;
son entrée à Rouen, à Dieppe, au Havre se fit sans
bruit et presque incognito. Le silence des peuples
est la leçon des rois, a dit un ancien; à ce compte, le
métropolitain de Rouen dut juger quel sort menaçait
son pénible pontificat... »
Gratien s'était fait précéder par une lettre pastorale
dans laquelle il s'efforçait de justifier son élection et de
repousser la qualification d'intrus que lui appliquait
la portion du clergé restée fidèle au cardinal Dominique
de La Rochefoucault. Il fut réfuté par son confrère,
le lazariste L. J. François, dans Lettres (trois) sur la
juridiction épiscopalc. A peine installé, il fit une
ordination, car, dans une lettre postérieure de douze
jours à son sacre, il annonce au district la nomination
à une cure d'un prêtre que, dit-il, il vient d'ordonner.
En juin 1792, parut un mandement sur « la conti-
nence des ministres du culte; » il était publié à l'occa-
sion du scandaleux mariage du curé du Havre. Cette
lettre ne fut pas reçue avec une soumission unanime
par le clergé constitutionnel et provoqua de violentes
répliques. A l'Assemblée, le député Lejosne dénonçait
ce qu'il appelait un dangereux libelle et l'affaire fut
renvoyée au comité des recherches, qui ne s'en
occupa pas. Mais le 25 juillet, la municipalité retirait
à Gratien la jouissance du palais épiscopal.
En octobre de la même année, Gratien eut à donner
à son clergé les instructions dont il avait besoin pour
se conformer à la loi qui retirait au curé la tenue des
registres de l'état civil. Moins intransigeant que son
voisin de Bayeux, Fauchet, Gratien invite ses prêtres
à la soumission; cependant, il leur fait remarquer qu'ils
conservent l'obligation de tenir note de l'administra-
tion des sacrements de baptême et de mariage; puis,
élargissant la question, il développe ses théories sur
la théologie sacramentaire et insiste sur la distinction
chère aux gallicans entre le mariage, valide en lui-même
comme contrat civil, et le mariage sanctifié par la
bénédiction nuptiale donnée par le prêtre ministre du
sacrement; il conclut en protestant en termes fort
courageux, vu le temps, contre le divorce des époux
catholiques et ordonne aux confesseurs de ne pas
accorder l'absolution aux divorcés. Il fut réfuté par
l'abbé Baston, M. Gratien invité à revoir ses assertions
sur le mariage, in-8°, Rouen, 1792.
La fermeté dont Gratien avait donné les preuves
attira sur lui les vengeances révolutionnaires; mis en
arrestation en novembre 1793, il refusa avec indigna-
tion une liberté dont le prix eût été l'apostasie; il
demeura près d'un an dans la prison qui avait été
établie dans la maison de Saint- Yon, ancien établisse-
ment des frères des écoles chrétiennes. Vers la fin de
la Terreur, il fut éloigné de Rouen comme étranger et
transféré dans la prison de Saint-Louis à Versailles.
II ne fut élargi qu'à la fin de janvier 1795.
Repoussé de Rouen, d'où il était légalement expulsé,
Gratien s'installa à Paris, dans l'orbite de Grégoire,
qui l'invita à faire partie de son comité des « évêques
réunis ». On voit sa signature en bas de la lettre
encyclique des constitutionnels où sont indiquées les
conditions mises à la réconciliation des prêtres qui
avaient faibli pendant la persécution, et, dans sa
lettre adressée le mercredi saint aux fidèles de Rouen,
l'évêque renouvelle les mêmes prescriptions.
Au mois d'octobre 1795, Gratien put rentrer à
Rouen et il notifia sa « reprise de possession » dans une
remarquable lettre intitulée : La vérité de_ la religion
chrétienne démontrée par les miracles de Jésus-Christ.
1753
G R ATI EN — GRATRY
1754
C'est l'œuvre d'un savant professeur, d'un chrétien
rempli de foi et d'un pasteur zélé; on peut trouver
que son apologétique a vieilli, mais ses appels ont
gardé leur touchante éloquence.
Un des devoirs des métropolitains était de veiller
aux intérêts religieux de toute leur province et notam-
ment des églises veuves. Or, dans sa circonscription,
Bayeux était vacant par la mort de Fauchet; les
évoques d'Arras, d'Évreux et de Beauvais avaient
abandonné leur état. Gratien multiplia les démarches,
et amena plusieurs départements à reconstituer leur
église schismatique désorganisée pendant la Terreur.
En 1797, il avait assisté au concile réuni à Paris et
en avait été l'un des vice-présidents. Doux et pacifique
par tempérament, il n'en était pas moins entiché des
maximes les plus avancées du gallicanisme le plus
outrancier. Voici ce qu'il écrivait à Grégoire le 17 mars
1797 : « Tant que l'œcuménicité du concile de Trente
et son infaillibilité sur le dogme passera pour constante,
dans le concile national, on n'y fera pas grand'chose ;
on y sera arrêté à chaque pas par la prétendue autorité
irréfragable de ce concile. » Il ne se faisait d'ailleurs
que peu d'illusion sur les destinées ultérieures de
l'Église constitutionnelle; il regardait une réconcilia-
tion avec le pape comme inévitable, tout en traitant la
« dévotion au pape » de superstition. « Si le pape,
écrit-il le 13 mai 1797, s'en tient aux brefs de 1791
et 1792, le clergé insermenté est bien à plaindre; il
est impossible de tenir contre l'idée exagérée que le
peuple a de l'autorité du pape, et, dans le peuple, il
faut comprendre la plupart des ecclésiastiques;
aussi ceux-ci ne manquent-ils pas de rétracter leur
premier serment à la constitution civile du clergé dès
qu'ils sont convaincus que lesdits brefs sont bien du
pape. Tout échoue contre la dévotion envers le
Saint-Siège. » C'est là un aveu significatif.
Depuis sa rentrée à Rouen, Gratien habitait le
second étage d'une maison de la rue de la Croix-de-Fer
n. 10 (aujourd'hui 19). Il y menait une vie de travail,
et de prière, de pauvreté et d'austérité, au milieu d'un
groupe restreint de fidèles que ses doctrines n'avaient
pas éloignes et que retenait la vénération due à d'incon-
testables vertus.
Atteint de cruelles infirmités contractées pendant
son emprisonnement, il avait passé quelques semaines
à Versailles, où son collègue Clément lui avait offert
une fraternelle hospitalité. Il venait de rentrer à
Rouen, quand il mourut, le 16 juin 1799, assisté
pendant ses derniers jours par quelques amis fidèles
qu'il édifia par sa résignation. Telle était la force de
ses préjugés qu'aucun reimrds ne parut le troubler à
l'heure suprême; sa mort fut sereine comme celle d'un
juste. Peul-on croire que Dieu n'a pas usé de miséri-
corde envers celui qui avait souffert pour sa foi ?
Œuvres de Gralien. — Exposition de mes sentiments
sur les vérités auxquelles on prétend que la constitution civile
du elerg- donne atteinte et recueil d'autorités et de réflexions
qui la favorisent, Chartres, 31 mai 1790; Défense de l'Expo-
sition..., Chartres, 1790; Lettre théologique sur l'approbation
des confesseurs, Paris et Chartres, 1791; Contraste de la
réformation anglicane par Henri VIII et la réformation
gallicane par l'Assemblée nationale, Chartres, 1792; réim-
primé à Paris, mai 1795; Lettre de communion écrite au
pape, Rouen, 1792 (bibliothèque de Rouen); Lettre de prise
de possession (3 mai 1792), Rouen (bibliothèque de Rouen);
Lettre sur les cercueils de plomb provenant d'une église
désaffectée (2 juin 1792) (ibid.); Mandement ordonnant
des priera pour la cessation des troubles civils et la prospérité
des armées françaises (21 juin 1792) {ibid.); Lettre pastorale
sur la continence des ministres du culte, 24 juin 1792 (biblio-
thèque municipale de Pont-Audemer); Réponse a cette
lettre par Le Contour, partisan du mariage des prêtres;
Lettre de deux curés du département de Seine-Inférieure
dans le même sens: ces deux piè : : • sont :'> la bibliothèque de
Pont-Audemer; Lettre sur l'administration des sacrements
• le baptême et de mariage (19 octobre 1792) : prescriptions
concernant la loi sur les actes de l'état civil; Lettre aux
fidèles de l'église de Rouen (1" avril 1795); La vérité de la
religion chrétienne démontrée par les miracles de Jésus-Christ,
instruction familière, Rouen, 1795; réédité à Paris, 1796;
Lettre j)asU>ralc ordonnant un Te Deum pour la paix conclue
entre la République française et l'Empereur (3 mai 1797).
Nouvelles ecclésiastiques, 1791, p. 182, 201 ; 1792, p. 10,
121, 157; 1793, p. 17; 1799, p. 30; 1801, p. 17; Annales de
la religion, t. i, p. 58, 121, 601; t. ni, p. 432, 472; t. v,
p. 96, 133, 234, 402,478, 571, 599; t. VI, p. 2i; t. vu, p. 15;
t. ix, p. 177, 235-240 (notice nécrologique); t. x, p. 191;
Annales catholiques de l'abbé de Boulogne, t. m il 79")). p. 662-
076, et critique du manJement du lor avril 1795; Edouard
Rosset, Notices bibliographiques sur les écrivains de la
congrégation de la Mission, par un membre de la congré-
gation, Angoulême, 1878, p. 271-273; Pisani, Répertoire
de l'épiscopat constitutionnel, Paris, 1907, p. 163-165; Anec-
dotes de ce qui s'est passé dans la ville de Rouen depuis
l'établissement des États généraux (jusqu'au 23 octobre 1801 ),
par M. d'IIorcholle, procureur en la chambre des Comptes
de Rouen (manuscrit de la bibliothèque de Rouen); Rouen
pendant la Révolution, par M. de La Querrière (manuscrit
de la bibliothèque de Rouen); Mémoires de l'abbé Baston,
publiés par A. Vendée et J. Loth; P. Féret, La faculté
de théologie de Paris et ses théologiens les plus célèbres.
Époque moderne, Paris, 1910, t. vu, p. 104-105.
P. Pisani.
3. GRATIEN DE MONTFORT (BORDEY) fit pro-
fession chez les capucins de la province de Lyon le
21 janvier 1602. Il y remplit avec honneur les fonctions
de prédicateur et de lecteur, ainsi que d'autres charges,
qui lui valurent d'être élu comme provincial de la
Bourgogne, quand le comté fut érigé en province indé-
pendante de celle de Lyon, en 1618. Renommé plusieurs
fois, il l'aurait été encore dans la suite, si en 1632 il
n'avait donné sa démission à cause de ses infirmités.
Sa vie cependant se prolongea encore assez longteinp ..
car il mourut à Salins le 21 novembre 1650. On a de
lui : La Tarentule du Guenon ci-devant nommé Lêandre
et à présent Constance Gucnard, hérétique, apostat et
dévoyé de l' Église romaine, contenant une entière réponse
aux causes impertinentes de sa conversion, in-S°, Saint-
Mihiel, 1620. Ce Guénard était un malheureux confrère
du P. Gratien, qui, après avoir eu quelque succès comme
prédicateur, sous le nom de P. Léandre de Dôle, avait
jeté le froc et s'était déclaré protestant en publiant la
Déclaration des causes de la conversion de Constance
Guenard, in-8°, 1618. Le P. de Montfort publia sa
violente et agressive réponse sous le pseudonyme de
Denys de Fortmont. On a encore de lui des Axiomata
philosophica, qux passim ex Aristolcl ■ circumferri soient,
cl in disputationum circuits venlilari, multiplici distin-
clionum génère variœque eruditionis supclleclili illuslrata,
in-4°, Anvers, 1626. Il laissa aussi des Axiomala theo-
hgica demeurés manuscrits.
Bernard de Bologne, Bibliolheca scriptorum ord. min.
capuccinorum, Venise, 1747; Hœfer, Nouvelle biographie
universelle; Moret, Les capucins en Franche-Comté, Paris,
1SS2, p. 142.
P. Edouard d'Alençon.
GRATRY. — I. Vie. IL Doctrine.
I. Vie. — Auguste-Alphonse Gratry, né à Lille le
30 mars 1805, fit ses études classiques, partie dans la
maison paternelle, à Tours où son père, employé dans
les intendances militaires, avait été appelé à résider,
partie au collège de cette ville dont il suivait les classts
comme externe. En 1821, à seize ans, il fut envoyé
dans une pension de Paris qui conduisait ses élèves
au collège Henri IV. Il y fit sa seconde, deux années de
rhétorique et sa philosophie. A la fin de sa première
année de rhétorique (1822), il obtint le second prix
d'honneur au concours général; et en 1821, à la fin
de son année de philosophie, il remporta le premier
prix de dissertation française et le second prix de
dissertation latine. En 1825, il fut admis à l'École
17".
GRATRY
175G
polytechnique, où il demeura deux ans. A la sortie de
l'École, il donna sa démission. Alphonse Gratry était
né dans une famille où régnait l'indifférence religieuse
(son père ne lit sa première communion que longtemps
après celle de son fils) : il avait appris, par une expé-
rience douloureuse, ce qu'étaient ces collèges du temps
de la Restauration, dont Lacordaire, Montalembert
et lui-même nous ont laissé l'attristante peinture.
La grâce l'y attendait cependant, et le messager en
fut pour lui un maitre d'études, d'une éminente vertu.
M. Latrèche, cpii mourut prêtre à Lorette, en 1882.
Redevenu chrétien (sa première communion avait été
fervente), Alphonse Gratry voulut se donner sans
réserve à Dieu et aux âmes; et c'est ainsi qu'au
grand chagrin de ses parents, il renonça à tous les
avantages que l'Ecole polytechnique lui assurait,
pour aller trouver à Strasbourg M. Rautain qui y avait
groupé les hommes les plus distingués (MM. de Ronne-
chosc, Ratisbonne, Cari, de Régny, etc.). Si l'on
excepte un séjour de quelques mois chez les rédempto-
ristes du Dischenberg qui furent dispersés par la
révolution de 1830, Alphonse Gratry passa dans la
société de M. Rautain, occupé à l'enseignement secon-
daire, les années qui vont de 1828 à 1840. 11 reçut
à Strasbourg l'ordination sacerdotale (22 décembre
1832). Mais, à vrai dire, il ne fut jamais le disciple
de M. Rautain, pas plus qu'à La Chesnaie Lacordaire
n'avait été le disciple de La Mennais; le fidéisme du
philosophe qui jadis avait étonné Hegel par sa facilité
à inventer des systèmes (voir la notice de M. Campaux
sur M. Rautain) l'attirait peu; et le despotisme intel-
lectuel d'un maître, dont il ne méconnaissait d'ailleurs
ni le talent ni la foi profonde, répugnait à ses tendances
et à sa raison. En 1840, il fut nommé directeur du col-
lège Stanislas qui lui dut une impulsion bienfaisante ;
et en 1846, il fut appelé à l'aumônerie de l'École
normale supérieure. Son influence fut considérable
sur les jeunes catholiques de l'École (le futur cardinal
Perraud, Heinrich, Rarnave, Charaux, etc.); les in-
croyants ne refusèrent pas à l'abbé Gratry leur estime
et leur sympathie. « Maîtres et élèves, tous sentaient
en lui un homme supérieur, admirablement préparé
à remplir le ministère délicat que lui avait confié
Mgr Affre. » Cardinal Perraud, Le P. Gratry, sa vie et
ses œuvres, p. 37. La publication par M. Vacherot,
directeur de l'École normale, du me volume de
V Histoire de l'école d'Alexandrie, émut l'abbé Gratry
par des assertions qui sapaient les origines surnaturelles
du dogme chrétien, et ne voyaient dans ses développe-
ments que des emprunts à la philosophie grecque; il
crut devoir composer, sous forme de Lettre à M. Vache-
rot, une réfutation de ce mc volume. « Non seulement,
il eut soin d'avertir de son projet l'honorable directeur
de l'École: mais... il lui omit de lui remettre son travail
avant de l'envoyer à l'impression... M. Vacherot
refusa de prendre connaissance du manuscrit. Toute-
fois, ayant reconnu qu'il avait traduit à faux un texte
important de saint Jean Damascène..., il n'hésita pas
à faire reprendre tous les exemplaires qui restaient
en magasin et à supprimer la page où cette erreur
(lait contenue. » Cardinal Perraud, op. cit., p. 49, 50.
Avant de publier sa réfutation : Une étude sur la
sophistique contemporaine, 1851, l'abbé Gratry donna
sa démission d'aumônier. M. Vacherot fut mis en
disponibilité par un gouvernement qu'alarmaient les
doctrines philosophiques et religieuses du directeur
de l'École normale. Entre les deux adversaires, la
lutte n'avait eu rien de personnel; entre eux subsista
une mutuelle estime dont ils se donnèrent des preuves
jusqu'à la fin. A. Chauvin, Le P. Gratry, c. vu. Dans
son Élude sur la sophistique contemporaine, Gratry
avait commencé avec éloquence cette guerre qu'il
devait poursuivre sans se lasser contre le panthéisme;
il avait réfuté l'exégèse erronée et l'insuffisante érudi-
tion palristique de M. Vacherot; mais il n'avait peut-
être pas fait sa place légitime à la doctrine du progrès
dogmatique au sein de l'Église; il était plus proche de
Rossuet et de Mgr Ginoulhiac que de Petau et de
Newman.
L'abbé Gratry avait cherché à Strasbourg, comme
d'autres à La Chesnaie, un foyer de vie pieuse et frater-
nelle et un centre d'études et de travail en commun;
il espéra que l'Oratoire de France reconstitué lui
offrirait ce foyer et ce centre; de concert avec l'abbé
Pététot, curé de Saint-Roch, et l'abbé de Valroger,
chanoine titulaire de Rayeux, il essaya de le réta-
blir (1852). Le Saint-Siège approuva l'entreprise. Les
années qui s'écoulèrent entre cette date et celle de sa
mort furent certainement la période la plus laborieuse
et la plus féconde de la vie du P. Gratry. 11 publia en
1853 la Connaissance de Dieu; en 1855, la Logique (qui
a été traduite en allemand); en 1858, la Connaissance
de l'âme (elle a aussi été traduite en allemand); en
1859, le Mois de Marie de V Immaculée Conception
(le P. Faber, de l'Oratoire de Londres, a écrit l'Intro-
duction de la traduction anglaise); en 1861, La paix,
Méditations historiques et religieuses, et La philosophie
du Credo (cet ouvrage a été composé pour répondre à
des questions du général de Lamoricière, alors exilé
à Rruxelles ; il a été discuté par lui, page à page, avec
le futur cardinal Dechamps, pendant environ vingt
séances de deux et trois heures chacune.) De ces
années aussi datent la plupart des homélies et confé-
rences prêchées dans la chapelle de l'Oratoire, dans celle
des religieuses de la Retraite, à Saint-Éticnne-du-Mont.
« Jusqu'à la fin, dit le cardinal Perraud, le P. Gratry
a gardé dans sa parole publique l'exquise simplicité
de forme qui accompagnait la profondeur et l'origina-
lité de la pensée. » Op. cit., p. 57. Des raisons diverses
l'amenèrent en 1861 à quitter la vie commune tout en
conservant le titre d'oratorien. Dans sa résidence de
la rue Rarbet-de-Jouy, il publia à part, en 1862, Les
Sources, conseils pour la direction de l'esprit, qui
formaient le 1. VI de la Logique. A l'édition de 1864
est joint un Discours sur le devoir intellectuel des
chrétiens au xix c siècle et sur le devoir des prêtres de
l'Oratoire; les Sources (IIe partie) ou le premier et le
dernier livre de la science du devoir; en 1863, le
Commentaire sur l'Évangile de saint Matthieu, et la
Crise de la foi, trois conférences faites à Saint-Étienne-
du-Mont ; en 1864, Les sophistes et la critique; Jésus-
Christ, Réponse à M. Renan; Petit manuel de critique;
en 1866, Henri Perreyve. Le P. Gratry, élu membre de
l'Académie française, le 2 mai 1867, en remplacement
de M. de Rarante, fut reçu par M. Vitet, le 26 mars 1868.
En cette même année 1868, il publia La morale et la
loi de l'histoire, et en 1869, les Lettres sur la religion.
Pitoyable à toutes les souffrances et à toutes les
détresses, ennemi des périls et des maux que la guerre
entraîne, effrayé des progrès de ce militarisme que
devaient plus tard déplorer le cardinal Manning et le
pape Léon XIII, le P. Gratry avait donné son adhé-
sion à cette Ligue de la paix où se rencontraient de
fâcheux voisinages et où retentirent des paroles à
tout le moins équivoques. Une grande partie des
catholiques français s'émurent, et le P. Pététot,
général de l'Oratoire, infligea au P. Gratry un désaveu
public. Univers du 11 juillet 1869. Ce n'était que le
commencement des événements qui allaient troubler
et assombrir les dernières années du P. Gratry. Le
concile du Vatican s'était ouvert le 8 décembre 1869;
de bonne heure, le bruit se répandit qu'il ne se fer-
merait pas sans avoir défini l'infaillibilité pontificale.
Telle était la pensée et tel aussi le désir de Mgr De-
champs, archevêque de Malines, pour ne nommer que
lui. H. Saintrain, Vie du cardinal Dechamps, p. 165.
1757
G'RATRY
1758
Par tout son passé, le P. Gratry était étranger à la
tradition du gallicanisme; il ne l'avait rencontrée ni
à Strasbourg, chez M. Bautain, qui avait trouvé Rome
moins sévère que l'évèque Mgr de Trévern, ni dans l'Ora-
toire du P. Pététot. Les études historiques qu'exige
l'examen de cette question n'avaient non plus jamais
attiré l'auteur de la Connaissance de Dieu. La manière
dont jusqu'alors il avait parlé de l'autorité pontificale
avait toujours été d'une correction irréprochable, et
même empreinte d'une véritable piété filiale. Voir Mois
de Marie, xine méditation. Mais le P. Gratry s'effraya
des exagérations verbales et même doctrinales de cer-
tains défenseurs de l'infaillibilité; il conçut la crainte
peu théologique que la prérogative pontificale ne
parût franchir ses limites, et ne prétendît envahir tout
le domaine de l'histoire, de la science et de la poli-
tique; excité, encouragé par des amis, et au premier
rang par Mgr Dupanloup, il se lança dans la lutte
antidéfinitionniste. Ses quatre Lettres à Mgr Dcchamps,
l'ami de sa jeunesse, rappelèrent à plus d'un les Provin-
ciales; elles en ont parfois l'éloquence, elles en ont aussi
l'injustice; la mc — littérairement la plus faible, et
au point de vue des résultats probables la plus répré-
hensible — provoqua la réponse indignée d'un admi-
rateur du P. Gratry, M. Amédée de Margerie. Beau-
coup d'évèques français condamnèrent ces lettres:
l'Oratoire pressa l'auteur de donner sa démission, et
l'obtint. Nonobstant des efforts qui s'opposaient en
vain à un irrésistible et providentiel courant, l'infail-
libilité ex cathedra fut définie le 18 juillet 1870. Le
P. Gratry y adhéra par une lettre très nette et très
simple à Mgr Guibert, archevêque de Paris (25 no-
vembre 1871). Cette lettre est datée de Montreux, sur
les bords du lac de Genève, où la maladie l'avait
contraint de se réfugier. Blessé au cœur par les mal-
heur-; de la France, atteint d'une tumeur glandulaire
qui devint bientôt irrémédiable, il s'y éteignit le 7 fé-
vrier 1872, entouré des deux frères, Charles Perraud
et le futur cardinal qui a tracé de cette agonie aussi
résignée que lente et douloureuse un récit émouvant.
Le P. Gralry, ses derniers jours, son testament spirituel.
II. Doctrine. — Thiers disait du P. Gratry qui
posait sa candidature à l'Académie française : « Il
n'est pas un philosophe. Est-ce comme prédicateur
qu'il se présente ? » Chauvin, Le Père Gratnj, p. 192.
Ce trait d'un homme d'esprit que tout son passé
avait mal préparé a goûter et môme à comprendre le
P. Gratry, d'autres, plus compétents sans doute, l'ont
répété; est-il l'expression de la vérité, et en se l'agré-
geant, l'Académie française n'a-t-elle choisi qu'un
écrivain ?
Le P. Gratry a tracé le plan de son œuvre philo-
sophique. «Les parties de la philosophie sont : 1° la
connaissance de Dieu (théodicôe); 2° la connaissance
de l'âme, considérée dans ses rapports avec Dieu et
avec le corps (psychologie); 3° la logique qui est un
développement de la psychologie, et qui étudie l'âme
dans son intelligente, et les lois de cette intelligence;
4° la morale, qui est un autre développement de la
psychologie, et qui étudie l'âme dans sa volonté, et
les lois de cette volonté. Nous exposerons successi-
vement ces différentes parties de la philosophie.
Nous commencerons par la théodicée. Cet ordre est
celui de Descartes, de Fénelon, ds Malebranche, de
saint Thomas d'Aquin. Bossuet a suivi l'ordre inverse.
Mais nous préférons commencer par la théodicée,
parce qu'à nos yeux la théodicée implique toute la
philosophie. Elle en présente l'ensemble, l'unité; elle
en renferme toutes les racines. Tout en sort. C'est
donc le point de départ. » De la connaissance de Dieu,
t. i, Exposition. Le P. Gratry affirme le pouvoir que
possède la raison de démontrer l'existence de Dieu;
seulement, comme tous les maîtres, il enseigne que,
pour découvrir ou entendre les preuves de cette
vérité, une préparation morale, l'effort continu d'une
volonté saine sont nécessaires.
D'après le P. Gratry, « s'il y a de vraies preuves de
l'existence de Dieu, ces preuves doivent être à la
portée de tous les hommes... Donc, pour trouver les
preuves utiles de l'existence de Dieu, il en faut chercher
l'origine et la réalité dans quelque opération vulgaire
et quotidienne de l'esprit humain... Or, cette opération
vulgaire et quotidienne de l'âme humaine, esprit et
cœur, intelligence et volonté, n'est autre chose que le
fait universel de la prière; et j'entends, en philosophie,
par prière, ce que précise Descartes, quand il dit : «Je
sens que je suis un être borné qui tend et qui aspiresans
cesse à quelque chose de meilleur et de plus grand que
je ne suis. » La prière, c'est le mouvement de l'âme du
fini à l'infini. » Connaissance de Dieu, t. i, Exposition, n.
A cette preuve « se ramènent plus ou moins clairement
toutes les autres, selon qu'elles sont plus ou moins
explicites, solides et lumineuses. » Ibid., ni. Traduit en
langue philosophique, le procédé que vise le P. Gratry,
c'est l'induction; il se nomme aussi procédé dialec-
tique, entendu non au sens primitif (l'art de raison-
ner), mais au sens platonicien; « il consiste, étant
donné par l'expérience, un degré quelconque d'être,
de beauté, de perfection — ce qui est toujours donné,
dès qu'on est, qu'on voit, qu'on pense — ■ il consiste,
disons-nous, à effacer immédiatement, par la pensée,
les limites de l'être borné et les qualités imparfaites
qu'on possède ou qu'on voit, pour affirmer, sans autre
intermédiaire, l'existence infinie de l'Être et de ses
perfections correspondantes à celles qu'on voit...
Absolument distinct du syllogisme, il est tout aussi
rigoureux; seul il donne les majeures qu'emploie le
syllogisme... La condition morale première de l'exis-
tence de ces jugements dialectiques qui vont de tout
fini à l'infini, c'est ce qu'on doit nommer le sens de
l'infini, ce sens divin qui est toujours donné, qui est
l'attrait universel du souverain Bien ou de l'infini sur
toute âme. Puis, selon la correspondance libre de
chaque âme à cet attrait de l'infini, elle porte, ou elle
ne porte pas, le jugement vrai qui va de tout être fini
à l'infini... » Ibid., m. Nul n'a décrit d'une manière
plus ingénieuse que le P. Gratry ces appels incessants
et variés de la lumière divine sollicitant l'âme humaine
à la reconnaître . « N'avons-nous pas dit... que l'étoile
même scintille, et que la lumière sidérale a ses mou-
vements et ses élans ? Or la sagesse de Dieu, sa bonté,
son amour ont infiniment plus de mouvements vers
l'âme pour la sauver et l'élever, que n'en a le ciel des
étoiles pour provoquer et relever notre regard. La
lumière de Dieu... scintille toujours, se voile, se
montre, redouble, s'efface, redouble encore, et cela
selon les calculs infinis d'un amour infini, d'une
sagesse infinie, diversement appliquée à chaque âme
et à chaque moment de chaque âme, pour tout sauver. »
Connaissance de Dieu, n, Rapports de la raison et de la
foi, c. v. D'après le P. Gratry, le procédé dialectique,
qui pousse ainsi du fini à l'infini, peut aider à entendre,
par voie d'analogie, le passage de la raison à la foi.
L'induction — car c'est aussi le nom du procédé
dialectique — est donc le point capital de la théo-
dicée du P. Gratry; il ramène à cette preuve toutes
les autres preuves. Il demande des témoignages plus
ou moins complets, plus ou moins précis en laveur de
cette preuve aux plus illustres penseurs : Platon et
Aristote, saint Augustin, saint Anselme, saint Thomas
d'Aquin (il a regretté plus tard d'avoir omis saint
Bonaventure), Descartes, Pascal, Malebranche, Fénelon
qui, à ses yeux, est le plus irréprochable de tous les
philosophes du xvnc siècle. Sans doute, dans la
controverse du quiétisme, il a erré; mais imputer à
Fénelon des erreurs rétractées par lui, c'est, dit le
1739
GRATRY
1760
P. Gratry, non sans une pointe d'inconscient paradoxe,
lui i imputer les ratures de ses manuscrits. » 11 s'arrête
aux Dogmes théclogiques de Petau, surtout à ceux de
Thomassin dont il loue l'orthodoxe et large éclectisme;
c'est par LSossuct el Leibniz qu'il termine cette revue
des théodicées.
La dernière partie de la Connaissance de Dieu
traite avec ampleur de ce que, après saint Thomas,
l'auteur nomme les deux degrés de l'intelligible divin
(duplici igitur v ritate divinorum intelligibilium exi-
stante, etc.), et des rapports de la raison qui atteint le
premier degré, avec la foi qui seule nous conduit au
second.
Le P. Gratry aninne que sa démonstration de
l'existence de Dieu par l'induction « n'est autre chose
que l'un des deux procédés de la géométrie, qui
correspondent aux deux procédés généraux de la
raison (l'induction et la déduction). Elle est le procédé
infinitésimal, appliqué non plus à l'infini géométrique
abstrait, mais à l'infini substantiel qui est Dieu. »
Connaissance de Dieu. t. n, part. I, c. ix.
Que le 1'. Gratry ait rejeté l'ontologisme qui flo-
rissait dans de brillantes écoles lorsque parut la
Connaissance de Dieu, c'est chose incontestable. Il
s'en est expliqué en maint endroit, particulièrement
dans son étude sur la théodicée de Malebranche.
Malebranche, dit-il, croit que notre idée de Dieu est
la vue de Dieu même, directe, immédiate. Selon lui,
du moins selon qu'il le développe dans la Recherche
de la vérité, la vue des créatures et la vue de notre
âme ne sont qu'une vue de Dieu, qui opère en nous, à
l'occasion de notre âme et du monde, les impressions,
les sensations, les sentiments que nous attribuons au
monde et à notre âme. Malebranche ne dit pas comme
saint Paul : « Nous voyons Dieu par les créatures, »
il dit à l'inverse : « Nous voyons les créatures par Dieu. »
Connaissance de Dieu, Théodicée du xvne siècle,
Malebranche, iv.
Mais à un autre point de vue, des critiques n'ont
pas manqué à la théodicée du P. Gratry. Certes,
l'idée de Dieu naît avec une extrême facilité dans
toute âme qui n'est pas pervertie — l'expérience quoti-
dienne, l'expérience universelle le prouvent — mais
cette idée n'est pas primordiale, elle en suppose
d'autres, par exemple, l'idée de la raison suffisante
dont on la déduit; ce n'est donc pas sans intermédiaire,
comme l'avance le P. Gratry, que l'âme s'élance vers
Dieu. Sans doute, l'idée de l'infini ne naît pas de
l'idée du fini comme de sa cause efficiente, mais ne
peut-elle pas naître de l'idée du fini comme de sa
cause occasionnelle, comme de sa condition ? Lorsque
le P. Gratry répète sans se lasser cet argument qui
lui paraît décisif et qui l'est en effet : Tout est fini sur
la terre, mais j'éprouve une tendance irrésistible vers
l'infini et le parfait, donc il existe un Être infini et
parfait, cet argument, tout inductif qu'il est, ne sup-
pose-t-il pas, pour être valable, un principe sans
lequel on ne peut rien conclure des deux faits d'ex-
périence donnés dans les prémisses. L'induction ne vaut
que par l'affirmation préalable d'un principe comme
celui-ci : Toute tendance irrésistible doit avoir son
objet. Et ce principe lui-même, que vaut-il si nous
n'admettons déjà une loi providentielle, et avec la loi
le Dieu dont elle dépend ? « L'induction, dit Royer-
Collard, s'appuie sur ce principe : Dieu étant un Être
sage doit gouverner le monde par des lois stables. »
Le P. Gratry a subi surtout de graves critiques sur
l'emploi qu'il prétend faire du calcul infinitésimal
pour la démonstration de l'existence de Dieu. Emile
Saissel, Une logique nouvelle à l'Oratoire, dans la Revue
des deux mondes, lir septembre 1855; voir la répons»'
du P. Gratry. dans le Correspondant du 25 octobre 1855.
Encore que, dit l'abbé de Broglie, des savants de
premier ordre tels que Gauchy et Ampère paraissent
avoir incliné du côté des idées du P. Gratry, » elles
n'ont pas été admises par le grand nombre des mathé-
maticiens; et, ajoute M. de Broglie, « la plupart des
philosophes spiritualistes repousseraient également
une assimilai ion entre l'infini mathématique essen-
tiellement divisible en parties, et la simplicité de l'Être
divin. » Le P. Gratry, polytechnicien, philosophe cl
apologiste, dans la Quinzaine du 1er novembre 1804.
M. de Broglie en faisait cependant l'équitable remarque:
« s'il ne s'agissait que de faire naître l'idée de Dieu,
ou même de persuader aux hommes que l'objet de
celte idée est réel, la méthode de l'illustre oratorien
pourrait avoir son utilité. Tout chemin mène à Rome,
dit le proverbe, nous pouvons dire de même que du
moment qu'il s'agit d'âmes droites et de cœurs sincères
ayant des aspirations religieuses, tout chemin mène
à Dieu. »
Il est un autre point, non pas philosophique, mais
théologique, sur lequel le P. Gratry a aussi été critiqué,
mais il pouvait opposer à ses adversaires une victo-
rieuse réponse. « L'intelligence créée, dit-il, a, par le
fait, le désir de la vue intuitive de Dieu... Ce désir tient
à la nature même de la créature raisonnable... Or ce
désir, ce désir négatif, je l'accorde, désir par privation
et par regret, quelque indirect, aveugle et inefficace qu'il
puisse être en lui-même, suffit pourtant à démontrer
que notre intelligence n'aura son plein repos et sa
pleine perfection que dans la lumière supérieure que lui
apporte la vue de Dieu. » Connaissance de Dieu, t. n,
part. II, c. vi. A propos d'une telle doctrine, le fâcheux
souvenir de Quesnel et de Baius avait été rappelé,
Rohrbacher, Histoire universelle d° V Église catholique,
1857, t. v, p. 55G; mais le P. Gratry s'était justifié
d'avance : « Nous voyons, avait-il écrit, qu'on ne peut
dire avec Baius : « Que l'élévation de la nature humaine
« à la participation de la nature divine était due à
« l'intégrité de la première création, et doive être
<■■ dite naturelle et non surnaturelle. »
« Le don de Dieu pouvait s'arrêter là, et donner seu-
lement à l'homme la pleine science naturelle, le plein
empire sur ses passions, et dans son corps l'immor-
talité. Seulement, comme le démontre saint Thomas,
l'homme alors n'eût pas été élevé à sa perfection
dernière, c'est-à-dire à sa lin surnaturelle qui consiste
à voir l'essence de Dieu et à la posséder : et la nature
intègre, encore plus que la nature déchue, eût con-
servé le naturel désir de voir l'essence de Dieu et de
la posséder. » Connaissance de Dieu, t. n, part. II,
c. iv. Au xvnie siècle, les souvenirs de Baius et de
Jansénius avaient. aussi été évoqués contre l'auguslin
Berti qui, dénoncé à Benoît XIV, soutint cette pro-
position : Ncmo damnandus est baianismi si dejended
creedurœ ralionali inessc neduraliler appetilum innalum
ad visionem Dci intuilivam; et n'encourut aucune
censure. Voir, à la fin du t. n de la Connaissance de
Dieu, une note très éruditc, dont les éléments ont été
fournis au P. Gratry par l'abbé Gillet, vicaire général
de Blois, que Pie IX désigna plus tard comme un des
théologiens chargés de préparer les travaux du concile
du Vatican. « Tel quel, dit le cardinal Perraud, ce
désir (quoique par lui-même indirect et négatif) suffit
à produire dans l'âme une très salutaire impression de
vide, une conscience de son ignorance et de sa misère,
une prédisposition à se mettre en état de recevoir ce
qui lui manque, et tout d'abord d'en sentir le besoin. »
/.<■ l'ère Gratry, p. 113.
La Logique, qui n'avait pas la prétention d'être une
Logique nouvelle, contient une vigoureuse réfutation
du panthéisme hégélien, une étude du syllogisme el
de ses lois, laquelle n'occupe pas moins d'un tiers
du Ier volume, de longues considérations sur le procédé
I dialectique ou procédé infinitésimal; tout un livre
L761
GRATRY
1762
sur les vertus intellectuelles inspirées, où l'on retrouve
le théologien et le mystique; et cet admirable livre des
Sources, conseils pour la conduite de l'esprit. De bons
juges y ont vu le chef-d'œuvre du P. Gratry. L'auteur
> préconise une des idées qui lui furent le plus chères,
et dont l'application exige une certaine mesure. « Il
vous excite à la science comparée; je vous demande,
pour cela, d'étudier tout : théologie, philosophie,
géométrie, physique, physiologie, histoire. Eh bien 1
je crois vous moins charger l'esprit que si je vous disais
de travailler, de toutes vos forces, pendant la vie
entière, la physique seule, la géométrie seule, la philo-
sophie ou la théologie seule. Il se passe pour l'esprit
ce que la science a constaté pour l'eau dans sa capacité
d'absorption. Saturez l'eau d'une certaine substance :
cela ne vous empêche en rien de la saturer aussitôt
d'une autre substance, comme si la première n'y était
pas, puis d'une troisième, d'une quatrième, et plus.
Au contraire, et c'est là le fort du prodige, la capacité
du liquide pour la première substance augmente encore
quand vous l'avez en outre remplie par la seconde, et
ainsi de suite, jusqu'à un certain point. » Les Sources, x.
L'analogie même amène le P. Gratry à compléter
par un conseil d'ordre moral ce conseil qui semblait
d'ordre purement intellectuel. « Il ne faut point oublier
que ces capacités de l'eau dépendent principalement
de sa température. Refroidissez : la capacité diminue;
elle augmente si la chaleur revient. De même, rien
n'augmente autant la capacité de l'esprit qu'un cœur
ardent. L'esprit grandit quand il fait chaud dans
l'âme... Les esprits les plus grands sont toujours les
plus chauds. » Ibid.
La Connaissance de l'âme, dont quelques vues scien-
tifiquement contestables n'ébranlent, pas l'exacte et
forte psychologie, est essentiellement œuvre de mora-
liste chrétien; le P. Gratry n'étudie l'âme humaine et
ne l'aide à s'étudier elle-même, que pour lui faciliter
l'ascension vers Dieu et l'union à Dieu. Le moyen,
c'est le sacrifice: « Le sacrifice, c'est l'acte libre d'une
volonté aimante et courageuse, qui consent à sortir
de soi, pour aller à Dieu, et pour se retrouver en Dieu.
Sortir de soi ou y rester, là est toute la question, toute
l'histoire, tout le drame de la vie morale. » Connais-
sance de l'âme, 1. IV, c. n. L'obstacle, c'est l'égoïsme
qui sépare l'âme de Dieu, qui la divise. « Mais cet
égoïsme en lui-même ne peut se voir. Il n'est visible
que par ses effets, par ses deux formes et ses deux
foyers. L'un des deux est l'abus de la lumière, l'autre
l'abus du feu. L'un dévore la lumière, l'autre le feu.
Les deux ensemble épuisent la source de l'âme en la
décomposant sans cesse en lueurs* qui s'évanouissent,
en ardeurs qui se dévorent. » Connaissance de l'âme,
1. IV, c. i.
L'immortalité est le terme auquel tend la vie
humaine. Le P. Gratry en expose les preuves avec
chaleur; il montre pourquoi ces preuves ne con-
vainquent pas toutes les âmes, celles qui, autrement
que saint Paul, entendent en elles-mêmes « la réponse
de mort. » Muni des données de la science et de
quelques textes de mystiques largement interprétés,
il recherche, il essaie de décrire le lieu de l'immortalité
future et de la vie rassemblée. « C'est un miracle de
poésie que le Ve livre de la Connaissance de l'âme sur
le lieu de l'immortalité. » J. Vaudon, Le P. Gratrtj,
Le philosophe, n. Ce livre qui, par ses certitudes,
et aussi par ses conjectures, donne souvent le frisson
de l'infini, en précède un autre, le dernier, celui que le
P. Gratry intitule la Mort, et qui la montre « comme
l'élan suprême et le procédé principal de la vie. » Connais-
sance de l'âme, épilogue. L'auteur étudie les deux derniè-
res phases de l'existence terrestre, celles qu'il nomme
poétiquement l'automne et l'hiver. L'observation y est
sévère et pénétrante, clic ne décourage pas; l'auteur
DICT. DE THÉOL. CATHOI,.
regarde la mort en face, et découvre dans cette contem-
plation de merveilleuses ressources. « O mort, tous mes
malheurs, tous mes chagrins viennent de ne t'avoirpas
connue, de ne t'avoirpas pratiquée... En nous envelop-
pant de silence, la morts'efforce de nous transférer dans
la parole cpii vient de Dieu. En faisant taire notre pensée
même, elle ôte à notre esprit le goût, l'estime, la
possibilité de tout ce qui n'est pas contemplation de
Dieu. En nous plongeant dans l'inaction et dans
l'indifférence, elle veut nous transférer à un plus haut
principe d'action, à un plus haut motif d'amour. >
Connaissance de l'âme, 1. VI, c. n. C'est par un cantique
où l'auteur a uni Habacuc et saint François de Sales,
que s'achève ce dernier livre. « Il faut lire et relire ces
pages, a dit un délicat esprit, il faut laisser passer et
repasser sur son âme ces flots d'harmonie... La fin est
triomphante. C'est l'orchestre rassemblant tous ses
instruments dans une puissante harmonie. » Souvenirs
d'un frère, p. 45.
Sous une forme dramatique (au soir d'une splendide
journée, l'auteur s'entretient avec un maître idéal)
l'épilogue résume en pages éloquentes, et quelquefois
brûlantes, toute la pitié, toute la tendresse, tout le zèle
apostolique du P. Gratry, et toutes ses espérances
pour le progrès du genre humain. « A mesure qu'il
avançait en âge, le P. Gratry était pénétré d'une pitié
de plus en plus profonde pour la souffrance humaine. »
Chauvin, Le Père Gratry, 2e édit., p. 287. Il redisait
comme Malebranche : « Sciences abstraites, quelque
éclatantes et sublimes que vous soyez, vous n'êtes
que vanité, et je vous abandonne. Je veux étudier
la religion et la morale... » IXe Méditation chrétienne.
Dans la dernière période de sa vie, c'est surtout au
point de vue social que le P. Gratry regardait la morale.
De là les œuvres dont nous avons donné la liste : La
paix; le Commentaire sur l'Évangile selon saint Mat-
thieu; La morale et la loi de l'histoire. Il « sait voir le
mal sous toutes les formes... il a de l'injustice, de l'ini-
quité dans la société une vue poignante, un sentiment
aigu; il la décrit et la condamne avec une vigueur
implacable..., mais jamais il ne désespère, parce qu'il
n'oublie jamais « les ressources divines et humaines »
qui restent dans le monde, et ainsi... il travaille de
toutes ses forces, par le labeur intellectuel, par les
œuvres sociales, à préparer la cité qu'il a entrevue, « la
cité dont tous les habitants s'aimaient, » le règne de
Dieu sur la terre en attendant le ciel. » Ollé-Laprune,
La vie intellectuelle du calliolicisme en France au
XIXe siècle, dans La France chrétienne dans l'histoire,
189G. Dans les tableaux tracés par le P. Gratry de
l'avenir terrestre qu'il espère et qu'il appelle, on a pu
signaler la part du rêve. Pour l'amélioration physique
et morale du genre humain, il attendait beaucoup du
progrès des sciences, beaucoup aussi des généreux et
constants efforts de la liberté, oubliant trop que cette
liberté, parce qu'elle est la liberté, menace l'avenir
des mêmes désordres dont elle a affligé le passé et le
présent; et que, soumise à la loi de l'épreuve et
aussi de l'expiation, cette terre, malgré tous les progrès
accomplis, ne sera jamais un Édeh. Amédée de Mar-
gerie a expliqué certaines lacunes d'un des plus impor-
tants ouvrages de la dernière période du P. Gratry.
» ... 11 avait découvert l'économie politique en lisant
Bas liât ;... il avait été très justement frappé de la beauté
de ses lois et de leur parfaite conformité avec la morale
de l'Évangile... Il était dans cette phase et sous ce
charme lorsqu'il écrivit La morale et la loi de l'histoire,
et comme deux obstacles principaux, la spoliation et la
violence, empêchent les lois économiques de produire
librement leurs bienfaisants effets, il lui advint de voir
tout le salut des sociétés dans les deux vertus qui
corrigent ce double désordre. Au fond, il sait bien que
cela ne sullit pas, et que ces vertus elles-mêmes veulent
VI. - 56
1763
GRATRY - GRAVE
1764
des racines plus profondes. Quand il y songe, il le dit
autant de force que jamais, mais à peine l'a-l-il
dit. il m- laisse entraîner de nouveau à sa préoccupation
cl à sa distraction... » Dans le Contemporain du 1er mai
1872. Et toutefois, nonobstant cette explication d'une
justesse ingénieuse et un peu attristée, on redit volon-
tiers le jugement du P. Chauvin : « Au milieu même de
cçs éclipses momentanées et de ces lacunes, que de vues
pénétrantes ou prophétiques, quel élan, quelle géné-
rosité, quelle flamme ardente et communicative ! »
Le Pire Gratry, p. 321-322. Et Ollé-Laprunc, résumant
la philosophie sociale du P. Gratry, a presque formulé
un arrêt définitif : « Otez-le de ce siècle, quelque chose
manque à ce siècle. Mais quoi ? l'esprit qu'il y a souillé
au début de la seconde moitié. Et quel esprit ? Un
esprit généreux. » Éloge du Père Gralry, p. 25.
Ces préoccupations sociales avaient inspiré au
P. Gratry son premier ouvrage : Catéchisme social par
demandes cl réponses sur les devoirs sociaux, Paris, 1818;
il le réimprima, en juin 1871, sous ce titre : Les sources
de la régénération sociale. Disons encore que, par ses
œuvres et par les initiatives qu'il a provoquées et
encouragées, le P. Gratry a été le défenseur des peu-
ples opprimés (Pologne, Irlande), et l'infatigable adver-
saire de l'esclavage. Cardinal Perraud, Le Père Gralry,
p. 223, 251.
Le P. Gratry écrivain a été loué par des maîtres,
Caro, Vitet, Nisard. Nous reproduirons ici l'apprécia-
tion d'Ollé-Laprune : « Tout entier à son ol jet qu'il
veut rendre tout entier, (le P. Gratry), poète et artiste,
a une manière de peindre qui n'est qu'à lui... Pour
suivre une idée dans tous les replis où elle s'engage,
dans toutes les conséquences qu'elle déroule avec soi,
il ,i je ne sais quelles richesses et délicatesses d'expres-
sion incomparables, des tours variés, hardis, inatten-
dus, des formules vives et frappantes, des phrases
pleines, solides, qui sont superbes, ou des façons de dire
ténues qui semblent saisir l'insaisissable et rendre
palpable l'inflniment petit, et toujours et partout, le
rythme, un rythme dont il a le secret, qui vient de
l'accord intime de la pensée et de la parole entre elles et
avec les choses et avec Dieu. » Éloge du P. Gratry, p. 14.
P. Gratry, Œuvres, Paris ; Souvenirs de ma jeunesse,
publics en 1874 par Adolphe Perraud; Méditations inédites,
1871 (elles avaient été composées par A. Gratry de 1835
à 1840); cardinal Perraud, Le Père Gratry, ses derniers
jours, son testament spirituel, 1872; Le Père Gralry, sa vie
et ses œuvres, Paris, 1900; A. Chauvin, Le P. Gralry, 1805-
1872. L'homme et l'œuvre d'après des documents inédits,
2e édit., Paris, 1911; Ollé-Laprunc, Éloge du P. Gratry,
1S90; K. lUohler, Les derniers jours du Père Gralry, Paris,
1912; Ollé-Laprune, Etienne Vacherol, 1898; Caro, L'idée
de Lieu; Plnlosophie et philosophes; Ferraz, Histoire de la
philosophie au XIX' siècle. Le Père Gralry; P.amière, Du
procédé dialectique, dans les Études de théologie, de phi-
losophie et d'histoire, 1857; Amédée de Margcrie, Le Père
Gratry, dans le Contemporain du 1er mai 1872; Ililaire
de Lacombe, Les commencements du Père Gratnj, dans le
Correspondant, 1905; Jean Vaudon, Une âme de lumière,
Le l'ire Gralry, Paris, 1914; "Vitet, Réponse au discours
de réception du P- Gratry éi l'Académie française, 18G8;
Saint-René Taillandier, Discours de réception à l'Académie
française, 1874; D. Nisard, Réponse au discours de récep-
tion de M. Saint-René Taillandier à l'Académie française,
1874; Pontmartin, Nouveaux samedis, 5° série, 1X72;
Albert Aubin, Le P. Gratry, Essai de biographie psycholo-
gique, avec préface d'Henry Cochin, Paris, 1912; Gratry,
n. i; m des Contemporains, 1905; Chauvelot et Bertrln,
Gratry, d;ms Les grandes figures catholiques du temps présent,
1. ii, p. 221-270; B. Chauvelot, Le R. P. Gralry, Paris, s. d.
(Céli brités catholiques |.
A. Largent.
GRAVE (Henri de), de un vrai nom Vermeulen,
Vermolanus, mais appelé de Grave du nom de sa ville
natale, dans Le Brabant septentrional; c'est là qu'il
naquit vers le commencement du xvic siècle. Il prit
l'habit dominicain au couvent de Nimègue, apparte-
nant à la province dominicaine de Germanie inférieure.
Pendant longtemps il fut professeur de théologie.
En 1548, au chapitre provincial, réuni à Nimègue,
une approbation des capitulaires désigne frère Henri
comme remplissant les fonctions de sous-prieur de ce
même couvent de Nimègue. Peu après il fui élu prieur,
mais il mourut bientôt, le 22 octobre 1552, ;i;;é seu-
lement de 52 ans. Il était particulièrement versé dans
la connaissance de l'hébreu et du grec. I.a littérature
patristique l'attirait d'une façon spéciale. Il montra
par son exemple que les méthodes d'enseignement dans
son ordre étaient hospitalières à toute étude qui
tendait à donner de la tradition une meilleure connais-
sance. Il devait avoir des successeurs émériles dans
les Combctis, les Goar, les Le Quien, etc. Il travailla
surtout, selon ses moyens, à donner des Pères et de
leurs œuvres des éditions plus correctes. Pour cela il
ne s'épargna aucune fatigue, visitant les bibliothèques
pour y découvrir les meilleurs manuscrits, et essayant
de restituer le texte aussi parfaitement que possible.
Ainsi préparé, il lit paraître successivement : 1° S. Cy
priani episcopi cl martyris opéra cum brevibus aniw-
lationibus suis ad Erasmianas addilis, in-fol., Cologne,
I 5 I 1 ; ibid., 1549. Cette édition a mérité d'être louée
des critiques, qui se sont occupés plus particulièrement
de saint Cyprien. 2° Sancti palris Juhannis Damasccni
philosophi pariter cl theologi suo lemporc facillime
summi universa, quœ oblineri hac vice potucrunl opéra
summo Hcnrici Gravii studio parlim ex lencbris cl
situ crula, parlim cum grœcis excmplaribus mature
collata, in-fol., Cologne. 1546. Dans sa lettre de dédicace
au prince Oswald, comte de Mons, il explique comment
l'idée lui vint de donner une édition des œuvres de
saint Jean Damascène. C'est à la lecture de la tra-
duction latine du traité De fide orlhodoxa que, saisi
par la beauté de cet exposé de la foi catholique, il se
prit à désirer qu'il fût connu davantage. Le typo-
graphe Pierre Quentel de Cologne fit les frais de l'édi-
tion. Il est intéressant de voir comment H. de Grave
conduisit cette entreprise. Son édition comprenait
d'abord : 1. Vita S. P. Joannis Damasceni per Joan-
ncm palriarcham Hicrosolymilanum conscripta, per
F. vero Joannem Œcolampadium versa. Lorsqu'il fit
cette traduction Œcolampade n'était point encore
passé au protestantisme; 2. Scrmo de philocosmis et phi-
lotheis, ici est de diversis amaloribus mundi et Dei, conver-
sationem S. Palris Joannis Damasccni obilcr narrans.
Ce n'était là que la traduction par un inconnu d'un
écrit donl l'auteur grec lui aussi était anonyme. Puis
venaient les œuvres de saint Jean Damascène, réparties
dans l'ordre suivant: a) Logica. Inlroductio dignitatum.
De duabus in Chrislo voluntatibus, et operalionibus,
reliquisque naturalibus proprictatibus. Ces trois pre-
miers traités étaient jusqu'alors inédits, b) De fuie
orlhodoxa libri quatuor interprète Fabro Stapulensi,
cujus cl scholiis iidem illuslrantur. H. de Grave ajouta
des notes à celles de Lefèvre d'Etaples, et lorsqu'il
lui sembla que le texte de saint Jean Damascène
pouvait servir contre les hérésies courantes, il fit
ajouter par un savant théologien des explication?
nécessaires, c) De Trisagio, De ccnlum hxresibns, De
altercatione christiani cl saraceni; ces trois traités
él aient inédits, d) Fragmentum sententiarum ex ser-
monibus Damasceni, interprète Bilihaldo Pircheymero
Norimbergcnsi. e) De his qui in fuie hinc migrarunl,
quod sacris operalionibus et virorum beneficiis multum
ju.ven.tur liber. L'auteur de cette traduction était
encore Jean Œcolampade, avant son apostasie. /)
Ilisloria Barlaam de Josaphat. Enfin g) Carmina
Eyxalavuyla Damasccni et aliorum; le traducteur était
Aide Manuce de Home. Henri de Grave ne se faisait
pas illusion sur les défauts d'un pareil travail, entrepris
1765
GRAVE -- GHAVESON
1766
avec des moyens d'information malgré tout assez
restreints; aussi dans sa lettre au comte de Mons,
parlant des différentes traductions, il ajoutait : Vcnan
nihil hic temere corrigera, mutare, aut expungere decre-
tum crat dira grxcorum cxemplarium praesidium, qux.
fartasse aul rara, aul nulla hodie extant. Quod si quis ea
domi habet inclusa, aut alieubi asservari novit, isobsecro
castigaliora proférât, mecumque idem communem cl
prsesertim theologise sludiosorum frugem spectel, etc.
L'activité de Henri de Grave s'exerça aussi sur d'autres
sujets. Il entreprit une édition des œuvres de saint
Paulin de Noie, mais qu'il ne put achever. Elle fut
terminée par son confrère et ami Joannes Anlonianus,
lui aussi du couvent de Nimègue, et elle parut sous ce
titre : Divi Paulini episcopi Nolani qiwtquol cxlant
opéra omnia partim soluta oralione, partim carminé
conscripta, D. Henrici Gravii viri trium lingarum
perilissimi studio atque industriel ex v'tustissimis
exemplaribus restiluta, ac argiimenlis illustrata, in-8°,
Cologne, 1560. La plus grande partie du travail est
de Henri de Grave. Antonianus s'est contenté d'ajouter
le proœmium et à la lin : Epislolas nonnullas ad D.
Auguslimim, Alypium et Romanianum aliosque. Henri
de Grave avait eu aussi la pensée de donner une
édition des lettres de saint Jérôme. Il avait donc pré-
paré dans ce but : Scholia et annotationcs in centum
duas priores S. Hieronijmi epislolas. L'auteur mourut
sans pouvoir les éditer. Joannes Antonianus fit
paraître la première décade sous ce titre : Epislolarum
D. Hieronijmi Stridoniensis decas prima cum a mendis
plurimis repurgala, tum pereruditis scholiis illustrata
sludio et opéra doclissimi viri D. Henrici de Gravia,
Anvers, 1568. Les remarques sur les autres lettres
furent utilisées par André Schott, S. J. Elles prirent
place en appendice au t. Ier de son édition : Bcati
Jlicronymi presbyleri Slridonensis Epislolarum sele-
ctarum libri III, cum argumentis, scholiis et indieibus :
uberiorcs quam anlca et emcndaliorcs. Echard, Scriplores,
t. ii, p. 141, cite les éditions de Paris, 1609, et de
Cologne, 1618; l'une et l'autre sont .inconnues de
Sommervogel, voir Bibliothèque de la Compagnie de
Jésus, t. vu, col. 884. L'appendice en question porte
le titre suivant : Henrici Gravii ordinis prœdicalorum
theologi prioris Noviomagensis annotationcs et casli-
galiones in S. Hieronijmi epislolas. Nous apprenons
aussi par la lettre dédicatoire de Joannes Antonianus,
placée en tète de l'édition de saint Paulin de Noie,
qu'Henri de Grave avait collaboré à l'édition des
œuvres de saint Ambroise, in-fol., Bàle, 1555, donnée
par Jean de Coster, de Louvain, prieur des chanoines
réguliers du Val Saint-Martin. De même, il avait
réuni sur plusieurs autres saints personnages, tels que
Clément, Didyme et Eucher, des matériaux importants
que Schott, en son temps, désirait fort retrouver. Voir
la lettre du 1er avril 1607 adressée d'Anvers par Schotl,
aux frères Henri et Jacques Yweins, à Nimègue, et
rapportée en partie par Echard, ibid., p. 141. De son
côté, Joannes Antonianus, dans la préface à l'édition
de la lrc décade des lettres de saint Jérôme, averlil
que le but de Henri de Grave, dans ses notes, n'avait
point été de faire des notes de critique littéraire, ce
qu'Érasme avait fait supérieurement, mais de donner
une meilleure intelligence de la pensée de saint Jérôme
en rapprochant les passages similaires, en établissant
une sorte de concordance, qui permît de voir, en même
temps que les variations de la pensée, le souci chez
l'auteur d'une expression plus parfaite. Infatigable,
Henri de Grave avait entrepris aussi de donner une
édition des œuvres de saint Grégoire de Nysse. Dans
ce dessein, il avait fait lui-même une copie du livre
IIîv. -;/,; ToCi àv0poj7Toj yêvvÉaso);, mais sur un texte
fautif, bien qu'assez ancien. !l n'eut point le courage
de continuer ce travail qu'il cou lia à Joannes Anto-
nianus, comme nous l'apprend la lettre dédicatoire
placée en tète de l'édition, qui parut effectivement en
1537. Enfin, Henri de Grave avait préparé Casliga-
liones in Nouum Teslamenlum, qui, au dire du fran-
ciscain Zegers, s'inspiraient trop d'Érasme et du
texte grec, sans recourir assez aux anciens écrivains.
Voir Tacite Nicolas Zegers, Epanorlholes seu Casli-
galiones in Novum Teslamenlum. Richard Simon, à
son tour, dans son Histoire critique du Nouveau Tes-
tament, t. ii, p. 152, rectifie le jugement de Zegers.
Il y a à distinguer plusieurs personnages du même
nom, ce que n'ont pas toujours fait certains auteurs.
Deux autres dominicains, plus ou moins contempo-
rains de Henri de Grave, ont porté le même nom : un
certain Henri de Grave, du couvent de Lille, apparaît
vers 1491, est reçu maître en théologie en 1496 et
meurt en 1506. Un autre Henri de Grave, en 1504,
fait partie du conseil de l'université de Louvain, en
qualité de maître. Voir Valère André, Fasli academici
Sludii genemlis Lovanicnsis, 28 février 1504. Il prétend
que cet Henri serait le même que notre auteur, mais
Gilbert de La Haye, dans son ouvrage manuscrit,
Bibliothcca belgo-dominicana, consulté par Echard,
repousse cette hypothèse, pour cette raison bien
simple que l'un est déjà déclaré maître en 1504 et
siège dans le conseil de l'université de Louvain, alors
que l'autre ne sera reçu lecteur, inaugurant ainsi sa
carrière professorale, qu'en 1548; d'autre part, si
c'était le même personnage, il faudrait conclure que
déjà maître en 1504, il n'a publié son premier ouvrage
qu'en 1544, donc vers l'âge fort avancé de quatre-vingts
ans, qu'il a été élu prieur de Nimègue à quatre-vingt-
huit ans et qu'il est mort dans cet office en 1552,
toutes choses inadmissibles, surtout lorsque nous
savons qu'il fut enlevé par la mort assez jeune
encore, prœmalura morte huic sœculo subtraclum, dit
Zegers. Il y eut encore un autre Henri de Grave,
mais non dominicain, professeur à l'université de
Louvain, et fils du célèbre imprimeur Barthélémy
de Grave. Sixte-Quint l'appela à Rome et le mit à
la tête de la bibliothèque et de la typographie vati-
cane. Il mourut en 1591 et fut enterré à Santa Maria
dcll' Anima, à Rome. Enfin, pour être complet, notons
en passant qu'un autre Henri de Grave, ord. S. Bcr-
nardi, figure parmi les licenciés de la faculté de
théologie de Louvain, à la date du 27 septembre
1533. Peut-être est-ce le même que les précédents.
Voir H. de Jongh, L'ancienne faculté de théologie de
Louvain au premier siècle de son existence {1432-1540),
Louvain, 1911, Documents, p. 62.
Echard, Scri'/j/orcs ordinis prœd., Paris, 1719-1721, t. il,
p. 140-142; Nie. Tacite Zegers, Epanorlholes seu Castigationes
in N. T., etc., Cologne, 1555; Richard Simon, Histoire
critique du N. T., Rotterdam, 1690, t. Il, p. 152; Hurter,
Nomcnchdor, t. ii, col. 1473; G. A. Meijer, Dominikaner
Kloosler en Static te Nijmegen, Nimègue, 1892.
R. Coulon.
GRAVESON (Ignace-Hyacinthe Amat de), né le
20 juillet 1670, à Graveson, près d'Avignon, d'Ignace
Amat, seigneur de Graveson, et de Marguerite
de Crillon. Il fit ses premières études au collège des
jésuites d'Avignon et, vers l'âge de seize ans, il se fil
dominicain au couvent d'Aix. Après ses vœux, il fut
envoyé à Paris, au collège Saint-Jacques, pour y faire
ses études de philosophie et de théologie. Après avoir
conquis le grade de bachelier en théologie en 1696, il
fut envoyé à Arles pour y enseigner la théologie dans
le collège de son ordre; l'année suivante, il fut demandé
comme professeur de théologie au couvent de Grenoble.
Cf. Lib. consiliorum conv. Gratianopolilani, 1633-1790.
D'après Richard et Giraud, Dictionnaire, la même
année 1697, Graveson aurait été demande aussi
comme professeur de philosophie à Lyon. En quelle
L767
GRAVESON
1768
année rcvinl-il à Paris pour entrer en licence? II y a
divergence entre les auteurs. D'après Echard, il
aurait reçu le bonnet île docteur le 26 février 1700,
Seriplores ord. prsed., t. il, p. 805; cependant d'après
le registre des nominations des bibliothécaires de la
Casanate, à Rome, on voit que Graveson fut élu le
15 décembre 17<>."> à la fonction de second bibliothé-
tt il se trouve déjà qualifie de doclor sorbonicus.
Cependant, il peut se taire qu'il soit ainsi désigné par
anticipation. Pourtant il n'était point encore arrive
à Rome, lorsque le P. Massoulié, qui occupait dans le
collège des docteurs de la Casanate le poste de théo-
logien pour la nation française, vint à mourir, 23 jan-
vier 1700; le 10 février suivant, Graveson fut nommé
pour lui succéder. Echard, loc. cit., et à sa suite tous
lis auteurs se trompent, lorsqu'ils disent que Graveson
fut chargé d'enseigner la Somme de saint Thomas à la
Casanate. Il ne remplit jamais cet office, réservé aux
deux chargés de cours. Les ouvrages qu'il publia alors
ne sont pas le moins du monde, comme ces auteurs le
prétendent, le fruit de ses leçons, mais ils furent com-
posés, comme il le déclare formellement lui-même, en
faveur de François Eorghèse, qui fut plus tard car-
dinal, et dont Graveson avait accepté de diriger
les études. C'est de cette époque que datent ses
premiers ouvrages : Tractatus de myslcriis et annis
Chrisli servaloris noslri dissertedionibus dogmalicis ci
chronologicis, neenon observaiionibus hisloricis cl eri-
licis, juxta germanam divi Thomas mentem illuslralus
et <"/ usum seholœ accommodatus, ad cujus cakcm, in
rem chronologie sac ne studiosorum, attexunlur appa-
ralus, cl canon chronologicus per sex mundi œlales cl
pnecipuas periodos ac nobiliores epochas a crealione
mundi usque ad ascensionem Christi Domini digeslus,
in-4°, Rome, 1711, 1724; 2 in-4°, Venise, 1728, édition
revue et augmentée de trois dissertations et de beau-
coup de notes historiques et critiques; 1733, 1742,
1761. C'est encore pour son élève François Borghèse
qu'il publia quatre années après, en 1715 : Tractatus
de Scriplura sacra, in quo ex ipsius revelatione, inspi-
ralione et antiquitale evincitur contra ethnicos Jcsum
Christum esse verum Messiam, et omnium librorum cum
Veleris huit Novi Teslamenti, quos sacro canoni accensu.it
concilium Tridenlinum.divina auclorilas contra hsereticos
asseriiurac vindicatur. Exhibentursacrorum librorum pri-
migeniitextus,versiones,sensus,auciores,idioma,analysis
et oracula, quiv ad Jcsum Christum verum Messiam reje-
runtur, in-4°, Rome, 1715; Venise, 1761. Graveson était
plus particulièrement enclin aux recherches historiques.
1 Hja Noël Alexandre avait publié son Histoire ecclésias-
tique, lorsque Graveson entreprit sur un plan analogue,
c'est-à-dire en procédant par centuries, de donner une
nouvelle collection qu'il intitula : Historia ecelesiastica
variis colloquiis digcsla ubi pro thcologiw candidulis res
prœcipuœ, non solum ad hisloriam, sed eliam ad dogmala,
criticam, chronologiam, et Ecclcsise disciplinam perti-
nentes, per brèves inlcrrogaliones et responsioncs perstrin-
gunlur cl in prseclaro ordine collocantur, 9 tomes in-8°,
Rome, 1717-1722; 9 tomes in-8° en 5 vol., Venise,
1720, avec les notes de Mansi; 9 in-l'ol., Augsbourg,
1728-1738; 2 in-fol., 1752, 1756,1762, avec les notes
de Mansi jusqu'à l'année 1760; 9 tomes in-4°, Venise,
1771: 0 in-4°, Venise, 1703. L'histoire ecclésiastique
de Graveson parut aussi à Lausanne et à Genève en
12 lomes in-l'ol., 17IÎ7, en même temps que l'ouvrage
suivant : Historia ecelesiastica Veleris Teslamenti in
rem theologise candidalorum per sex mundi niâtes ab
orbe condilo ad natale usque Jesu Christi, seruatoris
noslri, conlinenti ordine producla variisque colloquiis
digcsla. Ubi res pnrcipuœquœ vel ad hisloriam sacram et
ejus chronologiam, legem ac disciplinam Hebrœorum
speclanl, vel quse ad prophelarum gcsla, valicinia in Jesu
Chrislo ad amussim implela, et ad divinam sacrorum
Librorum, quibus continclur historia Veleris Tesla-
menti, auctoritalem allaient, per brev s interrogationes
et responsioncs pcrslringunlur cl in prseclaro ordine
collocantur, 3 in-8°, Rome, 1727; 3 in-fol., Augsbourg,
1727; 9 in-fol., 1728-1738, en même temps que V His-
toria ecelesiastica, 4 vol., Venise, 1732. Naturellement
ces divers travaux historiques du P. Graveson ne sont
plus à consulter dans leur ensemble, bien qu'au temps
où ils parurent, ils méritèrent d'être estimés. Le style
en particulier, bien que parfois trop oratoire, est
d'excellente qualité. Ils furent néanmoins fortement
critiqués par les adversaires de l'école thomiste, qui y
retrouvaient en plusieurs endroits l'apologie directe
des matières alors si controversées de la prémotion
physique. Graveson jouit de la faveur particulière du
cardinal dominicain Vincent-Marie Orsini, qui, une
fois devenu pape sous le nom de Benoît XIII, se
plut à le consulter souvent. 11 fut aussi un des
agents de l'archevêque de Paris, Antoine de Noailles,
avec lequel il entretint une correspondance active. Il
influa beaucoup sur la décision de l'archevêque de
recevoir enfin la bulle Unigenitus. A raison même de
ces relations et aussi à cause de ses réfutations du
molinisme, il fut accusé de partialité en faveur du jan-
sénisme et il dut se défendre de ces insinuations. Il prit
une part active dans les disputes du temps. Il publia :
1° Oralio de usu cl abusu Iheologiœ variœquc orediones,
quas in laudem baccalaurcorum regularium licentian-
dorum in setera facullalc Parisiensi die 4 mensis martii
1696 habuil R. P. Ignatius Hijacinlhus Amalus de
Graveson, ordinis priedicalorum. Vna cum epislola
qua idem auclor sese vindieal a cedumniis, quas Trivollini
in Gallia crilici perperam ci impcgerunl, in-8°, Cologne,
1727; 2° Epislola apologclica, Lyon, 1722. Ces deux
écrits furent reproduits dans un ouvrage posthume de
Graveson : Trias disserlationum in quibus agitur de
recta melhodo addiscendi cl docendi thcologiam schola-
sticam, positivam et moralem, s. d. n. 1.; Bassano, 1773.
11 entra plus avant dans les polémiques du temps par
trois séries de lettres qui parurent successivement en
1728, 1729 et 1730 sous ce titre : Epistolse ad Amicum
scripte theologico-hislorico-polemicse, in quibus doctrina
de gratia se ipsa cfjicaci cl de prœdestinatione gratuita
ad gloriam ante omnem prœvisioncm mcrilorum contra
scholœ thomislicse adversarios asseritur ac vindicatur.
Classis prima. La seconde série de lettres est particu-
lièrement dirigée contre les Pères Gabriel Daniel et
Lievin de Meyer, S. J., qui avaient taxé de jansé-
niste et de calviniste la thèse thomiste de la grâce
efficace per se et déterminante. Enfin dans la troisième
série des lettres, Graveson montrait combien les doc-
trines molinistes de scienlia média, de gralia congrua et
de prœdestinatione ad gloriam post prœvisioncm mcri-
lorum s'écartent de la doctrine authentique de saint
Augustin et de saint Thomas. Ces trois recueils
parurent encore, 3 in-4°, Venise, 1734, puis de nouveau
en 1761. Hurter, Nomenclalor, t. iv, col. 1189, paraît
encore attribuer à Graveson un ouvrage anonyme
paru sous ce titre : Laqueus conlritus sous le pseu-
donyme à'Em. Picardi a S. Augustino, Lyon, et
auquel J.-B. Velle. S. J., répondit par un autre
ouvrage : Dcpulsio calamniarum, Louvain, 1740. Cette
attribution n'est point justiliée. Enfin, comme théo-
logien de la Casanate, Graveson eut l'occasion
d'émettre plusieurs votes sur diverses consultations.
Ils sont demeurés manuscrits. Citons : 1° Ccnsorium
judicium de proposilionibus excerptis ex mandata
illuslrissimorum episcoporum A'. N., in quibus opinioncs
theologorum scholœ Molinse proponunlur tanquam
continentes puram cl genuinam doclrinam, quarn
Ecelesia tribuil sanclo Augustino dum ipsius opéra
sua auctoritate approbavil. Graveson conclut : Qua-
proplcr haec proposilio ut jacet, et ut annexa est cum
1769
GRAVESON — GRAVINA
1770
cmteris propositionibus merito damnari débet tanquam
hseretica,tollens rationem demcriti.ct exlinguens penilus
liberum arbitrium, ms. autogr. in-fol. (xu), bibliothèque
Casanate X. VII, 56; 2° Consultatif) circa conslitu-
tionem, quœ his verbis incipit : Unigenitus, etc. Qux-
ritur primo : an episcopi et alii qui, in Galliarum regno,
obstinalis animis renuunt aeceptare conslitutionem
Unigenitus et ab ea ad concilium générale provocarunl,
sint rêvera exenminunicali ? Resp. Affirmative. Secundo :
An S. pontifex illos tolerare possit cl cum illis commu-
nicarc in divinis ? Resp. Negativ,'. Tertio : Quid facto
opus sit ? Resp. Censet nonnulla a S. pontifi.ee decla-
randa, prœsertim circa dijjercnliam inter sijstema
jansenianum ac dogmala S. Augustini et S. Thomœ, ac
praetensam placilorum Molinœ approbalionem. Explicit :
//ac, salvo meliori judicio, hactenus dixi, quœ ad
resarciendam Ecclesix catholiese concordiam haud
parum juvire ac conducerc passe existimavi. lia censco,
12 junii an. 1724. Bibl. de Carpentras, Miscell. mss.
tom. 152, n. 13, 4 pages in-fol. Dans le même volume,
n. 55, se trouve une longue lettre du cardinal de
Noailles à Graveson, en date du 16 juillet 1725.
Environ cinq ans avant sa mort, Graveson, prévoyant
qu'il n'avait plus beaucoup de temps à vivre, cessa
ses études ordinaires pour s'adonner tout entier à la
vie contemplative. Sur l'avis des médecins il quitta
Rome et se retira au couvent d'Arles. C'est là qu'il
mourut le 26 juillet 1733, âgé seulement de 63 ans.
Une édition complète des œuvres de Graveson parut
sous ce titre : Rev. Pcdris Pr. Ignalii Hijacinthi Amal
de Graveson sacrée facullatis parisiensis doctoris et
collegii Casanalensis theologi ordinis fratrum pne-
dicalorum opéra omnia hucusque sparsim édita, nunc
vero in septem tomos tributa. Acccssere auctoris vita,
varia opuscula inedita et apologia adversus crimina-
tiones, traclulus auctoris de mysleriis et annis Jesu
Christi Servaloris nosiri, 7 in-4°, Venise, 1740; Bassano,
1774, par les soins de Mansi.
Echard, Scriptores ordinis priedicatorum, Paris, 1719-
1721, t. n, p. 805, et édit. Coulon, à l'année 1733. Joseph
d'Azegat, Epistola in obitu Fr. Ign. Hyacinthi Amat de
Graveson. dut. Arelate d. s. augusti 1733; Richard et
Giraud, Dictionnaire universel des sciences ecclésiastiques;
Acta in Congreg. Casanaten., t. ï, p. 20 sq. [Arch. gén. de
l'ordre]; Hurter, Nomenclator, Inspruck, 1910, t. iv, col.
1186-1189; Feller, Biographie universelle, Paris, 1848,
p. 196-197; P. Féret, La faculté de théologie de Paris. Époque
moderne, Paris, 1910, t. vu, p. 419-423; Analecta gallicanu,
Paris, 1911, n. 9, p. 290.
R. Coulon.
1. GRAVINA Dominique peut compter parmi les
hommes les plus remarquables que l'ordre des frères
prêcheurs produisit au cours du xvue siècle. Il était
issu d'une des plus nobles familles du royaume de
Naples et plusieurs de ses ancêtres s'étaient distingués
soit dans les armes, soit dans les lettres. L'un d'eux,
Jérôme Gravina (1555), appartenait à l'ordre de Malte.
Voir Math, de Goussancourt, Le martyrologe des che-
valiers de Sainl- Jean de Hierusalem, dits de Malte, etc.,
Paris, 1643, à la lettre G... Pierre Gravina, sous
Charles-Quint, s'était fait la réputation d'un grand
poète. Voir Gaddi, De scriploribus, t. ï, p. 317. Domi-
nique Gravina naquit à Naples vers 1574; d'abord
élève au séminaire archiépiscopal de la même ville,
vers l'âge de vingt et un ans, il prit l'habit dominicain
le 8 janvier 1595, dans le couvent réformé de Santa
Maria délia Sanilù, de Naples, pour la congrégation
instituée sous le même vocable et qui, à cette époque,
donna un grand nombre de personnages remarquables
par leur science et leur sainteté. Voir P. -Th. Milante,
De viris inluslribus congregationis S. Mariœ Sanikdis,
Naples, 1745. Ses études terminées, il enseigna en
plusieurs couvents, notamment au Sludium générale
de Naples. Au chapitre général tenu à Rome, en 1608,
il fut promu, bien que fort jeune encore, au grade de
maître en théologie. Cf. Acta cap. gen., édit. Reichert,
t. vi, p. 106. Deux ans après (1610), le général de
l'ordre, Augustin Galamini, se trouvant à Naples,
enjoignait au P. Gravina de se mettre à sa disposition,
et l'assigna au collège Saint-Thomas de la Minerve,
à Rome, en qualité de professeur. Il fut adjoint au
procureur général de l'ordre Fr. Marco Maffei de
Marcianisio (1601-1608), en qualité de socius. Nous
ignorons combien de temps il demeura cette fois dans
la ville éternelle, mais au chapitre de Milan (1622) il
est assigné en qualité de régent au collège de Saint-
Pierre-Martyr de Tarente, dans la province domini-
caine de la Pouiile. Il y est encore en 1629. Acta
cap. gen., t. vu, p. 50. Il remplit aussi dans le gouverne-
ment de l'ordre des charges importantes : vicaire
général de la congrégation délia Sanilà et provincial
de la province du royaume de Naples. L'année 1642
fut pour l'ordre de saint Dominique remplie de toutes
sortes de tribulations. Cf. Mortier, Histoire des maîtres
généraux de l'ordre des frères prêcheurs, Paris, 1913,
t. vi, p. 405. Par suite d'intrigues ourdies par l'ambi-
tion et la vengeance, le maître général Nicolas Ridolfi
avait été d'abord suspendu de sa charge, puis déposé
par Urbain VIII, sans que ce dernier ait jamais
donné de raison d'un acte aussi grave. Dès le moment
où le général avait cessé d'exercer ses pouvoirs, il
avait fallu le remplacer dans le gouvernement par un
vicaire général. Le pape avait d'abord nommé à cet
office François Gallasini, mais à la fin de décem-
bre 1642, ayant encouru la défaveur d'Urbain VIII,
il dut quitter Rome et se retirer à Pérouse; c'est alors
que le pape fit choix du P. Gravina pour occuper ce
poste difficile, en des circonstances qui le rendaient
plus difficile encore. Il arriva à Rome en février 1643.
Déjà avancé en âge, un pareil office eut vite raison
de ses forces et il mourut au moins d'août suivant.
Du moins, ne semble-t-il pas qu'il ait été opposé au
P. Ridolfi, car celui-ci, dans une lettre du 11 oc-
tobre de la même année, ressent vivement cette perte.
Mortier, ibid., p. 440. Il fut enterré à la Minerve.
L'œuvre littéraire du P. Gravina est considérable.
Parmi les ouvrages imprimés, citons : 1° Catholiese
prescripliones adversus omnes velcres, et nosiri temporis
hsereticos : quorum controversise ex antiquitate, universi-
tate, Palrum consensione, S. Thomœ Aqainalis doctrina
et methodo dissolvunlur ac confulantur. Opus XII tomis
distinction. Quatre tomes parurent seulement, divisés
en sept volumes, Naples, 1619-1639. Voir le détail du
contenu dans Echard, Scriptores ordinis prœdicalorum,
Paris, 1719-1721, t. n, p. 532. Notons en passant
qu'à la fin du t. ni, Gravina a donné en appen-
dice : Séries episcoporum et archiepiscoporum Ecclesiœ
Neapolilanœ. Le reste de l'ouvrage était prêt pour
l'impression, mais à notre connaissance, il ne parut
pas. Echard, loc. cit., donne le titre des cinq autres
tomes. 2° Le cardinal Bellarmin avait composé
De gemilu columbœ sine de bono lacrymarum libri très,
in-12, Rome, 1617. Dans ce livre, qui eut bientôt
plusieurs éditions, Bellarmin avait critiqué le relâche-
ment de certains ordres religieux plus anciens que la
Compagnie de Jésus; Gravina voulut répondre à
ces critiques et publia à son tour : Vox lurluris seu
de florcnli usque ad nostra lempora SS. Benedieti,
Dominici, Francisci, et ediarum sacrarum religionum
statu. Auclore A. R. P. Pr. Dominico Gravina ordinis
prœdic. S. T. magislro et professore in universitale
Regia Ncap. cur. arch. theologo S. Officii consul.,
in-8°, Naples, 1625; in-24, Cologne, 1627; in-8°,
Naples, 1628; in-4°, Cologne, 1628. Le P. Roth, S. J.,
répondit à Gravina, mais seulement six ans après par :
Cavea turturi maie contra gcmenlem Roberli cardinalis
Bellarmini columbam exultanti, a theologo veritatis
1771
GRAVI N A
1772
vindice slrucla, etc.. in-12, Munich, 1631. A son tour
('.ravina répliqua par : Congeminata vox twturis
florentissimum sacrorum ordiiuun station, disrupia
cavea anonymi, iieralo occinenlis. Opus e manuscripiis
tractalibus Gravinianis ab ill. D. Augustino Ardinghello
excerpium et a facultate thcologica Pazlhenopsea invi-
clissimo ac potentissimo Poloniœ régi (I.adislao IV)
dicatiun, in-l", Naples, 1633. Cinq ans après, une
autre édition parut Congeminata vox, etc., per
Thomam de Surria, nunc primo in Germania revisum,
et illuslraium, et copiosis indicibus absolutum, in-4°,
Cologne, 1638. Une autre édition parut la même année,
sous ce titre : Resonans lurliiris eoncentus. Opus
a R. P. F. Thoma de Sarria ejusdem ordinis revisum
et illuslratum, in-4°, Cologne, 1638. Ardinghelli publia
encore sur la même question cet autre factum :
Augustini Ardinghelli Paradoxa jesuilica, hoc est,
impies, nefartee et pesliferœ jesuitorum Germanicorum
senlenliœ adversus omnes rcligiosos ordines, dans les
Arcana Sociclatis Jesu, in-8°, 1635. Sur ces polémiques
regrettables entre ordres religieux, malencontreuse-
ment occasionnées par Bellarmin, nous ne pouvons
qu'adopter pleinement le jugement d'Echard : Certe
quisqite suœ sodalitalis vulnera tacitus défiera conienlus
esse débet. Nam si cuique in aliorum mala involarc, cl
ea in vulgus propalare licel, quxnam socictas ab innume-
ris improperiis immunis ait ? Rêvera Bellarminus
r jusque apologisla in his lucu.bratiuncu.lis suorum
famée parum consuluerunt, et rectius ac felicius abslinuis-
sent. Scriplorcs ordinis prœd., t. n, p. 533. 3° Et de
fait, le moment était bien mal choisi pour de pareilles
disputes. Il y avait quelques aimées à peine que le
Dalmate Marc-Antoine de Dominis, S. J., d'abord
évoque de Segni, puis archevêque de Spalato, avait
apostasie et passé à l'anglicanisme (1616). Après
avoir publié des ouvrages contre l'Église catholique
et en particulier contre le pape, il était revenu de ses
erreurs, non toutefois sans inspirer des craintes
sérieuses sur son orthodoxie recouvrée. Il mérita
même d'être mis en prison, où il mourut en 1624.
Voir t. iv, col. 1668-1675. Cf. Hurter, Nomenclalor,
t. m, col. 717. C'est pour défendre la vérité catholique
attaquée par de Dominis que Gravina publia les deux
ouvrages suivants : Pro sacro fidei catholicee et aposto-
licœ deposito, fideliler a romanis ponlificibus cuslodilo,
Apologeticus adversus novatorum calumnias, et prœser-
tim novissimi Marci Anlonii de Dominis archiapostatœ
Spalaiensis, in-4°, Naples, 1629; Cologne, 1638. Cet
ouvrage fut suivi cinq ans plus tard de cet autre écrit :
Pro sacrosancto ordinis sacramento vindicise orthodoxse,
adversus Ila-rcseologias Marci Anlonii de Dominis
archiapostatœ Spalaiensis, in quibus purilcr Ecclcsiee
lalinm cum grseca lam in maleria quam forma, concordia
demonstralur, in-4°, Naples, 1634; Cologne, 1638.
Les quatre opuscules qui précèdent, dans leur édition
de Cologne, furent publiés par P. Thomas de Sarria,
O. P., régent des études au collège de Cologne. Le
J'. (.ravina s'exerça encore sur un grand nombre
d'autres sujets. 4° Cherubim paradisi S. Thomas
Aquinas, characteribus divinœ sapienliœ illuslralus cum
SS. Palribus ab oppositis paraturis vindicatus, in-4°,
Naples, 1611. En appendice : Panegijris S. Thoma-
et Aqàinalum familiœ. 5° Ad discernendas veras a
fidsis visionibus et rcvelalionibus BacocvisTr]?, hoc
est Lapis Lydius, pars prima, in-4°, Naples, 1638.
Pars II praxim concernens, quomodo verœ a falsis
rcvelalionibus cl visionibus discerni possint, in-4°,
Naples, 1638. 6" De indivisa cl unanimi sacrosancli
Evangelii privdicedione ab orlhodoxis et légitime missis
divini verbi concionatoribus disseminanda pro com-
muni gentium, aliorumque infulelium culluru et messe,
in-4°, Naples, 1637. 7° Vita e miraroli di S. Grcgorio
arcivescovo e primate d'Armenia cavata du un antico
esemplare Latino scrilto in lellere Longobarde e da
Simon Metafraste, e délia rclalionc délia christianità
dell'Armenia, posta in luce ad islanza délia M. R. S.
madré donna Leonora l'ignalcllô abbadessa di S. Gre-
gorio, Naples, 1630; 1655. La parte seconda è dcll' ori-
gine, del célèbre monaslcrio di San Grcgorio in Napoli.
8° De Ecclesia Armcna ejusque devolionc erga aposto-
licam sedem, cl de ehrislianitale Ma per fratres pnvdi-
catores in ecclesiasticis rilibtis direela et custodita.
Cf. Fontana, Monumenta dominicana. 9° Tolius Sum-
mœ theologicx S. Thomx de Aquino compendium
rhylmicum. in-12, Naples, 1625; in-16, Barcelone,
1640; in-12, Turin, 1879. 10° Oralio habita Dominica
prima adventus coram S. D. N. Paulo V anno Domini
1607, in-4", Rome, 1607. 11° Oralio... anno Domini
1605. Gravina s'occupa aussi de l'édition des œuvres
d'autrui. C'est ainsi qu'il publia : Quxsliones quod-
libcialcs P. Joannis de Neapoli Sicola nuncupati
S. T. M. Parisiensis circa 1316 florcntis ex cod. ms.
bibl. S. Dominici Neapoli, in-fol., ibid., 1618. On lui
doit également Annalium sacri ordinis prxdicalorum
Cenluria prima, auclorc A. R. P. F. Thoma Malvenda,
etc., jussu R. P. F. Seraphini Sicci magislri generalis
in lueem édita, in-fol., Naples, 1627. Sur la valeur de ce
travail voir Echard, Scriplorcs ordinis. De plus,
Gravina a laissé un grand nombre d'écrits, qui ne
virent pas le jour. Thomas de Sarria, dont nous avons
parlé plus liant, en possédait un grand nombre, clans
le but de les publier, mais lui-même mourut sans
pouvoir le faire. Parmi ces opuscules, dont Echard,
op. cit., p. 532, a dressé la liste, citons : 1° Biga duarum
controversiarum de assumplione Dciparse D. N. et
île catechesi priemiltenda arlieuli crucifixionis Chrisli
Domini anle baptisma adulli; 2° De choro et cantu
ecclesiaslico ad P. M. F. Sigismundum Ferrarium;
3" Miles delicatus, id csl, Guillelmus de Sancto Amore
in M. Antonio de Dominis Spalatcnsi redivivus, in
arenam a S. Thomœ discipulo cxposlulatus. Ad M. P.
Pelrum de Cannadilla; 4° Quinquc dispulationes dog-
malicse in maleria conception is B. V. adversus calum-
nias Lutheri, Calvini, Chemnilii, Hcshusii et aliorum
proleslanlium ; 5° De formali constitutive) religionis
adversus Spalalenscm; 6° Panarium contra novis-
simorum scclariorum, qui se illuminatos vocabant.
errores; 7° Proposilioncs nonnullx myslicorum, ad
limamlheologiœ scholaslicx examinatx; 8° De simplici-
tate <l prudenlia christiana in columba et serpente desi-
gnata adversus alhcos et fdios hujus sxculi, ad M. P. F.
Thomam de Sarrios regentem Colonicnsem; 9° Quœrimo-
nia apologctica de adulatoribus Palatinis fratris Dominici
Gravina Ncapolitani F. magistri ord. prœd. provincialis
Prov. Regni, qux sanclum Thomam edidil. Pro defensione
deereti novissimi S. D. N. Pauli divina providentia papx
V,de conccplione Dciparx Virginis Marise,respondens
memoriali exhibilo quodam anonymo ad catholicum His-
paniarum regem. Incipit : Si inimicus meus maledixissel.
— Explicit :.... suam gloriam quxrenles, non Chrislum
crucifixum prœdicanlcs. Finis. Bibl. Vatic, lat. 1902,
etc. Un certain nombre de ces éerits inédits se trou-
vent aux Archives générales de l'ordre.
J. Echard, Scriptores ordinis prœdicatorum, Paris,
171H-1721, t. n, p. 532-534; P.-Th. Milante, De viris
inlustribus congregalionis S. Mariée Sanitatis, Naples,
1745, p. 190-199; P. Th. Masetti, Monumenta et anti-
quitates, etc., Rome, 1864, t. il, p. 188; B. Reichert, Acta
capitulorum generalium, Rome, 1902, t. vi, p. 106, 152,
341 ; t. vu, p. 50, 139, 140; A. Mortier, Histoire des mailres
généraux de l'ordre des frères prêcheurs, Paris, 1913, t. vi,
p. 440; Fontana, Monumenta dominicana, Rome, 1675,
p. 572; Hurter, Nomenclalor, Inspruck, 1907, t. m,
col. 998; C. Sommervogel, Bibliothèque de la C" de Jésus,
t. i, Bellarmin, col. 1240.
R. Coulon.
2. GRAVINA Joseph-Marie, moraliste et contro-
G RAVINA
GRAZIANI
177^
versiste, né à Païenne le 17 mars 1702, admis au
noviciat de la Compagnie de Jésus le 31 octobre 1716.
Il enseigna d'abord les humanités, puis pendant neuf
ans la philosophie; chargé de l'enseignement de la
théologie à Païenne pendanl près de dix-huit ans, il
prit une part active aux controverses sans cesse renou-
velées sur la question du probabilisme. La querelle
s'ouvrit à propos des conclusions défendues au collège
de Païenne touchant l'usage et l'abus de l'opinion
probable, sous la direction du P. Gravina, préfet des
études et auteur des thèses : Conclusiones lheologic.ee
critico-elhicœ de usu et abusu opinionis probabilis,
Païenne, 1752. Cf. Zaccaria, Thésaurus theolog., t. iv,
p. 335-350. Le P. Vincent Diez prit aussitôt la défense
du probabiliorisme et du tutiorisme dans son Anti-
probabilismus vindicalus, Païenne, 1753, et ce fut pour
répondre aux attaques dont son enseignement était
l'objet que le P. Gravina composa son grand ouvrage
sur le probabilisme : Trattenimenti apologetici sul
probabilismo, 3 in-4°, Païenne, 1755, traité capital en
la matière. Le P. Vincent Avocati, dominicain, lui
opposa sa Dr/ensio scholx thomisticœ ordinis prœdica-
lorum. Païenne, 1755, mais sans rien enlever à la
solidité des preuves apportées par le P. Gravina en
faveur de la doctrine probabiliste. D'après Melzi, le
P. Gravina serait l'auteur d'une dernière apologie du
probabilisme : 11 probabilismo soslenulo c diffeso,
Païenne, 1757. Cependant l'authenticité de cet ouvrage
est loin d'être établie.
L'activité intellectuelle du P. Gravina s'est étendue
avec un égal succès à des matières d'ordre fort différent.
On a de lui un excellent traité sur les méthodes d'ensei-
gnement de la philosophie scolastique : Ratio tradendœ
philosophiœ in scholis provincix Siculœ S.J., Païenne,
1754, et divers ouvrages de spiritualité et de piété,
notamment un commentaire des Exercices de saint
Ignace à l'usage des Pères de la Compagnie : Jesuita
rite inslilulus piis exercitationibus SS. Patris Ignatii
de Loyola, 2 in-12, Païenne, 1746, ouvrage de très haut c
valeur. La théologie dogmatique lui doit des Conclu-
siones polemicse de quinque jansenislarum erroribus in
hœrcscs vergentibus, Païenne, 1755, reproduites dans
le Thésaurus théologiens de Zaccaria, t. v, p. 433 sq.,
et une Dissertalio anagogica, théologien, parssnetica
de paradiso, Païenne, 1762, préparée par le P. Benoit
Plazza, et achevée par Gravina à partir du caput II de
adjunctis resurrectionis, p. 404-728. Le dernier cha-
pitre : De eleclorum hominum, fut condamné par décret
de l'Index, le 22 mai 1772, à une heure fort critique
pour la Compagnie de Jésus. Les attaques passionnées
que souleva cette thèse restrictive causèrent au saint
vieillard les peines les plus vives; il se confina désor-
mais dans la retraite. Après la publication du bref
Dominus ac redemptor, le 10 août 1773, il se retira
vraisemblablement à Modène. La date de sa mort est
incertaine. D'après Mira, il mourut à Rome le 23 no-
vembre 1775, d'après Caballero, il vécut à Modène
jusque vers 1780.
Sommervogel, Bibliothèque de la C" de Jésus, t. ni,
col. 1719-1722; Hurter, Nomenclalor, 3e édit,, Inspruck,
1913, t. v, col. 235 sq.; Zaccaria, Sloria letler., t. vi, p. 393 sq.
P. Bernard.
GRAZIANI Antoine-Marie naquit à Borgo San
Sepolcro, sur les confins de la Toscane, le 23 octobre
1537; il était le cinquième enfant d'une famille plus
noble cpie riche. Orphelin à six ans, il végéta assez long-
temps dans la maison paternelle, car il avait dix-sept
ans quand son frère Louis, qui avait déjà une situation
à Rome, consentit à s'occuper de lui. Il le fit étudier les
lettres et l'envoya à Padoue, où il suivit les cours de
droit. A vingt-trois ans, il arrivait à Rome et trouvait
une place au service du futur cardinal Jean-François
Commendone, qui lui fit parfaire ses études, lui ensei-
gnant lui-même la philosophie. Les heureuses disposi-
tions de Graziani le rendirent cher à son maître, qui se
l'attacha en qualité de secrétaire et le prit comme com-
pagnon de ses voyages à travers l'Europe, pour le ser-
vice de l'Église. Commendone mourut en 1584 et son
secrétaire, qui avait refusé les propositions avanta-
geuses du roi de Pologne pour lui rester fidèle, songeait
à quitter la cour et à rentrer dans sa patrie afin de se
livrer aux lettres, pour lesquelles il avait une passion.
Sixte-Quint le retint et le nomma secrétaire des lettres
latines. Après la mort du pontife, son neveu le cardi-
nal Montalto le garda à ses côtés. Clément VIII, qui lui
avait quelques obligations, le créa évêque d'Amelia,
en Ombrie, le 17 février 1592, et lui confia peu après
l'importante mission de travailler à unir les princes
d'Italie pour une action commune contre les Turcs. Re-
venu dans son diocèse, Graziani convoqua un synode
diocésain, au mois de septembre 1595, et il en fit impri-
mer les statuts deux ans après à Venise, où le pape
l'avait envoyé comme nonce. On dit que, sans l'opposi-
tion du cardinal-neveu, qui ne voulait pas voir de sujets
du grand-duc de Toscane parmi les membres du Sacré
Collège, Clément VIII l'aurait fait cardinal. Quand,
en 1598, l'évêque d'Amelia fut contraint par la maladie
de demander son rappel, il se retira donc en son ôvêché,
où il put enfin se consacrer à loisir à ses travaux pré-
férés, qui lui ont mérité de Tiraboschi l'éloge d'avoir
été l'un des écrivains les plus cultivés de son temps.
Graziani mourut à Amelia, le 1er avril 1611 et fut
enseveli dans sa cathédrale, où il avait préparé son
tombeau, pour lequel il avait dicté une inscription
fort modeste. De son vivant, il ne publia que les actes
du synode diocésain qu'il avait tenu, Sgnodus diœce-
sana Amcrina, in-4°, Venise, 1597, auxquels il avait
ajouté un court appendice; Vite sanctorum Amerinse
ecclesiœ palronorum; Charles-Marie Fabi, son succes-
seur sur le siège d'Amelia, les réédita, Rome, 1792, en
les faisant précéder d'une notice sur Graziani. L'œuvre
manuscrite qu'il avait laissée était importante et elle
trouva divers éditeurs; nous citerons : De bello Cyprio
libri quinque, in-4°, Rome, 1624; De vita Joannis
Francisci Commendoni cardinalis libri quatuor edcnlc
Rogerio Akakia, in-12, Paris, 1647, 1669; Padoue, 1683,
cl de nouveau en 1685 avec d'autres biographies;
Barbier veut que ce pseudonyme cache Fléchier, qui
traduisit l'ouvrage en français, La vie du cardinal
Commendon, in-4°, Paris, 1671; 3° édit., Paris, 1702;
Amsterdam, 1695. Le même évêque de Ximes publia
aussi un autre livre de Graziani, De casibus virorum
illustrium, in-4°, Paris, 1680, réédité l'année suivante
sous le titre de Thcalrum historicum de virtulibus cl
viliis illustrium virorum et jœminarum eorumdcmque
casibus maximam partent funeslis, in-8°, Francfort,
1681 ; on a extrait de ce livre Vita e avveniure del cardi-
nale Reginaldo Polo inglese, in-8°, Gènes, 1856; l'avocat
Laurent Coleschi l'a traduit en entier : Dci casi degli
nomini illustri, in-8°, San Sepolcro, 1881. Le P. Jé-
rôme Lagomarsini, jésuite, publia un autre ouvrage
fort intéressant de Graziani, De scriptis invita Mi-
nerva ad Aloysium fralrcm libri viginli,'! in-4°, Florence,
1715-1746, dans lequel, cédant aux instances de son
frère Louis, il écrit l'histoire sommaire de Borgo San
Sepolcro, leur patrie, celle de leur famille, puis raconte
les voyages de son susdit frère à travers le monde et les
événements principaux qui regardent la religion depuis
le pontificat de Pie IV jusqu'à celui de Clément VIII.
Il publia aussi une Epistola ad cardinalem J. F. Com-
mendonum de Julio Pogiano alque ejus lalinis litteris,
in-4°, Rome, 1756; et Episfolarum ad Nicolaum Thomi-
cium libri decem. En 1759, on imprima à Varsovie,
d'après un manuscrit de la bibliothèque Zaluski,
aujourd'hui à Saint-Pétersbourg, De Joanne Heraclide
despota Vallachorum principe cl de Jacobo Didascalo
L775
GRAZIANI
GREGOIRE 1" LE GRAND
1776
Joannis fratre, réédité, d'après les manuscrits de La
Vaticane, par le cardinal Mai dans le t. vin du Spici-
legium romarium, Home, 1842, avec les lettres de
Graziani ad Nicolaum Thomicium. Si le savant car-
dinal connaît la première édition des lettres par le
P. Lagomarsini, il semble ignorer l'édition de Varsovie.
Nous avons encore rencontré sous le nom de Graziani
un volume intitulé : Humanarum liiierarum viridarium,
in-l°, Naples, 1C58.
Ughelli, Italia sacra, Rome' 1644, t. i, p. 343; Moréri,
Dictionnaire historique, Paris, 1745; Tiraboschi, Storia délia
letteratnra italiana, Rome, 1784, t. vu b, p. 302; Richard et
Giraud, Dizionario universale délie scienze ecclesiastiche,
Naples, 1840.
P. Edouard d'Alençon.
GREBNER Thomas, philosophe et controversiste
allemand, né le 1er juillet 1718 à Mergentheim en
Franconie, admis au noviciat de la Compagnie de
Jésus le 12 juillet 1736. Il enseigna d'abord les huma-
nités à Fulda, où il rédigea ses Instilutiones catechismi
triplicis de docirina fulei christianœ, ritibus Ecclesise
prœcipuis, ortu el progressu rcligionis verse, ab orbe
condilo, Mannheim, 1750, ouvrage fort répandu dans
les établissements d'enseignement secondaire en Alle-
magne et qui a été souvent imité depuis. Professeur
de philosophie à Heidelberg, puis à l'université de
Wurzbourg, il publia divers traités qui lui acquirent
une solide réputation : Logica practica in régulas digesta
et demonslrala, Heidelberg, 1752; Wurzbourg, 1754;
Idea philosophie moralis sive breuis elhicœ institutio,
Heidelberg, 1753; Disscrtalio philosophica de veritutc
apparente scu errorc et sophismale ad usum uîriusque
jori, Wurzbourg, 1754; Philosophia moralis sive eihica
et jus nalurœ, Wurzbourg, 1755; ouvrage bientôt
classique et qui eut, jusqu'à la suppression de la
Compagnie, de nombreuses éditions. L'esprit positif
du P. Grebner s'attachait aux faits et aux textes plus
encore qu'aux idées; son traité de la vérité apparente
suppose une connaissance approfondie du droit cano-
nique et sa Disserlalio hislorica de conciliis nalionis
Germanicœ... una cum Vindiciis historicis pro Ecclesia
et imperio, Wurzbourg, 1757, porte la marque d'une éru-
dition vaste et sûre. Nommé successeur du P. Adrien
Daude dans la chaire d'histoire ecclésiastique, il publia
un abrégé de l'histoire universelle de l'Église, Compen-
dium hisloriœ universalis el pragmaticœ romani imperii
el Ecclesia' christianœ, 3 in-8°, Wurzbourg, 1757-1764,
qui est l'abrégé et la continuation de l'ouvrage du
P. Daude, avec]une part très large et alors très précieuse
donnée à l'histoire de la théologie, du droit canonique
et des controverses religieuses. Contre les protestants
qui s'attachaient, avec Mosheim, J.-G. Walch et Jean-
Albert Fabricius, à dénaturer les dogmes el les insti-
tutions de la primitive Église, il composa le plus
remarquable de ses ouvrages : Germania sacra in
primilivo slcdu Ecclesiœ... juxta catholicorum systema
de fide, disciplina, jure sacrorum cl hierarchia eccle-
siastica contra syslemata protestantium, Bamberg et
Wurzbourg, 1767. Après la publication du bref Dominas
ac redemplor qui supprimait la Compagnie de Jésus, il
continua d'enseigner l'histoire à l'université de Wurz-
bourg et travaillait activement à l'édition d'un grand
ouvrage de numismatique, quand la mort le surprit
le 19 mai 1787.
Sommervogel, Bibliothèque de la C" de Jésus, t. m,
col. 1720-1728; Hurter, Nomenclator, :i édit., Inspruck,
1913, t. v, col. 405.
P. Bernard.
GREGENTIUS (Saint), que les menées grecs disent
originaire de Milan, alla en Egypte mener la vie d'ana-
chorète. Il devint évêque de Taphar (Tzafar) au pays
des Homériles (Hémiarites) au sud de l'Arabie Heu-
reuse, vers 535. Son élévation à ce siège se rattache fort
bien à la lin de la persécution des chrétiens, quand le
pays passa sous la domination des Éthiopiens. 11 aurait
in a Taphar, vers 540, une discussion avec le juif Her-
ban, en présence du roi du pays, de quelques évèques et
de beaucoup de juifs, discussion qu'aurait mise par écrit
le scolastique Palladius. Cette AiâXsÇiç ijtetà IouBaiou
'Ep6ôcv TOJvoua n'est pas d'une authenticité très sûre, et
beaucoup de critiques la tiennent pour fabriquée. Mais
la question n'a pas encore été soumise a un examen
approfondi. La vérité de la religion chrétienne est
prouvée dans ce dialogue par l'accomplissement des
prophéties de l'Ancien Testament et par les miracles.
Quoi qu'il en soit de son authenticité, la Dispute se relie
aux Ndfioi tûv 'OjJ.T)piTàiv, lois rédigées au nom d'Abra-
ham, roi des Homérites, mais également attribuées à
saint Gregentius. Les deux écrits font suite l'un à l'autre
et forment comme un seul et même ouvrage. La AiaXsft;
lut publiée en grec et en latin et annotée par Nicolas
Galonius, in-8°, Paris, 1586, et reproduite dans la Biblio-
theca Palrum, t. v, p. 919 sq., dans Galland, t. xi, p. 599
sq., et par Migne, P. G., t. lxxxvi, col. 621-784. Les
Nd[iot sont ibid., col. 567-620. On célèbre la fête de
saint Gregentius le 19 décembre.
Bardenhewer, Palroloqie, 2e édit., Fribourg-en-Biisgau,
1901, p. 486; trad. franc, par Godet et Verschaffel, Paris,
1899, t. ni, p. 29; Krumbacher, Geschichte der Inpantinischen
Lileratur., 2e édit., Munich, 1897, p. 59; Dictionary of
national biographu de Stephen et de Lee, Londres, 1885-
1903, t. ii, p. 730; Hurter, Nomenclator, 3e édit., Inspruck,
1903, t. i, col. 520-521.
E. Mangenot.
1. GRÉGOIRE I LE GRAND (Saint). _ i. vie.
II. Écrits. III. Doctrine.
I. Vie. — Grégoire Ier, le premier moine qui soit
monté sur la chaire apostolique, et l'un des quatre
docteurs par excellence de l'Église d'Occident, naquit
à Rome, en 540 selon toute apparence, d'une antique et
illustre famille. Fils d'opulents patriciens, il embrassa
la carrière politique, et de très bonne heure, avant 571
à coup sûr, l'empereur Justin II le nomma préteur de
Rome. Mais, séduit d'abord pendant quelque temps
par l'éclat des grandeurs terrestres, Grégoire parvint à
s'en déprendre, et, renonçant après de longues hési-
tations aux espérances du monde, il vendit les biens
de son immense héritage, pour en consacrer le prix
au soulagement des pauvres et à la fondation de sept
monastères, six en Sicile et le septième à Rome, au
sommet du viens Scauri (aujourd'hui monte Ccelio)
dans son propre palais. Il s'y fit moine lui-même, sui-
vant la règle de saint Benoît; il poussa si loin la
rigueur du jeûne que sa santé, naturellement délicate,
s'en trouva ruinée, que sa vie même en fut compro-
mise. Il ne laissera pourtant pas, dans les années
qui suivront, de pleurer amèrement le cloître et de
soupirer après le retour de ces jours heureux. Le
pape Benoît Ier l'arracha de sa cellule en 577, pour le
créer, malgré lui, cardinal-diacre ou régionnaire. Le
successeur de Benoît I1', Pelage II, l'envoya comme
apocrisiuire ou nonce, en 578, auprès de l'empereur
Tibère, à Constantinople. En 584 ou 585, Grégoire pou-
vait rentrer, à Rome, dans son monastère, dont les
religieux l'élurent abbé, peu après son retour. La
vue de quelques jeunes Anglo-Saxons, sur le marché
des esclaves, lui inspira la pensée de s'embarquer
pour l'Angleterre et d'aller porter chez un peuple
non encore dépravé les bienfaits du christianisme et
de la civilisation. Il avait déjà, du consentement du
pape, quille Home en secret, quand un soulèvement
populaire contraignit Pelage II à rappeler par courrier
le bienfaiteur de la ville et l'idole du peuple romain.
Pelage mourut le 7 février 590. Aussitôt Grégoire est
élu pape par la voix unanime du sénat, du peuple et
du clergé. Il n'épargna rien pour se soustraire à leur
1777
GRÉGOIRE Ier LE GRAND
1778
choix. Mais, dès que l'empereur d'Orient, Maurice,
eut confirmé l'élection, le peuple conduisit l'élu en
triomphe à Saint-Pierre, et Grégoire fut sacré le 3 sep-
tembre 590.
Personne n'a jamais eu du souverain pontificat une
idée plus haute, et, de fait, Grégoire a été la plus
noble personnification de la papauté. Politiquement
et religieusement, la situation ne lui offrait à son
avènement que des sujets de douleur et d'alarmes. Il
compare lui-même l'Église à « une barque vieille et
vermoulue, suspendue sur l'abîme, craquant comme
à l'heure du naufrage. » Regislr. epist., 1. I, epist. iv.
L'Italie était la proie des inondations, de la peste
et de la famine; les Lombards y mettaient tout à
feu et à sang; la province ecclésiastique de Milan
s'obstinait dans le schisme que la condamnation des
Trois Chapitres avait provoqué; de Constantinople, un
pouvoir ombrageux et tracassier étendait jusque sur
la papauté ses exigences, et déjà le schisme futur de
l'Église grecque se faisait pressentir; le monde civilisé
semblait pencher vers sa ruine. Humble et charitable,
ferme et tendre de cœur, vigilant et clairvoyant, Gré-
goire réussira, par son génie comme par le charme
et l'ascendant de sa vertu, à remédier à ces maux et
à renouveler en partie la face de la chrétienté. Il
luttera sans relâche et non pas toujours sans succès
contre les hautaines prétentions et les menaces du
byzantinisme ; il ranimera la vie chrétienne et soula-
gera dans la mesure du possible les misères de son
temps; il organisera le domaine temporel des papes
et fondera leur paternelle suprématie sur les royautés
naissantes et les nations nouvelles qui s'appelleront
la France, l'Espagne, l'Angleterre. A vrai dire, c'est
lui qui inaugure le moyen âge, la société moderne et
la civilisation chrétienne. Dans les dernières années
de sa vie, Grégoire fut presque toujours aux prises
avec la maladie; à peine pouvait-il, aux jours des
grandes fêtes, se lever de son lit et célébrer la messe
solennelle. Il mourut au commencement du mois
de mars 604, le 12 mars 604, selon l'opinion commune;
il avait reçu du consentement universel le double
surnom de Saint et de Grand, et il demeurait le per-
pétuel modèle de ses successeurs.
II. Écrits. — Saint Grégoire est, de tous les papes,
Benoît XIV excepté, celui qui nous a laissé le plus
d'ouvrages. Ces travaux dont l'auteur se plaisait à
exagérer les défauts littéraires, reflètent en définitive
la décadence du style et du goût au vie siècle. Mais,
morale ou liturgie, quelque sujet qu'aborde la plume
de l'humble et doux pontife, tout va, non précisément
à satisfaire aux besoins de l'intelligence, mais plutôt
à relever et à purifier la volonté humaine, non à
dévoiler les arguties de l'hérésie, mais à lutter contre
l'épuisement des courages, le désespoir des vaincus et
le sauvage orgueil des conquérants; tout se tourne à
la pratique. De saint Grégoire nous possédons : 1° un
Pastoral, Liber regulx pastoralis, composé vers l'an 591
et dédié à Jean, archevêque de Ravcnne. Grégoire
s'y justifie du reproche que lui avait adressé Jean de
s'être dérobé par la fuite à la dignité suprême, en
relevant les grandeurs et les dillicultés du ministère
pastoral. Le livre comprend quatre parties : la Ire pose
les règles qui doivent présider à la vocation sacerdotale,
ad ciilmen quisque regiminis qualiler veniat; la IL' dé-
peint la vie du vrai pasteur, ad hoc rite perveniens
qualiler vivat; la IIIe qui contient, dit Bossuet, « une
morale admirable et tout le fond de la doctrine de ce
grand pape, » trace les règles de la prédication, bene
vlvns qualiler doceal; la IVe et dernière, en un seul
chapitre, invite le pasteur à rentrer en lui-même tous
les jours, recte docens infirmilalcm suam quanta consi-
deralione cognoscat. Le succès du livre fut éclatant.
La traduction grecque d'Anastase II, patriarche
d'Antioche, ne nous a pas été conservée; le roi d'An-
gleterre, Alfred le Grand, mort en 901, en a fait une
version anglo-saxonne. 2° Un très vif succès accueillit
aussi un peu plus tard, vers 593, les quatre livres des
Dialogues, dont le titre, clans la plupart des manuscrits,
est suivi de cette addition qui en détermine le sujet,
De vita et miraculis patrum Italicorum, et de œternitate
animarum. Saint Grégoire y raconte à un ami de
jeunesse, le diacre Pierre, nombre de traits «miraculeux
des saints de l'Italie, qu'il emprunte, soit à ses souve-
nirs personnels, soit à de graves autorités. Le I" et
le IIIe livres sont consacrés au récit des miracles de
divers saints personnages, qui tous, sauf saint Paulin
de Noie, sont peu ou point connus. Le IIe livre, un
chef-d'œuvre, s'occupe exclusivement des miracles
de saint Benoît de Nursie. Le IVe livre est un tissu
de visions miraculeuses, qui vont à établir la survi-
vance de l'âme après la mort. Maintes fois traduits,
ces Dialogues, qui répondaient si bien à la croyance
des contemporains aux miracles, se sont répandus
partout et ont servi de type à l'hagiographie du moyen
âge. 3° Les Morales, Exposilio in librum Job sive
Moraliumlibri XXXV, commencées à Constantinople
par saint Grégoire avant son élection, et terminées
pendant son pontificat, popularisèrent les secrets de
l'ascétisme, en développant les traditions les plus
élevées de l'exégèse biblique, et méritèrent de servir,
durant le moyen âge, de base à l'enseignement de la
théologie morale. Le livre de Job y reçoit tout à tour
une triple explication, l'explication littérale ou his-
torique, reléguée à l'arrière-plan, l'explication mystique
ou typique, l'explication morale, de toutes la plus ample
et la plus détaillée. 4° Les quarante Homélies sur
l'Évangile forment très probablement un cycle de
prédications sur des textes évangéliques, prononcées
en 590 et en 591; vingt furent prêchées par saint
Grégoire lui-même et recueillies dans l'église par des
sténographes; vingt autres furent lues au peuple, en
sa présence, par un notaire, à cause des cruelles
soulïrances qui empêchaient le pape de monter en
chaire. L'auteur les a publiées en 592 ou 593, et divisées
en deux livres. On trouve ordinairement à la suite,
dans les éditions modernes, un émouvant sermon sur
la pénitence que saint Grégoire avait prêché à Rome
pendant la grande peste de 590. C'est aux Homélies
sur l'Évangile qu'on s'est plu dans la suite à emprunter
les leçons de l'office liturgique aussi bien que les
lectures des chapitres ou du réfectoire des commu-
nautés religieuses. 5° Les vingt-deux Homélies sur
Ézéchiel furent prononcées par saint Grégoire devant
le peuple en 593, pendant le siège de Rome par les
Lombards, et se partagent en deux livres qui inter-
prètent, le Ier, Homil., i-xn, les c. i-iv, le IIe, Homil.,
xiii-xxii, le c. xl. 6° Ce qui fait le mieux ressortir
le génie de saint Grégoire et son infatigable activité,
c'est le Registrum epislolarum, le recueil de sa corres-
pondance officielle. Mais, du Registre original, il n'a
survécu que des débris. On n'en possède plus aujour-
d'hui que trois extraits, indépendants les uns des
autres et remontant tous très haut. L'extrait le plus
considérable, puisqu'il contient, à tout prendre, 683
lettres, fut adressé par le pape Adrien Ier (772-795)
à l'empereur Charlemagne; les lettres y sont rangées
indiction par indiction et tout le pontificat de saint
Grégoire s'y déroule. Un second extrait comprend
200 lettres, qui probablement appartiennent toutes
à l'indiction IIe, 598-599. Dans une troisième collection
nous ne trouvons guère qu'une cinquantaine de lettres,
différentes des précédentes et qui sont empruntées
aux indictions XIII, IV, X. Ces deux dernières collec-
tions, plus courtes que celle d'Adrien Ier, semblent
bien lui être antérieures. Elles nous offrent, en dehors
du recueil d'Adrien Ier, 165 lettres; de sorte qu'il
1779
GREGOIRE I" LE GRAND
1780
nous est resté, de compte fait, dans les trois recueils,
848 lettres de saint Grégoire. 11 nous est aussi parvenu
par une autre voie quelques lettres isolées; mais leur
authenticité ne saurait être admise en bloc. Rède le
Vénérable seul. Hist. ceci, gentis AngL, I, 27, nous
a transmis la réponse de saint Grégoire aux onze
questions posées par l'archevêque de Cantorbéry,
saint Augustin, Rcgislr., 1. XI, epist. iv; on la tient
aujourd'hui presque généralement pour apocryphe.
P. Ewald et L. M. Hartmunn, Grcgorii I papœ Rcgis-
trum epislolamm, Berlin, 1891-1893, dans Monumenta
Germanise historica. Epist., t. i-ii; P. Ermini, SnlV
Episiolario di Grcgorio Magno, note critichc, Rome,
1904. 7° Le Sacramentaire grégorien est le fruit d'une
réforme profonde apportée par saint Grégoire dans le
missel romain. Nous ne l'avons plus cependant sous
la forme que le grand pape lui avait donnée. Tous
nos manuscrits ne sont que des copies plus ou moins
authentiques de l'exemplaire que le pape Adrien Ier,
entre 784 et 791, envoya en France, à la prière de
Charlemagne. Dans le chant liturgique, saint Grégoire
s'est aussi montré réformateur, en publiant un nouvel
Anliphonaire. Le nom de chant grégorien rappelle,
enfin, sa sollicitude pour recueillir les anciennes
mélodies de l'Église et imprimer au chant ecclésiastique
un caractère à part de gravité et de suavité. E. Bivell,
Dcr Gregorianischc Gcsang, Gratz, 1904.
Les huit hymnes qui portent le nom de saint Grégoire
peuvent être toutes regardées comme apocryphes.
Dreves, Thcol. Quarlalschrijt, 1907, p. 548-562; 1909,
p. 436-445. Sont également suspects ou plutôt apocry-
phes les Commentaires sur le I" livre des Rois, Y Expli-
cation du Cantigue des cantiques, l'Explication des sept
]>saumes de la pénitence, YHarmonic de quelques témoi-
gnages de la sainte Écriture.
Saint Patère a extrait des œuvres de saint Grégoire
le Grand des explications que ce pape a données de
tous les passages de la Bible Liber de expositione
Veieris ac Novi Testamenli de diversis libris S. Grcgorii
concinnatus, P. L., t. lxxix, col. 683-1136. Alulf a
recueilli, de son côté, les explications que saint Grégoire
avait faites des passages du Nouveau Testament.
Gregoriale super Novum Testamentum, ibid., col. 1137-
1424.
1 1 1. Doctrine. — Écrivain et orateur, saint Grégoire
est un théologien très sûr. Point de hardiesses, point
de singularités dans sa doctrine. Elle est le reflet
exact généralement, quoique pâli, de celle de saint
Augustin. Le glorieux pape ramène 1er, idées de son
maître au niveau des esprits moyens de son temps, et
les accommode au caractère tout pratique que peuple
et clergé donnent alors à la religion. Comme saint
Augustin, il relève l'autorité et les privilèges de la foi
par-dessus la science et la philosophie, qui aussi bien
lui sont opposées. Homil. in Evang., xxvn ; In Ezechiel.,
homil. v. Comme saint Augustin, il prêche la nécessité
d'une grâce prévenante, même pour le commencement
de la foi et des bones œuvres, Moral., 1. XVI, c. xxx,
et enseigne la prédestination absolue et indépendante,
Moral, 1. XXVII, c. vu; 1. XXIX, c. lvii, lxxvii;
1. XXXIII, c. xxxvin; peut-être néanmoins n'admet-
il la réprobation qu'après la prévision des fautes,
I. XXV, c. xxxii ; 1. XXXIII, c. xxxix. II reconnaît
à la passion du Sauveur une valeur salutaire et pénale.
Jésus-Christ seul pouvait sauver l'humanité coupable
et il s'est substitué à elle pour expier ses fautes. Il a
pavé les droits du démon, dont la défaite a été com-
plète. Voir J. Rivière, Le dogme de la rédemption,
Paris, 1905, p. 272-276, 413-414, 439-141. Avec saint
Augustin encore, saint Grégoire tient que les enfants
morts sans baptême encourent des peines positives et
le feu de l'enfer. Moral.. 1. IX, c. xxxn. Sans entrer dans
les spéculations à la suite de l'évêque d'Hippone, il
proclame simplement la présence réelle de Jésus-Christ
dans l'eucharistie, Moral., \. XXII, c. xxvi; In Evang.,
homil., xiv, 1; xxn, 7, et il reconnaît à la messe le carac-
tère d'un sacrifice expiatoire et propitiatoire, destiné
non seulement à effacer les péchés des vivants, mais à
soulager les défunts dans les peines de l'autre vie, l)ia-
log.. 1. IV, lv, lviii, clix; 7/! Evang., homil. xxxvn, 8;
le dogme du purgatoire est mis ici en pleine lumière.
La question des anges a spécialement attiré l'attention
de saint Grégoire. Selon lui, les anges sont des
créatures entièrement spirituelles, sans corps, Moral.,
1. II, c. vin ; 1. IV, c. vin ; Dialog., 1. IV, c. xxix ;
ils sont inégaux en dignité, In Evang.. homil.
xxxiv, 9, 13, et divisés en neuf ordres, Moral.,
I. XXXII, c. xlviii; In Evang., homil, xxxiv, 7,
ayant chacun ses prérogatives et ses fonctions. Les
bons anges sont occupés à la garde de l'Église, des
nations et des individus; chaque peuple et chaque
homme a son ange qui lui est préposé. Moral, 1. IV,
c. lv. Les démons de leur côté nous font perpétuel-
lement la guerre, Moral, 1. II, c. lxxiv; mais ils ne
peuvent nous nuire sans la permission de Dieu. Moral,
1. II, c. xvi. Saint Grégoire fait aussi ressortir, avec la
maternité de la sainte Vierge, l'enfantement mira-
culeux du Sauveur,/;) Evang., homil. xxvi.l, et il prêche
le culte des reliques, sous la condition qu'elles soient
authentiquement constatées. Moral, 1. XVI, c. lxiv;
Epist., 1. XL Le culte des images n'est point condamné
absolument. Epist., 1. IX, epist. vi, lu ; 1. XI, epist. xiii.
L'eschatologie de saint Grégoire, enfin, est imprégnée
des idées de saint Augustin. Les âmes reçoivent aussitôt
après la mort leur récompense ou leur châtiment.
Moral, 1. IV, c. lvi; 1. XIII, c. xlviii; In Evang.,
homil. xix, 4; Dialog., 1. IV, c. xxvm. Elles tombent
dans l'enfer éternel, si elles sont mortes sans avoir fait
pénitence de leurs peccata capilalia, Moral, 1. XV,
c. xxi, ou, si elles n'ont pas de fautes à expier, elles
entrent au ciel, pour y jouir d'une béatitude sans fin.
Moral. ,1. XVIII. c. xc;l. XXX, c. xvn. Les souffrances
du purgatoire attendent les âmes qui n'ont pas suffi-
samment expié leurs menues fautes par la pénitence
et l'aumône. Dialog., 1. IV, c. xxv, xxxix. Le pur-
gatoire n'est donc pour l'homme après la mort qu'un
état temporaire; c'est dans le ciel ou dans l'enfer que
la vie d'ici-bas trouve sa sanction définitive. Cette
sanction ne sera complète qu'après la résurrection
de la chair et le jugement dernier. Saint Grégoire croit,
comme on croyait en général autour de lui, que la
fin du monde et l'avènement du souverain juge sont
proches. In Evang., homil., i, 5; iv, 2. A la résurrection
de la chair succédera le jugement universel, Moral,
1. XVII, c. liv; 1. XXXIII, c. xxxvn; I. XXVI,
c. l, li; la sentence de chacun sera irrévocablement
prononcée et son sort fixé à jamais.
L'édition complète des oeuvres de saint Grégoire par
les bénédictins de Saint-Maur, 4 in-fol., Paris, 1705, se
retrouve, non sans améliorations, dans P. L., t. lxxv-
i.xxix.
L'antiquité nous a laissé trois biographies de saint
Grégoire : l'une écrite en Angleterre dans les premières
années du VIIIe siècle et restée inédite; l'autre par Paul
Diacre (Paul Warnelried), datant de la seconde moitié
du vmc siècle, P. L., t. lxxv, col. 41-59; dont une édition
critique a été publiée par le P. Grisar, Zeitschrift fur
katholisehe Théologie, 1887, t. xi, p. 158-173; la troisième
par Jean Diacre, composée à Rome en 872 ou 873, P. L.,
t. lxxv, col. 59-242.
H. Delehaye, Saint Grégoire le Grand dans l'hagio-
graphie grecque, dans Analecla bollandiana, 1904, t. XXIII,
p. 419-454; Lau, Gregor dcr Grosse, nach seinem Lebcn
und seiner Lehre gesehildert, Leipzig, 1845; Ed. Clausier,
Saint Grégoire le Grand, pape et docteur de l'Église, Paris,
188G-1891; Wotfsgruber, Die vorpapstticlie Lelcnspcriode
Grcgors des Grosses nach seinen Brie/en dargcstellt. Vienne,
1880; Gregor der Grosse, Ravensburg, 1890; A. Inonx, St.
17SI
GRÉGOIRE Ier LE GRAND
GRÉGOIRE II
1782
Gregory the Grent, hisworkand his spirit, Londres, 1892;
H. Dudden, Gregory the Great, Londres, 1905; T. Tarducci,
Storia cli Gregorio Magno c del sno tempo, Rome, 1909;
H. H. Howorth, St. Gregory the Great, in-8°, Londres, 1912;
Tixeront, Histoire des dogmes dans l'antiquité chrétienne,
Paris, 1912, t. m; Bardenliewer, Les Pères de l'Église,
édit. franc., Paris, 1903, t. m, p. 19S sq. ; G. Pi'eilschifter,
Die authentisclic Ausgabc dcr Evangelien-Homilien Gregors
d. Gr., Munich, 1900; Kirehcnlexikon, t. v, col. 1075-1092;
Hurter, Nomenelalor, 1903, t. i, col. 555-565; un article de
A. Lagarde, Le pape saint Grégoire a-t-il connu la confes-
sion ? dans la Revue d'histoire et de littérature religieuses,
1912, p. 160 sq., appelle les plus grandes réserves. D'heu-
reux correctifs se trouvent dans la brochure de M. Tixe-
ront, Le sacrement de pénitence dans l'antiquité chrétienne,
Paris, 1914, p. 9-11, par une référence à YHomil-, xxvi,
sur les Évangiles.
P. Godet.
2. GRÉGOIRE H (Saint), pape (19 mai 715-
10 février 731). De famille romaine, il fut initié très
jeune à la pratique des affaires ecclésiastiques. Le
palais de Latran avait abrité ses premières années
sous les pontificats de Sergius 1" (687-701), de Jean VI
(701-705), de Jean VII (705-707), de Sisinnius (708)
et de Constantin (708-715). Instruit aux leçons de
Sergius Ier, sous-diacre chapelain au palais pontifical,
et dans la suite bibliothécaire, il était entré dans
l'ordre des bénédictins. De 687 à 701, la papauté
avait été troublée par le double schisme des antipapes
Pascal (687-vers 692) et Théodore (687). Le réveil de
propagande religieuse, commencé à la fin du vic siècle
sous l'impulsion de saint Grégoire le Grand, avait
amené à Rome, pour y recevoir le baptême, le roi de
Sussex, Ceadwalla, et l'évêque Willibrord avait alors
reçu le nom de Clément afin d'aller évangéliser la
Frise. Enfin la résistance de l'armée de Ravenne,
prenant fait et cause pour Sergius Ier, avait fait
échouer l'exarque impérial, accouru dans la ville des
papes, pour traîner à Constantinople le pontife rebelle
au concile quinisexte in Trullo de 692. Une visite à
la cour byzantine avait complété l'éducation psycho-
logique du futur pape : diacre, il avait accompagné
le souverain pontife Constantin dans son voyage au
Bosphore. L'empereur, en grec de race, l'avait inter-
rogé sur la tkéologie. Des réponses très aisées firent
dès lors prévoir la bonne tenue dans la discussion du
futur défenseur du culte des images. En 715, Grégoire II
montait sur le trône de Pierre au milieu des acclama-
tions du peuple et du clergé, parce qu'il était armé
pour la lutte.
Trois problèmes s'offraient à son attention. La
continuation de l'apostolat inauguré par Grégoire le
Grand sur les peuples barbares encore païens s'imposait,
si l'on voulait former par une discipline chrétienne
des peuplades errantes toujours dangereuses pour
l'ancien monde latin. La Rome pontificale pouvait
aussi toujours craindre sa vieille rivale Constantinople,
où l'hérésie, depuis quatre siècles, semblait avoir élu
domicile. Le concile quinisexte in Trullo de 692 qui
avait repiis, au point de vue disciplinaire, le VIe concile
œcuménique de Constantinople de 680, sans en garder
l'orthodoxie, ne datait que de vingt-deux ans : l'argutie
greccjue n'était pas morte. Enfin, le souverain pontife
devait, pour vivre, pourvoir à la situation matérielle
de Rome, ballottée depuis 406 par les assauts des
Barbares, et pour le moment tiraillée par les ambitions
lombardes, chaque jour grandissantes, et les récla-
mations byzantines de moins en moins efficaces. Dans
ces trois domaines, l'impulsion donnée par Grégoire II
a marqué un acquis pour la théologie.
1° La conquête de la Germanie. — L'action du
pontife a été simultanée. Elle apparaîtra mieux,
étudiée d'abord dans les forêts de Hesse et de Thu-
ringe. Grégoire va planter la croix au delà des frontières
danubiennes que jamais les aigles romaines ne sont
parvenues à franchir. Son collaborateur, à qui il vient,
suivant l'usage, de donner le nouveau nom de Boniface,
n'est autre que l'anglo-saxon Winfrid. Voir t. n,
col. 1005-1008. L'œuvre d'évangélisation commença dès
716 par la réforme de l'Église de Bavière. En 719,
Boniface partait pour la forêt hercynienne, et le 30 no-
vembre 722, de retour à Rome, il recevait Fépiscopat.
De 724 à 731, l'apôtre de la Thuringe, évêque légion-
naire, aidé de moines et de moniales anglaises, parfai-
sait son œuvre, en créant les monastères d'Amœne-
bourg, de Friztlaren Hesse, d'Ohrdrufî, près de Gotha,
deBischoffsheim sur Tauber, dont les religieux allaient
défricher et essarter la région du mystère païen. Dans
tout ce travail, Grégoire II avait été la pensée agis-
sante. Il avait commencé la mission en demandant avec
succès à Charles Martel l'aide de son bras puissant pour
l'apôtre qui confiait ses efforts à la barbarie de la nature
et des cœurs. La force devait être au service du droit
pour empêcher que Boniface' ne fût opprimé par les
violents et les malveillants. Epist., xxi et xxv, dans
Jaffé, Bibliotheca rerum germanicarum, Berlin, 1866,
t. m, p. 24-315. Dès les débuts, le pape avait aussi
félicité les Thuringiens. Epist. , xx, ibid. Saint Boni-
face ne resta jamais seul. Toute une théologie fut fixée
par la lettre du 22 novembre 726, écrite par Grégoire II
à l'évêque de Germanie. Epist., xxvn, ibid. Morale,
doctrine, liturgie, pastorale y sont présentées d'une
façon bien ferme à l'action scrupuleuse du légat.
La question des mariages illégitimes, réglée en 721,
par dix-sept anathèmes, dans un synode tenu à Rome,
cf. Labbe et Cossart, Colleclio conciliorum, Paris, 1672,
t. iv, préoccupe à nouveau le pontife. Il demande que
l'on ne pousse pas jusqu'à l'excès la rigueur des dispo-
sitions canoniques sur les empêchements. Vis-à-vis de
peuples si barbares, il suffira d'interdire le mariage jus-
qu'au quatrième degré inclusivement. Il autorise la
rupture du lien, quand la femme ne peut rendre le
devoir conjugal à son conjoint. Celui-ci ferait peut-être
mieux de ne pas se remarier. Il faudra le tolérer toute-
fois, à la condition qu'il ne laisse pas sans secours celle
qu'il aura abandonnée. Grégoire II tranche à la manière
de saint Paul, en employant ses expressions, la question
des viandes consacrées aux idoles. Il décide que les
lépreux doivent être admis au banquet eucharistique,
mais séparément. Le prêtre, accusé, sans témoignages
décisifs contre lui, pourra se laver par son seul serment.
Les oblats, une fois donnés à Dieu, ne doivent plus
retourner aux voluptés du siècle.
Sur les questions doctrinales, le pape est d'une haute
fermeté. Le sacrement a une valeur absolue qui ne peut
être diminuée par l'indignité du ministre qui le
confère : il n'y a donc pas lieu de rebaptiser ceux qui
ont reçu le baptême d'un prêtre indigne. Des enfants
enlevés à leurs parents, qui ne se souviendraient plus
d'avoir reçu ce sacrement, devraient à nouveau le
recevoir. Il ne faut pas administrer deux fois le sacre-
ment de confirmation.
Les questions de liturgie sont aussi abordées dans
la lettre de 786. Le pape demande que l'on ne place
pas deux ou trois calices sur l'autel, quand on célèbre
le sacrifice de la messe. Enfin, il donne à son mandataire
quelques directions pastorales relativement à sa
conduite vis-à-vis des prêtres indignes, qui faute d'une
préparation soignée n'avaient pu maintenir leur tenue
sacerdotale dans le paganisme ambiant. Boniface
avait prêté au pape serment de n'avoir aucune com-
munication avec les prêtres indignes. Mais les nécessités
de son apostolat le mettaient en contact inévitable
avec de pareils prêtres, surtout à la cour de Charles
Martel. Devait-il donc s'en tenir à son serment au
risque de compromettre sa mission? Grégoire II, avec
une modération pleine d'optimisme chrétien, fixe
toute une conduite : « Quand ils ne sont pas formelle-
17S:i
GREGOIRE II
1784
ment hérétiques, écrit-il, il t'est permis do manger ou
de parler avec eux. Tu (luis, usant de l'autorité apos-
tolique, lis avertir, les réprimander et les ramener,
si possible, a la pureté de la discipline ecclésiastique.
S'ils obéissent, ils sauveront leurs âmes, et tu auras
mérité la récompense. En attendant, ne refuse pas de
t'entretenir avec eux et de t'asseoir à la même table.
Souvent, il arrive que ceux à qui la correction disci-
plinaire ne parvient pas à faire observer la loi de la
vérité se laissent ramener au chemin de la justice par
les exhortations familières de commensaux assidus.
Tu observeras la même règle à l'égard des grands qui
te prêtent leur secours. » Epist., xxvn. Grégoire 1er
avait ajouté l'Angleterre aux peuples catholiques.
Grégoire II, en donnant à l'Église la Thuringe et la
Hesse, le nœud, le passage, la forteresse des Allemagnes,
avait fait plus que son prédécesseur. Il créait la Ger-
manie dans l'univers civilisé. Les mots qu'il adressait
à Boniface, en 726, n'ont rien d'exagéré : «Voilà, frère
très cher, ce que nous te demandons, en vertu de notre
autorité apostolique, et cela suffit. Pour le reste, nous
implorons la miséricorde de Dieu, afin que celui qui
t'a envoyé dans ces contrées à notre place, et qui a
fait par ta bouche pénétrer la lumière de la vérité
dans l'épaisse forêt du paganisme, t'accorde un
accroissement de sa protection. Nous lui demandons
que tu reçoives la récompense de cette œuvre de salut,
et qu'elle nous vaille à nous même le pardon de nos
péchés. » Epist., xxvn.
2° La lutte contre les iconoclastes. — Grégoire II
maintint le dépôt de la doctrine chrétienne. En 717,
l'empereur Léon III l'Isaurien inaugurait son règne.
Il commença, en 726, la guerre aux images, par un
édit dont on ne connaît pas exactement le contenu.
En vain, avait-il tenté de gagner à sa cause le patriar-
che byzantin Germain; le vieil évêque résista à toutes
les sommations du tyran; il se désista de sa charge
en 729, et mourut peu après, âgé de quatre-vingt-dix ans,
remplacé d'ailleurs par l'iconoclaste Anastase. Léon
menaçait aussi d'envoyer une armée à Rome, de ren-
verser la statue de saint Pierre et de saisir la personne
du pontife romain. Grégoire II protesta par une lettre
très ferme; il soulignait l'ignorance impériale, et
excommuniait Anastase. La distinction était formelle
entre le culte d'adoration Q.x-c,vjtv/.wç) et le culte
de convenance (ay sti/63;). P. L., t. lxxxix, col. 51 1-524 ;
Labbe et Cossart, Conciliorum collectio, Paris. 1672,
t. vi, col. 1460. Le IIe concile général de Nicée devait
répéter cette doctrine dans des termes presque iden-
tiques. Il concède aux images un culte honorifique,
tiut)tixÎ] ;:poay.uvT)atç ; il en écarte la véritable ado-
ration, à/.r/Jtvfj XaTfsïa. L'attitude de Grégoire II
pouvait exaspérer Léon III. Saint Jean Damascène
à Jérusalem, protégé par le calife, avait soutenu le
pontife, dans trois Discours apologétiques. Dans les
Cyclades et dans la Grèce, les populations de l'empire
avaient déposé l'Isaurien pour proclamer Cosmas.
Les représailles de Léon furent terribles. Après la
défaite de son adversaire en 730, il publiait un nouvel
édit : les attentats contre les images et leurs défenseurs
se succédèrent. Le pape resta loyaliste au milieu des
pires menaces de sentence capitale. Intransigeant sur
la doctrine, il sut maintenir dans l'obéissance à l'exar-
chat de Ravenne les populations de Rome, révoltée
contre l'empereur.
3° L'ébauche du pouvoir temporel. — Durant les
troubles civils qui avaient marqué la lutte du pape
il de l'empereur, le roi des Lombards, Liutprand
(juin 712-744), avait cru le moment opportun pour
étendre sa domination dans l'Italie centrale. S'em-
parant de Ravenne, puis des villes de la Pentapole,
(I Osimo (Marche d'Ancône), il s'avança jusqu'à Sutri
où les prières de Grégoire II arrêtèrent l'envahisseur.
En 727, Liutprand se retira de la ville: il en lit présent
aux apôtres Pierre et Paul. L'Étal pontifical com-
mençait. C'était une nécessité. Avec le meilleur
loyalisme, le pape ne pouvait plus se confier, pour
défendre la réalisation de sa mission, aux aléas et à l'im-
puissance de la politique byzantine. Depuis Grégoire
le Grand, d'ailleurs, les prédécesseurs de Grégoire II
s'étaient acquis, en fait, une influence, qui les faisait
les maîtres incontestés de Rome. Sauf en cas de
brouille entre l'empereur et le pape, le préfet de la
ville, comme le duc militaire, sont alors soumis au pon-
tife. Cf. Louis Halphen, Études sur l'administration de
Rome au moyen âge (751-1252), Paris, 1907; Diehl, L'ad-
ministration byzantine dans l'exarchat de Ravenne, Paris,
1888, p. 127. Grégoire II devait continuer la tactique
de ses devanciers. Il releva les murs de Rome, restaura
les églises dévastées par les Lombards, notamment
les basiliques de Saint-Paul et de Saint-Laurent hors
des murs; des monastères abandonnés, entre autres
celui du Mont Cassin, furent aussi repeuplés par le
pontife qui avait su transformer sa maison paternelle
en couvent de prière et de charité. Le règne de Gré-
goire II apporte ainsi sa contribution à la réalisation
de l'idée de la nécessité du pouvoir temporel pour les
papes. Un programme s'affirme sur un terrain libre.
Dans la déchéance de l'empire grec, par suite de son
opposition même, en 729, Liutprand et l'exarque
Eutychius, réconciliés, mettaient le siège devant Rome.
Le pape n'hésita pas. Le front haut, il entra dans le
camp du roi des Lombards; en persuadant le souve-
rain, il obtint de lui son manteau, son épée, sa couronne
pour en faire le trophée du tombeau de saint Pierre.
Cf. Kirsch et Luksch, Gcschichle der katholischen Kirche,
Munich, 1906, p. 196. Sur la demande du peuple
romain, resté quand même iconodoule, on conçoit que
Grégoire II se soit montré à Rome, tout en relevant
encore de Ravenne. En réservant la question de droit,
il prenait en fait une attitude nécessaire. Les Byzantins
avaient abdiqué. Du pontife contre les Lombards,
décidaient seuls en cette occurrence des bienfaits vieux
de trois siècles. Rome en jugeait ainsi quand,* le 10 fé-
vrier 731, le pape quittait la terre.
Dans la conquête des âmes, dans la défense de la foi,
dans la résurrection de sa ville papale, Grégoire II
reste l'homme pondéré, aussi ferme sur les principes
que condescendant pour les personnes. Sa formule
connaît la mansuétude. L'attitude silencieuse et
calme, active partout, réalisatrice toujours, lui est
familière. Son pontificat est au faîte du vme siècle. 11
a tracé la voie, magistralement suivie par Grégoire III.
On célèbre sa fête le 13 février.
I. Sources. ■ — Grégoire II a laissé quinze lettres, dont
deux adressées à l'empereur Léon sur le culte des images,
trois à Boniface, sept à divers personnages pour recom-
mander sa mission; un capitulaire relatif à la discipline;
dix-sept anathèmes contre les mariages illégitimes pro-
noncés dans un synode tenu à Rome (721). Ces documents
se trouvent dans Labbe et Cossart, Conciliorum collectio,
Paris, 1672; P. L., t. lxxxix, col. 495-534; Jaffé, Biblio-
tlieca rerum germanicarum, Berlin, 1866, t. ni, p. 24-315;
E. Duemmler, Monumenta Germaniœ historica. Epistolœ,
Berlin, 1892, t. m; Jaffé, Regesta pont, romanorum, 1851,
p. 175-180, 941; A. Potthast, Bibliotlieca historica medii
eevi, 2e édit.; Mai, Spicilegium romamim, 1841; l.iber
pontlficalis, édit. Duchesne, Paris, 1885, t. i, p. 396-414.
IL Ouvrages. — Sur la conversion de la Germanie,
G. Kurth, Saint Boniface, 3° édit., Paris, 1902; Seiters,
Bonifacius, der Apostel der Deulschen, Mayence, 1845;
Arnheim, 1851 ; E. Sayous, De epislolis sive sancti Boni/acii
sive ad sancturn Bonifacium, Paris, 1866; G. Pfahler, Sankt
Bonifacius, Ratisbonne, 1880; Kuhlmann, Der heilige
Bonifacius, Apostel der Deutschen, Padcrborn, 1895;
Von Buss, Winfrid-Bonifacius, édit. von Scherer, Graz,
1888; Hauck, Kirchcngeschichte Deutschlands, Leipzig,
1887, 1899, t. i; Hefele, Histoire des conciles, trad. Lcolercq,
Paris, 1910, t. m />, p. 861 sq.
1785
GREGOIRE II — GREGOIRE 111
1786
Sur la controverse des images, Dalilé, De imaginibus
libri IV, 1642; Maimbourg, Histoire de l'hérésie des icono-
clastes, Paris, 1674-1679; F. Schlosser, Geschiclite der bilder-
stiirmendcn Kaiser, 1839; Gasquet, L'empire byzantin et
la monarchie franquc, 1888; Le Quien, Conspectus operum
Joannis Damasceni, Paris, 1700; Nève, Saint Jean de
Damas et son influence en Orient, dans la Revue belge,
1861; Perrier, Jean Damascéne, sa vie, ses écrits, Stras-
bourg, 1863; Grundlehncr, Johannes Damascenos, Utrecht,
1877; Langen, J. von Damaskus, Gotha, 1879.
Sur le pouvoir temporel, B. J. Ililgens, Commen.ta.lio
de Gregorii II P. M. in seditione inter Italiiv populos
adversus Leonem Isaurum imperatorem excilata negotio,
in-4°, Cologne, 1849; Dichl, L'administration byzantine
dans l'exarchat de Ravcnne, Paris, 1888; Koch, Die Injzan-
tinisclien Beamtentitel von 400 bis 700, Iéna, 1903; Halphen,
Études sur l'administration de Rome au moyen âge (751-
1252), Paris, 1907; Duchesne, Les premiers temps de l'État
pontifical, 2e édit., Paris, 1904; J. Gay, L'Italie méridionale
et l'empire byzantin, Paris, 1904, Introduction, p. iv.
P. Moncelle.
3. GREGOIRE H! (Saint), pape (18 mars 731-
27 novembre 741). Ue naissance syrienne, il fut
désigné à la chaire de Pierre par un de ces enthou-
siasmes subits du clergé et du peuple, qui relèvent
en langage canonique de « l'inspiration divine ».
Esprit ferme et très averti, il avait, pour conquérir,
les dons de la vertu comme ceux de la science. Aux
termes du Liber ponlificalis, édit. Duchesne, Paris,
1885-1890, des connaissances linguistiques latines et
grecques, une éloquence facile et prenante, une
mémoire aisée, capable d'une assimilation verbale du
psautier tout entier, faisaient du nouvel élu l'homme
d'une situation créée sans doute par son prédécesseur,
mais qu'il fallait maintenir avec plus de difficultés
peut-être. 11 faut noter que Grégoire III est le dernier
des papes pour l'élection desquels on ait demandé la
confirmation de l'exarque de Ravenne, représentant
des empereurs byzantins. L'affranchissement de la
papauté n'eut d'ailleurs alors d'autre cause que la
personnalité même d'un pontife qui sut voir, étudier
et conclure.
En 731, le règne de Grégoire II s'était terminé en
plein travail. La conquête germanique, la résistance
aux iconoclastes, la constitution de la souveraineté
temporelle pontiiicale avaient trouvé, à différents
titres, leur appoint dans le magistère ordinaire plus
encore que dans de grandes réunions conciliaires. La
force calme avait été la caractéristique des puissantes
ébauches du pape défunt. Grégoire III avait pratiqué
son prédécesseur. Il définit plus encore que lui. Mais
la méthode resta la même. La théologie lui doit un
sérieux acquis.
1° La conquête de la Germanie. — Dès son avène-
ment, l'attention du pape fut sollicitée par la mission
de saint Boniface comme par la controverse des
iconoclastes. Ces deux questions nécessitaient la déci-
sion immédiate. Pour la première, la phase d'organisa-
tion s'imposait, la seconde attendait la définition
conciliaire solennelle. L'une préparait l'avenir le plus
consolant, l'autre faisait craindre l'orage de la destruc-
tion. Ici et là, Grégoire III réalisera son œuvre avec-
une aisance égale. Exposées séparément, les deux
tactiques seront mieux comprises.
Dès 732. le pape envoyait le pallium à Boniface.
faisant ainsi dp l'évêque régionnaire un archevêque
particulièrement uni avec le Saint-Siège. Episl.,
xxvm, dans Jafîé, Bibliolheca rerum germanicarum,
t. m, p. 91. Désormais, ce qui avait été le diocèse
de Germanie devenait une province ecclésiastique,
partagée en plusieurs diocèses, gouvernés par autant
d'évêques institués par le saint. Celui-ci, sans siège
fixe, pour pouvoir plus librement s'occuper des
intérêts généraux, devenait le métropolitain de toute
l'Allemagne transrhénane. Il avait à créer de nouveaux
diocèses, à choisir les évêques appelés à devenir ses
collaborateurs; le pape lui recommandait seulement
de n'en ordonner que dans les localités suffisamment
importantes, pour que le prestige de la dignité épis-
copale ne fût pas diminué. Grégoire III se montrait
ainsi l'administrateur habile qui sait qu'on n'impro-
vise par les centres d'influence. L'établissement
d'une ville d'action ne peut se faire qu'au confluent
territorial qui a pu capter par sa situation physique
et économique tous les affluents ethniques qui y
convergent. Un évêché est un foyer de lumière intel-
lectuelle et morale. Pour rayonner, il lui faut des
avenues. Cette règle de propagande avait sa grande
utilité : les évèchés de Burabourg et d'Erfurth en
Hesse et Thuringe, créés un peu en dehors d'elle,
devaient languir pour être finalement absorbés, sous
Charlemagne, par ceux de Mayence et d'Halberstadt.
L'œuvre de Grégoire III s'étendit à la Bavière, à la
Hesse, et à la Thuringe. Dans la première, qui compre-
nait la Haute-Autriche, le pays de Salzbourg, le
Tyrol, et une partie de la Styrie, le pays avait été
converti au christianisme depuis quelques générations
par Rupert à Salzbourg et Corbinien à Frisingue. La
dynastie ducale des Agilolfings était alors foncière-
ment chrétienne. Mais l'Église de Bavière manquait
du groupement hiérarchique de ses chefs sous l'auto-
rité métropolitaine, du fonctionnement périodique
des conciles, du lien avec Rome, centre du monde
chrétien. Isolée dans ses membres, isolée dans son
ensemble, elle s'exposait aux aberrations; à tout le
moins ne pouvait-elle avancer, faute de coordination.
Grégoire II, en 716, avait déjà fixé tout un programme
de concentration romaine à une mission dont faisait
partie Boniface. Le duc Théodon II, venu près du
pontife pour s'entendre avec lui, avait emmené les
prélats qui devaient créer un archevêque et des évêques
bavarois pour les grouper en conciles. Des querelles
de famille survenues à la mort de Théodon II en 717
avaient enlevé toute efficacité à ces efforts. Mais
en 732, Grégoire III, de concert avec Hubert, petit-
fils de Théodon II, reprenant le programme de 716,
confiait à l'archevêque de Germanie la réforme de
l'Église de Bavière. Boniface ne devait la parfaire
qu'après son troisième voyage à la ville éternelle
en 738. Les sièges de Salzbourg, Frisingue, Ratis-
bonne, Passau furent alors réorganisés. Le saint
partit ensuite vers la Thuringe et la Hesse pour y
parvenir aux mêmes conclusions. Les conditions
n'étaient pas les mêmes. La Bavière était une terre
d'ancienne civilisation romaine, avec de vieilles
villes où il y avait eu des sièges épiscopaux de l'époque
impériale. Ici, tout était neuf, et dur, le sol et les
hommes. L'archevêque réussit pourtant à établir
trois sièges, Burabourg entre Fritzlar et Amœnebourg
en Hesse, Erfurt près d'Ohrdruff en Thuringe, Wurz-
bourg sur le Mein en Franconie. La parole de Hauck
apparaît donc comme très exacte : « L'Église de
l'Allemagne centrale est l'œuvre de Grégoire III. »
Kirehenijeschichle Deutschlands, Leipzig, 1887, t. i,
p. 466. Théologiquement, l'œuvre du pontife est
des plus intéressantes; elle apporte un témoignage
traditionnel des plus convaincants à la thèse fonda-
mentalement catholique de la primauté, de la hié-
rarchie, du concile romain. Pour l'appuyer, le pape
n'a rien ménagé. Il a dressé toute une batterie de
renforcement. Il s'est acquis la sympathie efficace
de Liutprand, roi des Lombards, Epist., xxxv,
Jaffé, op. cit., p. 100-101; il a écrit aux peuples de
Hesse et de Thuringe, en leur demandant de répudier
les pratiques païennes ; aux évêques de Bavière et
d'Allemagne, pour leur présenter son légat, leur
prescrire l'obligation du synode deux fois l'an, les
mettre en garde enfin contre les pratiques païennes
î: s:
GRÉGOIRE III
1788
et contre les erreurs des prêtres bretons, très déchus
depuis Colomban. EpisL, xxxvi, xxxvn, Jaffé, op.
cit.. p. 101, 103-104. D'autres points d'ordre pratique
et doctrinal furent aussi fixés dans cette mission
qu'on pourrait appeler une campagne.
La possibilité canonique du mariage entre gens unis
par des liens spirituels fut mise au point. Boniface,
soumis à la papauté, reconnaît l'existence d'un empê-
chement dirimant entre parrain et marraine d'une
part et leur filleule ou filleul d'autre pari. Un cas
bien pratique aussi était alors à examiner. Un parrain,
après la mort du père de son filleul, peut-il épouser la
mère de son filleul? Le clergé romain et franc soute-
nait qu'un tel mariage était illicite. Epist., xxix.
xxx, xxxi, Jafié, op. cit., p. 95, 96, 98. L'arche-
vêque de Germanie donne son avis théologiquement
autorisé : « Si un tel mariage est un péché, je l'ai
toujours ignoré et je ne l'ai jamais appris, ni dans les
anciens canons, ni dans les décrétâtes des papes, ni
dans \eCakulus peccalorum des apôtres. » Grégoire III
ne l'en blâma point. La question de parenté revint
encore en discussion. Depuis Grégoire II, elle semblait
pourtant définitivement fixée. Son successeur fut plus
rigoureux. La pratique barbare tolérait l'union à
partir du second degré. D'après le vénérable Bède,
Hist. eccles. Angl., 1. I, c. xxvn, n. 5, saint Grégoire
le Grand, en prohibant le second degré dans ses lettres
à saint Augustin de Cantorbéry, avait autorisé le troi-
sième. La réponse de Grégoire II, défendant le qua-
trième inclusivement, a été exposée plus haut. En 732,
Grégoire III tient pour illicites les mariages entre
parents jusqu'à la septième génération. EpisL, xxvm,
Jafié, op. cit., p. 93. La lettre xxvne était plus exclu-
sive encore : Quamdiu se agnoseuni afpnitate propinquos.
Jafié, op. cit., p. 89. Boniface ne se tint pas pour battu.
Il allégua la réponse de Grégoire Ier. La curie romaine
lui répondit que l'article relatif à cette question man-
quait dans les manuscrits de saint Grégoire, classés
dans les archives pontificales. Episl., xx. Boniface, peu
satisfait de cet argument négatif, écrivit à l'archevêque
Nothelm de Cantorbéry, lui demanda de lui envoyer le
texte de la consultation de saint Grégoire le Grand, et
le supplia de bien vouloir, par un examen minutieux,
se convaincre de l'authenticité de l'article en question.
On ne sait pas ce qu'il advint.
11 faut ajouter, à l'honneur de Grégoire III, qu'un
appel à la vérité catholique fut toujours facile à ses
subordonnés dans la hiérarchie ecclésiastique. Avec
une franchise toute saxonne, Boniface lui demande
compte des bruits relatifs aux saturnales célébrées
dans la ville de Borne vers la fin de l'année 738.
C'est un mauvais exemple pour les fidèles d'origine
barbare encore si novices dans la foi. Epist., xi.ii,
Jaffé, op. cit., p. 115, 116. Dans une autre lettre, la
simonie est suspectée à Rome. Epist., il, Jafié, op.
cit., p. 135. Et toujours le pape accepte l'inquisition
qui lui est imposée sur le ton du justicier. Au fond,
de part et d'autre, l'amour de la vérité veut triompher.
Sans doute Grégoire III supplie son légat de ne plus
lui tenir des propos aussi durs. Il honore sa franchise
pourtant. En lui affirmant ses interdictions relative-
ment aux saturnales, l'inexactitude des rapports sur-
la simonie, le pape encourage l'archevêque de Ger-
manie.
2° La controverse des iconoclastes. — Grégoire 111,
simultanément à la conquête de l'Allemagne trans-
rhénane, s'était occupé dès les premiers jours de son
pontificat de la controverse des images. En 731, un légat
partit pourByzance afin de solliciter de l'empereur
Léon l'Isaurien le retrait de l'édit contre les images; le
message de Grégoire III n'eut d'autre résultat que de
faire condamner à l'exil celui qui en était chargé. Le
pape avait montré les dernières preuves de patience. Ils
pouvait maintenant user de rigueur. En 732, un concile
se réunit à Rome ; quatre-vingt-quinze évêques y assis-
tèrent. Le culte des images y fut confirmé par décret
apostolique; l'anathème porté contre ses ennemis.
Cf. Kirsch et Luksch, Geschichlc der katholischen Kirche,
Munich, p. 197, où l'on voit un fragment d'une inscrip-
tion de l'année 732, contenant les décisions du concile
en question. La solennité, la fermeté de la condam-
nation est frappante.
En plein orage d'ailleurs, Grégoire III restaurait la
vieille basilique vaticane de Saint-Pierre ; il y élevait un
oratoire enrichi d'or, d'argent, de pierres précieuses et
d'ornements variés. Les reliques des apôtres et des mar-
tyrs, rassemblées avec soin dans tout l'univers chrétien,
y furent exposées à la vénération des fidèles. Les statues
de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de la sainte Vierge et
de différents saints ajoutèrent encore à la magnificence
de cette chapelle dite de « Tous les Saints n.
La vengeance ne se fit pas attendre. En 734, Léon III
l'Isaurien arma sa flotte pour réduire les Romains à
l'obéissance; une puissante arhiée devait débarquer
en Italie. Le convoi fut dispersé par une tempête
dans l'Adriatique. L'empereur ne s'arrêta point;
détachant l'Illyrie du patriarcat romain, il saisit les
biens du Saint-Siège, situés dans l'Italie méridionale.
La ville pontificale, fidèle à son pape, répondit brus-
quement. L'exarque de Ravenne était impuissant à
faire prévaloir en Italie l'autorité impériale. Rome
chassa son duc byzantin, et se donna, semhle-t-il,
un gouvernement républicain. En fait, Grégoire III
en inspirait les décisions, sans avoir jamais rompu
par un acte officiel avec la cour de Constantinople.
En dehors et au-dessus des partis, il voulait avant tout
remplir sa mission spirituelle. La suite des événe-
ments lui imposait, pour atteindre son but, une tac-
tique qu'il ne pouvait discuter.
3° L'ébauche du pouvoir temporel. — A la faveur du
naufrage de l'Adriatique, six années de calme s'étaient
écoulées pour la papauté. Un fait allait remettre en
question les difficultés lombardes. Les ducs de Spolète
et de Bénévent se révoltaient vers 740 contre leur
roi Liutprand. Grégoire, en leur donnant asile, allait
provoquer les représailles du roi barbare. Pressé de
tous côtés, le pape pensa sauver son Église et sa ville
par un acte de souveraineté. Il se tourna vers Charles
Martel, le puissant duc des Francs, qui avait déjà
tant fait pour la papauté clans les missions de Ger-
manie, et qui venait de sauver sa chrétienté en battant
les Arabes à Poitiers (732); en lui envoyant une
ambassade avec un souvenir du tombeau de saint
Pierre, il lui demanda de descendre en Italie avec ses
guerriers pour porter secours à l'Église apostolique.
Au nom de Dieu et de son jugement terrible, ne
rejette point ma prière et ne ferme point l'oreille à
ma demande et le prince des apôtres ne te fermera
pas les royaumes célestes. » P. L., t. lxxxix, col. 582-
583; Jaffé, Rej. pont, rom., p. 180. La situation était
fort délicate pour Charles Martel : barbare rusé et
utilitaire, il employait alors son activité guerrière
contre les Sarrasins qui occupaient la Septimanic et
quelques villes de la Provence : Luitprand lui avait
prêté son concours dans ces expéditions. Aussi ne
se pressait-il pas de se brouiller avec un allié précieux.
Il se décida pourtant à une intervention à l'amiable
qui fit renoncer les Lombards à leur attaque contre
Rome. Ils Lardaient quatre villes sur son territoire.
On a conservé des lettres écrites par Grégoire III à
Charles Martel. P. L., t. i.xxxix, col. 581 sq. Des
historiens ont affirmé qu'après deux ambassades, qui
n'avaient produit que des échanges de compliments
et de préseuls, le pape n'avait obtenu la médiation
du duc austrasien qu'en lui promettant de la part
des Romains la répudiation de toute allégeance en-
1789
GREGOIRE III
GREGOIRE V
1790
vers Constantinople, et leur mise en tutelle sous le
protectorat des Francs. On rapporte aussi que Gré-
goire III aurait conféré à Charles les titres de « consul
et de patrice » de Rome. Créé par Constantin, le titre
de patrice donnait rang de prince. Depuis la chute
de l'empire romain, en 470, il constituait une vice-
royauté, s'exerçant sur une région délimitée. Absentes
dans les documents contemporains des intéressés, ces
assertions sont contestées. Exactes, elles ne feraient
point d'ailleurs le procès de Grégoire III; elles ne
l'accuseraient pas de manquer de loyalisme à l'égard
du pouvoir byzantin; elles n'assimileraienl pas à un
vol la constitution de la puissance temporelle des
papeî. Elles manifesteraient, sans aucun doute, la re-
connaissance implicite faite par le pontife de sa sou-
veraineté sur Rome. Au fond, la ville éternelle était bien
niillius à cette époque de violence.
L'empereur byzantin avait conquis Rome par
hasard dans la personne de Justinien. Depuis ce
moment, le pape l'avait gouvernée, sauf dans les
époques de crise. Cf. Lavisse, L'entrée en scène de la
papauté, dans la Revue des deux mondes, 15 décembre
1886. Mais depuis 734, Léon III l'Isaurien avait
pratiquement renoncé à la conquête de son prédéces-
seur. Grégoire III n'était pas tenu d'être plus impé-
rialiste et plus loyaliste cjue l'empereur, l'ennemi de
la thèse catholique, repoussé par le peuple romain.
La fonction de de[cnsor civilatis était légale dans
tout l'empire depuis Valentinien Ier en 364. Le défen-
seur de la cité figure en 387 en tête des magistrats
municipaux. Il est élu pour cinq ans par toutes les
classes de la société. Il n'est plus qu'un curiale comme
les autres, supérieur aux autres, sans doute, mais non
plus étranger à eux; il est absorbé par les soins du
gouvernement local qui finit par lui incomber tout
entier. Dans bien des cités, l'évèquc avait été nommé
de/ensor civilatis. Il faut dire que, partout, il s'était
montré à la hauteur de sa tâche; à Rome, il n'avait
pas failli à son devoir. En 741, devant l'abdication et
l'impuissance byzantine, Grégoire, sur le mandat du
peuple, n'a d'autre prétention que de se montrer
Romain dans ses offres à Charles Martel. En procla-
mant sa souveraineté, il fait acte de citoyen. Il est bien
le de/ensor civilatis qui voit dans sa tactique la sauve-
garde même de ses dogmes religieux. Les monnaies
gravées au nom de Grégoire III, les années précédentes,
montrent que le peuple de Rome, depuis longtemps,
déjà, lui avait donné quitus. Cf. Kirsch et Luksch,
Geschichte der katholischen Kirche, p. 196. La ville des
papes était maintenant la propriété collective de tous
ses citoyens. Soustraite à l'autocratie des Isauriens,
protégée par la lieutenance franque, désormais patentée
pour la défense du Saint-Siège, elle devait être bientôt
sous Etienne II (752-757) la propriété même du pontife.
Grégoire III avait constitué pour beaucoup ce
résultat. Si l'on ajoute que, dans sa vie d'activité
incessante, il avait encore relevé de leurs ruines de
nombreux monastères, où il prescrivit la récitation de
l'office divin aux heures fixées du jour et de la nuit, on
conclura que son pontificat de dix années a largement
contribué au fait catholique. Pionnier infatigable de la
civilisation humaine et chrétienne, défenseur intègre
de la doctrine traditionnelle, réalisateur de moyens
matériels de vie pour l'idée apostolique, il mourut le
27 novembre 741. un mois après Charles Martel, son
lieutenant. 11 serait le plus grand pape du vm° siècle,
si la gloire de ses débuts ne revenait à Grégoire II.
I. Sources. — Il reste de Grégoire III des lettres à
l'empereur Léon, à Charles Martel, à saint Boniface et à
divers personnages pour confirmer l'autorité et seconder
l'oeuvre de Boniface. Elles se trouvent dans P. L., t. lxxxix,
col. 575-588; Jaft'é, Bibliotheca rcrurn germanicarum, Berlin,
1860, t. m, p. 315 sq.; Reg. pont. rom. (1851), p. 180-181;
Liber pontificalis, édit.Duchesne, Paris, 1885, 1. 1, p. 414-425;
le livre de « Lettres » qu'il mentionne n'a pas été retrouvé;
Anastase le bibliothécaire, P. L., t. cxxvnr, col. 1023-1048.
On attribue aussi à Grégoire III un manuel a l'usage des
confesseurs et des pénitents : Excerptum ex Palruni diclis
et canonum scnlentiis. Les preuves de cette attribution
font défaut.
II. Ouvrages. — Voir Ulysse Chevalier, Répertoire
des sources historiques du moyen âge. Bio-bibliographie,
Paris, 1877, 1886, au mot Grégoire III, et tous les ouvrages
mentionnés à l'art, précédent Grégoire II, relativement à
la conquête de la Germanie et à la controverse des icono-
clastes. — Pour ce qui concerne les relations de Grégoire III
et de Charles Martel et l'ébauche du pouvoir temporel, voir
Weltmann, De palricialu Karoli Martelli, in-8°, Munster,
1863; Barmby, Gregorius II et Gregorius III, dans Di'c-
tionarg o/ Christian biographg de W. Smith et de H. Wace,
Londres, 1877-1887, t. n; Gregorovius, Die Stadl Rom
im Mitlclalter, 8 vol., Stuttgart, 1859-1872.
P. MONCELLE.
4. GREGOIRE IV, pape (827-844). Romain d'ori-
gine, prêtre du titre de Saint-Marc, Grégoire fut élu par
la noblesse romaine, après Valentin qui n'avait régne
que quelques semaines, fin août 827. Pieux, savant, il
fut traîné de force de l'église des Saints-Cosme-ct-
Damicn à celle du Lalran et fut ordonné seulement
le 29 mars 828, après vérification de son élection par
un légat de l'empereur Louis le Débonnaire. Son ponti-
ficat fut troublé par les discordes survenues entre
Louis le Pieux et les fils de sa première femme, Lolhaire,
Pépin et Louis le Germanique. Il vint en France pour
amener la paix entre eux; mais comme il parut prendre
parti pour les fils contre le père et menacer d'excom-
munier les ôvêques partisans de l'empereur, ceux-ci lui
répondirent que, s'il venait dans ces intentions, il serait
lui-même excommunié. Il s'en revint, après avoir man-
qué son but, tout attristé d'avoir contribué involon-
tairement à la scène du Champ-du-Mensonge où Louis
le Débonnaire fut capturé par ses fils (833). 11 ne
reconnut pas sa déposition. En Italie, il construisit,
dans ses dernières années, près d'Ostie, une forteresse
appelée Gregoriopolis, pour résister aux invasions des
Sarrasins. Il mourut le 25 janvier 844 et fut inhumé au
Vatican. Il avait étendu au monde entier la fête de
Tous les Saints réservée à Rome. Il eut pour succes-
seur Sergius II.
JalTé, Regesta pontificum romanorum, 2' édit., 1885, t. i,
p. 323 327; P. L., t. evr, col. 841 sq. ; Duchesne, Lifter
pontificalis, 1892, t. n, p. 73-85.
A. Clerval.
5. GREGOIRE V, pape (996-999). Saxon, fils
d'Othon, duc de Carinthie, et petit-fils de Lui tgar de, fille
d'Othon Ier, Brunon était chapelain d'Othon III, son
cousin, et âgé de vingt-trois ans, quand celui-ci, prié par
des délégués romains à Ravenne de désigner le succes-
seur du pape Jean XV, le nomma pour cette haute
fonction. Élu en avril 996, Brunon fut consacré le
3 mai sous le nom de Grégoire V et fut le premier pape
allemand. L'un de ses premiers actes fut de sacrer
empereur son cousin Othon, le 21 mai.
A Rome, après le dépari de l'empereur, il fut en butte
d'abord à la révolte de Crescentius, qu'il avait pour-
tant dérobé aux sanctions d'Othon; obligé de fuir, il
l'anathématisa dans un concile de Pavie (février 997);
ilfut encore en bulle à celle du grec Jean Philagathe de
Calabre, archevêque de Plaisance, que ce Crescentius
installa antipape sous le nom de Jean XVI (avril 997).
Mais Othon étant revenu, en février 998, avec Grégoire,
l'on déposa l'antipape au Latran, l'on prit et décapita
Crescentius au château Saint-Ange (29 avril 998). Eu
France, Grégoire V soutint la légitimité d'Arnoul,
archevêque de Reims, contre l'intrusion de Gerbert,
contre le roi Robert et les évêques français qui lui
avaient été hostiles. Au concile de Pavie (Pentecôte
997), il demanda compte au roi Robert, el aux évêques
17: il
GRÉGOIRE V
GREGOl RE Vil
1792
qui l'avaient approuvé, d'avoir épousé sans dispense sa
parente Berthe 11 réitéra colle demande en 908 et lui
imposa une pénitence de sept ans. Il punit aussi ou
déposa plusieurs évoques.
Instruit, zélé, Grégoire V était en relation avec les
grands hommes de son temps, entre autres, Bernard,
évêque d'Hildesheim, Abbon, abbé de Fleury, Notker
de Liège ; il prêchait en trois langues. Il mourut âgé
de vingt-sept ans, le 18 février 999, peut-être empoi-
sonné, et fut enterré au Vatican près de saint Grégoire;
son successeur nommé par Othon III fut le premier
pape français, Gerbert (Silvestre II), que lui-même avait
fait archevêque de Ravenne.
JaiTé, Regesla pontificum romanoriirn, 2e édit., 1885, t. i,
p. 489 sq. ; P. L., t. cxxxvn, col. 899 sq.; t. cxxix,
col. 991 sq.;Otto, Gregor V (dissert.), Munich, lS81;Du-
cl-esne, Liber ponliflcalis, 1892, t. n, p. 261-262.
A. Clerval.
6. GRÉGOIRE VI, pape (1045-1046). Jean Gratien,
archiprêtre de Saint-Jean-Porte-Latine, n'arriva pas
au siège pontifical par les voies ordinaires. C'était le
temps où Benoît IX, neveu de Jean XIX et fils du
comte Albéric, avait été porté à la papauté à l'âge de
douze ans par les Romains. Ceux-ci, s'étant lassés de
lui, le chassèrent en 1044, et lui donnèrent pour succes-
seur l'évêque de Sabine, Jean, qui s'appela Sil-
vestre III. Au bout de quarante-neuf jours, le parti de
Benoît IX le réinstalla, mais comme c'était malgré
les Romains, il se démit du pontificat et le céda le
1er mai in |5 à son parrain Jean Gratien pour une
somme d'argent ; peut-être y eut-il une sorte d'élection.
Gratien, qui prit le nom de Grégoire, était un homme
d'âge, grave, supérieur aux autres et son avènement
fut salué par saint Pierre Damien et par le moine
Hildebrand qui devint son conseiller et son chapelain;
il usa des armes spirituelles et, vu le malheur des
temps, des armes temporelles, pour rétablir la sécurité
publique. La postérité, sous l'influence des grégoriens,
lui a été favorable.
Mais cette situation de trois papes, vivants, attira
l'attention d'Henri III. Descendu en Italie, dans
l'automne de 1046, il tint un premier concile à Pavie,
en octobre, rencontra Grégoire VI à Plaisance, et avant
Xoël se rendit avec lui à Sutri où ce pape avait selon
ses désirs convoqué un autre concile (20 décembre).
Là, Silvestre III et Grégoire VI furent déposés, de
leur consentement, semble-t-il. Grégoire devait suivre
Henri en Allemagne à son retour, tandis que Silvestre
entrait en religion. Benoît IX fut déposé aussi dans
un concile à Saint-Pierre les 23 et 24 décembre. Puis
le roi désigna Suidger, évêque de Bamberg, qui fut
sacré à Noël sous le nom de Clément II. Grégoire VI
alla en Allemagne avec Hildebrand et y mourut en 1047.
Jafïé, Regesla pontificum romanorum, 2° édit., 1885, t. i,
p. 524-525 ; t. n, p. 709 ; P. L., t . CXLII.COI. 569 sq. ; Duclicsne,
Liber ponlificalis, 1892, t. Il, p. 270-271 ; Ileule, Histoire des
conciles, trad. Leclcrcq, Paris, 1911, t. iv, p. 707.
A. Clerval.
7- GRÉGOIRE VII (Saint), élu pape le 22 avril
1073, mort le 25 mai 1085; à l'anniversaire de ce jour
le calendrier romain célèbre sa fête. — L Vie. II. Qui vie
théologique. III. Méthode. IV. Influence.
I. Vie. — 1° Avant son pontificat. — Né entre 1013
et 1024, dans le diocèse de Soano, ou Soana, ou encore
Sovana, au sud de la Toscane, Hildebrand était (ils
d'un petit propriétaire foncier. Il est possible, sans
qu'à ce sujet on puisse rien affirmer de certain, que la
famille du futur pape ait autrefois tiré son origine des
Allemagncs. Le nom d'Hildebrand n'est pas latin. La
phrase de Grégoire VII, encore que fort exagérée en
dureté par ses adversaires, est d'un tempérament ferme
qui l'ait penser aux régions d'outre-Rhin. Hildebrand
l'ut élevé au couvent de Sainte-Marie sur l'Aven lin.
W. Martens a d'ailleurs démontré que jamais il n'avait
été moine. Gregor Y II, sein Leben und Wirken,
3e édit., Leipzig. 1894, t. i; Kraus, Histoire de l'Église',
trad. Godet et Verschalfel, Paris, 1898, t. H. La pre-
mière moitié du xie siècle avait été pour l'Église un
temps de dures épreuves. Depuis la mort de l'empereur
Henri II le Saint (1024), le protectorat allemand, très
efficace depuis l'avènement au trône germanique de la
dynastie de Saxe, avait cessé pour le siège pontifical
romain. Les comtes de Tusculum, succédant au vieux
parti toscan du ix- siècle, faisaient alors de la chaire de
Pierre un véritable fief auquel ils pourvoyaient au gré
de leurs intérêts et de leurs rancunes; un enfant de
douze ans, en 1033, devenait pape sous le nom de
Benoît IX. Ses débordements frénétiques furent la
honte du pontificat. En 1045, Jean Gratien lui acheta
li tiare. Des intentions très droites, une activité forte
tirent presque oublier chez le nouveau pape, qui avait
pris le nom de Grégoire VI, l'irrégularité canonique de
son avènement. C'est un brevet de haute dignité, dans
une période de déchéance sacerdotale, qu'il décerna
au jeune Hildebrand, en le choisissant pour son chape-
lain. Avait-il été son maître à Sainte-Marie de l'Aven-
tin ? La chose est possible. Mais la tradition à ce sujet
manque d'une documentation ferme. L'affection la
plus intime devait dès lors unir ces deux lutteurs.
Quand le concile de Sutri, convoqué par l'empereur
Henri III (1040), imposa (cf. Duchesne, Liber ponti-
flcalis, t. n, p. 27) ou accepta (Baronius, Annales,
an. 1046, n. 3) la démission de Grégoire VI, simoniaque
malgré tout, ils s'acheminèrent tous deux vers l'Alle-
magne, où l'empereur avait exilé le pontife à Cologne.
La mort de Grégoire VI ramena vers la Bourgogne, à
l'abbaye de Cluny, le chapelain de l'ancien pape. Hil-
debrand trouva dans le saint monastère la leçon du
jour : l'épiscopat et le sacerdoce féodaux allemands
s'étaient montrés à lui dans la simonie et l'incontinence.
Les moines qui surent mener le mouvement réforma-
teur de leur temps (cf. Chénon, L'ordre de Cluny ri la
réforme de l'Église, dans La Érancc chrétienne, 1. IV,
Paris, 1896) pratiquaient et prêchaient alors le catho-
licisme dans son intégrité. Le féodalisme dictait l'indi-
vidualisme. Toute dignité ecclésiastique était nantie
dans une terre plus recherchée que la dignité elle-même.
A Cluny, on était simplement romain pour la force
même de l'idée évangélique.
Esprit prompt, nature éminemment réceptive, Hil-
debrand reçut l'empreinte. Cf. O. Delarc, Hildebrand
jusqu'à son cardinalat, dans le Correspondant, 1874.
En 1048, Henri III, dans une diète tenue à Worms,
désignait, pour succéder à Clément II, Brunon d'Egis-
heim, évêque de Toul et son parent. En se rendant en
Italie, il rencontra dans son voyage, à Besançon pro-
bablement (cf. Kraus, Histoire de l'Église, t. n, p. 130),
l'abbé de Cluny, saint Hugues, accompagné d'Hilde-
brand. La nomination de Léon IX était irrégulière. Les
anciens canons qui demeuraient en vigueur, exigeaient
impérieusement que les fidèles prissent au moins la
faible part de l'acclamation subséquente à la nomina-
tion des papes. Cf. Kraus, op. cit., t. n, p. 134. Hilde-
brand osa et sut le faire remarquer à l'évêque de Toul,
qui résolut dès lors d'entrer en simple pèlerin dans la
ville papale. Le 2 février 1049, le peuple et le clergé de
Rome acclamaient le nouveau pontife.
Hildebrand entrait maintenant en scène. Le chroni-
queur Bonizo a attribué au pape Etienne X (1057-1058)
sa nomination au poste d'archidiacre et d'administra-
teur de l'Église romaine. Cf. Watterich, Pontificum
romanorum vilse ab exeunlc sœculo ix ad fmem sse-
culi Mil ab œqualibus conscriplœ, 2 in-8°, Braunsberg,
1864; Bonizo (1085 ou 1086). Il est admis que l'hon-
neur de cette promotion revient à Léon IX. La charge
était lourde à porter. Dans les querelles des partis, au
1793
GRÉGOIRE VII
1794
milieu des progrès incessants du brigandage, la cam-
pagne romaine était devenue la proie d'une hideuse
anarchie. Il eut été imprudent pour un pèlerin de se
hasarder dans la ville sans escorte; les bandits volaient
jusqu'aux offrandes que des mains pieuses déposaient
sur les tombeaux, des apôtres et des martyrs. Les
finances pontificales se trouvaient dans un état déplo-
rable et le désordre physique ne pouvait disparaître
que par la suppression du désordre moral d'un clergé
anémié par l'égoïsme de la simonie et de l'incontinence.
Hildebrand fut l'âme du travail réformateur. Il fut le
centralisateur de l'idée catholique dans l'émiettement
voulu par un épiscopat profiteur. Cinq pontificats
jouirent de son activité inlassable. Léon IX (1048-
1054), Victor II (1054-1057), Etienne X (1057-1058),
Nicolas II (1059-1061), Alexandre II (1061-1073),
trouvèrent dans Hildebrand l'observateur sagace, tou-
jours aux écoutes pour déjouer la faction tusculane et
tempérer le zèle méritoire sans doute, mais trop en-
combrant, des Allemands dans leurs candidatures à la
papauté. L'archidiacre sut aussi promouvoir le magis-
tère de ses chefs pour la thèse maîtresse qui fut la rai-
son théologique de sa vie et pour les définitions très
spéciales nécessitées par l'hérésie consciente ou incon-
sciente. Le coefficient théologique de Grégoire VII sera
présenté dans son ensemble. Ce sera l'exposé de l'idée
doctrinale.
Pour les faits, il faut l'ajouter dès maintenant, pen-
dant la durée de son archidiaconat, Hildebrand, res-
tant sourd aux instances d'un parti ami, qui dès la
mort de Léon IX (1054) souhaitait ardemment son
exaltation à la papauté, parvint à maintenir, sur le
siège de Pierre, toute une génération de pontifes, pro-
fondément épris de leurs devoirs. En 1054, l'évèque
d'Eichstàtt, Gebhard, lui devait son élection sous le
nom de Victor II. En 1057, la vacance du souverain
pontificat se produisait en pleine crise impériale. L'em-
pereur Henri III était mort en 1056 dans la fleur de
l'âge, laissant la régence et un enfant de six ans aux
faibles mains de l'impératrice Agnès. Hildebrand fai-
sait alors élire par les Romains, sous le nom d'Etienne X
(1057-1058), le cardinal Frédéric de Lorraine, sans at-
tendre l'approbation de la cour de Germanie. Il partait
lui-même vers Ratisbonne pour l'obtenir. A son retour,
Etienne X était mort, et le parti tusculan venait d'in-
troniser une de ses créatures, Benoît X (1058-1059).
La réforme était compromise. Le gâchis féodal allait
dominer à nouveau la vieille cité. D'accord avec la
régente Agnès, l'archidiacre lit élire à Sienne, par les
cardinaux, Gérard de Bourgogne, évêque de Florence,
sous le nom de Nicolas II. La lutte fut sanglante.
Mais Benoît X rentrait bientôt dans l'obscurité. Très
vraisemblablement, les conseils d'Hildebrand ne furent
pas étrangers au célèbre décret de 1059, porté par
Nicolas II sur les élections pontificales. Cf. Scheiïer-
Boichorst, Die Ncuordnunrj der Papstwahl durch Nico-
laus II, Strasbourg, 1879. La cour de Germanie, en tout
cas, ressentit vivement l'exclusion dont elle était désor-
mais l'objet de la part de la curie romaine. La mort
de Nicolas II (1061) donna le signal d'un schisme.
Les cardinaux, partisans de la réforme, furent soutenus
par la marquise Béatrix de Canossa, et proclamèrent
l'évèque de Lucques, Anselme, qui devint Alexandre II
(1061-1073). L'évèque de Parme, Cadaloùs, lui fut op-
posé sous le nom d'Honorius II par la faction de Tus-
culum. D'accord avec les Allemands vexés, Hildebrand
fut là dans la solution du conflit. L'antipape s'était
emparé de Rome. En 1062, le concile d'Augsbourg,
convoqué par Annon, archevêque de Cologne, et con-
seiller du jeune roi Henri IV (1056-1106), condamnait
l'antipape. Le pape légitime y était reconnu par de
nombreux évêques d'Allemagne et d'Italie. Après deux
années de résistance, pendant lesquelles Cadaloùs
D1GT. DE THÉOL. CATHOL.
s'était retranché dans le château Saint-Ange, Alexan-
dre II était pleinement reconnu. Les fortes et saines
affections de la maison de Toscane pour Hildebrand
avaient commencé dans cette crise. Elles ne devaient
que s'affirmer au cours du pontificat de celui qui,
pendant vingt-cinq ans avant son élection, s'était
présenté au monde catholique comme le créateur des
papes.
L'archidiaconat d'Hildebrand avait été aussi pour
lui occasion de légations à remplir. La plus célèbre lui
fut confiée par Léon IX afin de présider le concile de
Tours, en 1054. Il s'agissait de Bérenger et de ses
théories sur la transsubstantiation. Voir Bérenger,
t. n, col. 725. La mission de Ratisbonne, exposée plus
haut, en vue de l'approbation par la cour de Germanie
de l'élection d'Etienne X, n'avait pas eu moins de
succès que la première.
En fait, si dans cette œuvre de relèvement moral,
qui constituait comme le postulat de la vie dogmatique,
plus exactement de la vie intégrale de l'Église, Hilde-
brand ne s'était pas découragé, des amis sérieux, nour-
ris de pensées très humaines et très surnaturelles,
avaient su le maintenir en éveil. Le monastère de Cluny
et sessuffragants lui avaient pratiquement répondu,
en portant en France la voix du réformateur. Ceux du
Campo di Maldulo et de Vallombreuse avaient agi en
Italie; en Allemagne, la grande abbaye souabe d'Hir-
schau avait aussi travaillé. C'était normal. Les grandes
conquêtes desvie et vnc siècles s'étaient opérées par
les moines. Le rappel était bien compris par Hilde-
brand. Les fondateurs avaient racines et bases pour
devenir réformateurs. Des amitiés princières étaient
venues apporter à l'archidiacre un surcroît de confiance.
Béatrix de Toscane, comme épouse et comme mère,
avait préparé au futur Grégoire VII le fief des fortes
résistances. C'était le refuge de l'idée pontificaie cen-
tralisatrice, menacée et parfois même écrasée parla
tyrannie impériale ou féodale. Mathilde, fille de Béatrix,
duchesse de Toscane et comtesse deBriey, ne devait pas
l'oublier. Enfin, il fut une relation des plus efficaces,
étroitement cultivée par Hildebrand : celle de saint
Pierre Damien. Voir Damien Pierre, t. iv, col. 40. Il
est évident que le saint religieux de Fonte Avellana du
diocèse de Gubbio, en Ombrie, devenu cardinal évêque
d'Ostie, de par la volonté d'Etienne X, avait toutes les
puissances thcologiques et morales, pour réduire l'âme
droite et catholique d'Hildebrand. Grégoire VI et
Léon IX avaient d'ailleurs écouté la voix de Pierre
Damien. Il n'en fallait pas plus pour décider leur fervent
disciple. Ce fut un véritable assaut de la part de l'archi-
diacre de Rome, quand il s'agit d'empêcher son ami de
démissionner de sa charge de cardinal-archevêque
d'Ostie. Sous Nicolas II, à l'avènement d'Alexandre II
surtout, quand les insistances de l'ancien religieux, pour
se désister d'une charge qu'il n'avait nullement sollici-
tée, mais qui lui avait été imposée de force, se firent plus
pressantes, Hildebrand trouva la présence de Pierre
Damien à Borne très utile et son appui indispensable.
Il demanda au pape de retenir son collaborateur malgré
lui. Cf. Baronius, Annales, an. 1061, n. 28. Trouvant
l'intervention d'un zèle excessif, le saint s'adressa dans
la suite à Alexandre II ainsi qu'à l'archidiacre, en
traitant celui-ci de « verge d'Assur » et de sanctus
Salarias. La gronderie était bénigne. Elle •était d'ail-
leurs bien corrigée par le distique que l'évèque d'Ostie
faisait parvenir à Hildebrand :
Papam rite colo, sed te prostratus adoro;
Tu facis hune dominum, te facit ipse Dcum.
Cf. P. L., t. cxliv, col. 967. Au fond, le même zèle
excitait bien les deux serviteurs de Dieu. Leur ciel ne
s'assombrit jamais que pour donner ensuite des clartés
plus grandes. Il est seulement regrettable que la mort
VI. - L7
1795
GREGOIRE VII
1796
de saint Pierre Damien en 1072 n'ait pas permis à
Grégoire VII, le pontife de l'année suivante, de jouir
longtemps encore d'un concours efficace et sûr. Le
lutteur se serait trouvé moins isolé; il aurait surtout
moins souffert, en voyant un saint préconiser et même
devancer son programme.
2° Son pontificat. — Les obsèques d'Alexandre II
n'étaient pas terminées qu'Hildebrand avait été ac-
clamé par le clergé et le peuple d'une voix unanime.
S'il prit le nom de Grégoire VII, ce fut peut-être par
affection pour Grégoire VI qui l'avait désigné vingt-
huit ans plus tôt à la vie officielle. Le nom, en toute
hypothèse, était presque un symbole, si l'on se souvient
des trois premiers Grégoire. Bonizo de Sutri nous
affirme qu'Hildebrand notifia sa nomination à l'em-
pereur Henri IV, cf. Watterich, op. cit., pour lui en
demander l'approbation. C'était une façon de réponse
à une interprétation malveillante du décret de 1059.
Grégoire VII se défendait implicitement d'avoir tra-
vaillé pour lui-même. Mais, dès 1073, la querelle des
investitures commençait. Le concile de Rome de 1074
fut une déclaration de guerre à la simonie et à l'incon-
tinence des prêtres. Interdiction était faite à tous les
fidèles d'assister aux offices des clercs atteints. Mansi,
Concil., t. xx, col. 724, can. 11-20. A l'art. Célibat,
col. 2086, on a fait connaître tous les faux-fuyants pris
par les ecclésiastiques sujets à caution. Grégoire, sans
s'effrayer, envoya partout ses légats; ils firent bonne
besogne en gagnant dans les trois grands pays catho-
liques du temps, France, Angleterre et Empire, la
masse des fidèles à la cause de la réforme. Cf. Lambert
d'Hersfeld, dans Monumenta Germanise, Scriplores,
t. v, p. 217; Watterich, op. cit., t. i, p. 363. En Alle-
magne, l'évêque de Constance, Otton, enjoignit sans
doute à ses prêtres de se marier au plus tôt; mais les
décrets de 1074 furent vengés par l'archevêque de
Mayence, Sigefroid, et l'évêque de Passau, Altmann, au
péril de leur vie. Cf. Sdralek, Die Slreilschri/len All-
manns von Passau, Paderborn, 1890. En réalité, c'était
tout un système politico-religieux que Grégoire VII
atteignait. Philippe Ier, en France, Guillaume le Con-
quérant en Angleterre, Henri IV, dans le saint empire
romain germanique, allaient composer ou se heurter
avec Grégoire VII.
En Angleterre, comme en France, la lutte ne prit
pas de grandes proportions. Guillaume le Conquérant
lit respecter les décrets du pape sur le célibat; il
maintint l'investiture laïque, sans encourir l'excom-
munication. Il y avait là, à n'en pas douter, une tactique
intelligente; elle ménageait le souverain qui, en toute
autre circonstance, savait prendre et suivre les pieux
avis de Lanfranc, archevêque de Cantorbéry et primat
d'Angleterre. Philippe Ier, en France, avait reçu, dès
1073, une lettre très énergique de Grégoire VII; en
1074, le pape essaya de soulever contre lui les évêques
de son royaume. En fait, les choses se tassèrent vite;
sans changement dans la vie même de Philippe Ier,
sans mise en interdit du royaume par les évoques,
l'œuvre d'épuration se poursuivit sans relâche. Sous
la pression du célèbre légat Hugues de Die, dont Gré-
goire VII dut parfois tempérer la vigueur, de 1076
à 1080, les archevêques de Bordeaux et de Sens,
nombre d'évêques de la province de Reims, leur métro-
politain Mariasses, en tête, furent déposés ou interdits.
Au nord, comme au midi, ce fut un véritable renouvel-
lement du corps épiscopal. Cf. Giry, Grégoire VII cl les
évêques de Thérouanne, dans la Revue historique (1876),
p. 387-409.
Le dur combat se livra contre Henri IV. Trois partis
divisèrent religieusement l'Allemagne : celui des gré-
goriens déclarés : il eut pour chef Gebhard de Salzbourg ;
Adalbert de Brème dirigea le parti de l'empereur;
enfin la cause de la médiation trouva son homme dans
Annon de Cologne. Les trois protagonistes, revêtus du
caractère épiscopal, apportaient dans la lutte les forces
de leurs Églises réciproques. Les villes et les bourgeois
soutinrent souvent les deux derniers groupes. De cette
tactique, Henri IV tira quelques succès passagers.
Au début, pourtant, les rapports des deux adversaires
avaient été excellents. Le concile de Rome de 1074
n'avait trouvé dans Henri IV qu'un sujet docile aux
volontés du Saint-Siège. Ses lettres marquaient la néces-
sité d'une entente entre les deux pouvoirs : les légats
de Grégoire VII avaient été reçus par lui avec honneur ; il
avait renvojêses conseillers excommuniés par Alexan-
dre II, promis de renoncer à ses désordres et de s'amen-
der. La mauvaise éducation qui avait fait du jeune
empereur un impulsif, un illuminé à froid, reprit le
dessus dès 1075. Au carême de cette année, Grégoire
condamnait l'investiture laïque par la crosse et l'an-
neau ; le roi, maintenant l'abus en Saxe, comme en Italie,
ne considéra plus ces régions que comme les terres de
trafic des dignités ecclésiastiques pour ses créatures.
Depuis quelques aimées déjà, le cri des Saxons avait
été entendu par Alexandre II. Il avait cité le roi à
comparaître à Rome pour s'y justifier. La mort l'avait
surpris dans ces difficultés. Au lendemain du concile
de 1075, Henri IV promouvait anticanoniquement
Thédald à l'archevêché de Milan. Une dernière fois,
le pape pressa le souverain de se convertir et d'éviter
toute relation avec ses conseillers excommuniés. La
diète de Worms fut la réponse. Elle déposa le pontife :
les partisans d'Henri, en particulier, le cardinal excom-
munié, Hugues le Blanc, lancèrent sur Grégoire les
bruits les plus désobligeants. On l'accusa même d'avoir
avec Mathilde de Toscane des relations coupables. Ces
calomnies ont trouvé leur écho dans Select history oj the
loosc and incesluous loves of pope Grcgory VII, com-
nwnly callcd Hildebrand, und of //i« cardinal de Richelieu,
Londres, 1722. La sentence de Worms fut notifiée à
Grégoire VII par Henri IV lui-même. Le pape était dé-
posé «comme hérétique, magicien, adultère, flatteur de
la populace, usurpateur de l'Empire, bête féroce, et san-
guinaire. » Les évêques lombards adhéraient d'ailleurs
à ces décisions dans les conciles de Plaisance et de Pavic.
Au carême de 1076 (22 février), Grégoire VII excom-
muniait tous les évêques qui avaient assisté au pseudo-
concile de Worms; l'empereur lui-même était déposé;
ses sujets étaient déliés du serment de fidélité. Une lettre
adressée à toute la chrétienté sous la forme d'une invo-
cation à saint Pierre notifiait cette condamnation. L'ef-
fet produit fut fatal à l'empereur. Le pape avait conquis
l'opinion. Les évêques les uns après les autres vinrent im-
plorer le pardon du pape. En octobre 1076, les princes
allemands réunis à Tribur (Oppenheim) décidèrent
qu'une diète générale serait convoquée à Augsbourg
pour le jour de la Purification de l'année suivante, que
Grégoire VII serait supplié de s'y rendre. En sa présence,
Henri IV devrait se justifier et se faire absoudre. Si,
dans l'espace d'un an, il n'avait pas fait la paix avec
l'Église, il serait déposé juxla palatinas leycs. L'attitude
des princes, celle des Saxons surtout, décida l'empereur.
Au creur de l'hiver, en compagnie de sa femme Bcrthe,
il traversa les Alpes. Les Lombards ne purent le
décider à marcher contre le pape. En janvier 1077, il
était au château de Canossa, où la comtesse Mathilde
de Toscane avait hospitalisé Grégoire VII. Après une
pénitence de trois jours, sur les instances de son hôtesse,
le pontife levait l'anathème le 28 janvier.
Dans la Haute- Italie, les seigneurs lombards et les
évêques simoniaques, manquant de soutien, firent
éclater leur mécontentement contre le souverain. Leurs
excitations amenèrent Henri à manquer de parole.
Les princes allemands ne lui pardonnèrent pas; réunis
en diète à Forcheim-sur-Regnitz en mars 1077, ils dépo-
sèrent Henri IV pour le remplacer par Rodolphe, duc
1797
GRÉGOIRE VII
1798
de Souabe, son beau-frère. Pendant trois années cepen-
dant, Grégoire VII refusa de se prononcer entre les
partis. En mars 1080, il reconnaissait formellement
Rodolphe, et dans un concile, il excommuniait une
seconde fois Henri. L'empereur déchu connaissait ses
bons fiefs. La Lombardie lui avait permis de relever
quelque peu son parti en Allemagne. Le concile de
Mayence renouvela la déposition de Grégoire VII; en
juin 1080, une trentaine d'évèques, réunis à Brixen.
élisaient, comme antipape, Guibert, archevêque de
Ravenne, qui prenait le nom de Clément III. Le 12 oc-
tobre 1080, cessait la lutte politique prolongée depuis
Forcheim dans des alternatives de succès et de revers,
plus encore dans la ruine de l'Allemagne centrale.
Rodolphe de Souabe était enseveli dans son triomphe
sur le champ de bataille de l'Elster. Son successeur
choisi par le parti romain, Hermann de Luxembourg,
n'était pas de taille à relever l'opposition dans les
Allemagnes. L'idée grégorienne était sur le point de
sombrer en Italie devant la force impériale. En 1082,
Henri IV présentait à Monde Mario son antipape, déjà
reconnu par les évoques lombards. Grégoire VII fit
appel au duc des Normands, Robert Guiscard, et se
retrancha dans le château Saint-Ange. L'empereur
avait fait un impair dans son empressement. Ses der-
rières étaient menacés par les troupes de la comtesse
Mathilde. Il devait, sinon la soumettre, du moins la
paralyser. Deux années furent nécessaires à cette tâche.
Au printemps de 1084, Clément III était sacré dans
Saint-Pierre et donnait à Henri la couronne impériale.
La situation du pape était des pires, quand les Nor-
mands accoururent. Grégoire VII était délivré. Une rixe
malheureuse entre les troupes de Robert Guiscard et
les Romains amenait en même temps l'incendie d'un
vaste quartier de la ville, s'étendant depuis le Colisée
jusqu'à Saint-Jean de Latran. Le pontife usé par tant
d'émotions n'était plus en sûreté chez un peuple exas-
péré par ses malheurs. Suivant Robert Guiscard et ses
Normands, il s'achemina vers le Mont Cassin, et de là à
Salerne. Il avait maintenu toutes les excommunications
prononcées contre Henri IV et Guibert, jusqu'à leur
résipiscence, quand, le 25 mai 1085, il s'éteignit en
prononçant ces paroles : « J'ai aimé la justice et haï
l'iniquité; voilà pourquoi je meurs en exil. » Si l'on
ajoute que Grégoire VII, pendant son pontificat, avait
dû répondre à d'autres questions dogmatiques relati-
vement à l'eucharistie, sa carrière nous apparaîtra
comme celle du lutteur infatigable qui croit n'avoir
rien fait, quand il reste quelque chose à faire. Sa vie
très forte, très efficace pour l'Église, apparaît mieux
encore au groupement de ses définitions.
II. Œuvre théologique. — ■ Au fond, la pensée
théologique de Grégoire VII fut des plus simples. Il
voulut réaliser l'affranchissement spirituel de l'Église
dans une société matérialisée par son organisation
même. Il continua l'examen des questions en cours :
la controverse bérengarienne, le schisme grec trou-
vèrent en lui le définiteur courtois, mais irréductible.
1° L'ai franchissement spirituel de l'Église. — • Le
groupement féodal était issu de la faiblesse des Caro-
lingiens impuissants devant les invasions normandes,
hongroises et sarrasines. Charlemagne avait investi
les évêques dans son empire de fonctions politiques et
administratives sur leurs évêchés. Le fait est si vrai
que, parmi les misai dominici, l'empereur d'Occident
plaçait toujours un ecclésiastique. Le monde carolin-
gien avait connu l'ecclésiastique fonctionnaire. Lors
de la grande débâcle des ixe et Xe siècles, comtes, ducs,
évêques et abbés, désolidarisés d'un pouvoir central
incapable de les diriger et de les protéger, avaient été
contraints de se hiérarchiser politiquement et territoria-
lement. L'hommage était devenu la formule de grou-
pement des vassaux et des suzerains. Au rétablisse-
ment de la dynastie capétienne en France, au milieu
des efforts des plus grands feudataires d'Allemagne
pour monopoliser le pouvoir et le rendre héréditaire
dans leur famille, on conçoit que ces rois suzerains
n'aient trouvé d'autres moyens d'imposer leurs pou-
voirs que de profiter de la déshérence des fiefs épisco-
paux. Les territoires laïques se transmettaient en effet
par hérédité. Il fallait peupler évêchés et abbayes de
créatures, en soustrayant autant que possible leur
élection à la voix des chanoines, des vassaux de l'évêque
et du peuple lui-même. Il était plus simple de l'imposer.
Dès lors, peu à peu, l'investiture laïque par le sceptre,
très compréhensible d'ailleurs, puisque le titulaire du
fief ecclésiastique était vassal du roi suzerain son pro-
tecteur, avait devancé le sacre et parfois même l'élec-
tion. L'ordre normal avait été interverti. Le roi ou
l'empereur avait nommé et investi sa créature par le
sceptre, la crosse et l'anneau. L'Église s'était trouvée
devant un fait accompli, qu'elle avait dû ratifier.
Les conséquences ne s'étaient pas fait attendre. La
cérémonie de l'hommage impliquait la remise d'un pré-
sent par le vassal à son suzerain. Ici, le cadeau d'usage
devenait énorme. Il était le prix de la faveur accordée
par le prince et par ses conseillers. L'incontinence
suivait la simonie. Elle était naturelle chez des ecclé-
siastiques entrés dans la cléricature avec l'intérêt
matériel pour toute vue et vocation. Le livre de
Gomorrhe, composé par saint Pierre Damien sous
saint Léon IX, nous a fait le tableau du clergé du temps.
Opuscul. Gomorrhianus, VII, contra quatrimodam car-
nalis conlagionis pollutionem, P. L., t. cxlv, col. 159-
190. Sans être taxé d'exagération, on peut dire que la
luxure avait démoli toute vie sacerdotale. Voir Cé-
libat, col. 2084-2085; Damien, col. 40 sq. Le Iaï-
cisme avait envahi l'Église. La situation était d'autant
plus redoutable que le pontificat romain subissait à
cette époque la diminution féodale. Placé au xe siècle
sous la tutelle du parti toscan, au xie sous celle des com-
tes de Tusculum, il avait été lui-même victime des pali-
nodies imposées à l'Italie médiévale par les invasions
répétées des Sarrasins et des Normands, les luttes
d'influence entre les principautés de la péninsule, et
les premières manifestations de la commune romaine.
Il n'était sorti du gâchis qu'en se confiant au despo-
tisme spirituel de l'empereur Henri III (1046). En
donnant sa protection au siège romain, en le dotant, il
faut le dire, d'une série de papes véritablement à la
hauteur de leur tâche, celui-ci avait imposé son appro-
bation à toute élection pontificale. C'était, pour la
papauté, payer cher un secours nécessaire; c'était sur-
tout se condamner à tolérer des abus insupportables
dans les fiefs allemands. Les papes du xic siècle se
débattaient donc dans un cercle vicieux. L'Église pour-
tant doit garder sa dignité. Son idée n'est pas de ce
monde. Elle est spirituelle avant tout ou elle n'est plus.
La base même de la foi était alors compromise.
L'impérissable honneur d'Hildebrand est de l'avoir
compris, sans doute, mais surtout de l'avoir affirmé.
Pour affranchir l'épiscopat comme le sacerdoce, dès
avant son pontificat, il a voulu l'indépendance com-
plète de l'élection des papes. Très vraisemblablement,
c'est sur ses conseils que Nicolas II porta le célèbre
décret de 1059. Le choix du pape était désormais confié
au collège des cardinaux, le dernier mot restant aux
cardinaux-évêques. L'empereur ne conservait plus que
le droit de confirmation, le peuple celui d'approbation.
L'appel à la confirmation comme à l'approbation est
une imposition de consentement. Cf. Codex 19S4 du
Vatican.
Ce n'est pas avec moins d'ardeur que Grégoire VII
poursuivit l'épuration du sacerdoce et de l'épiscopat.
Archidiacre encore, avec Léon IX il avait décidé in
plnaria synodo (1049), ut romanorum presbyterorum
1799
GREGOIRE VII
1800
concubinœ ex lune et deinceps Laleranensi palalio adju-
dicarentur ancillse. Cf. Bernold, Chronicon, dans Monu-
menta Gcrmaniœ. Scriptores, t. v, p. 426; P. L., t. cxliii,
col. 252. 11 avait conseillé le pontife qui s'était élevé
contre les violateurs du célibat, et qui, ne se contentant
plus de suspendre les coupables de leurs fonctions,
avait invité le peuple à déserter les églises où les prêtres
incontinents exerceraient le ministère. Cf. Bonizo,
Ad amicum, dans Watterich, t. i, p. 103. On connaît
le fameux épisode de la « Pataria ». En 1046, sous l'ar-
chevêque Guido, la dépravation du clergé milanais était
arrivée à son comble; la ville lombarde reprit ses an-
ciennes prêt en lions à l'indépendance vis-à-vis du
Saint-Siège comme au temps de la controverse métro-
politaine au ixc siècle. Une association de petites gens,
recrutée dans la noblesse et le clergé, se forma, sous le
nom de « Pataria », contre les prétentions archiépis-
copales. Cette société des <■ gueux » groupa les adver-
saires des simoniaques et des concubinaires. Deux
diacres furent à sa tète : Ariald et Landulph. Cf. Mura-
tori, Rerum itedicarum scriptores prxcipui ab anno 500
ad annum 1500 (1723-1738), t. iv. Durant trente années,
les deux partis se livrèrent de sanglants combats. En
1066, Ariald y conquit le martyre. En 1059, sous le
pontificat de Nicolas II (1059-1061), saint Pierre
1 himien, en compagnie d'Anselme de Lucques, le
futur Alexandre II, avait été envoyé à Milan pour y
régler ces difficultés, llildebrand dans la circonstance
lit œuvre de doctrine. Il reçut au nom du pape le
compte rendu de la mission. Actus mediolani de privi-
legio romanse. Ecclesiœ. Opuscul. V, P. L., t. cxlv,
col. 89-98.
Comme pape, Grégoire VII fortifia les décrets de ses
prédécesseurs. Un concile fixa ou rappela chaque année
la discipline sur le célibat. Les années 1074 et 1075
marquèrent des décisions plus générales : l'invitation
à la désertion des églises fréquentées par les clercs
concubinaires ou simoniaques (1074, can. 11-20). l'in-
terdiction de l'investiture laïque par la crosse et l'an-
neau furent deux points fixés alors ne varietur. Cf.
Mansi, Concil., t. xx, col. 494 sq., 724 sq. ; Bonizo, Ad
amicum, dans Watterich, t. i, n. 361. Les conciles
quadragésimaux des années suivantes reprirent ces
thèses d'ensemble pour y soumettre tout spécialement
les Églises lombardes et germaniques. Ibid.
Une dernière question de théologie sacramentaire
était à résoudre : celle de la validité des ordinations
simoniaques. Cf. Saltet, Les rcordinations, Paris, 1907,
p. 150, 250. Agitée dans trois conciles à Rome, en 1049,
1050 et 1051, elle était restée sans solution, et Léon IX
n'avait pas de principe arrêté à ce sujet. Il acceptait
que les clercs ordonnés gratuitement par des simo-
niaques fissent une pénitence de quarante jours, pour
être admis ensuite à l'exercice de leurs ordres; il
regarda d'ailleurs le plus souvent comme nulles les
ordinations faites à prix d'argent et les fit réitérer.
Cf. Actus mediolani, etc., P. L., t. cxlv, col. 93. En
toute hypothèse, Pierre Damien, dans sa mission de
1059 à Milan, avait appliqué sa propre doctrine. Elle
concluait franchement à la validité de toutes les ordi-
nations simoniaques. Il est naturel de conclure qu'à
Home la doctrine n'était pas encore fixée. La prudence
s'imposait certes : une décision prématurée pouvait
Iriser un certain donatisme. Nicolas II se montra plus
évère que son légat; il décida la déposition des simo-
niaci simoniace ordinati vel ordinaiores, et des simo-
niaci simoniace a non simoniacis ordinati. Ceux qui
avaient été ordonnés gratuitement par des évêques
qu'ils savaient simoniaques étaient admis par indul-
ice à l'exercice de leurs ordres; mais le pape enten-
dait qu'ils fussent déposés ainsi que ceux qui les avaient
ordonnés. Cf. Hardouin, Acta concil., t. vi a, col. 1063 ;
Baronius, Annales, an. 1059, p. 33, 31. Grégoire VII
n'avait qu'à confirmer des décisions aussi nettes. Il le
fit dans son Ve synode romain de 1078. Cf. Mansi,
t. xx, col. 507; P. L., t. cxlviii, col. 800 sq. Ordina-
tioncs, quee interveniente pretio, vel precibus, vel obse-
quio alicujus personœ (aliqui personœ) ca intentione
impenso, vel quœ non communi consensu cleri et populi
secundum canonicas sanctiones fiunl, cl ab his ad quos
consecratio pcrlinct non comprobantur, infirmas cl irritas
esse dijudicamus : quoniam qui taliler ordinanlur. mm
per oslium, id est per Christum inlranl, sed, ut ipsa Ve-
ritas testatur, I lires sunt cl lalrones (Joa., x), P. L.,
t. cxlviii, col. 801. On s'acheminait ainsi vers la déci-
sion d'Urbain II, second successeur du pontife actuel.
« Un évèque simoniaque ne peut pas faire une ordi-
nation valide, faute d'avoir été lui-même ordonné vali-
dement, qui nihil habiiit, nihil darc poluit. » Décret de
Gratien, caus. I, q. vu, c. 21.
2° La controverse bérengarienne. — ■ L'année même
où Grégoire VII portait son décret sur les ordinations
simoniaques, une autre question de théologie sacra-
mentaire attendait de lui une mise au point. Depuis
saint Paschase Radbert, moine de Corbie au ixe siècle
(f 865), la présence réelle de Jésus-Christ au sacrement
de l'autel n'avait pas cessé de prêter matière à dis-
cussion. Cf. P. L., t. cxx, col. 1267-1351. Vers le milieu
du xie siècle, la controverse avait repris. Un des
disciples de Fulbert de Chartres, Bérenger, ressuscita
les erreurs idéalistes de Scot Erigène. Voir Bérenger,
col. 721-741. I! fut choqué du réalisme des expressions
employées par maints théologiens, entre autres le
célèbre Lanfranc, directeur de l'école claustrale du Bec.
Il nia sûrement la transsubstantiation et peut-être la
présence réelle. Cf. De sacra adversus Lan/rancum liber
poslerior, dans Neander, Bercngarii Turonensis opéra
qux supersunl lam édita quam inedila, Berlin, 1834.
Condamné en 1050 aux conciles de Rome et de Verceil
par le pape Léon IX, il comparut en 1054 au concile de
Tours, devant Hildebrand, légat du Saint-Siège. L'ar-
chidiacre de Rome, qui désirait étouffer ce sujet de
dispute au milieu des crises très graves traversées par
l'Église, et qui désapprouvait peut-être le grossier
langage des adversaires de Bérenger, essaya de s'inter-
poser. L'écolàtre de Tours ne signa alors qu'une rétrac-
tation équivoque, laissant dans l'ombre le point précis
du débat. Renvoyé absous par Hildebrand, il était
invité à porter sa cause à Rome pour qu'elle y fût jugée
souverainement.
Le concile de 1059, réuni par Nicolas II, imposa à
Bérenger, sous la pression du cardinal Humbert, une
profession de foi circonstanciée. Cf. Lanfranc, De
corpore cl sanguine Domini, c. n, P. L., t. cl, col. 410-
111. Bérenger y anathématise l'hérésie dont il a été
accusé, de qua haclenus infamatus sum. « Le pain et le
vin ofïerts à l'autel sont après la consécration, non
seulement un sacrement, mais encore le vrai corps et le
vrai sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et ce corps
est touché, rompu par les mains des prêtres, mangé par
les fidèles, non pas seulement en forme de sacrement,
mais réellement et en vérité. » De retour de Rome,
Bérenaer désavouait son abjuration; ses disciples se
multipliaient. La transsubstantiation était révoquée en
doute; le mode de présence du Christ dans l'eucharistie
diversement expliqué. Cf. Guitmond, De corpore et
sanguine Chrisli, P. L., t. cxliv, col. 1427-1494 ; Durand
de Troarn, Liber de corpore et sanguine Christi contra
Berengarium et ejus seclalores, P. L., t. cxlix, col. 1375-
1424; Lanfranc, De corpore et sanguine Domini adversus
Berengarium Turonensem, P. L., t. cl, col. 407-442.
Dans ces circonstances, Grégoire VII appela Bé-
renger à Rome, en 1078. L'attitude de mansuétude
qu'il avait su garder, comme légat du Saint-Siège à
l'égard du sectateur, vingt-quatre ans plus tôt, lui
permettait alors d'agir plus encore par la persuasion
1801
GREGOIRE VII
1802
que par la rigueur : « II faut, disait Grégoire VII à sou
entourage, donner aux estomacs faibles du lait, non
pas des mets trop lourds. » Il pressa Bérenger de signer
une formule adoucie. Voir t. il, col. 733. Les zelanti
n'étaient pas rassurés; cette profession de foi ne leur
semblait pas assez explicite. Le 11 février 1079.
Bérenger, sous la foi du serment, était invité par
Grégoire VII à signer une formule proclamant la trans-
substantiation et la présence réelle. Voir t. n, col. 73 1.
3° Le schisme grec. — Le pape, qui avait su travaille:-
Bérenger pour l'amener à résipiscence, n'avait p i >
renoncé à ramener les schismatiques à des sentiments
plus conciliants avec la papauté romaine. Grégoire Vil
pouvait se souvenir des tristes jours de 1054; archi
diacre du pape Léon IX, il avait vu les légats ponti-
ficaux et à leur tète le cardinal Humbert déposer sur
le maître autel de Sainte-Sopbie une bulle solennelle
d'excommunication contre Michel Cérulaire et ses
adhérents avec ces mots : Videat Dcus el judicel. Il ne
pouvait se résoudre à croire la séparation définitive.
Dès 1073, la première année de son pontificat, il envoya
vers l'empereur Michel le patriarche de Venise. Les
termes de la lettre confiée au légat sont à citer. Ils
démontrent un besoin d'entente et de paix. Non aulem
non solum inter Romanam, cui licel indigni deservimus,
Ecclesiam et filiam cjus Constantinopolilanam, anli-
quam, Deo ordinante, concordiam cupimus innovare, sed
si fieri polest, quod ex vobis est, cum omnibus hominibus
pacem habere. Scitis enim quia quantum anleccssorum
noslrorum et veslrorum sancta aposlolieœ sedi el imperio
palrocinium concordia projuil, lantum deinceps nocuit
quod utrinque eorumdem charitas friguit. P. L.. t. cxlviii,
col. 300. Le succès ne répondit pas à ces elïorts. De
mal en pis, les relations de Grégoire VII et de la cour
byzantine n'aboutirent qu'à l'excommunication de
l'empereur de Constantinople au XIe concile romain.
Cf. Liber pontificalis, édit. Duchesne, Paris, 1892, t. n,
p. 285.
Rappelons, en terminant qu'en 1078, dans son
Ve synode, le pape avait maintenu l'attribution ecclé-
siastique de la dîme, et affirmé la nécessité des hono-
raires de messes, de même que l'obligation du maigre
le samedi, à moins que la célébration d'une fête ou
une raison de santé n'en donnât la dispense. P. L.,
t. cxlviii, col. 800; Mansi, Concil., t. xx, col. 507.
III. Méthode. — Les laïques ont souvent dépeint
l'adversaire d'Henri IV comme l'autocrate insupporté
parce qu'insupportable. Le gallicanisme a vu, dans
Hildebrand, l'adversaire irréductible des libertés légi-
times des Églises nationales, le pontife des excommu-
nications per fas et ne/as, le monopolisateur de l'admi-
nistration des États. En fait, il n'en est rien. Plus que
d'autres, il a rendu à César ce qui est à César. Sans
doute, il a voulu l'entente harmonieuse dans la répu-
blique chrétienne entre le pouvoir spirituel et la puis-
sance temporelle. Son idéal fut dans l'existence paral-
lèle du sacerdoce et de l'empire, chacun dans sa sphère,
étroitement unis dans une réciprocité de services
mutuels; l'État devait protéger matériellement l'Église,
l'Église soutenir spirituellement l'État. La sauvegarde
même de cette organisation était en Dieu qui maintient
l'ordre dans la société et voilà pourquoi Grégoire VII
affirme la nécessité et la souveraineté de l'Église : elle
rappelait aux États en toute mission divine les prin-
cipes de santé sociale, oubliés ou négligés par eux. S'il
rappela à quelques rois la donation faite par leurs
ancêtres de leurs nations à la papauté, ce ne fut jamais
que dans un sens spirituel. Nolum autem tibi esse cre-
dimus regum Hungariie, sicut et alia nobilissima régna
in propriœ liberialis statu debere esse, et nulli régi allerius
regni subjici nisi sancto et universali matri Romanœ
Eccksise, quse subjeclos non habet ut servos, sed ut fdios
suscepit universos. Ad Censam, Hungariœ ducem, en
1075, P. L., t. cxlviii, col. 414. Il faudrait pouvoir
citer toutes les lettres de Grégoire VII aux différents
souverains de la catholicité. Le protocole le plus respec-
tueux y est observé. Chaque phrase dit la mansuétude;
l'ensemble, ignorant la contingence, allirme l'idée néces-
saire. Cf. AdRoduljum, Sueviœ ducem, P. L., t. cxlviii,
col. 302-390; Ad Sancium, regem Aragonise, col. 339;
Ad Alphonsum Castcllw et Sancium Aragoniœ reges,
col. 339; Ad Wralislaum, Bohemorum ducem, col. 351;
Ad Philippum I, Franciœ regem, col. 348 (il le prend
par les vertus de sa race); Ad Sucnium, regem Dano-
rum, col. 426 ; Ad Dcmetrium, regem Russorum. col.
425; Ad Boleslaum, Polonorum ducem, col. 423; Ad
Guillclmum, regem Anglorum, col. 568; Ad Roberlum
régis Anglorum fûium, col. 570.
Dans son action contre Henri IV, Grégoire VII ne
défendit pas l'idée catholique avec une autre méthode.
Il voulut l'affranchissement de l'Église avec une man-
suétude évangélique. Il avait à compter, il faut le dire,
avec l'exaspération des Saxons contre leur empereur
franconien, avec la fureur des princes allemands qui
avaient d'abord menacé, puis déposé Henri IV.
A Canossa, le pape n'imposa qu'une pénitence nor-
male pour l'époque, acceptée d'ailleurs avec empres-
sement par les conseillers de l'empereur. Une réduction
de peine de la part du pontife pouvait le compromettre
près de défenseurs loyaux. Dans la suite, malgré l'ins-
tance de l'idée théologique, Grégoire VII mit trois
années pour accepter la démission de Forcheim-sur-
Regnitz. Le Liber pontificalis est des plus éloquents à
ce sujet. Des lettres sont envoyées à Rodolphe de Souabe
comme à Henri IV : Dum vero in excommunicalione
manebat, divorlium quoddam inter Henricum regem. cl
Rodulfum de dignilate regni ortum est; quod videlicel
divorlium mulli a domno papa faclum esse clamabant,
sed nullo modo se illos offendisse prœdiclus pontijex
profilebalur. Immo ulrique misit ut viam sibi prsepa-
rarent quedenus pro di/finiendo lanlo negolio posset
procedere, quia matel millics, si posset, mori quam sua
occasione loi millia hominum morti traderentur. Cf. Liber
pontificalis, édit. Duchesne, t. n, p. 284. Dans la
même lettre, on trouve la phrase suivante : In magna
enim tristilia et dolore, cor noslrum fluctuât si per unius
hominis superbiam lot millies hominum ehristianorum
lemporali cl œternse morti Iradunlur. Ibid., p. 291. Après
le concile de 1078, deux légats partaient de Rome
pour conclure une paix entre Rodolphe et Henri... ut
stricte discernèrent quis ex duobus majorem haberel
jusliliam; et cuicunque justilia competerel, illi regni
gubernacula tribuerent, quia juslior pars amplius de Deo
confulere polest et potcslale beati Pétri omni modo crit
ad juta. Ibid., t. n, p. 285. Grégoire VII ignora le point
de vue mesquin, L'empereur Henri IV resta rebelle à
cette tactique très ferme pour la thèse, mais condes-
cendante pour la personne.
Avec Bérenger, le pape avait été plus heureux. Sa
bonté pour le sectateur ne s'était pas découragée. P. L.,
t. cxlviii, col. 506; d'Achery, Spicilegium, Paris, 1057,
t. ii, p. 508. Elle lui valut quelques suspicions de la
part des zelanti sur son orthodoxie. Le pseudo-synode de
Brixen lui reprocha d'avoir pactisé avec l'hérésiarque.
Cf. cardinal Benno, De vita cl geslis Hildebrandi libri II,
dans Monumental Germaniœ,t. xi; Egilbert de Trêves,
Epist. adv. Gregor. VII, dans Eccard, Corpus historiœ
medii œvi, t. n, p. 170. Martens s'est inspiré de ces
adversaires pour reprocher à Grégoire VII une condes-
cendance excessive à l'égard de Bérenger et de ses
doctrines. Au fond, la douceur restait bien toujours
la base même de la tactique du pontife. Au lendemain
du concile de 1079, il donnait au repentant, partant
pour la France, une lettre de recommandation où il
défendait sous peine d'anathème qu'on l'accusât désor-
mais d'hérésie. Cf. d'Achery, Spicilegium, t. ni, p. 43.
,s,i:
GRÉGOIRE VIT — GRÉGOIRE VIII
1804
Ce notait pas une exception. Une lettre du pontife
au roi de Danemark s'était déjà prononcée avec
énergie contre les procès de sorcellerie. Episl., 1. VU,
epist. xxi, P. L., t. cxlviii, col. 564.
Nous sommes loin maintenant du pontife autocrate.
Attachant dans son élégance, surnaturel toujours dans
l'énoncé de ses thèses, il est bien l'homme de l'idée
catholique, fait, quoi qu'en aient dit ses adversaires,
pour faire aimer sa doctrine par la souplesse de son
exposé et la patience de ses exhortations. Dans un
temps de violences et de brutalités, il a montré que la
parole juste et ferme, simple et droite, élégante et
bonne, fait plus pour la vérité que les triomphes
éclatants.
IV. Influence. — Son influence est considérable.
Il est mort, terrassé par le césarisme teuton. Son idée
lui a survécu. Et chez Grégoire VII l'idée est tout; elle
vit d'avance pour exister dans la suite. Grégoire est un
homme de gouvernement. Le concordat de Worms
qui, signé en 1122, termina la querelle des investitures
est son œuvre plus encore que celle de Calixte II. La
décision du concile de Latran, can. 3,21, qui, en 1123,
déclara nuls les mariages contractés par les sous-diacres
et les clercs supérieurs après leur ordination. Mansi,
Concil., t. xxi, col. 282-286, a été voulue par lui bien
avant sa teneur définitive. Dans l'ensemble, l'œuvre de
Grégoire VII est avant tout humaine. Il a inauguré et
fait inaugurer le culte, le règne de l'idée et du droit.
Ennemi du féodalisme, destructeur du catholicisme
intégral par ses réalisations individuellement, terri-
torialement, socialement matérielles, il a diminué l'ère
de la force brutale qui étouffe et stérilise la pensée
généreuse. Une idée féconde appelle toujours ses sœurs ;
en affranchissant l'Église, en régénérant le pontificat
et l'épiscopat, Grégoire VII a bien mérité de la société
médiévale. Il a authentiqué la puissante légion des
moines de Cluny qui ont publié sa thèse en la généra-
lisant : ils ont dit qu'une société qui veut vivre doit
avoir ses dogmes intangibles dans l'ordre, la dignité,
la hiérarchie, l'autorité de la pensée divine et humaine.
Des hommes de devoir, libérés des égoïsmes humains,
doivent être leurs gardiens. Évêques et prêtres, ils sont
les vassaux de Dieu avant d'être les féodaux de la
terre. Une force était donc née qui allait transformer
le moyen âge. Du domaine religieux, elle passa dans
le domaine civil. L'État comme l'Église profitèrent des
instructions du pontife. Désormais la pensée fut forte
et efficace dans les deux mondes, parce qu'un jour
elle avait trouvé son sanctuaire et son défenseur.
Grégoire VII a permis les Innocent III et les saint
Louis. Les gallicans de tous les pays ne se montrèrent
pas hommes de gouvernement en s'opposant à sa cano-
nisation, proclamée en 1729 par Benoît XIII.
I. Sources. — Gregorii registri, sive epistolarum libri, dans
Mansi, Concil., Florence, 1759, t. xx, col. 60 sq. ; Monu-
menta Gregoriana, dans Jaffé, Bibliotheca rerum Germani-
carum, Berlin, 1864, t. n, p. 240 sq.
Les œuvres de Grégoire VII ont été rassemblées par
Migne, P. L., t. cxlviii; Giesebrecht, De Gregorii registro
emendando, Brunswick, 1858; Horoy, S. Gregorii Vil epi-
slola et diplomata; accédant vita ejusdem pontifteis et appen-
dices amplissima velerum et recentiorum monumenta Gregorii
apologetica complectenles, 2 in-8", Paris, 1877. La question
de l'authenticité des 27 Dictalus intitulés : Quid valeanl pon-
tifices romani et placés dans le Registre du pape en 1075,
est diversement résolue. Regist., iv, 55, a. Comme ils pré-
sentent, pour la pensée et l'expression, ce que les autres
écrits de Grégoire font attendre de lui, il est vraisemblable
qu'ils sont au moins un extrait systématique de ses écrits,
F. Rocquain, dans le Journal des savants, 1872, t. vu, p. 252-
263, 299-315, y voit comme Giesebrecht, op. cit., une compo-
sition authentique. Ce serait pour lui une œuvre privée du
pape et non une déclaration publique. Voir col. 1 737. Le pri vi-
lèged'Otton I" en date du 13 février 962, cf. Tardif, Histoire
des sources du droit canonique, Paris, 1887, p. 251, a été parfois
attribué à Grégoire VII et a ses conseillers. Le pape aurait
interpolé un document très utile pour servir sa cause. Depuis
la découverte d'un document très ancien par Sickel dans les
archives du Vatican, en 1SS1, l'attribution du privilège n'est
plus contestée à Jean XII. Cf. Kraus, Histoire de l'Église,
t. ti, p. 123. Dom Morin a publié la Régula canonicorum
de Grégoire VII sous le titre : Règlements inédits du pape
Grégoire VII pour les chanoines réguliers, d'abord dans la
Revue bénédictine, 1901, t. xviii, p. 177-183, puis dans
Études, textes et découvertes, Paris, 1913, t. i, p. 457-465.
Cf. p. 70
Quelques écrits sont attribués à Grégoire VII. On les
trouvera dans Migne dans la dernière partie du t. cxlviii.
Ils sont intitulés Monumenta Gregoriana. Les preuves
d'authenticité manquent.
Il faut consulter les œuvres de Pierre Damien, P. L.,
t. cxnv et cxlv. Les sources concernant Bérenger de Tours
contribuent à l'histoire de Grégoire VII. Voir t. u, col. 740-
741.
Les auteurs anciens, contemporains de Grégoire VII :
Lambert d'Aschaffenbourg ou de Hersfeld (1077), Berthold
de Beichenau (1080), Bruno (1082), Bonizo (1085 ou 1086),
Pandolphe de Pise (sous Pascal II), Hugues de Flavigny
(1102), Paul de Bernried (1128), ont été recueillis dans
Watterich, Pontificum romanorum ab exeunte sœculo IX
ad finem seculi X11J ab wqualibus conscriplx, 2 in-8°,
Braunsberg, 1864. Cf. C. Muratori, Scriptores rer. italicarum,
t. ni; Monumenta Germaniœ hislorica, Scriptores, t. v,
p. 327-384; Jaffé, Bibliotheca rerum germanicarum, t. v,
p. 1-469. Parmi les adversaires de Grégoire VII, Benno,
De vita et gestis Hildebrandi libri II; Benzo, Paneggr.
rhythm. in Henricum III, dans Monumenta Germaniœ hislo-
rica, t. xi. ■ — ■ Parmi les défenseurs du pape, Paul Bernried,
De vita Gregorii VII; Bonizo, Liber ad amicum; Bruno,
Historia belli saxonici, tous trois cités plus haut.
1 1. Ouvrages. — Voigt, Hildebrand als Papst Gregor VII
und sein Zeitalter aus den Quellen bearbeitet, 2 in-8°, Weimar,
1846; trad. franc, par Jager, Paris, 1837 et 1854; Cassander,
Das Zeitalter Hildebrands fur und gegen ihn, Darmstadt,
1842; Bowden, The lije and ponlificate o/ Gregory VII,
2 in-8°, Londres, 1840; Helfenstein, Gregor nach den Strei-
tenschri/len seiner Zeit, Francfort, 1856; Gfrôrer, Papst
Gregor VII und sein Zeitalter, 2 in-8°, SchafThouse, 1859;
H. Ossenbeck, Die Streit Gregors VII mit Heinrich IV,
1866; Baxmann, Die Polilik der Pàpste von Gregor I bis
Gregor VII, 2 in-8°, Elberfeld, 1868; Meltzer, Papst
Gregors VII Gesetzgebung und Beslrebungen in Belreff der
Bischofswahlen, Leipzig, 1869; Schober, Vorwiirfe und
Anklagen gegen Gregor VII aus den Schrijlen seiner Zeitge-
nossen, in-4°, Nordhausen, 1873; Winckler, Gregor VII und
die Normannen, dans Samml. gemeinverstànde wissench.
Vortr. CCXXXIV, Berlin, 1875; Ossenbeck, Der Streit Gre-
gors VII mit Heinrich IV, Francfort-sur-le-Mein, 1866;
Hach, Der Kampf zwischen Papsthum und Konigsthum von
Gregor VII bis Calixt II, Francfort, 1884; A. de Vidaillan,
Vie de Grégoire VII, 2 in-8", Paris, 1837; Langeron, Grégoire
VII et les origines de la politique ultramontaine, Paris, 1874;
15. Nuber, Papsl Gregor VII. Sein Zeit, sein Leben und seine
Wir/cen,1885; O. Delarc, Grégoire Vllet laréforme del'Église
au \ /« siècle, 4 in-8", Paris, 1889-1890; Jager, Saint Grégoire
VII, dans \' Université catholique (1845), t. xix, p. 412-429;
t. xx, p. 16-32,93-109, 165-180, 245-252, 325-341 ; Jorry,
Histoire du pape Grégoire VII (1073-1085), Paris, 1850;
Philippon de la Madelaine, Le pontificat de Grégoire VII,
Bruxelles, 1837; Brocard, Grégoire VII et la querelle des
investitures, Paris, 1862; Frantin, Grégoire VII et Henri IV,
fragment historique dans les Mémoires de l'Académie de
Dijon, Dijon, 1848; Vandcrmissen, Grégoire VII ou l'empire
et la papauté au XI* siècle, Louvain, 1876; Villemain, Histoire
de Grégoire VII, précédée d'un discours sur l'histoire de la
papauté jusqu'au XI' siècle, 2 in-8°, Paris, 1873; Schirmer,
De Ilildebrando, subdiacono Ecclesix romanœ, Berlin, 1860;
Manacorda, Gregorio VII e V undecimo sec. ragionamenlo,
Mondovi, 1873; Hefele, Gregor VII und Heinrich IV zu
Canossa, dans Theolog. Quartalschrijt Tubing. (1861),
t. xliii. Voir la bibliographie des art. Damien Pierre
et Bérenger, t. IV, col. 53-54; t. n, col. 740.
P. Moncelle.
8. GRÉGOIRE VIII, pape (1187). Albert de Moras,
de Bénévent, était cardinal-diacre de Saint-Adrien
(5 avril 1157), cardinal-prêtre de Saint-Laurent in
Lucina (15 juin 1158), chancelier de l'Église romaine
(22 février 1178), quand il fut élu pape à Fcrrare le
1805
GRÉGOTRE VIII — GRÉGOIRE X
1800
21 octobre 1187 et sacré le 25 à Pise, en remplacement
d'Urbain III. La papauté était en relations fort ten-
dues avec Frédéric Barberousse; comme il avait été
jadis dévoué à l'empereur, il prépara une réconcilia-
tion, exhorta l'archevêque Volkmar à ne pas urger
son conflit avec lui, s'occupa activement d'une croisade,
célébra un concile à Parme. Mais il mourut à Pise, le
17 décembre 1187, trop tôt pour exécuter ses projets.
Il fut remplacé par Clément III.
Jalïé, Regesta pontificum romanorum, 2e édit., 1888, t. n,
p. 528-535; P. L., t. ccii, col. 1535 sq.; Duchesne, Liber pon-
tificalis, 1892, t. il, p. 349, 451 ; Watterich, Ponlificutn roma-
norum vite, Leipzig, 1862, t. h, p. 683-692; Bibliothèque de
l'École des chartes, 1881, t. xlii, p. 166; Scheffer-Boichorst,
Friederichs 1 leizter Strcit mit der Kurie, 1866, p. 149-157;
P. Nadlg, Gregors VIII 57 tagiges Pontifikat (diss.), Baie,
1S90; G. Kleemann, Papst Gregor VIII, Bonn, 1913.
A. Clerval.
9. GRÉGOIRE IX, pape (1227-1241). Hugolin de
Conti de Segni, né à Anagni vers 1147, cardinal-diacre
de Saint-Eustache en 1198, évêque d'Ostie et Velletri
le 30 avril 1206, légat, fut élu à Rome le 19 mars 1227,
couronné à Saint-Pierre le 21, sous le nom de Gré-
goire IX. Il était neveu d'Innocent III et succéda à
Honorius III.
Son pontificat, au point de vue politique, fut absorbé
par ses efforts, pour obliger Frédéric II à faire la croi-
sade qu'il avait promise solennellement à Honorius
par le traité de Saint-Germain, pour préserver les
États de l'Église et Rome même de ses menées et de ses
attaques, pour défendre les libertés ecclésiastiques
partout menacées par sa tyrannie, pour démasquer la
cruauté, l'immoralité, l'impiété, l'incrédulité même de
cet empereur. Grégoire IX lança contre lui de nom-
breuses excommunications, le 29 septembre 1227, le
23 mars et le 30 août 1228, l'année suivante, et le
contraignit à signer un nouveau traité de Saint-Ger-
main le 23 juillet 1230. Ils se rencontrèrent amicale-
ment à Anagni le 1er septembre suivant. Mais la paix
ne dura guère. Grégoire eut d'abord à lutter contre les
Romains qui, dirigés par les Savelli, voulaient abolir sa
suzeraineté et lui imposèrent un traité en 1233.
La guerre avec l'empereur reprit à l'occasion de l'ins-
tallation de Enzio son fils naturel comme roi de Sicile,
pays vassal du pape, et de la ligue lombarde qui s'était
formée à Brescia en novembre 1235, et contre laquelle
Frédéric II, sous prétexte qu'il avait affaire à des
hérétiques, voulut faire oublier la croisade, entraîner
le pape, et, se posant ironiquement en défenseur de la
foi, multiplia les cruautés et les oppressions et s'arrogea
des droits religieux. Le pape le déclara encore excom-
munié et déposé le 20 mars 1239 et expliqua sa conduite
à la chrétienté dans une circulaire du 20 juin.
Aplusieurs reprises, en 1240 et 1241, Frédéric II vint
assiéger Rome et d'autres villes des États pontificaux.
Alors le 9 août 1240 Grégoire IX convoqua un concile
général pour les fêtes de Pâques de 1241 en y invitant les
évêques et les seigneurs. Son adversaire barra la route
de terre aux uns, fit saisir ceux qui venaient par mer;
saint Louis dut le menacer pour l'obliger à relâcher
les évêques de France encore vivants. Il revint près de
Rome, et lorsque le cardinal Jean Colonna eut déserté
la cause du pape, il chercha à s'emparer de sa personne.
Mais Grégoire IX mourut le 21 août 1241, âgé d'environ
cent ans, et Frédéric manda sa mort aux autres
princes en termes indécents.
Ce qu'il y eut de nouveau dans cette lutte terrible,
ce fut l'appel aux peuples chrétiens que, des deux parts,
chaque adversaire lança contre son rival, en l'accablant
d'accusations publiques et personnelles. Aux encycli-
ques du pape répondaient celles de l'empereur (décem-
bre 1227, janvier 1232, avril 1239); les unes et les
autres firent éclore des diatribes et des pamphlets de
toute nature.
Au point de vue théologique et canonique, Gré-
goire IX joua un grand rôle. Le 13 avril 1231, il
déclara que la condamnation de 1210-1215 contre
Aristote était provisoire; le 23 avril 1231, il chargea
Guillaume d'Auxerre, Simon d'Authie, Etienne de Pro-
vins, de corriger Aristote.
En 1230, il ordonna à Raymond de Pennafort,
dominicain espagnol, son pénitencier, de rédiger un
code des Décrétales qui forma la continuation du
Décret de Gratien, et il promulgua le 5 septembre 1234
ce recueil composé de cinq livres. Défense fut faite
de rassembler une autre collection sans l'autorisation
spéciale du Saint-Siège. Ce fut Boniface VIII qui
publia, en 1298, les Décrétales postérieures ou le
Sexte. Voir Décrétales, col. 209-212.
Ce fut sous Grégoire IX qu'en 1229 le concile de
Toulouse organisa l'inquisition épiscopale. En 1233, il
confia la charge de l'inquisition des hérétiques aux
dominicains pour l'exercer au nom du pape et à per-
pétuité, mais sous les ordres des évêques locaux. Il fit
inscrire sur les registres pontificaux en janvier 1231
la constitution de Frédéric II (1224) condamnant à
mort les hérétiques de Lombardie; en février 1231, il
appliqua cette loi aux Romains, et de 1232 à 1234, il
fit faire des lois analogues à Milan, Vérone, Plaisance
et en Allemagne. Toutefois il destitua Robert le Bougre
pour ses excès le 19 avril 1233.
N'étant que cardinal, il avait été le protecteur de
saint François d'Assise et avait contribué à faire
approuver sa règle; il protégea aussi les dominicains
et les autres ordres religieux comme les cluniciens
dont il favorisa la réforme. Il canonisa saint François
le 16 juillet 1228 et saint Dominique en 1234. Mais il
eut à intervenir dans les divisions qui s'élevèrent dès
lors entre séculiers et réguliers, surtout dans celles qui
agitaient les mineurs : il donna d'abord sa confiance à
Élie et sur sa demande déclara le 28 septembre 1230
que le Testament de saint François n'était pas obli-
gatoire et que la pauvreté pouvait et devait se concilier
avec l'usage de l'argent par l'intermédiaire de délégués
des bienfaiteurs, et avec la construction d'églises et de
couvents somptueux. Sur les protestations des spiri-
tuels, il déposa Élie au chapitre général de 1239 et
laissa élire Albert de Pise qui écrivit les premières
Constitutions de l'ordre. Les dominicains fixèrent les
leurs définitivement en 1238.
Grégoire IX fit multiplier les conciles, et travailla
beaucoup à l'organisation des diocèses et spécialement
il affermit l'Église Scandinave et il prôna la pureté des
mœurs ecclésiastiques.
Auvray, Les registres de Grégoire IX, 2 vol. parus, Paris,
1890, 1905; Monumenta Germanise, Epistote sœculi XIII,
1883, t. i; G. Vossius, Gregorii papœ IX acta quœdam insi-
gnia, in-4°, Rome, 1586; Potthast, Regesta pontificum roma-
norum (1198-1304), Berlin, 1874, p. 462-465, 678-680, etc.;
Vies, dans Muratori, Rerum italicarum scriptores. Milan,
1725, t. vii-ix; Watterich, Vite pontificum romanorum
(1198-1304), Braunsberg, 1864; P. Balan, Storia di Gre-
gorio IX e soi tempi,3 in-4", Modène, 1872; La prima lotta
di Gregorio IX con Frederigo II (1227-1230), in-8°, Mo-
dène, 1871; J. Felten, Papst Gregor IX, Fribourg-en-Bris-
gau, 1886; Kohler, Verhàltnis Friederichs II zu den Pàpslen
seiner Zeit, 1888; E. Brem, Papst Gregor IX bis zum Beginn
seines Pontifikats, Heidelberg, 1911.
A. Clerval.
10. GRÉGOIRE X,pape(1271-1276),Théobald Vis-
conti, né à Plaisance en 1210, chanoine de Lyon, archi-
diacre de Liège, était à Saint- Jean-d' Acre avec Edouard,
prince d'Angleterre, quand il fut élu après la mort de
Clément IV et une vacance de trois ans, le 1er septem-
bre 1271; il entra dans Viterbe le 10 février 1272, fut
ordonné prêtre le 13 mars, sacré et couronné le 27
à Rome. Ses grandes idées furent le relèvement de
l'empire en Allemagne, la réforme, la réunion des grecs,
1807
GRÉGOIRE X — GRÉGOIRE XII
1808
la délivrance de Jérusalem. Il s'efforça donc de récon-
cilier en Italie les Guelfes et les Gibelins, d'affaiblir
Charles d'Anjou, d'obtenir la renonciation d'Alphonse
de Castille et lit élire Rodolphe de Habsbourg comme
empereur le 29 octobre 1273; il le reconnut comme roi
di s Allemands et des Romains, l'invita à venir recevoir
la couronne impériale et à conclure un nouveau con-
cordat avec l'Église romaine, dans une entrevue, qu'il
eut avec lui à Lausanne, en revenant du concile de
Lyon (octobre 1275); mais la mort et les troubles d'Al-
lemagne empêchèrent ces projets.
Ce concile, qu'il avait convoqué quatre jours après
son couronnement, s'ouvrit en 1274, sous sa présidence
cl fut le XIVe concile œcuménique. Cinq cents évêques
et mille abbés s'y trouvaient. Saint Bonaventure,
créé cardinal peu auparavant avec Pierre de Taren-
taise, mourut pendant sa tenue. Saint Thomas d'Aquin,
spécialement appelé par le pontife, partit de Naples et
mourut en chemin. La irc session se tint en la primatiale
de Saint-Jean devant Jacques Ier, roi d'Aragon, les
patriarches latins de Constantinople et d'Antioche et
des délégués de toutes les nations. On y prescrivit des
contributions pour la Terre Sainte. Dans la suite, on
traita de l'élection du roi d'Allemagne, de la transla-
tion du Comtat-Venaissin au Saint-Siège. On accueillit
la réunion à l'Église romaine de l'empereur de Con-
stantinople, et l'alliance proposée par le grand chah des
Tartares contre les Mahométans. Le pape promulgua
plusieurs constitutions : dans l'une il était défini que le
Saint-Esprit procédait du Père et du Fils, non comme
de deux principes, mais comme d'un seul et par une
seule spiration; dans une autre il était réglé que les
cardinaux se trouvant dans la ville où le pape mourrait
attendraient huit jours seulement les absents, puis
s'assembleraient dans le palais du pontife sans relation
avec le dehors, et si, dans les trois jours suivants, ils
n'avaient pas pourvu l'Église d'un pasteur, ils seraient
réduits à un seul mets, pendant les cinq jours suivants,
et, au delà de ce terme, au pain, au vin, a l'eau.
Grégoire envoya des lettres à l'empereur et aux
évêques grecs, de même qu'au grand chef des Tartares,
puis, après être revenu par Milan et Florence, il mourut
a Pérouse le 10 janvier 1276; il fut plus tard inscrit au
catalogue des bienheureux. Il eut pour successeur
Innocent V.
Jean Guiraud, Les regislres de Grégoire X, Paris, 1892-
1898; A. Potthast, Regesta pontifleum romanorum, Berlin,
t. il, p. 1651-1703, 2131, 2138; Muratori, Rerum italicarum
scriplores, t. m; Bonucci, Istoria del pontifice Gregorio X,
Rome, 1711 ;P. Piacenza, Compendio delhi sloria del B. Gre-
gorio X papa, Plaisance, 1876 ; A. Zistercr, Gregor X und Ru-
dolf von Habsburg, Fribourg, 1891 ; Walter, Politikder Kuric
unter Gregor X,1894;0\to, Beziehunger. Rudolf s von Habsburg
zu PapstGregoriusX,lS9b;0. Redlich, Rudolf von Habsburg,
1903; Duchesne, Liber pontificalis, 1892, t. n, p. 456-457.
A. Clerval.
11. GRÉGOIRE XI. pape (1370-1378). Pierre Roger
de Beaufort, né au château de Maumont en 1329, car-
dinal-diacre de Sainte-Marie la Neuve (28 mai 1348),
fut élu pape le 30 décembre 1370, ordonné prêtre le
4 janvier 1371, puis sacré et couronné à Avignon le
lendemain. Ce fut le dernier pape d'Avignon. Son pré-
décesseur, Urbain V, en revenant de Rome où l'on
avait cru un moment qu'il allait réinstaller la papauté,
exilée depuis 1305, comme tout le monde en Italie le
demandait, avait provoqué dans ce pays un redouble-
ment notable de réaction contre la papauté française.
Grégoire XI se vit en face d'une ligue formidable
constituée entre Barnabo Visconti, de Florence, Jeanne
de Naples, et d'autres villes, s'attaquant aux « mauvais
pasteurs » envoyés d'Avignon pour gouverner les États
pontificaux et au pouvoir temporel lui-même. Après de
vaines négociations, il dut excommunier les Florentins
et envoyer des troupes sous la conduite de Robert de
Genève. C'est alors que ceux-ci lui adressèrent une
ambassade avec sainte Catherine de Sienne. Les avis
de cette illustre sainte, joints au grand péril que la
papauté courait de perdre les restes de son pouvoir en
Italie, triomphèrent enfin des hésitations de Grégoire XI
qui, malgré les instances de son entourage et du roi de
France, partit d'Avignon le 13 septembre 1376 et après
différentes péripéties entra dans Rome le 17 janvier
1377. Mais à peine de retour, le pape se vit de nouveau
en bulle à de grosses difficultés avec les Florentins et les
Romains toujours hostiles à la domination de l'Église,
malgré leur promesse : le massacre de Cesena par
Robert de Genève (11 février 1377) accrut les animo-
sites. Grégoire, sur la fin de mai, se rendit à Anagni
jusqu'au mois de novembre et continua de pénibles
négociations avec les Florentins qui aboutirent à un
congrès fixé à Sarzana, pour les premiers jours de 1378.
Rentré à Rome le 7 novembre, chez les Romains plus
calmes, il mourut le 27 mars 1378, par suite du climat
et des soucis, non sans avoir craint le schisme auquel
l'élection de son successeur allait donner lieu, et que
ses dernières précautions ne purent prévenir. Ce fut le
dernier pape français.
Il était bon, instruit, favorable au bon humanisme,
et digne de l'estime de sainte Catherine de Sienne et de
sainte Brigitte, qui lui écrivirent à plusieurs reprises. Son
grand mérite est d'avoir ramené la papauté à Rome;
toutefois il eut le tort de nommer trop de cardinaux
français, ce qui fut une cause du grand schisme. Il
s'occupa aussi de réprimer, avec le roi de France, des
hérétiques tels que les vaudois, les bégards et les
albigeois, de faire tenir des conciles provinciaux et
d'obliger les évêques à la résidence.
Baluze, Vitœ paparum Avenionensium, Paris, 1693, t. i,
p. 425 sq. ; Noël Valois, La France et le grand schisme d'Occi-
dent, Paris, 1901, t. m; 1902, t. IV; J. P. Kirsch, Ruckher
der Piipste, 1898; Pastor, Gescliichte der Pdpsle, 4e édit., t. i,
p. 101-114.
A. Clerval.
12. GRÉGOIRE XII, pape (1406-1415). Ange Cor-
raro, né à Venise, vers 1325, évèque de Chalcis, patriar-
che de Constantinople, cardinal-prêtre de Saint-Marc en
1405, fut élu pape, après Innocent VII, à Rome, le
30 novembre 1406 et couronné le 3 décembre. C'était
un homme austère et pieux; les cardinaux italiens,
ses électeurs, avaient pris avec lui, avant l'élection,
l'engagement de tout faire pour arriver à l'union. C'est
dans ce sens qu'il écrivit de suite aux cardinaux d'Avi-
gnon et à Benoît XIII, et comme celui-ci lui répondit
sur le même ton, on crut que l'union était presque
faite. Mais on vit bientôt que cette espérance était pré-
maturée. Après de longues discussions sur le lieu de
leur entrevue, discussions où Grégoire XII apporta
des tergiversations extraordinaires, les deux papes arri-
vèrent à quelques lieues de distance l'un de l'autre, et
pourtant l'entrevue n'eut pas lieu : on accusa le pape
de Rome de céder à l'influence de ses neveux et de
Jean Dominici. archevêque de Raguse, et sept de ses
cardinaux se détachèrent de lui. On crut de même en
France que Benoît XIII ne voulait pas au fond se
sacrifier à l'union et, après une sommation, le roi de
France déclara sur la fin de mai se retirer de son obé-
dience. De leur côté, les cardinaux français quittant
Benoît XIII s'unirent aux cardinaux romains détachés
de Grégoire XII et convoquèrent un concile à Pise
pour le 25 mars 1409, tandis que les deux papes en
convoquaient aussi chacun un dans leur obédience.
Cette convocation d'un concile par les cardinaux, tout
à fait anormale, soulevait des questions graves de doc-
trine sur la supériorité de l'Église par rapport au pape
et les tranchait déjà dans un sens erroné. Les Pères
eurent l'audace de déposer les deux pontifes, malgré
les efforts de Charles de Malatesta qui essaya d'amener
1809
GREGOIRE XII
GREGOIRE XIII
1810
une entente entre eux et son ami Grégoire, et de nom-
mer un troisième pape, qui fut Alexandre V (26 juin
1409); ce qui produisit, vu la puissance de ceux qui
étaient censément déposes, la coexistence de trois chefs
dans l'Église; coexistence qui fut maintenue par l'élec-
tion de Jean XXIII à la place d'Alexandre V mort le
3 mai 1410.
Le concile de Constance, ouvert le 1er novembre 1414,
sur les démarches de l'empereur Sigismond et avec le
concours plus habile que sincère de Jean XX III, aboutit
à de meilleurs résultats, grâce à l'attitude plus désin-
téressée cette fois et plus loyale de Grégoire XII. En
effet, après que Jean XXIII eut été déposé par les
Pères et qu'il eut accepté sa sentence, Grégoire XII se
présenta comme le pape légitime, fit une nouvelle con-
vocation du concile, et le 4 juillet 1415, par son ami
Malatesta, notifia sa renonciation à la papauté. Alors
les prélats de Benoît XIII se rallièrent à la majorité et
celui-ci, déposé le 26 juillet 1417, dut se réfugier dans sa
forteresse de Peniscola avec les trois seuls cardinaux
qui lui fussent restés fidèles.
En récompense de sa condescendance, le concile
décerna à Grégoire XII le titre de cardinal-archevêque
de Porto, la légation à vie de la Marche d'Ancône et le
droit de prendre rang immédiatement après le pape.
Mais il mourut le 18 octobre 1417.
Martin V fut élu le 11 novembre suivant.
Noël Valois, La France et le grand schisme d'Occident,
Paris, 1901, t. in; 1902, t. iv; Ranke, Die rômische Pàpste,
Ci' édit., t. i, p. 273 sq. ; Brosch, Geschichte des Kirchenstaats,
ISSU, t. i, p. 247 sq.
A. Clerval.
12. GRÉGOIRE XIII, pape (14 mai 1572-10 avril
1585). Né à Bologne en 1502, Hugo Buoncompagno
y étudia le droit à l'université. A 28 ans, il était reçu
docteur. Professeur dans sa ville natale, il sacrifia
quelque peu aux idées mondaines. Un fils naturel, le
futur Giacomo, lui naquit à cette époque. Menant dès
lors une vie exemplaire, il reçut la prêtrise. En 1538,
Paul III l'appelait à Borne, pour lui confier les fonc-
tions de juge au Capitole et d'abréviateur vice-chan-
celier de la Campagna. Sous Paul IV, Hugo fut associé
comme dataire au neveu du pape, le cardinal Charles
Caraffa. Pie IV le fit cardinal-prêtre du titre de Saint-
Sixte et l'envoya au concile de Trente. Le 14 mai 1572.
quand, sous l'influence du cardinal Granvelle, alors
vice-roi de Naples, le cardinal Buoncompagno devenait
pape avec tous les suffrages, au troisième jour du con-
clave, il était préparé à la tâche de réformation de
l'Église, moins encore par ses dons naturels d'ailleurs
remarquables, que par le milieu sévère, sérieux et grave
créé dans la curie romaine par le concile de Trente. Le
nouveau pape prit le nom de Grégoire XIII. L'ère de
la mortification était ouverte au palais pontifical. Sous
Paul IV, on s'en était aperçu. L'exemple de Pie V
surtout avait eu un effet extraordinaire. P. Tiepolo,
ambassadeur de Venise, le faisait remarquer en 1576 :
« Rien n'a fait autant de bien à l'Église que cette
succession de plusieurs papes dont la vie a été irré-
prochable. Tous ceux qui les ont suivis sont devenus
meilleurs, ou du moins ont senti la nécessité de le
paraître. Les cardinaux et les prélats fréquentent la
messe avec zèle et cherchent avec soin à éviter tout
scandale dans la tenue de leur maison. La ville entière
s'efforce de sortir de la déconsidération où elle était
tombée, et elle est devenue plus chrétienne dans ses
mœurs et sa manière de vivre. On pourrait en lin
ajouter que Rome, en matière de religion, approche de
la perfection, dans les limites imposées à la nature
humaine. » Seconda relatione dell' ambasciatore di Roma,
clar. M. Paolo Tiepolo, ambasciatoreVeneto. K.S. 3 mag-
gio 1576, cité par Ranke, Histoire delà papauté pendant
les XVI* et xvu» siècles, trad. Haiber^ Paris, 1838, t. m,
p. 332-333; t. iv, p. 527. Au moment où Grégoire XIII
succédait à Pie V, il y avait à la cour un parti décidé à
défendre cette austérité. Des jésuites, des théatins, et
leurs amis, les Frumento, les Corniglia, l'intrépide
prédicateur Francesco Toledo, et le dataire Contarell
parvinrent à diriger l'esprit du pape dans les vues de
son prédécesseur. Le nouveau pontife, cent ans plus
tôt, par tempérament intellectuel et moral, par édu-
cation, aurait régné d'une façon plus mondaine. On
s'attendait, en ell'et, à le voir orienter le Saint-Siège
dans une direction nouvelle : miliori quodam homi-
numque captui accommodaliori ratione. Cf. Commentarii
de rébus Gregorii XIII (ms. de la bibliothèque Alberoni).
Ranke, op. cit., t. m, p. 234. De fait, dès le début de
son pontificat, s'opposant aux partisans de la rigidité
religieuse, il avait rappelé aux affaires les ministres de
Pie IV. L'influence de la curie le dirigea dans une voie
toute religieuse. Cf. Relatione délia corle di Roma a
tempo di Gregorio XIII (bibliothèque Corsini, n. 714),
20 février 1574, très instructive à ce sujet. L'auteur
dit de la disposition du pape : « il n'était ni scrupu-
leux ni dissolu, mais les choses mal faites lui déplai
saient. »
Grégoire XIII, se souvenant des fortes paroles de
son prédécesseur, sut d'abord se maîtriser lui-même,
pour gouverner les autres. Rebelle au népotisme,
malgré ses désirs de faire avancer son fils Giacomo et
de l'élever à la dignité de prince, il se contenta de
le nommer gouverneur du château Saint-Ange et
gonfalonnier de l'Église. Les troubles des dernières
années du pontificat contribuèrent à un regain d'in-
fluence pour le fils du pape; mais son pouvoir ne
fut jamais illimité. Les parents de Grégoire XIII
n'eurent d'ailleurs pas plus de part à des faveurs
irrégulières. Si deux des neveux du pontife furent
nommés cardinaux, le troisième fut irrévocablement
écarté. Le frère de Buoncompagno lui-même se plaignit
de la papauté de Grégoire. Elle l'obligeait à des dé-
penses supérieures aux secours que lui allouait le pape.
Le pontife resta sourd à ses plaintes; il lui défendit
même l'entrée de Rome. Fort contre ces abus, Gré-
goire XIII sut encore comprendre que la piété est
utile à tout. Cherchant à surpasser la piété de Pie V, il
dit la messe trois fois par semaine sans jamais l'omettre
le dimanche pendant les premières années de son ponti-
ficat. Cf. Seconda relazione dcll' ambasciatore di Roma,
M. Paolo Tiepolo, Car. 3 maggio 1576, citée par Ranke,
op. cit., t. m, p. 237.
1° Ses définitions. — 1. Contre le baianisme. — Voir
Baius.L n, col. 51-50. — 2. La profession de foi imposée aux
grecs. — Grégoire XIII dut rappeler aux grecs les princi-
pales définitions du concile de Trente, sur lesquelles l'or-
thodoxie byzantine était restée jusque-là irréductible.
La constitution Sanctissimus Dominus nosler, en même
temps qu'elle demanda l'adhésion au symbole des con-
ciles de Nicée et de Constantinople, fut un rappel des
canons du concile de Florence sur l'union des deux Égli-
ses. La procession du Saint-Esprit ex PatreFilioque était
affirmée. La constitution ajoutait les termes suivants
relatifs au concile de Florence : lllamquc verborum
illorum « Filioque » explicalionem, verilcdis deelarandee
gralia, et imminente tune necessilale, licite ac rationa-
biliter symbolo fuisse appositam. Elle rappelait la
légitimité du pain azyme et du pain fermenté pour la
transsubstantiation du corps du Christ : les prêtres
pouvaient s'en autoriser suivant la coutume de chaque
Église. Grégoire XIII demandait encore la profession
de l'existence du purgatoire, et de la valeur des suf-
frages pour les défunts. Il rappelait enfin la primauté
apostolique du pontificat romain sur toute la catholi-
cité avec une solennité impressionnante. Le dernier
paragraphe publiait le concile de Trente chez les grecs :
c'était l'adhésion complète à toutes ses définitions.
1811
GRÉGOTRE XITT
1812
Denzinger-Bannwart, Enrichidion, Wurzbourg, 1908,
n. 1083-1085.
2° Grégoire XIII et les Décrétâtes. — Un code ecclé-
siastique très ferme était la première institution à
réaliser au lendemain de l'assemblée de Trente. Pie V
avait institué en 1566 une commission composée de
cardinaux et de quinze docteurs pour préparer une
édition officielle du Corpus juris canonici. Cette com-
mission dite des Corrcclores romani s'occupa d'abord
du Décret de Gratien. Procédant ensuite à la récogni-
tion des autres parties du Corpus, elle les expurgea de
toutes les gloses et annotations contraires à la foi catho-
lique. Grégoire XIII, avant d'être pape, avait fait
partie de la commission des Corrcclores. A son avène-
ment, il trouva parfait de continuer le travail de réor-
ganisation juridique; François Pegna et Sixte Fabri
furent ses hommes de confiance. Les travaux terminés,
le pape voulut donner au recueil une teneur immuable
et une valeur officielle. Il ordonna par la bulle Cum pro
munere pastorali d'éditer dans une imprimerie privi-
légiée (in officina populi romani... a catholicis lypo-
graphis) les textes ainsi revisés : Ut hoc jus canonicum,
sic expurgalum, ad omnes ubique Christi fidèles sartum,
lectum perveniat, ac ne cuiquam liceat eidem operi
quicquam addere, vel immulare aul invtrtere, nullave
inlcrprelamcnta adjungere. L'impression fut achevée
en 1582. Elle parut sous ce titre : Dccrctales D. Gre-
gorii IX susc integrilali una cum glossis reslitutœ,
4 in-fol., Rome. Cette édition a formé le fonds commun
de la plupart des publications postérieures portant
communément la mention ad exemplar romanum dili-
genter recognitœ. (Les partes decisœ des Décrétales non
maintenues dans l'édition de Grégoire XIII sont mar-
quées par une croix et imprimées en lettres italiques
dans le Corpus juris de Friedberg,2 in-4°, Leipzig, 1879-
1880.) Elle fut surtout un élément d'ordre à une époque
où les spécialisations introduites dans la curie romaine
nécessitaient une précision dans les droits et pouvoirs
de chacun.
3° La curie romaine. — Grégoire XIII avait, en
effet, voulu doter l'Église d'un état-major de prélats
aussi distingués par la pureté morale que par la com-
pétence doctrinale. Il tint une liste exacte des prêtres
de tous les pays propres à l'épiscopat. Très bien informé
à chaque proposition, il dirigea toujours avec un soin
scrupuleux les nominations. Cf. Ranke, op. cit., t. il,
p. 237. C'est dans ce but d'ailleurs qu'il institua la
S. C. des Évêques. Avec le même esprit de dignité et
de tenue, le pontife établit aussi, en 1572, la S. C. du
Cérémonial. Elle fixa les cérémonies dans les chapelles
papales, les questions de préséances et de formalités,
les costumes et armoiries des ecclésiastiques, le proto-
cole imposé aux représentants des puissances et aux
souverains dans leurs visites au pape. Ailleurs, Gré-
goire XIII ne fit qu'ébaucher; la Propagande lui doit
son origine. Par ordonnance, il avait chargé trois car-
dinaux de la direction des missions d'Orient pour
maintenir les grecs catholiques dans l'unité et tâcher
d'y ramener les schismatiques. Le même décret décidait
l'impression de catéchismes dans les langues les moins
connues. Cf. Ranke, op. cit., t. iv, p. 115, qui cite Coc-
quelines, Prœfatio ad Majjei Annales Grcgorii XIII,
dans Bullarium romanum, Rome, 1754-1758, t. IV,
p. v. Ce fut aussi une idée d'expansion catholique qui
inspira Grégoire quand il maintint la S. C. du Concile
de Trente, instituée par Pie V, en la chargeant de
trancher les cas qui paraîtraient clairs, sauf à déférer
les autres au jugement pontifical. Cf. Vacant, Éludes
théologiques sur les constitutions du concile du Vatican,
Paris, 1895, t. i, p. 445-448. Il semble qu'au milieu de
toutes ces questions théologiques, Grégoire X 1 1 1 ait ap-
porté un soin tout spécial à la liturgie. C'est pour la fixer,
suivant les désirs du concile, qu'il réforma le calendrier.
4° Le calendrier grégorien. — ■ La réforme était
devenue indispensable par suite des décrets des Pères
de Trente qui déplaçaient les grandes fêtes et leurs
rapports avec les saisons de l'année. L'heureuse cor-
rection de Jules César supposait l'année de 365 jours
6 heures ; en réalité, elle n'est que de 365 jours, 5 heures,
18 minutes, 11 secondes. En 400 ans un retard de trois
jours 25 sur l'année astronomique était donc à enre-
gistrer. Depuis la réforme julienne, et « l'année de con-
fusion » (45 avant J.-C), on avait compté dix jours de
trop. Un savant calabrais, d'ailleurs peu connu, Luigi
Lilio, indiqua à Grégoire XIII la méthode la plus
facile pour remédier aux inconvénients résultant des
décrets du concile; toutes les universités, entre autres,
celles d'Espagne, Salamanque et Alcala, donnèrent
leur avis. Une commission centrale, dont les membres
des plus actifs furent l'Allemand Clavius et le cardinal
Sirleto, les rassembla à Rome, où l'on procéda à un
nouvel examen dans un véritable secret. Le nouveau
calendrier ne fut montré à personne, pas même aux
ambassadeurs, avant d'être approuvé par les diffé-
rentes cours. La suppression d'une année bissextile à
chaque siècle, dont le quantième n'est pas divisible
par 4, fit la péréquation de l'astronomie et du comput.
Les 10 jours comptés en trop depuis l'année « julienne
de confusion » furent supprimés. Le concile de Nicée
décréta que le lendemain du 4 octobre 1582 s'appelle-
rait le 15 octobre. En fait, la mort de sainte Thérèse a
marqué une date mémorable. La bulle Inter gravis-
simas du 13 février 1582 publiée solennellement par
Grégoire XIII annonça la réforme à l'univers catho-
lique. Le pape la considérait comme une preuve de la
grâce immense de Dieu envers son Église. Bullarium
de Cocquelines, t. iv, p. 4-10; Magnum bullarium
romanum de Cherubini, t. n, p. 487. Il avait raison.
L'astronomie avait joué son rôle dans les premiers
siècles chrétiens. De l'uniformité de son interprétation
avait dépendu l'unité romaine. Le pape, homme de
droit, ne laissait rien à l'imprévu de ce qu'il pouvait
lui enlever. Il ne se contenta pas d'ailleurs de fixer
ainsi ne varietur les principales fêtes chrétiennes, en
faisant concorder leurs dates avec les grandes époques
de l'année astrale. Il enrichit la liturgie mariale de deux
fêtes nouvelles. En 1573, la fête du très saint Rosaire
(bulle Monel apostolus, Magnum bullarium romanum,
t. n, p. 398), fixée au premier dimanche d'octobre,
rappela le souvenir glorieux de la victoire de Lépante,
en même temps que la puissance de la sainte Vierge
sur la vie de l'Église. Après avoir honoré la fille, Gré-
goire XIII n'oublia pas la mère. En 1584, la bulle
Sancla mater Ecclesia instituait la fête de sainte Anne.
Magnum bullarium romanum, t. n, p. 484.
5° Les collèges, les ordres religieux, et les combinai-
sons politiques. — • Grégoire XIII a su créer, pour la
théologie, les instituts scientifiques, capables de la
défendre. Peu de règnes ont plus fait que le sien pour
l'éducation du clergé. Il n'en est pas qui ait laissé
d'établissements plus durables. En 1572, le Collège
romain, tel qu'on le voit aujourd'hui, était rebâti aux
lieu et place de maisons achetées et de rues fermées
par le pape. « Disposé pour vingt salles dites auditoires,
et pour trois cent soixante petites chambres d'étu-
diants, il fut appelé le séminaire de toutes les nations;
pour indiquer cette pensée qui embrassait le monde
entier, on fit prononcer dès la première fondation
vingt-cinq discours en différentes langues, et chaque
discours eut sa traduction latine. » Cf. Ranke, op. cit.,
t. il, p. 338. Le Collège germanique, menaçant ruines,
fut doté par le pape du palais de Saint-Apollinaire, des
revenus de San Stephano sur le mont Celio et de dix
mille scudi annuels alloués sur la Chambre aposto-
lique. Cf. bulle Postquam Deo placuit de 1574, Ma-
gnum bullarium romanum, t. n, p. 402. Grégoire XIII
1813
GRÉGOIRE XIII
1814
créait par là la pépinière salubre d'où les replants ca-
tholiques allaient bientôt porter racines dans le Saint
Empire. Les Anglais, eux aussi, retrouvèrent leur
collège Saint-Thomas. Bulle Qanniam divinœ de 1579,
Magnum bullarium romanum, t. n, p. 453. Il n'est pas
jusqu'aux grecs qui n'aient eu part aux libéralités
pontificales. Le Collège grec, institué par le pape sur les
conseils de l'évêque de Sitia, groupa des jeunes gens
de treize à seize ans, venus indifféremment des régions
encore soumises à la domination chrétienne comme
Corfou et Candie, ou de Constantinople, de la Morée ou
de Salonique : « On leur donna des professeurs grecs;
ils étaient revêtus de caftans et de bonnets vénitiens ;
on voulait les élever tout à fait à la manière des grecs,
afin qu'ils eussent constamment à la pensée qu'ils
étaient destinés à retourner dans leur patrie. On devait
leur laisser leur rite aussi bien que leur langue et les
instruire dans la foi selon les dogmes du concile dans
lequel l'Église grecque et l'Église latine avaient été
réunies. » Ranke, op. cit., t. il, p. 239; bulle In aposlo-
licas sedis, Magnum bullarium romanum, t. n, p. 438.
Hors de Rome, l'activité de Grégoire XIII fut aussi
féconde; il favorisa partout les collèges religieux : en
Lorraine, il transforma le collège de Pont-à-Mousson en
université, cf. Magnum bullarium romanum, t. n,
p. 520, bulle In supercmincnti de 1572; à Vienne, à
Prague, à Olmùtz, en Autriche et Bohême, à Vilna, en
Lithuanie, à Clausenbourg en Hongrie, et même au
Japon, les efforts de Grégoire XIII ont été réalisateurs.
Partout, d'ailleurs, le pontife avait opéré par la
puissante Compagnie de Jésus, qui sous son règne
compta plus de 5 000 religieux, 110 maisons et 21 pro-
vinces. Nombreuses sont ses bulles qui attestent sa
haute estime pour ses habiles et entreprenants auxi-
liaires. Il sut aussi garder à la Compagnie son caractère
catholique, en empêchant qu'elle fît du généralat un
privilège de la nation espagnole. Depuis 1534, les trois
premiers généraux, Ignace de Loyola, Laynez, Fran-
çois de Borgia, avaient appartenu à cette nation. Le
23 avril 1573, si la majorité des Pères profès ne passa
pas au Père Palanque, originaire de la Péninsule ibé-
rique, mais au Père Mercurian qui fut élu, l'interven-
tion de Grégoire XIII y fut pour quelque chose.
Grégoire XIII fit des jésuites ses pionniers. Le pontife
sut d'ailleurs se garder de tout exclusivisme dans ses
affections. Ses bulles nous le montrent étendant sa
sollicitude à tous les ordres religieux, notamment aux
franciscains et aux trinitaires; on rappellera avec pro-
fit qu'en 1575 il approuva l'institution de l'Oratoire,
société de prêtres unis par la prière pour le travail
intellectuel, sans la pratique d'aucun vœu supplémen-
taire. Cf. Magnum bullarium romanum, t. n, p. 523,
bulle Copiosus. Il leur donnait l'église et la maison
de Sainte-Marie de la Vallicella à Rome. En 1579, il
rétablissait et réorganisait encore l'ordre de Saint-
Basile en Occident. Magnum bullarium romanum, t. il,
p. 464, bulle Benedictus Dominus.
Toutes ces institutions pouvaient échouer par l'op-
position même des différentes confessions réformées.
Dans de nombreux pays, l'hérésie s'était étatisée ou
féodalisée. Il importait au pape, pour maintenir et con-
quérir, de fomenter l'opposition catholique dans les
nations qui, loin de pratiquer la prophylaxie de l'erreur,
l'avaient même intronisée; il devait grouper les souve-
rains amis pour la croisade de l'orthodoxie romaine.
Par cette tactique, la saine théologie pouvait s'im-
planter.
Grégoire XIII avait ses jalons. Élu pape en 1572,
avec l'appui du cardinal Granvelle, il eut recours, pen-
dant toute la durée de son pontificat, à la sympathie
très affective du roi d'Espagne, Philippe II, qui devait
d'ailleurs l'amener à la Ligue française, dès les pre-
miers moments de sa fondation, Le pontife qui avait
célébré la Saint-Barthélémy comme « journée très
joyeuse pour la chrétienté, » sut rappeler aux ligueurs
leur but suprême : pour détruire l'hérésie, ils recevaient
l'indulgence plénière et les bénédictions papales (15 fé-
vrier 1585). C'était détruire leurs scrupules de loya-
lisme envers leur souverain Henri III. Grégoire XIII
connaissait aussi les menées d'Elisabeth d'Angleterre
pour soutenir les calvinistes français. Pour la réduire,
il sut entretenir des révoltes en Irlande. Ses négocia-
tions secrètes avec l'Espagne et les Guise devaient
aboutir un jour à la grande expédition, si malheureuse
d'ailleurs, de l'invincible Armada (1588).
La méthode forte ne lui fut point familière au point
de ne laisser aucune place à la puissance persuasive.
La tentative de restauration du catholicisme en Suède
est là pour le montrer. Au nom de Grégoire XIII, le
Père Possevin, honoré du titre d'ambassadeur extraor-
dinaire de l'Empire, pour lui permettre une entrée plus
facile, partit donc vers le royaume des Wasa (1577). Le
16 mai 1578, Jean III (1568-1592), sur les instances de
sa femme, la catholique polonaise Catherine Jagellon,
abjura secrètement l'hérésie. Pour amener ses sujets
à la religion romaine, il demandait au pape certaines
conditions : célébration de la messe en langue vulgaire,
communion sous les deux espèces, mariage des prêtres,
suppression de l'invocation des saints, des prières pour
les morts et de l'eau bénite; conservation par les
laïques des biens de l'Église dont ils s'étaient emparés.
La dernière clause seule fut ratifiée par Grégoire XIII.
L'Église, comme toujours, sacrifiait ses biens pour
garder l'idée catholique, en ramenant les âmes.
Jean III revint au luthéranisme. Ce fut une souffrance
pour Grégoire XIII; elle n'eut d'égale que celle à lui
donnée par la conscience de l'impossibilité où il fut de
décider Venise et l'Espagne à une croisade contre les
Turcs. Le jubilé de 1575, en groupant autour de l'autel
de la confession plus de trois cent mille pèlerins, mon-
tra au monde que, dans l'Église catholique, le concile
commençait son action.
6° Le pouvoir temporel. — Dans toutes ces conquêtes,
il avait fallu des ressources. Grégoire XIII a contribué
à l'affermissement du pouvoir temporel en montrant
pratiquement toute son utilité pour les réalisations
catholiques contre les ambitions calvinistes et luthé-
riennes. Dans un temps de Mécénat artistique et litté-
raire, il resta fidèle ù sa mission en se faisant le banquier
de toutes les entreprises vitales de l'Église romaine.
Des sommes énormes partirent du Vatican pour les
souverains énergiques qui se firent les champions de
la doctrine traditionnelle. Charles IX reçut 400 000 du-
cats provenant d'une subvention des villes de l'État
romain. L'empereur et les chevaliers de Malte eurent
aussi leur part aux libéralités pontificales. On n'a pas
oublié les collèges construits par Grégoire XIII. L'ap-
pui donné à de nombreux jeunes gens pour faire leurs
études coûta deux millions au pape qui dépensa annuel-
lement 200 000 scudi à des œuvres pies. Cf. Ranke,
op. cit., t. ii, p. 242.
De ce fait, l'administration publique du pontife eut
une importance supérieure. Elle est une preuve de la
capacité de la papauté à diriger les intérêts matériels
confiés à sa charge. Condamnant les emprunts, les alié-
nations et les nouveaux impôts, le pape sut demander
au patrimoine de saint Pierre les ressources qui lui
furent nécessaires. II fit acte de souverain. L'industrie
minière et manufacturière, l'agriculture donnèrent
leur maximum de rendement, sur les terres du pontife
qui sut garder ses monopoles et ses douanes. Bulles
Ex incumbenliœ, Volentes pro nostra de 1577, Magnum
bullarium romanum, t. n, p. 449. Cf. Ranke, op. cit., tu,
p. 183-232. Grégoire XIII, l'homme de droit, n'avait
pas oublié les principes enseignés à Bologne. En sup-
primant les privilèges injustifiés, il fit rappeler par le
181!
GRÉGOIRE XIII - GRÉGOIRE XV
1816
secrétaire de la Chambre, Rudolf Bonfiglivolo, les
droits de suzeraineté de la papauté. Une grande partie
des châteaux et des biens des barons de l'État de
l'Église lut dévolue au pape, les uns par extinction
de la ligne réellement investie, les autres par défaut
de versement du cens hypothéquant les fiefs. Le pape,
sans doute, a été attaqué par Sixte-Quint, son suc-
cesseur, pour avoir mangé une partie des revenus de son
prédécesseur et de son successeur. L'histoire impartiale
croit à l'excellence des mesures proposées par Gré-
goire XIII. Elles furent, c'est vrai, l'occasion d'un bri-
gandage éhonté de la part des féodaux dépossédés.
La vieillesse du pontife, sa trop grande élégance dans la
répression des coupables furent les raisons de son im-
puissance finalement découragée. Mais il faut dire
qu'un rappel à la hiérarchisation territoriale et censi-
taire soustrayait la papauté à la contingence pour lui
donner la régularité des revenus et le prestige respecté
d'une puissance étrangère aux agiotages des aliéna-
tions et des emprunts.
Dans ce domaine encore, Grégoire XIII n'était pas
inférieur à lui-même. Il restait le pape du programme
pesé et réfléchi. Si l'acte aisé et complet a toujours
attesté chez lui la maîtrise de son époque et de son
milieu, c'est qu'au fond l'intelligence et la piété surent
donner au pontife la clairvoyance et le dévouement.
Ce pontificat de treize ans a eu sa très grande efficacité
pour la vie théologique de l'Église. Il constitue une
époque dans la lignée des règnes féconds, réalisateurs
du concile de Trente.
I. Sources. — Magnum biillarium romanuni de Clieru-
bini, Luxembourg, 1742, t. n, p. 387-526, moins complet
que Cocquelines, Bullarium romanum, Rome, 1 754-1 758, 1. 1 v,
p. 1-130; Notice préliminaire des papiers a" État du cardinal
de Granvelle, publiée par Ch. Weiss, 9 in-4°, 1844-1852 (Docu-
ments inédits sur l'histoire de France); Poullet et Piot,
Correspondance du cardinal de Granvelle, Bruxelles, 1878 sq. ;
Gachard, Correspondance de Philippe II sur les affaires des
Pays-Bas, Bruxelles, 1851. Voir la bibliographie de l'article
Baius, t. h, col. 62-63.
II. Ouvrages. — Steiïano Tucci, Oratio in exequiis
Gregorii XIII, Paris, 1585; Ranke, Histoire de la papauté
pendant les XVI' et XVIIe siècles, trad. Haiber, Paris, 1838,
t. il (il cite de nombreux manuscrits contemporains);
Linsenman, Michael Baius, Tubingue, 1867; Ferrari, Il
calendario gregoriano, Borne, 1882; Kaltenbrunner, Die
Polemik iiber die Kalenderreform, Vienne, 1877; vicomte de
Meaux, La Réforme et la politique française en Europe, Paris,
1889; Philippson, Les origines du catholicisme moderne,
Bruxelles, 1884;Crétineau-Joly, Histoire religieuse, politique
et littéraire de la Compagnie de Jésus, 6 vol., Paris, 1844-
1851; Tempesti, Storia délia vila e geste di Sislo V, 1754;
Schimberg, L'éducation morale dans les collèges de la Compa-
gnie de Jésus en France sous l'ancien régime (xvi% xvne
et XVIIIe siècles), Paris, 1913; Maassen, Geschichle der Qucllen
und der Literalur des kanonischen Rechts, Gratz, 1870;
Tardif, Histoire des sources du droit canonique, Paris, 1887.
P. Moncelle.
14. GRÉGOIRE XIV, pape (1591). Nicolas Sfon-
drate, de Milan, appelé cardinal de Crémone, fut élu
après Urbain VII et une vacance de deux mois et sept
jours, le 5 décembre 1590, et couronné dans la fête de
la Conception; il prit le nom de Grégoire XIV. C'était
un homme pieux et charitable, ennemi de l'hérésie; il
soutint la Ligue de son influence et de ses ressources ;
il donna le chapeau rouge aux cardinaux réguliers.
Mais il mourut au bout de dix mois et dix jours le
15 octobre 1591. Son successeur fut Innocent V.
Banke, Die rômische Pàpste, 6e édit., t. Il, p. 147 sq.;
Brosch, Geschichle des Kirchenstaats, 1886, t. i, p. 300 sq.
A. Clerval.
15. GRÉGOIRE XV, pape (9 février 1621-8 juillet
1023). Né à Bologne en 1554, Alexandre Ludovisio était
fils du comte Pompeio. Il passa sa jeunesse à Rome où
il fit ses humanités et sa philosophie au Collège romain,
fondé par Grégoire XIII et dirigé par les Pères de la
Compagnie de Jésus. Revenu dans sa ville natale, l'étu-
diant s'y adonna à la science juridique, qu'il sut maî-
triser assez pour être proclamé lauréat de l'université.
Ses talents furent bientôt utilisés par la Curie romaine,
Grégoire XIII le nomma premier juge au Capitole. Clé-
ment VIII en fit un référendaire de la Signature. Le
même pape le créait dans la suite auditeur de Rote et
l'envoyait à Bénévent en compagnie de Mapheo Barbe-
rino, clerc de la Chambre apostolique et futur pontife
sous le nom d'Urbain VIII. Alexandre Ludovisio sut
dans cette ville apaiser les difficultés entre ministres
pontificaux et royaux napolitains. Cette, vie adminis-
trative avait eu d'autre part sa grande utilité pour lui.
Sur de son expérience, il pouvait dès lors accepter, des
mains de Paul V, le poste important d'archevêque de
Bologne. Il était cardinal en 1616. En 1621, Paul V,
frappé d'apoplexie pendant la procession célébrée à
Rome en l'honneur de la soumission de la Bohême à la
Montagne-Blanche, mourait d'une seconde attaque le
28 janvier. Labbe et Cossart, Sacrosancla concilia.
Paris, 1672, t. xv, col. 1629-1630. Le Sacré-Collège avait
été renouvelé presque en entier pendant ce pontificat
de seize ans, à la longueur duquel on n'était plus fait. Le
neveu du pape, le cardinal Borghèse, tenait dans sa
main la plupart des cardinaux. Il dirigea leur choix sur
l'archevêque de Bologne. Alexandre Ludovisio deve-
nait pape, à soixante-sept ans, par acclamation, sous le
nom de Grégoire XV, le 9 février 1621. « Le nouveau
pape était un homme de petite taille, flegmatique, qui
s'était acquis la réputation d'un négociateur habile et
de savoir parvenir à son but sans bruit et sans éclat;
mais maintenant il était courbé par l'âge, débile et
malade. » Ranke, Histoire de la papauté pendant les
xrie et xnie siècles, trad. Haiber, Paris, 1838, t. iv,
p. 113.
Le pontife eut pourtant une forte carrière. On crai-
gnait qu'une santé éprouvée ne lui permît pas de
dominer les lourds problèmes dont la solution s'impo-
sait alors. Son neveu, Ludovico Ludovisio, un jeune
homme de vingt-cinq ans, suppléa largement à l'im-
puissance physique qui aurait pu paralyser cet esprit
lumineux et ferme dans ses réalisations catholiques.
Très brillant, sympathique à ses amis et à sa famille
qu'il sut ne pas oublier, bon vivant en somme, Ludovico
sut garder en vue les intérêts capitaux de l'Église : « Ses
ennemis même s'accordent à lui reconnaître un véritable
talent pour la direction des affaires, un esprit juste et
droit, trouvant toujours un expédient satisfaisant dans
les complications les plus difficiles, et qui possédait tout
le courage tranquille et nécessaire pour prévoir la proba-
bilité d'un événement dans les ténèbres de l'avenir, et
marcher droit sur cet événement. Si l'infirmité de son
oncle, qui ne promettait pas une longue durée à son
pouvoir, ne l'avait pas maintenu dans de justes bornes,
aucune considération n'aurait été capable d'exercer de
l'influence sur lui. » Cf. Ranke, op. cit., p. 114.
L'avènement de Grégoire XV marquait l'ère des con-
quêtes; premier pape élève des jésuites, il devait par
éducation préconiser l'expansion catholique. Au fait,
depuis quanrante-huit ans déjà, l'Église romaine avait
remis au point son arsenal théologique. Les pontificats
qui avaient englobé le dernier tiers du xvic siècle
avaient su constituer dans le sens du concile de Trente.
Pie V, Grégoire XIII, Sixte-Quint, Clément VIII
avaient largement contribué à la théologie du De reli-
(jione et du De Ecclesia. Deux hommes comme Bellar-
min dans la dialectique et Baronius dans les annales
s'étaient alors faits les marteaux de l'hérésie. Ils démon-
trèrent l'unité, ia sainteté, l'apostolicité, la catholicité
de l'Église romaine dans l'histoire. Au début du
xvne siècle, il fallait faire de ces marques des réalités
présentement continuées. La brillante floraison des
âmes institutrices et réformatrices au lendemain du
1817
GREGOIRE XV
1818
concile créa toute une hagiographie. De 1564 à 1621,
l'unité et l'apostolicité furent jalousement gardées par
la vigilance et la charité pontificales. Grégoire XV
reconquit sur l'hérésie, ou acquit sur le paganisme la
quantité des fidèles nécessaire à la catholicité de
l'Église romaine. A ces fins, il était des plus urgents
de rendre la papauté indiscutable et de maintenir les
élections pontificales dans la stricte observance des
règles établies au xme siècle par Grégoire X; il fallait
aussi fixer les points de discipline encore litigieux, déli-
miter dans sa possibilité de discussion certaine ques-
tion de mariologie, insuffisamment mûre pour la défi-
nition ex cathedra. Grégoire XV suffit à toutes ces
tâches. C'est avec une élégante aisance qu'il les maî-
trisa.
1° Le conclave et la papauté. — Dans les années qui sui-
virent le concile de Trente, l'opinion romaine avait subi
une détente vis-à-vis du conclave et de sa nécessité. Ce
n'était pas à une époque où le rappel de l'Église à un
examen motivé de sa doctrine, de sa morale et de sa
discipline s'était vu imposé à elle par les audaces de
l'hérésie qu'il fallait préconiser une réduction de pru-
dence dans l'élection du souverain pontife. Grégoire XV
le comprit. Deux bulles furent données par lui à ce
sujet. Elles furent la confirmation solennelle du con-
clave. Le 15 novembre 1621, la bulle JEterni Palris
restait générale. Celle du 12 mars 1622, Decet romanum
pontifteem, fut très spéciale. Elle détermina avec une
minutie de précisions très détaillées le mode de scrutin.
Toute échappatoire était désormais impossible. Tout
était prévu pour le cérémonial, la dignité et l'accepta-
tion de l'élection. Les schémas des bulletins furent
même présentés. Bullarium magnum de Cherubini,
Luxembourg, 1742, t. m, p. 444, 454; Cœremoniale con-
tinens rilus electionis romani ponlificis, Gregorii pa-
pse XV jussu editum, Rome, 1621 ; Lavadoro, Relazione
délia corte di Roma, Rome, 1824. Si la valeur des con-
ceptions d'un homme se mesure à la résistance de se:>
œuvres à l'usure des hommes et du temps, Grégoire XV
reste le pontife de la prévoyance expérimentée et aver-
tie. Ses ordonnances ont largement contribué au fait de
la primauté romaine. La force du pape dans la circon-
stance est d'avoir constitué un code électoral qui dure
aujourd'hui. Une copie imprimée du cérémonial du con-
clave est encore remise à chaque cardinal, au moment
de son entrée dans l'enceinte. Voir Conclave, col. 714-
716. En somme, l'élection du souverain pontife n'était
désormais possible que par « scrutin secret » complété
par le second tour dit « d'accession » et à la majorité des
deux tiers des votants, par « compromis », par « quasi-
inspiration ou acclamation ». Le serment, à haute et
intelligible voix, exigé de chaque cardinal au moment
où il place son bulletin de vote dans le calice, est inté-
ressant : Teslor Chrisliun Dominum, qui me judicaturus
est, me eligere quem secundum Deum judico eligi deberc,
et quod idem in accessu prœslabo.
Ces dispositions très fermes, et pourtant suffisam-
ment souples pour éviter la formule trop rigide,
offraient à Grégoire XV de belles garanties de succès
dans le rappel de l'immunité ecclésiastique qu'il allait
émettre devant la chrétienté. Le pape, qui avait su
maintenir la dignité du chef de l'Église, avait une cer-
taine facilité pour réclamer ses droits et ses privilèges.
2° La Congrégation de l'Immunité. — ■ Depuis le
xive siècle, l'immunité ecclésiastique et la souverai-
neté pontificale étaient attaquées en différents pays
de l'Europe, notamment par la République de Venise
et par les gallicans théologiens ou politiques. Pour
répondre à ces attaques, Grégoire XV ne préconisa
d'autre méthode que la saine et féconde division du tra-
vail pratiquée depuis la clôture du concile par Pie V,
Grégoire XIII et Sixte-Quint. Des Congrégations
avaient été fondées pour la création des compétences
calmes, aisées parce qu'expérimentées. Pour résoudre
la question de l'immunité, Grégoire XV institua une
commission spéciale qui prit le nom de « Sacrée Con-
grégation de l'Immunité ecclésiastique. » Créée le
22 juin 1622 par la bulle Inscrutabili diuinœ provi-
dentiœ, elle fut provisoirement unie à la S. C. du Con-
cile. Composée de sept cardinaux et de quatre consul-
teurs, elle eut pour mission de défendre l'immunité et
les privilèges de l'Église. Sa fondation coïncidait avec
le retour à Rome, dans l'entente catholique, de Marc
Antoine de Dominis.
3° Décisions dogmatiques et disciplinaires spéciales.
— Grégoire XV gardait à l'Église romaine son carac-
tère surnaturel et divin. Le magistère ordinaire de
1621 à 1623 suivit avec un soin jaloux les quelques
points qui demandaient encore une précision. En 1622,
le pontife reconnaissait aux frères prêcheurs, par la
bulle Eximii atquc singularis, la faculté de discuter pri-
vatim l'impeccabilité de la Vierge Marie; mais la con-
grégation générale du 24 mai 1622, écartant désor-
mais la discussion publique à ce sujet, n'admettait plus
que l'affirmative. D'ailleurs, Grégoire XV avait déclaré
l'immaculée conception dans sa bulle Sanclissimus Do-
minus noster, également de 1622. Cf. Bullarium magnum
de Cherubini, Luxembourg, 1742, t. ni, p. 478. Le
25 février 1622, une bulle défendit à tous les ecclésias-
tiques et religieux, exempts et non exempts, de prêcher
et de confesser sans la permission et l'approbation de
l'ordinaire. La même année, la bulle Univcrsi dominici
gregis reprenait et accentuait les mesures édictées par
Pie IV contra sacerdoles in confessionibus sacramenta-
libus pœnilentes ad turpia sollicitantes. Bullar. magnum,
t. m, p. 484. La bulle Omnipolenlis Dei de 1623 visait
les sorciers et faiseurs de maléfices, qui, en s'écartant
de la foi, ébranlaient les croyances de leurs frères. Bul-
lar. magn.,t. m, p. 498. En ordonnant la collection de;
décisions de la Rote, le pape constituait un code de
jurisprudence, un véritable arsenal dont la solidité
allait arc-bouter les nombreuses institutions des pon-
tifes précédents pour parfaire la grande œuvre qui, en
réalisant un dogme, restera la gloire de Grégoire XV :
la Propagande.
4° Politique catholique en Europe. — En Europe, la
religion romaine s'était partout relevée dans les vingt
premières années du xvne siècle. Les armes avaient
confirmé la parole persuasive du missionnaire. Dès son
élévation au trône pontifical, Grégoire XV prononça
le mot de l'affirmation : « Nous devons appliquer toutes
nos pensées, dit une de ses premières instructions, à
tirer autant d'avantages que possible de cet heureux
changement et de la situation victorieuse de nos
affaires. » Ranke, Histoire de la papauté pendant les
xvi" et x\iie siècles, trad. Haiber, Paris, 1838, t. iv,
p. 117. Le grand succès du pape fut de maintenir la
paix entre les grandes puissances amies de sa cause. En
composant avec adresse, il sut profiter de l'avènement
de Jacques I" Stuart pour entraîner dans la politique
papale l'Angleterre qui, au cours du siècle précédent,
s'était faite le champion des réformés.
La guerre de Trente ans était commencée depuis
1018. Le 8 novembre 1620, l'électeur palatin Frédéric V,
chef de l'Union évangélique calviniste, avait succombe
sous le nombre à la Montagne-Blanche. La Bohème
était écrasée dans ses prétentions à l'indépendance
religieuse. Le Haut et le Bas-Palatinat furent occupés
par les troupes de la Sainte Ligue, dirigée par Maximi-
lien de Bavière. Grégoire XV n'attendit pas pour mul-
tiplier les conséquences de ces victoires catholiques. En
doublant les subsides payés jusqu'alors à l'empereur
Ferdinand II et en lui promettant en même temps un
présent de 200 000 scudi, il lui demandait de continuel-
le plus promptement possible l'unification religieuse de
ses États héréditaires. La rébellion de ces pays rendait
iSl'l
GRÉGOIRE XV
1820
plus nécessaire une juste sévérité et l'emploi de la
force pour leur faire abandonner leurs impiétés. En
fait, le nonce Charles Caratïa fut inébranlable dans ses
réalisations en Bohème comme en Moravie. Ici les pré-
dicateurs calvinistes et luthériens, là les frères Moraves
furent écartés. Les fidèles eurent le choix entre le culte
catholique et l'exil. En Hongrie, le livre de l'archevêque
Pazmanni, intitulé : Kalauz, avait déjà réalisé une
contre-réforme. Cf. Hodœgus, Igazsagra vezcrlo Ka-
lauz, Presbourg, 1613-1623. Les élites créèrent le mou-
vement, lin fait, pour 1625. le parti catholique autri-
chien dominait dans la diète hongroise.
Grégoire XV ne fut pas moins pressant près de Maxi-
milien de Bavière, le conquérant du Palatinat. Dès
avant la soumission du pays, il lui avait fait demander
par le nonce Montorio à Cologne la bibliothèque d'Hei-
delberg. Tilly la préserva du pillage et ce fut le docteur
Leone Allacci, un des bibliothécaires du Vatican, qui
vint recevoir ces livres et manuscrits de valeur inap-
préciable. Le pape fut enchanté de cette affaire. 11
déclara « qu'elle était un des événements les plus heu-
reux de son pontificat, les plus utiles et les plus hono-
rables pour le Saint-Siège, pour l'Église, les sciences et
même pour le nom bavarois qui devait se réjouir de
voir un butin aussi précieux, éternellement conservé à
Borne, le centre du monde. » Banke, op. cit., t. iv,
p. 128. Mais Grégoire XV, dont l'humanisme élégant
avait encore su confier au Dominiquin l'architecture
des palais apostoliques (1621), considérait dans la cir-
constance trop sérieusement sa charge pour la réduire
à un mécénat littéraire et artistique. La grande affaire
pour lui, pendant que son légat Charles Caraffa, aidé
des infatigables Pères de la Compagnie de Jésus, con-
tinuait à reconquérir les Allemagnes sur l'hérésie, était
de donner à l'empire le statut légal qui devait consacrer
l'influence du catholicisme dans sa politique générale.
Ferdinand II, avant son alliance avec Maximilien de
Bavière, lui avait promis eu cas de succès l'électorat du
Palatinat. Cf. lettre de l'empereur à Balthazar de
Zuniga du 15 octobre 1621, imprimée dans Sattler,
Histoire du Wurtemberg, t. vi, p. 162. Le nombre des
voix protestantes était jusqu'alors égal à celui des
voix catholiques dans la diète électorale. Cette situa-
tion avait empêché que le parti romain y obtînt la majo-
rité. La translation une fois effectuée, Cologne, Mayence
et Trêves devaient s'unir à la Bavière pour infirmer les
décisions de la Saxe et du Brandebourg. Grégoire XV
mena l'affaire avec toute la gravité qu'elle comportait.
Les puissances catholiques restèrent unies grâce à sa
médiation.
Il fallait obtenir avant tout l'assentiment de l'Es-
pagne. Au fait, la conclusion était des plus délicates.
Moins rigoureux que Paul V, son prédécesseur, le pape
avait lui-même rapproché l'Angleterre de la péninsule
pour confirmer le mariage du prince de Galles, fils de
Jacques Ier, avec l'infante d'Espagne, fille de Phi-
lippe III. Les vues du pontife n'étaient pas douteuses.
La lettre au jeune prince Charles est des plus sugges-
tives. Il lui exprime l'espérance « que la vieille semence
de piété chrétienne qui avait autrefois enfanté de si
belles fleurs parmi les rois anglais, germerait à nouveau
en son cœur; en tout cas, puisqu'il songeait à épouser
une princesse catholique, il ne pouvait penser à oppri-
mer l'Église romaine. » Banke, op. cit., t. iv, p. 149. Ce
mariage était une conquête. Mais la translation de l'élec-
torat palatin s'y opposait directement. Frédéric V.
le vaincu de la Montagne-Blanche, était le gendre de
Jacques Irr, roi d Angleterre. 11 fallait donc pour la
papauté se résoudre à perdre la majorité électorale dans
l'empire, si elle voulait obtenir les bonnes grâces de
l'Angleterre. L'Espagne ne pouvait par elle-même
concilier le dilemme. Peut-être même protesterait-elle
contre la première hypothèse, car les négociations ma-
trimoniales étaient déjà largement engagées. En der-
nière analyse, le ménagement de la péninsule s'impo-
sait au plus haut point. Grégoire XV avait engagé Phi-
lippe III à rompre avec les Pays-Bas la trêve de 1609.
La conquête romaine des Provinces-Unies, alors dé-
montrée très possible dans le large coefficient catho-
lique des Néerlandais, s'annonçait par la reprise de la
guerre espagnole contre les États révoltés. Le frère
I lyacinthe, habile capucin envoyé à la cour d'Espagne,
rapporta à celle de Vienne l'acceptation implicite de
sa Majesté catholique. Le nonce Montorio décida les
trois électeurs ecclésiastiques par l'entremise de
Schweikard, l'archevêque de Mayence, d'abord hos-
tile au projet de translation par crainte d'une guerre
nouvelle et par respect des droits du comte palatin de
Neubourg. Le 25 février 1623, l'empereur déférait l'élec-
torat à Maximilien de Bavière, avec réserve, en cas de
mort, des droits des héritiers et agnats du Palatinat.
Le prince bavarois sut à qui il devait son merci : « Votre
Sainteté, écrivait-il au pape, a non seulement favorisé
la réussite de cette affaire, mais elle l'a directement
effectuée par ses exhortations, son autorité, l'activité
de ses démarches; elle doit être attribuée entièrement
à la faveur et à la vigilance de votre Sainteté. » « Ta
lettre, ô mon fils, lui répondit Grégoire XV, a rempli
notre cœur d'un torrent de délices semblables à une
manne céleste; la fille de Sion peut enfin secouer de sa
tète les cendres de deuil et se revêtir d'habits de fête. »
Banke, op. cit., t. iv, p. 134.
Le pape avait encore su faire taire, pour le moment
au moins, le vieil antagonisme franco-autrichien. Dans
son œuvre de restauration romaine, sa première force
était dans l'union des puissances catholiques. La
France devait au ministère De Luynes une ère d'affir-
mation anticalviniste. Dans la plupart des provinces,
dans toutes les classes, le pape avait le plaisir d'enre-
gistrer des retours sensationnels à la vérité. Le 20 oc-
tobre 1622, il avait tenu à reconnaître cette heureuse
cfflorescence en érigeant en métropole l'évêché de
Paris. L'Espagne et l'Autriche avaient vu dans la
révolte de la vallée de la Haute-Adda l'occasion d'y
ménager le territoire de jonction de la branche aînée
et de la branche cadette des Habsbourg pour leurs
efiorts catholiques et impérialistes. La Savoie et Venise,
gênées par un voisinage à tout le moins inopportun,
en avaient référé à Louis XIII, qui dès 1622 décidait
une action commune pour enlever à la maison d'Au-
triche les places et les défilés des Grisons. Grégoire XV
comprit la situation. Il empêcha les hostilités. Son
prestige fut assez fort pour amener Louis XIII et
l'empereur à lui demander l'arbitrage. La Valteline
fut occupée par les troupes papales. Un projet d'in-
dépendance fut élaboré pour elle. Grégoire XV y main-
tenait pourtant le droit de passage pour les Espagnols.
Le pape pouvait dès lors se féliciter; toute l'Europe
avait accepté son pouvoir, à tout le moins son contact.
En fait l'Église romaine, pour 1623, dominait l'hérésie.
Les Indes occidentales et orientales, la Chine, le
Japon, l'Abyssinie, depuis un demi-siècle déjà avaient
entendu la parole évangélique de la bouche des domi-
nicains, des franciscains et des jésuites. Grégoire XV
eut à s'occuper spécialement du pays des Bramines
(Hindoustan). Depuis 1606, le Père Nobili était à
Madaura. Frappé du peu de progrès fait par le christia-
nisme dans une région occupée depuis longtemps par
les Portugais, il avait conclu que le Christ y était
regardé comme le Dieu des parias. Bompant avec la
tactique de ses prédécesseurs, le Père Nobili, dès son
arrivée, se dit appartenir à la plus haute noblesse; il
entra en relation intime avec les Bramines, en adopta
les manières, le vêtement, les pratiques religieuses,
changeant seulement la signification de ces usages.
Dans les églises, il sépara les classes les unes des autres.
1821
GRÉGOIRE XV— GRÉGOIRE XVI
1822
Enfin, les expressions, par lesquelles on avait jus-
qu'alors désigné les doctrines chrétiennes, furent rem-
placées par des tournures plus élégantes et plus relevées
sous le rapport littéraire. Malgré des protestations très
compréhensibles d'ailleurs, Grégoire XV constata les
nombreuses conversions opérées par la méthode du
missionnaire. En 1621, il l'approuva pleinement.
D'ailleurs, la largeur des vues, l'intelligence des situa-
tions difficiles n'exclurent jamais chez lui la plus grande
prudence. Les précautions minutieuses qu'il prit pour
donner à l'Abyssinie un patriarche le montrent bien.
' Ce n'est que devant un dévouement sans bornes de
l'empereur Socinios que le pape nomma, le 19 décembre
1G22, patriarche d'Ethiopie, le docteur Alfonso Mendez.
membre de la Société de Jésus.
5° La Congrégation de la Propagande. — Elle fut
instituée, en 1622, sur les conseils du célèbre et pieux
prédicateur Girolamo da Narni, dont Bellarmin venant
d'écouter un des sermons a fait cet éloge : « Je crois que
des trois souhaits de saint Augustin, il m'en a été ac-
cordé un, celui d'entendre saint Paul. » Rankc, op. cit.,
t. iv, p. 116. Trois bulles pontificales Inscrulabili divinse
providentiee, Romanum deect pontifteem, Cnm inler mul-
tipliées, Magnum bullarium de Cherubini, t. m, p. 472-
475, furent données par Grégoire XV. Ses prédéces-
seurs, Grégoire XIII et Clément VIII, avaient préparé
cette commission, en lui donnant comme champ d'ac-
tion des missions parmi les grecs d'Orient. Il en faisait
une Congrégation régulière, en lui assignant de concert
avec son neveu les premiers fonds nécessaires. Com-
posée de vingt-neuf cardinaux avec deux d'entre eux,
l'un comme préfet, l'autre comme préfet de l'économie,
chargée de la propagation de la foi dans le monde en-
tier, elle exerçait une autorité administrative, judi-
ciaire, coercitive, voire même législative avec le con-
cours papal, dans les pays où la hiérarchie ecclésias-
tique ordinaire était encore à établir ou à rétablir.
Seule compétente en pays de missions, la Propagande
y tenait heu de toutes les autres, la Pénitencerie non
comprise. Elle devait recueillir pour les missions loin-
taines les libéralités des chrétiens charitables et zélés.
Voir Congrégations romaines, col. 1113. La Propa-
gande prospéra dès ses premiers débuts d'une façon
très brillante. Son « collège » devenu le collège urbain,
quand le pape Urbain VIII, en 1627, lui eut fait con-
struire ses magnifiques bâtiments, fut une pépinière
d'apôtres où furent formés à la piété et à la science des
jeunes gens de tous les pays. Son imprimerie poly-
glotte, en reproduisant dans une foule de langues l'Écri-
ture sainte, les livres liturgiques et autres, a rendu d'im-
menses services à la philologie générale.
6° Canonisations et ré/ormes. — Cf. Bullarium de
Cocquelines, t. v, p. 131-137, sainte Thérèse (1622),
bulle Omnipolens sermo Dci, dans Bullarium magnum,
t. m, p. 465, saint Philippe de Néri, saint Pierre d'Al-
cantara, bulle In sede principio, dans Bullarium ma-
gnum, t. m, p. 470. Grégoire XV établit la fête de
saint Joachim (1622). Bulle Aposlolalus officium, ibid.,
t. m, p. 492.
Le 8 juillet 1623, Grégoire XV mourait après un
pontificat de deux années et demie.
I. Sources. — Bullarium magnum de Cherubini, Luxem-
bourg, 1742, t. m, p. 418-517; Bullarium de Cocquelines,
t. v, p. 110-225. Les manuscrits concernant Grégoire XV
sont mentionnés par Ranke, op. cit., t. iv, p. 529-580.
II. Ouvrages. — Ranke, Histoire de la papauté pendant
les XVI* et XYW s tècles, trad. Haiber, Paris, 1838, t. iv,
p. 77-177; Fernandès (Bento), Oralio funebris Gregorii XV,
Lisbonne, 1623-1624; Philippson, Les origines du catho-
licisme moderne, Bruxelles, 1884; vicomte de Meaux, La
Réforme et la politique française en Europe, Paris, 1889;
Bonacina, Tractatus de légitima summi ponlilicis electione
juxtaïsummorum pontiflcum, prxsertim Gregorii XV et
Urbani VIII conslituliones, et de censuris occasione ipsius
electionis a summis ponlificibus ad liane usque diem impo-
sais, in-fol„ Lyon, 1637; Venise, 1638; Passerini, De ele-
ctione canonica, in-fol., Rome, 1661-1693; Camarda, Consti-
tutionum aposlolicarum una cum cxremoniale Gregoriano
de pertinentibus ad lectionem papœ synopsis accurata et
plena, neenon elucidatio omnium fere difficultalum qux
euenire possunl circa pertinenlia ad eleclionem romani pon-
tificis, in-fol., Rieti, 1732-1737; Lucius Lector, Le conclave,
in-8», Paris, 1894; L'élection papale, Paris, 1896; Chrono-
logie des papes et des élections pontificales, Paris, 1897;
J. Crétineau Joly, Histoire religieuse, politique et littéraire
de la Compagnie de Jésus, 6 vol., Paris, 1844-1851 ; Hough,
Hist. of christianilg in India, Londres, 1839; O. Meyer, Die
Propaganda, 2 in-8°, Gcettingue, 1853; Blumhardt, Ver-
such einer Allgemein-Missions- Geschichte der Kirchc Chrisli,
5 vol., Bâle, 1828-1833 (inachevé); \V. Brown, History of the
Propagation of christianitij... since the Reformation, 2° édit.,
3 vol., Edimbourg, 1854; Hahn, Geschichte der kathol.
Missionen, 5 vol., Cologne, 1857-1865.
P. Mon celle,
16. GRÉGOIRE XVI, pape (1831-1846). — I. Avant
son pontificat. IL Pendant son pontificat.
I. Avant son pontificat. — Barthélémy Albert
Capellari, qui devait être pape sous le nom de Gré-
goire XVI, naquit à Bellune (Vénétie) le 18 septem-
bre 1765. A l'âge de dix-huit ans, il entre dans l'ordre
des camaldules au couvent de Saint-Michel de Murano
et prend le nom de Maur. Il fait profession en 1786,
reçoit la prêtrise en 1787 et se fait bientôt remarquer
par ses qualités intellectuelles et ses dispositions mo-
rales. En 1795, il est désigné pour accompagner à
Rome le procureur général de l'ordre. C'est des pre-
mières années de son séjour en la Ville éternelle que
date l'ouvrage qui porte ce titre, si singulièrement
paradoxal à l'époque où il fut composé : Il trionjo
délia Santa Sede e délia Chiesa contra gli assaili dm
nouatori, eombatluti e respinli colle slesse loro armi,
Rome, 1799; 3e édit., Venise, 1832; trad. allemande,
Augsbourg, 1838, 1848. Dédié à Pie VI persécuté et
prisonnier, ce livre était une affirmation tranchante
des doctrines ultramontaines, que l'on opposait aux
maximes gallicanes, un cri d'espérance dans le triomphe
prochain et définitif de l'Église. « Les catholiques, disait
la préface, ne doivent-ils pas apprendre par les faits,
selon l'expression de Chrysostome, qu'il est plus facile
d'éteindre le soleil que de détruire l'Église ? »
Cette publication mit en vue le jeune camaldule; en
1800, il était nommé vicaire abbatial du monastère de
Saint-Grégoire sur le Cœlius, et en 1805 Pie VII con-
firmait, sa nomination d'abbé de ce même monastère.
En 1807, Maur Capellari devenait procureur général de
son ordre. Il n'exerça pas longtemps ces fonctions;
contraint de quitter Rome comme tous les ecclésias-
tiques étrangers aux États romains, après l'enlèvement
de Pie VII, il dut se retirer à Murano, puis à Padoue, et
ne rentra dans son couvent du Cœlius qu'en 1814.
Pie VII le nomma successivement examinateur des
évoques, consultent' du Saint-Office et de plusieurs autres
Congrégations, lui offrit l'évèché de Zante, dans les îles
Ioniennes, puis celui de Tivoli que Capellari refusa
l'un et l'autre. Il était réservé à de plus hautes dignités ;
Léon XII en 1825 le désigne in petto comme cardinal,
et le proclame au consistoire du 13 mars 1826. Préfet
de la Propagande, le cardinal Capellari donne aux
missions catholiques, bien abandonnées depuis la fin
du xviiic siècle, une nouvelle impulsion; il négocie avec
le sultan la nomination d'un métropolitain arménien
catholique, mettant ainsi fin à une situation très dou-
loureuse pour les arméniens unis. Membre de la Congré-
gation des affaires ecclésiastiques extraordinaires, il
eut à négocier le concordat avec les Pays-Bas (1827).
Enfin il eut une part importante dans la rédaction du
bref de Pie VIII aux évèques rhénans sur les mariages
mixtes.
Pie VIII étant mort après un pontificat de quelque:»
182:;
GRÉGOIRE XVI
1824
mois, le conclave s'ouvrit le 14 décembre 1830. Le cardi-
nal Giustiniani, ancien nonce à Madrid, allait triompher
quand l'Espagne signifia l'exclusive contre lui; Gius-
tiniani se mit alors à la tète du parti des zelanli, y rallia
l nalement Albani, chef de la faction opposée, et le
conclave élisait Je 2 février 1831 le cardinal Capellari,
qui déclara prendre le nom de Grégoire XVI en sou-
venir de Grégoire XV, fondateur de la Propagande dont
Capellari avait été préfet.
Cardinal, Maur Capellari était resté religieux dans
la force du terme, très austère, très observateur de la
règle de son ordre, intransigeant pour lui-même et
pour les autres. Plein de droiture, mais avec assez peu
d'ouverture d'esprit, pas du tout d'expérience et une
profonde défiance pour toutes les idées nouvelles, il
portera sur le trône de saint Pierre ces mêmes dispo-
sitions d'esprit qui resteront caractéristiques de son
pontificat. Les difficultés de tout genre ne devaient pas
lui manquer.
If. Pendant son pontificat. — 1° Gouvernement
des Étals pontificaux. -- Depuis que le congrès de
Vienne avait rétabli le pouvoir temporel du Saint-Siège,
les embarras ne faisaient que croître dans les États de
l'Église; sous la pression des sociétés secrètes, de nom-
breuses émeutes avaient éclaté, d'ailleurs sévèrement
répriméss par le gouvernement. Les réformes accomplies
par Léon XII dans l'administration, la justice et les
finances avaient été insuffisantes à calmer le mécon-
tentement profond des sujets du pape surtout dans
la partie nord du . territoire (Légations, Romagnes,
Marches). La révolution française de juillet 1830 fut
le signal dans toute l'Europe d'une vive agitation, les
Etats pontificaux ne pouvaient pas échapper au
contre-coup que cet événement produisait partout.
Le 6 février 1831, au moment où Grégoire XVI
sortait de la cérémonie où lui avaient été conférées la
consécration épiscopaleet la tiare pontificale, il appre-
nait que deux jours auparavant Bologne s'était soulevée,
avait emprisonné le légat, proclamé la déchéance du
pape comme souverain temporel et formé un gouver-
nement provisoire. De Bologne le mouvement s'étendit
très vite aux villes de la Romagne et aux Marches; un
vieux colonel des guerres impériales s'empara d'Ancône
et se prépara à marcher sur Rome. En une semaine les
deux tiers des États pontificaux étaient en pleine
révolution; le cardinal Benvenuti, envoyé comme légat
avec des pouvoirs extraordinaires pour ramener l'ordre
dans les provinces insurgées, est fait prisonnier, conduit
à Bologne, puis à Ancône; des troubles se préparent à
Rome même.
Le cardinal Berne tti. nommé secrétaire d'État, était
décidé à user de la manière forte pour réprimer l'insur-
rection, mais en même temps il aurait voulu que l'État
pontifical se tirât d'affaire lui-même, sans faire appel à
l'intervention étrangère. Il fallut bien cependant y
recourir; incapable de résister par ses seules forces,
Grégoire XVI écrivit à l'empereur d'Autriche Fran-
çois II pour lui demander secours. L'Autriche saisit
avec empressement cette occasion qui lui permettait
d'intervenir plus profondément encore dans les affaires
de fa péninsule. Le 25 février, une forte armée autri-
chienne s'avance sur Bologne, d'où le gouvernement
provisoire s'enfuit, pour se réfugier à Ancône. Pour-
suivis par les Autrichiens, les révoltés enfermés dans
cette place signent avec le cardinal Benvenuti, leur
prisonnier, une capitulation accordant une amnistie
générale. Le 29 mars, l'armée autrichienne entrait
dans Ancône, et le 5 avril Grégoire XVI cassait la con-
vention extorquée à son légal et prenait des mesures
énergiques de répression.
Cette intervention autrichienne fournissait aux
grandes puissances l'occasion <le s'occuper des affaires
pontificales; elles n'y manquèrent pas, et les représen-
tants de l'Angleterre, de l'Autriche, de la France, de la
Prusse et de la Russie se mirent d'accord pour signaler
au pape, dans un Mémorandum du 21 mars 1831, les
principales réformes de nature à supprimer, on l'espé-
rait du moins, les plus graves sujets de mécontente-
ment dans les États de l'Église. On indiquait au pape,
comme mesures à prendre à bref délai : la participation
des laïques à l'administration et à la justice, jusque
là exclusivement réservées aux ecclésiastiques, l'éta-
blissement d'une représentation municipale élue, de
conseils provinciaux assistant le gouverneur, enfin d'une
assemblée des notables ayant surtout des attributions
financières. Un édit du 5 juillet 1831 s'efforça de réaliser
un certain nombre de ces desidemla; en même temps
Bernetti négociait avec l'Autriche l'évacuation com-
plète du territoire pontifical, après avoir obtenu des
puissances qu'elles garantiraient la tranquillité de
l'État romain.
L'évacuation autrichienne était à peine terminée,
que les Romagnols, ne se sentant plus contenus par la
force, commencèrent à réclamer l'application immé-
diate des réformes promises. Bientôt des gardes civiques
s'organisent dans les différentes villes et entrent en
conflit avec les troupes suisses envoyées pour les
désarmer (janvier 1832). II fallut rappeler les Autri-
chiens, qui eurent tôt fait de rétablir l'ordre dans les
Légations et se préparèrent à occuper les Marches. Mais
le gouvernement français, irrité de cette mainmise de
l'Autriche sur la péninsule, se décida brusquement à
faire occuper Ancône (23 février 1832). Les débuts de
l'occupation n'eurent rien d'amical, et il fallut quelque
temps à l'ambassadeur français pour la faire accepter
par le gouvernement pontifical. A toutes les observa-
tions, la France déclara qu'elle resterait à Ancône, tant
que les troupes autrichiennes n'auraient pas évacué le
territoire du Saint-Siège. La double occupation française
et autrichienne ne prit fin que dans les derniers jours
de 1838; dans l'intervalle, en 1836, Grégoire XVI avait
dû sacrifier Bernetti, son secrétaire d'État, aux ran-
cunes de l'Autriche et l'avait remplacé par Lambru-
schini, plus réactionnaire encore que son prédécesseur.
En retirant leurs troupes, les deux puissances catho-
liques avaient de nouveau demandé au pape les
réformes et les améliorations, nécessaires à leur avis
pour le maintien de l'ordre dans l'État pontifical. Mais
rien ne se lit : les réformes réclamées par le Mémoran-
dum de 1831 ne furent jamais sérieusement entreprises.
Grégoire XV f et ses ministres se défiaient trop des
innovations mises à la mode parle libéralisme politique;
l'Autriche, d'autre part, empêchait de tout son pouvoir
des réformes qu'elle ne voulait pas appliquer elle-même
dans ses possessions italiennes. Bref, malgré un certain
nombre de mesures de bonne administration prises par
le pouvoir central, mais mal appliquées par ses repré-
sentants lointains, le mécontentement ne fit que grandir
dans la partie septentrionale des États de l'Église. Vers
la fin de septembre 1845 de nouveaux troubles écla-
tèrent dans les Romagnes ; la sédition fut si générale et si
vive que le courrier qui en apportait la nouvelle à Rome
fut obligé de faire un long détour pour y arriver. La
répression fut sévère; mais la force soutenait seule
l'édifice chancelant de la souveraineté temporelle.
Sans les régiments suisses, le gouvernement pontifical
aurait été culbuté en un clin d'œil ; mais l'entretien de
ces régiments était une charge énorme pour le trésor
pontificat. La situation financière était loin d'être
brillante et les deux emprunts que le gouvernement
pontifical fut obligé de contracter auprès de la maison
Rothschild à des conditions usuraires ne remédièrent
point à la situation obérée du trésor. Bref, quand
Grégoire XVI mourut, il laissait à son successeur une
position singulièrement difficile.
Les événements politiques que nous venons de rap-
1825
GREGOIRE XVI
1826
peler sont importants à signaler. Ils expliquent en partie
l'attitude du pape et de ses conseillers devant les divers
mouvements d'idées plus ou moins apparentés au libé-
ralisme révolutionnaire.
2° Rapports avec les puissances. — Grégoire XVI ren-
contra des difficultés non moins graves dans ses rela-
tions avec les divers gouvernements. La période de
1815 à 1830 avait été une période de bonne harmonie
entre le Saint-Siège et les principales puissances. Le
contre-coup de la révolution de Juillet va amener
dans plusieurs États des troubles civils où l'Église sera
plus ou moins endommagée, et dans d'autres une
réaction absolutiste non moins défavorable au catho-
licisme.
1. Avec le Portugal. — C'est en Portugal que com-
mencèrent les difficultés. La guerre civile vient d'éclater
entre dom Pedro, qui se présente comme le porte-
drapeau des idées libérales, et dom Miguel, proclamé
roi par le parti absolutiste et soutenu par le clergé.
Grégoire XVI s'était efforcé de garder la neutralité
la plus stricte. Ayant eu à régler avec dom Miguel des
affaires de nominations épiscopales, il avait solennel-
lement déclaré par la bulle Sollicitudo ccclesiarum
(5 août 1831) que, « conformément à l'attitude de ses
prédécesseurs, il entendait bien ne point porter un
jugement sur les droits des personnes, au cas où plu-
sieurs prétendants se disputent le pouvoir, par le fait
qu'il entrait en rapport d'affaires pour les Églises d'une
contrée, avec ceux qui y sont de fait en possession de
pouvoir. » Mais quand dom Pedro eut définitivement
vaincu son compétiteur (1833), il fit payer cher au
clergé portugais l'appui qu'il avait prêté à dom Miguel.
Il commença par ordonner au nonce pontifical de
quitter Lisbonne dans les trois jours, supprima la non-
ciature elle-même et établit une commission chargée
de prendre des mesures pour la réforme générale du
clergé. La commission décréta la suppression d'un
grand nombre de couvents, la confiscation de leurs
biens, et le transfert à l'État de tous les anciens droits
de patronage; en même temps était proclamée la
vacance des évêchés pourvus par le Saint-Siège d'accord
avec l'ancien gouvernement. Dans une allocution con-
sistorialc du 30 septembre 1833, Grégoire XVI protesta
contre ces divers attentats aux droits de l'Église,
déclara tous ces décrets nuls et de nul effet, mais ces
protestations n'arrêtèrent pas dom Pedro, et le pape
éleva de nouveau la voix au consistoire du 1er août
1834, menaçant les coupables des peines prévues par
les canons s'ils ne se hâtaient de venir à résipiscence.
Dom Pedro mourut le 24 septembre suivant, et la
reine doua Maria da Gloria, sa fille, continua pendant
quelque temps sa politique. Toutefois on constata
vers 1840 une détente dans les rapports entre le
Portugal et le Saint-Siège; la reine finit par reconnaître
les évêques nommés par dom Miguel et à lever la
défense de recourir à Rome pour obtenir les dispenses.
Les relations diplomatiques furent reprises, et en 1842
le pape envoyait à la reine la rose d'or.
2. Avec l'Espagne. — Les choses se passèrent sensi-
blement de même en Espagne. La mort de Ferdi-
nand VII (1833) fut le signal de la guerre civile entre
les partisans de don Carlos, frère du roi défunt, et ceux
delà régente Marie-Christine gouvernant au nom de sa
fille Isabelle. Don Carlos ayant eu l'appui des conserva-
teurs et du parti religieux, Marie-Christine se tourna
vers les libéraux. Vainqueurs, ces derniers usèrent de
représailles à l'égard de l'Église. Dès 1835, un décret
royal supprimait tous les couvents, à l'exception de
quelques congrégations enseignantes ou vouées aux
missions, et mettait leurs biens à la disposition de
l'État; puis le clergé séculier était lui-même attaqué.
Grégoire XVI ordonna au nonce apostolique de quitter
Madrid, et protesta dans l'allocution consisloriale du
DU f. DE THÉOL. CATHOL.
1er février 1836 contre les lois espagnoles qu'ildéclara
nulles et de nul effet; les relations diplomatiques
furent rompues. Les Cortès modérées de 1839 ayant
rapporté, du moins en partie, les mesures précédem-
ment prises, des négociations furent renouées avec le
Saint-Siège pour la provision des nombreux évêchés
vacants en Espagne. Mais l'arrivée au pouvoir d'Espar-
tero, qui prit la régence en 1840, compromit de nou-
veau ces résultats. Définitivement vainqueur des car-
listes, Espartero aggrava toutes les mesures prises
durant la guerre civile et fit conduire à la frontière le
représentant du Saint-Siège. Dans l'allocution consis-
toriale du 1er mars 1841, Grégoire XVI protesta avec
véhémence contre ces divers attentats, et rappela
soit au gouvernement espagnol, soit aux prêtres qui
avaient osé entrer dans ses vues et prendre en main
l'administration des diocèses vacants, toutes les cen-
sures qu'ils avaient encourues. La chute d'Espartero
(1843) amena une détente dans les relations de l'Espa-
gne avec le Saint-Siège. Proclamée majeure en 1843,
Isabelle II confia le gouvernement à un ministère
conservateur, les relations avec le Saint-Siège s'amé-
liorèrent, les évêques et les prêtres exilés purent
rentrer. En 1845, un ministre plénipotentiaire fut
envoyé à Rome pour conclure un concordat, que
signera Pic IX.
3. Avec la Suisse. — La révolution de 1830 avait
provoqué en Suisse une agitation non moins vive. Aux
conservateurs qui avaient gouverné de 1815 à 1830
succédaient, dans beaucoup de cantons, les radicaux
les plus avancés, qui signalèrent leur arrivée au pou-
voir par des mesures oppressives pour les catholiques.
Le 20 janvier 1834, les délégués des principaux cantons,
réunis à Baden, rédigèrent quatorze articles, inspirés
des articles organiques français, mais qui exagéraient
davantage encore la mainmise du pouvoir civil sur
l'Eglise. Sous prétexte d'assurer l'indépendance reli-
gieuse de la Suisse, les articles de Baden n'allaient à
rien moins qu'à supprimer l'autorité du pape dans ce
pays; en même temps ils prétendaient obliger les
piètres, sous peine d'amende ou de prison, à assister aux
mariages mixtes et à les bénir, décrétaient la suppres-
sion de certaines fêtes, dedivers jeûnes et de l'abstinence
du samedi, réglementaient l'organisation et la direction
des séminaires, instituaient une commission chargée
d'examiner les jeunes clercs avant l'ordination, abo-
lissaient l'exemption des couvents, et les soumet-
taient à la juridiction épiscopale. Grégoire XVI garda
quelque temps le silence, espérant que les articles
resteraient à l'état de projet; mais le canton de Berne
les ayant érigés en loi cantonale, le pape publia le
14 mai 1835 l'encyclique Commissum divinilus. Il y
rappelait les principes relatifs à l'autorité de l'Église,
la doctrine ecclésiastique sur la primauté du pape,
montrait combien leur étaient opposés les articles de
Baden et terminait par une condamnation solennelle :
« Nous condamnons et voulons qu'on tienne pour per-
pétuellement réprouvés et condamnés les susdits
articles, comme contenant des assertions fausses,
téméraires, erronées, attentatoires aux droits du Saint-
Siège, destructrices du gouvernement de l'Église et de
sa divine constitution, soumettant le ministère ecclé-
siastique à la domination séculière, découlant de prin-
cipes déjà condamnés, sentant l'hérésie et schisma-
tiques. » C'est le plus grave réquisitoire qui ait été
prononcé par la papauté contre les doctrines du galli-
canisme d'État. Cette condamnation de Grégoire XVI,
loin d'arrêter les entreprises des radicaux, leur fut une
occasion d'aggraver les mesures de violence contre
l'Église. Mais en même temps elle réveilla les catho-
liques, qui, dans les cantons de Lucerne, Uri, Schwyz,
Unterwalden, Zug, Fribourg et du Valais, finirent par
expulser les radicaux du pouvoir. On sait que cette
VI. - 58
1827
GREGOIRE XVI
1828
agitation devait aboutir à la guerre du Sonderbund
(1817). Grégoire XVI ne vit pas la paix religieuse se
rétablir en Suisse.
4. Avec la Prusse. — Les puissances absolutistes du
Nord ne causaient pas moins de difficultés au pape
que les Étals où se trouvaient aux prises libéraux et
catholiques. La question des mariages mixtes abou-
tissait en Prusse à un conllit aigu entre l'Église et l'É-
tat. La loi prusienne de 1803 avait stipulé que les
enfants issus de mariages mixtes suivraient, dans tous
les cas, la religion de leur père. C'était une grave
atteinte au droit canonique qui ne tolère de tels ma-
riages qu'à la double condition que le conjoint catho-
lique ne sera pas exposé au péril de perversion et que
les deux futurs promettront, avant la célébration du
mariage, de faire élever tous leurs enfants dans la reli-
gion catholique. Après qu'en 1825 la loi prussienne eut
été mise en vigueur dans le pays rhénan, Pie VIII avait
rappelé dans un bref aux ôvêques prussiens, du 25 mars
1830, le déplaisir que causent à l'Église de telles unions,
et, pour mieux inculquer cette idée aux fidèles, avait
interdit aux curés d'honorer par une cérémonie reli-
gieuse de semblables mariages. Le curé prêterait sim-
plement son assistance passive. Grégoire XVI, dans
un bref du 27 mars 1832 aux évoques de Bavière, et
dans une instruction du 12 septembre 1834, complé-
tant le même document, avait insisté à nouveau sur
cette doctrine de l'Église. Il rappelait avec beaucoup
de force que l'indiflérentisme religieux est le plus
ordinaire résultat de la multiplication de semblables
mariages. Enfin il négociait avec la Prusse pour
obtenir que les évêques de cet État pussent appliquer
les prescriptions édictées par Pie VIII.
Mais le gouvernement prussien comptait avec le
servilisme de l'archevêque de Cologne, Spiegel, et de
ses sufïragants, qui s'efforcèrent d'empêcher que les
instructions pontificales fussent connues du clergé
et des fidèles. Il ne fit rien de ce qu'il avait promis au
pape. C'est seulement à la mort de Spiegel (1835),
que l'Allemagne religieuse connut les instructions de
Pie VIII et de Grégoire XVI. Le nouvel archevêque
de Cologne, Clément-Auguste de Droste-Vischering,
rapporta les ordonnances de son prédécesseur et déclara
ne connaître que les instructions de Pie VIII. Le gou-
vernement prussien pensa avoir raison de l'archevêque
par la manière forte. Le 20 novembre 1837, Droste
fut arrêté et conduit dans la forteresse de Minden.
Dans un consistoire public du 10 décembre 1837,
Grégoire XVI protesta contre cette violation des
droits de l'Église, exalta le courage de l'archevêque,
et déclara « d'une manière solennelle et en forme
authentique qu'il condamnait toutes les pratiques
relatives aux mariages mixtes introduites en Prusse
contrairement aux prescriptions de son prédécesseur. »
A cet acte pontifical, le gouvernement prussien répondit
en faisant arrêter l'évêque de Posen, qui fut traduit
devant les tribunaux pour excitation à la révolte et
à la désobéissance aux lois, condamné à six mois de
prison et maintenu en forteresse, sans jugement, à
l'expiration de sa peine (avril 1839). Les allocutions
consistoriales du 13 septembre 1838 et du 8 juillet 1839
s'élèvent avec véhémence contre ces empiétements
du gouvernement prussien contre la juridiction ecclé-
siastique. L'avènement de Frédéric-Guillaume IV
(1840) vint heureusement couper court à ces diffi-
cultés tragiques. L'évêque de Posen put rentrer dans
son diocèse; on donna à l'archevêque de Cologne,
toujours banni de son siège, un coadjuteur qui admi-
nistrerait le diocèse à sa place. Moyennant ce sacrifice,
auquel le pape eut beaucoup de peine à consentir, le roi
accordait la pleine liberté de l'Église de Prusse.
5. Avec la Russie. — La Russie devait être beaucoup
plus lente à entrer dans la voie des accommodements.
Elle comptait, depuis les annexions de 1772, 1793 et
1795, deux catégories bien distinctes de sujets catho-
liques : des latins (polonais et habitants de la Russie
Blanche) et des ruthènes formant depuis le xvic siècle
une Église slave uniate. Le pontificat de Grégoire XVI
verra se dérouler en ce pays de terribles événements
qui aboutirent à la destruction presque complète de
l'Église uniate, et à de rudes persécutions contre
l'Église latine. Depuis son avènement (1825), Nico-
las Ier ne dissimulait pas son désir de ramener à l'or-
thodoxie moscovite les ruthènes unis à Rome; il trouva,
parmi les hauts dignitaires uniates des instruments
tout dévoués à ses desseins. En particulier le métro-
polite Siemazko se chargea de faire aboutir les projets
schismatiques du tzar. Dès 1825, un oukaze interdisait
aux uniates toute correspondance avec Rome, puis des
décrets successifs réorganisèrent l'Église ruthène; elle
serait administrée par un collège grec-uni, sous la sur-
veillance du ministre des cultes, les évêques seraient
nommés par le tzar. En même temps les couvents
étaient en grande partie supprimés, les écoles ecclésias-
tiques et les séminaires fermés, les clercs contraints de
faire leurs études à l'université de Pétersbourg. Puis
des livres liturgiques furent mis en circulation, qui,
sournoisement, prêchaient le schisme. Enfin les évêques
vendus au gouvernement extorquèrent à leurs prêtres
des formulaires d'adhésion à l'Église orthodoxe. En
février 1839, l'œuvre schismatique semblait assez avan-
cée pour qu'on pût lever le masque : les prélats apos-
tats se réunirent et au nom de leurs diocésains déclarè-
rent abolie l'union signée avec l'Église romaine en 1595 ;
ils demandaient au tzar « la permission de rentrer dans
l'Église de leurs pères. » Mais beaucoup d'uniates résis-
taient à ces tentatives schismatiques. N'ayant pas
réussi à les convaincre par le mensonge, on mit en
œuvre la violence; les religieux des deux sexes, les
prêtres fidèles furent enfermés en des monastères or-
thodoxes où les pires traitements leur furent infligés.
L'abbesse Makrana Miezlawska, qui parvint à s'échap-
per, révéla plus tard à Grégoire XVI et à l'Europe les
horreurs qui furent commises. Les populations fidèles
ne furent pas mieux traitées. Cette dure persécution
produisit ses fruits; en 1850 il ne restait plus d'uniates
que dans la Pologne propre.
Mieux protégée contre le schisme par ses rites et sa
langue liturgique, l'Église latine eut néanmoins à subir
les plus rudes persécutions. Dès 1827, une série d'or-
donnances entravent le recrutement du clergé et des
ordres religieux; en même temps le gouvernement
s'elîorce de faire élever à l'épiscopat des personnages
vieillis ou sans caractère. Les griefs religieux des Polo-
nais catholiques expliquent autant que leurs griefs
politiques l'insurrection de 1830-1831. Mais Gré-
goire XVI, trompé par les mensonges du gouvernement
russe, n'en réprouva pas moins l'insurrection dans
l'encyclique Cum primum, adressée le 9 juin 1832 aux
évêques de Pologne. Il ne voulait voir, dans les griefs
religieux invoqués parles insurgés, qu'un prétexte trom
peur, déclarait que c'est un devoir absolu de se sou-
mettre à la puissance légitimement constituée par
Dieu, sauf au cas, où, par hasard, elle commanderait
quelque chose de contraire aux lois de Dieu et de
l'Église. «Les évêques devront de tout leur pouvoir in-
culquer cette doctrine à leurs peuples, et le très coura-
geux empereur, auprès de qui le pape ne manquera pas
d'interposer ses bons offices, recevra toujours avec
bonne grâce les demandes qui lui seront faites en fa-
veur d'une religion à qui il a promis que sa protection
ne ferait jamais défaut. »
Ce document, où se rellètent plus encore les pré-
occupations de Grégoire XVI, souverain temporel, que
son antipathie pour les idées libérales, ne contribua
guère à adoucir les souffrances de la malheureuse
1829
GRÉGOIRE XVI
1830
Église polonaise. Les mesures les plus rigoureuses
furent prises à l'égard des catholiques; les plus larges
amnisties accordées à ceux qui passaient au schisme.
Ne communiquant avec Rome que par l'intermédiaire
et sous le contrôle du gouvernement, les évoques
étaient incapables de renseigner exactement le pape.
C'est seulement en 1839 que la défection de l'Église
uniate commença à ouvrir les yeux du pontife; protes-
tant dans l'allocution consistoriale du 22 novembre
1839 contre la conduite schisniatique des évêques
ruthènes, il flétrit les prélats coupables et ajoute, pres-
que timidement, un mot de regret sur l'attitude du
gouvernement russe. Huit mois auparavant, dans une
lettre adressée au tzar (G avril 1839), il lui avait encore
demandé protection pour les catholiques de son im-
mense empire, et lui avait promis de rappeler une fois
de plus aux fidèles le devoir d'obéissance aux pouvoirs
civils. A partir de 1840, les protestations de Gré-
goire XVI commencent, d'abord par une série de
notes diplomatiques transmises par la secrétairerie
d'État, puis se font jour avec beaucoup de véhémence
dans l'allocution consistoriale du 22 juillet 1842. Elle;
restèrent lettre morte. Lors de la visite que le tzar
Nicolas lui fit à Rome, en 1845, le pape aurait adressé
au tout-puissant empereur de très vifs reproches, qui
l'auraient profondément troublé. Le tzar négocia un
nouveau "concordat, qui ne fut signé qu'en 1847 et qui
d'ailleurs n'améliora pas sensiblement la situation du
catholicisme en Russie.
6. Avec la France. — La France causa moins de
difficultés à Grégoire XVI. Le gouvernement de Louis-
Philippe, d'abord hésitant entre la politique révolu-
tionnaire et antireligieuse et la politique conservatrice,
dut tenir compte du renouveau chrétien qui se mani-
festa à partir de 1835. En 1837, Grégoire XVI pouvait
dire à Montalembert : « Je suis très content de Louis-
Philippe, je voudrais que tous les rois d'Europe lui
ressemblent. » Toutefois, l'agitation créée par les catho-
liques libéraux autour de la liberté d'enseignement
amena quelques légers nuages entre le Saint-Siège et le
gouvernement français. Effrayé de la violence que
prenait la campagne menée contre les jésuites, Gui-
zot voulut obtenir du pape la dissolution de la Com-
pagnie en France. Rossi (le futur ministre de Pie IX),
accrédité comme ambassadeur auprès de Grégoire XVI,
obtint finalement une demi-victoire, qu'il transforma
dans ses dépèches en un succès complet. Le pape,
arrêté par le S. C. des Affaires extraordinaires, avait
refusé de donner aux jésuites français l'ordre de se
disperser; mais le général des jésuites, travaillé par le
secrétaire d'État, se décida finalement à donner à ses
religieux le conseil de disparaître pendant un certain
temps.
En résumé, une période de conflits plus ou moins
violents avec les gouvernements succède à la période
d'accord; dans plusieurs pays le pape dut entrer en
lutte avec les principes du libéralisme révolutionnaire
d'une part, du césaro-papisme d'autre part, d'accord,
malgré leur opposition, pour imposer à l'Église la main-
mise du pouvoir civil.
3° Gouvernement intérieur de l'Église. — 1. Le men-
naisianisme. — La situation créée à Grégoire XVI par
les conflits que nous venons d'énumérer explique une
bonne partie de ses actes doctrinaux, et tout particu-
lièrement son attitude dans l'affaire de Lamennais. Ce
publiciste voit dans la séparation de l'Église et de
l'État le meilleur moyen pour l'Église de retrouver son
indépendance; il accepte, avec toutes leurs consé-
quences, les principes de la Révolution et propose à
l'Église de les utiliser : principe démocratique de la
souveraineté populaire, principe de la liberté person-
nelle sous toutes ses formes : liberté de conscience, de
presse, d'enseignement, d'association. Ces principes.
l'Église doit non seulement s'en servir, mais les reven-
diquer comme la condition la plus favorable de son
action à l'époque moderne. On voit assez comment la
conception mennaisienne est directement opposée à la
thèse classique de l'alliance des deux pouvoirs, ecclésias-
tique et civil, unissant leurs efforts pour promouvoir le
bien spirituel autant que matériel des peuples. Elle tend
à mettre l'Église du côté de la démocratie contre les
pouvoirs absolus, à l'associer aux revendications poli-
tiques et sociales surexcitées par la Révolution, à lui
faire proclamer les droits imprescriptibles de l'individu,
en face de ceux de l'autorité publique. Le plus para-
doxal de toute cette affaire, c'est que Lamennais avait
la confiance absolue que non seulement l'Église ne
condamnerait pas une systématisation si hardie de vues
si nouvelles, mais encore qu'elle la protégerait contre
les attaques qui lui venaient de divers côtés. Le voyage
à Rome qu'il entreprend en décembre 1831 n'est pas
autre chose qu'une mise en demeure au souverain pon-
tife d'approuver formellement son attitude
Rien ne pouvait davantage offenser Grégoire XVI
qu'une pareille démarche. Les idées libérales et démo-
cratiques n'apparaissaient guère au pape que sous la
forme des insurrections qui venaient d'éclater dans ses
États. Le pape se sentait menacé par la Révolution à
laquelle on prétendait lui faire tendre la main et se sou-
tenait seulement par l'appui des gouvernements absolus
qu'on lui demandait de maudire. Tout concourait donc
à faire échouer la démarche de Lamennais, les perma-
nentes exigences de la vérité, comme les intérêts pas-
sagers de la politique, la sagesse supérieure de l'Église
comme les opinions particulières des hommes qui le
représentaient en ce moment. Nous n'avons pas à
raconter ici les diverses phases de l'alîaire Lamennais.
Qu'il suffise de rappeler qu'après avoir essayé de donner
au publiciste français la délicate leçon du silence,
Grégoire XVI se crut obligé, sur l'avis de la S. C. des
Affaires ecclésiastiques extraordinaires, de signaler dans
son encyclique inaugurale du 15 août 1832 les erreurs
principales de la théorie mennaisienne.
L'encyclique Mirari vos est fort loin d'avoir le carac-
tère magistral et la haute tenue des documents con-
sacrés par Pie IX et Léon XIII à cette question du
libéralisme. La première partie, où le souverain pon-
tife se plaint des malheurs des temps et donne aux
évêques quelques conseils appropriés, n'a rien à faire
avec la question mennaisienne. C'est seulement dans
la seconde partie que les idées de Lamennais sont vi-
sées, sans que d'ailleurs le publiciste soit nommé.
« Une des causes les plus fécondes de tous ces malheurs
de l'Église, poursuit le pape, c'est Yindijjérenlisme,
c'est à savoir cette funeste opinion qui professe que
toutes les croyances sont bonnes pour le salut éternel,
à condition que les mœurs soient réglées selon la
justice et l'honnêteté. C'est de cette source corrompue
que dérive l'opinion absurde et erronée d'après la-
quelle il faut affirmer et revendiquer pour n'importe
qui la liberté de conscience. A cette erreur pestilentielle,
la voie est préparée par la liberté d'opinion, pleine et
immodérée, qui progresse au grand détriment de la
société civile et ecclésiastique, et que plusieurs néan-
moins, avec une souveraine impudence, prétendent
mettre au service de la religion. C'est au même but que
tend cette abominable liberté de la presse, qu'on ne
saurait assez exécrer et détester, et que certains pré-
tendent réclamer et promouvoir avec tant d'audace. »
Après avoir rappelé les règles ecclésiastiques sur la
matière, le pape continue : « Ayant appris que cette
liberté impudente de la presse ébranle la fidélité duc
aux princes et allume partout les flambeaux de la rébel-
lion, nous engageons les évêques à rappeler aux peu-
ples la doctrine de l'apôtre sur l'origine du pouvoir, et
l'exemple des premiers chrétiens acceptant sans se
is.:i
GRÉGOIRE XVI
1832
révolter les ordres des empereurs quand ils ne tou-
chaient qu'au temporel. » Grégoire XVI condamnait
ensuite l'idée de la séparation de l'Église cl de l'État;
« il est bien clair, disait-il, que l'union des deux pou-
voirs, qui s'est toujours montrée utile à la société civile
comme à l'ecclésiastique, est partiellement redoutée
par les partisans de cette impudente liberté dont il a
ilé parlé plus haut. » Non moins blâmable est l'alliance
contractée avec les révolutionnaires par certains catho-
liques. Et l'encyclique se termine par une exhortation
adressée aux princes, et qui témoigne chez le pape
d'une confiance robuste dans les bonnes dispositions
des gouvernements de droit divin à l'égard de l'Église;
qu'ils veuillent bien considérer, dit Grégoire XVI, que
le pouvoir leur a été confié non seulement pour régir
le inonde, mais surtout pour secourir l'Église; et qu'ils
soient bien persuadés que c'est vraiment travailler
pour leur tranquillité que travailler pour l'Église.
Tel est ce document mémorable où se synthétisent
pour la première fois les protestations de l'Église
contre ce droit public issu de la Révolution qui fait
prévaloir, plus ou moins vite suivant les divers pays,
la conception de l'État laïque. Il est à peine besoin de
faire remarquer que l'encyclique ne tient nul compte
des contingences, qu'elle se borne à rappeler les prin-
cipes incontestables de l'Église, sans se préoccuper des
questions infiniment délicates que soulève l'application.
C'est ce manque de nuances qui explique les attaques
dont elle a été l'objet, surtout quand l'encyclique
Quanta cura et le Sijllabus de 1864 seront venus renou-
veler les polémiques.
Il ne semble pas, d'ailleurs, que l'encyclique Mirari
vos ait produit, à l'heure où elle parut, une émotion
considérable dans le public religieux et même parmi les
libéraux. Le groupe des catholiques libéraux était
encore trop faible pour que sa condamnation ait pas-
sionné l'opinion publique, et les libéraux révolution-
naires se souciaient trop peu de l'Église et de ses
condamnations pour prendre garde à ce document
ecclésiastique. On sait que Lamennais se soumit, dès
le 8 septembre 1832, à la condamnation portée contre
lui par l'encyclique. Mais cette soumission n'était ni
aussi entière, ni aussi profonde que ce premier acte
aurait pu le faire croire. Les multiples rétractations
qu'on lui demanda au cours de 1833 achevèrent d'exas-
pérer Lamennais, il finit par signer tout ce qu'on vou-
lait, pour obtenir la paix, mais il acheva brusquement
une évolution commencée depuis longtemps déjà. Dès
la fin de 1833, il avait cessé de se considérer comme
prêtre; en avril 1834 il publiait les Paroles d'un croyant,
réquisitoire ardent contre les rois et l'Église qui se fait
leur alliée, apologie farouche de la Révolution. Le
25 juin 1834, l'encyclique Singulari nos condamnait
nominativement Lamennais. « Les Paroles d'un croyant
montraient jusqu'à quel point l'auteur était en oppo-
sition avec la doctrine de l'encyclique précédente sur
la soumission au pouvoir légitime et sur la manière
d'écarter du peuple les conséquences de l'indifférence.
Son livre est un appel à la révolte, à la guerre civile,
.m mépris des magistrats et des lois, le tout présenté
s mis l'invocation initiale de la sainte Trinité et exprimé
dans le style même de l'Écriture. Usant donc de la
plénitude de son pouvoir apostolique, le pape condamne
et réprouve le livre comme contenant des propositions
respectivement fausses, calomnieuses, téméraires, con-
duisant à l'anarchie, contraires à la parole de Dieu,
impies, erronées, déjà condamnées dans les écrits des
vaudois, de Wiclef et de Jean IIuss. » Un dernier
paragraphe condamnait les erreurs philosophiques de
Lamennais dans la question de la certitude et le sys-
lème du sens commun. L'encyclique se terminait par
un dernier appel au prêtre révolté; cet appel suprême
ne devait pas être entendu.
2. Le libéralisme ecclésiastique. — La sévérité de
Grégoire XVI à l'endroit du libéralisme politique se
retrouvera nécessairement dans son attitude à l'endroit
de ce qu'on pourrait appeler le libéralisme ecclésias-
tique. On pourrait désigner sous ce mot tout un mou-
vement qui se manifesta en Suisse et en Allemagne
parmi le clergé et qui préconisa dans la discipline
ecclésiastique les réformes rendues nécessaires, disait-
on, parle nouvel esprit du siècle. Il s'agissait tout parti-
culièrement d'affranchir les Églises nationales de la
suprématie romaine, d'y introduire une sorte de régime
parlementaire par la tenue régulière de synodes où les
ecclésiastiques du second ordre auraient soumis aux dé-
cisions épiscopales les modifications par eux réclamées ;
les laïques eux-mêmes y auraient eu voix consulta-
tive. Les changements disciplinaires proposés n'étaient
pas sans importance; il fallait modifier le régime actuel
de la pénitence et des indulgences, qui favorisait la
paresse du pécheur, supprimer le célibat ecclésiastique
qui aboutit au déshonneur du clergé, et se trouve
contraire à la nature, revenir, sur la question des
honoraires de messe, des fondations, des messes privées,
à une pratique plus conforme à l'idéal des premiers
siècles, supprimer le culte de la Vierge, les pieuses
associations, les prières publiques, etc. On reconnaît ici
toutes les idées développées au fameux synode de
Pistoie en matière de discipline ecclésiastique. Elles
étaient répandues en Suisse par un prêtre du diocèse
de Saint-Gall, Aloyse Fuchs; une association de prêtres
s'était formée en Suisse et dans la province ecclésias-
tique du Rhin-Supérieur, tout spécialement dans le
diocèse de Rottenbourg (Wurtemberg), qui créait une
agitation dans le même sens. En particulier, une confé-
rence s'était tenue à Ofïenbourg, où l'on avait élaboré
le programme complet des réformes. L'évêque de
Saint-Gall en 1833 signale cette situation à Gré-
goire XVI, qui lui répond le 26 juillet de la même
année, approuvant les mesures prises par lui, et annon-
çant qu'il soumet tait à l'examen de théologiens romains
les brochures publiées par Fuchs et ses adhérents. Cet
examen ne traîna pas en longueur; le 17 septembre 1833,
une lettre apostolique condamnait cinq ouvrages expri-
mant les idées synodalistes : Ohne Chrislus hein Heil
jùr Menschheit und Slaal, d'Aloyse Fuchs; Sind Refor-
mai in der katholischen Kirchc nolhwcndig ? procès-
verbal de la conférence d'Offenbourg; Die kalholische
Kirche im xix Jahrhundert und die zeilgemcisse Umge-
slaltung, publiée par Kopp, à Mayence en 1830; Der
Kampf zwischen Pabsthum und Kalholicismus im XV
Jahrhundert. publication datant de 1816, mais réim-
primée à Zurich en 1832; Die Sicile des rômischen
Stuhles gegen dem Geisle des XIX Jahrhunderts, sans
nom d'auteur, Zurich, 1833.
Grégoire XVI réprouvait et condamnait solennel-
lement tous ces livres, comme contenant des propo-
sitions respectivement fausses, téméraires, scanda-
leuses, erronées, injurieuses au Saint-Siège, dérogeant à
ses droits, détruisant le gouvernement ecclésiastique et
la divine constitution de l'Église, favorisant le schisme,
((induisant à l'hérésie, schisinatiques, hérétiques, déjà
condamnées par l'Église dans Luther, Raius, Richer,
Eybel et les membres du synode de Pistoie. Le pape
défendait de lire, retenir, réimprimer ces ouvrages
sous peine de suspense a divinis pour les clercs,
d'excommunication majeure, encourue ipso facto, pour
les laïques,
L'encyclique Quo graviora du 4 octobre 1833, adressée
aux évèques de la province du Rhin-Supérieur, déve-
loppait cette condamnation, et montrait dans l'indil-
férentisme religieux le principe de toutes ces erreurs.
Grégoire XVI eut à soutenir l'évêque de Rayeux
dans sa lutte contre l'illuminé Michel Vintras, se disant
inspiré de Dieu pour préparer l'avènement prochain
183.3
GRÉGOIRE XVI
1834
d'une nouvelle société chrétienne et renouveler l'Église
corrompue. Dans une lettre du 8 novembre 1843, le pape
passe en revue les erreurs étranges du voyant de Tilly-
sur-Seulles, et encourage l'évèque à résister de toutes
ses forces aux entreprises des sectaires fanatisés par
Vintras.
Cinq mois plus tard, dans une lettre à l'archevêque de
Prague du 31 mars 1844, Grégoire XVI condamnait le
mouvement créé en Bohème pour détacher de Rome
les catholiques de ce pays.
3. L' indifférentisme religieux. — On a pu remarquer,
dans les documents qui précèdent, l'insistance du pape
a signaler Yindijférenlismc religieux comme la cause,
avouée ou secrète, des divers mouvements que nous
avons signalés. Il revint à diverses reprises sur cette
difficile question. C'est particulièrement à propos des
mariages mixtes que Grégoire XVI rappelle les principe ;
de l'Église sur la matière. Nous avons signalé déjà les
difficultés que cette question fit naître en Prusse. La
lutte entre libéraux et catholiques en Hongrie à propos
de ces mêmes mariages amena le pape à s'exprimer une,
fois de plus dans une lettre aux évèques hongrois, du
30 avril 1841, à laquelle était jointe une instruction sur
l'application des principes, et dans une lettre aux
évèques d'Autriche et d'Allemagne, datée du 22 mai
suivant. Huit jours avant sa mort, le 23 mai 1846,
Grégoire XVI rappelait encore les mêmes principes à
l'évèque de Fribourg en Suisse.
A plus forte raison le pape regrettait-il tout ce qui sem-
blait accord plus ou moins tacite avec les hérétiques dans
les pays mixtes. Ayant appris que, dans l'arcnidiocèse
de Fribourg-en-Brisgau, des clercs avaient assisté aux
fêtes civiles données lors de l'inauguration d'un temple
protestant, il écrivit à l'archevêque le 30 novembre 1839
une sévère lettre de blâme.
Mais ce qui effrayait surtout Grégoire XVI, c'était
les tentatives de propagande protestante qui se mul-
tipliaient en Italie et dans les États romains eux-
mêmes. La Société biblique de Londres d'une part,
d'autre part une société fondée à New York le 12 juin
1843, sous le nom d'Alliance chrétienne, se donnaient
ouvertement comme tâche de faire pénétrer à Rome,
en même temps que des bibles protestantes, des ou-
vrages destinés à promouvoir les idées de la Réforme.
L'encyclique Inter prœcipuas machinationes du 8 mai
1844, après avoir rappelé les condamnations portées
contre la Société biblique par Pie VI, Léon XII et
Pie VIII, et le décret de l'Index rendu le 7 janvier 1836,
condamne à nouveau ladite société, en même temps
que l'Alliance chrétienne et fait appel aux gouverne-
ments italiens pour empêcher le développement dans
leurs États de la liberté de conscience à laquelle suc-
céderait bien vite la liberté politique. La propagande
protestante n'en continua pas moins. L'île de Malte
parut aux méthodistes anglais un excellent observa-
toire; ils y créèrent un journal religieux VIndicalore
giornale religioso qui causa à Grégoire XVI de vives
alarmes (lettres à l'évèque de Malte du 31 août 1843
et du 26 novembre 1845).
4. L'hermésianisme. — Le rationalisme philosophi-
que et théologique, systématisé en Allemagne par
Hermès, se rattache, jusqu'à un certain point, à l'esprit
de libre examen dont le libéralisme sous toutes ses
formes est une manifestation. Bien qu'il eût fort peu
écrit, le professeur de Bonn avait exercé, dans toute
l'Allemagne et spécialement dans le pays rhénan, une
influence considérable, que sa mort, survenue en 1831,
n'avait pas ruinée. Mais ceux qui, du vivant d'Hermès,
avaient redouté de l'attaquer s'enhardirent et dénon-
cèrent à Rome, en 1833, les doctrines de YEinleiiung
in die chrisl-katholische Théologie, dont les deux parties
avaient paru successivement en 1813 et en 1823. Au
même moment, le plus qualifié des disciples d'Hermès,
Achterfeld, publiait la Christ-katholische Dogmatik,
d'après les papiers du maître (1833).
L'examen des doctrines hermésiennes fut conduit à
Rome avec beaucoup de prudence et de lenteur. Fina-
lement, le Saint-Office déclara en séance plénière et à
l'unanimité qu'Hermès avait erré, qu'il se rencontrait
dans ses écrits bien des choses absurdes ou étrangères
à la doctrine catholique, et qu'il fallait dès lors con-
damner. Après mûr examen du tout et après avoir
entendu le jugement et le conseil des cardinaux inqui-
siteurs, Grégoire XVI lança le 26 septembre 1835 l'en-
cyclique Dum acerbissimas. Elle déclare qu'Hermès
s'est audacieusement écarté de la voie droite, suivie
par la tradition universelle et par les saints Pères dans
l'exposition et la défense des vérités de foi; que, l'ayant
méprisée et condamnée, dans son orgueil, il a imaginé
une route ténébreuse, menant à des erreurs de tout
genre, surtout en faisant du doute positif la base de
toute recherche théologique, et en posant comme
principe que la raison est la règle principale et l'unique
moyen qui permette à l'homme d'acquérir la connais-
sance des vérités surnaturelles. Le pape condamnait
donc les ouvrages publiés du vivant d'Hermès, et
celui qu'Achterfeld avait fait ensuite paraître. îl faisait
sienne la sentence du Saint-Office qui découvrait dans
les ouvrages susdits de multiples erreurs sur la nature
de la foi et la règle des croyances, la sainte Écriture,
la tradition, la révélation et le magistère de l'Église;
sur les motifs de crédibilité, les preuves traditionnelles
de l'existence de Dieu; sur l'essence même de Dieu, sa
sainteté, sa justice, sa liberté, le but que Dieu s'est
proposé dans ses œuvres ad extra; enfin sur la nécessité
de la grâce, sa distribution, la rétribution future, l'état
de nos premiers parents, le péché originel et les forces
de l'homme déchu. Le Saint-Office condamnait donc
ces écrits comme contenant des doctrines et des pro-
positions respectivement fausses, téméraires, cap-
tieuses, conduisant au scepticisme et à l'indifîéren-
tisme, erronées, scandaleuses, injurieuses pour les
écoles catholiques, subversives de la foi divine, sentant
l'hérésie et déjà condamnées par l'Église. Le pape, lui,
de son propre mouvement, condamnait ces livres et
ordonnait de les mettre au catalogue de l'Index.
Les hermésiens ne se tinrent par pour battus. Ils ne
contestaient pas sans doute le caractère condamnable
des propositions visées parle bref; mais ils prétendaient
qu'Hermès, s'il eût vécu, n'aurait jamais reconnu ces
propositions pour siennes. En même temps, ils faisaient
remarquer que la condamnation de Bautain était, au
fond, une approbation d'Hermès, Bautain ayant dû
souscrire le 18 novembre 1835 six propositions concer-
nant le rôle et la puissance de la raison humaine dans
la recherche de la foi. Deux disciples d'Hermès, Braun
et Elvenich, obtinrent du pape la permission de venir
chercher à Rome de plus amples informations sur
l'encyclique de 1835. Dans l'audience qu'il leur accorda,
Grégoire XVI leur dit : « Hermès était un homme de
mœurs pures et je n'ai point le moindre soupçon sur
l'orthodoxie de sa personne, mais il se pourrait que
dans ses livres il ne se soit pas toujours exprimé correc-
tement, ce qui en théologie est absolument nécessaire. »
Et comme l'un des interlocuteurs faisait allusion au
cas de Bautain : « Vous avez tort, reprit le pape, d'en
appeler à l'écrit que j'ai envoyé à l'évèque de Stras-
bourg... Ils errent tous les deux : ceux qui donnent
tout à la foi et ne laissent rien à la raison, aussi bien
que ceux qui attribuent tout à la raison et ne laissent
rien à la foi... Je pense, ajouta le pape, pour conclure
l'entretien, que vous n'êtes pas venus à Rome pour
enseigner, mais pour être enseignés. » Les deux her-
mésiens comprirent au bout de quelques mois que
leur séjour à Rome était sans objet. Ils rentrèrent en
Allemagne; la querelle hermésienne n'était d'ailleurs
1835
GREGOIRE XVI
GRÉGOIRE (SAINT)
is;;(i
pas près de Unir, elle préoccupera souvent encore
Grégoire XVI. se mêlera, en 1837 et les années suivantes,
à l'affaire des mariages mixtes et reprendra de plus
belle a l'avènement de Pie IX en 1846. C'est le concile
du Vatican qui résoudra définitivement le problème
difficile des relations entre la foi et la raison.
5. L'immaculée conception. — L'action de Gré-
goire XVI nous a paru jusqu'à présent surtout négative ;
il convient pourtant de mentionner à son actif le pro-
grès qu'il fit faire à la doctrine de l'immaculée concep-
tion de Marie. De nombreuses demandes lui furent
adressées au cours de son pontificat afin qu'il définît
et proclamât ce dogme; il ne voulut pas aller si loin,
mais encouragea de tout son pouvoir la doctrine en
question et sa manifestation liturgique. En 1834, Gré-
goire XVI accorda à l'archevêque de Séville la faveur
d'ajouter à la préface de la messe de la Conception : et
te in conceptione immaculala B. M. V. La même faveur
fut bientôt accordée aux Églises de France, d'Angle-
terre, d'Allemagne, d'Amérique; le pape lui-même
usa de cette formule et ordonna qu'elle fût employée,
dans la chapelle Sixtine, par le cardinal officiant en sa
présence. En 1843, il accorda à l'ordre de saint Domi-
nique, sur la demande de son général, de célébrer la
fête de la Conception avec octave solennelle et d'ajouter
le mot immaculala à la préface. C'est encore sous son
pontificat que l'on commença en divers endroits, avec
son autorisation, à ajouter aux litanies de Lorette
l'invocation : Regina sine labe originali concepta.
Notons enfin que Grégoire XVI inscrivit au rang
des saints, le 26 mai 1839, les bienheureux Alphonse
de Liguori, Pacifique de San Severino, Joseph de la
Croix, François de Hieronimo, et la bienheureuse
Véronique de Julianis.
G. Missions catholiques. — Mais le plus beau titre
de gloire de Grégoire XVI, c'est incontestablement
d'avoir donné aux missions catholiques, fort négligées
depuis la fin du xvme siècle, une vigoureuse impulsion.
Préfet de la Propagande sous Léon XII, Maur Capel-
lari avait attiré sur ce point si important l'attention
du pontife; devenu pape, il y consacra tous ses efforts.
C'est lui qui a vraiment commencé le mouvement
d'expansion catholique dans le monde qui est caracté-
ristique du xixe siècle. Les difficultés, d'ailleurs, ne
lui manquèrent pas. La plus grave lui vint de la part
de l'archevêque de Goa, qui, soutenu par le gouverne-
ment de Portugal, prétendait conserver sur toutes
les Indes, nonobstant les nombreux changements poli-
tiques survenus, la juridiction qui lui avait été autre-
fois accordée. A plusieurs reprises, le clergé portugais
de ces régions refusa de reconnaître l'autorité des
vicaires apostoliques nommés par Grégoire XVI; il y
eut même des schismes dans plusieurs églises. En
même temps qu'il se heurtait à la mauvaise volonté
des Portugais, Grégoire XVI voyait la persécution
sanglante décimer, d'une manière épouvantable, les
missions de l'empire d'Annam. De 1833 à 1839, quatre
vicaires apostoliques, neuf missionnaires, vingt piètres
indigènes et un grand nombre de chrétiens périrent;
la persécution de 1842 fit des milliers de victimes
parmi les chrétiens indigènes. Grégoire XVI à plusieurs
reprises éleva la voix pour glorifier ces martyrs.
Au même ordre d'dées se rattache la condamnation
solennelle que le pape porta le 3 décembre 1839 contre
le trafic des esclaves. Unissant ses efforts à ceux des
nations civilisées, Grégoire XVI déclarait, dans la
lettre In supremo aposlolalus /asligio, que la traite des
nègres, telle qu'elle se pratiquait encore sur une vaste
échelle, était chose tout à fait indigne du nom chrétien,
et qu'il la réprouvait de son autorité apostolique. En
vertu de cette même autorité, il défendait stricte-
ment à tout fidèle, ecclésiastique ou laïque, de sou-
tenir la licéité de ce commerce des nègres, sous quel-
que prétexte que ce fût. Il paraît que cette prohibition
n'était pas inutile, et qu'on avait pu lire peu de temps
auparavant dans des feuilles catholiques des apologies
plus ou moins déguisées et rétribuées de cet infâme
commerce.
Grégoire XVI mourut le ltr juin 1816, après une
très courte maladie, à l'âge de quatre-vingt-un ans; il
avait régné quinze ans et quatre mois.
I. Documents officiels. — Ils sont loin d'être complè-
tement réunis. La Bullarii romani continuatio, Rome, ÎSÔT,
t. xix, s'arrête au 10 janvier 1835; le fasc. 1 du t. xx. au
2C septembre 1835. La Colleclio lacensis donne les divers
conciles tenus sous le pontificat, et les lettres apostoliques s'y
rapportant. Le Jus pontificium de Propaganda fide, Rome,
1393, t. v, et le Bidlarium pontificium S. C. de Propagamla
fide, Rome, 1811, t. v, donnent les textes relatifs aux mis-
sions. A. M. Bernasconi a essayé de réunir les actes officiels
de Grégoire XVI, Acta Gregorii papœ XVI, scilicet consti-
tutiones, bullœ, litlerx apostolicœ, epistohe, 4 vol., Rome,
1901-1904. Ce travail fait peu d'honneur à l'entrepreneur;
des pièces importantes sont omises, les dates sont souvent
fausses, l'orthographe des mots allemands illisible.
II. Mémoires. — ■ Wiseman, Recollcciions of the last four
popes, Londres, 1898; Bunsen, Mcmoir, Londres, 18GS;
Guizot, Mémoires, t. vu.
III. Travaux. — Maynard, J. Crélineau-Joly, Paris,
1875 (Crétineau-Joly a été l'intime confident du pape dans
ses dernières années); Sylvain, Grégoire XVI et son ponti-
ficat, Lille, 1890; von lielfert, 1895; Contemporains, 1890,
n. 351; Kirchenlexikon, t. v, p. 1148-1156.
E. Amann.
17. GRÉGOIRE (Saint), appelé, en raison de
son rôle, Grégoire l'Illuminateur, l'apôtre et le premier
évêque de l'Arménie, appartenait à l'une des plus
nobles familles du royaume. Élevé chrétiennement
en Cappadoce, où il recevra plus tard la consécration
épiscopale à Césarée, il convertit le roi Tiridate, et
s'employa ensuite avec un zèle infatigable à instruire
ses compatriotes, à les baptiser et à fonder des églises.
Il mourut vers l'an 332, après une carrière longue,
active et traversée d'orages. Voir t. i, col. 1893. Le
pape Grégoire XVI, par un bref du 1er septembre 1837,
a inscrit le nom de l'Illuminateur au martyrologe
romain et a fixé sa fête au 1er octobre. Les Arméniens
modernes vénèrent, comme une relique littéraire de
l'Illuminateur, un recueil d'homélies et de lettres,
contenant 23 morceaux, et imprimé en arménien, à
Constantinople en 1737 et à Venise en 1838 Le recueil,
néanmoins, est d'une authenticité douteus?; tandis
que F. Nève, L'Arménie chrétienne et sa littérature,
Louvain, 1886, p. 250 sq., lient ces homélies pour
authentiques, P. Vetter, dans Nirschl, Lehrbuch der
Patrologie und Palristik, 18S5, t. m, p. 219-222, en
relègue la composition dans la première moitié du
ve siècle et l'attribue à saint Mesrop. Voir 1. 1, col. 1934.
Une histoire de la vie et des travaux de l'Illuminateur
et de l'introduction du christianisme en Arménie
sous le règne de Tiridate porte le nom d'un certain
j Agathange, que les Arméniens ont toujours honoré
comme le premier historien de leur nation. Il existe
un texte arménien et un texte grec du livre; le premier
intitulé : Histoire du grand Terdal et de la prédication
de saint Grégoire l'Illuminateur; le second : Martyre
de saint Grégoire. Le texte arménien a paru à Constan-
tinople en 1709 et en 1824, à Venise en 1855 et en
1862; on en trouve la traduction française, hormis
les passages de pure édification, dans Langlois,
Collection des historiens anciens et modernes de
l'Arménie, Paris, 1867, t. i, p. 97-193. Le texte grec
a été publié, d'après un manuscrit de Florence, par
J. Stilting dans les Acta sanctorum de septembre,
Anvers, 1762, t. vm, p. 320-402. Ce texte arménien
ne fut rédigé que dans la première moitié du ve siècle
sur un original grec aujourd'hui perdu, et, au vne siècle,
cette rédaction arménienne fut retraduite en grec
1837
GRÉGOIRE (SAINT)
GRÉGOIRE DE LYON
1838
par un Arménien. Le Martyre de saint Grégoire
devient, au x° siècle, les Acta S. Gregorii Armeni
de Siméon Métaphraste, P. G., t. cxv, col. 943-990;
il a fourni aussi le fond d'une Vie latine de l'Ulumi-
nateur, qui semble du ixe siècle, insérée dans les
Acta sanctorum de septembre, t. vin, p. 402-413.
L'auteur original, qui prend lui-même le nom d'Aga-
thange, sans doute parce qu'il apporte la bonne
nouvelle de l'évangélisation de son pays, prétend être
le propre secrétaire du roi Tiridate. Mais, visiblement,
nous sommes en présence d'un faux littéraire. 11 y a
toutefois, à côté de légendes incroyables et de bévues
énormes, des récits vraiment historiques, dignes de
foi. Voir t. i, col. 558-559, 1934.
Kraus, Histoire de l'Église, nouv. édit. franc., Paris, 1904,
t. i, p. 443; Bardenhewer, Les Pères de l'Église, nouv.
édit. franc., Paris, 1905, t. in, p. 98 sq.; H. Gelzcr, Die
Anfùnge der armenischen Kirche, dans les comptes rendus
de l'Académie royale de Saxe, 1895, t. xlvii, p. 109;
Thumaian, Agathangelos et la doctrine de l'Église armé-
nienne au Ve siècle, Lausanne, 1879.
P. Godet.
18. GRÉGOIRE D'AGRBGENTE(Saint)estnéen Si
cile vers 559. Dans sa jeunesse, il passa en Afrique, puis
à Jérusalem, dont l'évèque l'ordonna diacre à l'âge de
vingt ans. Après avoirvisité les monastères de Palestine,
il se rendit à Antioche et à Constantinople, puis vint a
Rome en 589; l'année suivante, il fut choisi comme
évêque de Girgenti, sur la côte méridionale de la Sicile.
Bientôt accusé par ses ennemis, il fut mis en prison;
mais saint Grégoire le Grand revisa sa cause, lui rendit
la liberté et le combla de bienfaits. Il mourut vers 630.
Nous avons sous son nom un vaste commentaire en
grec de l'Ecclésiaste, P. G., t. xcvm, col. 741-1182. Un
de ses jeunes contemporains, « Léonce, prêtre, moine
et supérieur du couvent de Saint-Sabas à Rome, » ainsi
qu'il se désigne lui-même, nous a laissé une biographie
grecque de saint Grégoire d'Agrigente que le jésuite
Cajetan a publiée en partie, Vilee sanctorum Siculorum,
Païenne, 1657, et qui est en entier, P. G., t. xcvm,
col. 549-716.
Smith et Wace, A dictionary o/ Christian biography,
t. n, p. 776-777; Bardenhewer, Les Pères de l'Église, nouv.
édit. franc., Paris, 1905, t. m, p. 53 sq. ; Kireheirfexikon,
t. vu, col. 1824; Hurtcr, Nomenclator, 1903, t. i, col. 576;
P. L., t. xcvm, col. 1181-1228.
P. Godet.
19. GRÉGOIRE DATHÉVATZI naquit à Vaïotz-
tzor en 1340. Consacré dès son enfance à la vie monas-
tique sous la direction du grand vartabed (docteur)
Jean Orodnétzi, il se signala bientôt comme orateur
et lui succéda après sa mort au couvent d'Abragouni.
Les troubles qui furent la conséquence des invasions
de Tamerlan (Timour-leng) l'obligèrent à quitter
bientôt le couvent et à mener une vie errante : il
trouva enfin un asile au couvent de Dathèvc (ou
Sdathève) dont il prit le nom. Il mourut en 1411,
âgé de 71 ans. Dathévatzi fut un des plus grands
représentants du parti opposé aux /rares unileurs,
voir 1. 1, col. 1904, qui, croyait-on, latinisaient la langue,
le rituel et reprochaient à l'Église arménienne d'être
hérétique. Par esprit de patriotisme il combattit
dans ses écrits cette tendance, ce qui lui inspira cette
polémique ardente que nous rencontrons souvent
dans ses ouvrages, dont les principaux sont: Livre des
questions (Kirk harlzmanlz), divisé en dix chapitres,
dont les trois premiers traitent des hérésies; les autres,
des créatures en général, de l'homme, de l'incarnation,
du monde et du jugement dernier: c'est à la fois une
réfutation et un commentaire théologique, Constan-
tinople, 1729; Livre des sermons (Kirk Karozoutiantz)
en deux volumes intitulés Amar (Été), Tzemère (Hiver) :
c'est au fond l'apologie de toute la doctrine de l'Église
arménienne; le t. n 'Tzemère), Constantinople. 10 jan-
vier 1710; t. i (Amar), ibid., 25 février 1741; un
Manuel de théologie dogmatique (Osképorigh), (Con-
stantinople probablement); une Explication de l'intro-
duction de Porphyre, Madras, 21 mars 1793; Partie
du rituel (Kirk Kavazan dalo), traitant de l'ordination
des vartabeds (docteurs), Constantinople, 1752.
Zarpanalian, Histoire de la littérature arménienne, part. II,
2" édit., Venise, 1905, p. 177-184; Tchamtchian, Histoire
de l'Arménie, Venise, 1786, t. ni, p. 450, 455; Arévelk
(journal quotidien), 1896, n. 3619; Iéghéghétzi hafastanialz
(revue), 1888, p. 152; sur la croyance de Dathévatzi, voir
Katerdjian, Symbole, p. 39-12; Ghazighian, Nouvelle biblio-
graphie arménienne et encyclopédie de la vie arminienne
de 1512 à 1905, Venise, 1909, p. 501-507.
L. M. Atdjian.
20. GRÉGOIRE D'ELVSRE ou LE BÉTOQUE
(Saint), évêque d'Etvire en Espagne, prés de Grenade,
se fait après 357 l'écho de saint Hilaire de Poitiers
contre Osius de Cordoue, après le concile d'Alexandrie
(362) s'oppose avec Lucifer de Cagliari à toute ten-
tative de conciliation avec les partisans modérés de
l'arianisme. devient après la mort de Lucifer (370-
371) le chef des rigoristes ou lucifériens. Les deux
prêtres lucifériens, Faustin et Marcellin, dans leur
Libcllus precum, adressé aux empereurs (383), font
son apologie, en même temps qu'ils accusent Osius.
II vivait encore (392), lorsque saint Jérôme écrivait
de lui dans son De viris illuslribus, 105 : Gregorius,
Bœticus, Eliberi episcopus, usque ad exlrcmam sene-
clulem diversos mediocri sermone traclalus composuit
et « De flde » eleganlem librum. Hodieque superessc
dicilnr. Son traité De fide a été longtemps attribué à
saint Phébade, évêque d'Agen. Dom Morin et dom Wil-
mart l'ont revendiqué pour Grégoire d'Elvire, tandis
que l'abbé Durengues soutient l'attribution à saint
Phébade. Dom Morin reconnaît une œuvre de Grégoire
d'Elvire dans les Traclalus Origcnis de libris sacrarum
Scripturarum, publiés pour la première fois par
Mgr Batiffol en 1900 et attribués ensuite à Novatien
ou à un novatien du ive siècle. M. Tixeront a donné
un court aperçu de leur doctrine à propos de Novatien.
Histoire des dogmes. I. La théologie anténicéenne, Paris,
1905, p. 357-362. Dom Wilmart a découvert aussi un
ouvrage de Grégoire d'Elvire dans les Traclalus in
Canlicis canlicorum insérés par Gotthold Heine dans
sa Bibliolheca anecdolorum, Leipzig, 1848.
P. L., t. xx, col. 31-65; Heine, Bibliolheca anecdolorum
seu veterum monumentorum ccclesiasticorum collectio novis-
sima, in-8°, Leipzig, 1848; dom Morin, Les nouveaux
« Tractatus Origenis » et l'héritage littéraire de l'évèque espa-
gnol Grégoire d'Illiberis, dans la Revue d'histoire et de
littérature religieuse*, 1900, p. 145-161; Ehrhard, Die
altchristliche Literalur, 1900, t. n, p. 328-332; dom Wilmart,
Les « Tractaclus « sur le Cantique attribués à Grégoire d'Elvire,
dans le Bulletin de littérature ecclésiastique, 1908, p. 233-214 ;
Lejay, L'héritage de Grégoire d'Elvire, dans la Revue
bénédictine, 1908, p. 435-457; dom Morin, L'attribution
du « De fuie » à Grégoire d'Elvire, ibid., 1902, p. 229-235;
Durengues, La question du « De fide », in-8°, Agen, 1909;
Bardenhewer, Geschichte der allkirchlichen Literalur, t. ni)
p. 396-401 ; Tixeront, Histoire des dogmes. II. De saint Alha-
nase à saint Augustin, Paris, 1909, p. 258, note 1.
J. Besse.
21. GRÉGOIRE DE LYON, frère mineur capucin,
mort dans sa ville natale le 18 mars 1706, avait été
maître des novices. C'est tout ce que nous savons de
lui; il mérite cependant une mention pour un petit
livre qu'il publiait en 1688, croyons-nous, et dont voici
le titre d'après la 5° édition : Le nouveau catéchisme
Ihéologiquc, qui donne brièvement et d'une manière par-
ticulière les définitions, et l'explication des principales
difficultés dont on traite en théologie. Ouvrage très utile
non seulement à ceux qui servent aux autels, et qui
s'exercent aux fondions de l'Église, mais encore à toutes
1839
GRÉGOIRE DE LYON
GRÉGOIRE DE NAZIANZE
1840
sortes de personnes, curieuses de sçavoir les vérités de
nôtre religion, in-12, Lyon, 169G; ibid., 1698 et 1704.
Bernard de Bologne, Bibliotheca scriptorum ord. min.
capuccinorum, Venise, 1717; Obiluaire des capucins de
Lyon, dans le Bulletin historique du diocèse de Lyon, Lyon,
1900, t. i, p. 165.
P. Edouard d'Alençon.
22. GRÉGOIRE DE NAPLES était docteur in
ulroque et chanoine de la métropole de Saint- Janvier,
quand il prit l'habit religieux chez les frères mineurs
capucins, en 1576. Par esprit de pénitence il ne portail
pas même de sandales, ce qui le fit nommer le Scalzo.
Sa compétence théologique était si bien reconnue que
l'archevêque de Naples l'avait mis au nombre des
reviseurs des ouvrages qui s'imprimaient dans cette
ville; il était également versé dans la connaissance de la
théologie mystique, donl il a laissé un traité manuscrit.
Après une vie édifiante le P. Grégoire mourut dans sa
patrie le 26 octobre 1601. On a de lui : Enchiridion sive.
prœparalio quœ pertinct ad sacramentum pivnitenlice cl
ordinis sacri. Edita a quodam religioso viro, et tandem
ti/pis calcographis tradita,... ecclesiasticis omnibus ac
u. j. docloribus maxime ulilis ac necessaria, in-8°, Naples,
1585. Comme il avait laissé imprimer le livre sans y
mettre son nom, le P. Grégoire fut réprimandé et mis
en pénitence, aussi la seconde édition portait le nom
de l'auteur, in-8°, Venise, 1588. Il publia ensuite,
comme seconde partie de Y Enchiridion, une exposition
de la double règle franciscaine des frères mineurs et
des clarisses, dont il montrait le même esprit, sous le
titre de Regola unica del serafico S. Franccsco, con la
dichiaralione fatta da diversi sommi pontefici : E la
Regola délia beata verg. S. Chiara con l'esposilione del-
l'una, e dell' altra, con sedici Avertimenti per i morienli, e
altri devoti discorsi, in-8°, Venise, 1589. Les seize aver-
tissements pour les mourants furent réimprimés en
1595 et en 1617, à la suite du Ricordo del ben morire du
dominicain Barthélémy de Angelo, puis séparément,
avec des additions à Venise, 1600 et 1606. Enfin le
P. Grégoire donna une troisième partie de son Enchiri-
dion, qu'il intitulait : Epilome di privilegii cstralto
dal Compendio di privilegii délia rcligione di S. Fran ■
cesco, in-8°, Naples, 1594. Cet abrégé, qui avait été
revu par D. Ferdinand Romeo de Naples, est un extrait
du Compendium privilegiorum jratrum minorum et alio-
rum mendicanlium, du franciscain Alphonse da Casa-
rubios (voir t. Il, col. 1821), dont son confrère le
P. Jérôme de Sorbo, avec lequel il collaborait, pré-
parait une nouvelle édition. La bibliothèque nationale
de Naples conserve parmi ses manuscrits (VII. E. 49)
une Istruttione mystica del P. Gregorio da Napoli, dont
un petit traité : Meditationi sopra scltc virlu di Crislo
Signor nostro per imilarli, a été édité à Sant' Agnello
près Sorrente, 1887. Il avait aussi, peut-être avant son
entrée en religion, classé les archives du chapitre de
Naples et dans sa famille religieuse il recueillit des
mémoires, aujourd'hui perdus, sur la fondation des
couvents de la province de Naples.
Bernard de Bologne, Biblioliieca scriptorum ord. min.
capuccinorum, Venise, 1747; Apollinaire de Valence, Biblio-
theca /r. min. cap. provinciœ Neapolitance, Naples, 1886.
P. Edouard d'Alençon.
23. GRÉGOIRE DE NAZIANZE (Saint). — I. Vie.
II. Ouvrages. III. Doctrine.
I. Vie. — Esprit de haute culture, brillant et gra-
cieux; âme douce et tendre, mal armée, faute peut-
être de sens pratique, pour soutenir les luttes dans
lesquelles le hasard de la vie la jettera; théologien
à la fois habile, orateur et poète, Grégoire naquit
vers l'an 329 au bourg d'Arianze, près de Nazianze,
petite ville du sud-ouest de la Cappadoce, et fut
consacré à Dieu dès sa naissance par sa pieuse mère
Nonna. Le jeune Grégoire reçut une éducation très
soignée; il fut envoyé d'abord aux écoles de Césarée
en Cappadoce, puis dans Alexandrie, puis dans Athènes,
où l'un de ses compagnons de Césarée, le futur saint
Basile, ne tarda pas à le rejoindre, et où les deux
jeunes gens se lièrent d'une étroite amitié. Il parail
que Grégoire prolongea plus que Basile son séjour
dans Athènes et qu'il y donna des leçons d'éloquence.
Mais, vers 357, il revint à la maison paternelle, reçut le
baptême, et partagea depuis lors sa vie entre l'ascèse
et l'étude. Ce fut probablement vers 362 que, sur les
instances des fidèles, il fut ordonné piètre, un peu
malgré lui, des mains de son propre père, qui, de la
scetc des hypsislariens ou adorateurs de Zeus 1 ly-
psistos, avait passé, après sa conversion, sur le siège
épiscopal de Nazianze. Froissé de la violence qu'il
avait subie, et toujours épris de l'amour de la retraite,
le nouveau prêtre s'enfuit auprès de son ami Basile
dans le Pont. Toutefois il n'y resta pas longtemps,
et rentra bientôt à Nazianze, pour y soulager son
père dans le gouvernement de son Église. En 363 et
364, un schisme avait éclaté dans Nazianze : le vieil
évêque ayant signé, par faiblesse ou par méprise, la
formule semi-arienne de Rimini, une partie des fidèles
s'était déchaînée contre lui. Grégoire sut décider son
père à faire solennellement une profession de foi
pleinement catholique, et, grâce à son heureuse inter-
vention, le calme et la concorde refleurirent. Le père
et le fils continuèrent quelque temps à prendre soin
en commun de l'Église de Nazianze. Mais, quand
saint Basile, à la suite de ses démêlés avec l'arche-
vêque de Tyane, Anthime, eut l'idée de créer plu-
sieurs évêchés dans les petites villes de la Cappadoce,
il contraignit son ami d'être évêque de Sasima,
station postale sur la route de Cilicie, triste localité
qui faisait horreur à l'ancien et brillant élève d'A-
thènes. Bien à contre-cœur, Grégoire se fit sacrer
dans Nazianze par saint Basile, peu après Pâques de
l'an 372, selon toute apparence. Jamais Sasima ne le
verra remplir les fonctions épiscopales, célébrer le
service divin, ordonner aucun clerc; une fois encore
il s'enfuira dans la solitude. Seules les supplications
de son père le rappelleront à Nazianze, pour l'aider
dans son grand âge à porter le poids de sa charge.
Lorsque le vieillard mourra en 374, suivi de près
dans la tombe par la vénérable Nonna, Grégoire, le
cœur brisé et la santé chancelante, dira en 375 adieu
à Nazianze, et se réfugiera dans le monastère de
Sainte-Thècle, à Séleucie d'Isaurie, afin de s'y vouer
à la vie contemplative.
Il ne devait cependant pas jouir du repos après
lequel il soupirait. Au commencement de l'an 379,
les catholiques de Constantinople, à qui l'empereur
Valens avait enlevé successivement toutes leurs églises,
mais qui saluaient dans l'avènement de Théodose l'au-
rore d'un meilleur avenir, implorèrent le secours de
Grégoire, et celui-ci ne résista point à l'espoir de
rétablir la vraie foi dans la capitale de l'Orient. Par
son admirable éloquence et par ses vertus, il lutta
contre l'ascendant de l'arianisme, au péril de sa vie et
non sans succès. L'Église opprimée respira et grandit.
Théodose repoussa le philosophe Maxime, qui s'était
fait passer pour un catholique persécuté et sacrer
secrètement évêque de Constantinople, reprit aux
ariens, le 26 novembre 380, les églises de la capitale
et mena lui-même le lendemain Grégoire à l'église
cathédrale, à Sainte-Sophie. De fait, Grégoire était
l'ôvêque de Constantinople; il attendit néanmoins,
pour en prendre le titre, que le IIe concile œcumé-
nique, ouvert à Constantinople, sur la convocation
de Théodose, au mois de mai 381, eût reconnu et
affermi ses droits. Ainsi fut fait de prime abord.
Mais quand Grégoire vit ses efforts pour éteindre le
schisme mélétien d'Antioche se briser contre l'opposi-
1841
GREGOIRE DE NAZIANZE
1842
tion des plus jeunes membres du concile, et qu'il vit
en outre les évêques d'Egypte et de Macédoine, tardi-
vement invités, contester sa nomination au siège de
Constantinople, écœuré des ambitions et des intrigues
de nombre d'évoqués, il se démit de la charge qu'il
venait à peine d'assumer, et quitta Constantinople,
au mois de juin 381 probablement. Il retourna ensuite
à Xazianze, qu'il administra pendant la vacance du
siège et défendit des ravages de l'apollinarisme. Enfin,
lorsque, vers 383, il put procurer à Nazianze en la
personne de son cousin Eulalius le pasteur de ses
vœux, il se retira près d'Arianze, sur le domaine de
ses pères, où il était né. 11 y mourut en 389 ou au
plus tard en 390, adonné aux pratiques de l'ascétisme
chrétien et à la culture des vers dont la passion avait
enchanté sa jeunesse.
IL Ouvrages. — Les œuvres de saint Grégoire
se divisent en trois groupes : Discours, lettres et poésies.
1° Discours. — Des 45 discours qui ont survécu,
P. G., t. xxxv-xxxvi, les premiers, pour la célébrité
comme pour l'importance, sont les discours xxvii-xxxi
du recueil. Ces cinq discours sur la Trinité, intitulés
par l'orateur lui-même Discours théologiques, Oî Tfj;
SsoXo-fÊaç Xo'y<h, ont été prononcés à Constantinople, en
380, contre les unomiens et les pneumatomaques,
et par leur vigueur, ils ont mérité à saint Grégoire
de Nazianze le titre de théologien; ce sont les mor-
ceaux classiques de la théologie grecque. Deux autres
discours, qui datent aussi du séjour de Constanti-
nople, le xxc sur le sacre et l'intronisation des évêques,
le xxxne sur la mesure à garder dans les discussions,
abordent souvent les mêmes sujets que les discours
théologiques et s'en rapprochent beaucoup. Deux dis-
cours passionnés contre l'empereur Julien, Ào'yot (jtt)Xi-
TîJt'./.oî, iv et v, n'ont été composés qu'après la mort
de ce prince, 2G juin 363, et, selon toute apparence,
n'ont pas été prononcés. Le discours n, dans lequel
saint Grégoire explique et justifie sa fuite après son
ordination sacerdotale, n'a sans doute jamais été porté
dans la chaire sous sa forme actuelle; il est fort à
croire que la partie purement apologétique en fut
seule prononcée, l'an 362 ou 363, à Nazianze, et que
l'orateur, remaniant plus tard son travail primitif,
en fit l'ample traité qui nous est parvenu sur la
sublimité de l'état ecclésiastique. Les sujets des autres
discours sont très variés. Le prédicateur s'inspire tantôt
d'une fête de l'Église, tantôt d'un article du symbole
ou d'une obligation de la vie chrétienne. Ailleurs, il
célèbre la mémoire de quelques martyrs fameux,
honore le souvenir de ses parents et de ses amis,
Césaire, son jeune frère, vu, Gorgonie sa sœur, vm,
Grégoire, son père, xvin, saint Basile, xliii, raconte
enfin dans un but d'apologie les faits saillants de sa
propre carrière. Nulle part l'éloquence de saint Gré-
goire n'est exempte des recherches et des artifices de
la rhétorique; partout, même dans les oraisons funè-
bres, le sophiste perce à côté de l'orateur. En général,
le faux et l'exagéré se mêlent avec le grand et le
beau, une sensibilité délicate et profonde avec une
froide et creuse redondance. Rufin d'Aquilée nous
apprend, P. L., t. xxi, col. 250, qu'il a traduit en
latin huit discours de saint Grégoire; mais on ne trouve
dans P. G., t. xxxvi, col. 735-736, que la préface de
cette version. Des éditions spéciales des discours de saint
Grégoire de Nazianze ont été faites par Goldhorn,
Leipzig, 1854, et par J. A. Mason, Cambridge, 1899.
2° Lettres. — Il nous est resté de saint Grégoire 244
lettres, P. G., t. xxxvn, qui datent pour la plupart
de la retraite d'Arianze, 383-389. Mercati, Varia sacra,
Rome, 1903, t. i, p. 53-56, a fait paraître une nouvelle
et courte lettre de saint Grégoire à saint Basile,
avec la réponse de ce dernier. La lettre ccxnn6 au
moine Évagre, P. G t. xxxvn, col. 383; t. xlvi,
col. 1101-1108, est apocryphe. Travaillées avec soin et
comme en vue du public, ces lettres ont pour trait
distinctif une énergique brièveté. Mais elles n'offrent
point au fond d'intérêt historique; elles ne nous initient
qu'à des détails de la vie de l'auteur ou de ses amis
et de ses parents. Il y est rarement question de théo-
logie. Signalons pourtant sous cet aspect les deux
lettres au prêtre Cledonius, ci et en, composées pro-
bablement toutes les deux en 382 et dirigées contre
l'apollinarisme.
3° Poésies. - - Comme la plupart des lettres de
saint Grégoire de Nazianze, la plupart de ses poésies
s'échelonnent de l'an 383 à l'an 389, J'. G., t. xxxvn-
xxxvm. Poésies théologiques, traitant tour à tour du
dogme et de la morale, et poésies historiques, celles-ci
sur lui-même, celles-là sur les autres. Le poète s'y
était donné la tâche de combattre avec leurs propres
armes les apollinaristes, qui se servaient du vers pour
répandre leurs doctrines dans le peuple. On a critiqué
la poésie didactique de saint Grégoire, pour n'être,
a-t-on dit, que de la prose versifiée, traînante et
redondante. Les élégies, au contraire, où Grégoire a
pleuré ses malheurs, reflètent une tristesse rêveuse,
une mélancolie mystique d'un charme singulier et
qui va au cœur. Les principaux mètres de la prosodie
classique — hexamètres, trochées, trimètres iambiques,
etc. — foisonnent dans l'œuvre de saint Grégoire.
On y remarque toutefois dans quelques vers les pre-
miers avant-coureurs de la poésie moderne. Un Hymne
du soir et une Exhortation aux vierges, P. G., t. xxxvn,
col. 511-514, 632-640, sont, dans la littérature grecque,
le plus lointain exemple de cette poésie nouvelle,
fondée sur l'accent tonique et non plus sur la quantité.
III. Doctrine. ■ — Saint Grégoire de Nazianze,
appuyé fermement sur la double autorité de l'Écriture
et de la tradition, est le champion et le représentant
de la foi de l'Église grecque à la fin du ive siècle.
« C'est une preuve manifeste d'erreur dans la foi,
écrira Rufin d'Aquilée, P. G., t. xxxvi, col. 736, que
de ne pas s'accorder avec la foi de Grégoire. » On a
révéré de tout temps sa doctrine, et les conciles
œcuméniques à maintes reprises l'ont expressément
invoquée. Ainsi, au milieu des hérésies trinitaires et
christologiques du iv sièele, en face des semi-ariens,
des macédoniens et des apollinaristes, l'orthodoxie
de saint Grégoire est demeurée sans tache. Continua-
teur de saint Athanase, et partisan fidèle, quoi qu'on
ait dit, du strict ôij-ocôaio; nicéen, il distingue avec
une netteté particulière l'ojaia et l'ûr.otrtaaic, per-
mettant même sous une condition antisabellienne
l'emploi du mot rpdawjtov, et il reconnaît en Dieu
trois hypostases ou personnes, consubstantielles entre
elles, toutes les trois égales et également adora-
bles, ayant la même volonté, la même connaissance,
la même action. « Il y a diversité quant au nombre,
mais non partage de substance. » Orat., xxix, 2;
xxxi, 9, et passim. Voir t. v, col. 2455. Les propriétés
caractéristiques de ces trois personnes divines, par
où chacune s'oppose aux deux autres, sont, selon
saint Grégoire, Orat., xxv, 16; xxxi, 29, ràysvvrisîa,
la ysvvTjata ou yÉvv7]CTtç, l'iz-opjcjt; ou'éy.~i'x^<.:. En quoi
précisément la procession du Saint-Esprit diffère delà
génération du Fils, notre saint avoue qu'il nous est
impossible de le marquer. Orat., xxxix, 12; xxm,
1 1 ; xxxi, 8. Du Filioque, de la procession du Saint-Esprit
par le Fils, il ne nous dit à peu près rien; cependant,
bien qu'il n'en parle presque pas, il la présuppose.
Oral., xlii, 15. Voir t. v, col. 787-788. En revanche,
saint Grégoire s'élève contre la mutilation que l'apolli-
narisme voulait infliger à la nature humaine de
Jésus-Christ, et il maintient avec fermeté l'existence
de l'âme raisonnable, voùç, dans l'humanité du Sau
veur. Orat., n, 23; xxxvn, 2. Le principe sotério
L843 GREGOIRE DE NAZIANZE - - GRÉGOIRE DE NÉOCÉSARÉE
logique sur lequel roule toute sa discussion est ainsi
formulé : « Cela seul est guéri, qui est pris parle Verbe;
cela seul est sauvé, qui est uni à Dieu. » Episl., ci,
col. 181. D'accord toutefois en ceci avec Apollinaire,
notre saint repousse l'idée de la dualité des personnes
en Jésus-Christ. « 11 y a en lui, écrit-il, deux natures;
il est Dieu et homme, puisqu'il est âme et corps; mais
il n'y a pas deux lils ni deux dieux... Autre et
autre, àÀÀo v.t.\ aÀ/.o, sont les éléments dont est
le Sauveur...; mais le Sauveur, lui, n'est pas un autre
et un autre, aÀÀoç /.ai aÀÀo;, loin de là ! » Epist.,
ci, col. 180. De l'unité personnelle de Jésus-Christ
.lans la dualité des éléments qui le composent,
l'un divin, l'autre divinisé, Oral., xxxvm, 13, suit,
avec la communication des idiomes, le dogme de la
maternité divine de Marie. Les textes classiques se
trouvent clans saint Grégoire de Nazianze. « Si quel-
qu'un n'accepte pas sainte Marie pour mère de Dieu,
il est séparé de la divinité. » Epist., ci, col. 177. Marie
est la Virgo dcipara. Oral., xxix, 4.
En dehors des questions trinitaires et christo-
logiques, où la foi de saint Grégoire, nonobstant des
imprécisions et des obscurités de langage, est restée
toujours pure, notre saint regarde les anges comme
des créatures immortelles, intelligentes et libres.
Oral., xxix, 13. Leur spiritualité est-elle absolue ? Il
refuse de se prononcer. Oral., xxvni, 31 ; xxxvm, 9.
Voir t. i, col. 1199, 1204. Sanctifiés après leur création,
Oral., vi, 12, 13, les anges prévaricateurs ont perdu
la grâce par l'effet de l'envie ou de l'orgueil, OraL,
xxxvm, 9; xlv, 5, et, précipités du ciel, mais non
anéantis, ils font actuellement la guerre aux enfants
de Dieu. Carm., 1. I, sect. i, 7, P. G., t. xxxvn,
col. 443 sq.
Quant à la nature de l'homme et à son état présent,
saint Grégoire, sans entrer néanmoins dans toutes
les précisions désirables et nécessaires, atteste et
sa béatitude primitive et sa déchéance postérieure.
Le péché d'Adam, qui est aussi le péché de tous les
enfants d'Adam, OraL, xvi, 15; xxxvm, 4, 17, a
entraîné pour eux la mort, les misères de la vie ter-
restre, le dérèglement de la convoitise, la perte de
la grâce surnaturelle et de l'union avec Dieu. L'image
de Dieu n'est pourtant pas effacée totalement dans
l'homme, ni sa puissance de coopérer avec la grâce
n'est abolie. L'homme déchu peut s'élever du spec-
tacle des choses créées à la connaissance de Dieu,
et son libre arbitre lui a été conservé. Le libre arbitre
peut donc et doit concourir avec la grâce dans l'œuvre
du salut; sans ce concours, pas de salut possible.
Saint Grégoire, en étudiant de moins près que saint
Augustin le problème de la grâce, ne laisse pas de
maintenir l'homme dans la dépendance de l'action
divine, et de faire très large la part de la grâce dans le
bien que l'homme accomplit; la bonne volonté môme
de l'homme vient de Dieu. Oral., xxxvn, 13 sq.
Cette grâce, qui nous est indispensable, est le fruit
de l'incarnation et de la mort de Jésus-Christ; mais
comment avons-nous été rachetés et délivrés de la
mort ? Saint Grégoire de Nazianze attache une grande
importance à la doctrine de la rédemption, et il
attribue une efficacité spéciale à la passion, qui est
un sacrifice réel, dans lequel Jésus-Christ s'est sub-
stitué aux coupables. Il condamne absolument l'idée
adoptée par saint Basile et par saint Grégoire de
Nysse, que nous étions devenus la propriété de Satan
et que la vie et le sang de Jésus-Christ sont la rançon
payée pour nous au démon. Oral., xlv, 22. Jésus-
Christ s'est substitué à nous et s'est fait, à notre place,
la victime de la justice de Dieu. Oral., xxx, 5; xxxvir,
1. Cf. L. Rivière, Le dogme de la rédemption, Paris,
1905, p. 103-104, 174-179, 387, 420-421.
Pendant que notre saint rend hommage à la pri-
mauté du siège de Rome, Carmen de vita sua, P. G.
t. xxxvn, col. 10(18, il proclame la nécessité du
baptême sacramentel, pour nous ouvrir, à défaut du
martyre, l'entrée de l'Église et nous mettre en posses-
sion du bonheur éternel. Oral., xl, 23. En ne requérant
pas la sainteté dans le ministre du baptême et en
prescrivant le baptême immédiat des enfants, s'ils
sont en danger de mort. Oral., xi, 28, saint Grégoire
montre qu'il accorde au rite lui-même une efficacité
objective pour la production de la grâce. Mais, sans
requérir la sainteté du ministre du baptême, il requiert
que le ministre ait au moins la foi de l'Église. OraL, xl,
26. C'était reconnaître la nécessité de rebaptiser les
hérétiques, conformément à la tradition de Firmilien
de Césarée. La présence réelle de Jésus-Christ dans
l'eucharistie et le caractère sacrificiel du mystère
eucharistique sont aussi affirmés et mis en lumière.
OraL, vm, 18; n, 95; Epist., cli. Voir t. v, col. 1148.
Les secondes noces et, plus encore, les troisièmes
et quatrièmes noces sont mal vues ou même tout à
fait réprouvées. Oral., xxxvm, 8. Saint Grégoire
n'admet aucune dilation pour les justes de la béatitude
éternelle, bien que la chair n'y doive prendre part
qu'après la résurrection. Dans la question de la durée
des peines de l'enfer, l'influence des idées d'Origène
est sensible. Tantôt Grégoire enseigne l'éternité des
peines, Oral., xvi, 7; tantôt il ne veut pas se prononcer,
ou il insiste principalement sur le caractère moral
de la peine des damnés. Oral., xl, 36; Carm., 1. II,
sect. i, 1, P. G., t. xxxvn, col. 1010. Voir t. v, col. 69-70.
Vie de saint Grégoire de Nazianze en grec, P. G., t. xxxv,
col. 241-305, avec les préfaces des anciens éditeurs; Tille-
mont, Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique, Paris,
1714, t. ix, p. 305-5G0, 692-731; Ch. Clémencet, Vita
S. Gregorii theologi, P. G., t. xxxv, col. 147-242; Ullmann,
Gregorius von Nazianz, der Tlteologe, Darmstadt, 1825;
A. Benoît, S. Grégoire de Nazianze, Paris, 1885; Dubetout,
De Gregorii Nazianzeni carminibus, Paris, 1901 ; Fessler-
Jungmann, Instituliones patrologiœ, Inspruck, 1890,
t. i, p. 532-561 ; P. Batiffol, La littérature grecque, Paris,
1897, p. 237-240 ; Bardenhewer, Les Pères de l'Église,
nouv. édit. franc., Paris, 1C05, t. n, p. 89-103 ; Hurter,
Nomenclator, 1903, t. i, col. 163-172 ; Hergenrôther, Die
Lehre von der goltliclien Dreieinigkeit nach dem hl. Gregor
von Nazianz, Batisbonne, 1850; Dr.iseke, Neuplatonisches
in der Gregorios von Nazianz Trinitatslehre, dans Bgzan-
tinische Zcilschrijt, 1906, t. xv, p. 141-190; Hiimmer,
Des hl. Gregor von Nazianz des Theologe Lehre von der
Gnade, Kempten, 1890; fixeront, Histoire des dogmes,
Paris, 1909, t. u (voir table analytique, p. 522); Marcel
Guignet, Saint Grégoire de Nazianze, orateur et épistolier,
Paris, 1912; R. Gottwald, De Gregorio Nazianzeno, phdo-
nico, Breslau, 1906.
P. Godet.
24. GRÉGOIRE DE NÉOCÉSARÉE, ou LE
THAUMATURGE (Saint). — I. Vie. II. Ouvrages.
I. Vie. — Grégoire, nommé aussi primitivement
Théodore, et surnommé plus tard le Thaumaturge,
naquit vers l'an 213 à Néocésarée, dans le Pont Polé-
moniaque, d'une des plus nobles familles païennes
du pays. Orphelin dès l'âge de quatorze ans, il étudia
tour à tour la rhétorique et le droit. Pour parfaire ses
études juridiques, il se proposait d'aller, avec son frère
puîné Athénodore, à la célèbre école de Béryte en
Phénicie, lorsque le mariage de leur sœur avec un
assesseur du gouverneur de Palestine attira les deux
frères dans sa résidence à Césarée. Là, probablement
en 233, ils rencontrèrent Origène, se laissèrent captiver
par son enseignement, et oublièrent peu à peu Béryte
et la jurisprudence, attachés de toute leur âme au
maître, qui réussit à les tourner vers les études philo-
sophiques et bientôt à les convertir tout à fait. Après
avoir suivi pendant cinq ans les leçons d'Origène et
avoir témoigné de la reconnaissance envers son illustre
maître par un discours public, prononcé devant lui,
1845
GRÉGOIRE DE NEOCESAREE
1846
Grégoire, vers 238, reprit avec Athénodore le chemin
du l'ont. Peu après, l'évêque d'Aniasia, Phédime,
élevait Grégoire, malgré sa jeunesse, sur le siège de
Néocésarée. De la carrière épiscopale de Grégoire on
ne sait rien de bien précis. Les deux biographies qui
nous restent du saint évêque, l'une en grec par saint
Grégoire de Nysse, P. G., t. xi.vi, col. 893-958,
l'autre en syriaque par un auteur inconnu, Ryssel,
Theol. Zeitschrift mis der Schweiz, 189 1, t. xi, p. 228-
27) 1 ; P. Bedjan, Acta martyrum et sanctorum, 1890,
t. vi, p. 83-106, relatent une longue série de faits
merveilleux qui lui valurent le surnom de Thauma-
turge. Cette floraison légendaire, qui commence du
vivant de Grégoire et s'épanouit dès le lendemain de
sa mort, révèle mieux que n'importe quel document
historique une personnalité rare et puissante, active
et indomptable. Quand la persécution de Dèce (250-
251) s'abattit sur Néocésarée, Grégoire conseilla aux
fidèles de fuir, et il se déroba lui-même par la fuite
aux recherches des magistrats. En 253-254, les incur-
sions des barbares, Borades et Goths, désolèrent le
Pont avec l'Asie Mineure. Grégoire et son frère Athé-
nodore prirent part, en 264 ou 265, au synode d'An-
tioche contre Paul de Samosate; peut-être assistèrent-
ils également aux deux synodes suivants contre le même
hérétique. Selon Suidas, Lexicon, au mot Gregorius,
Grégoire serait mort sous le règne de l'empereur
Aurélien (270-275). Il avait fait Néocésarée de païenne
chrétienne, et il laissa dans le Pont tout entier une
impression profonde. L'Église l'a élevé au rang des
saints et célèbre sa fête le 17 novembre.
II. Ouvrages. — Disciple et ami d'Origène, mais
évêque absorbé par ses occupations pastorales, saint
Grégoire a, somme toute, peu écrit, seulement pour
remplir un devoir de sa charge et dans un but pratique.
Dès l'antiquité cependant, plus d'un ouvrage, soit
erreur des copistes, soit fourberie des hérétiques, des
apollinaristes en particulier, a emprunté sans droit le
nom gloireux du Thaumaturge. Les ouvrages qui
portent son nom se divisent donc en trois classes : il
y en a d'authentiques sans conteste ou à peu près,
il y en a de douteux, il y en a d'apocryphes.
1° Écrits authentiques. — ■ 1. Le panégyrique d'Ori-
gine, Eîç 'Opiyev7]v repo<;<pa)vr|'cixôç /.*'. Jïav7)yupixoç Xdyoç,
P. G., t. x, col. 1049-1104; Koetschau, Des Gregorios
Thaumaturgos Dankrede an Origencs, Fribourg-en-
Brisgau et Leipzig, 1894, prononcé vers 238, et où le
jeune orateur, avec une chaude et sincère émotion,
non toutefois sans une teinte marquée de rhétorique,
épanche sa reconnaissance envers Dieu, dispensateur
de tout bien, envers l'ange tutélaire qui le conduisit
à Césarée, envers le maître incomparable qui sut
inspirer à ses élèves le culte de la philosophie chré-
tienne. — 2. Le symbole, "ExOsaiç tï,ç jtîcjtêioç, P.
G., t. x, col. 983-988, exposition courte, mais très
claire et très précise, du dogme de la trinité, qui,
d'après la légende, fut révélée au Thaumaturge, à
la demande de la sainte Vierge, par saint Jean l'évan-
géliste, et dont Caspari, Aile und ncue Quellen zut
Geschichle des Taufsymbols, Christiania, 1879, p. 1-64,
place la rédaction entre 260 et 270. — ■ 3. L'Épitre
canonique, 'Etziv-zoÏ.t) xavovt/.)] P. G., t. x, col. 1019-
1048, réponse aux questions d'un évêque anonyme
sur la conduite à tenir à l'égard des fidèles qui
avaient transgressé la morale et la discipline chré-
tiennes, lors des incursions des Goths et des Borades
ou Boranes dans le Pont et la Bithynie. Ce très
ancien monument de la casuistique, d'où ressor-
tent visiblement le tact et l'indulgence de saint
Grégoire dans le gouvernement des âmes, date, selon
Drâseke, Jahrbuch fur protestantische Théologie, 1881,
t. vu, p. 724-756, de l'automne de 254. — 4. La Para-
phrasedel'pcclésiaste, MsTCteppa.aiç sîç tov 'ExxXEijiaaTrjv
Soao(iûvtoç,P. G., t. x, col. 987-1018, est une libre ampli-
fication du texte des Septante. — 5. L'écrit à ThÉopompe
sur l'impassibilité et la possibilité de Dieu, qui n'existe
([n'en syriaque, Pitra, Analecta sacra, t. iv,p. 103-120, 363-
376, et qui, composé sous la vive influence d'Origène, est
peut-être antérieur à l'épiscopat du Thaumaturge : dia-
logue philosophique contre cette erreur païenne que
l'impassibilité de Dieu implique nécessairement l'indif-
férence touchant le sort des hommes. — ■ 6. Nous avons
perdu le Dialogue avec Élicn, Wy'j; 'Adiavov BiccXeÇ'.ç, qui
avait pour but de convertir le païen dont il porte le nom
et qui semble avoir traité surtout de la théodicée chré-
tienne. Le fragment arabe d'un sermon sur la Trinité,
P. G., t. ix, col. 1123-1126, où le cardinal Mai crut
retrouver un fragment du Dialogue avec Élicn, est
apocryphe. Quelques lettres de saint Grégoire ont
aussi péri.
2° Écrits douteux. — D'autres écrits ou fragments
d'écrits attendent un examen d'origine plus approfondi.
l.Le Court traité de l'âme àTatien, /Yo'yo; zsçaXauôÔ7]; rapt
S/,,: r.po? Tcmavdv, P. G., t. x, col. 1137-1146, dans
lequel l'auteur étudie, indépendamment des textes scrip-
turaires, l'existence et l'essence de l'âme, était con-
damné par la plupart des critiques et tenu pour une œu-
vre du moyen âge. Mais on en a trouvé dernièrement une
version syriaque dans un manuscrit du vne siècle, et
Procope de Gaza, vers 465-528, semble citer le texte grec
comme du Thaumaturge. — 2. Des cinq homélies armé-
niennes, publiées par l'abbé Martin sous le nom de saint
Grégoire, Pitra, Analecta sacra, t. IV, p. 134-145,
156-169, 386-396, 401-412, les quatre dernières sont
certainement d'une époque bien plus récente; mais on
peut tenir la première pour authentique, en raison
des nombreux points de contact avec l'écrit à Théo-
pompe. Loofs, Theol. Litcraturzeitung, 1884, p. 551-553.
Le dogme de la perpétuelle virginité de la sainte
Vierge y est nettement exprimé. Conybeare, The
Exposilor, 1896, t. i, p. 161-173, a traduit en anglais
et regardé comme authentique une sixième homélie
sur la Mère de Dieu, qui ne nous est aussi parvenue
que dans la version arménienne. — 3. Enfin, un tas
de menus fragments, poussière sans valeur, semble
néanmoins cacher çà et là quelques vrais grains de
blé. Pitra, Analecta sacra, t. ni, p. 589-595; t. iv,
p. 133, 186; Loofs, op. cit., 1884, p. 550 sq.
3° Écrits apocryphes. — D'autres écrits ont usurpé
lenom deThaumalurge. — 1. Le textesyriaque intitulé:
A Philagrius sur la consubslanliatité, Pitra. op. cit.,
t. iv, p. 100-103, 360-363, s'identifie avec une épître
grecque, llpoç iyjâyptov fiovayôv r.iy. 0;';t/,toç, qui se
trouve dans les œuvres de saint Grégoire de Nazianze,
P. G., t. xxxvn, col. 383, comme dans celles de saint
Grégoire de Nysse, P. G., t. xlvi, col. 1101-1108,
et, quel qu'en soit le véritable auteur, ne remonte
pas au delà de la seconde moitié du ive siècle. — 2.
La foi dans ses éléments, ' 11 v.y.-.k jJ.ipo; -\rs-\i, P. G.,
t. x, col. 1113-1124, exposition du dogme de la trinité
divine et de l'incarnation du Verbe, est l'œuvre
d'Apollinaire de Laodicée vers 380, et les apollinaristes
l'ont fait circuler sous le nom révéré du Thaumaturge,
comme sous un pavillon protecteur. Voir Mai, Nova
eolleetio, t. vu, p. 170-176; Drâseke, dans les Texte
und Unlcrsuchungen, 1892, t. vu, p. 369-380. — 3. Les
douze chapitres sur la foi, Ki<pxXa.ia irspi rcituscoç SioBezo ,
P. G., t. x, col. 1127-1136, qui se proposent d'expli-
quer la vraie doctrine de l'incarnation, combattent
l'apollinarisme, et n'ont pas précédé la fin du ive siè-
cle. Driiseke les attribue à Vital d'Antioche, disciple
d'Apollinaire. Mais ils sont plutôt antiapollinaristes.
Funk, A bhandlungen, t. n, p. 329-338; Lauchcrt, Theo-
logischc Quarlalschrift, 1900, t. lxxxii, p. 395-418. —
1. Cinq homélies grecques, dont trois sur l'Annoncia-
tion, P. G., t. x, col. 1145-1178, une pour l'Épi-
1847
GRÉGOIRE DE NÉOGÉSARÉE — GRÉGOIRE DE NYSSE
184 S
phanic, col. 1177-1190, et une sur tous les saints,
col. 1197-1206, sont également apocryphes.
Vie de saint Grégoire on syriaque, éditée par Ryssel,
Theologische Zeitschrift aus der Schweiz, 1894, t. xi, p. 228-
254, et par Bedjan, Acta martgrum et sanclorum, 1890, t. vi,
p. S3-106; Ryssel, Gregorius Tliaumaturgus, -sein Leben
und sein Schriften, Leipzig, 1S80; Koetschau, dans son
édition du Panégyrique d'Origène, p. v, xxi, et dans Zeit-
schrift fiir wissenschaftliche Théologie, 1898, t. xli, p. 211-
250; Harnaek, Geschicbte der aUchristl. Litteratur, Leipzig,
1S93, t. i, p. 428-436; P. Batiffol, La littérature grecque,
Paris, 1897, p. 180-181 ; Bardenhewer, Geschichte der all-
kirchliche Literatur, Fribourg-en-Brisgau, 1903, t. Il,
p. 272-289; Les Pères de l'Église, nouv. édit. franc., Paris,
1905, t. i, p. 309-316; Alb. Ehrhard, Die altchristliche
J.itteratur, Fribourg-en-Brisgau, 1900, p. 357-362; Hurter,
Xomenclalor, 1903, t. i, col. 97-100.
P. Godet.
25. GRÉGOIRE DE NYSSE (Saint). — I. Vie.
II. Œuvres. III. Doctrine.
I. Vie. — Grégoire, frère puîné de saint Basile,
naquit vers l'an 335; on ne connaît pas au juste la date
précise de sa naissance. Élevé dans sa famille, sous
l'aile et par les soins de saint Basile, Grégoire s'était
voué de bonne heure au service de l'Église, et il rem-
plissait déjà l'office de lecteur, quand, séduit par les
attraits d'une vie séculière, il se fit professeur de
belles-lettres, préférant, selon le mot de saint Grégoire
de Nazianze, Episl., i, P. G., t. xxxvn, col. 41, le
nom de rhéteur à celui de chrétien, et s'avisa de se
marier avec une certaine Théosébie. Les vives repré-
sentations de ses amis le ramenèrent à l'état ecclé-
siatique. Il descendit de sa chaire et alla s'adonner,
au sein du monastère fondé par Basile sur les bords
de l'Iris dans le Pont, à l'ascèse et à l'étude de la théo-
logie Vers la fin de l'année 371, il se résigna, bien qu'à
contre-cœur, à se laisser sacrer par saint Basile et à
monter sur le siège de Nysse, bourgade de la Cappadoce
ressortissant à la métropole de Césarée. Son fidèle
attachement à la doctrine de saint Athanase lui valut
la haine et les persécutions des ariens. Au printemps
de l'an 37G, un synode d'évêques ariens ou de prélats
courtisans, convoqué par Démosthène, gouverneur
du Pont, et tenu à Nysse même, déposa Grégoire en
son absence. Mais la mort de l'empereur Valens
(9 août 378) lui rouvrit les portes de Nysse, et les
applaudissements de ses ouailles firent de son retour
un véritable triomphe. En septembre ou octobre 379,
il prit part au concile d'Antioche, réuni surtout pour
éteindre le schisme mélétien, et se vit confier par le
concile une mission de grande confiance auprès des
évêques d'Arabie et de Palestine. Pendant qu'il s'en
acquittait, il fut choisi, sans doute au mois d'avril 380,
pour archevêque de Sébaste dans la Petite-Arménie;
et, quoiqu'il eût protesté contre son élection, il se
chargea provisoirement, durant quelques mois, de
l'administration religieuse du diocèse. Diekamp, Die
Wahl Gregors von Nyssa zum Metropoliten von Scbaste,
dans Theol. Quarlalschrift, 1908, p. 384-401. On le voit
siéger, en 381, dans le IIe concile général de Constan-
tinople, où sa science théologique assure à sa parole
une particulière autorité. Ce fut en exécution du
3e canon du concile que l'empereur Théodose décida,
par la loi du 30 juillet 381, Code théod., XVI, i, 3, que
ceux-là seraient exclus, comme hérétiques notoires,
des Églises de la province du Pont, qui ne gardaient
pas la communion des évêques Helladius de Césarée,
Otreius de Mélitène dans la Petite-Arménie, et Grégoire
de Nysse. Saint Grégoire devait reparaître plus d'une fois
à Constanlinople; on l'y recherchait pour les grandes
oraisons funèbres et autres discours d'apparat. On l'y
retrouve pour la dernière fois dans le concile célébré
en 394, sous la présidence du patriarche Nectaire.
Depuis lors, son nom s'efface de l'histoire. Il est pro-
bable que sa mort suivit de près.
II. Œuvres. — Esprit peu propre, dans sa candeur
naturelle, au maniement des affaires, et, dans ses faciles
découragements, aux luttes de la vie, mais esprit doué
d'une particulière aptitude pour les recherches méta-
physiques et très versé dans la philosophie profane,
imbu surtout des idées platoniciennes et néopla-
toniciennes; à la fois théologien, exégète, auteur
ascétique et orateur, saint Grégoire se signalera, au
ive siècle, par la fertilité de sa plume comme par la
variété de ses travaux. Il y a lieu d'être surpris que ses
œuvres n'aient pas attiré davantage l'attention des
critiques modernes et n'aient pas encore été publiées
complètement selon toutes les exigences scientifiques.
1° Théologie. — Les écrits que saint Grégoire a
composés en cette matière et qui font sa gloire, sont,
pour la plupart, des traités polémiques contre Euno-
mius et contre Apollinaire. Le plus considérable qui
nous soit resté de l'auteur et l'un des plus importants
qu'ait suscités la querelle de l'arianisme, est le llpo;
Eùvofuov àvTipp7|-uxot Xoyoî, P. G., t. xlv, col. 237-
1121. Riposte vigoureuse et brillante à la seconde
apologie qu'Eunomius venait de lancer contre
saint Basile, après avoir attendu prudemment sa
mort. Voir t. v, col. 1505. L'ouvrage est divisé,
selon les uns, en douze, et selon les autres, en treize
livres. Saint Grégoire, à la prière de son frère Pierre,
évêque de Sébaste, y venge la mémoire de Basile des
calomnies et des outrages d'Eunomius et y disculpe
pleinement la doctrine de l'évêque de Césarée sur la
divinité du Fils et du Saint-Esprit. Contre Apollinaire
de Laodicée, saint Grégoire a pris la plume deux fois.
D'abord, dans un court opuscule, postérieur à l'an 383
et dédié à Théophile, évêque d'Alexandrie, P. G.,
t. xlv, col. 1269-1277, il se contente de réfuter l'accu-
sation intentée aux catholiques de reconnaître deux
Fils de Dieu. Puis, dans son Anlirrhclicus adversus
Apollinarem, lequel date des dernières années de
saint Grégoire, ibid., col. 1123-1270, il s'attaque au
traité de l'incarnation d'Apollinaire et en renverse
notamment ces deux thèses, l'une, que la chair de
Jésus-Christ est descendue du ciel, l'autre qu'en
Jésus-Christ le Verbe a tenu la place et joué le rôle
de l'entendement humain. Des deux discours polé-
miques retrouvés naguère par le cardinal Mai, le
premier, Sermo adversus Arium et Sabellium, P. G.,
t. xlv, col. 1281-1302, est apocryphe; le second, Sermo
de Spiritu Sancio adversus pneumatomachos macedo-
nianos, ibid., col. 1301-1334, semble au contraire
authentique, nonosbtant les mutilations de la fin.
En outre, quelques écrits sont consacrés surtout,
sans abjurer néanmoins entièrement les allures et le
ton de la polémique, à l'exposition et à la défense
de la doctrine chrétienne. On doit notamment à saint
Grégoire un remarquable exposé doctrinal, intitulé :
Grande catéchèse, P. G., t. xlv, col. 9-106, et à l'usage
des maîtres chrétiens qui ont à instruire les caté-
chumènes; l'auteur y passe en revue tour à tour, en
les vengeant de toutes les attaques, les dogmes fonda-
mentaux du christianisme, la trinité, l'incarnation,
la rédemption, les sacrements du baptême et de
l'eucharistie. La Grande catéchèse a été traduite en
fiançais par L. Méridier, Paris, 1908. Quatre courts
opuscules vont spécialement à défendre la théologie
de la trinité : l'un, De S. Trinilalc, est dédié à Eusta-
the de Sébaste; l'autre, Quod non sint très DU, est
adressé à un certain Abladius, P. G., t. xlv, col. 116-
136; un autre, sur le même sujet, en appelle contre les
païens aux notions du sens commun, IIpo; 'EXÀ^vaç èx
rûv zoiviôv èvvotûv, i bid., co\. 175-186 ; le quatrième, Sur la
foi, dédié au tribun Simplicius, ibid., col. 135-146, sou-
tient la divinité du Fils de Dieu et du Saint-Esprit. A
l'exemple et sur le modèle du Phédon de Platon, qu'il dé-
passe de beaucoup en profondeur et en hardiesse, sans
1849
GRÉGOIRE DE NYSSE
1850
toutefois en égaler le charme du style, l'intéressant dialo-
gue De ['âme et de la résurrection, P. G., t. xlvi, col. 11-
160, nous livre le suprême échange de pensées entre saint
Grégoire et sainte Macrine. sa sreur aînée, morte au mois
de décembre 379 ou au mois de janvier 380, à la tête
du couvent de femmes qu'elle avait fondé dans le Pont,
sur les bords de l'Iris. La sœur y confie à son frère ses
idées sur l'âme, sur la mort, sur l'immortalité, sur la
résurrection et la consommation finale. Un second
dialogue bien plus court, Contra fatum, ibid., t. xlv,
col. 145-174, relation d'une dispute de l'évêque avec
un philosophe païen à Constantinople, défend la liberté
humaine contre le fatalisme astrologique. Un opuscule
des dernières années de saint Grégoire, Sur les enfants
morts avant l'âge, ibid., t. xlvi, col. 161-192, dédié
au préfet de la Cappadoce, Hiérius, essaie d'expliquer
pourquoi Dieu permet les morts prématurées.
2° En exégèse, Grégoire de Nysse, comme tous les
Cappadociens, est tributaire d'Origène. Vers 379,
dans ses deux premiers écrits exégétiques, l'un sur
la création de l'homme, qui complète et achève l'Hexa-
méron de saint Basile, P. G., t. xliv, col. 125-256,
l'autre sur l'œuvre des six jours, qui défend la
cause de saint Basile et dissipe les malentendus, ibid.,
t. xliv, col. 61-124, il s'étudie à suivre inviolablement
le sens littéral; vers la fin du second opuscule, col. 121,
il exprime la joie qu'il ressent de n'avoir jamais tourné
violemment le texte sacré en figures et en allégories.
Mais, plus tard, vers 390 lorsqu'il déroule la Vie de
Moïse aux yeux d'un certain Césaire, ibid., t. xliv,
col. 297-430, et fait ressortir, l'histoire du législateur
d'Israël à la main, les voies mystérieuses de l'élévation
de l'âme à Dieu, moins soucieux d'instruire que
d'édifier, il court après les allégories les plus subtiles
et les plus étranges. Dans son opuscule : Sur la pg-
thonissc d'Endor, P. G., t. xlv, col. 107-114, il se rallie
à l'opinion que ce ne fut pas Samuel qui apparut
à la magicienne, mais un démon revêtu de la forme du
prophète. Les deux livres où Grégoire explique les
titres des psaumes, ibid., t. xliv, col. 431-608, vont à
montrer, à grand renfort d'allégories, le premier
(9 chap.), qu'une seule et même pensée a présidé au
classement des psaumes et que les cinq divisions du
psautier actuel nous remettent sous les yeux les cinq
degrés qui, peu à peu, nous mènent au sommet de
l'échelle, c'est-à-dire à la perfection; le second (16chap.),
que tout, titres et psaumes, n'a sans exception qu'un
but, celui de nous guider dans la voie du bien. On y
trouve annexée dans les éditions une homélie sur la
suscription du ps. vi, Pro oclava, ibid., col. 607-616.
Les huit Homélies sur l'Ecclésiasle, c. i-m, 13, ibid.,
col. 615-754, sont imprégnées de l'idée que ce livre,
« vraiment sublime et divinement inspiré, » a pour
tâche >• d'élever l'âme au-dessus des sens, et, par le
renoncement aux grandeurs et à l'éclat des apparences
d'ici-bas, de lui rendre la paix. » Homil., i, ibid.,
col. 620. Les quinze Homélies sur le Cantique des
cantiques, r-vi, 8, P. G., t. xliv, col. 755-1120, dédiées
à Olympius de Constantinople, font ressortir le sens
mystique du '.exte sacré. « La lettre, dit saint Grégoire,
ne nous parle que de noces; mais, sous la figure d'un
appareil nuptial, on entend l'union de l'âme humaine
avec Dieu. » Homil., i, ibid., col. 772. Grégoire, dans
la préface de cette explication, soutient la nécessité
d'une exégèse spirituelle, anagogique, et, à la fin, il
loue chaudement Origène pour son interprétation du
Cantique des cantiques. Pour ce qui est du Nouveau
Testament, l'évêque de Nysse nous a laissé cinq
homélies sur l'oraison dominicale, P. G., t. xliv,
col. 1119-1194, et huit sur les béatitudes, Matth., v,
1-10, ibid., col. 1193-1302, homélies de genre pure-
ment moral. Une homélie sur I Cor., vi, 18, figure,
sous le titre d'Oralio contra fornicarios, parmi les
discours de saint Grégoire, t. xlvi, col. 489-489,
1107-1110. Le commentaire sur I Cor., xv, 28, P. G.,
t. xliv, col. 1302-1326, empreint des erreurs d'Origène,
est dirigé contre les ariens. Une homélie de saint Gré-
goire de Nysse. (texte copte et traduction française) a
été publiée parle P. Chaîne, dans la Revue de l'Orient
chrétien, 1912 et 1913.
3° Ascétisme. — Un esprit ascétique anime le beau
livre De la virginité ou de la perfection, P. G., t. xlvi,
col. 317-416, que saint Grégoire écrivit avant son épi-
scopat, vers 370 ou 371, et qui développe sous une forme
attrayante l'idée que la virginité fait de l'âme l'épouse
de Jésus-Christ. On a aussi de Grégoire une série
d'opuscules ascétiques : l'un, Sur les exigences du nom
chrétien ou de la vie chrétienne, adressé à un certain
Harmonius, ibid., col. 237-250; l'autre, au moine
Olympius, Sur les vjrtus et la perfection du chrétien,
ibid., col. 251-286; le troisième, destiné à des moines,
Sur la fin providentielle du chrétien, ibid., col. 287-306;
le quatrième, Advsrsus eos qui casligaliones œgre
ferunt, ibid., col. 307-316. A ce groupe d'écrits appar-
tient enfin la Vie de sainte Macrine, ibid., col. 959-1000,
biographie de cette sœur de Grégoire, qui remonte
sans doute à l'an 380.
4° Discours. — Indépendamment des homélies
exégétiques sus-mentionnées, les sermons qui nous
restent sont nombreux et offrent les thèmes les plus
variés, P. G., t. xlvi, col. 415 sq. Sermons de morale,
contre ceux, par exemple, qui diffèrent le baptême,
contre les usuriers, contre ceux qui s'affligent à l'excès
de la perte d'un parent ou d'un ami; sermons dogma-
tiques, entre autres le sermon Sur la divinité du Fils
et du Saint-Esprit, prêché, selon toute apparence, à
Constantinople en 383, et demeuré depuis fameux dans
la littérature grecque chrétienne; sermons sur les
fêtes annuelles de l'Église, Noël, Epiphanie, Pâques,
Ascension, Pentecôte; panégyriques de personnages
éminents du temps passé, saint Etienne, saint Théodore
martyr, les quarante martyrs de Sébaste, saint Grégoire
le Thaumaturge; oraisons funèbres de saint Basile, de
Mélèce d'Antioche, mort en 381, de la princesse
Pulchérie, morte en 385 ou 386, et de sa mère, l'impé-
ratrice Flaccile, morte peu après. Saint Grégoire, par
son éloquence, est bien au-dessous de saint Basile
comme de son homonyme de Nazianze; il n'égale ni
la force ni la gravité ni la concision du premier, et ne
rappelle ni la vivacité du ton ni la richesse de coloris
du second.
5° Lettres. — Les vingt-six lettres que nous avons
conservées de l'évêque de Nysse, P. G., t. xlvi,
col. 999-1108, sont pour la plupart adressées à des
personnes amies et ne parlent guère que des incidents
de la vie de l'auteur. Citons néanmoins la lettre ne,
Sur les pèlerinages de Jéruscdem, ibid., col. 1009-1015,
où Grégoire blâme les abus que le pèlerinage de Jéru-
salem entraînait trop souvent, et rabaisse les avantages
spirituels qu'on y attachait ; le pape Benoît XIV l'en
reprendra fortement dans sa constitution Apostolica,
9, Bullarium Benedicti XIV, t. ni, p. 65-66. Je citerai
aussi la lettre écrite vers 390 à Letoius, évêque de
Mélitène, P. G., t. xlv, col. 221-236, laquelle expose
la discipline ecclésiastique sur les apostats et autres
grands pécheurs.
III. Doctrine. — ■ Philosophe autant que théologien,
saint Grégoire, comme les Cappadociens, eut à cœur
d'asseoir sur la philosophie l'exposition et la défense
de la foi chrétienne et de concilier l'esprit du ive siècle
et l'orthodoxie traditionnelle. Malheureusement, ses
souvenirs de la culture hellénique ne l'ont pas toujours
bien servi, et son attachement passionné aux idées
d'Origène, en ce qui regarde notamment la résurrection
du genre humain, a compromis le succès de la mission
qu'il s'était donnée.
ls.M
GREGOIRE DE NYSSE
GREGOIRE DE RIMINI
I S.M>
Le dogme de la trinité a particulièrement attiré
son attention et inspiré sa plume. En Dieu, l'évêque
de Nysse ne s'est jamais lassé de soutenir, avec l'unité
de la nature, la trinité des personnes; il est un nicéen
convaincu, un continuateur de saint. Athanase. Un
platonisme exagéré le conduit même à étendre l'unité
numérique de la substance ou de la nature jusque
dans l'ordre des choses créées, P. G., t. xlv, col. 180.
Voir t. v, col. 2455. Mais il remarque, en parant le
danger de son système, que le mot Dieu désigne avant
tout une activité, non pas la nature; Oeo; se rattache
au verbe 03aa6ai, et s'entend de celui qui voit tout.
Voir t. îv, col. 1087-1088. Or cette activité, bien que
les trois personnes divines y prennent également leur
part, ne laisse pas d'être unique; elle a sa source dans
le Père, passe par le Fils et se termine dans le Saint-
Esprit. Ibid., col. 120 sq. Rien, ici, qui rappelle l'activité
de trois hommes réunis pour produire le même effet.
Ibid., col. 125-129. La distinction des personnes divines
repose toute sur leur origine, l'une étant cause, tô at'xtov,
les deux autres étant causées, to aîxtaxo'v. Ibid., col. 133.
Les expressions dont se sert habituellement son homo-
nyme de Nazianze, àyEvvrjaia, ysvvr,cr.ç, èwro'pEuuiç, sont
aussi familières à saint Grégoire de Nysse; il préfère
cependant, là où il pèse ses mots, appeler le Fils, non
70 y£WT)-û'v, mais to p.ovo'yeveç, l'Unique engendré.
Après avoir distingué soigneusement l'Èwrdpeuciç de la
YÉWT)ffiç, il reconnaît dans I'Èx^ripEuaiç une procession, du
Père par le Fils : doctrine qui restera en définitive celle
de l'Église grecque. L'évêque de Nysse a déterminé le
caractère propre du Saint-Esprit avec une précision
que ni saint Basile ni saint Grégoire de Nazianze
n'avaient atteinte. P. G., t. xlv. col. 133. Voir t. v,
col. 784-787.
La deuxième personne de la sainte Trinité s'est incar-
née dans le sein de laVierge Maxïe.Ibid., t. xlvi, col. 606.
Ainsi, la Vierge Marie mérite le titre de 8eoTO>coç,non pas,
comme le veulent quelques moines et comme le voudra
Nestorius, celui d'àv0pio7:OToV.oç. Ibid., t. xlvi, col. 1024.
Car le Christ est une seule personne en deux natures,
é'v npo-j'onov, ibid., t. xlv, col. 697, SJo çuostç. Ibid.,
t. xlvi, col. 1112. L'élément humain du Christ et la divi-
nité demeurent en lui, sans confusion ni mélange, gar-
dant chacun leurs attributs propres. Ibid., t. xlv,co1.705.
Mais de l'unité personnelle du Christ dans la dualité de
ses éléments découle la communication des idiomes, c'est-
à-dire l'échange réciproque des propriétés, actions et
passions des deux natures. Ibid., col. 705. Quant à la
nature intime du lien qui unit en Jésus-Christ Dieu
et l'homme, la juste mesure des termes et la précision
rigoureuse de la doctrine manquent à l'évêque de
Nysse comme aux autres Cappadociens; il paraît
quelquefois supposer entre les deux éléments du Christ
une union simplement morale, ibid., col. 700-705;
souvent, au contraire, son langage offre une couleur
monophysite, car maintes fois, pour marquer l'union
des deux éléments en Jésus-Christ, il emploie le terme
d'àvâxpac.ç, lequel désigne dans l'usage commun le
mélange des liquides et la diminution de leurs pro-
priétés l'un pax l'autre. Ibid., col. 693, 697, 705, 708.
On retrouve dans les paroles de saint Grégoire la trace
de cette idée origénienne d'une certaine transformation
de l'humanité en la divinité après la glorification du
Sauveur.
.Mais nulle part l'influence d'Origône n'est plu;
sensible que dans le champ de l'eschatologie. L'évêque
de Nysse condamne sans doute formellement les
théories origénieimes, que Dieu n'avait créé d'abord
que de purs esprits et que l'âme humaine a été enfermée
dans le corps en punition d'une faute antérieure.
P. G., t. xxvi, col. 125-128. Il contredit aussi Origènc,
en soutenant, comme saint Méthode d'Olympie, l'iden-
tité matérielle du corps resuscité avec le corps vivant.
L'âme séparée, fait-il dire à sa sœur Macrine, ibid.,
col. 70 sq., demeure toujours à côté des éléments
corporels qui, sur cette terre, lui ont appartenu;
partout elle les suit et partout elle veille sur eux. jusqu'à
ce qu'elle en resaisisse, au moment de la résurrection,
ce qui lui est nécessaire pour son corps nouveau.
Saint Grégoire toutefois adopte pleinement l'idée
d'Origène que les peines de l'enfer, au lieu d'être de
purs châtiments, ont aussi une valeur médicinale et
qu'elles n'ont par suite qu'une durée limitée. Pendant
que Sévère d'Antioche, mort en 538, impute à l'évêque
de Nysse des erreurs touchant l'apocatastase, Photius,
Biblioiheca, cod. 232, le patriarche de Constantinoplc,
saint Germain mort en 733, jaloux de disculper
Grégoire, s'efforcent de prouver que les ouvrages de ce
Père ont été postérieurement altérés dans le sens de
la théorie origénienne. Photius, ibid. Malgré cette
apologie, renouvelée de nos jours par deux critiques
modernes, il est avéré maintenant, après les études
approfondies de Fr. Hilt, que l'orthodoxie de l'évêque
de Nysse sur ce point ne saurait être défendue. C'a
été la conviction de saint Grégoire qu'à la fin tous les
hommes et tous les démons reviendront volontaire-
ment, mais invinciblement, à Dieu. Voir t. v, col. 70-71.
Il est vrai que, pour se conformer au langage de
l'Écriture, il insiste sur l'inextinguibilité du feu,
sur l'immortalité du ver rongeur, sur l'éternité de la
récompense. P. G., t. xlv, col. 105; t. xlvi, col. 312.
Mais, au fond, il n'entend par cette éternité qu'une
longue série de siècles, t. xlv, col. 49; t. xlvi, col. 152,
157, et il tient, t. xliv, col. 764, que l'expression
scripturaire de « feu inextinguible » réclame une
exégèse anagogique. Voir t. v, col. 2201-2202. C'est
tout à fait la doctrine origénienne de l'apocatastase, à
cela près pourtant que, selon Origène, les âmes, en
possession de leur liberté, seront capables de passer
indéfiniment par des agitations nouvelles, et que,
selon Grégoire de Nysse, les âmes, revenues à Dieu, y
demeurent immuablement fixées. Pour sa doctrine
sur les démons, voir t. iv, col. 354-355, sur l'âme
humaine, voir t. i, col. 1001-1002, et sur la présence
réelle, t. v, col. 1148-1150. Sa doctrine sur la rédemp-
tion a été exposée par M. Rivière, Le dogme de la
rédemption, Paris, 1905, p. 151-159. Saint Grégoire
admettait les droits du démon sur l'humanité coupable
et enseignait qu'une rançon lui fut payée par le sang
du Christ. Le démon fut trompé, mais sans injustice.
Ibid., p. 384-386, 420, 422.
J. Rupp, Gregors, des Bischofs von Nyssa, Leben und
Meinungen, Leipzig, 1834; Fr. Diekamp, Die Wahl Gregors
von Nyssa zum Mttropolilen von Sebaste, dans Iheol.
Quartalschrift, 1908, p. 384-401; Fr. Hilt, Des heil. Grcgor
von Nyssa Lehre vom Menschen, Cologne, 1S90; A. Krampf,
Der Urzustand des Menschen nach der Lehre des heil. Grcgor
von Nyssa, Wurzbourg, 1889; W. Volbert, Die Lehre
Gregors von Nyssa vom Gutcn und Bcsen und von der
schliesslichen Uberwindung des Bbscn, Leipzig, 1897;
J.-B. Aufhauser, Die Heilslehre des heil. Gregor von Nyssa,
Munich, 1910; Fessler-Jungmann, Instilutiones patro-
logiœ, Inspruck, 1890, t. i, p. 565-600; P. Batiffol, La
littérature grecque, Paris, 1897, p. 288-292; Bardenhewer,
Les Pères de l'Église, nouv. édit. franc., Paris, 1905, t. n,
p. 103-122; Tixeront, Histoire des dogmes, Paris, 1909,
t. n, passim (voir table analytique, p. 522-523); Hurter,
Nomcnclalor, 1903, t. i, col. 156-163.
P. Godet.
26. GRÉGOIRE DE RIMINI, célèbre théologien
et philosophe italien de l'ordre des ermites de Saint- Au-
gustin, vécut dans la première moitié du xve siècle,
celle que parfois l'on a nommée « de décadence » pour
ce qui regarde la pureté des doctrines scolastiques, et
qui fut remplie par les disputes entre philosophes
réalistes et nominalistes. Venu à Paris comme étudiant
en 1322, il y resta dix ans pour se préparer au grade de
ls:,;;
GRÉGOIRE DE RIMINI -GRÉGOIRE (HENRI)
1854
bachelier, retourna alors en Italie où, pendant douze
ans, il enseigna successivement à Bologne, Padoue et
Pérouse, puis revint à Paris en 1310 dans le but d'expli-
quer au couvent de son ordre le Maître des Sentences
et arriver ainsi au grade de docteur en Sorbonne : ce
qu'il obtint effectivement, sur recommandation parti-
culière de Clément VI, en 1345. De retour ensuite à
Padoue, où il ligure, dès 1347, dans les Actes des
chapitres de sa province, en qualité de maître en théo-
logie, il fut élu un peu plus tard, c'est-à-dire en 1357,
supérieur général de l'ordre des augustins. Il avait à
peine commencé à se distinguer en cette charge par son
grand zèle pour la réforme des abus introduits çà et là
à la suite d'une épouvantable épidémie qui avait fait
périr la moitié environ de ses religieux, lorsqu'il mourut
inopinément à Vienne en Autriche quelques jours après
le 20 novembre 1358, date de son dernier document
ofliciel. Il fut enterré en cette ville, dans le même
caveau que Thomas de Strasbourg et, plus tard, le
premier historien augustin, Jourdain de Saxe. Ses
concitoyens lui érigèrent à Rimini un monument
funèbre avec l'épitaphc suivante :
Magistcr Giegorius Ariminensis | Ord. Erem. S. Augu-
sfini Prior Generalis | Eximius Philosophas, Theologus
acutissimus | optimorum morum splendore, magna;
doctrinse copia, prudentia, sanctimonia | Parisiensia egre-
gie sublimavit | gymnasia | multis editis libris Vienne
Austrise decessit Anno 1358. |
Plusieurs lui ont reproché en philosophie son trop
grand attachement à l'école nominaliste. Il était peut-
être visé, en effet, dans un décret du chapitre général
de son ordre tenu à Pavie en 1348, par lequel on défend
formellement à tous et à chacun des religieux augus-
tins « de garder la logique d'Occam, d'étudier ses
ouvrages, ainsi que d'enseigner ou de suivre en quelque
façon que ce soit ses opinions ou d'autres analogues,
pour autant qu'elles ne seraient pas appuyées sur la
doctrine approuvée d'autres docteurs véridiques. i
Toutefois il dut mettre assez de modération dans cet
attachement ou du moins s'en déprendre dans la suite,
si l'on en juge d'après le bref du pape déjà rappelé, le
surnom de Doctor aulhenticiis que lui appliquèrent les
contemporains, et surtout le choix de ses confrères
lorsqu'ils le désignèrent pour le généralat : il est difficile
d'admettre, en effet, que ceux-ci eussent accordé leur
voix à quelqu'un qui eût passé pour être en rébellion
avec une loi obligeant en conscience chacun des mem-
bres de l'ordre augustinien.
En théologie, il se dislingue surtout par son attache-
ment scrupuleux à la doctrine et même aux opinions
personnelles de saint Augustin : ce qui a induit le
cardinal Noris à affirmer « qu'aucun scolastiquc n'avait
dépassé Grégoire dans la connaissance des œuvres de
ce saint docteur. » Quant à la malicieuse épithète de
lurlor parvulorum, que lui accola le fameux Paolo
Sarpi et qui, appliquée plus tard à toute l'école augus-
tinienne, obligea ses partisans à riposter par l'expres-
sion de deceptores populoriim à l'adresse de leurs
adversaires, elle a pu être suggérée aussi bien parle
nom de famille de Grégoire, qui descendait des « Tor-
toricci », que par sa thèse connue sur la peine sensible
duc aux enfants morts sans baptême, opinion que l'on
peut voir assez clairement enseignée par saint Au-
gustin lui-même.
En attendant des recherches plus complètes et plus
critiques au sujet des ouvrages qui viennent de lui,
voici la liste de ceux que lui attribue le mieux informé
des bibliographes augustins: 1° Leclura in librum I cl II
Senlenliurum, in-fol., Paris, 1482, 1487; Milan, 1494;
Venise, 1518 (mss. à la bibliothèque Angelica, à la
Bibliothèque nationale de Paris [2 tomes], à Vienne
et à Padoue); 2° Leclura in III et IV Senlenliarum;
3° Liber de mûris, Rimini, 1622; 4° Liber de impre-
stanliis Venelorum el usuris, in-4°, Rimini, 1522; 1622;
5° Commenlaria in Epislolam D. Jacobi; 6° Libri XIV
super Epislolas D. Pauli; 7° Traclalus de conceptione
B. V. Marias, qui était autrefois conservé à la biblio-
thèque augustinienne de Milan ; 8° Sermoncs de lempore;
9° Sermoncs de sanclis ; 10° Quœslioncs mctaplujsicales ;
11° Traclalus de condilionibus Florenlinorum; 12° Tra-
clalus de inlcnsionc et remissione formarum;Vi° Car mina
ilalica el latina, au témoignage de Raphaël Adimario,
dans son livre : De silu Arimincnsi. p. 76.
Ossinger, Bibliolhcca augustiniana, Ingolstadt, 1768, au
mot Ariminensis ; Analecta augustiniana, 1911-1912, t. iv,
p. 278; Noris, Vindicim augustiniana-, p. 217; llurter, No-
menclator, 1906, t. n, col. 620-621.
N. Merlin.
27. GREGOIRE Henri, né le 4 décembre 1750, à
Vého (diocèse de Metz, archiprêtré de Marsal), fils d'un
humble tailleur d'habits, montra dès son enfance une
précocité peu commune. A 8 ans, un ami de sa famille,
l'abbé Cherrier, curé d'Emberménil, lui fit commencer
le latin et le mit à même d'entrer au collège des jésuites
de Nancy. Brillant élève, Henri Grégoire se plut, jus-
qu'à la fin de sa vie, à rendre hommage au savoir, au
dévouement et aux vertus de ses premiers éducateurs.
Il fit sa théologie au séminaire de Metz et fut ordonné
prêtre le 1er avril 1775. Après avoir été quelques mois
professeur au collège de Pont-à-Mousson, il fut envoyé,
le 3 janvier 1776, comme vicaire à Marimont; six ans
après, il succédait à l'abbé Cherrier dans la cure d'Em-
berménil.
L'abbé Grégoire fut un pasteur très pénétré de ses
devoirs, sans négliger pour cela de s'adonner à l'étude;
même dans les voyages qu'il entreprenait au temps des
vacances, il cherchait moins le délassement qu'un
moyen de compléter son instruction; il prenait des
notes qui sont conservées à la bibliothèque de Nancy
et dont il tira, à la fin de 1797, plusieurs articles qui
parurent dans la Correspondance sur les affaires du
temps. Tout en se montrant pieux et zélé, il appartenait
à la catégorie des jeunes curés qui se croyaient auto-
risés à intercaler dans leur enseignement religieux des
leçons de sciences physiques, des principes d'économie
rurale, des conseils d'hygiène et sans doute des digres-
sions politiques. Il obéit à cette tendance lorsqu'on
1788, il présenta à la Société royale des sciences et des
arts de Metz son Essai sur la régénération physique,
morale el politique des Juifs. Ce mémoire, qui fut cou-
ronné, annonçait déjà en Grégoire le défenseur de
toutes les libertés et l'adversaire irréconciliable de
toutes les oppressions.
En 1789, Grégoire sollicita et obtint un mandat de
député aux États généraux; il allait s'y trouver le col-
lègue dcl'évêquc de Nancy, M. de La Farc, que les curés
lorrains n'avaient pas cru devoir exclure de la députa-
tion, mais auquel ils prétendaient donner une leçon en
lui associant un jeune piètre d'opinions absolument
différentes. Il n'entre pas dans le cadre de cette notice
de retraçai' le rôle politique de Grégoire; il suffira de
dire qu'il marcha à la tète de la fraction la plus avancée
du clergé, et que, tout en s'inclinant par un reste d'ha-
bitude devant le principe monarchique, il fut de ceux
qui, dès l'origine de la Révolution, entreprirent de
saper les bases de la royauté. Après l'aventure de
Varennes, en juin 1791, il devait publier une lettre-
manifeste où il réclamait la convocation des électeurs,
à l'effet de nommer une « convention » chargée de juger
Louis XVI. Il se défendra plus tard d'avoir voté la
mort du roi, mais nous voyons ici que, longtemps ;i
l'avance, il excitait les passions populaires et préparait,
inconsciemment peut-être, un exécrable forfait.
Grégoire prit une part considérable à l'élaboration
de la Constitution civile du clergé et, le 27 décembre
is:ô
GRÉGOIRE (HENRI)
1856
1790, dès que le décret qui imposait le serment eut été
sanctionné par le roi, il se précipita à la tribune de
l'Assemblée, afin de ne laisser à personne l'honneur
d'avoir été le premier à jurer. Le 18 février 1791, il
fut choisi pour évoque dans les deux départements de
la Sarthe et du Loir-et-Cher; il opta pour Blois et fut
sacré le 13 niais, à l'Oratoire de la rue Saint-Honoré,
par Gobel, assisté par Massieu et Aubry, nouveaux
évêques de l'Oise et de la Meuse. Il prit alors un congé
d'un mois pour se rendre dans le diocèse que M. de
Thémines n'abandonna pas sans protester; il prit pos-
session et organisa un conseil épiscopal, mais, s'y con-
naissant mal en hommes, il favorisa des indignes qui
déconsidérèrent son administration.
Il lui tardait de retourner à Paris et de retrouver à la
Constituante la situation très en vue qu'il s'était faite
par son activité et son extraordinaire puissance de
travail. Il ne fit pas partie de la Législative et, entre la
séparation des Constituants et la réunion de la Con-
vention, il y eut un intervalle d'une année pendant
lequel il aurait pu se renfermer dans les devoirs de son
ministère épiscopal, mais souvent le politicien qui
s'était éveillé en lui reprenait le dessus : l'esprit révo-
lutionnaire transperçait dans ses lettres pastorales et
ses mandements. Il prit pour sujet de celui qu'il publia
au carême de 1792 : « le devoir pour tous les citoyens
de payer exactement leurs contributions. » Présidant,
le 14 juillet 1792, les fêtes de la Fédération, son sermon
fut une virulente diatribe contre la personne du roi;
il y joignit des insinuations grossières à l'adresse de
Marie-Antoinette, qu'il compare à Cléopàtre.
11 avait été élu membre de l'administration départe-
mentale et en était le président au mois d'août 1792;
peu de jours après les massacres des Tuileries, il fit
célébrer un service funèbre pour les patriotes qui
étaient tombés le 10 août; il prononça à cette occasion
un discours incendiaire sur ce texte : Nolilc confidere in
principibus. lui même temps, il publiait une lettre
pour annoncer l'abolition de la fête de saint Louis,
dont le crime était à ses yeux d'avoir régné sur la
France. Le 21 septembre 1792, jour où se réunit la
Convention, Grégoire prit l'initiative du décret qui
abolissait la royauté française. Le 15 novembre, quand
l'Assemblée, qu'il présidait, commença à discuter sur
le procès du roi, Grégoire demanda la parole pour
appuyer la mise en accusation.
Faut-il le ranger parmi les régicides ? Nommé, le
28 novembre, membre de la députation de quatre
représentants du peuple qui devait aller organiser ré-
publicainement le département du Mont-Blanc, fomu-
par l'ancien duché de Savoie, il fut absent de Paris pen-
dant trois mois. Il était à Chambéry quand Louis XVI
fut jugé et, aux quatre appels nominaux des 16 et
17 janvier 1793, il fut porté « absent pour mission. »
Et cependant l'accusation de régicide a pesé sur lui
pendant tout le reste de sa vie. Il était légalement
excusé, et, en 1816, son nom ne figura pas sur la liste
des conventionnels qui furent bannis pour avoir voté
la mort de Louis XVI. Ce qui aggrave son cas, c'est
que, le 13 janvier 1793, les quatre envoyés de la Con-
vention avaient écrit au président de l'Assemblée :
« Par la connaissance que nous avons des trahisons du
roi-parjure, nous croyons que ce serait une lâcheté de
profiter de notre éloignement pour nous soustraire à
l'obligation d'énoncer publiquement notre opinion...
Nous déclarons donc que notre vœu est pour la con-
damnation de Louis, sans appel au peuple. »
Ces paroles semblent correspondre au sentiment
intime de Grégoire qui. dans son Essai sur les arbres
tir In libellé, écrivait en l'an If, p. IG : Tout ce qui est
royal ne doit figurer que dans les archives du crime, »
p. 17 : « La destruction d'une bête féroce, la cessation
d'une peste, la mort d'un roi sont pour l'humanité des
motifs d'allégresse..., » p. 48 : « L'arbre de la liberté ne
peut prospérer qu'arrosé du sang des rois, » et ailleurs :
« L'histoire des rois est le martyrologe des peuples, »
ou encore : « Les rois sont dans l'ordre politique ce
que sont les monstres dans l'ordre de la nature. » Pour
se laver de cette terrible imputation, Grégoire s'est
prévalu de ce que, dans la lettre de Chambéry, on ne
trouve pas les mots « à mort » après celui de << condam-
nation »; il a prétendu que ses collègues les avaient
écrits d'abord, mais qu'il avait fait de leur omission
la condition absolue de sa signature. Il protestait avoir
toujours été partisan de la suppression de la peine
capitale et il rappela que dans son discours du 15 no-
vembre, il avait formellement dit : « Si Louis est un
traître, il faut le laisser en présence de ses remords,
et le condamner... à l'existence 1 »
En 1801, il essaya de détruire la légende qui s'était
accréditée; pendant le concile constitutionnel tenu à
Paris en 1801, il fit présenter par son ami Moïse, évêque
du Jura, un mémoire où étaient développés tous ses
moyens de défense. Annales de la religion, t. xiv,
p. 35-41. En 1819, quand il eut été élu député de l'Isère,
beaucoup de ses collègues demandèrent son exclusion
pour le motif d' « indignité ». Il se défendit alors avec
la dernière véhémence et protesta contre une accusa-
tion qu'il déclarait calomnieuse. Le gouvernement
trouva dans l'arsenal de la procédure parlementaire
un motif différent pour le faire invalider et la Chambre
n'eut pas à se prononcer, mais ses adversaires n'ont
pas désarme; ils n'ont jamais cessé de poursuivre sa
personne et ensuite sa mémoire, et ses avocats les plus
convaincus n'ont pas réussi à effacer complètement le
stigmate dont il reste marqué.
Au retour de sa mission en Savoie et à Nice, Grégoire
s'enferma dans les travaux obscurs du Comité d'in-
struction publique; il dut se prêter à diverses besognes
assez méprisables, mais coopéra aussi à des œuvres
utiles, comme la création du Conservatoire des arts et
métiers, celle du Bureau des longitudes et la restau-
ration de l'Institut de France, auquel il appartint
jusqu'à ce que l'épuration de 1815 l'en eût éliminé.
Un jour vint cependant où il sortit de son efface-
ment : le 17 brumaire an II, Gobel, terrifié par les
menaces des hébertistes, était venu à la barre de la
Convention pour déposer ses insignes épiscopaux et ce
fut le signal de ce qu'on a appelé la « déchristianisa-
tion ». Les curés et évêques constitutionnels qui sié-
geaient à la Convention se laissaient emporter par cette
vague d'impiété et montaient tour à tour à la tribune
pour renier les engagements qui les liaient encore à
l'Église. C'est alors que Grégoire entra dans la salle. Il
avait été sollicité par les entrepreneurs d'apostasies.
Mme Dubois, dont il était l'hôte, a raconté que, la veille
au soir, deux émissaires du club des jacobins s'étaient
présentés à Grégoire; écoutant à travers la porte, elle
avait entendu leurs flatteries, leurs promesses et leurs
menaces, scandées par des NON énergiques, seule
réponse qu'ils purent obtenir.
Grégoire savait donc d'avance ce qu'on espérait de
lui quand il parut à la Convention. lia consigné dans
plusieurs de ses ouvrages les courageuses paroles où il
affirma sa foi et revendiqua la liberté. A vrai dire, les
journaux du temps ne les ont pas enregistrées, soit parce
qu'au milieu du tumulte, elles n'avaient été entendues
que d'une façon confuse, soit parce cju'il eût été dan-
gereux de reproduire ce langage si peu d'accord avec
l'avilissement général des caractères. Grégoire prit
soin de rédiger son beau discours, qu'il a peut-être un
peu embelli, dans les diverses éditions qu'il en a don-
nées. Il n'en est pas moins vrai que cet acte de courage
pouvait lui coûter la vie; il ne s'était fait aucune
illusion là-dessus. Bentré chez les époux Dubois, il
leur annonça qu'on allait venir l'arrêter; il acheva de
1857
GRÉGOIRE (HENRI
1858
détruire tous ses papiers et fit promettre à sa fidèle
hôtesse que, lorsqu'il serait mort, elle irait à Ember-
ménil pour apprendre la fatale nouvelle à sa mère et
la consoler.
En dépit de ses appréhensions, Grégoire ne fut pas
arrêté; ses antécédents révolutionnaires le préser-
vèrent et aussi les amitiés qu'il conservait dans le
camp le plus avancé. En revanche, il ne craignit pas
de donner des gages au jacobinisme, notamment, au
cours de la séance du 31 mai, où il occupa le fauteuil
présidentiel. Par la suite, il eut conscience de ce que
sa conduite et ses discours de cette époque eurent de
peu épiscopal et son ami Hippolyte Carnot, chargé de
rééditer ses œuvres, avait reçu l'ordre d'en faire dispa-
raître quelques pages que Grégoire regrettait, tout en
s'excusant de les avoir écrites « en des heures canicu-
laires. »
Après la chute de Robespierre, il devenait moins
périlleux de parler. C'est à la fin de l'année 1794, les
31 août, 29 octobre et 14 décembre, que parurent les
trois rapports de Grégoire sur la destruction des objets
et monuments d'art accomplis pendant la Terreur.
Il trouva des accents indignés pour flétrir les nouveaux
barbares et, sous l'inspiration d'une sainte colère,
introduisit dans la langue française l'expression venge-
resse de vandalisme, qui a fait fortune. On a cherché
depuis à contester, ou du moins à atténuer la portée de
ses critiques, mais les apologistes de la Révolution
n'ont pas réussi à faire honorer les jacobins comme les
gardiens vigilants du patrimoine artistique de notre
pays. Tout au plus peuvent-ils dire que les Vandales
de 1793 ont fait école et qu'ils ont eu de nombreux
imitateurs.
Le 1er nivôse an III (21 décembre 1794), commence
une nouvelle période de la vie de Grégoire. Il paraît
renoncer aux préoccupations d'ordre laïc, dans les-
quelles la prudence l'avait retenu et il plaide résolu-
ment la cause de la liberté religieuse. Il parla impassi-
ble devant un auditoire hostile dont les formidables
rumeurs couvraient sa voix. On put croire que son
intervention avait été intempestive, et cependant elle
produisit ses fruits, car un mois plus tard, le 3 ventôse,
la Convention votait une loi, semée de restrictions
vexatoires, mais qui reconnaissait pourtant aux
croyants le droit de célébrer publiquement leurs exer-
cices religieux.
Au début de 1795, l'Église constitutionnelle avait
presque complètement disparu. La loi de 1790, qui
était sa raison d'être, s'était trouvée implicitement
abrogée le jour où l'Église avait été séparée de l'État;
de plus, ses ministres avaient fait preuve d'une telle
lâcheté sous la Terreur qu'elle avait sombré sous le
mépris universel. La plupart des jureurs avaient aban-
donné leur état et ceux qui avaient tenu bon devant
la persécution en étaient venus à comprendre la faute
qu'ils avaient commise en se séparant de la véritable
Église. Les rétractations se multipliaient et il semblait
que la cruelle épreuve du schisme allait prendre fin.
Obstinément attaché à ses opinions gallicanes et à
ses rancunes antiromaines, Grégoire entreprit d'en-
rayer ce mouvement de réconciliation, et il n'y réussit
que trop bien. Sa courageuse attitude au milieu de la
panique de 1793 lui donnait un prestige dont il fit le
plus déplorable usage. Servi par sa débordante activité,
par ses talents de polémiste et par une volonté de fer,
il allait rendre pour sept ans une apparence de vie au
parti constitutionnel. Mais son expérience des peti-
tesses humaines l'aida à comprendre que son pouvoir
ne serait incontesté que s'il ne s'exerçait pas ouverte-
ment. Les ex-constitutionnels ne voulaient pas de
pape, ils n'accepteraient pas davantage un antipape.
Grégoire recruta parmi ses collègues de la Conven-
tion quelques confrères qui formèrent avec lui le
DICT. DK THKOL. C.VI'HOL.
« Comité des évêques réunis » et c'est en se dissimulant
derrière ce léger rideau qu'il allait exercer une autorité
presque dictatoriale.
Il fonda un journal, les Annales de la religion, dont
il sera, sauf pendant de courts intervalles, le rédacteur
principal et l'inspirateur; il y luttera avec une infa-
tigable persévérance contre tous ceux qui ne parta-
geaient pas ses idées. Lutte circonspecte, mais coura-
geuse, contre l'athéisme officiel du pouvoir civil,
contre les blasphèmes des conventionnels, la persé-
cution tantôt sournoise et tantôt violente du Direc-
toire; mais aussi lutte acharnée contre les catholiques
soumis au pape, qu'il poursuit de ses sarcasmes, qu'il
diffame en répandant contre eux les accusations les
plus perfides, qu'il s'efforce de compromettre par des
dénonciations empoisonnées.
Il a rédigé coup sur coup deux « Lettres encycliques »
où il formule les règles nouvelles qui serviront de
charte à l'Église constitutionnelle restaurée et qu'il
réussira à faire accepter dans les trois quarts de la
France. Il réprimande les timides et les fait rougir de
leurs défaillances; il soutient ceux qui ont perdu cou-
rage, se tient en garde contre les jaloux, ménage les
esprits ombrageux, exploite les vanités et passe entre
tous les obstacles avec l'habileté d'un politique con-
sommé; il forme un faisceau presque homogène en
groupant des hommes des caractères les plus disparates.
En 1797, il réunit à Paris un concile qui ratifie les
mesures qu'il a improvisées sous le couvert des « réu-
nis ». Dans la province de Bourges, dont il est le plus
ancien évêque, il assemble un concile provincial par
lequel il fait adopter un projet de statuts synodaux;
partout où l'évêque est mort, ou apostat, il organise
des « presbytères » qui exerceront provisoirement le
pouvoir spirituel et travailleront à mettre fin à la
viduité de leur Église; c'est ainsi que, sous son impul-
sion, trente départements ont procédé, entre 1797 et
1801, à une élection épiscopale. Il étend le cadre de la
Constitution civile aux colonies d'Amérique, où il crée
des diocèses nouveaux auxquels il sait trouver des titu-
laires; il envoie des prélats qu'il a sacrés à Cayenne et
à Saint-Domingue et travaille ainsi à une œuvre qui
lui tient particulièrement à cœur, celle de l'évangélisa-
tion des noirs, dont il s'est déjà fait l'avocat à la Con-
stituante et à la Convention.
L'annonce d'une réconciliation officielle du Saint-
Siège et du gouvernement consulaire menaçait le déve-
loppement et même l'existence de l'Église constitu-
tionnelle. Quelques esprits superficiels se bercèrent
d'abord de l'illusion que le Premier Consul imposerait
au pape la reconnaissance d'un épiscopat gallican dont
Grégoire aurait été le patriarche ou le primat. On com-
prit bien vite qu'à aucun prix Pie VII ne se prêterait à
un tel accommodement. N'ayant pu tirer du futur
concordat les profits qu'ils en avaient attendus, les
constitutionnels s'en firent les adversaires irréconci-
liables et faillirent le faire avorter. Le second concile
dit « national » réunit à Paris en 1801 un grand nombre
de prélats constitutionnels; il avait pour but prin-
cipal de masquer le discrédit où était tombée déjà
l'Église schismatique, de donner le change sur l'in-
fluence qu'elle exerçait encore et d'arracher par l'inti-
midation ce qu'on n'avait pu obtenir par les flatteries.
Mais Bonaparte n'était pas de ceux qu'on fait reculer
par de pareils moyens, et, le 15 août 1801, le pseudo-
concile fut brusquement invité à se dissoudre. Peu
après, les membres de l'épiscopat constitutionnel
étaient prévenus qu'on attendait leur démission.
Se soumettant extérieurement, Grégoire et ses amis
reprirent le combat sous une autre forme : ils avaient
partie liée avec les adversaires de toute idée religieuse,
avec la coterie de l'Institut de France où dominaient
les tendances matérialistes et sectaires; se posant en
VI. — 59
1850
GRÉGOIRE (HENRI
1860
défenseurs des conquêtes de la Révolution, ces intel-
lectuels se complaisaient à caresser des utopies mal-
faisantes. Les assemblées politiques, sénat, corps
l.i i^latif et tribunal, renfermaient une majorité hostile
à toute entente avec Rome et la candidature de Gré-
goire au sénat fui l'œuvre de ceux qui voulaient don-
ner un avertissement au Premier Consul. L'élection
eut lieu le '25 décembre 1801 et c'était une véritable
provocation, puisque le principal adversaire du concor-
dat était choisi comme porte-drapeau par les grands
corps de l'État. Bonaparte répondit à cet acte d'indé-
pendance en éliminant des assemblées les meneurs de
l'opposition et en les remplaçant par des hommes à lui.
Le concordat fut ensuite voté à une immense majorité.
Grégoire avait renoncé à l'évêché de Blois, mais sa
démission était rédigée dans des termes qui prouvaient
qu'il n'avait pas désarmé; n'ayant plus rien à espérer,
il ne se croyait plus obligé à garder des ménagements.
Douze de ses collègues allaient être imposés au pape
pour occuper des sièges dans la nouvelle hiérarchie
catholique, mais Grégoire se sentait trop compromis
pour qu'il put être question de lui.
Au printemps de 1802, il quitta la France avec son
ami le janséniste génois Degola. Ils voyagèrent
d'abord en Angleterre, puis en Hollande et en Alle-
magne; c'était une tournée de propagande en faveur
de leurs idées; ils plaidèrent la cause des nègres, celle
des juifs, se donnèrent comme les missionnaires de la
paix universelle, ce qui ne les empêchait pas de réchauf-
fer partout les animositôs contre le pape et la cour de
Rome, dont ils se disaient les victimes.
Désormais Grégoire allait s'effacer. Membre à vie
du sénat, il y fut un des rares opposants à la procla-
mation de l'Empire; il vota aussi contre le rétablisse-
ment des titres nobiliaires, mais ne crut pas devoir se
dispenser d'accepter, comme sénateur, celui de comte
de l'Empire. Son esprit d'indépendance ne se réveilla
plus ciu'en 1814 et alors il sera l'un des premiers à
voter la déchéance de Napoléon.
Pendant dix ans, il avait vécu dans un isolement
profond, recevant peu et n'admettant dans son intimité
que des amis sûrs, comme les sénateurs Lanjuinais et
Lambrecht, qui partageaient tous ses regrets. Il entre-
tenait aussi des relations plus espacées avec d'anciens
membres de l'Église constitutionnelle, évêques démis-
sionnaires ou prêtres réadmis dans le clergé après une
soumission qui n'avait pas été exempte de restrictions
mentales. Ils surent exploiter l'indulgence du nouvel
archevêque de Paris, Mgr de Belloy, prélat pacifique
jusqu'à la pusillanimité. Quand il fut mort, l'empereur
plaça à Paris le cardinal Maury, qui eût été mal venu
à demander des comptes aux anciens intrus et à user
contre eux d'une autorité que le pape avait refusé de
lui reconnaître. La vacance du siège, de 1814 à 1819,
aggrava encore une situai ion anarchique et le cardinal
de Talleyrand, enfin mis en possession de l'archevêché
de Paris, se vit dans l'obligation de trancher dans les
abus et de sévir contre les insubordonnés. Plusieurs des
amis de Grégoire encoururent alors une disgrâce qui
n'était que trop méritée.
Le gouvernement de la Restauration s'était montre
d'abord plus débonnaire que celui de Napoléon; dès
1814, Grégoire avait pu mettre en vente son Histoire
des sectes religieuses, dont la première édition avait
été saisie par la censure impériale. Enhardi par ce
premier succès, il avait commencé à faire paraître des
écrits dont les titres anodins couvraient des attaque» a
peine dissimulées contre le nouveau régime. Enfin, en
1819 l'ex-évêque se démasqua en acceptant une candi-
dature d'opposition dans le département de l'Isère.
Il fut nommé, mais son succès provoqua une telle
explosion de colères qu'il lui fallut renoncer à rentrer
dans la vie publique. S'il se lava, vaille que vaille, de
l'accusation de régicide, il n'en restait pas moins le
prêtre qui avait proclamé à la tribune de la Convention
que « si la République se devait d'être chrétienne, le
christianisme ne pouvait être que républicain ». Il
devint ainsi le prisonnier du parti avancé, qui seul
pouvait accepter son passé, sauf à l'exploiter contre
les Bourbons.
Grégoire applaudit à la Révolution de 1830, puis-
qu'elle amenait au pouvoir ceux qui l'avaient toujours
soutenu; il savourait une vengeance et s'enracinait
de plus en plus dans les opinions qu'il défendait sans
relâche depuis quarante ans.
Telles étaient ses dispositions quand approcha
pour lui l'heure suprême. L'archevêque de Paris était
alors Mgr de Quelen, un saint, mais un intransigeant,
et la ténacité du Breton se trouva en présence de la
ténacité lorraine. Se soumettre à l'humiliante rétrac-
tation qu'on prétendait lui imposer, c'était pour Gré-
goire désavouer sa vie entière. Déjà gravement atteint,
il recouvra toute la vigueur de son esprit pour répéter
ses arguties favorites; se drapant dans une flère obsti-
nation, il se refusa à manifester le moindre repentir
Alors intervinrent des officieux qui se crurent assez
habiles pour trouver un terrain de conciliation. L'abbé
Guillon, professeur à la Sorbonne et que Louis-Philippe
venait de désigner pour l'évêché de Beauvais, eut la
faiblesse de se prêter à une parodie sacrilège; il se
présenta comme le délégué d'une autorité qui ne lui
avait donné aucun pouvoir et prétendit apporter à
Grégoire un pardon que le malade repoussait comme
une injure. Qui entendait-on tromper ?
Le 28 mai 1831, Grégoire mourut dans l'impéni-
tence. Et pourtant ses amis, en contradiction avec eux-
mêmes, réclamèrent pour lui les honneurs de la sépul-
ture ecclésiastique. Peu leur importaient les prières
d'une religion à laquelle ils ne croyaient pas, mais il y
avait un cadavre à promener, un apôtre, un précur-
seur, un martyr de la liberté à glorifier. Ils profiteraient
de cette occasion pour donner une leçon de tolérance
à l'archevêque légitimiste, dont ils venaient de dévaster
le palais; ils rappelleraient aussi au « roi-citoyen » que
c'était la Révolution qui lui avait donné sa couronne.
Les anciens insurgés de 1830, exploitant la complicité
du premier ministre, Casimir Périer, dictèrent leurs
volontés et quelques prêtres interdits allèrent célébrer
l'ollice funèbre dans l'église de l'Abbaye-aux-Bois, dont
le clergé s'était retiré, sur l'ordre de Mgr de Quelen.
Dans la rue de Sèvres était massée une foule ameutée
par les déclamations des journaux du parti démago-
gique; la « jeunesse des écoles » détela les chevaux du
corbillard et traîna le corps jusqu'au cimetière Mont-
parnasse. Là commencèrent les discours : Thibaudeau
le régicide et le jeune révolutionnaire Raspail se firent
acclamer en parlant de Grégoire... et de la République,
et, le soir, Louis-Philippe pouvait se demander si de
telles manifestations avaient consolidé son trône.
Il nous reste à apprécier en Grégoire l'homme poli-
tique, l'écrivain et le prêtre.
Le rôle politico-religieux de Grégoire est aussi facile
à définir que difficile à justifier. Sans avoir jamais,
semble-t-il, soull'ert personnellement des injustices
du sort, il s'était épris pour la liberté d'un amour que
la logique de son esprit positif avait poussé jusqu'au
fanatisme. Se posant en adversaire de tout despotisme,
il en vint à rejeter même toute autorité; après avoir été
rebelle à la papauté, il se mit à poursuivre la monarchie
d'une haine furieuse et ses rancunes, enfermées d'abord
dans l'ordre des abstractions, l'amenèrent par la suite
à coopérer, sans peut-être qu'il le comprit très claire-
ment, à des œuvres de sang, dont il a été rendu plus
responsable qu'il ne l'était en réalité. Ce ne fut pour-
tant pas un impulsif inconscient, car en lui la violence
n'excluait pas la finesse : au cours de son long conlfit
1861
GRÉGOIRE (HENRI
1862
avec l'Église catholique, il se révéla passé maître dans
l'art de la controverse cauteleuse et de même, après
avoir énergiquement tenu tête aux terroristes, qui
menaçaient son honneur et sa liberté, il fit preuve
d'une adresse peu commune pour cesser d'attirer l'at-
tention. Il réussit ainsi à vivre, comme son confrère
Siéyès, pendant que tant d'autres se montraient même
incapables de bien mourir.
Quand des circonstances, qu'il n'avait pas toutes
provoquées, le placèrent à la tête de l'Église constitu-
tionnelle, il eut la perspicacité nécessaire pour com-
prendre que son autorité cesserait d'exister le jour
où il en laisserait apparaître l'étendue; il manœuvra
donc avec assez de souplesse pour mettre toujours en
avant des compères dociles, auxquels il n'avait qu'à
souiller leur rôle.
Il combattait sur le terrain des idées, sans poursuivre
d'autre intérêt personnel que celui qu'éprouve un
ambitieux satisfait. Très dur pour lui-même, il se
sentait en droit de réclamer beaucoup de ses partisans
et il entendait être obéi quand l'exigeait le bien de la
cause commune. Il dédaigna les premières places, se
bornant à exercer une domination occulte et sacrifia
volontiers les apparences du pouvoir afin d'en mieux
posséder les réalités.
Ce qui fit en grande partie la force de Grégoire et ce
qui permet, dans une certaine mesure, de l'excuser,
ce fut le plein désintéressement qui caractérise sa vie.
Il lutta avec acharnement pour des idées qu'il croyait
justes et que sa conscience, étrangement aveuglée,
lui faisait un devoir de défendre. Dans ses plus lourdes
erreurs, il fut un convaincu et un pur.
Comme écrivain, Grégoire fut d'une fécondité inta-
rissable; son esprit curieux, servi par une extraordi-
naire faculté d'assimilation, le poussa à aborder indi-
stinctement les sujets les plus divers : théologie, phi-
losophie sociale, histoire et statistique religieuses,
agronomie, sciences naturelles, etc. Quand il siégeait
dans les assemblées politiques, il accepta de rédiger
d'innombrables rapports et présenta des motions dont
quelques-unes étaient précédées de longs préambules,
sur une foule de sujets ; l'enthousiasme patriotique lui
fournissait une compétence qui ne semble pas trop im-
provisée.
Si, dans les polémiques, il fut un jouteur redoutable,
trouvant, sans les chercher, les traits les plus incisifs,
il perdait de ses avantages quand il écrivait. Son style
était clair, sa plume alerte, mais il n'avait pas le loisir,
dans sa vie enfiévrée, de chercher la perfection litté-
raire et il ne paraissait pas y tenir.
Ses principaux ouvrages sont mal composés, alour-
dis par une érudition indigeste, qui n'était même pas
de première main et par des digressions interminables
qui en rendent la lecture fastidieuse. Il aimait à trans-
poser dans ses volumes nouveaux des chapitres entiers
tirés des précédents; il reprenait sans cesse, sous une
forme qu'il ne se donnait pas toujours la peine de
rajeunir, des pensées qu'il avait déjà développées
ailleurs; on reconnaît là l'homme tenace qui essaie de
vaincre en frappant sans relâche sur le même point
comme s'il voulait faire entrer de force dans l'esprit
de ses lecteurs la conviction dont il était possédé.
La liste complète des œuvres signées ou anonymes
de Grégoire comprendrait plus de 150 articles. J'ai dit
sa part prépondérante dans la rédaction des Annales
de la religion, journal officiel de son parti; il collabora
pendant toute sa vie aux périodiques dirigés par ses
amis : Correspondance sir les affaires du temps (1797),
Censeur, Minerve française, Chronique religieuse, Revue
encyclopédique, Revue ecclésiastique, etc.
Sa correspondance fui immense : on en peut juger
par les lettres qu'il recevait et qui forment une impor-
tante collection, classée avec soin, dont la garde est
confiée à M. Augustin Gazier, le savant professeur de
la Sorbonne. On sait avec quelle largeur d'esprit
M. Gazier ouvre aux profanes le sanctuaire dont, il est
le pieux desservant. Sa courtoisie est d'autant plus
méritoire que ceux qu'il introduit au milieu de ses
trésors ne sauraient partager absolument toutes ses
manières de sentir; mais il est trop droit et trop respec-
tueux des idées des autres pour vouloir leur imposer
les siennes.
Grégoire est un des hommes qui ont fait le plus de
mal à l'Église de France. Au moment où semblait
s'éteindre l'incendie du schisme constitutionnel, il l'a
rallumé et l'a attisé pendant sept années; jusqu'à sa
mort, il a. soufflé sur les cendres à peine refroidies.
Dans cette lutte ardente, il a usé sans scrupules des
armes les plus déloyales pour salir et compromettre
ses contradicteurs, pour propager des calomnies, accré-
diter de ridicules racontars et faire partager par ceux
qui relevaient de lui ses préjugés et ses rancunes.
Faut-il en conclure qu'il fut un prêtre indigne, sans
mœurs et sans foi ? Ceux qui l'ont dit se sont grave-
ment trompés. Grégoire, je le répète, prêcha et pro-
pagea les erreurs les plus pernicieuses, mais il en fut
la première victime. Obstinément révolté, il se forti-
fiait dans sa révolte en prenant pour modèles les glo-
rieux martyrs qui avaient résisté aux persécuteurs; il
se regardait comme un persécuté, comme un autre
Athanase, un autre Hilaire et ce qui était de l'endur-
cissement, il s'imaginait que c'était de la constance.
On conserve à la bibliothèque de l'Arsenal de petits
cahiers manuscrits qui jettent un jour insoupçonné
sur la vie intérieure de Grégoire. Recopiés chaque
année, ils renferment d'abord une sorte de calendrier
de ses dévotions personnelles : les anniversaires de son
baptême, de son ordination, de son sacre, ceux de la
mort de ses parents, puis les fêtes des saints pour les-
quels il avait un culte particulier : les patrons de sa
Lorraine, ceux du diocèse de Blois; il invoquait saint
Grégoire, sénateur d'Autun, puis évêque de Langres;
enfin les saints et saintes de race noire et tous les
apôtres des nègres. En appendice, il a fait transcrire
les prières spéciales qu'il récitait en leur honneur.
Puis vient son règlement de vie spirituelle : la retraite
annuelle, la récollection mensuelle, l'examen hebdo-
madaire, résumé des examens quotidiens, les pratiques
à observer pendant les temps de pénitence et aux
quatre-temps. Chaque nuit, « après le premier som-
meil, » il interrompait son repos, quittait son lit en
récitant le verset du psaume cxvm : Media nocle sur-
gebarn ad confilendum libi,et il commençait une longue
oraison nocturne.
Comment concilier cette existence toute pénétrée
de surnaturel avec son orgueilleux endurcissement
et sa fin scandaleuse ? Sept ans après lui, mourait
Maurice de Talleyrand, évêque apostat et marié. Par
un geste suprême et probablement sincère, le prince de
Bénévent avait paru désavouer toute une vie d'égare-
ments et l'Église avait ouvert ses bras tout grands a»
vieil enfant prodigue qui s'était humilié. Hautement
retranché dans l'infatuation que fortifiait le souvenir
d'une carrière sacerdotalemcnt pure, Grégoire s'obstina
jusqu'au bout dans son attitude de révolté et perdit
ainsi tous les mérites de son abnégation, de son courage,
d'une piété sincère, mais inutile, puisqu'elle était mal
dirigée. Son orgueil avait flétri d'incontestables vertus.
I. Œuvres de Grégoire. — Éloge de la poésie, couronné
par l'Académie de Nancy (1773); Essai sur la régénération...
des juifs, mémoire couronné par l'Académie de Metz (1788);
Deux lettres aux curés lorrains (1789); Discours prononcé à
Saint- Germain-des-Prés, le l'r novembre 1789, pour la béné-
diction des flammes (fanions) de la garde nationale ; Motion,
rapports, discours et opinions publiés en sa qualité de député
a la Constituante (1789-1791); Mandements, lettres pasto-
1863
GRÉGOIRE (HENRI) — GREGORIO
1864
raies et discours adressés au clergé et aux fidèles du diocèse
de Blois, discours politiques prononcés à Blois (1791-1801)
Lettre de communion adressée au pape, le 24 mars 1791
(en latin, 13 lignes); très nombreux mémoires, discours
rapports, etc., publiés en sa qualité de député à la Conven-
tion et aux Cinq-Cents; discours prononcés à l'occasion de
son élection au sénat (1792-1801); Trois rapports sur le
vandalisme et discours sur la liberté des cultes (1794, mais
réimprimés depuis); Essai historique sur les arbres de la
liberté (an II réimprimé en 1831); Lettres collectives.articles
de controverse ou de polémique et publications, générale-
ment anonymes parues dans les Annales de la religion (1795-
1802); Apologie de l'évêque Barthélémy de Las Casas, lecture
faite à l'Institut en 1798, et autres mémoires présentés à
l'Académie sur des sujets divers (1798-1810); Les ruines de
Port-Royal, 1801 et 1809; Essai sur l'état de l'agriculture
au XVI' siècle, mémoire lu à la Société d'agriculture en
1804; Oraison funèbre de Sermet, évêque démissionnaire de
la Haute-Garonne, 1808; Histoire des sectes religieuses,
2 vol., 1810 et 1814; 3« édit., 6 vol., dont un posthume
(1826-1834); De la domesticité chez les peuples anciens et mo-
dernes (1814); De la constitution française de 1S14, plusieurs
éditions; Essai historique sur les libertés de l'Église gallicane
(1818); Essai sur les congrégations hospitalières de Frères
pontifes, 1818; Essai sur les garde-malades et la nécessité
d'établir pour elles des cours d'instruction, 1818; nombreux
écrits, lettres et articles de journaux relatifs à son élection
dans l'Isère, 1819; Oraison funèbre de J.-A. Maudru, évêque
démissionnaire des Vosges, 1820; De l'influence du christia-
nisme sur la condition des femmes, 1821; Abdication volon-
taire et motivée de son titre de commandeur de la Légion
d'honneur,\822; Essai sur la solidarité littéraire entre savants,
1824; Histoire des confesseurs des empereurs, des rois et
autres princes, 1824; Histoire critique des dévotions nouvelles
au Sacré-Cœur de Jésus et au Cœur de Marie, s. d. ; Histoire
du mariage des prêtres, principalement depuis 1789, 1826;
Considération sur la liste civile (1830, se vend au profit des
blessés des journées de juillet); Écrits en faveur des juifs
(1789-1807); très nombreuses publications en faveur des
nègres et pour obtenir l'abolition de la traite (1789-1822);
Mémoires politiques, littéraires et biographiques, publiés sur
le manuscrit original, conservé à la bibliothèque de l'Arsenal,
par Hip. Carnot. A la suite du manuscrit des Mémoires, on
trouve deux œuvres inédites de Grégoire : Histoire de l'émi-
gration ecclésiastique et Révolte du clergé dissident (lisez :
catholique) contre le Concordat. Beaucoup d'œuvres de Gré-
goire ont été traduites en anglais, en allemand, en flamand,
en espagnol et en italien.
II. Ouvrages sur Grégoire. — Sur la mort et les funé-
railles de Grégoire, voir les journaux du temps, les mande-
ments et lettres de Mgr de Quelen et les écrits de l'abbé
Guillon. Voir aussi aux Archives nationales F 19, 1219
et 1236. — Notices par Buchez et Leroux, dans VHisloirc
parlementaire de la Révolution, Lavaux (réclame électorale,
parue en 1819); Cousin d'Avallon, Gregorcana, 1821;
Gazelle des cultes, 20 octobre 1829; Dugast (1833); Hip.
Carnot (en tête de l'édition des Mémoires); Kruger (en
allemand, 1838); Maggiolo (trois fascicules parus en 1875,
1884 et 1885; Niox; H. Hollard (thèse de théologie pro-
testante, 1895). Voir aussi Correspondance de Le Coz et de
Grégoire, publiée par M. L. Pingaud, 1906; Welvert, Gré-
goire fut-il régicide ? dans Lendemains révolutionnaires,
1907; Biographie d'Eustache Degola par A. de Gubernatis,
Florence, 1889 (nombreuses lettres de Grégoire aux jansé-
nistes italiens).
P. PlSANI.
28. GRÉGOIRE MAMMAS (fin du xiv« siècle,
1459), patriarche de Constantinople, surnommé aussi
Mélisene et Stratégopoulos. Il naquit en Crète et vint
compléter son instruction à Constantinople. De bonne
heure il embrassa la vie monastique et la pratiqua
pendant de longues années. Ses vertus et son mérite
le firent choisir comme confesseur de Jean Paléologue
et protosyneelle du patriarche de Constantinople.
En 1437, l'empereur l'envoya en ambassade auprès
de ses frères qui gouvernaient le Péloponèse. Au
concile de Florence où il représentait le patriarche
d'Alexandrie, Grégoire Mammas se rallia franchement
au parti de l'union et lui resta fidèle jusqu'à la fin.
Revenu à Constantinople, il s'employa de toutes ses
lorces à travailler au maintien de cette union et
s'attaqua spécialement à Marc d'Éphèse dont il réfuta
les écrits. Le patriarche Métrophane étant mort en
1443, Grégoire Mammas fut choisi pour lui succéder,
mais après bien des querelles et bien des intrigues.
Ses efforts en faveur de l'union se brisèrent contre
le mauvais vouloir des schismatiques. Ces derniers
lui causèrent tant d'ennuis que, découragé, il quitta
Constantinople en 1451 et se réfugia à Rome. C'est
là qu'il mourut en odeur de sainteté en 1459.
Grégoire Mammas a laissé quelques œuvres, dans
lesquelles se retrouvent la plupart des controverses
théologiques soulevées au concile de Florence. Cinq
seulement ont été publiées. Les autres, qui traitent des
azymes, de la condition des saints et de la primauté
du pape, sont encore inédites. Les œuvres publiées
sont: npoçxov ocÙToxpâ-ropa Tpa7r6ÏoO'vxo; 7tepî xàiv Upàiv
8oy[j.âTcov, P. G., t. clx, col. 205-248; 'AvTipprjTixo; eîç
tJjv 67riaTo).T)v Mapxou toû 'Eçiaou, ibid., col. 1 11-204 ;
'A;:o).oyia r.oôç, Tr,v Màpy.ou 'Ejps'aou ôaoXoyiav, col. 13-
110; 'Avaxpox7) xtôv auXXoyiCTTiy.tîiv xsçaÀaicov Mâpxou
'EcpÉao'j /.atà Aaiivov; 'ExOecjiç 7:iaxê(oç; 'A^oXovîa
7cspt TàJv kÉvte xecpaXatiov ttj'ç sv 'î'Xtopsvxioc aûvoBou.
P. G., t. clx, col. 9-12; Sathas, NgosXXïivtxri çiXoXoyta,
Athènes, 1868, p. 58-60.
R. Janin.
29. GRÉGOIRE PALAMAS. Voir Palamas.
GREGORIO (Maurice de), dominicain sicilien,
né à Camarata, en Sicile, dans la vallée de Mazzara,
du diocèse de Girgenti, et non point, comme le dit
Toppi, Biblioteca Neapolitana, p. 212, à Camelota,
dans le royaume de Naples. Il prit l'habit dans le
couvent de sa ville natale. Après avoir enseigné la
théologie dans son ordre, il fut promu au grade de
bachelier au chapitre général de Rome en 1612,
puis fait maître en théologie. Au chapitre général
de Milan (1622), il est institué régent des études du
collège de Messine. Il semble que dans la suite, de la
province dominicaine de Trinacrie ou de Sicile,
Gregorio se soit affilié à la province lombarde et soit
passé à Naples. Du moins Rovetta, Bibliotheca chrono-
logica, etc., en 1658, nous le montre comme fils du
couvent de Sainte-Catherine ad Formiilum. C'est là
qu'il demeura plusieurs années et se fit dans Naples
une renommée d'homme très savant. Il fit partie de la
faculté de théologie de l'université napolitaine. Sa
connaissance aussi bien du droit civil que du droit
canon le fit choisir par le cardinal Aquaviva et par
son successeur le cardinal Sabelli comme conseiller
et à ce titre Gregorio fit partie de la famille ecclésias-
tique de ces deux prélats. Il fut également vicaire
général d'Horace Aquaviva, évêque de Cajazzo.
Gregorio avait un goût très vif pour toutes les recher-
ches curieuses et d'érudition. Selon Mongitore,
Bibliotheca Sicula, Gregorio serait mort à Naples,
le 3 novembre 1651. Ecrivain d'une fécondité remar-
quable, il a laissé un grand nombre d'ouvrages, aux
titres étranges, mais significatifs. — 1° En théologie. —
1. Anatomia lolius Biblix Vetcris el Novi Teslamenli
et pnvcipuc Apocalypsis. et de omnibus cxposilionibus
suis, seu de scriptoribus ecclrsiasticis, cum simili-
twlinibus Homeri, Virgilii, Ciceronis, et declaraiione
cinblcmalum Alciali, Naples, s. d.; 2. sous un titre
un peu long Commentarii laconici ad sensum proœmii
paraphrastici in quatuor Sententiarum libros M. Pétri
Lombardi canonici regularis Laleranensis, ut in suis
clironicis, Novariœ Lombardiœ nati, et episcopi Pari-
siensis, peranliquos : ubi hoc in isto volumine mira
brevitale, ordine, ac clarilate, non solum universa theo-
logia conlinelur cum tcrminorum concordantia angelici,
sublilis doclorum, /Egidii augustiniani, Baconiique
carmelitœ, sed eliam summalim omnes controvcrsise
1865
GREGORIO — GRETSER
1866
Scoli in S. Thomam simul per singulos libros cum
rccentioribus, nec non oppositiones hœrelicales, cunctœ
earum elymologiœ, in cujuslibet dislinctionis flnem
rejectœ, et earum scriptores, et contra centum millia
falsorum deorum per abecedarium una cum ducenlis
et eo forte amplius antiquarum rccentiorumque opinio-
num disceplationibus a R. P. M. Maurilio de Gregorio
ordinis prœdicatorum Siculo Cammarala, etc., cum
addilione cjusdem styli quam brevissimi in hac ullima
impressione, omnium quœstionum et argumentorum
Scoti, Aureoli, Grcgorii Arimincnsis et cœterorum, a
principe thomislarum M. Johanne Capreolo colle-
clorum et solulorum, et per M. Paulum Soncinatem
in divinum epitoma sic nuncupatum et formalizatum,
quod dicitur Capreolinus plusquam decies impressum
propler ejus excellcntiam : nec non Monlagnoli, Ripie
episcopi, Gonzalez, Nugni, Nazarii, Bagnezii, Medinœ
et aliorum recentiorum ordinis prœdicatorum loca citala
ad solvenda argumenta scolistarum ullimorum, Herrerœ,
Radse, Vulpis plurimorumque, ut in fine prologi, etc.,
in-fol., Naples, 1645; 3. Viridarium omnium scienlia-
rum, in-8°, Naples; 4. Summa D. Thomœ cum supple-
mento ad III*™ partem, Naples; 5. Commentarii
laconici, ad sensum procemii in quatuor libros contra
gentiles, in-fol., Naples, 1644 ; 6. Encyclopeedia, id est,
omnium scienliarum circulus ad sensum procemii in
quatuor contra gentiles, in-fol., Naples, 1652; 7. Contro-
versiœ hœrelicales ex D. Thoma et Scolo, en italien;
8. Defensio D. Thomœ; 9. Tractatus de auxiliis,
Naples; 10. Physica, Melaphijsica, Malhematica, Mora-
lis; 11. In Geloloscopiam Prosperi Aldorisii commen-
laria, etc., ms. cité par Echard, Scriptores, t. il, p. 567.
— 2° En rhétorique. — Gregorio a laissé un certain
nombre d'ouvrages, où il réunit des lieux communs
pour servir à ceux qui font profession d'art oratoire :
1. Condottiere de' predicatori per lutte le scienze, d'onde
potranno cavar concetli non solo da quelle, ma da poeli,
e da tutti; professori di belle e di curiose letlere, con una
Pratica succinta délia santissima Inquisitione, etc.,
in-8°, Naples, 1615; Venise, 1627; 2. Rosario délie
stampe di tutti; poeli e poétesse antichi e moderni di
numéro cinquccenti, in-12, Naples, 1614. — 3° En
droit canon. — ■ 1. Aphorismi seu summœ omnium
conciliorum et bullarum a D. Petro usque ad prœsenlem
summum pontificem, cum expositione laconica para-
phrastira, etc., in-12, Naples, 1642; 2. Expositio
laconica paraphraslica omnium bullarum ad sensum
proœmii, ex prima sub D. Petro usque ad prœsenlem
summum pontificem contra Quarantam, Cappelanum,
Novarium, Cherubinos patrcm et filium, et cœleros bul~
laristas, qui incipiunt solummodo ex Gregorio VII
anno 1073, derelinquunl eliam mullorum aliorum pon-
tificum bullas post Gregorium, modo^ vcro adducunlur
omnes, ita ut nullus remaneat pontijex, qui non fccisset
saltem unam bullam, seu ordinationem, accipiendo
bullam large pro ordinalione : et quid sil buïla, unde
dicalur et quoluplex, ouvrage divisé en huit parties
ou traités, in-fol., Naples, 1645, 1649; 3. Ad concilii
Tridentini Margarilas, in-8°, Venise, 1619; in-4°,
1640; de même dans Baldassini, en appendice à son
ouvrage : Collectanea doctorum S. Rotai decisionum,
etc., in-fol., Iesi, 1761; 4. Praxis perutilis pro o/Jicia-
libus tribunalis Inquisilionis, in-8°, Naples, 1640, etc.
— 4° En histoire. — 1. Isola di Sicilia beata di San
Domenico : cioè Compendio délie Vite de'Frati singo-
lari Beati Siciliani dell'ordine di delto santo, in-8°,
Naples, 1611; 2. Idca di far le gallerie, doue si conten-
gono le propriété délie gemme, délie medaglie, con le
historié dell' Assirii, de' Persiani, de' Greci, de' Caldei,
e de' Romani, con molti secreti e virtù di piante, d'ani-
mali, e piètre, Naples, 1642.
Echard, Scriptores ordinis prœdicatorum, Paris, 1719-1721,
t. h, 566-568, et les différents auteurs cités par lui ;Reichert,
Acta capilulorum generalium, Rome, 1902, t. vi, p. 213, 339.
R. Coulon.
GRETSER Jacques, célèbre controversiste alle-
mand, né en Souabe, à Markdorf, au diocèse de Con-
stance, le 27 mars 1562, commença ses études au petit
séminaire d'Inspruck et entra au noviciat de la Com-
pagnie de Jésus à Landsberg, le 24 octobre 1578. Son
noviciat achevé, il étudie la rhétorique, puis la philo-
sophie à l'université d'Ingolstadt et se distingue aussi-
tôt, entre tous les étudiants, par une immense curiosité
d'esprit et une étonnante pénétration des matières
les plus diverses. De 1581 à 1583, il publie des poèmes,
des discours, des préfaces philosophiques. Professeur
d'humanités au collège de Fribourg, en Suisse, de 1584
à 1586, il fait applaudir ses drames de Naaman le
Syrien, de Nicolas d'Unterwald, de Nicolas de Myre.
De retour à Ingolstadt en 1586, il étudie la théologie,
sous les célèbres professeurs Grégoire de Valencia et
Mayerhoffer, avec un tel succès qu'on le charge avant
la fin de ses études d'expliquer Aristote à l'Académie.
Sa Disputatio de nalura et usu theologiœ prœsertim
scholasticœ, publiée à Ingolstadt, en 1588, dès sa
seconde année de théologie, avait fait présager en lui
un maître. Aussi, après avoir enseigné trois ans la
philosophie, de 1589 à 1592, fut-il donné comme suc-
cesseur à Grégoire de Valencia dans la chaire de théo-
logie scolastique et tout aussitôt commence la série
des innombrables travaux d'érudition, de théologie
positive, de critique des textes, d'histoire ecclésiastique
et profane, de controverse et d'apologétique qui ont
fait sa gloire et qui constituent en vérité « une œuvre
de géant. » La liste chronologique de ses œuvres soi-
gneusement établie par le P. Sommervogel d'après
un précieux manuscrit composé par le P. H. Roth,
recteur d'Ingolstadt, et revu par le P. Heser, compte
deux cents trente-trois ouvrages sur les questions les
plus variées et quarante-cinq manuscrits qui atten-
daient une dernière revision avant l'impression.
Plusieurs de ces ouvrages, comme le De sancla cruce,
auraient suffi à eux seuls à remplir la vie et à établir la
réputation d'un savant.
C'est surtout dans la controverse que Gretser a joué
un rôle de premier ordre qui lui a valu de violentes
attaques de la part des protestants, mais aussi la
reconnaissance de l'Allemagne catholique et l'admira-
tion de Clément VIII. Disciple et défenseur de Bellar-
min, s'il n'a pas édifié une œuvre aussi puissante que
celle de son illustre maître, c'est que les principales
choses avaient été dites sur les principales questions
par le savant cardinal et qu'il n'y avait plus qu'à porter
l'effort sur des points secondaires et consolider l'œuvre
au hasard des attaques directes ou détournées. Mais
il fallait aussi une incomparable érudition et une
infatigable activité jointes à une sûreté de doctrine
éprouvée pour faire face au mouvement de vigou-
reuse offensive mené alors par les professeurs en vue
des universités protestantes contre les controverses
de Bellarmin et contre tous les points de dogmatique, de
liturgie, de discipline ecclésiastique ou monastique
qui pouvaient provoquer un débat. Seul contre tous,
Gretser mena la grande bataille contre les Junius,
les Daneau, les Wittaker, les Librand, les Hunnius, les
Dujon, les Dresser, les Hospinien, les Pappus, les
Reinack, rude parfois dans ses coups, voire dans ses
invectives, car les mœurs du temps n'étaient pas à la
douceur, mais modeste dans la victoire. La controverse
s'engagea à propos du culte de la croix rejeté par les
protestants. Gretser en appela Lu ther lui-même et
publia son Lutherus Staurophilus, hoc est senlentia
Lutheri de prima Chrisli cruce, Ingolstadt, 1592, l'année
même où il remplaçait Valencia dans sa chaire de théo-
logie. Un instant détourné de la lutte par la rédaction et
la publication de ses Rudimenta linguœ grœcœ, Ingol-
1867
GRETSER
1868
stadt, 1593, qui remplacèrent aussitôt dans tous les
grands collèges de l'Europe les Rudiments de Nicolas
Cleinart, puis par ses Institutiones linguœ gnvcœ, 3 in-8°,
ibid., 1593, qui renouvelèrent les études grecques et
qui même dans la seconde moitié du xixe siècle n'ont
pas eu moins de dix éditions, Paris, 1852, édit. de
Guilhermy; Barcelone, 1887, etc., le P. Gretser reprit
les armes après la publication de l'Historia jesuilici
ordinis de Hasenmuller, par P. Leyser, Francfort-sur-
le-Mein, 1593. Il répondit, sous le nom de Pierre
Stévart. par son Apologia Pétri Slevartii Leodii, Ihco-
logiœ in Academia Ingolstadiana pro/essoris, ad principes
et ordincs sacri romani imperii, Ingolstadt, 1593;
Cologne, 1594. La lutte s'engage entre Leyser et Gret-
ser sur les doctrines de la Compagnie de Jésus et sur
le caractère de l'institut. Gretser répond par son
Epistola de hisloria ordinis jesuitici scripta ab Helia
Hasenmuller, Dillingen, 1594, et publie avec les correc-
tions, réfutations et additions nécessaires YHistoria
ordinis jesuilici de Hasenmuller, Ingolstadt, 1594;
trad. allemande, ibid., 1795. Ces débats passion-
nent alors toute l'Allemagne. Mais ce jeune professeur
est absorbé par la préparation de ses cours de théo-
logie et par l'édition de son Nomenclalor grœco-latinus,
Ingolstadt, 1595. A part une traduction latine, parue
en 1596, de l'ouvrage du P. Louis Richeome, La vérité
défendue pour la religion catholique, il ne reprend la
plume qu'en 1598 et publie la première partie de son
De crucc Chrisli, dont les autres volumes paraîtront
en 1600 et en 1605, à Ingolstadt. Dès lors ses grands
ouvrages de controverse se succèdent sans interruption
sous la poussée des circonstances : Libri quinque apologe-
tici pro vila Ignatii Loiolœ. Ingolstadt, 1599; Apologc-
licus Jacobi Gretseri S. J. adversus librum qui Introdu-
ctio inartem jcsuilicam inscribitur, ibid., 1600; Vindicatio
quorumdam Tertullianicorum a Franc. Junii caluinislœ
depravalionibus, ibid., 1600; De modo agendi jesuitarum,
ibid., 1600; Dejensio Apologiœ gallicans-, ibid., 1601;
Responsum Jacobi Gretseri S.J. theologi ad thèses /Egidii
Hunnii prœdicanlis Wilebergensis de colloquio cum pon-
tificiis ineundo, ibid., 1602. C'est la relation du colloque
de Ratisbonne en 1601 où Grelser, aidé du P. Tanner,
prit une part prépondérante, et réduisit au silence ses
adversaires dans les controverses relatives à la règle de
foi et à l'autorité du magistère ecclésiastique. Cf. Collo-
quium de norma doctrinœ et controversiarum religionis
judice, Munich, 1602. Une violente polémique s'engagea
entre protestants et catholiques au sujet du colloque.
Gretser protesta contre les relations soi-disant his-
toriques publiées par Hunnius et Zeœmann, dans une
série d'écrits tels que les Digressiones sex adversus
JEgidii Hunnii calumnias, Ingolstad, 1602, ou le Labij-
rinlhus Crelico-hunnianus, ibid., 1602, où la discussion
prend un tour personnel que les protestants depuis
Zesemann ont vivement reproché à Gretser. Il est incon-
testable que le sor.ci de la vérité n'obligeait nullement
Gretser à traiter les présidents luthériens de sancti
porci ou de barbati hirci et ces violences de langage
n'ont rien de commun avec la défense de la foi. Elles
s'expliquent toutefois, si elles ne s'excusent point, par
la rudesse des mœurs et le ton général des polémiques,
par l'ardeur de la lutte et la nécessité de faire face à
des adversaires qui eux-mêmes ne ménageaient ni
leurs coups ni leurs injures. Le Labijrinlhus Cretico-
hunnianus dont le titre complet manque assurément
de sérénité est une réponse de même style à l'ouvrage
de Gilles Hunnius intitulé : Labgrinthus primus papi-
sticus,hocest, Disputatio de papatu semetipsum contra-
diclionibus implicante, con/undenle et jugulante, etc.
Le reproche adressé à Gretser s'applique avec la même
force à ses adversaires.
La publication de l'Index expurgalorius des livres,
dressé par ordre de Philippe II et imprimé à Anvers
en 1571, avail provoqué chez les luthériens et les calvi
nistes de virulentes protestations contre cette atteinte
portée au nom du concile de Trente à la liberté de
penser et d'écrire. Gretser, dans son De jure et more
prohibendi, expurgandi et abolendi libros hœreticos et
noxios, Ingolstadt, 1603, s'attacha surtout à réfuter
les ouvrages de François Dujon et de Jean Pappus;
il justifie ï Index par l'histoire des papes et des conciles
et rejette sur les hérétiques l'accusation portée par eux
contre les catholiques d'avoir corrompu les ouvrages
des Pères. C'est un de ses écrits les plus solides et les
plus curieux : il n'eut pas de peine surtout à mettre
aux prises sur ce sujet luthériens et calvinistes.
Viennent ensuite divers ouvrages de polémique : Lithus
Misenus calvinisla nunc iertio libris quinque dedolalus,
Ingolstadt, 1604, dirigé contre Stein qui écrivait sous
le nom de Lithus Misenus ; Consolalio brevis sed cfjicax
pro Lilho Miseno calvinisla, ibid., 1604; Exercitatio-
niun thcologicarum libri sex, ibid., 1604, commentaires
humoristiques appuyés sur des faits curieux relatifs
à des médailles frappées en l'honneur de Luther ou du
colloque de Ratisbonne et réponse vigoureuse à l'Anti-
Gretserus de Hunnius. Cf. Baillet, Des satires person-
nelles, t. ï, p. 179 sq.
En 1605, Gretser publia le t. m du De cruce Clirisli
œuvre d'une érudition prodigieuse qui met à contribu-
tion, en dehors de la théologie spéculative, la patris-
tique, l'histoire, la numismatique, l'étude des monu-
ments et qui ajoute à ces données positives admirable-
ment disposées une collection de plusieurs pièces
inédites d'auteurs grecs, telles que les homélies de
saint Germain, patriarche de Constantinople, In adora-
lionem sanctx crucis, du diacre Pantaléon In exalla-
tionem sanclœ crucis, et autres documents dont plu-
sieurs ont été insérés dans la P. G. de Migne, t. xvm,
col. 397-402; t. xlix, col. 393-398 et 407-418, etc.; de
plus, un recueil de chartes du moyen âge sur l'anti-
quité des pèlerinages en Terre Sainte et un catalogue
de tous ceux qui ont fait ce pèlerinage depuis Con-
stantin. L'ouvrage est dirigé contre les hérétiques qui
ont proscrit le culte de la croix, notamment les protes-
tants dont il relève avec soin et combat pied à pied les
assertions, en faisant ressortir l'évolution de la doc-
trine luthérienne depuis ses origines. On a reproché à
Gretser son manque de critique à l'égard de certaines
légendes. C'est lui reprocher d'être un fils de son temps :
il admet volontiers tous les faits qu'il rencontre sur la
foi d'une tradition dont on n'avait pu encore réviser
les données. Cette tendance subjective à tenir pour
vrai ce qui semble favoriser sa cause atteint, sans
doute, sur bien des points de détail la valeur documen-
taire de son livre; l'ouvrage n'en reste pas moins un
monument d'incomparable érudition et les conclusions
de la controverse gardent leur force indemne de ces
défaillances. La reproduction des textes est toujours
rigoureusement fidèle et aucun auteur protestant n'a
pu reprocher à Gretser d'avoir inexactement rendu la
pensée de ses adversaires ou faussé le sens des docu-
ments : en cela il n'a jamais cessé d'être un modèle
pour les controversistes.
Ses polémiques avec Stein et Libavius ne sont que
des intermèdes. Il jette dans la mêlée son Bavius et
Meevius, Ingolstadt, 1605, et YEpislola grœca Simonis
Lilhi Misent in sua elemenla resnlula, ibid., 1605, et
consacre deux importants ouvrages à la défense de la
confrérie des flagellants, fort répandue alors en Alle-
magne : De spontanea disciplinarum seu flagcllorum
cruce, Ingolstadt, 1606; Cologne, 1607, et à la défense
des pèlerinages et des processions : De sacris et religiosis
percgrinalionibus libri quatuor; De Ecclesiœ calholicœ
processionibus seu supplicalionibus libri duo, Ingolstadt,
1606; Cologne, 1608. Fidèle à sa méthode d'investiga-
tion documentaire, il publie dans ce dernier ouvrage
1869
GRETSER
1870
tout ce que l'antiquité chrétienne peut lui livrer sur ce
sujet; mais il se montre trop confiant clans les tradi-
tions populaires. C'est la période de production intense.
Voici les Oraiiones et quœstiones sur divers points de la
vie de Luther, Ingolstadt, 1606; le Panegyricus Mise-
nicus, le Sligma fronlis Misenicœ, Y Honorarium Polij-
carpicum, le Palœmon, le Paracletus Lulhcranus et la
Demonstralio adversus sectarios prœcipuorum quorum-
dam Ecclesiie catholicœ dogmatum ex eommunibus
Èvvoiaiç, Ingolstadt, 1606. Ce dernier ouvrage, réédité
en 1608 sous le titre de Murices catholicœ et germanicœ
antiquitalis, avec d'importantes additions, est resté
longtemps populaire en Allemagne grâce à la traduction
du P. Conrad Vetter.
Le plus célèbre de ses ouvrages, celui qui a le moins
souffert des injures du temps et qui a porté les coups
les plus rudes au protestantisme en Allemagne est sa
défense des controverses de Bellarmin, dont le Ier vo-
lume, in-fol. de 1082 p., parut à Ingolstadt en 1607 :
Conlroversiarum Roberti Bellarmini S. R. E. cardinalis
amplissimi defensio. Tomus primus de Verbo Dei. Le
t. ii, De Christo Chrislique vicario, ponlifice romano,
parut en 1609. Tout l'effort de la critique protestante
s'était évertuée contre le grand ouvrage de Bellarmin
qui ne laissait rien debout des doctrines luthériennes
et vengeait magnifiquement le dogme catholique des
attaques passionnées qu'il suscitait. Gretser reprit par
le menu les positions nouvelles adoptées par Witacker,
Daneau, Sibrand, Hunnius et autres polémistes, ne
négligeant aucun des ouvrages protestants dirigés
contre Bellarmin, formulant les objections dans les
termes mêmes où elles étaient posées et répondant avec
une précision et une fermeté souveraines. Toutes les
questions importantes sont traitées avec étendue, sur-
tout les questions scripturaires. Gretser avait reçu de
Rome l'ordre d'intervenir dans le démêlé de Paul V
avec la république de Venise et de réfuter le Trallato
de Marc-Antoine Capelle sur l'immunité ecclésiastique;
il le fit avec une rare maîtrise dans ses Considcrationum
ad theologos Venctos libri 1res de impunitate et libertaie
ecclesiastica, Ingolstadt. C'était encore défendre Bellar-
min dont Marc-Antoine Capelle prétendait suivre les
doctrines.
Il sulfit d'énumérer les ouvrages suivants de Gretser,
dont la plupart n ■ portent plus que sur des points par-
ticuliers ou complètent les grands traités : Spicilcgium
de usu voluntario per flagra castigationis pro tribus
libellis de disciplinis, Cologne, 1607 ; Prœdicans vapulans
et disciplinalus, Ingolstadt, 1607; Epitome germanica
ex Sarcerii volumine de disciplina, ibid., 1608; Man-
tissa ad primum tomum de sancla cruce, ibid., 1608;
Virgidemia Volciana, suivi de plusieurs dissertations
sur divers points de critique textuelle et d'histoire,
ibid., 1608; Apologia pro Gregorio VII avec des opus-
cules inédits de Bernaud de Constance, ibid., 1608;
Agonisticum spirituale de disciplinis, ibid., 1609;
Petrus Cnapheus seu Tullo, ibid., 1609; Relatio de
studiis jesuilarum abslrusioribus, ibid., 1609; Hœreti-
cus vesperlilio, ibid., 1610; Lutherus Academicus, ibid.,
1610; Furise prœdicaniium Augustœ Vindelicorum quin-
tum Evangelium evangelizantium, ibid., 1610; Pétri Cna-
phei Theopaschilœ Lixivium, ibid., 1610; De Lutheri
doctoralu et lulheranis doctoribus, ibid., 1610; Epistola
Cnaptica Pétri Cnaphei Teopaschitcœ, ibid., 1610;
Pharctra Terlulliana adversus hœreticos, ibid., 1610;
Vindiciœ Bellarminianœ et muricum prœdicanticorum,
ibid., 1611; Summula casuum conscientiee de sacramen-
tis pro sectariis prsedicantibus, Ingolstadt, 1611; Desid.
Erasmi Rolerodami de novo Evangelio novisque evan-
gelistis judicium, ibid., 1611 ; Antitortor Bellarminianus
Joannes Gordonius, ibid., 1611; De funere christiano
libri très adversus sectarios, ibid., 1611 ; Relectio insi-
pienlise et falsimoniœ Goldastinœ, ibid., 1611; Prœdi-
caniium Auguslanorum ob rclalionem Cambilhoniccum
repetitœ furiœ, ibid., 1612; Athleticœ spiritualis ge-
minœ..., ibid., 1612; Suppetilœ... adversus Joannem
Forslerum, ibid., 1612; De festis chrislianorum, ibid.,
1612; remarquable défense de la liturgie catholique
avec un magistral exposé des doctrines luthériennes,
calvinistes et anglicanes; Dissertatio pro sacratissima
corporis Christi solemnilale et sacrosanctœ eucharisliœ
cullu, ibid., 1612; Gemina adversus Melchiorem Guldi-
nastum... defensio, ibid., 1612; Gratiœ Danieli Cramcro
persolutœ, ibid., 1612; Arnaldi Brixiensis redivivi vera
descriptio, ibid., 1613; Ralegalio Lutheranorum et Cal-
vinianorum prœdicaniium ex sacro romano imperio, ibid.,
1613; Parœnesis ad omnes incorruptœ confessionis Au-
gustanœ Academicos, ibid., 1613; Brevis relatio de
colloquio 1613... Durlaci instiluto, ibid., 1613; Prœdi-
cans Heaulontimorumenus, ibid., 1613; Mysla Salmu-
riensis, ibid., 1614, dirigé contre l'ouvrage de Duplessis
Mornay : Le mystère d'iniquité, c'est-à-dire l'histoire de
la papauté, Saumur, 1611; Quid Lutherus de peccatis
senserit, Ingolstadt, 1614; De benedictionibus et male-
dictionibus, Ingolstadt, 1615; Libelli famosi... adversus
ill. card. Robertum Bellarminum eastigalio, ibid.,
1615; Admonitio ad exteros de Bibliis Tigurinis, ibid.,
1615; Rationes... cur prœdicantes a disciplinis, ciliciis
abstineant, ibid., 1615; Dormilorium apostalarum...
exslructum, ibid., 1616, réponse au traité de Justus
Jonas sur la fin malheureuse des protestants qui
reviennent à la foi catholique; Acta colloquii inter
P. Fr. Veronum S. J. et M. Adrianum Hucherum,
ibid., 1616; Admonilionis de Bibliis Tigurinis ad ex-
teros defensio, ibid., 1617; Contra famosum libcllum,
cujus inscriplio est : Monila privata Socielalis Jesu,
ibid., 1618; Stntentia S. Auguslini super Ma quœ-
siionc : Num heterodoxi metu pœnarum ad fidem calholi-
cam cogi possint, ibid., 1620; Camarina lulherana et cal-
viniana de peccatis et legibus, ibid., 1620; Disputalio de
variis cœlis lulheranis, zwinglinianis, etc., ibid,, 1621;
Index et dux hœreticorum hujus temporis, édité par
Stengel, ibid., 1629. L'authenticité de tous ces ou-
vrages est établie par le catalogue et les notes du
P. H. Roth, recteur d' Ingolstadt, et confirmée par les
recherches et la revision du P. Heser.
L'activité du P. Gretser ne fut pas moins étonnante
dans le domaine de l'histoire ecclésiastique ou pro-
fane et de la critique des textes. Les archives de
Munich lui ont livré leurs plus précieux manuscrits.
Il publie successivement, avec traduction latine :
D. Gregorii episcopi Nysseni commcnlarius duplex in
Psalmorum inscriptiones, Ingolstadt, 1600; Leonis
imperatoris homiliœ novem, ibid., 1600, textes inédits;
cf. P. G., t. xliv, col. 431-616; t. cvn, col. 171-202:
Chronicon Hippolyti Thebani, ibid., 1603; S. Gregorii
Thaumaiurgi, episcopi Neocœsareœ, duodecim capita
de fuie et anathematismi, ibid., 1603. La liste complète
de toutes ces publications se trouve dans le P. Sommer-
vogel : elle comprend soixante-cinq documents, dont
vingt-neuf inédits, tirés des archives de Munich, de
Vienne et de Rome. Quelques-uns, comme les opus-
cules de Théodore Abucara, le discours d'Anastase le
Sinaïte sur la sainte synaxe, le troisième livre de
l'histoire orientale de Jacques de Vitry, sont de haute
importance. Des prolégomènes, qui forment de vrais
traités, et des notes savantes accompagnent ces édi-
tions : il faut citer spécialement le commentaire des
écrits d'Evrard de Béthune, de Bernard de Chaude-
font et d'Ermengard et autres auteurs contre les
vaudois : Trias scriplorum adversus waldensium sectam
Ingolstadt, 1614, etc.; les préfaces des Vetera monu-
menta contra schismalicos, ibid., 1612; les lettres des
papes à Pierre Cnaphée : Variorum pontificum ad
Petrum Cnapheum culijchianum epistolœ decem, ibid..
1616; le commentaire sur Codinus et la dissertation
1871
GRETSER
GREVE
1872
sur les images : Georgius Codinus curopalata de offiviis
et oflicialibus magnœ ecclesiie et aulœ Constanlinopoli-
tanœ, Paris, 1625, les Notes sur l'histoire de Canta-
cuzène, etc.
L'histoire profane lui est redevable d'excellents
travaux. 11 donne la première édition du fameux Codex
Carolinus, l'édition du meilleur manuscrit sur la vie
d'Otto de Bamberg, publie et rassemble une foule
d'importants documents inédits ou reproduits dans
des textes fautifs. Il pousse Gewold à éditer les Scri-
ptores rerum Boicarum; lui-même fait transcrire le
Chronicon Reichenspergense et réunit un grand nombre
de matériaux pour les Antiqua monumenta d'Henri
Canisius, Ingolstadt, 1601-1604. Leibniz place Gretser
à côté de Brunner pour les services rendus à l'histoire
de l'Allemagne.
Si l'on ajoute à ces immenses travaux les labeurs
ordinaires de sa charge de professeur à l'université
d'Ingolstadt, de 1589 à 1616, de prédicateur, de confes-
seur, on se demande par quel prodige un seul homme
a pu fournir une pareille carrière. Il fut aidé toutefois
dans ce formidable travail jusqu'en 1614 par le P. Fer-
dinand Crendel. Gretser ne donnait chaque nuit que
quatre heures au repos; la cloche du couvent voisin
lui fixait à minuit, au signal des matines, l'heure du
sommeil. Sa santé eut à souffrir de ce sévère régime
et Clément VIII, qui l'avait en haute estime, recom-
manda instamment à ses supérieurs de veiller sur les
jours de ce grand serviteur de l'Église. Sa réputation
était universelle. L'empereur Ferdinand II le consul-
tait dans les cas difficiles; à son retour de la diète de
Francfort où il fut élu empereur, son premier soin fut
d'appeler Gretser auprès de lui à Munich. Gretser
resta toujours un homme simple, modeste et droit, un
religieux d'éminente vertu. Il mourut à Ingolstadt,
le^28 janvier 1624. Son oraison funèbre fut prononcée
parle célèbre professeur de droit, Ferdinand Waizeneg-
ger^et la faculté de théologie fit aussitôt graver dans
la grande salle des cours un éloge magnifique du grand
controversiste qu'elle regardait comme sa gloire la
plus pure.
Depuis 1616, Gretser travaillait à une édition com-
plète de ses œuvres, qu'il revisait avec soin. Le
P. Georges Stengel continua activement ce travail.
L'édition ne parut qu'au siècle suivant, 17 in-fol.,
Ratisbonne, 1734-1742, sous la direction du P. G. Kolb.
B. Duhr, Geschichte der Jesuiten in den Làndern deutscher
Zunge, Fribourg-en-Brisgau, 1910-1913, t. n a, p. 531 sq. ;
t. il b, p. 391 sq., 654 sq.; Ad. Hirschmann, Jakob Gretser
als Apologetderôescllschaft Jesu, dans Theologische-praktische
Monastchrifl de Passau, t. vi, p. 474 sq., 545 sq. ; Gretsers
Sclirilten ùber das Kreuz, dans Zeitscliri/t fur kath. Théologie,
t. xx, p. 284; B. Duhr, Die deutschen Jesuiten als Historiker,
ibid., t. xii, p. 62; Ch. Verdière, Histoire de l'université
d' Ingolstadt, Paris, 1887, t. n, p. 230-239, 527-530; Max
Haushofer, Die Ludwig-Maximilians Universilàt in Ingol-
stadt, Munich, 1890, p. 17; Dùrrwâchter, Christophe Gewolde,
Munich, 1904, p. 39 sq., 102 sq.; Sommervogel, Bibliothèque
de la C" de Jésus, t. m, col. 1745-1809 ; Hurter, Nomenclator,
3e édit., Inspruck, 1907, t. m, col. 728-736.
P. Bernard.
GRÈVE. — I. Notion. II. Légitimité. III. Grève et
sabotage. IV. Grève et liberté de travail. V. Grève des
patrons ou lock oui. VI. Obligation d'éviter les grèves.
I. Notion. — La grève, que les théologiens contem-
porains appellent operistitium ou simplement cessatio
operis, est un produit d'origine récente : elle ne date
guère que du xixe siècle; elle consiste dans la cessation
collective et concertée de travail par les ouvriers d'une
usine, d'une industrie ou d'une profession. Operistitium,
dit Lehmkuhl, esl cessatio operariorum a labore consi-
lio'communi peracla. Theologia moralis, 11e édit., t. i,
p. 779. Pour qu'il y ait grève proprement dite, il faut
que la cessation de travail soit à peu près générale et
qu'elle résulte d'une entente entre les ouvriers inté-
ressés.
Les grèves sont occasionnées, parfois, par des injus-
tices dont l'ouvrier a à se plaindre ou par un légitime
désir, chez lui, d'améliorer son sort au point de vue du
salaire et à celui des heures de travail ; mais elles le sont,
souvent aussi, par des exigences exagérées, des mécon-
tentements mal fondés, des convoitises inacceptables
de la part des ouvriers, ou bien encore par des exci-
tations intéressées et des promesses trompeuses venant
de gens qui trouvent leur compte à ces conflits entre le
capital et le travail. Toutes les grèves ne sont donc pas
sérieusement motivées et justes.
La grève doit être considérée comme un fléau; car
elle entraîne un énorme gaspillage de forces produc-
tives, elle cause de grandes pertes et de grandes souf-
rances et laisse dans le cœur du vaincu — patron ou
ouvrier — des ressentiments qui préparent de nou-
velles collisions. Elle est préjudiciable à tous, même
quand elle n'est accompagnée d'aucune des violences
qui la rendent plus redoutable encore.
II. Légitimité. — La grève doit donc être consi-
dérée comme un malheur social; elle est un moyen de
guerre, elle a tous les inconvénients de la guerre;
malgré cela, les ouvriers ont, dans certains cas, le
droit d'y recourir. Ce droit est une suite logique du
droit naturel d'association. Si les travailleurs peuvent
licitement s'unir et se concerter pour défendre leurs
intérêts, ils peuvent tout aussi licitement s'entendre
pour décider la cessation collective de leur travail, au
moins lorsque cette cessation est, comme cela arrive
assez souvent, le seul moyen d'obtenir justice et de
faire prévaloir leurs légitimes revendications. Le droit
à la fin donne droit à l'emploi des moyens, pourvu que
les moyens soient honnêtes. Le droit de grève, les gou-
vernements de presque tous les grands États l'ont
reconnu, à la fin du siècle dernier; ils l'ont inscrit dans
la législation, tout en l'entourant de certaines réserves,
comme c'était leur devoir. La grève a cessé d'être un
délit, mais il ne s'ensuit pas qu'elle doive être toujours
tenue pour légitime. Il faut, pour en apprécier la
licéité ou la non-licéité, tenir compte et de la cessation
du travail en elle-même, et des moyens employés pour
la produire, et des conditions révolutionnaires ou régu-
lières dans lesquelles elle s'elïectue.
Les ouvriers ne peuvent légitimement se mettre en
grève tant qu'ils sont liés, envers leur patron, par un
contrat ou un quasi-contrat, à moins que ce contrat ne
soit notoirement nul, injuste, ou que le patron n'en ait
le premier violé les clauses. Le contrat de travail est un
contrat synallagmatique, il oblige les deux parties pour
tout le temps de sa durée; l'une d'elles ne peut vala-
blement l'annuler seule, parce qu'elle y trouve satis-
faction ou profit ; il faut le consentement des deux. Ce
n'est qu'à l'expiration de la convention ou à sa résilia-
tion librement consentie par le patron, que les ouvriers
ont le droit de cesser le travail : «L'ouvrier, a dit
Léon XIII dans l'encyclique Rerum novarum, doit
fournir intégralement et fidèlement tout le travail
auquel il s'est engagé par contrat libre et conforme à
l'équité. » Il est évident que, si le contrat avait été nul,
à l'origine, pour cause d'erreur, défaut de liberté ou
tout autre motif, le travailleur serait en droit de le con-
sidérer comme inopérant.
Le contrat aurait-il été valide, si le patron n'en
observe pas les clauses, les ouvriers peuvent, en toute
justice, considérer la convention comme résiliée et sus-
pendre le travail immédiatement : Anie lempus con-
tractus elapsum operistitium facere injustum non fuerit,
si ex parle domini aperta commitlitur conlractus lœsio,
neque Me monitus velit ab inferenda injustitia desislere.
Lehmkuhl, op. cit., p. 779. Il en serait de même si le
patron, sans violer les clauses proprement dites du
1873
GREVE
1874
contrat, lésait quelqu'un des droits inamissibles de son
personnel : comme serait abuser de lui en lui imposant
un salaire de famine, un travail exagéré ou exécuté
dans des conditions intolérables, etc. Injusla lœsio con-
tractas ex parle domini est depressio mercedis aperte
injusla, injusla denegalio requiei festivœ, continualio
pcriculi gravis conlra bonos mores. Ibid.
S'ils ne sont liés par aucun contrat, les ouvriers peu-
vent légitimement cesser de travailler, à la condition,
toutefois, de se conformer aux usages locaux et aux
coutumes professionnelles. Ces usages et ces coutumes
ont une vraie force obligatoire, elles s'imposent aux
ouvriers comme aux patrons; on est toujours censé les
avoir acceptées, quand il n'a pas été fait de stipulation
contraire. Mais hors de là, on ne peut invoquer aucun
motif pour dénier aux travailleurs le droit de se mettre
en grève. Ils demeurent libres, tant qu'ils n'ont pas
aliéné leur liberté : libres de travailler ou de chômer, de
mettre leur activité au service de celui-ci ou au service
de celui-là. S'il y a une chose dont l'ouvrier soit incon-
testablement maître, c'est bien sa personne et, par
suite, son travail qui n'est qu'une continuation de sa
personnalité. Il n'est tenu de le laisser au service de
quelqu'un que dans la mesure où il lui a plu de s'en-
gager.
Si tout ouvier qui n'est pas lié par un contrat peut
légitimement cesser son travail, même sans motif, il ne
peut légitimement inciter l'ensemble de ses camarades
à suivre son exemple, à moins qu'il n'y ait des raisons
graves et certaines de faire la grève. Toute grève entraîne
des maux aussi considérables que nombreux; elle est une
source de préjudices pour les patrons, la société, l'in-
dustrie nationale et même les ouvriers. Il est évident
que, pour être en droit de pousser à une mesure qui
aura de pareilles conséquences, on a besoin de motifs
proportionnés et sur le bien-fondé desquels il n'existe
pas le moindre doute.
En résumé, la grève étant parfois la seule arme de
défense vraiment efficace que possèdent les ouvriers,
on ne peut pas leur interdire de s'en servir, quand ils ont
besoin de protéger leurs justes intérêts; mais l'arme
est à deux tranchants, elle blesse fréquemment non
moins gravement ceux qui la tiennent que ceux contre
qui elle est dirigée, on n'est pas autorisé à la sortir à
chaque instant du fourreau et à en faire n'importe quel
usage.
III. Grève et sabotage. — Le sabotage est, aujour-
d'hui, le complément de presque toute grève violente.
Il consiste à immobiliser, à détériorer et même à
détruire l'outillage patronal. La grève, disent les défen-
seurs du sabotage, c'est la guerre; les ouvriers ont par
conséquent tous les droits de belligérants. Ils font ce
qu'on fait en campagne, on porte à l'ennemi le plus de
coups qu'on peut et l'on n'hésite pas à sacrifier tout ce
qui pourrait lui être de quelques secours pour emporter
la victoire. Si les travailleurs s'attaquent aux machines
et au matériel, ce n'est pas pour le vain plaisir de
détruire; c'est Uniquement parce qu'une impérieuse
nécessité les y oblige. S'ils n'immobilisaient pas les
instruments de production, ils iraient à la défaite.
L'intérêt supérieur de la classe leur dicte la conduite
à tenir; briser ce qui peut faire échouer la grève est
de bonne guerre.
Ceux qui parlent ainsi oublient que la grève ne peut
que très imparfaitement être comparée à la guerre et
que, même en temps de guerre, tout n'est pas permis. On
reste tenu au respect des personnes et des propriétés.
Des torts, seraient-ils considérables de la part des
patrons, ne sauraient légitimer de pareils actes. Même
commis à titre de représailles ils n'en seraient pas
moins criminels; ils déshonoreront toujours ceux qui
s'en rendent coupables. Ils sont, surtout quand ils vont
jusqu'à la détérioration grave et à la destruction,
réprouvés par la morale, flétris par la civilisation et
réprimés par les lois. Si on se bornait à une simple
immobilisation momentanée, sans détérioration, et que
la grève fût certainement juste, le procédé, quoique
d'ordre délicat, n'apparaît pas comme nécessairement
injuste et condamnable. Les ouvriers se comportent à
l'égard des machines et du matériel comme à l'égard
de leurs camarades disposés à continuer le travail, ils
les mettent dans l'impossibilité de faire échouer la
grève.
IV. Grève et liberté de travail. — Si la grève
dans certains cas est un droit, le travail pareillement
est un droit et un droit tout aussi strict et tout aussi
respectable. Il est possible que, lors d'une déclaration
de grève, certains ouvriers n'en soient pas partisans et
désirent ne pas abandonner l'atelier; en principe, ils
doivent être absolument libres de le faire. Ils ont la
disposition de leur activité; ils doivent pouvoir l'uti-
liser s'ils le veulent. Chacun est maître de faire ce qui
n'est pas défendu, et la liberté individuelle n'a d'autre
limite que celle qui lui est imposée par la loi ou exigée
par le respect des droits d'autrui.
Le droit de travailler peut se trouver en conflit avec
d'autres droits. Il y a des grèves incontestablement
motivées ; déclarées par la majorité des ouvriers inté-
ressés, elles n'ont été décidées que pour faire respecter
des droits certains qu'on s'obstine à méconnaître. Si
des camarades refusent de se solidariser avec les gré-
vistes et continuent à travailler, ces camarades pour-
ront être cause que les légitimes revendications formu-
lées seront rejetées et que justice ne sera pas rendue.
Leur droit de travailler ne peut pas s'exercer sans qu'il
en résulte un préjudice grave, non seulement pour les
grévistes, mais pour toute la corporation. Ce préjudice
grave, ceux qui ont cessé de travailler sont-ils tenus de
le laisser causer ? Si des deux droits qui sont en oppo-
sition l'un doit céder, n'est-il pas naturel que le droit
de quelques individus s'efface devant celui de la
collectivité ?
Tout le monde admet que les grévistes, lorsque la
grève a été déclarée pour des motifs certains, sérieux et
justes, ont le droit d'essayer d'amener tous leurs
camarades à y adhérer, non seulement en employant les
moyens de persuasion, mais encore en exerçant une
certaine pression morale : In lali casu, quando de lucndo
jure magni momenli agilur, fieri potesl, ut non violentiam,
quidem, al moralem quamdam coactionem conlra alios
operarios adhibere liccat, excludendo eos a bonis indebitis,
ne ipsi injuriœ repulsam inefficacem reddanl, modo
lamen hi sine proprio damno incurrendo communem
cum aliis causam agere possint. Lehmkuhl, ibid. Mais
jusqu'où peut aller cette coaction morale sans devenir
abusive; c'est très difficile à préciser.
Ce que l'on peut dire, c'est que jamais, pour entraîner
les hésitants ou réduire les opposants, il n'est permis
de recourir à la violence. Souvent les instigateurs de la
grève, pour la faire réussir, usent de menaces graves,
de voies de fait même; ils vont jusqu'aux coups et
blessures à l'égard de ceux qui ne leur paraissent pas
assez décidés à la cessation du travail. De pareils
procédés sont inadmissibles; dans aucun cas ils ne
sauraient être réputés légitimes, il y a des moyens que
la meilleure des fins n'arrivera pas à excuser.
Il est encore communément admis que, le droit de
travailler étant un droit certain et rigoureux, on doit
n'y apporter aucune atteinte tant qu'il ne se trouve
pas en conflit évident avec un droit tout aussi certain,
tout aussi rigoureux et d'un ordre supérieur. Si le
conflit existe évident, il semble naturel que, toutes
choses égales d'ailleurs, le droit d'ordre supérieur ou
d'ordre plus général l'emporte. L'on devrait donc
accorder que les grévistes, pour défendre leurs intérêts
et mettre fin à des abus se produisant à leur préjudice,
1875
GREVE
GRIDEL
187G
peuvent, dans certains cas, s'opposer au travail, à la
condition de le faire par des moyens acceptables et
de fournir à ceux qu'ils contraignent à la grève de quoi
faire suffisamment face à leurs charges familiales. Cette
thèse est théoriquement très soutenable, malheureuse-
ment son application risque d'ouvrir la porte à de
très graves abus. Il serait souverainement périlleux, en
effet, d'établir les ouvriers juges dans leur propre cause
et de les laisser se constituer leurs propres justiciers,
surtout à des heures d'effervescence et d'exaspéra-
tion.
V. Grève des patrons ou lock out (mettez dehors).
— Il arrive que les patrons d'une même région, soit
pour se défendre contre les coalitions ouvrières, soit pour
arrêter une production trop considérable, soit pour se
débarrasser de stocks de marchandises, soit pour
tout autre motif, s'entendent pour suspendre tous en-
semble le travail, renvoyer leur personnel et fermer
momentanément leurs ateliers, chantiers ou usines. Ces
grèves patronales sont-elles légitimes ? La question
peut être étudiée au point de vue de la justice et à
celui de la charité.
Au point de vue de la justice, les patrons peuvent
légitimement proclamer le lock oui, quand ils le jugent
à propos, s'ils ne sont liés à l'égard de leurs ouvriers
par aucun contrat explicite ou implicite; ils le peuvent
encore, même en l'existence d'un contrat, si les ouvriers
ont, les premiers, dénoncé ce contrat ou ont cessé d'en
observer les clauses ; ils le peuvent probablement pareil-
lement dans le cas d'un contrat non dénoncé et observé,
s'ils n'ont que ce moyen de se défendre contre d'in-
justes manœuvres de leur personnel, d'échapper à la
ruine ou seulement d'éviter de très graves dommages
sortant de la catégorie de ceux qui font partie des
risques professionnels. Ils se trouvent alors dans un cas
ou de légitime défense ou de force majeure qui excuse
la non-observation des conventions antérieurement
consenties. Mais, hors des cas qui viennent d'être
énumérés, les patrons ne pourraient, sans se rendre
coupables d'injustice, renvoyer des ouvriers envers les-
quels ils ont des engagements et les condamner, eux et
leurs familles, à une misère imméritée. Les droits et les
obligations des patrons sont corrélatifs des obligations
et des droits des ouvriers.
Souvent, quand les patrons pourraient en rigueur de
justice procéder à la fermeture momentanée de leurs
usines ou de leurs chantiers, la charité demande qu'ils
ne le fassent pas, s'ils n'y sont pas moralement con-
traints. La fermeture serait une calamité pour leurs
ouvriers qui vivent au jour le jour, n'ont généralement
aucune avance et sont, par suite, exposés, en cas de
chômage, aux pires privations et aux pires souffrances;
privations et souffrances que partagent leur femme et
leurs enfants. Des patrons chrétiens ou seulement
humains hésiteront avant de condamner tant de mal-
heureux à manquer des choses les plus nécessaires à la
vie; ils ne s'y résoudront qu'à la dernière extrémité et,
s'il faut s'y résoudre, quels que soient les torts qu'on
puisse avoir à leur égard, ils s'appliqueront, dans la
mesure du possible, à parer aux inconvénients de la
décision qu'ils ont la triste obligation de prendre.
VI. Obligation d'éviter les grèves. — A cause
des calamités de toute sorte qu'entraîne avec elle la
grève, patrons et ouvriers sont tenus de tout faire pour
l'éviter, ils doivent aller jusqu'aux limites extrêmes des
concessions et ne recourir à une pareille mesure que
lorsque des intérêts très graves sont en cause et qu'ont
échoué tous les autres moyens d'arriver à une solution
équitable. L'État, de son côté, doit faire tout ce qui est
en son pouvoir pour prévenir ces conflits préjudiciables
à tous. Son rôle et ses devoirs ont été précisés par
Léon XIII dans l'encyclique Rerum novarum. « Il n'est
pas rare, y dit-il, qu'un travail trop prolongé ou trop
pénible et un salaire réputé trop faible donnent lieu à
ces chômages concertés que l'on appelle grèves. A cette
plaie si commune et en même temps si dangereuse, il
appartient au pouvoir public d'apporter un remède, car
ces chômages tournent non seulement au détriment des
patrons et des ouvriers eux-mêmes, mais ils entravent
le commerce et nuisent aux intérêts généraux de la
société; et, comme ils dégénèrent facilement en vio-
lences et en tumultes, la tranquillité s'en trouve sou-
vent compromise. Mais ici il est plus efficace et plus
salutaire que l'autorité des lois prévienne le mal et
l'empêche de se produire, en écartant avec sagesse les
causes qui paraissent de nature à exciter des conflits
entre ouvriers et patrons. »
Une dernière question se poserait et elle est intéres-
sante : les engagements, arrachés à un patron sous la
menace de grève et à plus forte raison sous la pression
d'une grève déclarée, violent'- et ruineuse pour lui,
doivent-ils être considérés comme valables? Cette ques-
tion n'est qu'un aspect de celle de la liberté requise
pour la validité des contrats, qui a sa place ailleurs.
Pour la résoudre, il n'y a qu'à s'inspirer des principes
donnés sur la matière par les théologiens, les canonistes
et les jurisconsultes.
L. Garriguet.
GRIDEL Nicolas, prêtre du diocèse de Nancy, né à
Brouville en 1801, ordonné prêtre en 1830. Successi-
vement vicaire à Saint-Nicolas du Port et curé d'Ogé-
viller, il enseigna la théologie dogmatique au grand
séminaire de Nancy (1837), fut ensuite vicaire général
de Mgr Menjaud (1847) et en 1853 curé de la paroisse
cathédrale à Nancy. Prêtre zélé, énergique et austère,
il exerça sa forte influence partout où il passa et fut
mêlé pendant d'assez longues années à tous les évé-
nements qui à cette époque agitèrent le diocèse. Dési-
reux de voir la liturgie romaine remplacer les liturgies
particulières, il eût préféré le missel romain au missel
toulois dont Mgr de Forbin Janson venait de publier
une nouvelle édition; mais il ne put faire triompher ses
idées. En 1847, lors de l'affaire des frères Baillard, il fut
désigné par Mgr Menjaud pour remplacer Léopold
Baillard comme supérieur de l'Institut des Frères de
Notre-Dame de Sion-Vaudémont. Plus tard, en 1857,
il encourut lui-même la disgrâce de son évèque. Dans
une lettre confidentielle adressée à Mgr Menjaud, il
avait censuré fortement l'administration des vicaires
généraux qui dirigeaient le diocèse à la place du prélat
que ses fonctions de grand-aumônier retenaient souvent
à la cour de Napoléon III. L'évêque rendit la lettre
publique et le curé fut privé de sa cure. L'abbé Gridel,
qui garda sa stalle de chanoine titulaire, mit dès lors
son infatigable activité au service de l'Institution des
Jeunes- Aveugles de Nancy, qui périclitait et qu'il rendit
prospère, au point d'en être le vrai fondateur. Il mou-
rut le 6 avril 1885. On a de lui : 1° Elemenla theologiœ :
de divin ilale religionis et vera Chrisli Ecclesia, in-8°, Paris,
1843; ce volume ne devait être que le Ier d'une théo-
logie complète que M. Gridel se proposait de publier;
l'administration épiscopale, jugeant qu'il y soutenait
des doctrines non conformes à l'enseignement de l'Église
(doctrine menaisienne dusens commun), quoique les pro-
fesseurs de l'université de Louvain, à qui l'ouvrage fut
soumis, aient déclaré qu'il n'en était rien, refusa de l'au-
toriser à publier la suite de son ouvrage autrement que
sous le voile de l'anonyme. Mais l'éditeur n'y consentit
pas. M. Gridel supprima presque tous les exemplaires
de l'édition, qui sont fort rares, et renonça à son projet
de publier une théologie complète; son travail toute-
fois ne fut pas entièrement perdu, et il servit à la com-
position des autres ouvrages de l'auteur; 2° L'ordre sur-
naturel et divin, publié sous le nom de l'abbé Xavier,
in-8°, Nancy, 1847; 3° Soirées chrétiennes ou Explica-
tions du catéchisme par des comparaisons et des exemples,
1877
GRIDEL — GRIMALDI
1878
8 in-12, Paris, 1851-1854; souvent rééditées; 4° Cours
d'instructions religieuses, 2 in-12, Lyon, 1860; 5° In-
structions sur les sacrements en général et sur chacun en
particulier. Divinisation de l'homme parla grâce, 5 in-12,
Lyon, 1859-1803. C'est dans cette série que se placent
ses Instructions pastoredes sur le sacrement de mariage
d'abord prêchées à la cathédrale de Nancy. La liberté
avec laquelle il avait abordé et traité les questions
délicates relatives au mariage chrétien avait paru dan-
gereuse à l'autorité épiscopale qui avait refusé l'impri-
matur. L'auteur en ayant appelé à Rome de cette déci-
sion, l'ouvrage parut avec l'approbation de la S. C. de
l'Index et de plusieurs évoques. Il publia aussi des
Instructions sur les vertus chrétiennes et les péchés capi-
taux, 4 in-12, Nancy, 1860-1807. Ces écrits sont d'excel-
lents ouvrages de vulgarisation théologique. Dans son
traité de l'Ordre surnaturel et divin, il a eu, après
Rohrbacher dont il était le disciple et l'ami, le mérite
de remettre en lumière les doctrines alors trop oubliées
de saint Thomas sur le surnaturel et sur la grâce. Étant
vicaire général, il avait eu la part principale dans la
nouvelle rédaction du Catéchisme du diocèse de Nancy.
Curé de la cathédrale, il fut un catéchiste remarquable
et il forma une génération de chrétiens très instruits des
dogmes et des pratiques de la religion.
E. Martin, Histoire des diocèses de Tout, de Nancy et de
Saint-Dié, Nancy, 1903, t. m, p. 354, note et passim,
notamment, p. 396-398; Semaine religieuse historique et
littéraire de la Lorraine, 1885, n. 15; Hurter, Nomenclalor,
Inspruck, 1913, t. v, col. 1534.
V. Oblet.
GRIFFINI Michelange, théologien barnabite, naquit
à Lodi le 4 mai 1731, et en 1746 entra au
noviciat des barnabites à Monza. En 1747, après sa
profession, il fut envoyé à Milan, au collège de Saint-
Alexandre, et en 1750 à Bologne. 11 y approfondit la
théologie et la philosophie. Sa renommée de doctrine
était si grande que le cardinal Vincent Malvezzi,
archevêque de Bologne, lui confia, malgré sa jeunesse,
la chaire de théologie dans son séminaire. Il fut
nommé pénitencier, et il consacra sa vie aux études
scientifiques et littéraires, à la prédication et au minis-
tère apostolique. Sa mort eut lieu à Bologne, le 19 mars
1809. Voici la liste de ses écrits : 1° Pro Patrum eloquen-
tia in morum institutione tradenda adversus Joannem
Barbeyracium diatriba, Bologne, 1702; l'auteur y
réfute le Traité de la morale des Pères de l'Église, par
Jean Barbeyrac, calviniste; 2° Animadversioms in
Benedicli XIV binas constilutiones de non absoluendo
complice peccati contra sextum decalogi prœceptum com-
missi, Bologne, 1773; l'auteur y démontre l'utilité
des constitutions de Benoît XIV pour sauvegarder
la dignité du sacrement de la pénitence; il y défend
l'autorité suprême du pape au l'or intérieur et il pose
quelques règles générales pour bien saisir la portée
et l'étendue des mêmes constitutions; on trouve à la
fin de l'ouvrage seize cas de théologie morale qui se
rapportent à l'absolution des complices; ces cas ont
paru à part sous ce titre : Casus decem et sex expli-
canles Benedicli XIV binas constilutiones de non absol-
vendo complice peccati contra sextum decalogi prœceptum
commissi, decerpti ex opère ejusdem aucloris super easdem
constilutiones elaborato, Bologne, 1773; 3° Délia vila di
Monsignor Gioi<anni Maria Percoto (t 1770) délia con-
gregazione di S. Paolo, missionario nci regni di Ava e
di Pegu, vicario aposlolico e vescovo massulense. libri tre,
Udine, 1781; 2° édit., Crémone, 1898; 4° Plurium a
Sancta Scde apostolica danmatarum propositionum mora-
lium ex prœjaclis theologiœ principiis deprompla cen-
sura, ad usum sacerdolum, qui in collegio divœ Lucise
Bononiœ theologiœ nwrali operam dant, 2 vol., Bologne,
1791, 1792; l'auteur y examine un grand nombre de
propositions condamnées par les papes entre 1005 et
1752; 5° Lezioni morali sopra le qualtro virtù cardinali,
2 vol., Bologne, 1793; 6° Brevi riflessi di Eufrasio
Lisimaco sul libro délia Rijorma d'Italia, Bologne,
1794; 7° Ritiro spirituale di alcuni giorni per gli
chicrici regolari di S. Paolo dclti barnabili disposto da
un sacerdole délia slessa Congregazionc, 2 vol., Milan,
1800. Griffini a publié aussi la version italienne du
discours de saint Basile sur les classiques, et du dis-
cours du diacre Agapit à l'empereur Justinien, et il
a laissé inédits un catéchisme, tiré des écrits de saint
Augustin, et une apologie de la confession auriculaire.
J. A. S. (Ignace Augustin Scandellari), Delta vita e dette
opère del Padre D. Michel- A ngiolo Griffini prête professo
delta congregazione di San Paolo Elogio, Bologne, 1809;
Colombo, Profdi biografici di insigni barnabiti effigiati
sotlo i portici de collegio S. Francesco in Lodi, Crema, 1870.
A. Palmieri.
GRIFFON, théologien français de la première moitié
du xvme siècle, appartenait à la congrégation de la Doc-
trine chrétienne dont il fut pendant douze ans supé-
rieur général. Très opposé aux jansénistes, le P. Griffon
fit tous ses efforts, trop souvent sans succès, pour faire
admettre la bulle Unigcnitus et souscrire le formulaire
par les membres de sa congrégation. Il publia : Abrégé
de la théologie de S. Thomas, contenue dans sa Somme,
avec la résolution des principales difficultés qu'on peut
former sur les décisions de ce saint docteur, par demandes
et par réponses, 2 in-12, Paris, 1707.
Journal des savants, 5 mars 1708; Hurter, Nomenclator,
1910. t. iv, col. 060, note.
B. Heurtebize.
GRILLANDO Paul, jurisconsulte italien du xvie siè-
cle, a composé un traité De hœreticis et sorlilegiis
eorumque pœnis, Lyon, 1536 et 1547.
Joh. Fr. von Schulte, Die Geschichte der Quellen und
Literatur des canonischen Redits, in-8°, Stuttgard, 1880,
t. m, p. 456; Hurter, Nomenclator, 1906, t. n, col. 1341.
B. Heurtebize.
GRIM Lëopold, théologien ascétique et contro-
versiste, né à Bergreichenstein, en Bohême, le 15 no-
vembre 1688, entra dans la Compagnie de Jésus le
22 octobre 1707, enseigna d'abord les humanités et fut
nommé, dès la fin de ses études théologiques, professeur
de philosophie à l'université de Prague, où il se dis-
tingua par la clarté, la solidité et aussi par l'élo-
quence de son enseignement. La philosophie ne lui est
redevable que d'un traité de morale : Philosophia
scolaslico-cihica, in-fol., Prague, 1726. Chargé de la
chaire de théologie dogmatique, et de l'enseignement
du droit canon, il publia un traité De Deo uno, Prague,
1730, et des questions détachées sur les censures et
les contrats, qui n'offrent plus aujourd'hui grand
intérêt. Il n'en est pas de même de son Manuale
controversisticum, Breslau, 1732, et surtout de son plus
important ouvrage : Disscrtationcs theologicœ cum va-
riis quœslionibus siatum religiosum potissimum concer-
nentibus, Breslau, 1731, qui contiennent encore d'utiles
renseignements. Devenu maître des novices, puis
recteur de plusieurs collèges et provincial de Bohême,
le P. Grim se consacra tout entier à ses chères études
de spiritualité. Il reste de lui deux ouvrages d'ascé-
tisme devenus très rares : Cselum novum, Breslau, 1733,
et Jésus cruciftxus, orbis constitulus magister, ibid., 1733,
1737. Le P. Grim mourut à Brunn, le 26 avril 1759.
Sommervogel, Bibliothèque de la C'° de Jésus, t. m, col.
1830 sq.; Hurter, Nomenclator, 3e édit., Inspruck, 1913, t. v,
col. 234.
P. Bernard.
GRIMALDI Constantin, né à Naples le 30 janvier
1667, y mourut le 16 octobre 1750. A dix-sept ans, il
avait soutenu des thèses de philosophie péripatéticienne
avec une ardeur qui se changea en véritable haine avec
les années. Il étudia les mathématiques, apprit le fran-
1879
GRIMALDI
GROPPER
1880
çais et l'espagnol, acquit des connaissances médicales et
aborda aussi l'histoire ecclésiastique et la théologie.
Sur la fin de sa vie, il eut à subir quarante jours de
prison, comme suspect, 17 février 1744. Devenu avec les
années grand admirateur de la philosophie deDescartes,
Grimaldi partit en campagne pour la défendre contre
les attaques du P. Jean-Baptiste de Benedictis, jésuite,
qui, sous le pseudonyme de Benedetto Aletino, avait
publié cinq Leilere apologeliche in difesa délia teologia
scolastica e délia filosofia peripatetica, in-12, Naples,
1694; il donna d'abord dans ce but une Riposta alla
lettera apologetica in difesa délia teologia scolastica di
Benedetto Aletino, opéra nella quale si dimoslra esser
quanlo necessaria la teologia dogmalica e metodica,
tanlo inutile e vana la volgare teologia scolastica, in-8°,
Cologne (Genève), 1699. Vint ensuite la Risposta alla
seconda lettera apologetica di Benedetto Aletino, in cui
fassivedere quanlo manchevolc sia la peripatetica doltrina,
in-8°, Cologne (en Allemagne), 1702; et enfin Risposta
alla terza lettera apologetica di Benedetto Aletino, opéra
in cui dimostrasi quanto solda e pia sia la filosofia di
Renalo délie Carte, e perché questo si debba stimare più
d'Arislotile, in-8°, Cologne (Naples), 1703. Le P. de
Benedictis répondit d'abord par sa Difesa délia scolas-
tica teologia, in-12, Borne, 1702, qui renferme une lettre
à un personnage imaginaire, Luigi Oligero, et une Difesa
délia lettera précédente, al sig. Costantino Grimaldi; puis
par l'autre Difesa délia terza lettera apologetica, divisa
in tre parti, la prima teologica, l'altra filosoftca su
la filosofica carlesiana, e la terza critica su d'alcuni fatli
in essa conienuli, al sig. Costantino Grimaldi, in-8°,
Rome, 1705. Occupé à d'autres travaux, Grimaldi
laissa passer plusieurs années avant de reprendre
cette question, il revit ses Réponses et en donna une
nouvelle édition intitulée : Discussioni isioriche, leolo-
giche e filosofiche di Costantino Grimaldi, faite per occa-
sione délie Risposte aile leilere apologeliche di Benedetto
Aletino, 3 in-4°, Lucques (Naples, 1725). Le P. de
Benedictis était mort depuis 1706, ce ne fut pas lui qui
répondit, mais une sentence de l'Index, en date du
23 septembre 1726, inscrivant les Discussioni et les
Risposte parmi les ouvrages condamnés in prima classe.
Grâce aux recommandations du futur cardinal Tam-
burini et du P. Orsi, maître du sacré palais, moyennant
une rétractation signée par l'auteur, le 30 avril 1736,
les livres de Grimaldi furent enlevés de la première
série, tout en restant prohibés. Notre auteur avait déjà
subi les censures romaines pour ses Considerazioni leolo-
giche fcdle a pro delli edilti di Sua Maeslà Catlolica inlorno
aile rendile ecclesiastiche, divisées en deux parties, in-4°,
Naples, 1707, 1708. La première avait été condamnée
avec d'autres ouvrages sur le même sujet, par un bref
de Clément XI, du 17 février 1710, mais comme la
seconde n'était point comprise dans la sentence, un
nouveau bref du 24 mars la proscrivit également. Gri-
maldi écrivit encore une Disserlazione in cui si inves-
tiga quali sono le operazioni che dipendono dalla magia
diabolica, e quali quelle che derivono dalle magie artifi-
ciale e nalurale, qui parut après sa mort, in-4°, Rome,
1751. Il laissait aussi de nombreux manuscrits relatifs
surtout aux questions précédentes, et l'on veut qu'il
soit en grande partie l'auteur de l'ouvrage qui porte le
nom de son fils Grégoire, Istoria délie leggi e magistrati
del regno di Napoli, 4 in-4°, Lucques (Naples), 1732-
1752. En bon père de famille, Grimaldi voulait ainsi
assurer une place à son fils dans la république des
lettres.
Mazzuchelli, Vita di Costantino Grimaldi, opuscule 45 de
la Raccolla du P. Ange Calogera.Venise, 1728-1758; Zaccaria,
Storia Ictteraria d' Ilalia, Venise, 1753, t. iv, p. 176-185;
Melzi, Dizionario di opère anonimee pseudonime di scrittori
iialiani, Milan, 1848-1859.
P. Edouard d'Alençon.
GRISOT Jean-Urbain, théologien, né à Chancey
vers 1710, mort à Besançon le 13 avril 1772. Entré dans
les ordres, il fut tout d'abord employé au ministère pa-
roissial. Très estimé par son archevêque, Mgr Antoine-
Pierre de Grammont, il fut choisi pour un des direc-
teurs du séminaire de Besançon et il refusa toujours
toute dignité ecclésiastique. On a de lui : Lettre à un
ministre protestant au sujet d'une abjuration, in-12, Be-
sançon, 1755; Lettre à un protestant sur la cène du Sei-
gneur, ou la divine eucharistie, in-12, Besançon, 1767;
Lettres à une dame sur le culte que les catholiques rendent
à Jésus-Christ dans l'eucharistie, in-12, Besançon, 1770;
Histoire de la vie publique de Jésus-Christ tirée des
quatre évangélistes, avec des réflexions et une règle de vie
pour se sanctifier dans le clergé, 3 in-12, Besançon, 1765;
Histoire de la sainte jeunesse de Jésus-Christ, tirée de
l'Évangile, par forme d'entretiens, 2 in-12, Besançon,
1769; Histoire de la vie souffrante et glorieuse de Jésus-
Christ, de la dernière Pâque jusqu'à son ascension au
ciel, tirée des évangélistes, 2 in-12, Besançon, 1770. A sa
mort, J.-U. Grisot laissait des Projets de prône dont
Mgr Claude Drouas de Broussey forma les t. m-v des
Instructions sur les fondions du ministère pastoral
adressées par Mgr l'évêque de Toul, prince du Saint-Em-
pire, au clergé séculier et régulier de son diocèse, 5 in-12,
Paris, 1773. Ces Projets de prône furent ensuite publiés
à part et eurent plusieurs éditions; nous mentionne-
rons celle qui parut sous le titre : Projets de prônes pour
tous les dimanches et fêles de l'année, connus sous le nom
d'Instructions de Toul. Édition mise en ordre et aug-
mentée par l'abbé Breuillot, 4 in-12, Besançon, 1819.
Quérard, La France littéraire, t. in, p. 482 ; Feller, Diction-
naire historique, 1848, t. iv, p. 225; E. Martin, Histoire des
diocèses de Toul, de Nancy et de Saint-Dié, Nancy, 1902, t. n,
p. 563; Hurter, Nomenclator, 1912, t. v, col. 58.
B. Heurtebtze.
GROPPER Jean naquit à Soest, en Westphalie,
le 24 février 1503. Son père occupait une situation
importante dans cette ville. Il y fut même bourg-
mestre, et, en cette qualité, semble s'être opposé à la
révolution anabaptiste. C'est ce qui l'aurait obligé
plus tard à quitter Soest pour s'établir à Cologne.
Il avait une nombreuse famille, dont quatre fils, qui
se distinguèrent tous comme juristes et occupèrent
des situations élevées dans l'Église. Le plus jeune,
Kaspar, fut auditeur de Rote et chargé de missions
importantes par la cour de Rome. Cf. E. Schwarz,
Die Nunlialurkorrespondenz Kaspar Groppers, 1898.
Mais Jean, l'aîné, reste de tous le plus célèbre.
Dès l'âge de quatorze ans, il entrait à l'université
de Cologne pour y étudier la jurisprudence. Plus
tard seulement il s'adonna à l'étude de la théo-
logie, et, suivant ses propres paroles, « de façon
toute privée et sans maître ». Mais déjà ses succès
d'école l'avaient mis en relief. Le 7 novembre 1525,
il conquérait le grade de docteur en droit civil. 11
resta toujours très attaché à la faculté de droit de
l'université, et plus tard, malgré ses occupations et
ses dignités, il y faisait encore des cours.
Les honneurs venaient rapidement s'accumuler sur
ses épaules. En 1525, il était officiai du prévôt du
chapitre, en 1526, grand chancelier de l'archevêché,
en 1527, écolâtre de Saint-Géréon de Cologne, en 1532,
chanoine et en 1533, écolâtre de Xanten, en 1543,
doyen du chapitre tout à la fois à Xanten et à Soest.
Il usait d'ailleurs de tous ces titres et de tous ces
bénéfices pour le plus grand bien de l'Église et des
âmes. Dès ce moment, en effet, il s'occupait activement
de la réorganisation de l'archidiocèse de Cologne.
Hermann V de Wied, qui occupait le siège, était un
homme sans caractère et accessible à toutes les
influences. Gropper en profita tout d'abord. Il com-
posait en 1528 un plan de réforme de la province
1881
GROPPER
1882
électorale, basé sur l'accord de la loi civile et des
règles canoniques. Il y déterminait exactement les
juridictions, de façon à éviter les conflits qui étaient
tout à la fois occasion de luttes personnelles et de
scandale. Ce projet fut publié l'année suivante sous
le titre : Jurisdictionis ecclesiasticœ archiepiscopalis
curiœ Coloniensis reformatio, Cologne, 1529. En 1530,
il prenait un premier contact immédiat avec la
Réforme protestante. Il accompagnait son archevêque
à la diète d'Augsbourg. C'est là qu'il noua des relations
assez intimes avec Mélanchthon. Il allait d'ailleurs
avoir affaire directement avec la poussée protestante
qui essayait de pénétrer dans les provinces rhénanes.
Elle se faisait jour dès lors à Soest. Et c'est là
l'origine, dans la vie de Gropper, d'un curieux pro-
blème d'histoire littéraire. A partir de 1533 paraît
toute une série de publications satiriques, qui ridi-
culisent vivement les tentatives des réformateurs sur
Soest. Elles sont signées du nom, qui est évidemment
un pseudonyme, de Daniel de Soest. Les principales
sont la Confession des prêdicants de Soest (1534), le
Dialogue sur le début d'Isaïe (1537), enfin, en 1538,
Y Apologetikon. Ces ouvrages, écrits en bas-allemand,
sont certainement l'œuvre d'un homme qui connaissait
très bien Soest et sa situation intérieure. D'autre part, il
habitait Cologne. En effet, le conseil de Soest s'adressa
au conseil de cette dernière ville pour avoir le nom de
l'auteur. Il obtint, du reste, une réponse évasive.
Or, d'après Jostes, dont les conclusions sont acceptées
par van Gulik, le mystérieux Daniel ne serait autre
que Gropper lui-même. Pour des raisons purement
philologiques, qui d'ailleurs sont loin d'être décisives,
cette conjecture fut rejetée par Edouard Schrôder,
dans la Deutsche Lilteraturzcilung, 7 juillet 1888, et
par Seelmann, Littcraiurblall fur germ. und rom. Philo-
logie, t. xi, p. 178. Pourtant, les derniers travaux
de Schmitz-Kallenberg, qui démontrent les relations
étroites que Gropper garda toute sa vie avec sa ville
natale, tendraient à confirmer l'hypothèse de Jostes.
Le chancelier de Cologne y intervient dans des ques-
tions de discipline intérieure et d'enseignement.
Il reste en correspondance avec les prêtres catholiques
de la ville auxquels il donne des conseils. Il obtient
même la réintégration du gardien des frères mineurs
qui avait été expulsé. Une pareille influence répond
bien aux données du problème que pose Daniel
de Soest.
A la suite de la diète d'Augsbourg, Hermann de Wied
s'était décidé à réformer son diocèse. Le meilleur
moyen lui parut être la réunion d'un synode, qui
se tint effectivement à Cologne du 6 au 10 mars 1536.
Mais le concile avait été précédé de travaux importants
dus pour la plus grande part à Gropper. C'était d'abord
un projet de statuts concernant l'abus de l'excommu-
nication dans les affaires civiles, l'âge trop tendre de
certains bénéficiers, l'uniformité des rites et du missel
dans toute l'étendue de l'archidiocèse, les règles des
prédicateurs d'indulgences, la limitation du nombre
des processions du saint-sacrement, et la fixation à
25 ans de l'âge des vœux solennels. Toutes ces règles,
admises par le concile, se heurtèrent dans l'application
au mauvais vouloir des princes temporels, en particulier
du duc de Clèves. Aussi ne publia-t-on immédiate-
ment que la formule de la visite diocésaine avec un
résumé des canons, sous le titre : Formula ad quam
visilalio inlra diœcesim Coloniensem exigelur, Cologne,
1536. Deux ans après seulement parut l'œuvre com-
plète du synode sous le titre : Canones concilii provin-
cialis Coloniensis, Cologne, 1538.
Mais ce volume renferme autre chose que les canons
de Cologne. Il se complète par un travail qui est entiè-
rement de la main de Gropper et qui forme la pre-
mière de ses œuvres théologiques. Le chancelier d' Her-
mann de Wied avait voulu tracer un exposé complet de
la foi catholique, dans lequel il prenait position au sujet
des questions controversées. Il lui avait donné le titre
de Enchiridion chrislianse inslitulionis. On y trouve une
explication du symbole des apôtres, de la doctrine des
sept sacrements, de l'oraison dominicale et du déca-
logue. L'ouvrage, dès son apparition, provoqua les
éloges des plus célèbres théologiens catholiques de
l'époque. Pourtant le point de vue de Gropper est très
particulier. L' Enchiridion est, en effet, le programme du
parti des « expectants » qui cherchait une conciliation
doctrinale entre protestants et catholiques. Le point
délicat, origine du reste de toutes les autres divergences,
était la question de la justification. S'inspirant de la
doctrine du théologien de Louvain, Albert Pigghe
(Albertus Pighius), Gropper distinguait une double
cause formelle de notre justification, d'abord la justice
imputée, comme effet de la foi spéciale, puis la justice
inhérente, qui, toujours insuffisante, ne pourrait à elle
seule opérer la justification. Grâce à cette distinction,
on pouvait, pensait-il, interpréter dans un sens catho-
lique la théorie protestante de la sola fides. En même
temps, Gropper continuait ses travaux de réforme
intérieure dans l'archidiocèse. A cette fin, il publiait
cette même année son ouvrage allemand : Des Erz-
stiffts Côllen Reformation der welllicher Gericht, Rechts
und Pollizeij. Cet essai traitait surtout des tribunaux
civils. Mais il touchait aussi par bien des points à
l'organisation religieuse. Aussi Gropper y reprenait-il
différentes ordonnances qu'il avait déjà établies dans
sa Reformatio de 1529.
Une semblable activité avait fait avantageusement
connaître le chancelier de Cologne. Charles-Quint
résolut alors de l'employer pour une œuvre qui
répondait du reste aux idées et au caractère de Gropper.
L'empereur espérait toujours terminer les contro-
verses et les luttes religieuses par la voie pacifique
des discussions entre théologiens catholiques et théo-
logiens protestants. A cette fin, il provoquait, en 1540,
les colloques de Haguenau et de Worms. Gropper y fut
appelé et prit une part considérable aux essais de
conciliation, qui, du reste, n'aboutirent pas. Charles-
Quint ne perdait point ses illusions. L'année suivante,
la diète de Ratisbonne lui fut une occasion de renou-
veler la tentative. II y appela, du côté catholique,
Gropper, son ami Julius Pflug, évêque de Naumbourg,
et Jean Eck; du côté protestant, Mélanchthon,
Rucer et Pistorius. Les discussions furent présidées
par le palatin Frédéric et par l'évêque Granvelle. Les
cardinaux Contarini et Morone, favorables aux idées
de Gropper, y assistaient. L'empereur fit soumettre
aux théologiens un projet d'union dont on ne connaît
pas bien l'origine. Cf. L. Cardauns, Zur Geschichte der
kirchlichen Unions und Reformbeslrebungen von 153$
bis 1542, p. 16 sq. Après de longues discussions, sortit
de la collaboration de Gropper avec Rucer la formule
de concorde connue sous le nom d'Intérim de Ratis-
bonne. Elle traitait en vingt-trois articles toutes les
matières controversées. Pour la doctrine de la justifi-
cation en particulier, elle poussait à l'extrême la com-
plaisance vis-à-vis des théories protestantes. L'ori-
ginal latin en a été publié pour la première fois par
Eieck, Dasdreyfache Intérim, Leipzig, 1721.
Au moment même où Gropper pensait être arrivé
à une formule satisfaisante pour les deux partis, son
œuvre était attaquée des deux côtés à la fois. Mélanch-
thon déclarait ne pouvoir accepter ni la double justice,
ni la définition de la foi qui faisaient le fond de la
théologie des expectants. De son côté, Jean Eck com-
battait l'une et l'autre dans son ResponsumD. Joannis
Eckii thcologi contra librum Cœsareanum, publié par
Quirini, Epislolœ Reginaldi Poli, Rrixen, 1748, t. m,
p. xliii sq. Les auteurs de Y Intérim voulurent le
L883
GROPPER
188^
défendre et dans ce but écrivirent leur Contra
reprehensionem J . Eccii th. d. defensio libri, quem
imperaior nosler de religione colloqucntibus Ralisbonas
exhibait. Mais tout ce travail resta vain, et la diète
se sépara en remettant la solution des controverses
religieuses à un concile national ou général. C'était
l'échec pratique de la théologie des expectants.
D'autres difficultés attendaient Gropper. Hermann
de Wied, qui n'avait jamais été bien ferme, sous
prétexte de conciliation, penchait de plus en plus du
côté de la Réforme. Il avait appelé auprès de lui
Bucer, dont il suivait les conseils. Le chancelier de
Cologne se prêta un certain temps à ces compromis.
Il restait en correspondance avec le réformateur
strasbourgeois, lui communiquait des plans, l'exhor-
tait à la modération. La correspondance se transforme
même en colloques particuliers. Mais bientôt Gropper
aperçoit le danger. Dès 1542, il présente à l'archevêque
une supplique de l'université et du clergé lui deman-
dant d'éloigner Bucer. Il prend la tête du parti
catholique, obtient l'exclusion d'Oldendorp, professeur
de droit, partisan des nouvelles doctrines, poursuit
dans le clergé les partisans de la communion sub
utraque, combat le projet de réforme que l'archevêque
avait reçu de Mélanchthon et de Bucer et presse I
Charles-Quint d'intervenir en personne. Celui-ci oblige |
Hermann à se séparer de ses conseillers. Mais l'arche- |
vêque n'en publie pas moins son ordonnance sous le j
titre : Eun chrisllich Bedcncken eincr chrisllichen j
Rejormalion (fin 1543). Le chapitre et l'université
chargent une commission, dont Gropper est l'âme, de
réfuter cette ordonnance. Le résultat de ses travaux
fut le Christliche und Calholische gegenberichtung eins
ehrwirdigen Dhomkapitcls zu Collen wider das buch der
genanntcr Rejormation. Une traduction latine, due
à Everhard Billick, parut presque en même temps,
sous le titre : Antididagma (1544). L'auteur principal,
sinon unique, de ce travail est Gropper. On y retrouve
partout son esprit conciliateur et aussi sa doctrine
de la justification.
L'ouvrage fut, en général, favorablement reçu. Mais,
le 9 juillet 1544, l'université de Louvain, dans une
lettre à l'université de Cologne, y signalait quatre
points qu'elle considérait comme équivoques et
dangereux. Tous se rapportent à la doctrinejde la
double justice. Gropper. pour se défendre, composa
un mémoire intitulé: Articuli Antididagmatis nolati
per theologos Lovanienses. Il cherchait à démontrer
l'accord de sa doctrine de la justification avec les textes
des anciens Pères et des théologiens récents. Il invo-
quait surtout Albert Pigghe et, à tort du reste, le
théologien français Jean de Gaigni. Il prétendait même
que sa doctrine ne différait pas au fond de celle des
maîtres de Louvain. Son zèle de conciliation l'abusait
certainement sur ce point. Cette réponse était assez
vive à l'endroit de ses adversaires. Aussi, l'université
de Cologne, à qui elle fut soumise, jugea préférable
de répondre elle-même sur un ton plus modéré. C'est
ce qu'elle fit dans une lettre du 24 juillet 1544. Elle y
reprenait tous les arguments de Gropper dont elle
louait l'œuvre et le caractère.
Mais la doctrine de Gropper n'en était pas moins,
dès 1546, formellement abandonnée par les théo-
logiens catholiques qui prirent part au nouveau
colloque de Ratisbonne. Elle allait recevoir le coup
de grâce au concile de Trente. Après de longues
discussions et malgré l'appui de Seripando, les Pères, j
à la majorité de trente-cinq contre cinq, rejetèrent !
la thèse de la double justification. Elle fut donc for- !
mellement condamnée dans le décret du 13 jan- i
vier 1547 : Demum UKIC I jormalis causa (justifica- ,
lionis) est jusiilia Dei : non qua ipse juslus est, scd
qua nos juslos facii. Sess. vi, c. vu. Gropper se soumit
complètement, mais non sans regrets, à la décision
du concile.
Il était obligé de se défendre encore d'un autre côté.
Bucer venait, en effet, de publier un compte rendu
tendancieux du colloque de Ratisbonne. Il y ajoutait
un pamphlet dirigé spécialement contre Gropper sous
le titre : Eijn Cliristlich ongeferlich bedencken, wie
ein leidlicher Anfang chrisllicher Vergleichung in der
Religion zu machen seyn môchte. Bucer mettait en
cause l'empereur et la diète. Gropper répondit par:
Wahrhaftige Antwort und Gegenberichtung II. G Grop-
per ujj M. Buceri freventliche Clage und angeben,
Cologne, 1545. L'ouvrage était dédié a l'empereur lui-
même, et l'auteur, pour sa justification, l'adressait
à la diète de Worms. En même temps il défendait
pratiquement le catholicisme dans le diocèse de Co-
logne. Hermann de Wied favorisait de plus en
plus les prédicants luthériens. Gropper, à la tête des
catholiques, en appela d'abord à l'empereur. Celui-ci
n'obtint aucun résultat. Alors Gropper s'adressa au
pape. Une première bulle de Paul III (2 janvier 1546)
prononça d'abord la suspension contre l'archevêque.
Une seconde bulle du 16 avril l'excommuniait. Charles-
Quint se prononça dès lors nettement et menaça
Hermann de peine de corps. Celui-ci résigna le 25 fé-
vrier 1547. Son coadjuteur, Adolf de Schauenbourg,
fut nommé à sa place. Gropper ne fut pas étranger à
cette nomination, puisqu'il envoyait à Rome, le
27 juillet 1546, un mémoire dans lequel il défendait la
pureté de la foi du coadjuteur.
Toutes ces luttes avaient désorganisé la vie reli-
gieuse dans le diocèse. Le chancelier de Cologne
entreprit de la restaurer. Comme écolàtre de Saint-
Géréon, il publia tout d'abord un catéchisme sous le
titre : Capita instilutionis ad pietatem, Cologne, 1546.
Cet ouvrage était destiné à la jeunesse des écoles.
La question tout à la fois dogmatique et discipli-
naire qui avait divisé le diocèse était surtout celle
de l'eucharistie et de la sainte communion. Contre
les tendances luthériennes et utraquistes introduites
avec la connivence de Hermann de Wied, Gropper
protestait dans son ouvrage allemand : Vonn wanr,
wesentlicher und pleibender gcgenwertigkeit des Leybs
und Bluls Christi nach beschener Consekralion, Cologne,
1548. L'année suivante, il donnait un Libellus piarum
precum, manuel de piété destiné aux élèves de Saint-
Géréon. En 1550, il élargissait le plan de son caté-
chisme et en faisait un exposé complet de la doctrine
chrétienne destiné surtout au clergé. C'est VInstitutio
calholica, elementa christianœ pietalis succincta brevi-
tate complectcns, Cologne, 1550. qui eut un grand
succès et fut, quelques années plus tard, traduite en
français. Il y ajoutait une instruction pratique sur la
dispensation des sacrements : Wie bey haltung und
reichung der heiligen Sakramenten. . die Priester das
Volk und errichten môgcn, Cologne, 1550. Et enfin,
toujours pour l'élévation intellectuelle et morale du
clergé, une Formula examinandi designatos seu prsesen-
latos ad ecclesias parochiales, Cologne, 1550.
Charles-Quint n'avait pas abandonné ses projets
de conciliation religieuse. Comme les colloques ne
réussissaient pas, il se décida à publier une formule de
foi et de discipline qu'il voulait promulguer comme
loi d'empire. Ce fut le célèbre Intérim d'Augsbourg.
Il avait consulté les théologiens catholiques, Pflug
et Gropper en particulier. C'est très probablement le
projet de ce dernier qui s'est conservé manuscrit à la
bibliothèque de Zeitz. Il l'avait communiqué à Pflug
qui l'inséra mot pour mot dans son travail, dont
l'Intérim de 1548 n'est qu'un léger remaniement.
Le concile de Trente s'était de nouveau réuni le
1er mai 1551. L'archevêque de Cologne y partait
en septembre. Il emmenait Gropper avec lui. Celui-ci
1885
GROPPER — GROSSETESTE
1886
prit une part importante aux délibérations de la
commission qui préparait la xiv8 session. Le 25 oc-
tobre, il y traita, dans un discours de quatre heures,
la doctrine de la pénitence, dont il défendit le carac-
tère sacramentel contre Luther et Bucer. Le 14 dé-
cembre, il dressait, avec son ami Everhard Billick,
une liste de seize propositions hérétiques sur le sacri-
fice de la messe et le sacrement de l'ordre. Le jour de
l'Epiphanie 1552, il prononçait le discours solennel
en face des Pères assemblés. Ce discours fut imprimé
la même année à Cologne. Mais les temps devenaient
difficiles pour le concile. Adolf de Schauenbourg
quittait Trente en mars. Il est probable que Gropper
revint immédiatement avec lui.
Les éminents services qu'il avait rendus à la cause
catholique avaient été reconnus à Rome. Paul IV,
au consistoire du 18 décembre 1555, lui conféra la
pourpre cardinalice, avec le titre de Sainte-Lucie
in Silice. Malgré toutes les instances du pape, Gropper
refusa d'abord cet honneur. Il fit valoir des raisons
de santé qui lui rendaient impossibles le voyage et le
séjour à Rome. Il continuait, du reste, à Cologne son
œuvre de restauration catholique. Le roi des Romains,
Ferdinand, l'ayant sollicité de prendre part au colloque
de Worms (septembre 1557), il refusa. Une affaire plus
importante allait l'amener à Rome même, où il avait
cru ne pouvoir jamais venir. Adolf de Schauenbourg
était mort le 20 septembre 1556. Son frère Antoine,
qui lui succéda sur le siège de Cologne, ne régna pas
même deux ans (18 juin 1558). Le chapitre élut alors
le comte Gebhard de Mansfeld, dont l'orthodoxie
était plus que douteuse. Aussi Gropper prit-il immédia-
tement le chemin de Rome, pour empêcher la confir-
mation de cette élection. Ses adversaires, pour parer
le coup, le dénoncèrent à l'Inquisition, à propos de sa
doctrine sur la justification et de quelques phrases
peu précises sur la primauté de saint Pierre. A peine
arrivé, Gropper dut composer un mémoire justificatif.
Mais les cardinaux et Paul IV lui-même, si sévère
pourtant sur les questions de doctrine, ne semblent
pas avoir pris l'affaire au sérieux. Sa justification fut
pleinement acceptée Le pape le consulta sur les affai-
res religieuses d'Allemagne. Gropper lui soumit un
mémorandum dans lequel il préconisait le concile
général comme seul moyen d'arriver à l'union. Mais
toutes ces intrigues et le surcroît des affaires dont il
s'était chargé l'avaient épuisé. Il mourut à Rome
le 13 mars 1559. Le pape lui-même voulut prononcer
son oraison funèbre au service qui eut lieu à Santa
Maria del Anima.
Liessem, Johann Groppers Leben, Cologne, 1876; K. Var-
rentrapp, Hermann von Wied, Leipzig, 1878; L. Pastor,
Die kirelilichen Reunionsbestrebungen wàlirend der Regie-
rung Karls V, Fribourg, 1879; F. Jostes, Daniel von Soest,
Paderborn, 1888; E. Schwarz, Hislorisches Jahrbuch,
t. vu (1886), p. 392-423; t. xvm (1897), p. 821 sq.; van
Gulik, Johannes Gropper, Fribourg, 1906; Hefner, Die
Enstehungsgeschichte des Trienter Rechtfertigungsdekrets,
Paderborn, 1909; L. Cardauns, Zur Geschichte der kirelilichen
Unions und Reformbeslrcbungen von 153S bis 1542, Rome,
1910; L. Schmitz-Kallenberg et W. Kohler, dans Brief-
mappe, Paderborn, 1911, p. 120-141, 244-247; St. Elises,
Romische Quartalscliri/t, t. xx, p. 175 sq.
A. HUMBERT.
GROSSETESTE Robert, théologien anglais, naquit
vers 1175 à Stradbrook, dans le comté de Sutîolk, de
1 arents très pauvres. Il reçut l'instruction élémentaire
dans une école de Lincoln, puis il fut envoyé à Oxford
où il étudia non seulement la théologie, mais encore la
jurisprudence et la médecine, comme en fait foi une
lettre par laquelle Giraud de Barri le recommandait à
Guillaume de Vere, évêque de Hereford, avant 1199.
On dit couramment qu'il étudia ensuite à Paris, mais
aucun auteur contemporain ne mentionne ce fait; quoi
qu'il en soit, dans les premières années du xme siècle
nous le trouvons à Oxford, avec le titre de recteur des
écoles, qui fut ensuite changé en celui de chancelier.
En 1224, sur la demande d'Agnello de Pise, provincial
des frères mineurs, il ouvrit ses cours publics dans la
maison que ces religieux venaient d'établir à Oxford,
et y enseigna jusqu'au moment de sa promotion à
l'épiscopat en 1235. Il exerça pendant ce temps diffé-
rentes charges importantes du ministère pastoral, et
à la mort d'Hugues de Wells, évêque de Lincoln, il fut
élu par le chapitre pour lui succéder. Le diocèse de
Lincoln, qui était alors le plus grand d'Angleterre et
s'étendait sur neuf comtés, offrait un champ considé-
rable à l'activité réformatrice du nouvel évêque. Gros-
seteste ne recula pas devant la tâche, et il se mit incon-
tinent en devoir de commencer la visite de son trou-
peau. Il se trouva en face de difficultés qui firent de
son ôpiscopat une lutte continuelle. Son chapitre tout
d'abord prétendait n'être pas soumis à la visite épis-
copale; il ne put en venir à bout qu'après une dispute
de six ans, et il fallut l'intervention du pape pour tran-
cher la question en faveur de l'évêque. Il eut aussi des
démêlés avec les monastères, qui possédaient dans son
diocèse beaucoup de bénéfices, et qui, paraît-il, étaient
loin de pourvoir comme ils l'auraient dû aux nécessités
spirituelles du peuple; il travailla pendant tout son
épiscopat pour les forcer à établir et à payer dans
chaque paroisse un vicaire résident. Il réussit en partie,
mais les moyens qu'il employa pour arriver à ses fins
furent si violents que Matthieu Paris l'appelle un per-
sécuteur des moines.
Mais ce qui a rendu Grossetcste très populaire auprès
des écrivains anglais protestants, ce sont ses démêlés
avec le Saint-Siège; on a même été jusqu'à faire de lui
un précurseur delà Réformation. Ceci est faux; l'évê-
que de Lincoln a toujours reconnu la primauté du pape
et son droit de commander à l'Église entière; il pro-
clame sa croyance maintes et maintes fois dans ses
lettres, il engage le roi à se soumettre à celui qui, dit-il,
est son père et sa mère; il sait bien aussi avoir recours
au souverain pontife dans ses difficultés soit avec son
chapitre, soit avec les monastères, soit avec le roi. Il
n'a résisté au pape que sur un point : il refusait de
conférer des bénéfices à des Italiens qui étaient inca-
pables de les desservir, parce qu'ils ne parlaient pas
anglais, et qui souvent ne mettaient même pas le pied
en Angleterre. Il réclamait aussi contre le nombre
excessif de bénéfices ainsi donné à des étrangers, ce qui
appauvrissait considérablement l'Église d'Angleterre.
Il a parfois parlé durement, surtout dans une lettre
célèbre qu'il écrivit, a-t-on dit, à Innocent IV, mais qui
était adressée à un secrétaire du pape qui portait aussi
le nom d'Innocent; mais même dans cette lettre il pro-
teste de sa soumission au pape, qui est dans la hiérar-
chie ecclésiastique le type et le représentant du Christ,
et il trouve une formule curieuse pour concilier sa résis-
tance avec son respect pour l'autorité pontificale. « C'est
par obéissance, dit-il, que ie désobéis, que je proteste
que je me révolte. »
Il favorisa beaucoup les ordres mendiants, qui étaient
alors dans toute la ferveur de leur institution primitive,
Nous l'avons vu enseigner à Oxford dans l'école des
franciscains, qui furent toujours ses préférés, et parmi
lesquels il trouva son plus intime ami, Adam Marsh (de
Marisco), voir 1. 1, col. 387 ; mais il aimait aussi les domi-
nicains, et ce fut l'un d'entre eux, Jean de Saint-Giles,
qui l'assista au moment de sa mort, en qualité de
médecin aussi bien que de théologien. Il mourut en
1253. Plusieurs tentatives furent faites pour obtenir sa
canonisation, mais sans succès.
La liste de ses ouvrages donnée par Pegge, un de ses
biographes, remplit vingt-cinq pages in-4°; la plupart
sont encore en manuscrit. Il avait une science enev-
1^7
GROSSETESTE — GROU
1888
clopédique, et écrivit sur toutes sortes de sujets: théo-
logie, surtout pratique, philosophie, sciences naturelles,
astronomie, géométrie, arithmétique, médecine, musi-
que, politique; son dessein était de mettre toutes ces
sciences au service de la théologie; outre le latin, il
savait le grec et l'hébreu; il fit de larges extraits des
gloses hébraïques, et traduisit de nombreux textes
grecs. Voici les textes de quelques-uns de ses principaux
ouvrages qui ont été imprimés. La collection de ses
lettres a été publiée, en 1861, par H. R. Luard dans
Rolls séries, Londres. Commentarius in Dyonisii Areo-
pagitœ librum de Myslica theologia, Strasbourg, 1502;
Commenlarius in libros Posleriorum Aristotelis, Venise,
1494, et bien des fois depuis; Compendium sphœrœ
mundi, avec d'autres opuscules sur les sciences, Venise,
1508 et 1514; Libellus de Phisicis unus, Nuremberg,
1503; Commentarius in libros Physicos Arislolelis,
Venise, 1506; De doclrina cordis et spéculum concio-
natorum, Naples, 1607; Teslamenla XII patriarcharum,
1520, Haguenau, 1532, et souvent depuis, fut en partie
traduit en français, 1555; un fragment du De cessa-
tione legalium parut à Londres, en 1658. Ses ouvrages
philosophiques ont été publiés par L. Baur, Des Robert
Grosseleste, Bischof von Lincoln, philosophische Werke
zum erstenmal vollstandig besorgt, 2 in-8°, Munster,
1912.
On trouvera des articles sur Grosseteste dans les diction-
naires et encyclopédies. Pour sa vie, voir Matthieu Paris et
les chroniqueurs contemporains; Luard, Roberti Grosseteste
episcopiquondamLincolniensisepistola', Rolls séries, Londres,
1861, avec une excellente préface; Brewcr, A dde M ar iscoepi-
stohr, dans les Monumentafranciscana,même collection, Lon-
dres, 1858; Pegge, Life of Robert Grosseteste, Londres, 1793 ;
Perry, Lije and tintes o/ bishop Grosseteste, Londres, 1871,
ouvrage rempli de préjugés protestants; J. Felten, Robert
Grosseteste, Riscliof von Lincoln, Fribourg, 18S7; Stevenson,
Robert Grosseteste, bislwp of Lincoln, Londres, 1899; Gas-
quet, Henry III and the Church, Londres, 1905; L. Baur,
Das philosophische Lebenswerk des Robert Grosseteste, dans la
Drille Vereinsschrift fur 1910de la Gôrresgesellschaft, Cologne,
1910; Das Lichl in der Naturphilosophie des Robert Grosse-
teste (Festschrifl en l'honneur de von Hertling), 1914, p. 41-
55. On trouvera des détails sur son séjour à Oxford dans
Rashdall, Universilies of Europe during the middle âges; Lit-
tle, Grey Friars at Orford; Felder (P. Hilarin de Lucerne),
Histoire des études dans l'ordrede Saint- François, trad. franc.,
Paris, 1908. Pour ses ouvrages, voir Tanner, Bibliotheca Bri-
tannico-Hibernica, Londres, 1748; Histoire littéraire de la
France, Paris, 1835, t. xvm; Hauréau, Histoire de la philo-
sophie scolaslique, Paris, 1880, t. i, et les auteurs cités plus
haut. Sur sa traduction grecque de saint Jean Damascène,
voir J. de Ghellinck, Le mouvement théologique au XII' siècle,
Paris, 1914, p. 256-292.
A. Gatard.
GROSTÊTE DES MAHIS Marin, théologien, né
à Paris le 22 décembre 1649, mort à Orléans le 16 dé-
cembre 1694. D une famille protestante, il alla étudier
à Genève, puis à Oxford, et se fit recevoir ministre. En
cette qualité il fut envoyé à Authon, dans le Perche,
puis à Brionne et à Orléans. Ayant conçu quelques
doutes, il voulut avoir des conférences avec les minis-
tres les plus renommés et avec les docteurs catholiques.
Après deux années de sérieuses études, après avoir
beaucoup prié, il abjura les erreurs protestantes à Paris,
le 27 mai 1681, entre les mains de Mgr de Coislin, évêque
d'Orléans. Irrité, son père, qui était un des anciens de
Charenton, le chassa de sa maison; mais quelques
années plus tard, lui-même avec d'autres membres de sa
famille devait venir sous la conduite de son fils à
l'Église catholique. Vers 1686, Grostête des Mahis
entra au séminaire Saint-Magloire à Paris. L'évêque
d'Orléans voulant l'attacher à son diocèse, lui donna
un canonicat de sa cathédrale et en 1690 l'ordonna
diacre : par humilité il refusa le sacerdoce. Le ministre
converti prêcha dans les diocèses de Poitiers et de
Luçon afin de ramener les protestants à la véritable
Église. 11 voulut aussi aller de nouveau dans les diffé-
rents pays où il avait enseigné l'erreur. Grostête des
Mahis contribua beaucoup à la formation de la maison
des Nouvelles catholiques à Orléans. Il est auteur des
ouvrages suivants : Lettre à une personne de la religion
prétendue réformée où la présence réelle du corps de
Jésus-Chrisl dans l'eucharistie est prouvée par la sainte
Écriture, in-8°, Orléans, 1684; Considérations sur le
schisme des protestants, in-12, Orléans, 1685; La vérité
de la religion catholique prouvée par l'Écriture sainte et
la tradition, 2 in-12, Paris, 1696; parlant de l'auteur de
ce dernier ouvrage, Fénelon disait : « Il savait la doc-
trine des protestants comme un homme qui a été un de
leurs plus éclairés pasteurs et celle de l'Église catholique
comme un docteur qui aurait été d'abord nourri dans
son sein. » En tête de cet ouvrage se trouve un Éloge
historique de feu des Mahis, signé de Gilles Jousset,
mais qui est du P. Quesnel, de l'Oratoire.
Guil. Prousteau anlecessoris Aurelianensis epistola ad
nobilem et clarissimum virum Petrum de Porrade Massi-
liensem de obitu ac virtutibus Marini Grostête des Mahis,
diaconi et canonici Aurelianensis, in-12, Orléans, 1695;
Journal des savants, 2 avril 1696; Dupin, Bibliothèque des
auteurs ecclésiastiques du XVII' siècle, IV' partie, in-8°,
Paris, 1729, p. 435; Moréri, Dictionnaire historique, t. v b,
p. 402; Picot, Essai historique sur l'influence de la religion
en France pendant le XVII' siècle, in-8°, Paris, 1824, t. n,
p. 222, 251, 260; A. Rœss, Die Convertiten, t. vm, p. 209-
231; Hurter, Nomenclalor, 1910, t. îv, col. 434.
B. Heurtebize.
GROU Jean-Nicolas, jésuite français, né à Calais
le 23 novembre 1731, fit ses études dans les collèges
de la Compagnie de Jésus, vraisemblablement à Paris,
à Louis-le-Grand, et entra au noviciat à l'âge de
quinze ans, en novembre 1746. Professeur de gram-
maire et d'humanités au collège de La Flèche, de 1751
à 1755, il témoigna d'un goût très vif pour la littéra-
ture, surtout pour les œuvres de Platon et de Cicéron.
Le premier fruit de ces études fut une traduction de
la République de Platon, publiée à Paris en 1762,
2 in-12, et qui attira aussitôt l'attention de tous les
lettrés. Vint ensuite la traduction des Lois de Platon,
2 in-12, Paris, 1769, et des Dialogues, 2 in-12,
Amsterdam, 1770, ouvrages souvent réimprimés et
insérés dans plusieurs collections, notamment dans
les Œuvres complètes de Platon, publiées sous la direc-
tion de M. Emile Saisset, Paris, 1869. La traduction
de la République et des Lois a été reproduite, avec
quelques corrections, par Victor Cousin dans son
édition de Platon. Cf. P. de Bonniot, Le P. Grou chez
M. Cousin, dans Éludes religieuses, 1888, t. xlv,
p. 569 sq.; 1889, t. xlvi, p. 50 sq.
Les attaques des philosophes et des jansénistes
contre la Compagnie de Jésus se multipliaient alors
avec une violence qui ne se contenait plus. Associé
dès 1761 au P. Brottier, le célèbre bibliothécaire de
Louis-le-Grand, le P. Grou se hâta d'entrer en lice et
de dénoncer les erreurs de fait et les falsifications de
textes. A propos d'un prétendu édit de bannissement
porté par Henri IV en 1595, il publia une première
Lettre ù M. *** conseiller au Parlement de Paris, 1763,
suivie bientôt d'une Seconde lettre... Toutes deux fai-
saient justice de la calomnie mise en cours par le
Parlement de Paris qui, dans son arrêt du 6 août 1762,
rapportait en entier cet édit. Voué tout entier à l'apo-
logie de son ordre, il rédigea et publia avec le P. Sau-
vage un grand ouvrage qui intéresse spécialement les
doctrines de la Compagnie : Réponse au livre intitulé :
« Extraits des assertions dangereuses et pernicieuses
en tout genre », que les soi-disant jésuites ont dans
tous les temps et persévéramment soutenues, enseignées
et publiées dans leurs livres, 3 in-4°, Paris, 1763-1765.
Les Extraits étaient l'œuvre du conseiller Roussel de
La Tour et des abbés Gouget et Minard. La Réponse
1889
GROU — GUADAGNOLI
1890
établit que ces Extraits ne contiennent pas moins de
758 falsifications.
Après la suppression de la Compagnie de Jésus en
France par le parlement, le P. Grou s'était retiré en
Lorraine. Il passa l'année 1764 au noviciat de Nancy,
puis pendant deux ans enseigna la langue grecque à
l'université de Pont-à-Mousson. La mort de Stanislas
en 1766 amena la dispersion des maisons jusque-là
conservées en terre lorraine. Le P. Grou fut appelé secrè-
tement à Paris par l'archevêque, Mgr de Beaumont,
qui lui confia le soin d'écrire sur les matières religieuses
mises alors en discussion par les incrédules. Il ras-
sembla une immense quantité de documents qui
auraient servi, suivant quelques témoignages rap-
portés par le P. Cadrés, mais nullement décisifs, au
Dictionnaire théologique de Bergier. Sous le nom de
Le Claire, il vivait pauvre et caché, dans un galetas
de la rue de Sèvres, proche du couvent des Filles de
Saint-Thomas de Villeneuve, où il disait la messe tous
le-; jours. Il dirigeait en même temps une communauté
de religieuses bénédictines, tout en poursuivant acti-
vement sa traduction de Platon. Dans sa détresse, il
ne craint pas d'entreprendre le voyage de Hollande,
en 1770, pour mener à bien la publication des Dialogues.
Mais une retraite qu'il fit cette même année, nommée
par lui l'année de sa conversion, vint orienter son
esprit vers des pensées toutes divines. Désormais il ne
sera plus occupé que de la perfection de son âme, qu'il
conduira aune éminente sainteté et ses études neseront
plus que des voies spirituelles et des choses de Dieu.
Alors commence la série de ces magnifiques traités
de spiritualité douce et ferme, pénétrante et élevée,
qui font du P. Grou un des maîtres les plus éminents et
les plus aimés de la vie intérieure : Caractères de la
vraie dévotion, par M. l'abbé Grou, Paris, 1778; Morale
tirée des Confessions de saint Augustin, ibid., 1786;
cf. Journal de Feller, août 1787; Maximes spirituelles
avec des explications, ibid., 1789; La science pratique
du crucifix dans l'usage des sacrements de pénitence et
d'eucharistie, pour servir de suite à un livre intitulé :
La science du crucifix. Par l'abbé G., ibid., 1789. La
science du crucifix est du P. Marie, S. J. Il parut de ce
livre, en 1783, une nouvelle édition revue par le P. G.
L'initiale a fait attribuer au P. Grou cet ouvrage qui est
du P. Gasté. Cf. Sommergovel, Bibliothèque de la Cle de
Jésus, au mot : Nie. Gaslè, t. m, col. 1254, n. 2; Médita-
tions en forme de retraite sur l'amour de Dieu avec un
petit écrit sur le don de soi-même à Dieu, Londres, 1796.
Toutes les éditions publiées par Périsse frères depuis
1828 et celles de Lecoffre à dater de 1847 contiennent
des Pensées chrétiennes qui remplissent les onze der-
nières pages du volume. Ces Pensées ne sont pas du
P. Grou. L'intérieur de Jésus et de Marie, 2 in-12,
Paris, 1815, ouvrage publié après la mort de l'auteur
sur une mauvaise copie d'un manuscrit qui n'était
pas destiné à l'impression; les fautes typographiques
se sont par surcroît multipliées dans les éditions
suivantes; le P. Cadrés, en 1862, a publié le manuscrit
destiné par l'auteur à l'impression ; la meilleure édition
est celle du P. A. Pottier, Paris, 1889; Le chrétien
sanctifié par l'oraison dominicale, publié d'abord par
A. Chanselle, Paris, 1832, sur la version anglaise du
P. Laurenson; puis par le P. Cadrés, Paris, 1858, sur k
ms. original; Manuel des âmes intérieures. Suite d'opus-
cules inédits du P. Grou, Paris, 1833; Le livre du jeune
homme ou maximes pour la conduite de la vie, ouvrage
inédit publié par le P. Jean Noury, Paris, 1874; le
P. Grou avait composé ce traité pour un jeune seigneur
anglais; L'école de Jésus-Christ, publiée par le
P. Doyotte sur le ms. autographe, 2 in-12, Paris, 1885.
Tous ces ouvrages ont eu un nombre considérable
d'éditions et ont été traduits en anglais, en allemand,
en italien, en espagnol, en flamand, en polonais.
DICT. DE THÉOL. CATtlOL.
En 1792, le P. Grou s'était retiré en Angleterre, dans
la famille de sir Thomas Weld, au château de Lulworth.
Il continua dans la retraite sa vie de recueillement,
d'austérités et de labeur, en dirigeant dans les voies
de la perfection un groupe de prêtres et de religieux
émigrés. Son activité littéraire tient du prodige.
En dehors des nombreux ouvrages publiés de son
vivant et après sa mort, tous d'une sûreté de doctrine
et d'une perfection de forme également admirables,
le P. Grou a travaillé pendant quatorze ans, avec le
P. Guérin du Rocher, à la composition d'un Traité
historique et dogmatique de la vraie religion, dont les
matériaux laborieusement rassemblés, s'ils n'ont pas
été utilisés par Bergier, ont disparu. Les volumineux
manuscrits laissés par le P. Grou contiennent plusieurs
retraites qui n'ont pas encore été publiées, des traités
sur le bonheur, sur la paix de l'âme, des instructions
écrites pour miss Weld, des corrections du texte de
Platon d'après l'édition et les notes d'Henri Etienne,
des corrections de tout le texte de Cicéron, 2 vol. de
876 et 1488 p., des corrections de l'Iliade et d une
partie de l'Odyssée (inachevé), des corrections de
tout le texte d'Horace, de Tite-Live, une Novi Testa-
menli versio vulgala e grœco emendata, 2 vol. de 720 et
459 p., des Observations sur la doctrine et le sli/le de
Massillon, 713 p., des Lettres adressées àMme d'Adhé-
mar. La Retraite spirituelle sur les qualités et devoirs
du chrétien a été publiée par le P. H. Watrigant,
Paris, 1913, dans le texte même du manuscrit. Cette
Retraite est mentionnée par le P. Grou dans une
lettre du 30 octobre 1803 au P. Simpson.
Lorsque la Compagnie eut été rétablie en Russie
par Pie VII, le 7 mars 1801, les anciens jésuites d'An-
gleterre demandèrent aussitôt à être incorporés de
nouveau à l'institut renaissant. Le P. Gruber leur
obtint cette faveur et le P. Grou eut la joie de renou-
veler ses vœux de profès le 22 mai 1803. Il mourut le
13 décembre de cette même année au château de
Lulworth.
Sommervogel, Bibliothèque de la C" de Jésus, t. m,
col. 1868-1882; Mémoires de Trévoux, 1762, p. 773 sq.,
892 sq., 965 sq.; Journal des savants, 1762, p. 515 sq.;
1763, p. 3 sq.; Année littéraire, 1762, t. n, p. 289 sq. ; Journal
encyclop., 1763, t. vin, p. 25 sq.; 1770, t. vu, p. 194; Corres-
pondance de Grimm, t. i, p. 85; Hurter, Nomenclator,
3e édit., Inspruck, 1913, t. v, col. 830; A. Cadrés, Le P. Jean-
Nicolas Grou, 28 édit., Paris, 1866; Eug. Martin, L'univer-
sité de Pont-d-Mousson, Paris, 1891, p. 416.
P. Bernard.
GUADAGNOLI Philippe, né à Magliano dans les
Abruzzes vers 1596, fit profession dans la congrégation
des clercs réguliers mineurs, le 13 mai 1612. Doué d'une
grande aptitude pour l'étude des langues orientales, il
apprit le grec, l'hébreu, le chaldéen, le persan et princi-
palement l'arabe, qu'il enseigna à la Sapience. Le
14 janvier 1656, il complimentait en cette langue la
reine Christine de Suède; ce devait -être sa dernière
satisfaction d'orientaliste; il mourut le 27 mars sui-
vant. En 1631, Guadagnoli faisait paraître une Apo-
logia pro christiana religione, qua respondetur ad obje-
ctiones Ahmed filii Zin Alabedin Persse Asphahensis,
contentas in libro inscriplo Polilor speculi, in-4°, Rome.
Ce livre a une histoire : un jésuite espagnol, le P. Jérôme
Xavier, avait publié en langue persane un ouvrage apo-
logétique intitulé : Le miroir qui montre la vérité, 15S6.
Il tomba entre les mains du I ersan Ahmed qui chercha
à le réfuter par le Polisseur du miroir, 1621 ; on dit qu'il
envoya son livre au pape en le défiant de lui répondre.
Urbain VIII, auquel il parvint, chargea Guadagnoli de
ce travail; de là l'Apologia, écrite en latin avec de
nombreux passages en arabe. L'auteur la traduisit en
cette langue et elle parut sous ce titre latin : Responsio
ud objeciioncs Ahmed, etc., in-4°, Rome, 1637. Conti-
nuant encore le même travail, notre apologiste donna
VI. — 00
18M1
GUADAGNOLI — GUALDO
1892
les Considerationes ad Mahomeltanos eum rcsponsiune ad
objectiones Ahmed, etc., in-4°, Rome, 1649. On rapporte
que le fils de Zin Alabedin fut converti par la réfuta-
tion île Guadagnoli. Dans la préface des Considera-
tiones l'auteur disait avoir achevé" une version arabe de
la Bible, à laquelle il travaillait depuis vingt-sept ans;
mais il croyait utile de faire précéder l'édition des
Livr s saints par celle des Considerationes. La Biblia
sacra arabica Sacra' Congregationis de Propaganda fide
jussu édita, 3 in-fol., ne parut qu'en 1671 : la traduction
de Guadagnoli avait été revue par Abraham Echel-
lensis (t 1664), voir t. i, col. 116, et par Louis Maracci.
Celui-ci, croyons-nous, écrivit la Préface, clans laquelle
l'idée première de la traduction est attribuée à l'ar-
chevêque de Damas, Serge Risi (f 1638), et la date
de 1625 fixée comme celle de la commission donnée à
plusieurs orientalistes, bien que Guadagnoli dise avoir
commencé son travail en 1622. Tout en le poursuivant,
il avait aussi édité les Brèves arabicœ linguœ ins'.ilu-
liones, in-fol., Rome, 1642, et composé un Dictionnaire
arabe qui était conservé manuscrit dans son couvent de
Saint-Laurent in Lucina ainsi que d'autres ouvrages
inédits, mentionnés par Léon Allatius dans les Apes
Urbanse.
Nicolas Toppi, Bibliotheca Napolitana, Naples, 1678,
p. 85; Moréri, Dictionnaire historique; Hœfer, Nouvelle
biographie universelle; Sommervogel, Bibliothèque de la
C" de Jésus, Paris, 1898, t. vin, col. 1337.
P. Edouard d'Alençon.
GUALANDI Jean-Bernard, Florentin, avait em-
brassé la cléricature; il ne voulut toutefois accepter
aucune des dignités auxquelles sa vaste culture lui
ouvrait le chemin, afin de se consacrer entièrement à ses
études. Bien que comme élégance il soit inférieur à
d'autres, il est demeuré surtout connu par ses traduc-
tions de la Vie d'Apollonius de Tijanc par Philoslrate,
in-8°, Venise, 1549; du Traité des monnaies (Deasse)de
Guillaume Budé, in-8°, Florence, 1562; et des Apoph-
tegmes de Plutarque, Venise, 1567. La vie de Gualandi est
demeurée assez inconnue: un concours de circonstances,
qu'il ne précise pas, l'avait conduit, à sa grande
frayeur, au milieu des batailles qui se livrèrent dans
le Milanais, entre Français et Italiens sous François Ier.
In Iwrtis nostris, ex vallc Ticini, il dédiait au duc de
Milan François II Sforza, le 13 août 1523, un Dialogus
de oplimo principe, édité plus tard avec un autre
Dialogus de liberali inslilulione, dédié à Côme de Mé-
dicis le Jeune (1531) et un discours, plus académique
que religieux, prononcé in epulo au palais ducal, Oralio
in honorem divum Cosmœ et Damiani, in-8°, Florence,
1561. Gualandi publia encore un Tractatus de vero
judicio et providentia, in-8°, Florence, 1562.
Jules Negri, Istoria dcgli scrillori fiorentini, Florence, 1742,
p. 254; Barthélémy Gamba, Série dei lesti di lingua italiana,
Venise, 1828; Hœfer, Nouvelle biographie universelle.
P. Edouard d'Alençon.
GUALDO Gabriel, né à Vicence, delà famille des
Gualdi-Mori, vers 1657, entra jeune chez les théatins
de sa ville natale le 8 juillet 1674. Environ dix ans
après, ses études achevées, il fut envoyé à Padoue pour
y enseigner la philosophie; on le chargea ensuite du
cours de théologie qu'il professa de longues années;
enfin, usé par les ans et les travaux, il y mourut plus
qu'octogénaire, le 9 mars 1743. Gualdo fut bon théo-
logien et canoniste; probabilioriste pour lui-même, il
était probabiliste pour autrui, car il voyait là un
moyen efficace de travailler au salut des âmes; il se fit
donc un des plus ardents champions de l'usage de
l'opinion probable, qu'il défendit dans une foule d'écrits,
publiés pour la plupart sous des noms d'emprunt, Guy
Bellagra, Ange Cupezioli, Nicolas Pégulet. Sous le pre-
mier il publia la Risposla all'aulore dell' Apologia de'
Santi Padri, in-12, Salzbourg (fausse indication), 1701.
Cette apologie des saints Pères, Bassano, 1696, avait eu
I our auteur un conventuel, le P. Bernardin Ciafîoni de
Sant-Eplidio (f 1684), qui, sous prétexte de défendre
les Pères contre l'abus que les probabilistes faisaient de
leurs doctrines, attaquait ceux-ci et les jésuites en
copiant les Lettres provinciales. Déjà le P. De Bene-
detti, S. J., avait répondu par La scimmia del Montalto,
Gratz, 1698. Ces deux livres furent condamnés par
décret du Saint-Ofïice le 14 septembre 1701. Gualdo
publia ensuite, sous le nom de Nicolas Pégulet, son
Tractatus probabililatis ex principiis antiquorum compo-
situs, in quo probabilitas in génère, œqualis et minor per
ea quse docuerunt antiqui slabiliuntur, in-4°, Louvain
(en Italie), 1707. Cet ouvrage, qui est le principal du
savant théatin, fut condamné parla S. C. de l'Index, le
13 mai 1710. Bientôt après, sous le pseudonyme d'Ange
Cupezioli, Gualdo fit paraître : Baplisma puerorum in
ulcris exislentium ilerum assertum, disserlatio medico-
theologica, in-8°, Padoue, 1710; 1712; où il reprend et
développe ce qu'il avait écrit sur cette question dans le
Tractalas probabililatis. Le Giornale de' lelterati d'Italia,
Venise, 1710, 1. 1, p. 357, avait fait de ce livre, un grand
éloge qui déplut au P. Chrysostome Se. rfa, basilien de
Naples, et sous le nom de Crisofano Scardiecletti, il
fit imprimer une addition, Giunta al primo tomo del
Giornale de' letlerati, Naples, 1712, dans laquelle il
attaquait Gualdo et faisait grand cas du livre con-
damné de Ciafîoni et d'autres. Le théatin répondit par
la Difesa del P. D. Gabrielle Gualdo al fignor Grisofnoa
Cardieclelli. Operella d'Angelo Cupezoli, 1712. Cette
défense parut de nouveau avec d'autres opuscules dans
le Bajitisma puerorum... tertio assertum... auctore
Angelo Cupetioli, in-8°, Venise, 1723. Un confrère de
Gualdo, le P. Scarella, réédita encore ce livre, in-4°,
Udine, 1769. Les antiprobabilistes accusaient leurs
adversaires de résoudre les cas de conscience par laseule
raison: notre théatin répondit pour les justifier dans
une Disputatio an liceal solis rationibus naturalibus
quœstiones theologicas dirimere, in-8°, Padoue, 1717. Il
écrivit contre le Rituel d'Alet de Nicolas Pavillon une
Disserlatio an liceat peccalores statim posl con/essionem
absolvere, in-8°, Padoue, 1719; il en publia une autre,
De auctoritale D. Auguslini, ibid., 1720, contre Henri
Noris; une troisième, An melus inferni expeltere possit
volunlatem peccandi, ibid., 1721. Dans sa 3e édition du
Baptisma puerorum, 1723, il donna de nouveau une
Disputatio an aucloritates Patrum, quas in médium pro-
ferunl probabiliorislœ, efficaciler probent majorem proba-
bilitatem esse sequendam (Padoue, 1719), contre les
décisions de l'Assemblée du clergé de France en 1700;
une autre, An reccnliores aliquid invenerinl quo aliqui ex
ipsis ab opinione Magislri, Alensis, Alberli Magni,
D. Thomœ, D. Bonaventurse, Scoli et aliorum antiquo-
rum in materia de pœna peccato originali débita merilo
discedere poluerunt, qui est relative au sort des enfants
morts sans baptême; enfin une Brève dijesa del pro-
babilismo. Le P. Jacques-Hyacinthe Serry, dominicain,
ayant attaqué Gualdo, qu'il traitait d'écrivain masqué,
au sujet d'un texte de saint Augustin sur les enfants
morts sans baptême, celui-ci ré .liqua par une Larvali
scribillatoris brevissima defensio ab injuriis ac falsita-
tibus aliisque auctoris Vindiciarum Ambrosii Calharini,
Padoue, 1727, et par une Altéra defensio. Il en fit encore
paraître une autre sous le nom de Cupezioli : Defensio
ab aliquibus objectis contra probabililalem in libro cui
tilulus Elementa moralia reperds, in-4°, Padoue, 1730.
Arrive à une heureuse vieillesse, le P. Gualdo donna
pour couronner son œuvre un im sortant ouvrage,
qu'il avait poursuivi au milieu de ses polémiques en
faveur du probabilisme : Theologia conlemplativa et
moralis D. Aurelii Augustini Hipponensis episcopi,
auctore Angelo Cupetioli, 3 in-fol., Venise, 1737. Le docte
et laborieux théatin avait aussi cultivé la poésie et
1893
GUALDO
GUERANGER
1894
il existe de lui deux œuvres de jeunesse assez curieuses :
Carmen philosophicum, id est conclus ioncs ex universa
philosophia depromptœ et exametro carminé decantatœ,
in-4°, Padoue, 1704, auquel fait pendant un Carmen
theologicum, du même genre, ibid.; réédités en 1710
et 1712.
Giornale de'letterali d'italia, Venise, 1710, t. i, p. 357;
t. xxxi, p. 430; t. xxxii, p. 555; Innocent Savonarola,
Memorie del P. Gabrielle Gualdo, dans la Miscellanea di
varie opérette du P. Joseph Marie Bergantini, Venise, 1744,
t. vin, p. 426; Antoine François Vezzozi, Scrittori de'
clerici regolari detti teatini, Rome, 1781, t. i, p. 425-432;
G. Melzi, Dizionario di opère anonime e pseudonime di scrit-
tori ilaliani. Milan, 1748-1759; Hurter, Nomenclator, t. IV,
col. 1639-1640.
P. Edouard d'Alençon.
GUARINI Jean-Baptiste, jésuite italien, né à
Païenne le 9 décembre 1719, admis au noviciat le 7 dé-
cembre 1733. Il enseigna la philosophie à Païenne,
puis la théologie à Messine. Son traité de droit naturel :
Juris naturse et genlium principia et officia ad chris-
tianœ doctrime regulam exact' i, Palerme, 1758, plusieurs
fois réimprimé, lui acquit une réputation méritée.
Cf. Zaccaria, Thésaurus thcologicus, t. iv, p. 304 sq. ;
t. vin, p. 1-62. L'ouvrage est reproduit intégralement
dans le Cursus theologiae de Migne, t. xv, col. 345 sq.
Après la suppression de la Compagnie en 1773, le
P. Guarini, tout en s'adonnant avec le plus grand succès
à la prédication, poursuivit avec ardeur ses travaux
théologiques et, préoccupé tout particulièrement des
besoins de l'époque, il publia sous le titre de Ragiona-
menti filosofici, Rome, 1785-1786, quatre volumes de
dissertations sur les matières de la théologie fonda-
mentale attaquées alors par le parti des philosophes.
Dans la tourmente qui suivit en Italie la Révolution
française, le P. Guarini s'éteignit obscurément; d'après
Gusta, il mourut à Rome en 1795.
Sommervogel, Bibliothèque de la C'e de Jésus, t. ni,
col. 1899-1901; Hurter, Nomenclator, 3e édit., Inspruck,
1913, t. v, col. 500; Zaccaria, Raccolta di dissert, di storia
eccles., t. vin, p. 238 sq.
P. Bernard.
GUENEE Antoine, controversiste, né à Étampes
le 23 novembre 1717, mort à Fontainebleau le 25 no-
vembre 1803. D'une famille pauvre, il vint à Paris, et
après avoir achevé ses études, il embrassa l'état ecclé-
siastique. En 1741, il fut nommé professeur d'éloquence
au collège du Plessis. Il conserva cette fonction pendant
vingt ans, puis libre de tout autre soin, se mit à tra-
vailler pour la défense de la religion attaquée par les
philosophes. Il connaissait le grec et l'hébreu et il
profita de voyages en Allemagne, en Angleterre et en
Italie pour apprendre la langue de ces pays et s'ins-
pirer des travaux apologétiques qui y étaient publiés.
L'évèque d'Amiens, Mgr d'Orléans de La' Motte, lui
donna un canonicat de sa cathédrale et le cardinal de
La Roche-Aymon, grand aumônier, l'attacha à la cha-
pelle royale de Versailles. En 1778, il fut appelé à
prendre place parmi les membres de l'Académie des
inscriptions. Peu après, le comte d'Artois le choisit
comme sous-précepteur de ses enfants, et en 1785 il
reçut l'abbaye de Loroy dans le diocèse de Bourses.
A la Révolution, il se retira dans une petite propriété
qu'il possédait près de Fontainebleau, et pendant la
Terreur il fut emprisonné dans les prisons de cette ville.
Rendu à la liberté après dix mois de détention, il
retourna vivre à la campagne, puis s'établit à Fontai-
nebleau, où il mourut. En 1769, pour répondre aux
attaques perfides de Voltaire contre les saintes Écri-
tures, l'abbé Guénée publia Lettres de quelques juifs
portugais, allemands et polonais à M. de Voltaire, in-8°,
Paris. Il y réfute avec autant de modération que de
savoir, d'esprit que de force les assertions erronées de ce
philosophe et fait ressortir les beautés de l'ancienne
loi, de cette loi donnée par Dieu, mais qui n'était que
l'attente d'une loi plus parfaite émanée de la même
autorité, la loi de Jésus-Christ. Les éditions de cet
ouvrage se succédèrent rapidement. La dernière pu-
bliée du vivant de l'auteur fut la 5e et parut en 1781,
3 in-12. La 6" parut en 1805, 3 in-8°, et 4 in-12, par
les soins du baron de Sainte-Croix qui la fit précéder
d'une notice sur la vie et les œuvres de l'abbé Guénée
par M. Dacier. M. Beuchot donna la 8e sous le titre :
Lettres de quelques juifs portugais, allemands et polonais
à M. de Voltaire avec un petit commentaire extrait d'un
plus grand à l'usage de ceux qui lisent ses œuvres, et
Mémoires sur la fertilité de la Judée, in-8°, Versailles,
1817. Cette édition, revue et corrigée avec soin, est
augmentée de notes afin de mettre l'ouvrage en rap-
port avec les œuvres de Voltaire publiées à Kehl. On
y a ajouté les quatre Mémoires que l'abbé Guénée lut
à l'Académie les 4 mai 1779, 1er août 1782 et 16 mars
1784 et qui se trouvent au t. l des Mémoires de l'Aca-
démie royale des inscriptions, in-4°, Paris, 1808, p. 142.
Ils sont réunis sous le titre : Recherches sur la Judée,
considérée principalement par rapport à la fertilité de son
terrain, depuis la captivité de Babylone jusqu'à notre
temps. L'édition par M. Beuchot a servi de base à
toutes celles qui ont été faites au cours du xixe siècle.
L'abbé Guénée publia en outre : La religion chrétienne
démontrée par la conversion et l'apostolat de saint Paul,
traduit de l'anglais de lord Lyttelton et suivi de deux
Dissertations sur l'excellence de l'Écriture sainte, tra-
duites de Seed, in-12, Paris, 1754; Observations sur
l'histoire et sur les preuves de la résurrection de Jésus-
Christ, traduit de l'anglais de West, in-12, Paris, 1757.
Il donna la seconde édition de l'ouvrage : Les témoins
de la résurrection de Jésus-Christ examinés suivant les
règles du barreau, traduit (par Lemoine) de l'anglais
de Sherlock, in-12, Paris 1753.
Annales littéraires et morales, in-8°, Paris, an XIII-1804,
p. 321 ; Mémoires de l'Académie royale des inscriptions,
in-4°, Paris, 1808, t. l, p. 246; Quérard, La France litté-
raire, t. m, p. 504; Vigouroux, Dictionnaire de la Bible,
t. m, col. 356; Hurter, Nomenclator, 1912, t. v, col. 578-579.
B. Heurtebize.
GUERANGER Prosper-Louis Pascal, liturgiste
et théologien, né à Sablé, dans le diocèse du Mans, le
4 avril 1805, mort à Solesmes le 30 janvier 1875. Ses
études terminées au collège royal d'Angers, il entra au
séminaire du Mans et devint le secrétaire de l'évèque,
Mgr de i a Myre-Morry. Il fut ordonné prêtre à Tours
le 7 octobre 1827. L'année suivante, il entrait en rela-
tions avec l'abbé de Lamennais, lui demandant conseil
pour des études historiques qu'il pensait entreprendre;
mais s'il c toya quelque temps l'école mennaisienne,
il ne fut cependant jamais, à vrai dire, un des disciples
du maître de La Chesnaie. Le 8 septembre 1829, Mgr de
La Myre mourait à Marolles dans le diocèse de Meaux,
et l'abbé Guéranger était nommé par Mgr de Quelen
administrateur de la paroisse des Missions Étrangères.
A cette époque, il donna au Mémorial catholique quel-
ques articles parmi lesquels on remorqua les Considé-
rations sur la liturgie catholique, 28 février, 31 mars,
31 mai, 31 juillet 1830. Les tenants du gallicanisme s'en
émurent et M. Picot, dans Y Ami de la religion, 9 juin
1830, crut devoir relever les liturgies particulières du
discrédit qu'un écrivain anonyme avait voulu leur
infliger. L'abbé Guéranger répliqua par une Défense
des Considérations sur la liturgie catholique, publiée
dans la Revue catholique, 15 juin 1830. A la suite des
événements de juillet, il revint au Mans et publia dans
Y Avenir, 24 et 28 octobre, un article intitulé : De la
prière pour le roi. L'année suivante, il faisait paraître
un volume : De l'élection et de la nomination des évêques,
in-8°, Paris, 1831. Au printemps de cette année,
l'ancien prieuré bénédictin de Saint-Pierre de Solesmes
1893
GUÉRANGER
1896
près de Sablé, fut mis en vente. La pensée vint alors à
l'abbé Guéranger d'acheter le vieux monastère et d'y
rétablir le culte divin et les études avec la pratique de
la règle de saint Benoît. Il s'ouvrit de ce dessein à
quelques amis et, soutenu par Mgr Caron, évêque da
Mans, il en prit possession le 11 juillet 1833. Au milieu
d'embarras de toute nature, il fit paraître sous le nom
de la communauté de Solesmes : Les origines de l'Église
romaine, in-4°, Paris, 1836; puis il se rendit à Rome
à Saint-Paul-hors-les-Murs où il fit profession de la
règle de saint Benoît le 26 juillet 1837. Le 1er sep-
tembre suivant, Grégoire XVI approuvait l'œuvre
commencée, érigeait le prieuré en abbaye et nommait
dom Guéranger abbé de Saint-Pierre de Solesmes et
supérieur général de la congrégation de France de
l'ordre de Saint-Benoît. Le nouvel abbé revenait aus-
sitôt en France et le 21 novembre il recevait la pro-
fession de ses premiers compagnons. L'évêque du
Mans, Mgr Bouvier, s'était montré tout d'abord très
favorable à l'œuvre de la restauration bénédictine;
ses dispositions ne tardèrent pas à se modifier. L'exemp-
tion monastique et les privilèges accordés aux supé-
rieurs des abbayes lui parurent une diminution de son
autorité épiscopale. De là naquirent des difficultés de
toute nature dont les conséquences pesèrent lour-
dement sur dom Guéranger pendant tout le reste de sa
vie. L'abbé de Solesmes ne laissait pas toutefois de
continuer ses travaux. En 1840 paraissait le Ier vol. des
Institutions liturgiques, in-8°, le Mans et Paris, traduit
en allemand par le Dr Jacob Fluck : Geschichle der Litur-
gie, in-8°, Ratisbonne, 1854 ; le IIe fut publié en 1 841 et le
me seulement en 1851,in-8°, Paris. L'auteur montrait
que les missels et bréviaires introduits dans la plupart des
églises de France au xvne et au xvine siècle manquaient
de valeur et d'autorité et qu'il fallait revenir à la liturgie
romaine. Par suite des polémiques soulevées par l'ap-
parition de cet ouvrage, dom Guéranger fut amené à
publier : Lettre à Mgr l'archevêque de Reims sur le droit
de la liturgie, in-8°, le Mans, 1843; Défense des Insti-
tutions liturgiques, Lettre à Mgr l'archevêque de Tou-
louse, in-8°, le Mans et Paris, 1844; Nouvelle défense
des Institutions liturgiques : trois Lettres « Mgr l'évêque
d'Orléans, 3 in-8°, le Mans et Paris, 1846-1847. La
2e édition des Institutions liturgiques, 4 in-8°, Paris,
1878-1885, reproduit toutes ces brochures. En même
temps qu'il travaillait avec succès au rétablissement
de la liturgie romaine dans l'Église de France, dom
Guéranger commençait la publication de l'Année litur-
gique, destinée à donner à tous les chrétiens cette
éducation surnaturelle que recueillent du cœur de
l'Église tous les fidèles en communion avec sa liturgie.
Le 1er vol., L'Avenl liturgique, parut en 1841, in-12,
le Mans. L'ouvrage complet compte 15 vol.; les neuf
premiers seuls sont l'œuvre de dom Guéranger. Un de
ses fils devait continuer et terminer heureusement
l'Année liturgique. Chacun des volumes a eu de nom-
breuses éditions et a été traduit en italien, en anglais
et en allemand. Au milieu de tous ses travaux et des
préoccupations inséparables d'un monastère se déve-
loppant malgré bien des difficultés, dom Guéranger
n'était indifférent à aucun des événements intéressant
la vie de l'Église à son époque. Le nonce à Paris,
Mgr Fornari, qui se plaisait à lui témoigner la plus
confiante amitié, Mgr Pie, évêque de Poitiers, le pres-
sèrent de composer un écrit qui pût hâter le mo-
ment où Rome proclamerait dogme de foi l'immaculée
conception de la Mère de Dieu. Le travail demandé
parut sous le titre : Mémoire sur la question de l'im-
maculée conception de la très sainte Vierge, in-8°, Paris,
1850. Ce travail fut très remarqué, et Mgr Malou,
évêque de Bruges, pouvait écrire : « De tous les écrits
publiés en 1850 sur le mystère de l'immaculée concep-
tio i, le plus remarquable, sans contredit, est le Mémoire
de dom Guéranger. » L'année suivante, l'abbé de
Solesmes était obligé de se rendre à Rome, où Pie IX
l'accueillit avec la plus paternelle bonté, et le nomma
consulteur des S. C. de l'Index et des Rites. Effrayé des
tendances naturalistes qu'il remarquait dans l'étude de
la philosophie et l'histoire, dom Guéranger publia
dans Y Univers, 12 octobre 1856-20 décembre 1857,
une série d'articles reproduits avec quelques modifi-
cations dans un volume intitulé : Essais sur le natura-
lisme contemporain. M. de Broglie, historien de l'Église,
in-8°, Paris, 1858. L'affaire Mortara vint ensuite lui
fournir l'occasion de proclamer les droits de l'Église
à maintenir l'enfant en possession des avantages qu'il
a reçus dans son baptême et il le fit dans un article
fort apprécié à Rome et publié dans l' Univers du 24 oc-
tobre 1858.
L'œuvre principale de dom Guéranger, la restau-
ration de la vie bénédictine, ne laissait pas cepen-
dant de progresser. Sur l'invitation de Mgr Pie, des
moines de Solesmes avaient en 1853 relevé l'antique
abbaye de Saint-Martin de Ligugé, et en 1865 un prieuré
était fondé dans la ville de Marseille sous le patronage
de sainte Madeleine. Les religieux allemands qui de-
vaient établir l'abbaye et la congrégation de Saint-
Martin de Beuron venaient à Solesmes recevoir les
conseils et profiter de l'expérience de dom Guéranger.
Puis en 1866 celui-ci commençait la fondation d'un
monastère de bénédictines qu'il plaçait sous le vocable
de sainte Cécile. De ses voyages à Rome l'abbé de
Solesmes avait rapporté une tendre dévotion à la
grande martyre romaine. En 1849, il avait publié une
Histoire de sainte Cécile, vierge et martyre, in-12, Paris;
2e édit., in-12, Paris, 1853, ouvrage traduit en anglais,
en allemand et en italien. Plus tard, il reprit ce travail,
le refit complètement sous le titre : Sainte Cécile et la
société romaine aux deux premiers siècles, in-4°, Paris,
1874; in-8°, Paris, 1878 : sous ces deux formats l'ou-
vrage eut de nombreuses éditions. Mais tant de tra-
vaux avaient e i raison des forces de dom Guéranger :
aussi quand il reçut l'invitation de se rendre au concile
du Vatican, il dut faire agréer ses excuses. Malgré les
pressantes et affectueuses sollicitations du cardinal
Pitra, de Mgr Pie, évêque de Poitiers, de Mgr Fillion,
évêque du Mans, de Louis Veuillot, il demeura dans
son abbaye de Solesmes, suivant avec attention les
polémiques engagées soit en France, soit à l'étranger
au sujet de l'infaillibilité du pontife romain. Il publia
alors : Première défense de l'Église romaine contre les
accusations du Ii. P. Gralrij, dans la Revue du monde
catholique. 10 février 1870, et in-8°, le Mans et Paris;
Deuxième défense, dans la Revue du monde catholique,
25 mars 1870, et in-8°, Paris; Troisième défense, dans
l'Univers, 3, 11 et 21 juin, 7 juillet 1870, articles inti-
tulés : La quatrième lettre du P. Gralry; cette troisième
défense fut traduite en anglais : Defence of the Roman
Church against Falher Gralry, in-8°, Londres, 1870:
Réponse aux dernières objections contre la définition de
l'infaillibilité du pontife romain, in-8°, Paris, 1870;
De la définition de l'infaillibilité papale à propos de la
lettre de Mgr d'Orléans à Mgr de Mcdincs, dans la Revue
du monde catholique, avril 1870, et in-8°, Paris; De la
monarchie pontificale à propos du livre de Mgr de Sura,
in-8°, Paris, 1870; deux autres éditions parurent en
cette même année ainsi qu'une traduction allemande :
Die hôchste Lehrgewalt des Papstes, in-8°, Mayence,
1870. Pie IX, quelques années plus tard, après la mort
de dom Guéranger, dans un bref du 19 mars 1875,
louait l'abbé de Solesmes de s'être appliqué pendant
toute sa longue vie à défendre courageusement, dans
des écrits de la plus haute valeur, la doctrine de l'Église
romaine et les prérogatives du pontife romain, brisant
les efforts et réfutant les erreurs de ceux qui les com-
battaient.
1897
GUERANGER
GUERET
1898
En plus des ouvrages mentionnés ci-dessus, nous
signalerons encore parmi les écrits de dom Guéranger :
Notice sur le prieuré de Solesmes, in-8°, h Mans, 1834;
Officia propria congregalionis Gallicœ 0. S. B. cum plu-
rimis aliis jam anlea concessis, 4 in-24, s. 1. n. d. ; Notice
sur l'abbaye de Solesmes, in-12, le Mans, 1839; Expli-
cations sur les corps des saints martyrs extraits des Cala-
combes et sur le culte qu'on leur rend, in-12, Angers,
1839; Lettres sur les Institutions liturgiques, dans l'Ami
de la religion, 9 février, 15 et 20 juin, 5 septembre 1843;
Lettre à M. Hauréau sur sa brochure intitulée : Manuel
du clergé ou examen de l'ouvrage publié sous le litre de
Dissertatio in sextum Decalogi prseceplum et supplemen-
tum ad Iraclatum de matrimonio, in-8°, le Mans, 1843,
sous la signature Ulysse Pic; Fin de la controverse sur
l'inamovibilité des desservants, dans V Auxiliaire catho-
lique, 1845, t. i, p. 65; De quelques attaques contre la
théologie casuistique, ibid., p. 129; Constilution de
S. S. Grégoire XVI sur les rapports du Sainl-Siègj
avec les chefs politiques des divers États, ibid., p. 166;
Premier concile de Baltimore, ibid., t. i, p. 193, 321;
t. ii, p. 5 ; Des curés et de leurs droits dans l'Église, ibid.,
1. 1, p. 257; t. ii, p. 65; Décisions récentes du siège apos-
tolique sur la matière, la forme et les cérémonies des sacre-
ments, ibid., t. i, p. 294, 483 ; Étude sur le Manuale com-
pendium doclrinse moralis de virtutibus, auctore Lequeux,
ibid., 1. 1, p. 385; t. ii, p. 193; Constilution de S. S. Gré-
goire XVI contre les erreurs de l'hermésianisme, ibid.,
t. i, p. 422; De l'institution du dimanche, ibid.. t. ii,
p. 183; Dissertation sur la manière dont il faut entendre
cet axiome : La discipline est muable de sa nature, ibid.,
t. m, p. 354, 476; t. iv, p. 417; Lettre à Mgr l'évêque
d'Orléans (sur la liturgie), dans l'Ami de la religion et
dans l'Univers, 27 décembre 1845; Essai historique sur
l'abbaye de Solesmes, suivi de la description de l'église
abbatiale, avec l'explication des monuments qu'elle ren-
ferme, in-8°, le Mans, 1846; Du droit des êvêques sur la
liturgie, dans l'Univers, 3 juin 1849; Lettre à propos
d'un article de M. l'abbé Bouix sur la présence des
abbés aux conciles provinciaux, dans l'Univers, 13 oc-
tobre 1849; Pontificale romanum... auctore Josepho
Catalano. Nova edilio recognita et novis commentariis
et annolationibus locuplclala, accuranle aliquo sacrorum
rituum cultore, 3 in-4°, Paris, 1850-1852; Des prélats
inférieurs aux évèques et de leurs privilèges, dans les
Analecta juris ponlificii, 1857, p. 2074 et 2206; Le jan-
sénisme et la Compagnie de Jésus, dans la Revue de
l'Anjou et du Maine, IIe série, t. n, p. 289; t. m, p. 75
et 136, et in-8°, Angers, 1857; Du naturalisme dans la
philosophie, dans l'Univers, du 27 septembre 1857 au
17 janvier 1858; Du naturalisme dans l'histoire, dans
l'Univers, du 31 janvier 1858 au 3 juillet 1859; Marie
d'Agréda et la Cité mystique, dans l'Univers, du 23 mai
1858 au 7 novembre 1859; L'Église et l'empire romain
au iv> siècle : études sur le livre de M. A. de Broglie,
t. m cl i v,dans l' Univers, du 20 novembre 1859 au 29 jan-
vier 1860 ; Madame Swetchine, sa vie et ses œuvres, éludes
sur le livre de M. le comte de Falloux, dans le Monde, du
8 juilletau30 décembre 1860; Sainl Louis et la papauté,
dans le Monde, du 21 mai 1860 au 18 février 1861 ; Sixte-
Quint et Henri IV, éludes sur le livre de M. A. Segrélain,
dans le Monde, du 19 août 1861 au 5 janvier 1862;
Enchiridion benediclinum, complectens vitam et laudes
sanctissimi occidenlalium monachorum palriarchœ. Ac-
cedunt Excreitia sanctse Gertrudis Magnœ et Blosii
spéculum, in-12, Angers, 1862; Essai sur l'origine, la
signification et les privilèges de la médaille ou croix de
sainl Benoît, in-18, Poitiers et Paris, 1862, traduit en
allemand et en anglais ainsi que l'ouvrage suivant :
Les exercices de sainte Gerlrude, vierge et abbesse de
l'ordre de Saint-Benoît, in-32, Poitiers et Paris, 1863;
lnscriptiones christianse urbis Romse sasculo Vil» anli-
quiores. Élude sur le livre de M. De Rossi dans le Monde,
2 février 1863; William Faber, ibid., 3 et 19 janvier
1864; Imagines selectse Deiparx virginis in cœmeleriis
sublerraneis udo descriplœ. Étude sur V ouvrage de M. De
Rossi, dans le Monde, 7 mars 1864; Roma sotleranea
christiana. Élude sur les tomes i et n de l'ouvrage de
M. De Rossi, dans le Monde, 28 décembre 1865 et
2 février, 1er mai 1866; Roma sotteranea, t. u, dans
1' Univers, 27 octobre, 7 décembre 1868 et 4 février
1869; dans la Revue de l'art chrétien, 1868, t. xi, p. 481 ;
1869, t. xin, p. 60 et 177; L'Église romaine et le pre-
mier empire à propos du livre de M. d'Haussonville,
dans l' Univers, du 18 mai 1868 au 3 octobre 1869 ; Expli-
cation des prières et des cérémonies de la messe d'après
des noies recueillies aux conférences de dom Guéranger,
in-18, Solesmes, 1884, traduit en anglais, en allemand,
en italien et en espagnol; Conférences sur la vie chré-
tienne prononcées dans le chapitre de Saint-Pierre de
Solesmes, 2 in-4°, Solesmes, 1880-1884 ; Notions sur la vie
religieuse et monastique, in-16, Solesmes, 1885, traduit en
anglais, en allemand et en espagnol. Dans un volume
intitulé : Mélanges de liturgie, d'histoire et de théologie,
in-8°, Solesmes, 1887, sont reproduits quelques-uns des
ouvrages que dom Guéranger publia de 1830 à 1837.
Dom Guéranger, abbé de Solesmes, par un moine béné-
dictin (dom Delatte), 2 in-8°, Paris, 1909; Mgr Pie, Oraison
funèbre du T. R. P. dom Prosper Guéranger, abbé de Solesmes,
supérieur de la congrégation bénédictine de France, in-8°,
Paris et Poitiers, 1875; Mgr Freppel, Discours sur l'ordre
monastique prononcé dans l'église abbatiale de Solesmes à
l'anniversaire des obsèques de dom Guéranger, in-8°, Angers,
1876; Bibliographie des bénédictins de la congrégation de
France, in-8°, Solesmes, 1889, p. 3-33; 2a édit., in-8°, Paris,
1906, p. 55-71 ; dom A. Guépin, Solesmes et dom Guéranger,
in-12, le Mans, 1876; Dom Prosper Guéranger, abbé de
Solesmes, restaurateur de l'ordre de Saint-Benoît et de la
liturgie romaine en France, dans le Bulletin de Saint-Martin
et de Saint-Benoit, 1905, t. xm, p. 225 et 257; Dom Gué-
ranger et Madame Durand, souvenirs monastiques d'après
la correspondance de l'abbé de Solesmes, in-8°, Paris, 1911;
abbé Pichon, Étude sur la vie et les ouvrages du T. R. P. dom
Guéranger, abbé de Solesmes, in-8°, le Mans, 1875; dom
Thomas Buhler, Dom Prosper Guéranger, Abt von Solesmes
und Neubegrunder des Benediklinerordens in Frankreich,
dans Studien und Mitlheilungen aus dem Benedictincr-Orden,
1905, p. 95; L. Calendini, Dom Guéranger et Mgr Gerbet
d'après trois lettres autographes, dans les Annales Flé-
choises, 1905, p. 39; A. Roussel, Correspondance de Lamen-
nais et de l'abbé Guéranger, in-16, Lyon, 1906; dom Dé-
maret, Un moine, dom Guéranger, abbé de Solesmes, dans
les Questions ecclésiastiques, avril-juin 1910; Montalembert
et dom Guéranger, Lettres inédites, dans les Annales de
philosophie clvétienne, novembre 1910; P. Dudon, Huit
lettres inédites de Lamennais à Guéranger (1830-1832), dans
Le mois littéraire, juillet 1911 ; Delfour, Dom Guéranger,
dans l'Université catholique, 1911, t. lxvi, p. 1; Hurter,
Nomenclalor, 1913, t. v, col. 1839-1843; dom Piolin, Les
contemporains, 1893, n. 6; J. Chantrel.Le T. R. P. dom Gué-
ranger, abbé de Solesmes, Paris, 1875.
B. Heurtebize.
GUÉRET Louis Gabriel, théologien janséniste, né
en 1678 à Paris où il mourut le 10 septembre 1759.
Fils d'un avocat au parlement, il embrassa la carrière
ecclésiastique, se fit recevoir docteur en théologie et
devint grand vicaire de l'évêque de Rodez. Son attache-
ment aux doctrines jansénistes lui valut d'être plu-
sieurs fois frappé d'interdit. Il mourut âgé de 80 ans
chez son frère, le curé de Saint-Paul, qui lui donna les
derniers sacrements. Parmi ses ouvrages nous men-
tionnerons : Réflexions d'un théologien sur i instruction
pastorale de M. de Cambray, in-4°, 1735; Observations
sur le sentiment de Mgr l'archevêque de Cambray, in-4°;
Mémoire sur les immunités du clerg\ in-12, 1751; Avis
d'un docteur de Sorbonne au sujet de la déclaration du roi
du 17 août 1750 et de la réponse du clergé de France,
in-12, Berlin (Paris), 1751 ; Lettre d'un théologien sur
l'exaction des billets de confession pour administrer le
saint viatique, in-12, 1751; Droit qu'ont les curés de
1899
GUÉRET — GUERRE
1900
commettre leurs vicaires et les confesseurs dans leurs
paroisses, suivi d'une dissertation sur les interdits arbi-
traires des confesseurs, in-12, Paris, 1753 ; la dissertation
est du P. Timothée de Livoy, barnabite; Lettre au
sujet du nouveau bref de Benoit XIV, in-4°, 1756.
Nouvelles ecclésiastiques, 16 octobre 1759; Quérard, La
France littéraire, t. m, p. 507; Biographie universelle de
Michaud, t. xviii, p. 53; Picot, Mémoires pour servir à
l'histoire ecclésiastique du XVIW siècle, 3° édit., Paris, 1855,
t. IV, p. 426-427 ; P. Féret, La faculté de théologie de Paris.
Époque moderne, 1910. t. vu, p. 159-163.
B. Heurtebize.
GUERRE. — I. Définition et division. II. La guerre
et le droit naturel. III. La guerre et l'Écriture sainte.
IV. La guerre et les saints Pères.V. La guerre et l'Église.
VI. Questions morales se rapportant aux préliminaires
de la guerre. VIL De ce qui est permis durant la guerre.
VIII. Du droit conféré par la victoire. IX. Des efforts
tentés pour faire disparaître la guerre, ou, du moins, en
atténuer les effets. X. Violations récentes du droit des
gens et de la justice éternelle commises par des
belligérants sans conscience. XI. Des conséquences
surnaturelles de la guerre.
I. Définition et division. — 1° Le mot guerre est
d'origine germanique. Par l'intermédiaire de la basse
latinité, guerra, gwerra, werra, il dérive de l'allemand
wchr, arme, moyen de résistance, qui se retrouve dans
les mots saxons war, warre et werre; et clans les langues
néo-latines, italien et espagnol, guerra. Cf. Du Cange-
Henschell, Glossarium mediœ et infimœ latiniiatis, 10 in-
4°, Niort, Paris, 1883-1887, t. iv, p. 129; t. vm, p. 414;
Diefenbach, Glossarium lalino-germankum mediœ et
infimœ œtalis, in-4°, Francfort-sur-le-Mein,1857, p. 270,
272; Diez, Etymologischcs Wôrterbuch der romanischen
Sprachen, in-4°,Bonn, 1887, p. 179. Ce mot germanique,
cependant, signifie plutôt arme défensive, résistance
passive, comme les mots analogues qui, dans les lan-
gues modernes, dérivent, ainsi que lui, du sanscrit,
dans lequel la racine vri, ou var, signifie plutôt s'en-
tourer, s'envelopper, comme pour se garder, pour se
garantir, etc. On ne pourrait pas inférer de là, évidem-
ment, que les anciens n'ont fait, ou n'ont considéré
comme légitime que la guerre défensive. Toute l'his-
toire, depuis le berceau de l'humanité, protesterait
contre cette assertion.
2° Au sens figuré, le mot guerre signifie une lutte
quelconque : la vie de l'homme est une guerre per-
manente avec lui-même, avec les besoins de l'existence,
avec les passions qui l'inclinent au mal, etc. Mililia
est vita hominis super lerram. Job, vu, 1.
3° Dans un sens large, quoique déjà plus approprié,
le mot guerre signifie toute lutte qui s'accomplit non pas
seulement par un conflit de paroles, ou d'arguments,
comme le serait une discussion ou une dispute, mais
par l'emploi de la force matérielle ou de la violence.
C'est à ce point de vue que Cicéron a dit : In republica
maxime conservanda sunt jura belli. Nam cum sinl duo
gênera decertandi, unum per discepiationcm, aller um per
oim; cumque illud proprium sil hominis, hoc belluarum :
confugiendum est ad posterïus, si uti non lied superiore.
De officiis, 1. I, c. xi. Les juristes modernes, dans leurs
traités de droit des gens, ont souvent donné aussi une
définition semblable : Bellum est slalus per vim cerlan-
tium, qua Iules sunt. Grotius, De jure belli et pacis, 1. I,
c. i. in-4°, Leyde, 1625; édit. française, 2 in-4°, Ams-
terdam, 1724. Dans la seconde moitié du xvinf siècle,
de Vattel s'exprimait de même : « La guerre est cet état
dans lequel on poursuit son droit parla force. » Le droit
des gens, 1. III, c. i, § 1,3 in-8°, Paris, 1830-1838, t. n,
p. 77. Ainsi défini, le mot guerre s'applique autant à la
guerre privée, c'est-à-dire d'individu à individu, qu'à la
guerre publique, c'est-à-dire de multitudes à multitu-
des ; il s'a pplique également aux subdivisions de la guerre
privée, comme la simple rixe, le duel, etc.. et aux subdi-
visions de la guerre publique : guerre civile ou intestine
entre les citoyens d'une même nation ; sédition, entre ha-
bitants d'une même ville ;guerre étrangère, d'État à État.
4° Au sens propre, chez les anciens comme chez les
modernes, le mot guerre signifie la lutte entreprise au
nom et par l'autorité constituée d'une société civile
contre les ennemis du dehors. Ainsi la définit saint
Thomas, qui la distingue de tous les autres genres de
conflit, par ces paroles : Bellum proprie est contra
exlraneos hostes, quasi multitudinis ad multitudinem;
rixa autem est unius ad unum, aut paucorum ad paucos ;
seditio autem proprie est inter pares unius multitudinis
inter se dissentientes, pula cum una pars civilalis exci-
talur in lumultum contra aliam. Sum. theol., II» II*,
q. xlii, a. 1.
5° Le droit international, depuis assez longtemps,
entend par guerre, non pas seulement proprement,
mais uniquement, l'état de lutte à main armée entre
deux ou plusieurs nations indépendantes, cherchant à
conquérir par la force des armes ce qu'elles n'ont pu
obtenir par des négociations, soit que par ce moyen
elles tâchent de faire prévaloir leurs prétentions, soit
qu'elles ne visent qu'à se défendre contre les préten-
tions des autres. Cf. Dalloz, Dictionnaire pratique de
droit public, au mot Guerre, § 1, n. 1-2, in-îol., Paris,
1905, p. 701 ; cf. art. 1er de la Conférence internationale
de La Haye, en 1307.
Par définition, la guerre est un « état de lutte », non
un simple combat : celui-ci n'est qu'un acte transitoire
ou un épisode particulier de la guerre, qui peut conti-
nuer, même quand il n'y a pas actuellement de combats.
De même, on appelle ennemis de guerre, non pas seu-
lement ceux qui luttent au moment du combat, mais
tous ceux qui, par conseils, machinations, ou toute
autre mesure, préparent le combat, ou en assurent le
résultat favorable.
On dit aussi que la guerre n'est qu'entre nations
indépendantes, considérées comme telles, inter na-
tiones libéras, qua taies. La guerre, en effet, n'a pas lieu
entre citoyens particuliers de diverses nations, soit pris
individuellement, soit même pris collectivement; mais
seulement entre ces nations elles-mêmes, en tant que
chacune d'elles, sous le pouvoir suprême du gouver-
nement monarchique, oligarchique, ou démocratique
qu'elle s'est donné, constitue une personne publique et
politique. Il s'ensuit que les citoyens, ou leurs groupe-
ments particuliers de diverses sortes : associations, syn-
dicats, académies, etc., dont se compose la nation qui
est en guerre, ne sont impliqués dans cette guerre que
secondairement, et comme indirectement, car ils ne
prennent part à la guerre que sur le mandat et au nom
de la nation elle-même qu'ils soutiennent par les
ai ni' s, ou dont ils augmentent les forces par leur action.
Certains auteurs ont défini la guerre : Violati ordinis
publici violenta rcslitutio : le rétablissement par la
force de l'ordre public violemment troublé. Mais, outre
que cette définition peut tout aussi bien s'appliquer à
la répression des séditions et à la guerre civile, elle ne
paraît convenir qu'à la guerre juste, ou à la guerre
défensive. Cf. Zigliara, Elhica et jus nalurœ, part. II,
1. II, c. ni, a. 2, n. 1, Summa philosophica. 3 in-12, Paris,
1887, t. m, p. 289. Il faudrait que la définition de la
guerre, même entre nations différentes, convînt à
toutes les guerres de diverses sortes qui peuvent exister
entre elles, qu'elles soient guerres justes, ou non, et
quels qu'en soient l'origine et les motifs.
6° La guerre entre nations indépendantes est défen-
sive, ou offensive, suivant qu'une nation prend les
armes pour repousser un ennemi qui l'attaque, ou
qu'elle les prend la première, pour attaquer un autre
peuple qui, jusqu'à ce moment-là, vivait en paix avec
elle. Cf. de Vattel, op. cil., § 5, t. il, p. 79. Cette difîé-
1901
GUERRE
1902
rence provient donc d'un fait purement extérieur, car
la guerre qui est vraiment défensive chez une nation,
est offensive chez son ennemie, et réciproquement. On
pourrait, cependant, appeler aussi guerre défensive,
quoique dans un sens un peu plus large, la guerre
entreprise pour empêcher une violation de droit im-
minente, ou ayant déjà reçu un commencement d'exé-
cution, bien que la nation ennemie n'ait pas encore pris
les armes, dans le but de soutenir cette injustice mé-
ditée, ou déjà perpétrée en partie. Guerre défensive
serait, aussi, dans un cas analogue, celle pour demander
ou obtenir une réparation proportionnée au dommage
matériel ou moral causé; ou encore, avec un ennemi
turbulent et toujours dangereux, pour assurer une
paix plus durable et plus solide. Dans ce cas, ce qui
semble une agression, ne serait, en réalité, qu'un acte
de légitime défense. Cf. Suarez, De charilate, disp.
XIII, De bello, sect. i, n. 6, Opéra omnia, 28 in-4°, Paris,
1856-1878, t. xii, p. 738. De même, la guerre offensive
est celle qui est soutenue par le parti dont les agisse-
ments l'ont provoquée et rendue inévitable, alors
même que ce parti n'aurait pas accompli, de son côté les
premiers actes d'hostilité matérielle, car, suivant le mot
de Montesquieu, le véritable auteur d'une guerre n'est
pas celui qui la déclare, mais celui qui la rend nécessaire.
II. La guerre et le droit naturel. — 1° Histo-
rique et erreurs. — 1. La guerre est certainement un des
plus grands fléaux de l'humanité, et ce n est pas sans
motif que l'Église met sur les lèvres de ses enfants cette
supplication : A peste, famé et bello libéra nos, Domine.
Très souvent ces trois maux n'en font qu'un, car la
guerre entraîne à sa suite les épidémies et la famine.
La guerre est aussi, à n'en pas douter, une des suites
les plus désastreuses du péché originel, soit à cause des
misères physiques dont elle est la source, soit à cause
de la perte des âmes qui, si nombreuses, paraissent
devant le juge souverain, sans aucune préparation, et
dans l'ivresse du carnage ou les fureurs de la haine.
L'homme, s'étant révolté contre Dieu, non seulement
a vu les créatures se révolter contre lui, mais il a été
aussi, depuis lors, en lutte avec lui-même et avec ses
semblables. La terre, jusque-là paradis de délices, est
devenue aussitôt un champ de bataille, et, avec la faute
de notre premier père, s'est introduite dans le monde la
lutte pour la vie, le strugglc [or li/e. Dans son Spéculum
doctrinale, Vincent de Beauvais enseigne que le nom
latin de guerre, bellum, dérive de bclluis, bêtes fauves,
parce que, dit-il, bellanies sœpe ferilatem belluarum
imilantur, 1. XI, c. xxvi, 10 in-fol., Strasbourg, 1473.
Cf. Cicéron, De ofjiciis, 1. I, c. xi.
Abstraction faite de la faute originelle et de la ter-
rible sanction qui l'a suivie pour toute la postérité
d'Adam, car c'est par le péché du premier homme que
la mort est entrée dans le monde et a atteint toutes les
générations, Rom., v, 12; vi, 23; 1 Cor., xv, 21, peut-on
affirmer que la guerre n'est qu'une manifestation de la
loi générale de destruction qui pèse sur le monde, et
n'épargne aucun être dans le vaste domaine de la
nature vivante? Une force occulte, mais indéniable et
irrésistible, sorte de rage universelle, arme tous les
êtres les uns contre les autres. Un décret de mort vio-
lente semble écrit aux sources mêmes de la vie,
pour que nul n'y échappe ; et le redoutable légis-
lateur qui l'a formulé, a choisi, dans chaque
grande division du règne animal, des familles qu'il a
spécialement chargées de l'exécuter : insectes de proie,
reptiles de proie, oiseaux de proie, poissons de proie,
quadrupèdes de proie. A chaque instant de l'innom-
brable série des siècles, des êtres vivants sont dévorés
par d'autres. Au-dessus de ces multitudes de races
destinées à servir de pâture à d'autres mieux outillées
pour la lutte, est placé l'homme dont la main destruc-
trice ne fait grâce à rien de ce qui vit : il tue pour se
vêtir, il tue pour se parer, il tue pour attaquer, il tue
pour se défendre, il tue pour s'instruire, il tue pour
s'amuser, il tue pour tuer : roi superbe qui a besoin de
tout, et à qui rien ne résiste... Le philosophe peut même
découvrir comment le carnage permanent est prévu et
ordonné dans le grand tout. Mais cette loi s'arrêtera-
t-elle à l'homme ? Non, sans doute. Et quel être exter-
minera celui qui les extermine tous ? C'est l'homme
qui est chargé d'égorger l'homme. Comment, cepen-
dant, pourra-t-il accomplir la loi, lui qui est un être
moral et miséricordieux; lui qui est né pour aimer; lui
qui pleure sur les autres comme sur lui-même; lui à
qui il a été déclaré qu'on lui demandera compte
jusqu'à la dernière goutte du sang qu'il aura versé
injustement, Gen., ix, 5? C'est la guerre qui accomplira
le décret. A la terre qui crie et réclame du sang, celui
des animaux ne suffit pas, ni même celui des criminels
immolés par le glaive de la justice humaine, qui ne
peut les atteindre tous; ... qui souvent en épargne par
clémence coupable, crainte, lâcheté, énervante sensi-
blerie, sans prendre garde que cette douceur mal enten-
due est plus cruelle que la férocité, car, en travaillant
à éteindre l'expiation dans le monde, elle contribue à
rendre la guerre nécessaire... La terre n'a pas crié en
vain : la guerre s'allume; l'homme, saisi tout à coup
d'une fureur divine, étrangère à la haine et à la colère,
s'avance sur le champ de bataille, sans savoir ce qu'il
veut, ni même ce qu'il fait. Qu'est-ce donc que cette
horrible énigme? Rien plus que tuer n'est contraire
à sa nature, et, alors, rien ne lui répugne moins :
il fait avec enthousiasme ce qu'il a en horreur... Inno-
cent meurtrier, instrument passil d'une main redou-
table, il se plonge, tête baissée, dans cet abîme, où il
donne et reçoit la mort... Ainsi s'accomplit sans cesse,
depuis le ciron jusqu'à l'homme, la grande loi de la
destruction violente des êtres vivants. La terre entière,
continuellement imbibée de sang, n'est qu'un autel
immense, où tout ce qui vit doit être immolé sans fin,
sans mesure, sans relâche, jusqu'à la consommation des
choses, jusqu'à l'extinction du mal, jusqu'à la mort
même de la mort, le dernier ennemi qui doit être dé-
truit, après avoir tout soumis à son sceptre, suivant la
vigoureuse expression de l'apôtre : Novissima autem
inimica destruelur mors : omnia enim subjecit sub
pedibus, I Cor., xv, 26. Voilà par quelles considéra-
tions le comte Joseph de Maistre expose qu'il n'y a
pas moyen d'expliquer comment la guerre, « la plus
grande des extravagances humaines», est humainement
possible, quand on songe que l'homme est doué de
raison, de sensibilité et d'affection 1 Cf. Les soirées de
Saint-Pétersbourg, ou Entretiens sur le gouvernement
temporel de la providence, suivis d'un traité sur les
sacrifices, 2 in-8°, Paris, 1822, VIIe entretien, t. n,
p. 30 sq. Cet auteur voit donc dans la guerre l'interven-
tion d'une loi supérieure à l'humanité, loi occulte et
terrible qui a besoin pu sang humain. De là découle,
dit-il, cette prééminence que toutes les nations, an-
tiques et modernes, ont toujours accordée à la profes-
sion des armes. N'est-ce pas étrange, en ejjet, que le
droit de verser innocemment le sang innocent ait tou-
jours été regardé comme le plus honorable dans le
monde, au jugement de tout le genre humain sans
exception? et n'y a-t-il pas quelque chose de mysté-
rieux et d'inexplicable dans le prix extraordinaire que
les hommes ont toujours attaché à la gloire militaire ?
Cf. Besse, La thèse de Joseph de Maistre sur la guerre,
dans la Revue pratique d'apologétique, 1916, t. xxn,
p. 466-484, 537-549.
Il nous semble, à nous, que, sans recourir à une loi
occulte, il n'est pas difficile d'expliquer, chez tant
d'hommes de tous les temps et de tous les pays, l'amour
de la gloire. Elle ne se comprend que trop, par le désir
de faire parade de la supériorité de leurs forces phy-
1903
GUERRE
siqucs, des ressources de leur intelligence et de celles
de leur génie, non moins que par leur désir de dominer
leurs semblables et de se dresser au-dessus d'eux. Tout
cela ne s'explique que trop par l'orgueil, la vanité, la
convoitise, le mépris d' autrui, choses trop naturelles à
l'humanité déchue, et dont on découvre, chaque jour
et partout, de trop nombreuses et déplorables preuves.
Sans doute, de terribles ravageurs se sont attribué le
rôle de justiciers de Dieu, et Attila entre autres s'appe-
lait lui-même le Fléau de Dieu. Cependant, la plupart
des grands capitaines, épris de gloire, n'élevaient pas
leurs pensées au-dessus des horizons bornés de ce
monde. Assurément Dieu par eux a fait son œuvre;
nuis, eux, le plus souvent, ne songeaient à autre chose
qu'à l'indépendance, à la domination, aux richesses et
aux honneurs. Cf. Mgr Horace Mazzella, archevêque
de Rossano, Il calecUismo délia guerra, in-12, Rome,
1916, p. 35 sq.
Joseph de Maistre est mieux inspiré, quand il
explique la raison d'être de la guerre, non par une
application de la loi générale de destruction pour tous
les êtres, à quelque degré qu'ils appartiennent de la
hiérarchie dans le monde matériel, mais par une loi de
l'ordre spirituel : celle de l'expiation, indispensable ici-
bas, pour les crimes sociaux. Les hommes sont mal-
heureux, ou parce qu'ils sont coupables, ou parce que,
même innocents, ils doivent souffrir pour les criminels,
afin d'obtenir leur salut. Les hommes qui par leurs
prévarications rendent nécessaires tous les maux
physiques qui les châtient, et surtout la guerre, s'en
prennent naturellement aux rois, causes visibles de ces
affreux conflits; et l'on connaît le vers d'Horace, Quid-
quid délirant reges, plectuncliir Archivi, Epist., I, n,
14;
Du délire des rois les peuples sont punis.
.... de tout temps.
Les petits ont soufTert des sottises des grands.
Mais, plus justement un autre poète, J.-B. Rousseau,
a dit :
C'est le courroux des rois qui fait armer la terre :
C'est le courroux du ciel qui fait armer les rois.
Lorsque les crimes, et surtout les crimes d'un certain
genre, se sont accumulés jusqu'à un certain point
marqué par la justice divine, celle-ci frappe, parfois
au même instant, tous les peuples coupables; et ces
peuples, loin de faire aucun effort pour échapper à la
divine sentence, ou pour l'atténuer, ou pour l'abréger,
se précipitent les uns contre les autres, s'offrant comme
d'eux-mêmes aux souffrances, aux supplices et à la
mort expiatrice. Tant qu'il leur restera du sang, ils
viendront l'offrir sur l'autel du sacrifice, et, plus tard,
une jeunesse devenue rare, après la disparition de tant
de générations fauchées par les aveugles exécuteurs de
la vengeance divine, se fera raconter ces guerres déso-
latrices produites par les crimes de ses pères.
La guerre est donc divine en elle-même, comme la
terrible justicière du Dieu offensé, mais non comme
l'application de la loi générale de destruction présidant
aux phénomènes de l'ordre matériel. Il faut remarquer
aussi que, si l'homme avait gardé la justice originelle,
ces destructions auraient été de beaucoup moins nom-
breuses. Sans affirmer absolument, en ellet, que si
l'homme avait continué à habiter le paradis terrestre,
il ne se fût pas nourri de la chair des animaux, on ne
peut contester que la nourriture que Dieu lui assigna
dans l'état d'innocence, si elle n'était exclusivement
végétale, l'était, du moins principalement. Gen., i, 29.
Il semble aussi, d'après le f. 30, que la nourriture des
animaux était aussi principalement végétale. Ce qui
est également certain, c'est que l'usage de la chair des
animaux, comme nourriture, est expressément permis
à l'homme, seulement à partir du déluge. Gen., ix,, 3.
Toutes les traditions antiques, même païennes, se
sont faites l'écho de ces vérités, quand elles décrivent
les merveilles de l'âge d'or :
At vêtus illa retas, cui fecimus Aurea nomen,
Fœtibus arboreis, et, quas humus educat, herbas,
Fortunata fuit, nec polluit ora cruore.
Ovide, Metam., xv, 96-98; cf. ibid., i, 89-106; Virgile,
Gcorg., i, 125-128; Varron, De re rusL, II, i; Plutarque,
Ilsp't aapy.oçayiot;, II, 3-4.
Historiquement, il est bien rare qu'on ait considéré
le métier des armes comme une sorte de sacerdoce,
pour venger Dieu outragé. Très généralement ceux qui
marchaient au combat avaient des vues beaucoup
moins élevées. De tout temps, dit fort judicieusement
un moraliste, pour quelque morceau de terre de plus ou
de moins, les hommes sont convenus entre eux de se
dépouiller, se brûler, se tuer, s'égorger les uns les
autres. Et, pour le faire plus ingénieusement et avec
plus de sûreté, ils ont inventé de belles règles qu'on
appelle l'art militaire. Ils ont attaché à la pratique de
ces règles la gloire ou la plus solide réputation. Et ils
ont, depuis, enchéri, de siècle en siècle, sur la manière
de se détruire réciproquement. De l'injustice des pre-
miers hommes, comme de son unique source, est venue
la guerre... Si content de son propre bien, on eût pu
s'abstenir de convoiter et de prendre celui du prochain,
on aurait eu pour toujours la paix et la liberté. Cf. La
Bruyère. Caractères, Du souverain ou de la république,
in-8«, Paris, 1878. p. 309 sq.
Cette guerre féroce se montre dans le monde dès
l'origine de l'humanité. Elle existe entre les deux fils
du premier homme, et, simplement par jalousie, Caïn
verse le sang de son frère Abel. Cette guerre, d'individu
à individu, passe vite de collectivités à collectivités.
Dès qu'il y a deux familles, ou deux peuplades voi-
sines dont les intérêts sont différents, le conflit éclate.
Plus la notion des droits d'autrui s'affaiblit dans l'es-
prit, ou plus la volonté s'oppose au respect de ces droits,
plus on a recours à la violence pour résoudre les ques-
tions en litige. Dans ces cas, la raison du plus fort est
toujours la meilleure, en pratique, bien entendu. Et
quand aucun principe de morale n'est assez puissant
pour mettre une barrière aux emportements de la
force, alors les droits des vaincus sont comme n'exis-
tant pas. Ils sont foulés aux pieds et radicalement
détruits. L'antiquité païenne avait un mot cruel pour
exprimer cette méconnaissance de tout droit, chez ceux
que la victoire n'avait pas favorisés : Vœ viclis ! Mal-
heur aux vaincus 1 Cf. Barbayrac, Histoire des anciens
traités, depuis les temps les plus reculés jusqu'à l'empe-
reur Charlcmagne, 2 in-fol., Amsterdam, 1739.
2. Dans l'antiquité païenne, en effet, la guerre était
particulièrement sauvage. La bataille était un car-
nage sans merci, jusqu'à épuisement complet, ou des-
truction totale. La victoire conférait au vainqueur le
droit absolu et illimité sur les propriétés et les per-
sonnes des vaincus. Le sol avec ses productions; les
troupeaux et les habitations; les hommes, les femmes,
les enfants, tout passait en la possession du vainqueur
qui avait droit de vie et de mort sur les personnes, et
pouvait ravager, à son gré, leur pays. Les uns, comme
les Carthaginois, torturaient affreusement les prison-
niers de guerre, les suppliciaient et les crucifiaient;
d'autres les vendaient comme esclaves, non par un
sentiment plus éclairé des droits de l'humanité, mais
par un intérêt sordide, comme l'on vend un vil bétail,
qu'on a cependant le droit de conduire à la boucherie.
Quant aux femmes, jetons un voile sur les excès des
passions brutales que les vainqueurs se croyaient per-
mis par rapport à elles. Le viol était un de leurs droits
les plus incontestés, et l'honnêteté la plus élémentaire
n'arrêtait aucun de leurs débordements. Entre ennemis,
1905
GUERRE
1906
et même entre alliés, la parole <!onnée et les serments
les plus solennels ne renfermaient aucune garantie. Nul
n'y avait confiance. Tous étaient prêts à se parjurer,
et à déchirer les contrats les plus sacrés, dès que leurs
intérêts étaient en jeu, et que l'accroissement de leur
puissance leur promettait l'impunité. C'était, on peut
le dire, une erreur généralement répandue dans la
gentilité, qu'il était permis de prendre les armes et de
faire la guerre, uniquement pour conquérir des royau-
mes, acquérir des richesses et un nom glorieux. Cf.
Suarez, loc. cit., sect. iv, t. xn, p. 743.
3. Aux temps de la civilisation si avancée de la
Grèce et de Rome, les choses ne se passaient guère
autrement. Nul ne songeait à contester au vainqueur
la plénitude de ses droits. Si Alexandre, ou le Sénat
romain consentirent à en rabattre, ce fut uniquement
par des calculs d'intérêt plus raffinés, et parce que leur
ambition plus habile visait et plus haut et plus loin.
A quoi leur aurait servi la domination universelle, si
elle ne s'était étendue que sur.de vastes déserts, ou sur
des terres sauvagement ravagées par leurs armées, et
pour longtemps stériles ? Ils ne voulurent donc pas la
destruction des biens des vaincus, ni même la dépos-
session complète de ceux-ci, ce qui pratiquement reve-
nait presque au même. Aux vaincus, ils se conten-
taient d'imposer de fortes rançons, des tributs onéreux,
souvent une sorte de protectorat, ou d'alliance, qui
n'était qu'un assujettissement déguisé. Mais si ces
nations, unies par la force à celle qui les avait dominées,
frémissaient sous le joug, et tentaient de s'en affranchir,
alors le vieil instinct païen se réveillait dans toute sa
férocité, et la guerre recommençait, sauvage, cette fois,
guerre d'extermination, qui ne se terminait que par la
dépopulation, l'expropriation en masse, la destruction,
dût un peuple entier être rayé du livre de vie. Cela
paraissait juste, et les plus fins lettrés, ouïes meilleurs
moralistes de l'antiquité, tels que Cicéron, ou Sénèque,
ne trouvaient rien à redire à cela. Cf. Platon, De repu-
blica, 1. V.
Au nom de quels principes ces philosophes qui ap-
prouvaient la politique romaine envers les vaincus,
auraient-ils pu condamner, ou simplement blâmer les
barbares, qui, quelques siècles plus tard, se précipitant
à l'assaut de l'empire romain, y commirent toutes
sortes d'infamies, de meurtres atroces et de dépréda-
tions? Les Teutons et les Cimbres, les Goths et les
Visigoths, les Suèvcs, les Huns et les Vandales, les
Hérules, les Francs et les Germains pouvaient-ils
avoir des notions plus exactes sur la propriété, la
dignité humaine et les droits des vaincus? A leurs yeux
aussi le droit de la guerre, ou le droit du plus fort,
comprenait l'ensemble et l'universalité de tous les
droits sans exception. Vaincre, c'était tout conquérir,
personnes et choses. Le conquérant devenait, de fait
et de droit, le maître absolu du pays dont il avait
réussi à s'emparer, et pour aussi longtemps qu'il
pouvait s'y maintenir. Le chef suprême distribuait le
sol à ses compagnons d'armes. Ainsi se forma une aris-
tocratie féodale que le temps consolida, en consacrant
toutes les spoliations.
4. Si l'influence du christianisme, en adoucissant les
mœurs publiques, et en rendant plus claire dans les
masses la notion du devoir opposée à celle du droit, n'a
pas fait disparaître complètement la guerre du sein
de l'humanité, du moins elle a amené les vainqueurs
à apporter une certaine réserve dans leurs exigences.
Mais, même chez les nations modernes les plus policées
et les plus civilisées, plus le sentiment religieux s'efface,
plus le respect de l'humanité disparaît, et l'intérêt
devient le seul mobile. L'égoïsme inspire la diploma-
tie, et, de nos jours, comme il y a trente ou quarante
siècles, les chefs des peuples ne sont que trop portés
à admettre le vieil axiome païen que la « force prime le
droit ». Cf. Dumont et Brunel, Recueil des tra'tès de paix,
d'alliance cl de trêves faits en Europe depuis Charlemagnc
jusqu'à présent, 8 in-fol., Amsterdam et La Haye, 1726.
5. Ils sont légion encore, parmi nos contemporains,
ceux qui, se vantant d'être au nombre des intellectuels
les plus cultivés, enseignent ou pensent que le succès
justifie tout, et que peu importent les moyens, pourvu
qu'on réussisse. Dans son ouvrage L'Allemagne et la
prochaine guerre, dont la 5* édition allemande parut
en 1912, von Bernhardi, général qui aimait à philoso-
pher en faisant fi de la morale, s'efforce de prouver que,
pour sa patrie, la guerre de rapines, décorée du nom
de guerre de conquêtes, non seulement est un droit,
mais un devoir. Et voulez-vous savoir la raison d'une
si étrange thèse et d'une si formidable prétention?
C'est que l'Allemagne, pour satisfaire son insatiable
soif d'annexions et son désir de grandir sans limites
(ce à quoi elle se croit prédestinée), a besoin des terres,
provinces ou royaumes, non moins que des richesses
naturelles que les autres peuples détiennent, très injus-
tement, selon elle. Et pourquoi les propriétaires actuels
sont-ils d'injustes possesseurs? C'est parce qu'ils ne
savent pas tirer suffisamment parti des régions qu'ils
occupent, tandis que l'Allemagne saura merveilleuse-
ment les mettre en valeur, et que, en outre, par suite
de la supériorité des qualités qui la distinguent, elle a
droit à la domination universelle. « Tout ce qui est bon
à prendre est à nous », disaient les anciens Germains,
dont, selon Tacite, la devise était : Ubi pr<eda, ibi
patria l Après vingt siècles, beaucoup de leurs descen-
dants parlent encore de même. Les téméraires qui,
même en se défendant, mettraient obstacle à l'expan-
sion de l'Allemagne et l'empêcheraient d'atteindre sa
fin qui est de tout absorber, commettraient donc une
injustice flagrante, un crime irrémissible. Il n'est que
juste de les en châtier par l'asservissement ou la des-
truction totale. Et plus la guerre qu'on leur fera sera
dure, atroce, farouche, impitoyable et inhumaine, plus
elle sera méritoire et digne d'éloges, car on arrivera
ainsi plus tôt à la victoire, en inspirant partout la terreur
et l'épouvante. Une traduction française de cet ou-
vrage significatif du général von Bernhardi, avec
préface du colonel suisse F. Feyler, a paru, in-8°,
Paris, 1916. Cf. général von Hartmann, dans la
Deutsche Rundschau, 1877-1878. Tel est, d'ailleurs,
l'enseignement officiel donné par le grand état-major
allemand, dans le manuel paru en 1902, et intitulé :
Kriegsbrauch in Landkriege. Il y oppose aux prescrip-
tions des juristes la coutume et la tradition hérédi-
taires, dit-il, de la race germanique. D'après cette
tradition nationale, affirme-t-il avec insistance, l'offi-
cier allemand doit se mettre en garde contre les » con-
ceptions humanitaires », humanilare Anschauungcn,
p. 3, dont se sont inspirées les Conférences de Genève,
de Bruxelles et de La Haye. C'est donc non seulement
un droit, mais un devoir, pour tout chef d'armée,
d'employer sans ménagement les moyens d'intimida-
tion, car c'est précisément dans l'emploi illimité des
mesures de rigueur, et dans l'absence totale de scru-
pules, que réside le plus souvent l'humanité, p. 7, 115.
Cette tradition dans la race germanique remonte haut
et loin, en effet, car elle remonte jusqu'à Luther,
qui écrivait aux princes de son temps : « Déchaînez-
vous, exterminez, égorgez. » Cf. Denifle, Luther et
le. luthéranisme, trad. franc., t. i, p. 17-18, 213;
Janssen. Geschichle des deutschen Volkes, 6 in-8°,
Fribourg-en-Brisgau, 1876-1888, t. n; t. iv, p. 506 sq.;
Boutroux, La force substituée au droit, dans la Revue
des Deux Mondes du 15 octobre 1914, p. 387 sq. ;
Ch. Ander, T^es usages de la guerre et la doctrine de
l'état-major allemand, in-8°, Paris, 1915; Le panger-
manisme, in-8°, Paris, 1915; Joachim von der Goltz
(le fils du maréchal de ce nom), Les dix commande-
1907
GUERRE
1908
mcnls de jer du soldat allemand, in-S°, Leipzig, 1915.
Tout cela, d'ailleurs, était déjà très clairement exprimé
par l'historien de l'Allemagne contemporaine, Karl
Lamprecht, 7ur iungsten deutschen Vergangenhcit,
3 in-8°, Fribourg-en-Brisgau, 1903-1905; Moderne
Geschichleswissenschalt, in-8°, Berlin, 1909.
Et il s'est trouvé des théologiens pour soutenir cette
abominable thèse, en invoquant l'axiome : In extrema
necessilate omnia bona suni communia. Comme si une
collectivité regorgeant de richesses, enivrée de puis-
sance et d'orgueil, et assoifTée de domination mondiale
( W'.ltpolitik), pouvait être assimilée à un individu qui,
mourant de faim, a le droit de prendre, quoique ne lui
appartenant pas, un morceau de pain qu'il trouverait
à sa portée, parce que, en le lui refusant, le propriétaire
commettrait une faute grave 1 D'après ses partisans
eux-mêmes, la Wellpolitik devait entraîner inévitable-
ment la guerre. Cf. Mumbauer, dans la revue Hoch
land, 1914-1915, p. 99 sq. Donc, pour s'emparer du
bien d'autrui qu'elle convoite, l'Allemagne a le droit de
déchirer les traites qu'elle a signés; de manquer à la foi
jurée; de ne tenir aucun compte des serments les plus
solennels; de violer la neutralité des nations non
belligérantes; d'attaquer même les citoyens paisibles
qui ne portent pas les armes; de bombarder par ses
zeppelins et ses avions les villes ouvertes; de couler
par ses sous-marins les navires même de commerce,
et cela sans avertissement préalable, sans se soucier
de la vie des voyageurs inoffensifs, seraient-ils absolu-
ment étrangers à la guerre; de massacrer par consé-
quent les innocents; de faire marcher devant ses sol-
dats, pour leur faire un rempart de leur corps, les
vieillards, les enfants et les femmes; de diminuer le
nombre de ses adversaires en tirant sur les ambulances
et les hôpitaux; de déporter en masse des populations
entières, sans s'inquiéter des liens de famille, ni des
prescriptions de la morale la plus élémentaire, en sépa-
rant arbitrairement les jeunes filles de leurs mères, ou
des parents, pères et frères, qui pourraient protéger
leur vertu contre les passions brutales de la soldatesque
effrénée; d'incendier méthodiquement, systématique-
ment, et de détruire de fond en comble villes et vil-
lages, pour inspirer partout la terreur salutaire de
son nom; de ne pas même épargner les églises et cathé-
drales, temples du Dieu vivant, etc. « Ces infractions
voulues délibérément aux lois de la guerre, dit le
docteur Karl Strupp, nous apparaissent, malgré leurs
horreurs, comme conformes au droit des gens, et toute
ville est coupable des actes de chacun de ses habi-
tants. « Das internationale Landgriegsrecht, in-8°,
Berlin, 1914, p. 9, 248. Toutes ces idées avaient été
émises, deux ans auparavant, dans un ouvrage publié
par M. Daniel Frymann, sous le titre : Wenn ich der
Kaiser war I in-8°, Leipzig, 1912, et dont il s'est vendu
plus de trente mille exemplaires en Allemagne. Ces
mêmes idées furent répandues, d'autre part, dans le
grand public, quelques mois axant que la guerre alle-
mande éclatât, et, cette fois, avec la haute approbation
du prince héritier de la couronne impériale, par le
colonel von H. Frobeninus, Des Deutschen Beiches
Schichsalstunde, in-8°, Berlin, 1914. Cf. Louis Bertrand,
Nietzsche cl la guerre, in-8c, Paris, 1915; Léon Daudet,
L'esprit allemand. De Kant à Krupp, in-12, Paris,
1915; M. F. Boz, La préméditation allemande démontrée
dans un livre anglais de 1912, dans le Correspondant
du 25 mars 1915, ouvrage d'autant plus significatif
qu'il a paru deux ans avant la guerre de 1914, qui
devait traduire en action, et sur une si vaste échelle,
ces abominables doctrines ; A. Pillet, professeur à
l'université de Paris, La science allemande et le droit
de la guerre, dans la Revue des Deux Mondes, du
1er avril 1915; Jacques Flach, membre de l'Institut,
professeur au Collège de France, Essai sur la formation
de l'esprit public allemand, in-12, Paris, 1915: E. La-
visse et Ch. Ander, Pratique et doctrine allemandes de la
guerre, in-8°, Paris, 1915.
2° La guerre, cependant, est-elle intrinsèquement mau-
vaise et contraire au droit naturel ? — 1, Faut-il sous-
crire aux déclarations de prétendus philanthropes qui
répètent de toutes manières, à notre époque, que la
guerre n'est que le meurtre et le vol enseignés publique-
ment et commandés, sous les peines les plus graves, aux
peuples par leurs gouvernements respectifs ? qu'elle
est le meurtre et le vol acclamés, loués, récompensés,
blasonnés, couronnés ? qu'elle est le meurtre et le vol
soustraits à l'échafaud par l'arc de triomphe ? qu'elle
est donc le meurtre et le vol, moins le châtiment et la
honte, plus l'impunité et la gloire ? qu'elle est donc
aussi la plus flagrante des inconséquences légales, puis-
que dans la guerre la société autorise ce qu'elle défend
par ses lois, récompense ce qu'elle punit chez les indi-
vidus, et glorifie ce qu'elle flétrit de ses anathèmes; de
sorte que ce que fait la société par la guerre ne diffère
de ce qu'elle défend si sévèrement aux individus que
par le nom, l'étendue et la multiplicité. Mais depuis
quand la multitude des crimes commis, ou leur univer-
salité, ou les noms pompeux dont on les décore, en at-
ténuent-ils la culpabilité ?
Il y a dans ces déclamations plus de phraséologie que
de vérité. Quoique la guerre soit un redoutable fléau
entraînant toutes sortes de calamités, elle n'est pas
cependant intrinsèquement mauvaise et contraire au
droit naturel. Elle est toujours un très grand mal phy-
sique; elle n'est pas toujours un mal moral. Elle peut
être juste, et, quelquefois, même nécessaire.
Parfois, en effet, elle est l'unique moyen par lequel
un État peut pourvoir à sa propre sécurité, et assurer
son existence contre les injustes agressions d'un État
voisin, ou maintenir le respect de droits d'une grande
importance auxquels il ne saurait renoncer sans un
grave dommage, ou sans un déshonneur plus préjudi-
ciable encore qu'une perte de biens matériels. Or, de
même que, de droit naturel, il est permis à un individu
de repousser, même par la violence, un injuste agres-
seur qui en veut à sa vie, à sa fortune, ou à son hon-
neur; de même, et à plus forte raison, cela est permis à
une nation, qui, constituée en corps politique, forme
une personne morale et publique. Le chef de cette na-
tion a non seulement le droit, mais aussi le devoir de
prendre ce moyen pour sauvegarder les intérêts géné-
raux dont il a la charge. Ce droit et ce devoir s'enten-
dent non seulement de la guerre strictement défensive,
mais aussi de la guerre offensive rendue nécessaire par
les agissements d'un État voisin, dont les menées am-
bitieuses constitueraient un danger réel. Cf. Bellarmin,
II* Conlroversia generalis, De membris Ecclesiœ mili-
lanlis, 1. III, De laicis, c. xiv, Opéra omnia, 8 in-4°,
Naples, 1872, t. n, p. 327.
2. La guerre qui, évidemment, n'est pas toujours
contraire aux lois de la justice, n'est-elle pas du moins
toujours opposée aux lois de la charité ? S'il en était
ainsi, on devrait conclure que la guerre n'est jamais
légitime, car il ne suffît pas à un homme, serait-il chef
d'État, de respecter les lois de la justice : celles de la
charité ne l'obligent pas moins. Ce qui est conforme
aux lois de la stricte justice n'est pas toujours permis,
car les limites de la justice stricte confinent de près
à l'injustice : summum jus, summa injuria. Il peut
arriver qu'une guerre, juste en soi, au point de vue de
la justice stricte, devienne, cependant, in concrelo, et
vu les circonstances, gravement coupable, si elle viole,
par ailleurs, en matière grave, le précepte naturel par
lequel nous sommes tenus d'aimer le prochain, notre
frère, comme nous-mêmes. Mais, en faisant abstraction
de ces circonstances particulières, où la loi de la charité
commanderait de tempérer un peu la poursuite des
1909
GUERRE
1910
droits qu'on tiendrait de la stricte justice, on peut se
demander si la guerre est toujours, de soi, à cause des
maux incalculables qu'elle entraîne, contraire aux lois
de la charité, et, par conséquent, à ce titre, toujours
défendue comme intrinsèquement mauvaise.
A cette question ainsi formulée, une réponse néga-
tive doit être évidemment faite. On ne peut pas sup-
poser, en effet, que Dieu, comme auteur et législateur
suprême de la nature, ait concédé aux sociétés, comme
aux individus, le droit de légitime défense, c'est-à-dire
pour les sociétés le droit à la guerre, et que, par une
autre loi, telle que celle de la charité, il en ait prohibé
à jamais l'usage. Ce serait, là, un droit inutile et déri-
soire, ce qui répugne à la divine sagesse. Il y aurait, en
outre, entre deux parties du décalogue, une contra-
diction flagrante, l'une défendant ce que permettrait
l'autre, et cette contradiction ne répugne pas moins à
l'infinie sagesse du législateur éternel. On peut donc
affirmer, a priori, comme une vérité certaine, que la
guerre, en tant qu'elle est juste en soi, c'est-à-dire légi-
time de droit naturel, ne peut pas, en même temps, per
se et ex naiura sua, être illicite, par rapport à la loi de la
charité; et si, quelquefois, cette loi de la charité s'op-
pose à l'exercice de ce droit, ce ne peut être que per
accidens, dans quelques cas particuliers, et non d'une
façon générale. Cf. Bellarmin, op. cit., c. xiv, in fine,
Opéra omnia, t. il, p. 330.
Ceux qui, dans une nation, ont la puissance souve-
raine, ne sont obligés à s'abstenir d'une guerre légi-
time que si les maux prévus pour le prochain, comme
résultat de cette guerre, sont tels qu'il n'y aurait au-
cune juste proportion entre ces maux et l'avantage
auquel ont droit les auteurs de cette guerre légitime. A
la guerre s'appliquent toutes les considérations que les
théologiens font au sujet du volontaire indirect. Quand
un acte, légitime en soi, peut avoir un double effet,
l'un bon et l'autre mauvais, il faut, pour poser cet acte,
des raisons d'autant plus graves que les maux qui en
résultent, quoique non voulus directement, sont plus
considérables. Voilà pourquoi les bons princes que
l'ambition ou la passion de la gloire militaire n'aveu-
glent pas, ne se déterminent à faire la guerre que lors-
qu'ils y sont contraints par une inéluctable nécessité,
et que toutes les autres voies d'accommodement ont
été inutilement tentées. Cf. S. Thomas, Sum. theol.,
IIa H-1', q. xl, a. 1; Suarez, De charitate, disp. XIII,
sect. i, n. 1, 4, 5; sect. iv, vi, Opéra omnia, t. xn, p. 737,
743 sq., 749 sq. ; Bellarmin, 1. III, De laicis, c. xv,
Opéra omnia, t. n, p. 331 ; Schmalzgrueber, Jus eccle-
siasticum universum, secundum quinque libros Decre-
talium, 1. I, tit. xxxiv, § 1, De bello, n. 2 sq., 12 in-4°,
Rome, 1843-1845, t. i b, p. 276 sq.; Zigliara, Elliica et
jus nalurse, 1. III, c. n, a. 2, n. 2 sq., t. m, p. 289 sq. ;
Meyer, Insfitutiones juris naturalis, part. II, sect. ni,
1. III, c. n, a. 1, § 2, n. 735 sq., 2 in-8°, Fribourg-en-
Brisgau, 1900, t. il, p. 788 sq.
3. Les raisons qui peuvent légitimer une guerre of-
fensive se ramènent généralement à une grave offense
subie. Celles que les auteurs énumèrent sont les sui-
vantes : réduire à l'obéissance des sujets rebelles; récu-
pérer une province, ou une ville perdue; venger une
grave offense faite soit au chef de la société, soit à
la société elle-même; punir une autre nation de l'aide
qu'elle a donnée à un ennemi injuste; porter secours
aux alliés; châtier ceux qui ont violé les traités;
obtenir ce que le droit international concède et ce qui
est injustement refusé, etc. Mais il est facile de voir que
les guerres de ce genre, offensives en apparence, sont
défensives en fait. Cf. Laymann,77ieo/o<7i'a moralis, 1. II,
tr. III, c. xn, n. 6, 2 in-fol., Venise, 1769; Schmalzgrue-
ber, Jus ecclesiaslicum universum,]. I, tit. xxxiv,§ 1, n.7,
1. 1 b, p. 279. Un autre motif reconnu juste est celui de
punir de leurs 'autes ou de leurs agissements des enne-
mis qui, s'ils pouvaient espérer l'impunité pour leurs
méfaits, auraient toutes les audaces, et ne mettraient
aucune borne à leurs mauvais desseins. Cf. Schmalz-
grueber, op. cit., § 1, n. 3, 1. 1 b, p. 277. Suarez en donne
la raison par les réflexions suivantes : Quia, sicut intra
eamdem rempublicam, ut pax servetur, necessana est
légitima poleslas ad puniendum delicta, ita, in orbe, ut
diversœ reipublicse pacate vivant, necessaria est potestas
puniendi injurias unius contra aliam. Hœc aulem potes-
tas non est in aliquo superiore, quia nullum habent
(qua indépendantes) ; ergo necesse est ut sit in supremo
principe reipublicœ lœsse, cui alius subdalur ralione
delicti. Unde hujusmodi bellum introduclum est loco
justi judicii vindicalivi. De charitate, disp. XIII, sect. iv,
n. 5, Opéra omnia, t. xn, p. 744. Cf. S. Alphonse, Theo-
logia moralis, 1. III, c. i, dub. v, a. 2, n. 402 sq., in-4°,
Rome, 1905-1912, édit. Gaudé, t. i, p. 659.
III. La guerre et l'Écriture sainte. — 1° Dans
l'Ancien Testament. — 1. On n'y trouve aucun texte qui
insinue que la guerre est une chose intrinsèquement
mauvaise, ou qu'elle soit défendue aux fidèles servi-
teurs du vrai Dieu. Beaucoup de passages, au contraire,
la présentent comme une chose bonne en diverses cir-
constances, et les écrivains inspirés louent, à maintes
reprises, les hauts faits de guerre accomplis par les
saints de l'Ancien Testament, ou par les hommes sus-
cités de Dieu, à cette fin. Ainsi furent loués Abraham,
Moïse, Josué, Samson, Jephté, Gédéon, Barac, David,
les Machabées, etc. Gen., xiv, 19, 20; Jos., x, 11-13;
I Reg., xn, 11; Is., ix, 4; x, 26; Ps. lxxxii, 12; Jud.,
v, 1; II Mac, x, 29, 31. etc. Les textes qui approuvent
la guerre abondent: Exod., xvn, 11, 16;Num., xxi,3;
xxv, 11; Deut., vu, 1; xxv, 17; Jud., m, 1-4; x, 16;
I Reg., xv, 2-3; Jos., i, 6, 8, 10. — 2. Non seulement
Dieu approuve la guerre, mais souvent il commande
lui-même de la faire aux ennemis de son peuple, cf.
Num., xxv, 16; Jud., iv, 6-7, 13, etc.; et cela quelque-
fois uniquement pour punir des injures. Cf. II Reg.,
x-xi. ■ — 3. Bien plus, parfois Dieu prend fait et cause
pour ses serviteurs, opère des miracles et combat avec
eux pour leur assurer la victoire. Cf. Gen., xiv, 19-20;
Jos., x, 11-14; Jud., iv, 15; v, 20, 21; II Mac, x, 29,
31, etc. — 4. Dieu nrend très souvent le titre de Dieu
des armées. Tr.., m, 1; v, 7; vi, 3; vin, 13; x, 33; Os.,
xn, 5; Amos, v, 14; Mich., iv, 4, etc. — 5. Loin de con-
damner la guerre, les Livres saints rappellent souvent
qu'elle est un fléau, dont Dieu se sert pour châtier les
peuples dans sa colère. Lev., xxvi, 24; Deut., xxvm,
40; Jos., xvn, 13; Jud., i, 3; n, 21-23; v, 6; x, 7; Is., x,
5; Jer., v, 15, etc. Voir art. Guerre, dans le Diction-
naire de la Bible de M. Vigoureux, t. in, col. 361-366.
2° Dans le Nouveau Testament. — 1. Jean-Baptiste
le précurseur n'a pas commandé aux soldats d'aban-
donner l'état militaire; il leur a seulement recommandé
de s'y bien comporter, en ne commettant pas de dépré-
dations injustes, en se contentant de leur salaire, etc.
Luc, m, 14. — 2. Notre-Seigneur loua la foi du cen-
turion, et ne lui commanda pas, non plus, d'aban-
donner l'état militaire. Matth., vin, 10. De même, fut
louée la foi de Corneille, centurion de la cohorte ita-
lique. Act., x, 2 sq. — ■ 3. De tous les saints guerriers
indiqués plus haut, saint Paul affirme que c'est au
moyen de leur foi récompensée par le secours de Dieu
qu'ils ont triomphé de leurs ennemis dans les combats,
et qu'ils les ont mis en fuite. Heb., xi, 32-34.
3° Objections. — 1. Dieu réserve à Salomon, fils de
David, la gloire de lui élever un temple, à l'exclusion de
son père, parce que celui-ci, étant homme de guerre,
a versé le sang. I Par., xvn, 4; xxvni, 3. — Réponse. —
II n'y a pas là une condamnation de la guerre, mais
seulement une mesure spéciale à David, soit à cause
de l'homicide injuste d'Urie, soit à cause du respect
dû au temple de Jéhovah. Cf. Suarez, De charitate,
1911
GUERRE
1912
disp. XIII, De bello, scct. i, n. 3, Opéra omnia, t. xn,
p. 738. ■ — 2. On objecte aussi les textes des prophètes :
Conjlabunl gladios in vomeres, et lanceas in falces; non
levabit gens contra génies gladium; — non cxercebun-
tur ullra in prœlium;... non noccbunt et non occident in
monte sancto. Is., u, 4; xi, 13 sq., etc. ; Mich., iv, 3, etc.
— Ces paroles s'appliquent au temps du Messie et à
la paix que la rédemption accomplie apportera aux
hommes, qui, jusque-là, étaient l'objet de la colère
divine: ou bien elles font allusion aux moyens dont se
servira le Messie pour établir son règne sur la terre;
car la guerre que le Messie et les prédicateurs de l'Évan-
gile devront faire aux démons et aux erreurs, étant une
guerre spirituelle, sera poursuivie non avec le glaive
matériel qui tue les corps, mais avec le glaive spirituel
de la parole sainte qui illumine les âmes ; ou bien encore,
les prophètes, dans les passages de ce genre, entrevoient
à l'avance le royaume de la gloire éternelle, après la
résurrection, royaume qui n'aura plus d'ennemis à
combattre; mais tant que les ennemis subsistent dans
cette terre de larmes, ces textes ne défendent pas de
lutter contre eux, même par la guerre. Cf. Bellarmin,
II*Controversia generalis, De membris mililanlis Eccle-
siae, 1. Il I, De laicis, c. xiv, Opéra omnia, t. n, p. 328. —
3. Le texte de l'Évangile : Ego antem dico vobis, non
resistere malo; sed si quis le percusserit in dexteram
maxillam, prœbe et alteram, Matth., v, 39, s'entend de
la vengeance personnelle qui est défendue, et non d'une
guerre juste pour la défense d'un État, ou le maintien
de ses intérêts compromis par la malice d'autrui. Cf.
Bellarmin, toc. cil. — 4. Quand Notre-Seigneur, la
veille de sa passion, ordonne à saint Pierre, dans le
jardin des Olives, de remettre le glaive dans le fourreau,
car ceux qui se servent du glaive, périront par le glaive,
Matth., xxvi, 52; Joa , xvm, 11, il ne condamne pas
davantage la guerre en général. Cf. S. Thomas, Sum.
theol., II» II*, q. xl, a. 1, ad lum; Suarez, toc. cit.; Bel-
larmin, loc. cit. Pour obéir à son Père céleste, le Christ
s'offrait lui-même à ses bourreaux. Il ne voulait donc
pas que Pierre mît obstacle à son oblation spontanée.
J.. lui, 7. — 5. Quand saint Paul recommande aux
chrétiens de ne pas se défendre, il n'a en vue, également,
que la vengeance personnelle, qui n'est pas permise.
Le contexte manifeste clairement la pensée de l'apôtre :
Scriptum est enim : Mihi vindicta, ego rclribuam, dicit
Dominus. Rom., xn, 19. Même réponse à un autre texte
de saint Paul, Non malum pro malo reddentes. Rom.,
xn, 17. Dans ces textes et d'autres analogues, il n'est
jamais question de l'autorité publique et légitime qui,
non seulement a le droit, mais le devoir d'empêcher
les ennemis de la société de lui nuire. Cf. Suarez, De
charilale, disp. XIII, sect. iv, n. G, t. xn, p. 744 sq.
Saint Paul l'insinue lui-même très clairement, lorsqu'il
dit du chef d'un État : Non sine causa gladium portai :
Dei enim minister est, vindex in iram ei qui malum
agit, Rom., xm, 4; et cette puissance contre les
méchants, le chef de l'État peut et doit l'exercer, non
seulement contre les ennemis du dedans, mais aussi
contre ceux du dehors, comme le font remarquer les
commentateurs de ce passage. Cf. Suarez, loc. cit., t.xn,
p. 744. ■ — 6. En rappelant que les principales armes
des chrétiens sont le bouclier de la foi, le casque du
salut, la cuirasse de la justice, le glaive de la parole,
Eph., vi, 14-18, l'apôtre des nations ne leur défend
pas de se servir aussi des armes matérielles contre les
■ennemis de la société. Le contexte, en effet, montre
clairement qu'ici saint Paul n'a en vue que la lutte des
chrétiens contre les légions infernales : Induite vos
armaturam fldei, ut possilis stare aduersus insidias dia-
boli, quoniam non est nobis colluctalio adversus carnem
et sanguinem, sed adversus mundi redores lenebrarum
harum, contra spirilualia nequitise. Eph., vi, 11, 12.
Ce passage peut signifier aussi que, même dans la
guerre, les principales armes du chrétien sont la foi et la
prière, et qu'il doit se confier plus en le secours de Dieu
que dans la force de son bras, comme le fit Moïse qui
priait sur la montagne, tandis que les Hébreux com-
battaient dans la plaine, Exod., xvn, 10-14 ; comme le fit
Josué qui priait en combattant, Jos., x, 11-14; comme
le firent les Machabées que Dieu secourut du haut du
ciel, en leur envoyant plusieurs de ses anges, sous la
forme de cavaliers armés. II Mac, x, 29-31, etc. Mais
ni ce passage, ni les textes analogues ne défendent
l'usage des armes matérielles contre les ennemis publics.
Ils recommandent seulement, tout en se servant des
armes, de s'adresser par de ferventes prières au Dieu
des armées de qui dépend la victoire, et c'est ce qu'ont
toujours fait les princes chrétiens, à travers tous les
siècles, en invoquant Dieu, avant de marcher au com-
bat. Cf. Bellarmin, II* Conlroversia generalis, De mem-
bris mililanlis Ecclesiœ, 1. III, De laicis, c. xiv, Opéra
omnia, t. il, p. 330.
IV. La guerre et les saints Pères. — 1° Que la
guerre n'est pas mauvaise en soi. — En bien des endroits
les Pères l'affirment. — 1. Tertullien dit que les chré-
tiens ne refusent pas, dans ce but, de s'unir aux païens :
Navigamus et nos vobiscum, cl mililamus, et ruslicamur,
et mercamur. Apolog., c. xlii, P. L.,t. i, col. 491. Selon
lui, elle n'est pas plus répréhensible que la navigation,
le travail des champs, ou le négoce. — 2. Parmi les
vertus, saint Ambroise place la force guerrière. De offi-
ciis, 1. I, c. vu, n.40, 41, P. L., t. xvi, col. 81-84.—
3. Saint Augustin l'expose longuement en commentant
les passages de l'Évangile, où il est question des soldats :
Si christiana disciplina omnino bella culparet, hoc potius
consilium salulis petentibus in Evangelio diceretur, ut
abjicereni arma, seque mililiœ omnino sublraherenlur.
Diclum est autem eis : Neminem concusseritis; sufficial
vobis stipendium vcslrum. Quibus proprium slipendium
sufficere prœcipil, mililare non prohibuil. Epist., v, ad
Marcellinum, c. n, n. 15, P. L., t. xxxm, col. 531 sq.;
Scrm., lxxxii, de verbis Domini, 19, P. L., t. xxxix,
col. 1904. Cf. S. Jean Chrysostome, Homilia in Joan-
nem, P. G., t. lix, col. 35; S. Athanase, Epislolaad
Amunem, P. G., t. xxvi, col. 1173. — 4. Saint Grégoire
le Grand enseigne la même doctrine : Sicut excellenliam
vesiram hostilibus bellis in hac vila Dominus vicloria-
rum fecit luce fulgere, ila oportet eam inimicis Ecclesise
ejus omni vivacitale mentis et corporis obviare. Epist.,
1. I, epist. lxxiv-lxxv, ad Gennadium, P. L., c. lxxvii,
col. 528 sq. — 5. Saint Grégoire de Tours désire que
les princes chrétiens n'hésitent pas à faire la guerre,
quand elle est nécessaire : Utinam et vos, o reges, in his
prœliis, in quibus parentes veslri desudaverunt, exerce-
remini, ut génies veslra pace contcnlse, vestris viribus
premerentur. Hislor., 1. V, c. i, P. L., t. lxxi, col. 515.
— 6. De son côté, saint Bernard montre que la guerre
est légitime et même méritoire : Al vero Christi milites
securi prœliantur prœlia Domini sui, nequaquam me-
luentes aul de hostium cœde peccatum, aut de sua nece
periculum, quando quidem mors pro Christo, vel ferenda,
vcl injerenda, et nihil habeat criminis, et plwimum
gloriie mereatur. Sermo ad milites, c. m, P. L., t. clxxxii,
col. 924. Les Pères grecs parlent de même. Cf. S. Gré-
goire de Nazianze, Oral., m, de pace, P. G., t, xxxv,
col. 1155 sq.
2° Que la guerre doit être entreprise par l'autorité pu-
blique. — Ordo naluralis morlalium paci accommoda-
lum hoc poscil, ul suscipiendi belli auclotilas atque consi-
lium pencs principem sil. S. Augustin, Contra Fau-
slum, 1. XXII, c. lxxv, P. L., t. xlii, col. 448.
3° Causes qui légitiment la guerre. — 1. Justa bella
definiri soient quse ulciscuntur injurias, si gens, vel
civilas quse bello petenda est, vel vindicare neglexeril
quod a suis improbe factum est, vel reddere quod per
injurias ablatum est. S. Augustin, In Pentaleuch., 1. VI,
1913
GUERRE
1914
q. x, P. L., t. xxxiv, col. 181. — 2. La guerre est juste,
quand elle est entreprise pour acquérir une paix
durable : Bellnm gcrilur ul pax acquiratur. Eslo ergo
bellando pacificus, ut eos quos expugnas, ad pacis ulili-
tatem vincendo perducas. S. Augustin, EpisL, clxxxix,
ad Bonijacium, n. 6, P. L., t. xxxiii, col. 856. Cf.
S. Léon IV, Epist. ad exercitum Francorum, P. L.,
t. cxv, col. 656 sq. ; Labbe et Cossart, Concilia, t. vm,
p. 533; S. Léon IX, P. L., t. ccxv, col. 107.
4° Ce qui rend les guerres injustes. — 1. Nocendi
cupiditas, ulciscendi crudelitas, impacatus alque impla-
cabilis animus, feritas rebellendi, libido dominandi, et
si qua similia, hsec suni quœ in bcllis jure culpantur.
S. Augustin, Contra Faustum, 1. XXII, c. lxxiv, P. L.,
t. xlii, col. 447. — 2. C'est une grande erreur de croire
qu'une guerre est justifiée par le désir d'agrandir un
empire, d'obtenir des richesses, et d'acquérir la gloire.
Guerroyer dans ces conditions et pour ce but, c'est
faire un grand acte de brigandage : Hoc quid aliud
quam grande latrocinium nominandum? S. Augustin,
De civilate Dei, 1. IV, c. vi, P. L., t. xli, col. 117. Cf.
1. XIX, c. vm, col. 634 sq. — 3. Seuls les méchants
trouvent un plaisir à faire la guerre; pour les bons, elle
ne doit être qu'une nécessité. Belligerare malis félicitas,
bonis nécessitas. S. Augustin, De civilate Dei, 1. IV,
c. xv, P. L., t. xli, col. 124. Cf. S. Grégoire VII, P. L.,
t. cxlviii, col. 565 ; Mansi, Concil., t. xx, col. 535;
Innocent III, Epist. ad regem Francorum, P. L.,t. ccxv,
col. 65 sq., 177-184, 326.
5° Réponse des saints Pères aux objections tirées de
l'Écriture sainte. — LA l'objection tirée des paroles de
Notre-Seigneur : Omnes qui acceperint gladium, gladio
peribunl, Matth., xxvi, 52, saint Augustin répond : Ille
utitur gladio qui nulla superiore ac légitima poleslalc,
vel jubente, vel concedenle, in sanguincm alicujus arma-
lur. Contra Faustum, 1. XXII, c. lxx, P. L., t. xlii,
col. 414. De même, ailleurs, il distingue le cas de prendre
les armes de sa propre autorité, de celui de les prendre
au nom et par mandat de l'autorité publique. De
mendacio, c. xv, P. L., t. xl, col. 506 sq. Saint Jérôme,
Epist. ad Ageruchiam, De monogamia : Olim bellalo-
ribus dicebatur : accinge gladium luum super jemur
luum, polenlissime; nunc Petro dicilur : converte gla-
dium tuum in vaginam : omnes enim qui acceperint gla-
dium, etc. Saint Jérôme veut seulement dire ici que,
dans l'Ancien Testament, Dieu lui-même commandait
de faire la guerre, pour conquérir la terre promise, ou
pour en conserver la possession; tandis que, dans le
Nouveau Testament, Dieu commande plutôt la paix,
car. pour acquérir le royaume céleste, pas n'est besoin
des armes matérielles. Cf. Origène, Contra Celsum, 1. II,
c. x, P. G., t. xi, col. 813, où il dit qu'on ne doit pas
prendre à la lettre ces paroles du Sauveur : Qui non
habet gladium, vendat iunicam, cl cmal gladium. Luc,
xxn, 36.
2. À l'objection tirée de ce texte de l'Évangile : Ego
aulem dico vobis, non resislere malo, Matth., v, 39, et de
celui de saint Paul : Non vosmetipsos dejendentes, Rom.,
xii, 19, saint Augustin répond en disant que ces paroles
signifient que l'homme juste doit toujours être prêt à
renoncer à sa défense personnelle, quand un plus grand
bien l'exige ou le conseille, De sermone Domini in
monte, c. xix, P. L., t. xxxiv, col. 1258; mais que, dans
bien des circonstances, il faut, au contraire, agir diffé-
remment pour le bien commun, et même pour l'intérêt
de ses propres ennemis : Agenda sunl mulla etiam cum
invilis benigna quidem aspcritale plectendis. Nam cui
licentia iniquitatis cripitur, utiliter vicitur;quoniam nihil
est infelicius felicilate peccanlium, qua pœnalis nutritur
impunilas, et mala volunlas, vclul Iwslis inlerior, robora-
lur. Epist., cxxxvm, ad Marccllinum, c. n, n. 14, P. L.,
t. xxx, col. 531. Saint Augustin réfute aussi très longue-
ment les manichéens qui, regardant toute guerre
comme injuste, accusaient d'impiété Abraham, Josué,
David, et tous les saints personnages de l'Ancien Tes-
tament, qui, sur l'ordre de Dieu, avaient fait la guerre
aux ennemis de leur patrie. Contra Faustum, 1. XXII,
c. lxxviii, P. L., t. xlii, col. 450 sq.
6° Réponse aux objections tirées des saints Pères eux-
mêmes. — 1. Pour prouver que les saints Pères con-
damnaient la guerre en général, on apporte ce texte de
Tertullien : Credimusne humanum sacramentum divina
superinduci licere? et in alium Dominum respondere
post Chrislum ? licebit in gladio conversari, Domino pro-
nuntiante gladio perilurum qui gladio fuerit usus? et
prselio operabitur fdius pacis, cui nec liligare conveniel ?
De corona militis, c. xi, P. L., t. n, col. 91. Tertullien
qui, dans son Apologétique, c. v, xlii, P. L., t. i,
col. 295, 491, enseigne que l'état militaire n'est pas
opposé aux vertus chrétiennes, ne condamne pas ici
la guerre comme intrinsèquement mauvaise, car, dans
ce livre de la Couronne militaire, il avoue également
qu'un chrétien qui était déjà soldat avant son baptême
peut continuer à porter les armes, après avoir été régé-
néré par l'onde baptismale. Il dit seulement que ceux
qui n'étaient pas soldats avant d'être baptisés ne
doivent pas ensuite s'enrôler dans l'armée, mais garder
leur liberté antérieure : Plane si quos mililia prœvenlos
fides poslerior invenit, alia condilio est, ut eorum quos
Joannes admillebai ad lavuerum, ut cenlurionum fide-
lissimorum quem Chrislus probal, et quem Petrus cate-
chizat, dum lamen, suscepta fide, atque signala, aut de-
serendum statim sil, ul multis actum, aut omnibus modis
cavillandum, ne quid adversus Deum commiltalur. De
corona militis, c. xi, P. L., t. n, col. 92. Comme on le
voit, c'est moins un ordre qu'un conseil de prudence, à
cause du danger d'idolâtrie auquel se seraient exposés
imprudemment ces néophytes, à une époque où presque
tous les princes étaient païens. Tertullien enseignait
donc que, dans ces circonstances particulières, per acci-
dens, l'état militaire était mauvais pour eux, car ils
seraient exposés, presque à chaque instant, à recevoir
des ordres en contradiction avec leur foi. Et il en donne
des exemples : Excubabil pro (emplis quibus renuncia-
vil? et cœnabil illic ubi aposlolo non placet? et quos in-
lerdiu exorcismis fugavil, noctibus defensabit ? vexillum
quoque portabil œmulum Chrislo? etc. De corona militis,
c. xi, P. L., t. n, col. 92. Cf. A. d'Alès, La théologie de
Tertullien, Paris, 1905, p. 420.
2. En commentant cette parole du Maître : Qui non
habet gladium, vendat tunicam et emat gladium, Luc,
xxn, 36, saint Ambroise s'écrie : O Domine, cur emere
me jubés gladium, qui ferire me prohibes ? cur haberi pree-
cipis quem vêlas promi? nisi forte ul sil parala de/ensio,
non ullio necessaria, et videur potuisse vindicari, sed no-
luisse ? lex tamen referire non vetal, et ideo fartasse Petro
duos gladios offerenti, sal est, dicis, quasi licuerit usque
ad evangelium : ut sit in lege œquilatis erudilio, in v tn-
gelio bonitatis per/eclio. In Lucam, 1. X, c lui, P. L.,
t. xv, col. 1817. Il est évident que, dans ce passage,
saint Ambroise ne parle pas de la guerre proprement
dite, entreprise par l'autorité publique, mais seulement
de la vengeance privée, ou de la défense personnelle.
Le renoncement à celle-ci ne fait pas, selon lui, l'objet
d'un précepte formel, mais seulement d'un conseil de
perfection, comme la chose ressort clairement des
termes qu'il emploie : ut sil in lege œquilatis erudilio, in
evangelio bonitatis perfectio.
3. Saint Léon le Grand, Epist., clxvii, ad Ruslicum,
s'exprime ainsi : Contrarium est ecclesiasticis regulis
post pa-nitentiœ aclioncm redire ad militiam sœcularem,
cum apostolus dical : Nemo militons Dco, implicat se
negoliis sœcularibus. II Tim., n, 4. Unde non est liber a
diaboli laqueo qui se militiœ mundanœ volueril implicare.
P. L., t. liv, col. 1206 sq. Cette prescription a été insé-
rée dans le Décret de Gratien, part. II, caus. XXXIII.
1915
GUERRE
1916
q. in, De pa'nitentia, dist. V, can. 3, et, comme le font
remarquer les commentateurs de ce texte du Corpus
juris, le pape, par ces paroles, ne réprouve pas la guerre,
en général; mais il parle de ceux qui, ayant été con-
damnés à une certaine pénitence publique, revenaient
à la vie des camps avant d'avoir achevé cette pénitence
qui devait réparer leurs fautes et assurer leur persé-
vérance dans le bien. Il y avait eu, d'ailleurs, de nom-
breuses raisons, au commencement de l'Église, de dé-
fendre aux néophytes de s'enrôler aussitôt dans les
armées, sous des chefs infidèles, et au milieu de cama-
rades pour la plupart infidèles. C'était pour eux un
grand danger de perversion. Cf. Suarez, De charilale,
disp. XIV, sect. ii, n. 3, Opéra omnia, t. xin, p. 378. Ces
raisons n'existaient plus au temps de saint Léon, et ces
paroles font surtout allusion à ceux qui, ayant commis
de nombreuses fautes dans la profession militaire,
avaient subi une pénitence publique, et étaient, cepen-
dant, retournés à cette vie des camps, où l'expérience
leur avait démontré qu'ils ne pouvaient vivre sans com-
mettre une foule de fautes, non point que l'état mili-
taire soit un état intrinsèquement mauvais, mais à
cause de leur propre faiblesse. Cf. S. Jean Chrysostome,
In Maith., homil. lxi, c. ii, P. G., t. lvii, col. 590; Bel-
larmin, II* Controversia generalis, De mcmbris Ecelesiœ
mililanlis, 1. III, De laicis, c. xiv, Opéra omnia, t. n,
p. 328.
4. La môme pensée est exprimée par saint Grégoire
le Grand dans une prescription insérée aussi dans le
Décret de Gratien, part. II, caus. XXXIII, q. m, De
pœnilenlia, dist. V, can. 6. Ceux qui s'adonnent à un
état qu'ils ne peuvent exercer sans offenser Dieu, dit le
pape, ne peuvent être admis à la pénitence que s'ils
renoncent à cet état, et il donne comme exemple l'état
militaire. Quicumque miles, vel negotiator, vel alicui of-
ficio deditus quod sine peccaio exerceri non possil, si cul-
pis gravioribus irretitus, ad pœnitentiam venerit... arma
deponat, et ulterius non ferai. Mais il est évident par le
contexte que l'intention du pape n'est pas de proscrire
l'état militaire en général, car après avoir dit que ceux-
là agissent mal qui, après leur pénitence, retournent à
l'état militaire, ce qui fait douter de la sincérité de leur
pénitence, falsas pœnitentias dicimus, il excepte ceux
qui reviennent à la vie des camps, sur le conseil des
évêques et des prêtres, pour défendre la cause de la jus-
tice, nisi consilio religiosorum episcoporum pro defen-
denda juslitia. Décret de Gratien, loc. cit. L'état mili-
taire n'est pris ici que comme un exemple, au même
titre que le négoce, pour conseiller la fuite de l'occasion
du péché. Cf. Bellarmin, II2- Controv. generalis, De mcm-
bris Ecelesiœ. militantis, 1. III, De laicis, c. xiv, t. ii,
p. 328.
V. La guerre et l'Église. — 1° Durant les persé-
cutions. — 1. Fidèle interprète de la pensée du Christ,
l'Église, quoique prêchant la paix et la charité univer-
selles, ne condamna jamais la guerre. Comme saint
Jean-Baptiste, elle donna des règles de conduite aux
militaires, mais ne les obligea pas à quitter leur pro-
fession. Dès les premiers siècles, même au temps des
persécutions, on vit des soldats embrasser le christia-
nisme, sans abandonner le service des armes, et des
chrétiens, nés dans la vraie foi, s'élever aux plus hauts
grades dans les armées impériales, tels que saint Sébas-
tien et autres. Plusieurs s'y sanctifièrent et y obtin-
rent la couronne du martyre. Si l'on trouve parfois,
dans les écrivains de cette époque, des paroles tendant
à signaler une certaine incompatibilité entre l'état mili-
taire et le christianisme, ce n'est point que cet état leur
parût intrinsèquement mauvais, ou contraire aux lois
de l'Évangile, mais parce que la fréquentation des com-
pagnons d'armes païens et la soumission à des chefs
infidèles présentai, nt un vrai danger de perversion et
d'apostasie pour les chrétiens, qui pouvaicui être forcés
à prendre part aux sacrifices idolàtriques, ou à vénérer
les images des faux dieux placées sur les étendards. Il
y avait donc là, pour eux, vu ces circonstances spé-
ciales, un péril prochain de chute grave, contre lequel
on ne pouvait trop les prémunir. Mais l'histoire nous
apprend que, nonobstant ces appréhensions si fondées,
il y avait des légions entières composées presque uni-
quement de chrétiens, telles que la légion thébaine
commandée par saint Maurice, et la légion fulminante.
Dieu montra, quelquefois, par des miracles, combien
par leurs vertus lui étaient agréables ces soldats chré-
tiens, même quand ils servaient, néanmoins, sous des
chefs infidèles. Tertullien, dans son Apologétique, c. v,
P. L., t. i, col. 295, nous rapporte le miracle remar-
quable accordé à leur prière, sous le règne de Marc-
Aurèle, pendant la guerre de Germanie. Saint Basile,
dans son panégyrique des quarante martyrs de Sébaste,
nous dit que, dans les armées des princes infidèles, se
trouvaient beaucoup de soldats chrétiens, P. G.,
t. xxxi, col. 512. De même saint Grégoire de Nazianze,
Orat.. i, in Julianum, P. G., t. xxxv, col. 581. Cf. Eu-
sèbe, H. E., 1. VIII, c. iv; 1. IX, c. x, P. G., t. xx, col.
749, 831.
2. Le Ier concile œcuménique de Nicée tenu en 325,
dans son 12e canon, prononça, il est vrai, une peine très
grave (treize ans de pénitence publique) contre les
militaires, officiers ou soldats, qui, ayant abandonné la
carrière des armes, y retournaient, et allaient même
jusqu'à donner de fortes sommes d'argent pour y être
réintégrés, ou récupérer leurs grades précédemment
possédés, à cause des grands avantages qu'ils y trou-
vaient au triple peint de vue des honneurs, de la ri-
chesse et des privilèges. Pour flétrir leur conduite, le
concile se sert d'une expression très sévère, et les com-
pare à des chiens retournant à leur vomissement, ïr.l tov
o'.xîïov £[a£tov àvaBpaucivTsç <l>ç x'Jveç. Cf. Mansi, ConciL.
t. n, col. 670. Ce texte, cependant, malgré l'énergie des
termes employés, n'est pas une condamnation de l'état
militaire, en général; mais uniquement une mesure con-
tre les apostats pendant la persécution de Licinius, qui
ne s'était terminée que quelques années avant le con-
cile de Nicée, à la suite de la défaite de ce prince par
Constantin. Licinius, ami de Galère, s'était posé comme
le champion du paganisme, et, voulant épurer son
armée, avait exigé de tous ses soldats et de tous ses
officiers une apostasie formelle, en les forçant de pren-
dre part aux sacrifices en l'honneur des fausses divi-
nités païennes, sous peine d'exclusion immédiate de
l'armée. Cf. Sulpice Sévère, Hislor. sacra, 1. II, c. xxxm,
P. L., t. xx, col. 147; Eusèbe, H. E., 1. VIII, c. iv;
1. IX, c. x, P. G., t. xx, col. 749, 831 ; Tillemont, Mé-
moires pour servir à l'histoire ecclésiastique des six pre-
miers siècles, 16 in-4°, Paris, 1698-1712, t. v, note 1;
Allard, Histoire des persécutions, 5 in-8°, Paris, 1903,
t. v, p. 306 sq. ; Hefele, Histoire des conciles, trad.
Leclercq, Paris, 1907, t. i, p. 591-593. Retourner à
l'armée dans des conditions semblables, c'était, de fait,
apostasier. Tel est le sens de ce canon du concile de
Nicée, et c'est à cette fin qu'il fut, dans l'intérêt de la
vérité historique, plutôt que par une prescription
encore en vigueur, inséré dans le Décret de Gratien,
part. II, caus. XXXIII, De pœnitentia, dist. V, c. 4, Si
qui. Le concile de Nicée ne réprouva donc l'état mili-
taire, qu'en tant qu'il était un signe d'apostasie. Cf.
Bellarmin, II3- Controversia generalis, De membris
Ecelesiœ mililanlis, 1. II, De conciliorum auclorilate,
c. vm, Opéra omnia, t. n, p. 50 sq. ; Suarez, De cha-
rilale, disp. XIII, sect. i, n. 3-4, Opéra omnia, t. xn,
p. 738. '
2° Au moyen âge. Législation ecclésiastique au sujet
de la guerre. — 1. La pensée de l'Église sur la guerre
ressort clairement d'une foule de textes du Corpus
juris canonici, qui en traitent longuement, jamais pour
1917
GUERRE
1918
la condamner, en principe, mais seulement pour la ré-
gulariser, pour la limiter et la circonscrire, pour en
empêcher les excès, en établissant soigneusement ce
qui est permis, et ce qui ne l'est pas. Et d'abord, dès
les premières pages, la législation canonique définit ce
qu'est le droit militaire. A cette question : Quid sit jus
militarc, elle répond, d'après un texte de saint Isidore :
Jus militare est belli inferendi solemnitas, fœderis fa-
ciendi nexus, signo dalo egressio inhostem,vel pugnie com-
missio... Item, flagitii mililaris disciplina... Item, sti-
pendiorummodus, dignilalum gradus, prcemiorum honos,
sicuti quum cororta, vel torques donanlur... Item, prœdse
decisio cl pro personarum qualitalibus cl laboribus jusla
divisio, ac principis porlio. Décret de Gratien, part. 1,
dist. I, De jure divino et huma no, c. 10. Au chapitre pré-
cédent, en disant en quoi consiste le droit des nations,
elle fait mention de la guerre, comme d'une chose par-
faitement légitime : Jus gentium est sedium occupatio,
munitio, bella, captivilales, serviiules, etc. Hœc inde jus
gentium appcllantur, quia eo jure omnes fere génies
ulunlur. Décret de Gratien, part. I, dist. I, c. 9.
Dans la IIe partie, le Décret de Gratien n'a pas
moins d'une centaine de pages de textes législatifs sur
tout ce qui concerne la guerre, part. II, caus. XXIII,
q. i-viii. — a) La ire question, composée de sept canons
traite de la guerre en général : An militare peccatum sil?
La réponse est négative, et appuyée par de nombreux
arguments. De plus, il est démontré que non seulement
la vie militaire n'est pas coupable, mais qu'elle peut
même être très méritoire : In bellicis armis milites Deo
placere possunt. In lus eral sanclus David cui Dominus
lam magnum perhibuit lestimonium. In his, et plurimi
illius temporis justi, c. 3. — b) La ne question traite
des causes justes de la guerre. D'abord, il faut que la
guerre émane de l'autorité publique légitimement con-
stituée : Juslum est bellum quod ex edicto gerilur, de
rébus repetendis, aut propulsandorum hostium causa,
cl. Les ruses et les embûches sont permises à la guerre :
Nihil ad justitiam interesl, sive aperle, sive ex insidiis
aliquo pugnet, c. 2. Cette proposition est prouvée par
les exemples de l'Ancien Testament, par lesquels on
voit que Dieu lui-même conseille ou commande ces
ruses de guerre : Dominus enim noster jubel ad Jesum
Nave ut constituât sibi retrorsus insidias, id est insi-
dianles bellalores ad insidiandum hoslibus, secundum
illud Josue, vin, 2 sq. — c) La m0 question examine si
l'injure ou le tort fait à des alliés est une cause suffi-
sante de guerre : An injuria sociorum armis sit propul-
sanda, c. 1-11. Dans le canon 7e, on trouve cette for-
mule énergique empruntée à saint Ambroise, De officiis,
1. I, c. xxxvi : Qui socii non repellit injuriam, si potest,
similis est ei qui facit; et celle-ci, dans le canon 8e :
Malorum impielati favet, qui eis obviare cessai. Qui
enim potest obviare et perturbare perversos, et non facit,
nihil aliud est quam favere eorum impielati. Nec enim
caret scrupulo societatis occullie, qui manijeslo facinori
desinil obviare. D'où obligation stricte pour les empe-
reurs et les rois de défendre les églises contre les entre-
prises des seigneurs et des puissants de la terre, quels
que soient leur nom et leur dignité : Imperalores Eccle-
siœ defensionem adversus divitum polenliam debenl susci-
pere, c. 10. — d) La ive question traite de la vindicte
I ublique. Si quelquefois, pour le bien de la paix, on doit
tolérer les méchants, c. 1-3, il ne faut pas craindre,
d'autres fois, de les corriger, et même de les bannir, s'il
n'y a pas d'espérance d'amendement, et cela n'est ni
contre la charité, ni contre la paix, mais plutôt pour
l'avantage de la société entière, dont la charité nous
commande de rechercher le bien, plutôt que celui des
simples particuliers, c. 5; Sicut ab oralione cessandum
non est, sic nec a correptione, c. 20; Medicinali severilate
mali cogantur ad bonum, c. 25. Si, en effet, il est une
miséricorde charitable, il en est une qui est injuste,
c. 33. C'est un devoir des puissances établies de répri-
mer les perturbateurs de l'ordre, c. 38. L'Église peut
donc demander le secours des princes temporels contre
ses ennemis et contre les hérétiques, c. 40-42. A
l'exemple du Christ, on peut user d'une sainte violence
pour amener les méchants au bien, c. 43. Ce n'est
pas là de la cruauté, c'est de l'amour, c. 44. Loin qu'il y
ait faute, c'est le moyen d'apaiser la juste colère
du Dieu tout-puissant, c. 46, 47. Ecclesise religionis
inimici etiam bellis sunt coercendi, c. 48. La foi des belli-
gérants prépare la victoire, c. 49; tandis que le délai à
punir les méchants attire la colère de Dieu, c. 50. —
c) La question ve enseigne quand l'homicide est permis.
Dans une guerre juste, ceux qui tuent les ennemis ne
transgressent pas le cinquième précepte du Décalogue :
Non occides, c. 8-9; Non est reus homicidii miles qui
polestali obediens homincm occidil, c. 13. Souvent, celui
qui est la cause de la mort d'un homme est plus cou-
pable que celui qui le tue, en réalité, c. 19. C'est le devoir
des rois de mettre les méchants dans l'impossibilité de
nuire aux bons, c. 23, 28. Mettre à mort les méchants,
c'est servir Dieu, c. 29. La persécution consiste, non
pas à forcer au bien, mais à contraindre au mal, c. 42.
Mourir en combattant contre les infidèles, c'est mé-
riter le ciel, c. 46. — /) La question vie et la question
vne traitent des matières analogues. — g) La question
vme examine s'il est permis aux clercs et même aux
évêques de prendre les armes, soit de leur propre auto-
rité, soit pour obéir à l'empereur, ou au pape. Dans une
trentaine de canons différents, la législation ecclésias-
tique établit que, si les clercs et les évêques peuvent
appeler les princes séculiers, rois et empereurs, à la
défense de leurs églises, ils ne peuvent, cependant, pas
eux-mêmes prendre les armes, et verser le sang, car
non debenl agitare judicium sanguinis qui sacramenla
Domini tractant, c. 30. Prendre rang dans la milice
séculière, défendre par force leurs terres, s'engager dans
les combats, en un mot, porter les armes, est contre la
profession de leur saint état.' C'est là le rôle des puis-
sances terrestres, non celui des membres de la hiérar-
chie sacrée, c. 1. Les clercs qui meurent à lu guerre
n'ont pas droit aux prières solennelles, pro iis oratio vel
oblalio non ojjeratur, c. 2. Les clercs qui osent prendre
les armes doivent être dégradés, et enfermés dans un
monastère pour y faire pénitence, c. 5 ; car ils doivent
être regardés comme méprisant les saints canons, et
profanant la sainteté de leur état, c. 6. A plus forte rai-
son, cela est-il défendu aux évêques. Le rôle des évêques,
princes dans la milice du Christ, est de prier, non de
combattre, c. 19. Qu'ils prennent bien garde de ne
coopérer en rien à la mort d'un homme, quel qu'il soit,
c. 20. Cf. Décrétâtes, 1. III, tit. i, c. n; S. Thomas, Sum.
theol., IIair,',q. xL,a. 2.
• Conformément à ces prescriptions, l'Église n'a jamais
fait elle-même la guerre, pour les questions de doctrine.
Jamais elle n'a consenti que l'on forçât par le fer les
hérétiques ou les infidèles à se convertir. Les guerres
que les princes entreprirent contre les hérétiques
eurent plutôt pour cause des motifs d'ordre politique,
ou le désir légitime de faire rentrer dans l'ordre les per-
turbateurs du repos public, car très souvent certains
hérétiques, tels que les Goths ariens, les donatistes, les
albigeois, etc., etc., commettaient des actes de véri-
table brigandage, et mettaient des contrées entières
à feu et à sang. Cf. Luchaire, Innocent III : la croisade
des albigeois, in-8°, Paris, 1905; Pastor, Histoire des
papes, 10 in-8°, Paris, 1907, t. i, p. 285. Les croisades
elles-mêmes, et les guerres décrétées à diverses reprises
par des conciles contre les Turcs, n'avaient pas pour but
de contraindre ceux-ci à embrasser le christianisme,
mais de les empêcher de tyranniser les chrétiens, et de
recouvrer la Terre' Sainte. Les Sarrasins, au contraire,
et les Turcs faisaient la guerre pour une question de
1919
GUERRE
1920
doctrine, afin d'implanter le mahométisme partout.
Jamais l'Église ne mérita le reproche d'avoir essayé de
faire des conversions forcées. Si elle institua des ordres
religieux militaires, ce ne fut pas évidemment dans ce
but. Cf. S. Bernard, P. L., t. clxxii, col. 923 sq. ; Pierre
de Cluny, Epistola ad Ebrardum militiœ Tcmpli magi-
slrum, dans Hisloiiens de la France, t. xv, p. 650.
Pour ce qui est de la défense aux évêques de prendre
part à une guerre, le droit ecclésiastique se relâcha en
faveur de ceux qui à l'autorité spirituelle joignaient une
principauté temporelle. Ils étaient bien obligés de
défendre leurs États contre d'injustes agresseurs. On
ne voit pas pour quel motif on les aurait empêchés de
soutenir, si ce n'est par eux, du moins par leurs officiers,
mais en leur nom et de par leur autorité, une guerre
défensive. Cf. Suarez, De charilaie, disp. XIII, sect. m,
n. 1, Opéra omnia, t. xn,p.741. Ce droit de défense, con-
cédé par le droit naturel, n'est enlevé par aucune loi
positive, ni divine, ni ecclésiastique. Il est donc permis
à tous de défendre leur propre vie, ou leurs biens, ou
ceux qui appartiennent à la société dont ils ont la charge
et la garde. Cf. Cocquelines, Bullarium,t. ni, p. 31 sq.
Quant à la guerre agressive, il est aussi des raisons
qui peuvent la légitimer de la part de prélats ecclésias-
tiques, évêques ou autres, qui sont à la tête d'une
principauté séculière. Ce sont les mêmes que celles qui
la légitiment chez les princes séculiers, et, dans ce cas,
ces prélats, au dire de Suarez, n'encourent aucune irré-
gularité. Cf. De charilaie, disp. XIII, sect. m, n. 2-
7; De censuris, disp. XLVII, sect. vi, Opéra omnia,
t. xii, p. 741 sq. ; t. xxm b, p. 503 sq. La raison est que
ce droit appartient à la puissance temporelle dont ils
sont revêtus, et que nulle loi divine ne le leur enlève.
Il n'y a à leur égard, sous ce rapport, que des prescrip-
tions ecclésiastiques dont le souverain pontife peut les
dispenser. Pour cela, continue Suarez, loc. cit., il faut
évidemment des causes d'une réelle gravité, car si les
princes séculiers eux-mêmes ne doivent se résoudre à
faire la guerre qu'à la dernière extrémité, et après avoir
épuisé toutes les autres voies d'accommodement, a for-
tiori, en est-il ainsi des princes ecclésiastiques.
Sans encourir l'irrégularité, les clercs peuvent aussi
conseiller aux fidèles d'aller à la guerre et de s'y con-
duire vaillamment : tune enim non consulitur homici-
dium,sed actus fortiludinis et jusliliae. Cf. Suarez, De
charilaie, disp. XIII, sect. ni, n. 7; De censuris, disp.
XLVII, sect. vi, n. 4-13, Opéra omnia, t. xn, p. 743;
t. xxm b, p. 504-508. Voir Irrégularité.
On le voit donc, si l'Église a fait de nombreuses
prescriptions pour réglementer le droit de la guerre,
elle ne la condamne pas, en général. De fait, il y eut
beaucoup de princes chrétiens, tels que Constantin le
Grand, Théodose, Valentinien, Charles Martel, Charle-
magne, saint Louis, saint Henri, etc., etc., qui ont fait
la guerre, sans que l'Église les ait jamais désapprouvés,
et, bien des fois même, avec son approbation.
L'Église, il est vrai, a prohibé les tournois et privé
de la sépulture chrétienne ceux qui trouvaient la mort
dans ces amusements sanglants. Toutefois, elle a ré-
prouvé ces joutes d'armes, non en tant qu'on pouvait
les considérer comme un exercice physique prépara-
toire à la guerre, ce qui eût été indirectement défendre
la guerre elle-même; mais elle les prohiba, sous des
peines sévères, comme des jeux périlleux, dans les-
quels des hommes s'exposaient à la mort, sans raison
suffisante, et souvent uniquement pour la vaine gloire.
Cf. S. Thomas, Sum. thcol., Ila II*', q. xl, a. 1, ad lua'.
2. Pour refréner les violences de cette féodalité qui
gardait encore quelque chose de l'inhumanité de ces
peuplades barbares du sein desquelles elle était sortie,
les conciles et les papes, du xieau xme siècle, s'effor-
cèrent de limiter le droit de guerre, en interdisant, sous
les peines les plus graves, de guerroyer à certains jours
de la semaine et à certaines époques de l'année. Leur
intention, qu'on ne saurait trop louer, était de faire
jouir les peuples du bienfait de la paix, autant que
l'état de la société, alors, le pouvait comporter. Les
ennemis de l'Église eux-mêmes ont reconnu qu'elle fut,
en cela, une grande bienfaitrice de l'humanité. Non seu-
lement elle restreignit à certains jours la continuation
des hostilités, mais elle obtint la cessation des excès les
plus contraires au droit des gens, et contribua puissam-
ment à rendre la guerre moins atroce. Les prescriptions
de la législation ecclésiastique pour la limitation ou la
restriction de la guerre, sont résumées dans les Décré-
tales de Grégoire IX, 1. I, tit. xxxiv, De treuga et pace.
Toute action militaire, attaque, spoliation, elïusion de
sang, devait cesser depuis le mercredi soir, au coucher du
soleil, jusqu'au lundi matin, en souvenir et par respect
des mystères sacrés de notre rédemption accomplis en
ces jours de la semaine sainte : le jeudi, par l'institu-
tion de la sainte eucharistie; le vendredi, parla passion;
le samedi, par la sépulture du divin Maître; le diman-
che, par sa glorieuse résurrection. Ainsi trois jours
et deux nuits par semaine furent seuls abandonnés
aux fureurs de la guerre. On excepta, en outre, deux
grandes périodes de l'année : celle depuis le premier
dimanche de l'Avent jusqu'à l'Epiphanie, et celle
depuis le mercredi des Cendres jusqu'à l'octave de
Pâques. Plusieurs conciles commandèrent même de
commencer cette suspension d'armes au dimanche de
la Septuagésime. On y joignit une troisième période,
celle dite des Rogations, que l'on faisait commencer au
dimanche avant l'Ascension, pour ne la terminer qu'à
la Pentecôte, ou à la fin de son octave. Furent excep-
tées aussi les fêtes de Notre-Seigneur, de la sainte
Vierge, des apôtres, de saint Laurent, de saint Michel,
des patrons principaux, etc., ainsi que tous les jours
de jeûne et les vigiles dans l'année. Cf. Décrétâtes,
1. I, tit. xxxiv, De treuga, c. 1; Innocent III, Epist.
ad Durandum, P. L., t. ccxv, col. 1514.
Certains lieux également furent désignés comme ne
devant être en aucun temps le théâtre d'une guerre,
mais devant constituer en tout temps des asiles invio-
lables : c'étaient les églises, les cimetières, les mona-
stères, les endroits où s'élevait une croix, comme aux
carrefours des chemins, au centre des places, etc. Cer-
taines personnes aussi furent exceptées, comme ne
devant jamais faire l'objet d'une attaque, et préservant
même par leur présence ceux qui les accompagnaient,
ou qu'elles accompagnaient : c'étaient les clercs, les
moines, les frères convers, les religieuses, les pèlerins,
les voyageurs, les marchands, les paysans cultivant la
terre, par conséquent travaillant pour le bien public.
La législation ecclésiastique défendit aussi d'enlever
comme butin les outils de labourage, le bétail, etc.; de
ravager les plantations; de détruire les moulins, les
granges, les meules de blé, etc. Cf. Décrétales, 1. I, tit.
xxxiv, De treuga et pace, c. 2. Tout chrétien, depuis
l'âge de douze ans, devait jurer de se soumettre à ces
prescriptions sous peine d'anathème, et promettre de
prendre les armes contre ceux qui ne les observeraient
pas. Cf. Cocquelines, Bullarium, t. in b, p. 55 sq. ; Gon-
zalez Tellez, Commenlaria perpétua in singulos lextus
quinque librorum Decrelalium, 1. I, tit. xxxiv, c. i, il,
5in-fol., Venise, 1737, t. i, p. 593-601; Reifîenstuel,
Jus canonicum universum juxta tilulos quinque librorum
Decrelalium, 1. I, tit. xxxiv, n. 10, 6 in-fol., Venise,
1730, t. i, p. 367 sq. ; Schmalzgrueber, Jus ecclesiaslicum
universum, 1. I, tit. xxxiv, § 2, t. i b, p. 283 sq.; Sémi-
chon, La paix et la trêve de Dieu, 2 in-12, Paris, 1869;
Pfister, Études sur le règne de Robert le Pieux, in-8°,
Paris, 1885, p. 161-176.
Si ces sages prescriptions ne firent pas disparaîtit
complètement le fléau de la guerre, elles contribuèrent,
du moins, à adoucir considérablement les mœurs pu-
1921
GUERRE
1922
blique6, et à développer les sentiments de commiséra-
tion entre des hommes qui ne cherchaient qu'à se nuire.
Ceux qui, pendant quatre jours de chaque semaine, et
pendant de longs espaces de temps, tout le cours de
l'année, se voyaient obligés de suspendre les hostilités,
perdaient peu à peu la violence de leur caractère. Il est
moins diflicile de convaincre un homme de sa culpa-
bilité que d'obtenir de lui qu'il cesse de marcher dans
une voie qu'il sait fort bien être répréhensible. La con-
viction dans l'intelligence n'entraîne pas toujours
l'adhésion de la volonté. Pour déraciner du cœur une
habitude mauvaise, ce n'est pas assez d'en montrer la
malice. De même qu'une habitude s'engendre par la
répétition des actes, elle s'affaiblit par leur cessation,
ou, du moins, par leur interruption répétée. Il y avait
donc là, grâce à l'intervention énergique de l'Église,
un triomphe très appréciable du droit sur la force, et
une large brèche à l'axiome païen que la force prime le
droit. C'était un frein puissant apporté aux passions
les plus violentes. Il n'a pas tenu à l'Église que ce
triomphe fût plus complet. Cf. Balmès, Le protestan-
tisme comparé au catholicisme dans ses retalions avec la
civilisation européenne et le droit des gens, 3 in-8°, Paris,
1857, t. ii, p. 102 sq. ; Léon Gautier, La chevalerie, in-8°,
Paris, 1884.
3° Au XVIe siècle. Erreurs des prétendus réformateurs.
— Les chefs de la Réforme protestante, qui ont pro-
voqué tant de guerres pour soutenir leur révolte contre
l'Église, n'ont pas craint de se contredire formellement,
en enseignant que la guerre était pour tous les chrétiens
un péché mortel. Cf. Janssens, L'Allemagne et la
lié/orme, 3 in-8°, Paris, 1892, t. m, p. 419 sq. Œcolam-
pade (Jean Hausschein, ou Hussgen), Érasme, Luther,
les wiclefites, les anabaptistes et autres, renouve-
lèrent à ce sujet l'hérésie des manichéens déjà réfutée
victorieusement par saint Augustin, plus de mille ans
auparavant. Dans ses commentaires sur les c. m et
xxn de saint Luc, Érasme s'attache à démontrer, avec
prolixité, que la guerre est un de ces maux que Dieu
avait tolérés parmi les Juifs à cause de la dureté de
leur cœur, mais qui sont absolument défendus aux
chrétiens par le Sauveur et ses apôtres. Les conseils
que saint Jean-Baptiste donna aux militaires, et que
nous avons rapportés plus haut, Luc, ni, 14, ne leur
seraient pas donnés, selon Érasme, pour qu'ils vivent
correctement, mais simplement pour qu'ils vivent
moins mal. Cette explication ne cadre nullement avec
les paroles prononcées peu auparavant par le saint
Précurseur : Genimina viperarum, quis ostendet vobis
jugere a ventura ira ? Facile ergo Jructus dignos pœni-
lenliœ; jam enim securis ad radicem arborum posita
est, et omnis arbor non faciens fructum bonum exci-
delur et in ignem milletur. Luc, m, 7-9. C'est après cette
vigoureuse apostrophe que les publicains et les soldats
effrayés s'approchèrent de Jean pour lui demander ce
qu'ils avaient à faire pour éviter cette colère de Dieu
dont il les menaçait. Or, comme le remarque Bellarmin,
en argumentant contre Érasme, ou bien Jean-Bap-
tiste a trompé les soldats, ou bien ceux-ci peuvent se
sauver dans leur profession, pourvu qu'ils suivent la
règle de vie qui leur est indiquée. Cf. Il" Conlroversia
generalis, De membris Ecclesiœ militanlis, 1. III, De
laicis, c. xiv, Opéra omnia, t. n, p. 326.
Entre autres paradoxes, Luther s'efforça aussi de
démontrer que les chrétiens n'avaient pas le droit de
faire la guerre, surtout aux Turcs, quoique les Turcs
combattissent pour transformer tous les chrétiens en
niahométans. Ce n'est pas que Luther considérât la
guerre comme une chose intrinsèquement mauvaise,
car, en même temps qu'il s'opposait à ce que les chré-
tiens fissent la guerre aux Turcs, il affirmait, et répétait
à satiété qu'on devait la faire au pape, comme étant
le plus Turc d'entre les Turcs, Turcissimum Turcarum;
DICT. DE THÉOL. CATHOL.
mais il invoquait d'autres raisons, et des plus curieuses,
comme des plus singulières.
Dieu, disait-il, se servait des Turcs pour éprouver et
châtier les chrétiens. Or, on n'a pas le droit de résister
à la volonté de Dieu. C'est une folie et une impiété.
Si le raisonnement de Luther était juste, on pourrait
l'appliquer tout aussi bien à la peste, à la famine, à la
concupiscence même, qui sont des moyens par lesquels
Dieu éprouve, ou châtie les hommes. Il s'ensuivrait que
ce serait une folie et une impiété de prendre des me-
sures de précaution contre la peste, et des remèdes pour
s'en guérir; folie et impiété de cultiver la terre, pour
éviter de mourir de faim; folie et impiété de combattre
la concupiscence, etc.; conclusions absurdes, comme
les raisonnements dont elles émanent, ainsi que le fait
remarquer très justement encore Bellarmin, op. cit.,
1. III, c. xvi, t. n, p. 332. Luther déraisonne ici
comme déraisonnait Tertullien tombé dans le monta-
nisme, en affirmant qu'il valait mieux apostasier dans
les tourments que de fuir la persécution, envoyée par
Dieu pour éprouver, ou châtier les chrétiens. La fuir,
c'était folie et impiété, car c'était résister à la volonté
de Dieu. De juga in persecutione, c. n sq., P. L., t. n,
col. 104, 106 sq. Voir Fuite dans la persécution.
Luther était assurément trop intelligent pour ne pas
découvrir la fausseté de son argument; mais la cause
principale de son aberration voulue était évidemment
sa haine aveugle contre le pontife romain : lanto enim
odio pontificem Lutherus persequebatur, ut plane optant
videre Turcam occupanlem omnia régna christianorum,
ut, saltem eo modo, nomen pontificis extingueretur.
Neque hoc fuisse volum ac desiderium ejus nos divina-
mus; sed ex verbis ejus colligimus; nam in libro Ad
nobilitatem Germanise c. xxv, dicit nullum esse pul-
chrius regimen usquam quam apud Turcas, qui legibus
Alcorani gubernanlur ; nullum aulem turpius quam apud
christianos, qui jure canonico et civili reguntur... et pon-
tificios esse multo pejores et truculentiores Turcis, et
stultum esse pugnare pro pejoribus contra meliores. Bel-
larmin, loc. cit., p. 333. Il est vrai que, plus tard, Luther
ne craignit pas de se contredire une fois de plus, en
prêchant, avec une extrême virulence, qu'on devait, à
tout prix, faire la guerre aux Turcs, comme étant les
hommes les plus dépravés que la terre ait portés.
De visitatione Saxonica. Cf. Suarez, De charitale, disp.
XIII, sect. i, n. 5, Opéra omnia, t. xn, p. 738.
Sur les vraies raisons qui portèrent l'Église à réunir
les princes chrétiens pour faire la guerre aux Turcs, dont
les hordes sauvages menaçaient de submerger l'Eu-
rope chrétienne, et sur le rôle bienfaisant de la papauté
s'efforçant de tirer les princes de leur insousciance et ds
leur égoïsme coupable, voir Pastor, Histoire des papes,
10 in-8°, Paris, 1907-1913, t. i, p. 332 sq.; t. n, p. 227,
321, 371, 375; t. m, p. 58, 60 sq., 72 sq., etc.
VI. Questions morales se rapportant aux préli-
minaires delà guerre. — 1° Des causes delà guerre. —
1. Nous ne reviendrons pas ici sur ce qui a été dit pré-
cédemment sur les causes justes de la guerre offensive,
suivant les prescription; du droit naturel; mais il en est
une qui mérite un examen spécial, soit pour sa com-
plexité apparente, soit par l'importance que lui donne
le droit international moderne. On s'est demandé sou-
vent, et l'on se demande encore, si l'accroissement d'une
nation voisine par laquelle on craint d'être un jour op-
primé, n'est pas une cause suffisante pour lui faire 1 1
guerre, et si on n'est pas autorisé surtout à prendre les
armes pour s'opposer à ses agrandissements ultérieurs,
afin de l'affaiblir, pour éviter les dangers dont une
puissance démesurée menace presque toujours les
faibles.
Les politiciens qui ne s'inspirent pas du respect des
droits d'autrui, répondent, sans hésitation aucune, affir
mativement à cette question. Une guerre offensive, dans
VI. — 61
1923
GUERRE
1924
ce cas, n'est qu'une guerre défensive, à leurs yeux. S'il
est, en effet, d'une sage et saine politique chez ceux
qui gouvernent une nation, d'augmenter ses ressources
et sa puissance, il découle de ce principe qu'une sage
politique commande aussi d'affaiblir son voisin, autant
qu'on le peut.
Théologiquement, néanmoins, cette méthode s'in-
spire plus de l'égoïsme politique que du sens de la jus-
tice. L'égoïsme est toujours un vice, qu'il soit dans les
individus, ou dans les sociétés, et ce vice est d'autant
plus grand que ses conséquences contre la charité et
contre la justice sont plus considérables et désastreuses.
De ce chef, l'égoïsme politique paraît plus coupable
encore que l'égoïsme individuel. Si l'État dont l'accrois-
sement excite la crainte, ou plutôt la jalousie du voisin,
n'a commis aucune injustice dans ses accroissements,
il agit lui-même en vertu de cette bonne et sage poli-
tique dont ses ennemis se prévalent aussi. Il remplit
donc ses devoirs envers lui-même et envers ses sujets,
sans blesser, en quoi que ce soit, les droits d'autrui.
Comment donc serait-on autorisé à prendre les armes
contre lui, uniquement parce qu'il est en voie de pros-
périté ? La fin ne justifie pas les moyens, et l'on n'est
pas en droit de violer la justice pour le seul motif de
rétablir entre les individus, ou entre les sociétés, une
égalité qui n'exista jamais, et jamais n'existera, car il
est des inégalités voulues même, ce semble, par l'auteur
de la nature, parce qu'elles se sont rencontrées dans tous
les temps et dans tous les lieux. Le pauvre n'a pas le
droit d'attaquer le riche, pour la seule raison qu'il est
pauvre et que l'opulence du riche l'humilie.
Les nations ne sont pas moins intéressées que les
individus à ce que la justice règne dans leurs relations
réciproques. Si l'on prétend donc justifier ces injustices
en invoquant la nécessité de pourvoir, par avance, à la
sécurité de l'État, loi suprême d'une société, il est
facile de rétorquer l'argument, et de montrer que pré-
cisément le salut commun des nations exige, de leur
part, le respect de la justice. Il s'ensuit que les nations
n'ont le droit d'user de la force et de faire la guerre que
pour leur défense et le maintien de leurs droits. Une
guerre n'est légitime que par l'injure qui provient d'une
autre nation, ou par la menace immédiate et fondée de
cette injure.
Théoriquement, il est donc incontestable, au point de
vue de la théologie, comme du droit naturel et du droit
■des gens, que l'accroissement d'une nation ne peut seul,
et par lui-même, donner à qui que ce soit le droit de
prendre les armes pour s'y opposer.
Pratiquement, néanmoins, l'expérience de l'histoire
ne démontre que trop que les nations auxquelles l'ac-
croissement de leur puissance vaut une sorte de pré-
éminence, ne manquent guère de molester leurs voisines,
■de les opprimer, et mime de les subjuguer entièrement,
dès qu'elles en trouvent l'occasion, et qu'elles peuvent
le faire avec la certitude de l'impunité. 11 est assuré-
ment très malheureux pour le genre humain qu'un
accroissement de puissance implique trop souvent la
volonté d'opprimer, quand la facilité se présente de le
faire impunément. Cette expérience funeste n'autorise-
t-elle pas une société à prendre des garanties pour
l'avenir, en ne laissant pas grossir indéfiniment le
danger qu'elle pourrait probablement dissiper à ses
commencements, tandis que, plus tard, il ne sera peut-
être plus temps ? N'est-ce pas une prudence élémen-
taire ? N'est-il pas permis aux nations de s'inspirer des
principes que même les maîtres de la vie spirituelle
recommandent aux individus : Principiis obsta : tarde
medicina parolur, quando mala per longas invaluere
morus !
Beaucoup le pensent, et il semble que, pratiquement,
dans certains cas, leur opinion n'est pas dénuée de fon-
dement. Quand, dit de Vattel, un État a donné des
marques d'injustice, d'avidité, d'orgueil, d'ambition,
d'un désir impérieux de faire la loi, c'est un voisin
suspect dont on doit se garder, surtout si ses armements
prennent un accroissement formidable. On ne voit pas
qu'il en ait besoin pour sa propre défense. S'il multiplie
ainsi ses armements, hors de toute mesure, c'est qu'il
médite des desseins pervers. Ne serait-ce pas sage de
les prévenir par la force des armes, alors qu'il en est
encore temps"? Un chef de nation a des responsabilités
redoutables. Pour lui, plus que pour un simple individu,
prévoir, c'est pourvoir. Les hommes étant réduits à se
guider le plus souvent par des probabilités, celle-ci
mérite d'autant plus leur attention que les intérêts
engagés sont plus graves; et, quand il s'agit du salut
d'une nation entière, la prévoyance ne saurait aller
trop loin. Il serait trop tard pour détourner sa ruine,
quand elle serait devenue inévitable. La responsabilité
de la guerre et des maux effrayants qui en découlent,
est, ce semble, imputable à ce voisin qui a donné trop
de preuves de son ambition démesurée et de son désir
d'opprimer les autres. Cf. de Vattel, Le droit des gens,
1. III, De la guerre, c. m, § 42-47, 50, t. n, p. 105-111,
114 sq. La solution de ce cas de conscience si grave
dépend évidemment des circonstances de temps, de
lieu et surtout de personnes.
2. Est-il permis aux nations civilisées de faire la
guerre aux nations barbares, sauvages, ou demi-sau-
vages, sous le prétexte de leur apporter les bienfaits de
la civilisation ? — C'est, là encore, une des raisons
invoquées le plus souvent par les politiciens modernes
pour justifier les guerres de conquêtes, dites d'expan-
sion coloniale. Il est à remarquer, cependant, que,
même non civilisés, les sauvages sont des hommes.
Donc ils ont certains droits, même de propriété, qu'on
ne saurait violer, sans commettre une injustice. On ne
peut donc s'emparer du territoire qu'ils occupent et
qui leur appartient, sous prétexte que ce sont des ter-
ritoires vacants et sans maîtres tant que nulle nation
civilisée n'y a arboré son drapeau, et que, dès lors, ces
territoires appartiendront, en vertu du droit du pre-
mier occupant, à la première de ces nations qui y éta-
blira sa domination. Cf. Fr. de Victoria, Relecliones
XII theologicœ, 1. IV, De jure belli ex Indis, sect. n, § 6,
in-fol., Lyon, 1557; Salamanque, 1565. Le droit du pre-
mier occupant ne saurait être invoqué que si l'on se
trouvait en présence de solitudes inhabitées, par
exemple, comme il est arrivé pour les immenses terri-
toires du Nord-Ouest américain, vastes comme l'Eu-
rope, et pouvant nourrir des habitants par centaines
de millions, tandis que les Indiens, ou Peaux-Rouges
qu'on y rencontrait, étaient quelques milliers à peine,
c'est-à-dire tellement peu nombreux, vu l'étendue
de cet immense pays, qu'ils ne pouvaient être consi-
dérés comme l'occupant véritablement. Us y erraient
à l'aventure, à la poursuite des bêtes fauves aux-
quelles ils faisaient la chasse; mais ne songeaient
nullement à en tirer parti par la culture ou l'in-
dustrie, choses dont ils étaient incapables. Toujours
nomades, ils ne se fixaient nulle part. Or, a dit quel-
qu'un, non sans raison, la terre appartient non pas
à celui qui y campe un instant, mais à celui qui la
cultive, ou la met en rapport.
A l'époque où les Espagnols tentaient la conquête
du Mexique, ils prétendaient, pour justifier leur entre-
prise, que les Indiens étant d'une race inférieure, moins
intelligents que les Européens, étaient incapables de
souveraineté, comme de propriété privée, bons, tout
au plus, à servir comme domestiques ou esclaves, mais
nullement aptes à gouverner ou à commander. Les
théologiens contemporains réfutèrent ces assertions
fausses. Ils démontrèrent que, s'il est des hommes faibles
d'intelligence, ceux-ci sont assurément plutôt faits
pour obéir que pour commander, mais nullement des-
1925
GUERRE
1926
tinés par la nature à l'esclavage, ou incapables de pro-
priété. Cf. de Victoria, De Indis, sect. i, § 21 ; sect. il,
§ 24. Les Espagnols prétendaient, en outre, que ces
Indiens commettant une foule de crimes contre la loi
naturelle, les nations civilisées avaient le droit et
même le devoir de les en punir; par conséquent de
leur faire la guerre et de s'emparer de leurs territoires.
Le même théologien réfuta victorieusement ces pré-
tentions. Cf. De Indis, sect. n, §16. Si le pape, dit-il, n'a
aucune juridiction sur les infidèles, à plus forte raison
les princes séculiers, même chrétiens, n'en ont-ils aucune :
ils ne sont donc pas leurs juges, ni leurs justiciers
Cependant, comme, de par la loi naturelle et par le
droit divin, les forts doivent, si ce n'est toujours par
justice, du moins par charité, défendre les faibles contre
la tyrannie ou la cruauté, les nations civilisées ont le
droit, et même le devoir, de faire cesser des actes qui
violent les droits essentiels de l'humanité, comme, par
exemple, l'anthropophagie, les sacrifices humains, le
meurtre des innocents, la piraterie, etc. Elles peuvent,
alors, même par les armes, contraindre ces sauvages,
qui sont de véritables ennemis de l'humanité, à renoncer
à leurs pratiques criminelles. Cf. Fr. de Victoria, De
Indis, sect. ni, § 15. Mais les nations civilisées peuvent-
elles aller plus loin dans leur intervention, et imposer
à ces barbares la civilisation elle-même ? Peuvent-elles
s'arroger le droit de les gouverner, sous prétexte qu'ils
ne le peuvent eux-mêmes, car ils sont, à peu près,
comme des enfants, incapables d'administrer leurs biens
personnels? Assurément, si dans une nation il n'y
avait plus un seul homme mûr, ayant le libre exercice
desaraison, mais seulement des enfants ou des mineurs,
la charité commanderait d'en prendre soin, et de les
diriger, jusqu'à ce que ces enfants ou ces adolescents
devinssent capables de se diriger eux-mêmes. Or, les
sauvages, Indiens ou autres, ne sont-ils pas perpétuel-
lement enfants, en ce sens? Il semble donc que, même
dans leur intérêt, une nation civilisée ait le droit d'in-
tervenir dans leurs affaires. Si cette nation était tou-
jours guidée par un motif de charité, on ne pourrait,
au nom de la justice, lui en faire un reproche; mais
rarement les conquérants s'inspirent de ces considéra-
tions : ce qui les pousse le plus souvent, c'est le désir
de s'enrichir, en profitant de la faiblesse de ces peuples
pour s'approprier leurs biens.
Il faut remarquer, néanmoins, que, si les nations civi-
lisées ont des devoirs envers les sauvages, ou demi-sau-
vages, ceux-ci également en ont à l'égard des nations
civilisées. Ces nations ont bien le droit de fonder chez
eux des établissements en vue de leur commerce, pourvu
qu'ils ne portent aucun préjudice aux indigènes.
Souvent, au contraire, ces établissements seront pour
les natifs une source de prolits, de prospérité, ou d'aug-
mentation de bien-être. Il est inhumain de mal accueillir
des étrangers qui ne viennent qu'avec des intentions
pacifiques. Au commencement du monde, chacun était
libre de voyager à son gré, et de se fixer où bon lui
semblait. Les nations, en se constituant en groupements
autonomes, n'ont pas enlevé ce droit que les hommes
tiennent de l'auteur même de la nature. Au contraire,
si l'on excepte les peuples les plus dépravés, l'hospita-
lité a toujours été regardée chez toutes les nations
comme une vertu naturelle : la personne de l'étranger
était sacrée. Les nations civilisées ont donc le droit de
fonder des établissements dans les pays détenus par
les sauvages, quand elles ont pour but, non de les
dépouiller, mais d'y faire un commerce qui peut être
utile à tous, car la terre, comme les mers, les fleuves et
l'atmosphère, sont des biens communs à tous les hommes.
Ce serait donc, de la part de ces barbares, une injustice,
que de repousser ainsi les sujets de ces nations civi-
lisées, ou de les maltraiter, ou de détruire leurs établis-
sements. Le droit naturel permet a tous de faire le
commerce avec les étrangers, même avec les sauvages;
ceux qui s'y opposent manquent non seulement à la
charité, mais aussi à la justice. Si donc ces peuplades
sauvages prennent les armes, pour empêcher ce com-
merce pacifique, les nations civilisées n'auront-elles
pas également le droit de les prendre pour assurer la
liberté de leurs propres sujets? Ceux-ci, étant attaqués
par les sauvages, n'auront-ils pas le droit de se défendre,
de construire des palissades et même des citadelles, et
de repousser la violence par la violence? Ils devront,
cependant, ne pas abuser de leur force, et mettre de la
modération dans la répression de ces injustices, car il y
a, en faveur des sauvages, une circonstance atténuante.
Ces pauvres gens peuvent facilement s'imaginer que
les étrangers, forts et armés, viennent dans leur pays
avec des intentions hostiles. On doit donc faire tout ce
qui est possible pour les persuader du contraire. Mais,
enfin, si après avoir essayé tous les moyens de pacifi-
cation, les nations civilisées n'en trouvent pas d'autres,
pour assurer le respect de leurs nationaux, que celui de
s'emparer de ces territoires et de les soumettre à leur
domination, le théologien dont nous analysons l'ou-
vrage, pense que, en le faisant, elles n'outrepassent pas
le droit de légitime défense. Cf. Fr. de Victoria, De
Indis, sect. il, § 2-8.
Il peut arriver aussi que ces peuples inférieurs,
éclairés par l'expérience, et voyant les avantages très
nombreux qui découlent, pour eux, de l'occupation et
de l'administration de leur pays par des nations civi-
lisées et puissantes, acceptent volontiers de leur être
annexés, ou, suivant l'expression du langage juridique
moderne, de se placer sous leur protectorat. Dans ce
cas évidemment, toute injustice disparaît, car, selon
l'axiome, scienli et volenti non fit injuria. Toute nation,
ou peuplade, est maîtresse de se gouverner comme elle
veut, et de se donner à qui elle veut. Pour cela, pas
n'est besoin du consentement unanime de tous ses
membres, car l'unanimité est une chose qui pratique-
ment ne se rencontre presque jamais; mais le consen-
tement de la majorité suffit.
Les siècles de foi admettaient un autre droit pour
les nations civilisées d'intervenir dans les affaires des
peuples sauvages : celui de la libre prédication de l'Évan-
gile. Théoriquement, la chose est évidente Si la liberté
du commerce, en effet, leur donne le droit d'intervenir,
combien plus la liberté de la prédication évangélique,
de laquelle dépendent non pas simplement les intérêts
périssables de la terre, mais les intérêts éternels de la
vie à venir. Ce droit de prêcher librement l'Évangile
est d'origine divine : Euntes in rnundum uniuersum,
prœdicate evangelium ou.xt creaturx. Marc, xvi, 15.
Ceux qui s'y opposent commettent donc la plus grave
des injustices, et les nations chrétiennes ont le droit, et
même le devoir, si elles le peuvent, de les empêcher de
la commettre. Cf. Fr. de Victoria, De Indis, sect. n,§ 12.
Ceci ne revient pas à faire des conversions par la
force : c'est simplement assurer la liberté de la parole
évangélique, et défendre les néophytes contre les cru-
autés de ceux qui sont restés païens. De cette tradition
catholique et si fondée en justice, est née la question de
protectorat des chrétiens, que beaucoup de nations ont
ambitionné d'exercer, en Orient, par exemple. Rares,
il faut en convenir, sont celles qui, en le faisant, se
sont inspirées, ou s'inspirent encore d'une pensée de
foi; la plupart n'ont vu là qu'un moyen d'étendre
leur sphère d'influence et d'acquérir des avantages
matériels. Mais le principe du protectorat n'en est pas
moins légitime en soi.
3. Un souverain a-t-il le droit de faire ce qu'on
appelle, en langage moderne, une guerre de diversion ?
En d'autres termes, peut-il attaquer une nation voisine,
pour résoudre une crise intérieure de son propre Étal?
par exemple, pour consolider son trône chancelant et
1927
GUERRE
1928
assurer l'avenir de sa dynastie? pour reconquérir son
prestige perse nnel par une guerre où il espère être vain-
queur'? pour écarter le danger d'une révolution? pour
arrêter tes progrès du socialisme qui l'inquiètent? pour
satisfaire l'humeur belliqueuse de son peuple, laquelle
se tourne ra contre lui, s'il ne la tourne contre les autres ?
pour répondre au désir d'expansion de son peuple, en
dehors de ses frontières, etc., etc.? Assurément non.
Qui, en raisonnant froide ment, ne voit là une injustice
flagrante et des plus graves, attendu les maux incal-
culables qui découlent d'une guerre? Un homme qui
aurait des démêlés avec les membres de sa famille,
serait-il autorisé à s'en prendre à son voisin qui n'est
pour rien dans ces difficultés familiales? pourrait-il
justement lui en faire supporter les conséquences, alors
que ce voisin est absolvment innocent de tout cela?
Certairement non. De me" me, une nation, pour résoudre
une crise d'oTdre intérieur, n'a nullement le droit de
faire la guerre à sa voisine, à moins que celle-ci ne soit
l'instigatrice de ces dissensions intestines; mais, si elle
en est absolument innocente, aucune raison ne permet
de l'en déclarer responsable, et de lui en faire subir les
conséquences.
2° Des causes douteuses de la guerre. — 1. La guerre
est un si grand mal, qu'avant de l'entreprendre un
prince doit examiner très attentivement si les raisons
de la déclarer sont réellement suffisantes. 11 doit se
rendre compte non seulement de sa justice, mais aussi
de sa nécessité, et même de son opportunité. C'est là,
surtout, vu les conséquences si graves qui en découlent,
qu'il faut se rappeler le mot de saint Paul : Omnia
jnihi Ikent, sed non omnia expediunt. I Cor., vi, 12; x,
22. Suivant les théologiens, le prince doit, d'abord,
demander la lumière de Dieu par la prière; puis, récla-
mer l'avis de conseillers prudents, éclairés et désinté-
ressés. Cf. Suarez, De charitate, disp. X 1 1 1, sect. vi, n. 1 sq. .
Opéra omnia, t. xn, p. 748 sq. ; S. Alphonse, Theologia
moralis, 1. III, tr. IV, c. 1, dub. v, a. 2, n. 403, t. i,
p. 659; Tanquerey, Synthèse de la doctrine, théologique
sur le droit de guerre, c. n, in-8°, Paris, 1913, p. 16 sq.
2. Dai s le doute sur la ju tice d'une guerre, un prince
peut-il suivre une opinion seulement probable? La
question est très controversée, et la solution pratique
dépend de circonstances parfois extrêmement com-
pliquées. 11 est souvent fort difficile de savoir s'il y a
proportion équitable entre les maux épouvantables qui
découleraient d'une guerre, et les raisons d'ordre supé-
rieur qui pousseraient à l'entreprendre. Les théologiens
examinent le cas où, la justice de sa cause n'étant que
probable chez un prince, son ennemi posséderait cepen-
dant en bonne foi les objets, villes ou provinces, qu'il
détient, et que ce prince veut recouvrer. Théorique-
ment, la question peut être posée ainsi; mais, pratique-
ment, cemment peut-il conster à ce prince ou à ce
chef d'État que son adversaire possède de bonne foi?
On admet généralement qu'une guerre ne peut théo-
riquement être juste des deux côtés à la fois; elle le
peut, cependant, pratiquement, si les deux adversaires
se persuadent chacun avoir pour eux le bon droit. Cf.
Suarez, loc. cit., n. 3, Opéra omnia, t. xn, p. 749; Sal-
mantieenses, Cursus theologise moralis, tr. XXI, De
prœceplis Decalogi, c. vin, p. m, § 1, n. 21-27, 6 in-fol.,
Venise, 1728, t. v, p. 163; Fr. de Victoria, De jure belli,
relect. VI, n. 27; S. Alphonse, Theologia moralis, loc.
cit., n. 404, t. i, p. 660 sq.
3. Quant aux simples soldats et même aux officiers,
à moins qu'ils ne soient certains de l'injustice de la
guerre, ils peuvent, et mime ils doivent obéir au chef
de la nation, qui peut avoir, pour agir, des raisons légi-
times qui leur sont inconnues. Cf. Salmanticcnses,
Cursus theologise moredis, tr. XXI, c. vin, p. in, § 1,
n. 29-31. t. v,p. 166;La\mann, Theologia moralis, 1. II,
tr III, c xii, De bello,n. 8, 2 in-fol., Venise, 1683, t. i,
p. 188: Bellarmin, IIa Controversia generalis, De mem-
bris Ecclesiœ militantis, 1. III, De laicis, c. xv, Opéra
omnia, t. n, p. 331: Suarez, De charitate, disp. XIII,
sect. vi, n. 8-12, Opéra omnia, t. xn, p. 750-752 ;
S. Alphonse, Theologia moralis, loc. cit., n. 408, t. i,
p. 662 sq. ; Palmieri, Opus theologicum in Buscnbaum
n.édullaw, tr. VI, De prœceplis Decalogi, sect. v, c. m,
De bello, n. 148 sq., 7 in-8°, Prato, 1889-1893, t. n,
p. 669 sq.
3° De la déclaration de guerre. — La guerre défensive
n'a pas besoin d'être déclarée, car, de par la loi natu-
relle, tout individu a le droit de se défendre, dès qu'on
l'attaque. Mais, dans une guerre offensive, il en est dif-
féremment. Puisque la conscience exige qu'on n'entre-
prenne une guerre offensive que lorsque tous les autres
moyens d'accommodement ont été épuisés, une nation
qui veut se faire justice doit, avant de prendre les
arme», annoncer officiellement qu'elle va se résoudre à
ce parti, si, à une époque déterminée, justice ne lui a
pas été rendue. Il est à espérer, en effet, que la crainte
de ses armes et l'imminence du conflit fassent impres-
sion sur l'esprit de son adversaiie, et l'amènent à tran-
siger ; c'est ce qu'on appelle, en langage moderne, poser
un ultimatum. Si, après réception de l'ultimatum, l'en-
nemi accepte de transiger, la guerre ne doit pas être
faite, et, si elle est commencée quand arrive la réponse
de l'adversaire, on doit la terminer au plus tôt, si ce
n'est toujours par rigueur de stricte justice, du moins,
le plus souvent, par charité et par humanité. Cf. Suarez,
De charitate, disp. XIII, sect. vu, n. 3, Opéra omnia,
t. xn, p. 752 sq. ; Salmanticenses, Cursus theologise
moralis, tr. XXI, c. vin, p. m, § 1, n. 20, t. v, p. 165;
de N attel, Du droit des gens, 1. III, c. iv, § 51 sq., t. n,
p. 116-126 ; S. Alphonse, Theologia moralis, 1. III, tr. IV,
c. i, dub. v, a. 2, n. 405, t. n, p. 661 : Meyer, Instiluliones
juris naturalisait. II, sect. m, 1. II, en, a. 2, §2,n.747,
t. n, p. 798 sq. ; Olivart, Del reconoscimienio de beligc-
ranci a y sus efectos immedialas, in-8°, Madrid, 1895;
Sainte-Croix, La déclaration de guerre et ses effets immé-
diats, in-8°, Paris, 1899. La Conférence internationale
réunie à I a Haye, en 1899, sous l'initiative de l'empereur
de Russie, s'est ralliée en ce point à l'enseignement
théologique, dans l'article 1er de la Convention ainsi
rédigé : « Les puissances contractantes reconnaissent
que les hostilités entre elles ne doivent pas commencer
sans un avertissement préalable et non équivocrue,
qui aura soit la forme d'une déclaration de guerre
motivée, soit celle d'un ultimatum avec déclaration
de guerre conditionnnelle. » Il n'y a pas cependant de
forme spéciale pour la déclaration de guerre. Le rap-
pel des agents diplomatiques n'équivaut pas stricte-
ment à une déclaration de guerre, s'il n'est accompagné
d'un ultimatum. Ces règles néanmoins, ne sont pas tou-
jours observées. A l'ouverture de la guerre russo-japo-
naise, en 1904, par exemple, les Japonais commencè-
rent les hostilités, dès la rupture des relations diplo-
matiques, avant même que la Russie pût considérer
cette rupture comme une déclaration formelle de guerre.
On se demande si, après la déclaration de guerre,
tous les traités conclus précédemment entre les nations
belligérantes cessent de plein droit. S'il s'agit de traités
d'alliance, c'est évident; mais les traités de commerce,
de navigation, etc., ne sont pas brisés. Leurs effets sont
simplement suspendus, et devraient reprendre de plein
droit, à la lin des hostilités. La coutume tend cependant
à s'établir que, pour leur remise en vigueur, il faut
une disposition expresse du traité de paix, comme cela
fut statué au traité de Francfort, en 1871, a. 11, et au
traité gréco-turc du 12 décembre 1897, a. 12-13.
VII. De ce qui est permis durant la guerre. —
1° Du droit de vie et de mort sur l'ennemi. — 1. Malgré
ce qu'en ont dit certains jurisconsultes, par exemple,
de Vatlel, Du droit des gens, 1. III, c. v, § 69 sq., t. n,
1929
GUERRE
1930
p. 126 sq., la déclaration de guerre n'autorise pas à
considérer comme ennemis tous les sujets d'un État
contre lequel elle a été faite, car la guerre est une rela-
tion de nations à nations, ut taies. On ne peut donc
regarder comme ennemis, et traiter comme tels, que
ceux qui prennent une part active aux hostilités. Les
belligérants doivent donc épargner les enfants, les
femmes, les vieillards, les malades, les infirmes, et les
citoyens paisibles, non par la raison qu'ils sont des
ennemis faibles, innocents, ou inoffensifs, mais parce
qu'ils ne sont pas des ennemis, au sens strict du mot,
et que, au point de vue de la guerre proprement dite,
on doit plutôt les considérer comme neutres. C'est la
justice qui défend de toucher à leur vie, et non pas
seulement l'honneur ou la générosité chevaleresque.
Dans les pays en guerre, une neutralité générale doit
protéger tous les habitants qui ne combattent point.
Ce principe a été reconnu par la Conférence internatio-
nale de La Haye, de 1907.
Les belligérants doivent épargner aussi tous ceux
qui accompagnent une armée, sans porter eux-mêmes
les armes, et qui s'y trouvent à titre d'aumôniers, de
médecins, de chirurgiens, d'infirmiers, etc. Mais ils
peuvent attaquer tous ceux qui, officiers ou soldats,
sont en devoir de les combattre, et cela, tant que ceux-
ci n'ont pas déposé les armes, ou que, blessés griève-
ment, ils ne sont plus en état de continuer les hostilités.
Si les ennemis, entourés de forces supérieures, deman-
dent quartier, et se rendent, on doit leur laisser la vie.
Les tuer, dans ce cas, serait un injuste assassinat, et
un acte de sauvagerie. Cf. Laymann, Theologia moratis,
1. II, tr. III, c. xn,De bello, n. 11, t. i, p. 180 ; Suarez,
De charitate, disp. XIII, De bello, sect. vi, n. 15-16,
Opéra omnia, t. xn, p. 755 sq. ; Reiffenstuel, Jus cano-
nicum universum juxta titulos quinque librorum Decre-
lalium, 1. I, tit. xxxiv, De treuga et pace, n. 14, t. i,
p. 368; Schmalzgrueber, Jus ecclesiasticum universum
secundum quinque libros Decretalium, 1. I, tit. xxxiv,
§1, n. 11, t. i b, p. 281; Meyer, Institutiones juris
naturalis, part. II, sect. ni, 1. II, c. n, a. 6, n. 748, t. n,
p. 800;Palmieri, loc. «7.,n.l50 sq.,t. n,p. 670; Noldin,
Summa theologiœ moralis, tr. De prœceptis Dei et
Ecclesise, part. II, 1. V, c. vu, De bello, n. 352 sq., 3 in-
8°, Inspruck, 1908, t. n, p. 374 sq.
2. Tous les moyens de destruction sur les personnes
sont-ils permis à la guerre? — • Depuis longtemps, le
droit des gens a défendu de faire usage du poison, de
mettre à prix la tète d'un ennemi, de le faire traîtreu-
sement assassiner, de se servir d'armes qui augmentent
inutilement le nombre ou la gravité des blessures, et
qui étendraient comme à l'infini les maux de la guerre
déjà si terribles par eux-mêmes, comme le seraient,
par exemple, des armes empoisonnées dont les moindres
atteintes seraient mortelles. Les peuplades sauvages en
ont usé de tout temps, et en usent encore. L'antiquité
civilisée, même païenne, s'était interdit l'usage de
pareils moyens. Cf. Plir.e, Nat. hisl., 1. XI, c. lui;
Valère Maxime, 1. VI, c. v, n. 1; Tacite, Annales, 1. II,
c. lxxxviii; Quinte Curce, 1. IV, c. xi, n. 8. Les nations
civilisées modernes ont répudié également ces méthodes
ou ces moyens. On a bien le droit de frapper un ennemi
pour repousser ses attaques, ébranler sa résistance, et
en avoir raison. Mais, dès qu'il est hors de combat, et
dans l'impossibilité de nuire, de quel droit lui donnerait-
on la mort'? La guerre est assez épouvantable par elle-
même, sans qu'on ajoute inutilement à ses horreurs.
Cf. de Vattel, Le droit des gens, 1. III, c. vin, § 155-157,
t. ii, p. 187-193. La Convention internationale de Saint-
Pétersbourg, du 11 décembre 1868, a interdit l'emploi
des balles explosibles, et des balles dum-dum qui s'apla-
tissent contre le squelette du corps humain, et font des
blessures d'une exceptionnelle gravité. Cette défense
a été renouvelée à la Conférence internationale de La
Haye, en 1899 et en 1907. Cf. A. Pillet, Les lois actuelles
de la guerre, in-8°, Paris, 1898; Dalloz, Dictionnaire
pratique de droit public, au mot Guerre, §3, n. 18, in-fol.,
Paris, 1905, p. 702; Règlement concernant les lois et
coutumes de la guerre, dans l'Annuaire de la législation
française, in-8°, Paris, 1911, p. 201-213.
3. Des considérations précédentes, il découle qu'on
n'a pas le droit de faire prisonniers les enfants, les
femmes, les vieillards, et en général tous ceux qui ne
prennent pas activement part à la guerre, puisque ce
ne sont pas des ennemis, à proprement parler. On le
faisait autrefois, même parmi les nations civilisées,
afin d'avoir des otages, dans le but d'amener plus
facilement à un accommodement un adversaire qui
tiendrait à délivrer des personnes qui lui sont chères.
De Vattel admet la légitimité de cette pratique. Cf. Le
droit des gens, 1. III, c. vm, § 148, t. n, p. 179 sq. Mais,
depuis longtemps, entre nations civilisées, ce moyen
n'est guère mis en usage.
4. Il ressort également des considérations précé-
dentes que les prisonniers de guerre, d'abord, ne doivent
pas être réduits en esclavage, comme le faisaient les
anciens païens, contrairement aux prescriptions de la
loi naturelle. On n'a le droit de retenir en captivité un
ennemi qui a déposé les armes que jusqu'à la conclusion
de la paix. Une autre conséquence de ces considérations,
c'est qu'on n'est pas autorisé à se permettre envers les
prisonniers de guerre des violences ou des mauvais
traitements, car on fait la guerre à l'État, et non aux
individus. Cf. Schmalzgrueber, Jus ecclesiasticum uni-
versum, 1. I, tit. xxxiv, § 2, n. 12, 1. 1 b, p. 282; Dalloz,
Dictionnaire pratique de droit public, loc. cit., § 3, n. 22,
p. 702; Meyer, Institutiones juris naturalis, part. II,
sect. m, 1. II, c. n, a. 2, § 2, n. 761, t. n, p. 810.
2° Du droit sur les biens de l'ennemi. — 1. La guerre,
se faisant d'État à État, n'autorise que l'expropriation
ou la saisie des biens d'État, tels que villes, forteresses,
arsenaux, armes, munitions, revenus des domaines
publics, ou autres ressources qui constituent la force
politique et militaire d'une nation; mais non celle des
biens appartenant à des particuliers, surtout à ceux
qui ne prennent point part activement aux hostilités.
Ravir ces biens serait faire de la miraude ou du pillage.
Les simples soldats doivent s'en abstenir, et les chefs
sont obligés en conscience de les empêcher. De même, et
à plus forte raison, doit-on respecter les biens des hôpi-
taux, des églises, des monastères, et des institutions
pieuses, ou de bienfaisance. Cf. Bellarmin, 77" Conlro-
versia generalis. De membris Ecclesiœ mililanlis, 1. III,
De laicis, c. xv, Opéra omnia, t. n, p. 331; Suarez, De
charitate, disp. XIII, sect. vi, n. 2, 10, 14, Opéra omnia,
t. xn, p. 752, 754 sq. ; Salmanticenses, Cursus theologise
morali s, tr. XXI, c. vin, § 3, n. 44. t. v, p. 168; Laymann,
Th-ologia moralis, 1. II, tr. 1 1 1, c. xn, De bello, n. 12-13,
t. i, p. 189; Schmdzgrueber, loc. cit., § 1, n. 11,
t. i b, p. 281; Reiffenstuel, 1. I, tit. xxxiv, n. 12, t. i,
p. 368; S. Alphonse, Theologia moralis, 1. III, tr. IV,
c. i, dub. v, a. 3, n. 409 sq., t. i, p. 663 sq.; Meyer,
Institutiones juris naturalis, t. il, p. 808 ; Dalloz, Diction-
naire de droit public, loc. cit., § 2, n. 12 ; § 3, n. 14, p. 702 ;
Lucchini, // digeslo italiano, Enciclopedia melodica ed
alfabetica di legislaziom, dotlrina e giurisprudenza,
au mot Guerra, tit. ni, c. n, 43 in-4°, Turin, 1884-
1913, t. xn, p. 1118 sq.
2. Peut-on considérer comme légitime la coutume
qu'une armée doit vivre aux dépens du pays envahi,
selon l'axiome : « La guerre doit nourrir la guerre »? —
Si, par pays envahi, on entend les biens d'État, la
richesse publique, frappés de contributions de guerre,
cette coutume peut être considérée comme légitima
dans une guerre juste, car l'État offensé qui est obligé
de faire la guerre pour recouvrer ce qui lui a été ravi,
ou pour demander la réparation d'une injure, est en
1931
GUERRE
1932
droit de faire peser sur l'État offensant le poids d'une
guerre dont celui-ci est la cause injuste; mais cette cou-
tume est illégitime, si, par pays envahi qui doit nourrir
l'armée envahissante, on entend ies biens particuliers.
Proudhon lui-même l'a reconnu : «Vous ne pouvez,
dit-il, exiger des habitants le moindre service, sans le
payer. » La guerre et la paix: Recherches sur le principe, el
la constitution du droit des gens, 2 in-12, Bruxelles, 1861.
En effet, les armées régulières ne prétendent traiter
qu'avec des corps réguliers. Un individu qui porte les
armes, sans être revêtu d'un uniforme et sans dépendre
d'un chef d'armée reconnue, est considéré comme un
brigand, et fusillé sur l'heure. Pour être conséquentes
avec elles-mêmes, les armées doivent, même pour leur
subsistance, respecter les biens des particuliers, puis-
qu'elles exigent que les particuliers les respectent elles-
mêmes. Cette conclusion est aussi une application du
principe admis universellement par le droit internatio-
nal moderne, que les guerres sont d'État à État, et non
d'individus à individus. Les maraudeurs, souvent,
pillent et rançonnent pour leur propre compte, se
croyant autorisés à faire sur une moindre échelle ce que
les généraux font en grand, en imposant des réquisi-
tions arbitraires. Si la maraude, qui a pour but la sub-
sistance du soldat, est illégitime, à plus forte raison le
pillage, qui a pour but son enrichissement, est-il cou-
pable. La nécessité peut parfois excuser la maraude,
suivant l'axiome : Inextrema necessilale omnia bona sunt
communia. Aucune raison ne saurait excuser le pillage,
qui est le vol. Ceci n'est plus la guerre d'État à État :
c'est l'acte criminel d'individus qui, abusant de leur
force, volent d'autres individus incapables de se dé-
fendre. On ne saurait donc, en ce point, se ranger à
l'avis de Vattel qui trouve le droit de butiner tout à fait
conforme au droit naturel. Cf. Le droit des gens, 1. III,
c. ix, § 164, t. n, p. 199 sq. Son erreur vient de ce qu'il
considère comme ennemis tous les sujets de l'État au-
quel un autre fait la guerre, oubliant que la guerre est
une relation d'État à État. Op. cit., 1. II, c. v, § 69-73,
t. n, p. 126 sq. Cf. Dalloz, Dictionnaire pratique de droit
public, loc. cit.; Dudley Field, Oullines of an interna-
tional Code, in-8°, New- York, 1876, p. 468; Walker, The
science oj international law, in-8°, Londres, 1893, p. 249.
3. Certains juristes, plus militaires que juriscon-
sultes, ont pensé qu'un général a le droit de condamner
au pillage une ville qu'il a dû prendre d'assaut, ou qui
a violé les lois de la guerre. — Mais comment une ville,
habitée en grande partie par des gens inofîensifs :
femmes, enfants, vieillards, ou citoyens paisibles, pour-
rait-elle être accusée, dans son ensemble, d'avoir violé
les lois de la guerre, ou être justement punie par le
pillage d'un crime qu'elle n'a point commis? Parce que
les soldats qui la défendaient ont fait vaillamment leur
devoir, en résistant tant qu'ils ont pu, faut-il punir à ce
point ceux qui n'ont point porté les armes, ou qni
maintenant les ont déposées? Cf. Meyer, Instilutiones
juris naturalis, part. II, sect. m, 1. II, c. n, a. 2, § 2,
n. 760 sq., t. n, p. 809.
4. Peut-on approuver, au nom de la justice, la cou-
tume, dans les guerres maritimes, de saisir les navires
marchands appartenant aux sujets de l'État ennemi, et
de les considérer, suivant l'expression admise, comme
de « bonne prise » pour ceux qui les ont capturés? Les
principes de droit ne sauraient être différents, que la
guerre soit faite sur terre ou sur mer, car la justice est
de tous les climats. Peu importe que ces prises soient
accomplies par des navires de l'État, ou par des cor-
saires, individus conduisant et défendant des navires
armés pour la course : c'est toujours un attentat per-
pétré contre la propriété privée. Pour légitimer ce droit
de course, on prétend qu'on n'en veut pas précisément
aux individus que l'on dépouille, mais à l'État, dont
on cherche ainsi à miner le commerce. Le raisonne-
ment ainsi présenté ne manquerait pas d'une certaine
justesse dans le cas où l'État, supposé une puissance
surtout maritime, tirerait, en majeure partie, sa force
de ce commerce; mais il en serait différemment, si, vu
les circonstances, ce commerce maritime pouvait être
considéré comme plus utile aux individus qu'à l'État
lui-même. Pratiquement, il faut l'avouer, la solution
est des plus difficiles. Cf. S. Alphonse, Theologia moralis,
loc. cit., n. 409, 1. 1, p. 663; Abreu, Tratado de las prisas
maritimas, in-4°, Cadix, 1746; Ortolan, Règles inter-
nationales el diplomatie de la mer, 2 in-8°, Paris, 1864;
Galiano, Droit de visite, blocus, contrebande de guerre,
prises maritimes (Journal de droit international privé),
in-8°, Paris, 1898; Carnazza-Amari, Del rispello délia
propriété privata nelle guerre maritime, in-8°, Modène,
1898 ; Cauvées, L'extension des principes de la convention
de Genève aux guerres maritimes, \n-8°, Paris, 1899; Bar-
clay, L' inviolabilité de la propriété privée sur mer, in-8°,
Bruxelles, 1900; Dalloz, Dictionnaire pratique de droit
public, au mot Guerre, § 5, n. 39 ; et Prises maritimes,
n. 4 sq., p. 703, 1134.
3° Des stratagèmes et ruses de guerre. — Qu'il soit
permis, à la guerre, d'user de ruses et de stratagèmes,
tous les théologiens le reconnaissent, pourvu qu'il ne
s'agisse pas d'une violation de la foi jurée, ou d'un
véritable mensonge, ce qui est toujours intrinsèque-
ment illicite. Mais, s'il n'est jamais permis de dire la
fausseté, on n'est pas évidemment obligé, surtout
envers un ennemi, de révéler ses propres secrets, projets,
plans de campagne, tactique que l'on se propose de
suivre pour l'attaque ou la défense, etc., etc. On est
même en droit de les cacher le plus possible pour
assurer le succès de la stratégie. Si donc, à la suite de
marches et de contre-marches, d'attaques et de contre-
attaques, le commandant, ou chef d'armée ennemie se
trompe sur l'endroit où il doit concentrer ses troupes, ou
se laisse surprendre par des forces supérieures, il ne
peut s'en prendre qu'à son manque de sagacité, ou de
prévoyance, ou d'intuition, et c'est tant pis pour lui.
Cf. S. Thomas, Sum. theol., IIa IF, q. xl, a. 3; Lay-
mann, Theologia moralis, 1. II, tr. III, c. xn, De bello,
n. 10, t. i, p. 188 sq. ; S. Alphonse, Theologia moralis,
1. III, tr. IV, c. i, dub. v, a. 3, n. 410, t. i, p. 663;
Lehmkuhl, Theologia moralis, part. I, 1. II, divis. III,
tr. II, n. 807 sq., 2 in-8°, Fribourg-en-Brisgau, 1902,
1. 1, p. 510.
Mais tous les théologiens affirment que la parole don-
née doit être tenue, même envers un ennemi. C'était
déjà une prescription formelle insérée, dès les premiers
temps, dans le Corpus juris. Cf. Décret de Graiien,
part. II, caus. XXIIÎ, q. i, c. 3; Laymann, loc. cit.,
n. 15, t. i, p. 189 sq. ; S. Alphonse, loc. cit., t. i, p. 663;
Meyer, Instilutiones juris naturalis, part. II, sect. m,
1. II, c. n, a. 2, n. 749, t. h, p. 800.
4° Des lois de la guerre. — 1. Dans le courant du
xixe siècle, des efforts ont été tentés pour codi fier les
lois et coutumes de la guerre, et constituer, à cet effet,
une sorte de droit international, reconnu par toutes les
nations. Ce fut d'abord l'essai partiel de la Convention
de Genève, du 24 août 1864, qui s'occupa surtout du
soin des blessés. De là naquit l'organisation de la Croix-
Rouge, ensemble de sociétés appartenant à divers pays,
pour porter secours aux blessés militaires des armées de
terre et de mer. Reconnues, pour la plupart, d'utilité
publique par leurs gouvernements respectifs, elles sont
ainsi appelées parce que leurs membres sont autorisés,
en temps de guerre, à porter le brassard de neutralité,
institué par la Convention de Genève elle-même, et qui
consiste en une croix rouge sur fond blanc. Ces diverses
sociétés de la Croix-Rouge, établies en diverses nations,
ont un organe commun : le comité international de
Genève, et se réunissent fréquemment en congrès inter-
nationaux. — 2. Un autre essai partiel fut celui de la
1933
GUERRE
1934
Déclaration de Saint-Pétersbourg, le 11 décembre
1868, dans le but surtout d'interdire à la guerre l'em-
ploi de certains projectiles propres à produire des bles-
sures particulièrement douloureuses et graves, sans
nécessité pour le résultat de la guerre. — 3. Après ces
essais partiels, une première tentative de codification
générale des lois de la guerre est due à la Russie, sous
l'impulsion personnelle de l'empereur Alexandre II,
qui proposa, à cet effet, en 1874, une réunion, ou con-
férence internationale à Bruxelles. Les séances eurent
lieu du 27 juillet au 27 août 1874, et il en sortit un
Projet de convention internationale concernant les lois et
coutumes de la guerre. Mais les États-Unis ne l'ayant
pas accepté, la chose resta à l'état de projet, et n'entra
pas effectivement dans le droit international positif. —
4. On doit en dire autant du Manuel des lois de la
guerre continentale, proposé par l'Institut de droit in-
ternational, élaboré et discuté par une commission de
treize membres français, anglais, italiens, hollandais,
allemands, espagnols, russes et autrichiens, et, enfin,
approuvé à l'unanimité, dans la session plénière
d'Oxford, le 9 septembre 1880.
A l'heure actuelle, le droit international n'a donc pré-
cisé encore qu'en très peu de points, pour ces matières,
cependant si importantes, et malheureusement tou-
jours trop pratiques, les prescriptions générales du droit
naturel. Cf. Lucchini, // digesto italiano. Enciclopedia
metodica ed aljubetica di legislazione, doltrina e giurispru -
denza, au mot Guerra, tit. n, c. n, n. 31, t. xn, p. 1084.
VIII. DU DROIT CONFÉRÉ PAR LA VICTOIRE. Par
lui-même, le résultat d'un combat, ou d'une série de
combats, si longue et si glorieuse soit-elle, ne saurait
rien changer à la justice. La victoire ne confère donc
par elle-même d'autres droits aux vainqueurs que ceux
qu'il possédait avant de commencer la guerre. La vic-
toire, en effet, n'est qu'une preuve de supériorité
physique ou intellectuelle; nullement une preuve de
supériorité morale. Ces deux ordres sont absolument
distincts l'un de l'autre, et évoluent séparément.
Assurément cette proposition, expression cependant
d'une vérité élémentaire, est contraire à la pratique
unanime de toute l'antiquité païenne, qui considérait
la victoire comme un juste moyen d'acquérir, en vertu
du prétendu droit de conquête. Plusieurs juristes mo-
dernes sont également tombés dans cette erreur, si ce
n'est sur le principe lui-même, du moins dans ses ap-
plications et ses conséquences. De ce nombre est Gro-
tius, De jure bclli ac pacis, 1. III, c. v-vi, qui prend
pour lui l'axiome admis par Aristote lui-même : rem
mililarem secum ferre naluralem acquirendi modum.
C'est ce que les Grecs appelaient : cpusixrjv xtijaiv. De
Vattel lui-même ne s'est pas assez prémuni contre ces
errements. Cf. Le droit des gens, 1. III, De la guerre,
c. xin, § 195 sq., t. n, p. 230-234. Ce droit de conquête
mal compris a été la source, toujours renouvelée,
d'une longue série de guerres atroces dans l'antiquité,
et durant les siècles postérieurs. A la vue de tant de
richesses, de pouvoir, de gloire et d'honneurs qui
accompagnaient la victoire, rien ne paraissait plus
désirable aux princes, à leurs officiers, et aux peuples
eux-mêmes, que de se mettre en mesure de faire la
guerre, et de la conduire à bonne fin. Jamais la paix,
ni le commerce, ni l'industrie, ni l'agriculture, ni un tra-
vail quelconque, ne leur auraient procuré le moyen de
s'enrichir aussi vite et aussi grandement. Quelle ten-
tation pour les rois de reculer ainsi leurs frontières, de
régner sur un empire toujours de plus en plus étendu,
et d'abaisser leurs rivaux ! L'erreur sur ce point fut si
générale dans l'antiquité païenne, qu'il ne faut pas
s'étonner que le prétendu jus vicioriie n'ait pas disparu
subitement, en pratique, aussitôt après la conversion
des peuples au christianisme. Quoiqu'on l'atténuât un
peu dans ses conséquences, on le retenait en principe,
sous le nom spécieux de droit des nations, comme
s'il était consacré et reconnu légitime par un accord
commun de toutes les nations, acceptant comme enjeu
de la terrible partie jouée sur les champs de bataille,
que le vaincu perdît à peu près tous ses droits, tandis
que ceux-ci passeraient au vainqueur. Il ne manqua
pas de docteurs et de juristes, pour opposer, dans des
thèses déclamatoires, ce prétendu droit des nations à la
justice naturelle. Qui ne voit, cependant, que cette
reconnaissance tacite des prétendus droits du vain-
queur, n'était, de la part des vaincus, qu'un consente-
ment forcé et nullement volontaire? Ils se soumettaient
à ces spoliations, ne pouvant les empêcher. Mais une
coutume qui s'introduit de cette manière, et répugne
autant à la saine raison qu'à la volonté libre de ceux
qui la subissent, ne pouvant faire autrement, ne saurait
fonder un droit réel, ni se transformer en loi véritable.
Peu à peu, toutefois, sous l'influence des idées chré-
tiennes, on en est arrivé, surtout dans les siècles ré-
cents, à une conception plus équitable des droits et des
devoirs réciproques des vainqueurs et des vaincus. Il
est donc admis maintenant que la victoire finale, dans
une guerre juste, ne confère pas au vainqueur un titre
juridique nouveau sur son ennemi vaincu; elle lui
donne seulement la faculté, après avoir maîtrisé son
injuste résistance, de récupérer ce qui lui est dû à lui-
même, villes ou provinces que l'ennemi retenait injus-
tement. Il peut exiger aussi une compensation pro-
portionnée au dommage subi, ou à l'injure reçue;
demander le remboursement des frais de la guerre qu'il
a été obligé de soutenir pour recouvrer son dû. Il peut
même prendre des garanties convenables pour assurer,
à l'avenir, le respect de ses droits par un ennemi dont
il a expérimenté les fourberies, et se mettre ainsi à
l'abri de ses machinations, s'il a des motifs sérieux de se
défier de lui. Cette dernière considération, cependant,
ne doit pas l'amener à dépasser les bornes de la nécessité
ou de l'opportunité, et ne pas cacher, sous une appa-
rence de justice, une cupidité démesurée, ou une ambi-
tion injustifiable. Cf. Suarez, De charitate, disp. XIII,
sect. vi, n. 20, Opéra omnia, t. xn, p. 757; Laymann,
Thcologia moralis 1. II, c. xn, n. 14, t. i. p. 189;
S. Alphonse, Thcologia moralis, 1. III, tr. IV, c. i, dub. v,
a. 3, n. 411, t. i, p. 664; Isambert, Annales politiques
et diplomatiques, Introduction, in-8°, Paris, 1823,
p. 115; Meyer, Institutiones juris naluralis, part. II,
sect. in, 1. II, c. ii, a. 2, § 2, thés, lxxxiv, t. n, p. 802 sq.
IX. Des efforts tentés pour faire disparaître
la guerre, ou, du moins, en atténuer les effets.
L'arbitrage international. — 1° L'institution des
tribunaux réguliers, au sein des nations civilisées, a fait
disparaître les guerres privées, d'individus à individus.
Ii serait extrêmement souhaitable qu'un tribunal de ce
genre fût établi, auquel les nations pourraient et de-
vraient recourir, pour résoudre légalement et pacifique-
ment les conflits qui surgissent entre elles. Quel bien-
fait pour l'humanité, si un tel projet pouvait se réaliser t
Entre princes chrétiens, ce juge supérieur devant le-
quel ils pourraient juridiquement poursuivre la reven-
dication de leurs droits, est naturellement le souverain
pontife, père et chef de tous les fidèles. Le pape est
l'autorité morale la plus haute qui soit sur terre : les
princes non catholiques eux-mêmes l'ont parfois re-
connu aussi, et, même pour eux, il pourrait être l'ar-
bitre suprême.
Dans les siècles passés, en effet, les souverains pon-
tifes sont souvent intervenus comme arbitres entre les
nations belligérantes, soit que celles-ci le leur eussent
demandé, soit qu'ils se fussent offerts eux-mêmes,
comme médiateurs. Ainsi, par exemple, vers la fin du
xie siècle, Pascal II rétablit la paix entre le roi d'Ara-
gon et ses ennemis. Cf. P. L., t. clxviii, col. 305. Inno-
cent II essaya aussi de le faire, en 1138, entre l'Angle-
1935
GUERRE
1936
(erre et l'Ecosse, par son légat Albéric, cardinal-évêquc
d'Ostie. Cf. Hcfele, Histoire des conciles, trad. Leclercq,
1 ans. 1913, t. v, p. 720.
1 .es interv entions de ce genre furent très nombreuses
du xic au xvie siècle. On connaît la solennelle déclara-
tion d'Innocent III, affirmant que le pape est le souve-
rain médiateur sur terre. Baluze, Innocenta III cpislo-
larum libri undeeim, epist. xxxu, clxxxv, 2 in-fol.,
Paris, 1682, t. i, p. 702, 761. Cf. Flassan, Histoire
générale de ta diplomatie française, in-8° Paris, 1811.
t. î, p. 113; Grandjean, Les registres de Benoît XI,
in-4°, Paris, 1883, p. 801 ; Auvray, Les registres de
Grégoire IX. in-4°, Paris, 1890, p. 397; Pastor, His-
toire des papes, t. n, p. 258-265, 278, etc. ; t. m, p. 60,
72, 148 sq., 254, 301 sq. ; t. iv, p. 141 sq., 165 sq.,202 sq..
etc. : t. v, p. 241, 286 sq., 296 sq. ; t. vi, p. 89 sq., 149 sq.,
etc;Mollat, Les papes d'Avignon, in-8°, Paris, 1912.
A partir du xvie siècle, les arbitrages pontificaux se
font plus rares à mesure que l'esprit chrétien s'affaiblit
chez les nations et chez les rois. Dès lors, la raison
d'État se substitue de plus en plus aux notions de justice
pour légitimer en apparence les caprices belliqueux des
princes et leur désir immodéré de conquêtes.
2° A notre époque, des tendances à un arbitrage in-
ternational se sont manifestées à diverses reprises,
mais on a essayé de le constituer sans le pape, et en
dehors du pape. Elles se firent jour, d'abord, au Con- j
grès de Paris, en 1856. Le 23e protocole émit le vœu que I
les États entre lesquels s'élèverait un dissentiment
sérieux, avant d'en appeler aux armes, eussent recours
aux bons offices d'une puissance amie. Un grand nom-
bre d'États adhérèrent à cette résolution, qui n'empê-
cha ni la guerre d'Italie, peu après, ni plusieurs autres
qui ont désolé l'Europe et d'autres parties de l'univers.
Plus récemment, sur l'initiative de l'empereur de
Russie, se réunit, à La Haye, la Conférence interna-
tionale dite de la paix, qui tint ses séances du 18 mai
au 29 juillet 1899. Suivant la circulaire du comte Mou-
ravief parlant au nom du czar, elle avait dans son pro-
gramme la question de l'arbitrage et de la médiation,
afin, disait ce document officiel, de mettre un terme
aux armements qui croissent sans cesse d'une manière
inquiétante, et de rechercher les meilleurs moyens de
prévenir les calamités formidables qui menaçaient le
monde entier. Un projet, très étudié, en ce sens, avait
été déposé par la Russie. La commission des délégués,
chargée de l'examiner, donna un avis favorable, et la
conférence, en séance plénière, vota cette Convention
pour le règlement pacifique des litiges internationaux.
Les vingt-six États représentés à la Conférence y adhé-
rèrent, et elle fut promulguée en France par décret du
28 novembre 1900. Cf. Recueil périodique Dalloz,
IVe partie, Législation, in-fol., Paris, 1901, p. 84.
Les puissances signataires convinrent d'employer
tous leurs efforts à la solution pacifique des litiges inter-
nationaux, a.l, 2 ; en ayant recours, autant que possible,
à la médiation et aux bons offices de la commission in-
ternationale d'enquête, a. 9, 15, 16.
Une Cour permanente d'arbitrage fut constituée par
les États signataires, et chacun d'eux désigna quatre
délégués, nommés pour six ans. Un bureau internatio-
nal, siégeant à La Haye, servait de greffe. La cour était
compétente pour tous les litiges. Ce tribunal siège aussi
à La Haye. Mais, on ne put malheureusement obtenir
que le recours à ce tribunal fut obligatoire. Les puis-
sances signataires déclarèrent simplement considérer
comme un devoir, dans le cas où un conflit aigu vien-
drait à éclater entre deux ou plusieurs d'entre elles, de
rappeler à celles-ci que la Cour permanente d'arbitrage
leur est ouverte, a. 27. Cf. Pierantoni, Gli arbitri inter-
rtazionali, in-8», Naples, 1872; Laveleye, Des causes
actuelles de la guerre en Europe et de l'arbitrage, in-8°,
Paris, 1873; Parctti Degli arbitrali iniernazionali, in-8°,
Naples, 1875; Beelaerts van Blokland, Internationale
arbitrage, in-8°, La Haye, 1875; Rouard de Card, L'ar-
bitrage international dans le passé, le présent et l'avenir,
in-8°, Paris, 1877; Catellani, Realtà e utopie délia pace,
in-8°, Milan, 1899; Fiore, L'imperatore di Russia e la
Conferenza délia pace, in-8°, Rome, 1899; Stead, The
Parliament oj peacc, in-8°, Londres, 1899; Holland,
Somc lessons of the peace Conférence, dans Fortnighl
review, décembre 1899; Mahan, The peace Conférence
and the moral aspect of war, dans Norlh American
review, octobre 1899; Raffalovich, Mémoire sur la Con-
férence de La Haye lu à l'Académie des sciences morales
et politiques de France, suivi des observations de MAI. Des-
jardins, Passy et de Courcel, in-8°, Paris, 1899; Luc-
chini, Il digesto italiano, Enciclopedia metodica rd alfa-
belica di legislazione, doltrina e giurisprundenza, au mot
Guerra, tit. n, c.n,n. 30 sq., t.xn, p.l084sq. ; Dumas, Les
sanctions de l'arbitrage international, in-8°, Paris, 1905.
Il n'entre pas dans notre plan de raconter comment
et pourquoi le représentant du Saint-Siège fut écarté de
la Conférence de la paix, où sa place était, néanmoins,
toute marquée, tandis que Léon XIII avait loué haute-
■ment, dans son allocution du 11 avril 1899, l'initiative
prise par l'empereur de Russie. De nombreux ouvrages,
brochures et articles furent, alors, écrits à ce sujet. Cf.
Gemma, Sull'intcrvenlo del papa alla Conferenza per il
disarmo, Vila internazionalc, in-8°, Milan, 1899; Chré-
tien, La papauté et la Conférence de la paix, dans la
Revue générale de droit international public, t. vi,
p. 281 sq. ; Zanichelli, Il papa alla Conferenza internazio-
nalc pel disarmo. dans Nuova antologia, 16 février 1899 ;
Bompard, Le pape, les États et la Conférence de La
Haye, dans la Revue générale de droit international pu-
blic, t. vu, p. 369.
Une autre Conférence de la paix se réunit encore à
La Haye, en 1907, toujours sur l'initiative du czar Ni-
colas II. Les résultats de cette Conférence, comme ceux
de la précédente, furent plutôt platoniques. Les événe-
ments ne l'ont que trop montré. Cf. Pillet, La cause de la
paix et les deux Conférences de La Haye,in-S°,Paris, 1908.
Comme l'avait écrit, dix ans à l'avance, le 15 sep-
tembre 1898, à la veille de la première Conférence, le
cardinal Rampolla, secrétaire d'État, au nom de
Léon XIII : « La paix ne pourra trouver son assiette,
si elle ne s'appuie sur le fondement solide du droit
public chrétien, d'où résulte la concorde des princes
entre eux, et la concorde des peuples avec leurs prin-
ces. Pour que cessent les défiances qui arment les
nations les unes contre les autres, et qu'un esprit de
paix se répande à travers l'univers, et amène les peu-
ples à se regarder comme des frères il faut que la jus-
tice chrétienne soit plus en vigueur dans le monde, et
que les maximes de l'Évangile rentrent en honneur. »
C'est le seul moyen. A défaut de celui-là, toutes les
Conférences de la paix et toutes les réunions de diplo-
mates et de plénipotentiaires, si nombreuses soient-
elles, n'aboutiront pas à grand'chose. Les nations con-
tinuèrent à en être réduites, pour leur malheur, à la
situation intolérable qui les poussait à entretenir,
au prix de dépenses énormes, d'innombrables armées
permanentes, absorbant toutes les forces vives du pays,
et prêtes, au moindre signal, à se précipiter les unes
sur les autres, dans une épouvantable tempête de fer et
de feu. Les Conférences de la paix, d'où l'on a banni,
avec le représentant de Dieu sur terre, l'esprit chré-
tien, n'ont produit que la paix armée de toutes pièces,
c'est-à-dire d'incessantes et imminentes menaces de
guerres, qui, vu la formidable puissance de destruction
des engins modernes, seraient incomparablement plus
terribles que celles des siècles passés.
X. Violations récentes du droit des gens et
DE LA JUSTICE ÉTERNELLE COMMISES PAR DES BELLI-
GÉRANTS sans conscience. — ■ Dans le (ouflit euro-
1937
GUERRE
1938
péen qui. ayant éclaté à la fin du mois de juillet 1914,
a fait couler tant de fleuves de sang, a accumulé tant
de ruines et semé la désolation au sein de tant de peu-
ples divers, non seulement en Europe, mais jusqu'aux
régions les plus lointaines de l'univers, les violations
du droit des gens et du droit naturel ont malheureuse-
ment été si nombreuses, qu'on se demande, non sans
raison, si le moyen âge si décrié, ou même l'antiquité
païenne ont connu quelque chose de pire ou de sem-
blable. Ne pouvant ici entrer dans tous les détails,
nous nous bornerons à signaler quelques-unes de ces
violations flagrantes, que toute conscience non seule-
ment catholique ou chrétienne, mais simplement
honnête, doit réprouver avec indignation.
1° Violation de la neutralité de la Belgique, et crimes
énormes qui en lurent la suite. — 1. Toute une série de
traités, rédigés notamment en 1831, 1839, 1870, et
au bas desquels, comme preuve de la toi jurée, se
trouvent, avec les signatures, les sceaux et les armoi-
ries des principaux souverains de l'Europe, ceux et
celles du roi de Prusse, de l'empereur d'Allemagne et
de l'empereur d'Autriche, assuraient à la Belgique une
perpétuelle neutralité, plus l'intégrité et l'inviolabilité
de son territoire. Les puissances signataires s'étaient
solennellement engagées à respecter, et à faire respecter
par les autres, cette indépendance, parce que, gardant
le souvenir des guerres napoléoniennes, et prévoyant
le retour possible de pareilles calamités, elles voyaient
dans l'érection de cet État qui devait rester perpé-
tuellement étranger à leurs querelles, une garantie
de paix européenne. Ces engagements solennels furent
renouvelés, ces dernières années, à la Conférence de La
Haye, et signés, cette fois, au nom de l'empereur
Guillaume II lui-même. En voici les principales
clauses : a . 1. Le territoire des puissances neutres est
inviolable; a. 2. Il est interdit aux belligérants de faire
passera traversée territoire des troupes, ou des convois,
soit de munitions, soit d'approvisionnements; ... a. 10.
Ne peut être considéré comme un acte hostile le fait
par une puissance neutre de repousser, même par la
force, les atteintes à sa neutralité.
Malgré sa propre signature, Guillaume II voulut
lancer à travers la Belgique ses armées, ses canons, ses
mitrailleuses, ses convois de munitions, etc.; et la
Belgique ayant essayé de s'y opposer, comme c'était
son droit, et même son devoir, l'empereur d'Allemagne,
quoiqu'il eût solennellement reconnu qu'un pareil acte
de la port de la Belgique n'était pas hostile, en a tiré
la plus eiîroyable vengeance, en déclarant par un
cynique mensonge, et en faisant déclarer par toutes
les voix de la publicité à sa solde, que la Belgique est
seule responsable de la dévastation qu'elle a subie.
Pour avoir osé se défendie, les Belges ont été traités
de bandits par de soi-disant intellectuels, cela par
l'application méthodique des principes contraires à
l'humanité, longtemps médités dans les ouvrages des
Treitschke, des Clausewitz, des Nietzsche, des Bern-
hardi et d'une foule d'autres philosophes de même
acabit, enseignant, de propos délibéré, les maximes les
plus révoltantes, dont nous avons fait plus haut un
court exposé, et se croyant néanmoins au sommet de
l'échelle morale. En présence de l'assassinat de tant de
victimes innocentes, ils se lavent les mains, prétendent
que les bourreaux n'ont rien à se reprocher, et justi-
fient tous les crimes, même les plus énormes, quand ils
sont perpétrés au profit de leurs ambitions nalionales.
Nous allons en indiquer quelques-uns, dût-on nous
accuser de diffamer méchamment des incendiaires,
des tortionnaires et des pillards, en ne saluant pas
leur brutale agression et leurs innombrables méfaits,
comme un bienfait salutaire de la culture germanique,
telle que l'entendent ceux chez lesquels le sens catho-
lique n'a jamais existé, ou s'est sensiblement affaibli.
Le droit naturel, le droit ecclésiastique et le droit des
gens, comme nous l'avons établi, déclarent que, dans
une guerre même juste (et à plus forte raison si elle
est injuste, comme l'invasion de la Belgique), les inno-
cents doivent toujours être respectés, et qu'on ne doit
leur faire aucun mal. Par le mot innocents, on entend,
en langage juridique, ceux qui, pour un motif ou un
autre, étant inaptes à porter les armes, sont incapables
de nuire aux troupes en campagne, c'est-à-dire les
enfants, les femmes, les vieillards, les citoyens paisibles
ou civils, les blessés, et, en particulier, d'après les pres-
criptions canoniques, les clercs, les prêtres, les reli-
gieux, etc. Sous aucun prétexte, on ne peut directement
et intentionnellement mettre à mort les innocents, à
moins qu'on n'ait démontré juridiquement qu'ils ont
commis une faute méritant cette peine. Cl. S. Thomas,
Sum. lltrol., II» II*, q. lxiv, a. 2. On ne doit pas davan-
tage les persécuter, les torturer, ou les terroriser, en les
menaçant des derniers supplices pour les moindres
infractions à des règlements arbitraires et tyranniques.
Outre qu'elles sont condamnées expressément par le
Congrès de La Haye, Annexe à la Convention, a. 50,
les formules déclarant qu'il ne sera pas fait de quartier,
et que toute la population payera pour les coupables,
sont des formules barbares, aussi contraires à la raison
et au droit qu'aux plus élémentaires notions de justice.
Elles sont contraires également aux Kriegcrs Arlikeln,
sorte de code militaire rédigé par l'empereur Guil-
laume If, à l'usage de ses officiers et de ses soldats, et
que ses officiers et ses soldats ont délibérément violés.
Voir le commentaire officiel de ces Articles de guerre
fait par le colonel von Unger, du grand état-major alle-
mand, Drei Jahre im Sattel. Ein Lern und Lcscbuch
fur den Dienstunterriclil der Dev.lschen Kavalleristen,
15e édit., in-8°, Leipzig, 1911. L'art. 17 est ainsi conçu :
En campagne, le soldat ne doit jamais oublier que la
guerre n'est faite qu'aux forces armées de l'adversaire.
La vie et les biens des habitants du pays ennemi, les
blessés, les malades et les prisonniers de guerre sont
sous la protection particulière de la loi... Les prises
de butin ordinaires, le pillage, Pendommagement ou la
destruction des propriétés étrangères, par méchanceté
ou amusement, l'oppression des habitants du pays
occupé, recevront les plus sévères châtiments.
Qu'il y a loin de la théorie à la pratique ! Nous
n'accusons pas, en général, tous les Allemands d'avoir
violé en toutes circonstances ces lois fondamentales de
l'honnêteté; mais quelle bibliothèque ne remplirait-on
pas avec les témoignages, les enquêtes, les rapports,
les brochures et les livres, dans lesquels non seulement
les alliés, mais aussi les neutres racontent les incroya-
bles excès de tout genre commis par les armées alle-
mandes I Et combien de volumes aussi ne formerait-on
pas avec les ordres du jour des officiers, les proclama-
tions bruyantes et la correspondance authentique
trouvée sur les prisonniers ou sur les morts dans les
champs de bataille, pièces indéniables par lesquelles les
Allemands appartenant à tous les degrés de la hiérar-
chie militaire ou ? ociale commandent, exaltent, louent,
ou confessent ces mêmes excès 1 II n'est que trop
prouvé, hélas ! que, sans nécessité stratégique, ils ont
détruit des villes importantes, telles que Louvain,
Dinant, Termonde, Aerschot, et réduit, presque tota-
lement en cendres des centaines de villages, à tel point
que plusieurs n'ont même pas laissé de ruines. Églises,
écoles, asiles, hôpitaux, couvents, usines, construc-
tions de tout genre, de toutes dimensions et sans
nombre, ont disparu, ou ne sont plus qu'un tas de
décombres informes. Des milliers d'innocents, femmes,
enfants et vieillards, prêtres et religieux, otages et
prisonniers, blessés ou soldats désarmés, ont été
délibérément non seulement mis à mort, mais massa-
crés et immolés avec des raffinements de cruauté incon-
1939
GUERRE
1940'
nus aux barbares eux-mêmes, car ils n'avaient pas à
leur disposition les moyens perfectionnés dont la
science allemande, au service de l'injustice, avait
abondamment fourni les envahisseurs. Qu'on lise à
ce sujet les pages si tristement éloquentes du cardinal
Mercier, archevêque de Malines. Après avoir fait cette
lugubre énumération, dans sa lettre pastorale de Noël
1914, et jeté un regard douloureux sur son malheureux
diocèse, il ajoute : <■ Nous ne pouvons ni compter nos
morts, ni mesurer l'étendue de nos ruines. Que serait-ce,
si nous portions nos pas vers les régions de Liège, de
Namur, d'Andenne, de Dinant, de Tamines, de Char-
leroi; vers Virton, la Semois, tout le Luxembourg;
vers Termonde, Dixmude, nos deux Flandres?...»
2. Pour justifier de pareilles iniquités, les officiers
allemands ont prétendu qu'ils voulaient punir des
faits imputables à quelques francs-tireurs. Mais,
d'abord, la constitution de corps de francs-tireurs,
ou volontaires, n'est pas condamnée par la décision de
la Convention de La Haye, du 15 juin au 15 octo-
bre 1907. Au contraire, d'après cette Convention, les
corps de francs-tireurs ont droit d'être traités camme
des belligérants, pourvu, a. 1, qu'ils aient un chef à
leur tête, un signe distinctif sur leurs personnes, et
portent les armes ouvertement. En outre, l'art. 2
spécifie ceci: «La population du territoire qui, à
l'approche de l'ennemi, prend spontanément les armes
pour combattre les troupes d'invasion, sans avoir eu
le temps de s'organiser conformément à l'article 1er,
sera considérée comme belligérante, si elle prend les
armes ouvertement. » On ne pouvait donc juger som-
mairement, et passer immédiatement par les armes,
comme de vils assassins, ceux qui ne faisaient que
défendre leur patrie injustement violée et indignement
martyrisée. Et s'ils n'avaient pu encore s'organiser
avec toute la perfection des règlements militaires que
la culture allemande exige pour des milices régulières,
précisément parce que les Allemands, par leur invasion
soudaine et tout à fait injustifiée, ne leur en avaient
pas laissé le temps, à qui la faute? N'est-ce pas le
comble du cynisme, de la part des bourreaux, de faire
retomber leur propre culpabilité sur leurs innocentes
victimes? Et serait-ce vrai même, que quelques
Belges, ainsi surpris dans leur vie pacifique, et mis
subitement en présence de tant d'horreurs, dont leurs
plus proches parents étaient l'objet, eussent dépassé
en quelque point les droits de la légitime défense,
était-ce à ceux qui les avaient ainsi exaspérés, à se
montrer si rigides et si impitoyables pour l'applica-
tion des lois ou coutumes de la guerre qu'ils violaient
eux-mêmes si effrontément, et en toute rencontre?
Et, enfin, serait-ce vrai, ce qui n'a jamais été juridi-
quement démontré, que quelques Belges fussent cou-
pables, était-ce une raison de raser jusqu'au sol des
villages et des villes, ou d'exterminer des populations en-
tières ? Cf. Gouvernement belge, Réponse au Livre blanc
allemand du 10 mai 1915, au sujet d'une prétendue guerre
de francs- tireurs et de prétendues atrocités commises
contre les soldais et blessés ennemis, in-4°, Paris, 1916.
Dans sa protestation du 10 avril 1915 à l'autorité
allemande, Mgr Heylen, évêque de Namur, sans
crainte d'un démenti, a pu dire hautement : » 11 résulte
de chaque cas particulier de destruction de villages,
ou d'extermination de civils, que le châtiment est
tellement hors de proportion avec la faute imputée,
qu'aucune raison ne pourrait jamais le légitimer. En
tant de localités ont été commises des scènes si atroces
qu'elles soulèveront un jour la conscience universelle,
et seront flétries par la justice allemande elle-même,
quand elle aura une conscience exacte, et qu'elle aura
recouvré son sang-froid. » En outre, continue l'évêque,
« dans l'hypothèse d'une répression de francs-tireurs,
pour quelques cas isolés, quel homme civilisé^osera
justifier chez des soldats les actes suivants : coups et
blessures; atrocités de tout genre; procédés barbares
et sanguinaires; traitements cruels ou indignes, parfois
à l'égard de simples otages ou de prisonniers; achève-
ment de blersés; traques aux civils paisibles et sans
armes; pillages à main armée et dans des proportions
à peine croyables; utilisation de prêtres, de jeunes gens,
de vieillards, de femmes et d'enfants, comme d'un
rempart contre les balles et projectiles ennemis; impu-
tation à la population civile et répression sanguinaire
de faits légitimement posés par les soldats belges et
français; fusillades sommaires, sans aucune espèce
d'enquête ou de jugement régulier; incendies volon-
taires dans près de deux cents villages des deux pro-
vinces, indépendamment des destructions qui sont
l'œuvre de la bataille elle-même; tortures morales pro-
longées, infligées aux faibles et parfois aux populations
entières; viols, meurtres de femmes, de jeunes filles,
d'enfants à la mamelle, etc. Or, ces crimes sont si
nombreux, qu'ils se présentent, non seulement isolé-
ment, mais parfois simultanément dans des centaines
de villages. Nos populations qui ont vécu ces scènes
atroces et en ont souffert plus qu'on ne pourra jamais
le dire, en ont conservé l'impression d'épouvante et
d'horreur que provoque la barbarie. C'est, disent-
elles, une guerre monstrueuse, faite non aux soldats,
mais aux civils désarmés... Que de souffrances ressen-
ties par toute une population désarmée, terrifiée,
livrée à la merci de soldats farouches I... On a dit,
serait-ce vrai ? que le nombre des civils tués n'est pas
loin d'atteindre celui des soldats tombés à la bataille l...
Tous ces faits, des milliers et des milliers de témoins
oculaires sont prêts h les affirmer sous la foi du ser-
ment, lorsque sera établie une commission d'enquête
régulière. » Cf. J.-B. Andrieu, La guerre vue des pays
neutres. Ce qu'un Hollandais a constaté en Belgique,
in-8°, Paris, 1915; Prûm, chef du parti catholique
luxembourgeois et précédemment germanophile, Die
denlsche Kriegsjùhrung in Delgicn und die Mahnungen
Benedicl XV, in-4°, Luxembourg, 1915; Fernand van
Lange nhove, Un cycle de légendes allemandes. Francs-
tireurs et atrocités belges, in-12, Paris, 1916. Pour mieux
convaincre ses lecteurs, cet auteur, poussant jusqu'au
scrupule le souci de l'impartialité, n'a cité que des
documents d'origine allemande, pour que même les
envahisseurs de la Belgique ne puissent en nier ni
l'authenticité, ni l'autorité. Ce volume est une réfu-
tation officielle allemande des récits allemands et des
prétextes invoqués par les Allemands pour se justifier.
3. Et qu'on ne dise pas que ce sont là des excès
commis par des particuliers, à l'insu ou contre la vo-
lonté des chefs, comme cela peut arriver parfois dans
les années les mieux disciplinées; ce sont malheureuse-
ment des crimes collectifs, les uns tolérés, les autres
accomplis par ordre, et qui, par leur amplitude et leur
fréquence, ne sauraient s'expliquer que par la volonté
réfléchie du haut commandement. Cf. Les violations
des lois de la guerre par l'Allemagne, ouvrage publié
par les soins du ministère des Aiîaires étrangères,
in-12, Paris, 1915, p. 15 sq. L'ordre, en effet, vient de
très haut, et, depuis longtemps, était donné pour des
circonstances analogues. A son armée partant pour
Pékin, l'empereur Guillaume II disait, le 27 juil-
let 1900 : « Soldats, quand vous rencontrerez l'ennemi,
vous ne ferez pas de quartier... ; vous ne ferez pas un
seul prisonnier. Que tout ce qui tombera entre vos
mains soit à votre merci 1 Faites-vous la réputation
qu'avaient les Huns d'Attila I » Cf. Dimier, L'appel
des intellectuels allemands, in-12, Paris, 1915, p. 90.
Malgré les articles du congrès de La Haye signés par
lui, et interdisant de déclarer qu'il ne sera pas fait de
quartier, Annexe à la Convention, a. 23 d, l'empereur,
en 1914 et 1915, n'a pas modifié son langage, et, à la
1941
GUERRE
1942
veille de la bataille de la Vistule, a prononcé ces
paroles qui constituent comme le farouche pro-
gramme de toutes les atrocités commises: «Malheur
aux vaincus ! Le vainqueur ne connaît pas de grâce. »
Cf. Léon Maccas, op. cit., p. 286. C'est le mot d'ordre
auquel ministres, princes, ofïiciers de tous rangs se
conforment, et les soldats naturellement n'ont aussi
qu'à s'y conformer. Que de pages rempliraient les
instructions barbares adressées par les généraux alle-
mands à leurs troupes ! Que de pages aussi rempli-
raient les proclamations très souvent réitérées, par
lesquelles ces mêmes généraux, au mépris de la loi
morale la plus évidente et la plus élémentaire, rendent
les villes et villages solidaires des fautes commises
par de simples individus, déclarant qu'on ne fera pas
de quartier, que les innocents payeront pour les cou-
pables, que la mort d'un seul soldat allemand doit
être vengée par la destruction de villages, ou de villes
entières, voire même d'une capitale de trois à quatre
millions d'habitants, comme Londres ou Paris. Tels
sont les ordres du jour et les proclamations des géné-
raux Stengen, von Bulow, von der Goltz, von Nieber,
von Bissing, du major von Mehring, etc. Cf. M. G. Som-
ville, Vers Liège. Le chemin du crime. Un défi au
général von Bissing, in-12, Paris, 1915. Il y relate,
avec preuves à l'appui, une foule d'assassinats, commis
par l'armée allemande sur des civils inoffensifs et sans
l'ombre d'une raison militaire. X., avocat à la cour
d'appel de Bruxelles, La Belgique sous la griffe alle-
mande, avec, comme annexe et preuves à l'appui,
tout le Bulletin officiel des lois et arrêtés allemands pour
le territoire belge occupé, in-12, Paris, 1915; Hervé
de Gruben, Les Allemands à Louvain, avec préface de
Mgr Deploige, président de l'Institut supérieur de
philosophie à Louvain, in-8°, Paiis, 1915; Jean Mas-
sart, Comment les Belges résistent à la domination alle-
mande. Contribution au livre des douleurs de la Belgique,
in-8°, Paris, 1916. C'est incontestablement par ordre
que le plus souvent les soldats ont incendié, pillé,
volé, achevé les blessés, fusillé les otages ou les prison-
niers, et massacré une foule d'innocents. Toutes ces
atrocités, d'ailleurs, n'étaient que trop conformes à
l'enseignement traditionnel donné aux officiers par le
grand état-major allemand, dans le manuel que nous
avons sommairement analysé au commencement de cet
article, Kriegsbrauch in Landkriege, in-8°, Berlin, 1902.
4. L'opinion publique s'étant, à bon droit, indignée,
non seulement en Europe, mais dans le monde entier,
le bourreau, pour se justifier devant les cris de répro-
bation générale, n'a pas rougi d'imputer, non seule-
ment à quelques individus, francs-tireurs ou non, mais
à ses innombrables victimes, c'est-à-dire à l'ensemble
de la population, ses propres méfaits. Néanmoins, les
accusations intéressées proférées contre le peuple belge
et même contre le clergé belge par les Allemands, ont
été démontrées fausses et totalement imaginées, sans
exception aucune. Cf. Henri Davignon, Les procédés
de guerre des Allemands en Belgique, in-12, Paris, 1915;
La Belgique et l'Allemagne, in-12, Paris, 1915; Enquête
instituée par Mgr Rutten, évêque de Liège, et communi-
quée au maréchal von der Goltz. La fausseté de ces accu-
sations a été reconnue par la Gazette populaire de
Cologne et par la revue scientifique allemande Der
Fels. Cf. Henri Davignon, op. cit., p. 107.
5. Pas plus que les accusations contre les particu-
liers, ou contre la population en général, ne subsistent
celles dirigées contre le gouvernement belge par le gou-
vernement allemand, pour justifier l'invasion de la
Belgique et la violation de sa neutralité t Cf. Le Livre
gris. Royaume de Belgique. Correspondance diploma-
tique relative à la guerre de 1914(24 juillel-29 août), in-8°,
Paris, 1914.
Après avoir avoué ouvertement, le 4 août 1914, en
plein parlement, qu'en envahissant le territoire belge,
l'Allemagne violait la neutralité de la Belgique,
contrairement aux lois internationales et au droit des
gens, mais que les nécessités militaires l'y forçaient, le
chancelier de l'empire allemand, M. de Bethmann
Hollweg, regrettant cette confession publique, tint
ensuite à disculper son gouvernement, en essayant de
prouver que la Belgique elle-même avait prémédita de
manquer à sa propre neutralité. Une telle explication,
inventée après coup, n'a convaincu personne, et per-
sonne ne pouvait s'y tromper. Les maladresses qui se
sont succédé ensuite dans le but de l'accréditer, sont
aussi « colossales » que le cynisme du précédent aveu.
Mais, comme l'écrivait le cardinal Gasparri, secrétaire
d'État, au ministre de Belgique auprès du Vatican,
M. van den Heuvel, le 6 juillet 1915, même si on admet-
tait que la preuve de cette préméditation de la Belgique
eût été faite postérieurement, ce qui n'a jamais été
démontré, « encore resterait-il toujours vrai de dire
que l'Allemagne, de l'aveu même du chancelier, péné-
tra dans le territoire belge, avec la conscience d'en
violer la neutralité, et, par conséquent, de commettre
une injustice. Cela suffit pour que cet acte doive être
considéré comme directement compris dans les termes
de l'allocution pontificale. » Or, dans cette allocution
prononcée au consistoire du 22 janvier 1915, le pape
Benoît XV, « comme constitué par Dieu, suivant ses
propres expressions, l'interprète suprême et le vengeur
de la loi éternelle, » réprouve « hautement toute injus-
tice de quelque côté et pour quelque motif qu'elle soit
commise, » et affirme, en même temps. « qu'il n'est
jamais permis, pour quelque raison que ce puisse être,
de violer la justice, » repoussant ainsi l'aphorisme
immoral du chancelier que « nécessité n'a pas de loi. »
Acla apostolicœ Sedis, 1915, t. vu, p. 34. La mo-
rale, en effet, n'admet aucune nécessité capable de
la faire pactiser avec l'injustice, ce qui serait le pire
des maux. Pie IX avait déjà déclaré, dans la 64' propo-
sition du Syllabus, que l'amour même de la patrie ne
justifie pas la violation d'un serment. A plus forte
raison, un intérêt d'ordre stratégique ne peut jamais
justifier la violation d'un droit, malgré les maximes
chères à Bismarck, à Treitschke, Nietzsche, Bernhardi
et consorts. Dans son Manuel des lois de la guerre
continentule, le grand état-major allemand rappelait
que « les belligérants doivent respecter l'inviolabilité
des territoires neutres, et s'abstenir de tout empiéte-
ment sur leur domaine, même si les nécessités de la
guerre l'exigeaient ». Mais cet avertissement était pro-
bablement à l'adresse des seules nations étrangères,
l'Allemagne s'en considérant comme dispensée, vu sa
supériorité incontestable, et le droit qu'elle s'arroge
de dominer le monde entier. D'ailleurs, que l'Allemagne
eût depuis longtemps l'intention de violer la neutralité
de la Belgique et même celle de la Hollande, cela
ressort en toute évidence du livre publié par Daniel
Frymann, deux ans avant la déclaration de guerre,
Wenn ich der Kaiser wâr ! in-8°, Leipzig, 1912. Voir
aussi sur cette affaire van den Heuvel, ministre de
Belgique auprès du Vatican, De la violation de la
neutralité belge, in-8°, Paris, 1914; Introduction aux
Rapports belges de la Commission officielle, in-8°, Paris,
1915; E. Vaxweiller, membre de l'Académie royale
de Bruxelles, La guerre de 1914. La Belgique neutre et
loyale, in-8°, Lausanne, 1915.
Dans son discours où il confessait publiquement la
faute de l'Allemagne, le chancelier de Bethmann-
Hollweg disait au Reichstag : « Nos troupes ont toulé
le territoire belge. Cela est contraire aux prescriptions
du droit international... L'illégalité — je parle ouver-
tement — l'illégalité que nous commettons ainsi, nous
chercherons à la réparer, dès que notre but militaire
aura été atteint. Quand on ... combat pour un bien
1943
GUERRE
1944
suprême, on s'arrange comme l'on peut. » En d'autres
termes :« Nous avons intérêt à envahir la Belgique...,
peu importe la foi jurée. Tour aller en France, nous
prenons le chemin le plus court : voilà tout !... Si, sur
notre route nous rencontrons des Belges qui nous
disent que nous n'avons pas le droit de passer, nous
savons bien qu'ils ont raison, car nous savons parfaite-
ment que nous commettons une illégalité contraire
au droit des gens; mais, n'importe, nous les piétinerons,
nous les écraserons, nous les massacrerons, nous pille-
rons leurs demeures, nous incendierons villes et vil-
lages, et les détruirons de fond en comble. Que voulez-
vous?... On s'arrange comme l'on peut !... » C'est le
commentaire officiel du mot désormais historique
jusqu'à la fin des siècles, par lequel ce même homme
d'État affirmait à l'ambassadeur d'Angleterre à Iierlin
que le traité par lequel l'Allemagne s'était engagée, sous
la foi jurée, à respecter perpétuellement la neutralité de
la Belgique n'était qu'un simple « chiffon de papier ».
C'est donc en stricte justice qu'un publiciste pouvait
écrire, le 24 janvier 1915 : « Guillaume II, violant la
neutralité de la Belgique, s'est odieusement parjuré...
Si le cas de guerre injuste ne s'applique pas ici, où donc
jamais s'appliquera-t-il?... Il s'ensuit qu'au regard de
la simple honnêteté, à plus forte raison au regard de
la morale catholique, les sujets de l'empereur Guil-
laume II n'ont pas le droit de coopérer à la guerre du
kaiser en Belgique. »
Les rapports officiels belges, français, anglais, et
les enquêtes poursuivies même par les États neutres,
renferment d'irrécusables témoignages démontrant
tous à quelle débauche de férocité, de perfidie et d'im-
piété se sont laissés aller les soldats du kaiser en Bel-
gique. C'est une vision d'horreur et d'épouvante que
la lecture de ces rapports si documentés et si acca-
blants pour l'autorité allemande. Oui, certes, M. de
Bethmann-Hollweg peut se flatter que les troupes de
son impérial maître ont extraordinairement réparé
l'illégalité initiale si délibérément voulue 1 Que serait-
ce, si, à l'origine, on n'avait pas solennellement promis
de la réparer ? Il en est de cette promesse comme de
celle qui assurait la perpétuelle intégrité du territoire
belge. Si celle-ci, quoique écrite et revêtue de la signa-
ture et des sceaux de l'empire, n'a pas été tenue,
combien moins celle qui ne consiste qu'en une seule
parole jetée en l'air devant le Reichstag ?... C'est moins
encore qu'un simple chiffon de papier... Vcrba volant !
Notons, en passant, que l'Autriche n'a pas été nlus
loyale envers la malheureuse Belgique. Le 28 août 1914,
sous un prétexte futile, elle lui déclara la guerre, uni-
quement pour complaire au kaiser; mais, depuis
plusieurs jours, d'après les bulletins mêmes de l'armée
allemande, c'étaient les pièces d'artillerie lourde
appartenant à l'Autriche qui démolissaient les forte-
resses de Belgique, tandis que l'ambassadeur de l'empe-
reur François-Joseph restait encore auprès du roi des
Belges, comme si entre eux l'état de paix n'avait été
nullement troublé.
Une guerre engagée par ces violations flagrantes du
droit des gens ne pouvait se poursuivre évidemment
que par des violations de plus en plus nombreuses et
monstrueuses, telles que le torpillage du Lusitania,
crescit eundo. Il sera toujours vrai de dire que abyssus
abyssum invocat! Ps. xi, 8.
Commettre sur une telle échelle ces crimes épouvan-
tables condamnés par le droit des gens comme par la
justice éternelle; les commettre scientifiquement avec
des moyens perfectionnés pour le mal; de plus, pour
s'excuser, faire tomber le tort sur les victimes inno-
centes qu'on égorge; et, du côté du bourreau, présenter
comme le summum de la civilisation et de la Kullur
ces sauvages excès de bêtes fauves, n'est certes pas en
diminuer l'extraordinaire culpabilité. Un bandit est-il
moins coupable, quand il se sert d'une scie électrique
pour sectionner les parois du coffre-fort du voisin,
au lieu d'employer une vulgaire pioche de paysan?
est-il moins coupable quand, pour le tuer, il se sert
d'un browning perfectionné au lieu d'un modeste cou-
teau? Et la culpabilité diminuera-t-elle parce que la
liste des crimes s'pllonge sans cesse, et que ceux qui les
commettent sont chamarrés de galons d'argent et d'or,
au lieu de porter des blouses d'ouvriers, ou des vête-
ments d'hommes du peuple ? Au contraire, cette culpa-
bilité augmente d'une manière effrayante, en propor-
tion du nombre des méfaits, de l'intelligence qu'on
apporte à leur perpétration, de la volonté froide et
résolue avec laquelle on les accomplit, et des cyniques
mensonges par lesquels on les prône comme des actes
de patriotique vertu. Ceux qui, par orgueil, soif de
domination universelle, et convoitise du bien d'autrui,
ont conçu, ordonné ou exécuté ces tueries et toutes
les atrocités abominables qui les accompagnent, les
précèdent ou les suivent, sont, quels que soient leur
nom, leurs titres honorifiques ou leurs grades, les
plus grands malfaiteurs publics que la terre ait jamais
portés, car jamais crime plus monstrueux ne fut com-
mis dans les siècles passés. Les sinistres exploits des
Cartouche et des Mandrin ne sont, en comparaison,
que de simples jeux d'enfants. Pour le moraliste,
c'est un grave devoir de le proclamer hautement, et,
ce devoir, il faut avoir le courage de le remplir, à
l'heure actuelle, malgré les clameurs de ceux que ce
blâme atteint, car que serait une justice qui ne dirait
la vérité qu'aux faibles? ce ne serait qu'une justice
boiteuse, synonyme d'injustice et de lâcheté. Tant
pis pour ceux qui, se sentant coupables, ou devenant
complices par lâche complaisance envers les puissants,
ferment volontairement les yeux à la lumière, ou
essayent de l'éteindre autour d'eux 1 Ils n'étoufferont
pas les cris de réprobation de la conscience indignée,
pas plus qu'ils n'échapperont au verdict inflexible
de l'impartiale histoire, ni surtout à la terrible sen-
tence de l'incorruptible juge des vivants et des morts.
Cf. Le Livre rouge belge. Rapports sur les violations du
droit des gens en Belgique, in-8°, Paris, 1915; Pierre
Nothomb, Les Barbares en Belgique, avec préface de
M. Carton de Wiart, ministre de la justice; livre poi-
gnant, nourri de dépositions recueillies et contrôlées
par l'enquête officielle, in-12, Paris, 1915; Id., La
Belgique martyre, in-12, Paris, 1915; A. Mélot, député
de Namur, Le martyre du clergé belge, in-12, Pniis,
1915; cardinal Mercier, Patriotisme et endurance, in-12,
Paris, 1915; Vindex, L'armée du crime, in-12, Paris,
1915; Paul van Houte, Le crime de Guillaume II et
la Belgique. Récits d'un témoin oculaire, in-12, Paris,
1915; Joseph Bédier, Les crimes allemands d'après les
témoignages allemands, avec photographies des docu-
ments cités, in-8°, Paris, 1915; Id., Comment l'Alle-
magne essaie de justifier ses crimes, réponse à l'officieuse
Gazette de l' Allemagne du Nord, in-8°, Paris, 1915 ;
Henri Davignon, Les procédés de guerre des Allemands
en Belgique, in-12, Paris, 1915; Id., La Belgique et
l'Allemagne, avec reproduction photographique des
documents, proclamations, traités, affiches, ruines,
victimes humaines, etc., in-4°, Paris, 1915; M. des
Ombiaux, La résistance de ta Belgique envahie, in-12,
Paris, 1915; H. Welschinger, de l'Académie des
sciences morales et politiques, La neutralité de la
Belgique, in-12, Paris, 1915; I. van den Heuvel, ministre
d'État, La violation de la neutralité belge, in-12, Paris,
1915; La campagne de l'armée belge, d'après les docu-
ments officiels, in-8°, Paris, 1915; Charles Le Goffic,
Dixmude, in-12, Paris, 1915; Jules Destrée, député de
Charleroi, Les atrocités allemandes, documents officiels
de la Commission d'enquête, in-12, Paris, 1915 ;
L.-H. Grondys, Les Allemands en Belgique, notes d'un
1945
GUERRE
1946
témoin hollandais, in-12, Paris, 1915; Camille Jullian,
membre de l'Institut, professeur au Collège de France,
Rectitude et perversion du sens national, in-12, Paris,
1915; André Weiss, La violation de la neutralité belge et
luxembourgeoise par l'Allemagne, in-8°, Paris, 1915 ;
E.-M. Gray, // Belijio solto la spada tedcsca, in-4°,
Florence, 1915; Prùm, chef du parti catholique luxem-
bourgeois, Die deutsehe Kriegsfuhrung in Belgien und
die Mahnungen BenediclXV, in-4°, Luxembourg, 1915.
Sous forme de lettre adressée à M. Mathias Erzberger,
député au Reichstag, chef reconnu du Centre et ami
personnel du kaiser, l'auteur, précédemment germa-
nophile, oppose les atrocités allemandes en Belgique
aux instructions de Benoît XV. Il s'étonne profondé-
ment que des hommes tels que M. Erzberger, loin de
condamner ces épouvantables atrocités, aient essayé
de les justifier. Ne serait-ce pas, dit-il, parce qu'ils
sont plus allemands que catlaoliques? Cet ouvrage
d'un germanophile est un redoutable réquisitoire
contre l'Allemagne, qui, ne pouvant le réfuter, a tenté
de saisir et de détruire le plus grand nombre d'exem-
plaires possible. René Johannet, La conversion d'un
catholique germanophile, in-12, Paris, 1915. C'est
l'histoire des poursuites intentées à M. Prùm, par le
gouvernement allemand, plus la traduction française
de l'ouvrage de M. Prùm, et ses réponses victorieuses
aux diatribes qu'on lui avait adressées à ce sujet.
Joseph Boubée, La Belgique loyale, héroïque et mal-
heureuse, in-12, Paris, 1916.
2° In/usle invasion de la France et multitude de
crimes énormes qui en sont la suite. — 1. L'invasion de
la France ne se justifie pas plus que celle de la Belgique,
et, comme celle-ci, elle a entraîné, de la part de l'injuste
agresseur, une multitude de crimes énormes. On a pu
affirmer que la guerre de 1870, quoique déclarée par
la France, avait été voulue pa" la Prusse, qui l'avait
mise dans la nécessité de prendre les armes. Cette
tactique de Bismarck avait trop bien réussi pour que
ses successeurs n'eussent pas le désir de la renouveler.
Une de leurs maximes privilégiées était qu'il faudrait
susciter encore l'agression de la France, pour se vanter
auprès des neutres d'avoir été l'offensé, et rejeter ainsi
sur l'ennemi qu'on voulait détruire' la responsabilité
d'une guerre effroyable. Ceci n'est pas une simple sup-
position. On trouve ce plan machiavélique nettement
exposé dans l'ouvrage de von Bernhardi, L' Allemagne
et la prochaine guerre, in-8r, Berlin, 1912. Entre autres
recommandations de ce genre, on y lit celle-ci plus que
suffisamment clair:: : < Le devoir de notre diplomatie
est de brouiller les cartes, à tel point que nos ennemis
soient contraints de nous attaquer. Dans ce but, sans
commencer nous-mêmes la guerre, menaçons leurs
intérêts, à tel point que nos ennemis soient obligés de
prendre l'initiative des hostilités. » Les puissances
ainsi visées étaient assez averties par ce naïf et cynique
langage, pour qu'elles se tinssent sur leurs gardes, et
fissent leurs efforts pour maintenir la paix européenne,
quand même des motifs d'ordre supérieur ne leur
eussent pas impérieusement prescrit cette ligne de
conduite. Et c'est ce qui explique la longue patience
des puissances de l'Entente en face des provocations
de l'Allemagne, si souvent réitérées. Aussi, en juil-
let 1914, en dépit de nouvelles provocations, ces puis-
sances se montrèrent si attachées à la paix, multi-
plièrent tant leurs démarches en ce sens, et suggérèrent
tant de combinaisons pour la maintenir, que l'Alle-
magne, pour déchaîner sur l'Europe cet ouragan de fer
et de feu qu'elle méditait de faire éclater, dut elle-
même déclarer la guerre; mais, déçue dans ses hypo-
crites calculs, elle s'efforça d'intervertir les rôles de la
tragédie sanglante de 1870, prétendant et répétant à
tous les échos que la malice de ses ennemis acharnés à
sa perte l'avait contrainte, bien malgré elle, àth'erl'épée.
En même temps qu'il annonçait à son peuple ce
grave événement, l'empereur Guillaume II affirmait
solennellement que sa conscience ne lui adressait aucun
reproche, et qu'il faisait retomber sur ses ennemis la
responsabilité de ce conflit épouvantable, dont lui-
même cependant était la principale cause. Cette pre-
mière protestation n'était, dans cette mise en scène.
qu'une vaine formule de style, pour tromper les
badauds et satisfaire les énergumènes de la caste mili-
taire, qui ayant, comme leur chef, depuis longtemps
voulu et préparé cette guerre mo istrueuse, savaient à
quoi s'en tenir sur sa véritable origine. Mais, à mesure
que, contre les prévisions et le", mesures si bien prises
pour égorger les peuples, la guerre se prolongea, et se
multiplièrent, avec les ruines, les hécatombes humaines
dont l'Allemagne avait également à soulïrir si doulou-
reusement, les intellectuels et les dirigeants cherchèrent
de plus en plus à décliner une responsabilité dont
l'exceptionnelle gravité ne cessait de hanter plus obsti-
nément la pensée de chacun. Et ce furent de toutes
parts, en Allemagne, des affirma lions répétées sur le
ton d'une déclamation tranchante, ou d'un pédantisme
ergoteur, mais toujours sans aucune preuve solide à
l'appui, et se résumant en de simples dénégations des
faits les plus évidents. Quatre-vingt-treize « représen-
tants de la science et de l'art allemands », comme ils se
qualifient eux-mêmes, adressèrent un « appel au monde
civilisé », pour justifier les auteurs responsables de cet
effroyable cataclysme. Oublieux des méthodes critiques
dont ils se montrai nt autrefois si jaloux, comme de la
condition indispensable à toute science digne de ce
nom, ils se contentaient d'affirmer ou de nier sans
preuve, comme si leur autorité personnelle était suffi-
sante pour énoncer des dogmes, ou proscrire des
erreurs, de manière que toute intelligence humaine,
par respect pour leur infaillible autorité, devait, sans
l'ombre d'une hésitation, se courber devant leur ver-
dict sans appel. « Il n'est pas vrai, disaient-ils, que
l'Allemagne ait provoqué la guerre...; il n'est pas vrai
qu'elle ait injustement violé la neutralité de la Bel-
gique... » (le chancelier impérial, cependant, avait
confessé publiquement l'injustice de cette violation);
« il n'est pas vrai que ses troupes aient brutalement dé-
truit Louvain.... ses soldats ne commettent aucun acte
de cruauté...; il est impossible qu'ils aient fusillé des
vieillards, ou des prêtres, ou des citoyens désarmés, «etc.
A ce manifeste qui, s'il n'était pas une œuvre d'art,
n'était certes pas une œuvre de science, puisqu'il ne
contenait aucune preuve des allégations, mais mon-
trait à découvert la passion et les préjugés excluant
tout esprit critique, l'Institut catholique de Paris
apporta une réponse appuyée sur les documents diplo-
matiques publiés par les diverses puissances, sur des
enquêtes conduites avec le plus grand souci de l'exac-
titude, et sur ce que ses membres avaient vu de leurs
yeux. Ces documents établissaient d'une façon péremp-
toire que l'Allemagne a prémédité la guerre, a fait
échouer toutes les tentatives de conciliation, et conduit
la guerre d'une manière qui rappelle, mais en les dépas-
sant, les horreurs des invasions barbares du moyen
âge et de l'antiquité païenne. L'Académie française,
l'Académie des sciences morales et politiques, l'Aca-
démie des inscriptions et belles-lettres opposèrent au
manifeste allemand des réponses semblables. Intellec-
tuels contre intellectuels. Cf. Etienne Lamv Les-
intellectuels d' Allemagne et l'Institut de France, dans le
Correspondant du 10 mars 1915, p. 737-756.
Au fait, dès 1840, M. Guizot, alors ministre des
affaires étrangères, écrivait à M. de Saint-Aulaire,
ambassadeur de France à Londres: «La neutralité
de la Belgique, l'existence du royaume belge, tel qu'il
est aujourd'hui constitué, c'est la paix de l'Europe.
Vous le savez, mon cher comte, la constitution de ce
1947
GUERRE
1948
royaume n'a pas été un résultat facile à obtenir.
C'est, depuis 1830, le seul avantage que nous ayons
acquis au dehors... Il y a là pour nous une garantie de
sécurité sur notre frontière, une garantie politique de
paix et d'équilibre européen... Il n'a pas été facile de
contenir et de déjouer toutes les ambitions qui voulaient
autre chose. Et, vous le savez aussi : celle autre chose,
c'est la guerre, la conflagration de l'Europe ! Qu'on ne
s \ trompe pas : les mêmes passions, les mêmes ambi-
tions qui, en 1830 et en 1831, voulaient autre chose
que ce qui a été fait, subsistent encore. » Mémoires
pour l'histoire de mon temps, 8 in-8°, Paris, 1858-1867,
t. vi, p. 285.
En 1914, la même lettre aurait pu être adressée par
notre ministre des affaires étrangères à notre ambas-
sadeur à Londres. Les mêmes traités, renouvelés en
1870, garantissaient, sous la foi jurée, la neutralité de
la Belgique. Mais aussi les mêmes passions et les mêmes
ambitions voulaient autre chose. Et cette autre chose,
en 1914 comme en 1830 et en 1831, c'était la guerre,
la conflagration de l'Europe, voulue très délibérément
par la nation qui, consciente de l'illégalité qu'elle
commettait, a déchiré, comme un vil ♦ chiffon de
papier», les traités solennels qui garantissaient la paix
universelle et l'équilibre européen. Cf. Jean Pélissier,
L'Europe sous la menace allemande en 1914, in-12,
Paris, 1916.
Le 31 juillet 1914, il devenait extrêmement probable
que l'Autriche et la Russie allaient s'entendre, le
comte Szapary et M. Sazonofl ayant trouvé un terrain
d'accord. L'espoir renaissait dans tous les cœurs;
mais l'empereur Guillaume II, sentant lui échapper
l'occasion qu'il cherchait depuis si longtemps et qu'il
avait fait naître, choisit précisément cet instant pour
détruire toutes les chances de paix, en lançant ses
ultimatums à la Russie et à la France. Cependant
l'Angleterre restait encore indécise. Ce ne fut que le
4 août, à la nouvelle de la violation de la frontière
belge, qu'elle prit part elle-même au conflit. Cf. Le
Livre blanc anglais. Correspondance du gouvernement
britannique relative à la crise européenne, document
officiel publié par ordre de Sa Majesté le roi d'Angleterre
et déposé sur le bureau des deux chambres du Parlement,
in-8°, Paris, 1914. Cette correspondance avec les
diverses chancelleries, pendant toute la durée de la
crise qui a précédé immédiatement la guerre, est
un dossier désormais historique et forme un réquisi-
toire accablant contre la puissance provocatrice.
Non moins important ni moins décisif est le Livre
jaune français. Ministère des affaires étrangères.
Documents diplomatiques, 1914, La guerre européenne,
m-4°, Paris, 1914. Cf. E. Durkheim et E. Denis, Qui a
voulu la guerre ? Les origines de la guerre, d'après les
documents diplomatiques, in-12, Paris, 1915; Daniel
Bellet, Chiffons de papier. Ce qu'il faut savoir des ori-
gines de la guerre de 1914, in-12, Paris, 1915; Auguste
Gauvin, Les origines de la guerre, in-12, Paris, 1915;
Charles Rep, L'agression allemande d'après les docu-
ments officiels, in-12, Paris, 1915; Take Ionesco, Les
origines de la guerre, in-12, Paris, 1915; Charles
Baillod, Pourquoi. l'Allemagne devait faire la guerre,
ln-12, Paris, 1915; le baron Beyens, ministre de Bel-
gique à Berlin, L' Allemagne avant la guerre. Les causes
et les responsabilités, in-12, Paris, 1915; Paul Dudon,
La guerre: qui l'a voulue ? in-12, Paris, 1915; Pierre
Bertrand, L'Autriche a voulu la grande guerre, in-8°,
Paris, 1916.
Comment, après cela, l'Allemagne, par la voix de sa
diplomatie menteuse et par l'organe de ses intellectuels,
oeut-elle prétendre qu'elle est très pacifique, et que
spécialement elle n'a pas voulu la guerre actuelle ?
C'est en ce sens que, si les autres peuples, reconnaissant
l'incontestable supériorité de race que très généreuse-
ment elle s'arroge, pliaient devant toutes ses exigences,
la laissaient libre de faire tout ce qu'elle veut : déchirer
les traités qui la gênent, prendre tout ce qu'elle désire,
et satisfaire son insatiable ambition de dominer le
monde, alors, certes, elle ne ferait pas la guerre, et se
contenterait de jouir des immenses avantages que
lui procurerait cette mainmise sur l'univers entier.
Mais si les autres nations osent vouloir garder leur
place au soleil, conserver leur indépendance, et n'ac-
ceptent pas l'état de vasselage dans l'empire mondial
auquel l'Allemagne aspire, alors, ce sont elles qui
veulent la guerre, et, puisqu'elles la veulent, elles
l'auront aussi implacable, atroce et inhumaine que
possible. Comme la Belgique, elles seront seules respon-
sables de leur malheur : ruines, dévastations, massa-
cres, tout cela leur est imputable, et imputable à elles
seules. Quant à l'Allemagne, elle est parfaitement inno-
cente, et, n'ayant rien à se reprocher, n'a à s'excuser
de rien, comme le proclament doctoralement ses intel-
lectuels « représentants de la science et de l'art ».
Cela ressemble de fort près à la colossale prétention de
Nabuchodonosor, roi des Assyriens et régnant à Ninive,
qui, après avoir vaincu Arphaxad, roi des Mèdes,
sentit sa poitrine se gonfler d'orgueil, et résolut de
soumettre la terre entière à son empire. Mais les di-
verses nations auxquelles il envoya ses messagers pour
leur faire une proposition aussi alléchante, n'ayant pas
goûté ce projet d'annexion et d'absorption, Nabucho-
donosor indigné jura, par son trône et sa puissance,
que, malgré ses instincts pacifiques, il se défendrait,
quod defenderet se, contre toutes ces nations, dont
aucune, cependant, n'avait jamais songé à l'attaquer;
et il lança contre elles ses hordes dévastatrices. Judith,
i, 5-12. C'est de cette façon que la pacifique Allemagne
ne veut pas la guerre. Elle est obligée de se défendre
contre ceux qui ne songeaient pas à l'attaquer, mais
qui ne consentent pas à se laisser absorber par elle,
ou réduire à l'état de vassaux. Néanmoins, que l'Alle-
magne ait réellement pensé à la guerre, qu'elle l'ait
longuement et méthodiquement préparée, qu'elle l'ait
souhaitée et voulue comme une source abondante de
richesses, c'est ce qui est exposé, avec une stupéfiante
audace et un affreux cynisme, dans l'ouvrage publié
par M. Daniel Frymann, deux ans avant la déclaration
de la guerre et qui eut une énorme diffusion en Alle-
magne, Wenn ich der Kaiser wâr l in-8°, Leipzig, 1912.
L'aveu est non moins significatif dans l'ouvrage du
colonel von H. Frobenius, publié, quelques mois avant
la guerre, avec la haute approbation du kronprinz
d'Allemagne, et qui eut en peu de temps jusqu'à treize
éditions, Des Deuisches Reiches Schicksalstunde, in-8°,
Berlin, 1914. Ces ouvrages et beaucoup d'autres du
même genre démontrent combien est encore vrai le
mot de Tacite : Gallos pro liberlate, Germanos ad
prœdam 1 ou, comme disent les théologiens : libidine
dominandi, ce que, d'ailleurs, exprime assez bien
leur devise actuelle : Deulschland ûber ailes !
2. Les preuves des innombrables crimes commis par
l'armée allemande, à la suite de son injuste agression,
ont été réunies dans de nombreux volumes. Citons ici,
d'abord, deux publications émanant du ministère des
affaires étrangères en France : Rapports et procès-
verbaux de la Commission instituée en vue de constater
les actes commis par l'ennemi en violation du droit des
gens, in-4°, Paris, 1915. Plus de 471 dépositions y
affirment toutes sortes d'excès commis par les Alle-
mands, en Seine-et-Marne, dans la Marne, l'Oise,
l'Aisne, la Meuse et en Meurthe-et-Moselle. Cf. Marius
Vachon, Les villes martyres de France et de Belgique,
in-12, Paris, 1915. Une autre publication officielle
intitulée : Les violations des lois de la guerre par l'Alle-
I magne, in-8°, Paris, 1915, répartit les chefs d'accusa-
I tion, surabondamment preuves, en dix chapitres
1949
GUERRE
1950
divers : a) Violation du territoire des États neutres;
b) Violation de la frontière française avant la déclara-
tion de guerre; c) Assassinats de prisonniers et de
blessés; d) Pillages, incendies, viols, assassinats;
e) Attentats contre les hôpitaux et les ambulances;
/) Emploi de projectiles interdits ; g) Emploi de liquides
enflammés et de gaz asphyxiants, au mépris des règle-
ments mêmes du Congrès de La Haye; h) Bombarde-
ments de villes non défendues; destructions d'édifices
consacrés aux cultes, aux arts, aux sciences et à la
bienfaisance, toujours en contradiction avec les règle-
ments du Congrès de La Haye; i) Usage de procédés
de guerre déloyaux; /) Actes de cruauté commis à
l'égard des populations civiles. Les auteurs de ce livre
officiel avertissent, enfin, le lecteur que, sous ces dix
chefs, sont rangées non pas toutes les violations de
la guerre sur terre commises par l'Allemagne, mais
seulement quelques-unes. Ces chefs d'accusation sont
prouvés par des pièces de toutes sortes, et dont la va-
leur démonstrative est indéniable; par les dépositions
de nombreux témoins; par les procès-verbaux des
enquêtes; et même par les carnets militaires d'origine
allemande, où ils sont relatés. Devant de pareilles
autorités, et tant de témoignages accablants venus de
tant de sources différentes, comment douter de l'incon-
testable vérité qui arrache aux victimes des cris de
douleur, et aux spectateurs des nations neutres des cris
d'indignation ?
Aussi, au consistoire du 4 décembre 1916, Benoît XV
a-t-il solennellement réprouvé les ruines produites par
cette horrible guerre dans toute l'Europe au mépris
des lois suprêmes qui règlent les rapports réciproques
des cités, et il a signalé expressément les violations
du droit divin et du droit des nations contre les
choses saintes et les ministres sacrés, même les plus
■élevés en dignité, les déportations des paisibles
citoyens loin de leurs demeures, de leurs mères, de
leurs épouses et de leurs fils éplorés; les incursions
aériennes contre les villes ouvertes et les multitudes
sans défense ; tous les horribles forfaits qui se per-
pètrent sur terre et sur mer. Acta apostoliese Sedis,
1910, t. vin, p. 467-468.
3. Nous n'entrerons pas dans le détail des preuves.
11 faudrait des volumes, et ils sont très nombreux déjà
ceux qui ont été écrits sur ce thème, hélas 1 inépuisable.
Nous indiquerons seulement quelques faits entre une
foule d'autres.
a) La déclaration de guerre fut signifiée à la France,
par le baron de Schœn, ambassadeur d'Allemagne à
Paris, le 3 août 1914, à 6 heures 45 minutes du soir. Or,
dès le 2 août, plus de vingt-quatre heures avant la dé-
claration de guerre, les troupes allemandes avaient
franchi sur trois points déjà la frontière française, et
le 3 août au matin, toujours avant cette déclaration,
elles avaient déjà aussi violé la frontière belge. Cf.
Le Livre jaune français, in-4°, Paris, 1911, p. 139, 157,
158, 159.
b) Les innombrables témoignages recueillis en
France aussi bien qu'en Belgique, les rapports officiels
comme les enquêtes particulières, sont unanimes pour
dénoncer chez les Allemands l'emploi d'un matériel
perfectionné en vue de produire des incendies rapides
et souverainement destructeurs, tels que pompes à
pétrole, grenades incendiaires, boîtes nickelées à ben-
zine, pastilles à résidus de pétrole, pastilles à nitrate
de coton, tablettes de poudre comprimée, etc. Pendant
qu'ils multipliaient les agents de destruction, ils bri-
saient les pompes à incendie et tiraient sur les per-
sonnes qui tentaient de l'éteindre. Ils se servaient de
tous ces moyens, non seulement pour déchaîner le
fléau, mais pour en seconder les ravages. Ils incen-
diaient de propos délibéré et de sang-froid, réalisant
un plan de dévastation générale prémédité avant la
guerre, et pour lequel ils s'étaient longuement outillés.
c) Dans cette furie de destruction, il faut noter
surtout l'acharnement spécial contre les églises, cha-
pelles et cathédrales, sans aucune nécessité d'ordre
militaire. Cf. Louis Joubert, Les œuvres et les hommes,
dans le Correspondant du 26 septembre 1914, p. 1030-
1042; Comité d'artistes et d'hommes de lettres, Les
Allemands destructeurs de cathédrales et de trésors du
passé, d'après les documents officiels et les témoignages
directs, avec pièces justificatives, in-8°. Paris, 1915;
Pierre Laboureyras, La ville d'Albert avant et pendant
la guerre, in-8°, Paris, 1916.
d) Pour se justifier, les Allemands ont prétendu que
l'on avait placé, dans les tours de ces édifices, des
canons, des mitrailleuses, ou des postes d'observation.
A Beims, le cardinal Luçon, archevêque, et le chanoine
Landrieux, doyen du chapitre, vicaire général, puis
nommé évêque de Dijon, le 18 novembre 1915, par
Benoît XV, l'ont formellement démenti, en invoquant
le témoignage de toute la population, ainsi que le
général Joflre, généralissime français. Il est vrai,
néanmoins, que, pendant quelques jours, un poste
d'observation fut établi sur la cathédrale de Beims;
mais ce fut précisément pendant l'occupation alle-
mande. Cf. Alice Martin, Sous les obus et dans les caves.
Notes d'une bombardée, dans le Correspondant du
25 octobre 1914, p. 217-236. Démentis analogues
aux mêmes fausses accusations furent donnés, à
Soissons. par Mgr Péchenard et le curé de la cathé-
drale; à Arras et à Senlis, par les autorités militaires et
religieuses. A Paris, le cardinal Amette, archevêque,
éleva une vigoureuse protestation contre les aviateurs
qui avaient jeté des bombes incendiaires sur la basi-
lique de Notre-Dame. Les évêques de Nancy et de
Saint-Dié parlèrent d'une façon identique pour leurs
diocèses respectifs. Celui-ci disait : « Les Allemands
continueront à prétendre que les Français ont utilisé
les églises et les clochers pour la défense : c'est une
affirmation mensongère ; mais ce qui est certain, c'est
qu'ils ont, eux, transformé nos églises et nos clochers
en forteresses. » Dans une de ses lettres pastorales si
remarquables, Mgr Mignot, archevêque d'Albi, juste-
ment indigné de cet acharnement furieux contre les
églises, écrivait : « Quand Alaric — un des grands
ancêtres — s'empara de Borne, en 490, Marcella et
Principia, sa fille, trouvèrent un asile assuré contre la
violence des Goths dans la basilique de Saint-Paul.
Ces patriciennes auraient été moins heureuses, si,
vivant en l'an de grâce 1914, elles s'étaient réfugiées
dans la cathédrale de Beims, sous le règne d'un succes-
seur lointain d' Alaric. » Cf. Lettres sur la guerre, in-12,
Paris, 1915, p. 45.
Avant de détruire les édifices du culte, les soldats
prenaient plaisir très souvent à y commettre des sacri-
lèges, en profanant les vases sacrés, les ornements sacer-
dotaux, ou les faisant servir à des usages innommables.
e) Tous les rapports, en France comme en Belgique,
signalent également l'obstination des envahisseurs à
s'emparer dus prêtres et des religieux, pour les abreuver
d'injures, en faire les victimes de leurs amusements
impies et cruels, les incarcérer, les maltraiter et les
assassiner, sous le moindre prétexte.
/) Il est également indéniable que, comme les
églises et les prêtres, les ambulances, les hôpitaux et les
blessés ont été spécialement visés, au mépris de toutes
les prescriptions du droit des gens, des conventions du
Congrès de La Haye, et des principes mêmes du droit
naturel qui défend de tuer ceux qui ne peuvent plus
nuire, puisqu'ils sont incapables de porter les armes.
Le drapeau de la Croix-Bouge, arboré sur ces édifices,
ne les a pas défendus contre ces sauvages attentats.
Batteries d'artillerie, avions et zeppelins ne leur ont
ménagé ni les obus, ni les bombes.
1951
GUERRE
1952
g) Parlerons-nous de ces milliers d'habitants paci-
fiques, obligés d'abandonner précipitamment, en dé-
bandades terrorisées, leurs villes en proie aux flammes
et au pillage méthodiquement organisé? car les Alle-
mands prenaient et expédiaient en Allemagne, dans
d'interminables convois, tout ce qui leur paraissait
utile : matières premières, cotons, tissus, tuyautages en
cuivre ou en pl< mb, fer et ferrailles, métiers, machi-
nes, etc., etc. Ils ne laissaient que les murs nus qu'ils
détruisaient ensuite !... Vieillards, femmes, enfants,
malades, piètres, religieux, religieuses étaient chassés
brutalement sur toutes les routes, comme un vil trou-
peau, condamnés à périr de misère et de faim 1...
Plusieurs, que la fatigue ou la maladie empêchaient de
marcher assez vite, furent fusillés sur place, sans autre
forme de procès. D'autres étaient placés, comme rem-
parts vivants, devant les troupes allemandes allant au
combat: cruauté doublée d'une lâcheté inqualifiable
que réprouvent à la fois les droits humain et divin !
h) Et que dire de ces populations entières, dépor-
tées en masse vers des destinations inconnues pour y
être soumises à îles travaux forcés comme des esclaves,
sans que les bourreaux s'inquiétassent le moins du
monde des liens de famille..., arrachant les filles à leurs
mères, et, sans aucun souci de la morale, les séparant
capricieusement et arbitrairement de leurs pères ou de
leurs frères, parents et amis, qui auraient pu protéger
leur vertu contre les passions bestiaks de la solda-
tesque !... « En vérité, dit encore Mgr Mignot, op. cit.,
p. 45, à voir ce qui se passe sous nos yeux, on se croirait
au temps des Sargon, des Sennachérib, des Nabucho-
donosor et autres épouvantables tyrans de l'Assyrie et
de la Chaldée; ou, si vous trouvez ces temps trop éloi-
gnés, à ceux d'Attila, de Tamerlan et de Mahomet II. »
Cf. Le Correspondant, n° du 25 août 1914, p. 725-735,
citant les documents officiels sur les monstruosités des
premières semaines de la guerre : violation de frontières
avant la déclaration de guerre; assassinats de prêtres,
infirmes, civils; achèvement des blessés; bombarde-
ment des villes ouvertes, etc.: Revue des Dmx Mondes
du 15 octobre 1914, p. 387 sq. ; Le Livre rouge français.
Les atrocités allemandes. Premier rapport officiel et in-
extenso présenté à M. le président du Conseil, le 7 jan-
vier 1915, par la Commission instituée en vue de con-
stater les actes commis par l'ennemi en violation du droit
des gens, in-12, Paris, 1915; Gaston Jollivet, Six mois
de guerre, avec dossier des atrocités commises, in-12,
Paris, 1915; cardinal Amette, archevêque de Paris,
Pendant la guerre. Lettres pastorales et allocutions, in-
12, Paris, 1915; Joseph Bédier, professeur au Collège de
France, Les crimes allemands, d'après les témoignages
allemands, avec photographie des documents cités,
in-8°, Paris, 1915; Vindex, L'armée du crime, d'après
le rapport de la Commission française d'enquête, in-12,
Paris, 1915; La basilique dévastée. Destruction de la
cathédrale de Reims. Faits cl documents, in-12, Paris,
1915; Henri Davignon, Les procédés des Allemands
en Belgique et en France, d'après l'enquête anglaise,
in-12, Paris, 1915; Louis Collin, Les barbares à la Trouée
des Vosges; Récit des témoins, in-12, Paris, 1915; Jean
de Béer, L'Allemagne s'accuse, in-12, Paris, 1915;
Mgr Baudrillart (Comité catholique de propagande
française à l'étranger), La guerre allemande et lecatholi-
cisme, in-8°, Paris, 1915, p. 47-141; Id., L'Allemagne
et les alliés devant la conscience chrétienne, in-8°, Paris,
1915 ;E. Malo, La cathédrale de .Rejms, in-12,Paris,1915;
abbé Foulon, Arras sous les obus, in-12, Paris, 191 5; Joa-
chim von derGoltz, Les dix commandements de fer du
soldat allemand, in-8°, Leipzig, 1915; F. de Dinon,.En
guerre. Impressions d'un témoin, in-12, Paris, 1915;
Eugène Griselle, Le martyre du clergé français, in-12,
Paris, 1915; J'accuse. Deutschland, wach'auf ! in-
8°, Lausanne, 1915. Cet ouvrage écrit en allemand et
par un Allemand, qui, par crainte de représailles, a
préféré garder le voile de l'anonymat, est un terrible
réquisitoire contre les autorités allemandes qui ont
voulu la guerre et les atrocités qui l'accompagnent.
L'auteur affirme et prouve, en outre, qu'on a aveuglé le
peuple allemand, pour le lancer dans cette guerre
effroyable. A. Masson, L'invasion des barbares en
1914, in-12, Paris, 1915; Jacques de Dampicrre,
L' Allemagne et le droit des gens. I. L'impérialisme,
in-4°, Paris, 1915. Avec une foule de faits et de cita-
tions originales, l'auteur montre comment les innom-
brables violations de droit commises par l'Allemagne
se rattachent à son impérialisme envahissant. Rapports
et procès-verbaux d'enquête de la Commission instituée
en vue de constater les actes commis par l'ennemi en
violation du droit des gens, contenant les dépositions et
documents complets qui ont servi de matière aux.
rapports, 3 in-4°, Paris, 1915-1910; abbé Charles
Calippe, La guerre en Picardie, avec préface de Mgr de
La Villerabel, évêque d'Amiens, in-12, Paris, 1916 ;
E. Toutey, Pourquoi la guerre? Comment elle se fait,
in-8°, Paris, 1916 ; Paul Gaultier, La mentalité alle-
mande et la guerre, in-8°, Paris, 1916; Miiman, Simon
et Keller. Leurs crimes, in-12, Paris, 1916.
XI. Des conséquences surnaturelles de la.
guerre. -- 1° Si les hommes attendent de grands
avantages des guerres qu'ils déclarent, ou soutiennent,
il n'est pas douteux que Dieu, en permettant ces
afireux cataclysmes, n'ait en vue, dans l'ordre surna-
turel, un but à atteindre. Dans les plans de la Provi-
dence, toute guerre, et surtout une guerre mondiale,
comme celle qui a commencé en 1914, doit avoir des
conséquences, tant générales que particulières, c'est-
à-dire tant pour les nations considérées comme grou-
pements humains, que pour les individus. Les diplo-
mates, les politiciens et les économistes s'occupent
peu ou prou de ces conséquences surnaturelles, qui
échappent même à la plupart des esprits, parce que
peu cherchent à les découvrir; mais elles n'en sont pas
moins incontestables. Ceux qui n'élèvent pas leurs
regards au-dessus des horizons bornés de la terre, ne
sauraient concevoir que les événements d'ici-bas aient
leur répercussion dans le monde invisible; surtout ils ne
sauraient admettre que le résultat principal se réalise
justement dans ce monde supérieur qu'ils ne soup-
çonnent même pas.
Malgré la lourde responsabilité encourue par ceux
qui déclarent une guerre, on peut être certain, cepen-
dant, qu'elle n'éclate qu'au moment précis fixé par la
Providence. Sans vouloir excuser ces grands coupables,
auteurs immédiats de ces épouvantables conflits,
comment, en y réfléchissant bien, ne pas voir qu'ils
sont eux-mêmes entraînés par les circonstances, bien
plus qu'on ne le supposerait, au premier abord ? La
sagesse divine qui, selon le mot de l'Écriture sainte,
arrive infailliblement à ses fins, avec force et suavité,
sans violenter aucunement la liberté humaine, Sap.,
vin, 1, se sert parfois des passions humaines et de
l'ambition des potentats, pour exécuter les décrets de sa
justice et punir les contempteurs de sa loi. Dieu châtie,
parfois, les unes par les autres, les nations qui ont la
prétention de vivre sans lui, ou de fouler aux pieds
ses droits imprescriptibles. Il est le souverain Maître,
et il le rappelle, de temps en temps, à ceux qui sont
portés à l'oublier. Lui seul, disait Bossuet, sait donner
aux rois et aux princes de grandes et sévères leçons, soit
qu'il élève les empires, soit qu'il les abaisse, ou les
renverse. Ces leçons, tour à tour redoutables et salu-
taires, il les donne aussi aux peuples! Quelquefois les
rois ne les comprennent pas, ni les peuples, ni les
princes; mais la justice a suivi son cours, et, si tous les
pécheurs ne se convertissent pas, aux lueurs terribles
de ces éclairs orageux et aux grondements de tonnerre
1953
GUERRE
1954
qui les accompagnent, beaucoup, néanmoins, se
frappent la poitrine, confessent leurs fautes et les
expient. En outre, ceux qui déjà étaient bons devien-
nent généralement meilleurs. C'est là un résultat
qui écliappe absolument par son caractère essentiel
aux spéculations des faux sages de la terre, m lis dont
le retentissement est immense dans le monde invisible,
et dont l'écho se répercutera, sans jamais s'éteindre,
durant les siècles éternels.
De leur côté, les nations, ou groupements humains,
qui ne peuvent pas, comme tels, recevoir leur châti-
ment ou leur récompense dans le monde à venir, les
reçoivent parfois d'une façon tangible dans le monde
actuel. C'est l'application de la vérité énoncée par le
psalmiste, quand il dit : Quoniam judicas populos
in œquitate, et génies in terra dirigis. Ps. lxvi, 4. Sou-
vent, en effet, le résultat d'une guerre est, pour une
nation, tout différent de celui qu'il paraissait devoir
être, en s'en tenant aux prévisions humaines, même
les mieux fondées. Des nations paraissaient devoir
sortir glorieuses et puissantes d'une guerre savamment
préparée : elles en sortent avilies pour longtemps et
profondément affaiblies; d'autres, blessées à mort,
renaissent extraordinairement, comme le phénix de
ses cendres, et compensent bientôt par un excès de
naissances, des pertes momentanées. Le spectacle d'une
population qui s'accroît au milieu des combats les plus
meurtriers n'est pas chose rare dans l'histoire. On a
vu aussi, chose plus étrange encore, le vainqueur
absorbé par le vaincu, qui lui impose sa langue, sa litté-
rature, ses coutumes, ses moeurs, de sorte que, au milieu
de ses tristes lauriers, le vainqueur est dégradé, humi-
lié, appauvri de bien des manières, tandis que le vaincu
relève la tête, et, au sein de sa délaite môme, trouve
une vengeance imprévue.
On prête à Turenne cette boutade que Dieu est tou-
jours avec les gros bataillons. Ce n'est pas toujours
ainsi, et l'on peut, au contraire, souvent constater
que le succès d'une bataille, ou le résultat ultime d'une
guerre, est déterminé par une force indéfinissable,
qui échappe absolument aux calculs des hommes les
plus habiles et les plus compétents, comme elle avait
échappé absolument à leurs prévisions. Ce n'est pas
sans motif que si fréquemment Dieu, dans l'Écriture
sainte, se fait appeler le Dieu des armées. Il semble
même tenir spécialement à ce titre, car, maintes fois,
il le revendique comme un de ses attributs essentiels, et
il ne permet pas qu'on l'oublie.
Assurément, comme dans le gouvernement de sa
providence, Dieu ne déroge pas aux lois générales
qu'il a établies; et, comme une armée d'un million
d'hommes est, toutes choses égales par ailleurs, deux
fois plus forte qu'une armée qui n'en compte que cinq
cent mille, ce serait demander à Dieu une dérogation
aux lois générales, c'est-à-dire un miracle, que cette
armée, si inférieure en nombre, fût victorieuse d'une
autre deux fois plus forte qu'elle. Mais ces lois géné-
rales se combinent de tant et tant de manières, que le
résultat de cette combinaison peut être tel, que les
faibles triomphent finalement des forts. Des exemples
de ce genre abondent, depuis l'antiquité la plus loin-
taine jusqu'aux temps les plus récents. Qui a oublié
qu'un seul Horace a fini par triompher des trois Cu-
riaces? Sa tactique fut, à une époque présente encore
à toutes les mémoires, celle de Napoléon Ier, séparant
ses ennemis supérieurs en nombre, pour les battre l'un
après l'autre, malgré son infériorité numérique; ce fut
encore, pendant les deux premières années de la guerre
européenne, celle de l'Allemagne qui, par la concentra-
lion rapide de ses troupes sur certains points, grâce à
la multiplicité de ses lignes de chemin de fer straté-
giques, pouvait asséner de vrais coups de massue,
tantôt en Occident, tantôt en Orient, et obtenir,
DICT. DE THÉOL. CATHOL.
presque avec les mimes troupes, sur des théâtres si
éloignés les uns des autres, des succès retentissants,
signalés par la conquête momentanée de vastes pro-
vinces. Voilà donc qu'avec l'effectif des bataillons,
un autre facteur de souveraine importance : la mobilité
ou la vitesse de déplacement, intervient pour le succès,
et cela toujours aussi en vertu d'une loi générale,
quoique différente de celle qui ne concerne que les
efïectifs. Un autre facteur aussi doit intervenir, et
non des moins importants : le temps; non celui qui est
synonyme de mobilité et de vitesse de déplacement,
c'est-à-dire indiquant le nombre d'heures ou de jours
nécessaires à une armée pour effectuer ses mouvements;
mais le temps indiquant la capacité de résistance,
d'endurance, de ténacité; car il peut y avoir chez une
nation puissante des forces considérables, capables
d'un grand effort et de brillants succès, mais qui s'épui-
seront par leurs propres victoires; tandis qu'il peut y
avoir chez une autre nation des forces latentes, insoup-
çonnées, lentes à se dégager de mille entraves, mais
croissant peu à peu, pendant une longue série de dé-
faites, tandis que les forces rivales s'épuisent en succès,
dans le même laps de temps; de sorte que, entre les
deux puissances rivales, l'équilibre arrivera à s'établir,
puis à se rompre de nouveau, mais, cette fois, en faveur
du vaincu de la veille, qui obtiendra ainsi, plus tard,
une indéniable prépondérance. Nous pourrions multi-
plier à l'infini les exemples montrant le nombre extra-
ordinaire de facteurs qui interviennent dans cette sorte
d'équation algébrique immense, posée sur un vaste
champ de bataille, par deux ou plusieurs puissances
qui en viennent aux mains. Et cette équation se modi-
fiera à chaque instant dans sa formule, par les mille et
mille combinaisons que peuvent avoir entre eux les
innombrables facteurs qui entrent dans sa composi-
tion. Qui donc, à chaque instant, pourra être sûr de la
solution finale? Quoique tous la désirent favorable à
leurs desseins, les plus habiles ne pourront que la
conjecturer, sans néanmoins pouvoir absolument
déposer toute crainte d'insuccès final, toujours pos-
sible, au milieu de tant d'imprévu.
Mais ce qui échappe à toute intelligence humaine,
même la plus perspicace et la plus pénétrante, est entre
les mains du Dieu des armées, qui prévoit tout, qui
sait tout, qui peut tout, et qui dispose toutes choses,
ainsi que le veut sa justice, ou sa miséricordieuse bonté.
C'est là cette force indéfinissable, qui détermine la
solution finale de ce problème si complexe. Cette force
indéfinissable et souveraine, qui, malgré les agitations
des hommes, dispense la victoire ou la défaite suivant
ses impénétrables décrets, a été reconnue, de tout
temps, par les grands capitaines, depuis la plus haute
antiquité jusqu'à notre époque. Malgré son génie,
Napoléon Ie' ne croyait-il pas à son étoile ? Et tout
dernièrement encore, la victoire inattendue de la
Marne n'a-t-elle pas été regardée comme un miracle,
même par les grands chefs? Non pas que Dieu soit
intervenu par un miracle évident ; mais, par une de cei
combinaisons dont lui seul a le secret, il a fait avorter,
en dépit de tous les calculs de l'habileté militaire, un
des projets les plus savamment ourdis, et dont le
succès paraissait assuré par la plus formidable des
préparations. « Ainsi, écrivait le comte Joseph de
Maistre, il y a plus d'un siècle, lorsqu'une puissance
trop prépondérante épouvante l'univers, et que l'on
s'irrite de ne trouver aucun moyen de l'arrêter..., Dieu
emploie deux moyens bien simples : tantôt le géant
s'égorge lui-même; tantôt une puissance très inférieure
(nous dirions aujourd'hui la Belgique en face de l'Alle-
magne) jette sur son chemin un obstacle imperceptible,
m lis qui grandit ensuite, on ne sait comment, et de-
vient insurmontable; comme un faible rameau, arrêté
dans le courant d'un fleuve, produit enfin un atterris-
VI. — 62
1955
GUERRE
1956
sèment qui le détourne... » Cf. Les soirées de Saint-
Pélersbourg, ou Entretiens sur le gouvernement temporel
de la Providence, suivis d'un Traité sur les sacrifices,
V I [• entretien, 2 in-8°, Paris, 1802, t. il, p. 41. L'his-
toire est pleine de ces événements déconcertants ! ...
Parfois, les plus contraires à toute probabilité sont
précisément ceux qui s'accomplissent en dépit de
tous les efforts tentés pour y mettre obstacle. L'histoire
de toutes les nations est remplie de faits de ce genre,
qui montrent que la puissance des gros bataillons,
soit que l'on considère leur nombre, soit que l'on consi-
dère leur outillage perfectionné, ou l'habileté profes-
sionnelle de leurs chefs, ne suffît pas pour assurer la
victoire. En dernière analyse, celle-ci dépend d'une
foule de circonstances qu'il n'est pas au pouvoir de
l'homme de faire naître, ou d'écarter. Ainsi, sans vio-
lentei en rien la volonté humaine, en semblant même
ne pas s'occuper des choses de la terre, et en laissant le
champ libre aux passions humaines les plus ardentes,
Dieu est le suprême arbitre des destinées des individus,
comme de celles des nations.
Oui, rien dans le monde ne dépend plus immédiate-
ment de Dieu que la guerre, dans son origine, dans son
développement, dans sa terminaison et dans ses
résultats.
2U 11 n'appartient à aucune intelligence humaine,
ici-bas, de scruter et de découvrir les raisons cachées
que la Providence peut avoir, dans ses desseins impé-
nétrables, de déchaîner l'épouvantable fléau de la
guerre, ni les fins qu'elle a en vue, et qu'elle atteint par
ce moyen, dont elle dispose souverainement. O altitudo
sapirnliœ et scientiœ Dei!... Quam incompreliensibilia
sunl judicia cjus,et investigabiles viœ ejusl Quis enim
cognovil sensum Domini ? aul quis consiliarius ejus
fuit? Rom., xi, 33,34. Puis, les décrets de Dieu sont,
parfois, à longue échéance. Ils ne se révèlent que peu
à peu à l'esprit observateur... Il en est quelques-uns,
cependant, desquels l'enseignement des siècles a sou-
levé le voile qui les cachait à la vue des générations,
depuis longtemps descendues dans la tombe. N'est-il
pas, en effet, certain, maintenant, pour qui sait réflé-
chir, et ne se laisse pas entraîner par des préjugés, que
la préparation au christianisme a été la fin principale à
laquelle Dieu a ordonné les guerres, les abaissements
et les relèvements successifs du peuple hébreu, comme
aussi les vicissitudes dans la grandeur et la décadence
des grands empires des Assyriens, des Perses, des
Grecs et des Romains? Cf. Bossuet, Discours sur l'his-
toire universelle, in-8°, Paris, 1681, 1868. Quand Israël
se relâchait dans l'observance des lois divines, ou même
abandonnait les autels de Jéhovah pour courir aux
idoles, Dieu déchaînait contre lui les peuples de
l'Egypte ou de l'Assyrie. Des conquérants insatiables,
à la tête de hordes féroces, s'emparaient des villes de
la Judée, parfois de Jérusalem même, mettaient tout à
feu et à sang, massacraient en grand nombre guerriers,
enfants, femmes et vieillards, et traînaient en captivité
ceux que le glaive avait épargnés. La guerre était le
châtiment par lequel Dieu rappelait au devoir son
peuple prévaricateur. Il lui révélait par ses prophètes
la raison de ces massacres et de ces ruines. « Vous
m'avez abandonné, lui fit-il dire par le prophète
Séméias, après la première invasion de Sésac, roi
d'Egypte, la cinquième année du règne de Roboam,
fils de Salomon; vous m'avez abandonné, et moi aussi
je vous abandonne dans les mains de Sésac. » II Par.,
xn, 2-5; III Reg., xiv, 24-26. Consternés, les princes
et le roi reconnurent la justice de la sentence : Juslus
est Dominus, s'écrièrent-ils; et le Seigneur, ayant agréé
leur repentir, leur fit dire par le même messager qu'il
ne les anéantirait pas totalement, qu'il leur donnerait
un peu de secours, et que sa colère ne se répandrait I
|;ï ce ii plètement sur Jérusalem par les mains tic |
Sésac; mais que, cependant, ils lui seraient soumis,
afin qu'ils apprissent par expérience combien la servi-
tude imposée par un roi de la terre est plus dure que le
joug du Seigneur. Sésac, en effet, ne détruisit pas Jéru-
salem; mais se contenta d'enlever les trésors et les
ornements d'or du temple et du palais royal. II Par.,
xn, 5-12.
Aux invasions égyptiennes succédèrent celles des
Assyriens. Salmanasar IV, roi d'Assyrie, commença
le siège de Samarie, qui après trois ans fut prise par
Sargon, en 721. Irrité de cette longue résistance, il
massacra une partie de la population, emmena le reste
en captivité, et détruisit ainsi le royaume d'Israël,
formé par le schisme des dix tribus. IV Reg., xvn,
1-6. Or, par le moyen de ses prophètes, IV Reg.,
xvn, 13-18, et en particulier par Osée, Dieu avait fait
annoncer aux Israélites la chute de Samarie et leur
avait révélé la raison de cette catastrophe. « Ils m'ont
oublié et ils ont rempli mon cœur d'amertume... Je
serai pour eux comme une lionne furieuse, comme le
léopard, en me servant des Assyriens pour détruire leur
puissance 1... Qu'ils périssent par le glaive... Parvuli
eorum elidantur, et felœ ejus discindanlur /... Ose., xm,
6-8; xiv, 1. En même temps, au nom du Seigneur, le
prophète exhorte les coupables à se convertir, leur
promettant que, s'ils le font, Dieu non seulement gué-
rira leurs blessures, mais augmentera leur prospérité.
Ose., xiv, 2-10.
Après la chute du royaume d'Israël, restait encore le
royaume de Juda, dont la capitale, Jérusalem, fut à
son tour assiégée par Nabuchodonosor II, roi de Baby-
lone. La résistance de la ville fut longue, héroïque et
désespérée ; mais, vaincue par la faim, elle dut se rendre
Les Babyloniens irrités brûlèrent le temple, le palais
royal, les demeures des principaux citoyens, massa-
crèrent un grand nombre d'habitants, et emmenèrent
le reste en captivité à Babylone, la troisième année du
règne de Joachim, 587 avant Jésus-Christ. Cf. Dan., i,
1, 2. Ce fut le commencement de la grande captivité
de soixante-dix ans. Mais Dieu fit savoir aux juifs,
par la bouche du prophète Jérémie, que cette cata-
strophe se produisait parce qu'ils n'avaient pas écouté
les avis qu'il leur avait fait donner, pour les exciter à
se convertir. Cf. Jer., xxv, 8-11. Dans cette prophétie,
Dieu dit que Nabuchodonosor est son serviteur,
parce qu'il se sert de lui pour châtier les coupables. Il
ajoute, cependant, qu'il ne veut pas détruire absolu-
ment son peuple, mais que, lorsque les juifs se seront
convertis, il les ramènera de la captivité, Jer., xxix,
10-14; Baruch, iv, 7; et que, alors, il châtiera Baby-
lone elle-même de ses impiétés, car il n'avait élevé
l'empire de Babylone que pour en faire l'instrument de
ses vengeances, et il le briserait ensuite à cause des
crimes des Babyloniens. Cf. Is., ix, 5-17; xm, 1-22;
xiv, 3-27; Jer., xxv, 12. De même fut châtiée l'Egypte,
Ezech., xxix, 2-13; xxx, 10-19, 22-26; puis Ninive,
Nahum, i-m; Tyr et Sidon. Ezech., xxvi-xxvm.
Dieu fait toujours connaître la raison du châtiment :
« Ils sauront que je suis le Seigneur.» Ezech., xxx,
19, 25.
Ainsi en fut-il de la chute de l'empire romain. Les
saints Pères affirment, à diverses reprises, que Dieu qui
avait permis l'élévation et la croissance extraordinaire
de cet empire à travers le monde, pour préparer la
diffusion du christianisme dans tout l'univers, l'abaissa
ensuite et le fit disparaître, à cause de son endurcis-
sement en présence de l'Évangile, et de son entîte-
ment à ne pas se courber sous la loi du Christ. Cf.
S. Cyprien, Ad Demetrianum, P. L., t. iv, col. 549;
S. Augustin, De civilale Dei, 1. I, c. i, P. L.,t. xli, col.
15; S. Grégoire le Grand, In Ezech., P. L., t. lxxvi,
col. 1009. Les anciens païens eux-mêmes avaient com-
pris que le sang humain doit couler pour purifier la
1957
GUERRE
1958
terre souillée par le débordement de tant de crimes.
Cf. Euripide, Oresle, v, 1C77-1680. C'est pourquoi,
affirme le texte sacré, la terre, avide de sang, ouvre la
bouche pour le recevoir, et le retenir dans son sein
jusqu'au moment où elle devra le rendre. Gen., iv,
11; Is., xxvi, 21.
3° En ce qui concerne la guerre de 1914, serait-on
loin de la vérité, en affirmant qu'elle est un châtiment
que les peuples s'infligent les uns aux autres, une sorte
d' auto-punition, décrétée par la justice divine, car les
nations ont, pour la plupart, apostasie, et affectent de
se tenir loin de Dieu. Aux lois évangéliques de la justice
et de la charité, elles ont plus ou moins substitué la loi
de la force. C'est ce que disait, d'ailleurs, le pape Be-
noît XV, dans son allocution, au consistoire du 22 jan-
vier 1915 : « Nous ne croyons pas que la paix ait quitté
le monde, sans l'assentiment divin. Dieu permet que
les nations qui avaient placé toutes leurs pensées dans
les choses de cette terre, se punissent les unes les
autres, par des carnages mutuels, du mépris et de la
négligence avec lesquels elles l'ont traité : événements
dont le but est de les contraindre sous la puissante
main de Dieu. » Acla aposlolicœ sedis, 1915, t. vu,
p. 35. Le souverain pontife avait exprimé ces
mêmes sentiments dans son encyclique du 8 sep-
tembre 1914. Acta aposloliae sedis, 1914, t. vi,
p. 502. Ainsi ont parlé, dans les deux partis des
belligérants, le cardinal Mercier dans sa lettre pasto-
rale pour Noël de 1914, et les évèques d'Allemagne
dans leur lettre pastorale collective. Après le déluge,
les anciens peuples entreprirent d'élever, dans la
plaine de Sennaar, une tour gigantesque comme pour
défier le ciel; de même les peuples modernes, nouveaux
Titans, ont élevé contre Dieu l'édifice de leur civilisa-
tion opposée à l'Évangile, et de leur orgueil qui ne
veut d'aucun maître. On allait répétant de toute façon
que la science doit émanciper l'humanité des antiques
croyances, car, disait-on, la science suffit à expliquer
tous les mystères; elle enseigne à se passer de Dieu...,
bien plus, elle aboutit à la négation même de Dieu...
Or, prétendait-on, les guerres n'ont été possibles, aux
siècles précédents, que par suite de l'état de barbarie,
ou de semi-barbarie dans lequel se trouvaient encore les
peuples; mais, à notre époque, avec les progrès de la
science et le développement de la civilisation, quoique
étrangère à l'Évangile, les guerres n'étaient plus pos-
sibles... Plus formidable que celles dont l'histoire garde
le terrifiant souvenir, la guerre de 1914 est venue sou-
dainement donner un long et trop évident démenti à
ces déclamations orgueilleuses et à ces fausses affir-
mations. Cet épouvantable fléau promène partout sa
fureur et exerce partout ses ravages. Même les nations
qui seront victorieuses sortiront de la lutte alîaiblies
pour longtemps. Quand elles dresseront le bilan des
profits et des pertes, quand elles compteront le nombre
des morts, des blessés et des malades, quand elles
mesureront l'étendue des ruines, quand elles évalueront
la grandeur de ce fleuve de sang et de larmes qui ne
cesse pas de couler, elles seront effrayées à la vue des
sacrifices de tout genre que la victoire leur aura coûtés.
Par cette guerre Dieu \oulait-il seulement châtier les
peuples coupables, ou bien avait-il aussi d'autres fins
en vue? Nul ne pourrait le dire avec certitude. On sait
seulement que, selon le mot de l'Écriture. Dieu ne veut
pas la mort du pécheur, mais sa conversion, et qu'il a
fait les nations guérissables. Si les peuples profitent de la
dure leçon que Dieu leur a donnée, on peut espérer pour
eux une sorte de régénération et de progrés dans l'idéal
de la justice et de la vertu; s'ils n'en profitent pas,
Dieu ajoutera-t-il d'autres châtiments au châtiment
actuel?... Que peuvent nous faire espérer ou craindre,
sous ce rapport, les événements dont nous avons été les
témoins?...
D'une part, on a constaté dans certaines classes un
renouveau de vie chrétienne. Dès maintenant, on peut
l'enregistrer comme un fait acquis, pour des milliers de
combattants sur la ligne de feu, et, en arrière, chez
leurs parents ou amis, qui, angoissés à la pensée de
tant de scènes tragiques et terribles, se pressent auprès
des autels, priant avec ferveur le Dieu maître absolu
de la vie et de la mort. Cf. G. Ardant, La religion de
nos soldats, notes d'un aumônier militaire, et Mgr Bau-
drillart, De la profondeur du mouvement religieux qui
s'est manifesté dans l'armée française, dans La guerre alle-
mande et le catholicisme, p. 150-214 ;Mgr Lacroix, Le clergé
et la guerre de 1914, in-12, Paris, 1914; Gabriel Langlois,
Le clergé, les catholiques et la guerre, précédé d'une
longue préface de Mgr Herrscher, in-12, Paris, 1915;
Mgr Pons, La guerre et l'âme française, in-12, Paris,
1915; Xavier Roux, L'âme de nos soldats, d'après
leurs actes et leurs lettres, in-12, Paris, 1915; Geoffroy
de Grandmaison, Les aumôniers militaires, in-12,
Paris, 1915; abbé Garriguet, Mois des morts pour
le temps de la guerre, in-12, Paris, 1915; Henry
Bordeaux, La jeunesse nouvelle, in-12, Paris, 1915 ; Jan-
vier, La patrie, in-12, Paris, 1915 ; Charles Lelcux,
Feuilles de route d'un ambulancier, in-8°, Paris, 1915;
dom Hébrard, Aux femmes de France. Le livre delà
consolation, in-12, Paris, 1916; Dieu, la France, nos en-
fants, par une veuve de la guerre, in-12, Paris, 1916;
A. Petitdemange, Odeur de poudre, parfum d'encens,
in-12, Paris, 1916; Victor Bucaille, Lettres de prêtres
aux armées, in-12, Paris, 1916; A. D. Sertillanges, La
vie héroïque, 3 in-12, Paris, 1916; Léonce de Grand-
maison, Impressions de guerre de prêtres-soldats, in-12,
Paris, 1916; Maïten d'Arguibert, Journal d'une famille
française durant la guerre, in-12, Paris, 1916; abbé
L. Paulin, Pour Dieu et pour la patrie, in-12, Paris,
1916; comte de Chabrol, Pour le renouveau. Expia-
tion, conversion, rédemption, in-12, Paris, 1916; abbé
Lagardère, Haut les cœurs l Les larmes consolées,
in-12, Paris, 1916; abbé L. Bretonneau, L'apostolat
de la jeunesse pendant la guerre, in-12, Paris, 1916;
René Bazin, Aujourd'hui et demain. Pensées du
temps de la guerre, in-12, Paris, 1916 ; Louis Collin,
Reliques sacrées, lettres de soldats tombés sur le
champ de bataille et empreintes de hauts sentiments
religieux, in-12, Paris, 1916; Guillermin et Griselle,
Les voix consolatrices avec les plus belles pages inspirées
par la guerre, in-12, Paris, 1916.
D'autre part, néanmoins, on ne voit pas encore que
l'amélioration produite soit proportionnée à l'étendue
des fautes commises. Combien qui persévèrent dans
l'indifférence religieuse, dans l'hostilité même envers
la religion et dans le mépris des lois morales ! Puis,
les fautes qui ont attiré ces châtiments ne furent pas
que des fautes individuelles, mais aussi et surtout peut-
être des fautes collectives et sociales. Or, on ne voit
pas encore que les peuples, en tant que peuples, revien-
nent à de meilleurs sentiments. 11 n'y a eu encore aucun
acte officiel et solennel de retour ù Dieu. L'apostasie
continue, et, des lois forgées contre Dieu, aucune n'a
été rapportée. Peut-on donc espérer que cette i aix
que nous avons tant souhaitée aura les résultats
que nous sommes en droit d'en espérer ? N'a-t-on
pas souvent dit, en ces derniers temps, que rien n'arrive
comme on l'avait prévu? Ceci est particulièrement vrai
de la grande guerre européenne dont l'acharnement
dura si longtemps. Elle a commencé, comme nul, pas
même le grand état-major allemand, ne prévoyait
qu'elle commençât; elle s'est déroulée de même, en
dehors de toute prévision; de même elle se termina
comme, certes ne le prévoyaient pas les agresseurs.
Qui pourrait croire, pourtant, que les innombrables
victimes de ce drame épouvantable aient versé leur
sang en vain? La mort, trouvée sur les champs de ba-
1959
GUERRE
1960
taille, n'est-elle pas d'un grand poids aux yeux de la
divine justice, pour l'expiation de tant de forfaits dont
trop de nations se sont rendues coupables? Ces héca-
tombes ne rétabliront-elles pas l'équilibre exigé par
la souveraine justice entre les crimes et l'expiation'?
Espérons que Dieu, qui d'ordinaire châtie les nations
non pour les détruire, mais pour les purifier, accom-
plira en elles, cette fois encore, avec les arrêts de sa
redoutable justice, les œuvres de sa miséricordieuse
bonté.
On a beaucoup écrit sur la guerre et sur les droits qu'elle
confère. Voici les principaux auteurs qu'on pourra lire
avantageusement.
Un des plus anciens est Dion Chrysostome, qui, vers la fin
duiersièclede notreère, pulflia en grec une dissertation, De lu
guerre et de la paix; quoique païen, il laisse sentir l'influence
adoucissante du christianisme, in-8», Leipzig, 1784, 1857;
Brunswick, 1844; in-12, Paris, 1751; Del Pozzo, Tractatus
elegans et copiosus de re militari, dans le t. xvi de la collec-
tion intitulée : Tructatus illustrium in ulraque, tum pontificii,
tum ctvsarei juris facultate jurisconsultorttm, in-fol., Venise,
1584; Fr. de Victoria, Relectiones XII theologicœ, 1. IV, De
jure belli et Indis, in-fol., Lyon, 1587; Alberico Gentile, De
jure belli, in-fol., Londres, 1588; Bellarmin, II* Controversia
generalis, De membris Ecclesiœ militantis, 1. III, De laicis,
c. xm-xvi, Opéra omnia, 8 in-4°, Naples, 1872, t. ir, p. 325-
333 ; Suarez, De charitate, disp. XIII, De bello, Opéra omnia,
28 in-4°, Paris, 1856-1878, t. xn, p. 737-763 ; Salmanticenses,
Cursus theologix moralis, tr. XXI, De prœceptis Decalogi,
t. vin, p. m, De bello, 6 in-fol.,Venise, 1728, t. v, p. 164-169;
Laymann, Theologia moralis, 1. II, tr. III, c. xn, De bello,
2 in-fol., Venise, 1683, t. i, p. 186-192; Grotius, De jure
belli et pacis, in-4°, Paris, 1625; édit. française, 2 in-4°,
Amsterdam, 1724, véritable code de droit international
public, où il étudie les moyens de prévenir et de réglementer
âa guerre, mais dont l'esprit n'est pas toujours inattaquable;
Reifïenstuel, Jus canonicum universum juxta titulos quin-
que librorum Decretalium, 1. I, tit. xxxiv, 6 in-fol.. Venise,
1730, t. i, p. 365 sq.; Gonzalez Tellez, Commentaria perpétua
in singulos lextus quinque librorum Decretalium, 1. I,
tit. xxxiv, c. i,ii,5 in-fol., Venise, 1737, t. i, p. 593-601;
Voet, De jure militari, Appendice aux Commentariorum ad
Pandectas libri quinquaginla, 2 in-fol., La Haye, 1734;
Barbeyrac, Histoire des anciens traités depuis les temps les
plus reculés jusqu'à l'empereur Charlemagnc, 2 in-fol.,
Amsterdam, 1739; Abreu, Tractato de las prisas maritimas,
in-4°, Cadix, 1746; Hubner, De la saisie des bâtiments
neutres, ou du droit qu'ont les nations belligérantes d'arrêter
les navires des peuples amis, 2 in-12, La Haye, 1759; Mably,
Le droit public de l'Europe fondé sur les traités, 3 in-12,
Paris, Genève, 1764; de la Maillardière, Précis du droit des
gens, de la guerre et de la paix et des ambassades, in-12,
Paris, 1775; Dumont et Brunel, Corps universel diplomatique
du droit des gens, ou recueil des traités de paix, d'alliances et
•de trêves, faits en Europe depuis Charlemagne jusqu'à pré-
sent, 8 in-fol., Amsterdam et La Haye, 1786 : cet ouvrage
très considérable contient environ dix mille actes, avec
"notes; de Vattel, Le droit des gens, 1. III, De la guerre,
2 in-8». Amsterdam, 1758; 3 in-8°, Paris, 1830-1838, t. h,
p. 77-299; Questions de droit naturel, in-12, Berne, 1762;
Schmalzgrueber, Jus ecclesiasticum universum, secundum
quinque libros Decretalium, 1. 1, tit. xxxiv. De bello,
12 in-4», Rome, 1843-1845, t. i b, p. 276 sq.; S. Alphonse,
Theologia moralis,]. III, tr. IV,c. i,dub. v, a. 2, An et qitous-
que liceat bellarc, 4 in-4°, édit. Gaudé, Rome, 1905-1912,
t. Il, p. 659-665; Martens, Essai concernant les armateurs et
les prises, et surtout les reprises, in-8°, Gœttingue, 1795;
Ward, Inquiry into the foundation of the lato of nations in
Europe, 2 in-8°, Londres, 1795; Trealise on the relative
righls and dulies of belligerenl and neutral powers, in-8°,
Londres, 1801.
Au xix" siècle. — Lampredi, Du commerce des neutres en
temps de guerre, 2 in-8", Paris, 1802; Tetens, Considérations
générales sur les droits réciproques des puissances belligé-
rantes.. in-8" , Copenhague, 1805; Joseph de Maistre, Les soi-
rées de Saint-Pétersbourg ou Entretien sur le gouvernement
temporel de la Providence suivis d'un traité sur les sacrifices,
2 in-8", Paris, 1822, VIP Entretiens, t. Il, p. 1-10; Kluber,
Droit (/es gens moderne de l'Europe, 2 in-8", Francfort, 1828,
1831 ; Conférences d'Angers, l<; in-S°, Paris, 1829-1830, t. vi,
p, 143-202; G. Fred. de .Martens, Précis du droit des gens mo-
derne de l'Europe, fondé sur les traités et l'usage, 2 in-8°, Paris,
1831 ; Charles de Martens, Guide diplomatique, ou tableau des
relations extérieures des puissances de l'Europe, 3 in-8°,
Paris, 1837; Proudhon, La guerre et la paix, recherches sur
le principe et la constitution du droit des gens, 2 in-12,
Bruxelles, 1861, ouvrage plein de contradictions, de
paradoxes, d'antithèses et d'antinomies; l'auteur y plaide
avec une égale force le pour et le contre, et tire des conclu-
sions absolument opposées aux prémisses, ce dont il se
montre peu embarrassé; Valin, Traité des prises, in-8",
Paris, 1836; L. Veuillot, La guerre et l'homme de guerre,
in-8», Paris, 1855; Larroque, De la guerre et des armées
permanentes, in-8°, Paris, 1856: l'auteur plaide pour l'abo-
lition de la guerre par la constitution d'un tribunal inter-
national auquel seraient déférés tous les conllits; Pistoye et
Duverdoy, Traité des prises maritimes, in-8°, Paris, 1859;
Ortolan, Règles internationales et diplomatie de la mer,
2 in-8°, Paris, 1864; Vidari, Del rispetto délia propriété
privala fra degli Stati in guerra, in-8°, Pavie, 1867; Blunt-
schli, Dos moderne Wolkerrecht der civilisirten Staaten, in-8°,
Nordlingen, 1868; Sémichon, La paix et la trêve de Dieu,
2 in-12, Paris, 1869; Moynier, Essai sur les caractères géné-
raux des lois de la guerre, in-8», Genève, 1875; Travers-
Twiss, On the rights and duties of nations in time of war,
in-8", Oxford, 1875; Alonso, Cartilla de leyes y usos de la
guerra, in-8°, Madrid, 1875; Landa, El derecho de la guerra
conforme a la moral, in-80, Madrid, 1876; Bernard, The
growlh of law and usages of war, in-8°, Londres, 1876;
Lindsay, Belligerent and neutral rights in the event of war,
in-8», Londres, 1877; Bceck, De la propriété privée ennemie
sous pavillon ennemi, in-8», Paris, 1882; Morin, Les lois
relatives à la guerre selon le droit des gens moderne, in-8°,
Paris, 1882; Nys, Le droit de la guerre et les précurseurs de
Grotius, in-8», Bruxelles, 1882; Dahn, Dos Kriegsrecht,
in-8», Berlin, 18S4; Léon Gautier, La chevalerie, in-8», Paris,
1884;Pfister, Études sur le règne de Robert le Pieux, in-8",
Paris, 1885, p. 161 sq.; Corsi, L'occupazione militare in
tempo di guerra, e le relazioni di diritlo publico e privato che
ne derioano, in-8», Florence, 1886; Zigliara, Etltica et jus
naturœ, part. II, c. ni, a. 2, Summa philosophica, 3 in-12,
Paris, 1887, t. ni, p. 289-295; Davis, War, international law,
in-8», New-York, 1887; Davis, Outlines of international law
wilh an accounlof Us origines, and sources and of ils historical
development, in-80, New- York, 1887; Backer, The influence
of christianity on war, in-8°, Cambridge, 1888; Acollas, Le
droit de la guerre, in-8", Paris, 1888; Linde, Das Wolkerrecht
im Kriege, in-8», Berlin, 1888; Kent, The rights of belli-
gerent nations in relation to each other. Commentaries on
American lato, in-8», Philadelphie, 1889; Rettich, Zur
Théorie und Geschichte des Redits zum Kriege, in-8°, Stutt-
gard, 1888; Resch, Das moderne Kriegsrecht der civilisierten
Staatenwelt, in-8", Leipzig, 1890; Bozzati, L'offesa e la
difesa nella guerra secondo i moderni ritrovati, in-8», Rome,
1888; Guellé, La guerre continentale et les personnes, in-8°,
Paris, 1889; Lueder, Krieg und Kriegsrecht in Allgemeinen,
in-8», Hambourg, 1889; Formica, Per la codi ficazione inter-
nationale délie leggi di guerra, in-8°, Rome, 1890; Kirchen
lexikon, au mot Krieg, t. vu, col. 1177-1191; Janssens,
L'Allemagne et la Réforme, 3 in-8», Paris, 1892, t. m,
p. 419 sq.; Pradier-Fodéré, Relation des États entre eux en
temps de guerre, Paris, 1894 : cet ouvrage constitue tout le
t. vi du Traité de droit international public européen et
américain; Ariga, La guerre chino-japonaise au point de
vue du droit international, in-8», Paris, 1896; Palmieri, Opus
theologicum morale in Busenbaum medullam, tr. VI, De
prœceptis Decalogi, sect. v, c. in, De bello, 7 in-8», Prato,
1889-1893, t il, p. 661-673; Viel, La guerra marilima ante el
derecln internacional, in-8», Santiago du Chili, 1899; Bon-
gianchino, La preda bellica terrestre, in-8°, Bologne, 1899;
Dupuis, Le droit de la guerre maritime d'après les doctrines
anglaises contemporaines, in-8», PariSi 1899; Meyer, Insti-
tutions juris naturalis, part. II, sect. ni, 1. II, c. Il, De jure
internationali tempore belli, 2 in-8», Fribourg-en-Brisgau,
1900, t. h, p. 785-814; Barclay, L'inviolabilité de la pro-
priété sur mer, in-8», Bruxelles, 1900 : Droit d'arresta
tion des individus voyageant à destination d'un pays belligé-
rant, dans Journ. de droit internat, privé, in-8», Paris, 1900.
Plus récemment, de Pascal, L'Église et le droit des gens,
in-12, Paris, 1901, p. 35 sq.; Lehmkuhl, Theologia moralis,
part. 1, 1. H, divis. III, tr. II, c. v, De bello, 2 in-8», Fribourg-
en-Brisgau, 1902, t. i, p. 508 sq.; Luchaire, Innocent III :
La croisade des albigeois, in-8», Paris, 1905; Dumas, Les
sanctions de l'arbitrage international, in-8», Paris, 1905;
Dalloz, Dictionnaire pratique de droit public, in-fol., Paris.
1961
GUERRE — GUEVARA
1962
1905, aux mots Guerre, Prises maritimes, p. 701 sq., 1134;
Mérignac, Traité théorique et pratique de l'arbitrage, in-8°,
Paris, 1907; Noldin, Summa theologiœ moralis, tr. De
prœceptis Dei et Ecclcsia', part. II, 1. V, c. vu, De bello,
3 in-S°, Inspruck, 1908, t. n, p. 373 sq.; Lucchini, Il digesto
italiano. Enciclopedia metodica ed alfabetica di legislazione,
dottrina e giurisprudenza, 43 in-4°, Turin, 1884-1912, au
mot Guerra, t. xn, p. 1058-1141; The catholic encyclopedia,
15 in-4°, New-York, 1913, t. XV, p. 546 sq.; Guiraud, His-
toire partiale, histoire vraie, 2 in-8°, Paris, 1911, t. i,
p. 264 sq. ; Vanderpol, Le droit de guerre d'après les théolo-
giens et les canonistes du moyen âge, in-8°, Paris, 1911 ; La
guerre devant le christianisme, in-8°, Paris, 1912; H. Pissard,
La guerre sainte en pays chrétien : essai sur l'origine et le
développement des théories canoniques, in-8°, Paris, 1912;
L'Église et la guerre, in-8°, Paris, 1913 (comprenant les
études suivantes : P. Batiffol, Les premiers chrétiens et la
guerre; P. Monceaux, S. Augustin et la guerre; E. Chénon,
S. Thomas d'Aquin et la guerre; A. Vanderpol, De jure
belli et de Indis de Victoria; L. Rolland, Le droit de la guerre
dans les écrits de Suarez; F. Duval, Les applications prati-
ques de la doctrine sur la guerre au moyen âge; A. Tan-
querey, Synthèse de la doctrine théologique sur le droit de
guerre); Hedde, Le droit de guerre d'après la morale
chrétienne, Paris, 1913; H. Brongniart, La pacifisme et
l'Église, 1913. Alf. Vanderpol, La Doctrine scolastique du
droit de guerre, in-8°, Paris, 1919.
Spécialement a propos de la guerre européenne de 1914,
outre les nombreux ouvrages cités au cours de l'article,
signalons en particulier : Daniel Frymann, Wenn ich der
Kaiser wdr I in-8°, Leipzig, 1912, ouvrage contenant les
aspirations qui ont donné occasion à la guerre; Sir Ilarry
H. Johnslon, The Germon war and its conséquences (A/A"'
cenlury, septembre 1914); Pierre de Quirielle, Lettre ouverte
à M. le professeur Karl Lampreclit, de l'université de Leipzig,
à propos de la cathédrale de Reims, dans le Correspondant du
10 octobre 1914, p. 35-44; le colonel von llnger, du
grand état-major allemand, Drei Jahre in Sattel. Ein Lern
und Lesebueh fur den Dienstunterrich der Deutschen Kavalle-
risten, in-8", Berlin, 1914; cet ouvrage, arrivé déjà à sa
15e édition au début de la guerre actuelle, est un commen-
taire du code impérial de l'armée allemande, Die Kriegs
Artikeln, ijui, anciens dans leur substance, ont été revus,
mis au point et codifiés par l'empereur Guillaume IT, le
22 septembre 1 902, pour devenir comme une règle du devoir et
de l'honneur, sorte d'évangile militaire à l'usage des officiers
et des soldats. Un mois après leur incorporation, tous les
nouveaux conscrits font, en présence d'une Bible, d'une
croix et d'un drapeau, le serment solennel d'y être fidèles en
toutes circonstances, sur terre et sur mer. L'art. 17 con-
damne par avance les violences et les excès de toutes sortes
commis en Belgique et en France. Mgr Pierre Batiffol, Les
lois chrétiennes de la guerre, dans le Correspondant du
25 octobre 1914, p. 161-169; Y. de La Brière, Laguerre et lu
doctrine catholique, dans les Études du 5 octobre et du 5 no-
vembre 1914 ; Mgr Baudrillart, La guerre allemande et
le catholicisme, in-8°, Paris, 1915; Id., L'Allemagne et les
alliés devant la conscience chrétienne, in-8°, Paris, 1915;
abbé Rouzir, Théologie de la guerre en dix-huit leçons, in-12,
Paris, 1915 P. Chiaudano, La guerra e l'insegnamento delta
scuola, dans la Civiltà catlolica du 3 avril 1915, p. 3-32;
A. Pillet, professeur d'histoire des traités à la faculté de
droit de l'université de Paris, La science allemande et le droit
de la guerre, dans la Revuedes Deux Mondes du 1er avril 1915;
à comparer du même auteur, Les lois actuelles de la guerre,
in-8°, Paris, 1898; vicomte Maurice de Lestrange, La
question religieuse en France pendant la guerre de 1914. in-12,
Paris, 1915; H. Welschinger, de l'Académie des sciences
morales et politiques, La neutralité de la Belgique, in-12,
Paris, 1915; Les leçons du Livre jaune, in-12, Paris, 1915;
A. Mélot, député de Namur, Le martyre du clergé belge, in-12,
Paris, 1915; H. Carton de Wiart, ministre de la justice,
La Belgique en terre d'asile, in-12, Paris, 1915; Raoul Narsy,
Le supplice de Louvain, in-12, Paris, 1915; Henri Davignon,
/.es procédés de guerre des Allemands en Belgique, in-12,
Paris, 1915; Id., La conduite des Allemands en Belgique cl
en France, d'après l'enquête anglaise, in-12, Paris, 1915;
cardinal Mercier, Patriotisme et endurance, in-12, Paris,
1915; cardinal Amette, Pendant la guerre, Lettres pastorales
et allocutions, in-12, Paris, 1915; Mgr Mignot, Lettres sur la
guerre, in-12, Paris, 1915; Imbart de La Tour, L'opinion
catholique et la guerre, in-12, Paris, 1915; Léon Daudet,
L'esprit allemand, de Kant à Krupp, in-12, Paris, 1915;
Vindex, L'armée du crime, d'après le rapport de la Commis-
sion française d'enquête, in-12, Paris, 1915; Id., La basilique
dévastée. Destruction de la cathédrale de Reims. Faits et docu-
ments, in-12, Paris, 1915; E. Maie, La cathédrale de Reims,
in-12, Paris, 1916; abbé Paquier, Le protestantisme allemand,
in-12, Paris, 1915; abbé Foulon, Arras sous les obus, in-12,
Paris, 1915; F. de Dinon, En guerre l Impressions d'un
témoin, in-12, Paris, 1915; Camille Jullian, Rectitude et
perversion du sens national, in-12, Paris, 1915; James Guil-
laume, Karl Marx pangermaniste, in-12, Paris, 1915;
Ernest Denis, professeur à l'université de Paris, La guerre
de 1914. Causes immédiates et lointaines. L'intoxication
d'un peuple. Le traité, in-12, Paris, 1915; P. Saint- Yves,
Les responsabilités de l'Allemagne dans la guerre de
1914, in-12, Paris, 1915; le comte Begouen, La guerre
actuelle devant la conscience catholique, in-12, Paris, 1915;
André Sardou, L'indépendance européenne. Élude sur les
conditions de paix, in-12, Paris, 1915; André Chéradame.
La paix que voudrait l'Allemagne, in-8°, Paris, 1915; baron
d'Anthouard, Les prisonniers de guerre, in-12, Paris, 1915;
Mgr C. Carbone, Le contese internazionali e il diritto crisliano,
in-8°, Macerata, 1915; abbé Claude Bouvier, Aux âmes
chrétiennes. Les leçons sur la guerre, in-12, Paris, 1915;
abbé Stanislas Gamber, A celles qui pleurent, in-8°, Paris,
1915; Mgr Tissier, Consignes de guerre, Paris, 1915; Mgr
Horace Mazzella, Il catechismo délia guerra, in-12, Rome,
1916; Id., La guerra nella Bibbia e nella sloria délia
Chiesa, ossia la guerra nel disegno di Dio, nell' insegnamento
di Gesu Crislo, nell' azione délia Chiesa, in-12, Rome, 1916;
R. P. Bernard Kuhn, Conférences sur la guerre, in-12,
Paris, 1916; Oldrà, La guerra nella morale cristiana, in-12,
Turin, 1916; R. P. Thomas Pègues, O. P., professeur au col-
lège angélique de Rome, Saint Thomas d' Aquin et la guerre,
in-12, Paris, 1916.
T. Ortolan.
1. GUEVARA (Jean de), religieux augustin espagnol
du xvi9 siècle (1504-1600), passa pour ainsi dire toute
sa vie dans les études et l'enseignement, ayant réussi
à occuper pendant trente-six ans une chaire de théo-
logie à l'université de Salamanque. Ses contemporains
lui vouèrent une estime extraordinaire, l'un d'eux
(Pierre d'Aragon) ne craignant pas d'écrire dans la
préface de son propre livre que si, par impossible, toutes
les richesses de la théologie scolastique se fussent
perdues, on les aurait retrouvées intactes dans le
cerveau du P. Jean de Guevara et de Fray Luis de Léon.
In IV Sent, Salamanque, 1584, t. i, prolog. Ce Père,
en sa qualité de doyen de la faculté de théologie, prit
une part importante aux controverses suscitées par
le livre et les opinions de Molina sur la grâce, non sans
montrer une certaine inclination pour ce dernier.
Malgré sa grande renommée et quoique l'auteur men-
tionné plus haut assure suivre en tout la doctrine de
son maître, les ouvrages du P. de Guevara ne furent
jamais imprimés. L'on rencontre seulement quelques
pages des leçons qu'il avait données sur l'Ecriture
sainte en remplacement de F. Luis de Léon dans l'édi-
tion des œuvres latines de ce dernier, publiées sous ce
titre : Magistri Luysii Legionensis, augustiniani, divi-
norum Librorum primi apud Salmanlicenses inlcrprelis
opéra, Salamanque, 1892, t. m, p. 503-514. Il laissa ce
pendant les manuscrits suivants, qui se trouvaient à la
bibliothèque ottobonienne, actuellement transférée au
Vatican : 1° Super J V'1" Sententiarum Durandi ;2° Trac-
talus de arle magica; 3° De sacramentis ; 4° Super III"
parlera D. Thomœ de pœn ilenlia ; 5 ° De peccalo originali ;
6° Appendix ad tractalum de confessione; 7° Super 1""
parlera théologies magistri Durandi; 8° De sacramentis
et indulgentiis ; 9° In I"" partent theologiœ M. Durandi,
De eucharistia, de indulgentiis et de sacramento matri-
monii; 10° De Verbi Dei incarnafione cxplanalio. Ce
dernier ms. se trouve à la bibliothèque Angelica.
D. <>, 15.
Ciudad de Dios, 1904, t. lxiv, p. 477-479; G régoire'de
Santiago, Ensago de bibliolheca Ibero-Americana de la orden
de S. Agustin, Madrid. 1913, p. 153.
N. Merlin.
1963
GUEVARA — GUIGUES
1964
2. GUEVARA Joseph, théologien espagnol, né
le 14 mars 1719 à Rexas, diocèse de Tolède, entra
dans la Compagnie de Jésus le 31 janvier 1732 dans
la province du Paraguay. Déporté en Italie avec
6 000 jésuites espagnols en avril 1767 par ordre de
Charles III, le P. Guevara, pourvu d'un canonicat à
Spello après 1772, se livra à des études d'apologé-
tique et de controverse dont les principales ont été
publiées : Dissertalio aniiblasiana seu Blasius admo-
nitor in Blasiiim commonitorem, Venise, 1775, qui
contient la défense du culte du Sacré-Cœur; Disscr-
lazionc sopra gli oracoli nella quale si fa manifeslo contra
Fontanelle che il demonio ebbc parte negli oracoli degli
anlichi, Foligno, 1789; Dissertalio historico-dogmatica
de sacrarum imaginwn cultu religioso quatuor epochis
complectens dogma et disciplinam Ecclesiœ, in-fol.,
Foligno, 1789; Risposla ull'anonimo délia lellera sopra
la vicinanza del giudicio unioersale, Foligno, 1790.
Un immense ouvrage en 8 in-8° sur la superstition est
resté manuscrit. Son importante histoire du Paraguay
a été publiée à Buenos-Ayres en 1836 par Pedro de
Angelis. Le P. Guevara mourut le 23 février 1806.
Sommervogel, Bibliothèque de la C» de Jésus, t. m,
col. 1923 sq.; Caballero, Bibliothcra scriptorum S. J., t. Il,
p. 45; Hurter, Nomenclator, 3" édit., Inspruck, 1913, t. v,
col. 1059.
P. Bernard.
GUI DE PERPIGNAN (TERRENI), qui mourut,
le 21 août 1342, évêque d'Elne (Pyrénées-Orientales),
non loin de Perpignan, son lieu de naissance, entra
très jeune dans l'ordre des carmes. Ses supérieurs
l'envoyèrent étudier la théologie à Paris, où il conquit
de la façon la plus brillante le grade de docteur. La
cour romaine se trouvait alors à Avignon. Le Père
Gui Terreni y fut appelé pour professer la théologie
au palais apostolique. Bientôt ses confrères le choi-
sirent pour supérieur provincial, et en 1318, peu
après la mort de Gérard de Bologne, le chapitre général
des carmes, réuni à Bordeaux, l'élut à l'unanimité
supérieur général. Moins de trois ans après, en 1321,
le pape Jean XXII, qui l'avait en haute et affectueuse
estime, le nomma évêque de Majorque. Le nouvel
évêque eut à s'opposer aux empiétements du pouvoir
civil sur les franchises ecclésiastiques et, en 1332,
il demanda et obtint d'être transféré au siège d'Elne.
Le pape le mandait souvent à Avignon et l'y retenait
pour s'éclairer et s'aider de la science et des conseils
de ce grand théologien. L'on croit, sans en avoir la
preuve certaine, que Gui Terreni mourut à Avignon.
Il avait acquis une grande notoriété auprès de ses
contemporains, et l'université de Paris se faisait
gloire de l'entendre nommer par antonomase doctor
Parisiensis. Il sut mettre au service de l'Église les
riches dons qu'il avait reçus de Dieu et l'autorité que
lui avaient valu sa vertu et sa science. Parmi ses
travaux restés manuscrits, il faut signaler, outre de
nombreux commentaires sur divers traités d'Aristote
et sur les IV livres des Sentences, un livre de Quod-
iibeta; un autre de Quœstiones ordinariœ; De perfectione
vilae. catholicœ, traité des conseils évangéliques adaptés
à toute vie chrétienne, commencé à Majorque, terminé
a Elue, et dédié à Jean XXII; Correclorium Decreli
(jraliani, entrepris sur les instances de ses amis en
vue de mieux ordonner la compilation du célèbre
bénédictin; c'est peut-être son meilleur ouvrage.
Nous avons cependant de lui Quatuor unum, œuvre de
grande valeur, qui fut publiée plus de deux siècles
après sa composition, par les soins du carme allemand
Jean Seiner, sous le titre de Concordia Evangeliorum,
in-fol., Cologne, 1531; Expositlo in tria canlica evan-
gelica, dédiée à Jean XXII, in-fol., Cologne, 1531;
Summa de hseresibus et earum conjulationibus, in-fol.,
Paris, 1528; Cologne, 1521. L'édition de Paris de ce
dernier ouvrage est, dit-on, remarquable pour sa
typographie; quant au fond, certains critiques ont
très vivement reproché à l'évêque d'Elne d'attribuer,
sans un contrôle suffisant, telle hérésie à tel peuple.
Ce reproche n'est pas fondé, ainsi que le démontra
péremptoirement Cosme de Villiers, Bibliotheca carme-
lilana, Orléans, 1752, t. i, col. 584-585. Cette impor-
tante encyclopédie des erreurs de tous les temps
jusqu'au xive siècle est une œuvre remarquable non
seulement par la hardiesse de sa conception, mais
encore par l'étendue des connaissances et la sûreté
de doctrine de son auteur.
Petrus-Lucius, Carmelitana bibliotheca, Florence, 1593,
fol. 32; Engelbert de Sainte-Françoise, Brevis séries
omnium capit. gênerai, in ordine b. Marias Virginis de Monte-
Carmelo, Rome, 1765, p. 91 ; N. Antonio, Bibliotheca
hispana vêtus, p. 252 sq.; Cosme de Villiers, Bibliotheca
carmelitana, Orléans, 1752, t. i, col. 581-588; Raphaël de
Saint-Joseph, Prolegomena in S. theologiam, Gand, 1882,
p. 83; Daniel de la Vierge-Marie, Spéculum carmelitanum,
Anvers, 1680, t. i, p. 134, 143, 263; t. n, p. 889, 898, 923,
924, 1114; Richard et Giraud, Bibliothèque sacrée, Paris,
1824, t. xii, p. 386; Le Mire, Bibliotheca ecclesiastica,
Anvers, 1639, p. 262; Dictionnaire de la Bible, art. Carmes,
par le P. Benoît, t. n, col. 304; Moréri, Le grand dictionnaire
historique, Paris, 1712, t. m, p. 315; Kirchenlexikon,
t. v, col. 1358; Hurter, Nomenclator, 1906, t. n, col. 545-547;
P. Féret, La faculté de théologie de Paris, Paris, 1896, t. m,
p. 519-523.
P. Servais.
GUICHARDAnastase.VoirANASTASE7,t.i,col.ll66.
1. GUIGUES. premier de ce nom dans la liste des
généraux de l'ordre des chartreux, était du diocèse
de Valence, de la partie qui est sur la rive droite du
Rhône, en Vivarais. Il appartenait à la famille de
Saint-Romain, dont la résidence et le berceau étaient
au château de ce nom, situé sur le territoire de Saint-
Barthélemy-le-Plein, non loin de Tournon. Cf. Per-
rossier, dans les Annales dauphinoises, août 1901;
Brun-Durand, Dictionnaire de la Drame ; Rochas, etc.
Guigues naquit vers l'an 1083 et reçut une éducation
conforme à la noblesse de sa naissance et à la piété
de ses parents. Selon quelques auteurs, il embrassa
la carrière ecclésiastique et devint doyen de l'église
cathédrale de Grenoble. A l'âge de 24 ans, il quitta le
monde et entra à l'ermitage de la Grande-Chartreuse,
où se trouvaient encore plusieurs des premiers disciples
de saint Bruno. « Trois ans s'étaient à peine écoulés
apris son entrée en religion, que les pieux compagnons
de sa retraite jetèrent les yeux sur lui pour le mettre
à leur tête. Le sagesse de son gouvernement fit voir
que le Saint-Esprit avait présidé à ce choix. » Histoire
littéraire de la France, t. xi, dans P. L., t. cliii,
col. 581 sq. Dom Guigues admit au noviciat saint
Godefroi, évêque d'Amiens, qui, après trois mois de
séjour à la Chartreuse, fut obligé, à son grand regret,
de rentrer dans son diocèse par décision du concile
de Beauvais réuni en 1114. Il reçut aussi la visite de
ses grands amis, saint Bernard et Pierre le Vénérable,
abbé de Cluny, ainsi que celle de saint Etienne d'Oba-
zine, du cardinal Haimeric, chancelier de l'Église
romaine, et fréquemment celle de saint Hugues,
évêque de Grenoble. Il jouissait d'une telle estime
auprès d'Innocent II et des plus grands personnages
de son époque, qu'au concile de Reims célébré en 1131
sous la présidence du souverain pontife, une lettre
adressée par lui au saint-père fut lue en pleine assem-
blée par Geoffroy, évêque de Chartres, et, selon
Mabillon, le pape et tous les assistants en parurent
extrêmement satisfaits. C'est sous son gouvernement
que la communauté de la Chartreuse commença à
avoir des imitateurs et des fondations d'autres ermi-
tages en dehors de son désert. Huit maisons nouvelles
surgirent entre 1115 et 1136, dont les plus renommées
1965
GUIGUES
1966
furent l'ermitage de Portes, dans le Bugey, et la
chartreuse du Mont-Dieu, au diocc'se de Reims. C'est
pour établir l'uniformité de l'observance régulière
dans ces nouvelles maisons que dom Guigues écrivit
le recueil des Coutumes de la Grande-Chartrei^e.
En 1132, au soir du 11 janvier, une avalanche de terre
et de neige détruisit presque entièrement ce monastère.
Sept religieux furent engloutis dans les ruines. Dom
Guigues, très affligé de ce désastre, songea de suite à
le rebâtir dans un emplacement meilleur, à l'abri des
avalanches, et il choisit l'endroit que la Grande-Char-
treuse occupe aujourd'hui. En quelques mois, aidé par
saint Anthelme de Chignin, son procureur, il put
terminer son ouvrage et fit consacrer la nouvelle
église le 13 octobre de la même année. Mais le triste
événement eut un contre-coup sur la santé du prieur.
« Les dernières années de sa vie furent exercées par
de fréquentes inlirmités. Il suppléa, par son courage,
aux forces qui lui manquaient. Mais enfin il succomba
sous le poids de sa faiblesse, le 27 juillet de l'an 1137,
dans la cinquante-quatrième année de son âge. » His-
toire littéraire de la France. Dom Guigues a laissé une
telle réputation de sainteté que, de nos jours encore,
divers écrivains sérieux le nomment Vénérable et
même Bienheureux, comme déjà, de son vivant,
on l'appelait le bon prieur. Voici la liste de ses écrits
avec quelques-unes de leurs éditions : 1° Consuetudines
domus Carlusiee imprimées, en 1510, à Bâle par Jean
Amerln.ch, par ordre de dom François Dupuy, général
des chartreux, avec les autres Statuts, anciens et
nouveaux, la troisième compilation et le recueil des
principaux privilèges accordés à l'ordre par les sou-
verains pontifes. Dom Grégoire Raisch, prieur de la
chartreuse de Fribourg-en Brisgau, dirigea cette
édition et l'enrichit de notes marginales ainsi que
d'un répertoire général disposé par ordre alphabétique.
Le texte des Coutumes de dom Guigues se trouve
dans l'ouvrage de dom Innocent Le Masson, intitulé :
Annales ordinis cartusiensis tribus tomis dislribuli.
Tomus primus..., qu'il fit imprimer, en 1687, in-fol., à
la correrie de la Grande-Chartreuse, et que. seize
années après, en 1703, il mit dans le commerce, à
Paris, sous ce nouveau titre : Disciplina ordinis
cartusiensis in très libros distribula. En 1894, l'im-
primerie de la chartreuse de Montreuil-sur-Mer a
réédité la Disciplina, grand in-4°. Migne a publié le
texte des Coutumes avec le commentaire de dom
Le Masson, P. L., t. cliii, col. 631-760. — 2» Dom
Guigues recueillit en un seul corps les lettres de saint
Jérôme, éparses auparavant en divers manuscrits
et confondues avec plusieurs pièces fabriquées par
les hérétiques et faussement attribuées au saint
docteur. Dans une lettre aux chartreux de Durbon,
il rend compte de ce travail et leur apprend qu'il avait
déjà épuré les œuvres d'autres Pères de l'Eglise. Le
travail de dom Guigues n'est pas perdu, quoique les
éditeurs des œuvres de saint Jérôme au xvme siècle
ne s'en servirent pas. Il en existe encore, à notre
connaissance, trois copies. La première était au
château de Middlehill, chez sir Philipps, ms. sur
parchemin du xn° siècle; la deuxième se trouve à
la bibliothèque Mazarine, à Paris, ms. du xn° siècle,
in-fol., n. 26i; enfin la troisième est à la bibliothèque
de la ville de Dijon, et provient de l'ancienne abbaye
de Cîteaux, ms. du xne siècle, in-fol., n. 102. — 3° Dom
Guigues composa des méditations dont le mérite a fait
multiplier les éditions. Elles ont été insérées dans les
grandes collections des œuvres des saints Pères
publiées, en différentes époques, à Paris, à Cologne et
à Lyon. Migne les a éditées, P. L., t. cliii, col. 601-632.
On en trouve diverses éditions anciennes et modernes,
en petit format. La plus récente semble être celle de
Cologne, 1865, in-32. — 4° C'est aussi à dom Guigues
que l'on doit l'opuscule sur l'oraison publié dans les
œuvres de saint Augustin, sous le titre de Scala
paradisi, P. L., t. xl, col. 997-1004, et dans celles de
saint Bernard, sous le titre de Scala claustralium sive
tractatus de modo orandi, P. L., t. clxxxiii, col. 475-
484. Cet ouvrage a été très souvent imprimé sépa
rément, et il y a des traductions anciennes et modernes,
en allemand, en français et en italien. Signalo^
j seulement la version de F. Fuzet : L'Échelle du ciel
! ou traité de l'oraison. Texte latin avec traduction
' française et commentaires tirés de Suarez, in-18, Lille
; et Bruges, 1880. — 5° Vila sancti Hugonis, episcopi
Gralianopolilani, écrite par ordre du pape Innocent II,
; en 1134, se trouve dans Surius, au 1er avril, t. n, des
| Vies des saints. Les bollandistes l'ont insérée dans
I les Acta sanclorum et y ont ajouté des notes. Migne
j a publié l'édition des bollandistes, P. L., t. cliii,
i col. 761-784. Mgr Charles Bellet fit paraître, en 1889,
I une nouvelle édition de cette Vie d'après plusieurs
! anciens manuscrits, in-8°, Montreuil-sur-Mer. —
I 6° Dom Guigues était en correspondance avec les
! plus grands personnages de son temps. Mais de la
! grande quantité de lettres qu'il écrivit, six seulement
I ont échappé aux injures du temps. Elles se trouvent
dans les appendices de l'histoire de l'ordre des char-
treux de Tromby et dans les Anncdes de dom Le Cou-
teulx. On les trouve aussi respectivement dans les
œuvres de saint Bernard, du pape Innocent II, de
Pierre le Vénérable, dans la P. L., t. cliii, col. 593-602,
et dans d'autres collections de ce genre. Dans Tromby,
dom Le Couteulx, Migne, etc., on trouve deux lettres
de saint Bernard et trois de Pierre le Vénérable à
dom Guigues. Plusieurs auteurs, entre autres, les
bénédictins Martène et Massuet, et le chartreux
Tromby, à leur suite, ont attribué à dom Guigues
la fameuse lettre ou traité Ad jralres de Monte Dei,
publiée dans les œuvres de saint Bernard, P. L.,
t. clxxxiv, col. 298-364. Cette attribution est fausse.
Le véritable auteur de cette lettre est Guillaume de
Saint-Thierry, qui la composa vers 1145, huit ans
après la mort de dom Guigues. Cf. Gillet, La chartreuse
du Mont-Dieu, in-8°, Reims, 1889, p. 83 sq.
Dom Guigues, en sa qualité d'auteur du recueil des
Coutumes de la Grande-Chartreuse et de premier propa-
gateur de l'ordre, occupe une grande place dans l'histoire
des chartreux. Tous les chroniqueurs ont parlé de ses
vertus et de ses œuvres. Nous nous bornons à citer seule-
ment ces trois grands écrivains, qui ont résumé les notices
des autres : Histoire littéraire de la France, t. xi; dom Le
Couteulx, Annales ont. cartus.; dom Le Vasseur, Eplieni.
ord. cart., t. n, p. 535 sq.; P. L., t. cliii, col. 501-592;
voir dom Ceillier, Histoire générale des auteurs ecclésias-
tiques, 2e édit., Paris, 1863, t. xiv, p. 305-310; Hurter,
Nomenclator, 1906, t. n, col. 59-60, 1583.
S. Autore.
2. GUIGUES, second de ce nom, était procureur
de la Grande-Chartreuse, lorsque ses confrères, en 1173.
l'élurent pour leur prieur et général de tout l'ordre,
Il succéda à dom Basile (f 1179), qui, après vingt-
deux ans de généralat, rentra dans la vie privée pour
vivre uniquement occupé à la contemplation et à la
pénitence. Dom Guigues imita cet exemple, et, en 1180,
abdiqua sa charge et vécut saintement dans une
cellule du cloître jusqu'au 27 septembre 1188 ou,
selon dom Le Couteulx, jusqu'au 6 avril 1193. Il avait
le don d'oraison et son recueillement continuel lui
mérita le surnom d'angélique. Après sa mort, il trou-
bla la solitude et la paix de la Grande-Chartreuse
par ses nombreux miracles. Les populations s'em-
pressaient de porter leurs malades à la porte du
monastère et faisaient des instances pour les déposer
sur la tombe du vénérable religieux, afin d'obtenir
leur guérison. Dom Jancelin, son successeur, fit cesser
ces pieux pèlerinages en ordonnant au mort de ne
1967
GUIGUES — GUILLAUME D'AUVERGNE
1968
plus opérer de miracles dans l'enclos du couvent. Sous
le généralat de doin Guigues, l'ordre obtint d'Alexan-
dre III le privilège d'être placé sous la protection
spéciale du Saint-Siège et la confirmation des ordon-
nances des chapitres généraux. A la même époque,
six nouvelles fondations de chartreuses augmentèrent
le nombre des ermitages cartusiens et firent répandre
la renommée des enfants de saint Bruno jusqu'en
Danemark et en Angleterre.
Dom Guigues écrivit un traité intitulé : De quadri-
partite exerciiio cellœ, où il enseigne comment un
chartreux doit s'occuper, dans sa cellule, à la lecture,
à la méditation, à l'oraison ou contemplation et au
travail manuel. Cet ouvrage renferme les grands
principes de l'ascétisme et de la mystique chrétienne.
Il suppose chez l'auteur une profonde connaissance
de l'Écriture sainte et des voies intérieures. Il fut
d'abord imprimé, en 1667, à Dijon, par Pierre-Fram, ois
Chifflet, jésuite, dans son Manuale solitariorum, où il
avait recueilli plusieurs opuscules et lettres spirituelles
d'anciens chartreux. On l'inséra ensuite dans le
supplément de la Bibliothèque des Pères, et puis dans
le t. xxiv de la Grande bibliothèque des anciens Pères,
publiée à Lyon, en 1677. On le trouve également dans
le t. iv de VHistoire des chartreux de Tromby et dans
le t. cliii de la P. L. de Migne, col. 799-884.
Cf. dans Nicolas Molin, Historia cartusiana, Tournai,
1693, t. i, p. 233; dom Le Couteulx, Annales ord. cari.;
dom Léon Le Vasseur, Ephem. ord. cart., t. i, p. 436-437;
Histoire littéraire de la France; dom Ceillier, Histoire géné-
rale des auteurs ecclésiastiques, 2" édit., Paris, 1863, t. xiv,
p. 402-411 ; Tromby, Fabricius, P. L., t. cliii, col. 785-286;
Hurter, Nomenclator, 1906, t. n, col. 59, note 3.
S. Autore.
1. GUILLAUME D'AUVERGNE, évêque de Paris.
— I. Vie. II. Écrits. III. Doctrine.
I. Vie. — Des premières années de Guillaume d'Au-
vergne nous savons seulement qu'il naquit à Aurillac.
La date de sa naissance est inconnue : comme il occupa
une chaire de théologie dans l'université de Paris en
1225 et parce que, pour être admis à cette charge, il
fallait avoir au moins trente-cinq ans, nous avons le
droit de conclure qu'elle doit être placée avant 1191.
Que valent les récits contradictoires qui en font un
mendiant ou qui vantent sa noblesse ? Nous l'ignorons.
Avide de science, ayant eu, tout jeune, l'ambition
« d'acquérir l'esprit prophétique et de recevoir en
abondance les rayons de la splendeur divine », Opéra,
Paris, 1674, t. i, p. 1056, il vint à Paris. En 1223, nous
le trouvons chanoine de Notre-Dame. Il enseigna la
théologie à de nombreux élèves. Honorius III lui confia
plusieurs missions.
A la mort de Barthélémy, évêque de Paris (20 octo-
bre 1227), Guillaume proteste contre l'élection anti-
canonique de son successeur, en appelle au Saint-Siège
et va poursuivre cet appel à Rome. Grégoire IX casse
l'élection, se réserve le choix de l'évêque, et désigne
Guillaume (10 avril 1228), qu'il sacre lui-même. Bien-
tôt éclatait la longue grève (1229-1231) des maîtres de
l'université de Paris, à la suite de mauvais traitements
infligés à quelques étudiants par le prévôt de Paris et
ses gens d'armes. Dans l'intervalle, que ce soit sur
leur demande et avec l'assentiment de l'évêque et du
chancelier, ou plutôt à la demande de l'évêque et du
chancelier, les dominicains ouvrirent un cours public
de théologie. Cf. P. Mandonnet, De l'incorporation des
dominicains dans l'ancienne université de Paris, dans
la Revue thomiste, Paris, 1896, t. ni, p. 153-155. Grâce
à Grégoire IX, les maîtres finirent par rentrer à Paris,
en vainqueurs. Guillaume, blâmé par le pape de n'avoir
pas pris leur défense, leur garda de la rancune, tout
en se montrant disposé à encourager les études. Ce
n'est pas la seule circonstance où il fut en désaccord
avec le pape. Des conflits entre le chapitre de Paris
et des officiers du roi amenèrent (6 janvier 1238) une
intervention de Grégoire IX favorable aux chanoines
et sévère pour l'évêque, lequel était accusé de n'avoir
pas suffisamment pris fait et cause pour eux. A. D[ar-
mesteter], Revue des éludes juives, Paris, 1880, t. i,
p. 140, a signalé en Guillaume « son caractère de prêtre
gallican, d'homme du roi, et l'indépendance avec
laquelle il défendit les intérêts de saint Louis contre
la papauté elle-même » Il ne faudrait pas exagérer ce
trait de la physionomie de Guillaume, pas plus que le
gallicanisme de saint Louis. Ce qui est vrai, c'est que
ni le roi de France ni l'évêque de Paris n'eurent tou-
jours pour le pape une soumission effective. Cf., en ce
qui regarde Guillaume, N. Valois, Guillaume d'Au-
vergne, évêque de Paris, Paris, 1880, p. 32, 62, 68, 78,
115, 138. Mais, en dépit de résistances de détails, l'un
et l'autre furent attachés au Saint-Siège et le servirent
avec dévouement. Les papes ne s'y trompèrent point :
Honorius III, Grégoire IX, Innocent IV investirent
Guillaume de nombreuses et importantes missions,
celle, entre autres, à laquelle il se prêta de tout cœur,
de protéger les ordres mendiants, en particulier les
frères mineurs. Cf. N. Valois, op. cit., p. 84-117.
Guillaume intervint dans l'affaire retentissante du
Talmud, condamné à Paris (1240) et livré publique-
ment aux flammes. Cf. Denifle-Châtelain, Charlu-
larium universitatis Parisiensis, Paris, 1889, t. i,
p. 202-210. En 1240 encore, il condamna, de concert
avec la faculté de théologie, des propositions en faveur
auprès d'un certain nombre de maîtres et portant sur
l'essence divine, la Trinité, les anges, les saints, le
premier homme et le démon. Réduites à dix, elles
furent placées chacune en regard de la proposition
orthodoxe qui la contredisait. Cf. d'Argentré, Colleclio
judiciorum de novis erroribus, Paris, 1733, t. i, p. 158,
186-187. En 1228, il avait clos une campagne contre
la pluralité des bénéfices en faisant déclarer solennelle-
ment par les docteurs de l'université qu'on ne pouvait
en conscience posséder deux bénéfices quand un seul
pouvait suffire à l'existence. Ce fut dès lors l'enseigne-
ment général au sein de la faculté de théologie. Cf.
P. Féret, La faculté de théologie de Paris et ses docteurs
les plus célèbres. Moyen âge, Paris, 1894, t. i, p. 212.
Influent à la cour, bien vu de saint Louis — que
pourtant il ne réussit pas à détourner de la croisade —
confesseur de Blanche de Castille, il s'acquitta intelli-
gemment de missions diplomatiques. Il ne négligea
point pour autant les intérêts de son diocèse, qu'il
gouverna avec beaucoup de piété et de zèle. Il mourut
en 1249, peut-être le 30 mars. Cf. N. Valois, Guillaume
d'Auvergne, p. 152.
II. Écrits. — 1° Ouvrages authentiques imprimés. —
Ce sont, dans l'ordre où les présente l'édition la plus
complète, Orléans et Paris, 1674, les écrits suivants :
1. De fîdc, t. i, p. 1-18; 2. De legibus, p. 18-102; 3. De
virtutibus, p. 102-191; 4. De moribus, p. 191-260; 5. De
viliis et peccalis, p. 260-293; 6. De tentationibus et
resistentiis, p. 293-309; 7. De meritis, p. 310-315; 8. De
retribulionibus sanctorum, p. 315-328; 9. De imnwr-
lalilale animée, p. 329-336; 10. De rhelorica divina sire
ars oratorio eloquenliœ divinip, p. 336-406; 11. De sacra-
menlo in generali, p. 407-416; 12. De sacramenio bup-
tismi, p. 416-426; 13. De sacramenio confirmationis,
p. 426-429; 14. De sacramenio eucharistise, p. 429-
451; 15. De sacramenio pœnitentix, p. 451-512; 16. De
sacramenio malrimonii, p. 512-528; 17. De sacramenio
ordinis, p. 528-553 ; 18. De sacramenio exlremœ unctionis
et de sacramentalibùs, p. 553-555; 19. De causis eut
Deus homo, p. 555-570; 20. De psenitentia novus tra-
ctalus, p. 570-592; 21. De universo, p. 593-1074; 22.
Tractatus quatuor nunc primum ex manuscriptis
ernti : De Trinitate, notionibus et preedicamentis, t. n a.
1969
GUILLAUME D'AUVERGNE
1970
p. 1-64; 23. De anima, p. 65-228; 24. Supplementum
traclatus novi de pxnitentia, p. 229-247; 25. Tractalus
de collatione et singularilale beneficiorum, p. 248-260;
26.1e Declauslro animée, imprimé par H. Estienne, Paris,
1507, n'a pas pris place dans l'édition de 1674.
2° Ouvrages authentiques inédits. — Ici, et dans la
suite, nous résumons N. Valois, Guillaume d'Auvergne,
p. 171-186, qui a considérablement modifié et amélioré
les listes d'Ellies du Pin, de C. Oudin, de dom Ceillier,
et de l'Histoire littéraire de la France. — 1. De passione
Domini; 2. De faciebus mundi; 3. Commentaire sur le
Cantique des cantiques; 4. sur l'Ecelèsiasle; 5. sur les
Proverbes; 6. De missa; 7. De gralia; 8. De laudibus
palientiee ; 9. De bono et malo; 10. De pauperlate spiri-
luali; 11. Sermons, au nombre de 530 environ, en latin,
et un sermon composé, avec l'aide de Philippe de Grève,
sur la sainte Vierge; de curieux fragments de la tra-
duction en dialecte picard sont publiés par N. Valois,
p. 220-223
3° Ouvrages d'une authenticité douteuse. — 1. De
Inferno et paradiso; 2. Extrada super libros Sententia-
rum; 3. Commentaire sur l'Apocalypse; 4. Statuts syno-
daux, imprimés dans le Synodicon l'arisiense publié
par les soins de C. de Beaumont, Paris, 1777; ils sont
l'œuvre d'un Guillaume de Paris, mais il est impossible
de se prononcer pour l'un ou l'autre des trois évêques
du nom de Guillaume qui occupèrent le siège de Paris
à quelques années d'intervalle; 5. Consilium domini
Guillclmi episcopi Parisiensis de ministerio et negli-
gentiis allaris (même incertitude à l'égard de ce court
fragment inédit).
4° Ouvrages apocryphes. — 1. Commentaire sur les
épllres et les évangiles des dimanches (environ 60 édi-
tions); 2. Commentaire sur l'Évangile de saint Matthieu
(imprimé, avec les œuvres de saint Anselme, édit. du
P. Raynaud, Lyon, 1630, p. 456); 3. Dialogue sur les
sept sacrements (inédit); 4. Liber contra exemplos
(inédit, est probablement l'œuvre de Guillaume Beau-
fet, originaire d'Aurillac lui aussi et évèque de Paris
de 1305 à 1320); 5. Sermons, au nombre de 300, impri-
més dans l'édition de 1674, t. n b, considérés dès long-
temps comme l'œuvre du dominicain Guillaume
Perrauld.
5° Date, sujet, unité des écrits. — Il est vraisemblable
que la plupart des écrits sont antérieurs à la promotion
à l'épiscopat. Un manuscrit d'Oxford, du xve siècle,
place en 1234 la rédaction du De sacramenlis ; on peut
se demander ce que vaut ce renseignement. Le De
virtutibus fut postérieur à 1217, car Guillaume y parle,
t. i, p. 245, de Jean de Montmirail comme d'un homme
qui n'était plus de ce monde; or ce pieux cistercien
mourut en 1217. Le Traclatus de collatione et singu-
laritale beneficiorum fut antérieur à la décision de 1228 :
tout en se prononçant contre la pluralité, Guillaume
déclare que la question est spéculativement encore dou-
teuse, ce qui suffît, dit-il, pour commander l'abstention,
afin de ne pas s'exposer au péril d'une faute grave;
évidemment, après le décret de 1228, il aurait été plus
net. Le De universo se place entre 1231 et 1236.
Le titre des écrits indique assez clairement le sujet,
exception faite pour le De universo, le De rhelorica
divina, le De faciebus mundi, le De claustro animée. Le
De universo, qui est l'œuvre la plus longue et, avec le
De anima, la plus importante, traite, en deux parties,
de l'univers matériel et de l'univers spirituel. Le De
rhelorica divina, sous la forme d'un traité de rhéto-
rique, enseigne l'art de prier. En revanche, le De facie-
bus mundi est un véritable traité de l'éloquence de la
chaire. Les faciès mundi, ce sont les objets matériels,
signes et représentations des objets spirituels; l'étude
des faciès mundi est la science des comparaisons, des
allégories et des métaphores. Le De claustro animte
assimile à la vie claustrale la vie de l'âme.
Les derniers éditeurs ont multiplié à plaisir les traités
de Guillaume. Le De f\de et le De legibus sont, en
réalité, un traité unique sous ce titre : De fîde et legibus.
Les six traités suivants constituent, clans les manuscrits,
une Summa de vitiis et virtutibus, divisée en trois part les
traitant successivement des vertus, des mœurs, et enfin,
dans trois sections, des vices et des péchés, des tenta-
tions et des résistances, des mérites et de la récompense
des saints. Le De sacramenlo in generali et les traités sur
les sacrements en particulier forment un seul traité De
sacramenlis. Restent donc, à l'actif de Guillaume, vingt-
deux traités où l'on est autorisé à discerner des frag-
ments d'un des plus vastes monuments qu'ait édifiés
la scolastique. Cette encyclopédie. Guillaume l'appelait
tantôt « science divine, divinale, sapientiale ou spiri-
tuelle », tantôt « philosophie première et théologique,
philosophie sapientiale », ou même « métier premier,
sapiential et divinal ». Opéra, t. i, p. 102. 24, 76, 407,
69, 76, 593. Elle a sept parties. La I™ traite de Dieu
et est représentée par le De Trinitate. Viennent ensuite
l'étude de l'ensemble des créatures et des rapports du
inonde avec Dieu (IIe et IIIe parties, représentées
par la Ire partie du De universo); la science des purs
esprits (IV partie, représentée par la IIe paitie du
De universo). Puis, nous arrivons à l'homme. La Ve par-
tie est formée par le De fide et legibus (vraie religion);
la VIe par le De sacramenlis. Rejetant en dehors de
la science divine la psychologie proprement dite et
l'annexant à la philosophie naturelle, Guillaume, dans
sa VIIe et dernière partie, s'occupe des facultés les
plus nobles de l'âme, de la volonté, des vertus et des
mœurs, des vices et des péchés, des mérites et des
récompenses réservées à la vertu : c'est l'objet de la
Summa de vitiis et virtutibus. Ainsi Guillaume, à l'exem-
ple de ses contemporains et selon un plan qui, sans
en avoir la perfection architecturale, offre des analo-
gies avec celui de la Somme théologique de saint Tho-
mas, cherchait à coordonner son enseignement, et,
quand il achevait la Summa de vitiis et virtutibus, « il
mettait en réalité la dernière main à un vaste ouvrage
que l'on pouvait appeler sa Somme. Il porte ce nom
dans l'un des manuscrits d'Oxford : le De fide et legibus,
le De sacramentis, la Summa de vitiis et virtutibus n'y
sont désignés que par ces mots : Quinta pars, sexla pars,
seplima pars Summe Parisiensis. » N. Valois, Guillaume
d'Auvergne, p. 197.
III. Doctrine. — 1° Sources. — Après A. Jourdain,
Recherches critiques sur l'âge et l'origine des traductions
latines d'Aristote et sur des commentaires grecs ou arabes
employés par les docteurs scolastiques, 2e édit., Paris,
1843, p. 298-299, et d'une manière plus complète,
N. Valois, op. cit., p. 198-206, a dressé la liste des
auteurs cités par Guillaume. Ce sont : parmi les Grecs,
Hermès Trismégiste, Hippocrate, Platon (il semble
n'avoir connu que le Timée, par la traduction de Chal-
cidius), Aristote (il cite les diverses parties de l'Or-
ganon, la Métaphysique, la Physique, De l'âme, le traité
Du sommeil et de la veille, celui Des animaux, ceux
Du ciel, Du monde. Des météores, les Éthiques, le
traité De la génération et de la corruption, le traité
apocryphe Du feu grégeois), Euclide, Ptolémée, Galien,
Alexandre d'Aphrodisie, Porphyre, Thémistius, Jo-
sèphe, Origène, Eusèbe, saint Basile, saint Jean Chry-
sostome, le pseudo-Aréopagite, saint Jean Damas-
cène, la prophétie dite de Méthodius; parmi les Latins,
Cicéron, Virgile, Ovide, Tite-Live, Valère-Maxime,
Sénèque, Pline l'Ancien, Horace, Quinte-Curce, Juvé-
nal, Martial, Apulée, Macrobe, saint Cyprien, saint Am-
broise, saint Jérôme, saint Augustin, Julien Pomère
(il cite sa Vie contemplative sous le nom de saint Pros-
per), Fauste de Riez, Boèce, saint Grégoire le Grand,
saint Isidore de Séville, saint Bède, saint Bernard,
Hildebert du Mans, Hugues de Saint- Victor, Gilbert
1971
GUILLAUME D'AUVERGNE
1972
de la Porrée (il cite son Liber sex principiorum sous
le nom d'Aristote), Guigues le Chartreux, Joachim de
Flore, Alain de Lille, et sept ouvrages anonymes :
l' Itinerarium démentis ou Liber disputationum Pétri
contra Simoncm magum (qu'il attribue à saint Clément
romain), le Libellus disputuliomim cu.jusd.am christiani
et eujusdam sarraceni, le Liber experimentorum. le
Liber imaginum lunœ, le Liber maleficiorum, le Liber
sacralus, les Libri judieiorum aslronomise ; parmi les
écrivains arabes et juifs : Albategni, Alfarabi, Avicenne,
Albumazar, Algazel, Artéphius, Alfragan, Ali, Aven
Nathan, Alpetrangi, Averroès, Salomon ibn Gabirol
dit Avicebron, qu'il admire beaucoup et qu'il suppose
avoir été un chrétien vivant sous la domination arabe.
Il ne nomme jamais Maimonide; néanmoins il est hors
de doute que Guillaume d'Auvergne a copieusement
utilisé le Guide des indécis de cet auteur. L.-G. Lévy,
Maimonide, Paris, 1911, p. 262.
Les sources de Guillaume d'Auvergne sont donc
nombreuses. Une étude approfondie de ses œuvres en
révélera probablement de nouvelles. Il y a des chances
pour que Maimonide ne soit pas le seul écrivain qu'il
mette à profit sans prononcer son nom. A la suite de
B. Hauréau, Notices et extraits de quelques manuscrits
latins, Paris, 1892, t. v, p. 196-200, G. Bûlow, Des
Dominicus Gundissalinus Schrift von der Unsterblich-
keit der Seele, Munster, 1891, a montré que son De
immortalitale animée reproduit presque littéralement
l'ouvrage homonyme de l'archidiacre Gundissalvi.
Le De claustro animœ s'inspire manifestement du
livre III du De claustro animée d'Hugues de Saint-
Victor. S. Talamo, L'arislolélisme de la scolastique dans
l'histoire de la philosophie, trad. franc., Paris, 1875,
p. 228, 229, 231, 250, 256, a pu citer Guillaume parmi
les docteurs qui ont jugé Aristote avec liberté et indé-
pendance. Il fait grand cas du Stagirite, mais, au besoin,
il l'abandonne ou lui préfère Platon. Ce qui est parti-
culièrement remarquable, c'est la place qu'il accorde à
la philosophie arabe. Dans un temps où les chrétiens
en Orient et en Espagne combattaient l'islam, il s'at-
taque à l'influence des penseurs arabes. S'il décerne à
Averroès le titre de philosophus nobilissimus, Opéra,
t. i, p. 851 ; t. ii a, p. 101, il est « le premier des scolas-
tiques » qui réfute l'averroïsme « à chaque page, tantôt
sous le nom d'Aristote, tantôt sous de très vagues
dénominations, comme expositores, sequaces Arislo-
ielis ». E. Renan, Averroès et l'averroïsme, 3e édit.,
Paris, 1867, p. 225. L'attention qu'il a donnée aux
écrivains juifs, cf. J. Guttmann, Guillaume d' Auvergne
et la littérature juive, dans la Revue des éludes juives,
Paris, 1889, t. xvm, p. 243-255, achève de témoigner
de l'ampleur de ses informations.
2° Théologie. — Il serait désirable que la théologie
de Guillaume d'Auvergne fût étudiée à fond. Divers
points ont été indiqués déjà dans le Dictionnaire;
d'autres le seront ultérieurement. Voir Absolution,
1. 1, col. 175; Ame, col. 1006; Anges, col. 1226; Augus-
tinisme, col. 2556; Bacon, t. n, col. 14; Confession,
t. in, col. 894, 908, 911, 914; Confirmation, col. 1073,
1075; Crédibilité, col. 2258, 2265-2266; Démon, t. iv,
col. 390-392; Dogmatique, col. 1559; Dons du Saint-
Esprit, col. 1770-1771, 1774; Essence, t. v, col. 844;
Eucharistie, col. 1303, 1304, 1305, 1310; Fin du
monde, col. 2538-2539 ; Foi, t. vi, col. 118-119, 340, 438.
Toutes les idées théologiques de Guillaume n'ont pas la
même valeur. Des opinions surannées s'y rencontrent,
des bizarreries apparaissent. Mais les vues intéressantes
s'y présentent fréquemment. Guillaume a du savoir,
de l'ouverture et de la pénétration d'esprit. Franche-
ment orthodoxe, il ne veut pas qu'on préfère ses dis-
cours à ceux des Pères, n'ayant d'autre but, dit-il, que
ut verilalem corum per vias probationum astruam, et
contraria destruam eorumdem. Opéra, t. n a, p. 226
Alors que nombre de ses contemporains se laissent
prendre aux excès d'un certain aristotélisme ou de
l'averroïsme, il réfute sur bien des points Aristote qu'il
admire et il soumet à une critique « sévère mais non mal-
■ veillante «les commentateurs arabes. Il a l'œil ouvert
sur les tentatives des hérésiarques. II consacre une par-
tie notable du De universo à la preuve de l'unité de
Dieu et à la réfutation du manichéisme, représenté à
celte époque par les cathares: il pourchasse toutes les
erreurs de quelque côté qu'elles viennent, chez les
philosophes de l'antiquité comme dans les écoles du
moyen âge. Il admet que l'hérésie soit extirpée par
le fer et le feu. Cf. N. Valois, op. cit., p. 24-27, 238-241,
247, 310.
Au commencement du xme siècle, l'astrologie eut
grand succès. Les plus fermes esprits, les meilleurs théo-
logiens ne résistèrent pas toujours à l'entraînement
général. Guillaume d'Auvergne eut le rare mérite de la
combattre. A vrai dire, il lui fit une part minime,
admettant l'influence des astres sur quelques objets
matériels : la moelle des os, la sève des plantes, les
liquides, soutenant — et en cela il devançait l'arrêt de
la science moderne — que la mer obéit à la lune; mais
il partit en guerre contre les divagations des astrologues
et leurs doctrines malfaisantes, qui ne tendaient à rien
moins qu'à détruire le libre arbitre et le dogme de la
providence. De même, Guillaume est en avance sur
son temps dans l'assaut qu'il livre aux superstitions
de tout genre. Crédulité outrée, livres d'alchimie, de
maléfices, de magie, récits de fantômes, contes de fées,
légendes où les loups-garous interviennent, apparitions
de follets, hallucinations, enlèvements, catastrophes
prédites par les devins, tout cela ne trouve pas grâce
devant lui, aucune de ces imaginations ne lui paraît
digne des scientes et rationales. Opéra, t. i, p. 1039. Au
sujet des démons, il ne rejette pas toutes les légendes
populaires. A propos de Merlin et de ses prophéties, il
regarde comme non improbable le récit « fameux » qui
fait de lui filius dsemonis incubi... Quod aulem propheta
in cadem regione habitas est..., ex instruclionc vel doctrina
paterna hoc accepisse non immerito credi potest. Opéra,
t. i, p. 1072. Il évite toutefois beaucoup d'errements
qui avaient cours en matière de démonologie. Il appuie
sur l'importance de la doctrine des démons, qu'il se
flatte d'avoir formulée le premier : nolum est tibi quia
de rebus hujusmodi nihil ab eis qui prœcesserunt ad hœc
lempora devenit. et il ajoute assez heureusement :
quapropter grata fiant tibi hœc quse audivisli, quœ, elsi
plene nec tibi nec aliis forsan de rebus a consuetudine
nostra lam remotis sufficiant, occasionem tamen cl non-
nulla initia ea quse desunt inveniendi tibi ac aliis phi-
losophantibus prœstant. Opéra, t. i, p. 1065. De ses
preuves de l'existence de Dieu on a dit qu'elles sont
« entièrement neuves » et qu'elles « contiennent des
points de vue que Bonaventure et Thomas d'Aquin
mettront bientôt à profit ». C. Henry, Histoire des
preuves de l'existence de Dieu au moqen âge, dans la
Revue thomiste, Paris, 1911, t. xix, p. 142. « Entière-
ment neuves » est excessif. Cf. S. Schindele, Beitrâgc
zur Metaphysik des Wilhelm von Auvergne, Munich,
1900, p. 45-56. Elles dépendent de saint Augustin,
de l'ancienne scolastique, et des Arabes. Mais Guil-
laume y a ajouté du sien. Des arguments a priori, qui
rappellent celui de saint Anselme, sont caducs;
d'autres, meilleurs, préparent une partie de l'argu-
mentation de saint Thomas. Il emploie dans un sens
orthodoxe la formule : « Dieu est l'être formel des
choses », qui peut si aisément tourner au panthéisme.
En même temps que sur la théologie de Guillaume
d'Auvergne, ses écrits nous renseignent sur les idées
et les mœurs de son temps. Tel passage où il traite du
sacrement de la confirmation, par exemple, est riche
de substance historique : Quam imperiti, quam indevoli
1973
GUILLAUME D'AUVERGNE
1974
illud hodie suscipianl, quam lurbulcnter, irreverenter,
ad illud hodie acccdatur, ipsi oculi noslri faciunl nobis
jidem, propler quod nec mirurn si virtus cjus et efjicacia
apud hujusmodi homines aul parva sil nut nulla, id est
quod speciem chrislianse religionis et signa omnia san-
ctitatis, et ipsum nomen, non solum erubescant sed eliam
formident. rarissimi enim sunl qui non erubescant nique
/ormident facere bona aul loqui vera in conspeclu homi-
num etiam christianorum. De sacmmcnlo confirmalionis,
Opéra, t. i, p. 428-429. Si l'on ne savait de qui est ce
texte, croirait-on qu'il concerne le moyen âge et qu'il
vise les contemporains de saint Louis ? Parce qu'il se
trouve dans un traité dogmatique, composé à froid, loin
des entraînements de l'éloquence de la chaire, il a plus
de force qu'un autre texte très dur pour le clergé
d'alors, et dont B. Hauréau, qui l'a extrait d'un ser-
mon inédit, Notices et extraits de quelques manuscrits
latins, Paris, 1893, t. vi, p. 228-229, dit que, pour l'ap-
précier à sa juste valeur, il importe de se rappeler qu' « il
est admis qu'un prédicateur peut, en accusant, man-
quer de mesure ».
3° Philosophie. — Croyant très orthodoxe, Guil-
laume défend les droits de la raison et marque nette-
ment ses frontières et celles de la foi. Nec altendas
sermonibus philosophorum in parte ista (il s'agit de
l'action de Dieu sur les créatures), nec etiam in aliis,
si vis erudilus esse et absque errore in rébus divinalibus :
voilà pour la foi. Et voici pour la raison : dans les
traités philosophiques, il précise que ses arguments ne
reposent pas sur le témoignage des Écritures, mais sur
des preuves rationnelles; tu autem intellige quia in
omnibus traclalibus islis specialibus non utor testimonio
legis alicujus, nec inlcnlionis mese est verilalem commu-
nem et communiter sciendam vel credendam ab homini-
bus aslruere per testimonia sed per probationes irre/ra-
gabiles. Opéra, t. i, p. 1028. L'autorité d'Aristote n'est
pas une preuve, et il se garde de l'alléguer comme telle,
cum proposilum meum sit, et in hoc tractatu et ubicumque
possum, cerlitudinem Jaccre demonstrativam post quam
non relinquitur libi dubilalionis ullum vestigium, t. n a,
p. 65; cf. p. 116. En termes magnifiques, il se déclare
partisan du progrès indéfini des sciences, t. ii a, p. 158.
La philosophie de Guillaume a été l'objet de plu-
sieurs monographies. Elle est tout à fait digne d'atten-
tion, étant donnée surtout la date où il écrivait. Mais
elle est parfois indécise; l'aristotélisme imparfait, dont
les éléments apparaissent chez lui « à l'état sporadique »
et qui se teinte d'idées néoplatoniciennes, « est étran-
gement allié aux doctrines de l'ancienne scolastique :
Guillaume essaie de concilier les innovations avec les
legs du passé, et là où la conciliation lui paraît impos-
sible, c'est la tradition qui l'emporte. Il en résulte
un manque caractéristique de cohésion doctrinale. »
M. de Wulf , Histoire de la philosophie médiévale, 2e édit.,
Louvain, 1905, p. 290.
Dans la question des universaux Guillaume n'est pas,
quoi qu'en ait dit B. Hauréau, Histoire de la philo-
sophie scolastique, Paris, 1880, t. n a, p. 166, du nombre
» des réalistes les plus intempérants ». Il professe un
réalisme modéré qui lui est propre, et qui avoisine çà
et là le conceptualisme et ailleurs semble préluder au
réalisme thomiste. Le premier des scolastiques, à notre
connaissance, il enseigne la distinction réelle de l'es-
sence et de l'existence. « Sans doute les mots dislinctio
realis ne se rencontrent pas dans ses écrits, mais les
•termes dont il se sert pour exprimer sa pensée expri-
ment l'idée sans équivoque ou obscurité. » C. Henry,
Revue thomiste, Paris, 1911, t. xix, p. 446. L'auteur
auquel il est directement redevable de cette doctrine
paraît être Avicenne. Cf. S. Schindele, Beilràge zur
Metaphgsik des Wilhelm von Auvergne, Munich, 1900,
p. 25. Le premier encore il a franchement posé le pro-
blème de l'origine des connaissances. Il a bien vu quel-
ques aspects du problème. Il a dénoncé la théorie
averroïste de l'intellect agent séparé, intermédiaire
entre Dieu et l'homme, exerçant une influence mysté-
rieuse sur la multitude des intelligences passives et
enfantant la pensée. Il rejette la théorie du phantasma
spiritualisé, ou de l'espèce sensible transformée en
espèce intelligible sous l'influence dépurative de l'intel-
lect agent,théorie présentée faussement comme aristoté-
licienne et grosse de conséquences ruineuses; beau-
coup, avant lui et après lui, s'y laissèrent prendre. Où
il est moins heureux, c'est quand il repousse la division
de l'intellect en agent et possible. Et, sans parler du
reste, sa théorie de la vision en Dieu, qui fait songer
à l'ontologisme, est grandement défectueuse. Cf. les
textes rassemblés par N. Valois, Guillaume d' Auvergne,
p. 266-278. Il est de ceux qui n'osent pas renoncer
aux sphères homocentriques d'Al Bitrogi, d'Averroès
et d'Aristote, qui rejettent, les excentriques et les
épicycles de Ptolémée, mais aussi de ceux qui dénon-
cent la contradiction formelle entre l'aristotélisme et
l'omnipotence divine, et qui, par là, contribuent à
susciter cette science parisienne du xive siècle qui,
ainsi que l'ont établi les admirables travaux de
P. Duhem, formula, avant Newton, Descartes, Galilée
et Léonard de Vinci, les principes sur lesquels repose
la science moderne. Cf. A. Dufourcq, Les origines de la
science moderne d'après les découvertes récentes, dans la
Revue des Deux Mondes, 15 juillet 1913, p. 353, 360-362.
4° Place de Guillaume d'Auvergne dans la scolastique.
— Avec Dominique Gundissalvi et, à une place
inférieure, Alfred de Sereshel, Guillaume d'Auvergne
forme le groupe des précurseurs dans l'ancienne scolas-
tique du xme siècle. Aristotélisme, platonisme ou
néo-platonisme, éléments juifs et arabes, tout cela est
en train d'agir sur la pensée chrétienne. Guillaume a de
ces sources diverses une connaissance relativement
large; il aperçoit les problèmes qui se posent, il s'atta-
che à les résoudre. S'il n'y réussit pas toujours, s'il
n'échappe pas à toute incohérence doctrinale, il donne
plus d'une fois des solutions heureuses, il fraye les
bonnes routes. Il se rend compte des dangers que
présentent les idées nouvelles, et, selon la juste remar-
que de S. Schindele, Kirchenlexikon, 2e édit., Fribourg-
en-Brisgau, 1901, t. xn, col. 1590, tout entier à ce qui
est pratique et actuel, il combat l'hérésie régnante
du catharisme et les thèses périlleuses de la philosophie
arabe et le monopole qu'elle exerce sur Aristote. Ajou-
tez à cela qu'il est de la lignée de ces grands esprits du
moyen âge qui embrassèrent tout le cycle des sciences
alors connues. Évêque et docteur, Guillaume d'Au-
vergne est une des nobles figures du xme siècle.
Il est difficile de mesurer son influence sur les scolas-
tiques venus après lui. A défaut de citations, dont les
scolastiques n'usaient pas toujours quand ils faisaient
usage d'un livre, et en admettant, avec C. Jourdain,
La philosophie de saint Thomas d'Aquin, Paris, 1858,
t. i, p. 52, que ce qui lui a manqué, pour agir décisive-
ment sur l'école, c'a été «l'énergique appui d'un ordre
religieux intéressé à propager ses écrits et sa gloire », les
nombreux manuscrits de ses œuvres témoignent d'une
diffusion sérieuse. Les éloges que lui décernent les
copistes indiquent en quelle estime on le tenait. Nobi-
lissimus philosophus... Vir élevâtes intelligcntiœ et
profundœ speculalionis...,cujus nomen non delebitur de
terra viventium, portent des manuscrits de Chartres
et d'Oxford. Cf. N. Valois, Guillaume d'Auvergne,
p. 326. Des questions qu'il avait soulevées, des théories
qu'il avait développées le premier, se retrouvent dans
la scolastique postérieure. Pour ne rien dire des pages
d'un Thomas de Cantimpré, d'un Etienne de Bourbon,
cf. A. Lecoy de La Marche, Anecdotes historiques,
légendes et apologues tirés d' É. de Bourbon, Paris, 1877,
p. 383, 387-389, et d'un Joinville, édit. Wailly, Paris,
1975 GUILLAUME D'AUVERGNE
GUILLAUME DE CHAMPEAUX 1976
1874, p. 26, qui sont à l'honneur de l'évêque ■ — celles
de Thomas de Cantimpré furent extraites, au xve siè-
cle, de son Bonum universelle de apibus. 1. I, c. xix, lv,
et on en forma un recueil intitulé : Determinatio Pari-
siensis de pluralitale beneficiorum — Roger Bacon le
mentionne avec une sympathie qu'il a rarement pour
ses contemporains. Opus tertium, c. xxm, dans J.-S.
Brewer, Fr. R. Bacon opéra quœdam haclenus inedita,
Londres, 1859, p. 74-79. Cf. F. Picavet, Roger Bacon.
La formation intellectuelle d'un homme de génie au
XIIIe siècle, dans la Bévue des Deux Mondes, 1er juin
1914, p. 656-657. Son opinion était invoquée, au con-
cile œcuménique de Vienne, par Guillaume Durand le
jeune. Tractalus de modo gencralis concilii celebrandi,
part. II, tit. xxi, Paris, 1671, p. 110. Dans un traité
Contre la pluralité des bénéfices, où il s'inspirait de
Guillaume d'Auvergne, Denys le Chartreux l'appelait
« ce docteur que beaucoup ne craignent pas d'égaler à
saint Thomas ou à saint Bonaventure ». Raoul de
Presles, La cité de Dieu, 1. XV, c. xxm, louait sa lutte
contre les superstitions. Pierre d'Ailly, De legibus et
sectis contra superstitiosos astronomos, dans Gerson,
Opéra, édit. E. du Pin, Paris, 1706, t. i, p. 781, repro-
duisait un chapitre du De fuie et legibus. La Rhétorique
divine et la Pénitence furent traduites en français et
l'imprimerie multiplia de bonne heure les éditions de
ses divers traités.
Comme la plupart des hommes illustres du moyen
âge, Guillaume d'Auvergne passa pour s'être adonné
à la magie. On prétendit qu'à l'imitation du pape
Sylvestre II, de Robert de Lincoln, d'Albert le Grand
et de Roger Bacon, il avait fabriqué des statues par-
lantes. Cf. G. Naudé, Apologie pour tous les grands
personnages qui ont été faussement soupçonnés de magie,
Paris, 1625, p. 491, 493. On le proclama un adepte
convaincu des rêveries des hermétistes. 11 est possible;
comme le conjecture N. Valois, Guillaume d'Auvergne,
p. 328, que cette étrange réputation que l'on a faite,
après coup, à Guillaume vienne de ce qu'il a cité avec
complaisance les ouvrages du pseudo-Hermès Trismé-
giste. En tout cas, la métamorphose était complète qui
transformait en initié de l'hermétisme et en magicien
un adversaire déclaré de la superstition et de la
magie.
I. Œuvres. — Il y a deux éditions générales des œuvres
de Guillaume d'Auvergne, celle de Venise, 1591, et celle
d'Orléans et Paris, 1674, 2 in-fol. On donne souvent à cette
dernière le nom du chanoine de Chartres Le Ferron, qui
communiqua à l'éditeur la copie de plusieurs manuscrits
de Chartres. Sur les éditions anciennes des œuvres isolées,
voir L. Hain, Repertorium bibliographicum, Stuttgard, 1827,
t. il, n. 8225-8323; Copinger, Supplément lo Hain, Londres,
1895, t. i, n. 8228-8319; t. n a, n. 2856-2878; t. n b, n. 8314.
II. Travaux. — E. du Pin, Histoire des controverses et
des matières ecclésiastiques traitées dans le Mil" siècle, 2e édit.,
Paris, 1701, p. 229-239; F. Vivant, De re beneficiaria sive de
non possidendis simul pluribus beneficiis, Paris, 1710
(rétablit la doctrine de Guillaume); C. Oudin, Commentarius
de scriptoribus Ecclesiœ antiquis illorumque scriptis, Leipzig,
1722, t. m, p. 100-105; dom R. Ceillier, Histoire générale
des auteurs sacrés et ecclésiastiques, Paris, 1763, t. xxm,
p. 460-482; Daunou, dans V Histoire littéraire de la France,
Paris, 1835, t. xviii, p. 357-385; X. Rousselot, Études
sur la philosophie dans le moyen âge, Paris, 1841, t. n,
p. 168-172; Javary, Guillelmi Alverni, episcopi Parisiensis,
psychologica doctrina ex eo libro quem « De anima » inscrlpsit
exprampla, Orléans, 1851; A. Sevestre, Dictionnaire de
patrologie, Paris, 1852, t. n, col. 1609-1626; B. Hauréau,
dans Notices et extraits des manuscrits, Paris, 1865, t. xxi b,
p. 204-212; Histoire de la philosophie scolastique, Paris,
1880, t. il a, p. 143-170; Notices et extraits de quelques
manuscrits latins de la Bibliothèque nationale, Paris, 1891,
t. i, p. 186, 374; t. n, p. 105, 190; t. m, p. 272; t. iv, p. 31,
200-207; t. v, p. 55, 59-60, 72-73, 138-139, 142-143, 151,
154, 101-102, 171-172, 190-200; t. vi, p. 228-229; K. Werner,
Die Psychologie des Wilhelm von Auvergne, Vienne, 1873
extrait des Sitz ungsberichte der k. Akademic der Wissen-
schaften, Vienne, 1873, t. i.xxm, p. 257-326; Wilhelms von
Auvergne Verhàllniss zu den Platonikern des XII Jahrhun-
derls, Vienne, 1873 (extrait des Sitzungsberichle, 1873,
t. lxxiv, p. 119-172); N. Valois, Guillaume d'Auvergne,
évêque de Paris (1228-1249). Sa vie et ses ouvrages, Paris,
1880; .1. Guttmann, Guillaume d'Auvergne et la littérature
juive, dans la Revue des études juives, Paris, 1889, t. xvin,
p. 243-255; Die Scholastik des Mil Jalirhunderls in ihren
Beziehungen zum Judentum, Breslau, 1902, p. 13-32;
M. Baumgartner, Die Erkennistslchre des Wilhelm von
Auvergne, Munster, 1893 (Beilràge zur Geschichte der Philo-
sophie des Mittelallcrs, t. Il a); P. Férct, La faculté de Viro-
logie de Paris et ses docteurs les plus célèbres. Moyen ûge,
Paris, 1894, t. i, p. 211-221, 252-262; G. BQlow, Des Domi-
nicus Gundissalinus Schrift von der Unsterblichkeit der
Scele, nebst einem Anhange enthaltend die Abhandlung des
Wilhelm von Paris (Auvergne) De immortalitate animée,
Munster, 1897 (Beitrdge zur Geschichte der Philosoiihie
des Mittelalters, t. n), cf. N. Valois, dans la Bibliothèque
de l'Ècoledes chartes, Paris, 1898, t. lix, p. 408-410; S. Schin-
dele, Zur Geschichte der Unterscheidung von Wessenheit
und Dasein in (1er Scholastik, Munich, 1900; Beitrdge zur
Metaphysik des Wilhem von Auvergne, Munich, 1900; dans le
K irchenlexikon, 2° édit., Fribourg-en-Brisgau, 1901, t. xn,
col. 1586-1590; Borrelli de Serres, Livre de dépenses d'un
dignitaire del'église de Paris en 1248, Paris, 1904 ; Ueberweg-
Heinze, Grundriss der Geschichte der Philosophie der patristis-
chen und scholastischen Zeit, 9e édit., Berlin,1905, p. 279, 280,
283-284; M. de Wulf, Histoire de la philosophie médiévale,
2e édit., Louvain, 1905, p. 285, 289-293; C. Henry, ComYi-
bution à l'histoire de la distinction de l'essence et de l'existence
dans la scolastique, dans la Revue thomiste, Paris, 1911,
t. xix, p. 446-450; Ziesché, Die Sakramentlehre des Wilhelm
von Auvergne, dans Weidenauer Studien, Vienne, 1911,
t. iv, p. 149-226; J. de Guibert, Le texte de Guillaume de
Paris, sur l'essence du sacrement de mariage, dans les
Recherches de science religieuse, Paris, mai-juin 1914,
p. 422-427.
F. Vernet.
2. GUSLLAUME D'AUXERRE, archidiacre de
Beauvais et célèbre professeur de théologie à Paris
vers le commencement du xme siècle, a écrit sur les
quatre livres des Sentences une Summa aurea qui
jouissait en son temps d'une très grande vogue; elle
parut à Paris d'abord en 1500, puis en 1518, et à
Venise en 1591. Guillaume d'Auxerre est, dit-on,
le premier qui, dans la théorie des sacrements, se soit
servi des termes caractéristiques de matière et de
forme. Il a aussi composé une Somme liturgique,
restée inédite, où Durand l'Ancien, l'auteur du
Ralionale divinorum offidorum, et, après lui, Martène,
dans son De antiquis Ecclesiœ ritibus, ont l'un et
l'autre beaucoup puisé. Appelé à Rome, en 1230, par
les affaires de l'université de Paris, Guillaume ne tarda
pas à mourir, entre 1230 et 1232, mais non pas à
Rome même.
Denille-Chatelain, Charlularium universilatis parisiensis,
Paris, 1889, t. i, p. 145 sq.; P. Féret, La faculté de théologie
de Paris. Moyen ùge, Paris, 1894, t. i, p. 225-228; Hurter,
Nomenclator literarius, Inspruck, 1906, t. Il, col. 263-264.
P. Godet.
3. GUILLAUME DE CHAMPEAUX, de Cam-
pellis ou Campellensis, ainsi nommé du village de
Champeaux, en Brie, près de Melun, où il était né
vers l'an 1068, nous apparaît, dans les premières
années du xne siècle, en possession à Paris de la
chaire du cloître Notre-Dame. Élève de Roscelin,
il ne laissait pas de contredire nettement son ancien
maître et d'enseigner le réalisme le plus décidé.
D'après lui, les genres sont des choses, res. Le genre
se trouve le même, essentiellement, tout entier simul-
tanément dans tous les individus qui composent le
genre. En sorte que ces individus, identiques quant à
l'essence, quorum nulla est in essenlia diversilas,
diffèrent seulement par les éléments accidentels, sola
multiludinis accidenlium varictate Guillaume pro-
fessait avec un immense éclat, lorsqu'en 1108, éclipsé
par son disciple Abélard dans la discussion du pro-
1977
GUILLAUME DE CHAMPEAUX — GUILLAUME DE PARIS
1978
blême des universaux, il abandonna l'école du cloître,
où il avait jusqu'alors enseigné, pour se retirer dans
un des faubourgs de Paris, près d'une chapelle dédiée
à saint Victor. Mais, là, il reprit bientôt ses leçons;
et, pressé de nouveau par Abélard, il accorde, en
maintenant le système de l'unité de substance ou
d'essence, que le genre n'est plus que le sujet universel,
auquel il advient la forme de l'individualité. Cette
concession était une simple correction, non pas un
désaveu. Les ardents débats qui suivirent et mirent
aux prises l'un avec l'autre Guillaume de Champeaux
et son impétueux contradicteur, ne se terminèrent
qu'en 1113, par la nomination de Guillaume à
l'évêché de Châlons-sur-Marne. Guillaume y mourut
au commencement de 1122, entouré de la considé-
ration universelle.
On a de lui quelques fragments De origine animas
et De eucharislia, P. L., t. clxiii, col. 1039 sq., 1045;
M. Patru en a publié quelques autres. De natura et
origine placita, Paris, 1847; d'autres enfin, sur l'essence
de Dieu et sur les trois personnes divines, ont paru
dans les Fragments philosophiques de Cousin, Paris,
1865, t. ri, p. 328-333.
Ses Sententise sont restées inédites. Martène,
Anecdota, t. v, p. 881, en a publié un fragment, qui
est reproduit, P. L., t. clxiii, col. 1043. Le fragment
De eucharistia, cité plus haut, provient du même
ouvrage.
Michaud, Guillaume de Champeaux et les écoles de Paris au
XU° siècle, Paris, 1867; dom Ceillier, Histoire générale des
auteurs ecclésiastiques, 2e édit., Paris, 1863, t. xiv, p. 192-
193; Histoire littéraire de la France, t. x, p. 507-516; Kir-
chenlexikon, t. xu, col. 1599; P. Féret, La faculté de théo-
logie de Paris, Paris, 1894, 1. 1, p. 105-110; Kraus, Histoire
de l'Église, nouv. édit. franc., Paris, 1904, t. n, p. 219-230;
Hurter, Nomenclator literarius, Inspruck, 1906, t. Il, col. 9,
note 2 ; G. Lefévre, Les variations de Guillaume de Cham-
peaux et la question des universaux. Étude suivie de docu-
ments originaux, Lille, 1891.
P, Godet.
4. GUILLAUME DE GOUDA, ou TER GOUW,
<lans les Pays-Bas, dont le nom a été souvent défiguré en
Gaudan, écrit lui-même qu'il était frère mineur de
l'observance, au commencement de son Exposilio mys-
teriorum misse et verus modus rite celebrandi. On ne sait
rien autre de lui, mais ce petit traité montre son éru-
dition tout en attestant sa piété, car, sans être une
exposition proprement dite de la messe, il renferme de
nombreuses applications des textes de l'Écriture sainte
et une foule de pensées pieuses. De là, son immense
popularité à la fin du xve siècle. h'Expositio misse
parut, dit-on, à Cologne vers 1486 ; il y en a aussi des
éditions d'Anvers et de Deventer que les bibliographes
fixent à la même époque, puis elles se multiplient dans
ces villes et ailleurs pour arriver au chiffre de vingt,
toutes antérieures à 1500. On a attribué au P. de Gouda
un Dialogus inter clericum et laicum super dignilate
regia, qui n'est autre que la Dispulalio inler clericum
et miliiem, de son homonyme Guillaume Occam.
Wadding et Sbaralea, Scriptores ord. minorum, Rome,
1807; la nouvelle édition, ibid., 1908, est plus précise pour
les dates; Servais Dirks, Histoire littéraire et bibliographique
des frères mineurs de l'observance en Belgique et dans les
Pays-Bas, Anvers, 1886, p. 26.
P. Edouard d'Alençon.
5. GUILLAUME DE PARIS, ainsi nommé de son
lieu d'origine, prit l'habit dominicain au couvent de
Saint- Jacques de Paris, on ignore à quelle date exacte,
mais ce fut dans le dernier quart du xine siècle. Doc-
teur de Paris et prieur du couvent le plus en vue de la
capitale, frère Guillaume fut choisi par Philippe le
Bel pour confesseur. Echard se trompe, en le donnant
pour successeur dans cette charge à Nicolas de Freau-
ville, lui aussi dominicain, et qui mourut cardinal du
titre de Saint-Eusèbe, vers 1324. C'est au P. Imbert
que frère Guillaume succéda réellement vers 1307;
c'est ce qui ressort du testament du roi Philippe le Bel,
du 17 mai 1311, où Guillaume de Paris est nommé un
de ses exécuteurs testamentaires et se trouve qualifié
du titre de confesseur. Nous savons par ailleurs que
Frère Imbert, à la date du 13 octobre 1307, était encore
confesseur du roi. Voir la dissertation sur ce sujet dans
Matth. Texte, Confesseurs des rois de France, depuis
S. Louis jusqu'à Henri II, manuscrit, archives de l'or-
dre, p. 128 sq. Dans un codicille du 28 novembre 1314,
Philippe le Bel remplace, comme exécuteur testa-
mentaire, irère Guillaume, décédé, par Irère Renaud,
prieur du couvent de Poissy. Nommé grand inquisiteur
du royaume, il exerçait cette charge dès 1303. A ce
titre, il eut à s'occuper activement du procès des tem-
pliers. Ce n'est pas ici le lieu de dire la part qu'il eut
dans ces débats; seule, son activité théologique nous
intéresse pour le moment. Nous avons de Irère
Guillaume de Paris : 1° Tabula juris. On trouve l'attri-
bution de cette œuvre à irère Guillaume dans la
Tabula, publiée par Denifle, Archiv, t. n, p. 226-240,
n. 56. Cette table, dans laquelle nominantur omnia
scripta sive opuscula FF. magistrorum sioe bacul. de
ordine prœdicalorum, est antérieure à celle de Pignon,
Calhalogus frairum qui claruerunt doctrina, et ainsi se
trouve infirmée l'opinion de Schulte, Geschichle der Quel-
len, etc., t. n, p. 99, qui prétendait que l'ouvrage de Guil-
laume de Paris se trouvait cité pour la première fois
par Pignon. Lusitanus (Antoine de Sienne), Biblio-
thecajralrum ord. prœd., Paris, 1585, p. 98, dit aussi que
irère Guillaume de Paris composa Tabulam sioe Reper-
torium brève ad inveniendum facile in Decreto et Decre-
lalibus quœcunque notabilia. Incipit : Promte volen-
tibus. Nous ignorons si cet ouvrage subsiste encore.
Denifle, loc. cit., émet un doute sur l'identité de l'au-
teur de la Tabula juris et de Irère Guillaume de Paris,
l'inquisiteur; il ne s'en explique pas autrement. Les
autres auteurs, Echard, Scriptores ordinis prœdica-
lorum, 1. 1, p. 518 ; Lajard, Histoire littéraire de la France,
t. xxvn, p. 140; Schulte, op. cit., t. n, p. 99, supposent
que c'est le même auteur. 2" Frère Guillaume composa
un traité des sacrements, sous ce titre : Dialogus de
septem sacramentis. Les remarques que fait Echard à
propos de ce traité sont intéressantes. Avec raison, il
rejette l'opinion de ceux qui ont attribué ce traité à
Guillaume d'Auvergne, évoque de Paris. Celui-ci, en
effet, est mort le 30 mars 1249; or l'auteur confesse
vers la fin du dialogue qu'il l'a composé d'après les
écrits de Irère Thomas d'Aquin et de rère Pierre de
Tarentaise, le futur Innocent V. A la date de 1249,
saint Thomas n'avait que 24 ans. Ce fut donc entre
1274, date de la mort de saint Thomas et la date de sa
canonisation,, en 1323, que ce traité aurait été composé,
et comme irère Guillaume est mort en 1314, nous pou-
vons fixer approximativement à la fin du xine siècle
ou tout à fait au début du xiv° la composition de cet
ouvrage. Du reste, Irère Claude de l'Épine, dans le
prologue de l'édition faite par ses soins vers 1550, dit
bien que ce traité a été composé, il y a deux cents ans,
par Guillaume de Paris. Echard note que de son temps
il a vu une édition de ce traité sans aucune indication,
à Paris, chez les clarisses, dites de l'Ave Maria, avec
ce titre : Incipit liber Guill Imi Parisiensis de septem
sacramentis. — Explicit tabula sacramenlalis Guillelmi
Parisiensis. On conserve d'autres manuscrits de cet
ouvrage. Echard en avait consulté deux à Saint- Victor :
n. 552, sans nom d'auteur avec le simple titre: Dialogi
de sacramentis interloculoribus Peiro et Gilone; l'autre,
n. 1126. Trois autres manuscrits à la Nationale :
n. 3473 et 3474. Le premier sous le titre de Guillelmi
episcopi Parisiensis dialogus de septem sacramentis. Le
troisième manuscrit, n. 3209, sans nom d'auteur, est
1979
GUILLAUME DE PARIS— GUILLAUME DE RENNES
1980
intitulé : 7'raclatus de seplem sacramentis per modum
ù editus.
Ce traité a eu plusieurs éditions incunables. Echard
pu (.onsulter celle qui se conservait dans la Rcgia.
in- 1 '. 1) ;>96, sans aucune indication de date, ni de lieu,
ni d'imprimeur. Elle portait ce titre explicite et intéres-
sant : Tractatus de scptem sacramentis Ecclesiœ sumlus
ex scriplis S. Thomœ de Aquino, ac Pelri de Tarenlasia,
qui per modum quœslionum discipuli ac magistri respon-
sionum de cujuslibet sacramentis efjicacia ordinale loqui-
lur et distincte : in quo Petrus sub cujusdem discipuli
nominc quœrit, et per Gregorium eidmi ut a magistri
vicem gercnte respondetur. — Explicit tractatus de scp-
tem sacramentis. Une autre édition incunable, Paris,
in-4°, Jean Bonhomme, 1489, avec ce titre : D. Guil-
lermi Farisiensis episcopi sacri eloquii docloris clarissimi
dialogus libri sui de sacramentis medullam funditus et
compcndiose complectens. Fin : Igilur Pelre hsec paucula
quœ dicta sunl de seplem sacramentis tibi sufjicianl, quœ
ut potui brevius de scriptis fralris Thomœ principaliter
collegi, ac Pelri de Taranlaize et quorumdam aliorum
dicta inserendo, etc. Explicit : Guillermus Parisiensis
super septcm sucramenlis. Elle se trouvait au couvent
de Saint-Honoré où Echard a pu la consulter. Même
année, autre édition, in-4°, Paris, Giorgius Mittelhus,
Hain, n. 8312. En 1494, le même typographe fait
paraître une autre édition in-8°, avec ce titre : Dia-
logus doctissimi viri Guillelmi episcopi Parisiensis de
seplem sacramentis. Explicit Guillelmus Parisiensis super
seplem sacramentis. Ainsi, en moins de dix ans, l'on
compte quatre éditions incunables de ce traité de
Irère Guillaume, ce qui prouve en quelle faveur on
tenait cet ouvrage. Il parut ensuite en plusieurs impres-
sions : in-16, Paris, 1500; in-8°, ibid., 1550; 1587;
Leipzig, 1512; Lyon, 1567; in-16, Lucques, 1580;
in-8°, Florence, 1579.
D'après les titres de ces différents manuscrits ou édi-
tions, on voit que généralement le traité est attribué à
Guillaume de Paris, le confesseur du roi et l'inquisiteur,
et non point à Guillaume de Paris, l'évêque, mort,
ainsi que nous l'avons dit, dès 1249. Quant au titre
d'évêque que l'on trouve effectivement en quelques
manuscrits ou éditions, il ne doit pas être pris en con-
sidération. Nous avons, en effet, beaucoup de cas sem-
blables où un personnage est qualifié du titre d'évêque
sans qu'il n'ait jamais eu en réalité une pareille dignité :
ainsi, Guillaume Peraud, l'auteur de la Somme-le- Roi,
est souvent qualifié du titre d'évêque ou d'archevêque
de Lyon; Jacques de Lausanne est également donné
comme évêque de cette ville, sans qu'il l'ait jamais été.
Une autre attribution, également fausse, de ce traité
a été faite par Sander, Bibliolheca belgica, t. n, p. 115,
à l'évêque de Cambrai, Guy de Colle di Mezzo (Collc-
medio, Colmicu). 11 s'appuie sur ce fait que ce Guy est
appelé quelquefois Gilo et que, d'après Garetius, au
xive siècle, quatre manuscrits de ce même traité por-
taient le nom de Gilo, comme auteur. Cette opinion a
trouvé créance auprès d'autres écrivains : Valère
André, Swertius, les auteurs du Gallia christiana, etc.
Echard explique ainsi cette erreur : ce traité étant
conçu sous forme de dialogue, où les interlocuteurs
sont désignés par les lettres P. et G., on a traduit
P. par Petrus et G. tantôt par Gregorius, tantôt par
Gilo; or, comme celui-ci dans le dialogue jouait le rôle
de maître, on a été amené à en faire l'auteur du traité
lui-même et ce dernier a été confondu avec l'évêque de
Cambrai, Guy de Collemedio. On voit combien cette
attribution est peu fondée. D'ailleurs, des quatre manu-
scrits cités, Sander, qui écrivait en 1643, n'en donne
aucun.
Nous ne parlons pas ici des Acla de Guillaume de
Paris, dans l'instruction du procès des templiers; ils se
rapportent plutôt à son rôle historique qu'à son activité
théologique. De même, comme inquisiteur il eut à
s'occuper de plusieurs hérésies ou mouvements héré-
tiques de son temps, représentés par Pierre Jean
d'Olive, Dulcin et Marguerite Perette. Frère Guillaume
semble aussi avoir été curieux d'exégèse. Il fit don, en
1310, au couvent de San Domenico de Bologne, d'une
Bible hébraïque, avec cette épigraphe : Islam Bibliam
hœbraicam dédit F. Guillelmus Parisiensis ordinis FF.
prœdicalorum con/essor illustrissimi régis Franchorum
conventui Bononiensi pro communi libraria Fralrum
propler reverentiam B. Dominici anno MCCCX pridie
idus febr. Quicumquc legerit in ea, oret pro eo. Amen.
Cf. Montfaucon, Diarium llalicum, p. 401.
Matthieu Texte, Recueil de mémoires, d'écrits et de notes
pour servir à l'histoire des dominicains, confesseurs des rois
de France, depuis saint Louis jusqu'à Henri II, ras. (archives
de l'ordre), p. 125-152; Denifle, Archiv fiir Literatur und
Kirchengeschichte, Berlin, 1886, t. n, p. 233; Lajard, His-
toire littéraire de la France,l877, t. xxvn, p. 140-152; Echard,
Scriptores ordinis prœdicatorum, Paris, 1719, t. i, p. 518;
Denifle-Chatelain, Chartularium universitatis Parisiensis,
t. il (1891), p. 102, 129; L. Delisle, Le cabinet des manu-
scrits, Paris, 1868, t. i, p. 11; tous les annalistes domini-
cains : Lusitanus, Piô, Fernandez, Altamura, etc.
R. Coulon.
6. GUILLAUME DE RENNES, ainsi dénommé de
son lieu d'origine, prit l'habit dominicain au couvent
de Dinan, à une date qu'il ne nous est point possible
de préciser. Nous savons néanmoins que dès le milieu
du xme siècle il s'était fait un nom comme juriste. De
très bonne heure cependant, il semble que les auteurs
aient pris à tâche, en défigurant son nom, de rendre ce
personnage plus difficile à identifier. Echard a essayé
de lui rendre sa véritable personnalité. Scriptores ordi-
nis prœdicatorum, t. i, p. 130. Son qualificatif de Redo<
nensis était devenu sous la plume de Lusitanus
(Antoine de Sienne), Bibliotheca fratrum ordinis prœdi-
catorum, Paris, 1585, p. 102, Celdonensis, qu'il corrige
ensuite dans les errata en Cerdonensis. Ainsi que le fait
remarquer Echard, cette appellation rappelle un peu
son véritable nom de Redonensis, mais les écrivains ou
bibliographes postérieurs lui conservèrent le nom de
Celdonensis, de ce nombre Possevin, Piô, Fernandez,
Altamura. Même Gilbert de la Haye, dans sa Biblio-
theca belgo-dominicana (manuscrit), le dénomme Gel-
donensis, et en fait ainsi un Flamand, originaire de
Judoigne. D'autres enfin, tels que Bandellus, dans son
traité De conceplione bealœ Virginis, l'appellent epi-
scopus Meiensis; et Alva, voulant le corriger, dans Sot
verilalis radius, 1663, col. 1355, propose la lecture epi-
scopus Mimatensis. Quoi qu'il en soit de toutes ces
erreurs sur le véritable nom de irère Guillaume et
qu' Echard a justement relevées pour rendre sa véri-
table personnalité à cet éminent canoniste, nous savons
qu'il fut un des disciples ou émules de saint Raymond
de Penafort, dont il commenta la Somme. L'ouvrage
figure dans la Tabula scriplorum, publiée par Denifle,
Archiv, t. n, p. 232, sous cette rubrique : Fr. Wilhel-
mus Aurelianensis scripsit apparatum super Summam
Raymundi. L' Apparalus fut attribué à Jean le Lecteur
ou de Fribourg. Cette erreur fut commise par les édi-
teurs de saint Raymond : Summa S. Raimundi de
Peniafort et de pœnilentia et malrimonio cum glossis
Joannis de Friburgo, in-fol., Rome, 1603. Echard a
montré avec évidence que cet ouvrage n'appartenait
aucunement à Jean de Fribourg, mais qu'il avait tou-
jours été attribué à Guillaume de Rennes. Jean de
Fribourg déclare lui-même qu'il n'est que l'auteur de
l'index tant de la Somme de saint Raymond que de
l' Apparalus. Voir Echard, loc. cil. Laget, O. P., dans
son édition de la Somme de saint Raymond, in-fol.,
Paris, 1720, a revendiqué dans le titre même de son tra-
vail, pour Guillaume de Rennes, les gloses de la Somme.
1981
GUILLAUME DE RENNES GUILLELMITES
1982
Voir Scriptores ordinis prœdicatorum, édit. Coulon,
xvme siècle, p. 424.
Echard, Scriptores ordinis prœdicatorum, Paris, 1719, t. I,
p. 130-131 ; B. Hauréau, Histoire littéraire de la France, 1885,
t. xxix, p. 602-606; F. Lot, dans la Romania, 1899, t. xxvm,
p. 329-333; Schulte, Geschichte der Quellen und Litleralur
des can. Rechts, t. n, p. 413; Denille-Chatelain, Charlularium
universilatis Parisiensis, t. m, p. 649; Denille, Archiv fur
L.iteratur und Kirchengeschichle, Berlin, 1886, t. il, p. 232;
Stintzing, Geschichte rom.-canon. Rechts Deutschlands, 1867,
p. 500-503.
R. Coulon.
7. GUILLAUME DE SAINT-AMOUR.Voir Saint-
Amour.
8. GUILLAUME DE SAONT-THIERRY, contem-
porain de saint Bernard, dont il fut l'ami intime et
presque l'émule, théologien éminent par la piété
comme par la science, écrivain d'une logique sûre et
d'un style empreint d'onction, naquit à Liège dans
les dernières années du xie siècle, vers 1085; il était
d'une noble famille. Élevé dans le monastère béné-
dictin de Saint-Nicaise de Reims, il y prit l'habit de
saint Benoît et fut élu, en 1119, abbé du monastère
de Saint-Thierry, près de Reims, qu'il gouverna
sagement et avec fruit. Gallia christiana, Paris, 1751,
l. ix, p. 187 sq. En 1735, soit santé languissante, soit
aspirations à une contemplation et à une paix plus
profondes, malgré les conseils de saint Bernard, il
se démit de sa charge et il entra dans l'abbaye cister-
cienne de Signy, au diocèse de Reims Là il vécut,
nonobstant la persistance de son état maladif, une
vie très édifiante; mais son zèle pour la pureté de la
foi l'arracha fréquemment aux douceurs et aux
charmes de la contemplation. Ce fut lui qui, vers 1140,
dans une lettre émue, P. L., t. clxxxii, col. 531 sq.,
attira l'attention de saint Bernard sur les erreurs
d'Abélard, en montrant qu'elles allaient à détruire
toute la doctrine chrétienne. « Il ne s'agit de rien
moins, écrivait-il, que de la foi en la sainte Trinité, de
la personne du médiateur, du Saint-Esprit, de la grâce
de Dieu et du mystère de notre rédemption. Vous
vous taisez; mais, je vous le déclare, tout cela est
dangereux. Regardons-nous donc comme de peu
d'importance que la foi soit falsifiée ?» Il a écrit une
Dispulatio advcrsus P. Abœlardum, P. L., t. clxxx,
col. 249-282. Cf. J. Rivière, Le dogme de la rédemption,
Paris, 1905, p. 330-332, 463-465, sur les erreurs
d'Abélard touchant la doctrine de l'expiation et les
droits du démon, signalées et réfutées par Guillaume
de Saint-Thierry. L'humble moine s'élèvera pareille-
ment contre Guillaume de Conches, De erroribus
Guillclmi de Conclus, P. L., t. clxxx, col. 333-340,
et contre Gilbert de la Porrée. Sa mort a précédé
certainement celle de saint Bernard; on la date ordi-
nairement de l'époque du concile de Reims, et du
8 septembre 1148.
Les ouvrages ascétiques ou théologiques de
Guillaume de Saint-Thierry, catalogués par lui-même
d'une façon incomplète, P. L., t. clxxxiv, col. 303 sq.,
se retrouvent pour la plupart, P. L., t. clxxx,
col. 205 sq. ; mais quelques-uns d'entre eux figurent
ailleurs sous d'autres noms auxquels on les a fausse-
ment attribués. Parmi les écrits principaux de notre
auteur on remarque : le De contemplando Deo, publié
sous le nom de saint Bernard, P. L., t. clxxxiv,
col. 365-380; le De nalura et dignitale amoris, ibid.,
col. 379-408; le De sacramenlo allaris liber, P. L.,
t. clxxx, col. 341-366, que Guillaume soumit, avant
de le faire paraître, à l'examen de saint Bernard, et
dans lequel il avait ramassé les textes patristiques
relatifs à l'eucharistie, ceux en particulier de saint
Augustin, qui ne laissaient pas d'inquiéter lésâmes;
le Spéculum fidei, ibid., col. 365-398, traité des vertus
théologales; l'opuscule de YJEnigma fidei, ibid.,
col. 397-440; sur l'excellence et la simplicité de la
foi; deux commentaires du Cantique des cantiques,
dont saint Ambroise et saint Grégoire le Grand
forment en quelque sorte le tissu, P. L., t. xv, col. 1851-
1962; t. clxxx, col. 441-471; une courte explication
du même livre, ibid., col. 473-540; une Explication
de l'É pitre aux Romains, ibid., col. 547-624; un
opuscule Sur la nature du corps et de l'âme, ou sur la
connaissance de soi-même. Ibid., col. 695-726. Le
moine de Signy avait aussi commencé d'écrire une
vie de saint Bernard; son travail, inachevé, ne dépasse
pas l'année 1130, P. L., t. clxxxv, col. 225 sq. De sa
vaste correspondance nous n'avons plus que de rares
débris, elle a péri presque tout entière. La lettre Ad
fralres de Monte Dei, P. L., t. clxxxiv, col. 298-394, est
de lui. Voir Guigues Ier. col. 19(6. Le livre des Sen-
lenlise de fide, emprunté notamment à saint Augustin
et dirigé contre Gilbert de la Porrée. est resté inédit.
Histoire littéraire de la France, 1763, t. xn, p. 312 sq. ;
Tissier, Bibliotheca cisterciensis, t. iv, p. 1 sq.; Fabricius,
P. L., t. clxxx, col. 185-206; dom Ceillier, Histoire générale
des auteurs ecclésiastiques, 2e édit., Paris, 1863, t. xiv,
p. 386-390; Kutter, Wilhelm von St. Thierry, Giessen, 1898;
Hurter, Nomenclator litercwius, Inspruck, 1899, t. rv,
col. 78-80; Chevalier, Répertoire et Supplém., au mot Guil-
laume de Saint-Thierry.
P. Godet.
9. GUILLAUME RUBION, que les Aragonais
disent leur appartenir et que les Catalans revendiquent,
en assurant que le nom de Rubion, inconnu en Aragon,
est fréquent chez eux, était frère mineur et fut, dit-on,
disciple de Scot avant d'enseigner à son tour. Il reste
de lui des commentaires sur les Sentences, imprimés
sous le titre : F. Guillclmi de Rubione venerabilis admo-
dum palris et theologi facile doctissimi, provinciœ Ara-
gonicœ quondam ministri,Disputatorum in quatuor libros
Magistri Senlenliarum libri quatuor, 2 in-fol., Paris,
1518. Cet ouvrage avait été examiné par quatre théo-
logiens au moment du chapitre général tenu à Assise
en 1334, auquel l'auteur s'était probablement rendu
comme ministre de la province de Castille, dont celle
d'Aragon ne fut séparée que plus tard, et il était
approuvé par le général Gérald Odon, le 25 mai. II
parut par les soins du P. Alphonse de Villa Sancta, qui
se plaît à faire remarquer que son confrère, Jean de
Quintana, quondam prior Sorbonicus, eminentissimus
doctrinœ scoticœ magisler, tenait en haute estime l'ou-
vrage de Rubion. Celui-ci, sans jurer in verbo magistri,
est en général scotiste assez fidèle, tout en donnant
sa propre opinion.
Wadding et Sbaraglia, Scriptores ordinis winoriim, Rome,
1906, 1908; Félix de Latassa, Bibliotheca antiqua de los
escritores Aragoneses, Saragosse, 1796, t. I, p. 306; Félix
Torres Amat, Memorias de los escritores Catalanes, Barce-
lone, 1836, p. 306.
P. Edouard d'Alençon.
GUILLELMITES. — I. Histoire. IL Doctrines.
I. Histoire. — Vers 1271, était arrivée à Milan, en
compagnie d'un enfant qui était son fils, une étrangère,
du nom de Guillelma (Guillemette, Guillemine). Elle
passa pour bohémienne, fille du roi de Bohême Przé-
misl et de Constance. Les Annales Colmarienses
majores, dans Monumenta Germanise hislorica. Scri-
ptores, Hanovre, 1861, t. xvn, p. 226, la disent anglaise
et vierge; le premier renseignement n'inspire pas plus
de confiance que le second. Qu'elle ait été bohémienne,
et de la famille royale, nous n'avons, pour le prouver,
que peut-être son affirmation, sûrement celle d'un de
ses principaux disciples, André Saramita, lequel
attesta être allé en Bohême, après la mort de Guillelma,
et en avoir rapporté une entière conviction à cet
égard. Cf. sa déposition du 20 juillet 1300 devant
l'inquisiteur, dans F. Tocco, // processo dei gugliclmiti
1983
GUILLELMITES
1984
Rome, 1899, p. 9. En tout cas, Guillclma disposait
tle ressources pécuniaires médiocres. Mais elle possédait
les dehors de la piété, et elle exerça vite une grande
influence sur les Milanais qui furent en rapport avec
elle. Un de ceux qui gardèrent fidèlement sa mémoire,
Denis Cotta, déclara quod ipse nunquam fuit ita tristis
aut dcsolatus quod, si ipse ivil ad eam, non discederet
lelus el con[orlaius ab ea, dans 7/ processo dei gugliel-
miti, p. 90. Autour d'elle se groupa une petite associa-
tion de disciples convaincus, n'ayant d'autre lien que
leur vénération pour Guillelma, se plaisant à adopter
un vêtement brun à la ressemblance de celui qu'elle
portait elle-même. Ils lui attribuèrent des guérisons
miraculeuses. Le bruit courut qu'elle avait reçu les
stigmates. Puis, que ce soit par son fait ou par celui
de ses disciples — ce que nous examinerons tout à
l'heure — des doctrines étranges circulèrent.
Morte vers 1282, Guillelma fut enterrée en grande
pompe au monastère cistercien de Chiaravalle, près de
Milan. Une chapelle et un autel s'élevèrent sur sa
tombe. Un culte enthousiaste lui fut rendu. Devant
son image brûlaient des lampes. En son honneur furent
composées des hymnes, des litanies. On fêta les anni-
versaires de sa mort et de la translation de ses restes à
Chiaravalle; une troisième fête qu'on solennisa dans
le même esprit fut celle de la Pentecôte. Il processo,
p. 25. Les doctrines mises en avant allaient se préci-
sant et s'accentuant de plus en plus. L' Inquisition
milanaise, instruite de l'existence de ce mouvement, ne
parut pas le prendre très au sérieux; elle se contenta
d'une répression bénigne. En 1300, elle s'en occupa
avec plus de soin. Elle ouvrit un procès, dont nous
avons les actes, du moins en majeure partie. Les osse-
ments de Guillelma furent exhumés et livrés aux
flammes. Sœur Manfreda (ou Maifreda) de Pirovano,
de l'ordre des humiliées, qui était à la tète de la secte,
André Saramita, qui en était l'organisateur, et un troi-
sième membre, la sœur humiliée Jacqueline dei Bassani,
furent condamnés au bûcher. Les autres accusés subi-
rent des peines légères.
Le nombre des guillelmites ne fut jamais considé-
rable. Un banquet, donné en l'honneur de Guillelma
par les cisterciens de Chiaravalle, avait réuni cent
vingt-neuf personnes; il est probable que la plupart
vénéraient seulement en elle une sainte. Le cercle des
initiés proprement dits était sans doute plus restreint.
Une trentaine d'inculpés figurent dans le procès de
1300. En revanche, les sectaires appartiennent à la
classe riche et cultivée. Il y en a de tous les partis,
guelfes el gibelins, et des meilleures familles. L'illustre
famille Garbagnate, alliée aux Visconti, y est représen-
tée par plusieurs de ses membres, notamment par
François, qui s'acquitta habilement auprès de l'em-
pereur Henri VII d'une mission à lui confiée par Mat-
thieu Visconti (1309) et qui mourut professeur de droit
à l'université de Padoue. Sœur Manfreda était, à ce
qu'il semble, la cousine germaine de Matthieu Visconti.
On s'est demandé s'il y eut un lien entre l'hérésie des
guillelmites et la politique, si le procès ne fut pas
politique plus encore que religieux. A . Ogniben, I gu-
glielmiti dei secolo xiu. Una pagina di sloria milanese,
Pôrouse, 1867, conclut pour l'affirmative; d'après lui,
le procès aurait directement influencé l'attitude des
Visconti à l'égard du Saint-Siège. Ce qui est certain,
c'est que Jean XXII se servit du procès pour impliquer
Matthieu Visconti, son adversaire politique, dans une
accusation d'hérésie. 11 lui reprocha d'avoir, sinon
participé lui-même au guillelmitisme, du moins mis
dos bâtons dans les roues de l'Inquisition et tout
tenté pour sauver Manfreda sa parente, ajoutant que
non seulement ce François Garbagnate, que Visconti
honorait de sa confiance, mais encore Galéas, fils de
Matthieu, avaient adhéré à l'hérésie, et que la puis-
j sauce de Matthieu et la terreur qu'il inspirait contrai-
gnirent les inquisiteurs à relâcher Galéas. Voir les
bulles du 14 mars 1322, dans F. Tocco, Guglielma
boema e i gugliclmiti, Rome, 1901, p. 30-31, note,
et du 23 mars 1324, dans Raynaldi, Annal, eccles.,
an. 1324, n. 9. F. Tocco, Guglielma boema, p. 7, qualifie
d' « hypothèse étrangère, sans base d'aucune sorte,
celle d'après laquelle Matthieu Visconti aurait adopté
une ligne de conduite hostile à l'égard du pape et des
guelfes à la suite du procès de la bohémienne » et
démontre que le procès fut « strictement religieux »;
parmi les nombreuses interrogations adressées aux
accusés, « pas une ne se réfère à des matières politi-
ques, » p. 29, 30. Quant aux bulles de Jean XXII, il
estime que, à une pareille distance des événements,
la perspective a pu être aisément faussée; sans parler
de leur affirmation invérifiable sur la suspicion
d'hérésie qui aurait atteint l'aïeul et l'aïeule paternels
de Matthieu Visconti et sur la peine du feu qu'aurait
subie l'aïeule, elles contiennent une erreur manifeste en
avançant que Guillelma vivante fut livrée aux flammes
en même temps que Manfreda. Quoi qu'il en soit du
rôle prêté à Galéas, sur lequel les actes du procès
gardent le silence, et jugeant vraisemblable que
Matthieu ait essayé directement ou indirectement de
sauver sa parente Manfreda, Tocco pense que Matthieu
Visconti ne fut point tendre pour les guillelmites, et
que, au milieu de la tempête, ne se sentant point sûr
de son pouvoir, Manfreda lui apparut « comme une
fanatique, pour laquelle il ne valait pas la peine de se
compromettre », p. 32. C. Molinier, Revue historique,
Paris, 1904, t. lxxxv, p. 394-397, accepte la manière
de voir de Tocco, mais sans s'y tenir trop rigoureu-
sement. « Avec d'autres raisons, dit-il, p. 397, la poli-
tique, il faut le croire, concourut également d'une
certaine manière à expliquer, dans sa marche et son
dénouement, le procès où disparut la secte fondée par
Guillelma. » L'indulgence « systématique » des inqui-
siteurs milanais envers les guillelmites, surtout si
on la compare avec la rigueur habituelle à la justice
inquisitoriale, produit « l'effet d'un mot d'ordre, d'une
véritable consigne ». Dire, pour en rendre compte,
avec Tocco, Guglielma boema, p. 28, 32, que les inqui-
siteurs n'attachèrent pas d'importance à la secte parce
qu'ils savaient bien qu'elle n'avait « aucune vitalité »,
que « l'affaire était plus curieuse que périlleuse », c'est
donner une explication inadéquate. On trouverait une
autre explication « dans la haute condition de presque
tous les prévenus, dans l'intérêt non déguisé » que leur
porte Matthieu Visconti, le vicaire impérial. Celui-ci
ne pousse pas la bienveillance jusqu'à exposer sa
situation politique mal raffermie; il ne s'obstine pas à
sauver du bûcher Manfreda, laquelle se perd par son
attachement opiniâtre aux croyances qu'elle a embras-
sées. Mais, d'autre part, l'Inquisition, si elle ne peut pas
ne pas sévir, réduit, en quelque sorte, par égard pour
Visconti, « les investigations, comme le châtiment, au
strict nécessaire ». Des préoccupations d'ordre temporel
de ce genre ont des chances de n'avoir pas été absentes
du procès.
II. Doctrines. ■ — Boniface VIII lança, le 1er août
1290, la bulle Nupcr ad audientiam, cf. Raynaldi,
Annal, eccles., an. 1296, n. 34, dont on s'est demandé
si elle vise les apostoliques, ou les fraticelles, ou les
frères du libre esprit; il semble qu'elle concerne moins
une secte en particulier que, d'une façon générale, les
diverses tendances « spirituelles » hétérodoxes qui
s'étaient affirmées au temps de Célestin V. A aucune
ne conviennent tous les traits du tableau; de chacune
d'elles nous avons quelques traits distinctifs. Ce qui
y est dit des femmes qui dogmatisent et de leurs
doctrines pourrait bien s'appliquer aux guillelmites.
F. Tocco, Guglielma boema. p. 32, dit que cette bulle a
1935
GUILLELMITES
1986
été « la source de toutes les inexactitudes, que les histo-
riens se sont transmises les uns aux autres, en aug-
mentant la dose. » De là probablement, de certaines
expressions de la bulle — conventicula faciunt nocturna,
cfficaciores Mas orationes affirmant qux a nudatis tolo
corpore ofjcruntur, mulieres invicem se desponsant,
marcs midi hujusmodi seclie damnalse feminas antece-
dunt • — est venue l'imputation de rites obscènes que la
secte aurait pratiqués dans les souterrains d'une église.
Elle se lit dans les historiens, depuis Donat Bosso, le
vieux chroniqueur milanais (1492), jusqu'à Bzovius,
Annal, eccles., an. 1300, n. 12, et Sponde, Annal,
eccles., an. 1300, n. 10, et a été reproduite par G. Giu-
lini, Memorie spettanti alla storia, al governo cd alla
descrizione délia città e campagna di Milano, édit.
M. Fabi, Milan, 1855, t. iv, p. 670. C'est une pure
légende, qui fut démolie, au xvne siècle, par l'archi-
prètre J.-P. Puricelli, dans une étude restée inédite,
mais utilisée par Muratori.'Giulini lui-même, Tiraboschi,
Tamburini, Cafïî, etc. Puricelli s'était placé sur le
vrai terrain; il avait demandé la connaissance des
guillelmites aux actes du procès que l'Inquisition
dirigea contre eux. F. Tocco, qui a publié ces actes,
confirme la thèse de Puricelli. Les interrogatoires des
prévenus, remarque-t-il, ne portent pas trace de cette
accusation. Les inquisiteurs ne posèrent pas une seule
question là-dessus; ils n'auraient pas manqué de le
l'aire s'il y avait eu lieu. Tout ce qu'il y a de vrai dans
la légende, c'est qu'une des guillelmites réunit chez
elle, en l'absence et à l'insu de son mari, dans un
banquet commémoratif, les adhérents de Guillelma.
L'imagination des écrivains, excitée sans doute par
quelques passages de la bulle de Boniface VIII, a brodé
le reste sur le type des « nouvelles » de Boccace.
Cf. Tocco, Guglielma boema, p. 22-23.
Cette fable éliminée, l'essence du guillelmitisme est
indiquée ainsi par Jean XXII, bulle Dudum ad nostri
aposlolatus, du 23 mars 1324, dans Baynaldi, Annal,
eccles., an. 1324, n. 9 : Manfreda... in persona cujusdam,
qux Guillelma nomine vocabatur, Spiritum Sanctum
asscruit incurnatum ipsamque Guillclmam a Deo assum-
ptam mirabiliter xetitisse. Le Verbe s'incarna en un
homme; le Saint-Esprit s'est incarné en une femme.
Comme si ce n'était pas assez, les guillelmites ajoutaient
que, bien qu'opérée avec un changement dans le sexe,
ia seconde incarnation ne s'était pas accomplie dans
un corps différent de celui de la première; en d'autres
termes, le corps de Guillelma était le corps de Jésus,
comme le prouvaient les cinq plaies des stigmates,
qu'une des fidèles de Guillelma avait touchées et
lavées de ses mains. « Ce n'était donc pas un mys-
tère, mais trois mystères à la fois : nouvelle incarna-
tion d'une personne de la Trinité, changement de sexe
dans la nouvelle incarnation, et pourtant identité du
corps dans les deux incarnations, » dit F. Tocco, Gu-
glielma boema, p. 27. La dogmatique et l'organisa-
tion de la secte se déroulaient conformément à cette
donnée initiale. Elles nous sont révélées par le pro-
cès, surtout par les dépositions de sœur Manfreda,
Il processo dii guglielmiti, p. 27-30, 69-71, et d'André
Saramita, p. 59-64, 71-72. Voici les grandes lignes.
Comme le Christ, Guillelma était ressuscitée et devait
monter au ciel à la vue de ses disciples; en attendant
son ascension, elle se tenait où elle voulait et appa-
raissait parfois à ses fidèles. Après son ascension, elle
enverrait le Saint-Esprit, c'est-à-dire elle-même, sous
forme de langues de feu, et elle aurait son vicaire, qui
serait le vrai pape, la papauté de Rome et le collège
des cardinaux devant être abolis. Du reste, dès à
présent, le pape de Rome, Boniface VIII, n'avait pas
le pouvoir d'absoudre ni de condamner, quia non est
juste creatus, Il processo, p. 17; ici les guillelmites
rejoignaient les fraticelles. Le pape vicaire du Saint-
DICT. DK THÉOL. CATHOL.
Esprit serait une femme, et ce serait sœur Manfreda;
ses cardinaux seraient des femmes; l'une d'elles devait
être Taria, une simple servante, qui, interrogée par
l'Inquisition si elle voulait nier que Guillelma fût
L'Esprit-Saint, répondit ingénument quod non vult
negarc nec affirmare, sed bene vellet quod ipsa Guillelma
esset Spirilus Sanctus. Il processo, p. 52. Manfreda
recevrait au baptême les juifs, les sarrasins et tous les
infidèles. Elle célébrerait la messe d'abord au tombeau
de Guillelma, puis, de façon solennelle, à Sainte-Marie-
Majeure de Milan; elle y prêcherait. En attendant,
elle prêchait à un petit groupe de femmes, et elle
distribuait des hosties qui avaient été placées sur le
tombeau de Guillelma; on lui baisait les pieds et les
mains. // processo, p. 12, 22, 25, 31, 33, 37, 47, 54,
57, 63. Les quatre Évangiles conserveraient leur valeur
jusqu'à ce que Manfreda fût en possession paisible du
pontificat suprême : alors ces Évangiles, et leur doc-
trine, et celle des autres apôtres, céderaient la place à
quatre Évangiles écrits par quatre sages élus par le
Saint-Esprit ou Guillelma.// processo, p. 62. D'après une
version différente, p. 29, sicut discipuli Chrisli scrip-
serunt Evangclia, epislolas et prophetias, ita et ipst
Andréas (Saramita), mulando litulos, scripsissel Evan-
gclia cl cpistolas et prophetias sub hac forma, videlicet :
In Mo temporc dixil Spiritus Sanctus discipulis suis,
et cetera, et : Epistola Sibilie ad Nooarienses, et :
Prophctia Carmei prophète ad taies civitates et génies,
et cetera. Manifestement André Saramita fut l'âme du
guillelmitisme.
N'en aurait-il pas été le créateur ? A la suite d'A.
Ogniben, H. C. Lea, Histoire de V Inquisition au moyen
âge, trad. S. Reinach, Paris, 1902, t. m, p. 110-111,
estime improbable que Guillelma ait encouragé ces
absurdes histoires. De témoignages divers recueillis
au cours du procès on aurait le droit de conclure qu'elle
fut étrangère à ces folies. « Vous êtes insensés et
croyez sur mon compte ce qui n'est pas, » aurait-elle
dit. Et encore : « Je ne suis qu'une vile femme, un ver
de terre misérable. » Un moine de Chiaravalle raconta
que, ayant eu une discussion, avec André Saramita,
au sujet des bruits qui concernaient Guillelma, ils
décidèrent de s'en rapporter à elle-même : elle leur
répondit avec indignation qu'elle était faite de chair
et d'os, qu'elle avait amené un fils à Milan, et que, s'ils
ne faisaient pénitence pour avoir proféré de semblables
paroles, ils seraient condamnés à l'enfer. Il processo,
p. 85, 108, 123-124. Par ailleurs, les guillelmites décla-
rèrent tenir leurs croyances non de Guillelma, mais
de Manfreda et d'André; Manfreda elle-même affirma
n'avoir guère connu Guillelma de son vivant et avoir
été instruite par André de toutes choses; enfin, André
avoua qu'il avait ajouté de son cru mulla et mullas
corum circumslantias ad ornatum et credulitatem prœ-
dictorum errorum, et donna un curieux spécimen de
son procédé : ayant ouï dire à Guillelma qu'elle était
née le jour de la Pentecôte, il conclut, dans un entre-
tien avec Manfreda, que, de même que l'ange Gabriel
avait annoncé à Marie l'incarnation du Christ, ainsi
l'ange Rapnaël avait dû annoncer à Constance, reine
de Bohême, l'incarnation de Guillelma, et il affirma
carrément l'annonciation par l'archange Raphaël. Il
processo, p. 19, 28, 72, 61. Tous ces faits sont impres-
sionnants. Remarquons, toutefois, qu'à l'égard de ces
témoignages la méfiance s'impose. Les témoins ne sont
ni d'accord avec les autres, ni avec eux-mêmes, et nous
savons que le mot d'ordre avait été de mentir. Il
processo, p. 16, 70, 78. Tous avaient voulu couvrir
Guillelma, tant qu'on eut l'espoir que ses ossements
seraient respectés. Quand le cadavre eut été exhumé et
brûlé, quand André Saramita vit que son propre sort
était fixé irrévocablement, à la différence de Manfreda
tenace dans ses négations, il dit que certains dévclop-
VI. — 63
1987
GUILLELMITES — GU1LLEMIN0T
1988
pements de la doctrine guillelmite étaient son fait,
mais quod ipse habuil fundamentum et originem prœ-
dictorum errorum a domina Guillelma, à savoir qu'elle
était l'incarnation du Saint-Esprit, qu'elle ressusci-
terai!, monterait au ciel, enverrait le Saint-Esprit ou
viendrail a ses disciples, qu'elle sauverait les juifs et
les sarrasins, etc. Il proccsso, p. 71. « Il n'y a pas
de raison pour ne pas croire à ces déclarations faites
alors qu'il n'avait aucun intérêt à user de mensonges,
dit F. Tocco, Guglielma boema, p. 25, 2G. Concluons
qu'on peut tenir pour acquis que le mouvement guil-
lelmite vient de Guillelma elle-même. » Elle a pu avoir
des indécisions sur son rôle, comme aussi ne pas s'ou-
vrir à n'importe qui de ses chimères : il est bien difficile
de lui retirer l'initiative du guillelmitisme. Si l'on pou-
vait établir qu'elle eut à comparaître devant l'Inqui-
sition, ainsi que nous le lisons dans le procès, p. 30,
on serait admis à supposer que quelque chose de son
enseignement arriva aux oreilles des inquisiteurs, et
l'opinion de Tocco en serait confirmée.
Reste une dernière question : celle de la filiation de
la secte. Puricclli la rattache aux hérésies des premiers
siècles; ni Guillelma ne les connaissait ni elles ne
s'étaient conservées au moyen âge, et donc il n'y a
pas à parler d'une filiation proprement dite, mais
seulement de lointaines ressemblances. Dans le mon-
ta nisme, Prisca et Maximilla annonçaient la venue du
l'araclet; mais, si elles prétendaient parler par l'inspi-
ration du Saint-Esprit, elles ne se donnaient pas pour
•e Saint-Esprit incarné, et au-dessus d'elles il y avait
iin homme, Montan. Le guillelmitisme est plus radical :
•a femme l'emporte sur l'homme, elle est l'incarnation
du Saint-Esprit. F. Tocco, Guglielma boema, p. 26,
a parfaitement situé dans leur milieu historique ces
bizarres imaginations. Joachim de Flore avait annoncé,
pour l'an 1260, le commencement d'une ère nouvelle,
dans laquelle l'Évangile de l'Esprit succéderait à
l'Évangile de la lettre et la loi d'amour gouvernerait
le monde. 1260 passa, démentant la prédiction, mais
sans ruiner les espérances qu'on avait conçues. On
croyait imminent un renouvellement social et reli-
gieux. Comment et quand il se produirait, c'est ce que
chaque secte entendait à sa manière. Plus ou moins
indépendantes les unes des autres, toutes les sectes du
temps étaient inspirées d'une pensée unique et reliées
par un fil caché. Frères du libre esprit, béghards,
béguins, fraticelles, apostoliques, s'apparentent aux
guillelmites. François Garbagnate avait entendu dire à
Manfreda et à son lieutenant André Saramita que
Guillelma datait de 1262 l'inauguration du guillel-
mitisme. // processo, p. 81. C'est presque la date fati-
dique assignée par Joachim. Or, « ces diverses hérésies
peignaient avec des couleurs différentes l'âge futur ou
âge de l'Esprit. Qui y voyait le triomphe de la liberté,
qui de la pauvreté et de l'amour, qui de la vie aposto-
lique désencombrée des incrustations ultérieures des
règles hiérarchiques ou monastiques. Guillelma, elle
aussi, eut son rêve, qui lui parut plus beau et plus
séduisant que les autres. Suivant elle, l'âge de l'Esprit
ne pouvait signifier autre chose que l'incarnation
elfective de la troisième personne de la sainte Trinité,
étant donné que l'incarnation de la deuxième personne
n'avait servi de rien et que les maux après le Christ
n'avaient été ni moins nombreux ni moins graves
qu'avant lui. Et, puisque le Verbe s'était incarné dans
un homme, il était bon que le Saint-Esprit renouvelât
radicalement l'histoire du monde en commençant par
s'incarner dans une femme. Ainsi seulement à la pré-
potence et à l'égoïsme de l'homme pourraient se subsii-
tuer l'amour et l'abnégation de la femme. » L'hérésie
guillelmite allait au delà des sectes contemporaines;
si toutes annonçaient une ère où le régne vivant de
l'esprit succéderait au règne mort de la lettre, aucune
autre n'avait osé affirmer que ce changement présup-
posait une nouvelle incarnation d'une des personnes
divines. Le guillelmitisme dépasse encore diverses
tentatives, qui ont eu lieu avant et après son appari-
tion, de « faire tomber la religion en quenouille *, comme
s'exprime Bayle, Dictionnaire historique et critique,
6e édit., Paris, 1741, p. 643. Ni le montanisme, ni le
fameux savant et visionnaire Guillaume Postel, ni les
apôtres de la suprématie des femmes antérieurs au
xixe siècle, n'ont poussé aussi loin leurs revendications.
Pourtant il serait excessif de dire, avec Tocco, Guglielma
boema, p. 26, que « le féminisme n'a jamais songé rien
de semblable. » L'église southeotienne, ainsi dénommée
de Jeanne Southcote, et dont l'existence se prolongea
à Londres jusqu'au milieu du xixe siècle, les perfec-
tionnistes de Cincinnati sur lesquels l'attention fut
éveillée en 1886, et, à la même date, en Angleterre, les
partisans de Marie-Anne Girling, virent en des femmes
des incarnations divines. Cf. H. C. Lea, Histoire de
l'Inquisition au moyen âge, trad. S. Reinach, t. ni,
p. 123, note.
Après avoir été publié de façon fragmentaire par F. Pa-
Iacky, Abhandlungen der k. bôhmischen Gesellschaft der
Wissensvhaften, Prague, 1839; traduit, sous une forme
abrégée, par A. Ogniben, I guglielmiti net secolo XIII. Una
pagina di storia milanese, Pérouse, 1807; soigneusement
décrit par C. Molinier, Études sur quelques manuscrits des
bibliothèques d'Italie, dans les Archives des missions scienti-
fiques et littéraires, IIIe série, Paris, 1888, t. xiv, p. 206-216;
le manuscrit qui contient le procès des guillelmites, et qui
est conservé à l'Ambrosienne de Milan sous la cote A. 227,
a été publié intégralement par F. Tocco, Il processo dei
guglielmiti, Rome, 1899, extrait des Rendiconti délia r.
Accademia dei Lincct, classe di seienze morali, storiche e
fdologiche, ferie accademiche, Rome, 1899, t. vin, p. 309-
469. Il avait été utilisé par J.-P. Puricelli, De Guillelma
bohema vulgo Guqlielmina anno Domini MCCC ob hœreseos
notam crhumata demum et combusta deque secta ipsius tune
ejestincta fidelis et verax dissertatio, ouvrage déposé, en 1676,
à l'Ambrosienne de Milan, et resté manuscrit sous la cote C.
1 in/. Citons encore, parmi les travaux, P. Bayle, Diction-
naire historique et critique, 6e édit., Paris, 1741, p. 642-643;
L.-A. Muratori, Antiguilales Itulicœ medii icvi, Milan, 1741,
t. v, p. 91-93; J. Tiraboscln, Yctcra humilialorum monu-
menta annotationibus ac dissertationibus prodromis illuslrata,
Milan, 1766, t. i, p. 356; P. Tamburini, Storia générale dell'
Inquisizione (ouvrage écrit en 1818), Milan, 1862, t. i,
p. 587-592; t. H, p. 1-72; M. CafTi, Dell' abbazia di Chiara-
valle in Lombardia. Iscrizioni e monumenti aggiuntavi la
storia dell' eretica Guglielmina boema, Milan, 1843 ;
C. Schmidt, Histoire et doctrine de la secte des cathares ou
albigeois, Paris, 1848, t. i, p. 172-173; C. Cantù, Sulla
Guglielmina boema e su P. Tamburini, Milan, 1867, et Gli
crelici d'Italia, trad. A. Digard et E. Martin, Paris, 1871,
t. i, p. 209-211 ; A. Ogniben, op. cit.; H. C. Lea, A hislory o/
the Inquisition of the middle âges, New- York, 1888, t. m,
p. 90-102, 197-199; trad. S. Reinach, Paris, 1902, t. m,
p. 109-123, 236-238; surtout F. Tocco, Guglielma boema
e i guglielmiti, Rome, 1901, extrait de R. Accademia dei
I.incci, Memorie délia classe di seienze morali, storiche e
fdologiche, Ve série, Rome, 1901, t. vin; cf. C. Molinier, dans
la Revue historique, Paris, 1904, t. lxxxv, p. 388-397.
F. Vernet.
GUILLEMINOT Jean, jésuite français, né en 1614
à Montbard, admis au noviciat en 1631. Après avoir
enseigné les humanités, il devint professeur de philo-
sophie et de théologie, recteur du collège de Chaumont,
préfet des études et chancelier de l'université de Pont-
à-Mousson. Outre ses traités philosophiques, œuvre
de controverse dirigée contre le cartésianisme et les
doctrines particulières de Malebranche : Seleciœ ex
univcrsaliore philosophia qusesliones, 2 in-8°, Paris,
1671, et Disserlalioncs de principiis extrinsecis rcrum
corporcarum cl de cognitione brutorum, Paris, 1679, il
reste de lui deux importants traités théologiques : De
ente increato, Dijon, 1682; De ente supernaturali, ibid.,
1682, et un ouvrage apologétique et doctrinal, fort
apprécié : La sagesse chrétienne, ou les principales
1989
GUILLEMINOT — GUITMOND D'AVERSA
1990
vérités du christianisme, établie sur les principes propres
de la sagesse, in-4°, Paris 1674, 1681, réimprimé par
le P. Cadrés en 1857. Le P. Guilleminot mourut à
Nancy, le 24 novembre 1680.
Sommervogel, Bibliothèque de la C>e de Jésus, t. m,
col. 1934; Hurter, Nomenclator, 3e édit, Inspruck, 1910,
t. iv, col. 44.
P. Bernard.
GUILLORÉ François, jésuite français, né au
Croisic le 25 décembre 1615, admis au noviciat le
22 octobre 1638. Après avoir enseigné avec un grand
succès les humanités et la rhétorique pendant onze
ans, il se consacra tout entier à la direction des âmes
et au ministère de la prédication. Ce sont surtout ses
œuvres spirituelles qui ont fondé sa réputation et qui
marquent aujourd'hui encore son nom dans l'histoire
de la théologie ascétique. 1° Maximes spirituelles pour
la conduite des âmes, 2 in-12, Nantes, 1668; Paris, 1671 ;
très nombreuses éditions jusque vers le milieu du
siècle dernier et sont encore très répandues aujour-
d'hui ; 2° Les secrets de la vie spirituelle qui en découvrent
les illusions, Paris, 1673, reproduits dans le Diction-
naire d'ascétisme, t. xlvi de la Nouvelle encyclopédie
ihéologique de Migne, Paris, 1864; 3° Les progrès de
la vie spirituelle selon les différents étals de l'âme, Paris,
1675, 1676; Lyon, 1850, 1857, 1860; 4° La manière de
conduire les âmes dans la vie spirituelle, Paris, 1675;
5° Conférences spirituelles pour bien mourir à soi-même,
2 in-12, Paris, 1683; nombreuses éditions; 6° Retraite
pour les dames, Paris, 1684. Une édition complète des
Œuvres spirituelles du P. Guilloré a été publiée à Paris,
1684, par l'auteur, avec quelques compléments, en
2 in-fol. Mais par Œuvres spirituelles il faut entendre
uniquement les traités ascétiques; la Retraite pour les
dames n'a pas été comprise dans cette édition. La
doctrine spirituelle du P. Guilloré a été attaquée par
Nicole dans les deux derniers livres de son Traité de
l'oraison, sans toutefois que l'auteur fût nommé, par
ménagement, paraît-il, pour sa personne. Les Nou-
velles ecclésiastiques du 5 juin 1750, p. 89, relèvent
également divers passages comme entachés de quié-
tisme. Ce reproche n'est aucunement fondé et le
P. Guilloré, que les Nouvelles ecclésiastiques appellent
un « infâme personnage » et qui regardent son œuvre
comme « une honte pour les jésuites », reste un des
guides les plus sûrs de la vie spirituelle. Après avoir
gouverné les maisons de Nantes et de Dieppe, le saint
religieux vint finir ses jours à Paris, où il mourut en
pleine activité le 29 juin 1684.
Sommervogel, Bibliothèque de la Clc de Jésus, t. ni,
col. 1937-1940.
P. Bernard.
GUITMOND D'AVERSA. — Guitmond, Guil-
mundus, Witmundus, appelé encore Chrétien, Chris-
tiania, Christin, Chrislinus, né probablement en Nor-
mandie, fut, à l'abbaye du Bec, l'élève de Lanfranc,
par qui, dit-il, De corporis et sanguinis Domini verilale,
1. I; cf. 1. II, P. L., t. cxlix, col. 1428, 1449, les arts
libéraux retrouvèrent chaleur et vie. 11 entra à l'abbaye
bénédictine de La Croix-Saint-Leufroy (diocèse
d'Évreux).
Sur les principaux événements de sa vie publique
plane plus d'une incertitude. Voici ce que raconte
Ordéric Vital, Hist. ceci., part. II, 1. IV, c. xm, P. L.,
t. clxxxviii, col. 335-339 : appelé en Angleterre par
Guillaume le Conquérant, qui lui promit un évêché,
Guitmond déclara qu'il n'en voulait point et à cause
de son indignité et pour ne pas mécontenter les Anglais
qui souffraient impatiemment que leurs vainqueurs
leur imposassent des évêques étrangers; Guillaume
l'autorisa à retourner en Normandie, et à quelque temps
de là, le choisit pour successeur de Jean, archevêque
de Bouen, mais des envieux protestèrent, disant qu'il
était fils de prêtre; pour échapper aux tiraillements,
Guitmond obtint de son abbé la permission d'entre-
prendre des pèlerinages; il alla à Borne, où le pape
Grégoire VII le fit cardinal et Urbain II métropoli-
tain d'Aversa; il gouverna longuement cette église et
mourut post multos agones in virlutum exerciliis. L'ano-
nyme de Melk, qui confond Guitmond Chrétien avec
Chrétien Druthmar. abbé de Stavelot (vers 850), dit,
De scriploribus ecclesiasticis, c. en; cf. c. xc, P. L
t. ccxm, col. 981, 972, que, désigné pour régir un
monastère différent de celui de Stavelot, il prit la
fuite et, afin de n'être pas reconnu, changea son nom
en celui de Chrétien, commun à tous les fidèles, mais
que, finalement découvert, il devint évêque d'Aversa
sous Grégoire VII. Bien n'empêche d'admettre la
réalité du voyage en Angleterre. Il en va autrement du
choix de Guitmond pour l'église de Bouen. A la mort
de l'archevêque Jean (1079), Guitmond était à Borne
depuis deux ans au moins; en 1077, il accompagna
les légats du pape à l'assemblée de Forchheim, en
Franconie. Cf. Paul de Bernried, S. Grcgorii Vllvita,
c. ix, n. 80, P. L., t. cxlviii, col. 82. S'il fut question
de Guitmond pour le siège de Bouen, ce fut donc ou
après la mort de l'archevêque Maurille (1067) ou Guit-
mond n'étant plus à Bouen, et, dans ce cas, son éloi-
gnement n'aurait pas été motivé par les résistances
que suscita son élection. Changea-t-il son nom en
celui de Chrétien pour se soustraire plus facilement à
l'animositô des jaloux, pour pèleriner sans attirer
l'attention, par humilité '? Peut-être. Il est vraisem-
blable que le changement ait eu lieu à son départ de la
Normandie. Que Guitmond ait été nommé évêque
d'Aversa par Grégoire VII, comme le veut l'anonyme
de Melk, ou plutôt, comme l'assure Ordéric Vital,
cardinal par Grégoire VII et évêque — Ordéric Vital
dit à tort métropolitain — d'Aversa par Urbain II,
c'est ce qui n'est pas clair. Le Décret de Gratien, part. I,
dist. VIII, c. 5, nous a conservé un fragment d'une
lettre de Grégoire VII à Guitmond, évêque d'Aversa;
mais il se peut qu'il s'agisse d'un autre Guitmond.
Cf. Histoire littéraire de la France, nouv. édit., Paris,
1868, t. vin, p. 559. Quant au cardinalat de Guitmond
qui serait dû à Grégoire VII, peut-on le concilier avec
la lettre (dont l'authenticité, il est vrai, est sus-
pecte) où Hugues de Die, archevêque de Lyon,
rendant compte de l'élection de Victor III, successeur
de Grégoire VII, signale (en 1087, deux ans après la
mort de Grégoire) la présence à cette élection et l'oppo-
sition de Guitmond, qu'il qualifie de moine? Cf. Hugues
deFlavigny, C/irom'c, l.II, P. L.,t. cliv, col. 340-341.
Si Guitmond avait été cardinal, Hugues, qui se récla-
mait de son autorité, ne lui en aurait-il pas donné le
titre ? « De là il suit clairement, disent les auteurs de
l'Histoire littéraire de la France, loc. cit., p. 557, que
Guitmond ne fut jamais revêtu de cette éminente
dignité; car il est certain d'ailleurs qu'il n'y fut point
élevé par Urbain II. » Par ailleurs, si l'épiscopat d'un
Guitmond à Aversa dès le temps de Grégoire VII est
chose acquise, l'existence de deux évêques Guitmond
est bien problématique, et comment Guitmond, s'il
était un simple moine, aurait-il pu jo er dans l'élec-
tion de Victor III un rôle qui appartenait aux cardi-
naux ? En somme, la vie de Guitmond paraît pouvoir
se résumer de la sorte : il fut élève de Lanfranc au
Bec et moine bénédictin à La Croix-Saint-Leufroy; il
alla peut-être en Angleterre auprès de Guillaume le
Conquérant; il fut peut-être question de lui pour
l'archevêché de Bouen en 1079 ou en 1067; il alla à
Borne et prit alors probablement le nom de Chrétien;
il embrassa la cause du pape Grégoire VII; il fut peut-
être cardinal, peut-être aussi évêque d'Aversa, par la
désignation de Grégoire VII; il intervint à l'élection
de Victor 111; il fut certainement évêque d'Aversa
1991
GIJITMOND D'AVERSA - GUNTHER
1992
du temps d'Urbain II (c'est à lui probablement que
fut adressée une lettre d'Urbain II dont nous avons un
fragment dans le Décret de Gratien, part. II, caus. XXIV,
q. m, c. 3). La date de sa mort est inconnue; mais
nous savons qu'il avait un successeur à Aversa en 1095.
Le principal écrit de Guitmond est le De corporis
( l sanguinis Domini veritate libri très, qu'il écrivit contre
Bérenger de Tours, entre 1073 et 1078. Cf. Bérenger
de Tours, t. n, col. 730, 734-735, 736, 737, 738;
Église, t. iv, col. 2181; Eucharistie, t. v, col. 1218,
1226, 1227-1228, 1230, 1235-1236, 1238-1239, 1258,
1268, 1269, 1277, 1280, 1286, 1296, 1369, 1384; on y
trouvera l'essentiel sur cet ouvrage important. De
t'iuitmond nous avons encore la Confessio de sancta
Trinilale, Christi humanitate, corporisque. ac sanguinis
Domini nosiri veritate, et VEpistola ad Erfastum, celle-
ci également sur le mystère de la Trinité et sur la
comparaison avec la Trinité du globe du soleil qui
produit la lumière et la chaleur. L'un et l'autre écrits
paraissent antérieurs au grand traité sur l'eucharistie :
la Confessio, parce que la manière dont il y parle de
l'eucharistie, P. L., t. cxlix, col. 1500, ne laisse pas
entendre qu'il se soit déjà occupé ex professo de ce
sujet; VEpistola ad Erfastum, parce que, interrogé
par Erfaste sur la Trinité et sur l'eucharistie, il avertit
qu'il pense, si volucrit Dominus, in longiorem disscr-
lalionem de his conjerre, P. L., t. cxlix, col. 1501; or,
il répond sur la Trinité, mais garde le silence sur l'eu-
charistie, non seulement dans les anciennes éditions
partielles de la lettre, mais encore dans le fragment
complémentaire publié par dom G. Morin, Revue béné-
dictine, Maredsous, 1911, t. xvm, p. 96-97. La longior
dispulatio promise doit être le De corporis et sanguinis
Domini veritate. Nous ne comprenons pas, dans la liste
des œuvres de Guitmond, YOratio ad Guillelmum I
Anglorum regem cum recusaret episcopalum, que lui
prête Ordéric Vital; ce discours à la Tite-Live est
manifestement sorti de la plume d'Ordéric Vital. Par
suite de la confusion entre Guitmond Chrétien et
Chrétien Druthmar, l'anonyme de Melk, P. L.,
t. ccxiii, col. 981, attribue à Guitmond des commen-
taires sur saint Matthieu et sur saint Luc qui appar-
tiennent à Druthmar. Hélinand de Froidmont, Chrome,
1. XLVI, P. L., t. ccxn, col . 946, l'ayant dédoublé en
un Guitmond moine et un Gui abbé de La Croix-Saint-
Leufroy, nombre d'écrivains l'ont confondu avec Gui
d'Arezzo; de là diverses erreurs bibliographiques.
Cf. Histoire littéraire de la France, t. vm, p. 561-562.
Enfin Guitmond a été confondu avec "Witmond, béné-
dictin de Saint-Évroul, et donné pour auteur de mor-
ceaux de chant ecclésiastique dont la paternité doit
être restituée à ce Witmond.
Guitmond jouit d'une sérieuse renommée. Pierre le
Vénérable, Epislola sive tractatus adversus petrobru-
sianos hœreticos, P. L., t. clxxxix, col. 788, dit que
Lanfranc a écrit contre Bérenger bene, perfecte, et
Guitmond melius, perfectius; il ajoute, décernant judi-
cieusement la palme à Alger de Liège, que ce dernier a
écrit oplime, perfectissime. Guillaume de Malmesbury,
Gesta regum Anglorum, 1. III, § 284, P. L., t. clxxix,
col. 1257, préfère aussi Guitmond à Lanfranc et
l'appelle nosiri lemporis eloquentissimus ; ces derniers
mots ont été copiés par Hélinand, P. L., t. ccxn,
col 946. Sa réputation dépassa de son vivant celle de
saint Anselme, au moins avant la promotion d'Anselme
à l'épiscopat, si bien qu'un correspondant du saint lui
demanda, nous apprend Anselme, Episi., 1. I, epist.
xvi, P. L., t. clviii, col. 1082, cur jama Lanjranci
alque Guilmundi plus mea per orbem volet. Quand le
protestantisme commença à détruire la transsubstan-
tiation, avec Luther, et, avec Carlstadt, Zwingli et
Œcolampade, la présence réelle, Érasme crut ne pou-
voir mieux combattre ces deux hérésies qu'en pré-
parant édition des traités eucharistiques de Guit-
mond et d'Alger de Liège; il en fit un bel éloge dans sa
préface. Cf. le jugement d'H. Bôhmer, Realcncy-
klopâdie, 3e édit., Leipzig, 1899, t. vu, p. 235.
I. Œuvres. — L'édition princeps du De corporis et
sanguinis Christi veritate parut à Anvers, 1530, par les soins
d'Érasme ; celle de la Con/essio, avec une nouvelle édition
du De corporis et sanguinis Christi veritate, à Louvain, 15G1,
par les soins de Jean Ulimmier; celle de VEi)istola ad
Erfastum fut publiée par L. d'Achéry, Spicilegium, Paris,
1655, t. n, p. 377-386; le tout, avec le discours à Guillaume
le Conquérant, est dans P. L., t. cxlix, col. 1427-1512. La
finale inédite de VEpistola ad Erfastum a été publiée par
dom G. Morin, Revue bénédictine, Maredsous, 1911, t. xvm,
p. 96-97.
II. Travaux. — Histoire littéraire de la France, Paris,
1747, t. VIII, p. 553-572; R. Ceillier, Histoire générale des
auteurs sacrés et ecclésiastiques, Paris, 1757, t. xxi, p. 127-
141; A. Sevcstre, Dictionnaire de palrologie, Paris, 1852,
t. n, col. 1636-1647; J. Bach, Die Dogmengeschichte des
M ittelalters vom christologischen Standpunkie, Vienne, 1874,
1. 1, p. 385-389; Scheeben, Kirchenlexikon, 2" édit., Fribourg-
en-Brisgau, 1888, t. v, p. 1359-1360; J. Schnitzer, Berengar
von Tours, sein Leben und seine Lehre, Munich, 1891,
p. 350-370; H. Bôhmer, Realencyklopàdie, 3e édit., Leipzig,
1899, t. vu, p. 233-236; G. Morin, La finale inédite de la
lettre de Guitmond d' Aversa à Erfast sur la Trinité, dans la
Revue bénédictine, Maredsous, 1911, t. xvm, p. 95-99;
R. Heurtevent, Durand de Troarn et les origines de l'hérésie
bérengarienne, Paris, 1912.
I". Vernet.
GUNTHER Antoine, l'auteur du système semi-
rationaliste auquel son nom demeure attaché, naquit
le 17 novembre 1783 à Lindenau en Bohême, d'une
famille pauvre, et, après avoir achevé ses études au
prix de rudes privations, il remplit dans diverses
grandes familles les fonctions de précepteur. Ébranlé
dans sa foi par la lecture des ouvrages de Kant,
Fichte, Jacobi, Schelling; puis, ramené aux croyances
chrétiennes par ses entretiens avec le B. Hoiïbauer,
il se voua, selon ses conseils, à l'étude de la théologie
et fut ordonné prêtre en 1820. Il entrait, peu après
son ordination, au noviciat des jésuites; mais il en
sortira deux ans plus tard et vivra dès lors, prêtre
séculier, à Vienne, où le gouvernement autrichien lui
confiera jusqu'en 1848 le poste de censeur des livres de
philosophie et de droit. Plusieurs chaires lui furent
olïertes à Munich, à Bonn, àBreslau; il les refusa, dans
l'espérance peut-être d'obtenir une chaire à Vienne, et
sa longue et laborieuse vie s'écoula toute dans les tra-
vaux philosophiques. En 1828 et 1829, Gunther publia
la première en date de ses œuvres, Vorschule zur specu-
laliven Théologie des positiven Chrislcnthums. On vit
paraître tour à tour, dans les vingt années qui suivirent,
Pcregrins Gaslmahl, 1830, les Sud und Nordlichtcr am
Horizont speculativcr Théologie, 1832; Dcr lelzer Sym-
boliker, 1834, lettres sur la polémique de Mœhleret de
Baur; Thomas a Scrupulis, 1835, contre la philosophie
hégélienne; Die Juste Milieus in der deuischen Philo-
sophie gcgcnwârligcr Zeil, 1838, contre Baur; Eurij-
slheus und Herakles, 1843. Gunther a aussi lancé contre
Baader,en collaboration avec son vieil ami Pabst, Janus
Kôpfe fur Philosophie und Théologie, Vienne, 1833, et.
de 1849 à 1854, il a rédigé, de concert avec Veith, un
autre vieil ami, les annales philosophiques intitulées
Lgdia, 1849-1854. Son ouvrage : Lenligo's und Pcre-
grins, Vienne, 1857, n'a pas été mis dans le commerce.
Intelligence vigoureuse et originale, mais point
assez sûre, Gunther avait à cœur de lutter efficace-
ment contre le criticisme de Kant et contre le pan-
théisme. Toutefois, par un travers d'esprit trop com-
mun dans la décadence théologique de l'Allemagne
d'alors, au lieu de s'appuyer sur les données de la
philosophie chrétienne, telles qu'on les retrouve
sous la plume de saint Thomas et des autres grands
scolastiques, il avait entrepris d'asseoir sur la base
1993
GUNTHER — GURY
1994
de la philosophie moderne un système nouveau,
capable d'expliquer et de défendre rationnellement
les dogmes. Sans cesser pour sa part ni de croire au
fait historique de la révélation, ni de méconnaître
L'impuissance de la raison naturelle à découvrir les
mystères, Gùnther prétendit que l'esprit humain, mis
en possession des formules de la foi, peut en pénétrer
le sens et en démontrer scientifiquement la vérité.
Prétention superbe et vaine, qui va, en renversant
les rôles traditionnels, à accommoder la théologie
aux exigences de la philosophie, et par suite à pro-
voquer maintes contradictions avec les vérités révélées.
Conséquent avec lui-même, Giinther n'attribue aux
décisions de l'Église en matière de foi qu'une valeur
provisoire; il tient que les formules dogmatiques,
étant adaptées uniquement aux besoins de telle ou
telle époque, sont révisables et perfectibles avec les
progrès successifs de la science. Le système gunthé-
rien reposait au fond sur la théorie de la connaissance
qui en était le caractère distinctif; il arrivait à recon-
naître dans l'homme deux âmes, l'une raisonnable,
l'autre sensible, ayant chacune ses pensées, ses vou-
loirs, sa conscience, et il faisait de l'homme la synthèse
des deux mondes, le monde de la matière et le monde
de l'esprit. L'application de ces idées philosophiques
aux dogmes fondamentaux du christianisme ouvrait
la porte aux plus grandes erreurs. Le mystère de la
trinité en est complètement dénaturé. Car, selon
Gùnther, c'est en partant de la conscience du moi
et de ses actes extérieurs que l'homme parvient à
s'expliquer le mystère de la sainte trinité. La per-
sonnalité, d'après lui, n'est pas autre chose que la
possession de soi par la conscience de soi-même et
de ses actes; donc, autant de personnes, autant de
consciences, autant d'êtres distincts et d'opérations
diverses. Or, il y a trois personnes, c'est-à-dire trois
consciences en Dieu; il y a donc en Dieu trois sub-
stances, trois réalités absolues, distinctes l'une de
l'autre; la seule unité qui survit est l'unité morale
découlant des relations d'origine. Cette même confu-
sion entre la personne et la substance va également
ruiner l'unité numérique de la personne du Christ
et altère profondément le mystère de l'incarnation.
Attaqué vigoureusement par ses adversaires,
soutenu chaudement par ses champion.;., le système
gunthérien mit l'Allemagne intellectuelle en feu. Le
tribunal de l'Index, appelé à se prononcer, ne le lit
qu'au bout de six ans. Mais enfin, tout mûrement
pesé, une sentence de condamnation fut portée le
13 janvier 1857; on y proclamait l'opposition absolue
•le la doctrine gunthérienne avec la tradition catho-
lique, et l'on y réprouvait spécialement dans les livres
de Giinther les méprises sur la trinité, sur la création,
sur l'union hypostatique du Verbe incarné, en même
temps que le dualisme anthropologique et les allures
rationalistes de la théologie. Dès le 10 février suivant,
Giinther se soumit à la sentence qui le frappait, et
le pape Pie IX, dans une lettre du 15 juin 1857 à
l'archevêque de Cologne, témoigna hautement de la
joie que cet acte d'obéissance lui avait causée. Voir
Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 1655-1658. Giin-
ther mourut presque octogénaire, après quelques jours
de maladie, le 24 février 1863.
Knoodt, A. Giinther, 2 vol., Vienne, 1880; Wernor,
Geschichle der kath. Théologie Deutschlands, Munich, 1866,
p. 440 sq. ; Briick, Geschichtc der kath. Théologie im neunrehn-
ten Jahrhundert, Munster, 1903, t. ir, p. 471-473; Vacant,
Etudes théologiques sur les constitutions du concile du
Vatican, Paris, 1895, t. i, p. 128-134; Hurter, Nomen-
clator lilerarius, Inspruck, 1912, t. v, col. 1098-1101.
P. Godet.
GURY Jean-Pierre, moraliste et casuiste français,
né à Mailleroncourt (Haute-Saône), le 23 janvier 1801,
commença ses études classiques au petit séminaire de
Luxeuil et vint les achever à Lyon. Après avoir ensei-
gné pendant trois ans la grammaire dans la maison du
Blamont, succursale du petit séminaire de Saint-
Acheul, près d'Amiens, il fut enfin admis dans la
Compagnie de Jésus au noviciat de Montrouge, le
22 août 1824. Envoyé en 1826 comme surveillant au
collège de Dôle, il partit pour Rome après les ordon-
nances du 16 juin 1828 pour faire ses études théo-
logiques au Collège romain, et en 1833, après une année
de ministère apostolique à Lyon, il fut chargé d'ensei-
gner la théologie morale au scolasticat de Vais, près
du Puy. Timide et fort défiant de lui-même, il accepta
la charge comme une croix trop lourde pour ses
épaules ; mais il ne tarda point à se révéler comme un
professeur hors de pair, d'une méthode rigoureuse,
d'une lucidité et d'une précision remarquables, et, au
surplus, d'une bonhomie charmante. En septembre
1847, le R. P. Roothaan, général de la Compagnie, lui
confiait la chaire de morale au Collège romain. Chasse
de Rome par la révolution de 1848, il reprit à Vais
ses cours de morale et prépara la publication de son
Compendium theologiœ moralis et de ses Casus conscien-
tiœ. Un ouvrage destiné à propager les doctrines de
saint Alphonse de Liguori : Compendium thvologia-
moralis S. A. M. de Ligorio, par M. Neyraguet, prêtre
du diocèse de Rodez, avait paru en 1839, sous l'impul-
sion et avec les encouragements du P. Gury, qui avait
libéralement prêté ses cahiers à l'auteur. Ce n'était
toutefois qu'un abrégé de la doctrine de Busembaum
et de saint Alphonse. Le P. Gury, en s'inspirant des
mêmes doctrines et en utilisant les travaux du cardia
nal Gousset, se proposa surtout de composer un traitù
qui appliquât aux besoins des temps présents les prin^
cipes généraux de la morale. L'ouvrage parut à Lyon*
en 1850, sous ce titre qui n'a pas varié depuis : Com-
pendium llwologiœ moralis, 2 in-18. La clarté de la
disposition générale et de la méthode, l'enchaînement
des principes généraux, des règles particulières, des
questions attenantes aux détails de la pratique, firf"lb
admettre bien vite dans presque tous les séminaires
cet excellent manuel, qui fut tiré régulièrement chaque
année à cinq ou six mille exemplaires, sans compter
les contrefaçons ou éditions publiées à l'insu de l'au-
teur en Italie, en Allemagne, en Belgique, en Angle-
terre, en Espagne. Le Séminaire romain, la Propagande,
le Collège romain l'adoptèrent comme livre de cours
sur une édition adaptée à la législation du pays.
Quelques vives critiques s'étaient élevées pourtant au
sujet des opinions émises par le savant théologien
relativement à la portée obligatoire de certains décrets
pontificaux en France. Le P. Gury, qui s'appuyait
d'ailleurs sur la Théologie morale du cardinal Gousset,
t. n, Traité des censures, c. n, ne révoquait nullement
en doute l'autorité du pape et supposait, dans les cas
cités, une tolérance de fait. Il n'en fut pas moins accusé
de gallicanisme et l'abbe Guettée s'autorisa indûment
de cette opinion pour légitimer ses résistances aux
condamnations de l'Index. Ce fut une peine amère
pour le P. Gury, qui justifia aisément son attitude
doctrinale dans une lettre à l'Univers, du 10 novembre
1856, et qui, pour éviter jusqu'à l'ombre d'une fausse
interprétation, retrancha de la 5e édition les passages
incriminés. Jaloux de faire disparaître de son ouvrage
jusqu'aux plus légères défectuosités, il se rendit à
Rome, en 1864, à la demande du R. P. Beckx, général
de la Compagnie, pour travailler à une édition défi-
nitive de son traité, en prenant contact avec un cer-
tain nombre de théologiens éminents qui depuis plu-
sieurs années se servaient du Compendium comme livre
de texte et pouvaient lui transmettre d'utiles obser-
vations. La 16e édition parut en 1865, 2 in-8°, avec de
nombreuses additions et modifications. Les Casas
1995
GURY
GUYARD
19!)G
conscientiœ in pnrcipuus qusestiones theologix moralis, |
2 in-18, le Puy, 1862, suivirent la fortune du Compen- j
diiim à l'étranger comme en France. Le P. Dumas a
publié une édition des deux ouvrages avec notes et
adjonctions nécessaires, en 1874 et 1875, édition cons-
tamment tenue à jour depuis cette époque. Le P. Bulol
a donné plus récemment un Compcndium ad mentem
P. Gury, Paris et Tournai, 1908. En dehors de l'édi-
tion Ballerini et Palmieri, il serait superflu de citer les
traductions ou les éditions étrangères de ce traité de
morale partout recommandé et partout répandu. Les
attaques dont il a été l'objet de la part des ennemis
de l'Église, surtout en Allemagne, portaient non point
sur les doctrines particulières du P. Gury, mais sur la
morale de l'Église catholique. Cf. Dr Magnus Jocham,
Die Jcsuiten-Moral und die siitliche Verpestung des
Volkes, Mayence, 1869; F. W. Kossuth, Jesuitische
Mohrenwàsche, Wirclrweiler, 1867; F. Beyer, Was hat
das neue deutsche Rcich vom neucsten Jesuilismus zu
erwarlcn, Barmen, 1872; Dr A. Keller, Die Moral-
Iheologie des Jesuilen Pater Gury, Aarau, 1870; Aug.
Keller, Der moderne Moralist, Lucerne, 1870.
En dehors de ses travaux théologiques, le P. Gury
consacrait une bonne partie de sa vie aux œuvres du
saint ministère, à la direction des prêtres, des commu-
nautés religieuses, à la prédication, surtout aux mis-
sions de campagne, aux catéchismes dans les villages.
Son action était partout des plus bienfaisantes et l'on
admirait en lui les belles vertus de l'homme de Dieu.
La dévotion aux âmes du purgatoire lui tenait spéciale-
ment à cœur : il la propageait avec zèle. C'est dans ce
but qu'il publia le Manuel de la Confrérie des âmes du
purgatoire dite de Noire-Dame de l'Assomption pour le
soulagement des fidèles défunts, le Puy, 1865. Le
P. Gury mourut à la tâche, pendant une mission qu'il
donnait à Mercœur, dans le diocèse du Puy, le 18 avril
1866. Disciple fidèle de Busembaum et de saint
Alphonse de Liguori, le P. Gury a contribué pour une
large part à comprimer les dernières tendances jansé-
nistes; il est en même temps le restaurateur de la
casuistique et l'un des hommes qui ont exercé sur les
études morales la plus décisive influence.
Sommervogel, Bibliothèque de la C" de Jésus, t. m,
col. 1956-1959; Ami de la religion, t. clix, p. 387; Morey,
Un théologien comtois : le P. Gury, Besançon, 1868; Notice
sur le R. P. Gury, dans les Études religieuses, t. xm'
p. 592 sq.; G. Desjardins, Vie du R. P. Gury, Paris, 1867 '
Hurter, Nomencîalor, Inspruck, 1913, t. v, col. 1384 sq.;
Dulir, Jesuiien-Fabeln, 3e édit., p. 446 sq.
P. Bernard.
GUYARD Bernard, dominicain breton, né à
Craon, diocèse d'Angers, et fils du couvent de Bennes.
Il poursuivit ses études au grand collège dominicain
de Saint- Jacques de Paris. 11 soutint sa tentative en
1642 et fut reçu licencié en théologie en 1644, puis
docteur. Il enseigna la théologie au couvent de
Saint-Jacques, et fut un des quatre régents du collège.
Il fut un des prédicateurs en renom de son temps
soit à Paris, soit en province. Il devint confesseur de
Marguerite de Lorraine, épouse de Gaston d'Orléans,
frère de Louis XIII. Au chapitre de Nantes, tenu
le 19 octobre 1660, il fut élu pour quatre ans provincial
de la province de Paris. 11 mourut le 19 juillet 1674,
à l'âge de 73 ans. On a de lui : 1° Vie de saint Vincent
Fcrrier, in-8°, Paris, 1634; 2° Oraison funèbre prononcé,:
à Paris en l'église de la Madeleine, au service de Louis
le Juste, roi de France < 1 de Navarre, le 15 juin 1643,
in-4°. Le discours ne donne pas une très haute idée
de l'éloquence de l'orateur. Mais Guyard s'occupa
aussi de questions d'ordre théologique. En particulier,
les jansénistes s'efforçaient de montrer que la doctrine
de l'évèque d'Ypres ne s'écartait pas de celle de
saint Thomas. Guvard démoDtra le contraire dans un
traité intitulé : Discrimina inter doctrinam thomisticam
et jansenianam, in-4°, Paris, 1655. Des questions
d'ordre littéraire l'intéressèrent aussi. Saint Thomas
d'Aquin connaissait-il le grec '? Ce fut l'objet d'un
ouvrage assez compact, qui parut sous ce titre :
Disserlatio ulrum S. Thomas callucril linguam grœcam ?
in-8°, Paris, 1667. Il se prononça pour l'affirmative;
Launoy soutint la négative, et Guyard répondit à
trois lettres. Il répondit à une quatrième : Fraler
Bcmardus Guyard, doctor Parisiensis, Joanni Launaio,
l 'arisiensi thcologo, in-8°, s. 1. n. d. Il rencontra un autre
adversaire dans la personne d'un autre dominicain,
lui aussi docteur de Paris, le P. Nicolaï. Celui-ci
avait publié In Catenam auream S. Thomse ac P. Nico-
laï edilionem novam apologelica prœlalio, in-12, Paris,
1668. Cet ouvrage, paru sous le pseudonyme de
Honorati a S. Gregorio. était dirigé contre Combefis, un
autre dominicain. Il y ajouta Appendix in disserla-
tionem de ficlitio S. Thomœ grœcismo summaria epis-
lolaris discussio. C'était contre Guyard. Celui-ci
répondit par l'Adversus métamorphoses Honorati a
sanclo Gregorio, doctrinam ac grœcismum S. Thomie
frustra conanfis everlcre, in-8°, Paris, 1670. Sur cette
question intéressante et qui parait, au premier abord,
engager toute l'œuvre philosophique de saint Thomas,
les critiques du xvne siècle, qui ont écrit pour ou
contre, ainsi que le fait justement remarquer le
P. Mandonnet, Sigcr de Brabant, Louvain, 1911,
p. 40, en note, n'ont pas tenu compte d'une donnée
historique essentielle. C'est que « Thomas d'Aquin a
composé la presque totalité de ses commentaires à la
cour romaine, ou â Borne, en compagnie ou dans le
voisinage de Guillaume de Moerbeke, dont il a certaine-
ment utilisé les connaissances hellénistes. » Sur la
valeur des traductions de G. de Moerbeke, voir ibid.
Uccelli, qui a touché aussi cette question, Dell'opus-
colo dis. Tommaso conlro gli errori de' Greci, 1870,
p. 314-315 [Scienzae fede, IIP série, t. x], a revendiqué
pour saint Thomas purement et simplement la connais-
sance du grec. On peut certainement et l'on doit
admettre que Thomas d'Aquin, originaire d'un pays
où en ce temps le grec était très répandu, a dû au moins
en savoir autant que qui que ce soit. Néanmoins, comme
il n'était pas spécialiste dans la matière, il a bénéficié
du concours de Guillaume de Moerbeke. Voir sur ce
point la littérature signalée par Mandonnet, op. cit.
Guyard défendit une cause doctrinale intéressante.
Louis XIV, pour favoriser l'accroissement de la popu-
lation en France, songea à reculer l'âge de la profession
religieuse. Des juristes approuvèrent le projet royal
et Boland Le Vayer de Boutigny publia, en 1667, une
Réflexion sur l'édit louchant la réformalion des monas-
tères. L'âge de la profession se trouvait reculé pour les
hommes à 25 ans, pour les femmes à 20. 11 estimait que
le roi ne dépassait point ses droits en posant ces lois
nouvelles. C'est contre ces prétentions que Guyard
publia en 1669 : La nouvelle apparition de Luther
et de Calvin sous les réflexions faites sur l'édit de la
réformalion des monastères, avec un examen du traité de
lu puissance politique touchant l'âge nécessaire à la
profession des religieux, in-12, Paris, 1669. Boland
Le Vayer n'en fit pas moins paraître la même année
(1669) : De l'autorité du roy sur l'âge nécessaire à lu
profession religieuse II soutenait que le roi peut
suspendre les professions religieuses solennelles du
vœu monastique, jusqu'à l'âge qu'il jugera nécessaire
pour le bien de son État; que le roi peut déclarer nulles
les professions monastiques émises contre les règle-
ments royaux. Malgré tout, Louis XIV finit par
renoncer à son projet. Le 25 janvier 1672 (28 juin 1672
d'après laliste des prieurs du Mans), Guyard fut nommé-
prieur du couvent du Mans, mais il n'y resta que quel-
ques mois et revint à Paris, pour y reprendre les
1997
GUYARD
GUYON
1998
fonctions de régent à Saint-Jacques. Il avait commencé
vers ce temps de publier La Fatalité de S. Clou près
Paris, in-fol., Lille, 1673; in-12, 1674; in-8°, 1692
|Brunet, mais date fausse]. Cet écrit, au dire de Brunet,
aurait été inséré en plusieurs éditions île la Satire
Ménippée. L'auteur aurait pour but de prouver que
l'assassin d'Henri III n'était point le dominicain
Jacques Clément.
Echard, Scriptores ordinis pnedicalorum, Paris, 1719-
1721, t. il, p. 653-654; Matthieu 'texte, Recueil de pièces, etc.
Nécrologe de S. Jacques de Paris [Arch. de l'ordre à RomeJ;
Cosnard, Histoire du couvent des frères préclieurs du Mans,
le Mans, 1879, p. 93; Hurter, Nomenclalor, Inspruck,
1910, t. iv, col. 67, 41; P. Féret, La faculté de théologie de
Paris. Époque moderne, 1901, t. v, p. 240-244.
R. CoULON.
1. GUYON Claude-Marie, historien et théologien
français du xvme siècle (f en 1771) qui fut un moment
de l'Oratoire. Il écrivit contre Voltaire et les encyclo-
pédistes VOracle des nouveaux philosophes, 2 in-8°,
Berne, 1759-1760, et publia en 1771 une Bibliothèque
ecclésiastique par forme d'instructions... sur la religion,
en 8 in-12, qui, bien que de peu de valeur, fut traduite
en allemand en 1785 et imprimée à Augsbourg.
Picot, Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique du
XV 111° siècle, 3° édit., Paris, 1855, t. IV, p. 472; Hurter,
Nomenclator, 1912, t. v, col. 51.
A. Ingolh.
2. GUYON (Jeanne-Marie Bouvier de La Mothe),
célèbre parses doctrines quiétistes et par l'éclatante con-
troverse qu'elles provoquèrent, naquit à Montargis, le
13 avril 1648, d'une famille de petite noblesse. Mariée à
seize ans à Guyon qui entreprit le canal de Briare, elle
souffrit beaucoup, à en croire sa Vie écrite par elle-
même, d'un mari valétudinaire, difficile de caractère,
et d'une belle-mère plus désagréable encore. Veuve
en 1676, elle se livra dès lors avec ardeur aux œuvres de
charité qui l'avaient toujours attirée, et à la pratique de
l'oraison. Ses vertus étaient indéniables, et, seules, la
prévention ou la mauvaise foi ont pu les contester; son
désintéressement lui fit abandonner à la famille de son
mari la garde noble de ses enfants, laquelle lui procu-
rait plus de 40 000 livres de rente; ses aumônes étaient
considérables; on a même signalé chez elle, à ses
débuts, des dons éminents qui eussent pu faire une
sainte. Gombault, Madame Guyon, 1910. « Quand on
lit sa Vie, écrite par elle-même et qui paraît sincère,
dit le R. P. Auguste Poulain, S. J., on est amené à
regarder comme probable qu'étant jeune, elle eut vrai-
ment l'oraison de quiétude. » Des grâces d'oraison,
c. xvi. Une imagination ardente et immodérée, l'ab-
sence d'une direction sûre et ferme arrêtèrent chez elle
l'œuvre divine. Le zèle de l'apostolat et le goût des
voyages conduisirent Mme Guyon à Gex, dont l'ordi-
naire (M. d'Arenthon, évêque de Genève) lui confia la
direction d'une communauté de Nouvelles catholiques
où elle ne resta point; à Thenon, dans le Chablais; à
Verceil, où l'évêque lui rendit un bon témoignage; à
Turin, à Grenoble dont l'évêque, Etienne Le Camus,
défiant de ses idées, lui recommanda « de quitter le
barnabite pour lequel elle avait une attache éclatante et
d'avoir soin de ses enfants et de ses affaires domesti-
ques. » Lettre au duc de Chevreuse, 18 janvier 1685.
Partout, Mra« Guyon fomentait la piété, et répandait
des opinions que nous exposerons plus loin; partout
aussi ou presque partout, comme le lui reproche Le
Camus, elle était accompagnée du barnabite La Combe,
esprit exalté, qui encourageait chez sa pénitente des
tendances périlleuses, lui prodiguait les flatteries, et se
laissait conduire bien plus qu'il ne dirigeait. En juillet
1686, Mme Guyon revient en France et à Paris; elle
s'installe auprès de Notre-Dame, mais elle n'y reste pas
longtemps. Des bruits fâcheux circulaient sur elle et sai-
son guide. La Combe, rentré à Paris en octobre 1687,
est arrêté par ordre royal, et emprisonné d'abord à la
Bastille, puis au château de Lourdes; il meurt fou à
Vincennes, en 1699, après avoir souscrit contre lui-
même et contre sa pénitente d'infamants aveux,
arrachés par la contrainte. Mm« Guyon elle-même fut
arrêtée en octobre 1687, et conduite aux \isitandines
de la rue Saint-Antoine. « Elle y subit plusieurs inter-
rogatoires en présence de l'official et de son vice-gérant.
Les pièces de cette procédure n'ont jamais été publiées.
Mais il est bien évident que cette instruction juridique
n'avait fourni aucune preuve des accusations si graves
qu'on avait intentées contre ses mœurs. » Bausset,
Histoire de Fénelon, 1. II, ix. L'intervention d'une des
grandes chrétiennes du xvne siècle, Mme de Miramion,
fit sortir du couvent Mme Guyon, le 15 septembre 1688,
après huit mois de captivité. « La duchesse de Charost
et la duchesse de Beauvilliers l'avaient connue à Mon-
targis, l'une était venue s'y fixer, l'autre y faisait élever
ses filles... Par elles Mme Guyon s'était acquis la sym-
pathie des duchesses de Chevreuse et de Mortemart. Ce
petit concile de duchesses avait proclamé la sainteté de
leur amie... » M. Masson, Fénelon et Mme Guyon. Intro-
duction, p. xxiv. De l'hôtel de Beauvilliers, M me Guyon
fut introduite à Saint-Cyr, où sa parente, Mmede La
Maisonfort, et Mme deBrinon l'avaient attirée. On y lut
ses écrits ; M me de Maintenon elle-même n'échappa point
au charme de la prophétesse, et, comme l'a ditMmeDu
Pérou, « presque toute la maison devint quiétiste. »
Nous allons exposer la doctrine de Mme Guyon, telle
que la présente M. Gosselin, d'après le livre des Torrents
et l'Explication du Cantique des cantiques.
« 1° La perfection de l'homme, même dès cette vie,
consiste dans un acte continuel de contemplation et
d'amour, qui renferme en lui tous les actes de la reli-
gion et qui, une fois produit, subsiste toujours, à
moins qu'on ne le révoque expressément...
« 2° Il suit de ce principe, et la nouvelle mystique
paraît en conclure qu'une âme arrivée à la perfection
n'est plus obligée aux actes explicites, distingués de la
charité, qu'elle doit supprimer généralement et sans
exception tous les actes de sa propre industrie, comme
contraires au parfait repos en Dieu...
« 3° Dans ce même état de perfection, l'âme doit
être indifférente à toutes choses pour le corps et pour
l'âme, pour les biens temporels et éternels.
« 4° Dans l'état de la contemplation parfaite, l'âme
doit repousser toutes les idées distinctes, et par consé-
quent la pensée même des attributs de Dieu et des
mystères de Jésus-Christ... » Analyse de la controverse
du quiétisme, a. 2, § 2, 3.
La conquête la plus brillante que fit Mme Guyon fut
celle du guide de cette société d'élite, l'abbé de Fénelon,
qui devait atténuer la doctrine, sans la rendre irrépré-
hensible. Fénelon et Mme Guyon se rencontrèrent en
octobre 1688, à Beynes, près de Versailles, chez la du-
chesse de Charost. Ils ne s'entendirent pas du premier
coup. « Je sentais intérieurement, a écrit Mm0 Guyon,
que cette première entrevue ne le satisfaisait point,
qu'il ne me goûtait pas. » Fragment d'autobiographie,
p. 3, dans Fénelon et Mme Guyon. La raison et la théo-
logie du prêtre résistaient, malgré de secrètes affinités
qui finirent par prévaloir. Fénelon devint l'admirateur,
l'ami cher entre tous, le disciple d'une femme qu'il ne
craint pas de rapprocher, à cause même des illusions
qu'on lui imputait, de sainte Catherine de Bologne,
jouet elle-même durant quelque temps de ruses diabo-
liques. « Je l'estimai beaucoup, a-t-il écrit; je la crus
fort expérimentée et éclairée dans les voies intérieures,
quoiqu'elle fût très ignorante. Je crus apprendre plus
sur la pratique de ces voies en examinant avec elle ses
expériences, que je n'eusse pu faire en consultant des
personnes fort savantes, mais sans expérience pour la
pratique. » Réponse à la Relation sur le quiélisme, c. i,
1999
GUYON
2000
n. 5. Toujours, il vit en elle une sainte qu'on opprimait,
lettre à Chantérac, 8 décembre 1697. Cette persistante
sympathie pour Mme Guyon, cette haute idée des
lumières qu'une vie qui semblait perdue en Dieu lui
avait procurées, sont attestées par des œuvres d'une
indéniable authenticité. Mais le recueil de lettres attri-
buées à Mme Guyon et à Fénelon par le pasteur vaudois
Philippe Dutoit, et publiées en 1767-1768, nous apprend
autre chose encore. Sont-elles authentiques? M. Mau-
rice Masson, professeur à l'université de Fribourg
(Suisse), qui les édita en 1907, précédées d'une longue
et suggestive introduction, n'hésite pas à l'affirmer.
Sans doute, les originaux ont disparu, niais les preuves
qu'il apporte ont paru convaincantes à des esprits
versés dans l'histoire et dans la littérature fénelo-
niennes. Aux répugnances, aux dénégations de M. Gos-
selin. qui n'y retrouvait ni le style ni les idées de l'ar-
chevêque de Cambrai, M. Maurice Masson répond :
« Le lecteur judicieux jugera. C'est à lui de sentir si ces
lettres qu'on prétend apocryphes et les pages les plus
authentiques de Fénelon, que j'ai cru devoir en rap-
procher, n'ont pas entre elles une évidente parenté,
parfois même une presque identité de pensée et
d'expression. La meilleure, ou du moins la plus com-
plète démonstration d'authenticité sera donc la lecture
même de cette correspondance : les notes et références,
qui soulignent le texte par le menu, apporteront pour la
plupart des faits, des idées et des mots, la confirmation
de ceux-là mêmes à qui les lettres sont adressées. »
Fénelon et Mme Guyon, Introduction, p.xix, xx. Or, non
seulement Fénelon reçoit dans ces lettres une véritable
direction, mais il accepte la confidence de songes
étranges, de chimériques espérances, le tout exprimé
dans un langage enfantin; il se prête à ces mièvreries,
à ces rêves. « Il faudrait une extrême' ingénuité, dit
M. Maurice Masson, pour prendre au sérieux ces enfan-
tillages mystiques et le cri de ralliement : Heureux les
fous ! Il serait plus qu'injuste d'abuser de quelques
couplets de Gascon (allusion aux vers puérils qu'échan-
gent les deux correspondants; il y a là cependant de
Fénelon quelques strophes légères et dansantes) pour
décrier un très grand esprit.» Fénelon et Mme Guyon,
p. xc.i. Certes, Fénelon demeure grand par son génie,
par ses vertus, par ses malheurs, par son dévouement
sans réserve à la France envahie, durant la guerre de
la succession d'Espagne; par la lutte infatigable que
soutint son zèle perspicace contre le jansénisme, pré-
curseur et inconscient promoteur de l'incrédulité pro-
chaine; mais l'influence exercée par Mme Guyon sur
Fénelon nous semble un très regrettable épisode dans
cette glorieuse existence. « En exaspérant chez lui le
conflit de l'homme purement homme et du chrétien,
ou, si l'on veut encore, de l'homme naturel et de
l'homme intérieur, a-t-on dit, en creusant cette con-
science par la doule::r, en lui révélant ainsi à lui-même
des puissances insoupçonnées de vertu et de corruption,
elle (Mme Guyon) a assoupli et nuancé une âme déjà
très riche et très dherse. » Fénelon et Mme Guyon,
Introduction, p. xcv. C'est possible; mais pour arriver
si haut, était-il nécessaire que Fénelon passât par des
voies étranges, par des voies bizarres; était-il nécessaire
que, sous prétexte de défendre et, pour ainsi dire, de
remparer la doctrine du pur amour, il donnât dans
l'erreur d'un quiétisme raffiné ? On n'a pas prouvé que
« de celui qui, sans elle, n'aurait été qu'un homme
« d'esprit, cette demi-sainte, demi-folle a fait un type
« d'humanité. »A un point de vue plus général, au point
de vue du développement de la doctrine, plusieurs
n'ont pas regretté la controverse que provoquèrent les
idées de Mme Guyon « Avant l'effort de Fénelon pour
systématiser la science mystique, dit le P. Gratry, non
sans quelque exagération, les écrits des plus saints
auteurs renfermaient sur ce point des inexactitudes,
non d'intention mais d'expression, de sorte que le point
principal de la théologie mystique, dernier mot de la
vraie sagesse, fut alors, et alors seulement, défini et
lixé. » Connaissance de Dieu, part. I, c. vu, Fénelon.
De crainte qu'on n'en abusât, Fénelon n'avait point
voulu que les manuscrits de Mme Guyon, qui circulaient
librement à Saint-Cyr, fussent communiqués au dehors;
l'évêque de Chartres, Godet Des Marais, en eut cepen-
dant connaissance parMme de LaMaisonfort. Ce prélat,
homme d'une haute vertu, « fort savant et surtout
profond théologien » (ainsi parle Saint-Simon, qui
d'ailleurs se plaît à le rabaisser), prémunit Mme de
Maintenon qu'il dirigeait, contre une doctrine qui « in-
vitait à cette liberté des enfants de Dieu dont on ne se
servait que pour ne s'assujettir à rien. » Alarmée,
Mme de Maintenon consulta des hommes d'une autorité
incontestable : Tronson, le maître de Fénelon, qui
regarda comme suspects les écrits de Mrae Guyon, et
Bourdaloue. dont la réponse atteste une rare connais-
sance des âmes et particulièrement des âmes de son
siècle. « Fénelon, dit Bausset, voyait sans s'étonner,
et presque sans s'en apercevoir, un orage se former
contre lui. » Bossuet était encore à ses yeux le maître
par excellence; il conseilla à Mme Guyon de confier à
l'évêque de Meaux ses écrits les plus secrets, et de se
soumettre à sa décision. Mme Guyon communiqua à
Bossuet le manuscrit où elle exposait sa doctrine, les
grâces insignes qu'elle disait avoir reçues, ses prophéties
et ses visions. Bossuet lut cette Vie écrite parelle-même
dont, avec une ironie grave qui éclate parfois, il cite
des fragments dans sa Relation sur le quiétisme (Féne-
lon déclare n'avoir fait de ces écrits qu'une lecture
rapide et incomplète). Après avoir tout examiné, l'évê-
que de Meaux eut avec Mme Guyon un long entretien
à Paris chez les religieuses du Saint-Sacrement de la
rue Cassette; il essaya de rectifier ses idées, et la
jugeant sincère, « plus digne de pitié que de censure, »
dit Bausset, il l'admit à sa messe et la communia de sa
propre main. Pour vaincre les résistances de Mme Guyon,
il lui adressa (mars 1694) une lettre doctrinale dont le
ton est paternel. « Je vous dirai, écrivait-il, que la pre-
mière chose dont il me paraît que vous devez vous
purifier, c'est de ces grands sentiments que vous mar-
quez de vous-même... Déposez donc tout cela... d'au-
tant plus que l'endroit où vous dites : « Ce que je lierai
« sera délié, » est d'un excès insupportable... Je mets
encore dans le rang des choses que vous devez déposer
toutes prédictions, visions, miracles et, en un mot,
toutes choses extraordinaires, quelque ordinaires que
vous vous les figuriez dans certains états... » C'est sur-
tout le quiétisme de Mme Guyon, cette doctrine qui
exclut la prière de demande et l'action de grâces, qui, par
une pente logique, conduit l'âme à une contemplation
oisive, ce sont ces raffinements d'une piété sans règle,
qui effraient l'inflexible théologien. « Je n'ai trouvé ni
Écriture, ni tradition, ni exemple, ni personne, qui osât
dire ouvertement : En cet état (l'état des parfaits) ce-
serait une demande propriétaire et intéressée, de de-
mander pour soi quelque chose, si bonne qu'elle fût, à
moins d'y être poussé par un mouvement particulier;
et la commune révélation, le commandement commun
fait à tous les chrétiens ne suffit pas. Une telle proposi-
tion est de celles qui ne laissent rien à examiner, et qui
portent leur condamnation dans les termes. » L'évêque
tire du fond de sa conscience la déclaration suivante,
qui explique d'avance la conduite qu'il tiendra dans
l'affaire du quiétisme, et, quels que doivent être cer-
tains excès de sa polémique, en découvre le vrai motif.
« J'écris sous les yeux de Dieu, mot à mot comme je
crois l'entendre de lui par la voix de la tradition et de
l'Écriture, avec une entière confiance que je dis la
vérité. » Et il ajoute, avec un indéniable accent de
charité : o Je vous permets néanmoins de vous expli-
2001
GUYON
2<Hi2
quer encore : peut-être se trouvera-t-il dans vos sen-
time ts quelque chose qui n'est pas assez débrouillé; et
je serai toujours prêt à l'entendre. Pour moi, j'ai voulu
exprès m'expliquer au long, et ne point épargner ma
peine, pour satisfaire au désir que vous avez d'être ins-
truite. Je vous déclare cependant que je loue votre doci-
lité. »
L'évêque de Meaux se méprenait; Mme Guyon n'Olait
pas docile, car elle n'était pas persuadée. Inquiète d'une
opinion publique qui suspectait sa doctrine et même
ses mœurs, elle demanda à Mme de Maintenon des
commissaires, moitié ecclésiastiques, moitié laïques,
qui prononçassent sur celles-ci et sur celle-là. Les com-
missaires laïques, auxquels aurait incombé l'examen
des mœurs, lui furent refusés : « Je n'ai jamais rien cru
des bruits que l'on faisait courir sur les mœurs de
Mrae Guyon, écrivait Mme de Maintenon au duc de
Beauvillier>; je les crois très bonnes et très pures; mais
c'est sa doctrine qui est mauvaise, du moins par les
suites. En justifiant ses mœurs, il serait à craindre
qu'on ne donnât cours à ses sentiments, et que les per-
sonnes déjà séduites ne crussent que c'est les autoriser.
Il vaut mieux approfondir une bonne fois ce qui a rap-
port à la doctrine, après quoi tout le reste tombera. »
Les commissaires étaient Bossuet, Noailles, encore
évêque de Châlons, et Tronson, supérieur de Saint-
Sulpice; ces deux derniers avaient été choisis sur la
demande deMme Guyon. Celle-ci déclara n'avoir jamais
voulu s'écarter de l'enseignement de l'Église; elle pria
même Bossuet de la recevoir à la Visitation de Meaux
où elle arriva au commencement de janvier 1695. Après
avoir rendu, sur Mmo Guyon, ce que je nommerais un
arrêt de non-lieu, les deux évêques et Tronson réso-
lurent d'exposer, dans des réunions qui n'avaient et
qui ne prétendaient avoir aucun caractère canonique,
la doctrine orthodoxe sur les points controversés. De
là, les célèbres conférences d'Issij, qui se tinrent, avec
des interruptions, du 16 juillet 1694 au 10 mars 1695,
dans la maison de campagne du séminaire de Saint-
Sulpice, où Tronson était retenu par ses infirmités. Sur
ces entrefaites, mécontent que des évêques étrangers
traitassent dans son diocèse d'une question théologique
sans l'avertir, Harlay* par une ordonnance du 16 oc-
tobre 1694, condamna, avec des qualifications sévères,
l'Analyse de l'oraison mentale par le P. La Combe, le
Moyen court de faire oraison et l'Explication du Cantique
des cantiques, de Mme Guyon.
Fénelon, nommé à l'archevêché de Cambrai (4 fé-
vrier 1695), fut admis aux conférences d'Issy. « Il est
clair comme le jour que j'étais le principal accusé, »
a-t-il dit. Réponse à la Relation sur le quiétisme, c. il,
xix. Incontestablement, c'était pour s'assurer de sa
doctrine, pour désabuser, s'il était nécessaire, des
rêves de Mme Guyon, un homme qu'elle aimait encore,
que Mme de Maintenon avait encouragé ces conférences.
Le futur archevêque de Cambrai, tout en réservant dis-
crètement la question de l'amour de bienveillance, sur
laquelle avec toute l'École il était invincible, faisait
alors à Bossuet des protestations de docilité qui nous
semblent dépasser la mesure. Lettres du 28 juillet et
du 16 décembre 1694. Aux trente articles rédigés par '
ses collègues, il demanda qu'on en ajoutât quatre
autres, pour établir plus clairement l'amour désinté-
ressé, et pour définir l'oration passive. Ayant obtenu
gain de cause, le futur archevêque de Cambrai souscri-
vit avec eux les trente-quatre articles d'Issy (10 mars
1695). Voir t. v, col. 2146-2149. Bossuet et Noailles
étaient convenus de publier dans leurs diocèses res-
pectifs les articles d'Issy, et la condamnation des ou-
vrages de Mme Guyon. L'ordonnance de l'évêque de
Meaux est du 16 avril 1695; elle censurait, outre des
ouvrages de Molinos, de Malaval et de La Combe, trois
ouvrages de Mme Guyon, laquelle d'ailleurs n'était pas
nommée : le Moyen court de faire oraison, l'Explication
du Cantique des cantiques, et la Règle des associés de
l'enfance de Jésus. L'ordonnance de Noailles est du
25 avril 1695; Mme Guyon n'y fut pas nommée non
plus.
Mme Guyon s'était soumise à l'ordonnance de Bos-
suet, qui lui accorda sans hésitation le certificat le plus
avantageux sur sa conduite, ses intentions et ses dis-
positions (Bausset). Plus tard, dans l'emportement de
la controverse, Bossuet parut regretter cette pleine jus-
tification qu'il avait accordée à Mme Guyon. « Il y a un
point, écrira-t-il, où je lui ai laissé déclarer ce qu'elle
a voulu pour sa justification et son excuse, et c'est
celui des abominables pratiques de Molinos, où mon
attestation porte que je ne l'ai « point trouvée impliquée
«ni entendu la comprendre dans la mention que j'avais
« faite dans mon Ordonnance du 16 avril 1695. » C'est
qu'en effet je ne voulais pas entamer cette affaire
pour des raisons bonnes alors, mais qui pouvaient
changer dans la suite... Ainsi, j'ai tâché, suivant la
parole et l'exemple de Jésus-Christ, à garder toute
justice, et à satisfaire ainsi à tout ce que la charité et
la vérité demandaient. » Remarques sur la Réponse à la
Relation sur le quiétisme, a. 2, § 6. Nonobstant le ton
chagrin de ce passage, l'attestation donnée par Bossuet
subsiste, et rien ne l'a infirmée.
Mme Guyon quitta la Visitation le 12 juillet 1695, non
pas, « en sautant les murailles du couvent, » comme elle
écrit en souriant qu'on l'en avait accusée, mais avec
toute liberté. C'est dans les jours qui précédèrent ce
départ qu'avaient eu lieu entre Bossuet et Mme Guyon
ces entretiens racontés par elle, où les moins bienveil-
lants adversaires de l'évêque de Meaux ne le reconnaî-
traient pas. « Lorsqu'il venait, c'était, disait-il, mes
ennemis qui lui disaient de nie tourmenter: qu'il était
content de moi. D'autres fois, il venait plein de fureur
me demander cette signature (le désaveu d'une erreur
sur l'incarnation dont son quiétisme la faisait soupçon-
ner). Il me faisait menacer de tout ce qu'on m'a fait
depuis. Il ne prétendait pas, disait-il, perdre pour moi sa
fortune, et mille autres choses... » Et ailleurs : « Ce que je
savais, c'est qu'il établissait une haute fortune sur la
persécution qu'il me ferait... »
Étranges et invraisemblables confidences faites à
une femme pour qui Bossuet n'éprouva jamais qu'une
pitié qui finit par s'aigrir 1 Quand elle croyait les avoir
entendues, et qu'elle les écrivait, Mme Guyon, rêveuse
obstinée et sujette à d'indéniables hallucinations,
rêvait une fois de plus. Elle rêvait, quand elle prêtait
à Bossuet ce mot de fortune qu'il se serait appliqué à
lui-même. Où donc avons-nous trouvé Bossuet préoc-
cupé de sa fortune ? « Notez, dit M. Bébelliau, que ce
poste envié de précepteur du Dauphin, Bossuet l'avait
occupé sans en rien retirer; qu'après avoir vécu dix
ans a la cour dans le voisinage le plus proche du roi,
il était rentré dans le rang sans garder de cette gran-
deur aucune influence réelle. » Bossuet, p. 168. Il est le
théologien de Louis XIV, il n'est que cela; d'autres ont
la faveur. Évêque de Condom d'abord, puis de Meaux,
il laisse des candidats mieux appuyés obtenir de plus
grands sièges. En 1688, on prononce son nom, à propos
de la coadjutoreiïe de l'opulent évêché de Strasbourg,
en 1695 de l'archevêché de Paris. « Il y a toute appa-
rence, et, pour mieux dire, toute certitude, écrivait-il
à Mme d'Albert, que Dieu, par miséricorde autant que
par justice, me laissera dans ma place. » Lettre du
22 août 1695.
Sortie de Meaux, Mme Guyon se cacha quelque temps
à Paris; arrêtée au bout de quelques mois, elle fut em-
prisonnée à Vincennes (27 décembre 1695). Peu de
temps avant cette arrestation (21 novembre 1695),
l'évêque de Chartres avait publié contre les écrits du
P. La Combe et de Mme Guyon une ordonnance très
2003
GUYON
200*!
sévère. 11 extrayait des ouvrages imprimés (Analysis
orationis mentalis; Moyen court et très facile de faire
oraison; Règle des associes à l'enfance de Jésus; Le
('.indique dis cantiques de Salomon, interprété selon le
sens mystique), et aussi du manuscrit intitulé : les
Torrents, soixante-trois propositions qui lui arrachè-
rent ce cri d'effroi : « Quelle doctrine ! que ne doit-on
pas craindre de ces prodigieuses maximes, et des con-
séquences horribles qu'on en peut tirer ! » Godet Des
Marais y reconnaissait quelques-unes des erreurs déjà
condamnées dans Molinos par le pape Innocent XI.
Nous retrouverons Mme Guyon encore captive en
1696. Entre temps, elle devenait l'occasion d'une rup-
ture et d'une controverse mémorables entre Bossuet et
Fénelon. Immédiatement après les conférences d'Issy,
Bossuet travailla à son Instruction sur les états d'orai-
son; il comptait que l'approbation de l'archevêque
de Cambrai ne lui manquerait pas plus que celles de
Noailles, devenu archevêque de Paris, et de Godet Des
Marais. Mais outre que Fénelon répugnait à approuver
les réserves de Bossuet sur le motif spécifique de la
charité et sur l'oraison passive, l'évêque de Meaux, dans
son Instruction, combattait directement Mme Guyon.
« Plusieurs croiront, dit-il, que ces livres (les livres
quiétistes) ne méritaient que du mépris, surtout celui
qui a pour auteur François Malaval, un laïque sans
théologie, et les deux qui sont composés par une
femme, comme sont le Moyen court et facile et Y Inter-
prétation sur le Cantique des cantiques. . Ces livres,
quoique j'en avoue le peu de mérite, ne sont pas
écrits sans artifice, etc. Ceux qui sont composés par
une femme sont ceux qui ont le plus piqué la curiosité
et le plus ébloui le monde; encore qu'elle en ait sou-
scrit la condamnation, ils ne laissent pas de courir et de
susciter des discussions en beaucoup de lieux d'où il
nous en vient de sérieux avis... L'Église a eu dès son
origine des femmes qui se disaient prophétesses, et les
apôtres n'ont pas dédaigné de les noter. Ceux qui ont
réfuté Montan n'ont pas oublié dans leurs écrits ses
prophétesses. » Traité 7er, 1. I, n. 10, 11. Fénelon ne vou-
lut pas s'associer au blâme prononcé avec tant d'éclat
contre Mme Guyon. Bossuet fut profondément blessé
de ce refus. « Quoi donc 1 il va paraître, dit Bossuet dans
sa Relation sur le quiétisme, sect. ni, 17, que c'est pour
soutenir Mme Guyon que M. de Cambrai se désunit
d'avec ses confrères ! Tout le monde va donc voir qu'il
en est le protecteur 1 » Fénelon répondit qu'il n'était
pas le protecteur, mais l'ami de Mm0 Guyon, l'inter-
prète de ses sentiments qu'il connaissait, et non le
défenseur d'un langage dont il réprouvait les inexac-
titudes; que, de l'aveu de l'archevêque de Paris et de
l'évêque de Chartres, il lui suffisait de rendre compte à
l'Église de sa foi. L'archevêque de Cambrai s'engageait
ainsi à composer le livre qu'il intitula : Explication des
maximes des saints sur la vie intérieure.
Cet ouvrage, achevé d'imprimer le 25 janvier 1697,
parut un mois avant celui de Bossuet, surpris et mé-
content d'une hâte qu'on a attribuée au zèle indiscret
du duc de Chevreuse. Nous n'avons pas à retracer ici
l'histoire d'une controverse fameuse. « Bossuet avait
raison, a dit M. Maurice Masson, Fénelon et Mme Guyon,
Introduction, p. lxiv, quand il groupait dans sa Rela-
tion tous les épisodes de la bataille autour de
Mme Guyon... C'est elle, disait-il, qui fait le fond de
l'affaire. » Relation sur le quiétisme, sect. il, 57. C'est elle
que Bossuet vise et que — disons le mot — Bossuet
veut décrier. « Il faut prévenir les fidèles contre une
séduction qui subsiste encore : une femme qui est
capable de tromper les âmes par de telles illusions, doit
être connue...,» ibid.; et pour qu'elle soit mieux connue
il rapporte, avec la verve et l'ironie puissante d'un
maître, les étrangetés, paroles et actes, de la prophé-
tesse. C'est Mme Guyon aussi que défend Fénelon dans
sa Réponse, si fine et si éloquente. En vain, il paraît se
détacher d'elle : « Laissez-la, écrivait-il à Mme de
Maintenon, avec une feinte indifférence, laissez-la
mourir en prison. Je suis content qu'elle y meure, que
nous ne la voyions jamais et que nous n'entendions
jamais parler d'elle. » Lettre du 7 mars 1696. Il ne la
revit plus, en effet, mais ils ne s'oublièrent pas. « Si l'on
en croit M. Gosselin, qui avait sans doute en main les
preuves de son affirmation, dit M. Maurice Masson,
c'aurait été M. Dupuy, l'ancien gentilhomme de la
manche du duc de Bourgogne, disgracié lui aussi en
1698, qui servait d'intermédiaire entre les deux amis...
Ce fut même par son entremise que Fénelon et ses
amis intimes continuèrent, après la conclusion de l'af-
faire du quiétisme, d'entretenir avec Mme Guyon une
correspondance fondée sur une mutuelle estime. »
Fénelon et Mme Guyon, Introduction, p. lxvii, lxviii.
Mm0 Guyon avait lu « avec respect et admiration » le
livre des Maximes des saints. « Tout en gros, je le crois
très bon, et que les crieries viennent de l'ennemi de la
vérité... «Lettre inédile à... de 1697, 1er recueil Chevreuse,
dans Fénelon et A/me Guyon, Introduction, p. lvii.
Elle était restée enfermée à Vincennes jusqu'au
16 octobre 1696; après des hésitations et des résis-
tances, elle avait consenti à souscrire un projet de sou-
mission, rédigé d'abord par Fénelon, mais rectifié et
complété par Tronson; elle y avouait les erreurs con-
tenues dans ses livres, et promettait de se conformer
à l'avenir à la conduite et aux règles que l'archevêque
de Paris voudra bien lui prescrire (28 août 1696). Elle
fut reléguée à Vaugirard, dans une petite maison, sous
une surveillance étroite : « On serait tenté de croire,
par une lettre de Mme de Maintenon au cardinal de
Noailles, dit Bausset, que Bossuet avait vu avec peine
ce faible adoucissement accordé à Mme Guyon. »
Lettre de Mme de Maintenon, Lavallée, 428. Le passé de
la prophétesse lui faisait regretter que, libre, elle ne
reprît une propagande quiétiste, et le spectacle des
désordres dont sa province natale était alors le théâtre,
augmentait encore ses craintes. H. Chérot, Le»quié-
tisme en Bourgogne et à Paris en 1698, Paris, 1901. De
là ce parti pris de rigueur injuste et inutile, qui afflige
et qui étonne chez Bossuet. Mme de Maintenon avait
raison contre Bossuet, quand elle écrivait à son arche-
vêque : « Je crois qu'il est de mon devoir de dégoûter
des actes violents le plus qu'il est possible » (23 sep-
tembre 1696). Son tort fut de ne pas mettre d'accord
avec sa raison le pouvoir dont elle disposait.
Exilée dans une terre de sa fille qui allait devenir
duchesse de Béthune, Mme Guyon fut enfin auto-
risée à se retirer à Blois et s'y éteignit à l'âge de
soixante-dix neuf ans, le 9 juin 1717. « Au moment de
mourir, elle fit un testament, à la tête duquel elle in-
scrivit sa profession de foi, qui atteste la sincérité de ses
sentiments en matière de religion et l'innocence de ses
mœurs, malgré toutes les calomnies dont elle avait été
la victime. » Bausset, Histoire de Fénelon, I. III, 89.
Nous n'avons pas contesté ses vertus ; nous ne contes-
terons pas davantage la sincérité de sa foi, mais cette
foi n'excluait pas l'illuminisme ni l'infatuation de
l'esprit propre. Mme Guyon avait une confiance ob-
stinée en ses lumières. «Je portais à mon fond, a-t-elle
écrit, un instinct de jugement juste qui ne me trom-
pait jamais. » Et à cette confiance en elle-même se
joignant « des phénomènes bizarres et extraordinaires >■.
Gombault, Madame Guyon U le quiétisme, p. 45. « Je
sentais en moi une telle autorité sur les démons qu'il
me semblait que je les aurais fait fuir en enfer. Le
démon n'osait pas m'attaquer moi-même: il me crai-
gnait trop. » Et cette femme, humble sans doute dans
son fond, nous apparaît comme atteinte d'une véri-
table mégalomanie religieuse ; elle se croit investie,
dans l'Église, d'une mission que sainte Thérèse ni
2005
GUYON
2006
sainte Jeanne Françoise de Chantai n'eussent jamais
osé s'attribuer. « Notre-Seigneur a fait connaître à
quantité de personnes qu'il me destinait à être la mère
d'un grand peuple. »
Mme Guy on a eu, après sa mort comme pendant sa
vie, un grand nombre de partisans et d'admirateurs,
mais ils ne lui venaient pas des rangs de l'orthodoxie.
« Ce qu'il y a de plus singulier, dit M, Gosselin, c'est
que la plupart de ces admirateurs se trouvent parmi
les protestants, généralement assez étrangers aux
principes et à la pratique de la théologie mystique. »
Analyse de la controverse du quiélisme, a. 2, § 3. «... En
ce moment même, les écrits de cette femme célèbre
servent d'aliment à la piété des méthodistes d'Amé-
rique. Qu'est-ce à dire? Et qu'y a-t-il de commun
entre Mm<J Guyon et John Wesley ? Un trait, si je
ne me trompe, mais un trait caractéristique, à savoir,
la conviction profonde que c'est aux simples que Dieu
parle et se communique... » De là, le mépris doux, mais
invincible, de toute discipline et de toute hiérarchie.
« Visiblement, elle a pitié de l'ignorance de Bossuet.
De là, ce terrible redoublement de confiance en elle-
même, en ses visions, en ses expériences, en sa mission.
Mais de là aussi, l'étonnement, l'indignation, je puis
dire l'effroi de Bossuet. Cet orgueil du sens individuel,
c'est la ruine de la tradition. 11 a raison de dire qu'il y
va de toute l'Église. » Brunetière, dans la Revue des
deux mondes, 15 août 1881.
Mmo Guyon, Œuvres publiées en Hollande sous la rubri-
que de Cologne, en grande partie par les soins du ministre
Poiret, 39 in-12 ou in-8°. «11 serait injuste de mettre sur
son compte tout ce qu'il y a de répréhensible dans ses
livres. » (Gosselin). Bossuet, Œuvres ; voir en particulier dans
la Correspondance de Bossuet, édit. Levesque et Urbain,
t. vr, p. 531-565 ; t. vu, p. 488-524 ; t. vin ; Fénelon, Œuvres.
Cardinal de Bausset, Histoire de Fénelon, 3 in-8°, 1808;
4 in-8°, 1827; Phélippeaux, Relation de l'origine, du progrès
et de la condamnation du quiétisme répandu en France,
1732; Bonnel, De la controverse de Bossuet et de Fénelon sur
le quiélisme, in-8°, Paris, 1850; A. Griveau, Étude sur la
condamnation du livre des Maximes des saints, 3 in-18, Paris,
1878; Guerrier, Mm» Guyon, in-8°, Paris, 1881; L. Crouslé,
Fénelon et Bossuet, 2 in-8°, Paris, 1894 et 1895; E. Levesque,
Bossuet et Fénelon à Issy ou Conférences sur les états
d'oraison, in-8°, Limoges, 1899; Paul Janet, Fénelon, Paris,
1892; Maurice Masson, Fénelon et Madame Guyon, in-16,
Paris; Henri Brémond, Apologie pour Fénelon, Paris, 1910;
le chanoine Gombault, Mm° Guyon (extrait de la Revue
de Lille, 1910).
A. Largent.
H
HABACUC (Livre D'). Bible hébraïque: Hâlaqqûq.
Le 8e des petits prophètes : nebî'îm qetanntm. — Bible
grecque : AMBAKOUM (Grégoire de Nazianze,
Synopse [Lagarde] : 'A56axoûp.. Cf. H. B. Swete,
Introduction lo the OUI Testament in Greek, Cambridge,
1902, p. 205-206). — Bible latine : Habacuc. (Gélase :
Abacu; Cassiodore : Abbacuc; codex Claromontanus :
Ambacum. Cf. H. B. Swete, op. cit., p. 210-214). Sur
les formes du nom, cf. Beinke, Der Proph. Habakuk,
Brixen, 1870, p. 1 sq. — I. Forme poétique. II. Compo-
sition, date. III. Autorité, auteur. IV. Enseignements
doctrinaux. V. Commentateurs.
I. Forme poétique. — La forme poétique est
aujourd'hui reconnue au livre d'Habacuc, certaine-
ment pour le c. m ; plus probablement aussi pour les
c. i et ii.
Voir spécialement Gietmann, De re metrica Hebrœorum,
Fribourg-en-Brisgau, 1880, p. 77 (Hab., m); G. Bickell,
CarminaVeleris Teslamenli melrice, Inspruck, 1882, p. 213 sq.
(Hab., ni); D. H. Millier, Strophenbau und Responsio,
Vienne, 1898, p. 36-39 (Hab., m); Condamin, La forme
jhorule du chapitre 111 d'Habacuc, dans la Bévue biblique,
Paris, 1899, p. 133-140; Ruben, Strophic forms in the Bible,
dans Jeœish quarterh/ review, Londres, 1899, t. xi, p. 448-
455, 474 (Hab., n et ni); Sievers, Melrische Sludien, I,
Leipzig, 1901, p. 490 sq. (Hab., I); Kelly, The strophic
structure of Habacuc, dans American journal of semitic
languages and literature, Chicago, 1902, t. xvni, p. 94-119;
Eakin, The lext of Habakkuk, l-n, 4, Toronto, 1905; Staerk,
Ausgewàlhte poelische Werke des A. T. im melrischer und
strophischer Gliederung, IIe partie, Leipzig, 1908; Commen-
taires de Marti, 1904; de Duhm, 1906.
II. Composition. Date. — Longtemps le livre a été
tenu pour un dans sa composition, œuvre du seul
prophète Habacuc, sur les indications précises de i, 1 :
« Oracle que vit Habacuc, le prophète, » et m, 1 :
« Prière d'Habacuc, le prophète. » Unité apparente
du sujet : le peuple de Dieu est opprimé, i, 2-4; mais
Dieu châtiera les oppresseurs, i, 5-10; les justiciers
suscités par lui outrepassent toutefois leur mission,
opprimant à leur tour Israël et les autres nations,
i, 11-n, 1; leur tyrannie provoquera donc de justes
représailles, n, 2-19; le prophète attend la délivrance
et la décrit sous forme de théophanie, u, 20-m.
Le peuple suscité d'abord pour le châtiment des
oppresseurs est celui des Chaldéens, i, 6. Mais qui sont
ces oppresseurs? L'exégèse traditionnelle et le grand
nombre des critiques ont répondu : La partie cor-
rompue (rasa') de Juda, opprimant les justes (saddiq).
Quelle époque est visée? Le temps d'Ézéchias : Théo-
dore de Mopsueste ; Ribera ; cf. Knabenbauer,
Introduclio specialis, Paris, 1897, t. n, p. 580, note 6;
Betteridge, The interprétation of the prophecy of
Habakkuk, dans American journal of thcology,
Chicago, 1903, p. 647-662 (les coupables de i, 2-10
seraient les Assyriens), suivi par Hirsch, art. Habakkuk
et Book of Habakkuk, dans Jcwish encyclopœdia, New-
York, 1904, t. vi, p. 117 sq. La fin du règne de Manassé :
le Scder Olam rabba, 20; Sanchez, Corneille de la Pierre,
Jalm, Ackermann, Kaulen, Zschokke, Knabenbauer,
Schenz, Vigouroux , Trochon , Hàvernick , Kueper,
Keil; cf. Knabenbauer, op. cit., p. 580, note 8; De-
litzsch, Messianische Weissagungen, Leipzig, 1899,
p. 136; Baumgarten, Le prophète Habakuk, Leipzig,
1885. Le règne de Josias : Scholz, Danko, Reinke,
Holzammer, Volck ; cf. Knabenbauer, ibid., note 6;
Delitzsch, Der Prophet Habakuk, Leipzig, 1843. Celui
de Joakim ( Jehoiakim) ; premières années, avant 601 :
Schegg, Haneberg, Kleinert, Bleek-Kamphausen,
Cook, Driver-Rothstein ; cf. Knabenbauer, ibid.,
note 6; vers 604 : Knobel, Theiner, Hitzig, Bàumlein,
de Wette, Schrader, Bleck, Stàhelin, Carrière, David-
son, Kônig, Strack; cf. Knabenbauer, ibid., et Nico-
lardot, La composition du livre d'Habacuc, Paris, 1908,
p. 39. Les dernières années de Joachim (Jehoiachin) :
Oort, dans Thcologisch Tijdschrift, Leyde, 1891,
t. xxv, p. 357-367 (les oppresseurs de i, 2-4 sont à la
fois les Juifs orgueilleux et les Chaldéens dont la venue
ne serait pas suffisamment présentée, en i, 5-11,
comme un châtiment). Le règne de Sédécias : Clément
d'Alexandrie; cf. Knabenbauer, ibid. L'époque de
l'exil : S. Jérôme, Bertholdt ; cf. Knabenbauer,
ibid. ; Lauterburg, dans Meili's Theologische Zeitschri/t
aus der Schweiz, Zurich, 1896, p. 74-102 (les oppresseurs
sont les Chaldéens; les justiciers, les Perses : i, 6, lu
ainsi : « Voici que je suscite contre vous, Chaldéens
oppresseurs... », d'après les LXX : î8où âÇeveipo) ètp'
■jij.à; toÙç XocàBoclou; -où; |.iayr|Tàç...). Les temps
macédoniens, entre les batailles de l'Issus et d'Ar-
belles, an 331 : B. Duhm, Das Buch Habakuk, Tu-
bingue, 1906 (i, 2-4, les Juifs s'hellénisent, oublient la
loi ou l'enfreignent; habitués, depuis deux siècles, à la
paix dans le vasselage, ils s'étonnent de l'invasion des
Grecs : i, 5 sq. ; au f. 6 Kasdîm est lu Kittîm, < Chy-
priotes »; dans une acception plus large : « les Grecs »;
spécialement les Macédoniens, cf. I Mac, i, 1; vin, 5).
Pour la critique de ces diverses opinions, voir Knaben-
bauer, op. cit., p. 377-382; Commenlarius in proplielas
minores, Paris, 1886, p. 51-121, qui opine pour le temps de
Manassé, dernières années du règne; Nicolardot, op. cit.,
p. 33-61. A signaler aussi l'hypothèse curieuse et ingé-
nieuse de Peiser, Der Prophet Habakuk, Berlin, 1903,
p. 10 sq. : le prophète n'est pas en Judée (m, 16, «le peuple
citez lequel je demeure*, cf. LXX: si; >,aôv uapoixta; u.a\>),
mais à Ninive. Il est un prince juif, fils ou petit-fils de
Manassé, « oint de Jahvé •, ni, 13, portant un pseudonyme
assyrien hambakûku (nom de plante); c'est le juste entouré
d'impies de i, 4, retenu comme otage (vers 609) chez les
Assyriens, qui l'ont élevé, et dont il connait la littérature
(rapprochements relatifs aux versets i, 14 ; n, 2-5 sq.,
9-14, p. 4-10). Critique dans Nicolardot, p. 41-43.
Selon d'autres critiques, plus modernes, le livre
d'Habacuc n'est point «homogène»; «il se compose
de morceaux dont la rédaction première s'échelonne
sur plusieurs siècles. » Nicolardot, p. 96. Renan,
Histoire du peuple d'Israël, Paris, 1891, t. ni, p. 177,
293-296, 307, et Stevenson, Habakuk, dans The
Expositor, V» série, Londres, 1902, t. i, p. 388-400,
2009
HABACUC (LIVRE D'
2010
estimaient ces morceaux émis dans le public à des dates
diverses, bien que par un seul et même prophète.
Stade, dans Zeitschrift /tir altest. Wissenschaft, Giessen,
1884, p. 154-159 ; Ruben, Slrophic forms in the Bible,
dans Jewish quaricrly review, Londres, 1899, t. ix,
p. 448-455, 474 sq., détachèrent de la prophétie le
c. m, le tenant, celui-ci pour un psaume du temps de
l'exil, le premier pour un morceau postérieur à l'exil.
Plusieurs : Budde, Nowack, Rothstein, G. A. Smith,
cf. Nicolardot, p. 68 sq., tout en enlevant au prophète
Habacuc la composition de ce c. ni, considérèrent
encore les malédictions du c. n comme « un élément
originaire du poème (la prophétie) formant, dès le
début, avec tout ou partie du c. i, une véritable
unité. » Parmi eux, Rothstein rapporte le morceau,
ii, 5-20, à la chute des Chaldéens, mais trouve « à la
base de ce texte développé » une « vieille plainte pro-
phétique, beaucoup plus brève, contre les exactions
que le roi Joachim (cf. Hitzig) et des riches injustes
font subir à leurs compatriotes, en Israël. » Il y aurait
eu là remaniement du texte en vue d'annoncer la ruine
du peuple conquérant. La suite du texte aurait été
primitivement : i, 2-4, 12 a, 14; il, 1-5 a; i, 6-10;
n, 6 sq. Nowack, avec Giesebrecht, Wellhausen,
Peake, cf. Nicolardot, p. 80 sq., tiennent l'annonce
de la venue des Chaldéens pour une prophétie plus
ancienne (vers l'an 610), postérieurement intercalée
dans la suite naturelle que forment i, 2-4, 12 sq.
(vers 590). Il ne s'agirait point des crimes de Juda,
mais de l'oppression des Juifs par les Chaldéens dans
i, 2-4; et l'ordre des versets devrait être i, 5-11, 2-4,
12-17, etc. Budde et G. A. Smith proposent de reculer
i, 5-11 jusqu'après n, 4. Les oppresseurs de i, 2-4 sont
ou les Assyriens (Budde), ou les Égyptiens (Smith).
La prophétie remonte aux environs de 615 ou 608.
Les libérateurs sont les Chaldéens. Mais Marti brise
totalement l'unité des c. i et n. Selon lui, i, 2-4,
12-n, 4 forment, comme le c. m, un psaume, dont la
date est à chercher du ve siècle au ne, et au milieu
duquel a été intercalée une prophétie, i, 5-11, com-
posée vers 604. Le c. n, 5 sq., constitue une autre
prophétie, indépendante de la précédente et à des-
cendre jusque vers l'an 540. Das Dodekaprophcton,
Tubingue, 1904, p. 326 sq. Cf. aussi Nicolardot,
p. 32 sq., et Revue d'histoire et de littérature reli-
ijieuses, Paris, 1899, t. iv, p. 181-182.
Pour la critique de ces diverses opinions et de la théorie
particulière de O. Happel, Das Bueh des Propheten Habac-
kuk, Wurzbourg, 1900, voir aussi (outre Nicolardot) A. Van
Hoonacker, Les douze petits prophètes, Paris, 1908, p. 453-
457, qui admet seulement que les versets î, 5-11 « formaient
àl'origine ledébut du livre,»et quein, 17-19 constituent une
« addition d'une main étrangère, » faite « à l'occasion de
l'adaptation du c. in au service liturgique, » p. 458-459.
C'est « entre les deux dates, 605 et 600, que se vérifient
le mieux les conditions où les Chaldéens pouvaient être
envisagés à la fois comme un fléau imminent pour la Judée
(i, 5-11), et comme des oppresseurs déjà entrés, aux yeux
de tous, en possession de l'héritage de leurs devanciers,
les Assyriens (i, 2-4, 12 sq., marquant « la recrudescence
des maux qui devait résulter de la conquête chaldéenne
prévue aux versets 5-11), • p. 458, 462. Les versets i, 2-4 ne
sont pas « une plainte touchant les violences qui se commet-
tent au sein même de la société juive, sans aucun égard à
l'oppression étrangère; ■ mais, rapprochés des versets 12 sq.,
ils atteignent les « impies dont Habacuc, dans les deux
passages, dénonce les violences, » et qui sont « les domi-
nateurs étrangers, ■ p. 467. F. E. Gigot, Spécial introduction
to the study o/ the Old Testament, New-York, Cincinnati,
Chicago, 1906, t. n, p. 426-438, discute les questions rela-
tives au c. m et à la prophétie i, 5-11. Il conclut que le
livre est contemporain de Jérémie.
III. Autorité, Auteur. — Saint Paul cite plusieurs
fois Habacuc (sans le nommer toutefois) comme
« prophète » et comme « Écriture » : Act., xm, 41, « ce
qui est dit dans les prophètes, » cf. Hab., i, 5; Rom.,
i, 17 (Gai., m, 11; Heb., x, 37-38), « selon qu'il est
écrit, » cf. Hab., n, 3, 4.
Nous ne possédons aucune tradition authentique
touchant la personne d'Habacuc. « Les traditions
nombreuses et divergentes qu'on a recueillies sur lui
ne livrent à l'historien aucune donnée résistante. »
Nicolardot, La composition du livre d'Habacuc, p. 3,
avec renvoi à Fr. Delitzsch, De Habacuci prophelœ
vita atque œtalc, Leipzig, 1842, p. 7-98 (riche documen-
tation sur ces légendes). Cf. aussi Knabenbauer,
op. cit., p. 577-580.
IV. Enseignements doctrinaux. — 1° Dieu. —
Seul Dieu vivant, en opposition aux vaines idoles,
n, 18-20. Ses attributs : pureté sans tache, sainteté,
i, 12 sq. Sa providence : 1. à l'égard de l'univers tout
entier: roi de l'humanité, il, 14; dominateur souve-
rain des forces et éléments de la nature, m, 2-16;
2. à l'égard d'Israël : il soutient son peuple, qu'il a
établi pour assurer le règne de la justice, i, 12 b.
2° Temps messianiques. — Ils ne sont pas spécia-
lement décrits. Mais, au temps où la « prophétie »
s'accomplira, le juste qui aura eu confiance en Dieu
vivra, n, 4; la terre sera remplie de la connaissance de
la gloire de Dieu, il, 14.
V. Commentateurs. — En dehors des commenta-
teurs des douze petits prophètes, voir Knabenbauer,
Comment, in prophetas minores, Paris, 1886, t. i, p. 4;
A. Van Hoonacker, Les douze petits prophètes, Paris,
1908, p. xm-xiv, ont commenté spécialement le livre
d'Habacuc : 1° Au moyen âge. — Théophylacte,
Comm. in Osée, Habacuc, Jonam, Nahum, Michœam,
P. G., t. cxxvi, col. 563 sq.; Vén. Bède, Super Canl.
Habacuc allegorica exposilio, P. L., t. xci, col. 1235 sq. ;
Richard de Saint- Victor, In Cant. Habacuc, P. L.,
t. exevi, col. 401 sq.
2° Dans les temps modernes. — 1. Catholiques. — An-
toine Guévara, Comm. et eephrasis in Habacuc prophe-
tam, Madrid, 1585 et 1593; Vienne, 1603; Anvers, 1609;
Antoine Agcllio, Comm. in proph. Habacuc, Anvers,
1597; Thomas Beauxamis, Homiliœ in Habacuc Paris,
1577; Alph. de Padilla, Commcnlaria, annotationes
et discursus ad mores complcctcntia in Habacuc, Madrid,
1657; Corn. Jansénius d'Ypres, Analecta in... Habacuc
et Sophoniam, Louvain, 1644; Louis de Poix, Les
prophéties d'Habacuc traduites de l'hébreu, précédées
d'analyses, etc., Paris, 1775; Louis Beda, Habakuk der
Proph. nach dem hebr. Text ùbcrlragen und erlaulert,
Francfort, 1779; L. Reinke, Der Prophet Habakuk,
Brixen, 1870.
2. Non catholiques. — Franz Delitzsch, Der Prophet
Habakuk, Leipzig, 1843 ; Udgren, Vaticinium quod
Habacuci nomine inscribitur, Upsala, 1854; C. G. Berg,
Propheten Habakuk, Stockholm, 1857 ; J. von Gumpach,
Der Prophet Habakuk, Munich, 1860; F. Martin, La
prophétie d'Habacuc, Strasbourg, 1864; P. Kleinert,
Obadja, Jona, Micha, Nahum, Habakuk, Zephania,
Bielefeld et Leipzig, 1868; A. J. Baumgartner, Le
prophète Habakuk, Leipzig, 1885; N. A. Papagianno-
poulos, ' Epij.Tjvêîa Tou "Yfxvou to3 'AâSazotjix, Athènes,
1894; A. B. Davidson, The books of Nahum, Habakkuk
and Zephaniah, Cambridge, 1896, 1899; G. Sinith, De
Prophétie van Habakuk, Utrecht, 1900; O. Happel,
Das Buch des Propheten Habakuk, Wurzbourg, 1900;
J. Halévv, Habacuc (commentaire critique complet),
dans la Revue sémitique, Paris, 1906, p. 97-108, 193-202,
289-303; 1907, p. 1-26; B. Duhm, Das Buch Habakuk,
Tubingue, 1906; Guthe, Der Prophet Habakuk, tra-
duction et commentaire critique dans Kautzsch, Die
Heilige Schrijt des Allen Testament, Tubingue, 1910, t. n,
p. 62 sq. ; J. M. P. Smith, W. H. Ward et J. A. Bewer,
A critical and exegetical commcnlary on Micah, Zepha-
niah, Nahum, Habakuk, Obadiah and Joël, Cambridge
2011
HABACUC (LIVRE D') — HABERT
2012
F. Vigoureux, Manuel biblique, 12e édit., Paris, 1906,
t. îi, p. 823-82-1; E. Philippe, art. Habacuc, dans le Diction-
naire de la Bible, t. ni, col. 373-381 ; R. Comely, Introductio
specialis, Paris, 1897, t. Il, p. 577-583; S. R. Driver, Intro-
duction to Vie literatur of the Old Testament, Edimbourg,
i s'.iT, p. 337-340; trad. allemande de Rothstein, Einleitung
in die Litleratur des Allen Testaments, Berlin, 1896, p. 360-
365; C. H. Cornill, Einleitung in das A. T., 3e édit., Fribourg-
en-Brisgau et Leipzig, 1896, p. 194-196; G. Wildebocr, Die
Literatur des Allen Testaments, 2° édit., Gœttingue, 1905,
p. 224-228; H. L. Strack, Einleitung in das A. T., Munich,
1906, p. 117-118; F. Gigot, Spécial introduction, New-York,
Cincinnati, Chicago, 1906, t. n, p. 432-438; L. Gautier,
Introduction à l'Ancien Testament, 2e édit., Lausanne, 1914,
p. 510-515; Firmin Nicolardot, La composition du livre
d' Habacuc, Paris, 1908; A. Van Iloonacker, Les douze
petits prophètes, Paris, 1908, p. 452-460; Kirchenlexikon,
Fribourg-en-Brisgau, 18S6, t. v, col. 1405-1406; Realen-
cyclopàdie fur protestantische Théologie und Kirche, Leipzig,
1899, t. vu, p. 278-280; Diclionaru o/ the Bible, Edimbourg,
1899, t. il, p. 269-273; Encyclopàdia biblica, Londres, 1901,
t. il, col. 1921-1928; The Exposilor, Londres, 1902, t. i,
p. 388-400; Jewish encyclopa'dia, New- York, 1904, t. vi,
p. 117 sq.; Jeioish quarterlg review, octobre 1907, p. 3-30;
The catholic encyclopedia, New- York, 1910, t. vu, p. 97-99;
K. Budde, Die Bûcher Habakkuk und Sephanja, dans Studien
und Kriliken, 1893, p. 383 sq.; J. Rothstein. Ueber Habakuk,
ibid.. 1894, p. 51 sq.;F. E. Peiser, Der Prophet Habakuk,
dans Mitteilungen der Vorderasiatisclie Gesellschall, 1903, 1. 1 ;
J. Touzard, L'âme juive pendant la période persane, dans
la Revue biblique, 1917, p. 61-64.
L. Bigot.
t. HABERT isaac appartenait à une famille ber-
richonne qui s'était fait un nom dans les lettres.
Son grand-père Pierre avait été, suivant La Croix du
Maine, l'un des « excellents écrivains » de son temps.
Son père, Isaac, valet de chambre de Henri III, avait
publié de nombreux poèmes philosophiques. Sa tante,
Suzanne, dame Des Jardins, mit au jour, elle aussi,
plusieurs recueils de poésies. Il dut naître aux environs
de 1600. Dès 1023, il fit paraître, sous le titre de Pietas
regia, un volume de vers latins, du reste insignifiants,
dédiés à Richelieu. Il s'y donne déjà le titre de bache-
lier de Sorbonne. En 1626, il était reçu docteur de la
faculté de théologie. Il prenait part aux affaires qu'on
y traitait. C'est ainsi qu'il fut mêlé à la condamnation
de la Somme de théologie du P. Garasse. Il fit partie,
avec Filesac et Hardivillier, plus tard archevêque de
Bourges, du groupe des vingt-neuf docteurs séculiers,
qui réclamaient du parlement confirmation et appli-
cation des anciens arrêts, en vertu desquels chaque
maison de mendiants ne pouvait envoyer que deux
docteurs aux assemblées de la faculté (juillet 1626).
De même, il fut, en 1632, l'un des approbateurs de
l'ouvrage du P. Gibieuf, de l'Oratoire, De libcrlale
Dei et crealurse, qui était dirigé contre Molina et qui
devait susciter une vive polémique. En 1637, il donnait
un nouveau recueil de poésies latines, Volum regium
Davidici carminis paraphrasi conceplum, qui renferme,
à côté de versifications des psaumes, des pièces de
circonstances d'époques très différentes et assez
curieuses au point de vue historique. Ce volume est
délié au chancelier Séguier, avec lequel Habert
entretint toute sa vie d'étroites relations.
Quelques années plus tard, il prenait contact avec
un personnage autrement important, dont l'action
sur ses idées, même théologiques, paraît avoir été
profonde. Le bruit se répandit, vers 1639, que Riche-
lieu voulait établir un patriarcat gallican, afin de
rendre la France plus indépendante de Rome. Ce
bruit prit consistance dans un pamphlet théologique,
qui eut alors un grand retentissement : Optati Galli de
cavendo scliismate liber parœneticus, Paris, 1610.
L'auteur était l'oral orien Claude Hersent. Voir
Hersent. Richelieu le lit d'abord condamner par le
parlement. Puis il provoqua une série de réponses
dont une des principales est le volume de Habert : De
consensu hiérarchise et monarchise, adversus parwneli-
cum Optati Galli schismatum ficloris, libri VI. Paris,
1640; en français, Paris, 1641, Le VIe livre de l'ou-
vrage porte le titre spécial : De juslilia edicii connu-
bialis. Il a été considéré parfois, à tort du reste, comme
un traité à part. Il a pour sujet l'accord de la légis-
lation civile française sur le mariage avec la législa-
tion canonique. Habert s'efforce de démontrer que les
édits des rois, en particulier le célèbre édit d'Henri II
sur la clandestinité, ne sont pas en opposilion avec les
décrets du concile de Trente.
En 1643, Habert quitte un instant la polémique
pour la science pure. Il publie l'ouvrage qui lui a valu
une renommée durable d'érudit : APXHEPATIKON,
Liber pontiftcalis Ecclesiie grœcœ. Il a rassemblé là
les résultats de ses lectures dans les euchologes manu-
scrits de la bibliothèque royale. Une traduction latine,
des notes et des observations font de cette publication
une source encore intéressante pour la liturgie grecque.
Habert y prend le titre de chanoine théologal de Paris,
abbé de Sainte-Marie des Alluz, en Poitou, docteur de
Sorbonne et prédicateur ordinaire du roi. A ce dernier
titre, il était déjà engagé dans une nouvelle lutte. Est-ce,
comme l'affirment ses adversaires, à l'instigation de
Richelieu, irrité par la publication du Mars Gallicus de
Jansénius? Est-ce en raison des plaintes que lui avait
attirées, de la part de Saint-Cyran, l'approbation qu'il
avait donnée au livre du P. Jacques Sirmond contre le
Petrus Aurelius ? Toujours est-il qu'à partir de ce
moment, Habert se montra l'adversaire irréductible
des idées et des hommes du jansénisme. L'affaire de
Y Auguslinus venait de commencer. En Sorbonne
s'élevaient des discussions ardentes pour ou contre
l'évêque d'Ypres. Dans trois sermons, prêches à
Notre-Dame le premier et le dernier dimanche de
l'Avent 1642 et le jour de la Septuagôsime 1643,
Habert attaqua vivement les doctrines de Jansénius.
Il soutenait que le saint Augustin de cet évêque était
un saint Augustin mal entendu, mal expliqué, mal
allégué. De plus, il faisait des rapprochements déso-
bligeants entre sa doctrine et celle de Calvin.
L'archevêque de Paris avait vainement essayé de
ramener le calme au milieu de toutes ces discussions.
Les actes de Sorbonne étaient devenus un champ de
bataille où Habert donnait libre cours à son aversion
contre les dogmata calviniano-janseniana. C'est alors
qu'Antoine Arnauld lui-même se décida à entrer en
lice contre le bouillant théologal. Il le fit dans une
Apologie de monsieur Jansénius évesque d'Ipre et de la
doctrine de saint Augustin expliquée dans son Hure
intitulé Augustinus contre trois sermons de monsieur
Habert, Paris, 1644. Il reprochait à Habert sa volte-
face, cherchait à le mettre en contradiction avec lui-
même et lui supposait les motifs les moins avouables
et les plus personnels. Le théologal ainsi attaqué
s'empressa de répondre par un volume dans lequel il
publiait les trois sermons incriminés avec un exposé
et une justification de sa propre doctrine. C'est La
défense de la foy de l'Église et de l'ancienne doctrine
de Sorbonne, touchant les principaux points de In
grâce, Paris, 1644. Il s'y présentait comme partisan
de la grâce efficace, mais d'une manière toute diffé-
rente de celle de Jansénius. Arnauld ne voulut point
rester sous le coup de cette réponse et, en 1645, il
publia une Seconde apologie de monsieur Jansénius,
ou il insistait surtout sur le? différences du jansénisme
et du calvinisme. Habert avait dédié son ouvrage au
prince de Condé. Plus tard, en 1717, une « personne
zélée pour la religion » mit au jour une Lettre de monsei-
gneur le prince pour remercîment à AI. Habert du lim-
de la Défense de la foi; de l'Église, qui devait servir,
comme l'ouvrage lui-même, « de contrepoison contr
l'esprit de séduction des novateurs de ce temps. »
2013
HABERT
201^
Mais Habert entendait bien ne pas lâcher ses adver-
saires. Dans la préface de La fréquente communion il
était dit que Pierre et Paul avaient fait pénitence. Et
l'auteur ajoutait : « De sorte que l'on voit dans les
deux chefs de l'Église, qui n'en sont qu'un, le modèle
de la pénitence. » Cette proposition ne venait pas
d'Arnauld. Elle avait été introduite par Martin de
Barcos, qui avait surveillé l'impression de l'ouvrage.
C'est contre cette proposition qu'est dirigé le volume
de Habert : De cathedra seu prirnatu singulari S. Pétri
in Ecclesia catholica apostolica et romana libri duo,
Paris, 1645. Il assimilait ses adversaires à Marc-Antoine
de Dominis et les accusait de renouveler ses erreurs.
Arnauld défendit la proposition dans les nouvelles
éditions de La fréquente communion. Barcos, de son
côté, publia d'abord un petit volume : De l'autorité de
S. Pierre et S. Paul qui réside dans le pape, successeur
de ces deux apôtres, Paris. 1645, puis, plus spécialement
contre Habert, l'ouvrage plus considérable intitulé :
La grandeur de l'Église romaine établie sur l'autorité
de S. Pierre et S. Paul, Paris, 1646. Toutes ces polé-
miques avaient mis en relief les mérites de Habert.
11 fut nommé à l'évêché de Vabres et sacré à Paris le
17 décembre 1645, par Dominique Séguier, évèque de
Meaux.
Cet épiscopat n'interrompit point l'activité litté-
raire de Habert. En 1646, paraissait son grand ou-
vrage dogmatique : Thcologise grœeorum Patrum vin-
dicatœ circa universam materiamgratiœ, libri III, Paris,
1646; Wurzbourg, 1863. L'auteur ne se contentait
point d'exposer la doctrine des Pères grecs sur la grâce.
Il la confrontait avec les données de l'Écriture et des
conciles, de saint Augustin et de saint Thomas et ce
qu'il appelait l'enseignement traditionnel de la Sor-
bonne. Toute son érudition, qui est grande, allait à
interpréter les textes dans le sens de son système
particulier sur la grâce efficace. Il s'y explique sur ses
contemporains et en particulier sur le P. Gibieuf. Il
agissait tout autant qu'il écrivait. A l'assemblée du
clergé de 1650, il rédigeait la lettre dans laquelle on
sollicitait du pape la condamnation des cinq proposi-
tions. Ceci lui valut une critique anonyme : Considé-
rations sur la lettre composée par M. l'évêque de Vabres
pour être envoyée au pape en son nom et de quelques
autres prélats dont il sollicite la signature, s. 1., 1650.
Enfin, en 1656, il publiait un commentaire sur les
Épîtres « épiscopales » de saint Paul : In B. Pauli
epistolas très épiscopales ad Timolheum et Titum et
unam ad Philemonem expositio perpétua. C'est le
dernier ouvrage de Habert. Il mourut d'apoplexie,
le 15 septembre 1668, et fut inhumé dans la cathé-
drale qu'il avait bâtie.
Ch. Jourdain, Histoire de l'université de Paris, t. r,
passim; H. Reusch, Der Index der verbotenen Biicher, Bonn,
1885, t. ii, p. 451, 462, 463, 467; Gallia ebristiana, t. i,
p. 282; P. Féret, La faculté de théologie de Paris. Époque
moderne, t. iv, p. 311-317; Hurter, Nomenclaior, Inspruck,
1910, t. iv, col. 65-67.
A. HUMBERT.
2. HABERT Louis naquit soit à Blois même, soit
à Francillon, près de Blois, en 1635. Il prit le bonnet de
docteur le 15 mai 1658, selon Moréri et Féret. Lui-
même, dans la préface de la Défense de l'auteur de la
théologie au séminaire de Châlons, dit expressément :
« A peine j'eus reçu le bonnet de docteur en 1668, que
je fus employé successivement par différents prélats,»
p. 3. De ces prélats le premier fut Colbert, d'abird
évèque de Luçon, transféré ensuite à Auxerre. Habert
le suivit. Mais son activité ne commença à se déve-
lopper qu'à Verdun, où l'amena, en 1681, l'évêque
Hippolyte de Béthune. Celui-ci, à peine installé,
établit un séminaire dont le premier directeur fut
Habert. Il y enseignait la théologie et l'Écriture
sainte. En même temps il travaillait à la réforme
liturgique et spirituelle du diocèse. Sous l'autorité
et le nom de l'évoque paraissaient successivement un
Petit et un Grand catéchisme du diocèse de Verdun,
puis un Rituel de Verdun. En 1691, fut publiée, sans
nom d'auteur, la Méthode pour administrer utilement
le sacrement de pénitence, qui devait acquérir une
véritable célébrité sous le nom de Pratique de Verdun,
et dont les éditions furent très nombreuses en France et
en Italie. Habert surveillait en même temps la correc-
tion du bréviaire, avec la collaboration de dom Jérôme
Pichon, de Metz, qui devint supérieur de la congréga-
tion de Saint-Vanne. Le nouveau bréviaire parut en
1694. Mais il se heurta à l'opposition du clergé, en
particulier des chanoines, qui ne purent se résoudre à
l'adopter qu'en 1705. Enfin, en 1697, parut un vo-
lume de Conférences ecclésiastiques du diocèse de
Verdun. Habert eut certainement une part très consi-
dérable à la rédaction de ces différents ouvrages. D'un
autre côté, l'historien verdunois Boussel et l'historien
lorrain dom Calmet, qui l'ont connu, sont unanimes
à louer sa piété et son zèle comme grand-vicaire et
officiai.
C'est pour remplir les mêmes fonctions qu'il fut
appelé, vers 1700, à Châlons-sur-Marne par l'évêque
de Noailles. Ici encore, il y joignit les fonctions de
directeur du séminaire. Cédant aux instances de son
évèque, il commença, en 1709, la publication du cours
qu'il avait enseigné en ces différents évêchés, sous le
titre de Theologia dogmalica et moralis ad usum semi-
narii Calalaunensis. Le sixième et dernier volume
parut en 1712. Mais avant même qu'elle fut complète-
ment publiée, cette théologie avait provoqué de vives
oppositions, dont l'âme paraît n'avoir été un moindre
personnage que Fénelon. L'archevêque de Cambrai
écrivit tout d'abord une Lettre à un évèque, dans laquelle
il combattait vivement la théorie des deux délecta-
tions exposée par Habert dans son traité de la grâce.
Il y a, disait le théologien, deux délectations, la grâce
et la concupiscence, et la plus forte des deux agit avec
une nécessité morale. C'est sur ce point que Fénelon
faisait porter tout le poids de la discussion. Il envoya
cette Lettre au duc de Chevreuse, pour la soumettre
au P. Le Tellier et lui demander l'autorisation de la
publier. Il ajoutait dans sa lettre d'envoi : « Si ce sys-
tème n'est pas hérétique, alors la condamnation de
Jansénius est injuste, et le jansénisme n'est qu'un
fantôme et une hérésie imaginaire, dont les jésuites
se servent pour persécuter les fidèles disciples de saint
Augustin et tyranniser les consciences en faveur du
molinisme. » Mais le P. Le Tellier déclara la publication
inopportune, et Fénelon, de ce côté du moins, dut se
tenir tranquille.
Mais la controverse allait éclater par ailleurs. Au
commencement de 1711 parut, sans nom d'auteur,
une Dénonciation de la théologie de M. Habert. Elle
était adressée au cardinal de Noailles, archevêque de
Paris, et à l'évêque de Châlons. Suivant Habert, c'est
ce dernier qu'elle visait plus spécialement. Il semble
bien qu'elle soit l'œuvre du P. Lallement, de la Com-
pagnie de Jésus. Habert ne voulut pas rester sous le
coup de cette attaque, et, quelques mois plus tard, il
publiait une Défense de l'auteur de la théologie du sémi-
naire de Châlons. Il insistait sur les garanties que
fournissait son passé et citait les thèses qu'il avait
soutenues à Verdun et à Châlons contre le jansénisme.
Puis, il essayait de démontrer la conformité de son
système avec l'enseignement traditionnel de l'Église
et celui de la Sorbonne. D'un autre côté, son approba-
teur, Pastel, prenait parti pour lui. Il faisait paraître,
à peu près en même temps, une Réponse de M. Pastel,
docteur en théologie, de la maison et société de Sorbonne,
cl approbateur de la théologie de M. Habert. Il y soutient,
2015
HABERT
HABITUDES MAUVAISES
2016
lui aussi, et par les mêmes raisons, la conformité de la
doctrine des deux délectations avec renseignement
traditionnel de l'Église.
Au milieu de ce va-et-vient d'écrits, l'archevêque
do Paris, Noailles, en mars 1711, publia un Moniloire
dans lequel il prenait la défense du théologien attaqué.
Ce monitoire paraissait exactement en même temps
qu'un mandement de l'évêque de Gap qui condamnait
Habert. D un autre côté, Fénelon avait écrit au P. Le
Tellier, que si Noailles défendait la théologie de Châlons,
il la condamnerait publiquement dans un mandement.
Celte instruction pastorale fut écrite et elle se trouve
parmi les ouvrages de Fénelon sous la date du 1er mai
1711. Mais, malgré des prières répétées, il ne put obte-
nir du roi l'autorisation de la publier. Il y disait :
« Nous avons reconnu qu'on ne peut ici tolérer le
texte du sieur Habert sans tolérer celui de Jansénius,
ni condamner celui de Jansénius sans condamner aussi
celui du sieur Habert, que l'unique différence qu'il y
ait entre Jansénius et lui se réduit aux seuls termes de
morale et moralement. Jansénius a admis une nécessité
et une impuissance qu'il nomme simples. Habert admet
une nécessité et une impuissance qu'il appelle morales. »
En même temps, il agissait à Rome et il y faisait
solliciter par son correspondant, le P. Daubenton, la
condamnation de l'ouvrage. Mais ici encore il échoua
et le P. Daubenton finit par lui écrire : « Habert pense
comme Jansénius, mais il s'exprime autrement et
cela suffît pour le protéger contre une censure. Sa
nécessité morale est en réalité une nécessité physique ;
mais il le nie et c'est assez. Les thomistes ne souffriront
pas que l'on censure sa délectation victorieuse, car elle
n'amoindrit pas plus la liberté que leur gralia prœde-
terminans. » De fait, la théologie de Habert ne fut pas
condamnée. Il apporta du reste des corrections impor-
tantes aux textes incriminés dans les éditions sui-
vantes.
Mais la polémique ne cessait point. Les jansénistes
intransigeants n'admettaient pas les adoucissements
de Habert.. Un docteur de Sorbonne. Petitpied,
publiait, sous le voile de l'anonymat, son pamphlel :
De l'injuste accusation de jansénisme. « Plainte à
M. Habert, docteur en théologie de la maison et société
de Sorbonne, à l'occasion des Défenses de l'auteur de
la théologie du séminaire de Châlons », qui parut à la
fin de 1711. C'était surtout une attaque contre Fénelon
et son Instruction pastorale du 10 février 1704, où il
disait : « C'est se jouer du dogme catholique sur la
liberté, que d'hésiter un moment à admettre le pou-
voir prochain, qui est le seul présent dans le moment
précis où il s'agit de mériter ou de démériter pour
l'éternité. » Mais il reprochait aussi à Habert d'avoir
distribué trop libéralement le qualificatif dont on
l'avait gratifié lui-même. Puis, à la première Dénon-
ciation, succédaient la Suite de la Dénonciation et la
Nouvelle dénonciation, qui ressassaient les mêmes
arguments et les mêmes attaques personnelles. Enfin
le docteur Hilaire Dumas, conseiller-clerc au parlement
de Paris, consacra la quatrième de ses Lettres d'un
docteur de Sorbonne à un homme de qualité louchant les
hérésies du xvue siècle, à la réfutation du système de
Habert. Le théologien reprit la plume et publia, en
1714, la Réponse à la quatrième lettre d'un docteur de
Sorbonne à un homme de qualité.
Habert s'était retiré à Paris pour publier sa théolo-
gie. Mais il ne se désintéressait pas de la vie universi-
taire et il prit une part importante aux discussions que
souleva la bulle Unigenitus. Elle avait été acceptée
par quarante évêques contre huit. Le parlement l'avait
enregistrée. Mais les choses ne devaient pas aller si
facilement à la faculté de théologie. Lorsque la bulle
fut présentée, il y eut, malgré les ordres du roi, de
vives discussions. Enfin on se rangea à l'avis de Habert,
qui conseilla d'enregistrer la bulle, puisque le roi le
demandait, mais en spécifiant dans l'acte que cet
enregistrement ne supposait ni acceptation ni appro-
bation. Louis XIV, irrité de cette attitude, exila les
docteurs qui avaient souscrit à cet acte, Habert des
premiers. L'avènement du Régent mit un terme assez
prompt à cet exil. Bien plus, Habert fut chargé, avec
dix-sept autres docteurs, de rédiger le fameux Corps de
doctrine qui devait régler les questions controversées.
Le 1er août 1716, il formula ce qu'il prétendait être
l'enseignement de l'Église gallicane. « La constitution
Unigenitus, disait-il, n'est qu'une loi d'économie, de
police et de discipline, en attendant qu'elle devienne,
par l'autorité d'un concile œcuménique, une décision
dogmatique et une règle de foi. »
Ce fut là son dernier acte Important. Il mourut à
Paris le 7 avril 1718.
Beaupré, Recherches historiques et bibliographiques sur
les commencements de V imprimerie en Lorraine, Nancy, 1845;
A. Gandelet, Le jansénisme à Verdun, Verdun, 1884;
Robinet, Pouillé du diocèse de Verdun, t. i, p. 148; Féne-
lon, Œuvres, Paris, 1723, t. m, p. 309 sq.; t. iv, p. 146 sq.;
t. xvi, p. 207-549; Dictionnaire des livres jansénistes, t. iv,
p. 78; Féret, La faculté de théologie de Paris. Époque mo-
derne, Paris, 1910, t. vu, p. 215, note 3; Jourdain, His-
toire de l'universilé de Paris, t. i, p. 303 sq.; H. Reusch,
Der Index der verbotenen Rucher, Bonn, 1885, t. n, p. 679;
Kirchcnlexikon, t. v, col. 1407-1408; Hurter, Nomenclalor,
Inspruck, 1910, t. iv, col. 740-741.
A. Humbert.
HABITUDES MAUVAISES. —I. Définition et dis-
tinction. II. Faut-il nécessairement les accuser au tii-
bunal de la pénitence ?
I. Définition et distinction. — 1° On appelle
habitude mauvaise l'inclination, le penchant, ou la
facilité qu'a un pécheur à pécher par suite de la répé-
tition des mêmes fautes. Si. selon l'axiome, l'habitude est
une seconde nature, il s'ensuit que celui qui a l'habi-
tude de pécher, s'en corrige difficilement, car il lui
faut non pas seulement résister à une tentation passa-
gère, mais se dépouiller, pour ainsi dire, d'une seconde
nature qu'il a revêtue par l'habitude de pécher.
Cf. Suarez, De religione, tr. V, 1. III, c. vin, n. 7,
Opéra omnia, 28 in-4°, Paris, 1876-1878, t. xiv, p. 694.
Cette inclination au péché, devenue comme naturelle,
porte plus ou moins fortement au péché, suivant que
l'habitude est plus ou moins ancienne, plus ou moins
intense, ou est excitée par une occasion plus ou moins
prochaine. Cf. S. Jérôme, Episl., cxxm, ad Rusli-
cum, De pœnilenlia, n. 3, P. L., t. xxn, col. 1044;
S. Grégoire le Grand, Homil., xm, in Evangel., n. 2,
P. L., t. lxxvi, col. 1124; S. Anselme, Opuscul. de
similitudinibus, c. exc, P. L., t. clix, col. 701.
2° Quelle multiplicité, ou quelle fréquence faut-il
dans les actes peccamineux pour qu'un pécheur puisse
être considéré comme ayant contracté une habitude
mauvaise? Il est assez dillicile de répondre à cette
question d'une manière générale, car certains individus
contractent plus de facilité à comm ttre certaines
catégories de péchés par moins d'actes, que d'autres
par beaucoup. On ne doit donc pas toujours consi-
dérer comme habitudinaire quelqu'un qui a péché
plusieurs fois contre la même vertu, ou contre le même
précepte; de même qu'on ne doit pas juger comme
non-habitudinaire. celui qui n'a commencé à pécher
que trois ou quatre fois. En principe, un péché répété
plusieurs fois en peu de temps engendre plus facile-
ment une habitude mauvaise, que s'il était répété
autant de fois durant un temps plus long. Cf. Balle-
rini, Compendium théologiœ moralis, tr. De sacra-
menlo pœnilentiœ, part. III, c. n, a. 1, § 2, p. il, n. 638,
2 in-8°, Rome, 1869, t. n, p. 440 sq.
Pour constituer l'habitude mauvaise, deux condi-
tions sont essentiellement requises : 1° la répétition
2017
HABITUDES MAUVAISES
201S
des mêmes actes; 2° un certain intervalle entre eux,
et aussi un certain rapprochement entre ces actes.
Des péchés répétés, en effet, n'engendrent pas une
habitude mauvaise, ni s'ils sont séparés par des inter-
valles trop grands, ni s'ils sont trop rapprochés entre
eux : par exemple, commis dans le même jour, et
ensuite s'ils ne le sont plus de longtemps. Trop rappro-
chés, ils peuvent même être, jusqu'à un certain point,
regardés comme la continuation du même acte. Cf.
Noldin, Summa (heologiœ moralis, tr. De sacramentis,
1. \', De psenitentia, c. ni, q. m, a. 5, n. 407, 3 in-8°,
Inspruck, 1908, t. ni, p. 472. On ne pourrait donc
fixer mathématiquement combien il faut d'actes pour
qu'une habitude mauvaise soit contractée par leur
répétition, car cela dépend d'abord du caractère ou
du tempérament du pécheur, ensuite de l'intervalle
plus ou moins grand qui sépare chaque acte, enfin de
la nature même du péché commis. Cf. Lehmkuhl,
Theologia moralis, part. II, 1. I, De sacramento pseni-
tentise, sect. m, c. iv, n. 491, 2 in-8°, Fribourg-en-
Brisgau, 1902, t. n, p. 349 sq. Cet auteur fait cette
juste remarque : quia frequenlius occurrit occasio internis
peccatis consenliendi quani cxlerna perpelrandi; imo
jrequentius eliam urgerc possii tentalio solitaria peccata
commillendi quant peccandi cum complice; proplerea
cum distinctione lequendum esl : scilicel, 1° suflicere
minorem numerum peccatorum exlernorum constanler
post certum inicrvallum perpetratorum, quam peccato-
rum mère internorum ut censcatur contracta consue-
ludo; 2° facilius conlrahi consueludincm per uni] ar-
ment modum relabendi in eadem peccata, quam codem
peccatorum numéro, si frequenlius quidem uno lempore
commissa sunt, sed rarius et post pugnam alio tempore.
Il faut considérer aussi que certains pécheurs pèchent
et contractent l'habitude de pécher par des actes de la
volonté parfaitement délibérés, c'est-à-dire par une
perversion habituelle de la volonté; d'autres, au con-
traire, pèchent et contractent l'habitude de pécher,
uniquement par fragilité. Les premiers ne pèchent
pas sous l'effet d'une passion véhémente qui s'empare
d'eux subitement et surprend leur volonté; mais ils
pèchent froidement, d'une manière calculée et bien
voulue. Par suite, ils arrivent très rarement à délester
le péché voulu ainsi en pleine et entière volonté, et
très librement accepté ou plutôt choisi. Les autres,
au contraire, le détestent ordinairement, quand ils ne
sont pas dans le feu de la passion, ou sous le charme
fascinant de cette délectation qui les séduit et les
entraîne comme malgré eux, suivant le mot de saint
Anselme, nolenles in eadem vitia dejiciuntur. Opuscul.
de similitudinibus, c. cxc; P. L., t. clix, col. 701.
Cette distinction est capitale par rapport à l'absolution
et aux conditions qu'elle requiert chez l'habitudinaire.
Cf. Marc, Institutiones morales alphonsianœ, part. III,
tr. V, De psenitentia, diss. III, c. m, a. 1, n. 1826,
2 in-8°, Rome, 1900, t. n, p. 336 sq.
Saint Alphonse pense que cinq péchés commis par
des actes externes en un mois, peuvent engendrer
une habitude mauvaise, si entre ces actes s'écoule
un certain intervalle de temps ; en matière de luxure,
un nombre d'actes moins considérable encore lui
païaît suffisant pour la constituer : in maleria forni-
calionum, sodomiarum et besliulilalum minor numerus
habilum queit conslilucre : qui, verbi gratia, semel in
mense fornicaretur per annum, benc hic habilualus dici
potesl. Cf. Praxis conjessarii, c. v, n. 70, Opéra moralia,
édit. Gardé, 4 in-4°, Rome, 1905-1912. t. IV, p. 565.
Beaucoup d'auteurs ont embrassé cette opinion. Cf.
Gury-Ballcrini, Compendium Iheologiœ moralis, tr.
De sacramentis, part. III, c. n, § 2, n. 632, t. n, p. 131 ;
Scavini, Theologia moralis universa, tr. X, disp. I,
c. m, a. 2, S 2,' 3 in-8°, Naples, 1859, t. m, p. 164;
D'Annibale, Summula Iheologiœ moralis, 1. III, tr. III,
DICT. DE TU KOI . CATIIOL.
De sacramento pœnilenliœ, c. n, a. 3, n. 337, 3 in-8°,
Rome, 1889-1892, t. m, p. 276. Plusieurs théologiens,
et non des moindres, surtout parmi ceux qui sont ni
peu plus anciens, sont d'avis, au contraire, qu'il faut
de nombreuses chutes pour constituer une habitude
mauvaise. Cf. De Lu go, DispuUdiones scholasticœ et
morales, De pœnitentm, disp. XIV, n. 166, 7 in-fol.,
Lyon, 1633-1651; Salmanticenses, Cursus theologij;
moralis, tr. XVII, De juramento, c. n, pr. ix, n. 167,
6 in-fol., Venise, 1728, t. iv, p. 201; Laymaim, Theolo-
gia moralis, 1. V, De sacramentis, tr. VI, De psenitentia,
c. iv, n. 10, 2 in-fol., Venise, 1683, t. n, p. 277.
On doit noter aussi que tout péché, par la répétition
de l'acte peccamineux, n'entraîne pas toujours une
habitude mauvaise, c'est-à-dire une plus grande faci-
lité à le commettre. Cela est évident pour les péchés
qui sont commis par l'effet de la crainte, de la violence,
du respect humain, de la misère, de la nécessité, ou
de quelque circonstance particulière de ce genre. Des
auteurs sérieux nient même qu'une habitude vicieuse
puisse résulter d'un acte peccamineux répété trois
ou quatre fois. Cf. Palmieri, Opus theologicum morale
in Buscmbaum medullam, tr. X, De sacramentis,
sect. v, De sacramento pamilenlise, c. i, dub. n, n. 218.
5°, 7 in-8°, Prato, 1889-1893, t. v, p. 121.
3° Quoi qu'il en soit, il est évident qu'il y a une très
grande différence entre la manière dont les anciers
théologiens, considérés comme des maîtres, ont conçu
l'habitude mauvaise au point de vue de la multiplicité
des actes nécessaires pour la constituer, et la manière
dont la conçoivent beaucoup de théologiens récents
depuis un siècle ou un siècle et demi. Il en résulte
une conséquence très grave, et à laquelle il n'est que
juste de faire attention : c'est que plusieurs de ceux-ci
se tromperaient étrangement si, pour justifier leur
doctrine au sujet de la façon dont il faut traiter les
habitudinaires au tribunal de la pénitence, ils allé-
guaient une foule d'auteurs des plus respectables et
dont le nom fait autorité, mais qui, malgré l'identité
du terme employé, entendaient parler de tout autre
chose. Voir Habitudinaires. Scavini, entre autres,
Theologia moralis universa, tr. X, disp. I, c. m, a. 1,
§ 2, q. n, t. m, p. 164, paraît être tombé dans cette
méprise. Cf. Palmieri, Opus theologicum morale, tr. X,
De sacramentis, sect. v, De psenitentia, c. i, dub. n,
n. 224, t. v, p. 124.
II. Le pénitent doit-il accuser les habitudes
mauvaises en confession? — 1° Selon le concile
de Trente, sess. xiv, c. v, et canon 7, on n'est tenu
d'accuser en confession que le nombre et l'espèce
des péchés mortels. Or, l'habitude contractée de pécher,
quoiqu'elle soit un vice, n'est pas elle-même un péché.
D'autre part, un péché n'est pas plus grave, parce
qu'il est commis par habitude; et, y aurait-il même
dans l'habitude du péché une circonstance aggravante,
le pénitent ne serait pas, pour cela, obligé de la mani-
fester, car, suivant l'opinion la plus probable et la plus
commune, les circonstances qui aggravent notable-
ment un péché, tout en le laissant dans la même
espèce, ne doivent pas nécessairement être accusée-;,
Cf. S. Alphonse, Theologia moralis, 1. VI, tr. IV, De
sacramento pœnilenliœ, c. i, dub. ni, a. 1, n. 467, t. in,
p. 478. Voir t. i, col. 573-575. II faut en excepter le
cas où le confesseur poserait lui-même la question,
afin de mieux connaître l'état du pénitent, se rendre
compte de ses dispositions par rapport à l'absolution
à recevoir, ci lui donner les remèdes convenables a sa
situation. C'est ce qu'a décrété le pape Innocent XI,
en condamnant la proposition suivante qui est la
cinquante-huilkme de celles qu'il a proscrites le
2 mars 1679 : Non tenemur confessario inlerroganti
fateri peceati alicujus consueludincm. Denzingei-
Bannwart, Enchiridion, n. 1208. Cf. Elbel, Theologia
VI. - tu
2019
HABITUDES MAUVAISES
HABITUDINAIRES
2020
moralis decalogalis et sacramentalis per moclum con/i-
rentiarum casibus practicis illustrata, part. IV, conf.
VII, § 3, n. 194, 3in-4°, Venise, 1759, t. m, p. 224 sq.;
Lehmkuhl, l'heologia moralis, part. III, 1. I, tr. V,
De sacramcnio pœnitentix, sect. n, a. 1, § 2, n. 313,
t. n, p. 232.
2° Si, en règle générale, le pénitent n'est tenu de
manifester les mauvaises habitudes que s'il est inter-
rogé à ce sujet par le confesseur, il peut y être tenu,
peraccidens, dans certains cas particuliers : par exemple,
quand il doute de ses propres dispositions par rapport
à l'absolution à recevoir, s'il craint de se faire illusion
sur le ferme propos qu'il croit avoir, et que peut-être
il n'a pas. Il doit, alors, manifester ses habitudes mau-
vaises, afin que le confesseur puisse juger de ses dispo-
sitions actuelles. Cf. Salmanticenses, Cursus theolo-
giœ moralis, tr. XVII, De juramento, c. n, p. ix, § 3,
n. 162-166, t. iv, p. 200.
3° En pratique, il est mieux de conseiller aux péni-
tents de manifester leurs habitudes mauvaises, quand
ils se confessent à un prêtre qui, n'étant pas leur con-
fesseur ordinaire, ne les connaît pas, ou les connaît
moins, de sorte qu'il peut plus facilement se tromper
sur leurs dispositions actuelles par rapport à l'absolu-
tion. 11 est mieux aussi de leur donner ce conseil,
afin qu'ils reçoivent une direction plus adaptée à
leurs besoins présents, et qu'on puisse leur indi-
quer les moyens les plus efficaces pour se débarras-
ser radicalement de ces habitudes mauvaises. Cf.
Ballerini, Compendium theologiœ moralis, tr. De
sacramenlo pœnilenliœ, part. II, c. n, a. 1, § 2, n. 485,
t. n, p. 395.
T. Ortolan.
HABITUDINABRES. — I. Définition et division.
II. De l'absolution des habitudinaires.
I. Définition et division. — 1° Par habitudi-
naires les moralistes entendent ceux qui ont contracté
l'habitude de péché. Voir Habitudes mauvaises.
Le mot habitudinaire n'a pas eu la même signification
chez les anciens qu'il l'a chez les modernes, depuis
un siècle ou deux. Ceux-ci, en effet, ont introduit à ce
sujet une distinction plutôt subtile, ignorée de ceux-là.
Pour eux, les habitudinaires sont les pécheurs qui ont
contracté l'habitude de pécher, et qui viennent s'en
confesser pour la première fois. Si, après cette première
confession, les habitudinaires retombent dans ces
mêmes fautes, les théologiens modernes les appellent,
non plus des habitudinaires, quoique la mauvaise
habitude persiste, mais plutôt des récidifs. Ce n'est
pas à dire évidemment que le récidif ne soit pas un
habitudinaire, puisqu'il garde malheureusement cette
mauvaise habitude; mais il aggrave son cas en ce qu'il
la conserve et retombe dans les mêmes fautes, après
s'en être confessé, et avoir promis sérieusement de
s'amender. Cf. S. Alphonse, Theologia moralis, 1. VI,
tr. IV, De sacramenlo pœnilenliœ, c. i, dub. n, § 2,
n. 459; Praxis conjessarii, c. v, n. 70-71, Opéra moralia,
édit. Gaudé, 4 in-4°, Rome, 1905-1912, t. m, p. 467;
t. iv, p. 565; Faure, Dubitaliones theologicœ de judicio
praclico, quod super pœnitenlis, prœcipue consuelu-
dinarii aul recidivi, dispositione formare sibi polcst
ac deb t conjessarius, ut eum rite absolval, dub. m,
§ 1, in-8°, Lugano, 1843, p. 17; Gousset, Théologie
morale, traité des sacrements. De la pénitence, c. x, a. 1,
2 in-8°, Paris, 1877, t. n, p. 358.
Les habitudinaires, ainsi distingués des récidifs,
semblent devoir s'entendre surtout des pécheurs
qui, étant restés plusieurs années sans se confesser,
ont besoin de soins spéciaux de la part du confesseur,
pour sortir du déplorable état dans lequel les a jetés
une habitude mauvaise invétérée, passée comme à
l'état de seconde nature. Cf. Ballerini, Compendium
hcologix moralis, tr. De sacramcnio pœnilenliœ, part.
III, c. n, a. 1, § 2, p. n, n. 032, note, 2 in-8°, Rome, 1869,
t. n, p. 432.
Quelques auteurs distinguent aussi les récidifs qui
ne seraient pas habitudinaires du tout : par exemple,
les pécheurs qui, après avoir confessé une faute, y
retombent, sans néanmoins en conserver ou en con-
tracter l'habitude.
On voit aisément l'importance de la précision dans
les notions d'habitudinaires et de récidifs, pour éviter
au confesseur de grandes anxiétés de conscience, si
l'on songe que plusieurs auteurs, notés il est vrai
comme trop rigides, donnent la valeur d'un principe
incontestable à cette assertion que l'habitude mau-
vaise est un signe certain du manque, chez le pénitent,
des dispositions nécessaires à la réception de l'abso-
lution. Cf. Merbesius (Bon de Merbes), Summa chri-
stiana, seu ortliodoxa morum disciplina, tr. De pœni-
tentia, q. xlviii, cas. v, reg. 2, 3, 2 in-fol., Paris,
1683; Venise, 1770; Juenin, Institutiones theologicœ,
tr. De pœnitentia, q. vi, c. v, a. 1, concl. 7, 4 in-8",
Lyon, 1694; 7 in-8°, Venise, 1704, ouvrage mis à l'Index
par décret du 22 mai et du 17 juillet 1708; Genêt,
Theologia moralis, tr. De pœnitentia, c. vu, q. x\ ,
c. x, n. 13, 16, 19, 7 in-8°, Venise, 1713; Bassano, 1769.
D'autre part, d'après saint Alphonse, les habitudes
mauvaises peuvent être contractées par cinq actes,
et même moins, voir Habitudes mauvaises; et il
faut cependant que le confesseur soit moralement
certain des bonnes dispositions actuelles du pénitent,
pour pouvoir l'absoudre, sans charger sa propre
conscience, puisqu'il s'agit là de la matière même du
sacrement, et de l'invalidité ou de la profanation
sacrilège auxquelles on l'exposerait; enfin, l'expé-
rience démontre malheureusement que, à part les
pénitents qui sont réellement vigilants sur eux-mêmes
pour éviter le péché, on en trouve trop souvent qui
pèchent tous les mois plusieurs fois. Faudra-t-il donc
les regarder comme manquant des dispositions indis-
pensables, parce qu'ils sont considérés comme habi-
tudinaires? et devrait-on leur refuser l'absolution,
alors qu'ils en ont beaucoup plus besoin que d'autres?
Faudra-t-il donc, ce qui malheureusement aussi arrive
trop souvent, imiter ces confesseurs timorés, qui,
pour échapper à ces inquiétudes qui tourmentent
leur propre conscience à ce sujet, se consacrent presque
exclusivement à entendre la confession des personnes
dévotes, et redoutent d'entendre les pécheurs qui en
auraient un plus impérieux besoin? Cette méthode
ne réjouit que trop l'infernal ennemi de l'humanité,
qui trouve le moyen de pêcher largement en eau
trouble, et d'entraîner des légions innombrables
d'âmes dans l'abîme de l'éternelle perdition. Cf.
Palmieri, Opus Iheologicum morale in Busembaum
mcdullam, tr. X, Desacramenlis, sect. v, De pœnitentia,
c. i, dub. n, n. 215, t. v, p. 120.
2° Pris au sens strict que nous avons indiqué plus
haut, le mot habitudinaire est susceptible encore de
deux acceptions différentes. Il peut indiquer, en effet,
ou bien un pénitent habitué au péché, c'est-à-dire
attaché au péché : habitualiler ajfectus erga peccatum,
qwindo jugi quadam voluntate et amore dcliberato
adhœret pravitati, v. gr., odii adversus inimicum, vel
impudici amoris, vel injuslitiœ violantis jus alterius, etc. ;
et, dans ce cas, le confesseur, avant d'absoudre le péni-
tent, doit bien examiner si celui-ci renonce sérieuse-
ment à cet attachement au péché; ou bien le mot habi-
tudinaire indique un pécheur auquel la répétition du
péché a donné l'habitude, c'est-à-dire une propension
plus grande au péché et une plus grande facilité à le
commettre; et c'est en ce sens seulement que les théo-
logiens entendent ce mot, quand ils l'emploient.
Cette distinction est importante, car, à moins de
confondre cette propension ou cette facilité au péché
2021
HABITUDINAIRES
2022
avec l'affection au péché, on ne peut prétendre que
l'habitude soit, par elle-même, opposée à une sincère
détestation du péché. N'est-il pas d'expérience que
certaines choses que l'on fait très facilement par
l'effet de l'habitude, deviennent non pas plus agréables,
mais plus fastidieuses, à mesure qu'on les accomplit
plus facilement par l'effet de l'habitude acquise ?
par exemple, la lecture, le chant, la peinture, la mu-
sique instrumentale, la couture, le tricotage, etc.,
car assueta vilescunt. L'attachement à une chose ne
croît donc pas en proportion de la facilité qu'on
acquiert à l'accomplir. Très souvent, au contraire,
c'est le dégoût qui grandit en proportion.
Cette remarque vise l'assertion trop chère à plusieurs
théologiens que pravus habitus reddit pcccalorem
propcnsiorem ad peccandum. Ce n'est pas toujours
exact, en effet, car s'il résulte de l'habitude une cer-
taine inclination physique à l'acte matériel du péché,
il n'en résulte pas toujours une égale inclination mo-
rale au mal, La chose est évidente pour certains péchés
dont l'acte devient extrêmement facile par l'habitude,
et qui, cependant, ne renferment en eux rien qui
paraisse désirable ou délectable: par exemple, les
imprécations, les blasphèmes, etc. Il arrive alors que
ces actes échappent fréquemment à l'inadvertance
du pécheur malgré la ferme volonté qu'il a de les
éviter. Ici, par conséquent, l'habitude qui dégénère
en facilité extrême n'est pas une preuve que l'habitudi-
naire ne déteste réellement ces actes, qu'il lui arrive
si souvent encore de poser, mais comme machinale-
ment et malgré lui. Il n'y a donc dans cette propension
extrême à l'acte du péché aucune attache au péché,
rien qui s'oppjse à la vraie détestation de la faute,
ni rien qui puisse faire douter des bonnes dispositions
et de la ferme volonté du pécheur de revenir sincère-
ment à Dieu. L'habitude physique, ou la propension
qui en résulte, persiste ordinairement, même après
la conversion de celui qui est vraiment repentant.
Pour changer le cœur et la volonté, il ne faut qu'un
instant à la grâce; mais, pour déraciner une habitude
invétérée, à moins d'un miracle, il faut toute une
série d'actes contraires, répétés pendant plus ou moins
de temps, suivant que l'habitude est plus profonde et
plus ancienne.
Si l'on considérait toujours cette propension au
mal comme une preuve de manque de ferme propos,
il semble qu'on devrait douter des bonnes disposi-
tions de n'importe quel pénitent, vu l'existence de la
concupiscence chez tous, depuis la chute originelle,
car, selon ce que dit l'Écriture sainte elle-même,
sensus enim et cogitalio humani cordis in malum prona
sunt ab adolescentia sua. Gen., vin, 21.
On ne saurait donc admettre indistinctement que
la facilité pour l'acte du péché, résultant de ce que ce
péché a été commis trois ou quatre fois, doive faire
douter des dispositions du pénitent que l'on considé-
rait pour cela comme habitudinaire. De fait, lorsque
les anciens théologiens parlent d'une habitude mau-
vaise comme d'une preuve du manque de disposition
pour l'absolution, ils parlent d'une habitude tellement
invétérée et profonde, qu'elle est passée à l'état de
seconde nature : quod autem queepiam facilitas, quw.
ex actu ter qualerve repetito, forte potcnlise accedere
fingalur, sit judicinm anirni minus disposili, vel indispo-
sitionis suspectionem debcat injiccre, vel inducat indis-
posilionem, sunt inventa, ne dicam commenta, ridicula,
quse veteribus universis plane incompcrla fuerunt.
Palmieri, Opus theologicum morale, tr. X, De sacra-
mentis, sect. v, De pœnilentia, c. i, dub. n, n. 218, 5°;
n. 261, p. v, p. 121-144. Saint Alphonse reconnaît
aussi qu'une propension au péché, cnez l'habitudinaire,
n'est pas une preuve de manque de dispositions
actuelles, mais qu'on doit le supposer bien disposé,
à moins qu'on ait quelque signe positif du contraire :
nisi obslet aliqua positiva prœsumptio in contrarium;
nain licet pravus habitus reddat peccalorem propen-
siorem ad peccatum (ad aclum peccati), non tamen
dal prœsumptionem suœ infirmée volunlatis. Theologia
moralis, 1. VI, tr. IV, De sacramenlo pœnitentiœ, c. i ,
dub. ii, § 2, n. 459, t. m, p. 467.
II. De l'absolution des habitudinaires. —
1° En restreignant le sens du mot habitudinaire au
pécheur qui, ayant contracté l'habitude de pécher,
s'en confesse pour la première fois, la doctrine com-
munément admise, et rappelée par saint Alphonse,
est qu'on peut absoudre ces habitudinaires, même s'il
n'y a eu aucun amendement avant la confession,
pourvu qu'ils se proposent sérieusement de se corriger.
Theologia moralis, loc. cit., n. 459, t. m, p. 467.
Lacroix affirme aussi que c'est l'opinion commune.
Theologia moralis, 1. VI, n. 1820, 3 in-fol., Venise,
1710-1750. En effet, on ne doit pas supposer le pénitent
tellement mal disposé, qu'il veuille, de gaîté de cœur,
profaner le sacrement; d'autre part, il y a des raisons
de le supposer bien disposé, car la confession spontanée
qu'il fait de ses fautes est un signe de contrition, à
moins qu'il ne conste du contraire. Dolor seu conlritio
per confessionem manifcslalur, selon un axiome géné-
ralement reçu. Cf. Salmanticenses, Cursus theologiœ
moralis, tr. XVII, De juramento, c. n, p. ix, § 3
n. 168-170, t. iv, p. 201 sq.; Suarez, De religione,
tr. V, 1. III, c. vm, Opéra omnia, t. xiv, p. 694 sq.
A l'appui de cette thèse, saint Alphonse apporte
le texte du Catéchisme du concile de Trente, De
sacramento pœnitentiœ, n. 60 : Si, audita confessione,
judicaverit (sacerdos) neque in enumerandis peccatis
diligentiam, nec in detestandis dolorem pœnilenli
omnino defuissc, absolvi polcrit. Et le saint docteur
appelle l'attention du lecteur sur ces mots, omnino
defuisse. Ce texte du Catéchisme romain est d'autant
plus frappant qu'il n'entend point parler de l'habitu-
dinaire qui se confesse pour la première fois : ce texte
s'applique donc a fortiori à celui-ci.
11 n'est donc pas nécessaire que le pénitent, avant
de recevoir l'absolution, ait montré la sincérité de
sa conversion, en restant un temps relativement long
sans commettre cette faute dont il a l'habitude, ainsi
que le prétendaient les auteurs rigides, plus ou moins
apparentés au jansénisme, qui perd les âmes sous le
fallacieux prétexte d'assurer aux sacrements le respect
qui leur est dû. Qui morlaliter peccarunt ex consue-
tudine, dit Juenin, non debent absolvi, nisi multo, ad
viri prudenlis judicium, tempore, conversionem operibus
probaverint... Toti anliquitati persuasum fuit conirilio-
nem non esse diei unius opus, sed multorum mensium,
imo et nonnunquam annorum... Commentarius historicus
et dogmalicus de sacramenlis in génère et in specie.
diss. VI, q. vu, c. iv, a. 7, n. 1, in-fol., Lyon, 1696;
Venise, 1778. Il dit, ailleurs, qu'on doit suivre la même
règle, par rapport à la longueur de l'épreuve avant
l'absolution, même si le pénitent n'a péché qu'une fois,
semel, quand il s'agit de fautes particulièrement
graves : eliamsi pœnitcns semel patraverit aliquod
énorme peccatum, ut perjurium, adultcrium, homici-
dium, et similia. Inslilutiones thcologicœ. De psenitentia,
q. vi, c. v, a. 2, concl. 2°; Commentar. de sacramentis,
loc. cit., a. 7.
Que toute l'antiquité chrétienne ait ainsi pensé,
loti anliquitati persuasum fuit, c'est faux, comme il
est facile de le prouver par le témoignage d'une foule
de saints docteurs, en particulier de saint Jean Chry-
sostome, dont nous rapportons plus bas les paroles.
P. G., t. lxi, col. 502.
Les rigides comme Juenin, dont saint Alphonse
trouve la rigueur intolérable, étaient de singuliers
médecins spirituels, réservant pour ceux qui se por-
2023
HABITUDINAIRES
2024
taient bien les remèdes que Notre-Seigneur a institués
pour les malades; et ils prétendaient sauver les âmes
autrement que par les sacrements que le divin rédemp-
teur a institués pour leur salut. L'absolution sacra-
mentelle, en clïet, n'est pas seulement un jugement
porté sur le pénitent; elle est aussi un remède. Pour
la conversion des pécheurs, dit saint Alphonse, il
faut plus espérer de la grâce du sacrement que du
délai de l'absolution. Theologia moralis, 1. VI, tr. IV,
c. i, dub. ii, n. 103 sq., t. m, p. 476. Cf. Salmanticenses,
tr. VI. De pœniientia, c. v, p. iv, n. 68, t. i, p. 152 sq.
L'auteur des Conférences d'Angers semble avoir trop
oublié ce sage avertissement, IXe conférence, Du
sacrement de pénitence, q. n, 16 in-8°, Paris, 1829-
1830, t. vin, p. 301 sq. Cf. S. Thomas, Sum. theoL, IIP"
Supplem., q. xxv, a. 1, ad 4'"°; Lacroix, Theologia
moralis, 1. VI, part. II, n. 1768.
Dans sa lettre encyclique, Charilale Christi, du
25 décembre 1825, pour l'extension du jubilé de
1826, Léon XII commente éloquemment cette parole
du divin Maître : Non egenl qui sani sunt medico,
sed qui maie habenl. Non en ira veni vocare justos, sed
peccatores ad psenitentiam. Luc, v, 31,32; Marc, n, 17.
Il condamne sévèrement les confesseurs qui, à la vue
d'un habitudinaire chargé d'une multitude de fautes
graves, prononcent qu'ils ne peuvent l'absoudre, et
refusent ainsi d'appliquer le remède à ceux-là mêmes
dont la guérison est l'objet principal du ministère
qui leur a été confié par le divin Sauveur. Cf. Gousset,
Théologie morale, Traité du sacrement de pénitence,
c. ix, n. 537, t. ii, p. 354. La crainte de mal appliquer
les remèdes nécessaires à un malade ne peut justifier
les médecins imprudents et coupables qui attendent,
pour le soigner, qu'il soit à peu près guéri par ses
propres efforts, ou par l'affaiblissement naturel de
la maladie elle-même. Que de malades seraient con-
damnés, en principe, à une mort certaine, par cette
inqualifiable méthode 1 C'est au médecin à faire une
juste application des remèdes; mais ces remèdes, il
doit les appliquer et ne pas attendre que la maladie
fasse de plus grands ravages et cause la perte irré-
parable de ceux dont il est chargé.
2° Les dispositions suffisantes pour l'absolution
consistent dans la contrition et le ferme propos
actuels, non dans la correction à venir, et on peut
absoudre le pénitent, quoique l'on prévoie une rechute
de sa part. Cf. S. Alphonse, loc. cit., t. ni, p. 470. Il
est faux, en effet, que le signe de la conversion de la
volonté soit l'épreuve du temps : cette conversion
dépend de la grâce, laquelle n'a pas besoin d'un inter-
valle de temps, plus ou moins long, pour agir, mais
qui peut, au contraire, agir instantanément. Cette
action de la grâce peut donc se manifester non seule-
ment par l'expérience que le temps apporte, mais
par d'autres signes. Bien plus, ces signes, ou témoi-
gnages des dispositions présentes du pénitent, mani-
festent bien mieux le changement opéré dans sa
volonté que ne le fait l'expérience du temps. Ces signes,
en effet, montrent directement les dispositions actuelles
du pénitent, tandis que l'expérience du temps ne les
montre que d'une façon très indirecte. Il peut arriver en
effet, que quelqu'un s'abstienne pendant quelque temps
de pécher, principalement et même uniquement pour
des considérations d'ordre purement humain, comme le
fait remarquer justement saint Grégoire le Grand :se a
viliis pro mundi hujus honcslalc continecd. Ilomil., xm,
in Lvangct., ]>. L., t. lxxvi, col. 1124. Saint Jean
Chrysostome parle de même : Je ne demande pas, (lit-
il, l'épreuve du temps; mais seulement la conversion
de l'âme. Le pécheur est-il converti ? sa volonté per-
verse est-elle changée ? Cela suffit. Homil., xiv, in
Epist. II ad Corinthios, n. 3, P. G., t. lxi, col. 502.
Saint Jean Damascène enseigne la même doctrine.
A la suite des saints Pères, les maîtres de la théologie
se sont attachés à démontrer que les dispositions
nécessaires à la réception de l'absolution sont la dou-
leur actuelle du péché avec le ferme propos de l'éviter
à l'avenir, sans qu'il soit besoin d'en appeler à la contre-
épreuve du temps.
On retrouve cette doctrine si sage rappelée au cleiuô
par la lettre pastorale des évoques de Belgique pour
l'exécution du bref d'Innocent XII, du 13 avril 1697 :
Confessarius a quibusvis peccatoribus gravibus, staluta
lege non exigat, ut per notabile lempus prœvic exercuerint
opéra pœnitentise; sed cum sanctis Palribus expendat
Deum in conversione peccalorum non tam considérai;:
mensuram temporis quam doloris. Cf. Lacroix, Theologia
moralis, 1. VI, part. II, n. 1823; De Ram, Synodicum
Belgieum, seu acla omnium ecclesiarum Belgis a celebntto
concilio Tridentino usque ad concordatum anni 1801,
Malines, 1828-1839, t. i, p. 623.
Il faut tenir compte beaucoup aussi de la distinction
entre les habitudinaires qui commettent habituelle-
ment le péché froidement, par la perversion de la
volonté, et ceux qui le commettent uniquement par
fragilité, dans le feu de la passion. Les premiers dé-
testent rarement le péché, et, par conséquent, sont
rarement disposés pour l'absolution; les seconds, au
contraire, le détestent généralement beaucoup, dès
qu'ils ne sont plus sous l'effet de la passion. Ceux-ci,
en effet, pèchent presque malgré eux, comme le dit
saint Anselme : nolenles in codem vilio dejiciunlur.
Opuscul. de similitudinibus, c. exc, P. L., t. eux,
col. 701. Cf. D'Annibale, Summula theologiœ moralis,
1. III, tr. III, De sacramento pœnilenliœ, c. n, n. 3,
n. 337, t. m, p. 276; Marc, Instiluliones morales alphon-
sianœ, part. III, tr. V, De sacramento pœnitentiee,
diss. III, c. ni, n. 1826, t. n, p. 336.
Les théologiens rigides qui ne veulent pas absoudre
les habitudinaires sans les soumettre à l'épreuve du
temps, pendant plusieurs mois, et même plusieurs
années, pour s'assurer de leurs bonnes dispositions,
disent que les absoudre sans cette précaution, c'est les
rendre plus coupables. Mais les renvoyer sans l'abso-
lution, et, par conséquent, sans la grâce que le sacre-
ment confère, est-ce les rendre plus forts, et assurer
leur conversion? N'est-ce pas plutôt les éloigner des
sacrements, les exposer au désespoir et les jeter dans
la voie de la perdition? Quot miseros ipse cognovi,
dit saint Alphonse, qui ob denegatam absolulionem
se dejecerunt in desperationem, et per plures annos
a sacramenlis aversi aberrarunt. Theologia moralis,
loc. cit., n. 464, t. m, p. 477.
3° En vain, on opposerait à cette assertion l'ensei-
gnement de docteurs très recommandables, entre
autres, celui de Pierre Lombard, Sent., 1. IV, dist. XIV :
Pœnitere est anteacta deflcre, et flenda non commillere-
Ces paroles doivent s'entendre d'actions simulta-
nées, c'est-à-dire que le pénitent, tandis qu'il déplore
ses fautes, n'en commette pas d'autres, car, alors,
son regret serait seulement sur ses lèvres et nullement
dans son cœur ou sa volonté, suivant le mot de saint
Grégoire le Grand, loc. cit. : Nam qui sic alia déplorât,
ut alia tamen committat, adhuc pœnitentiam agere
aut ignorai, aut dissimulât. Quid enim prodest, si
peccata luxuriœ quis defleat, et adhuc luxuriœ. œstibus
anhelal ? Saint Thomsa apporte sa clarté ordinaire dans
cette question, et la met en pleine lumière par les pa-
roles suivantes : Disccndum quod pœnitere sil anteat ta
deflcre et flenda non commiltere, scilicet, dum flct acla,
vel proposito. Ille enim est irrisor et non peenitens,
qui simul dum psenitet, agit quod pœnilel, vel propo-
nit iterum se facturum quod gessit, vel ctiam actualitcr
peccal eodem vel alio génère peccali. Quod aulem aliquis
poslca peccet, vel aciu, vel proposito, non excluait quin
prius pœniientia mra fuerit. Nunquam enim veritas
2023
HABITUDINAIRES — HACKER
2026
prioris aetus excluditur per aclum conlrarium subse-
quentem. Sicut enim vere cucunit qui poslea sedet; ita
vere pœnituerit qui poslea peccat. Sum. theol., IIP,
q. lxxxiv, a. 10, ad 4",n. Il avait, ailleurs, exprimé
le même sentiment : Quod fuluriim est non potesl esse
de subsluntia vel de inlegrilate alicujus virtutis, nisi
secundum quod est prœsens in apprehensione vel volun-
tale, quia virius, quantum ad habitum, non expeclat
aliquid in fulurum. Habitas enim virtutis est de perma-
nentibus, non de successivis : undc totam perfeclionem
su. un habet simul in instanti, quse Iota simul in unum
actum potesl eflluere, et sic quod fulurum est non est
de inlegrilate vel essentia ipsius. Unde quum pœnitenlia
sit virius, et, secundum quod est sacramentum, non se
extendat ultra actum virtutis, non est de integritate
punitentiae essenliedi fuluri continuatio, nisi ut sit in
proposito; et ideo potesl esse vera pœnitenlia, et lamen
ab ea poslmodum aliquis excidel. In IV Sent., 1. IV,
dist. XIV, q. i, a. 4, q. iv, 1.
Suarez dit de même : In lus non est scrupulose
procedendum... quia non oportet ut confessarius judicet
alium amplius non peccalurum; sed salis est quod
judicet illum in prœsenli habere taie propositum, et
jacere quod moralil°r potesl ut efficax sit. Nec hujusmodi
humanœ fragililates efjicacius curari ab homine possunt.
De rcligione, tr. V, 1. III, c. vin, n. 7; De sacra-
menlo pœnitentiœ, disp. XXXII, sect. n, Opéra omnia,
t. xiv, p. 694; t. xxn, p. 675 sq.
Voir aussi Sanchez, Prœcept. Decalogi, 1. II, c. xxxn,
n. 45, 2 in-fol., Venise, 1614; Reifîenstuel, Theologia
moralis, tr. XIV, dist. VIII, 2 in-4°, Bassano, 1773;
Elbel, Theologia moralis decalogalis et sacramenlalis,
part. II, conf. IV, § 2, n. 595 sq., t. m, p. 195 sq.
Ces auteurs, et beaucoup d'autres de la môme époque,
quoique visant plus directement les récidifs, peuvent
être allégués, à plus forte raison, pour la thèse ana-
logue au sujet des simples habitudinaires.
Parmi les récents : Marc, Institutions alphonsianœ,
part. III, tr. V, De sacramenlo pssnifentiae, diss. III,
c. m, a. 1, n. 1897, t. il, p. 336 sq. ; Lehmkuhl, Theo-
logia moralis, part. II, 1. I, tr. V, De sacramento peeni-
ienliœ, sect. ni, c. iv, § 2, n. 490 sq., t. n, p. 349 sq. ;
Ojetti, Synopsis rerum moralium et juris pontifieii
alphabelico ordine digesla, au mot Consueludinarius,
2 in-4°, Prato, 1905, 1. 1, p. 469 ; Bucceroni, Instilutiones
thcologicœ morales, tr. De sacramento pœnilcnliœ,
sect. xii, n. 809, 2 in-8°, Rome, 1907-1908, t. n,
p. 306 sq. ; Noldin, Summa theologiœ moralis, tr. De
sactff.men.tis, 1. V, De pœnitenlia, c. ni, q. ni, a. 5, n. 408,
t. ni, p. 473.
4° On ne saurait opposer à cette doctrine enseignée
par tant de théologiens des plus recommandables,
soit parmi les anciens, soit parmi les modernes,
la soixantième proposition condamnée par Innocent XI
et qui est ainsi conçue : Pœnilenti habenti consue-
tudinem peccandi contra Isgem Dci, naturœ, aul Ecclesiœ,
i!si emenilalionis spes nulla appareat, nec est neganda,
nec difjerenda absolutio, dummodo ore proférât se
dolere, et proponere emendationem. Denzinger-Bannwart,
n. 1210. Cette condamnation prouve seulement qu'on
ne peut absoudre l'habitudinaire qui n'offre aucune
espérance d'amendement, nulla spes emendalionis,
quoiqu'il dise, de bouche, avoir la douleur de ses péchés
et la résolution de se corriger. Mais, s'il y a quelque
espérance d'amendement, quoique aucun amendement
ne se soit encore produit, on peut absoudre ce pénitent.
Par cette proposition condamnée, dit saint Alphonse,
n'est pas écarté absolument de l'absolution le con-
suéludinaire, en tant que tel, utcumque talis; mais
seulement celui qui ne présente aucun espoir d'amen-
dement. Theologia moralis, 1. VI, tr. IV. De sacra-
mento pœnitentiœ, c. i, dub. m, a. 1, n. 459, t. m,
p. 469. Il faut tendre la main à ceux qui sont faibles,
et, loin de les décourager, les aider à marcher, à
l'exemple du Sauveur, qui, selon les paroles des pro-
phètes, n'est pas venu pour achever le roseau à demi-
brisé, ni pour éteindre la mèche encore fumante.
Matth., xn, 20; Is., xlii, 3.
Pour l'absolution des habitudinaires qui seraient
retombés dans Ja même, ou les mêmes fautes, après
s'en être confessés une ou plusieurs fois, voir Récidifs.
T. Ortolan.
H ABRICK Alexis, bénédictin, né le 26 juillet 1736 à
Budwitz, en Moravie, mort à Raigern le 27 mars 1794.
Après avoir étudié à Brunn et à Olmutz, il entra à
l'abbaye de Raigern où il fit profession le lor janvier
1758. Ordonné prêtre en 1763, il eut à remplir diverses
charges dans son monastère dont il devint prieur, chan-
celier et archiviste. Ses écrits assez nombreux sont
presque tous restés manuscrits. Ne furent imprimés que
les ouvrages suivants : Asserliones theologicas schola-
slico-posilivœ et morales de fide, regulis fidei, actibus
humanis et bealitudine, in-4°, Brunn, 1759; Asserliones
theologico-canonico-morales de conscienlia, jure obje-
ctivo et subjectivo, in-4°, Brunn, 1760; Posiliones thcolo-
gico-dogmalicœ de gralia Salvatoris neenon de incarna-
lione, in-4°, Brunn, 1760; Jura primœva Moravise
collegcrunl ac nolis illuslrarunl benedictini Raigra-
dienses, in-8°, Brunn, 1781.
Scriptores ordinis S. Benedicti in imperio Austriaco-
Ilungarico, in-4°, Vienne, 1881, p. 161; dom M. Kinter,
Vitœ monachorum qui ab anno 1613 in monasterio Raikra-
densi in Moravia professi in Domino obierunt, in-8°, Brunn,
1908, p. 55-5'J; Hurter, Nomenclator, 1913, t. v, col. 1665.
B. Heurïebize.
HACH ou HACK.E François, jésuite allemand, né
à Mittelberg, le 12 mars 1650, entra au noviciat de
Mayence le 20 novembre 1669 et enseigna la gram-
maire, les humanités et la rhétorique à Bamberg de
1671 à 1676. Doué d'un remarquable talent oratoire,
il fut de bonne heure appliqué à la prédication et opéra
des fruits insignes de conversions à Mayence, à Bam-
berg, à Erfurt. Devenu professeur à l'université de
Wurzbourg, il occupa pendant douze ans la chaire de
théologie dogmatique et s'efforça surtout de donner à
son enseignement un caractère pratique. C'est dans ce
but qu'il composa son Ethica mariana, publié après sa
mort, Mayence, 1731, recueil de matériaux scriptu-
raires et théologiques sur les vertus de la sainte Vierge
spécialement destinés aux prédicateurs. Il reste de lui
une foule de sermons publiés sans nom d'auteur et
quelques plaquettes poétiques qui n'ont plus d'intérêt
que pour l'histoire locale de Bamberg et pour l'histoire
de la pédagogie au xvne siècle. Le P. Hach mourut à
Wurzbourg le 15 juillet 1702.
Sommervogel, Biblioibèque de la C" de Jésus, t. iv,
col. 9 sq. ; Adelung, Forlselsung und Ergànzungen, Leipzig,
1792, t. n, col. 1707.
P. Bernard.
HACKER Jacques, théologien allemand, né à
Ethingen, professeur de théologie à Fribourg-en-Bris-
gau, vivait dans la première moitié du xvne siècle. En
1609 il avait publié un écrit sur la prédestination qui
fut attaqué par le cordelier André de Urciano, sous le
nom de Daniel Neidenger. Pour se défendre, il fit im-
primer à Fribourg : Disputationes de prœdcslinationis
causa, falso et ementilo autore Daniele Neidengero, vero
aulem et germano ejus fabro Fr. Andr. Urciano, ord
min, obs. reg., in urbe Mantuano nuper éditée... in qua-
tuor ex quibus coaluit elementa, mendacia, hsereses, aut
ilogias, sordes sermonis analysis. Jacques Hacker pu-
blia en outre des Commentaria theologica ad menlem
docloris angelici touchant la Trinité et les anges, la
béatitude, les actes humains, les lois et la grâce, 2 in-4°,
Fribourg, 1619-1621.
2027
HACKER — HAGEMAN
2U2S
Moréri, Dictionnaire historique, t. v b, p. 483 ; Walch,
Bibliotheea théologien, in-S°, Iéna, 1757, t. i, p. 201 ;
Dupin, Table des auteurs ecclésiastiques du A 'Vil' siècle,
col. 18S3 ; Richard et Giraud, Bibliothèque sacrée, t. xn,
p. 447; Hurter, Nomenclator, 1903, t. m, col. 305, note,
370.
B. Heurtebize.
HACKETT Jean-Baptiste, dominicain irlandais,
originaire de Fethard, comté de Tipperary, entra au
couvent de Cashel et y fit profession. Il enseigna la
théologie à Milan, à Naples, à Rome, et fut créé
maître en théologie au chapitre généralissime de 1644.
Acta cap. gen., édit.Reichert, Rome, 1902, t. vu, p. 163.
11 fut théologien des deux cardinaux Virginio Orsini
et Emilio Altieri, qui fut plus tard Clément X. Ce der-
nier aurait eu, paraît-il, l'idée de lui offrir la pourpre,
mais Hackett lui aurait désigné le P. Philippe-Thomas
Howard, duc de Norfolk, qui avait embrassé la vie
dominicaine sur les conseils du P. Hackett. De fait,
Howard fut fait cardinal le 27 mai 1675. Hackett
mourut au couvent de Sainte-Marie-sur-Minerve, à
Rome, le 23 août 1676. On a de lui : 1° Conlroversiurn
Iheologicum complectens omnes traclatus •/•'' 11'* do-
cloris angelici, Rome, 1654; 2° Synopsis theologica in
tractalum de fide, spe et charilate, Rome, 1659; 3° Synop-
sis philosophiœ, 2 vol., Rome, 1662. Ce n'est qu'un
résumé du Cours de philosophie de Jean de Saint-
Thomas, composé par Hackett pour un de ses élèves,
de la famille Altieri.
Echard, Scriplores ord. prœd., Paris, 1719-1721, t. n,
p. 579 ; Thomas de Burgos, Hibernia dominicana, Cologne,
1762, p. 52.-544; Hurter, Nomenclator literarius, Inspruck,
1910, t. iv, col. 32; Palmer Raymond, The life of Phtlipp
Thomas Howard, O. P., cardinal of Norfolk, Londres, 1867,
D. 80.
R. Coulon.
H ACKI Jean-François, jésuite ruthène, né le 27 jan-
vier 1637, admis au noviciat de la province de Pologne
le 21 novembre 1653, enseigna d'abord les humanités et
la philosophie tout en se préparant au rôle de contro-
versiste qu'il devait remplir avec tant d'éclat pendant
la dernière moitié du xvne siècle. Son Scrutinium
verilatis fidei, dont la première partie parut à Oliva,
près Dantzig, en 1661, et la seconde en 1671, fut bientôt
répandu dans toute l'Allemagne, chaque édition nou-
velle s'enrichissant de nombreuses notes et additions.
L'édition définitive de 1682 porte ce titre qui est un
résumé de l'ouvrage : Scrudnium veritatis fidei, apolo-
gelicis pro scrulalore, scrutinioque auctum, quo univer-
sarum a romana catholica Ecclesia alque inter se dissi-
dentium hujus lemporis religionum ex uno omnium fidei
principio manifesta falsitas. L'ouvrage suscita de vives
polémiques parmi les protestants. Melchior Zeidler,
professeur de théologie à l'université de Kœnigsberg,
publia en réponse ses Notée et animadversiones in
scrutalorem fidei, Helmstadt, 1689, qui lui avaient
coûté dix ans de travail et qui fournirent aux polé-
mistes de son parti des armes pour la lutte. Ce fut le
signal d'une ardente bataille. Cf. Acta cruditorum,
1689, p. 469-476. Le P. Hacki, accusé de composer lui-
même certains factums protestants qui se retournaient,
par leur faiblesse même, contre les auteurs et contre
leur cause, tint tête intrépidement à toutes les attaques
et finit par réduire au silence les Acta emdilorum qui
l'accusaient de plagiat. On trouvera dans la préface
de ses principaux ouvrages toutes les données histo-
riques relatives à cette importante controverse, dont il
suffit de mentionner les phases essentielles représen-
tées par les ouvrages suivants : Sanclus Joannes Chry-
soslomus a lutheranismo vindicatus, Oliva, 1683, en
réponse au traité de Fréd. Mayer : Chrysoslomus luthe-
ranus ; Maria Dcipara Virgo rylhmice demonstrata,
ibid., 1683; Vindex veritatis reus D. Conslanlinus
Schutzen min. Gedencnsis libello contra Scrutinium
veritatis edilo anno 1683 declaralus, Posen, 1688; Regia
via omnes dissentienles in religione neo-evangelicos ad or-
thodoxamet salvificam chrislianœ fidei vcritalem perscru-
tandam, Dantzig, 1689. Le luthérien Samuel Schelgui-
gen opposa à ce substantiel et vigoureux écrit une
réfutation dont les protestants, à la suite de Pfafiîus,
font le plus grand cas, mais dont les écrivains catho-
liques n'ont pas eu de peine alors à faire pleine justice.
Cf. Samuel Schelguigen, Unlerricht auf die Fragen des
sogenannten Erforschers der Wahrheit, Dantzig, 1680.
11 en fut de même pour le Libella verilatis ad quam
responsio Scrulatori verilatis fidei data examinatur,
publié par le P. Hacki à Oliva, en 1691, et qui est une
simple défense de ses écrits antérieurs contre les atta-
ques de Schelguigen et d'autres professeurs de Dant-
zig. La Stalera justiliœ, Oliva, 1691, résume d'une
façon rigoureusement méthodique tous les points sail-
lants de la controverse contemporaine avec le tableau
complet des réponses fort peu cohérentes fournies par
les docteurs luthériens les plus en vue de l'époque. Il
est curieux que cet ouvrage n'ait suscité aucune polé-
mique nouvelle, aucune rectification, aucun démenti.
Ce fut un triomphe pour les catholiques de l'Allemagne
du Nord.
Missionnaire de campagne durant plusieurs années,
recteur des collèges de Dantzig et de Thorn, le P. Flacki
ne redoutait nullement les controverses orales, les
conférences contradictoires, il les recherchait au con-
traire. Mais ses adversaires ne mettaient pas le même
zèle à venir à ses rendez-vous. Ce grand ouvrier,
toujours sur la brèche, mourut le 9 septembre 1696, à
Thorn où il venait d'arriver comme recteur du collège.
Sommervogel, Bibliothèque de la C'e de Jésus, t. iv, col. 11-
14; Hurter, Nomenclator, 3e édit., Inspruck, 1910, t. IV,
col. 393 sq. ; Adelung, Fortsetsung und Ergànzungen, Leipzig,
1797, t. n, col. 1708.
P. Bernard.
HAECKL Nonnos, bénédictin de Saint-Emmeran de
Ratisbonne, vécut dans la première moitié du xvn9
siècle. Il a publié : Virlutum theologicarum régulas, fun-
damentales, in-4°, Ratisbonne, 1624.
Ziegelbauer, Historia rei literariœ ordinis S. Benedicti,
t. iv, p. 154.
B. Heurtebize.
HAEN (Antoine de), médecin hollandais, né à La
Haye en 1704, mort à Vienne le 5 septembre 1776.
Reçu docteur en médecine en 1734, il exerça son art
avec succès dans sa ville natale et en 1754 fut appelé
à Vienne où il fut nommé professeur de médecine pra-
tique. Il devint médecin de l'impératrice Marie-Thé-
rèse et conseiller aulique. Parmi ses nombreux ou-
vrages qui se rapportent tous à la médecine, on re-
marque un traité De magia, in-8°, Vienne, 1774 : l'au-
teur y combat la crédulité du peuple, et en même
temps admet la possibilité et la réalité de la magie.
L'année suivante, il publia un écrit De miraculis, in-8°,
Vienne, 1775. Ces deux ouvrages eurent plusieurs édi-
tions.
Feller, Dictionnaire historique, 1848, t. iv, p. 289.
B. Heurtebize.
HAGEMAN Gérard, bénédictin allemand, mort le
12 janvier 1702. Il était profès de l'abbaye de Saint-
Sauveur de Werden dans le diocèse de Cologne, de
la congrégation de Bursfeld. Afin de répondre aux
attaques dirigées contre Bossuet par le docteur protes-
tant Valentin Alberti, il publia : Defensio professionis
catholicœ, neenon expositio ejusdem doclrinm Jacobi
Benigni Bossuet adversus Valenlinum Alberti, in-4°,
Neuhaus, 1695. Il est en outre l'auteur d'un ouvrage
intitulé : De omnigena hominis nobililale libri IV, in-4»,
Cologne, 1696, dans lequel on remarque un traité :
Ulrum summo pontifici sit jus creandi et conferendi
2029
HAGEMAN — HAGER
2030
dignitaies illustres, et une dissertation, De ordinibus
miliiaribus, prœcipue de equitibus Rhodiis, hodie Meli-
lensibus, Templariis et Teutonicis.
Walch, Bibliotheca Iheologica, in-8°, Iéna, 1757, t. n,
p. 276, 326 ; Ziegelbauer, Historia rei literariœ ordinis S.Bene-
dicti, t. iv, p. 249, 265. 383; (dom François), Bibliothèque
générale des écrivains de l'ordre de Saint-Benoit, t. i, p. 452;
Hurter, Nomenclator, 1910, t. iv, col. 713.
B. Heurtebize.
HAGEN ou HAGHEN Jean (de Indagine) naquit à
Hadderdop, près de Stadthaghen, en 1415, de la famille
des marquis de Hagen, dans la Saxe. A l'âge de vingt-
cinq ans, il entra à la chartreuse d'Erfurth et prit
l'habit le 25 janvier 1440. Il a raconté lui-même que
l'on retarda quelque temps son entrée au noviciat, afin
de lui donner la faculté de se faire recevoir docteur en
l'un et l'autre droit, mais, par un motif surnaturel, il
refusa cet honneur. Admis à la profession et aux ordres
sacrés, il demeura longtemps simple religieux dans une
cellule de cloître, où il put satisfaire largement ses
goûts pour l'étude. En dehors des heures destinées par
le règlement aux offices et aux autres exercices régu-
liers, il consacrait à l'étude presque tout le temps qui
lui restait. Il dormait peu, et, pour prolonger ses veilles,
il était obligé de suppléer au défaut d'huile et de chan-
delles, qu'on ne lui fournissait pas suffisamment à
cause de la pauvreté du couvent, par le jus de la soupe
et des autres aliments quotidiens. Aussi ses manuscrits
portaient les marques de cette ingénieuse industrie. Il
fut successivement prieur des chartreuses d'Erfurth,
d'Eisenach, au diocèse de Mayence, de Stettin, dans la
Poméranie, et de Francfort-sur-1'Oder. Sa grande vertu
et son vaste savoir lui attirèrent l'estime et la confiance
des princes et des prélats d'Allemagne. Il mourut le
19 avril 1475 dans la chartreuse d'Erfurth, en laissant
la réputation d'une grande sainteté. Le catalogue de
ses écrits est très long, car numériquement aucun
chartreux n'a composé autant de livres que lui. Tri-
thème, son ami, donne les titres de soixante ouvrages,
qu'il avait vus, et termine sa liste en disant que dom
Hagen avait encore écrit un nombre considérable de
commentaires sur l'Écriture, de traités et de consul-
tations en réponse aux cas et aux difficultés qu'on lui
proposait. Le P. Possevin, suivi par le chartreux Petre-
jus, énumère jusqu'à 433 livres ou traités; Morozzo en
compte 492, et un autre bibliographe donne le chiffre
de 500 titres. Sans entrer dans les détails, nous dirons
que dom Hagen a composé des commentaires sur tous
les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament, selon
les quatre sens reçus dans l'Église, et plusieurs traités
complémentaires de ses travaux sur l'Écriture sainte.
Il a écrit plus de cent vingt traités de théologie dogma-
tique et morale, ainsi que plusieurs apologies de la foi
et réfutations des erreurs des païens, des juifs, et sur-
tout des hussites, des flagellants et des autres héré-
tiques de son temps. Il a laissé des traités sur le sym-
bole des apôtres, l'oraison dominicale et l'Ave Maria,
sur la noblesse et la grâce de Jésus-Christ , sur la Passion,
sur la très sainte Vierge Marie, sur les devoirs des chré-
tiens vivant dans le siècle. Il a écrit aussi un traité con-
cernant le pape, les cardinaux et les évoques, et les bi-
bliographes ajoutent que c'est un bon traité. Il écrivit
également sur les devoirs et les droits des chanoines,
des curés, des prédicateurs et des clercs. Il composa
des messes, et il expliqua l'office de la messe et résolut
les questions relatives au saint sacrifice. Plus de qua-
rante de ses écrits s'occupent de la vie religieuse en
général, et vingt-cinq de l'ordre des chartreux. On a
compté plus de soixante-dix traités spirituels, beaucoup
de sermons, une chronique générale depuis la création
du monde jusqu'à 1471, une autre plus abrégée, et une
troisième très courte, plusieurs traités sur diverses
branches de l'érudition ecclésiastique et un recueil
de lettres. Autrefois, le grand-duc de Toscane, Léo-
pold II, possédait les manuscrits de dom Hagen de In-
dagine. Il est probable que ces trésors ont suivi dans
l'exil leur illustre propriétaire. Il y a des bibliothèques
publiques et privées où l'on trouve quelques copies
de ses traités et même quelques-uns de ses commen-
taires sur l'Écriture. Cf. Migne, Diclionn. des manu-
scrits, 1. 1, col. 237 ; t. ii, col. 170, n. 169 ; col. 172, n. 729 ;
col. 16, n. 74; L. Rosenthal, Bibliotheca cartusiana,
n. 711-712.
On a imprimé les opuscules suivants de dom Hagen :
1° Tractatus de diversis gravaminibus religiosorum, in-4°,
s. 1. n. d. Cf. Hain, n. 9169 ; Panzer, t. ix, p. 178, n. 175;
2° De perfectionne et exerciliis sacri carlusiensis ordinis,
libri duo, in-12, Cologne, 1606 et 1609; Lyon, 1643;
3° Declaralio religiosi patris Johannis Haghen carthu-
siensis super indulgentiis bullaz Boni/acii papas de festo
Visilationis gloriosse Virginis Maria*, publiée par Mar-
tène et Durand, Veterurn scriptorum ampliss. colle-
ctio, 1. 1, col. 1379-1380, et par le chartreux Tromby,
Histoire des chartreux, t. ix, p. xix-xx; 4° selon dom
Théodore Petrejus,on a publié, à Ingolstadt, une traduc-
tion allemande du traité : De concilio generali, qualiler
errare possil, et quo pacto circa schisma habere se opor-
leal. Cf. Bibliotheca cartusiana, Cologne, 1609, p. 190,
note marginale. Il paraît que l'auteur n'avait pas suivi
l'opinion des théologiens allemands, ses contemporains,
au sujet de la suprématie du concile sur le pape, puis-
que l'on trouve parmi ses traités apologétiques le titre
d'un livre contre un célèbre prédicateur franciscain
qui, dans ses sermons, ne s'exprimait pas assez exacte-
ment au sujet de l'autorité ecclésiastique; mais après
avoir été averti par le zélé solitaire, il se corrigea et
rétracta ses erreurs. Il convient de rappeler que le
Saint-Siège, en condamnant les ouvrages d'un auteur
homonyme, Jean Havers de Indagine, a expressé-
ment déclaré qu'il n'entendait pas confondre cet écri-
vain avec le théologien chartreux. Cf. Reusch, Der In-
dex der verbolenen Bûcher, Bonn, 1883, t. i, p. 280.
Une autobiographie de dom Hagen a été publiée dans les
Ephemerides ordinis carlusiensis de dom Léon le "Vasseur,
t. i, p. 463-496. Voir aussi Trithemius, De scriptoribus
ecclesiasticis; Théoph. Raynaud, Trinitas patriarcharum ;
Petrejus, Bibliotheca cartusiana; Morozzo, Theatrum
chronol. S. ord. cartus., Tromby, etc.
S. Autore.
HAGER Baitasar, controversiste allemand, né en
Souabe, à Ueberlingen, en 1572, admis au noviciat
de la Compagnie de Jésus le 14 août 1593, enseigna les
humanités et la philosophie. Il a laissé une Theoria
de fossilibus, Wurzbourg, 1593, dont les idées hardies
pour l'époque lui avaient valu alors une grande répu-
tation de science. Devenu recteur des collèges de
Mayence, en 1611, d'Heiligenstadt, de Wurzbourg,
en 1624, il se dévoua avec un zèle touchant au soin
des malades et des pauvres pendant les troubles causés
dans le Palatinat par la guerre de Trente ans et consa-
cra tous les loisirs que lui laissait sa charge à défendre
la foi catholique contre les attaques des écrivains et des
pasteurs protestants. Son Catholisch Jubelpredig, pu-
blié à Mayence en 1618, à l'occasion des fêtes célébrées
par les luthériens pour le premier centenaire du pro-
testantisme, provoqua de vives polémiques sur
les points fondamentaux de la religion réformée,
notamment sur le culte des images. Cf. Abraham Scui-
tetus, Sermo de imaginibus idololatricis, Francfort-
sur-le-Mein, 1620. Le P. Hager défendit la vérité catho-
lique contre les attaques de Scultetus et de Mesanus
dans deux ouvrages fort estimés et qui parurent clore
le débat : Widerlegung des kurtzen aber nicht schriifl-
mœssigen Berichts Abrahami Sculteti von der vermeinten
Goetzen Bildern, in-4°, Mayence, 1622; Rettung der
Ehre Gottes in Verehrung der Bilder wider Theophili
2031
HAGER — HAINE
2032
Mosani Yindicias, in-4°, Mayence, 1622. 11 composa
ensuite, pour éclairer et ramener les prolestants de
bonne foi, un exposé méthodique avec une brève et
saisissante réfutation des principales erreurs luthé-
riennes : Kleiner Wegweiser zum wahrcn Glaubcn,
Aschalïenbourg, 1625, aussitôt répandu dans toute
l'Allemagne. Bientôt parut le traité qui a fait la gloire
du P. Hager et qui émut profondément les théologiens
protestants, la Collatio Confessionis Augustanœ et
cccumenici concilii Tridcntini cum Verbo Dei, Wurz-
bourg, 1627, qui fut l'objet d'une discussion publique
sous la présidence de Jean Major à l'Académie d'Iéna.
Cf. D. Joh. Conr. Dannhawerus, Dispulalioncs thcolo-
gicic, Leipzig, 1707. C'est pour réfuter cet ouvrage
que Hulsemann composa son Manualc Confessionis
Augustanœ, Wittemberg, 1631. Le P. Hager mourut
à "Wurzbourg le 9 mars 1629. Le Manuale de Hulsen-
niann, dont les éditions se multipliaient rapidement,
resta sans réponse. La Collatio Confessionis Augustanœ
est le premier ouvrage où se dessine le plan d'une théo-
logie symbolique : Moehler n'a fait qu'en développer
magnifiquement les grandes lignes avec toutes les res-
sources de son savoir et de son génie.
Sommervogel, Bibliothèque de la C" de Jésus, t. IV,
col. 19-20; Hurter, Nomenclator, 3e édit., Inspruck, 1907,
t. m, col. 739; A. Ruland, Séries et vitœ pro/essorum SS.
Ihcologiœ qui W'irccburgi docuerunt, Wurzbourg, 1834,
1>. 56; B Duhr, Geschichte der Jesuiten in den Làndern
deutseher Zunge, l7ribourg-en-13risgau, 1913, t. Il, p. 145;
t. H b, p. 307.
P. Bernard.
HAIDELBERG Georges, eontroveïsiste allemand,
«é à Sipplingen, en Souabe, le 9 mars 1621, entra au
noviciat de la Compagnie de Jésus en 1640, et devint
professeur de philosophie à l'université d'Ingolstadt,
où il publia ses premiers écrits : Quœstioncs seleclœ ex
omni philosophia, Ingolstadt, 1657; De tribus mentis
operalionibus, Munich, 1661. Nommé prédicateur à la
cathédrale d'Augsbourg, fonction qu'il remplit avec
succès pendant quatorze ans, il entra résolument dans
•le domaine de la controverse et révéla dès l'abord une
grande puissance de dialectique et une sûreté d'infor-
mation qui le rendirent redoutable dans les discussions
publiques. Son ouvrage : Aile und neue Predicanten,
Francfort-sur-le-Mein, 1674, fit ressortir avec une évi-
dence qui ramena bien des réformes à la vérité catho-
lique, les incohérences et les contra fictions perpétuelles
des docteurs rrotestants. Pris à partie dans une série
de brochures et de pamphlets par les théologiens de la
Réforme, Jean-Frédéric Mayer, Georges Lani, Gaspar
Hoffmann, etc., il répondit avec beaucoup d'humour
aux attaques personnelles qu'il dédaignait, et avec une
haute autorité doctrinale aux calomnies qui attei-
gnaient la religion catholique. Il publia coup sur coup
une suite d'ouvrages de controverse qui ont rendu son
nom justement célèbre : Lutherischer Parallel-Catechis-
mus, in-4°, Augsbourg, 1676; Georgius Anlilani wider
Georgium Lani, in-4°, ibid., 1676; Aufrichlige Eroerte-
rung eines so genannlen aufrichligen Bedencken ueber ein
jungslhin in den Tnick gegebenen Tractât, in-4°, ibid.,
1677; Hojfminnus seminiverbius, in-4°, ibid., 1677;
Vngewiste Ungewissheit Lutherischer Rechlfertigung und
Seligkeit, in-8°, Ellwangen, 1680; Posteriora pejora prio-
ribus, dus ist : Immerzu uebler gegruendeles Lutherlum,
in-8°, ibid., 1682. Le P. Haidelberg mourut à Ellwan-
gen, le 31 décembre 1683, après une vie toute de labeur
et d'édification.
Sommervogel, Bibliothèque de la C" de Jésus, t. îv,
col. 21-22; Hurter, Nomenclator, 3e édit., Inspruck, 1910,
t. iv, col. 396; Fr. Vcith, Bibliotheca augustana, Augsbourg,
1885, t. x, p. 36 sq.; Jôclier, Allgemeines Gelehrten-Lexicon,
Leipzig, 1750, t. il, col. 1652.
P. Bernard.
HAIDEN Jean, jésuite autrichien, né à Hradisch
(Moravie) le 23 décembre 1716, admis au noviciat le
30 octobre 1736, enseigna les humanités à Prague et
se livra spécialement à l'étude de la littérature ecclé-
siastique des premiers siècles. Sa dissertation De
therapeulis Philonis Judœi, Prague, 1656, le mit au
premier rang des maîtres de la critique en ce temps.
Cf. Zaccaria, Disciplina populi Dei, Venise, 1782.
Chargé pendant onze ans de l'enseignement de l'histoire
ecclésiastique à l'université de Prague, il publia d'im-
portantes études de chronologie : Animadversiones
crilicœ in chronologiam, Prague, 1760; Exercitationcs
chronologicœ de tribus prœcipuis annis Chrisli, nali,
baptizati, emorienlis, ad calculum Joannis Kepleri, ibid.,
1760. Ses travaux les plus remarquables ont trait à
l'histoire du dogme : De instilulo Ecclesiœ infantibus
mox cum baplismo conferendi sacramenla confirmationis
et eucharistiœ, ibid., 1659, dissertation insérée au t. x,
du Thésaurus theologiœ de Zaccaria, p. 217-242; Decre-
tum Eugenii IV pro Armenis num lanquampars synodi
cecumenicœ Florentinœ sit omnino respiciendum, in-4°,
ibid., 1659; Omoousion an ex senlenlia Prudenlii Marani
icclc negelur in concilio Anliocheno, in-4°, ibid., 1760.
Après la suppression de la Compagnie de Jésus en 1773,
le P. Haiden devint membre du consistoire royal de
Prague et directeur des études de séminaire à Kœnig-
gratz. La date de sa mort est incertaine.
Sommervogel, Bibliothèque de la Cle de Jésus, t. iv,
col. 23-25; Hurter, Nomenclator, 3e édit., Inspruck, 1912,
t. v, col. 399.
P. Bernard.
HAINE — I. De la haine en général. II. De la haine
envers Dieu, envers le prochain, envers soi-même.
I. De la haine en général. — Notion et caractère
moral. Le bien nous plaît et nous convient. Notre
volonté se porte naturellement vers lui; elle le désire,
en jouit ou le regrette selon qu'il lui est présenté
comme possible, comme présent ou comme passé. Par
contre, le mal nous déplaît et nous rebute. Notre
volonté s'en détourne quand elle le rencontre. Elle le
redoute lorsqu'elle en est menacée, en souffre lorsqu'il
arrive, se réjouit lorsqu'il est évité ou passé. Le mouve-
ment de la volonté vers le bien, c'est l'amour; l'aver-
sion qu'elle éprouve pour le mal, c'est la haine.
Le caractère moral de la haine dépend de la nature
même de ce qui est haï. Si c'est un mal véritable,
comme le péché, l'injustice ou le crime, la haine est
de soi juste et honnête. Si c'est un bien, comme la
justice, la vérité, la vertu, la haine est coupable parce
que le bien doit être aimé et non haï.
De la haine du mal à la haine des personnes qui en
sont la cause ou l'occasion, le passage est facile. Celle-ci
se rencontre à des degrés divers : tantôt faible et à
peine remarquée, tantôt violente et exaltée; mais
toujours elle tend à se traduire par des actes capables
de nuire au prochain détesté, ou tout au moins par le
désir de lui causer du tort ou de le voir souffrir. Ainsi,
par sa nature même comme par le caractère des actes
qu'elle inspire, la haine est en opposition avec le pré-
cepte de la charité qui nous oblige d'aimer noire
prochain et nous défend de lui faire aucun tort. L'im-
portance du mal fait ou souhaité est une des données
qui permettront d'apprécier le degré de culpabilité de
la haine.
II. DE LA HAINE ENVERS DIEU, ENVERS LE PROCHAIN,
envers soi-même. ■ — 1° Envers Dieu. — 1. Possibilité.
— Il semble que Dieu, qui est par essence le bien infini-
ment aimable et désirable, ne puisse être un objet de
haine. Il ne peut, il est vrai, être haï de qui le voit en
lui-même dans la vision béatifique, parce que l'infinie
bonté ne peut pas ne pas être aimée de qui la con-
temple. Mais sur terre nous ne connaissons Dieu que
per spéculum et in œnigmale, à travers les créatures et
■2033
HAINE
2034
tes événements que dirige sa providence. Nous ne
■voyons pas les desseins de Dieu dans l'infinie perfec-
tion de leur sagesse et de leur bonté. Or les volontés
divines ne concordent pas toujours avec les volontés
dépravées des hommes : par le Décalogue, Dieu met
un frein aux passions humaines; par la redoutable
sanction qu'il réserve au péché, il effraie le pécheur;
la souffrance, à laquelle il soumet fréquemment
l'homme ici-bas, est pour plusieurs une épreuve qu'ils
n'ont pas le courage de supporter. De là, pour certains,
un motif de révolte et de haine contre Dieu.
2. Espèces et moralité. — Ou bien cette haine de
Dieu l'atteint uniquement comme cause du mal que
nous rencontrons : c'est la haine d'abomination; ou
bien elle s'en prend directement à la personne même de
Dieu, non parce que les volontés divines nous dé-
plaisent, mais parce que lui-même nous déplaît et que
nous voulons le traiter en ennemi : c'est la haine
d'inimitié. Cette haine d'inimitié n'est pas une chimère.
Elle peut se trouver chez ceux qui, corrompus par le
vice et ayant tout à redouter de la justice divine, ne
peuvent plus que détester Dieu quand ils songent à
lui, ou chez ceux qui, accablés par l'adversité, se
révoltent contre le Dieu qui la permet et se prennent
à le haïr. Elle se trouve chez ceux qui, par une incon-
cevable aberration, considèrent Dieu comme le mal et
l'ont en exécration.
La haine de Dieu ne constitue pas seulement une
faute grave : elle est, de soi, le péché le plus grave que
l'homme puisse commettre. En effet, dit saint Thomas,
Sum. theol., IIa II*, q. xxxiv, a. 2, la malice du péché
consiste essentiellement en ce qu'il éloigne l'homme de
Dieu. Plus un péché éloigne de Dieu, plus il est péché
et plus il est coupable. Mais les péchés autres que la
haine de Dieu, ceux, par exemple, qui se commettent
pour arriver à se procurer des plaisirs coupables,
n'éloignent de Dieu qu'indirectement et comme par
voie de conséquence. Ce que veut avant tout le pécheur,
c'est la jouissance. Pour l'avoir, il sacrifie le précepte
divin, mais il ne cherche pas directement à se séparer
de Dieu. Autre est la haine de Dieu : par elle Dieu est
directement atteint; par elle, on se détourne de Dieu
comme d'un être odieux qui ne mérite point d'être
aimé, ou comme d'un être malfaisant digne délie
détesté. Elle est donc uniquement et essentiellement
cwersio a Deo ; plus coupable par conséquent que les
autres péchés dans lesquels se trouve avant tout
l'amour désordonné des créatures et par concomitance
seulement l'aversio a Deo. Or, semper quod est per se
potins est co quod est secundum quid. Le même principe
permet de déterminer la gravité relative de la double
haine de Dieu : la haine d'inimitié est plus coupable
que l'autre, parce qu'elle s'en prend directement à
Dieu, le traite formellement en ennemi, tandis que
l'autre ne voit et ne hait en Dieu que l'auteur du mal.
2° Envers le prochain. — 1. Nature et moralité. — On
hait dans le prochain, comme en Dieu, ou sa personne
•ou ses actes. Sa personne : c'est la haine d'inimitié,
qui le fait détester pour lui-même et porte à lui faire
le mal pour le mal. Cette haine est une faute mortelle
de soi, parce qu'elle est évidemment contraire au
précepte de la charité, laquelle nous oblige sub yravi.
Elle est d'ailleurs assimilée par l'Écriture à l'homicide,
rangée parmi les péchés qui font qu'on reste dans la
mort ou qui rendent digne de l'enfer. Toutefois, ex
levitate materiœ, la faute ne serait que vénielle si le
sentiment de haine n'était que supeniciel et si l'on se
bornait à faire ou à souhaiter au prochain qu'on
n'aime pas quelque mal sans gravité. Si l'on hait dans
le prochain des actes qui semblent répréhensibles, le
caractère moral de cette disposition dépend de la
nature des actes détestes : s'ils sont intrinsèquement
mauvais, par exemple, des péchés ou des vices, la
haine est juste puisque le mal mérite d'être haï. S'il
s'agit d'actes qui me sont nuisibles sans être intrinsè-
quement mauvais, j'ai le droit de les détester, à condi-
tion qu'il n'y ait pas d'excès dans mon ressentiment,
mais une juste proportion entre la haine et ce qui la
provoque. S'il s'agit d'actes vertueux et bons, les haïr
serait de soi une faute grave. Cette haine dite d'abo-
mination, qui commence par les actes, peut rejaillir
sur la personne même de celui à qui ces actes sont
imputés. En ce cas, il y a toujours faute contre le
précepte de la charité qui nous oblige d'aimer notre
prochain quel qu'il soit. Pour apprécier la gravité de
cette faute, on tiendra compte de la nature du mal
que par haine on est disposé à faire ou à souhaiter.
Refuser absolument toute espèce d'affection à une
personne sous prétexte qu'elle n'en mérite aucune,
serait pécher gravement contre le précepte de la
charité,
2. Fautes auxquelles conduit la haine envers le pro-
chain. — Elles sont énumérées et étudiées à l'art.
Charité, voir t. n, col. 2262-2265.
3° Envers soi-même. — Elle est implicite ou explicite.
Nous devons nous aimer nous-mêmes comme nous
devons aimer nos semblables, d'un amour réel et
sincère, qui nous fera rechercher notre bien et fuir
notre mal. Par suite, nous sommes tenus de conserver
ou de nous procurer, conformément à l'ordre établi par
Dieu, les biens naturels ou surnaturels nécessaires
pour la vie présente ou pour l'autre. Nous sommes
obligés d'éviter ce qui compromettrait l'acquisition
ou la conservation de ces biens nécessaires. Agir
contrairement à l'ordre divin serait ne point s'aimer
véritablement, donc, se haïr. Il en serait de même si
l'on sacrifiait les biens éternels pour des biens tem-
porels, son âme pour les joies ou les richesses de la
terre. Par le fait, il y a, dans tout péché, un manque
de charité envers soi-même comme envers Dieu. Qu'on
le veuille ou non, c'est se haïr soi-même que le com-
mettre. C'est ce principe que rappellent si souvent les
Psaumes, le livre de Tobie et l'Évangile. S'aimer
trop en s'aimant mal équivaut donc à se haïr. Mais, à
ce point de vue, le devoir de la charité envers nous-
mêmes ne se distingue pas des obligations qu'imposent
les autres commandements. Par contre, la haine
explicite et formelle de soi-même est une faute spéciale
contre le précepte de la charité. Au premier abord,
elle semble impossible, parce qu'elle est absurde.
Cependant elle existe soit d'une façon passagère,
quand la raison, dans quelque accès de colère, de
désespoir ou d'abattement, cesse de raisonner sage-
ment ; on en arrive alors à se faire horreur, à se haïr,
à se souhaiter ou à se faire tout le mal possible; soit
d'une façon habituelle, par suite d'une complète
perversion de l'esprit. Le pessimisme, en déclarant
que, dans l'état de choses actuel, la vie est détestable,
que le monde ne peut être pire, qu'exister, vivre et
vouloir sont autant de mots qui désignent la souffrance
et une destinée souverainement digne de pitié et
d'épouvante, y conduit naturellement et aboutit
fatalement à conseiller le suicide de l'individu et
l'abolition de l'humanité. Voir dans Franck, Diction-
naire des sciences philosophiques, 2e édit., l'article
consacré à Schopenhauer. Dans l'une et l'autre haine,
il y a évidemment faute grave contre la charité. La
haine formelle est toujours gravement coupable. Il
peut y avoir légèreté de matière dans la haine impli-
cite.
La haine est généralement étudiée à propos de la vertu
de chanté. Voir à l'article Chahité quelques-uns des théo-
logiens qui ont abordé cette question. On peut y ajouter,
parmi les moralistes récents que chacun connaît et qu'il est
inutile de rappeler nommément : Didiot, Morale surna-
turelle spéciale, Vertus théologales, Paris et Lille, 1897,
2e:::.
HAINE
HALL
2036
p. 461-469; Ballerini, Opus theologicum morale, 2e édit.,
Prato, 1892, t. ii, p. 120-138, qui l'ont examinée plus spécia-
lement.
V. Oblet.
HALDEN Jean-Baptiste, jésuite autrichien, né en
1649, à Blumegg, près de Bregenz, admis au noviciat
en 1665, professa la philosophie à l'université de Dillin-
gen, puis la théologie à Inspruck, où il exerça avec une
haute autorité la charge de préfet des études. Sa tour-
nure d'esprit le portait de préférence vers l'étude des
questions positives et sa méthode ne sortait guère du
domaine des faits et des textes. Il a laissé les ouvrages
suivants : Problcmala qusedam de planlis ex historia
plantarum selecta, Dillingen, 1688, ouvrage qui porte
aussi le titre de Planlarium philosophicum; Concilii
Tridcnlini de eueharisliee mijslerio doctrina, in-4°,
Inspruck, 1C91; Bivium theologicum seu disquisitio
utri iheologorum parti sit accedendum, in-l°, ibid., 1698;
Cassandra, seu divinalio théologien de causis, remediis
et fine noslratis œvi calamitalum, in-8°, Munich, 1699;
Pastor bonus secundum prsecipuas dotes ac mania,
doctrina theologico-morali illuslraliis, ibid., 1703; Ephe-
merologium ecclesiastico-rubrislicum novum, Brixen,
1717, accompagné d'addenda dans la 2e édition, Ins-
pruck, 1723. Le P. Halden travaillait à un vaste com-
mentaire de la Somme de saint Thomas, quand la mort
le surprit avant qu'il ait pu mettre la dernière main à
cette œuvre, vers 1726.
Sommervogel, Bibliotliéque de la C" de Jésus, t. iv,
col. 38 sq.; Hurter, Nomenclator, 3e édit., Inspruck, 1910,
t. IV, col. 1323.
P. Bernard.
HALDRE1N Arnold, théologien catholique, né à
Wessel ou à Halteren dans le duché de Clèves, mort le
30 octobre 1534, avait été membre de la faculté des
arts de Cologne en 1516, était devenu docteur en théo-
logie et chanoine de l'église métropolitaine de Cologne.
Citons parmi ses écrits : 1° Decalogi, sive decem preecep-
lorum pia exegesis, in-8°, Cologne, 1536; cet écrit a été
réédité, Cologne, 1550, avec d'autres : De cullu et vene-
ralione sanclorum; De modo confilendi ; 2° De quadruplici
concordiœ ratione et consideratione, super Confessions
auguslana protestantium quorumdam Romani imperii
principum ac staluum, in-8°, Ingolstadt, 1544, en colla-
boration avec Jean Cochlée; 3° De vera Ecclesia Christi,
in-4°, Ingolstadt, 1544, contre Mélanchthon; 4° Epi-
tome singularum dislinclionum in quatuor libros Senten-
tiarum, una cum distichis ad singula capita, summam
rei complectenlibus postpositis, in-16, Cologne, 1555;
5° Locorum communium religionis christianie parli-
tiones, in-12, Louvain, 1564; Cologne et Louvain, 1557,
1568.
Paquot, Mémoires pour servir à l'histoire littéraire des
Pays-Bas, in-8°, Louvain, 1766, t. vm, p. 167; Kirchen-
lexikon, t. v, p. 1460; Hurter, Nomenclator literarius,
Inspruck, 1906, t. il, col. 1272-1243.
B. Heurtebize.
HALITGAIRE, évêque de Cambrai, succéda vrai-
semblablement sur ce siège épiscopal à l'évêque Hil-
doard, en 817. On n'est pas absolument certain qu'il
soit le Halitgaire que le pape Pascal Ier, en 822, don-
nait pour compagnon à Ebbon de- Reims, son parent,
pour la mission chez les nations du Nord; toutefois,
Jaffé, n. 2523, dit Halitgarium Cameracensem. Mais
ce qui paraît certain, c'est qu'il n'a pas accompagné
Ebbon en Danemark. En 828, l'empereur Louis le
Débonnaire l'envoyait à la cour de Constantinople où
il ne resta pas longtemps, car il assistait au concile tenu
à Paris le 6 juin 829. Selon les Annales Vedaslini, dans
Monumenla Germaniœ, Scriptores, t. vu, p. 416, n. 75,
il mourut en 830; on indique pourtant d'ordinaire
comme jour de sa mort le 25 juin 831.
Ce qui a immortalisé le nom d'Halitgaire, c'est un
Pénitentiel composé par lui à la demande d'Ebbon de
Reims. Flodoard, Hisl. Rem. Eccles., n, 19; Gesta pon-
lificum Cameracensium, dans Pertz, t. ix, p. 416. Ebbon
lui avait demandé une collection tirée ex Palrum dictis
canonumque sententiis; mais on ne sait à quelle époque
précise de son pontificat il faut en fixer la rédaction.
Peut-être, dit M, Paul Fournier, fut-ce vers l'époque
du concile de Paris, qui s'occupa de la question des
pénitentiels. « L'ouvrage d'Halitgaire, continue M. Paul
Fournier, est composé de six livres. Les deux premiers,
intitulés : De viliis octo principalibus et De vita activa
et contemplaiiva, sont faits d'extraits moraux emprun-
tés aux ouvrages des Pères, saint Grégoire le Grand,
saint Augustin et autres. Le troisième traite De ordine
pgenitentium, le quatrième De viliis laicorum, le cin-
quième De ordinibus clericorum; ce sont des recueils
canoniques... où sont réunis des textes relatifs à la
pénitence, puisés dans les conciles et les décrétâtes.
Enfin l'ouvrage se termine par un sixième livre qui,
celui-là, est un véritable pénitentiel, ressemblant aux
nombreux tarifs de pénitence répandus au vme et au
ixe siècle dans l'Empire franc. C'est ce pénitentiel
qu'Halitgaire lui-même, dans la préface par lui rédigée,
présente comme de serinio romanœ Ecclesiœ adsump-
tus. »
La première édition du recueil d'Halitgaire a été
donnée par Henri Canisius, Antiquœ lectiones (1604),
t. v b, p. 220 sq., mais elle ne contenait que les cinq
premiers livres, selon le manuscrit 570 de Saint-Gall.
Stevart, en 1616, publia le 1. VI, qui est certainement
une portion intégrante de l'œuvre primitive. Il fut
compris dans l'édition augmentée que Basnage a
donnée des Antiquœ lectiones, et que reproduit la
Patrologie latine de Migne, t. cv, col. 649-694, pour les
premiers livres, et ensuite jusqu'à la col. 710 pour le
VIe. Un texte un peu différent du VIe livre fut publié
par dom Ménard dans ses notes sur le Sacramentaire
grégorien, P. L., t. lxxviii, col. 450-458, et reproduit
par J. Morin, Commenlarius hisloricus de disciplina in
adminislrationc sacramcnli pœnitentiœ, Anvers, 1682,
Appendice, p. 5-10.
M. Paul Fournier a prouvé, clans l'étude indiquée
et dont le titre sera donné ci-dessous, que le 1. VI n'est
nullement, au sens étroit du mot, une œuvre d'origine
romaine, et qu'il n'est pas impossible qu'Halitgaire,
qui en fut certainement le vulgarisateur, en ait été
aussi le compilateur. Il n'a certainement pas trouvé son
pénitentiel tout fait dans les archives de l'Église
romaine; mais, en supposant même qu'il ne l'ait pas
compilé, il l'a fait sien en l'insérant à la fin de son
recueil. On peut d'ailleurs affirmer que ce pénitentiel
est romain, parce qu'il représente surtout la discipline
canonique de l'Église d'Occident, préservée de cer-
taines modifications provenant des pénitentiels anglo-
saxons; parce qu'il est aussi l'expression des tendances
des réformateurs qui, dans l'Église franque en parti-
culier, tournaient de plus en plus leurs regards du côté
de Rome.
Sur toute cette matière, voir l'article publié par M. Paul
Fournier dans la Revue d'insloire et de littérature religieuses,
t. vm (19031: Études sur les pénitentiels. IV. Le livre VJ du
Pénitentiel d'Halitgaire, p. 528-553, et les notes nombreuses,
spécialement, note 3, p. 530-531, sur les éditions. La majeure
partie de cette étude (p. 533 sq.) prouve, contre la thèse de
Mgr Schmitz, Die Bussbikher und die Bussdisciplin der
Kircbe, 1883 sq., que le 1. VI d'Halitgaire ne peut être
invoqué pour attester l'existence d'un pénitentiel romain
règle des autres pénitentiels. Sur la personnalité d'Halit-
gaire, voir l'introduction donnée, P. L., t. cv, col. 649, à
l'édition du Pénitentiel.
A. VlLLIEN.
HALL Richard, théologien anglais, naquit dans le
Lincolnshire ou dans le Yorkshire. En 1552 il était
étudiant à Cambridge, et en 1559 il concourait pour le
2037
HALL — H ALLIER
2038
grade de maître es arts. Il quitta l'Angleterre sous le
règne d'Elisabeth, et se réfugia d'abord en Flandre,
puis à Rome, où il fut reçu docteur en théologie. A son
retour en Flandre, il devint professeur d'Écriture sainte
à l'abbaye Sainte-Rietrude de M ar chiennes, puis cha-
noine de Saint-Géry à Cambrai. Les guerres civiles
l'obligèrent de se retirer à Douai, où il enseigna long-
temps l'Écriture sainte au collège anglais qui venait de
se fonder en cette ville (1576). Il devint ensuite cha-
noine de Saint-Omer et officiai du diocèse, charges qu'il
occupa jusqu'à sa mort en 1603. Outre un certain
nombre d'opuscules théologiques, il a écrit De quin-
quepartita conscientia : 1° recta, 2° erronea, 3° dubia,
4° opinabili, seu opiniosa, et 5° scrupulosa, libri III,
Douai, 1598. 11 a aussi laissé une Vie de John Fisher,
évêque de Roches ter, qui n'a jamais été imprimée, et
dont il existe plusieurs exemplaires manuscrits.
Hurler, Nomenclator lilerariiis, 1907, t. m, col. 598;
Dictionary of national biography.
A. Gatard.
HALL1ER François naquit à Chartres en 1585.
Il était de bonne famille. Mais, la fortune ayant
tourné, il dut, très jeune, entrer au service des grands.
Il fut donc, pendant deux ans, page chez la princesse
douairière d'Aumale. Heureusement il put continuer
ses études, dont le succès lui permit d'enseigner en
différents collèges de l'université. Il fut ainsi pendant
plusieurs années maître de philosophie. C'est à cette
science qu'il consacra ses premiers ouvrages, un
recueil d'odes philosophiques, qui parut à Paris, en
1618, sous le titre de Philosophia moralis lyricis can-
tionibus absolutissima,ct un manuel de logique destiné
aux étudiants, Anahjsis logiez:, Paris, 1630.
Mais il s'était déjà tourné vers les études théolo-
giques. Simple bachelier, il fit partie de la petite
communauté de Saint-Nicolas du Chardonnet, fondée
par Bourdoise en 1612. Il passa sa licence en 1624.
A cette époque, il était socius de la maison de Sorbonne.
Mais avant même d'avoir pris le bonnet de docteur, il
entra dans la maison de Villeroi comme précepteur de
l'abbé d'Alineourt, Ferdinand de Neufville, qui mourut
évêque de Chartres. Il accompagna son élève à Rome,
à Naples, à Athènes et en Angleterre. Ces voyages lui
permirent de nouer d'utiles relations, entre autres
avec le pape Urbain VIII.
De retour à Paris, il reprit son enseignement et
professa en Sorbonne. Il allait être entraîné, par cette
situation même, dans une série de polémiques. L'affaire
de Richard Smith, évêque d'Angleterre, venait d'écla-
ter. Smith, dont la présence en Grande-Bretagne était
considérée, surtout par les ordres religieux, comme la
principale cause de la persécution des catholiques,
s'était retiré à Paris sur l'ordre du Saint-Siège. De là
toute une série d'écrits dans lesquels certains religieux
émirent, sur la hiérarchie et la constitution de l'Église,
des idées déplaisantes à l'égard du clergé séculier.
Ces idées étaient développées en particulier dans
l'ouvrage du P. John Floyd, de la Compagnie de
Jésus : An apology of the holu Sea Apostolick's procee-
dings for the government of the Catholicks of England
during the lime of persécution, publié à Rouen en 1620
et, en latin, à Cologne en 1631. La faculté de théologie
de Paris censura cet ouvrage, le 15 février 1631, en
même temps qu'un certain nombre de propositions
dues à des moines irlandais, et qui exprimaient les
mêmes idées. Floyd répliqua immédiatement, sous un
pseudonyme : Hermunni Lœnelii Antvcrpicnsis
Spongia qua dihiuntur calumniœ nomine facullatis
Parisiensis imposita: libro qui inscribilur Apologia,
Saint-Omer, 1631.
Hallier avait pris part aux discussions qui avaient
abouti à la censure de l'Apologie de Floyd. Pour cette
raison, il fut officieusement chargé de répondre aux
allégations de Floyd. De là son ouvrage : Defensio
ecclesiasticœ hiérarchise, seu vindicise censurée facullatis
theologiœ Parisiensis, qui parut au commencement de
1632, à Paris. La faculté approuva officiellement
l'ouvrage par une décision du 3 février de cette année.
La discussion ne prit fin qu'en 1633, sur une déclara-
tion d'Urbain VIII, qui défendit tout nouvel écrit
sur ce sujet. Mais Hallier tenait à ses idées. Il les
exposa, dogmatiquement et en dehors de toute polé-
mique, dans son traité : De sacris eleclionibus et ordi-
nationibus ex antiquo et novo Ecclesiœ usu, in-fol.,
Paris, 1636; 3 in-fol. ; Rome, 1739. Il y insistait sur
les droits et l'autorité fondamentale de la hiérarchie
en opposition avec les ordres religieux. Ce traité est
reproduit dans le Cursus completus theologiœ de Migne,
t. xxiv, col. 157-1616. Sur le traité adverse du Père
Cellot, voir t. ii, col. 2089-2090.
La lutte entre la Sorbonne et la Compagnie de Jésus
n'avait rien perdu de son acuité. Le succès de la
Defensio porta les collègues de Hallier à le charger de
composer un ouvrage sur la morale des jésuites. Il
commença le travail. Mais, apercevant très proba-
blement le caractère de parti d'une telle œuvre, il
passa ses matériaux à Arnauld. De là sortit le célèbre
ouvrage : Théologie morale des jésuites, exlrailte fidèle-
ment de leurs livres, contre la morale chrétienne en général,
s. 1., 1645. C'était le commencement de la campagne
qui devait aboutir aux Provinciales. L'ouvrage parut
sous le voile de l'anonymat. Il fut immédiatement
attribué soit à Hallier, soit à Arnauld. Aussi les
réponses faites par les Pères contre ce libelle attaquent-
elles nommément Hallier. C'est le cas surtout pour
l'ouvrage pseudonyme que le P. Pinthereau publia
sous le titre : Les impostures et les ignorances du libelle
intitulé la Théologie morale des jésuites, par l'abbé de
Boisic, Paris, 1644. Ses idées sur la hiérarchie étaient
vivement attaquées. Il répondit par la Défense de la
doctrine de M. Hallier... contre les calomnies et impos-
tures du supposé abbé de Boisic, Paris, 1644. Enfin,
reprenant dans toute leur ampleur les idées qu'il avait
toujours soutenues, il les exposa dans son grand
ouvrage : De hierarchia ccclesiaslica libri quatuor,
in-fol., Paris, 1646. La polémique, chez lui, se résolvait
toujours en dogmatique.
Toutes ces publications, la part active qu'il prenait
aux délibérations de l'université, le titre de professeur
royal qui lui avait été attribué, la faveur de Richelieu
et du cardinal Barberini, avaient fait de Hallier un
personnage important. Aussi l'assemblée du clergé de
1645 le choisit-elle comme promoteur. On y discuta
une fois de plus la question alors âprement contro-
versée, le problème des rapports du clergé séculier
avec le clergé régulier. Hallier composa sur ce sujet un
recueil important sous ce titre : Ordinationes universi
cleri gallicani circa regulafes, conditœ primum in
comitiis gcncralibus anno 1625, renovatœ et promulguiez
in comitiis anno 1645. Ce recueil, enrichi de commen-
taires, fut publié seulement après la mort de l'auteur,
à Paris, en 1665, par Gerbais. Mais en 1649, Hallier
était nommé syndic de la faculté de théologie. Il avait
ainsi parcouru tout le cycle des honneurs universi-
taires.
D'autres l'attendaient. Il avait été nommé, par
l'évêque de Chartres, de Lescot, théologal de sa cathé-
drale. L'évêque de Saint-Malo l'avait choisi comme
archidiacre de Dinan. En 1652, il était délégué par le
clergé de France, avec les docteurs de Sorbonne
Joisel et Lagaut, pour solliciter en cour de Rome la
condamnation des cinq propositions. Le jansénisme
était devenu un parti dans l'Église et dans l'État.
Hallier n'était pas homme de parti. Par cal le lui repro-
chera durement dans la quatrième Provinciale. Il
obtint d'Urbain VIII la bulle Cum occasione qu
-2039
IIALLIER — HAMEL
2040
condamnait les cinq propositions. A cette occasion il
composa de nombreux mémoires qui sont restés
inédits. lien fut de même d'ouvrages plus importants
qui se rapportent à ses préoccupations ordinaires, en
particulier un De primatu Pétri et un De jure parocho-
rum. Enfin en 1657, il fut nommé évêque de Cavaillon,
après avoir été depuis longtemps proposé pour l'épis-
copat et même pour le chapeau de cardinal. 11 mourut
le 2 juillet 1659, à l'âge de 74 ans.
P. Féret, La faculté de théologie de Paris. Époque moderne,
Paris, 1904, t. ni, p. 160-164; 1906, t. îv, p. 310-306;
H. Reusch, Der Index der verbotenen Bûcher, Bonn, 1885, t. n,
1». 38, 491 ; C. Sommervogel, Bibliothèque de la C" de Jésus,
t. i, col.1060 ; t. VI, col. 826-827 ; Gallia christiana, 1. 1, col. 937 ;
jlurter, Nomenclator, Inspruck, 1907, t. ni, col. 1184-1185.
A. Humbert.
H ALLOIX Pierre, jésuite belge, né à Liège le 27 dé-
cembre 1571, admis au noviciat le 10 novembre 1592,
se distingua de bonne heure par ses travaux d'érudition
et de critique surtout dans le domaine de la patrologie.
11 publia en 1622 la Vie de saint Justin le Philosophe
avec un recueil de documents biographiques et des
notes relatives à ses écrits et à sa doctrine : Vita el
documenta S. Justini philosophi et martyris, in-8°, Douai,
1C22, reproduite par les bollandistes dans Acta sancto-
rum, aprilis t. il, p. 108 sq. Grabe a utilisé les notes
du P. Halloix dans son édition de la première Apologie
de saint Justin, Oxford, 1700. Le P. Halloix avait en-
trepris la publication de monographies critiques sur
les écrivains les plus illustres des premiers siècles de
l'Église d'Orient. Un premier volume parut en 1638 :
lllustrium Ecclesiœ orienlalis scriplorum qui sanctitati
juxla et eruditione primo Christi sœculo florucrunt, in-fol.,
Douai, 1638, avec notes et documents. La Vie de saint
! >enys l'Aréopagite a été reproduite dans l'édition des
Oeuvres de saint Denys par le P. Balth. Cordier. Le
second volume comprenant les écrivains du ne siècle
parut en 1636. Du troisième volume, qui ne put être
achevé, il ne parut qu'une partie : Origenes defensus,
in-fol., Liège, 1648, où l'auteur s'attache avec plus de
zèle que de critique à établir l'orthodoxie des doctrines
d'Origène et à mettre en relief la sainteté de sa vie.
L'ouvrage fut prohibé par décret de la S. C. de l'Index,
le 12 mai 1655, donec corrigatur. Le P. Garnier, dans sa
dissertation sur le Ve synode tenu contre les pélagiens,
a repris, après Noris, l'examen de la thèse de Halloix et
des objections qu'elle soulève : Marii Mercatoris Opéra,
Paris, 1673, c. v. On a encore du P. Halloix divers
ouvrages biographiques, entre autres une Vie de saint
Camille de Lellis, une Anthologie poétique grecque et la-
tine avec une étude des synonymes, une édition rema-
niée des Commentaires de Tr. Ribeira sur l'Apocalypse.
Le Commenlarius in evangelia quadragesimse, Paris,
1658, qui lui a été parfois attribué, n'est pas de lui.
Le P. Halloix mourut à Liège le 30 juillet 1656, usé par
ses veilles, par ses étonnantes macérations et ses tra-
vaux.
Sommervogel, Bibliothèque de la Cie de Jésus, t. iv,
col. 52-55; Hurter, Nomenclator, 3e édil., Inspruck, 190 7
1. m. col. 1699 sq.; Antiquilates Ecclesiœ Orienlalis, hoc
est Epislolx J. Morini et ad illum scrii>t£e, Londres, 1082,
p. 170 sq.
P. Bernard.
HAMEL (Jean-Baptiste du), philosophe et théolo-
gien français, né à Vire le 11 juin 1624, mort à Paris le
6 août 1706. Avant même d'entrer à l'Oratoire (le
2-1 décembre 1643), il avait composé, étant professeur
de mathématiques au collège bayeusien de Maître-
( iervais à Paris, des Elementa astronomica, suivis d'une
trigonométrie, qu'il fit imprimer, in-16, Paris, 1642,
« une vanité de jeune homme», comme il avoua
plus tard; mais, ajoute Batterel, « peu de gens de cet
âge pourraient avoir la même vanité. » Après son
institution (noviciat), il professa la philosophie au
collège d'Angers jusqu'en 1652, puis la « positive » à
la maison de Paris; mais peu après, en 1653, il quitta
l'Oratoire pour devenir curé de Neuilly-sur-Marne,
puis, en 1663, chancelier de Bayeux et en 1666 premier
secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences, charge
à laquelle il renonça en 1697 pour mourir saintement
en 1706. Fontenelle, qui lui succéda, termine ainsi
son éloge : « Il faudrait maintenant le représen-
ter comme homme et peindre ses mœurs, mais ce
serait le panégyrique d'un saint, et nous ne sommes
pas dignes de toucher à cette partie de son éloge qui
devrait être faite à la face des autels, et non dans une
académie. »
Parmi ses nombreux ouvrages, les suivants doivent
être mentionnés ici : Philosophia moralis christiana,
in-8°, Angers, 1652 (c'est une partie de son cours
publié à son insu par un de ses élèves): De consensu
veteris et novœ philosophiœ ubi Platonis, Aristolelis,
Epicuri, Carlcsii aliorumque placila de principiis rerum
exculiuntw..., Paris, 1663; Rouen, 1667, 1675;
Oxford, 1669 (ce que le titre promet y est pleinement
exécuté, dit Batterel); De corporum ajjcctionibus lum
manijestis lum occultis libri duo, seu promotœ per
expérimenta philosophiœ spécimen, in-12, Paris, 1670,
1673; De mente humana libri quatuor in quibus junc-
liones animi, vires... pertraclanlur, in-12, Paris, 1672,
1677; De corpore animalo libri quatuor, seu prcmolœ
per expérimenta philosophiœ spécimen altcrum, in-12,
Paris, 1673. Les ouvrages de philosophie et d'astro-
nomie de du Hamel furent réimprimés, 4 in-4°, Nurem-
berg, 1687. Colbert engagea du Hamel à composer
pour son fds un cours complet de philosophie, que
l'abbé Colbert, qui mourut archevêque de Rouen,
dictait au collège de Bourgogne, afin d'appartenir à la
Sorbonne, et qu'il fit imprimer : Philosophia velus
et nova ad usum scholœ accommodala, 4 in-12, Paris,
1678, 1682, 1684, 1700; 2 in-4", Nuremberg, 1684;
5 in-12, Paris, 1705 (sous un autre titre); 6 in-12,
Venise, 1730 (il y trouva le secret, jusqu'alors inconnu,
de réunir en un même goût d'étude les jésuites et
l'Oratoire par l'usage que les uns et les autres firent
de son livre, Batterel): Thcologia spcculatrix et pra-
ctica juxta SS. Palrum dogmata pertraclata et ad
usum scholœ accommodala, 7 in-8°, Paris, 1690-1691;
2 in-fol., Venise, 1734; un abrégé en parut sous le
titre : Theologiœ clericorum seminariis accommodalœ
summarium, 5 in-12, Paris, 1694; Instituliones biblicœ
seu Scripturœ S. prolegomena una cum seleelis annota-
lionibus in Pentateuchum, in-12, Paris, 1698; Anno-
tationes scleclœ in difjlciliora Scripturœ loca... (sur les
livres historiques de l'Ancien Testament et sur Job),
in-12, Paris, 1699; Liber Psalmorum cum seleelis
annotationibus in loca difpciliora, Rouen, 1701;
Salomonis libri 1res..., item libri Sapienliœ el Ecclesia-
slicus cum seleelis annotationibus, in-12, Rouen, 1703,
et enfin une édition de la Bible entière, toujours cum
seleelis annotalionibus, qui parut l'année de sa mort,
et fut encore réimprimée à Madrid en 1767 et à
Venise en 1774.
Fontenelle, Histoire du renouvellement de l'Académie
royale des sciences et les éloges historiques etc., in-12, Paris,
1708, t. n, p. 191-225 (l'Éloge de du Hamel est reproduit
dans le Journal des savants, février 1707, supplément,
t. xxxv, p. 395-406) ; Nicéron, Mémoires, t. i, p. 265-274 ;
Mémoires de Trévoux, janvier 1706, t. n, p. 61 ; juin 1703,
t. m, p. 413; Moi in-La vallée, Essai de bibliographie viroisc,
Caen, 1869, p. 40 sq.; Batterel, Mémoires, t. ni, p. 142-154;
Ingold, Essai de bibliographie oratorienne, Paris, 1880,
p. 41-44; A. Vialard, Le premier secrétaire perpétuel de
l'Académie des sciences, J.-B. du Hamel, in-8°, Paris, 1884;
Dictionnaire de la Bible de Vigouroux, t. n, col. 1513-1514;
The calholic encyclopedia, New- York, 1909, t. v, p. 187;
Hurter, Nomenclator, 1910, t. iv, col. 657-661.
2041
HAMEL
HARDOUIN
2042.
Sur la philosophie de du Hamel, voir Brucker, Historia
critica philosophiœ, Leipzig, 1743, t. iv.p. 760; F. Bouillier,
Histoire de la philosophie cartésienne, 3' édit., Paris, 186S,
t. I, p. 556 sq.; Luquet, Mémoire sur les rapports de la phi-
losophie de Leibniz avec celle de J.-B. du Hamel, Clermont,
1803; abbé A. Vialard, oi>. cit., p. 12S-210; abbé P. D.Ber-
nier, De mente hamana apud Johannem Baptisiamdu Hamel,
Ecclesiœ Bajocensis cancellarium, primum regiiv Scientiorunt
Académies secretarium (thèse), in-8°, Caen, 1891.
A. Ingoi d.
HAMDLTON François, bénédictin, né en 1550 d'une
illustre famille d'Ecosse, mort à Wurzbourg en 1617.
Il embrassa la vie religieuse sous la règle de saint Be-
noît en 1578 à l'abbaye des Écossais de Ratisbonne.
Ses supérieurs l'envoyèrent en 1595 à Wurzbourg pour
y relever l'abbaye des Écossais dont il fut prieur, puis
abbé en 1611. Il publia un traité : De sanctorum invo-
calione et légitima usa sacrarum imaginum, in-4°,
Wurzbourg, 1596, 1597.
Ziegelbauer, Historia rei lilerarix ordinis S. Benedicli,
t. IV, p. 190, 639; (dom François), Bibliothèque générale
des écrivains de l'ordre de Saint-Benoit, t. i, p. 457; Allge-
meine deutsche Biographie, t. x, p. 390-391; llurter, A'o-
menclalor, 1907, t. m, col. 400.
B. Heurtebize.
HAMMER Wilheim, dominicain allemand, né à
Neuss, prés de Dusseldorf, vers la fin du xve siècle.
Il étudia à Cologne et en même temps qu'aux études
traditionnelles dans son ordre il voulut s'initier aux
études classiques, mises en honneur par les humanistes.
Il se trouvait à Ulm, lorsqu'éclata la révolte de
Luther. En 1537 nous le retrouvons sous-prieur a
Schlestadt. C'est vers cette époque que Beatus Rhe-
nanus, écrivant à Bonifacius Amerbach, le 24 jan-
vier 1575, parlait de Hammer comme d'un humaniste
distingué. En 1539. Hammer fut envoyé à Colmar
pour y organiser en faveur des jeunes religieux de son
ordre des cours de latin et de grec; et, à cette occasion,
Beatus Rhenanus écrivant au prieur des augustins de
Co'mar, Jean Hofmcister, se montrait fort heureux de
cette initiative des dominicains et désirait voir les autres
corps religieux suivre leur exemple. Voir N. Paulus,
Die deutschen Dominikaner im Kampje (jegen Luther,
p. 182. Nous ne savons pas si Hammer demeura long-
temps à Colmar; mais il dut quitter cette ville pour le
couvent de Gotteszell, près de Gmund en Wurtem-
berg; il y passa les dernières années de sa vie, tout au
ministère et à la direction des religieuses. Il vivait
encore en 1564, et au chapitre général de Bologne, tenu
cette même année, on lui confirma son titre de docteur.
Acta capitulorum generalium, édit. Reichert, Rome,
1901, t. v, p. G8. C'est aussi en cette même année 1564
que parut son commentaire sur la Genèse. Il avait pour
titre : Commentât iones in Gencsim doclw, utiles et
leetu jucundse, plurimis clorissimorum hebnrœ, grœciv
et Ictthinœ linguœ authorum sacrorum et profanorum
senlcntiœ adeo ornatee, ut ab sequo candidoque lectorc
sinemagno jructuct voluptate legi nonpossint, Dillingen,
1561. Dans ce commentaire, l'auteur cherche à établir
une sorte de concordance entre les passages de l'Écri-
ture et les classiques. C'est avant tout un travail
d'humaniste, qui s'efforce de faire profiter la religion
des progrès des lettres, sans pour cela se laisser
entraîner par les idées nouvelles. Il ne semble pas
qu'Hammer ait pris grande part aux discussions reli-
gieuses de son temps; il déclare d'ailleurs lui-même
qu'avec les novateurs, c'est perdre son temps que de
vouloir discuter.
Echard, Scriplores ordinis prsedicatorum, Paris, 1719,
1721, t. il, p. 186; N. Paulis, Die deutschen Dominikaner
im Kampje gegen Luther, 1518-1563, Fiibourg-en-Brisgau,
1903, p. J«1-186.
R. Coulon.
H ANGEST (Jérôme d'), théologien, né à Compiègne,
mort au Mans le 8 septembre 1538. Docteur en théolo-
gie, il enseigna à l'université de Paris. Le cardinal
Louis de Bourbon, évêque du Mans, le choisit pour son
grand vicaire, et le fit chanoine et écolâtre de sa cathé-
drale. Dans, ces fonctions Jérôme d'Hangest se fit
remarquer par sa science théologique et par son zèle
contre les fauteurs des doctrines protestantes. Il fut
enseveli dans la chapelle du Sépulcre de la cathédrale
du Mans. Parmi ses écrits on remarque : Introduclo-
rium morale, in-4°, Paris, 1515; De libero arbitrio et
ejus coeffleentia in Lutherum, in-8°, Paris, 1521; De
chrislifera eucharistia adversus Nugiferos, in-8°, Paris,
1521; Prseconiorum beatœ Virginis adversus antima-
rianos propugnaculum, in-4°, Paris, 1523; Analogie
contre les faux Christs, in-8°, Paris, 1523; Liber apolog
ticus pro academiis contra Lutherum, in-4°, Paris, 1525 :
l'auteur défend contre Luther les universités et l'usage
d'y prendre les grades; il montre l'utilité de la théolo-
gie scolastique pour l'étude des sciences sacrées; De
possibili prœceplorum divinorum impletione in Luthe-
rum, in-4°, Paris, 1528.
Dupin, Histoire des auteurs ecclésiastiques du XI l> siècle,
t. iv, p. 540; dom Piolin, Histoire de l'Église du Mans',
in-8°, le Mans, 1861, t. v, p. 339, 377, 382; Moréri, Diction-
naire historique, t. v b, p. 515; Kirchenlexikon, t. v, p. 1496;
llurter, Nomenclalor, 1906, t. iv, col. 1275.
B. Heurtebize.
HARDEBY Gaifridus, augustin anglais du xive siè-
cle (mort en 1360), fut longtemps professeur d'Écri-
ture sainte à l'université d'Oxford. Doué d'une élo-
quence remarquable, il fut choisi par le roi Edouard 1 1 r
d'Angleterre comme son prédicateur, et ensuite comme
son conseiller politique et son confesseur. Il laissa en
manuscrits les ouvrages suivants : 1° De vita evangelica,
liber unus; 2° De perfectione evangelicœ paupertalis liber
duo, contra Armachanum qui affirmât lurpe esse chris-
tianos sua volunlale fieri mendicos; 3" Quodlibela Oxo-
niensia, liber unus; 4° Ordinarise quœstiones, liber
unus; 5° Determinationum liber unus; 6° Lectionum in
Novum Testamenlum libri plures; 7° Postillœ Scriptu-
rarum, liber unus; 8° Sermonum de lempore liber unus;
9° Sermonum de sanclis; 10° Sermonum in festivilatibu's
B. Mariœ Virginis liber unus; 11» De rébus geslis
ordinis eremilarum S. Augustini, liber unus.
Lanteri, Postrema ssecula sex religionis augustiniana>, t. i,
p. 280; Ossinger, Bibliotheca augustiniana, Ingolstadt, 1768,
p. 426 ; Elsius, Encorniasticon augustinianum, Bruxelles, 165-1,
p. 226; L. Moréri, Grand dictionnaire historique, Paris, 1718,
t. m, p. 437; Hurter, Nomenclator, 1906, t. n, col. 637.
N. Merlin.
HARDOUIN Jean, jésuite français, né à Quimper le
22 décembre 1646 de famille normande, admis au novi-
ciat de Paris le 27 septembre 1666. Après avoir ensei-
gné pendant cinq ans les humanités et la rhétorique
aux collèges d'Arras et d'Eu, il commença en 1674 ses
études de théologie à Paris. Le P. Garnier l'initia pen-
dant ce temps à la bibliographie. Après sa troisième
année de probation à Bouen.il revint au collège Louis-
!e-Grand avec la charge de bibliothécaire et, en 1683,
il fut nommé professeur de théologie positive, fonction
qu'il remplit avec le plus brillant succès jusqu'en 1718.
Il se distingua de bonne heure par son immense érudi-
tion. Littérature, langues savantes, histoire, numis-
matique, philosophie, théologie, patris tique et exégèse,
il menait de front sans fatigue les études les plus di-
verses et les plus étendues. Dès la fin de ses études sco-
lastiques, il collabore au Journal des savants par des
mémoires sur les monnaies antiques et sur les Odes
d'Horace. En 1684, il donne une édition nouvelle des
harangues de Themistius en grec et en latin déjà pu-
bliées par le P. Pétau, mais enrichies de texles nou-
veaux et de savants commentaires. Cf. Acta crudUj
2043
HARDOUIN
2044
rum, 1685, p.'460; Richard Simon, Bibliothèque choisie,
t. 1, c. xv ; Colomiès, Bibliothèquechoisie, 1731, p. 109 sq.
On trouvera dans le P. Sommervogel la liste com-
plète de ses nombreux ouvrages relatifs à l'histoire
profane, à la philologie, à l'archéologie : ils attestent,
en même temps qu'un immense labeur.une prodigieuse
érudition. Malheureusement l'originalité de la critique
ne répond pas toujours à la solidité du savoir et les
conclusions paradoxales de l'auteur ont soulevé autour
de lui bien des attaques, notamment contre sa chrono-
logie basée sur la numismatique et contre ses étranges
déductions tendant à rejeter l'authenticité des Odes
d'Horace, de V Enéide et de VÉglogue à Pollion, des
discours de Cicéron et d'autres œuvres de l'antiquité
classique. Cf. Brumoy, Observations sur les systèmes des
PP. Hardouin et Berruyer, dans les Mémoires de Tré-
voux, janvier 1734, p. 76-111; février 1734, p. 306-336;
décembre 1761, p. 312-340; art. du P. Berthier (Irailh),
Querelles littéraires ou Mémoires pour servir à l'histoire
des révolutions de la république des lettres, Paris, 1761,
t. ni, p. 19-40. Voir aussi les deux lettres de Cuper à la
Croze contre le P. Hardouin, 13 mars et 20 avril 1708,
dans Recueil de littérature, de philosophie et d'histoire
(de Jordan), Amsterdam, 1730, p. 47-61, 125-135.
Sur le terrain de la théologie positive et de l'histoire
des dogmes, le P. Hardouin a bien mérité de l'Église.
Il publie d'abord son édition de la lettre de saint Jean
Chrysostome à Césaire, enrichie de notes critiques et
d'une dissertation sur le sacrement de l'autel : Sancti
Joannis Chrysoslomi epistola ad Cœsarium monachum,
in-4°, Paris, 1689, où il explique le 15e canon du Ier con-
cile d'Arles, le 16e canon du Ier concile d'Orange et le
me chapitre du Ier concile de Tours. Comme les sacra-
mentaires s'appuyaient pour établir leur thèse sur
quelques passages obscurs de cette lettre, la disserta-
tion fut vivement attaquée par les auteurs protestants,
notamment par Basnage et Jean Le Clerc. Hardouin
répondit par sa Défense de la lettre de saint Chrysostome
à Césaire, in-4°, Paris, 1690. Cf. Journal des savants,
1691, p. 78-83. L'auteur rejette comme apocryphes les
écrits de Facundus d'Hermiane, de Libérât, de Marius
Mercator, de Victor de Tunone, la plupart de ceux de
Cassiodore, quelques-uns de saint Justin martyr et de
saint Isidore. Cf. Dupin, Nouvelle bibliothèque des au-
teurs ecclés., Paris, 1720, t. iv, préface; Jacques Boileau,
De corpore et sanguine Domini, Paris, 1712; Vindiciœ
Chrysoslomi contra Joa. Ilardouinum, Wittemberg,
1712; Mémoires de Trévoux, 1713, p. 629-639; Journal
des savants, 1712, p. 314 sq. Dans la controverse qui
occupait alors les théologiens relativement à la date
exacte de la dernière pâque de Notre-Seigneur, le
P. Hardouin intervint par une dissertation : De supremo
Domini noslri Paschate, in-4°, Paris, 1695, dirigée con-
tre la thèse du P. Lamy; puis par un Extrait du traité
du P. B. sur la dernière pâque de Noire-Seigneur, in-4°,
Paris, 1693. Le P. Hardouin prétend que, l'année de la
mort de Notre-Seigneur, les Galiléens firent la pàque
le jeudi et que Notre-Seigneur, qui était Galiléen, la fit
ce même jour, tandis que les autres juifs ne la célé-
brèrent que le vendredi. Cf. Journal des savants, 1693,
p. 438 sq. Il suffit de faire mémoire de ses dissertations
sur le mot de Liberlinorum aux Actes des apôtres et
sur les Assidéens, Pharisiens, Sadducéens, Opéra selecla,
p. 903; de sa Traduction et explication du psaume
t.xvu, Paris, 1707; de la Version vulgatc justifiée
dans un passage des Proverbes, 1711; d'une nouvelle
dissertation sur le sacrement de l'autel : Quid sit mys-
tirium fidei in consecratione calicis, et d'autres écrits
relatifs à l'exégèse ou à la critique des textes. Cf. Som-
mervogel, t. iv, col. 101, n. 67; col. 102,n.70, etc.; Ana-
treta juris ponli/icii, Paris, 1879, col. 55-88, 172-228,
277-320, 399-121.
L'œuvre capitale du P. Hardouin, cl qui compte
parmi les travaux les plus marquants du xvm° siècle,
est sa collection des conciles. L'Assemblée du clergé
de France de 1687, ayant décidé qu'une nouvelle édition
des conciles serait entreprise cette année même, avait
confié au P. Hardouin cette lourde tâche pour laquelle
il reçut une pension du clergé. Louis XIV, à la requête
de l'abbé Bignon, ordonna que les frais de cette publi-
cation seraient supportés par le trésor royal. Les onze
premiers volumes étaient achevés en 1715 et l'auteur
publiait alors un Conspcclus de son édition en annon-
çant qu'il remettait à un volume suivant les annota-
tions et les notes. Les craintes des gallicans furent
vivement éveillées. Après la mort de Louis XIV, le par-
lement de Paris résolut de prendre connaissance de
tous les textes réunis et, par arrêt du 20 décembre 1715,
nomma des commissaires chargés d'examiner à fond
les onze volumes. Défense était faite au directeur de
l'imprimerie royale de laisser sortir un seul exemplaire.
Le rapport des trois commissaires de Sorbonne parut
le 7 septembre 1722 : l'ouvrage était incriminé comme
renfermant des maximes contraires aux libertés de
l'Église gallicane. L'auteur était accusé au surplus
d'avoir supprimé des pièces manifestement authen-
tiques et de les avoir remplacées par d'autres manifes-
tement apocryphes; en vertu de quoi il était tenu à
des cartons. Le parlement supprima en outre l'épître
dédicatoire à Louis XIV et exigea que l'avis des com-
missaires serait inséré intégralement ainsi que toute la
série des arrêts rendus au cours de cette affaire. Appel
fut dressé au conseil d'État qui, par décision du 25 avril
1725, cassa purement et simplement l'arrêt du parle-
ment et permit la vente de l'ouvrage sans aucune for-
malité. Les additions des commissaires sorties des
presses de l'imprimerie royale furent supprimées avec
soin, mais elles ne tardèrent pas à être réimprimées en
Hollande sous ce titre : Avis des censeurs nommés par
la cour du parlement de Paris pour l'examen de la nou-
velle collection des conciles faite par les soins du P. Har-
douin, jésuite, in-4°, Utrecht, 1730. Cf. Bower, Ge-
schichte der Papstc, trad. Rambach, t. iv, p. 68 : Disser-
tation préliminaire sur les collections des conciles; Sal-
mon, Traité de l'étude des conciles, Paris, 1724, p. 216-
227, 517-547. L'ouvrage fut alors livré au public; il
parut sous ce titre : Acta conciliorum et epistolse décré-
tâtes ac conslitutiones summorum pontificum, 11 in-fol.,
1715. Le t. xn annoncé par Hardouin et réservé aux
remarques et annotations n'a pas été publié. Le tra-
vail du P. Hardouin a servi de base à l'édition de Co-
leti, Sacrosancta concilia ad regiam editionem exacla,
23 in-fol., Venise, 1728-1732, avec 2 vol. d'Apparatus.
Cf. Acta eruditorum, 1714, p. 377-389; Nouvelles ecclé-
siastiques, 1731, p. 35; H. Quentin, Jean-Dominique
Mansi et les grandes collections conciliaires, Pa is,
1900, p. 33-52 ; H. Leclercq, dans Hefele, Histoire des
conciles, trad. franc., Paris, 1907, t. i, p. 105-110.
Pendant que ces démêlés occupaient le parlement,
la Sorbonne et l'esprit public, le P. Hardouin vaquait
paisiblement à d'autres savants travaux, parmi les-
quels il faut citer son édition de Pline le Jeune. Lorsque
le P. Le Courayer publia en 1722 sa dissertation sur la
validité des ordinations anglicanes, le P. Hardouin
entra en lice immédiatement par un premier arti-
cle dans les Mémoires de Trévoux, 1722, p. 468-490, puis
par son Prélude de la réfutation du livre entier du P. Le
Courayer touchant la succession et l'ordination des
êvêques anglicans. Mémoires de Trévoux, 1724, p. 135D-
1360. La même année il publiait le lor volume d'un
traité qui embrassait l'ensemble de la question : La
dissertation du P. Le Courayer sur la succession d-s
évêques anglais et sur la validité de leurs ordinations
réfutée, Paris, 1724. La seconde partie parut l'année
suivante. Il soutient contre Le Courayer que Parker
n'a jamais été consacré dans la chapelle du palais d_'
2045
HARDOUIN — HARNEY
2046
Lambeth et que Barlow qui l'aurait sacré n'a jamais
lui-même reçu l'ordination épiscopale, ce qui infirme
toutes les ordinations faites par eux. Le P. Le Quien,
dominicain, grand ami du P. Hardouin, défendit la
même thèse. Cf. Mémoires de Trévoux, 1724, p. 1393-
1418; 1725, p. 469-495; 1726, p. 989-1030; Journal
des savants, 1725, p. 116-126; 1726, p. 327-335.
Le P. Hardouin mourut le 3 septembre 1729, re-
gretté de tous ceux qui l'avaient connu. Il était l'obli-
geance même, au témoignage de dom Massuet, et l'édi-
fication en personne. « Regardé par les savants comme
un prodige de mémoire et d'érudition, dans le collège
comme un modèle de la plus exacte régularité, occupé
sans cesse au travail, ne connaissant ni plaisir ni récréa-
tion, ne se délassant de son application à l'étude que
par celle qu'il donnait à la prière, » Éloges de quelques
auteurs français (par Philippe Joly, le président Bou-
hier et Michault), Dijon, 1742, p. 428, il a su se faire
pardonner les paradoxes de son esprit trop peu sou-
cieux des jugements d'autrui. Il en porta toutefois
lourdement la peine. En 1709 parut à Amsterdam une
édition de ses œuvres : Joannis Harduini e Societate
Jesu près bij ter i opéra selecla, comprenant les ouvrages
déjà publiés et quelques écrits nouveaux. Le P. Har-
douin avait fait à ses précédents ouvrages d'impor-
tantes retouches que signalait le titre même de l'édi-
tion nouvelle : Opéra selecla emendatiora; mais l'édi-
teur n'en avait nullement tenu compte, comme on le
voit par une Protestation du P. Hardouin contre l'édi-
tion que l'on fait de ses ouvrages à Amsterdam, Paris,
1708, protestation reproduite dans les Mémoires de
Trévoux, août 1708, et renouvelée en septembre,
p. 1660-1664. Les Opéra selecla ne furent pas moins
publiés; ils excitèrent de vives rumeurs et la Compa-
gnie de Jésus fut accusée d'avoir patronné elle-même
cette édition. Les supérieurs furent obligés de protester
à leur tour contre une pareille assertion et obligèrent
le P. Hardouin à désavouer publiquement les théories
qu'il avait autrefois avancées sur l'authenticité d'une
foule d'écrits des Pères de l'Église, d'écrivains ecclé-
siastiques et d'auteurs classiques, théories qui avaient
précisément motivé sa protestation auprès de l'éditeur.
Le P. Hardouin se rétracta en toute humilité et sincé-
rité. Cf. Mémoires de Trévoux, février 1709, p. 163-
167. Ces pièces, publiées séparément, ont été repro-
duites également par Chauffepié dans son Diction-
naire, art. Hardouin. Voir aussi C. Koch, Slrictura
theologica in J. Harduini opéra selecla, Helmstadt,
1710. Les Opéra selecla ont été prohibés par décret de
l'Index, le 13 avril 1739. Divers écrits du P. Hardouin
furent publiés après sa mort sans tenir compte des
corrections faites antérieurement et des rétractations
formulées. Tels sont les Opéra varia, in-fol., Amster-
dam, 1723, qui furent mis à l'Index le 13 avril 1739.
L'ouvrage contenait différents manuscrits inédits, entre
autres Athei dctecli, où les doctrines de Jansénius, du
P. Malebranche, de Thomassin, d'Arnauld, de Nicole
et même de Descartes étaient accusées de conduire à
l'athéisme. L'auteur de cette édition suspecte ne s'est
jamais fait connaître. On a soupçonné l'abbé d'Olivet
d'en être l'auteur et le P. Brumoy déclare avoir à ce
sujet « plus que des conjectures ». Lettre au marquis de
Caumont, 2 janvier 1731. Cf. Mémoires de Trévoux,
juin 1731, p. 1147. Voir aussi Acla eruditorum, 1735,
p. 481-490. Parmi les œuvres posthumes citons encore
le Commentarius in Novum Testamentum, Amsterdam,
1741, mis à l'Index le 28 juillet 1742; le P. Hardouin
émet l'opinion bizarre que le Christ et les apôtres ont
prêché en latin et que Céphas repris par Paul n'était
pas l'apôtre Pierre; Joannis Harduini jesuitas ad censu-
rant scriptorum veicrum prolegomcna, Londres, 1766.
La préface est de M. Bowyer. L'édition semble avoir
été faite par d'Olivet sur un manuscrit de l'auteur.
L'ouvrage fut prohibé à Paris dès son apparition. Huet
a fort bien dit au sujet du P. Hardouin en faisant la part
du feu : a II a travaillé quarante ans à ruiner sa répu-
tation sans pouvoir en venir à bout. » Cf. Mémoires de
Trévoux, 1734, p. 111.
Sommervogel, Bibliothèque de la C" de Jésus, t. iv, col. 84 ;
Fleury, Histoire ecclésiastique, t. xxxm, p. 173 sq. ; Hur-
ter, Nomenclator, 3" édit., Inspruck, 1910, t. iv, col. 794,
1198-1206; Oudin, dans Éloges de quelques auteurs français,
Dijon, 1742, p. 428-469 ; Lambert, Histoire littéraire du règne
de Louis XI V, 1. 1, p. 182 sq. ; Michault, Mélanges historiques
et philologiques, Paris, 1754, t. n, p. 74-77; Dupin, Biblio-
thèque des auteurs ecclésiastiques, Paris, 1711, t. xix.
P. Bernard.
HAREN (Jean de), théologien, né à Valenciennes
vers 1540, mort vers 1620. Fils d'un ministre protes-
tant que ses discours séditieux firent condamner à
mort, il se rendit fort jeune à Genève oii Calvin le
prit en amitié. Il assista à la mort de cet hérétique.
Pendant dix-huit ans Jean de Haren remplit les fonc-
tions de ministre protestant. Converti par les jésuites,
il abjura à Anvers le 3 mars 1586 et s'appliqua dès lors
à prêcher les doctrines catholiques. En 1599, il était
à Nancy et paraît avoir été attaché au service de la
princesse Antoinette de Lorraine qui venait d'épouser
le duc Jean-Guillaume de Juliers. Le 7 mars 1610,
étant à Wessel, il eut le malheur de revenir au calvi-
nisme dont il fit profession publique dans le temple
des Wallons. On a de lui : Brief discours des causes
justes et équitables qui ont meues M. Jean Haren, jadis
ministre, de quitter la religion prétendue réformée, pour
se ranger au giron de l'Église catholique. Récitées publi-
quement au peuple d'Anvers en la grande salle du collège
des Pères de la Société de Jésus, le ix* jour de mars 1586
parle dit Haren. Auquel sont adjoustées certaines deman-
des chrestiennes proposées par ledit Jean Haren à un
certain ministre protestant, louchant les principaux
pointz de la religion catholique, in-12, Anvers, 1587;
le même écrit avait été publié en flamand, in-12, An-
vers, 1586; Treize catéchèses contre Calvin et les calvi-
nistes, in-12, Nancy, 1599; Profession catholique de
Jean Haren, in-12, Nancy, 1599; Épistre et demande
chrestienne de Jean Haren à Ambroise Wille, ministre
des estrangers Wallons relirez en la ville d'Aix-la-Cha-
pelle, in-12, Nancy, 1599.
Valèrc André, Bibliotheca belgica, in-4°, Louvain, 1643,
p. 511; Foppens, Bibliotheca belgica, in-4°, Bruxelles,
1739, t. n, p. 653; Paquot, Mémoires pour servir à l'histoire
littéraire des Pays-Bas, t. iv, p. 186; dom Calmet, Biblio-
thèque lorraine, in-fol., Nancy, 1751, p. 479.
B. Heurtebize.
HARNEY Martin, dominicain belge, naquit à Am-
sterdam le 6 mai 1634, et entra dans l'ordre des prê-
cheurs le 21 novembre 1650. Ses études achevées, il
enseigna tour à tour la philosophie et la théologie à Lou-
vain, puis à Bruxelles. Il se présenta à la licence à l'uni-
versité de Louvain en 1661. Voir ses thèses dans Scrip-
tores ord. prœd., xvm sœc, p. 45. Ce n'est qu'en 1669
qu'il prit le bonnet de docteur dans la même université.
(Ses thèses, ibid.) En 1672, le général de l'ordre,
Thomas de Roccaberti, l'appela à Rome, en qualité
de socius pour les provinces de langue allemande.
Trois ans après (1675), il quitta Rome pour remplir
l'office du premier régent au collège de Louvain. En
1680, puis de nouveau en 1692, il fut élu provincial
pour quatre ans. En 1687, la chaire de théologie
thomiste établie à l'université de Louvain, à la fin du
xvi° siècle, étant devenue vacante, Harney y fut
appelé au mois d'octobre 1687. Il l'occupa jusqu'à sa
mort, qui arriva le 22 avril 1704. En 1661, Pierre de
Alva y Astorga, mineur, avait publié à Anvers son
Nodus indissolabilis oà l'école thomiste se trouvait
2047
HARNEY — HARPHIUS
2( )is
attaquée. Harney répondit d'abord de vive voix en
trois discours prononcés en 1G63 devant l'université
de Louvain, puis par écrit : Epistola apologetica ad
/;. A. 1'- F. Petrum de Alva et Asturga... de secunda
editione (1662) ejus Nodi indissolubilis, et publieatione
libelli, cui tituhim jecit : Cerlum quid..., Bruxelles,
1664. On a aussi de lui : Bidionabilis obedientia catho-
licorum Belgii quod leeticjnem Scripturse sacrse in
lingiia vulgari, Anvers, 1686; c'est la traduction latine
de l'ouvrage écrit en flamand et dirigé contre Antoine
Arnauld. Voir Scriptores ord. prœd., xvni ssec, p. i I.
Comme régent des études au collège de Louvain,
Harney fit soutenir un grand nombre de thèses théolo-
giques, dont la liste se trouve dans les Scriptores ord.
prœd., p. 45 sq.
Coulon, Scriptores ord. prœd., Paris, 1910, fasc. l,p. 42-4S.
R. Coulon.
HARPHIUS est le nom latinisé sous lequel est le
plus ordinairement cité Henri Herp, frère mineur
observant de la province de Cologne. Sbaraglia a voulu
que ce nom fût symbolique et signifiât joueur de harpe,
parce qu'à la fin d'une édition de sa Théologie mystique
il est appelé Citharedus; d'autres ont prétendu qu'il
indiquait son pays d'origine, soit Erp en Brabant, soit
Erps près de Louvain; toutefois comme lui-même s'est
nommé Henri Herp, sur le seul de ses ouvrages imprimé
de son vivant, il semble plus logique d'y voir son nom
de famille. En 1445, on le trouve à Delft, en Hollande,
puis à Gouda, comme recteur et prédicateur très goûté
des « Frères de la vie commune », institués vers la fin
du siècle précédent par Gérard de Groote. Au cours
d'un pèlerinage qu'il fit à Rome en 1450, Herp revêtit
l'habit des frères mineurs au couvent de l'Ara cœli.
Vingt ans plus tard on le retrouve vicaire de la province
des observants de Cologne (1470-1473), et le temps de
sa charge expiré, on l'envoya avec la charge de gardien au
couvent de Malines, où il mourut en 1477. « Le « bon Har-
phius », ainsi l'appelle Bossuet, fut un des mystiques
les plus appréciés au cours du xvie siècle, comme le
prouvent les nombreuses éditions et traductions de ses
ouvrages, mais cette vogue passa vite, car le même
auteur de l'Instruction sur les étals d'oraison ne man-
quait pas de dire : « Qui connaît maintenant Har-
phius ou Rusbroc lui-même ? » 11 avait cependant été
mis par le cardinal Bona au nombre des maîtres les
plus instruits dans la vie spirituelle. Ce n'est donc point,
ainsi que le remarque Bossuet, que la doctrine de ses
livres soit mauvaise, mais à cause des exagérations
dont ils sont remplis et de leur obscurité. C'est ainsi
que l'on explique la condamnation de la Theologia wys-
tica, composée avec ses écrits, dont il nous reste à
parler. Le seul qu'il ait publié lui-même est le Spécu-
lum aureum preceptorum Dei jratris Henrici Herp,
per modum sermonum ad instruclioncm tam confesso-
rum quam prœdicatorum, in-fol., Maycnce, 1474; puis
Nuremberg, 1478 et 1481; Bâle, 1496; Strasbourg
1486, 1520; Heidelberg, 1520. Après sa mort on publia
un autre volume de Sermones de tempore et de sanctis.
de Iribus parlibus pœnitenliœ, de triplici adventu Christi,
in-4°, Nuremberg, 1481; Spire, 1484; Haguenau, 1509.
Les autres ouvrages d'Harphius furent écrits en langue
\ ulgaire et on édita dans cette langue : Dits die groote
en nieuwe spieghel der volcomenheii, in-8°, Anvers,
1501, 1502, 1512; modernisé et réédité parle P. Adrien
de Malines, Dcn spieghel der volmaectheid, in-8°, Lou-
vain, 1551. Cet ouvrage traduit en italien parut d'abord
sous le titre de Libro de la perjectione humana thesoro
elerno sopra tutti altri thesori, in-8°, Venue, 1522, puis
de nouveau, par les soins du P. Benoît Osanna, char
treux de Mantoue, sous celui de Specchio délia perfet-
tione humana, opéra devetissima e necessaria ad ogni
fuit l christiano, in-8°, ibid., 1546. Une traduction latine.
Spéculum perfeclionis, in-8°, avait déjà paru au même
lieu, 152-1 ; il s'en trouve aussi une version allemande du
P. Anselme Holmann. Harphius avait composé le
Miroir de lu perfection pour une pieuse veuve, sa péni-
tente, Mire spirituelle du couvent de Malines, écrit le
P. Dirks; ce qui est en opposition avec le dire de YYad-
ding, qui rapporte (pie notre auteur aurait composé sa
Theologia mystica sur le mont Alverne. Le Spéculum
perfectionis est l'original du Directorium aureum con-
templativorum, ex vulgari teutonico in latinum versum
per Petrum Blomevennam, in-8°, Cologne, 1513; le tra-
ducteur, chartreux de Leyde, ajouta d'autres opus-
cules : Accedunt ejusdem Herp Colluliones très pro
cupientibus ad christianœ religionis normam peroenire.
Traclatulus de effusione cordis. Modus legendi rosarium
Virginis Marias. Remédia contra distraction.es. On en
trouve aussi une édition d'Anvers, 1513, et une de
Paris, s. d. Le P. Blomevenna revit et améliora sa tra-
duction et la republia, Cologne, 1527; Anvers, 1586;
une édition incomplète, Cologne, 1604. Le Directoire d, s
contemplatifs parut à Paris, 1549-1552 et depuis. En
1538, le P. Bruno Loher, procureur de la chartreuse de
Cologne, recueillit en un seul volume les divers traites
mystiques, imprimés ou inédits du P. Herp et les publia
sous ce titre : Theologiœ myslicie D. Henrici Harplui
theologi erudiliss. juxta ac rerum divinarum contem-
l)latoris profundissimi, cum speculativœ, tum adfectivœ,
quœ non tantum lectione juvatur, quam animi puritate,
exercilioque obtinetur amoris, libri 1res, in-fol., Cologne,
1538, 1545; la 3e édition revue et corrigée, ibid., 155(5,
fut dédiée par le traducteur Celcberrimo Palri ac
domino D. Ignalio, instituteur de la Compagnie de
Jésus. La théologie mystique fut insérée dans les
Appendices de l'Index publié par le concile de Trente,
si elle n'était conforme à l'édition corrigée de Rome.
1586. Elle reparut ainsi expurgée à Brescia, 1601 ;
Cologne, 1604, 1611, 1645, et fut traduite en français
par le P. Jean de Machault, jésuite, qui la publia sous,
le nom du sieur de La Motte Romancourt, in-4°, Paris,
1G17. Cet ouvrage est divisé en trois livres : le Ier, inti-
tulé : Epithalamium, est une explication du Cantique;,
le IIe n'est autre que le Directorium contemplativorum.
qui dans les éditions autorisées est précédé d'une intro-
duction du dominicain Pierre-Paul Philippi; le IIIe ;t
pour titre : Eden, hoc est paradisus contemplativorum^
et renferme cinq opuscules différents, dont un, \'Ex-
planalio succincta et perspicua novem rupium, per
novem verse salutis et abnegationis suiipsius gradus, fut
réédité par Surius, Cologne, 1615, comme commen-
taire au traité des neuf rochers, attribué au B. Henri
Suso, mais qui appartient à Kulman Merswin, un des
membres du groupe de mystiques allemands du
xive siècle, connus sous le nom d'Amis de Dieu, GcL-
tesfreunde. En 1598 parut à Paris un Index expurgu-
torius theologiœ mijslicœ ad exemplar eorumdem libn>-
rum Romœ impressorum, colleclus opéra carihusiaiia
fomiliœ, in-8°. Quoique le chapitre général des frères
mineurs, réuni à Tolède en 1633, eût ordonné que dans
chaque couvent on fît des conférences de théologie
mystique, en prenant Harphius comme auteur, ses
écrits, comme ceux de Ruysbroecke, son maître, bien
qu'ils « ne soient méprisables », au dire de Bossuet.
furent abandonnés et « ils demeurent presque inconnus
dans des coins de bibliothèques. »
Wadding, Sbaraglia, Scriptores ordinis minorant. Rome,
1806; la nouvelle édition, ibid., 1908, renferme de plus
exactes indications bibliographiques; Antoine Possevin,
S. J., dans son Apparatus sacer, Venise, 1603, t. i, p. 72S,
fait un bel éloge d'Harphius, reproduit par Wadding;
Moréri, Dictionnaire historique, à Henri Harphius, où il cite
longuement Poiret, Lettre sur les auteurs mystiques; P. Ser-
vais Dirks, Histoire littéraire et bibliographique des frères
mineurs de V 'observance en Belgique, Anvers, 1885, p. 7-1 1 :
Kirehenïexikon, t. v, col. 1707; Biographie national
Belgique, t. îx, p. 278-284; P. Patrice SchUiyer, Beitràg,
2049
HARPHIUS — HASARD
2050
sur Geschlchte der kôlnischen Franziskaner Ordensprovinz,
Cologne, 1904; Zum Leben des Franziskaners 11. Harp, dans
Der Katholik, Maycnce, 1905, t. il, p. 46; Blùltcnlese aus
den Werken rheinischer Franziskaner, Aix-la-Chapelle, 1907;
Hurter, Nomenclator, Inspruck, 1906, t. Il, col. 1086-
1087.
P. Edouard d'Alcnçon.
HARPSFIELD Nicolas, théologien catholique, né
à Londres vers 1519, mort en cette ville le 18 décembre
1575, appartenait à une vieille famille qui se fit remar-
quer par sa courageuse fidélité à l'Église romaine. Ses
premières études terminées à Winchester, il alla à
l'université d'Oxford. Ayant pris ses grades, et étant
entré dans les ordres, il devint en 1544 principal de
White Hall, et deux ans plus tard fut nommé par
Henri VIII professeur de grec. Exilé sous Edouard VI,
il rentra en Angleterre sous la reine Marie et fut choisi
pour archidiacre, puis doyen de Cantorbéry. Après
l'avènement d'Elisabeth, le docteur Nicolas Harps-
field fut un des théologiens chargés de défendre la
doctrine catholique dans une conférence avec les pro-
testants ordonnée par la reine. Il le fit avec force et
courage. Aussi peu de temps après fut-il jeté à la Tour
de Londres pour avoir refusé de reconnaître la supré-
matie spirituelle du souverain. Il mourut en prison
laissant divers écrits presque tous composés pour la
défense de la religion catholique. Ont été imprimés :
Supputatio temporum a diluvio ad annum 1559, Londre ~,
1560, ouvrage en vers latins; Sex dialogi contra summi
pontiflcatus, monasticse vitse, sanctorum et sacrarum ima-
ginum oppugnatores et pseudomartyres, in quibus magde-
burgensium, auctorum anglicanse apologiœ, pseudo-
martgrologorum nostri temporis, maxime vero Jonnnis
Foxii mendacia dcteguntur, in-4°, Anvers, 1566 et
1573 : ouvrage publié par les soins du docteur Alain
Copus pendant que son auteur était emprisonné à la
Tour de Londres ; A treatise on the pretcnded divorce
bctween Henry VIII and Catharine of Arragon, by
Nicholas Harpsfield, LL. D., now first printedfroma
collation of four mss., by Nicholas Pocock, M. A., laïc
Michael Fellow of Quccn's collège, Oxford, in-4°,
Camden Society, 1878. Il composa aussi une His-
toria anglicana ecclcsiastica, publiée par Gibbons,
Douai, 1662.
Dtctionary of national biographg, t. xxiv, p. 431-432;
J. Gillow, Bibliographical dictionary of the English cailio-
lics, in-8°, Londres, t. m, p. 134 sq.; Hurter, Nomenclator,
1907, t. m, col. 108.
B. Heurtebize.
HARSCHER Jean, controversiste allemand, né à
Radolfzel, dans le duché de Bade, en 1603, entra au
noviciat de la Compagnie de Jésus en 1621. Professeur
de littérature et de philosophie, puis de controverse, il
publia sur les sources de la doctrine protestante une
série d'études critiques et historiques, fruit d'un im-
mense labeur : Parallela cvangelicorum trium priorum
sseculorum quibus ad fontes suos referunlur dogmata
luthcrana et calviniana, Fribourg, 1 645 ; Parallela cvan-
gelicorum quarli et quinti sœculi, ibid., 1645; Parallela
cvangelicorum sexti et septimi sœculi, ibid., 1645. Chris-
tophe Luthard publia a Berne en 1646, sous le voile
de l'anonymat, une Parallelorum cvangelicorum casti-
gatio, que le P. Harscher réfuta dans un savant traité
que la mort ne lui permit pas de publier. Jacques
Schûler, doyen de la collégiale de Saint-Nicolas à Lau-
sanne, le remplaça dans la lutte et défendit ses posi-
tions dans V Hercules catholicus, in-4°, Fribourg, 1651.
Georg, dans V Allgemeines Bilcher-Lexicon, au nom de
J. Harscher, cite encore du même auteur : Catholische
Glaubens-Artikel, in-8°, Dillingen, 1697 ; Catcchismus
SS. Patrum, Augsbourg, 1697, L'authenticité de ces
deux ouvrages reste douteuse. Le P. Harscher mourut
à Fribourg-en-Brisgau le 22 octobre 1650.
DICT. DE TnÉOL. CATHOL.
Sommervogel, Bibliothèque de la C"e de Jésus, t. iv,
col. 117 sq.; von Heller, Bibliotheca heluetica, t. ni, p. 178;
Hurter, Nomenclator, 3e édit., Inspruck, 1907, t. m, col. 1022.
P. Bernard.
HARTZHEIM Joseph, jésuite allemand, né à Co-
logne le 11 janvier 1694, admis au noviciat le 3 mai
1712. Après avoir enseigné les humanités à Luxem-
bourg, où il se distingua par ses poésies françaises et
latines, cf. Patrum S. J. ad Rhenum infer. poemata du
P. Fr. Reifïenberg, Cologne, 1758, t. iv, p. 167 sq.,
il fut chargé de la chaire de langues orientales à
Milan. De retour dans sa patrie, il enseigna la phi-
losophie, puis la théologie à Cologne, tout en se
livrant aux savantes recherches d'archéologie, de nu-
mismatique et d'histoire qui devaient illustrer les ori-
gines de la ville et du diocèse de Cologne. Ses trois dis-
sertations historique, canonique et critique se trouvent
consignées dans le De inilio metropoleos ecclesiasticœ
Colonise Claudise Augustse Agrippinensium, Cologne,
1731 et 1732, et dans YHistoria rei nummariœ Colonien-
sis, ibid., 1754. Cf. Mémoires de Trévoux, 1733, p. 1507-
1534; Acta eruditorum, 1757, p. 193-201. De ses études
théologiques, le P. Hartzheim ne publia que des frag-
ments sans lien commun, sous forme de thèses : De
jure naturse et gentium ex hisloria sacra Veteris et Novi
Testamenti, Cologne, 1742; Theologia naturalis ex
S. Jobi régis et prophétie libro explicata, ibid., 1745, etc.
Tout l'effort de son labeur portait désormais sur le
recueil et la discussion des textes des conciles tenus à
Cologne. De son côté, Fr. Schannat s'était livré à de
patientes recherches sur les textes conciliaires de la
Germanie et personne après sa mort ne se trouvait en
état d'achever et de publier ce long et minutieux tra-
vail. Le chanoine Jean Moritz prit sur lui les frais
de l'édition, et le P. Hartzheim fut chargé de mettre
en ordre les documents, de les compléter et d'en faire
la critique. En 1758, cet immense travail était assez
avancé pour qu'il pût tracer le programme détaillé et
précis d'une édition des conciles germaniques : Pro-
gramma de edenda collectione conciliorum Germanise,
Cologne, 1758. L'année suivante parut le Ier volume de
cette collection où les premiers matériaux recueillis
par Frédéric Schannat et enrichis par Hartzheim non
seulement de nombreux textes inédits, mais de notes
et de commentaires qui attestent la main d'un maître,
n'entraient plus que pour une part secondaire. Il n'est
pas étonnant que le nom seul de Hartzheim reste atta-
ché à la savante collection des Concilia Germanise. Le
Ier volume comprend les premiers conciles jusqu'à
l'an 716; le ne va de 716 à 1000; le m°, de 1000 à
1290; le ive, de 1290 à 1300; le v*, de 1300 à 1500. Ils
parurent à peu près régulièrement de 1759 à 1763.
Hartzheim ne put achever son œuvre : il mourut le
17 janvier 1763, laissant au compagnon de ses travaux,
le P. Hermann Scholl, le soin de poursuivre cette tâche
écrasante. Les trois volumes suivants furent édités par
lui; ils comprennent les conciles du xve siècle et ceux
du xvie jusqu'en 1590. Les t. ix et x, de 1610 à 1747,
sont l'œuvre du P. Neissen. La table des matières et
de riches index sont dus au P. S. Hesselmann. Cf. Acta
eruditorum, 1759, p. 227-234; 1760, p. 97-101; 1762,
p. 441-457, 561-591; 1753, p. 41-51. La collection des-
conciles de la Germanie a été continuée par Binterim
Sommervogel, Bibliothèque de la Cie de Jésus, t. IV,
col. 125-132; Hurter, Nomenclator, 3e édit., Inspruck,
1910, t. iv, col. 1517-1520; Concilia Germaniv, t. v, p. i-xx ;
Notice sur le P. Hartzheim par le P. Hermann Scholl.
Tiibinger Quartalschrift, 1849, p. 331 sq.; 1844, p. 493 sq.
P. Bernard.
HASARD. — I. Mot. II. Définition. III. Hasard et
causalité. IV. Réduction du hasard.
I. Mot. — Français, hasard; bourguignon, asar;
provençal, espagnol et portugais, azar; italien, la zara,
VI — 65
2051
HASARD
2052
azzardo. L'étymologic du mot est incertaine. Littré,
Dictionnaire de la langue française, Paris, 1874, t. il,
p. 1088, dit que «beaucoup d'étymologies ont été
proposées, toutes dénuées de preuves ; la plus plausible
est celle de M. Mann : arabe sehar et sâr, dé, et avec
l'article al, assahar, assar. Mais en l'absence de tout
renseignement, il n'y a aucune raison pour rejeter
l'opinion de Guillaume de Tyr..., à savoir que le hasard
est une sorte de jeu de dés, et que ce jeu fut trouvé
pendant le siège d'un château de Syrie nommé Hasart,
et prit le nom de cette localité. On remarquera que
Guillaume de Tyr est du temps des croisades et a vécu
dans les lieux où elles se sont faites; on remarquera
en outre que, primitivement, hasard signifie non pas
dé en général, ce à quoi s'appliquerait l'étymologie
de M. Malin, mais un certain jeu de dés qui put mieux
recevoir une dénomination accidentelle qu'une déno-
mination générale. Dans tous les cas, on voit par
l'historique que le sens primitif de hasard est un certain
jeu de dés, de sorte que c'est le hasard jeu de dés qui a
dénommé le hasard, chance, événement fortuit, et non
l'événement fortuit qui a dénommé les jeux qui se
jouent sans calcul. »
Dans la langue grecque, le hasard fut d'abord désigné
par deux mots qui eurent la même signification tuyï]
et aÙToiiocTov. Mais « le premier, qui était le plus usité
dans la langue commune, ne tarda pas à se modifier.
11 fut presque tout de suite, comme tous les mots qui
intéressent la destinée humaine, accompagné de deux
qualificatifs qui se placent comme aux deux pôles de
la vie de l'homme : heureux ou malheureux. » H. Pié-
ron, Essai sur le hasard : la psychologie d'un concept,
dans la Revue de métaphysique et de morale, t. x, p. 68.
Et enfin, la tendance optimiste des Grecs le fixa dans
un sens tellement précis et tellement exclusif qu'il ne
signifia plus que la bonne fortune. On en trouverait
une preuve excellente dans ce fait que la déesse T-jy/i,
qui n'est que la forme déifiée du concept, représente sur-
tout, et on peut dire uniquement, la Bonne Fortune.
Quant au terme de ajTO|j.aTov, il ne sortit pour ainsi dire
pas du vocabulaire philosophique, qui le protégeait
contre les déformations populaires : il « continua de
signifier le hasard dans toute son indifférence. »
H. Piéron, loc. cit., p. 68.
Le latin possède aussi deux mots, casus et fortuna,
qui correspondent assez exactement aux mots grecs
otÙToij.aTov et tj/7]. On retrouve dans les deux langues à
peu près la même différence. La tj/jo des Grecs et la
fortuna des Latins n'avaient qu'une application
restreinte : on ne les employait que dans les choses
humaines et là où la volonté libre a sa part ; fortuna non
est nisi in his quse voluntaric agunl; indc est quod neque
inanimatum neque puer neque beslia, cum non ayant
voluntarie quasi liberum arbitrium non habentes, agunt
a fortuna. S. Thomas, Phys., 1. X, lect. x. On peut
remarquer du reste que, dans la langue latine par
exemple, le mot fortuna et le qualificatif fortunatus
sont restés très fidèles à cette signification. On dit :
audaces fortuna juvat et o fortunalos nimium; on les
appliquerait moins bien à des objets inanimés. Le
hasard, désigné en grec par aÙTo;j.a-:ov et en latin par
casus, s'étendait même aux choses naturelles. Son do-
maine était clone beaucoup plus vaste que celui de la
fortune; Aristote le considérait comme un genre dont
la fortune ne serait qu'une espèce : casus est in plus
quam fortuna, quia omne quod est a fortuna est a casu,
sed non convertitur. S. Thomas, loc. cit.
II. Définition. — Le hasard peut se définir une
rencontre, utile pour nous ou intéressante, de deux
causes ou de deux séries de causes indépendantes. Il y
a donc trois idées qui entrent dans la définition du
hasard.
1° La première est celle de l'indépendance des
causes, qui est le fondement même ou la base de la défi-
nition. « Il faut, pour bien s'entendre, dit A. Cournot,
s'attacher exclusivement à ce qu'il y a de fondamental
et de catégorique dans la notion du hasard, savoir, à
l'idée de l'indépendance ou de la non-solidarité entre
diverses séries de causes. » Essai sur les fondements
de nos connaissances, Paris, 1851, t. i, p. 56. On trouve,
en effet, des causes ou des séries de causes qui sont
solidaires ou qui s'influencent les unes les autres :
on ne dira point que l'effet qui résulte de cette solida-
rité ou de cette influence réciproque soit un effet du
hasard. Mais il y a des causes ou des séries de causes
indépendantes, « c'est-à-dire qui se développent paral-
lèlement ou consécutivement, sans avoir les unes sur
les autres la moindre influence. » A. Cournot, loc. cit.,
p. 59. Ainsi un fossoyeur, en creusant la terre, trouve
un trésor : ulpote si fossurse sepulcri adjungalur per
accidens invenlio thesauri. S, Thomas, loc. cit., lect. vin.
Une telle trouvaille est un résultat du hasard, parce
qu'elle provient de deux causes qui sont totalement
indépendantes l'une de l'autre : il n'y a, en effet,
aucune liaison entre les causes qui ont amené l'avare
à cacher là son trésor et celles qui ont amené le fos-
soyeur à creuser la terre justement à l'endroit où
l'avare avait enseveli ses richesses. Cournot donne cet
exemple contraire. Un homme, surpris par l'orage, se
réfugie sous un arbre isolé et y est frappé de la foudre.
Cet accident n'est pas purement fortuit; car la phy-
sique nous apprend que le fluide électrique a une
tendance à se décharger sur les cimes des arbres comme
sur toutes les pointes. Il y avait donc une raison pour
que l'homme, ignorant des principes de la physique,
courût à l'arbre isolé comme à un abri, et il y en avait
une autre, tirée aussi de la forme de l'arbre et de son
isolement, pour que la foudre vînt le chercher préci-
sément à cette place. Au contraire, si l'homme avait
été frappé au milieu d'une prairie ou d'une forêt,
l'événement serait fortuit, parce qu'il n'y aurait aucune
liaison entre les causes qui l'ont amené sur le lieu de
l'accident et celles qui font que la foudre s'y rencontre
en même temps que lui.
2° Mais l'idée de l'indépendance des causes n'épuise
pas toute la définition du hasard; et tout en étant « ce
qu'il y a de fondamental et de catégorique » dans cette
définition, elle n'en est cependant, si l'on peut ainsi
dire, que l'élément négatif. Il y a quelque chose de
réel et de positif dans le hasard : c'est le concours ou la-
rencontre des causes indépendantes. « Pour moi, dit
Jean La Placette, je suis persuadé que le hasard ren-
ferme quelque chose de réel et de positif, un concours
de deux ou plusieurs événements contingents, chacun
desquels a ses causes, mais en sorte que leur concours
n'en a aucune que l'on connaisse. Je suis fort trompé,
si ce n'est là ce qu'on entend lorsqu'on parle du
hasard. » Traite des jeux de hasard, La Haye, 1714,
Préface, p. iv. « Deux séries de faits absolument indé-
pendants l'un de l'autre, dit P. Janet, sont arrivées
à coïncider l'une avec l'autre et à tomber d'accord,
sans aucune influence respective. Ce genre de coïn-
cidence est ce que l'on appelle le hasard.... Le hasard
est la rencontre des causes; il est un rapport tout
extérieur, mais qui n'en est pas moins réel entre des
phénomènes indépendants. » Les causes finales, Paris,
1876, p. 25. Voir également S. François de Sales, Traité
de l'amour de Dieu, 1. II, c. m, Œuvres complètes, Paris,
1839, t. iv, p. 218: «Ces cas fortuits se font par la
concurrence de plusieurs causes, lesquelles n'ayant
point de naturelle alliance les unes aux autres, pro-
duisent une chacune son effet particulier, en telle sorte
néanmoins que de leur rencontre réussit un autre effet
d'autre nature, auquel, sans qu'on l'ait pu prévoir,
toutes ces causes différentes ont contribué. » L'histoire
des sciences confirme cette définition du hasard.
2053
HASARD
2054
M. Mentré, Rôle du hasard dans les inventions et décou-
vertes, dans la Revue de philosophie, t. i, p. 433, donne
quelques exemples qui ne laissent aucun doute à ce
sujet. « La grenouille anatomisée de Galvani, dit-il,
se trouve au voisinage d'une machine électrique qui
fonctionne, la pile d'Œrsted non loin d'une aiguille
aimantée, la cuiller de Daguerre sur une plaque iodu-
rée; le mécanicien Patterston touche un robinet au
moment où il reçoit un jet de vapeur : deux faits sont
toujours en présence (deux machines, deux actes, un
acte et un fait mécanique, etc.)- Le fait nouveau jaillit
de l'interférence de deux séries de faits jusque-là isolés.
Celte conjonction synchronique de deux séries diver-
gentes est la définition du hasard qui sort le plus natu-
rellement de ces exemples empruntés aux annales
scientifiques et industrielles de l'humanité. » On pour-
rait ajouter que l'usage courant du mot, soit dans la
conversation, soit dans la littérature, est conforme
à sa définition philosophique et scientifique. Ainsi
La Fontaine, Fables, édit. Jannet, Paris, 1868, t. n,
dit en pariant de deux chèvres qu'elles
Quittèrent les bas prés chacune de sa part :
L'une vers l'autre allait par quelque bon hasard.
Et X. de Maistre écrit à la vicomtesse de Marcellus
le 30 avril 1846 : « Nos lettres se sont croisées.., et
j'aime à voir un peu de sympathie dans ce hasard qui
nous a fait rompre le silence en même temps. »
3° Enfin, s'il est évident que nous trouvons toujours,
dans un événement fortuit, une rencontre de deux
causes ou de deux séries de causes indépendantes, il
ne s'ensuit pas pour cela que toute rencontre de deux
causes ou de deux séries de causes indépendantes
constitue un événement fortuit. « Dirai-je qu'il y a
hasard, en passant près d'un lac où se trouve un
bateau? Il y a pourtant là rencontre de séries indé-
pendantes de phénomènes 1 Mais, que j'aie eu à ce
moment le vif désir de me promener en bateau, et je
déclarerai qu'il y eut là un heureux hasard tout à fait
extraordinaire. Attribuera-t-on au hasard le passage
d'un chien sur votre route, rencontre imprévue cepen-
dant? Évidemment non. Mais un bicycliste qui, voulant
éviter une voiture, rencontrera un chien, à ce moment,
qui le fera tomber, maudira le malencontreux hasard,
qui plaça le chien sur sa route. » H. Piéron, loc. cit.,
p. 688. Aussi le hasard ne se définit en fin de compte
que par rapport à nous; et on ne reproche justement à
Cournot, qui a si bien vu tout le reste, que d'avoir
négligé ce dernier élément : « sa notion de l'accidentel,
dit Tarde, est insuffisante, parce qu'il a prétendu la
définir en termes exclusivement objectifs, et en expul-
ser un élément subjectif qui lui est essentiellement
inhérent. » La philosophie sociale de Cournot, dans le
Bulletin de la Société française de philosophie, août 1903,
p. 211. Une définition purement objective ne peut
être, en effet, qu'une définition incomplète. Elle ne
nous donne, si l'on peut ainsi parler, que la matière du
hasard : c'est notre intérêt ou notre utilité qui impose
à cette matière sa véritable forme; et voilà pourquoi, si
ce n'est pas nous sans doute qui créons le hasard, il
n'en est pas moins vrai que le hasard n'existe que
pour nous. Il suit de là qu'il n'y a point de hasard pur.
et que le hasard n'est ni illimité ni invariable : c'est
nous qui définissons finalement son existence et son
extension; nous pouvons aussi déplacer ou restreindre
les limites que nous lui avons d'abord assignées.
III. Hasard et causalité. — Si complète qu'elle
soit, la définition du hasard ne sufiit pas encore à
1 expliquer : elle ne nous donne que les éléments dont
il se compose. Mais un être, qui n'est pas son principe
à lui-même, est le produit de deux autres principes,
Une cause efficiente et une cause finale, dont il tient
tout ce qu'il est : il commence d'être en recevant
l'impulsion du premier, il achève d'être en recevant du
second son accomplissement ou sa fin; et on ne peut
véritablement le mesurer dans toute son étendue que
par le moyen de ces deux principes qui sont, l'un du
côté du passé, l'autre du côté de l'avenir, la double
limite de son existence. Si cela est vrai de tout être,
cela l'est peut-être un peu moins du hasard; et on
s'aperçoit tout de suite qu'il échappe comme de lui-
même à cette seconde épreuve à laquelle on voudrait le
soumettre : les deux principes extrinsèques, dont on
croyait obtenir une définition plus exacte et plus sûre,
se dérobent à toute investigation. La raison de cet
insuccès n'est pas difficile à fournir. Nous avons vu,
en effet, que le hasard ne peut être produit que par la
rencontre de deux causes ou de deux séries de causes
indépendantes. Si on prend les causes ou les séries
séparément, on ne peut pas dire qu'elles le contiennent;
on ne trouverait en elles ni sa causalité efficiente ni sa
causalité finale : il n'arrive au contraire que par un mé-
lange des deux causalités distinctes qu'elles exercent,
s'il s'agit de la causalité efficiente, et par la substitu-
tion d'une fin étrangère à celle qu'elles poursuivent,
s'il s'agit de la causalité finale. C'est ainsi qu'on
chercherait vainement les deux principes extrinsèques
du hasard dans les causes ou les séries dont il provient :
non seulement on ne lui découvre aucune liaison ellec-
tive avec elles, mais il apparaît plutôt comme une
espèce de contradiction de tout ce que l'on peut at-
tendre d'elles. Il est facile de s'en rendre compte par
un exemple. Quand un créancier va sur la place pu-
blique, et y trouve un de ses débiteurs, qui lui paie
sa dette, la rencontre n'est fortuite qu'à une condition :
c'est que le créancier n'ait point prévu qu'en allant
sur la place publique, il y rencontrerait son débiteur, et
que celui-ci, de son côté, ait été dans la même igno-
rance : sicut si duo servi alicujus domini mittanlur ab eo
ad eumdem locum, uno de altero ignorante, concursus
duorum servorum, si ad ipsos servos referatur, casualis
est, quia accidit prœter utriusque inlenlionem. S. Tho-
mas, Sum. theol., I", q. cxvi, a. 1. Le créancier et le
débiteur se sont l'un et l'autre librement et volontaire-
ment rendus sur la place publique; mais leur rencontre
n était contenue d'aucune manière ni dans la démarche
du créancier ni dans celle du débiteur : celles-ci, prises
séparément, n'auraient pas obtenu un tel effet, et elles
avaient un autre but. Les faits de hasard, dit à ce sujet
M. G. Milhaud, Le hasard chez Aristole et chez Cournot.
dans la Revue de métaphysique et de morale, t. x, p. 669,
« qui se présentent au terme d'une suite de phéno-
mènes ou d'actions, comme s'ils en avaient été la
raison, et en avaient commandé l'enchaînement, se
produisent en dehors de la série sans y être rattachés
par un lien effectif; ils ne font pas partie de la chaîne
qu'ils auraient expliquée s'ils en avaient été un élément
interne; ils y sont étrangers en réalité. »
Ainsi le hasard se ramène, en somme, à l'accident.
L'accident, en général, c'est ce qui arrive aux choses
indépendamment de leur essence; il n'appartient de
soi-même à rien, et aucune chose ne le tient d'elle-
même; dans le sujet où il se trouve, il n'est ni partie
essentielle ni propriété constitutive; il advient tout
simplement à ce sujet; il marche avec lui, à côté de
lui, selon l'expression grecque, to ov xa-rà <iu[j.6s6t]xo;,
il tombe sur lui, selon l'expression latine, accidit;
Albert le Grand l'appelle une chute de l'être, une sorte
d'être diminué, et qui n'a point d'existence réelle :
id quod casus est entis, eo quod cadit a principiis entitatis,
dicitur per accidens esse secundum suum nomen. Meta-
phys., 1. VI, tr. II, c. i. C'est tout ce que l'on veut dire
quand on dit que le hasard n'est qu'un accident. On
veut dire que le hasard n'est qu'un être diminué ;
c'est un être qui n'est pas compris de soi dans les deux
causes ou dans les deux séries de causes par la ren-
2055
HASARD
2056
contre desquelles il est produit; mai:» il leur est tout à
fait extérieur ou étranger, il n'a pas plus de réalité
que cette rencontre ne lui en donne, et il cessera d'être
avec la rencontre même dont il est sorti.
De là, trois conséquences. — 1. Le hasard n'est pas
nécessaire : casus enim non contingit nisi in possibilibus
aliter se habcre; quse enim sunt ex necessitate..., non
dicimus esse a casu. S. Thomas, Cont. génies, 1. II,
c. xxxix. Il ne faut, en effet, jamais oublier que les
deux causes ou les deux série de causes, dont la ren-
contre accidentelle constitua \e hasard, sont naturel-
lement indépendantes l'une de l'autre. Le vrai prin-
cipe qui gouverne ces deux causes ou ces deux séries
de causes, c'est qu'elles agissent parallèlement ou
consécutivement, puisqu'elles sont indépendantes; et
les seuls elïets nécessaires qui résultent de chacune
d'elles, ce sont précisément ceux qu'elles produisent
dans leur action parallèle ou consécutive, sans dévier,
si l'on peut ainsi dire, de leur ligne de causalité. Mais
il est évident qu'un effet, qui ne peut résulter que du
concours de deux causes dont la nature est d'agir
parallèlement ou consécutivement, ne peut pas être
nécessairement produit par elles; et voilà justement
pourquoi l'idée de hasard paraît être aussi opposée
à l'idée de nécessité qu'à l'idée de providence. On est
trop disposé à croire, en général, qu'il n'y a pas de
milieu entre le hasard et la finalité : c'est là que se
trouve, au contraire, le nœud et la difficulté du pro-
blème; et on n'a point prouvé, par exemple, que le
monde est l'œuvre d'une finalité supérieure parpe
qu'il n'est point le produit du hasard; car il faudrait
avoir prouvé qu'il ne peut pas être celui de la nécessité.
— 2. Pour la même raison, le hasard n'est pas fréquent :
ea quse sunt a casu, non sunt semper, neque etiam ut
fréquenter, S. Thomas, De cœlo, n, 7 ; quod est a fortuna,
neque est necessarium, neque est sicut /requenter, sed
accidit ut in paucioribus. Analyt., I, 42. On ne croira
pas sans doute qu'il faille attribuer au hasard tous les
phénomènes qui ne se reproduisent pas souvent :
« le miracle est un phénomène rare, et cependant il
n'est pas le fruit du hasard. » De Régnon, Métaphysique
des causes, Paris, 1886, p. 531. Ce n'est pas, en effet,
parce qu'un phénomène est rare qu'il doit être attribué
au hasard. Au contraire, un phénomène est rare
parce qu'il est le produit du hasard, c'est-à-dire
parce qu'il est le résultat du concours de deux
causes ou de deux séries de causes dont l'action
est naturellement, et, par le fait même, ordinai-
rement parallèle ou consécutive l'une à l'autre.
Puisque les deux causes ou les deux séries de causes
sont indépendantes, elles ne peuvent pas, en effet, se
rencontrer souvent. Si elles se rencontrent souvent,
il est évident que « les dés sont pipés », comme disait
l'abbé Galiani, et qu'il y a, derrière ces deux causes ou
ces deux séries de causes qui paraissent et qui sont
peut-être, en effet, naturellement indépendantes, un
fripon qui se fait un jeu de les réunir et par consé-
quent de nous attraper. « Plus les coïncidences sont
fréquentes, plus les éléments composants sont nom-
breux, plus notre étonnement augmente, et moins nous
sommes satisfaits de voir expliquer les coïncidences
par le hasard. Si, par exemple, en passant dans une
rue, je vois une pierre se détacher et tomber à côté de
moi, je ne m'en étonnerai pas; et le phénomène s'expli-
quera suffisamment à mes yeux par la loi de la chute
des corps, loi dont l'effet s'est rencontré ici avec
l'effet d'une loi psychologique, qui m'a fait passer là.
Mais si tous les jours, à la même heure, le même phéno-
mène se reproduit, ou si, dans un même moment, il a
lieu à la fois de différents côtés, si des pierres sont
ées contre moi dans plusieurs directions diffé-
rentes, je ne me contenterai plus de dire que les pierres
tombent en vertu des lois de la pesanteur; mais je
chercherai quelque autre cause pour expliquer la
rencontre des chutes. » P. Janet, op. cit., p. 27. La
répétition ou la multiplicité des coïncidences devient
elle-même un phénomène nouveau dont on ne peut pas
logiquement se dispenser de chercher la cause. — ■
3. Le hasard est imprévisible : il consiste dans une
rencontre de deux causes ou de deux séries que rien,
à considérer isolément chacune des deux causes ou des
deux séries, ne pouvait faire prévoir. « Le déroulement
individuel de chaque chaîne, prise à part, ne compor-
tait pas l'événement survenu fortuitement. Cette
rencontre est un fait véritablement nouveau, d'où
naissent des séries nouvelles, et qui paraît presque créé
ex nihilo, puisqu'il n'était contenu dans aucune des
séries qui lui ont donné naissance et qu'aucune ana-
lyse ne pouvait faire prévoir cette synthèse. » H. Pié-
ron, op. cit., p. 686. On ne pourrait donc pas calculer
le hasard d'une manière directe et simple, c'est-à-dire
par la seule considération des séries prises en elles-
mêmes; mais on est obligé de recourir à un procédé
indirect et complexe, qui consiste à établir le calcul
tout à la fois sur le nombre des rencontres possibles et
sur le nombre des rencontres réelles : le hasard ou la
probabilité est figuré par une fraction dont le numé-
rateur est le nombre des cas favorables et dont le
dénominateur est le nombre de tous les cas possibles :
" la probabilité, dit Laplace, est le rapport du nombre
des cas favorables à celui des cas possibles. » Théorie
analytique des probabilités, 3e édit., Paris, 1820, p. vu.
C'est ce qui fait la différence essentielle des lois natu-
relles et des lois dites du hasard ou lois des probabilités :
les lois naturelles permettent de prévoir un effet déter-
miné; les lois du hasard n'énoncent qu'un «résultat
global relatif à un assez grand nombre de phénomènes
analogues. » E. Borel, Le hasard, Paris, 1914, p. 8.
IV. Réduction du hasard. — Le hasard étant ce
qu'il est, nous n'avons pas encore le dernier mot de
l'explication qu'il comporte. Une première définition
n'avait pu nous donner que les éléments dont il se
compose; elle tenait peut-être assez bien son objet,
mais d'une manière incomplète ou insuffisante, et il
fallait tâcher d'obtenir par le moyen des deux prin-
cipes extrinsèques une notion plus précise et plus sûre.
La question, en s'ouvrant ainsi sur ses deux termes
extrêmes, paraissait se poser d'une façon définitive;
et voici, de nouveau, qu'elle se reporte comme d'elle-
même un peu plus loin : il ne semble pas, en effet, que
l'on puisse se soustraire à ce dernier essai d'explication.
Ceux qui s'y refusent ont-ils perçu, d'une manière
trop évidente et trop sensible, qu'en quittant la série
des causes naturelles comme débiles et impuissantes,
ils s'en allaient d'eux-mêmes, par un mouvement irré-
sistible, à une autre cause, d'ordre métaphysique, à
la fois plus haute et plus profonde, et la seule que peut-
être ils voulussent éviter? Bossuet et Bourdaloue ont
souvent fait cette remarque que les libertins du xvii8
siècle, trop irrités par la liaison de la morale et du
dogme, mettaient volontiers le dogme en discussion, et,
afin de se dérober plus facilement à ses conclusions
pratiques, aimaient à y chercher des difficultés, et à
ne pas savoir ce qui les résout. Trouverait-on par
hasard aujourd'hui des hommes qui, par un véritable
accroissement de ce vice de l'esprit, dans un ordre plus
purement et plus exclusivement spéculatif, oseraient
pousser le sophisme jusqu'à dissocier les vérités que
la nature a cependant voulu qui fussent le plus étroite-
ment unies entre elles? Mais c'est la logique qui com-
mande ici; quelque effort qu'ils fassent pour échapper
à la rigueur de ses exigences, le poids de la raison les
y précipite; et ils ont beau faire : ils subissent malgré
eux et en dépit de leur sens propre l'inéluctable mou-
vement de l'histoire des idées. Il fut un temps où une
philosophie, soumise à l'imagination, et une science,
2007
HASARD
2058
mal informée de son objet, permettaient d'ériger le
hasard en absolu et de composer avec lui la figure du
monde; mais la philosophie, en s'afîranchissant de
l'imagination, a découvert sous les apparences des
choses une réalité plus profonde et plus stable dont
les seules manifestations extérieures sont infiniment
plus riches que le hasard, et la science n'a véritablement
commencé d'exister que le jour où elle a pu saisir les
lois constantes ou les phénomènes généraux de ces
mêmes réalités substantielles que la philosophie s'était
appropriées; elles s'accordent toutes deux aujourd'hui,
chacune du point de vue qui lui est propre, à nous
imposer une conception du hasard, qui lui assigne dans
la nature une existence définie et une part déterminée,
conformes à celles que nous lui avons reconnues; et
cette première explication, imparfaite ou incomplète,
en postule à son tour une autre, qu'elle ne peut fina-
lement trouver que dans un autre ordre, supérieur à
celui des réalités visibles, où se meut le hasard. Où
veut-on, en effet, reposer cet être fragile, issu de la
rencontre de causes naturelles qui ne le contiennent
pas, si ce n'est sur le fondement inébranlable d'une
nature plus vaste et plus solide, comme l'est la nature
divine? et cette synthèse passagère, qui se dénoue
aussitôt faite, comment pourrait-on seulement la
supposer, en dehors de l'intelligence souveraine de
Dieu, dans quel autre sujet, qui fût capable tout à la
fois de la saisir et de la réaliser? Tel est au fond le
sens de l'argumentation de saint Thomas dont la
pénétrante et souple sagesse a devancé, sur ce sujet
comme sur tant d'autres, tous les progrès de la science.
Et ideo dicendum est, écrit-il dans son article de la
réduction du hasard, quod ea, qu.ee hic per accidens
aguntur, sive in rébus naturalibus, sive in humanis,
reducuntur in aliquam causam prœordinantem, quse est
providentiel divina, Sum. theol., I", q. cxvi, a. 1 ;
et il donne, dans une formule admirable, la raison pro-
fonde de cette réduction fondamentale : nihil prohibet
id quod est per accidens, accipi ut unum ab aliquo
intellectu; et sicut hic potest intellectus apprehendere, ita
potest efjicere. Ibid. Qui donc a pu dire que le hasard
existait pour Dieu même, quand Dieu est précisément
le seul être pour lequel il n'y a point de hasard, parce
qu'il est le seul être dont l'intelligence infinie le dépasse
et l'impose à la nature? Mais nous comprenons mieux,
d'autre part, le sens de cette parole, si méprisée et si
mal comprise, de Bossuet : « Ne parlons plus de hasard,
ni de fortune; ou parlons-en seulement comme d'un
nom dont nous couvrons notre ignorance. Ce qui est
hasard à l'égard de nos conseils incertains est un dessein
concerté dans un conseil plus haut, c'est-à-dire dans ce
conseil éternel qui renferme toutes les causes et tous
les effets dans un même ordre. » Discours sur l'histoire
universelle, IIe partie. Ainsi en concevant le monde
créé comme un composé de trois ordres différents :
l'ordre des causes libres, celui des causes nécessaires,
et celui des choses fortuites, Dieu apparaît, dans
chacun de ces ordres, comme l'explication ou la raison
dernière de tout être : « il touche tout, dit saint Fran-
çois de Sales, règne sur tout, et réduit tout à sa gloire »,
Traité de l'amour de Dieu, I. II, c. m; et il arrive
qu'après avoir vainement essayé, suivant le mot de
Diderot, de l'élargir du monde où la philosophie catho-
lique s'obstinait à le tenir emprisonné, la science,
mieux informée de ses limites et devenue plus modeste,
est elle-même obligée de l'y ramener; elle ne peut même
pius se contenter, comme les déistes du xvme siècle,
de placer cette divinité nécessaire dans une sphère
inaccessible aux agitations de ce bas monde et où les
passions ni le soin des affaires humaines ne sauraient
troubler son repos; les agitations de ce bas monde,
c'est lui qui les gouverne; la nature, qu'on avait en
quelque sorte renfermée sur elle-même pour la déta-
cher de lui, s'est ouverte de tous côtés; la voûte de
l'univers qu'on avait solidifiée de toutes parts s'est
brisée partout : et sur toutes les routes où, d'après
une consigne célèbre, on avait voulu reconduire Dieu
aux frontières du monde, on est aujourd'hui obligé
d'aller le rechercher. « Quoiqu'il n'y paraisse guère,
dit Spencer, la recherche intrépide tend sans cesse à
donner une base plus ferme à toute vraie religion.
Le timide sectaire, alarmé des progrès de la science,
obligé d'abandonner une à une les superstitions de ses
ancêtres, et voyant ébranler chaque jour ses croyances
chéries, craint en secret que toutes choses ne soient
un jour expliquées; il redoute la science, pratiquant
ainsi la plus profonde des infidélités — la peur que la
vérité ne soit mauvaise. D'autre part, le savant sincère,
content de suivre l'évidence partout où elle le mène,
se convainc plus profondément par chaque recherche
que l'univers est un problème insoluble.... Dans toutes
les directions, ces recherches arrivent à le mettre face
à face avec l'inconnaissable. » Essais, trad. Ribot, t. i,
p. 58.
Oserais-je dire maintenant et pour finir que, des
trois ordres créés, aucun ne postule l'intervention
divine avec plus de rigueur et de précision que le ha-
sard? Et quoique cela paraisse d'abord contraire à
l'opinion commune que l'on s'est faite du hasard, cela
n'en est pas moins certain; mais il est nécessaire de
remonter, si l'on veut s'en rendre compte, à la véritable
idée de l'intervention divine. Cette idée implique deux
éléments : la conception d'un effet, et l'exécution de
cet effet. Le premier est affaire d'entendement : le
second, de puissance. Une différence essentielle, ou
plutôt un rapport inverse s'établit entre ces deux
éléments : la conception d'un effet est d'autant plus
parfaite qu'elle le prévoit dans tous ses détails, même
les moindres, tandis que l'exécution de cet effet,
particulièrement dans ses détails, ne convient qu'à
une puissance inférieure qui n'en dépasse pas la sphère
ou le domaine. Or, en Dieu, naturellement, se rencontre
la souveraine perfection au regard de ces deux éléments,
c'est-à-dire qu'il y a en lui sagesse parfaite quant à la
conception de l'effet, et vertu parfaite quant à l'exé-
cution. Il est donc nécessaire, et que Dieu règle par sa
sagesse tous les effets, même dans leurs derniers détails,
et tout ensemble qu'il confie, pour ainsi parler, l'exé-
cution de ces effets, leurs détails compris, à des puis-
sances secondaires et inférieures, par l'intermédiaire
desquelles il agit à titre de puissance universelle et
suprême. Ainsi se produisent tous les effets naturels :
ils sont prévus par Dieu, qui en règle lui-même, et,
si l'on peut ainsi dire, personnellement tout le détail;
et Dieu se sert des causes secondes pour les faire
aboutir. Rapport inverse, comme nous disions tout à
l'heure, entre l'intelligence divine et la puissance
divine. Mais en aucun cas, ce rapport ne se vérifie,
d'une manière plus exacte et plus précise, que dans le
hasard. De tous les effets connus, le hasard est celui
dont l'intelligence divine prend le plus de soin, et dont
la puissance divine se désintéresse le plus. Il n'appa-
raît pas comme l'un quelconque des nombreux effets
d'une série, tous égaux et toujours pareils, tellement
semblables à la cause qui les produit que la conception
de celle-ci paraît impliquer comme nécessairement
la conception de ceux-là; mais il forme un objet à
part; il touche et occupe directement l'intelligence
divine qui lui assigne son existence et sa fin : et, malgré
cela, malgré cette position exceptionnelle, il semble
que la puissance divine l'abandonne encore plus que
tous les autres effets. La causalité des choses naturelles
ne pourvoit pas d'elle-même à la création de cet être
extraordinaire; et Dieu leur impose cependant de le
produire par une sorte de violence faite à leurs habi-
tudes : ce que chacune d'elles, prise isolément, refuse
2050
HASARD — HAUNOLD
20G0
de lui donner, il l'obtiendra du concours ou de la ren-
contre de deux d'entre elles; et nous saisissons ainsi,
sur cet exemple frappant, où il se justifie le mieux,
la véritable raison du rapport inverse qui existe, en
Dieu, pour la production de tous les efîets, entre son
entendement et sa puissance. Sa puissance se trouvc-
t-elle atteinte par cette désaffection manifeste qu'elle
témoigne vis-à-vis des effets prévus par sa sagesse?
Au contraire, Dieu fait tout et agit en tout, comme
créateur et moteur de toutes choses. Mais le triomphe
de sa sagesse consiste précisément à soustraire à
l'action directe de sa puissance des effets qu'elle peut
faire aboutir par les seuls moyens des causes naturelles;
et voilà comment se découvre, de la façon la plus évi-
dente, la présence de l'Esprit dans le monde. Bien loin
de la contredire, le hasard l'atteste plus que tous les
autres efîets, de telle sorte qu'on puisse finalement se
demander si ceux qui en ont pris peur se sont seule-
ment préoccupés de savoir à quoi ils avaient affaire.
Non seulement aucune des objections qui sont prises
du hasard n'ont, en effet, rien de rare ni d'exceptionnel ;
mais on peut dire qu'en lui restituant sa vraie notion,
elles se retournent toutes contre ceux qui les avancent;
et il ne suffisait donc ici, comme partout ailleurs, que
de ne pas suivre nos adversaires sur la position qu'ils
voulaient nous imposer; on ne sert jamais la vérité,
mais on la compromet plutôt, si on la quitte seulement
d'un pas; et aucune question ne peut être véritable-
ment dégagée des difficultés dont on l'embarrasse
qu'en la remettant à sa véritable place. Nous en avons
ici une excellente démonstration. Me permettra-t-on
de dire qu'on obtiendra le même résultat, sur tous les
sujets, même les plus rebelles, où l'on voudrait en faire
l'épreuve, en revenant aux explications que saint Tho-
mas en a proposées jadis, qui sont toujours les plus
souples et les plus précises, à la fois si simples et si
profondes, tellement consistantes et liées dans toutes
leurs parties, que les objections les plus spécieuses
tombent d'elles-mêmes devant elles? Il se trouve, en
effet, que, par une rencontre merveilleuse, la philoso-
phie thomiste reioint tout ensemble le plus simple
bon sens et la philosophie la plus savante ; et, grâce à cet
accord admirable, elle a raison de tout, même du temps.
I. Ouvrages. — Aristote, Phystc; Albert le Grand,
Physù., 1. II. tr. II, c. xiv; Metaphys., 1. V, tr. VI, c. xv;
S. Thomas, Physic, 1. II, lect. vin; Metaphys., 1. XI, lect.
vin; Cont. génies, 1. II, c. xxxix; Sum. iheol., Ia, q. cxv, a. 6;
q. cxvi, a. 1 ; La Placette, Traité des jeux du hasard, La Haye,
1714; Montmort, Essai de l'analyse sur les jeux du hasard,
Paris, 1713; Laplace, Théorie analytique des probabilités,
3e édit., Paris, 1820; A. Cournot, Théorie des chances et des
probabilités, Paris, 1843; Essai sur les fondements de nos
connaissances, Paris, 1851 ; Stuart Mill, Système de logique,
trad. Peisse, 2* édit., Paris, 1880, t. II, p. 47-75; P. Janet,
Les causes finales, Paris, 1876; Th. de Régnon, Métaphysique
des causes, Paris, 1886; J. Bertrand, Le calcul des probabi-
lités, Paris, 1888; A. Fouillée, La liberté et le déterminisme,
3' édit., Paris, 1890; A. Darbon, Le concept du hasard dans
la philosophie de Cournot, Paris, 1890; L. Favre, Le hasard,
Paris, 1912; E. Borel, Le hasard, Paris, 1914.
II. Revues. — 1° Revue néo-scolastique : J. Huys, Le ha-
sard, t. il, p. 272-285; J. Lottin, Le calcul des probabilités,
t. xvii, p. 23-52. — 2° Revue de métaphysique et de morale :
G. Milhaud, Le hasard chez Aristote et chez Cournot, t. x,
p. 667-681; H. Piéron, Essai sur le hasard: la psychologie
d'un concept, t. x, p. 682-695 ; E. Boutroux, Hasard oit liberté,
t. xviii, p. 137-146. — 3° Revue de philosophie : F. Mentré,
Râle du hasard dans les inventions et découvertes et Le hasard
dans les découvertes scientifiques d'après Cl.Bernard, 4e année,
1. i3 p. 426-439, 672-678; G. Tarde, La notion du hasard chez
Cournot, 4" année, t. n, p. 497-515. — 4° Revue philosophique :
J. Maldidier, Le hasard, t. xliii, p. 561-598; G. Milhaud,
La définition du hasard de Cournot, t. lxxii, p. 136-159;
A. Darbon, Hasard et déterminisme, mars 1914, p. 225-265.
III. Dictionnaires. — E. Littré, Dictionnaire de la
langue française, Paris, 1874, t. h, p. 1987-1988; Diction-
naire des sciences philosophiques, 2e édit., Paris, 1875,
p. 682-683; La grande encyclopédie, Paris, t. xix, p. 900.
J. Bouché.
HATTEWI (Olivier van), théologien et médecin, né
à Utrecht vers 1570, mort à Anvers le 23 décembre
1610. Il appartenait à une noble famille protestante et,
après avoir fait ses premières études dans sa ville
natale, vint à Leyde où il étudia les belles-lettres et la
théologie. En 1593 il se fit recevoir ministre. Après en
avoir exercé les fonctions pendant quatorze ans, il
abjura le calvinisme et amena avec lui à la foi catho-
lique sa femme et ses enfants. Il étudia ensuite la
médecine à Louvain, puis vint habiter Anvers. On a
de lui : Apologie contre les ministres de la religion réfor-
mée : c'est peut-être la première édition de l'ouvrage
suivant : Justification d'Olivier Hallem, tirée des mar-
ques de l'Église de Dieu, par où chacun saura comment
distinguer, non seulement à présent, mais en tous temps,
la véritable Église d'avec les synagogues des hérétiques,
2e édit., in-12, Louvain, 1610; Apostille sur une requête
calomnieuse présentée au pape contre Olivier Hattem,
in-12. Tous ces ouvrages sont écrits en flamand.
Valêre André, Blbllotheca belglca, p. 707; Foppens,
Bibliotheca belgica, in-4°, Bruxelles, 1739, t. n, p. 653;
Théâtre sacré de Brabant, in-fol., La Haye, 1729, t. n a,
p. 127; Paquot, Mémoires pour servir à l'histoire littéraire
des Pays-Bas, t. IX, p. 96; Hurter, Nomenclator, 1907, t. m,
col. 419, note.
B. Heurtebize.
HAUNOLD Christophe, théologien allemand, né à
Altenhaus, en Bavière, le 18 octobre 1610, d'une an-
cienne et illustre famille, fut d'abord page à la cour de
Bavière. Entré au noviciat de la Compagnie de Jésus
le 25 avril 1630, il professa ensuite les humanités et
consacra le reste de sa vie à l'enseignement de la philo-
sophie et surtout de la théologie à Dillingen, à Fribourg
et à Ingolstadt. Ses ouvrages philosophiques attirèrent
de bonne heure sur lui l'attention du cardinal de Lu go.
Il convient de citer entre autres : Philosophia de anima
rationali, Dillingen, 1645; Philosophia de anima sen-
siliva, ibid., 1645; Quœstio anacutior hodie philosophia
plus Isedat ingénia quam excolat ad alias facultatcs,
Ingolstadt, 1645; Logica practica in régulas digesta,
ibid., 1646; Cologne, 1688; Ingolstadt, 1696, etc.; De
ortu et interitu animx rationalis, Ingolstadt, 1694. En
théologie, Haunold ne tarda pas à être regardé comme
une des gloires de l'université d'Ingolstadt. Par la
pénétration de sa pensée et la clarté de l'exposition, il
reste un des maîtres de son temps. Ses Instituliones
thculogicœ en quatre livres, in-8°, Ingolstadt, 1559,
n'étaient qu'une préparation sommaire à son grand
ouvrage : Théologies spéculatives scholasticis prœlectio-
nibus et exercitiis accommodatœ libri IV, in-fol., ibid.,
1670, conçu sur le plan de la Somme de saint Thomas,
mais adapté aux besoins de l'époque et se référant tou-
jours, pour les soumettre à l'analyse et en suivre les
progrès, aux données les plus neuves de la théologie
contemporaine. Le traité qui a mis surtout en relief le
savoir étendu et précis, le sens théologique profond et
sûr, la méthode simplifiée et claire du P. Haunold, est
le De justitia et jure dont le Ier volume parut en 1671 à
Ingolstadt sous ce titre : Conlrovcrsiarum de justitia et
jure privalorum universo nova cl theoretica methodo in
decem tractatus et quatuor tomos digeslarum. Finale-
ment l'ouvrage eut six volumes et fut achevé en 1674 :
il est de ceux qui font honneur à la théologie et il garde
aujourd'hui encore son intérêt, sinon son autorité.
Haunold a laissé aussi un écrit de controverse : Pro
Ecclesise romanse infallibililate notât responsorim seu
succincla defensio, in-4°, Ingolstadt, 1654. Il mourut
à Ingolstadt le 22 juin 1689. La faculté de théologie
fit inscrire son éloge sur les murs de la grande salle des
cours.
2061
HAUNOLD
HAUZEUR
2062
Sommervogel, Bibliothèque de la C'° de Jésus, t. iv,
col. 140-143; Hurter, Nomenclator, 3e édit., Inspruck,
1910, t. IV, col. 621 sq.; J. Modérer, Annales Académies
Ingolstadtensis, Ingolstadt, 1782, t. m, p. 66.
P. Bernard.
HAUSER Berthoid, jésuite.allemand, né le 13 juil-
let 1713 à Wildenberg, en Bavière, admis au noviciat
le 28 septembre 1729, enseigna d'abord les humanités,
puis la philosophie et les mathématiques pendant près
de vingt ans à l'université de Dillingen. La grande
œuvre de sa vie fut un traité de philosophie qualifié
par lui d'élémentaire, mais qui comprend, en 8 in-8°
d'une moyenne de 800 pages chacun, une somme de
toutes les questions qui se rattachaient alors à la philo-
sophie : Elcmenla philosophiœ ad ralionis et experientise
ductum conscripta atque usibus scholasticis accommo-
data, Inspruck, 1755-1764. Les derniers volumes ont
été publiés après sa mort survenue le 14 mars 1762.
Sommervogol, Bibliothèque de la C'' de Jésus, t. iv,
col. 148 sq.; Hurter, Nomenclator, 3e édit., Inspruck, 1910,
t. rv, col. 1331; J. Mederer, Annales Academice Ingolsta-
dtensis, Ingolstadt, 1782, t. m, p. 236.
P. Bernard.
HAUTEVILLE (Nicolas de), théologien français du
xvne siècle. On le croit originaire d'Auvergne. Docteur
en théologie, il publia un ouvrage intitulé : Théologie
angélique, in-8°, Lyon, 1658; il le dédia à l'évêque de
Genève, Charles- Auguste de Sales, qui lui donna un
canonicat de sa cathédrale. Les autres ouvrages de ce
théologien sont : Les caractères ou les peintures de la vie
et de la douceur du B. François de Sales, in-8°, Lyon,
1661 ; Explication du traité de saint Thomas des attributs
de Dieu pour former l'idée d'un chrétien savant et spiri-
tuel, et L'art de bien discourir suivi de l'Esprit de Ray-
mond Lulle, in-12, Paris, 1666; L'histoire royale ou les
plus belles et les plus curieuses questions de la Genèse en
forme de lettres, in-4°, Paris, 1667; Actions de saint
François de Scdes ou les plus beaux traits de sa vie en
neuf panégyriques avec des remarques tirées de ses ma-
nuscrits et qui n'ont point encore vu le jour, in-8°, Paris,
1668; Origine de la maison de Sales, soit la maison natu-
relle, historique et chronologique de saint François de
Sales, divisée en trois parties, in-4°, Paris, 1669; réim-
primée à Clermont la même année, in-4°, sous le titre :
Histoire de la maison de saint François de Sales;
L'examen des esprits ou les entretiens de Philon et de
Polyalte où sont examinées les opinions les plus curieuses
des philosophes et des beaux esprits, in-12, Paris, 1772;
in-4°, Paris, 1776; L'art de prêcher, ou l'idée du parfait
prédicateur, in-12, Paris, 1683.
Giraud et Richard, Bibliothèque sacrée, t. xm, p. 2;
Feller, Dictionnaire historique, 1848, t. iv, p. 324.
B. Heurtebize.
HAUT1N Jacques, jésuite flamand, né à Lille le
12 juillet 1599, entra au noviciat le 6 octobre 1617
et fut chargé de l'enseignement de la philosophie à
Douai, puis à Lille. Il mourut le 24 décembre 1671
après une vie consacrée à la prédication et aux études
de théologie et d'ascétisme. Voici la liste de ses ou-
vrages : Angélus cuslos seu de mutuis angeli custodis et
clientis angelici offîciis tractatus. Anvers, 1620, ouvrage
qui eut plusieurs éditions et que le P. Lahier rendit popu-
laire par sa belle traduction parue à Tournai en 1643;
Lytrum animarum purgatorii. Douai, 1642; Sacramen-
ium amoris eucharistia, in-fol., Lille, 1650; Advocalus
purgatorii, Cologne, 1659, traduction de l'ouvrage du
P. Marc de Bonnyers; Patrocinium defunclorum, in-fol.,
Liège, 1664; Novurn opus de novissimis, Lille, 1671.
Sommervogel, Bibliothèque de la Cie de Jésus, t. iv,
col. 154 sq.; Hurter. Nomenclator, 3e édit., Inspruck, 1910,
t. m, col. 314.
P. Bernard.
HAUZEUR Matthias, frère mineur récollet de la
province de Flandre, naquit à Verviers en 1589 et revê-
tit la bure à l'âge de 20 ans. Lecteur de philosophie et
de théologie pendant de longues années, cinq fois
ministre de sa province, le P. Matthias mourut à Liège
le 12 novembre 1676, après soixante-sept ans de vie
religieuse, laissant de nombreux ouvrages dont les pre-
miers furent des traités de polémique acerbe et violente
avec divers protestants. A la suite d'une controverse
publique avec Gabriel Hotton, qui avait duré trois
jours, il en publia le compte rendu sous ce titre : Accu-
sation et conviction du sieur Hotton et de tous ses com-
plices, par F. Matthias Hauzeur, qu'ils ne sont que nova-
leurs perturbateurs et calomniateurs de l' Église romaine
d'aujourd'huy luy imputant à idolâtrie plusieurs pra-
tiques au service de Dieu et spécialement V invocation des
saints, in-4°, Liège, 1633. Une traduction latine parut
la même année au même lieu. Hotton ayant répliqué,
son adversaire publia à son tour : Exorcismes catho-
liques du maling esprit hérétique, apparoissant en un
monstre de mensonges et de blasphèmes avorté entre les
rabbins de Leyden, 1634, soub le nom de Godcfroia
Hotton, et dire de response et apologie contre toute vérité
publique du faict et de la doctrine des conférences de
Lymbourg, pour V invocation des saints : anatomizé,
confit et déconfit comme un serpent long de 300 pages,
en l'antidote des sections suivantes, in-8°, Liège, 1634.
La même année, le fameux et fécond écrivain Samuel
des Marets publiait à Groningue sa Monachomachia,
dans laquelle il prenait nommément à partie le P. Hau-
zeur, qui lui répondit par son Equuleus ecclesiaslicus,
aculeatus exorcismis xxiu, in ncquissimum Pythonem
hsereticum Samuelis Des Marctz, pseudo-ministri
Traiectensis, in-8°, Liège, 1635. Dans le même but
de polémique il avait déjà publié un recueil des textes
de saint Augustin, les plus propres à combattre les
erreurs de cette époque : Prœjudicia augustissima
D. Augustini episcopi pro vera Christi Ecclesia, una,
sancla, calholica, aposlolica anlonomaslicôs, id est
romana : contra omnes sui nostrique temporis hœrelicos
ac eorum objectiones, calumnias, fraudes, violentias,
cœterosque mores genuinos, in-8°, Liège, 1634. Ce livre
fut bientôt suivi d'un abrégé en français : Résolution
de tous les différents présens louchant la vraye Église de
Jésus-Christ, d'où dépendent tous les autres, par son
grand et incomparable docteur, sainct Augustin, hors
de la parole de Dieu mesme, ibid. Pour compléter les
ouvrages précédents, qu'il avait réunis en un seul,
le P. Matthias y ajouta : Livre de ce grand docteur S. Au-
gustin du soing qu'il faut porter pour les morts, très
suffisant à convaincre et convertir le faussaire minislreau
Des-Marets, avec tous ses complices et sectateurs d'opi-
niastreté hérétique en tous leurs erreurs, et particuliè-
rement en cest et semblables traits de sa Monachomachie,
ou cloaque très puante de ses Marets propres, ibid.,
ainsi qu'une traduction flamande du traité de saint
Augustin sur l'utilité de croire : Een seer costelyk ende
salich boccxkc nofte brief des H. Augustini lot Honoratum,
van het profyt des gheloovens. Ce recueil portait pour
titre : Colluctationes minorum exorcistarum non adversus
carnem et sanguinem, sed contra spirilualia Ma nequitiœ
seu ncquissimum illud genus dœmoniorum quœ per suos
minislros hœreseos ab anno 1632 intra et circa Trajectum
et Lymburgum iterum frustra infeslaverunl domum Dei,
in-8°, Liège, 1636. Sous l'anagramme de Ranutii
Higati le P. Ignace Huart, cistercien belge, avait
publié un livre dans lequel il s'efforçait de détourner
de son vrai sens la doctrine de saint Bernard, pour la
rendre favorable aux jansénistes : D. Bernardi tractatus
de gralia et libero arbitrio. Le P. Hauzeur lui opposa sa
Correctio fralerna Ranutii Higati, anagrammatice I. H.
contra ejus commentum in S. Bernardum de libero
arbitrio (1651). Huart répondit par les Vindicim pro
2063
HAUZËR — HAVENS
2064
R. Iligalo, Notre récollet avait déjà pris la défense du
saiilt docteur dans la Veronica S. Bernardi abstergens
ejus faciem, seu totius doctrinœ super ficicm ab omni
macula vel umbra crroris : et exprimons veram ejus
imagincm, seu sensum catholicum, et Augustinianum,
sine prœjudicio ullius probabilis, in-32, Liège, 1G50.
Citons encore parmi ses écrits polémiques une Repro-
batio apologiœ novissimœ Samuelis Marcsii seu Des-
Marets, in-fol., Tournai, 1650, et terminons par ses
deux plus importants ouvrages, qui sont un meilleur
titre de gloire pour leur auteur. Le premier est intitulé :
Anatomia totius augustissimtc doclrinse S. Augustini...
ad concordiam inviolabilem totius doctrinœ Augusti-
nianœ cum vera Christi Ecclesia, cujus profitctur prseco-
nia ac prœfert insignia, 2 in-fol., Liège, 1643-1645; on
en trouve aussi des exemplaires avec le titre : Epitome
operum S. Augustini et la date de Paris, 1646. L'autre
est la Collalio totius thcologiœ inter majores noslros
F. Alexandrum Alensem, patriarcham thcologorum,
doetorem irrefragabilem, sanctum Bonavcnturam, doc-
torem seraphicum, F. Joannem Duns-Scotum, doetorem
subtilem. Ad mentem S. Augustini, sub magisterio
Christi interiore per gratiam, exteriore per Ecclcsiam,
2 in-fol., Liège et Namur, 1652. Cet ouvrage, composé
dans un style très concis, est un commentaire sur les
1. II-IV du Maître des Sentences, extrait des ouvrages
des trois grands docteurs franciscains, qu'il s'efforce de
faire concorder entre eux et avec la doctrine de saint
Augustin; toutefois le défaut d'ordre et de méthode,
remarquent les doctes éditeurs des œuvres de saint
Bonaventure, font tort à la science et à l'ingéniosité
de l'auteur. Citons encore un ouvrage consacré au glo-
rieux privilège de Marie, dont les franciscains furent
toujours les ardents champions : Statera causœ inter
R. P. Petrum de Alva pro immaculata conceplione
Deiparœ, in-8°, Namur, 1664.
Wadding et Sbaraglia, Scriptores ordints mlnorum, Rome,
1806; Moréri, Le grand dictionnaire historique; Servais
Dirks, Histoire littéraire et bibliographique des frères mineurs
de l'observance en Belgique et dans les Pays-Bas, Anvers,
1886, p. 246-256; Biographie nationale de la Belgique,
t. viu, p. 787-791; Hurter, Nomenclator, Inspruck, 1910,
t. iv, col. 82-84.
P. Edouard d'Alençon.
HAVERMANS LANGELOT, le Père Macaire, fut
baptisé à Bréda, le 30 septembre 1644, entra à l'abbaye
des prémontrés de Saint-Michel d'Anvers, où il fit pro-
fession solennelle le 11 mars 1666. L'austérité de sa vie
lui concilia autant que sa connaissance de la théologie
et des Pères de l'Église l'estime de ses supérieurs et de
ses confrères. Il occupa la chaire de philosophie peu
après son ordination sacerdotale qui eut lieu le 20 avril
1669. Le P. Dominique de Colonia, dans le Dictionnaire
des livres jansénistes ou qui favorisent le jansénisme,
Anvers, 1752, t. iv, p. 113, le donne pour l'un des
défenseurs les plus ardents du jansénisme dans les
Pays-Bas. Il affecte dans ses livres une préférence pour
l'autorité de saint Augustin. Il combattit sans relâche
par ses écrits et ses thèses publiques les casuistes qu'il
accusait de morale relâchée. Le premier de ses ouvrages,
Tyrocinium christianse theologise moralis ad mentem
sanctorum Patrum, prsecipue sancti Augustini, parut à
Anvers, 1674. Une seconde édition, augmentée et
corrigée, parut à Anvers encore l'année suivante en
2 in-8°. Quelques Pères jésuites, en particulier le Père
Philippe de Homes, l'apprécièrent avec sévérité dans
leurs thèses publique ». Havermans crut nécessaire de se
justi fier contre le jésuite par lapublication d'une Defensio
brevis Tyrocinii moralis, in-8°, Cologne, 1676. En 1675,
il publia des thèses sous ce titre : Universa theologia
moralis ad mentem S. P. Augustini, Anvers. Il confirma
la position qu'il avait adoptée dans la question contro-
versée alors du degré d'amour divin requis pour pro-
fiter de la gTâce dans la réception des sacrements, par
sa Disquisitio tlieologica in qua discutitur illa famosa
quiestio quinam Dei amor requiratur et sufjicial cum
sacramento ad justiflcationem, Anvers, 1675; Cologne,
1684. Le P. Gilles Estrix le prit à partie ainsi que plu-
sieurs docteurs de Louvain dans Status, origo et scopus
rejormatiunis hoc lempore altenlala; in Belgio circa admi-
nistralionem et usum sacramenti pwnilenliee, juncta pio~
mm supplicalione ad Clemcntem X P. M., qui parut
à Mayence, 1675, in-8°, sous le pseudonyme de Frédé-
ric Simon. La doctrine soutenue par Havermans se
trouvait ainsi déférée au saint-siège. C'est au saint-
siège qu'il adressa sa défense, Epistola apologelica ad
S. Pontificem Innoccntium XI contra injustam accusa-
tionem Fr. Simonis, Cologne, 1676, qui fut rééditée
après sa mort en 1692. Il fit défendre par le P. Corneille
Donckers, le 8 mars 1677, des Thèses theologicœ de
SS. Patrum, prœcipue S. Augustini aulhoritate, qu'il
réédita la même année à Cologne avec une Dissertalio
theologica de auctoritede sanctorum Patrum, prœsertim
S. P. Augustini. Il publia sur l'amour du prochain,
Disquisitio theologica, qua discutitur quiestio illa : an
sedisfaciat prœcepto dilectionis proximi per hoc quod
proximo exhibeamus signa externa, in-8°, Cologne, 1678,
et sur les conditions dans lesquelles il est bon de
différer l'absolution, Examen libclli cui tilulus : Penta-
logus diaphoricus, composé sur ce sujet, par le
P. Charles de l'Assomption, carme, in-8°, Anvers, 1679.
Havermans mourut le 20 février 1680. On prétend que,
quelques heures avant sa mort, il reçut des lettres de
Rome qui lui annonçaient que le pape Innocent XI
approuvait sa doctrine sur l'amour du prochain.
Foppens, Btbliotheca belgica, Bruxelles, 1739, p. 837-j
Biographie nationale (de la Belgique), Bruxelles, 1884-1885;,
t. vin, col. 798-801 ; Hurter, Nomenclator, 1910, t. rv, coi.
273-274; Supplément au Dictionnaire historique de Moréri,
t. m, p. 16.
J. Besse.
HAVENS Arnold, théologien belge, né à Bois-le-Duc
en 1540 d'une famille noble, entra chez les jésuites de
Cologne le 10 avril 1558 ou 1559. Maître es arts et
bachelier en théologie de l'université de Cologne, il prit
le bonnet de docteur à l'université de Trêves en 1572.
Rentré à Cologne, il y enseigna la philosophie, la théo-
logie et fut recteur de plusieurs collèges. En 1581, il fit
un voyage à Rome, où il prit part à l'élection du géné-
ral de la Compagnie, Claude Acquaviva. Dans le cou-
rant de l'année 1584 il quitta les jésuites pour se faire
chartreux à Louvain. Après sa profession (1586), l'or-
dre lui confia différentes charges, malgré les instances
qu'il faisait pour vivre en simple religieux. Il fut prieur
des maisons de Bois-le-Duc, Liège, Louvain, Bruxelles
et Gand; deux fois visiteur de sa province. C'est dans
l'exercice de cette dernière charge qu'il décéda pieuse-
ment à la chartreuse de Gand, le 14 août 1610. Dom
Arnold Havens, dans un de ses ouvrages imprimés, a
manifesté ses regrets de n'avoir pas les loisirs néces-
saires pour revoir et compléter en vue de l'impression
ses commentaires sur l'Écriture sainte, sur le Maître
des Sentences et sur les Épîtres et Évangiles des di-
manches de l'année :
1° Disputationum libri II in quibus calumnise et cap-
tiones ministri anoni/mi Nemauscnsis contra assertiones
théologiens et philosophicas in acadimia Turnonia pro-
positas discutiuntur, in-4°, Lyon 1584; 2° Spéculum
haretiese crudelitalis, in quo tam vclcrum quam recentio-
rum liœniicorum ingénia, mores, immanisque sœvilia,,
in antistites maxime ac religiosorum hominum familias,
variis in locis designatse, propriis suis coloribus exhi-
bentur, in-12, Cologne, 1608; in-8°, Cologne et Paris,
1609; 3" Oratio quodlibetica habita anno 1572, in £>u
Thomie Aposloli pervigilio, a R. P. Arnoldo Havensio,,
de aucloritate Sanctorum Patrum in dogmalibus ftdeieC
2065
HAVENS — HAY
2066
in sensu Scrtplurse sacrœ, in-8°, Cologne, 1620; ce dis-
cours avait été d'abord ajouté par dom Théodore
Petrejus, chartreux de Cologne, à l'ouvrage suivant
que Havens avait préparé pour l'impression, mais qui
parut après sa mort; 4° Fasciculus pœnitenliœ, para-
phraslicam videlicet septem psenitentialium, ut vocant,
Psalmorum intcrprdationem, neenon et Eusebium de
fugienda impsenitenlia dialogum complectcns, in-12,
Cologne, 1610; 5° De prœstantia vitse solilariœ, ouvrage
ms. annoncé par l'auteur même dans son Exhortatio ad
Cartusianos de observantia disciplinée regularis vitœque
solilariœ commendalione, qui a eu plusieurs éditions.
6° Dom Havens revit et retoucha le style de l'ouvrage
du chartreux dom Maurice Chauncy sur le martyre
subi en Angleterre, sous Henri VIII, par dix-huit
enfants de saint Bruno et publié, la première fois, à
Mayence, en 1550. Son travail fut imprimé en 1608
simultanément à Gand, à Wurzbourg et à Cologne.
L'édition de Gand comprend deux autres opuscules de
dom Havens, à savoir la relation latine du martyre
de douze chartreux de Ruremonde arrivé en 1577 et
l'exhortation indiquée plus haut. Ces deux opuscules,
avec un titre particulier, furent mis dans le commerce
aussi séparément. Voici les titres des trois éditions :
Conunentariolus de vitse ratione cl martyrio octodecim
cartusianorum, qui in Anglia sub rege Henrico VIII ob
Ecclesise defensionem ac ncjarii schismatis detestationem
crudeliler trucidati sunt.... una cum historica rcla-
lione duodecim marlyrum cartusianorum Rurœmunden-
sium, etc., in-8°, Gand, 1608; Innocentia et conslantia
victrix sive Conunentariolus, etc., in-8°, Wurzbourg,
1608; Historia martyrii XVIII cartusianorum Anglo-
rum, sub rege Henrico VIII annis 1535, 1537 et 1541
crudeliler inlerfecti (sic), etc., in-8°, Cologne, 1608. En
1753, le célèbre imprimeur P. Foppens fit paraître à
Bruxelles une nouvelle édition du texte revu par Arnold
Havens, augmentée de quatre appendices : Historica
relatio Permissu superiorum, 1608 (pour 1753),in-8°,
s. 1.; 7° Commentarius de erectione novorum in Belgio
episcopatuum, deque iis rébus quse ad noslram hanc
usque œlalem, in eo prseclare gestœ sunt, in-4°, Cologne,
1609. Dans cet ouvrage, dom Havens traite plus par-
ticulièrement de la vie des deux derniers évêques de
Ruremonde, Guillaume Lindanus et Henri Cuyckius.
Petrejus, Bibltotheca eartustana, 1608, p. 15-18; Aubert
Le Mire, Valère André et Foppens dans leurs ouvrages sur
jes écrivains belges; Morozzo, Theatrum chronol. S. ord.
mrtus., p. 131, n. 161; dom Léon le Vasseur, Ephemerides
ord. cartus., 1891, t. ni, p. 73-75; Arnold Raisse, Origines
cartusiarum Belgli, Douai, 1632, p. 87-89; Hartzheim,
Bibltotheca Coloniensis, 1747, p. 23 et 329; Teller, etc.
S. Autore.
HAWARDEN Edouard, théologien et controver-
siste anglais, né à Croxteth, dans le Lancashire, le
9 avril 1662, fit de brillantes études au collège anglais
de Douai, où il fut ordonné prêtre en 1686; il y enseigna
ensuite la philosophie pendant deux ans. Lorsque
Jacques II eut résolu de rendre aux catholiques Mag-
dalen Collège à Oxford, il y fut nommé professeur de
théologie, mais il n'y put demeurer que deux mois; il
dut fuir lors de la révolution de 1688, et il revint à
Douai, où il occupa la chaire de théologie, tout en étant
vice-président du collège. Les doctrines thomistes sur
la grâce étaient fort en honneur dans cet établissement,
ceci fut cause que les professeurs, et en particulier le
vice-président, furent accusés à Rome de jansénisme.
Après examen par des juges compétents nommés par
le nonce de Bruxelles, l'accusation fut reconnue sans
fondement, mais Hawarden crut devoir se retirer
devant l'orage, et en 1707 il revint en Angleterre. Après
avoir travaillé quelque temps comme missionnaire,
il s'établit à Londres, et fut nommé controversiste en
titre. Les ouvrages qu'il écrivit alors eurent beaucoup
de succès et de vogue, et l'évêquè Milner le signale
comme un des plus profonds théologiens et des plus
habiles controversistes de son époque. Lorsque Samuel
Clarke (voir t. i, col. 4) publia en 1719 la seconde édi-
tion de son ouvrage : Scriplure doctrine of the Trinily,
la reine Caroline désira qu'une conférence publique
eût lieu entre l'auteur arien et Hawarden : le théolo-
gien catholique eut la victoire dans cette dispute, et
quelques années plus tard il publia : An auswer lo
Dr. Clarke and Mr. Whiston concerning the divinity of
the Son and of the Holy Spirit, 1729, ce qui lui valut
les félicitations de l'université d'Oxford. Il mourut à
Londres, le 23 avril 1735.
Outre l'ouvrage mentionné plus haut, nous avons de
lui : The Irue Church of Christ, showed by concurrent
testlmonies of Scriplure and primitive tradition, Londres,
1714-1715; Discourses of religion, between a minister
of the Church of England and a country Gentleman,
171G; The rule of faith truly stated in a new and easy
melhod, Londres, 1721; Charity and trulh, or Catho-
licks not uncharitable in saying thaï none are saved oui
of the Catholick Communion, because the rule is not
universal, Bruxelles, 1728; Catholick grounds, or ratio-
nal account of the unchangeable orthodoxy of the Catho-
lick Church, 1729.
Dtcttonary of national btography; Gillow, Bibliographtcal
Dlctionary of Engltsh calholks, t. m, p. 167-182; Butler,
Memoirs of the caiholics, 1822 ; Buaton, The life and Urnes
of blshop Çhalloner, Londres, 1909 , Hurter, Nomenclator,
1910, t. iv, col. 1056-1058.
A. Gatard.
HAY Jean, controversiste écossais, de la famille de
Hay de Dalgety, né à Dalgety en 1546, admis au novi-
ciat de la Compagnie de Jésus à Rome le 25 jan-
vier 1566. Il fut le compagnon de saint Stanislas Kots-
ka du 28 octobre 1567 au 25 janvier 1568. Envoyé
en Ecosse pour y défendre la foi et soutenir le courage
de ses frères, il s'embarqua le 23 décembre 1578 à Bor-
deaux et débarqua à Dundey le 15 janvier 1579.
Lee plus hautes influences ne purent obtenir pour lui
de Jacques Ier une autorisation de séjour. Il dut quitter
l'Angleterre avant le 1er octobre 1579.
Professeur de philosophie, de mathématiques et de
théologie à Pont-à-Mousson, à Bordeaux, à Paris et
à Tournon, il s'était de bonne heure rendu célèbre par
une discussion publique soutenue à Strasbourg en 1576
contre Jean Pappus, puis par ses polémiques avec les
calvinistes d'Ecosse et de France, notamment avec
Jean de Serres, Pineton de Chambrune et Théodore
de Bèze. Son premier écrit : Certain demandes concer-
ning the Christian religion and discipline, proposed lo
the ministers of the new pretended Kurk of Scotland,
in-8°, Paris, 1580, ouvrage plusieurs fois réimprimé,
traduit en français par le P. Coyssard, en allemand par
Sébastien Werro, excita parmi les réformés de vives
colères. C'était un défi que le P. Hay portait à la Ré-
forme; les ministres de Genève, de France et d'Ecosse
répondirent par des violences : L'esprit et conscience
jésuitique. Première preuve et eschantillon. Pour expresse
découverte de l'esprit de calomnie et sa suite, les blas-
phèmes imposés aux églises réformées en la personne de
feu Jan Calvin, par Jan Hay, moine jésuite, au libelle
de ses demandes. Le tout vérifié par les actes et produits
de l'accusateur. Par Jaq. Pineton, de Chambrune,
Nîmes, 1584. Jean de Serres entra en lice avec la même
virulence avec sa Défense de la vérité catholique et
troisième anti-jésuite de Jean de Serres, Nîmes, 1586, et
la lutte s'étendit dans les milieux protestants. Quelques
thèses défendues à l'université de Tournon et dont le
P. Hay était l'auteur provoquèrent de nouveaux as-
sauts et amenèrent l'intervention de Théoaore de Bèze
inquiet et irrité de la tournure que prenaient les débats.
Ces thèses, envoyées par l'auteur aux ministres de
2067
HAY — HAYMON
206?
Nîmes qui refusèrent d'engager une discussion pu-
blique, portaient sur l'Église et l'autorité de l'Écriture,
sur les images et la présence réelle. L'Académie de
Nîmes chargea Jean de Serres de les réfuter. Il publia :
Académies Nemausensis brevis et modesta responsio
ad professorum Turnoniorum Societatis, ut aiunt, Jesu
assertiones quas théologiens et philosophicas appellant,
Nîmes, 1582. C'est le premier Anli-jesuita de Jean de
Serres. Le second parut le 14 septembre 1583 sous ce
titre : Academise Nemausensis expostulatio de jesuita-
vam Turnoniorum bis cocta crambe. Ces deux ouvrages
qui font époque dans l'histoire des controverses pro-
testantes furent répandus à profusion et insérés par les
pasteurs de Nîmes dans leur célèbre recueil de pam-
phlets : Doctrinse jesuilarum prweipua capita, La Ro-
chelle, 1584, 1. 1, p. 503 sq., 643 sq. Jean Hay défendit
les droits de la vérité catholique. Ses Dispulalionum
libri duo in quibus calumnim et captiones ministri
anom/mi Nemausensis contra assertiones philosophicas
et theologicas discutiuntur, Lyon, 1583, furent com-
battus avec la même ardeur par Jean de Serres dans
ses deux derniers Anti-jesuita, 1586. Théodore de
Bèze aiguisa lui-même ses meilleures armes. Jean Hay
fit face résolument aux attaques et publia successive-
ment : La défense des demandes proposées aux ministres
de Calvin, touchant ses blasphèmes et mensonges, contre
le libelle de Jaq. Pineton de Chambrun, Lyon, 1596;
Elleborum Joanni Serrano Calviniano; L'antimoine
aux réponses que Théodore de Bèze fait à trente-sept de-
mandes des deux cents et six proposées aux ministres
d'Ecosse, Tournon, 1588. La gravité des troubles sur-
venus en France à la suite de la journée des Barricades
et de l'assassinat du duc de Guise mit fin brusquement
à ces controverses retentissantes. Le P. Hay consacra
ses loisirs à une édition nouvelle delà Bibliotheca sancla
de Sixte de Sienne, in-fol., Lyon, 1591-1592; Paris,
1610. Le texte du P. Hay a encore été suivi dans l'édi-
tion de Cologne, 1625. On a en outre, du P. Hay,
d'importants recueils de lettres des missionnaires du
Japon, de la Chine et du Pérou, traduites en latin par
ses soins ou empruntées à Henri Cuyck, évêque de
Ruremonde, à Guillaume Huysmann, professeur de
langue latine à Louvain, et à d'autres écrivains, source
précieuse de documents pour l'histoire religieuse de
ces divers pays. On en trouvera la liste dans le P. Som-
mervogel. Professeur de théologie scolastique et de
controverse au scolasticat de Lyon, en 1588, il eut
pour élève le P. Pierre Coton qui devint à son tour,
grâce aux leçons de son excellent maître, un des plus
habiles controversistes de son temps. Le P. Jean Hay
mourut à Pont-à-Mousson le 21 mai 1607 d'après
Sottwell, en 1608 d'après les archives de la Compa-
gnie.
Sommervogel, Bibliothèque de la Cie de Jésus, t. iv,
col. 161-167; Hurter, Nomenclalor, 3e édit., Inspruck,
1907, t. m, col. 459 sq.; Will. Forbes-Leith, Narratives o/
Scotlish Catholics, Londres, 1889, p. 141-165; Abram,
L'université de Pont-à-Mousson, Paris, 1870, p. 22; Boero,
Storia délia vita di S. Stanislao Kotska, Rome, 1685, p. 281 ;
Stothert, Catholic Mission in Scoiland, Londres, 1888,
p. 364; Th. Dcmpster, Historia ecclesiastica genlis Scolorum,
Bologne, 1627, p. 361; Sacchini, Historia Societatis Jesu,
Rome, 1651, t. iv, p. 131; Carayon, Documents inédits,
Paris, 1863-1870, doc. v, p. 103; H. Fouqueray, Histoire
de la C" de Jésus en France, Paris, 1913, t. n, p. 127, 257.
P. Bernard.
HAYER Jean Nicolas Hubert, né à Sarrelouis le
15 juin 1708, appartenait à l'ordre des frères mineurs
récollets, chez lesquels il fut professeur de philosophie
et de théologie. Il mourut à Paris le 14 juillet 1780,
laissant la réputation justement acquise d'un des plus
ardents et savants apologistes de la seconde moitié du
xvm B siècle. Le P. Hayer fut avec l'avocat Jean Soret
le principal rédacteur de la publication périodique : La
religion vengée, ou réfutation des auteurs impies, par une
société de gens de lettres, 21 in-12, Paris, 1757-1761. II
débutait en même temps par son meilleur ouvrage :
La spiritualité et l'immortalité de l'âme, 3 in-12, Paris,
1757. Ce traité, écrit d'un style clair, net et facile, est,
au jugement de plusieurs, un des mieux composés et
des plus complets qui existent sur cette matière, dis-
cutée avec solidité et appuyée de tout ce que la religion
et la raison fournissent de plus lumineux. A cette même
époque il controversait avec le ministre protestant
David Boullier, qui publia les lettres qu'ils échangèrent
dans son volume intitulé : Le pyrrhonisme de V Église
romaine, ou lettres de R. H. B. D. R. A. P. (Révérend
Hayer bibliothécaire des récollets à Paris) à M***,
avec les réponses, in-8°, Amsterdam, 1758. On a encore
de lui: La règle de foi vengée des calomnies des pro-
testants, 3 in-12, Paris, 1761 ; L'aposlolicité du mi-
nistère de l'Église romaine, in-12, ibid., 1765 ; Traité
de l'existence de Dieu, in-12, ibid., 1769; L'utilité tem-
porelle de la religion chrétienne, in-12, ibid., 1774 ; La
charlataneric des incrédules, in-12, ibid., 1780.
Michaud, Biographie universelle; Feller, Dfcftonnaïre
historique; Richard et Giraud, Dizlonario unlversale délie
scienze ecclestastiche, Naples, 1846; Hurter, Nomenclator,
Inspruck, 1911, t. v, col. 55-56.
P. Edouard d'Alençon.
HAYMON, évêque d'Halberstadt, né vers 778, mort
le 26 ou le 27 mars 853. On ne sait rien de son origine :
les uns le font naître en Angleterre, d'autres en France;
il est plus probable qu'il naquit en Allemagne. Quoi qu'il
en soit, il embrassa la vie monastique à Fulda où il se
trouva avec Raban Maur, le futur archevêque de Ma-
yence. Tous les deux ils vinrent étudier à Saint-Martin
de Tours sous la conduite du célèbre Alcuin. De retour
à son monastère, Haymon y remplit les fonctions de
chancelier et d'écolâtre jusqu'au moment où il fut élu
abbé d'Hersfeld. En 841, il fut nommé évêque d'Hal-
berstadt et en cette qualité il assista en 847 au concile
de Mayence. Les œuvres d'Haymon d'Halberstadt se
trouvent aux t. cxvi-cxvm de la P. L. U avait com-
posé des commentaires sur presque tous les livres de
l'Écriture sainte, commentaires qui furent imprimés
pour la première fois au cours du xvie siècle. Quelques-
uns de ces commentaires, notamment celui des Épîtres
de saint Paul, et encore plus les homélies sur les évan-
giles lui sont justement contestés. Voir Hauck, Kir~
chengeschichte Deulschlands, 3e édit., Leipzig, 1906,
t.m, p. 1043-1047. Le commentaire des Épîtres de saint
Paul est attribué par les manuscrits à Rémi de Reims.
Il est vraisemblablement l'œuvre d'un savant moine
français, qui le composa entre 840 et 860. Le com-
mentaire de l'Apocalypse serait du même auteur. Les
commentaires sur les Actes des apôtres et les Épîtres
catholiques ne sont pas de cet écrivain, mais ceux du
prophète Isaïe et des douze petits prophètes, à l'excep-
tion de Joëletd'Amos, lui appartiennent. Le commen-
taire du Cantique, anonyme dans les manuscrits, n'est
peut-être pas de l'évêque d'Halberstadt. Valentin
Rose a publié, d'après un manuscrit du xne siècle,
quelques fragments de closes sur la Genèse, attri-
buées à Haymon d'Halberstadt. Die Handschriften-
Verzeichnisse der K. Bibliothek zu Berlin, Berlin, 1901,
t. xn, p. 3-4. Le commentaire de Remy d'Auxerre sur
la Genèse les a utilisés. Ce sont les restes d'un commen-
taire. Tous ces commentaires sont réellement du
moine Haymon d'Auxerre. Le commentaire du Psau-
tier, publié sous le nom d'Haymon d'Halberstadt, a
été rapporté par Hauck au xie sièc e. Il n'est certaine-
ment pas l'œuvre de l'évêque d'Halberstadt. et on
peut le rapporter aux années 1080-1083. Voir H. De-
nifle, Luther und Lutherthum, Quellcnbcleqe. Die abend-
landischen Schriftausleger bis Luther, Mayence, 1905,
p. 18-22; E. Riggenbach, Hislorische Sludien zum
2069
HAYMON — HÉBREUX
2070
Ilcbrârrbrief. I. Die âltesten lateinischen Kommentare
zum Hcbiàcrbrief, dans Forschungen sur Geschichte
des neulestamenlUchen Kanons, Leipzig, 1907, t. m,
p. 41-205. On remarque en outre dans les œuvres de
cet évêque : De varielate librorum, seu de a ore cœlestis
patria\ in-8°, Cologne, 1531 ; breviarium historiœ eccle-
siaslicse, abrégé de l'histoire d'Eusèbe traduite par
Ru fin : la meilleure édition de cet ouvrage d'Haymon
d'Halberstadt est celle d'Helmstadt, in-4°, 1671. Enfin
dom Luc d'Achéry publia, Veterum aliquot scriplorum
Spicilegium, in-4°, 1675, t. xn, p. 27-30, un court
traité De corpore et sanguine Christi. Voir t. v, col. 121G ;
E. Riggenbach, op. cit., p. 148-151.
Arnds, De vita et doctrina Haymonis episcopi Halbersta-
densis, Halle, 1700; P. Antonius, Exercitatio historico-
theologica de vita et doctrina Haymonis Halberstadensis,
in-4°, Halle, 1704; C.-G. Derling, De Haymone episcopo
Halberstadensi commenlatio historica, in-4°, Helmstadt,
1747; Histoire littéraire de la France, t. v, p. 111; dom
Ceillier, Histoire générale des auteurs ecclésiastiques, t. xvm,
p. 712; Mabillon, Acla sanctorum ord. S. Benedicti, ssec. iv,
in-fol., Paris, 1677, t. i, p. 618; Annales ord. S. Benedicti,
in-fol., Lucques, 1739, t. n, p. 335, 585, 586; Ziegelbauer,
Historia rei lilerariee ordinis S. Benedicti, t. I, p. 223; t. Il,
p. 20, 125, 126, 203, 365; (dom François), Bibliothèque
générale des écrivains de l'ordre de Saint-Benoit, t. i, p. 455;
Fabricius, Bibliotheca latina mediœ et infimœ œtaiis, in-8°,
1858, t. III, p. 170; Kirchenlexikon, in-8°, Fribourg-en-
Brisgau, 1888, t. v, col. 1546; Hurter, Nomenclator, 1906,
1. 1, col. 821-824; Dictionnaire de la Bible de M. Vigouroux,
t. m, col. 458-459.
B. Heurtebize.
HAYNEUFVE Julien, théologien ascétique et l'un
des maîtres de la vie spirituelle au xvne siècle, né le
3 septembre 1588 à Laval, entré au noviciat de la
Compagnie de Jésus le 31 mai 1608. Sa vie entière
fut consacrée à l'étude de la spiritualité et au ministère
des âmes. Pendant quarante ans, recteur et maître des
novices ou instructeur du troisième an, il mourut à
Paris le 31 janvier 1663 avec la réputation d'un homme
de Dieu versé dans tous les secrets de la conduite des
âmes et de la théologie ascétique. C'est dans la doctrine
de saint Augustin et des Pères qu'il puisa les matériaux
de son premier ouvrage : L'ordre de la vie et des mœurs
qui conduit l'homme à son salut et le rend parfait en son
étal, in-4°, Paris, 1639, traité complet au point de
vue spéculatif et pratique sur les fondements de la vie
morale, réimprimé en 1663. Il fut bientôt suivi des
Méditations sur la vie de Jésus-Christ pour tous les jours
de l'année et pour les fêtes des saints, 4 in-4°, Paris, 1611-
1642. La 2e édition comprend 5 in-4°, Paris, 1644-1659.
Une édition de cet ouvrage, retouchée pour la forme
et disposée selon l'ordre du bréviaire romain, a été
publiée par l'abbé Lobry, ancien directeur au grand
séminaire de Troyes, 8 in-8°, Paris, 1869. Le livre qui
fit le plus de bien et, de tous les ouvrages du P. Hay-
neufve, le plus répandu fut sa Retraite spirituelle,
publiée sous ce titre : Méditations pour le temps des
exercices qui se font dans la retraite de huit jours, in-4°,
Paris, 1643, 1650, 1655, 1661, etc. De ces deux derniers
ouvrages, d'une doctrine trop substantielle pour le
commun des fidèles, le P. Hayneufve donna un résumé
qui recueillit tous les suffrages : Abrégé des méditations
pour le temps des exercices, Paris, 1655, 1658, 1660,
1663, 1666, 1670, 1775. etc.; trad. allemande du P. Ant.
Jaeger, Augsbourg, 1760; Abrégé des méditations sur la
vie de Jésus-Christ pour tous les jours de l'année, 4 in-4°,
Paris, 1655, 1658, 1660, 1663, 1666, 1680, 1675, etc.;
trad. allemande du P. Ant. Jaeger, 4 in-8°, Augsbourg,
1760. Les autres traités du P. Hayneufve sont d'ordre
surtout pratique, mais appuyés sur une solide et lumi-
neuse théologie : Le grand chemin qui perd le monde.
Comme on y entre. Comme on en sort. Et comme on passe
dans le chemin plus étroit qui nous mène à la vraie vie.
Le titre indique la division du traité en trois parties,
in-4°, Paris, 1646, 1658, 1663, 1670, Lyon, 1693, etc.;
trad. italienne de Pietro Spinola, in-4°, Gênes, 1671;
Le monde opposé à Jésus-Christ et convaincu d'erreur
par cette opposition, in-4°, Paris, 1647; Anvers, 1686,
etc.; Veritales practiese ex vita Domini Jesu sanc-
lorumque gestis in singulos anni dies, 4 in-4°, Paris,
1652-1654; Cologne, 1665; trad. italienne de Giovanni
Chiericato, Venise, 1706; Réponses aux demandes de la
vie spirituelle par les trois voies qu'on appelle purgative,
illuminative et unitive, 2 in-4°, Paris, 1663-1665. Le
IIe volume parut après la mort de l'auteur par les
soins du P. Louis Le Roy. Cet ouvrage est peut-être
le plus profond et le plus personnel des traités du
P. Hayneufve. Ce saint religieux, dont l'influence fut
si étendue et si salutaire, mourut à Paris le 31 jan-
vier 1663.
Sommervogel, Bibliothèque de la C'"> de Jésus, t. iv, ,
col. 173-178; Hauréau, Histoire littéraire du Maine, t. iv,
p. 126 sq. ; Dreux du Radier, L'Europe illustre, Paris,
1740, t. v, p. 333.
P. Bernard.
HÉBREUX (EPITRE AUX). — I. Auteur. II. Desti-
nataires. III. Lieu et date de la composition. IV. Occa-
sion et but. V. Nature. VI. Plan. VII. Doctrine. VIII.
Commentaires.
I. Auteur. — Seule de toutes les lettres attribuées
à saint Paul, cette Épître est anonyme. La tradition
ecclésiastique n'a pas été unanime, au moins durant
les trois premiers siècles, dans la désignation de son
auteur : ou elle a ignoré son nom, ou elle a varié sur la
personne en nommant saint Paul ou Barnabe. D'autre
part, les caractères intrinsèques, de fond et de forme,
de l'écrit le distinguent des Épîtres de l'apôtre; aussi
la plupart des critiques modernes ne l'attribuent plus
à l'apôtre, au moins directement et immédiatement,
et ils sont en désaccord complet pour l'attribution de
l'Épître à un auteur déterminé.
1. tradition ecclésiastique. — 1° Premières traces
de l'Épître. — On n'en relève aucune ni dans la Didachè
ni dans l'Épître de Barnabe, à moins que l'on ne veuille
en voir une d'Heb., xn, 24, au c. v, n. 1. Funk, Patres
aposlolici, Tubingue, 1901, t. i, p. 50. Eusèbe de Césa-
rée, H. E., ni, 38, P. G., t. xx, col. 293, et Etienne
Gobar, dans Photius, Bibliotheca, cod. 232, P. G.,
t. cm, col. 1104, avaient constaté que, dans sa lettre
aux Corinthiens, saint Clément de Rome reproduit
de nombreuses idées et même quelques termes de cette
Épitre. H. Holtzmann a prétendu que cette dépen-
dance existait en quarante-sept passages. Lehrbuch der
historisch-krilischen Einleitung in dus N. T., 3e édit.,
Fribourg-en-Brisgau, 1892, p. 293. Funk n'a relevé
que douze ou quatorze versets de l'Épître utilisés en
treize endroits différents. Le plus saillant est, P Cor.,
xxxvi, 2-5, Funk, t. i, p. 146, qui se réfère à Heb., i,
3-5, 7, 13, soit dans le texte soit dans les citations bi-
bliques. Cf. encore /* Cor., xvn, 5, p. 122, et Heb., m,
2; xliii, 1, p. 192, et Heb., m, 5; xxm, 5, p. 130, et
Heb., x, 37; l, 4, p. 164, et Heb., x, 37; ix, 3, 4, p. 110,
et Heb., xi, 5, 7; x, 7, p. 112, et Heb., xi, 17; xn, 1,
p. 114, et Heb., xi, 31; lvi, 4, p. 170, et Heb., n, G
(citation de Prov., ni, 12); lxiv, p. 182, et Heb., xn, 9.
S'il ne fait pas de citation textuelle, Clément connais-
sait certainement l'Épître. Nous dirons plus loin
que parfois on a prétendu que saint Clément avait
écrit en grec sous la direction de saint Paul
l'Épître aux Hébreux. Saint Ignace d'Antioche, Ad
Philad., ix, 1, Funk, t. i, p. 272, donne au Christ
le titre : ô àp^tspeô;, qu'il n'a que dans l'Épître aux
Hébreux. Saint Polycarpe le nomme aussi ô aîcovio;
àpx/.epeôç. AdPhil., xn, 2, Funk, 1. 1, p. 310. Cf. Heb.,
vn, 17. Le Pasteur d'Hermas a plusieurs réminis-
cences de cette Épître. La plus textuelle, Heb., in, 12,
se lit, Vis., n, 3, 2, Funk, t. i, p. 428. Cf. Vis., m, 7, 2,
2071
HÉBREUX
2072
p. 440. Voir encore Sim., v, 5, 2, p. 538, et Heb., m, 4;
Vis., il, 2, 7, p. 428, et Heb., xi, 33; cf. Mand., xn, 3, 1,
p. 512; G, 2, p. 518; Sim., vin, 10, 3, p. 574; ix, 13, 7,
p. 602; Vis., iv, 2, 4, p. 462, et Heb., xi, 33 (citation de
Daniel, vi, 22). Th. Zahn, Der Hirt des Hermas, p. 439-
452. Saint Justin, Apol., i, 12, P. G., t. vi, col. 345,
donne au Christ le titre d'apôtre, qu'il n'a que Heb.,
m, 1. Dans le Dialogue avec Tryphon, il parle plusieurs
fois de Melchisédech, prêtre du Très-Haut, 19, 32, 33,
col. 517, 545; il cite plusieurs fois le Ps. cix, 4, ou il y
fait allusion pour prouver qu'il y a un sacerdoce selon
l'ordre de Melchisédech, 63, 118, col. 620, 749, et il
dit expressément que le Christ est prêtre et roi, 83,
col. 672, roi de Salem et prêtre du Très-Haut selon
K ordre de Melchisédech, 113, col. 737. Le Christ cru-
cifié est àpytEpeûç, 34, col. 547, (5aaîXeù; xa! UpEuç, 36,
col. 553, et toujours avec l'épithète aîwvio;, ce qui est
une idée propre à l'Épître aux Hébreux, v, 10; vi, 20;
vu, 1-26. Le Christ offre un sacrifice de louanges, 118,
col. 749. Cf. Heb., xm, 15. Th. Zahn, Geschichte des
Ncutestamcntlichcn Kanons, Erlanp.en, 1888, t. i, p. 576-
577. Saint Théophile d'Antioche fait parfois allusion
à l'Épître aux Hébreux : Ad Autol., u, 16, P. G., t. vi,
col. 1077, 1080, deux fois à Heb., vi, 7; Ad Autol., n,
25, col. 1092, à Heb., v, 12, 14; Ad Autol., i, 4,5,
col. 1029, 1032, à Heb., xi, 2; Ad Autol., n, 33, col. 1105,
à Heb., i, 1; m, 7; Ad Autol., m, 9, 18, 23, col. 1136,
1145,1156, à Heb., ni, 12. Voir Th. Zahn, op. cit., t. i,
p. 299. Eusèbe, H. E., v, 26, P. G., t. xx, col. 509, rap-
porte que saint Irénée citait l'Épître aux Hébreux
dans des sermons qu'il avait lus. Des allusions à l'Épître
ont été relevées dans le Contra hœrescs : 1. II, c. xxx,
n- 9. P. G., t. vu, col. 822, et Heb., i, 3; L II, c. xxvm,
n. 7, col. 810, et Heb., i, 13 (Ps. cix, 2); 1. II, c. n, n. 5,
col. 715; 1. III, c. v, n. 5, col. 825, et Heb., m, 2, 5
(Num., xn, 7); 1. IV, c. vin, n. 2, 3, col. 994, 995, et
Heb., vu, 2; 1. IV, c. xi, n. 4, col. 1003, et Heb., x, 1;
1. IV, c. xiv, n. 3, col. 1011-1012; c. xxxn, n. 2, col.
1071 ; 1. V, c. xxxv, n. 2, col. 1220 : caractère typique
du tabernacle de l'ancienne alliance; 1. IV, c. xxvm,
n. 2, col. 1062, et Heb., x, 26-31; 1. V, c. v, n. 1, col.
1134, et Heb., xi, 5. Saint Irénée connaissait donc l'É-
pître aux Hébreux; mais, au vie siècle, Etienne Gobar
disait que l'évêque de Lyon ne l'admettait pas comme
l'œuvre de saint Paul. Photius, Bibliolheca, cod. 232,
P. G., t. cm, col. 1104. Cf. Camerlynck, S. Irénée et le
canon du N. T., Louvain, 1896, p. 3 sq. On connaissait
donc l'Épître aux Hébreux à Rome, à Alexandrie, en
Asie Mineure et en Gaule, dés la fin du Ier siècle jus-
qu'au commencement du me siècle.
2° Témoignages explicites. — 1. En Orient. — a) A
Alexandrie. — Le plus ancien témoignage direct pro-
vient de Pantène, chef de l'école catéchétique d'Alexan-
drie. II a été rapporté par son disciple, Clément d'A-
lexandrie, dans ses Ihjpotijposes et conservé par Eusèbe,
H. E., vi, 14, P. G., t. xx, col. 552. Pour expliquer
l'absence du nom de saint Paul en tête de cette Épître,
Pantène disait que le Seigneur, apôtre du Tout-Puis-
sant, ayant été envoyé aux Hébreux, par respect pour
lui, Paul, qui avait été envoyé aux gentils, ne s'est pas
dit l'apôtre des Hébreux, quoique, en dehors de sa
mission propre, il leur ait adressé une lettre. Pantène
admettait donc l'origine paulinienne de l'Épître aux
Hébreux. Ce ne peut guère être une conclusion critique,
puisque l'Épître ne contient rien de positif au sujet de
son origine apostolique. C'est par une tradition histo-
rique que Pantène sait et reconnaît que l'Épître est de
saint Paul, bien que l'apôtre n'ait pas inscrit son nom
au début. — Clément d'Alexandrie admettait la même
origine de la lettre, mais il ajoutait qu'adressée aux
Hébreux, elle avait été écrite en hébreu et que Luc
l'avait soigneusement traduite en grec et éditée pour les
Grecs; aussi remarquait-on la même couleur de style
dans cette Épître et dans les Actes des apôtres. Si
l'apôtre ne s'est pas nommé au début, c'est à dessein
et pour une bonne raison : les Hébreux à qui il s'adres-
sait avaient de lui une mauvaise opinion et le tenaient
en suspicion; par prudence, il s'est gardé de se nommer
pour ne pas les éloigner, dès les premiers mots, de la
lecture de sa lettre. Eusèbe, H. E., vi, 14, P. G., t. xx,
col. 549. Clément cite ailleurs l'Épître sous le nom de
Paul ou de l'apôtre. Strom., I, 4; II, 2, 4; VI, 8; VII,
1, 10, P. G., t. vin, col. 717, 940, 944; t. ix, col. 284,
405, 481. Comme Pantène, il admet l'attribution de
l'Épître à saint Paul, mais il explique autrement, quoi-
qu'il rapporte l'explication de son maître, l'absence du
nom de l'auteur, et il affirme que la lettre a été écrite
en hébreu et traduite en grec par saint Luc. Il mêle la
critique à la tradition de on Église. — Origène est aussi
préoccupé par les problèmes critiques que soulève
l'attribution de la lettre à saint Paul. Dans ses Homé-
lies sur l'Épître, il disait que le style de la lettre n'a pas
la vulgarité de parole qui est propre à l'apôtre, lequel
reconnaît lui-même qu'il est grossier et peu habile dans
son langage, c'est-à-dire dans sa manière de dire. Mais
pour le choix des expressions, l'Épître est d'un grec
plus pur, ainsi que le reconnaîtra quiconque peut appré-
cier la différence du style. De plus, que les pensées en
soient admirables et qu'elles ne soient en rien inférieures
aux écrits admis partout, c'est ce que croira vrai tout
homme qui examine avec soin les ouvrages aposto-
liques. Puis, exposant son sentiment personnel, Ori-
gène disait que les pensées sont de l'apôtre, mais que
la phrase et la disposition des pensées sont de quelqu'un
qui s'est souvenu des enseignements de l'apôtre et qui
a mêlé ses scolies aux explications de son maître. Si
donc quelque Église tient cette Épître comme de Paul,
qu'elle soit approuvée même en cela, car ce n'est pas
sans raison que les anciens l'ont transmise comme étant
de Paul. Mais quel est celui qui a écrit cette lettre,
Dieu sait la vérité. Il est venu jusqu'à nous comme une
tradition historique que quelques-uns disent que Clé-
ment, qui est devenu évêque de Rome, l'a écrite, et que
quelques autres disent que c'est Luc, le même qui a
écrit l'Évangile et les Actes. Eusèbe, H. E., vi, 25,
P. G., t. xx, col. 584-585. Origène connaît donc la tra-
dition antérieure favorable à l'origine paulinienne,
mais il connaît aussi d'autres attributions à Clément
et à Luc. LIne Église, comme celle d'Alexandrie est
donc autorisée à recevoir la lettre comme étant de
saint Paul. Personnellement, il n'ose dire quel est l'au-
teur, mais il reconnaît que, si le style de l'Épître diffère
de celui de l'apôtre, le fond est digne de Paul. Il admet
donc une origine médiatement paulinienne. A propos
du supplice d'Issue par la scie, il cite Heb., xi, 37, 38;
mais il sait que tous n'admettent pas cette lettre
comme l'œuvre de Paul, et il déclare que, dans ce cas,
le supplice du prophète serait mentionné dans un livre
non canonique, tandis que pour ceux qui admettent
l'origine apostolique de l'Épître, il en est autrement.
In Matth. comment, séries, xxm, 37, 38, P. G., t. xm,
col. 1636, 1637. Cf. In Matth., tom. x, ibid., col. 831,
où il rappelle sans hésitation ce qui est écrit sur Isaïe
dans l'Épître aux Hébreux. Dans sa lettre à Jules Afri-
cain, n. 9, P. G., t. xi, col. 65, 68, Origène parle encore
de ceux qui n'admettent pas l'Épître comme l'œuvre
de saint Paul, et il laisse entendre qu'il voudrait prou-
ver contre eux qu'elle est de lui. D'ailleurs, il la cite
expressément sous le nom de Paul. In Joa., tom. n,
c. vi ; tom. x, c. xi; Selecta in Ps., iv, 6; vin, 6; Se-
lecta in Threnos, iv, 26, P. G., t. xiv, col. 132, 332;
t. xn. col. 1148, 1185; t. xm, col. 660.
L'Église d'Alexandrie a conservé sa tradition au
sujet de l'origine paulinienne de l'Éoître aux Hébreux.
Au me siècle, saint Denys cite Heb., x, 34, comme
témoignage de saint Paul. Epist. ad Fabian., 2, dans
2073
HÉBREUX
2074
Eusèbe, H. E., vi, 41, P. G., t. xx, col. 605. Saint
Pierre d'Alexandrie cite aussi Heb., xi, 32, comme
parole de l'apôtre. Epist. can., 9, P. G., t. xvm, col. 485.
D'après saint Épiphane, Hœr., lxvii, 2, P. G., t. xlii.
col. 173. Hiéracas, le chef de la secte des hiéracites,
citait Heb., xn, 14 ; xm, 4, sous le nom de saint Paul.
Voir aussi Théognoste (fin du m" siècle), Fragm., 3,
P. G., t. x, col. 241. Au ive siècle, saint Alexandre
cite Heb., i, 2, comme de Paul. De ariana hœrcsi, Epist.,
i, 6, P. G., t. xvm, col. 557; Epist., n. 4, col. 576. Cf.
Socrate, H. E., i, 6, P. G., t. lxvii, col. 49. Saint Atha-
nase compte quatorze Épîtres de saint Paul, et parmi
elles r| jtpoç 'E6pai'ou;. Epist. fest., xxxix, P. G., t. xxvi,
col. 1437. Aussi la cite-t-il sous son nom. Sermo contra
arianos, n, 1, P. G., t. xxvi, col. 148-149. Didyme cite
l'apôtre à propos de Melchisédech. De Trinitate, i, 15,
P. G., t. xxxix, col. 320-321. Saint Cyrille d'Alexan-
drie cite Heb., i, 2, 3, sous le nom de Paul. Thésaurus,
De Trinitate, ass. 4, 7, P. G., t. lxxv, col. 37, 93. Eu-
thalius, au ve siècle, admet quatorze Épîtres de saint
Paul, et il a rédigé les xetpocXaîa de l'Épître aux Hébreux.
H. von Soden, Die Schriftendes N. T., Gœttingue, 1902,
1. 1, p. 663, 664. Le pseudo-Euthalius connaît les doutes
sur l'origine paulinienne de l'Épître, mais il les résout
en répétant les arguments de Clément d'Alexandrie
et d'Origène. Ibid,, p. 653. La Synopsis Scriplurse
sacrée, attribuée à saint Athanase, mais qui est du
vie siècle, admet quatorze Épîtres de l'apôtre Paul.
P. G., t. xxviii, col. 292-293. Saint Isidore de Péluse
cite plusieurs passages de l'Épître sous le nom de Paul
ou de l'apôtre. Epist., 1. I, epist. vu, xciv, cdlxxviii;
1. III, epist. lviii, clxxxiv, ccxxv, cclx, cccxxxv;
1. IV, epist. xxvi, cxm, cxlvii; 1. V, epist. xci,
ccxli, P. G., t. lxxviii, col. 184, 248, 444, 769, 873,
908, 941, 993, 1077, 1184, 1232, 1377, 1480.
b) En dehors d' Alexandrie. — En 264, les Pères du
concile d'Antioche, pour réfuter Paul de Samosate,
citent Heb., xn, 2, comme étant de l'apôtre Paul.
Mansi, Concil, t. i, col. 1085. Saint Grégoire le Thau-
maturge, Exposilio fidei, P. G., t. x, col. 1121, cite
Heb., n, 3, 4; m, 7-11, comme de Paul.
Eusèbe de Césarée nomme l'Épître aux Hébreux à
côté des lettres de saint Paul, mais en la distinguant
d'elles. H. E., n, 17, P. G., t. xx, col. 180. Il reconnaît
quatorze Épîtres de l'apôtre; il sait toutefois que
quelques-uns ne veulent pas reconnaître l'Épître
aux Hébreux, parce que l'Église de Rome la rejette
comme n'étant pas de Paul. Aussi rapportera-t-il à
l'occasion ce que les anciens en ont dit. Ibid., m,
3, col. 217. C'est à lui que nous devons la conservation
des témoignages de Pantène, de Clément d'Alexandrie
et d'Origène. Plus loin, m, 25, col. 268, il ne la distingue
pas des Épîtres de l'apôtre, mais il ajoute que quelques-
uns la rangent au nombre des apocryphes ; elle pourrait
donc être classée parmi les écrits contestés du Nouveau
Testament. Plus loin encore, m, 38, col. 293, il dit que
Paul a écrit aux Hébreux dans leur propre langue, et
que la version grecque est attribuée par les uns à l'é-
vangéliste Luc et par les autres à Clément de Rome, ce
qui lui paraît plus vraisemblable, étant donnés les
emprunts faits par cet écrivain à la lettre. Pour son
propre compte il cite cette Épître sous le nom de Paul
ou de l'apôtre. Dem. ev., iv, 15, 16, 17; In ps., n, 6;
xiv, 1, P. G, t. xxn. col. 300, 317, 324; t. xxm, col. 85,
152. Bien qu'il connût les doutes de quelques-uns,
Eusèbe admit l'origine paulinienne de l'Épître aux
Hébreux.
Saint Cyrille de Jérusalem reçoit aussi quatorze Épî-
tres de saint Paul, Cat., iv, 36; x, 18; xvn, 20, P. G.,
t. xxxin, col. 500, 684, 992, et il attribue expressément
l'Épître aux Hébreux à cet apôtre. Cat., x, 28, col. 912.
Saint Épiphane affirme, contre les marcionites, qu'au-
cun manuscrit du Nouveau Testament ne l'omet, et
qu'elle occupe le 10e ou le 14e rang parmi les lettres de
saint Paul, Hier., xlii, 12, P. G., t. xli, col. 812, et il
la cite comme œuvre de l'apôtre. Hœr., xxvi, 16,
col. 357.
Le 60e canon du concile de Laodicée (entre 343 et
381) énumèreles quatorze Épîtres de saint Paul. Hefele,
Histoire des conciles, trad. Leclercq, Paris, 1907, t. i,
p. 1026. Le 85e canon apostolique admet aussi les qua-
torze Épîtres de l'apôtre. P. G., t. cxxxvii, col. 212;
Mansi, Concil., t. i, col. 48. Théodore de Mopsueste
explique pourquoi saint Paul n'a pas inscrit son nom
en tête de cette lettre : écrivant aux juifs convertis, il
ne pouvait se présenter à eux comme leur apôtre ni
leur parler comme il parlait aux gentils, auxquels il
avait été envoyé. In Epist. ad Heb., arg., P. G., t. lxvi,
col. 952. Il cite l'Épître sous le nom de Paul. In Ose.,
iv; In Jonam, prol. ; In Zach., i, ibid., col. 149, 321,
505. Saint Chrysostome reçoit la lettre comme l'œuvre
de saint Paul, et il l'a commentée dans des homélies
prèchées à son troupeau. In Epist. ad Heb., arg., P. G.,
t. lxiii, col. 9 sq. Théodoret reconnaît quatorze Épîtres
de l'apôtre, qui a adressé aux juifs celle qui est intitulée
aux Hébreux. In omnes S. Pauli Epist., arg., P. G.,
t. lxxxii, col. 37, 44. Les amis de la vérité ont toujours
lu cette Épître à l'ôglise; contre les ariens qui la re-
jettent, Théodoret en appelle à Eusèbe de Césarée.
Paul n'a pas mis son nom en tête, parce qu'il n'était
pas l'apôtre des juifs, et il s'est contenté de leur expo-
ser sa doctrine. Il l'a écrite en hébreu. On dit que Clé-
ment l'a traduite en grec. In Epist. ad Heb., arg.,
col. 675-677. Junilius reste fidèle à l'école d'Antioche
à laquelle il se rattache, et il reçoit quatorze Épîtres de
saint Paul. Instituta regularia, P. L., t. lxviii, col. 19-
20. Voir aussi la Synopsis sacras Scripturae, attribuée à
saint Chrysostome, P. G., t. lvi, col. 317.
En Cappadoce, saint Basile cite l'Épître sous le nom
de Paul. Advcrsus Eunomium, i, 4; iv, 6, P. G., t. xxix,
col. 345, 679. Saint Grégoire de Nysse l'attribue à
l'arôtre. De bealitudinibus, orat. vin, P. G., t. xliv,
col. 1297; Advcrsus Eunomium, I, P. G., t. xlv, col. 369.
Saint Grégoire de Nazianze compte quatorze Épîtres
de saint Paul, Carm., xxxiii, 35, P. G., t. xxxvii,
col. 474, ainsi que saint Amphiloque. Iambi ad Seleu-
cum, ibid., col. 1597. Ce dernier toutefois sait que
quelques-uns disent que l'Épître aux Hébreux n'est
pas authentique , mais il n'approuve pas leur
sentiment. Tite de Boslra cite l'Épître comme de
l'apôtre. Advcrsus manichœos, m, 4, P. G., t. xvm,
col. 1220. Bref, tout l'Orient grec, sauf les ariens, Théo-
doret, In omnes S. Pauli Epist., arg. P. G., t. lxxxii,
col. 673, 676, qui pourtant se servent de cette Épître
et reconnaissent parfois son origine paulinienne, S.
Épiphane, Hser., lxix, 14, P. G., t. xlii, col. 221, et
sauf Marcion qui ne l'avait pas dans son Apostolicon,
reconnaissait l'Épître aux Hébreux pour l'œuvre de
saint Paul.
L'Église syrienne faisait de même. Aphraate cite
souvent cette Épître sous le nom de l'apôtre. Dcmonsl.,
i, 16; ii, 14; vu, 11; vm, 7; xi, 11; xm, 12, 13; xx, 16,
17; xxi, 22, 23; xxm, 2, Patrologia syriaca de Mgr
Grafïîn.t. i, p. 37, 77,332,372,410,568,572, 920,924,
985, 989; t. n, p. 5. Saint Éphrem fait de même. In
Gen., xxi; In Jud., xi; In I Reg., vu, 21, Opéra syriaca,
t. i, p. 160, 322, 460; Sermo in secundum Domini
advenlum, Opcra greeca, t. il, p. 203 ; De pœnilcnlia,
ibid., t. m, p. 165, 202 ; Serm., i, dans Th. Lamy,
S. Ephrsemi hymni et sermones, Malines, 1889, t. m,
p. 155.
2. En Occident. — a) A Rome. — A la fin du w- siècle,
le canon dit de Muratori ne catalogue pas l'Épître aux
Hébreux, et il paraît même l'exclure en disant que
saint Paul a écrit à sept Églises qu'il nomme, à moins
qu'il ne la range parmi les lettres privées. Il ne la men-
2075
HÉBREUX
2076
tionne pas sous le nom d'Epistola ad Alexandrinos,
comme quelques-uns l'ont pensé, puisqu'il dit que
celle-ci a été mise sous le nom de Paul pour défendre
l'hérésie de Marcion; or les marcionites n'admettaient
pas l'Épître aux Hébreux. Saint Hippolyte connaissait
l'Épître aux Hébreux et il la citait. In Susan., 23;
Adversus Judœos, 3; In Dan., 14, 15, 17, P. G., t. x,
col. 696, 789, 652, 653; Hippolytus Werke, Leipzig,
1897, p. 21, 28, 33, 78, 208, 212, 262, 266, 270, 284. Cf.
N. Bonvretsch, Studicn zu dcn Kommentarcn Hippolifts
zum Bûche Daniel und Hohenlied, dans Texte und Un-
tersuchungcn, Leipzig, 1897, t. xvi, fasc. 2, p. 25-26.
Mais, au témoignage de Etienne Gobar, dans Photius,
Bibliothcca, cod. 232, P. G., t. cm, col. 1104, il ne la
reconnaissait pas pour l'œuvre de saint Paul. Le pTêtre
Caius n'admettait que treize Épîtres de l'apôtre, parce
qu'il excluait celle aux Hébreux, que quelques Ro-
mains, plus tard encore au ivc siècle, estimaient n'être
pas de saint Paul. Eusèbe, H. E., vi, 20, P. G.,
t. xx, col. 572, 578; S. Jérôme, De viris, 59, P. L.,
t. xxin, col. 669; Photius, Bibliotheca, cod. 48, P. G.,
t. cm, coL 85. Les Melchisédéciens, qui avaient pour
chef le banquier Théodote, prouvaient par l'Épître aux
Hébreux, vu, 3, que Melchisédech était sans père ni
mère, S. Hippolyte, Philosophoumena, vu, 36; X, 24,
P. G., t. xvi, col. 3343, 3439; S. Épiphane, Hœr., lv,
P. G., t. xli, col. 972; pseudo-Tertullien. De prœscripl.,
53, P. L., t. n, col. 73; mais il n'est pas certain qu'ils
la tenaient pour une lettre de saint Paul. Novatien l'uti-
lisait, De Trinitate, 16, P. L., t. m, col. 1917, ainsi que
ses disciples, au témoignage de saint Philastre. Hœr.,
89, P. L., t. xn, col. 1201. Nous avons déjà dit qu'au
début du ive siècle, des Romains n'admettaient pas
cette Épître comme paulinienne et Eusèbe savait que
d'autres la rejetaient parce que l'Église de Rome elle-
même ne la recevait pas. H. E., m, 3, P. G., t. xx,
col. 217. L'Ambrosiaster, qui la connaissait, In II Tim.,
i, P. L., t. xvii, col. 485, où il cite Heb., vu, 9, 10, ne
l'a pas commentée. Mais le prêtre Faustin l'attribuait
à l'apôtre Paul. De Trinitate, c. n, n. 13, P. L., t. xm,
col. 61. Le juif Isaac nomme deux fois l'apôtre, en
citant l'Épître aux Hébreux. Qusestiones Veteris et
Novi Testamenii, q. cix, De Melchisédech, P. L.,
t. xxxv, col. 2325. Le canon dit de saint Gélase, qui
est peut-être de saint Damase dans sa Iro partie, men-
tionne quatorze Épîtres de saint Paul, voir t. n,
col. 1592, ainsi qu'Innocent Ier dans sa lettre à Exu-
père, évêque de Toulouse. Voir t. v, col. 2027.
L'Église de Rome a donc admis l'Épître aux Hébreux
comme œuvre de l'apôtre, au cours du iv° siècle.
b) En Afrique. — Tertullien ne cite textuellement
cette Épître qu'une seule fois et il l'attribue expressé-
ment à saint Barnabe. Après avoir cité les Évangiles,
les Épîtres de saint Paul et l'Apocalypse, pour abon-
dance de preuves, il invoque, en outre, le témoignage
d'un compagnon des apôtres, car il y a un titulus de
Barnabe ad Hcbrœos, qui est plus recevable dans les
Églises que l'écrit apocryphe du Pasteur, et il cite
Heb., vi, 1, 4-8, où il croit trouver une malédiction
irrévocable contre les impudiques. C'est le témoignage
d'un disciple des apôtres, qui interprétait bien la loi
et ses figures. De pudicitia, 20, P. L., t. n, col. 1021.
Étant encore catholique, il y avait fait allusion au
sujet de l'hospitalité, Heb., xm, 2. De oratione, 26,
P. L., t. i, col. 1193. Saint Cyprien ne cite pas une fois
cette Épître, pas même dans ses Testimonia, qui sont
un recueil de citations bibliques. Il affirme que saint
Paul n'a écrit qu'à sept Églises. Epist. ad Fortunatum,
De exhorlatione martyrii, 11, P. L., t. iv, col. 668 ; Tes-
timonia contra Judœos, i, 20, ibid., col. 689. Le canon,
qui a été découvert par Mommsen et qu'on croit d'ori-
gine africaine, ne compte, au début du me siècle, que
treize lettres de saint Paul. Victorin de Pettau dit de
même. In Apoc., i, P. L., t. v, col. 3-20. Marius Victori-
nus Afer, qui n'a pas commenté l'Épître aux Hébreux,
la cite cependant une fois sous le nom de saint Paul.
Adversus Arium, i, n. 38, P. L., t. vm, col. 1070. Saint
Optât de Milève ne la cite jamais. Les conciles d'Hip-
pone (393), can. 47, et de Carthage (397), can. 36, décla-
rent canoniques : Pauli apostoli epistolse tredecim; ejus-
demad Hebrœos una. Mansi, Concil., t. m, col. 891, 924.
On a relevé environ 150 citations de l'Épître aux
Hébreux dans les écrits de saint Augustin; des 303 ver-
sets de la lettre, il en reproduit environ 80. Or, la posi-
tion qu'il a prise relativement à l'auteur est assez
curieuse. Jusqu'en 406, il la cite comme l'œuvre de
l'apôtre Paul, De diversis quœstionibus LXXXUi,
q. lxxv, n. 1, P. L., t. xl, col. 86; De sermone Dei in
monte, 1. II, c. vu, n. 27, t. xxxiv, col. 1281; Contra
Adimantum manichseum, c. xvi, n. 3, t. xlii, col. 157;
Epist. ad Rom. inchoata expositio, n. 11, t. xxxv,
col. 2095; De doctrina cliristiana, 1. II, c. vm, n. 13,
t. xxxiv, col. 41; Contra Cresconium, 1. III, c. lxxiv,
n. 86, t. xliii, col. 542 ; £nar. in ps. vm, n. 12, t. xxxvi,
col. 114. De 409 à 430, il ne parle plus que de YEpistola
ad Hebrœos, qu'il distingue des lettres de saint Paul.
Il la cite, quoiqu'elle soit incertaine pour quelques-uns,
mais il la tient pour canonique à cause de l'autorité
des Églises orientales. De peccatorum meritis et remis-
sione, 1. I, c. xxvn, n. 50, t. xxjv, col. 137. Les nom-
breux passages, où l'Épître aux Hébreux est distin-
guée d«6 lettres de l'apôtre, ont été recueillis par le
P. Rottmanner, S. Augustin sur l'auteur de l'Épître
aux Hébreux, dans la Revue bénédictine, juillet 1901,
p. 258-261. La raison de cette manière différente de
citer cette Épître provient sans doute de ce que l'é-
vêque d'Hippone, qui n'avait d'abord aucun doute
sur l'origine paulinienne de la lettre, a appris que quel-
ques-uns la niaient, et tout en la maintenant au canon
biblique du Nouveau Testament, il ne l'a plus citée
comme œuvre de l'apôtre. Il le dit expressément une
fois : In episiola quee inscribitur ad Hebrœos, quam
plures apostoli Pauli esse dicunt, quidam vero negant.
De civilate Dei, 1. XVI, c. xxn, t. xli, col. 500. Dans
deux citations qu'il fait de Julien d'Éclane, l'Épître
est citée comme l'œuvre de l'apôtre, Contra Julianum
opus imperfeclum, 1. III, n. 40; 1. V, n. 1, t. xlv, col.
1268, 1436, mais c'est son adversaire qui parle. De
même, l'Épître aux Hébreux est attribuée à saint Paul
par Maximinus. Collatio cum Maximino arianorum
episcopo, il, n. 4, 9, t. xlii, col. 725, 728.
Les hésitations de saint Augustin n'ont pas eu d'in-
fluence dans l'Église d'Afrique, puisque le concile de
Carthage de 419 ne distingue plus l'Épître aux Hébreux
des lettres de saint Paul. Il dit, en effet, catégorique-
ment : Epistolœ Pauli apostoli quatuordecim, can. 29.
Mansi, Concil., t. rv, col. 430.
c) En dehors de Rome et de l'Afrique. — Saint Phébade
d'Agen, saint Zenon de Vérone, saint Vincent de Lérins
et Orose ne citent jamais l'Épître aux Hébreux comme
étant de saint Paul. Mais d'autres écrivains ecclésias-
tiques le font : S. Hilaire de Poitiers, De Trinitate,
1. IV, n. 11 ; In ps. Xl V, n. 5; lui, n. 13; cxviii, lit. vm,
n. 16 ; CXXix, 7, P. L., t, x, col. 104, 302. 345, 558,
722; Lucifer de Cagliari, De non conveniendo cum
hœreticis, P. L., t. xm, col. 782; S. Ambroise, De
fuga sœculi, c. m, n. 16; De benedictionibus patriar-
carum, c. iv, n. 16, P. L., t. xiv, col. 577, 678; De
pœnitenlia, 1. II, c. n, n. 6, 10; c. m, n. 15, t. xvi,
col. 497, 499, 500; S. Gaudence de Brescia, Serm., n,
de Exodi lectione, P. L., t. xx, col. 358 ; Serm., i,
col. 848 ; S. Pacien, Epist., m, n. 13, P. L., t. xm,
col. 1072; Priscillien, Tractatus III, Opéra, édit.
Schepps, Vienne, 1899, p. 45; Rufin admet quatorze
Épîtres de saint Paul. De symbolo aposiolorum, 37,
P. L., t. xxi, col. 374.
2077
HEBREUX
2078
Cependant d'autres écrivains connaissent les doutes
qui existaient sur l'authenticité et la canonicité de
l'Épître aux Hébreux. Saint Philastre n'admet d'abord
au canon apostolique que treize Épîtres seulement de
saint Paul. User., 88, P. L., t. xii, col. 1199. Toutefois,
à l'hérésie suivante, 89, col. 1200-1201, il range au
nombre des hérétiques ceux qui n'affirment pas que
l'Épître de Paul aux Hébreux est de lui, mais disent
qu'elle est ou de l'apôtre Barnabe, ou de Clément,
évoque de Rome. D'autres l'attribuent à l'évangéliste
Luc. En quelques lieux, où on n'admet que treize
Épîtres de saint Paul, on ne la lit pas à l'église. On en
donne deux raisons : le style rhétorique qui n'est pas
de l'npôtre, et deux questions, de doctrine que Philastre
explique. Quelques Églises l'avaient admise à l'hon-
neur de la lecture publique. Celles qui l'excluaient le
faisaient parfois parce que les novatiens abusaient de
cette lettre pour prouver leurs erreurs.
Saint Jérôme connaît aussi les doutes qui concernent
cette Épître. 11 les expose à diverses reprises. Il n'ad-
met que treize Épîtres de saint Paul : les Épîtres aux
sept Églises, octava enim ad Hebrœos a plcrisque extra
numerum ponilur, et les Épîtres pastorales. Epist.,
lui, ad Paulinum, n. 8, P. L., t. xxn, col. 548. Il dit
encore que Paul a écrit neuf lettres à sept Églises. Epis-
tola autem quse fertur ad Hebrœos, non ejus credilur prop-
ter stili sermonisque distantiam, sed vel Barnabœ juxta
Tertullianum, vcl Lucse evangelistœ juxla quosdam, vel
démentis, romanœ postea Ecclcsiœ episcopi, quem aiunl
sententiœ Pauli proprio ordinasse et ornasse sermone;
vel certe quia Paalus scribebat ad Hebrœos et propter invi-
diamsui apud eos nominis titulum in prineipio salula-
tionis amputaveral. Scripserat autem ut Hebrœus He-
brœis hebraicc, id est, suo cloquio dissertissime, ut ea quœ
eloquenter scripta fuerant in hebrœo, eloqucntius verte-
rentur in grœcum; et hanc causam esse quod a cœteris
Pauli epistolis discrepare videalur. De viris, 5, P. L.,
t. xxm, col. 617, 619. Cf. Prœfato Hieronijrni in
Epistulas Pauli, dans J. Wordsworth et J.-H. White,
Novum Teslamenlum D. N. J. C. latine, Oxford,
1913, t. ii, fasc. 1, p. 7. C'est le résumé plus ou moins
précis de tout ce qui précède et de tout ce qu'a dit
Eusèbe de Césarée. Une autre raison pour laquelle
quelques-uns rejettent cette lettre, c'est que Paul, si
elle était de lui, aurait cité des témoignages bibliques
qui ne sont pas dans les livres hébreux, c'est-à-dire
qui viennent de la version des Septante. In Epist. ad
Gai, i, 1, t. xxvi, col. 312. Ailleurs il enseigne que
l'Épître aux Hébreux est reçue comme étant de l'a-
pôtre Paul, non seulement par les Églises d'Orient,
mais encore par tous les écrivains ecclésiastiques de
langue grecque, licel plerique eam vel Barnnbœ vel Cle-
menlis arbitrentur, et il ajoute nihil interesse cujus sit,
cum ecclesiastici viri sit et quolidie ecclesiarum lectione
celebretur. Si la coutume des Latins est de ne pas la
recevoir parmi les Écritures canoniques, les Grecs en
font autant pour l'Apocalypse, et tamen nos utramque
suscipimus, nequaquam hujus lemporis consuetudinem,
sed veterum scriptorum auctoritalem sequenlcs, qui ple-
rumque utriusque abutuntur teslimoniis, non pas comme
des apocryphes qu'ils citent quelquefois, sed quasi cano-
nicis et ecclesiasticis. Epist., cxxix, ad Dardanum, n. 3,
P. L., t. xxn, col. 1103-1104. Il maintient donc très
nettement la canonicité de l'Épître aux Hébreux, quoi-
qu'il soit moins assuré de son authenticité paulinienne,
authenticité qui n'importe d'ailleurs pas à la canonicité.
Néanmoins, il mentionne ailleurs que les Latins ne la
reçoivent pas tous comme canonique, Epist., lxxiii,
ad Evangelum, n. 4, t. xxn, col. 678; In Is., vi, 2; vm,
18, t. xxiv, col. 94, 124; In Zach., vin, 1, 2, t. xxv,
col. 1465 ; il rappelle les hésitations au sujet de l'authen-
ticité paulinienne à Rome en particulier, De oiris, 59,
t. xxm, col. 669, ou de la part des Latins, In Matth.,
xxvi, 8, t. xxiv, col. 192, ou d'une façon générale,
In Jer., xxxi, 31, t. xxiv, col. 883; In Ezech., xxvin,
11, t. xxv, col. 272; In Amos, vm, 7, 8, ibid., col. 1081 ;
In Epist. ad Eph., n, 18, t. xxvi, col. 475; In Epist.
ad Titum, i, 5; n, 2, col. 563, 578. Il dit aussi que saint
Paul a écrit à sept Églises. In Zach., vm, 23, t. xxv,
col. 1478. Il exclut donc l'Épître aux Hébreux.
Ailleurs toutefois, il n'a aucune hésitation. Il re-
proche aux marcionites de rejeter sans raison les Épî-
tres pastorales et la lettre aux Hébreux, et il se propose
de prouver qu'elles sont de saint Paul. In Epist. ad
TH., prol., t. xxvi, col. 555-556. Dans ses sermons, il
cite couramment l'Épître sous le nom de saint Paul ou
de l'apôtre. Commcntarioli in ps. vm et xevi, dans
G. Morin, Anecdota Maredsolana, Maredsous, 1895,
t. m a, p. 21, 72; Tractatus de ps. lxxxvi, civ, evi,
ibid., 1897, t. m b, p. 98, 201; 1903, t. m c, p. 90; In
Esa., vi, 1-7, p. 109, 110, 115, 119, 121. Cf. In Is., vi,
9 sq.; vm, 18, P. L.,t. xxiv, col. 99, 121. Ces citations
indiquent quel était le sentiment personnel de saint
Jérôme : il admettait l'origine paulinienne de l'Épître.
Mais comme savant et critique, il hésitait à cause des
doutes antérieurs, partagés encore par quelques-uns
de ses contemporains, et il n'osait pas affirmer une
authenticité qu'il savait contestée. Il a hésité entre
la tradition orientale, favorable à l'authenticité pau-
linienne, et la tradition occidentale, qui lui avait été
défavorable.
Pelage, In Epist. ad Rom., v, P. L., t. xxx, col. 667;
cf. Zimmer, Pelagius in Irland, Berlin, 1901, p. 178-
179, 294 ; cite l'Épître, quoiqu'il ne l'ait pas com-
mentée. Le prologue général aux Épîtres de saint Paul,
qui débute par les mots Omnis textus vcl numerus,
qui se trouve dans un bon nombre de manuscrits bibli-
ques, S. Berger, Les préfaces jointes aux livres de la
Bible dans les manuscrits de la Vulgate, Paris, 1902,
p. 62, et que dom de Bruyne a attribué à Pelage, Étude
sur les origines de notre texte latin de saint Paul, dans
la Revue biblique, juillet et octobre 1915, p. 380,
compte quatorze Épîtres de saint Paul et il place la
lettre aux Hébreux la dernière, en ajoutant tou-
tefois : Hœc in canone non habetur. J. Wordsworth
et J.-H. White, Novum Teslamenlum D. N. J. C.
latine, Oxford, 1913, t. n, fasc. 1, p. 40. Pelage
admettait donc l'origine paulinienne de l'Épître aux
Hébreux, sans reconnaître sa canonicité. Un autre
prologue, débutant par les mots Primum quœritur
quare et attribué à Pelage par plusieurs manuscrits
de la Vulgate, contient un plaidoyer en faveur de
l'origine paulinienne de l'Épître aux Hébreux, que
quelques-uns attribuent à saint Barnabe, à saint Luc
ou à saint Clément. Si l'absence du nom de Paul
dans le titre de cette Épître prouvait qu'elle n'est
pas de l'apôtre des nations, l'absence de tout nom
dans ce titre prouverait qu'elle n'est l'œuvre de
personne, ce qui est absurde. Il faut donc croire plutôt
qu'elle est de celui dont elle contient la doctrine.
L'apôtre, regardé par les Hébreux comme un des-
tructeur de la loi, a tu son nom en tète d'un écrit où
il traitait du caractère figuratif de la Loi et de la
vérité du Christ, afin de ne pas détourner les lecteurs
du fruit de sa lecture. Et il n'y a pas lieu de s'étonner
que saint Paul soit plus éloquent en hébreu, sa
langue maternelle, qu'en grec, idiome étranger, dans
lequel il a rédigé ses autres Épîtres. J. Wordsworth
et J.-H. White, lac. cit., p. 2-5. Pour dom de Bruyne,
l'auteur de ce prologue serait un pélagien, qui a
ajouté, vers 480, l'Épître aux Hébreux au commen-
taire de Pelage, et a publié son prologue sous le nom
de Pelage. Ibid., p. 383. Cf. A. Souter, The character
and history of Pelagius' Commentary on the Epistles
of St Paul (extrait des Proceedings of the Brilish
Academy, t. vu), Londres, 1916, p. 6-9; É. Mangenot,
2079
HEBREUX
2080
Saint Jérôme ou Pelage éditeur des Épîtres de saint
Paul dans la Vulgate (extrait de la Revue du Clergé
français du 1" avril et du 1er mai 1916), p. 18-33. Les
pélagiens, d'ailleurs, invoquaient fréquemment cette
Épître en faveur de leurs doctrines.
Il ne reste plus à citer que Grégoire d'Elvire (f après
392), si les Tractatus Origenis sont bien de lui. Voir
G. Morin, dans la Revue d'histoire cl de littérature reli-
gieuses, 1900, p. 145-161; A. Wilmart, dans le Bulletin
de littérature ecclésiastique, 1906, p. 233-239. Or, au
milieu de citations de saint Paul, il rapporte Heb.,
xm, 15, comme une parole du sanctissimus Barnabas,
édit. Batiffol, Paris, 1900, p. 108. Cf. Revue biblique,
1899, p. 278-279.
Quelles qu'aient été les hésitations antérieures, dans
le dernier quart du ive siècle, l'Épître aux Hébreux fut
décidément admise au canon du Nouveau Testament,
en Occident, et rangée parmi les lettres de saint Paul.
La tradition orientale et grecque avait été adoptée
par les Latins. Seuls, quelques érudits gardèrent le
souvenir des anciens doutes : pseudo-Primasius (Cas-
siodore), In Epist, S. Pauli, prœf. ; In Epist. ad Heb.,
prref., P. L., t. lxviii, col. 415, 685; un prologue sur
les Épîtres de saint Paul, reproduit dans quelques
manuscrits, dit : Paulus apostolus ad septem scribit
Ecclesias : octava enim ad Hebrseos a plcrisque extra
numerum ponitur, J. Wordsworth et J.-H White,
loc. cit., p. 9; S. Isidore de Séville, Etym., 1. VI,
c. il, n. 45; De ecclesiasticis officiis, 1. I, c. xn, n.
11, P. L., t. lxxxii, col. 234; t. lxxxiii, col. 749;
Alcuin, Disputatio puerorum, c. vm, P. L., t. ci, col.
1129-1130; RabanMaur,De clericorum institutione, 1. II,
c. liv, P. L., t. cvn, col. 367; Walafrid Strabon, Glossa
ordinaria, P. L., t. cxiv, col. 643; Haymon d'Hal-
berstadt, Historia sacra, 1. III, c. m, P. L., t. cxvm,
col. 831; le même, ou plutôt Haymon d'Auxerre, In
Isa., vm, 18, P. L., t. cxvi, col. 768; Hugues de Saint-
Victor, In Epist. ad Heb., q. n, P. L., t. clxxv, col. 609-
610; Hugues de Saint-Cher, Poslilla in Epist. ad Heb.,
i, 1 ; S. Thomas, In Epist. ad Heb., prol., Opéra, Paris,
1876, t. xxi, p. 562; Nicolas de Lyre, Postilla in Epist.
ad Heb., arg. et prol.
3° De la Renaissance à nos jours. — Les doutes an-
ciens furent ravivés par Louis Vives, par Érasme et
par le cardinal Cajétan. Érasme faisait valoir la diver-
sité de style et de doctrine, dont quelques points lui
paraissaient favoriser les hérétiques. Paraphrasis N. T.,
Heb., xm, 24, 1516. En 1527, la Sorbonne censura
comme arrogantes et schismatiques les opinions d'É-
rasme. « Tandis que toute l'Église a proclamé que cette
Épître est de Paul, cet auteur doute encore. » Duplessis
d'Argentré, Collcclio judiciorum, t. n, p. 248. Érasme
répondit que les anciens conciles n'avaient voulu que
désigner l'Épître sans affirmer qu'elle était de saint
Paul. Même après leurs canons, les docteurs catho-
liques émettaient encore des doutes. Declaratio ad cen-
surant facultatis theol. Parisicnsis, n. 33, Opéra, t. ix,
p. 865. Cf. S. Berger, La Bible au xric siècle, Paris,
1879, p. 63-65. En 1519, le cardinal Cajétan faisait
aussi ses réserves sur la canonicité : il faisait profession
de suivre saint Jérôme, et comme ce docteur a eu des
doutes sur l'auteur de cette Épître, il ne l'attribuera
à saint Paul que pour se conformer à l'usage. In Epist.
ad Heb. comment., proa?m., Lyon, 1639. Il fut réfuté
directement par Ambroise Catharin, en 1542.
Carlstadt, quoique protestant, admit la canonicité
de l'Épître aux Hébreux, mais il ne pensait pas que la
lettre fût de saint Paul. De canonicis Scripluris libellus,
§ 144, 146, dans Credner, Zur Geschichte des Kanons,
Halle, 1847, p. 400, 401. Cf. S. Berger, op. cit., p. 92-
93. En 1522, Luther place l'Épître aux Hébreux à un
rang secondaire dans sa traduction allemande du Nou-
veau Testament, parce qu'elle a été contestée autre-
fois, et dans la préface il attribue cette lettre à un dis-
ciple des apôtres, homme pieux et savant, qui était
expérimenté dans la foi et versé dans l'Écriture. Il
admire sa doctrine, et il range sa lettre en dehors des
livres principaux du Nouveau Testament. S'il l'a par-
fois attribuée à saint Paul dans ses sermons, finale-
ment il la déclare d'Apollo, dans un sermon de 1537 et
dans son Commentaire sur la Genèse de 1544. Cf.
S. Berger, op. cit, p. 97-99. Mélanchthon allègue fréquem-
ment l'Épître, mais il évite soigneusement de l'attri-
buer à saint Paul et il introduit toujours ses citations
par une désignation anonyme. Zwingle l'a commentée
sans formuler aucun doute sur son autorité; il pensait
toutefois qu'elle n'était pas de saint Paul. Berner Dis-
putatio, 1527. En 1549, Calvin la reçoit, mais il ne
peut croire que Paul en soit l'auteur. Son nom n'est
pas en tète; la manière d'enseigner et le style sont
différents de ceux de l'apôtre. L'auteur est un disciple
des apôtres. Cf. S. Berger, op. cit., p. 118-119.
Le 8 avril 1546, le concile de Trente a défini de foi
catholique la canonicité de tous les livres de l'Ancien
et du Nouveau Testament, par conséquent celle de
l'Épître aux Hébreux. Denzinger-Bannwart, Enchiri-
dion, n. 784. Mais il n'a pas défini leur authenticité,
et les Pères n'ont fait qu'employer les dénominations
usuelles, en nommant les auteurs dans le décret, sans
vouloir rien trancher officiellement. Voir Authenti-
cité, t. i, col. 2592-2593. Le 5 avril, en congrégation
générale, Jean Fonseca, évêque de Castellamare, avait
demandé qu'au sujet de l'Épître aux Hébreux on ajou-
tât : ejusdem Pauli apostoli, pour qu'à l'avenir il n'y
ait plus de doute sur son origine. Le lendemain, à la
congrégation particulière, présidée par le cardinal de
Sainte-Croix, Marcel Cervino, le cardinal de Jaen,
Pierre Pacheco, fit la même demande. L'archevêque
d'Aix et les évêques de Palerme et de Sinigaglia se
rangèrent à son sentiment, ainsi que ceux de Pienza
et de Belcastro. Mais le plus grand nombre des autres
Pères préférèrent ne rien changer à la teneur du décret,
qui, de fait, ne fut pas modifié sur ce point. Cf. A. Thei-
ner, Acta genuina ss. cecumenici concilii Tridentini,
Agram 1874, t. i, p. 77, 86; S. Merkle, Concilium Tri-
denlinum, Fribourg-en-Brisgau, 1911, t. v, p. 70, 76,
77, 78. Aussi peu de théologiens ont enseigné qu'il était
hérétique de nier l'authenticité des Livres saints, dont
les auteurs sont nommés dans le décret De canonicis
Scripluris; nous ne connaissons que Melchior Cano, De
locis theologicis, 1. II, c. xi, dans le Cursus completus
theologiœ de Migne, t. i, col. 124-125, et Goldhagen,
Introductio in sac. Scripturam V. et N. T., Mayence,
1768, t. m, p. 421. L'authenticité paulinienne de l'É-
pître aux Hébreux a été généralement admise par les
catholiques jusqu'à une date récente comme une vérité,
sinon définie, du moins certaine. Les protestants eux-
mêmes, tout en maintenant l'Épître aux Hébreux à la
place secondaire que Luther lui avait assignée et tout
en reproduisant la préface de l'hérésiarque, finirent
par reconnaître la canonicité plénière et l'authenticité
de cette lettre. Voir Éd. Reuss, Histoire du canon des
saintes Écritures dans V Église chrétienne, 2e édit., Stras-
bourg, 1864, p. 334, 338-339. Dès 1565, Chemnitz ne
discutait plus sur l'auteur de cette Épître, qu'il pla-
çait au nombre des lettres de saint Paul. Examen con-
cilii Tridentini, loc. IV, sect. n, n. 43, édit. Preuss,
p. 39 a. Cf. S. Berger, op. cit., p. 168. La question d'au-
thenticité de cette lettre n'avait plus aucune impor-
tance chez les protestants.
Ce furent les premiers critiques qui la remirent à
l'ordre du jour. Des doutes furent émis par Semler en
1763 et par Jean-David Michaelis en 1764. Les pre-
miers adversaires décidés de l'origine paulinienne de
l'Épître aux Hébreux furent W. C. L. Ziegter, Yollstàn-
dige Einleilung in den Brief an die Hebràcr, 1791; Da-
20S1
HEBREUX
2082
vid Schulz, Der Brief an die Hebrâer, Breslau, 1818,
p. 125-130 (cf. L. Hug. Einleitung in die Schriften des
N. T., 4e édit., Stuttgard et Tubingue, 1847, t. i,
p. 400-4041; Bleck, Der Brief an die Hebrâer, Berlin,
1828. La plupart des critiques modernes, sauf de rares
exceptions, n'admettent plus, à aucun titre, l'origine
paulinienne de l'Épître aux Hébreux pour des argu-
ments intrinsèques que nous allons rapporter. Quelques-
uns cependant pensent qu'elle est l'œuvre d'un dis-
ciple de saint Paul, qui aurait exposé en un grec très
pur les doctrines de son maître. Ponr les mêmes rai-
sons et vu la divergence d'opinions des anciens écri-
vains ecclésiastiques, beaucoup de catholiques récents,
depuis le milieu du xixe siècle, ne soutiennent plus que
l'origine paulinienne indirecte de cette lettre : un
disciple de l'apôtre aurait, non pas sans doute sous sa
dictée, ni même par son ordre, mais dans son esprit,
composé cette lettre adressée aux juifs convertis de
Jérusalem; il aurait exposé les idées de son maître, en
y mêlant quelques-unes des siennes, et il aurait donné
à la lettre la forme qu'elle a actuellement.
II. ARGUMENTS INTRINSÈQUES. — 1° En faVCUT de
l'origine paulinienne directe. — La lettre elle-même ne
fournit qu'un seul argument direct, qui soit favorable
à son origine paulinienne : c'est la mention de Timo-
thée, xm, 23, mention faite dans les Épîtres authen-
tiques de l'apôtre. I Thés., m, 2; II Cor., i, 1; Col.,
i, 1; Philem., 1. Elle prouve que l'auteur s'intéresse
au sort d'un compagnon de saint Paul, et on en peut
conclure qu'il est Paul lui-même. L'indication qu'il
a été libéré de la prison ou déclaré innocent d'un crime
(car à7ioXeXuij.évov peut avoir ces deux sens), ne va pas
à rencontre, car nous ignorons beaucoup de particu-
larités de la vie de Timothée et il n'est pas prouvé que
ce fait soit postérieur à la mort de saint Paul; il peut
correspondre à sa seconde captivité et à la date qu'on
attribue à l'Épitre. Cet indice est peu concluant. — On
a voulu voir une autre preuve de cette origine dans
une prétendue allusion aux chaînes de saint Paul, x, 34.
Mais la leçon toi; Séapioiç (/.ou, bien qu'elle soit attestée
par le Sinaiticus et cinq autres onciaux (EHKLP),
n'est pas authentique, et il faut lire en cet endroit :
toi; Sêuiiioiç, leçon reproduite par la Vulgate. —
Une allusion du même genre a été aperçue aussi, xm,
18, 19, où l'auteur a confiance dans la bonté de sa
cause et demande des prières pour être rendu plus
promptement à ses lecteurs : ce serait saint Paul empri-
sonné qui attendrait sa libération. Mais le verset 23
laisse supposer que l'écrivain jouissait de sa liberté.
On peut encore faire valoir en faveur de l'origine pau-
linienne de cette Épître l'accord de sa doctrine et de
ses idées avec la doctrine et les idées de l'apôtre, la res-
semblance des exhortations et même celle des expres-
sions. Voir plus loin.
2° Contre l'origine paulinienne. — Ces arguments
sont tirés du fond et de la forme de la lettre. — 1. Du
fond. — a) Seule de toutes les lettres attribuées à
saint Paul, celle-ci est anonyme. L'apôtre a coutume de
se nommer et d'indiquer ses titres au début de ses mis-
sives. Ici, l'inscription ordinaire manque, et l'auteur
ne fournit aucun détail personnel. A la fin, il n'adresse
pas, comme saint Paul, des salutations à des amis qu'il
nomme. Les anciens ont expliqué l'absence de suscrip-
tion par une raison de prudence, pour ne pas écarter,
dès les premiers mots, les lecteurs judéo-chrétiens
auxquels il écrivait. Cette explication ne s'accorde
guère avec le caractère franc et loyal de l'apôtre, et
l'omission de son nom et de ses titres était bien inutile,
car les lecteurs ne pouvaient ignorer longtemps qui leur
écrivait. L'absence de salutations personnelles a toute-
fois son pendant dans l'Épître aux Éphésiens, que des
critiques, il est vrai, tiennent pour non authentique.
b) L'auteur semble se distinguer nettement de la pre-
DICT. DE TDÉOL. CATHOL
mière génération chrétienne et se ranger au nombre da
ceux qui ont reçu l'Évangile de seconde main. Le salut
qui a commencé à être prêché par le Seigneur, nous a
été confirmé, dit-il, par ceux qui l'avaient entendu, il,
3. Or, dans ses Épitres authentiques, Gai., i, 1, 11, 12,
15, 16; ii, 6, saint Paul dit qu'il a reçu son Évangile de
Jésus lui-même et qu'il n'est redevable de rien aux
apôtres. Il ne peut donc pas être l'auteur de cette
Épître. D'ailleurs, il serait étonnant qu'écrivant aux
juifs de Jérusalem, il n'ait pas revendiqué son indépen-
dance apostolique. On peut répondre, il est vrai, que
l'auteur parle de ses lecteurs, et non de lui-même,
puisqu'il leur fait une exhortation. Saint Paul, écrivant
aux chrétiens de Jérusalem, n'avait aucune raison d'en
appeler à la révélation immédiate du Christ. Au sur-
plus, il n'était pas, comme les autres apôtres, le disciple
auriculaire de Jésus et il n'avait pas, comme eux,
confirmé la foi des Hiérosolymitains. Ceux-ci connais-
saient sa conversion, et il n'était pas nécessaire de la
leur rappeler ni de la justifier, au milieu d'une courte
exhortation dans laquelle les apôtres étaient nommés
incidemment.
c) On oppose avec plus de force à l'authenticité
paulinienne de l'Épître les nombreuses différences de
doctrine qu'on constate entre elle et les Épîtres do
saint Paul. — a. La théorie générale sur la loi. — Pour
saint Paul, la loi mosaïque est une règle de vie, que
Dieu a tracée et qui aurait pu justifier ceux qui l'obser-
vaient, si la faiblesse humaine ne l'avait rendue impuis-
sante pour la justification, et c'est pourquoi elle a été
abrogée. Rom., vin, 3. Dans l'Épître aux Hébreux, elle
est un ensemble de règlements rituels et moraux, dont
le but est de faciliter l'union des hommes avec Dieu;
elle était le signe et le moyen de l'alliance entre Dieu et
les hommes. Elle a été abrogée parce qu'elle était im-
parfaite, et, par suite, impuissante et inutile. Heb.,
vu, 18, 19. Saint Paul dit que la loi a été abrogée par
Jésus; l'Épître ne le dit pas. D'après saint Paul, elle
devait préparer l'Évangile; d'après l'Épître, elle en
était seulement l'ombre et la figure, vm, 5; ix 8*
x, 1. Cependant saint Paul la tient aussi pour une
ombre de l'avenir. Col., n, 17. D'ailleurs, les deux
points de vue, quoique différents, ne sont pas contra-
dictoires et peuvent se compléter. Enfin, l'Épître pré-
sente avec la doctrine de l'apôtre sur la loi plusieurs
points de contact. Ainsi la loi a été révélée par les
anges, Heb., n, 2, et promulguée par eux, Gai., m, 19;
elle est impuissante et inutile, Heb., vu, 18; Gai.,
iv, 19 (si on entend d'elle les éléments grossiers du
monde); elle n'a rien amené à la perfection, Heb., vu,
19; elle est incapable de justifier, Gai., n, 16; elle
n'inspirait que la crainte, Heb., xn, 18-21; Rom., vm,
3; Gai., m, 3; iv, 3; les sacrifices qu'elle commandait
ne pouvaient rendre parfaits ceux qui les offraient,
Heb., x, 1; elle ne justifiait personne, Gai., ni, 11;
les biens futurs dont elle était l'ombre étaient la cité
future, Heb., xn, 22; xm, 14, la Jérusalem céleste
Gai., iv, 26. — b. Christologie. — Jésus-Christ crucifié
et ressuscité est le centre de la christologie de saint
Paul, Rom., vi, 4-9, etc.; dans l'Épître aux Hébreux,
c'est Jésus monté au ciel et assis à la droite de son Père,
i, 3; vm, 1; ix, 11. S'il s'est incarné, ce n'est pas pour
la même raison : pour l'apôtre, Jésus, de riche qu'il
était, s'est fait pauvre pour enrichir les hommes par sa
pauvreté, II Cor., vm, 9; il s'est dépouillé lui-même,
étant en forme de Dieu, Phil., n, 6, 7; il s'est donc fait
homme pour sauver et relever l'humanité abaissée et
déchue, tandis que, dans l'Épître aux Hébreux, il
convenait que Dieu amenât ses fils à la gloire en les
sauvant par la passion de son Fils, n, 10, qui a sauvé
tous les hommes par sa propre perfection, v, 9. Pour
saint Paul, Jésus-Christ. est mort pour le pécheur, en se
substituant à lui; pour satisfaire à la justice de Dieu
VII. -66
20S3
HÉBREUX
2084
il a souffert à la place du coupable. Gai., m, 13; Rom.,
vm, 3; II Cor., v, 15, 21. Dans l'Épître aux Hébreux,
le sacrifice de Jésus-Christ remplace les sacrifices de
l'ancienne loi; or, s'il a une valeur supérieure, il a
obtenu son efïet de la même manière : pour gagner les
faveurs divines, le juif détruisait un objet qui lui
appartenait, Jésus a offert sa vie pour obtenir la ré-
mission des péchés des hommes; il a expié leurs fautes,
il ne s'est pas substitué à eux. Enfin, l'Épître est seule
à présenter Jésus-Christ comme le grand-prètre de
la nouvelle alliance. Néanmoins, la christologie de
l'Épître se rencontre avec celle de saint Paul en beau-
coup de points. Le Fils est le rayonnement de la gloire
de son Père et l'image de son être, Heb., i, 3; il est
l'image de Dieu, II Cor., iv, 4; Col., i, 15; dans la
forme de Dieu, Phil., n, 6. Il est l'héritier de toutes
choses parce qu'il a créé les siècles, et il porte toutes
choses par la puissance de sa parole. Heb., i, 2, 3.
Toutes choses ont été créées en lui. Col., i, 16. Il est
JtpcoTOTOxo;, Heb., I, 6; 7ipwTdioxoç xrjç 7îocctt]ç xTt'ascoç.
Col., i, 15. Le Fils de Dieu a été envoyé par son Père
dans les derniers temps, Heb., i, 1, dans la plénitude
des temps. Gai., iv, 4. Il a participé à la chair et au
sang, afin d'anéantir celui qui a la puissance de la
mort, Heb., n, 1 ; Dieu a condamné le péché dans la
chair, en envoyant son Fils êv citAoïwucm aapxd;. Rom.,
vin, 3. Jésus s'est offert en sacrifice une seule fois,
Heb., vu, 27; le Christ ressuscité ne meurt plus.
Rom., vi, 9. Jésus a passé par les souffrances de la
mort à la gloire. Heb., n, 9; Phil., n, 8-9. Il s'est assis
à la droite de la grandeur dans les hauteurs, Heb., i, 3,
et Dieu lui a dit : Assieds-toi à ma droite, i, 13; Dieu
l'a assis à sa droite dans les cieux. Eph., i, 20. Il est
supérieur aux anges. Heb., i, 4-14; Eph., i. 21; Col., n,
10. Il a reçu un nom qui le rend supérieur aux anges,
Heb., i, 4, qui est au-dessus de tout nom. Phil., n, 9.
Ses humiliations passées sont la mesure de sa gloire.
Heb., ii, 8, 9; Phil., n, 8, 9. Toujours vivant, il peut
toujours sauver par ses interpellations ceux qui veulent
arriver à Dieu, Heb., vu, 25; ressuscité, il interpelle
pour nous. Rom., vm, 34. Il apparaîtra une seconde
fois pour sauver ceux qui l'attendent, Heb., ix, 28;
nous attendons la gloire de notre Sauveur. Tit., n, 13.
Le fond de la christologie de l'Épître est donc iden-
tique à celle de saint Paul au point que, si l'apôtre n'est
pas lui-même l'auteur de la lettre, celle-ci est au moins
l'œuvre d'un de ses disciples. — c. Rapports du chrétien
avec Jésus. — Ils ne sont pas les mêmes pour saint Paul
et pour l'auteur de l'Épître. Pour saint Paul, le Christ
vit dans le chrétien, Gai., n, 20, et le chrétien vit dans
le Christ, Rom., vin, 1; I Cor., i, 30; les chrétiens sont
les membres du Christ, I Cor., vi, 15; Eph., i, 23;
m, 17, etc.; le chrétien est transfiguré en l'image du
Christ. Rom., vm, 29; II Cor., m, 18. Selon l'Épître
aux Hébreux, le Christ est assis à la droite de Dieu;
il officie au ciel comme grand-prêtre, et les chrétiens
élèvent vers lui leurs cœurs par la foi. Cependant de là-
haut, il nous regarde comme ses frères. Heb., n, 11, 12;
Rom., vm, 17. Nous sommes participants du Christ,
Heb., m, 14; I Cor., x, 16, 17, et cette participation
suppose l'union la plus intime. Nos bonnos œuvres sont
les siennes. Heb., xm 21; Phil., i, 6; il, 13. — d. Notion
de la foi. — Dans l'Épître aux Hébreux, la foi est le
support, le fondement des choses que l'on espère, une
preuve de celles que l'on ne voit pas, xi, 1. Voir col.
58 sq. Elle est donc un acte de l'intelligence. Cette
notion intellectualiste de la foi se retrouve souvent en
saint Paul. Gai., m, 25; I Thés., iv, 13; Rom., x, 9.
Mais, pour lui, la foi est aussi un acte de volonté, par
lequel le croyant se donne à Jésus-Christ et vit en
Jésus-Christ. Gai., n, 19, 20. L'idée de l'union mystique
du croyant à Jésus-Christ n'est pas exprimée dans
l'Épître aux Hébreux. Cependant, la foi y apparaît
aussi comme un don du cœur, x, 22. Mais il y a d'autres
ressemblances entre l'Épître et celles de saint Paul au
sujet de la foi. C'est elle qui justifie, et le même texte
d'Habacuc, n, 14, est cité par l'apôtre, Rom., i, 17;
Gai., m, 11, et dans l'Épître, x, 38. L'auteur de celle-ci
engage ses lecteurs à imiter ceux qui par la foi et la per-
sévérance ont recueilli l'héritage promis, vi, 12. C'est
par la foi que Noé devint héritier de la justice qui
provient de la foi, xi, 7. La foi d'Abraham en une nom-
breuse postérité, provenant d'Isaac, est louée. Heb., xi,
17-19; Gai., m, 6-9. Il y a donc des ressemblances de
doctrine, même dans les points divergents, et dans les
cas de divergence il n'y a pas opposition radicale, mais
seulement point de vue différent.
On remarque d'autres ressemblances de doctrine
encore entre l'Épître et les lettres de l'apôtre. On y
trouve les mêmes règles pratiques de conduite et les
mêmes recommandations : vivre en paix avec tous,
Heb., xii, 14; Rom., xn, 8; profiter des grâces de Dieu,
Heb.,xn, 15; II Cor., vi, 1; pratiquer la patience, Heb.,
vi, 12; x, 36; xii, 1 ; Rom., v, 3, 4, etc.; la prière, Heb.,
iv, 16; Eph., vi, 18, etc.; l'hospitalité, Heb., xm, 2;
Rom., xii, 13, quoique ce ne soit pas pour le même
motif. Par suite, il semble bien que, du côté de la doc-
trine, il n'y a rien qui aille directement contre l'authen-
ticité paulinienne de l'Épître aux Hébreux. Dans
chacune de ses lettres authentiques, l'apôtre exposa
des doctrines nouvelles, celles qui allaient à son but
immédiat; il a pu agir de même en écrivant aux chré-
tiens de Jérusalem. Les nombreuses coïncidences de
fond entre l'Épître aux Hébreux et les autres lettres de
saint Paul seraient plutôt favorables à l'authenticité
paulinienne. Les divergences ne me paraissent pas
être, à elles seules, un argument décisif à rencontre.
Elles prouvent seulement la différence de rédacteur,
si on les joint aux divergences de style, qui sont les
plus saisissantes. Elles restent cependant des indices
clairs que le rédacteur de l'Épître était un disciple de
l'apôtre.
2. De la forme. — Les différences de forme portent
sur le vocabulaire et sur le style. — a) Vocabulaire. — •
Thayer a compté dans l'Épître 168 tMiaÇ XEyôjiEva. Le
nombre en est égal à celui des Épîtres pastorales, mais
il est supérieur à celui des Épîtres de saint Paul. Cf.
B. F. Westcott, The Epistel lo the Hebrews, Londres,
1889, p. xliv-xlvi. Comparé à celui de saint Paul, le
lexique de l'Épître comprend 292 mots, dont 162 sont
des mots composés; les 130 autres sont des mots
d'usage courant, dont l'apôtre se serait servi s'ils
avaient fait partie de son vocabulaire. Ce sont, par
exemple, des conjonctions, prépositions et adverbes :
88ev, ÊâvTtep xaO'oaov, xaîtoi; des mots, tels que Upsuç
employé 14 fois et àpyiepeûç 17 fois dans l'Épître, et
jamais par saint Paul. Les prépositions àsô, xata, [lexâ,
les plus fréquentes dans l'Épître, diffèrent de celles
qu'emploie surtout l'apôtre. Les verbes ne gouvernent
pas le même cas : xoivcdveïv gouverne le génitif, Heb.,
H, 14, le datif, Rom., xii, 13; xv, 27, et l'accusatif,
Gai., vi, 6; xparreïv le génitif, Heb., iv, 14, et l'accu-
satif, Col., ii, 19. Le verbe eûayysXiXopiat est toujours
employé par saint Paul à 3a voix moyenne; il l'est
deux fois à la voix passive dans l'Épître, iv, 2, 6. Saint
Paul s'est servi 32 fois de l'optatif, qu'on ne retrouve
qu'une fois seulement dans l'Épître. Celle-ci a des
expressions particulières : iS'.acpepojTspov ovojjlï xkr\povo-
[leiv; slvai efç 7iaxépa; àpyïjv Xaiioâvsiv xaXsïaôai ; 7tpocj-
Épyeaôat Opovài yâpitoç; XE^cupcatAÉvoç enzà Ttov àfiapicoXàlv ;
Oeôç Çôiv ; '((ov ô Xôyoç ; des termes ou des formules préfé-
rées : xpstTTcov, 11 fois (dans saint Paul, seulement I Cor.,
xii, 31); Tvpoaép^saôai tôj QeG5, 5 fois (1 fois dans Paul,
I Tim., vi, 3); teXeio'co, 9 fois (seulement 1 fois en
Paul, Phil., m, 12). Par contre, l'Épître n'emploie pas
des mots caractéristiques, qui sont fréquemment sous
2085
HEBREUX
2086
la plume de l'apôtre. D'autres termes, familiers à saint
Paul, ne sont usités que rarement dans l'Épître. Cepen-
dant, le lexique de l'Épître présente de nombreuses
ressemblances avec celui de saint Paul : 53 mots, non
employés dans le reste du Nouveau Testament; 55 plus
fréquemment employés par l'apôtre et dans l'Épître;
32 mots de l'Épître ont des termes apparentés dans les
lettres de saint Paul; 69 mots de l'Épître ont un sens
spécifiquement paulinien; 57 manières de parler et
liaisons de mots, tout à fait caractéristiques, sont
communes à l'Épître et aux lettres de saint Paul;
82 manières de parler sont analogues à celles de l'apôtre ;
43 idées, exprimées dans les mêmes termes, sont plus
ou moins développées dans le même contexte par Paul
et dans l'Épître. Cf. B. Heigl, Verfasser und Adresse
des Briefes an die Hcbràer, Fribourg-en-Brisgau, 1905,
p. 250-257. Ces ressemblances ne prouvent pas sans
doute que l'Épître aux Hébreux est l'œuvre de l'apôtre,
mais les divergences de lexique ne suffisent pas non
plus à prouver qu'elle n'est pas de sa main. Le voca-
bulaire de l'apôtre était très varié, parce que, dans ses
lettres, il traitait des sujets différents. Assurément,
l'absence, dans l'Épître, d'expressions et de particules
dont saint Paul semble ne pouvoir se passer, la pré-
sence de locutions étrangères à sa terminologie doivent
être prises en considération. Néanmoins, le lexique
seul ne permet pas, à mon sentiment, de trancher la
question d'authenticité paulinienne ou non pauli-
nienne. C'est le style de l'Épître qu'il faut examiner
avant tout : s'il exige une main différente de celle de
saint Paul, le vocabulaire divergent confirmera la
conclusion.
b) Style. — De tous les écrits du Nouveau Testa-
ment l'Épître aux Hébreux est celui dont la langue
contient le plus d'éléments littéraires. D'après Blass,
c'est le seul qui, pour la structure des phrases et pour le
style, témoigne du soin et de l'habileté d'un écrivain
artiste; c'est le seul où soient évités les hiatus qui
n'étaient pas admis dans la bonne prose classique.
Grammatik des Ncutcstamentlichen Griechisch, 2° édit.,
Gœttingue, 1902, § 82, n. 2, p. 303-304. Le début, i, 1-4,
constitue une première période complète selon les
idées des anciens, une période à deux membres, à la-
quelle se rattachent des phrases incidentes, puis une
période à quatre membres, à laquelle s'ajoute une nou-
velle période à deux membres. Le reste est composé
dans un style aussi coulant et d'une aussi belle rhéto-
rique. L'œuvre entière, spécialement pour la composi-
tion des mots et des phrases, est un morceau de prose
artistique. Paul, au contraire, ne prend généralement
pas la peine de soigner ainsi son style; aussi, malgré
toute son éloquence, les périodes artistiques ne se ren-
contrent pas dans ses écrits; les parenthèses et les ana-
coluthes y sont nombreuses. Ibid., § 79, n. 7, p. 286-
287.
Le même philologue a souligné le rythme de l'Épître
aux Hébreux. Sans parler de l'hexamètre, xn, 13, et des
deux trimètres qui se suivent, 14, 15, on constate dans
toute l'Épître la ressemblance du début et de la fin des
phrases et des membres de phrase. Les finales ou les
débuts des mots et des phrases rendent le même son,
ou bien le début des mots correspond à la fin, ou inver-
sement. C'est le rythme qu'on enseignait dans les
écoles de la Grèce et de Borne. On y retrouve le cho-
riambe, le pœon, le tribraque et les autres formes du
vers grec. Ibid., § 83, n. 3, p. 304-305. Blass a scandé
plus tard l'Épître entière, Die rythmische Composition
des Hebraerbriefes, dans Theologische Studien und
Kritiken, 1902, p. 420-461; (Barnabas), Brief an die
Hebràcr. Text mil Angabe der Rylhmen, Halle, 1903.
Mais les idées de Blass sur le rythme dans les Èpîtres
de saint Paul et l'Épître aux Hébreux n'ont pas été
admises par les critiques.
Le style de l'Épître est, dans son ensemble, très soi-
gné. 11 contient peu d'hébraïsmes et très peu des irré-
gularités et des incorrections (anacoluthes, hyper-
bates, accord avec le sens), qui sont très nombreuses
dans les Épîtres de saint Paul. Les parenthèses qui,
sous la plume de Paul, restent des phrases inachevées
ou incomplètes, sont dans l'Épître aux Hébreux
maniées avec dextérité; quoiqu'elles soient longues,
ou même redoublées, elles ne rompent pas la régularité
de la construction, vu, 20-22; v, 7-10; xn, 1, 2, 18-24.
L'enchaînement parfait du discours, l'art des transi-
tions naturelles, le ton oratoire soutenu sans effort, la
maîtrise de la langue caractérisent le style de cet écrit
et le distinguent de celui de l'apôtre. Les périodes sont
régulièrement construites et balancées par l'emploi nor-
mal de la protase et de l'apodose reliées par jjlsv et 8é.
Tous les meilleurs artifices de la rhétorique sont em-
ployés. Paul est un dialecticien qui argumente; l'au-
teur de l'Épître est un orateur qui ordonne son plan,
qui aime les effets de style et recherche le beau langage.
Le style de l'apôtre est fougueux et passionné; celui de
cet écrivain est calme et tranquille.
Le genre de l'argumentation est différent des deux
côtés. Saint Paul varie ses preuves et recourt tour à
tour aux arguments métaphysiques, psychologiques
et moraux, et il les complète par la preuve scripturaire.
L'auteur de l'Épître emploie presque exclusivement
cette dernière preuve sous des formes différentes. Sa
manière d'amener les citations bibliques diffère aussi
de celle de l'apôtre. On a relevé dans son œuvre 29 cita-
tions littérales et 47 réminiscences; quelques-unes se
retrouvent dans les lettres de Paul. Les citations sont
toujours anonymes, tandis que saint Paul nomme assez
souvent l'auteur. Les passages bibliques sont présentés
comme paroles de Dieu, i, 1, 5, 7; v, 5, ou du Fils, n,
12, 13, ou du Christ, x, 5, ou du Saint-Esprit, m, 7; x,
15, alors même que l'écrivain sacré parle en son nom
et de Dieu à la troisième personne, iv, 4-8; x, 30; n, 13.
Saint Paul n'attribue à Dieu que les paroles qu'il a
réellement prononcées; mais il applique, comme l'au-
teur de l'Épître, à Jésus-Christ ce qui est dit de Jahvé.
Les formules d'introduction sont générales en saint
Paul; or la formule y^ypantai, qui se lit 30 fois dans ses
lettres, ne se voit pas dans l'Épître aux Hébreux. On
trouve dans celle-ci des formules impersonnelles :
eÏ7iêv, Xéyei, eïpriy.Ev, çr]aîv. Saint Paul recourt par-
fois au texte hébreu, au moins auand il diffère de la ver-
sion des Septante qu'il cite d'habitude; l'auteur de
l'Épître ne cite que le texte grec, même quand il n'est
pas d'accord avec l'original, iv, 4; x, 3-10; m, 7; i, 10;
xn, 5; vin, 8; x, 37; xn, 26; vi, 13; ix, 20; x, 20. L'a-
pôtre cite de mémoire et assez librement; l'auteur de
l'Épître suit de très près le texte et semble copier son
manuscrit. Ses citations sont, d'ailleurs, assez longues,
n, 6-8; m, 7-11 ; vin, 8-12. Il n'y a dans son œuvre que
trois citations libres, i, 6; xn, 20; xin, 5.
Le procédé d'exposition dans l'Épître est différent
de celui des lettres de saint Paul. L'exhortation morale
y est intimement mêlée à l'exposé dogmatique, n, 1-4;
m, 12-iv, 6; v, 11 -vi, 12, etc. L'Épître est un Xôyoc;
7iapaxX7Ja£coç, xin, 22. Saint Paul procède autrement :
il prouve d'abord la vérité qu'il veut démontrer et il en
tire ensuite les conséquences pratiques. Il passe souvent
d'un sujet à l'autre, brusquement et sans transition.
L'auteur de l'Épître ménage habilement les transitions.
Voir, i, 1-5, le passage du préambule au sujet de la
lettre; iv, 14-v, 1, le retour au sujet après une exhorta-
tion morale; ix, 9-12, la transition du sanctuaire aux
sacrifices.
Enfin, on a souvent relevé des ressemblances
d'expressions et d'idées entre l'Épître aux Hé-
breux et les écrits de Philon. Pour la langue, on a
constaté des mots communs et les mêmes formes de
2087
HEBREUX
2088
rhétorique. Quant aux doctrines et aux idées, on a
signalé la même manière d'interpréter symbolique-
ment l'Ancien Testament, la même conception du
monde visible et de ses rapports avec le monde invi-
sible, les choses d'ici-bas ayant au ciel leur plan et leur
modèle, les attributs du Fils de Dieu identiques aux
attributs du Logos chez Philon. Toutefois, on ne peut
pas dire que l'auteur de l'Épître soit un disciple de
Philon et qu'il ait lu ses écrits : il ne connaît pas le
Logos, il donne aux expressions communes un autre
sens que Philon. On peut conclure seulement que l'au-
teur de l'Épître a subi l'influence de l'hellénisme, qu'il
a emprunté des termes à sa langue et qu'il représente
la théologie judéo-hellénistique plutôt que la théologie
judéo-palestinienne. On ne peut pas même affirmer
catégoriquement qu'il était un juif alexandrin, car ses
tendances juives et ses procédés d'exégèse étaient
répandus chez tous les juifs de la dispersion.
De ces divergences de style, de diction, de manière
de traiter le sujet et de ces tendances hellénistiques,
on conclut généralement la différence d'auteurs, ou
au moins de rédacteurs. Cependant on a relevé même
sous ce rapport, de nombreuses ressemblances entre
l'Épître aux Hébreux et les lettres de saint Paul.
Voir Heigl, op. cit., p. 73-92. On ne peut nier que les
deux catégories d'écrits n'aient, au point de vue de la
diction et du style, des éléments communs. Mais les
caractéristiques propres de chacune d'elles ne se ren-
contrent chez l'autre qu'accidentellement, par excep-
tion, çà et là, en passant, et non pas d'une façon con-
tinue, de telle sorte que les deux styles demeurent fon-
cièrement différents. Origène l'avait bien vu et il en
concluait que si les pensées de l'Épître sont dignes de
l'apôtre, le style n'est pas de lui. C'est la position
que gardent les critiques catholiques contemporains. A
leur sentiment, l'Épître aux Hébreux n'est pas directe-
ment paulinienne, n'ayant pas été composée par l'a-
pôtre lui-même; mais ils estiment qu'elle est l'œuvre
d'un de ses disciples. Les critiques rationalistes vont
plus loin. Joignant la différence de doctrine à la diver-
sité du style, ils prétendent que l'auteur de l'Épître
n'est pas un disciple strict de l'apôtre, mais un disciple
qui a joint ses idées personnelles aux doctrines du
maître et qui représente un paulinisme modéré ou
secondaire, et qui est un juif helléniste, peut-être d'ori-
gine alexandrine, parce que plusieurs de ses doctrines
et de ses expressions propres ressemblent à celles de
Philon.
Le 24 juin 1914, la Commission biblique a publié
une décision sur l'auteur, le mode et les circonstances
de la composition de l'Épître aux Hébreux. Elle
reconnaît d'abord que les doutes qui se sont produits
dans les premiers siècles, en Occident, chez quelques
esprits sur l'inspiration et l'origine paulinienne de cette
Épître, principalement à cause de l'abus qu'en fai-
saient les hérétiques, n'ont pas une force telle, qu'en
présence de l'affirmation perpétuelle, unanime et cons-
tante des Pères de l'Église orientale, à laquelle s'ajoute
le plein consentement de toute l'Église d'Occident
i le ive siècle, en considération des actes des sou-
verains pontifes, des conciles, surtout du concile de
Trente, et de l'usage perpétuel de l'Église universelle,
il soi! permis d'hésiter de la recenser, avec certitude,
non ci lement au nombre des écrits canoniques — ce
qui est défini de foi — mais même parmi les Épîtres
authentiques de l'apôtre Paul. Elle déclare aussi que
les arguments, tirés soit de l'absence insolite du nom
de Paul et de l'omission de 1 exorde accoutumé et des
salutations finales, soit de la pureté de la langue
grecque, de l'élégance et de la perfection de kvdiction
et du style, soit de la manière dont l'Ancien Testament
et cité et dont les argumenis en sont décrits, soit de
quelques prétendues différences de doctrine, ne sont |
pas capables d'infirmer en quelque manière l'origine
paulinienne de cette Épître. Elle reconnaît plutôt que
l'accord parfait de la doctrine et des idées, les ressem-
blances des admonitions et des exhortations et aussi
l'accord des locutions et des mots eux-mêmes, accord
reconnu même par plusieurs critiques non catho-
liques et constaté entre cette lettre et les autres écrits
de l'apôtre des gentils, prouvent et confirment son
origine paulinienne. Cependant, l'apôtre Paul n'est pas
à considérer comme l'auteur de cette Épître au point
qu'il soit nécessaire d'affirmer non seulement qu'il l'ait
conçue et exprimée tout entière sous l'inspiration du
Saint-Esprit, mais même qu'il lui ait donné la forme
qu'elle a, salvo ulteriori Ecclesiœ judicio. Cf. Acta apos-
tolicse sedis, Rome, 1914, t. vi, p. 417-418.
Ainsi donc la Commission biblique, tout en affir-
mant très catégoriquement l'origine paulinienne de
l'Épître aux Hébreux, admet que Paul n'en est pas l'au-
teur au même titre que de ses autres lettres. L'Épître
n'a pas nécessairement été entièrement conçue et
rédigée par lui; quelque autre personnage y a ajouté
du sien sous l'inspiration divine, et lui a donné sa
forme actuelle. La troisième réponse de la Commission
biblique autorise, en termes généraux et un peu voilés,
peut-être à dessein, les opinions émises par les critiques
catholiques sur la rédaction de l'Épître aux Hébreux.
Elle reconnaît équivalemment ce qu'on peut appeler
l'authenticité paulinienne indirecte de cette Épître,
puisqu'un autre que l'apôtre a pu y ajouter pour le
fond et lui donner la forme actuelle. Elle adopte ainsi
les vues qu'avait déjà exposées Origène, en unissant
la critique à la tradition. Cf. L. Méchineau, L'Epistola
agli Ebrei secondo le risposte délia Commissionc
biblica, dans La Civiltà catholica. 1916, t. i, p. 271-
284, 665-679 ; t. n, p. 156-169, 529-545 ; t. m, p. 13-
24, 271-282, 532-546 ; t.iv, p. 21-34, 277-287,^28-539 ;
1917, t. i. p. 161-174, 407-420, 663-677 ; t. n, p. 143-
156; 480-493; Nit. m, p. 45-57, 311-320.
III- AUTEURS OU RÉDACTEURS DIFFÉRENTS AUXQUELS
ON A attribué L'ÉPÎTRE. — 1° Dès l'antiquité. —
1. Saint Luc. — Clément d'Alexandrie pensait que
l'évangéliste avait traduit en grec la lettre écrite par
Paul en hébreu, pour une raison critique, à cause de la
ressemblance du style de l'Épître avec le style de saint
Luc. Pour la même raison, quelques critiques modernes
ont pensé que Luc était l'auteur de la lettre aux Hé-
breux. Ainsi, parmi les catholiques, Hug, Dôllinger,
Zill, Huyghe, et parmi les protestants, Stier, Ébrard,
Delitzsch, Belsheim. Il est certain que le style de saint
Luc est plus pur que celui des autres évangélistes.
Westcott, op. cit., p. xxviii, a relevé 19 mots ou cons-
tructions dont la fréquence dans les Actes caractérise
le style de cet écrivain et qu'on retrouve dans l'Épître
aux Hébreux. Mais ces ressemblances n'ont rien de
frappant ni de décisif; elles ne sont ni caractéristiques
ni individuelles, et elles peuvent s'expliquer par le fait
que saint Luc est, lui aussi, un disciple de Paul qui
écrit le grec littéraire. Saint Luc, il est vrai, a accom-
pagné saint Paul à Rome et a connu Timothée; mais
on n'en peut conclure qu'il a rédigé à Rome une lettre
où il est incidemment parlé de Timothée. Le séjour à
Rome n'est qu'une simple coïncidence qui confirme-
rait l'attribution de l'Épître à saint Luc, si elle était
prouvée par ailleurs, mais qui ne la prouve pas. L'attri-
bution à saint Luc est exclue par cette considération
que Luc, païen converti, ne pouvait guère connaître à
fond le rituel mosaïque du temple de Jérusalem,
comme le connaît l'auteur de l'Épître, ni prendre tant
d'intérêt à des observances cérémonielles qui étaient
sans valeur à ses yeux, à moins qu'il ne le fît au nom de
Paul, qui les connaissait, lui, et qui, tout en les tenant
pour abrogées, s^en servait pour confirmer dans leur
foi les chrétiens de Jérusalem, venus du judaïsme.
2089
HÉBREUX
2090
Enfin, le style de saint Luc nw manifeste jamais la
rhétorique spéciale et la culture alexandrine du rédac-
teur de l' Épître aux Hébreux.
Eagar a récemment fait valoir la ressemblance de
contenu et de style de l'Épître avec le troisième Évan-
gile et les Actes pour attribuer à saint Luc l'Épître aux
Hébreux. The aulhorship of the Epistel to the Hebrews,
dans Expositor, 1904, p. 74-80, 110-123. Il a trouvé
dans les deux écrits la même économie. Les rapports
des deux Testaments sont les mêmes. Dans l'Évangile
de l'enfance, le service du temple de Jérusalem est
décrit dans le ton de l'Épître, par un artiste et un
poète. Luc seul parle des anges annonçant la naissance
du Fils de Dieu; il présente Jésus comme prêtre et
hostie. Il expose la vocation des gentils, surtout dans
les Actes et dans les sept paraboles évangéliques qui
lui sont propres. L'Épître aux Hébreux est seule avec
Luc à retracer les rapports du christianisme avec le
judaïsme comme conséquence logique de la doctrine
de saint Paul. L'Évangile de Luc est l'Évangile des
anges, des pauvres et des malheureux pour qui le Sau-
veur a de la compassion; il respire la tolérance et la
grâce. C'est aussi le caractère de l'Épître aux Hébreux.
Le style de Luc présente quelques ressemblances avec
celui de l'Épître : quelques allitérations et assonances,
des antithèses, des substantifs verbaux actifs, l'emploi
fréquent de l'article déterminé, 612 mots communs sur
754, hormis les 154 axaÇ Xeyo'jxsvdc, quelques termes de
médecine. Ces ressemblances sont très générales, et il
y en a de pareilles entre l'Épître et les lettres de saint
Paul. Elles ne prouvent pas l'origine commune des
écrits qui les présentent. Il est donc peu vaisemblable
que saint Luc soit l'auteur ou même simplement le
rédacteur de l'Épître aux Hébreux.
2. Saint Clément de Rome. — ■ On lui attribuait
l'Épître avant Origène déjà. Eusèbe reconnaissait en
lui le traducteur de la lettre, à cause de la ressemblance
du style et des pensées de la /* Cor. avec elle. Théodo-
ret et le pseudo-Euthalius étaient du même avis. Des
critiques catholiques ont pensé, dans les temps mo-
dernes, que Clément était le véritable auteur de la
lettre : Mash, Reithmayr, Langen, Aberle, Bisping,
Kaulen, Cornely. En dehors des citations de l'Épître,
la ressemblance de fond et de forme, sur laquelle ils
s'appuient, est peu frappante et elle s'explique suffi-
samment par la connaissance et l'utilisation de l'Épître
par saint Clément. D'autre part, le style des deux écrits
est si différent que Clément ne peut avoir rédigé
l'Épître. Sa pensée est moins originale, son style est
moins pur et moins précis; il est monotone, moins
soigné, moins rhétorique; il a des caractères différents :
beaucoup de mots propres, des phrases coordonnées et
non subordonnées; l'Écriture est citée d'une manière
spéciale; les doxologies sont multipliées. Bref, les
idées de Clément et la manière de les exprimer témoi-
gnent d'une autre orientation d'esprit. Enfin, si Clé-
ment avait été l'auteur, ou même simplement le tra-
ducteur de l'Épître, on l'aurait su à Rome, où l'Épître
aux Hébreux a été longtemps inconnue et où on igno-
rait le nom de l'auteur, quand elle y fut connue.
3. Saint Barnabe. — Tertullien lui a attribué l'Épître.
Quelques critiques ont prétendu que l'Épître aux
Hébreux, qui n'est pas nommée parmi les lettres de
saint Paul, était désignée dans le canon du codex Cla-
romontanus (vie siècle), qu'on rapporte au me siècle et
à l'Afrique par les mots : Barnabœ cpist. vers. DCCCL.
Zahn, Gcschichte des Neutestamentlichen Kanons, t. Il,
p. 159. Le nombre des stiques : 850, se rapproche de la
longueur de cette Épître. Zahn, toc. cit.. p. 170-171, ne
trouve pas la preuve suffisante; les chiffres des stiques
ne sont pas sûrs et la différence est notable. Jamais
l'Épître aux Hébreux n'a été citée en Afrique sous le
titre de Barnabœ Epistola, et le canon est plutôt
alexandrin qu'africain. Zahn, op. cit., t. i, p. 290-294,
pensait que la lettre n'avait porté ce titre que dans les
communautés montanistes de l'Asie Mineure. Mais
quand Tertullien cite, vers 220, l'Épître aux Hébreux
comme de Barnabe, il n'est pas encore montaniste.
En Orient, on n'a connu l'Épître que comme l'œuvre
de saint Paul. Ed. Riggenbach, Dcr Bricf an die
Hebrûer, Leipzig, 1913, p. xi, pense que Tertullien n'a
pas inventé l'attribution de l'Épître à Barnabe, mais
qu'il l'a empruntée aux Romains, qui connaissaient
la lettre comme l'œuvre de Barnabe et par suite ne
l'admettaient pas au canon biblique. Tel est précisé-
ment le sentiment de Tertullien qui estimait toutefois
cette Épître plus recevable que le Pasteur d'Hermas.
On prétend que le témoignage de Grégoire d'Elvire est
indépendant de celui de Tertullien et qu'il attesterait
une tradition occidentale, qui attribuait l'Épître à Bar-
nabe et dont le point de départ aurait été Rome. Saint
Philastre visait peut-être un écrivain qui pensait
comme Grégoire d'Elvire. User., 89, P. L., t. xn, col.
1201. Dom de Bruyne, Un prologue inédit des Épttrcs
catholiques, dans la Revue bénédictine, 1906, p. 84-85,
a publié, d'après un manuscrit de l'Ambrosienne du
xie siècle, un catalogue qui débute ainsi : Canoncs Novi
Testamenti primus Pelrus scripsil, secundus Jacobus,
tertius Malheus, quartus Judas, quintus Paulus, sexlus
Barnabas, septimus Lucas, octavus Marcus, nonus
Johannes. L'ordre suivi est l'ordre chronologique;
Barnabe serait donc le sixième écrivain du Nouveau
Testament. Puisque sa lettre n'a jamais été tenue pour
canonique en Occident, puisqu'il est nommé entre
Paul et Luc, disciple de Paul, dom de Bruyne en con-
clut qu'il est considéré comme l'auteur de l'Épître aux
Hébreux. Mais ce catalogue est-il d'origine occiden-
tale? Ne serait-il pas la traduction d'un original grec ?
D'un ensemble de considérations, Riggenbach, op. cit.,
p. xii-xiv, note, conclut que ce catalogue latin dépend
de Clément d'Alexandrie, dont les Hypotyposcs ont été
traduites en latin par Cassiodore. Par suite, sous le
nom de Barnabe, il n'y a que l'Épître de Barnabe qui
puisse être désignée et qui était déjà traduite en latin
au ive siècle.
L'attribution de l'Épître aux Hébreux à Barnabe a
été adoptée par quelques catholiques, Maicr, Fouard,
et par un plus grand nombre de protestants, J. E. Ch.
Schmidt, Ullmann, Twesten, Wieseler, VolUmar,
Ritschl,1" Gran, Thiersch, B. Weiss, Keil, Kubel, Sal-
mon, H. Schulz, Overbeck, Lagarde, Zahn, Blass,
Bartlet, Ayles, Dibelius, Endemann, Riggenbach, et
par Renan. En dehors de la tradition occidentale, ils
font valoir les caractères généraux de l'Épître. Bar-
nabe était de la génération sub-apostolique, juif de
race, helléniste d'éducation, compagnon de saint Paul,
ayant vécu dans son intimité, l'ayant souvent entendu
parler, étant par suite bien au courant de ses doctrines.
Il avait entendu aussi la prédication qui faisait le fond
de la tradition évangélique; il connaissait probable-
ment les écrits de saint Luc et de saint Pierre, ou tcut
au moins leurs sources. Il avait été le maître de saint
Marc. Lévite, il était au courant du rituel mosaïque, et
Blass a supposé que la forme rythmique de l'Épître
était l'œuvre d'un lévite, habitué au chant des psaumes
dans le service liturgique. Natif de Chypre, Barnabe a
parlé grec dès son enfance, et la littérature alexandrine
a pu lui être familière. Il était au mieux avec la com-
munauté chrétienne de Jérusalem, à laquelle il avait
abandonné ses biens, Act., iv, 37, et il jouissait d'une
grande autorité en Palestine. Act., xi, 24. La lettre
qui porte son nom ne peut être un obstacle à cette
attribution, puisqu'elle n'est pas de lui. Par conséquent,
la différence de style et de doctrine des deux écrits
s'explique par la diversité des auteurs.
La tradition occidentale est-elle aussi favorable
2091
HEBREUX
2092
qu'on le prétend à l'attribution de l'Épître aux Hé-
breux à Barnabe? Tertullien en est plus probablement
le point de départ, et il a fait une conjecture. Il n'y a
pas de preuve positive d'une tradition antérieure.
Saint Jérôme ne connaît que Tertullien de ce senti-
ment, et saint Philastre le vise peut-être. La tradition
montaniste, admise par Zahn, est réfutée avec raison
par Riggenbach. La tradition romaine que ce dernier
suppose n'est fondée sur aucun argument positif; elle
n'est qu'une simple déduction. Rome ne connaissait
pas la lettre aux Hébreux, que Clément avait citée,
ou au moins elle ne connaissait pas son auteur, et c'est
pourquoi elle ne l'admettait pas au canon biblique.
Le catalogue, publié par dom de Bruyne, n'a pas la
signification que l'éditeur lui avait donnée. Grégoire
d'Elvire, qui est isolé, a pu connaître le sentiment de
Tertullien et l'adopter. L'attribution à Barnabe n'est
pas une tradition; c'est seulement une hypothèse,
comme celles concernant Luc et Clément, faite par
un ou deux écrivains ecclésiastiques. Les caractères
généraux de l'Épître, mis en rapport avec ce que nous
savons de Barnabe, ne prouvent pas qu'il soit l'auteur
de cette lettre; ils donnent seulement quelque vrai-
semblance à l'hypothèse. Tous ne sont pas certains :
sa connaissance de la littérature alexandrine est sup-
posée. D'autre part, Barnabe n'a pas toujours partagé
les idées de Paul. Il s'est séparé de lui, non pas seule-
ment à cause de son parent Jean Marc, Act., xv, 37-39,
mais encore au sujet des observances judaïques, quand,
à Antioche, il participa à l'hypocrisie de Céphas.
Gai., ii, 13. Il n'avait pas l'énergie et la logique de
raisonnement qu'on remarque, Heb., v, 11-12; vi, 12,
etc. Dans leurs prédications communes, Paul était le
chef de la parole; c'est pourquoi à Iconium il est pris
pour Mercure et Barnabe pour Jupiter. Act., xiv, 10-12.
La rhétorique de l'Épître aux Hébreux n'est guère at-
tribuable à un lévite, originaire de Chypre. Il n'est pas
nécessaire d'être lévite pour s'occuper du sacerdoce et
des sacrifices juifs, comme l'a fait l'auteur de l'Épître;
tout juif pouvait en faire autant, Paul aussi bien que
Barnabe. La forme rythmée n'est pas nécessairement
l'œuvre d'un lévite habitué au chant des psaumes. Tout
lecteur de l'Ancien Testament connaissant le rythme
des livres poétiques, et écrivant à des Hébreux, il
pouvait adapter son style au genre littéraire des écrits,
lus par ses correspondants. Cf. P. Batiffol, De l'attri-
bution de l'Épître aux Hébreux à saint Barnabe,
dans la Revue biblique, 1899, p. 278-283.
2° Dans les temps modernes. — 1. Apollo. — Luther
est le premier tenant de cette attribution. Beaucoup
de protestants l'ont acceptée: Osiander, Le Clerc,
Heumann, Lorenz, Millier, Semler, Ziegler, de Wette,
Bleek, H. A. Schott, Tholuck, Guericke, Lùnemann,
Bunsen, Kurtz, L. Schulze, Farrar, Alford, de Pressensé,
Davidson, Hilgenfeld, Scholten, Pfleiderer, et quelques
catholiques, Feilmoser, Belscr et Rohr. Apollo était un
juif de J'entourage de Paul et il connaissait Timothée.
Il était d'Alexandrie, et il pouvait avoir fréquenté
l'école de Philon. Il était très éloquent et très versé
dans l'Écriture. Act., xvin, 24. A Éphèse et à Corinthe,
il avait discuté avec les juifs, et à Corinthe il avait un
parti. I Cor., m, 5.
Ces arguments montrent tout au plus qu'Apollo
pourrait avoir composé l'Épître aux Hébreux, s'il
n'y avait pas à rencontre quelque objection décisive
On ne voit pas, en effet, ni quand ni comment Apollo
aurait acquis le droit de parler en maître à l'Église de
Jérusalem, avec laquelle il n'a eu aucune relation.
L'attribution à Apollo manque donc de base historique
comme de fondement traditionnel.
J. Albani a fait valoir récemment en faveur de cette
attribution un argument nouveau : le parallélisme de
fond et de forme entre I Cor., ni, 1-9, où il est question
d'Apollo, et Heb., v, 11-vr, 8. Il y a remarqué le même
ordre de pensées, les mêmes images, dans un contexte
pourtant différent. Il lui paraît donc vraisemblable
que l'auteur de l'Épître aux Hébreux connaissait la
Ire lettre aux Corinthiens et s'est servi des versets 1-9
du c. m. Zeilschrijt fur wissenschaftliche Théologie, 1904,
p. 88-93. La ressemblance et même la dépendance in-
diquées ne prouvent pas qu'Apollo soit l'auteur de
l'Épître aux Hébreux. C'est une curieuse coïncidence
qui serait plutôt en faveur de l'authenticité pauli-
nienne.
Reuss hésitait entre Barnabe et Apollo, et A. See-
berg est encore dans la môme hésitation. Credner a
admis successivement ces deux attributions.
2. Silas. — Mynster, Kleine Schrijten, 1825, p. 91-92,
Bohme, F. Godet, dans Expositor, 1888, t. vu, p. 241-
242, ont pensé à ce personnage, uniquement parce
qu'il était disciple de saint Paul.
S. Priscille et Aquila. — A. Harnack a imaginé cette
nouvelle attribution. Probabilia liber die Adresse und
den Verfasser des Hebraerbriejes, dans Zeitschriftjùr die
neutestamentliche W issenschaft und die Kunde des
Urchristvntums, 1900, p. 16-41. Adressée à une Église
familiale de vieux chrétiens de Rome, cette Épître a
plusieurs auteurs. L'emploi du pronom nous, xm, 18,
n'est pas purement littéraire, puisqu'au verset 23 qui
suit, il y a un autre pronom pluriel de la première per-
sonne, qui est un pluriel réel et qui désigne un groupe
dont Timothée est le collègue. Or, les auteurs sont le
couple Aquila et Priscille, des maîtres instruits et
éloquents qui ont converti Apollo. Priscille surtout a
rempli ce rôle. Act., xvm, 26. Tous deux ont été colla-
borateurs de Paul dans le Christ Jésus. Rom., xvi, 3.
C'était donc des évangélistes et des docteurs. Leur
action a été œcuménique, Rom., xvi, 4. Ils ont écrit
une lettre pour recommander Apollo à l'Église de
Corinthe. Act., xvm, 27. Ils ont écrit aussi l'Épître
aux Hébreux, et c'est Priscille surtout qui aurait tenu
la plume. On reconnaîtrait sa main à quelque chose de
féminin qu'on remarque dans l'Épître.
Il n'est pas nécessaire de réfuter longuement cette
hypothèse. M. Harnack a exagéré le rôle doctrinal des
deux époux pour leur attribuer une lettre aussi doctri-
nale que l'Épître aux Hébreux. L'enseignement de
Priscille ne répond guère à la parole de saint Paul :
« Que les femmes se taisent à l'église ! » I Cor., xiv, 34.
Enfin, l'unité d'auteur apparaît clairement dans toute
l'Épître et l'interprétation du nous de la pluralité
d'auteurs ne s'impose pas, et la main d'une femme ne
se fait guère sentir.
Notons encore que Velch a attribué cette Épître
à saint Pierre, The authorship oj the Epistle lo the He-
brews, Londres, 1899, et dom Chapman, Revue béné-
dictine, 1905, t. xxn, p. 49-62, et Perdeftvitz, Zeit-
schrift fur neutestamentliche Wissenschaft, 1910, p. 105-
111, à Aristion, le presbytre d'Asie, qui aurait écrit
aussi la finale de Marc. Ramsay a nommé le diacre
Philippe.
Mais, sans désigner aucun nom, beaucoup de cri-
tiques se bornent à dire que la lettre est d'un Juif
alexandrin (Eichhorn, Seyffarth, Schott, Neudecker,
Baumgarten-Crusius, Ewald, Hausrath, Kluge, Lipsius,
von Soden, Holtzmann, Ménégoz, Jùlicher, Rendall,
Westcott, Vaughan, Hollmann, Windisch. En effet,
aucune des hypothèses faites sur l'auteur de l'Épître
n'est prouvée; aucune n'est entièrement satisfaisante.
Il est donc plus sage de se borner à dire que le dernier
rédacteur de l'Épître est un disciple inconnu de saint
Paul, peut-être de culture alexandrine. C'est ce disciple
inconnu, qui, sous l'inspiration divine, aurait ajouté
quelque chose à l'Épître de son maître et lui aurait
donné sa forme actuelle.
II. Destinataires. — La question des destinataires
209c
HÉBREUX
2094
de l'Épître est aujourd'hui presque aussi discutée que
celle de son auteur. Ce qui crée la difficulté, c'est
l'absence d'adresse au début de la lettre et d'indication
précise sur la nationalité et le lieu de la résidence des
destinataires dans le cours de l'écrit. Toutefois, la
lettre n'est pas une encyclique, envoyée à toutes les
Églises ou à un groupe déterminé d'Églises. Elle est
adressée à une seule Église entière et non à une fraction
d'Église ou à une Église familiale. Le caractère général
de l'Épître apparaît dans le dernier verset, où il y a
deux rcâvTaç, xm, 24. Les destinataires formaient une
èmjuvaytoYri, x, 25, qui avait ses chefs, xm, 17. Si, dans
l'antiquité chrétienne, on a intitulé l'Épître ad Hcbreeos
et si on a reconnu dans les destinataires les juifs con-
vertis constituant l' Église-mère de Jérusalem, dans
les temps modernes, on a pensé à d'autres Églises judéo-
chrétiennes. Quelques critiques ont toutefois prétendu
que la lettre n'était pas destinée à des juifs. Il y a donc
à prouver, d'abord, qu'elle a eu la destination qu'in-
dique son titre, puis à rechercher à quels juifs convertis
elle a été envoyée.
1° L' Épîlre est adressée à des juifs, et non pas à des
païens ou à une Église, mêlée de juifs et de païens. — ■
1. A des juifs convertis. - — En donnant à l'Épître le
titre jrpo'ç 'E6patouç, l'antiquité chrétienne a déterminé
que la communauté à laquelle elle était destinée était
de nationalité juive. Dans l'ancienne langue ecclésias-
tique, les Hébreux sont les juifs ou les judéo-chrétiens
en opposition aux païens, II Cor., xi, 22; Phil., in, 5,
ou encore les juifs qui parlaient hébreu en opposition
avec les juifs parlant grec ou les hellénistes. Act., vi,
1; ix, 22. Ce titre n'est pas seulement attesté par les
plus anciens manuscrits qui sont du ive siècle, ni par
les seules versions; il l'est encore par les Pères qui leur
sont antérieurs. Jamais, l'Épître n'a eu d'autre titre,
et ce titre remonte à la seconde moitié du ne siècle.
Ce n'est donc pas une invention des copistes ou des
scoliastes. On peut penser que cette désignation des
destinataires se rattache à une tradition qui, au
ne siècle, savait que la lettre avait été adressée aux
chrétiens de Jérusalem. C'est plus qu'une conjecture,
suggérée par la lecture de l'écrit, plus qu'une présomp-
tion. En tout cas, la tradition ecclésiastique a adopté
ce sentiment. Pantène et Clément d'Alexandrie l'énon-
cent, et ils en ont conclu à tort que la lettre avait
été écrite en hébreu. Cette conclusion fausse ne diminue
pas la portée de leur témoignage sur des destinataires
juifs.
Aussi bien, le contenu de la lettre le confirme. L'au-
teur veut mettre en relief la transcendance personnelle
du Fils de Dieu et l'incomparable efficacité de son sa-
crifice. Il établit de la sorte la supériorité de l'alliance
nouvelle sur l'ancienne pour raviver la foi et l'espé-
rance de ses lecteurs, x, 23. Or, cette démonstration ne
s'adresse pas à des païens convertis qui connaîtraient
les croyances juives et les observances légales, si tant
est que des chrétiens d'origine païenne aient connu, à
cette époque, avec tant de détails le rituel juif. L'argu-
mentation suppose des lecteurs nés juifs. Dieu, qui
a parlé autrefois à leurs pères par les prophètes, leur a
parlé à eux récemment par son Fils, i, 1, 2. Le Fils de
Dieu s'est incarné dans la race d'Abraham, n, 16. L'au-
teur nomme à plusieurs reprises le peuple juif, iv, 9;
vii, 5, 11, 27; ix, 7, 19; xi, 25; il ne dit mot des gentils.
Seuls, des chrétiens d'origine juive pouvaient com-
prendre les allusions faites aux prescriptions alimen-
taires et aux ablutions, ix, 9, 10, aux aspersions du
sang des victimes et de la cendre de la vache rousse,
ix, 13. Les arguments invoqués et les procédés de dia-
lectique ne pouvaient impressionner et convaincre que
des fidèles, juifs de naissance. Dans les premiers cha-
pitres, Jésus est comparé aux anges et à Moïse, organes
de l'ancienne alliance, pour montrer sa supériorité et sa
divinité. La thèse entière de la supériorité du sacerdoce
de Jésus sur le sacerdoce juif, iv, 14-x, 18, vise des
juifs qui seuls étaient capables d'en saisir la portée et
les détails. Au sujet de la foi, x, 38, 39, on ne rapporte
que les exemples des saints de l'ancienne alliance, xi,
1-40, familiers aux lecteurs. L'argumentation est fon-
dée exclusivement sur l'Ancien Testament, dont le
caractère typologique est affirmé et constamment
admis : les faits et les personnages de la Bible sont
présentés comme figuratifs de la vie et de la personne
de Jésus; les passages bibliques qui conviennent à
Jahvé sont appliqués au Fils de Dieu; le silence de la
Genèse sur l'origine de Melchisédech est exploité pour
assimiler davantage le roi de Salem au Fils de Dieu,
prêtre éternel. Ces moyens de preuves ne pouvaient
être employés que pour des juifs dont l'esprit était
habitué au caractère figuratif de la loi et à un genre
d'argumentation, habituel à leurs docteurs. Les païens
convertis, malgré leur initiation chrétienne et l'ensei-
gnement religieux qu'ils continuaient à recevoir,
n'avaient pas les aptitudes voulues pour concevoir et
admettre la doctrine, la dialectique et le vocabulaire
de l'Épître aux Hébreux.
2. Non à des païens convertis. — Cependant quelques
critiques protestants, Schùrer, Weizsâcker, Pfleiderer
et von Soden, ont prétendu que c'était à d'anciens
païens plutôt qu'à d'anciens juifs que l'auteur pouvait
parler de péchés volontaires, x, 26, du péché d'incré-
dulité, m, 12, et de l'endurcissement par la séduction
du péché, in, 13. C'était à des païens, qui avaient
été prosélytes du judaïsme, qu'il rappelait l'enseigne-
ment élémentaire du Christ, la foi en Dieu, la doctrine
du baptême et de l'imposition des mains, la résurrec-
tion des morts et le jugement éternel, vi, 1, 2; les juifs
connaissaient ces doctrines avant leur conversion
C'était des adorateurs d'idoles mortes, donc des païens
et non des juifs, qu'il exhortait à servir le Dieu vivant,
x, 14. Le conseil donné de ne pas déserter leur assem-
blée, x, 25, suppose une è^iauvaycoyrî, opposée à celle des
juifs. Cf. Grass, Isl der Hebrâcrbrief an Heidenchristen
gericht, Saint-Pétersbourg, 1892.
Les passages signalés ne sont que des détails de
l'Épître. Ils ne contrebalancent pas l'impression géné-
rale que la lettre est adressée à des chrétiens, issus du
judaïsme. La mise en garde contre le péché et sa séduc-
tion était nécessaire à des juifs autant qu'à des païens,
et l'exhortation à ne pas s'endurcir est fondée sur
l'exemple des Hébreux dans le désert, ni, 7-11
L'enseignement élémentaire, qui est simplement rap-
pelé, est le fond de la prédication apostolique adressé
à tous ceux qui voulaient adhérer au Christ. La foi
en Dieu n'est pas la foi monothéiste; c'est ici la foi en
Jésus, ni, 14, que des juifs convertis pouvaient perdre.
Les œuvres mortes ne sont pas nécessairement les
actes de culte rendus aux idoles, en opposition avec le
service du Dieu vivant ou du vrai Dieu comme Act.,
xiv, 14; ce sont les péchés mortels. Cf. Heb., vi, 1.
L'expression de Dieu vivant est une formule de
l'Ancien Testament, Ps. xli, 3; lxxxiii, 3; Os., i, 10
(cf. Rom., ix, 26); Jer., x, 10; Dan., xl, 23, qui avait
passé dans le langage solennel, comme le prouve l'adju-
ration de Caïphe à Jésus. Matth., xxvi, 63. Elle est
répétée quatre fois dans l'Épître, ni, 12; ix, 14; x, 31 ;
xn, 22. Elle n'est pas nécessairement opposée aux
idoles mortes; elle signifie seulement que Dieu se
manifeste comme vivant et qu'il tient réellement sa
parole. Cf. II Cor., in, 3. Le servir, c'est être chrétien,
en évitant le péché, et l'exhortation ainsi comprise
peut s'adresser à des juifs convertis, exposés par la
persécution à renoncer au Christ. Dans le conseil donné
aux lecteurs de ne pas abandonner leur assemblée,
s'il y a opposition avec la synagogue juive, c'est pour
empêcher les convertis de retourner à celle-ci. Le mot
2095
HÉBREUX
2096
Imauvayto-pj est emprunté, semble-t-il, à II Mac, n, 7,
il désigne le lieu de l'assemblée chrétienne par un nom
juif, cf. II Thés., n, 1, ce qui confirme plutôt que les
destinataires de l'Épître étaient juifs. L'absence d'al-
lusion au culte païen, jointe au goût de terroir juif
qu'on sent dans toute la lettre, exclut positivement
des destinataires sortis du paganisme.
3. Aon pas à une Église formée de païens et de juifs
convertis. — A. Jùlicher, Einleitung in das N. T.,
3e édit., Tubingue et Leipzig, 1901, p. 130, et A. Har-
nack, dans Zeitschrift fur die neuteslamcntliche Wissen-
schaft, 1900, p. 18-19, ont prétendu que l'Épître avait
été rédigée à une époque où la distinction entre juifs et
païens était hors de mode dans l'Église et que tous les
passages où l'on avait vu des allusions à des juifs
convertis pouvaient s'appliquer à des païens. Ils en
concluaient qu'elle était destinée à des Romains, qui
étaient venus au Christ tant du judaïsme que du paga-
nisme. Windisch s'est rallié à ce sentiment. Non, tous
les traits de l'Épître ne s'appliquent pas aussi bien à des
païens qu'à des juifs, et il suffît d'en citer un exemple,
xni, 9-11. Lors même donc qu'à la rigueur quelques-
uns pourraient s'entendre des gentils, l'impression
générale demeure que la lettre suppose un état d'âme
que seuls des judéo-chrétiens ont pu avoir.
2° A quels juifs convertis l' É pitre fut-elle destinée ? —
Quelques critiques ont prétendu qu'elle était adressée
à tous les chrétiens issus du judaïsme. La lettre n'a pas
les caractères d'une encyclique, et son auteur paraît
avoir en vue des lecteurs qu'il connaît personnellement,
v, 11, 12; x, 22-24. Elle était donc plutôt envoyée à une
communauté judéo-chrétienne en particulier. A la-
quelle? On a nommé parfois les Églises de Corinthe,
de Thessalonique, d'Antioche, de Ravenne, de la Ga-
latie, et même celle de Jamnia. Ces désignations n'ont
aucun fondement. L'ancienne tradition a enseigné que
la lettre était destinée aux chrétiens de Jérusalem ;
des critiques modernes ont pensé aux communautés
judéo-chrétiennes d'Alexandrie et de Rome.
1. A l'Église judéo-chrétienne de Jérusalem. — On peut
apporter en ce sens de bons arguments. Le titre ;tpôç
'ËSpaîouç vise les Juifs convertis de Jérusalem. Dans le
Nouveau Testament, les 'ESpaîot sont des chrétiens d'o-
rigine juive, qui parlent araméen, par opposition aux
"EXXi}veç ou 'EXXr|V.<iTai, qui parlent grec. La tradition
ecclésiastique a entendu le titre dans ce sens. La com-
munauté chrétienne de Jérusalem était la seule où il
n'y eut pas de convertis de la gentilité. Du reste, le
contenu de l'Épître confirme cette interprétation du
titre. Les lecteurs connaissaient à fond le culte juif et le
service lévitique, et ils l'avaient eu sous les yeux. Il n'y
a pas le moindre indice qu'il ait cessé d'être pratiqué.
Au contraire, il est dit que les sacrifices juifs continuent
à être offerts, vin, 3-5; x, 2; xm, 9-11. Toutefois, il
n'est pas fait mention du temple de Jérusalem, car la
description, ix, 2-9, est celle du tabernacle du désert.
Le détail que le Christ est mort àÇa> tf); îiùXt];, xm, 12,
ne pouvait intéresser que des Palestiniens. Les fonda-
teurs de la communauté avaient été des apôtres directs
du Christ, ii, 3; xm, 7 , ce qui s'est réalisé à Jérusalem.
Ils étaient morts pour la foi, xm, 7 : ce qui convient à
saint Etienne (35), aux deux Jacques, le Majeur (44)
et le Mineur (62). Les lecteurs eux-mêmes ont subi la
persécution pour leur foi, x, 32-34; ils n'ont pas encore
résisté jusqu'au sang, xn, 4. L'opposition établie entre
la Jérusalem terrestre et la Jérusalem céleste, xn, 22,
confirme les données précédentes, qui sont loin d'être
vagues et générales.
On a prétendu, à rencontre de ce sentiment, que
l'éloge de la charité manifestée à l'égard des saints,
vi, K), convient mieux à une Église étrangère qui au-
rait assisté de ses aumônes la pauvre communauté de
Jérusalem, d'autant que, dans tout le Nouveau Testa-
ment, l'expression « les saints » sans adjonction de lieu
désigne ordinairement les chrétiens de Jérusalem, pour
lesquels on faisait la collecte. I Cor., xvi, 1 ; II Cor.,
vin, 4; Rom., xv, 31. Mais, d'abord, cette expression
sans nom de lieu ne désigne pas nécessairement les
chrétiens de Jérusalem, puisqu'elle est appliquée à
tous les chrétiens en général, I Cor., vi, 1, 2; Col., i, 12;
Jude, 3; Apoc, xm, 7, sans qu'elle soit accompagnée,
comme ailleurs, de l'adjectif jwte;. L'Église de Jéru-
salem peut donc être louée de sa charité envers des
chrétiens. En outre, le verbe Biaxoveïv a un sens géné-
ral, qui ne peut être restreint à la collecte, et qui est
employé avec le mot «les saints», Rom., xn, 13;
cf. I Cor., xvi, 15, dans un contexte où il n'est pas
question des collectes. Dans l'Épître aux Hébreux,
vi, 10, il n'est pas nécessairement question des collectes.
Il s'agit d'un autre acte de charité envers les saints,
vraisemblablement du même genre que celui qui est
rappelé, x, 34, du soin des prisonniers. Les saints ainsi
secourus peuvent être des chrétiens de l'Église de
Jérusalem, qui sont tous des saints, xm, 24.
On a dit aussi que la situation de la communauté,
telle qu'elle est décrite, v, 11-14, comprenant des chré-
tiens, qui devraient être des maîtres, mais qui sont
encore des enfants en fait de doctrine, ayant besoin
d'être instruits des rudiments élémentaires des oracles
de Dieu, incapables de recevoir une nourriture solide,
ne répond pas à celle de l'Église de Jérusalem, qui a été
instruite par les apôtres, gouvernée par saint Jacques
et visitée par tant de missionnaires qui, partant de
son sein, y revenaient après leurs missions. Or, il est
à noter que cette description n'est pas faite à propos
de l'enseignement ordinaire, que les lecteurs ont reçu
au début de leur conversion et qui est rappelé, vi, 1, 2,
mais à propos de la grande et difficile question du sacer-
doce de Jésus-Christ, que l'auteur va traiter, v, 11, et
pour laquelle ses lecteurs ne sont pas préparés. Les
chefs de cette Église n'en avaient pas parlé à leurs
fidèles, puisque l'Épître aux Hébreux est l'unique
écrit du Nouveau Testament où elle soit exposée. Elle
pouvait donc être annoncée en ces termes mêmes aux
chrétiens de Jérusalem.
Enfin, si la lettre était destinée aux chrétiens de
Jérusalem, elle aurait dû être écrite, non pas en grec,
mais bien en araméen, comme l'avaient supposé Pan-
tène et Clément d'Alexandrie. Mais le rédacteur ignorait
peut-être l' araméen et même pour écrire aux chrétiens
de Jérusalem, il a employé le grec, la langue interna-
tionale de cette époque, qui était, d'ailleurs, parlée
et comprise à Jérusalem par beaucoup d'habitants, et
la lettre a pu être interprétée en araméen pour les chré-
tiens qui n'entendaient pas le grec.
A cause de la langue, Riehm a pensé que la lettre a
été adressée à un groupe de juifs hellénistes, membres
de l'Église de Jérusalem. Le P. Lemonnyer tient cette
hypothèse comme la plus satisfaisante et il dit qu'on
peut s'y rallier jusqu'à plus ample informé. Épîtres de
saint Paul. Deuxième partie, Paris, 1905, p. 199.
Barklet, dans Exposilor, 1903, t. vm, p. 382-383,
en s'appuyant sur les métaphores, empruntées à la
vie maritime, n, 1 ; vi, 18, 19, et sur la description vi-
vante des courses dans l'amphithéâtre, x, 33, a conclu
que les judéo-chrétiens, auxquels la lettre était desti-
née, habitaient une ville rapprochée de la mer et à
moitié grecque. Les allusions à leur histoire et aux vices
qu'ils doivent éviter indiquent aussi un pays de ce
genre. Les lecteurs n'ont pas supporté toutes les persé-
cutions précédentes des Églises palestiniennes, x,
32 sq. Ils étaient riches, xm, 5, et livrés aux plaisirs de
la chair, xm, 4. Or, cette situation, d'après Josèphe,
Ant. jud., xx, 8, 9, convenait à l'Église de Césarée
de Palestine. Sous Félix, les juifs riches et les païens
cherchaient à occuDer la plus haute situation. Néron,
2097
HÉBREUX
2098
en 61, enleva aux juifs leurs droits et reconnut les
païens seuls comme maîtres de la ville. La lettre aux
Hébreux fut écrite pour consoler les juifs de la misère
qui s'ensuivit pour eux, et eux-mêmes n'étaient pas
encore revenus au bon ordre. La lettre serait donc à
placer entre 60 et 66. D'autre part, les événements de
Jérusalem, la mort de saint Jacques, Josèphe, Ant.
jud., xx, 9, 1, avaient eu un contre-coup à Césarée, et
les judéo-chrétiens de cette ville étaient à la veille
d'une persécution. La lettre daterait donc de 62 et
serait du commencement de l'été. — Ces arguments ne
suffisent pas à justifier la destination de l'Épître à
l'Église de Césarée, sur laquelle nous sommes peu ren-
seignés. Les métaphores nautiques pouvaient être
comprises par les chrétiens de Jérusalem, aussi bien
que celle des jeux grecs, qu'ils connaissaient. D'autres
images indiquent un pays de culture, vi, 7, 8. L'auteur
écrivait peut-être dans un port d'Italie, en attendant
Timothée, et il empruntait au lieu où il résidait les
images militaires, théâtrales et gymnastiques qu'il
emploie. La situation historique, qui a suivi la mort de
saint Jacques, a pu se prolonger pour les judéo-chré-
tiens de Jérusalem jusqu'à la date fixée.
2. A l'Église judéo-chrétienne d'Alexandrie. —
Quelques critiques, Schmidt, Hilgenfeld, Volkmar,
Davidson, Ritschl, Wieseler et Weizsâcker l'ont pensé.
Cette Église, disent-ils, a été dès son berceau, nom-
breuse et elle a exercé une forte influence doctrinale.
Or, l'Épître aux Hébreux reflète les idées et les ten-
dances des écrivains juifs d'Alexandrie, notamment
de Philon, et elle interprète l'Ancien Testament selon
leur mélhode figurative. Seuls, des Alexandrins étaient
capables de comprendre l'interprétation typologique de
l'Épître et la manière dont l'auteur spiritualise le culte
mosaïque. Les citations bibliques de l'Épître, faites
d'après la version des Septante, se rapprochent plus
du texte du codex Alcxandrinus que de celui des autres
manuscrits. Plusieurs expressions sont communes à
la Sagesse, qui est un écrit alexandrin, et à l'Épître :
ainsi noXujxepbj;, Sap., vu, 22; Heb., i, 1; kKtxûy/xvpti,
Sap., vu, 25; Heb., i, 3; ûjto<3T<xai;, Sap., xvi, 22; Heb.,
i, 3; Beparccov, Sap., x, 16; Heb., ni, 5. La langue de
l'Épître présente des analogies avec celle de Philon
tant pour certains termes communs que pour les formes
de la phrase. On peut en conclure que l'auteur était un
membre de l'Église d'Alexandrie à laquelle il écrivait.
Enfin, ce qui est dit du tabernacle, ix, 2-8, et des
prêtres offrant chaque jour un sacrifice pour le péché,
vu, 27, décrirait les usages du temple juif de Léonto-
polis.
Ces arguments ont peu de valeur. Les ressemblances
avec Philon et l'école alexandrine, quoique réelles, ne
sont pas suffisantes pour permettre d'affirmer que
l'auteur et les lecteurs étaient des chrétiens d'Alexan-
drie. Tous les judéo-chrétiens pouvaient comprendre
la typologie de l'Épître et sa spiritualisation de la loi
mosaïque, car cette méthode d'interprétation était
répandue dans toutes les communautés juives des pays
de la dispersion et elle ne devait pas même être incon-
nue à Jérusalem, où il y avait une synagogue d'Alexan-
drins. Act., vi, 9. Les citations bibliques, qui res-
semblent au texte de V Alcxandrinus, ne sont pas
nombreuses, et une seule mérite de fixer l'attention.
Nous ignorons entièrement quel était le culte pratiqué
à Léontopolis. Les allusions indiquées sont purement
hypothétiques. D'ailleurs, il est question du tabernacle
du désert, ix, 2-8, et le sacrifice, offert tous les jours,
vu, 27, n'est pas spécifiquement le sacrifice pour le
péché, mais un sacrifice ordinaire, dont un des effets
était expiatoire. Enfin, les docteurs d'Alexandrie,
qui sont les premiers à parler de l'auteur et des desti-
nataires de l'Épître, l'attribuent à saint Paul et disent
qu'elle a été adressée aux Hébreux de Jérusalem. Ils ne
soupçonnaient même pas qu'elle ait été envoyée à leur
Église.
3. A l'Église de Rome. — Un plus grand nombre
d'auteurs, Wettstein, Holtzmann, Mangold, Schenkel,
von Soden, Zahn, Harnack, en Allemagne, Alford,
Bruce et Milligan en Angleterre, Renan et Albert
Réville en France, ont prétendu que l'Épître aux
Hébreux avait été adressée à la communauté judéo-
chrétienne de Rome, ou au moins à une de ses églises
domestiques. Les allusions historiques de la lettre
orientent vers Rome. Les lecteurs sont félicités du
grand combat qu'ils ont soutenu au milieu des souf-
frances, x, 32, de la joie avec laquelle ils se sont résignés
à la confiscation de leurs biens, x, 34. Quelques-uns
ont subi le martyre, xn, 4, et les chefs de la commu-
nauté (saint Pierre et saint Paul) ont été victimes de la
persécution, xni, 7. Aussi les persécutés sont-ils
abattus et sur le point de fléchir, xn, 12. L'auteur veut_
relever leur courage et remettre sous leurs yeux la
passion de Jésus. Ils doivent retremper leur énergie
dans la foi, car la persécution se prolonge, xni, 2, 3.
Beaucoup sont prisonniers et en proie à de mauvais
traitements, et d'autres épreuves sont imminentes,
xn, 3, 4. Ces traits conviennent à la situation de l'Église
de Rome sous Claude et sous Néron. En 42, Claude
chasse les juifs de Rome, et les chrétiens sont englobés
dans son édit. Act., vin, 2 (Aquila et Priscille). L'au-
teur a été atteint par cette persécution : il est éloigné
de sa communauté par une mesure de rigueur, semble-
t-il, xin, 19. La police avait interdit les réunions des
juifs non expulsés de Rome. Par suite, beaucoup des
destinataires avaient déserté leur assemblée. En 64,
il y eut de nombreuses arrestations de chrétiens. Cf.
xm, 3. La répression, commencée sous le grief d'incen-
die de Rome, fut continuée sous l'accusation d'inimitié
du genre humain et elle devint permanente et systé-
matique. La salutation des frères d'Italie, xm, 24,
confirme cette conclusion. Elle est celle de ceux qui
sont venus d'Italie, si àrcô indique le point de départ et
T7]? 'iTaXi'aç le lieu d'origine. S'il s'était agi de la saluta-
tion des habitants de l'Italie, àxô aurait été remplacé
par èv. Cf. I Pet., v, 13. Enfin l'Église de Rome était
spécialement renseignée sur l'Épître. Clément de Rome
l'a connue, et les Romains savaient qu'elle n'était pas
de Paul, c'est pourquoi ils ne la recevaient pas au
nombre des écrits canoniques du Nouveau Testament.
Ces faits s'expliquent aisément si la lettre a été adressée
à l'Église de Rome.
Comme l'Église de Rome était composée de chré-
tiens, dont une partie, sinon la majorité, était d'origine
païenne, plusieurs critiques ont supposé que la lettre
n'avait pas été adressée à toute l'Église de Rome, mais
à une des petites communautés qui existaient dans son
sein et dont l'existence est attestée au c. xvi de l'Épître
aux Romains. Pour Milligan, The Theology of the
Epistle to the Hebrcws, Edimbourg, 1899, p. 49-50, la
communauté destinataire était celle qui avait été for-
mée par les Romains qui étaient à Jérusalem le jour de
la Pentecôte, Act., n, 10, et qui étaient peu instruits
de la doctrine chrétienne. Mais les advenœ Romani
n'étaient-ils pas plutôt des juifs, autrefois établis à
Rome et revenus à Jérusalem d'une manière définitive?
Quoique, selon Zahn, Einlcitung in das N. T., 2e édit.,
Leipzig, 1900, t. n, p. 148, l'Église de Rome ait été en
majorité judéo-chrétienne, quand saint Paul lui écri-
vait en 58, et qu'elle ait gardé ce caractère jusqu'en 80
(époque où il place la rédaction de l'Épître aux Hé-
breux), il n'est pas cependant vraisemblable que cette
dernière Épître ait été adressée à un des groupes dont
parle saint Paul, Rom., xvi, 3-15, à un groupe de
chrétiens d'origine juive, par exemple, à celui qui est
mentionné au v. 14, ou à tout autre de cette nature.
| Harnack, Probabilia ùber die Adresse und den Verfasser
2099
HÉBREUX
2100
des Hebràerbriefes, dans Zeiischrijt fur die neutcslamcnl-
liehe ]Yisscnschaft, 1900, p. 19, a pensé à l'Église judéo-
chrétienne, établie dans la maison d'Aquila et de Pris-
cille. Rom., xvi, 3, 4. Ceux-ci, éloignés de Rome par la
persécution, auraient adressé à leur Église domestique
une lettre d'encouragement au milieu de la persécu-
tion.
Les arguments qu'on fait valoir en faveur de ces
hypothèses n'emportent pas la conviction. Les allu-
sions historiques aux persécutions subies sont vagues et
générales, et elles conviennent mieux a la situation de
l'Église de Jérusalem qu'à celle de l'Église de Rome.
L'interprétation donnée des mots : oî àno Tfjç 'ItaXtaç
n'est pas certaine, et une autre explication est plus
vraisemblable. Si aTtô éveille souvent l'idée d'éloigne-
ment, il exprime souvent aussi, surtout dans le Nou-
veau Testament, l'idée d'origine, abstraction faite de
tout éloignement. Cf. Act, x, 23,38; xvn, 13. Il tend
à remplacer èÇ, dont l'emploi était déjà contraire à
l'usage attique, pour exprimer le fait d'arriver d'un
lieu ou d'appartenir à une ville. F. Rlass, Grammatik,
p. 126. L'expression : oî iros tij? 'IxaXt'a;, signifie donc
ceux qui sont originaires d'Italie et qui y demeurent,
de sorte qu'elle indique plutôt le lieu de la composition
de l'Épître. L'Église de Rome n'a pas seulement exclu
l'Épître aux Hébreux de son canon biblique, elle l'a
ignorée longtemps, quoique saint Clément l'ait utilisée.
Cette ignorance ne s'explique guère si la lettre lui a
été adressée. Si elle lui avait été destinée, l'Église
romaine aurait toujours connu la lettre et elle n'aurait
pas été obligée de la recevoir tardivement, comme elle
l'a fait.
L'opinion traditionnelle, suivant laquelle les chré-
tiens de Jérusalem ont été les destinataires de l'Épître,
intitulée pour cela ^pôç 'E6pat'ouç, reste donc, en face
des hypothèses récentes, la mieux fondée et la plus vrai-
semblable.
III. Lieu et date de la composition. — 1 ° Lieu. —
La tradition ecclésiastique est muette sur ce point. La
lettre elle-même ne fournit d'autre donnée que celle
qui vient d'être signalée. Si dans la phrase : « Ceux
d'Italie vous saluent », xm, 24, axô a le sens de èÇ, on
peut en conclure que la lettre a été écrite en Italie,
puisque l'auteur adresse à ses lecteurs la salutation des
personnes de son entourage. Cette interprétation, qui
est la plus vraisemblable, est généralement admise,
et elle l'a été dès l'antiquité. Voir S. Chrysostome,
In Epist. ad Rom., arg. ; In Episl. ad Heb., arg., P. G.,
t. lx, col. 393; t. lxiii, col. 11; pseudo-Euthalius,
P. G., t. lxxxv, col. 773; pseudo-Athanase, Synopsis
sac. Scriplurœ, 66, P. G., t. xxvm, col. 424; Œcumô-
nius, In Epist. ad Heb., souscription, P. G., t. exix,
col. 452. Quelques manuscrits récents ont en souscrip-
tion soit ar.o ptupjç (AP 47) soit aro) iTaXiaç (K, 109-
113). Ils témoignent du sentiment de leur temps et de
leurs copistes.
Lewis et Ramsay ont émis l'hypothèse que l'Épître
aux Hébreux aurait été composée à Césarée pendant
que saint Paul y était emprisonné. La lettre serait le
résultat des conférences de l'apôtre avec les presbytres
de la ville, et elle aurait été rédigée pour réconcilier
les juifs de Jérusalem, adversaires de saint Paul, avec
les partisans de cet apôtre, en montrant que les doc-
trines pauliniennes expliquaient très bien les rapports
de l'alliance ancienne avec la nouvelle. Le diacre
Philippe aurait tenu la plume; saint Paul aurait ap-
prouvé la lettre et écrit les derniers versets. C'est une
pure hypothèse. Ramsay, dans Exposilor, 1899, p. 401-
422.
Renan, L'Antéchrist, Paris, 1873, p. 211, a parlé
d'Éphèse.
2° Date. — La tradition ecclésiastique ne fournit
encore sur ce point aucune indication, et les critiques
ne se sont pas mis d'accord. On peut distinguer, dans
leurs opinions, trois courants : le premier place la
rédaction de l'Épître avant la ruine de Jérusalem en 70,
dans un laps de temps plus ou moins antérieur à cet
événement, le deuxième remonte à la persécution de
Domitien en 90, et le troisième à celle de Trajan (116-
118). Ce dernier représenté par Volkmar, Ktim et
Hausrath, est exclu par l'usage que Clément Romain
a fait de l'Épître entre 93 et 97. Pour se prononcer
entre les deux autres, il faut consulter le contenu de la
lettre.
Or, il est dit que le salut, annoncé d'abord par le
Seigneur, a été confirmé par les apôtres qui l'avaient
entendu, n, 3; que les destinataires devraient être des
maîtres, v, 12; qu'ils ont subi, après avoir été illuminés,
c'est-à-dire après leur conversion, un grand combat,
x, 32, tandis que maintenant leurs mains sont languis-
santes et leurs genoux affaiblis, xn, 12, 13; qu'ils
suivent des voies qui ne sont pas droites, et que leurs
chefs ont été tués et sont morts, xm, 7. La lettre a donc
été écrite du vivant de la seconde génération chré-
tienne. Puisqu'elle a été adressée aux chrétiens de Jéru-
salem, elle ne leur a été envoyée qu'après la mort de
saint Jacques, en 62. Jacques est le préposé dont il
faut se souvenir et dont il faut imiter la foi, xm, 7.
Ceux qui lui ont succédé n'ont peut-être pas la même
autorité que lui, puisque l'auteur exhorte ses lecteurs
à leur obéir et à avoir de la déférence envers eux, xin^
17. S'il est question de la sortie de prison de Timothée,
xm, 23, cette donnée nous reporte à 62-63, car on ne
connaît pas d'emprisonnement antérieur de ce person-
nage.
D'autre part, l'Épître n'a pas été écrite après la
ruine de Jérusalem, en 70. L'auteur parle, en effet, du
culte juif comme étant encore pratiqué. Il y a encore
sur terre des prêtres juifs qui offrent à Dieu des dons,
vin, 4. Après avoir décrit le tabernacle mosaïque et les
sacrifices qui s'y opéraient, ix, 2-8, l'auteur conclut :
« C'est une figure pour le temps présent où l'on présente
des offrandes et des sacrifices qui ne peuvent rendre
parfait », 9. Les sacrifices sanglants sont encore offerts
pour la rémission des péchés, ix, 22, et le grand-prêtre
pénètre encore une fois par an dans le Saint des saints,
îx, 25. Les sacrifices annuels de bœufs et de taureaux
ne rendent pas parfaits, puisqu'on n'a pas cessé de les
offrir et qu'on les offre encore chaque année, x, 1-3.
Toute l'argumentation de l'auteur suppose que la reli-
gion mosaïque existe toujours; elle vise à dissuader
les lecteurs de retourner au culte du temple de Jéru-
salem. Après la destruction de la ville, ce but eût été
sans raison. Si le temple avait été renversé, l'auteur en
aurait parlé, car sa ruine aurait été pour sa thèse un
argument irréfragable. Il n'aurait pas dit seulement
que la première alliance était vieillie et près de finir,
vin, 13, il aurait dit qu'elle était morte et abolie.
Les deux alliances qu'il compare constamment et qu'il
oppose sont coexistantes. Si la première avait été
abrogée, il n'aurait pas eu besoin de recommander de
ne pas retourner à des images mortes ni craint une
défection par le retour à l'ancien culte.
Non seulement il n'est pas fait mention de la ruine
du temple, il n'y a pas non plus la moindre allusion à la
guerre juive qui a précédé et amené cette catastrophe.
L'Épître a donc été écrite avant l'ouverture de cette
guerre. Toutefois, elle l'aurait précédée d'assez peu.
La persécution, en effet, peut bien reprendre plus vio-
lente que par le passé, xn, 4, 5. La patience est néces-
saire, et le Seigneur ne tardera pas à venir, x, 36, 37,
Le grand jour approche, et les fidèles le voient venir, x.
25. Ce serait donc entre 63 et 66 que la lettre aurait été
composée. C'est la conclusion adoptée par beaucoup
de catholiques, Cornely, Schâfer, Trenkle, Relser,
Huyghe, Prat, et de protestants, Wieseler, Westcott,.
2101
HÉBREUX
2102
Riehm, Weiss, Ménégoz, Davidson, Barth, Hollmann,
Seeberg, Riggenbach, et même par Renan.
Cependant quelques critiques remontent à une époque
postérieure à la ruine de Jérusalem : Zahn et Windisch,
aux environs de 80; Holtzmann, Schenkel, von Soden,
au temps de la persécution de Domitien, en 90. Us
reprennent les arguments précédents, mais en les for-
çant et en les rapportant à une date plus éloignée du
début de l'ère chrétienne. La génération des lecteurs
est celle qui a suivi la mort des apôtres. L'alliance
mosaïque a vieilli, et son culte n'est plus pratiqué.
Au lieu d'en parler, en effet, l'auteur prend ses figures
dans le tabernacle du désert, dans les instruments de
culte qu'il contenait et dans les sacrifices qui s'y accom-
plissaient. S'il fait allusion au service du temple de
Jérusalem, il ne le suppose pas debout encore, car il a
pu en parler môme après la destruction de l'édifice et
la cessation des sacrifices, comme de choses finies, et
il a pu le faire, en employant des verbes au présent,
comme si le temple existait encore. D'autres écrivains,
certainement postérieurs à 70, en ont parlé de la sorte
et se sont servis de verbes au temps présent. Ainsi
S. Clément de Rome, Ia Cor., xli, 2, Funk, Paires apos-
tolici, t. I, p. 150; Epislola Barnabœ, c. vn-ix, p. 58-
65; Epislola ad Diognetem, 3, p. 394; S. Justin, Dial.
cum Tryphone, 117, P. G., t. vi, col. 745; Josèphe,
Ant. jud., m, 7-11. Ce présent est ce qu'on appelle
le présent historique.
Ces arguments ne sont pas sans réplique. La plupart
des textes auxquels ils se réfèrent s'expliquent aussi
bien, et même mieux, de l'époque qui a précédé la
guerre juive. Les explications, données plus haut,
gardent leur signification et leur valeur. L'auteur de
l'Épître aux Hébreux aurait pu sans doute parler du
service du temple comme il l'a fait, même après la
ruine de la ville, mais cela ne prouve pas que le temple
était détruit, quand il écrivait, et il est plus vraisem-
blable que, sous sa plume, le présent exprime une
réalité encore existante plutôt qu'un fait passé. Aussi
il nous paraît mieux établi que la lettre a été composée
entre 63 et 66.
IV. Occasion et dut. — Le contenu de l'Épître
peut seul, ici encore, nous renseigner.
1° Occasion. — A la date de l'Épître, les juifs con-
vertis de Jérusalem, qui en étaient les destinataires,
furent exposés à différents périls. La persécution, qui
venait de finir et qui avait fait périr, en 62, leur évêque,
Jacques le Mineur, les avait atteints probablement,
eux aussi, et les avait découragés. D'après Ilégésippe,
cité par Eusèbe, H. E., iv. 22, P. G., t. xx, col. 380,
Thébutis, mécontent de n'avoir pas été choisi pour
succéder à saint Jacques, se mit à corrompre l'Église
de Jérusalem, qui n'avait pas encore jusque-là été
troublée par de vains discours. D'autre part, la foi des
chrétiens de cette ville était en danger, et quelques-
uns d'eux étaient tentés de retourner au judaïsme, vi,
4-6; x, 26 sq. Ils jetaient un regard en arrière et ils
étaient attirés vers leur ancien culte. N'avaient-ils pas
dans le judaïsme la promesse faite à Abraham, vi,
13, le témoignage de Moïse, le fidèle serviteur de Dieu,
m, 2 ? Les prescriptions du culte juif ne venaient-elles
pas de Dieu lui-même, ix, 1, et le tabernacle de Moïse
n'avait-il pas été construit sur ses plans, ix, 2-5 ? Le
judaïsme n'avait-il pas un grand-prêtre établi pour
offrir des oblations et des sacrifices pour les péchés du
peuple, v, 1? Ces regrets éveillaient sans doute dans
l'esprit des juifs convertis des doutes sur la valeur et
l'efficacité du christianisme, qui n'avait pas un culte
organisé comme celui du temple, qui n'avait ni temple
ni autel ni rites. S'il n'y eut pas de véritables aposta-
sies, x, 39, il y eut au moins un affaiblissement de la
foi chrétienne, des défaillances et des chutes, puisqu'il
fallait faire pénitence, vi, 4-6, et que des châtiments
menaçaient ceux qui auraient foulé aux pieds le Fils
de Dieu, tenu pour impur le sang de l'alliance et ou-
tragé l'Esprit de grâce, x, 29. Les pressantes exhorta-
tions à la fidélité, ni, 1, 2; iv, 14; x, 23; xm, 9, sont
des indices que cette fidélité avait décru et qu'il fallait
la relever. Quelques-uns avaient coutume d'aban-
donner les assemblées, x, 26. Ils s'étaient relâchés
dans la piété et dans la pratique de la morale chré-
tienne, vi, 4-8; x, 29. Il est nécessaire de rappeler les
devoirs les plus essentiels: le respect du lit conjugal,
xm, 4, la nécessité de la pureté, xn, 16, et d'exhorter
à la sanctification, xn, 12, 13, à l'amour fraternel et à
l'hospitalité, xm, 1, 2.
2° But. — C'est à cause de cette situation et de l'état
d'esprit d'un certain nombre de chrétiens de Jérusa-
lem que l'auteur adressa à l'Église-rnère une parole de
consolation, xn, 22, c'est-à-dire d'encouragement et
d'exhortation. Il voulait donc empêcher ses lecteurs
de se relâcher dans les pratiques de la vie religieuse
et de retourner au culte mosaïque qui les attirait par
ses rites extérieurs. C'est pourquoi il leur démontra
longuement la supériorité de Jésus-Christ sur les
organes de l'ancienne alliance, les anges et Moïse, et
la supériorité de l'alliance nouvelle sur l'ancienne.
C'est pourquoi encore il exposa ce qu'est le sacerdoce
de Jésus-Christ, supérieur, lui aussi, au sacerdoce de
l'ancienne loi, ce qu'est son sacrifice sur la croix, supé-
rieur aux sacrifices mosaïques. De cette supériorité de
l'alliance nouvelle et de son médiateur il concluait que
ses lecteurs devaient rester attachés à leur foi, qui
était capable de les sauver comme elle avait sauvé par
anticipation les justes de l'ancienne loi, iv, 14 ; x, 23,
38, 39; xi. Il mêlait à cette exposition dogmatique
l'exhortation morale, en insistant sur les vertus les
plus nécessaires, la fidélité, la patience et l'espérance,
sur les périls de l'apostasie, vi, 1-3 ; x, 26-31, sur la
fréquentation des assemblées religieuses, x, 25.
Les critiques qui font adresser l'Épître aux commu-
nautés judéo-chrétiennes d'Alexandrie ou de Rome
assignent un autre but à l'auteur. Les exhortations
pratiques sont alors son principal enseignement, et les
considérations doctrinales leur seraient subordonnées.
L'écrivain aurait voulu rappeler ses lecteurs à la foi
chrétienne et raffermir leur courage au milieu des per-
sécutions, en leur prouvant la grandeur suréminente
du Christ et de son œuvre. Tout ce qui est dit de Jésus-
Christ aurait un but pratique et tendrait à promouvoir
la fidélité à sa doctrine.
V. Nature. — L'Épître aux Hébreux est-elle une
lettre ou un traité didactique ?
Pour qu'elle soit une lettre, il faudrait qu'elle eût
en tête une suscription et une adresse comme les autres
lettres du Nouveau Testament, au moins celles de
saint Paul. Elle en a bien en queue les apparences parles
quelques détails personnels et les courtes salutations
qui y sont donnés, xm, 22-24. Overbeck et Lipsius
ont même prétendu, sans raison valable toutefois,
que ces versets étaient une addition postérieure, faite
pour donner à l'écrit un cachet épistolaire. En outre,
le plan de l'écrit est très net et se développe régulière-
ment, les arguments s'enchaînent très logiquement,
et le style est plus littéraire que ne le comporte une
lettre privée et familière. Aussi plusieurs critiques,
notamment ceux de l'école de Tubingue, en ont conclu
que l'Épître n'est pas une lettre, mais un traité systé-
matique de théologie. Deissmann, Lichl vom Oslen,
Tubingue, 1908, p. 171; Paulus, Tubingue. 1911,
p. 6-8, qui ne considère que la forme extérieure, n'y
voit ni une lettre, ni même une épître. Voir Épîtres,
t. v, col. 369 sq. Sans les derniers versets, elle pourrait
aussi bien être regardée comme un discours ou une
diatribe (conférence). Elle se nomme elle-même un
loyoi T7JÇ jtapaxXrJasws, xm, 22. Les détails épisto-
2103
HÉBREUX
2104
laires qui y sont ajoutés ne sont qu'un ornement,
comme dans les épitres-traités. Cet ornement enlevé,
le caractère de l'écrit n'en est pas essentiellement modi-
fié. C'est le premier document eu la littérature artis-
tique chrétienne; c'est l'épître-traité la plus parfaite.
Windisch voit plutôt dans l'Épître une homélie. L'ora-
teur s'adresse parfois à des auditeurs qu'il connaît et
qu'il interpelle. Cependant son exposé didactique
indique plutôt une homélie simplement écrite qu'il
aurait adressée à l'Église destinataire en ajoutant
la finale épistolaire.
Ces considérations ne sont pas sans réplique. Quoi
qu'il en soit du début, la finale authentique demeure
comme indice du caractère épistolaire de l'écrit. L'au-
teur prie ses frères de prendre en bonne part l'exhorta-
tion qu'il vient de leur adresser; il leur a écrit briève-
ment, xiii, 22. Dans le cours de l'ouvrage, il s'adresse
évidemment à des personnes déterminées. Il vise des
lecteurs qu'il connaissait ; il parle de leurs défauts, v,
11 ; il sait ce qu'ils sont et ce qu'ils devraient être, v, 12;
il leur rappelle leurs combats, x, 32. leur compassion
envers les prisonniers, le généreux abandon qu'ils ont
fait de leurs biens, x, 34 ; il leur promet un sort meilleur,
parce que Dieu ne peut oublier leurs travaux ni les
services qu'ils ont rendus, vi, 9, 10. La forme littéraire
et l'appareil dialectique ne prouvent pas que l'écrit
soit un traité de théologie, ni le premier document de
la littérature artistique chrétienne, car l'Épître aux
Romains, si elle est moins artistique dans son style, est
aussi didactique, et pourtant M. Deissmann lui-même
lui reconnaît le caractère de lettre privée. On peut donc
admettre aussi que l'Épître aux Hébreux est une véri-
table lettre. Le but exhortatif de l'auteur explique le
caractère de discours ou de conférence ou d'homélie
que présente cette lettre privée, adressée aux chré-
tiens de Jérusalem. Voir B. Weiss, Der Hcbrcierbrief
in zeitgcschichtlicher Berichtung, Leipzig, 1910.
VI. Plan. — Entrant tout de suite en matière, même
sans préambule épistolaire, l'auteur, dans un exorde
très court, expose l'idée générale de sa lettre : la supé-
riorité de la nouvelle alliance sur l'ancienne, i, 1-3.
La démonstration de cette idée et la déduction des
conclusions pratiques qui en découlent forment le corps
de la lettre Comme l'exhortation est continuellement
mêlée à l'exposé dogmatique, il n'y aurait pas lieu,
semble-t-il à première vue, de distinguer la partie dog-
matique de la partie pratique. Cependant, en ne tenant
compte que de l'élément prédominant, on peut le faire,
comme pour la plupart des Épîtres de saint Paul.
La partie dogmatique contient les preuves de la
supériorité de l'alliance nouvelle sur l'ancienne, i, 4-x,
18. Cette supériorité résulte : 1° de la prééminence
infinie de la personne du Fils de Dku sur les organes
de l'ancienne alliance : a) sur les anges, i, 4-n, 18;
b) sur Moïse, m, 1-iv, 13; 2° de la supériorité de la
fonction du Fils de Dieu : a) il est grand-prêtre selon
l'ordre de Melehisédech, iv, 14-vn, 3, et son sacerdoce
est supérieur à celui de Melehisédech et des prêtres
de l'ancienne loi, vu, 4-28; b) le sacrifice de ce grand-
prêtre est supérieur aux sacrifices anciens, vin, 1-x,
18.
La partie pratique comprend les exhortations qui
découlent de ces enseignements : 1° à persévérer dans
la foi, x, 19-xn, 13; 2° à pratiquer différentes vertus,
xii, 14-xni, 17.
L'épilogue ajoute diverses recommandations, xm,
18-25.
VII. Doctrine. — 1° Le Chris!, Fils de Dieu. — L'au-
teur de l'Épître envisage surtout le Christ glorifié au
ciel, et il l'appelle le Fils. Ce Fils, c'est Jésus par lequel
Dieu a parlé récemment aux chrétiens, qu'il a établi héri-
tier de toutes choses et par lequel aussi il avait créé les
siècles, I, 2; c'est lé médiateur de la nouvelle alliance, le
roi et le créateur de tout. Voilà ce que Dieu a fait par
et pour son Fils. Mais celui-ci est, dans sa nature
propre, relativement à son Père, le rayonnement de la
gloire et l'effigie de son être, i, 3, c'est-à-dire le rayon-
nement de l'éclat, de la majesté de celui qui est la
lumière substantielle et éternelle et l'image subsistante
de son être. Il ne fait pas seulement refléter son Père,
il est lui-même un rayon qui émane substantiellement
du soleil de gloire qu'est son Père; il est la reproduction
exacte, l'image adéquate de l'être divin, dont il émane
et dont il porte en lui-même l'empreinte. Relativement
au monde, qu'il a créé, il le porte, le soutient et le
conserve par la manifestation extérieure de sa puis-
sance, i, 3. Ayant purifié le monde des péchés par son
sacrifice sanglant sur la croix, il s'est assis lui-même
à la droite de la majesté divine dans les hauteurs des
cieux, i, 3. Il est ainsi devenu, dans sa nature humaine,
supérieur aux anges en raison de son nom de Fils, dont
il a hérité pour toujours, en qualité de Fils, lors de son
triomphe, i, 4, car Dieu n'a jamais dit à aucun des
anges : « Tu es mon Fils, je t'ai engendré aujour-
d'hui », Ps. ii, 7, au jour de l'incarnation plutôt qu'au
jour de l'éternelle génération, puisque cette parole a
été prononcée à un jour déterminé, ni : « Je serai pour
lui un père et il sera pour moi un Fils », II Reg., vu, 14,
parole dite figurativement du Fils dans la personne de
Salomon lors de son intronisation royale, i, 5. La supé-
riorité du Fils sur les anges résulte encore de la parole
biblique, Ps. evi, 7 (dans les Septante), d'après la-
quelle Dieu, au jour de la seconde venue de Jésus sur
terre, ordonnera à tous les anges de l'adorer, i, 6. Les
anges, du reste, ne sont que des serviteurs, agiles
comme les vents et l'éclair, prêts à partir aux ordres
de Dieu, Ps. cm, 4, tandis que le trône du Fils, qui est
appelé Dieu au vocatif, est éternel et que le sceptre
de son règne est un sceptre de droiture, puisqu'il a
armé la justice et haï l'iniquité; aussi Dieu, son Dieu,
lui a-t-il donné au ciel l'onction de l'allégresse plus
qu'à ses collègues, les anges qui participent à sa gloire.
Ps. xliv , 7, 8. A cette citation, i, 8,9, se joint une autre,
i, 10-18, qui indique une nouvelle preuve de la supério-
rité du Fils sur les anges : lui, le Fils, il a jeté le fonde-
ment de la terre et les cieux, où habitent les anges,
sont l'œuvre de ses mains; les cieux passeront, mais
lui demeure immuable; ils s'useront tous comme un
vêtement et ils seront roulés comme un manteau usé;
lui, il est toujours le même et ses années ne finiront
pas. Ps. ci, 26-28. Enfin, aucun ange n'a entendu se
dire cette parole, qui a été dite au Fils : « Assieds-toi
à ma droite jusqu'à ce que je mette tes ennemis comme
escabeau de tes pieds .» Ps. cix, 1. Le Fils est donc
l'égal du Seigneur qui le fait siéger sur son trône, i, 13,
tandis que les anges, quoique esprits, ne sont que des
serviteurs, employés au service des hommes, qui seront
héritiers du sahit éternel, i, 14.
Du reste, ce n'est pas aux anges, mais au Fils de
Dieu incarné que Dieu a assujetti le monde futur.
C'est ce fils de l'homme, dont parle le psalmiste, Ps.
vm, 5-7, qui a été abaissé un moment, pendant sa vie
terrestre, au-dessous des anges, que Dieu a couronné
de gloire et d'honneur en mettant tout sous ses pieds.
Tout lui est donc assujetti, même les anges, et si l'assu-
jettissement universel au Fils de Dieu n'est pas encore
réalisé, nous voyons, au moins déjà, par les yeux de la
foi, celui qui a été abaissé un moment au-dessous des
anges, Jésus, couronné de gloire et d'honneur parce
qu'il a souffert la mort pour que tous en bénéficient,
il, 5-9. Puisque Dieu voulait rendre parfaits un grand
nombre de ses fils, il convenait que l'auteur du salut
terminât sa vie par la souffrance. Il est mort sur la
croix, car celui qui sanctifie et ceux qui sont sanctifiés
ont la même origine et la même nature humaine. C'est
pourquoi le Sauveur ne rougit pas d'appeler les sauvés
2105
HÉBREUX
2106
ses frères. Comme eux, il a eu part à la chair et au sang,
alin de réduire, par sa mort, à l'impuissance, le diable
qui avait causé la mort et d'affranchir ceux qui, par
crainte de la mort, étaient, durant toute leur vie, tenus
en servitude. Il a pris en main la cause, non pas des
anges, mais des fils d'Abraham. Il devait donc devenir
en tout semblable aux hommes, ses frères, pour expier
les péchés du peuple, n, 10-18. Ses souffrances et sa
mort ne détruisent donc pas sa supériorité sur les
anges, puisqu'elles en étaient la condition, voulue par
Dieu.
L'apôtre de notre salut et le gTand-prêtre de la foi
que nous professons a été fidèle à Dieu comme Moïse
le fut. Mais il a été plus glorieux que Moïse. Celui-ci n'a
été qu'un serviteur dans la maison de Dieu; lui,
comme Fils de Dieu, qui a construit la maison, il est
le chef de la maison, le chef du nouveau peuple élu de
Dieu, ni, 1-6.
2° Le sacerdoce du Christ. — Les chrétiens ont en
Jésus, Fils de Dieu, un grand-prêtre parfait qui, au
jour de son ascension, a pénétré dans les cieux, iv, 14.
Us peuvent recourir à lui avec confiance, parce qu'il
n'est pas incapable de compatir à leurs faiblesses,
ayant été tenté en tout de la même manière qu'eux,
à l'exception du péché, iv, 15,16. Il ressemble donc en
quelque chose au grand-prêtre hébreu qui, choisi
d'entre les hommes, était préposé pour les hommes à
leurs relations avec Dieu afin d'offrir des dons et des
sacrifices pour le péché, pour lui-même et pour le
peuple. Il a offert son sacrifice pour l'humanité péche-
resse, v, 1-3. Tout prêtre ne prend pas de lui-même
l'honneur du sacerdoce; il doit y être appelé par Dieu,
comme Aaron l'a été. Le Christ, lui aussi, ne s'est pas
attribué à lui-même cet honneur; c'est son Père qui
l'a appelé au sacerdoce selon l'ordre de Melchisédech.
Ps. cix, 4. Cet appel eut lieu aux jours de sa chair
mortelle, et il accomplit son sacrifice en mourant sur la
croix par obéissance aux ordres de son Père et en de-
venant par son obéissance la cause du salut éternel, v,
4-10.
Melchisédech a été la figure de Jésus, pontife de
son ordre. L'auteur de l'Épître, qui aime à rechercher
le caractère typique de l'Écriture, relève trois circon-
stances de l'histoire du pontife, type de Jésus : c'était
un prêtre-roi, roi de justice et roi de paix, d'après
l'étymologie de son nom et du nom de sa capitale; il
bénit Abraham victorieux, qui lui paya la dîme du
butin; l'Écriture se tait sur son origine; il était, dans le
récit de la Genèse, sans père, sans mère, sans généalo-
gie ; sa vie n'a eu ni commencement ni fin, et comme le
Fils de Dieu, il a été prêtre pour toujours. Ces circon-
stances montrent la supériorité du sacerdoce de Jésus
sur le sacerdoce lévitique. Melchisédech a béni celui qui
avait reçu les promesses divines. Or c'est un principe
admis que l'inférieur Teçoit la bénédiction de son supé-
rieur. Melchisédech est donc supérieur au patriarche,
ancêtre des lévites. Abraham a payé la dîme au roi de
Salem; il s'est donc soumis au prêtre du Très-Haut.
Par cet acte, toute sa postérité, renfermée dans ses
flancs, y compris les lévites eux-mêmes qui prélèvent
la dîme sur leurs frères, a reconnu la supériorité de
Melchisédech et du grand-prêtre chrétien dont II était
la figure. Enfin, les lévites sont des mortels» Melchisé-
dech vit toujours, et, à ce titre, il leur est encore supé-
rieur, vu, 1-10.
C'est parce que le sacerdoce lévitique était imparfait
et incapable de conduire les Israélites à la justification
et au salut, qu'un prêtre de l'ordre de Melchisédech a
été établi, et non plus un prêtre de l'ordre d' Aaron.
Noire-Seigneur, en effet, n'est pas de la tribu sacerdo-
tale ; il est issu de Juda et il a obtenu son sacerdoce, à
la ressemblance de Melchisédech. non par droit de
descendance charnelle et par héritage, mais par élec-
tion divine, élection qui lui a communiqué une vie
impérissable, assurée par un serment de Dieu, vu,
11-19. En outre, Jésus, étant éternel, est l'unique
prêtre de son ordre, tandis que les prêtres juifs,
astreints à la mort, étaient nombreux et se succé-
daient. Toujours vivant, il interpelle sans cesse au ciel
pour les hommes, vu, 20-25. Il est donc le grand-prêtre
saint, innocent, sans souillure, séparé des pécheurs
et élevé au-dessus des cieux. Comme les prêtres juifs,
qui étaient eux-mêmes pécheurs, il n'a pas besoin
d'offrir chaque jour un sacrifice pour ses péchés per-
sonnels d'abord et ensuite pour ceux du peuple. Il n'a
offert qu'un seul sacrifice, dont il était lui-même la
victime, vu, 26-28.
3° Le sacrifice du Christ. — Le grand-prêtre de la
nouvelle alliance est au ciel, assis à la droite du trône
de la majesté divine. Or, puisque tout pontife est établi
pour offrir des dons et des sacrifices, il était nécessaire
qu'il eût de quoi offrir, vin, 1-3, comme les prêtres
de l'ancienne alliance le faisaient dans le tabernacle du
désert, ix, 1-10. C'est pourquoi le grand-prêtre des
biens à venir, avant de pénétrer une fois au ciel pour y
remplir les fonctions de son sacerdoce, ne prit pas le
sang des boucs et des veaux immolés, mais son propre
sang qu'il avait versé une fois pour la rédemption éter-
nelle des pécheurs, et le sang de cette victime sans
tache a plus d'efficacité pour purifier les consciences
que le sang des victimes animales et l'aspersion faite
avec la cendre de la vache rousse, ix, 11-15. C'est,
en effet, par sa mort sur la croix, sacrifice offert une
fois pour toutes, qu'il peut accomplir au ciel les actes
de son sacerdoce éternel, ix, 23-28. Il a aboli les sacri-
fices sanglants de l'ancienne loi, qui étaient impuis-
sants à rendre parfait pour toujours, et ayant pris un
corps, il s'est offert lui-même pour accomplir la volonté
de Dieu qui n'avait plus pour agréables les holocaustes
et les sacrifices antiques, x, 1-10; xm, 10-13. Son unique
sacrifice a rendu parfaits pour toujours ceux qu'il a
sanctifiés, x, 11-18. Le pontife céleste applique donc
les fruits de son unique sacrifice terrestre. Son sang
parle mieux que le sang d'Abel, xn, 24.
4° La foi. — Pour jouir des fruits du sacrifice de
Jésus, il faut persévérer dans la foi, x, 19-39. C'est
pourquoi l'auteur de l'Épître insiste principalement
sur cette vertu. — 1 II décrit sa nature, xi, 1. Voir col.
86-88. — 2. Il expose son rôle dans la vie des anciens
qui, à cause d'elle, ont obtenu dans l'Écriture un bon
témoignage, et il indiqua d2 nouveau sa nature: une
adhésion de l'intelligence à la parole de Dieu, 3, 6,
mais aussi un acquiescement de la volonté qui la rend
libre et méritoire Tous ies justes de l'ancienne alliance,
depuis Abel, ont été sanctifiés par la foi, 4-38. Leur foi
était une anticipation ilo celle des chrétiens, dont les
fruits sont plus parfaits, 39,40.
VIII. Commentaires, — 1 ° Des Pères. — 1. Grecs. —
Ils sont peu nombreux. Origène avait composé un
commentaire, dont Eusèbe, H. E., vi, 25, P. G., t. xx,
col. 584-585, a conservé deux fragments, P. G., t. xiv,
col. 1307-1309. M. Riggenbach, Historische Studien
zum Hebràcrbriej , dans Zahn, Forschungen zut
Geschichte des neutestamenilichen Kanons, Leipzig,
1907, t. vm, p. 7-10, a démontré que Smaragde en a
reproduit deux autres. Collectiones in epistolas et
evangelia, P. L., t. en, col. 165-166. S. Cyrille d'Alexan-
drie, Explanatio in Epist. ad Heb. (fragments), P. G.,
t. lxxiv, col. 953-1605; S. Chrysostome, Homilix (34)
in Epist- ad Heb. (posthunes), P. G., t. lxiii, col. 9-
236; Théodore de Mopsueste, Fragmenta, P. G.,
t. lxvi, col. 952-968; Théodoret, Inierpretatio, P G.,
t. lxxxii, col. 673-785 ; S. Jean Damascène, Loci selecti,
P. G., t. xcv, col. 929-997; Œcuménius, Commentarius
in Epist. ad Heb., P. G., t. exix, col. 280-452; Théo-
| phylacte, Explanatio Epis1, ad Heb., P. G., t cxxv,
2107
HÉBREUX
2108
col. 185-101; Euthymius Zigabène, édit. Kaloghcras,
Athènes, 1887, t. n, p. 311-474 (voir t. v, col. 1581);
Cramer, Catena Palrum grœcorum in N. T., Oxford,
1844, t. vu, p. 112-278; 2° chaîne de Nicétas sur i, 1-
8, 11, p. 279-598. — 2. Syrien. — S. Ephrœm Syri
comment, in Epist. d. Pauli, trad. latine d'une version
arménienne par les mékitharistes, Venise, 1893, p. 200-
242. — 3. Latins. — ■ Les anciens écrivains latins, ne
connaissant pas l'Épître aux Hébreux ou ne la rece-
vant pas au canon, ne l'ont pas commentée. Les com-
mentaires latins de cette lettre sont donc relativement
récents. M. Riggenbach a fait d'eux une étude qui a
renouvelé le sujet, Die àlteslen lateinische Kommentare
zum Hebràerbrief, loc. cit. En voici les résultats.
Cassiodore, Complexiones in Epist. apostoli, P. L.,
t. lxx, col. 1357-1362, n'a fait que résumer saint Jean
Chrysostome. Saint Jérôme n'a pas commenté l'Épître
aux Hébreux; les manuscrits lui attribuent différentes
œuvres étrangères. On fit des extraits des œuvres de
saint Augustin et de saint Grégoire; pour ce dernier,
voir Alulfe, Expositio, P. L., t. lxxix, col. 1377-1382.
Des manuscrits ont attribué à l'Ambrosiaster le com-
mentaire de Raban Maur. Le plus ancien commentaire
latin est celui d'Alcuin, Traclatus in Epist. ad Heb.,
P. L., t. c, col. 1031-1084; on l'a parfois attribué encore
à l'Ambrosiaster. Claude de Turin a rédigé un commen-
taire, dont on croyait n'avoir qu'un fragment imprimé,
P. L., t. civ, col. 926; en réalité, son œuvre est celle
qui a été publiée sous le nom d'Atton de Verceil, P. L.,
t. cxxxiv, col. 726-834. Après lui, viennent Raban
Maur, Enarrationes, P. L., t. cxn, col. 711-834, et
Walafrid Strabon, Glossa ordinaria, P. L., t. cxiv,
col. 643-670. Le commentaire, publié sous le nom de
Primasius, P. L., t lxviii, col. 685-794, n'est pas de
l'évêque d'Hadrumète. Hausleiter était d'avis qu'il est
du ve siècle et qu'il a été composé en Gaule, Die
kdeinische Apocalypse der alten afrikanichen Kirche,
^ans Zahn, Forschungen zur Geschichte des ncutcs.
Kanons, Erlangenet Leipzig, 1891, p. 24-35. Zimmeren
plaçait la composition entre le vie et le vm« siècle.
Pelagius in Irland, Berlin, 1901, p. 197, Mais pour
Riggenbach, il est du ixe siècle; il est identique à celui
que des manuscrits attribuent à Remy de Reims et
à celui qui a été imprimé, sous le nom d'Haymon
d'Halberstadt, P. L., t. cxvn, col. 819-938; il est
d'un moine français, qui le composa de 840 à 860 et
qui se nommait Haymon d'Auxerre. Apparaissent alors
les commentateurs irlandais : l'anonyme de Saint-
Gall, édité par Zimmer, Pelagius in Irland, Berlin,
1901, p. 420-448 ; le pseudo-Jérôme, qui n'est pas
l'œuvre de Pelage, mais celle d'un moine irlandais ; il
n'est reproduit que dans la seconde classe des
manuscrits du pseudo-Jérôme ; cf. A. Souter, The
Character and History of Pelagius' Commentary on
the Epistels of SI. Paul (extrait des Proceedings
of the british Academy, Londres, 1916, t. vu, p. 27) ;
enfin Sedulius Scottus, Collectanea, P. L., t. cm,
col. 251-270. Du xe au xn° siècle, il y eut Lanfranc,
P. L., t. cl, col. 375-406; S. Bruno le Chartreux,
P. L., t. cm, col. 489-566; Hervé de Bourgdieu, P. L.,
t. clxxxi, col. 1519-1692 (cf. B. Unruh, Die Kom-
mentare des Herveus Burdigolensis, Heilbronn, 1909);
Pierre Lombard, Collectanea, P. L., t. cxcn, col. 399-
520; Hugues de Saint- Victor, Quœstiones, P. L.,
t. clxxv, col. 607-634.
2° Au moyen âge. — Hugues de Saint-Cher, Postillse,
Paris, 1482; S. Thomas d'Aquin, Commentarius in
Epist. ad Heb., Opéra, édit. Fretté, Paris, 1876, t. xxi,
p. 555-734; Turin, 1902, t. n, p. 281-452; Nicolas de
Lyre, Postillse; Denis le Chartreux, Commentarius,
Opéra, Montreuil, 1901, t. xm, p. 469-531.
3° Aux temps modernes. — 1. Catholiques. — Le
Fèvre d'Étaples, Epist. D. Pauli cum commenlariis,
Paris, 1512-1517; Érasme, Paraphrasis in N. T., Opéra
omnia, Leyde, 1706, t. vu; Cajétan, Lilleralis expositio,
Rome, 1529; Ribera, Commentarius in Epist. ad Heb.,
Salamanque, 1598; Saîmeron, Commentarii Episk ud
Heb., Cologne, 1602; L. de Tena, Commentarii et dispu-
taliones in Epist. Pauli ad Heb., Tolède, 1611; Estius,
Commentarii in Epist. S. Pauli, Douai, 1614; Mayence,
1859, t. m, p. 1-381 ; Justiniani, Explicationes in Epist.
S. Pauli, Lyon, 1612, t. n; Corneille de la Pierre, Com-
mentarii, etc., Anvers, 1614; Paris, 1858, t. xix,
p. 347-525; Calmet, Commentaire littéral, 3e édit.,
Paris, 1726, t. vin, p. 627-724; M. Gerbert, De peccato
in Spiritum Sanctum in hac et altéra vila irremissibili.
Acccdit paraphrasis cum notis sclectis in Epislolam
S. Pauli ad Heb., Saint-Biaise, 1768; A. Gùgler, Pri-
oatvortràge ùber den Brief an die Hcbràer, Sarmenstof,
1837; H. Klee, Auslegung des Brief es an die Hebràer.
Mayence, 1833; C. Lomb, Commentarius in Epist. ad
Heb., Ratisbonne, 1843; F. X. Massl, Erklàrung der h.
Schriften des N. T., 1846; L. Steugel, Erklàrung des
Briefcs an die Hebràer, édit. Beck, Carlsruhe, 1849;
A. Bisping, Erklàrung des Briefes an die Hebràer,
Munster, 1864; Ad. Maier, Kommentar ùber den Brief
an die Hebràer, Fribourg-en-Brisgau, 1861; L. Zill,
Der Brief an die Hebràer, Mayence, 1875; J. Panek,
Commentarius in Epist. ad Heb., Inspruck, 1882;
A. Schâfer, Erklàrung des Hebràerbriefs, Munster,
1893; Padovani, Commentarius in Epist. ad Heb.,
Paris, 1897; Huyghe, Comment, in Epist. ad Heb.,
Gand, 1901; J. Rohr, Der Hebràcrbrief, Berlin, 1912.
Voir aussi les commentaires sur les Épîtres de saint
Paul de P. Drach, Paris, 1869, de Maunoury, Paris,
1882, de van Steenkiste, 4e édit., Bruges, Ï886, de
Lemonnyer, Paris, 1905, et la Sainte Bible de M. Fil-
lion, Paris, 1904, t. vin, p 538-623.
2. Protestants. — Pour les nombreux commentaires
protestants, du xvic au xvme siècle, voir C. F. Keil,
Commentar ùber den Brief an die Hebràer, Leipzig,
1885, p. 19-21. Voici les principaux du xixe et du
xxe siècle : Schulz, Der Brief an die Hebràer, Breslau,
1818; C. F. Bôhme, Epist. ad Hebrœos, Leipzig, 1825;
M. Stuart, Commentary on the Epislle to the Hebrews,
1827; C. T. Kuinoël. Comment, in Epist.ad Heb., Leip-
zig, 1831; F. Bleek, Der Brief an die Hebràer, 3 par-
ties, Berlin, 1828-1840; Der Hebràcrbrief erklàrt, édit.
Windrath Elberfeld, 1868; W. Stein, Der Brief an die
Hebràer, Leipzig, 1838; F. D. Maurice, The Epislle to
the Hebrews, Londres, 1846; Biesenthal, Epist. Pauli
ad Heb. cum rabbinico commentario, Berlin, 1857;
A. Tholuck, Kommentar zum Brief an die Hebràer,
3e édit., Hambourg, 1850; F. Delitzsch, Commentar
zum Brief an die Hebràer, Leipzig, 1857; Kluge, Der
Hebràcrbrief, Auslegung und Lehrbegriff, Neu Ruppin,
1863; J. H. A. Ebrard, Der Brief an die Hebràer, édit.
Olshausen, Kônigsberg, 1850; trad. anglaise, Edim-
bourg, 1850; G. Lûnemann, Der Hebràerbrief, dans
Meyer, Kritisch-exegelisches Kommentar ùber das N. T ,
4e édit., Gœttingue, 1878, t. xm; Lange, Der Brief an
die Hebràer, Leipzig, 1861: 3e édit.. 1877; J. H. Kurtz.
Der Brief an die Hebràer erklàrt, Mitau, 1869; J. C, K,
von Hoffmann, Die heilige Schrift des N. T., Ve part.,
Nordlingen, 1873; E. Wôrner, Der Brief S. Pauli an
die Hebràer, Ludwigsburg, 1876; J. H. R. Biesenthal,
Das Trostschreiben des Ap. Paulus an die Hebràer,
Leipzig, 1878; W. F. Moulton, The Epistle to the
Hebrews, Londres, 1878; W. Kay, Commentary on the
Epistle to the Hebrews, Londres, 1881 ; F. Rendall,
The Epistle to the Hebrews in greck and englisch,
Londres, 1883; O. Holtzheuer, Der Brief an die He-
bràer Berlin, 1883; C. F. Keil, Commentar ùber den
Brief an die Hebràer, Leipzig, 1885; Edwards, The
Epistle to the Hebrews, 2e édit., Londres, 1888; 10«édit.,
1911; C. J. Vaughan, The Epistle to the Hebrews,
2109
HÉBREUX— HEGQUET
2110
Londres, 1891; R. Kùbel, dans Kurzgefast. Kommen-
tar zum den heil. Schriften A. und N. T. de Strack et
Zôckler, part. V, 2e édit., Munich, 1898; B. Weiss,
dans Meyer, 68 édit., Gœttingue, 1897; A. Schlatter,
Der Hebrâerbrief ausgelegt fur Bibelleser, 2° édit.,
Calw, 1892; 3e édit., Cahv et Stuttgard, 1898; B. F.
Westcott, The Epistle to the Hebrews, 1880; 2e édit.,
Londres, 1892; H. von Soden, dans Handkommentar
zum N. T., 3e édit., Fribourg-en-Brisgau, 1899; G.
Hollmann, Der Hebrâerbrief, dans Die Schriften des
N. T., 2e édit., Gœttingue, 1907, t. n, p. 443-502;
A. Seeberg, Der Brief an die Hebrâer, Leipzig, 1912;
TL Windisch, Der Hebrâerbrief, dans Handbuch zum
N. T., Tubingue, 1913, t. iv, p. 1-122; Ed. Riggen-
bach, Der Brief an die Hebrâer ausgelegt, Leipzig, 1913.
En dehors des introductions des commentaires précé-
demment cités :
1° Ouvrages catholiques. — J. L. Hug, Einleitimg In die
Schriften des N. T., 4« édit., Stuttgard et Tubingue, 1847,
t. n, p. 387-426; M. von Aberle, Einleitung in das N. T.,
édit. Schanz, Fribourg-en-Brisgau, 1877, p. 231-242; R. Cor-
nely, Hist. et crit. Introductio in N. T. libros sacros, Paris,
1886, t. m, p. 522-551 ; F. Kaulen, Einleitung in die heilige
Schrift, 2» édit., part. III, Fribourg-en-Brisgau, 1887,
p. 536-548; C. Fouard, Saint Paul, ses dernières années,
Paris, 1897, p. 201-227; C. Trochon et H. Lesêtre, Intro-
duction à l'étude de l'Écriture sainte, Paris, 1890, t. m,
p. 426-449 ; F. Trenkle, Einleitung in das N. T., Fribourg-en-
Brisgau, 1897, p. 83-94; A. Schàfer, Einleitung in das N. T.,
Paderborn, 1898, p. 147-157; J. Bcbcr, Einleitung in das
N. T., Fribourg-en-Brisgau, 1901, p. 591-617; E. Jacquier,
Histoire des livres du N. T., Paris, 1903, t. i, p. 415-486 ;
art. Hébreux (Épttre aux), dans le Dictionnaire de la
Bible de M. Vigouroux, t. m, col. 515-551 ; B. Heigl, Ver-
fasser und Adresse des Briefes an die Hebrâer, Fribourg-en-
Brisgau, 1905; A. Brassac, Manuel biblique, 13e édit.,
Paris, 1911, t. iv, p. 489-561; Quentel, Les destinataires de
l'Épître aux Hébreux, dans la Revue biblique, 1912, p. 50-68;
art. Hebrews, Epistle, dans The catholic encyclopedia, New
York, 1910, t. vu, p. 181-184. Pour la doctrine de l'Épître,
F. Prat, La théologie de saint Paul, Paris, 1908, t. i, p. 497-
550 ; V. Thalhofer, Die Opferlehre des Hebrâerbrief s, Dillin-
gen, 1850 ; J. Corluy, Spicilegium dogmatico-biblicum,
Gand, 1884, t. i, p. 250-260; t. n, p. 1-23, 133-151, 204-234,
250-256 ; sur la personne du Fils, J. Lebreton, Les origines
du dogme de la Trinité, Paris, 191C, p. 345-359, 495-506.
2° Ouvrages protestants. — Ed. Reuss, Die Geschichte der
heiligen Schriften N. T., 6e édit., Brunswig, 1887, p. 137-
143; H. J. Holtzmann, Lehrbuch der hist. krit. Einleitung*
in das N. T., 3e édit., Fribourg-en-Brisgau, 1892, p. 292-309;
A. Jùiicher, Einleitimg in das N. T., 3e édit., Tubingue et
Leipzig, p. 115-136; Th. Zahn, Einleitung in das N. T.,
2e édit., Leipzig, 1900, t. n, p. 111-159; C. Weizsâcker, Das
apostolische Zeilalter der christlichen Kirche, 3« édit., Tubin-
gue et Leipzig, 1902, p. 471-475; B. Ayles, Destination,
date and authorship of the Epistle to the Hebrews, Londres,
1899; A. Weleh, Authorship of the Epistle to the Hebrews,
Londres, 1899 ; W. Wade, Das literarische Ratsel des Hebrâer-
brief es, Gœttingue, 1906; Burgaller, Das literarische
Problem des Hebràerbriefs, dans Zeitsehrift fur neutesta-
mentliche Wissenschaft, 1908, p. 110-131; Neue Untersu-
chungen zum Hebrâerbrief, dans Theologische Rundschau,
1910, p. 369-381, 409-417; K. Endemann, Ueber der Ver-
fasser des Hebràerbriefs, dans Neue kirchliche Zeitsehrift,
1910, p. 102-126; F. Dibelius, Der Verfasser des Hebrâer-
briefes, Strasbourg, 1910; B. Weiss, Der Hebrâerbrief in
zeitgeschichtlicher Bedeutung, dans Texte und Untersu-
ehungen, Leipzig, 1910, t. xxxv, lasc. 3; A. Nairne, The
Epistle of priesthood. Studies in the Epistle to the Hebrews,
Edimbourg, 1913; Mac Neill, Two récent théories about the
Epistle to the Hebrews, dans The Interpréter, 1913, p. 156-160;
G. Wohlenberg, Wer hat den Hebrâerbrief verfassl, dans
Neue kirchliche Zeitsehrift, 1913, p. 742-762; art. Hebrews,
Epistle, dans Dictionary of the Bible de Hastings, Edim-
bourg, 1899, t. H, p. 327-338, et dans Encyclopœdia blblica
de Cheyne, Londres, 1901, t. n, col. 1990-200, et Hebrâer-
brief, dans Realencyclopàdie fur protestantische Théologie
und Kirche, Leipzig, 1899, t. vu, p. 492-506,
Spécialement pour la doctrine, E. Riehm, Lehrbegriff des
Hebràerbriefs, 2e édit., Bâle, 1837; Klostermann, Zur
Théorie der biblischen Weissagungen und zur Charakteristik
des Hebràerbriefs. 1889; E. Ménégoz, La théologie de
l'Épître aux Hébreux, Paris, 1894; A. B. Bruce, dans Expo-
sitor, 3e série, t. vn-x; 4» série, t. i et n; G. Milligan, The
Theology of the Epistle to the Hebrews, Edimbourg, 1899;
Mac Neill et Harris Lachlan, The christology of the Epistle
to the Hebrews, Ghicago,1914 ; et les nombreuses théologies du
Nouveau Testament, entre autres, celles de H.J.Holtzmann,
Lehrbuch der neutestamentliche Théologie, Fribourg-en-
Brisgau et Leipzig, 1897, t. Il, p. 281-30S; J. Bovon, Théo-
logie du N. T., 2e édit., Lausanne, 1905, t. n, p. 357-403;
G. B. Stevens, The Theology of the New Testament, Edim-
bourg, 1899, p. 483-522; B. Weiss, Lehrbuch des biblischen
Théologie des N. T., 6° édit., Stuttgard et Berlin, 1903,
p. 473-524.
E. Mangenot.
HECQUET Philippe, médecin, né à Abbeville, le
11 février 1661, mort à Paris le 11 avril 1737. Vers
l'âge de dix-sept ans, il vint à Paris et suivit les cours
de philosophie et de théologie avant de commencer ses
études de médecine. Il prit ses grades à Reims où il
fut reçu docteur le 4 juillet 1684. Il exerça ensuite
dans sa ville natale; mais il y resta peu et revint à
Paris. Dès 1688, sa réputation justifiée de science et
de piété l'avait fait choisir comme médecin par les
religieuses de Port-Royal. En 1697, il se fit recevoir
docteur de la faculté de Paris, et aussitôt fut chargé
d'y faire un cours. En 1712, il était doyen de cette
faculté. Pendant trente ans, il ne mangea pas de viande
et ne but pas de vin. Devenu très infirme, il se retira
au commencement de 1727 près des carmélites du
faubourg Saint-Jacques, dont il était le médecin
depuis plus de trente ans. Parmi ses nombreux écrits
nous ne mentionnerons que les suivants : Traité des
dispenses du carême dans lequel on découvre la fausseté
des prétextes qu'on apporte pour les obtenir, en faisant
voir par la méchanique du corps les rapports naturels
des aliments maigres avec la nature de l'homme; et par
l'histoire, par l'analyse et par l'observation leur conve-
nance avec la santé, in-12, Paris, 1708; 3 in-12, 1710-
1712; augmenté et corrigé, 2 in-12, 1741; cf. Acta crudito-
rum, Leipzig, 1713, p. 555-559; La médecine théolo-
gique ou la médecine créée telle qu'elle se fait voir ici
sortie des mains de Dieu, créateur de la nature et régie
par les lois, 2 in-12, Paris, 1733. Cf. Journal des savants,
t. ci, p. 213-237; Suppl. ad nova Acta eruditorum,
t. il. p. 115-120. Quoique très lié avec les jansénistes,
Hecquet s'appliqua à confondre les convulsionnaires
et publia à leur sujet : Lettres d'un médecin de Paris à un
médecin de province au sujet d'un miracle arrivé sur une
femme du faubourg Saint-Antoine, in-8°, Paris, 1725;
Le naturalisme dans les maladies de l'épidémie convul-
sionnaire, première partie. Le naturalisme des convul-
sions démontré par la physique, l'histoire naturelle et
par les événements de cette œuvre, et démontrant ïimpos~
sibilité du divin qu'on lui attribue dans une lettre sur les
secours meurtriers, deuxième partie. Le mélange dans
les convulsions confondu par le naturalisme, troisième
partie, in-12, Soleure (Rouen), 1733; Réponse à la
lettre à un confesseur touchant le devoir des médecins
et des chirurgiens au sujet des miracles et des convul-
sions, in-12, Utrecht (Rouen), 1733; La cause des
convulsions finie et l'œuvre des convulsions tombée,
in-12, Utrecht (Rouen), 1733; Le naturalisme des
quatre requêtes, in-12, 1736; Réponse des médecins
au défi que leur font les convulsionnaires dans la justi-
fication des requêtes, in-12, 1736; La suceuse convulsion-
nairc, ou la Psylle miraculeuse, in-12, 1736; Lettre
sur la convulsionnaire en extase, ou la vaporeuse en
rêve, in-12, 1736; Réponse à la lettre d'un docteur
en médecine de la faculté de... sur l'écrit précèdent,
in-12, 1736.
Ch.-H. Lefebvre de Saint Marc, Vie de P. Hecquet, docteur
régent: avec un catalogue raisonné de ses ouvrages, in -8°,
Paris, 1740; Moréri, Dictionnaire historique, t. V & p. 552;
2111
HECQUET — HEFELE
2112
Quérard, La France littéraire, t. iv, p. 49; Roger, Hecquet,
docteur-régent et ancien doyen, sa vie, ses œuvres, Paris, 1889;
Hurter, Nomenclaior, Inspruck, 1910, t. iv, col. 1311-1312;
Realencyclopàdie fiir protestantische Théologie und Kirche,
t. vu, p. 525-531.
B. Heurtebize.
HEDICKHUYSEN (Henri von), dominicain fla-
mand, du couvent d'Anvers, où il prit l'habit le
12 mars 1C75, à l'âge de 21 ans. Toute sa vie se passa
dans l'enseignement au sludium général d'Anvers;
tour à tour, maître des étudiants (1686), puis pre-
mier régent (1692-1694; 1698-1700). Il fut fait maître
en théologie en 1694. Il mourut le 26 octobre 1701.
Il fit soutenir un certain nombre de thèses théologiques
sur les questions controversées de la grâce.
Coulon, Scrtptores ordinis privdicatorum, Paris, 1910,
fasc. 1er, p. 4-6, avec la nomenclature des thèses.
R. Coulon.
HEFELE Charles-Joseph naquit le 15 mars 1809,
à Unterkochen, dans le Wurtemberg, suivit les cours
des gymnases d'Ellwangen (1817-1825) et d'Ehingen
(1825-1827), étudia la théologie à l'université de Tubin-
gue (1827-1832), où Drey, Hirscher et Môhler ensei-
gnaient, fit son séminaire à Rottenbourg (1832-1833),
fut ordonné prêtre le 10 août 1833. Après avoir été
un an vicaire à Mergentheim, il fut nommé, en 1834,
répétiteur au séminaire de Tubingue, et à partir du
mois de février 1835, professeur au gymnase de Rott-
weil. En 1836, il devint privât docenl d'histoire ecclé-
siastique à l'université de Tubingue, professeur extra-
ordinaire en 1837 et professeur ordinaire en 1840. Il
garda cette chaire, où il succédait à Môhler, jusqu'en
1868, sauf pendant les années 1842-1845, où il fut élu
membre de la Chambre des députés de Stuttgard. Dès
1834, il collabora au Theologische Quarlalschri/t de
Tubingue, et il continua sa collaboration pendant plus
de trente années. 11 inséra aussi plus de 150 articles
dans la première édition du Kirchenlexikon, Le premier
de ses ouvrages, qui fut aussi sa thèse de doctorat en
théologie, est intitulé : Geschichte der Einfùhrung des
Christcnlums im sudwesllichen Deutschlands, besonders
in Wurtemberg, Tubingue, 1837. Deux ans plus tard, il
donnait, avec prolégomènes et notes, une édition des
Pères apostoliques à l'usage des étudiants : Patrum
apostolicorum opéra, in-8°, Tubingne, 1839, qu'il réédita
lui-même en 1842, 1847 et 1855; les éditions suivantes,
1878-1881, 1901, sont de Funk. Voir col. 974. L'année
suivante, il traduisait en allemand et annotait l'Épître
de Barnabe : Das Sendschreiben des Apostels Barnabas,
Tubingue, 1840. En 1844, il publia la Vie du cardinal
Ximénès : Kardinal Ximenes und die kirchliche Zù-
stan.de Spaniens am Ende des xv und Anfange des
XVI Jahrhunderls inbesondere cin Beitrag zur Geschi-
chte der Inquisition, in-8°, Tubingue; 2e édit., 1851 ; cet
ouvrage fut traduit en espagnol, en anglais et trois fois
en français, par Charles Sainte-Foi et de Bermond,
Paris, 1856, par Sisson et Crampon, Lyon, 1856, et par
un prêtre anonyme, Tournai, 1856. L'année suivante,
Hefele édita le Breviloquium de saint Bonaventure,
Tubingue, 1845; 3e édit, 1861 (Vllinerarium mentis ad
Deum du même saint docteur fut ajouté à la 3e édi-
tion), et 74 sermons choisis et traduits de saint Chryso-
stome, Chrysoslomus-postille, Tubingue, 1845; 3e édit.,
1857. En 1864, il réunit les principaux articles qu'il
avait publiés dans le Theologische Quartalschrijl, le
Kirchenlexikon et JVcue Sion de Haas sous ce titre :
Beilrcige zur Kirchengeschichte, Archaologie und Lilur-
gik, 2 in-8°, Tubingue, 1864.
Mais le principal ouvrage de Hefele, celui auquel son
nom restera toujours attaché, c'est son Histoire des
conciles. L'idée en était venue à l'auteur, dès 1835,
quand il publia, dans les Giessener Jahrbùcher fur
Théologie und chrislliche Philosophie, son article :
Blicke ins xv Jahrhundert und seine Konzilien mit
besonderer Berùcksichligung des Basler Synode. Dès lors,
sa préoccupation se porta sur les conciles dans divers
comptes rendus et articles du Theologische Quartal-
schrift. Son plan s'agrandit, et du xve siècle l'auteur
remonta aux premiers siècles de l'Église et il étudia
non seulement les conciles généraux, mais tous les
synodes provinciaux, en les replaçant dans leur milieu
historique, de telle sorte que son Histoire des conciles
devint comme une histoire du dogme, de la morale et
de la liturgie. La Conciliengeschichtc parut successi-
vement à Tubingue, 1. 1 (1855), t. n (1856), t. m (1858),
t. iv (1860), t. v (1863), t. vi (1867), t. vu (1874) et
elle reçut un excellent accueil, même de la part des
protestants. Elle s'arrête à 1449. L'auteur put préparer
lui-même une 2e édition des quatre premiers tomes,
1873-1879; les t. v et vi furent revus par Knôpfler,
1886-1890. Elle fut continuée par Hergenrôther et
poussée presque jusqu'à la veille du concile de Trente,
t. vin et ix, 1887-1890. L'abbé Delarc fit une mau-
vaise traduction française de la première édition :
Histoire des conciles, 12 in-8°, Paris, 1869-1878. Dom
Leclercq a fait une version nouvelle de la 2e édi-
tion et de sa continuation, et il l'a enrichie de notes abon-
dantes et de nombreux appendices. Elle comprend
8 tomes. Elle sera complétée jusqu'à nos jours et for-
mera une collection de 12 tomes en 24 volumes.
Le 26 mai 1868, le cardinal Schwarzenberg arche-
vêque de Prague, conseilla aux cardinaux Caterini
et Antonelli de mander à Rome comme consulteurs
quelques ecclésiastiques inébranlables dans la foi et
fermement attachés aux doctrines catholiques. Sans
vouloir indiquer un choix, il mit cependant en avant
les noms de Hefele, Kuhn et Dollinger, Le 2 octobre
suivant, Hefele était appelé par l'intermédiaire du
nonce de Munich. Cecconi, Histoire du concile du
Vatican, trad. franc., Paris, 1887, t. iv, p. 704-705;
t. i, p. 370-371. Hefele quitta sa chaire de professeur
après 32 années d'enseignement et il fut élu au siège
épiscopal de Rottenbourg, le 17 juin 1869. Le 12 no-
vembre 1868, il avait été nommé membre de la com-
mission directrice, et au mois de mars 1869, il avait
rédigé un Votum sur la méthode à suivre dans les
congrégations générales. Voir Acta et décréta sac.
cecum. concilii Vaticani, édit. Granderath, dans Col-
leclio lacencis, Fribourg-en-Brisgau, 1890, t. vu,
col. 1046-1047, 1050, 1051, 1087-1100. Du 1« au 6 sep-
tembre, il assista, comme évêque élu de Rottenbourg,
à l'assemblée de Fulda, et il signa la lettre pastorale
que les évêques réunis publièrent, le 6 septembre, sur
le concile, aussi bien que la lettre qu'ils avaient écrite,
le 4, à Pie IX, sur l'inopportunité de la définition de
l'infaillibilité pontificale, surtout par rapport aux af-
faires et aux idées de l'Allemagne. Ibid., col. 1188-1197;
Cecconi, Histoire du concile du Vatican, 1. III, c. vi,
n. 5, doc. clxiv, ccxx, trad. franc., Paris, 1887, t. n,
p. 456-463; t. m, p. 370-378; t. iv, p. 155-162. Préco-
nisé le 22 novembre, Mgr Hefele fut sacré, le 29 dé-
cembre. Il prit part dès lors, comme évêque, aux déli-
bérations du concile, et le 24 et le 31 mars, aux congré-
gations générales, il prit la parole sur les c. i et m du
schéma De fide, Acta et décréta, col. 733, 736; cf. Gran-
derath, Histoire du concile du Vcdican, trad. franc.,
Paris, 1911, t. n b, p. 69, 77, et le 24 avril 1870, il assista
à la IIIe session à laquelle fut promulguée la constitu-
tion Dei Filius. Ibid., col. 267.
Dans la question de l'infaillibilité personnelle du
souverain pontife, il fut constamment du parti de la
minorité. Il ne combattait pas seulement l'opportu-
nité de la définition, il niait purement et simplement
l'existence du privilège que la majorité voulait définir.
Il ne se borna pas à souscrire, le 12 janvier 1870, le
postulatum contre la définition de l'infaillibilité pon-
2113
HEFELE — HEGEMONIUS
2114
tiflcale, en réponse à la pétition de la majorité, ibid.,
col. 944-945, il publia à Naples un opuscule : Causa
Honorii papœ, qui paraissait en même temps à Tubin-
gue en allemand : Honorius and das VI allgemeines
Konzil. Le 9 février, il signait aussi le postulatum rela-
tif à la manière de disposer et d'étudier le schéma De
Ecclesia, en vue de retarder l'examen de l'infaillibilité.
Ibid., col. 950-952. Le 2 mars, il protesta contre le
décret du 20 février sur l'ordre à suivre dans les discus-
sions et les délibérations. Ibid., col. 967. Le 8 mai, il
protesta de nouveau contre le changement opéré le
29 avril, dans l'ordre à suivre dans l'examen du schéma
De Ecclesia, changement qui mettait au premier rang
des travaux du concile la primauté et l'infaillibilité du
pape. 76k/., col. 980-983. Le mardi 17 mai, il prit la
parole à la 52e congrégation générale. Ibid., col. 744.
Il réclama, le 4 juin, contre la clôture de la discussion
du schéma De Ecclesia. Ibid., col. 986-987. Le 7 juillet,
il s'associa à la plainte faite au sujet d'une addition
contraire au 72e amendement qui avait été adopté.
Ibid., col. 991-992. Le 13 du même mois, au vote sur
l'infaillibilité pontificale, il dit : Non placet. Le lende-
main, il insista auprès du comité international pour
que les non-acceptants renouvelassent leur opposition
à la session publique du 18, et il demanda que si l'acte
d'adhésion au décret était exigé, séance tenante, ils
le refusassent. Mais il fut décidé que les opposants
n'assisteraient pas à la session, et en préviendraient
par lettre le pape Pie IX. Hefele souscrivit cette lettre
du 17 juillet. Ibid., col. 994-995. Il eut de la peine à
adhérer au nouveau dogme de foi catholique. Il pensa
un instant se démettre de son siège plutôt que de se
soumettre. Le 11 mars 1871, il reconnaissait devant ses
amis sa méprise, et il suppliait Dôllinger de se soumet-
tre pour écarter de sa tête l'excommunication qui
devait le frapper. Au lieu d'imiter les vieux catholiques
dans leur révolte, il publia dans son diocèse la consti-
tution Paslor œtcrnus, en y adhérant lui-même, et le
23 du même mois, il annonça son adhésion au nonce 'îe
Munich. Ibid., col. 1004. Le 20 octobre 1870, il avait
protesté par une lettre pastorale contre l'envahisse-
ment de Rome par l'armée italienne.
Après le concile, l'évèque de Rottenbourg s'occupa
de l'administration de son diocèse et de la revision de
son Histoire des conciles. Il mourut le 5 juin 1893, à
l'âge de 84 ans.
Mgr Reiser, Worte... am Sage des... Ilcfcle, Rottenbourg,
1893; H. Roth, D' K. J. von Hefele, Bischof von Rollenburg,
Stuttgard, 1894; Funk, dans Theoloqische Quartalschrifl,
1894, p. 1-14; Allgemeine deutselie Biographie, t. l, p. 109-
115; Kirchenlexikon, 2" édit., t. x, p. 1322-1323; Realency-
clopadie fiir protestantische Théologie and Kirche, 1899,
t. vu, p. 525-531; Kirchliches Handlexikon, Munich, 1907,
t. i, col. 1872; P. Godet, Ch. Jos. Hefele, dans, la Reuae du
clergé français, 1907, t. L, p. 449-474; H. Leclercq, Notice
biographique, dans Histoire des conciles, Paris, 1907, t. i,
p. xm-xv; The catholic encyclopedia. New York, 1910, t. vil,
p. 191-192; Hurter, Nomenclalor, 1913, t. v, col. 1653-
1655; J. F. von Schulte, Dër Altkatholizismm, 1887, p. 215-
238; Granderath, Histoire du concile du Vatican, trad. franc.,
Bruxelles, 1911-1913, t. i-iii, passim (voir les tables).
E. Mangenot.
HÉGÉMONIUS. Saint Jérôme, De vir. ill., 72,
P. L., t. xxiii, col. 683, range parmi les écrivains ecclé-
siastiques un certain Archélaùs. évêque de Mésopota-
mie, qu'il dit être le rédacteur en langue syriaque de la
discussion qu'il aurait eue avec Manès, du temps de
l'empereur Probus (276-282). Il ajoute que l'ouvrage,
traduit en grec, se trouvait entre beaucoup de mains;
mais il ne fait pas connaître l'auteur de la traduction.
Ce fut aussi l'opinion de saint Épiphane, Hser., lxvi,
21. 25, 32, qui attribuait au même Archélaùs la rédac-
tion en syriaque des Actes de la célèbre dispute. Mais
Photius, dans la lecture qu'il fit des vingt livres contre
DICT. DE THKOL. CATHOL.
les manichéens d'Héraclianus de Chalcédoine, a eu
soin de noter qu'Héraclianus, dans la liste des ouvrages
qui ont réfuté le manichéisme et où il a puisé, désigne
Hégémonius comme l'auteur des Acla dispulalionis
Archelai episcopi Mesopotamiœ et Manetis hœresiarclœ
Bibliothcca, 85, P. G., t. cm, col. 288. L'auteur des Acta
serait donc Hégémonius et non Archélaùs. Qui a rai-
son ? C'est ce qu'il serait difficile de dire dans l'état
actuel de nos connaissances. Toutefois Zaccagni, l'édi-
teur des Acla latins, Collectunea monumentorum veterum
Ecclesise grœcœ et lalinœ, Rome, 1698, p. 1-105, dans
Routh, Reliquiœ sacrœ, Oxford, 1848, t. v, p. 5, a cru
pouvoir conjecturer qu'Hégémonius a bien traduit du
syriaque en grec l'œuvre d'Archélaùs, sauf à y ajouter
une introduction, un épilogue et quelques suppléments
Tillemont, Mémoires, t. iv, p. 397, et Ceillier, Histoire
générale des auteurs sacrés et ecclésiastiques, t. n, p. 453,
ne regardent pas cette hypothèse comme invraisem-
blable. Reaucoup plus récemment, K. Kessler, For-
schungen ùber die manichaische Religion, Sprache und
Composition der Acta Archelai, Rerlin, 1889, t. i, p. 87,
171, a soutenu l'existence d'un original syriaque; et
Ad. Harnack, Die Acta Archelai und das Diatessaron
Talians, dans Texte und Untersuchungen, 1883, t. i,
fasc. 3, p. 137-153, s'est cru autorisé à conclure que
l'auteur des Acla a emprunté ses citations de l'Évan-
gile au Diatessaron de Tatien. Mais Th. Nôldecke,
dai s Zeitschrijt fur deutschen Morgcnl. Gesellschaft,
1889, t. xliii, p. 537-541, s'est prononcé contre cette
existence d'un original syriaque. Si, malgré tout, le
renseignement donné par saint Jérôme et saint Épi-
phane devait être tenu pour assuré, il est certain que
jusqu'ici on n'a pas encore trouvé trace d'une rédaction
de ces Acta en langue syriaque.
D'autre part, l'existence de ces Acla en grec ne sau-
rait être niée. Ils circulaient en cette langue du temps
de saint Jérôme et dataient au moins de la première
moitié du ive siècle. Malheureusement ils ne sont point
parvenus jusqu'à nous. Nous n'en possédons que les
passages conservés par saint Épiphane, Hier., lxvi, 6,
25, et insérés par Routh dans sa réédition de l'œuvre de
Zaccagni, Reliquiœ sacrœ, t. v, p. 43-70, ainsi que trois
fragments cités par saint Cyrille de Jérusalem, Cat., vi,
27-29, P. G., t. xxxm, Col. 584-589; Routh, Reliquiœ
sacrœ, t. v, p. 199-205. C'est, dans saint Épiphane, la
lettre de Manès à Marcel, la réponse et l'invitation de
Marcel à Manès, et l'exposition assez détaillée de l'er-
reur de Manès faite à Archélaùs par le messager Turbo,
l'un des disciples de Manès; et c'est, dans saint Cyrille,
une partie de la discussion entre Manès et Archélaùs
non conservée dans les Acta latins.
On en est donc réduit à la rédaction latine publiée
par Zaccagni, sans qu'on en connaisse l'auteur. Cette
rédaction est sûrement postérieure à saint Jérôme, qui
ne la signale point, et antérieure au vne siècle, vu que
les citations scripturaires ne sont pas celles de la Vul-
gate, telle qu'elle circulait en Occident au vne siècle.
Elle est due très certainement à un auteur qui a tra-
duit, non un texte syriaque, mais un texte grec. En
confrontant, en effet, les passages cités par saint Épi-
phane et les passages correspondants de la version
latine, on constate certaines dilîérences, qui accusent
un défaut d'attention dans la lecture du texte, qui
s'expliquent aisément si ce texte est grec et qui seraient
impossibles s'il avait été syriaque. C'est ainsi, par
exemple, que le traducteur a lu eîaî 8s ô/.-.iô ou siai
or; ozTtû, et sunt oclo, pour sîç iïor] Ôjctw, octuplici
specie, Acl., 7, Routh, Reliquiœ sacrœ, p. 52; àvrjp, vir.
pour àr|</, aer, Ad., 8, Routb, p. 55; À'.;j.o-;, famés,
pour Xoijio'ç, peslis, Acl., 8, Routh, p. 57; rciifcas',
perculil, pour -rjaast, congelât, frigore adstringil.
Acl., 9, Routh, p. 59-60. En outre, cette traduction
latine semble incomplète. Elle ne contient pas les
VI. — 67
2115
HÉGÉMONIUS— HÉGÉSIPPE
2116
fragments cités par saint Cyrille de Jérusalem; elle
s'arrête brusquement; et dans la lettre d'Archélaûs à
Diodore, il est fait clairement allusion à la preuve don-
née par Archélaiis à Manès que non seulement la loi
de Moïse mais encore tout l'Ancien Testament, est par-
faitement d'accord avec le Nouveau, et il ne se trouv°
pas trace de cette preuve dans la première discussion île
l'évêque avec l'hérétique. Nous n'aurions donc daus
cette version latine qu'un résumé, ainsi que l'a conjec-
turé Zaccagni. Routh, Reliquise sacrée, t. v, p. 15.
En voici le contenu. Ces Acta disputationis débutent
par un grand éloge de la charité de Marcel, homme de
grande piété, habitant de Carchar, Cascar ou Charra
(probablement Carrhes), ville de la Mésopotamie.
Art., 1-4. Manès, en ayant entendu parler, lui envoie
par son disciple Turbo une lettre où il se dit envoyé de
Dieu pour redresser le genre humain et prendi*e en
pitié ceux qui s'abandonnent è l'erreur. Art., 5. Marcel
lui répond et l'invite à se rendre près de lui. Art., 6.
Turbo renseigne l'évêque Archélaiis sur la doctrine de
son maître. Act., 7-11. Arrivée de Manès chez Marcel,
qui organise une conférence et choisit pour juges du
débat Manippe, Egialée, Claude et Cléobule, tous gens
instruits et étrangers à la foi. Art., 13. Et aussitôt la
discussion publique commence; les juges donnent gain
de cause à Archélaiis. Art., 14-38. Manès, vaincu, prend
la fuite. Art., 39. En passant par Diodoride, il cherche
à endoctriner le pasteur de ce lieu, Diodore, lequel, peu
confiant dans ses propres lumières, fait appel à la
science d' Archélaiis et lui écrit pour lui soumettre
quelques-unes des objections soulevées par Manès
contre l'Ancien Testament. Art., 40. Archélaiis, dans
sa réponse, fournit quelques arguments à son corres-
pondant. Art., 41-44. Diodore entre alors en discussion
avec Manès. Art., 45. Survient Archélaiis qui confond
de nouveau Manès, Art., 46-50, et se met à raconter
alors l'origine de cet hérétique, en signalant l'ouvrage
des Mystères, des Chapitres, de V Évangile et du Trésor,
œuvre de l'Égyptien Scythien, léguée par lui à Téré-
binthe, et par celui-ci à la veuve dont Manès avait été
l'esclave, l'affranchi et l'héritier. Act., 51-54. Ainsi
découvert, Manès s'enfuit; mais il est pris par les sol-
dats du roi de Perse, dont il n'avait pas su guérir le fils,
et périt écorché vif. Act., 55.
[ On dirait bien l'œuvre d'un témoin oculaire ou même
d'un interlocuteur qui a pris part aux débats et qui en a
dressé le procès-verbal avec les circonstances de temps,
de lieux, de personnes, les plus propres à faire croire à
un récit authentique; d'autant plus que le rédacteur a
soin de dire, après le récit de la mort de Manès : Quibus
postea agnitis, Archclaus adjecit ea priori disceptationi,
ut omnibus innotescerel, sicut ego, qui inscripsi, in
prioribus exposui. Act., 55, Routh, Reliquise sacrée,
t. v, p. 195. Cette phrase est la preuve d'un remanie-
ment ou d'une mise au point d'un document primitif.
Quoi qu'il en soit, il faut voir dans ces Acta, avec
Bardenhewer, Les Pères de l'Église, trad. franc., Paris,
1899, t. n, p. 60, une « pure fiction littéraire. De fait,
ces conférences n'ont jamais été U nues; et l'auteur a
voulu simplement, dans un cadre de son choix, mener
la campagne contre le manichéisme. Pas un des per-
sonnages en scène, Manès excepté, n'est connu de l'his-
toire. Les Acta ne laissent pas d'être un document
historique du plus haut prix. Hégémonius a profité
d'ouvrages manichéens authentiques et les a partielle-
ment reproduits. C'est la source commune où presque
tous les auteurs grecs et latins ont puisé ce qu'ils nous
disent du système religieux de Manès. » Elle permet de
constater les relations étroites du manichéisme avec le
gncoiirisme en général et plus particulièrement avec le
marcionisme. Voir Manès, Manichéisme.
Les Acta disputationis Archelai, episcopi Mesopolamiœ,
et Manetis hœresiarchœ, édités par Zaccagni dans sa Collcc-
tanea monumenlorum veterum Ecclesiœ grœcce et latinoe,
Rome, 1698, se trouvent dans Fabricius, Bibliotheca grœca,
Hambourg, 1716, t. v, p. 262 sq.; dans Galland, Bibliotheca
veterum Patrum, Venise, 1765-1781, t. m; dans Routh,
Reliquiee sacra;, 2e édit., Oxford, 1846-1848, t. v, p. 1-206;
dans Migne, P. G., t. x, col. 1429-1528. Une édition critique
en a été donnée par Ch. H. Reeson, Acta Archelai, Leipzig,
1906 (dans Die griechischen chrisllichen Sclviltsteller der drei
erslen Jahriiunderte).
S. Cyrille de Jérusalem, Cat., vi, P. G., t. xxxm, col. 537-
604 ; S. Épiphane, Hœr., lxvi, 5 sq., P. G., t. on, col. 29-
172; S. Jérôme, De vir. HZ., 72, P. L., t. xxm, col. 683;
Socrate, H. E., i, 22, P. G., t. lxvii, col. 136-140; Théodoret,
Hœret. lab., i, 26, P. G., t. lxxxiii, col. 377-381 ; Photius,
Bibliotheca, 85, P. G., t. cm, col. 288.
Tillemont, Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique
des six premiers siècles, Paris, 1693-1712, t. iv, p. 387-399;
Ceillier, Histoire générale des auteurs sacrés et ecclésiastiques,
Paris, 1858-1863, t. n, p. 453 sq.; H. V. Zittwitz, Acta dispu-
tationis Archelai et Manetis, dans Zeitsclirifl fur die hislo-
rische Théologie, 1873, t. xliii, p. 476-528; A. Oblazinski,
Acta disputationis Archelai et Manetis, Leipzig, 1874;
Traube, Acta Archelai, dans Silzungsberichte der k. bayer.
Akademie der Wissenscha/ten, 1903, p. 533-549; l'intro-
duction de l'édition de Beeson; outre les ouvrages cités de
K. Kessler et de Th. Nôldecke, Bardenhewer, Les Pères
de l'Église, trad. franc., Paris, 1899, t. n, p. 59-60; U. Che-
valier, Répertoire, Bio-bibliographie, t. i, col. 2041.
G. Bareille.
t. HÉGÉSIPPE, écrivain ecclésiastique du il0 siècle.
— I. Vie. II. Mémoires.
I. Vie. — Contemporain de saint Irénée, particu-
lièrement apprécié par Eusèbe et saint Jérôme, qualifié
d'homme apostolique par Etienne Gobar, Hégésippe
est un témoin précieux de la foi de l'Église au iie siècle.
On ne sait rien de positif sur le lieu et la date de sa
naissance, pas plus que sur les circonstances de sa
conversion du judaïsme au catholicisme. Mais comme il
connaissait l'hébreu, le syriaque et les traditions juives
purement orales, Eusèbe a conclu qu'il était juif d'ori-
gine et palestinien de naissance. H. E., iv, 22, P. G.,
t. xx, col. 384. Vers le milieu du ne siècle, il entreprit,
conr.ne II nous l'apprend lui-même, un long voyage
d'information religieuse, pendant lequel il visita un
grand nombre d'églises et d'évêques. 11 séjourna
notamment à Corinthe, où il s'entretint avec l'évêque
Primus; il constata que cette Église fondée par saint
Paul avait persévéré jusque-là dans l'orthodoxie et
qu'on y lisait la Ire Épître du pape saint Clément aux
Corinthiens. Puis il se rendit à Rome pendant le ponti-
ficat d'Anicet (155-166) et y vécut sous ses deux suc-
cesseurs immédiats, les papes Soter (166-175) et Éleu-
thère (175-189). D'après le Chronicon paschale, Olymp.
ccxxxix, P. G., t. xcn, col. 641, il serait mort sous
l'empereur Commode (180-192). Son nom est inscrit au
catalogue des saints par Usuard, Adon, Notker et les
autres martyrologes ; sa fête y est fixée au 7 avril.
IL Mémoires. — 1° Titre et objet de l'ouvrage. — De
toute son activité littéraire on ne connaît qu'un seul
ouvrage, malheureusement perdu, en cinq livres, dont
il ne reste que des fragments conservés par Eusèbe,
H. E., n, 23; m, 20, 32; iv, 8, 22, P. G., t. xx, col. 196,
252, 281, 321, 377, et par Etienne Gobar, dans Photius,
Bibliotheca, 232, P. G., t. cm, col. 1096, et une citation
faite par Georges Syncelle. Chronogr., an. 5578, P. G.,
t. cvm, col. 1197. Cet ouvrage comprenait cinq livres
qu'Eusèbe désigne tantôt sous le nom de ajyypà;ji;j.a-:a,
tantôt sous celui de ûjtoavi(u,aTa et dont le vrai titre
était : IIévte &7uou,v7]'u,aTa exxAijfjiaœixàiv repaÇécov. Au dire
d'Eusèbe et de saint Jérôme, il était écrit en un style
simple et sans prétention; et les fragments qui en
restent ne sont pas pour contredire cette appréciation.
Mais quels étaient son objet, sa note caractéristique,
son but précis ? Eusèbe, qui ne s'est pas fait faute de
l'utiliser pour l'histoire des temps apostoliques, range
Hégésippe au nombre des adversaires orthodoxes du
2117
HÉGÉSIPPE
2H8
gnoslicisme et le place à leur tète. H. E., ïv, 8, P. G.,
t. xx,' col. 321. Saint Jérôme, De vît. ill., 22, P. L.,
t. xxin, col. 640, voit en lui l'historien de l'Église
universelle depuis la passion du Sauveur jusqu'à
l'époque où il rédigea ses Mémoires; et ceci explique
le titre de Père de l'histoire ecclésiastique qu'on lui donne
parfois. Mais autant qu'on en peut juger par les frag-
ments, son ouvrage, à la fois historique et polémique,
n'était pas une histoire proprement dite, car on ne
s'expliquerait pas comment le récit du martyre de
saint Jacques survenu au Ier siècle ne se trouve que
dans le 1. Ve, comme l'atteste formellement Eusèbe.
H. E., il, 23, P. G., t. xx, col. 197. Ce n'était pas
davantage une œuvre de pure polémique contre les
sectes juives et les hérésies gnostiques, mais plutôt un
recueil de renseignements, de faits, de traditions et de
tout ce qui pouvait être de quelque utilité pour les
lecteurs, comme le note saint Jérôme, composé non
par curiosité vaine, mais dans un but apologétique
nettement" marqué. Car, après avoir partout interrogé
les usages locaux et les doctrines qu'on enseignait dans
les différentes Églises pour les comparer entre eux,
Hégésippe a soin de constater que, dans chaque centre
chrétien et dans chaque succession épiscopale, l'ensei-
gnement ecclésiastique était pleinement conforme à la
loi, aux prophètes et au Seigneur. //. E., iv, 22, P. G.,
t. xx, col. 377. On ne peut que regretter la perte d'un
tel ouvrage pour l'histoire des deux premiers siècles
chrétiens.
2° Les fragments. — Ils sont au nombre de cinq dans
Eusèbe. Le premier a trait au martyre de saint Jac-
ques, frère du Seigneur, premier évèque de Jérusalem.
H. E., il, 23, P. G., t. xx, col. 196-204. Le second
raconte la comparution des parents du Sauveur devant
Domitien; cet empereur, redoutant une action poli-
tique de leur part, voulut savoir s'ils appartenaient
réellement à la race de David, les interrogea sur l'état
de leur fortune et sur ce qu'ils pensaient du règne du
Christ; mais les trouvant si simples et si inofîensifs,
il les renvoya indemnes. H. E., ni, 20, ibid., col. 252-
253. Le troisième est le récit du martyre de Siméon,
successeur de saint Jacques sur le siège de Jérusalem,
crucifié à l'âge de 120 ans par ordre du légat Atticus,
vers 110, sur la dénonciation de certains hérétiques.
H. E., m, 32, ibid., col. 281-284. Il y est dit que jus-
qu'à cette époque, l'Église de Jérusalem était demeurée
vierge de toute erreur, ceux qui devaient tenter de la
corrompre n'ayant pas osé se montrer tant qu'il
restait un survivant des temps apostoliques. Le qua-
trième fait allusion aux honneurs divins rendus à
Antinous, le trop célèbre favori d'Hadrien. H. E.,
iv, 8, ibid., col. 321. Le cinquième mentionne le séjour
d'Hégésippe à Corinthe et à Rome, les sectes juives
et les hérésies gnostiques. H. E., iv, 22, ibid., col. 377-
384.
D'autre part, sur ce texte : « l'œil n'a pas vu,
l'oreille n'a pas entendu, etc., » qui rappelle à peu de
chose près l'emprunt fait par saint Paul à Isaïe, I Cor.,
il, 9, Etienne Gobar a écrit : Hegesippus, vir anliquus
et apostolicus, libro quinto Commenlariorum, liaud
scio an ofjensus dicit frustra hœc dici et cos qui hœc
dicunt in sacram Scripturam et contra Christum...
menliri. Dans Photius, Bibliotheca, 232, P. G., t. cm,
col. 1096.
Enfin Georges Syncelle rapporte que, d'après Hégé-
sippe, la lettre de saint Clément aux Corinthiens était
lue dans l'Église de Corinthe. Chronogr., Clympiad.
ccxxxix, P. G., t. cvin, col. 641.
3° La succession des pontifes romains. — Hégésippe
avait pour habitude, dit-il, de dresser la liste des
évêques locaux jusqu'aux apôtres; il a donc dû dresser
celle des évêques de Rome depuis saint Pierre jusqu'à
Anicet; mais cetteliste ne nous est point parvenue.
Lightfoot a cru la retrouver dans celle que saint Épi-
ph; ne, Hœr., xxvn, 6, P. G., t. xli, col. 372, dé-
clare a.\ oir recueillie ïv tkjiv 0KO[i.VT)[iaTtofi.oïç, ce titre
faisant penser aux u-ojAvr^aTa d'Hégésippe, The ear-
leasl papal catalogue, dans The Academy, 1887,
p. 362-363; The apostolic Fathers, S. Clément of Rome.
Londres, 1870, t. i, p. 327-333; mais Funk ne partagé
pas cet avis. Der Paplskatalog Hegesipps, dans Histo-
risches Iahrbuch, 1888, t. ix, p. 674-677; 1890, t. xi,
p. 77-80. Voici cette liste : Pierre et Paul, Lin et Clet,
Clément, Évariste, Alexandre, Xyste, Télesphore,
Hygin, Pie, Anicet. On y voit, contrairement au
catalogue libérien, qu'il n'est pas fait mention de
deux papes distincts, l'un du nom de Clet, l'autre du
nom d'Anaclet ou Anenclet. Eusèbe ne connaît égale-
ment qu'un seul pape qu'il nomme Anenclet dans son
Histoire ecclés., m, 15, P. G., t. xx, col. 249, tandis que
le catalogue libérien porte : Pierre, Lin, Clément, Clet,
Anaclet, Évariste, Alexandre, Xyste, Télesphore,
Hygin, Anicet, Pie, etc. Voir, dans de Smedt, le cata-
logue eusébien et libérien, Dissertaliones selectœ in
primam sclatcm historiée ecclesiasticœ, Paris, 1876,
Appendix K, p. 83-85, 90-91, 94. Eusèbe a dû pro-
fiter de la liste d'Hégésippe; de Smedt rejette la dis-
tinction de Clet et d'Anaclet. Op. cit., p. 301-302. Voir
ces noms.
A défaut de liste, Hégésippe fournit du moins un
renseignement précis et irrécusable, d'après lequel il
faut placer Anicet après Pie, et non, comme l'a fait
le catalogue libérien, Pie après Anicet; car il marque
nettement qu'il est arrivé à Rome sous le pontificat
d'Anicet et qu'Anicet a eu pour successeurs immé-
diats Soter et Éleuthère. H. E., ïv, 22, P. G., t. xx,
col. 377.
4° Les sectes juives et les hérésies gnostiques. — On
doit à Hégésippe une liste des sectes juives et des pre-
mières hérésies gnostiques. Sans grand souci de l'exac-
titude chronologique et du soin de caractériser chacune
des sectes dont il parle, Hégésippe rappelle qu'il y
en avait sept parmi les juifs : les esséens, les galiléens,
les hémérobaptistes, les masbothéens, les samari-
tains, les sadducéens et les pharisiens. H. E., ïv, 22.
P. G., t. xx, col. 381. C'est exactement le même
nombre, mais avec quelques noms différents, dans
saint Justin : sadducéens, génistes, méristes, galiléens,
helléniens, pharisiens et baptistes, Dial. cum Tryphone,
80, et dans saint Épiphane : scribes, pharisiens, sad-
ducéens, esséens, nazaréens, hémérobaptistes et héro-
diens. Plus complet et plus explicite, l'Indiculus
hœreseon, faussement attribué à saint Jérôme, en
distingue dix et les décrit ainsi : 1. Efinei dicunt
Christum docuisse illos omnem abstinentiam. 2. Gali-
Isei dicunt Christum venisse et docuisse eos, ne dice-
renl dominum Cœsarcm, neve ejus monctis ulerenlur.
3. Marbonei dicunt ipsum esse Christum qui docuit
illos in omni re sabbatizare. 4. Pharisœi negant
Christum venisse, nec ulla in re cum prœdictis commu-
nicant. 5. Sadducsei negant resurrectionem. 6. Genistœ
prœsumunt quoniam de génère Abrahse sunl. 7. Meristie,
quoniam séparant Scripturas, non credentes omnibus
prophciis, dicentes aliis et aliis spiritibus prophetasse.
8. Samarilse... in observationibus suis a Judœis omnino
separanlur. 9. Herodiani Herodem magnifïcabant,
dicentes ipsum esse Christum. 10. Hemerobaplistœ
qui quotidie corpora sua et domum et supellectilem
lavant. Cf. Valois, n. 22, P. G., t. xx, col. 381-382.
D'autre part, Hégésippe signale, parmi les sectaires
is^s du judaïsme, Simon, Cléobius, Dosithée, Gorthée,
Masbothée, ainsi que les hérésies gnostiques des
ménandriens, des marcionites, des carpocratiens, des
valentiniens, des basilidiens et des saturniliens, d'où
sortirent les pseudochrists, les pseudoprophètes, les
pseudoapôtres, qui ont altéré la doctrine du Christ et
2119
HÉGÉSIPPE
2120
cherché à rompre l'unité de l'Église. H. E., iv, 22,
P. G., t. xx, col. 380-381. C'est tout ce qu'a noté
Eusèbe sans nous dire si Hégésippe, à l'exemple de
saint Justin et de saint Irénée, avait exposé ces systè-
mes pour en faire la réfutation.
5° Importance de son témoignage. — La constatation
formelle faite par Hégésippe que l'enseignement
chrétien était partout conforme à la loi, aux pro-
phètes et au Seigneur, prouve à tout le moins que, de
l'époque où il entreprit son voyage, vers 150, jusqu'à
celle où il en consigna les résultats par écrit, vers 180,
la foi des Églises judéo-chrétiennes de la Palestine et
de la Syrie était la même que «elle de la Grèce et de
l'Occident, et qu'il n'y a pas trace d'un dissentiment
quelconque. Mais, d'après Baur et l'école de Tubingue,
cela prouverait simplement que, vers le milieu du
IIe siècle, les Églises étaient fortement pénétrées
d'éléments juifs et qu'elles n'étaient pas encore
catholiques; car Hégésippe n'était en réalité qu'un
ébionite, chargé par ses coreligionnaires d'entreprendre
un voyage d'exploration religieuse dans l'intérêt du
parti judaïsant. Sa connaissance de l'hébreu, du
syriaque et des traditions juives, l'usage qu'il faisait de
l'Évangile hébreu de saint Matthieu, le silence qu'il
garde sur la secte des ébionites et son animosité
contre saint Paul, dont témoigne le passage d'Etienne
Gobar, seraient autant de preuves de son ébionitisme.
Mais ce n'est là qu'une hypothèse, à laquelle il faut
renoncer; car, si Hégésippe avait été l'ébionite qu'on
prétend, on ne s'expliquerait pas l'éloge sans restric-
tion qu'ont fait de sa foi et de son œuvre Eusèbe et
saint Jérôme. Pas plus qu'Hégésippe, saint Justin
n'a signalé les ébionites; et il a pu faire usage de
l'Évangile hébreu de saint Matthieu, sans être pour
autant accusé d'ébionitisme. Reste, il tst vrai, le
passage incriminé par Etienne Gobar, où l'on a voulu
voir une attaque contre saint Paul. Mais c'est un
passage qui n'est pas une citation exacte de saint
Paul; car il porte rotç Sixaioiç, aux justes, là où
l'apôtre a écrit : îtoïç àya-iôaiv aÙTÔv, à ceux qui
l'aiment; et loin de viser saint Paul, il parle de ceux,
au pluriel, qui interprètent mal le texte, c'est-à-dire,
selon toute vraisemblance, des gnostiques. D'ailleurs,
un tel blâme de saint Paul est inconciliable avec la
connaissance et l'approbation de l'épître de saint
Clément aux Corinthiens, dont parle Hégésippe, et
dont la couleur paulinienne est si fortement accusée.
On doit donc rejeter l'hypothèse de Baur et tenir
Hégésippe pour un témoin orthodoxe, qui ruine le
système de l'école de Tubingue. Cf. Freppel, Les apo-
logistes chrétiens, 3e édit., Paris, 1887, p. 364-372.
Le témoignage d'Hégésippe est particulièrement
important sur les frères de Jésus. Quoique ce qu'il
rapporte de saint Jacques le Mineur soit déjà en
partie légendaire, cependant ce qu'il dit de son
degré de parenté avec le Sauveur est confirmé par
le témoignage sur son frère, saint Siméon, et pro-
vient de la tradition palestinienne touchant la famille
de Jésus. Or, il affirme que Jacques et Siméon étaient
les fils de ClOophas, qui était lui-même le frère de
saint Joseph. Les frères de Jésus, mentionnés dans
les Évangiles, seraient donc des cousins germains du
divin Maître, par son père putatif, saint Joseph.
Les efforts de Zahn pour en tirer la conclusion que
ces frères de Jésus étaient des frères utérins, fils de
Joseph et de Marie, sont en pure perte. Brader und
Vetiern Jesu. Leipzig, 1900. La donnée d'Hégésippe,
reposant sur la tradition palestinienne, un peu mé-
langée déjà d'éléments légendaires, explique mieux,
semble-t-il, le degré de parenté de Jésus avec ses
frères que l'opinion purement exégélique, fondée sur
Joa., xix, 25, d'après lequel Marie de Cléophas est la
soeur de la sainte Vierge. On en conclut généralement
que le cousinage des frères de Jésus dérivait de leur
mère dont la sainte Vierge était la sœur. Outre la
difficulté d'expliquer que deux sœurs portaient le
même nom de Marie, sans distinction autre que le nom
de l'époux de la seconde.il est plus vraisemblable que
rà5sXcpr) Tfjç p)tpôç aùtou était, selon l'usage hébraïque,
sa belle-sœur, plutôt que sa sœur proprement dite,
les deux Marie ayant épousé deux frères, Joseph et
Cléophas.
Les fragments d'Hégésippe dans Galland, P. G., t. v,
col. 1317-1328; Grabe, Spicilegium SS. Patrum, Oxford,
1698-1700, t. il, p. 203-214; rîouth, Reliquiœ sacrée, 2« édit.,
Oxford, 1846-1848, t. i, p. 203-284; Th. Zahn, Brûder und
Vetiern Jesu, dans Forschungen zur Geschichte des neutesta-
mentlichen Kanons undder altkirchlichen Literalur, Leipzig,
1900, t. vi, p. 220-250; Tillemont, Mémoires pour servir à
l'histoire ecclésiastique des six premiers siècles, Paris, 1693-
1712, t. m, p. 47-48, 610-611; voir à la fin du t. i de ces
Mémoires une Dissertation sur ce que raconte Hégésippe de
saint Jacques, évâque de Jérusalem, par Arnauld, avec les
remarques de Tillemont ; Ceillier, Histoire générale des auteurs
sacrés et ecclésiastiques, Paris, 1858-1863, t. i, p. 473-475;
Th. Iess, Hegesippus nach seiner kirchengeschichll. Bedeu-
tung, dans Zeiischrift fur die histor. Théologie, 1865, t. xxxv,
p. 3-95; Hilgenfeld, Hegesippus und die Apostelgeschichte,
dans Zeiischrift fur wissenschafll. Théologie, 1878, t. xxi,
p. 297-330; Th. Zahn, Der griechische Irenàus und der ganze
Hegesippus im 16 Ialirhundert, dans Zeitschrift fur Kirchen-
geschichle, 1878, t. n, p. 288-291; Id., Die griechische
Irenàus und der ganze Hegesippus im 16 und 17 Iahrhundert,
dans Theolog. Literalurblalt, 1893, p. 495-497; Ph. Mayer,
Der griechische Irenàus und der ganze Hegesippus im
17 Iahrhundert, dans Zeitschrift fur Kirchengeschichte,
1889, p. 155-158; De Boor, Neue Fragmente des Papias,
Hegesippus und Pierius, Leipzig, 1888; Overbeck, Ueber
die Anfànge der Ktrchengeschichtschreiben, Bâle, 1892;
Lavigerie, De Hegesippo, disquisilio historica, Paris, 1850;
Dannreuther, Du témoignage d'Hégésippe sur l'Église chré-
tienne, Paris, 1878; Bardenhewer, Les Pères de l'Église,
trad. franc., Paris, 1899, t. i, p. 198-200; Dictionary of
Christian biographg, t. Il, p. 875-878; Kirchenlexikon, 2e édit.,
t. v, col. 1584-1585; U. Chevalier, Répertoire. Bio-biblio-
graphie, t. i, col. 2041 ; Realencyclopàdie fur protestantische
Théologie und Kirche, Leipzig, 1899, t. vu, p. 531-535.
G. Bareille.
2. HÉGÉSIPPE (LE prétendu). A la fin du i« siè-
cle de l'ère chrétienne, l'historien juif Flavius Josèphe
avait composé en grec plusieurs ouvrages : l'un en
20 livres sur les antiquités juives, histoire du peuple
juif depuis les temps les plus reculés jusqu'à la guerre
de l'an 66, sous le titre de 'IouSai/ri àpyaioÀoyîa; un
autre, complément du précédent, intitulé De vita sua,
sorte d'autobiographie qui traite surtout de la part
qu'il avait prise à la guerre de 66-67 comme comman-
dant en chef de la Galilée; un troisième en deux livres,
véritable apologie du judaïsme contre Apion, cité sous
le titre de Opôç toJ; " EUr^aç ou de Ilepî ~r,: tûv
'IouBatwv àpyat0TT)T0ç; et un quatrième en sept livres,
Ilspi toù to'j8a;y.o'j r.o\i[j.o\i, qui raconte les guerres
juives depuis le temps d'Antiochus Épiphane jusqu'à
la ruine de Jérusalem.
Tous ces ouvrages ont fini par être traduits en latin.
Dès la fin du ive siècle le bruit avait couru que saint
Jérôme était l'auteur de leur traduction; mais saint
Jérôme s'en est défendu, en alléguant qu'il n'avait
ni le loisir ni la force de traduire ces ouvrages sans
leur faire perdre leur élégance native. Epist., lxxi, 5,
ad Lucinium, P. L., t. xxn, col. 671. Au vie siècle,
Cassiodore (| 570) rapporte qu'il fit traduire par ses
amis, en 22 livres, les ouvrages de Josèphe, c'est-à-
dire les Antiquités et le Traité contre Apion, et qu'il
existait déjà une traduction latine des sept livres du
De bello judaico, attribuée par les uns à saint Jérôme,
par d'autres à saint Ambroise, par d'autres encore à
Rufin; bonne preuve, observait-il, des dictionis
eximiœ mérita d'une telle traduction. De instit. div.
litlcrarum, 17, P. L., t. lxx, col. 1133. Mais Cassiodore
2121
HÉGESIPPE
HEIBER
2122
ne spécifie point s'il s'agit, dans ce dernier cas, de la
traduction littérale du De bello judaico généralement
attribuée à Rufin, ou de celle, beaucoup plus libre
d'allures, qui porte le nom d'Hégésippe; toutefois
ce qu'il dit du style fait penser plutôt à cette dernière
qui rappelle la manière de Salluste beaucoup plus que
le style de Ru fin. Rufin, du reste, au rapport de
Gennade, De script, eccl., 17, P. L., t. lvii, col. 1070,
n'a rien traduit de Josèphe.
Il existe, en effet, un ouvrage latin, sous le titre
de De bello judaico ou De excidio urbis hierosolymi-
tanse, étroitement apparenté avec le Flepl toû îouSatxou
t.oIsij-o-j, de Josèphe, qu'il traduit toujours librement,
qu'il abrège parfois ou qu'il amplifie en puisant à
d'autres sources, dont les quatre premiers livres corres-
pondent assez exactement aux quatre premiers livres
et à une partie du Ve du De bello judaico de Josèphe,
dont le Ve et dernier résume les deux derniers livres
du même Josèphe. C'est l'œuvre d'un bon latiniste,
comme le prouve le style, et d'un défenseur de la foi
chrétienne, comme le prouve son langage relatif à la
mort du Sauveur et à la persécution de ses disciples
par les juifs, De bello jud., n, 12, aux apôtres saint
Pierre et saint Paul, ni, 2, et au judaïsme, iv, 5, P. L.,
t. xv, col. 2056-2057, 2068-2070, 2115. Cet auteur
porte dans diverses éditions le nom d'Hégésippe ou
d'Égésippe, qui, à raison même de la perfection de son
style, n'a rien de commun avec l'Hégésippe du
IIe siècle, et qui paraît bien n'être que la corruptiou
du nom même de Josèphe. Le grec ' Icôar^o;, ' I wa7]7i7roç,
' IoiatT]7t-o;, Josepus, Joseppus, Josippus en latin, est
facilement devenu Egesippus, Hegesippus, et sous cette
forme ce nom ne paraît pas avant le vme siècle. Dans
un manuscrit de cet ouvrage de la bibliothèque ambro-
sienne de Milan, qui est du vne-vme siècle, on trouve
à la fin du Ier livre : Josippi liber primus explicit; mais
Josippi a été corrigé postérieurement en Egesippi.
Cf. Mabillon, Musseum italicum, Paris, 1687, t. i,
p. 13. D'autres manuscrits dans la suite portent Hege-
sippi comme aussi le nom de saint Ambroise. Mais la
substitution à'Egesippi à Joseppi ne trompait pas
les esprits avertis; témoin ce passage d'une lettre de
l'Espagnol Alvarus : scito quia nihil tibi ex Egesippi
posai verbis, sed ex Josippi vestri doctoris, où il est
question précisément d'une citation empruntée au
prétendu Hégésippe. Cf. Traube, Rhein. Muséum,
1884, t. xxxix, p. 477. De telle sorte qu'il faut voir
dans le nom d'Hégésippe le nom défiguré de Josèphe.
Mais alors qui peut bien être l'auteur de cette tra-
duction, qui, d'après les critères internes et externes,
remonte à la fin du ive siècle ? Faut-il y voir un
travail de la jeunesse de saint Ambroise ? La question
ne semble pas tranchée, répond Bardenhewer, Les
Pères de l'Église, trad. franc., Paris, 1899, t. n, p. 305,
bien que de nos jours, sur la foi des manuscrits et
d'après certaines analogies de langage, on se prononce
en général pour l'affirmative. Au xvii° siècle, les
bénédictins avaient rayé cette traduction de la liste
des œuvres de saint Ambroise; mais Gronovius, Vives
et Valois la croyaient bien de l'évêque de Milan; plus
réservé, Tillemont, Mémoires, 1. 1, p. 541, trouvait que
le style en est trop aisé et trop coulant pour être de
saint Ambroise. Galland en tout cas, à l'exemple de
Mazochius, l'a insérée à la suite des œuvres de saint
Ambroise, Bibliotheca veterum Patrum, Venise, 1765-
1788, t. vu, p. 653-711, et Migne a fait de même, P. L.,
t. xv, col. 1961-2224. Plus récemment Fr. Weber et
J. Csesar, qui penchent pour son attribution à saint
Ambroise, en ont donné une édition critique, la meil-
leure parue jusqu'ici, qui a servi de base au texte du
prétendu Hégésippe dans l'édition des œuvres de
saint Ambroise par Ballerini, Milan, 1875-1883, t. vi,
col. 1-276. Et tandis que Vogel, De Hegesippo, qui
dicitur, Josephi interprète, Erlangen, 1881; Ambrosius
und der Uebersetzer des Josephus, dans Zeitschrijt fur
die osterreich. Gymnasien, 1883, t. xxxiv, p. 241-249,
combat l'origine ambrosienne de cette traduction,
Reifferscheid, dans Sitzungsberichle der Wiener Aka-
dcmie. Philos.-hist. Classe, 1867, t. lvi, p. 442, Rônsch,
Die lexikalischen Eigenlhumlichkeiten der Lalinitàt
des sog. Hegesippus, dans Romanische Fnrschungen,
Erlangen, 1883, p. 256-321, et Ihm, Siudia Ambro-
siana, dans Jahrbùcher fur class. Philologie, \ 1889,
Supplément, t. xvn, fasc. 1, p. 61-68, essaient de la
défendre. Schûrer, Geschichte des jùdischen Volkes,
3e édit., Leipzig, 1901, t. i, p. 96, partage J/avis de
Vogel. Dans le prologue du De bello judaico, l'auteur
indique deux autres ouvrages de sa composition : un
résumé historique du contenu des quatre livres des
Rois, et un travail sur les Macchabées. Ona rapporté
ce dernier ouvrage aux livres bibliques des Macchabées.
Dom Morin, loc. cit., p. 81-86, l'identifie à la Passion
latine des Macchabées, qui est conservée dans une
vingtaine de manuscrits et que dom de Bruyne va
publier. La question d'auteur ne semble donc pas
tranchée, mais l'ouvrage reste un document précieux,
œuvre d'un chrétien qui, à la fin du ivc siècle, a utilisé
Josèphe sans oublier la défense de sa foi.
V. Ussani, qui a entrepris l'édition de cette traduction
pour le Corpus de Vienne, s'est prononcé en faveur de saint
Ambroise, dans Studi ilaliani di fdologia classica, Florence,
1906, t. xiv, p. 245 sq. ; O. Scholz, au contraire, l'attribue
au juif converti, Isaac (l'Ambrosiaster ?), Die Hegeslppus-
Ambrosius Frage, dans Kirchengeschichlliche Abhandlungen,
Breslau, 1009, t. vm, p. 149-195; puis comme dissertation
doctorale, Breslau, 1913. Dom Morin rejette absolument
l'attribution à saint Ambroise, et il pense à Dexter dont
parle saint Jérôme, De viris illust., 132, P. L., t. xxm,
col. 715. L'opuscule perdu du soi-disant Hégésippe sur le*
Machabées, dans la Revue bénédictine, 1914, p. 86-91.
La meilleure édition du prétendu Hégésippe est celle do
Fr. Weber et de J. Csesar : Hegesippus qui dicitur sive
Egesippus, de bello judaico, ope codicis Cassellanl recognitus,
Marbourg, 1864; Tillemont, Mémoires pour servir à l'histoire
ecclésiastique des six premiers siècles, Paris, 1693-1712, t. i,
p. 541; Oudin, De scriptoribus ecclesiasiicis, Leipzig, 1722,
t. n, col. 1026-1032; Fabricius, Bibliotheca lat. médise et
infimœ œtatis, 1735, t. m, p. 582-584; J. Cassar, Observa-
tiones nonnullœ de Josepho lalino, qui Hegesippus vocari
solel, emendando, Marbourg, 1878; Klebs, Dos lateinische
Geschtchlsioerk ùberden Judischenkrieg, dans Festschrlft zum
fiïnfzig-jdhrigen Doctor-jubilàum Ludwig Friedlànder, 1895,
p. 210-241 (pour lui, l'auteur du De bello judaico est un
oriental); Schûrer, Geschichte des jiïdischen Volkes im Zeit-
alter Jesu Cliristi, 3« édit., Leipzig, 1901, t. i, p. 96-97;
Bardenhewer, Les Pères de l'Église, trad. franc., Paris, 1899,
t. n, p. 305-306; Geschichte der altkirchlichen Literatur, Fri-
bourg-en-Brisgau, 1912, t. m, p. 505-506; Smith et Wace,
Diclionary o/ Christian biography, t. n, p. 878; Kirchen-
lexikon, 2« édit., t. v, col. 1585-1586.
G. Bareille.
HEIBER Gélase ou selon d'autres HIEBER, dont
Hurter fait à tort deux personnages différents, Nomen-
clator, 1910, t. iv, col. 1190 et 1326, augustin alle-
mand, né à Dinckelsbiil, en Souabe, dans la seconde
moitié du xvne siècle et mort à Munich en 1731, fut un
prédicateur renommé, jusqu'à mériter de la part de
ses contemporains le surnom de « Cicéron allemand ».
Au milieu de ses occupations oratoires il ne négligea
pas néanmoins celles de l'érudit, ce qui lui permit do
composer les ouvrages suivants : 1° Gepredigte Rek
gionshistorie, d. i. Jésus Chrisius und seine Kirchen,
offenbahrlich dargezeigt von Urbegin der Welt bis an
das Ende der Zeiten, 3 in-fol., Augsbourg, Dillingen,
Ratisbonne, 1726-1733; 2° Catéchisme exposé en forme
de sermons (en allemand), in-4°, Munich, 1723; 3° Vita
celeberrimi Ecclesise doctoris S. Augustini, in-4°,
Munich, 1720; 4° De cultu et oeneratione sacrosanclœ
eucharisliœ, in-8°, Augsbourg, 1712; 5° Mater admi-
2123
HEIBER — HEINRICH
2124
rabilis seu brevïs descriplio imaginis B. Maria Virginis
prodigiis claree quie in ccclcsia Monacensi colilur, in-4°,
Munich, 1724; 6° Lcben der seligen Rila Don Cassia,
in-8°, Munich, 1737; 7° Devotus peregrinm in Auf.
kirchen scu Modus salutandi et vcnerandi imaginem
B. Mariée Virginis quee in Aufkirchen est, in-12 (en
allemand), Munich, 1725; 8° Diarium indulgentiarum
et gratiarum S. archiconfralernilalis B. Mariée Virginis
de Consolatione, in-12, Munich, 1709; 9° Suspiria erga
dolorosam sanctam faciem Christi, Munich, 1726;
10° Qualuordecim sermones pancgijrici pro diversis
solemnilatibus, ms. ; 1 1 ° Sermones lempore Quadragesimee
muliis annis ad populum habiti, ms.; 12° Catalogus
quindecim seeculorum, quo tam grsecomm quam lati-
norum Palrum, aliorumque oratorum ecclesiasticorum
nomina, officia et scripla tam édita quam inedita exhi-
bentur, ms. (ce recueil ne s'étend que jusqu'au vne siè-
cle); 13° Jésus Christus ejusque vita et doctrina in
vcteri lege preefiguratus et in nova manifcstatus, ms.
Il faut ajouter à cette liste diverses notes, dissertations
et poésies dont quelques-unes furent publiées dans la
revue : Parnassus Boicus.
Revisla agustiniana, Valladolid, 1884, t. vu, p. 351;
Lanteri, Postrema sœcula sex religionis augustinlanse, Tolen-
tino, t. m, p. 58, 418; Ossinger, Bibliotheca augustiniana,
p. 344; Hurter, loc. cit.
N. Merlin.
H El M BACH wiathias, jésuite allemand, né à Enskir-
chen dans le duché de Juliers le 19 mars 1666, admis
au noviciat le 21 juillet 1685. Il enseigna les humanités,
puis la philosophie à Cologne et se distingua par la
souplesse de sa dialectique et la subtilité de ses théories.
C'est surtout dans le domaine de la logique que son
talent excella. Il composa pour ses élèves de l'univer-
sité un Florilegium argumenlorum, 2 in-fol., Cologne,
1703-1708, qui a pour but principalement de former
l'esprit aux discussions philosophiques, mais qui rap-
pelle trop le formalisme et les recettes de la sco-
lastique décadente. L'ouvrage eut toutefois grand
succès et compta plusieurs éditions. Son introduction
à la logique : Dialcctica Aristotelico-rationalis sive
manuduclio ad logicam, Cologne, 1706, 1709, 1713, etc.,
jouit également d'une réputation qui étonne aujour-
d'hui. Appelé ensuite à exercer le ministère de la pré-
dication, le P. Heimbach se fit un nom dans la contro-
verse par ses polémiques mordantes contre les réfor-
més : Fuss bi-im Mahl, das ist, Behauplung der zu
Mùlheim gehalten Glaubens-Bataille fiber die wesenltiche
Gegcnwart Christi in H. Abendmahl, in-4°, Cologne,
1706; Gespràch zwischen Thomas mut Slcphan Buch-
weiss, welche caiholischer Religion, und Peler Eger-
Kaess und Fie Langohr, so Reformirler Religion, in-4°,
Dusseldorf, 1707. Il faut citer encore comme œuvres
de théologie pastorale une Rhetorica christiana, 2 in-
fol., Augsbourg, 1720; 2 in-4°, Cologne, 1730, et son
catéchisme pastoral : Catcchismus christiano-catholicus
in calhedram concionatoriam clevidus, 2 in-4°, Cologne,
1723, 1737, 1748. Son cours de catéchisme à l'usage des
enfants : Praxis catechetica sive manuduclio pro in-
struendis rudibus, Cologne, 1707, était classique en
Allemagne dans la première moitié du xvme siècle.
Il eut de nombreuses éditions, et fut traduit en alle-
mand sons le titre de Der chrisflichen Kinder-Lehrer
dès 1713. Enfin le P. Heimbach a laissé un sermonnaire
fort estimé de son temps : Das reine Worl Gottes auf aile
Sonn-und Feierteegtige Euangelia, 2 in-4°, Cologne,
1721. Une partie a été insérée dans le t. vi du recueil
de Brischar : Sammlung der kathol. Kanzelredner,
Schaffouse, 1871. Le P. Heimbach mourut à Cologne,
après une vie d'étonnant labeur, le 6 juillet 1747.
Sommcrvogel, Bibliothèque de la C" de Jésus, t. iv,
col. 218-222; Hurter, Nomenclator, 3e édit., Inspruck, 1910,
t. iv, col. 1665 sq. P Bernard.
HEINLIN Henri, bénédictin du monastère de Thères-
en-Franconie, fut en 1673 professeur de philosophie
à l'université de Salzbourg, où il enseigna égale-
ment la théologie morale de 1677 à 1680. Il publia :
Logica seu philosophia naturalis, in-12, 1674; une
seconde édition plus développée parut en 1677, in-4°;
Traclatus philosophicus de ente metaphysico, in-12,
1675; Thèses seleclee ex universa philosophia, in-12,
1675; Queestioncs selectee de principiis rerum natura-
lium, in-12, 1675; Dispulalio de generatione et corrup-
tione, in-12, 1675; Disputatio de anima in communi,
in-12, 1675; Disputatio de anima vegelativa, sensiliva
et rationali, in-12, 1675; Traclatus philosophiœ natura-
lis, seu phgsicse Aristotelico-Thomislicee de anima in
communi, in-4°, 1677; Traclatus de causis in génère
et in specie, in-4°, 1677; Traclatus de principiis rerum
naturalium, in-4°, 1678; Traclatus de generatione el
corruplione, in-4°, 1678; Luslrum doctrinale ex quin-
tuplici doctrinee génère, historiée, poeticee, philosophtcee,
juridicee ac polilicee, in-4°, 1701; Medulla theologiee
pasloralis praticee, in-12, Cologne, 1707; Medulla
theologiee moralis cum duodecim centuriis casuum circa
sacramenta singula, in-4°, Nuremberg, 1714.
Ziegelbauer, Historia rei literariœ ordinis S. Benedicti,
t. iv, p. 138, 139, 147; (doni François), Bibliothèque générale
d«? éciuains de l'ordre de Saint-Benoit, t. i, p. 462: Hurter,
Nomenclator, Inspruck, 1910, t. iv, col. 270-271.
B. Heurtebize.
1. HEINRICH Jean-Baptiste-Vincent, théologien
catholique allemand, né à Mayence le 15 avril 1816, fit
avec succès ses premières études au gymnase, puis
suivit les cours de droit à l'université de Giessen
pendant trois ans (1834-1837) et fut reçu docteur
in utroque, le 27 décembre 1837; il enseigna le droit à
cette université comm.3 privât doc nt on 1840. Il étudia
la théologie aux universités de Tubingue et de Fri-
bourg-en-Brisgau en 1842 et 1843, puis au séminaire
de Mayence en 1844. Ordonné prêtre en 1845, il fut
nommé, d'abord, chapelain de la cathédrale de
Mayence, puis secrétaire des conférences du diocèse de
Wurzbourg en 1848, chanoine prébende en 1850,
professeur de théologie dogmatique au séminaire de
Mayence en 1851. Tout en continuant son enseigne-
ment, il devint chanoine titulaire de la cathédrale en
1855, doyen en 1867 et vicaire général en 1868. De
1850 à 1890, il dirigea avec Moufang le Katholik. Il
prit une part active aux congrès des catholiques alle-
mands, et en 1863, il rédigea à Munich une protestation
contre les audacieuses affirmations de Dôllinger. Il
reprit son enseignement au séminaire de 1877 à 1887.
Le papa le nomma prélat domestique le 16 avril 1886.
Il mourut le 9 février 1891. Son principal ouvrage
est sa Dogmalische Théologie, dont il publia 6 vol.,
1873 sq.; 2e édit., Mayence, 1881-1900, continuée par
Gutberlet, 4 vol., Mayence et Munster, 1891-1904,
t. vn-x. Huppert (t le 19 avril 1906) en fit un abrégé
sous le titre : Lchrbuch der kalh. Dogmatik, 2 vol.,
Mayence, 1898-1900. Les autres écrits de Heinrich
sont : Die Reaction des sogenannles Forlschrilles gegen
die Freiheit der Kirche und des religiôsen Lebens,
Mayence, 1863; Christus, ein Nachweis seiner geschichl-
lichen Existenz und gôttlichcn Persônlichkcit, ibid,, 1864
(contre Strauss et Renan); Die wahre Kirche oder das
sichlbare Reich Christi auf Erden (contre le pasteur
protestant Nonweiler); Die Beweise fur die Wahrheit
des Chrislenthums und der Kirche, lre édit., Mayence,
1885; Die Klôsler in die Geschichle, Francfort, 1866;
Die Klôsler und ihre Gegner in der Gegenwart, ibid.f
1885; Die kirchliche Reform, Mayence, 1869 (contre
Hirscher). Heinrich composa aussi l'important article
Christus du Kirchenlexïkon, t. m, col. 241-293.
Brûck, dans Der Katholik, 1891,"t. i, p. 289-308,'403-425^
et dans In préface du t. vu de la Dogmalische Théologie;
2125
HEINRICH — HEISS
2126
Hertling, Zur Erinnerimg an J.-B. Heinrich, dans Jahres-
bericht der Gôrresgesellschaft, 1891, p. 5-15; Lauchert, dans
Allgemeine deulsclie Biographie, t. l, p. 151-152; Hurter,
Nomenclator, Inspruck, 1913, t. v b, col. 1516-1518; Kir-
Ctiliches Handlexikon de Buchberger, Munich, 1907, t. i,
col. 1903-1904.
E. Mangenot.
2. HEINRICH Landfridus, théologien allemand, bé-
nédictin, né le 3 mai 1721, mort le 20 mai 1773. De ses
divers ouvrages nous mentionnerons : Introductio
historico-chronologica in Vêtus Testamentum, 3 in-4°,
Ratisbonne, 1759-1761; Hierarchia angelorum ad
mentem Dionysii in compendio expensa, in-4°, Ratis-
bonne, 1760; Johannes Cassianus presbyter Massiliensis
pelagianismi posiulalus a R. D. Prospero Prautner,
sed contra hislorico-critice-thcologico-dogmatice vindica-
us, in-4°, Munich, 1767.
Hurter, Nomenclalor, Inspruck, 1912, t. v a, col. 90.
B. Heurtebize.
HEISLSNGER Antonin, moraliste allemand, né à
Landshut en Bavière en 1668, reçu dans la Compagnie
de Jésus en 1686, enseigna avec succès la philosophie
aux universités de Dillingen et d'Ingolstadt et se si-
gnala par d'intéressantes études sur des questions alors
fort agitées dans le domaine de la philosophie natu-
relle : De causis sponte nascentium, Dillingen, 1704; De
substantialilale luminis, Ingolstadt, 1707, et sur des
points de psychologie où il se révèle observateur per-
spicace et penseur original : De liberlale aclus extrinseca,
Dillingen, 1794; De liberlale actus intrinseca, ibid.,
1704; De signis humanarum inclinalionum, Ingolstadt,
1707. Ces derniers travaux préparaient et annonçaient
déjà le moraliste remarquable quefutbientôt le P.Heis-
linger. Professeur de théologie morale à Ingolstadt,
il publia après un long enseignement une série d'impor-
tants traités d'ordre pratique sur la justice et le con-
trat matrimonial : Responsa moralia in causis sponsa-
litiis et matrimonialibus, in-8°, Ingolstadt, 1723; Res-
ponsa moralia in causis jusliliœ commulalivœ de reslitu-
tione cl conlraclibus, 2 in-4°, ibid., 1726 ; Resoluliones mo-
rales in causis jusliliœ commulalivœ ad forum ccclesias-
ticum et ad forum sœculare spectantibus, 2 in-4°, ibid.,
1738: Resoluliones morales de matrimonio, hujus impe-
dimentis et istorum dispensatione, in-4°, Augsbourg,
1739; Semicenluria variarum resolutionum moralium
pro foro interno alque externo, Munich, 1745. Le P. Heis-
linger enseigna aussi la théologie morale à Fribourg-en-
Brisgau et la théologie scolastique à Amberg, devint
recteur du collège de Ratisbonne et mourut à Landshut
le 19 juillet 1745.
Sommervogel, Bibliothèque de la C'' de Jésus, t. iv,
col. 1228 sq.; Hurter, Nomenclator, 3e édit., Inspruck,
1910, t. iv, col. 1650.
P. Bernard.
HEISS Sebastien, controversiste allemand, né à
Augsbourg en 1572, admis au noviciat de la Compagnie
de Jésus en 1591, enseigna les humanités et la philoso-
phie avec le plus grand succès et fut chargé de la chaire
de controverse à Munich, puis à Dillingen et enfin, de
1599 à 1613, à Ingolstadt où il mourut le 20 juin 1614.
Élève du P. Gretser qui l'avait distingué entre tous,
Heiss orienta ses études et son enseignement dans le
même sens que son maître et avec la même méthode
rigoureuse, sur le terrain brûlant de la lutte avec les
hérétiques. Ses thèses théologiques eurent un grand
retentissement; la plupart furent traduites en alle-
mand : De vera Chrisli in terris Ecclcsia, proprietatibus
ejus et nolis quibus facile ab omnibus falsis hœreticorum
ecclesiis internoscatur, in-4°, Munich, 1600; in-8°, Ingol-
stadt, 1610; De Scriptura in génère et in parliculari,
in-4°, Munich, 1600; De triumphante incœlis Ecclcsia,
seu statu beatorum, ibid., 1600; De cultu et invocalione
sanctorum, veneratione sacrarum imaginum alque reli-
quiarum, ibid., 1601; De sacratissimo dominicœ incar-
nalionis mysterio adversus lutheranos ubiquetarios,
ibid., 1601; De nalura, obligatione et relaxalione voli,
ibid., 1602; De augustissimo corporis et sanguinis
Chrisli sacramento ac missœ sacriflcio, ibid., 1605; trad.
allemande par le P. Conrad Vetter, in-8°, Ingolstadt,
1606. Le bruit que souleva dès son apparition le livre
de Jacques Hailbronner : Uncalholisch Pabsllhumb,
Wittemberg, 1605, qui prétendait défendre les articles
de la Confession d'Augsbourg par les textes des Pères,
des conciles et du droit canonique primitif et qui déna-
turait le sens des discussions engagées entre catho-
liques et protestants au colloque de Ratisbonne en
1601, amena le P. Heiss, sur le désir exprimé par ses
supérieurs, à publier une réfutation positive, basée
sur la critique des textes allégués et sur des documents
nouveaux, de cet ouvrage que l'on donnait alors comme
le dernier mot de la science. Le succès fut décisif. Cette
défense de la vérité historique parut sous ce titre :
Volumcn acalholicorum XX arliculorum Confessionis
Augustanœ edilum a Jacobo Hailbronner nomine Pala-
linorum Neuburgcnsium, approbatione electjralium
Saxonicorum et Witlembergensium theologorum, reco-
gnitumetcastigatum,m-A°, Dillingen, 1709. Une 2e édi-
tion enrichie de note"! et d'appendices succéda pres-
que immédiatement à la première, pendant qu'une tra-
duction allemande due à la plume du P. Conrad Vetter,
in-4°, Ingolstadt, 1610, rendait cet ouvrage populaire.
Le P. Heiss prit aussi une part très active aux violentes
polémiques suscitées par les controverses de Bellarmin.
Il défendit la doctrine du savant théologien dans deux
dissertations sur l'Écriture et sur la canonicité des
Livres saints : De verbo Dei. Haberi scriptum aliquod
Dei verbum et quibus in libris contineatur, adversus
impugnalorcs Robcrti cardinalis Bellarmini, Dillingen,
1609; Disputatio secunda thcologica de verbo Dei. Vere
divinos esse libros quos hodie ectarii e canone ab Ecclcsia
recepto excludunl, in-4°, ibid , 1602. Il faut mentionner
encore parmi ses ouvrages de controverse : Disputatio
thcologica de purgalorio lutheranorum, in 4°, Ingolstadt,
1610; traduit en allemand parle P. Vetter, ibid., 1611;
Disputatio de adoratione religiosa, in-4°, Dillingen,
1609; Très quœsliones breviler discussœ et ccu faculse
ad internoscendam Chrisli in terris Ecclesiam prolalœ,
ibid., 1610; cet ouvrage est une réponse aux assertions
des ministres protestants d'Augsbourg, particulière-
ment dirigée contre le pasteur Ruelich. Ses autres
écrits ont trait à des questions de pure doctrine : Asscr-
liones Ihcologicœ de nalura et principiis sacrœ theologiœ,
Dillingen, 1609; De Filio Dei humanœ naturœ unito,
ibid., 1609; Thèses de origine animœ, Ingolstadt, 1610,
reproduites dans les Très quœstioncs discussœ, ibid.,
1610; Disputatio thcologica de dominio, ibid., 1610; De
rcstilulione, prœcipuo jusliliœ acln, ibid., 1612; De tri-
plici bapthmo, Ingolstadt, 1613. Le P. Heiss laissa en
outre un grand nombre de commentaires sur diverses
parties de la Somme de saint Thomas, que la mort ne
lui permit pas d'achever. Les questions actuelles pri-
maient pour lui toutes les autres et quand on lui de-
manda d'intervenir pour défendre les doctrines de la
Compagnie, il abandonna aussitôt ce commentaire,
fruit de son long enseignement et mit un soin scrupu-
leux à mener à bien l'apologie doctrinale de son ordre
dans l'ouviage : Ad aphorismos doctrinœ jesuitarum
aliorumque pontificiorum e dictis, scriptis actisque publi-
cis collectos, declaratio apologetica, Ingolstadt, 1609.
Personne n'était mieux que lui qualifié pour ce travail
de science précise et de méthode rigoureuse. Heiss
avait été l'un des collaborateurs les plus actifs du
P. Gretser pour son ouvrage De cruce; la collection des
manuscrits de la bibliothèque de Munich n'avait plus
pour lui de secrets.
Sommervogel, Bibliothèque de la C'a de Jésus, t. jv,
col. 229-232; Hurter, Nomenclator, 3' édit., Inspruck, 1907,
2127
HEISS
HELVETIUS
2128
t. m, col. 431 sq.; B. Duhr, Geschichte der Jesuilen in den
Làndcrn deulscher Zungc, Fribourg-en-Brisgau, 1913, t. Il b,
p. 394; A. Hirschmann, Gretsers Schriflen iiber das Kreuz,
dans Zeitschrijt fur katholische Théologie, t. xx, p. 484 sq.
B. Bernard.
HÉLICITES. Voir IIicètes.
HELMONT François mercure van, fils du célèbre
chimiste et médecin Jean-Baptiste van Helmont,
naquit à Vilvorde, Brabant (Belgique), en 1618. Non
content de partager les goûts de son père pour la méde-
cine, la chimie et l'alchimie, il s'intéressa aux arts et
aux sciences les plus extraordinaires. Il accumula ainsi
des connaissances superficielles, qui étonnèrent ses
contemporains, jusqu'à Leibnitz lui-même. Son pre-
mier soin fut de publier quelques travaux de son père,
restés manuscrits, sous ce titre : Opuscula medica ine-
dita, in-4°, Amsterdam, 1648. On l'accuse d'avoir mis
à cette édition beaucoup de négligence. La curiosité le
fit se mêler à une troupe de Bohémiens pour étudier
leur langue et leurs usages et il parcourut avec eux une
partie de l'Europe jusqu'à ce qu'il se vît arrêté en Italie
et incarcéré au nom de la sainte Inquisition (1662). Il
fut sans doute soupçonné de sorcellerie à la suite de
propos et d'actes inspirés par son amour de, l'occul-
tisme. Les sciences occultes, la cabale, la magie, la
métempsycose eurent ses préférences. On ne le garda pas
longtemps sous les verrous ; nous le retrouvons en Alle-
magne à Suizbach, auprès de l'électeur Charles-Louis
(1663); il collabora avec Knorr de Rosenroth à la
rédaction de la Kaballa denudata. Un opuscule qu'il
publia dans le même temps fit quelque bruit : Alphabeti
vere naturalis hebraici brevissima delineatio, quœ simul
melhodum suppedilat juxla quam qui surdi nati sunl sic
informari possunt, ut non alios saltem loquentes intelli-
gant, sed et ipsi ad sermon is usum pcrveniant, in-12,
Suizbach, 1667. Il prétendait avoir découvert la langue
primitive du genre humain. Ce serait l'hébreu; les
caractères de cette langue ne seraient que la figure de
la position prise par le; organes vocaux pour les pro-
noncer. Van Helmont s'imagina en donner la preuve
sensible dans les 36 planches qui illustraient son ou-
vrage. A le croire, un sourd-muet de naissance n'aurait
eu qu'à reproduire ces mouvements pour parler. Il se
vanta d'en avoir fait l'expérience avec succès. Leibnitz
crut à cette rêverie. Après un séjour en Angleterre où il
rédigea pour la comtesse de Cannoway ses Deux cents
questions sur les révolutions de l'âme, nous le trouvons à
Amsterdam, où il se fixa. Les ouvrages qu'il y publie
sont un amas d'élucubrations étranges; c'est à se
demander s'ils ne sortent pas de la plume d'un fou. Il
a fait un exposé de ses doctrines dans ses Opuscula
philosophica quibus conlinentur principia philosophiœ
antiquissima et recenlissima, item philosophiœ vulgaris
refutata, quibus subjecta sunt CC problemala de revolu-
tione animarum humanarum, in-12, Amsterdam, 1690.
Son livre intitulé : Sedcr olam sive ordo sseculorum, his-
torica enarralio doclrinse, in-12, Amsterdam, 1693, est
rempli d'absurdités. On a de lui un ouvrage sur la
Cenèse : Qusedam prœmeditatœ et considérâtes cogila-
tiones super quatuor priora capita libri primi Moisis,
Genesis nominati, in-8°, Amsterdam, 1697. Il a publié
divers opuscu'es en allemand et en hollandais. Il mou-
rut à Coin sur la Sprce, près de Berlin, en 1690. Leibnitz
lui composa une épitaphe.
Adelung, Geschichte der menschliclien Narrheit, Leipzig,
1785-1799, t. iv, p. 294-325; Nouvelle biographie générale,
de Hœfer, Paris, 1858, t. xxm, p. 864; Biographie natio-
nale de Belgique, Bruxelles, 1884-1885, t. vin, col. 921-926.
J. Besse.
HELVETIUS Claude-Adrien, l'un des représen-
tants du mouvement philosophique fran.ais au
xvme si cle. ni à Paris, janvier 1715, mort à Paris,
26 décembre 1772. — I. Avant l'Esprit. II. Le livre
et l'atïaire de l'Esprit. III. Dernières œuvres.
I. Avant -l'Esprit, — D'une famille nommée
Schweltzer ou Schweitzer, apparentée au bienheureux
Canisius, originaire du Palatinat, mais, à la suite des
troubles religieux, passée, vers 1650, en Hollande où
elle prit le nom d'Helvétius, il était fils et petit- fils de
médecins.
Son grand-père, Jean- Adrien, anobli par Louis XIV
en 1724, pour avoir fait connaître l'ipécacuana,
s'était fixé en France et son père, Jean-Claude-Adrien,
avait eu à la cour et à l'armée une haute situation
et dans le pays une grande réputation de bienfaisance.
Claude-Adrien fit ses humanités au collège Louis-
le-Grand et fut ainsi l'élève des jésuites, comme Vol-
taire. Fermier-général à vingt-trois ans, ayant de gros
revenus, avide d'aventures galantes, « il débute par
se faire la réputation d'un- petit-maître accompli. »
Brunetière, Manuel de l'histoire de la littérature fran-
çaise, Paris, 1899, p. 322. Puis « enragé de célébrité »,
ibid., il s'introduit dans le monde des lettres, y répand
des largesses, tente, sous l'influence de Fontenelle, de
briller dans le mouvement scientifique du temps, et
finalement se tourne vers la poésie, où il s'était déjà
essayé au sortir du collège, et vers la philosophie.
Comme il envie le succès de Voltaire, il cultive à son
exemple et sous sa direction le poème philosophique.
Les résultats sont pauvres. Les Épîtres d'Helvétius,
sur le plaisir, dédiée à Voltaire, sur l'amour de l'élude,
dédiée à la marquise du Châtelet, sur les arts, sur
l'orgueil et la paresse de l'esprit, les fragments d'une
Épttre sur la superstition sont sans originalité ni valeur
littéraire. Il en est de même de son poème philoso-
phique le plus considérable, Le bonheur. Ce poème
allégorique et mythologique, en 4 chants, indique
déjà les principales idées et les tendances philoso-
phiques de l'auteur. Le bonheur n'est ni dans la vo-
lupté ni dans le pouvoir et la richesse uniquement
goûtés et possédés : il y a un art d'être heureux. Cet
art, il ne faut le demander ni aux métaphysiques
religieuses, ni aux philosophies comme le stoïcisme
qui impose à la nature d'orgueilleuses contraintes,
mais à la raison éclairée par l'expérience et à des
maîtres comme Locke. Le bonheur a des conditions
individuelles : unir « les voluptés des sens aux plaisirs
de l'esprit, et par la variété éviter la tyrannie du
désir et la saturation»; il a des conditions sociales, en
premier lieu l'affranchissement du despotisme et de
la superstition. Helvétius avait composé ce poème
pour se faire valoir en face de Fontenelle et de Mau-
pertuis, qui avaient écrit sur le même sujet, mais,
absorbé par la préparation de l'Esprit, il ne le publia
pas. Ce fut l'œuvre de Saint-Lambert. L'ouvrage parut
en 1772 sous ce titre : Le bonheur, mais il compre-
nait en outre les Épîtres et un Essai sur la vie et
les ouvrages de M. Helvétius, anonyme, mais qui est
de Saint-Lambert. Le bonheur eut 3 éditions, Lon-
dres, 1772, 1773, 1776.
II. Le livre et l'affaire de VEsphit. — Vers
1748, Helvétius, grand admirateur de Locke, de Fon-
tenelle et de Voltaire, lié avec Buffon, Diderot, Montes-
quieu, Saint-Lambert, etc., reçu chez Mme de Graffi-
gny et chez Mme Geolîrin, partage toutes les idées des
futurs encyclopédistes et aspire à prendre rang parmi
eux — encore qu'il ne collabora jamais à l'Encyclo-
pédie. C'est l'Esprit des lois qui l'oriente, 1748. Sur le
point d'en livrer le manuscrit à l'impression, Montes-
quieu le lui communiqua et Helvétius en fit plusieurs
critiques : 1° dans une Lettre à Montesquieu, Œuvres
d'Helvétius, édit. Didot, 1795, t. xiv, p. 61; 2° dans
une Lettre à Saurin, un ami commun, ibid., p. 57;
3° dans des notes écrites en marge des huit premiers
livres de son exemplaire et publiées pour la première
2129
HELVÉTIUS
2130
lois sous ce litre: Examen critique de l'Esprit des lois
par l'auteur de l'Esprit, dans les Œuvres complètes de
Montesquieu, édit. Didot, 1795, t. xiv. Helvétius
ieproche à Montesquieu de compliquer les choses, sous
prétexte de développement historique, de trouver
aux nobles et aux prêtres une utilité sous telle forme
de gouvernement, enfin, d'une façon générale, de ne
remonter jamais jusqu'à la nature de l'homme, vrai
point de départ de toutes les lois, puisqu'elles doivent
toutes assurer son bonheur. Sur ces critiques, voir
A. Sorel. Montesquieu (Collection des grands écrivains
français), Paris, 1887, p. 135. L'Esprit des lois eut un
succès prodigieux; Helvétius crut donc établir sa gloire
en refaisant ou, du moins, en complétant cet ouvrage.
Telle fut l'origine du fameux livre de l'Esprit, comme
le disent bien son nom et ces vers de Lucrèce mis en
épigraphe :
Unde animi constet natiira videndum,
Qua fiant ratione, el qua vi qua'que gerantur
In terris.
A ce moment, il achète la charge de maître d'hôtel
ordinaire de la reine, pour augmenter son crédit et sa
sécurité. 1749; il donne sa démission de fermier-géné-
ral, 1750, et épouse une jeune fille sans fortune, mais
de haute lignée, Mme de Ligniville d'Autrecourt, nièce
de Mme de Grafïïgny et cousine du futur ministre
Choiseul. Sur Mme Helvétius, voir de Lescure, Notice
sur Mme Helvétius, dans les Grandes épouses,
Paris, 1834 ; A. Guillois, Le salon de Mme Helvétius,
Paris, 1894. Dès lors, il se ret're volontiers dans son
château de Lumigny en Brie et plus souvent dans
son château de Voré dans le Perche. C'est là qu'il pré-
pare son livre, laborieusement, comme le prouvent
les Notes de la main d' Helvétius, publiées d'après un
manuscrit inédit avec une introduction et des commen-
taires par Albert Keim, in-8°, Paris, 1907. L'ouvrage,
qui a pour titre : De l'Esprit, in-4° de 643 pages, parut
à Paris en août 1758, sans nom d'auteur, avec l'ap-
probation du censeur royal Tercier et privilège du
roi en date du 12 mai.
Helvétius veut étudier l'homme en général, tel qu'il
est, dans toutes les nations et sous tous les gouverne-
ments, son esprit, son cœur et ses passions; oe n'est pas
pour elle-même qu'il tente cette étude; c'est pour en
induire les lois d'une morale utile au bonheur humain.
Il définit ainsi sa pensée : « C'est par les faits que j'ai
remonté aux causes. J'ai cru qu'on devait traiter la
morale comme les autres sciences et faire une morale
comme une physique expérimentale. » De l'Esprit, pré-
face. Le livre est formé de 4 discours : 1° De l'esprit en
lui-même; 2° De l'esprit par rapport à la société; 3° Si
l'esprit doit être considéré comme un don de la nature
ou comme un ejjet de l'éducation; 4° Des différents
noms donnés à l'esprit.
1° L'homme est un animal purement sensible et
dans l'ordre de la connaissance purement passif.
Toutes ses connaissances lui viennent de la sensibilité
physique o qui reçoit les impressions différentes que
font sur nous les objets extérieurs » et de la mémoire
« sensation continuée mais affaiblie » qui les conserve.
Si l'homme est supérieur aux animaux, il le doit « à
une certaine organisation extérieure » : d'abord à
« la différence d'organisation entre nos mains et les
pattes des animaux », puis à ces faits que « la vie des
animaux est plus courte », par là moins féconde; que
>> mieux armés, mieux vêtus », ils ont moins de besoins,
par conséquent moins d'invention; que «l'homme est
l'animal le plus multiplié de la terre », car, « plus l'es-
pèce d'un animal susceptible d'observation est multi-
pliée..., plus cette espèce d'animaux a d'idées; »
enfin à des conditions comme la nourriture, la disposi-
tion des organes, etc.; ces causes expliquent que les
singes, « qui ont les pattes à peu près aussi adroites
que nos mains. » n'ont pas fait « des progrès égaux à
ceux de l'homme », c. i, Ces opérations de l'esprit se
ramènent toutes également à sentir, puisqu'elles se
i amènent à juger, et juger, c'est-à-dire «apercevoir
les ressemblances ou les différences, les convenances
ou les disconvenances qu'ont entre eux les objets »,
c'est encore sentir. Ibid. Nos erreurs mêmes ne sup-
posent que la faculté de sentir; elles ne sont dues
qu'à nos passions et à notre ignorance à laquelle se
rattache l'abus des mots, surtout en métaphysique et en
morale, ou l'ignorance de leur vraie signification,
c. ii-iv. L'âme existe-t-elle? Helvétius pose la question,
mais il ne la résout pas; elle lui importe peu et
d'ailleurs lui paraît insoluble, c. i. L'homme est-il
libre? de la liberté physique, oui; mais il n'a pas le
libre arbitre; il est déterminé à ne vouloir que son
bonheur et si les moyens varient, c'est que les hom-
mes sont inégalement éclairés, c. iv.
2° « En tout temps, en tout Heu, tant en matière
de morale qu'en matière d'esprit, c'est l'intérêt per-
sonnel qui dicte le jugement des particuliers et l'inté-
rêt général qui dicte celui des nations », c. i ; l'in-
térêt personnel est l'unique dispensateur de l'estime
et du mépris attachés aux actions et aux idées ;
car « si l'univers physique est soumis aux lois du
mouvement, l'univers moral ne l'est pas moins aux
lois de l'intérêt », c. il, et, « il est aussi impossible à
l'homme d'aimer le bien pour le bien, que d'aimer le
mal pour le mal, » c. v. Mais alors qu'est-ce que la
vertu ou la probité, qu'il définit « la vertu mise en
action »? c. xm. Si l'on se conforme à l'expérience,
« conformité qui seule peut constater la vérité d'une
opin'on, » on ne saurait avoir de la vertu « une idée
absolue et indépendante des siècles et des gouverne-
ments »; l'on ne saurait davantage prétendre qu'elle
est une notion purement arbitraire: «La vertu ne
peut être que le désir du bonheur général; » son objet
est le bien public; mais cet objet et les moyens de
l'atteindre n'ont rien d'absolu : ils sont relatifs aux
siècles et aux pays, c. xm : « et tout devient légitime et
même vertueux pour le salut public ». Toutefois
le bonheur général, au sens d Helvétius, n'est pas le
bonheur de la collectivité, mais de tous les individus
qui la composent, t le plus grand bonheur du plus
grand nombre », comme dira Bentham, c. vi. Il faut
donc distinguer soigneusement les vertus de préjugé
« dont l'observation exacte ne contribue en rien au
bonheur public; telles sont les austérités des fakirs»,
des vertus réelles, c. xiv ; et la corruption religieuse
de la corruption politique. La première, ou le liber-
tinage, « n'est pas incompatible avec le bonheur d'une
nation, mais elle peut, comme l'histoire le prouve,
s'allier à la magnanimité, à la grandeur d'âme, à la
sagesse, aux talents... », c. xiv ; en conséquence,
criminelle, « elle l'est sans doute en France puisqu'elle
blesse les lois du pays, mais elle le serait moins si
les femmes étaient communes et les enfants déclarés
enfants de l'État »: elle ne l'est pas en « une infinité de
pays où elle est autorisée par la -loi et consacrée
par la religion », c. xi. En tous pays la corruption
politique est toujours vicieuse, car elle est la préfé-
rence habituelle donnée sur l'intérêt général à l'inté-
rêt particulier d'un individu ou d'un groupe, du corps
sacerdotal, par exemple. Ibid. De ces théories
Helvétius conclut : 1° les questions morales ne sont
que des questions sociales. « On doit regarder les
actions comme indifférentes en elles-mêmes, sentir
que c'est au besoin de l'État à déterminer celles qui
sont dignes d'estime ou de mépris et enfin, au législa-
teur, par la connaissance qu'il doit avoir de l'intérêt
public, à fixer l'instant où chaque nation cesse d'être
vertueuse et devient vicieuse, » c. xvn : 2° le pro-
grès moral ne peut être réalisé que par la loi :
2131
HELVÉTIUS
2132
«C'est la législation d'un peuple qu'il faut modifier
pour extirper ses vices, » c. xv. Les lois peuvent tout
sur les mœurs comme sur les esprits. Le législateur
forme à son sré des héros, des génies et des gens ver-
tueux. » c. xxii. Mais il doit d'abord détruire «les
deux obstacles » qui s'opposent à tout progrès
moi? 1 : les fanatiques qui vivent de l'ignorance et les
demi-philosophes « qu'effarouche le mot de nouveault »;
il doit ensuite, sachant « que les hommes sensibles
pour eux seuls ne sont nés ni bons ni mauvais, mais
prêts à être l'un ou l'autre selon leur intérêt », organiser
un habile système de récompenses et de punitions
de l'ordre temporel et « les forcer par le sentiment
de l'amour d'eux-mêmes d'être toujours justes envers
les autres » ou vertueux, c. xxvm et xxix. Entre
l'intérêt personnel de l'homme et l'intérêt du plus
grand nombre, il n'y aura donc jamais une identi-
fication naturelle, mais une identification artificielle
suggérée par la crainte et l'espérance. 3° Dès lors
« la science des mœurs », la morale, se confond avec la
législation. Son œuvre propre est de rechercher par
quels moyens le législateur pourra « lier l'intérêt per-
sonnel à l'intérêt général » et « nécessiter aussi les
hommes à la vertu », c. xxn. Cette science constituée,
le législateur pourra prévoir et pourvoir avec une
efficacité déterminante.
3° Aucune inégalité, pas même celle des sexes
qui est due à des causes sociales et modifiables, ne
vient de la nature, c. xx. L'inégalité des esprits « entre
les hommes communément bien organisés » ne peut lui
être attribuée davantage. Elle ne peut, en effet,
avoir d'autre cause que l'inégale capacité d'atten-
tion. Discours III, c. iv. D'où naît cette inégale
capacité ? De l'inégale puissance des passions, car
d'elles naît toute activité. « Elles sont dans le mo-
jal ce qui, dans le physique, est le mouvement, » c. vi.
Mais de cette inégale puissance des passions dans les
hommes normaux, quelle est la cause? Toutes nos pas-
sions ont leur source dans la sensibilité physique,
c. ix-xiv. « C'est à la sensibilité physique que
l'homme doit ses passions et à ses passions qu'il doit
tous ses vices et toutes ses vertus, » c. xvi. C'est
pourquoi l'amour qui parle plus aux sens est de toutes
les passions la plus puissante et l'attrait de ses plai-
sirs fournirait au législateur d'irrésistibles moyens
d'agir, c. xv. Or «tous les hommes sont sensibles»,
partant « susceptibles de passions ». Ibid. Ils sont
même tous « susceptibles d'un degré de passion plus
que suffisant pour les douer de la continuité d'attention
à laquelle est attachée la supériorité d'esprit », c. xxvi.
L'inégalité des esprits ne vient donc pas de la nature ;
« elle dépend uniquement de la différente éducation
que reçoivent les hommes et de l'enchaînement in-
connu des diverses circonstances dans lesquelles ils
se trouvent placés, » c. xxn. « Le génie est commun
et les circonstances propres à le développer très
rares, » c. xxx. Parmi ces circonstances, l'une des plus
influentes est la forme du gouvernement et le despo-
tisme a sur les esprits de funestes effets, c. xvii-xxi.
En conséquence, « l'art de l'éducation consiste à pla-
cer les jeunes gens dans des circonstances propres à
développer en eux le germe de l'esprit et de la vertu, »
c. xxx. Ainsi l'homme est soumis à une sorte de dé-
terminisme moral et la connaissance de sa véritable
nature lui donne sur elle un pouvoir illimité. Ainsi
encore, loin de combattre les passions comme le
voudrait l'ascétisme chrétien, l'éducation doit au
contraire les développer, sous cette seule réserve de
les ordonner au bien public. Mais cette tâche ne peut
être remplie que par le législateur ; il devra y avoir
en chaque pays un plan d'éducation nationale.
4° S'il y a un art pédagogique dont les principes
sont t aussi certains que ceux de la géométrie », Dis-
cours II, c. xxv, logiquement, Helvétius eût dû con-
clure par un plan d'éducation, mais comme «dans les
mœurs actuelles », ce plan ne serait pas mis en pra-
tique, il se borne à quelques indications, en étudiant
le sens des différents noms donné; à l'esprit et à ui*
chapitre, le dernier du livre, xvn, sur Y éducation. « L'art
de l'éducation, dit-il, n'est autre chose que la connais-
sance des moyens propres à former des corps plus
robustes, des esprits plus éclairés et des âmes plus-
vertueuses ». Pour former des corps plus robustes,
« c'est sur les Grecs qu'il faut prendre exemple » -r
des esprits plus éclairés : « il faut choisir les objets
qu'on place dans la mémoire »; des âmes plus ver-
tueuses : « il faut allumer des passions fortes et les
d;riger au bien général. » Législation et éducation sont
donc des forces à peu près toutes-puissantes pour créer
le génie et la vertu. Où elles seront à la hauteur de leur
tâche, ce ne sera plus le hasard qui présidera, comme
jusqu'alors, à la formation et à la révélation de trop
rares hommes de mérite : le mérite sera une consé-
quence nécessaire et multipliée.
« Aucun livre en son temps n'a fait plus de bruit »,
Brunetière, loc. cit. Le livre cependant était énorme,
touffu, mal composé et de to is points médiocre. Les
idées qui en faisaient la trame étaient connues. Locke,
Berkeley, Hume, Condillac avaient fourni la psycholo-
gie; Hobbes, Diderot, Voltaire, Montesquieu et les salons
philosophiques, les vues politiques, sociales ou reli-
gieuses; Fontenelle et Bufîon, les principes scienti-
fiques ; les moralistes anglais, La Rochefoucauld et
Vauvenargues, les théorie* fondamentales, de la toute-
puissance de l'amour-propre, de la fécondité des pas-
sions et de la transformation de la question morale
en question sociale. Les faits qui servaient de preuves
étaient choisis sans critique ou n'étaient que des anec-
dotes où figurent les nègres, les Hottentots, les Caraï-
bes, les Giagues, etc., à côté des Grecs, des Romains et
des Orientaux; le style était sans charme. Mais les
anecdotes étaient licencieuses, les lois formulées et les
conclusions déduites, paradoxales; les institutions
politiques, sociales et religieuses, violemment atta-
quées, et par un homme de la maison de la reine,
car tous connaissaient l'auteur, bien que l'ouvrage
fût anonyme : ce fut un succès de scandale.
Au point de vue religieux, la méthode expérimentale
la tendance matérialiste, les doctrines sensualistes,
agnostiques et utilitaires de l'Esprit, presque toutes
ses théories morales et sa tentative de constituer la
vraie morale en dehors de la religion étaient en
opposition formelle avec l'esprit et les doctrines du
catholicisme. Helvétius avait essayé de se couvrir du
reproche par ces sophismes, que « toute morale dont les
principes sont utiles est nécessairement conforme à
la morale de la religion, qui n'est que la perfection de
la morale humaine », Préface, et qu'il parle en poli-
tique, non en théologien, mais il n'avait fait que
souligner ainsi son affranchissement vis-à-vis des
doctrines catholiques. De plus., l'Esprit formule d'in-
contestables attaques contre l'Église; ce sont les atta-
ques du temps avec la tacticnie du temps. Helvétius.
comme Voltaire, ou bien attaque le catholicisme à
travers toutes les religions, ou bien distingue entre
Jésus-Christ et ses ministres, entre l'Évangile et la
théologie et fustige violemment les ministres du
Christ et leur enseignement. Il tend à donner de toutes
les religions l'idée de puissances non seulement inutiles,
mais funestes, sources d'ignorance et de guerre, et à
les déshonorer en leur attribuant les plus honteuses
turpitudes. « Les motifs d'intérêt temporel » sont « aussi
efficaces, aussi propres à former des hommes vertueux
que les peines et les plaisirs éternels, » c. xxm.
« Les fanatiques sont les grands ennemis du progrès,
parce qu'ils maintiennent les peuples dans l'ignorance-
2133
HELVÉTIUS
2134
et la crédulité, » c. xxn. Nombreux sont les pas-
sages où il n'attribue à la religion d'autre effet que
les guerres intestines, comme dans l'apologue des
castors, c. xtv. Sur ce point, il attaque directement
l'Église et le clergé catholique : « Que de crimes
commis même par ceux qui sont chargés de nous
guider... I La Saint-Barthélémy, l'assassinat de
Henri III, le massacre des Templiers, etc., etc., en
sont la preuve, » c. xxiv, note i, etc.
En dehors du Journal encyclopédique, t. vi, qui
loua copieusement l'Esprit, le parti philosophique
ne parut pas enchanté de l'ouvrage. « M. Helvétius
aurait dû faire un bail de plus et un livre de moins, »
aurait dit Buffon. Diderot, que l'on soupçonne à tort
d'avoir collaboré à l'Espril, cf. Reinach, Diderot (Col-
lection des grands écrivains français), Paris, 1894, p. 22,
porte sur ce livre un jugement sévère. Élude sur
l'Esprit, Œuvres, édit. Garnier, t. n, p. 267. Voltaire
loue surtout les intentions de l'auteur. Lettres relatives
au livre de l'Espril, Œuvres complètes d'Helvétius,
édit. Didot, t. xiii. Mais l'Église et l'État qui étaient
attaqués attaquèrent à leur tour. Le Dauphin donna le
signal; la reine suivit. Le 10 août, un arrêt du conseil
du roi révoquait le privilège et supprimait le livre.
La vogue du livre s'en accrut et trois éditions nou-
velles furent publiées dans l'année 1758, mais à
l'étranger, 2 in-8°, Amsterdam; 3 in-12, Amsterdam
et Leipzig; 3 in-12, La Haye. Pendant que les jésuites,
dans le Journal de Trévoux, bien que l'auteur ne les
eût pas nommés dans l'Esprit, et surtout les jansénistes,
dans les Nouvelles ecclésiastiques, menaient une cam-
pagne contre Helvétius et son censeur, le parlement,
l'autorité ecclésiastique, la Sorbonne menaçaient ;
Hehétius, qui s'était cru en sécurité et par sa situation
à la cour, et par ses relations avec le directeur de la
librairie, Malesherbes, dont il avait obtenu un censeur
« qui ne fût pas un théologien ridicule », et à qui même
il avait refusé quelques corrections, prit peur. Il
multiplia les démarches et pour recouvrer la faveur de
la reine qui l'eût sauvé de tout ennui, il fit deux rétrac-
tations successives. La première fut une lettre adressée
vers le 18 août à un jésuite, le P. Plesse, qui la lui avait
conseillée. Verbeuse et sophistique, cette rétractation
fut jugée insuffisante. Au commencement de septembre
il en donna une plus courte, plus nette et qu'il fit tous
ses efforts pour cacher au public. (Le texte de cette
rétractation est donné par A. Keim, Helvétius, p. 343,
note 2.) Mais il n'y avait plus de doute sur « le dessein
formé » des philosophes de refaire l'État et de ruiner
l'Église, et l'Esprit semblait un résumé des idées de
tous. Bientôt paraissait un Mandement de Mgr l'arche-
vêque de Paris portant condamnation d'un livre qui a
pour titre De l'Esprit, comme « favorisant les athées,
les déistes et toutes les espèces d'incrédules et renou-
velant presque tous leurs nombreux systèmes », 22 p.
in-4°, daté du 22 novembre 1758. Le texte de la con-
damnation est donné par A. Keim, op. cit., p. 364. Sur
l'intervention de l'archevêque, voir P. E. Regnault,
Christophe de Beaumonl, archevêque de Paris, 1703-
17S1, 2 in-8°, Paris, 1882. Le 31 janvier 1759, le pape
Clément XIII, après jugement du tribunal de l'In-
quisition, condamnait à son tour l'Esprit. Damnatio et
prohibitio operis cui titulus : De l'Esprit, texte latin et
traduction française en regard, 4 p. in-4°, Paris ; Bul-
larium, t. i, p. 141. Le 23 du même mois, l'avocat
général Joly de Fleury avait déféré au parlement
l'Esprit, « code des passions les plus honteuses, apologie
du matérialisme et de tout ce que l'irréligion peut
dire ». Le 6 février, le parlement rendait son arrêt;
il était anodin. Helvétius avait adressé le 22 janvier
aux magistrats une troisième rétractation, puis Choi-
seul, Mme de Pompadour et le roi étaient intervenus.
Cf. Jusselin, Helvétius et Madame de Pompadour à pro-
pos du livre et de l'affaire de l'Espril, in-8°, le Mans,
1913.
L'Esprit n'était point condamné seul, mais avec
sept autres ouvrages, dont l'Encyclopédie. Le parle-
ment ordonnait que tous, sauf l'Encyclopédie qui
devait être examinée, seraient « lacérés et brûlés »,
et faisait défense de composer, imprimer, vendre et
colporter aucun livre contre la religion, l'État et les
bonnes mœurs. Le 10 février, l'arrêt était exécuté.
Aucune peine n'avait été prononcée contre l'auteur
« vu la sincérité de son repentir », ni contre Tercier,
impliqué dans les poursuites, mais « qui ne se pardonne-
rait jamais l'approbation donnée par inadvertance ».
En février toutefois, Helvétius dut se démettre de sa
charge de maître d'hôtel de la reine et Tercier fut
rayé du nombre des censeurs et même privé par Choi-
seul de son emploi au ministère des affaires étrangères.
Mais Choiseul avait choisi ce prétexte pour se débarras-
ser d'un auxiliaire de Bernis et du Secret du roi. Cf.
de Broglie, Le Secret du Roi, t. i, p. 397. Le 9 avril, la
Sorbonne termine en France la série des condamnations:
Dcterminatio sacrse facullatis Parisiensis super libro
cui titulus est De l'Esprit, 79 p. in-8°, Paris, 1759.
Entre tous, les docteurs « ont choisi le livre de l'Esprit
comme réunissant toutes sortes de poisons qui se
trouvent dans les différents livres modernes ». Ils
grouptnt les propositions condamnables sons ces
quatre titres : l'âme, la morale, la religion et le gouver-
nement, et sous chacun ils rapportent les passages de
Spinoza, Collins, Hobbes, La Mettrie, d'Argens, où
Helvétius leur paraît avoir puisé ses erreurs. Le
grand inquisiteur d'Espagne condamna aussi l'ou-
vrage d'Helvétius, et le 7 juillet 1759, Clément XIII
lui adressait un bref laudatif. Bullarium, t. i, p. 209.
Sur l'affaire de l'Espril, voir Sainte-Beuve, Causeries
du lundi, t. il, p. 488-489 ; Brunetière, La direction de
la librairie sous Malesherbes, dans la Revue des Deux
Mondes, 1er février 1882; baron J. Angot des Rotours,
Le bon Helvétius et l'affaire de l'Espril, dans la Revue
hebdomadaire, t. vi, p. 186, qui tous trois ont utilisé
les Mémoires sur la librairie de Malesherbes et le
ms. 22191 de la Bibliothèque nationale, fonds français.
Voir aussi H. Reusch, Der Index der verbolenen
Bûcher, Graz, 1885, t. il, p. 907-908.
Ces condamnations ne terminèrent pas la polé-
mique autour de l'Esprit. On vit paraître des réfuta-
tions : Rélutalion du livre de l'Espril par un abbé
Gauchat. qui se trouve au t. xu des Lettres critiques
ou analyse et réfutation de divers écrits modernes contre
la religion, Paris, 1759, avec un Catéchisme du livre
de l'Espril ; Préjugés légitimes contre l'Encyclopédie
et essai de réfutation de ce dictionnaire avec un examen
critique du livre de l'Espril, par Abraham Joseph de
Chaumeix d'Orléans, 12 in-12, 1738-1760; le m" et le
ive volume se rapportent à Helvétius; Examen
sérieux et comique des discours sur l'Esprit, par l'abbé
Lelarge de Lignac, Amsterdam, 1759 ; Catéchisme des
Cacouacs (philosophes), par l'abbé de Saint-Cyr, Paris,
1758 ; Lettre... au sujet d'un livre qui a pour titre
de l'Esprit, Amsterdam, 1759 ; Les idées sur la loi
naturelle ou Réflexions sur le livre de l'Esprit par
M. l'abbé ***, Amsterdam, 1761. L'Espril était dé-
fendu dans un Examen des critiques du livre intitulé
de l'Espril, Londres, 1759, qui est d'un collaborateur
de l'Encyclopédie, Charles-Georges Leroy, et qui a été
mis à l'Index par décret du 1er février 1762, et dans
une Lettre au R. P. Berlhier sur le matérialisme,
in-12, Genève, 1759, attribuée à tort à Diderot et à
l'abbé Coyer. Rousseau avait préparé une réfutation
de l'Esprit, mais il brûla son manuscrit à la nouvelle
qu'Helvétius, d'ailleurs son bienfaiteur, était pour-
suivi. Toutefois il avait annoté son exemplaire de
l'Esprit jusqu'au chapitre xxn du Discours III et ces
2135
HELVÉTIUS
2136
notes furent publiées à Londres, en 1779, par Dutens,
sous ce titre : Lettre à M. D. B., Œuvres mêlées de
M. L. Dutens, Paris, 1784, p. 280 ; on la trouve dans
plusieurs éditions des Œuvres complètes de Rousseau.
Enfin dans plusieurs de ses ouvrages, en particulier
dans la Profession de joi du vicaire savoyard, Rous-
seau réfute Helvétius sans le nommer. Cf. Revue
d'histoire littéraire de la France, t. xvn, p. 225-261 :
Albert Schinz, La profession de toi du vicaire savoyard
cl le livre de l'Esprit; et t. xvm, p. 103-124: Pierre-
Maurice Masson, Rousseau contre Helvétius. Plusieurs
réfutations de YEspril parurent encore dans l'époque
suivante, entre autres une de La Harpe, converti :
Réfutation dulivrede l'Esprit, ms. 18,1797 de la Biblio-
thèque nationale de Paris, et une Nouvelle réfutation.,.,
parle chevalier de Martillet, in-8°, Clermont-Ferrand,
1817. L'Esprit fut traduit en allemand : Discours ùber-
den Geist des Mcnschen, Leipzig et Liegnitz, 1760,
par Johann Gabriel Forkert, préface de Gottshied,
s. d., et en anglais : De l'Esprit, or Esays on the
mind, in-4°, Londres, s. d. Il fut aussi plusieurs fois
réimprimé: Paris, 3 in-12, 1768; in-8°, 1769; in-8°,
1776; 2 in-18, 1822; in-12, 1843.
III. Dernières œuvres. — L'affaire de l'Esprit
laissa des inquiétudes et des rancunes en Helvétius.
Il crut de sa sûreté de ne plus rien publier de son vivant
et au lendemain du traité de Paris, il alla faire un séjour
en Angleterre, puis en Allemagne où il fut l'hôte du
vainqueur de Rosbach, 1764. Ses rancunes se mani-
festent dans le livre qu'il écrit alors pour justifier et
compléter l'Esprit et qui ne paraîtra qu'en 1772,
après sa mort. Ce livre intitulé : De l'homme, de ses
facultés et de son éducation, ouvrage posthume de
M. Helvétius, avec cette épigraphe :
Honteux de m'ignorer
Dans mon être, dans moi, je cherche à pénétrer.
Voltaire, Disc. VI. De la nature de l'homme.
fut publié à La Haye, 2 in-8°, par le prince Galitzin
qui le dédia à Catherine II, d'après une copie envoyée
par Helvétius à un savant de Nuremberg qui devait
en faire une traduction allemande. En 1795, l'ex-
bénédictin Lefebvre-Laroche, secrétaire d'Helvétius,
le publia dans les Œuvres complètes de l'auteur, tel
qu'il le lui avait laissé. Or, dès la préface, Helvétius,
se souvenant que YEsprit a été condamné, désespère
de la France : « La maladie ...est devenue incurable...,
cette nation avilie est aujourd'hui le mépris de l'Eu-
rope. » Il ne voit de remède que « la conquête » par les
Catherine II, les Frédéric II; « c'est par eux que l'uni-
vers doit être éclairé, » comme l'est déjà l'Autriche.
Puis à travers tout l'ouvrage ce sera une vraie « fureur
d'irréligion ». Angot des Rotours, loc. cit., p. 204.
I Le traité De l'homme est divisé en 10 sections,
chacune accompagnée de notes et divisée en chapitres.
Helvétius s'y propose le même but que dans l'Esprit :
déterminer scientifiquement, c'est-à-dire d'après les
faits individuels ou sociaux, les lois nécessaires du
bonheur des peuples. On y retrouve la même concep-
tion de l'homme et la même théorie de la quasi toute-
puissance de l'institution sociale. Il précise cependant
la part quirevient dans la formation du génie au hasard
à côté de la législation, qui est pour lui l'ensemble des
conventions supposées par l'institution sociale, de
l'organisation gouvernementale, administrative, judi-
ciaire, religieuse et des lois qui dominent chaque peuple,
sect. i, note 3, et sect. m, c. ni. Il établit la généa-
logie des passions; toutes naissent de l'amour de soi :
» il nous fait en entier ce que nous sommes, » sect. iv,
c. iv. Combien Montesquieu se trompe quand il
attribue « un différent principe » à chaque forme de
gouvernement I sect. iv, c. xi. « L'amour du pouvoir »,
transformation de l'amour de soi, « dans toute espèce
de gouvernement est le seul moteur des hommes. •
Ibid. Impuissant «à former des hommes justes et
vertueux » sous le gouvernement d'un seul, cet amaur
du pouvoir y arrive difficilement sous le gouverne-
ment de plusieurs, mais il y arrive nécessairement
sous le gouvernement de tous I Ibid. Combien aussi
Rousseau se trompe soit dans « la lettre vie, t. v de
l'Héloïse », soit dans l'Emile, quand il soutient « que
nos vertus comme nos talents sont également dépen-
dants de la diversité de nos tempéraments » ! sect. v,
c. i, quand il soutient la bonté originelle de l'homme.
Ibid., c. m et iv. La législation qui peut assurer à tous
le talent et la vertu peut également assurer leur
bonheur. Il y a deux causes « au malheur presque uni-
versel des hommes et des peuples : l'imperfection de
leurs lois et le partage trop inégal des richesses »,
sect. vin, c. m. «Qu'on fasse de bonnes lois; elles
dirigeront naturellement les citoyens au bien géné-
ral, en leur laissant suivre la pente irrésistible qui les
porte à leur bien particulier. Les lois font tout »,
sect. ix, c. vu. Si « en nulle société tous les citoyens
ne peuvent être égaux en richesses », les lois peuvent
du moins « leur donner plus d'aisance, leur assigner
quelque propriété à tous », enfin diriger leur éduca-
tion de façon » à leur faire trouver agréables tous les
instants de leur vie », quelque profession ils exercent,
sect. vu, c. n. Sur le socialisme d'Helvétius, cf. Joseph
Rambaud, Histoire des doctrines économiques, in-8°,
Lyon, 1899. Le livre se termine par un plan de lé-
gislation, sect. ix, et par un plan d'éducation, sect. x.
L'établissement d'une bonne législation a pour
obstacles le gouvernement arbitraire, sect. ix, c. n,
l'intérêt personnel de puissances comme l'Église,
c. xxin et xxiv, l'ignorance, c. iv-vm. « La vérité
éclaire-t-elle les piinces? le bonheur et la vertu régnent
sans eux dans leur empire, » c. v. La félicité d'un
peuple est proportionnée à ses lumières. Rien de plus
funeste que « l'indifférence pour la vérité », c. xm.
Déjà, sect. vin, c. ix, Helvétius avait amèrement
reproché à Rousseau d'avoir fait l'éloge de l'ignorance
et mis sur les lèvres de Julie : « Peu m'importe que
mon fils soit savant; il me suffit qu'il soit bon et
sage. » On peut conclure de là quel rôle providentiel
les philosophes sont appelés à jouer. Une bonne légis-
lation supposerait peut-être « la constitution d'un
pays arand comme la France en une république fédé-
rative », c. n; en tous cas, elle doit établ'r la liberté
de la presse, source de toute lumière et de tout pro-
grès, c. xn et xni, la tolérance religieuse, c. xxxi,
garantir à tous les citoyens « la propriété de leurs
biens, de leur vie et de leur liberté », c. n, etc. On verra
plus loin quelle religion doit créer une bonne législa-
tion. « L'éducation peut tout » comme la législation
dont elle est une partie, sect. x, c. i. Il faut donc veiller
à l'éducation physique, c. iv, et par l'éducation morale
former les hommes: 1° comme citoyens; 2° comme
citoyens de telle ou telle profession. Cette formation
suppose l'instruction d'abord et Helvétius donne
l'esquisse d'un catéchisme du citoyen par demandes et
par réponses qui commence par ces mots : « Qu'est-ce
que l'homme ?» et qui contient de nouveau cette
affirmation : « Le bien public est la loi suprême, unique
et invariable, » Salus populi suprema lex esto. Cette
formation suppose aussi un système bien ordonné de
récompenses et de punitions qui détermine l'homme
à agir, par amour de soi, sect. x. c. i-vn. Les mêmes
obstacles s'opposent à une bonne éducation qu'à une
bonne législation : * l'imperfection de la plupart des
gouvernements », c. ix, et « l'intérêt du prêtre », c. vin.
Rien n'a été plus funeste que la part prise par
l'Église à côté de l'État dans l'éducation. Ces deux
puissances ont des intérêts opposés, par conséquent
leurs préceptes sont contradictoires. Or les préceptes
2137
HELVETIUS
2138
de l'Église n'ont d'autre but que d'assurer son pouvoir
« par la stupide crédulité des peuples », sect. i, c. ix.
Helvétius expose ses théories religieuses dans les
sections i, iv, vu, ix principalement. Les religions
existantes sont toutes nuisibles : « Le mal qu'elles font
est réel et le bien imaginaire. » Quel bien feraient-elles :
a Ce n'est ni de la vérité d'une révélation, ni de la
pureté d'un culte, mais uniquement de l'absurdité ou
de la sagesse des lois que dépendent les vices et les
vertus d'un citoyen, » sect. i, c. iv et note /. D'ailleurs
« presque toute religion défend aux hommes l'usage de
leur raison, les rend brutes, malheureux et cruels »,
sect. vu, note 18. C'est un effet nécessaire de ce que
« l'intérêt du corps sacerdotal est partout isolé et dis-
tinct de l'intérêt public ». Ibid. Des religions positives
les moins nuisibles furent la païenne ; « la plus absurde,
si l'on veut, mais sans dogmes, par conséquent tolé-
rante; ... elle n'exigeait point un grand nombre de
prêtres et n'était point nécessairement à charge à
l'État, » enfin elle n'étouffait pas les passions, source
d'énergie, sect. i, c. xv; et aussi la religion des Scan-
dinaves « dont la Réputation était le dieu », ce qui
était également source d'énergie. Des religions chré-
tiennes la forme inférieure est le catholicisme qu'il
appelle le papisme. Les pays luthériens ou calvinistes
sont plus riches et plus puissants que les pays catho-
liques, sect. i, note 32. « Le plus sûr moyen d'affaiblir
l'Angleterre et la Hollande serait d'y établir la reli-
gion catholique. » Ibid., note 35. Le papisme n'a rien
« de cette religion douce et tolérante établie par
Jésus-Christ », sect. ix, c. xxx. Il ne peut se réclamer
d'un droit divin : il est « d'institution humaine » :
l'Église romaine a fait de lui « l'instrument de son
avarice et de sa grandeur », sect. i, c. xii; « une pure
idolâtrie »; les saints sont des fétiches : « La France
a dans saint Denis son fétiche national, dans sainte
Geneviève une fétiche de sa capitale. » Ibid., note 29.
Helvétius lui reproche surtout « l'ascétisme de sa
morale : il fausse le jugement sur la vie et condamne
les passions; il tue ainsi l'action ». « La vie n'est qu'un
passage, le ciel est la vraie patrie de l'homme : de tels
discours attiédissent en lui l'amour de la parenté, de
la gloire, du bien public et de la patrie, » c. ix. « Que
trouver chez un peuple sans désir ? des commerçants,
des capitaines, des hommes de lettres, des ministres
habiles ? Non, mais des moines, » c. xv. Ce que le
catholicisme coûte à l'État, c. xiv, et l'ignorance où
il tient les peuples, sont « le principe le plus fécond
en calamités publiques, » car « c'est de la perfection
des lois que dépendent les vertus des citoyens et des
progrès de la raison que dépend la perfection des lois.
Toute religion qui honore la pauvreté d'esprit est
dangereuse. La pieuse stupidité des papistes ne les
rend pas meilleurs », sect. vu, c. m. On trouve dans
le catholicisme l'intérêt, c'est-à-dire l'amour des
richesses et l'ami ilion du pouvoir qui est l'unique
ressort de son action et qui lui a fait commettre tant
de crimes. « Point de ruses, de mensonges, de prestiges,
d'abus de confiance, enfin de moyens vils et bas que
les prêtres n'aient employés pour s'enrichir, » sect. i,
note 30. « Partout le clergé fut ambitieux et dut l'être...
Il veut une auto rite suprême; mais il ne peut s'en revêtir
qu'en dépouillant les légitimes possesseurs, les princes
et les magistrats, » sect. ix, c. xxv. Helvétius revient
souvent sur cette accusation : ouvrant une tactique
chère aux philosophes, en attaquant l'autel, il feint de
défendre le trône, l'État et le parlement. Les papes
ont tout fait « pour accréditer l'opinion de la préémi-
nence de l'autorité spirituelle sur la temporelle. »
Ibid. Ils n'ont même pas reculé devant le régicide:
au reste « toute religion intolérante est essentiellement
régicide ». Ibid. Pour rt'ialser ses rêves d'universelle
domination, l'Église se donne comme la dépositaire
infaillible d'oracles divins et « par ce moyen se soumit
les peuples et fit trembler les rois », c. xxvi. Enfin
« le prêtre est toujours l'ennemi du magistrat »,
sect. vm, c. il. « Lors de la destruction projetée des
parlements en France, quelle joie indécente les prêtres
de Paris ne firent-ils point éclater? » Ibid., note a.
Helvétius consacre à l'intolérance religieuse les c. xvm-
xxi et les notes 61-77 de la section iv, mais il y
revient un peu partout. L'intolérance religieuse lui
paraît absurde : « Quoi 1 des gens honnêtes se persé-
cutent parce qu'ils portent les noms divers de luthé-
riens, de calvinistes, de catholiques », c. xvm; anti-
chrétienne : Jésus l'a condamnée chez les pharisiens;
contraire à un droit fondamental : « Nul n'a droit
sur l'air que je respire, ni sur la plus noble fonction
de mon esprit, sur celle de juger par moi-même. » Ibid.
Malgré cela, comme « l'intolérance est le fondement
de leur grandeur », les prêtres papistes n'acceptent ni
la science, ni le libre examen : « Ils se sont élevés
contre Galilée; ils ont proscrit dans Bayle la saine lo-
gique, dans Descartes l'unique méthode d'apprendre... ;
ils ont jadis accusé tous les grands hommes de magie;
maintenant que la magie a passé de mode, ils accusent
d'athéismeet de matérialisme », c.xx. Leur intolérance
n'a jamais reculé devant le sang : on connaît les crimes
de l'Inquisition, le massacre des vaudois : « le; neiges
des Alpes étaient teintes de sang, c'est ainsi que la
douce religion catholique, ses doux ministres et ses
doux saints ont toujours traité les hommes, » sect. iv,
note 6. Et ces vices lui sont inhérents. Elle sera tou-
jours « une religion destructrice du bonheur natio-
nal », une religion « de discorde et de sang... régicide;
sa grandeur fondée sur l'intolérance » doit toujours
« appauvrir les peuples, avilir les magistrats..., jamais
l'intérêt du sacerdoce ne pourra se confondre avec
l'intérêt public », sect. ix, c. xxx. Comment l'empêcher
de nuire ? Helvétius propose des^mesures particulières :
enlever à l'Église les richesses « que le clergé a usur-
pées sur les pauvres et sur lesquelles la puissance tem-
porelle a la charge de veiller », sect. i, c. xiv, note a.
Comme solution générale, il indique, en passant, mais
formellement, la séparation de l'Église et de l'État :
« En Pensylvanie, point de religion établie par le gou-
vernement; chacun y adopte celle qu'il veut. Le prêtre
ne coûte rien à l'État; c'est aux habitants a s'en four-
nir, selon leur besoin, à se cotiser à cet effet. Le prêtre
y est, comme le négociant, entretenu aux dépens du
consommateur. Qui n'a point de prêtre et ne consomme
point de cette denrée ne paye l'on. La Pensylvanie est
un modèle dont il serait à propos de tirer copie, »
sect. i, note 37. Cf. Mathiez, Les philosophes et la sépa-
ration, dans la Revue historique, janvier 1910. C'est une
solution du même ordre qu'il propose, sect. ix, c. xxxi :
« enlever au catholicisme son caractère de religion
d'État, de religion exclusive et établir la liberté des
cultes. La multiplicité des religions dans un empire
affermit le trône. Des sectes ne peuvent être conte-
nues que par d'autres sectes... La tolérance soumet
le prêtre au prince, » sect. i, c. xivet note 44; sect. ix,
c. xxxi. Mais il a pour idéal une solution plus radi-
cale. Comme il est impossible « de faire concourir les
puissances spirituelle et temporelle au même objet,
c'est-à-dire au bien public », il faut les concentrer dons
les mêmes mains; le pouvoir temporel maitre de la
puissance spirituelle, les prêtres simples officiers de
morale et ces fonctions aux mains des magistrats, cette
solution seule peut assurer le bonheur public. Ibid.
11 rêve « la religion universelle », couronnement de la
morale universelle fondée sur la vraie nature de
l'homme, créée comme cette morale par le pouvoir
législatif : « C'est uniquement du corps législatif que
l'on peut attendre une religion bienfaisante et qui
n'aurait que la félicité des peuples pour objet, » sect. i,
•2139
HELVETIUS
2140
c. xv. Son unique dogme serait : « La volonté d'un Dieu
juste et bon, c'est que les fils de la terre soient heu-
reux et jouissent de tous les plaisirs compatibles avec
le bien public, » et son unique précepte, que le citoyen
« cultivant sa raison parvienne à la connaissance de
ses devoirs envers la société... et de la meilleure légis-
lation possible ». Ibid., c. xm. L'on pourrait alors divi-
niser le bien public, c. xv, ou la Renommée qui por-
terait puissamment au bien public. Ibid. Un progrès
moral serait même réalisé si les peuples s'en tenaient
au déisme, à la condition toutefois que le magistral
veille à ce qu'il ne dégénère pas en superstition. Ibid.
Helvétius parle cette fois des jésuites; il leur consacre
plusieurs chapitres, sect. vu, c. v, x, xi, et il conclut,
c. xi : « ... Les jésuites ont été un des plus cruels
fléaux des nations, mais sans eux, l'on n'eût jamais
parfaitement connu ce que peut sur les hommes un
corps de lois dirigées au même but. »
L'Homme a les mêmes défauts que V Esprit; ce sont
les mêmes paradoxes, les mêmes erreurs fondamentales,
à côté de vérités de détail, la même érudition superfi-
cielle, la même inintelligence du fait religieux, la même
interprétation malveillante de toute l'histoire ecclé-
siastique d'ailleurs travestie, la même volonté de
rabaisser la nature humaine; mais avec une véritable
brutalité. Ce livre fut mis à l'Index, par décret du
28 août 1774, et il fut condamné en Espagne l'année
suivante. Voir H. Reusch, Der Index, t. n, p. 209.
Il n'entraîna pas cependant la même polémique que
l'Esprit; en 1776, parut cette réfutation : Les argu-
ments de la raison en faveur de la philosophie, de la reli-
gion et du sacerdoce ou examen de l'Homme, a" Helvé-
tius. par l'abbé Pichon, Londres et Paris, in-12. Au t. n
des Œuvres de Diderot, édit. Garnier, 1875, se trouve
une Réfutation suivie de l'ouvrage d' Helvétius, intitulé
de l'Homme. Les philosophes ne lui ménagèrent pas
leurs critiques, mais il grandit encore la gloire d'Hel-
vétius. On donna de l'Homme plusieurs éditions fran-
çaises successives; deux à Londres et La Haye, 1773 et
1776; une à Amsterdam, 1774; une à Paris, 1776 ;
deux traductions allemandes, l'une par H. August
Otto Reichard, Gotha, 1773, l'autre anonyme, Rreslau,
1774, et une traduction anglaise par William Houper,
Londres, 1777. Une nouvelle traduction allemande a
paru en 1877 : Von Menschen, mit Einleitung und
Commenlar, par G. A. Linden, Vienne
On a encore d'Helvétius deux Lettres à Lefebvre-
Laroche, l'une sur la constitution d' Angleterre, l'autre
sur l'instruction du peuple, Œuvres complètes, édit.
Didot, 1795, t. xiv, p. 77 et 97; des Pensées et réflexions,
ibid., p. 113-200, du même esprit que l'Homme. On a
publié comme « ouvrages posthumes de M. Helvétius »
plusieurs écrits apocryphes : Les progrès de la raison
dans la recherche du vrai, in-8°, Londres, 1773; Le vrai
sens du système de la nature, in-8°, Londres, 1774, etc.
Helvétius mourut à Paris, le 26 décembre 1771,
après avoir, semble-t-il, refusé les secours de la religion.
Il fut inhumé le 27 à Saint-Roch. Il faisait partie de
la célèbre loge des Neuf sœurs. Il n'était pas de l'Aca-
démie française : elle lui avait préféré, en 1743,
Bignon, secrétaire du roi, et en 1754, le comte de
Clermont, cf. Houssaye, Histoire du 41" fauteuil,
Paris, 1861, mais depuis 1764 il était de l'Académie
de Berlin. Sa bonté naturelle permit au parti philoso-
phique de créer la légende du « bon Helvétius ». Cf.
Helvétius à Voré, fait historique en un acte et en prose,
représenté pour la première fois à Paris sur le théâtre
des Amis des arts... le 19 messidor, sans nom d'auteur,
mais qui est de Ladoucette, Paris, thermidor an II;
Trait d'Helvétius, comédie en un acte, an IV; Helvé-
tius ou vengeance du sage, comédie d'Andrieux, an IX.
Il laissait ses manuscrits à Lefebvre-Laroche.
Déjà ses Œuvres complètes avaient été publiées à
Liège, 4 in-8°, 1774; à Londres, 4 in-8° et 2 in-4°, 1777;
à Londres également, 5 in-8° et 2 in-4°, 1781 ; à Deux-
Ponts, 7 in-12, 1784, lorsque Laroche publia son
édition «d'après les manuscrits » de l'auteur, 4in-18,
Paris, Didot. 1795. Une nouvelle édition fut encore
donnée en 1818, 3 in-8°, Paris. Des lettres inédites
d'Helvétius ont été publiées dans le Carnet historique
et littéraire des 15 novembre et 15 décembre 1900.
Les plus belles pages de ses œuvres ont été publiées
par A. Keim sous ce titre : Helvétius. De l'Esprit, de
l'Homme. Notes, maximes et pensées. Le bonheur.
Lettres, édition du Mercure de France, in-12, Paris, 1909,
La vosue d'Helvétius se prolongea pendant la
Révolution. Sa femme ne fut pas inquiétée, même
pendant la Terreur; et ses deux filles furent procla-
mées « filles de la Nation». Un arrêté du Conseil général
de la commune de Paris donna son nom à la rue
Sainte-Anne, le 21 septembre 1792. Son buste figura
au club des Jacobins du 4 mars 1792 au 5 décembre
de l'an I de la République. A l'exception de Marat
et de Robespierre, admirateurs de Rousseau, les
hommes de la Révolution apparaissent hantés, comme
lui, de l'idée que le principe de tous les maux et de tous
les vices est dans la mauvaise organisation du gouver-
nement ou de la société et que, pour être heureux et
bons, les hommes n'ont que des lois à renverser et à
créer. Il fut un philosophe médiocre, mais « dans la
formation de l'esprit de nos démocraties autoritaires,
ni Voltaire, ni Rousseau, ni Montesquieu, ni Diderot
n'ont exercé d'influence comparable à celle d'Helvé-
tius ». Brunetière, Sur les chemins de la croyance, 1905,
p. 79. Voir également sur la valeur et l'influence d'Hel-
vétius, Histoire de la littérature française classique,
t. ni, Le .XVIIIe siècle, du même auteur, p. 388-389.
Il fut un des maîtres des Idéologues et la Décade le
loue à l'égal de Voltaire, de Montesquieu, de Bu lion
et de Diderot. Cf. Picavet, Les idéologues, in-8°, Paris,
1891. Toutes les mesures religieuses de la Révolution,
depuis la confiscation des biens ecclésiastiques jusqu'à
la séparation de l'Église et de l'État, et toutes les
raisons par lesquelles la Révolution a prétendu justi-
fier ces mesures, sa conception du prêtre officier de
morale, ses religions laïques, se trouvent dans Helvé-
tius, comme aussi du reste plusieurs des préjugés
actuels contre l'Église, sinon tous.
Sa conception de la morale a fait d'Helvétius un des
maîtres de la morale utilitaire : Bentham relève de lui,
et le loue en ces termes : « Ce que Bacou fut pour le
monde physique, Helvétius le fut pour le monde
moral », cf. L. Carrau, La morale utilitaire, Paris, 1875,
et L. Halévy, La formation du radicalisme philoso-
phique. I. La jeunesse de Bentham, II. L'évolution de la
doctrine utilitaire, 1789-1815, Paris, 1900 ; d'ailleurs, on
sait quelle fortune ces idées qu'il proclame, « que les
faits moraux ne sont que des faits sociaux » et « que la
morale devrait être traitée comme une physique expé-
rimentale», ont ereànotre époque. Il faut signaler aussi
l'influence sur Beccaria de sa théorie sur la toute-
puissance d'un système bien ordonné de récompenses
et de châtiments : Beccaria fut comme Bentham le
disciple direct d'Helvétius ; et de sa théorie de l'amour
de soi, sur Nietzsche. Cf. E. Seillière, Apollon ou Dio-
nysos, étude critique sur F. Nietzsche et l'utilitarisme
impérialiste, Paris, 1905.
Archives du château de Voré, Documents et correspon-
dance ; Saint-Lambert, Essai sur la vie et les ouvrages de
M. Helvétius, publié pour la première fois sans nom d'auteur
dans la première édition du poème Le bonheur et qui a servi
d'introduction à presque toutes les éditions des Œuvres
complètes; Chastellux, Éloge de M. Helvétius, 28 p., s. 1. n. d.
(1772); Mémoires de l'abbé Morellet, deMarmontel; Journal
de Collé, de Barbier ; Grimm, Correspondance, Garnier,1877,
t. ix et x; Voltaire, Diderot, Condorcet, Turgot, d'Alem-
2141
HELVÉT1US
HELVIDIUS
2142
toert, etc., Correspondance; lord Broughan, Voltaire et
Rousseau, ouvrage accompagné de lettres inédites de Vol-
taire, Helvétius, Hunu, etc., Paris, 1845; Garât, Mémoires
historiques sur le A VIII' siècle et sur Suard, in-8°, Paris, 1821 ;
Dictionnaire philosophique, art. Esprit, Homme; Palissot,
Mémoires sur la littérature, art. Helvétius, t. i, Paris, an XI-
1803; Lemontey, Notice sur Cl.- A. Helvétius, dans la
Revue encyclopédique, 56e cahier, t. xiv, août 1823; Dami-
ron, Mémoire sur Helvétius, lu dans les séances des 6, 13, 20
et 27 novembre 1852 de l'Académie des Sciences morales et
politiques, 2e série, t. ix; Biographie universelle de Michaud,
art. Helvétius par Saint-Sarin, presque toujours exact;
A. Keim, Helvétius, sa oie et son œuvre, in-8°, Paris, 1907,
et tous les historiens de la littérature ou de la philosophie
au xvnie siècle, Bersot, Barni, Cousin, Caro, etc.
C. Constantin.
HELVIDIUS. Vers la fin du pontificat de saint
Damase (366-384), parut à Rome un libelle injurieux
pour la foi chrétienne, qui ne laissa pas de provoquer
■quelque scandale et quelque émoi parmi les fidèles.
Ce libelle avait pour auteur Helvidius, homme assez
rustre, sans grande culture et d'intelligence bornée.
Fut-il, comme le déclare Gennade, De script, eccl.,
32, P. L., t. lviii, col. 1077, un disciple d'Auxence,
l'évêque arien de Milan, et l'imitateur du sénateur
Symmaque, le champion du paganisme expirant ?
On ne sait d'où Gennade a tiré ce double renseigne-
ment, totalement inconnu à saint Jérôme, à saint
Ambroise et à saint Augustin, qui ont condamné les
erreurs d'Helvidius. Celui-ci eut-il des disciples ? Le
fait est que saint Augustin range les helvidiens parmi
les hérétiques. User., 84, P. L., t. xlii, col. 46.
Sur quelques textes de l'Évangile "mal compris et
interprétés dans un sens contraire à la tradition chré-
tienne, et à l'aide de certains passages empruntés à
Tertullien et à Victorin de Pettau, Helvidius soute-
nait dans son libelle que la Vierge Marie, après l'en-
fantement surnaturel du Sauveur, avait eu de Joseph,
son époux, plusieurs enfants, ceux que les évangélistes
désignent sous le nom de sœurs et de frères du Seigneur;
il affirmait encore que l'état de virginité ne l'emporte
nullement sur celui du mariage.
De telles nouveautés, à une époque où moines et
vierges se multipliaient avec l'approbation de l'Église,
parurent odieuses et fausses. Sollicité d'y répondre
par les chrétiens de Rome, saint Jérôme avait hésité
quelque temps, non qu'il fût difficile, dit-il, de faire
triompher la vérité sur un adversaire aussi médiocre
qu'Helvidius, mais de peur d'élever son contradicteur
par une réfutation à l'honneur d'une défaite. Devant
le scandale et le trouble causés, il se résigna finale-
ment à porter la cognée aux racines de cet arbre
infructueux pour réduire au silence celui qui n'avait
jamais appris à parler; de là son traité De perpétua
virginitate beatss Mariée advcrsus Helvidium. P. L.,
t. xxm, col. 183-206.
Sur le terrain patristique, Helvidius n'avait trouvé
•en sa faveur que Tertullien et Victorin de Pettau.
Tertullien, il est vrai, s'était prononcé contre la vir-
ginité de Marie in partu et post parium; saint Jérôme
se garde bien de le nier, mais il écarte résolument son
témoignage comme celui d'un homme qui n'appar-
tenait pas à l'Église. Quant à Victorin, saint Jérôme
se contente de faire remarquer qu'il a parlé dans le
même sens que les évangélistes des frères du Seigneur
sans jamais dire qu'ils fussent les fils de la sainte
Vierge. Et sans insister autrement il se contente
d'ajouter : Numquid non possem tibi lolam velerum
scriptorum seriem commovere : Ignalium, Polycarpum,
Irenœum, Justinum martyrem, multosque alios aposto-
licos et éloquentes viros, qui adversus Ebioncm, et
Theodo'.um Byzantium, Valentinum, hœc eadem sen-
lientes, plena sapicnlise volumina conscripserunt ? Quœ
si legisses aliquando, plus saperes. De perp. virginitate,
19.
C'est surtout sur le terrain scripturaire que saint
Jérôme insiste, suivant pas à pas Helvidius et lui
montrant, non parfois sans quelque ironie, combien il
avait mal entendu et interprété les textes évangé-
liques.
Helvidius alléguait d'abord ces deux textes : ante-
quam convenirenl et non cognoscebat eam donec pepcrit
filium suum primogenitum, Matth., i, 18, 25, pour eu
conclure, comme ils semblent le laisser entendre, que
Joseph connut Marie après l'enfantement de Jésus.
Imperitiœ arguant, an lemerilatis accusent, demande
saint Jérôme ? Pas plus antequam que donec ne permet
de conclure à des relations conjugales subséquentes
entre Joseph et Marie; c'est là une manière de s'expri-
mer fréquente dans l'Écriture, et saint Jérôme en
rapporte plusieurs exemples, qui équivaut ici à la
négation même de tout rapport conjugal dans la suite.
De ce que saint Matthieu et saint Luc qualifient
l'enfant Jésus de primogenitus, premier-né, Helvidius,
dit saint Jérôme, nililur approbare primogenitum
non posse dici, nisi eum qui habeal et jralres; sicul
unigenitus ille vocatur qui parenlibus solus sit fdius.
De perp. virginitate, 10. Il en est bien ainsi dans le
langage ordinaire, un premier-né suppose d'autres
enfants; mais tel n'est pas le cas dans le texte sacré.
Ici, primogenitus a un sens purement légal, qui
s'applique au premier enfant mâle né de la femme,
même quand cet enfant est seul, comme c'était le
cas pour Jean-Baptiste et pour Jésus; la naissance
d'un tel enfant mâle imposait aux parents l'obligation
de le présenter au Seigneur et de le racheter. Dans ce
sens, observe saint Jérôme, De perp. virginitate, 12,
tout fils, même unique, est primogenitus, et par là même
soumis à la loi de la présentation et du rachat aussitôt
après sa naissance. Et s'il fallait entendre, comme le
prétend Helvidius, ce terme de primogenitus d'un
premier-né qui a des frères, l'obligation de la présen-
tation et du rachat ne s'imposerait à lui qu'à la nais-
sance d'un second fils, chose manifestement contraire
au texte même de la loi.
Reste la question des sœurs et des frères du Seigneur;
dans quel sens l'entendre ? Dans l'Écriture, on donne
ce nom de frères à ceux qui sont unis par les liens de la
nature, ou de la parenté, ou de la nationalité, ou de
l'affection. Selon la nature, il ne convient qu'à ceux
qui sont nés du même père et de la même mère, et
tel était le cas pour Pierre et André, pour Jacques et
Jean; selon la parenté, il vise ceux qui sont nés d'un
même père, mais non d'une même mère, ou récipro-
quement, que nous appelons des demi-frères, et tel
eût été le cas, si saint Joseph avait eu des enfants d'une
première femme, hypothèse parfois émise, mais qui
n'est pas celle de spint Jérôme ici; ou bien encore ceux
qui sont nés de proches parents, comme ceux que
nous appelons des cousins germains; ou enfin ceux
qui appartiennent à une même famille, comme Abraham
et Lot, Laban et Jacob, qui sont parfois appelés
frères dans l'Écriture, bien qu'en réalité ils fussent
oncle et neveu; selon la nationalité, tous les juifs
sont frères; et selon l'affection spirituelle, tous les
chrétiens sont frères. Quant à ceux que les évangé-
listes nomment les frères du Seigneur, ce terme ne
doit s'entendre ni de la nationalité, ni de l'affection,
mais de la nature ou de la parenté. Or, il faut écarter
la fraternité selon la nature, parce que nulle part
dans l'Évangile les frères du Seigneur ne sont dits fils
de Joseph et de la Vierge Marie; reste donc que Jacques,
Joseph, Simon et Jude, en réalité fils d'une sœur de
la sainte Vierge, qui s'appelait Marie comme elle, et
qui n'est autre que celle qui est désignée sous le nom
de Marie de Cléophas ou Marie d'Alphée, étaient les
cousins germains de Jésus. Mais, en divergence
avec cette solution de saint Jérôme, Hégésippe avait
2143
HELVIDIUS — HÉLYOT
2144
appris de la tradition palestinienne que Jacques et
Siméon étaient les fils de Cléophas, le frère de saint
Joseph. Eusèbe, H. E ., iv, 22, P. G., t. xx, col. 380.
Cf. Th. Zahn, Brùdcr und Vettern Jesu, dans For-
schungen zur Gcschichtc des neulest. Kanons, Leipzig,
1900, t. vi, p. 235-238. Voir Hégésippe, col. 2119.
Après avoir répondu ainsi à Helvidius sur la ques-
tion de la virginité de Marie, saint Jérôme réfuta son
erreur relative à la supériorité du mariage sur l'état
de virginité. Risimus in te proverbium : « Camtlum
vidimus saltitantcm. » C'est ainsi qu'il débute avant
d'interpréter le passage célèbre de saint Paul sur les
occupations de la femme mariée et de la vierge, I Ccr.,
vu, 34, l'une pensant aux choses du monde, aux
moyens de plaire à son mari, l'autre pensant surtout
aux choses de Dieu, aux moyens de plaire à Dieu. En
comparant la virginité avec le mariage, il conjure ses
lecteurs de ne pas croire qu'il veut relever les vierges
en rabaissant les personnes mariées ou qu'il entend
blâmer le mariage; nullement, mais comme saint
Paul, sans faire de la virginité un précepte, il a le
droit de la conseiller comme préférable au mariage; et
il termine par ces mots : « Nous venons de faire de la
rhétorique et nous avons un peu joué à la manière des
déclamateurs. C'est toi, Helvidius, qui nous y as
poussé en soutenant, malgré l'éclat de l'Évangile, que
la gloire était la même pour les vierges et les femmes
mariées. Et comme je suppose que, vaincu par la
vérité, tu vas calomnier ma vie et me maudire, je te
préviens- que tes injures me seront un honneur, puisque
tu me déchireras de cette même bouche qui a calomnié
Marie et que les aboiements de la même faconde
confondront le serviteur de Dieu avec sa Mère. » De
perp. virginilale, 24.
11 est à croire qu'Helvidius ne répondit rien à cette
exécution. Aurait-il été du nombre de ceux qui plus
tard, à la suite des deux livres Adversus Jovinianum,
accusèrent saint Jérôme de condamner le mariage ?
Ceux-ci, au dire de saint Jérôme, EpisL, xlviii, 12,
ad Pammachium, étaient des hommes diserts et versés
dans les études, ce qui semble bien exclure Helvidius;
et lorsque, dans cette même lettre. EpisL, xlviii, 18,
P. L., t. xxn, col. 508, de dix ans postérieure au De
perpétua virginilale, pan.ît le nom d'Helvicius, rien
ne permet de croire qu'il soit actuellement visé. « Quand
vivait Damase de sainte mémoire, nous avons écrit
contre Helvidius sur la perpétuelle virginité de la
bienheureuse Marie, et nous avons été dans l'obli-
gation, pour relever le bonheur de la virginité, d'expo-
ser avec une certaine étendue les ennuis du mariage.
Est-ce que cet homme éminent, si versé dans les
Écritures, docteur vierge d'une Église vierge, trouva
rien à reprendre dans ce discours ? Dans le livre à
Eustochium, EpisL, xxn, nous avons dit des choses
encore plus dures sur le mariage, et personne qui
s'en soit fâché. » Les attaques nouvelles ne venaient
donc pas d'Helvidius; peut-être était-il mort à cette
époque; mais elles provenaient d'un parti hostile à
saint Jérôme et qui n'était pas sans partager les
erreurs d'Helvidius.
S. Jérôme, De perpétua virginilale B. Marite adversus
Ilelvidium, P. L., t. xxm, col. 183-206; S. Augustin, Hier.,
84, P. L., t. xlii, col. 46; Gennade, De scriptoribus eccle-
siaslicis, 32, P. L., t. lviii, col. 1077; Tillemont, Mémoires
pour servir à l'histoire ecclésiastique des six premiers siècles,
Paris, 1693-1712, t. i, p. 71, 624; t. xn, p. 81-84; Ceillier,
Histoire générale des auteurs sacrés et ecclésiastiques, Paris,
1858-1863, t. vu, p. 595-597, 664; Otto Zôckler, Hieronymus,
1865, p. 94 sq.; W. Haller, Jovinianus, 1897, dans Texte und
Untersuchungen, nouv. série, t. Il, fasc. 2, p. 512 sq.; Grûtz-
macher, Hieronymus, t. i, p. 269-274; J. Niessen, Die
Mariologie des hl. Hieronymus, Munster, 1913; Kirchen-
lexikon,2° édit., t. v, col. 1757-1759; Dictionary o/ Christian
biography, t. n, p. 892; Realencyclopadie fiir proteslantische
Théologie und Kirrhe, t. vu, p. 654-655; U. Chevalier,
Répertoire, Bio-bibliographie, t. i, col. 2051.
G. BAREILLE.
HÉLYOT Pierre, en religion P. Hippolyte, fils de
Bénigne Hélyot et de Marguerite Musnier, naquit à
Paris en 1660. Sa famille, anglaise d'origine, s'était
transportée en France pour demeurer fidèle à la foi et
se distingua par sa piété. Un des grands-oncles de
Pierre, dom Ambroise Hélyot, mourut saintement chez
les chartreux de Paris en 1667. Il était neveu de Claude
Hélyot, conseiller à la cour des aides (t 30 janvier 1686)
dont on a des Œuvres spirituelles, in-8°, Paris, 1710;
une biographie de sa vertueuse femme, écrite par le
P. Crasset, S. J., La vie de Mme Hélyot, in-8°, Paris,
1683, a été plusieurs fois réimprimée. Un autre de ses
oncles, Jérôme Hélyot, chanoine de Paris, avait quitté
le monde pour aller achever sa vie chez les religieux
pénitents du tiers-ordre de Saint-François de la congré-
gation de France, dits de Picpus, du nom de leur
monastère de Paris, dont il fut un bienfaiteur (t 1687).
On peut croire que c'est lui qui attira son neveu dans
cette congrégation; il en revêtait l'habit le 1er août
1683, sous le nom de frère Hippolyte. Ses vertus et son
mérite lui concilièrent bien vite l'affection et l'estime
de ses confrères et de ses supérieurs, qui par trois fois le
choisirent pour secrétaire de la province de France et
de Lorraine. Élu définiteur au chapitre de 1710, il ne
lui manqua qu'une voix pour être nommé provincial.
Ses qualités étaient si bien connues et si totalement
appréciées que son supérieur général le déléguait en
1714 pour présider le chapitre de la pro\ince de Lyon.
Il avait, en effet, été par deux fois envoyé à Rome,
pour les affaires de sa congrégation et il profita de ce
voyage, ainsi que des autres qu'il avait occasion de
faire en accompagnant le provincial dans ses visites,
pour recueillir des informations qui devaient lui servir
pour le grand ouvrage qui a rendu son nom impéris-
sable. Auparavant le P. Hélyot avait débuté comme
écrivain par un petit volume, dont on veut que l'idée
lui soit venue pendant une maladie qui le conduisit
aux portes du tombeau : Idée d'un chrétien mourant,
et maximes pour le conduire à une heureuse fin, conte-
nant des instructions pour bien mourir et exhorter les
malades à la mort, in-8°, Paris, 1695. Le Journal des
sçavans du dernier de juin 1708, t. xl, p. 578-590,
publiait une Dissertation du P. Hippolyte Hélyot sur le
bréviaire du cardinal Quignonez, dans laquelle il démon-
trait que le texte primitif avait été interpolé, en parti-
culier pour l'office de l'Immaculée Conception, où l'on
avait inséré des passages faussement attribués à saint
Dominique et à saint Thomas. Au mois de mars 1711,
p. 355, le même journal rendait compte d'une Lettre
du P. Hippolyte Hélyot, sur la nouvelle édition de l'His-
toire des ordres religieux de M. Hermant, curé de Mallot
en Normandie, in-4°, Paris, 1710. La première édition
de l'ouvrage du curé de Maltot avait paru en 1697, sui-
vant de près celle de Schoonebeck, Amsterdam, 1695.
mais elles étaient toutes les deux si incomplètes et
souvent si inexactes que le P. Hélyot avait conçu
le projet de traiter le même sujet avec plus d'ampleur
et d'exactitude. Dans sa Lettre de 1710 il promettait
un ouvrage in-folio; « il est tout prêt à imprimer, ajou-
tait-il, et il ne tient qu'aux libraires, » il priait aussi
ceux qui avaient « dans leurs cabinets d'anciens habil-
lemens de religieux, de lui en envoyer un dessin ».
Coignard, imprimeur et libraire du roi, se chargea de
la publication et la mena rapidement; elle portait pour
titre : Histoire des ordres monastiques, religieux et mili-
taires, et des congrégations séculières de l'un et de l'autre
sexe, qui ont esté establies jusqu'à présent, les événements
hs plus considérables qui y sont arrivés, la décadence des
uns et leur suppression, l'agrandissement des autres
par le moïen des différentes réformes qui y ont esté inlro-
214;
HELYOT
HÊMM
•146
duites; les vies de leurs fondateurs, avec des figures qui
représentent tous les différents habillements de ces ordres
et de ces congrégations, 8 in-4°. Paris, 1714-1719.
L'auteur n'eut pas la satisfaction de voir la fin de l'im-
pression de ce grand travail, car il rendit son âme à
Dieu, au couvent de Picpus, le 5 janvier 171G, âgé seu-
lement de cinquante-six ans. Le Journal des sçavans,
en annonçant cette mort, assurait que la publication
de l'ouvrage n'en souffrirait aucun dommage, car
l'auteur avait laissé les quatre derniers volumes « écrits
de sa main ». Ce n'est donc pas, comme on l'a dit et re-
dit, le P. Maximilien Bullot qui acheva le travail : tout
au plus fut-il chargé de surveiller l'édition par son pro-
vincial, le P. Louis. On trouve des exemplaires de
l'Histoire portant la date de 1721 ; faut-il y voir une
réédition ou une supercherie? L'abbé Badiche penche
pour cette seconde opinion. Une véritable réédition,
également en 8 in-4°, parut à Paris en 1792. Avec des
modifications peu heureuses l'ouvrage a été réimprimé
sous le titre d'Histoire complète et costumes de tous les
ordres monastiques religieux et militaires, et des congré-
gations de l'un et l'autre sexe, par le R. P. Hélyot, avec
une notice sur ce savant, des annotations et un complé-
ment fort étendu par V. Philippon de La Madelaine,
ouvrage contenant plus de 6<>o portraits en pied dessinés
par A. Henrg, 8 in-4°, Paris, 1838. L'abbé Marie-
Léandre Badiche, du clergé de Paris, refondit l'ouvrage
du P. Hélyot, disposant les notices par ordre alpha-
bétique et les complétant par d'autres articles, pour
lui donner place dans V Encyclopédie théologique de
l'abbé Migne (Pe série, t. xx-xxnr), Paris, 1847-1859.
Le ive volume, renfermant des notices sur les congré-
gations modernes, n'est pas l'œuvre de l'abbé Badiche.
De mauvaises planches, placées à la fin de chaque
tome, remplacent bien imparfaitement les belles gra-
vures de l'édition originale et une bonne réédition
continuée et augmentée du travail d'Hélyot eût été
bien préférable à ce Dictionnaire des ordres religieux.
Une traduction italienne. Storia degli ordini monaslici.
religiosi e militari..., due au P. Joseph-François Fon-
tana de Milan, clerc régulier de la Mère-de-Dieu, 8 in-4°,
parut à Lucques, 1737, sans les gravures, que l'édi-
teur trouvait trop coûteuses et déclarait tout bonne-
ment inutiles, vu la description exacte de chaque cos-
tume. Il en existe aussi une traduction allemande :
P. Hippolyt Helyols ausfuhrliche Geschichle aller geist-
lichcn und welllichen KIoster und Rilterorden fur
beiderlei Geschlecht, 8 in-4°, Leipzig, 1753. L'ouvrage
du P. Hélyot fait en partie le fond d'une Histoire du
clergé séculier, des congrégations des chanoines et des
clercs et des ordres religieux de l'un et l'autre sexe, qui
ont été établis jusqu'à présent, avec des figures qui repré-
sentent les différents habillemends de ces ordres et congré-
gations. Nouvelle édition tirée du R. P. Bonanni, de
M. Ilerman, de Schoonebcck, etc., 4 in-8°, Amsterdam,
1716. Il a aussi été utilisé par tous ceux qui depuis
son époque se sont occupés de l'histoire des ordres reli-
gieux et de lours costumes, car, sans être sans défaut, il
est ce qui existe de plus complet sur ce sujet ; beaucoup
cependant se sont servis de lui sans le nommer, comme,
par exemple, Wietz et Bohmann, dans leur abrégé
historique des congrégations, publié en allemand à
Prague, 1821, et traduit en polonais, Rys historuczng
zgromadzcn zakonnych, 3 in-8°, Varsovie, 1848-1849,
par le P. Benjamin Szymanski, provincial des frères
mineurs capucins de Pologne (tl873, évêque de Polda-
chie). On a pu critiquer le P. Hélyot, on ne l'a pas
encore surpassé, ni même égalé.
Journal des savants, aux endroits cités, puis février et
mars 1715, p. 150 cl 213 ; septembre et octobre 1716, p. 322
et 375 ; juillet et août 1719, p. 73 et 160 ; Mémoires de
Trévoux, aux années 1715, 1716, 1719-1721 ; Moréri, Dic-
fonnaire historique ; Michaud, Biographie universelle ;
DIC-. DE THÉOL. CATH.
Badiche, loc. cit. ; Ilurtcr, Nomenclalor, Inspruck, 1910, t. iv,
col. 903-904. '
P. Édouaru d'Alençon.
HEMATITES. Parmi les hérétiques du ne siècle
qui tiraient leur nom des dogmes qu'ils professaient,
Clément d'Alexandrie signale les docètes et les héma-
tites, <.'>; ïj Tûv ?o-/.[T<3v xai aliiaitTûv. Strom., VII,
17, P. G., t. ix, col. 553. Quels étaient ces hématites,
dont ni saint Irénée, ni Tertullien, ni l'auteur des
Philosophoumena ne parlent, et dont saint Augustin,
qui a résumé les hérésiologies de saint Épiphane et de
saint Philastrius, ne parle pas davantage? Faut-il y
voir ces chrétiens téméraires qui se présentaient spon-
tanément aux juges et affrontaient la mort, oubliant
qu'en temps de persécution, le Sauveur a conseillé la
fuite pour ne pas se prêter à la perpétration d'un mal.
et que Clément d'Alexandrie a blâmés ? Strom.,
IV, 10, P. G., t. vm, col. 1285-1288. Cela n'est guère
probable. On en est réduit aux conjectures; et voici
celle que propose Le Nourry, De lib. Strom., diss. II,
c. xin, a. 3, P. G., t. ix, col. 1246. D'après Pline
Hisl. nal.. 16, 20, hœmalides est magnesi sanguine
coloris, sanguinemque reddens, si leretur, sed et crocum.
Les hématites ne seraient autres que certains gnosti-
ques visés par Clément d'Alexandrie, dans un passage
où il affirme que certains hommes, qui n'avaient de
chrétien que le nom, ojy rjuirepoi, ixôvou to3 ôvo'jxaTOç
xocv-ovoi, affrontaient la mort, par haine du démiurge,
pour avoir le titre de martyr, Strom., VI, 4, P. G.,
t. vm, col. 1229 ; mais il leur refuse tout droit à ce
titre, même s'ils étaient condamnés à mort par une
! sentence publique : to-jtou; iÇàyav éocuTOÙ? àiAOCptûptoç
XÉyoa sv, y.av Sr|<j.0Œi'a xoXâfojvxat. Ibid.
Clément d'Alexandrie, Strom., VII, 17, P. G., t. ix,
col. 553 ; Le Nourry, Dissertaliones de omnibus démentis
Alexandrini operibus, diss. II, c. xin, a. 3, P. G., t. ix,
col. 1246.
G. Bareille.
HEMELMAN Georges, théologien espagnol, né à
Malaga, admis au noviciat de la Compagnie de Jésus
en 1589. Il enseigna pendant de longues années avec
un remarquable succès la philosophie et la théologie,
et entreprit un immense commentaire de la Somme de
saint Thomas, qui l'occupa toute sa vie. Le Ier volume
seul put paraître • Dispulala theologica in /•"" partem
S. Thomœ, in-fol., Grenade, 1037. La plupart des ques-
tions traitées relèvent de la haute métaphysique, sui-
vant les tendances de l'esprit théologique qui régnait
alors en Espagne. La partie la plus intéressante ren-
ferme un traité fort substantiel, riche d'aperçus ori-
ginaux et profonds, sur la providence divine. Le
P. llemelman publia en outre les t. iv et v des Com-
menlarii in Summum théologie S Thomœ, du P. Jac-
ques Granado, 2 in-fol., Grenade, 1638, dont l'impres-
sion ne fut complètement achevée qu'après sa mort. Oi»
lui doit aussi la publication des Consilia scu opuscula
moralia du P. Th. Sanchez, ibid., 1634. Il mourut à
Grenade le 4 juin 1637, après avoir gouverné avec une
éminente sagesse les collèges de Grenade et de Séville,
puis la province d'Aragon, où il s'appliqua à faire
fleurir les études, spécialement les sciences sacrées.
Sommcrvogel, Bibliothèque de la C1" de Jésus, t. îv,
col. 263 sq.; Hurter, Nomenclator,3e édit., Inspruck, 1907.
t. ni, col. 655 sq.
P. Bernard.
HEMM Jean-Baptiste, bénédictin, mort le 14 sep
tembre 1719. Après avoir enseigné la philosophie à
l'université de Salzbourg, il fut, en 1694, élu abbé du
monastère de Saint-Emmeran de Batisbonne, ou il
avait fait profession. Il publia les ouvrages suivants:
De visione Dei, in-4°, Ratisbonne, 1676 ; De SS. Trini-
tate, in-12, Stadtamhof, 1677 ; De incarnatione, i:i-8°,
VI.
6S
IIEMM — HENNEBEL
2148
Stadtamhof, 1 78 : Mandas tripler corttroverstis, sive
dispulalio philosophica de triplici acceptione mundi
archelypi, microcosmi et macrocosmi, in-8°, Salzbourg,
16S1 : De scientia Dei, in-4°, Ratisbonnc, 1682; De
viliis ci peccalis, in-8°, Ratisbonne, 1683 ; De volunlate
Dei, in -12. -Stadtamhof, 1688.
[Dom François], Bibliothèque générale des écrivains de
l'ordre de saint Benoît, t. 1, p. 468; Hurter, Nomejiclaior,
Inspruck. 1912, t. îv, col. 646.
B. HEURTEBIZE.
HENAO Gabriel de), jésuite espagnol, né à Valla-
dolid le 20 juillet 1612, admis au noviciat le 4 juin 1626.
Professeur de grammaire et de belles-lettres à Bilbao,
de philosophie à Salamanque, il fut chargé ensuite de
l'enseignement de la théologie dogmatique et morale à
Oviédo et à Yalladolid. et ne tarda pas à être regardé
comme l'un des plus savants hommes de son temps.
Après s'être livré à des recherches philologiques et
historiques sur les origines de la littérature et de la civi-
lisation espagnoles, cf. Vinson, Essai d'une bibliogra-
phie basque, 1891, p. 80 ; Meuse!, Bibliulheca historica,
t. vi, p. 25 sq., il consacra le meilleur de son activité à
des études de théologie spéculative, positive, morale et
mystique qui, dans un même traité, embrassaient à la
fois tous les aspects du sujet. Son traité du ciel: Empg-
reologia seu philosophia ehristiana de empyreo cœlo,
2 in-fol., Lyon, 1552, rassemble ainsi toutes les données
de la raison et de la loi, toutes les considérations suggé-
rées par le symbolisme scriptnraire, par l'ascétisme ou
par le mysticisme des maîtres de la vie spirituelle. Le
traité de l'eucharistie : De eucharistiœ sacramento venc-
rabili alque sanctissimo tractalio scholaris diffusa et mo-
ralis concisior, in-fol., Lyon, 1655, est conçu sur le
même plan et relève de la même méthode, comme aussi
le traité du sacrifice de la messe : De missœ saeriflcio
divino alque Iremendo, 3 in-fol., Salamanque, 1658-
1661. C'est surtout dans les questions relatives aux
théories et aux controverses de la science moyenne que
le P. Henao a conquis très justement la réputation
d'un théologien de haute marque. Il débuta par une
étude historique sur les origines et le développement
de celte doctrine et sur les discussions soulevées à son
sujet : Scientia média historiée propugnata, seu ventil .-
brum repurgans veras a falsis novellis narralionibus
circa disputationes eeleberrimas, in-fol.. Lyon, 1655.
Une édition nouvelle enrichie d'une foule de développe-
ments, de notes et de textes, avec une série de Parerga
contenant la défense de la Compagnie de Jésus et des
doctrines de l'auteur, parut à Salamanque en 1685,
et fut reproduite dans l'édition deDillingen,1687,in-8°.
Cet ouvrage d'une immense érudition reste une des
sources les plus autorisées pour l'étude de cette ques-
tion si vivement et si longuement débat lue, et plus
compliquée encore que complexe. Il fut suivi d'un
exposé lucide et magistral de la doctrine elle-même :
Scii min média (heologice defensa, 2 in-fol., Lyon, 1674 :
le t. Ier contient les arguments qui militent en faveur
de la thèse et le t. n la réponse aux objections dirigées
par les adversaires contre cette théorie. Le P. Henao
eut comme théologien une influence considérable sur
son époque. De toutes parts il était consulté sur les
questions les plus diverses et par les hommes les plus
versés dans les sciences théologiques. « Si l'on eût
ramassé les réponses qu'il donna pur écrit, disent les
Mémoire! dt Trévoux, il y aurait de quoi former huit
ou neuf gros volumes », 1704, p. 1455 sq.
Vers la lin de sa vie, le P. Henao lui chargé de l'en-
■ i nement de l'Écriture sainte ■■< Salamanque et fut
recteur du collège de Médina dei Campo. 11 mourut
alamanque le 1 1 février 1704. Toute sa vie il l'ut un
anlcul défenseur <]u probabilisme et s'opposa de tout
son pou%oir aux tentatives du P. Thyrse Gonzalez,
son ancien collègue, pour imposer à la Compagnie de
Jésus les doctrines du probabiliorisme.
Sommervogel, Bibliothèque de la Cle de Jésus, t. iv,
col. 265-269 ; Hurter, Xomenrlator, 3e édit., Inspruck, t. iv,
col. 669 sq. ; Mémoires de Trévoux, 1704, p. 1455 sq. ; Meu-
se!, Bibliotheea historica, t. vi, p. 25 sq. ; Mémorial historieo-
espagnol, Madrid, 1862, t. xv, p. 337 sq. ; R. de Scorraille,
François Suarez, Paris, 1913, 1. 1, p. 193; t. n, p. 394.
P. Bernard.
HENNEBEL Jean-Uibert naquit, le 20 janvier
1652, au hameau de Bilande, près de Wavre, en Bra-
bant. Il fit ses humanités à Louvain, apparemment au
collège de la Sainte-Trinité, et son cours de philo-
sophie à la « pédagogie du Faucon ». En 1670, à la pro-
motion générale de la faculté des arts, il obtenait la
septième place. 11 fut alors admis, en qualité de bour-
sier, au collège de Bat/, ainsi appelé du nom de son fon-
dateur Jacques de Bay, neveu de Michel Baius. Il y
suivit les leçons publiques de théologie, dont les plus
remarquées à ce moment étaient celles de Nicolas du
Bois, sur l'Écriture sainte, et celles de Gérard van
Werm et de François van Yiane, sur la scolastique.
Le 13 octobre 1682, il était proclamé docteur en théo-
logie, en même temps que Barthélémy Pasmans, dont
on retrouve souvent le nom uni au sien dans les polé-
miques de cette époque D'abord lecteur ou vice-pré-
sident du collège de Bay, il passa, le 15 juillet 1684, à
la présidence du collège de Viglius. A cet emploi il
aurait pu, dit Paquot, « joindre quelque bénéfice ou
quelque chaire de théologie, s'il n'eût été attaché au
parti de ceux qui pensaient, sur la signature du formu-
laire, comme les évêques d'Angers, de Beauvais, de
Pamiers et d'Aleth. » Il s'agit, on l'a compris, du for-
mulaire d'Alexandre VII et des résistances jansénistes
auxquelles il se heurta. La controverse sur ces matières
battait alors son plein dans toute la Belgique, à Lou-
vain en particulier ; et Hennebel était un des hommes
les plus en vue parmi les adversaires de l'acceptation
pure et simple. Il fut désigné, en 1693, pour aller, au
nom de l'université, exposer au saint-père les diffi-
cultés et les dangers de la situation. Les circonstances
et les résultats de cette députation ont été présentés
et appréciés très différemment par les contemporains.
Nous savons du moins, de façon certaine, qu'arrivé
à Rome le 17 novembre et reçu en audience pnr le
pape le 26 du même mois, Hennebel, après avoir
rendu sommairement compte des dissensions et des
tiraillements dont le formulaire était l'occasion ou le
prétexte, demanda à Sa Sainteté la faveur d'être
entendu dans les Congrégations romaines avant que
celles-ci prissent une décision. Innocent XII y consen-
tit et tint parole. Le reste des négociations nous
. échappe en partie. Mais, après un séjour de huit ans à
Rome, le négociateur était loin d'avoir assuré l'apaise-
ment des esprits et aplani toutes les difficultés. On
constate seulement, à partir de son retour en Belgique,
que sa situation personnelle s'est quelque peu amélio-
rée. En 169 I. il avait sollicité de la cour de Bruxelles
l'emploi de censeur royal et apostolique des livres, avec
le canonicat de Saint-Pierre de Louvain, qui y était
annexé ; ce poste lui avait d'ailleurs été promis par
l'électeur de Bavière, gouverneur des Pays-Bas; et
pourtant il essuya un refus, motivé par la nature des
thèses qu'il avait défendues pour son doctorat et qui
avaient déplu en haut lieu. Réinstallé à Louvain à la
date >\u 15 janvier 1701, il se voyait octroyer peu de
temps après, au chapitre de Saint-Bavon de Gand,
une prébende canoniale, qu'il résigna du reste bientôt
en laveur d'un de ses proches. En 1708, il obtenait, a la
faculté de théologie, une chaire de docteur-régent,
c'est-à-dire de professeur, qu'il avait antérieurement
postulée deux lois sans succès. A cette occasion, il sous-
crivit, en novembre de cette année, à la bulle Vineam
2149
HENNEBEL
HENNEGUIER
2150
Domini. Le 30 avril 1709, il signa, comme doyen de la
môme faculté, une autre déclaration d'adhésion aux
doctrines romaines. Mais, on regrette dedevoii l'ajouter,
ces deux actes publics, parce que toujours enveloppés
de réserves et de réticences, se trahissant dans les pa-
roles et l'attitude subséquente de leur auteur, lais-
saient encore planer quelque soupçon sur la sincérité
de sa soumission. Ce n'est que plus tard qu'il repoussa
les erreurs jansénistes avec toute la franchise dési-
rable : la lettre adressée à l'université de Douai par
l'étroite faculté de théologie de Louvain, le 8 juillet
1715, était nette et absolue, elle fermait enfin la porte
à toute équivoque possible. Hennebel ne survécut
guère que cinq années à cet heureux événement. Il
mourut, le 30 août 1720, dans ce collège de Viglius
dont il avait gardé la présidence pendant trente-six
ans, et il fut inhumé dans l'église de Saint-Quentin.
En dépit des tendances doctrinales de la plus grande
partie de sa vie, c'était, au témoignage de tous ceux
qui l'approchèrent, un homme d'un caractère doux
et accommodant. Ce sont ces qualités, sans doute, qui
lui valurent d'être, en 1710, porté par les suffrages
de ses collègues à l'honneur du rectorat : c'est peut-
être aussi à elles qu'il dut d'être député à Rome par
l'université. Après qu'il se fut déclaré ouvertement et
absolument, en 1715, pour la bulle Unigcnitus, il
passa ses derniers jours dans une pieuse et studieuse
tranquillité et ne voulut plus rien avoir de commun
avec les non-acceptants.
On rattache communément au nom d'Hennebel,
comme rédigés par lui, soit seul, soit en collaboration
avec d'autres tenants du parti janséniste, un assez
grand nombre d'opuscules, dont plusieurs ont paru
sous le voile de l'anonymat. La plupart, pris un à un,
sont sans grande importance ; mais leur série nous pré-
sente, pour ainsi dire en action, une partie des vicissi-
tudes de l'existence et de la pensée d'Hennebel, et
tous ensemble peuvent servir très utilement à l'his-
toire du jansénisme dans les Pays-Bas. Voici les prin-
cipaux : 1° Notœ brèves ac modeslœ in propositions
XXXI S.Inquisitionis decrelo nuper proscripias, in-4°,
Louvain, 1G51. Ces Notas furent blâmées et prohibées
par l'archevêque Humbert de Precipiano, comme attri-
buant aux propositions flétries par le Saint-Office un
sens absolument fantaisiste et qui aurait fait de leur
condamnation un acte ridicule et illusoire. 2° Rcsponsio
ad articulos XLII quos eximii DD. Martinus Harney
et Mailinus Steyaert altestcmtur, authoribus Gummaro
Huijgens, aliisque, ut loquuntur, Mi adhserentibus et
confœdcralis, qua clam, qua palam serpere et circum-
ferri, tradi et inculcari apud scholse theologicw alumnos,
non sine ingenti periculo injectionis, in-4°, Louvain,
1091. Cet écrit sera aussi mentionné sous le nom de
Huygens, qui paraît y avoir eu une part prépondé-
rante. 3° Il en va de même de la Rejulalio Synopseos
opponendorum responsioni ad articulos XLJI Ex. De
Huygens et aliorum. 4° Apologia pro Jo. Liberlo Hen-
nebel, ab Acadcmia Lovaniensi ad S. Sedan deputalo,
adversus rumorem publicum, qui spargilur in Bclgio
quasi propositionem aliquam Romœ suslincal aut heere-
iicam, aut de heercsi suspeclam, in-4°, 1093, 5° Libelli
hispanice edili hoc litulo : Mémorial al rcy... nomine
ac jussu Thyrsi Gonzalez, Soc. Jesu prsepositi generalis,
obltdi, confulatio per Belgas theologos, in-8°, Bruxelles,
1G99. 0° Propositioncs quadraginta excerptœ ex libro
cui lilulus : Nodus prœdeslinationis, adjunclis quibus-
dam notis. Le Nodus preedestinationis est une œuvre
posthume du cardinal Sfondrate. Publiée en 1097, elle
fut fort disculée dès son apparition et même accusée,
mais à tort, semble-t-il, de pélagianisme. Hennebel se
montra l'un des plus ardents a l'attaquer. Sa critique
parut, insérée dans un recueil de même esprit, dû,
croit-on, du moins en partie, à la plume de Quesnel et
intitulé : Augustiniana Ecclesiee romanœ doclrina a
cardinalis S/ondrati nodo extricata per varios S. Augus-
lini discipulos, in-12, Cologne, 1700. 7° Declaratio
circa articulos doctrinse in Belgio controversée..., Die
10 septembris 1700 coram apostolica in Urbe exhibita,
in-12, Louvain, 1701. Toutes les pièces de ce volume,
sauf une, se trouvent reproduites dans les Opuscula
mentionnés ci-dessous. 8° Memoriale pacis Romam
missum die 4 martii 1701 et ibidem sacrée Congrega-
lioni S. Oflicii exhibitum, in-12. 9° Plusieurs autres
Mémoires adressés par Hennebel aux Congrégations
romaines pendant son séjour dans la Ville éternelle ont
été imprimés dans le Commonitorium ad orlhodoxos
du P. Désirant, ainsi que dans le Commonitorium
d'Opstraet. 10° Via pacis seu status controversiœ inter
theologos Lovanienses, in-4°, Liège, 1701. 11° Des
Opuscula, ainsi détaillés dans le sous-titre : Eximii
viri J. L. Hennebel thèses theologicse de gratia et pseni-
lentia; accedit Declaratio theologorum Belgarum per
eumdem doclorcm coram Sede apostolica eihibita; item
accedunt Martini Steyaert thèses de sacerdole lapso
et asserlio censurée Lovaniensis et Duacensis adversus
quorumdam hodie objecliones, in-12, Louvain, 1703.
12° Declaratio facultatis theologicse Lovaniensis contra
quinque propositiones ab apostolica Sede damnatas
qui n'a été publiée qu'en 1717, à Cologne, dans le
Molinismus profligatus du carme Henri de Saint-
Ignace. 13° Epistola ad illustrissimum D. Fenelonem,
archiepiscopum Cameracensem. Elle est du 12 mai 1714
et a^été, elle aussi, reproduite dans le Molinismu»
projligatus. Enfin, 14° on trouve dans la Causa quesnel-
liana plusieurs autres lettres d'Hennebel, adressées au
P. Quesnel ou à Brigode, son secrétaire. Ces divers
écrits, dont quelques-uns, je l'ai dit, notamment les
nos 2, 3 et 5, ne sont pas certainement et exclusivement
l'œuvre personnelle d'Hennebel, sont fort différents de
portée comme d'étendue ; mais tous ou presque tous
ont un trait commun : on y plaide plus ou moins ouver-
tement soit pour la thèse du « silence respectueux »,
soit pour la suppression et l'apaisement par voie d'au-
torité, de toutes les discussions ; on travaille discrè-
tement à innocenter YAugustinus et ceux qui s'en ré-
clament, et l'on va, par exemple, dans la Réfutation du
mémoire des jésuites espagnols (n° 5), jusqu'à pré-
tendre, contre l'évidence aveuglante des faits, que les
Pays-Bas n'offrent trace ni de jansénisme ni de rigo-
risme. Le lecteur remarquera du reste qu'aucun n'est
postérieur à la date de 1695. Après ce qui a été dit plus
haut, cette circonstance s'explique d'elle-même.
' Paquot, Mémoires pour servir à l'histoire littéraire des
Pays-Bas, édit. de Louvain, t. xvm, p. 286-303; édit. in-fol.,
t. in, p. 628-632; Hurter, Nomenelator, Inspruck, 1910,
t. iv, col. 725 ; Reusens, art. Hennebel, dans la Biographie
nationale de Belgique, Rruxelles, 1886-1887, t. îx, p. 69.
J. FoRGET.
HENNEGUIER Jérôme, dominicain né à Saint-
Omer en 1633, fit profession dans le couvent de cette
ville en 1650. Il fit ses études au collège Saint-Thomas-
d'Aquin de Douai, où il enseigna ensuite la philosophie.
Maître des étudiants, puis second régent (1667-1669),
premier régent (1669-1672), il fut reçu maître en
théologie le 8 octobre 1678. Il prit, semble-t-il, le
bonnet de docteur à l'université de Douai en 1679.
En 1675, il avait été chargé d'organiser à Cambrai une
école publique de théologie. Dans son ordre, il fut
prieur de Tournai (1672), puis de Saint-Omer (1686-
1689), et il fut nommé définiteur de la nouvelle pro-
vince de Sainte-Rose de Lima au chapitre général de
Rome (1686). Il mourut à Saint-Omer le 13 mars 1712.
11 prit une grande part aux polémiques qui s'enga-
gèrent vers ce temps sur la prédétermination physique
et pour l'administration du sacrement de pénitence ;
tous ses écrits sont de circonstance et signalent les
2151
HENNEGUIER — HENNO
2152
diverses phases du débat. 1° Le P. Charles de 1* Assomp-
tion avait publié des dissertations sur l'amour de
Dieu, la liberté, la contrition et surtout sur la science
moyenne et la prédestination, sous le pseudonyme de
Germain Philalèthe : Scientia média ad ex imen revo-
cala et thomistarum Iriumphus, id est Auguslini et
T ho mie concordia, Douai, 1670, 1672, 1694. L'ouvrage,
attribué d'abord au jésuite Platet, fit grand bruit. 11
fut réfuté d'abord par le dominicain Paul Fasseau,
voir Echard, Scriplores ord. prœd., t. il, p. 738 ; puis le
P. 1 lenneguier publia contre lui : Vanitas triumphorum
quos ab authoritale adversus prœdeterminationes phy-
sicas pro scientia média erigere nititur Germanus Phila-
lethes Eupistiniis in opère priori, authore amico Phi-
lalelhi consenianeo, Douai, 1670. Ce dernier ouvrage
eut un rare succès. Le P. Charles de l'Ass imption se
rendit lui-même aux raisons d'Henneguier, répudia la
science moyenne qu'il avait défendue et. dans une
2e édition de son Thomistarum triumphus, dirigée contre
Baius, Molina et Jansénius, il se fit le champion de la
prédétermination physique. 2° En 1674, le diocèse de
Tournai fut agité par des polémiques sur le culte à
rendre à la sainte Vierge. Le point de départ de ces
querelles avait été l'opuscule d'Adam Widenfeld,
Monita salutaria B. Virginis Marias ad cultures suos
indiscretos, Gand, 1673 ; cet ouvrage était tout à fait
d'inspiration protestante. Une traduction française,
faite par un prêtre du diocèse de Tournai, parut avec
l'approbation de l'évêque, Gilbert de Choiseul, fort
enclin aux idées jansénistes. De plus il publia une lettre
pastorale pour recommander les Avis salutaires de la
B. Vierge Marie à ses dévots indiscrets, Lille, 1674.
Après cette lettre pastorale, on commença une vraie
campagne contre les objets de culte de la sainte Vierge
et l'on fit disparaître scapulaires et chapelets. Mais
bientôt l'opposition se montra aussi violente contre les
Avis salutaires et l'attitude de l'évêque de Tournai.
C'est à ce propos qu'Henneguier publia : Cultus Maria:
vindicalus adversus monitorem anomjmum, Saint-Omer,
1674. Cet écrit eut plusieurs éditions latines, fran-
çaises et flamandes. Voir F. Desmons, Gilbert de
Choiseul, Tournai, 1907, p. 417 sq.3° En 1679, l'évêque
de Tournai publia un traité sur la pénitence intitulé :
Éclaircissements louchant le légitime usage de toutes les
parties du sacrement de pénitence adressez aux pasteurs
et autres confesseurs tant séculiers que réguliers du dio-
cèse de Tournay, Lille, 1679. Les conclusions de l'évê-
que étaient entachées de rigorisme et de jansénisme.
Le P. Charles de l'Assomption lui répondit, puis le
P. Henneguier fit paraître contre Gilbert de Choiseul :
Dissertatio theologica de absolulione sacramentali pcrci-
picnda et impertienda, ad sacrosancli concilii Triden-
tini neenon scholarum, Angeli sensum expressa alque in
duas partes distributa, Saint-Omer, 1682. Dans cet
écrit, Henneguier se montrait d'un avis tout différent
de celui de l'évêque sur la définition et les qualités de
l'attrition : avec le P. Charles de l'Assomption, il
se montrait beaucoup plus conciliant sur les signes de
contrition à exiger par le confesseur de la part du
jJénitent. Voir Desmons, op. cit., p. 449 sq. Choiseul
répondit dans une lettre pastorale du 23 février 1683
par l'interdiction absolue dans son diocèse, sous peine
d'excommunication, de lire les ouvrages des PP. Char-
les de l'Assomption et Henneguier. Ce dernier répondit
à cette censure par une lettre : Epislola apologclica
R. P. Fr. Hieronymi Henneguier, ord. FF. prœd., sac.
theol. docloris, ad illustriss. episcopum Tornacensem
super recidivorum absolulione, Saint-Omer, 1684 ; en
même temps un pamphlet était dirigé contre l'évêque,
que l'on accusait de partialité : Epislola responsoria
ignoti authoris ad umicum super justitiam proximam
episcopi Tornacensis adversus librum P. Henneguier
Purisiis, 3° idus junii 168 3. Ex corde amicus et jamu-
lus P. K. S. L'évêque répondit par une lettre, où il
mettait le P. Henneguier au défi de répondre sans se
contredire à six objections qu'il lui proposait: Responsa
illustr. ac rev. episcopi Tornacensis ad apologeticam
R. P. Hieronymi Henneguier... epistolam, Lille, 1683.
Voir Desmons, op. cit., p. 459, 519. La querelle conti-
nuait très acerbe entre le P. Charles de l'Assomption
et l'évêque de Tournai, p. 459 sq. A l'occasion d'une
soutenance de thèse, une conférence eut lieu au collège
Saint-Thomas-d'Aquin de Douai, le 14 décembre 1683,
entre les deux adversaires. Henneguier, à ce propos,
adressa une lettre très vive à l'un des deux théologiens
de son ordre qui présidaient cette soutenance : Epislola
exsposlulaloria P.Fr. Hieronymi Henneguier... ad suum
quondam discipulum super thesibus et disputatione de
recidivorum absolutione, Saint-Omer, 1684. Choiseul
prit leur défense dans une autre lettre du 26 mai 1684 :
Epislola Tornacensis episcopi ad RR. PP. Comelium
MullelelMicha I m Ro ipin.Sur les entrefaites, Nicolas
de La Verdure, professeur de théologie à l'université de
Douai, se fit le champion des idées de Choiseul et
publia en 1684 un ouvrage pour défendre son traité
De probabilitate, contritione et recidivis, 1681. qui avait
été attaqué par Henneguier. Ce nouvel ouvrage de
M. de La Verdure était intitulé : Defensio traclalus de
modo quo se débet gerere confessarius, respectu horum
pœnitentium qui sœpius in eadem peccaia relabunim,
Douai, 1684. Il était dirigé surtout contre le P. Charles
de l'Assomption et le P. Henneguier. Celui-ci lui
répondit d'abord par deux lettres, quarum prima salis-
Jacil vindiciis eximii domini D. de Li Verdure...,
altéra respondet sex quœstionibus ab illustriss. Torna-
censium episcopo propositis (1685). Ces lettres furent
bientôt suivies de Tract tus theologicui quo demoi-
slratur uli eximius ac reverendus admodum D. D. de La
Verdure, S. theologiœ doctor et ordinarius Duaci pro-
lessor, contra seipsum dimicet in conlroversia de reci-
divorum absolutione, Saint-Omer, 1685. L'évêque
répondit encore par une autre lettre du 16 avril 1685.
Voir Desmons, op. cit., p. 467, 521. Toutes ces disputes
troublèrent profondément le diocèse de Tournai ainsi
que toute la province ecclésiastique et le jansénisme
en reçut une nouvelle impulsion.
Coulon, Scriptores ordinis prœdicatorum, xvin"m sœc,
Paris, 1911, p. 159; Desmons, Gilbert de Choiseul, évêque
de Tournai, 1671-1689, Tournai, 1907, passim.
R. Coulon.
HENNO François, frère mineur récollet, apparte-
nait par sa profession à la province monastique de
Saint-André, qui était formée des couvents de l'Artois
et du Hainaut. Il y remplit la charge de professeur et
mérita le titre de lector jubilatus, qui chez les récollets
équivaut à celui de docteur. C'est le peu que nous
savons de sa vie; les éditions de ses livres témoignent
qu'il enseignait au commencement du xvme siècle. Il
publia d'abord séparément divers traités qu'il réunit
ensuite en un seul cours de théologie : Tractatus triplex
de restitutione, jure et justifia ac de statu religioso, in-8°,
Douai, 1706, 1713; Tournai, 1708; Tractatus moralis
in Decalogi prœcepta, in-8°, Douai, 1706, 1711 ; Tournai,
1707; Tractatus de actibus humanis, eorumque regulis et
principiis, in-8°, Douai, 1710; Tournai, 1711; De viliis
et virlulibus, in-8°, Douai, 1708; Tournai, 1720; De
sacramentis, 2 in-8°, Douai, 1711; Tournai, 1712; De
Verbi divini incarnatione, in-8°, Douai, 1711; Tournai,
1718; De Dco uno et trino, in-8°, Douai, 1713; Tournai,
1719. Éditions collectives : Theologia dogmatica, mora-
lis ac scholastica, opus principiis thomisticis et scotisli-
cis, quantum licuit, accommodalum, compleclensque casus
omnes obvios ex firmis Scripturœ, conciliorum, canonum
et sanclorum Patrum sentenliis résolûtes, 8 in-8°, Douai,
1706-1713, 1718, 1720; Cologne, 1718; 2 in-fol., ibid.,
1718; Venise, 1719 ; 9 in-18, Venise, 1719. Comme le
2153
HENNO — HÉNOTIQUE
titre l'indique, le P. Henno s'efforce de concilier les
deux enseignements thomiste et scotiste, et ce, dit-il,
afin d'unir d'une franche amitié les franciscains et
les dominicains, trop souvent divisés par suite de dis-
cussions d'école. La théologie du P. Henno fut long-
temps employée comme manuel classique en Espagne.
Servais Dirks, Histoire littéraire et bibliographique des
frères mineurs de l'observance en Belgique, Anvers, 1886,
p. 362; Hurter, Nomenclator, Inspruck, 1910, t. iv, col. 647.
P. Edouard d'Alençon.
HÉNOTIQUE ('EvtoTixo'v) de Zenon (482). —
L'Hénotique est un édit soi-disant d'union ou de con-
ciliation promulgué, en 482, par l'empereur byzantin
Zenon, sous l'inspiration d' Acace, patriarche de Con-
stantinople, en vue de réconcilier adversaires et parti-
sans du concile de Chalcédoine, monophysites et dyo-
physites. On y anathématise Nestorius et Eutychès, on
y affirme la divinité et l'humanité de Jésus-Christ, mais
on y évite le mot un et les termes deux natures ; en
outre, une incidente malheureuse condamne « qui-
conque a pensé autrement, soit à Chalcédoine, soit
ailleurs ». Ainsi, le concile de Chalcédoine se trouvait
lui-même indirectement condamné par l'Hénotique;
l'on y déclarait, du reste, que la règle de foi comprenait
seulement le symbole de Nicée avec l'addition qu'y
avait faite le concile de Constantinople, les douze ana-
thématismes de saint Cyrille d'Alexandrie et les déci-
sions d'Éphèse. Aussi le dessein que paraît avoir eu
Zenon, « le premier des empereurs qui se mêla des
questions de la foi » (Bossuet, Discours sur l'histoire
universelle, xie époque) de mettre fin aux dissensions
religieuses, en publiant cette formule et en lui donnant
force de loi, échoua-t-il misérablement : loin de les
apaiser, l'Hénotique ne fit que les accroître. Le pape
saint Félix III, en 484, ayant excommunié le patriarche
Acace, véritable auteur de l'Hénotique, il s'ensuivit,
entre l'Orient et Rome, un sebisme qui dura trente-
cinq ans et ne se termina que par un édit de l'empe-
reur Justin Ier en 519.
L'affaire de l'Hénotique se trouve être ainsi un des
épisodes des longues luttes christologiques touchant la
doctrine du concile de Chalcédoine, en même temps
qu'une des premières manifestations de cet esprit
d'intrigue des patriarches byzantins qui, sous Photius
et Michel Cérulaire, aboutira à la scission définitive
avec l'Occident.
Pour étudier utilement un tel épisode et pouvoir le
juger au point de vue théologique, il est indispensable
de le situer aussi exactement que possible dans son
cadre historique. Les faits et les textes fourniront eux-
mêmes au théologien la conclusion qu'il devra en tirer.
I. De l'opposition chalcédonienne à l'Hénotique :
l'attitude du patriarche Acace. IL La formule de
l'Hénotique. III. Les conséqueiuee de l'Hénotique :
le schisme acacien. IV. La réconciliation avec Rome
(519): le véritable Hénotique orthodoxe ou formule du
pape Hormisdas. V. Conclusion. Justification du point
de vue catholique et de l'attitude des papei dans
l'affaire de l'Hénotique.
I. De l'opposition chalcédonienne a l'Héno-
tique : l'attitude du patriarche Acace. — ■ Aussitôt
après le concile de Chalcédoine (451), les monophysites
ou partisans de l'hérésiarque Eutychès s'agitèrent par-
tout à la fois. « Puisque la théologie de Cyrille est
condamnée, pensaient-ils, puisque Chalcédoine rejette
l'Évcouii; cpuar/T-p c'est donc que les nestoriens ont pris
leur revanche cl affermi leur erreur; Jésus-Christ est
dédoublé: à côté du Verbe étemel, il y a en Jésus une
autre personnalité différente; c'est une quatrième per-
sonne qui s'ajoute à la Trinité divine. Voilà le blas-
phème horrible que les monophysites repoussent, voilà
le crime des nestoriens, voilà le crime de tous ceux qui
ne suivent pas Cyrille, des Pères de Chalcédoine par
conséquent. C'est ce qu'explique aux moines de Pales-
tine l'Alexandrin Théodose; et la Palestine chasse
l'évêque chalcédonien Juvénal. C'est ce qu'explique
aux Égyptiens Timothée Élure (Ailouros, le Chat); et
l'Egypte massacre l'évêque chalcédonien Protérius.
C'est ce que Pierre le Foulon explique enfin aux habi-
tants d'Antioche; et la Syrie oblige son patriarche
Martyrius à donner sa démission. Les monophysites
revisent les prières liturgiques afin d'en bannir toute
expression malsonnante; Pierre le Foulon répond à la
passion religieuse de son peuple en modifiant le chant
sacré qu'adressent les fidèles au Dieu trois fois saint :
pour mieux marquer que l'homme Jésus est vraiment
une des trois personnes de la Trinité et qu'il ne fait
réellement qu'un avec elle, il ajoute aux paroles tradi-
tionnelles qui la alorifient, ày.o; ô ©eoç, àyioç îa/upo;,
âyioç àôâvaxoç (Sanclus Deus, Sanctus forlis, Sanctus
immortalis), des mots qui reportent sur elle le sacrifice
de la croix : ô axauptoGEi; 8i' ï)[a«ç (gui crucifïxus es pro
nobis). Le Crucifié ne fait qu'un avec la Trinité ! La
foi des Orientaux, plus ardente que réfléchie, ne
s'arrête pas à ce que la formule contient, sinon
d'inexact, au moins d'imprécis au regard de la théo-
logie traditionnelle; leur piété enthousiaste ne voit que
le blasphème nestorien, négateur de la divinité de
l'homme Jésus. Et les empereurs ont beau s'entre-
mettre, Marcien, puis Léon; ils ont beau défendre
Chalcédoine; ils ne convainquent personne, ils finissent
même par perdre le trône. Basiliskos s'en empare :
usurpateur, il s'est présenté comme le champion de la
foi; par un édit, il a annulé le concile de Chalcédoine,
et le peuple l'a reconnu. » A Dufourcq, Histoire de
l'Église du me au xie siècle : le christianisme et l'em-
pire, 4e édit., Paris, 1910, p. 270-272. Cf. Hefele,
Histoire des conciles, trad. Leclercq, Paris, 1908, t. n,
p. 857-859; Tixeront, Histoire des dogmes, Paris, 1912,
t. m, p. 104-107.
Ajoutons, pour expliquer plus complètement cette
participation de la foule à des disputes thôologiques,
que l'opposition chalcédonienne était exploitée par le
groupe d'habiles intrigants qui étaient parvenus à
occuper les principaux sièges épiscopaux d'Orient.
Sous l'empereur Léon Ier (457-474), Timothée Élure
(457-460) fut élu patriarche d'Alexandrie, et Pierre le
Foulon, vers 470, patriarche d'Antioche. « Ils ne firent
que passer, une première fois; mais ce passage eut
néanmoins de graves conséquences, car il laissa les dis-
positions les plus fâcheuses dans les esprits... Après la
mort de Marcien, Timothée et Pierre le Foulon remon-
tèrent sur leurs sièges, avec la protection de Basiliskos
(476-477). » Funk, Histoire de l'Église, trad. Hemmer,
8e édit., Paris, 1911, t. i, p. 233. Il faut ajouter aussi,
les lignes précédentes l'ont déjà insinué, que la protec-
tion ou la faiblesse de la cour contribua pour beaucoup
au maintien de ces luttes doctrinales et de ces divisions
ecclésiastiques. L'empereur Léon Ior avait exilé
Timothée Élure en 460, d'abord à Gangres, puis en
Chersonèse, et on l'avait remplacé sur le siège d'Alexan-
drie par un dyophysite ou chalcédonien modéré,
Timothée Salophakialos, qu'Évagre appelle aussi
Timothée Basilikos, H. E., 1. II, c. xi, P. G., t. lxxxvi,
col. 2533, et qui est également appelé par d'autres
Timothée le Blanc (Liberatus, Théophane le Chrono-
graphe, Cedrenus, P. G., ibid., note 74). Le même
prince avait déposé Pierre le Foulon et donné à An-
tioche un pasteur catholique. Mais avec la mort de
Léon Ier (474), « la girouette dogmatique de la cour
byzantine se retourna de nouveau vers les monophy-
sites », selon l'expression de Th. Pressel, art. Monophy-
silen, dans Realencijklipàdie fur protcslanlischc Théo-
logie und Kirche de Herzog, Stuttgart et Hambourg,
1858, t. ix, p. 745. Léonll, petit-fils de Léon Ier, mourut
lui-même peu après (4741. et cette mort livra le trône
215:
HÉNOTIQUE
2156
à l'Isaurien Zenon, époux de la princesse Ariadne et
père de Léon II. Mais dès l'année 475, Zenon fut ren-
versé par l'usurpateur Basiliskos, qui se montra aus-
sitôt ardent protecteur des monophysites. Il promulgua
un Enkyklion (encyclique ou circulaire), adressé à
Timothée Élure, qui en était l'inspirateur : cet édit por-
tait condamnation du concile de Chalcédoine et de la
lettre de saint Léon, et élevait le monophysisme à la
dignité de religion d'État seule tolérée. Voir le texte
dans Évagre, H. E., 1. III, c. iv, P. G., t, lxxxvi, „
col 2600 2604. Cf. Tillemont, Mémoires pour servir à
l'histoire rcclésiastiqw, Ven: je, 1732, t. xvi, p. 294-295.
Ici commence le rôle d'Acace, patriarche de Con-
stantinople, et il est nécessaire de s'y arrêter un instant
pour comprendre son attitude ultérieure dans toute
l'affaire de l'Hénotique. Voir t. i, col. 288-289.
La plupart des évèqucs orientaux, au nombre de 500
environ, souscrivirent le formulaire de Basiliskos.
« Un homme lui résiste, en qui s'incarne et qui organise
le parti byzantin, le patriarche de Constantinople,
Acace. Ce n'est pas lui qui s'exagère l'importance des
formules dogmatiques; c'est lui qui discerne avec une
perspicacité étrange le parti qu'il faut suivre afin
d'établir l'autonomie ecclésiastique de Constantinople.
Prendre la tête du mouvement populaire mono-
physite qui répudie Chalcédoine, c'est adopter une
politique qui réhabilite Alexandrie et restaure sa domi-
nation : le patriarche de Constantinople ne le peut pas.
Prendre la tête du mouvement orthodoxe dont Chalcé-
doine est le mot d'ordre, c'est suivre, c'est donc recon-
naître la direction donnée par Rome : le patriarche de
Constantinople ne le veut pas. Se présenter comme un
arbitre, donner tort à la fois à Alexandrie et à Rome
en semblant vouloir les concilier, voilà la politique que
recommande l'intérêt byzantin. » A. Dufourcq, op. cit.,
p. 272-273. Sur la foi des témoignages fournis par les
écrivains byzantins, Tillemont a tracé de ce personnage
le portrait suivant : « C'était un esprit flatteur et com-
plaisant, qui savait gagner l'affection des princes, en
louant tout ce qu'ils faisaient (Suidas). Aux bassesses
de la flatterie, Acace joignait une violente ambition.
Il aimait à gouverner, et n'en était pas incapable. Il
donnait aisément, servait tous ceux qui avaient besoin
de lui, avait un extérieur très vénérable et qui inspirait
du respect. Mais on l'accusait de vanité et d'aimer
l'honneur. » Mémoires pour servir à l'histoire ecclé-
siastique, Venise, 1732, t. xvi, p. 285. « Acace était un
homme de caractère fier et ambitieux, chancelant dans
sa position entre orthodoxes et hérétiques selon ses
intérêts du moment, habile et avisé dans la poursuite
de ses plans, sous plus d'un rapport précurseur de
Photius. » J. Hergenrôther, Pholius, Patriarch von
Constaniinopel, Ratisbonne, 1867, t. i, p. 110.
Successeur de Gennade sur le siège de Constan-
tinople, de 471 à 489, Acace avait incliné d'abord à
l'antichalcédonianisme de Timothée Élure : les moines
byzantins s'en plaignent au pape Simplicius, vers la
fin de l'année 475. Simplicius, Epist., iv-vm, P. L.,
t. lviii, col. 38-44; Mansi, Concil., t. vu, col. 974 sq.
Voir P. Bernardakis, Les appels au pape dans i Église
grecque jusqu'à Photius, dans les Échos d'Orient, 1903,
t. vi, p. 118-119. Puis il se ravise, résiste à Basiliskos,
appelle contre lui saint Daniel le Stylite, dont la grande
popularité entraîne les fidèles. Non seulement Acace
refuse d'accepter L'édit de l'usurpateur; mais encore,
au témoignage de Théodore le Lecteur, H. E., 1. I,
n. 32, P. G., t. lxxxvi, col. 181, en signe de protesta-
tion et de deuil il se revêt lui-même de vêtements noirs
et couvre pareillement de voiles noirs le trône épi-
scopal et l'autel. Cf. Tillemont, Mémoires, note v sur
Acace de Constantinople, t. xvi, p. 757.
Cette conduite d'Acace était-elle inspirée par le seul
SDuci dvs intérêts de la foi catholique? On voudrait
pouvoir l'affirmer. Mais il semble plutôt, au dire des
historiens (Théodore le Lecteur, I, 32; Théophanc,
Chronographia, an. 467-468, Bonn, 1839, t. i, p. 188-
189; P. G., t. cvin, col. 304-305; Cedrenus, Bonn, 1838,
t. i, p. 617-618; P. G., t. cxxi, col. 672), avoir été
entraîné par le mouvement général du clergé, des
moines et des fidèles de Constantinople. Lorsqu'on
apprit que Basiliskos voulait obliger le patriarche à
promulguer YEnkyklion, le peuple se porta en masse
compacte à l'église, y compris vieillards, femmes et
enfants, pour empêcher cette promulgation. Acace
« suivit le troupeau, qu'il aurait dû précéder », écrit
Hergenrôther, Pholius, t. i, p. 112. Du moins, une fois
entré dans la résistance, il la soutint sans faiblir. Dans
un discours public, du haut de la chaire, il s'éleva
contre le tyran. Théophane, loc. cil.
« L'empereur punit le rebelle en travaillant à relever
Alexandrie : il convoque à Éphèse, théâtre des vic-
toires de Cyrille et de Dioscore, un nouveau concile
dont il donne la présidence au successeur des fameux
patriarches, Timothée Élure. Et Timothée fait voter
par les Pères une adresse à l'empereur; on y demande
l'abrogation des décrets de Chalcédoine, l'abolition des
privilèges de Constantinople, la reconnaissance des
droits de la vénérable Église d'Éphèse, et la déposition
d'Acace. Enfin — et ceci montre avec force le véritable
caractère de cette histoire — Timothée veut alléger
son parti du poids gênant des controverses doctrinales :
le but de ses efforts, il n'y a pas à s'y tromper, c'est la
résurrection d'Alexandrie et l'abaissement de Con-
stantinople. Évagre, H. E., 1. III, c. iii-vm, P. G.,
t. lxxxvi, col. 2597-2613. S'il a rejeté Chalcédoine afin
de satisfaire aux passions populaires qui le soutiennent,
il se refuse à défendre le monophysisme : comme des
moines eutychiens implorent son secours, il se pro-
nonce contre eux et déclare que « la chair du Christ
« (c'est-à-dire son humanité) est de même nature que
« lanôtre». Déjà Basiliskos l'avait formellement déclaré
en condamnant le Tome de Léon. C'était la politique
d'Acace retournée contre lui. Le patriarche eût peut-
être été vaincu par Timothée, sans une révolution de
palais à laquelle, sans doute, il prêta la main. » A.
Dufourcq, op. cit., p. 273-274. Sur le concile d'Éphèse
et l'attitude de Timothée Élure, voir Tillemont, Mé-
moires, Acace de Constantinople, a. 9, t. xvi, p. 299-
300; Hefele, Histoire des conciles, trad. Leclercq, t. n,
p. 912.
Évagre, il est vrai, raconte, sur la foi de Zacharie le
Rhéteur, que, devant la résistance inattendue d'Acace
et de toute la communauté de Constantinople, Basi-
liskos avait décidé de rapporter sa première ordon-
nance et de promulguer un Anlenlajklion ou contre-
édit pour confirmer la doctrine de Chalcédoine ( 177).
Voir le texte dans Évagre, op. cit., 1. III, c. vii-vhi,
col. 2609-2611. Mais il était trop tard. La raêm.3 année
477, Zenon renversa l'usurpateur, et prit aussitôt le
contrepied de sa politique. Lors de l'entrée de Zenon,
Basiliskos se réfugia dans une église, avec sa femme et
ses enfants; Acace le livra à son rival, « ce que saint
Chrysostome n'aurait pas fait », remarque le judicieux
Tillemont, op. cit., a. 11, p. 304.
La chute de Basiliskos passa généralement pour
une victoire de l'orthodoxie et valut à Acace une
grande autorité en Orient. De son côté, Zenon chercha
à gagner la faveur des catholiques. 11 adressa au pape
Simplicius une irréprochable profession de loi, avec la
promesse de maintenir la définition de Chalcédoine et
de mettre lin aux menées des hérétiques. Simplicius,
Epist., vin, ad Zcnonem, dans Mansi, Concil., t. vu,
col. 980-982.
Timothée Élure étant mort en 477 (sur cette mort,
voir Liberatus, Breviarium causa neslorianorum et euly-
chianorum, c. xvi, P. L., t. lxviii, col. 1020), le parti
2157
HÉNOTIQUE
2158
monophysite alexandrin lui donna pour successeur
l'archidiacre Pierre Monge (;j.oyyoç, l'enroué). Zenon
considéra cette élection comme une révolte, et l'intrus
n'échappa que par la fuite à la peine de mort portée
contre lui. Timothée Salophakialos fut rétabli sur le
siège d'Alexandrie. Évagre, H. E., 1. III, c. xi, P. G.,
t. lxxxvi, col. 2616. Clercs et laïques eurent ordre de
le reconnaître dans l'espace de deux mois, sous peine
de se voir privés de leurs dignités, de leurs églises, et
frappés d'excommunication. Liberatus, op. cit., col.1020.
Avec Zenon et par lui, Acace est maître. Les évêques
d'Asie s'empressent de lui écrire pour s'excuser d'avoir
souscrit à VEnkyklion de Basiliskos : ils ne l'ont fait qu'à
contre-cœur, disent-ils, et ils se déclarent fermement
attachés aux décisions de Chalcédoine. Évagre, op. cit.,
c. ix, P. G., t. lxxxvi, col. 2613. Le concile de Con-
stantinople, présidé par Acace en 478, «dépose Pierre
le Foulon, lequel a « eutychianisé » le Trisagion et, pour
cette raison, s'est vu condamner par le pape Simpli-
cius; Acace en profite pour installer à Antioche un
homme à lui, Calandion. » A. Dufourcq, op. cit., p. 274.
Calandion succédait aux courts patriarcats d'É-
tienne II, tué par les monophysites en 479, et d'É-
tienne III, qui, contrairement a la discipline ecclésia-
stique,.avait été consacré par Acace à Constantinople.
A Alexandrie, les choses se compliquèrent à la mort
de Timothée Salophakialos (481). Les catholiques
élurent pour lui succéder Jean Talaïa, appelé aussi
Jean le Tabennésiote, moine tabennésien du monas-
tère de Canope. Évagre, H. E., 1. III, c. xn, P. G.,
t. lxxxvi, col. 2617. Ce prêtre, économe de l'église
d'Alexandrie, était venu peu auparavant à Constan-
tinople, envoyé par Timothée Salophakialos, et avait
reçu de l'empereur des assurances qu'un successeur
catholique serait donné à Timothée. Évagre, loc cit.;
Liberatus, Brcviarium, P. L., t. lxviii, col. 1020.
Zenon avait même fait à cette occasion l'éloge de
Talaïa, que l'on considérait dès lors comme devant être
patriarche d'Alexandrie. Félix III, Epist., i, n. 10;
ii, n. 4. Acace avait dit de lui comme prêtre, qu'il
était digne de recevoir une plus haute dignité. Pour-
quoi Acace ne voulut-il pas accepter l'élection de
Talaïa et pourquoi soutint-il alors Pierre Monge?
Bien qu'il soit difficile de donner une réponse précise
à cette question, les historiens nous en fournissent
divers éléments qui nous permettent d'esquisser la
psychologie du patriarche byzantin.
On nous signale, comme cause du mécontentement
d'Acace, le retard accidentel avec lequel lui arrivèrent
les lettres synodales de Talaïa. Celui-ci les avait fait
passer par l'intermédiaire d'Illus, maître des offices,
sur la protection duquel il comptait auprès de l'em-
pereur. Or, il se trouva qu'au moment où le courrier
d'Alexandrie parvint à Constantinople, Illus était à
Antioche. La lettre de Talaïa dut lui être portée dans
cette ville; de la sorte, tandis que Zenon était directe-
ment informé de l'ordination de Talaïa par la lettre
personnelle qui lui était adressée, celle destinée à
Acace prenait le chemin d' Antioche sans lui avoir été
remise : d'où froissement du prélat byzantin. Libe-
ratus, Brcviarium, c. xvn, col. 1022-1024.
D'autres nous indiquent, comme motif de l'insuccès
de Talaïa, le fait qu'il perdit bientôt, avec le ministre
impérial Illus, un puissant appui auprès de Zenon.
« Et comme jusque-là, faisant fond sur ce personnage,
il avait négligé le très influent Acace, il fut d'autant
plus facile au rusé Pierre Monge d'obtenir accès auprès
de ce dernier ei, grâce à lui, auprès de l'empereur, par
un plan habile visant à une réunion des partis en lutte,
en vue de se raffermir ainsi sur le trône patriarcal. »
Th. Presse!, art. Monophysiten, dans Realencijklopâdie
jùr protestuntische Théologie und Kirchc, 1858, t. IX,
p. 746.
Quoi qu'il en soit, Acace se joignit à Gennade d'Her-
mopolis, qui prétendait avoir des griefs contre Jean
Talaïa. Liberatus, Breviarium, e. xvi, col. 1020. Tous
deux se concertèren!: pour l'accuser auprès de l'empe-
reur d'avoir obtenu par brigue le siège d'Alexandrie
après avoir juré de n'y jamais prétendre, et d'avoir
menacé de faire un schisme du vivant de Timothée
Salophakialos, à qui il avait fait rétablir dans les
diptyques le nom de Dioscorc. Évagre, H. E., 1. III,
c. xir, P. G., t. lxxxvi, col. 2617, sur la foi de ZacharL-
le Rhéteur,a consigné le premier de ces griefs à la charge
de Jean Talaïa. Cf. Liberatus, Breviarium, c. xvn,
P. L., t. lxviii, col. 1022. Théophane, Chronographia,
an. 473, Bonn, t. i, p. 199; P. G., t. cvm, col. 316-317,
non seulement ne mentionne point d'intrigue de Talaïa,
mais au contraire signale son ordination comme celle
d'un homme vertueux et défenseur de l'orthodoxie :
r/eipOTOvri6ïi 'Iwâvv7)ç b TaSsvvrjT'.wT:^;, ov.oç àr/r\o y.x:
tôv op6<3v 8oy[j.a-(ov ûnspaayoç. Voir aussi Nicéphore.
H. E..1.XVI, 11, P. G.,1.'cxlvii, col. 136. Quant t> l'in-
sertion du nom de Dioscore dans les diptyques par
Timothée Salophakialos en un moment de faiblesse,
elle est mentionnée dans une lettre du pape Simplicius
répondant à Acace le 13 mars 478 : quando ei ut
damnati Dioscori nomen inter altaria recitarelur extor-
lum est, sans que nous puissions connaître si Talaïa y
eut ou non quelque part. Salophakialos avait, sur ce
point, adressé des excuses à Rome et une demande en
grâce. Simplicius, Epist, ix, xi, xn, xin, ad Acacium,
dans Mansi, Concil., t. vu, col. 983 et 935. Cf. Liberatus,
Breviarium, c. xvn, P. L., t. lxviii, col. 1025.
Toujours est-il que, prenant parti ouvertement
contre Talaïa, Acace représenta à l'empereur Pierre
Monge comme l'évêque voulu par les fidèles d'Alexan-
drie et capable de réunir les deux groupements qui
depuis longtemps divisaient cette Église, chalcédo-
diens catholiques et monophysites eutychiens. Monge,
lui-même, mis au courant, offrit d'opérer cette réunion
et représenta à l'empereur que son autorité courait de
grands dangers en Egypte si l'on y établissait un pa-
triarche autre que celui voulu par le peuple. En consé-
quence, Zenon écrivit au pape qu'il regardait Jean
Talaïa comme indigne de l'épiscopat, et que, en vue de
procurer la réunion des Églises d'Egypte, il jugeait
plus opportun de rétablir Pierre Monge sur le siège
d'Alexandrie. Le pape Simplicius, qui avait reçu les
lettres synodales de Jean Talaïa, était prêt à confirnur
son ordination, lorsqu'il reçut la lettre de l'empereur.
Comme Talaïa y était accusé de parjure, le pape sursit
à l'envoi des lettres de communion; mais il ne voulut
pas, d'autre part, consentir au rétablissement de
Pierre Monge. Ce dernier, disait Simplicius, « a été
complice et même chef des hérétiques, et j'ai demandé
plusieurs fois qu'il fût chassé d'Alexandrie. La pro-
messe qu'il fait maintenant de professer la vraie foi
peut bien lui permettre de rentrer dans la communion
des fidèles, mais ne permet pas de l'élever à la di-
gnité du pontificat, de crainte que, sous le prétexte
d'une feinte abjuration, il n'ait la liberté d'enseigner
l'erreur. » Epist., xvn, dans Mansi, Concil, t. vu,
col. 992-993. Cf. Liberatus, Breviarium, c. xvi. Selon
Liberatus, op. cit., c. xvin, P.L., t. lxviii, col. 1026-
1027, Pierre Monge avait lui-même adressé au pape
une lettre dans laquelle il professait hypocritement une
entière adhésion au concile de Chalcédoine.
En même temps qu'il répondait à l'empereur Zenon,
le 15 juillet 482, le pape écrivait dans le même sens à
Acace, à qui il exprimait sa surprise et sa peine de
n'avoir pas été renseigné par lui sur une affaire aussi
grave. « Vous y étiez engagé, lui disait-il, et par l'amitié
qui nous unit, et par le soin que votre charge vous
oblige de prendre de ce qui touche la foi et la vérité. »
Epist., xvn, Mansi, t. vu, col. 992. Puis, ne soup-
21!
HÉNOTIQUE
2160
çonnant encore en rien le pti riarche de Constantinoplc,
il le priait de travailler sans relâche a maintenir l'em-
pereur clans la disposition de défendre l'orthodoxie, et
de lui mander ce qu'il apprendrait concernant cette
a (Ta ire.
Nous saisissons ici la véritable attitude d'Acace et
tout le danger qu'elle présentait pour l'avenir des rela-
tions de l'Église d'Orient avec Rome.
Le C novembre 482, Simplicius se plaint de nouveau
à Acace du silence gardé par lui au sujet du siège
d'Alexandrie. Les efforts tentés contre cette Église,
disait le pape, ne lui permettaient point de repos :
cogilationum /crias non habemus, et il pensait sans
cesse au compte qu'il devrait en rendre à Dieu. Epist.,
xvm, dans Mansi, t. vu, col. 995.
Bien loin de satisfaire aux désirs et aux ordres du
pape, Acace s'était concerté avec Pierre Monge sur un
édit religieux qui devait résumer ce qu'il y avait de
commun dans toutes les confessions, et il l'avait fait
sanctionner par le complaisant empereur sous le nom
d'Hénotique ou formule d'union.
II. La formule de l'Hénotique. — C'est une lettre
adressée, au nom de l'empereur Zenon, aux évêques,
aux clercs, aux moines et aux peuples d'Alexandrie, de
l'Egypte, de la Libye et de la Pentapolc. Mais, remar-
que Tillemont, Mémoires pour servir à l'histoire ecclé-
siastique, a. 24, Venise, 1732, t. xvi, p. 327, « elle ne
parle qu'à ceux qui étaient séparés de l'Église, c'est-à-
dire aux acéphales ou demi-eutychiens. » Après y
avoir protesté de son zèle pour la foi et des efforts qu'il
avait faits pour réunir tous les chrétiens dans une même
communion, Zenon dit que des archimandrites, des
ermites et d'autres personnes vénérables l'ont supplié
d'essayer une nouvelle tentative dans ce but. Tille-
mont, toc. cit., pense que ces instigateurs étaient sans
doute les envoyés de Pierre Monge. L'empereur déclare
ensuite, au nom de toutes les Églises (« qui ne l'en
avouaient nullement », note en passant Tillemont),
qu'il n'y avait point d'autre définition de foi reçue ou
à recevoir que celle des Pères de Nicée, confirmée par
ceux de Constantinople; que si quelqu'un en recevait
une autre, il le regardait comme séparé et ennemi de
l'Église.
» On pouvait dire en un véritable sens, écrit Tille-
mont, loz. cit., que l'Église ne recevait point d'autre
symbole que celui de Nicée. Mais on ne pouvait pas
dire qu'elle ne reçût point d'autre définition de foi,
sans rejeter celle du concile de Chalcédoine. Néan-
moins, Zenon rejette encore plus ouvertement ce con-
cile, lorsqu'il a la témérité de prononcer un anathème
à quiconque tiendra ou aura tenu rien de plus que ce
qui est dans son Hénotique, en quelque temps et en quel-
que lieu que ce soit, soit à Ch ikédoine, soi. en quelque
autre concile. » Du reste, les contradictions et les in-
cohérences sont nombreuses. En même temps qu'il
rejette toute définition de foi autre que celle de Nicée-
Constantinople, l'empereur-théologien reçoit les douze
chapitres ou anathématismes de saint Cyrille d' \lexan-
drie. « Il traite de saints et de véritables disciples des
Pères de Nicée ceux qui se sont assemblés à Éphèse
pour condamner non seulement Nestorius, mais encore
ceux qui se sont engagés depuis dans sen erreur, c'est-
à-dire qu'il approuve tous les deux conciles d'Ephèse, le
faux comme le véritable... 11 veut néanmoins qu'on
anathématise Eutychès, et qu'on reconnaisse que
Jésus-Christ s'est véritablement incarné de la sainte
Vierge, Mère de Dieu, sans confusion, réellement et
non en fantôme; qu'il nous est consubstantiel selon son
humanité. Mais hors l'anathème d'Eutychès, dont la
plupart des eulychiens ne faisaient pas de difficulté,
il ne dit rien en cela qui ne fût presque aussi positive-
ment dans la circulaire de Basilisque, et ce sont des
choses que les catholiques et les hérétiques avouaient
également. » Tillemont, op. cil., p. 327-328. Quant aux
deux natures, l'expression même est soigneusement
évitée.
Tillemont, qui a parfaitement analysé l'Hénotique,
conclut en ces termes : « C'est après avoir ainsi ren-
versé la foi de l'Église, qu'il (Zenon) exhorte les euly-
chiens à rentrer dans sa communion, comme si la con-
fusion faisait l'unité de l'Église, et qu'il fallût y
rappeler les hérétiques, non pour les convertir en leur
faisant quitter leurs erreurs, mais pour pervertir plus
aisément les catholiques par le commerce qu'ils
auraient ensemble... Il s'imaginait vainement pouvoir
gagner les hérétiques en supprimant la vérité. » Tille-
mont, loc. cit.
Cette rapide analyse et ces quelques remarques faci-
literont la compréhension du texte de l'Hénotique,
dont nous donnons ci-après l'original grec, tel qu'il
nous a été conservé par l'historien Évagre, H. E.,
1. III, c. xiv, P. G., t. lxxxvi, col. 2620-2625, avec
la traduction latine de Henri de Valois qui l'accom-
pagne dans l'édition de Migne.
AÛTOxpaTtop "Kaïo-ap Zrr Imperator Csesar Flavius
vuv, gùaEëT|Ç, vixy|TT|ç, Tpo- Zeno, pius, victor, trium-
7taioû"/oç> Ltéyto-Toç, àeiué- phator, maximus, semper
êauToç, Avyovo-Toc, xoïç xoaà Augustus, reverendissimis
'AXe^âvfipeiav xai Ai'yuTrrov episcopis et clericis ac mona-
xai Atëu7)V xai LTsvTàiroXiv chis et populis, per Alexan-
EÛXaêsaTaTOtç è7rt<r/.Ô7iO'.; xai driam et per TEgyptum et
x>.ï]pixot; xai jj.ova-/oïç xai Libyam ac Pentapolim con»
Xomhç. stitutis.
'Ap-/r|V xai miaracriv, Sj- Cum initium et confirma-
vajxiv te xai oitXov àxaxa- tionem, vim et scutum inex-
[lâjjyjTOV tf|; T|ij.5Tépa; eïôoteç pugnabile imperii nostri esse
fSauiÀEt'a; Tr,v u.ovr|v opôV' **l intelligamus solam rectam ac
ccXy|8ivy|V 7r:ariv, ^v-eva Scà veram fidem, quam trecenti
tt,; 6sia; Èiriçoirr^Eto; èÇetÉ- quidem et octodecim sancti
ôsvto (jièv o't èv Nixac'a auv- Patres, Nicseœ congregati.di-
aÔpOKTÔévTE; Tiï)'àycoi IlaTÉ- vina inspiratione exposue-
psç, Èêsêaûixrav Se xai o't runt, centum vero et quin-
Èv Ka>v<TTavTtvou7cdÀEc pv', quaginta itidem sancti Pa-
ôu.otwç à'ytot HaTÉpEÇ q-uveX- très Constantinopoli collecti
Oovts;, vuxxiop te xai xaO' confirmarunt, diu noctuque,
Ti|j.Épav, 7râ<T7] upodEj/r, omni studio ac diligentia et
(Henri de Valois propos ■ dé legibus nostris id agimus
lire plutôt upoiro/rj, note 89, (une traduction plus an-
P. G., col. 2621) xai ffTtouSrj cienne, conservée par Libe-
xai vri[j.oi; X£ypr|[j.E6a, 7tXr,6j- ratus, Breviarium, c. xvm,
vesôai Sl'aÙTijc tï|V a7tavTa- présente ainsi ce passage :
XÔoi âyt'av to-j ©eo'j xa6o- Noctibus ac diebus ora-
Xty.7)v xa: àitoa"toXtX7)V 'Ex- tione et studio et legibus
xX-/)aïav, vî"|V a<p8apTov xai nitimur), ut ubique loco-
àT£).E\JTrjTov |xr)TÉpa Ttôv ï,|j.e- rumsanctacatholica et apo-
TÉpwv o-y.rjTTTpwv, Etpr,v/) -te stolica Dei Ecclesia, quœ in-
xai r/j uspi 0EoO ôtxo'voia corrupta atque immortalis
tou; euo£@eïç Xaou; StauÉvov- est mater sceptrorum nos-
toc;, E-JîipoaSÉxTo-j; -ràç JTtjp trorum, per illam quam dixi
xr,; r,(j.ETÉpa? Bao-tAEt'aç ixe- fidem multiplicetur : utque
TEi'a; Ttpoa|iÉp£iv, o-ùv toi; pii populi, in pace et in ea
8îo:piX£aTS(Toiç ÈTtc(ixÔ7ror.;xai qurc circa Deum est concor-
6Eoo-Egôo-TdtTOiçx),y)pixoï;, /.ai dia persévérantes, una cum
àpytp.avSptTatç xai u.ovâ*o-j- Deo charissimis episcopis, et
o-t. Toû yàp (XEyâXou ©eov religiosissimis clericis, et ar-
xa't YJcoxïjpo; f,|x,(ôv Tria-oû chimandritis et monachis,
Xpio-roj, toj Èx xï); âyîa; acceptas Deo preces offerant
llapûévov xai Beoxoxov Ma- proimp ionostro. Quamdiu
pîaç o-ap/f.>0ÉvTo; xai te/QÉv- enim m;.gnus Deus et Serva-
toç, tï]V Èx o-'jfjcpojvt'aç ôo^o- tor ester Jésus Christus, qui
Xoyt'av te xai Xaxpsiav r,[j.ûv ex sancta Virgine ac Dei
ÊirocivoûvToç xai ÉxotjAwç Ssvo- Génitrice Maria incarnatus
(j.évo-j, rà [j.Èv Tfiiv nôXe|J.((dV et natus est, concinentem
âxTpi6vîo-ETat xai èÇotXetçB^- omnium nostrum glorifica-
o-£Ta; y£vr|' iziviiç 6è xbv tionem cultumque approba-
oîxeïov -JTtoxXivoCio-iv aù/Éva verit et bénigne susceperit,
Tojïlij.£T£p(;jjj.£Tà0EÔv xpaTEi- oinnes quidem hostes conte-
EÎpr,vr) ôÉ, xai Ta ex Ta\jTr)ç rentur ac delebuntur : uni-
àyaOi, àépuv te £Jxoao-i'a. versse autem gentes nostra;
xai tïôv xapirwv E-J^opta, xai quœ secundum Deum est po-
Ta àXXa 8è Ta Xuo-iTeXoijVTa testati colla submittent :
toîç àvOpoiiToi; çiXoTtjj.Tjft^o-E- Pax denique, et quae ex pace
Tai. proveniunt bona, caeli tem-
2161
HÉNOTIQUÈ
2162
OÙ't(i>; oùv tt,; à[xa>|j.r|TOU
TtiVreto; r,SAâ; te xai Ta 'Pa>-
jiaïxà Ttspio-aHoùc-r,; upây-
(J.aTX. 8e7)<rSlÇ T|[«V 7Tp0aEXO-
(isff6rÉ(7av rcapà Seoaeëûv
àpy_itj.av6piTwv y.ai ÈpT|[J.iT<r>v,
•/.ai éTÉp(i)v ai8£(T!(ji(ov àvSptiiv,
[i=ïà éaxpùwv Ixeteuôvtiov,
ËvoJffiv ydvéo-Ôai Taï; àyioiTa-
t«i< 'ExxXïja'îai;, o-uvaçOr,-
vai te Ta |té).ï| toï; (xèXso-iv,
àicep ô [j.i<7oy.a/o; àrcô ttXec<t-
to>v ypôviov •/(■ipitrai y.aTT|-
icsi'7_6t|, yivtoaxfov 10; Ei ôXo-
xXiipw T<ji tt,; 'ExxXr|0-ta;
c-tôaaTi ■7iei}.s[j.(i>r,, TjTtr,8ï|(re-
Tai. Sunêai'vEi yàp ex toutou
xai yeveàç àvapt8(jiiQTOUç eI-
vai, osa; 6 ypovo; Èv too-ou-
xot; ëteo-i rr,; Çcùyîç ÛTiEÇriya-
•;•£/• /.ai Ta; (ièv toù XoTpou
Tïjç TEaXtyyEvsTta; È<7TSpr|fJ.É-
va; âiceXSetv, Ta; Se tt,; SeCaç
xosvwvia; [rr, [lETaff^oucra;,
iro'o; tt|V T(i>v àv6pu>TC(«v àua-
paiT^TOv Èx6r,(At'av à7ra/0fÉvai"
<pôvo'j;T£TO>.jj.rl6flvai |j.up;ou;,
xai ai[j.àT(ov TtXr,0£i uvoXuv-
8T)vaiu,ï| JJ.ÔVOV tt,v yf.v, àXXà
•/.ai aÙTÔv TÔvàépa.TaÙTa t'i;
oùx av ei; tô àyaôbv jj.ETaijy.Eu-
ao-8f,vat TupOCTêûÇosto ; à:i
toi toùto ytvtôo"xsiv ù|j.â;
È<jTCJuSâo-a|J£v, 6ti xai T,;j.Et;
xai aï TtavTayoû 'ExxXTjffîai
STspov o-ùu.ëoXov T| p.àOri|j.a, ri
opov tcîo~teu>;, r, 7ri<TTiv tcXt|V
toù EÎpr|U.Évou àyt'ou Y^ujaSô-
Xou TwvTiyj' àyûov llaTÉpwv,
ÔTîEp sësêaitoffav oi uw^p-.o-
veuÔévte; pv' â'yioi IlaT£p£;,
O'JtE £0-"/r|XajJ.£V, OUTE S"/OU,EV,
oute eÇojjlev, o'jte Ë/ovTa;
È7r;o-Tà|As6a. Et Se xai s'yo;
Ttç, «XXoTpiov a-JTÔv r,yoù-
fj.EÛa. Toùto yàp xa' fâvov,
<o; Esauvsv, tt,v r,[j.STÉpav tce-
pio-oôÇetv TsfJap'pr,y.a[j.sv £)ao"i-
XEi'av. Kai TràvTtç 8s ot Xaoi
toû o-toTr,ptoJ îou; à<;ioùu.Evoi
^(uticfiaTo;, a-JTÔ xai p.ovov
uapaXa[j.6àvovTE; paTtTc'sOv-
Tai. TÇ xai ÈÇï)XoXou6T|a,av
oi âyiot FlaTÉpE; oî Èv tt,
' EipEaiuv ituveXÔôvte;, oi
xa9sX6vTs; tov ào~£ër| Nso-tô-
ptov, xai Toù;Ta êxeîvou \xna.
TaÙTa çppovoùvTa;. "OvTtva
xai r,|J.EÏ; Neotociov âjj.a E-j-
TU'/_EÏTàvavTÎaToï; £!pr(|j.£voi;
çpovoùvTa;. àva8îp.aTC^o|j.£v,
0E"^6|i.EV0[ xai Ta tS' XEçàXaia
Ta EÎprip.éva Ttapà toû tt);
ôtria; |xvr,|ir.; KupiXXov -f=v' -
pivou àpyiETCio-y.oTtou tt,;
'AXEÇavSpÉwv âyca; xaOo-
)i'/.T,; 'ExxX^o-c'a;. "OfioXo-
YOVjASV 8È TÔV (JLOVOyEVTj TOÛ
0eoû TSbv xai Qeôv, tov xaTa
àXr)6eiav ÈvavÔpdjTcyiO-avTa tov
Kupiov r(jj.<r)v 'Iyhtoûv Xpi-
(Jtov, ôjxoo'Jo-iov t<o IlaTpi
xaTa ty)v OEÔT-/",Ta, xai ô(j.oo-J-
<7tov r,(xïv tov aÙTÔv xaTa TT|V
àvOpa)TroTr|Ta. xatsXOdvTa xai
aapxw6ÉvTa ex Ilv£'J[j.aTO;
aviou y.ai Mapta; vf,; Ilap-
8evo\j xa't 0EOTÔ-/.OV, É'va T-jy-
yàvEtv, xai o-j Sûo. 'Evb; yàp
c'vai sajj.sv Ta te 6a-Jtj.aTa y.ai
peries, frugum ubertas, et
qiuccumque alia commoda,
hominibus donabuntur.
Cum crgo irrepreliensibilis
fidcs, et nos et rempublicam
Romanam ita conservet,
preces nobis oblataî sunt a
religiosissimis archimandri-
tis et eremitis et aliis reve-
rendis hominibus, qui cum
lacrymis supplicabant, ut
imitas ficret sanctissimis
Ecclesiis, et membra mem-
bris conjungerentur, quoe
boni totius inimicus jam-
dudum a se invicem disjun-
gere conatus est : sciens se,
si integrum Ecclesise corpus
impugnaverit, facile esse su-
perandum. Ex hoc enim
contigit, ut innumerabilis
hominum multitudo, quam
tôt annorum spatio temporis
longinquitas ex hac luce sub-
traxit, partim regenerationis
lavacro fraudata interierit,
partim absque divinae com-
munionis perceptione ex hac
vita migraverit : utque innu-
merae csedes perpétrât» sint,
et effusi sanguinis copia non
terra solum, sed etiam aer
ipse sit contaminatus. Quse
quidem, quotusquisque est
qui non optaverit in melio-
rem statum commutari ?
Quapropter scire vos volu-
mus, nec nos, nec eas quœ
ubique sunt Ecclesias, aliud
symbolum aul mathema,
aliamve definitionem fidei
aut fidem, praeter supra me-
moratum sanctum symbo-
lum trecentorum et octode-
cim sanctorum Patrum,
quod a jam dictis centum et
quinquaginta sanctis Patri-
bus confirmatum est, ha-
buisse, vel habere, vel habi-
turos esse, nec scire quos-
quam qui habeant. Quod si
quis habeat, hune extra-
neum esse judicamus. Hoc
enim symbolo solo, ut jam
dictum est, imperium nos-
trumservari confidimus. Sed
et omnes populi qui saluta-
rem baptismum percipiunt,
hoc solo accepto symbolo
baptizantur. Idem etiam se-
cuti sunt sancti Patres qui
Ephesi convenerunt, et qui
impium Nestorium una cum
iis qui ejus sententiam pos-
tea amplexi sunt, deposue-
runt. Quem quidem nos
simul cum Eutyche, utpote
contraria memoratis Patri-
bus sentientes, anathemati-
zamus, suscipientes etiam
duodecim capitula, quœ a
sanctae memoriœ Cyrillo,
sanctaî catholicse Alexandri-
norum Ecclesise quondam
archiepiscopo, dictata sunt.
Confïtemur autem unigeni-
tum Dei Filium et Deum,
vere hominem factum,
Dominum nostrum Jesum
Christum, consubstantialem
Patri secundum Deitatem,
eumdemque nobis consub-
stantialem quoad humani-
tatem : qui descendit et in-
carnatus est ex Spiritu Sanc-
to de Maria "Virgine ac Dei
Génitrice, unum esse, non
duos. Unius enim esse dici-
mus, tum miracula, tum
passiones quas sponte sua in
carne sustinuit. Eos vero [qui
dividunt aut confundunt,
aut phantasiam introducunt,
nullatenus suscipimus. Siqui-
dem vera illa et peccati ex-
pers incarnatio ex Dei Géni-
trice accessionem alterius
Filii non effeeit. Trinitas
enim semper mansit Trini-
tas, etiamsi unus ex Trini-
tate, Deus scilicet Verbum,
incarnatus sit. Scientes ita-
que sanctas et orthodoxas
quae ubique sunt Ecclesias
Dei, et qui illis praesunt Dei
amantissimos episcopos, nos-
trum denique imperium,
nullum aliud symbolum aut
definitionem fidei planter su-
pra memoratum sanctum
mathema admisisse vel ad-
mittere, absque ulla cuncta-
tione nos adunavimus. Hsec
autem scripsimus vobis, non
innovantes fidem, sed ut
vobis satisfaccremus. Qui-
cumque vero aliter sentit aut
sensit, vel mine vel quando-
cumque alias, sive Chalce-
done, sive in alia qualibet
synodo, eum anathematiza-
mus : prsecipue tamen Nes-
torium et Eutychem, et eos
qui idem cum illis sentiunt.
Conjungimini igitur matri
spiritali Ecclesise, ut in ea,
una eademque nobiscum di-
vina communione fruamini,
juxta memoratam fidei defi-
nitionem trecentorum et oc-
todecim sanctorum Patrum,
quae una ac sola est fidei
definitio. Sanctissima enim
mater nostra Ecclesia vos
tanquam proprios filios ex-
spectat ut amplectatur, et
post diuturnum tempus sua-
vem vocis vestrae c«.ui,er.tum
audire desiderat. Festinate
igitur concito cursu. Quod si
feceritis, tum Domini et Ser-
vatoris ac Dei nostri Jesu
Christi benevolentiam vobis
conciliabitis, tum a nostra
majestate maximum laudem
referetis.
Il n'est guère douteux que l'Hcnotique ne soit
l'œuvre du patriarche Acace. Évagre, H. E., 1. III,
c. xin. P. G., t. i.xxxvi, col. 2G20, l'insinue : -rajTrjv
T7]v oîy.ovouiav yvoipiri (juvT£Ost|j.ÉvT)v 'Axaxcou toj tt];
[îaaiXiSoç Èrc'.ay.orou ; et Théophane, Chronographia, an.
47G, Bonn, p. 202, se fait l'écho de l'opinion qui lui en
attribuait expressément la rédaction : to'te y.ai évwxœôv
Èrcoir]0£ Zrjvojv xa't Tcavtayoù èÇc'ttsjj.-I'SV, litîo 'Axay.iou
tou KwvoravTivouTCÔXstoç ûrayopsuOÉv, (b; toail itvs;.
On peut dire que le génie d'Acace s'y retrouve tout
entier. « Confusion, incohérence, contradiction, abus de
pouvoir, tels sont les traits qui frappent tout d'abord
à la lecture de cet ëdit. L'empereur affirme que toutes
les Églises ne reconnaissent avec lui d'autre définition
de foi que celle de Nicée.Il confond deux choses essen-
tiellement distinctes. Sans doute, le symbole de Nicéc
était alors comme aujourd'hui l'expression de la vérité
Ta 7ra6r; avtsp exovitko; 'j7u-
[xstve crapy.i. Toù; yàp Siat-
poûvTa; r, o"'jy/ÉovTa;, rt çav-
Tao-tav Eco"àyovTa;, 0.Ù8È ô'Xio;
6£yô(x£0a' ÈTrEi7T£p f, àva}j.àp-
t»ito; xaTa àXr,8eiav o-âpxw-
<nç ex Trj; Oeotôkov, Tcpoo-Or,-
■/.'Cf-l \'\rj\i O'j TCETtOirf/S. Me|xs-
vtjxe yàp Tptà; rt Tpiâ;, xai
o-apy<i)6ÉvTo; toù évbç tt,;
ïptaôoç 0eoC Aôyou. Eî68t£;
ouv ô>ç oute ai àyiat TtavTayoû
toù 0£où ôpÔôSoÇot 'Exy.Xrj-
alai, oute oi toutoiv 7rpoVo-T(i-
pisvoi Beoç'.XéffTaToi lepsïç,
oute ■!] r,(jETÉpa [iafji/Eia Éte-
pOU CU[J.ooXoU ¥] OpOU TtilTTEW;
irapà tÔ Eipr,|j.£vov à'ytov
[i.ibr^a T|VÉo"'/ovto rt àvÉyov-
Tai, r;v(ôo"a|j.Ev ÉauToù;, |j.T|8kv
ÈvSo'.âsOVTE;. TaÙTa 6e yEypà-
ça[j.£v où xatvtÇovTE; t»'o-t:v,
àXX' ùfxâ; TcXripocpopoùvTE;.
ndtvTa 6e tov ETEpôv ti çpo-
vri^avTa, r, cppovoùvTa, ï| vùv,
Vj TTdJTCOTE, f) £V XaXx/|8Ôv t, ï)
oia 6r,7iOT: ffuvôSa), àvaÔEp.a-
TtÇo[j.£V ÈEaipÉTO); 6È tou;
£ipr,[j.évou; NsaTÔpiov, xai
EÙTuyr,, xai tou; Ta aÙTtîiv
çpovoùvTa;. 2uvo(!ij6t)ts toivuv
TÏ) 7tVEU[J.aTlXrj [J.T,Tpi TT; 'Ex-
xXï]a,ia,TT!l; aÙTTi; yjfJ.ïv èv auT'?j
ôsîa; aTcoXauovTE; xo'.vwvt'a;
xaTaTÔv EÎp^ixÉvovÉ'va xai u.ô-
Vov opov TT|C iriaTEco; T(iiv Tir) '
âyîtov IlaTÉpwv. ' H yàp 7ta-
vayia u/^TTip r^ôiv f\ 'E/.v.'t,rr
aia. xai yvr^i'ou; ù(j.â; uiou;
àTC£x8É)ETat 7TEptTCTÙîao-9ai,
xai tti; ypovia; xai yXuy.sc'a;
ù(J.(î)v ÈTCi6u|j.£t cpo)v?i; àxpoâ-
o-aaBai. 'EuEt^aTE oùv jau-
tou;. TaÙTa yàp itotoù/T£;,
xai tïjv toù Aecttcôtou xai
ScoTfipo; xai 0EOÙ r,u,(i)v
'Ir|(70Ù XptffTOÙ EÙ[J.£VEtav
repô; ÉauToù; eçeXxuo'Ete, xai
Ttapà tt,; T^ETÈpa; pao-tXEta,
ÈT:aiVEOTlO-EO'0E.
2163
HENOTIOUE
2164
catholique; mais il n'était pas l'expression unique
de cette vérité, puisque des évêques de toutes les par-
ties du inonde réunis à Chalcédoine avaient formulé
une profession de foi plus détaillée, plus étendue en
certains points que celle de Nicée, et que tout l'univers
catholique avait adopté la formule de Chalcédoine.
L'empereur commence par protester qu'il veut s'en te-
nir exclusivement au symbole de Nicée, et, quel-
ques lignes plus loin, il reconnaît encore pour expres-
sion de la foi la définition du concile d'Éphèse, les
douze chapitres ou anathématismes de saint Cyrille.
Il ne veut pas admettre le concile de Chalcédoine, et il
dresse contre Eutychcs une définition qui est en sub-
stance celle de Chalcédoine. L'incohérence et la con-
tradiction peuvent-elles être plus flagrantes ?» Darras,
Histoire générale de V Église, Paris, 1869, t. xm, p. 485.
Cf. Rohrbacher, Histoire universelle de l'Église catho-
lique, 1. XLII, édit. Guillaume, Lyon, 1872, t. iv,
p. 59.
Ce sont ces incohérences et ces contradictions qui
caractérisent l'Hénotique. Doit-on lui infliger la note
d'hérésie ? Baronius L'affirme, Annal, eccl., an. 482 ;
Noël Alexandre, Hist. ceci., sa'C v, c. in, a. 19, § 4,
Venise, 1771, t. v, p. 86, soutient l'opinion contraire,
à savoir que l'Hénotique n'enseigne pas l'hérésie, mais
qu'il la favorise seulement par ses réticences. Sous
ce titre : Zeno impcralor edicto Henotico synodum
Chalcedonensem compugnavit, non fidem in ea confir-
matam, l'historien-théologicn analyse l'édit et aboutit
à cette conclusion : Ex his evidens est, Henoticum
Zenonis rulychianam harcsim non adslruere, immo
ipsam impugnare et damnare; nec fidem duarum in
Christo naturarum a Chalccdonensibus Palribus confir-
malam concutere, sed assercre potius. Unde cardinalis
Baronius Zenonem semper hœreticum et perfidum
fuisse, cverlisse calholica dogmala, pessum dédisse fun-
ditus chrislianam religionem, jalso scribil, ad ann. 482.
Nom et ex ipsis Henolici verbis et ex epistola Zenonis ad
Felicem pontificem maximum, cujus fragmenlum referl
Evagrius, 1. III, c. xx, refellilur eminentissimus auclor.
Verba epistolœ Zenonis, post edictum Heno'icon dalce,
hse sunt : Pro cerlo habere debes, et pietalcm noslram, et
supra memoralum sanclissimum Petrum (Pierre Monge),
et universas sacrosanetas Ecclesias sanclissimum Chalce-
donense concilium amplecti atque venerari, quod cum
flde Nicœni concilii prorsus convenil. Et Noël Alexandre
termine en disant : Non difjileor lamen Hcnolicon
Zenonis causœ fidei nocuisse, et fouisse hœrcsim,
silendo cum de S. Leonis epistola, cum de synodi Chalce-
donensis definilione, lum denique de his vocabulis :
Ex duabus cl in duabus naluris, quee calholiese fidei
contra eutychianam perfidiam nota singularh erani
11 semble que l'on puisse se rallier à cette conclusion
de Noël Alexandre : d'une part, l'Hénotique ne pro-
fessant point explicitement de doctrine hérétique,
condamnant par ailleurs les hérésies de Nestorius et
d'Eutychès; d'autre part, une lettre ultérieure de
l'empereur Zenon au pape Félix III admettant explici-
tement le concile de Chalcédoine. Aussi l'Église catho-
lique n'a-t-elle point expressément condamné l'Héno-
tique. Sans doute, on voulut alors éviter d'exaspérer
l'empereur et de provoquer des schismes plus graves
ou des maux plus difficiles à guérir; mais ces motifs
n'auraient pas suffi à écarter la condamnation, si la
formule avait été jugée proprement et directement
hérélique. Voir en ce sens la remarque d'un annota-
teur d'Évagre, 1. III, c. xvn, P. G., t. lxxxvi, col.
2625-2626.
Cependant, du seul point de vue doctrinal et indé-
pendamment même des conséquences déplorables
■qu'eut en fait l'Hénotique, le théologien catholique
ne saurait être trop sévère contre cet édit qui « tournait
les questions, au lieu de les résoudre, et qui, s'il avait été
accepté, aurait eu pour résultat infaillible d'arrêter le
développement de la doctrine chrétienne ». H. Leclercq,
dans Hefele, Histoire des conciles, t. n, p. 865-866. De
ce chef, nolons-le en passant, l'Hénotique préludait à la
méthode qui devait et recolle de Photius, de Michel Cêru-
Jaire et de leurs successeurs, consistant à restreindre à
tel nombre de conciles œcuméniques et à clore à telle
époque donnée le développement du dogme catholique.
C'est un trait déplus, ajouté à tant d'autres, qui font du
patriarche Acace un triste précurseur dans l'histoire des
schismes orientaux. En somme, l'évèque africain Victor
de Tunes (t 566) résumait assez bien en ces termes le
jugement que devait porter sur l'Hénotique de Zenon
la postérité catholique : Zenon imperator eutychiani
poculo erroris sopitus, Acacium Conslanlinopolitanum
episcopum damnatoribus concilii Chalcedonensis Petro
Alexandrino et Petro Anliocheno episcopis per Heno-
licon socians, corum communione polluitur, et cum eis
a catholica fide reccssil. Chronicon, an. 482, P. L.,
t. lxviii, col. 945, cité par Henri de Valois dans ses an-
notations au texte d'Évagre, 1. III, c. xm, P. G.,
t. lxxxvi, col. 2619. En efïet, le mal de l'Hénotique,
ce par quoi se fit la déviation de la doctrine catho-
lique, ce furent ses conséquences, lesquelles sont
toutes représentées par la communion établie du fait
de l'Hénotique entre Acace et les hérétiques Pierre
Monge d'Alexandrie, Pierre le Foulon d'Anlioche.
III. Les conséquences de l'Hénotique : le
schisme acacien. — De fait, le schisme naquit presque
aussitôt de cette soi-disant formule d'union. L'Héno-
tique était adressé spécialement aux Églises d'Egypte;
mais en réalité son but était beaucoup plus général, il
visait à faire la réconciliation des chrétiens sur toute
l'étendue de l'empire. Comme il arrive souvent en
pareil cas, surtout quand on prétend imposer des con-
cessions à la vérité, « il eut un résultat diamétralement
opposé et ne contenta personne. Les monophysites
proprement dits demandaient un rejet plus explicite
du concile de Chalcédoine et du dyophysisme; les
nestoriens et ceux d'Anlioche furent scandalisés de
l'approbation donnée aux anathémes de saint Cyrille;
enfin les orthodoxes furent blessés du sans-gêne avec
lequel on traitait le concile de Chalcédoine, de ce qu'il
y avait de peu précis dans l'exposition dogmatique de
ledit, et surtout de ce que l'empereur s'établissait juge
de la foi. » Leclercq, op. cit., p. 867. C'est probaLU mmt
à ce dernier grief qu'il faut rapporter cette plainte du
pape saint Gélase quelques années plus tard : « Ils
(les grecs) ont rejeté les dogmes des apôtres et se
glorifient des doctrines des laïques. » Epist., xliii,
édit. Thiel, p. 478.
L'Hénotique fut d'abord souscrit par Acace et par
Pierre Monge. D'après le récit de Liberatus, l'édit fut
porté à Alexandrie par l'abbé Ammon et les apocri-
siaires de Monge. Ceux-ci étaient en même temps
porteurs d'une lettre impériale ordonnant à Pergame,
duc d'Egypte, de chasser Jean Talaïa et de rétablir
Pierre Monge. L'expulsion de Talaïa eut lieu aussitôt.
Le 24 octobre 482 (c'est la date admise par Tillemont,
Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique, Venise,
1732, t. xvi, p. 331), Pierre Monge se rendit dans
l'église de Saint-Marc, à Alexandrie, adressa un dis-
cours au peuple, donna lecture de l'Hénotique et admit
à sa communion les orthodoxes. D'autre part, il anathé-
matisa ouvertement le concile de Chalcédoine et la
lettre dogmatique de saint Léon; il raya des diptyques
les noms des catholiques Prolérius et Timothée Salo-
phakialos, pour y inscrire ceux des hérétiques Dioscore
et Timothée Élure. Cf. Hefele, Histoire des conciles,
trad. Leclercq, t. n, où est fournie pour ces faits la date
du 14 mai 482.
L'Hénotique fut souscrit aussi par Pierre le Foulon,
qui retourna à Antioche en remplacement du pa-
2165
HÉNOTIQUE
2166
triarche orthodoxe Calandion, déposé pour des raisons
politiques; par Martyrius de Jérusalem et par un
certain nombre d'autres évêques, dont plusieurs ne
signèrent que par faiblesse et par crainte de l'empereur.
En dépit de ces adhésions, « il arriva ce qui était
inévitable : la division ne fit qu'augmenter. Les mono-
physites rigoureux devaient, comme les vrais catho-
liques, rejeter l'Hénotique; et quant aux esprits plus
souples, dans l'un et l'autre parti, cette formule ne
suffisait pas pour les unir dans une croyance com-
mune. » Hergenrôther, Histoire de l'Église, trad. Bélet,
Paris, 1880, t. n, p. 261. Malgré l'union apparente pio-
clamée à Alexandrie par Pierre Monge, un bon nombre
de monophysites intransigeants « ne lui pardonnèrent
pas sa modération relative vis-à-vis du concile de
Chalcédoine », ïixeront, Histoire des dogmes, Paris,
1912, t. m, p. 108, se séparèrent de lui et reçurent le
nom d'acéphales (sans chef) : ils reconnaissaient
Timothée Élure comme le dernier patriarche légitime
d'Alexandrie. Eustathe, Epist. ad Timolheun Scholas-
iicum, dans Mai, Nova colleclio, t. vu a, p. 277. Voir
t. i, col. 308-309. Beaucoup d'évêques et de prêtres
catholiques égyptiens se rendirent à Constantinople,
espérant y trouver quelque appui. Us avertirent Acace
des désordres d'Alexandrie. Liberatus, Breviarium,
c. xvin. « Mais ils n'y reçurent de lui que des rebuts et
de mauvais traitements, et trouvèrent qu'il soutenait
Mongus en toutes choses; de sorte qu'ils souffrirent à
Constantinople une persécution très cruelle. «Tillemont,
op. cit., p. 331. Un document nous apprend, en effet,
qu'il y eut beaucoup de protériens (c'était le nom
donné en Egypte aux catholiques, du nom du pa-
triarche saint Protérius) qui combattirent pour la
vérité jusqu'à la mort : -oàâo'i SèxcxI [J-é/pt 9«vatou fatèp
xrjç aktfiiiai oirjycovt'aavTO. Eclogse hisl. ceci., dans
Cramer. Anecdota grseca e codd. manuscriptis Bihlio-
iheese reyiœ Parisiensis, Oxford, 1839, t. il, p. 10G.
Ces champions de la vérité devaient nécessairement
trouver auprès du pape l'appui et l'encouragement
qu'ils n'avaient pas trouvés à Constantinople Acace,
au contraire, ne pouvait obtenir de Rome que désap-
probation et condamnation; en conséquence, s'il per-
sistait, provoquer le schisme. C'est ce qui arriva. On
peut, avec Dufourcq, Histoire de l'Église du me au
XIe siècle : le christianisme et l'empire, 4 e édit., Paris,
1910, p. 276, résumer ainsi les faits qui aboutirent à ce
triste résultat : « Acace prévoit que l'Hénotique ne
contentera tout à fait personne. Il escompte la situa-
tion d'arbitre que lui feront les partis extrêmes.
L'affaire de Jean Talaïa précipite la crise. Depuis
Chalcédoine, Rome et Constantinople ont marché de
concert; le nom de Marcien est béni par les papes, il
entre dans la légende; quant à Basiliskos, qu'est-ce
autre chose qu'un vil usurpateur? Acace n'a-t-il pas
donné des gages en déposant Pierre le Foulon ? Sim-
plicius pourtant n'est pas sans inquiétudes : il a refusé
de condamner Jean Talaïa et d'accepter Pierre Monge.
Talaïa arrive à Rome (483); il précise les soupçons du
pape, et lorsque celui-ci meurt (mars 483), il guide son
successeur Félix III. Une ambassade romaine conduite
par les évêques Vitalis et Misenus s'achemine à Con-
stantinople: elle doit fortifier l'attachement de l'empe-
reur pour Chalcédoine et régler la question d'Alexan-
drie. Mais les légats pontificaux, en butte tour à tour
aux menaces et aux promesses, trahissent indignement
leur maître. Félix, prévenu, les dépose; il excommunie
Acace et Pierre Monge, 28 juillet 484, il somme Zenon
de choisir entre Pierre Monge et Rome. »
Du récit de Liberatus, Breviarium, c. xvm, P. L.,
t. lxviii, col. 1 026, il ressort que Talaïa avait fait appel
au pape par lettre, dès avant son arrivée à Rome.
Simplicius écrivit aussitôt à Acace. Celui-ci répondit
qu'il ignorait Jean Talaïa comme évêque d'Alexandrie,
et qu'il avait reçu dans sa communion Pierre Monge en
vertu de l'Hénotique de Zenon, pour obéir aux ordres
de l'empereur concernant l'union des Églises. Cf.
Tillemont, Mémoires, t. xvi, a. 28, p. 335-336, et notes
20-22, p. 763.
Déjà plusieurs moines orthodoxes, principalement
les acémètes de Constantinople, et plusieurs évêques
expulsés de leurs sièges s'étaient adressés au pape.
Mansi, Concil., t. vu, col. 1137. Parmi ces évêques, dit
Tillemont, op. cit., a. 45, p. 368-369, nous ne connaissons
« que ceux dont Théophane nous a conservé la mémoire,
qui sont Nestor de Tarse, Cyr d'Hiéraple, Jean de Cyr,
Romain de Chalcédoine ou peut-être de Chalcide,
comme l'a mis M. Valois, car tous les autres sont du
patriarcat d'Antioche; Eusèbe de Samosate, Julien
de Mopsueste, Paul de Constantine, Mane d'Himère,
André de Théodosiople : Zenon les fit chasser de leurs
églises, sous prétexte qu'ils avaient favorisé les tyrans
Léonce et Illus, mais en effet à cause de son Hénotique,
dit Théophane. » Ces prélats, affirme explicitement
Théophane, s'adressèrent au pape Félix, après la mort
de Simplicius, et lui déclarèrent que le vrai responsable
de tout le mal était Acace. Chrono q raphia, an. 478,
Bonn, p. 204; P. G., t. cvm, col. 32L
C'est alors que Félix III envoya à Constantinople en
qualité de légats les évêques Vital de Tronto dans le
Picenum et Misenus de Cume en Campanie : ils avaient
pour mission d'obtenir de l'empereur que Pierre Monge
fût chassé d'Alexandrie, et d'inviter Acace à se justi-
fier, dans un concile romain, des plaintes portées
contre lui par Jean Talaïa. Epistolœ et acta Felicis
papas III, dans Mansi, Concil., t. vu, col. 1028-1032,
1108. Le pape leur manda plus tard d'avoir à s'en-
tendre avec Cyrille, archimandrite des acémètes.
Arrivés à la cour byzantine, les légats se laissèrent
gagner par la ruse et la violence, acceptèrent la com-
munion d' Acace et de Pierre Monge, signèrent un juge-
ment favorable à ce dernier, en un mot, trahirent leur
mandat. Voir les détails circonstanciés de cette trahi-
son, clans Tillemont, op. cit., a. 34, p. 348-350. Cf.
Théophane, Chronographia, an. 482, P. G., t. cvm,
col. 325.
Les lettres confiées par Zenon aux deux légats lors
de leur départ renfermaient les éloges les plus excessifs
à l'adresse de Pierre Monge, dont la condamnation
antérieure était effrontément mise en question. Un
fragment des lettres impériales a été conservé par
Évagre, H. E., 1. III, c. xx, P. G., t. lxxxvi, col. 2637.
Zenon renouvelle ses plaintes conlre « le parjure »
Talaïa; il affirme que personne ne songe à toucher au
concile de Chalcédoine, lequel s'accorde entièrement
avec celui de Nicée; que Pierre Monge a solennellement
accepté le IVe concile, qu'il y est sincèrement attaché;
que lui, empereur, a traité les affaires ecclésiastiques
avec la plus grande modération, et qu'il s'est pleine-
ment conformé aux instructions du patriarche Acace.
Hergenrôther, Photius, t. i, p. 123.
Quant au contenu de la lettre d' Acace, nous le
connaissons par les lettres subséquentes du pape
Félix III, Epist., vi, ix, x, Traclatus super causa
Acacii, dans Mansi, Concil., t. vu, col. 1053-1089; par
le synode romain de 184, ibid., col. 1105-1109; par la
correspondance du pape saint Gélase, Epist., xm,
ad episcopos Dard.; Epist., xv, ad episc. Orient., dans
Mansi, t. vin, col. 49-63; par Liberatus, c. xvm; par
le Breviculus historiée eutijehianorum, dans Mansi,
t. vu, col. 1060-1065. Le patriarche byzantin soutient
la légitimité de Pierre Monge, accuse de nouveau
Talaïa, sans réfuter aucunement les accusations portées
contre sa propre personne; et il prétexte, pour se
couvrir, la volonté de l'empereur, que d'autre part il se
glorifiait d'avoir complètement en son pouvoir.
Félix III, Epist. ad Zenonem, Tractatus super causa
210/
H E N 0 T I O U E
2168
Acacii; S. Gélase, Epist., xm. Hergenrôther, Pholius,
t. i. p. 123, note très justement que le patriarche de
Constantinople se posait, de fait, en chef ecclésiastique
de tout l'empire oriental et ne paraissait pas se soucier
désormais du siège de Rome. Il perdit ainsi le dernier
reste de confiance de la part des catholiques, surtout
des moines acémètes, qui se séparèrent de sa com-
munion. L'infidélité des légats romains souleva dans
ce milieu orthodoxe la plus éclatante indignation. Voir
le récit de Théophane le Chronographe, an. 480,
Bonn, p. 205; P. G., t. cviii, col. 324. L'acémète Siméon
fut envoyé à Rome pour rapporter au pape ce qui
s'était passé et pour démasquer les légats infidèles.
Évagre, H. E., 1. III. c. xxi, P. G., t. lxxxvi, col. 2640.
Félix III réunit à Rome un concile de 07 évêques
(juillet 484), reprit lui-même toute l'affaire, cassa la
sentence des légats, les destitua de leur dignité, et les
priva même de la communion eucharistique. Il renou-
vela la condamnation déjà portée contre Pierre Monge,
et prononça contre Acace, qui dans l'intervalle avait
été une fois encore inutilement averti et exhorté,
l'excommunication et la déposition : Acacium, qui
secundo a nobis admonitus statulorum sah:brium non
destitit esse conlemptor, meque in meis credidit carce-
randum, hune Deus cielitus prolata sententia de sacer-
dotio fecit extorrem. Ergo, si quis episcopus, clerieus,
monachus, laicus post hanc denunciationem eidem com-
municaverii, analhema sit, Spirilu Sancto exsequente.
Mansi, Concil., t. vu, col. 1065.
Parmi les nombreux crimes d'Acace, ceux-ci étaient
spécialement relevés : 1° contre les canons de Nicée, il
s'est arrogé des droits étrangers; 2° non seulement il
a reçu dans sa communion les hérétiques, mais encore
il leur a procuré des évêchés, comme notamment à
Jean d'Apamée l'archevêché de Tyr; 3° il a soutenu
Pierre Monge dans l'occupation du siège d'Alexandrie,
il persiste à le soutenir et à rester en communion avec
lui; 4° il a entraîné les légats romains à transgresser
leurs instructions, il les a trompés et fait mettre en
prison ; 5° loin de se justifier des plaintes de Talaïa
contre lui, il s'est montré obstinément rebelle aux aver-
tissements du siège apostolique, et il a donné à toute
l'Église orientale le plus grand scandale. Félix III,
Episl., vi, ad Acacium, 28 juillet 484, dans Mansi,
Concil., t. vu, col. 1053-1055.
L'exemplaire de la sentence contre Acace, destiné
à être envoyé à Constantinople, fut souscrit par le pape
seul. C'était, d'une part, comme le remarque Hergen-
rôther, op. cit., p. 124, se conformer à un usage ancien,
et, d'autre part, faciliter la transmission secrète et
plus sûre à la capitale byzantine. Si, en effet, la sen-
tence eût été souscrite aussi par les évêques du synode,
il eût fallu, selon la coutume alors régnante, que deux
évêques au moins allassent la porter à Constantinople :
ce qui, après le triste exemple de la précédente léga-
tion, paraissait très dangereux. Souscrite par le pape
seul, elle put être confiée à un simple clerc, nommé
Tutus, honoré de la dignité de defensor de l'Église
romaine. Cette forme moins solennelle mettait davan-
tage à l'abri des embûches ou des violences impériales.
Car « Zenon faisait garder tous les chemins par mer et
par terre, pour empêcher qu'on apportât rien fie Rome
contre Acace. Ainsi il n'y avait pas moyen d'envoyer
la sentence rendue contre lui, par une voie publique et
solennelle, et par des évêques; mais il fallait l'envoyer
secrètement, de peur qu'elle ne fût prise et ne demeurât
sans ellet. » Tilltmont, op. cit., a. 42.
Dans une lettre adressée à l'empereur le 1" août 484,
Félix III se plaint des indignes procédés employés
contre ses légats; il déclare avec fermeté que l'héré-
tique Pierre Monge ne saurait avoir aucun espoir d'être
reconnu par le saint-siège; qu'il lui reste, à lui, empe-
reur, à choisir entre la communion de Pierre l'apôtre
et celle de Pierre l'hérétique. Il rappelle enfin le sou-
verain aux limites de son pouvoir et lui annonce la
sentence portée contre Acace. Episl., ix, dans Mansi,
Concil., t. vu, col. 1065-1066.
En même temps, dans une lettre au clergé et au
peuple de Constantinople, le pape cherchait à réparer
le scandale donné par ses légats, à démontrer la justice
du jugement porté et à en assurer l'exécution. Episl., x,
col. 1067.
Un peu plus tard, en octobre 485, à la nouvelle de
la déposition de Calandion à Antioche et du rétablisse-
ment de l'intrus Pierre, le Foulon, Félix III tint encore,
avec 43 évêques, un synode qui renouvela l'anathème
à la fois contre Pierre le Foulon, contre Pierre Monge
et contre Acace. Mansi, t. vu, col. 1139.
Sur les deux synodes romains de 484 et 485 et la
condamnation d'Acace, voir Tillemont, Mémoires,
t. xvi, a. 36-40, p. 351-359; a. 48, p. 373-374, et
note 25, p. 764-766; B. M. de Rubeis, De una sententia
damnalionis in Acacium episcopum Conslantinopolita-
num post quinquennium silentii lala in synodo Ro-
mana Felicis papse III, disserlatio, in-8°, Venise, 1729;
H. de Valois, De duobus synodis romanis in quibus
damnatus est Acacius, appendice à l'édition de YHis-
toria ecclcsiaslica d'Évagre, Paris, 1673, réimprimé dans
P. G., t. lxxxvi, col. 2895-2906 (cette dissertation de
H. de Valois est inséparable de celle qui la précède dans
le même ouvrage, à savoir : De Pctro Antiocheno epi-
scopo qui Fullo cognominatus est, et de synodis adversus
eum colleclis, col. 2885-2895, et toutes deux forment les
deux livres des Observaliones in Historiam ecclesias-
ticam Evagrii); Hefele, Histoire des conciles, trad.
Leclercq, t. n, p. 868-870.
Un grand chagrin était encore réservé à Félix III :
l'infidélité du defensor Tutus, qui se laissa séduire à
prix d'argent, après avoir toutefois accompli la plus
grande partie de sa mission et remis en mains sûres la
sentence portée contre Acace. H. de Vulois, dans la dis-
sertation signalée plus haut, c. v, P. G., t. lxxxvi,
col. 2902, explique ainsi en quoi consista la défection
de Tutus : His omnibus fidcliter peraclis, sicut in man-
dalis acceperat, dolis Acacii circumventus est. Missus
enim ad eum senex quidam Maronas nomine, magnam
vim pecuniœ pollicitus est, si Acacio consentire velhl,
cique omnia quœ Romœ contra ipsum agebanlur aperire.
Quod quidem Tutus, amore pecuniœ corruptus, scriptis
litteris se facturum respondit. Verum Ruftnus et
Thalassius archimandrite, cl cœlcri monachi Con-
stanlinopoli et per Bithyniam consliluti, simul alque
Tutus Romam reversus est, litteras scripserunl ad
Felicem papam, quibus eum de proditione Tuti certiorem
fecerunt, missis eliam Tuti ipsius litteris. De tels détails
offrent, en quelques lignes, un véritable tableau de la
triste situation créée par l'Hénotique et les intrigues
d'Acace.
Tutus fut, lui aussi, frappé de déposition perpétuelle.
Félix III, Epist., xi, ad presbyleros et archimandrilas,
an. 485, dans Mansi, t. vu, col. 1068.
Le schisme était commencé entre Constantinople et
Rome. Acace r.'était pas homme à céder. « Il lutta
contre les orthodoxes, tantôt avec ruse et fourberie,
comme notamment par l'assurance fallacieuse que le
pape avait reconnu Pierre Monge (Évagre, H. E.,
1. III, c. xxi, P. G., t. lxxxvi, col. 2640), tantôt aussi
par la violence ouverte, qu'eurent spécialement à
éprouver de la manière la plus lourde les moines acé-
mètes étroitement unis à Rome. » Hergenrôther,
Pholius, t. i, p. 125.
Ce furent ces moines qui, ayant reçu de Tutus la
lettre du pape, se chargèrent de la faire tenir à Acace.
Tillemont raconte ainsi la chose : « Tute s'acquitta
fort bien de sa commission. Il se sauva de ceux qui
gardaient le détroit d'Abyde, et se rendit dans le mo-
2169
HÉNOTIQUE
2170
nastère de Saint-Die. On savait bien qu'Acace, qui se
sentait appuyé par Zenon, ne recevrait jamais la lettre
du pape. Mais quelques moines de Saint-Die la lui firent
tomber entre les mains un dimanche lorsqu'il était à
l'autel (Théophane, an. 480, P. G., t. cvm, col. 324 ;
Kicéphore, 1. XVI, c. xvn, P. G., t. cxi/vn, col. 152),
ou qu'il y entrait pour célébrer les saints mystères
(Liberatus, Breviarium, c. xvm), en l'attachant à son
pallium. D'autres (Évagre, H. E., 1. III, c. xvm,
p. G., t. lxxxvi, col. 2636) disent que cela se fit par
un où plusieurs moines acémètes... Victor de Tunes
dit qu'Acace reçut la sentence de sa condamnation par
les moines acémètes des monastères de Bassien et de
Die. Ceux qui étaient autour d'Acace ne pouvaient
souffrir la hardiesse de ces moines, en tuèrent plusieurs,
en blessèrent d'autres et en mirent quelques-uns en
prison, comme Nicéphore nous en assure sur l'autorité
de Basile de Cilicie. et Théophane dit à peu près la
même chose. De sorte que ce n'est pas sans fondement
que Baronius (an. 483, § 34) a mis ces moines au rang
des martyrs. » Op. cit., a. 42, p. 361-362.
Les évêques orientaux tremblaient devant la puis-
sance de l'empereur et les intrigues de son patriarche,
qui agissait, dit Tillemont, op. cit., a. 45, p. 367, « avec
une violence de tyran ». Théophane assure, Chrono-
graphia, an. 480, P. G., t. cvm, col. 324, que Zenon,
poussé par Acace, forçait les évêques à signer l'Héno-
tique et à communier avec Pierre Monge. Victor de
Tunes, an. 485, écrit que tous les évêques de l'Orient,
hors un fort petit nombre, renoncèrent au concile de
Chalcédoine par l'Hénotique et prirent part aux fautes
des deux Pierre (Monge et le Foulon) et d'Acace, en
entrant dans leur communion. Cf. Théodore le Lecteur
et la Chronique de Nicéphore.
>< Le schisme acacien commence, qui consacre et
organise l'autonomie byzantine. L'Hénotique devient
le 'mot d'ordre du parti ; sous ce prétexte doctrinal,
l'Église byzantine commence de se former; le personnel
épiscopaf est renouvelé, vaincu, comme Vitalis, par
les promesses ou les menaces ; la juridiction de Con-
stantinople s'étend, s'affermit, se régularise; durant les
trente années que cette situation dure, Constantinople
devient la vraie métropole de l'Orient : elle hérite
d'Antioche comme elle a hérité d'Alexandrie. L'empe-
reur et le patriarche maintiennent l'unité de la foi sur
les bases établies par l'édit de 482 ; ils tentent de tenir
la balance égale entre les monophysites, tout-puis-
sants dans les vieux pays de Syrie et d'Egypte, et les
catholiques, très solidement organisés dans la capi-
tale et en Grèce. » A. Dufourcq, Histoire de VÉrjIise du
IIIe au IXe siècle, 4e édit., Paris, 1910, p. 276. C'est,
d'une manière générale, tout l'Orient séparé de Rome,
à la réserve, écrit Tillemont, op. cit., a. 43, p. 363,
« d'un petit nombre de personnes, qui demeuraient
cachées sous la multitude des autres. »
Acace mourut en automne de l'année 489 (Cuper,
Séries patriarcharum Conslanli .opolitarum, n. 234,
dans Acla sanclorum, august. t. i; Le Quien, Oriens
christianus, t. i, p. 218), hors de la communion de
l'Église romaine. Il laissa son diocèse dans un grand
trouble. « Sans doute, écrit Hergenr,>ther, Photius,
t. i, p. 126, il n'avait pas été condamné précisément
comme hérétique, mais seulement comme fauteur
d'hérésie ; toutefois il parut difficile de pouvoir expli-
quer sa conduite autrement que par une propension
couverte au monophysisme, et c'est pourquoi il a
mérité aussi le nom d'hérétique, qui lui a été attribué
non seulement en Occident, S. Avit de Vienne, Episl.,
m, ad Gundebaldum ; Ennodius de Pavie, p. 483, mais
aussi maintes fois en Orient. Liberatus, loc. cil. ; Nicé-
phore, Chron. ; Justinien, Confcssio fidei secundo,
dans Labbe, t. v, p. 587 ; Éphrem, moine, Chron.,
v. 9744, édit. Mai, p. 230 P. G., t. ex un. Son ambi-
tion sans limites, pour qui tout moyen, moral ou im-
moral, observation et violation des canons, semblait
être tout à fait indifférent, S. Gélase, Episl., xm,
a servi d'exemple à beaucoup de ses successeurs, et il
apparaît comme le véritable fondateur du patriarcat
byzantin au point de vue de la juridiction réelle, telle
qu'elle a été comprise dans les temps ultérieurs. »
Hergenr ther, loc. cit. Cf. Le Quien, Oriens christianus,
t. i, c. x, § 6; c. xi, § 5, p. 60-64.
Son successeur, Flavita ou Fravitas, désigné aussi
parfois sous le nom de Flavien II, sur l'élection duquel,
d'après certains auteurs, Nicéphore, Chron., xvi, 18 ;
cf. Cuper, loc. cit., n. 235-237, pèse un soupçon de
fraude ou d'imposture, chercha à se faire reconnaître
par Rome, en même temps qu'il entrait en relations
avec Pierre Monge. Le pape Félix III exigea que les
noms d'Acace et de Pierre Monge fussent rayés des
diptyques. Epist., xm, ad Zenonenr, xiv, ad Flavilani;
xv, ad Vetranum episcopum, dans Mansi, Concil.
t. vu, col. 1097-1100, 1103. Mais Flavita mourut
avant d'avoir reçu la lettre du pape, après un peu'
plus de trois mois d'épiscopat, au début de l'année 490.
Cf. Cuper, loc. cit., n. 240 ; Le Quien, op. cit., t. î,
p. 219. Le moine Éphrem, dans sa Chronibue, P. G.,
t. cxliii, v. 9743-9744, l'appelle : àvtspoç, (3Xâ<j<p7]uo;,
o'.ocpuaiTïi;, Axaxicp auu.uvouç xat dûaœpcov c;6aç.
Euphémius (490-496), qui lui succéda, reconnut, il
est vrai, le concile de Chalcédoine, rétablit dans les
diptyques le nom du pape, et renonça à la communion
de Pierre Monge (t en 490) ; mais il refusa d'effacer des
diptyques les noms de ses deux prédécesseurs, qui
avaient été des fauteurs de l'hérésie. L'empereur
Zenon étant mort en 491, son successeur Anastase
(491-518) maintint l'Hénotique ; suspect lui-même
d'hérésie, il favorisa les monophysites, quoiqu'il eût
promis, le jour de son couronnement, de défendre les
décrets de Chalcédoine. Le pape saint Gélase (492-496),
qui succéda à saint Félix III, maintint toutes les justes
exigences du saint-siège. Les négociations d'Euphé-
mius avec Rome furent vaines ; vaines aussi les ten-
tatives du pape pour gagner l'empereur. Celui-ci fit
déposer Euphémius par des évêques de cour, qui
durent à cette occasion confirmer l'Hénotique, et le
remplaça, en 496, par Macédonius II, qui dut, lui aussi,
signer l'Hénotique. Le pape saint Anastase II (496-
498) envoya à l'empereur des lettres et des légats pour
le conjurer de ne point permettre que l'unité de l'Église
fût rompue en considération d'un mort légitimement
condamné. Tout en maintenant la radiation du nom
d'Acace sur les diptyques, il reconnut la validité et la
légitimité des baptêmes et des ordinations conférés
par lui. Mansi, t. vin, col. 190 ; Denzinger-Bannwart,
Enchiridion, n. 169 (saint Félix III, Epist., xiv, c. iv,
et saint Gélase, Epist., m, xn, avaient déjà parlé de la
condescendance dont il fallait user envers ceux qui
avaient été baptisés ou ordonnés par Acace); enfin
Anastase II demanda que l'on mît fin à la tyrannie
dogmatique, et que l'on rétablît la foi catholique à
Alexandrie.
L'empereur, de plus en plus attaché à l'hérésie,
écarta les légats et n'accéda à aucun des désirs du
pape. Il tenta même audacieusement de mettre la
main sur le siège de Rome, en poussant à la tiare l'ar-
chidiacre Laurent, « qui promettait de reconnaître
l'Hénotique, c'est-à-dire de prendre le mot d'ordre à
Byzance. » A. Dufourcq, op. cit., p. 277. Il échpua de ce
côté, et ce fut le pape légitime, saint Symmaque, qui
triompha, mais le basileus prit sa revanche en Orient
par la protection qu'il accorda aux deux chefs fort
habiles que le parti monophysite trouva alors : Sévère
et Xénaïas ou Philoxène.
Bien que l'opinion fût alors très répandue en Orient,
qu'un clerc peut régulièrement succéder à un évêqu8
2171
HÉNOTIQUE
2172
chassé de son siège par la violence, si l'Église devait
autrement demeurer sans pasteur — opinion contre
laquelle le pape saint Gélase s'était très fermement
élevé. Epiât., xm, ad episcopos Dardanix, Mansi,
t. vin, col. 49 sq. — le patriarche Macédonius sentit
néanmoins l'illégalité réelle de son élection. Il s'efforça
dans la suite de se faire pardonner cette illégalité, et
montra, selon l'expression de Tillemont, op. cit., c. sur
Euphème de Constantinople, a. 10, p. 661, qu'il eût
été « digne assurément de cet honneur, s'il y fût monté
par une autre voie ». Il se déclara très nettement contre
les eutychiens, dans un synode tenu en 497 ou 498, et
renouvela les décrets de Chalcédoine, soit totalement,
soit partiellement. Évagre, H. E., 1. III, c. xxxi,
P. G., t. lxxxvi, col. 2657 sq.; Théophane, Chrono-
graphia, an. 491, P. G., t. cvm, col. 340 ; Libellus
synodicus, dans Mansi, Concil., t. vm, col. 374 ; Cedre-
nus, Chron., P. G., t. cxxi, col. 684. Victor de Tunes ne
s'accorde qu'en partie avec les auteurs précités. Voir
Hefele, Histoire des conciles, trad. Leclercq, t. n,
p. 913-919. L'empereur Anastase se posant de plus en
plus en protecteur des monophysites, Macédonius lui
résista ouvertement. Le peuple se rangea du côté du
patriarche. Mais l'hypocrite souverain eut recours à
des intrigues pour se maintenir sur le trône dont la
fureur populaire l'avait déclaré indigne. Il fit alors
venir à Constantinople le fameux Sévère avec des
bandes de moines de son parti. La lutte avec Macé-
donius se poursuivit, signalée tour à tour de la part
du basileus par d'injustes vexations, puis par des con-
cessions hypocrites, jusqu'au jour où, en 511, enlevé de
son palais à la faveur des ténèbres, le patriarche fut
emmené à Chalcédoine d'abord, puis à Euchaïtes en
Paphlagonie. où Euphémius avait précédemment été
exilé. Théodore le Lecteur, n, 26-28; Théophane,
an. 504, P. G., t. cvm, col. 364-368 ; Liberatus, Brevia-
rium, c. xix ; Marcellinus Cornes, Chronicon, an. 511,
P. L., t. n, col. 937; Nicéphore, xvi, 26, P. G.,
t. cxvn, col. 164-168; Victor de Tunes, Chronicon,
an. 501, P. L., t. lxviii, col. 949; Évagre, H. E., 1. III,
c. xxxi-xxxn. Cf. Cuper, Hisioria chronologica patriar-
charum Constantinopolitanorum, n. 289-291.
En dépit de son incontestable bonne volonté et de
l'énergique résistance qu'il opposa aux menées de
l'empereur, Macédonius, pas plus que son prédé-
cesseur, n'avait pu réussir à rétablir la communion
avec Rome.
Son successeur, Timothée (511-518), fut l'homme du
basileus, tour à tour sévissant avec lui contre les
orthodoxes, s'inclinant hypocritement devant le dan-
ger des menaces populaires, puis, le danger passé,
reprenant la protection des hérétiques et la persécu-
tion des catholiques. Après l'expulsion de Flavien
d'Antioche et d'Èlie de Jérusalem en 511, le siège
d'Antioche fut occupé, en 513, par l'hérétique Sévère;
celui de Jérusalem, par Jean, qui, contrairement à ce
qu'on attendait de lui, se rallia les moines orthodoxes.
Vita S. Sabœ, c. lxxvii, lxxix, lxxx; Théophane,
Chronographia, an. 505, col. 368-373; Marcellinus
Cornes, op. cit., an. 512, 513, col. 937-938; Victor de
Tunes, toc. cit.
Les évêques d'Isaurie et de Syrie IIe s'opposèrent à
l'usurpateur d'Antioche; deux d'entre eux, Cosmas
et Sévérien, lui envoyèrent même un écrit de déposi-
tion. La résistance orthodoxe se manifestait donc
encore assez forte. C'est alors, en 514, qu'éclata la
révolte du général Vitalien ; elle avait pris pour occa-
sion les mauvais traitements infligés aux catholiques
et le bannissement de leurs plus éminents pasteurs, et
menaçait de devenir une guerre de religion. Hergen-
rother, Photius, t. i, p. 111. Effrayé par la marche vic-
torieuse de Vitalien, qui venait sur la capitale, l'em-
pereur demanda la paix et promit par serment de rap-
peler les évoques expulsés, notamment Macédonius de
Constantinople et Flavien d'Antioche, de réunir un
concile général sous la présidence du pape à Héraclée
de Thrace, et de soutenir désormais les orthodoxes.
Évagre, H. E., 1. III, c. xliii, P. G., lxxxvi, col.
2696 ; Théophane, Chronographia, an. 506, loc. cit.,
col. 373.
La réalisation de ces promesses eût été de fait le
rétablissement des relations avec Rome, après une
longue interruption. Déjà maints évoques orientaux,
dans une lettre très respectueuse, avaient adressé au
pape Symmaque (498-514), avec une profession de foi
orthodoxe, un touchant appel. Epist. episc. Orient.,
dans Labbe, Concilia, t. v, p. 433 sq. ; Mansi, Concil.,
t. vm, col. 221-226: réponse de S. Symmaque, Epist.,
vm, Mansi, col. 218-220. Voir P. Bernardakis, Les
appels au pape dans l'Église grecque jusqu'à Photius,
dans les Échos d'Orient, 1903, t. vi, p. 120-121.
A saint Symmaque succéda saint Hormisdas (20
juillet 514-6 août 523). L'empereur Anastase lui
exprima en deux lettres successives, fin décembre 514
et janvier 515, le désir de voir la paix ecclésiastique
rétablie et un concile général assemblé à Héraclée de
Thrace. Voir la réponse du pape, 4 avril 515, dans
Mansi, t. vm, col. 385. Après mûre réflexion, Hor-
misdas envoya à Constantinople (515) les évêques
Ennodius de Pavie et Fortunat de Catane, le prêtre
Venance, le diacre Vital et le notaire Hilaire, avec des
instructions précises : Indiculus qui datus est Enno-
dio, etc., dans Mansi, t. vm, col. 389-393. Son but était
surtout d'éprouver la bonne foi d'Anastase, précau-
tion que les événements ultérieurs devaient pleinement
justifier. Dans de nouvelles lettres, juillet et août 515,
le pape recommanda au prince ses envoyés et indiqua
avec précision les conditions de la paix ecclésiastique :
l'empereur devait souscrire la formule qui lui serait
présentée, accepter le concile de Chalcédoine et la
lettre dogmatique de saint Léon ; condamner Nestorius,
Eutychès, Dioscore et leurs partisans, entre autres
notamment Acace, rétablir les prélats qui avaient été
déposés pour leur attachement à l'orthodoxie et à la
communion avec Rome, enfin, abandonner au siège
apostolique la cause de chaque évêque. Mansi, t. vm,
col. 388.
Le basileus essaya de nouveau ses anciennes habi-
letés, et mit tout en œuvre pour se gagner les légats.
A ceux-ci, lors de leur retour à Rome, ainsi qu'aux
deux fonctionnaires de la cour envoyés par lui, il
donna des lettres pleines d'honneurs pour le pape. Il
conviait Hormisdas à prendre part personnellement au
concile projeté, et cherchait à le rassurer entièrement
par une profession de foi orthodoxe où le synode de
Chalcédoine était expressément reconnu. C'est seule-
ment sur l'unique point concernant Acace qu'il
déclara ne pas pouvoir céder, malgré sa disposition per-
sonnelle, parce que, disait-il, à cause de ce patriarche
défunt, des vivants se verraient chassés de l'église,
qu'il s'ensuivrait de grands troubles et d'inévitables
effusions de sang. Cf. Baronius. Annales eccl., an. 516,
n. 4-6.
Dans sa réponse, le pape, tout en louant le zèle
montré par Anastase, exprima le désir que les faits
répondissent aux paroles. Il ne pouvait, ajoutait-il,
dissimuler son étonnement que l'ambassade promise
eût tardé si longtemps, et que l'empereur, au lieu de
lui envoyer des évêques, lui eût dépêché deux fonc-
tionnaires laïques, Théopompe et Sévérien, dans
lesquels il avait vite reconnu des partisans du mono-
physisme. Mansi, Concil., t. vm, col. 398. Voir aussi
la lettre d'Hormisdas à saint Avit de Vienne, 15 fé-
vrier 517, ibid., col. 409-411, où le pape montre qu'il
avait deviné la ruse grecque qui se cachait derrière les
belles paroles et promesses du basileus : Sed quantum
2173
HÉNOTIQUE
2174
ad Griccos, orc polius proferuntur pacis vola quam pec-
tore, et loquuntur magis jusla quam faciunt; verbis se
vclle iaclant quod nperibus nollc déclarant. Quœ fugiunl,
professione diligunt : et quœ damnaverinl, hwc sequentur.
Cependant, saint Hormisdas se décida, en 517, à
envoyer à Constantinople une nouvelle ambassade, à
la tète de laquelle se trouvaient les évêques Ennodius
et Peregrinus. Mansi, Concil., t. vm, col. 412-418.
L'empereur fit traîner les choses en longueur, jusqu'à
ce qu'il se sentît de nouveau assez fort. En ce qui con-
cernait spécialement la mémoire d'Acace, il avait
d'ailleurs avec lui la plupart des Byzantins. Après la
mort de son épouse Ariadne, qui avait été attachée au
patriarche Macédonius et avait souvent intercédé en
faveur des orthodoxes, Théophane, Chronographia,
an 504 ; Cyrille de Scythopolis, Vila S. Sabœ, c. lxxiii ;
Marcellinus Cornes, Chronicon, an. 515, Anastase
donna aux 200 évêques réunis à Héraclée l'ordre de se
séparer sans avoir rien fait. Théophane, P. G., t. cliii,
an. 506;. Cedrenus, P. G., t cxxi, col. 689. Il chercha
à corrompre les envoyés du pape, et, n'y ayant point
réussi, il les congédia injurieusement. Les hérétiques
purent alors de nouveau persécuter impunément les or-
thodoxes. Cedrenus, loc. cit., col. 692; Zonaras, xiv, 4';
Mansi, Concil., t. vm, col. 425. Voir P. Bernardakis,
Les appels au pape, etc., dans les Échos d'Orient. 1903,
t. vi, p. 121-122.
Le saint-siège retira néanmoins de ses démarches un
résultat appréciable : les évêques orthodoxes d'Orient
et un bon nombre d'hommes influents se rattachèrent
plus fortement à lui, et le formulaire dogmatique
imposant l'obéissance aux décisions romaines trouva
de nombreux souscripteurs. Hormisdas, Epist. < d
Csesarium Arclalcnsem; Jean de Nicopolis et le synode
d'Épire à Hormisdas. Cf. Baronius, Annales eccl.,
an. 516.
IV. La réconciliation avec Rome (519) : le véri-
table HÉNOTIQUE ORTHODOXE OU FORMULE DU PAPE
Hormisdas. — L'empire se trouvait dans la plus
grande confusion, lorsqu'Anastase mourut subite-
ment, en 518, précédé d'ailleurs dans la tombe par les
patriarches Jean II Nikaiotès d'Alexandrie et Timothée
de Constantinople. Théophane, Chronographia, an. 509,
P. G., t. cvm, col. 377-380.
La fermeté des moines et du peuple avait, grâce à
l'action persistante de Rome, conservé, en dépit des
troubles et des schismes, la foi catholique à Byzance.
C'est ce qui permit au nouvel empereur, Justin,
d'amener bientôt un complet revirement.
Déjà, lors de l'ordination du patriarche Jean II
(17 avril 516), les fidèles de Constantinople avaient
exprimé bien haut le désir d'un entier rétablissement
de l'orthodoxie. Théophane, an. 510, loc. cit., col. 381;
Cuper, op. cit.. n. 298. Lorsque, peu de temps après,
le nouveau basileus Justin Ier, ardent catholique,
Théophane, loc. cit.; Cedrenus, P. G., t. cxxi, col. 693;
Théodore le Lecteur, III, 27, parut pour la première
fois à l'église, le peuple réclama à grands cris l'aboli-
tion du schisme, la destitution de Sévère d'Antioche
et le rétablissement du concile de Chalcédoine. Le
nouveau patriarche proclama du haut de l'ambon cette
destitution et ce rétablissement, Mansi, Concil., t. vin,
col. 1057-1 066. Voir P. Bernardakis, loc. cit., p. 122-123,
Restait à abolir le schisme et à renouer les relations
avec Borne. L'empereur Justin, secondant les efforts
du patriarche, ordonna le retour des évêques ortho-
doxes précédemment exilés, et l'expulsion des prélats
hérétiques. Les chefs des monophysites, Sévère et
Julien, s'enfuirent en Egypte où leur secte continuait
à avoir le dessus. Liberatus, Brcviarium, c. xix; Théo-
phane, loc. cit.; Yita S. Sabœ; Cedrenus, loc. cit.;
Zonaras, xiv, 5. De l'Hénotiqueil ne fut plus question
désormais.
Le peuple et les moines de Constantinople poussaient
vivement au rétablissement de la communion avec
Rome. L'empereur et le patriarche y étaient tout à
fait disposés. Dès son avènement, Justin avait écrit
au pape, 5 août 5! 8 ; un mois plus tard, 7 septembre, il
lui demande d'envoyer des légats à Constantinople
pour le rétablissement de l'union, appuyant et con-
firmant, d'ailleurs, la requête du patriarche et du
synode.
Saint Hormisdas félicita le nouveau basileus et le
loua de son zèle pour la cause de l'union. Mansi,
Concil., t. vm, col. 434-435. Au patriarche Jean II il
exprima son approbation pour la profession de foi pré-
sentée, mais il demanda avec énergie, comme exigée
par cette profession de foi elle-même, la condamnation
d'Acace avec ses successeurs Euphémius et Macé-
donius. En effet, disait le pape, accepter le concile de
Chalcédoine avec la lettre de saint Léon, et en même
temps défendre le nom d'Acace, c'est soutenir chose
contradictoire: quiconque condamne Dioscore et Euty-
chès ne saurait soutenir l'innocence d'Acace. Mansi,
ibid., col. 437. Il exigea, en outre, la signature du for-
mulaire déjà présenté à d'autres évêques et souscrit
par eux, stipulant un complet accord avec la doctrine
de l'Église romaine et l'obéissance à ses décisions,
Ibid., col. 451.
Le comte Gratus, envoyé de l'empereur, avait reçu
la mission spéciale de traiter la question de la mémoire
d'Acace, sur laquelle on n'avait pas encore voulu
céder. A côté de la condamnation d'Acace, le saint-
siège demandait aussi celle de ses deux successeurs
Euphémius et Macédonius, qui, malgré leurs faiblesses,
étaient demeurés orthodoxes de doctrine et avaient
même souffert l'exil pour leur orthodoxie. Ces der-
nières circonstances rendaient plus délicate la condam-
nation d'Euphémius et de Macédonius, dont les noms
venaient, du reste, d'être rétablis dans les diptyques
par Jean II. Pour atténuer cette difficulté, l'on eut
recours à un expédient, que le pape a consigné dans
l'instruction à ses légats. Dans le cas où l'empereur
et le patriarche consentiraient à la condamnation
d'Acace, mais non à celle d'Euphémius et de Macé-
donius, les envoyés pontificaux devraient d'abord
déclarer n'être point autorisés à modifier la formule
mentionnant les partisans du condamné avec le con-
damné lui-même. Si les grecs persistaient dans leur
manière de voir, les légats devaient faire cette con-
cession : dans l'anathème spécial contre Acace, les
noms de ses successeurs ne seraient point mentionnés,
mais ils seraient pourtant rayés des diptyques. Quant
aux évêques orientaux en général, le pape tenait avant
tout à ce qu'ils souscrivissent sa formule : les légats ne
devaient aucunement demeurer en communion avec
ceux qui refuseraient de la signer. Indiculus « Cum
Deo propilio », dans Mansi, t. vm, col. 441.
La cour byzantine eût désiré la présence d'Hor-
misdas en personne. Le pape se contenta de députer,
selon l'usage de ses prédécesseurs, une légation spécia-
lement solennelle, composée des évêques Germain et
Jean, du prêtre Blandus, des diacres Félix et Dioscore.
11 adressa en même temps des lettres à l'empereur, à
l'impératrice Euphémie, au très influent comte Justi-
nien, au patriarche. A ce dernier il recommanda de
sceller l'œuvre de la paix ecclésiastique par la condam-
nation d'Acace avec ses adhérents (cum sequacibus).
Epist. , xxviii, xxix. dans Mansi, t. vm, col. 4 15- 1 16.
11 insistait, avant tout, sur cette idée qu'il ne deman-
dait rien de nouveau, ni d'insolite, ni d'injuste, puisque
l'antiquité chrétienne avait toujours évité ceux qui
s'étaient attachés à la communion avec les condamnés.
Quiconque enseigne la même doctrine que Rome doit
condamner ce qu'elle condamne ; quiconque révère ce
que révère le pape doit abhorrer ce qu'il abhorre. Une
2175
HÉNOTIQUE
2176
paix parfaite ne laisse derrière elle aucune divergence,
et l'ailoralion d'un seul et même Dieu ne peut avoir sa
vérité que dans l'unité de la profession de foi. Epist.,
xxviii, loc. cit. Il serait difficile de ne pas admirer la
claire logique de ces instructions pontificales.
Les légats romains furent partout bien accueillis au
cours de leur voyage, et trouvèrent partout les évèques
disposés à souscrire le formulaire d'Hormisdas. C'est
en mars 519 qu'ils arrivèrent à Constantinople, où ils
furent reçus avec le plus grand empressement. Le
patriarche Jean II accepta le formulaire; il lui donna
seulement la forme d'une lettre, celle-ci lui paraissant
plus honorable pour lui que celle d'un libellus. Mansi,
Concil., t. vin. col. 449 sq., 453 sq. C'est pourquoi il
plaça en tète de la profession de foi un prologue très
respectueux à l'égard du pape, où il affirmait que les
Églises de l'ancienne et de la nouvelle Rome n'en
faisaient plus qu'une. Mansi, ibid., col. 451. Quant à la
formule elle-même, elle fut entièrement acceptée.
Acace y était condamné en même temps que « ceux qui
avaient persisté dans sa communion », expression où
étaient implicitement compris Euphémius et Macédo-
nius, en conformité avec les dernières concessions per-
mises sur ce point aux légats. En présence de ceux-ci,
les noms des patriarches Acace, Flavita, Euphémius,
Macédonius, Timothée, ceux des empereurs Zenon et
Anastase, furent effacés des diptyques. Lorsque tous
l'es évèques présents, les archimandrites, les sénateurs
eurent aussi souscrit la profession de foi, à la grande
joie du peuple, un ollice solennel fut célébré le diman-
che de Pâques, 24 mars 519, pour achever publique-
ment l'acte de la réconciliation. Deux mille cinq cents
évèques avaient souscrit la formule d'Hormisdas.
Rusticus, Disput. contra acephalos, dans Galland,
Bibliothcca Potrum, t. xn, p. 75; cf. P. L., t. lxvii.
C'était la victoire complète de Rome, et la thèse
était solennellement reconnue, que quiconque ne reste
pas et ne meurt pas dans la communion romaine n'a
aucun droit à la commémoration ecclésiastique dans
les diptyques.
La formule d'Hormisdas est dans YEnchiridion de
Denzinger-Bannwart, n. 171-172. Nous ne la reprodui-
sons pas entièrement ici, bien qu'elle constitue en fait
le véritable Hénotique orthodoxe, qui rétablit l'union
rompue par le soi-disant Hénotique de Zenon. Nous en
citerons seulement la phrase concernant Acace, puis
l'alinéa final, qui accentue toute l'importance de la
communion romaine :
Condemnamus etiam et anathematizamus Acacium Con-
slantinopolilanum quondam episcopum ab apostolica Sede
damnatum, eorum (c'est-à-dire de Timothée Élure et de
Pierre Monge précédemment nommés) eomplicem et sequa-
cem, vel qui in earum communion is socictate permanserint :
quia Acacius quorum se communioni miscuit, ipsorum simi-
lem jure meruit in damnatione sententiam...
Suscipimus aulem et j>robamus epistolas beati Leonis
papx uniuersas, quas de chrisliana religione conscripsil,
sicut prœdiximus, sequentes in omnibus apostolicam Scdem,
et prxdicanles ejus omnia constiluta. Et ideo spero, ut in una
communione vobiscum, quam Sedes apostolica prxdicat, esse
merear, in qua est intégra et verax christianœ religionis et
perfecta soliditas : promittens in sequenti tempore sequestratos
a communione Ecclesiœ catholicœ, id est non consentientes
Sedi apostolicœ, connu nomina inler sacra non recitanda esse
myitcria. Quodsi in aliquo a professione mea deviarc tenta-
uero, his quos damnavi eomplicem me mea senlentia esse
proftteor. liane aulem projessionem meam ego manu mea
subscripïi, et libi Hormisdx sancto ac uenerabili papx urbis
Romee direxi.
Saint Hormisdas, qui attendait avec impatience le
résultat des négociations, et qui, dans l'intervalle,
avait encore envoyé le defensor Paulinus avec des
lettres à destination de Constantinople, Mansi, Concil.,
t. vin, col 100-461, s'empressa, dès qu'il eut connais-
sance de l'œuvre accomplie, d'en féliciter l'empereur,
9 juillet 519. Ibid., col. 462. Les légats prolongèrent
jusqu'en 520 leur séjour à Byzance, où leur présence
paraissait nécessaire pour la pleine consolidation des
nouvelles mesures ecclésiastiques.
Le patriarche Jean II mourut en réputation de sain-
teté, au début de l'année 520. Son successeur Épiphane,
prêtre orthodoxe et vertueux, fut confirmé par Hor-
misdas, qui l'établit même son vicaire en Orient et s'en
remit à lui du soin de recevoir dans la communion
catholique les ecclésiastiques isolés. La paix et l'union
se raffermirent ainsi de plus en plus. Le danger héré-
tique n'existait plus qu'à Alexandrie et à Antioche.
Les circonstances, peu de temps après, amenèrent à
Constantinople le pape lui-même, Jean Ier, successeur
de saint Hormisdas (depuis août 523). A la suite du
dissentiment survenu entre l'empereur Justin et le roi
des Visigoths ariens Théodoric, par suite de la persé-
cution infligée aux ariens dans l'empire byzantin, le
pape Jean Ier se trouva dans une position extrême-
ment difficile. En 524, Théodoric le contraignit à faire
le voyage de Constantinople. Théophane, Chronogra-
phia, Bonn, p. 261; Marcellinus, Chron., an. 525,
P. L., t. li, col. 490-941 ; S. Grégoire le Grand, Dial.,
m, 2 sq. Ce fut la première fois qu'un pape fit son
entrée dans la capitale byzantine : il y reçut de l'empe-
reur, du patriarche et du peuple le plus brillant accueil.
Le dimanche de Pâques, 30 mars 525, Jean Ier célébra
solennellement à la grande église selon le rite romain.
Sa primauté fut reconnue publiquement à cette occa-
sion : un trône plus élevé que celui du patriarche Épi-
phane lui fut dressé. Dexter dextrum ecclesiœ insedit
solium, dicmque Domini resurreclionis plena voce roma-
nis vocibus celebrauit, écrit le comte Marcellin. Chro-
nicon, loc. cil. Cf. Liber pontificalis, Vita Joannis /•
Théophane, loc. cit.; Nicéphore, xvn, 9, P. G., t. cxi.vn,
col. 241.
V. Conclusion : justification du point de vue
CATHOLIQUE ET DE L'ATTITUDE DES PAPES DANS
l'affaire de l'Hénotique. — ■ L'auteur grec d'une
récente étude historique sur les causes du schisme
entre l'Église romaine et l'Église orientale, Mgr Nec-
taire Képhalas, métropolite de Pentapole, après avoir
résumé à sa manière l'histoire de l'Hénotique et du
schisme acacien, ose poser les questions suivantes :
» Nous le demandons, où apparaît dans toute cette
histoire la puissance du pape? où voit-on la reconnais-
sance de l'infaillibilité du pape? où est le droit divin?
où est la docilité et la soumission des autres Églises ?
où sont tous ces privilèges que le pape d'aujourd'hui
prétend lui avoir été attribués par les Pères antérieurs
au schisme de Photius ? » MsÀitr, i<rcopiy.rl icepî tôv
outûov to'j a'/faaa-o;, jc=pi ttJç BiaitiMÛjetoç autou, xaî tou
8uva tcij ï) àouvocTou T7J; évciSaîtoç xtô; o-Jo 'Kz"/Xt]Œhôv,
~rjç 'AviTOÀl/'.^Ç /.■XÏ T7)Ç AuTtXfjç, ÙrJl TOJ U.7)-po;:0/.'.70'j
llvna.r.6Xîio; NeKTapîou, Athènes, 1911, t. ï, p. 150.
De telles questions, sous une plume épiscopale, mon-
treront l'importance pratique qu'a aujourd'hui encore
l'étude impartiale de cette affaire de l'Hénotique. On
aura la même impression, en parcourant les divers
articles de la Grande encyclopédie, aux mots Acace,
Félix III, Monophgsisme, etc., où E.-H. Vollet rejette
tous les torts sur les prétentions des papes « à une
juridiction souveraine sur toutes les Églises ». Voir
aussi le jugement, entièrement favorable à Acace et à
Zenon, porté par H. Gelzer, dans le court résumé
d'histoire byzantine qu'il a rédigé en supplément de
Knimbacher, Geschichlc der byzanlinischen Litleratur,
2e édit., Munich, 1897, p. 921.
Pareilles interprétations des faits légitiment l'éten-
due donnée à cet article, où le lecteur de bonne foi
trouvera les réponses les plus catégoriques aux
railleuses questions du métropolite oriental, et aux
2177
HÉNOTIQUE — HENRI
2178
insinuations tendancieuses du collaborateur de la
Grande encyclopédie. On y a vu l'attitude toujours
identique de tous les papes qui se succédèrent pendant
le schisme acacien, depuis saint Simplicius jusqu'à
saint Hormisdas et à saint Jean Ier : fermeté constam-
ment semblable à elle-même, sur la doctrine et sur la
discipline générale, logique rigoureuse et esprit de
suite continu, dont l'aboutissant fut le triomphe défi-
nitif de l'Église romaine après trente-cinq années de la
plus déplorable séparation : triomphe, au surplus,
reconnu par l'Orient, en 519, lors de la souscription de
la formule d'Hormisdas, où il était dit au début : quia
in Sede apos.'olica cilra maculam semper est calholica
scrvatareligio. Denzinger-Bannwart Enchiridion, n. 171.
En face de ces heureux résultats de l'attitude des
papes, les funestes conséquences de l'Hénotique con-
tinuent, aujourd'hui encore, à juger devant l'histoire
l'attitude du patriarche Acace, de l'empereur Zenon et
de ceux qui furent leurs partisans. L'Hénotique avait,
en réalité, partagé l'empire romain en deux commu-
nions ennemies. Lorsque, à l'avènement de Justin Ier,
la paix fut rétablie entre Constantinople et Rome,
cette reprise des relations ne put guérir le mal sur tous
les points. « Les arrangements pris à Constantinople
étaient une chose, l'exécution dans les provinces orien-
tales, une autre chose. Nous ne savons trop comment
on s'y prit en Egypte ; ce qui est sûr, c'est que le
concile de Chalcédoine n'y fut pas proclamé alors. En
Syrie, avec quelques tâtonnements et beaucoup de
prudence, on parvint à éliminer les évêques antichal-
cédoniens ; mais la plupart des moines résistèrent et
se laissèrent chasser de leurs couvents plutôt que
d'accepter les décrets impériaux... Telles furent les
conséquences, directes ou indirectes, de l'Hénotique
de Zenon. Hénotique veut dire édit d'union. On voit
combien le nom répond à la chose. En deux patriarcats
sur quatre, des organisations dissidentes, chancres
ecclésiastiques dont on put constater les ravages quand
Mahomet parut à l'horizon. Hors de l'empire, les trois
Églises nationales de Perse, d'Arménie, d'Ethiopie,
séparées de l'unité catholique. » Mgr Duchesne, Auto-
nomies ecclésiastiques, Églises séparées, Paris, 1896,
c. n, § 2; réédition de 1905, p. 44, 57.
Rien ne saurait prouver plus péremptoirement com-
bien Rome avait raison de ne point accepter l'Héno-
tique et les essais de conciliation entre orthodoxes et
hérétiques. Les faits n'ont que trop confirmé ce que la
vigoureuse logique des papes n'avait cessé de répéter
à Acace et à ses partisans, à savoir que ce n'est pas en
taisant la vérité que l'on étouffe l'erreur. Il n'est point
besoin de chercher ailleurs la justification de la con-
stante sévérité des pontifes romains à l'égard d'Acace
et de ses successeurs, même orthodoxes, qui ne con-
sentaient pas à rayer son nom des diptyques comme
ayant été un fauteur d'hérésie. Les documents et les
lettres des papes fourniraient ample matière au déve-
loppement de cette justification; on peut en voir
quelques extraits dans Hergenrôther, Histoire de
l'Église, trad. P. Bélet, Paris, 1880, t. n, p. 264-269,
sous ce titre : Apologie d'Acace; Défense du saint-
siège.
Sans répéter ici toutes les références semées ou cours des
pages qui précèdent, nous nous bornerons ;'i signaler un petit
nombre de travaux qui peuvent être regardés comme de
véritables monographies, même lorsque les titres ne
semblent pas formellement l'indiquer.
H. de Valois, Observationes in Historiam eccles iasticam
Evagrii, 1. I, De Pctro Antiocheno episcopo qui Fullo cogno-
minatus si. et de synodis adversus eum collectis; I. II, De
duabus synodis romanis, in quibus damnatus est Acacius,
Pans 1673, en appendice à l'édition d'Évagre, P. G.,
t lxxxvi, col. 2885-2900; Bebelto, De Henotico Zenonis,
Strasbourg, 1673, cité par Moroni, Dizionario dierudizione
storico-ecvlcsiastica, Venise, 1843, au mot Eiwtico, t. xxi,
p. 283; G. Wernsdort, De Henolico Zenonis imperaloris,
in-4°, Wittemberg, 1695 ; Berger, Henotico. orientulia.
Wittemberg, 1723 ; Tillemont, Mémoires pour servir à
l'histoire ecclésiastique, Paris, 1712, t. xvi, p. 285-388, 756-
769; Histoire des empereurs, Paris, 1738, t. vi, p. 472-530,
645-647; B. M. de Rubeis, De una sentenlia damnationis in
Acacium episcopum Constantinopolitanum post quinquen-
nium silentii lala in synodo romana Feticis papœ III,
dissertatio, in-8°, Venise ; P. E. Jablonski, De Henotico
Zenonis, in-4°, Francfort-sur-I'Oder, 1739; Noël Alexandre,
Historia ecclesiastica, sœc. v, a. 14, § 4; à. 16, De schismate
Acacii; diss. XVIII, De Zenonis imneraioris Henotico ;
XIX, De causa Acacii, Venise, 1771, p. 86, 88-90,265-273,
J. Hergenrôther, Pliolius Patriarch von Constantinopel :
Sein Leben, seine Schriften und das Griechisclie Schisma,
Ralisbonne, 1867, t. i, p. 110-153, a un excellent chapitre
sur Acace et le schisme acacien; Wilh. Bcrth, Kaiser Ztno
(Inaug.-Dissert.), in-8°, Baie, 1894 ; E. Revillont, Le pre-
mier schisme de Constantinople, Acace et Pierre Monqe, dans
la Revue des questions historiques, 1877, t. xxu, p. 83-134.
L. Sala ville.
1. HENRI, hérésiarque. — I. Vie. II. Doctrine.
III. Disciples.
I. Vie. — La vie d'Henri est mal connue. Rien ne
prouve qu'il ait été d'origine italienne, comme on l'a
affirmé et comme le répète encore G. Bonet-Maury.
Les précurseurs de la Réforme cl de la liberté de con-
science dans les pays latins du xue au xve siècle, Paris,
1904, p. 32. Un passage de saint Bernard, Epist.,
ccxli, P. L., t. clxxxii, col. 435, a porté à croire qu'il
naquit à Lausanne et lui a valu l'appellation, assez
fréquente, d'Henri de Lausanne; en réalité, ce texte
indique seulement qu'Henri dut quitter Lausanne dans
les mêmes conditions peu flatteuses qui marquèrent
ensuite son départ du Mans, de Poitiers, de Bordeaux.
Divers auteurs, tels que Hefele, Histoire des conciles,
trad. Leclercq, Paris, 1912, t. v, p. 710, et T. de Cau-
zons, Histoire de V Inquisition en France, Paris, 1909,
t. i, p. 244, le nomment Henri de Cluny; or, d'après
Albéric des Trois-Fontaines, Chronic, an. 1148, dans les
Monumcnla Germanise historien, Scriptores, Hanovre,
1874, t. xxiii, p. 839, et l'Exordium magnum cis/i r-
ciense, dist. II, c. xvn, P. L., t. clxxxv, col. 1025,
427, Henri fut un « moine noir », ce qui peut convenir à
un cluniste, mais aussi à d'autres qu'aux clunistes.
Saint Bernard le qualifie de moine apostat, ayant laissé
l'habit de son ordre; de même le biographe de saint
Bernard, Geoffroy d'Auxerre, Sancti Bernardi vita,
c. vi, n. 16, P. L., t. clxxxv, col. 312. Les Aclus
pontificum Cenomannis in urbe degentium, dans
Mabillon, Vetera analccta, Paris, 1682, t. m, p. 312, en
font un pseudo-ermite, et Hildebert de Lavardin,
Epist., 1. II, epist. xxiv, P. L., t. clxxi, col. 242, le
montre simulant par son habit la vie religieuse. Moine
noir en rupture de vie religieuse et se vêtant d'un cos-
tume religieux d'ermite, en ces mots se résume tout ce
que nous savons de ses origines.
Sur sa science les documents contemporains s'ex-
priment diversement. Albéric des Trois-Fontaines le
regarde comme un illettré. Hildebert de Lavardin dit
qu'il se donna pour avoir des connaissances littéraires
qu'il ne possédait point : les Actes des évêques du Mans
précisent que c'était un beau parleur, dont on vantait
la science, et que l'évêque du Mans, Hildebert de Lavar-
din, de retour de Rome, ayant su le i restige qu'il
exerçait, le convainquit d'ignorance sur des choses élé-
mentaires; que, le novateur ayant répondu à une
question d'Hildebert qu'il était diacre, celui-ci lui
proposa de réciter ensemble le bréviaire, et Henri dut
avouer qu'il en était incapable. Saint Bernard, de
son côté, dit que le moine apostat et gyrovague se
mit à mendier, cumque mendicare ccepissel, posuit in
sumplu Evangclium {nain litteratus erat) et, vénale
distrahens verbum Dei, evangelizabat ut manducaret.
A travers ces textes on discerne que, s'il avait été
DiCT. DE T1IÉOL. CATH.
VI. — G9
2179
HENRI
2180
moine, Henri n'avait pas reçu les ordres sacrés et pro-
bablement ne s'était guère livré aux études; mais il
avait, avec une lecture telle quelle de l'Évangile, un
talent de parole remarquable servi par un extérieur
séduisant, ce qui explique sa réussite. Plus encore que
les dehors de la science il affectait ceux de la sainteté.
D'après les Actes des évêques du Mans, il prétendait
que Dieu lui avait conféré, par une bénédiction,
l'esprit des anciens prophètes qui lui permettait, à
la seule inspection du visage, de découvrir les péchés
les plus cachés des mortels. Il posait pour l'austérité
rigide; mais, sur ce point, les textes du temps s'ac-
cordent à dire que la réalité ne correspondait pas aux
' apparences. Les protestants, qui saluent en lui un
précurseur de la Réforme, s'inscrivent en faux contre
leurs affirmations; Hauck lui-même, qui déclare pour-
tant que c'est une question de savoir si la belle image
d'Henri dessinée par le protestantisme est plus res-
semblante que la sombre peinture des écrivains du
moyen âge, traite de « calomnie » l'accusation d'immo-
ralité. Realencyklopâdie, 3e édit., Leipzig, 1899, t. vu,
p. 606. Ce jugement paraîtra sommaire et non exempt
de parti pris, si l'on songe à la convergence des témoi-
gnages défavorables à Henri et aux circonstances dans
lesquelles ils se produisent. Hildebert dit que la honte
de sa vie devint manifeste et que serpens Me crepuit
apud nos pâte fada pariter et ignominia vitse et veneno ,
doclrinœ. Les Actes des évêques du Mans parlent d'en-
tretiens dégénérant en libertinage. Leur récit ne
s'impose pas au même degré. Mais nous apprenons de
Geoffroy d'Auxerre, toc. cit.; cf. sa lettre sur divers
miracles de saint Bernard, n. 5, P. L., t. clxxxv,
col. 412, que saint Bernard n'eut, pour ruiner l'action
d'Henri, qu'à démasquer sa « vie très mauvaise ». La
lettre de saint Bernard, déjà citée, au comte de Tou-
louse et de Saint-Gilles nous offre un échantillon de
cette polémique. Fréquenter siquidem, écrit-il, post
diurnum populi plausum, nocte insecuta cum merctri-
cibus inventas est prœdicator insignis, et etiam cum
conjugatis. Et il invite le comte à rechercher comment
Henri est sorti de Lausanne, du Mans, de Poitiers, de
Bordeaux, nec palet ci uspiam reversionis adilus,
utpote qui fœda post se ubique reliquerit vesligia. Évi-
demment ici, comme dans le texte d'Hildebert, il est
question de faits de notoriété publique. Ni Bernard ni
Hildebert n'étaient capables de les inventer; ils ne
formulent pas un grief imaginaire, ils rappellent ou
racontent ce qui est connu de beaucoup.
Les renseignements font défaut sur le rôle d'Henri à
Lausanne. Le mercredi des cendres 1101, deux de ses
disciples arrivèrent au Mans et proposèrent leur
maître pour prêcher le carême. Hildebert de Lavardin,
évêque du Mans, accepta; se rendant en Italie, il
chargea son archidiacre de l'accueillir. Henri s'attira
vite les sympathies du peuple et l'hostilité du clergé.
Dès sa rentrée au Mans, Hildebert reconduisit de son
diocèse (juillet 1101). Cf., sur cette date, E. Vacan-
dard, Revue des questions historiques, Paris, 1894, t. lv,
p. 68, note 3. Nous ignorons les incidents qu'amena le
passage d'Henri dans le Poitou et en Aquitaine. En
1135, arrêté par l'archevêque d'Arles, il comparut
devant le concile de Pise, et y abjura ses erreurs. Saint
Bernard, à qui il fut confié, lui écrivit, de Clairvaux,
ut ibi monachus ficret, dit Geoffroy d'Auxerre. Epist.,
n. 5, P. L., t. clxxxv, col. 412. Il ne semble pas
qu'Henri se soit rendu à Clairvaux. S'il y alla, il n'y
resta guère. Il reprit son existence vagabonde. Ce fut
probablement à cette époque, peut-être même avant
le concile de Pise, qu'il rencontra Pierre de Bruys et
subit son influence doctrinale. Pierre le Vénérable
dénonça Pierre de Bruys et son «pseudo-apôtre»
Henri, dans le Tractatus adversus petrobrusianos
hœrcticos, entre 1137 et 1140. Voir, sur cette date,
Bruys {Pierre dé), t. n, col. 1152; G. Robert, Les
écoles cl renseignement de la théologie pendant la pre-
mière moitié du xn* siècle, Paris, 1909, p. 196-198.
Henri parcourut le Languedoc; sa prédication eut un
succès prodigieux. Saint Bernard, sollicité à plusieurs
reprises d'aller le combattre, céda à de nouvelles
instances du cardinal-légat Albéric d'Ostie (1145).
Il se dirigea sur Bordeaux, et, de là, en passant par
Bergerac, Périgueux, Sarlat et Cahors, sur Toulouse.
Henri, qui s'y trouvait, prit la fuite. Bernard, ayant
pour programme de visiter les principaux endroits
où l'henricianisme s'était implanté, visita encore Ver-
feil et Albi. Des miracles, dont il ne mit pas en doute
la réalité malgré l'extrême défiance qu'il avait de lui-
même, ajoutèrent à l'effet de ses paroles. Cf. E. Vacan-
dard, Vie de saint Bernard, Paris, 1895, t. n, p. 226,
228-229, 232-233. Il revint à Clairvaux, après un
espace de temps qu'il qualifia de «court, mais non
infructueux ». Epist., ccxlii, P. L., t. clxxxii, col. 436.
Henri fut bientôt saisi et livré à l'évêque de Toulouse,
qui le condamna à la prison. Une détention perpétuelle
fut vraisemblablement sa peine. On a prétendu, à
tort probablement et par suite d'une confusion entre
Henri et Éon de l'Étoile, qu'Henri fut jugé au concile
de Reims (1148) et puni de la réclusion perpétuelle
dans la prison de l'archevêque de cette ville. Cf.
E. Vacandard, Vie de saint Bernard, t. n, p. 233, note 2.
II. Doctrine. — ■ Henri commença par jouer au
réformateur. Il attaqua les vices des prêtres et ameuta
contre eux le peuple. Les Actes des évêques du Mans
racontent que, en l'absence d'Hildebert, le clergé, de
cette ville reprocha par lettre au fougueux prédicateur
d'avoir excité l'animosité populaire, déclaré les clercs
hérétiques, et émis plusieurs propositions, qui ne sont
pas spécifiées, contraires à la foi catholique; en outre,
Henri, sans parler d'autres innovations relatives au
mariage, aurait enseigné que nec curarent sive caste sive
inceste connubium sortirentur. Si l'on pouvait admettre,
avec l'éditeur d'Hildebert, dom Beaugendre, qu'Henri
est le destinataire d'une lettre d'Hildebert, 1. II, epist.
xxiii, P. L., t. clxxi, col. 237-242, où est combattue
l'erreur que les âmes des saints ignorent ce qui se passe
dans cette vie et que, par conséquent, les prières qu'on
leur adresse sont inutiles, on connaîtrait une des idées
de l'hérésiarque. Mais tout contribue à rendre cette
hypothèse bien invraisemblable : le ton de cette longue
pièce; le fait qu' Hildebert, ayant appris que le novateur
lui attribuait son propre sentiment, avait d'abord
résolu, fort du témoignage de sa conscience, de se
taire, et qu'il ne parle que pour arrêter les progrès
de la théorie incriminée, ce qui suppose plus de temps
qu'il n'y en eut entre le retour d'Hildebert et l'expul-
i sion d'Henri; surtout le silence complet sur les agis-
sements d'Henri au Mans. A partir de la rencontre
d'Henri avec Pierre de Bruys, sa dogmatique se com-
pléta d'emprunts faits à ce dernier. Il ne le copia
point, cependant, de façon servile. Pierre le Véné-
rable, Tractatus adversus petrobrusianos, prasf., P. L.,
t. clxxxix, col. 723, dit: Hxres nequitiœ ejus (Pierre de
Bruys) Henricus cum nescio quibus aliis doctrinam
diabolicam non quidem emendavit sed immulavit, et
il mentionne un volume qu'on prétend reproduire
l'enseignement oral d'Henri et qui renferme plus que
les cinq chefs d'erreur de l'enseignement de Pierre de
Bruys; mais, parce qu'il n'est pas encore pleinement
sûr de l'authenticité de ces doctrines, Pierre le Véné-
rable dilïère leur réfutation jusqu'à ce qu'il ait acquis
là-dessus une entière certitude (il ne parait pas avoir
donné suite à ce projet). Henri n'avait aucunement
partagé, au moins à ses débuts, l'horreur de Pierre de
Bruys pour la croix; les Actes des évêques du Mans
nous apprennent que ses disciples portaient, ex doctoris
consueludine, en guise d'étendard, des bâtons qui se
12181
HENRI
2182
terminaient par une croix de fer. Les principes qu'ils
lui attribuent après le concile de Pise cadrent substan-
tiellement avec le pétrobrusianisme : à son instigation,
les fidèles n'entrent pas dans les églises, rejettent
l'eucharistie, dénient aux prêtres les dîmes, les offran-
des, la visite des malades et le respect accoutumé. Saint
Bernard s'accorde avec les Actes et ajoute quelques
traits, Epist., ccxli, P. L., t. clxxxii, col. 434 : « Les
basiliques sont sans fidèles, les fidèles sans prêtres, les
prêtres sans l'honneur qui leur est dû, et enfin les
chrétiens sans Christ. Les églises sont réputées des
synagogues, le sanctuaire de Dieu ne passe plus pour
saint, les sacrements ne sont plus estimés sacrés, les
jours de fête sont frustrés de leurs solennités. Les
hommes meurent dans leurs péchés; les âmes, hélas I
sont précipitées au tribunal terrible n'étant ni récon-
ciliées par la pénitence ni munies de la sainte com-
munion. Les petits enfants des chrétiens sont exclus
de la vie du Christ, puisque la grâce du baptême leur
est refusée. » Rejet du baptême des enfants, de l'eucha-
ristie, du culte des églises, tels sont les points qu'Henri
possède en commun avec Pierre de Bruys; il accentue
l'antisacerdotalisme de Pierre et son antisacramenta-
lisme.
III. Disciples. — Henri séduisit les foules. Au
Mans, il tourna le peuple contre le clergé; quand
l'évêque Hildebert revint dans sa ville épiscopale et
donna sa bénédiction, la multitude s'écria : « Nous ne
voulons pas de tes bénédictions; bénis des ordures, si
tu veux; nous avons un autre père, un autre pasteur,
qui vaut beaucoup mieux que toi. » Cette effervescence
tomba après le départ d'Henri, mais il en resta quelque
chose. Les Actes des évêques du Mans disent: eos enim
Henricus se sibi illexerat quod vix adhuc memoria illius
et dilectio a cordibus eomm deleri valeat vel depelli. Tous
n'imitèrent donc pas jusqu'au bout l'exemple de deux
jeunes clercs, Cyprien et Pierre, qui avaient adhéré
au pseudo-prophète, « grand piège du démon et écuyer
célèbre de l'Antéchrist », mais qui « abandonnèrent cet
ange des ténèbres » aussitôt qu'on lui enleva son
masque. Cf. Hildebert, Epist., xxiv, P. L., t. clxxi,
col. 242.
En Languedoc et dans l'Albigeois, l'influence d'Henri
fut considérable;lalettre de saint Bernard au comte de
Toulouse et de Saint-Gilles révèle qu'il avait, pour
ainsi dire, déchristianisé cette province. Les voies lui
avaient été frayées, du reste, par ces hérétiques
qu'avait condamnés le concile de Toulouse, en 1119, et
qui rejetaient le baptême des enfants, le sacerdoce et le
mariage. Cf. Labbe, Saerosaneta coneilia, Paris, 1671,
t. x, col. 857. Parmi les henriciens figurèrent des gens
du peuple, des tisserands, et aussi des notables, des
gens d'épée médiocrement soucieux de dogmatisme,
mais hostiles aux clercs et enchantés d'accueillir une
prédication qui les dégageait des pratiques religieuses.
La grande parole de saint Bernard secoua ces popula-
tions du Midi essentiellement mobiles Sauf à Verfeil,
ubi sedes est Salame, dit Geoffroy d'Auxerre, Epist.,
n. 6, P. L., t. clxxxv, col. 414, il fit de nombreuses
conversions. Le saint, de retour à Clairvaux, reçut des
nouvelles si bonnes du Languedoc qu'il put croire à
l'extinction prochaine de l'hérésie. Cf. Epist., ccxlii,
P. L., t. clxxxii, col. 436. Geoffroy d'Auxerre qui
narre, non sans s'illusionner sur leur étendue, les
succès de cette mission, dans la Vifa, c. vi, n. 17, P. L.,
t. clxxxv, col. 313, écrite à distance des événements,
avait compris, sur l'heure, qu'il aurait fallu des prédi-
cations prolongées pour consolider les résultats
obtenus. Terra lam multiplicibus errorum doctrinis
seducta opus haberet lonya pnvdicalione, écrivait-il en
annonçant le retour de Bernard à Clairvaux. Epist.,
n. 5, P. L., t. clxxxv, col. 412. L'hérésie henricienne
proprement dite disparut peu à peu, mais pour revivre,
transformée, dans l'albigéisme. C'étaient de vrais
albigeois, et non des henriciens tout court, que les
hérétiques dont il est question dans une lettre de
Raymond de Toulouse au chapitre général de Cîteaux
(1177). Vie et Vaissete, Histoire générale de Languedoc,
nouv. édit., Toulouse, 1879, t. vi, p. 77-78, qui ont
publié des fragments de cette pièce, confondent à
tort, ici et ailleurs, par exemple p. 218, henriciens et
albigeois. Cependant le nom d'henriciens subsista.
Le 25 juillet 1236, les consuls d'Arles s'engageaient
par serment à punir les vaudois, les henriciens, et leurs
croyants et fauteurs. Cf. Papon, Histoire générale de
Provence, Paris, 1778\t. n, Preuves, p. lxxviii.
Les historiens ne manquent pas qui ont vu dans les
henriciens des albigeois avant la lettre et dans leur
chef Henri, ainsi que dans Pierre de Bruys, des parti-
sans du dualisme manichéen, qui est la principale carac-
téristique de l'albigéisme. Voir t. n, col. 1154. Quelques
textes semblent favoriser cette opinion. Geoffroy
d'Auxerre, Epist., n. 4, P. L., t. clxxxv, col. 411,
nous apprend qu'Henri eut, à Toulouse, des adeptes
parmi les tisserands quos arianos ipsi nominant ; or,
les albigeois furent appelés tisserands et ariens. Voir
t. i, col. (577. Albéric des Trois-Fontaines, Chronic,
an. 1148, regarde Henri comme le chef des poplitains,
et le terme de poplitains ou poplicains servit à désigner
les albigeois. Enfin, l'Exordium magnum cislerciense,
dist. II, c. xvii, P. L., t. clxxxv, col. 427, dit que
saint Bernard se rendit à Toulouse pro confutanda
hœresi manichœorum. En dépit de ces textes, il n'est
pas prouvé qu'Henri, non plus que Pierre de Bruys,
ait professé le néo-manichéisme des albigeois. Nulle
part nous n'apercevons qu'il ait admis deux principes,
ou qu'il ait condamné l'usage de la viande et le ma-
riage; à ce dernier point de vue, les hérétiques anathé-
matisés par le concile de Toulouse (1119) ont été plus
que lui les précurseurs de l'albigéisme. L'auteur de
VExord'um, qui écrivait en pleine crise néo-mani-
chéenne, vers 1210, a bien pu taxer faussement de
manichéisme la doctrine d'Henri et ne pas la distinguer
de l'albigéisme qui l'avait remplacée en bénéficiant de
ses efforts et qui, tout en la complétant, s'était inspiré
d'elle. Albéric des Trois-Fontaines, de date également
postérieure, ne sait pas différencier des éonistes les
poplitains auxquels il donne Henri pour chef; son té-
moignage est trop confus pour avoir de la valeur.
Quant aux tisserands et aux « ariens » de Toulouse,
ils ont été henriciens d'abord et plus tard albigeois;
ceci était préparé par cela, sans qu'il faille identifier
l'un et l'autre. L'albigéisme ou catharisme fut le grand
confluent de la plupart des hérésies du moyen âge.
L'hérésie henricienne, et d'autres qui présentent avec
elle des ressemblances, celles de Pierre de Bruys,
d'Éon de l'Étoile, de ce Pons de Périgueux que nous
fait connaître le moine Héribert (vers le milieu du
"xii" siècle), cf. P. L., t. clxxxi, col. 1721-1722, etc.,
se sont fondues avec le catharisme et ont facilité son
expansion. Aucune d'elles n'avait soutenu le principe
essentiel du catharisme, qui est le dualisme manichéen.
Mais, en s'attaquant à l'Église et à sa hiérarchie, en
rejetant, dans une mesure variable, les sacrements,
elles avaient travaillé pour la cause cathare. Personne
ne fit plus dans ce sens qu'Henri; il remua et commença
d'ensemencer le terrain où l'hérésie cathare devait
recueillir ses plus abondantes récoltes.
I. Sources. — Hildebert de Lavardin, Epist., 1. II,
epist. xxni-xxiv, P. L., t. clxxi, col. 237-242 (il n'est pas
sûr que la lettre xxm concerne Henri); les Actas pontifleum
Cenomannis in urbe degenlium, dans Mabillon, Vêlera ana-
lecta sive collectif) veterum aliquol operum et opnsculoriirn,
Paris, 1682, t. ni, p. 312-320; Pierre le Vénérable, Tractatus
adversus petrobrusianos hœreticos, P. L., t. clxxxix,
col. 723, 728, 729; S. Bernard, Epist., ccxli-ccxlii, P. L.,
21S3
HENRI — HENRI VIII
Jls',
t. clxxxii, col. 434-437; Geoffroy d'Auxerre, Sancli
Bernardi vita, c. vi-vn; Epistola qusedam sancti Bcrnardi
miracula recensens, P. L., t. clxxxv, col. 312-315, 410-416;
Alain d'Auxerre, Sancti Bernardi vita, c. xxvi-xxvii,
1'. /.., I. cxxxxv, col. 514-516 (reproduit, en grande partie,
la Vie du saint par Geoffroy d'Auxerre); l'auteur de ï'Exor-
dium magnum cisterciense, dist. II, c. xvn, P. L., t. cxxxxv,
col, L025, 427-428; Albéric des Trois-Fontaines, Chronic,
an. 114S, dans les Monumenta Germaniœ hislorica, Scrip-
tores, Hanovre, 1874, t. xxin, p. 839-840; Matthieu <l<
Paris, Hisi. Angl, an. 1151, dans P. L., t. clxxxix, col. 723-
724; Guillaume de Puy-Laurens, Ilistoria albigensium, c. i,
cf. c. vni, dans Recueil des historiens des Gaules et de la
France, Paris, 1833, t. xix, p. 195-196, 200.
II. Travaux. — Mabillon, Sancti Bernardi opéra omnia,
Prœfatio generalis, § 6, P. L.,t. clxxxii, col. 47-52; Hecker,
Dissertatio de petrobruisianis et henricianis tanquam testibus
veritatis, Leipzig, 1728 ; J. Fuesslin, Neue und unparlheische
Kelzergeschichte der mittlern Zeit, Francfort, 1770, t. i,
p. 211-234; Pastoret, Histoire littéraire de la France, Paris,
1814, t. xin, p. 91-94; C. U. Hahn, Geschichte der Ketzir un
Mittelalter, Stuttgart, 1845, t. i, p. 438-458; A. Sevestre,
Dictionnaire de palrologie, Paris» 1854, t. m, p. 75-76;
N. Peyrat, Les réformateurs de la France et de l'Italie au
XIIe siècle, Paris, 1860, p. 77-78, 92-115, 376-389; L. Bour-
gain, La chaire française au XIIe siècle d'après les manuscrits,
Paris, 1879, p. 157-161; Knôpfler, Kirchenlexikon, 2e édit.,
Fribourg-en-Brisgau, 1888, t. v, col. 1714-1716; H. C. Lea,
A history of the Inquisition of middle âges, Londres, 1888,
t. i, p. 69-72; trad. S. Reinach, Paris, 1903, t. i, p. 78-82;
I. von Dôllinger, Beitrdge zur Sektengeschichte des Mittelal-
ters, Munich, 1890, t. i, p. 75-97; E. Vacandard, Les ori-
gines de l'hérésie albigeoise, dans la Revue des questions
historiques, Paris, 1894, t. lv, p. 65-83; Vie de saint Bernard,
Paris, 1895, t. n, p. 217-234; Hauck, Realencijklopàdie,
3e édit., 1899, t. vu, p. 606-607; G. Bonet-Maury, Les pré-
curseurs de la Réforme et de la liberté de conscience dans les
pays latins du XIIe au XVe siècle, Paris, 1904, p. 32-35; T. de
Cauzons, Histoire de l'Inquisition en France, Paris, 1909,
t. i, p. 244-248.
F. Vernet.
2. HENRI VIII (1491-1547), roi d'Angleterre, fils et
successeur d'Henri VII. — I. Le fils soumis de l'Église.
II. Autour du divorce. III. Le chef suprême de l'Église
d'Angleterre.
I. Le fils soumis de l'Église. — Henri VIII a
toujours eu un goût prononcé pour les questions théo-
logiques. On a dit que son père le destinait à l'arche-
vêché de Cantorbér \ , mais on n'en peut donner aucune
preuve ; si ce projet a jamais existé, la mort du prince
Arthur vint le mettre à néant en 1502, en faisant
d'Henri l'héritier de la couronne. Il est certain toute-
fois qu'il était très précoce, et qu'il reçut une éducation
très soignée dès son bas âge. Érasme le remarqua
lorsqu'il n'avait que neuf ans. et lui adressa un poème
latin pour répondre à une letlre très bien tournée où le
prince lui demandait quelque chose de sa plume. Et
plus tard Érasme témoignait qu'il avait étudié saint
Thomas, Scot et les autres théologiens scolasliques.
Lorsqu'il monta sur le trône en 1509, il était tout
prêt à exécuter les dernières recommandations de son
père, qui l'adjurait d'être fidèle au pape, et en fait il
entretint des relations d'amitié avec Jules II, qui lui
envoya la rose d'or, et plus tard avec Léon X, qui
récompensa ses bons offices en créant Wolsey cardinal
en 1515. Ce fut à la demande du même pontife qu'il lii
brûler publiquement les livres de Luther (1521), et
Wolsey l'engagea à entrer en lice pour réfuter le traité
De captivitate babylonica Ecclesiœ, où l'hérésiarque
attaquait l'autorité du pape et tout le système de la
théologie scolastique, et ne gardait que trois sacre-
ments. La réponse d'Henri VIII parut en juillet 1521
sous ce titre : Asscrlio seplcm sacra menlorum adversus
Martinum Lulherum, édita ah inviclissimo Angliïe et
Francise rege, et domino Iliberniœ, Ilvnrico ejus
nominis octauo. Luther y est réfuté point par point,
dans un latin élégant, et le raisonnement est bien con-
duit, quoiqu'un peu faible parfois. Henri est-il vrai-
ment l'auteur de ce livre? La question a été traitée,
t. v, col. 2558. Nous dirons seulement qu'Érasme le
croyait, tout en pensant qu'il avait été aidé considé-
rablement, et le dernier éditeur de cet ouvrage. L.
Donovan, dont le travail a paru à New York en 1908,
est arrivé à la même conclusion après un examen
approfondi du pour et du contre. Quoi qu'il en soit, le
livre fut présenté à Léon X le 2 octobre de la même
année, et le pape accordait aussitôt une indulgence de
dix ans et dix quarantaines à tous ceux qui le liraient.
Le jour suivant était publiée la bulle qui conférait au
roi d'Angleterre le titre de défenseur île la foi. Henri
aurait voulu que le titre de Roi très chrétien lui fût
donné, au préjudice du roi de France, et Jules II avait
déjà consenti in petto à sa requête lors du concile de
Pise, mais Léon X, avec lequel Louis XII s'était
réconcilié, ne voulut pas exécuter l'acte de son prédé-
cesseur, et l'autre titre fut trouvé. Clément VII le
confirma plus tard. Il est intéressant de remarquer que
ce titre n'était pas héréditaire, mais Henri le conserva
après sa séparation de Rome, et il fut déclaré préro-
gative de la couronne d'Angleterre par un acte du
parlement en 1543.
Luther répondit avec sa richesse habituelle de lan-
gage ; le roi, piqué au vif, chercha à faire supprimer la
brochure par l'électeur de Saxe, mais n'en reçut qu'une
fin de non-recevoir. Dédaignant d'écrire lui-même, il
mit en œuvre les théologiens qu'il avait à son service,
en Allemagne, le franciscain Mnener, en Angleterre,
Fisher et Thomas Moore, et même Érasme, qui se
décida à sortir de son prudent silence, et publia son
opuscule De libero arbilrio (1524), où il attaque le
point central du luthéranisme. Mais bientôt l'héré-
siarque fournit à son adversaire une nouvelle occasion
d'exercer son activité théologique. Christian II de
Danemark lui avait dit que le roi d'Angleterre devenai
favorable au protestantisme. La nouvelle était fausse
mais ce fut assez pour que Luther écrivît à son ennemi
une humble lettre où il offrait de rétracter tout ce qu'il
avait dit contre lui. Malheureusement il s'avisa de dire
que Y Assert io n'était pas l'œuvre d'Henri, et d'appeler
Wolsey un monstre détesté de Dieu et des hommes.
Le roi irrité composa (1526) un opuscule où il repro-
duisait en s'en moquant la lettre de Luther, tout en
l'accusant d'avoir causé la révolte des paysans, et de
vivre dans le péché avec une religieuse, puis il attaquait
ses erreurs avec plus de force que dans le livre précé-
dent, surtout la justification par la foi seule et la néga-
tion du libre arbitre. Luther répondit avec colère,
mais Henri ne continua pas la discussion; il se
contenta de faire représenter l'hérésiarque et sa
femme sur la scène par des bouffons. Mais déjà un
projet se formait dans l'esprit du roi, qui allait
bientôt le faire recourir à son adversaire.
11. Autour du divorce. — La passion d'Henri VIII
pour Anne Boleyn changea l'orientation de sa vie. La
jeune fille ne voulait pas se contenter d'être la maî-
tresse du roi; elle aspirait à partager son trône, et le
seul moyen d'en arriver là était de faire déclarer inva-
lide le mariage d'Henri avec Catherine d'Aragon. On
a dit que ce moyen avait été suggéré au roi par
Wolsey, mais on n'en a pas de preuves péremptoires.
Quoi qu'il en soit, le souverain se sentit pris de scru-
pules à la pensée que Catherine avait été la femme de
son frère. Il est vrai que Jules II avait accordé une dis-
pense de l'empêchement d'affinité, mais le pape
pouvait-il dispenser de ce qui est de droit divin? Alors
on joua la comédie. Wolsey, en vertu de son autorité
de légat, cita Henri devant un tribunal composé de
lui-même et de l'archevêque de Cantorbéry, Warhani,
aux fins de prouver que son mariage avec Catherine
d'Aragon était valide. Le tribunal ne siégea qu'une
fois, sans prononcer de sentence; Henri signifia à la
2185
HENRI VIII
d8G
reine qu'à cause du doute il ne pouvait plus cohabiter
avec elle. Mais Catherine déclara solennellement que
son mariage avec Arthur n'avait pas été consommé, et
que par conséquent l'empêchement d'affinité n'existait
pas. Wolsey fut d'abord embarrassé, mais il lui vint
I ientôt à l'esprit que dans ce cas restait l'empêche-
ment d'honnêteté publique, et comme la bulle ne le
mentionnait pas, le mariage n'en était pas moins
invalide. Malheureusement pour sa théorie il se trouva
que le bref envoyé par Jules II à Henri et à Catherine
îvait prévu cette circonstance.
Et cependant il fallait obtenir de Rome la déclara-
tion que le mariage était invalide. Les négociations
;vec Clément VII ont été fort bien résumées, t. m,
roi. 73, jusqu'à l'excommunication du roi en 1533;
nous n'y reviendrons pas, mais nous rappellerons que
pendant ce temps Henri exerçait aussi son activité
d'un autre côté.
L'appel de Catherine à Rome avait mis un terme à
l'autorité des légats, et le roi lui-même semblait avoir
abandonné toute idée de poursuivre le divorce,
lorsqu'un théologien de Cambridge, Cranmer, voir
t. m, col. 2026, lui donna l'idée de se passer du pape,
en s'adressant à un certain nombre d'universités, dont
l'opinion en cette matière lui donnerait une autorité
suffisante pour se prononcer. Henri saisit cette idée
avec empressement; sans doute il n'avoua pas le véri-
table but de Cranmer, car la rupture avec le s.iint-
siège n'eut pas lieu, et même Clément VII promit de
laisser toute liberté aux universités d'Italie. Il fut
impossible de tirer une conclusion des réponses données
par les universités. Quelques-unes dirent que le
mariage était valide, d'autres qu'il était nul; d'autres
le disaient contraire à la loi de Dieu, sans dire pour
■cela que la dispense de Jules II fût invalide. De ce
nombre étaient Oxford et Cambridge, et cependant on
avait exercé une pression considérable sur ces deux
universités pour leur faire donner un avis conforme
aux désirs du roi. Voir t. vi, col. 1156. D'ailleurs en
aucun pays les universités n'étaient indépendantes.
En France, François Ier tenait à rester en bons termes
avec le roi d'Angleterre; en Italie, malgré la promesse
du pape, l'empereur était tout-puissant, et on se
garda bien de consulter les universités de ses États.
Quant aux luthériens d'Allemagne, ils étaient pré-
venus contre Henri à cause de ses démêlés avec leur
patriarche et même l'un d'eux publia en 1530 un livre
en faveur de la reine. Ceci n'empêcha pas le roi de
s'adresser à eux en 1531, par l'entremise de Simon
(iimkcus, un humaniste recommandé par Érasme.
Mélanchthon dit que la prohibition du Lévitique
appartenait à la loi positive, dont on peut être dis-
pensé, tandis que le divorce est opposé à la loi naturelle.
II concluait en conseillant la polygamie. Ceci ne plut
pas à Henri. Il envoya ambassade sur ambassade à
Wittemberg, a lin d'arracher aux théologiens de cette
ville l'approbation du divorce; tout ce qu'il put
obtenir lut une déclaration (1535) que le mariage avec
une belle-sœur était contraire à la loi divine, mais les
théologiens demandaient à être dispensés de donner
une réponse sur le cas du roi. Zwingle répondit carré-
ment que le mariage en question était contraire à la
loi divine, dont aucun pape ne peut dispenser ; Œcolam-
pade lui du même avis. A Strasbourg, on partagea
plutôt l'avis de Wittemberg, tout en reconnaissant que
le divorce était un remède pire que le mal, et en con-
seillant la polygamie. Bucer fut ici comme ailleurs « le
grand architecte des subtilités »; il oscilla entre Luther
et Zwingle, et finit par ne prendre aucun parti.
Cependant Henri employait d'autres moyens pour
s'adressera Luther lui-même. Dès 1529, il s était radouci
à l'égard de son ennemi, et l'avait même loué dans une
conversation avec Chapuis, ambassadeur de Charles-
Quint, disant que, s'il avait mélangé l'hérésie à ses
ouvrages, ce n'était pas une raison pour rejeter les nom-
breuses vérités qu'il avait mises en lumière. En 1531,
il le fit approcher par Robert liâmes, ancien augustin
qui avait dû fuir l'Angleterre à cause de ses opinions
hétérodoxes, et s'était fixé à Wittemberg, où Luther
lui donnait l'hospitalité. La réponse de l'hérésiarque
est identique à celle de Mélanchthon. Il se préoccupe
peu du pouvoir du pape, mais quand même le roi
aurait péché en épousant la veuve de son frère, il
commettrait un péché plus atroce en la répudiant
cruellement. Il ferait beaucoup mieux de prendre une
seconde femme, suivant l'exemple des patriarches.
L'idée de la polygamie ne souriait pas à Henri. Un
enfant de la seconde femme n'aurait jamais été reconnu
comme légitime en Angleterre, et comme la raison
qu'il donnait pour le divorce était l'absence d'héritier
mâle de la couronne, tout prétexte honnête lui
échappait. Il fit coup sur coup deux tentatives près
de Luther l'année suivante, mais sans plus de succès.
Alors il se repentit d'avoir écrit contre le professeur de
Wittemberg, et il alla jusqu'à publier une traduction
de la lettre que celui-ci lui avait écrite en 1525, disant
en même temps qu'il avait été poussé à écrire son livre
par Wolsey. Mais ceci n'adoucit pas Luther. Une nou-
velle ambassade en 1535 ne réussit pas mieux que les
précédentes, et la réaction contre le protestantisme
qui eut lieu après le divorce d'Anne de Clèves irrita
les réformateurs allemands. Mélanchthon souhaita
qu'un régicide vînt délivrer la terre de ce monstre.
Luther se contenta de l'invective, où il était passé
maître; Henri VIII, écrivait-il en 1540, n'est pas un
homme, mais un démon incarné.
Dès 1529, Henri avait été lancé dans une autre voie,
qui allait le mener à la rupture complète avec Rome.
Thomas Cromwell, fils d'un forgeron de Putney, qui
ajoutait à ce métier celui de foulon, tout en tenant une
hôtellerie, entra à son service après la disgrâce de
Wolsey, qu'il servait habilement depuis plusieurs
années. Il fut le premier à suggérer au roi l'idée d'abo-
lir la juridiction papale en Angleterre, et de mettre
ainsi fin à l'anomalie qui résultait de l'existence de
tleux juridictions dans le même royaume. Henri n'était
pas prêt, mais l'idée fit son chemin dans son esprit, et la
consultation des universités à propos du divorce fut
un avertissement donné au pape qu'on pourrait bien
se passer de lui, si sa décision n'était pas celle qu'on
attendait. En 1531, il lit un pas de plus. Il demanda à
la convocation ou assemblée du clergé de la province
de Cantorbéry de le reconnaître comme « protecteur
et seul chef suprême de l'Église et du clergé en Angle-
terre ». L'assemblée, qui venait de se laisser imposer
une amende de cent mille livres sterling, trouva la
"prétention exorbitante, et chercha à adoucir les termes,
mais le roi ne voulut rien entendre : tout au plus
permit-il d'insérer le mots post Daim après supre-
mum caput. L'archevêque Warham trouva un moyen
de sortir de la difficulté, en employant une phrase
élastique qui peut avoir bien des sens ; il ajouta
à la formule proposée par le roi . « autant que la
loi du Christ le permet ». Et comme personne n'éle-
vait la voix pour seconder sa proposition, l'archevêque
la déclara votée d'après le principe : Qui ne dit rien
consent. La convocation d'York imita celle de Can-
torbéry, et ainsi I lenri acquit un nouveau titre qui lui
donnait toute l'autorité nécessaire en cas de rupture
avec Rome. 11 ne tarda pas à réclamer tous les droits
que lui conférait ce titre L'année suivante, il lit écrire
sous ses yeux une supplication au non de la Chambre
des Communes. On s'y plaignait entre autres choses de
ce que le clergé réuni en convocation put faire des lois
et des constit. liions sans l'assentiment du roi, et de ce
que les laïques fussent tenus de se soumettre à ces lois
2187
HENRI VIII
•21 S*
sans qu'elles leur eussent été déclarées en langue vul-
gaire. Les ordinaires répondirent en rappelant leurs
privilèges, fondés sur l'Écriture et les canons, et en
appelèrent même au livre du roi contre Luther, où il
soutenait les mêmes principes. Ils consentaient cepen-
dant à lui soumettre les canons qu'ils pourraient faire,
pourvu qu'il ne s'agît pas de matières de foi. Mais
Henri entendait bien être chef suprême, même en
matière de foi, et il fit tenir au clergé trois articles
qui, après quelques tergiversations, lurent acceptés.
Le 16 mai, l'archevêque Warham, la mort dans l'âme,
remit au roi le document connu sous le nom de Sou-
mission du clergé. Les évêques y promettaient : 1° de
ne porter ni canons, ni lois, ni ordonnances sans l'assen-
timent du roi : 2° de soumettre à une commission
royale les canons déjà existants, et de supprimer ceux
qui seraient reconnus contraires aux lois de Dieu ou
du royaume ; 3° de soumettre à l'assentiment du roi
ceux des anciens canons maintenus par la commission.
Le même jour, Thomas Moore donna sa démission de
chancelier.
Ce n'était pas encore la rupture définitive; Henri
comptait bien y arriver, mais il n'était pas prêt. Pour
le moment il se contenta de réduire les annates à 5 0/0
du revenu des évêchés, et de favoriser en sous-main
l'introduction et la publication dans le royaume de
certains livres entachés d'hérésie, tout en condam-
nant à mort les hérétiques. Cependant l'appel à Rome
de la reine laissait suspendue sur sa tête l'obligation
de comparaître en personne devant le tribunal du
pape ; il chercha par tous les moyens à y échapper. Il
fit plaider que la citation était contre les privilèges
du royaume, et obtint que les universités de Paris et
d'Orléans la déclarassent invalide. François Ier promit
d'épouser sa cause; il ne s'imaginait pas que son allié
pût aller aussi loin qu'il irait.
Warham étant mort le 22 août 1532, Henri donna
l'archevêché de Cairtorl éry à Cranmer, sûr de trouver
en lui un instrument docile. Voir t. m, col. 2026. Les
bulles furent obtenues de Rome le 22 février 1533; le
25, le nouvel archevêque déclarait invalide le mariase
du roi avec Catherine, puis le 28, il proclama la validité
de celui que le roi avait contracté secrètement avec
Anne Boleyn le 25 janvier précédent. La prétendue
reine fut couronnée le 1" juin, jour de la Pentecôte.
Le 11 juillet, le pape excommuniait Henri. Celui-ci
ne rompit pas encore ouvertement avec le saint-siège,
car il consentit à ce que le roi de France négociât avec
Clément, qui vint le voir à Marseille en octobre, et
envoya même deux ambassadeurs, Bonner et Pierre
Vannes. Mais Bonner en appela au concile général, ce
qui offensa Clément Vil et François Ier; cependant
l'un et l'autre se radoucirent, et du Bellay, évêque de
Paris, fut envoyé à Rome dans l'espoir d'arranger
les choses. Malgré son optimisme, le consistoire du
2 mars 1534 décida que le mariage d'Henri et de
Catherine était valide. Le pape se rallia à l'avis des
cardinaux, et prononça dans ce sens une sentence
définitive.
Mais il était trop tard pour arrêter le roi d'Angle-
terre. Déjà, vers la fin de l'année précédente, le conseil
royal avait décidé que le pape n'avait pas plus d'auto-
rité en Angleterre qu'aucun autre évêque étranger, et
dorénavant il fut désigné sous le nom d'évêque de
Ri me. La sentence du 2 mars ne fit que précipiter les
événements. On imposa à tous le serment de main-
tenir l'acte de succession. More et Fisher refu-
sèrent de jurer, à cause du préambule qui déclarait
invalide le premier mariage du roi; ils furent enfer-
més à la Tour, d'où ils ne sortirent que pour aller au
supplice.
Cranmer n'eut pas de peine à faire admettre la
suprématie royale par le clergé séculier et régulier; il
trouva cependant de la résistance chez les religieux
mendiants, les chartreux et les brigittins.
III. Le chef suprême de l'Église d'Angleterre. —
Voici donc Henri chef suprême de l'Église d'Angleterre;
ce fut le titre qu'il prit, titre qui scandalisa même Luther.
Il fit Cromwell son vicaire général, et Cranmer, aussi
bien que les autres évoques, durent s'incliner devant
ses ordres.
Alors commença la persécution sanglante. Les pre-
miers martyrs furent trois prieurs chartreux et un
religieux brigittin (4 mai 1435), exécutés pour leur
fidélité au pape, tandis qu'un mois plus tard quatorze
anabaptistes hollandais étaient brûlés dans diverses
villes du royaume pour le crime d'hérésie. Bientôt
Fisher, voir t. v, col. 2558, et More furent décapités,
ce qui remplit d'horreur l'Europe entière. Paul III,
qui avait créé Fisher cardinal et n'avait réussi par là
qu'à rendre le roi plus furieux, prépara une bulle
d'excommunication dans laquelle il déposait Henri et
déliait ses sujets du serment de fidélité. Mais comme il
ne pouvait trouver d'assistance parmi les souverains
d'Europe pour en assurer l'exécution, il en retarda la
publication, qui eut lieu seulement trois ans plus tard,
et la bulle n'entra jamais en Angleterre.
Cependant Henri craignait un mouvemeat contre
lui de la part de l'empereur, et il fit faire des démarches
auprès des protestants d'Allemagne. Ceux-ci consen-
tirent à l'aider pourvu qu'il acceptât la Confession
d'Augsbourg; mais le roi n'était pas décidé à aban-
donner la doctrine catholique pour celle de Luther, et
Gardiner lui fit remarquer que ce n'était pas la peine
de rejeter l'autorité du pape pour se soumettre à celle
des hérétiques allemands. La tentative de rapproche-
ment n'eut pas de suite, et Henri consacra son activité
à exercer sa suprématie en Angleterre. Ce fut une véri-
table tyrannie. Personne ne songeait à lui résister. La
noblesse avait perdu son indépendance, le peuple
n'avait pas de chef, les évêques tremblaient devant
lui, aussi bien les partisans des nouvelles doctrines
que ceux qui avaient accepté la séparation d'avec
Rome à leur corps défendant. Cromwell, comme nous
l'avons vu, était déjà vicaire général, et comme tel
siégeait avant l'archevêque de Cantorbéry; mais cela
ne lui suffit pas, et, sur le conseil de deux de ses créa-
tures, il décida de faire un pas déplus, pour porter à
son comble la dégradation des évêcjues. Le 18 septem-
bre 1535, l'archevêque, par une circulaire, informait
les autres prélats que le roi, ayant l'intention de faire
une visite générale, avait suspendu les pouvoirs de
tous les ordinaires du royaume. Les évêques se sou-
mirent humblement, et au bout d'un mois présen-
tèrent une pétition à l'effet d'être rétablis dans leur
autorité. En conséquence, chacun d'eux reçut une
commission qui l'autorisait, suivant le bon plaisir du
roi et comme son représentant, à exercer ses pouvoirs
épiscopaux... dans son diocèse. Tout cela devait se
faire sous la surintendance du vicaire général, et
comme il ne pouvait être partout à la fois, on devait
obéissance à ses délégués comme à lui-même.
Cromwell se mit alors e.i devoir d'exécuter un des-
sein qu'il entretenait depuis plusieurs années : nous
voulons parler de la dissolution des monastères. Henri
accepta avec enthousiasme, parce qu'il voyait là un
moyen de remplir ses coffres, et Cranmer ne fut pas
moins favorable à une mesure qui le débarrassait des
plus fermes soutiens de l'ancienne croyance. L'opé-
ration commença par une visite générale des monas-
tères, faite par Cromwell et ses émissaires, sous pré-
texte de les réformer, mais en réalité pour trouver des
raisons de les supprimer, afin de s'emparer de leurs
biens. Aussi les rapports des visiteurs représentent-ils
les monastères comme des repaires de paresse et d'im-
moralité. Exception était faite pour les maisons les
2189
HENRI VIII
HENRI DE RAUME
2190
plus importantes, dont les supérieurs siégeaient au
Parlement et pouvaient se défendre, tandis que les
autres ignoraient le plus souvent les accusations
portées contre eux. Une loi fut votée qui dissolvait
environ trois cent quatre-vingts monastères, tout en
laissant au roi la faculté de les rétablir. Il en rétablit
une centaine, en ayant soin de se faire payer cette
faveur par d'abondants subsides. Les supérieurs des
maisons supprimées reçurent une pension; quant aux
moines, ceux qui n'avaient pas vingt-quatre ans
furent déliés de leurs vœux; les autres furent dis-
persés dans divers monastères s'ils voulaient rester
en religion, sinon, on leur promit des emplois suivant
leur capacité. Les religieuses reçurent pour toute
indemnité une robe, et on leur dit de se tirer d'affaire
comme elles pourraient.
Le résultat de cette suppression fut un formidable
soulèvement dans les comtés du nord, où les gens
étaient demeurés attachés aux anciennes doctrines,
et où ils étaient soutenus par leur clergé, que l'éloi-
gnement de la cour rendait plus indépendant. Henri
réussit à pacifier l'insurrection en faisant des promes-
ses qu'il ne tint pas, et lorsque les révoltés prirent de
nouveau les armes pour exiger l'exécution des pro-
messes, le roi avait eu le temps de réunir des troupes
de manière à intercepter leurs communications, et il
les défit facilement. Il n'en devint que plus excité à
détruire les monastères; les grandes abbayes eurent
maintenant leur tour, et il faut avouer que les abbés,
dont vingt-huit siégeaient au Parlement, n'osèrent
même pas élever la voix pour chercher à détourner le
coup qui les menaçait, Ils livrèrent leurs monastères
sans trop de difficulté, et leur lâcheté ne fait que rendre
plus dignes d'admiration bs trois abbés de Glastonbury,
Reading et Colchester, qui furent martyrisés (1539) et
sont maintenant honorés comme bienheureux.
Le 7 janvier 1530, Catherine d'Aragon était morte.
Henri s'en réjouit fort, car cette mort faisait dispa-
raître un danger de guerre avec l'empereur, et Anne
Boleyn fut heureuse d'être débarrassée d'une rivale,
mais elle ne jouit pas longtemps de son bonheur. Le roi
commençait à se lasser d'elle, et il avait jeté les yeux
sur une de ses demoiselles d'honneur, Jane Seymour.
Des imprudences d'Anne donnèrent occasion de
l'accuser d'adultère, et, sur l'ordre d'Henri, Cranmer,
qui avait en 1533 déclaré leur mariage valide, le
déclara nul trois ans après. Anne lut décapitée le
19 mai 1536, et, le 30 du même rt ois, le roi épousait
Jane Seymour, qui mourut le 24 octobre de l'année
suivante, quelques jours après avoir mis au monde un
fils, le futur Edouard VI.
Pendant ce temps, Henri n'oubliait pas qu'il était
le chef suprême de l'Église; nous avons dit, t. i, col.
1283, quelle fut son activité théologique à cette
époque. Jusque-là il s'était opposé à la diffusion de la
Bible en langue vulgaire, et il en donnait d'excellentes
raisons, lorsqu'en 1530 il commanda qu'on remît aux
autorités toutes les traductions anglaises des saintes
Écritures. « A cause de la malignité des temps, disait-
il, il vaut mieux laisser aux docteurs le soin d'expliquer
la Bible, que d'en permettre la lecture à tout venant. »
Cette sévérité avait été excitée par une traduction du
Nouveau Testament faite sous la direction de Luther
par l'ex-franciscain Tyndal, et publiée en 1526. Mais
dans cette même proclamation le roi donnait à espérer
qu'une traduction officielle par des savants catholiques
pourrait être publiée quand les opinions erronées
auraient cessé d'avoir cours. Cranmer ne laissa pas
tomber cette promesse; il la rappela souvent à Henri,
et enfin, aidé par le vœu de l'assemblée du clergé et par
la recommandation de Cromwell, il obtint l'autorisa-
tion de faire imprimer une version anglaise de la Bible.
Cette édition parut en 1537 sous le nom de Thomas
Matthew, qui n'était qu'un pseudonyme. En réalité,
elle contenait le Nouveau Testament de Tyndal avec
quelques parties de l'Ancien Testament du même
traducteur; le reste était l'œuvre d'un ex-augustin du
nom de Coverdale. Cromwell ordonna qu un exem-
plaire de cette Bible fût mis dans toutes les églises,
afin que chacun pût y avoir libre accès.
Les protestants d'Allemagne avaient été choqués
par les six articles de doctrine promulgués en 1536
Voir t. î, col. 1284. Pour les adoucir, Henri, sur le con-
seil de Cromwell, décida en 1539 d'épouser Anne, sœur
du duc William de Clèves, ce qui, en le rapprochant des
princes protestants, le mettait à l'abri d'une alliance
possible contre luientre l'empereur et le roi de France.
Mais il vit bientôt qu'une telle alliance n'était pas à
craindre, et qu'une tendance vers le protestantisme ne
servirait guère ses intérêts en Europe. Il y eut donc une
réaction, dont le résultat fut la rupture du mariage du
roi avec Anne de Clèves, et la disgrâce de Cromwell,
qui était le principal soutien de l'hérésie en Angleterre.
Il fut enfermé à la Tour, et décapité le 28 juillet 1540.
Le 30 du même mois, Henri accentuait le caractère
qu'il voulait donner à son Église en faisant exécuter
six victimes, dont trois favorisaient le luthéranisme,
tandis que les trois autres refusaient de reconnaître la
suprématie royale : il voulait rester catholique sans
le pape. Il continua jusqu'à la fin de faire mourir d'un
côté des papistes comme la vénérable Marguerite Pôle,
comtesse de Salisbury, et de l'autre des hérétiques
comme Anne Askew. Pendant ce temps ses affaires
domestiques lui créaient des soucis. Catherine Howard
avait succédé à Anne de Clèves, mais le roi apprit
bientôt qu'elle avait mené jadis et menait encore après
son mariage une vie dissolue; il eut bientôt fait de la
faire décapiter, le 12 février 1512. L'année suivante, il
épousait sa sixième femme, Catherine Parr, qui lui
survécut, non sans avoir couru quelques dangers à
cause de ses tendances protestantes. Le concile de
Trente était assemblé lorsqu'Henri VIII mourut,
le 28 janvier 1517.
Voir les ouvrages cités aux articles Anglicanisme, t. i,
col. 1301; Cranmer, t. m, col. 2031; et surtout Gar-
DINER, t. VI, COl. 1156.
A. Gatard.
3. HENRI DE BAUME, frère mineur, est surtout
connu par ses relations avec sainte Colette, dont il
fut le directeur pendant trente-cinq ans. Fodéré,
qui était assez bien placé pour être renseigné, le dit
« natif de la Franche-Comté, de noble et illustre fa-
mille. » Il mentionne « noble Alard de Baume, frère
du vénérable P. Henry. » Alard est appelé aussi de
La Roche. Une de ses filles entra chez les colettines
et, devenue sœur Perrine de Baume, elle fut la com-
pagne de la sainte, dont elle a écrit l'histoire. On
ignore la date de la naissance du P. Henri et celle de
son entrée en religion. On sait seulement qu'en 1406,
il prêchait à Bray-sur-Sommc, à quatre lieues de
Corbie, quand sainte Colette, encore recluse, lui de-
manda de venir la trouver. Ensemble ils allèrent à
Nice, où était le pape Benoit XIIJ, qui reçut Colette
dans l'ordre de sainte Claire, encouragea ses projets
de réforme et la recommanda au P. Henri. Depuis
lors, la vie de celui-ci se confond avec celle de la ré-
formatrice : il l'accompagne dans ses voyages, la suit
dans ses fondations et meurt pieusement en sa pré-
sence, dans la chapelle du monastère de Sainte-Claire
à Besançon, le 23 février 1439, laissant après lui la
réputation d'un directeur expérimenté et d'un saint
religieux.
La vie du P. Henri est donc assez peu connue; la
question des écrits qu'on lui a attribués, longtemps
obscure, semble aujourd'hui définitivement tranchée.
Le premier, qui a pour titre : De mystica thcologia
2191
HENRI DE BAUME — HENRI DE GAND
2192
seu de triplici via ad sapientiam, avait trouvé place
dans les anciennes éditions des œuvres de saint Bo-
naventure. Les critiques le regardaient comme apo-
cryphe et les derniers éditeurs du docteur séraphique
leur donnent raison. Il n'est pas davantage du
P. Henri, car, nous disent-ils, sur plus de cinquante
manuscrits qui sont connus, le plus grand nombre
l'attribuent à Hugues de Balma, en ajoutant à son
nom le qualificatif de chartreux. Voir ce nom. C'était
la conclusion à laquelle était arrivé Mgr Douais, dans
son élude sur l'auteur du Stimulus amoris.
Ce second opuscule avait également figuré dans
plusieurs éditions de saint Bonaventure; maintes
fois il avait été édité sous son nom, quelquefois sous
celui d'Henri de Baume. Les nouveaux éditeurs l'ont
également rejeté ; toutefois ils l'ont publié à part, en
lui rendant sa forme originale et en le restituant à
son véritable auteur, frère Jacques de Milan, qui
vivait à la fin du xme siècle. Ce Stimulus original
est, à première vue, bien différent de celui qui était
connu. C'est que ce dernier n'est qu'un remaniement
de l'opuscule de Jacques de Milan, dont on a boule-
versé l'ordre des chapitres, et auquel on a fait des
additions empruntées pour la plupart à saint Bona-
venture. Quel est l'auteur de ce recueil? La question
est sans grand intérêt, puisque nous ne sommes pas
en présence d'un ouvrage nouveau. On trouve encore
dans ce Stimulus remanié un autre petit opuscule,
également attribué à Henri, sous le titre de Medita-
tioncs uni'' et post missam, ou bien Qualiter sacerdos
débet esse ordinatus in missa. Ce n'est qu'une adapta-
tion d'un opuscule authentique de saint Bonaventure
et non un travail personnel.
Inutile de parler du Liber de consolalione interna,
qu'on a également attribué à Henri : la question est
depuis longtemps définitivement jugée. Que nous
reste-t-il donc de lui, puisque le livre De revelatio-
nibus et gratiis B. Colettœ a Deo acceplis, qu'il avait
composé, dit-on, fut brûlé par ordre de la sainte ?
Tout ce qui reste, ce sont quelques lettres autogra-
phes conservées aux monastères des clarisses de
Gand et de Besançon. Le sceau original du P. Henri
existe au musée franciscain du couvent généralice
des capucins à Rome.
Fodéré, Narration historique des contiens de l'ordre de
Saint-François en la province de Bourgogne. Description des
i, ministères de Sainte-Claire, Lyon, 1619; Silvère d'Abbc-
ville, Histoire chronologique de la B. Colette, Paris, 1628;
Obald d'Alençon, Documents sur la réforme de sainte Colette
en France, dans Archivum franciscanum historicum, Qua-
racchi,1909, t. n; Les deuxVies de sainte Colette par Pierre de
Vaux et sœur Perrine de Baume, Paris, 1911; Oudin, De
scripioribus ecclesiasticis, Leipzig, 1722, t. in, p. 392 sq. ;
Bonelli, Proromus ad opéra omnia sancli Bonaventunr,
Bassano, 1767; Sbaralea, Supplementum et castigatio^ ad
scriptores ordinis minorum, Rome, 1806; Douais, De l'au-
teur du Stimulus amoris, Paris, 1885; S. Bonaventure,
Opéra omnia, Quaracclii, 1898, t. vin, p. xi; Stimulus
amoris Fr. Iacobi Mediolanensis, Quaracchi, 1905; Hurter,
Nomenclalor litcrarius, 3< édit., Inspruck, 1906, l. n,
col. 870.
P. Edouard d'Alençon.
4. HENRI DE GAND, surnommé le Doetorsolcmnis,
occupe une place de première importance parmi les
penseurs belges du moyen âge. A côté de saint Thomas,
qui le précède de quelques années à l'université de
Paris, cl de Duns Scot, qui le suivra de près et attestera
son mérite en combattant ses opinions plus souvent
encore que celles du docteur d'Aquin, il est un des re-
présentants les plus originaux de la scolastique. Mais
autant ses doctrines, de tout temps prisées, étudiées et
commentées, retinrent l'attention sur ses œuvres,
autant les détails de son existence furent vite négligés
et livrés à l'oubli, au point que, comme il arrive en
pareil cas, la légende prit bientôt la place que l'histoire
laissait inoccupée. Aujourd'hui nous ne possédons,
de sa biographie, qu'un très petit nombre d'éléments
certains.
Henri naquit à Gand, au commencement du
xme siècle. Les plus anciens manuscrits l'appellent
Henricus de Gandavo. Un de ses contemporains, le
chroniqueur Gilles li Muisis, le nomme Magister Hen-
ricus ad plagam de Gandavo. Des documents posté-
rieurs le désignent encore Henri Goethah ou,
en latinisant ce dernier nom, Henricus Bonicollius.
En 1567, pour le curé Meyerus, il est Henricus Mu-
danus, Henricus a Muda. L'année de sa naissance est
inconnue. En 1267, il était à Tournai, où il semble
qu'il ait habité une maison appartenant au chapitre,
rue de la Lormerie. D'après un écrivain de cette époque.
Jean de Thiebrode, il fut distingué et élevé aux digni-
tés ecclésiastiques par l'évêque Philippe Mouskes
(1274-1282). Il était déjà archidiacre de Bruges quand,
en 1276, il prononça sa première Disputalio de quod-
libet. Dans les milieux théologiques de Paris, il jouis-
sait d'une grande considération, car on le voit mêlé
à toutes les questions importantes qui s'y agitaient
alors. Lui-même atteste qu'il assista, dans cette ville,
à une réunion de théologiens, où il eut l'occasion de
s'associer à une condamnation de doctrines erronées,
prononcée au nom de l'évêque. En 1282, nous le ren-
controns de nouveau délibérant avec les théologiens
de la Sorbonne sur les privilèges octroyés aux ordres
mendiants par rapport à la confession; et dans ce débat,
qui passionnait les esprits, il n'hésite pas à se ranger
résolument du côté des ordinaires et à entrer en lice
avec saint Bonaventure. La renommée d'Henri était
arrivée jusqu'à la cour de Rome. Dans un procès pen-
dant entre le chancelier de Paris et l'université, le
pape Martin IV, en tranchant lui-même quelques points
du litige, remet la décision de plusieurs autres aux
évoques d'Amiens et de Périgueux, assistés d'Henri:
Discretus vir magister Henricus de Gandavo, archidia-
conus Tomaccnsis. Dans ces qualificatifs, deux traits
sont à relever : Henri est migister, c'est-à-dire docteur
en théologie, et, depuis 1277, il prend ce titre en tête
de ses écrits; de plus, vers le même temps, entre
Pâques de 1278 et Pâques de 1279, il fut promu de
l'archidiaconat de Bruges à celui de Tournai, qui res-
sortissait d'ailleurs au même ordinaire. A partir de
128 I. il dut faire plusieurs fois le voyage de Tournai à
Paris et vice versa, car nous le retrouvons tour à tour
dans l'une et dans l'autre de ces deux villes. Jean de
Thiebrode assigne l'an 1293 comme date de sa mort,
mais sans en indiquer le lieu. Nous savons d'ailleurs,
par un document non suspect, qu'elle arriva le 29 juin.
Son quinzième et dernier Quodlibetum est de la fête de
Noël 1291 ou de la fête de Pâques 1292.
Telles sont, d'après les travaux les plus récents, ceux
surtout du P. Ehrle et du P. Delehaye, les seules don-
nées sûres concernant la vie d'Henri de Gand. Tout
ce que la foule des biographes, gent moutonnière, y
ajoute depuis des siècles est purement fantaisiste ou
controversé. Fantaisiste et sans aucun fondement
sérieux, la fixation de sa naissance à l'année 1217;
fantaisiste également, son stade d'études à Cologne, où
il se serait rencontré avec saint Thomas aux leçons
d'Albert le Grand. A-t-il enseigné en Sorbonne, comme
on l'a souvent affirmé? Ce point reste douteux. En
revanche, il est faux qu'il ait appartenu à l'ordre des
servîtes, ainsi qu'on l'admettait naguère presque uni-
versellement; à plus forte raison faut-il tenir pour lé-
gendaire son voyage en Italie avec saint Philippe
Beniz/i. ml repris, disait-on, pour défendre auprès de
Martin IV (1281-1285), puis d'Honorius IV (1285-
i, l'ordre naissant, déjà menacé de suppression.
Dans un endroit des Quodlibela, Henri dit clairement
2193
HENRI DE GAND — HENRI DE HESSE
2194
que Iarèglede saint Augustin, adoptée par les servîtes,
lui est étrangère; et nous possédons, des dépenses de
voyages faites par le général de l'ordre pendant la
période 1285-1300, un Diarium très détaillé, où le nom
d'Henri n'est pas même mentionné. Il n'y a plus per-
sonne qui admette comm? authentique une bulle
d'Innocent IV par laquelle il aurait été nommé «pro-
tonotaire apostolique du saint-siège avec des pouvoirs
s \- tendant non seulement à Paris et à tous les diocèses
de France, mais encore à celui de Tournai ». Or, c'est
de cette pièce apocryphe qu'on tirait jadis une foule
de détails biographiques, notamment la naissance en
1217 et la promotion au doctorat en 1245 ou 1246.
Enfin, la famille et le nom de famille du docteur so-
lennel demeurent pour nous une énigme. Il résulte des
dernières recherches que ses rapports avec la noble
lianée des Goethals ou Bonicollii ont été, selon toute
vraisemblance, inventés par des généalogistes com-
plaisants. D'autre part, les deux appellations de Gan-
darensis (a Gandavo) et Mudanus (a Muda) ne pa-
raissent point être des désignations patronymiques,
mais de simples indications d'origine : elles s'expliquent
tout naturellement par l'usage, cher aux lettrés, de
prendre, surtout lorsqu'ils s'expatriaient, le nom de
leur lieu de naissance.
Parmi les ouvrages d'Henri de Gand, il faut surtout
mentionner : 1° les Quodlibeta, au nombre de quinze.
Ce sont autant de dissertations ou de conférences sur
les problèmes les plus variés. Ils nous donnent un
aperçu intéressant des sujets agités dans les écoles de
Paris et leurs annexes vers la fin du xine siècle. La
plupart de ces sujets se rapportent à la psychologie,
mais il y a aussi nombre de thèses de cosmologie et
de métaphysique, sans compter des chapitres de nature
purement canonique ou théologique. Il arrive parfois,
bien que rarement, que l'auteur, entraîné par l'esprit
du temps, tombe dans des minuties d'une subtilité
excessive. Le recueil des Quodlibeta a été édité à Paris,
en 1518 (c'est le premier texte imprimé où se rencontre
le nom de Goethals); à Venise, avec les commentaires
de Zuccolius, en 1608; dans la même ville, 2 in-fol.,
1613. On annonce que M. A. Pelzer en prépare une
nouvelle édition. 2° Une Summa thcologica, qui est
restée inachevée et ne contient en réalité qu'un pro-
logue et une théodicée. Mêlant, comme on le faisait
alors, la philosophie à la théologie, elle débute par une
étude remarquable sur les fondements ontologiques
de la vérité. Elle a été imprimée à Paris en 1520, et
réimprimée à Anvers, en 1639, puis à Ferrare en 1646.
3° Liber de scriptoribus illustribus, édité pour la pre-
mière fois à Cologne, en 1580. Hauréau en a contesté
l'authenticité; Mémoire sur l* livre De viris illustribus,
attribué à Henri de Gand, daiis les Mémoires de l'Aca-
démie des inseriplions et belles lettres, t. xxx, 2e par-
tie, p. 349 sq.; Xotices extraites de quelques manuscrits
di' la Bibliothèque nationale, Paris, 1895, p. 162-173;
mais ses arguments, purement internes, n'ont pas con-
vaincu tout le monde. 4° Un Commentaire sur la Phy-
sique d'Aristote, et 5° un Traité de logique. Ces deux
ouvrages n'ont pas été imprimés. La Bibliothèque
nationale de Paris possède un exemplaire des
Commentarii in VIII libros Physicorum, n° 16609,
niais il est incomplet et ne contient que des parties
relatives aux 1. IV-VIII. Quant au Traité de logique,
il en existe un exemplaire à la bibliothèque de la ville
de Bruges et un autre à la bibliothèque d'Erfuit.
Il nous reste aussi, en manuscrit, plusieurs ouvrages
d'exégèse, de morale et d'ascétisme, notamment :
6° des Sermons (mss de Saint-Omer et de la Biblio-
thèque nationale); 7° une explication Super prima
capita Genesis; 8° un traité De virginitate (mss de
la bibliothèque royale de Bruxelles et de la biblio-
thèque royale de Berlin); 9° un traité De peenilentia;
10° Quœsliones super Decretalibus (ms. de Vienne).
Notons enfin qu'on a attribué à Henri de Gand un
Commentaire sur le Hure des Sentences et un Commen-
taire sur la Métaphysique d'Aristote; mais, eu égard aux
nombreuses confusions dont la personne du docteur
solennel a été l'objet, l'authenticité de ces écrits est
douteuse.
M. de Wulf, Éludes sur Henri de Gand, in-8°, Paris et
Louvain, 1897; Franz Ehrle, Beitràge zu den Biographicn
berulimter Scholastiker, Heinrich von Gent, dans Archiv fur
Litleratur und Kirchengeschichte, 1885, t. i, et traduction
française de ce travail par Raskop, dans le Supplément au
t. .x.x des Bulletins de la Société historique et littéraire de
Tournai; A. Wauters, contre l'authenticité de la bulle
d'Innocent IV, dans les Bulletins de l'Académie rogale de
Belgique, 1875, 2e série, t. xi, p. 356; Delehaye, Nouvelles
recherches sur Henri de Gand, dans le Messager des sciences
historiques, 1886 et 1888; N. de Pauvv, Note sur le vrai nom
du docteur solennel Henri de Gand, et Dernières découvertes
concernant le docteur solennel, dans les Bulletins de la Com-
mission rogale d'histoire, 1888 et 1889 ; Hagemann, De
Henrici Gandavensis quem vocant ontologismo, Munster,
1898 ; P. Féret, La faculté de théologie de Paris et ses
docteurs les plus célèbres. Moyen âge, Paris, 1895, t. îi, p. 227-
246 ; U. Berlière, dans Zeitschrift fiir katholische Théologie,
1890, p. 384-388 ; Hurter Nomenclator, Inspruck, 1906,
t. il, col. 396-400.
J. Forget.
5. HENRI DE HESSE (de Hassia), théologien char-
treux, surnommé le jeune pour le distinguer de ses
homonymes Henri de Heyerburg de Langestein (f 1397),
Henri de Hassia, augustin (f 1317) et de plusieurs
autres savants ainsi nommés. Le chartreux Henri de
Hesse naquit à Mayence et fit ses études à Paris, où
cependant il ne prit pas les grades. C'est à Cologne qu'il
fut fait maître es arts et, en 1400, il fut agrégé à
l'université d'Heidelberg, où il remplit les charges de
recteur, vice-recteur et de doyen (1401-1411), enseigna
les Sentences (1405-1410) et prit la licence le 18 dé-
cembre 1411. En 1414, il se fit chartreux à Fribourg-en-
Brisgau, et dix ans après, sur la demande des religieux
de Monichusen, près d'Arnheim, dans la Gueldre,
le chapitre général l'y institua prieur. Il fut aussi visi-
teur de la province du Rhin et mourut le 12 août 1427
avec la réputation d'un saint. Il a écrit : 1° sur les
Sentences, et son commentaire est conservé à la biblio-
thèque Ambrosienne de Milan, à celle de l'Arsenal à
Paris, à celle d'Alençon, n. 144, et autrefois à Stras-
bourg; cf. Migne, Dictionnaire des manuscrits, t. i,
col. 1202, 1383; t. il, col. 860; une autre copie a été
mise en vente par M. L. Rosenthal, libraire à Munich
(Bavière), dans ses catalogues 31° et 40e; 2° sur la Genèse,
l'Exode, les Proverbes et l'Apocalypse. Possevin, dans
V Apparatus sacer, au mot Salomon, met Henri de Hesse
au nombre des commentateurs du Cantique des can-
tiques. 3° Un recueil de ses Sermoncs de sanctis, écrit
en 1464, in-4", se trouve mentionné dans le catalogue
de la vente des livres provenant de la chartreuse
supprimée de Buxheim, dans la Souabe, p. 139, n. 2605.
Plusieurs autres sermons se trouvent éparpillés dans
divers recueils mss. Cf. Migne, op. cit., t. n, col. 680;
L. Rosenthal, catal. 40e, p. 14, n. 211, etc. 4° Dialogus
inter episcopum et presbylerum de celebratione missa-
rum. ms.; 5° Tractalus de contractibus emptionis et
venditionis, dans le codex ms. n. 719 de la bibliothèque
Palatine au Vatican, à la bibliothèque Mazarine, de
Paris, n. 943 (1081), et aussi à la bibliothèque de l'uni-
versité de Bàle, A. IV, 20; A. IX, 19; C. III, 32; G.
V, 36; autrefois à la bibliothèque de Strasbourg ainsi
qu'à celle de la chartreuse de Buxheim; 6° Régulée ad
noscendum discrimen inter peccalum morlale et venialc,
opuscule imprimé plusieurs fois au xve siècle ; cf. Hain,
Repertorium, n. 1190-8400; 7° Aubert Le Mire attri-
bue à H. de Hesse le jeune l'ouvrage suivant, qui a eu
beaucoup d'éditions : Sécréta sacerdolum quœ sibi
2195
HENRI DE HESSE
HENRI DE SAINT-IGNACE
219(5
placent vel displicent in missa per egregium sacras
theologiœ et juris cunonici doctorem magistrum Michae-
lem Lochmayer (ou Lochmair) corrccta et in hanc forma m
redacla. Dans son Repcrtorium, n. 8375-8388, Hain a
signalé les éditions antérieures à 1501, auxquelles il
faut ajouter l'édition d'Augsbourg, 1-189, notée par
Panzer, Annales, t. i, p. 126, n. 164, note; Deventer,
1501; Leipzig, 1501, 1503; Strasbourg, 1502, 1505,
1508, 1516; Augsbourg, 1503-1511; Nuremberg, 1507;
Collibus Vallislrumpia', 1516. 8° Selon M. Roskovany,
dom Henri de Hesse, chartreux, a écrit contre les
adversaires de l'immaculée conception de la sainte
Vierge qui s'appuyaient sur l'autorité de saint Bernard.
Son travail traite le même argument que son homo-
nyme, H. de Hesse Langestein, avait déjà traité. Cf.
B. V. Maria in suo conceptu immaculata, t. i, p. 259.
D'autre part, Simler, Purbach, Possevin et Mabillon,
Opéra S. Bcrnardi, Paris, 1719, t. n, col. 1368, sans faire
de distinction entre les deux homonymes et leurs
ouvrages, attribuent à dom H. de Hesse, chartreux, les
Epistolœ IV contra decerlationes et contrarias prœdica-
tiones F. F. nvndicantium super conceptione Marim
Virginis et contra maculam S. Bernardo mendaciler
impositam, Milan, 1480; Strasbourg, 1500; Bàle, 1500;
Strasbourg, 1516. Autrefois, l'ouvrage de dom Henri de
Hesse était conservé ms. à la bibliothèque de la
chartreuse de Cologne, cf. Opéra S. Bcrnardi, Lyon,
1679, t. i, p. 102; la bibliothèque de l'université de
Bàle possède deux exemplaires ms. in-fol. du traité
De reprehensione eorum, qui dicunt D. Bernhardum
post mortem apparuisse cum macula, S. V. 18 et T. V.
27. Cf. Migne, op. cit., t. n, col. 1536-1604. Enfin,
dans le catal. 40* de M. L. Rosenthal, p. 16, n. 238, on a
signalé un codex ms. du xvc siècle, in-fol., qui, entre
autres ouvrages, comprend aussi : Henricus de Hassia,
Contra disceptationes fratrum mendicantium de concep-
tione B. Marise. 9° Purbach et Possevin attribuent à
dom Henri de Hesse un ouvrage sur la théorie des pla-
nètes et d'autres écrits sur l'astronomie. Il y a plusieurs
autres traités imprimés ou inédits qui sont d'Henri de
Hesse, mais à cause de l'homonymie, il est difficile de
préciser le véritable auteur de chaque ouvrage en par-
ticulier.
Trithème, Possevin, Sixte de Sienne, Bellarmin, Petre-
jus, Morozzo, dom Le Couteulx, Annales ord. cartus., t. vu,
561; Féret, La faculté de théologie de Paris, t. Il, p. 272;
Kirchenlexikon, t. v, p. 1710; Hurter, Nomenclator, 1906,
t. il, col. 691, note.
S. Autore.
6 HENRI DE SAINT-IGNACE, théologien carme,
naquit à Ath, en 1630. Il appartenait à l'ancienne
famille d'Ayméries, dite d'Aumerie ou Daumerie,
dont plusieurs membres se qualifiaient seigneurs ou
chevaliers d'Ayméries et dont on a retrouvé des
ascendants jusqu'en 1169. Il entra chez les carmes en
1646 et il se distingua dans son ordre. Il enseigna la
théologie pendant plusieurs années. Le Spéculum
carmelitanum, publié en 1680, le fait régent au
couvent de l'université de Douai; en 1700, il était
professeur émérite. Il fut trois fois vicaire provincial,
notamment en 1685 et en 1700. Il obtint que la pro-
vince wallonne, récemment constituée, eût siège et
voix au chapitre général, et il travailla à accroître
le nombre de ses maisons. Le 8 novembre 1685, il
acheta aux religieux du Saint-Sépulcre le couvent de
la Xhavée, à Souverain-Wandre-lez-Liége,'et iljcn prit
possession le 24 du même mois. Voir le bref d'union
et de translation d'Innocent XI, du 7 août 1688,
dans le Bullarium carmelitanum, t. n, p. 644. Il en
fut le second prieur, 1690-1693. Très instruit et très
ardent, il attaqua avec violence la morale des casuistes
et il adopta, quoiqu'il s'en défendît, la doctrine jansé-
niste. En 1699, il approuva et loua des opuscules de
Henri Denys, professeur au séminaire, et de Joseph
Navens, chanoine de Saint-Paul à Liège, bien qu'ils
fussent accusés de jansénisme. En 1702, il fut un des
six religieux qui appuyèrent la requête de plusieurs
curés de Liège, signalant à l'évèque la doctrine
enseignée au séminaire par les jésuites et le priant
d'en faire un examen sérieux. Il séjourna à Rome
pendant les premières années du pontificat de Clé-
ment XI et il se concilia la considération et l'amitié
du pape et des cardinaux. Commissaire général de son
ordre un peu avant 1709 et dé finit eur à plusieurs reprises,
il mourut le 1er avril 1719, au couvent de la Xhavée, à
l'âge de 89 ans, après 73 années de vie religieuse.
Voici la liste de ses ouvrages : 1° Theologia vêtus,
fundamentalis, speculaliva et moralis, ad mentem reso-
luli doctoris J. de Bacone, carmelilicœ doclrinœ principis,
adjuncto ci lumine angelico solis D. Thomœ Aquinalis,
t. i, De Deo uno et trino, in-fol., Liège, 1677 (le seul
paru); 2° Theologia sanctorum veterum et novissimorum
circa universam morum doctrinaux adversus novissimas
juniorum casuislarum impugnationes slrcnue propu-
gnata, t. x, Circa solemniores hodie controversias de usu
sacramentorum pœnilcntix et cucharisliœ, in-8°, Paris
et Liège, 1700; il reparut en 1702 sous un nouveau
titre; 3° Appendix ad theologiam moralem abbreviatam
sanctorum seu molinismus profligatus per triumphan-
tem de eo propheticam, evangelicam, apostolicam, eccle-
siaslicam sanctorum Auguslini et Thomœ Aquinali';
de gratia doctrinam; rclunduntur molinianorum maxime
Henrici Henrart et Livini de Meyer S. J. de jansenismo
accusationcs, 2 in-8°, Cologne, 1700; 4° Ethica amoris
sive theologia sanctorum, magni prœscrtim Auguslini
et Thomœ Aquinaiis circa universam amoris et morum
doctrinam. adversus novitias opiniones strenue propu-
gnala et in materiis principaliter hodie conlroversis,
jundamentaliler discussa, 3 in-fol., Liège, 1709. C'est
le principal ouvrage du Père Henri de Saint- Ignace.
Approuvé par les jansénistes, il fut condamné par
l'évèque de Liège, dont le vicaire général n'avait pas
donné l'approbation publiée en tête, par le parlement
de Paris et l'électeur de Cologne. Le Saint-Office le
condamna aussi dans ses décrets du 21 août 1714,
du 21 août 1715 et du 27 mai 1722. Les carmes de la
province wallonne le firent réfuter par l'un d'eux. Au
chapitre tenu à Notre-Dame de Bonne-Espérance
auprès de Valenciennes, le 2 octobre 1713, la doctrine
de cet ouvrage fut écartée des écoles de théologie de
l'ordre. Un confrère, Ambroise Gardebosc, la jugea
sévèrement dans son Historiœ ecclcsiaslicœ synopsis,
Toulouse, 1713. Elle fut réfutée dans les Mémoires de
Trévoux, juillet 1713, t. m, et juillet 1715, a. 100. Le
Père de Colonia la blâma. Dans cet ouvrage, Henri de
Saint-Ignace reprenait souvent le carme Alexandre
de Sainte-Thérèse (van der Berghe), auteur de la
Tcmpcstas novaturiensis, in-4°, 1686; 5° Gratiœ per se
cfjicacis scu augustiniano-lhomisticœ adversus janse-
nismi accusalionem defensio, ubi etiam theologia
moralis sanctorum adversus injuslos delraclores defen-
dilur, Louvain, 1713. L'auteur se défendait de l'accu-
sation de jansénisme portée contre lui par le Père
H. Henrart, O. M. (1650-1717), dans son court traité
sur les 31 propositions condamnées par Alexandre VIII,
le 7 septembre 1691, in-12, Namur, 1692. Le jésuite
Livin de Meyer répondit à la défense d'Henri de
Saint- Ignace. Voir C. Sommervogel, Bibliothèque de
la Compagnie de Jésus, t. v, col. 1047; 6° Molinismus
profligatus, 2 in-8°, Liège, 1715; avec l'Appendice,
2 in-8°, Cologne, 1717. Le cardinal de Noailles avait
refusé la dédicace de cet ouvrage. Le Père Henri de
Saint-Ignace avait publié sous des pseudonymes des
écrits violents contre les casuistes jésuites. Sous le
nom d'Aletophilus Christianus : Artes jesuiticœ in
suslinendis pcrlinaciter novitalibus damnabilibusque
2197
HENRI DE SAINT-IGNACE — HÉRACLÉON
2198
sociorum laxilalibus, in-12, Salzbourg, 1703 (au
nombre de 660); proscrit par l'université de Louvain,
le 7 septembre 1703 et mis à l'Index le 19 juillet 1707;
trad. flamande, 1704, édition complète (plus de
1000 nouveautés), Liège, 1709; in-12, 1710; Stras-
bourg, 1717. Le Saint-Oflice condamna ce pamphlet
le 2 décembre 1711, et le Père Alphonse Huylenbroucq
le réfuta, Gand, 1711. Sous le nom de Liberius Can-
didus, le carme publia d'autres pamphlets : Tuba
magna mirum clangens sonum ad S. D. N. papam
Clemcntem XI, imperalorem, reges, principes, magis-
tratus omnes orbemque universum de necessitale longe
maxima reformandi Societatem Jesu, in-12, Strasbourg,
1712; Tuba altéra majorem clangens sonum, etc., 1714,
1715, 3" édit., 2 in-12, Liège, 1717; 4e édit., 1760.
Voir H. Reusch, D;r Indx der oerbot-nen Bùch'r,
Bonn, 1885, t. il, p. 665-666. Sur les Vindicationes
du P. Alphonse Huylenbroucq, voir C. Sommervogel,
Bibliothèque de la Cie de Jésus, t. iv, col. 539-541.
Cosme de Villiers, Bbliotheca carmelitana, in-lol., Orléans,
1752, t. i, col. 625-627; llurter, Nomenclator, Inspruck,
1910, t. iv, col. 942-944, 410, 1071 ; The catholic encijclopedia,
New York, 1910, t. vu, p. 219; Biographie nationale de
Belgique, Bruxelles, 1911, t. xxi, col. 96-103 (avec une
longue bibliographie).
E. Mangenot.
HENRICI Thomas, théologien du xvne siècle,
protonotaire apostolique et chanoine de la cathédrale
de Baie, enseigna les lettres sacrées à l'université de
Frlbourg. On a de lui: Doclrina moralis, in-12, Fri-
bourg, 1628 ; Anatomia confessionis Auguslanœ, insli-
t lia per omnes arliculos cui centum abhinc annis in
lucem cdilse et a parente in incunabulis cxtinclse secu-
lirem nuper jubilum pro lesso accinuerunl, in-4°,
Fribourg, 1631 et 1677; Catena biblici, in-4°, Lucerne,
1631; Ircnieum catliolicum, in-4°, Fribourg, 1639,
attaqué par Frereisen et Hanneken.
Dupin, Table des auteurs ecclésiastiques du XVII' siècle,
in-8°, Paris, 1704, t. i, col. 1906; Waleh, Bibliotheca theolo-
gica, in-8°, Iéna, 1757, t. i, p. 350; llurter, Nomenclator,
Inspruck, 1907, t. m, col. 1022-1023.
B. Heurtebize.
1. HENRIQUEZ Henri, théologien portugais, né à
Oporto en 1536, entra au noviciat de la Compagnie de
Jésus en 1552 et se distingua de très bonne heure par
la subtilité de son talent et en même temps par l'éten-
due de son savoir dans l'étude des questions philoso-
phiques et théologiques. Chargé de l'enseignement de
la philosophie, puis de la théologie à Cordoue et à Sala-
manque, où il fut le maître de François Suarez, il publia
une Somme de théologie morale sur la fin de l'homme
et les sacrements : Theologiœ moralis summa, Sala-
manque, 1588, t. i; 1590, t. n; 1593, t. m; rééditée à
Venise, 1597; 2 in-fol., 1600. Déjà l'indépendance de
son esprit et l'agitation irréfléchie de son caractère
l'avaient entraîné dans une série d'intrigues contre le
gouvernement du général Claude Aquaviva et il avait
obtenu de Sixte-Quint l'envoi d'un visiteur aposto-
lique en Espagne pour les provinces de son ordre. Lui-
même dirigeait le parti des mécontents. Aquaviva
déjoua l'intrigue. En 1593, vivement affecté par des
observations qui lui avaient été adressées par le géné-
ral de la Compagnie, relativement à certains passages
de son livre désapprouvés par les reviseurs et mainte-
nus néanmoins par l'auteur, le P. Henriquez fit d'abord
retomber son dépit sur François Suarez et le dénonça
par lettres du 4 mai 1593 au conseil de l'inquisition de
Madrid, puis à celui de Valladolid, sans aucun succès
d'ailleurs. Sommé par la Congrégation générale de se
présenter à Rome devant elle pour rendre compte de
sa conduite, il refusa et fut mis en demeure de se sou-
mettre ou de se retirer. Finalement, en 1594, il obtint
du pape la permission de quitter son ordre et d'entrer
chez les dominicains, dont les doctrines lui étaient
chères. Il se montra opposé sur certains points à Molina
et à Lessius. Aussi les adversaires du molinisme l'ont -
ils exalté comme le plus grand théologien de la Compa-
gnie de Jésus. Cette même année parut son traité sur
le pouvoir du pontife romain : De pontificis romani clave,
in-fol., Salamanque, 1593, dont les thèses relatives aux
immunités ecclésiastiques furent jugées par le nonce
injurieuses à l'Église. Bien que dédié à Philippe II,
dont il exagérait les droits, l'ouvrage fut saisi et brûlé
à la suite de la condamnation portée par l'Index, dé-
cret du 7 août 1603. Il n'est plus dans le; récentes
éditions de Ylndx librorum piohibilorum. Cédant
aux conseils du P. Grégoire de Valencia, son ancien
élève de Salamanque resté son ami, Henriquez
demanda et obtint de rentrer dans la Compagnie. Il
mourut à Tivoli le 28 janvier 1608. Comme moraliste,
il fut tenu en grande estime par saint Alphonse de
Liguori. Suarez l'avait désigné au choix du général
Éverard Mercurian pour l'enseignement de la casuis-
tique au collège de Valladolid.
Sommervogel, Bibliothèque de la C'e de Jésus, t. IV,
col. 275 sq.; Richard Simon, Bibliothèque critique, Amster-
dam, 1708, t. iv, p. 255-270; Clément, Bibliothèque curieuse,
t. ix, p. 405; Hurter, Nomenclator, 3e édit., Inspruck, t. m,
col. 591 sq.; R. de Scorraille, François Suarez, Paris, 1914,
t. i, p. 88; t. n, p. 262; Crétineau-Joly, Histoire de la
C" de Jésus, Paris, 1851, t. i, p. 2-9; A. Astrain, Hisloria
de la Compahia de Jésus en la Asistencia de Espaha, Madrid,
1913, t. m, p. 360 sq.; t. iv, p. 132 sq.; H. Reusch, Der
Index der verbotenen Biicner, Bonn, 1885, t. n, p. 309.
P. Bernard.
2. HENRIQUEZ DE VILLEGAS André, premier
professeur de théologie à l'université d'Alcala et
censeur des livres publiés sur la foi, chanoine de
l'église principale de Saint-Juste et théologien du
gymnase de la même ville, a publié un ouvrage,
de controverse : De Deo uno, id est de Dci scientia et
ideis ac voluntale; de prœdestinalione item ac reproba-
tione hominum, in-fol., Alcala, 1618.
N. Antonio, Bibliotheca hispana nova, in-fol., Madrid,
1783, 1. 1, p. 75; Hurter, Nomenclator, Inspruck, 1907, t. m,
I. 398-399.
E. Mangenot.
HERACLEON, gnostique du ne siècle. — I. Vie.
II. Œuvres. III. Doctrine.
I. Vie. — 1° Ce qu'on en sait. — La vie d'Héracléon
n'est guère connue; rien de positif ne nous est parvenu
sur le lieu et la date de sa naissance et de sa mort,
sur les circonstances du rôle qu'il a joué et de l'in-
fluence qu'il a exercée. Ce que l'on peut tenir pour
certain, sur l'autorité de quelques témoignages, c'est
qu'il vécut au ne siècle, sinon à Rome, du moins en
Italie, qu'il fut dans le gnosticisme valentinien l'un
des chefs de l'école italique et qu'il est le premier
commentateur connu du Nouveau Testament.
C'est à peine si saint Irénée, Cont. hier., n, 4, 1,
P. G., t. vu, col. 719, et Tertullien, Adv. Valent.,
4, P. L., t. ii, col. 546, le nomment. Mais le pseudo-
Tertullien, De prœscript., 49, P. L., t. il, col. 69, et
l'auteur des Philosophoumena, VI, édit. Cruice, Paris,
1860, p. 279, le rangent après Secundus et Ptolémée,.
avant Marc et Colorbasus, sans exposer son système.
Après avoir observé qu'à l'exemple de toute l'école
valentinienne, Héracléon relevait de Pythagore et de
Platon, l'auteur des Philosophoumena précise qu'il fut
avec Ptolémée le chef de l'école italique. Philosoph.,
VI, 29, 35, p. 279, 296.
A en croire l'auteur quelque peu suspect du Prsedes-
tinatus, c'est en Sicile qu'Héracléon aurait propagé
sa doctrine hétérodoxe; mais deux évêques, Eustathe
de Lilybée et Théodose de Palerme, l'auraient fait
comparaître devant un concile et dénoncé an pape
2199
HERACLÉON
2200
Alexandre pour être condamné. Le pape aurait confié
sa réfutation écrite au prêtre Sabinianus, qui, s'étant
rendu en Sicile, aurait si bien confondu L'hérétique
que celui-ci. se voyant perdu, aurait quitté l'île pen-
dant la nuit et disparu sans qu'on ait jamais su depuis
ce qu il était devenu. Prœdest, 16, P. L., t. lui,
col. 592. Ces détails sont très précis, mais ils semblent
èlie une fausse attribution à Héracléon de ce qui
concerne un tout autre personnage, de beaucoup
postérieur, l'antipape Héraclius, du commencement
du ivc siècle, qui vetuit lapsos peccata dolere; telle est
du moins la conjecture de Sbaralea, signalée par De
Rossi, Roma sotterranea, t. n, p. 207, puis par Lipsiu .
Chronologie der rôm. Bischof., Kiel, 1869, p. 253. En
effet, outre que la tenue d'un tel concile est inconnue
dans l'histoire ecclésiastique du n° siècle, il y a lieu
de croire, comme l'avait déjà observé Tillemont,
Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique des six
premiers siècles, Paris, 1693-1712, t. n, p. 604, que le
pape Alexandre était mort avant qu'Héracléon eût
commencé à jouer un rôle, peut-être même avant cpi'il
fût né. Ce n'est guère que dans la seconde moitié du
ne siècle, un peu avant 180, cjue se place l'activité
littéraire de ce gnostique.
2° Sa secte. — A l'exemple de la plupart de ses
émules, Héracléon introduisit dans le système valen-
tinien quelques vues personnelles. Il eut des partisans
qui formèrent la secte qui porte son nom. Saint Épi-
phane. lhvr., xxxvi, P. G., t. xli, col. 633-6-12, saint
Philastfius, Hser., 41, P. L., t. xn, col. 1158-1159, et
saint Augustin, qui les résume, Hser., 16, parlent des
héracléoniens, dont ils signalent quelques pratiques
caractéristiques. Voici comment ils en usaient envers
les mourants : ils oignaient leur tête avec un mélange
d'huile ou de baume et d'eau et prononçaient une suite
de mots hébreux, dont le sens nous échappe, mais qui
devaient avoir une signification ésotérique unique-
ment connue des initiés. Cette coutume rappelle celle
que saint Irénée attribue à certains tmostiques, dont
il ne donne pas le nom, mais qui peuvent bien être les
héracléoniens. Cont. hier., i, 21, n. 45, P. G., t. vu,
col. 644-665. Cette formule avait pour but, note saint
Épiphane, Hier., xxxvi, 2, P. G., t. xli, col. 636,
de soustraire le mourant à l'action des principautés et
des puissances supérieures (celles du démiurge) et de
permettre à l'homme intérieur, qu'ils prétendent
dériver du plérome, de se dégager et de remonter à son
lieu d'origine sans être vu de personne. Une fois en
présence de ces principautés et de ces puissances, le
défunt n'avait qu'à dire : « Je suis le fils du Père...
Mon origine vient de celui qui existe avant tous les
autres, et maintenant je retourne à la source d'où je
suis sorti. » Au démiurge il devait dire : « Je suis un
vase plus précieux que la femme qui vous a fait. Si
votre mère ignore son origine, je me connais moi-
même, et je sais d'où je suis. J'invoque la Sagesse
incorrompue, qui est dans le Père, et qui est la mère de
votre mère, sans avoir elle-même de mère ou d'époux.
Née d'une femme, une femme vous a produit, sans
connaître sa mère et se croyant seule. Mais moi,
j'appelle sa mère. » Ibid., xxxvi, 3, col. 636. C'est
ainsi, d'après les héracléoniens, que l'homme, c'est-à-
dire le pneumatique, opère son salut et reprend sa
place dans le plérome au-dessus du démiurge. Tout cela
cadre bien avec la théorie gnostique du retour final des
éléments divins dans le centre d'où ils sont sortis ou
de la reconstitution finale, %-w.y.-irs-.rn:i
Ces héracléoniens avaient un signe extérieur pour se
reconnaître entre eux : l'oreille brûlée au Ici' rouge.
C'étail là le baptême de feu, dont avait, parlé saint
Jean-Baptiste : « Il vous baptisera dans l'Esprit et
dans le feu. » Matth., m, 11. Et telle était leur manière
d'interpréter ce passage. Eclogœ ex script, prophel. 25,
P. G., t. xi, col. 709. D'après la logique des systèmes
gnostiques, tout membre de la secte devait être assuré
de son salut, quoi qu'il fît; et c'est là ce qui rend très
vraisemblable ce renseignement du Prwdeslinatus,
d'après lequel tout baptisé, juste ou pécheur, est
réputé saint, les péchés disparaissant en lui comme la
neige ou la glace se fond au contact du feu. Prœdest.,
16, P. L., t. lui, col. 592. On peut soupçonner par là
les conséquences immorales qui devaient en être la
suite, bien qu'elles n'aient pas été nommément attri-
buées aux héracléoniens.
II. Œuvres. — 1° Commentaires des Évangiles selon
saint Luc et saint Jean. — Qu'Héracléon, à l'exemple
de tant d'autres, ait consigné par écrit le gnosticisme
valentinien, tel qu'il le concevait, rien d'invraisem-
blable à cela; mais nous n'en possédons pas la preuve.
A défaut d'une exposition théorique de son système,
il est certain qu'il a beaucoup écrit et que, chose nou-
velle pour son temps, il ne s'est pas borné à choisir
dans l'Écriture tels ou tels textes en faveur de sa doc-
trine, mais a entrepris le commentaire suivi de certains
livres du Nouveau Testament, notamment de l'Évan-
gile selon saint Luc, dont Clément d'Alexandrie cite
un passage sur le martyre, Strom., IV, 9, P. G., t. vm,
col. 1281-1284, et de l'Évangile selon saint Jean, dont
Origène, dans la partie parvenue jusqu'à nous de son
commentaire du même Évangile, ne cesse de relever et
de transcrire des passages, quelquefois pour les approu-
ver, plus souvent pour les contredire et les réfuter,
parfois aussi pour en signaler d'un mot l'impudence ou
la sottise. Il est regrettable que cette œuvre d'Héra-
cléon soit perdue; mais ce qu'il en reste, et cela forme
plus de la moitié de toute la littérature gnostique qui
a survécu, permet de constater que ce commentaire,
d'ordre plus pratique que théorique, tout en poursui-
vant un but apologétique intéressé, ne visait pas exclu-
sivement la controverse doctrinale. Ce qui le rend
intéressant, c'est la méthode employée, à la fois litté-
rale et allégorique.
2° Critique qu'en fait Origène. — Origène n'entre pas
dans des détails sur l'ensemble de la doctrine d'Héra-
cléon: il la supposait connue ou, s'il l'a exposée, cette
exposition ne se trouve plus dans la partie de son
commentaire qui nous est parvenue. On voit qu'au
fur et à mesure qu'il avance lui-même dans le. com-
mentaire de l'Évangile selon saint Jean, il rappelle
ce qu'en avait écrit le chef de l'école italique. Entre
autres choses, il reproche à Héracléon d'ajouter par-
fois, de son autorité privée, quelques mots au texte
sacré qui en dénaturent le sens. In Joa., t. n, 8, P. G.,
t. xiv. col. 137; de parler comme s'il avait le pouvoir
de dogmatiser et d'imposer la foi à sa parole : w;
èÇouCTtav iy<'jv toù ooyij.aTt"Eiv /.aï ^'.atï'jsaOa'., In
Joa., t. vi, 12, col. 236; d'inventer que Jésus, pour
former le fouet dont il se servit contre les vendeurs du
temple, avait attaché des cordes à un morceau de
bois, et de prétendre que ce fouet était l'image de la
puissance et de l'opération du Saint-Esprit, et que ce
bois représentait la croix, In Joa., t. x, 19, col. 365-
367; d'interpréter d'une manière à la fois trop subtile
et répréhensible ce passage: Je ne suis pas digne de
dénouer la courroie de sa chaussure, In Joa., t. vi,
23, col. 268; de faire une fausse application de cet
autre passage: Le zèle de votre maison me dévore,
In Joa., t. x, 19, col. 369; d'attribuer à Salomon, au
mépris de l'histoire, la construction du temple en
quarante-six ans, In Joa., t. x, 22, col. 380; de donner
aux récils de l'entrevue de la Samaritaine et de la
guérison du fils de l'officier de Capharnaùm une inter-
prétation inadmissible, In Joa., t. xm, 10-15, 59,
col. 413, 421,513-516; de se servir du K^puy^a IléTpou,
In Joa., t. xm, 17, col. 424; de se contredire lorsque, a
propos de ces mots du Sauveur : Où je vais, vous ne
2201
HERACLEON
2202
poiwezvenir, In Joa., t. xix, 3, col. 561, il se demande
comment peuvent devenir incorruptibles ceux qui sont
dans l'ignorance, l'infidélité et le péché, alors que lis
apôtres, qui furent dans l'ignorance, l'incrédulité et
le péché, sont devenus immortels. Nous n'avons là,
de la part d'Origène, qu'un certain nombre de criti-
ques, qui rendent fort suspect le travail d'Héracléon,
mais qui n'incriminent en rien la méthode elle-même
d'interprétation, puisqu'elle était celle dont se ser-
vaient les orthodoxes.
3° Interprétation littérale. — Il est à noter que, tout
comme un partisan de l'inspiration verbale, Héracléon
mettait un soin particulier dans l'examen des moindres
expressions du texte sacré. On en trouvera plus loin
des exemples, soit à propos du texte : jiàvTa 8c' aùtoù
Èyévexo, Joa., i, 3, où il insistait sur la préposition 8i<x,
employée au lieu de ltr.6, In Joa., t. n, 8, P. G., t. xiv,
col. 137; soit au sujet de la différence qui existe entre
ôiioXoyïîas'. Èv Ijxoî et àpvrj<ra';j.svo; j-is, Luc, xn, 8, 9,
la confession du Sauveur impliquant, dans celui qui la
fait, une relation étroite avec Jésus. Clément d'Alexan-
drie, Strom., IV, 9, P. G., t. vin, col. 1281-1283. En
voici d'autres exemples. Dans ce texte de saint Jean :
y.ïTJor, £•; Kaçapvaoûjx et àvÉ6r( s!; ' Ï6poffôXu|xa, Joa., il,
12, 13, où la différence des verbes se justifie par la
situation topographique des deux villes, Héracléon dit
que xariSr, signi fie la descente vers les choses matérielles,
uXixâ, tandis que àvsôr, représente l'ascension vers les
choses psychiques, '|uy i/.â. In Joa., t. x, 19, col. 365-367.
Il remarque ailleurs que c'est èv ;û Uptô, et non èv tco
vaû, que Jésus trouva les marchands qu'il dut chasser,
ibid.; qu'il passa deux jours chez les Samaritains rcapâ,
et non èv ocjtoï;, In Joa., t. xiii, 51, col. 496; et que,
si le salut vient des Juifs, i/. tojv 'IouSaîtov, c'est sim-
plement parce que Jésus a été engendré et est né en
Judée ou parce que le mot juifs représente là ceux qui
appartiennent au plérome. In Joa., t. xiii, 19, 20,
col. 429-431.
4° Interprétation allégorique. — L'allégorie offrait
un moyen plus facile à Héracléon pour étayer sa doc-
trine. Les nombres avaient à ses yeux une signification
symbolique et probante : c'est celle qu'il dégage, par
exemple, des quarante-six ans de la construction du
temple, In Joa., t. x, 22, col. 380; des six maris de
la Samaritaine, In Joa., t. xiii, 10, col. 413; des deux
jours passés par le Sauveur à Samarie, In Joa., t. xiii, 51,
col. 496; de la septième heure qui marqua la guérison
du fils de l'officier de Capharnaùm. In Joa., t. xm, 54,
col. 516. Où Jésus avait dit : Détruisez ce temple, et
je le relèverai en trois jours, Joa., n, 19, il disait le
troisième jour, parce que le premier, selon lui, étant le
jour terrestre, yoixi\, et le second le jour psychique,
■JJ-/V/.Ï), ce troisième jour représentait le jour pneu-
matique, jrvEUjxaTizï), celui de la résurrection. In Joa.,
t. x, 21, col. 376.
Plus riches encore en applications gnostiques étaient
les scènes de l'Évangile. Dans celle du puits de Jacob,
Héracléon montre la division de l'humanité en trois
classes : celle des hyliques, représentée par les cinq pre-
miers époux de la Samaritaine; celle des psychiques,
représentée par la Samaritaine elle-même, et celle des
pneumatiques, par son dernier mari qui, appartenant
au plérome, était son complément nécessaire pour le
salut. In Joa., t. xm, 10, 15, col. 413, 420. A propos de
cette parole de Jésus : L'heure vient où ce ne sera ni
sur celte montagne, ni dans Jérusalem que vous adorerez
le Père, Joa., iv, 21, il observe qu'il ne s'agit point là
du culte de la création visible, de la matière ou du
royaume du démon, comme chez les païens, ni, comme
chez les juifs, du culte du créateur ou du démiurge.
Ibid.
Dans le récit de la guérison du fils de l'officier de
Capharnaùm, Héracléon soutient que cet officier est
l'image du démiurge qui, étant incapable de sauver les
siens, a besoin du Sauveur et n'hésite pas à recourir
à lui; que son fils malade est celle des psychiques,
enfoncés dans la matière, mais susceptibles d'être
sauvés. Cet enfant allait mourir, dit le texte sacré;
lionne preuve, remarque Héracléon, que son âme
n'était pas immortelle et allait périr avec le corps sans
l'intervention de Jésus. Quant aux serviteurs de l'offi-
cier, ils représentent les anges du démiurge. In Joa.,
t. xm, 54, col. 513-516.
On voit le procédé: il a ses avantages et ses inconvé-
nients ; Héracléon en a abusé dans l'intérêt de sa propre
doctrine; mais tout n'est pas à réprouver, ainsi qu'en
convient Origène. Notamment, dans le passage relatif
au martyre, Clément d'Alexandrie écrit : /.ai -k jjlsv
aXXa (paivsiai ÔuoooÇeïv t][jlïv /.axa xr)v ;tsptxo:t7)V xa'j-7jv.
Strom., IV, 9, P. G., t. vin, col. 1284. C'est avec raison
qu'Héracléon distinguait deux sortes de confession du
Christ, l'une par la foi et la pratique de la vie, rJ.vxii
■/.al 7îoXiTsia, l'autre parla parole, <piov7j,en présence des
pouvoirs judiciaires; mais il insistait sur la première
comme sur la seule efficace, au détriment de la seconde,
à laquelle il déniait toute valeur. Certains gnostiques,
en effet, regardaient comme un suicide la mort subie
pour avoir confessé le Christ devant les juges; ils
conseillaient en conséquence la fuite devant le mar-
tyre ou toléraient même le reniement. Héracléon ne
remarque pas, disait Clément, que le témoignage en
face des tribunaux n'est pas purement une confes-
sion de bouche, mais encore pratiquement un témoi-
gnage réel qui implique la foi, une pénitence complète,
une vraie confession du Christ, qui efface tout péché :
àOpôa /.axa xrjv Tïpàjiv [xsxavoia xat àXrjGï]; eî; Xpiffrôv
ôjj.oXoyia. Et Clément de conclure contre Héracléon que
le martyre est une purification glorieuse des péchés :
eoixsv ouv xo [xapxûpiov a7:o/.â0ap<jt; sivat àuapxiùjv usxà
8o'Çt]ç. Ibid., col. 1284.
III. Doctrine. — 1° Ses deux caractéristiques. ■ —
L'enseignement d'Héracléon n'étant exposé par au-
cune des hérésiologies anciennes et ses ouvrages étant
perdus, il est impossible de le reconstituer dans son
ensemble. Le fond n'en était autre que le gnosticisme
valentinien; mais il offrait quelques différences. Car
nous savons d'abord qu'Héracléon fit subir à la doc-
trine de son maître une évolution caractéristique.
Jusqu'à lui, en effet, remarque Mgr Duchesne, Les
origines, Paris, 1886, p. 248, les abstractions célestes
s'étaient groupées par paires; les continuateurs de
Valentin avaient donné des ancêtres au groupe pri-
mordial du système primitif, à l'Abîme et à la Sige;
mais Héracléon introduisit la monarchie dans le plé-
rome, en plaçant à son sommet un être unique sans
compagne, duquel procédaient le premier couple et
tous les couples successifs. C'est bien ce qui ressort des
témoignages de saint Philastrius et du pseudo-Ter-
tullien, avec cette différence toutefois que, d'après
Philastrius, loc. cit., le premier principe s'adjoignait
sa première émanation et formait avec elle le premier
couple, tandis que, d'après le pseudo-Tertullien, ce
premier principe, restant sans compagne, donnait
naissance à la première syzygie, puis à toutes les autres.
De prœscript., 49, P. L., t. h, col. 69. Nous savons en
second lieu que l'école italique, dont Héracléon était
l'un des chefs, se distinguait de l'école orientale, en
soutenant que le corps de Jésus était, non point pneu-
matique, mais psychique. Philosoph., VI, 35, p. 296.
2° Quelques points du système. — 1. La création et le
démiurge. — Dans ce qui reste d'Héracléon, il n'est
question ni de la composition du plérome ou de l'éono-
logie, ni du nombre des syzygies : introducit totum
Yalcntinum, dit le pseudo-Tertullien. Loc. cit. La
distinction du Verbe et du démiurge est nettement
établie; c'est au démiurge que revient la création du
2203
HERACLEON
2204
cosmos et de toute la nature inférieure. Saint Jean
avait beau l'attribuer au Verbe, quand il dit : rcavTa
Z:' aJT&S è-'Éveto. xat "/'"pU ocÙtoC» ÈyÉvETO ouos ev, Joa.,
i, 3, Héracléon de sa propre autorité complétait ce
texte par ces mots significatifs : iwv sv tgj /.ôatiio xat
T7j z-::3E'., soustrayant ainsi au Verbe la création du
cosmos. L'expression 8i' aùtou se rapporte bien au
Verbe, mais Héracléon l'expliquait ainsi : c'est le
Verbe qui est la cause de cette création, mais c'est le
démiurge qui l'opère : o-jy ôk lit' aXXou svepyouvToç aùio;
i-oui ô Aoyoç, àXk ' a-j-od èvepyoO'vTo; stepoç ârot'si ; de
telle sorte que le démiurge avait servi d'instrument
au Verbe. Mais alors, observait Origène, In Joa.,
t. il, 8, P. G., t. xiv, col. 137, il faudrait dire : 8tà toù
6T)u.iO'joyoû zàvTa ysyovévai utzo toù' Aoyou et non 8tà toû
AÔyou :j~o toù ST,iiioupyo3.
2. Les anges et les démons. - — Héracléon a cru à la
f able du commerce de certains anges avec les filles des
hommes et s'est demandé si ces anges seraient sauvés.
In Joa., t. xm, 59, col. 516. Il a cru aussi que la nature
des démons différait de celle des anges et était essen-
tiellement mauvaise. D'après saint Jean, le diable
« n'est pas demeuré dans la vérité, parce qu'il n'y a
pas de vérité en lui », Joa., vin, 44; c'est donc,
concluait Héracléon, que sa nature, contraire à la
vérité, était faite d'ignorance, de mensonge et d'erreur.
Bien à tort, remarquait Origène, car si le diable est
mauvais par nature, il n'a ni liberté ni responsabilité,
et il mérite d'être plaint plutôt que d'être blâmé.
In Joa., t. xx, 22, col. 640.
3. Le Sauveur. - — D'après la gnose valentinienne,
Jésus est né de la Vierge Marie, Sià Mapîaç, non iv. Ma-
pcaç. Le texte évangélique porte: Ilvêujxa "Ayiov è-e/ej-
•jETa: et:! aé,"/.at ouvafjuç ' Y<{n'crcou è5Ciaxtâaeieroi.Luc.,I, 35.
Mais, pour les valentiniens, ce Ilvêu;xa n'est autre que
Soçt'a, et cet cY<]h<ttoç n'est autre que le oV,[xioupyo';; de
telie sorte que Jésus relève à la fois du plérome et du
démiurge : c'est à l'Esprit-Saint, dénommé Verbe de
la Sagesse, qu'il doit sa nature supérieure, mais c'est
au démiurge qu'il doit son corps. Et ce corps n'est ni
hylique, ni pneumatique, au dire d'Héracléon, mais
psychique; c'est en lui qu'au jour du baptême l'Esprit,
Verbe de la Sagesse, est descendu sous forme de
colombe, et c'est lui que ce même Esprit a ressuscité
d'entre les morts. Philosoph., VI, 35, p. 295-296.
Ce Jésus, ainsi formé, est désigné parfois dans
l'Évangile sous le nom de Fils de l'homme, ô uîô; tou
àvBpcojtou; mais Héracléon distingue arbitrairement
deux Fils de l'homme, celui qui sème et celui qui
moissonne. In Joa., t. xm, 48, col. 487. Il est venu
sauver l'humanité; il sauve même, comme nous l'avons
vu, les enfants que le démiurge ne peut pas sauver
lui-même.
Au grand scandale d'Origène, Héracléon interprète
mal ce passage : « Est-ce qu'il va se tuer lui-même,
puisqu'il dit : Où je vais, vous ne pouvez venir ? »
Joa., vin, 22. Il prétend, en effet, que les juifs, en
parlant ainsi, se montraient supérieurs au Sauveur,
puisqu'ils croyaient aller, eux, à Dieu dans le repos
éternel, tandis que Jésus parlait d'aller, par le suicide,
à la mort et à la corruption. In Joa., t. xix, 3, col. 561.
4. Le salut. — Tout en reconnaissant à Jésus un
rôle éminent dans le salut des hommes, Héracléon
restait fidèle a l'explication gnostique de la rédemption
et à la distinction de l'humanité en trois classes :
celle des hyliques, des psychiques et des pneuma-
tiques.
Les hyliques étaient ceux en qui domine l'élément
matériel et qui, mauvais par essence, sont incapables
d'immortalité et ne sauraient bénéficier en rien de la
li mption. Tels sont les fils du diable, qui ont même
nature que le diable, et difïèrent ainsi des psychiques
et des pneumatiques. In Joa., t. xx, 18, 20, col. 616,
625. Dans cette catégorie, si étrangement exclue du
salut, Héracléon, comme les autres gnostiques, devait
ranger les païens.
Les psychiques étaient l'œuvre du démiurge; leur
ijnjyri, naturellement mortelle, ne pouvait revêtir
l'immortalité qu'à la condition qu'ils deviennent les
enfants de Dieu et qu'ils soient rachetés par le Sauveur.
Cette parole de Jésus aux juifs : « Le père dont vous êtes
issus, c'est le diable, et vous voulez accomplir les désirs
de votre père, » Joa., vm, 44, est adressée, selon Héra-
cléon, non aux hyliques, qui sont fils du diable par
nature, mais à des psychiques passés volontairement
sous le joug du diable; elle explique pourquoi ces juifs
étaient incapables d'entendre la parole du Sauveur et de
comprendre son enseignement. Selon qu'ils s'assu-
jettissent au diable par le seul fait de leur volonté,
en s'appliquant à réaliser ses désirs, ou qu'ils se
rangent parmi les enfants du Dieu suprême, les psy-
chiques participent à l'anéantissement des hyliques
ou au salut des pneumatiques. In Joa., t. xx, 20,
col. 629. Tel l'enfant de l'officier de Capharnaiim :
fils d'un père qui représentait le démiurge et qui ne
pouvait le sauver, il dut son salut à Jésus; son âme
n'était pas immortelle; il possédait simplement ce
quelque chose de mortel et de corruptible, qui peut
revêtir l'immortalité et l'incorruptibilité, à la condi-
tion d'être sauvé par Jésus. Car la parole de l'Évangile :
oi ufot tfjç (BaaiXifaç èÇEXïûaovTat eiç to ctxôtoç ro'ÈÇwTEpov,
Matth., vin, 12, signifie la perte des hommes qui sont
les enfants du démiurge, c'est-à-dire des psychiques.
In Joa., t. xm, 55, col. 513-516.
Enfin les pneumatiques étaient ceux qui, possédant
un élément divin du plérome, sont assurés de leur salut,
quoi qu'ils fassent. Ceux-ci sont dans le Verbe, demeu-
rant en lui, ne faisant qu'un avec lui, In Joa., t. n,
15, col. 149; ce sont les adorateurs de Dieu en esprit
et en vérité, et possédant la même essence que Dieu,
T7J; âauxrjç çutiEtùç. In Joa., t. xm, 25, col. 416. A eux
s'applique ce passage de Jésus : «S; o; ôfxoXo^r'^v. h
ÈLiot. Luc, xii, 8. ' Ev èijlo!, remarquait Héracléon, et
non pas hxi, chose bien différente; car quiconque est
avec le Sauveur ne saurait le renier : oùSeîç yâp
7:ot£ <5v àv xjtoj àpvêÏTai ocÙto'v. Clément d'Alexandrie,
Strom., IV, 9,' P. G., t. vm, col. 1281-1283. Telle
quelle la phrase dit qu'en fait il ne le renie pas ; mais
la logique du système va plus loin et laisse entendre
qu'en droit il ne peut le renier. Le dernier époux de la
Samaritaine, celui que Jésus lui dit d'aller chercher,
représente le pneumatique, qui appartient au plérome.
In Joa., t. xm, 10, col. 413. Et naturellement appar-
tenaient à cette catégorie privilégiée tous les initiés
de la gnose.
Tels sont les quelques points du système d'Héra-
cléon qui ressortent des passages cités ou réfutés par
Origène; ils seraient apparemment plus nombreux si
le commentaire d'Origène nous était parvenu intégra-
lement; mais ils suffisent pour montrer la relation
étroite de sa doctrine avec le gnosticisme valentinien.
On y voit que le premier commentateur connu des
livres du Nouveau Testament recourait, tout comme
les orthodoxes, mais dans un but opposé, à l'interpré-
tation littérale et allégorique.
Éditions. — Les fragments d'Héracléon ont été réunis
par Grabe, Spicilegium SS. Palram ut et héerelicorum,
Oxford, 1698-1699, t. il, p. 85 sq., par Massuet, dans son
édition des œuvres de saint Irénée, P. G., t. vu, col. 1291-
1321, et par Brooke, The fragments of Héracléon, Cambridge,
1891, dans Texts and studies, t. i, n. 4.
Sources. — S. Irénée, Cont. hœr., P. G., t. vu; pseudo-
Tertullien, De pro'scriplionilms, 49, P. L., t. n, col. 69;
Philosophoumena, VI, 35, édit. Cruice, Paris, 1860, p. 296;
S. Philastrius, Hœr., 41, P. L., t. xn, col. 1158-1159; S. Épi-
phane, Ihvr., xxxvi, P. G., t. xli, col. 633-642; Prœdesti-
natus, 16, P. L,, t. mi, col. 592.
2205
HERACLEON — HERBORN
2206
Travaux. — Tillemont, Mémoires pour servir à l'histoire
ecclésiastique des six premiers siècles, Paris, 1693-1712, t. Il,
p. 264, 604; Ceillier, Histoire générale des auteurs sacrés et
€cclésiastiques, Paris, 1858-1863, t. n, p. 536; Duchesne, Les
origines, Paris, 1886, p. 248; Kirchenlexikon, 2e édit.,
t. v, col. 1782-1783; Smith et Wacc, Dictionary of Christian
biography, t. n, p. 897-901; U. Chevalier, Répertoire, Bio-
bibliographie, t. i, col. 2108.
G. BAREILLE.
HERBET Jean, théologien lorrain du xvie siècle,
publia un traité : De cœna Domini, seu demonslratio
veritatis corporis Chrisli, Paris, 1578.
A. Calmet, Bibliothèque lorraine, in-fol., Nancy, 1751,
■col. 495 ; Richard et Giraud, Bibliothèque sacrée, 1823, t. xn,
p. 54.
B. Heurtebize.
HERBORN (Nicolas Ferber de), frère mineur de
l'observance, ainsi appelé du nom de sa ville natale,
dans le Nassau, avait vu le jour vers 1480. On rencon-
tre une première fois son nom, avec le titre de gardien
du couvent de Marbourg, au bas d'ure lettre qu'il adres-
sait, le 10 janvier 1525, à Philippe, landgrave de Hesse,
le suppliant de suivre les traces de ses ancêtres, en par-
ticulier de sainte Elisabeth, et de rester fidèle à la reli-
gion de ses pères. Cet; it en vain que le P. Nicolas avait
fait appel aux sentiments religieux du landgrave; l'an-
née suivante, à la fin d'octobre, celui-ci réunissait à
Homberg une conférence à laquelle le gardien de Mar-
bourg fut invité, mais il refusa d'entamer devant des
juges incompétents une controverse avec son confrère
apostat, François Lamberti d'Avignon, venu pour
soutenir et développer ses « Paradoxes ». Une fois ren-
tré dans son couvent, le P. Nicolas publia les Assertio-
nés trecentx ac viginti sex fratris Nicolai Herbornci
guardiani Marpurgensis, verse orthodoxse advcrsus
Franeisci Lamberti exiticii monachi paradoxa impia ac
erroris plena, in Hombergiana Hessorum congregalione
proposila,ac plus quam hœreticissime deducta et exposita,
in-8°, Cologne, 1526. Dans ce petit volume Herborn
reprend les Paradoxes de son adversaire et y répond
par une ou plusieurs Assertions. Dans les trois dernières
il donne les motifs pour lesquels il refusa d'entrer en
discussion avec Lamberti. Celui-ci fit alors paraître
une Lettre aux habitants de Cologne, en date du 15 fé-
vrier 1527, à laquelle le P. Nicolas, qui avait été trans-
féré au couvent de Brulh comme gardien, répondit au
mois de novembre par l'Epislola ad Coloniensem feli-
cissimam urbem, qua hortatur eamdem, uti pergal majo-
rum suorum inhserere vesligiis... qua item paucis rcs-
pondet impudenlissimis Franeisci Lamberti seductoris
Hassise mendaciis, Cologne, 1527. Cette lettre était
bientôt suivie d'un opuscule en langue vulgaire sur les
obligations des clercs, accompagné des raisons pour
lesquelles il refusait de soumettre ses écrits au juge-
ment des protestants : Eyn kurzer Berycht von den dreic n
gelobten der Gegstlichen... Item Ursach, ivarum ich Bru-
der Niklas Herborn meine Schrifften den lutherischen
Richtern Lchre und Vrtheil nicht unterwerfen wil und
sol, Cologne, 1527. Bien que gardien de Brùlh, il
demeurait à Cologne en qualité de prédicateur ordi-
naire, comme on le lit sur le titre de son autre opus-
cule : Locorum communium advcrsus hujus lemporis
hserescs enchiridion, ibid., 1528. L'année suivante il en
donnait une autre édition augmentée de deux opuscu-
les nouveaux : Tractatulus de notis verse Ecclesiœ ab
adultéra dignoscendse ; Methodus prœdicanli verbi divini
concionaloribus cum ulilis tum accommoda. Il éditait
encore un livre apologétique et ascétique, que défi-
gurent malheureusement les injures contre les nova-
teurs, intitulé : Monas sacrosanche evangeliese doctriiur
ab orthodoxis palribus in hœc usque sœcula, veluti
per munus tradila. Abslersœ sunt fœculenliores Fran-
eisci l.ampcrli Aven, aposlalse aspergines, quibus imma-
culatam Chrisli sponsam impudentius fœdare admolilus
est, auquel fait suite une Epislola ad minorilas, quod
oplima apologia est veleris vitse emendatio, Cologne,
1529. La même année il faisait encore paraître, In
psalmum lxxviii enarratio lamentatoria pro mise-
randa populi chrisliani depopulatione instituta ac édita,
et un opuscule allemand, Ob eyne weliliche Oberkcyl es
mœge hallcn voie sie bedunket zu verantworten vor Gott.
Pendant que le P. Nicolas se livrait à ces travaux, il
était nommé ministre de la province religieuse de Co-
logne, au mois d'août 1529. Onze mois après, il en par-
tait pour se rendre à Copenhague sur l'invitation de
l'évèque d'Aarhus, afin de prendre part à une
conférence dans laquelle catholiques et protestants
devaient exposer et soutenir leurs raisons (2 juillet-
2 août 1530). Fidèle à ses principes, le P. Nicolas écrivit
un opuscule à présenter au roi, De non agenda dispu-
tatione religiosa coram populo judice. Pour répondre au
raisons que faisaient valoir les ministres protestants,
aidé peut-être par un carme, le P. Paul Hélie, notre in-
fatigable controversiste écrivit une réfutation, dont
une partie seulement fut alors imprimée, traduite en
danois : Menige Danmarkis Rigis Biscoppers och Pre-
laters christelige oc relsindige geenswar lill the Luthe-
riansche artickle, in-4°, Aarhus, 1533. En 1902, le P.
Louis Schmitt, S. J., qui avait déjà publié une étude
sur l'auteur, l'éditait, d'après le manuscrit de la biblio-
thèque royale de Copenhague : Conjutatio luthcranismi
Danici, anno 1530 conscripta a Nicolao Slagefyr seu
Herborneo, in-8°, Quaracchi. Stagefyr ou Stagebrand
était un surnom que les protestants danois donnaient
dans leurs écrits au P. Herborn. Wadding, Annales,
t. xvi, p. 304, rapporte qu'il composa et fit imprimer
un traité dans lequel il établissait la validité du mariage
du roi d'Angleterre, Henri VIII, traité déjà fort rare de
son temps. Il publia aussi une Oratio extemporalis co-
ram clero Groningensis oppidi, Cologne, 31 mai 1531.
Un an plus tard nous trouvons le P. Nicolas à Toulouse,
où il s'était rendu pour prendre part au chapitre géné-
ral de son ordre, le 18 mai 1532. Il y était élu commis-
saire général pour les provinces cismontaines, soit la
presque totalité des provinces sises hors d'Italie. L'an-
née suivante, par suite de la déposition du ministre gé-
néral, il en était nommé vicaire général. Ces fonctions
l'avaient retenu en France, où nous le trouvons pen-
dant les dernières années de sa vie, qui s'acheva à Tou-
louse, le 15 avril 1534. Jusqu'à la lin le P. Nicolas avait
continué ses publications, dont voici les dernières qui
nous restent à mentionner. Comme commissaire géné-
ral chargé des missions de son ordre en Amérique, il
donna une lettre pastorale aux religieux : Epitome con-
vertendi génies Indiarum ad fldem Christi adeoque ad
Ecclesiam sacrosanctam cutholicam et aposlolicam, Co-
logne, septembre 1532, reproduite dans le volume inti-
tulé : Novus orbis, id est navigaliones primse in Ameri-
cam, Botterdam, 1616, puis par Wadding dans ses An-
nales, t. xvi, p. 31 l-2vi. On a encore de lui les Enarra-
liones lalinse evangclorium qaadragesimatium, Anvers,
1533 ; Paris, 1513, augmentées dans cette seconde édi-
tion du Monotcssaron passionis Domini nostri Jesu
Christi. A Toulouse il as. ait fait la connaissance d'une
noble et pieuse femme, Catherine de Byron, edias de
Aduranlia, à laquelle il dédiait ses Paradoxa theologica
seu theologicœ assertiones divinis eloquiis advcrsus neo-
tericos hsercticos doctissime simul et elegantissime robo-
ratse, que publiait le P. Jean Azafra, in-8°, Paris, 1534.
On attribue encore au P. Herborn des Commentaires
sur les psaumes, qui auraient été édités à Paris. La
Retalio de novis insulis, que l'on dit manuscrite, pour-
rait bien n'être autre chose que VEpilome que nous
avons cité, ainsi que le Ier livre, qu'il aurait écrit, d'un
Opus tripartiium de conversione gentium.
Wadding et Sbaraglia, Scriptores ordinis minorum, Rome,
1806; Nebe, N. Herborn, 1862; Louis Schmidt, S. J., Der
Î207
HERBORN — HÉRÉSIE. HÉRÉTIQUE
2208
Kolner Theologc Nikolaus Slage/yr und der Franziskancr
Nikolaus Herborn, dans Stinunen ans Maria-Laach, Fri-
bourg-en-Brisgau, 1SS6, et son édition de la Confutatio,
Quaracchi, 1902; Ilurter, Nomenclator, Inspruck, 190(1,
t. il. col. 1255-1256 ; Allgemeine deutsche Biographie, t. xn,
p. 12-45 , Kirchenlexikon, t. iv, col. 1348; t. xi, col. 704.
P. Edouard d'Alencon.
HERESIARQUE. — I. Définition. IL Législation
canonique.
I. Définition. — D'après l'étymologie, ai'psoriç et
ap/'K. hérésiarque signifie chef d'hérésie. Selon la
définition verbale, l'hérésiarque est donc soit le pro-
moteur d'une hérésie, soit le chef d'une secte hérétique,
soit même simplement un chef d'hérétiques. C'est la
signification constante de ce terme dans le langage
courant et dans nombre de documents ecclésiastiques.
Nous trouvons de cet emploi du mot hérésiarque un
exemple typique dans les règles de l'Index, promul-
guées autrefois par Pie IV, en vertu de la décision
du concile de Trente, sess. XVIII.
Haeresiarcharum libri, tam
eorum qui post praîdictum
annum haereses invenerunt
vel suscitariuit, quam qui
haereticorum capita aut du-
ces sunt vel fuerunt, quales
sunt Lutherus, Zwinglius.
Calvinus, Balthasar Paei-
montanus, Schwenkfeldius
et his similes, cujuscumque
nominis, tituli aut argu-
ment] existant, omnino pro-
hibentur n» régula.
Sont absolument prohibés
les livres des hérésiarques
tant de ceux qui postérieure-
ment à cette date (1515) ont
inventé ou suscité des hérésies,
que de ceux qui ont été ou
sont les chefs des hérétiques,
tels que Luther, Zwingle,
Calvin, Balthasar Pacimon-
tanus (Huebmaier), Scwenk-
feld et autres semblables,
quels que soient les noms,
les titres ou les objets de ces
livres (Tr. Boudinhon, La
nouvelle législation de l'Index,
Paris, s. d. [1899], p. 67).
Les canonistes et principalement les inquisiteurs
entrent dans plus de précision et, en dehors des héré-
tiques proprement dits, c'est-à-dire professant sim-
plement pour leur compte personnel une croyance diffé-
rente de celle de l'Église sur quelque point de la foi
catholique, ils distinguent trois classes d'hérésiarques,
c'est-à-dire d'hérétiques se proposant de prêcher,
de défendre, de propager l'hérésie. Tout d'abord,
soumis à la même discipline que les simples hérétiques,
ceux qui, d'une manière toute privée et dans quelques
cas particuliers, entraînent l'un ou l'autre dans
l'hérésie. Ensuite, ceux qui, sans être auteurs d'hérésie,
s'emploient néanmoins à enseigner et à propager l'hé-
résie. On peut les appeler déjà hérésiarques, cf. Décret
de Gratien, c. 32, Qui aliorum, Causa XXIV, q. m; mais,
en langage plus strict, on doit les appeler dogmatisants.
Cf. Eymeric, Directorium inquisitorum, Rome, 1578,
part. Il, q. xxxix; Pegna, Commentaire du Directo-
rium d'Eymeric, Rome, 1587, comm. 64; Simanca,
De catholicis instituiionibus, Ferrare, 1692, tit. xxxi.
Il est nécessaire toutefois, pour mériter le nom de dog-
matisant, d'enseigner, de défendre, de propager l'héré-
sie d'une façon occulte ou publique, habituellement et
pour ainsi dire par manière de principe. Cf. Suarez,
De fuie, disp. XXIII, sect. n, n. 11. Enfin, dans le
langage des inquisiteurs, l'épithèle d'hérésiarque doit
être strictement réservée à ceux qui sont à la fois les
auteurs et les propagateurs de l'hérésie. Suarez, loc. cit.,
donne comme exemple d'hérésiarques, au sens strict
du mot, Arius et Luther.
IL Législation canonique. — L'ancienne légis-
lation était très dure à l'égard des hérésiarques et des
dogmatisants. En cas de conversion de leur part, on
discutait entre inquisiteurs s'il fallait les accueillir
ou les livrer impitoyablement au bras séculier, voir
K'i isition; et Suarez, loc. cit., n. 9, rapportant les
opinions des principaux auteurs, incline lui-même,
sauf en certains cas extrêmement rares, vers l'opinion
la plus sévère, n. 11.
Le droit actuel ne distingue plus, quant aux peines
dont ils sont frappés, entre hérésiarques, dogmatisants
et simples hérétiques. Tous sont atteints d'après le
nouveau Code, cari. 2314, § 1, 1°, d'une excommuni-
cation, réservée d'une manière spéciale au souverain
pontife. En fait cependant, les hérésiarques et dog-
matisants sont nommément frappés, par le pape ou
le Saint-Ollice, de peines plus sévères et notoires.
Quant à leurs livres, la 2e règle de l'ancienne légis-
lation de Pie IV, en 15é'4, avs.it été modifiée par la
constitution Ofjiciorum ; il n'est plus question aujour-
d'hui que des «livres des apostats, des hérétiques,
des schismatiques et des autres écrivains proptt-
geanl l'hérésie, ou s'attaquant de quelque façon aux
fondements de la religion ». Néanmoins, il subsiste, dans
les dispositions actuelles, un vestige de l'ancienne
législation. Au point de vue des personnes, les dogma-
tisants sont exclus des pouvoirs concédés par la S. Pé-
nitencerie, d'absoudre, au for interne, les hérétiques,
même publics. Voir Hérésie, col. 2254. Au point
de vue des livres, le nouveau Code, can. 1399, 2°,
reprend l'énumération de la constitution Ofpciorum, en
p. ssant sous silence la qualité des auteurs : il vise
« les livres de n'impoite quels auteurs, propageant
l'hérésie ou /■ schisme, ou s'attaquant, etc.». Quant
aux sanctions, le canon 2318, § 1, restreint l'excom-
munication, réservée spécialement au saint siège, aux
éditeurs de livres écrits par des hérétiques propageant
l'hérésie, aux défenseur.'-, lecteurs et délent -tirs de ces
livres et des livres nommément condamnés par lettres
apostoliques. Voir Hérésie, col. 2249. On remarquera
l'évolution suivie par la législation. Aujourd'hui « les
prohibitions générales, basées sur la qualité des
auteurs, hérésiarques ou hérétiques, ont disparu et
chacun de leurs livres doit être jugé exclusivement
d'après son objet et sa nature, » Boudinhon, op. cit.,
p. 68; cependant, il faut observer que l'excommunica-
tion prévue au canon 2318, § 1, vise plus particu-
lièrement la lecture et la détention de livres qui, en fait,
sont la plupart du temps écrits par des hérésiarques
ou des dogmatisants. L'ancienne législation de l'Index,
dans la 10e règle, formulait ainsi la sanction de l'Église :
« Si quelqu'un lit ou garde des livres des hérétiques ou
des ouvrages d'un auteur quelconque, condamnés
et prohibés pour cause d'hérésie ou soupçon d'un dogme
erroné, qu'il encoure aussitôt la sentence d'excommu-
nication. » La bulle Cœnœ, voir A. Arndt, De libris
prohibilis commentarii, Ratisbonne, 1895, p. 220-222,
contient des expressions semblables : « Sont frappés
d'excommunication... ceux qui sciemment lisent ou
gardent, impriment ou défendent n'importe comment
les livres desdits hérétiques, contenant l'hérésie ou
traitant de la religion. » Mais tandis qu'il s'agissait
autrefois de tout livre d'hérétique contenant l'hérésie
ou traitant de religion, aujourd'hui il s'agit unique-
ment des livres d'hérétiques soutenant l'hérésie, c'est-:. -
dire écrits en vue de la défendre et de la propager. Or,
c'est bien là la caractéristique des livres écrits par
les hérésiarques ou les dogmatisants. Cf. Boudinhon,
op. cit., p. 281-282.
A. Michel.
HÉRÉSIE. HÉRÉTIQUE. Nous traiterons en un
seul article la question de l'hérésie et celle des héré-
tiques. Il est impossible, en effet, de les disjoindre sans
s'exposer à des répétitions inutiles. D'ailleurs, les théo-
logiens les ont toujours étudiées simultanément. Il
faut toutefois distinguer le problème dogmatique, qui se
rapporte à l'hérésie considérée comme doctrine, le
problème moral, qui se rapporte à l'hérésie considérée
comme péché, et le problème canonique, qui se rapporte
à l'hérésie considérée comme délit. Le premier problème
est celui de l'hérésie considérée objectivement; dans les
deux autres, l'hérésie est considérée formellement.
2209
HÉRÉSIE. HÉRÉTIQUE
2210
Salmanticenses, De fide, disp. IX, dub. iv, n. 37; De
Lugo, De virtute fidei divinse, disp. XX, n. 1. — I. Pro-
blème dogmatique : l'hérésie-doctrine. II. Problème
moral : l'hérésie-péché. III. Problème canonique :
l'hérésie délit.
I. Problème dogmatique, l'hérésie-doctrine. —
1° Étymologie. — Aipeoiç, étymologiquement action de
prendre, par exemple : prendre une ville, Hérodote,
Hist, IV, 1; Thucydide, HisL, II, 28, est devenue par
métaphore choix, préférence, Gen., xlix, 3; Lev., xxii,
18; I Mach., vin, 30, surtout dans l'ordre doctrinal,
d'où la signification d'école philosophique, littéraire
ou politique, Athénée, Quœst., 38, de parab.; Diogène
Laërce, De vitiis, dogmatibus, etc., I, 19, et de secte
religieuse, Josèphe, Ant. jud., XIII, v, 9; De bell. jud.,
II, vin, 1, 2, sans idée de désapprobation ou de blâme.
Par rapport à la vraie religion, at'psat; comporte néces-
sairement un sens péjoratif; sont appelées hérésies,
dans le Nouveau Testament, la secte des pharisiens,
Act., xv, 5; xxvi, 5, et celle des sadducéens, v, 17.
L'Église naissante est appelée hérésie par les juifs,
xxiv, 14, mais l'apôtre saint Paul rejette cette quali-
fication, comme peu en rapport avec la nature même
de l'Église catholique, ouverte à tous. L'apôtre dis-
tingue l'hérésie, différence de vue radicale, du schisme,
simple dissentiment passager. I Cor., xi, 19; cf. Joa.,vn,
43 ; x, 49. C'est, du moins, au sujet de I Cor., xi, 19, l'in-
terprétation communément admise par les Pères latins
et les exégètes contre quelques Pères grecs, notam-
ment S. Jean Chrysostome, In I Cor., homil. xxvn,
P. G., t. lxi, col. 225; Théodoret, Comm. in I Cor.,
P. G., t. lxxxii, col. 316; Théophylacte, In I Cor.,
P. G., t. cxxiv, col. 701, et contre quelques commen-
tateurs modernes, Cajetan, Littcralis expositio, Rome,
1529; Benoît Giustiniani, Explanationes, Lyon, 1612,
et contre quelques auteurs récents, A. Maier, Commen-
tar ùber den ersten Corinlherbrief, Fribourg, 1857;
V. Loch et W. Reischl, Die heilige Schrijlen des N. T.,
Ratisbonne, 1857, etc. Cf. Cornely, Comm. in S. Pauli
priorem Episl. ad Cor., Paris, 1890, p. 330. Dans
l'Épître aux Galates, v, 20, saint Paul marque une
différence analogue en gradation ascendante, èpiôsïat,
rixœ, S'.youTaaiot'., dissentiones, aîpéaaç, sectœ. Dans la
II Pet., n, 1, le sens péjoratif est plus fortement encore
indiqué; il y est question «des faux docteurs qui
introduisent des hérésies déperdition, aipéffecç àcroXsta;,
et qui renieront le Maître, xàv 8so7tÔTïiv àpvoijfAevoi, qui
les a rachetés, attirant sur eux une prompte perdition. »
Dans cette phrase, saint Pierre décrit déjàl'hérésie avec
les caractères qu'on lui attribue aujourd'hui : 1° ce sont
des hérésies de perdition, par lesquelles la voie de la
vérité sera blasphémée et beaucoup d'hommes seront
pervertis, 2 ; 2° elles consistent dans une perversion
de doctrine, puisqu'elles seront le fait de faux docteurs,
•ieuSoS'.Sotay.aXot; 3° la perversion de la doctrine n'est
autre que la négation de la divinité du Sauveur, sous
une forme ou sous une autre. Cf. Jud., i, 4. Le fauteur
de ces erreurs est un aîpettxb'ç, un hérétique, Tit., m,
10, et « il doit être évité après un ou deux avis », parce
qu'« un tel homme est perverti et qu'en péchant son
propre jugement le condamne ». L'hérétique de saint
Paul correspond plutôt à ce que nous appellerions un
hérésiarque. Voir ce mot. Bien que le mot d'hérésie ne
soit pas prononcé, ce sont les caractères de l'hérésie
que décrit saint Paul dans son discours de Milet. Act.,
xx, 29, 30. Cf. S. Jérôme, In Epist. ad Titum, in, 10,
P. L., t. xxvi, col. 598.
Arpent; se lit neuf fois dans le Nouveau Testament;
ce mot est traduit dans la Vulgate quatre fois par
hœresis, Act., v, 17; xv, 5; xxiv, 14; I Cor., xi, 19;
les cinq autres fois, Act., xxiv, 5; xxvi, 22; Gai., v, 20;
II Pet., n, 1, par sectse. Aïpetixo; ne se lit qu'une fois,
Tit., m, 10. Cf. Dictionnaire de la Bible de M. Vigou-
DICT. DE THÉOL. CATH.
roux, art. Hérésie, Hérétique, t. ni, col. 607-609; Lexi-
con-biblicon (Cursus Scripturœ sacrée), Paris, s d.,
au mot Hœresis; Zorell, Novi Tertam nti l'xico'i g-œ-
cum, au mot Aipsaiç, p. 16.
A l'âge apostolique, le mot hœresis a déjà le sens que
lui conservera l'usage ecclésiastique universel.' Saint
Ignace félicite les Éphésiens de ce que chez eux il n'y
ait point de place pour l'hérésie, c'est-à-dire pour la
fausse doctrine, Jésus-Christ les enseignant en vérité,
Ad Eph., vi, 2; il recommande aux Tralliens de fuir
le docétisme, « cette plante étrangère qui est une hé-
résie, » Ad Trall., vi, 1. Funk, Patres apostolici,
Tubingue, 1901, t. i, p. 218, 246. Ce sens se conservera
désormais sans altération. Pour saint Irénée, les héré-
tiques falsifient la parole de Dieu, Cont. hœr., 1. I, c. i,
n. 1; I. III, c. xi, n. 9, et préfèrent leurs vues person-
nelles à la doctrine de l'Évangile, c. xn, n. 11-12;
pour rester dans la vérité, il faut retenir l'enseignement
des apôtres et de leurs disciples et la prédication de
l'Église, n. 13. P. G., t. vu, col. 438, 890, 905, 906.
Tertullien est plus précis encore : Hœreses taxai
(apostolus) quorum opéra sunl adullerœ doclrinœ,
hœreses diclœ grœca voce ex interprelatione electionis
qua quis, sive ad insliluendas, sive ad suscipiendas eas
utitur. De prœscript., c. vi. La règle qu'il faut suivre
est donc celle que l'Église a reçue des apôtres pour
nous la livrer, que les apôtres ont reçue du Christ,
que le Christ a reçue de Dieu; et c'est précisément
parce que les hérétiques se sont placés en dehors de
cette règle de la foi qu'ils ne peuvent être admis à
discuter sur l'interprétation des Écritures, c. xxxvn.
P. L., t. n, col. 18, 50-51. Moins didactique, saint Cy-
prien ne manque pas cependant de faire remarquer,
spécialement dans le De unilate Ecclesiœ, que, pour
tenir la vraie foi, il faut reconnaître l'autorité de
l'Église et faire partie de son unité : hanc Ecclesiœ
unitalem qui non tenet, tenere se fidem crédit ? P. L.,
t. iv, col. 500. Les Pères de l'Église, polémiquant contre
les fauteurs d'hérésies, s'occupent plus de combattre
les hérétiques eux-mêmes et leurs perverses doctrines
que de donner une étymologie du mot hérésie; voir
Klée, Manuel de l'histoire des dogmes chrétiens, trad.
franc., Liège, 1850, c. vu; toutefois, au milieu de leurs
attaques, souvent très vives, on constate que, pour eux
aussi, l'hérésie est une corruption de la vraie doctrine,
corruption provenant de ce que l'hérétique substitue
son jugement propre au jugement de l'Église. Cf.
saint Amoroise, appelant les hérétiques verilalis inimici,
impugnatores fldei, In ps. cxviu, serm. xm, P. L.,
t. xv, col. 1381; saint Épiphane, parlant des hérésies
comme de dogmes pervertis, Hœr., 1. I, n. 1-2, P. G.,
t. xli, col. 173-176. Saint Jérôme, In Epist. ad
Gai., P. L., t. xxvi, col. 417, donne l'étymologie
d'hœresis : At'pêuc;... ab electione dicilur, quod sciliect
eam sibi unusquisque eligat disciplinant, quam putat
esse meliorem. Il répète en substance cette explication
dans son commentaire In Epist. ad Titum,co\. 598, et
distingue, avec saint Paul, l'hérésie du schisme : Intcr
hœresim et schisma hoc esse arbitrantur, quod hœresis
perversum dogma habcal; schisma propler episcopalem
dissenlionem ab Ecclesia separetur. Cf. S. Augustin,
De baptismo contra donatislas, 1. V, c. xvi, P. L.,
t. xliii, col. 186-187. On retrouve les mêmes idées dans
saint Isidore, qui décrit ainsi les hérétiques, Elym..
1. VIII, c. in, P. L., t. lxxxii, col. 296 : perversum
dogma cogitantes, arbitrio suo de Ecclesia recesserunt.
Cf. Raban Maur, De clericorum instit., 1. II, c. lviii,
P. L., t. cvn, col. 371.
Parmi les auteurs plus récents, presque tous cano-
nistes et inquisiteurs, ayant exposé l'étymologie du
mot hérésie, citons A. de Castro, Adversus omnes
hœreses, Paris, 1534, 1. I, c. i; De justa hœreticorum
punitione, Lyon, 1566, 1. I, c. i; M. Cano, De locis
VI.
70
2211
HÉRÉSIE. HÉRÉTIQUE
2212:
theologicis, 1. XII, c. ix; Simanca, De enlholicis institu-
tionibus, Ferrare, 1692, tit. xxx; Eymeric, Directo-
rium inquisitorum, Rome, 1578, part. II, q. i; Pegna,
Commentaire du Dircctorium d'Eymeric, Rome, 1587,
loc. cit., comm. 26; Farinacci, Tractatus de hœresi, etc.,
Rome, 1616, q. clxxviii, § 1, n. 29-41. Cf. Suarez,
De fide, disp. XIX, sect. i, n. 1; Thésaurus, De pœnis
ecclesiasticis, au mot Hœresis ;Ferraris, Prompla biblio-
Iheca, au mot Hseresis; Ojetti, Synopsis, au mot
Hœresis.
2° Définition et conditions. — Toute doctrine opposée
à la vraie foi, d'une façon soit négative (nescience),
soit privative (ignorance), soit positive (doctrine con-
traire) constitue en soi une infidélité. Voir ce mot. Cf.
Kilber, dans la théologie des jésuites de \Vurzbourg,
De fide, n. 219; S. Alphonse de Liguori, Theologia mo-
ralis, 1. II, tr. I, n. 17; S. Thomas, Sum. thcol., IIa II»,
q. x, a. 1. L'hérésie étant, d'après l'étymologie même
du mot, un choix, une sélection faite par l'esprit humain
dans les vérités révélées par Dieu, comporte donc une
véritable infidélité positive. Mais toute infidélité posi-
tive n'est pas une hérésie; l'infidélité est le genre,
l'hérésie est l'espèce. Saint Thomas, loc. cit., q. xi, a. 1,
explique que l'hérésie, étant un choix dans la doctrine,
se rapporte non à la fin môme de la foi, mais aux
moyens proposés pour atteindre cette fin. Dans le do-
maine de la foi chrétienne, la fin, c'est l'autorité divine
du Christ, à laquelle nous adhérons par la foi; les
moyens, ce sont les vérités révélées dont l'acceptation
soumet notre intelligence à l'autorité divine. Or, en
rejetant cette autorité elle-même, on tombe dans l'infi-
délité positive proprement dite (naturalisme, paga-
nisme, judaïsme); en maintenant, d'une part, une cer-
taine foi au Christ, mais, d'autre part, en corrompant
par une sélection humaine le dogme révélé, on tombe
dans l'hérésie : ideo hœresis est infidelilalis species,
pertinens ad cos qui fidem Christi profitentur, sed ejus
dogmala corrumpunl. S. Thomas, loc. cit. Cf. Bou-
quillon, Institutions thcologiœ moralis, Bruges, 1878,
De virtutibus thcol., n. 211-214.
Cette analyse sommaire nous aide à expliquer la défi-
nition que nous proposons de l'hérésie : une doctrine qui
s'oppose immédiatement, directement et contradicloire-
ment à la vérité révélée par Dieu et proposée authenti-
quemenl comme telle par l'Église. Deux éléments prin-
cipaux sont à retenir dans cette définition :
Premier élément : l'hérésie s'oppose à la vérité révélée,
immédiatement, directement et contradictoirement. —
1 . L'hérésie s'oppose à la vérité révélée. Sélection faite
par l'esprit humain dans le dogme, l'hérésie s'attaque
nécessairement aux vérités explicitement ou implici-
tement, mais formellement révélées. Voir Dogme, t. iv,
col. 1575; Explicite et Implicite, t. v, col. 1869. Sur
la révélation que suppose la foi, voir Foi, t. vi, col.
122 sq. — 2. Immédiatement, c'est-à-dire sans le secours
d'un moyen terme. Par conséquent, avec nombre de
théologiens et, en parliculier, avec l'école thomiste,
voir Molina, In I3'" Sum. thcol. , disp. I et II, a. 1 ;
Salmanticenses, De fide, disp. I, dub. iv, § 4 ; Kilber
(Wirceburgenses), De virtutibus theol., disp. II, c. i,
a. 3; Montagne, De censuris seu notis theologicis, a. 2,
§ 1, dans Migne, Cursus theol. , t. i, col. 1147 sq. ;
Mazzella, De virtutibus infusis, n. 458; Hurter, Me-
dulla thcologiœ dogmaticœ, n. 409; Billot, De Ecclesia,
q. x, th. xvin, § 2; Van Noort, De jonlibus revelationis,
n. 196; cf. C. Pesch, Compcndium thcologiœ, t. m,
n. 376, on doit refuser de voir une hérésie dans la néga-
tion d'une vérité qui n'est que virtuellement révélée,
c'est-à-dire d'une simple conclusion thêologique,
déduite d'une vérité formellement révélée, même si
cette conclusion paraît évidente (thèse soutenue par
M. Cano, De locis, 1. VI, c. vin, n. 10, et par Vasquez,
In I:n" Sum. theol., disp. V, c. m), même si cette con-
clusion est définie par l'Église (thèse de Suarez, De fide,
disp. III, sect. xi, n. 11, reprise par De Lugo, De fide,
disp. I, sect. xm, n. 261 ; par S. Alphonse de Liguori,
Theologia moralis, 1. I, tr. II, n. 104; par Schifïini, De
virtutibus, Fribourg-en-Brisgau, 1904, sect. iv.th. xvm,
n. 127; par Wilmers, De Christi Ecclesia, Ratisbonne,
1897, 1. IV, c. iv, a. 2, scholion ; par Bouquillon, op. cit.,.
n. 216, etc.). La raison de notre choix est claire : une
définition de l'Église ne peut changer la nature des
vérités niées par l'hérésie et ne peut faire que ces
vérités soient révélées, lorsqu'elles sont de simples
conclusions théologiques s'imposant à notre adhésion
par la foi ecclésiastique et non par la foi divine. Voir
Dogme, t. iv, col. 1576. Il faut observer cependant
que l'opinion rejetée peut s'entendre en ce sens que
la négation d'une vérité virtuellement révélée pourrait
conduire logiquement à l'héiésie, si on voulait la
pousser à sa conséquence dernière, ou encore qu'elle
pourrait comporter une hérésie concomitante. Voir plus
bas, même col. De plus, certains auteurs admettent
que l'hérésie peut exister à l'égard de ce qu'ils
appellent l'objet de la foi médiate. Cf. Suarez, loc.
cit., disp. XIX, sect. n, n. 8, citant Corduba,
Quœslionarium theologicum, Venise, 1604, 1. I, q. xvn.
Avant de rejeter leur manière de voir, il faut s'assurer
si l'expression foi médiate ne s'applique pas, dans leur
pensée, aux vérités formellement quoique implicite-
ment révélées. Suarez, loc. cit., n. 10. L'âme intellective
est la forme du corps humain, voilà une vérité impli-
citement mais formellement révélée; voir Forme du
corps humain, col. 551 ; c'est donc à bon droit que la
doctrine de J. P. Olivi a été qualifiée d'hérésie par les
inquisiteurs, le P. Bernard de Côme, Eymeric, Pegna,
Albertini, Alphonse de Castro, Ferraris, que cite
M. Garzend, L'Inquisition et l'hérésie, Paris, 1913,
p. 130 sq., leur reprochant à tort d'avoir fait d'une
vérité de foi ecclésiastique une vérité de foi divine. —
3. Directement, c'est-à-dire qu'il ne suffit pas d'une
connexion étroite entre un dogme et une vérité reli-
gieuse ou un fait dogmatique, voir Dogme, t. iv,.
col. 1576; Église, col. 2188, nécessaires à la conserva-
tion ou à la proposition de ce dogme, pour que la
négation de cette vérité religieuse ou de ce fait dogma-
tique constitue une hérésie. La proposition qui nierait,
par exemple, la convenance du terme transsubstantia-
tion, convenance d'ailleurs définie au concile de Trente,
sess. XIII, can. 2, ou encore l'authenticité de la Vul-
gate, sess. IV, ne serait pas, par là même, hérétique.
Ces deux vérités, en effet, ne sont pas révélées et ne se
rapportent au dogme qu'indirectement; la définition
de l'Église ne peut pas en changer la nature. Sans
doute, en niant une vérité virtuellement révélée et
définie par l'Église ou encore un fait dogmatique, on>
nie indirectement l'infaillibilité de l'Église par rapport
à ces objets secondaires de son magistère. Mais l'infail-
libilité, en tant qu'elle s'étend à l'objet secondaire,
n'est pas encore proposée comme une vérité révélée,
quoiqu'elle soit considérée comme une vérité proche de
la foi ou tout au moins théologiquement certaine, voir
Église, t. iv, col. 2184 sq. ; deviendrait-elle un jour
vérité définie de foi divine et catholique, il ne s'en-
suivrait pas encore que nier une conclusion théolo-
gique, un fait dogmatique, même définis par l'Église,
constituerait en sol une hérésie; cette négation compor-
terait simplement une hérésie concomitante, à savoir
le rejet de l'infaillibilité de l'Église quant à l'objet
secondaire de son magistère. Cf. Billot, loc. cit., ad 2UI".
Les mêmes remarques s'appliquent à toute doctrine qui
nierait la convenance des censures doctrinales infligées
par l'Église, sauf en ce qui concerne la note d'hérésie..
En décrétant le caractère hérétique d'une proposition,.
l'Église, en effet, définit par le fait même la vérité de la
proposition contradictoire : definiendo propositionem>
2213
HÉRÉSIE. HÉRÉTIQUE
2214
esse hsercticam, non excurrit Ecclesia extra ordinem
formaliter revelalorum ; cum enim affirmalio posilivi
et negalio contradictorii inler se converlantur, semper
proponitur ipsa a Deo revelata veritas, sive sub forma
canonis quo exhibetur id quod est a Deo dietum, sive sub
forma censurée qua notatur id quod est contradictorie ei
opposilum. Billot, De Ecclesia, q. x, th. xvn, § 2. Donc
nier la convenance d'une note d'hérésie infligée par
l'Église, c'est formellement commettre une hérésie,
parce que cette négation s'oppose directement au
dogme défini contradictoirement par la censure infli-
gée. — 4. Contradictoirement. Certains auteurs, Salman-
ticenses, De fuie, disp. IX, dub. iv, n. 43; Kilber
(Wirceburgences), De fide theol., n. 226; Jansen,
Prœlectiones theologiœ fundamentalis, § 130, n. 2;
Franzelin, De divina traditionc, th. xn, scholion m,
p. 158; Mazzella, op. cit., n. 458; Van Noort, op. cit.,
n. 259; cf. Censures doctrinales, t. n, col. 2105,
disent que toute doctrine s'opposant contrairement ou
contradictoirement à la vérité révélée est hérétique.
Vacant, Études théologiques sur les constitutions du
concile du Vatican, t. n, n. 619; Billot, loc. cit., et De
virtutibus infusis, th. xm, § 2, note, ne parlent que
d'opposition de contradiction. D'autres auteurs enfin,
Hurter, loc. cit. ; C. Pesch, Prœlectiones dogmaticœ, t. i,
n. 557, ne parlent que d'opposition, sans spécifier s'il
s'agit de contrariété ou de contradiction. On doit
préférer la façon de parler de Vacant et de Billot,
quoique le langage des autres auteurs puisse facile-
ment s'expliquer. On a rappelé, en effet, que l'Église,
par là même qu'elle inflige la note d'hérésie à une doc-
trine, définit ipso facto une vérité de foi divine et
catholique. Or, cela n'est possible qu'à la condition
que cette vérité soit strictement la contradictoire de la
proposition condamnée, en vertu de ce principe de
logique : Opposilio contraria... est Ma quœ répugnât in
verilate, non tamen in falsilale, ita ut dum contrariée
nunquam possinl simul esse veree, bene tamen simul
laisse. Jean de Saint-Thomas, Cursus philosophicus,
1. 1, Summularium, 1. II, c. xvi. Si donc la définition de
l'Église porte sur une vérité révélée qu'elle propose
comme telle à la croyance des fidèles, les propositions
contraires et contradictoires seront nécessairement
fausses et hérétiques; exemple, cette vérité : le Christ
est homme-Dieu étant de foi, seront hérétiques non
seulement la contradictoire : le Christ n'est pas homme-
Dieu, mais encore les contraires : le Christ est un pur
homme, le Christ est un ange. Tel est le point de vue de
Franzelin, Mazzella, etc. Mais si la définition de l'Église
porte sur le caractère hérétique d'une proposition,
par exemple, de celle-ci : le Christ est un pur homme,
seule la contradictoire sera nécessairement vraie :
le Christ n'est pas un pur homme; les contraires pour-
ront être simultanément fausses : le Christ est un pur
esprit, le Christ est à la fois ange et homme, etc. Cf.
Mazzella, loc. cit.
Ce premier caractère de l'hérésie-doctrine n'est pas
contredit par saint Thomas, lequel, Sum. theol, IP
II*, q. xi, a. 2, aflirme que l'hérésie peut exister de
deux façons : directement et principalement, lorsqu'une
doctrine s'oppose à un article de foi: indirectement et
accessoirement, lorsque de la vérité niée découle la
corruption d'un article de foi. Dans cette matière acces-
soire de l'hérésie, il ne s'agit, en effet, ni de conclusions
théologiques, ni de faits dogmatiques, mais de vérités
qui, n'appartenant pas, en soi, à la foi et aux mœurs,
sont néanmoins objet de foi accidentellement, en raison
de l'Écriture inspirée dont elles font partie; les nier
reviendrait à nier le dogme de l'inspiration. Saint
Thomas s'explique lui-même clairement à ce sujet,
Sum. theol., IP IP, q. i, a. 6, ad lum; q. Il, a. 5;
In IV Sent., 1. IV, dist. XIII, q. n, a. 1, ad 6U"'; In
Episl. I ad Cor., c. xi, lect. iv; cf. Billot, De virtutibus
infusis, th. x, § 3, et Dogme, t. iv, col. 1596-1597. Le
caractère formel de l'hérésie, quelle qu'en soit la ma-
tière, reste donc toujours le même, c'est l'opposition a
une vérité révélée. Cf. Suarez, .De fuie, disp. XIX, sect. n
n. 6, 7.
Il ne faut également pas trouver d'opposition entre
la notion théologique de l'hérésie, telle qu'elle vient
d'être exposée, et la façon de parler de certains inqui-
siteurs et canonistes qui semblent admettre plusieurs
sortes ou plusieurs degrés d'hérésie. Cf. Suarez, loc. cit.,
n. 6 sq., et Salmanticenses, op. cit., n. 44. Torquemada,
Summa de Ecclesia, Venise, 1561, 1. IV, part. II, c. vm,
distingue sept sortes de propositions de foi, donc sept
sortes d'hérésies. Melchior Cano ramène à huit les
règles de la foi dans son De locis, 1. XII, c. vm. On
trouve des expressions analogues chez Pegna, dans ses
scolies au Direclorium inquisitorum, part. II, comm.
26, 27, q. ii et m; chez Alberghini, Manuale qualifi-
calorum SS. Inquisilionis, Palerme, 1642, c. xm ;
chez A. de Castro, De jusla hœreticorum punitione, 1. I,
c. iv ; chez Simanca,-De calholicis institutionibus, tit. liv.
M. Garzend, op. cit., c. vi, a beaucoup insisté sur la
façon de parler des inquisiteurs pour établir sa thèse
fondamentale de la distinction théorique de l'hérésie
théologique et de l'hérésie inquisiloriale. A notre avis,
c'est à tort. Une simple remarque de Suarez, à qui cette
façon de parler n'avait pas échappé, loc. cit., n. 7, éclaire
tout le problème et la portée de la terminologie inquiti-
toriale :Verumtamen, licet heec doclrina recte explicata
majori ex parle vera sit et ad explicandam diversam
gravilatem in peccato hœresisconferrcpossil,nihilominus,
îi m m aliter loquendo, de proposilione hœretica quoad
gradum falsilalis ejus, existimo in eo non distingui plures
gradus secundum magis et minus, ut ita dicam, sed
omnem proposilioncm heereticam esse œque falsam et
heerelicam. Bien interprétée, la doctrine des inquisiteurs
est en grande partie vraie; laissant de côté lès exagé-
rations et les erreurs de détail toujours possibles, les
distinctions introduites restent fondées. Autre chose,
en effet, est, dans l'hérésie, l'opposition à la foi — ce
qui en constitue l'élément formel, toujours et partout
le même — autre chose est le moyen par lequel on peut
découvrir cette opposition, moyen qui varie selon les
cas. Les distinctions introduites correspondent aux
différents moyens par lesquels nous prenons connais-
sance de la vérité révélée : les lieux théologiques, redi-
sons-le, ne sont pas les sources du donné révélé, comme
paraît le supposer M. Garzend, mais les sources d'argu-
mentation qui aident à le découvrir. Voir Fondamen-
tale (Théologie), t. vi, col. 523. Plus le moyen de
connaissance fait atteindre facilement le donné révélé,
plus grave est la faute que doit juger l'inquisiteur: cela
ne veut pas dire qu'il y ait des degrés ou des espèces
différentes d'hérésie.
Deuxième élément : l'hérésie s'oppose à la vérité révélée
authentique ment proposée comme telle par l'Église à la
croyance des fidèles. — L'hérésie, d'après le concept
général exposé plus haut, ne s'attaque pas directement
au principe même de la révélation; elle ne comporte
directement qu'une corruption du contenu de la révé-
lation. Le principe de cette corruption réside en ce
que l'hérésie se formule à rencontre de la règle de foi
instituée par Jésus-Christ, comme le moyen ordinaire
qui doit conserver intact et proposer aux fidèles le
contenu de la révélation : aliunde eligit sibi normam
senliendi de rébus fidei et morum. Billot, De Ecclesia
Christi, q. vu, th. xi. Sans doute, l'autorité de l'Église
n'entre pas dans le motif essentiel et spécifique de la foi
salutaire et théologale, et, par conséquent, même sans
la proposition de l'Église, il reste possible de faire un
acte de foi divine et salutaire. Voir Foi, t. vi, col. 163-
166. Mais l'enseignement de l'Église est la règle propo-
sée communément aux hommes et dont ils ne doivent
2215
HÉRÉSIE. HÉRÉTIQUE
2216
pas volontairement s'écarter en matière de foi. Ainsi,
la foi communément demandée par Dieu aux hommes
est la foi non seulement divine, c'est-à-dire ayant pour
motif la révélation connue comme telle, mais encore
catholique, c'est-à-dire ayant pour règle l'enseignement
de l'Église. Concile du Vatican, sess. III, c. m, Denzin-
ger-Bannwart. n. 1792. C'est donc à la foi « divine et
catholique » que s'oppose l'hérésie. Ne devra en consé-
quence être réputée hérétique que la doctrine niant
une vérité révélée et proposée comme telle par le
magistère infaillible de l'Église. Ainsi, les vérités conte-
nues dans la sainte Écriture elle-même doivent être
proposées par l'Église à la croyance des fidèles, pour
que leur négation devienne une hérésie formelle. Voir
Dogme, t. iv, col. 1596-1597. Toutefois, beaucoup de
théologiens font observer que les vérités clairement
contenues dans la sainte Écriture et spécialement les
vérités de fait (naissance du Christ au jour de Noël,
passion, mort, résurrection du Sauveur, etc.), même si
aucune définition spéciale n'est intervenue pour en
attester le caractère révélé, s'imposent à la croyance
des fidèles comme de foi divine et catholique. Par le fait
même que l'Église nous propose la sainte Écriture
cemme la parole même de Dieu, elle nous atteste le
caractère révélé des vérités clairement contenues dans
les Livres saints. Cf. Sylvius, In IP'" II*, q. i, a. 1;
De Lugo, De fide disp. XX, sect. u, n. 58; Montagne,
De censuris, dans Migne, op. cit., t. i, col. 1426; Maz-
zella, op. cit., n. 364, note; Van Noort, De fonlibus reve-
lationis, n. 207, note.
Re'ativement à la proposition authentique de l'Église,
on a déjà observé, voir Foi, col. 171, qu'il n'est pas
nécessaire qu'une telle proposition soit faite par le
magistère extraordinaire, c'est-à-dire par une défi-
nition conciliaire ou ex cathedra, ou encore par une
condamnation avec la note d'hérésie; l'enseignement
explicite du magistère ordinaire et universel suffit
pour qu'une vérité soit authentiquement proposée à
l'adhésion des fidèles. Voir Magistère.
De cette deuxième considération, il ne faut pas con-
clure qu'une doctrine s'opposant à une vérité commu-
nément considérée comme révélée, mais non encore
proposée comme telle par l'Eglise, n'a rien de commun
avec l'hérésie. Cette doctrine est proche de l'hérésie ou
sentant l'hérésie, ou suspecte d'hérésie. Voir l'explica-
tion de ces termes à Censures doctrinales, t. n,
col. 2106.
II. Problème moral : l'hérésie-péché. — 1° Ma-
tière. — Le péché d'hérésie ne peut avoir pour matière
que ce qui constitue objectivement l'hérésie, c'est-à-
dire une doctrine qui s'oppose à la foi non seulement
divine, mais encore catholique, la note caractéristique
de l'hérésie étant de chercher ailleurs que dans le
magistère de l'Église la règle de foi. On verra d'ailleurs
plus loin comment le simple doute volontaire constitue
la même matière à hérésie.
Ce principe général, qui découle de la nature même
de l'hérésie-doctrine, suffît à montrer que le refus
d'adhérer à une vérité révélée par Dieu, et connue comme
telle par une de ces révélations privées auxquelles fait
allusion le concile de Trente, sess. VI, can. 16, ne sau-
rait constituer un péché d'hérésie. Il y a, en ce cas,
péché d'infidélité, parce qu'il y a faute directe contre la
foi divine; mais il n'y a pas péché d'hérésie à propre-
ment parler, puisqu'il n'y a pas révolte contre le
magistère de l'Église. Certains théologiens, cf. Bouquil-
lon, op. cit., n. 215, appellent cette infidélité une « hé-
résie au sens large »; l'expression est de nature à
engendrer des équivoques. Sur ce péché spécial d'infi-
délité commis par rapport aux vérités révélées par
Dieu et proposées à l'intelligence humaine d'une façon
suffisante (ainsi s'exprime l'annotateur du 1er schéma
de la constitution De doctrina calholica du concile du
Vatican, voir Colleclio lacensis, t. vu, col. 531), mais
en dehors du magistère de l'Église, on pourra consulter
De Lugo, disp. XX, n. 71; Suarez, op. cit., sect. v,
n. 11; cf. disp. III, sect. x; Schmalzgruber, Jus ccclc-
siast., tit. De hœrcsi, n. 17; Billot, De virlutibus, th. x,
§ 1, note; th. xm; Vacant, op. cit., t. ii, n. 846; Balle-
rini-Palmieri, Opus thcologicum morale, t. n, n. 83.
2° Acte. — 1. Psychologie de l'acte d'hérésie. — ■ L'acte
d'hérésie correspond, en sens contraire, à l'acte de foi.
Or, l'acte de foi est formellement un acte de l'intelli-
gence, commandé par la volonté. Voir Foi, col. 56.
L'analyse de l'acte d'hérésie nous amène donc à le
concevoir comme un jugement erroné émis par l'intel-
ligence sous l'influence de la volonté.
a) L'acte d'hérésie est un jugement erroné de l'intel-
ligence. — Tout en protestant de son attachement à
Jésus-Christ, tout au moins par la profession exté-
rieure du caractère baptismal, l'hérétique « corrompt le
dogme ». La corruption du dogme ne peut se concevoir
que par un jugement erroné touchant la révélation.
En effet, la règle qui maintient dans la vérité le juge-
ment de notre esprit en matière de vérités révélées,
c'est l'enseignement infaillible de l'Église. C'est donc
parce que l'intelligence humaine adhère à cet enseigne-
ment qu'elle est assurée de posséder, d'une façon cer-
taine et aussi intégrale que possible, la vérité révélée
par le Christ. A l'inverse, c'est donc aussi parce qu'elle
refuse d'adhérer à cet enseignement, qu'elle est ame-
née à rejeter certains points de la foi et à faire une sé-
lection dans le dépôt de la révélation. De sorte que,
quelle que soit l'erreur acceptée par l'hérétique en con-
tradiction avec la révélation divine — ■ c'est là l'élément
générique, commun à toute espèce d'infidélité — le
principe spécilique de cette erreur sera toujours le
rejet de l'enseignement de l'Église, c'est-à-dire un
jugement erroné touchant la règle de la foi. C'est ce
qu'expriment, sous des formes différentes, les Pères de
l'Église, en parlant de l'hérésie. Voir col. 2210. Ce juge-
ment erroné peut se produire de deux façons : a. par la
négation de certains articles de foi (et même de la tota-
lité, pourvu que l'on conserve l'adhésion au Christ par
le caractère baptismal, voir plus loin, col. 2224): « Il est
manifeste que celui qui adhère à la doctrine de l'Église
comme à une règle infaillible acquiesce à tout ce qu'en-
seigne l'Église; autrement, si, parmi les vérités ensei-
gnées par l'Église, il ne retient que ce qu'il veut et dé-
laisse ce dont il ne veut pas, il n'adhère plus à la doc- .
trine de l'Église comme à une règle infaillible, mais à
son propre jugement. Aussi l'hérétique qui rejette avec
obstination un seul article de foi n'est pas disposé à
suivre, sur les autres, l'enseignement de l'Église;... il n'a
donc, en matière de foi, qu'une opinion humaine, dictée
par sa volonté, » S. Thomas, Sum. theol., IP II*, q. v,
a. 3; cf. Suarez, loc. cit., sect. v; Becan, De virlutibus
theol., c. xrv, q. i, n. 2; b. par le doute volontaire et
délibéré touchant la vérité des articles de foi. Il ne
s'agit pas des doutes involontaires qui sont compa-
tibles avec la fermeté de la foi. Voir Foi, col. 97, 98 ; cf.
col. 281, 282, 284, 286, 287, 513. Il s'agit du doute vo-
lontaire et délibéré. Or, on distingue deux sortes de
doutes, l'un purement négatif, où l'esprit suspend tout
jugement, l'autre positif, « qui ne va pas sans doute
jusqu'à l'acte positif d'affirmer, mais qui l'accompagne,
le modifie et l'affaiblit. » Voir Foi, col. 92; S. Thomas,
De veritate, q. xiv, a. 1. Par le doute positif, la certitude
devient simple opinion. L'un et l'autre doute, dès lors
qu'ils sont pleinement délibérés, font perdre la vertu de
foi, voir Infidélité, car ils s'opposent directement à la
foi considérée dans un acte premier et principal qui est
d'adhérer à toute vérité divinement révélée. Cf. Billot,
De virlutibus infusis, th. xxm, xxiv, note. Mais le
doute négatif, suspendant tout jugement, ne comporte
pas encore de révolte formelle contre la règle de la foi et,
2217
HÉRÉSIE. HÉRÉTIQUE
2218
en conséquence, ne s'oppose pas directement à la foi
catholique; il a sa source plutôt clans l'ignorance de ce
qu'est en réalité la règle de la foi que dans le rejet de
cette règle; aussi le doute négatif, pour les théologiens,
constitue plutôt une infidélité négative, qui peut
être, sans doute, gravement coupable, mais ne consti-
tue pas encore le péché d'hérésie. Suarez, De fi.de, disp.
XIX, sect. iv, n. 8. Le doute positif, volontaire et déli-
béré, comporte en réalité un jugement positif et erroné
relativement à la règle de la foi : celui qui doute positi-
vement se croit en droit, pour des motifs suggérés par
son jugement personnel, de ne point adhérer pleine-
ment à une vérité que le magistère de l'Église lui pro-
pose cependant comme certaine et révélée par Dieu;
en définitive, il n'adhère donc plus, selon la remarque
très juste de saint Thomas, à la doctrine de l'Église
cr mme à une règle infaillible, mais à son propre juge-
ment. Et c'est là la note caractéristique de l'hérésie.
Tous les théologiens, à part quelques-uns, comme
M. Cano, De locis, 1. XII, c. ix, n. 4; Sanchez, Opus
morale in prsecepla decalogi, 1. II, c. vu, n. 12; Malderus,
De virtutibus Iheologicis, Anvers, 1616, q. xi, a. 2,
m. iv, admettent que le doute positif équivaut à l'hé-
résie. Est hœreticus qui affirmative de aliquo arliculo
fidei dubilat, hoc est judical esse dubium, dit saint Al-
phonse, Theologia moralis, 1. II, tr. I, c. iv, dub. m.
Tout comme le rejet d'un article de foi, le doute positif
repousse la règle de foi et, par elle, atteint et blesse la
révélation elle-même : il est, en effet, de l'essence de la
foi d'être ferme et indubitable. Voir Foi, col. 206, 207.
Les théologiens et canonistes qui défendent l'opinion
de saint Alphonse sont légion. Cf. Ballerini-Palmieri.
loc. cit., n. 89. Suarez, toc. cit., n. 20, cite les noms de ses
principaux devanciers : dans leurs commentaires sur la
IIa IIa>, q. x, a. 5; q. xi, a. 1, Cajetan, Pierre d'Aragon,
Banez et Grégoire de Valencia ; Gabriel Biel, In I V Sent.,
1. IV, dist. XIII, a. 1, note 3; 1. III, dist. XXIII, q. n,
a. 1; Adrien VI, Quœstiones quodlibelalcs, Lyon, 1547,
quodl. II, q. i; A. de Castro, De justa hœreticorum
punitione, 1. I, c. vu, ix; Adversus hœreses, 1. I, c. x;
Corduba, op. cit., 1. IV, part. II, c. xn; Tolet, Summa,
1. IV, c. iv, n. 3; Azor, Institut iones morales, Lyon;
1625, part. 1, 1. VIII, c. ix, q. v; Sa, Summa, au mot
Hœresis,n. 1 (la lre édition, Naples, 1748, semblait favo-
riser l'opinion de Sanchez; la 2' édition corrigée, Naples,
1753-1755, indique que l'opinion opposée est communis
sententia quœ tenenda est; cf. S. Alphonse, op. cit., édit.
Gaudé, loc. cit., t. i, p. 310, note). On peut encore
ajouter Pirhing, Jus canonicum, Décrétai.,)^, tit. vu, 4,
Venise, 1759, t. iv, p. 50; Reilïenstuel, Jus canonicum,
tit. vu, n. 10; Ferraris, op. cit., au mot Hœreticus, n. 4,
14. Le cardinal Billot, De virtutibus infusis, th. xxiv,
dit simplement que la vertu de foi est perdue par un
doute pleinement délibéré. Cette doctrine commune
s'appuie sur l'enseignement explicite de l'Église. Voir
les Décrétâtes de Grégoire IX, c. Dubius, i, X, De hse-
reticis : dubius in fide infldelis est (donc, concluent les
théologiens, si le doute est émis par un baptise1, il
engendre l'hérésie); de Clément V, c. Firmitcr, § 1,
De summa Trinitate, déclarant ennemie de la foi catho-
lique toute doctrine... révoquant en doute la vérité
définie de l'âme forme du corps humain. Cf. Denzinger-
Bannwart, n. 481. On trouve des expressions identiques
dans le Ve concile de Latran : Damnamus et reprobamus
omnes asserentes animam inlclleclivam mortalem esse et
hoc in dubium verlenles, n. 738; dans le symbole d'Atha-
nase : nisi fideliler firmitcrque credideril, salvus esse non
poterit, n. 40. Le concile du Vatican, Constitutio de fide
catholica, c. ni, déclare que les fidèles qui ont reçu la
foi du magistère de l'Église ne peuvent jamais avoir
une juste cause de changer cette foi ou de la révoquer
en doute, n. 1794; cf. can. 6, n. 1815. C'est aussi la doc-
trine des Pères. Saint Augustin déclare qu'on ne peut,
sans pécher contre la foi catholique, dire : Peut-être le
Christ est né de la Vierge, De Trinitate, 1. VIII, c. v,
P. L., t. xlii, col. 952; ce « peut-être » marque le doute.
De même, saint Bernard : Fides ambiguum non habet,
et si habet, fides non est. De consideralionc, 1. V, c. ni,
P. L., t. clxxxii, col. 790. Hugues de Saint- Victor :
Ubi dubilalio est, fides non est. De sacramentis, 1. I,
part. X, c. ii, P. L., t. cxxxvi, col. 327-331. Voir Foi,
col. 88-98.
Notons que la distinction établie par les théologiens
entre doute négatif et doute positif paraît à plusieurs
bien subtile : comment concevoir un doute qui soit
simplement la suspension de tout jugement? Aussi ne
faut-il pas s'étonner d'entendre les moralistes faire la
remarque pratique suivante : « On doit observer que, si
quelqu'un suspend son jugement d'une façon délibérée
et avec pertinacité, parce qu'il juge que les motifs de ne
pas croire rendent incertaine la vérité de foi, il doit être
tenu pour hérétique. Son doute, en ce cas, est vraiment
positif, à l'égard de la vérité de foi, puisqu'il juge avec
délibération et pertinacité que ne sont point certains
tous les dogmes que l'Église propose cependant comme
tels. » S. Alphonse, op. cit., 1. VII, c. n, n. 302; cf. De
Lugo, De fide, disp. XX, n. 16; Sylvius, In IPm II*,
q. xi, a. 1 ; Wigandt, Tribunal confessariorum et ordi-
nandorum, Venise, 1754, tr. VII, n. 49; Antoine, Theo-
logia moralis universa, Rome, 1748, De fide, c. ni, q. vi;
Salmanticenses, Cursus moralis, tr. X, De censuris, c. IV,
n. 54 sq., etc Voir S. Alphonse, op. cit.. édit. Gaudé,
Rome, 1912, t. iv, p. 428.
Une première conclusion à tirer de cette doctrine,
c'est que, lorsque le jugement erroné ne porte pas sur
la règle de la foi, mais, l'adhésion à cette règle restant
sauve, sur l'objet matériel de la foi, il ne saurait plus
être question d'acte d'hérésie. Si un homme baptisé,
tout en professant explicitement ou implicitement sa
soumission à l'égard du magistère de l'Église, nie un
article de foi parce qu'il ignore que cet article a été
défini, ou bien s'il tient pour révélée une doctrine qu'à
tort il croit proposée comme telle par l'Église, « il
commet une simple erreur de fait sur ce que commande
la règle de la foi», mais il ne commet aucune erreur tou-
chant la règle de foi elle-même; il n'y a donc pas, en cet
acte, de péché d'hérésie. Toutefois, cette erreur de fait
peut être coupable dans la mesure ou est coupable
l'ignorance qui en est la cause. Cf. S. Alphonse, op. cit.,
1. II, tr. I, c. iv, dub. m, n. 19; Laymann, Theologia
moralis, Venise, 1630, 1. II, tr. I, c. xm, n. 2; Coninck,
De moralitalc, natura et effectibus actuum supernatura-
lium in génère et fide, spe ac charitate, Lyon, 1624, De
fide, disp. XVIII, n. 97 sq.; Billot, De virtutibus
infusis, th. xxm; De Ecclcsia Christi, th. xi. Bouquil-
lon, loc. cit., appelle hœrcsis laie dicta cette erreur de
fait. On ne peut approuver cette terminologie.
Une seconde conclusion s'impose : en l'absence de
jugement formulé par l'intelligence, il ne peut y avoir
hérésie proprement dite. Quelqu'un qui extérieurement
feindrait l'hérésie, sus donner à cette simulation de
consentement intérieur, se rendrait coupable d'un acte
par ailleurs gravement répréhensible, cf. De Lugo,
op. cit., disp. XIV, n. 31-44, mais non d'un acte d'hé-
résie. Voir Filucci, Quœslionum moralium, Lyon, 1634,
tr. XXII, n. 162-163; Lcssius, Sanchez, Opus morale,
in prœcepta Decalogi; Benoît XIV, De sijnodo diœce-
sana, 1. IX, c. iv, §4; Suarez, op. cit., disp. XIV, sect. vi,
n. 4; disp. XXI, sect. n, n. 1; De virtutibus et statu
religiosis, tr. II, 1. II, c. vi, n. 20; S. Alphonse, loc. cit.
Cf. S. Thomas, Sum. theol., IP IIœ, q. xn, a. 1, ad 2U™.
Voici enfin une troisième conclusion : l'homme bap-
tisé qui adhère à une vérit de foi, croyant que cette
vérité est condamnée par l'Église comme pronosition
hérétique et qui y adhère par esprit d'opposition au
magistère de l'Église et d'une manière consciente,
2219
HÉRÉSIE. HÉRÉTIQUE
2220
est formellement hérétique. Sans doute, il ne sera pas
soumis aux peines qu'inflige l'Église aux hérétiques
externes, voir plus loin, col. 2245, puisque extérieure-
ment et en fait il croit ce que l'Église croit et enseigne,
mais il n'en commet pas moins réellement un acte dont
la note caractéristique est la révolte contre la règle de
la foi et qui, par là même, devient acte d'hérésie.
b) L'acte d'hérésie est un jugement commandé par la
volonté. — Les théologiens, voir Suarez, De fide, loc.
cit., sect. m, n. 1, en donnent trois raisons : a. l'acte
d'hérésie s'oppose à l'acte de foi; or, il est de l'essence
de l'acte de foi d'être volontaire; donc la volonté aura
pareillement sa part dans l'acte d'hérésie; b. l'hérésie
peut devenir un péché; or, il n'y a pas péché sans acte
de la volonté; c. l'ignorance invincible excuse du péché
d'hérésie, précisément parce qu'elle fait que l'hérésie
n'est plus voulue en elle-même.
Laissant de côté la question du volontaire dans le
péché d'hérésie, il suffît présentement de considérer les
conditions psychologiques de l'acte d'hérésie pour se
rendre compte que cet acte est volontaire, en tant que,
comme on l'a expliqué pour l'acte de foi, voir Foi,
col. 434, le jugement de l'intelligence est commandé par
la volonté. En effet, l'acte d'hérésie étant formellement
constitué par un jugement erroné en matière de foi
divine et catholique, aucun motif cogent ne peut
exister qui entraîne l'assentiment de l'esprit. L'assen-
timent de l'esprit ne peut se produire nécessairement
qu'en raison de l'évidence intrinsèque de la vérité (dans
le cas de la science) ou, s'il s'agit de vérités inévidentes,
qu'en raison de l'évidence de la véracité du témoignage
qui les affirme (dans le cas de la foi scientifique). Voir
Évidence, t. v, col. 1728-1729. Or, ni l'évidence de la
vérité, ni l'évidence de la véracité d'un témoignage ne
peuvent exister à la base d'un assentiment erroné en
matière de foi. Quelle que soit la théorie psychologique
que l'on accepte pour expliquer le rôle de la volonté
à l'égard des jugements erronés en général, il est donc
trop clair qu'en l'espèce, l'assentiment erroné de l'intel-
ligence dans l'acte d'hérésie requiert l'intervention de
la volonté libre.
Cette intervention n'implique pas nécessairement la
conscience de l'opposition dans laquelle on se met par
rapport à la règle de la foi catholique. Il est possible
que cette règle de la foi soit, comme telle, complète-
ment ignorée; il est possible que l'hérétique ait des
motifs de crédibilité purement respective par rapport
à certains prétendus articles de foi admis par lui;
il est possible enfin que la volonté soit entraînée par des
motifs subjectivement louables : ces cas se rencontrent
chez les hérétiques de bonne foi. Nous n'avons pas à
faire l'exposé des motifs qui peuvent ainsi incliner la
volonté; nous trouverions des motifs variant à l'infini
tout autant que les déterminations de la volonté elle-
même, l'opposition à la règle de la foi pouvant se
manifester d'une infinité de manières. Quant à la règle
choisie en opposition avec l'enseignement de l'Église,
que ce soit le principe du libre examen, ou le principe
des articles fondamentaux, ou le principe des sept
conciles œcuméniques, ou simplement renseignement
des doctrines de la secte à laquelle on appartient, peu
importe : la réalité de son opposition avec la véritable
règle de la foi suffît à expliquer l'acte d'hérésie. Mais
c'est la conscience de cette opposition, si elle existe
chez l'hérétique, qui doit servir de critérium pour
juger de la culpabilité de cet acte.
2. Moralité de l'acte d'hérésie : le péché matériel et le
péché formel. — ■ Lorsque la volonté n'intervient dans
l'acte d'hérésie qu'à titre d'élément psychologique gé-
nérateur de cet acte, sans qu'il y ait intention de
s'opposer à la règle véritable de la foi, il y a sans doute
tous les éléments constitutifs du péché d'hérésie, mais
le péché n'existe pas en réalité, car la malice, c'est-à-
dire la volonté du mal, est absente. C'est, appliquée à
l'hérésie, la distinction courante du péché matériel et du
péché formel. Sur cette distinction, voir Lehmkuhl,
Thcologia moralis, t. i, n. 220. Pour qu'il y ait péché
formel, il ne suffît pas de la liberté de l'acte, il faut
encore l'advertance de la malice de cet acte ou tout au
moins un doute sérieux à cet égard. S. Alphonse, op.
cit., 1. V, n. 1. Lors donc que le jugement erroné de
l'intelligence se produit sans connaissance de la règle
véritable de la foi catholique, telle que l'a instituée le
Christ, il y a simplement hérésie matérielle; lorsqu'il y a
advertance de l'opposition dans laquelle on se met
par rapport à l'autorité de l'Église du Christ, il y a
hérésie formelle : dividuntur hœretici in formates et
maleriales. Formates Mi sunt, quibus Ecclesiœ auctori-
tas est sufficienter nota; materiales vero qui invincibili
ignorantia circa ipsam Ecclesiam laborantes, bona fide
eligunt aliam rcgulam directivam. Billot, De Ecclesia,
th. xi. Le péché n'existe donc que dans l'hérésie for-
melle, qui est en conséquence seule considérée par les
théologiens et les canonistes comme la véritable hérésie.
C. Dixit apostolus, 29, caus. XXIV. q. ni; c. Damna-
mus, 2, De summa Trinitatc. Cf. Ferraris, loc. cit., n. 3.
Ce principe général est en lui-même très clair.
Il soulève cependant dans l'application concrète deux
problèmes importants :
a) Quelle connaissance de l'autorité de l'Église comme
règle de la foi est requise pour qu'il y ait hérésie formelle?
— Entre la connaissance parfaite et l'ignorance invin-
cible, il y a place à une infinité de degrés. Il y a, en effet,
d'une part, plusieurs degrés possibles de connaissance,
et, d'autre part, plusieurs degrés d'ignorance invincible
ou coupable.
a. Sous son premier aspect, à savoir la possibilité de
plusieurs degrés de connaissance, le problème est ré-
solu, en substance, par Suarez, loc. cit., sect. m, n. 14,
de la manière suivante : il n'est pas nécessaire que
l'hérétique soit persuadé et croie que l'Église catho-
lique a une autorité doctrinale telle qu'il faille s'y sou-
mettre comme à une règle infaillible en matière de foi;
il suffît qu'il connaisse l'existence de l'Église catho-
lique, et qu'on lui ait proposé cette Église comme
étant la vraie Église du Christ. D'ailleurs, il possède sur
elle le témoignage des Écritures : ainsi, il sait que
l'Église catholique est une autorité doctrinale, qu'elle
entend obliger les hommes à croire ce qu'elle enseigne,
qu'elle prétend, par cet enseignement, proposer aux
hommes la vérité. Il est donc tenu, sous peine d'hérésie
formelle, ou de s'y soumettre ou tout au moins de ne
pas se refuser à chercher quel est son devoir vis-à-vis
• d'elle.
b. Pour empêcher l'hérétique d'adhérer à la véri-
table règle de la foi, il peut se rencontrer, en son esprit,
de graves préjugés, provenant d'une ignorance plus ou
moins vincible; c'est là le second aspect du problème.
Quelle ignorance excuse de l'hérésie formelle? Il ne
saurait être question d'ignorance invincible, car l'igno-
rance invincible, ôtant toute malice à l'acte qui en
procède, lui enlève a fortiori le caractère d'hérésie
formelle. Rappelons tout d'abord les principes :
l'ignorance vincible est celle qui peut être chassée de
notre intelligence, moyennant un certain effort. Elle
peut être affectée, si on la cherche pour elle-même, dans
la crainte d'être gêné par la connaissance de la vérité;
non affectée, si on reste dans l'erreur, par simple crainte
de l'effort nécessaire pour en sortir, par suite
d'autres occupations ou obligations, etc. L'ignorance non
affectée est crasse, si on ne fait absolument aucun
effort pour en sortir; elle est simplement vincible, si l'on
fait quelque effort, mais insuffisant. — a. Les théolo-
giens et canorristes sont généralement d'accord pour
dire que l'ignorance vincible non affectée, par consé-
quent même crasse, excuse de l'hérésie formelle. Voir
2221
HÉRÉSIE. HÉRÉTIQUE
2222
Salmanticenses, Cursus thcologiee moralis, tr. X, c. iv,
n. 50; Tolet, Summa, 1. IV, c. ni, n. 4; Sanchez, Opus
morale, 1. II, c. vu, n. 19-20 ;Bonacina, Opéra de morali
theologia, Venise, 1683, De censuris, disp. II, q. v, p. i,
n. 6; Azor, Instituliones morales, Lyon, 1625, part. I,
1. VIII, c. xix, q. vu; Sayrus, Clavis regia, Venise,
1605, 1. II, c. ix, n, 34, qui, dans sa Praxis de censuris
ecclesiasticis, Venise, 1627, 1. III, c. iv, n. 15, a émis
cependant, relativement à l'ignorance crasse, un senti-
ment opposé. Il faut noter toutefois, avec Suarez,
loc. cit., n. 3, que quelques théologiens n'admettent pas
l'excuse de l'ignorance, même simplement vincible.
Suarez cite Soto, In IV Sent, 1. IV, dist. XXII, q. n,
a. 3; L. Lopez, Instruciorium conscienliœ, part. II,
c. xx, tit. De excommunicationibus reservalis in bulla
Ccense, cas. 1. — p.- En ce qui concerne l'ignorance
affectée, plusieurs théologiens enseignent qu'elle
n'excuse pas de l'hérésie formelle, Cano, De locis,
1. XII, c. vin; Grégoire de Valencia, In II"'" 77œ Sum.
theol, q. xi, a. 1; Navarre, De ablatorum restitulione,
Brescia, 1606, 1. II, c. iv, n. 208, et, parmi les modernes,
l'auteur anonyme (M. Icard) des Prœlectiones juris
canonici de Saint-Sulpice, t. ni, n. 720, ad 2unl. Mais
la plupart des théologiens et canonistes enseignent que
même l'ignorance affectée excuse du péché d'hérésie
formelle (ce qui ne signifie pas qu'elle excuse de tout
péché : le péché reste proportionné à la culpabilité de
l'ignorance elle-même et c'est là ce qui différencie les
hérétiques matériels qui sont dans l'ignorance vincible
de ceux qui sont dans l'ignorance invincible et, partant,
n'ont aucune faute à se reprocher). Voir Castropalao,
Opus morale, Venise, 1721, tr. IV, disp. III, p. n, n. 3;
Azor, loc. cit., q. vm; Pierre d'Aragon, In IIam II&,
Sum. theol., Salamanque, 1584, q. xi, a. 1 ; Farinacci,
loc. cit., n. 52; Salmanticenses, loc. cit., n. 52; Coninck,
op. cit., disp. XVIII, sect. ni, n. 18; Suarez, loc. cit.,
n. 18; Banez, In 77am 77® Sum. theol, q. xi, a. 2.
Ces trois derniers auteurs apportent une restriction à
leur opinion : l'ignorance affectée excuse du péché
formel d'hérésie à condition que le sujet soit prêt à obéir
s'il venait à connaître la vérité. Comment concilier
psychologiquement l'ignorance affectée avec une telle
disposition, c'est ce qui semble à Banez à peine pos-
sible. Parmi les modernes, voir Scavini, Theologia
moralis universa, Paris, 1853, t. ni, p. 247; cf. p. 283;
Ballerini-Palmieri, loc. cit., n. 82; Mazzella, De virtuli-
bus injusis, n. 231. Suarez ajoute une remarque im-
portante pour l'interprétation exacte de saint Thomas,
■Quodl. III, a. 10. Cf. Tolet, Summa, 1. I, c. xix, n. 2.
Saint Thomas semble affirmer que l'ignorance n'excuse
pas en matière d'hérésie : rappelant la distinction for-
mulée par saint Thomas lui-même, Sum. theol., P II*,
q. vi, a. 8, entre l'ignorance antécédente qui est cause de
l'acte en soi répréhensible et l'ignorance concomitante
qui n'a pas d'influence sur les actions et les dispositions
du pécheur, lequel, même instruit de son devoir, accom-
plirait néanmoins l'acte répréhensible, Suarez, loc. cit.,
n. 16-18, explique que l'hérésie formelle est excusée,
même d'après saint Thomas, par l'ignorance antécé-
dente dont elle est l'effet, quelle que soit la nature de
cette ignorance, fût-elle l'ignorance affectée, mais
•qu'elle n'est pas excusée par l'ignorance concomitante.
L'esprit de révolte contre le magistère de l'Église,
élément formel de l'hérésie, existe, en effet, dans le cas
de l'ignorance concomitante de l'acte d'hérésie. Cf.
Dolhagaray, Commentaire de la bulle Apostolicee sedis,
dans la Revue des sciences ecclésiastiques, t. Lin, p. 511-
519.
Par tout ce qui précède, on peut conclure qu'en soi,
l'hérésie formelle et l'apostasie ne diffèrent pas spé-
cifiquement entre elles. Voir Apostasie, 1. 1, col. 1603.
On ne peut, en effet, concevoir l'hérésie formelle que
chez celui qui a reconnu ou tout au moins soupçonné
que la règle de la foi véritable se trouve dans le ma-
gistère de l'Église catholique et qui délibérément a
voulu s'en écarter. Toutefois, envisagées dans leurs
sujets, l'hérésie et l'apostasie diffèrent notablement:
on ne conçoit, comme capable d'apostasie, que le sujet
baptisé qui a publiquement fait profession d'obéissance
à l'Église catholique, voir Apostasie, t. I, col. 1603;
on peut concevoir comme capable d'hérésie formelle
un sujet baptisé dans une secte hérétique, lequel, ament
par la réflexion, l'étude, la prédication des autres, la
grâce de Dieu à une certaine connaissance de la véri-
table règle de la foi, refuse cependant de s'y soumettre
Le premier, renonçant à l'obéissance qu'il avait publi-
quement promise à l'Église, règle de la foi, apparaît
extérieurement comme coupable d'une défection totale,
S. Thomas, Sum. theol., IP n», q# Xn, a. 1; De Lugo,
De fide, disp. XVIII, n. 95; le second, n'ayant jamais
accepté le magistère de l'Église, semble ne commettre,
à l'égard de la règle de foi, qu'une révolte partielle
contre tel ou tel enseignement dogmatique. Au fond,
la malice de l'un et de l'autre péché est identique.
b) Quel acte de révolte requiert l'hérésie formelle? —
L'acte d'hérésie étant un jugement erroné de l'intel-
ligence, il suffit donc, pour commettre le péché d'hé-
résie, d'émettre sciemment et volontairement ce juge-
ment erroné, en opposition avec l'enseignement du
magistère de l'Église. Dès l'instant qu'on connaît
suffisamment l'existence de la règle de la foi dans
l'Église et que, sur un point quelconque, pour un motif
quelconque et sous n'importe quelle forme, on refuse
de s'y soumettre, l'hérésie formelle est consommée.
Cf. Thomas, Sum. theol., Ia,q.xxxn,a.4;IP II», q.xi,
a. 2, ad 3"™, et les commentateurs de ce dernier texte,
Cajetan, Banez, P. d'Aragon; Alexandre de Aies,
Summa, part. II, q. clxi, m. i; Gabriel Biel, In IV Sent.,
1. IV, dist. XIII, q. n, a. 1,3; Durand de Saint-Pour-
çain, ibid., q. v, a. 6; Pierre de la Palu, ibid., q. m,
a. 1, n. 3; A. de Castro, De justa hœreticorum punitione,
1. I, c. i, ix ; 1. II, c. cxvm; Corduba, op. cit., 1. I,
q. xvn, § 7; Vasquez, In 7am 77œ Sum. theol, disp.
CXXVI, c. m, n. 9; Driedo, De liberlale christiana,
Louvain, 1546, c. xiv; Sanchez, op. cit., 1. II, c. vu,
n. 2 sq.; Suarez, loc. cit., n. 8; Laymann, Theologia
moralis, Venise, 1630, 1. II, tr. I, c. xm, n. 1; Coninck,
op. cit., De fide, disp. XVIII, dub. vu, n. 79, etc. Cette
opposition voulue au magistère de l'Église constitue
la perlinacité, que les auteurs requièrent pour qu'il y
ait péché d'hérésie. S. Alphonse, op. cit., 1. II, tr. I,
c. iv, dub. iv, n. 19. Il faut observer avec Cajetan'
In 77am 77*, q. xi, a. 2, et Suarez, loc. cit., n. 8, que cette
pertinacité n'inclut pas nécessairement une longue
obstination de la part de l'hérétique et des monitions
de la part de l'Église. Autre est la condition du péché
d'hérésie, autre est celle du délit, punissable par les lois
canoniques, et il est très important d'en faire ici la
remarque, afin de conserver, nonobstant les exigences
d'une prudente procédure, la vraie notion théologique
du péché d'hérésie, notion acceptée par tous les théo-
logiens et inquisiteurs, à l'exception peut-être du seul
juriste Alciato, dans ses gloses sur la clémentine De
summa Trinitate. Citons le texte de Cajetan : Pertina-
cia quœ ponitur de ralione hœreseos non importai obdu-
rationem scu obslinationem, ut distinguitur contra
infirmitatem, passionem et transitorium consensum,
sicut dicimus aliquem fornicari ex passione vel ex choiera
consensisse in malum aliquod, et non pertinaciter. Sed
sumilur pertinaciter, ut .equi valet vero consensui.
prsesupposita nolitia quod sit error et quod sil in fide.
Sive enim a passione, sive ex quacumque alia causa per-
veniatur ad verum consensum inassensum propositionis
contrarias fidei, cum cognitione quod sit contraria fidei
vera hseresis incurritur a christiano. Nam lalis ver'e
pertinax pro tune est. Quand l'hérésie n'apparaît qu'in-
2223
HÉRÉSIE. HÉRÉTIQUE
2224
directement, voir col. 2212, il faut évidemment
montrer à l'hérétique la conséquence de ses affirma-
tions avant de pouvoir le taxer de pertinacité: cf.
S. Thomas, In Epist. S. Paulil ad Cor., c. xi, lect. iv;
mais la monition de l'évêque n'est pas suffisante dans
tous les cas pour provoquer, au for interne, la pertina-
cité, cf. Suarez, loc. cit., n. 20, quoiqu'au for externe
elle crée une présomption. Ibid., n. 21.
La pertinacité est indiquée comme une des condi-
tions de l'hérésie par les documents ecclésiastiques.
Voir cap. unie, § 1, De summa Trinitate, I, i, dans les
Clémentines; cap. unie, § 2, De usur., V, v, ibid.,
Denzinger-Bannwart, n. 481, 479, où le mot perlinacia
est accolé à la note d'hérésie; IVe concile de Latran,
n. 433, où l'abbé Joachim voit sa doctrine condamnée
comme hérétique, mais est absous du péché d'hérésie,
parce qu'il soumet ses écrits au jugement de l'Église:
Décret de Gratien, c. Dixit aposlolus, 29, caus. XXIV,
q. m, rapportant sur ce point la doctrine de saint
Augustin, De baptismo contra donatislas, I. V, c. xvi,
P. L., t. xliii, col. 186-187; De civitate Dei, 1. XVIII,
c. li, P. L., t. xli, col. 613. Cf. S. Augustin, Epist.,
xliii, c. i, n. 1; De gestis Pelagii, c. vi, n. 18; De
anima, 1. III, c. xv, n. 23; De baptismo contra
donalistas, 1. IV, c. xvi, n. 23, P. L., t. xxxiii,
col. 160; t. xliv, col. 351; ibid., col. 522; t. xliii,
col. 169; S. Thomas, Sum. theoL, II» II*, q. v, a. 3.
Parmi les théologiens, en plus des auteurs cités, on
pourra consulter, sur la pertinacité, De Lugo, op. cit.,
disp. XX, n 153 ; Ballerini-Palmieri, résumant, loc.
cit., n. 84 sq., la doctrine des anciens canonistes :
Covarruvias, Variarum rcsolutionum, Francfort, 1578,
1. III, c. i; Simanca, op. cit., tit. xxxi, n. 10; tit.
xlviii; Pegna, dans son commenaire du Directarium,
part. II, c. i, coin. 1. Cf. Ferraris, loc. cit., n. 3.
3. Gravité du péché d'hérésie. — a) Par rapport aux
autres espèces d' infidélité. — Voir Apostasie, t. i,
col. 1604-1605. Parmi tous les péchés d'infidélité,
l'hérésie est le plus grave, parce qu'il suppose une
connaissance plus complète de la règle de la foi et des
vérités à croire, et, partant, une opposition plus radi-
cale avec la révélation elle-même. Cf. S.Thomas, Sum.
theol., IP II*, q. x, a. 6; Suarez, op. cit., disp. XVI,
n. 14.
b) Par rapport aux autres péchés. — Dans l'ordre des
péchés, en raison de son opposition directe à la vertu
de foi, le péché d'hérésie est le plus grave qu'on puisse
commettre, après la haine de Dieu dont il procède,
S. Thomas, op. cit., q. xxxiv, a. 2, ad 2um : il comporte,
en effet, une souveraine injure directement adressée à
l'autorité de Dieu. Cf. Billot, De sacramenlis, t. i,
q. lxxx, § 2. Cette gravité de l'hérésie apparaît dans
les effets de ce péché, qui détruit dans l'âme la vertu
infuse de foi, voir col. 2226 : « La foi est le plus précieux
de tous les biens, puisqu'elle est le fondement, la racine
de toute justification; sans elle, il est impossible de
plaire à Dieu, de sauver son âme pour l'éternité. Aussi
l'hérésie est-elle un crime abominable et, en un sens,
le plus grand de tous. Jésus-Christ, envoyant ses
apôtres prêcher l'Évangile, imposait à leurs auditeurs
l'obligation de croire, sous peine d'être condamnés :
« Allez dans le monde entier, prêchez l'Évangile à toute
« créature. Celui qui croira et qui aura été baptisé, sera
« sauvé; celui qui ne croira pas sera condamné.» Marc,
xvi, 15. Obligation facile à comprendre pour quiconque
a une exacte notion de Dieu, de l'homme, de leurs mu-
tuelles relations et du prix de la vérité révélée. Les
apôtres ont eu pour l'hérésie la même répulsion que leur
Maître. Saint Jean y voit l'œuvre de l'Antéchrist,
I Joa., iv, 3, et défend de recevoir ou même de saluer
les hérétiques, II Joa., 10; saint Pierre et saint Jude
en parlent avec une extrême énergie, II Pet., n, 1-17;
Jud., 4 sq. ; saint Paul leur dit analhème, Gai, i, 9,
entend les réprimer, les dompter par sa puissance spiri-
tuelle, II Cor., x, 4-6. » L. Choupin, Hérésie, dans le
Dictionnaire apologétique de la foi catholique de M. d'Alès,
t. n, col. 443; cf. Foi, col. 512-513; C. Pesch, Prœ-
lectiones iheologiœ, Fribourg-en-Brisgau, 1910, t. vm,
n. 466; Noldin, Summa thcologiee moralis, De prœceplis,
n. 31.
c) En lui-même. — Que le péché d'hérésie soit, dans
les multiples matières qu'il peut affecter dans le do-
maine de la foi divine et catholique, toujours de même
espèce, la chose ne peut pas faire de doute. L'objet
formel de la foi divine et catholique, l'autorité de Dieu
révélateur, manifestée par le magistère de l'Église,
se trouve également blessé, que l'on rejette un seul
article ou qu'on les rejette tous; l'injure faite à Dieu
est égale. Cf. S. Thomas, Sum. theol., IP IP, q. v, a. 3.
S'appuyant sur ce principe incontestable, plusieurs
théologiens pensent qu'il suffirait de s'accuser en con-
fession d'avoir péché par hérésie, sans spécifier quels
articles de foi ont été la matière du péché. C'est là,
d'après saint Alphonse, op. cit., 1. V, c. i, dub. m, n. 50,
l'opinion spéculativement plus probable, dont les prin-
cipaux défenseurs sont Diana, Resolutiones morales,
Lyon, 1645-1662, part. I, tr. VII, resol. 30; Oviedo,
Tract, in I™ 72* Sum. theol., Lyon, 1646, De vitiis
et peccalis,tT.\l, contr. V, n. 116; Béginald, Praxis fori
pœnitenlialis, Cologne, 1622, 1. VI, n.114; Escobar, Uni-
versœ thcologiœ moralis disquisitiones, Lyon, 1652,
procem., exam. n, c. vi, n. 55. Mais, en pratique, on peut
toujours se demander si, l'espèce du péché demeurant la
même, le nombre des fautes ne varie pas selon le nombre
des articles niés ou révoqués en doute. Aussi de très
graves théologiens, Suarez, De fide, disp. XVI, sect.
iv, n. 14; De Lugo, De psenil.nlia, disp. XVI, n. 291;
Grégoire de Valencia, In II1"' 11* Sum. theol., q. x,
p. m, q. xi, p. i; Sanchez, Opus morale, 1. II, c. vu,
n. 17, obligent-ils à une confession détaillée.
3° Sujet. — 1. Le sujet de l'hérésie doit être chrétien,
c'est-à-dire baptisé. — S. Thomas, Sum. theol., IP IP,
q. x, a. 5. Cette condition, qui distingue l'hérétique de
l'infidèle, est pratiquement la seule exigée pour que,
dans le sujet qui la professe, l'infidélité devienne hé-
résie. Théoriquement toutefois, les théologiens, voir
Suarez, op. cit., disp. XIX, sect. v, n. 1, 3, 10, proposent
ou du moins discutent trois conditions : Faut-il que
l'hérétique ait eu la foi? Faut-il qu'il soit baptisé? Faut-
il qu'il ne rejette qu'une partie des vérités révélées et
non la totalité? Ces problèmes se posent pour certains
thomistes, parce que, suivant la définition de saint
Thomas, Sum. theol., IP IP, q. xi, a. 1, l'hérétique
intendit quidem Christo assentire, sed déficit in eligendo
ea quibus Christo assentiat. Il faut donc, semble-t-il,
non seulement que l'hérétique ait été baptisé et ait
ainsi possédé la vertu infuse de foi, mais encore qu'il
ait fait acte d'adhésion explicite à Jésus-Christ tout au
moins sur quelques-uns des points que l'Église catho-
lique propose. Toutes les discussions à ce sujet sont so-
lutionnées par une remarque de Cajetan, In Hjm II*,
q. xi, a. 1 : Contingit chrislianum recedere etiam a fide
ipsius Christi et nec ipsum nec Deum credere. Talis est
hserelicus et tamen non supponit Chrislum; ergo maie
in littera dicilur. Ad hoc dicitur quod assentire Christo
contingit dupliciler, scilicet m tu mentis vel PSOFES-
SiONE chabactebis cintisTi.INI. Ad hœrcsim licet sœpe
concurrere videatur primum, non tamen est de raiione
cjus, sed sufficit secundum, scilicet quod charactere fidei
in baptismo susceplo Christum profilealur. Par le fait de
son baptême, l'hérétique, tant qu'il n'a pas fait acte
d'hérésie notoire, appartient au corps de l'Église catho-
lique; après son apostasie consommée, il retient encore
une certaine adhésion au Christ par le caractère baptis-
mal qui persévère, même dans l'hypothèse du rejet
de tous les articles de la foi. Donc, en définitive, prati-
2225
HÉRÉSIE. HÉRÉTIQUE
2226
quement, le baptême reçu devient la seule condition
exigible dans le sujet, pour que le péché d'infidélité
devienne spécifiquement un péché d'hérésie.
2. Première conclusion relative aux catéchumènes. —
Les catéchumènes ne peuvent commettre le péché
d'hérésie. L'hérétique e>t b tplisé. Codex juris canonici,
can. 132"', §2. «Bien que le baptèmene soit pas requis
pour que quelqu'un se rende coupable devant Dieu
d'infidélité, s'il refuse d'adhérer à la vérité révélée
suffisamment proposée à son adhésion, cependant celui-
là seul peut être dit rebelle à l'Église, qui est le sujet de
l'Église, et l'Église ne peut juger et châtier un homme
qui ne lui est pas encore soumis par le baptême »
Wernz, Jus Decrclalium, Prato, 1913, t. vi, n. 284.
Ainsi le catéchumène qui, avant d'avoir reçu le bap-
tême, rejetterait la foi catholique, ne peut être dit
hérétique et considéré comme tel, quant aux peines
encourues. Cette doctrine repose sur le concile de
Trente, sess. XIV, c. n, affirmant que l'Église ne peut
exercer de jugement à l'égard de celui qui n'est pas
baptisé, Denzinger-Bannwart, n. 895; on la trouve
esquissée chez quelques Pères, cf. S. Augustin, De
civitate Dei, 1. XVIII, c. li, P. L., t. xli, col. 613;
S. Grégoire le Grand, Moral.,\ III, c. xix,xx;l. XXIII,
c. i, n. 3-4, P. L., t. lxxv, col. 617-618; t. lxxvi,
col. 251-254. Voir S. Thomas, Sum. theoi, IIa II*, q.xi,
a. 2, et, sur cet article,, les commentateurs Cajetan et
Pierre d'Aragon ; Ugolin, De censuris romano pontifici
reservatis, Venise, 1609, part. II, ci, § 1; Sayrus, op.
cit., 1. III, c. iv, n. 10, 11 ; Sanchez, op. cit., 1. II, c. vu,
n. 34; Tolet, Summa, 1. IV, c. in; De Lugo, De fide,
disp. XX, n. 138; Schmalzgruber, Jus ecclesiast., tit.
De hœresi, n. 9 Cf. Ballerini-Palmieri, loc. cit., n. 80;
Wernz, loc. cit. Quelques théologiens et canonistes
cependant, A. de Castro, De justa hœreticorum puni-
tione, 1. I, c. i; Del Bene, De ofjicio S. Inquisitionis
contra hœresim, Lyon, 1680, c. i,dub. n, petit, n, n. 1, 2;
Sanctarelli, Tractatus de hœresi, Rome, 1625, c. i,
dub. ii, considèrent le catéchumène comme étant déjà
sujet de l'Église et, par conséquent, comme capable
d'hérésie. Suarez, fidèle à sa conception de la foi. forme
essentielle de l'Église, voir Église, t. iv, col. 2161, ad-
met que les catéchumènes appartiennent déjà à l'Église
par la foi et peuvent être hérétiques au vrai sens du
mot; mais il apporte à sa thèse une restriction impor-
tante : leur hérésie n'existe qu'au for interne et n'est
pas punissable par l'Église. De fide, disp. IX, sect. i,
n. 18 sq. C'est par cette restriction que Suarez se sépare
d'A. de Castro et des autres : il cite en sa faveur Bafiez,
In IJan> 77*, q. x, a. 5, ad 3UI"; q. xi, a. 2; Azor, Institu-
tiones morales, 1. VIII, c. ix, q. m; Farinacci, De hœresi,
q. clxxviii, n. 131-135.
3. Deuxième conclusion relative à ceux qu'on croit,
mais à tort, baptisés. — Ceux qui n'ont pas reçu en réa-
lité le baptême, ou dont le baptême a été invalide,
théoriquement, ne peuvent devenir hérétiques s'ils
renient la foi catholique : ils deviennent infidèles. Cette
conclusion s'impose dans l'opinion de ceux qui leur
refusent la qualité de membres de l'Église. Bellarmin,
Controvcrsiœ, !. III, c. x; Wilmers, De Christi Ecclesia,
n. 393; Palmieri, De romano pontip.ee, Proleg., § 2,
n. 4; Billot, De Ecclesia Christi, q. vu, th. x, § 2; Van
Noort, De Ecclesia, n. 152. Pratiquement, il faut bien
les admettre dans l'Église, puisqu'on les croit baptisés.
Cf. Wilmers, loc. cit.; Billot, loc. cit. Suarez, loc. cit.,
n. 7, 8, en appelle derechef, pour ce cas embarrassant, à
la distinction du for interne et du for externe; au for
interne, ceux qu'on croit à tort baptisés peuvent être
coupables d'hérésie, mais, au for externe, ils ne peuvent
être poursuivis pour délit d'hérésie. Les inquisiteurs,
voir Simanca, op. cit., tit. xxxi, n. 5, professent qu'en
fait, dans le cas de doute, il y a présomption en faveur
de l'existence ou de la validité du baptême jusqu'à
preuve évidente du contraire, et que l'Église a le droit,
au for externe, de punir les « hérétiques » de cette
espèce. Cf. Caréna, Tractatus de ofjicio SS. Inquisitionis,
Lyon, 1669, n. 36-40; Dandini, De suspectis de hœresi,
Rome, 1703, prœlim. xvm, n. 10; Bordoni, Sacrum
tribunal judicum in causis sanctœ fidei contra hœreticos
et de hœresi suspectos, Rome, 1648, n. 17-19; Masini,
Sacra arsenale ovvero prallica dell' offtcio délia sanla
Inquisizione, Bologne, 1665, part. X, p. 372. M. Gar-
zend, op. cit., p. 120, a vu dans cette attitude pratique
des inquisiteurs une nouvelle preuve en faveur de sa
thèse. Il faut cependant se rappeler qu'il s'agit, dans
le point de vue des inquisiteurs, non de doctrines à
condamner, mais de personnes à poursuivre et à juger
et que, dans chaque cas individuel où le doute peut
exister, on doit faire appel à la présomption du fait
pour appliquer le droit. L'Église agit encore ainsi de
nos jours dans ses dispositions canoniques relatives au
mariage des hérétiques. Voir Wernz, Jus Decrelalium,
t. iv, n. 507, 508, notes 28-32. Quant à Suarez qui pré-
tend établir la vérité spéculative de son opinion sur le
fait que certains canons des anciens conciles et plusieurs
Pères de l'Église donnent le qualificatif d'hérétiques à
toute une catégorie de personnes qu'on était obligé de
rebaptiser, leur premier baptême étant invalide, voir
les textes à l'art. Baptême des hérétiques, t. H,
col. 352, nous pensons qu'il tombe dans la même confu-
sion que M. Garzend. Le simple fait d'un baptême que
ces sectes religieuses tenaient, à tort évidemment, pour
valable et considéraient comme une véritable profession
de foi au Christ, suffisait pour que pratiquement l'Église
pût leur appliquer la dénomination d'hérétiques. Les
Pères et les conciles, par cette appellation de fait, n'ont
certes pas entendu trancher la question spéculative de
la notion d'hérésie.
4° Effets. — ■ 1. Par rapport à l'âme de l'Église. —
a) Effet commun à tous les péchés mortels — C'est la
perte de la vie de la grâce. Voir Péché. — b) Effet
propre de l'hérésie par rapport à la vertu infuse de
foi. ■ — • a. Destruction de la vertu infuse de foi par l'héré-
sie formelle. — Cet effet sera étudié à l'art. Infidélité,
parce que toute infidélité, dont l'hérésie n'est qu'une
espèce, détruit la vertu de foi. On y exposera que c'est
là une vérité théologiquement certaine, reposant sur
l'autorité de l'Écriture, I Joa., n,19 ; I Tim., i, 18-20;
vi, 3-4; Tit., m, 11, 12, du concile de Trente, sess. VI,
c. xv, des Pères et des théologiens. Pour s'en tenir ici
strictement à ce qui concerne l'hérésie, notons l'opinion
singulière de Durand de Saint-Pourçain, In IV Sent.,
1. III, dist. XXIII, q. ix. D'après cet auteur, l'héré-
tique conserverait en partie Yhabitus de la foi, s'il
retient comme objet de foi au moins quelques articles.
Les théologiens enseignent, au contraire, unanime-
ment, que, là où l'objet formel de la vertu est détruit,
la vertu ne peut subsister; or, en repoussant le ma-
gistère de l'Église, c'est en réalité l'objet formel de la
foi, l'autorité de Dieu révélateur manifestée par ce
magistère, que rejette le chrétien baptisé : Objeclum
formate fidei sive habitualis sive actualis, dit Billuart,
est prima veritas in dicendo ulmanifesiata per Ecclesiam;
atqui qui negat perlinaciter unum arliculum fidei, non
crédit alios quos tenel, propler primam veritalem ut
manifeslaiam per Ecclesiam; alioquin et hune quem negat
crederel, cum sit etiam sicut alii revelalus a prima
veritate et propositus ut talis ab Ecclesia, sed hune rejicit
et illos tenet ex proprio judicio et propria electione.
Cursus theologiœ, tr. De fide, diss. IV, a. 2. C'est la
doctrine de saint Thomas, Sum. theoi, II:> IIœ, q. v, a. 3.
Cf. Suarez, De fide, disp. VII, sect. iv, n. 1-3; Gonet,
Clypeus theologiœ thomislicœ, tr. X, De virlutibus theo-
logicis, disp. VIII, a. 2, § 1, n. 30; Billot, De virlutibus
infusis, th. xxi et Prolegomcnon, n, § 2, n. 5; iv. A
l'objection que l'hérétique peut encore faire des actes
2227
HÉRÉSIE. HÉRÉTIQUE
2228
de foi et que, par conséquent, la vertu de foi n'est pas
nécessairement détruite en lui, on répond que ces actes
de foi, sur certaines vérités, peuvent se produire en
vertu d'habitudes acquises et d'une façon purement
naturelle. Dieu peut aussi les surnaturaliser par la
grâce actuelle. Voir Foi, t. vi, col. 165; Gonet, loc. cit.,
n. 49; Billot, op. cit., Prolegomenon, n, § 3. — b. Mode
de destruction. — Est-ce moralement, comme cause dé-
méritoire et dispositive, ou physiquement, comme cause
• efficiente, et encore, dans cette dernière hypothèse,
est-ce médiatement ou immédiatement, qu'agit l'hérésie
dans la destruction de la vertu infuse de foi? Ce pro-
blème, qui se rattache à la question plus générale de la
disparition des vertus, sera étudié ailleurs. L'opinion
des thomistes, destruction physique médiate, est expo-
sée par Gonet, loc. cit., § 3, n. 51-55; l'autre opinion,
par Suarez, loc. cit., n. 4-10. — c. La vertu de foi et
l'hérésie matérielle. — L'hérésie matérielle provenant
de l'ignorance vincible peut être coupable dans
la mesure même où l'ignorance qui la cause est cou-
pable elle-même; mais elle n'entraîne pas la destruc-
tion de la vertu de foi : elle ne s'oppose pas directement
à cette vertu. C'est l'application logique des principes
exposés plus haut. Voir col. 2220. Il est toutefois ma-
laisé, pratiquement, de déterminer où finit l'hérésie
matérielle, où commence l'hérésie formelle. Chez ceux
qui ont été élevés dans l'Église catholique, il semble
bien difficile d'admettre qu'ils puissent, avec une cer-
taine bonne foi, en arriver à croire qu'ils doivent, en
;matière de foi, résister au magistère de l'Église. Objec-
tivement, ils ne peuvent jamais avoir une juste cause
de changer cette foi ou de la révoquer en doute. Cf.
concile du Vatican, sess. III, c. m, Denzinger-Bann-
wart, n. 1794. Subjectivement, peut-on admettre,
en certains cas particuliers, la possibilité de la bonne
foi? Voir Foi, col. 290-305, 309-316. Quant aux baptisés,
mais élevés dans l'hérésie, on peut faire plusieurs hypo-
thèses : ou bien ils reçoivent avec une crédibilité pure-
ment relative, mais de pleine bonne foi, les dogmes
qu'on leur enseigne, mélange de vérités et d'erreurs,
et alors ils peuvent conserver, même dans l'hérésie
matérielle, la vertu de foi infuse et faire des actes de
foi salutaires; ou bien ils ont entrevu la vérité, mais
librement et délibérément s'en sont détournés, et alors
l'hérésie formelle a été consommée en eux, détruisant
dans leur âme la vertu de foi infuse; ou bien ils se sont
maintenus dans l'ignorance de la vérité, ignorance
qu'ils auraient pu d'ailleurs vaincre facilement, et
alors, sans perdre la vertu de foi, ils ont péché plus ou
moins gravement, selon les circonstances; il leur est
encore possible, absolument parlant, de faire des actes
de foi salutaires; ils se sauveront donc plus facilement
que les précédents si, par ailleurs, ils savent réparer
leurs fautes.
2. Par rapport au corps de. l'Église. — Il ne s'agit pas
ici de l'excommunication, qui n'est que la privation de
la communion de l'Église, mais de la réelle séparation
d'avec le corps de l'Église, lequel est constitué par tous
ceux qui, étant baptisés, gardent extérieurement du
moins le lien social de l'unité de foi et de communion.
A ce point de vue, il faut distinguer les hérétiques
occultes et les hérétiques notoires ou publics. L'hérétique
occulte est celui qui n'a pas publiquement, officielle-
ment, déclaré sa rébellion; il doute des vérités propo-
sées par l'Église ou même il les rejette, non seulement
dans son for intérieur, mais même extérieurement,
dans ses conversations avec ses amis, mais enfin il n'a
pas fait ostensiblement acte de rébellion et, si on
l'interrogeait sur sa religion, il répondrait encore sans
nul doute qu'il est catholique. L'hérétique notoire se
retire publiquement de la confession catholique et fait
ostensiblement acte d'adhésion à une secte hérétique
ou à la libre-pensée. Hérésie notoire et hérésie occulte
peuvent être matérielles ou formelles selon que ceux
qui en font profession sont de bonne foi ou non.
a) Hérésie notoire. — La plupart des théologiens sont
d'accord pour enseigner que l'hérésie notoire, même
matérielle, suffit à exclure du corps de l'Église celui
qui en fait profession. S. Thomas, Sum. theol., HP,
q. vin, a. 3; Bellarmin, Conlrovcrsiœ, 1. III, De Ecclesia,
c iv; cf.'Suarez, De flde, disp. IX, sect. i, n. 20, 21, où
l'on trouvera, en grand nombre, d'autres références
qu'il est inutile de rapporter en une matière où le senti-
ment commun des théologiens depuis longtemps a
fait loi. L'opinion adverse, aujourd'hui abandonnée,
a été soutenue par A. de Castro, op. cit., 1. II, c. xxiv,
et par Cajetan, Opusc. I, De auctoritale papœ, c. xn-
xxvn. La thèse communément reçue s'appuie : a. sur
la sainte Écriture; ce sont les mêmes textes que
pour prouver la destruction de la vertu infuse de foi par
l'infidélité; b. sur l'autorité des anciens conciles; en
décrétant que les hérétiques peuvent être, sous cer-
taines conditions, reçus dans l'Église, ces conciles dé-
clarent implicitement qu'ils ne sont pas dans l'Église;
cf. Ier concile de Nicée, can. 8, 11, 19; concile d'Elvire,
can. 46; concile d'Ancyre, can. 9; Hefele, Histoire des
conciles, trad. Leclercq, t. i, p. 576, 591, 615, 248, 311;
c. sur l'autorité des Pères et des pontifes romains,
lesquels excluent positivement de l'Église les héré-
tiques ou déclarent au sujet des hérétiques convertis
qu'ils ont été ramenés t convertis à l'Église. Cf. S. Irénée,
Cont. hœr , 1. III, c. m, n. 4, P. G., t. vu, col. 852; Ter-
tullien, De prœscriplionibus, c. xxxvn; Adv. Marcio-
nem, 1. IV, c. v, P. L., t. n, col. 50-51, 367-368; S. Cy-
prien, Epist. synod.7P. L.,t. m, col. 853 sq. ; cf. concile
de Carthage, ibid., col. 1013-1078, où saint Cyprien
insiste sur cette doctrine qu'il exagère même; Epist.,
xxxvm, n. 3; lxxi, n. 1; lxix, n. 3, P. L., t. rv, col.
331, 409, 402; S. Jérôme, In Epist. ad Titum, c. m,
v. 10 ; Dial. adv. luciferianos, n. 28, P. L., t. xxvi,
col. 597; t. xxiii, col. 181-182; S. Augustin, Debaptismo
contra donatistas, 1. IV, c x; De unilaie Ecclesiœ, c. iv,
P. L., t. xliii, col. 163 sq., 395-396; S. Grégoire le
Grand, Moral., 1. XII, c. xxm; 1. XVI, c. xliv, P. L.,
t. lxxv, col. 1000, 1148; les papes Sixte II, Epist.,
i; S. Félix I", Epist, i, P. L., t. v, col. 83, 145; Jafîé,
Rcgesta pontificum romanorum, n. 133-142, etc. Ces
autorités se rapportent surtout aux hérétiques formels,
mais il faut les étendre aux hérétiques matériels, en
raison de l'analogie des situations Cf. Billot, De
Ecclesia, p. n, De Eccl. membris, q. vu, th. xi.
b) Hérésie occulte. ■ — La question des hérétiques
occultes a été traitée ailleurs. Voir Église, t. iv,
col. 2162-2163.
5° Péchés connexes. — 1. Péchés qu'implique la faute
d'hérésie. — a) Apostasie. — L'hérésie formelle équi-
vaut à une apostasie. Voir Apostasie, t. i, col. 1604.
Aussi l'Église applique-t-elle les mêmes peines aux
apostats et aux hérétiques. — b) Schisme. — En soi,
le schisme, ay i<j|Aa, déchirure, est une défection volon-
taire de l'unité de l'Église, en tant que cette unité est
constituée par la soumission au pontife romain et par
la communion des fidèles entre eux. Cf. Wernz, op. cit.,
n. 354. Voir Schisme. Le schisme ne comporte donc pas
nécessairement une erreur dans la foi, quoique cepen-
dant, en pratique, il soit bien difficile de rencontrer un
schisme non compliqué d'hérésie. Mais, à l'inverse,
l'hérésie comporte toujours le schisme : par le fait
qu'on refuse de se soumettre à la règle de la foi, on
rompt l'unité de l'Église, qui suppose l'obéissance à
cette règle, concrétisée dans l'enseignement du souve-
rain pontife. Cf. Ferraris, loc. cit., n. 14-16.
2. Péchés à proprement parler connexes. — Ce sont les
péchés qui, sans être la négation directe d'une vérité
de foi authentiquement proposée par l'Église comme
révélée par Dieu, préparent néanmoins de près ou de
2229
HÉRÉSIE. HÉRÉTIQUE
2230
iljin, cette négation. — a) En premier lieu, c'est toute
adhésion à des doctrines qui ont un lien logique avec la
négation d'un article de foi, doctrines reconnues et
condamnées pour ce motif comme proches de l'héré-
sie, erronées ou téméraires, ou inversement c'est le
rejet volontaire de doctrines proposées par l'Église
comme proches de la foi, théologiquement certaines
ou communément admises. Pour l'explication de ces
termes, voir Censures doctrinales, t. n, col. 2106.
C'est encore le refus d'acquiescer aux décisions non
infaillibles des Congrégations romaines, voir ce mot,
t. ii, col. 1110, décisions qui nous indiquent ce qui
pratiquement doit être retenu ou rejeté pour que l'on
soit, au regard de la règle de la foi catholique, en sécu-
rité actuelle de conscience. Or, c'a été une grave erreur
chez plusieurs contemporains de croire qu'une fois
l'adhésion donnée aux vérités proposées comme étant
de foi divine et catholique, le chrétien reste libre de
discuter et d'adopter n'importe quelles opinions sur
les autres points de doctrine religieuse. Sans doute, si
on ne nie pas directement une vérité de foi divine et
catholique, on ne perd pas la vertu infuse de foi, voir
Foi, col. 314, mais on pèche gravement contre la foi.
Voir Magistère. Les principaux documents en la ma-
tière sont les deux suivants :
a. DÉCLARATION DE PIE IX A U ARCHEVÊQUE DE MUNICH
Cum agatur de illa subjec-
tione qua ex conscientia ii
omnes catholici obstringun-
tur ... sapientibus catholicis
haud satis esse, ut prsefata
Ecclesiae dogmata recipiant
ac venerentur, verum etiam
opus esse, ut se subjieiant
tum decisionibus, quae ad
doctrinam pertinentes a pon-
tificiis Congregationibus pro-
feruntur, tum iis doctrinac
capitibus quae communi et
constanti catholicorum con-
sensu retinentur ut theolo-
gicse veritates et conclu-
siones ita certae ut opiniones
doctrinae capitibus adversae
quanquam hereticae dici ne-
queant, tamen aliam theolo-
gicam mereantur censuram.
Denzinger-Bannwart, n.1684.
Au sujet de la soumission
à laquelle sont tenus en
conscience tous ces catho-
liques... (qu'ils se rappellent)
que ce n'est point assez pour
les savants catholiques d'ac-
quiescer avec respect aux
susdits dogmes de l'Église; il
est en outre nécessaire qu'ils
se soumettent à toutes les
décisions doctrinales éma-
nant des Congrégations pon-
tificales et qu'ils acceptent
les points de doctrine consi-
dérés communément et con-
stamment par les catho-
liques comme des vérités et
des conclusions théologiques
tellement certaines que les
opinions contraires, quoique
ne pouvant être qualifiées
d'hérétiques, méritent cepen-
dant une autre censure théo-
logique.
b. DÉCLARATION DU CONCILE DU VATICAN.
Quoniam vero satis non
«st haereticam pravitatem
devitare, nisi ii quoque
errores diligenter îugiantur,
qui ad illam plus minusve
accedunt, omnes ofïicii mo-
nemus servandi etiam consti-
tutiones et décréta, quibus
pravae ejusmodi opiniones,
quae isthic diserte non enu-
merantur ab hac sancta sede
proscriptse et prohibitœ sunt.
Denzinger-Bannwart,n. 1820.
Ce n'est point assez d'évi-
ter le crime de l'hérésie; il
faut encore fuir avec soin les
erreurs qui s'en approchent
plus ou moins : aussi rappe-
lons-nous à tous l'obligation
d'obéir encore aux constitu-
tions et aux décrets pro-
scrivant et prohibant, au nom
du saint-siège, ces sortes de
doctrines pernicieuses, les-
quelles ne sont pas énumé-
rées ici explicitement.
La raison intrinsèque de la malice de ces péchés, c'est
qu'ils comportent, dans la mesure où ils mettent la foi
en péril, un véritable mépris du magistère catholique;
de plus, considérés dans leur élément doctrinal, quel-
ques-uns d'entre eux comportent une relation logique
avec l'hérésie-doctrine, par exemple, dans le cas de
négation d'une doctrine théologiquement certaine ou
dans le cas d'adhésion à une erreur théologique. C'est
pourquoi ceux qui s'en rendent coupables sont légi-
timement soupçonnés d'hérésie. Cf. Censures doctri-
nales, t. u, col. 2101; Église, t. iv, col. 2196 sq. ;
Magistère.
b) En second lieu, ce sont les péchés résultant de la
négligence apportée dans l'accomplissement des devoirs
auxiliaires de la foi : études nécessaires et fuite des oc-
casions de perversion, de la recherche des nouveautés
scandaleuses, de la fréquentation des hérétiques, de la
protection ou du concours qu'on leur accorde, de la
lecture des livres dangereux en matière de foi, etc.
Voir Foi, col. 313-314. Il n'entre point dans le plan de
cet artick d'étudier ces sortes de péchés dont les moda-
lités varient à l'infini. Pour les livres hérétiques, H
faut dis'inguer les livres simplement écrits par les
hérétique; des livre; propageant l'hérésie ou le
schisme, quels qu'en soient d'ailleurs les auteurs.
Au point de vue moral, est prohibée, de plein droit, la
lecture des livre? composés par des acatholiques, trai-
tant ex profzsso de matières religieuses, à moins qu'il
ne soit démontré que ces livre; ne contiennent rien
contre la foi catholique. Codex juris canonici, can.
1399, 4°. Quant aux livres qui, quels qu'en soient
les auteurs, propagent l'hérésie ou le schisme, la
lecture en est rigoureusement interdite aux fidèles,
can. 1399, 2°. En ce qui concerne les peines prévue; par
la nouvelle législation, voir col. 2245, il est nécessaire
de rappeler les règles tracées par l'Église catholique en
vue de réprimer la négligence des catholiques et de
leur éviter les occasions de perversion, dans leurs rela-
tions avec les hérétiques.
6° Règles de morale concernant les relations des
catholiques avec les hérétiques. — 1. Communication
in divinis. — • Nous n'avons pas à envisager la commu-
nication interdite aux catholiques m5me dans les rela-
tions purement humaines avec ceux qui sont excom-
muniés vitandi. Voir Excommunication, t. v, col. 1737,
et Codex juris canonici, canon 2258, § 2. Il ne
s'agit que de la communication avec les héré-
tiques dans les choses sacrées, in divinis ou in sacris.
Quelques notions préalables sont nécessaires. On entend
par communication avec les hérétiques dans les choses
sacrées une participation avec eux dans la prière ou les
rites cultuels : cette communication est interdite et
l'interdiction résulte directement de l'excommunica-
tion dont sont frappés les hérétiques. Voir coi. 2245.
La communication in divinis est active quand les
catholiques participent aux fonctions religieuses des
hérétiques; passive, quand les hérétiques sont admis à
participer aux rites catholiques; privée, quand l'acte
religieux auquel on participe est un acte de dévotion
personnelle, par exemple, la récitation d'un Pater
avec un hérétique; publique, quand il s'agit d'une céré-
monie du culte. La communication active est formelle,
quand il y a adhésion intérieure et volontaire aux céré-
monies religieuses hérétiques; matérielle, quand il ne
s'agit que d'une assistance purement extérieure, corpo-
relle et passive. Les règles que nous rappelons valent
pour les schismatiques et a fortiori pour les infidèles.
Ces règles ont été formulées par le nouveau
code du droit canonique, canon 1258, § 1 et 2.
Can. 1258, § 1 : Haud
licitum est fidelibus quovis
modo active assistere seu
partent habere in sacris aca-
tholicorum.
§ 2, Tolerari potest prae-
sentia passiva seu mère
materialis, civilis officii vel
honoris causa, ob gravem
rationem ab episcopo in casu
dubii probandam, in aca-
tholicoruni funeribus, nup-
tiis similibusque sollemniis,
Il n'est pas permis aux
fidèles de quelque manière
que ce soit d'assister d'une
façon active, c'est-à-dire de
prendre part, aux cérémonies
religieuses des acatholiques.
On peut tolérer leur pré-
sence passive, c'est-à-dire
toute matérielle, aux tuné-
railles, aux noces et solen-
nités semblables des aca-
tholiques, en raison d'un
devoir ou d'un honneur de
la vie civile, pour un motif
•2ïM
HÉRÉSIE. HÉRÉTIQUE
2232
dummodo perversionis et grave, laissé, en cas de doute,
scandali periculum absit. a l'appréciation de l'évêque,
et à condition que soit écarté
tout danger de perversion
et de scandale.
a) Communication passive. — Le principe général
est celui-ci : la communication passive est interdite
en principe, parce que faire participer les hérétiques à
nos cérémonies sacrées, c'est leur laisser croire qu'il y
a unité de enfances religieuses entre eux et nous;
c'est donc chose intrinsèquement mauvaise, qui revient
à supprimer toute différence entre le culte catholique
et les cultes hérétiques. Mais dès que les circonstances
extérieures suffisent à exclure cette signification con-
damnable, le mal intrinsèque disparaît et l'on peut, en
raison de sérieuses difficultés à agir autrement et en
l'absence de scandale, tolérer la présence des héré-
tiques à nos cérémonies.
Passons aux applications. — a. Défense d'accorder
aux hérétiques, même s'ils sont dans la bonne foi et
s'ils les demandent, les sacrements, à moins qu'au
préalable ils n'aient été réconciliés avec l'Église
après rejet de leurs erreurs. Codex juris canonici,
can. 731, § 2. Les théologiens exceptent cependant,
en cas de danger de mort, l'absolution secrète et
même, si l'on doute de la validité de leur bapême,
le baptême sous condition. Noldin, De sacramenlis,
n. 295. A part ce cas exceptionnel, il n'est pas permis
de leur donner l'absolution, même, s'ils sont de bonne
foi. Saint-Office, 20 juillet 1898, Colleclanea S. C. de
Propaganda fide, 2 in-4°, Rome, 1907, n. 2012. En ce
qui concerne le mariage, une fois la dispense accordée
par l'Église à la partie catholique, il y a obligation pour
les contractants de se présenter devant le ministre
catholique; le scandale et le danger de confusion de foi
religieuse sont écartés par le fait de la dispense de-
mandée et des promesses faites par la partie non catho-
lique. Codex juris canonici, can. 1099, § 1, -° — b.
Défense d'admettre les hérétiques comme parrains
et marraines dans les baptêmes catholiques, ni à la
confirmation. S. C. de la Propagande, septembre 1869,
n. 47; Saint-Office, 3 mai 1893, Colleclanea, n. 1346,
1831; Cordex juris canonici, can. 760, 8°, 795, 2°.
En cas de difficulté grave, on peut les admettre comme
simples témoins, sans leur permettre le contact physique
avec l'enfant baptisé. Noldin, op. cil.,n. 79. Lehmkuhl,
Casus conscienliœ, t. n, n. 84 sq., accepte que, pour
éviter un mal grave, on puisse admettre l'hérétique,
simple témoin du baptême, au contact réservé au par-
rain. — c. « Il n'est pas licite d'admettre les hérétiques
à prendre place au chœur, pendant les fonctions saintes,
de psalmodier avec eux, de leur donner la paix, les
cendres, les palmes et les cierges bénits, en un mot de
leur accorder, dans les rites cultuels, une participation
qui paraîtrait à bon droit le signe d'un lien intérieur
et de l'unité religieuse. » Instruction du Saint-Office,
2 juin 1859, Colleclanea, n. 1176. — d. Défense d'accueillir
dans les chœurs de musiciens les hérétiques, mime les
très jeunes garçons et filles, pour chanter pendant les
fonctions liturgiques, Saint-Office, 1er mai 1889,
Collect., n. 1705; cependant, en l'absence de scandale et
en raison de difficultés graves, l'Église a toléré dans
ces chœurs la présence de schismatiques, Saint-Office,
24 janvier 1906, Colleclanea, n. 2227; le simple fait
de jouer de l'orgue pendant les cérémonies sacrées n'est
pas assez significatif par lui-même pour être absolu-
ment interdit aux hérétiques, s'il n'y a pas scandale.
Saint-Office, 23 février 1820, ad 3UI", Collect, n. 739. —
e. Défense d'admettre les hérétiques à porter des cierges
ou des lumières pour accompagner les fonctions saintes.
Saint-Office, 20 novembre 1850, Collect., n. 1043,
ad 1UI". Dans tous ces actes, en effet, il y aurait une
part trop personnelle prise par les hérétiques aux
offices, laquelle pourrait engendrer la confusion regret-
table que veut éviter l'Église. Mais dès qu'il ne s'agit
plus que de permettre aux hérétiques d'entendre les
sermons, d'assister aux offices, d'être présents d'une
présence matérielle aux fonctions liturgiques, la même
crainte ne peut exister et aucune prohibition n'est
portée. — /. On peut dire la messe pour la conversion
des hérétiques vivants et même à une intention rétri-
buée par eux, s'il est certain que cette intention est de
demander la lumière de la foi. Saint-Office, 19 avril 1837,
Collect., n. 854. Cette règle ne souffre qu'une exception,
c'est le cas où l'hérétique serait vitandus. On peut tou-
jours offrir le saint sacrifice pour des princes régnants
hérétiques; c'est, en réalité, pour la prospérité de leur
royaume qu'on l'offre. — g. En ce qui concerne l'ap-
plication de la messe aux hérétiques défunts, le droit
ecclésiastique s'oppose à ce que cette application soit
faite publiquement. En principe, l'application secrète,
connue du prêtre seul et de celui qui demande la messe,
est également interdite. Saint-Office, 7 avril 1875,
Collect., n. 1440; cf. brefs de Grégoire XVI à l'évêque
d'Augsbourg, 16 février, et à l'abbé de Scheyer, 9 juil-
let 1842. Nombre d'auteurs cependant, cf. Aichner,
Compendium juris ecclesiastici, Brixen, 1900, § 51 ;
Lehmkuhl, Thcologia moralis, t. il, n. 176; Casus
conscienliœ, t. n, n. 196; Génicot, Theologiœ moralis
iiislitutiones, t. n, n. 221, regardent comme probable
l'opinion permettant de célébrer en secret la messe poul-
ies défunts non catholiques, morts avec les signes vrai-
ment probables de la bonne foi et de l'état de grâce.
Marc, Inslilutiones morales alphonsianœ, t. il, n. 1601,
q. ii, conseille, en ce cas, au prêtre de déclarer qu'il
célèbre la messe pour les défunts, en général, avec l'in-
tention de soulager tel défunt, si cela plaît à Dieu. Cf.
Noldin, De sacramenlis, n. 176. — h. Il n'est pas
permis d'admettre un enfant né de parents schisma-
tiques à servir la messe. Saint-Office, 20 novembre
1850, ad 2»"1, Collect., n. 1053.
Cependant, à moins d'interdiction spéciale, il est
permis de donner aux non-catholiques les béné-
dictions de l'Église pour les amener au seuil de la
foi et aussi en même temps pour leur procurer la
santé du corps. Il est permis encore de faire sur
eux des exorcismes. Codix juris canonici, can.
1149, 1152.
b) Communication active. — Rappelons les principes :
la communication active formelle est toujours interdite,
puisqu'elle équivaut à une négation de la foi catho-
lique; elle peut être explicite, si elle comporte l'intention
arrêtée de participer réellement aux rites hérétiques;
elle est simplement implicite, si elle est constituée sim-
plement par l'acccmplissement du rite extérieur em-
prunté aux hérétiques. Explicite ou implicite, elle ne
peut être tolérée et, s'il s'y ajoute un assentiment inté-
rieur à l'hérésie elle même, le coupable encourt l'excom-
munication portée contre les credentes. Voir plus loin.
col. 2245. La communication active matérielle et privée
n'est pas illicite, pourvu qu'elle ne porte pas sur une
chose intrinsèquement mauvaise. La communication
active matérielle et publique est, en soi, prohibée par la
loi ecclésiastique, cf. c- Quicumque, 2, De hsereticis,
1. V, tit. ii, dans le Sexte, et par la loi naturelle, sous
peine de péché grave, et cela pour plusieurs motifs :
péril de perversion dans la foi, scandale des fidèle .
apparence d'approbation d'une religion fausse ou de
négation de la vraie religion. Cependant, quand la com-
munication avec les hérétiques n'a plus cette signifi-
cation et ne présente plus ces dangers, elle peut être
tolérée pour des motifs proportionnés à son importance.
Voir l'instruction de la Propagande de 1729, Collect .
n. 311, et celle du 6 août 1764, n. 455. — Applications.
— a. Réception des sacrements. — On ne doit jamais
demander, hors le cas de nécessité, un sacrement à un
2233
HÉRÉSIE. HÉRÉTIQUE
2234
ministre hérétique ou séhismatique; ceux qui contre-
viendraient à cette défense tomberaient sous le coup de
l'excommunication portée contre les credentes. En cas
d extrême nécessité, danger prochain de mort, il n'est
permis de demander que les sacrements nécessaires,
Saint-Office, 10 mai 1753, ad 3""'; 7 juillet 18&4, ad
<5"m, Collect., n. 389, 1257, baptême ou absolution ou,
à défaut d'absolution, extrême-onction. Cf. Benoît XIV,
De sijnodo diœcesana, 1. VI, c. v, n. 2, Venise, 1792,
t. i. p. 134; S.Alphonse, op. cit., 1. VI, n. 89. S'il y a
péril de perversion, il faut se contenter d'un acte de
contrition parfaite. Noldin, op. cit., n. 43. Une législa-
tion particulière règle le cas des mariages entre catho-
liques et hérétiques. Voir Mariage. — ■ b. La partici-
pation à l'administration des sacrements est un acte de
communication active formelle; elle est donc stricte-
ment prohibée. Défense à un catholique d'assister
aux sermons et à l'administration des sacrements des
hérétiques et particulièrement d'être parrain ou de
se faire représenter comme tel au baptême conféré
par un ministre hérétique, Saint-Office, 10 mai 1770,
C.nllcct., n. 478; 30 juin et 7 juillet 1864, n. 1257,
ad 4um; est tolérée cependant, à titre de démarche de
convenance, la simple assistance matérielle au baptême
des hérétiques. Noldin. De prœccptis, n. 39, admet
de plus qu'un catholique puisse, en certaines circon-
stances, être présent comme parrain honoraire. Défense
aux parents catholiques de faire baptiser leurs enfants
par le ministre hérétique, hors le cas d'extrême néces-
sité; par crainte d'un mal grave, ils peuvent permettre
un tel baptême, avec la résolution d'élever l'enfant
dans la religion catholique. Par assimilation, certains
auteurs interdisent aux sages-femmes de porter les
enfants au baptême du ministre hérétique. Voir Ami
au clergé, t. xn, p. 544. Défense aux catholiques d'as-
sister, en qualité de témoins aux mariages des héré-
tiques, contractés devant le ministre de la secte, ou
d'y remplir n'importe quelle fonction qui serait une
participation effective à la cérémonie. Défense aux
catholiques d'appeler au chevet d'un moribond le
ministre hérétique, en vue d'administrer un rite héré-
tique. Voir plus loin, col. 2239. — c. L'assistance aux
offices religieux des hérétiques est interdite en principe
et ne peut être tolérée que pour une cause grave pro-
portionnée au danger de perversion et au scandale
possible. Pour légitimer l'assistance purement passive
des catholiques aux mariages et aux funérailles des
hérétiques, même si ces offices sont accompagnés de
sermons, les raisons de convenances familiales et de
politesse suffisent, mais non celles de simple curiosité.
Saint-Office, 13 janvier 1818, Collect., n. 727. Bien plus,
le Saint-Office, f4 janvier 1874, Collectanea, n. 1410,
déclare qu'on peut tolérer, par raison de convenances,
la présence matérielle des catholiques au mariage d'un
catholique avec une hérétique (ou réciproquement)
contracté devant le ministre hérétique, à la condition
qu'il n'y ait ni scandale, ni danger de perver-ion, ni
mépris de l'autorité ecclésia .tique. Les prêtres catho-
liques, en l'absence du ministre hérétique ne doivent
jamais accepter de présider un convoi hérétique. Si des
raisons de convenances familiales ou d'amitié réclament
la présence d'un prêtre aux funérailles d'un hérétique,
il faut que ce prêtre soit sans ornement, ne participe
en aucune façon aux rites hérétiques et que les liens de
parenté ou d'amitié qui l'unissent au défunt et justi-
fient sa présence aux funérailles, soient tellement con-
nus que le scandale ne puisse exister. Saint-Office,
30 mars 1859, 8 mai 1889, Collect., n. 1705. On peut
tolérer, mais passivement seulement, que les non-catho-
liques soient inhumés dans les tombeaux de leurs
parents catholiques. Saint-Office, 30 mars 1859,
4 janvier 1888, Collect., n. 1173. Les catholiques eux-
mêmes ne peuvent accompagner le convoi d'un héré-
tique jusqu'à la porte du cimetière que si leur présence
est purement matérielle, pour honorer le défunt, mais
ils ne peuvent se mêler aux rites hérétiques, porter des
cierges ni offrir leurs suffrages pour l'âme du défunt-
Saint-Office, 13 janvier 1818; 30 juin et 7 juillet 1864,
ad lum; 14 janvier 1874, ad 3llm; Collect., n. 727,
1257, 1410. Pour légitimer la présence des catholiques
aux offices ordinaires, sermons ou autres cérémonies
religieuses des hérétiques, les raisons de politesse et de
convenances sociales sont insuffisantes; la crainte
d'un mal grave, une raison d'ordre public, le bien de la
religion catholique sont des motifs suffisants : une do-
mestique peut accompagner au temple sa maîtresse
qui lui impose cette démarche, à condition toutefois
qu'il n'y ait pas danger de perversion; des soldats, des
captifs catholiques peuvent assister à une cérémonie
hérétique où ils ont reçu l'ordre de se rendre; des
hommes doctes ont, sous certaines conditions, le droit
d'aller entendre des prêches hérétiques afin de les
réfuter : le texte du code, canon 1258, § 2, indique,
en effet, expressément les trois conditions qui légi-
timent la présence matérielle des catholiques à
certains offices des hérétiques : civilis ojficii vel
honoris causa — ob gravem ralioncm — dummodo
perversionis et scandali pcriculum absit, Snr le der-
nier point, il existe toute une législation de fait, dont
il faut tenir compte. Il est, en effet, défendu d'entrer
en conférences publiques avec des hérétiques, sans
l'autorisation du siège apostolique. Voir Contro-
verse, t. m, col. 1731 sq. Il faut tenir compte
également des législations diocésaines. Si l'assis-
tance aux fonctions religieuses hérétiques était prescrite
par l'autorité civile en haine du catholicisme, ou en
faveur d'une secte, comme cela est arrivé en Russie à
l'égard des enfants fréquentant les écoles publiques, elle
ne pourrait, sous aucun prétexte, être autorisée. Saint-
Office, 26 avril 1894, Collect., n. 1868. Toute cette
législation a été rappelée dans une circulaire du cardi-
nal-vicaire de Rome, 12 juillet 1878, Acta sanctse sedis,
t. xi, p.l68sq.,slriclissimeautcmuetalur ingredi mera cu-
riosilate et scienter aulas et templa protestantium, tempore
collationum, et graviter peccant omnes, qui mera curiosi-
lale collaliones protestantium auscultant et adsislunt,
quanwis materialiter, cœremoniis acatholicis. — d. La
participation aux offices des hérétiques est absolument
interdite : défense à un catholique de jouer de l'orgue,
de chanter aux offices hérétiques, S. C. de la Propa-
gande, 8 juillet 1889, Collect., n. 1713; ce serait une véri-
table communication active formelle. Le cardinal-
vicaire, loc. cit., juge coupables de péché grave omnes
artifices qui etiam sola lucri ratione cantanl aul sonanl
in protestantium iemplis. Sur l'autorité de cette circu-
laire, voir plus loin, col. 2245. — e. En dehors des offices,
« entrer dans les temples des hérétiques est un acte en soi
indifférent, qui ne devient mauvais qu'en raison de la
fin mauvaise qu'on se propose ou des circonstances dans
lesquelles on l'accomplit. Il devient en effet mauvais
si l'on visite le temple avec l'intention d'assister aux
fonctions liturgiques des hérétiques; si, en dehors de
cette intention, une telle démarche peut paraître une
communication dans les choses sacrées avec les héré-
tiques et par là causer du scandale; si cette démarche
est commandée par un gouvernement hérétique, qui
marque par là son intention d'établir la confusion de
foi et de religion entre catholiques et non-catholiques ;
si enfin cette démarche est considérée communément
comme la marque d'une communion de foi entre
catholiques et non-catholiques. » Saint-Office, 13 jan-
vier 1818, ad 2um, Collect., n. 727. — /. La simultanéité
des offices catholiques et hérétiques dans la même
église est interdite en principe, S. C. de la Propagande,
13 août 1627; Saint-Office, 10 mai 1753, ad lu"\
Collect., n. 36, 389, mais peut être tolérée pour des
2235
HERESIE. HÉRÉTIQUE
2235
motifs graves, et sous certaines conditions qui rendent
impossible la confusion des religions. Saint-Office,
12 avril 1704, Collect., n. 265. Il est interdit, en
outre, aux prêtres catholiques de célébrer le saint
sacrifice de la messe dans un temple des hérétiques,
même s'il avait été autrefois consacré ou bénit.
Codex juris canonici, can. 823, § 1.
2. Coopération matérielle aux cultes hérétiques. —
Sur la notion, les conditions de licéité de la coopération
matérielle, voir Coopération, t. m, col. 1763-1767 sq.
La coopération matérielle aux cultes hérétiques con-
siste surtout dans la part prise par les catholiques à la
construction, à la réparation, à l'ornementation des
temples et à l'entretien des ministres; il s'agit du tra-
vail accompli ou de l'argent versé dans ce but. Une
réponse de la S. Pénitencerie, donnée en 1822, voir
Bucceroni, Enchiridion morale, n. 192, accorde que les
catholiques puissent contribuer par leur argent à la
construction d'un temple destiné aux hérétiques, dans
l'unique but de se libérer de la promiscuité que leur
impose la simultanéité des offices. Cette réponse laisse
donc supposer que l'action de donner de l'argent pour
l'édification d'un temple hérétique et, par voie de con-
séquence, celle de travailler à sa construction ne sont
pas intrinsèquement mauvaises; de plus, la S. Péni-
tencerie ne reconnaît, comme motif légitimant cette
coopération, que la raison du dommage public prove-
nant de la simultanéité de culte. Mais des auteurs
sérieux, cf. Génicot, op. cit., t. i, n. 237, pensent qu'un
motif grave de dommage privé peut aussi légitimer
cette coopération matérielle. De plus, la coopération
n'existe pas au même degré chez les simples ouvriers
et chez les entrepreneurs et architectes; il faut, pour
légitimer l'intervention de ceux-ci, une raison plus
grave; et, ordinairement, en dehors du cas prévu par
la S. Pénitencerie, les entrepreneurs et architectes
catholiques des temples hérétiques pèchent gravement,
tandis que les simples ouvriers sont excusés de toute
faute, s'il n'y a pas de scandale donné en raison de leur
travail et s'ils n'agissent pas avec un sentiment de
mépris pour la religion catholique. Cf. circulaire du
cardinal-vicaire et Saint-Office, 14 janvier 1818,
7 juillet 1864, ad 8»"', 9U'" et 10u"', Collect., n. 1733, 1257.
Les mêmes principes solutionnent le problème de la
coopération au culte hérétique pour l'ornementation des
temples. C'est une coopération matérielle très éloignée
que celle du marchand catholique vendant ce qu'il
possède en magasin : le motif du gain suffit à la légi-
timer; c'est une coopération moins éloignée que celle
de l'artisan qui, à la demande des hérétiques, fabrique
les objets et les meubles destinés à leur culte : il faut
un motif plus grave pour la rendre licite.
La question la plus délicate est peut-être celle de la
coopération que les détenteurs catholiques du pouvoir
civil, à tous les degrés de la hiérarchie sociale, sont
appelés à donner aux cultes hérétiques, en vertu même
de leurs fonctions. La solution des difficultés pratiques,
lesquelles varient selon les circonstances, nous paraît
relever d'un problème d'ordre plus général, celui de la
tolérance en matière religieuse. Là où la tolérance est
licite, licite aussi sera cette espèce de coopération offi-
cielle des pouvoirs publics à l'entretien des cultes héré-
tiques; il faudrait une raison plus grave pour légiti-
mer la tolérance relative à l'extension de ces cultes, et,
partant, pour autoriser une coopération des pouvoirs
publics à cette extension. On ne peut guère invoquer
que le motif de la paix ou de l'extension de la religion
catholique elle-même, qu'on ne peut souvent, en fait,
assurer dans les sociétés modernes qu'à la condition de
ne pas paraître injuste à l'égard des autres cultes. La
coopération des pouvoirs publics se traduit surtout
dans la répartition des subventions provenant des
fonds publics; il est utile de rappeler que les catho-
liques peuvent, en conscience, payer un impôt obli-
gatoire dont ils savent cependant qu'une partie est
destinée à la subvention des cultes hérétiques;
citoyens et magistrats devront toutefois laisser entendre
qu'ils ne veulent pas prendre parti pour l'hérésie.
Cf. Saint-Office, 21 avril 1847, ad 4'"», Collect., n. 1016.
3. Œuvres interconfessionnclles. — Ce sont les œuvres
dans lesquelles catholiques et hérétiques se rencontrent
poursuivant un but commun, mais non religieux.
Nous examinerons brièvement trois points principaux :
a) les syndicats (et, par analogie, les œuvres sociales);
b) les hôpitaux (et par analogie, les œuvres de bien-
faisance); c) les écoles.
a) Syndicats. — « L'Église n'interdit pas absolu-
ment l'entrée (des syndicats non confessionnels) à ses
fidèles, parce que, très souvent, surtout dans les pays
protestants, le nombre des ouvriers catholiques est si
minime qu'il leur serait impossible de former un syn-
dicat catholique. Il pourrait alors y avoir dommage
grave pour les intérêts de l'ouvrier catholique à rester
dans l'isolement et à ne pas pouvoir bénéficier des
avantages temporels résultant de l'association. L'Église
ne peut vouloir compromettre les intérêts temporels
de ses enfants. Partout donc où la création des syndi-
cats catholiques n'est pas possible, l'Église permet à
ses enfants l'entrée dans les syndicats non confession-
nels, à moins cependant que ces syndicats, nonobstant
leur étiquette de neutralité, ne professent des doctrines
absolument mauvaises et tellement subversives de
l'ordre public que la fréquentation de ces sociétés,
malgré les avantages matériels qu'elles peuvent pro-
curer à leurs adhérents, ne devienne une cause de
grave dommage spirituel pour l'ouvrier, ou de grave
dommage temporel pour des tiers et pour la société
tout entière; auquel cas, il ne serait pas permis à un
ouvrier catholique d'entrer dans ces syndicats. C'est
pourquoi l'Église veut absolument que, partout où la
chose est possible, on crée des syndicats catholiques...
Les motifs qui ont inspiré l'Église... sont évidents et
bien connus. La question des rapports entre le travail
et le capital relève de la morale. Les principes de la
morale catholique sur ces matières sont en opposition
formelle avec les principes du socialisme qui compé-
nètrent de toutes parts ces sociétés soi-disant neutres.
Dans les syndicats non confessionnels, le conflit entre
les maximes catholiques et les théories socialistes est
fatal. Or, l'expérience a démontré que dans ce conflit
l'avantage demeure la plupart du temps au socialisme.
Alors même que ce conflit des doctrines ne se produit
pas à l'état aigu, il y a toujours d'ailleurs pour l'ouvrier
catholique, à un certain degré, péril de perversion intel-
lectuelle et morale et danger de verser dans l'erreur
socialiste, souvent même sans s'en rendre compte.
C'est pourquoi l'Église veut que les ouvriers catho-
liques se groupent ensemble pour défendre leurs inté-
rêts professionnels sous la sauvegarde des règles de la
doctrine catholique et la direction des pasteurs de
l'Église chargés de les leur enseigner, non pas seulement
d'une façon théorique, mais dans les applications de
détail.
« Dans la pratique, il appartient aux évêques de
spécifier les cas où il est permis à des catholiques
d'entrer dans les associations neutres, les cas où, au
contraire, l'entrée dans les associations neutres leur est
interdite. Les décisions épiscopales sur ce point dé-
pendent de deux circonstances déjà signalées : 1° du
nombre des catholiques dans la localité et, partant, de-
la création possible d'un syndicat catholique; 2° si la
création d'un syndicat catholique est impossible,
le syndicat neutre présente-t-il des garanties suffisantes
d'honnêteté morale permettant de croire qu'il n'y a.
pour ses membres aucun danger grave de perversion
intellectuelle et morale? » P. Mothon, Les sociétés de
2237
HÉRÉSIE. HÉRÉTIQUE
2238'
laïques dans l'Église catholique, c. il, § 1, dans les
Questions ecclésiastiques, 1912, t. il, p. 194 sq. Cf.
L. Durand, Pourquoi et comment les œuvres sociales
doivent être catholiques, Nevers, 1913; Janvier, Confé-
rences de Notre-Dame, 1914.
Le principe général qui domine toute la question a
été posé par Léon XIII dans l'encyclique Immortale
Dei. Le pape rappelle aux catholiques « qu'il n'est pas
permis d'avoir deux manières de se conduire : l'une
en particulier, l'autre en public...; ce serait là allier
ensemble le bien et le mal et mettre l'homme en lutte
avec lui-même, quand, au contraire, il doit toujours
être conséquent et ne s'écarter en aucun genre de vie
ou d'affaires de la vertu chrétienne ». Lettres apostoliques
de Léon XIII, édit. de la Bonne Presse, t. u, p. 51.
C'était déjà affirmer implicitement qu'il fallait traiter
toujours chrétiennement, c'est-à-dire confessionnelle-
ment, les questions ouvrières et sociales. Aussi, il
n'est pas étonnant d'entendre le même pontife déclarer,
dans sa lettre Permoli nos, ibid., t. iv, p. 229, au car-
dinal Goossens, que « la question sociale... tient surtout
de très près à la morale et à la religion », ou encore
ailleurs, lettres Prœclare gratulalionis, ibid., t. iv,
p. 103, que, « pour résoudre les [questions sociales]
sagement et conformément à la justice, si louables
que soient les études, les expériences, les mesures prises,
rien ne vaut la foi chrétienne réveillant dans l'âme du
peuple le sentiment du devoir et lui donnant le courage
de l'accomplir ». Le perfectionnement religieux, tant
recommandé dans l'encyclique Rerum novarum comme
moyen de perfectionnement social, la religion « consti-
tuée comme fondement de toutes les lois sociales »,
cf. t. ni, p. 65-67, sont nécessaires aux ouvriers comme
à ceux qui dirigent les destinées de la société elle-
même : aux premiers, afin de leur enseigner la patience
et la résignation en même temps que la religion du
devoir qui attireront sur eux la bienveillance publique;
aux seconds, afin de leur donner l'autorité qui manque
forcément à la législation simplement, humaine. Encycl.
Quod aposlolici muneris, ibid., t. i, p. 41 ; cf. Rerum
novarum, t. ni, p. 69; Exeunle jam anno, t. n, p. 234-
235; lettre à M. G. Decurtins, t. m, p. 219.
Léon XIII a fait une application directe de ces prin-
cipes aux assocations d'ouvriers : « Il nous paraît
opportun, dit-il, d'encourager les sociétés d'ouvriers et
d'artisans, qui, instituées sous le patronage de la religion,
savent rendre tous leurs membres contents de leur sort
et résignés au travail et les portent à mener une vie
paisible et tranquille. » Encycl. Quod aposlolici mu-
neris, 1. 1, p. 41. L'encyclique Longinqua Occani est plus
expressive : « En ce qui concerne la formation des
sociétés, il faut bien prendre garde à ne point tomber
dans l'erreur, et nous voulons adresser cette recom-
mandation aux ouvriers nommément. Assurément, ils
ont le droit de s'unir en associations pour le bien de
leurs intérêts : l'Église les favorise et elles sont con-
formes à la nature. Mais il leur importe vivement de
considérer avec qui ils s'associent; car, en recherchant
certains avantages, ils pourraient parfois, par là même,
mettre en péril des biens beaucoup plus grands... Si
donc il existe une société dont les chefs ne soient pas
des personnes fermement attachées au bien et amies de
la religion, et si cette société leur obéit aveuglément,
elle peut faire beaucoup de mal dans l'ordre public et
privé; elle ne peut pas faire de bien. De là une consé-
quence, c'est qu'il faut fuir non seulement les associa-
tions ouvertement condamnées par le jugement de
l'Église, mais encore celles que l'opinion des hommes
sages, principalement des évêques, signale comme
suspectes et dangereuses. Bien plus, et c'est un point
important pour la sauvegarde de la foi, les catholiques
doivent de préférence s'associer à des catholiques, à moins
que la nécessité ne les oblige à faire autrement. » Ibid.,
t. iv, p. 175. Enfin, dans l'encyclique Graves de corn-
muni, le même pontife, affirmant à nouveau que toute
action sociale doit être revêtue « d'un caractère chré-
tien », rappelle ses enseignements antérieurs : « Nous
n'avons jamais engagé les catholiques à entrer dans
. des associations destinées à améliorer le sort du peuple
ni à entreprendre des œuvres analogues, sans les avertir
en même temps que ces institutions devaient avoir la
religion pour inspiratrice, pour compagne et pour
appui. » Ibid., t. vi, p. 175-221.
Pie X n'a fait que reprendre la doctrine de Léon XIII.
Les Instructions de la S. C. des Affaires ecclésiastiques
extraordinaires sur l'action populaire chrétienne, l'ency-
clique Pieni l'animo, la Lettre sur le Sillon sont basées
sur les mêmes principes, condamnant « ceux qui se
flattent de pourvoir au bonheur de la société sans le
secours de la religion ». Cf. Allocution aux patrons
chrétiens du Nord, 8 février 1904, dans Lettres de Pie X,
édit. de la Bonne Presse, t. i, p. 217. Le même Pie X,
s'adressant, le 9 mars 1904, au comte Medolago Albani,
président de l'œuvre italienne des congrès, l'adjure de
« mettre tout en œuvre pour éloigner ses membres de
ces institutions neutres qui, destinées en apparence à
la protection de l'ouvrier, ont un autre but que le but
principal de procurer le vrai bien moral et économique
des individus et des familles ». Ibid., t. i, p. 113.
En 1910, il écrit à la Fédération italienne des caisses
rurales et à M. Louis Durand, président de V Union
des caisses rurales de France, deux lettres parallèles
qui se résument dans l'éloge adressé aux procédés
d'action sociale qui « s'écartent résolument du perni-
cieux principe de la neutralité religieuse et revêtent
un caractère catholique plein de précision et de netteté,
dans une union disciplinée ». En même temps, Pie X
donnait à l' Union économico-sociale des catholiques
italiens la règle expresse suivante : « Que le non eru-
besco Evangclium soit imprimé en grands et ineffaçables
caractères sur le drapeau de toutes les institutions ca-
tholiques et qu'une profession chrétienne, ouverte et
franche, forme leur devise glorieuse et la synthèse
lumineuse du caractère qui les informe et les dirige, a-
Cf. Lettres du cardinal Merry del Val, secrétaire
d'État, à Mme la baronne de Montenach, mai 1912 :
à MgrBougoùin, évèque de Périgueux, 29 juillet 1912.
La question des associations interconfessionnelles
s'est posée devant l'Église avec plus d'acuité à propos
des syndicats allemands école de Berlin, école de
Cologne. A Berlin, les syndicats d'ouvriers s'affichaient
confessionnels et catholiques; à Cologne, interconfes-
sionnels et simplement chrétiens. Le 28 mai 1912»
Pie X télégraphiait aux premiers, réunis en congrès
à Berlin, ses approbations et ses éloges; aux seconds,
réunis en congrès à Francfort, ses exhortations « à
adhérer très fidèlement à la doctrine du saint-siège,
non seulement dans la vie privée, mais aussi dans
l'action publique et sociale ». La nuance était visible;
une polémique s'engagea, qui provoqua un document
officiel, l'encyclique Singulari quadam, 24 sep-
tembre 1912, où Pie X, après avoir rappelé les prin-
cipes, loué les syndicats purement confessionnels et
catholiques, concède aux syndicats interconfessionnels
d'être tolérés en Allemagne, sous certaines conditions
capables de prémunir les ouvriers catholiques contre les
dangers de perversion possible. L'encyclique n'ayant
pas apporté l'apaisement, Mgr Schulte, évêque de
Paderborn, fit publier un commentaire de cinq points
en litige, cf. Westfâlisches Volksblalt, 28 novembre 1912,
et les évêques de la province de Cologne, le 13 fé-
vrier 1914, résumèrent en six points les principes rela-
tifs aux œuvres interconfessionnelles et à l'autorité
de l'Église et les applications pratiques qu'ils jugeaient
opportunes en leurs diocèses. Voir les documents dans
les Questions ecclésiastiques, 1912, t. n, p. 67 sq..
2239
HÉRÉSIE. HÉRÉTIQUE
2240
565 sq. ; 1914, t. i, p. 321 sq. Cf. Questions actuelles,
t. cxm, n. 8; Mgr Fichaux, L'encyclique Singulari
quadam de Pie X sur les syndicats catholiques d'Alle-
magne, dans les Conférences d'études sociales de N.-D.
du Haut-Mont, février 1913.
b) Hôpitaux. — Les principes qu'on vient d'exposer
résolvent dans le mime sens la question des œuvres
philanthropiques interconfessionnelles, considérées en
général. Faute de mieux, les catholiques peuvent s'unir
aux hérétiques pour fonder et soutenir ces sortes
d'œuvres, à condition qu'il soit bien établi que leur
collaboration ne puisse en aucune façon favoriser
l'hérésie elle-même et devenir une source de perversion
ou de scandale pour les fidèles. Ce concours des
catholiques est plus facile à concevoir lorsqu'il s'agit
d'œuvres ayant en vue le soulagement des misères
physiques : la bienfaisance est seule ici en jeu. Lorsqu'il
s'agit de misères morales à guérir, la religion catholique
impose des règles qu'il n'est point permis de transgres-
ser; il faut donc que les catholiques, avant de s'engager
dans des œuvres philanthropiques de ce genre, s'as-
surent que leur concours financier ou autre n'ira pas
augmenter l'influence et l'action de ceux qui travaillent
dans un sens favorable à l'hérésie. Les hôpitaux
occupent une place à part parmi les œuvres philan-
thropiques : parmi les soins d'ordre moral que l'on est
appelé à y donner aux malades, se trouve la prépara-
tion à une mort chrétienne. Or, dans les hôpitaux
interconfessionnels, il se rencontre des moribonds
hérétiques, lesquels désirent se préparer à la mort avec
les secours religieux de leur secte. En face de ce désir,
dicté souvent par la plus entière bonne foi, quel est le
devoir des infirmiers catholiques, et, en général, des
personnes catholiques chargées de la direction de
l'hôpital ?
Le Saint-Office, consulté à ce sujet par un aumônier
de Neutz, diocèse de Cologne, répondit, le 14 mars
1848, qu'il n'était pas permis aux religieuses em-
ployées dans un hôpital où étaient soignés des héréti-
ques, d'appeler le ministre de la secte auprès des mori-
bonds. L'attitude passive leur est prescrite. La même
réponse doit être faite dans le cas où un malade
hérétique serait soigné dans une maison particulière :
nul catholique n'a le droit d'appeler au chevet du
malade le ministre hérétique. Le passive se habeant
du décret du 15 mars 1848 a été expliqué dans une
réponse du 5 février 1872, donnée à la demande du
vicaire apostolique d'Egypte pour les hospices mixtes
de ce pays :
(Notificetur) monialibus
vel aliis personis catholicis
addictis directioni vel servi-
tio hospitalis, non licere ope-
rani suani directe praestare
infirmis acatholicis pro ad-
vocando proprio ministro,
et bene erit, si data occa-
sione, id déclarent; sed...
adhiberi potest pro advo-
cando ministro, ministerium
alicujus personse pertinentis
ad respectivam sectam po-
stulantium. Et ita salva
manet doctrina relate ad
vetitam communicationem
in divinis.
Les religieuses et les per-
sonnes catholiques chargées
de la direction dans un hô-
pital ne peuvent s'entre-
mettre directement pour pro-
curer un ministre de leur
religion aux malades non ca-
tholiques, et elles feront bien
de le dire à l'occasion; mais
rien n'empêche d'employer
pour faire venir ce ministre
une personne professant la
même religion que le malade.
Ainsi l'on évite la communi-
cation in divinis, qui est dé-
fendue.
Le 14 décembre 1898, les précédents décrets étaient
communiqués aux petites sœurs des pauvres pour leur
gouverne à l'égard des vieillards de leurs hospices :
ils ont donc, par là même, valeur universelle. Voir les
documents dans les Analecla ecclesiaslica, mars 1899,
p. 98-99.
De ces décrets, on peut tirer les quatre règles sui-
vantes : a. Les catholiques ne peuvent, sans faire une
communication in divinis interdite, proposer d'eux-
mêmes un ministre hérétique, mais ils peuvent toujours
inciter un hérétique à faire des actes d'amour de Dieu
et de contrition pour le préparer à la mort. — b. Au
cas où le malade demande lui-même un ministre de sa
religion, les catholiques ne peuvent prévenir ce mi-
nistre eux-mêmes ni le faire prévenir par un catholique.
Ce serait encore une communication in divinis. — ■
c. Toutefois, autre chose est de demander au ministre
hérétique de venir administrer un rite religieux, autre
chose est de le prévenir simplement « que le malade
désire sa visite ». Appeler le ministre en ces derniers
termes, c'est sans doute coopérer prochainement,
quoique matériellement, à un rite religieux, que,
d'ailleurs, les circonstances semblent appeler. Cette
coopération peut être rendue parfois (rarement) licite
« pour éviter un plus grand mal, le désespoir du mori-
bond, des récriminations contre l'Église, des blas-
phèmes, le scandale des autres malades », etc. Cl. Marc,
op. cit., 1. 1, n. 450 — d. Rien n'empêche un catholique,
si le malade demande un ministre hérétique, de lui
conseiller de faire appeler le ministre par une personne
de la même religion, ou bien de transmettre lui-même
le désir du malade à une personne qu'il sait ne pas
appartenir à la religion catholique. Cf. Ami du clergé,
1904, p. 112, 879; 1907, p 287
Les orphelinats interconfessionnels offrent, pour les
catholiques, une difficulté spéciale, relativement à
l'instruction et à l'éducation des enfants catholiques.
Cette difficulté doit être résolue d'après les principes
concernant les écoles interconfessionnelles.
c) Écoles. — On a rappelé, à l'art. École, t. iv;
col. 2083, les raisons pour lesquelles l'Église ne peut
se désintéresser de l'école. On comprend, vu le danger
plus grave qu'un enseignement profane donné par des
maîtres hérétiques peut faire courir à la foi des enfants,
que l'Église mette en garde les parents catholiques
contre les écoles où enseignent des hérétiques plus
encore que contre les écoles neutres. Dans les écoles
où les maîtres sont catholiques, mais dont la popula-
tion scolaire renferme des enfants non catholiques,
le danger peut venir du côté des élèves eux-mêmes.
Voici les règles que l'on peut dégager des docu-
ments pontificaux sur la matière. — a. Défense, en
principe, aux catholiques de subventionner les écoles
hérétiques, soit d'une façon passagère, soit habituelle-
ment : une telle coopération ne pourrait être légitimée
que pour éviter un mal grave et à la condition que le
but poursuivi par l'école fût uniquement un but d'in-
struction, non de propagande, et ensuite qu'il n'y eût
pas scandale. Cf. Instruction de la Propagande aux
archevêques et évêques d'Irlande, 7 avril 1860, Collecl.,
n. 1190; Concil- plénier de l'Amérique latine, tit. ix, c. i,
n. 677-679; cf. n,n. 687; Lehmkuhl, Thcologia moralis,
t. i, n. 660. — b. Défense, en principe, aux parents
catholiques d'envoyer leurs enfants dans les écoles où
enseignent des maîtres hérétiques. Voici, sur ce point
important, le texte du décret du Saint-Office, 17 jan-
vier 1866, aux évêques de Suisse.
An lieeat parentibus libe-
ros suos hujusmodi scholis
instituendos committere? — ■
Generatim loquendo, non
licere; sed in casibus parti-
cularibus judicio et conscien-
tise ordinarii id esse relin-
quendum; cujus tamen erit
officii diligenter curare, ut
non modo a se, et a paro-
chis, verum etiam a singulis
genitoribus opportuna remé-
dia adhibeantur.quibus peri-
culum perversionis ab alum-
nis remo-veatur, simulque
Est-il permis aux parents
de confier l'instruction de
leurs enfants à ces sortes
d'écoles? — D'une manière
générale, cela n'est pas per-
mis; mais dans les cas parti-
culiers, la décision est laissée
au jugement et à la con-
science de l'ordinaire. Le
devoir de l'ordinaire est de
s'appliquer à employer lui-
même et de faire employer
par les curés et les parents
les remèdes opportuns pour
écarter le danger de perver-
2241
HÉRÉSIE. HÉRÉTIQUE
2242
eniti apud magistratus et
praesides.ne vis inf eratur con-
scientiae catholicorum, adhi-
bendo libros, qui religioni
catholicse sint infensi, ac de-
nique assidue et instanter
roonere et hortari omnes at-
que eos prœsertim, quibus
facultas est, ut liberos suos
in alias regiones mittant, ubi
catholice educentur.
sion des élèves. Il devra en
même temps faire des dé-
marches auprès des ma-
gistrats et des présidents,
pour que la conscience des
catholiques ne soit pas vio-
lentée par l'usage de livres
hostiles à la doctrine catho-
lique, et enfin avertir et
exhorter assidûment et ins-
tamment tous les parents, et
spécialement ceux qui le
peuvent, d'envoyer leurs en-
fants en d'autres pays pour
les y faire élever chrétienne-
ment. Trad. de Mgr Nègre,
dans Les écoles, Documents
du saint-siège, Paris, 1911,
p. 20.
Ce texte est le plus clair qui ait été donné sur la
matière, mais l'Église a promulgué son enseignement
touchant la fréquentation des écoles où professent
des maîtres hérétiques en maintes circonstances. Voir,
en particulier, l'Instruction du Saint-Office, 24 no-
vembre 1875, aux évêques des États-Unis,' Collect.,
n. 1449; la Lettre de Léon XIII au cardinal Gibbons,
31 mai 1893; le Concile plénier de l'Amérique latine,
tit. ix, c. i, n. 677; l'Instruction de la S. C. de la Propa-
gande aux évêques d'Irlande, 7 avril 1860, Collect.,
n. 1190. On peut résumer la discipline de l'Église dans
les points suivants : a. défense est faite aux parents ca-
tholiques d'envoyer leurs enfants dans des écoles où
professent des hérétiques; ,S. si les parents n'ont pas
d'école catholique à leur disposition, ils doivent, dans
la mesure de leurs moyens, envoyer leurs enfants dans
une autre région, où existe une école catholique;
y. en cas d'impossibilité et pour des raisons qu'appré-
ciera l'évêque, on peut tolérer que les enfants fré-
quentent l'école non catholique, mais à la double condi-
tion qu'il n'y ait pas de livres hostiles à la foi et que
tout péril prochain de perversion soit écarté; o. au cas
où ces conditions ne pourraient être réalisées, défense
est faite aux parents, absolument et sans restriction,
de laisser leurs enfants fréquenter pareilles écoles;
une faiblesse de leur part sur ce point les rendrait
jouteurs de l'hérésie.Voir plus loin, col. 2244. Parmi les
exceptions autorisées par le saint-siège ou les évêques,
signalons le cas des écoles catholiques de Faribault et
de Stilwater, dans l'État de Minesota, pour lesquelles
Mgr Ireland accepta le contrôle des autorités acadé-
miques non catholiques, cf. Lettre de Léon XIII au
cardinal Gibbons, et celui des universités d'Oxford et
de Cambridge, dont la fréquentation fut autorisée
aux jeunes Anglais catholiques, après avoir été d'abord
interdite. Cf. Circulaire de la Propagande aux évêques
d'Angleterre, 6 août 1867, Collect., n. 1312; Saint-
Office, et S. C. de la Propagande, décrets du 26 mars et
17 avril 1895 à l'archevêque de Westminster. — c. Au
sujet de la coopération que peuvent apporter les prêtres
à la direction des écoles mixtes, c'est-à-dire où des
hérétiques enseignent à côté de maîtres catholiques,
lorsque ces écoles sont tolérées en raison des circon-
stances par les évêques, voici la règle formulée par le
Saint-Office, dans sa réponse du 17 janvier 1866, aux
évêques suisses :
An liceat sacerdoti in prœ-
dictis scholis fidei Christian»
documenta tradere, aut ca-
pellani munere fungi ? —
Affirmative, et ad mentem.
Mens est, ut non modo fidei
tradendoe, verum etiam disci-
plinarum scholis, quotquot
fieri potest, prsefici sacer-
dotes, aut honestos perspec-
Est-il permis au prêtre
d'enseigner la doctrine chré-
tienne dans ces écoles et
d'accepter le titre d'aumô-
nier ? — Affirmativement,
sauf explications. C'est-à-
dire qu'il faut avoir soin de
confier non seulement l'en-
seignement religieux, mais
encore la direction des écoles
tasque religionis laicos curan-
dum sit : quo vero omnis
cesset scandali formido, mo-
nendum esse populum, id
fieri, ut mala, quae ex hujus-
modi scholis dimanant, quan-
tum fieri potest, avertantur;
idque proinde nemini excu-
satione esse debere, quomi-
nus liberos suos mittant ad
scholas mère catholicas, in
quibus eorum fides ac mores
nullo modo periclitentur.
DICT. DE THÉOL. CATH.
à des prêtres autant que
possible ou à des laïques
honnêtes, chrétiens exem-
plaires. Pour que toute
crainte de scandale cesse, il
faut avertir le peuple qu'on
agit ainsi pour écarter, au-
tant que faire se peut, le
mal de ces écoles, et que,
par conséquent, ce ne doit
être pour personne une
excuse le dispensant d'en-
voyer ses enfants à des
écoles purement catholiques,
dans lesquelles la foi et le»
mœurs ne sont exposées à
aucun danger; Mgr Nègre,
op. cit., p. 22-23.
Ces règles s'appliquent, a pari, au cas de l'école
simplement neutre. — d. Le péril pouvant venir des
condisciples, l'Église impose une sévère réglementation
aux écoles catholiques fréquentées par des élèves hérétiques
(ou schismatiques). Les documents les plus importants,
relatifs à cette question, sont les décisions suivantes
émanées du Saint-Office : instructions du 21 mars 1866,
du 18 octobre 1883, n. 11 ; décrets du 6 décembre 1899,
du 22 août 1900; instruction de la S. C. de la Propa-
gande, 25 avril 1868. Collect., n. 1286, 1606, 2070,
2093, 1329. Voici quelles règles pratiques on peut en
tirer : a. défense absolue de recevoir les enfants
d'apostats soit comme internes, soit comme externes;
(3. on autorise l'admission, simplement comme externes,
des enfants hérétiques et schismatiques qui ont un
bon naturel; pour chaque cas particulier, cette auto-
risation doit être demandée au missionnaire de l'en-
droit, lequel préviendra l'évêque; y. à l'évêque de
veiller pour écarter des enfants catholiques le péril
de perversion; 3. le nombre des enfants hérétiques ou
schismatiques admis comme externes ne doit pas
dépasser le tiers; s. toutes discussions sur les matières
religieuses sont rigoureusement interdites entre élèves
catholiques et non catholiques; Z. l'assistance aux
offices catholiques est permise, non imposée aux en-
fants hérétiques et schismatiques; les schismatiques
peuvent prendre part aux chants; rj, les maîtres catho-
liques ne peuvent conduire ni faire conduire en leur
nom au temple leurs élèves non catholiques, ni pour
les offices, ni pour les sacrements ; s'ils y sont contraints,
ils doivent se tenir purement passifs; G. l'instruction
religieuse intégrale doit être donnée aux enfants catho-
liques, même si les non catholiques, damant autorisés
par leurs parents, assistent à la leçon; en tous cas, est
réprouvé un enseignement comm.in de la religion sur
les principes dits fondamentaux; si les parents l'exigent,
les enfants non catholique s pourront recevoir l'instruc-
tion religieuse de leur secte par des maîtres de cette
secte, dans un local séparé, le tout aux frais des
parents; i. les maîtres et les livres non catholiques,
en matière de sciences profanes, peuvent être tolérés,
s'il n'y a aucun danger de perversion et si les cir-
constances l'exigent. Cf. Ami du clergé, 1908, p. 444;
1900, p. 1604; 1907, p. 600.
III. Problême canonique : l'hérésie-délit. —
On se contentera d'indications brèves, suffisantes pour
le dictionnaire de théologie.
1° Notion et extension de l'hérésie-délit. — 1. Notion.
— - a) On connaît les caractères du délit ecclésiastique :
c'est une action ou une omission non seulement cou-
pable et perturbatrice de l'ordre de l'Église, mais
encore, à cause de cette nocivité même, externe. Voir
Délit, t. iv, col. 258. En conséquence, pour constituer
un délit, il faut que l'hérésie soit extériorisée par des
actes ou des paroles; l'hérésie purement interne,
quelque grave qu'elle puisse être au regard de la doc-
VI. — 71
(/
2243
HÉRÉSIE. HÉRÉTIQUE
2244
triiie et de la morale, n'est pas un délit passible des
peines ecclésiastiques. De Lugo, De fuie, disp. XXIII,
u. 11 sq.; Suarez, De fide, disp. XXI, sect. il, n. 4;
d'Annibale, Commentarius in constitutioncm Aposlolicœ
sedis. n. 31. L'hérésie externe suffit pour caractériser
lit, alors nu me qu'il ne s'agirait pas d'hérésie
notoire, même si, par ailleurs, l'hérésie est rendue
externe par un simple signe, sans que personne en
puisse Être témoin; en ce cas, c'est, en effet, tout à
fait accidentellement qu'elle demeure occulte et qu'elle
perd sa nocivité. Tel est le sentiment commun des théo-
logiens et des canonistes. Cf. Suarez, De fide, loc. cit.,
n. 6. La distinction entre hérésie interne et hérésie
externe ne correspond donc pas à la distinction entre
hérésie occulte et hérésie publique ou notoire. Voir
col. 2227.
b) L'extériorisation doit réaliser une double condi-
tion pour donner à l'hérésie son caractère délictueux :
a. la manifestation extérieure doit être faite par un
signe, parole ou acte, suffisamment caractérisé pour
indiquer qu'il s'agit bien d'un acquiescement à une
doctrine hérétique, Suarez, loc. cit., n. 9; b. elle doit,
en outre, être gravement coupable et, par là, on exclut
toute manifestation qui ne comporterait pas^une
adhésion extérieure volontaire à l'hérésie, par exemple,
celle qu'on peut faire pour demander un conseil, sou-
m Etre un doute, etc. S. Alphonse, op. cit., 1. VIL
n. 303-305; Sanchez, Opus morale, 1. II, c. vm; Suarez,
loc cit., n. 12.
2. Extension. — L'Église, croyons-nous, n'a jamais
admis, même simplement dans la procédure des tribu-
naux d'inquisition, deux notions spécifiquement
distinctes de l'hérésie, l'une théologique, l'autre inqui-
sitoriale. Si le délit d'hérésie paraît souvent, dans le
droit pénal ecclésiastique, déborder les limites de
l'hérésie théologique, c'est que, la plupart du temps,
il ne s'agit plus, en matière d'inquisition, de définir une
proposition comme hérétique (le Saint-Office lui-même
n'a aucune qualité pour porter sur ce point un juge-
ment infaillible), mais bien de découvrir les personnes
qui propagent, professent ou favorisent l'hérésie, de
les condamner de ce chef et d'éloigner par là, pour les
fidèles, le danger de perversion doctrinale. Partant,
l'Église peut légitimement déclarer coupables du délil
d'hérésie, non seulement les hérétiques et hérétiques
publics proprement dits, mais encore, pourvu que leur
délit soit suffisamment caractérisé, tous ceux qui se
font complices des hérétiques, tous ceux qui, par leurs
actes et leurs paroles, montrent qu'ils ne font pas de
cas des enseignements de l'Église, et sont vérita-
pler.ient, par leurs attitudes, suspects d'hérésie. Cette
c- i lii ;.;ion ressort avec netteté du nouveau code
le droit canonique, canons 2314, 2315, 2316; voir
plus loin le texte de ces canons. Sur la prétendue
distinction de l'hérésie théologique et de l'hérésie
inquisitoriale, voir Garzend, op. cit. Les idées de
M. Garzend ont été discutées, par M. Villien, dans la
Revue pratique cl' apologétique du 15 septembre 1913,
p. 886-889, et par M. Boudinhon, dans le Canoniste
contemporain, 1913, p. 633-648.
En bref, le droit actuel prévoit comme punissables
du chef de délit d'hérésie : a) les hérétiques propre-
ment dits, hérésiarques et a fortiori relaps, voir ce
mot ; b) les suspects d'hérésie ; c) les propagateurs et
défenseurs de doctrines connexes et l'hérésie; d) les édi-
teurs, défenseur?, lecteurs, détenteurs de livres héré-
tiques. Et'le code prend soin de préciser la notion de
l'hérétique et de cataloguer les cas de suspicion
d'hérésie.
Vcici la définition de l'hérétique :
Can. 1325, g 2. Post recep- Si quelqu'un, après avoir
tutn baptismum si qui* no- reçu le baptême, tout en
i;;m retinens christiamun, conservant le nom de chré-
pertinaciter aliquam ex ve-
ritatibus fide divina et ca-
tholica credendis denegat,
aut de ea dubilat, hïereticus.
tien, nie avec pertinacité ou
révoque en doute quelqu'une
des vérités qu'il laut croire
de foi divine et catholique,
il est hérétique.
Ce canon, à notre avis, tranche la question de savoir
si celui qui doute positivement d'un point de la foi
catholique tombe sous le coup des p ines ecclésias-
tiques. Ce point était controveré par quelques-
auteurs, Struggl, Theologia mor lis, Linz, 1875,
tr. IV, q. ii, n. 12 : le doute positif, dit il, n'étant
pas l'hérésie complètement affirmée et consommée.
Cf. Noldin, De pœni> ecclesi slicis, n. 502. Le-
canon 1325, §2, consacre la doctrine commune', cf.
Capello, De ccnsuiis juxta codicem juris c nonici,
Turin, 1919, n. 64. Notons toutefois que des auteurs,
écrivant postérieurement à la publication du nou-
veau droit, semblent penser que le doute ne suffit
pas pour encourir les peines ecclésiastiques. Sel;as-
tiani, Summarium theologix morulis, Turin, 1919,
n. 610.
Au sujet de la suspicion d'hérésie, les anciens cano-
nistes et théologiens ne s'entendaient pas tous sur
les délits qui pouvaient engendrer cette suspicion.
Voir les cas prévus, Lehmkuhl, Theologia moralis,
t. i,'n. 813 ; t. n, n. 899, 902. Il semble bien que le-
nouveau code, passant sous silence l'ancienne énu-
mération des complices de l'hérésie, (credentes),
faulores, receptores, defensores, dont faisait mention
la constitution Aposlolicœ sedis, ait rangé, par le
canon 2316, tous ces coupables, sauf les credcnles,
voir plus loin, parmi ceux qu'il appelle désormais,
d'un mot, les suspects d'hérésie :
Can. 2316. — Qui quoquo
modo hseresis propagatio-
nem sponte et scienter juvat
aut qui communicat in divi-
nis cum hœreticis contra
praecriptum can. 1258, sus-
peetus de hseresi est
Celui qui, d'une façon
quelconque, sciemment et
spontanément, aide à la
propagation de l'hérésie ; ou
bien celui qui communique
dans les choses sacrées avec
les hérétiques, contraire-
ment à la défense du can.
1258, est suspect d'hérésie.
La première partie de ce canon désigne les suspects
d'hérésie d'une manière générale ; la deuxième partie
précise un cas de suspicion ; mais ce n'est pas le seul
qu'ait prévu explicitement le code. D'après le nouveau
droit, sont suspects d'hérésie, sans discussion possible
sur leur mauvais cas : a. ceux qui communiquent
in divinis avec les hérétiques (can. 2316) ; b. ceux
qui contractent mariage, avec le pacte explicite ou
implicite d'élever tout ou partie de leur progéniture
en dehors de l'Église catholique (can. 2319, § 1, 2°);
c. ceux qui sciemment osent présenter leurs enfants
à baptiser au ministre acatholique (ibid., 3°) , d. les
parents ou leurs remplaçants qui, sciemment, font
instruire et éduquer leurs enfants dans une religion
acatholique (ibid.. 4° ; cf. ibid., § 2) ; c. ceux qui
profanent en les projetant les saintes espèces, les
emportent ou les conservent dans un but criminel
(can. 2320); /• ceux qui en appellent des décisions du
souverain pontife au concile général (can. 2332) ;
g. ceux qui persévèrent, le cœur endurci, pendant un
an sous le coup d'une excommunication (can. 2340) ;
h, ceux qui sciemment auraient promu d'autres ou
bien auraient été eux-mêmes promus aux ordres par
simonie, et ceux qui, par simonie, auraient adminis-
tré ou reçu les sacrements (can. 2371).
2° Peines ecclésiastiques. — On laisse de côté ce qui
se rapporte au droit coercitif de l'Église, à l'histoire,
à la nature, à la légitimité des peines infligées par les
tribunaux ecclésiastiques, à la procédure judiciaire,
etc., tous ces points relevant de sujets plus géné-
raux'.! spécialement du droit canon. Voir Inquisition
2245
HÉRÉSIE. HÉRÉTIQUE
2246
Les peines fulminées dans les droits antérieurs
à la promulgation du code canonique n'ont qu'un
intérêt rétrospectif ; voir les principaux points du
droit exposés à l'article Apostasie, t. i, col. 1609.
L'exposé du droit actuel comporte quatre parties :
1. peines portées contre les hérétiques; 2. peines
infligées aux suspects d'hérésie ; 3- peines frappant
les propagateurs de doctrines condamnées, mais sim-
plement connexes à l'hérésie ; 4. peines prononcées
à propos de livres propageant l'hérésie.
1. Les peines portées contre les hérétiques sont
exposées au can. 2314, § 1.
Can. 2314, § 1. — Oinnes
a christiana fide apostat» et
oinnes et singuli haeretici
aut schismatici :
1° Incurrunt ipso facto
excommunicationem ;
2° Nisi moniti resipuerint,
priventur beneficio, digni-
tate, pensione, oflïcio aliove
munere, si quod in Eccle-
sia habeant, infâmes decla-
rentur, et clerici, iterata
monitione, deponantur;
3" Si sectse acatholicœ
nomen dederint vcl publi-
ée adhajserint, ipso facto
infâmes sunt et, firmo pne-
scripto canone 188, n. 4, cle-
rici, monitione incassum prse-
missa, degradentur.
Tous ceux qui apostasient
la foi chrétienne, tous les
hérétiques et schismatiques
et chacun d'eux :
1° Encourent par le fait
même l'excommunication ;
2° S'ils ne viennent pas a
résipiscence, après une mo-
nition, ils seront privés de
tout bénéfice, dignité, pen-
sion, office ou autre charge
qu'ils posséderaient dans
l'Église; ils seront déclarés
infâmes, et les clercs, après
une seconde monition, se-
ront déposés ;
3° S'ils adhèrent publi-
quement ou s'inscrivent à
une secte acatholique, ils
sont, par le fait même, frap-
pés d'infamie et, tout en
maintenant la prescription
du canon 188, n. 4, les clercs,
après une seconde monition
demeurée sans effet, seront
dégradés.
Dans le nouveau droit, trois aspects de la pénalité
prévue pour les hérétiques ont été envisagés. —
a) Pour tous les hérétiques indistinctement, l'excom-
munication (réservée spécialement au souverain
pontife, cf. can. 2314, § 2) est la peine encourue ipso
facto. La constitution Apostoliae sedis, voir t. rJ
col. 1069, ajoutait aux hérétiques et désignait comme'
atteints par l'excommunication spécialement réser-
vée au souverain pontife, non seulement les hérétiques,
mais encore ceux qui pèchent formellement par un
acte intérieur d'hérésie, manifesté extérieurement,
sans adhésion à une secte déterminée, c'est-à-dire
les credentes; ceux qui, sans commettre peut-être
le péché d'hérésie formelle, coopèrent formellement
à l'hérésie des autres, receptores, fautores, defensorcs.
Le nouveau droit élimine par prétention les trois der-
nières catégories de pécheurs, qui semblent bien ren-
trer d'ailleurs dans ceux que le droit qualifie de sus-
pects d'hérésie; quant aux credentes, si leur croyance
hérétique est manifestée extérieurement, ils sont héré-
tiques et excommuniés : le droit suppose en effet expli-
citement qu'il existe des hérétiques à titre indivi-
duel, n'ayant adhéré à aucune secte déterminée. La
définition de l'hérétique étant donnée par le droit,
il n'est plus permis d'étendre à d'autres les pénalités
qui frappent les hérétiques; ce serait donc un abus
que de désigner sous le nom de credentes et, partant,
d'hérétiques ceux qui communiquent in diuinis avec
les hérétiques, sans faire un acte extérieur d'hérésie.
Les enseignements antérieurs et les décisions en ce
sens doivent être modifiés. — b) Une deuxième peine
à infliger aux hérétiques, s'ils appartiennent, au
moment de leur délit, à l'Église catholique et s'ils y
possèdent quelque bénéfice, dignité, pension, office
ou charge, c'est de les dépouiller de ces avantages ;
mais la peine n'est valable qu'à la condition d'avoir
été précédée d'une monition demeurée sans effet.
La privation des charges, fonctions, bénéfices ou
dignités n'est pas suffisante : l'hérétique, après
une monition demeurée sans effet sera déclaré
infâme : l'infamie canonique n'est plus, comme l'ex-
communication, une peine médicinale, c'est une peine
vindicative. Cf. can. 2291, n. 4. C'est l'infamie de droit,
cf. can. 2293, § 1 et 2, dont seule une dispense apo-
stolique d 'termine la cessation, can. 2295, et dont les
effets canoniques sont l'irrégularité ex dejeclu, can.
984, n. 5, l'inhabileté aux bénéfices, pensions, offices,
dignité; ecclésiastiques, à l'exercice des actes ecclé-
siastiques légitimes, voir plus loin, et enfin l'éloigne-
ment de tout ministère dans les fonctions ecclésias-
tiques, can. 2294, § 1. La transmission de l'irrégula-
rité aux fils et petits-fils de pères hérétiques, aux
fils de mères hérétiques, admise par l'ancien droit,
Sexte, 1. V, tit. n, De hœreticis, 2, Quicumque, 15,
Stalutum ; cf. Saint Office, 4 décembre 1890, Collec-
l ne/, n. 1744, n'est plus reconnue dans le nouveau
droit, les fils des acatholiques étant simplement
empêchés d'accéder aux ordres, tant que dure l'erreur
de leurs parents, can. 987, n. 1, et l'infamie canonique
ne se transmettant pas aux consanguins, can. 2293,
§ 4. Notons toutefois que l'irrégularité dont sont atteints
les hérétiques n'est pas l'irrégularité ex de/ectu annexée
à l'infamie canonique, mais l'irrégularité ex deliclo,
can. 985, 1°; cette irrégularité, avant la sentence
déclaratoire, n'atteint que les hérétiques reconnus
tels, c'est-à-dire ceux qui le sont notoirement et
appartiennent à une secte condamnée. Cf. Noldin,
De pœnis, n. 157. Si l'hérétique est un clerc, il sera,
après une deuxième monition infructueuse, soumis à
la dégradation. — c) Enfin, le droit nouveau envi-
sage plus expressément l'hypothèse des chrétiens qui,
publiquement, adhéreraient ou s'affilieraient à une
secte acatholique. Les mêmes peines sont encourues
par eux, avec cette différence toutefois que l'infamie
canonique (et, nous l'avons vu, l'irrégularité) les
atteint par le fait même, sans monition préalable de
l'évêque, sans sentence déclaratoire. Le clerc coupable
recevra cependant une monition, qui entraînera, si elle
n'est pas suivie d'effet, la peine de la dégradation. Le
canon 188, 4°, auquel renvoie le texte du droit, stipule
de plus que le clerc qui abandonne publiquement la
foi catholique perd, par une tacite renonciation
admise par le droit lui-même, par le fait même, et
sans aucune déclaration, tous les offices dont i> pou-
vait être chargé.
2. Les peines dont sont frappés les suspects d'hé-
résie sont formulées dans le canon 2315 :
Can. 2315. — Suspectus
de hœresi, qui monitus cau-
sam suspicionis non remo-
veat, actis legitimis prohi-
bealur, et clcricus prseterea,
repetita inutiliter monitione,
suspendatur a divinis; quod
si intra sex menses a con-
tracta pœna completos sus-
pectus de haeresi sese non
emendaverit, habeatur tan-
quam hsereticus, hîeretico-
rum pœnis obnoxius.
Le suspect d'hérésie qui,
après une monition, ne sup-
prime pas la cause de la sus-
picion, sera privé du droit
d'exercer les actes ecclésias-
tiques légitimes ; s'il est
clerc, en outre, après une
deuxième monition, il sera
suspens a divinis; si, après
six mois complets d'inflic-
tion de peine, le suspect d'hé-
résie ne s'est pas amendé,
il sera tenu pour hérétique
et soumis aux peines des hé-
rétiques.
Notons tout d'abord que cet énoncé général du
traitement infligé aux suspects d'hérésie n'infirme en
rien un traitement plus sévère imposé à certains cas
plus graves de suspicion d'hérésie. La communication
in divinis avec les hérétiques comporte toujours la
suspicion d'hérésie, mais lorsqu'elle consiste préci-
sément dans le mariage contracté devant le ministre
acatholique, elle devient un délit, frappé d'une excom-
2247
HÉR'ËSIE. HÉRÉTIQUE
2248
munication, latse sentenlise, réservée à l'ordinaire
(can. 2319, § 1, 1°). De même, la suspens- <i divinis,
réservée au siège apostolique est enco.irr.e ipso facto
par ceux qui reçoivent les ordres des mains d'un
hérétique. Si l'ordinaire était de bonne foi, qu'il
soit privé de l'exercice de l'ordre reçu, de cette sorte,
jusqu'à ce qu'il ait obtenu dispen e. Can. 2372.
L'excommunication réservée à l'ordinaire frappe aussi
les suspects d'hérésie, que nous avons énumérés
plus haut, sous les numéros <;. b, c et d. Le profana-
teur des saintes espèces !(n. i) est non seulement sus-
pect d'hérésie, mais il encourt l'excommunication,
réservée d'une façon très spéciale au souverain pon-
tife : il est par le fait même infâme de droit, et, s'il
e,t clerc, il doit être déposé (can. 2320). Ceux qui
font appel des décisions du souverain pontife au
concile général (n. 0 sont excommuniés de l'excom-
munication réservée spécialement au saint-siège
(can. 2332), enfin les simoniaques clercs sont suspens
et l'absolution de cette censure est réservée au siège
apostolique. Ces cas spéciaux mis à part, il reste vrai
que le simple fait d'être suspect d'hérésie n'entraîne
par lui-même que la prohibition de l'exercice des
actes légitimes ecclésiastiques, et ce encore, seule-
ment après une monition infructueuse. Toutes les
spéculations des théologiens, voir Suarez, De flde,
disp. XXIV, sect. n, doivent être abandonnées en
face des précisions du droit actuel. Les actes ecclésias-
tiques prohibés sont énumérés dans le code, can. 2256,
§ 2 : la charge d'administrateur de biens ecclésias-
tiques, les fonctions de juge, d'auditeur, de rappor-
teur, de défenseur du lien, de promoteur de la justice
et de la foi ; de notaire et de chancelier, de curseur et
d'appariteur, d'avocat et de procureur dans les causes
ecclésiastiques; de parrain dans les sacrements de
baptême et de confirmation ; la participation aux
élections ecclésiastiques et l'exercice du droit de
patronage. Une deuxième monition doit être faite
aux clercs suspects d'hérésie avant de les suspendre
a dioinis. Au bout de six mois complets de coupable
persévérance dans le délit qui cause la suspicion,
nonobstant la peine infligée, le droit canonique déclare
que le suspect d'hérésie doit être traité comme un véri-
table hérétique et soumis aux mêmes peines, à com-
mencer par l'excommunication : « On ne saurait voir
dans cette censure une nouvelle excommunication
réservée; elle n'est autre que la première encourue
par le suspect d'hérésie, qui ne s'est pas amendé dans
le délai de six mois. » Boudinhon, Canoniste con-
temporain, 1917, p. 489; cf. Cappello, op. cit., n. 72.
« L'antique législation, dit M. Boudinhon, si
compliquée, concernant les credentes, receplores,
faulores, d'fensores, est remplacée par le canon 231G
(celui qui définit le délit de suspicion d'hérésie, voir plus
haut) qui constitue un très notable adoucissement. Non
seulement on passe sous silence les actes qui ont pour
objet la personne des hérétiques, pour se borner à
punir ceux qui favorisent la propagation de l'hérésie,
mais encore on ne vise que le délit caractérisé, puis-
qu'on dit sponte et scienter juvat; et ces coupables,
on ne les frappe pas aussitôt en hérétiques; on les
déclare suspects d'hérésie, ce qui laisse place à la
petite procédure prévue par le canon précédent et on
ue les expose à l'excommunication que si, après
monition, ils ne se sont pas amendés dans le délai
de six mois. • Ibid., p. 490. On remarquera pareille-
ment que la communication in divinis, sauf le cas
spécial du mariage devant le ministre acatholique,
ne comporte plus aucune excommunication, et se
résout canoniquement en une simple suspicion d'hé-
résie.
3. L'aîfirmalion obstinée d'une erreur théologique
ou d'une doctrine notée comme proche de l'hérésie
était autrefois un des cas de suspicion d'hérésie,
noté comme tel par les théologiens. Voir Lehmkuhl,
op. cit., t. n, n. 302. Le code actuel précise ce point
particulier et lui impose une législation spéciale, au
canon 2317.
Can. 2317. — Pertinaciter
docentes vel defendentes
sive publiée sive privatim
doctrinam, quae ab aposto-
lica sede vel a concilio gene-
rali damnata quidem fuit,
sed non uti formaliter hrere-
tica, arceantur a [ministerio
praedicandi verbum Dei au-
diendive^sacramentales con-
fessiones et a quolibet do-
cendi munere, salvis aliis
pœnis quas sententia dam-
nationis forte statuent, vel
quas ordinarius, post moni-
tionem, necessarias ad re-
parandum scandalum du-
xerit.
Ceux qui enseignent ou
défendent avec pertinacité,
soit publiquement, soit en
particulier, une doctrine ré-
prouvée par le saint-siège
ou par le concile général,
mais non comme formelle-
ment hérétique, seront éloi-
gnés du ministère de la pré-
dication et des confessions
sacramentelles et privés de
toutes fonctions d'enseigne-
ment, sans préjudice des
autres peines qui peuvent
être portées par la sentence
même réprouvant cette doc-
trine, ou que l'ordinaire,
après monition, estimerait
nécessaires pour réparer le
scandale.
Il semble que, sur le point particulier que vise ce
canon, l'Église ait instauré une discipline plus pré-
cise et plus ferme à la fois. Les nécessités de l'époque
ne l'y invitaient-elles pas? Notons tout d'abord que
les coupables ici visés enseignent ou défendent avec
pertinacité les propositions condamnées; il ne saurait
donc être question d'appliquer la règle proposée aux
auteurs qui errent de bonne foi et accepteraient avec
empressement les décisions de l'Kglise si ces décisions
parvenaient à leur connaissance. De plus, il faut re-
marquer qu'il s'agit ici de doctrines condamnées par
le siège apostolique ou le concile général. La con-
damnation portée par un évêque ou un concile par-
ticulier ne suffirait donc pas pour justifier l'appli-
cation du canon 2317 à ceux qui, avec pertinacité,
ne voudraient pas se soumettre à cette décision.
En troisième lieu, il ne fait pas de doute que le saint-
siège, c'est non seulement le pape, mais encore les
Congrégations romaines portant des condamnations
doctrinales. Enfin, on ne devra pas négliger de consi-
dérer l'extension de cette expression : une doctr'ne
réprouvée par le saint-siège ou le concile général : il
s'agit de toute doctrine réprouvée, à quelque titre
que ce soit, quoique non formellement condamnée
comme hérétique. Bien d'autres motifs que l'erreur
ou la témérité, peuvent, en effet, justifier la condam-
nation. V«ir Censures doctrinalus, t. n, col. 2105.
Voilà pourquoi le code, sans parler ici de suspicion
d'hérésie, porte une peine différente de celles que
nous avons étudiées, soit à propos du délit d'hérésie,
soit à propos de la suspicion d'hérésie. Toutefois,
comme la faute, en raison même de la variété de son
objet, peut revêtir des caractères bien différents, le
texte du droit laisse complète liberté à l'ordinaire
d'infliger les peines qui lui paraissent nécessaires pour
réparer le scandale causé. En toute hypothèse, l'Eglise,
à l'égard de ceux qui enseignent ou défendent des
doctrines réprouvées, mais non formellement héré-
tiques, impose des mesures bien propres à sauvegar-
der la pureté de la foi dans le peuple chrétien et à
éviter la contagion. Les coupables devront être écar-
tés du ministère de la prédication, de la confession,
de tout enseignement. Il va suis dire qu'il»- demeurent
sujets à toutes les autres peines canoniques que le
saint-siège ou le concile général auraient pu porter,
en condamnant les doctrines en question, contre ceux
qui contreviendraient à leur décision. Le canon 23 lï
laisse expressément intactes toutes ces pénalités.
Aux peines complémentaires que l'ordinaire pourrai t
2249
HÉRÉSIE. HÉRÉTIQUE
2250
juger nécessaires pour réparer le scandale causé, le
code ne met qu'une condition, une monition préa-
lable et demeurée sans efïet.
4. La constitution Aposlolicee sedii promulguait
une excommunication réservée spécialement au saint-
siège contre « tous ceux et chacun de ceux qui sciem-
ment lisent sans autorisation du siège apostolique
les livres des apostats et des hérétiques, propageant
l'hérésie, et pareillement les livres de n'importe quel
auteur nommément condamnés par lettres aposto-
liques, ou encore contre ceux qui conservent, impri-
ment et défendent de quelque faron que ce soit ces
mêmes livres ». Voir le texte latin, Apostasie,
t. i, col. 1609. Le texte du code, canon 2318, modifie
assez considérablement les dispositions de la con-
stitution de Pie IX : il s'agit toujours d'une excommu-
nication réservée spécialement au saint- siège, mais
il n'est plus seulement question des livres écrits par
les apostats et les hérétiques et propageant ex pro-
lesso l'hérésie; le code envisage les livres écrits
par les apostats, les hérétiques et les schismatiqucs
dans l'intention" de propager l'apostasie, l'hérésie
et le schisme : de plus, l'incise scicnlcr, qui affectait
tous les coupables visés par la constitution Aposlo
licœ sedis, cf. Bucceroni, Commentari is de constitu-
tione PU IX Apostolica- sedis, n. 13, affecte désor-
mais uniquement les lecteurs et les détenteurs des
livres visés par le canon 2315 ; enfin, toutes les dis-
cussions relatives aux imprimentes sont supprimées
par le fait qu'il n'est p'us que tio î que des éditeurs.
Cet adoucissement apporté à la législation canonique
était imposé par les conditions de l'industrie et du
commerce modernes. Seuls, en effet, les éditeurs des
livres mauvais peuvent être pleinement rendus res-
ponsable? de leur publication.
Voici le texte du canon 2318, § 8 :
Can. 2318, § 1. — In ex-
eommunicationem sedi apo-
stolicse speciali modo reser-
vatam ipso facto incurrunt,
opère publici juris facto,
editores librorum apostata-
rum, haereticorum et schis-
maticorum, qui apostasiam,
haeresim , schisma propu-
gnant ; itenique eosdem li-
bros aliosve per apostolicas
Iitteras nominatim prohibi-
tos defendentes aut scienter
sine débita licentia legen-
tes vel retinentes.
Tombent sous le coup de
l'excommunication réservée
spécialement au siège aposto-
lique, par le fait même de la
publication de ces ouvrages,
les éditeurs des livres des
apostats.des hérétiques et des
schismatiques propageant l'a-
postasie, l'hérésie et le schis-
me; et pareillement tous ceux
qui défendent ou sciemment
lisent ou conservent, sans
l'autorisation nécessaire, ces
livres ou d'autres livres nom-
mément condamnés par let-
tres apostoliques.
L'excommunication prévue par le canon 2318, § 1,
frappe donc ipso facto, dès l'instant de la publication
des livres propageant l'hérésie et écrits par un héré-
tique, l'éditeur de ces ouvrages. Ceux qui défendent
ces livres ou des livres condamnés nommément par
lettres apostoliques sont frappés, et pareillement ipso
facto, de la même peine; enfin les lecteurs et déten-
teurs non dûment autorisés, s'ils agissent sciem-
ment, sont excommuniés, au même titre que ee
précédents.
Deux observations pour finir. 1. La restriction
sine débita licentia indique que le saint- siège, par
lui ou par ses délégués, peut accorder l'autorisation
de lire et de retenir ces livres. L'ancienne formule,
sine anctoritate sedis aposlolicse est remplacée par
la formule plus vague à dessein, sine débita licentia,
parce que le droit confère à ce sujet aux ordinaires
certains droits. Cf. can. 1402, § 1. Le code, canon 1401,
a, de plus, consacré l'opinion commune affirmant que
la prohibition apostolique de certains livres n'obli
geait pas les cardinaux, les évêques, même titulaires, et
les ordinaires. — 2. D'après le texte de la prohibition,
il s'agit de livres et non pas de manuscrits ou de
feuilles volantes. Il s'agit de livres écrits par des au-
teurs notoirement hérétiques (apostats ou schisma-
tiques) ou que leurs livres révèlent tels : le livre d'un
infidèle ne tomberait donc pas sous le coup de la
prohibition avec censure. 11 s'agit enfin de livres
propageant intentionnellement l'hérésie : un livre
contenant obiter quelques propositions hérétiques
ne rentrerait donc pas dans cette catégorie; cf.
S. C. de l'Index. 27 avril 1880; notons toutefois qu'il
n'est pas nécessaire que le livre traite de questions
religieuses. A, ce sujet, rappelons deux décisions : la
lecture des journaux rédi ;és par des hérétiques ne
tombe pas sous le coup de l'excommunication, Saint-
OfTice, 27 avril 1880, Collcct., n. 1533, à moins qu'il
ne s'agisse de publications périodiques reliées en
fascicules, ayant pour auteur un hérétique et propa-
geant l'hérésie. Saint-Office, 13 janvier 1892, ad luai,
Collect., n. 1777. Cf. Cappello, op. cit., n. 75-79. Sur
la portée exacte des mot. legenles, ratinenles, defen-
dentes, voir Apostasie, t. î, col. 1609-1610.
5. II faut, en dernier lieu, mentionner une peine
spéciale : le refus de sépulture ecclési stique. Cette
interdiction, for.nulée au rituel romain tit. vi, De
exsequiis, c. n, n. 2, est précisée par le code, can. 1240
Le rituel prévoyait le refus de sépulture ecclésias-
tique hœreticis et eorum fauloribus; le droit nouveau
ne parle que des hérétiques, et encore de ceux qui
notoirement appartiennent à une secte hérétique
(1°) ; les fauteurs d'hérésie sont passés sous silence et
ne sont exclus de la sépulture ecclésiastique qu'à la
condition qu'ils soient excommuniés. On sait d'ail-
leurs que le refus de sépulture ne concerne les exco ii-
muniés qu'après une sentence condamnatoire ou dé-
claratoire (2°). De plus, l'interdiction n'existerait
plus >i, avant de mourir, l'hérétique avait donné de;
signes de repentir, can. 1240, § 1, 1°, § 2. Dans le
doute, il faudrait, si on en a le temps, consulter
1 ordinaire.
Il est donc interdit d'ensevelir les hérétiques dans
les tombeaux des catholiques et réciproquement.
La première interdiction est la plus sévère, à cause de
l'apparence d'adhésion à l'hérésie qu'impliquerait sa
transgression. Toutefois, s'il n'y a pas scandale et s'il
apparaît clairement qu'on ne fait qu'obéir à des rai-
sons de convenance, étrangères à la communication
in divinis, et lorsqu'il n'est pas facile de s'en tenir
aux règles ecclésiastiques sur ce point, on peut tolérer
ces sortes de sépulture. Cf. instruction du Saint -
Office, 30 mars 1859, aux évêques de l'Amérique
du Nord, Coll"ct., n. 1173, insérée dans les actes du
IIe concile de Baltimore, n. 389, renouvelée le 14 no-
vembre 1888 ; réponse de la S. C. de la Propagande,
16 avril 1682. D .ns ces documents, il est question
de sépultures de personnes unies par les liens de
parenté et appartenant, les unes à la religion catho-
lique, les autres aux sectes protestantes.
L'interdiction de sépulture ecclésiastique aux héré-
tiques donne lieu, dans le droit ecclésiastique, à une
pénalité portée contre ceux qui contreviennent à
cette défense. La constitution Aiwstoucœ sedis > décla-
rait frappés de l'excommunication latœ senlentiee, non
réservée, ceux qui ordonnent ou contraignent de
donner ia sépulture ecclesiastiaue aux hérétiques
notoires ou bien à ceux qui sont nommément excommu-
niés ou interdits. » Excommunications non réservées,
n. 1. Le code, can. 2339, reprend substantiellement
la même législation, mais avec quelques nuances qui
précisent la volonté du législateur :
Can. 2339. — Qui ausi Ceux qui oseront ordon-
fuerint mandare seu cogère ner ou contraindre d'accor-
tradi ecclesiastica; sepul- der la sépulture ecclésias
2251
HÉRÉSIE. HÉRÉTIQUE
2252
tune infidèles, apostates a
fidc, vel hœreticos, schis-
maticos, aliosve sive excom-
municatos sive interdictos
contra prœscriptum can.
1240, § 1, contrahunt ex-
communicationem Iala: scn-
tentise nemini reservatam ;
spontc vero sepulturam eis-
dem donantes, interdictum
ab ingressu ecclesiœ ordi-
nario reservatum.
tique aux infidèles, aux
apostats de la foi, ou aux
hérétiques, schismaliques et
autres, soit excommuniés
soit interdits, contrairement
à la prescription du canon
1240, § 1, encourent une
excommunication non réser-
vée ; ceux qui spontané-
ment accordent la sépulture
aux mêmes encourent l'in-
terdit par rapport à l'entrée
de l'église, réservé à l'ordi-
naire.
Il s'agit ici, en premier lieu, de ceux qui ordonnent
ou contraignent d'accorder la sépulture ecclésias-
tique à tous ceux que vise le canon 1240, § 1. Parmi
ceux-là se trouvent nommément les hérétiques appar-
tenant à une secte — et ainsi le code précise ce qu'il
faut entendre par hérétiques notoires dans la con-
stitution de Pie IX — et les excommuniés après sen-
tence condamnatoire ou déclaratoire. En second lieu,
il faut remarquer que la constitution Aposlolicœ sedis
excommuniait absolument mandante» seu cogentes;
l« canon 2339 apporte une nuance adoucissant la
pénalité : qui ausi juerinl mandare seu cogère. Enfin,
le canon précité reprend la discipline de la consti-
tution Aposlolicœ sedis relative à ceux qui accordent
indûment la sépulture ecclésiastique : l'interdit porté
parla constitution (part. III, n. 2) affectait ceux qui
sciemment... admettaient à la sépulture ecclésiastique...
et, de plus, la levée de l'interdit était réservée à celui
dont le coupable avait méprisé la sentence. Le mot
sciemment est enlevé du nouveau texte : mais le
terme sponte, indiquant la responsabilité personnelle
du délinquant, explique la portée de l'interdit. Enfin,
l'absolution est toujours attribuée à l'ordinaire.
3° Absolution des hérétiques. — L'absolution des
hérétiques, aux premiers siècles de l'Église, soulève,
quant à son rite, des difficultés d'ordre théologique.
C'est la question de la reconfirmation, déjà envisagée
aux art. Baptême des hérétiques, t. n, col. 229,
et Confirmation, t. ru, col. 1049. Cf. P. Galtier, dans
Recherches de science religieuse, Paris, 1914; d'Alès,
L'édit de Callixte, Paris, 1914, p. 446, qui donne la biblio-
graphie relative à la controverse théologique que sus-
cite la réconciliation des hérétiques par l'imposition des
mains. Nous renvoyons la question de la procédure
ïnquisitoriale à l'art. Inquisition. Il nous reste donc
à considérer uniquement l'absolution du délit d'hérésie,
dans le droit canonique actuellement en vigueur.
1. Absolution au for interne et absolution au for externe.
— Voir For, t. vi, col. 526. — a) Principes. — a. En
soi, l'absolution d'une censure, et par conséquent de
l'excommunication qu'entraîne le péché d'hérésie
externe, devrait être donnée au for externe. En effet,
la censure est un lien pénal imposé au délinquant,
d'une façon externe, publique, par le pouvoir coercitif
que l'Église possède en propre, en tant que société,
sur chacun de ses membres; c'est donc par l'exercice
de ce même pouvoir social, c'est-à-dire externe, que ce
lien peut être brisé. Toutefois, d'une part, la censure
peut être encourue à cause d'un délit occulte, sans au-
cune procédure judiciaire, c'est-à-dire comme peine
résultant d'une sentence déjà portée, tanquam pœna
latse scntcntiœ; d'autre part, les censures privent ceux
qui en sont frappés de beaucoup de biens spirituels
nécessaires au salut, par exemple, de l'usage des sacre-
ments, ou encore elles empêchent l'exercice des pou-
voirs ecclésiastiques, exercice que les fidèles sont en
droit de demander aux ministres sacrés; enfin, un
ministre sacré peut encourir une censure à l'insu des
les : lui ôter, en ce cas, l'exercice de ses- pouvoirs
serait en quelque sorte l'obliger à se diffamer. Aussi
l'Église, tout en conservant aux censures leur caractère
pénal, a cependant décidé que le délinquant pourrait,
sous certaines conditions, se faire relever des censures
encourues assez à temps pour ne pas être privé des
secours spirituels ou perdre son droit à l'exercice de ses
pouvoirs sacrés. En certains cas déterminés, l'Église
accorde donc une absolution au for interne des censures
encourues, absolution qui, relativement aux pénalités
prévues, n'aura son plein effet que lorsque l'absolution
aura été reçue au for externe, mais qui du moins, en
attendant, permettra l'usage des sacrements et l'exer-
cice des fonctions sacrées. Wernz, op. cit., n. 174;
Ballerini-Palmieri, Opus theologicum morale, t. vu,
tr. II, n. 136. — b. L'absolution donnée au for interne,
lequel n'est pas nécessairement le for sacramentel,
Ballerini-Palmieri, loc. cit., n. 194 sq., cf. can. 2250, § 3,
peut être envisagée, quant à la connexion de son effet
avec le for externe, dans trois hypothèses : a. Si la censure
est notoire, l'absolution reçue au for interne ne libère pas
le délinquant de l'obligation de se considérer, vis-à-vis
de l'Église, comme toujours lié par la censure, jusqu'à
ce que soit intervenue sa réconciliation publique :
le juge a, en effet, le droit d'exiger une constatation
publique de la réconciliation faite au for interne, tout
comme il peut ratifier simplement, pour le for externe,
cette réconciliation secrète. — p. S'agit-il de délit et
de censure occultes, le délinquant, absous au for interne,
peut se considérer, même publiquement, comme en règle
avec l'Église, en vertu du principe que tout ce qui
n'est pas notoire n'est pas censé déduit au for externe;
mais son cas peut toujours être déféré au for externe
et lui attirer, de la part du juge ecclésiastique, la puni-
tion que comporte, en dehors de la censure, le délit
pardonné en secret. Cf. canon 2251. — y. S'agit-il enfin
d'un cas déjà porté devant le juge ecclésiastique, l'abso-
lution au for interne ne peut être donnée tant que la
cause est pendante : il résulterait de la pratique contraire
une véritable diminution du pouvoir judiciaire et un
conflit apparent d'autorités. Cf. Ballerini-Palmieri, loc.
cit., n. 206 ; Benoît XIV, Constit. Inter prœleritos, § 61-
63. — b) Applications. — a. Hérésie interne. — Pas de
délit, donc pas de censure; donc pas d'absolution au for
externe. Tout confesseur peut absoudre ce péché d'hé-
résie, quelle qu'en soit d'ailleurs la gravité. — b. Héré-
sie externe occulte. — Seule, l'hérésie formelle entraîne
la censure; donc, non seulement l'entière bonne foi,
mais encore l'ignorance, même affectée, excusant de
l'hérésie formelle, voir col. 2221, excusent de la censure.
La censure encourue parl'hérétique occulte estl'excom-
munication réservée speciali modo au souverain pon-
tife. L'absolution peut en être obtenue, soit au for
externe, en déférant le cas à l'évêque, comme l'a décidé
le nouveau code de droit canonique, soit au for
interne, d'un confesseur muni de pouvoirs spéciaux
ad hoc. L'absolution au for interne, en vertu des prin-
cipes énoncés plus haut, est, à la rigueur, suffisante.
Mais, afin d'être tranquille au for externe, le coupable
pourra, en outre, solliciter de l'ordinaire une abso-
lution au for externe. Cf. Saint-Office, Réponse à
un vicaire apostolique, 7 mai 1822, Collect., n. 771.
Enfin, en l'absence de confesseurs munis des
pouvoirs nécessaires, tout prêtre peut absoudre,
dans les circonstances prévues et aux conditions
posées par les décrets du Saint-Office, 23-30 juin 1886
et 16 juin 1897, voir Censures ecclésiastiques, t. n,
col. 2134, rappelées parles termes du canon 2254, § I.
Rappelons toutefois, comme il s'agit ici d'hérésie
externe, que le confesseur doit exiger du coupable
une réparation convenable du scandale donné et
la promesse de ne plus participer désormais à
l'hérésie en aucune façon. Si l'on doit, corïformément
aux décrets précités, user du recours à Rome injra
mensem, il faut, lors de l'absolution sacramentelle,
2253
HÉRÉSIE. HÉRÉTIQUE
2254
imposer, outre la pénitence sacramentelle, une péni-
tence particulière et indiquer dans le recours à Rome
cette pénitence pour éviter au coupable réconcilié
l'imposition d'une nouvelle pénitence. Cf. Ami du
clergé, 1903, p. 953. — c. Hérésie notoire. — « Celui
qui a publiquement adhéré à une secte hérétique, à
plus forte raison celui qui est né dans l'hérésie, n'est
pas libre de se contenter de l'absolution pro joro
conscientiœ; il doit recevoir celle du for externe. > Di-
verses décisions sur les hérétiques (sans nom d'auteur),
dans la Nouvelle revue théologique, 1894, t. xxvi, p. 44;
cf. S. Alphonse, op. cit., \ 1. VII, n. 129; Cl. Marc,
op. cit., t. i, n. 443, 1884, 1382; Thésaurus, De pœnis,
c. xxn ; Stremler, Traité des peines ecclésiastiques,
Paris, 1860, p. 244. Cette doctrine, la seule conforme
à la pratique de l'Église, résulte de nombreuses déci-
sions du Saint-Office, 18 juillet 1630, 29 novembre 1725,
Collcct., n. 56,304, 8 avril 1786. Cf. Bulot, Compendium
ihcologicœ moralis, 1. 1, p. 196. En ce cas, l'absolution au
for externe doit précéder normalement l'absolution au
for interne. Si cependant le recours à l'évêque, dont il
va être question, pour obtenir une délégation, est trop
long et présente des inconvénients graves pour le péni-
tent, le confesseur pourra procéder comme il a été indi-
qué dans les décrets du Saint-Office du 23-30 juin 1886
et du 16 juin 1897. Voir Censures ecclésiastiques.
t. n, col. 2134.
Notons qu'en certains cas, temps de jubilé ou de
de guerre, en vertu de pouvoirs conférés spécialement
par Rome, de simples prêtres ont le droit d'absoudre
au for interne le péché d'hérésie ou d'apostasie même
notoire. Mais c'est toujours à la condition d'une répara-
lion publique, soit une abjuration, soit une absolution
au for externe subséquente. Voir les Instructions pour
les confesseurs à l'occasion du jubilé de 1886, Canonisle
contemporain, 1886, p. 268; les déclarations de la
S. Pénitencerie pour le jubilé de 1900, ibid., 1900,
p. 364; le texte d'indiction de Pie X pour le jubilé de
1913, ibid., 1913, p. 246; le décret du Saint-Office du
1er mai 1779, relatif aux apostats du Thibet, Collect.,
n. 553; le décret du 28 septembre 1672, relatif aux
hérétiques en général, Collect., n. 204; ces deux derniers
décrets expliquant la nature des pouvoirs conférés
aux missionnaires de la Propagande. Cf. Ami du clergé,
1907, p. 1010 sq. Cette exigence d'une réparation pu-
blique est de droit naturel : là où il y a eu scandale, il
faut également une réparation. C'est aux prêtres à
consulter, en chaque cas particulier, la teneur de leurs
pouvoirs spéciaux. Voir, pour plus de détails, l'art.
Abjuration, t. i, col. 74.
Ce code résume brièvement toutes ces dispositions
de la discipline canonique au caron 2314, § 2.
Can. 2314, § 2. — Absolu-
tio ab excommunicatione de
qua in § 1 , in foro conscientiœ
impertienda, est speciali mo-
do sedi apostolicœ reser-
vata. Si tamen delictum
apostasise, hœresis vel schis-
matis ad forum externum
ordinarii loci quovis modo
deductum fuerit etiam per
voluntariam confessionem,
idem ordinarius, non vero
vicarius geneialis sine man-
data speciali, resipiscentem,
prœvia abjuratione juridice
peracta aliisque servatis de
jure servandis, sua auctori-
tate ordinaria in forto exte-
riore absolvere potest ; ita
vero absolutus, potest deinde
a peccato absolvi a quolibet
confessario in foro conscien-
'tiœ. Abjuratio vero habetur
L'absolution de l'excom-
munication prévue au § 1,
accordée au for de la con-
science, est réservée d'une
façon spéciale au siège apos-
tolique. Si toutefois !e délit
d'apostas'e, d'hérésie ou de
schisme est défini, dequelque
façon quece soit, même par un
aveu volontaire, au for ex-
terne de l'ordinaire du lieu,
ce même ordinaire, mais non
pas son vicaire général sans
mandat spécial, peut, en
vertu de son autorité ordi-
naire, absoudre au for ex-
terne le délinquant venu à
résipiscence, à condition de
recevoir son abjuration pré-
alable et de suivre toutes les
prescriptions que de droit.
Le pécheur ainsi absous peut
ensuite, au for de la con-
juridice peracta, en un fit co-
rum ipso ordinario loci vel
ejusdelegato et saltem duo-
bus testibus.
science, recevoir le pardon
de son péché de n'importe
quel confesseur. L'abjura-
tion est considérée comme
juridiquement faite, lors-
qu'elle a lieu devant l'ordd)-
■aire du lieu ou son délègue
et devant au moins deux
témoins.
L'absolution reçue au for interne, dans ces condi-
tions spéciales, remet le péché et la censure, mars
elle ne peut faire qu'il ne soit plus possible, si
l'évêque en avait la volonté et le moyen, de poursuivre
l'hérétique au for externe. H serait donc utile de solli-
citer une absolution au for externe, alors même qu'elle
ne serait pas exigée; mais, en règle générale, on ne
l'impose pas, car aujourd'hui, la plupart du temps,
les évêques sont dans l'impossibilité de poursuivre les
hérétiques et, le pourraient-ils, ils n'intenteraient
aucune action contre un hérétique qui, dans l'hypo-
thèse, se serait réconcilié avec l'Église et aurait donné
par une réparation publique, une marque certai.i de
sa conversion. Voir Ami du clergé, 1905, p. 90; J. Bes-
son, Le jubilé, ses conditions et ses privilèges-, dans la
Revue théologique française, 1904, t. ix, p. 224. Cf.
Thésaurus, op. cit., au mot Censurée, c. i, n. 22; Suarez,
De censuris, disp. VII, sect. v, n. 26; Baller ni-
Palmieri, op. cit., n. 206; Wernz, op. cit., n. 174, etc.
2. Ministre de l'absolution. — a) Absolution au (or
interne du péché d'hérésie externe, occulte ou publique. —
Quand les conditions, prévues par les décrets du
30 juin 1866 et du 16 juin 1897, et par le Codex
juris canonici, can. 2314, § 2, sont réalisées, tout
prêtre ayant le pouvoir de confesser peut absoudre.
En dehors de ce cas, il faudrait avoir reçu soit du
saint-siège, soit de l'ordinaire, délégué lui-même ad
hoc, des pouvoirs spéciaux. Les évêques ont, dans leur
diocèse, en vertu d'une délégation quinquennale, le
pouvoir d'absoudre, soit par eux-mêmes, soit par leurs
délégués, les fidèles coupables du péché d'hérésie
externe occulte. Saint-Office, 8 juin 1900, Collect.,
n. 2084. La S. Pénitencerie a même déclaré, le 26 mars
1894, Collect., n. 1864 ; Canoniste contemporain, 1895,
p. 311, que ce pouvoir d'absoudre s'étendait aux héré-
tiques publics, mais non dogmatisants. — 6) Absolution
au for externe. — a. Le ministre normal de cette abso-
lution est l'ordinaire, c'est-à-dire l'évêque ayant juri-
diction sur le délinquant, lorsque la cause est, de
quelque façon que ce soit, déférée à son autorité. Saint-
Office, 2 janvier 1669, 21 décembre 1895, 8 juin 1900,
Collect., n. 2081. Il peut se faire remplacer par un
délégué. Saint-Office, 28 mars 1900. Collect., n. 2079,
qui renvoie à une instruction donnée le 8 avril 1780
Le vicaire général n'est pas]qualifié, sans délégation
spéciale, pour donner, au nom de l'évêque, cette abso-
lution. Ce pouvoir ordinaire des évêques, cf. Benoit
XIV, De synodo dicecesana, ). IX, c. iv, n'a pas été
supprimé par la constitution Apostolicœ sedis. Voir tous
les commentateurs et, en particulier, Bucceroni,
Commentarius de constilulione PU IX Apostolicœ sedis,
n. 9. Cf. Hilarius a Sexten, Traclatus de censuris eccle-
siaslicis, Mayence, 1898, p. 109 ; Marc, op. cit. ,t.i,
n. 443 ; Bulot, op. cit., t. n, n. 941. Il est expressé-
ment reconnu par le Codex juris canonici, can. 2314,
§ 2. — b. Lorsque la cause n'est pas déférée au for
épiscopal, en vertu même de la réserve portée par
la constitution Apostolicœ sedis, et par le nouveau
code, c'est au pape ou au cardinal pénitencier qu'il
faut s'adresser pour obtenir, soit directement, soit
par un délégué, l'absolution au for externe du péché
d'hérésie occulte ou publique. — c. En vertu de la
concession faite par Pie X, 29 décembre 1912, au
Sacré-Collège, les cardinaux ayant le pouvoir de
2255
HÉRÉSIE. HÉRÉTIQUE
2256
remettre les censures encourues et réservées même
speciali modo au souverain pontife, ont, par le fait
même, le pouvoir de relever de l'excommunication
encourue pour le crime d'hérésie.
3. Manière d'absoudre du péché d'hérésie externe. —
Voir les principes généraux posés pour l'absolution des
censures, t. il, col. 2135. Ajoutons simplement que,
lorsque l'absolution est donnée in foro interno, l'abju-
ration ou la rétractation publique qui est imposée et
qui est destinée à réparer le scandale donné, doit se
faire d'après la formule indiquée par le Saint-Office,
le 20 juillet 1859, à l'évêque de Philadelphie. Collect.,
n. 1178. Voir, pour plus de détails sur ce document,
Abjuration, 1. 1, col. 75. Au for externe, il faut prendre
la formule du rituel, tit. m, c. ni. La publicité exigée
suppose toujours au minimum deux témoins. Saint
Office, 28 mars, 1900 ; Codex juris canonici, can. 2314,
§ 2. La marche à suivre est indiquée dans l'instruction
du 20 juillet 1859, et a été rappelée à l'art. Abju-
ration.
Les auteurs à consulter ont été cités au cours de
l'article, où l'indication des différents ouvrages concer-
nant l'hérésie, au triple point de vue dogmatique, moral,
et canonique, a été donnée.
I. Sources. — 1" Ouvrages des Pères. — 1. Saint Justin
avait composé un S\ivxaYfj.a za-rà kckjwv toW Yey£VY|u.éva>v
alpÉtreiDV (I Apol, n. 23, P. G., t. vi, col. 368-370),
perdu aujourd'hui. 2. Saint Irénée, Contra omnes hœreses,
P. G., t. vu, col. 437-1224. 3. Saint Hippolyte avait écrit
un ïïvvTayu,a 7rpbç cercâaa; ta; aîpéaeiç, que Photius avait
lu, Bibliolheca, cod. 121, P. G., t. en, col. 401-404, et qui
commençait par l'hérésie de Dosithée pour finir à celle de
Noët; cet ouvrage perdu a été utilisé par le pseudo-Ter-
tullien, par saint Épiphane et saint Philastre. Il fit ensuite
un recueil bien plus important, les <i>;).ciiToyoJ[XEva,dont les
quatre premiers livres exposent la sagesse antique, P. G.,
t. xvi, col. 3017-3124; les livres V-X exposent les hérésies,
P. G., t. xvi, col. 3124-3454. Cf. Contra hœresim Noeii.t. x,
col. 803-830. Voir A. d'Alès, La théologie de saint Hippolyte,
Paris, 1906, p. xxx-xxxi, 71-104. 4. Pseudo-Tertullien,
Catalogus liœreticorum, P. L., t. n, col. 61 (dans le De prœ-
scriptionibus, c. xlvi). 5. S. Épiphane, Katà aiplaew
ôy5t)/,y.ovrx uavaptov seu y.iëumo;, P. G., t. xli, col. 173-
1200, t. xlii, col. 9-833. 6. Saint Philastre, Liber de hœre-
slbus CLVI, P. L., t. xii, col. 1111-1302. 7. Saint Augustin,
De hœresibus, P. L., t. xlii, col. 21-93. 8. Théodoret, Ai-
pe-txf,; y.axofj.ufh'aç int.iO{i.rl, P. G., t. lxxxiii, col. 335-556.
9. Prœdestinatus, dont le Ier livre parle de 90 hérésies, depuis
celle de Simon le Magicien jusqu'à celle des prédestina-
tiens, qu'il combat dans les deux livres suivants, P. L.,
t. lui, col. 587-672. 10. Léonce de Byzance ou plutôt
l'auteur du De sectis, P. G., t. lxxxvi, col. 1193-1268.
11. S. Jean Damascène, Liber de hœresibus, P. G.,
t. xciv, col. 677-780.
2° Ouvrages modernes sur les hérésies. — Alphonse de
Castro, Adversus omnes hœreses, au nombre de plus de
40, Paris, 1534, etc., voir t. i, col. 005-906; trad.
franc., par J. Hermant, Histoire des hérésies, 3 in-12,
Rouen, 1712; 3" édit., 4 in-12, Rouen (le rv« vol. est sur le
schisme d'Angleterre); Gottfried \rnold, Unparieische Kir-
chen-und Ketzerhistorie, en 17 livres, depuis le début jusqu'en
1688, in-fol., Francfort-sur-le-Mein, 1729; 3 in-fol., Schaf-
fhouse, 1740; Wilh. Walch, Enlwurf einer vollstàndigen
Geschichte der Ketzereien, inachevé, et conduit jusqu'à la
querelle des images, Leipzig, 1769; Jean Conrad Fueslin,
Kirchen und Ketzerhistorie der milllern Zeit, sur les hérésies
de la Suisse, 3 vol., Francfort, Leipzig, 1770-1774; Ch. Ulr.
Hahn, Geschichte der Ketzerim Mittelalter (hérésies des
xie, xne et xme siècles), Stuttgart, 1845-1847; Hilgers,
Kritische Darstellung der Hàresienundder orthodoxen Haupl-
richtungen (inachevé), Bonn, 1837: Hilgenfeld, Ketzerge-
scliichte des Urchristenlhums, Leipzig, 1884; Menéndez
Pelayo, Historia de los hétérodoxes espanoles, 2 vol., Madrid,
1880; Alexis Lombard, Pauliciens, bulgares et bonshommes
en Orient et Occident, Genève, Bâle, 1870; Du rôle des héré-
sies dans le développement du christianisme au moyen âge,
dans la Revue politique et littéraire, 1879, t. xvn, p. 1195;
Ph. Fritz, Kelzerlexicon, 3 vol., Ratisbonne, 1838; Pluquet
et J.-Jh. Claris, Dictionnaire des hérésies, des erreurs et des
schismes, dans l'Encyclopédie théologique de Migne, t. xi et
xii, 2 in-4°, Paris, 1847; Louis Vallée, Dictionnaire du
protestantisme, ibid., Paris, 1858, t. xxxvi; F. Tocco,
L'eresia nel medio evo, Florence, 1884; I. von Dôllinger,
Beitràge zur Sekten geschichte desMitlelalters,2 vol., Munich,
1890; Blunt, Dictionary •/ secls, Londres, 1903.
IL Auteurs. — 1° Problème dogmatique. — S. Ray-
mond de Pennafort, Summa, Rome, 1603, 1. I, c. De
hœrelicis; S. Thomas d'Aquin, Sum. theol., II» II*, q. x, et
les commentateurs, Cajetan, Bafiez, Grégoire de Valencia,
Pierre d' Aragon, Silvius;Suarez, De fide, disp. III, sect. xi;
disp. XIX, sect. n, dans Opéra omnia, Paris, 1856, t. xii;
De Lugo, Disputationes scholasticœ et morales, Paris, 1868,
t. i, De fidei divines virtute, disp. XX; cf. disp. XXIII,
XXV; Tanner, De fuie, q. xi, traitent ex professo la question
de l'hérésie. Voir également Vasquez, In Pm p. Sum.
theol. S. Thomœ, Venise, 1608, disp. V, c. in; Bellarmin,
Controversiœ, Lyon, 1590, 1. III, t. iv, c. xx; Bécan, De
virtutibus theologicis, c. xiv, dans Summa theologiœ scolas-
ticœ, 4 in-4», Mayence, 1612; Turrecremata, Summa de
Ecclesia, Venise, 1651 , 1. IV, p. n ; Kilber, De fide, n. 226, dans
les Wirceburgenses, Paris, 1880, t. v ; Salmanticenses, Cursus
theologicus, tr. XVII, De fide, disp. IX, dub. n; cf.
disp. I, dub. iv, Paris, 1879, t. x ; Montagne, De censwis seu
notis theologicis, a. 2, § 1, dans Migne, Cursus theologiœ
completus.t. i, col. 1120-1161; Bouquillon, Instituliones
theologiœ moralis, Bruges, 1878, De virt. theol., n. 211 sq.;
Mazzella, De virtutibus infusis, Rome, 1879, n. 526-530;
Perrone, De virtutibus fidei, spei et caritalis, Turin, 1867,
part. I, c. ix, a. 2; J. Didiot, Morale surnaturelle spéciale,
Vertus théologales, Paris, 1897 ; Schiffini, De virtutibus
in/usis, Fribourg-en-Brisgau, 1904, n. 187,194, 195; Hurter,
Theologiœ dogmaticœ compendium, Inspruck, 1885, t. i,
n. 408, 675; Billot, De Ecclesia Christi, Rome, 1898, th. xi;
De virtutibus infusis, Rome, 1901, th. xxm, xxiv; Wilmers,
De Christi Ecclesia, Ratisbonne, 1897, n. 397-399 ; Prœlec-
tiones theologiœ fundamentalis, n. 130; Franzelin, De divina
tradilione, Rome, 1870, th. xn, scholion m; Ch. Pesch,
Prœlecliones dogmaticœ, Fribourg-en-Brisgau, 1899, t. i,
n. 557; t. vin, n. 377; Van Noort, De fontibus revelationis,
Amsterdam, 1911, n. 259 sq.; Vacant, Études théologiques
sur les constitutions du concile du Vatican, Paris, 1885,
t. n, n. 856.
Parmi les inquisiteurs, A. de Castro, Adversus omnes
hœreses, Paris, 1534; De justa hœreticorum punilione, Lyon,
1566; Simanca, De calholicis inslitutionibus, Ferrare, 1692,
tit. xxx, liv; Del Eene, De officio S. Jnquisitionis
contra hœresim, Lyon, 1680; Sanctarelli, Traclatus de
hœresi, Rome, 1625; Eymeric, Directorium inquisitorum,
Rome, 1578; avec les scolies de Pegna, Rome, 1616; Fari-
nacci, Traclatus de hœresi, Rome, 1816; Dandini, De sus-
pectis de hœresi, Rome, 1703; Bordoni, Sacrum tribunal
judicum in causis sanctœ fidei contra hœreticos et de hœresi
suspecios, Rome, 1648; Alberghini, Manuale qualificatorum
SS. Inquisitionis, Palerme, 1642. A côté des indications
relatives à la procédure inquisitoriale, on trouve dans ces
ouvrages d'intéressantes notions dogmatiques, morales et
canoniques touchant l'hérésie.
On consultera également avec profit : Ferraris, Prompla
bibliotheca, Venise, 1770, aux mots Hœresis, Hœreticus;
Thésaurus, De paenis ecclesiaslicis, Ferrare, 1761, au mot
Hœresis; Granderath, dans le Kirchenlexikon, au mot
Hàresie, t. V, col. 1442-1451; Ojetti, Synopsis, Prato, 1904,
au mot Hœrests; Choupin, clans le Dictionnaire apologétique
de la foi catholique (d'Alès), art. Hérésie, t. m, col. 607-609;
ainsi que quelques ouvrages plus spéciaux sur l'Inquisition,
mais où la notion d'hérésie se trouve exposée soit histori-
quement, soit doctrinalement : Garzend, L' Inquisition et
l'hérésie, Paris, 1913; Tanon, Histoire des tribunaux de
V Inquisition en France, Paris, 1893; Vacandard, L'Inquisi-
tion, Paris, 1907, c. vm.
2° Problème moral. - — 1. Sur le péché d'hérésie, voir
la plupart des auteurs déjà cités, et, au traité de la foi, les
manuels de d'Annibale, Bucceroni, Ballerini-Palmleri, Sca-
vini, Noldin, Génicot, Gury-Dumas, Gury-Ballerinl, Gury-
Ferrerès, Cl. Marc, Tanquerey, etc. Voir plus spécialement
Lehmkuhl, Theologia moralis, Fribourg-en-Brisgau, 1902,
t. i, n. 298 sq.; t. n, n. 921 sq., et surtout S. Alphonse de
Liguori, Theologia moralis, édit. Gaudé, Rome, 1907, t. i,
p. 310, où l'on trouvera les références aux anciens auteurs
cités au cours de l'article, Malderus. Sanchez, Azor, Sa,
Sayrus, Antoine, Filiucci, Laymann, Coninck, etc. Cf.
Suarez, op. cit., disp. XIV, XXI; Badet, Le péché d'in-
croyance, Paris, Lyon, 1899. — 2. Sur les relations des catlio
2257
HÉRÉSIE. HÉRÉTIQUE — HERGENRŒTHER
2258
liqucs et des hérétiques, voir les documents du saint-siège,
dans Lettres apostoliques de Léon XIII, édit. Bonne Presse,
t. I, p. 41; t. il, p. 51, 234-235; t. m, p. 65-67, 69, 219;
t. iv, p. 175, 221, 229; Lettres de Pie X (ibid.), t. i, p. 113,
217 ; Collectanea S. C. de Propaganda fide, in-4°, Rome, 1907,
passim; Analecta ecclesiastica, Rome, 1899, p. 98-99. Cf.
Questions ecclésiastiques, Lille, 1912, t. n, p. 194 sq.; Ami
du clergé, Langres, 1900, p. 1604; 1904, p. 112, 879; 1907,
p. 287, 600 ; 1908, p. 444; Mgr Nègre, Les écoles, Paris, 1911.
3" Problème canonique. — 1. Sources : Décret de Gratien,
c. 4, dist. XXX;c.32, dist.L; Causa I, q. vu; Causa XXIII,
q.vn;Causa XXIV, q. i,iil;c.37, 118, dist. IV, Deconsecr.;
Complément I, 1. V, tit. vi. De hœreticis; III, 1. V, tit. iv;
IV, 1. V, tit. v, De hœreticis et manichœis; V, 1. V, tit. iv,
De hœreticis; Décrétales de Grégoire IX, 1. V, tit. vin;
Décrétales de Clément VIII, édit. Sentis, p. 163 sq.; Pie IX,
const. Apostolicœ sedis. — 2. Auteurs : outre les grands,
commentaires de Schmalzgruber, Reiftenstuel, Pirhing,
. Ponsius, etc., et les manuels classiques de Devoti, De
Angelis, Sanguinctti, Cavagnis, Santl, Soglia, Aichner,
Laurentius, Grandclaude, Bouix, Deshayes, Wernz, on
consultera avec profit, sur les peines infligées aux héré-
tiques dans le droit moderne, les commentateurs de la bulle
Apostolicœ sedis, voir ce mot, t. i, col. 1617-1618; Hilarius
a Sexten, Tractatus de censuris ecclesiasticis, Mayence, 1894;
Gennari, Consultazioni morali-canoniche-liturgiche, Rome,
1902; trad. Boudinhon; Heiner, Katholisches Kirchenrecht,
Paderborn, 1909; Die kirchenlichen Censuren, Paderborn,
1884; Kober, Der Kirchenban, Tubingue, 1857; Stremler,
Traité des peines ecclésiastiques, Paris, 1860; Muenchen,
Die canonischen Gerichtsver/aliren und Slrafrecht, Cologne,
1865; Hinschius, Das Kirchenrecht der Katholiken und Pro-
leslanten in Deulschland, t. iv, p. 844; t. v, p. 157 sq.,
449 sq.; Cappello, De censuris juxta codicem juris cano-
nici, Turin, 1919.
On trouvera aussi beaucoup de notions utiles dans
Suarez, op. cit., disp. XX-XXIII, et dans de Lugo, op. cit.,
disp. XXV. Sur la question des livres hérétiques, voir
Boudinhon, La nouvelle législation de l'Index, Paris, 1899;
Hollweck, Das kirchliches Bucherverboi, Mayence, s. d.;
A. Vermeersch, De prohibitione et censura librorum, Tournai,
1898; Lega, Prœlectiones de judiciis ecclesiasticis, Rome,
1896-1902, t. m, p. 485; Hilarius a Sexten, op. cfl., p. 110;
Devoti, lnstituliones canonicœ, Gand, 1822, 1. IV, tit. iv,
t. n, p. 243-261; Périès, L'Index, commentaire de làjconsli-
tution apostolique Officiorum, Paris, 1898, et les autres
auteurs cités au cours de l'article.
A. Michel.
HERGENRŒTHER Joseph, historien allemand et
cardinal, vit le jour à Wurzbourg, où son père était
professeur de médecine, le 15 septembre 1824. Il fit
avec succès ses premières études au gymnase de sa
ville natale; puis il suivit les cours de philosophie et
de théologie à l'université, de 1842 à 1844. L'évêque
Stahl l'envoya ensuite au Collège germanique de
Rome. Ordonné prêtre le 28 mai 1848, il ne put achever
son cours de théologie à cause des troubles de la Révo-
lution. Il rentra à Wurzbourg, où il continua ses
études. Au mois de mars 1849, il fut nommé chapelain
a Zellingen. Il soutint sa thèse de doctorat en théologie
le 18 juillet 1850; elle est intitulée: Die Lehre von
gôltlichen Dreieinigkeit nach dem h. Gregor von
Nazianz, dem Theologen, mil Berùcksichligung der alte-
ren und neueren Darstellungen dièses Dogma's, Ratis-
bonne, 1850. Les examinateurs furent si satisfaits de
la soutenance qu'ils demandèrent que le jeune docteur
devint privat-docenl à l'université de Wurzbourg.
Au mois de mai 1851, il présenta sa thèse d'habilita-
tion : De cutholicœ Ecclesiœ primordiis recentiorum
prolestantium sysiemata, ibid., 1851. Il fut nommé
professeur extraordinaire le 3 novembre 1852. Le
15 mai 1855, il obtint la chaire de droit canon et d'his-
toire ecclésiastique, qu'il illustra. Ses premières publi-
cations historiques, si on excepte un article sur les
Philosophoumena, récemment découverts, dans Tùbin-
ger Theologische Quarlalschritt, 1852, portèrent sur
Photius et le schisme grec. Il donna la première édi-
tion critique du Liber de Spirilus Sancli mystagogia,
de Photius, Ratisbonne, 1857 que Migne reproduisit,
P. G., t. en, col. 263-542. Dans l'introduction et les
notes, il résolut toutes les difficultés que le patriarche
de Constantinople avait soulevées contre la procession
du Saint-Esprit ex Filio. Il étudia les Amphilochia de
Photius dans Tùbinger Theologische Quarlalschrift,
1858. En 1860, il reprit le même sujet dans P. G.,
t. ci, col. 1-20, et il fournit des collations du texte pour
l'édition des œuvres de Photius par l'abbé Migne.
Sur l'Église grecque et Photius, il publia successive-
ment : Entalma grœcum Patrum spiritualium ofjicium
describens, avec un commentaire, Ratisbonne, 1865;
Photius, Patriarch von Constantinopel. Sein Leben,
seine Schrijlen und das griechische Schisma, nach
handschrilllichen und gedrùckten Quellen, 3 in-8°,
Ratisbonne, 1867-1869; Monumenla grœca ad Pholium
eiusque historiam pertinenlia, ibid., 1869. Sa connais-
sance de l'histoire du schisme lui permit de critiquer
l'ouvrage d'Aloys Piepler, Geschichle der kirchl.
Trennung zwischen Orient und Occident, Munich, 1864,
dans le Chilianum, 1864-1865, t. v-vn, et dans Archiv
/ùr Kirchenrecht, 1864, 1865, t. xn, xiv. Il publia
aussi dans diverses revues allemandes des articles
d'histoire ou de droit canon, et il prit part aux discus-
sions théologiques qui surgirent alors en Allemagne.
Notons aussi son étude sur l'histoire de l'exégèse :
Die anliochenische Schute und ihre Bedeutung auf
exegetische Gebiete, Wurzbourg, 1866. Dans l'audience
du 28 novembre 1867, Pie IX le désigna comme consul-
teur, devant aider à la préparation du concile du
Vatican. Prévenu par le nonce de Munich, il accepta
avec reconnaissance le concours qu'on lui demandait,
mais à la condition formelle qu'il ne cesserait pas son
enseignement à Wurzbourg. Il pourrait aller à Rome
aux mois de mars et d'avril et à l'automne, dès le
début de septembre jusqu'à la mi-novembre. Le
5 février 1868, la Congrégation directrice le nomma
consulteur de la Commission de la discipline ecclé-
siastique. Collectio Lacensis, Fribourg-en-Brisgau,
1890, t. vu, col. 1045, 1058; Cecconi, Histoire du
concile du Vatican, trad. franc., Paris, 1877, 1. 1, p. 361.
Pendant la tenue du concile, Hergenrœther prit part
à la lutte que souleva en Allemagne la proposition de
définir l'infaillibilité pontificale. Il rédigea avec
Hettinger la réponse que la faculté théologique de
Wurzbourg fit, le 2 juillet 1869, aux questions posées
par le prince de Hohenlohe aux facultés de théologie et
de droit des universités bavaroises, publiée dans
Der Katholik, 1871, et traduite en français dans
Cecconi, op. cit., t. ni, p. 460-524. Quand parut la
brochure : Der Papst und das Concil, par Janus
(attribuée à Dœllinger), il y répondit au bout de
quelques semaines par son Anlijanus, Fribourg-en-
Brisgau, 1869: trad. italienne par Taliani, Turin. 1872.
Il faisait une critique historique et théo'ogique des
idées de Janus. Voir Cecconi, op. cit., t. n, p. 438-441.
Quand Dœllinger attaqua ouvertement l'adresse de
la majorité des membres du concile sur l'infaillibilité
pontificale, Hergenrœther lui répondit : Die Irrlùmer
von mehr als vierhundert Bischôfen und ihr theologi-
schen Censor, Fribourg-en-Brisgau, 1870. Cf. Th.
Granderath, Histoire du concile du Vatican, trad.
fi-anç., Bruxelles, 1911, t. n, p. 295-302. Il publia
encore des articles polémiques : Die Concilsbriefe
der allgcmine Zeitung, dans Historisch-polilische
Blatter, t. lxv-lxvl; Die pàpslliche U nj ehlbarkeil
vorden valicanischen Concil, Passau, 1871; Ueber das
valicanische Concil, ein theologisches Votum, Mayence,
1871; Katholischc Kirche und christlicher Staal in
ihrer geschichtlichen Entwickelung und in Bcziehung
au/ die Fragen der Gegenwart. Hislorisch-theologische
Essays und zugleich ein Anli-Janus vindicatus, Fri-
bourg-en-Brisgau, 1872; 2e édit., 1876. Il avait publié
aussi : Die Mariaverehrung in den 10 erslen Jahrhun-
2259
HERGENRŒTHER
HERINCX
2260
dcrtc der Kirche, Munich, 1870. Mais l'ouvrage qui a
consacré sa réputation d'historien est son manuel:
Handbuch der allgemeincn Kirchcngcschichte, 3 in-8°,
Fribourg-en-Brisgau, 1876-1880 (les documents et les
preuves sont réunis dans le t. ni); 3e édit., 1884-1886
des documents et les preuves sont insérés dans l'ou-
vrage); 4e édit., 1902-1907, revue par Kirsch; trad.
franc., par l'abbé Belet, 5 in-8», Paris, 1880. En 1877,
Hergenrœther avait été nommé prélat de la maison de
Sa Sainteté. Il avait projeté de donner une nouvelle
édition du Kirchenlexikon de Wetzer et de Welle; son
élévation au cardinalat l'obligea à laisser à Kaulen
l'exécution de son projet; il rédigea pourtant quelques
articles pour cette seconde édition. Le 12 mai 1879,
Léon XIII avait conféré la pourpre comme cardinal-
diacre de Saint-Nicolas in Carcere au professeur de
Wurzbourg, à cause de ses grands mérites à l'égard de
la foi et de la science catholique. A Rome, il fut
membre des Congrégations du Concile, de l'Index, des
Affaires ecclésiastiques extraordinaires et des Études.
Il fut nommé préfet des Archives du Vatican, et il
établit dans cet important dépôt un ordre nouveau.
Il continua ses travaux scientifiques. Il avait com-
mencé la publication du Rcgeslum de Léon X; il en fit
paraître huit fascicules in-fol., Fribourg-en-Brisgau,
1884-1885, formant le t. i; le t. n parut, après sa mort,
en 1891. Il continua aussi la Conciliengeschichte de
Hefele, et il publia le t. vin en 1887 et le t. ix en 1890,
qui comprennent la période antérieure au concile de
Trente. Mais ces volumes sont remplis surtout par
l'histoire des antécédents de la Réforme en Allemagne,
et les conciles y tiennent fort peu de place. L'expo-
sition est très détaillée et assez mal ordonnée. Aussi
la traduction française, parue en 1917, a-t-elle été
réduite par la suppression de longueurs inutiles. Le
cardinal Hergenrœther avait été frappé d'apoplexie,
et pendant les dernières années de sa vie, le travail
lui avait été difficile. Il mourut le 3 octobre 1890,
à l'abbaye de Mehrerau, où il avait l'habitude de
passer ses vacances.
Steiner, Cardinal Hergenrôther, dans Episcopat der
Gegenwarl, Wurzbourg, 1882; Heinrich, Cardinal Hergen-
rôther, dans Der Kaiholik, 1890, t. n, p. 481-499; Hollweg,
Ein bayerischer Cardinal, dans Hislorisch-polilische Blàtter,
1890, t. evi, p. 721-729; Stamminger, Rede zum Gedàchtnisse
Cardinal Hergenrôihers, Fribourg-en-Brisgau, 1892; Zobl,
Trauerrede beim Leichenbegàngnisse Sr. Eminenz des Cardi-
nals Hergenrôihers, Feldkirch, 1890; Nirschl, Gedàchtnisse-
rede, Wurzbourg, 1897; Lauchert, dans Allgemeine deutsche
Biographie, Leipzig, 1906, t. l, p. 228-231 ; Kirsch, dans The
catholic encyclopedia, New York, t. vu, p. 262-264 ; Hurter,
Xomenclator, Inspruck, 1913, t. v b, col. 1620-1626.
E. Mangenot.
HERIBERT, clerc normand, hérétique du commen-
cement du xie siècle. II faisait partie de la maison
d'un chevalier nommé Arefast, qui l'envoya aux célè-
bres écoles d'Orléans pour y compléter ses études.
Là, il se lia intimement avec deux professeurs, Etienne
et Lisol, qui, malgré leur science et leur réputation de
I iété, avaient adopté des doctrines importées d'Italie
et renouvelant les erreurs des docètes et des mani-
chéens. Héribert se laissa séduire et, de retour dans son
pays, s'efforça de gagner son maître, lui désignant
Orléans comme le siège de la science et de la sainteté.
Arefast reconnut vite l'hérésie; mais ne laissant pas
voir ses véritables sentiments, il vint à Orléans avec
son clerc, se fit présenter aux deux professeurs et
gagna promptement leur confiance. Sur ces entrefaites,
Robert, roi de France, vint à Orléans, et ordonna de
saisir les hérétiques pendant une de leurs réunions.
JI les fit ensuite comparaître devant un synode con-
voqué dans l'église Sainte-Croix d'Orléans sous la
présidence de Léothéric, archevêque de Sens. Arrêté
également, Arefast expliqua comment il se trouvait
dans cette réunion et dévoila tout ce qu'il avait appris.
Le synode condamna ces hérétiques, parmi lesquels
se trouvait Héribert. Au nombre de treize ils refusèrent
de rétracter leurs erreurs et subirent la peine du feu
(1022).
D'Achéry, Spicilcgium, in-4°, Paris, 1657, t. u, p. 670;
Lnbbe, Sacrorum coneiliorum nova collectio, édit. Mansi,
in-fol., Venise, 1774, t. xix, col. 373; Hefele, Histoire des
conciles, trad. II. Leclercq, in-8°, Paris, 1911, t. iv, p. 924;
Histoire littéraire de la France, in-4°, Paris, 1746, t. vu,
p. 101; Fabricius, Bibliothcca latina mediœ œtaiis, iu-8°,
1858, t. m, p. 235.
B. Heurtebize.
HÉRICOURT (Louis d'). Louis d'Héricourt du
Vatier naquit à Soissons le 20 août 1687, de Charles-
.Julien, seigneur d'Hédouville, conseiller au siège prê-
sidial de Soissons et d'une ancienne famille d'Artois.
Entré tout jeune dans l'armée, il la quitta pour les
bénédictins, où il reçut la tonsure et les ordres mineurs
et s'adonna à l'hébreu; des bénédictins il passa chez les
oratoriens, puis se dirigea enfin vers le barreau, où il
entra comme avocat en 1712. Il en devait faire partie
durant quarante ans et y acquérir une haute réputation
de science, en particulier pour les questions de droit
canonique; il mourut à Thiais près Choisy-le-Roi, le
1 8 novembre 1752. Voici l'indication de ses principaux
ouvrages : 1° Les lois ecclésiastiques de France dans leur
ordre naturel et une analyse des livres du droit canonique
conférés avec les usages de l'Église gallicane, in-fol.,
Paris, 1719, maintes fois réédité du vivant de l'auteur
et après sa mort : c'est un excellent résumé de droit
canonique appliqué à la situation de l'Église en France
au xvme siècle, et qui permet de saisir exactement et
rapidement les relations intérieures de l'Église et
de l'État à cette époque. L'édition de 1771, de plus de
1 100 pages, présente en appendice le texte d'un certain
nombre de décrets, ordonnances, arrêts rendus sur les
matières ecclésiastiques après 1734; elle est aussi consi-
dérée comme la meilleure; 2° Traité de la vente des
immeubles par décret, in-4°, 1727; 3° Observations
sur la coutume générale et sur les coutumes locales du
Vermandois, in-4°, 1728; 4° Abrégé de la nouvelle et
de l'ancienne discipline de l'Église, du P. Louis Tho-
massin, in-4°, 1717; 5° addition des livres III et IV
au Droit public de Domat; 6° Œuvres posthumes,
publiées en 1759 en 4 in-4°, contenant à peu près par
égales parts des consultations sur diverses matières
de droit civil et de droit canonique, où il développait
et modifiait plus d'une fois les opinions émises dans
les Lois ecclésiastiques. Il avait collaboré aussi de 1714 à
1736 au Journal des savants. L'œuvre d'Héricourt est
celle d'un jurisconsulte à la fois très religieux et,
comme ses collègues et contemporains, très pénétré
d'esprit régalien, sur quoi devait déteindre encore le
jansénisme de son oncle Louis, promoteur de Soissons.
Elle garde une réelle valeur rétrospective par l'ampleur
et la sûreté de son information.
Voir surtout la Préface des éditeurs en tête de la publi-
cation des Œuvres posthumes; Lelong, Bibliothèque histo-
rique, t. i, p. 467; Moréri, Grand dictionnaire historique;
Barbier, Dictionnaire des ouvrages anonymes; Biographie
universelle de Michaud; Nouvelle biographie générale de
Didot.
A. VlLLIEN.
HERINCX Guillaume, né à Helmond dans le Bra-
bant septentrional, en 1621, entra jeune encore chez
les frères mineurs récollets de la province de Basse-
Allemagne. Nommé lecteur de théologie à Louvain en
1653, il s'acquitta de cette charge avec tant de succès
qu'on lui demanda de composer un cours de théologie
destiné à servir de manuel pour les jeunes religieux de
sa province. 11 se mit à l'œuvre et publia une Summ i
theologica scolastica et moralis in quatuor parles dislri-
2261
HÉRINCX — HERMANN
2262
buta, 4 in-fol., Anvers, 16G0-1663. Le P. Hérincx était
alors ministre provincial, et comme tel 11 se rendait à
Rome l'année suivante, pour assister au chapitre géné-
ral de son ordre. Sa réputation de théologien était si
bien établie qu'il fut invité à diriger une soutenance
publique devant le chapitre, et il dédiait alors à dom
de Gardenas les Thèses ex universa theologia... quas
propugnabil fr. Guilielmus Van Sichen, in-4°, Rome,
1664. Sa théologie, dans laquelle il avait soutenu le
probabilisme en s'appuyant sur les grands docteurs,
saint Thomas, saint Bonaventure, saint Antonin, Scot,
demandait à être revue et rendue conforme aux décrets
d'Alexandre VII, publiés en 1665 et 1666; le P. Guil-
laume van Goorlaeken en fut chargé par le chapitre de
sa province. Il s'en acquitta de concert avec l'auteur, et
la seconde édition, ab auctore recognita, fut imprimée à
Anvers, 1672-1675. On en trouve des exemplaires avec
la date de 1680 et l'auteur y est qualifié d'évêque
d'Ypres, dignité qui lui avait été conférée en 1677.
Consacré le 24 octobre, il se rendit aussitôt dans son
diocèse et commença à le visiter, mais il mourut avant
de s'être entièrement acquitté de ce devoir de sa charge,
le 17 août 1678. Une 3e édition de sa théologie parut
après sa mort, Anvers, 1702-1704. On trouve encore
une courte lettre d' Hérincx, adressée à un apostat de
son ordre, Pierre Valois, publiée par celui-ci dans son
livre, Causa Valesiana epistolis ternis prœlibata, in-
8°, Londres, 1684. Le P. Hérincx se distingue entre
tous les théologiens par sa concision et sa clarté. Il fut
scotiste par devoir, comme tous les écrivains fran-
ciscains de cette époque, mais il le fut modestement, ne
combattant les opinions thomistes qu'avec respect
pour le docteur angélique et ne se séparant qu'à regret
de saint Bonaventure. Une onction toute particulière
se fait jour dans ses pages, car, disait-il, l'enseignement
théologique ne doit pas se borner à la recherche
de la vérité, mais 11 doit encore servir à la sanctifica-
tion de celui qui étudie pour travailler à ce'.le de son
prochain.
Servals Dirks, Histoire littéraire et bibliographie des
frères mineurs de l'observance en Belgique, Anvers, 1886,
p. 256-260; Hurter, Nomenclator, Inspruck, 1910, t. iv,
col. 48-49.
P. Edouard d'Aïençon.
HERLUISSON Pierre-Grégoire, théologien jansé-
niste, né à Troyes le 4 novembre 1759, mort près de
cette ville, à Saint-Martin-des- Vignes, le 19 janvier
1811. Ayant terminé ses études grâce à la protection de
Mgr Glaude de Barrai, évoque de Troyes, il fut ordonné
prêtre à l'âge de vingt-trois ans. Quelques années
plus tard, à la suite de discussions sur les doctrines
jansénistes et sur le bréviaire, il s'abstint, et jusqu'à
sa mort, de toute fonction sacerdotale. Il fut professeur
à l'école militaire de Brienne, bibliothécaire de l'école
centrale de l'Aube et de la ville de Troyes. Parmi les
divers écrits de Herluisson, nous avons à mentionner :
La théologie réconciliée avec le patriotisme ou lettres
théologiques sur la puissance royale et sur l'origine
de cette puissance, in-12, Troyes, 1790; 2 in-12, Paris,
1791 : l'auteur veut établir que les nations ont le droit
de se choisir le gouvernement qui leur convient; Le
fanatisme du libertinage confondu, ou Lettres sur
le célibat des ministres de l'Église, in-8°, Paris, 1792,
réponse à une adresse contre le célibat des prêtres,
que Dubourg, curé de Saint-Benoît-sur-Seine, avait
remise à l'Assemblée nationale. Professeur de rhéto-
rique, Herluisson prononça le 2 septembre 1807
un discours sur Le fanatisme envisagé au point de vue
religieux et philosophique. Il est aussi l'auteur d'un
ouvrage De la religion révélée ou de la nécessité des ca-
ractères °A de l'authenticité de la révélation, in-8°, Paris,
1813, publié par Th.-P. Boulage.
L. Séché, Les derniers jansénistes, in-S°, Paris, 1891,
t. il, p. 160; Quérard, La France littéraire, t. iv, p. 89;
Hurter, Nomenclator, Inspruck, 1912, t. v a, col. 582.
B. Heurtebïze.
1. HERMANN Amand, franciscain originaire de Silé-
sie, enseigna la théologie dans son ordre. Il s'appliqua
surtout, avec une science peu commune des Écritures
et des Pères, à ramener l'enseignement théologique et
philosophique à l'esprit de Duns Scot. On a de lui :
Sol triplex in universo, id est, universie philosophise
cursus Auguslini, Bernardi et Scoli menti conformatus,
in-fol., Soulzbach, 1676 ; Elhica sacra scholastica specu-
lativo-practica seu traclatus et dispulaiiones morales
de virlutibus theologicis etmoralibus, admenlemJoannts
Duns Scoti, 2 in-fol., Wurzbourg, 1698. Ses Tractatus
theologici ad mentem subtilis doctoris parurent à Colo-
gne, 1690-1694, in-fol. Hermann mourut le 26 no-
vembre 1700.
Hurter, Nomenclator, 1910, t. iv, col. 337; Greiderer,
Germania franciscana, 1. IV, p. 309, 346.
J. Besse.
2. HERMANN Ambroise-Célestin, bénédictin, abbé
du monastère de Saint-Trutpert, dans l'ancien diocèse
de Constance, vivait dans la première partie du
xvm« siècle. Il a publié : Theologia selecla secundum
Scoli principia scholastica de Deo ut uno et trino,
de angelis, de incarnatione Verbi, de gratia, justi-
ficalione et merito, 3 in-4°, Augsbourg, 1720; Idsea
exacta de bono principe divisa in V partes, scilicet
de cura religionis, de cura regni, de religione conlroverslicci
bono principi necessaria, de jure belli et obligatione
subdilorum, de lege œterna, jure nalurali et genlium,
in-8°, Fribourg-en-Brisgau, 1740.
Ziegelbauer, Hisloria rei lilerariœ ord. S. Benedicti, t. iv,
p. 122-265; [dom François], Bibliothèque générale des écri-
vains de l'ordre de Saint-Benoit, t. i, p. 479; Hurter, Nomen-
clator, Inspruck, 1910, t. iv, sol. 1340.
B. Heurtebïze.
3. HERMANN Georges, théologien allemand, né à
Schwandorf, dans le Palatinat, le 6 janvier 1693, admis
au noviciat de la Compagnie de Jésus le 29 septembre
1710, enseigna d'abord la grammaire et les humanités,
puis la philosophie et la théologie à l'université d'In-
golstadt. Il porta son attention sur certaines questions
soulevées par les tenants de l'atomisme contre la philo-
sophie aristotélicienne, entre autres sur le problème de
réduction des formes et celui de la diversité des espèces.
Dans ses deux traités : Régula fideliler indicans diver-
sitalcmrerum specificam, Munich, 1725, et Lapis offen-
sionis atomisticœ, Ingolstadt, 1730, on reconnaît la
marque d'un esprit pénétrant, mesuré et parfaitement
maître de son sujet. Ses travaux théologiques reçurent
également, des discussions alors en cours, leur orienta-
tion. Le P. Hermann a laissé deux traités excellents
sur la science et sur la volonté divines : De Deosciente
disputatio theologica, Ingolstadt, 1737 ; Tractatus de
Deo volenle, ibid, 1659. Devenu maître des novices, rec-
teur de Dillingen, d' Ingolstadt et de Munich, provin-
cial de Germanis, il consacra ses efforts à ranimer et à
renouveler les études'supérieures dans les maisons con-
fiées à ses soins. Les mesures prises par lui dans ce but
et les considérations émises sur l'esprit et les méthodes
de ces études marquent une date dans l'histoire de la pé-
dagogie. Elles sont du 4 août 1755. Le P. Pachtlerles a
publiées sous ce titre : Ordinationcs circa sludia lite-
rarum lam snperiorum quam inferiorum, dans les Mo-
numenta Germanise piedagogica, Berlin, 1890, t. ix,
p. 435 sq. Le P. Hermann mourut à Ratisbonne le
12 novembre 1766.
Somniervogel, Bibliothèque de la C'8 de Jésus, t. IV
col. 302 sq. ; Hurter, Nomenclator, 3e édit., Inspruck, 1912
t. v, col. 21; Mederer, Annales Academiœ Ingolstadtensis
Ingolstadt, 1782, t. m, p. 208. p Bernard.
2263
IIERMANT
2264
1. HERMANT Godefroy naquit à Beauvais le
6 février 1617. Il fut d'abord élevé par un oncle,
chanoine de la cathédrale en cette ville. L'évêque
Potier, frappé des heureuses dispositions de l'enfant,
l'envoya à Paris en 1630. Il fit sa rhétorique au collège
des jésuites, sa philosophie à Navarre et sa théologie
en Sorbonne. Revenu à Beauvais, il professa les huma-
nités. Mais, dès 1639, il retourne à Paris pour diriger
les études du neveu de son bienfaiteur. Potier d'Oc-
querre. Déjà il collabore à des travaux scientifiques.
Il surveille en particulier l'impression du texte grec
de la Polyglotte de Vitré, qui parut seulement en 1645.
Il enseigne la philosophie au collège de Beauvais,
devient bachelier de théologie en 1640, socius de Sor-
bonne en 1642, chanoine de Beauvais en 1643, prieur
de Sorbonne l'année suivante, enfin licencié et recteur
de l'université en 1646.
Ces honneurs récompensaient une activité inces-
sante en faveur des privilèges universitaires. Le conflit
toujours prêt à éclater entre la Sorbonne et les jésuites
venait de se manifester une fois de plus. A la fin de
1642, le recteur Gorin de Saint-Amour avait refusé
d'admettre la candidature de leurs élèves du collège
de Clermont aux grades universitaires. Les pères firent
requête, le 11 mars 1643, au conseil privé, contre cette
décision. Hermant entre alors en lice avec une Apologie
pour l'université de Paris contre le discours d'un jésuite
par une personne affectionnée au bien public, Paris,
avril 1643. C'était une réponse aux bruits répandus,
prétendait-il, par les jésuites, contre l'enseignement
de l'université. A quelques jours de là, il lance un
nouveau factum : Observations importantes sur la
requeste présentée au conseil du roy par les jésuites, ten-
dante à l'usurpation des privilèges de l'université, Paris,
1643. Enfin, passant à l'offensive, il donne au public :
Véritez académiques, ou réfutation des préjugez popu-
laires dont se servent les jésuites contre l'université de
Paris. L'achevé d'imprimer est du 8 juin 1643. Dans
les Observations, il discutait les deux demandes de ses
adversaires : admission de leurs élèves aux grades, et
incorporation du collège de Clermont à l'université.
Ici, il faisait une critique de l'enseignement tel que les
pères le pratiquaient, et leur opposait la conception
des maîtres de l'université. Cette critique est intéres-
sante à plus d'un titre. Ainsi, dans les développements
sur les rapports de la philosophie et de la théologie,
elle fait pressentir certaines idées de Pascal.
Tous ces ouvrages avaient été publiés sans nom
d'auteur. Us prétendaient représenter la pensée offi-
cielle de l'université. Les jésuites firent de même. Ainsi
dans l'anonyme Response au livre intitulé Apologie
pour l'université de Paris contre le discours d'un jésuite,
qui parut au mois de juillet 1643. Hermant s'empresse
alors de faire paraître la Seconde Apologie pour l'uni-
versité de Paris, imprimée par le mandement de mon-
seigneur le recteur donné en Sorbonne le 6 octobre 1643.
Mais bientôt, comme il devait arriver, la polémique
dégénérait en personnalités. Au collège de Clermont,
un professeur, le P. Airault ou Héreau, avait hasardé
certaines propositions sur le sujet toujours brûlant du
régicide et du duel. L'occasion était trop belle. Aus-
sitôt paraît un Advertissement contre une doctrine préju-
diciable à la vie de tous les hommes et particulièrement
des rois et princes souverains, enseignée dans le collège
de Clairmonl, Paris, 1643. Bientôt après, probable-
ment au commencement de 1644, vient s'ajouter, sur
le même sujet, un second Advertissement, s. 1. n. d.
Ces deux ouvrages, publiés sans nom d'auteur, sem-
blent bien être le résultat de la collaboration de Her-
mant et du recteur Gorin de Saint-Amour. Les jésuites,
ainsi pourchassés, répondirent par la plume de l'un
des leurs, dont les fonctions étaient bien faites pour en
imposer, sinon à leurs adversaires, du moins au public.
Le P. Caussin, confesseur du roi, fit paraître, en 1644,
contre tous ces écrits, une Apologie pour les religieux
de la Compagnie de Jésus. Mais le champion de la
Sorbonne ne se tint point pour battu. Il composa rapi-
dement une Response de l'université de Paris à l'apo-
logie pour les jésuites qu'ils ont mise au jour sous le nom
du P. Caussin. Elle porte la date de 1644. Pourtant le
titre même ajoute : « imprimée par l'ordre de la même
université, pour servir au jugement tant de la requeste
présentée à la Cour le 7 décembre 1644, que des précé-
dentes. » De plus elle se complète de deux extraits des
registres du parlement datés des 5 et 7 janvier 1645.
Elle parut donc dans les premiers jours de cette der-
nière année.
Mais la polémique se croisait dans les sens les plus
divers. Arnauld venait de publier son traité De la
fréquente communion. Ce fut alors un véritable déluge
d'attaques. Dans le nombre Hermant nota les Re-
marques judicieuses sur le livre de la fréquente commu-
nion, 1644, que l'on attribue tantôt au prêtre François
Renard, tantôt au P. de La Haye, tantôt, avec plus de
probabilité, au P. Sesmaisons. C'est contre cet ouvrage
qu'il publie, en 1644, une Apologie pour M. Arnauld
docteur de Sorbonne, contre un libelle intitulé : Remar-
ques judicieuses. En même temps, sur le fond de la doc-
trine, il essayait démettre les jésuites en opposition
avec eux-mêmes. C'est l'objet des Réflexions du sieur
du Bois sur divers endroits du livre de la fréquente com-
munion du P. Péleau, Paris, 1644. A la même contro-
verse se rapportent encore deux autres ouvrages qui
lui sont attribués par Moréri : Response à la remon-
trance à la reine du P. Yves, capucin, 1644, et Défense
des prélats approbateurs du livre de la fréquente com-
munion, s. 1. n. d. Mais il est difficile d'établir la part
exacte qui revient à Hermant dans la composition
de tous ces ouvrages, rédigés plus ou moins en com-
mun par tout le groupe des « arnaldistes ».
Il en est de même pour les ouvrages qui suivent et
qui représentent un aspect tout différent, mais non
moins instructif, de la lutte de l'université contre la
Compagnie de Jésus. C'est d'abord la Réponse aux
moyens d'opposition que les jésuites ont fait signifier
aux prieur, docteurs et bacheliers de la maison de Sor-
bonne, lundi 24 décembre 1646, pour empêcher la
clôture de la rue des Poirées, 1647. Puis le Mémoire
apologétique pour les recteur, procureurs, etc., de l'uni-
versité de Paris contre l'entreprise des Bibernois, 1651.
Enfin, les Fausselez contenues dans une requeste présen-
tée au parlement par M. Amyot, 1651. Ces écrits, qui
tendent à défendre surtout les intérêts matériels et les
privilèges de l'université, durent être rédigés en colla-
boration avec Gorin de Saint-Amour. Mais ces soucis
matériels ne détournaient pas Hermant de ses devoirs
essentiels de recteur. En 1648, il promulguait une
ordonnance sur la discipline des études, en particulier
des études philosophiques. Cette ordonnance fixe le
règlement des cours en même temps que la conduite
à suivre dans la tenue des collèges. Ici encore, le rec-
teur marque ses préférences et ses antipathies. Il cri-
tique ouvertement les méthodes de la Compagnie de
Jésus, même sur des points de détail, comme sur la
question des comédies que peuvent jouer les étudiants.
A ce moment, le parti janséniste est fortement
organisé, dans l'université et au dehors. L'affaire des
« cinq propositions » permet de compter les « disciples
de saint Augustin ». Hermant reste l'un des plus actifs.
11 publie en 1650 la Défense des disciples de saint Augus-
tin contre un sermon du P. Bernage, jésuite; en 1651,
la Réponse à un écrit du P. Mathieu, jésuite, publié à
Dijon contre les lettres qu'il attribue au P. Parisot de
l'Oratoire. Puis il se retourne contre des adversaires
d'un autre genre. Un ancien chanoine d'Amiens, passé
au protestantisme, Jean Labadie, avait lancé, on
2265
HERMANT ( GODEFROY ET JEAN)
2266
devine dans quel esprit, son Grand chemin du jansé-
nisme au calvinisme, Montauban, 1651. Hermant,
sous le pseudonyme de sieur de Saint- Julien, lui répond
par la Défense de la piété et de la foy de la sainte Église
catholique, apostolique et romaine contre les mensonges
impiétez et blasphèmes de Jean Labadie, apostat, Paris,
1651. Toujours pour laver les jansénistes de l'accusa-
tion de calvinisme, il donne l'année suivante Fraus
calvinistarum retecla, sive catechismus de gratia ab
hœreticis Samuelis Maresii corruptelis vindicalus. theo-
logicis aliquol epistolis Hieromjmi ab Angelo/orli ad
Jacobum de Sainte-Beuve. Cet ouvrage était dirigé
contre Samuel des Marets, ministre de Groningue, qui
avait essayé la même démonstration que Labadie.
La nomination de Nicolas Choart de Buzenval au
siège de Beauvais, en 1651, vint ouvrir à Hermant un
nouveau champ d'action. Ce prélat partageait toutes
les idées du parti janséniste. Le recteur de l'université
devint son homme de confiance, dans la bonne comme
dans la mauvaise fortune. Dès 1653, il publie un Dis-
cours chrétien sur l'établissement du bureau des pauvres
a Beauvais, qui eut du retentissement bien au delà
des limites du diocèse et qui fut plusieurs fois réim-
primé. Il s'occupe de l'administration diocésaine et de
la conduite du séminaire et s'attire par là des oppo-
sitions qui allaient trouver occasion de se manifester.
La querelle janséniste venait de se rouvrir avec le
procès d'Arnauld. Hermant prend une part importante
aux délibérations de l'université sur cette affaire et
défend éloquemment, mais inutilement, la personne et
les idées de son ami. Il est mêlé de très près à tout
le mouvement d'où sortent les Provinciales. Aussi lui
attribue-t-on un rôle dans la série des publications
qui accompagnent les Petites Lettres. Il aurait eu part,
avec Pascal et Périer, à la rédaction du Factum pour
les curés de Paris contre l'Apologie des casuistes, Paris,
1658; du Factum pour les curés de Rouen, 1569, contre
la même apologie. Il est certainement le rédacteur de
la Requête de trois cents curés du diocèse de Beauvais,
1658, présentée à Choart de Buzenval contre l'œuvre
du P. Pirot. De même on retrouve sa plume, ses idées
et ses passions dans les nombreux mandements et
ordonnances de son évèque sur le sujet des casuistes.
Mais la condamnation d'Arnauld et son exclusion de
la faculté de théologie furent pour lui un coup sen-
sible. Aussi dit-il adieu à l'université et renonça-t-il
volontairement aux privilèges de la maison et société
de Sorbonne.
D'autres épreuves l'attendaient. Le chapitre de
Beauvais, se mettant résolument en opposition avec
l'évêque, dressa un statut qui exigeait de ses membres
la signature de la bulle d'Alexandre VII et du formu-
laire de l'Assemblée du clergé relatifs aux cinq propo-
sitions. Hermant et quelques autres chanoines, conseil-
lers de Choart, refusèrent cette signature. Après un
procès fertile en incidents, ils furent de ce fait exclus
du chapitre et privés de leurs bénéfices par un arrêt
du conseil en date du 21 juillet 1659. Hermant chercha
des consolations dans la retraite et dans l'étude de
l'antiquité chrétienne. Il publie, en 1656, la Traduction
d'une épistre de S. Basile à des solitaires qui avaient été
persécutez par les ariens, et, en 1658, le Traité de la
providence composé par S. Chrysostomc pendant son exil
pour l'édification de ceux qui avoienl esté scandalisez
des afflictions de l'Église. Ce n'étaient là que des tra-
vaux préparatoires. L'exemple de Le Nain de Tille-
mont, alors réfugié à Beauvais, et peut-être aussi,
comme l'affirme Sainte-Beuve après Ellies Dupin, ses
manuscrits le poussent à des œuvres plus approfon-
dies. C'est d'abord une Vie de S. Jean Chrysoslome,
par le sieur Ménart (anagramme de Hermant), qui
paraît en 1664 ; la Vie de S. Alhanase, en 1672 ; la
Vie de S. Basile et de S. Grégoire de Nazianze, en 1674 ;
enfin la Vie de S. Ambroise. en 1678. Ces ouvrages, qui
eurent un grand succès, forment une véritable histoire
de l'Église au temps des grands docteurs. Pagi s'en est
souvent inspiré dans ses Crilica in Baronium.
A cette époque, Clément IX avait rendu, provisoi-
rement au moins, la paix à l'Église. Hermant avait été
réintégré dans ses fonctions et revenus, le 31 octobre
1668. Mais il n'oubliait ni ses études, ni l'intérêt pra-
tique qu'elles pouvaient avoir. Il avait publié, en 1668,
en collaboration avec Arnauld, et sous leur double
prénom d'Antoine Godefroi, un petit traité de La
conduite canonique de l'Église pour la réception des filles
dans les monastères. Il y ajoutait, en 1673, une traduc-
tion des Ascétiques, ou traitiez spiriluelz de S. Basile le
Grand, publiée cette fois sous son nom. Enfin, en
1690, paraissaient les trois volumes de ses Entretiens
spiriluelz sur S. Mathieu. Ces ouvrages semblent avoir
été composés plus spécialement pour les religieuses
de Port-Royal, auxquelles Hermant s'intéressait au
point que Moréri lui attribue V Éloge de la mère Angé-
lique de S. Jean Arnauld, qui se trouve dans le Nécro-
loge de Port-Royal. Il était du reste en relations d'ami-
tié avec les hommes les plus éminents de l'Église de
France : Bossuet et du Cange étaient en correspon-
dance avec lui. Mais, depuis la mort de Choart de
Buzenval, en 1679, il n'exerçait plus aucune action
directe dans le diocèse de Beauvais. Il vécut dans le
silence et la retraite jusqu'à sa mort, survenue, à
Paris, le 11 juillet 1690.
Il avait laissé de nombreux manuscrits, dont quel-
ques-uns ont vu le jour. En 1693, Auger publiait, à
Lille, une Clavis ecclesiasticse disciplina;, remaniée
par l'éditeur, et pour cela, déclarée indigne d'Hermant
par les critiques contemporains. Il en fut de même
pour la Tradition de l'Église sur le silence chrétien et
monastique, donnée par Muguet en 1697. Tout récem-
ment. M. Gazier publiait les Mémoires de Godefroi
Hermant sur l'histoire ecclésiastique du XVIIe siècle,
6 vol., Paris, 1905-1910. Enfin, son Histoire de Beau-
vais et du Beauvaisis, restée manuscrite (Bibliothèque
nationale, fonds français, n'18 8579-8583), a été large-
ment utilisée par tous ceux qui depuis se sont occupés
du même sujet.
A. Baillet, La vie de Godefroy Hermant, Amsterdam, 1717;
Mézenguy, Idée de la vie et de l'esprit de messire Nicolat
Choart de Buzenval, Paris, 1717; P. Féret, La faculté de
théologie de Paris. Époque moderne, t. ut, p. 127 sq. ; t. IV,
p. 227 sq. ; C. Jourdain, Histoire de l'université de Paris aux
XVII' et XVIIIe siècles, p. 150 sq.; J. Gaillard, Un prélat
janséniste : Choart de Buzenval, Paris, 1902; Bliard, Études
religieuses des Pères de la Compagnie de Jésus, 1908, p. 637-
664; Kirclienlexikon,t. v, col. 1837; Hurter, Nomenclator,
Inspruck, 1910, t. iv, col. 497-499.
A. HUMBERT.
2. HERMANT Jean, historien, né à Caen en février
1650, mort en octobre 1725. Cet ecclésiastique, curé de
Saint-Pierre de Maltrot et chanoine de Bayeux, com-
posa de nombreux ouvrages, parmi lesquels : Histoire
des conciles contenant en abrégé ce qui s'est passé de
plus considérable dans l'Église. Ensemble les canons
de l'Église, l'abrégé chronologique de la vie des papes
et leurs décisions. Avec des notes pour l'intelligence
des canons obscurs et difficiles ou qui méritent quelques
observations particulières. Les déclarations des Assem-
blées générales du clergé de France sur les points de
discipline et celles du roy sur la même matière ou pour
le maintien de la juridiction ecclésiastique. Avec les
édils et déclarations touchant les mariages, in-12, Rouen,
1695; 4 in-12, 17J1; 4e édit., 1730; cf. Mémoires
de Trévoux, 1704, p. 1735-1743; Histoire des ordres
religieux tt des congrégations régulières et séculières
de l Église, avec l'éloge et la vie en abrégé de tous les
patriarches et de ceux qui y ont mis la réforme selon
2267
IIERMANT
HERMAS
2268
l'ordre des temps; le catalogue de toutes les maisons
et convins de France, le nom des fondateurs et fonda-
trices et les années de leur fondation, in -SP, Rouen, 1C97;
4 In 12, Rouen, 1710; Histoire des religions ou ordres
militaires de i Église ri des ordres de chevalerie, in-12,
Rouen, 1698, 1725; cf. Acta erudilorum, SuppLmen-
lum, Leip. ig. t. m, p. 532585; Histoire du diocèse
de Bayeux, Ire partie, contenant l'histoire des éviques,
avec celle des saints, des doyens, et des hommes illustres
de l'église cathédrale ou du diocèse, in- 1°, Caea, 1705;
les deux autres parties que devaient comprendre cette
histoire n'ont pas été imprimées ; cf. Mémoires de
Tiévoux, 1706, p. 1117-11.2; Histoire des hérésies
et des autres erreurs qui ont troublé l'Église et de ceux
qui en ont été les auteurs, avec un traité qui résout
plusieurs questions générales louchant l'hérésie, traduit
du latin d'Alphonse de Castro, 3 in-12, Rouen, 1712;
dans la 3e édition, 4 in-12, Rouen, 1717, un volume
a été ajouté pour l'histoire du schisme d'Angleterre,
et a pour titre : Religion anglicane; cf. Mémoires de
Trévoux. En outre Jean Hermant, à la demande de
M. de Pibrac, vicaire général du diocèse de Bayeux,
fit imprimer : Homélies sur les évangiles de tous les
dimanches de l'année pour le soulagement de ceux qui
sont chargés de la conduite et de l'instruction des âmes,
2 in-12, Rouen, 1705; Sermons sur les mystères avec
plusieurs panégyriques des saints, 2 in-12, Rouen, 1716.
Moréii, Dictionnaire historique, t. v b, p. 630; Quérard,
La France littéraire, t. iv, p. 91 ; Hurter, Nomenclator,
Inspruck, 191 u, t. iv, col. 1196-1198.
B. Heurtebize.
HERMAPHRODITE. On nomme ainsi, en histoire
naturelle, un être qui réunit en soi les deux sexes;
plusieurs plantes sont dans ce cas. Au sens humain,
voici comment le définit J. Antonelli, Medicina pas-
loralis, t. i, n. 150 sq. : Hermaphrodita, stricto sensu,
dicitur qui simul habel organa essentialia generationis
maris et /émince bene cvolula. En ce sens, ajoute-t-il,
veri hermaphroditœ, ita intellccli, in specie humana
minime exstant. Vcrum quidem est in specie humana
aliquando invenlum fuisse hermaphrodilismum complé-
tant; cit hoc tanlurn in partibus exterioribus corporis
apparebat, intus vero rcliqua organa deeranl; quapropter
hermaphrodilismus tanlum appareils crat et non realis.
L'étude de ces phénomènes rentre de soi dans la téra-
tologie humaine. Toutefois, comme la discipline ecclé-
siastique s'est plus d'une fois occupée de cette question,
il peut être utile d'en traiter au moins brièvement. Les
anciens, dont on peut voir de nombreuses citations
dans les auteurs, par exemple, dans la Bibliotheca
canonica de Fcrraris, croyaient à l'existence de vrais
hermaphrodites, mais surtout dans les pays lointains
comme la Floride, sur laquelle couraient les récits les
plus invraisemblables. Cependant, la science même que
l'on nomme la tératologie ne s'expliquerait pas si
quelques êtres anormaux et dont l'existence a été bien
contrôlée n'avaient pas quelquefois apparu. L'appa-
rition de ces êtres anormaux suffît à expliquer que la
discipline s'en soit occupée. Ce qu'elle a considéré, ce
sont moins les êtres dans leur constitution intime que
dans leurs apparences. Ces apparences justifiaient une
réglementation pratique.
Ferraris donne lui-même, à côté de sa crédulité, le
vrai sens des lois sur l'hermaphrodKismc: il ne le définit
pas par ses caractères intimes, mais par l'extérieur :
Hermaphrodiii, seu androgyni sic dicunlur eo quod in
ipsis ulerquc sexus apparcat. Bibliotheca canonica, au
mot Hermaphroditus, n. 1. Des hermaphrodites appa-
rents ont été constatés à notre époque, c'est-à-dire des
êtres humains chez qui apparaissent à la fois des carac-
téristiques de l'un et de l'autre sexe, non pas toutes les
caractéristiques, mais quelques-unes. Qu'il s'agisse de
ce qu' Antonelli nomme undrogynia et dont les méde-
cins relatent plusieurs exemples récents, par exemple,
deux cas connus en 1869; ou gynandria, dont deux
furent aussi constatés en 1864 et 1S65; ou hermaphro-
dilismus neuler, et dont le savant Orfila, entre autres,
a étudié un phénomène célèbre, sans compter beaucoup
d'autres exemples que l'on rencontre ici ou là, l'her-
maphroditisme apparent, celui seul dont s'occupe la
discipline ecclésiastique, a existé et il existe encore.
Au point de vue canonique, l'hermaphrodite est
considéré comme irrégulier en vue de l'ordination.
Monacelli, Formularium, part. III, tit. i, form. 36, n. 30.
Cf. Wernz, Jus decrctalium, t. n (1906), n. 80, n. 2 :
judicio medicorum definiendum est quis sit verus ordi-
nandi sexus. Quod si medici in javorem sexus virilis
certain ferunl sentenliam, non obstante exslrinseca qua-
dam apparentia in contrarium hujusmodi hermaphrodi-
tus sallcm capax valid.e ordinalionis est dicendus, licet
lanquam monstruosus inter IRREGULARES recenseri
soleat... — S'il s'agit de mariage, il faut s'en remettre à
l'avis des médecins, et le mariage pourrait même
parfois être frappé de nullité pour impuissance. Voir
la cause introduite devant la S. C. du Concile, le
22 décembre 1898, dans An dicta eccledaslica, 1899,
p. 239 sq. — Quant à la profession religieuse, on peut
lire en particulier dans Schulte et Richter, Canones et
décréta concilii Tridentini, dans les notes et décisions
de la S. C. du Concile à la suite du c. xvn, sess.
XXV, De regularibus, n. 4, toute une dissertation
rédigée et la solution de la S. C. touchant un cas précis
et concret et de laquelle résulte que l'hermaphroditisme
peut entraîner la nullité de la profession. Dubium
professionis, 22 novembre 1721, Schulte et Richter,
op. cit., p. 421-422. — Le Code: juri; ca o :ici ne
s occupe pa. de; hermaphrodites.
La question de la réalité et des caractères de l'herma-
phroditisme est avant tout une question médicale sur
laquelle il faut interroger les ouvrages des médecins comme
Debierre, Brouardel, Béclard, P. Garnier, L. Guinard, etc.
Quant à la législation canonique, consulter les commen-
tateurs des Décrétales sur le titre De corpore vitiatis,
Décrétales, 1. I, tit. xx, par exemple, Schmalzgruber,
Sanchez, Pignatelli, 1. 1 v, consult. xxxi v, et une longue disser-
tation avec citations abondantes de canonistes dans Mona-
celli, Formularium, part. III, tit. i, form. 36, n. 24-31;
Ferraris, Bibliotheca canonica, au mot Hermaphroditus.
A. Villien.
HERMAS. — I- Sa personne. II. Son ouvrage.
III. Sa doctrine.
I. Sa personne. — 1° Autobiographie. — On ne
sait de l'auteur du Pasteur que ce qu'il a dit de lui-
même dans son ouvrage. Et voici les quelques rensei-
gnements qu'il donne. Son nom est Hermas; c'est
ainsi qu'il se désigne à plusieurs reprises. Vis., i,
1, 4; 2, 2; 4, 3; n, 2, 2. Esclave de naissance, vendu à
Rome à une femme nommée Rhoda, il dut être
affranchi par elle. Marié, père de famille, mais com-
merçant peu scrupuleux, il réussit à s'enrichir; car,
porté au mensonge et à la dissimulation, il avoue
n'avoir jamais dit la vérité. Mand., in, 3, 3. La fortune
jeta le désordre dans sa famille; lui-même devint un
grand pécheur, Mand., iv, 2, 3; sa femme fut une
mauvaise langue et ses fils tournèrent mal au point
de renier leur foi et de dénoncer leurs parents. Vis.,
n, 2, 2. Il perdit sa fortune, Vis., i, 3, 1 ; n, 3, 2 ; m, 6, 7,
et il ne lui resta plus qu'un champ à cultiver sur la
route de Rome à Cumes. Vis., m, 1, 2; iv, 1, 2. Il était
donc chrétien ainsi que toute sa famille, mais ils
avaient tous péché et devaient faire pénitence pour se
relever; et c'est ce qu'ils firent. Comment donc fut-il
amené à écrire le Pasteur?
Un jour, comme il longeait le Tibre, il aperçut
Rhoda, qu'il aimait comme une sœur, se baignant dans
le fleuve; il lui tendit la main pour l'aider à sortir de
l'eau, non sans se dire à lui-même : « Que je serais
2269
HE RM AS
2270
heureux d'avoir pour épouse une femme de cette
beauté et de ce mérite ! » Pensée mauvaise pour un
homme marié et père de famille; il devait en faire
pénitence. Un peu plus tard, comme il se rendait à
Cumes, il fut transporté par l'Esprit de Dieu dans un
endroit inaccessible ; et là il vit dans le ciel Rhoda, qui
lui apprit que Dieu était irrité contre lui à cause de sa
mauvaise pensée. « Prie le Seigneur, lui dit-elle, et
il guérira tes péchés, ceux de ta maison et de tous les
tiens. » Réfléchissant alors au moyen d'apaiser Dieu et
d'assurer son salut, il eut successivement, à intervalles
plus ou moins longs, la vision quatre fois répétée
d'une femme, qui représentait l'Église, qui lui lut et
lui confia un livre, avec l'ordre de le transcrire en
double exemplaire, l'un pour Clément, qui, selon le
devoir de sa charge, devait le transmettre aux villes
étrangères, l'autre pour Grapta, qui devait en instruire
les veuves et les orphelins. Vis., n, 4, 3. Lui-même
devait l'interpréter à Rome avec ceux qui présidaient
à l'Église. Dans la suite, ce fut la visite d'un homme
qu'il reçut; celui-ci, habillé en pasteur, la besace à
l'épaule et la houlette à la main, se dit chargé de lui
rappeler les visions qu'il avait eues et de lui faire écrire
des préceptes et des similitudes : c'était l'ange de la
pénitence, Vis., v : de là le livre du Pasteur.
Tels sont les renseignements autobiographiques
fournis par Hermas sur sa vie et sur l'origine de son
ouvrage. 11 se présente donc comme un contemporain
du pape saint Clément, à la fin du Ier siècle. Mais
qu'y a-t-il de vrai dans tout cela ? Hermas s'est-il
imaginé avoir eu ces visions? A-t-il voulu faire croire
qu'il les avait eues réellement ? N'a-t-il pas plutôt
recouru à un simple artifice littéraire pour faire
entendre d'une manière saisissante la leçon de morale
qu'exigeait une période de relâchement ? Sa personne
est restée dans une ombre discrète; mais, en revanche,
son livre a joui, dès la seconde moitié du ne siècle,
d'une assez grande célébrité; car il fut lu publiquement
dans les églises, tout au moins à titre d'instruction et
d'édification, et il passa même, aux yeux de quelques
Pères, pour un livre inspiré. Il importe donc de savoir
ce qu'en pensa l'antiquité chrétienne.
2° Tradition primitive chez les grecs. — Le Pasteur
a été connu, apprécié et cité par certains Pères grecs.
Saint Irénée, par exemple, en a reproduit un passage,
en le faisant précéder de ces mots assez significatifs :
xa/.ojç sT-ev tj yf aç*;. Cont. hser., iv, 20, 2, P. G., t. vu,
col. 1032. De même Clément d'Alexandrie, qui admet la
réalité et le caractère divin des révélations d'Hermas,
cite fréquemment le Pasteur et le qualifie d'Écriture.
Strom., i, 17, 29; n, 1, 9, 12, 13; vi, 15, P. G., t. vm,
col. 800, 928, 933, 980,994; t. ix, col. 357. Mais ni saint
Irénée, ni Clément d'Alexandrie ne disent formellement
qu'Hermas ait été un contemporain des apôtres.
Origène, au contraire, qui croit à l'inspiration du livre,
identifie son auteur avec l'Hermas nommé dans
l'Épître aux Romains : Puto quod Hermas iste (celui
de l'Épître aux Romains) sit scriplor libri illius, qui
Pastor appellatur, quee scriptura valde mihi ulilis
videlur et, ut puto, divinitus inspirala. In Rom., x, 31,
P. G., t. xiv, col. 1282. Il n'ignore pourtant pas que
son opinion n'est pas celle de tout le monde, In Matth.,
xiv, 21, P. G., t. xm, col. 1240, et que certains ont
peu d'estime pour cet ouvrage. De princ, iv, 11, P. G.,
t. xi, col. 365. Quatre fois même, quand il en parle,
il use de cette précaution oratoire : Si cui tamen placeal
eum légère ou recipere. P. G., t. n, col. 823-826. Il
n'y avait donc pas unanimité chez les grecs, du temps
d'Origène, sur la question de savoir s'il fallait tenir
pour inspiré le livre du Pasteur, mais on s'accordait à
lui reconnaître une utilité et une valeur morale de
quelque importance. Au commencement du ive siècle,
Eusèbe constatait qu'il était lu publiquement dans les
églises et servait à l'instruction des catéchumènes,
mais que certains mettaient en doute son inspiration.
Dans ces conditions, il le retranche des èjAoXoyoupiva
avec les HpàÇet< Ila-j/.ou, rA~o*â).-jiiiç neTpou,rE~ioTo).f,
BapvâSa et les Aioa/xl -cov àitoaroXwv, H. E., m, 3,
P. G., t. xx, col. 217; il le range parmi les vo'Oa. H. E.,
ni, 25, ibid., col. 269. Plus tard saint Athanase, tout en
l'excluant lui aussi du canon des Écritures, De decr. Nie.
sun., 18, P. G., t. xxv, col. 456, le range parmi ceux
qu'on doit lire aux catéchumènes : « Pour plus d'exacti-
tude, écrit-il, je suis obligé de dire que nous avons
d'autres livres qui ne sont point dans le canon, mais
qui, selon l'institution des Pères, doivent être lus à
ceux qui veulent être instruits des maximes de la
foi. » Et il signale, parmi ces derniers, le Pasteur ainsi
que des livres de l'Ancien Testament, tels que la
Sagesse de Salomon, la Sagesse de Sirach, Eslher,
Judith, Tobie, qui n'étaient pas encore reçus dans
le canon des Écritures par un consentement una-
nime. Epist. /est., xxxix, P. G., t. xxvi, col. 1437.
Il n'hésite pas, quant à lui, à s'appuyer sur le Pas-
leur pour réfuter les ariens qui l'exploitaient à
leur profit. De incarnatione Verbi, 3, P. G., t. xxv,
col. 101. Didyme l'Aveugle cite de même Vis.,
m, 2,8, P. G., t. xxxix, col. 1141. L'auteur de l'Opus
imperfectum in Matthœum (fin du ive siècle), xix, 28,
homiî. xxxiii, P. G., t. un, col. 821, cite Sim., ix, 15.
Il est à noter que, dans le Codex Sinailicus, le Pasteur
se trouve avec l'Épître du pseudo-Rarnabé à la suite
des livres du Nouveau Testament. Somme toute, jus-
qu'au iv« siècle, le Pasteur d'Hermas a joui parmi les
grecs d'une grande autorité, puisqu'on en faisait la
lecture publique et qu'on s'en servait pour l'instruc-
tion des catéchumènes. Mais bientôt son influence
décline. Il est pourtant encore cité par quelques
écrivains. Et tandis que Nicéphore l'exclut de la liste
des livres canoniques, l'interprète éthiopien en a fait
un si grand cas qu'il le regarde comme de la main de
saint Paul. Voici, en effet, ce qu'on lit en appendice
dans la version éthiopienne, traduite en latin par
Antoine d'Abbadie dans les Abhandlungen fur die
Kunde des Morgenlandes, 1860, t. u : Finilse suntvi-
siones et mandata et similitudines Hermœ, qui est Paulus.
3° Tradition primitive chez les latins. — Beaucoup
moins favorable a été le jugement chez les latins. Vers
180, l'auteur du fragment de Muratori attribue formel-
lement le Pasteur au frère du pape Pie, et refuse d'ad-
mettre son caractère inspiré : Paslorem vero nuperrime
temporibus noslris, in urbe Roma, Hermas conscripsil,
sedenle cathedra urbisRomse ccclesiœ Pio episcopo,fra(re
cjus. El ideo legi eum quidem oportet, se publicare vero
in ecclesia populo, ncque inter prophetas complctum
(completos) numéro, neque inter apostolos in fine tem-
porum potesl. Tertullien, encore catholique, la traitait,
il est vrai, de scriptura, De orat., 16, P. L., t. i, col.
1172; mais, devenu montaniste, il le qualifia de Pastor
mœchorum et le repoussa comme un livre apocryphe,
De pudicil., 11,20, P.L., t. n, col. 1000,1021; sans nul
doute parce que la pénitence y était accordée aux
adultères, et vraisemblablement parce que le paps
Zéphirin avait dû s'appuyer sur le Pasteur pour décider
l'admission des adultères à la pénitence. Cf. A. d'Alès,
La théologie de Tertullien, Paris, 1903, p. 228. Mais
cela n'empêcha point l'auteur du De aleatoribus, c. iv,
édit. Hartel, t. ni, p. 96, de le citer comme Écriture.
Au commencement du ive siècle, le décret attribué
au pape Pie par le pseudo-Isidore en appelait à
Hermas pour réfuter les quartodecimans. Hardouin,
t. i, col. 95; Mansi, t. i, p. 672. C'est qu'en effet on
prétendait alors que la célébration de la Pâque le
dimanche avait été prescrite par l'ange à Hermas.
Et le Liber pontificalis, dans la notice consacrée au
pape Pie, s'est fait l'écho de cette tradition : Sub hujus
2271
HERMAS
2272
episcopatum, Hermis librum scripsil, in quo mandalum
conlinel quod ei prœcepit angélus Domini, cum venil
ad eum in habitu pastoris, et prœcepit ut Pascha die
dominico celebrarctur. Liber pont ificalis, édit. Duehesne,
Paris, 1886, t. i, p. 132. Mais, d'une part, le Pasteur
ne contient pas la moindre allusion à la Pâque, et,
d'autre part, l'usage romain de célébrer la Pàque le
dimanche était antérieur au pape Pie, puisque, au
témoignage de saint Irénée, dans Eusèbe, H. E., v, 24,
P. G., t. xx, col. 505, Hygin, Télesphore et Xyste le
pratiquaient déjà. Le Liber pontificalis, qui confond
l'auteur du Pasteur avec le livre lui-même, s'accorde
du moins, quant à la date, avec le fragment de Mura-
tori. Ce titre Liber Pastoris a fait croire à quelques
écrivains que Pastor était un nom d'auteur. L'auteur
du poème contre Marcion présente déjà cette confu-
sion, Adv. Marc., m, 9, P. L., t. n, col. 1078; et Rufin
tout autant, In symb., 38, P. L., t. xxi, col. 374, ainsi
que plus tard (vers. 530) l'auteur de la Vie de sainte
Geneviève. Acta sanclorum, januarii t. i, p. 139.
Saint Jérôme, après avoir rappelé les témoignages
d'Origène et d'Eusèbe, affirme que le Pasteur était
presque inconnu chez les latins, De vir. ill., 10, P. L.,
t. xxni, col. 625; qu'il ne faisait point partie du canon,
Prœf. in libr. Sam. et Malach., P. L., t. xxxvm, col.
556; et il accuse Hermas de folie ou de sottise au sujet
de ce qu'il avait dit relativement à l'ange Tyri (Thegri).
In Habac, i, 14, P. L., t. xxv, col. 1286. On en appelait
encore malgré tout au Pasteur; c'est ainsi que Cassien
s'appuyait sur lui pour soutenir que chaque homme a
deux anges. Collât., vin, 17; xm, 12, P. L., t. xlix,
col. 750, 929. Mais saint Prosper répliquait à Cassien :
Nullius aucloritalis est teslimonium, quod disputalioni
suœ de libello Pastoris inseruerit. Conl. Collât-, xm, 6,
P. L., t. li, col. 250. Le Pasteur se trouve cité dans
l'appendice de la liste des Livres saints reproduite dans
le Codex Claromonlanus ;mais le décret de Gélase, Har-
douin, t. ii, col. 941; Thiel, Epistolse romanorum
ponlificum, 1868, t. i, p 463, le rejette parmi les apo-
cryphes. Il ne resta pourtant pas inconnu; il fut même
utilisé encore dans l'Église latine, comme en témoi-
gnent, vers 530, l'auteur de la Vie de sainte Geneviève,
qui cite un passage selon la version latine du manuscrit
palatin, Acta sanclorum, januarii t. i, p. 139, et
Sedulius Scotus, au ixe siècle, qui partageait l'opinion
d'Origène sur le caractère inspiré de ce livre. Collect.
ad Rom., xvi, 14, P. L., t. cm, col. 124. Quelques
manuscrits contiennent la version latine du Pasteur
parmi les livres de l'Ancien Testament. Des auteurs
du moyen âge en citèrent quelques passages.
4° La critique moderne. — Du xvie siècle à la moitié
du xvme, la plupart des critiques continuèrent à voir
dans Hermas un contemporain des apôtres et plaçaient
la date du Pasteur, les uns avant la ruine de Jérusalem,
les autres vers l'an 92. Mais, en 1740, la découverte et
la publication du fragment de Muratori, si précis rela-
tivement à l'époque où vécut et écrivit Hermas, firent
abandonner cette opinion par la plupart des critiques.
On admit qu'Hermas n'avait vécu qu'au ne siècle.
Et c'est aujourd'hui l'opinion à peu près unanime. Mais
à ce compte, dit-on, l'auteur du Pasteur nous a trompés
en se donnant comme le contemporain du pape Clé-
ment. Rien de plus vrai. Or, en dehors du témoignage
si formel du fragment de Muratori, il y a des raisons
internes qui favorisent l'opinion nouvelle. A considérer,
en effet, les idées du Pasteur, sa composition vers le
milieu du ne siècle, note Bardenhewer, Les Pères de
l'Église, trad. franc., Paris, 1899, t. i, p. 91, est sinon
hors de conteste, du moins très vraisemblable. « Le
Pasteur se complaît si fort à traiter la grave question
du pardon des péchés graves, il y déploie une si éton-
nante insistance, qu'on se prend naturellement à penser
qu'Hermas est au courant et tient compte des premiers
pas au moins de l'agitation montaniste. En tout cas,
les gnostiques, pour lui, sont déjà l'ennemi. » L'auteur
écrit pendant une longue période de paix, qui semble
bien être celle d'Antonin le Pieux (138-161); le sens
chrétien s'est affaibli chez beaucoup de fidèles; l'esprit
du monde reprend de l'empire. Vis., n, 2, 3. Une tem-
pête a précédé ce calme, et les circonstances signalées,
Sim., ix, 28, désignent la persécution de Trajan (98-
117) plutôt que celle de Domitien (81-96). L'Église se
trouve dans un état de crise morale ou de relâchement,
qui nécessite un retour à une discipline sévère pour
assurer le salut de ses membres. Les apôtres sont morts,
Vis., m, 5, 1 ; Sim., ix, 15, 4; on n'est donc plus aux
temps apostoliques.
Si Hermas nous a trompés sur la date, faut-il récuser
toute son autobiographie ? Comment accorder ce
qu'il dit de lui-même avec l'idée qu'en donne son livre ?
Certes, tous les détails cadrent admirablement avec la
tendance de l'ouvrage, et laissent l'impression d'une
histoire vraie. Hermas et sa maison figurent les plaies
de l'Église; aussi est-il visé le premier, ainsi que les
siens, par l'appel à la pénitence. La forme apocalyp-
tique qu'il donne à son ouvrage n'a pas lieu d'étonner.
Ce n'est l'œuvre ni d'un naïf, ni d'un imposteur.
Mgr Freppel, qui s'en tient malgré tout à l'opinion
ancienne quant à la date, écrit : » J'incline à penser
que nous sommes en présence d'un traité didactique,
d'une sorte de trilogie morale qui, sans se donner pour
une révélation proprement dite, se développe sous la
forme d'une apocalypse, dans une série de communi-
cations entre le ciel et la terre. » Les Pères apostoliques,
4e édit., Paris, 1885, p. 269. Et c'est encore ici, note
Bardenhewer, op. cit., p. 92, une de ces fictions, un de
ces artifices littéraires, que goûte et prodigue la litté-
rature des apocryphes, et dont la critique ne saurait
être dupe.
Signalons pourtant une troisième opinion, celle de
Gaâb, Der Hirt des Hermas, Bâle, 1866, et de Th. Zahn,
Der Hirt des Hermas, Gotha, 1868, d'après laquelle le
Pasteur n'aurait été composé ni par le frère du pape Pie,
ni par lHermas de l'Épître aux Romains, mais par un
personnage de même nom, contemporain du pape saint
Clément. Ce fut aussi l'opinion de Peters, Theolog.
Liliraiurblatt, 1869, p. 854 sq., de Mayer, Die Schrijten
der apost. Vàler, 1869, p. 255 sq., de Caspari, Quellen
zur Geschichle des Taufsymbols, 1875, t. ni, p. 298, et
de Nirschl, Patrologie, 1881, t. i, p. 80-88. D'après
Salmon, Dictionary o) Christian biography, t. n, p. 912-
921, cet Hermas aurait été un prophète comme Qua-
drat, et son ouvrage ne serait autre qu'un spécimen
de l'enseignement des prophètes au début du ne
siècle.
Quant à l'opinion de Champagny, Les Antonins,
Paris, 1863, t. i, p. 134, n. 1 ; t. n, p. 347, n. 3, partagée
par dom Guéranger, Sainte Cécile, 2e édit., p. 132 sq.,
197 sq., et d'après laquelle le Pasteur aurait deux
auteurs, l'Hermas de l'Épître aux Romains pour les
Visions, et le frère du pape Pie pour les Préceptes et les
Similitudes, elle ne mérite pas, dit Funk, Opéra Pair,
apostoi, Proleg., p. cxx, d'être réfutée, tellement
s'impose l'unité d'auteur.
E. Spitta a cru remarquer que le Pasteur avait été
composé sous Claude (41-54) ou même auparavant
par un juif, mais qu'il avait été interpolé en beaucoup
d'endroits par un chrétien, vers l'an 130. Zur Geschichte
und Lilteratur des Urchristentums, Gcettingue, 1896,
t. n, p. 241-447. Daniel Vôlter, Die Visionen des
Hermas, die Sybille und Clemcns von Rom, 1900, et
H. A. van Bakel, De composilie van den Pastor Hermse,
1900, ont plus ou moins adhéré à ce sentiment, qui doit
être absoiume .t re'eté. Voir Funk, dans Theologische
Quartalschrift, 1899, p 321-360. Cf. A. Lelong, Le
Pasteur d' Hermas, Paris, 1912, p. xxxix-xlvi.
2273
HERMAS
2274
C'est donc au témoignage du fragment de Muratori,
corroboré d'ailleurs par des arguments d'ordre interne,
qu'il convient de s'en tenir avec Lipsius, Bibellexikon,
1871, t. ni, p. 20 sq. ; Heyne, Quo lempore Hermœ
Pastor scriptus sit, Kœnigsberg, 1872 ; Behm, Ueber den
Verfasser der Schrift, welche den Tilel « Hirt » fùhrt,
Rostoch, 1876 ; Harnack, Patrum aposl. opéra, Leipzig,
1876, t. i, p. lxxvii sq. ; Batiffol, La littérature
grecque, Paris, 1897, p. 63 sq. ; Mgr Duchesne, Histoire
ancienne de l'Église, Paris, 1906, 1. 1, p. 224 ; A. Lelong,
Le Pasteur d'Hermas, p. xxv-xxix'; Funk, Opéra Pair,
aposl., Tubingue. 1881, 1. 1, p. cxvn sq. ; Bardenhewer,
Les Pères de l'Église, trad. franc., Paris, 1899, t. i,
p. 98-92.
Hermas fait allusion à l'amour des richesses ; bonne
preuve que l'Église avait joui d'un temps de paix.
Mais des persécutions avaient eu lieu ; il y eut des
martyrs et aussi des apostats ; mais quelques chrétiens
s'en tirèrent par la seule perte de leurs biens. Hermas
lui-même avait été dénoncé par ses fds et ruiné; au
moment de ses visions, il ne lui restait plus qu'un
champ. Peut-être avait-il été, au temps de sa jeunesse,
à l'âge de 30 ou 35 ans, l'une des victimes de la persé-
cution de Domitien auxquelles Nerva, d'après Dion
Cassius, 68, 2, avait fait rendre les biens confisqués.
Da'is ce cas, sous le règne d'Antonin le Pieux (138-
161), contemporain du pape Pie (140-155), il aurait
été plus que septuagénaire. Il écrit dans un temps où
le gnosticisme existe, mais ne paraît pas encore un dan-
ger grave pour l'Église; il combat le relâchement des
chrétiens, mais sans signaler des erreurs doctrina'e;.
Le seul passage qui se rapporte à un enseignement
gnostique est celui où il est question de ceux qui
abusent de la chair, Sim., v, 7; mais les faux docteurs
visés par Hermas semblent appartenir encore à l'Églis •
et n'en avoir pas été rejetés, comme ils ne tardèrent ptis
à l'être. Dans le passage plus particulièrement relatif
aux gnostiques, Sim., ix, 22, 2, il est encore ques'io'i
de fidèles, 7tia-:ot, qui « veulent tout savoir et ne con-
naissent rien, » « être des maîtres, quand ils ne sont
que des insensés. » Parmi eux beaucoup ont été rejetés,
mais d'autres, reconnaissant leurs fautes, ont fait
pénitence; ^ ceux qui restent la pénitence est proposée
comme moyen de salut, car ils n'ont pas été mauvais,
mais plutôt fous et sans esprit :oùx èyévovio yàp novripot,
[iàXXovÔs [xo>pot /ai àaiSveToi. Sim., ix, 22,4. Ce n'est pas
ainsi que se serait exprimé Hermas, si de son temps !e
gnosticisme avait été pour l'Église le danger qu'il
devint peu après; il pouvait parler de la sorte avait
l'explosion du gnosticisme vers le milieu du n* siècle.
Était-ce un montaniste? Il n'y paraît guère, malgré
certaines affinités de sa morale avec celle du monta-
nisme. Il considère, en effet, l'Église comme étant en
droit une société de saints, mais étant en fait un mé-
lange de justes et de pécheurs; il regarde comme immi-
nente la parousie du Seigneur; il a des visions et des
révélations. Mais la solution d'Hermas diffère de celle
du montanisme et porte la marque d'une date anté-
rieure. Tandis que les montanistes refusaient le pardon
aux grands pécheurs, Hermas leur accorde au moins
une fois la pénitence et promet le salut aux pénitents.
Montaniste, il n'aurait pas loué le mari d'une épouse
adultère de la reprendre, si elle venait à faire pénitence,
et il aurait condamné les secondes noces. Les monta-
nistes ajoutaient des jeûnes aux jeûnes prescrits par
l'Église; Hermas se contente de jeûner les jours de
station, sans voir dans cette pratique une obligation
et en insistant sur le côté spirituel du jeûne. Il y a donc
dans le Pasteur moins de rigorisme que dans le monta-
nisme, et il n'y a rien de ce qui est spécial au monta-
nisme. A. Stahl, Patristischc Untersuchungen... III. Der
« Hirl » des Hermas, Leipzig, 1901, a même prétendu
que l'auteur combattait les montanistes, mais il date
DICT. DE THÉOL. CATH.
son œuvre des années 165-170. Le témoignage du
fragment de Muratori a plus d'autorité que les argu-
ments de Stahl n'ont de valeur.
II. Son ouvrage. — 1° Texte et versions. — Le Pas-
leur a été composé en grec, mais le texte original ne
nous est point parvenu dans son intégrité. Le premier
quart, Vis., i -Mand., iv, 3, 6, se trouve dans le codex
Sinaiticus de la Bible du ive siècle, découvert en 1859;
deux autres morceaux se trouvent dans un papyrus du
ve siècle rapporté de Fayoum et conservé à Berlin;
un manuscrit du mont Athos, xive-xve siècle, publié à
Leipzig par Tischendorf, en 1856, le contient dans sa
presque totalité; trois feuilles de ce manuscrit, com-
prenant Mand., xn, 4, 7 - Sim., vin, 4, 3, et Sim.,
ix, 15, 1, - 30, 2, dérobées par Constantin Simonide,
ont été acquises par la bibliothèque de Leipzig. C'est
à l'aide de ces manuscrits qu'ont été faites les éditions
du texte grec par Hilgenfeld, Novum Teslamcnlum
extra canonem receptum, Leipzig, 1866; 2e édit., 1881;
3e, 1887; Gebhardt-Harnack, Hermse Paslor, Leipzig,
1877. En 1880, Lambros découvrit au Mont-Athos
un manuscrit contenant une partie du texte grec du
Pasteur et il constata plus tard qu'il était la source du
manuscrit de Leipzig. Robinson fit la collation du
texte, A collation of the Athos codex of the Shepherd o/
Hermas, 1888, p. 25-29. Henner fut le premier qui utilisa
ce manuscrit dans son édition des Pères apostoliques
en 1891. Photogra, hie par K. Lake Oxford. 1907.
La même année, U. Wilcken découvrit une feuille
manuscrite sur papyrus, du iv« siècle, reproduisant
Sim., u, 7-10; iv, 2-8, et il en publia le texte. Tabeln
zur àltercn griechischen Paléographie, Leipzig et Berlin,
1891, tab. ni. Diels et Harnack rééditèrent et commen-
tèrent ce fragment, trouvé au Fayoum et conservé au
musée de Berlin, dans les Sitzungsbcrichle der Berliner
Akademie der Wissenschajtcn, 1891, p. 427-431 ; Albert
Ehrhard, dans la Theologische Quartalschrifl, 1892,
p. 294-303, et K. Schmidt et W. Schubart, Alt-
christich' Texte, Berlin, 1910, p. 13-15. Une feuille de
papyrus, contenant une courte citation de Mand., xi,
9 sq., a été publiée par Grenfell et Hunt, en 1899.
Des fragments de sept feuilles de papyrus ont été
publiés par les mêmes savants papyrologistes, The
Amherst papjri II, Londres, 1901, p. 195 sq. (Vis., i,
2,2-3,1; m, 12, 3; 13, 3,4; Mand., xn, 1, 1,3;
Sim., ix, 2, 1, 2, 4, 5; 12, 2, 3, 5; 17, 1, 3; 30, 1-4).
Cf. A. Lelong, Le Pasteur d'Herrn is, p. ci n. Un fragment
(Sim., x, 3, 3-6) a encore été publié par les mêmes. Cf.
ibid., p. cm-civ. Une feuille de parchemin, trouvée
en Egypte et conservée à la bibliothèque munici-
pale de Hambourg, du ive au ve siècle, contient la
fin de Sim., iv, et le commencement de Sim., v. Cf.
K. Schmidt et W. Schubart, dans les Sitzangsberichte
der Berliner Akademie, 28 octobre 1909; A. Lelong,
op. cit., p. xcv-cn. Un papyrus du vie si' île donne
le début de Sim., vin, 1, 1-12, publié par K. Schmidt
et W. Schubart. Allchrisllichc Texte, p. 17-20.
Jusqu'en 1856, le Pasteur n'était connu que par une
version latine, dite Vulgate, publiée pour la première
fois par Lefèvre d'Étaples, Liber trium virorum et
trium spirilualium virginum, Paris, 1513, et reproduite
dans leurs éditions des Pères apostoliques par Cotelier.
Fell, Gallandi, Migne, Hefele. Hilgenfeld en a donné une
édition critique insuffisante, Hermœ Pastor, Leipzig,
1873. Une autre version latine, dite palatine, en a été
publiée parDressel, à Leipzig, en 1857 et en 1863, puis par
Hollenberg, à Berlin, en 1868, d'après un manuscrit
du fonds palatin du Vatican, du xivc siècle. Ces deux
versions sont indépendantes l'une de l'autre; la pre-
mière doit avoir suivi de près l'apparition de L'original
grec; Tertullien parle du Pastor, non du Ilo ;j.rjv;
la seconde, déjà connue de l'auteur de la Vie de sainte
Geneviève, vers 530, remonte au vc siècle et a eu très
VI. — 72
2275
HERMAS
2276
vTaiseml lablement la Gaule pour berceau, Cf. T.
Haussleiter. De versionibus Pastoris Hermœ lalinis,
Erlangen, 1884; Ph. Thiehnann, dans Archiv (tir lai.
Lexiko graphie, 1885, p. 17G; Still, dans Jahrcs-
berichit (ùr Attertumswissenschaft, 1887, t. xvn, p. 35.
En 1860, Antoine d'Abbadie découvrait, en Abyssinie
une version éthiopienne du Pasteur; il la traduisit
en latin et la publia dans les Abhandlungen (ùr die
Kunde des Morgenlandes, 1860, t. n, n. 1. Dillmann
démontra qu'elle avait été faite directement sur le grec.
Zeilschri/t der Deutschen morgcnlandischcn Gescllschajt,
1861, t. xv, p. 111-118.
On possède aussi de courts fragments d'une version
copte. Voir A. Lelong, Le Pasteur d'Hermas, p. cv-cvi.
F. X. Funk, profitant des travaux antérieurs et les
améliorant encore, a publié le texte grec avec une tra-
duction lutine faile à l'aide de celles qui existaient
déjà; à partir de Sim., îx, 30, 3, où l'original grec fait
défaut jusqu'à la lin, il a transcrit, d'une part, le texte
de la version Vulgate et, d'autre part, la version latine
d'Antoine d'Abbadie. C'est à cette édition que nous
nous referons, Opcra Patrum aposlolicorum, Tubingue,
1881. Une seconde édition a paru en 1901 sous le titre :
Patres apostolici. Voir aussi sa petite édition: Die
apostolisclii n Vâter. Tubingue, 1906.
Photographie du codex Sinaiticus par K. Lake,
Oxford, 1911.
2° Division. ■ — Par l'étendue des matières, la ri-
chesse du fond et l'originalité de la forme, le Pasteur
constitue un ouvrage à part dans la littérature chré-
tienne du iic siècle. Il comprend cinq Visions, ôpdbsiç,
douze Préceptes, Iv-oXat, et dix Similitudes, -apaSoXaf;
et c'est sous ces trois titres distincts qu'il est divisé
dans les éditions actuelles, contrairement aux indica-
tions de l'auteur, qui ne signale que deux parties, la
première comprenant les quatre premières Visions,
et la seconde, tout le reste avec la cinquième Vision
pour préface et la dixième Similitude pour épilogue.
Cette division de l'auteur correspond aux deux per-
sonnages qui sont les interprètes ou les organes des
révélations : dans la première partie, c'est l'Église
qui paraît et parle à Hermas sous les traits d'une
femme; dans la seconde, c'est le Pasteur qui lui notifie
les Préceptes, propose et explique les Similitudes.
Le tout forme un ensemble cohérent qui accuse nette-
ment l'unité d'auteur; et le titre, IIoipjv, donné à
l'ouvrage, lui vient du personnage qui entre en scène
dès la première partie, bien qu'il n'y joue qu'un rôle
secondaire, Vis., n, 4, 1; m, 10, 7, mais qui paraît
ensuite comme le personnage chargé de faire connaître
les Préceptes et les Similitudes à Hermas.
Les Visions indiquent la raison d'être de l'ouvrage
et en tracent l'esquisse; les Préceptes et les Similitudes
en sont le développement. Tout s'y ramène à l'idée
fondamentale de pénitence ou de réforme morale. Et
cette discipline se dessine dans les Visions sous forme
apocalyptique, se développe d'une manière plus nette
et plus précise dans les Préceptes et s'achève sous forme
de parabole dans les Similitudes. C'est cette pénitence
qu'Hermas doit s'appliquer à lui-même, et qu'il doit
prêcher ensuite aux membres de sa propre famille,
à l'Église, aux fidèles et au clergé. Et la raison de cet
appel général à la pénitence n'est autre, comme Her-
mas le donne à entendre, que l'imminence de la persé-
cution et l'approche de l'avènement du souverain juge.
On a discuté l'unité du livre. Le comte de Champa-
gny a soutenu que l'ouvrage actuel est formé de deux
livres très différents, comme il a été dit plus haut.
Haussleiter a émis une opinion analogue: le Pasteur
serait composé d'un premier livre, Vis., v-Sim., x,
œuvre d'Hermas, frère du pape Pie (un peu avant 150),
te d'un second. Vis., i-iv, œuvre d'un inconnu publiée
sous e nom d'Hermas, i ersonnage apostolique, à la
fin du ne siècle. De versionibus Pastoris Hermx latinis,
Erlangen, 1884. A. llilgenfeld a discerné trois écrits :
un écrit de pastorale, Vis., v-Sim., vu, antérieur au
règne de Trajan, une apocalypse, Vis., i-iv, rédigée
sous Adrien (117-138), un écrit secondaire, Sim. ,
vni-x; Vis., v, 5, avec quelques autres additions,
joint aux deux premiers par le frère du pape Pie.
Hermœ Pastor, 2e édit., 1881 , p. xxi-xxix. Ces opinions
n'obtinrent aucun succès. Elles furent réfutées par
A. Link, DicEinheil des Pastor Hermas Marbourg,1888,
et par P. Baumgartner, Die Einheit des Hermas-
Buchs, Fribourg-en-Brisgau, 1889. Ce dernier toutefois
soutint que l'auteur rédigea d'abord séparément Vis.,
i-iv et Vis., \-Sim., ix, qu'il réunit ensuite en un seul
livre. A. Harnack entra dans ces vues et détermina
l'ordre successif de la composition des parties.
Gescbichte der allchrisil. Litleralur, t. n a, p. 260-263.
Ses arguments n'ont pas paru concluants.
1. Les Visions. — C'est sous forme d'apocalypse
ou de révélation que débute le Pasteur; et ce procédé
rappelle, parmi les auteurs sacrés, les visions d'Ézé-
chiel et de saint Jean, et, parmi les apocryphes,
YAscension d'isaïe, le Livre d'Hénoch et surtout le
IVe livre d'Esdras. L'entrée en matière est faite pour
piquer la curiosité.
Hermas raconte, en effet, comme nous l'avons vu
dans son autobiographie, les incidents qui donnèrent
lieu à la rédaction dé son livre et à sa mission de prê-
cher la pénitence : c'est l'objet de la première Vision.
Dans la seconde Vision, il aperçoit encore l'Église sous
la forme d'une vieille femme, qui lui confie son livre
pour qu'il le transcrive en double exemplaire, et qui lui
apprend que ses fils ont péché contre Dieu et blasphémé
le Seigneur, qu'ils ont trahi leurs parents et sont tom-
bés dans une grande iniquité, que sa femme a beaucoup
péché par la langue, mais qu'ils seront tous pardonnes
s'ils font de tout leur cœur une sincère pénitence.
Hermas se met à pratiquer le jeûne. Dans la troisième
Vision, la vieille le fait asseoir, non à sa droite, car
c'est la place réservée à ceux qui ont souffert pour
Dieu, mais à sa gauche, et lui montre, s'élevant sur les
eaux, une tour construite par des anges avec des pierres
tirées du fond de l'abîme ou du sein de la terre, qui
s'adaptaient si bien entre elles qu'on aurait dit un
monolithe. Elle lui conseille de conserver la paix, de
secourir les indigents et lui prescrit de recommander
aux chefs de l'Église d'éviter les dissensions et d'obser-
ver la discipline. — ■ Vingt jours après, comme il se
rendait à son champ, priant le Seigneur de lui faire
comprendre le sens de ces visions et de lui accorder,
ainsi qu'à tous les serviteurs de Dieu, la pénitence, il
rencontre une bête énorme et horrible, qui soulevait
des flots de poussière. A sa vue, il se met à pleurer et à
prier, quand lui apparaît la femme comme une vierge
parée, vêtue de blanc. Il reprend aussitôt courage et
apprend qu'il a échappé au monstre grâce à la fermeté
de sa foi et à la protection de l'ange Thégri. Le monstre
annonçait une grande tribulation, à laquelle on n'échap-
pera que par la pénitence et la conversion, par la pureté
de la vie et la persévérance, par la confiance en Dieu. —
Dans la cinquième Vision, qui n'est à vrai dire qu'une
transition et l'amorce de la seconde partie, Hermas
est dans sa demeure; il vient de prier et est assis sur
son lit quand se présente à lui un homme, à l'habit de
pasteur : c'est l'ange de la pénitence, qui lui est déjà
apparu sous une autre forme, Vis., n, 4; m, 10, 7,
et qui se dit chargé de lui rappeler les visions précé-
dentes et de lui faire écrire les Préceptes et les Simi-
litudes.
2. Les Préceptes. — Cette partie n'est pas sans offrir
quelques traits de ressemblance avec l'apocryphe
connu sous le nom de Testament des douze patriarches.
C'est un petit traité de morale en douze préceptes,
2277
HE RM AS'
2278
renfermant la plupart des devoirs de l'homme envers
Dieu, envers le prochain et envers lui-même. Il a pour
point de départ et pour fondement la foi en un seul
Dieu, créateur de toutes choses, et pour but le
retour à la vertu par le moyen d'une crainte salutaire
et d'un ascétisme bien compris. Dès le début, en effet,
sont recommandées la foi, la crainte et la continence,
■sttirctç, 9060;, rf/.pârs'.a, trois vertus dont la force et
l'efficacité sont montrées à partir du vie précepte.
Le second précepte recommande la simplicité et l'inno-
cence, àrXoT-r,ç,àzax!a; il interdit la médisance parlée ou
écoutée, xataXaX'.a, et prescrit l'aumône sans acception
de personnes. Le troisième ordonne l'amour et la
pratique de la vérité, la fuite du mensonge. Le
quatrième prescrit la pureté, àyveîa, et proscrit toute
pensée ou désir déshonnête, ce qui provoque, de la
part d'Hermas, certaines questions sur le mariage,
l'adultère et la pénitence. Pour pratiquer la justice,
est-il dit dans le cinquième, il faut posséder la longa-
nimité et la prudence, et éviter l'irascibilité, ôÇuy oXia, qui
chasse le Saint-Esprit et appelle le diable; c'est une
sorte de démence qui engendre l'amertume, mxpca, la
colère, Oufxoç, la passion, ôp"pj> et la fureur, iir,vi;; cette
dernière est un péché inguérissable.
Relativement à la foi, il faut croire que l'homme a
deux anges, celui de la justice et celui de la malice :
les inspirations du premier sont à suivre, car elles
sont bonnes; les tentations du second sont à repousser,
car elles sont perverses. Relativement à la crainte,
il faut distinguer celle de Dieu de celle du diable :
la première est à pratiquer parce qu'elle est salutaire,
la seconde à éviter parce qu'elle est pernicieuse. Rela-
tivement à la continence, il faut distinguer le mal auquel
on doit se soustraire, et le bien dont on ne doit pas
s'abstenir.
Le neuvième précepte recommande la prière, une
prière inspirée par la foi et la confiance, car Dieu est
plein de miséricorde, une prière dénuée du moindre
doute, quelque temps que s'en fasse attendre le résul-
tat, car le doute est d'inspiration diabolique. Il faut
en outre fuir la tristesse, sœur du doute, et revêtir la
joie, qui est toujours agréable à Dieu et favorable au
bien. M and., x.
Il existe des prophètes; mais, parmi eux, quelques-
uns sont faux et troublent les sens de ceux qui les
consultent. Ils n'ont pas l'esprit de Dieu : orgueilleux,
sensuels, loquaces, avides, intéressés, on les reconnaît
à leurs œuvres, et on doit absolument s'en garder.
Mand., xi.
Reste enfin l'IxtOufjua, qui est bonne ou mauvaise
selon que les désirs qu'elle inspire sont bons ou mau-
vais; il faut donc éviter la mauvaise concupiscence,
qui donne la mort spirituelle, et, pour lui résister avec
succès, il convient d'embrasser le désir de la justice
et de s'armer de la crainte de Dieu. Mand., xu.
3. Les Similitudes. — Cette dernière partie du Pas-
teur a le même caractère que la première, celui d'une
apocalypse, et se rattache à certaines paraboles évan-
géliques. Des comparaisons et des tableaux, qui ne
sont pas sans charme, servent à mettre en relief quel-
ques points de doctrine et de morale.
Dans les deux premières similitudes, il s'agit du bon
emploi de la fortune. N'ayant pas ici-bas de cité per-
manente, l'homme ne doit pas s'attacher exclusive-
ment aux biens de la terre; ces biens sont donnés par
Dieu pour en faire bénéficier les indigents. Sim., 1.
Le riche et le pauvre sont l'un pour l'autre comme
l'ormeau et la vigne. L'ormeau soutient la vigne, et
la vigne 1 are l'ormeau de ses fruits. Le riche aide
le pauvre, mais ne se dépouille pas sans profit,
car sa pauvreté spirituelle est secourue par le pau-
vre, qui par sa prière, enrichit spirituellement le riche.
Sim., 11.
Une comparaison non moins gracieuse sert, dans les
deux similitudes suivantes, à expliquer le mélange
en ce monde des justes et des pécheurs, et leur sépara-
tion dans le siècle futur. C'est ainsi qu'en hiver les
arbres, dépouillés de leurs feuilles, se ressemblent ; mais,
vienne l'été, tandis que les uns se parent fie feuilles et
de fruits, les autres ne changent pas et sont morts.
De même sur la terre, qui est l'hiver pour eux, bons et
mauvais sont confondus; mais le siècle futur, comme
l'été, est révélateur des uns et des autres : les justes,
chargés de fruits, seront récompensés; les pécheurs,
restés stériles, seront punis.
Dans la cinquième similitude s'accuse le caractère
profondément spiritualiste de l'ascétisme chrétien, les
pratiques extérieures ne devant être qu'un moyen pour
opérer la réforme morale. Voici la vraie notion du
jeûne : « Ne fais pas le mal dans le cours de ta vie, dit
le Pasteur à Hermas, mais sers Dieu avec un cœur pur,
observe ses commandements, entre dans la voie de ses
préceptes, et repousse jusqu'au désir coupable qui
cherche à se glisser dans l'âme. Aie pleirfe confiance en
Dieu; car si tu acceptes ces choses, si tu t'abstiens de
tout par crainte de lui déplaire, il te donnera la victoire :
voilà le véritable jeûne, celui que Dieu agrée. » Et cela
n'est point la condamnation du jeûne pratiqué par
Hermas, car l'ange de la pénitence ajoute : « Le jour
où tu jeûneras, tu ne goûteras d'aucune nourriture
pour te borner au pain et à l'eau. Tu mettras de côté
la quantité d'aliments que tu as coutume de prendre
chaque jour, et tu la donneras à la veuve, à l'orphelin
et aux pauvres; c'est ainsi que tu consommeras !a
mortification de ton âme. » Telle est la notion com-
plète du jeûne.
A côté de ce précepte, il y a le conseil. Dans la simi-
litude, imitée de l'Évangile, le Maître et le serviteur
de la vigne, ce dernier ne se contente pas d'exécuter
les ordres reçus, il va au delà, et, ce faisant, il mérite
et reçoit mit récompense plus grande, il est adopté par
le Maître.
Dans la sixième similitude, Hermas voit deux
bergers et deux troupeaux : l'ange de la volupté et
l'ange de la peine; l'un respirant la douceur et la joie
mais perdant les âmes parce qu'elles ne font pas péni-
tence; l'autre, d'un aspect rude et repoussant, menant
ses brebis, le bâton levé, au milieu des ronces et des
épines, et leur faisant faire pénitence pour leur salut.
Dans la septième similitude, Hermas demande que
l'ange de la peine soit éloigné de sa maison; mais le
Pasteur lui montre la nécessité d'expier ses fautes et de
faire pénitence, car la pénitence bien acceptée mérite
la réconciliation.
Dans les deux similitudes suivantes, vme et ixe,
l'Église reparaît sous le double symbole du saule et de
la tour. Le saule est ébranché; chaque fidèle en reçoit
une tige qu'il devra représenter, et selon l'état de cette
tige, sera récompensé ou puni; c'est une manière de
faire entendre que chacun sera traité selon ses œuvres.
Les pécheurs seront soumis à la pénitence et, s'ils
l'accomplissent de tout leur cœur, obtiendront le
pardon, sinon ils seront condamnés. Quant au sym-
bole de la tour, il reparaît avec un ensemble de circon-
stances qui sert à caractériser ceux qui entrent dans la
construction pour leur fidélité persévérante ou pour
leur sincère pénitence, et ceux qui en sont écartés.
La dernière similitude sert de conclusion : à Hermas
de faire pénitence et de persévérer; à Hermas d'ensei-
gner aux autres ce moyen de salut. Puisque le salut est
assuré par la pénitence, chacun doit prendre ce moyen
tant que la tour est en construction, car après il serait
trop tard.
III. Sa doctrine. — 1° Trinité et incarnation. —
Le Pasteur est avant tout l'œuvre d'un moraliste
préoccupé de remédier aux maux de la société chré-
2279
HERMAS
2280
tienne, et non celle d'un polémiste qui entend réfuter
certaines erreurs ou celle d'un théologien exposant avec
preuves à l'appui quelqu'une des vérités de la foi. 11
n'en affirme pas moins avec netteté certains dogmes,
tels que l'unité divine et la création ex nihilo, Mand.,
1,1, p. 388; cf. Sim., v, 5, 2; vu, 4; mais il est loin d'être
aussi catégorique sur la Trinité et la christologie. Là,
sa pensée est nuageuse et son langage déconcertant.
Ce n'est point sans quelques subtilités que certains
critiques ont défendu son orthodoxie; entre autres
Jackman, Der Hirt des Hermas, Kœnigsberg, 1835,
p. 68-73; Hefele, Opéra Patrum apost., 4e édit., Tu-
bingue, 1855, p. 386, n. 3; Dorner, Lehre von den
Person Christi, 2e édit., 1845, p. 190-205; Gaâb, Der
Hirt des Hermas, Bâle, 1866, p. 77-82; Zahn, Der
Hirt des Hermas, Gotha, 1868, p. 253-282; Donaldson,
The apostolical Fathers, 2e édit., Londres, 1874, p. 353-
358; Freppel, Les Pères apostoliques, 4° édit., Paris,
1885, p. 318; Rambouillet, L'orthodoxie du livre du
Pasteur d'Hermas, Paris, 1880 ; Un dernier mol sur
l'orthodoxie d'Hermas, Paris, 1880, dans la Revue du
monde catholique, 1880, p. 21 sq.; A. Briill, Der Hirt
des Hermas, 1882; J. Schwane, Dogmengeschichte der
vornicânischen Zeit, 2e édit., 1892, p. 61 ; trad. franc.,
Paris, 1903, t. i, p. 65; R. Seeberg, Lehrbuch der
Dogmengeschichte, 1895, 1. 1, p. 22; d'autres, par contre,
Lipsius, Zcilschrijt /ûr wiss. Théologie, 1865, p. 277-
282; 1869, p. 273-285; Bardenhewer, Les Pères de
l'Église, trad. franc., Paris, 1898, t. i, p. 94; Funk,
Opéra Patrum apost., Tubingue, 1881, t. i, p. 458;
1901, t. i, p. cxli-cxliii, ont accusé Hermas d'iden-
tifier la seconde personne de la Trinité avec le Saint-
Esprit, et même, d'après Harnack, dans ses notes,
Vis., v, 2; Sim., v, 5, 2; 6, 5; vm, 1, 2; ix, 1, 1;
Duchesne, Les origines chrétiennes, édit. lith., Paris,
1885, p. 198, avec l'archange saint Michel. Mgr Du-
chesne ne parle plus de cette identification, Histoire
ancienne de l'Église, Paris, 1906, t. i, p. 232-234. Cf.
Lueken, Michael, Gœttingue, 1898, p. 87, 148-154;
E. Huckstadt, Der Lehrbegriff des Hirten, 1889;
O. Bardenhewer, Christi Person und Werk in Hirten
des Hermas, 1886; Funk, Patres apostolici, 2e édit.,
Tubingue, 1901, 1. 1, p. 532-540. Ce que l'on doit recon-
naître à tout le moins, c'est que sa terminologie laisse
beaucoup à désirer.
Voici, en effet, un premier passage qui permettra
d'en juger : il est relatif aux trois personnes divines.
Un homme, dit le Pasteur, Sim., v, 2, p. 450-452,
possède un domaine et de nombreux serviteurs. Il
sépare une partie de ce domaine et y plante une vigne.
Puis choisissant un serviteur fidèle et honorable, il le
charge d'échalasser cette vigne, en lui promettant la
liberté. Le maître parti, ce serviteur se met à l'œuvre,
et non seulement il échalasse la vigne, mais encore il
en arrache les mauvaises herbes, chose qui ne lui avait
pas été prescrite. A son retour, le maître est informe
du zèle de son serviteur, et voyant que celui-ci avait
fait plus qu'on ne lui avait demandé, il convoque en
conseil son fils et ses amis; d'accord avec eux, il décide
que le bon serviteur partagera son héritage avec son
fils. Ayant fait un festin, il envoie des provisions au
serviteur fidèle qui, après en avoir pris sa part, donne
le reste à ses compagnons de servitude.
Il y a bien là trois personnages distincts : le maître,
son fils et son serviteur. Mais qui sont-ils? Le champ,
explique le Pasteur, Sim., v, 5, 2-3, p. 460, représente
ce monde, dont le maître est Dieu, créateur de toutes
choses. Le fils du maître est le Saint Esprit. Filius
autem Spiritus Sanctus est, porte la version Vulgate.
Ces mots, il est vrai, ne se trouvent ni dans le texte grec
ni dans la version palatine; ils n'en représentent pas
moins la pensée de l'auteur, puisqu'il dit ailleurs :
» Je veux te montrer ce que t'a montré l'Esprit-Saint,
qui t'a parlé dans la personne de l'Église; car cet Esprit
est le fils de Dieu : èy.eîvo yàp to ^veuixa ô ito; toù 0eo3
iv-iv. Sim., ix, 1, 1, p. 498. Quant au serviteur, il est
le fils de Dieu; ô 8s ooûXo; ô uîoçtou 0sou èatïv. Sim., v,
5, 2, p. 460. Or ce serviteur, nommé fils de Dieu, prépose
des anges à la garde de l'Église; il extirpe les mauvaises
herbes ou déracine les péchés par ses labeurs et ses
souffrances; et il partage les reliefs du festin avec les
autres serviteurs. Telle est son œuvre : œuvre de
rédemption, sans que soit mentionnée la mort expia-
toire, et œuvre de communication de la grâce par la
prédication évangélique. Pas une seule fois l'auteur ne
le signale sous le nom de Verbe, de Christ ou de Jésus,
pas plus qu'il ne songe à dire la différence qu'il y a entre
sa filiation divine et celle du Saint-Esprit.
Voici un autre passage relatif à l'incarnation :
« Le maître a appelé en conseil son fils et les anges glo-
rieux pour délibérer sur la participation du serviteur
à l'héritage; cela veut dire: l'Esprit-Saint qui préexis-
tait, qui a créé toute créature, Dieu l'a fait habiter
dans une chair choisie par lui. Cette chair, dans la-
quelle habitait le Saint-Esprit, a bien servi l'Esprit en
toute pureté et toute sainteté, sans jamais lui infliger
la moindre souillure. Après qu'elle se fut ainsi bien et
saintement conduite, qu'elle eut aidé l'Esprit et tra-
vaillé avec lui en toute action, se montrant toujours
forte et courageuse, Dieu l'a admise à participer avec
l'Esprit-Saint. La conduite de cette chair a plu à
Dieu, car elle ne s'est pas souillée sur la terre pendant
qu'elle possédait l'Esprit-Saint. Il a donc consulté son
fils et ses anges glorieux afin que cette chair, qui avait
servi l'Esprit sans aucun reproche, obtînt un lieu
d'habitation et ne perdît pas le prix de son service. »
Sim., v, 6, 4-7, p. 462. « Que conclure de là, demande
Bardenhewer, Les Pères de l'Église, trad. franc.,
Paris, 1898, t. i, p. 94, sinon que, visiblement, la dis-
tinction entre le Saint-Esprit et le Fils de Dieu découle
de l'incarnation; le Fils de Dieu avant l'incarnation et
le Saint-Esprit ne font qu'un. » Et Bardenhewer ajoute :
« C'en est donc fait de la Trinité, dans la pensée d'Her-
mas, tant que Jésus n'a pas achevé l'œuvre de la
rédemption; la Trinité ne se constitue que lorsque
l'humanité du Sauveur s'élève au rang du Père et du
Saint-Esprit. »
Il est question plusieurs fois, Vis., v, 2; Mand., v, 1,
7; Sim, v, 4, 4; vu, 1, 5; vin, 1, 1, p. 384, 402, 456,
474, 476, 478, d'un ange qui est au-dessus des six
anges supérieurs qui forment le conseil de Dieu; et cet
ange est tour à tour qualifié de très vénérable, de saint,
de glorieux, as^vôra-o;, ây10?» ËvBoÇoç, dans lequel la plu-
part des interprètes ont vu le Christ. Mais Hermas finit
par le nommer, et il l'appelle Michel. Sim., vin, 3, 3,
p. 484. Serait-ce qu'il identifie le Fils de Dieu avec
l'archange saint Michel? La réponse semblerait devoir
être affirmative à raison de multiples ressemblances que
le Pasteur relève entre l'un et l'autre dans leurs fonc-
tions. L'un et l'autre, en effet, sont investis de la toute-
puissance sur le peuple de Dieu, Sim., v, 6, 4; vin, 3, 3,
p. 462, 484; l'un et l'autre prononcent sur le sort des
fidèles, Sim., vm, 3, 3; ix, 5, 2-7; 6, 3-6; 10, 4, p. 484,
508, 510; l'un et l'autre remettent les pécheurs à
l'ange de la pénitence pour les amender. Sim., vm, 2, 5;
4, 3; ix, 7, 1-2, p. 480, 484, 510, 512. Mais cette ana-
logie de situations et de missions n'a point paru suffi-
sante à Zahn, Der Hirt des Herm is, Gotha, 1868, p. 263-
278, et à Bardenhewer, Les Pères de l'Église, trad.
franc., Paris, 1898, t. i, p. 95, pour en induire l'identité
des personnes, d'autant plus que des différences de
dénominations et d'attributs sont caractéristiques.
C'est ainsi que saint Michel est toujours qualifié d'ange
et que le Fils de Dieu ne porte jamais ce nom; si saint
Michel a pouvoir sur le peuple, le Fils de Dieu n'est pas
seulement le maître du peuple, Sim., v 6, 4, p. 462,
2281
HERMAS
2282
il est encore le maître de la tour, son propriétaire, son
possesseur; il en dispose souverainement: ajOÉvTTjç,
8e<tj:ot7]ç, Sim., ix, 5, 2, 6, 7; ix, 7, 1, p. 508, 510; et
tandis que saint Michel grave simplement la loi dans
le cœur des fidèles, « cette loi est le Fils de Dieu, tel
qu'il a été prêché jusqu'aux extrémités du monde. »
Sim., vin, 3, 3, p. 484. Cf. Heurtier, Le dogme de la
Trinité dans VÉ pitre de S. Clément de Rome et le Pasteur
d'Hermas, Lyon, 1900.
2° Les anges. — Hermas, sans parler de la nature des
anges, fait allusion surtout à leur nombre considérable
et à leurs diverses fonctions. Il distingue, comme nous
l'avons déjà ol serve, les anges supérieurs des anges
inférieurs; ceux-ci sont chargés de la vigne ou des
membres de l'Église, Sim., v, 5, 3, p. 460; ils travaillent
à la construction de la tour mystique, sous la direction
des six anges glorieux. Sim., ix, 6, 2, p. 510. Les anges
glorieux font partie du conseil de Dieu et assistent à
la délibération qui doit donner au serviteur l'héritage
divin et à son corps la récompense céleste. Sim., v, 6,
4-7, p. 462. Diverses sont les fonctions des anges : il
y a l'ange de la pénitence, qui joue un si grand rôle
dans le Pasteur; il y a l'ange Thégri, ©eypt, préposé
à la garde des bêtes sauvages, Vis., iv, 2, 4, p. 382;
il y a surtout saint Michel, dont nous avons vu le rôle
prépondérant. Chaque homme a son ange gardien,
ôcyyeXo; Sixa'.oaôvTjç, dont il doit suivre les inspirations et
les conseils pour pratiquer la justice et se préserver
du ma1. Mand., vi, 2, 1-3, p. 406. Mais il a aussi un
autre ange, ayyEXo; ^ovripîaç, ibid., qui n'est autre que le
diable, dont il doit se méfier, car celui-ci est l'inspira-
teur et l'instigateur du péché; toutes ses œuvres sont
mauvaises. Mand., vi, 2, 10, p. 408. Il est donc à redou-
ter, car il pourrait empêcher l'accomplissement des
préceptes et faire ainsi manquer le salut. Mais il ne
peut rien sur les serviteurs de Dieu, car il est dominé
par l'ange de la pénitence : Èyto yàp eao;j.at |j.e6' ûpuov,
ô àyysXoç xfjç [xETavoia;, ô xataxuptEuwv aùxou, Mand.,
xii, 4, 7, p. 436; il les tente, mais ceux qui sont pleins
de foi lui résistent avec succès, et il s'éloigne, faute de
trouver place en eux, pour entrer dans les hommes
vains, dont il fait ses esclaves. Mand., xn, 5, 4, p. 436.
3° L'Église. — Hermas donne peu de renseigne-
ments sur l'organisation de l'Église. Il fait allusion à
l'épiscopat quand il dit de Clément qui enverra son
livre aux villes du dehors selon le devoir de sa charge :
èxEtvw yàp £7riTsipa7iTai. Vis., n, 4, 3, p. 350. Il parle
des presbytres qui président l'Église. Ibid. Parmi les
pierres qui s'adaptent parfaitement à la tour, il signale
celles qui figurent les apôtres, les évêques, les didas-
cales et les diacres. Vis., ni, 5, 1, p. 360. Il recommande
aux xporjyoujjLÉvoiç et aux 7ipcoTOxaG£8piToa<;, d'éviter toute
dissension, d'observer la discipline pour poinoir faire
avec fruit la leç-m aux autres, Vis., m, 9, 7-10, p. 370 ;
car ils étaient peut-être du nombre de ces fidèles ambi-
tieux qui luttaient pour la première place et les hon-
neurs. Sim., vin, 7, 4, p. 492. A une époque où le
charisme de prophétie avait ses contrefaçons, il met en
garde les fidèles contre les faux prophètes qui n'étaient
que des exploiteurs de la crédulité publique, Mand ,
xi, 1-4, p. 424, tandis que le prophète selon Dieu se
fait reconnaître à la probité de sa vie, à son humilité,
à son ascétisme, à sa discrétion, ne parlant pas en secret,
ne répondant pas à quiconque l'interroge, mais s'expri-
mant en public, dans l'assemblée, sous l'inspiration de
l'esprit prophétique. Mand., xi, 7-10, p. 426. Hermas
fait enfin allusion au rôle des diaconesses, quand il
nomme Grapta, chargée du soin des veuves et des or-
phelins. Vis., ii, 4, 3, p. 350.
Ce qui retient surtout l'attention d'Hermas, c'est
l'Église considérée comme une société de saints parfai-
tement une. Par deux fois il la compare à une tour dont
la construction ne forme qu'un monolithe. Une pre-
mière fois, Vis., m, cette tour est représentée comme
bâtie sur les eaux, par une allusion transparente au
baptême; et cette tour figure l'Église, qui ne comprend
que des saints, les uns déjà sortis de ce monde, les
autres vivant encore sur la terre. Il n'y a pour s'adap-
ter parfaitement à elle que les matériaux appropriés,
tels que les pierres cubiques et blanches, c'est-à-dir. les
apôtres, les évêques, les didascales et les diacres,
qui ont marché dans la sainteté et ont bien rempli
leur ministère, les martyrs et les justes. Quant aux
autres pierres, les unes gisent au pied de la tour, les
autres sont brisées et rejetées au loin, en attendant
qu'une préparation convenable les mette à même d'être
utilisées. Une seconde fois, Sim., ix, la tour est bâtie
sur un immense roc, dans lequel est pratiquée une
porte; allusion au Christ qui est la pierre et la porte
de l'Église. Mais cette fois les pierres qui entrent dans
la construction à titre provisoire représentent toutes
sortes de baptisés, les pécheurs aussi bien que les
justes; car, avant d'être achevé, l'édifice doit subir
l'inspection du maître qui, éprouvant les pierres em-
ployées, écartera celles qui ne sont pas de bon aloi pour
les livrer à l'ange de la pénitence. Et celui-ci, selon
qu'elles seront devenues aptes ou non à la construction,
reste chargé de les utiliser ou de les rejeter définitive-
ment. De telle sorte qu'à la fin l'Église ne comprend
plus que des saints et forme un corps, pareil à un mono-
lithe brillant, dont les membres n'ont qu'une pensée,
qu'un sentiment, qu'une foi, qu'une charité. Cf. P. Ba-
tifTol, L'Église naissante, 2e édit., Paris, 1909, p. 222-
224.
4" Le baptême et la vie chrétienne. — Nature, néces-
sité, effets du baptême, obligations qu'il impose.""au-
tant de points signalés par Hermas. C'est au baptême
par immersion qu'il est fait allusion : « On descend
mort dans l'eau (baptismale), et on en remonte vi-
vant. » Sim., ix, 16. 4, p. 532. Ce sacrement assure la
rémission de tous les péchés antérieurs. Mand., iv,
3, 1, p. 39!i. 11 imprime un sceau tellement nécessaire
pour faire partie de l'Église que les justes de l'Ancien
Testament n'ont pu prendre place dans la construction
de la tour et en former les trois premières assises
qu'après l'avoir reçu. Et comme c'était la seule chose
qui manquait à leur justice, c'est aux apôtres qu'ils
ont été redevables d'en connaître l'existence et la néces-
sité comme aussi d'en recevoir l'impression. Sim.,
ix, 16, 3-7, p. 532. Cette opinion singulière d'une mis-
sion posthume des apôtres auprès des justes de l'An-
cien Testament en vue de leur prêcher et de leur confé-
rer le baptême, a bien été partagée par Clément
d'Alexandrie, Strom., n, 9; vi, 6, P. G., t. vui, col.
980; ix, col. 268-269, mais elle est restée sans autre
écho parmi les Pères. Voir t. n, col. 212. Or, » celui qui
a reçu le pardon de ses péchés (dans le baptême) ne
doit plus pécher, mais persister dans la pureté (baptis-
male), » Èv àyvst'a xaTo.xeiv. Mand., iv, 3, 2, p. 398.
Il est pleinement justifié, et cette justification confère
une sainteté positive, faisant de l'âme la demeure
même du Saint-Esprit. « Conservez votre chair pure
et sans tache, afin que l'Esprit, qui réside en elle, lui
rende témoignage et que votre chair soit justifiée.
Gardez-vous de laisser monter dans votre cœur la
pensée que votre chair est périssable et d'en abuser
par vos souillures (comme faisaient certains gnostiques),
car, en souillant votre chair, vous souillez aussi le
Saint-Esprit, et si vous outragez le Saint-Esprit, vous
ne vivrez pas. » Sim., v, 7, 1-2, p. 464. Tel était le
magnifique idéal proposé au baptisé.
La foi, cela va sans dire, et aussi la crainte de Dieu
sont recommandées au chrétien par le Pasleur, mais
tout particulièrement la continence. « Quiconque
l'observe (cette continence) sera heureux dans cette
vie, et aura la vie éternelle pour héritage. » Vis., ni, 8
JJS.i
HERMAS
2284
4, p. 308. Il ne faudrait pas croire que ce soi!, là un
éclm île la doctrine outrée des encratites. Car être conti-
nent, aux yeux du Pasteur, c'est s'abstenir de tout
mal et faire le bien: et les maux dont il faut s'abstenir
sont l'adultère et la fornication, l'ivrognerie, l'orgueil,
le mensonge, le blasphème, l'hypocrisie, le vol, le dol,
le faux témoignage, l'avarice, la concupiscence mau-
vaise et tout ce qui lui ressemble. Mani., vin, 2 6,
p. 412. Être continent, c'est aussi pratiquer la foi, la
crainte de Dieu, la charité, la concorde, la justice, la
vérité, la patience, et c'est secourir les veuves, les
orphelins et les pauvres, exercer l'hospitalité. Mand.,
vm, 9-10, p. 412. Tout autant de devoirs qui incombent
a la vie ordinaire du chrétien, où il n'est nullement
question de l'ascétisme cncratite, mais qui montrent
bien qu'à la foi on doit joindre les œuvres. Nous avons
déjà dit comment le Pasteur entendait le jeûne.
Dans l'état de justification, tel qu'il est constitué
par le baptême, l'homme peut acquérir des mérites,
observer les commandements, suivre même les conseils
e pratiquer des vertus héroïques dignes d'une récom-
pense spéciale. Ceci n'est autre que l'affirmation du
dogme catholique relatif aux œuvres surérogatoires.
Pour avoir procédé à l'arrachement des mauvaises
herbes, opération qui ne lui avait pas été pres-cite,
le serviteur a été adopté comme cohéritier du Fils de
Dieu. « Observez les commandements du Seigneur, et
vous plairez à Dieu, et vous serez inscrit au nombre de
ceux qui observent ses commandements. Mais si vous
faites quelque bien qui dépasse les commandements de
Dieu, vous vous acquerrez à vous-même une gloire
suréminente et vous jouirez auprès de Dieu d'un crédit
plus grand que vous ne pouvez l'espérer. » Sim., v, 3,
1-3, p. 454.
11 est vrai que l'observation des commandements
p irait très difficile à Hermas. Mand., xn, 3, 4, p. 432.
Elle n'est pourtant pas impossible, observe le Pasteur ;
il suTit de se persuader qu'elle est possible pour en
rendre l'accomplissement aisé. Mand., xn, 3, 4-5,
p. 432. En tout cas elle est obligatoire, car « si tu ne les
observes pas, dit le Pasteur à Hermas, Mand., xn,
3, 6, p. 432, il n'y aura de salut ni pour toi, ni pour tes
enfants, ni pour ta maison, » c'est-à-dire pour per-
sonne Mais il y a le diable, remarque Hermas, Mand.,
xn, 5, 1; et le Pasteur de répondre: On n'a qu'à Lri
résister, car s'il peut lutter, il ne peut vaincre; l'ange
di la pénitence est là pour soutenir les efforts du
chrétien tenté.
5° La pénitence et le silvt. — Comment conserver
Intact le sceau baptismal, pratiquer la chasteté de la
vérité, àyvûTY); T7J; àXr|9e!a;, et atteindre cet idéal de
perfection, quand la fragilité humaine est si grande?
Il faut tenir compte d'une chute toujours possible,
trop souvent réelle. Le chrétien qui succombe doit-il
désespérer de son salut? Ici deux solutions se présen-
taient, radicalement opposées l'une à l'autre; celle des
giostiques relâchés et celle des rigoristes outrés. Les
premiers tenaient pour indifférente toute faute com-
mise après le baptême; mais c'était là «une doctrine
étrangère, un enseignement d'hypocrites, » de nature à
pervertir les serviteurs de Dieu, surtout les pécheurs,
e î ne leur laissant pas faire pénitence et en les rassurant
par des propos insensés. Sim., vm, 6, 5, p. 490. Par
réaction contrs ce cynique relâchement, d'autres
p -cchaient un rigorisme outré et cherchaient à imposer
nu ascétisme complet. Comme on peut le voir dans les
Aota Thomœ, Bonnet, Aela Thomse, Leipzig, 1883,
p. 11-13, 55-73, et dans d'autres pièces apocryphes,
Lds que les Actus Pétri cum Simone, Lipsius, Acta
i'rtri, Lelozig, 1891, p. 85-87, 228-234, et VÉvangilc
selon les Égyptiens, Nestlé, Novi Teslamenli supple-
m"ntum, Leipzig, 1896, p. 72, l'idéal d'une pureté
intégrale, d'une continence absolue, devait être la règle
à suivre. L'auteur de la 77° démentis, 7, 8, 9, 13, 15,
Funk, Opéra Patrum apnst., Tubingue, 1881, t. i,
p. 152, 154, 158, 160, 162, préconise cet ascétisme. La
solution d'Hcrmas est plus humaine; elle est opposée
à ceux qui soutenaient déjà, comme devaient le faire
les montanistes, l'impossibilité pour le chrétien failli
de reconquérir l'innocence baptismale et d'obtenir
après le baptême le pardon de ses péchés.
• Dieu est plein de longanimité, et il veut que l'appel
adressé par son Fils ne soit pas frustré. » Sim., vin,
11, 1, p. 496. * 11 connaît l'infirmité de l'homme et
l'astuce du diable, et il a pitié de sa créature. » Mand.,
iv, 3, 4-5, p. 398. Lui seul assure la guérison du pécheur.
Mand., iv, 1, 11, p. 396. Comment? Par la ixsrâvo'.a.
A la volonté divine de sauver les baptisés, à la miséri-
corde de Dieu prête à pardonner et à guérir, doit cor-
respondre de la part du coupable un acte, ou mieux
une conduite morale qui accepte ce moyen et s'y
soumette. Or, il ne s'agit ici ni du sacrement de péni-
tence, dont Hermas ne parle pas, ni du processus
canoniquement institué pour la réconciliation officielle
des pécheurs, tel qu'il ne tarda pas à fonctionner, mais
d'un exercice de la vertu de pénitence, comportant
beaucoup plus que ce que signifie le mot latin de pseii-
tentia, à savoir, un changement de l'âme, une réforme
intérieure, un renouvellement moral, une transforma-
tion des idées, des sentiments et des mœurs, en un mot.
une vraie conversion, car telle est la force du mot grec
asiavota. Et cela comprend, avec le regret du passé et
le ferme propos pour l'avenir, c'est-à-dire avec la
contrition, l'expiation pénible du péché, c'est-à-dire
la satisfaction. «La [Astàvoia est une grande prudence;
car celui qui l'accomplit comprend qu'il a péché, se
repent de son acte, ne fait plus le mal, s'appliq le à faire
le bien, humilie et tourmente son âme parce qu'il a
péché. » Mand., iv, 2, 2, p. 396.
Cette [Actavoia s'applique à tous les péchés sans
distinction, même à ceux qui, pour un temps assez
court, vont être regardés comme des cas réservés,
l'apostasie, l'adultère et l'homicide. Hermas ne parle
pas, il est vrai, de l'homicide, mais il signale les adul-
tères et les blasphémateurs. L'épouse adultère, dit-il,
Mand., iv, 1, 7, p. 394, doit être reçue par son époux,
si elle a fait pénitence de son péché. Quant aux apo-
stats, ceux là peuvent bénéficier de la (juxâvota qui ont
renié de bouche et non de cœur. Sim., ix, 26, 5,
p. 546
Mais cette [Asxàvota, si elle s'étend à tous les péchés,
ne convient pas indistinctement à tous les pécheurs :
elle ne sert qu'aux chrétiens anciens, et non à ceux qui
viennent d'être baptisés ou le seront dans la suite.
Ceux-ci ont bien la rémission de leurs péchés (par le
baptême), mais ils n'ont pas la ijEtâvoia. Mand., iv, 3, 3,
p. 398. Cette restriction arbitraire accuse bien le
rigorisme de l'époque, mais elle n'est pas seule, car il
est spéciflé que celui qui a profité de la [-uixvo'.a ne peut
y recourir qu'une seule fois : [J.c'av |j.stâvotav ïyu.Mand.,
iv, 3, 6, p. 398. Si donc il retombe dans le péché, il
n'y a pas à compter sur le secours efficace d'une seconde
Luravoia, et il vivra difficilement : àaufi<popo'v èœt'. t»
ocvOpaSjcu xi» TotoÛTii), SuaxoX'o; yàp Z-rpt-tzi. Ibid. C'est
ainsi que, pendant quelque temps, l'Église introduira
dans le régime pénitentiel une restriction de ce genre
en n'accordant qu'une seule fois au chrétien pécheur
le bienfait de la pénitence canonique.
Ces deux points établis, le Pasteur énumère par trois
fois les pécheurs qui peuvent recourir efficacement à la
|j.Etâvoia. Une première fois, au sujet de la tour bâtie
sur les eaux. Il n'y a ici de définitivement rejetés
de la construction, c'est-à dire de l'Église, et privés de
salut, que les fils d'iniquité : ils ont exaspéré le Sei-
gneur. Vis., n:, 6, 1, p. 362. Parmi les pierres non encore
utilisées, les unes gisent près de la tour, les autres sont
2285
HERMAS
2286
brisées et rejetées au loin. Les premières ne sont que
momentanément délaissées parce qu'elles sont encore
impropres à la construction. Il en est de noires : ce
sont ceux qui ont connu la vérité, mais n'y ont point
persévéré. Il en est de fendues : ce sont ceux qui n'ont
pas gardé la paix vis-à-vis les uns des autres. Il en est
d'ébrêchées : ce sont ceux qui ne possèdent pas la justice
intégrale. Il en est de rondes et blanches: ce sont les
croyants asservis à la fortune, qui, au moment de
l'épreuve, ont renié le Seigneur en vue de conserver
leurs richesses; et tel fut le cas d'Hermas. Mais toutes
ces pierres pourront, après une appropriation néces-
saire, faire partie de la tour : les pécheurs qu'elles
figurent pourront, après avoir fait pénitence, prendre
rang dans cette société de saints qu'est l'Église. Parmi
les pierres brisées et rejetées au loin, les unes roulent
hors du chemin : ce sont ceux qui ont eu la foi, mais qui,
par le doute, ont perdu la voie. D'autres sont tombées
dans le feu : ce sont ceux qui se sont éloignés de Dieu
sans songer encore à se repentir. D'autres enfin sont
tombées près de l'eau, mais sans pouvoir y entrer :
ce sont ceux qui ont entendu la parole (de vérité)
et ont voulu recevoir le baptême, mais n'ont pas osé
le demander afin de pouvoir se livrer à leurs mauvais
désirs. Les pécheurs de cette triple catégorie pourront
ils recourir à la (j.ê-:âvoia et prendre place dans la tour ?
A cette question précise d'Hermas le Pasteur répond :
« Ils ont la [isxâvota, mais ils ne peuvent point prendre
place dans cette tour; ils seront dans un lieu bien infé-
rieur, mais après avoir été châtiés. Ils seront transférés
pour avoir eu part à la parole du juste. Et il leur arri-
vera d'être transférés de leurs tourments, s'ils ont au
coeur le repentir de leurs iniquités, sinon ils ne seront
pas sauvés à cause de la dureté de leur cœur. » Vis.,
in, 7, 5-6, p. 366. Autrement dit, ces pécheurs n'ont
pas encore la justice requise pour faire partie de la
société des saints, mais ils sont en voie de purification
par la pénitence, et ils restent assurés de leur salut.
Une seconde fois, dans la Similitude du saule, tous
les chrétiens reçoivent une branche de saule qu'ils
devront représenter; l'état de cette branche servira à
distinguer ceux qui ont mérité le salut. Or, sur treize
catégories de chrétiens, trois représentent les justes et
dix les pécheurs. Ceux-ci sont livrés à l'ange de la
pénitence; mais tous ne font pas également pénitence
d'une manière utile à leur salut. Dieu a prévu ceux
qui en profiteraient et .ceux qui feraient semblant d'y
recourir. Sim., vin, 6, 2, p. 488. Or une seule de ces
dix catégories de pécheurs est rejetée, celle des
apostats et des traîtres : ceux-là sont morts défini-
tivement à Dieu. Pourquoi ? Parce que, parmi eux,
• aucun ne s'est repenti, bien qu'ils aient entendu ce
que je t'ai prescrit de leur prêcher (relativement à la
[/.ETavotoc), dit le Pasteur à Hermas; la vie n'est plus
en eux. » Sim., vin, 6, 4, p. 490. Toutes les autres seront
sauvées: » Tous ceux qui se seront soumis à la astavoia
de tout leur cœur et se seront purifiés de leurs iniquités
sans en ajouter de nouvelles, auront le remède de leurs
péchés et vivront à Dieu; et tous ceux qui ajouteront
à leurs péchés et marcheront selon les désirs du siècle
se condamneront à la mort, » Oavâtti) éauioùç
KaTaxp'voùCTiv. Sim., vin, 11, 3, p. 498.
Une dernière fois enfin, au sujet de la tour bâtie
sur le roc, il y a d'abord les quatre premières assises
définitivement scellées qui représentent les patriarches,
les prophètes et les justes de l'Ancien Testament ainsi
que les apôtres et les prédicateurs de l'Évangile. Il y a
ensuite des pierres de toute sorte, dont quelques-unes
sont écartées et d'autres provisoirement employées
jusqu'à l'inspection du maître de la tour, qui ne retien-
dra que les bonnes et confiera les autres à l'ange de la
pénitence. La tour reste inachevée pour permettre
aux pécheurs de se préparer par la fistâvoia à leur réin-
tégration dans l'édifice. Les pierres sont extraites de
douze montagnes, qui représentent le monde entier.
Comme plus haut, une seule catégorie, celle des apostats,
des blasphémateurs et de ceux qui ont livré les servi-
teurs de Dieu, est irrémédiablement condamnée :
ce sont des endurcis : toj-o:; 8s (j.;xâvoia oux ïaxi,
ôâvaxo; 8s est-. Sim., ix, 19, 1, p. 53G. Cinq autres,
celle de ceux qui ont conservé la simplicité, l'inno-
cence et la paix, celle des apôtres et des didascales
qui ont prêché comme il convenait la parole de Dieu,
celle des évêques et des hospitaliers, celle des martyrs,
et celle de ceux qui ont gardé la simplicité des enfants,
sont assurées de faire partie de cette tour. Pour les
six qui restent, la jj-Etâvoia est la condition imposée.
Plein de confiance, Hermas s'écrie : Spero quia omnes,
qui antea peccaverunl, libenler acluri sunt psenilenliam,
vilam récupérantes. Et le Pasteur de répondre : Qui-
cumque mandata efficiunt, habebunl vitam... Quicumque
! vero mandata non servant, fugiunt a sua vita, morti
j se tradunl, et unusquisque eorum reus fil sanguinis sui.
Sim., x, 2, 3-4, p. 560.
Somme toute, parmi les anciens baptisés, tout pé-
cheur peut obtenir le pardon et la guérison de ses
péchés, à la condition de recourir sérieusement à la
u-stivoix.
Cette |j.ETocvoia comporte, chez le pécheur, le repentir
sincère du péché, le ferme propos pour l'avenir, et
une purification laborieuse. Dieu donne alors la guéri-
son, IW.ç. Mais de la part de Dieu, cette (xsravoia consti-
tue une grâce; et le bon usage qu'en fait le pécheur en
est une autre. Dieu, en effet, accorde la ;j.£Tïvoia à ceux
qu'il voit disposés à purifier leur âme et à le servir de
tout leur cœur, tandis qu'il la refuse à ceux dont il
prévoit la duplicité, la malice, l'hypocrisie. Sim., vm,
6. 2, p. 488. C'est pour avoir reçu l'Esprit de Dieu
que les uns en profitent, et c'est par leur faute que les
autres la rendent inutile. Le Pasteur dit à Hermas :
« Tu vois combien ont fait pénitence et ont été sauvés ;
c'est afin que tu comprennes combien grande et digne
d'être glorifiée est la miséricorde du Seigneur, lui qui
a rempli de son esprit ceux qui ont été dignes de la
ij.iTûévo'.a. » Sim., vm, 6, 1, p. 488. Mais le Seigneur ne
se contente pas de leur donner cet esprit, il les assiste
encore dans l'accomplissement de leur acte, Sim.,
v, 3, 4, p. 454; il écoute favorablement leur prière.
Sim., v, 4, 4, p. 456.
Voilà déjà en germe les éléments satisfactoires du
régime pénitentiel futur. L'Église doit être une société
de saints. Elle croit possible la conservation intacte
de la pureté baptismale, mais elle sait aussi combien est
grande la fragilité humaine. Au pécheur, elle offre après
le baptême un moyen de salut. Et de même qu'elle
règle l'initiation et administre le baptême, elle entend
régler l'administration de la pénitence et intervenir à
la fin de l'épreuve satisfactoire par un acte juridique
pour réconcilier officiellement le pécheur converti.
Mais dans ce développement de la discipline péniten-
tielle, les distinctions arbitraires du Pasteur disparaî-
tront, et son rigorisme fera place de plus en plus à un
régime de bénignité et d'indulgence. Cf. Rauschen,
L'eucharistie et la pénitence durant les six premiers
siècles, trad. franc., Paris, 1910, p. 139 sq.; A. Lelong,
Le Pasteur d'Hermas, p. iv-vn, lx-lxxv; A. d'Alès,
L'édil de Callisle, Paris, 1914, p. 52-113.
6° Le mariage. — Relativement au mariage chré-
tien, l'indissolubilité du lien conjugal, même dans le
cas d'adultère, est nettement affirmée, et la question des
secondes noces résolue dans un sens nullement prohi-
bitif. Voici, en effet, les cas de conscience proposés par
Hermas et résolus par le Pasteur. — 1. L'époux pèche-
t-il s'il vit avec sa femme coupable d'adultère ? Non,
s'il ignore sa faute; oui, s'il vient à la connaître, car
alors il se rendrait complici de son péché. — 2. Que
2287
HERMAS — HERMÈS
2288
doit-il faire dans le cas où sa femme persévère dans
le péché? Il doit la quitter et rester seul, car s'il
contractait alors un nouveau mariage, il commettrait
lui-même un adultère. Mand., iv, 1, 4-6, p. 392-391. —
3. Si l'épouse adultère, après avoir été renvoyée, a
fait pénitence, non pas souvent mais une fois, [j.r\ èjcî
tzoXxi 8é"toTç yàp BoûXotç xoCÎ 0so3 [Aexâvoia àaxiv uaa,
l'époux doit la reprendre, sans quoi il commettrait
une fautecgrave. Mand., iv, 1, 7-8,p. 394. — 4. Mêmes
solutions pour la femme, quand c'est l'époux qui
tombe dans l'adultère. Ibid. — 5. Si l'un des deux
époux vient à mourir, le survivant pèche-t-il en se
remariant? Non, mais il acquerrait plus d'honneur
et de gloire auprès de Dieu, en restant dans le veu-
vage. Mand., iv, 4, 1-2, p. 378-400.
7° Les subintroductœ. — Dans la Similitude ix, 10,
6, p. 518, Hermas reçoit du Pasteur l'ordre de rester
près de la tour pour attendre l'arrivée du maître; il
est confié à la garde des vierges. Mais, la nuit appro-
chant, il voudrait se retirer; et les vierges de lui dire :
U.E0 r^û'j -/.O'.u.Ylôrjarj &; àBsXço;, xal oùy^ toç àvrjp.
Sim., ix, 11, 3, p. 520. Elles affirment qu'elles l'ai-
ment, et l'une d'elles l'embrasse. Est-ce une allusion
à la coutume des femmes vivant avec les clercs sous
le nom de sorores, subintroductœ, àoE^cpai, àya^Ta!,
auvsiaazToi ? Hefele l'a cru, Opéra Patrum apost.,
4e éclit ., Tubingue, 1855, p. xcvi; mais ni Gaâb, Der
Hirt des Hermas, Bàle, 1866, p. 56-59, ni Zahn, Der
Hirt des Hermas, Gotha, 1868, p. 179-181, ne sont de
cet avis. Harnack trouve suspect l'emploi de ces
termes xoiu,T)0TÎa7), àya7rôiij.£v , -/.aTaç'.ÀEtv, sans regarder
comme vraisemblable l'introduction de cette coutume
avant le me siècle. Funk, à son tour, Opéra Patrum
apost., p. 518-519, rote, sans nier que le Pasteur y
fasse allusion, estime que l'usage des subintroductœ
s'est introduit au ne siècle, et il appuie son opinion sur
le langage tenu par Tertullien, De jcjuniis, 17; De
virginibus velandis, 14, et par saint Cyprien, De
habita virginum, 19; Epist., iv, 2. Il se peut fort bien,
quoiqu'on n'en puisse pas donner une preuve positive,
que le langage du Pasteur ait favorisé cette coutume,
qui ne devait pas tarder à montrer ce qu'elle renfermai!
de choquant et de dangereux pour les mœurs et à
provoquer, dès la fin du me siècle et au commence-
ment du ive, son interdiction catégorique. Cf. concile
d'Ancyre, c. 19; concile de Nicée, c. 3, dans Lauchert,
Die Kanones der wichtigsten altchr. Concilien, Leipzig,
1896, p. 34, 38. Pour le concile d'Elvire. c. 27. voir
t. iv, col. 2388.
I, Éditions. — Lefèvre d'Étaplcs, Liber Irium virorum
et irium spiriiualiiim virginum, Paris, 1513; Cotelier, Paires
œvi apostolici, Paris, 1672; Leclerc, Paires œvi apostolici,
Anvers, 1698; Galland, Bibliolheca veterum Patrum, Venise,
1765-1767; Migne, P. G., t. n; Hefele, Opéra Patrum apost.,
4e édlt., Tubingue, 1855; Tischendorf, Hermœ Pastor grœce,
Leipzig, 1856; Anger et Dindort, Hermœ Pastor grœce,
Leipzig, 1856; Dressel, Patrum apost. opéra, Leipzig, 1857;
Hilgenfeld a publié la version latine dite Vulgate, Hermœ
Pastor, Leipzig, 1873; 2e édit. à part, et le texte grec dans
Novum a Testamentum extra canonem receptum, Leipzig,
1866; Hermœ Pastor grœce, Leipzig, 1881; 3" édit., 1887;
Hollenberg, Pastor Hermœ, Berlin, 1868; Gebhardt,
Harnack et Zahn, Patrum apost. opéra, Leipzig, 1877;
2' édit., 1894; Funk, Opéra Patrum apost., Tubingue, 1881;
2« édit., 1901 ; A. Lelong, Le Pasteur d' Hermas, Paris, 1912
(texte grec, trad. française et introd.); Ant. d'Abbadie a
publié une traduction latine de la version éthiopienne
d'Hermas, Hermœ Pastor, dans les A bhandlungen fur die
Kunde des Morgenlandes, 1860, t. u.
H. Travaux. — Outre les prolégomènes et les notes qui
accompagnent la plupart des éditions, on peut consulter :
Weinrich, Disquisitio in doctrinam moralem ab Ilerma in
Pastore propositam, 1804; Jachmann, Der Hirt des Hermas,
Kœnigsberg, 1835; Gaâb, Der Hirt des Hermas, Bâle, 1866;
Zahn. Der Hirt des Hermas, Gotha, 1868; Freppel, Les
Pères apostoliques, Paris, 1859; 4e édit., 1885, p. 257-322;
Lipsius, Der Hirt des Hermas und Montanismus in Rom,
dans Zeitschri/t fur wissenschaftliche Théologie, 1865,
t. vin, p. 266-308; 1866, t. IX, p. 27-81 ; Heyne, Quo tempore
Hermœ Pastor scriptus sit, Kœnigsberg, 1872; Donaldson,
The apostolical Fathers, 2» édit., Londres, 1874, p. 351-382;
Behm, Ueber der Verfasser des Schri/t welche den Tiiel
« Hirt » fuhrt, Bostock, 1876; Ledrain, Deux apocryphes du
II" siècle, avec une étude sur la date du Pasteur d'Hermas,
Paris, 1871; Nirschl, Der Hirt des Hermas, Passau, 1879;
E. Benan, L'Église chrétienne, 3e édit., Paris, 1879, p. 401-
425; M. du Colombien, Le Pasteur d'Hermas, Paris, 188(1;
Brull, Der Hirt des Hermas, Fribourg-en-Brisgau, 1882;
Duchesne, Les origines chrétiennes, édit. lith., Paris, 1886;
Link, Cliristi Person und Werk im Hirlen des Hermas,
Marbourg, 1886; Die Einheit des Pastor Hermas, Marbourg,
1888; A. Bibagnac, La christologie du Pasteur d'Hermas,
Paris, 1887 ; Huckstaedt, Der Lehresbegriff des Hirlen,
Anklam, 1888; Baumgartner, Die Einheit des Hermas
Buchs, Fribourg-en-Brisgau, 1889; Taylor, The wiiness o)
Hermas to the four Gospels, Londres, 1892; Spitta, Studicn
zum Hirlen des Hermas, Goettingue, 1896; Fessier, Instilu-
liones palrologiœ, édit. Jungmann, Inspruck, 1890, t. i,
p. 178 sq.; Bardenhewer, Les Pères de l'Église, trad. franc.,
Paris, 1898, t. i, p. 84-98; Geschichte der altkirchlichen
Litleralur, Fribourg-en-Brisgau, 1902, t. i, p. 557-578;
J. Bénazech, Le prophétisme chrétien depuis les origines
jusqu'au Pasteur d'Hermas, Cahors, 1901 ; P. Batiffol, Les
origines de la pénitence, Hermas et le problème moral au
ll« siècle, Paris, 1902 (ou Revue biblique, 1901, t. x, p. 327-
351); Wenel,dans Hennecke,Neii/es(amen(Zic/ie.Apocr{/p/ien,
1904, p. 277-279; Kirchenlexikon, t. v, col. 1839-1844;
Dictionarg of Christian biography,t. Il, col. 912-921; Bichard-
son, Bibliographical synopsis, Buffalo, 1887, p. 30-36;
Realencyclopâdie fur prolestantische Théologie und Kirche,
t. vu, p. 714-718; The catholik eneyelopedia, New York,
t. vu, p. 268-271; Chevalier, Répertoire. Bio-bibliographie,
t. i, col. 2132; D. Volter, Die Vi'sionen des Hermas, etc.,
Berlin, 1900; B. Heurtier, Le dogme de la Trinité dans
l'Épître de saint Clément de Rome et le Pasteur d'Hermas,
Lyon, 1900; J. Béville, La valeur du témoignage historique
du Pasteur d'Hermas, Paris, 1900; Mgr Duchesne, Histoire
ancienne de l'Église, Paris, 1906, t. i, p. 225-235; K. Lake,
The Shepherd of Hermas and Christian life in Rome in the
second century, dans Hariuard Iheological review, 1911, t. iv,
p. 25-46 ; K. O. Macmillan, The Shepherd of Hermas, apoca-
lypse or allegory ? dans The Princeton Iheological review,
1911, t. ix, p. 61-94; G. Bardy, Le Pasteur d'Hermas et les
livres hérétiques, dans la iïeuiie biblique, 1911, p. 391-407;
Baumeister, Die Elhik des Pastor Hermœ, Fribourg-en-
Brisgau, 1912; A. d'Alès, L'édit de Calliste. Étude sur les
origines de la pénite nce chrét. Paris, 1914, p. 52-113 ; A propos
du Pasteur d'Hermas, dans les Études, 1912, t. cxxxn,
p. 79-94; C. H. Turner, The 'Shepherd of Hermas and the
problem of ist texl, dans Journal of théol. studies, 1920,
t. xxi, p. 193-209.
G. Bareille.
HERMES I. Biographie. II. Doctrine. III. Con-
damnation.
I. Biographie. — Le philosophe et théologien
Georges Hermès naquit en "Westphalie à Dreyerwalde
sur le Rhin, le 22 avril 1775. Après de premières études
à Rheine au collège des franciscains (1787-1792\ il
fit sa philosophie et ses humanités au gymnase de
Munster (1792-1794). Les doctrines de Kant et de
Fichte passionnaient alors les esprits. Hermès céda à
l'engouement général et sa foi subit une crise très
grave. Les cours de théologie qu'il suivit à l'Académie
de Munster de 1794 à 1798, loin d'arrêter ses doutes,
ne firent que les accroître. Cependant il ne s'abandonna
point tout à fait à l'incrédulité. Content d'un attache-
ment provisoire à la foi de l'Église, il résolut d'étudier
à fond la religion catholique afin de se démontrer
qu'elle répond à toutes les exigences de la raison. Il
fut ordonné prêtre en 1799. Avant cette date et pour
donner suite à son projet, il accepta la charge de pro-
fesseur au collège de Munster. Là il mena de front
l'étude de la théologie et de la philosophie, il lut assi-
dûment les écrits de Kant et de Fichte et il réussit
à se convaincre de l'inanité de leurs objections et de
2289
HERMES
2290
la vérité intérieure du christianisme. Mais s'il parvint
à se débarrasser de ses doutes, il resta tributaire de
l'esprit et de la méthode de ces philosophes. Non
seulement il n'accepta jamais qu'on déclamât contre
eux dans des articles de revue, mais il céda plus tard
à la tentation de faire suivre à ses disciples la route qui
l'avait acheminé lui-même à une foi sereine. La mé-
thode du doute qu'il devait préconiser si téméraire-
ment date sans doute de cette époque. Il consigna le
fruit de ses lectures et réflexions dans une brochure
qu'il publia à Munster en 1805 et qui fut très remar-
quée : Unlcrsuclumg ùber die innere Wahrheit des
Chrislenlhums. Elle lui fit même obtenir en 1807 une
chaire de théologie dogmatique à l'université de
Munster. Ses leçons professées en langue allemande,
le don qu'il avait d'intéresser, une personnalité impo-
sante, mais surtout son attention à éveiller le doute et
à accorder un rôle prépondérant à la raison en tout
genre de recherches, comme aussi son dévouement
aux intérêts de l'université, lui valurent l'attachement
passionné de ses élèves et le premier rang dans le corps
professoral. Tant de considération et de succès n'empê-
chèrent pas des hommes clairvoyants, tels que les frères
de Droste-Vischering, de souligner le danger de son en-
seignement et notamment son esprit de défiance vis-à-
vis de la tradition ecclésiastique. Hermès ne recueillait
donc pas que des éloges, il fut plus d'une fois contredit.
Plusieurs rapports sur des questions d'études que
le ministère prussien lui avait demandés, mais surtout
la publication à Munster, en 1819, de l'Einleitung
in die christkatholische Théologie. I Theil, philosophische
Einleitung, 2e édit., 1831, ouvrage auquel Hermès
attachait une valeur exceptionnelle et que l'université
de Breslau récompensa par le doctorat en théologie
décerné à l'auteur, avaient puissamment accrédité
le professeur de Munster. 11 y ajouta : Sludirplan der
Théologie, Munster, 1819. Cédant aux offres réitérées
du gouvernement royal, Hermès accepta, en 1820, une
chaire de théologie à l'université de Bonn, récemment
créée pour la province rhénane et la Westphalie.
Sa leçon d'ouverture sur les rapports de la théologie
catholique avec la philosophie eut un grand reten-
tissement. L'enthousiasme soulevé par le professeur
fut tel qu'on s'aperçut à peine des vues erronées du
discours. L'enseignement de Hermès à Bonn eut tout
de suite beaucoup de vogue. Les étudiants des diverses
facultés en grand nombre fréquentèrent assidûment
ses cours. Également, les anciens élèves de Hermès
à Munster avaient témoigné l'intention de le suivre à
Bonn. Ce fut l'occasion d'un incident entre le vicaire
général de Droste-Vischering et le gouvernement
royal. A la défense que le vicaire général avait faite
aux étudiants en théologie du diocèse de Munster de
fréquenter les cours d'une université sans sa per-
mission expresse, le ministère prussien répondit en
prononçant la fermeture de la faculté de théologie de
cette ville, mesure qui fut maintenue jusqu'après la
démission de Droste-Vischering. Cependant la haute
situation du professeur Hermès à Bonn ne fut pas
longtemps sans nuage. Sa popularité même auprès des
étudiants lui créa des relations très tendues avec son
collègue Leber. Un instant, en 1821, Hermès eut la
pensée de passer à l'université de Fribourg-en-Brisgau;
et en 1825, il offrit même au ministère royal sa démis-
sion avec demande d'être replacé à Munster. 11 ne se
décida à rester à Bonn que sur une intervention du
gouvernement, et quand Leber, désavoué par la
faculté, eut abandonné son poste. Après le départ de
Leber, l'influence de Hermès à l'université de Bonn fut
absolument prépondérante. Pour accroître son pres-
tige, le nouvel archevêque de Cologne, Mgr Spiegel, le
nomma, sans qu'il eût à quitter sa charge de professeur,
chanoine de sa cathédrale, membre de son conseil et
examinateur synodal. En 1829 Hermès fit paraître
la 11° partie, Positive Einleitung, de son Introduction
à la théologie chrétienne-catholique, 2» édit., 1831. Dans
la préface de l'ouvrage, il exprimait l'espoir de
terminer sa Dogmatique et il formait le projet d'écrire
une histoire des dogmes. Déjà, pendant un an, sur les
instances du ministère, il avait traité cette matière
dans ses cours. Mais, soit goût personnel, soit appré-
hension de la tâche dont il avait peut-être une idée peu
juste, et qu'il estimait en conséquence difficile pour un
catholique, il était revenu bientôt à ses travaux favoris
sur la philosophie, l'introduction à la théologie et sur
la dogmatique. La mort en tout cas l'empêcha de
tenir ses promesses. Accablé par ses travaux de jour
et de nuit, il mourut, le 26 mai 1831, après une pieuse
réception des sacrements, et il fut inhumé à Bonn.
Une pierre tombale avec cette simple inscription :
Georges Hermès, marque le lieu de son repos.
Les œuvres de Hermès comprennent, outre les
écrits déjà mentionnés et qui virent le jour du vivant
de leur auteur, un ouvrage posthume, Christkatholische
Dogmatik, 3 vol., Munster, 1834-1836, publié par les
soins de J. H. Achterfeld.
II. Doctrine. — Complaisance manifeste pour la
philosophie kantienne, qu'il prétend combattre, mais
sans en renier la méthode ni l'esprit, oubli volontaire ou
même ignorance de la tradition et de l'enseignement de
l'Église dans la façon dont il expose et défend les
dogmes, mépris des apologistes anciens et modernes
et de toute autorité théologique, voilà ce qui caracté-
rise, en somme, le système de Georges Hermès. Ce
théologien se proposait très sérieusement de consolider
les fondements de la religion chrétienne-catholique.
Poursuivie dans cet esprit particulier, l'intention très
louable de Hermès ne pouvait que l'égarer, mettre en
péril la foi divine même. En fait, il a erré très étrange-
ment et sur beaucoup de points; par la tactique et les
armes dont il a fait choix pour défendre et faire accep-
ter la vérité révélée, il a montré clairement qu'il con-
naissait mal la règle de notre foi et jusqu'à sa nature.
1° Méthode. — La méthode hermésienne est celle du
doute. Veut-on se démontrer la vérité soit extérieure,
soit intérieure de la religion, il faut commencer par
en douter, en douter jusqu'à réponse satisfaisante de
la raison sur tous les points. Différent du doute carté-
sien, celui que préconise Hermès s'étend bien au delà
et il n'est pas sitôt abandonné. Il ressemble encore
moins au procédé du croyant qui, conservant une foi
entière, feint de ne pas savoir et tend à établir par le
raisonnement ce qu'il croit avec une absolue certitude.
Le doute de Hermès est positif, universel, constant et
il s'impose à tous. Ainsi il embrasse et très sérieusement
les vérités psychologiques, métaphysiques, morales et
religieuses, toutes les vérités, sans en excepter aucune,
même la vérité évidente, soit de fait, soit de raison :
principe de contradiction, existence et réalité objective
de notre moi, données immédiates de la conscience,
il n'est rien à quoi il ne s'étende. Et c'est à travers un
doute persistant, rencontré à tous les détours du
chemin, que la démonstration de l'apologiste ou du
théologien doit progresser. Ce doute retient leur
attention, il les empêche de rien nier, de rien affirmer
jusqu'à ce qu'une nécessité absolue de raison les con-
traigne de tenir et d'admettre quelque chose pour
vrai. Non seulement l'infidèle avant de croire, mais
le croyant, né et élevé dans la vraie foi, doit s'astreindre
à la discipline du doute, condition indispensable d'une
croyance prudente et raisonnée. Hermès exige même
de ses disciples que, dépouillant toute conviction, toute
préférence pour un système théologique ou religieux
quelconque, quand ce serait le catholicisme, ils se
tiennent, jusqu'à possession certaine de la vérité, dans
une indifférence parfaite. « Nous devons être prêt
2291
HERMES
2292
à suivre l'oracle de la raison, qu'elle soit en contradic-
tion ou non avec les données théologiques ou reli-
gieuses enseignées jusqu'ici; autrement nous péche-
rions contre notre raison. » Introduction positive,
.Munster, 1S29, p. 303. Bref, un catholique a le droit
et le devoir de mettre sa foi en doute ; il ne peut sans
cela raisonner sa croyance. Si méthode, Hermès
l'expose au long dans la préface à l'Introduction
philosophique ; il en fait une obligation rigoureuse à ses
disciples dans la méthodologie qui précède son Intro-
duction positive; loin qu'il la rétracte dans les pages par
où débute sa Dogmatique spéciale, il en étend l'applica-
tion à l'étude de chaque dogme en particulier. Voir
t. vi, col. 280-284.
Peut-on sortir du doute et parvenir à une vraie
certitude ? Cette question, Hermès la pose comme il
suit : Y a-t-il pour l'homme une détermination sur la
vérité qui soit sûre ? Quelles voies la font connaître ?
Peut-on oui ou non en appliquer une à la démonstra-
tion du christianisme ? Introduction philosophique,
p. 83. La certitude procède, suivant lui, et de la raison
spéculative et de la raison pratique comme d'une
double source Moins radical donc que Kant et Fichte,
il ne demande pas à la raison pratique seule de fonder
et de garantir toute certitude; bien peu large cepen-
dant est la part en ceci qu'il laisse à la raison pure.
Au reste, comme ces philosophes, il entend par raison
théorique et par raison pratique non deux fonctions
d'une même faculté, mais deux facultés absolues. La
raison spéculative tient ce qu'elle affirme pour vrai
et réel quand elle y est contrainte par une nécessité
insurmontable, ne pouvant tenir le contraire; autre-
ment la certitude pour elle est dans cette nécessité
qu'elle voit, qu'elle reconnaît subir par une sorte de
violence physique. Cependant d'où vient que l'assen-
timent de la raison pure soit nécessaire ? Serait-ce un
effet de la perception ou de l'évidence de la vérité, de
la réalité objective des choses ? Hermès le nie formelle-
ment. Il semble bien que dans le tenir pour vrai la raison
théorique cède à une impulsion aveugle, subjective,
que son assentiment prétendu certain se résout en
une foi ou croyance à la vérité et réalité de son objet.
Hermès avoue par ailleurs que la conviction nécessaire
ou le tenir pour vrai pourrait bien être en soi un pur
phénomène, une illusion; il faut pourtant s'en con-
tenter; car, et il ne trouve à la difficulté d'autre réponse,
« soit que ce que je dois tenir pour vrai soit vrai ou
faux en soi, dit-il, si je découvre que je dois le tenir
pour vrai et que je ne puis pas autrement, alors cela
est et demeure vrai pour moi. » Introduction philoso-
phique, p. 147. Et ce genre de certitude auquel atteint
la raison spéculative n'a lieu que pour les vérités méta-
physiquement nécessaires. Il appartient à la raison
pratique de nous rendre certains des autres, notam-
ment des faits historiques et des lois de la morale. Elle
est dite alors les admettre pour vrais. L'admettre pour
vrai de la raison pratique consiste en un acquiesce-
ment libre ou consentement volontaire à la vérité et
à la réalité des choses. Il se produit, non plus comme
le tenir pour vrai de la raison pure, par une nécessité
inéluctable, mais en vertu d'une obligation morale ou
de l'impératif catégorique kantien. Conserve en
toi et dans les autres la dignité humaine : tel est le
suprême impératif catégorique, le but auquel toutes
les fins pratiques ou morales sont ordonnées, la source
d'où provient leur force obligatoire; tel est aussi le
premier critère de certitude pour la raison pratique.
La raison pratique est donc la faculté qui admet la
vérité en même temps que le caractère obligatoire des
choses conformes à la dignité humaine. Soit un devoir
quelconque envers Dieu, envers soi ou envers les
autres, auquel l'homme ne peut satisfaire s'il n'admet
pour vrai et réel tel ou tel objet de connaissance, bien
qu'en lui la raison pure persiste à en douter, la raison
pratique aura et gardera la persuasion que la chose est
vraie et réelle. Prenons un des exemples invoqués par
Hermès, le moins étrange. Nous avons le devoir, pour
atteindre notre fin morale, faute de science personnelle,
de recourir à l'expérience des autres, notamment à
l'expérience des siècles passés. Or comment user de
ce moyen nécessaire si nous n'admettons pour vraie
la connaissance des temps antérieurs, autrement des
faits historiques. Voilà fondée et garantie par la raison
pratique une des principales certitudes, celle de
l'histoire.
Hermès ne prend pas la peine de dissimuler le
conflit toujours possible entre- la raison pure et la
raison morale, celle-ci commandant une persuasion
alors que celle-là autorise à douter. Qu'il le veuille ou
non, c'est une cloison étanche qu'il dresse entre la
conviction et la pratique. L'impératif catégorique
n'oblige directement qu'à vouloir et à faire. Qu'arri-
verait-il donc si le doute théorique concernait la
licéité de l'action ou même la vérité de la foi ? Il
semble qu'il suffise, conformément aux principes
hermésiens, de vouloir et d'agir comme si on tenait la
foi chrétienne pour certaine pendant que la raison
pure persiste à en douter. Au reste, est-il aisé toujours,
en beaucoup de cas n'est-il pas impossible d'établir au
regard de la raison pratique que tel sujet de connais-
sance ou telle persuasion de la vérité est dans un
rapport nécessaire avec la dignité humaine, demeure
l'unique moyen de la sauvegarder? Quel lien rigou-
reux y a-t-il, en particulier, entre la réalité d'un événe-
ment de l'histoire et la fin morale d'un individu
déterminé ? Mais, et en ceci tout particulièrement se
trahit l'étroite affinité du système hermésien et de la
doctrine kantienne, la raison pratique n'est une règle
suprême de certitude que parce qu'elle est autonome
et législatrice. Tel est le postulat faux que plus d'une
fois nous aurons l'occasion de mettre en relief dans les
élucubrations théologiques de Hermès. Donc, suivant
lui, la raison pratique ne relève que d'elle-même; son
impératif catégorique, elle l'énonce en son propre nom.
Il n'est pas nécessaire d'établir au préalable que Dieu
est le fondement et la source de toute obligation ni
même qu'il existe, la raison pratique étant à elle-même
sa loi, le point d'attache de tout lien moral. Voir
t. vi, col. 234-236. Hermès cherchait le mo en
d'asseoir une démonstration véritable du christia-
nisme : il crut le trouver dans la raison pratique. Voici
les traits principaux d'une apologétique qu'il fait
reposer tout entière sur sa théorie de la certitude
morale.
2° Apologétique. — L'apologétique a pour objet
d'établir la vérité historique et le caractère obligatoire
de la révélation divine. Ces deux points, Hermès
professe ne vouloir pas les prouver comme toute la
tradition catholique avant lui. Il estime que la raison
pure ne donne pas du fait de la révélation une certi-
tude véritable, mais une simple probabilité, si grande
qu'on la suppose. Probables seulement sont au regard
de la raison spéculative tous les miracles et les pro-
phéties qui autorisent la mission et la doctrine de
Jésus-Christ, l'institution par lui de l'Église; probables
de même toutes les preuves qui garantissent la véracité
du Maître ainsi que la véracité des disciples, voire
même l'axistence du Christ; rien que probable non
plus l'historicité des Livres saints qui en témoignent.
Ce sont là autant de faits contre lesquels on ne se
défendra jamais d'un doute théorique, à propos
desquels on se demandera toujours ou s'ils furent
surnaturels ou même s'ils ont existé. Le remède à ce
doule est dans la raison pratique et le devoir qu'elle
impose d'accepter comme vraies et réelles les croyances
chrétiennes, nonobstant les répugnances de la raison
2293
HERMÈS
2294
pure. Hermès croit flonc pouvoir passer du caractère
obligatoire de la religion révélée à sa vérité objective.
Si l'on demande comment il se fait que nous soyons
tenus d'admettre la révélation, il distingue entre le
cas du philosophe et celui des ignorants et des simples.
L'obligation pour les ignorants et les simples se confond
avec le devoir même d'embrasser la vérité. Ils n'y
peuvent parvenir d'eux-mêmes et par leur raison
propre, mais seulement par le moyen d'une révélation;
partant, cette révélation, ils sont moralement con-
traints de la recevoir et de l'admettre pour vraie.
Quant au philosophe, la révélation ne lui est pas néces-
saire comme aux autres; il ne trouvera donc pas en
soi le motif de pressant besoin qui la lui garantirait
comme certaine; c'est en dehors de lui, dans le devoir
imposé aux ignorants qu'il apprendra à la reconnaître
objectivement vraie. Nous acceptons que la révéla-
tion s'impose à notre assentiment, qu'elle nous oblige,
à la condition toutefois qu'elle soit vraie. Hermès la
déclare vraie parce qu'obligatoire, sa logique procède
au rebours de la nôtre. Mais il se flatte en vain d'aboutir
par le moyen de la raison pratique à une démonstra-
tion certaine de la religion révélée. A vrai dire, il
n'échappe à l'écucil du scepticisme et au naufrage des
croyances chrétiennes où l'entraînent les sophismes
de la raison pure que par un expédient illusoire, un
misérable biais : celui d'un acquiescement pratique à
des vérités dont il renonce, en somme, a faire la preuve,
mais qu'il s'effraie de voir disparaître. Invoquer,
comme il le fait, en faveur de notre foi et comme l'argu-
ment de fond auquel tous les motifs de crédibilité
emprunteraient leur force, l'ignorance et le besoin de
croire du grand nombre, c'est tomber dans une
grossière erreur. L'édifice entier du christianisme a
mieux où s'étayer que cette base étroite et de fortune.
L'apologétique hermésienne est non moins étrange
que fausse. On s'en aperçoit mieux quand on examine
au lieu des grandes lignes les détails de sa contexture.
Rien n'est capital, selon l'apologétique traditionnelle,
comme la preuve par les miracles. A la suite du Maître,
les apôtres, les Pères de l'Église et tous les apologistes
s'y sont référés comme à un argument certain de la
vérité du christianisme. Veut-on savoir comment
Hermès s'y prend pour établir que le miracle de la
résurrection de Lazare, par exemple, n'est pas dou-
teux ? Il observe avec la science incrédule qu'on ne
peut connaître toutes les forces secrètes de la nature,
partant qu'en présence d'un événement qui sort des
lois ordinaires, il ne sera jamais possible de prononcer
avec certitude s'il relève de la nature ou d'une cause
surnaturelle. Devant cette difficulté qu'il estime
insurmontable la raison pure ne peut que douter. Mais,
que s'en suivrait-il si on ne pouvait, en aucun cas,
dûment constater le miracle d'une résurrection, autre-
ment une mort réelle suivie d'un retour véritable à la
vie ? Il serait impossible de vérifier les décès; de
satisfaire à l'obligation d'enterrer les morts; on
devrait laisser sans sépulture, au risque d'infecter les
airs et de ruiner la santé publique, les cadavres même
en putréfaction. Cependant la raison pratique inter-
vient, qui nous contraint au respect de cette loi de
l'hygiène, et, conséquence bien inattendue 1 nous rend
certains du miracle, s'il se produit. Voilà un des
nombreux et plaisants tours de force par lesquels
Hermès s'évertue à établir entre des faits de l'histoire
qui sont à la base du christianisme, afin d'en maintenir
la vérité objective, et le devoir moral, tel qu'il s'impose
à chacun dans le concret à un moment précis, une
connexion nécessaire. Tâche ingrate s'il en fut !
3° Nature et règle de la (oi. — L'erreur, pour ainsi
dire classique, de Hermès a trait à la foi. De la foi
théologique il méconnaît le motif essentiel, il supprime
le caractère surnaturel et libre. Voici d'ailleurs la
définition qu'il en donne : « La foi est en nous un état
de certitude et de persuasion par rapport à la vérité
de la chose connue, état auquel nous sommes amenés
par l'assentiment nécessaire de la raison théorique ou
par le consentement nécessaire de la raison pratique. »
Qu'est-ce à dire ? Science et foi ne se distinguent plus
comme choses d'ordre différent. Le témoignage de
Dieu qui révèle cesse d'être la raison formelle pour
laquelle nous croyons. Ce qui nous détermine à croire,
c'est, en définitive, l'évidence naturelle ou la vérité
intime des choses perçues. Toute ferme persuasion sur
Dieu et les choses divines constitue proprement la foi,
par opposition à la science. Ainsi, il n'est pas néces-
saire pour croire de s'être démontré au préalable
l'existence de Dieu, de savoir qu'il a parlé; être certain
qu'un Dieu existe, c'est avoir déjà la foi. Hermès
admet sans contredit la révélation surnaturelle. Mais
l'assentiment du fidèle à cette révélation n'est qu'une
des variétés de la foi divine; quant à l'autorité de
Dieu révélateur, elle représente tout au plus un
principe spécial de connaissance sous le contrôle de
la raison. A rencontre donc de toute la théologie catho-
lique, Hermès a méconnu la souveraineté du motif
formel de la foi; toute foi, suivant lui, est de sa nature
rationnelle, en ce sens que toute foi procède d'une
nécessité physique ou morale de la raison.
Le système hermésien de la foi ne garde une appa-
rente cohésion que grâce à plusieurs confusions d'idées.
Hermès a confondu certes l'assentiment donné au
témoignage divin, et qui est proprement l'acte de foi,
avec la connaissance préalable qui justifie aux yeux
de la raison cet assentiment ; car, selon le mot de saint
Thomas, la raison ne croirait pas si elle ne voyait qu'il
faut croire. Ce sont là deux actes de notre intelligence,
non pas de même nature et nécessairement consécutifs,
mais d'ordre différent, entre lesquels s'intercale un
acte de la volonté libre. La connaissance dont le propre
est de rendre l'acte de foi raisonnable et prudent, et
que l'apologélique ou science de la crédibilité peut
revendiquer comme son fruit, s'arrête au seuil de la
foi; elle ne peut être considérée comme son fondement
homogène. L'école hermésienne est conséquente avec
elle-même, lorsqu'elle appelle l'autorité de Dieu révé-
lant un motif de crédibilité. Hermès s'est mépris non
moins grossièrement sur le rôle de la raison dans la foi.
L'acte de foi théologique est d'ordre intellectuel; il
exige, par conséquent, l'entrée en exercice de l'intelli-
gence humaine. Notre raison a pour fonction nou
seulement de se prononcer sur la crédibilité de la
révélation, mais encore de connaître les vérités révélées.
Or Hermès s'imagine à tort que connaître ces vérités,
c'est proprement en juger, ou les saisir dans leur évi-
dence même. Et il pensait pouvoir concilier malgré
tout cette démarche de la raison avec l'humilité de la
foi chrétienne. Quoique très exigeante en matière de
preuve, la raison de l'homme fait œuvre encore d'abné-
gation, elle se livre, toutes les fois que des vérités
s'imposent à son adhésion sans perdre toute leur
obscurité. Hermès a enfin confondu deux choses que
les théologiens distinguent soigneusement : l'évidence
de la vérité perçue en elle-même et l'évidence de la
crédibilité, le vrai évident et '.'évidemment croyable.
C'est pourquoi il n'a pas admis qu'on puisse démontrer
la crédibilité de la foi chrétienne, en général, ou d'une
vérité révélée, en particulier, sans déroger à la liberté
et au mérite de la foi. Il a considéré l'assentiment
prudent et raisonnable donné à la révélation surnatu-
relle, comme la conclusion nécessaire d'un syllogisme.
Hermès a cru sauvegarder tout de même le caractère
moral de la foi chrétienne par sa distinction de la foi de
connaissance et de la foi du cœur. Il n'y a, selon lui, de
vraiment théologique et libre que cette dernière. Elle
représente la foi que les théologiens appellent commu-
2295
HERMÈS
2296
nément la foi vive, la foi opérant par la charité, et qu'il
nomme pour sa part la foi efficace. Voici d'ailleurs en
quelsjtermes il la décrit: « La seule vraiment théolo-
gique, quijnous élève au-dessus des choses terrestres,
qui suit la volonté parfaite et le libre désir d'aimer
Dieu et qui nous met en possession du domaine parfait
de la loi et de l'esprit sur la chair. » — Seule la foi
efficace, est libre, seule également elle est surnaturelle,
elle requiert la grâce. L'assertion est d'ailleurs con-
forme à la théorie de la grâce admise par Hermès et
ses partisans. Selon les théologiens catholiques, la
grâce nécessaire à la foi doit affecter tout particulière-
ment l'intelligence, puisque l'acte de foi est proprement
une adhésion de notre esprit et que dans l'intelligence
est engendrée et se répand la certitude surnaturelle.
Elle n'affecte que la volonté et nullement l'intelligence,
au dire des hermésiens.
Comme Hermès a recommandé la méthode du doute
et son usage constant, comme il confond d'autre part
science et foi, on est curieux de savoir quelle peut bien
être, à ses yeux, la règle de la foi catholique. En plus
d'un?passage, il est vrai, il nomme l'enseignement
infaillible de l'Église. Cependant il ne fait aucun cas
de l'autorité de l'Église et de la tradition, quand il
aborde l'étude détaillée des dogmes. N'exige-t-il pas
que la raison, avant de les admettre et comme moyen
sûr de les reconnaître, les évoque l'un après l'autre à
son tribunal ? A la raison il appartient de décider en
dernier ressort, par une démonstration rigoureuse, s'ils
sont contenus dans les sources propres de la foi, à
savoir dans la parole de Dieu écrite ou traditionnelle.
Ce n'est point tout son rôle. Même quand il est établi
qu'une vérité est certainement révélée, la raison ne
peut ni ne doit lui donner son assentiment, sinon après
s'être assurée, par un examen interne de cette vérité,
qu'elle n'implique point contradiction. Autant pro-
clamer que la raison humaine, en matière de foi, est la
principale ou même l'unique règle.
Hermès a erré sur de nombreux points de la dogma-
tique spéciale. 11 ne pouvait en être autrement, étant
donné sa méthode, sa règle de foi et les principes
kantiens de sa philosophie. Parmi les erreurs que
condamne le bref de Grégoire XVI nous ne parcour-
rons que les principales.
4° Dieu : existence, essence et attributs. — Hermès a
traité de Dieu en philosophe et en théologien, c'est-à-
dire qu'il a eu recours, pour établir son existence et ses
attributs, aux démonstrations de la raison spéculative,
aux jugements de la raison pratique et au donné
révélé. Dans V Introduction philosophique, il déclare ne
toucher aux attributs que dans la mesure où l'exigeait
l'apologétique chrétienne. Il en traite plus à fond dans
sa Dogmatique. Au jugement de Hermès, l'unique
preuve certaine que Dieu existe est la nécessité tenue
par la raison théorique d'une cause première qui
rende compte de l'existence des êtres contingents.
Inopérants sont les autres arguments; tel, en parti-
culier, l'argument qu'on tire de l'ordre du monde, cet
ordre pouvant être l'effet du hasard. Il ne sert même de
rien d'en grouper plusieurs sous prétexte de les ren-
forcer les uns par les autres. On ne réussit par là qu'à
les rendre tous suspects. On ne peut non plus demander
à la raison pratique de prouver l'existence de Dieu :
tous les arguments qui se fondent sur l'obligation
morale, la nécessité d'un législateur et d'une sanction,
sont sans valeur. Du moment que l'obligation de
respecter en soi la dignité humaine explique tout le
devoir, la raison pratique ou morale est à elle-même
sa loi et sa sanction ; elle n'a pas besoin de Dieu. Non
moins étrange est la doctrine hermésienne sur l'essence
et les attributs divins. La raison théorique établit que
Dieu est une substance existant par elle-même .unique,
éternelle, personnelle, distincte de tout ce qui change
dans le monde, d'une puissance, d'une science et d'une
bonté incompréhensibles. Mais elle ne peut démontrer
que Dieu diffère d'une substance immuable qui ferait
partie du monde, tout en restant étrangère aux chan-
gements dont le monde est le théâtre, ni davantage que
Dieu est un pur esprit ou que ses attributs, notamment
sa puissance, sa science, sa sainteté, sa bonté n'ont
pas de limites. Autant de vérités dont la révélation
seule nous donne la certitude.
Venons aux attributs que la raison pratique, à son
tour, exige en Dieu. Nous verrons sans peine en cer-
taines assertions bizarres des conséquences du prin-
cipe kantien de l'autonomie de la raison morale.
Puisque l'homme est à lui-même sa fin, puisqu'il ne
peut être rapporté à aucun être, cet être lui fût-il
infiniment supérieur, puisque le respect de sa dignité
personnelle est pour lui tout le devoir, les positions
respectives de Dieu et de l'homme se trouvent essen-
tiellement modifiées. L'homme et non plus Dieu sera
le centre où convergent toutes les lignes du créé;
l'homme aura presque tous les droits, et Dieu tous les
devoirs; on devra, pour apprécier les attributs moraux
de Dieu et son action au dehors, les considérer du point
de vue exclusif de l'homme, de ses propriétés et de son
opération morale. N'est-ce pas la règle qu'a formulée
Kant : « Si tu veux savoir ce que c'est que Dieu,
observe ce que l'homme doit être d'après ce qui est
prescrit par la raison pratique ? » On ne peut davan-
tage méconnaître les caractères essentiels de la divinité,
renverser plus complètement toute l'économie de la
théologie soit naturelle, soit révélée. Voici, par exemple,
comment on doit concevoir la justice en Dieu. La jus-
tice est le principe de la volonté divine qui subordonne
toutes les actions de Dieu par rapport aux créatures,
au droit absolu et relatif de ces créatures. Elle naît
de l'estime que Dieu doit avoir, en toutes les disposi-
tions qui la concernent, de la créature raisonnable;
elle règle sa conduite envers chacune, de manière à ne
point blesser son droit ni le droit de quelque autre.
Cette mesure s'étend aussi à la dispensation des moyens
extérieurs et intérieurs de salut, comme la grâce, la
prédication, la foi ouïes sacrements. C'est au point que,
dans la répartition des dons, Dieu ne pourrait, sans
injustice pour autrui, se montrer libéral envers
quelqu'un au delà des bornes établies d'une manière
générale. De même, Dieu est tenu rigoureusement
d'observer dans la répression du mal une parfaite
égalité. Il ne pourrait user d'indulgence vis-à-vis de
tel ou tel, sans blesser le droit relatif qu'ont les autres
à l'exemption des peines et à l'usage non restreint de
leur liberté. Les justes notamment peuvent exiger
que Dieu punisse les coupables selon la mesure des
peines une fois établies. Si cette proportion n'était
gardée, ils auraient sujet d'accuser Dieu de les avoir
soumis à une loi injuste et arbitraire, en les contrai-
gnant à triompher d'eux-mêmes et de leurs passions.
Dieu observe donc la justice non par un droit qui lui
est propre, mais en vertu d'une obligation toute en
faveur de la créature raisonnable. En Dieu aucun
droit de punir le mal moral autant qu'il le mérite, ni
à cause de sa malice et de son dérèglement essentiels,
ni davantage pour l'atteinte qu'il porte à la sainteté
divine; en Dieu, aucun droit d'exiger de l'homme satis-
faction pour les offenses qu'il en reçoit. La bonté
pleine de sagesse deDieu.et non sa justice, a primitive-
ment décrété la récompense ou la peine, a proportionné
cette récompense ou cette peine à la grandeur du
mérite ou de la faute. La justice n'intervient que dans
l'exécution du plan divin, afin de diriger Dieu, l'incli-
nant à respecter le droit de la créature raisonnable.
Cette doctrine, Hermès la présente comme conforme
non seulement à la droite raison, mais encore aux
| Écritures, et il déclare faux et arbitraire tout ce qu'ont
2297
HERMÈS
2298
enseigné sur la justice vindicative de Dieu les théolo-
giens catholiques.
La liberté essentielle de Dieu dans ses œuvres ad
extra, non plus que sa bonté libre et gratuite dans la
communication de ses dons, ne sont possibles selon les
principes de la théologie hermésienne. Dieu doit
vouloir à tous les êtres raisonnables, dit Hermès, tout
le bien et toute la félicité qu'il connaît possible et dont
ils sont capables, et la félicité dans le degré le plus
parfait. Autant prétendre que n'importe quel don,
voire même l'élévation à l'état et au bonheur surna-
turels, est exigible. Hermès fixe pourtant à Dieu, dans
la distribution de ses grâces, une mesure qu'il ne doit
pas dépasser. Il est permis à Dieu d'en donner à
quelqu'un toujours de nouvelles et autant qu'il peut,
sans nuire aux autres. Passons sur ce prétendu tort
ou dommage à autrui; mais est-ce là l'idée catholique
d'un Dieu, qui, n'étant débiteur de ses grâces à per-
sonne, les accorde comme il veut, à qui il veut et dans
la mesure qu'il lui plaît, selon le dessein toujours juste
et droit de sa volonté?
Au détriment de la liberté divine encore, Hermès
exalte l'indépendance de l'homme. « Dieu ne peut en
aucune façon, prétend-il, par des commandements
positifs et révélés, prescrire immédiatement à l'homme
ni certaines dispositions de l'esprit ni certains senti-
ments du cœur. » Par là, Hermès n'entend pas seule-
ment que tout précepte de ce genre présuppose dans
l'homme la ferme persuasion d'une révélation divine
et l'obligation naturelle d'en accepter les dispo-
sitions. Il ne dirait rien que n'aient aflirmé et
que n'affirment encore tous les théologiens ortho-
doxes. Au jugement de Hermès, nous avons beau
reconnaître qu'un précepte positif émane vraiment
d'une autorité et d'une révélation divines, notre raison
n'est pas assurée pour autant que son objet est digne
de Dieu, juste et vrai. Il faut examiner au préalable le
commandement en lui-même, établir s'il a quelque
rapport avec notre raison, enfin juger s'il est conforme
ou non à la vérité et à la justice. Jusque-là, quoiqu'on
sache de science certaine que le précepte est divin, il
ne vaudra que comme un encouragement, une instruc-
tion, une règle, et non comme une loi obligatoire. Les
préceptes positifs révélés n'obligeant plus directement
et par eux-mêmes, la morale chrétienne est amputée de
ses principes propres; c'est, par le fait, son élimination
prononcée. Voilà du moins la conséquence immédiate
la plus claire. On n'a pas de peine à reconnaître d'où
procède l'erreur. Hermès applique ici aux vérités
morales, comme il applique ailleurs aux vérités dogma-
tiques, sa méthode du doute et sa règle de foi rationa-
liste.
La raison pratique détermine encore en Dieu, ou
plutôt prescrit moralement à Dieu, la fin qu'il a dû se
proposer en créant toutes choses. Cette fin n'est pas
sa gloire extérieure à procurer, ou la manifestation de
ses perfections essentielles, quoi qu'en dise la tradition
catholique. Elle ne peut être que la félicité des créa-
tures intelligentes. Dieu créa l'homme pour l'homme,
et tout le reste se rapporte à l'homme, à sa félicité et
la plus grande possible. Parler de gloire extérieure de
Dieu, c'est avancer une chose que nulle part la révéla-
tion ne certifie, c'est prêter à Dieu un égoïsme ou une
ambition que la raison pratique condamne. Et cepen-
dant Hermès ne prouvera jamais qu'agir pour une fin
utile et se proposer en agissant une fin digne de soi
sont une même chose.
Hypnotisé par son principe de l'autonomie de la
raison pratique, Hermès a, en somme, ramené la divi-
nité aux proportions de l'homme, ou même voulu
hausser l'homme au niveau de Dieu.
5° État de l'homme avant la chute; le péché originel. —
Parmi les erreurs de Hermès, le bref de Grégoire XVI
a signalé encore ses vues particulières sur la condition
de nos premiers parents et le péché originel.jL'homme
avant la chute avait avec Dieu une double ressem-
blance : l'une physico-spirituelle, résultant des facultés
d'intelligence et de volonté, essentielles à l'être raison-
nable; l'autre morale, consistant dans une rectitude
de sa volonté. Au jugement de 'Hermès, cette dernière
est proprement le privilège de l'état d'innocence. Elle
impliquait un parfait équilibre des facultés, c'est-à-dire
la soumission des sens à la raison, une intelligence sans
erreur et une volonté droite dans l'ordre de la moralité.
Cette rectitude faisait de la nature de l'homme une
nature intègre, ou, ce qui est une même chose pour le
théologien allemand, le constituait dans un état de
justice et de sainteté, l'homme, en vertu de cette loi
droite de ses facultés, étant capable de produire des
actes justes et saints. Faut-il regarder cette rectitude
comme surnaturelle, un don absolument gratuit ?
Hermès répond : elle n'est pas essentielle à l'homme,
l'idée d'homme subsistant sans elle. Mais on aurait
tort de la déclarer surnaturelle, puisqu'elle ne découle
pas de la grâce sanctifiante; il faut la nommer morale
et rien de plus. Elle est gratuite, car l'homme n'a pu
mériter d'être placé dans l'état qu'elle suppose.
L'homme eut-il aussi, dès le premier instant, la grâce
sanctifiante, une grâce qui l'élevait à un état absolu-
ment au-dessus de sa nature ? La réponse est affirma-
tive, mais il importe d'en comprendre le sens. La grâce
sanctifiante, suivant Hermès, est la bienveillance de
Dieu pour l'homme juste et saint, entendons morale-
ment intègre, bienveillance qui lui vaut tous les
secours surnaturels pour bien agir. Elle n'est donc
pas une réalité surnaturelle, inhérente à l'homme ; elle
découle rigoureusement, et comme un droit exigible,
de la rectitude morale. On voit sans peine les étroites
affinités du système hermésien avec les erreurs con-
damnées de Baias, Jansénius, Luther et Calvin.
Ces affinités sont non moins visibles dans la con-
ception du péché originel. Le formel de ce péché,
prétend Hermès, est tout entier dans la concupiscence
désordonnée. La rectitude morale suffisait à elle seule
à rendre Adam et Eve justes et saints; leur faute fit
cesser le rapport de parfait équilibre entre la raison et
les sens, déterminant ainsi un véritable changement
de leur nature. Le péché originel dans leur descendance,
c'est cette même concupiscence désordonnée dont nous
héritons avec la nature humaine. Et la culpabilité
transmise à la postérité d'Adam consiste tellement
dans ce désordre, qu'il n'y a pas lieu pour la définir
d'établir un lien entre le péché originel et la faute
actuelle du premier homme ni même faute volontaire
quelconque. Dans la définition de la tache héréditaire
il ne peut être question non plus de la grâce sancti-
fiante perdue. Autrement, Adam et Eve, parla dispari-
tion de la rectitude morale, devinrent injustes et per-
vers; ils le fussent devenus, même sans aucune faute
volontaire de leur part, par le fait seul de la concu-
piscence; et on peut en dire autant de leur descendance.
Si on objecte que le baptême efface le péché originel
sans pourtant faire disparaître la concupiscence,
Hermès réplique : La concupiscence sans la grâce
attire l'homme vers le mal et le rend abominable à
Dieu ; mais dès l'instant que la grâce est reçue, la concu-
piscence ne peut nuire, rendre l'homme coupable et
un objet de déplaisir à Dieu. Réponse de l'erreur
acculée, et qui trahit plus d'un rapport de conformité
avec le système prolestant. Elle justifie d'ailleurs le
mot de Bellarmin : les novateurs, en faisant consister
le péché originel dans la concupiscence, ont fini par le
réduire à rien. Hermès n'est pas loin de le regarder
comme n'étant pas vraiment un péché. N'est-ce pas
la raison pour laquelle il le nomme constamment la
qualité ou disposition coupable '?
2299
HERMÈS
2300
6° La satisfaction de Jcsus-Christ. — La chute de
l'homme a pour pendant sa restauration par le Christ
rédempteur. Hermès traite longuement du dogme
catholique de la satisfaction de Jésus-Christ. Sous
prétexte de ruiner les objections sociniennes, il propose
de substituer à l'enseignement des théologiens catho-
liques un système qu'il estime plus évangélique et non
moins orthodoxe. D'accord avec tous, il admet que
la satisfaction de Jésus-Christ fut réelle, nécessaire,
propre à apaiser Dieu, même en stricte justice. Mais
voici où il s'écarte de la pensée commune. En réalité,
il n'y avait en Dieu ni offense ni irritation; partant, sa
justice ne pouvait exiger et n'exigeait en fait aucune
expiation ni de l'homme ni de la victime substituée,
le Christ. Les peines immenses que le Christ endura
n'étaient ni vraiment dues pour le péché, ni demandées
effectivement par Dieu. Jésus-Christ n'a tant souffert
que pour faire connaître à l'homme ce que Dieu aurait
pu exiger de lui dans l'hypothèse qu'il l'eût voulu,
•e qui eût été requis pour apaiser Dieu dans l'hypo-
thèse qu'il se fût tenu pour oiîensé. Ainsi la passion et
la mort du Christ ne seraient qu'une mise en scène
propre à instruire l'homme, « lui révélant l'ineffable
amour de Dieu, son infinie majesté », de nature aussi
à exciter en son âme une vive horreur du péché,
l'amour de la vertu et de la sainteté. Ne sont-ce pas là
des conséquences du système hermésien sur la justice
divine, sur la fin assignée à l'œuvre de la création ? La
justice de Dieu n'a pas à intervenir pour venger ses
droits méconnus, mais pour protéger et favoriser les
droits de l'homme. La félicité de l'homme, c'est tout
le but que Dieu, par pur amour et sans aucun égara à
soi,' s'est proposé en créant toutes choses.
Sur le terrain de la chrislologic, Hermès a plusieurs
thèses non moins contraires à la doctrine des théolo-
giens catholiques. Notamment, il explique le descendit
ad inferos du symbole en ce sens que l'âme du Christ
entra dans l'état commun des âmes humaines séparées.
Dans cet état elle goûtait le bonheur naturel qui peut
convenir à l'âme la plus sainte. Hermès lui refuse
d'ailleurs la jouissance, avant l'ascension, de la vision
béatifique. Il semble tenir aussi que la divinité se
sépara du corps du Christ durant les trois jours passés
au tombeau.
7° Justification et grâce sanctifiante. — Hermès
professe sur la justification une doctrine bizarre, mais
en étroite connexion avec ce qu'il enseigne sur l'état
de l'homme avant sa chute, sur le péché originel et
sur la rédemption. Il distingue une double justifica-
tion : l'une habituelle, qui regarde tous les hommes
et qui les délivre du péché originel, l'autre actuelle,
propre aux seuls adultes. La justification habituelle
consiste dans la volonté positive de Dieu d'accorder
à l'homme, en temps favorable, à cause de la satisfac-
tion de Jésus-Christ, les secours actuels qui lui seront
nécessaires pour vaincre la concupiscence désordonnée,
autrement le péché originel. Universelle, elle s'étend
à tous les fils d'Adam comme la faute héréditaire; elle
se réalise pourtant en chaque individu par le moyen
du baptême, qu'il est nécessaire, en vertu d'un ordre
positif de Dieu, d'avoir reçu ou de désirer recevoir.
Cependant le baptême, par rapport à la justification,
n'est qu'une simple condition et non partie intégrante;
il est la condition positivement imposée à l'homme
d'être réuni extérieurement à l'Église du Christ.
Nombreuses et déconcertantes sont les questions que
soulève cette idée nouvelle de la justification. La
justification ne serait-elle plus une régénération inté-
rieure de l'homme, régénération telle que le pécheur
n'est pas seulement réputé, mais qu'il est fait vérita-
blement juste ? Le péché originel, dont la grâce actuelle
a pour fonction de triompher en temps opportun,
subsisterait-il toujours, même en celui qui est baptisé?
Qu'est-ce que cette justification s' étendant à tous les
hommes comme une bienveillance de Dieu, que leur a
méritée la satisfaction du Christ, et qui ne s'opère
pourtant que par le moyen du baptême? N'est-ce pas
une erreur profonde de considérer le baptême, instru-
ment nécessaire de régénération et de sainteté, source
d'un caractère indélébile dans l'âme, comme une simple
condition de la justification, c'est-à-dire comme une
chose qui lui serait extérieure ? Et peut-on laisser croire
que le baptême ne soit qu'un signe de réunion au
corps de l'Église?
Ces assertions malsonnantes et fausses ont, toutes
leur point de départ dans une conception également
erronée de la grâce sanctifiante chez Hermès. Qu'il
suffise de compléter ce que nous avons dit plus haut.
La grâce sanctifiante se distingue de la grâce actuelle
comme la bienveillance et le don qui en procède. Elle
n'est pas inhérente ou intérieure à l'homme, à la
manière d'une forme qui le sanctifierait ; elle se réduit
à un simple rapport de l'homme avec Dieu. Elle est
plutôt un mode d'être en Dieu. On peut la définir :
une bienveillance positive de sa part, qui l'incline à
accorder à l'homme tous les secours actuels nécessaires
pour accomplir le bien moral. Aussi la grâce sancti-
fiante est le fondement et la condition de la grâce
actuelle, et par conséquent, ajoute-t-il, c'est par la
nécessité de celle-là qu'on peut mieux prouver la
nécessité de celle-ci. N'est-ce pas le renversement de
la doctrine catholique sur la grâce ?
Cet exposé sommaire du système hermésien montre
à quel point il est contraire à la foi orthodoxe et à la
théologie catholique. Tant d'erreurs manifestes, tant
d'assertions téméraires et bizarres, tant de contradic-
tions même procèdent de sa méthode comme d'une
source unique. Il a cru légitime de parcourir tous les
détours du doute et d'y faire passer les autres après lui,
s'imposant pour règle de n'admettre une chose comme
vraie que si sa double raison individuelle l'y contrai-
gnait. Il a donc soumis les dogmes catholiques à
l'épreuve du doute universel et constant; et ils en
sont sortis non pas mieux enchaînés et plus lumineux,
mais faussés et méconnaissables. Sansdoute.il alimen'e
sa science théologique aux deux sources de l'Écri-
ture et de la tradition qu'il tient d'ailleurs pour
infaillibles; mais loin qu'il s'incline respectueusement
devant le donné révélé, comme tel, il le plie et l'accom-
mode, selon sa règle suprême, aux exigences de la
raison spéculative et pratique. La méthode hermé-
sienne n'était bonne qu'à introduire dans l'enseigne-
ment des sciences ecclésiastiques un rationalisme
subtil et pernicieux. Il n'en fallait pas davantage pour
motiver l'intervention du saint-siège.
III. Condamnation. • — Du vivant de Hermès, sa
doctrine avait été plus d'une fois l'objet de vives
critiques. Aussitôt après sa mort, les attaques se
répétèrent, et si véhémentes que ses élèves crurent
devoir fonder une revue destinée à défendre leur
maître. Elle parut à Cologne dès l'année 1832, sous le
titre de Zcitschrifl fur Philosophie und katholische
Théologie, et dura jusqu'en 1852. Cependant à l'étran-
ger les idées hermésiennes étaient jugées avec défaveur.
Rome s'émut des accusations portées contre le système
nouveau et Grégoire XVI demanda au nonce de
Munich un rapport sur l'affaire. Mais l'archevêque de
Cologne, Spiegel, s'entremit et soutint que l'ortho-
doxie de Hermès était au-dessus de tout soupçon. Cette
déclaration d'un évêque en faveur d'un enseignement
peu catholique a de quoi nous surprendre. Ce qui
l'explique et ne la justifie pas, c'est d'abord l'abaisse-
ment général des études ecclésiastiques en Allemagne,
à cette époque, c'est ensuite l'affirmation de Hermès,
souvent reproduite par ses disciples, qu'il fallait consi-
dérer ses écrits comme un simple préambule pb.iloi.o-
2301
HERMÈS
2302
phique à la théologie. A vrai dire, Hermès avait eu la
prétention de poser les fondements d'une apologétique
chrétienne. Comme on taxait le maître de pélagianisme
et de socinianisme, ses élèves, âpres déjà dans la
défense, dépassèrent les 1 ornes et se montrèrent
agressifs vis-à-vis de leurs adversaires, qu'ils accusaient
de renouveler les erreurs de Bautain et de Lamennais.
En 1833, quelques prélats allemands dénoncèrent au
saint -siège, comme contraire à l'enseignement de
l'Église, la méthode hevmésienne. C'était au fond la
seule marche à suivre; car alors tous les évêques
allemands n'étaient pas convaincus du danger de
l'hermésianisme. Au reste, la doctrine et l'esprit de
Hermès se répandaient avec une rapidité surprenante.
Trente chaires de théologie étaient occupées par des
hermésiens, et les professeurs de religion dans les
gymnases s'inspiraient de leur système. Le pape créa
donc une commission dont fit partie le jésuite Perrone,
pour examiner les écrits et les doctrines de Hermès.
Une circonstance favorisa singulièrement les adver-
saires de l'hermésianisme; ce fut la publication par
Achterfeld de la Dogmatique du théologien allemand.
Entreprise avec la pensée de servir la cause du maître,
elle contribua à le faire condamner. Grégoire XVI
saisit la Congrégation du Saint-Office de l'affaire et,
sur avis conforme des cardinanx inquisiteurs, il publia
le 2G septembre 1835 un bref de condamnation. Vint
ensuite, le 7 janvier 1836, une déclaration du souverain
pontife par laquelle les deux volumes de la Dogmatique,
parus après la promulgation du bref, étaient compris
dan? la condamnation précédente. Le décret pontifical
signalait en ces termes les maîtres d'erreur, dont
Hermès : « Ils infestent les études sacrées par des
-doctrines étrangères et dignes de réprobation, ils
profanent sans sourciller l'enseignement public dont
ils sont chargés dans les écoles et les académies, et ils
altèrent visiblement le dépôt sacré de la foi que pour-
tant ils se flattent de défendre. Et parmi ces maîtres
de l'erreur on compte, d'après l'opinion presque géné-
rale et constante de l'Allemagne, Georges Hermès, en
ce qu'il s'écarte audacieusement de la voie royale de la
tradition universelle et des saints Pères pour expliquer
«t défendre les vérités de la foi, et qui, la méprisant et
la condamnant, ouvre la voie ténébreuse de toutes
sortes d'erreurs, et « par le doute positif qu'il a posé
« comme base de toute recherche théologique », et par
le principe en vertu duquel « il veut que la raison soit
« la norme principale et le moyen unique par lequel
« l'homme peut acquérir la connaissance des vérités
« surnaturelles.» — Les livres de Hermès sont dits «con-
tenir beaucoup d'absurdités et d'assertions contraires
à la doctrine de l'Église catholique, notamment, en ce
qui concerne la nature et la règle de la foi, la sainte
Écriture, la tradition, la révélation et le magistère de
l'Église, les motifs de crédibilité, les preuves habituelles
<le l'existence de Dieu, l'essence divine, la sainteté, la
justice, la liberté de Dieu, et la fin qu'il s'est proposée
dans les œuvres dites ad extra, touchant aussi la
nécessité et la dispensation de la grâce, la récompense
«t les châtiments éternels, l'état de nos premiers
parents, le péché originel et les forces de l'homme
déchu. » Le bref proscrit et condamne ces écrits comme
renfermant des doctrines et des propositions respecti-
vement fausses, téméraires, captieuses, conduisant
au scepticisme et à l'indifférentisme, erronées, scanda-
leuses, injurieuses pour les écoles catholiques. Voir
Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 1618-1621.
Le bref de Grégoire XVI eut sur les hermésiens
l'effet d'un coup de foudre inattendu. Il ne rencontra
pourtant d'opposition sérieuse que de la part d'un
groupe de professeurs. Les évêques le reçurent avec
soumission et s'employèrent à le faire exécuter. A
Cologne seulement il donna lieu à des incidents. Le
vicaire général Hiisgen, qui administrait l'archidiocèse
depuis la mort de Mgr Spiegel et qui avait autorisé
l'impression du Ier volume de la Dogmatique, garda
le bref durant huit mois sans le promulguer, sous
prétexte qu'il n'en avait pas reçu communication du
gouvernement royal. Le nouvel archevêque Clément
Auguste publia le décret et exigea la soumission des
professeurs de l'université de Bonn et du séminaire
ecclésiastique de Cologne, et, sur leur refus d'obéir,
il retira l'autorisation épiscopale à leurs cours publics.
Le professeur Achterfeld, qui dirigeait le séminaire,
répondit par des menaces de renvoi et de retrait de
bourses à l'adresse des élèves qui céderaient aux
injonctions de l'archevêque. Les étudiants préférèrent
quitter tous l'établissement, les moins fortunés s'en
remettant à la générosité du prélat, qui en prit soin.
Mgr Clément prit une autre mesure énergique. Il fit
rédiger des thèses réprouvant les doctrines condamnées
par le bref apostolique, et il exigea des ordinands et
de tous les candidats aux charges ecclésiastiques
qu'ils affirmassent par serment les recevoir. A ce
moment les rapports de l'Église avec l'État prussien
étaient loin d'être bons. Le gouvernement royal
demanda aux professeurs Bitter et Baltzer, deux
hermésiens, leur avis sur l'orthodoxie catholique des
thèses épiscopales. Évidemment, l'avis fut défavo-
rable. Coupables d'hermésianisme, les opposants se
donnèrent encore le tort de courtiser le pouvoir civil
et tombèrent dans le libéralisme. Les hermésiens
n'eurent p; s honte de renouveler la fameuse distinc-
tion des jansénistes : ils avouaient que les opinions
condamnées par le bref du pape étaient réellement
condamnables, mais ils prétendaient en même temps
que Hermès ne les avait pas enseignées, que ses écrits
ne les contenaient pas. Enfin ils ne cessaient de répéter
que le désaveu par le pape du fidéisme de l'abbé
Bautain, était une approbation du système de Hermès.
Voir Elvenich, Acta hermesiana, Gœttingue, 1836, et
à rencontre, W. Zell, Acta antihermesiana, Sittard.
1836; 2e édit. plus complète, Batisbonne, 1838.
Persuadés que le saint- siège connaissait mal la doc-
trine hermésienne, enhardis d'ailleurs et soudoyés
par le gouvernement prussien, les deux professeurs
Elvenich et Braun demandèrent et obtinrent de Borne
l'autorisation de venir se présenter devant le pape.
Grégoire XVI ne s'était montré condescendant que
par le désir de les convaincre de leur erreur. Pleing de
confiance dans le succès de leur cause, ils montrèrent
tout de suite qu'ils étaient venus non pour être in-
struits, mais pour instruire, non pour se soumettre,
mais pour obtenir la revision du procès de Hermès. Ils
n'eurent pas à se plaindre de l'accueil qu'on leur fit,
même des personnages éminents. Malgré des démarches
sans nombre, d'habiles menées, ils finirent par se
convaincre que la cause de Hermès était jugée, et ils
durent, après un an de séjour à Borne, reprendre le
chemin de l'Allemagne (1838). Voir leurs Acta romana,
Hanovre et Leipzig, 1838; Melelemata theologica,
ibid., 1838. Leur Insuccès entraîna la conversion d'un
grand nombre d'hermésiens. Les professeurs du sémi-
naire de Trêves donnèrent un bel exemple d'obéissance
dans une déclaration publique. Baltzer lui-même se
soumit en 1840. Malheureusement il tourna plus tard
au gunthérianisme, et il mourut vieux catholique.
L'apparition de l'encyclique de Pie IX, Qui pluribus
abhinc annis, le 9 novembre 1846, parut aux derniers
adeptes de l'hermésianisme une occasion de relever
la tête. Comme elle traitait des rapports de la foi et
de la raison, ils prétendirent que leur système était
absolument conforme à l'enseignement de Pie IX, et
qu'ainsi le bref de Grégoire XVI se trouvait rapporté.
Le coadjuteur de Cologne, Mgr de Geissel, dut infirmer
le pape de l'attitude des opposants. Une réponse de
2303
HERMÈS — HERMIAS
2304
Pie IX au prélat, où il confirmait, le 25 juillet 1847,
la condamnation portée par son prédécesseur, ruina
leur espérance, mais sans les persuader. Voir Den-
zinger-Bannwart, Enchiiidion, n. 1631-163'1. Les doc-
teurs Braun el Achterfeid ne répudièrent jamais com-
plètement leur'erreur. L'autorité ecclésiastique ne laissa
pas cependant de les traiter avec beaucoup d'indul-
gence. Braun mourut en 18C3 et Achterfeid en 1877.
Le concile du Vatican a porté le dernier coup à la
théorie de Hermès sup la foi et à sa méthode du doute
dans le c. m de la constitution Det Filius et dans les
canons' 2, 5 et 6 correspondants. Voir col. 117.
G. Esser, Denksclirift auf G. Hermès (panégyrique),
Cologne, 1832; Droste-Hullohoft, dans Zeilschrift fur
Philosophie unil katholische Théologie, 1832, p. 1-29 (éloge);
Reusch, dans Allgemeine deutsche Biographie, t. xn, p. 192-
196; Kirchenlexikon, Fribourg-en-Brisgau, 1888, t. ,v,
col. 1878-1899; Realenc'yclopàdie fur protestanlische Théologie
und Kirche, Leipzig, 1899, t. vu, p. 750-756; Perrone,
Delocis theologicis, part. III; Id., Réflexions sur la méthode
introduite par Georges Hermès dans la théologie catholique,
dans les Démonstrations éoangéliques de Aligne, Montrouge,
1843, t. xiv, col. 945-1024; H. Reusch, Der Index der
verboienen Bûcher, Bonn, 1885, t. n, p. 1113; cf. p. 844;
Werner, Geschichte der katholische Théologie, 2e édit., 1889,
p. 405-406, 423-424 ; J.-M.-A. Vacant, Études théologiques
sur les constitutions du concile du Vatican, Paris, Lyon, 1895,
t. i, p. 120-128; t. n, p. 67-70, 76, 196; Bruck, Geschichte
der kalholischen Kirche in Deutschland, t. n, p. 496-497 ;
trad. franc., Paris, 1887, t. m, p. 396-397 ; Hurter, Nomen-
clator, Inspruck, 1912, t. v, col. 899-906; Kirchliche Hand-
lexikon de Buchberger, Munich, 1907, t. i, col. 1932-1933;
The catholik encyclopedia, New York (1910), t. vu, p. 276-
279. Pour une bibliographie plus complète, voir Kirchen-
lexikon, t. v, col. 1898-1899; Gla, Repertorium der katho-
lisch-theologischcn Literatur, Paderborn, 1901, t. i b, p. 355-
370.
A. Thouvenin.
1. HERMIAS, philosophe chrétien. — I. Sa per-
sonne. II. Son œuvre.
I. Sa personne. — A la suite des œuvres des apolo-
gistes du iie siècle, se trouve un tout petit traité en
dix chapitres, de quelques pages à peine, sous ce titre :
'Ep[J.tou çiÀojfJcpou 8iaauf|j.ô; tûv êÇii) cpiXoaoçptov, Her-
miœ philosophi gcnlilium philosophorum irrisio. P. G.,
t. Vt, col. 1169-1180. Ce traité offre tant d'intérêt qu'on
s'étonne qu'il ait été passé sous silence par les auteurs
ecclésiastiques des premiers siècles. 11 porte le nom
d'Hermias. Mais quel est ce personnage ? où et quand
a-t-il vécu ? Autant de questions insolubles dans l'état
actuel de la littérature chrétienne de l'époque patris-
tique, car les ren; eignements font défaut et les critères
internes se réduisent à bien peu de chose. On en est donc
réduit' aux conjectures. Les uns ont voulu identifier
cet Hermias avec -l'historien grec du v siècle, Hermias
Sozoniène, niais la différence de style est trop caracté-
ristique; les autres. avec l'hérétique Hertnias, disciple
d'Hermogène et chef de la secte des heEmiens, mais rien
ne prouve qu'il ait été hétérodoxe. Aussi ces deux hypo-
tbèjsw ont-elles été abandonnées. Cet. Hermias est
qualifié de philosophe, et à juste titre, semble-t-il, si l'on
entend par là la; connaissance des philosophes grecs et
de leurs systèmes. En les appelant ceux « du dehors »,
il donne à entendre qu'il se distingue d'eux. Peut-
être mime, tout, comme saint Justin et Tatien, doiit il
a certainement connu les écrits, a-t-il déserté leur camp
poui embrasser la foi chrétienne; en tout cas, il ne dit
pas le moindre mot de «cette foi, ni de Jésus-Christ,
ni de l'É^li^e 11 montre du moins, et .cela dès les pre-
mières lignes, qu'il partageait la manière de voir de
- 1'apgtre saint Paul, puisqu'il se propose de justifiercelte
parole, que la sagesse de ce monde est une folie tfux
yeyx de Dieu : f, aoepia tou xdajj.ou toutou ;j/')pia reapà tio
Oêfii. 1 Cor., m, 19. L'époque où il'a vécu est difficile à
fixer. L'opinion commune, dit Bardenhewer,Les Pères
de l'Église, trad. franc., Paris, 1899, t. i, p. 191, le fait
vivre a l'âge des apologistes, à la fin du ne siècle ou au
commencement du me. On se fonde, d'une part, sur
le nom de philosophe donné à l'auteur dans le titre tra-
ditionnel des manuscrits, comme c'est aussi le cas pour
saint Justin, pour Athénagore et pour d'autres apolo-
gistes; et, d'autre part, sur diverses indications de
l'opuscule lui-même : la vie et la chaleur du langage
annoncent une époque de luttes, où les écoles des philo-
sophes sont encore florissantes, où le christianisme
n'a pas encore remporté la victoire. » Mais ce sont là
des points de repère assez vagues; et Diels, son dernier
éditeur, le croit beaucoup plus récent, plutôt du v
siècle, sinon du vie. Doxographi grœci, Berlin, 1879,
p. 259-263. Le champ reste donc ouvert à la discussion.
Ce qui est certain, c'est que l'auteur s'adresse à des
personnes qui lui sont chères, ses enfants, des disciples
ou des fidèles : to àyaKT|Toi. Irrisio, 1, P. G., t. vi,
col. 1169. Et c'est aussi qu'il peint d'un trait vif, acéré
et mordant les philosophes païens et leurs opinions; il
rappelle le ton railleur de Lucien dans son Hermolime
ou le Choix des sectes et les Secles à l'encan, avec cette
différence qu'il appuie plus légèrement, qu'il ne mani-
feste pas une préférence pour le système d'Épicure et
qu'il n'aboutit pas au scepticisme ; mais sa critique est
tout aussi virulente et négative. Tandis qu'un saint
Justin ou un Clément d'Alexandrie se gardaient de
condamner en bloc toute philosophie, parce qu'on
trouve partout des parcelles de vérité et que la philo-
sophie a droit à être cultivée, Hermias avoue n'avoir
qu'un but, celui de montrer que les philosophes sont en
contradiction les uns avec les autres, que la recherche
des choses se perd dans le vague et l'inconnu et que le
résultat reste inexplicable et inutile, vu qu'il ne repose
ni sur l'évidence, ni sur un enseignement certain :
Pouao'[jl6vo; 8êïÇai ttjv èv toi; 8oyij.aaiv ouaav aurtov
èvavTtÔTr|Ta, y.al o>ç, sî; axupov auTOÏ; xat àci&iaTOv Jtpoeiaiv
7) ÇrjTTia'.ç twv ^paytiaToiv , zaî totÉXo; auTàiv aTéziixpTov,
xa!. ayprjOTOV, spyto [rr|6svi 7rpo8rjÀw xai Xôyu) aaçeï
(k6atoô(j.Evov. Irrisio, 10, ibid., col. 1180. Pour un
auteur chrétien, une telle conclusion est insuffisante et
laisse une déception, quand il semblait si naturel
d'indiquer, au moins d'un mot, sinon que l'impuissance
de la raison démontre la nécessité relative d'un ensei-
gnement révélé, du moins que ce que la philosophie
païenne n'avait pu atteindre était pleinement donné
par la foi chrétienne. Hermias, comme d'autres aux
origines du christianisme, croyait que la prétendue
sagesse de ce monde provient des anges déchus et attri-
buait à cette origine suspecte son impuissance et ses
contradictions. Irrisio, 1, ibid., col. 1169. Peut-être
aussi, à l'exemple de Tertullien, affichait-il un superbe
dédain pour toute curiosité ou recherche d'ordre phi-
losophique et scientifique : nobis c iriosilate op <s
rion est, posl Christiim Jesum; nec inq.iisitione, post
Evangelium. De prœscripl., 7, P. L., t. il, col. 2 •.
Il aurait fait partie, dans ce cas, du nombre de ces
ennemis intransigeants de la philosophie, que Clément
d'Alexandrie a cru pouvoir, non sans raison, censurer.
II. Son œuvre. — L'auteur, nous l'avons dit,
prétend justiPer cette parole de saint Paul : la
sagesse de ce monde ^esl i ne folie aux yeux de Die>.
Quant: u mode de jùstiilc.ation, il s'estmanifestement
inspiré de ce passage de Tatien:« Vous suivez les ensei-
gnements de Platon, mais voici qu'un sophiste de
l'école d'Hpicure vous résiste ouvertemeut en face.
Vous voulez vous attacher à Aristote, mais c'est alors
un sectateur de Démocrite qui se moque de vous. »
Adv. Grœros, 25, P. G., t. vi, col. 860. Et opposant
philosophe à philosophe, opinion à opinion, sans se
préoccuper le moins du monde de l'ordre chronolo-
gique, de la suite et de l'ensemble des doctrines dont il
se moque, Hermias montre que ces doctrines sont con-
2305
IIERMIAS
IIERMOGÈNE
2306
tradietoires et s'annulent les unes les autres : oûSs
ajuçiova, o-jûî ôjAÔXoy* Sôy^aT*. Irrisio, 1. col. 1169.
Et cette contradiction se manifeste d'abord sur la
nature, le souverain bien et la destinée de l'âme et de
l'homme. <■ Tantôt je suis immortel, et je m'en réjouis;
tantôt je redeviens mortel, et j'en pleure. Tantôt je
me résous en diverses matières : je deviens eau, air,
feu: puis, un instant après, je ne suis plus ni air, ni fen;
on fait de moi une bête sauvage, un poisson. Et j'ai
pour frères des dauphins. A me regarder, je redoute
mon corps et ne sais quel nom lui donner : homme,
chien, loup, taureau, oiseau, serpent, dragon ou chi-
mère: car, au gré de ces amis de la sagesse, j'appartiens
à toutes les espèces d'animaux... Je nage, je vole, je
m'élève dans les airs, je rampe, je cours, je reste assis:
mais voici Empédocle : il fait de moi un arbuste. «
Irrisio, 2, col. 1172. Tel est le ton, spirituel et sarcas-
tique, mais un peu trop superficiel.
Si les philosophes s'accordent si peu sur l'âme et
l'homme, comment s'entendraient-ils sur Dieu et le
monde, sur les principes des choses ? Moins encore.
Ce qu'allègue Anaxagore est combattu par Parménide,
et Parménide est contredit par Anaximène. Irrisio,
3. Préfère-t-on suivre Enoédocle, Protagoras vous
enlève à lui, et Thaïes à Protagoras, et Anaximandre
à Thaïes. Irrisio, 4. Grande fut, certes, la célébrité
d'Archélaiis: mais Platon ne pensa pas comme lui, ni
Aristote comme Platon. Irrisio, 5. Leucippe traite de
nuée la doctrine de Phérécydc. Irrisio, 6. A Démocrite,
qui rit, s'oppose Heraclite, qui pleure. Lequel enten-
dre ? Me voilà saturé et enivré de principes; et Épicure
me prie de ne point dédaigner sa belle théorie des
atomes et du vide. O Épicure, le meilleur des hommes,
je n'y contredis pas; mais Cléanthe, mettant la tête
hors du puits, se moque de toi. Je n'ai qu'à accepter
ses principes, quand accourent à moi, du fond de la
Libye, Carnéade et Clitomaque, qui repoussent l'opi-
nion de tous les autres, et qui prétendent que rien ne
peut être compris et que toujours à la vérité se mêle
une imagination mensongère. Que devenir ? La vérité
échappe à l'homme et la philosophie tant vantée, loin
de posséder la science des choses, n'est qu'une lutte
contre des ombres : àX^Ûsia èÇ àvOpwTîmv or/eiai, fj 6s
•Javo'jjj.Évr) (p'.Àoaoçia ay.toi.iay Et uâXXov rj ttjv twv ovtwv
ïrtiaxrjij.Tjv îfyei. Irrisio, 7, col. 1177. Heureusement le
grave Pythugore me livre le secret de tout : c'est la
monade. Avec des lignes et des nombres, on peut tout
mesurer. Je mesure donc le monde, le feu, l'air, l'eau,
l'empire de Jupiter et de Neptune, la terre, les étoiles.
Et Épicure me crie: Il est d'autres mondes encore. En
effet, il en est jusqu'à mille et plus. « Me voilà donc
obligé de visiter une multitude d'autres cieux, de
nouvelles plaines éthérées, des mondes nouveaux. Par-
tons sans plus tarder; prenons des provisions pour
plusieurs jours, et parcourons les mondes d'Épicure. Je.
vole au delà des limites de Thétys et de l'Océan. Arrivé
dans un monde nouveau comme on arrive dans une
nouvelle cité, j'ai tout mesuré en peu d'heures. Je passe
de là dans un troisième monde, puis dans un quatrième,
un cinquième, un dixième, un centième, un millième ;
et jusqu'où donc irai-je ? Ne suis-je pa« bien convaincu
maintenant que tout n'est que ténèbres, nuit trom-
peuse, erreur sans fin, conception imparfaite, abîme
d'ignorance ? Pour qu'il soit dit que mon esprit inves-
tigateur n'a rien négligé, je compterai jusqu'aux
atomes qui ont donné naissance à tant de mondes.
Mais n'y aurait-il pas quelque chose de mieux, de plus
essentiel à faire ? Est-ce de tout cela que dépend le
bonheur de la famille et de la cité? » Irrisio, 9, 10, col.
1177-1180.
Telle est cette satire pleine de verve où, dans une
exposition rapide, spirituelle et dramatique, et sous
une tonne ingénieuse et piquante, sont passés en revue
DICT. DE THÉOL. CATH.
tous les systèmes de la philosophie grecque, du vic siè-
cle au iic avant Jésus-Christ. Elle mérite d'être lue,
à titre d'eeuvre littéraire: mais elle ne saurait passer
pour une œuvre apologétique, faute précisément
d'avoir rendu témoignage d'une manière positive à
la vérité du christianisme. Et son auteur n'a pas droit
à prendre place au môme rang que saint Justin,
Athénagore et les autres apologistes du ne siècle.
Texte dans Migne, P. G., t. vi, col. -1169-1180, et dans
Otto, Corpus apologetarum christianorum, Iéna, 1872,
t. ix. La première édition de l'Irrisio, texte grec et traduc-
tion latine, a été donnée à Bâle, en 1553* la dernière est due
à Diels, Doxographi grœci, Berlin, 1879, p. 649-656. Sur la
tradition du texte, voir Harnack, Geschichle der altchristlichen
Litteratur bis Eusebius, part. I, Leipzig, 1893, p. 782-783.
Tillemont, Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique
des six premiers siècles, Paris, 1701-1709, t. m, p. 67;
Ceillier, Histoire générale des auteurs sacrés et ecclésiastiques,
Paris, 1858-1869, t. vi, p. 332-333; Freppel, Les apologistes
chrétien'!, 3« édit., Paris, 1887, p. 55-74; Bardenhewer,
Les Pérès de l'Église, trad. franc., Paris, 1899, t. i, p. 190-
191 ; Geschichle der altkirchlichen Litteratur, Fribourg-en-
Brisgau, 1902, t. i, p. 299-303; Kirchenlexikon, t. v, col.
1899-1900; Smith et Wace, Dictionary o/ Christian biogra-
phy, t. ii, p. 927-928; U. Chevalier, Répertoire. Bio-biblio-
graphie, t. i, col. 2132.
G. Bareille.
2. HERMIAS, hérétique. G. Salmon croit, selon
toute probabilité, qu'Hermias fait double emploi avec
Hermogène. Dictionary of Christian biography, t. m,
p. 3. Telle est également l'opinion de Bardenhewer,
Les Pères de l'Église, trad. franc., t. i, p. 191. Mais il
y a le texte formel de saint Philastrius, qui, parmi les
hérésiologues des premiers siècles, est le premier à
parler de cet hérétique, et, à vrai dire, le seul, puisque
saint Augustin, qui en parle également, n'a fait que le
résumer. Or il distingue, à quelques lignes d'intervalle,
Hermias d'Hermogènc, et les discinles de cet Hermiis,
les hermiosites ou proclionites, comme il les appelle,
des hermogéniens. Heer., 55-50, P. L.,t. xn, col. 1169-
1171. Il convient donc, semble-t-il, de maintenir la
distinction, et de voir en Hermias un disciple d'Her-
mogène, qui concurrement avec Seleucus, propagea
sa doctrine dans la province de la Galatie. C'est dire
d'abord qu'il professait, comme Hermogène, la double
erreur de croire que ta matière est éternelle et que le
Sauveur, a i moin Mit de sou ascension, laissa son corps
dans le soleil. Mais, par ailleurs, il prétendait que les
âmes sont tirées de la matière par les anges, et. non par
Dieu; que le baptême d'eau esl inutile, parce que l'âme,
formée de souffle et de feu, n'a d'autre tuiptême à rece-
voir que celui de l'esprit et du feu, dont -avait parlé
saint Jean-Baptiste; qu'il n'y aura ni résurrection de la
chair, ni jugement futur, attendu que ta-résurrection
des corps n'est autre chose que la procréation incessante
des enfants; que le Fils- de Dieu ne s'est pas réellement
incarné. Connaissait-il et réprouvait-il l'application
faite par saint Irénée aux évangélistes de la célèbre
\ision d'Ézechiel'? Nous l'ignorons; mais Philastrius
nous apprend, loc.cit., qu'il en faisait une tout autre-
application. A ses yeux"'; en effet, le lion représentait le
roi des Parthes; le veau ou le bœuf, le roi d'Egypte;'
l'aigle, les Romains; et l'homme, les gens pieux^
Hermias se -servait de la Sagesse de Sirach.
S. Philastrius, Hœr., 55-56, P. L., t. xn, col. 1169-1171 ;
S. Augustin, De hœr., 59-60, P. L., t. xlii, col. 41-42.
Bardenhewer, Les Pères de l'Église, trad. franc., Paris,
1899, t. i, p. 191 ; Migne, Dictionnaire des hérésies, Paris,
1847, t. i, p. 766; Smith et Wace, Dictionary of Christian
biography, t. u, p. 929; t. III, p. 3.
*> G. Bareille.
HERMOGÈNE, hérétique de la fin du ne siècle et
du commencement. dumc.
1° Les sources. ■ — La principale source {le renseigne-
ments sur, Hermogène est Tertullien, qui ne s'est pas
VI.
73
2307
HERMOGÈNE
2308
■contenté, vers 205 ou 206, de réfuter par écrit un
ouvrage latin où cet hérétique soutenait que la matière
est éternelle et que l'âme naît des énergies de la matière
et non du souffle de Dieu, mais qui, en outre, chaque
fois que l'occasion s'en présentait, l'a nommé en termes
peu sympathiques. De prœscripl., 30, 33; Adv. Valent.,
16; De anima, 1,3, 21,22,24; De monogamia, 16, P. L.,
t. il, col. 43, 46, 570, 646, 652, 685, 687, 951.
Mais, d'autre part, et antérieurement à l'année 180,
les erreurs de ce même Hermogène avaient été com-
battues, au témoignage d'Eusèbe de Césarée, H. E.,
iv, 24, P. G., t. xx, col. 389, par saint Théophile
d'Antioche dans un traité npo; ttjv oct'pscrtv 'EpaoyÉvojç,
qui ne nous est point parvenu. Cf. Bardenhewer, Ge-
schichte der allkirchlichen Litteratur, Fribourg-en-Bris-
gau, 1902, t. i, p. 286-287. On ignorerait donc l'objet
de cette première réfutation si l'on n'était fonde à
croire que c'est dans le traité de saint Théophile qu'ont
puisé soit Clément d'Alexandrie, qui rapporte l'opinion
singulière dans laquelle Hermogène soutenait qu'au
jour de son ascension le Christ avait laissé son corps
dans le soleil, Ex script, prophet., 56, P. G., t. ix, col.
724, soit l'auteur des Philosophoumena, qui attribue au
même hérétique non seulement l'opinion signalée par
Clément d'Alexandrie, mais encore les erreurs réfutées
par Terlullien, et quelques autres. Philosovh., vin,
17, édit. Cruice, Paris, 1860, p. 417-418.
Longtemps après, de 383 à 391, saint Philastrius,
sans faire connaître les sources où il a puisé, ajoute de
nouveaux détails totalement inconnus de Tertullien.
Il semble, en effet, attribuer la même hérésie, avec une
différence de noms, aux sabelliens, aux praxéens et
aux hermogéniens, ces derniers ainsi appelés du nom
de leurs chefs, Praxéas et Hermogène, qui vécurent
en Afrique et furent chassés de l'Église pour cause
d'hérésie. Il attribue, en outre, à deux hérétiques de
Galatie, Séleucus et Hermias, les erreurs d'Hermogène.
User., 54-56, P. L., t. xn, col. 1168-1171. Plus tard
encore, au ve siècle, Théodoret de Cyr signale d'autres
erreurs d'Hermogène et note que cet hérétique fut
réfuté par Origène. Hœret. lab., i, 19, P. G., t. lxxxiii,
col. 369. Si ce dernier renseignement est vrai, et rien ne
prouve qu'il soit faux, il en résulterait que la réfutation
d'Hermogène par Origène s'est perdue.
D'après ces sources, il est un départ à faire entre ce
qui concerne Hermogène en personne et ce qui regarde
ses disciples. Des renseignements contemporains il
résulte que c'est à Antioche ou dans les environs de la
capitale de la Syrie, et du temps de Marc-Aurèle (161-
180), qu'Hermogène a répandu d'abord sa doctrine et
recruté des disciples, ce qui provoqua l'intervention de
saint Théophile. De là il passa dans l'Afrique procon-
sulaire, où il vivait du temps de Tertullien, qui parle
toujours de lui comme d'un personnage encore vivant
et bien connu à Carthage
2° Le personnage. — Aux yeux de l'austère Tertul-
lien déjà passé au montanisme, Hermogène présentait
deux tares, celle d'exercer la profession de peintre et
celle d'avoir contracté un second ou un troisième
mariage. Sa profession trahissait des attaches avec
l'idolâtrie et son état d'homme remarié était sans
excuse pour les montanistes, adversaires résolus des
secondes noces. De là ce portrait peu flatteur que trace
de lui la plume mordante et exagérée de Tertullien.
« Le génie inquiet d'Hermogène, dit-il, le destinait
naturellement a l'hérésie. Il se croit éloquent parce
qu'il parle beaucoup; son impudence, il la prend pour
de la fermeté; et dire du mal de tout le monde, voilà
ce qu'il appelle l'oflice d'une conscience vertueuse.
Ajoutez à cela qu'il peint illicitement et qu'il se marie
assidûment : d'un côté, invoquant la loi de Dieu dans
l'intérêt de sa passion; de l'autre, la méprisant au
profit de son art; deux fois faussaire, et par le pinceau
et p;~r la plume; adultère des pieds à la tète, et dans
sa doctrine et dans sa chair, puisqu'il participe à la
con'agion de ceux qui réitèrent le mariage et qu'il n'a
pas plus persévéré dans la règle de foi que cet autre
Hermog ne, dont parle l'api tre. Du rang des chré-
tiens il est passé à celui des philosophes, et de l'Église
à l'Académie et au Portique. » Adv. Hermogenem,
1, P. L., t. ii, col. 198.
Bien qu'il n'ait eu affaire qu'à la doctrine erronée
d'Hermog ne, Tertullien ne peut s'emp cher de déco-
cher de temps en temps quelque trait satirique contre
sa personne ou sa profession. C'est, dit-il, un peintre,
qui fait de l'ombre sans lumière, ibid., 2, col. 198;
qui n'a rencontré la matière éternelle que parmi ses
couleurs, ibid., 33, col. 228; qui, habitué à épouser
plus de femmes qu'il n'a pu en peindre, De monogamie,
16, ibid., col. 951. a fait son propre portrait en repré-
sentant la matière à l'état informe et chaotique. Adv.
Hermog., 45, ibid., col. 238. Heureusement, cette verve
sarcastique cède la place, sous la plume de Tertullien,
à une vigoureuse et maîtresse réfutation des erreurs
d'Hermogène.
3° Les erreurs d'Hermogène. — Tertullien en signale
deux, l'une sur l'origine de l'âme, l'autre sur la créa-
tion du monde, et il a consacré un livre spécial à la
réfutation de l'une et de l'autre, le De censu animœ,
qui ne nous est point parvenu, et le Adversas Hermo-
genem, dont il va être question.
Relativement à l'âme humaine, Hermogène la
croyait issue des seules énergies de la matière, et nulle-
ment du souffle de Dieu, comme il est raconté dans la
Genèse. 11 est regrettable que le De censu animie soit
perdu; mais voici en quels termes Tertullien y fait
allusion : De solo censu animée congressus Hermogeni,
qualenus et isturn ex malerise potius suggestu, quam ex
Dei flalu, eonstitisse prœsumpsit. De anima, 1, P. L.,
t. ii, ccl. 646. Qui a fait jaillir l'âme humaine de la
matière? Ce sont les anges, disent les disciples d'Her-
mogène, et nullement le Christ. Et ainsi, sur ce point
capital de l'origine de l'âme, le désaccord était complet
avec la doctrine catholique.
Relativement à l'origine du monde actuel, du zm;j.o;,
Hermogène en attribuait bien l'organisation à Dieu
mais non la création proprement dite. Il soutenait,
en effet, l'existence d'une matière neque nata, nequs
facla, nec initium habens omnino nec flnem, ex qua
Dominus omnia poslea fecerit. Adv. Hermog., 1, P. L.,
t. ii, col. 198. Par là il était du nombre de ces mal<ria-
riof, comme les qualifie Tertullien à l'aide d'un bar-
barisme, ibid., 25, col. 219, qui, distinguant la matière
informe et confuse de la matière organisée et ordonnée,
prétendaient que Dieu n'a fait le monde actuel qu'au
moyen d'une matière préexistante et éternelle, de telle
sorte qu'au lieu d'en être véritablement le créateur, il
n'en aurait été que le démiurge. Une telle manière de
concevoir la matière sous deux aspects différents avait
pour motif d'expliquer l'existence du mal sans en
rendre Dieu responsable. Ce motif était illusoire, et la
thèse qu'il prétendait justifier, insoutenable, comme
a eu soin de le prouver Tertullien.
Voici l'argumentation d'Hermogène : Dieu a tiré
le monde, ou de sa propre substance, ou du néant, ou
d'une matière préexistante. Or, il serait absurde de
prétendre qu'il l'ait tiré de sa propre substance, parce
que les êtres ainsi produits seraient autant de parcelles
de lui-même. Dieu n'admet point de partage, étant
indivisible et immuable. S'il tirait le monde de lui-
même, il serait a la fois complet et incomplet : complet,
parce qu'il existe; incomplet, parce qu'il devient.
L'être parlait exclut le devenir, car l'on ne devient
que parce qu'on n'est pas tout ce -que l'on pourrait
être. En outre, Dieu, la bonté même, n'a pu faire que
des choses bonnes. Si donc, comme le prouve l'expé-
2309
HERMOGÈNE
2310
rience, il existe des choses mauvaises, cela ne peut
provenir ni de son choix, ni de sa volonté : il faut
nécessairement qu'il ait trouvé un obstacle dans une
matière préexistante, où le mal a son origine. Adv.
Hermorj., 1, ibid., col. 190. De plus, Dieu no saurait
acquérir de nouveaux titres ni de nouvelles perfections.
Et de même qu'il n'a jamais cessé d'être Dieu, il a dû
être toujours Seigneur; et comment Faurait-il été
sans l'existence d'une matière à dominer? Ibid.,
3, col. 200. Donc, concluait Hermogène, des trois hypo-
thèses qui peuvent servir à expliquer l'origine du
monde actuel, les deux premières sont à écarter, et la
troisième seule doit être retenue. C'était là supprimer
l'un des dogmes capitaux du christianisme, celui de
la création, inscrit au symbole des apôtres.
Que répond Tertullien? Ceci : en droit, la matière ne
peut pas être éternelle; en fait, rien ne prouve que
Dieu ait fait le monde avec une matière préexistante.
D'où la conclusion : ce monde a été créé par Dieu
•ex nihilo : cette expression de Tertullien est restée
dans la langue théologique.
En droit, et directement, la matière ne saurait être
éternelle car, en la déclarant innata, infecta seternu,
c'est l'égaler à Dieu et faire deux Dieux, puisque c'est
lui attribuer un attribut essentiellement divin. Or,
veritas sic unum exigit Deum, ut solius sit quidquid
ipsius est. Ibid., 5, col. 202. C'est plus encore, la
rendre supérieure à Dieu, puisque, d'après l'hypothèse,
Dieu a besoin d'elle et est sous sa dépendance pour
organiser le monde. Ibid., 7-8, col. 203-204. En droit, et
indirectement, Tertullien prouve encore la non-exis-
tence d'une matière éternelle, car cela implique une
contradiction; il est contradictoire que ce qui est
éternel, étant par là même parfait, puisse être mauvais
comme cette prétendue matière; et si la matière est
essentiellement mauvaise, le mal est nécessaire; alors
pourquoi le combattre? Si Dieu, avec cette matière
essentiellement mauvaise, a fait quelque chose de bon,
il l'a changée; or ce qui est éternel ne peut changer.
Ibid., 11-12, col. 206-208. Quant au mal qui persiste,
ou Dieu l'a voulu, ou, ne le voulant pas, il ne l'a pas
•empêché : dans l'un et l'autre cas, il résulte de graves
inconvénients. Quant au bien produit, d'où vient-il?
De la matière? c'est impossible, puisque vous la décla-
rez d'essence mauvaise. De Dieu, par émanation?
Pas davantage, puisque vous la niez. Il reste donc qu'il
a été créé ex nihilo. Ibid., 14-15, col. 209-210. Si la
matière n'apparaît ici que pour justifier Dieu du
reproche d'être l'auteur du mal, Dieu n'en est pas
moins l'auteur du mal même en présence de cette
matière. Conséquemment, la matière une fois exclue par
le fait même que disparaît la nécessité de sa présence,
il n'y a plus qu'à tirer cette conclusion : Dieu a tout fait
de rien, ou, en d'autres termes, aucune raison n'existe
d'admettre une matière éternelle. Ibid., 16, col. 211.
En fait, rien ne montre que Dieu ait fait le monde
avec une matière préexistante. Sans doute, par une
interprétation violente du texte de la Genèse, et
notamment du mot principio, du terme terra, et de
l'imparfait erat, Hermogène essayait de prouver le
bien-fondé de son opinion, mais Tertullien le ramène
à une interprétation littérale et obvie qui la ruine.
Par son silence relatif à une matière avec laquelle
Dieu aurait créé le monde, l'Écriture montre assez
qu'il l'a créé de rien. Quant à une matière éternelle,
ajoute Tertullien, je la cherche vainement dans le
récit mosaïque; Hermogène a pu la rencontrer parmi
ses couleurs, il ne la trouvera certainement pas dans
les Écritures de Dieu. Ibid., 19-32, col. 214-228. Donc
salis est quod omnia et jacta a Deo constat, et ex maleria
non constat; quœ eliam si fuisset, ipsam quoque a Deo
Jaclam credidissemus, quia nihil innatum prœler Deum
prœscribentes, obtincremus. Ibid., 33, col. 228.
Avant de finir, Tertullien relève les contradictions
d'Hermogène dans les explications qu'il donne sur
l'état de cette matière et sur la manière dont Dieu
aurait agi sur elle. Et d'abord, de crnsu materiœ,
votre matière serait à la fois corporelle et incorporelle,
ibid., 35-36; bonne et mauvaise, ibid., 37; localisée et
infinie, ibid., 38; immuable et changeante, ibid.,
39; douée d'un mouvement confus, désordonné, tel
que celui de l'eau qui bout dans une chaudière, ibid..
41-43. Et ensuite, sur le mode d'intervention qu'il
attribue à Dieu : Dieu aurait agi sur elle, en lui appa-
raissant ou en s'en approchant, apparens et appropin-
quans, à la manière de la beauté qui frappe l'esprit ou
de l'aimant qui attire le fer. Vraiment, pour un Dieu
qui est présent partout, c'est un voyage lointain
qu'on prête à Dieu pour apparaître à la matière et se
rapprocher d'elle. Ibid., 44, col. 237. Ce n'est pas ainsi
que les prophètes et les apôtres ont enseigné que Dieu
a fait le monde. Et Tertullien tire la conclusion géné-
rale, qui ne va pas seulement à ruiner l'erreur d'Her-
mogène, mais encore à prouver la création ex nihilo :
Igilur in quantum constitit materiam nullam fuisse,
ex hoc etiam quod nec talem competat fuisse qualis
inducitur, in lantum probatur omnia a Deo ex nihilo
facta. Ibid., 45, col. 238.
4° Les hermogéniens ou disciples d' Hermogène. —
Comme on vient de le voir, Tertullien ne relève que
deux erreurs dans Hermogène, sans faire la moindre
allusion à un rapport quelconque entre lui et le sabellia-
nisme; et c'est la même erreur sur l'origine du monde
que lui attribue l'auteur des Philosophoumena. Celui-ci
précise que, d'après Hermogène, Dieu n'a pas utilisé
toute la matière préexistante, mais seulement une
partie, laissant l'autre à son mouvement désordonné;
la partie organisée est le y.oatxoç,, l'autre reste I'ûXtj àypîa
xai âcxoapoç. Philosoph., vin, 17, p. 417. Hermogène,
ajoute-t-il, ibid., p. 418, confesse que le Christ est le
Fils de Dieu, qui a tout fait; qu'il est né, comme le
raconte l'Évangile, de la Vierge et du Saint-Esprit;
qu'il est ressuscité après sa mort et qu'il apparut corpo-
rellement à ses disciples, èv aiôjxaTt ; et qu'en remontant,
vers son Père, il laissa son corps dans le soleil. Cette
dernière opinion, il l'appuyait sur ce texte mal compris
et mal interprété du psalmiste : In sole posuit taberna-
culum suum. Ps. xvm, 6.
Ces erreurs d'Hermogène se retrouvent naturelle-
ment chez ses disciples; mais ceux-ci, non moins natu-
rellement, ont pu en emprunter ou en inventer d'autres,
auxquelles leur chef a été étranger. Et par suite,
si Hermogène, sur la question de personnes divines, est
personnellement à l'abri de tout reproche, on n'en
saurait dire autant de ses disciples. Ceux-ci ont été
nommément accusés de sabellianisme par saint Philas-
trius. Hœr., 54, P. L., t. xn, col. 1168. Ils habitaient
l'Asie Mineure et étaient plus particulièrement can-
tonnés en Galatie, où deux personnages, Séleucus et
Hermias, propagèrent l'hérésie d'Hermogène. Ibid., 55,
col. 1169-1170. Parmi les erreurs qui leur sont attri-
buées on compte les suivantes. D'après eux, le diable et
les démons doivent se dissoudre un jour et retourner
à la matière première. Théodoret, Hœrrf. fab., i, 19,
P. G., t. lxxxiii, col. 369. Le mal procède tantôt de
Dieu, tantôt de la matière. Il n'y a pas eu de paradis
visible. Le baptême d'eau est inutile, car les âmes,
ayant été formées de souffle et de feu, n'ont d'autre
baptême à recevoir que le baptême d'esprit et de feu,
dont avait parlé saint Jean-Baptiste. Le monde ter-
restre est à vrai dire l'enfer. La résurrection des corps
n'est autre que la procréation des enfants. Philastrius,
Hœr., 55-56, P. L., t. xn, col. 1170-1171.
La secte des hermogéniens n'a pas laissé d'autre
trace dans l'histoire. Saint Augustin, De hœr., 41,
en parle comme d'une chose passée, sans rapporter
2311
HERMOGÈNE — HERSENT
2312
autre chose que l'accusation de sabellianisme relevée
contre elle par saint Philastrius. Nec tamcn istae
(sabelliens, praxéens et hermogénicns) plures sertie
suiil; stu un lus se lie ptura nomma, ex his hominibus
qui in ea maxime innoluerunt.
Tertullien, Adversus Hermogenem, P. L., t. n, col. 197-238 ;
Philosophoumena, vin, 17, édit. Cruice, Paris, 1860,
p. 417-418; Philastrius, Hœr., 54-56, P. L., t. xn, col.
1168-1171; Théodoret, Hœret. lab., i, 19, P. G., t. lxxxiii,
col. 369.
Tillcmont, Mémoires pour servir à l'Iiistoire ecclésiastique
des six premiers siècles, Paris, 1701-1709, t. m, p. 65-68;
Freppcl, Tertullien, 3e édit., Paris, 1887, t. n, p. 265-287;
Bardenhewer, Les Pères de l'Église, trad. tranç., Paris, 1899,
t. i, p. 321 ; Gescliiclitc der altkirchlichen Litteratur, Fribourg-
en-Brisgau, t. i, p. 344; A. Harnack, Geschichte der
altchristlichcn Litteratur, t. n, p. 534-535; Migne, Diction-
naire des hérésies, Paris, 1847, t. i, p. 767-775; Kirchen-
lexikon, t. v, col. 1900-1902; Smith et Wace, Dictionary o/
Christian biograpliu, t. m, p. 1-3; U. Chevalier, Répertoire.
Bio-bibliographie, t. i, col. 2132; A. d'Alès, La théologie
de Tertullien, Paris, 1905, p. 46-50, 104-106, 110, 112, 113,
119,200.
G. Bareille.
HERNHUTES, secte morave. Voir Zinzendorf.
HERNIO Jacques, dominicain breton, néà Rennes,
prit l'habit au couvent de la même ville. Il fut reçu
maître en théologie le 7 décembre 1678. Il gouverna
pendant quatre ans, en qualité de vicaire général, la
congrégation dominicaine dite de Saint- Vincent-
Ferrier, comprenant la Bretagne (1678-1682). Il
mourut le 4 septembre 1706. 11 était particulièrement
versé dans les études de droit canonique et publia sur
ces matières un Traité de l'usure, avec les réponses au
traité de la pratique des billets et à une dissertation sur
les inl rests des deniers pupillaires selon l'usance de
Bretagne, Rennes, 1699. Un jurirc.onsulte breton,
René de Kerhuel, tenta une réponse et publia un
Traité des deniers pupillaires contre le livre précédent,
(Cologne), 1699. Hernio ne répondit pas.
Coulon, Scriptores ordinis prœdicatorum, xviii1"" soec,
1910, p. 82 ; Hurter, Somenclator /i/erarïiis, Inspruck, 1910,
t. iv, col. 961 et note 2.
R. Coulon.
1. HERRERA (Alphonse de), dominicain espa-
gnol, du couvent de Léon, étudia la théologie à Saint-
.lacques de Paris, où il fut assigné par le chapitre
général de Rome, en 1530. Il ne semble pas cependant
qu'il y ait, selon la coutume, pris les grades acadé-
miques ; du moins son nom ne figure pas sur les listes
des licenciés. D'après Fernandez, Concerlalio prsedi-
catoria, Salamanque, 1618, p. 486, de Herrera fut
nommé prédicateurordinaire de Charles-Quint. 11 mou-
rut vers 1558. Des auteurs espagnols, cités par Échard,
font son éloge, comme d'un homme très versé dans la
science des Écritures, et intrépide défenseur de la foi,
en même temps que prédicateur éloquent. 11 composa
un traité, De valore bonorum operum adversus luthe-
ranos disceptalio, Paris, 1540. Martinez-Vigil cite
aussi comme étant de lui, mais publié probablement
après sa mort : Considerationes de las amenazas del
juicio y pena del infierno sobre el Psalmo XLVin,
Séville, 1617. Thomassin, dans ses Mémoires sur la
grâce. Louvain, 1668, p. 268, et dans les éditions qui
.suivirent, prétend avoir retrouvé dans Herrera ses
propres idées sur la grâce et sur la prédétermination
physique ; mais il ne paraît pas cependant que de
Herrera se soit jamais écarté de la doctrine thomiste
reçue.
Echard, Scriptores ordinis prœdicatorum. Paris, 1719-1721,
t. n, p. 165; Martinez-Vigil, La orden de predicadorcs,
Madrid, 1884, p. 301.
R. Coulon.
2. HERRERA (Augustin de), théologien espagnol,
né à San Esteban de Gormez le 28 août 1623, reçu au
noviciat de la Compagnie de Jésus le 13 mars 1638,
s'adonna d'abord à la prédication, puis enseigna la
philosophie et la théologie pendant vingt-cinq ans à
l'université d'Alcala. lia publié plusieurs traités im-
portants : De prsedeslinalionc sanclorum et impiorum
reprobationc, Alcala, 1671; Tractatus de scientia Dei,
ibid., 1672; Tractatus de voluntale Dei, ibid., 1673;
Tractatus de allissimo Trinilatis myslerio, ibid., 1674;
Tractatus de angelis, ibid., 1675. Tous ces ouvrages
se font remarquer par une lumineuse précision de
termes et de pensée comme aussi par une étonnante
subtilité de recherches souvent ingénieuses, toujours
curieuses. On a du même auteur un manuel excellent
de théologie morale : Medula de la theologia moral,
Alcala, 1700, et une défense des doctrines du P. Hur-
tado de Mendoza : Discursus polilicus el apologeticus,
Madrid, 1682. Le P. de Herrera mourut le 18 sep-
tembre 1684 au collège d'Alcala, dont il était recteur.
Sommervogel, Bibliothèque de la C'e de Jésus, t. iv,
col. 312 sq.; Hurter, Nomenclator, 3e édit., Inspruck, 1910,
t. iv, col. 361.
P. Bernard.
3. HERRERA (Pierre de), religieux dominicain,
né à Séville en 1548, entra à dix-neuf ans dans
l'ordre, au couvent de Salamanque, et fit profession le
24 février 1567. Il enseigna la théologie suivant la
doctrine de saint Thomas a l'université de Salamanque
et y acquit le renom d'un théologien du premier
mérite. En 1593, il occupa la chaire de Scot. Vers la
j fin de l'année 1604, la première chaire de théologie
étant devenue vacante par la mort de Bafiez, elle fut
mise au concours selon la coutume. Elle fut fortement
disputée aux dominicains par Alphonse Curiel, que la
plupart des docteurs et des collèges favorisaient
Pierre de Herrera l'emporta cependant sur son com-
pétiteur et fut nommé, le 22 décembre. Clément VIII
l'en félicita. Le frère prêcheur occupa cette chaire à la
satisfaction entière de l'université jusqu'en 1617, lors
qu'il devint le premier titulaire d'une autre chaire de
théologie, fondée par Philippe III. Au mois de février
1621, ce roi le nomma évèque des Canaries. 11 fut sacré
le 21 novembre de cette année. L'année suivante, il
fut présenté au siège de Tuy. En 1630, il fut transféré,
à Tarragone, mais il mourut à Salamanque, le 31 dé-
cembre de cette année, avant d'avoir pris possession
de son nouveau siège. Gravina l'a appelé un nouvel
Aioth. luttant des deux mains: il a loué sa subtilité
dans l'interprétation de saint Thomas et sa profondeur
dans celle de l'Écriture. Vox turluris, part. IL c. xxm.
Un seul de ses ouvrages a été imprimé : Tractatus de
Trinitale D. Thomœ Aquinatis cum commentariis et
disputationibus, in-4°, Pavie, 1627, édité par J.-B.
Bubens. Ai.toni 'avait vu à Madrid chez un dominicain
j un traité manuscrit De conceptione Deiparse Virgi is.
Les autres ouvrages manuscrits du P. Pierre de
Herrera étaient conservés aux archives de l'ordre à
Rome : ils comprenaient un commentaire de toute la
Somme de saint Thomas, et des explications morales
et littérales de l'Écriture entière.
Echard, Scriptores ordinis prœdicatorum, Paris, 1721 .
t. il, p. 467; Antonio, Bibliotheca hispana nova, Madrid,.
1788, t. n, p. 200-201 ; Hurter, Nomenclator, Inspruck, 1907,
t. m, col. 658.
E. Mangenot.
HERSENT Charles, théologien, né à Paris, mort
après 1660 au château de Largoue, en Bretagne.
D'après Moréri, il était docteur en Sorbonne, mais il
ne prit jamais lui-même ce titre en tète de ses ouvrages.
D'ailleurs, il était entré très jeune, vers 1615, à l'Ora-
toire et s'y fit remarquer par ses prédications véhé-
2313
HERSENT— HERTZIG
231'
mentes et claires, à Troyes, à Dijon, à Angers, à
Langres et à Paris. Au retour d'un voyage à Rome et
à Lorette, qu'il avait fait sans permission en 1624,
il abandonna, l'année suivante, sa congrégation, contre
laquelle il écrivit : Avis touchant les prêtres de l'Ora-
toire, par un prêtre qui a demeuré quelque temps avec
eux, in-12, 1625; et Articles concernant la congréga-
tion de l'Oratoire en France, aux illustrissimes et
révérendissimcs cardinaux, archevêques et évêques de
l'Assemblée du clergé, in-4° et in-8°, 1626; réimprimé
en 1670; écrit que l'auteur désavoue, peu après,
pour se libérer de l'interdit jeté sur lui par l'arche-
vêque de Paris pour un autre sujet, par un autre
libelle •" Jugement sur la congrégation de l'Oratoire
de Jésus, par un prêtre qui en est sorti depuis quelque
temps, in-12, Paris, 1626. Quelques mois avant, il avait
fait imprimer : In D. Dyonisii Areopagitœ de myslica
theologia apparatus , interpretalio , nolœ, commen-
larii et paraphrasis, in-8°, Paris, 1626. L'année suivante,
il publiait : Éloge funèbre de très haute et très puissante
princesse Madame Gabrielle de Bourbon, fille naturelle
du roi Henri I V, légitimée de France, duchesse de La
Valette, première femme de Jean-Louis de Nogaret,
duc d' Épernon (trois discours prononcés à la cathédrale
de Metz), in-8°, Paris, 1627, ce qui lui valut apparem-
ment d'être nommé chancelier de l'église de Metz
et lui donna l'occasion de faire paraître un traité De la
souveraineté du roi à Metz, pays messin, et autres villes
et pays circonvoisins qui étaient de l'ancien royaume
d'Auslrasie ou Lorraine, contre les prétentions de l'Em-
pire, de l'Espagne et de la Lorraine, et contre les maximes
des habitants de Metz qui ne tiennent le roi que pour leur
prolecteur, in-8°, Paris, 1632. Il semble qu'à ce moment
Charles Hersent fut rentré à l'Oratoire, car il prend
le titre de révérend père, mais le P. de Condren, su-
périeur général de cette congrégation, l'invita en
1634 à en sortir de nouveau, à cause de ses trop fré-
quentes invectives contre les ordres religieux. Le
P. Batterel croit que le titre de révérend père ne
prouve rien, et qu'il n'y eut, sous le P. de Condren,
qu'un projet de rentrera l'Oratoire, projet qui ne
fut pas réalisé. Le bruit ayant été répandu que Richelieu
voulait créer à son profit un patriarcat en France et
ainsi acheminer ce pays vers le schisme, Charles
Hersent fit paraître : Optali Galli de cavendo schismate
liber paraeneticus, in-8°, Paris, 1640. Cette courte
brochure, écrite avec vigueur, fut saisie et condamnée,
le 23 mars 1640, à être brûlée par la main du bourreau.
Quelques jours plus tard, le 28 mars, les évêques de la
province de Paris la condamnèrent. Seize prélats,
réunis à Paris, souscrivirent cette condamnation, Cf.
H. Reusch, Der Index der rerbolenen, Bo n,1885, t. Il,
p. 362, et quatre théologiens crurent devoir combattre
le libelle de Charles Hersent : Rigault, Apolrcpiicus ad-
versus inanem Optali Galli de cavendo schismate panv-
nelicum; Isaac Habert, De consensu hierarchiœ et mo-
narchies ; deMarca, dans Concordia sacerdotii et imperii;
le jésuite Rabardeau, Oplalus Gallus benigna manu
sectus, 1641. Une rétractation de ce libelle se lit
dans le ms. fran ais 1 7623, de la Bibliothèque natio-
nale, fol. 201-22 1 : Optali Galli libellis de pienitenlia
ad i!l strissimos Ecclesin* gallicanie primates, archi-
episcopos et episcopos. Il demande pardon de sa faute,
qu'il rejette sur le démon, son instigateur, et il réf te
six erreurs qu'il a commises. Des Notée ad Optali
Galli libell m se lisent, fol. 2 ;8-238. Étant retourné à
Rome, Hersent, en 1645, présenta au pape Innocent X
un mémoire sur la bulle d'Urbain VIII contre
Jansénius : Super bulla Urbani VIII adversus Jan-
senium animadversiones quœdam, reproduit dans le
Journal de Saint-Amour, IIIe partie, c. vu, p. 222.
En 1650, ayant été invité à prêcher à Saint- Louis-des-
Français, il se plut a faire entrer dans l'éloge du saint
les questions controversées de la grâce. Il fit imprimer
cet éloge : L'empire de Dieu dans les s-Unls, ou bien
l'éloge de saint Louis de France, etc., in-4°, 1651.
A la suite de ce discours, il fut, à bon droit, accusé
de jansénisme et cité au tribunal de l'Inquisition;
il refusa de comparaître et se réfugia à l'hôtel de
l'ambassadeur de France. Il échappa ainsi à une
arrestation, mais il ne put éviter d'être condamné par
contumace et excommunié. Rentré en France, il fit
imprimer ce panégyrique avec une apologie de sa
conduite, qu'il n'hésita pas à dédier à Innocent X.
Hersent se retira ensuite près du marquis d'Asserac,
au château de Largoue en Bretagne, où il mourut.
Outre les ouvrages déjà mentionnés, Charles Hersent
publia : Discours sur la prise de La Rochelle, in-8°,
Paris, 1629; La Pastorale sainte, ou paraphrase du
Cantique des cantiques selon la lettre et selon le sens
allégorique ou mystique, in-8°, Paris, 1635; Le sicré
monument dédié à la mémoire du très puissant et très
invincible monarque Louis le Juste, composé en trois
discours prononcés à Saint- Germain-V Auxerrois, Sainl-
Gervais et Saint- Jacques-la- Boucherie, in-8°, Paris,
1643; De la fréquente communion et du légitime usage
de la pénitence, ou observations sur le livre de M. Ar-
nauld, in-4°, Paris, 1644; Le scandale de Jésus-Christ
dans le monde, in-8°, Paris, 1644.
L Batterel, Mémoire* domestiques nour servir à l'histoire
de l'Oratoire, édit. Ingold, Paris, 1902, t. i, p. 362-3S3:
R. Simon, Lettres critiques, lettres xx-xxvm, t. i: Moréri,
Dictionnaire historique, t. v b, p. 644; Mémo rcs clironolo-
giques et dogmatiques pour servir à l'h'stoire ecclésiastique
depuis 1000 jusqu'en 1716, in-12, s. 1., 1720, t. n, p. 140-
224; fdom Gerberon], Histoire du jansénisme, in-12, Amster
dam, 1700, t. i, p. 332; Dictionnaire des livres jansénistes,
in-12, Anvers, p. 221 ; P. René Rapin, Mémoires sur l' É jlise
et la société, la cour, la ville et le iansénisme, in-8°, Paris,
1865, t. i, p. 123, 167-170, 322-324; P. Féret, La faculté
de théologie de Paris et ses docteurs les plus] célèbres.
Époque moderne, Paris, 1907, t. v, p. 343-352.
B. HEURTEBIZE.
HERTZIG François, controversiste et moraliste,
né à Mugliz, en Moravie, le 27 janvier 1674, admis au
noviciat de la Compagnie de Jésus le 9 octobre 1693,
enseigna les humanités et la philosophie, puis la théo-
logie et l'Écriture sainte. Il écrivit de nombreux ou-
vrages, d'une solide doctrine, qui ont trait à la théo-
logie morale ou pastorale, surtout à la controverse, et
qui ont rendu son nom très populaire en Allemagne
au xvme siècle. Son Manuale parochi, seu methodus
compendiosa munus parochi aposlolicum rite obeundi
Augsbourg, 1716, 1717, 1720, 1721; Venise, 1723, etc.,
fut le manuel classique du clergé allemand et polonais
de même que son Manuale confessarii, 2 in-8°, Augs-
bourg, 1717, 1720, 1724; Venise, 1723, etc. Ses ouvrages
de controverse embrassent toutes les erreurs en cours à
cette époque : protestantisme, jansénisme, quesnel-
lisme, doctrines de Bœhme, de Schwenkefeld : Calvinus
Cornelii Jansenii Iprensis episcopi S. Scripturœ, ponti-
fleibus, conciliis, et sanctis Palribus, pnvsertim Augus-
tino e diametro oppositus, Breslau, 1716; Proposilioncs
Qucsnellii per bullam Unigenilus justissime damnatw ,
Breslau, 1717; Brunsbcrg, 1722; Proposilioncs Jan-
senii et Quesnellii, Breslau, 1718; Hœrcsis bonorum, ut
se vocant, christianorum a Jacobo Bcehm inventa, Bres-
lau, 1718; Hœresis Schwenk/elica eliam nunc per quos-
dam Silesiœ ducatus inferioris serpens, Breslau, 1719.
Le meilleur de son œuvre se trouve condensé dans un
traité devenu rare, mais dont les éditions furent nom-
breuses dans tout le cours du xvme siècle, le Manuale
conlrovcrsislicum seu methodus compendiosa veritatem
fidei catholicee contra errores oppositos nervose propu-
gnandi, Breslau, 1718. On a encore du P. Hertziguu
traité ascétique sur la n ■■rt : Scientia sanctorum
nosse mori, Tarnopol, 1731, et des Medilaliones devo-
2315
HERTZIG — HERVET
231&
iissimœ, Olmutz, 1739. 11 mourut à Breslau le 17 fé-
vrier 1732.
Sommervogel, Bibliothèque de la C" de Jésus, t. iv,
col. 328-330; Hurter, Nomenclator, 3e édit., Inspruck,
1910, t. iv, col. 1050.
P. Bernard.
HERVÉ Noël, surnommé le Breton, domini-
cain, était issu de la noble famille de Nédellec. Il
était né au diocèse de Tréguier, on ne sait à quelle
date. Il entra jeune dans l'ordre de saint Dominique
au couvent de Morlaix et y fit sa profession religieuse.
Il alla ensuite étudier au couvent de Saint-Jacques à
Paris. Il professa les sciences humaines et divines en
divers lieux de la France. Reçu bachelier, il fut appelé
à Paris pour y expliquer les Sentences. Vers Pâques
de l'année 1307, il obtint le gracie de licencié et fut,
pendant deux ans, régent et professeur à l'école de la
province de France au couvent de Saint-Jacques.
Le 14 septembre 1309, au chapitre de Chartres, il fut
élu provincial de France. Au chapitre de Lyon, le
10 juin 1310, il devint maître général de l'ordre, le
xive, il succédait à Bérenger et il fut choisi à l'unani-
mité, au premier tour de scrutin. Il remplit cette
charge pendant cinq ans et trois mois. Au retour du
chapitre général, tenu à Barcelone, il mourut au cou-
vent de Narbonne, dans la nuit du 6 au 7 août 1323.
Saint Antonin dit qu'il était très subtil en logique et en
philosophie. On a signalé des commentaires manu-
scrits des Catégories et du livre de l'Interprétation
d'Aristote. Histoire littéraire de la France, Paris, 1762,
t. xxiv, p. 459. Ses principaux ouvrages de théologie
sont les suivants : In IV P. Lombardi libros Scnten-
tiarum, in-fol., Venise, 1505 ; Paris, 1647, avec le traité
De potestale papse, déjà publié séparément, Paris,
1500; in-4°, 1506; Quodlibeta IV, in-fol., Venise, 1486;
le IVe est contre Pierre Auriol; ils ont été réédités
avec sept autres Quodlibeta, qui sont dits parva par
rapport aux précédents, majora, Paris, 1513; on y a
ajouté huit traités : De bealitudine; De verbo; De
œlernitite mundi; De materia cseli ; De relationibus;
De unitate formarum; De virtulibus; De motu angeli.
Un fragment du traité De unitate formarum avait été
publié sous le titre De formis, dans la Summa philoso-
phica de Cosme Alaman, Paris, 1639; il était regardé
comme un écrit authentique de saint Thomas. De
secundis intentionibus, in-4°, Paris, 1489; Venise,
1513. On a attribué parfoisàHervél'opusculeXLVIII,
publié dans les œuvres de saint Thomas et intitulé :
Tolius Aristotelis logicœ summa. On a mis à tort sous
son nom le commentaire des Épîtres de saint Paul, qui
est de Hervé de Bourgdieu. Voir H. Denifle, Die abend-
landischen Schriftausleger bis Luther, ùber Justifia Dei
(Rom., i, i?) und Justificatio, Mayence, 1905, p. 54-56.
Noël Hervé est peut-être le premier dominicain qui
ait défendu solidement la doctrine de saint Thomas
contre les attaques de Duns Scot et de Hervé de
Gand et contre les opinions de Durand de Saint-
Pourçain. Cependant, il a fait quelques concessions
au nominalisme, que le dominicain Jean de Naples
a relevées.
Echard, Scriptores ordinis prœdicalorum, Paris, 1719,
t. i, p. 533, 536; B. Hauréau, Histoire de la philosophie
scolastique, Paris, 1880, t. II, p. 327 sq.; P. Féret, La faculté
de théologie de Paris et ses docteurs les plus célèbres. Moyen
âge, Paris, 1896, p. 388-390; Mortier, Histoire des maîtres
généraux de l'ordre des frères prêcheurs, Paris, 1905, t. n,
p. 531-572; Kirchenlexikon, 2e édit., Fribourg-en-Brisgau,
1888, t. v, col. 1916-1917; Hurter, Nomenclator, Inspruck,
1906, t. il, col. 476-477; Realencyclopàdie fur protestan-
iische Théologie und Kirche, Leipzig, 1899, t. vu, p. 771-773.
E. Mangenot.
HERVET Gentian naquit à Olivet, aux portes
d'Orléans, en 1499. Il fit ses études dans l'un
des collèges de l'université de cette ville. Puis, tout
jeune, il commence la vie de précepteur chez les grands-
qu'il mènera pendant de longues années. Il entre dans
la famille de Laubespine, puis accompagne le savant
Thomas Lupset en Angleterre, et, probablement par
son entremise, devient le maître des enfants de la
comtesse de Salisbury, Arthur et Béginald Pôle. Il
connaît là Linacre et More. Il suit ses élèves en Italie,
à Padoue et a Venise, et noue des relations avec les
humanistes les plus célèbres de la péninsule, Egnazio,
Andrelini, Thoineo Leonico. Il rentre en France vers
1533, et fait partie du groupe de littérateurs itinérants
qui, sous la direction de Jean de Taitas, allaient fonder
à Bordeaux, au collège de Guyenne, l'un des foyers
de la Renaissance française. Il paraît y avoir enseigné
le grec. Mais il se brouille bientôt avec Tartas. Il
revient à Orléans, où il est nommé professeur de grec
à l'université. Il publie, en 1535, à Paris, son premier
ouvrage, Erudilionis plenus libellus in quo cummultalum
varia nolatu digna de pilis et barba radenda comprehen-
duntur. Il renferme trois déclamations d'école sur un
sujet que le pape Jules II avait mis à la mode : le port
de la barbe chez les ecclésiastiques. L'année suivante,
il dédie à Guillaume du Bellay un nouveau volume,,
qui reproduit le précédent, y ajoute quelques discours
sur des sujets de morale et la traduction d'un opuscule
de Plutarque. Tel est le contenu de ce petit volume :
Gentiani Herveti Oraliones, imprimé par Jean Barbous,
à Lyon, pour le compte de François Gueiard, libraire
à Orléans.
Il ne reste pas longtemps dans ce poste. Mais la
raison qu'en donne plus tard un de ses adversaires,
Loys Micqueau, paraît être une pure calomnie. Après
quelques pérégrinations dans les Flandres, en compa-
gnie du cardinal de Genève, il se fixe pour quelque
temps à Lyon. Il y retrouve des amis littéraires, Jean
de Gouttes et surtout son compatriote Etienne Dolet.
Celui-ci imprime, en 1541, le volume, aujourd'hui
très l'are, Sophoclis Antigone tragœdia a Genliano
Herveto Aurelio traducla e grœco in lalinum. Ejusdem
epigrammala. Dans ces dernières, l'auteur exprime
déjà très vivement les sentiments d'opposition à la
Réforme qu'il manifestera de plus en plus. Un autre
volume sorti des mêmes presses, sous le titre: Gentiani
Herveti quœdam opuscula, Lyon, 1541, ajoute à l' An-
tigone et aux épigrammes quelques discours de Hervet
et la traduction de deux sermons de saint Basile. Une
dédicace au cardinal de La Baume, archevêque de-
Besançon, datée de janvier 1541, pourrait faire croire
que ce volume est antérieur au précédent.
Il ne semble pas que Hervet ait jamais partagé les
idées affichées par Dolet. Au contraire, il parait préoc-
cupé de combattre le matérialisme plus ou moins
avéré du groupe d'humanistes lyonnais avec lesquels
il avait été d'abord en relations. Il publie à cette fin,,
en 1544, Aristotelis Stagiritse de anima libri très, tra-
duction latine du texte grec et du commentaire de
Jean Philopon. Cet ouvrage est dédié à Reginald Pôle.
La même année paraît Alexandri Aphrodisœi de fato-
et deeoquodest in nostra potestale liber unus, traduction
latine du texte grec dédiée à François Ier lui-même.
L'immortalité de l'âme et la liberté humaine, voilà
les croyances que niaient plus ou moins sourdement
les libertins comme Dolet, Rabelais ou même Jean de
Gouttes. Ces œuvres de Hervet coïncident avec les
poursuites de l'inquisiteur Michel Orry — nostre
maistre Doribus ■ — et de la Sorbonne, contre les parti-
sans ou les suspects de cette doctrine. Mais il y eut
probablement entre Hervet et Dolet autre chose qu'une-
lutte d'idées. Dans les préfaces et les privilèges de
ces deux traductions, il y a des plaintes et des pré-
cautions contre l'indélicatesse de certains imprimeurs
dont la pointe paraît bien tournée contre Dolet. Aucun
historien n'a d'ailleurs relevé ni expliqué ces allusions.
2317
HERVET
'2318
Mais Lyon, pas plus qu'Orléans ou Bordeaux,
ne satisfait les ambitions ou les besoins de Her-
vet. Il est attiré par l'Italie. Il se retrouve, quel
ques années plus tard, dans la famiglia de Regi-
nald Pôle, devenu cardinal. Il exerce à son ser-
vice ses talents de traducteur, qu'il applique sur-
tout aux écrivains ecclésiastiques. Il prend ainsi
sa part des travaux préparatoires aux décrets du
concile de Trente. Ainsi paraissent, en 1546, à
Venise, Zachariœ Scholastici dialogus Ammonium;
en 1548, à Venise encore, Alexandri Aphrodisiensis
quœsliones natarales et de anima morales; puis, la même
année, Nicolai Cabasillœ de divino altaris sacrificio.
Mais il intervient plus directement dans leur réda-
ction. Il fait partie des congrégations de théolo-
giens mineurs, où se discute leur première forme.
C'est ainsi qu'il donne son opinion motivée, le 28
octobre 1540. sur le projet d'articles concernant la
justice imputative et la certitude de la grâce. Il
combat la première et il admet le seconde. De même,
Je 29 janvier 1547, il prend part à la discussion
des articles concernant les sacrements en général,
et, le 12 février 1547, à celle qui élabore le projet
d'articles concernant l'eucharistie. Enfin, en mars, il
écrit et peut-être prononce un long discours très inté-
ressant sur les traductions de la Bible en langue vul-
gaire. Il se déclare nettement pour l'utilité et même la
nécessité de semblables traductions. Archives du Vati-
can. Rex suec. cod. lat. 1570, fol. 88-93 a. Cf. Maichle.
Das Dekret de editio'ie et usu sacrorumlibrorum,
Fribourg-en-Brisgau, 1914, p. 73.
Mais le concile est interrompu. Reginald Pôle cède
son traducteur à son collègue Marcello Cervini, le futur
Marcel II. Hervet continue à son service ses publica-
tions érudites. C'est, en 1549, à Bâle, Theodoreti epi-
scopi Cyrenensis Eranistes; la même année, à
Venise, S. Chrysostomi opéra. En 1551, à Florence,
paraît l'une de ses traductions les plus importantes
et qui est restée célèbre. Pietro Vettori avait donné
l'année précédente l'édition princeps du texte grec
de Clément d'Alexandrie. Hervet le mit à la portée des
théologiens dans démentis Alexandrini omnia quse
quidem exlanl opéra latine facta. Il revint plus tard sur
ce travail, auquel il ajouta un commentaiie, superficiel
du reste, qu'on peut trouver dans l'édition de Potter.
L'année suivante paraissent, à Florence, Theodoreti
commentarii in quatuordecim S. Pauli epislolas, et, à
Anvers, S. Joannis Chrysostomi aurea in Psatmos
Davidis ralena. Mais le concile reprend ses séances.
Hervet prend de nouveau une part importante à ses
travaux préparatoires en particulier pour l'édition
authentique de la Bible qui était en projet. Il colla-
tionne pour Cervini le codex Beza, que Guillaume du
Prat, évêque de Clermont, avait apporté à Trente.
C'est même trè* probablement pai lui, selon Hôpfl,
Kardinul Wilhelm Sirlel's Annolalionen zum neuen
Testament Fribourg-en-Brisgau, 1908, p. 40, que
Robert Estienne put utiliser les variantes du célèbre
manuscrit pour Ycdilio regia du texte grec du Nouveau
Testament.
Mais il s'occupait aussi des questions dogmatiques
et disciplinaires que l'on soulevait au concile. L'une
d'entre elles intéressait plus spécialement la France
et les théologiens français : la question des mariages
clandestins. Hervet lui consacre une Oratio ad conci-
Uum Tridenlinum, qua suadetur ne matrimonia quse
contraliuntur a filiisfamilias habeanlur deineeps pro
leqitimis, Paris, 1556. Le concile, transféré à Bologne,
n'eut pas alors le temps de la traiter. Hervet sou-
tient, au point de vue théologique, les principes
que l'on retrouve dans le célèbre édit d'Henri II
sur H nullité des mariages clandestins. Plus
tard, en 1561 quand le concile reprendra ses
séances, Hervet donnera de son discours une
nouvelle édition, dédiée à Jean de Morvillier, évêque
d'Orléans et ambassadeur de France à Trente. La
thèse française de la nullité ayant été repoussée
par les Pères, l'ouvrage de Hervet figure à l'Index de
Ouiroga. Il est reproduit dans Le Plat, Monumenta
ad hiloriam concilii Tridentini pertinentia, t. vi,
p. 366-336.
Mais le concileétait de nouveau interrompu, Cervini,
devenu Marcel II, mourait après un très court ponti-
ficat. Fleureusement, le rôle joué par Hervet l'avait
j mis en relation avec de nouveaux personnages, en
particulier Jean de Hangest, évêque de Noyon, et
Morvillier. Le premier donna à Hervet le titre de
vicaire général. Le second le nomma à la cure, alors
importante, deCravant, près deBeaugency. Ces nomi-
nations n'interrompirent point ses travaux. Il publie
à Paris, en 1555, Palladii episcopi Helenopolitani histo-
ria lausiaca et Theodoreti religiosa hisloria, et, en 1561,
Canones sanclorum aposlotorum. Toutes ses études
convergent alors autour de la discipline ecclésias-
tique dont la restauration, en France, est à l'ordre du
jour. Pour appuyer ces essais de réforme, que la
menace protestante exige de plus en plus impé-
rieusement, il publie, en 1561, De reparanda ecclr-
siasticorum disciplina. Il préconise, comme remède
infaillible à tous les maux de l'Église, la rési-
dence des évêques. C'était aussi la seule solution
qu'avaient trouvée les édits royaux du même
temps.
La controverse protestante prenait une acuité tous
les jours plus grande. Catherine de Médicis essaie de
provoquer une entente au colloque de Poissy. Morvillier
y députe Hervet. Les actes de la fameuse assemblée
n'ont pas gardé trace d'une action immédiate du curé
de Cravant. Mais il fit la rencontre de l'homme qui
allait décider de son avenir. Charles de Guise, cardinal
de Lorraine, l'avait remarqué. II l'enrôla dans le
groupe de théologiens qu'il voulait former pour com-
battre les progrès du calvinisme. Il lui offrit une stalle
de chanoine en son archevêché de Reims, avec la
perspective d'une chaire à l'université qu'il y voulait
fonder. Avant même de s'y rendre, Hervet avait en-
tame la polémique avec le groupe de ministres qui
allaient faire d'Orléans la capitale protestante de la
France. Il publie, en 1561, à Paris une Épistre aux
ministres predicans et supposts de la nouvelle Église de
ceux qui s'appellent fidelles et croyons à la parolle. La
même année, il traduit, de Guillaume Lindanus, un
Recueil d'aucunes mensonges de Calvin, Melanchthon,
Bucere et autres nouveaux évangélistes. Ce volume ren-
ferme en outre différentes pièces l rès intéressantes pour
l'histoire de la diffusion du protestantisme dans l'Or-
léanais, un Sermon de Gentian Hervet après avoir oui;
prescher un prédicant suspect d'hérésie, une Epistre du
mesme Hervet par laquelle est clerement monstre qu'en
la saincte eucharistie est rcalement et de faict le précieux
corps et sang de Jesu-Christ, et surtout une Épistre du
mesme Hervet à un prédicant sacramenlaire qui ce
caresme mil cinq cens soixante et un a osé publiquement
dogmatiser en la ville de Beaugency-sur-Loyre. Il y
ajouta la traduction de trois traités de saint Jean
Damascène, saint Grégoire de Nysse et saint Nicolas
de Modon sur le saint sacrement de l'autel, et enfin,
« l'oraison » de Gennade, archevêque de Constanti-
nople. « à un dieu en trois personnes ». Les protestants
ne laissèrent naturellement pas passer ces attaques
sans réponse. Hervet publia de nouveau contre eux
un Brie/ discours sur certain advertissement au lecteur
duquel les ministres de la nouvelle Église réformée d'Or-
léans ont remparé une gentille response qu'ils ont faict
imprimer pour respondre aux epistres de Gentian Her-
vet, Paris, 1562. Enfin, il termine cette période orléa-
2319
HERVET — HESPELLE
2320
naise de sa polémique pat une Épistre envoyée à un \
■quidam fauteur des nouveaux évangéliques, dirigée contre
un bourgeois de Beaugency, niais publiée à Reims par
Bacquenois, l'imprimeur du cardinal de Lorraine.
En etïet, dès le début de 1562, Hervet résigne sa
cure de Gravant et se fixe à Reims, qu'il ne quittera
plus. Mais il ne lâche pas ses adversaires. Aussitôt
arrivé, il publie un Traité de purgatoire auquel sont
confutées les opinions des no ivea.ix érangélisles de ce
temps. L'épître dédicatoire est datée du 18 février 1562.
Puis il donne les Ruses et finesses du diable pour
tascher a abolir le saint sacrifice de Jésus-Christ, Reims.
1562. Là-dessus, le concile de Trente se réunit à nou- |
veau. Hervet fait partie de la suite des théologiens
qui accompagnent le cardinal de Lorraine. De son
activité on connaît surtout les deux lettres qu'il écrivit,
l'une, le 28 février 1563, au P. Salmeron, l'autre, le
7 juin, au cardinal Hosius, sur la question de la
résidence des évoques. Il y soutient tnergiquement la
thèse française du droit divin des évêques, qui fut du
reste repoussée par les Pères. Ces lettres n'ont été
publiées qu'au commencement du xvne siècle, dans le
Mercure jésuite. Mais il est difficile, malgré la vivacité
des sentiments qu'elles révèlent, de douter de leur
authenticité.
Cependant la guerre icligieuse déchirait la France.
Mais elle n'avait pas fait taire les polémistes. De
Trente, Hervet adressa « au peuple de Rheims et des
environs » un Discours sur ce que les pilleurs, voleurs
ri brusleurs d'églises disent qu'ils n'en veullent qu'aux
moijnes et aux prebslres, Reims, 1563. Ce petit livret
lui valut, de la part d'un maître d'école, rémois d'ori-
gine et fixé à Orléans, une première réplique. Response
au discours de M. Gentian Hervet, par J. Loys Mic-
queau, Lyon, 1564. Hervet lui retourna: une Response
de Gentian Hervet contre une invective d'un maistre
d'escolle d'Orléans, qui se dit de Reims, Reims, 1564.
D'où Seconde response de J. Loys Micqueau, maistre
d'escolle à Orléans, aux folles resveries... de Gentian
Hervet, Orléans, 1564. Sur les entrefaites, Hervet était
rentré à Reims. Il y prenait une part active aux déli-
bérations du concile provincial de 1564, où le cardinal
de Lorraine faisait adopter les décrets de Trente et
« herchait à les faire appliquer. Pour seconder ses vues,
Hervet publiait une traduction française complète, la
première en date, de ces décrets, sous le titre: Le saint,
sacré, universel et général concile de Trente, traduit de
latin en françoys par Gentian Hervet, Rheims, 1561.
Au même temps, le cardinal de Lorraine donnait
une vive impulsion à son université, qui devait avant
tout combattre les nouvelles doctrines. Hervet semble
avoir fait partie du corps enseignant. Mais il est dilfi-
cile de dire à quel titre. D'ailleurs il continuait inlassa-
blement ses polémiques. En 1561 avait paru un volume
de propagande calviniste intitulé : Sommaire recueil
des signes sacrez, sacrifices cl sacremens instituez de Dieu
depuis la création du monde. On l'attribue d'ordinaire à
Théodore de Bèze. Hervet y répondit par i ne Confu-
tation d'un livre pestilenl et plein d'erreurs, nommé par
son auteur les signes sacrez, Reims, 1565. Il composait
la même année, contre du Rozier, son Anliluigucs,
c est-à-dire response aux escrils et blasphèmes de Hugues
Sureau, soy disant ministre calviniste à Orléans. Le
volume, en effet, est daté à la fin : de Rheims, le troi-
siesme de juin 1565. Mais il ne dut paraître qu'en 1567.
Cette polémique, du reste, se prolongea. Mamix de
Sainte- A Ideuonde la reprenait en 1580 par son Com-
mentaire et illustration de iepistre missive de M. Gen-
tian Hervet aux desvoiés de la fog. Le vieil écrivain
reprit la plume et donna au public une Briefve response
.le Gentian Hervet, chanoine de Reims, à un livre d'un
huguenot, asseurc menteur et hypocrite, contreiahant le
calholicque, Douai, 1581. En 1572, il avait traduit la
Cité de Dieu de saint Augustin et cet ouvrage eut plu-
sieurs éditions.
Ses dernières années paraissent avoir été ass< mbries
par des querelles canoniales et des dénonciations. Il
existe de lui, aux Archives vaticanes, une longue lettre
apologétique, adressée, en 1571, au cardinal Sirlet.
Hervet se défend en particulier contre le reproche
d'avoir écrit en français sur des questions de théologie.
C'est peut-être la raison pour laquelle il se contenta,
dans ses dernières années, de revoir ses travaux anté-
rieurs et d'en donner de nouvelles éditions. Il tra-
vaillait à so.i Clément d'Alexandrie lorsqu'il mourut
en 1584. Il fut enterré à Reims.
Nicéron, Mémoires, t. xvn, p. 102; t. xx, p. 108; Débar-
bouiller, dans Les hommes illustres de l'Orléanais, par
Brainne, Débarbouiller et Lapierre, Orléans, 1852, p. 364 sq.;
Concilium Tridentinum, édit. Elises et Merkle, t. v,
p. 566 sq.
A. HUMBERT.
HESER Georges, théologien allemand, né à Weyer,
au diocèse de Passau, le 26 décembre 1609, admis au
noviciat de la Compagnie de Jésus le 7 août 1625,
enseigna quelque temps les belles-lettres et la philoso-
phie, puis la controverse et l'Écriture sainte à Ingol-
stadt et à Munich, s'adonna spécialement à l'étude
de la théologie mystique et publia d'importants ou-
vrages sur l'auteur de l'Imitation de Jésus-Christ et
sur sa doctrine : Dioptra Kempensis, qua Thomas a
Kempis... demonslratur verus auclor IV librorum de
Imitatione Christi, Ingolstadt, 1650, œuvre de rigou-
reuse critique basée sur l'étude des manuscrits et des
sources. Le P. Heser est le premier qui ait établi un
catalogue généralement exact d'une multitude d'édi-
tions de l'Imitation des xvie et xviie siècles et d'un
grand nombre de traductions : Vita et syllabus operum
omnium Thomse a Kempis ab auctore anonymo sea
cosevo non longe post obitum illius conscripta, Ingol-
stadt, 1650; Paris, 1651; Summula apparatui Conslan-
tini Cajetani abbalis ad Joannem Gerscn restilulum
opposila, Ingolstadt, 1650. Le P. Heser ne se contenta
point de revendiquer avec des arguments décisifs
l'authenticité de l'Imitation en faveur de Thomas a
Kempis contre les partisans de Gerson, il fit de l'ou-
vrage lui-même une étude philologique et littéraire :
Lexicon Germanico-Thomœum, Ingolstadt, 1651; Obr-
liscus Kempensis, Munich, 1669, et surtout une étude
doctrinale qui est une véritable somme de th ologie
îmstique: Summa theologise mysticœ venerabili servi
Dei Thomse a Kempis ex qiatuor libris de Imitation''
Christi, Augsbourg, 1626, plusieurs fois rcéditée même
de i os jourset traduite en allemand, en espagnol et en
français. Cf. Jacques Brucker, La doctrine spirituelle
de l'Imitation de Jésus-t hrist, Paris, 1S80. On a aussi
du P. Heser plusieurs traitas spirituels tirés de la doc-
trine des Près de l'fc glise : Theriaca l .endœ castilatis,
Munich, 1677; Hebdomas officiosse pietatis, Ingolstadt,
1653; Munich, 1699, 1714, etc.; divers commentaires
sur les psaumes de David, sur les cantiques du Bré-
viaire et un recueil de cas de conscience. Le P. Heser
occupa pendant treize ans les grandes chaires de
Bavkre et mourut à Munich le 9 mai 1686.
Sommervogel, Bibliothèque de la O de Jésus, t. IV,
col. 331-336; Hurter, Nomenclutor, 3« édit., Inspruck,
1910, t. iv, col. 144 sq. ; de Backer, Essai sur le livre
de l'Imitation, Liège, 1802.
P. Bernard.
HESPELLE Augustin, né à Neuville-Saint- Vaast
(Pas-de-Calais), le 9 décembre 1731, fut docteur de Sor-
bonne et chapelain des Quinze- Vingts à Paris jusqu'à
la Révolution. On lui doit : Le jansénisme démontré
et condamné, in-12, Paris ; Le chemin du ciel ou la vie du
chrétien sanctifiée par la prière, in-12, Paris, 1773;
2321
HESPELLE — HESSELS
2322
Recueil des prières, dédié aux carmélites de Saint-Denis,
in-12, Paris, 1774; La Théotrescie ou seule véritable
religion démontrée contre les athées, déistes et autres sec-
taires, 3 in-12, Paris, 1774; 2e édit., Paris, 1780; Le
dédale des aberrations du chaos français, où l'on démon-
tre qu'on ne peut justifier par un serment la soumission
tles lois aux caprices des individus sans saper tout prin-
cipe de morale, in-8°, Malines, 1797. Cet ouvrage est
une réfutation des Réflexions sur la déclaration exigée
des ministres du culte par la loi du 7 vendémiaire an I V,
in-8°, Paris, 1796, dues à la collaboration de Bausset,
évêque d'Alais, et de l'abbé Émery; L'aurore du Fiat
lux, in-8°, Bàle, 1797; Le Fiat lux du chaos français
où l'on voit la déviation de tout principe, de toute vérité
et de toute tradition, in-8°, Bruxelles, 1799; L'unité et
l'indivisibilité des vérités de la religion, in-8°, Paris,
1800. Ce dernier livre amena l'arrestation de l'auteur.
Quérard, La France littéraire, t. iv, p. 102; Hurter, Nomen
clator, 1912, t. v, col. 307-308.
J. Besse.
HESSELS Jean naquit en 1522. Il vit le jour, non à
Arras, ainsi qu'on l'a dit parfois, mais à Louvain, où
son père, Guillaume Hessels, était connu comme un
sculpteur habile. Nous en avons la preuve notamment
dans son épitaphe, qui débute par ces mots : Joannes
Hessels a Lovanio. Certains auteurs, à cause peut-être
de la forme latinisée et plus connue de son nom,
Hesselius, l'ont maladroitement confondu avec Léo-
nard-Jean Hasselinus ou Hasselius (van Hasselt),
autre théologien belge, auteur d'une dissertation
De Neclarii Constanlinopolitani facto super confessiones,
qui fut député à Trente par Charles-Quint, lors de
la première reprise du concile, sous Jules III, et qui
mourut en cette ville le 5 janvier 1552.
Jean Hessels put commencer et poursuivre sa forma-
tion intellectuelle sans quitter sa cité natale. Après
de brillantes humanités, il suivit les cours de philoso-
phie à « la pédagogie du Parc » et sortit premier au
concours général de 1541. L'état ecclésiastique l'atti-
rait. Il aborda l'étude des sciences sacrées, et grâce à
des qualités d'esprit extraordinaires, fécondées par
une application intense, il échangea vite le rôle d'audi-
teur contre celui de maître. Pendant huit ans, il
enseigna la théologie et l'Écriture sainte aux jeunes
religieux prémontrés de l'abbaye de Parc, près de Lou-
vain. Le 19 mai 1556, il fut promu au doctorat en
théologie, en même temps que Martin Baudewyns, de
Rythoven (Martinus Rythovius), qui allait devenir
bientôt évêque d'Ypres. Nommé alors à la fois titulaire
«l'une chaire royale de théologie à l'université, cha-
noine du chapitre de la collégiale de Saint-Pierre et
premier président du « petit collège des théologiens »,
il s'acquittait de ces diverses fonctions avec zèle et
succès quand une mission spéciale l'obligea à les inter-
rompre.
En 1562, Pie IV avait annoncé la réouverture à
Trente du concile œcuménique, suspendu déjà deux
fois, mais dont la Providence lui réservait l'heureux
achèvement. Il désirait vivement que toutes les nations
catholiques, et la Belgique en particulier, y fussent re-
présentées non seulement par leur épiscopat, mais
encore par l'élite de leurs théologiens. Telles étaient
aussi les intentions de Philippe II et de la gouvernante
Marguerite de Parme, en ce qui concernait la Belgique. \
Après divers pourparlers, trois professeurs de Louvain
furent désignés et partirent pour le Tyrol; c'était
Corneille Jansen (ou Jansénius), exégète de renom,
plus tard évêque de Gand, Michel de Bay (ou Baius),
et son ami Jean Hessels. Ce choix, quant aux deux
derniers, était sans doute, comme pour Jansénius
Oandavensis, fondé sur une réputation méritée de piété
et de savoir, car tous deux, dit Palavicini, étaient
scienlia et cxcmplo vilœ conspicui, mais, suivant le
1 même historien, il s'inspirait en outre, dans la pensée
! du nonce Commendone, du cardinal Granvelle et des
I légats-présidents du concile, d'une sage diplomatie.
Baius avait déjà commencé à répandre ses opinions à
tout le moins hardies sur la liberté, la grâce, les bonnes
œuvres; Hessels, lié d'amitié avec lui, partageait
jusqu'à un certain point et appuyait ses tendances; on
colportait même, sur l'un et sur l'autre, un mot de
Ruard Capper, qui aurait démêlé et signalé en eux,
encore étudiants, l'étoffe d'un schisme. Des discussions
bruyantes avaient éclaté; l'archevêque de Malines
était parvenu à imposer provisoirement le silence;
mais l'atmosphère restait chargée de nuages et d'ap-
préhensions. Or, on pouvait espérer que le fait de vivre
en contact intime avec Rome et tous les évêques catho-
liques et de lutter avec eux contre l'ennemi commun,
le protestantisme, serait salutaire aux théologiens
louvanistes, en leur inspirant une juste défiance d'eux-
mêmes et un sentiment d'attachement plus vif à la
tradition et au siège de Pierre. Ajoutons que, à l'égard
d'Hessels du moins, il semble que cet espoir n'ait pas
été trompé. Quoi qu'il en soit, les députés belges furent
bien accueillis à Trente, et leur présence ne fut ni oisive
ni inutile. Arrivés seulement après la XX IIe session, ils
purent encore prendre une part active aux trois der-
nières : celles du 15 juillet, du 11 novembre, des 3 et
et 4 décembre 1563. Tandis que Baius, avec l'évêque
d'Ypres, Rythovius, était, par les légats, attaché à la
commission préparatoire de la doctrine sur le purga-
toire, et Corneille Jansen, avec Havet, évêque de
Namur, à la commission des indulgences, Hessels fut,
en compagnie de Richardot d'Arras, inscrit dans celle
à laquelle incombait l'étude du culte des images. Nous
savons de plus que tous concoururent aux travaux pré-
liminaires concernant l'Index librorum prohibilorum.
Ce sont eux qui rédigèrent, pour le Calechismus roma-
nus, l'explication des dernières demandes du Pater.
C'est également à leur demande que, dans les décrets
suppressifs ou restrictifs des exemptions et privilèges
en matière de bénéfices, une exception fut faite en
faveur des universités; ils étaient justement préoccu-
pés de conserver à Louvain les bienveillantes et utiles
concessions de Sixte IV, de Léon X et d'Adrien VI.
De retour dans la vieille cité universitaire, Hessels
ne reprit pas seulement son enseignement, mais il
s'appliqua plus que jamais à combattre, par la plume
autant que par la parole, les erreurs du protestantisme.
Nous avons de lui une lettre écrite en 1565 à Cassander,
qui, conciliateur et pacificateur à outrance, paraissait
par là même pencher du côté de la Réforme. Un extraii
de cette lettre montre le zèle pur et franc qui animait
son auteur : Usquequo claudicas in duas partes : Si
Dominus est Deus, sequere eum; si aulem Baal, sequere
eum. Si protestantes, ut aiunt, sunl veritatis et sinecrœ
fïdei prœcones, sequere eos aperte. Si autem, ut rêvera
est, Ecclesia catholica, hoc est, papislica est ea quœ fun-
data est ab aposlolis super pelram, adversus quam nun-
quam preevalcbunt portée inferi, sequere eam. Nec confi-
das le tuo ingenio invenire posse prœler eam aliquem
lulum portum, in quo securus acquiesças... Plantatio quœ
contra hanc insurgit, sive a proteslantibus, sive ab lus
qui, inler catholicos et protestantes veluli medii, ulroquc
exlremo se inlelligentiores reputant, quia a P tre caelali
non est plantata, eradicabilur. Au témoignage d'Aubert
Le Mire, l'ardent controversiste s'adonnait à sa tâche
au point d'accorder à peine à son corps le sommeil né-
cessaire. Aussi bien a-t-il produit, en une carrière rela-
tivement courte, une œuvre considérable, partie exé-
gétique, partie dogmatique ou polémique. Mais une
telle contention ne pouvait manquer de ruiner rapi-
dement sa santé. Il souffrait de la gravelle, et une at-
taque d'apoplexie l'emporta le 7 novembre 1566, au
moment où il allait mettre la dernière main à son plus
2323
HESSELS
HETTINGER
2324
grand ouvrage, le Catechismus lalinus. Il avait qua-
rante-quatre ans. Il fut inhumé dans l'église collégiale
de Saint-Pierre.
Jean Hessels, nous disent ses contemporains, n'était
pas très éloquent. En revanche, la nature l'avait mer-
veilleusement doué sous le rapport de l'esprit, du juge-
ment et de la mémoire. De plus, son entrain et sa force
de résistance au labeur studieux tenaient du prodige.
Hormis cette inclination ou condescendance, tempo-
raire, semble-t-il, à l'égard du baianisme, que j'ai
signalée, tout en lui commandait l'estime et le respect.
Le cardinal Bellarmin l'appelle virummultœ doctrines et
judicii, et Nicolas Sanderus le proclame prseclarissi-
mum non Academiœ, sed Ivlius orbis lumen.
Nombreux sont, je l'ai dit, les livres sortis de sa
plume. Nommons les principaux, en commençant par
la théologie et l'exégèse. On remarquera que la plupart
n'ont été publiés qu'après la mort de l'auteur. Plusieurs
ont eu d'ailleurs de nombreuses éditions. Je me borne-
rai généralement à l'indication des premières. 1° Cate-
chismus latinus, in-8°, Louvain, 1571. Il traite succes-
sivement du symbole, de l'oraison dominicale et de la
salutation angélique, du décalogue, des sacrements.
C'est donc la même division quadripartite que dans le
Catechismus romanus, avec cette seule différence que
l'ordre respectif de la deuxième partie et de la qua-
trième a été interverti. Au reste, il ne s'agit pas ici
d'un simple exposé populaire de la doctrine chré-
tienne, mais bien plutôt d'une grande œuvre catéché-
tique dans le genre de celle de Pierre Canisius, c'est-
à-dire d'une large explication du dogme et de la
morale, dont les éléments ont été puisés avec science et
discernement aux trésors de la patristique et surtout
dans saint Augustin. L'édition originale et cinq autres
parurent incomplètes, ne contenant de la troisième
partie que ce qui concerne les trois premiers sacre-
ments : c'est là que la plume d'Hessels s'était arrêtée.
Une 7e édition, publiée en 1660, a été complétée, pour
les quatre derniers sacrements, d'après les notes du
maître. On dit que quelques infiltrations de baianisme
ont été éliminées par Henri Gravius, le premier éditeur.
2° Commentarius in Passionem dominicam, in-8°, Lou-
vain, 1568. 3° Commentarius in priorem B. Pauli episto-
lam ad Timolheum, item in priorem B. Pétri canonicam,
in-8°, Louvain, 1568. 4° In Epistolas canonicas Joannis,
in-8°, Anvers, 1601. 5° Commentarius in Evangelium
secundum Matthxum, in-8°, Louvain, 1572. 6° De
schismaticis templis Judœorum et vero Dci templo, ex
hisloria Josephi, in-8°, Louvain, 1572. 7° Confutatio
fidei novitiœ, quam specialcm vocanl, aduersus Joannem
Monhemium. Adjunctus est Traclalus de cathedra; Pétri
perpétua perfectione et firmitate, in-8°, Louvain, 1562.
Deux excellents traités, qui furent, dès 1568, réimpri-
més l'un et l'autre séparément. Au milieu du xvme
siècle, le savant Zaccaria jugeait encore le second digne
de prendre place dans son Thésaurus théologiens,
t. vu. 8° De invocalione sanclorum, contra Joannem
Monhemium et cjus defensorem Hcnricum Artopœum,
in-8°, Louvain, 1568. 9° De communione sub unica
specie, adversus Georgium Cassandrum, 1578. C'est au
même Cassander qu'était adressée la lettre dont j'ai
reproduit ci-dessus un passage objurgatoire, qui fait
honneur à Hessels. 10° De corporali prœsentia corporis
et sanguinis Domini in eucharistia. in-8°, Louvain,
1564 et 1568; Paris, 1583. 11° Confutatio confessionis
hsereticœ teutonice emissse, qua ostendilur eucharisliam
esse sacrificium propitiatorium, in-8°, Louvain, 1567.
12° De ofjicio pii virt, vigenle hœresi, adversus Cassan-
drum, in-8°, Anvers, 1566. Le petit volume de ce ri're
qui fut mis à l'Index fut condamné sans nom d'au-
teur; il n'est donc pas l'ouvrage de Hessels, qui
porte le même titre. H. Reusch; Dr Index d r ver-
bûlenen Bûcher Bonn, 1883, t. i, p. 363. Du reste, il
ne figure plus dans les éditions réformées depuis
1900. 13° Censura de quibusdam sanctorum historiis,
in-8°, Louvain, 1568. La Critique, si nous en croyons
Molanus, visait un Passionale de sanclis per annum,
qui était en usage à l'abbaye de Parc. 14° Epistola de
conceptione Virginis Deiparse, reproduite par Corneille
Schulting, au t. n de sa Bibliolheca ecclesiaslica.
15° Mentionnons enfin une double étude sur les devoirs
propres aux réguliers : Quœslio ad quid teneantur reli-
giosi vi voti sui; item de obligationibus religiosorum.
Valère André, Fasti academici studii gcneralis iMvaniensis,
Louvain, 1635, p. 114; Foppens, Bibliolheca belgica,
Bruxelles, 1739, t. XI, p. 658; Hurter, Nomenclator, Ins-
pruck, 1007, t. iv, col. 36-37; Van Even, art. Hessels, dans
la Biographie nationale de Belgique, Bruxelles, 1886-1887,
t. ix, col. 320-322. Sur le rôle de Hessels au concile de
Trente, voir surtout la revue Der Katholik, 1865, t. i,
p. 358 sq.
J. Forget.
HESYCHASTES. Voir Palamites.
HETTINGER François, apologiste et théologien
allemand, né à Aschafîenbourg le 15 janvier 1819.
Après ses premières études faites au gymnase de sa
ville natale, 1836-1839, il alla, à la rentrée de 1839,
suivre les cours de philosophie et de théologie à l'uni-
versité de Wurzbourg. En 1841, il fut envoyé au
Collège germanique à Rome et il fréquenta le Collège
romain pendant quatre années. Ordonné prêtre le
23 septembre 1843, il prit le doctorat en théologie
en 1845. Le 3 octobre de cette année, il fut nommé
chapelain à Alzenau;le 25 octobre 1847, assistant au
séminaire des clercs de Wurzbourg, et le 20 mai 1852,
sous-régent. Il publia alors ses premiers ouvrages,
destinés à la formation sacerdotale des jeunes clercs :
Das Prieslerthum der katholische Kirche, Ratisbonne,
1851; 2e édit. par E. Muller; Die Idée der geistlichen
Uebungcn nach dem Plane des h. Ignalius, Ratisbonne,
1854; 2e édit. par R. Handmann, 1908; Die Liturgie
der Kirche, Wurzbourg, 1856. A la suite d'un voyage
à Paris, il avait composé : Die kirchlichen und socialen
Zustande von Paris, Mayence, 1852. Le 1er juin 1856. il
fut nommé professeur extraordinaire et, le 16 mai 1857,
professeur ordinaire de patrologie et de propédeutique
à l'université de Wurzbourg. En 1859, cette univer-
sité lui donna le titre de docteur honoraire de
philosophie. Après avoir publié, en 1862, une dissïrta-
tion : Organismus der Wissenschajten, il fit paraître
son grand ouvrage : Apologie des Christenthums,
5 in-8°, Fribourg-en-Brisgau, 1863-1867, qui contient
les preuves de la divinité du christianisme et de la
vérité de ses dogmes. Voir t. i, col. 861-862, 1568. Il
en parut plusieurs rééditions : 1865-1867, 1867-1869,
1871-1873, 1875-1880, 1899-1900, 1906 (les dernières
ont été retouchées par notre collaborateur Eugène
Muller, professeur à Strasbourg). On en fit une traduc-
tion française sur la 3e édition allemande : Apologie
du christianisme, 5 in-8°, Bar-le-Duc, 1870; Paris, 1891.
Le 1er janvier 1867, Hettinger fut nommé professeur
d'apologétique et d'homilétique et il prit la direction
du séminaire d'homilétique. Cette année-là il fut
recteur de l'université de Wurzbourg. Dans l'audience
du 28 novembre 1867, Pie IX nomma Hettinger
consulteur pour travailler à la préparation du concile
du Vatican. Le cardinal Caterini l'en informa par
l'intermédiaire du nonce de Munich. Comme Hergen-
rœther, il répondit, le 28 décembre suivant, qu'il
acceptait cette charge avec reconnaissance, mais à la
condition formelle qu'il ne serait pas obligé de cesser
son enseignement; il ne se rendrait à Rome qu'aux
mois de mars et d'avril et à l'automne, du début de
septembre à la mi-novembre. Le 9 février 1868, la
Congrégation directrice le nomma membre de la com-
2325
HETTINGER
HEXAMERON
232C
mission théologico-dogmatique. Colleclio Lacensis,
Fribourg-en-Brisgau, 1890, t. vu, col. 1045, 1052.
Il suppléa quelque temps son ami Denzinger dans la
chaire de dogmatique et il lui succéda après sa mort.
Voir t. iv, col. 450. Il publia alors : Die kirchliche
Vollgewalt des apostolichen Stuhles, Fribourg-en-
Brisgau, 1874, qui est comme l'appendice de son
Apologie: David Fr. Strauss, ein Lebensbild, ibid..
1875. Son Lehrbuch der Fundamentallheologic oder
Apologetik date de 1879; 2e édit., 1888: manuel savant,
mais peu adapté à l'enseignement scolaire. Voir t. i,
col. 862. Une traduction française en a été faite, Paris,
1888. Voir t. i, col. 1568. Léon XIII nomma Hettinger
prélat de sa maison, le 21 novembre 1879, et il le
chargea plusieurs fois de traduire ses encycliques en
allemand. Hettinger lit connaître la triste condition des
protestants au point de vue religieux : Die Krisis des
Christenlums. Proteslantismus und kalholische Kirche,
Fribourg-en-Brisgau, 1886. Sur la fin de sa vie, l'ancien
professeur d'homilétique publia de nouveaux ouvrages
pratiques pour le clergé : Aphorismen fur Predigt und
Prediger, Fribourg-en-Brisgau, 1888; 2e édit., 1907;
Timothcus, Brief an einen jungen Thcologcn, Fribourg-
en-Brisgau, 1891 (ouvrage posthume très utile);
2e édit., 1897; 3« revue par A. Ehrhard, 1909. Les
résultats de ses voyages furent consignés dans cet
écrit : Aus Kirche und Welt, 2 in-8°, Fribourg-en-
Brisgau, 1885; autres éditions, 1887, 1893, 1897; trad.
espagnole et anglaise, Fribourg-en-Brisgau, 1901, 1902.
Il a donné à divers périodiques de nombreux articles,
dont plusieurs ont passé dans ses grands ouvrages.
D'autres concernent le Dante. Hettinger fut frappé
d'apoplexie et mourut le 26 janvier 1890.
Stamminger, Gedenkblatl in der Hochwurd. Herrn Dr.
Franz Hettinger, 2e édit., Wurzbourg, 1890; Renninger,
dans Der Katholik, 1890, t. i, p. 385-402; Atzberger, dans
Jahresbericht der Gcerres-Gesellschafl fur 1890, p. 25-29;
Kaufmann, Fr. Hettinger, Erinnerungen eines dankbaren
Schuters, Francfort, 1891 ; E. Muller, Notice en tête de
Y Apologie à partir de la 7e édit., t. i; Lauchert, dans Allge-
meine deuische Biographie, Leipzig, 1905, t. l, p. 283-284;
The catholic encgclopedia, New York, t. vu, p. 307-308;
Hurter, Nomenclalor, Inspruck, 1913, t. v b, col. 1433-1435.
E. Mangenot.
HEXAMERON, récit de la création du monde en six
jours dans la Genèse. — I. Le récit lui-même. II. Ses
diverses interprétations. III. Son explication littérale.
I. Le récit lui-même. — 1° Sa place et son rôle dans
la Genèse. — Ce récit, qui comprend Gen., i, 1-n, 3,
a été généralement reconnu comme formant l'intro-
duction historique du livre de la Genèse. Voir col. 1187.
Il en est, en effet, comme le préambule nécessaire. La
Genèse, étant l'histoire de l'humanité primitive et des
débuts du peuple juif, devait naturellement commencer
par l'exposé de la création de la terre, qui était l'habi-
tation de l'humanité, des astres, qui éclairent les
hommes au cours de leur vie, des plantes et des ani-
maux, qui leur servent d'aliments et de compagnons de
travail, du premier couple enfin, duquel descendent
tous les humains Ainsi la cosmogonie constitue l'en-
trée en matière de l'histoire des premiers hommes, et
elle forme le début, aussi simple que grandiose, de la
Genèse et de la Bible entière. L'auteur de la Genèse
l'a rédigé, ou l'a placé en tête de son œuvre, comme un
magnifique frontispice. Le récit de la création du
monde fait donc partie de l'histoire du monde habité;
s'il en est la préface, c'est une préface qui a un lien
étroit avec l'ouvrage qu'elle précède et qu'elle prépare.
Ce n'est pas une pièce adventice. Aussi on n'a pas ad-
mis l'opinion de Mgr Clifîord, évêque de Clifton, qui
voyait dans ce récit une composition complète en elle-
même et absolument distincte du livre, un hymne sacré,
ne faisant pas partie intégrante du livre historique qui
le suit. The daijs of ihc week and the wcrks of création,
dans The Dublin review, avril 1881, p. 321-322. La
forme poétique du récit était un des arguments que
Mgr Clifford faisait valoir en faveur de son sentiment.
2° Sa forme littéraire. — ■ Bie'n que le récit de la créa-
tion du monde soit disposé d'une façon ingénieuse et
dans un cadre tracé d'avance, il n'a aucun des carac-
tères de la poésie hébraïque; il n'est écrit ni en vers ni
en membres parallèles. Il n'a pas même de refrain,
comme on l'a prétendu. C'est un récit en prose, rédigé
suivant un plan déterminé et dont le ton s'élève seule-
ment à la fin, au sujet de la création de l'homme. Mal-
gré les métaphores et les anthropomorphismes em-
ployés, malgré un certain rythme de la phrase, le récit
n'est pas une sorte d'ode, d'hymne religieux. Le schéma
dans lequel l'auteur a distribué ses matériaux ne lais-
sait aucune liberté à son imagination; il aurait plutôt
mis obstacle au souffle poétique nécessaire à la compo-
sition d'un hymne ou d'une ode.
L'ordre suivant lequel le sujet est disposé est reconnu
par tous les exégètes, sauf quelques nuances. L'auteur
débute par l'indication de la création générale du
monde, ciel et terre, mais, pour la terre au moins, à
l'état élémentaire et non encore organisé, i, 1,2. C'est
Vopus creationis des scolastiques. Cf. S. Thomas, Sum.
theol., I*, q. lxx, a. 1. La suite n'est que le développe-
ment de cette création élémentaire, et comme l'orga-
nisation, i, 3-31, puis sa sanctification, n, 1-3. L'orga-
nisation du monde comprend l'œuvre des six jours, et
elle se termine par le repos divin au 7e jour et la sancti-
fication du sabbat. L'œuvre des six jours se subdivise
en deux triduums, dont le dernier jour, à savoir, le
troisième et le sixième, compte deux créations dis-
tinctes, tandis que les quatre autres jours n'en ont
qu'une seule. Ces deux triduums partagent l'œuvre
divine en deux parties, que les scolastiques ont appe-
lées opus dislinctionis et opus ornatus. Dans la première
moitié de son œuvre, Dieu sépara la lumière des té-
nèbres (lct jour), les eaux supérieures des inférieures
(2e jour), les eaux inférieures de la terre (3e jour); dans
la seconde, il orna les diverses parties du monde, en
plaçant au ciel le soleil, la lune et les étoiles (4e jour),
dans les eaux et dans les airs les poissons et les oiseaux
(5e jour) et sur la terre les animaux et l'homme (6e jour).
Toutefois, cette division ne répond pas à la réalité,
puisque la création des plantes au 3e jour ne rentre pas
directement dans l'œuvre de séparation. Le P. Zaple-
tal a cherché à l'améliorer, en remplaçant le mot
ornatus que les scolastiques avaient emprunté à la
version latine de Gen., n, 1, par celui à'exerciltis, qui
rend mieux le terme hébreu correspondant. Il a, par
suite, modifié la division de l'œuvre des six jours en
deux parties : la création des régions, et celle des-
armées d'êtres qui les remplissent. Les régions sont
d'abord formées pour recevoir les armées : la lumière,
qui est une condition primordiale de toute organisa-
tion, est créée au 1er jour; les régions sont ensuite
constituées: le ciel pour les astres et l'air pour les
oiseaux (2e jour), l'eau pour les poissons et la terre
pour les animaux et les hommes (3e jour). Les armées
sont créées après les régions ; les astres pour peupler le
ciel (4e jour), les oiseaux et les poissons pour peupler
l'air et la terre (5e jour) et les animaux vivant sur terre
et l'homme (6e jour). Le récit de la création dans la
Genèse, trad. franc., Genève, Paris, 1904, p. 105-113.
Cette disposition ne rend pas mieux compte de la créa-
tion des plantes au 3e jour, et elle introduit la région de
l'air qui n'est pas marquée explicitement au 2e jour.
La division de l'hexaméron par les scolastiques, même
telle qu'elle est améliorée par le P. Zapletal, ne répond
donc pas parfaitement au plan de l'auteur, et on ne
peut justifier la création des plantes au 3e jour que par
des considérations étrangères à l'esprit du récit. Il faut
2327
HEXAMERON
2328
donc se contenter de la simple subdivision en deux
triduums et de la simple idée de commencement et
d'achèvement des œuvres, que Schammaï avait déjà
remarquée dans le récit mosaïque de la création.
Talmu.l de Jérusalem, traité Haghiga, n, 1, trad.
Schwab, Paris, 1883, t. vi, p. 276-277. La sanctifica-
tion du 7e jour par le repos divin et la consécration du
sabbat, n, 1-3, termine le récit et fixe l'origine de la
semaine.
Mais cette disposition générale n'épuise pas le côté
schématique du récit de la création. Chaque jour de la
création a sa disposition particulière, qui complète
l'ordonnance systématique des œuvres de la création.
Cette disposition comprend sept membres qui ne se
retrouvent pas tous cependant dans l'œuvre de chaque
jour, et sous ce rapport, le schème n'est pas suivi d'une
manière uniforme. C'est d'abord l'expression de la
volonté créatrice de Dieu, i, 3, 6, 9, 11, 14, 15, 20, 24,
26; elle est redoublée au 3e et au 6e jour, dans lesquels
Dieu opéra deux œuvres distinctes. Vient ensuite l'ac-
complissement de la parole divine, exprimé par la
l'orme courte et précise : « Et cela se fit ainsi », i, 7, 9,
11, 15. 24; sa mention est omise au 1er et au 5e jour
comme après la création de l'homme. Cet accomplisse-
ment est ensuite décrit dans des termes analogues,
sinon identiques à ceux du commandement divin,
i, 3, 7, 12, 16, 17, 21, 25, 27; il n'est omis que pour la
séparation de la terre et des eaux au 3e jour. En 4e lieu,
Dieu nomme les œuvres qu'il vient de créer; mais cela
n'a lieu que pour les trois premières, la lumière et les
ténèbres, i, 5, le firmament, 8, la terre et les mers, 10.
Les plantes, les astres, les animaux et l'homme ne
reçoivent de Dieu aucun nom. Adam nomme les ani-
maux, ii, 19; Dieu nomme Adam, v, 2, qui donne lui-
même un nom à sa femme, il, 23. En 5e lieu, Dieu
trouve bonnes ses créatures : la lumière seule au
1er jour, i, 4, la double œuvre du 3e jour, 10,12, celles
du 4e, 18, du 5e, 21, et la première du 6e, 25. L'œuvre
du 2e jour et la création de l'homme n'ont pas cet
éloge; mais la création entière, quand elle est terminée,
■est dite très bonne, 31. En 6e lieu, la bénédiction de
fécondité est donnée aux poissons et aux oiseaux,
i, 22, et à l'homme seulement, 28; elle n'est accordée
ni aux plantes ni aux animaux terrestres; mais le
7e jour, qui n'a aucun des autres membres du schéma,
est béni et sanctifié, n, 3. Enfin, chaque jour, sauf le 7e,
se termine par la formule : « Et il y eut soir et il y eut
matin », complétée par son chiffre ordinal, i, 5, 8, 13,
19, 23, 31. 11 faut noter encore que les parties de ce
schème ne se suivent pas toujours dans le même ordre.
11 en résulte que la symétrie, quoique voulue et cher-
chée par l'auteur, n'a été pour lui qu'un accessoire,
puisqu'il ne l'a pas établie absolument parfaite et
régulière. Il est vrai que la version grecque dite des
Septante présente, à l'aide de transpositions et d'addi-
tions, une symétrie très régulière. Mais cette régularité
même, qu'on ne retrouve pas non plus dans ce qui
reste des versions d'Aquila, de Symmaque et de Théo-
dotion, éveille les soupçons et fait craindre que l'arran-
gement n'ait été fait après coup. Aucune raison intrin-
sèque ne milite en sa faveur. Cf. F. de HummelauiT,
Commcnlarius in Genesim, Paris, 1895, p. 83-81;
Le récit de la création, trad. franc., Paris, s. d. (1898),
p. 15-22, 219-225.
3° Ses caractères. — On les détermine par le but de
l'auteur, qui paraît avoir été double. — 1. L'auteur
a voulu raconter des faits réels, ceux de la création du
monde. Il enseigne que Dieu a créé toutes choses, le
ciel, la terre, la lumière, les astres, les végétaux, les
animaux et l'homme. Son récit n'est ni un mythe, ni
une fiction, ni même une allégorie; c'est sinon une
histoire, du moins une description réelle de faits
» entablement accomplis. La forme en est sobre com-
parativement surtout aux autres cosmogonies, claire
et aussi précise qu'elle pouvait l'être dans la langue
hébraïque et à l'époque reculée où l'auteur écrivait.
Quoique celui-ci ait employé des images et des méta-
phores, il n'a pas composé un poème, où tout aurait
été imagé. Son récit est, au contraire, remarquable par
l'élévation de la pensée, la précision des termes et la
solennité de l'affirmation. D'autre part, l'écrivain n'a
pas voulu rédiger un traité savant, faire un exposé
scientifique de cosmologie. Son unique dessein étant
d'établir que Dieu est le créateur de toutes choses, il
s'est mis à la portée de tous, et pour exposer les vérités
les plus profondes, il a recouru à un langage populaire
et figuré : il a attribué à Dieu la parole comme à un
homme, il l'a montré commandant aux créatures de se
produire, s'encourageant à créer l'homme, approuvant
son œuvre, la trouvant bonne et la bénissant. Mais
pour créer, Dieu n'avait pas besoin de parler, sa volonté
suffisait ; les anthropomorphismes du récit ne nuisent
pas à la réalité des vérités essentielles que l'auteur
voulait enseigner. La créature est bonne parce qu'elle
est conforme à l'idée que le créateur en avait, en
l'appelant à l'existence. L'homme pour lequel le monde
a été créé est le centre et le roi de la création; quoique
formé de matière, il est par son âme l'image de Dieu;
il est supérieur au reste de la nature terrestre et il a le
droit de la dominer et de s'en servir. Dieu n'a créé
qu'un seul couple, duquel dérive toute l'humanité. Ces
vérités sont enseignées clairement et simplement, sous
une forme concrète et par l'affirmation de faits énoncés
sans commentaire ni théorie.
2. L'auteur a eu un second but, celui d'inculquer le
précepte positif de l'observation du sabbat, en indi-
quant l'origine divine de la semaine. Pour cela, il a pris
le travail et le repos de Dieu comme modèles du travail
de l'homme en six jours et de son repos le septième
jour. Il a donc groupé les principales œuvres divines
en six jours de vingt-quatre heures, constitués par un
soir et un matin. Les actes créateurs qu'il mentionne
sont au nombre de huit. Or, pour les introduire dans
son cadre de six jours de travail, il réunit deux de ces
actes au 3e et au 6e jour. Le cadre delà semaine divine
est donc factice et ne représente pas la succession réelle
des œuvres de Dieu. Aussi bien Dieu aurait pu, s'il
l'eût voulu, créer tous les êtres de l'univers en un
instant, par un seul acte de sa volonté toute-puissante
et il aurait pu espacer les créations particulières autant
qu'il l'aurait voulu. Si le récit de la Genèse les groupe
en six jours d'une même semaine, ce n'est pas une
raison de penser que les actes créateurs ont été produits
dans ce laps de temps. La durée de vingt-quatre heures
ne fixe pas les limites de l'action créatrice. La période
de six jours de travail, suivie du repos divin, appartient
au cadre systématique du récit et ne nous renseigne
pas sur la durée de la création du monde. Elle ne sert
qu'à faire du travail de Dieu le type du travail de
l'homme.
Quant à la disposition des huit actes créateurs dans
le cadre des six jours, suit-elle l'ordre historique et
chronologique des faits? Les scolastiques y ont vu
plutôt un ordre logique, quand ils y ont distingué
Vopus distinctionis et ï'opus ornatus. L'auteur n'a pas
énoncé toutes les œuvres divines, il n'a pris que les
principales. Pour son but d'instruction, il n'avait pas
besoin d'être complet. Il a envisagé le monde tel
qu'il apparaissait à ses yeux. Il a considéré le ciel
et la terre, et il a affirmé qu'ils avaient été créés par
Dieu; il a vu qu'ils étaient remplis d'êtres variés, et il
a dit que tous ceux qu'il désignait étaient l'œuvre du
créateur. Mais son énumération n'est ni complète ni
scientifique, et il s'est borné aux grandes catégories des
êtres. Il n'a pas parlé des minéraux, et parmi les végé-
taux, il n'a nommé que le gazon, les plantes et les arbres
2329
HEXAMERON
2330
f.uitiers, c'est-à-dire les espèces les plus utiles à
l'homme, celles qui sont à son usage constant. Sa no-
menclature des animaux terrestres est aussi simple et
d'ordre aussi pratique : elle comprend seulement les
animaux qui vivent en troupeaux, les bêtes rampantes
et le gibier; cette classification est faite exclusivement
au point de vue des bergers et des agriculteurs. D'autre
part, dans la disposition des créatures, l'auteur va tou-
jours du simple au composé. Cette disposition est donc
plutôt logique que strictement chronologique; elle est
le résultat d'un raisonnement très simple et très popu-
laire. Elle est ainsi adaptée à la mentalité de lecteurs
peu instruits des sciences, auxquels elle apprend claire-
ment, non pas seulement cette vérité idéale que Dieu
est le créateur du monde, mais bien ces faits particu-
liers que tous les êtres visibles de l'univers sont des
œuvres de Dieu. Cependant, toute succession régulière
n'est pas exclue absolument : Dieu, qui a créé et organisé
le monde, ne l'a pas fait au hasard; dans l'origine des
choses il a suivi un ordre de succession réel; il a procédé
du moins parfait au plus parfait; il a créé les éléments
du monde, puis les réceptacles des êtres et enfin les
êtres eux-mêmes qui habitent ces réceptacles. Cet ordre
de succession est rationnel, et il est digne de la sagesse
et de la puissance du créateur. Et ce n'est pas seule-
ment une idée que l'auteur inspiré enseigne par ce
moyen; c'est un fait qu'il affirme, en recourant à
un procédé intelligible aux esprits les plus simples.
La Commission biblique n'a-t-elle pas reconnu, le
30 juin 1909, qu'en écrivant le Ier chapitre de la Genèse,
l'intention de l'auteur sacré n'a pas été d'enseigner
scientifiquement la constitution intime des choses
visibles et l'ordre complet de la création, mais plutôt
de donner à son peuple une connaissance populaire,
telle que le langage commm la comportait à cette
époque, accommodée aux sentiments et à la com-
préhension des hommes? n. 7. Acta aposlolicœ scdis,
Rome, 1909, t. i, p. 568.
4° Son origine. — 1. Origine mythique. — Pour les
critiques rationalistes, le Ier chapitre de la Genèse fait
partie du code sacerdotal ou de la source P, qui est
d'origine récente et date au plus tôt de la fin de la
captivité des juifs à Babylone. Voir col. 1194-1195.
Toutefois, s'ils attribuent à l'auteur du code la par-
tie schématique du récit, quelques-uns d'entre eux
estiment qu'il a emprunté les matériaux qu'il a intro-
duits dans ce cadre factice à une ancienne tradition
d'Israël, dérivée elle-même des mythes babyloniens et
phéniciens, à une époque bien antérieure, par voie
d'épuration et remaniée et retouchée au cours des
siècles, avant d'être enfin mise par écrit dans son état
actuel. Ils ont comparé le récit génésiaque aux mythes
de la création des Assyro-Babyloniens et des Phéni?
ciens, peuples voisins d'Israël, et ils ont constaté entre
eux, à côté de différences qui proviennent de milieux
religieux différents, des ressemblances qui prouvent la
dépendance du premier vis-à-vis des autres. On con-
naissait depuis longtemps la cosmogonie des Baby-
loniens, rapportée par Damascius et par Bérose. Mais
un texte cunéiforme, qui a été découvert en 1873 par
George Smith dans les ruines du palais d'Assurbanipal
et qu'on a nommé la Genèse chaldéenne, a présenté de
nouveaux rapprochements avec le texte de la Genèse.
On le nomme aujourd'hui Enuma Elié, de ses premiers
mots. Le texte a été reproduit dans les Transactions
of the Society of biblical archœology, 1875, t. iv b, p. 363;
1876, t. v, p. 426-440 (la 4e tablette, trouvée par Bas-
sani, a été publiée par Budge, Proceedings of the So-
ciety of biblical archœology, 1887, t. x, p. 86); par Fried.
Delitzsch, Assyrische Lesestùcke, 2e édit., p. 82 sq. ;
dans Cuneijorm texts from Babylonian tablels, t. xm;
par King, Z7ie seven tablels of création, Londres, 1902.
t. i et n ; par le P A. Deimel, Enuma Elis sive Epos
babylonicum de crcatione mundi, Borne, 1912. Il a été
transcrit et traduit par G. Smith, Chaldean account of
Genesis, Londres, 1876, p. 65-67; Fox Talbot, Trans-
actions of the Society of biblical archœology, t. v, p. 1-
21; Oppert, dans E. Ledrain, Histoire d'Israël, Paris,
1879, t. i, p. 411-421; F. Lenormant, Les origines de
l'histoire d'après la Bible et les traditions orientales,
2e édit., Paris, 1880, t. i, p. 507-516; Schrader, Keil-
inschrifUn und das Alte Testament, 2e édit., p. 1 sq. ;
Sayce, Hibbert lecture, p. 384 sq. ; Records of the past,
nouvelle série, t. i, p. 133 sq. ; H. Winckler, Keilin-
schriftliches Textbuch zum A. T., Leipzig, 1892, p. 88 sq;
Zimmer, dans H. Gunkel, Schôpfung und Chaos in
Urzcil und Endzeit, Gœttingue, p. 401-417; F. Vigou-
reux, La Bible et les découvertes modernes, 6e édit., Paris,
1896, t. i, p. 218-229; Fried, Delitzsch, Das baby-
lonische Wcllschôpfungepos, Leipzig, 1896. p. 92 sq.;
Jensen, Mythen und Epen, dans Keilinschri/lliche
Bibliothek de Schrader, Berlin, 1900, t. vi, p. 2 sq.;
P. Dhorme, Choix de textes religieux assyro-babylo-
niens, Paris, 1907, p. 2-81. Sur ce poème, voir
J. Lagrange, Études sur les religions sémitiques, 2e édit.,
Paris, 1905, p. 369-3S1. On a constaté entre ce poème
et le début de la Genèse un certain nombre de res-
semblances : les plus frappantes sont la mer primitive
ou l'abîme des eaux, dont le nom Tehôm se rapproche de
Tiàmat, la séparation des eaux et la production du
firmament, enfin la création des étoiles.
C. Budde fut le premier à émettre l'hypothèse que
l'écrivain biblique aurait emprunté son récit de la créa-
tion au mythe babylonien. Die biblische Urgcschichte,
Giessen, 1883, p. 485. Jensen fut plus affirmatif, parce
qu'il lui parut que la suite des événements était iden-
tique dans les deux documents. Kosmologie der Baby-
lonier, Strasbourg, 1890, p. 306. H. Gunkel fit une
étude complète du sujet. Après avoir remarqué d'abord
que le chaos primitif et la création des astres avaient
été empruntés à u'ie tradition babylonienne, il établit
une série de rapprochements entre la Genèse et le
poème chaldéen, et il conclut à la dépendance de la
première relativement au second. Les différences reli-
gieuses qui existent entre les deux documents lui firent
reconnaître que l'auteur du code sacerdotal n'avait pas
emprunté directement au poème chaldéen les détails
communs, ainsi que le prétendait J. Halévy, Revue
sémitique, janvier et avril 1893. Comme il avait relevé
dans plusieurs livres de l'Ancien Testament une série
de textes qui lui paraissaient reproduire des données
du poème chaldéen, notamment la lutte au dragon ou
de Tiamat sous les noms de Bahab, de Léviathan et de
Béhémoth contre Dieu et l'océan primitif, il en conclut
que la tradition hébraïque avait modifié graduelle-
ment le mythe de Mardouk et que l'écrivain sacerdotal
l'avait recueillie et consignée par écrit dans cet état de
retouche et de remaniement. Il en résultait que le
mythe babylonien avait été connu en Israël longtemps
avant la captivité à Babylone et que l'emprunt, fait
par les Israélites, remontait très haut, qu'il était
antérieur à l'époque des prophètes et que rien ne prou-
vait qu'il ne fût pas contemporain de la venue d'Abra-
ham au pays de Chanaan. Schôpfung und Chaos in
Urzeit und Endzeit, p. 1-170; Genesis, 2« édit., Gœt-
tingue, 1902, p. 103-115; 3e édit., 1909, p. 101-131.
Zimmern a tenu aussi l'origine babylonienne du cha-
pitre ier de la Genèse comme démontrée, cf. Schrader,
Die Keilinschriflen und das A. T., 3e édit., Berlin, 1903.
p. 506 sq., ainsi que Fned. Delitzsch, Babel und Bi bel,
Leinzia, 1902, p. 35. Voir aussi M. Jastrow, Hebnw and
R b'io ia • t dilion . Philadelphie, 1914, c. n, qui
réduit au minimum l'influence du mythe babylonien
de la création sur le chapitre Ier de la Genèse.
Cf. R duc bibliq , 1916, p. 597, 598. Le génie
hébreu aurait extrait par voie d'abstraction l'idée de
2331
HEXAMERON
2332
la création du monde d'un mythe babylonien qui ne
la contenait pas.
Quelques catholiques ont accepté l'hypothèse de
l'origine mythique et babylonienne du récit mosaïque
de la création. La tradition chaldéenne leur a paru plus
ancienne que la forme biblique, qui en serait sortie
par voie d'épuration. François Lenormant ouvrit la
voie. Les origines de l'histoire, 2e édit., Paris, 1880,
t. i, p. 1-5. A. Loisy- l'a suivi. Les mythes chaldéens
de la création et du déluge, Amiens, 1892, p. 2-34;
Le monstre Rahab et l'histoire biblique de la création,
dans le Journal asiatique, 9e série, 1898, t. xn, p. 44-67.
C'était seulement une hypothèse très vraisemblable,
que le cadre de la cosmogonie mosaïque avait été
fourni en partie à l'auteur du Pentateuque par la tra-
dition chaldéenne. Études bibliques, Paris, 1901, p. 70.
Le P. Lagrange admit catégoriquement que le cadre
littéraire de la cosmogonie révélée avait été emprunté
au poème chaldéen, non sans doute par une imitation
littéraire directe, mais par une influence ambiante.
Hexaméron, dans la Revue biblique, 1896, t. v, p. 397-
407. Holzhey a pensé que l'écrivain sacré, sous l'action
de l'inspiration divine, a épuré le mythe païen de toute
idée polythéiste et l'a animé de l'esprit monothéiste
pour lui faire exprimer les idées théologiques qu'il
voulait enseigner. Schôpfung, Bibel und Inspiration,
Stuttgart, 1902, p. 39-41. Th. Engert a admis aussi
l'emprunt indirect du chapitre ier de la Genèse aux
mythes sémitiques. Die Urzeit der Bibel. I. Die
Wtllschôpfung, Munich, 1907, p. 25-53. Il faut observer
que ces catholiques n'admettaient pas, comme on le
leur a reproché, l'introduction d'un mythe polythéiste
dans la Bible; ils prétendaient seulement que l'écrivain
inspiré avait emprunté aux mythes païens un simple
cadre littéraire dans lequel il avait formulé l'enseigne-
ment révélé du monothéisme primitif et de la création
de l'univers par le Dieu véritable et unique.
M. Vigouroux avait repoussé d'un mot l'hypothèse
de l'emprunt fait par la Bible aux légendes cunéi-
formes, en s'appuyant sur les différences du récit
mosaïque et du poème chaldéen : « Moïse a un tout
autre accent et ses paroles ont une tout autre signi-
fication. » La Bible et les découvertes modernes, t. i,
p. 237. D'autres critiques catholiques, sans nier non
plus les ressemblances entre le poème chaldéen et
le récit mosaïque, ont noté qu'elles ne portaient que
sur des points accessoires et que la différence fonda-
mentale résidait dans l'esprit religieux qui animait
les deux documents. Tandis que le début de la Genèse
est strictement monothéiste et qu'il enseigne expressé-
ment la création de l'univers entier par Dieu, le poème
chaldéen n'est pas seulement polythéiste, il est pan-
théiste et admet l'éternité de la matière première; il
est une théogonie autant qu'une cosmologie. Les deux
documents représentent donc des vues religieuses sur
le monde tout à fait opposées et l'une ne peut dériver
de l'autre. Les ressemblances s'expliquent par la com-
munauté de la tradition qui leur a servi de point de
départ et qui a été développée dans des sens absolu-
ment différents. Zapletal, Le récit de la création,
trad. franc., p. 116-137; J. Nikel, Genesis und For-
schungen. I. Die biblische Urgeschichtc, Munster, 1909,
p. 8-18; A. Kirchner, Die babylonische Kosmogonie
und der biblische Schôpfungsbericht, Munster, 1910;
M. Helzenauer, Commcnlarius in librum Genesis,
Graz et Vienne, 1910, p. 31-34; A. Condamin, Bab'j-
lone et la Bible, dans le Diclionnai e apologétique de
la foi c tholiq e, ('dit. d'Aïs, Paris, 1909, t. i,
col. 337-339 cf. col. 345; Christus, 2e édit., Paris,
1916, p. 700-703, 936. Du reste, on n'admet géné-
ralement pas que la mythologie chaldéenne ait
laissé dans la Bible, même en dehors du chapitre Ier
de la Genèse, des traces appréciables. Si la façon ]
poétique de décrire la lutte de Jahvé contre les
monstres Bahab (qui personnifie l'Kgypte), Léviathan,
et autres monstres qui désignent les puissances
ennemies d'Israël, est due à l'influence de quelque
poème mythique, la conception du mythe est com-
plètement transformée dans la Bible. Ces monstres
n'y sont pas représentés commedes principes premiers
(ainsi Tiâmât, qui, dans le poème chald en, est la
puissance du mal et des ténèbres, combattant contre
Mardouk à armes égales1, mais comme des créatures
de Jahvé, dont le Dieu d'Israël triomphe en souverain
absolu. Voir, dans le Dictionnaire de la Bible de
M. Vigouroux, les articles Béhémoth, Crocodile, Lévia-
than et Rahab. Cf. J. Lagrange, Éludes sur les religions
sémitiques, p. 381-383.
D'après le P. Lagrange, rien n'empêche que des
métaphores du c. Ier de la Genèse, n'aient été em-
pruntées a des traditions babyloniennes. Ce qui ne
leur a pas été emprunté, c'est le fait même de la
création totale par un pouvoir spirituel, fait dont
ces traditions n'ont pas le moindre soupçon. Cet ensei-
gnement est dû à la révélation primitive, qui a pu
être renouvelée à des hommes choisis par Dieu, tels
qu'Abraham et Moïse. Or, ces chefs religieux des
Hébreux, pour faire comprendre des vérités surna-
turelles à un peuple grossier, ont pu se servir d'ex-
pressions courantes et de traditions populaires em-
pruntées aux Babyloniens. Encore est-il que, pour
le c. Ier de la Genèse, les ressemblances se réduisent
à presque rien. Revue biblique, 1916, p. 5J8.
2. Origine directement révélée. — A l'extrême opposé
d'un emprunt direct ou indirect à un mythe païen, se
place le sentiment de plusieurs catholiques qui pré-
tendent que le récit biblique de la création a été direc-
tement révélé par Dieu. Ils supposent que Dieu a dû
révéler à Adam ou à Moïse le fait et le mode de la
création, dont personne n'avait été témoin et qui ne
sont pas accessibles à la seule raison humaine. Ce
mode de révélation directe leur paraît nécessaire pour
sauvegarder la réalité des faits racontés et de l'ordre de
la création des êtres. Mais tandis que les uns ne se
prononcent pas sur la manière dont Dieu a révélé à
notre premier père ou à l'auteur de la Genèse le fait et
l'ordre de la création, Th. Lamy, Commenlarium in
librum Geneseos, Malines, 1883, t. i, p. 104; L. Murillo,
El Genesis, Rome, 1914, p. 222-227, d'autres sou-
tiennent que cette révélation a dû être faite par Dieu
à Adam au moyen d'une vision extérieure, qui faisait
dérouler sous les yeux de notre premier père le tableau
des six jours de la création. C'est le protestant I. H
Kurtz qui a imaginé ce sentiment. Bibel und Astro-
nomie, Berlin, 1842. Le P. de Hummclauer l'a proposé
plusieurs fois. Der biblische Schôpfungsbericht, Fri-
bourg-en-Brisgau, 1877; dans les Stimmen aus Maria-
Laach, 1882, t. xxn, p. 97; Comment, in Gcnesim,
p. 69-74; Le récit de la création, trad. franc., p. 229, 245,
263-274. Il établit son sentiment sur un argument de
parité, tiré de la vision qu'Adam a eue de la création de
la femme, Gen., n, 21, et sur cette raison intrinsèque,
que le récit si vivant et si coloré du c. Ier de la Genèse
est plutôt une narration de choses vues et entendues
que la répétition de ce qui a été entendu de la bouche
d'un autre. Il en conclut que Dieu a révélé à l'homme
le procédé de la création en le lui présentant dans une
vision comme une œuvre de six jours, et c'est la seule
manière d'expliquer les six jours. Le P. Corluy admît
d'abord la vision comme possible, Spicilegium dogma-
tico-biblicum, Gand, 1884, t. i, p. 188, puis comme
vraisemblable. Science catholique du 15 juillet 1889.
G. Hoberg a adhéré à l'explication du P. de Hummc-
lauer, Die Genesis nach dem Lileralsinn erklarl, 2e édit.,
Fribourg-en-Brisgau, 1908, p. 1-5. La vision de la créa-
tion n'a pas été pour Adam purement symbolique;
2333
HEXAMERON
2334
elle a été littérale pour la série des œuvres révélées,
■et symbolique seulement pour leur disposition dans
les six jours de la semaine. Le P. Méchineau s'est rallié,
lui aussi, à l'hypothèse de la vision. L'historicité des
trois premiers chapitres de la Genèse, Rome, Paris,
Louvain, 1910, p. 99-100, 151-152, ainsi que P. Lanier,
La Bible et les origines du monde, dans la Revue du
clergé français, 1910, t. lxii, p. 541, et le P. Dillmann,
oblat, Erklarungsversuche zum Sechstagewerk, dans
PastoT bonus, 1913, t. xxv, p. 723-736. J. Sim, The
draina of création, dans Expositor, Londres, 1897, t. n,
p. 309-320, 387-400, 450-459, a soutenu aussi la théorie
de la révélation en songe ou en vision.
Mais l'explication de la révélation par vision n'est
pas nécessaire. Le texte du récit ne laisse nullement
supposer qu'il a été l'objet d'une vision, et son style
vivant et coloré s'explique tout autrement. Si Adam
a vu la création d'Eve en vision, le texte l'exprime
formellement, et la parité établie entre cette création
et celle du monde n'est pas prou vte; il suffisait que Dieu
révélât la création du monde au premier homme par
n'importe quel moyen. Il n'était pas nécessaire qu'il
montrât â Adam en vision comment la création s'était
faite, ni qu'un récit de cette vision se transmît verba-
lement d'Adam à Moïse. Enfin, la distribution des
■œuvres divines dans six jours de la semaine s'explique
tout aussi bien par une classification de l'auteur du
récit, faite sous l'influence de l'inspiration divine.
3. Origine traditionnelle. — Bien que le fait de la
création soit, d'après le concile du Vatican, connais-
sable par la raison, voir t. in, col. 2192-2195, et que
la raison donne de bons arguments en faveur de la
création, ibid., col. 2100-2109, parce que le comment de
la création ex nihilo reste mystérieux, ibid., col. 2037,
les commentateurs catholiques de la Genèse admettent
tous que le fait et le mode de la création du monde ont
été révélés par Dieu au début de l'humanité; mais ils
n'admettent pas pour autant que le récit de la Genèse
ait été directement révélé par Dieu à Adam et à Moïse.
Quelques-uns trouvent une preuve de la révélation pri-
mitive de la création dans l'accord foncier que pré-
sentent, malgré de nombreuses divergences de détail
et les erreurs polythéistes qui y sont mêlées, les tradi-
tions de tous les peuples sur la création du monde.
Cf. H. Luken, Les traditions de l'humanité, trad. franc.,
Paris, Tournai, 1862, 1. 1, p. 42-93. La révélation primi-
tive, altérée chez les polythéistes, se serait conservée
pure de toute erreur dans la famille d'Abraham et dans
le peuple juif. Un écrivain sacré, soit Moïse lui-même,
soit un de ses prédécesseurs si l'auteur de la Genèse
a reproduit un morceau antérieur, sous l'action de
l'inspiration divine, aurait fixé par écrit le récit tradi-
tionnel et nous aurait transmis un récit exempt de
toute erreur et vrai dans son objet J. Selbst, Das Alte
Testament, dans Handbuch zur Biblischen Geschichte,
6e édit., Fribourg-en-Brisgau, 1910, t. i, p. 105-108;
M. Hetzenauer, Comment, in librum Genesis, p. 3 1-36.
M. Vigouroux, comparant la cosmogonie mosaïque avec
la cosmogonie chaldéenne, admet, à cause de leurs res-
semblances, qu'elles représentent une tradition com-
mune à l'origine, mais qui a pris des couleurs diverses
en passant par des canaux différents. La tradition
biblique est plus pure et plus rapprochée de la source
que les traditions chaldéennes, qui ont été altérées et
défigurées par les idées polythéistes qu'elles expriment;
l'écrivain inspiré l'a reproduite sans mélange d'erreur
et comme exprimant la vérité révélée par Dieu à l'ori-
gine. La Bible et les découvertes modernes, t. i, p. 237-
238.
4. Origine simplement inspirée. — M. Nikel a suivi
une autre voie. Constatant que les traditions cosmogo-
niques des peuples n'étaient pas d'accord, il a nié
qu'elles prouvent l'existence d'une révélation ou d'une
tradition primitive sur la création de l'univers. Bien
plus, si Dieu avait révélé aux anciens patriarches,
Abraham, Isaac et Jacob, ou au premier prophète
inspiré d'Israël, à Moïse, le mode de la création
première, le peuple d'Israël n'aurait eu qu'une seule
manière de parler de la création. Or, indépendamment
des deux récits de la création qui se suivent dans la
Genèse, i, 1-n, 4 a; n, 4 6-25, et qui ne sont pas d'accord
dans la manière de décrire la création, on trouve dans
l'Ancien Testament d'autres descriptions différentes
de la création; ainsi Job, xxxvm, 3-11; Ps. civ, 5-9;
Prov., vin, 24-29. Il faut donc en conclure qu'il n'y a
pas eu à l'origine de récit révélé de la création du
monde, et que le c. Ier de la Genèse est l'œuvre d'un
auteur inspiré, qui l'a composé librement, d'après ses
connaissances personnelles, en groupant les huit prin-
cipales actions créatrices de Dieu dans les six jours de
la semaine. Bien qu'étant une libre composition d'un
écrivain hébreu, le c. Ier de la Genèse n'est pas cepen-
dant une œuvre purement naturelle. Par son caractère
monothéiste, il a son fondement dans l'idée surnatu-
rellement révélée de Dieu, telle qu'elle était conservée
dans Israël sous l'influence des prophètes. Il est donc
venu médiatement de la révélation surnaturelle, puis-
que les idées religieuses et morales qu'il exprime ont
été révélées et ont une valeur éternelle, qui est indé-
pendante du progrès des sciences profanes. A lie und
neue Angrif/e auf das A. T., 2e édit., Munster, 1908,
p. 15; Das A. T. im Lichle der altorientalischen For-
schungen. I. Die biblische Urgeschichle, p. 19-25.
Pour sauvegarder donc la vérité divine et révélée du
récit de la création, quoi qu'il en soit d'ailleurs d'une
révélation primitive de la création faite à Adam, il
suffit que Moïse ait, par l'effet de l'inspiration divine,
rédigé ce récit, cf. S. Chrysostome, In Gen., homil. vu,
n. 4, P. G., t. lui, col. 65, ou même l'ait emprunté à un
document antérieur, comme le pensait F. Kaulen,
Einleilung in die heilige Schrift, 2e édit., Fribourg-en-
Brisgau, 1890, p. 164, et l'ait inséré en tête de son écrit
comme un document vrai et digne de croyance. Il en
résultera que les faits de la création de l'univers et des
êtres qui le peuplent sont garantis par l'inspiration
divine, et par conséquent vrais et réels. Il n'en résul-
tera pas que l'ordre de ces faits et leur disposition dans
le cadre de six jours, étant une libre composition d'un
écrivain hébreu, même inspiré, sont absolument réels
et historiques. L'ordre des œuvres de Dieu et leur dis-
tribution dans les six jours de travail divin de la se-
maine pourront être considérés comme une vue parti-
culière de l'auteur; ce sera le cas, par exemple, pour la
place donnée à la création du soleil, de la lune et des
étoiles au 4e jour. En dressant son cadre de sept jours,
qui ne se retrouve dans aucune cosmogonie païenne,
l'auteur y a disposé, sous l'inspiration divine, les princi-
paux actes créateurs, afin de présenter aux Israélites
l'œuvre de la création comme le modèle de la semaine.
Ainsi entendu, le c. Ier de la Genèse ne contient ni
mythe ni erreur, mais la vérité révélée, exposée sui-
vant un plan que l'auteur s'est tracé lui-même, de son
propre esprit, mais sous l'inspiration divine. Cette
explication, fondée sur l'inspiration de Moïse, garantit
la vérité objective des faits racontés aussi bien que la
théorie de la vision. Le récit de la création est donc une
narration de choses vraiment accomplies, et non pas
un récit de choses fabuleuses tirées des mythologies
ou des cosmogonies pa ennes, une série d'allégories
et de symboles dépourvus de iv alité objective et pro-
posés sous forme d'histoire pour inculquer des vérités
religieuses et philosophiques. Cette façon de l'envisa-
ger est donc absolument conforme à la décision de la
Commission biblique, du 30 juin 1909, et elle corres-
pond entièrement à sa deuxième réponse. Acla apo-
tlolicse sedis, Rome, 1909, 1. 1, p. 567.
2335
HEXAMERON
2336
C. Holzey, Schôpfung, Bibel und Inspiration, Stuttgart,
1902; H. I.esêtre, Les récits de l'histoire sainte. La création,
dans la Revue pratique d'apologétique, du 1" lévrier 1906,
t. i, p. 400-401; E. Dennert, Die Grenzen der Offenbarung
im biblischen Schôpfungsbericht, dans Glauben und Wissen,
1906, t. iv, p. 47-57; P. Bachmann, Der Schôpfungsbericht
und die Inspiration, dans Neue kirchliche Zeitschrijt, 1907,
t. xvii, p. 383-406; Der Schôpfungsbericht im Unterricht,
ibid., 1907, t. xvm, p. 743-762; N. Peters, Glauben und
Wissen im ersten biblischen Schôpfungsbericht, Paderborn,
1907; E. Minjon, Die dogmatischen und literarischen Grund-
lagen zur Erklàrung des biblischen Schopfungsberichtes,
Mayence, 1910 (a paru dans Der Katholik, 1910, p. 255-272,
345-363, 409-434).
II. Les diverses interprétations du récit. —
Malgré sa clarté et la facilité de sa traduction, le récit
de la création a reçu, au cours des âges, diverses inter-
prétations, parce qu'on y a mêlé souvent des idées
étrangères, empruntées aux sciences de la nature.
1° Pendant l'antiquité ecclésiastique, le moyen âge
et les temps modernes jusqu'au XVIIV siècle. — Les
Pères apostoliques et apologistes ont parlé de la créa-
tion et du créateur, voir t. m, col. 2057-2064, 2112, ils
n'ont pas expliqué l'Hexaméron, ou bien leurs expli-
cations ne nous sont pas parvenues. Cf. S. Théophile
d'Antioche, Ad Autol., 1. II, c. xm, P. G., t. vi, col.
1069-1071; Anastase le Sinaïte, Contempl. anagog.
Jn Hexaem., 1. VII, P. G., t. lxxxix, col. 961 sq.
1. École allégorique d' Alexandrie. — Elle est héritière
de l'interprétation allégorique des juifs d'Alexandrie,
qui, comme Aristobule et Philon, voyaientdans les jours
de la création des symboles et des figures. Clément
admettait avec Philon la création simultanée de toutes
choses, Strom., VI, 16, P. G., t. ix, col. 369, tenait la
distinction des jours non comme une succession réelle
du temps, mais comme une manière de parler accom-
modée à l'intelligence humaine et représentant l'é-
chelle graduée des êtres de l'univers. Le jour dans
lequel Dieu crée le monde, c'est le Verbe. Ibid., col. 376.
Origène justifiait la même idée sur les jours géné-
siaques,en s'appuyant sur l'œuvre du quatrième jour.
II est impossible qu'il y ait eu des jours réels avant la
création du soleil et de la lune. Les trois premiers jours
ne furent donc pas un espace de temps; c'est une figure
qui exprime la gradation des êtres. De principiis,
1. IV, 16, P. G., t. xi, col. 376-377. Origène avait
exposé les mêmes idées dans son commentaire sur la
Genèse, dont il ne reste que des fragments. Il le rap-
pelle pour répondre à une objection de Celse, et il cite
Gen., n, 4, pour montrer que la création n'a pas eu
lieu en l'espace de six jours. Cont. Celsum, 1. VI, 60,
P. G., t. xi, col. 1389. Aussi interprète-t-il allégorique-
ment l'œuvre entière des six jours. Homil. in Genesim,
P. G., t. xn, col. 145 sq. Saint Athanase enseignait
aussi la création simultanée, toutes les espèces ayant
été créées ensemble par un seul et même commande-
ment. Orat., ii, cont. arianos, n. 60, P. G., t. xxvi,
col. 276. Saint Cyrille d'Alexandrie interprète plusieurs
détails du récit de la création dans un sens allégorique,
mais il n'admet pas la création simultanée. Glaph. in
Gen., 1. I, P. G., t. lxix, col. 13, 16. Au vn" siècle,
Anastase le Sinaïte, tout en blâmant l'abus qu'Origène
avait fait de l'allégorie dans l'interprétation du récit
de la création, ne fait que des applications allégoriques
de l'Hexaméron à l'Église et il se préoccupe peu de la
manière dont le monde a été créé. In Hexaemeron,
prsef., P. G., t. lxxxix, col. 856.
2. Écoles d'Édesse et d'Antioche. — Saint Éphrem,
le chef de l'école d'Édesse, rejette expressément la
création simultanée et il admet la réalité des jours de
la création, qui ont été des jours de 24 heures. In Gen.,
Opéra syriaca, Rome, 1737, t. i, p. 6. Le saint docteur
expose donc successivement quelles créatures ont été
produites à chacun des jours de l'Hexaméron. Ibid.,
t. i, p. 6-18. Cf. Uhlemann, Die Schôpfung (d'après
saint Éphrem), dans Zeilschrifl fur die hislorische.
Théologie, 1833, t. m, p. 104-300. L'école exégétique
d'Antioche s'en tenait aussi ordinairement au sens
littéral et rejetait les allégories forcées. D'après Philo-
pon, De mundi creatione, 1. I, c. vm, dans Galhntl,
Bibliotheca veterum Patrum, t. xn, p. 480, Théodore de
Mopsueste admettait la création progressive et il
disait en particulier que les ténèbres n'avaient disparu
que peu à peu devant l'apparition graduelle de la
lumière. Saint Chrysostome repousse la théorie de la
création simultanée. In Gen., homil. m, n. 3, P. G.,
t. lui, col. 35. Dans ses homélies sur la cosmogonie
mosaïque, il cherche à expliquer le texte au sens littéral
sans prétendre rendre compte de ce qui dépasse sa
portée. Sévérien de Gabales a prononcé six discours
De mundi creatione, dans lesquels il enseigne qu'au
1er jour, Dieu a tout tiré du néant et que les jours sui-
vants, il n'a fait que donner la forme et la beauté à
cette matière, Orat., i, n. 3, 4, P. G., t. lvi, col. 433,
et il explique l'œuvre des six jours d'après cette vue
générale. Théodoret est un des partisans les plus déci-
dés du sens littéral. Dans son interprétation de l'Hexa-
méron, il admet la distinction des jours et, pour expli
quer les œuvres de chaque jour, il cite souvent les
opinions de ses prédécesseurs, sans se prononcer lui-
même. Quœst. in Gen., inter. vi-xvii, P. G., t. lxxx,
col. 88-97. Cf. Diestel, dans Theologische Sludien und
Kritiken, 1866, p. 229 sq. Saint Cyrille de Jérusalem
fait une belle description de la création. Cal., ix, P. G.,
t. xxxin, col. 641-656. Dans ses autres Catéchèses, il
dit que l'eau est le principe du monde, Cat., m,
col. 433, et que le monde a été créé au printemps.
Cal-, xiv, col. 836. Au vie siècle, Cosmas Indicopleuste
emprunte aux auteurs antérieurs ce qui lui paraît de
plus plausible sur le c. Ier de la Genèse et il cite souvent
Sévérien de Gabales dans sa Topographia chrisliana,
P. G., t. lxxxviii, col. 51 sq. Beaucoup de ses idées
scientifiques, notamment sur la forme de la terre et
•des astres, sont fausses, parce qu'il prenait à la lettre
des expressions figurées de l'Écriture.
3. Les Pères cappadociens et leurs imitateurs. — Ils
tiennent le milieu entre l'école alexandrine et l'école
syrienne, et ils mêlent l'allégorie â la lettre. Tout en
admettant le principe de l'allégorisme, ils ne l'ap-
pliquent pas a l'œuvre des six jours, qu'ils expliquent
au sens littéral. Sous le nom de création simultanée,
emprunté aux Alexandrins, ils entendent la création de
la matière élémentaire, dont l'élaboration eut lieu
pendant les six jours mosaïques. Ils introduisent la
science profane dans leur interprétation de l'Hexa-
méron. Saint Grégoire de Nazianze n'a pas fait un
exposé détaillé du c. Ier de la Genèse. Il a seulement
expliqué la création de la lumière dans un de ses dis-
cours. Orat., xliv, n. 4, P. G., t. xxxvi, col. 609.
Il admettait la création de la matière première, suivie
de son organisation. Ibid., et Oral., n, n. 81, P. G.,
t. xxxv, col. 488. Saint Basile a expliqué l'Hexaméron
en neuf homélies, à la fois exégétiques et pratiques.
Dès la ire homélie, il accepte la création simultanée
des éléments de la matière et son organisation durant
les six jours cosmogoniques, n. 6, 7, P. G., t. xix, col.
16-17, 20. Ces jours sont de 24 heures et les trois
premiers ont été réglés par la lumière primitive. Homil.
n, n. 8, col. 48-49. Il résume toute la science de son
temps dans l'interprétation de chacun des six jours.
Son Hexamêron a été traduit par E. Fialon, Étude,
historique et littéraire sur S. Basile, Paris, 1865, p. 301-
511. Cf. Cruice, Essai critique sur l'Hexaméron dt
S Basile, Paris, 1844. Afin d'expliquer certains pas-
sages de l'œuvre de saint Basile, saint Grégoire de
Nysse composa, à la demande de leur autre frère,
saint Pierre évêque de Sébaste, un nouveau com-
2337
HEXAMEKON
2338
mentaire de l'Hexaméron. Il se proposait de faire un
travail plus scientifique que les homélies de son frère,
qu'il voulait compléter au sujet des trois premiers
jours de la création. Il admit, comme lui, la création
simultanée de tous les principes des choses, et il expli-
qua la distinction des jours par la nécessité où Moïse
•était de mettre de l'ordre dans son récit. Les créatures
individuelles ont été produites durant les six jours.
In Hexaemeron, P. G., t. xliv, col. 69, 72, 77. Saint
Grégoire donne ensuite une interprétation littérale du
récit mosaïque. Ce qui caractérise son explication.
<-'est qu'il montre comment la matière première évolue
selon les lois posées par le créateur et engendre, non au
hasard, mais comme Dieu l'avait prévu et voulu, les
divers êtres qui apparaissent successivement, la lu-
mière d'abord, séparée des ténèbres, le firm. me ît,
la séparation des eaux et de la terre et la condensation
de la lumière primitive en astres par sa rotation
autour de la terre. C'est donc une tentative d'explica-
tion scientifique des trois premiers jours de la création.
Sa théorie semble bien exiger un long développement
de la matière, selon les lois de la nature; aussi saint
Grégoire évite-t-il avec soin de se prononcer sur la durée
des jours mosaïques.
On peut rattacher aux Pères cappadociens Procope
de Gaza, qui avait recueilli toutes les explications anté-
rieures de l'Hexaméron et qui en publia seulement un
abrégé. Il reproduit souvent et presque littéralement
le commentaire d'Origènc, mais il admet la distinction
des jours, le sens littéral du texte et plusieurs des opi-
nions des Cappadociens. Les jours toutefois ne sont que
pour l'ordre du récit. Comment, in Gen., i, 5, P. G.,
1. lxxxvii, col 60-61. Cependant, la lumière primitive
brilla trois jours, avant qu'elle ne soit condensée dans
le soleil, i, 15. Ibid., col. 85. A la même époque (vie siè-
cle), Jean Philopon emprunta à saint Basile et à saint
Grégoire de Nysse ses idées sur le c. ier de la Genèse.
Comme eux, il admet la création simultanée de la
matière élémentaire, et il place la production des êtres
particuliers dans l'espace des six jours mosaïques. Il
adopta ensuite successivement les explications de
saint Basile et de saint Grégoire de Nysse, de manière
à former un commentaire scientifique de l'Hexaméron.
De mundi creutione libri VII, dans Galland, Biblio-
theca veterum Palrum, t. xn. L'auteur de l'Hexaméron
qui porte le nom de saint Eusthate d'Antioche n'a
guère fait qu'un extrait des homélies de saint Basile.
Comment, in Hexaemeron, P. G., t. xvm, col. 707 sq.
Jacques d'Édesse, qui écrivit son Hexaméron en 708
et qui mourut avant de l'achever, compose plutôt
une encyclopédie scientifique qu'un commentaire,
appelle création première la création des quatre élé-
ments : la terre, l'eau, l'air et le feu. Il décrit l'état de
la terre avant la séparation des eaux. P. Martin,
L'Hexaméron de Jacques d'Édesse, dans le Journal
asiatique, 8e série, 1888, t. xi, p. 401-402, 421. Cf. In
Gen., dans S. Éphrem, Opéra syriaca, t. i, p. 116 sq.
Saint Jean Damascène emprunte ses interprétations
<osmogoniques aux écrivains antérieurs, soit à ceux
de l'école d'Antioche, soit surtout aux Pères cappa-
dociens. Il ne se décide pas aisément dans les questions
controversées et il se borne assez souvent au rôle de
rapporteur. De fide orlhodoxa, 1. II, c. vi, P. G., t. xciv,
col. 880 sq.
4. Les Pères latins. — ■ Ils ne se groupent pas en écoles
bien tranchées, et ils joignent leurs idées personnelles
à celles de leurs devanciers. Saint Victorin de Peltau
admet la distinction réelle des jours et il entend le récit
biblique littéralement, mais sans donner aucune expli-
cation scientifique. Traclatus de fabrica mundi, P. L.,
t. v, col. 301-314. Lactance a touché à la cosmogonie
mosaïque dans ses Inslitutiones divinœ, 1. II, n. 5-13,
P. L., t. vi, col. 276-325, mais son exposition est sur-
D1CT. DE THÉOL. CATH.
tout dogmatique. Saint Hilaire de Poitiers a emprunté
à la théorie alexandrine la doctrine de la création si-
multanée. De Trinitale, 1. XII, n. 40, P. L., t. x, col.
58 sq. Saint Ambroise a prêché à Milan, au carême de
389, sur l'Hexaméron. Il s'est beaucoup servi des
homélies de saint Basile, et il a exposé à la fois le sens
littéral et le sens mystique du texte. Son Hexaemeron
est divisé en six livres, correspondant aux jours de la
création. L'évêque de Milan admet la création de la
matière élémentaire, qui est ensuite transformée,
coordonnée et disposée pendant les six jours de la
Genèse, qui sont des jours de 24 heures, P. L., t. xiv,
col. 134 sq. L'Hexaméron de saint Ambroise a été
traduit par Nourrisson, Les Pères de l'Église latine.
1856, t. i, p. 275-278. Saint Jérôme a expliqué quel-
ques points seulement de la cosmogonie mosaïque: il
établit surtout le sens littéral. Quœst. hebraiese in
Genesim, P. L., t. xxm, col. 935; Epist., lxix, ad
Oceanum, P. L., t. xxn, col. 659.
Saint Augustin s'y est repris à trois fois pour com-
menter la Genèse. Voir t. i, col. 2300. On a résumé
déjà, t. i, col. 2349-2355, les principales idées cosmo-
logiques de l'évêque d'Hippone, qui fut le chef de
l'école que l'on a pu appeler éclectique, parce qu'elle
empruntait à tous les autres systèmes d'interprétation
Pour lui, la création a été simultanée, et les jours du
récit biblique ne sont que des symboles sur la signi-
fication desquels il n'a jamais été bien fixé.
Les idées de saint Augustin ont été acceptées par
la plupart des écrivains ecclésiastiques de l'Occident,
qui l'ont suivi. La création simultanée et la simple
différence des œuvres, disposée en six jours non réels,
ont été enseignées par saint Prosper d'Aquitaine,
Senlcnlise ex Auguslino, n. 141 sq., P. L., t. Li, col.
146 sq.; par Marius Victor, Comment, in Gen., c. i.
v. 13-21, P. L., t. lxi, col. 939; Alelhia, 1. I, 18-27,
qui voyait toutefois dans les six jours de la création
des œuvres historiques, édit. C. Schen 1 Corpus
se ipto i.m ecclcsiaslicon.m lulinor m, Vienne, 1 S88,
t. xvi, p. 3 1-1-3 5,441; par le juif ÏSJac, auteur
des Quœsliones ex V. et N. T., P L., t. xxxv, col. 2213;
par Cassiodore, Dio. inslit., c. i, P.L., t. lxx, col. 1110;
par Junilius, De partibus legis divinœ, n, 2, P. L..
t. lxviii, col. 25; par saint Isidore de Séville, Qtiœsl,
in Gen., c. i-ii, P. L., t. lxxxiii, col. 209 sq. ; Sint..
1. I, c. x, ibid., col. 1153; Elym.,\. XI-XVII, t. lxxxii
col. 297 sq. ; par saint Julien de Tolède, Avnxstij.ïvtjjv,
hoc est Conlrariorum, 1. I, cj. i, P. L., t. xevi, col. 595;
par un moine de la Grande-Bretagne qui écrivait
en 661, De mirabilibus sac. Scripluras, 1. I, c. i, P. L.,
t. xxxv, col. 2151; par saint Grégoire le Grand, qui
n'admet la création simultanée que pour les éléments,
Moralia in Job, 1. XXXII, c. xn, P. L., t. lxxxvi,
col. 644-645; par le pseudo-Eucher, Comment, in
Gen., 1. I, P. L., t. l, col. 894; par Alcuin, Inlcrrogat.
et responsioncs in Gen., P. L., t. c, col. 515; par
Scot Érigône, De diuisione nalurœ, P. L., t. cxxn,
col. 43°; et par sainte Hildegarde, xxxvill, quœstio-
num soluliones, q. i, P. L., t. c.xcvn, col. 1040.
Les poètes latins du vu siècle, sauf Marins Victor
qui a admis la création simultanée, ont été fidèles
à l'opinion commune des Pères et ont interprété le
texte du c. Ier de la Genèse dans le sens historique et
grammatical. Cyprien, Genesis, v. 1-19, début de
l' Ilrptateuchus, dans S. Cyprien de Carthage, Opéra.
Appendix, édit. Hartel, Corpus scriplorum ecclesias-
ticorum lalinorum, Vienne, 1871, t. ni, p. 283-285;
édit. R. Peiper, ibid., 1881, p. 1-3; Cl. M. Victor,
Alelhia, 1. I, v. 1-220, édit. Schenkl, ibid., t. xvi,
p. 364-372; Comment, in Gen., 1. I, v. 1-207. ibid.,
p. 441-446; Hilaire, Metrum in Gen., v. 7-159,,
P. L., t. l, col. 1287-1290; édit. R. Peiper, Corpus
de Vienne, t. xxm, p. 231-237; Dracontius, Carmen
VI. — 74
2339
HEXAMERON
2340-
de Deo, !. I, v. 112-317, P. L. t. Lx, co). 694-725; S.
Avit. Poemata, 1. I, De initio mundi, édit. R. Peiper,
Monument i Germanise historica. Auctores anliqui -
simi, Berlin, 1883,1. vi b, p. 203-212; Ul. Cheva-
lier, Œuvres complètes de saint Avit, Lyon, 1890,
p. 5-15.
Le Vénérable Bède, de son côté, n'accepta pas la
théorie de saint Augustin sur la création simultanée,
et il adopta la pensée des Pères cappadociens. Trompé
par cette idée que la terre occupait le centre du monde,
11 avait d'abord admis qu'elle avait été à l'origine dans
sa forme présente, mais qu'elle était couverte et cachée
par les éléments. Hexaemcron, 1. I, P. L., t. xci, col.
18-39. Mais il changea d'avis, et dans son commentaire
11 exposa mieux l'œuvre de la création première. C'est
toute la matière élémentaire qui a été créée avant le
premier jour et organisée pendant les six jours, qui
furent des jours de 24 heures. Les êtres produits
alors, à l'exception de l';'me humaine, ont été tirés
par Dieu de la matière préexistante. Le temps qui
a précédé les six jours a été d'une durée indéfinie.
Comment, in Pentatcuchum, c. i, ibid., col. 191. La
même doctrine est exposée dans un ouvrage douteux
du même auteur. Qusest. super Gencsim ex dictis
Palrum dialogus, t. xcm, col. 236. Le Vénérable Bède
fut le premier à admettre explicitement un long inter-
valle entre la création de la matière première et son
organisation. Alcuin emprunta à Bède son explication
de la matière iLinentaire et informe, élaborée dans
les six jours. Queest. in Gen., P. L., t. c, col. 517. Raban
Maur transcrivit le commentaire du moine anglo-
saxon. In Gen., P. L., t. cvn, col. 439. Walafrid Stra-
bon dépend de Bède, Glossa ordinaria, Gencsis, i,
P. L., t. cxm, col. 67 sq., ainsi que Wicbod, Liber
quœstionum super librum Genesis, P. L., t. xevi,
col. 1106 sq. ; Haimon d'Halberstadt (ou mieux
d'Auxerre), Expositio in Epist. ad Heb.. xi, P. L.,
t. cxvm, col. 901; Honorius Augustodunensis, Hcxa-
meron, P. L., t. clxxii ; Rémi d'Auxerre, In Gen.,i, P. L.,
t. cxxxi, col. 55; Angelome de Luxeuil, Comment, in
Gen., i, P. L., t. cxv, col. 13-14; saint Bruno, fondateur
des chartreux, Exposit. in Epist. ad Hcb., xi, P. L.,
t. cliii, col. 551; saint Bruno d'Asti, Exposit. in Gen.,
i, P. L., t. clxiv, col. 147-148; Hervé de Bourgdieu,
Comment, in Epist. ad Heb., xi, P. L., t. clxxxi, col.
1644; Hugues d'Amiens, Traclatus in Hexaemcron,
n. 15-17, P. L., t. cxcn, col. 1253-1254. Mais l'école de
Saint- Victor revint à la première explicat ion de Bède. Le
ciel et la terre ont été créés avec les quatre éléments,
puis organisés. Hugues de Saint- Victor, Annolaliones
elucidatoriœ in Pentcdeuchum, P. L., t. clxxv, col. 29;
De sacramenlis fidei, t. clxxvi, col. 173; Richard de
Saint- Victor, Exception., 1. II, c. vu, P. L., t. clxxvii,
col. 207. Cette explication a été adoptée par Pierre
Lombard. Sent., 1. II, dist. XII, n. 3-8, P. L., t. cxcn,
col. 676. Rupert de Deutz, De Trinitate et operibus
ejus, Genesis, P. L., t. clxvii, col. 199, et Abélard,
Exposit. in Hexaemcron, P. L., t. clxxviii, col. 731-
734, tout en admettant la création de la matière pre-
mière avant le premier jour, tiennent les jours de la
création pour des jours idéaux.
5. Les scolastiques. — Ils ont combiné les différents
courants de la tradition ecclésiastique. Ils ont cité
les interprétations de saint Augustin, et, à cause de sa
grande autorité, ils ne les ont pas condamnées, si on
excepte saint Bonavenlure. Cependant ils ne les ont pas
admises non plus, et en particulier ils ont rejeté les
jours idéaux pour conserver les jours réels de 24 heures.
S'ils conservent la création simultanée des éléments du
monde, ils n'admettent plus, sous l'influence d'Aris-
tote, la matière absolument informe, parce que la ma-
tière première ne. peut absolument pas exister sans
Joime; la matière élémentaire était donc pour eux
douée d'une forme imparfaite. Sous la même influence,
ils admettent l'incorruptibilité des corps célestes et ils
adoptent, sauf saint Bonaventure, In IV Sent., 1. II,
dist. XII, a. 2, q. i, que les cieux n'ont pas été formés
de la matière première. Seuls, les êtres terrestres ont
donc été tirés de la matière première et créés dans leurs
espèces propres au cours des six jours de la création, qui
sont des jours de 24 heures. Alexandre de Halès, Sum.
theologiœ, part. II, q. xxxvi sq. ; Albert le Grand,
In IV Sent., 1. II, dist. XII; Sum. theoi, part. II,
tr. XI, q. xuvsq.; S. Bonaventure, In IV Sent., 1. IJ,.
dist. XII, a.l, q. i; S. Thomas, In IV Sent., 1. II, dist.
XII sq. ; Sum. theol., I*, q. lxvi sq. ; Duns Scot,
In IV Sent., 1. II, dist. XII sq. ; Rcportata Parlsiensia,
1. II, dist. XII. Vincent deBeauvais joint à la doctrine
commune des observations exactes, prises sur la na-
ture. Spéculum naturale.
La doctrine des princes de la scolastique est répétée
par tous les commentateurs du Maître des Sentences,
de l'Ange de l'école et du docteur subtil. On la retrouve
encore dans Suarez, De opère sex dierum, 1. I et II,
dans Opéra, Paris, 1856, t. m (pour lui, la terre était
cachée sous les éléments), et dans Petau, De sex
primorum mundi dierum officio, 1. I, dans Théologien
dogmata, Paris, 1866, t. iv. Cependant le cardinal Cajé-
tan, au xvie siècle, reprit les idées de saint Augustin
et soutint la création simultanée. Comment, in Gen.,
c. i, Lyon, 1639. Melchior Cano le suivit dans cette
voie, sauf qu'il admit la réalité des jours de 24 heures..
De locis theologicis, 1. VII, c. i, dans Migne, Cursus
complelus theologiœ, t. i, col. 365.
Les commentateurs de la Genèse, à partir du xvifr
siècle, suivent de très près le texte original et en
exposent le sens littéral. Steuchus, dans sa Cosmopœia,
Lyon, 1535, déclara que les astres avaient été créés
au 1" jour avec la lumière, mais qu'ils ne furent
visibles qu'au 4e jour. Ambroise Catharin adopta aussi
cette explication, qui devint bientôt la plus commune.
2° Du XVIIIe siècle à nos jours. — 1. Systèmes qui
tiennent compte des sciences naturelles. — Les progrès
réalisés dans l'astronomie et les sciences physiques
amenèrent quelques naturalistes à émettre des hypo-
thèses soi-disant scientifiques sur l'origine du monde.
Les premiers attribuaient de différentes manières la
conformation actuelle de la terre au déluge de Noé.
C'étaient des neptuniens, qui expliquaient l'origine du
monde par l'eau. Les plutoniens l'expliquaient par
l'action du feu. Buffon demandait 100 000 ans pour
la constitution du monde. Dans la Philosophie
:oologiq''e, Lamarck supprima l'idée d'époques, de
cataclysmes, de déluges, que Buffon avait exposée
dans Les époques de la natire, et la remplaça par
l'idée de continuité des actions naturelles. Rien de
soudain ; un terrain géologique est la suite d'un
autre terrain ; rien ne se crée, tout se transforme.
Le système cosmogonique de Kant, développé par
Laplace, les études géologiques et paléontologiques
mirent en conflit la Genèse avec la science. Les apolo-
gistes chrétiens, imitant les Pères et les théologiens
qui avaient presque tous expliqué le récit biblique
de la création par la science de leur temps, tentèrent
de concilier avec la Bible les conclusions et même les
hypothèses des astronomes, des géologues et des
paléontologistes modernes. Ils imaginèrent divers
systèmes, plus ou moins heureux, de conciliation.
«) Le restilutionnisme. — Le plus ancien de ces
systèmes est celui de la restitution, opérée par Dieu en
six jours, de la création primitive. Celle-ci, indiquée
au verset 1er du récit mosaïque, a eu lieu de la manière
qu'expliquent les savants : elle a exigé un temps consi -
dérable, et la terre s'est constituée progressivemen
et lentement, suivant l'ordre des diverses couches
géologiques. Elle a été suivie d'un cataclysme épou-
2341
HEXAMERON
2342
vantable, qui a bouleversé la terre entière et l'a repla-
cée dans l'état de confusion décrit au verset 2e du
même récit. Dieu aurait alors restitué son œuvre pre-
mière dans l'ordre qu'indique la Genèse et dans l'inter-
valle de six jours naturels. Les principaux partisans
de ce système furent Rosenmùller, Antiquissima telluris
historia, Ulm, 1776; Hetzel, Die Bibel A. und N. T.,
Lemgo, 1780; Th. Chalmers, Reviewof Cuvicr's theory of
the earth. Edimbourg, 1814 (Cuvier enseignait que toutes
les époques géologiques avaient été terminées par des
catastrophes, qui avaient détruit les formations qui
caractérisaient les époques); Evidence and authorilij
of the divine révélation, Edimbourg, 1814; Desdouits,
Les soirées de Montlhérij, entretiens sur les origines
bibliques, Paris, 1836; W. Buchland, Geology and
mineralogij considered wich référence to nalural theology,
Londres, 1838; L. F. Jehan, Nouveau traité des sciences
géologiques, 1840; N. "Wiseman, Twelve lectures, m,
Londres, 1849; trad. franc., dans Migne, Démon-
strations évangéliques, Petit-Montrouge, 1843, t. xv,
col. 160-172; cf. Note sur les ouvrages de Buckland,
ibid., p. 197-216; G. Molloy, Géologie et révélation, trad.
Hamard, 2e édit., Paris, 1890.
Si l'exégèse n'a rien à opposer à la catastrophe qui
aurait produit le chaos de la Genèse, la géologie ne
constate pas l'existence d'un cataclysme qui aurait,
vers la fin de l'époque tertiaire, bouleversé le globe
terrestre de fond en comble et anéanti la flore et la
faune existantes. La transition de l'époque tertiaire
à l'époque quaternaire s'est faite sans commotion.
Le restitutionnisme est donc abandonné, et l'hypo-
thèse plus récente de Stenzel, Wellschôpfung, Sintflulh
und Gott, Die Ueberlieferung auf Grund der Naturwis-
senschaften erklàrl, Brunswick, 1894, qui attribue le
chaos biblique à l'action du déluge, est encore beau-
coup moins fondée.
b) Le diluvionisme. — D'autres ont prétendu que les
couches géologiques avec les plantes et les animaux
fossiles étaient l'œuvre du déluge de Noé, et que la
création mosaïque les avait précédées. C. F. Keil,
Biblischcr Commentar ùber die Bûcher Mosc's, Leipzig,
1866; P. Laurent, Éludes géologiques, philosophiques
et scripturales sur la cosmogonie de Moïse, Paris, 1863;
A. Sorign^t, La cosmologie de la Bible, Paris, 1854;
J. E. Veith, Die Anfànge der Menschenwelt, Vienne,
1865; A. Bosizio, Das Hexacmeron und die Géologie,
Mayence, 1864; Die Géologie und die Sùndfluth,
Mayence, 1877; V. M. Gatti, Inslilutiones apologetico-
polemicœ, 1867; A. Trissl, Sùndfluth oder Gletscher;
Das biblische Sechstagwerk, 2e édit., Munich, Ratis-
bonne, 1894; G. J. Burg, Biblische Chronologie, Trêves.
1894.
Rien dans la Genèse n'autorise cette hypothèse,
qui n'est pas admise non plus par les géologues. Les
couches sedimentaires ont exigé de longues années
pour se former, et elles n'ont pu être produites pendant
le déluge, qui n'a duré qu'une année, et toutes d'ailleurs
ne se sont pas déposées sous l'action de l'eau. Ce
système n'aboutit donc pas à ses fins, et il ne concilie
pas la Bible et la géologie. Aussi a-t-il été abandonné.
c) Système concordiste ou périodisle. — Les partisans
de ce système admettent que les jours de la création
ne sont pas des jours de 24 heures, mais qu'ils repré-
sentent de longues époques ou périodes, durant les-
quelles les œuvres attribuées par la Genèse à chacun de
ces jours se sont constituées. Aussi pensent-ils établir
par ce moyen l'accord des sciences de la nature avec le
récit mosaïque, les uns jusque dans les moindres dé-
tails, les autres dans les grandes lignes seulement.
Pour justifier leur interprétation des jours-époques, ils
prétendent que le mot yôm ne désigne pas nécessaire-
ment un jour naturel de 24 heures, puisqu'il est em-
ployé assez souvent dans l'Écriture dans le sens d'une
durée indéterminée Ainsi en est-il dans cette formule
du récit même de la création : « au jour que », Gen.,
ii, 4, dans des formules analogues, Gen., ni, 5, et dans
des expressions telles que « le jour du salut », Is., xlix,
8, « le jour de l'extermination », E^éch., vu, 7, cette
dernière étant synonyme de temps. Les jours géné-
siaques peuvent donc signifier une époque indéter-
minée. Les jours-périodes introduits dans le récit
mosaïque, on constatait un concordisme frappant
entre l'ordre des œuvres de la création et les résultats
obtenus dans l'étude des sciences naturelles par les
savants modernes. Les premiers concordistes s'atta-
chaient à montrer l'accord de la Genèse avec les don-
nées de la géologie, en tenant compte de l'état de la
science de leur temps. G. Cuvier, Discours sur les
révolutions du globe, Paris, 1812, avait distingué dans
les couches géologiques six époques qui correspon-
daient aux six jours de la création, mais qui étaient sé-
parées par des catastrophes violentes, qui avaient
bouleversé les œuvres précédentes. Son interprétation
fut adoptée, avec des retouches et des précisions, par
Marcel de Serres, De la cosmogonie de Moïse comparée
aux faits géologiques, Paris, 1838, par F. Krûger,
Geschichte der Urwelt, Quedlimbourg et Leipzig, 1822,
par Mgr de Frayssinous, Défense du christianisme,
Paris, 1825, par Auguste Nicolas, Éludes philosophiques
sur le christianisme, Paris, 1842, par le P. J.-B. Pian-
ciani, In historiam creationis mosaicam commentalio,
Louvain, 1853. Quand la théorie des dépôts sedimen-
taires fut élaborée par C. Lyell, on constata que les
couches géologiques ne correspondaient pas exacte-
ment aux œuvres des jours génésiaques, et on en fut
réduit à établir l'accord de la Genèse et de la géologie
dans les grandes lignes seulement. Si l'âge primaire
ou azoïque a précédé l'apparition des êtres vivants,
celle-ci ne s'est pas produite exactement dans l'ordre
du tableau de la Genèse. Tous les végétaux n'ont pas
paru à la même époque, et la faune existe aussitôt que
la flore. Les concordistes en furent réduits à dire que le
récit mosaïque rapporte tous les végétaux au 3e jour
par anticipation et qu'il netie itpas compte de la faune
primitive parce qu'elle ne comprenait ni grands
poissons ni oiseaux ni mammifères, ces représentants
de la faune étant reportés aux 5e et 6e jours. Sous béné-
fice de ces remarques, ils reconnaissaient que l'âge pa-
léozoïque correspondait au 3e jour, l'âge môsozoïque
aux 4e et 5e jours, et les âges tertiaire et quaternaire aux
5'' et 6e jours. Beaucoup de concordistes ne se bor-
nèrent pas à mettre d'accord la géologie et la paléon-
tologie avec la Genèse; ils voulurent encore établir
la concordance du récit mosaïque avec l'astronomie,
et ils découvrirent la nébuleuse primitive dans le chaos
biblique. Mais c'était introduire dans la Bible, qui
n'a aucune prétention scientifique, non plus seulement
les résultats de l'étude des sciences, mais encore les
hypothèses des savants. Aussi le concordisme passa par
des variations successives, et il alla de l'accord complet
et jusque dans les moindres détails à l'accord dans les
grandes lignes seulement ou à un concordisme plus ou
moins idéalisé.
Le concordisme a eu de nombreux partisans, surtout
en France, où il a été enseigné dans les séminaires.
Nous nommerons les principaux seulement : H. Miller,
The testimony of the rocks, Edimbourg, 1857; J. Ebrard,
Der Glaube an die Schri/t and die Ergebnisse der Natur-
forschung, Kœnigsberg, 1861; G. Meignan, Le monde
cl l'homme primitif selon la Bible, Paris, 1869; 3e édit.,
1879; M. Pozzy, La terre et le récit biblique de la création,
Paris, 1874; H. Reusch, Bibel und Natur, Fribourg-
en-Brisgau, 1860; trad. franc, par Hertel, Paris, 1867;
J. Fabre d'Envieu, Les origines de la terre et de l'homme,
Paris, 1873; La terre et le récit biblique de la création,
Paris, 1874; Marin de Carranrais, Études sur les ori-
2343
HEXAMERON
2344
gines, Paris, 1876, p. 329-500; F. Pfafï, Schôpfungs-
geschichte mil besondcrcr Berùcksichtigung des biblischen
Schôpfungsberichtes, 2e édit., Francfort -sur-le-Mein,
1877; F. Vigouroux, Manuel biblique, 12e édit., Paris,
1906, t. i, p. 479-534; Les Livres saints et la critique
rationaliste, 5e édit., Paris. 1890, t. ni, p. 240-265;
Jean d'Estienne (Ch. de Kirwan), Comment s' est formé
l'univers, exégèse scientifique de l'Hexaméron, Paris,
1S78; 2e édit., 1881; A. Arduin, La religion en face de
la science, 3 in-8°, Lyon, 1877-1883; J. Lefèvre.L'œuure
du quatrième four de la création selon la Bible et la
science, Rouen, 1882; A. Motais, Mo se, la science et
l'exégèse, Paris, 1882 ; Moigno. Les Livres saints et la
science, Paris, 1884, p. 74-130; Les splendeurs de la foi.
t. n, c. ni ; Raingeard, Notions de géologie, accord de la
cosmogonie scientifique avec la cosmogonie sacrée,
2« édit., Rodez. 1886, p. 225 sq.; Lavaud de Lestrade,
Accord de la science avec le premier chapitre de la Genèse,
Clermont-Ferrand, 1883; 2e édit., Paris, 1885; J. Cor-
luy, Spicilegium dogmatico-biblicum, Gand, 1884, t. I,
p. 210-227; A. Castelein, La première page de Mo se,
Louvain, 1884; P. de Foville, Encore les jours de la
création (extrait de la Revue des questions scientifiques,
avril 1884), Bruxelles, 1884; J. Mir, La creaciun segon
que se conliene en el primer capitula del Génesis, 2e édit.,
Madrid, 1890; Thomas, Les temps primitifs et les ori-
gines religieuses, Paris, 1890, t. i, p. 24-90; Duilhé
de Saint-Projet, Apologie scientifique de la foi chré-
tienne, 3e édit., Paris, 1890, p. 90-110, 131-152; P. Ha-
mard, dans Molloy, Géologie et révélation, Paris, 1890,
p. 342-407, 456-469; art. Cosmogonie mosaïque, dans le
Dictionnaire de la Bible de M. Vigouroux, t. n, col.
1034-1054; Ch. Robert, dans Motais, Origine du monde
d'après la tradition, Paris, 1888, Introduction; La
création d'après la Genèse et la science, dans la Revue
biblique, 1894, t. m, p. 387-401; C. Braun, Ueber
Kosmogonie vom Stand punk! chrisllicher Wissenscha/t.
Munster, 1895; 3e édit., 1906; A. Gombault, Accord
de la Bible et de la science, Paris, s. d. (1895) ; J. Brucker.
Questions actuelles d' Écriture sainte. Paris, 1895, p. 170-
'201; J. Guibert, Les origines, Paris, 1896, p. 1-21,
226-230; 6e édit., 1910; W. K. Perce, Genesis and mo-
dem science, New York, 1897; W. Waagen, Dus
Schopfungsproblem, 2e édit., Munster, 1899; G. Gervis,
La gloriosa rivelazione intorno alla creazione del mondo,
Florence, 1902 ; A. Lépicier, L'opéra Dei sei giorni
secunda la iradizionc e la scienza, 2 vol., Rome, 1905;
cf. Fabani, Isetli giorni délia creazione ossia scienza e
Biblia, 2e édit., Sienne, 1905; J Gonzales de Arintero,
Hexamcron ij la ciencia moderna, Valladolid, 1901;
E. Schopfer, Geschichte des A. T., adaptation franc.,
par J.-B. Pelt, Histoire de l'Ancien Testament, 4e édit..
Paris, 1904, t. t, p. 21-44; Bibel und Wissenschaft,
Brixen, 1896, p. 153-200; Zahm, Bible, science et foi,
trad. franc., Paris, s. d. (1895), p. 1-104 ; J. de Abodal,
La cosmogonia mosaiea, Barcelone, 1906; P. Kreich-
gauer, Das Sechslagewerk, Steyl, 1908; J. A. Chiri-
siadis. Harmonie, zivischen der biblischen Schnpfungs.
lehre und der neuercn wisscnschafllichen Forschung, dans
Jlâvta'.voç, Alexandrie, 1918, t. x, n. 23-28.
Les deux principaux fondements du concordisme
ne résistent pas à un examen attentif. D'abord, le
lerme ijôm n'est employé nulle part dans l'Ancien
Testament avec le sens précis d'un long espace de
temps, puisqu'on ne le trouve que dans des formules
adverbiales ou comme synonyme de temps- Mais eût-il
imême ce sens ailleurs, on ne peut le lui donner dans le
récit de la création, où il est dit que chaeun des six
jours est formé d'un soir et d'un matin. Les trois pre-
miers eux-mêmes, qui ont précédé l'apparition du
soleil, sont fixés parla succession régulière des ténèbres
et de la lumière. Les six jours sont donc bien des jours
de 24 heures, réglés par la succession du jour et de la
nuit. Quant au 7e, le jour du repos divin, s'il n'a eu ni
soir ni matin, on ne peut en conclure qu'il est une lon-
gue période qui dure encore. Ce jour a. dans la perspec-
tive de l'auteur, la même durée que les précédents,
puisque, avec ces jours de travail de Dieu, il forme le
type complet de la semaine humaine, qui comprend six
jours de travail et un de repos d'égale durée. Si l'auteur
sacré n'a pas répété, au 7e jour, la formule : « Et il y eut
un soir et il y eut un matin, » c'est qu'il n'a pas, comme
nous l'avons constaté plus haut, appliqué rigoureuse-
ment à chaque jour son schème littéraire, et qu'en parti-
culier il s'en est départi à peu près complètement pour
le 7e jour. Quant à l'accord avec les sciences naturelles,
il n'existe pas réellement, et il ne peut même exister,
puisque le ier chapitre de la Genèse ne contient pas un
enseignement scienrifique. La comparaison de ce cha-
pitre avec les sciences n'a abouti, au cours des âges,
qu'à fournir des systèmes de conciliation successifs et
divergents, et le concordisme scientifique des derniers
temps est aussi caduc que les interprétations des Pères
de l'Église, des exégètes et des théologiens du moyen
âge. Il n'y a pas eu de périodes géologiques nettement
séparées ; l'ordre de succession des êtres, tel que les
sciences l'établissent, n'est pas celui que Moïse a dressé ;
la terre n'a pas été créée avant les astres, puisque son
mouvement rotatoire dépend du soleil, et les étoiles
n'ont pas été formées à une époque spéciale. Le concor-
disme a donc manqué son but, et il n'a pas réussi à
établir entre la Genèse et les sciences l'accord qu'il
cherchait. Aussi a-t-il perdu beaucoup de sa vogue,
surtout depuis que Léon XIII a déclaré, dans l'ency-
clique Providenlissimus Deus du 18 novembre 1893.
que les auteurs sacrés n'ont pas pour but d'enseigner
les choses de la nature et qu'ils en parlent conformé-
ment aux apparences. Denzinger-Bannwart, Enchin-
dion, n. 1947. G. Guttler a réfuté le concordisme.
Naturforschung und Bibel in ihrer Slellung zur Schôp-
fung, 2e édit., Fribourg-en-Brisgau, 1877, p. 91-101;
cf. N. Peters, Bibel und Nalurwissenschafl, Paderborn.
1906; H. Schell, Das Siebenlagewerk und die moderne
Nalurwissenschafl, dans Aufwarls, t. i, p. 513 sq.
2. Systèmes qui font abstraction de la science el veulent
expliquer le récit mosaïque par lui-même. — a) L'allé-
gorisme. — Les partisans de l'allégorisme ont repris
l'idée de la création simultanée, émise autrefois par
saint Augustin. Dans le 1er verset de la Genèse, Moïse
affirme que Dieu est le créateur du ciel et de la terre,
mais il reprend, dans un long tableau idéal, les diverses
œuvres de la création et il les distribue dans le cadre
imaginaire des six jours de la semaine, qui sont des
-jours de 24 heures. Son exposé esc donc une pure
allégorie, imaginée dans le but de présenter l'acte créa-
teur comme le type de la semaine humaine, et les jours
ne sont que six parties logiques de la création. Cette
explication a été présentée par Michelis, Natur und
Offenbarung, Munster, 1855, t. i; par Baltzer, Die
biblische Schôpfungsgeschichte, Leipzig, 1867, 1872;
par H. Reusch, dans la 3e et la 4e édition de son livre ;
Bibel und Natur, Fribourg-en-Brisgau, 1870; Bonn,
1876; par Stoppani, Sulla cosmogonia mosaiea. 1887;
par le P. Semeria, La cosmogonie mosa que, dans la
Revue biblique, 1893, p. 487-501; 1894, p. 182-199. Le
tort de ce système est de présenter le chapitre ier de la
Genèse comme une pure allégorie, sans souci de la vé-
rité historique du récit. De fait, il n'y a, dans ce cha-
pitre, aucune trace d'allégorie; tout y est simple et
clair, et l'auteur veut montrer que Dieu a réellement
créé toutes les œuvres dont il parle; seul, le groupe-
ment en six jours de 24 heures peut être idéaliste.
Abandonnant l'allégorie vulgaire, le P. Lempl a
imaginé ce qu'il appelle une allégorie mystique et
prophétique. Elle consiste à comparer métaphysique-
rnent les longues époques de la création à des jours de
2345
HEXAMERON
2346
24 heures et à représenter la création entière comme
accomplie en six jours d'une semaine de travail. Par
suite, le récit de la création, tout en ayant réellement un
caractère historique, n'en est pas moins un récit pro-
phétique et mystique. Aussi le prophète, s'exprimant
moins clairement qu'un historien, a employé la méta-
phore des jours de 24 heures pour désigner les longues
périodes de la création. Theologisch-praklische Quar-
talschrifl, Linz, 1898, p. 9 sq., 281 sq. Mais le récit
mosaïque de la création n'est pas une œuvre prophé-
tique et il ne présente aucune obscurité mystique.
L'allégorie mystique et prophétique, dont aurait usé
son auteur, n'a donc aucun fondement.
b) Le poétisme. — Le récit mosaïque de la création
n'a aucun caractère historique: c'est une ode, un
hymne religieux, auquel il faut laisser son caractère
poétique et ne rien lui demander au point de vue
scientifique. C'est la pensée de Mgr Clifîord, exposée
plus haut, col. 2325 sq. M. Hauser y a vu aussi une
prière et un cantique, l'hymne de la création, Kalho-
lische Schveizblâtlcr, 1896, p. 19 sq. Mais le récit, tout
schématique qu'il soit, n'a rien de la poésie, et il se
présente comme un récit historique, prélude d'un livre
historique. (Voir cependant H. Perennès, Cantiques
de Sion, Paris, 1919, p. 9-14.)
c) La théorie de la vision. — Nous l'avons exposée
déjà. Voir col. 2332 sq. Elle aboutit à cette conclusion :
le récit de la Genèse n'est pas le récit de la création,
mais celui de la révélation que Dieu a faite de l'œuvre
créatrice à Adam par le moyen d'une vision. Les jours
sont donc des jours naturels dans lesquels Adam a vu
s'accomplir la création. Peut-être sont-ils des symboles
des périodes géologiques; peut-être aussi l'ordre des
actes créateurs est-il, dans ses grandes lignes, d'accord
avec la réalité. Mais on ne peut le conclure avec
certitude, puisque le but de la révélation divine
était seulement d'apprendre à Adam que l'univers
entier est l'œuvre de Dieu et que l'homme doit, comme
le créateur, travailler pendant six jours de la semaine
et sanctifier le septième jour par le repos.
Conclusion. — Aucun de ces systèmes ne nous paraît
répondre au caractère du récit mosaïque de la création.
L'auteur sacré ne se proposant pas de donner une leçon
de cosmogonie scientifique, son récit n'a rien de com-
mun avec les sciences naturelles, et tout concordisme
est par suite exclu de son intention. D'autre part, il
n'a recours à aucune allégorie et il parle clairement
et simplement le langage de son temps. Son récit,
quoique rédigé dans un cadre systématique, n'a aucun
caractère poétique, au moins clans sa forme extérieure;
c'est de la prose, dont la métaphore n'est pas exclue.
Rien ne prouve enfin que Dieu lui ait révélé directe-
ment son exposé de l'œuvre créatrice, surtout au
moyen d'une vision, dont le texte ne garde aucune
trace. C'est donc simplement un écrivain hébreu qui,
sous l'inspiration divine, a exprimé une vérité que
Dieu avait pu révéler à l'humanité primitive et qui
s'était transmise dans la race d'Abraham, à savoir que
Dieu avait créé tous les êtres de l'univers. Les diverses
créatures, sorties des mains de Dieu, sont rangées par
lui dans un ordre à la fois logique et chronologique, et
réparties entre six journées de travail divin, suivies
d'un jour de repos, pour montrer que l'institution de
la semaine humaine avait été établie sur le modèle de
la création divine. Cette répartition est faite et l'œuvre
de la création est décrite dans le langage populaire du
temps, sans prétention scientifique. Il faut donc
expliquer le récit mosaïque comme un exposé popu-
laire, conforme aux apparences exterieures.de l'œuvre
divine. Cet exposé, écrit sous l'action inspiratrice de
Dieu, énonce une vérité religieuse et la réalité de l'acte
créateur, distribué en six jours de 24 heures. Si donc
Moïse a écrit selon le langage de son temps et sans pré-
tention scientifique, son récit doit être interprète
indépendamment des cosmogonies anciennes et mo-
dernes, d'après les idées des Hébreux et non pas d'après
celles des savants d'aujourd'hui. Sa pensée, ainsi dé-
terminée, sera celle qu'il a voulu énoncer et qui est
garantie par l'inspiration du Saint-Esprit.
Outre les commentaires de la Genèse, de l'époque patris-
tique et du moyen âge, indiqués col. 1206-1207, voir les
explications spéciales de l'Hexaméron : un fragment de
saint Hippolyte de Rome, P. G., t. x, col. 584; S. Victorin
de Pettau, Traclatus de fabriea mundi, P. L., t. v, col. 301-
314; S. Basile, Homiliee IX in Hcxaemcron, P. G., t. xxix,
col. 3-208 ; cf. S. Grégoire de Nysse, In Hexacmeron explica-
apologetica, P. G., t. xiav, col. 61-124; Sévériende Gabales*
In mundi creatione, orat. vi, P. G., t. lvi, col. 429-499;
S. Ambroise, Hexaemeron, libri sex, P. L., t. xiv, col. 123-
274 rseudo-Eusthate, Comment, in Hexaemeron, P. G.,
t. xviii, col. 707-794 ; J. Philopon, Comment, in mosaicam
mundi creationem, I. VII, Vienne, 1630 ; Jacques d'Édesse,
voir P. Martin, L'Hexaméron de Jacques d'Édesse, dans le
Journal asiatique, 8e série, Paris, 1888, t. xi, p. 155-219,
401-490; Anastase le Sinaïte, Anagogicarum contempla-
tion'tm in Hexaemeron ad Theophilum libri XII, P. G.,
t. lxxxix, col. t-51-1078; G. Pisidès, Hexaemeron sive cos-
mopœia (poème), P. G., t. xcn, col. 1425-1578 (cf. ibid.,
col. 1399-1424); S. Bède, Hexacmeron, 1, IV, P. L., t. xci,
col. 9-190; Wandelbert, Libellas de creatione mundi (poème),
dans'd'Achéry, Spicilegium, t. il, p. 62 sq. ; P. L., t. cxxi,
col. 635-640 ; Hildebert du Mans, De operibus sex dierum
(poème), P. L., t. clxxi, col. 1213-1218; Honorais Augusto-
dunensis, Hexaemeron, P. L., t. clxxii, col. 253-266; Hu-
gues d'Amiens, Tractatus in Hexaemeron, dans Martène,
Anecdota, t. v, p. 1136 (fragment du Ier livre, Gen., i, 1, 2,
reproduit, P. L., t. cxcn, col. 1247-1256); Abélard, Expo-
sitio in Hexaemeron, I'. L., t. clxxviii, col. 731-784';
Vincent de Beauvais, Spéculum naturale, in-fol., Venise,
1591 ; pseudo-Bonaventure, Expositio sive Sermones XVII
in Hexaemeron; A. Steuchus, Cosmopœia, Lyon, 1535.
Sur les Hexamérons des auteurs ecclésiastiques, perdus,
manuscrits ou imprimés, voir I. Bekker, Prolégomènes à
'Hexaemeron de G. Pisidés, P. G., t. cxn, col. 1385-1399.
Sur l'interprétation de la cosmogonie mosaïque voir
O. Zôckler, Geschichte der Beziehungen zwischen Théologie
und Wissenscliaft, Gutersloh, 1877, t. i ; F. Vigouroux, La
cosmogonie mosaïque, dans Mélanges bibliques, Paris, 1882,
p. 9-123; Al. Motais, Origine du monde d'après la tradition,
édit. Ch. Robert. Paris, 1888; F. de Hummelaucr, Comment,
in Genesim, Paris, 1895, p. 49-58 ; S. Gamber, Le livre de la
« Genèse » dans la poésie latine du V siècle, Paris, 1899,
p. 86-103; A. Véronnet, La cosmogonie biblique. Étude
historique, dans L'université catholique, Lyon, 1905,
t. xxvn, p. 370-390; F. E. Robbins, The hexaemeral litera-
ture.A study of the Greek and Latin commentaries on Genesis,
Chicago, 1912; E. Minjon, Zur Geschichte der Auslegung
des biblischen Schôpfungsberichtes dans Der Katholik,
1912, t. x, p. 128-135, 336-356, 404-417; 1913, t. xi, p. 344-
365; 1914,1. xm, p. 188, 200; H. iFalbesoner, Geschichte
der Schôpfung im Liehte der Natur/orschung und Offenba-
rung, Ratisbonne, 1913; G. Schmidt, La révélation primi-
tive et les données actuelles de la science, trad. Lemonnyer,
Paris, 1914, p. 7-16; A Brassac, Manuel biblique, 14e édit.,
Paris, 1917, t.l, p. 363-373 ; H. W Schmidt, Die Schôpfungs-
tage im Liehte der biblischen und naturwissenschaftlichen
Forschungen, Leipzig, 1917
III. Interprétation du texte. — Le récit de la
création se divise naturellement en trois parties : 1° l'af-
I rmation de la création de l'univers et l'état de la terre
avant l'œuvre des six jours, i, 1,2; 2° l'œuvre elle-
même des six jours, 3-31 ; 3° le septième jour, ii, 1-3.
1° L'affirmation de la création de l'univers et l'élat
de la terre avant l'œuvre des six jours, i, 1, 2. — La con-
struction de ces deux versets dans le texte hébreu
actuel et l'interprétation qui en est généralement admise
les présentent comme deux affirmations distinctes.
D'après le Talmud de Jérusalem, traité Meghilla,
i, 9, trad. Schwab, Paris, 1883, t. vi, p. 217, ce serait
un des treize passages que les sages auraient modifiés
dans la version des Septante pour éviter des discus-
sions dogmatiques. Raschi, Abenesra et beaucoup
2347
HEXAMERON
2348
d'hébraïsants modernes à leur suite ont adopté une
autre construction, en faisant de ces deux versets une
phrase circonstantielle dépendant de la phrase prin-
cipale qui débute au verset 3. Ils aboutissent donc à
cette traduction : « Au commencement, lorsqu'Élohim
créa le ciel et la terre, et que la terre était vide et dé-
serte..., Élohim dit ... » Cette construction est gram-
maticalement possible, puisqu'elle se trouve en d'autres
passages de la Bible, où l'adverbe relatif est omis et
où le verbe est au prétérit. Exod., vi, 28; Num., ni, 1 ;
Deut., iv, 15; II Par., xxiv, 11; Job, vi, 17; Ps.
lxxxix, 15; Is., xxix, 1. Or, ici, elle s'imposerait, dit-
on, parce que le mot rê'sît n'est jamais, sauf Is., xlvi,
10, employé au sens absolu. Son état construit est donc
constitué par la proposition : bârâ' 'elôhtm. Le verset
2 formerait une parenthèse, ou bien le vav, trois fois
répété, serait aussi circonstanciel, de sorte que la pro-
position principale ne commencerait qu'au verset 9.
Abenesra la faisait commencer au verset 2. Le sens
général du passage n'en serait pas changé; seule, la
composition du récit en serait modifiée, en ce qu'elle
ferait commencer la création de l'univers par la créa-
tion de la lumière. Mais on peut fort bien considérer
ré'stt à l'état absolu et traduire simplement : « Au
commencement ».
Ainsi construit, le premier verset a été entendu, ou
bien comme un sommaire du récit entier, ou bien
comme signifiant la création de la matière première
ou élémentaire. Or, si le verset 2 marque l'état de
confusion de la terre, il ne dit rien de celui des cieux;
par conséquent, le verset 1er ne peut désigner l'état
primitif des cieux et de la terre. Les cieux et la terre
que Dieu a créés au commencement sont les mêmes
que ceux qu'il a ainsi ncmmés le 2e et le 3e jour, 8, 9,
et qui ont été achevés le 6e, n, 1. Le ciel et la terre,
chez les Hébreux, représentent tout le monde visible,
dont la création est racontée au chapitre Ier de la
Genèse. Le 1er verset de ce chapitre est donc un som-
maire du récit entier.
Or, c'est au commencement que Dieu a créé tous les
êtres visibles, représentés par le ciel et la terre. Ce
cemmencement doit s'entendre du commencement du
monde ou des êtres créés, et par conséquent du com-
mencement du temps. Quant à l'acte divin, c'est la
création ex nihilo, comme le signifie clairement le verbe
bârâ', sinon en lui-même, au moins dans le contexte.
Voir t. m, col. 2042-2046.
Le verset 2 décrit l'état très imparfait de la terre :
elle était tôhû vâbôhû, c'est-à-dire déserte et vide.
L'auteur concentre son attention sur la terre, qui sera
l'habitation de l'homme et le théâtre de l'histoire
sainte qu'il veut raconter ensuite; il ne parlera des
cieux que dans leurs rapports avec la terre. Or, cette
terre, dans l'état primitif où Dieu l'avait créée, était
sans culture et sans les plantes et les habitants qu'elle
eut plus tard, quand Dieu les eut créés. Cf. Is., xlv, 18;
Jer., iv, 23-26. La terre existait donc, et il n'est pas
question ni du gouffre ou du chaos des gnostiques, ni
par conséquent de l'espace vide dans lequel Dieu aurait
placé les êtres, comme le veut Gunkel, Genesis, p. 91.
En même temps, les ténèbres étaient sur la surface de
l'abîme. La lumière n'existait pas encore et il n'y avait
que les ténèbres, qui s'étendaient sur le lehôm. Le
tehôm était l'abîme des eaux, l'océan mondial, qui
couvrait la terre et l'enveloppait. Et le souffle d'Élohim
agitait la surface des eaux. L'esprit de Dieu, ce n'est
pas un vent violent produit par Dieu, mais le souffle
même de Dieu, qui émanait de lui et qui agissait sur
l'abîme des eaux pour le vivifier. Son action était
celle d'agiter la surface des eaux plutôt que celle de
planer au-dessus ou de la couver. Il est de la nature
d'un souffle de se mouvoir et de changer de place. Le
souffle divin primitif mettait ainsi en mouvement la
surface des eaux; et il les fécondait en quelque sorte
par cette agitation pour préparer l'océan à la vie qu'il
allait y introduire. Cette description ne représente pas
la matière élémentaire, comme l'ont entendue les Pères
et les scolastiques, mais un état de confusion la plus
entière entre la terre, les ténèbres et l'eau. Cet état
primitif et chaotique cessa par l'œuvre créatrice de
séparation et d'ornement que Dieu opéra en six jours.
2° Les six jours de la création, 3-31. — i« jour.
Séparation de la lumière et des ténèbres, 3-5. — Toutes
les œuvres des six jours sont appelées à l'existence par
la parole de Dieu. La parole de Dieu est évidemment
un anthropomorphisme, la parole étant l'expression de
la volonté divine. Voir t. ni, col. 2129. Au milieu des
ténèbres universelles, Dieu dit d'abord : « Que la
lumière soit. » Et la lumière fut. L'exécution suit im-
médiatement l'ordre, et elle est exprimée dans les
mêmes termes que l'ordre lui-même. La lumière est
créée la première, parce qu'elle est la condition fonda-
mentale de tout ordre. Sans elle, en effet, tout est con-
fus et sous les ténèbres rien ne paraît exister. « Et Dieu
vit que la lumière était bonne. » C'est un nouvel anthro-
pomorphisme, qui signifie que la nouvelle créature
répondait à l'idéal divin et réalisait le décret de sa
volonté. « Et Dieu sépara la lumière d'avec les té-
nèbres. » Cette séparation ne laisse pas supposer que
Moïse regardait la lumière comme coexistant avec les
ténèbres dans le chaos primitif. Dieu ne tire pas, en
effet, la lumière du chaos ; il la produit par un acte de sa
volonté, et sa séparation des ténèbres exprime leur
état postérieur. Moïse se représente donc la lumière et
les ténèbres comme deux réalités distinctes, qui, une
fois séparées, reçurent de Dieu des noms différents :
« Et Dieu nomma la lumière jour et les ténèbres nuit. »
Les noms leur sont donnés après leur appel à l'exis-
tence, et si Dieu leur impose leurs noms, c'est pour
attester son domaine suprême sur ses créatures. La
lumière est appelée jour, et les ténèbres, nuit. Les
ténèbres ne régneront plus constamment sur les eaux.
En créant la lumière et en la séparant des ténèbres,
Dieu a établi l'alternance régulière du jour et de la
nuit. « Et il fut soir et il fut matin, un jour. » La lumière
créée luit donc pendant la durée que Dieu lui a fixée.
Après son cours naturel, il y eut soir, c'est-à-dire que
les ténèbres reprirent leur cours désormais diminué et
réglé, et ce cours achevé, il y eut matin. Or, la succes-
sion du jour et de la nuit constitua un jour entier,
un jour de 24 heures. Le jour régulier et complet va
donc du matin au matin, et cette succession constitue
le véritable jour officiel de 24 heures; c'est pourquoi
l'auteur du récit emploie le nombre cardinal : « un
jour ». Mais comme les autres jours sont désignés par
un chiffre ordinal, la première succession du jour et de
la nuit constitua aussi le premier jour de la création.
2e jour. Séparation des eaux et création du ciel, 6-8.
— "Et Dieu dit : Qu'il y ait un firmament entre les
eaux et qu'il sépare les eaux des eaux. Et Dieu fit
le firmament et il sépara les eaux qui sont au-des-
sous du firmament des eaux qui sont au-dessus du
firmament, et ce fut ainsi. Et Dieu nomma le fn ma-
rnent ciel. » Le râqyia', que Dieu voulut créer et qui
fut fait pour séparer les eaux inférieures des eaux
supérieures, paraît être une voûte, une sorte de dôme
solide, qui tient séparées en deux compartiments diffé-
rents les eaux de l'abîme ou de l'océan primordial.
Il n'est rien dit de la matière dont il est fait. Les eaux
inférieures sont les eaux de la mer, v. 10. Les eaux
supérieures ne peuvent être les nuages; elles sont
au-dessus du firmament. Ce firmament, ce sont les
cieux. D'autres écrivains sacrés se sont représentés
les cieux comme une tente que Dieu a étendue pour
séparer les eaux, Is., xl, 22; Ps. cm, 2-3, comme
une étendue pareille à un miroir poli, Job, xxxvn,
2349
HEXAMÉRON
2350
18, et soutenue par des piliers. Job, xxvi, 11. C'est
derrière ce dôme que sont placés les réservoirs des
«aux supérieures, Ps. xxxn, 6, 7, et il y a en lui des
ouvertures qui, comme des treillis, laissent passer la
pluie. Gen., vu, 11 ; IV Reg., vu, 2-19; Ps. lxxxvii, 23.
Il semble bien que l'auteur de la Genèse se représentait
le firmament de la même manière. Quelle qu'en soit
d'ailleurs la nature, Dieu l'a créé et lui a donné son
nom, un nom dont la forme plurielle indique probable-
ment la croyance à la pluralité des cieux.
3° jour. Séparation des eaux inférieures et de la terre,
et création des plantes, 9-13. — Une partie des eaux de
l'abîme étant placées au-dessus du firmament, Dieu
s'occupa de celles qui recouvraient encore la terre déjà
existante, mais invisible. « Et Dieu dit : Que les eaux
qui sont sous les cieux s'assemblent en un lieu unique,
et que le sec apparaisse. Et ce fut ainsi. Et Dieu nomma
le sec terre, et il appela mer la réunion des eaux. Et
Dieu vit que cela était bon. » Ainsi, par l'ordre de
Dieu, s'est opérée la séparation de la mer et de la terre.
Les éléments confus étaient définitivement distincts;
il n'y avait plus qu'à orner la terre, le ciel et la mer.
Les plantes sont créées le troisième jour. « Et Dieu dit :
Que la terre produise du gazon, des plantes portant
semence, des arbres fruitiers faisant des fruits selon
leur espèce, ayant en eux leur semence sur la terre.
Et il en fut ainsi. La terre produisit du gazon, des
plantes portant semence selon leur espèce, et des arbre;
fruitiers faisant des fruits, ayant en eux leur semence
selon leur espèce. Et Dieu vit que cela était bon. »
Dieu commanda donc à la terre de faire pousser les
plantes, et la terre les produisit spontanément, comme
elle produit l'herbe au printemps, tenant ce pouvoir
de la parole divine. Dieu lui avait ordonné de gazonner,
et elle fit sortir du gazon. De toutes les plantes, l'auteur
du récit ne distingue que trois catégories : le gazon ou
l'herbe verte, les plantes à graines et les arbres à fruits.
Cette classification est extrêmement simple et elle ne
suppose pas de grandes connaissances en botanique.
Elle est faite en vue de l'utilité des plantes pour la
nourriture des animaux et des hommes, et elle est
disposée suivant leur taille. Les plantes à graines et les
arbres à fruits paraissent seuls destinés à porter
semence, et ils sont distincts d'après le mode de
leur production séminale. C'est la simple nomenclature
d'un cultivateur et d'un jardinier. L'auteur insiste sur
leurs espèces, dont la spécification est le résultat de la
volonté divine. Il englobe ainsi équivalemment dans
sa description la production de toutes les plantes
terrestres. Quant à la distinction spécifique, elle n'est
pas vraisemblablement établie d'après les principes
de la science, mais plutôt d'après les ressemblances
extérieures des individus de la même espèce.
4* jour. Création du soleil, de la lune et des étoiles,
14-19. — La terre ainsi séparée des eaux et couverte
de plantes, Dieu s'occupa d'orner le firmament. « Et
Dieu dit : Qu'il y ait des luminaires au firmament des
cieux pour séparer le jour d'avec la nuit, et qu'ils
soient pour les signes, pour les temps, pour les jours
et pour les années, et qu'ils soient en luminaires dans le
firmament des cieux pour luire sur la terre I Et il en
fut ainsi. Dieu fit les deux grands luminaires : le
grand luminaire pour présider au jour et le petit
luminaire pour présider à la nuit, et les étoiles. Et Dieu
les plaça dans le firmament des cieux pour luire sur la
terre et pour présider au jour et à la nuit et pour sépa-
rer la lumière d'avec les ténèbres. Et Dieu vit que
c'était bon. » Dieu crée au ciel, non pas des réceptacles
de la lumière, mais des porte-lumière, des lampadaires.
Il les y place et il leur assigne d'importantes fonctions
à remplir : ils sépareront le jour et la nuit, et ils servi-
ront de signes, de points de repère, pour régler par
leur cours régulier les temps, les jours et les années,
en luisant sur la terre. Devenus ainsi les régulateurs
attitrés de l'alternance constante de la lumière et des
ténèbres, établie au 1er jour, puisqu'ils présideront
successivement au jour et à la nuit, ils luiront tour à
tour sur la terre et ils serviront ainsi à calculer les
saisons et tout le calendrier, jours, mois, années et.
temps marqués. Ce sont donc des créatures de Dieu et
ils ont reçu du créateur une destination qui découle
de leur cours régulier. Ces fonctions seront remplies
surtout par les deux grands luminaires. Ceux-ci ne
sont pas nommés par leurs noms, mais désignés seule-
ment par leur taille et selon les apparences : le plus
grand (le soleil) pour présider au jour, le plus petit
(la lune) pour présider à la nuit. L'auteur n'omet pas
les étoiles, qui sont des astres plus petits, et il les
joint à la lune pour présider à la nuit. Il n'a rien
affirmé sur la nature des luminaires célestes; il n'a
décrit que leur destination par rapport à la terre.
5e jour. Création des poissons et des oiseaux, 20-23. — ■
Dans l'œuvre de la création, la vie animale suit la vie
végétale, et après les luminaires des cieux viennent les
habitants de l'eau et de l'air. Il y a ainsi gradation
ascendante dans l'apparition des êtres. « Et Dieu dit :
Que les eaux pullulent une pullulation d'êtres vivants,
et que des oiseaux volent devant la face du firmament
des cieux. Et Dieu créa les grands monstres marins et
tous les êtres vivants qui se meuvent et dont pullulent
les eaux, suivant leurs espèces, et aussi tous les oiseaux
ailés selon leur espèce. Et Dieu vit que c'était bon. »
Simultanément, l'eau et l'air sont peuplés. Dieu veut
que la vie animale se manifeste dans les eaux de la mer,
et que les êtres vivants y grouillent; il veut aussi que
des oiseaux volent devant la face du firmament des
cieux. Dans le récit de l'exécution de la volonté divine,
l'auteur énumère d'abord les grands monstres marins,
puis tous les êtres qui se meuvent dans l'eau et la font
pulluler, par conséquent toutes les espèces des poissons
de la mer. Les espèces des volatiles ne sont pas men-
tionnées en détail. Tous ces êtres ne sont pas attachés
au sol comme les plantes; ils se meuvent librement dans
leur élément propre. Ils vivent donc d'une vie indé-
pendante, et ils se repro luisent, en se multipliant par
eux-mêmes. Aussi, après avoir vu que cette création
nouvelle était bonne, Dieu la bénit, en disant : « Soyez
féconds, multipliez-vous et remplissez les eaux des
mers, et que les oiseaux se multiplient sur la terre. » La
bénédiction divine confère donc aux habitants des
mers et de l'air la faculté de se reproduire, de commu-
niquer la vie dont ils jouissent, de croître en nombre
et de remplir les domaines qui leur sont fixés.
6e jour. Création des animaux terrestres et de l'homme,
24-31. — Le 6e jour compte deux œuvres comme le 3e.
Dieu ordonne la création des animaux de la terre, et
son ordre est exécuté aussitôt. C'est la terre elle-même
qui doit faire sortir les animaux qui vivent à sa surface.
Cependant c'est Dieu qui les a faits. Malgré la dillé-
rence d'expressions que présentent l'ordre divin et son
exécution, il est certain que les animaux n'existent
que par la volonté de Dieu, quelles qu'aient été la
matière ou la manière dont Dieu usa pour les appeler
à la vie. Les animaux de la terre sont divisés en trois
classes d'après leur forme et leurs relations avec
l'homme. Dieu a fait les animaux domestiques ou le
bétail ordinaire, les animaux rampants ou les reptiles,
et les bêtes sauvages ou proprement les bêtes de la
terre. Cette répartition est faite au point de vue des
bergers et des agriculteurs; elle n'a rien de scienti-
fique. Son énumération est un peu différente dans
l'ordre de Dieu et dans le récit de son exécution, sans
qu'il y ait aucune raison spéciale à donner de la dispo-
sition suivie. Ces animaux sont aussi créés selon leurs
espèces, et Dieu vit que son œuvre était bonne. Ce-
pendant, l'auteur n'a pas relaté la bénédiction de Dieu
2351
HEXAMERON
2352
leur accordant, comme aux poissons et aux oiseaux,
la fécondité. On ne peut deviner aucune raison spéciale
de celte omission.
La seconde œuvre du 6e jour est le couronnement
de la création du monde visible. Elle est décrite plus
longuement que toutes les précédentes, et elle tend à
faire ressortir la suprême dignité de l'homme dans
l'ordre des créatures terrestres. Dans la parole de Dieu,
le ton s'élève et il est très solennel. Dieu prend une
décision spéciale au sujet de cette créature, il la fait à
son image et à sa ressemblance et il l'établit le roi de la
création. « Et Dieu dit : Faisons l'homme à notre
image et ressemblance, afin qu'il domine sur les pois-
sons de la mer, sur les oiseaux des cieux, sur le bétail,
sur toutes les bêtes de la terre et sur tous les reptiles
qui rampent sur la terre. » Dans sa résolution, Dieu
emploie le pluriel, comme lorsqu'il veut confondre le
langage des hommes qui bâtissaient la tour de Babel.
Gen., xi, 7. Dieu ne parle pas aux anges, dont il n'a
pas été question dans tout le récit, et à la ressemblance
desquels l'homme n'a pas été créé. Dieu se parle à
lui-même, non pas sans doute en employant le pluriel
de majesté, dont l'usage ne s'est introduit chez les
juifs qu'à l'époque de la domination perse, cf. 1 Esd.,iv,
18 ; I Mac, x, 19, mais plutôt parce qu'il y a en lui une
plénitude d'être qui lui permet de délibérer avec lui-
même comme plusieurs personnes délibèrent entre
elles. Le mystère des trois personnes divines n'est pas
expressément indiqué par ce pluriel de résolution;
il le serait tout au plus par une allusion qui n'a pu
être saisie qu'après sa révélation explicite. L'homme
crue Dieu veut créer, ce n'est pas Adam, le premier
homme; c'est l'humanité entière dans le premier
couple, dont elle descend. Dieu veut la créer à son
image, selon sa ressemblance. Les termes d'image et
de ressemblance auraient encore été modifiés par les
sages dans la version des Septante pour éviter une
discussion dogmatique. Talmud de Jérusalem, loc.
cil., p. 217-218. Les deux mots hébreux employés
sont à peu près synonymes et ils s'emploient indiffé-
remment l'un pour l'autre. Cf. Gen., v, 1-3; ix, 6. Ils
ne signifient donc pas par eux-mêmes des similitudes
différentes, comme seraient la ressemblance dans
l'ordre naturel et la ressemblance dans l'ordre surna-
turel. Le second renforce le premier, et tous deux réu-
nis désignent l'image la plus ressemblante. L'auteur
du récit n'explique pas en quoi consiste cette ressem-
blance. Il ne s'agit pas d'une ressemblance purement
extérieure et corporelle, puisque Dieu, même dans ce
récit tout anthropomorphiste, n'a point de corps.
Puisque la ressemblance suppose une nature sem-
blable, c'est dans sa nature spirituelle que l'homme res-
semble à Dieu. Or, Dieu, qui est pur esprit, est intelli-
gent, il commande par la parole et il est le maître
absolu de ses créatures. L'homme, créé à son image,
participe à son intelligence, à son autorité et à sa domi-
nation sur les autres êtres vivants. Aussi Dieu ajoute-
t-il aussitôt qu'il le crée pour qu'il domine sur les pois-
sons de la mer, sur le bétail et sur toutes les bêtes de
la terre comme sur les reptiles. L'exécution fut con-
forme à la résolution, et Dieu créa l'homme à son
image. De plus, il ne créa qu'un seul couple humain,
duquel toute l'humanité descend. Dieu ne créa pas plu-
sieurs espèces d'hommes, comme il l'avait fait pour les
plantes, les poissons, les oiseaux et les animaux ter-
restres. L'auteur ne dit pas ici comment Dieu créa le
premier couple. Sur la création d'Adam, voir t. i,
col. 369 sq. ; et sur celle d'Eve, t. v, col. 1640 sq.
Les rabbins plaçaient encore le membre de phrase:
» Dieu les créa mâle et femelle » parmi les treize
p issages modifiés par les sages pour éviter des
issions dogmatiques, parce qu'ils voulaient trou-
ver dans leur texte leur opinion sur le premier
homme androgyne. Talmud de Jérusalem, loc. cit.*
p. 218.
Après avoir créé les premiers hommes, mâle et fe-
melle, le créateur les bénit et leur donna, comme aux
poissons et aux oiseaux, la fécondité et le pouvoir de
reproduction, mais il ajouta à la multiplication de
l'humanité le droit d'occuper la terre et de se l'assu-
jettir, comme celui d'exercer l'empire sur tous les ani-
maux vivants de la création. Puis, pour conserver la
vie qu'il a créée, Dieu assigna aux hommes et aux ani-
maux leur nourriture. Le monde végétal est divisé en
deux parts : à l'homme, qui est la créature la plus
digne, Dieu accorde les plantes les plus nobles, celles
qui portent semence, ou les céréales, et les arbres frui-
tiers; aux animaux, la verdure des prairies. C'est au
moins le statut divin pour le temps de la nature inno-
cente. Quand Dieu eut ainsi terminé son œuvre créa-
trice, il jeta comme un regard sur tout ce qu'il avait
fait, et il vit que c'était très bon. Chacune des créa-
tions particulières était bonne, leur ensemble était
très bon; il répondait très bien à l'idée que Dieu avait
voulu réaliser. Et après cela, le 6e jour s'acheva au
matin du jour suivant.
3° Le 7e jour, n, 1-3. — Ces trois versets forment le
résumé de l'Hexaméron et énoncent le repos sabba-
tique. « C'est ainsi que furent achevés le ciel et la terre
et toute leur armée. » Les cieux et la terre, créés par
Dieu, i, 1, ont été achevés, ont eu leur création com-
plète de la manière qui a été racontée dans l'œuvre des
six jours. Ils ont été créés avec toute leur armée. L'ar-
mée des cieux, ce sont les astres. Deut., iv, 19; xvn,
3; IV Reg., xvn, 16; Is., xl, 62; Jer., vm, 32, etc.
Nulle part dans l'Écriture il n'est parlé de l'armée de la
terre, et Néhémie, se référant à l'œuvre créatrice, ne
rapporte l'armée qu'au ciel. II Esd., ix, 6. On peut
donc penser que le mot hébreu n'a un suffixe pluriel
que par une simple construction grammaticale qui le
rattache aux deux mots précédents. En réalité, il ne
s'agirait que de l'armée des cieux et de l'œuvre du
4e jour. Cet achèvement de l'œuvre créatrice eut lieu,
non pas le 7e jour, comme on lit dans le texte hébreu
actuel par une erreur évidente, quoique les rabbins
prétendent que le texte a été corrigé dans la version
des Septante pour résoudre une difficulté, Talmud de
Jérusalem, loc. cil., p. 218, mais le 6e, conformément
au texte samaritain, à la version des Septante et à la
version syriaque.
Le 7e jour, Dieu se repose de son travail. Le repos de
Dieu comme son travail sont de véritables anthropo-
morphisines. Dieu a créé le monde par sa toute-puis-
sance sans perte de forces et sans fatigue; il n'a donc
pas besoin de repos. S'il est présenté comme ayant
travaillé six jours et se reposant le 7e, c'était pour
signifier que l'homme, dans son activité, doit se régler
sur le créateur, travailler six jours de la semaine et se
reposer le 7e. Dieu bénit donc le 7e jour et le sanctifia.
La bénédiction du 7e jour est une bénédiction spéciale
que les autres jours n'ont pas reçue. Elle a consisté
dans la sanctification qui en est faite : ce jour a été un
jour saint, dans lequel l'homme ne doit se livrer à
aucun travail pour imiter le repos de Dieu, et qui sera
consacré uniquement au service de Dieu. La cessation
de tout travail créateur au premier sabbat a été le
motif pour lequel tous les autres sabbats ont été bénis
et sanctifiés. Et voilà comment la semaine divine de la
création a été le modèle de la semaine humaine : un
jour de cessation de tout travail doit suivre les six jours
de travail.
Conclusion. — Il est clair que l'auteur inspiré du
récit de la création n'a aucune préoccupation scienti-
fique d'astronomie, de géologie, de botanique et de
zoologie, qu'il n'a pas voulu donner un enseignement
scientifique et qu'il a parlé des choses de la nature
>353
HEXAMERON — HEYNLIN
2354
à la manière des hommes de son temps, dans un lan-
gage vulgaire et sans portée scientifique. Cette ma-
nière de traiter des choses de la nature a été reconnue
juste pour tous les écrivains sacrés par Léon XIII, en-
cyclique Providentissimus Dcus, du 18 novembre 1893.
Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 1947. Mais si la
valeur scientifique du chapitre Ier delà Genèse est nulle,
sa portée religieuse n'en est pas diminuée. Moïse y a
résumé et pour ainsi dire condensé les vérités théolo-
giques fondamentales, dans un langage intelligible à
tous les esprits, même les plus simples. Ses conceptions
cosmogoniques sont très élevées et très pures, bien
supérieures a toutes les cosmogonies anciennes dont
elles condamnent les erreurs. Au lieu des dieux mul-
tiples qui se combattent entre eux, la première page
de la Bible hébraïque ne présente qu'un seul Dieu,
qui a créé toutes choses, même le chaos primitif, d'où
est sortie la terre par la seule volonté du Tout-Puissant.
Dieu a créé de rien par un acte de volonté. Tous les
êtres, formés par lui, dépendent donc de lui, même les
ténèbres que les Babyloniens faisaient éternelles, comme
le ciel, la terre, les astres, les végétaux, les animaux et
les hommes. Dieu a posé aussi les lois de la nature phy-
sique en donnant à chaque être sa constitution propre,
et il n'a créé que des êtres beaux et bons, qui répon-
daient à sa volonté, aussi se coin plaît-il dans son œuvre,
qu'il trouve digne de lui. Le Dieu unique, créateur de
l'univers entier, est donc tout-puissant, infli iment
sage et bon. Les anthropomorphismes, emplov es pour
décrire l'activité divine, ne diminuent pas ses beaux
attributs; ils ne servent, au contraire, qu'à les faire
comprendre aux intelligences les plus simples, en les
mettant ainsi à leur portée. Comme l'homme est le
centre et le roi de toute la création visible, cette créa-
ture intelligente, la seule qui soit faite à l'image de
Dieu, doit garder évidemment cette ressemblance et
se montrer digne de sa haute dignité et de sa domina-
tion sur la création entière que Dieu a mise à sa dispo-
sition. S'il doit travailler six jours de la semaine, il
doit se reposer le septième et consacrer ce jour bénit
et sanctifié dans le repos au service de Dieu.
En dehors des commentaires modernes de la Genèse, qui
sont indiqués, col. 1207, on peut consulter spécialement sur
le c. i" : Gutbcrlet, Dos Sechstagewerk, Francfort, 1882;
J. Corluv, Spicilegium dogmatico-biblicum, Gand, 1884,
t. i, p. 163-227; J. Lagrange, Hexaméron. dans la Revue
biblique, 1896, p. 381-407; FI. de Moor, Le récit génésiaque
de la création, Louvain, 1890; J. Mir y Noguera, La creacion,
Madrid, 1890; F. de Hummelauer, Nachmals der biblisclie
Schôpfungsbericht, dans Biblischc Sludien, Fribourg-en-
Brisgau, 1898, t. in, fasc. 2; trad. franc, par Eck, Le récit
de la création, Paris, s. d. (1898); L. Bigot, Le récit élohiste
de la création, dans la Revue du clergé français, Paris, 1901,
t. xxvui, p. 42-72; F. Kaulen, Der biblisclie Schôiifungs-
bericht, Fribourg-en-Brisgau, 1902; V. Zapletal, Der Schôp-
fungsbericht der Gencsis, Fribourg (Suisse», 1902; trad.
franc., Genève, Paris, 1904; 2e édit., Fribourg, 1911;
C. Berold, Die Schôpfungslegende, Bonn, 1904; A. Netter,
Les six jours de la création, Paris, 1903; Gnaudt, Der mosaï-
sche Schôpfungsbericht, Graz, 1906; Gockel, Schôpfungs-
gcschichtliche Theorien, Cologne, 1907; F. Schwally, Die
biblischen Schôpfungsberichte, dans Archiv fiir Religions-
wissenschafl, 1907, t. ix, p. 159-175; F. Bettex, Das erste
Blatt der Bibel, Stuttgart, 1906; G. Lasson, Die Schôpfung.
Das erste Blatt der Bibel fur unsere Zeit erlàutert, Berlin,
1907; S. Euringer, Das naturwissensclmflliche Hexaeme-
ronpmblem und die katholische Exégèse, dans les publi-
cations du séminaire historique de Munich, 1907, t. m,
p.25-45; A. Stacul, Der Schôpfungsbericht. Eine exegetisch-
apologetische Abhandlung, Profsnitz, 190S; J. Guibert, La
cosmogonie mosaïque, dans la Revue pratique d'apologétique,
Paris, 1909-1910, t. ix, p. 271-275; J. Selbst, dans Hand-
buch zur Biblischen Geschichte, 6' édit., Fribourg-en-
Brisgau, 1910, t. i, p. 113-144; E. Minjon, Die biblischen
Schôpfungslage, dans Der Katholik, 1911, p. 458-465 ;
K. Budde, Wortlaut nd Wcrdcn der erslen Schopfungs-
gcschichtcdans Zeitschrift fiir altlcstumcntlicheWissenscha/t,
1915, t. xxxv, p. 65-97; H. Lenski, Das Hexaemeron
dans Theologische Zeilblâtter, 1915, t. v, n. 4; P. Humbert
Das fiïn/te Schôp/ungswerU, dans Zeitscltrift fiir altesla-
mentliche Wissenscliaft, 1916, t. xxxv, p. 137-141 ; K.
Buddé, Zum vierlen Schôpfungstag, ibid., t. xxxyi, p. 198-
200; J. Touzard, Les origines du monde et de l'humanité.
La création, dans L'École, Paris, 1917-1918, t. IX, p. 98-99,
123-124, 191-195, 242-243, 266-267.
E. Mangexot.
HEYENDAL Nicolas, né à Walhom en 1658 au dio-
cèse de Liège, après avoir terminé ses études au collège
des jésuites d'Aix-la-Chapelle, fut arrêté, pendant
qu'il allait à Rome frire sa théologie, par des soldats
Vénitiens, qui l'enrôlèrent de force et il fut retenu
quatre ans captif à Corfou. De retour chez lui et ses
études faites à Louvain, il embrassa la vie religieuse
dans l'abbaye des chanoines réguliers de Rolduc, dio-
cèse de Liège, où il enseigna la théologie et l'Écriture
sainte. Ses confrères l'élurent abbé en 1712. Il s'ap-
pliqua au maintien de la discipline. Mais sa doctrine
passait avec raison pour suspecte. En 1698, il avait
publié : Les jours évangéliques ou trois cent soixante-six
vérités tirées de la morale du Nouveau Testament, in- 12,
Liège. Une traduction allemande, qui parut sous ce
titre : Pieux désirs de l'âme, Aix-la-Chapelle, 1701, fut
blâmée par le nonce Bussy et attaquée par le P. D Jsi-
rant, doyen de la faculté de théologie de Louvain
(1709). Heyendal publia: L'orthodoxie de la foi et de la
doctrine de l'abbé et des religieux de Rolduc, Liège. 1710.
La polémique continua. L'évèque de Liège prohiba,
comme renfermant des doctrines dangereuses, la
Dejcnsio seriptorum theologicorum de gratia Christi
dudum a B. D. Nie. Heyendal... luci publiese data,
Liège, 1712. La faculté de théologie de Cologne put
censurer six propositions extraites de cet ouvrage
(1714). L'auteur essaya de se justifier par des répliques.
Son activité littéraire n'était pas absorbée par ces
luttes. On iui doit : Lillerse ecclcsiasticse de vita et obli-
gationibus ministrorum Ecclesiœ, in-12, Liège, 1703, et
la continuation des Annales Roldcnses ab anno 1118-
1700, qui forme le t. vi de l'Histoire du duché de Lim-
bourg de Ernst, éditée par Lavalleye, 7 in-8°, Liège,
1837-1848. Heyendal mourut le 5 mai 1733.
Paris, Histoire du diocèse et de la principauté de Liège,
Liège, 1S68, p. 87-94; Allqemeine deutsche Biograpliie, t. xn.
p. 363; Biographie nationale de Belgique, t. ix, col. 340;
Hurter, Nomenclator, 1910, t. IV, col. 1242-1243.
J. Besse.
HEYNLIN Jean, docteur et professeur de la Sor-
bonne à Paris, naquit à Stein, petit village sur le Rhin,
au diocèse de Spire, vers l'an 1430. Selon l'usage de son
temps, du nom latinisé de son pays natal (Lapis), il a
été appelé jusqu'à nos jours. Jean de Lapide, Lapideus,
La pi t anus, etc., et c'est sous ce nom qu'il est justement
célèbre. En 1452, il était déjà ecclésiastique et suivait
les cours universitaires à Leipzig où il composa à cette
époque un traité sur Aristote. Il se rendit de là à Paris,
entra à la maison de Sorbonne, y fut reçu maitre es arts
et débuta dans la carrière de professeur par l'enseigne-
ment de la grammaire. Le fameux humaniste Jean Reu-
ter était au nombre de ses disciple:;, et le non moins
célèbre Jean de Amerbach, imprimeur à Bàle, fit aussi
ses études philosophiques et théologiques sous sa direc-
tion. Il garda toute sa vie une grande vénération pour
son maître, et lorsqu il imprima la logique de Porphyre
et d'Aristote avec le commentaire de Jean Heynlin, il
se fit un point d honneur de se déclarer son ancien dis-
ciple dans la souscription finale du volume: per migis-
Irum Joannem de Amerbach Lapidani quondam disci-
pulum, etc. Cf. Hain, Repcrtorium, n. 9919. Vers 1459-
1463, Jean Heynlin enseigna avec éclat la philosophie
péripatéticienne en Sorbonne et fut un des chefs des
réalistes. Appelé à professer les mêmes doctrines en la
nouvelle université de Bàle, il se distingua parmi tous
2355
IIEYNLIN
2356
ses collègues dans l'enseignement. Cf. Janssen, Histoire
du peuple allemand, 1. I, c. iv. Il rentra à la maison de
Sorbonne en 1466, mais son départ de Bàle ne lui fit
point perdre l'estime des savants et la confiance des
citoyens qu'il s'était acquises. Aussi, quoique absent, il
fut nommé notaire, tabellion public et juge ordinaire
de la ville, 14 octobre 1466. C'est probablement à cette
époque qu'il reçut le bonnet de docteur à Paris et y
enseigna la théologie. Ses collègues le nommèrent en
1467 préteur de la Sorbonne, en 1469 recteur et en 1470
de nouveau préteur. La date de 1469 et le nom de Jean
lleynlin font partie de l'histoire de l'imprimerie en
général, de l'histoire de la ville de Paris et aussi, en
quelque sorte, de l'histoire littéraire de France. En effet
c'est Heynlin, alors recteur de Sorbonne, qui fit venir
d'Allemagne les trois ouvriers typographes Ulrich Ge-
ring, Martin Krantz et Michel Freiburger, les établit
dans cette maison et se chargea de corriger lui-même les
épreuves de leurs produits. Son collègue Guillaume Fi-
chet, à qui on a voulu faire, à tort, l'honneur de l'éta-
blissement de la première imprimerie à Paris et en
France, a réfuté lui-même cette erreur par ces paroles
imprimées dans une lettre à Heynlin placée en tête du
premier ouvrage : Gasparini Pergamensis Epistolarum
opus, sorti de l'atelier de la Sorbonne : a luis quoque Gcr-
manis impressoribus... quos... e tua Germania libra-
rios ascivisli. En 1472, ou environ, Heynlin alla ensei-
gner la philosophie à Leipzig, et son départ occasionna
la sortie de la Sorbonne des ouvriers imprimeurs, qui
s'établirent rue Saint- Jacques, Au soleil d'or (1473). Il
n'entre pas dans notre cadre de spécifier les ouvrages
imprimés en la maison de Sorbonne, mais il importe de
• dire que Heynlin avait gardé un exemplaire de chaque
ouvrage, qu'il les donna ensuite avec le reste de sa très
riche bibliothèque à la chartreuse de Bàle, où ils res-
tèrent jusqu'à la suppression de ce monastère. Aujour-
d'hui ils sont conservés à la bibliothèque de l'univer-
sité bâloise. Heynlin avait vraiment reçu de Dieu le
don de la parole, qui, joint à une mémoire très tenace
et à sa profonde doctrine, lui fit faire beaucoup de bien
dans le peuple chrétien. Il connaissait par cœur à peu
près toute l'Écriture sainte et il possédait une vaste
connaissance des œuvres des Pères. Aussi sa renommée
comme prédicateur eut bientôt franchi les frontières
d'Allemagne et de France.
Il prêcha à Bàle pendant quatre années consécutives
(1474-1478) et autant de temps à Baden (1480-1484);
■de 1476-1480, on l'invita à prêcher plusieurs fois à
Berne, à Tubingue, à Bàle et à Baden. Il reprit l'ensei-
gnement de la philosophie à Tubingue, en 1477, et
l'abandonna définitivement trois années après. En
1484, il fut nommé recteur de l'église collégiale de Ba-
den-Baden et se lia d'amitié avec le chanoine Jean de
Hochberg, chancelier et protonotaire des princes de
Baden, qui, à son exemple, se fit chartreux à Bàle
(1487) et mourut prieur de la chartreuse de Strasbourg
(1501). L'évêque de Bàle offrit à J. Heynlin un canoni-
cat dans son chapitre et l'emploi d'écolâtre, et celui-ci
accepta et vint se fixer dans cette ville, où il ne cessa
jamais de prêcher au peuple. Mais après avoir tant tra-
vaillé au salut des âmes dans l'enseignement et dans le
ministère de la prédication, Heynlin voulut imiter
saint Bruno, qui avait aussi été professeur, écolâtre et
chanoine. Il se décida donc à quitter le monde et la vie
active, et le 15 août 1487, après avoir prêché dans la
cathédrale de Bàle, il se retira à la chartreuse qui était
près de cette ville. L'ordre apprécia toute la valeur du
sujet qui venait d'entrer dans son sein, et lui accorda le
privilège de faire les vœux après trois mois de séjour
dans le monastère. J. Heynlin fit profession le 17 no-
vembre 1487, il donna à son couvent une bonne partie
de ses biens et sa bibliothèque, composée de 233 vo-
lumes reliés et de 50 brochés. Dans sa cellule, Heynlin
ne renonça pas à l'étude, ni aux préoccupations litté-
raires, en coopérant à la publication des bons livres. Il
pressa beaucoup son ami Jean Trithème, abbé de Span-
heim, de publier les deux grandes ouvrages : De scrip-
toribas ecclcsiasticis et le Catalogue des hommes illustres
d'Allemagne. Le premier de ces livres fut imprimé à
Bàle en 1494, avec une lettre préliminaire intitulée :
Docto ac prœstanti viro domino Joanni de Amerbach in
artibus liberalibus Parisiensi magistro; frater Johannes
de Lapide, monachus ordinis carthusiensis, sacrarum
lïtterarttm humilis et indignus ejusdem studii professor,
plurimam in Domino salutem optât, etc. Ex Carlhusia
Basileœ V calend. septembris 1494. Cf. Hain, Reperto-
rium, n. 15613. Jean Amerbach profita du voisinage
de son ancien maître pour l'engager à s'intéresser aux
éditions patristiques qu'il voulait imprimer. Heynlin
consentit à revoir ces œuvres autant que l'observance
claustrale le lui permettait. C'est ainsi que le célèbre
imprimeur put faire paraître en 1489 le Psalmorum
explanatio de saint Augustin; en 1490, le De civitate
Dei.Dc Trinitate,De animœ quanlilate, in-fol.; en 1491,
le commentaire de Cassiodore sur les Psaumes; en
1492, le Consolatorium theologicum de Jean de Dom-
bach et les œuvres de saint Ambroise, en 3 tomes in-fol.,
cf. Hain, op. cit.,n. 896; en 1493, les lettres de saint
Augustin, in-fol., le De compunctione cordis, ainsi que
plusieurs autres opuscules de saint Jean Chrysostome.
Cf. Hain, op. cit., n. 5044-5047, 2088. L'édition des
œuvres complètes de saint Augustin publiée aussi par
Amerbach, en 1506, en 9 in-fol., renferme les traités revus
et corrigés par J. Heynlin. Le continuateur de la Chro-
nique de la chartreuse de Bàle, dom Georges Zimmer-
mann, entré au noviciat treize ans après la mort de
Heynlin, assure que celui-ci coopéra également à l'édi-
tion de la Bible et à la publication des œuvres de saint
Grégoire le Grand et de saint Jérôme faites aussi à Bàle
par Jean Amerbach. C'est dans ces occupations avan-
tageuses à l'Église et à la science que dom Jean Heynlin
termina pieusement sa vie, le 12 mars 1496.
Ses commentaires sur tous les livres d'Aristote, sur
la logique de Porphyre et les explications sur les livres
des principes de Gilbert de la Porrée furent publiés
par Jean de Amerbach, à Bàle, in-fol., s. d., certaine-
ment avant la mort de Heynlin, cf. Hain, n. 9919 et
13300, puisque Sébastien Brant lui adressa une poésie :
De logica per eum explanata. Le commentaire sur les
quatre livres De amina d'Aristote se trouve manuscrit
à la bibliothèque de l'université de Bàle, X, II, 20,
F. VIII, 9, F. VII, II; Expositio prologorum biblico-
rum Parisiis habita; Forma tractandi très priores libros
Senlenliarum; Quœstiones Sorbonicse sub (Jo. de Lapide)
et ab eodem disputâtes, maxime de peenitentia ; Ejusdem
prœ/ationes initio librorum aut disputationum : recueil
ms. in-4° conservé dans la susdite bibliothèque, A. VII.
13; cinq volumes de Sermons, mss in-4°, sont aussi à la
bibliothèque de Bàle : A. VII, 8-12; Epislola ad Jo.
Hochberg, Ecclesise Badensis canlorem, de qualitate sa-
cerdotis, ms., ibid., A. V. 26; Quœstiones theologiœ et
expectatoriœ variée sub et ab eodem doclore Parisiis dis-
putatee, etc., ms. in-fol., ibid., A. VI, 12; Oraliones duee,
una in promolione doctorum théologies, altéra in promo-
tione magistrorum habita, ms. in-4°, ibid., F. IX, 5;
Sermones de conceptione béates Maries, mss à la biblio-
thèque de la reine Christine de Suède, au Vatican,
n. 82. Cf. Migne, Dictionnaire des manuscrits, t. n,
col. 1225. Dom Jean Heynlin a écrit, selon Trithème,
De conceptione immaculatee Virginis, mais on ne sait
pas au juste quel nom donner à ce travail. Le R. P.
Baglioni dit que c'est un livre. Cf. Dilucidazione cronol.
dell'imm. concezione, Florence, 1852, p. 264, n. 31. Il est
plus probable qu'il s'agit des Sermons indiqués plus
haut et de cette Prœmonitio fratris Joannis de Lapide
cartusiensis... circa sermones de conceptione gloriosse
>357
HEYNLIN — HICKEY
2358
Virginis Mariée per quemdam Meffreth nuncupalum col-
lectes desl traits quid in hac maleria senliendum ac te-
nendum s it, cf. Scrmones Me/ fret, édit. de Nicolas Kessler,
Bàle, 1488, t. m; Main, Reperlorium, n. 11006. On re-
grette la perte de plusieurs ouvrages de Heynlin signa-
lés par Trithène et les bibliographes allemands, parmi
lesquels se trouvaient un Sommaire de la Passion, un
livre traitant des qualités du bon prêtre, un recueil de
lettres, etc. Un traité de Heynlin fort utile aux prêtres,
intitulé : Resolulorium dubiorum circa celebralionem
missarum occurrentium, eut un grand succès aux xve et
xvic siècles. Il y eut six éditions in-4° ou in-8°, s. 1. n. d.,
dont cinq indiquées par M. Hain, op. cit., n. 9899-9903,
et une autre, in-4°, notée dans le catalogue 98e, du li-
braire de Munich, Rosenthal, n. 1130; viennent ensuite
les éditions antérieures à 1501, enregistrées par Hain,
n. 9904-9918, avec les suivantes : Cologne, Quentell,
1501, 1504, 1506, et Jean Landen, 1506; Paris, 1502,
1508, s. d. (1510?), 1514, 1521, 1659; Venise, 1513,
1516; Cracovie, 1519; Strasbourg, 1520; Tolède, 1527;
Dillingen, 1558, 1559; Bologne, 1566; Brescia, 1567;
Constance, 1596, 1598; Padoue, 1599; enfin, il convient
de rapporter tout le titre de l'édition faite, en 1498, à
Périgueux, qui paraît avoir été le premier ouvrage
imprimé dans cette ville : Resolutorium dubiorum circa
celebralionem missarum occurrentium per vencrabilem
patrem dominum Johannem de Lapide, doctorem theolo-
gum Parisiensem,ordinis carlusiensis,ex sacrorum cano-
num probatorumque doctorum senlenliis diligenter col-
lectum. Impressum Pelragoricensis per magislrum Jo-
hannem Carant-, 1498, in-8°, caractères gothiques, gra-
vure xylographique. Cette rarissime édition a échappé
aux recherches de M. Hain. Le P. Possevin, traitant
de J. Heynlin (de Lapide) dans son Apparatus sacer,
dit que ce docteur écrivit aussi des ouvrages concer-
nant les humanités ou les belles-lettres. Voici quelques
titres : Inlroductorium grammaticee, inédit; Dialogus de
arte punctuandi, publié plusieurs fois, cf. Panzer, An-
nales, t. i, p. 296, 297, 478; t. n, p. 218, 216; t. iv,
p. 135, 222; t. ix, p. 223; Gasparini Barzizii Pergamen-
sis epistolarum opus, imprimé au moins douze fois, cf.
Hain, n. 2668-2679; Laurcntii Vallée elegantiee linguee
■latinee, imprimé plusieurs fois à Paris et à Cologne;
l'Abrégé de Tite-Live, la conjuration de Catilina de
Salluste, les œuvres de Térence, de Virgile, de Cicéron
et des autres auteurs classiques imprimés en la maison
de Sorbonne. Cf. Auguste Bernard, De l'origine et des
débuts de l'imprimerie en Europe, IIe partie, Paris,
1853; Taillandier, Résumé historique de l'introduction
de l'imprimerie à Paris, Paris, 1837; Alfred Franklin,
La Sorbonne, ses origines, sa bibliothèque, les débuts
de l'imprimerie à Paris, 2e édition, Paris, 1875, et
tous les auteurs qui traitent de l'établissement des
premiers imprimeurs dans la maison de Sorbonne, à
Paris.
Jean Heynlin, comme beaucoup d'autres savants
de son époque, fut consulté au sujet d'un aérolithe qui,
le 7 novembre 1492, tomba près d'Ensisheim, en Al-
sace. Il rédigea une dissertation intitulée : Conclusiones
aut propositiones physicales de lapide insigni, pondère
duorum centenariorum cum dimidio, qui 7 id. non. 1492
ex nubibus magno cum fragore prope Ensisheim, oppidum
Suntgoyœ Alsatiœ superioris, decidit et dein effossus in
ejusdem oppidi templo catena in loeum subliment sus-
pensus est. Dans cette étude, Heynlin réunit les hypo-
thèses qui pourraient éclaicir cet événement, mais il
paraît qu'aucun des savants consultés ne satisfit l'at-
tente du peuple, puisque l'on voit encore l'inscription
placée sur l'aérolithe ainsi formulée : De hoc lapide
multi multa, omnes aliquid, nemo salis. La dissertation
de Heynlin semble avoir été imprimée. Cf. Alhenas
Rauricas et la Biographie universelle de Michaud, au
mot Pierre (Jean de la Pierre).
Sébastien Brant, ami de Heynlin, écrivit, en son
honneur, des poésies dévotes et un petit poème sur
saint Bruno et l'ordre des chartreux, et à l'occasion
de sa mort, il composa une élégie qui a été publiée dans
le recueil de ses Varia ctrmina, Bâle, 1498.
De vita, conversatione, seriptis et obitu domini Joannis
de Lapide,sacrm pagina; doctoris : c'est le c. iv de la conti-
nuation de la Chronique de la chartreuse de Bâle par dom
Georges Zimmermann, publiée par MM. Vischer et Stern,
Basler Chroniken herausgegeben von der historischen Gessei-
schaft inBasel, etc., Leipzig, 1872; Die Reformations Chro-
nik des Karthàusers Georg, etc., Bâle, 1849; F. Fischer,
J. Heynlin, gennant a Lapide; akademischer Vortrag,
in-8°, Bâle, 1851; Une visite à la bibliothèque de l'université
de Bàle, par un bibliophile lyonnais, Lyon, 1880; Nicklês, La
chartreuse du Val Sainte-Marguerite à Bâle, in-8°, Porren-
truy, 1903; Trithcmius, Sienlerus, Possevin, Petrejus, dans
la Bibliotheca cartusiana; Morozzo, Thealrum chronol. S. ord.
ntrtit*.; Le Vasseur, Ephemerides ord. cartus., t. i; Félibien
et Lobineau, Histoire de la ville de Paris, Paris, 1725, t. n;
Gabourd, Histoire de Paris, Paris, 1864, t. n; Biographie
universelle de Michaud et la Biographie générale de Didot,
aux mots Fichet, Pierre (Jean) et Gering (Ulric); Kirchen-
lexikon, t. v, p. 2003; Allgemeine deulsche Biographie,
t. xii, p. 379; Realencyclopddie fiir protestanlische Théologie
und Kirche, t. vni, p. 36-37; P. Féret, La faculté de théo-
logie de Paris et ses docteurs les plus célèbres. Moyen âge
Paris, 1907, t. iv, p. 162-165 (sous le nom de Jean delà
Pierre); Hurtcr, Nomenclator, Inspruck, 1906, t. n, col 1027-
1030.
, S. AUTORE.
HICETES A la suite des hérésies dont il avait
emprunté la liste à saint Épiphane, et avant d'énumé-
rer celles dont il eut une connaissance personnelle
parce qu'elles lui étaient contemporaines, saint Jean
Damascène, puisant à une autre source, signale celle
des hicètes, î/.étou. Hser., lxxxvii, P. G., t. xciv,
col. 756. C'étaient, dit-il, des moines, d'ailleurs ortho-
doxes, qui avaient pour habitude de danser et de
chanter avec des moniales, dans le but d'imiter le
chœur formé par Moïse et Marie après le passage de la
mer Rouge. Exod., xv, 1, 20, 21. Mais dans ce cas,
ce n'est point hicètes qu'ils auraient dû s'appeler,
car îxérai, de «muai, signifie prier, supplier; ils au-
raient dû s'appeler plutôt yopeuTaî, danseurs, ou <J»âXTai,
chanteurs. Le mot Uérat évoque bien mieux le souve-
nir de la secte des massaliens ou euchites. Quoi qu'il en
soit, l'unique caractéristique qu'en donne saint Jean
Damascène ne justifie pas l'inscription des hicètes au
nombre des hérétiques; elle marque simplement un
usage fort peu recommandable et fort dangereux
au point de vue moral, que l'exemple de Moïse ne
saurait suffire à justifier, surtout parmi les moines.
L'existence de ces hicètes est postérieure à l'empereur
Marcien (450-457) et antérieure à l'empereur Héra-
clius (610-641).
S. Jean Damascène, Hser., lxxxvii, P. G., t. xciv, col. 756;
Migne, Dictionnaire des hérésies, Paris, 1847, t. i, col. 759,
au mot Hélicites; Smith et Wace, Diclionary of Christian
biography, Londres, 1878-1882, t. ni, p. 23.
G. Bareille.
HICKEY (Hiquaeus) Antoine, frère mineur ré-
formé, originaire de la baronnie d'Island dans le comté
de Clare en Irlande, naquit en 1586. Le 1er novembre
1607, il revêtait l'habit religieux au collège irlandais
de Saint-Antoine à Louvain, où il trouva comme
maîtres Hugues Mac Bhaird, Wardeus et Hugues Mac
Caghwell, Cavellus. A son tour il professa la théologie
à Louvain et à Cologne. Il enseignait dans cette ville
en 1619, quand son célèbre compatriote, Wadding, le
demanda à son ministre général pour l'aider dans les
travaux qu'il se proposait d'entreprendre. Hickey se
rendit à Rome, où, au couvent de Saint-Pien e in Monto-
rio d'abord, puis au collège de Saint- Isidore, il collabora
fidèlement avec son savant ami, qui nous a laissé de
2359
HICKEY
Il IKRACAS
2360
lui ce bel éloge : Nullus eo aljabilior, nullus humilior,
nullus in sludiis inagis assiduus. Per mcnses integros
hserebat domi, per diem univcrsum vel studebat. vel
orabat. Son premier ouvrage fut une apologie de sa
famille religieuse : Nitela franciscaine religionis et
abslersio sordium <iiiibus eam conspurcare frustra ten-
tavit Abrahamus Rzovius, in-4°, Lyon, 1627, publiée
sous le nom de Dermitius Thadseus, qu'il portait avant
son entrée en religion. Quand Wadding entreprit l'édi-
tion complète des œuvres de Duns Scot, le P. Hickey
reçut pour sa part le soin de préparer les Commentaires
sur le IVe livre des Sentences. Ils forment 3 in-fol.,
t. vm-x, de l'édition de Lyon, 1639. En faisant ce tra-
vail il conçut le projet d'écrire de semblables commen-
taires sur les trois premiers livres, ut plane et solide
ex conciliis et sanctis Patribus Scoti doctrinam corro-
borarct, et impugnantium ralionibus satisfaceret, dit
encore Wadding. Il commença par le IIIe livre, mais
n'alla pas au delà rie la VIe distinction, prévenu par la
mort, le 26 juin 1641. Son maître le fit ensevelir dans
l'église de Saint-Isidore, auprès de Mac Caghwell, et
plaça sur sa tombe une épitaphe socio gratissimo et
amico optimo. Il promettait de publier ses écrits inédits
sur le IIIe livre des Sentences, ainsi que des Respon-
siones ad pleraquc dubia moralia et ascetica. Le P. Hic-
key laissait encore un travail De stigmatibus sanclai
Calharinœ Senensis, adressé aux cardinaux de la S. C.
des Rites, et un ouvrage, qualifié par Maracci opus
insigne atque omnibus numeris absolutum, dans lequel
il traitait De conceptione immaculala R. Virginis
Mariée. On conserve au couvent de Dublin plusieurs
lettres originales du P. Hickey, relatives aux affaires
d'Irlande, car son pays lui demeura toujours cher, et il
avait rêvé d'écrire une histoire critique de son île natale
en collaboration avec plusieurs savants compatriotes.
Quand il mourut, il était définiteur général de son
ordre, dignité que lui avait conférée le chapitre tenu
à Rome, en 1639.
Wadding et Sbaralea, Scriplnres ordinis minorum, Rome,
1806; Hippolyte Maracci, Bibliotheea Mariuna, Rome,
1(548; The catholic encyclopédie!, New York, 1910.
P. Edouard d'Alençon.
HIÉRACAS ou HSÉRAX, hérétique dii temps de
Dioclétien, chef de la secte des hiéracites.
1° Le personnage. — C'est surtout à saint Épiphane,
Hser., lxvii, P. G., t. xlii, col. 172-184, qu'on doit la
plupart des renseignements sur la personne et les
erreurs de ce chef de secte. Hiéracas était né à Léonto-
polis, en Egypte, dans la seconde moitié du me siècle.
Il était médecin de profession; sa culture littéraire et
scientifique était très étendue ; il étudia même l'astro-
nomie et la magie. Il savait la Bible par cœur et avait
commenté le commencement du livre de la Genèse.
Jusqu'à l'âge de quatre-vingt-dix ans, il ne cessa
d'écrire et composa des psaumes ou des cantiques, que
devaient chanter ses partisans. Homme d'une très
grande austérité et orateur à l'éloquence persuasive, il
fit beaucoup de prosélytes, qui prirent son nom.
Il est regrettable que ses ouvrages soient perdus,
surtout son Hexaméron, car ils auraient permis de se
faire une idée exacte de son exégèse et de sa doctrine.
Un simple mot de saint Épiphane donne à penser
qu'il interpréta la Genèse d'une manière allégorique :
il l'accuse, en effet, d'avoir nié la réalité du paradis
terrestre, mais sans dire pourquoi. On en est donc
réduit aux conjectures. Voulait-il, en niant cette réalité,
écarter toute objection contre l'idée qu'il se faisait
du mariage, puisque c'est au paradis terrestre que
Dieu a institué l'union de l'homme et de la femme?
N'élait-il pas plutôt influencé par la théorie gnostique
de la matière, considérée comme essentiellement
mauvaise et source du mal? Ceci expliquerait son
interprétation allégorique du paradis, lequel ne serait
autre que le séjour du monde des esprits, d'où les anges
tombèrent pour s'être trop épris de la matière; et cela
cadrerait avec son ascétisme et sa négation de la
résurrection du corps; car il n'admettait que la résur-
rection spirituelle de l'âme, le corps n'étant qu'une
prison dont l'âme est délivrée par la mort, et la résur-
rection du corps ressemblant à un nouvel emprisonne-
ment de l'âme. Mais s'il en est ainsi, Hiéracas devrait
être rangé parmi les encratites gnostiques.
On ne saurait le confondre avec le personnage
nommé Hiérax, signalé comme l'un des douze disciples
de Manès, par Pierre rie Sicile, qui vivait au IXe siècle,
Hist. Manich., 16, P. G., t. civ, col. 1265; ce témoi-
gnage est trop tardif pour permettre de faire de
l'Égyptien Hiéracas un manichéen. Les auteurs les
plus rapprochés rie l'époque où parut et se développa le
manichéisme, nomment bien trois disciples de Manès,
mais aucun d'eux ne s'appelle Hiérax. Du reste, saint
Épiphane, qui a soin de relier entre elles les hérésies
dont il parle, ne marque aucune connexion entre celle
des hiéracites et celle des manichéens, qui la précède
dans son traité.
2° Ses erreurs. — L'enseignement d'Hiéracas conte-
nait quelques erreurs, commandées, semble-t-il, par
la conception gnostique de la matière qui est au fond de
son système : telle, par exemple, la condamnation du
mariage. L'Ancien Testament, observait-il, enseigne
la crainte rie Dieu et réprouve l'envie, la concupiscence,
l'injustice, etc. Qu'est venu enseigner de nouveau le
Christ, sinon la continence, la chasteté, la virginité?
C'est là, selon l'apôtre, la sainteté, sans laquelle per-
sonne ne verra le Seigneur. Heb., xn, 14. Dans la
parabole évangélique des dix vierges, si les unes sont
sages et les autres folles, toutes du moins sont vierges.
Le mariage dès lors n'a plus sa raison d'être; simple-
ment autorisé dans l'ancienne loi, c'est un état d'im-
perfection supprimé désormais par l'Évangile. On lui
objectait le mot de saint Paul : honorabile connubium
in omnibus. Heb., xm, 4. Hiéracas répond : J'en
appelle à ce que le même apôtre dit plus loin : Je
voudrais que tous les hommes fussent comme moi,
I Cor., vu, 7, c'est-à-dire célibataires. Paul ne tolère
le mariage que comme un moindre mal, en vue d'éviter
la fornication. En conséquence, Hiéracas n'admettait
au nombre de ses partisans que des célibataires ou des
veufs, des vierges ou des veuves. Remarquons qu'il
acceptait l'attribution à saint Paul de l'Èpître aux
Hébreux et qu'il trouvait dans son exemplaire cette
Épître avant les Épîtres aux Corinthiens. Il recevait
aussi les Pastorales de saint Paul, bien qu'on ne voie
pas comment il pouvait en concilier certains passages,
tels que I Tim., iv, 2, avec sa propre doctrine. Il
s'appuyait notamment sur le passage où il est dit que
les femmes doivent se parer de bonnes œuvres, I Tim.,
ii, 10, pour exclure du royaume des cieux les petits
enfants, parce qu'ils ne sauraient le mériter par
quelque action personnelle dans la lutte contre le mal
ou dans la pratique du bien. En outre, il niait, comme
nous l'avons déjà dit, la résurrection des corps, et
n'admettait qu'une résurrection spirituelle, celle des
âmes.
Sur la Trinité, au dire de saint Épiphane, Hiéracas
aurait eu une doctrine conforme à celle rie l'Église,
mais il ne peut s'agir là que de ce qui concerne le Père
et le Fils. Et pourtant saint Épiphane signale ailleurs,
Hœr., lxix, 7, une lettre d'Arius, également citée
par saint Athanase et saint Hilaire de Poitiers, dans
laquelle Arius, opposant sa doctrine à celle de Valentin,
rie Manès, de Sabellius et d'Hiéracas, déjà réprouvés
par l'Église, soutenait l'orthodoxie de sa foi : Nec sicul
Hiéracas, lucernam de lucerna, vel lampadem in duas
parles. S. Hilaire, De Trinitate, iv, 12 ; vi, 5, P. L.,
I. x, col. 105, 160. A vrai dire, la formule d'Hiéracas
2361
HIÉRACAS — HIÉRARCHIE
2362
quoique condamnée par saint Alexandre d'Alexandrie,
était susceptible d'une interprétation orthodoxe.
Mais Arius, très habilement, ne tenant compte que
de la condamnation, en prolitait pour décrier le sym-
bole de Nicée, on il est dit du Fils qu'il est lumière de
lumière. Ut fidei hujiis (celle de Nicée) intelliijentia
averteretur, Hieracse lampas vel lucerna ad crimen
confitendi ex lumine himinis objecta est, comme le
remarque saint Hilaire. De Trinitate, vi, 12, col. 166.
Quoi qu'il en soit, Hiéracas se trompa sûrement
sur la personne du Saint-Esprit. S'appuyant sur un
passade du livre apocryphe de Y Ascension d'Isaïe,
où il est dit que Dieu, dans le septième ciel, est entouré
de deux personnes, celle du Fils et celle du Saint-Esprit
qui a parlé par les prophètes, il en concluait que cet
Esprit, qui prie pour nous par des gémissements inej-
/ablcs, Rom., vm, 26, n'était autre que Melchisédcch,
(/iii est devenu semblable au Fils de Dieu, et demeure
prêtre pour toujours. Heb., vu, 3.
3° La secte des hiérurites. — On comprend que, par
l'austérité de sa vie beaucoup plus encore que par sa
science, Hiéracas en ait imposé à ceux qui voulaient
faire profession d'un ascétisme rigoureux. Le nombre
en étail grand en Egypte; de là, la formation de la secte
des hicraciles. Ceux-ci, à l'exemple de leur maître,
entendaient mener une vie d'ascètes et se priver de la
chair de toutes sortes d'animaux; chez la plupart, ce
fut une imitation réelle et effective: chez d'autres, ce
ne fut qu'une feinte. Ils cherchèrent à faire des recrues
parmi les solitaires d'Egypte. L'un d'eux se rendit au
désert près de saint Macaire et menaçait d'ébranler la
foi des moines par ses arguments spécieux. Macaire
avait beau répliquer, c'était sans succès, car l'hérétique
éludait habilement ses réponses et soulevait toujours
quelque nouvelle dilliculté. De guerre lasse et pour en
finir avec un adversaire aussi dangereux, il lui proposa,
comme moyen péremptoire de savoir qui avait raison,
de tenter l'épreuve de la résurrection d'un mort.
L'hérétique accepta, à la condition que Macaire
essayât le premier. Macaire se mit donc en prières et
ressuscita réellement un mort. Le disciple d' Hiéracas
n'en demanda pas davantage et s'enfuit pour toujours.
Le récit de ce miracle a été conservé par Rufln, Vita
Patrum, 28, P. L., t. xxi, col. 452; par Palladius, Hist.
lausiaca, 19, P. G., t. xxxiv, col. 1049; par Sozomène,
H. E., m, 14, P. G., t. lxvii, col. 1069; et par Cassien,
Collât., xv, 3, P. L., t. xlix, col. 996-998. Que la secte
des hiéracites ait été combattue par la parole et par la
plume, on ne pourrait s'en étonner; mais nous n'en
possédons point de preuve positive. Seul, l'auteur du
Prsedestina'us, 47, P. L., t. lui, col. 607, affirme
qu'un certain Aphrodisius, évêque de l'Hellespont,
personnage d'ailleurs inconnu, aurait écrit contre eux;
mais il n'y a pas d'apparence, comme l'a remarqué
Tillemonl, Mémoires, t. iv, p. 413, que leur secte se
soit étendue jusqu'aux bords de la mer Noire- en tout
cas, elle n'a guère laissé de trace dans l'histoire.
S. Épiphane, Hœr., lxvii, P. G., t. xlii, col. 172-184;
S. Augustin, De liœr., 47, P. L., t. xlii, col. 38-39.
Tillemont, Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique
des six premiers siècles, Paris, 1701-1709, t. m, p. 73; t. iv,
p. 411-413; Ceillier, Histoire générale des auteurs sacrés et
ecclésiastiques, Paris, 1858-1869, t. v, p. 597; t. vi, p. 403-404;
Walch, Entwurf einer volslàndigen Historié der Kelzereien,
Leipzig, 1702, t. i, p. 815-823; Néander, Allgemeine Ge-
schichte der christl. Religion und Kirche, 4° édit., Gotha, 1864,
t. il, p. 488-492; Bardenhewer, Les Pères de l'Église, trad.
franc., Paris, 1898-1899, t. i, p. 292-293; Geschichte der
altkirchlichen Litteralur, Fribourg-en-Brisgau, 1903, t. n,
p. 215-210; Migne, Dictionnaire des hérésies, Paris, 1847
t.i, p.777-778; Kirchenlexikon, t. v, col. 2005-2006; Smith
et 'W'ace, Diclionary o/ Christian biograpluj, t. m, p. 24-25;
U. Chevalier, Répertoire. Bio-bibliographie, t. i, col. 2143.
G. Bareilt.e.
HIERARCHIE. — I. Notion. II. Origines. III.
Démonstration de son existence. IV. Exposition et
réfutation des erreurs contraires. V. La hiérarchie de
l'Église est monarchique. VI. Développement de la
hiérarchie ecclésiastique.
I. Notion. — Dans son acception la plus géné-
rale, la hiérarchie est la répartition de l'autorité dans
un ordre subordonné et pour un but déterminé. Cette
définition s'applique à la société civile, comme à la
s ciétô religieuse. Ainsi, on parle, dans l'ordre civil, de
la hiérarchie administrative, judiciaire, militaire, etc.
Néanmoins, d'après sa désignation étymologique, le
terme hiérarchie, à p / r( îspâ, s'adapte d'une façon spé-
ciale à l'ordre divin et ecclésiastique. C'est ainsi que
la définit le pseudo-Denys l'Aréopagite : « La hiérarchie
est, d'après nous, une ordination sacrée, science et
opération, à reproduire, autant que possible, la d ifor-
mité, et à monter, en proportion des illustra ions
divinement infuses, jusqu'à l'imitation de la divin té. »
Hiérarchie céleste, c. m, § 1, trad. de l'abbé J. Dulac,
Paris, 1865; P. G., t. ni, col. 164. Comme consé-
quence, il explique de quelle manière la no ion
véritable de la hiérarchie requiert la subordination
des êtres qui la composent. Il indique les fonctions
diverses qui leur sont attribuées dans la purification,
dans l'illumination, dans la perfection, dans l'union
avec Dieu.
Au point de vue ecclésiastique, la hiérarchie peut
être considérée objectivement et subjectivement. Objec-
tivement, la hiérarchie n'est pas seulement un princi-
pat sacré: c'est plutôt la surveillance et l'administra-
tion des choses sacrées : f| twv Uptôv àp-/7J. Subjective-
ment, c'est la série des personnes sacrées, ayant la
mission coordonnée de diriger vers sa fin surnaturelle
la société chrétienne. Comme nous le démontrerons
plus loin, la hiérarchie ecclésiastique est consti-
tuée en trois degrés, l'épiscopat, le sacerdoce, le
diaconat.
Il ne faut pas cependant conclure de cette triple
désignation, que cette hiérarchie est multiple. Ce serait
une grave erreur. La hiérarchie établie par Jésus-
Christ pour régir la société spirituelle est une.
La plénitude du pouvoir repose sur la têle du pon-
tife romain, vicaire visible du divin Maître, l'évêque
des évêques. Sont aussi d'institution divine, participent
au triple pouvoir de sanctifier, d'instruire et de gou-
verner, les évêques placés sous la direction du pape.
Enfin, en vertu de l'ordre reçu, les ministres inférieurs
qui ferment la ligne hiérarchique possèdent, du moins,
in actu primo, in habilitate, les autres pouvoirs spiri-
tuels. Quoique la collation des saints ordres soit le
privilège exclusif de l'épiscopat, néanmoins, un simple
prêtre, autorisé par le souverain pontife, peut conférer
les ordres mineurs, le sous-diaconat, et certains auteurs
ajoutent même, le diaconat. Il peut de même conférer
le sacrement de la confirmation, qui n'est régulière-
ment administré que par l'évêque.
Cette unité de la puissance hiérarchique, confiée
éminemment au pape, se manifests non seulement
dans la communication du pouvoir de conférer les
ordres que le successeur de Pierre peut faire aux clercs
inférieurs, mais encore et d'une manière plus accen-
tuée, dans la participation, parfois très large, au gou-
vernement ecclésiastique qu'il accorde aux clercs infé-
rieurs. Le divin fondateur de l'Église a concentré
tout pouvoir juridictionnel aux mains de saint Pierre
et de ses successeurs, et il n'en a rattaché aucun, d'une
façon précise et déterminée, aux deux autres ordres
hiérarchiques, sacerdoce et diaconat. Il en résulte
qu'il y a des évêques, des prêtres, des diacres ns possé-
dant aucune juridiction. Néanmoins, en vertu du
sacrement de l'ordre qu'ils ont reçu, ils sont tous aptes
à recevoir communication du pouvoir juridictionnel.
2363
HIÉRARCHIE
2364
Le souverain pontife est juge de l'étendue plus ou
moins large dont il les en fera bénéficier, suivant les
circonstances. Aux évêques, dont le pouvoir est ordi-
naire, il assignera telle portion de la vigne du Sei-
gneur qu'il jugera convenable de leur attribuer. Il
déléguera aux autres membres de la hiérarchie les
pouvoirs opportuns. Ainsi, un diacre pourra être supé-
rieur à un prêtre, même à un évêque, en vertu du pou-
voir juridictionnel que le chef de l'Église lui aura
conféré. Aujourd'hui, les cardinaux, prêtres et diacres,
de l'Église romaine, sont au-dessus des évêques, bien
qu'ils ne possèdent ni le caractère ni le pouvoir épisco-
pal.
11 en est de même du pouvoir doctrinal conféré
au chef de l'Église. Les membres inférieurs de la hié-
rarchie n'ont ni l'autorité ni le droit d'enseigner la
doctrine, qu'à condition de rester unis au siège apos-
tolique. Le sacrement de l'ordre leur confère bien
l'aptitude radicale à devenir les hérauts de l'Évangile,
mais ils doivent recevoir du pape ou de l'évêque la
mission et le droit de prendre la parole dans la société
des fidèles. Ainsi le pape peut inviter un prêtre, un
diacre à siéger dans un concile et à y donner son suf-
frage même en matière de foi. Un évêque peut se
faire remplacer dans un concile par un prêtre ordi-
naire.
La hiérarchie ecclésiastique établie par Notre-
Seigneur est donc à la fois une et trine, à l'image de
l'auguste Trinité. C'est un fleuve, dont les eaux, jail-
lissant d'une même source, se répartissent en trois
canaux qui sillonneront le monde entier dans tous les
moments de la durée. Le sacrement de l'ordre est la
base essentielle de cette institution divine, une et non
multiple. Il confère au souverain pontife le pouvoir
expedilus, législatif, judiciaire et coercitif. Comme
aucune précision n'a été formulée dans l'Évangile
pour la juridiction à attribuer aux autres membres,
le chef souverain de l'Église en fait la répartition.
Bref, la hiérarchie se définit : Ordo sacrarum in
Ecclesia personarum quibus sacrœ alicujus functionis ex
u/Jicio excrcendœ poleslas commiltilUT, Les Conférences
d'Angers disent de même : « La hiérarchie est une
principauté ou magistrature spirituelle, composée
de divers ordres de ministres, subordonnés les uns
aux autres, que Jésus-Christ a instituée pour le
gouvernement et le service de son Église. » Conf. I,
q. ii, édit. de 1830, p. 14.
Le Codex juris canoniei pose très clairement l'exi-
stence et les degrés de la hiérarchie ecclésiastique, en
disant des clercs : Non sunt omnes in codem gradu,
sed inlcr eos sacra hierarchia est in qua alii aliis subor-
dinaniuT. Ex divina institulione, sacra hierarchia ratione
ordinis eonslal cpiscopis, presbytcris et ministris ; ratione
jurisdiclionis, pontificatu supremo et episcopatu subor-
dinato ; ex Ecclesiw aulem institulione alii quoque gradus
accessere. Can. 108, § 2, 3.
IL Origines. — Divers systèmes ont été formulés
pour rendre raison du développement historique de
la hiérarchie ecclésiastique, dès le début du christia-
nisme. Un premier système prétend que la hiérarchie
nouvelle prit pour cadre les institutions judaïques.
Un second veut que l'organisation cultuelle des Ro-
mains ait servi de base à son expansion. Un troisième
enfin trouve, dans la manière dont elle s'est répandue,
les éléments qui appartiennent aux deux organisations,
judaïque et romaine.
let système. — La législation juive comptait, en effet,
une hiérarchie composée du grand-prêtre, des prêtres
et des lévites. Ces titres et les fonctions de ces ministres
étaient déterminés par la loi mosaïque. Depuis le
retour de la captivité de Babylone, chaque localité
possédait sa synagogue, ou lieu de la prière et de l'en-
seignement des scribes. La nation avait aussi son
sanhédrin, ou grand conseil, qui siégeait dans la capi-
tale, à Jérusalem. En outre, un sanhédrin inférieur,
composé de vingt-trois juges ou arbitres, était constitué
dans les villes d'une certaine importance, même dans
les provinces situées en dehors de la Judée. Enfin,
un petit sanhédrin fonctionnait, pour l'administration
de la justice, dans les moindres agglomérations.
Le grand sanhédrin étendait sa juridiction sur tous les
autres consails. Le grand-prêtre le présidait. Les sanhé-
drins des villes importantes étaient placés sous la
direction de maîtres ou rabbins, appelés plus tard
primati et didascali. Après la ruine de Jérusalem, le
titre de patriarche fut conféré au chef suprême de la
nation établi à Tibériade. Parmi les primats, ou grands
chefs provinciaux, ceux d'Antioche et d'Alexandrie
auraient eu, prétend-on, une autorité plus considérable
à raison du chiffre élevé de population juive que ces
communautés comptaient.
Ce système hiérarchique aurait servi, en substance,
de modèle à l'organisation des pouvoirs juridictionnels
de la société chrétienne. Jésus-Christ, lui-même, en
aurait posé les bases, en confiant autorité aux évêques,
aux prêtres et aux diacres. Les Églises de Jérusalem,
d'Antioche et d'Alexandrie continuèrent, sous le nou-
veau régime, à jouir du prestige qui leur était précé-
demment attribué. Aussi, concluent les partisans de ce
système, l'organisation des Églises chrétiennes se
fit d'après les grandes lignes de l'organisation de la
Synagogue. La société mosaïque étant la préparation
des institutions chrétiennes, rien d'étonnant que la
hiérarchie nouvelle ait été calquée sur l'ancienne.
C'est un fait providentiel.
Bacchini, De ecclesiastieiB hiérarchise originibus, Disser-
tatio; Grotius, In Act., vi ; Basnage, Histoire des juifs,
1. VI, c. iv, § 10; Blanc, Cours d'histoire ecclésiastique,
Paris, t. i, leçon xlviii.
2e système. — L'évolulion de la hiérarchie catho-
lique a suivi les linéaments de l'organisation romaine.
En effet, la constitution des Romains possédait un
grand-pontife, ponlifex maximus, qui avait la préé-
minence sur tous les autres ministres du culte national.
En outre, il existe une grande similitude entre l'organi-
sation politique de l'empire et celle des centres primi-
tifs de la juridiction ecclésiastique. Les tableaux
descriptifs rédigés depuis Constantin le démontrent.
Les Romains avaient divisé l'univers conquis en pro-
vinces: leprœses provinciœ, représentant de l'empereur,
tenait tribunal dans les grandes cités, dites métropoles.
11 recevait ses directions de Rome, centre de l'unité de
tout l'empire.
Les partisans du premier système ne contestent pas
le fait de l'adaptation des limites juridictionnelles de
l'Église à celles des circonscriptions civiles. Néanmoins,
ils maintiennent leur opinion, en établissant que la
hiérarchie des sièges épiscopaux et des juridictions
était empruntée à l'organisation religieuse hébraïque.
Enfin, ils démontrent, en citant à l'appui des faits
historiques, que l'Église ne se faisait pas une loi de
s'astreindre à la ligne de démarcation politique des
provinces de l'empire. Souvent les papes ont agi indé-
pendamment de ces délimitations civiles, lorsque le
bien des âmes et l'expansion évangélique en manifes-
taient la nécessité ou la convenance. Néanmoins, le
sentiment contraire a prévalu.
Bennetis, Privil. S. Pétri, t. iv, p. 107; Cabassut, Notitia
Eccles., dissert. XIV, De prov. eccles., p. 51.
■3e système. — Il tend à concilier les deux opinions
précédentes, en utilisant leurs données, pour les fondre
dans une unité harmonique. Il relève, dans le progrès
de la hiérarchie chrétienne, l'influence des institutions
juives et romaines, en proportions équivalentes.
2365
HIERARCHIE
2366
Sans doute, les adhérents de cette opinion admettent,
comme les précédents, que l'Église n'avait nul besoin,
pour le succès de sa propagation, de s'adapter aux
formes politiques des institutions profanes. L'assistance
divine devait suppléer à toute faiblesse humaine.
Néanmoins, l'action providentielle met fréquemment
en jeu les causes secondes. Sous l'inspiration divine,
les apôtres adoptèrent un type d'organisation ayant
déjà fait ses preuves : ils tinrent compte de l'ordre de
choses existant.
Ils empruntèrent à l'organisation mosaïque la pra-
tique d'établissement de grands centres d'influence.
Les sanhédrins, dont l'autorité dominait dans les
grandes cités, leur servirent de modèle. Les évêques
furent installés dans les agglomérations nombreuses,
d'où leur prestige rayonnait sur les populations envi-
ronnantes. Le centre d'unité évangélique succédait au
centre d'unité mosaïque. Une nouvelle organisation
était substituée simplement à l'ancienne, destinée à
disparaître.
Par ailleurs, la circonscription romaine fournit les
éléments géographiques de la hiérarchie chrétienne.
Des prélats furent institués dans les chefs-lieux pro-
vinciaux, avec autorité de centraliser les églises d'un
rang inférieur. C'étaient les églises-mères, les églises
métropolitaines, installées sur le plan des chefs-lieux
des provinces civiles. Ce fut au point que le concile
d'Antioche, en l'an 341, établit en principe que les
évêques d'une même province devaient reconnaître
la prééminence de celui qui occupait le siège de la
métropole. Canon 9. Hefele, Histoire des conciles,
trad. Leclercq, Paris, 1907, t. i b, p. 717.
Les traditions pontificales antiques, citées par le
pseudo-Isidore, confirment ces faits. Pierre, rappor-
tent-elles, adopta la hiérarchie du culte païen. 11
institua des patriarches et des primats dans les grandes
villes où siégeaient les pontifes du paganisme, primi
flamines, puis, dans les métropoles, des prélats appelés
archevêques, à la place des archi- flamines; enfin, de
simples évêques, dans les cités de moindre importance.
Dans cet ordre d'idées, on érigea d'abord les trois
patriarcats, dits métropoles royales, de Rome, d'An-
tioche et d'Alexandrie; plus tard, ceux de Constanti-
nople et de Jérusalem. Dans le cours des siècles, divers
autres sièges épiscopaux ont ou obtenu ou usurpé le
titre de patriarcats. Mais ces dénominations ne répon-
daient plus aux exigences de l'épanouissement de
l'Église. Issues des contingences historiques, elles
n'ont eu qu'une durée éphémère, une valeur nominale.
Eupoli, Prielectiones juris ecclesiastici, t. Il, p. 206;
Berardi, Comment, in jus ecclesiasticum, t. i, p. 102 sq. ;
Philipps, Du droit ecclésiastique, t. n, 1. LXVIII, p. 18;
Bianchi, Délia potesla e délia politia délia Chiesa, t. iv,
p. 17 sq.
Pour la mise au point de ce qu'il peut y avoir de vrai
et d'historique dans ces trois systèmes, touchant l'orga-
nisation de la hiérarchie catholique et la formation des
circonscriptions ecclésiastiques, voir Duchesne, Origines
du culte chrétien, Paris, 1889, p. 1-14; Diction, d'arcli.
chrét. et de liturgie, t. îv, col. 1212 sq. Cf. P. Batifïol, La
paix constantinienne et le caf/io/icisme, Paris, 1914, p. 114-121.
III. DÉMONSTRATION DE LA HIÉRARCHIE CATHO-
LIQUE. — Nonobstant la réalité et le caractère impo-
sant des considérations historiques et doctrinales que
nous venons d'indiquer, les hérétiques ont effronté-
ment nié l'existence de la hiérarchie catholique.
1° Méconnaissant la nature, l'action, le but final de
l'institution hiérarchique de l'Église, les sectes protes-
tantes ont prétendu qu'elle était invisible, comme
l'Église elle-même. Elles oubliaient qu'elle avait pour
objet l'instruction et la sanctification de l'homme;
que ce dernier possède deux éléments constitutifs,
le corps et l'âme, la matière et l'esprit, auxquels il
fallait s'adresser. Par ailleurs, l'homme ne pénètre
dans le domaine des connaissances que par le moyen
d'organes sensibles, par l'étude des objets matériels.
Aussi, les sacrements ne sont que les signes sensibles
de la grâce invisible; la prédication n'est que le véhi-
cule de la doctrine surnaturelle. Dans l'économie
divine, tout est donc admirablement adapté à l'orga-
nisme humain. Il n'en est pas autrement de la hiérar-
chie chrétienne. Organisée pour régir les fidèles par la
législation appropriée aux fins dernières, pour exercer
la juridiction et ramener les délinquants dans la voie
droite, elle ne pouvait être que visible à tous, de
sorte qu'il soit plus difficile ce l'ignorer que de la
connaître.
Aussi Jésus-Christ a établi son Église sous la forme
d'une société organisée: il l'appelle, royaume, cité,
bercail, vigne, lumière brillante. Or un royaume exige un
chef suprême qui concentre les forces dispersées, et les
oriente vers le but. La cité implique la notion du gou-
verneur; le bercail appelle le pasteur conduisant le
troupeau; la vigne a absolument besoin du vigneron,
qui la cultive et la préserve; la lumière est placée sur
le candélabre pour qu'elle puisse rayonner. Matth.,
v, 15; xx, 1; xni, 11-44.
Jésus a conféré à ses apôtres le droit de parler,
et a ordonné aux fidèles d'obéir : Qui vos audit me
audit; et qui vos spernit me spernit. Luc., x, 16. Il y a
donc dans l'Église, de par institution divine, une auto-
rité ayant mission d'instruire et de régir les autres;
des hommes préposés à la garde des clefs du ciel,
chargés de diriger les brebis et les agneaux constituant
le troupeau du Seigneur. Or là où se trouvent des
chefs constitués en dignité, et des subordonnés tenus
à la déférence, il y a hiérarchie.
Saint Paul ne fait que constater cette disposition
divine, lorsqu'il écrit aux Corinthiens, I Cor., xn,.
28 : Le Maître a institué dans son Église, d'abord les
apôtres, deuxièmement les prophètes, troisièmement
les docteurs... Qui croira que tous dans l'Église sont
apôtres? tous prophètes? tous docteurs? Dans sa
lettre aux Éphésiens, îv, 11, il revient sur ce point,
avec une insistance significative : « Il nous a donné
des apôtres et aussi des prophètes et aussi des évan-
gélistes, et enfin des pasteurs et des docteurs, afin de
compléter le nombre des saints par l'œuvre de leur
ministère achevant ainsi la formation du corps du
Christ. »
2° Sans doute, au point de vue du salut, il n'existe
aucune différence entre les membres de l'Église :
tous sont appelés à la sanctification et à la glorifica-
tion. Ainsi, Grecs et Romains, civilisés et barbares,
hommes et enfants, vieillards et jeunes gens consti-
tuent le sacerdoce royal, l'héritage du Dieu rédemp-
teur. Néanmoins cette société accuse des inégalités de
situation, des différences de droits, des variétés de
devoirs et de fonctions. L'enseignement des Pères
et. des docteurs n'a pas varié à ce sujet : ils ont unani-
mement admis les degrés hiérarchiques établis si clai-
rement par le Christ. D'après eux, rien n'est si clair
dans l'Évangile que les paroles établissant cette orga-
nisation, si ce n'est les termes formulant la présence
réelle dans le sacrement de l'eucharistie. Les évêques
ayant Pierre à leur tête, comme confirmateur de ses
frères, comme gardien des clefs du ciel; les prêtres,
appelés à exercer leur ministère de salut sous cette
direction autorisée; enfin, les collaborateurs inférieurs,
participant au sacrement de l'ordre, voilà la doctrine
immuablement enseignée.
Dans sa session XXIIIe, c. iv, can. 6, le concile de
Trente a défini cet enseignement et frappé d'anathème
le système des novateurs : Si quis dixerit, in Ecclesia
catholica, non esse hierarchiam, divina ordinatione
instilutam, quœ constat ex episcopis, presbyteris et
2367
HIERARCHIE
2368
ministris, anathcma sit. Denzingcr-Bannwart, Enchi-
ridion, n. 966.
De nos jours, le concile du Vatican a solennellement
proclamé la doctrine traditionnelle, par l'organe de
Pie IX. s énonçant dans la constitution Paslor seternus,
promulguée le 18 juillet 1870. lbid., n. 1821.
3° Comme conséquence immédiate de cet exposé
de principe, on voit ce qu'il faut penser du système
amorphe des anabaptistes, quakers et séparatistes.
Ils a< nul lent la convenance, l'utilité même, de la
hiérarchie, ainsi établie dans l'Église catholique. Mais
ils ne veulent pas en admettre la nécessité. Ils font
abstraction des propositions impératives consignées
dans les saintes Écritures, de l'interprétation tradi-
tionnelle, inaltérablement reproduite dans l'enseigne-
ment public de l'Église.
En fait, ils oublient que les passions humaines,
toujours impatientes du joug, ont continuellement
besoin d'être soumises au frein, à une puissante auto-
rité qui les maîtrise et les rappelle à la ligne du devoir.
Ces considérations seront mises en plus grand relief
dans la réfutation des erreurs suivantes.
IV. Exposition et réfutation des erreurs. —
Les erreurs contraires à la hiérarchie catholique
peuvent se ranger sous cinq titres.
11 y a des sectes protestantes qui rejettent la dis-
tinction des clercs et des laïques : elles réclament
parité entre eux.
D'après les protestants, le Christ n'a pas établi un
sacerdoce distinct et visible : tous les fidèles sont
prêtres en vertu de leur baptême. Ils peuvent prêcher,
consacrer, administier tous les sacrements. Seulement
ils ne sauraient exercer ces pouvoirs qu'en vertu de
la délégation populaire, indispensable à l'exercice de
leur juridiction, comme à leur élection. Selon ce
concept, le système démocratique est en vigueur dans
l'Église.
En retour, certains schismatiques admettent l'insti-
tution hiérarchique; mais ils nient obstinément que
la primauté de juridiction ait été conférée à saint
Pierre et à ses successeurs.
Les partisans de Richer, de Fébronius, De statu
Ecclcsiœ, § 5, 6, admettent l'institution hiérarchique
et l'établissement de la primauté. Seulement, ils ne
veulent pas que Pierre, le collège des apôtres et le
corps épiscopal soient les dépositaires de l'autorité
suprême. D'après eux aussi, le bénéficiaire direct,
immédiat du pouvoir spirituel, c'est la société des
fidèles, transmettant aux papes et aux évêques délé-
gation juridictionnelle.
De l'énoncé de ce système à son adoption par les
régaliens, il n'y avait qu'un pas. Il fut vite franchi.
Les légalistes proclament en effet la subordination du
pouvoir spirituel à la souveraineté civile.
Enfin, quelques hérétiques appliquent un système
d'évolution historique à l'établissement de la hiérar-
chie dans l'Église.
1° Dijjérence entre clercs et fidèles. — 1. Comment
expliquer autrement l'acte de Jésus-Christ, faisant
choix de douze apôtres parmi tous ses disciples et
leur disant : Allez aux brebis d'Israël; prêchez-leur
le royaume de Dieu: ce que vous ayez gratuitement
reçu, donnez-le gratuitement? Matth., x, 1; Mare.,
m, 13; Luc, vi, 13. Saint Pierre proclame à son tour
qu'il a reçu mission d'instruire le peuple: Prœcepit
nobis prœdicare populo et testifleari, etc. Act., x, 41.
Saint Paul explique la différence entre apôtres et
peuples, par la comparaison des membres du corps
humain, parmi lesquels existe une subordination par-
faite pour le bien de tout l'organisme. I Cor., xn,
12-30. Voir col. 225-226. Il est inutile de répéter les
textes cités plus haut, affirmant le caractère hiérar-
chique de l'Église catholique.
2. Les Constitutions apostoliques formulent éner-
giquement cette règle, 1. II, c. xl : Neque œquum est,
o episcope, ut lu qui capul es, assenliaris caudse, id est.
laico, sed Deo soli. Elles continuent en précisant la
situation : « 11 t'appartient de diriger tes subordonnés
et de ne pas te laisser dominer par eux. De droit natu-
rel, ce n'est pas le fils qui commande au père 1 » Que
peuvent opposer les protestants à des principes scriptu-
raires, traditionnels, aussi précis?
3. Ils s'emparent de quelques textes isolés et les in-
terprètent en un sens absolument contraire à d'autres
textes catégoriques, retenus par renseignement univer-
sel, comme déclarations décisives de l'inégalité des
membres de l'Église, établie d'ordre divin. Ainsi, ils
prétendent que toute distinction a été nivelée, selon ces
paroles : Et ponam... universos filios luos doctos a
Domino, Is., lv, 13 ; Et non docebit ultra vir proximurn
suum cl vir fralretn suum, dicens : Cognosce Dominum !
Omnes enim cognoscent me a minimo eorum, usque ad
maximum, Jer., xxxi, 34; Vos unelionem habelis a
Sancto et nostis omnia.... non necesse habelis ut aliquis
doceat vos, sed sicut unclio ejus docel vos de omnibus
L Joa., n, 20, 27.
11 n'est pas malaisé de ramener ces paroles au sens
de l'enseignement traditionnel, sans faire aucune
violence à leur portée naturelle, en se conformant aux
règles de la saine exégèse. En effet, elles indiquent que
les fidèles sont éclairés par Dieu : rien de plus juste.
Mais il s'agit de préciser le procédé choisi par le ciel à
cet effet. Dieu a instruit les hommes, d'abord par le
Verbe incarné qui a révélé toute doctrine. Puis, il a
établi le ministère apostolique pour répandre l'ensei-
gnement divin à travers les nations, l'Église, assistée
de son Esprit, pour maintenir dans le temps l'intégrité
des doctrines surnaturelles. De telle sorte que, selon la
règle énoncée par saint Augustin, la parole matérielle
frappe les oreilles; mais le maître infuse la conviction
dans les cœurs. Sonus verborum noslrorum dures
perculit; magister inlus est... Admonere possumus per
slrepilum vocis nostrse : si non sit intus qui docel,
inanis fit strepilus nosler.
2° Négation de la primauté de saint Pierre par les
schismatiques. — La doctrine catholique enseigne d'une
façon irréfragable que le Christ a établi une autorité
centrale, souveraine, à laquelle seraient soumis tous
les autres pouvoirs préposés à l'administration par-
tielle de l'Église. Ce chef suprême a été divinement et
nommément désigné; c'est l'apôtre saint Pierre, dont
les successeurs, pontifes romains, hériteront de la
même primauté, sans aucune restriction. Voir Pape.
1. Contre cette thèse, à laquelle souscrivent les fidèles
de tous les siècles, les schismatiques objectent le texte
de saint Paul aux Corinthiens, I Cor., m, 28, et celui
aux Éphésiens, iv, 11-12: Et ipse (Chrislus) dédit
quosdam quidem aposlolos, quosdam autem prophelas.
alios vero evangelislas, alios autem paslorcs, cl
doctores,ad consummationém sanctorum in opus minis-
terii in œdificalionem r.orporis Chrisli. Or, en tout
cela, disent-ils, il n'y a pas trace de cette prétendue
primauté d'un apôtre.
L'objection est vaine et inopérante. En effet, saint
Paul, en énumérant tous les ministères, n'a eu pour
but que d'indiquer aux Corinthiens et aux Éphésiens
quelques-uns des dons que le Christ a voulu leur
octroyer, alin de faciliter leur salut. Si l'assertion des
adversaires était fondée, il résulterait une contradiction
monstrueuse entre la doctrine du Maître et celle du
disciple, le premier, établissant catégoriquement un
chef du collèce apostolique, le second, sapant cette
suprématie.
2. Ils se font une arme de l'opposition de saint Paul
à saint Pierre : Cum autem venisset Cephas Antio-
chiam, in facicm ei resisti, quia reprehensibilis eral...
2369
HIERARCHIE
2370
Dixi Cephœ coram omnibus : Si tu, cum judœus sis,
gentiliter vivis et non juclaice, quomodo gentes cogis
judaizare? Gai., n, 11. Cet argument, chaque fois
réfuté, est renouvelé des gnostiques, des marcionites,
de Porphyre et de Julien l'Apostat. 11 n'en vaut pas
mieux pour cela. C'est un parrainage plus que suspect.
Quand a-t-on vu qu'une observation, présentée en
toute déférence par un inférieur à son supérieur,
annihile les droits de ce dernier? Mais saint Paul était,
comme Pierre, apôtre de Jésus-Christ. Gai., n, 7, 8.
Il serait étrange d'attribuer cette conséquence à ses
paroles, d'autant que l'apôtre des gentils avait reconnu
l'autorité de Pierre en le visitant à Jérusalem. Gai.,
i,18
Par ailleurs, il n'y eut pas, entre les deux apôtres,
conflit de juridiction. La discussion, aussi vive qu'elle
ait pu être, portait simplement sur la conduite prudente
à tenir à l'égard de populations mélangées, attachées à
leurs observances antiques. Gai., n, 12, 13. Les avis
pouvaient différer. Saint Pierre put s'incliner devant
les reproches que Paul lui fit publiquement, sans perdre
son autorité doctrinale. 11 ne s'agissait que d'une
question de discipline.
3. Les ennemis de la primauté romaineontenfm voulu
tirer parti de certaines expressions des Pères, concer-
nant l'égalité des apôtres. Bornons-nous, sur ce point,
aux observations suivantes. Aucun Père de l'Église
n'a contesté ni mis en doute les prérogatives conférées
à saint Pierre et si nettement consignées dans l'Évan-
gile. Lorsque, ce principe une fois établi, ils ont noté
des points de comparaison entre les divers apôtres,
ils ont admis leur égalité à d'autres titres : par exemple,
à l'égard de la mission directement reçue de Jésus-
Christ, du charisme de l'infaillibilité personnelle com-
muniqué à chacun, du droit de prêcher l'Évangile en
t ous lieux, d'exercer une juridiction universelle, d'établir
des églises dans toutes les régions. Toutes ces préro-
gatives, communes aux apôtres, ont disparu avec eux.
Elles n'ont survécu que dans les successeurs de saint
Pierre. Voir t. i, col. 1654-1656. Cette distinction
fondamentale a été toujours maintenue par tous
les écrivains ecclésiastiques qui ont professé la saine
doctrine traditionnelle. La subordination des autres
apôtres à l'autorité de saint Pierre n'a pas été contestée
par eux et ne pouvait l'être.
Enfin, si le principat du premier vicaire du Christ
n'a pas toujours été mis en relief, comme il l'est
aujourd'hui, il y avait à cela une raison majeure. Au
début de la fondation de l'Église, à raison des grandes
et nombreuses prérogatives conférées à chacun des
apôtres, l'autorité du chef principal n'avait pas et ne
pouvait pas avoir occasion fréquente de s'exercer.
C'est au sortir de cette période inaugurale que les
auteurs ont eu surtout à déterminer d'une façon
précise le caractère de la supériorité du souverain
pontificat.
3° Les partisans de Richcr admettent, en principe,
l'existence de la primauté, mais ils l'attribuent, non
au pontife romain, mais comme directement commise
à la société des fidèles. De telle sorte que les chels
catholiques ne seraient que les délégués de la commu-
nauté, incapable d'exercer par elle-même la juridiction
qui lui a été remise. C'est le système démocratique,
transporté dans le domaine religieux. Cette théorie
heurte de front l'enseignement traditionnel.
Lorsque Pierre confessa la divinité de Jésus-
Christ, le fit-il sur les instances de ses frères? Il est
impossible de le soutenir. Les apôtres, interrogés par le
divin Maître, énoncèrent les avis différents de leurs
contemporains sur la personne de Jésus : pour les uns,
il était Jean-Baptiste, pour les autres Élie, pour les
autres Jérémie, ou l'un des prophètes. Mais, eux, qu'en
pensaient-ils? Les autres apôtres se taisrient, et Pierre,
DÏCT. DE THÊOL. CATH.
prenant seul la parole, proclama que Jésus était le
Christ, fils du Dieu vivant. Matth., xvi, 13-16. Cette
réponse toute spontanée de Pierre fut-elle faite,
comme on le prétend, au nom des autres apôtres et
exprime-t-elle leur pensée? Le récit de saint Matthieu
ne garde aucune trace d'une entente préalable aboutis-
sant à une délégation des apôtres. Les autres gardent le
silence; Pierre, seul, exprime son sentiment personnel.
Aussi, le divin Maître le loue seul : « Tu es bienheureux,
Simon, fils de Jona, » et il lui déclare : Ce n'est pas la
chair et le sang, c'est-à-dire ni l'influence ni l'autorité des
hommes, tes frères, tes amis, tes collègues, qui ont
provoqué ta réponse, mais c'est mon Père du ciel qui te
l'a révélée. Matth., xvi, 13. Et Jésus part de là pour
annoncer à Pierre qu'il sera le fondement de son Église :
Tu es Petrus et super hanc petram œdi/icabo ecclesiam
mcam... Et tibi </a#b claves regni cœlorum. Matth.,
xvi, 18-19. Cette déclaration et les autres qu'on lit dans
l'Évangile, Luc., xxn, 32, sont des attributions person-
nelles exclusivement propres à saint Pierre. Notre-
Seigneur n'y fait aucune part à une action populaire,
à une intervention quelconque. Jésus confère à son
apôtre plein pouvoir législatif, judiciaire et coercitif.
Sans doute, indépendamment de ces promesses
personnelles, indiquant le chef, Jésus-Christ a aussi
conféré au collège apostolique des pouvoirs et des
prérogatives : Sicut misit me Pater et ego millo vos...
quœcumque ligcwcrilis super terram crunl lig<Ua et in
cselo... Joa., xx, 21. Mais Pierre était présent dans le
groupe apostolique. Les apôtres n'ont reçu aucune
prérogative à laquelle n'aurait participé celui d'entre
eux qui d'ailleurs avait été spécialement favorisé.
Saint Beimrd disait donc avec raiso:i : Commiltens
uni, unilatem commendat in uno grege cl in uno
pastore. De consideralione, 1. II, c. vin, P. L., t. clxxxii,
col. 752. Les anciennes erreurs, contraires à la
primauté de Pierre, ayant eu leur répercussion jus-
qu'à nos jours, ont été toujours anathématisées.
Marsile de Padoue, au début du xive siècle, soute-
nait les propositions les plus subversives en son ouvrage
Dc/ensor pacis. Le peuple est le dépositaire du pouvoir;
les évêques et les prêtres tiennent de lui leurs droits.
Voir t. vi, col. 1110. Saint Pierre n'a pas reçu plus
d'autorité que les autres apôtres et le Christ ne l'a pas
constitué le chef de l'Église ni établi son vicaire;
l'empereur peut corriger, instituer et punir le pape;
tous les prêtres, pape, archevêque ou simple prêtre,
sont, de par l'institution du Christ, égaux en autoiité
et en juridiction. Ces propositions, contraires à lÉcri-
ture et à la foi catholique, ont été condamnées par
Jean XXII le 23 octobre 1327. Denzinger-Bantrwart,
n. 496-498.
Au xvie siècle, Luther accueillit ces idées avec
enthousiasme. Ni pape, ni évêque, ni autre homme
quelconque, disait-il, n'a droit d'imposer au chrétien
même une syllabe. Au siècle suivant, Marc-Antoine de
Dominis établit en principe que le consentement des
laïques était aussi indispensable que celui des ecclé-
siastiques pour confirmer un dogme. Voir t. iv,
col. 1670-1671.
Richer émit à son tour les propositions suivantes
dans son traité De ecclesiastica et polilica polestale, en
1611 : Le Christ, en établissant l'Église, a confié
immédiatement et essentiellement le pouvoir de
juridiction plutôt au corps des fidèles qu'à saint
Pierre et aux autres apôtres. Comme conséquence,
les évêques et les pontifes romains ne sont que les
mandataires et les ministres du peuple, comme les
yeux sont les organes du corps. Le pouvoir infaillible
des clefs a été remis à la communauté, et non à saint
Pierre, comme on l'assure à faux. Voir t. vi, col. 1112.
La Constitution civile du clergé voulut aussi implan-
ter ces pratiques en France. D'après elle, les évêques
VI. - 75
2371
HIERARCHIE
2372
et les curés devaient être élus par le suffrage populaire,
source unique du pouvoir religieux et ciyil.
En 1848, Mgr Alïre, archevêque de Paris, con-
damna une semblable erreur, reproduite dans le
journal Le Bien social en ces termes : « Le peuple
catholique est électeur souverain des dignitaires de la
foi. l'rop. 2. » « C'est à la voix du peuple, au jugement
de Dieu, qu'il faut en appeler, pour l'organisation
future de la hiérarchie sacerdotale. Une pareille amé-
lioration serait un retour à la constitution primitive
de l'Église. Prop. 4. »
Le 23 mai 1874 la S. C. du Concile a dû porter une
excommunication spécialement réservée contre les
prêtres des provinces ecclésiastiques et patriarcales de
Venise et de la métropole de Milan, qui, élus curés ou
\ icaires au scrutin populaire, osai 'nt prendre possession
des églises, des biens ou droits ainsi offerts, et exercer
dans ces conditions le saint ministère. D'après nombre
d'auteurs, cette censure s'étendait à la catholicité en-
tière: elle n'était, en effet, que l'application à un cas par-
ticulier de l'art. C de la constitution Apostolicœ sedis,
frappant d'excommunication ceux qui portent obstacle
à l'exercice de la juridiction ecclésiastique, et de
l'art. 11. visant les usurpateurs de la juridiction des
biens et des revenus appartenant aux clercs.
Enfin, le 4 août de la même année, la S. Pénite icerie
promulgua l'excommunication spécialement réservée
contre les membres des sociétés dites catholiques,
fondées pour la revendication des droits du peuple
pour l'élection du pape. Cette sanction comprenait
tous ceux qui participaient aux actes de ces sociétés
d'une façon quelconque. C'était là une suite des infil-
trations protestantes, se multipliant en tous lieux, à
la faveur du suffrage universel, que les sectes voudraient
établir comme origine de tous les droits. Mais, comme
nous l'avons démontre, les principes sur lesquels est
basée la hiérarchie ecclésiastique sont d'ordre divin.
Rien ne saurait prévaloir contre eux. L'Église fait
siennes les paroles que s'appliquait saint Paul, avec
une légitime fierté : Paulus apostolus, non ab hominibus,
neque per hominem, sed per Jcsum Christum et Deum
Patrem. Gai., i, 1.
Le Codex juris canonici a fixé en ces termes l'ori-
gine de la hiérarchie ecclésiastique : Qui in ecclesia-
sticam hicrarchiam cooplanlur, non ex populi vel po-
leslalis sxcularis consensu aul vocationc adlegunlur :
sed in gradibus poleslalis o dinis conslituuniur sacra
ordinatione; in supremo pontificeda, ipsemel jure divino,
adimplela condilione légitimée electionis ejusdemque
acceplalionis ; in reliquis gradibus jurisdiclionis, cano-
nica missione. Can. 109.
A cet exposé de principes, on a voulu encore, à notre
époque d'engouement pour le référendum populaire,
opposer la conduite et les paroles des apôtres, à l'occa-
sion de l'élection des diacres, Act., vi,l-6;xi, 4, surtout
l'invitation adressée par saint Pierre aux ' fidèles :
Considerate ergo, fralres, viros ex vobis boni teslimonii
sepiem..w. quos constituamus super hoc opus.
Mais l'inspection du contexte suffit à démontrer
l'erreur d'interprétation de nos adversaires. Le peuple
est appelé, ici, à désigner ceux qui lui paraissent
dignes par leur foi, leur moralité, la dignité de leur vie,
d'entrer en collaboration avec les apôtres surchargés
de besognes secondaires. Les fidèles de Jérusalem .
qui les connaissent sont invités à rendre témoignage
à ces hommes d'élite. Mais ils ne doivent pas les consti-
tuer en dignité; les apôtres eux-mêmes les institueront
à la suite de cette présentation : quos constituamus
super hoc opus. C'est ce que fait ressortir, avec la tradi-
tion ininterrompue de l'Église, le docte Bellarmin, De
summo pontifice, 1. I, c. vi : Populus non ordiwwil
unquam, neque creavit ministros, neque tribuit Mis
unquam potcstalem, sed nominavil solum et designavit,
sive, ut veteres loquuntur, postulavit eos quos ab apostolis
per manus imposilionem ordinari cupiebal. Saint Cy-
prien avait déclaré, déjà d'une façon incisive: Apostolos,
td est episcopos et pfepositos, Dominus elegit, diaconos
aul m po^l a cc:i>ionem Domini in ciehs aposloli sibi
conslitucrunt, episcopalus S-ii et Ecclesiœ miùsbos.
EptsL, m, édit. Hartel, Vienne, 1S71, t. m, p, 471.
Le principe hiérarchique et le droit de direction
ainsi sauvegardés, il ne faut cependant pas mécon-
naître l'utilité de l'action des laïques, circonscrite dans
les limites requises. Parfois leur intervention est très
bien venue' et ne saurait qu'être encouragée. Ils ont
droit, et jusqu'à certain point devoir, de défendre les
dogmes, la discipline, les rites de l'Église contre les
assauts des incrédules.
A notre époque, l'autorité ecclésiastique ne peut que
les encourager à mettre en lumière les droits du sou-
verain pontife, des évêques et du clergé, à la direction
des fidèles. Connaissant les préjugés, les sophismes qui
ont cours dam le monde, ils peuvent les réfuter avec
grande compétence et par des arguments appropriés
aux divers milieux.
Dans l'antiquité, les Athénagore, les Justin, les
Arnobe, etc., ont rendu à l'Église d'éminents services.
De nos jours, les noms des apologistes laïques, des
Joseph de Maistre, des de Bonald, des Chateaubriand,
des Le Play, des Veuillot, etc., sont sur toutes les
lèvres.
Les conciles provinciaux tenus en France, vers le
milieu du xixe siècle, recommandent au respect des
catholiques les écrivains fidèles, tout en traçant à ces
derniers la ligne de conduite qu'ils ont à tenir, en
sauvegardant les droits de l'autorité hiérarchique,
entre autres, le concile de Paris en 1848, celui d'Avi-
gnon en 1849, celui d'Amiens en 1853. Cf. Mgr Guérin,
Les conciles, t. in.
Pie IX résume cet enseignement dans son ency-
clique du 21 mars 1853, adressée aux évêques de
France : Vos vehemenlcr excitamus, ne inlermillatis
viros ingenio, sanaque doclrina prœsianles exhorlari, ut
viri ipsi opporluna scripta in lucem edant, quibus et
populorum mentes illuslrare et serpentium errorum tene-
bras dissipare contendant... illos viros omni benevo-
lenlia et favore prosequi velitis, qui catholico spirilu
animati ac litleris et disciplinis exculti, libros istinc et
ephemerides conscribere typisque mandare curant. Dans
l'encyclique Providenlissimus Dcus du 18 novembre
1893, Léon XIII souhaite aussi que les savants catho-
liques utilisent leurs talents à la défense des Livres
saints et qu'il se forme des associations qui subven-
tionnent les spécialistes travaillant au progrès des
études scripturaires. J.Didiot, Traité de la sainte Écri-
ture, Paris, 1894, p. 59-61, 133-135, 229-230.
Il est parfaitement loisible aux laïques de prendre
parti, selon leurs préférences, dans les questions que
l'Église n'a pas tranchées, d'adopter, dans les discus-
sions d'histoire, des sciences diverses, des solutions
qui ne portent pas ombrage à la vérité révélée. Mais,
même en ces circonstances, les souverains pontifes
demandent à ces écrivains de ne se départir pas des
règles de déférence, de modération et de charité qui
doivent rester en honneur parmi les chrétiens. Cohi-
beatur scriplorum licentia, qui, ut aiebat Auguslinus,
senlenliam suam amantes non quia vera est, sed quia
sua est, aliorum opiniones non modo improbanl, sed
illibcraliler etiam notant alqu ■ traducunt. Benoît XIV,
const. Sollicita.
Enfin, les laïques ne sauraient, en conscience, sou-
lever des débats irritants concernant les questions de
foi ou de discipline ecclésiastique : ces sortes de diffi-
cultés doivent être résolues par les chefs hiérarchiques.
Le devoir des laïques est de déférer à ces directions
autorisées. Dans tous les cas, les écrivains catholiques
2373
HIERARCHIE
2374
devront incessamment avoir l'œil ouvert sur les actes |
•du saint-siège et de l'épiscopat. La prudence chré-
tienne leur en fait un devoir.
4°Sijstcmes régaliens, destructifs de la hiérarchie divine.
— Il y a trois degrés dans l'erreur des régalistes attri-
buant juridiction ecclésiastique aux princes séculiers.
Les anglicans, tout en reconnaissant l'origine divine
de l'épiscopat, ne lui accordent aucun pouvoir, même
spirituel. C'est, d'après eux, l'autorité civile dont les
évoques sont mandataires qui leur délègue la juridic-
tion, dont elle seule est exclusivement nantie.
Le synode de Pistoie (1786), les joséphistes, de nom-
breux juristes, les auteurs de la Constitution civile
du clergé, des articles organiques, accordent à l'Église
la faculté de réglementer les question-, purement spiri-
tuelles; mais ils revendiquent pour le pouvoir civil le
droit exel' sif de connaître des questions mixtes.
Enfin, 1 • rtalia, Dupin et leur école n'excluent pas
absolument l'Église du règlement des affaires mixtes;
mais dans les conflits survenus à ce sujet, ils n'hésitent
pas à réclamer pour l'État la prédominance et la souve-
raineté. Cette autorité, disent-ils, revient au prince qui
exerce ainsi le noble rôle de défenseur des canons sacrés,
de protecteur de l'Église, d'évêque du dehors, à l'instar
des Constantin, des Théodose, des saint Louis. Sur ces
traditions reposaient le droit du parlement de refuser
l'enregistrement des bulles pontificales, les appels
comme d'abus, l'exemption du roi et de ses ml; istres
des censures ecclésiastiques, la faculté d'intervenir
dans les conciles, la liturgie et les règles disciplinaires.
Aux chefs de l'Église est simplement reconnue la
faculté d'adresser au chef de l'État d'humbles remon-
trances, des réclamations n'ayant aucune valeur juri-
dique, à raison de l'indépendance suprême du pouvoir
séculier On le voit, c'est le bouleversement complet
de la hiérarchie sacrée, la méconnaissance radicale des
fins surnaturelles pour lesquelles l'Église a été établie
«n société indépendante, sous la direction de l'Esprit-
Saint. Voilà le motif pour lequel les pouvoirs séculiers
ne peuvent se prévaloir d'aucun droit sur les choses
spirituelles : telles que la foi, l'administration des
sacrements, l'exercice de la juridiction du for interne
et externe, etc.
Les déclarations des souverains pontifes, les protes-
tations séculaires du saint-siège dans tous les cas
d'empiétement de 1 État, son attitude constante
démontrent son irréfragable droit. Déjà au ve siècle,
saint Gélase écrivait à l'empereur Anastase: Duo sunt,
imperator auguste, quibus principaliter mundus hic
regilur : auctorilas sacra pontificum et regalis polestas.
Episi., vin, P. L., t. lix, col. 42.
Osius de Cordoue adressait à l'empereur Constance
ces paroles dans une letlre que saint Athanase a
citée, en son Histoi e des arlms aux moi'ies, n. 44 :
Ne rébus misceas ecclcsiasticis ; neque nobis in hoc
génère prœcipc; sed polius ea a nobis disce. Tibi Deus
imperium commisil; nobis, quse sunt Ecclesise concre-
didil.Quemadmodum qui tibi imperium subripil,contra-
dicit ordinationi divinœ; ita et tu cave, ne quse sunt
Ecclesiœ, ad le trahens, magno crimini obnoxius fias.
Date, scriptum est, quse sunt Csesaris Csesari, et qux
sunt Dci Dco. P. G., t. xxv, col. 745.
Les formules qui ont revendiqué l'indépendance
du magistère spirituel à l'égard du pouvoir civil sont
tellement nombreuses et concordantes, qu'on pourrait
en former des volumes. Pour ne rien dire des autres dé-
clarations contemporaines du saint-siège, Pie X a con-
firmé cet enseignement par le refus clairvoyant des
cultuelles, qui tendaient à transmettre aux tribunaux
séculiers l'autorité que l'Église a constamment reven-
diquée sur les personnes et les choses sacrées.
Institution immédiatement créée et organisée par
Dieu lui-même, pour la réalisation des fins surnatu-
relles de l'homme, on ne saurait l'assujé'ir aux puis-
sances civiles qui n'ont pour but direct que l'acquisi-
tion de-> avantages temporels.
Les conséquences qui résulteraient de ce système
suffiraient à elles seules pour le faire rejeter.
En effet, saint Pierre a reçu le pouvoir de lier et de
délier, avec promesse de ratification dans le ciel. Or,
combien de fois ne se présenterait pas celte anomalie :
ce que l'Église et Dieu auraient lié serait délié par
César; ce qui aurait été délié par l'Église et Dieu reste-
rait lié de par la volonté de l'État.
En outre, la primauté du sùnt-siège a été établie
comme origine et fondement d'unité de la société spi-
rituelle. Qu'adviendrait-il si elle était subordonnée
aux puissances civiles ? Celles-ci sont nombreuses,
diverses et souvent opposées entre elles. Il en résulte-
rait que l'Église, ainsi rendue serve, devrait changer
sa législation, ses règles des mœurs, son symbole, sui-
vant le caprice des princes. Elle devrait épouser de
force leurs querelles, au grand détriment des règles
invariables de la doctrine et des principes stables de la
morale. Aucune unité de vue et de direction ne pour-
rait subsister. Il y aurait dans l'Église autant de sou-
verainetés que d'empires. Les princes hérétiques,
schismatiques, juifs, excommuniés feraient la loi aux
fidèles, selon leurs convenances.
On objecte à cette doctrine la conduite des empe-
reurs chrétiens des premiers âges. Ces derniers rece-
vaient les appels faits à leur tribunal, même des juge-
ments pontificaux; ils convoquaient les conciles où se
rendaient les papes.
Ces faits s'expliquent à la lumière de l'histoire.
Quelques princes ont, il est vrai, usurpé ces droits qui
ne leur appartenaient pas. D'autres furent induits en
erreur par les hérétiques, ou même ils appartenaient
aux sectes ennemies. Jamais l'Église n'a manqué de
protester en ces circonstances.
Si les empereurs chrétiens ont pris quelquefois l'ini-
tiative de convoquer des conciles, ils n'ont fait que la
convocation matérielle, sans jamais songer à conférer
l'autorité spirituelle, toujours réservée au pontife
romain. Les papes et les évêques avaient besoin, sur-
tout dans ces époques troublées, de la force publique
pour écarter les obstacles qui s'opposaient à l'exercice
de leurs droits hiérarchiques. Les subsides leur étaient
indispensables pour leurs réunions, les saufs-conduits
devaient être accordés pour franchir en sécurité de
longs espaces, des territoires dangereux. Rien d'éton-
nant de voir les princes séculiers promulguer les
décrets de convocation des conciles et les sanctionner.
Voir t. m, col. 644-653. Pour les abus que ces souve-
rains pouvaient commettre, en s'autorisant de cer-
tains textes de l'Ancien Testament, voici la réponse
faite à l'empereur Constance, qui se réclamait d'un
texte du Deutéronome, xvm, 9 : Vous déclarez que le
fidèle serviteur de Dieu, Moïse, imposa des prescrip-
tions aux prêtres du Seigneur. Puisque vous voulez en
faire autant, démontrez donc que vous avez été, vous
aussi, établi par le Seigneur, comme notre juge,
maître de nous imposer les ordres du démon votre
allié. Vous ne pourrez le prouver; loin d'être établi
pour commander aux évêques, vous leur devez obéis-
sance. Si vous étiez surpris violant leurs ordonnances,
vous devriez être frappé de mort. Lucifer de Cagliari,
Pro Athanasio, ad Constantium, 1. I, P. L., t. xin,
col. 82f.
On voit par là encore de quelle façon précise il faut
entendre ces paroles de Constantin, dont les régalistes
ont voulu abuser : Le prince est l'évêque du dehors I
Si l'on veut dire que le roi doit aider l'Église dans
l'application de ses lois salutaires, dans la résistance
qu'elle doit opposer aux erreurs envahissantes, aux
coups portés par l'hérésie, rien de plus vrai. Ces', dans
HIERARCHIE
2376
ce sens que parlait Constantin, lorsqu'il prononça
ces expressions dans un repas auquel il avait convié les
évoques, Eusèbe, De vita Constantini, 1. IV, c. xxiv,
P. G., t. xx, col. Il'i2 : Vos quidem, inquil, in Us, quœ
Ecclcsiœ inlra sunt, cpiscopi eslis. Ego vero in Us quœ
extra gcrunlur. La signification de ces paroles est
parfaitement déterminée. L'autorité, la valeur des
décrets ecclésiastiques provient des évêques; le prince
les appuie de tout son pouvoir, pour le plus grand bien
du peuple. Les titres de rector Ecclcsiœ, rector verse
religionis, conférés par certains conciles à Charle-
magne, n'ont et ne peuvent avoir une autre portée.
C'est ainsi que des princes chrétiens ont retiré des
décrets publics, quand on leur faisait comprendre
qu'ils étaient contraires aux lois ou à la tradition
ecclésiastiques.
C'était l'époque où saint Léon le Grand pouvait
écrire aux puissants de la terre, qu'ils étaient consti-
tués en autorité pour aider l'Église : Dcbes incunc-
tanter aelvertcre regiam polcstatem tibi, non ad solum
mundi regimen, sed maxime ad Ecclcsiœ prœsidium esse
collatam, ut, ausus nejarios comprimendo, et quœ bene
sunt stcdula defendas et veram pacem lus quœ sunt
turbaia, restituas. Epist., clvi, c. m, P. L., t. liv,
col. 1130.
Quant à l'affhmation de l'archevêque parisien de
Marca, Conccrdia sacerdotii et imperii, 1. Vil, c. n,
que les empereurs avaient autorité pour la revision
des jugements pontificaux, voir t. vi, col. 1112-1113,
c'est une pure invention. Loin d'être appuyée sur des
preuves rationnelles ou historiques, cette opinion est
dénuée de toute valeur et rejetée unanimement par
les écoles catholiques. Nul n'ignore que, bien souvent,
les souverains pontifes ont lutté énergiquement contre
les princes séculiers, pour le maintien des lois ecclésias-
tiques et la sauvegarde de leur autorité.
A mesure que l'Église fait justice des procédés du
laïcisme tyrannique, qui troublait sa hiérarchie et
l'exercice de son autorité, les juristes et les politiques
multiplient leurs essais d'empiétement sur la liberté
de l'Église, tout en proclamant que cette dernière
attente sur les droits de la souveraineté civile. Voir
t. vi, col. 1124-1131. De ces prétentions ont surgi le pla-
cilum regiumetl'exequatur. Au nom de ces prétendus
droits, le pouvoir civil croit être en mesure d'autoriser
ou d'interdire la publication des actes pontificaux,
d'empêcher les nominations du saint-siège de sortir
leurs effets dans le royaume.
Jamais, jusqu'au xv° siècle, on n'avait entendu dire
qu'un représentant de l'autorité civile eût porté sem-
blable atteinte aux prérogatives du pouvoir religieux.
Voir t. vi, col. 1131-1135. Les rescrits pontificaux, les
décrets conciliaires avaient toujours été promulgués
dans le monde chrétien sans soulever les ombrages
d'une politique jakuse. Zaccaria, Comandi qui puo,
ubbidisca qui deve, etc., Faenza, 1788, p. 183.
L'Église a toujours repoussé le principe de ces actes
si contraires à l'indépendance du saint-siège. Pie VI
emprunte le texte de la Déclaration du clergé de
France de lYnnée 1765 pour réprouver ces abus du
pouvoir civil : Minime indigetis regia auciorilate
ad evulgandam, ta.nqu.am rcgulam sanctœ apostolicœ
sedis, responsioncm in re merc spirituali. Novœ hœ
litterir, 19 mars 1792. A. Theiner, Documents irédils
relalijs aux afl aires de la Fiai c , J7»<> à J8vo, Paris..
1857, t. I, p. 132.
Lorsque l'Église a accepté parfois cette formalité,
dite d'enregistrement des bulles, par suite de concor-
dats, ou d'entente mutuelle, ce n'a jamais été comme
reconnaissance des droits du temporel sur la hiérarchie
spirituelle. Elle voulait seulement donner plus de
solennité, assurer une efficacité plus grande à ses
propres ordonnances.
5° Système de l'évolution de la hiérarchie dans l'Église.
— Ces théories commencèrent à se faire jour au temps
de la Réforme, elles furent successivement adoptées
dans les divers consistoires protestants. Prenons
l'énoncé de Guizot, le représentant le plus autorisé
de cette école. Histoire de la législation en Europe,
leçon ii, p. 46.
Au début, il regarde la société chrétienne comme
une simple réunion ayant communauté d'idées et de
convictions. Aucune trace d'organisation hiérarchique
ne s'y manifeste. Dans la suite cependant, une corpo-
ration populaire se forme, disciplinée, rangée sous
l'action de magistrats élus par l'assemblée. Comme
troisième période, l'illustre historien relève la distinc-
tion plus accentuée des prêtres et des laïque-, l'éta-
blissement d'une juridiction complète, une magis-
trature bien assise. 11 assigne enfin le xic siè 'e, dominé
par l'influence de Grégoire VII, comme 'e point de
départ de .ce qu'il appelle l'état théocratique et monar-
chique de l'Église. Guizot trouve même l'explication
des variations des Églises protestantes dans les évo-
lutions qu'il attribue à l'élaboration de la hiérarchie
catholique. Le presbytérianisme, l'indépendantisme, le
saccrdotalisme, Y épiscopalisme, etc., ont été les phases
variées par lesquelles a passé, dit-il, l'institution chré-
tienne.
C'est là une pure illusion, un mirage historique.
L'auteur évoque, à l'appui de cette mouvante théo-
rie, des preuves d'imagination, des affirmations
audacieuses, presque inconscientes. Il commence
froidement par dénier toute valeur aux promesses
si péremptoires de Jésus-Christ à son fondé de pouvoir,
à saint Pierre. « Il ne faut pas prendre ces expressions
à la lettre : il ne faut pas croire que le pape possédât
dans toute sa grandeur le pouvoir qu'elles lui
attribuent. » Histoire de la législation en France,
p. 27. Voilà la p issante exégèse destin 'e à para-
lyser les oracles évangéliques, les traditions s cu-
laires. à réfuter l'enseignement de l'Église dans tous
les temps et dans tous les lieux, à réduire à néant
l'existence d'une société basée sur cette organisation
hiérarchique que tous les siècles ont reconnue et
acclamée.
L'abbé Gorini, dans son ouvrage si consciencieux,
Défense de l'Église contre les erreurs historiques de
MM. Guizot, Augustin cl Amédée Thierry, etc., 3e édit.,
t. t, a relevé les erreurs et les contradictions accu-
mulées dans ce système. Guizot s'est honoré en les
reconnaissant et en remerciant son correcteur.
Ainsi, il affirmait, selon les besoins de sa thèse,
l'existence d'un corps de doctrine établissant la hié-
rarchie; puis, il finissait par nier ce qu'il avait accordé,
devant l'évidence des documents. Il constatait encore
l'unité et l'universalité essentielles de l'Église, l'unifor-
mité de sa doctrine. Néanmoins, par suite d'une aber-
ration inexplicable, il voulait que toutes les sectes
protestantes, avec leurs négations contradictoires,
leur séparation irréductible du centre de vérité, appar-
tinssent au corps de l'Église, à cette société dont elles
désavouaient les dogmes et répudiaient les principes 1
Il préconisait la grandeur et l'utilité de la hiérarchie
catholique. 11 énumérait les services sans nombre
qu'elle a rendus à l'humanité; les avantages qu'en ont
retirés durant les siècles toutes les classes de la so-
ciété. Comme conclusion, il accusait l'Église d'avoir
attenté aux droits de la liberté, à l'indépendance de la
raison, à la dignité humaine. Il appelait toutes les sectes
à la lutte contre cette Église qu'il faudrait détruire.
De l'admission de ce système étrange, il résulterait
que l'Église catholique, instituée par le Christ pour être
la lumière de la vérité, le foyer de la sainteté, serait
au contraire un amalgame de toutes les erreurs, le
réceptacle de tous les vices déchaînés par les sectes.
2377
HIERARCHIE
2378
La vérilé et le mensonge, le crime et la vertu
seraient considérés du même œil par Dieu, qui cepen-
dant est la justice essentielle. Les ennemis de sa loi, les
négateurs effrontés de sa divinité, de ses sacrements,
de sa providence, auraient droit aux mêmes récom-
penses que ses plus fidèles serviteurs I
Enfin, l'indifférence doctrinale deviendrait la règle
de la vie humaine. Il ne resterait rien debout, de l'en-
seignement du Christ, de sa morale, de l'unité de son
Église, de l'autorité des pasteurs. Chacun, selon son
caprice, ses lumières et ses préférences, se constituerait
un corps de doctrine, un décalogue rejetant toute autre
autorité, toute hiérarchie ! 11 suffit d'énoncer ces consé-
quences logiques de la théorie ainsi formulée pour en
faire justice.
V. La hiérarchie de l'Église est monarchique.
— Cette thèse est le corollaire des précédentes propo-
sitions. Dès lors que la primauté de juridiction se
trouve concentrée en saint Pierre et ses successeurs;
que la société des fidèles ne la possède pas et ne la
transmet pas; que, bien moins, la société civile n'en
dispose nullement; qu'elle a été ainsi organisée par
le divin fondateur, et non par les variations histo-
riques qui se sont succédé dans le cours des siècles, il
résulte que le dépositaire visible du pouvoir souverain,
spirituel, est bien un sujet unique, conformément aux
données évangéliques.
Les historiens, comme les théologiens et les philo-
sophes, ont toujours distingué trois tonnes de gou-
vernement : la forme démocratique, reconnaissant au
peuple le pouvoir souverain, qu'il délègue dans cer-
taines conditions; la forme aristocratique, confiant la
puissance directrice à la partie de la nation formée par
les nobles, ou bien les chefs qui s'imposent par les ser-
vices rendus; la forme monarchique, établissant un
seul chef, dépositaire du pouvoir.
Quelle est donc la constitution choisie parNotre-
Seigneur pour son Église? Est-ce la constitution mo-
narchique absolue ? ou bien cette constitution est-elle
tempérée par un certain mélange des deux autres
formes?
Faisons d'abord remarquer que, toutes ces formes de
gouvernement étant légitimes en elles-mêmes, le Sei-
gneur eût pu en adopter indifféremment l'une ou
l'autre. Ici il est question de savoir quelle est celle qui
a obtenu sa préférence. Il ne s'agit pas d'établir ce
dernier point par les analogies avec les formes des
autres gouvernements, ou les résultats divers qu'elles
ont donnés pour la prospérité publique, dans le cours
des siècles.
Puisque enfin Dieu établissait une société visible,
tous ses organes devaient apparaître au grand jour :
partant, le supérieur, élément essentiel de toute société,
devait être manifesté.
1° Dans les déclarations que nous avons citées
jusqu'ici, comme dans celles que nous invoquerons,
nous trouvons l'indication d'un seul chef, d'un maître
unique.
Dès lors, on pourra bien admettre, dans ce gouver-
nement monarchique, l'influence des éléments aristo-
cratiques et démocratiques. Ces deux derniers sys-
tèmes, comme tels, sont exclus dans leurs caractères
essentiels. Ils ne sauraient coexister formellement
avec le premier. Celui-ci peut leur faire des emprunts
proportionnels : c'est tout. Le monarque est à la tête
du gouvernement entier; les différents pouvoirs lui
sont tous subordonnés; il juge les autres, sans être
justiciable d'aucun d'eux. Tous les membres de la
société sont tenus de se grouper autour de sa personne,
au nom des intérêts les plus sacrés.
2° Le gouvernement de l'Église se présente tel, en
ses principes fondamentaux. Nul ne peut le con-
tester.
Nous avons, en effet, écarté la forme démocratique.
Elle est d'application impossible dans son acception
rigoureuse. Si on introduit dans l'Église le système
de la délégation des pouvoirs, elle est rejetée par l'en-
seignement de tous les siècles; elle ne trouve pas une
seule base acceptable. Pierre a reçu le droit de régir
les fidèles; ces derniers ont le devoir d'obtempérer à
ses directions. Si par ces expressions : forme démocra-
tique, il faut entendre la possibilité pour le fidèle du
dernier échelon de la société de s'élever au plus haut
rang de la hiérarchie, il serait vrai de dire que l'Église
est une société démocratique. Mais ces termes géné-
raux, équivoques, doivent être évités : ils prêtent à
erreur. Cette situation très simple du fidèle dans
l'Église, cette ascension bien connue de tous peut
s'énoncer en termes clairs et précis, sans proclamer
que la hiérarchie religieuse est démocratique.
3° Le gouvernement aristocratique ne peut pas non
plus se concilier formellement avec l'institution divine.
Comme le déclare le concile du Vatican : Juxla Euan-
gclii testimonium (Matth., xvr, 16-19) primitum juris-
dictionis in universam Dei Ecclesiam, immédiate et
directe, bealo Petro aposlolo promissum a Christo
Domino fuisse. Sess. IV, c. i. Denzinger-Bannwart,
n. 1822. En effet, les paroles Beatus es... Ego dico tibi.
Pater meus revelavit tibi... Ta es Pelrus sont absolu-
ment personnelles; elles ne s'adressent pas au collège
des apôtres, m lis nommement au chef du collège
apostolique. Jésus-Christ ne lui transmît pas non plus
une juridiction d'honneur. II lui confère ce pouvoir que
possède la pierre angulaire, destinée à soutenir tout
l'édifice, l'Église entière. Par conséquent, les autres
apôtres, qui feront égaleuiînt partie de l'Église, ont
reçu de Pierre leur force, leur sécurité, leur durée.
II résulte de là que le pouvoir souverain, immédiate-
ment fondé par Jésus-Christ dans l'Église, revêt la
forme monarchique. Tellement que les autres autorités
constituées participent à l'autorité spirituelle par l'in-
termédiaire de Pierre. Ce dernier ne succède pas à
Jésus-Christ, qui ne meurt pas. Il exerce le vicariat
universel sous la dépendance du Christ, tandis que
les autres l'exercent sous la surveillance du prince des
apôtres.
Évidemment, les évêques, princes de l'Église eux
aussi, institués de droit divin, ne sont pas les vicaires
du pape, ni des chefs soumis à l'élection périolique et
révocables au gré d'un supérieur. Ils administrent leur
diocèse respectif, comme province définitiveme ît con-
fiée à leur sollicitude. Voir t. v, col. 1702-1703. Néan-
moins, selon l'expression de Bellarmin, le véritable
monarque, supérieur à tous, c'est le souverain pontife :
Romanum pontificem esse vere ac proprie momrcham
et omnibus imperal et nulli subjicitur. Dz rommo pon-
lïfïce, 1. I, c. m, à la fin.
Sans doute encore, dans l'administration ordinaire
de l'Église, si délicate, si étendue, si compliquée, le
pape consultera son sénat, composé du collège cardi-
nalice; voir t. n, col. 1722-1723; dans les circonstances
extraordinaires, il fera appel à des conseillers spéciaux,
à des personnages aptes à lui donner le concours de
leurs lumières, de leur expérience; cela se conçoit.
Mais en dernière analyse, la décision ultime lui appar-
tient. Il peut dire au Seigneur comme saint Pierre :
In verbo autem tuo, laxabo rete. Luc, v, 5.
Les preuves de la constitution monarchique de
l'Église abondent dans l'Écriture et dans la tra-
dition.
1. Dans l'Écriture. — Notre-Seigneur compare son
Église à un royaume, à un bercail, à un édifice bâti
sur un seul fondement, à une société gouvernée par un
maître, à une maison dont un seul garde la clef, avec
pouvoir d'en ouvrir et d'en fermer les portes. Or, pas
de royaume sans roi, de bercail sans un pasteur, de
HIERARCHIE
2380'
maison sans un fondement : toutes choses indiquant
direction unique.
En outre, ce fait ressort des prérogatives conférées
par le divin Maître a saint Pierre. Il lui déclare qu'il
sera le fondement de son Église, le pasteur suprême,
le gardien des clefs, le soutien de ses frères. Ces expres-
sions écartent toute idée de pluralité de direction,
de partage de pouvoir avec une aristocratie ou une
démocratie quelconque.
2. Dans la tradition. — Les qualificatifs scriptu-
raires que nous venons de produire se retrouvent
dans les écrils des Pères, avec indication soit implicite,
soit explicite du titre de monarchie. Citons simplement
les déclarations les plus remarquables.
Le concile de Florence a promulgué le décret suivant:
Definimus... pontificem romanum... verum Chrisli vica-
rium, lotiusque Ecclesiee capul et omnium christiano-
ram paircm ce doclorem existere; et ipsi in bcalo Pctro,
pascendi, regendi ac gubernandi universalem Ecclcsiam
a Domino noslro Jesu Christo plénum potestalem tradi-
tam esse. Decrelum pro Greecis, Denzinger-Bannwart,
n. 694. Saint Pierre est donc la tête, le père, le docteur,
le dépositaire absolu de la magistrature suprême de
l'Église; donc il en est le véritable monarque, l'attribu-
tion qui lui est faite des prérogatives royales le dé-
montre.
Le concile de Trente s'exprime de la même façon :
Pontifices maximi, pro suprema auclorilale sibi in uni-
versa Ecclesia tredila, causas aliquas criminum gravio-
ns, suo poluerunl peculiari judicio reservare. Sess. XIX,
c. vu, Denzinger-Bannwart. n. '.03. Comment l'auto-
rité pontificale serait-elle suprême, apte à se réserver
les causes majeures dans l'Église entière, si elle
ne dominait tout par le pouvoir monarchique?
La même conclusion ressort des décrets du concile
du Vatican, entre autres, dans ces passages, const.
Pastor œlernus : Bealum Petrum cseteris aposlolis
prœponens, in ipso inslituit, ulriusque principium
(fidei et communionis) ac visibile jundamentum...
Docemus... primalum jurisdictionis in universam Dei
Ecclcsiam, immédiate et directe beato Pctro apostolo pro-
missum atque collatum a Christo Domino fuisse : Unum
enim cui jampridem dixerat.Tu vocaberisCephas... uni
Simoni Petro, contulit Jésus, posl suam resurreclionem,
summi pasloris et reeloris jurisdictionem. Denzinger-
Bannwart, n. 1821.
Le saint-siège a, d'ailleurs, fait d'autres déclara-
tions formelles sur ce point de doctrine.
La faculté de théologie de Paris avait censuré
comme hérétique et schismalique l'enseignement de
l'apostat Marc-Antoine de Dominis, affirmant que, dans
l'Église, il n'y avait qu'un seul chef, un seul monarque,
le Chris1;que la forme monarchique n'avait pas été éta-
blie par le Christ en son Église. La contradictoire de
ces propositions, notées hérétiques et sehismatiqu.es, est
que la forme monarchique est dogme de foi dans l'Église.
Pie VI loua la censure portée par l'université de Paris.
Bref Super soliditate du 23 i ovevibre 1786.
Dans ce même bref, le souverain pontife réprouva
la proposition d'Eybel, disant que chaque évêque possé-
dait dans son diocèse un pouvoir aussi étendu que le
pape : il voulait que la forme républicaine ou la forme
aristocratique fût l'idéal du divin fondateur sous la
présidence d'honneur du souverain pontife. Or, le
pape excluant ces systèmes, il résulte que la constitu-
tion monarchique reste la seule forme de l'Église.
Pour les raisons de convenance du choix de cette
Sorme, voir Gouvernement ecclésiastique, t. vi,
col. 1532-1533.
4° A cette démonstration on objecte : les textes
scripturaires qui paraissent établir la parité absolue
des apôtres : Quicumque non receperit vos, neque au-
dierit sermoncs vestros..., Matth., x, 14 ; Ego rogabo
Palrem et alium Paraclilim dabit vobis, Joa., xiv, 16;
Sicui me misit Pater cl ego mitto vos... Accipile Spiri-
lum Sanelum, Joa., xx, 21, 22; Data est mihi omnis
potestas in cœlo et in terra : eunles ergo... Mat h., xxvin,
19. C'est donc à la collectivité, c'est-à-dire à l'ensemble
des apôtres et non à la personne de Pierre, qu'ont été
conférées les prérogatives de la puissance souveraine.
Interpréter dans ce sens ces paroles sacrées, serait
introduire une confusion extrême dans l'enseignement
catholique; ce serait mettre Jésus-Christ en contradic-
tion avec lui-même. Comment, en effet, concilier ces
conclusions avec les déclarations formelles adressées
à Pierre et longuement citées dans les pages précé-
dentes? Il faut donc ne pas confondre ici le charisme
de l'apostolat, communiqué à tous les apôtres sans dis-
tinction, avec la supême magistrature, le pouvoir sou-
reriin, expressément délégué à saint Pierre, entérines
catégoriques.
1. Les adversaires les plus acharnés de la suprématie
pontificale ont été obligés de se rendre, en définitive,
à cette évidence : tels, Marc-Antoine de Dominis,
op. cit., 1. VI, n. 2; Quesnel, Idée générale du libelle, e'.c,
1705, p. 92; Dupin, De antiquœ Ecclesias disciplina,
diss. IV, c. i, § 3. Bicher, De rclraclalione, déclare qu'il
avait puisé l'erreur, contraire à la primauté aposto-
lique, dans les œuvres infectes de Luther et Calvin :
Hanc propositionem seu potius hseresim ex pulidis
Luthcri et Calvini jontibus hausisse non diffiteor.
2. Les adversaires exploitent encore le passage de
l'Écriture où il est prescrit de dénoncer à l'Église
ceux qui se montrent réfractaires aux monitions fra-
ternelles : Die Ecclesise. Matth., xvm, 17. Donc,
affirment-ils, le tribunal souverain se trouve dans le
corps de l'Église, non dans la personne de Pierre. Par
suite, ce n'est pas la forme monarchique qui prédo-
mine dans l'Église.
La procédure indiquée en ce passage prouve précisé-
ment le contraire. Il y est recommandé, en effet, de
recourir au tribunal de l'Église, à son autorité suprême,
à la suite des admonitions insl antes des hommes privés.
Par conséquent, ce n'est pas en ces derniers, groupés
ou séparés, que se trouve le pouvoir souverain, mais
bien en celui qui concentre en ses mains la juridiction
s'étendant à toute l'Église. Le texte ne fait allusion
aux tentatives bien infructueuses des inférieurs de
tout genre que pour mettre en relief la magistrature
suprême destinée à trancher le débat.
3. Il est encore dit dans les Actes des apôtres, xv,
6, 22, que les apôtres et les anciens se réunirent en
conseil : Conveneruntque apostoli et seniores videre de
verbo hoc. Plus loin, il est déclaré que la décision fut
adoptée avec l'agrément des apôtres, des anciens et de
toute l'assemblée : Placuit apostolis et senioribus^ cum
omni Ecclesia. Aux débuts de son existence, l'Église
de Jérusalem n'était pas encore organisée en société
parfaite et son chef n'exerçait pas encore ses pouvoirs
souverains. Du reste, saint Pierre prend le premier la
parole pour dirimer une longue contestation et quand
il a parlé, chacun se tait.
On ne saurait nier non plus que le chef souverain
dans l'Église, nonobstant l'assistance divine, est tenu
de s'entourer de toutes les lumières humaines; cela
l'empèche-t-il d'être vraiment monarque, chef suprême?
On n'oserait le soutenir. L'assemblée de Jérusa-
lem a longtemps passé pour avoir été le type des con-
ciles œcuméniques, présidés par le pape ou ses délé-
gués. Les souverains les plus absolus ont leurs conseils,
leurs parlements, leurs députations provinciales, asso-
ciés à l'administration générale. Ils restent néanmoins
princes, rois ou empereurs. Ainsi en est-il dans le gou-
vernement ecclésiastique.
4. Puisque le Christ est le véritable chef de l'Église,
le principe de son unité, la primauté du pape est pour
2381
HIÉRARCHIE
HIEROCLÈS
2332
le moins inutile. Le pape ne peut qu'être un membre
de cette société.
Sans cloute, le Christ est l'unique chef invisible de
l'Église, la source unique des grâces répandues dans
les âmes, le lien puissant de l'unité sociale de cette
institution. Mais l'Église est aussi une société visible.
Il lui faut un chef qui parle, qui commande, qui main-
tienne les vérités révélées, protège les lois divines et
préside à leur exécution. C'est le rôle dévolu au
vicaire du Christ, nanti à cet effet de l'autorité suprême.
Comme tel, il est sans doute membre de l'Église, mais
avec la prérogative de chef et tète de ce corps mystique
de Jésus-Christ.
5. La nécessité ce la primauté de Pierre est si peu ur-
gente, continuent-ils, que, dans bien des circonstances
et d'assez longues périodes, l'Église s'est passée de pon-
tifes romains.
Pour déterminer le caractère constitutionnel de
l'Église, il ne faut pas la juger d'après les situations
anormales, qui peuvent se présenter pour elle comme
pour tous les autres États. Nous avons démontré que,
dans son état normal, elle possède les éléments monar-
chiques. Ajoutons que, même dans les périodes de
trouble, de transition, ou de vacance du siège, l'Église
vit de son passé monarchique, et n'a qu'une préoccupa-
tion, celle de procéder à l'élection du souverain pontife.
Elle vit de son passé monarchique. En effet, l'organi-
sation de l'Église conserve sa pérennité. Les constitu-
tions pontificales pour l'administration générale, pour
la réunion et la tenue du conclave restent en vigueur.
Les évêques conservent l'autorité qui leur a été trans-
mise par le successeur de saint Pierre. Des définitions
dogmatiques ne peuvent être faites : ce n'est ni le
corps des fidèles, ni celui des pasteurs qui peut les
formuler. Enfin, la seule mission qui incombe dans
ces occurrences à l'Église dispersée et à ses légitimes
représentants, c'est de choisir le primat universel, le
vicaire du Christ, le successeur de saint Pierre, afin
qu'il reprenne les rênes du gouvernement, dans les
conditions dictées par le divin fondateur.
VI. DÉVELCPPEMENT DE LA HIÉRARCHIE ECCLÉSIAS-
TIQUE. — La hiérarchie sacrée, qui existait dans
l'Église selon l'institution divine, est constituée d'évê-
ques, de prêtres et de ministres. Si quis dixerit, in
Ecclesia calholica, non esse hierarchiam divina ordina-
tione inslitulam, quœ constat ex episcopis, [>resbyteris
et ministris, analhema sit. Concile de Trente, sess. XX 1 1 1,
can. 6, Denzinger-Bannwart, n. 966.
Ce sont là les cadres que l'Église complétera, selon
l'exigence des temps, en vertu des pouvoirs qu'elle a
reçus, pour le plus grand bien des âmes.
Parallèlement à l'organisation essentielle du Christ,
se développe l'organisation historique créée par l'Église.
On peut considérer ce développement au double point
de vue : 1. de la hiérarchie de l'ordre épiscopal, complé-
tée par les créations des patriarcats, des exarchats, des
primats, des archiépiscopats ou métropolitains, des
évêques titulaires, des coadjuteurs, des chorévêques,
des archimandrites, des prélats nullius, etc.; 2. de la
hiérarchie de juridiction. Celle-ci comprend des per-
sonnages ou bien des corps ecclésiastiques, ayant reçu
des souverains pontifes, au cours des siècles, pouvoir
juridictionnel, en vue du gouvernement de l'Église :
tels sont les cardinaux, les dicastères romains, les
légats apostoliques, les nonces, les vicaires et préfets
apostoliques, les divers délégués du saint-siège qui,
sous différentes désignations, participent à l'autorité
apostolique. L'exposé de ce double développement est
d'ordre historique. On en trouvera les éléments dans
d'autres articles de ce Dictionnaire.
L'évolution progressive de la hiérarchie ecclésias-
tique s'est produite sous l'influence des temps et les
nécessités de la propagation de l'enseignement du
Christ. Certaines formes antiques ont disparu, ou menue
été supprimées, c'est dans la nature des choses. Un
reste, le pouvoir divin, donné à l'Église pour créer
des orga: es nouveaux, afin de maintenir la foi, lui a été
conféré ('ans la même proportion, pour supprimer ceux
dont la nécessité ou la convenance n'existe plus.
Indépendamment des auteurs cités dans le corps de
l'article, on consultera avec grand profit les ouvrages sui-
vants : Petau, De Iheologieis doginatibus, Paris, 1870, t. vin,
De ecclesiastica hierarchia, 1. I-V; Ferraris, Prompla biblio-
theca, au mot Hierarchia ecclesiastica; Bouix, Traclatus de
principiis juris canonici, part. IV, De jure Ecclesiœ consli-
tutivo; Œuvres de saint Denys l'Aréopagite, trad. de l'abbé
J. Dulac, Paris, 1865, De la hiérarchie céleste; F. Wernz,
Jus Dccretalium, 2" édit., 1908, t. i; Bacchiui, De eccle-
siastica; hierarchiœ origine, Diss., in-4°; Palmieri, Tractatus
de romano poniiftee, th. xi, xn; Philips, Du droit ecclésias-
tique, trad. Crouzet, Paris, 1850, t. n, § 68; Devoti, De
hierarcliia ecclesiastica, dans Migne, Theologiie cursus, t. v,
col. 1208; Thomassin, Ancienne et nouvelle discipline de
l'Église, édit. Guérin, 1864, t. i, c. L; Hurter, Theologiie
dogmatiae compendium, 9» édit., Tractatus de Ecclesia,
de causa /ormali Ecclesiœ, th. xlviij, a. 3; Ferrante, Institn-
tiones canonicœ, una cum logica theologica, tr. II, p. 47.
B. DOLHAGARAY.
HIEROCLÈS, philosophe néoplatonicien, ennemi
des chrétiens.
1° Sa personne. — A l'époque où fut renversée
l'église de Nicomédie, au début de la persécution de
Diodétien, en 303, deux pamphlétaires peu généreux
attaquèrent les chrétiens qui ne pouvaient se défendre.
Lactancc, alors professeur de rhétorique à Nicomédie
et témoin oculaire, a tracé d'une plume vengeresse le
portrait de l'un et de l'autre, en passant leur nom sous
silence. Que le premier fût le vieux Porphyre encore
vivant ou Maxime, le maître futur de Julien l'Apostat,
il n'importe; le seeen 1 seul nous intéresse ici, c'était
à n'en pas douter Hiéroclès.
Celui-ci, né dans un peLit bourg de la Carie, avait
étudié la philosophie et embrassé le néoplatonisme.
Fut-il chrétien? La connaissance approfondie de
l'Écriture que lui reconnaît Lactance, Div. inst., v, 2.
P. L., t. vi, col. 555, pourrait le faire croire; il aurait
dans ce cas apostasie comme Théolecne, nuis Lactance
n'ose pas l'affirmer. Quoi qu'il en soit, il entra de
bonne heure dans la carrière administrative et fut
successivement gouverneur de Palmyre, préfet de la
Bithynie et d'Alexandrie. Dans une inscription trouvée
â Palmyre, son nom est cité comme gouverneur de cette
ville, sous les empereurs Dioctétien et Maximin et les
césars Galère et Constance. Corpus inscript, lai., t. ni,
n. 33. C'est là, selon toute probabilité, qu'au moment!
de l'expédition contre les Perses, il dut entrer en écla-
tions étroites avec Galère, le gendre funeste de Dio-
détien, et préparer, comme le croit Mgr Duchesne,
De Macario Magnete, Paris, 1877, p. 19, sou ouvrage
contre les chrétiens. En 303, il remplaçait a Nicomédie,
comme préfet de la Bithynie, le persécuteur Flaccinus,
non pusillum homicidam. De morte persecutorum, 16,
P. L., t. vu, col. 218. Il y continua les poursuites de son
prédécesseur contre le confesseur Douât et y publia son
Aoyo; <piXaX7JÛ7)ç 7tpoç touç y piaxtavoû;. Il dut assister
au conseil privé de l'empereur qui allait décider du
sort des chrétiens. Lactance le désigne comme l'un des
conseillers responsables de la persécution : Auctor in
primis faciendœ perseculionis, Div. inst., v, 2, P. L.,
t. vi, col. 555, et le nomme ailleurs en toutes lettres :
auctor et consiliarius ad faciendam perseculionem.
De morte persecutorum, 16, P. L., t. vu, col. 218. Un
ou deux ans après, il était préfet d'Alexandrie. Là il
se montra sans pitié pour les chrétiens,, insultant les
hommes les plus respectables et livrant à des proxé-
nètes les femmes, épouses ou vierges. Le frère d' Aphien,
martyrisé à Césarée, Edésius, ne put supporter de telles
2383
IIIÉROCLÈS
2384
infamies et alla jusqu'à frapper le préfet ; pour prix de
sa courageuse intervention, il fut mis à la torture et
jeté a la mer par ordre d'Hiéroclès. Eusèbe, De marly-
ribus Palestinie. 5, P. G., t. xx, col. 1480. C'est là
encore qu'Hiéroclès, apprenant la conversion au chris-
tianisme de son collègue Arrien, le fit comparaître
avec le saint moine Apollonius, un solitaire de la
Thébaïde, et le joueur de flûte Philémon, causes de
celle conversion. Et comme en route Apollonius avait
encore converti ses gardiens, Hiéroclès fit, dès leur
arrivée, jeter à la mer tout ce groupe de fidèles. Les
flots, dit Rufin, De vitis Patrum, 13, P. L., t. xxt,
col. 442, leur furent non une mort, mais un baptême.
Voilà quelques-uns des exploits de ce philosophe
néoplatonicien arrivé aux plus hautes charges de
l'empire; il était bon de les rappeler pour souligner le
ton ironique de son langage dans son libelle contre les
chrétiens.
2° L'ouvrage. — C'est à Nicomédie, en 303, qu'Hié-
roclès fit paraître son ouvrage en deux livres. Il l'écrivit,
observe Lactance, Div. instil., v, 2, P. L., t. vi, col 355,
non pas Contre les chrétiens, afin de n'avoir pas l'air
de les poursuivre dans un esprit d'hostilité, mais Aux
chrétiens, afin de faire croire qu'il voulait leur donner
des conseils humains et bienveillants.
Cet ouvrage ne nous est point parvenu, et, bien
qu'il ait été l'objet d'une réfutation de la part d'Eu-
sèbe de Césarée, il est difficile ou plutôt impossible de
le reconstituer, car les citations en sont trop peu
î ombreuses et ne permettent par d'en rétablir le texte,
comme cela a pu être fait pour le Aôyoç à^Or,; de
CelsL-, grâce aux nombreux passages textuellement
rarportés par Origène. Son vrai titre semble avoir été
Aoyoç ziAalr'fir^ Tipoç xoù; y p'.cfttavoôç; Eusèbe ne le
désigne que sous celui de $iXaXri07)ç. Son contenu nous
est connu grâce à Lactance, d'une part, et à Eusèbe de
Césarée, d'autre part. D'après Lactance, Hiéroclès
s'ellorce d'y établir la fausseté de la sainte Écriture,
comme si elle était toute remplie de contradictions; il
expose les chapitres qui paraissent en désaccord entre
eux; il les énuiïière en si grand nombre et avec une
telle connaissance du suiet, qu'il semblerait parfois
avoir professé la relipion qu'il attaque. Pour discréditer
les témoins du Sauveur, il traite avec dédain Pierre,
Paul et les apôtres, gens grossiers et ignares, tanquam
jalhc.ee seminatores. qui gagnaient leur vie par le
produit de leur pêche et le travail de leurs mains,
comme s'il soutirait que ce ne fût pas un Aristarque
ou un Aristophane qui ait narré les faits évangéliques.
Div. instil, v, 2, P. 1 '.., t. vi, col. 555-556. 11 y affirme,
entre autres choses, que le Christ, exilé par les Juifs,
s'élait livré au brigandage à la tête d'une troupe de
neul cents hommes. Ibid., v, 3, col. 557. Mais comme
il ne pouvait nier ses miracles, ii essaie de les rabaisser
et de montrer qu'Apollonius en avait fait de sem-
blables, et même de plus grands. Car le but secret de
son livre était de nier la divinité de Jésus-Christ. Lac-
tance s'étonne qu'il ait négligé Apulée. Ihid., col. 558.
Très habilement, Hiéroclès, moins scrupuleux que
Jemblique ou Porphvie, qui, tout en nourrissant la
haine du christianisme, s'étaient bien gardés de faire
appel à la Vie d'Apollonius de Tyane par Philostrate,
fit de ce lomai d'aventures, qui n'est au fond qu'une
contrefaçoii de la vie du Christ, du ministère apostolique
et de l'établissement el'É-lise,voirt. i, col. 1509 1510,
son arme de guerre. 11 s en empara comme s'il avait
récucment une valeur historique, opposant aux
tenions du Christ, qu'il traite de à^aiBsutoi et de yo^TE;,
ces hommes doctes et amis de la vérité, tels que
Maxime d'Egée, Damis le philosophe et l'Athénien
Philostrate, qui ont voulu sauver de l'oubli les faits
et g-stes d'Apollonius de Tyane. Eus be, Aav. Hie o-
cli m, 4, P. G., t. xxn, col. 80. Ce n'ist point qu'il
prétendît faire d'Apollonius une divinité, comme l'avait
fait Philostrate, mais simplement montrer en lui un
ami des dieux, bien autrement grand que Jésus;
car, beaucoup plus modéré que les chrétiens, qui
n'hésitent pas à proclamer Dieu Jésus-Christ pour quel-
ques prodiges, Si' oXîyaç TepatEia; Tivàç xov 'IriaoOv ©sov
àvayopsûouai. il ne range point son héros au nombre des
dieux. Ibid. C'était clairement donner à entendre que
Jésus n'est pas Dieu, et par là même ruiner le christia-
nisme.
Dans sa vive et mordante riposte, Eusèbe de Césarée,
se proposant de réfuter ailleurs les allégations menson-
gères d'Hiéroclès, constate que nul n'avait jusque-là
attaqué la religion chrétienne avec de pareils argu-
ments; et c'est moins au texte lui-même d'Hiéroclès
qu'il s'en prend qu'à la source même où il a puisé,
c'est-à-dire à cette Vie d' Apollonius de Tyane. 11 la
critique vigoureusement ; il en montre l'inconsistance
les contradictions grossi ires: il en discute un à un
les principaux prodiges attribués à Apollonius et il
montre que, même en les tenant pour authentiques,
ils s'expliquent par la magie qu'Apollonius avait apprise
chez les brahmanes ou par une intervention diabolique:
auvsoyei'a Sai|j.ovoç ÉV.aaTOv aûxto BiaTTtTipiyOai to'jtwv
aatpoiç Seî/vutou. Adv. Hieroelem, 35, ibid., col. 845. Si
bien qu'au lieu de pouvoir être opposé à Jésus-Christ,
comme Hiéroclès s'en flattait, cet Apollonius n'est à
ranger ni parmi les philosophes, ni même parmi les
hommes modérés et médiocres. « Mon dessein, dit
Eusèbe, n'est pas d'examiner lequel des deux (d'Apol-
lonius ou de Jésus-Christ) a possédé le mieux le
caractère divin ou a fait des miracles plus nombreux
et plus éclatants. Je ne parlerai point de l'avantage
qu'a Jésus-Christ, notre Sauveur et Seigneur, d'avoir
été longtemps à l'avance annoncé par les prophètes
sous l'inspiration divine, ni de ce que, par la force de
sa doctrine céleste, il s'est attiré un plus grand
nombre de sectateurs, ni de ce que, pour témoins de ses
actes, il a eu ses disciples, gens sincères et incapables
d'en imposer, tout prêts à subir la mort pour sou-
tenir la doctrine de leur maître. Je ne m'arrêterai pas
à montrer qu'il est le seul à avoir institué une école de
frugalité destinée à durer toujours, ou avoir procuré
le salut au monde par la vertu de sa divinité, attirant
encore aujourd'hui à son divin enseignement une
multitude innombrable, et victorieux de toutes les
attaques dont il a été l'objet tant de la part des princes
que de la part des peuples... Je ne relèverai pas non plus
la preuve de sa puissance divine, si sensible encore de
nos jours, puisqu'il suffit d'invoquer son nom sacré
pour délivrer les possédés et chasser les démons. Rien
de pareil dans Apollonius qui, d'après son histoire
écrite par Philostrate, loin d'être un dieu et de pouvoir
entrer en comparaison avec le Sauveur, n'est pas digne
de prendre place parmi les philosophes ni même parmi
les hommes de movenne importance » : tî>ç oùy 6'ti ye âv
cpiXocdçoiç àÀX' oùSl èv È7risixÉ<Jt xai purpiotç avSpâatv otÇiov
èyxpivE'.v. Adv. Hieroelem, 4, ibid., col. 801.
C'est ainsi qu'Eusèbe de Césarée, plus sévère qu'Ori-
gène, qui n'avait vu en Apollonius qu'un philosophe
magicien, Contra Celsum, vi, 41, P. G., t. xi, col. 1357,
ravale ce personnage, en discutant le lhre où sont
racontés ses exploits. Par là même il ruinait la thèse
du sophiste Hiéroclès, qui fut un pamphlétaire douce-
reux et hypocrite non moins qu'un persécuteur éhonté,
digne de Galère et de Maximin.
L'intervention intempestive d'Hiéroclès invita Lac-
tance à composer son ouvrage Divinarum inslilulionum.
Ii ergo de auibus dixi, cum, prœsente me ac dolente,
sacrilegas suas litteras explicassent, et illorum superba
impielatc stimulalus, et veritatis ipsius conscientia,
suscejd hoc munus, ut omnibus ingenii mei viribus
accusalorcs justitiœ rejularem. Div. instil., v, 4, P. L.,
2385
HIÉROCLÈS -- HILAIRE (SAINT:
2386
t. vi, col. 502. Mais Laclance ne visa pas exclusivement
Hiéroclès, et n'a rappelé aucun exemple particulier de
son procédé exégétique.
Lactance, Dio. instil., v, 2-4, P. L., t. vi, col. 552-564;
De morte persecutorum, 16, P. L., t. vu, col. 218; Arnobe,
Adversus gentes, i, 52, P. L., t. v, col. 780; Eusèbe, IIpô; ta
Ù7tb 'l'tÀoorpàrov eïç 'AttoXXoJviov tôv Tuavéa Sià tr)V
'IsdoxXeÎ 7tapa>,rlj6eî'(Tav avxo-j t£ xai Xpc<rro-j o-J-fxpKTiv,
ou bien 'AvTippr,Ti/.ô; mpô; y.-r) P. G., t.xxn, col. 796-868.
Tillemont, Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique
des six premiers siècles, Paris, 1701-1709, t. v, p. 48-49,
606-607; Ceillier, Histoire générale des auteurs sacrés et
ecclésiastiques, Paris, 1858-1868, t.n, p. 494; t. m, p. 175-178;
Bardenhewer, Les Pères de V Église, trad. franc, Paris, 1899,
t. i, p. 28; Geschichte der alll<irchlichen Literatur, Fribourg-
en-Brisgau, 1903, t. n, p. 478 ; F. Vigouroux, Les Livres
saints et la critique rationaliste, 3e édit., Paris, 1890, 1. 1,
p. 189-199 ; Allard, La persécution de Dioctétien, Paris, 1890 ;
A. Harnack, Altchristlielie Litteralur, p. 873; P. Batiflol,
La paix constant inienne et le catholicisme, Paris, 1914,
p. 148-149, 150-151. 162; Kirchenlexikon, t. v, col. 2012-
2014; Dictionarg o/ Christian bibliography,t u, p. 26-27;
U. Chevalier, Répertoire, Bio-bibliographie, t. i, col. 21-43.
G. Bareille.
1. HILAIRE (Saint), en latin Hilarus, pape de 461 à
468, fut le successeur immédiat du pape saint Léon,
dont il avait été l'archidiacre. C'est- en cette qualité
q l'il avait, de concert avec l'évoque Jules de Pouzzoles,
représenté Léon au fameux « brigandage d'Éphése »,
présidé par Dioscore d'Alexandrie, en 449. Hilaire y
avait couru les plus grands dangers; après les attentais
connus contre l'évêque de Constantinople Slanen, il
s'était réfugié dans le sanctuaire où était le tombeau de
saint Jean en dehors d'Éphése. Il attribua toujours son
salut à la protection de l'évangéliste et, devenu pape,
il fit ériger une chapelle en l'honneur de ce saint sur
l'un des côtés du baptistère du Latran. Aujourd'hui
encore on lit, sur l'encadrement de la porte qui du
baptistère conduit à l'oratoire, les mots suivants :
Liberalori sao beato Johanni evangelistx Hilarus
episcopus famulus Christi. Du temps de Léon, Hilaire
avait également réglé, à la demande du pape, la question
du comput pascal. Il y avait eu grande discussion entre
grecs et latins sur la date de Pâques en l'an 455.
L'archidiacre romain s'adressa à un savant gaulois,
Victorin de Limoges, qui expliqua les raisons de la
discordance entre les divers computs et le moyen de
l'atténuer. Thiel, Episl., u et m. Le cycle de Victorin
resta quelque temps en usage en Gaule et en Italie.
Saint Léon était mort le 10 novembre 461 (donnée
du martyrologe hiéronymien, préférable certainement
à celle du Liber ponlificalis, qui indique le 1 1 avril).
L'archidiacre, comme c'était la coutume, fut aussitôt
élu pour le remplacer, et fut ordonné le 19 novem-
bre 461. Le pontificat d'Hilaire est la continuation
pure et simple de celui de son illustre prédécesseur.
Depuis le concile de Chalcédoine (451), la paix reli-
gieuse régnait en Occident, et l'autorité impériale
contenait encore l'agitation monophysite, qui allait
bientôt reprendre de plus belle. Le Liber ponlificalis
mentionne une décrétale du pape Hilaire, envoyée à
tous les évêques d'Orient, confirmant les trois conciles
de Nicée, d'Éphése et de Chalcédoine (on remarquera
l'absence du concile de Constantinople de 381, qui ne
sera reconnu par Rome que cinquante ans plus tard), le
tome de Léon, condamnant Éutychès, Nestorius et
tous leurs adhérents, et en général toutes les hérésies.
L'encyclique confirmait la domination et la primauté
du s dut- siège catholique et apostolique. Il n'y a pas
lieu de soupçonner l'exactitude de cette donnée du
Liber ponlificalis; toutefois il n'est resté aucune trace
de cette correspondance d'Hilaire avec l'Orient.
Nous sommes mieux renseignés sur l'activité du pape
en Occident. Et tout d'abord en Italie et à Rome.
Il fallait s'y opposer à l'invasion arienne, suite de
l'invasion barbare; car s'il y avait encore en Italie
un empereur catholique, Majorien, mort en 461, puis
Sévère (461-465), et Anthemius (467-482), le véritable
chef du pays, c'était Ricimer, un Suève arien. Les héré-
tiques s'étaient installés jusque dans Rome et Ricimer
avait fait élever sur le Quirinal une église arienne.
Cette église fut consacrée sous le pape Hilaire, elle
avait son clergé organisé et son évêque. Hilaire fut
assez heureux, cependant, pour s'opposer en 467 à
l'érection de nouveaux sanctuaires hérétiques. Un
familier de l'empereur, Anthemius Philothée, qui est
donné comme un macédonien, avait obtenu de son
maître l'autorisation d'élever à Rome une chapelle de
sa secte. Au dire du pape Gélase, Jafîé, n. 664; cf.
P. L., t. lix, col. 73, Hilaire n'aurait pas craint d'inter-
pellé;' à ce sujet l'empereur en pleine basilique de Saint-
Pierre et d'exiger de lui le serment qu'il ne tolérerait
point ce nouvel empiétement.
Le sud de la Gaule n'était point encore submergé
complètement par l'invasion barbare. Hilaire chercha
à favoriser le ralliement de l'épiscopat gallican autour
de la métropole d'Arles. Sans reconstituer expressé-
ment le vicariat pontifical que le pape Zozime avait
établi en faveur de Patrocle d'Arles, mais qui n'avait
pas survécu à la mort de ce pontife, Hilaire pressait
volontiers l'évêque d'Arles, Léonce, de se mettre en
avant et d'agir. Jaffé, n. 552, 553, 554, 556, 562;
Thiel, Episl., iv, vi, vu, rx, xn. A plusieurs reprises,
il lui confia des missions assez délicates. Et d'abord en
462, dans l'affaire d'Hermès. Ce dernier, archidiacre de
Rusticus, métropolitain de Narbonne, avait été sacré
par celui-ci évêque de Béziers. Pour des raisons in-
connues, cette ville n'avait pas voulu accepter le nou-
vel évêque; et Rusticus, par compensation, l'avait
désigné comme son successeur sur le siège de Nar-
bonne. Il y avait là une double irrégularité. La transla-
tion d'un siège à un autre était formellement interdite
par les canons de Nicée ; la coutume n'autorisait pas non
plus un évêque à désigner lui-même son successeur.
Plainte fut portée à Rome contre Hermès Après avoir
demandé sur l'affaire un rapport à l'évêque d'Arles,
Jaffé, n. 554; Thiel, Episl., vu, Hilaire, dans un synode
romain du 19 novembre 462, où assistaient deux
évêques gaulois, Fauste de Riez et Auxanius d'Aix,
prit les décisions suivantes, qui furent portées à la con-
naissance de l'épiscopat gallican. Le pape se montrerait
bienveillant à l'égard d'Hermès: o:i lui laissait le
gouvernement de l'Église de Narbonne, mais, en puni-
lion de l'irrégularité commise, on lui enlevait, sa vie
durant, le droit de métropolitain, que l'on transférait
au doyen d'âge de la province. A la mort d'Hermès,
le siège de Narbonne rentrerait en possession de ses
droits de métropole. Pour éviter à l'avenir le retour de
semblables abus, le pape recommandait d'observer
fidèlement les règles relatives à la tenue régulière des
synodes. Le métropolitain d'Arles tiendrait la main à
leur exécution. Au cas où se présenterait quelque cause
plus difficile, on devrait en référer au siège apostolique.
Jaffé, n. 555; Thiel, Epist., vm.
Dès l'année suivante l'occasion s'offrait à Léonce
d'exercer les pouvoirs que lui avait délégués le saint-
siège. Le 10 octobre 463, le pape lui prescrivait de
mettre fin dans un concile gaulois aux empiétements
de l'archevêque de Vienne, saint Mamert, sur les
droits de la métropole d'Arles, relativement à l'évêché
de Die. Jaffé, n. 556; Thiel, Epist., ix. Une circulaire
pontificale envoyée aux évêques du sud de la Gaule
leur prescrivait un peu plus tard (25 février 464) de
régler suivant les désirs du siège romain l'affaire de
Mamert. Sans doute le pape n'allait pas jusqu'au
bout de son droit et n'exigeait pas la déposition du
coupable, mais il voulait que Mamert s'engageât à
respecter désormais les droits du métropolitain d'Arles,
23S7
HÏLAIRE (SAINT)
238g;
sinon on lui enlèverait encore ses quatre suffragants.
Quant à l'évêque de Die, ordonné par Mamert, il
devrait, pour exercer régulièrement sa charge, être
confirmé par le métropolitain d'Arles. Jafïé, n. 557;
Thiel, Epist., x. Quelques années plus tard, le pape
était encore obligé d'intervenir dans une querelle du
même genre, entre Ingenuus, évêque d'Embrun, et
Auxanius, évêque d'Aix. Jafïé, n. 562; Thiel, Episl., xn.
L'Église d'Espagne n'échappait pas davantage à la
sollicitude du pontife. Entre 463 et 464, les évêques de
la Tarraconaise s'adressaient à Rome pour se plaindre
des agissements de l'évêque de Calahorra, Silvanus. Ce
prélat, dans la haute vallée de l'Èbre, se signalait par
un zèle un peu intempestif. Il y avait peu d'évêchés
jusque-là dans cette région écartée; il se mit à en
fonder sans trop s'inquiéter de son métropolitain,
l'évêque de Tarragone. Au besoin même il imposait les
mains, sans plus de façons, à des prêtres qui ne rele-
vaient aucunement de lui. Contre tous ces abus les
évêques de la Tarraconaise invoquaient l'intervention
souveraine d'Hilaire. Thiel, Episl., xm. Quelques
mois plus tard ils s'adressaient encore au pape, mais
cette fois pour obtenir une faveur. L'évêque de Barce-
lone, Nundinarius, avait à son lit de mort exprimé le
désir que l'on choisît pour son successeur Irénée, qu'il
avait autrefois établi chorévêque dans une ville de son
diocèse. Le concile de la province avait ratifié ce désir;
conscient toutefois de l'irrégularité commise, il voulait
obtenir la dispense du. pape. Thiel, Epist., xiv.
Ces diverses questions furent soumises par Hilaire à
un synode romain qui se réunit, le 19 novembre 465,
dans la basilique de Sainte-Marie-Majeure. Le procès-
verbal très complet de la réunion s'est conservé. Dans
son allocution préliminaire, le pape signala les points
tle discipline qu'il fallait confirmer. Des abus s'étaient
introduits dans les ordinations; le pape rappelait la
défense d'admettre aux ordres (sacralos gradus) ceux
qui ont épousé une veuve, qui se sont remariés, ceux
qui sont tout à fait ignorants, les pénitents, les mutilés.
Quiconque aura ordonné un sujet présentant ces tares
devra lui-même déclarer nul ce qu'il a fait. Par accla-
mation le concile se rangea à l'avis exprimé par le
pnpe. Celui-ci parle ensuite de !a requête des évêques
ef pagnols relative à la translation d'Irénée. mais d'une
manière défavorable. Il n'y avait que trop de tenta-
tions pour les évêques de considérer leur charge comme
un bien héréditaire, dont ils pouvaient disposer au
détriment des droits d'élection appartenant au peuple
chrétien. Le pape demandait donc au concile d'inter-
dire cette pratique. Les acclamations des évêques
présents, leurs marques de désapprobation lors de la
lecture de la requête espagnole confirmèrent le pape
dans son idée. Puis on alla aux voix, et le pape termina
la réunion en donnant ordre aux notaires pontificaux
de signifier à toutes les Églises les décisions prises au
synode. Thiel, Episl., xv; Mansi, Coneil., t. vu, col.
959-968.
Lui-même prit soin de transmettre aux évêques
d'Espagne les solutions arrêtées. Sans doute il avait
reçu les pétitions à lui adressées par les notables des
villes où Silvanus de Calahorra avait exercé son zèle
intempestif. Mais fidèle à maintenir les droits des
métropolitains, le pape rappelait que, sans le consente-
ment de ces derniers, nul ne pouvait être licitement
ordonné évêque. On agirait cependant avec indulgence
à l'endroit de ces ordinations illicites; le pape, de son
autorité, les confirmait, à condition que les sujets
ne présentassent aucune des irrégularités canoniques.
Quant à la question de transfert d'un siège à un autre,
le pape se montrait entièrement opposé à cette ma-
nière d'agir. Irénée, dans l'espèce, serait donc éloigné
de Barcelone, et renvoyé à son église; l'on élirait à sa
place un évêque que consacrerait le métropolitain;
l'exemple d'Irénée pourrait faire croire que l'épiscopat
est héréditaire. Que si Irénée ne voulait pas accepter
la sentence pontificale, il serait excommunié, remo-
vendum se ab cpiscopali consorlio esse cognosecd.
Jafïé, n. 560; Thiel, Epist., xvi. En même temps le
pape engageait l'archevêque de Tarragone à défendre
son autorité et à ne rien laisser commettre contre les
canons de l'Église.
Hilaire mourut, selon les calculs les plus exacts, lé
29 février de l'année bissextile 468. Il avait régné 6 ans
et 3 mois. Son court pontificat est surtout mémorable
par l'affirmation de l'autorité du siège de Rome en
Espagne et en Gaule.
Le Liber ponlifiealis dit que le pape Hilaire avait
fait construire deux bibliothèques à Saint-Laurent,
hors des murs de Rome. Cette donnée était peu
vraisemblable; Samuel Berger a interprété ce passage
d'une Bible ( bibliotkeca) en deux volumes, com-
prenant les deux Testaments. Dans le cahier préli-
minaire du codex Amialinus. qu'on a tout lieu de
croire copié sur un manuscrit de Cassiodore, il est
parlé d'une division de l'Ancien et du Nouveau
Testament, faite par le pape Hilaire. Le nom de ce
pape est donc ainsi associé à la Bible latine, et la
disposition des Livres saints indiquée par Y Amialinus
est presque exactement celle du décret de saint
Gélase. Quoi qu'il en soit, la Bible du pape Hilaire
ne reproduisait pas sans doute la Vulgate, mais plutôt
une ancienne version latine de la sainte Ecriture. S.
Berger, La Bible du pape Hilarius, dans le Bulletin
critique, Paris, 1892, t. xm, p. 147-152.
Jaffé, Regesta pontifîcum romanorum, 2e édit., Leipzig,
1885, t. i, p. 75-77; Thiel, Epistolœ romanorum pontifleum
genuimv, Brunswick, 1868, 1. 1, p. 126-174 (donne le meilleur
texte des lettres d'Hilaire); P. G., t. lviii, col. 1-32 (texte
souvent défectueux); Duchesne, Le Liber ponti fwalis, Paris,
1886, t. i, p. 92-93, 242-248; Fastes épiscopaux de l'ancienne
Gaule, Paris, 1894, t. i, p. 126-131, 286-2S8; Hefele, Histoire
des conciles, trad. Leclercq, Paris, 1908, t. n, p. 900-905;
Baronuis, Annales ecclesiastici, édit. Theiner, Bar-le-Duc,
1867, t. vin p. 227-268.
E. Amann.
2. HILAIRE (Saint), évêque de Poitiers vers le
milieu du ive siècle, Père et docteur de l'Église. —
I. Vie. II. Écrits. III. Doctrine.
I. Vie. — ■ l:> Avant l'épiscopat. — ■ Hilaire naquit
dans la seconde dizaine du ive siècle en Aquitaine, à
Poitiers même, d'après saint Jérôme. Comment, in
Episl. ad Gai., 1. II, prœf., P. L., t. xxvi, col. 355.
Cf. VenanceFortunat,M('scW/.,I. II, c. xix ; 1. VIII, ci,
P.L., t.Lxxxvm, col. 109, 261. Issu d'une famille dis-
tinguée, il reçut une éducation libérale, apparem-
ment dans sa patrie ; car les lettres étaient alors floris-
santes en Gaule, S.Jérôme, Episl., cxxi, ad Rusticum
monachum, 6, P. L., t. xxn, col. 1075 ; elles l'étaient
particulièrement en Aquitaine, dont la capitale,
Bordeaux, était un vrai centre de culture intellec-
tuelle. Ad. Buse, Paulin, Bischof von Nota, und seine
Zeit, Ratisbonne, 1856, t. i, p. 44. Des auteurs rela-
tivement récents parlent d'un séjour de dix ans à
Trêves, à Rome et en Grèce; mais cette assertion n'est
pas appuyée sur des données primitives et reste con-
jecturale. Acla sanctorum, t. i januarii. De sanclo
llilurio, n. 23, p. 785. En tout cas, les écrits du saint
docteur témoignent surabondamment de la maîtrise
dans l'art de bien dire et des connaissances variées
qu'il acquit, comme aussi de la formation philoso-
phique à base néo-platonicienne qu'il reçut dans sa
jeunesse. A. Feder, Kulturgeschichtlichcs in dm Wer-
ken des hl. Hilarius von Poitiers, dans Slimmen cuis
Maria-Laaeh, 1911, t. lxxni, p. 30-45.
Hilaire naquit-il de parents chrétiens ? Ceux qui
partagent ce sentiment invoquent surtout L'autorité-
2389
IIILAIRE (SAINT
2390
de Fortunal, Vila sancli Hilarii, i, 3, P. L., t. ix, col. 187,
qui nous montre son héros suçant pour ainsi dire avec
le lait une sagesse ttflle qu'on aurait pu présager en
lui le futur champion de la foi, préparé dés lors par
Dieu aux combats et aux triomphes de l'avenir. Mais,
à cette phrase, dont le sens est d'ailleurs assez peu
précis, on oppose diverses allusions qui semblent insi-
nuer le contraire : allusions de saint Jérôme, In Is.,
c. xlviii, 13, P. L., t. xxiv, col. 595, de saint Augus-
tin, De doctrina christlana, n, 40, P. L., t. xxxiv,
col. 63, d' Hilaire lui-même. In ps. lxi, 2 ; De Trinilale,
VI. 19-21, P. L., t. ix, col. 396 ; t. x, col. 171 sq. On
objecte surtout, et à bon droit, le témoignage du saint
docteur au Ier livre du De Trinilale. Dans un récit où
il est difficile de voir une simple fiction littéraire, il
expose comment il fut amené à la foi chrétienne :
préoccupé par le problème de notre destinée et ne ren-
contrant pas dans la philosophie païenne de réponse
qui le satisfît, il trouva en tin la lumière, en lisant au
début de l'Évangile de saint Jean la doctrine du Verbe
descendu des deux et donnant à ceux qui le reçoivent
de pouvoir devenir eux-mêmes des fils de Dieu. Belles
pages dont le cardinal Pie a donné un commentaire
saisissant, avec application aux erreurs contempo-
raines, dans un discours prononcé à Rome en 1870
pour la fête du saint docteur. Œuvres, t. vi, p. 552 sq.
Un fait certain domine cette controverse : Hilaire
était adulte quand il reçut le baptême : Inauditis ego
his nominibus in le ita credidi, per le ila renatus sum.
De Trinitate,\l, 21, t. x, col. 173. D'un mot qu'il dit
ailleurs, De synodis, 91, t. x, col. 545, et qui se
rapporte à l'année où il partit pour l'exil : regeneratus
pridern, on peut conclure qu'entre l'époque de son
baptême et celle de son élévation à l'épiscopat,il y eut
un intervalle de temps notable. D'après Fortunat,
Vila, i, 3, 6, il était marié et père d'une fille, nommée
Abra; mais la réception du baptême devint pour lui le
point de départ d'une vie chrétienne très fervente,
austère même et vouée aux intérêts de la foi. L'évêque
de Poitiers l'attacha-t-il dès lors à son église en lui
conférant quelque degré de cléricalure ? Rien ne per-
met de répondre à cette question.
2° Hilaire évêque; lutte contre iarianisme; bannisse-
ment. — A la mort de l'évêque de Poitiers, probable-
ment Maxence, frère de saint Maximin de Trêves,
Hilaire fut appelé à lui succéder. Aeta sanclorum,
Comment, histor., 2. L'é\érement eut lieu avant
l'année 355, mais il est impossible d'en fixer la date
précise. Nous savons seulement, par l'endroit déjà cité
du De synodis, qu'en 356, à la veille de partir pour
l'exil, le nouvel évêque était depuis quelque temps
déjà en charge : in episcopatu aliquantisper manens.
h'aliquanlisper, étant en opposition avec pridem rrge-
neratus, doit nécessairement s'entendre d'un laps de
temps restreint. Il est donc possible que la date de 350,
donnée couramment par les historiens, anticipe un peu
sur l'événement.
Devenu pasteur d'âmes, Hilaire s'efforça de pra-
tiquer ce qu'il dira plus tard, De Trinilale, VIII, 1,
col. 236 : « La sainteté sans la science ne peut être utile
qu'à elle-même. Quand on enseigne, il faut que la
science fournisse un aliment L la parole et que la vertu
serve d'ornement à la science. » Le Commentaire sur
l'Évangile de saint Matthieu date de cette époque.
D'un autre côté, le nouvel évêque possédait dès lors
une telle réputation de vertu, qu'elle attira près de lui
le futur thaumaturge des Gaules; c'est, en effet, vers
354 que saint Martin vint pour la première fois à
Poitiers et y fut ordonné exorciste. Sulpice Sévère.
Vita B. Martini, 5, P. L., t. xx, col. 163; dom Cha-
înant, Origines de l'Église de Poitiers, p. 183.
Hilaire fut bientôt amené par les circonstances à
jouer le rôle important qui l'a fait appeler l'Athanase
de l'Occident. Près de trente ans s'étaient écoulés
depuis le concile de Nicée, et l'opposition faite à la
doctrine de la consubstantialité du Verbe n'avait pas
cessé. Voir Arianisme, t. i, col. 1799 sq. Pendant
longtemps la Gaule était restée à peu près en dehors
des agitations qui troublaient l'Orient. La situation
changea en 353, quand la révolte de Magnence eut
amené en Occident l'empereur Constance, protecteur
des antinicéens. Ce prince se trouvant à Arles, un
concile s'y tint en octobre ; on exigea des évoques pré-
sents qu'ils souscrivissent à la condamnation de saint
Athanase, et saint Paulin de Trêves paya son refus
d'un exil en Phrygie. Sur les réclamations du pape,
l'empereur consentit à la réunion d'un nouveaa
concile. 11 eut lieu à Milan au printemps de 355 ; mais
les prélats mandataires de Constance y suivirent la
même tactique qu'au synode d'Arles : forcer les
évêques à souscrire à la condamnation d'Athanase et
à communiquer avec les ariens. La noble résistance de
quelques-uns, Denis de Milan, Eusèbe de Verceil et
Lucifer de Cagliari, leur valut la peine du bannisse-
ment.
L'histoire ne nous dit pas si saint Hilaire prit part
aux conciles d'Arles et de Milan ni s'il fut engagé dans
la controverse dès le début de son épiscopat. Ses senti-
ments sur le fond de la question ne peuvent pas être
douteuxpour qui lit le commentaire sur saint Matthieu,
xxxi, 2 sq., P. L., t. ix, col. 1066 sq. ; plus tard
l'évêque de Poitiers rattachera lui-même à l'exil « des
saints personnages Paulin, Eusèbe, Lucifer et Denis »
l'attitude militante qu'il piit après le concile de Milan.
Adversus Conslantium, 2, P. L., t. x, col. 578. C'est
vers la même époque nous apprend- il encore, De
synodis, 91, col. 545, qu'il connut pour la première fois
le symbole de Nicée : fulem nicunam nun.qu.am nisi
exulalurus audivi; mais il n'y trouva pas, ajoute-t-il,
une doctrine différente de celle qu'il tenait déjà. Il
n'est donc pas étonnant qu'en face des manœuvres du
métropolitain d'Arles, Saturnin, rallié aux vues de
l'empereur et soutenu par les puissants évêques de
cour Ursace de Singidunum et Vi lens de Mursa, Hilaire
ait compris que la résistance ouverte s'imposait, aux
dépens même de sa tranquillité et de ses intérêts per-
sonnels. Fragm. histor., i, 3, P. L., t. x, col. 629.
L'évêque de Poitiers entre dès lors dans la pleine
lumière de l'histoire. Sous son initiative, un synode
se réunit vers la lin de 355, très probablement à Paris :
les prélats présents se séparèrent de la communion
d'Ursace, Valens et Saturnin, mais décidèrent de
recevoir à la communion ecclésiastique ceux qui, ayant
failli à Milan, viendraient à résipiscence. Adv. Con-
stant., loc. cil. La réplique du métropolitain d'Arles ne
se fit pas attendre; dès le printemps de 356, il con-
voqua à Déziers un synode où, sur l'ordre de la cour,
Hilaire dut comparaître pour rendre compte de sa
conduite. Ce dernier demanda qu'on examinât d'abord
la cause de la foi; à cette fin, il présenta un mémoire
composé contre l'hérésie arienne et ses chefs d'alors :
cognitionem demonstrandx hujus luvreseos obtuli, Adv.
Const., 2, col. 579; in qua patronos hujus hsereseos inge-
rendœ quibusdam vobis leslibus denuntiaveram. De
synodis, 1, col. 481. La demande ne fut pas agréée;
Saturnin exigeait sans doute ce qui avait été exigé à
Milan : la communion avec les évêques de son parti et
l'acquiescement à la condamnation d'Athanase. Un
rapport fut adressé à Constance; rapport où, vrai-
semblablement, la foi politique de l'évêque de Poitiers
était mise en suspicion et qu'en tout cas, il traite lui-
même de fallacieux et d'insidieux : falsis nuntiis
synodi... circumventuin te Augustum. Ad Constant.,
II, 2, col. 563. Saturnin obtint le résultat qu'il vou-
lait : vers le milieu de 356, l'empereur prononça contre
l'accusé une sentence de déportation en Asie Mineure.
2391
HILAIRE (SAINT)
2392
Récemment on a rattaché à ces événements un écrit
de saint Hilaire publié jusqu'ici sous le titre : Ad Con-
stanliuni liber primus, P. L., t. x, col. 557. Comme on le
dira plus loin, ce titre devrait être considéré désormais
comme périmé; l'écrit aurait été composé au lende-
main du synode de Béziers, dans un but apologétique :
soit qu'il faille y voir un fragment égaré de l'Opiis
historicum, formant primitivement avec plusieurs
autres la première partie du Liber adversus Valcnlcm et
Ursacium, comme le veut dom Wilmart, Les fragments
historiques et le synode de Béziers ; soit que l'écrit ait
fait partie d'une Lettre adressée aux évèques gaulois,
comme le conjecture dom Chapman, The contestcd
lellers oj pipe Liberius, 3e art., p. 331.
3" Hilaire en Orient, 356-360. — La Phrygie fut le
séjour habituel du saint docteur pendant les années de
son exil. Comme il n'avait pas été déposé de son siïge,
il demeurait dans une situation relativement favo-
rable; il put communiquer avec ses prêtres et, par leur
entremise, garder la haute administration de son
diocèse. Ad Conslanlium, II, 2, col. 564. Il resta
également en rapports avec l'épiscopat gaulois, le
renseignant et l'encourageant par ses lettres. Quelle
importance il attachait à ce commerce épistolaire, on
peut en juger par l'inquiétude que lui causa, pendant
quelque temps, le silence de ses correspondants. De
synodis, 1, col. 479. Personnellement, il employa ses
loisirs forcés à composer, entièrement ou presque en-
tièrement, son principal ouvrage: De Trinilate; c'était
encore une manière de prêcher, comme il le dit lui-
même, X, 4, col. 346 : Loquemur enim exsuies per hos
libros, et sermo Dei,quivinciri non potest, liber excurret.
En même temps il profita de son séjour en Asie
Mineure pour s'instruire à fond des affaires religieuses
d'Orient. Les circonstances lui créèrent une situation
privilégiée. Quand il arriva en exil, la coalition anti-
nicéenne était triomphante: en Orient, tous les grands
sièges épiscopaux étaient en son pouvoir; en Occident,
le pape et les membres les plus notables de l'épiscopat
étaient bannis. Mais à ce moment même les germes des
divisions cpii couvaient dans le parti, nullement homo-
gène, des antinicéens, éclatèrent : il y eut fractionne-
ment en trois groupes distincts et bientôt hostiles : le
groupe extrême des ariens purs ou anoméens, ayant pour
chefs Aétius et Eunomius, le groupe en apparence
moins avancé, plus politique que doctrinal, des ho-
méens, représenté en Orient par Acace de Césarée, en
Occident par LTrsace et Valens; enfin le groupe plus
conservateur des homéousiens ou anciens eusébiens,
qui se ralliaient autour de Basile d'Ancyre. Voir
Arianismk, t. i, col. 1821 sq.
Fixé en Phrygie, mais ayant une grande liberté de
mouvements, l'évêque de Poitiers se trouvait en
contact avec ces divers groupes. Dans un esprit de
zèle apostolique, il fit preuve à l'égard de tous d'une
large condescendance : « Je n'ai pas considéré comme
un crime, dira-t-il plus tard, d'avoir eu des entretiens
avec eux, ou même, tout en leur refusant la communion,
d'entrer dans leurs maisons de prière et el'espérer ce
qu'on pouvait attendre d'eux pour le bien de la paix,
alors que nous leur ouvrions une voie au rachat de
leurs erreurs par la pénitence, un recours au Christ par
l'abandon de l'Antéchrist. » Adv. Constant., 2, col. 579.
Mais ses sympathies allaient naturellement aux homé-
ousiens, d'autant plus qu'en dehors de ce groupe, il ne
voyait guère el'intégrité ni de vraie piété. De synodis,
63, col. 522. Les événements augmentèrent encore ces
sympathies et préparèrent les voies au rôle de conci-
liation que les antécédents du saint docteur, sa science
et ses relations actuelles lui permettraient de jouer.
Un grand synode tenu à Sirmium dans l'été de 357
s'était terminé par la rédaction et l'imposition d'une
formule de foi, élite seconde de Sirmium; formule posi-
tivement antinicéenne, traitée par Hilaire d'impiété
blasphématoire. De synodis, 10, col. 486. L'année sui-
vante, au synode d'Ancyre, présidé par Basile, évêque
de cette ville, les homéousiens réagirent vigoureuse-
ment, en formulant une série d'anathèmes contre la
doctrine anoméenne, et même contre l'homéenne.
Voir t. i, col. 1823 sq. Il est vrai qu'à ces anathèmes ils
en avaient ajouté d'autres, dirigés contre la doctrine
sabellienne et contre les termes nicéens d'ûjAooûd'.ov %
TauTOoôatov, consubstanticl ou étant de même sub-
stance. Si les homéousiens semblaient ainsi maintenir
la vieille accusation de sabellianisme contre la foi de
Nicée, il n'y avait pas moins de leur part répudia-
tion formelle de l'arianisme pur et acheminement
notable vers l'orthodoxie. Cette réaction acquérait, au
jugement d'Hilaire, une valeur d'autant plus grande
que Basile avait réussi à faire approuver les actes de
son synode par Constance et que, possédant la faveur
de ce prince, il paraissait maître de la situation. De
synodis, 78, col. 530 sq.
C'est précisément vers cette époque, mars 358, que
l'évêque de Poitiers reçut enfin un courrier des Gaules.
Il apprit avec joie qu'en dépit des suggestions et des
menaces de Saturnin, ses anciens collègues restaient
fidèles à la saine doctrine; de cette fie'.élité ils venaient
de donner une preuve notable en anathômatisant la
seconde formule de Sirmium. De synodis, 2, 3, col.
481 sq. En communiquant cette bonne nouvelle à
l'exilé, les piélats gaulois lui demandaient de les ren-
seigner sur les professions de foi, présentes et passées,
des Orientaux. Ibid., 9, col. 483. Ce fut l'occasion du
Liber de synodis, dont il sera plus amplement question
dans la suite de cette étude. En composant cet écrit,
Hilaire ne se proposa pas seulement de satisfaire à la
demande de ses amis; il profita encore de la circon-
stance pour essayer de dissiper les malentendus qu'il
voyait exister des deux côtés et poursuivre ainsi
l'œuvre de conciliation et d'apaisement déjà entre-
prise : « Pendant tout le temps de mon exil, dira-t-il
bientôt, si j'ai tenu à ma résolution de ne céder en
rien au sujet de la confession du Christ je n'ai pour-
tant voulu repousser aucun moyen honnête et accep-
table de procurer l'unité. » Adv. Constant., 2, col. 579.
Hilaire garda la même attitude au concile qui s'ou-
vrit à Séleucie le 27 septembre 359. Convoqué d'office
à cette assemblée, il y fut accueilli favorablement.
Invité à exposer sa foi d'évêque gaulois, il le fit en
professant la doctrine nicéenne, soigneusement dé-
gagée de toute attache sabellienne; aussi fut-il reçu
par les Orientaux à la communion ecclésiastique et
admis au concile. Sulpice Sévère, Historia sacra, n,
42, P. L., t. xx, col. 153. Rien n'indique qu'il se soit
mêlé activement aux discussions qui s'élevèrent entre
la majorité homéousienne et la minorité homéenne,
mais, dans Y Adversus Conslanlium, 12-14, col. 590 sq.,
il a laissé de ce qu'il vit et entendit un récit précieux
pour la connaissance des partis et des idées qui se
manifestèrent alors. Voir t. i, col. 1828. La profession
de foi souscrite par la majorité fut la seconde formule
élu synode d'Antioche, inencœniis, voir t. i, col. 1801 ;
formule que le saint docteur juge avec indulgence, en
y voyant une simple réaction contre le sabellianisme.
De synodis, 32-35, col. 504 sq.
L'heure de l'apaisement n'était pas encore venue.
Le groupe basilien manquait d'unité vraie; à côté de
membres sérieux et bien intentionnés, il en contenait
d'autres qui n'étaient pas guidés par un amour sin-
cère de la vérité ou qui professaient en réalité des
doctrines absolument incompatibles avec la foi de
Nicée. En outre, le succès de l'entreprise dépendait
du mobile empereur qu'était Constance. Depuis plus
d'un an, Ursace et Valens travaillaient à le ramener
à leurs vues. Ils avaient obtenu la division de l'unique
2393
IIILAIRE (SAINT)
2394
concile projeté d'abord; puis à Rimini, où ils furent
les maîtres, leurs intrigues et leurs violences avaient
amené les évèques occidentaux réunis en cette ville à
signer une formule insidieuse qu'on leur présentait
comme une concession nécessaire au bien de la paix.
A Séleucie, la minorité acacienne, qui se rattachait
au même parti, n'avait pas triomphé, mais elle s'était
empressée d'envoyer à Constantinople des députés
chargés de prévenir Constance en leur faveur et de
réclamer une union conçue sur une base plus large.
Quand les basiliens se présentèrent, l'empereur était
de nouveau gagné à la cause homéenne. Adversus
Conslantium, 15 , col. 593.
L'évêque de Poitiers avait suivi les basiliens à Con-
stantinople; il ne put qu'être le témoin navré du revi-
rement impérial. Sans perdre courage, il adresse à
Constance, vers le début de 360, la requête désignée
couramment sous le titre de Ad Conslanlium Augus-
lum liber secundus, P. L., t. xxi, col. 563. Suivant Sul-
pice Sévère, dont l'affirmation est d'ailleurs contes-
table et contestée, cette requête aurait été suivie de
deux autres : tribus libcllis publiée datis audienliam
régis poposcii, ut de fide coram adversariis discep-
tarel. Op. cit., n, 45, col. 154. Hilaire sollicitait deux
faveurs : celle d'une discussion publique avec Satur-
nin d'Arles, auteur de son exil, afin de pouvoir mon-
trer la fausseté des accusations dont il l'avait chargé,
et celle d'une comparution en présence du concile
qui se tenait alors dans la ville impériale, afin de
pouvoir y défendre, sur l'autorité des saintes Écri-
tures, la foi orthodoxe. Ad Const., II, 3, 8, col. 565, 569.
L'empereur n'accorda ni l'une ni l'autre de ces de-
mandes : il se contenta de rendre Hilaire à sa patrie,
sans toutefois rapporter la sentence d'exil, absque
exsilii indulgentia, dit Sulpice Sévère, n, 45, col. 155.
D'après cet auteur, la mesure aurait été suggérée au
prince par les ariens, qui, pour se débarrasser d'un
adversaire gênant, le lui auraient présenté « comme
semeur de discorde et perturbateur de l'Orient ».
Autre serait peut-être la réalité d'après Loofs, art.
Hilarius von Poitiers, dans Realencijclopâdie, t. vin,
p. 63 : s'appuyant sur ces paroles du Contra Conslan-
lium, II, col. 588: fugere mihi sub Nerone licuil,U. de-
mande si l'exilé n'aurait pas pris la fuite. La con-
jecture semble admise, ou à peu près, par dom Wil-
mart, L' Ad Conslanlium liber primus, p. 150 : « à
moitié renvoyé de Constantinople, à moitié fugitif
volontaire. » Ne serait-ce pas prendre le mot fugere
dans un sens trop rigoureux?
Hilaire quitta Constantinople dans la première
moitié de 360, probablement au début d'avril. Le
Contra Conslanlium imperatorcm, P. L., t. x, col. 577,
date de cette époque, qu'il ait été composé par son
auteur avant son départ de la ville impériale, ou peu
après, pendant le voyage de retour. Cette invective
vigoureuse reflète les sentiments d'indignation qui
animèrent l'âme du saint évêque, alors que, revenus au
pouvoir, les homéens imposèrent leur credo, devenu le
credo de Constance, et se vengèrent de leur défaite
momentanée en exerçant de terribles représailles
contre les homeousiens. Tout espoir de conciliation et
d'union dans un avenir prochain disparaissait. L'évê-
que de Poitiers n'en contribua pas moins, pour sa part,
à l'œuvre que d'autres devaient mener à bonne fin.
Deux ans plus tard, au concile d'Alexandrie, saint
Athanase reprendra l'entreprise dans de meilleures con-
ditions; puis les grands docteurs cappadociens vien-
dront assurer le triomphe de l'orthodoxie. Leur
glorieux chef, saint Basile de Césarée, se rattache
par ses antécédents à Basile d'Ancyre, qu'il accom-
pagna même, comme diacre, au concile de Constan-
tinople de 360. Avant de mourir, Hilaire aura la joie
de voir la plupart des évêques homeousiens qu'il
avait connus à Séleucie se rallier, à l'exemple de saint
Cyrille de Jérusalem, au credo nicéen. Voir t. i, col.
1835 sq., 1840. D'ailleurs, quittant l'Orient, il n'a-
bandonna pas l'œuvre qu'il avait tant à cœur : il
allait seulement la continuer sur un autre théâtre.
4° Retour en Gaule et dernières années. — Le saint
évêque revint par la voie de mer; il passa par l'Italie
et notamment par Rome. Sulpice Sévère, Vita B.
Martini, 6-7, P. L., t. xx, col. 164. Il dut voir le pape
Libère, rentré dans cette ville depuis deux années, mais
tout détail manque; on peut raisonnablement conjec-
turer qu'il y eut échange de vues au sujet de la cam-
pagne antiarienne à mener en Occident. Enfin le
grand exilé reparut dans sa patrie après quatre années
d'absence, probablement avant la fin de 360, au plus
tard au début de 361. Quel accueil il reçut, on peut en
juger par les termes hyperboliques dont saint Jérôme
s'est servi: Tune Hilarium deprœlio rcverlcnlem Gallia-
rum ecclesia complexa est. Adversus laciferianos, 19,
P. L., t. xxiii, col. 173. Cf. Fortunat, Vita, n, P. L.,
t. ix, col. 191.
La situation politique était notablement modifiée,
j depuis que les troupes cantonnées à Paris s'étaient
révoltées et avaient, en mai 360, proclamé Julien
empereur. Hilaire n'avait plus à craindre l'interven-
tion de Constance; il se mit immédiatement à l'œuvre,
avec autant de décision que de modération, afin de
confirmer dans leurs sentiments les évêques restés
fidèles et de ramener dans le droit chemin de l'ortho-
doxie ceux qui, par timidité ou par ignorance, avaient
faibli et souscrit à des formules erronées ou du moins
compromettantes, comme celle de Rimini. Sous son
impulsion, des synodes provinciaux se réunirent de
divers côtés, et même un concile national à Paris.
Ceux qui rapportent ce dernier à l'année 360, par
exemple, dom Coustant, Vita, 67-68, P. L., t. ix,
col. 156 sq., supposent qu'Hilaire n'y assista pas en
personne, bien qu'il ait été, moralement parlant,
l'àme de l'assemblée; mais la plupart des historiens
placent le concile de Paris en 361 (Baronius, en 362)
et tiennent que l'évêque de Poitiers s'y trouva. Tille-
mont, Mémoires, t. vu, p. 755, note xv. Un document
nous est parvenu, où sa doctrine et parfois même son
style se révèlent : c'est la lettre synodale du concile
aux évêques orientaux, en réponse à une lettre qu'Hi-
laire avait reçue de ceux-ci depuis son retour en
Gaule. Fragm. hist., xi, P. L., t. x, col. 710. La dépo-
sition de Saturnin d'Arles et de Paterne de Périgueux
consacra la défaite de l'arianisme; ce qui explique
cette phrase de Sulpice Sévère, n, 45, col. 155 :
« Tout le monde reconnaît que notre Gaule est rede-
vable au seul Hilaire du bonheur qu'elle eut d'être
délivrée du crime de l'hérésie. » Bientôt, la mort de
l'empereur Constance, survenue le 3 novembre 361,
porta également un coup décisif à la suprématie ho-
méenne en Orient. Les évêques exilés rentrèrent dans
leurs diocèses, et, dès l'année suivante, saint Athanase
réunit dans sa ville épiscopale le célèbre « concile des
confesseurs », où fut adoptée la même politique reli-
gieuse de conciliation et d'apaisement que l'évêque de
Poitiers venait d'inaugurer en Occident. Voir t. i,
col. 1834. Chose vraiment providentielle et féconde
en heureux résultats que cet accord à distance des
deux grands champions de la foi nicéenne au ive siècle.
A la lutte contre l'arianisme se joignit alors la lutte
contre le paganisme sous Julien l'Apostat. Les vio-
lences exercées en Gaule par Dioscore, vicaire du préfet
Salluste, déterminèrent LIilaire à publier, en 361 ou
362, un mémoire signalé par saint Jérôme : Ad prse-
fectum Salluslium sive contra Dioscorum. D'ailleurs,
Julien étant mort le 26 juin 363, la controverse n'eut
pas de suite. Beaucoup plus importante fut la cam
pagne apostolique du docteur gaulois en Italie. Peut-
2395
HILAIRE (SAINT'
2396
être se rattache-t-elle à la lettre adressée aux évêques
de ce pays par le pape Libère en 363. Fragm. hisl., xn,
col. 714. Hilaire travailla d'abord seul, puis en com-
pagnie d'Eusèbe de Yerceil, lequel, ayant assisté au
concile d'Alexandrie, avait reçu la mission d'en appli-
quer les décrets en Occident. Aux efforts combinés des
deux saints répondirent des fruits si abondants que
Rufin, H. E., i, 31, P.L., t. xxi, col. 502, a pu les com-
parer à deux astres splendides éclairant de leur lumière
l'illyrie, l'Italie et les Gaules. Il souligne particulière-
ment les succès de l'évèque gaulois, en les attribuant à
la douceur et à la placidité de son caractère, ul esset
nalura knis et placidus. La contradiction vint pourtant.
Quelques années plus tôt, divers passages du traité De
synodis avaient déplu à Lucifer de Cagliari; Hilaire
avait fait une réponse dont quelques lambeaux
existent encore, sous le titre d' Apologelica ad repre-
Itcnsorcs libri de synodis responsa, P. L., t. x, col. 546.
Mécontents maintenant de l'indulgence dont on faisait
preuve à l'égard des évêques qui avaient faibli, les
lucifériens unirent désormais dans une commune répro-
bation les noms du pape Libère et de ses deux lieute-
nants, Hilaire et Eusèbe de Verceil. Dom Coustant, Vila,
n. 95-99, col. 168 sq. ; dom Chamard, Origines, p. 523 sq.
L'évèque de Poitiers n'en continua pas moins en
Italie son œuvre apostolique. Le siège de Milan était
occupé par Auxence, l'un des chefs homéens que le
concile de Paris avait anathématisés. En 364, le ch; m
pion de l'orthodoxie jugea que le moment était venu
de chasser le loup de la bergerie. Avec Eusèbe, il
commença une campagne pour démasquer Auxence et
soustraire à sa communion les catholiques milanais.
L'évèque menacé fit appel à l'empereur Valentinien;
comme on le voit d'après un fragment conservé dans
le Contra Auxenlium, 15, P. L., t. x, col. 618, il se plaçait
sur un terrain juridique en alléguant les décrets du
concile de Rimini et accusait ses adversaires de troubler
la paix religieuse. Ces considérations firent impression
sur l'empereur; venu à Milan, en novembre 364, il
interdit toute espèce d'assemblée chrétienne en dehors
des lieux soumis à la juridiction d'Auxence. Hilaire
protesta dans une requête où il dénonçait dans l'évèque
homéen un blasphémateur, un ennemi du Christ. Ce
qu'il écrira bientôt, il le dit dès lors : « De paix, je n'en
désirerai jamais sinon avec ceux qui, s'attachant à la
doct.ine sanctionnée par nos Pères à Nicée, anathéma-
tisent les ariens et proclament Jésus-Christ vrai Dieu. »
Contra Auxenlium, 12, col. 617. Valentinien décida
qu'une discussion aurait lieu entre les deux adver-
saires en présence de deux hauts fonctionnaires,
assistés par dix évêques. Auxence exposa sa foi dans
une formule où il rejetait en apparence la doctrine
homéenne, mais se servait, sur le point brûlant, de
termes à double entente : natum ex Pâtre Deum verum
filitun; ce qui pouvait signifier: vrai Dieu ou vrai fils
(au sens arien). Les commissaires et l'empereur se con-
tentèrent de la profession de foi d'Auxence, et comme
Hilaire voulait dévoiler ses équivoques et ses réti-
cences : lusit quidem ille verbis, quibus possit fallere
et eleclos, ibid., 10, col. 615, il reçut l'ordre de
retourner en Gaule. La publication du Contra Auxen-
tium 'ut comme une protestation, destinée à renseigi er
les orthodoxes sur toute cette affaire et à sauvegarder
l'intégrité de la loi. Si le saint docteur n'obtint, dans
l'occurrence, qu'un succès incomplet, son intervention
n'en eut pas moins pour effet de forcer Auxence à
rejeter extérieurement le symbole d'Arius et à se
maintenir désormais dans une prudente réserve. En
outre, la réaction provoquée à Milan parmi les fidèles
préparait de loin l'acclamation de saint Ambroise
comme évêque, à la mort d'Auxence (374).
Rentré définitivement dans son diocèse, l'évèque de
Poitiers consacra ses dernières années au bien spiri-
tuel de son peuple. De ses homélies d'alors nous avons
l'écho dans le Traclalus super psalmos; car il semble bien
qu'à celte époque, comme au début de son épiscepat, il
donna d'abord sous foim? d'instructions ce qu'il dis-
posa ensuite sous form: de livre. Coustant, Vita, 24,
109, P. L., t. ix, col. 135, 175. En mm? temps le
dévoué pasteur s'efforçait de former ses Poitevins à
une pratique qu'il avait rencontrée etgoùtéeen Orient :
les chants d'église, chants de prières et de psaumes,
chants d'inmn s qu'il composa lui-même. Il voyait là
un moyen d'attirer les faveurs du ciel, de rendre
hommage à la Divinité, de mettre en fuite les démons et
d'écarter les fidèles des réjouissances profanes. In ps.
i.\iv, 12; /ai, 1, 4; cxvm, litt. v, n. 14, P. L., t. ix,
col. 420, 424 sq ,540.Dansles h\m:ies qu'il composa, il
se proposait aussi de prémunir son troupeau contre le
venin dangereux des hérésies. D'ailleurs son zèle ne se
bornait pas au commun du peuple; sous son impulsion
et sa direction, des âmes éprises d'un idéal plus relevé
s'engagèrent dans la voie des conseils évangéliques. Le
plus grand de ses disciples, saint Martin, nous est
déjà connu. Apprenant, dans l'île de Gallinari où il
s'était retiré, que son maître avait quitté l'Orient pour
revenir dans sa patrie, il s'empressa de courir à Rome,
où il espérait le rencontrer; quand il y parvint, Hilaire
en était déjà parti. Il le rejoignit à Poitiers, et presqui
aussitôt, en 360 ou 361, la fondation de Ligugé inau-
gurait la vie monastique en Gaule. Coustant, Vita,
86, col. 164 ; Chamard, Origines, xn, p. 273; Saint Martin
cl son monastère de Ligugé, Paris, 1873, c v, p. 35 sq.
Parmi les vierges que le glorieux pontife consacra
lui-même à Dieu, la tradition mentionne spécialement,
après Abra, sa propre fille, Florentia, noble païenne
qu'il avait convertie en Asie Mineure et qui le suivit en
Aquitaine. Fortunat, Vita, 7, col. 189; Chamard,
Origines, c. xv.
Saint Hilaire mourut à Poitiers : « la sixième année
après son retour d'exil », dit Sulpice Sévère, n, 45,
col. 155, mais sans déterminer à quelle époque précise
ce retour avait eu lieu; « la quatrième année du règne
de Valentinie i et de Valons » (printemps 367 à prin-
temps 36 S), dit Grégoire de Tours, Hisloria Franco-
rum, i, 36, P. L., t. lxxi. col. 180. Cette dernière donnée
se trouve aussi dans la Chronique de saint Jérôme,
avec cette particularité que des manuscrits de cet
ouvrage rattachent la mo.'t d'Hilaire, non pas à la
quatrième, mais à la troisième année du règne des deux
empereurs. R. Helm, Die Chronik des Hieronymus,
dans Eusebius Wcrke, Leipzig, 1913, t. VI, p. 245.
A ces divergences s'en ajoute une autre, relative au jour
même de la mort, placé par quelques-uns au 1er no-
vembre au lieu du 13 janvier, suivant l'opinion com-
mune. De là vient qu'une date ferme ne peut pas être
fixée, les avis oscillant entre les années 366, 367 et 368.
Acta sanctorum, comment, 31 sq.; Tillemont, Mémoires,
t. vu, p. 755, note xvm ; Coustant, Vita, 113-115,
col. 177 sq. ; Chamard, Origines, p. 401. L'Éj-lise
romaine fête saint Hilaire le 14 janvier, comme con-
fesseur pontife et docteur. Ce dernier titre, dont il
était honoré de temps immémorial dans beaucoup
d'églises, fut officiellement consacré par le décret
Quod potissimum de la S. C. des Rites et le bref aposto-
lique Si ab ipsis, 29 mars et 13 mai 1851. Correspon-
dance de Borne, 4e année, t. i, p. 233 sq., 266; Mgr Pie,
Œuvres, t. i, p. 458-481.
r' Sources anciennes': les œuvres mêmes de saint Hilaire,
l'Historia sacra de Sulpice Sévère, la Vita S. Hilarii de
Fortunat et autres écrits précédemment signalés; le tout
synthétisé par dom Coustant, Vita S. Hilarii ex ejus scriptis
polissimum collecta, P. L., t. ix, col. 123-184.
Ouvrages généraux : Acta sanctorum, Anvers, 1G43, t. i'
januarii, p. 782 sq.; J. Bouchet, Les Annales d'Aquitaine,
Poitiers, 1644, c. vi-xv; Tillemont, Mémoires (1700), t. vu,
,2397
HILAIRE (SAINT'
2398
p. 432-469, 745-758; Histoire littéraire de la France (1733),
t. i 6, p. 139-194; A. de Bi oglie. L'Église etl'empire romain
an IV siècle, Paris, 1868, II» part., t. i, p. 355, 408 sq.,
429sq.; t. Il, p. 475 sq., IIIe part, t. i, p. 14 sq. ; domF. Cha-
mard, Origines de l'Église de Poitiers, Poitiers, 1874, 1. I;
chan. Auber, Histoire générale, religieuse et littéraire du
Poitou, Poitiers, 1885, I. III.
Biographies et monographies : Ad. Viehhauser, Hilarius
Pickwiensis geschildert in seinem Kampfe gegen den Aria-
nismus, Klagenfurt, 1860; J. H. ReinUens, Hilarius von
Poitiers, Schaffhausen, 1864; E. Dormagen, Saint Hilaire
de Poitiers et l'arianisme, Saint-Cloud, 1864 ; V. Hansen,
Vie de saint Hilaire, évéque de Poitiers et docteur de l'Église,
Luxembourg, 1875 ; J. G. Cazenove, St Hilary of Poitiers
and St. Martin of Tours, Londres, 1883; P. Barbier, Vie
de saint Hilaire, évênue de Poitiers, docteur et père de l'Église,
Paris, 1887; E. Watson, The Life and writings of St. Hilary
of Poitiers, dans A sélect l'brary of Nicene and post-Nicene
Fathers, 2' série, Oxford, 1899, t. ix, Introduction, c. i;
A. Largent, Saint Hilaire, Paris, 1902; G. Girard, Saint
Hilaire, Angers, 1905. — Articles biographiques: J. G. Ca-
zenove, dans Smith, Diclionary of Christian biography,
Londres, 1882, t. m, p. 54-66; B. Fechtrup. dans Kirchen-
lexikon, Fribourg-en-Brisgau, t. v, col. 2046-2052; F. Loofs,
dans Realencyklopudie tiïr j>rotestanlisehe Théologie und
Kirchc, Leipzig, 1900, t. vm, p. 57-67. Voir, en outre,
U. Chevalier, Répertoire... Bio-bibliographie, Paris, 1905,
t. i, col. 2147 sq.
II. Écrits. — Bien que l'activité littéraire de saint
Hilaire ait été inférieure à celle des grands docteurs
latins qui sont venus après lui, elle reste cependant
notable et multiple en ses manifestations. L'ordre
chronologique ressortant suiïisamment de la no'ice
biographique, nous grouperons ses écrits d'après leur
importance relative, du point de vue théologique.
/. écrits dogmatiques. — 1° De Trinilate libri
duodecim, P. L., t. x, col. 25-472. — Ouvrage capital
du saint docteur, contenant une exposition et une
défense méthodiques de la doctrine catholique sur les
trois personnes divines, et plus spécialement sur la
consubstantialité du Père et du Fils. Le titre primitif
semble avoir été : De fîde. Coustant, Prœf lio, 2-4,
cri. 9 sq. L'ensemble de l'ouvrage remonte sûrement au
temps de l'exil, 1. X, 4, col. 346 : loquemur enimexsutes
per lios libros. Toutefois, comrm au début du 1. IV,
col. 97, il est question de livres antérieurs, écrits il y a
déjà un certain temps, jam pridem, il est possible que
les trois premiers livres, au moins le IIe et le IIIe,
aient été composés avant la venue d'Hilaire en Orient.
L'hypothèse est d'autant plus plausible qu'il n'y est
pas fait mention de I'ôuooôœio;. Par là s'expliqueraient
diverses particularités relevées par Watson, op. cit.,
Introd., c. i, p. xxxv, par exemple, que le 1. Ve soit
appelé second, 1. V, 3, col. 131, et que le 1. IIIe soit en
partie reproduit dans le IXe. L'auteur a su d'ailleurs
ramener le tout à l'unité de plan, 1. 1,20-36, col. 39-48;
cf. 1. VIII, 2, col. 237.
Le traité comprend douze livres, dont le Ier forme
introduction. Après avoir raconté comment il a été
amené à la foi catholique, le saint docteur énonce son
dessein : défendre, à l'aide des divines Écritures, cette
m "nie foi contre les hérésies courantes, surtout le
safcellianisme et l'arianisme. Dans le IIe et le IIIe
livres, il établit d'une façon succincte la réalité et la
vraie notion des trois personnes, Père, Fils et Saint-
Esprit, en partant de la -formule baptismale, Matth.,
xxvm, 19, puis la distinction personnelle et l'unité
de nature du Père et du Fils, en s'appuyant particu-
lièrement sur Y Ego in Paire, et Pater in me est. Joa ,
xiv, 10. Avec le IVe livre commence une démonstra-
tion plus complète de la doctrine catholique sur la
seconde personne; l'arianisme est pris directement à
partie, bien qu' Hilaire ait toujours soin de mettre en
relief la distinction réelle du Père et du Fils. Après
avoir rapporté le symbole d'Arius et rétabli, à ren-
contre des fausses interprétations, le vrai sens du
terme ôjiooJa:o;, il prouve d'abord la divinité de Jésus-
Christ par l'Ancien Testament : théophanies et textes
prophétiques, 1. IV; passages où le Fils nous apparaît
associé au Père dans des œuvres et des prérogatives
divines, 1. V. Il établit ensuite par les écrits du Nouveau
Testament la consubstantialité des deux personnes en
traitant successivement de deux points étroitement
liés entre eux, mais susceptibles d'argum -nts distincts :
la filiation naturelle du Christ et sa divinité; la pre-
mière appuyée par les témoignages multiples que le
Fils s'est rendus à lui-m?me ou que d'autres lui ont
rendus, 1. VI; la seconde manifestée par divers indices :
nom de Dieu donné au Christ, propriété dont jouit
tout fils naturel d'avoir la m 'me nature que son père,
puissance divine que révèlent les œuvres du Sauveur,
unité absolue et ressemblance parfaite avec le Père,
1. VII. La démonstration est complétée, au livre suivant,
1. VIII, par l'éclaircissement du texte : Ut omnes
imam suit, sicul tu, Pater, in me, et ego in le, Joa., xvn,
21, dont les ariens abusaient pour éluder la force de
l'Ego et Palcr unum sumus, Joa., x, 30; complétée
aussi par différents passages du Nouveau Testament
d'où ressort l'unité de substance entre le Père et le Fils,
par exemple,- ceux qui attribuent à l'un et à l'autre les
mîmes relations à l'égard du Saint-Esprit. Les quatre
derniers livres sont une confirmation indirecte par
l'explication des textes objectés : 1. IX, textes évan-
géliques où Notre-Seigneur déclinerait lui-même le titre
de Dieu ou des attributs divins, tels que l'omniscience,
Marc, ix, 18; xm, 32. et professerait sa totale dépen-
dance et son infériorité de nature par rapport au Père,
Joa., xi, 9, et xiv, 28; 1. X, textes attribuant au Christ
des sentiments inadmissibles dans une personne divine,
crainte et tristesse, douleur, anxiété et faiblesse,
Matth., xxvi, 38-39; xxvn, 46; Luc, xxm, 46;
1. XI, textes relatifs au Sauveur ressuscité et main-
tenant en lui la subordination et l'infériorité par
rapport au Père; 1. XII texte des Proverbes, vm, 22 :
Dominus creavil me, auquel se rattachaient les for-
mules captieuses d'Arius : Erat quando non erai; Non
fuit antequam nasceretur, etc. Le saint docteur termine
cet ouvrage remarquable en résumant une dernière fois
la doctrine catholique sur les trois personnes de la
Trinité.
2° De synodis, P. L., t. x, col. 475-546, parfois
rattaché au précédent, comme XIIIe livre, dans les
anciens manuscrits. Coustant, Prœj., 1, col. 471. En
réalité, c'est un écrit distinct, composé après le tremble-
ment de terre du 24 août 358, qui détruisit presque
entièrement la ville de Nicomédie, et avant le choix
définitif des deux endroits qui devaient lui être sub-
stitués pour la grande réunion d'évêques occidentaux
et orientaux (pie l'empereur Constance avait décrétée,
De synodis, 8, col. 483; par conséquent, sur la fin de
358, au plus tard au début de 359. Envoyé sous forme
de lettre aux évêques des provinces de Germanie, de
Gaule et de Bretagne, cet écrit visait aussi, dans la
pensée de son auteur, les homéousiens; car, si le prélat
exilé se proposait de renseigner ses collègues d'Occi-
dent sur la foi des Orientaux, il désirait en même
temps poursuivre son œuvre de conciliation en faisant
connaître les préjugés et les malentendus qui pouvaient
exister de part et d'autre. De la, indépendamment du
préambule, 1-8, deux parties dans cette lettre : l'une
historique, 9-65, l'autre dogmatique, 66-91. Dans la
première, qui s'adresse directement aux évêques
occi lentaux, Hilaire rapporte la seconde formule
ou « blasphème » de Sirmium, puis les douze ana-
thèmes lancés contre cette formule par les homéou-
siens au synode d'Ancyre, enfin il passe en revue les
divers symboles émis, depuis le concile de Nicée, par
les eusébiens ou leurs continuateurs, aux conciles d'An-
i tioche in encœnits, de Sardique ou Philippopolis, de
2399
HILAIRE (SAINT1
2400
Sirmium en 351. Interprétant ces professions de foi
d'après les erreurs qu'elles visaient directement et la
préoccupation dominante chez leurs auteurs d'éviter
le sabelÙanisme, le saint docteur s'efforce de montrer
comment elles sont susceptibles d'un sens orthodoxe.
Dans la seconde partie, il expose sa propre croyar ce,
puis il se tourne vers les Orientaux, qui, d'un côté,
se séparaient des ariens proprement dits et, de
l'autre, récusaient le terme d'ô[a.oojato;, pour essayer
de détruire leurs préventions; il explique le véritable
sens du mot, en écartant les fausses interprétations, et
montre aux homéousiens que, s'ils veulent soutenir
leur ôiAoïoiffioç d'une façon orthodoxe, ils doivent
nécessairement y voir un équivalent de l'ôfiooiSaio;
nicéen. L'entente n'est possible qu'à cette condition:
ut probari possil homœusion, non improbemus homou-
sion, 91, col. 543.
Cet appel à l'entente sur une large base de concilia-
tion, ou du moins la critique faite par Hilaire du terme
ôuotoôaioç, ne plut pas à tous les nicéens, à Lucifer
de Cagliari en particulier. Ccustant, Prsef., 9. col. 473;
Kiùger, Lucifer, Bischoj von Calaris, Leipzig, 1886,
p. 38 rq. Le docteur gaulois s'expliqua dans une réponse
dont il î e nous reste que de maigres fragments: Apolo-
gctica ad reprehensores libri de synodis responsa, P. L.,
t. x, col- 545-548. Ces fragments montrent du moins que
l'auteur du livre incriminé savait parfaitement dis-
tinguer entre ce qu'il appelle la pieuse acception de
1'ôaoiojaioç et les interprétations différentes qu'on
pouvait donner de ce mot-programme. Un peu plus
tard, en 359, saint Athanase publiait à son tour un
De synodis. Voir t. i, col. 2157. La différence clans le
but que les deux docteurs se proposaient et dans les
circonstances où ils écrivirent, l'un avant, l'autre
après les conciles de Rimini et de Séleucie, explique
suffisamment, en del ors de toute divergence c'octri-
nale, la diversité de ton et d'appréciation. Ibid.,
col 1831 sq.; Ccustant, Prœf., 5, 13, 14, col. 474, 477.
Saint Jérôme estimait assez l'œuvre d'Hilaire pour la
copier de sa propre main, alors qu'il était à Trêves.
Epist., v, ad Florenlium, P. L., t. xxn, col. 337.
3° Écrits dogni(diques apocryphes ou douteux. ■ —
Quelques autres écrits ont été attribués à saint Hilaire,
mais sans qu'aucun offre des garanties sérieuses. Les
deux pièces : De Patris et Filii unilate; De essentia
Patris et Filii, P. L., t. x, col. 883-887, 887 888, sont
de purs centons, provenant du traité De Trinilatr,
ou même d'autres auteurs. Sont tenus communément
pour apocryphes : une sorte d'apologie, publiée au
xvme siècle par Trombelli, Epislola seu Libcllus,
P. L., t. x, col. 733-750; cf.dom G. Morin, dans Bévue
bénédictine, 1898, t. xv, p. 97 sq. ; Bardenhewer, Ge-
schichle, t. ni, p. 387; un Scrmo de dedicatione Ecclcsiœ,
avec préface du même Trombelli, P. L., t. x, col. 877-
884; une homélie, In commemoralione S. Pauli, impri-
mée dans le Spicilcgium de Liverani, Florence, 1803,
p. 113 sq. Un extrait de traité sous forme de questions
et de réponses, relatives aux principales erreurs
ariennes, a été publié, en 1903, par le Dr H. Sedlmayer
dans les Silzungsberich!c de l'Académie impériale de
Vienne, t. cxlvi, sous ce titre : Der Traclalus contra
arianos in der Wiener Hilarius-Handschrijl. La pré-
sence de ce fragment dans un manuscrit du vie siècle
qui renferme le De Trinilate, l'a fait attribuer à saint
Hilaire, mais il n'existe aucune preuve tant soit peu
concluante en faveur de cette attribution. Dom Morin,
Hilarius V Ambrosiasler, appendice, dans Revue béné-
dictine, 1903, t. xx, p. 125-131; Bardenhewer, op. cit.,
t. m, p. 379. Les Spuiin, de saint Hilaire. ont été
édités par le P. Feder, dans le Corpus de Vienne,
Leipzig, 1916, t. lxv.
//. ÉCRITS EXÉGÉT1QVES. - — 1° In Evangclium
Matthœi commentarius en 33 chapitres, P. L., t. ix,
col. 917-1078. C'est le premier écrit de saint Hilaire
que nous possédions; il remonte au début de son épi-
scopat. Manque la préface, dont quelques lignes se
trouvent dans les Fragments recueillis par Coustant,
P. L., t. x, col. 723, citées d'après Cassien, De incar-
nalione, vu, 24, P. L., 1. 1., col. 251 ; de même, semble-
t-il, la fin ou conclusion. L'ouvrage se présente sous
(orme de livre, ix. 11, col. 1027, quoiqu'il en soit de la
conjecture probable qui en rattache la première origine
à des homélies prêchées aux fidèles Coustant, Vila,
24; Admonitio, 8, col. 135, 912. L'auteur ne c .minente
pas tout le texte évangélique, mais seulement certains
passages, probablement ceux qui avaient été lus à
l'église. Il s'en tient, sans discussion critique, à la
seule version latine, en se préoccupant moins de la
lettre que de l'esprit, et, quoiqu'il sache distinguer,
dans les faits et les discours, le sens littéral du sens
spirituel ou moral, c'est à ce dernier qu'il s'attache
pour en tirer des considérations propres à instruire et
à édifier. Par cette méthode d'interprétation allégo-
rique, Hilaire se rapproche d'Origène, dont l'exégèse
est souvent la sienne. Non pas qu'il faille voir dans le
commentaire du docteur gaulois une traduction ni
même une adaptation d'une œuvre du docteur alexan-
drin, le contraire est suffisamment prouvé par Coustant,
Admonitio, 2, 3, col. 900 sq. ; mais on peut se demander
s'il y a eu dès lors influence directe du second sur le
premier. Les uns le nient, par exemple, Reinkens,
op. cit., p. 70 rq., et Loofs, art. cit., p. 50; d'autres,
comme Watson, op. cit., Introd., c. i, p. vu-vin, ne
croient pas pouvoir expliquer autrement les ressem-
blances qu'il est facile de constater. Les «capitula » ou
« canones », titres et sommaires mis en tête des cha-
pitres, ne sont pas de saint Hilaire, ils ont été ajoutés
après coup.
2° Traciatus super psalmos, P. L., t. x, col. 231-908;
édit. nouvelle par A. Zingerle, dans Corpus scriplorum
ecclcsiasticorum latinorum, Vienne, 1891, t. xxn, —
Ouvrage beaucoup plus considérable que le précédent,
composé par saint Hilaire après son retour d'exil.
Divers indices, en particulier les allusions à une lecture
préalable des psaumes, In ps. XIII, 2 ; xi v, 1 , col. 295, 299,
* permettent d'affirmer que l'exposition sous forme
d'homélies précéda la rédaction sous forma de livre.
Coustant, Admon., 23, col. 232. L'exemplaire dont se
servait saint Jérôme, De viris illuslr , 100 comprenait
les psaumes i, n, li-i.xii, cxviii-cl ; les éditions mo-
dernes ont, en outre, les psaumes xin, xiv, lxiii-lix,
non contestés, et ix, xci, const estes, cf. Zingerle, p. xiv;
ce qui fait en tout 50 ou 58 psaumes, sans compter le
Prologus ou Inslructio psalmorum, où l'auteur expose
ses principes sur l'interprétation des saintes Lettres.
Fortunat paraît insinuer, Vita, 14, col. 193, que
son prédécesseur avait commenté le psautier intégra-
lement : scripta Davidici carminis sermone colhurnalo
per singula rescravil. En tout cas, l'œuvre ne nous
est point parvenue clans son intégrité, puisqu'il y a,
dans les psaumes que nous possédons, des allusions
à d'autres qui font défaut. Coustant., Admon., 4-7, col.
223 sq.
La méthode d'interprétation est la même que dans
le commentaire de l'Évangile de saint Matthieu.
Cependant deux particularités, dues sans doute au
séjour d'Hilaire en Orient, sont à noter. Le commen-
tateur se préoccupe davantage de dégager le sens
littéral; aussi a-t-il recours à diverses traductions,
latines et grecques, surtout à la version des Septante,
et parfois mention est faite d'opinions diverses :
Prolog., l;Inps.irr,9; cxxiv, 1, col. 232 sq., 352,679.
En outre, la filiation origéniste est non seulement
manifeste, .mais assez notable pour qu'on puisse
parler de paraphrase, de vulgarisation, d'adaptation,
en entendant toutefois une adaptation large, où le
2401
HILAIRE (SAINT)
2402
disciple, poursuivant son propre but, garde son origi-
nalité et, a l'occasion, son indépendance. Watson,
op. cil., p. xun sq. Si, mentionnant le commentaire
sur les psaumes dans le De viris illustribns, saint Jé-
rôme semble attribuer au docteur gaulois le rôle de
simple » imitateur, ajoutant un peu du sien, nonnulla
etiam de suo addidit », ces paroles ne doivent pas se
prendre trop a la lettre; parlant ailleurs d'Hilaire et
de Victorin, le même critique substitue à l'idée de
vulgaire interprète celle d'auteur pouvant se réclamer
d'une œuvre personnelle : non ut interprètes, sed ut
auctores proprii operis Iranstulerunt, Epiât., lxxxiv,
ad Pammarhium, 7, P. L.,t. xxii, col. 749. Cf. Cons-
tant, Admon. 13, col. 227; Bardenhewer, op. cit.,
t. in, p. 374.
3° Tractalus in Job. — Ce commentaire, dont il ne
reste que deux fragments sans importance, P. L.,
t. x, col. 723-724, est signalé plusieurs fois par saint Jé-
rôme, en particulier De viris illust., 100 : Tractatus in
Job, quos de grœco Origenis ad sensum transluHl.
A en juger par ce que le même docteur dit ailleurs,
Apologia adv. libros Rufini, i, 2, P. L., t. xxm,
col. 399, le commentaire sur Job devait être assez
étendu, puisque, avec le commentaire sur les psau-
mes, il représenterait environ 40 000 lignes tra-
duites d'Origène; ce qui, d'après certains calculs,
donnerait, pour le Tractatus in Job, à peu près les deux
septièmes du Tractatus super psalmos dans son état
présent. Watson, op. cit., p. xl. Rien de certain sur
l'époque où l'écrit fut composé. Dom Coustant conjec-
ture, Vila, 44, col. 145, qu'Hilaire l'aurait fait en
Asie Mineure pour se consoler des souffrances et des
peines de l'exil; mais d'autres, comme dom Rivet,
Histoire littéraire de la France, t. I b, p. 182, et dom
Ceillier, Histoire générale des auteurs sacrés, t. iv,
p. C4, s'appuyant sur le terme d'homélies dont saint
Jérôme et saint Augustin se sont servis en parlant de
cet ouvrage, l'estiment composé à Poitiers, comme
les autres commentaires.
4° Liber ou Tractatus miisteriorum. — Signalé par
saint Jérôme, De viris illuslribus, 100, mais supposi
perdu, cet écrit fut pendant longtemps une énigme.
La plupart conjecturaient qu'il s'agissait d'une sorte
de sacrameutaire, dont le contenu se serait ensuite
fondu dans des recueils liturgiques. Voir Constant,
Prœj. gen., 23, col. 21; Rivet, op. cit., p. 191; Rein-
kens, op. cit., p. 267. En 1887, une heureuse décou-
verte, faite par J.-F. Gamurrini dans la bibliothèque
d'Arezzo, restitua un peu plus du tiers de l'ouvrage,
c'est-a-dire deux fragments notables, contenus dans
un manuscrit du xie siècle. En outre, cinq ou six pas-
sages ont été reproduits ou résumés par Pierre Diacre,
Scolia in quœstionibus Veleris Testamenti ; voir Biblio-
theca Casinensis, 1891, t. v a, et dom Wilmart, Le
De mgsteriis de S. Hilaire au Mont-Cassin, dans la
Revue bénédictine, 1910, t. xxvn, p. 12. Enfin Bernon
de Reichenau (f 1048) a cité, Ratio generalis de initio
adventus Domini secundumauctoritatem Hilarii episcopi,
P. L., t. cxlii, col. 1086 sq., un texte d'une quinzaine
de lignes en le référant à un Liber officiorum qui
s'identifie, en réalité, avec le Liber mysteriorum.
Dom Wilmart, Le prétendu Liber offl'iorum de saint
Hilaire et l'Avent liturgique, dans la Revue bénédictine,
1910, t. xxvii, p. 500.
L'autbenticité des fragments publiés par Gamurrini
est incontestable, surtout depuis l'examen critique
qui en a été lait en 1905 par H. Lindemann. M us le
Liber mysteriorum n'a rien à voir avec la liturgie; il
traite seulement de prophéties et d'actions ou de
types symboliques. Aussi rentre-t-il dans la série
des écrits exégétiques de l'évêque de Poitiers. Un
principe est énoncé au début, qui en explique
l'idée : « Tout ce qui est contenu dans les saintes
D1CT. DE THÉOL. CATB.
Lettres se rapporte à la venue en ce monde de Notre-
Seigneur Jésus-Christ, soit en l'annonçant prophéti-
qucrmnt, soit en la figurant par des faits, soit en
la confirmant par des exemples : et dictis nuntial,
et factis exprimit, et confirmât exemplis. Tels, le
sommsil d'Adam, le déluge au temps de Noé, la béné-
diction de Melchisédech, la justification d'Abraham,
la naissance d'Isaac, la servitude de Jacob. Le prin-
cipe est appliqué, dans un Ier livre, aux patriarches
depuis Adam jusqu'à Moïse; dans un IIe, aux pro-
phètes, le fram^nt conservé ayant pour objet Osée
et l'épouse de fornication, puis Rahab, à propos
d'Osée, i, 2. Hilaire dut composer cet écrit dans les
dernières années de sa vie, car on y trouve quelques
réminiscences du commentaire sur les Psaumes, et
dans ce commentaire lui-mîmî, In ps. cxxxvin, 4,
col. 795, le sujet traité dans le Liber mysteriorum est
énoncé comme à l'état de projet.
Le P. Fêler a édité le Trr talus m]slen>rum, en
tête du t. lxv du Corpu-; de Vie nie, Leipzig, 1916.
5° Écrits douteux ou apocryphes. — Saint Jérôme
nous apprend, De viris illuslr., 100, que de son temps
quelques-uns attribuaient à l'évêque de Poitiers un
écrit sur le Cantique des cantiques, mais il ajoute ne
pas connaître lui-m'me cet ouvrage. Malgré la cita-
tion, faite par le IIe concile de Séville, tenu en 619,
d'un témoignage apporté à une » Exposition de l'Épître
à Timothée » par saint Hilaire, P. L., t. x, col. 724,
et malgré quelques autorités de date postérieure
cf. Reinkens, op. cit., p. 272, il ne semble pas que
l'évêque de Poitiers ait été réellement l'auteur d'un
commentaire sur les Épîtres de saint Paul. En tout
cas, les fragments considérables d'un commentaire
de ce genre, qui ont été publiés par le cardinal Pitra,
Spicilegium Solesmense, t. i, p. 49-159, n'ont pu être
mis sous le nom de saint Hilaire que par une erreur,
reconnue plus tard par l'éditeur; l'œuvre est, en effet,
de Théodore de Mopsueste. Bardenhewer, op. cit.,
t. ni, p. 377. Le commentaire sur les sept Épîtres
canoniques, qui se trouve imp imé dans le Spicile-
gium Casinense, t. ni, est de saint Hilaire d'Arles.
Enfin l'on considère généralement comme apo-
cryphes trois fragmeits publiés par le cardinal Mai,
Nova Pitrum bibliolheca, Rome, 1852, t. i a: le 1er, sur
le début de l'Évangile de saint Matthieu ou la généa-
logie de Notre-Seigneur, p. 477-484; le 2e, sur le
début de l'Évangile de saint Jean, ou la génération du
Verbe, p. 484-489; le 3e, sur Matth., ix, 2 sq., ou la
guérison du paralytique. Même jugement semble
devoir être porté sur un fragment relatif à la chute de
nos premiers parents, Gen., m, 6-12, publié dans le
Spicilegium Solesmense, t. i, p. 159-165.
À. Zingerle, Studien ru Hilarius' von Poitiers Psalmen-
commentar, dM\s]Sitzung^berichle de l'Académie de Vienne,
1885, et Der [Marias-Codex voit Lyon, 1893, t. cvm
et cxxvin ; Zum hilarianischen Psalmencomrnentar, et
Die lateinischen Bibelcilate'bei S. Hilarius non Poitiers,
dans Kleine philologische Abhandlungen, 4« fasc, Inspmek,
1887, p. 55-75, 75-89; Fr. Schellauf, Rationem afferendi
locos litterarum divinarum, quam in traetntihus super psal-
mos seqai videtur S. Hilarius, episcopus ''Pict/vtiensis, illus-
travit, Gratz, 1898 ; F. J. Bonnassieux, Les Évangiles syn-
optiques de saint Hilaire de Poitiers. Étude et texte (thèse de
doctorat en théologie), Lvon, 1903; II. Jeannotte, Les
« capitula » du Commentarius in Mallhvewn de S. Hilaire
de Poitiers, dans Biblische Zeitechrift, FribourK-en-Bris-
gau, 1912, t. x, p. 36-45; A. Souter, Quotalions from the
Epistles of St. Paul in St. Hilary on the Psalms, dans The
journal of theological sludies, Oxford. 1916, t. xvm, p. 73-77;
H. Jeannotte, Le psautier de saint Hilaire de Poitiers,
Paris, 1917.
J.-F. Gamurrini, S. Hilarii tractatus De mgsteriis et
Hymni et S. Silviss Aquitaïue Pcegrinalio ad loca sancta,
Rome, 1887, dans Bibliolheca deW Accademia storico-
giuridica, t. iv-vi ; dom Fernanl Gabrol, Les écrits inédits
VI.
76
240c
HILAIRE (SAINT;
2404
de soinl Hilaire de Poitiers, dans la Revue du monde catho-
lique, 1SSS. I. xcm, p. 213-222; H. Lindemann, Des M.
Hilarius von Poitiers « liber mysteriorum », Munster en Wes-
phalie, 1005; G. Mercati, A supposed Liber officiorum of
Hilaru o/ Poititrs, dans Journal o/ theological studies, Ox-
ford, 1907, t. vu, p. 429 sq. ; The « three weecks' advent »
o/ Liber officiorum S. Hilarii, iftid.,1909, t. x, p. 127 sq.;
dom A. Wilmart, Le De mijslcriis de saint Ililaire au Mont-
Cassin, et Le prétendu Liber officiorum de saint Hilaire et
l'Avent liturgique, dans la Revue bénédictine, 1910, t. xxvu,
p. 12-21, 500-513.
TH. ÉCRITS B1ST01UC0-P0LÉM1QVES. — \°'Ad Con-
stantium Augustum, P. L., t. x, col. 557-572. — Sous
ce titre sont compris, dans les éditions courantes,
deux pièces distinctes et déne mmées Lifter primus,
Liber secundas. La seconde partie est intimement
lice avec le séjour de saint Hilaire à Constantinople,
au début de l'année 360 : Rogo, ut présente synodo
quas nunc de fuie litigat, 8, col. 569. C'est une requête
adressée à Constance, et dont le contenu est suffi-
samment connu par ce qui a été dit plus haut,
col. 2393. La première partie se présente dans des
conditions très différentes. Elle comprend une lettre
collective à l'empereur, 2-5, suivie de réflexions sur
les menées des ariens, 6-7, et d'un récit sur ce qui
s'était passé récemment au synode de Milan de 355.
Jusqu'à ces derniers temps, on voyait dans cet écrit
une apologie adressée a Constance par Hilaire ou par
un concile gaulois tenu en 355 sous sa présidence.
Mais dans une étude sur Le Ad Constanlium liber
primus, parue en 1907, dem A. Wilmart a établi
que cet écrit contient une lettre adressée aux
empereurs \ ar le concile de Sardique, tenu en 343,
lettre utilisée par l'évêque de Poitiers à titre de
document historique, et que cette lettre est à réin-
tégrer avec tout le reste dans les Fragmenta historica,
cemme pièces faisant partie intégrante d'un même
i il. Dès lors, la question rentre dans le pro-
blème général des Fragments historiques dont il
sera traité plus loin, et le titre inexact : Ad Con-
stanlium liber primus, lequel, du reste, ne figure pas
dans le catalogue de saint Jérôme, doit être consi-
déré désormais comme périmé.
2° Contra Constantium imperatorem, P. L., t. x,
col. 573-603, avec une pièce additionnelle sur le mys-
tère de la génération divine, col. 603-60(5. — Écrit
adressé sous forme de lettre aux évêques gaulois, car
l'appellation de « frères » avec les allusions faites au
passé, n. 2, el le récit concernant le synode de Sélet cie
ne comportent pas d'autre interprétation; les apo-
strophes < irectes n l'empereur relèvent manifestement
du style ora ore Coustant Prœvia disserl., 13,coL 576;
cf. Vit', >M>, ]'. L., t. ix, col. 102. Hilaire lait un appel
vibrant à la résistance ouverte, sur le terrain de la
foi, contre l'Antéchrist qu'est Constance. Cette atti-
tude, différente de celle qu'il avait eue jusqu'alors,
il la justifie en stigmatisant à grands traits la poli-
tique religieuse de l'asti cieux et mobile empereur,
depuis le svnode d'Arles jusqu'au lendemain du con-
cile de Séleucie. Le ton virulent de cet écrit, qui lui
a fait donner souvent le titre d'Invective, s'explique
par les évéi emenls qui le provoquèrent ; il fut, en
. compose après le synode tenu à Constantinople
en janvier-février 300, alors que Constance, consacrant
officiellement la supiémalie homéenne, prétendit im-
poser à tous les évêques un credo impérial, la formu'e
de Niké. Voir t. i, col. 1827, 1829. Saint Jérôme sup-
pose, il est vrai, De viris illuslr., 100, que l'écrit fut
composé api es la mort de Constance: et alius in
Constanlium, quem posl mortem (iui scripsit; mais
ce"e hypothèse ne tient pas devant l'affirmation
positive de l'auteur lui-même, car il parle du synode
de Milan (355), comme ayant eu lieu cinq ans aupa-
avant, quinlo abhinc anno, 2, col. 579. Étant données
la nature et la destination de l'écrit, la distinction
faite par d'autres entre la rédaction, qui serait de 360,
et la publication, qui aurait été différée, est purement
arbitraire. Dom Wilmart estime, toc. cit., p. 149,
que le Contra Constantium <• a probablement perdu
sa finale, comme l'indique M. Loofs, et quoi qu'en
pense dom Coustant, probablement aussi son inti-
tulé », assertion discutable, d'après Bardenhewer.
op. cit., t. m, p. 386. La pièce additionnelle sur le
mvstère de la génération divine ne semble pas primi-
tive mais tirée du De Tiinit le. Dom Wilmart, loc.
cit., note 2, conjecture après dom Rivet, non sans
quelque vraisemblance, que le traité de saint Hilaire,
auquel se réfère Arnobe le Jeune, lorsqu'il cite une
allocution du pape Célestin dans un concile tenu à
Rome au commencement du mois d'avril 430. est le
Ad Const nlium inper lorem. G. Morin, Amobe F
Jeune, dans Éludes, textes, dicouveils, etc., Maredsous
et Paris, 1913, t. i, p. 345.
Le P. Feder a édité le Liber ad Coistai ti m im-
p-ialo^m, au t. lxv du Copus de Vienne, Leipzig,
1916.
3° Contra arianos, vel Auxenlium Mediolanemen,
P. L., t. x, col. 609-618. — Saint Jérôme signale cet
écrit, De viris ill. 100 : elegans libellus contra Auxen-
lium. C'est une lettre adressée aux évêques et aux
fidèles orthodoxes sur la lin de 304 ou au début de
365, dans les circonstances indiquées plus haut,
col. 2395. Après avoir dénoncé dans les ariens du jour,
les Valens, les Ursace et les Auxence, des suppôts
d'Antéchrist qui méconnaissent l'esprit évangélique
et minent l'intégrité de la foi, le saint docteur raconte
ce qui s'est passé à Milan entre lui et Auxence; en
terminant, il transcrit, après en avoir montré le côté
faible, la profession de foi de ce dernier, exemplum
blasphemiœ Auxentii, 13-15. Manquent deux pièces
mentionnéee au cours de l'écrit : un mémoire présenté
par Hilaire à Valentinien, 7, et un document relatif
aux actes du concile de Rimini, quse gesta sunl in
concilio Arimincnsi, que l'évêque de Milan avait joht
à sa profession de foi, 15.
4P Ad pra'jectum Sallusliurn, sive contra Dios-
corum. — Le titre seul de ce mémoire, datant de
361-362, nous a été conservé par saint Jérôme, De viris
illusl.. 100. La perte est d'autant plus regrettable
que saint Hilaire y donnait sa mesure comme
littérateur, quid in lilleris posset oslendit, au jugement
du docteur dalmale. Episl., lxx, ad Magnum, o,
P. L., t. xxn, col. 668.
5" Fragmenta ex opère hislorico, P. L., t. x, col. 627-
724. — Dom Coustant a groupé sous cette appellation
quinze documents, comprenant chacun une ou plu-
sieurs pièces d'une grande importance pour l'histoire
de l'arianisme \crs le milieu du ive siècle : actes con-
ciliaires, professions de foi, lettres de papes, d'évèques
el d'en pleurs, avec quelques débris de glose intermé-
diaire. Ces documents fuient d'abord recueillis par
Pierre Pithou, d'après un manuscrit du xve sucle,
où ils formaient deux séries, la première anonyme,
la seconde mise sous le nom de saint Hilaire, P. L.,
t. x, col. 619, 625. Nicolas Le Fèvre les publia à Paris
en 1598, deux ans après la mort de Pithou. Dom Cous-
tant reprit le travail dans son édition; il abandonna
la division en deux séries comme défectueuse, disposa
les matériaux d'après un ordre chronologique plus
rigoureux, et les donna pour fragments d'un ouvrage
historique, commencé par l'évêque de Poitiers à
Constantincple et commué par la suite, mais resté
inachevé, ou du moins ne nous étant pas parvenu
dans son intégrité. Prœfat. in fragmenta, col. 621 sq.
Enfin, il identifia l'ouvrage d'où ces fragments pro-
venaient, avec un écrit mentionné par saint Jérôme,
De viris illust., 100 : Liber adversus Valentem el Un a
2405
HILAIRE (SAINT1
2406
cium, hisloriam Ariminensis ci Scleuciensis synodi
conlinens. D'où ce titre général, col. 627, emprunté
au manuscrit utilisé : Fragmenta ex libro sancti Hilarii
Piclavicnsis provincix Aquilanise, in quo sunt omnia
quœ ostendunt [qua ratione] vel quomodo, quibusnam
causis, quibus inslanlibus sub imperaiore Constantio
laclum est Ariminense concilium contra iormcllam Ni-
cœni Tractatus, quo univcrsœ hsercses comprehensœ
iranl. Sans affirmer l'authenticité absolue de toutes
les pièces, par exemple, celle de la lettre libérienne
Studens paci (frag. iv, col. 678 sq., note), il en main-
tint l'authenticité relative ou hilarienne, et, avec
saint Jérôme, Apologia adv. libros Rufini, III, 19, P. L.,
t. xxm, col. 443, il écarta, Prsef., 1, 4-8, col. 619 sq.,
l'hypothèse d'interpolations suggérée par un récit
de Rufm, De adultcratione librorum Origenis, P. G.,
t. xvii. col. 628.
Ces conclusions ne furent pas universellement ac-
ceptées. Dans les Acla sanclorum, t. vi septembris,
Anvers, 1757, p. 754-780, le bollandiste Stiltink
déclara tous les fragments apocryphes, sauf le premier.
Tendant longtemps, beaucoup s'en tinrent à ce ver-
dict; Dardenhewer écrivait encore, Les Pères de
l'Église, trad. Godet, 2e édit., Paris, 1905, t. n, p. 289 :
« 11 est probable que, sauf le premier morceau, tout
cela est apocryphe. » D'autres, moins absolus, ad-
mettaient l'authenticité d'un certain i ombre de frag-
ments; Reinkens, par exemple, celle des dix premiers.
Certains, comme Massari, allaient jusqu'à faire un
triage entre les différentes pièces d'un seul et même
frrgment, ; dmettant les unes et rejetant les autres. La
controverse portait surtout sur les frfgments relatifs
aux événements survenus après les conciles de Rimini
et de Séleucie, et plus spécialement encore sur les frag-
ments iv et vi, contenant les quatre lettres libérieni es
Studens paci, Pro deifico, Quia scio vos, Non doceo.
Des études récentes ont profondement modifié l'état
de la question. En 1905, Max Schiklanz attira l'atten-
tion sur un manuscrit du ix< siècle, conservé à la
bibliothèque de l'Arsenal, à Paris, cod. lat. 483, dont
dépendent les deux manuscrits moins anciens que
Pithou et dem Coustant avaient utilisés. Les Frag-
menta historica n'y sont pas groupés en séries; mais
en tête de ce qui, dans l'édition Pithou-Le Fèvre,
ferme la première série, on lit : Incipit liber secundus
hilari pictaviensis, etc., et à la fin: Explicit zûci hilari
ex opère hislorico; cf. Coustant, Prœf., 2, P. L., t. x,
col. 619, donnant, d'après une autre lecture : Incipit
liber S. Hilarii... Explicit liber S. Hilarii. Schiklanz
admit l'authenticité des onze premiers fragments, où
sont compris ceux qui renferment les lettres libé-
riennes; il les partagea en deux groupes : d'un côté,
frac ments i, n, iv, vi, x, foimant un écrit que saint Hi-
laire aurait publié en 360; de l'autre, fragments n, ni,
vm, ix, v, vu, rattachés à un autre écrit sur le concile
de Rimini qui daterait de 361-362. Les quatre der-
niers fragments étaient rejetés, comme postérieurs à
l'époque où saint Hilaire aurait composé son ouvrage.
Un an plus tard, B. Marx signalait une dépendance
littéraire manifeste, d'une part, entre plusieurs pas-
pages du Liber contra arianos de Phébade d'Agen
(357 ou 358), P. L., t. xx, col. 13, et du De fuie orlho-
doxa contra arianos (auteur incertain entre 360 et
370), P. L., t. xx, col. 31, de l'autre, entre des passages
correspondants des deux premiers fragments hila-
riens et du Ad Constanlium liber primus. Soumettant
ensuite le contenu de ces dernières pièces à un examen
approfondi, il jugea qu'elles étaient antérieures au
Liber contra arianos et au traité De fide orlhodoxa,
et qu'elles se rattachaient à des événements survenus
avant l'exil de l'évèque de Poitiers.
S'inspirant de toutes ces données, dont Wilmart
poussa les recherches plus avant dans deux études pu-
bliées en 1907 et 1908, et proposa plusieurs conclu-
sions notables. L'écrit intitulé couramment Ad Con-
slantium liber primus n'a rien à voir avec un synode
parisien qui se serait tenu en 355; en réalité, il nous
restitue un document qu'on croyait perdu, la requête
adressée en 343 aux empereurs par les évêques occi-
dentaux du concile de Sardique. Le fragment i, pré-
face d'Hilaire, le fragment n, encyclique de Sardique
et synodale de ce concile au pape Jules, plus la requête
de ce concile aux empereurs, c'est-à-dire le prétendu
Ad Constanlium liber primus, peut-être aussi le frag-
ment v, lettre Obsecro, de Libère à Constance, et les
deux premières lettres du fragment vi, qui sont de
Libère aux évêques récemment proscrits à Milan et
à Cécilien de Spolète, forment la substance d'un libelle
historique, publié par l'évèque de Poitiers en 356,
à la veille de son exil, pour se justifier lui-même et
compenser l'inutilité de ses efforts en faveur de l'ortho-
doxie au synode de Béziers. A ce libelle s'ajoutèrent,
en 361 et en 367, deux autres écrits qui comprenaient
le reste des Fragmenta historica. L'ensemble semble
avoir été désigné par saint Jérôme, De viris illustr.,
100, sous le titre de Liber adversus Valenlem et Vrsa-
cium. Bu fin en parle, loc. cit., quand il affirme que,
pour ramener ceux des évêques qui avaient signé la
perfide fo;mu'e de Rimini, îfilaire composa un livre
donnant sur toute l'affaire des renseignements com-
plets, librum instructionis plenissirrœ.
Les mêmes vues se retrouvent, un peu modifiées,
surtout développées et plus largement synthétisées,
dans un travail du P. Alfred Feder, S. J. Chargéd'éeliter
les Fragmenta historica et quelques autres menus écrits
de saint Hilaire dans le Corpus scriptorum ecclesias-
licorum lalinorum de Vienne, t. lxv, publié en 1916,
il a préalablement étudié, en prenant pour base
le codex de la bibliothèque de l'Arsenal, la tradi-
tion manuscrite, le contenu objectif et l'origine des
Fn gments, puis publié le résultat de ses fécondes
recherches dans les Silzungsberichle de l'Académie
des sciences viennoise. Particulièrement intéressant,
du point de vue qui nous occupe, est l'essai de
reconstruction partielle fait par l'auteur, Append. V,
p. 185, et qui résrme en quelque sorte ses principales
conclusions. L'ouvrage primitif aurait porté le titre
el Opus hisloricum adversus Valenlem cl Ursacium,
et ccmpïs trois livres, eompisés successh ement et
publiés, le premier, en 356, après le synode de Béziers;
l'autre, dans l'hiver de 359-360, après les conciles de
Rimini et de Séleucie; le troisième, en 367, après le
retour à l'orthodoxie deGerminius, évêqueeleSiimium,
par conséquent dans les derniers mois de la vie
el'Hilaire ou immédiatement après sa mort. Ces dates
de publication et les dates assignées à diverses pièces
entraînent quelques changements dans la distribution
des fragments. Livre Ier : fragments i et n; pseudo-
Ad Constanlium liber primus; très probablement aussi
fragment m, encyclique des Orientaux de Sardique.
Livre II : fragment x, lettre des Orientaux de Séleucie
apx députés de Rimini; très probablement, fragments
iv à ix, diverses lettres du pape Libère et pièces rela-
tives aux conciles de Rimini et de Niké. Livre III : do-
cuments relatifs à la réaction nicéenne en Occident,
après le concile de Rimini : synodale de l'assemblée de
Paris aux Orientaux; lettres d'Eusèbe de Vereeil
à Grégoire d'Elvire, du pape Libère aux évêques
d'Italie et de ceux-ci aux Illyriens; confession homéou-
sienne de Germinius de Sirmium; synodale de Singi-
dunum; lettre de Germinius à ses collègues de
Pannonie pour leur annoncer son adhésion à la foi
nicéenne. L'Opus hisloricum s'identifie, partiellement
du moins, avec les écrits mentionnés par saii t Jé/ôme
et par Rufin. Lès Fragments ne sont pas les matériaux
d'une œuvre que son auteur n'aurait y as achevée:
2407
HILATRE (SAINT
2408
ce sont des extraits, faits en Italie, «lès avant la fin du
ivp siècle, semble-t-il, par un anonyme qui les aurait
accompagnés de notes marginales et qui se proposait
sans doute d'en tirer parti pour un nouvel exposé de la
controverse arienne. Rien dans la tradition manuscrite
n'a'itorise à distinguer entre fragments et fragments,
( uand il s'agit de la provenance ou de l'authenticité
hilarienne.
Cette dernière assertion tire une grande importance
de son application aux quatre lettres si discutées du
pape Libère : Studens paci, où il accepte la communion
des évêques orientaux et brise avec saint Athanase,
Fragm. iv, col. 679 ; Pro deifico timoré, où il accentue
la même attitude et proclame, en outre, son adhésion
à une profession de foi admise à Sirmium par plusieurs
de ses frères dans l'épiscopat, Fragm. vi, col. 689;
Quia scio vos et Non doceo, où les mêmes assertions se
retrouvent avec l'expression d'un vif désir de rentrer
à Rome. Ibid., 8, 10, col. 693-695. Le P. Feder estime
que, du point de vue critique, l'authenticité hilarienne
des fragments iv et vi n'est pas moins établie que celle
des autres, et qu'il n'y a pas lieu d'admettre l'hypo-
thèse d'interpolations lucifériennes, en ce qui concerne
les quatre lettres du pape Libère ni celle d'Eusèbe de
Verceil à Grégoire d'Elvire. Fragm. xi, 5, col. 713.
11 importe seulement de remettre les documents à leur
place et à leur date dans l'histoire. Ainsi, la lettre
Studens paci, où l'abandon de saint Athanase par
Libère est présenté comme un fait accompli, contient
une donnée manifestement fausse, quand on la suppose
écrite en 362; de là vient que tant d'auteurs ont conclu
directement contre l'authenticité de cette lettre, et
indirectement contre celle des trois autres, étant donnée
l'étroite parenté littéraire des quatre. La question est
tout autre, si la lettre Studens paci n'est pas de 362,
mais, comme les trois autres, de 367, d'après une
rectification proposée par Schiktanz, admise ensuite et
habilement défendue par Mgr Duchesne dans son
étude sur Libère et Forlunalien. A quoi s'ajoute la
phrase du Contra Constantium, 11, col. 589, où, par
allusion à la minière dont s'était fait le retour de
Libère à Rome, Hilaire dit à l'empereur : « Malheu-
reux, dont je ne sais dire si tu as commis un plus
grand crime en le renvoyant à Rome qu'en l'envoyant
en exil 1 » D'ailleurs l'authenticité hilarienne des
Fragmenta hislorica n'exclut pas l'hypothèse d'inter-
polations tendancieuses de moindre importance, dues
probablement à celui qui, à l'origine, fit les extraits;
tels, par exemple, à la fin des lettres Pro deifico
timoie et Quia scio, les anathèmes contre le pape.
Fragm. vi, 6, 9, col. 691, 694.
Après avoir exposé toutes ces conclusions, Bar-
denhewer ajoute, Geschichte, t. m, p. 384 : « Naturel
lement le dernier mot n'est pas encore dit sur ces
conjectures. » Rien de plus légitime que cette réserve,
admise par le P. Feder lui-même, quand, résumant
les résultats de son enquête, Append. I, p. 151, il
dislingue soigneusement le certain du probable. Plu-
sieurs points semblent acquis : existence de deux écrits
historico-polémiques, composés l'un à la suite du sy-
node de Béziers, l'autre après les conciles de Rimini
et de Séleucie; identification de ces deux écrits, eu
du moins du second, avec le Liber adversus Valen-
tem et Ursacium; insertion dans le premier écrit,
comme partie intégrante, du Ad Constantium liber
primus. Les autres points restent plus ou moins dans
le domaine de la conjecture et de la discussion. Ainsi
en est-il de l'attribution de certains fragments à tel
groupe plutôt qu'à tel autre, comme le prouvent
assez les combinaisons partiellement différentes du
P. Feder, toc. cit., de dom Wilmart, L' Ad Constantium
liber primas, p. 296; La question du pape Libère, p. 36,
et de dom Cliapman, The conlesled lelters o/ pope
Liberius, p. 328 sq. Ainsi en est-il de la réduction des
trois groupes de documents à un seul ouvrage d'en-
semble qu'on suppose totalement achevé; car l'absence
complète de glose narrative dans les fragments du
dernier groupe permet de se demander avec M. Schanz,
Geschichte der rômischen Litleralur, IVe part., t. i,
p. 266 sq., s'il ne faudrait pas y voir des pièces justi-
ficatives attendant une mise en œuvre plutôt que la
troisième partie d'un ouvrage achevé. Ainsi en est-il
surtout de la question d'authenticité en ce qui con-
cerne les lettres du pape Libère; car la controver e
demeure, comme l'attestent les récentes cri tiques de dom
Chapman et des Pères Savio et Sinthern, soit qu'il
s'agisse de l'authenticité absolue, soit qu'il s'agisse
de l'authenticité relative, c'est-à-dire de la prove-
nance hilarienne des fragments où ces lettres son1
contenu s. Et, certes, il faut bien reconnaître que
le narralivus texlus faisant suite aux lettres Studens
paci et Pro deifico timoré, Fragm. iv, 2, et vr, 7, col.
681, 692, présente de réelles difficultés, s'il est pris
tel quel et comparé au contenu des lettres ou aux
sentiments de saint Hilaire connus par ailleurs,
11 n'en reste pas moins vrai que, dans leur ensemble
et peut-être dans leur totalité, moralement parlant, le>
Fragmenta hislorica sont une œuvre du docteur gau-
lois et qu'ils fournissent sur l'histoire de l'arianisme
à son époque des informations d'autant plus pré-
cieuses qu'un grand nombre des documents conservés
dans celte collection ne se trouvent pas ailleurs.
Stiltincg, Aela sanclorum, t. vr septembris, Anvers,
p. 754-780 ; J. Masseri, Sopra i frammenti attribuiti a S. Hi-
larin, dans Zaccaria, Raccolta di disserlazioni de storia
ecclesiastiea,2- édit., Rome, 1841, t. m, diss. V, p. 38-46;
Reinkens, op. cit., 1. II, ex, p. 210 sq.; M. Schiktanz, Die
Hilarius-Fragmenle (thèse de doctorat), Breslau, 1905 ;
B. Marx, Zwei Zeugen fur die Herkun/l der Fragmente
1 und 2 des sog. Opus hisloricum S. Hiltvii, dans Theolo-
gischc Quartalschrift Tubin^ue, 1906, t. lxxxviii, p. 390-
406; dom A. Wilmart, L'Ad Constantium liber primas
de S. Hilaire de Poitiers et les Fragments historiques, dans
la Renne bénédictine, 1907, t. xxiv, p. 149-179, 293-317;
Id., Les Fragments historiques et le sgnode de Béziers en 3J6,
ibid., 1908, t. xxv, p. 225-229; A. L. Feder, Slwlien zu
Hilarius von Poitiers. I. Die sogenannte Fragmenta hislorica
und der sog. Liber I ad Constantium Imperatorem. II. Bi-
schojsnamen und Bischofssitze bei Hilarius, dans Sitzungs-
berichte der K. Académie der \V issenscha, ten in Wien, Phil.
liist. Klasse, Vienne, 1910, 1911, t. clxv, 4" fasc; t. CLXvr,
5e fasc. — En particulier, sur la question du papa Libère
en connexion avec les Fragments iv et vr : L. Saltet, La
formation de la légende des papes Libère et Félix, dans Bul-
letin de littérature ecclésiastique, Toulouse, 1995, p. 229—2 56 ;
Les lettres du pape Libère de 357, ibid., 1907, p. 279-2st;
F. Savio, La qnestione di papa Liberio, c. v, Roms, 1907 ;
Mgr Duchesne, Libère et Fortunalien, dans les Mélanges
d'archéologie et d'histoire, publiés par l'École française
de Rome, 1908, t. xxvm, p. 31-78 ; P. Sinthern, De causa
papse Liberii, dans Stauorum lilterx théologies, Prague. 1903,
t. iv, p. 137-185; dom A. Wilmart, La question du pape
Libère, dans la Reuue bénédictine, 1908, t. xxv, p. 360-367;
F. Savio, Nuoui sludi sulla qnestione di pipa Liberio.
Rome, 1909, § 7 sq.; dom .1. Chapimn, The conteslel letters
o/ pope Liberius, dans la Revue bénédictine, 1910, t. xxvti,
p. 32, 172, 325; F. Savio, Punti conlrouersi nella qnestione
del papa Liberio, Rome, 19.1 1, § 6.
6° Lettres et hi/mncs. — Parmi les écrits d'Hilaire,
saint Jérôme mentionne quelques letfies : nonnullie ad
diversos epislolse. Abstraction faite de l'opinion émise
par dom Chapm.m, art. cité, p. 331, d'après qui les
fragments i, ii, m, et Y Adversus Constantium liber
primas auraient formé une lettre adressée en 356 aux
évêques gaulois, il ne reste plus en ce genre que
l'Epislola ad Abram filiam suam, suivie de l'hymne
Lucis largilor oplime, P. L., t. x, col. 519-554. L'au-
thenticité de cette lettre, niée par Érasme et plusieurs
autres, a clé miintenue par dom Couitant, Admo-
2409
HILAIRE f SAINT'
2410
nitio, col. 547; le docte bénédictin admet, cependant,
une certaine différence entre le contenu de la lettre
telle que nous la possédons et le résumé que, dans sa
Vila S. Hilarii, i, 6, P. /-.. t. ix, col. 188, Fortunal
donne de la lettre, portant la signature du saint doc-
teur, la uelle, afti met-il, se conservait encore de son
temps à Poitiers. Actuellement, la plupart des cri-
tiques sont défavorables à l'authenticité de la lettre
imprimée par Coustant; quelques-uns étendent ce
jugement à la letlre mentionnée par Fortunat, par
exemple, B. Krusch, Fortunali opéra pedeslria, p. vi,
dans Monumenla Germanise historica. Auctorum anti-
quissimorum, Berlin, 1885, t. iv b. D'où l'expression
de fille légendaire ou imaginaire dont se sont servis
divers auteurs en parlant d'Abra. D'autres, -comme
Reinkens, op. cit., p. 232, et Bardenhewer, Geschichte,
t. m, p. 387, estiment que les difficultés d'ordre intrin-
sèque, tirées du genre et du style peu hilariens de la
leitre actuelle, ne valent pas contre la lettre primitive,
à en juger par le résumé de Fortunat. 13e même
l'hypothèse d'après laquelle la lettre aurait été fa-
briquée pour mettre sous le nom d'Hilaire l'hymne
Lucis largitor oplime est sans valeur, quand il s'agit
de la lettre primitive, puisque, dans le résumé de For-
tunat, il n'est question ni de cette hymne ni d'aucune
autre. A plus forte raison a-t-on le droit de ne pas relé-
guer dans le domaine de la légende la Tille d'Hilaire,
honorée d'un culte public le 12 décembre, sous le nom
d'Abra ou Apra. Auber, Vie des saints de V Église
de Poitiers, Poitiers, 1858, p. 542; Acta sanctorum.
Tabulœ générales, dans l'Elenchus des prsetermissi,
p. 398 : S. Apra plia S. Hilarii Pictavis, 7 "> dec.
La question des Hymnes est d'une portée plus géné-
rale. Saint Jérôme en attribue à l'évêque de Poitiers,
dans son catalogue, De viris illuslr., 100 : et liber hym-
norum. En 633, le IVe concile de Tolède sanctionna
l'usage de chanter dans les offices ecclésiastiques
des hymnes à la louange de Dieu et en l'honneur des
apôtres et des martyrs, « comme celles que les bienheu-
reux Hilaire et Ambroise ont composées ». Mansi,
Coneil., t. x, col. 622. Vers la même époque, saint Isi-
dore de Séville, De ecclesiast. o/ficii;, i, 6, P. L.,
t. lxxxiii, col. 743, revendique pour l'évêque de
Poitiers la gloire de s'être distingué le premier dans
ce genre de composition, hijmnorurn carminé flo-
ruit primas. La généralité de ces affirmations a favo-
risé les attributions conjecturales ou purement arbi-
traires, surtout avant que la découverte du manuscrit
d'Arezzo, en 1887, eut fourni à la critique des bases
d'appréciation plus solides. Jusqu'alors, diverses
hymnes avaient été mises sous le nom de saint LIilaire :
sept, par Daniel, Thésaurus hymnologicus, t. i, n. 1-7;
huit, par Wrangham, dans Julian, Dictionanj o/ hym-
nology, p. 522; neuf, par d'autres. En premier lieu
viennent trois hymnes, dont l'une : Lucis largilor
splendide, en huit strophes, a été publiée par Coustant
en appendice à ÏEpislola ad Abram, P. L., t. x,
col. 551, et identifiée par lui avec l'hymne du malin
qu' Hilaire annoncerait à sa fille, eu mime temps
qu'une hymne du soir, à la fin de sa letlre : Intérim
tibi hijmnum matulinum cl serotinum misi. L'hymne
du soir serait, d'après quelques-uns, l'Ad cseli clara
non sum dignus sidéra, formant un abécédaire de
vingt-trois strophes avec une doxologie. Constant, qui
ne la considérait pas comme étant de saint Hilaire,
en a rapporté seulement quatre strophes, P. L., t. x,
col. 553 sq. ; on la trouve complète dans diverses col-
lections : Mai, Nova Patrum bibliolheca, 1. 1, p. 491;
A. Daniel, Thsaurus h'jm ologic.is, t- iv, p. 127;
E. Duemmler, Monumenta Germanise historica. Poetx
lalini sévi Carolini, t. i, p. 147; Pitra, Analecta
sacra et classica, t. v, p. 138; Dreves, Analecta hymnica
medii sévi, t. î. p. 1-18. De ces deux hymnes on peut
rapprocher une autre : Hijmnum dical turba [ralrum,
publiée comme la précédente dans plusieurs collec-
tions : Tommasi, Opéra, t. n, p. 405; Daniel, Thésau-
rus, t. i, p. I*t3; Cl. Blume, Die Hymnen desThesaurus
hymnologicus H. A. Daniels und anderer Hymnus-
Ausgaben, t. i, p. 264, etc. Viennent ensuite trois
hymnes du bréviaire mozarabique : Deus Pater ingé-
nue, In matutinis surgimust Jim meta noclis tran-
siit, P. L., t. lxxxvi, col. 201, 205. 939 ; Cl. Blume,
Die mozarabischen Hymnen, p. 71, 102; de même,
trois hymnes du bréviaire romain, relatives à l'Epi-
phanie, au carême et à la Pentecôte : Jésus refulsil
omnium, Jesu guadragenaritr, Beata nobis gaudia,
reproduites par Cl. Blume, Die Hymnen des Thé-
saurus h<mnolo:;icus, t. i a, p. 51, 58, 97. Pour
le dossier bibliographique de toutes ces hymnes,
voir U. Chevalier Repertorium hymnologicum, Lou-
vain, 1892 sq., passim, d'après la première lettre des
Incipit.
La découverte de Gamurrini apporta dans le
débat un élément nouveau; car, au traité De mys-
teriis s'ajoutaient des hymnes dans la reproduction
qu'il donna du manuscrit d'Arezzo, p. 28 : Incipiunt
hymni eiusdem... Malheureusement cette seconde
partie n'est pas mieux conservée que la première: elle-
contient seulement trois hymnes, et tontes incom-
plètes, à tel point qu'on peut se demander si ce que
nous possédons représente le quart du recueil primi-
tif. La provenance hilarienne, d'abord contestée,
voir Watson, op. cit., p. xi.vh, semide aujourd'hui com-
munément admise. Bardenhewer, Geschichte, t. m,
p. 388. Le texte, donné par Gamurrini, a été plusieurs
fois revisé et amendé : en 1904 par Mason, The first
Latin Christian poet; en 1907, par Dreves, Analecta
hymnica, t. i; en 1909, par W. Meyer, Die drei arezza-
ner Hymnen. Le P. Feder l'a re. rodirtt ilans le Corpis
te iplorum, t. lxv, p. 2JJ sq. Les trois hymnes ont
pour objet l'Hommj-Dieu et son œuvre rédemptrice.
Dans la première, le poète chante, d'une façon incisive,
mais un peu sèche et parfois abstruse, la génération
éternelle du Verbe et ses rapports avec Dieu le
Père. La pièce comprend vingt strophes acrostiches
alphabétiques, allant des lettres A à T. Les strophes
sont de quatre vers et se composent, en général, de
glyconiens et d'asclépiades qui s'entre-croisent ;
par exemple, la seconde strophe :
Bis nobis genite Deus,
Gliriste, dum innato nasceris a Dec,
vel dum corporeum et Deum
mundo te genuit virgo puerpera.
Dans la seconde pièce, Hilaire met en scène,
semLle-t-il, l'âme d'un néophyte régénéré le jour de
Pâques, el lui fait célébrer la glorieuse résurrection
du Sauveur, prélude et gage de notre future victoire
sur la mort. Comme la précédente, celle hymne est
acrostiche alphabétique, comptant dix-hait strophes,
allant des lettres F àZ. Les strophes sont de deux vers
ïambiques triinètres; exemp'.e, la deuxième strophe,
qui trompa Gamurrini en lai faisant attribuer la com-
position de cette pièce à une femme, peut-être Floren-
tia :
Renata sum — ■ o vila; l;el;c exordia —
novisque vivo christiana legibus.
Dans la dernière pièce, le poète, se proposant de
chanter les combats el le triomphe du second Adam.
présen e Satan d'abord victorieux du genre humain,
puis troublé à la venue du Christ; les strophes ab-
sentes devaient dépeindre la victoire de ce dernier.
Sujet tout à fait conforme aux idées émises par le
docteur gaulois, fnps. LXV, 1, P. L.,t. ix, col. 425 sq ,
alors qu'il fait devant ses Poitevins l'éloge des chains
ecclésiastiques. 11 reste de cette hymne neuf strophes et
2411
HILAIRE (SAINT;
2412
demie, dont chacune compte trois vers trochaïques de
s pt pieds el demi; c'est le rythme que Fortunat
imitera plus tard, dans le Ponge lingua gloriosi lau-
ream cerfaminis. Exemple, la première strophe, d'après
la leçon de W. Meyer :
Adœ carnis gloriosa et caduei corporis,
in cœlesti rursum Adam concinamus praelia,
per quae primum Satanas est Adam victus in novo.
On a relevé dans ces pièces des irrégularités el des
licences; ce qui a fait dire à Bardenhewer, Les Pires
de l'Église, 2e édit., t. n, p. 292, que, pour nier ia
provenance hilarienne d'une hymne contestée, « on est
mal venu d'arguer de l'incorrection prosodique ».
Mais il semble aussi que, pour porter un jugement
équitable, il faille tenir compte de la prédominance
de l'accent tonique sur la quantité et des modifications
survenues dans la prononciation et ayant amené, par
voie de conséquence, des changements radicaux dans
la prosodie. Mason, art. cit., p. 423 sq. ; dom J. Parisot,
Hymnographie poitevine, p. 12. On comprend, eu reste,
que ces premiers essais de poésie sacrée n'aient pas
joui d'un succès durable; malgré l'élévation de la
pensée et la vigueur de l'expression, les hj mnss con-
servées dans le manuscrit d'Arezzo manquaient des
qualités qui font les chants populaires.
Des autres hj mues attribuées à l'évêque de Poitiers,
il n'en est pas une seule dont l'authenticité soit com-
munément admise. Six n'ont aucun titre réel à figurer
parmi les œuvres de saint Hilaire. Tel est le cas poul-
ies trois h\ mnes du bréviaire mozarabique; l'attri-
bution de ces pièces au docteur gaulois vient d'une
méprise de Daniel dans l'interprétation d'une référence
donnée par T< mm isi. Tel est également le cas pour les
trois hymnes du bréviaire romain. Voir Cl. Blume,
Die mozarabischen Hymnen, p. 49 sq. ; A. S. Walpole,
Hymns altributed to Milan; of Poitiers. Re: tent les trois
autres. Malgré la faveur dont a joui, pendant long-
temps auprès de beaucoup, « l'hymne du matin »,
qu'Hilaire aurait envoyée à sa fille Abra, Lucis largitor
splendidc, l'authenticité de cette pièce a été contestée
de nos jours par divers critiques, Reinkens, Watson,
Walpole, etc. Blume et Dreves l'ont définitivement
rejetée, Hymnologischc Beiliâge, t. m, p. 84 sq., pour
des raisons intrinsèques et extrinsèques. L'hymne
Ad cœli clara non sum dignus sidéra, donnée pour
hilarienne par Pitra et plusieurs autres, olïre bien
dans la facture quelques traits de parenté avec la
piem'ure du manuscrit d'Arezzo, mais ces faibles in-
dices sont accompagnés de dissemblances et de parti-
cularités ejui semblent témoigner d'une i pique moins
ancienne et font attribuer la pièce à Paulin II d'Aqui-
lée (t 802). Dreves, Analecta, t. l, p. 151. La dernière
hymne, Hymnum dicat turba fratrum, se présente dans
de meilleures conditions : au ixe siècle, Hincmar
de Reims en cite deux vers sous le nom de saint Hilaire,
De una et non trina deilate, P. L., t. cxxv, col. 486, et
elle est attribuée au même docteur dans plusieurs
manuscrits remontant jusqu'au vie siècle. Aussi l'au-
thenticité est-elle maintenue par Blume, Analecta,
t. li, p. 269 sq., el quelques autres critiques, comme
dom Parisot, Walpole et D.eves, malgré une vive
opposition, représentée surtout par W. Meyer, Das
Turincr Bruclcslûck der allcslen irischen Liturgie,
p. 207; Die drei Arezzaner Hymnen, p. 423. La pièce
f:gure da îs le vol ime du Corpus édité pi r le P. Fe er,
p. 217, so s la rubrique : Il.,mn.is d.:biis.
En dehors des hymnes précédentes, deux autres
chants sacrés ont été rattachés au nom de saint I lilaire
par quelques auteurs anciens : le Gloria in excelsis Deo,
par le pseudo-Alcuin, De divinis offlciis, 40, P. L.,
t. ci, col. 1248; le Te Deum laudamus, par saint Abbon
de Fleury (f 1004), Quœslioncs grammaticales, 19,
P. L., t. cxxxix, col. 532; cf. Coustant, Prœ[. gen., 21 ,
22, P. L., t. ix, 21; Mgr Cousseau, Mémoire sur le
Te Deum (1836), dans Œuvres historiques et archéo-
logiques, Paris, 1891, t. i, p. 269-286. Mais ni l'une ni
l'autre de ces attributions n'est recevable. L'hymne
angélique est antérieure à saint Hilaire; il est seu-
lement probable qu'il l'ait traduite du grec en latin
et introduite d'Orient en Occident. Cl. Bluma, Der
Engelhymnus Gloria in excelsis Deo, dans Stimmm
aus Maria-Laach, 1907, t. lxxiii, p. 45, 62. Pour ce
qui est du Te Deum, l'affinité d'expressions ou de
pensées qu'on relève entre tel ou tel verset, et tel ou
tel passage du De Trinitale, par exemple, III, 7,
col. 79, est manifestement insuffisante pour établir
une relation de dépendance en faveur du docteur
gaulois. Dom G. Morin, L'auteur du Te Deum, et
Nouvelles recherches sur l'auteur du Te Deum, dans la
Revue bénédictine, 1891, t. vu, p. 154 sq.; 1894, t. xi,
p. 54; dom P. Cagin, Te Deum ou Illalio? p. 113,
172, 179, 197, dans Scriplorium Solcsmense, Appel-
durcomb, 1906, t. i a.
Mentionnons enfin deux écrits poétiques mis par-
fois, mais à tort, sous le nom de saint Hilaire. Le
premier intitulé : In Genesim, ad Leonem papam,
est un poème de 198 hexamètres sur l'origine du
monde, la chute de l'homme et le déluge, imprimé
avec les œuvres de saint Hilaire d'Arles, P. L., t. ï-,
col. 1287-1292. L'autre écrit, fragmentaire, De evan-
gelio, est un poème où la naissance du Sauveur et
l'adoration des Mages sont célébrées en 114 hexa-
mètres; il fut publié d'abord, en 1!ï3j, par H. C. M. Rit-
tig, puis, en 1852, par Pitra, Spicilcgium Solcsmense,
t. ï, p. 166-170. R. Pieper, qui a réédité les deux
poèmes dans le Corpus- scriplorum ecclesiasticonun
latinorum, Vienne, 1891, t. xxm, p. 231-239, 270-274,
les attribue l'un et l'autre à un Hilaire qui aurait été
le contemporain et le compatriote de son homonyme,
le saint évêque d'Arles. Bardenhewer, Geschichte,
t. m, p. 389 sq.
B. Hoelscher, De SS. Damasi papœ el Hilaiii episc. Picta-
viensis qui ferunlur hgmnis sacris. (Programme), Munster,
1858 ; Reinkens, op. cit., p. 309-318; J. Kayser, Beilràge zur
Geschichte und Erklarung der Kirclienhymnen, Paderborn,
1866; 2e édit., 1881, p. 52-88; S. W. Duflield, Hilary of
Poitiers and the earliest latin hymns, dans The prrsbyterian
review, New York. 1883, t. iv, p. 710-722 ; J. F. Gamurrini,
S. Hilarii Iraclatus De mysteriis et Hymni, Rome, 1837;
dom F. Cabrol, Les écrits inédits de saint Hilaire de Poitiers,
1888, toc. cit. ; G. M. Dreves, Das Hymnenbuch des hl.
Hilarius, dans Zeitschrift liir kalholische Théologie, Ins-
pruck, 1888, t. xn, p. 358-369; dom J. Parisot, Hymno-
graphie poitevine. I. Saint Hilaire, Ligugé, 18'JS, W. Meyer,
Das Turiner Bruchsliick der àllesten irischen Liturgie,
dans Naclirichlen von der Kônigl. Gesellsiha,'t der Wissen-
schaften zu Gôtlingen. Philologisch-historische Klasse a is
dem Jahre 1903, Gœltingue, 1904, p. 165-214; A. J. Mas »j,
The /irsl Lalin Christian poet, dans Journal o/ theological
studies, Oxïord, 1904, t. v, p. 413-422; A. S. Walpole,
Hymns altributed to Hilary o/ Poitiers, ibid., 1905, t. vi,
p. 599-603; Cl. Blume et G. M. Dreves, Analecta hym-
nica medii sévi, t. xxvn, Die mozarabischen Hymnen
des allspanischen Ritus, p. 49 sq., 71, 102; Lateinisclie
Hymnendichler des Millelalters, ibid., t. L, p. 3-9, 151 ;
Die Hymnen des Thésaurus Hymnologicus H. A. Daniels
und anderer Hymnen- Ausgaben. I. Die Hymnen des 5-11
Jahr. und die Irish-Keltische Hymnodie, ibid., t. Li, p. 9 sq.,
51, 58, 97, sq., 261 sq., 269 ; ld., Hymnologische Beitràge,
Leipzig, 1908, l. m, p. 84-86 ; W. Meyer, Die drei Arezza-
ner Hymnen des Hilariui von Poitiers und Etwas uber
Rhythmus, dans Nachrichlen von der K. Gesellschaft der
Wissenschafien zu Gôttingen. Philol.-hist. Kl., 1909, p. 397-
423.
7° Saint Hilaire comme écrivain. — L'évêque de
Poitiers a sa place dans l'histoire de la littérature
et de l'élocruence chrétienne au ive siècle. Tous lui
reconnaissent d'éminentes qualités : l'élévation et
"2413
IIILAIRE (SAINT)
2414
l'originalité dans la conception et dans la manière de
traiter les questions, la vigueur dans le raisonnement,
une conviction intime et persuasive, une certaine
impétuosité qui l'a fait appeler par saint Jérôme,
Comment, in Epist. ad Gai., 1. II, prrcf., P. L., I. xxvi,
col. 355, i le Rhône de l'éloqaence latine ». Rhéteur,
il usa résolument des ressources que son art lui four-
nissait, non par pôdantisme, mais par conscience pro-
fessionnelle et par esprit apostolique, pour mieux
gagner ses lecteurs à la doctrine qu'il soutenait. Aussi,
dans une invocation qu'il adresse à Dieu, De Trini-
tale, I, 38, col. 49, demande-t-il, non seulement la
lumière de l'intelligence et l'attachement inviolable
à la vérité, mais encore la propriété des termes et la
noblesse de l'expression, verborum significationem,
diclorum honorem. Saint Jérôme pense, Epist., lxx,
ad Magnum, 5, P. L., t. xxn, col. 668, que, dans le
De Trinilate, Hilaire s'est inspiré des Inslitutiones
de Quintilien, pour le style comme pour la division de
l'ouvrage en douze livres. Des études récentes ont
montré la justesse de ce jugement; voir en particu-
lier H. Kling, De Hilario Pictaviensi artis rlieloricœ
ipsiasqae, ut jertur, institulionis oratoriœ Quintilianœ
studioso, avec tableau comparatif, p. 20 sq. Hilaire
est réellement de l'école du grand maître parle carac-
tère serré, vif et nerveux de son style, comme par les
fleurs de rhétorique dont il l'orne; mais il est loin de
rester au niveau de son modèle, soit pour la pureté
et la sobriété de la diction, soit pour la sûreté et la
délicatesse du goût littéraire. Vivant en Gaule et à
une époque de décadence, où un genre artificiel et
maniéré était à la mode, l'évèque de Poitiers partagea
moins pourtant que beaucoup de ses contemporains
les défauts communs: déploiement excessif delà symé-
trie et de l'antithèse, abus de l'apostrophe, emploi
d'expressions trop elliptiques ou, au contraire, de
périodes surchargées et compliquées. Souvent, il est
vrai, l'obscurité vient plutôt de la hardiesse et de la
profondeur de la pensée, mais parfois elle tient au
vague ou à l'élasticité de termes non définis, à des
antilogies apparentes dont rien ne facilite la solution,
à la facilité avec laquelle, dans l'usage des mots,
l'auteur passe d'une acception propre à une acception
figurée ou d'un sens absolu à un sens relatif. Le juge-
ment porté par saint Jérôme, Epist., lviii, ad Pauli-
num, 10, P. L., t. xxn, col. 585, a certainement sa
part de vérité : « Saint Hilaire se dresse sur le cothurne
gaulois, et, comme il se pare des fleurs de la Grèce, il
s'engage parfois dans de longues périodes; ses ouvrages
ne sont pas faits pour des lecteurs d'une portée mé-
diocre. » Appréciation qui ne va nullement, dans la
pensée du docteur dalmate, à dénigrer un homme
qu'ailleurs, Comment, in Is., 1. VIII, prsef., P. L.,
t. xxiv, col. 281, il range parmi les maîtres de l'élo-
quence.
III. Doctrine. — ■ Dans les écrits de saint Hilaire,
la doctrine antiarienne, trinitaire et chrislologique,
vient naturellement en première ligne. Les commen-
taires exégétiques dépassent cependant cet objet et
donnent lieu à une synthèse plus étendue, mais arti-
ficielle, car l'évèque de Poitiers n'a pas présenté
lui-même sa doctrine sous une forme systématique.
Une question s'ajoute, d'ordre apologétique : s'il est
vrai que saint Jérôme a donn'5 comme un certificat
général d'orthodoxie aux ouvrages d' Hilaire, en écri-
vant à Lœta, Epist., cvn, 12, P. L., t. xxn, col. 877 :
Hilarii libros ino/fenso decurrat pede, il n'est pas moins
vrai que des attaques ont été formulées plus tard;
attaques réduites à neuf chefs par dom Coustant, Prse-
fatio generalis, c. vi, et reprises dans le procès cano-
nique institué par la S. C. des Rites, quand il fut ques-
tion de conférer solennellement à l'évèque de Poitiers
le titre de doctor Ecclesijc. PLis récemment, de; théolo-
giens protestants ont incriminé, ou compromis par
leurs interprétations, d'autres points de l'enseignement
trinitaire ou christologique de l'Athanase gaulois.
Ces attaques seront signalées et discutées ea même
temps que seront exposées les matières connexes.
J. Écriture SAINTE. —La doctrine de saint Hilaire
sur le premier fondement de notre foi peut se grouper
autour de quatre points : l'autorité, le canon, les ver-
sions et l'interprétation des Livres sacrés.
1° Autorité. — Souveraine est l'autorité des Écri-
tures, ces oracles célestes où tout est vrai et utile;
où tout est élevé, divin, conforme à la raison et parfait.
In ps.cxvin, litt. xviii, 5; cxxxr, 1, col. 622, 678.
S'adaptant à notre faiblesse, qui a besoin de choses
visibles pour comprendre les invisibles, les saintes
Lettres enseignent les choses spirituelles par les corpo-
relles et, à l'aide des choses visibles, rendent témoi-
gnage aux invisibles. Inps.cxx, 7, 11, col. 656, 658.
S'il faut entendre conformément à la prédication
évangélique ce qui a été dit dans les écrits de l'Ancien
Testament, si l'autorité prophétique et apostolique
nous suffit, Instruclio psalmorum, 5; In p;. CXL, 2,
col. 235, 825, c'est qu'à la base de cette autorité et
de cette prédication il y a l'autorité même de Dieu,
qui a parlé par les prophètes d'abord, puis par les
apôtres : Omnia a divino Spiritu per David dicta,
Instr. 7 ; propheia semper Dei Spiritu plenus.
Inps.Ll, 15, col. 277, 317. De même saint Paul : per
loquentem in se Christian loqucns. De TrinUai:, XII, 3,
col. 435. Aussi, parlant en ce dernier endroit d'une
prophétie relative à Jésus-Christ, Hilaire voit-il une
contradiction en ce que l'apôtre puisse ignorer cette
prophétie ou, la connaissant, puisse en fausser le sens.
2° Canon. — Le prologue des Psaumes, 15, col. 241,
contient un canon de l'Ancien Testament où sont énu-
mérés vingt-deux livres, autant que de lettres dans
l'alphabet hébreu. Comme le commentateur s'inspire
manifestement d'Origène, In ps. I, P. G., t. xn,
col. 1084, et que le docteur alexandrin parle formel-
lement du canon juif, y.aO"E?pa!oj;, il n'y a nulle rai
son d'entendre le disciple autrement que le maître.
L'évèque de Poitiers dit encore, ce qui n'est pas dans
Origène, que certains ajoutent les livres de Tobie et de
Judith obtenant ainsi un total de vingt-quatre livres,
ce qui répond au nombre des lettres dans l'alphabet
grec. Personnellement, Hilaire utilise les deutéro-
canoniques comme les autres ; pour l'Ancien Testa-
ment, il les cite en réalité tous; pour le Nouveau, il
cite l'Épître aux Hébreux sous le nom de saint Paul,
celle de saint Jacques, la IIe de saint Pierre et l'Apoca-
lypse sous le nom de saint Jean. Voir Coustant,
notes a et d. P. L., t. ix, col. 241 sq. ; F. Vigouroux,
Canon des Écritures, dans Dictionnaire de la Bible,
t. ii, col.165, 181 ; voir aussi, plus haut, t. n, col. 1577,
1581. Voir A. Souter, Quotaliois from the Epi il s of
St. Pa.il in St. Hila-y oi th' Psalm; dans Journal
of theological slJdùs, octobre 1916, t xviii, p. 73-77.
Par ailleurs, Hilaire sait rejeter les apocryphes,
tels que le livre d'Hénoch, In ps. cxxxn, 6, col. 748,
et tenir compte des doutes que la divergence de la
tradition manuscrite peut provoquer, par exemple, à
propos de la sueur de sang, Luc, xxn, 43-44. De Tri-
nilate, X, 41, col. 375.
3° Versions — Il existe, onl'a vu déjà, une différence
de procédé entre les commentaires sur saint Matthieu
et sur les Psaumes. Dans le premier, l'auteur s'en
tient purement au texte latin dont on se servait à
Poitiers; dans l'a.itre, il s'aide, non du texte hébreu,
car il ignorait cette langue, mais de diverses traduc-
tions, latines ou grecques, surtout de la version des
Septante. Il professe pour cette dernière une estime
et une vénération spéciales : translatio illa seniorum
LXX et légitima et spiritualis, In ps. ux, 1, col. 383:
2415
HILAIRE (SAINT
2416
estime et vénération fondées non seulement sur
l'ancienneté de cette version, mais encore et surtout
sur les prérogatives qu'il attribuait à ses auteurs. S'il
ne parle pas des légendaires cellules, ni d'inspiration
proprement dite, il tient du moins ces interprètes pour
les successeurs des soixante-dix vieillards auxquels
Moïse avait confié l'explication de la Loi et qui, en
conséquence, possédaient une science spirituelle et
;te pour pénétrer le sens intime des psaumes. In-
slructio, 8: cl. lnps.il, 2,3, col. 238, 262 sq. Rien dedoc-
trinal, assurément, dans cette manière de voir. Plus
importantes sont les citations bibliques qui se rencon-
trent dans les écrits du docteur gaulois; comme il se
servait d'un texte latin antérieur à la revision de saint
Jérôme, ces citations fournissent un apport apprê-
ciable à l'histoire de l'ancien texte biblique. Des études
spéciales indiquées ci-dessus, col. 2402, il résulte que le
texte utilisé par l'évêque de Poitiers diffère de celai
(pion lit dans le psautier romain et des autres textes
courants ; d'après les conclusions de F.-J. Bonnas-
sieux, op. cit., p. 124 sq., il faudrait regarder le texte
t comme un témoin très ancien de la recension dite
irlandaise ». En réalité, ce n'était ni le texte africain ni
le texte italien, mais un texte « européen », généra-
lement usité en Gaule au ive siècle. H. Jeannotte, Le
psautier de saint Hilaire de Poitiers, Paris, 1917.
4° Interprétation. ■ — Du point de vue exégétique,
les commentaires sur saint Matthieu et sur les psaumes
présentent un intérêt particulier à un double titre :
ils comptent parmi les plus anciens monuments du
genre, et ils ont grandement contribue à introduire
en Occident la méthode d'interprétation spirituelle
ou allégorique, destinée à un si brillant avenir. Le fon-
dement de cette méthode, pour saint Hilaire, c'est la
distinction entre le texte pris au sens obvie, simpli-
citer intellectus, et considéré plus à fond, inspectus
interius, d'après les diverses notions ou relations dont
les choses et les actions directement signifiées ou ex-
primées par la lettre sont susceptibles ; de là résulte un
sens plus relevé, auquel le docteur gaulois s'arrête de
préférence : rclictis his quœ ad communem inlclliyen-
tiam patent, causis interioribus immoremur. In Malth.,
xn, 12, col. 987. En d'autres termes, au delà du sens
historique ou grammatical, qui s'attache à la lettre et
qui est le sens vulgaire, il y a un sens profond, qui
s'attache non plus à la lettre elle-même, mais à
la chose signifiée ou à l'action exprimée par la lettre;
sens qui reçoit les épithètes de spirituel, intérieur,
typique, céleste : epi ituli, ii tclligentia, In ps. cxix,2,
col. 043 ; inlrrior inlelligenlia, interioris significantise
inleltigentia, ordotypicœ significantise, cselestis intelli-
gentia. In Matlh., h, 2 ; vm, 8, 9 ; xx, 2, col. 924, 957,
1028.
Nettement formulée et couramment appliquée clans
le commentaire sur saint Matthieu, la mélhode d'inter-
prétation allégorique est encore plus accentuée dans
le commentaire sur les psaumes. Coustant, Admonitio,
8-12, col. 224 sq. Là saint Hilaire considère l'Ancien
Testament tout entier comme une prophétie et une
ligure du Nouveau, surtout du Fils de I >ieu fait homme.
Sunt emm universa allegoricis et ti/picis eontexta virlu-
libus, per quœ omnia \unigeniti Dei filii in corpore...
saeramenta panduntur. Instruetio, 5, col. 235. Com-
parer la phrase du Liber mysteriorum citée ci-dessus,
col 2401 sq. "Aussi, en niant le Christ, les hérétiques
ont perdu la clef qui ouvrj à l'esprit la pleine intelli-
gence des saintes Écritures. Ibid., 6, col. 230. Non pas
que tout doive s'appliquer directement à Notre-Sei-
gneuret à son œuvre, car Hilaire rejette cette supposi-
tion comme excessive, mais en ce sens que tout se rap-
porte îiu moins indirectement à ces objets. D'ailleurs,
nulle opposition entre le sens littéral et le sens spirituel :
est seulement rejetée l'opinion de ceux qui voudraient
s'en tenir à une méthode d'interprétation purement ou
exclusivement littérale. In ps.Liv, 9; cxxiv, 1; cxxvi,
1, col. 352, 079, 093.
Si de la théorie nous passons à la pratique, une dis-
tinction s'impose. Le saint docteur prétend, en prin-
cipe, ne pas substituer sa propre conception, mois
seulement adapter son interprétation aux données
contenues dans l'Écriture. In Malth. . vu, S, col. 950;
Coustant, Admonitio, 5-7, ccl. 911. En fait, quoi qu'il
en soit de; applications mystiques, souvent très belles
et très instructives, que l'orateur' rattache au texte
sacré, dans beaucoup de cas l'interprétation reste
subjective et purement accommodatice, parfois même
elle est forcée. Sur ce point et quelques autres, moins
intéressants du point de vue doctrinal que pour l'his-
toire de l'exégèse ou de la prédication homiiélique.
voir R.-M. de La Broise, art. Hilaire, dans le Diction-
naire de. la Bible, t. m, col. 703 sq., et R. Simon, His-
toire critique du Vieux Testament, Rotterdam, 1085,
p. 404 sq.; du Nouveau Testament, ibid.,] 093, p. 127 sq.
Une remarque faite dans ce dernier ouvrage, p. 132, a son
importance : autre est la méthode employée de préfé-
rence par l'évêque de Poitiers dans ses deux commen-
taires, alors qu'il se propose d'édifier les fidèles; autre
est l'usage qu'il fait du texte sacré quand il expose ou
défend la foi catholique. Dans ce dernier cas, il s'at-
tache au sens littéral et il le traite, en général, avec
une maîtrise à laquelle les plus grands docteurs ont
rendu témoignage; tels saint Jérôme, Episl., lv, ad
Amandum, P. L., t. xxn, col. 504, et saint Augustin,
De Trinitale, VI, 10, P. L., t. xlii, col. 931 : non medio-
cris auctoritatis in tractalione Seriplurarûm cl assertione
fidei vir exstitit. Cf. Watson, op. cit., Introd., p. lxi;
Cornely, Introd. gen., p. 053.
// DIEU. ÊTRE 'SUPRÊME) ET {CRÉATEUR; MONDE,
anges, hommes. — La doctrine de saint Hilaire sur
Dieu mériterait d'être exposée en détail, si la question
n'avait pas été déjà touchée, t. iv, col. 1099 sq. Rap-
pelons qu'à l'affirmation très accentuée de l'incom-
préhensibilité divine se joint l'affirmation non moins
vigoureuse de la faculté native que possède l'homme
de connaître l'existen e de Dieu par la voie des créa-
tures : Quis enim mundum conluens, Deum esse non
sentiat? In p . lu, 2, col. 326. Car le monde chante
magnifiquement les louanges de son auteur et pro-
clame hautement sa puissance et sa majesté. In ps.LXV,
0 ; LXVIII, 29 ; CXXXIV, 11 ; CXLYII1, 5 sq., col. 420, 488,
757 sq., 881 sq. Rappelons encore que le texte de
l'Exode, m, 14, où Dieu se définit : Ego sum qui sum,
ravit d'admiration le docteur gaulois et lui fait saisir
dans la notion d'Être une notion première à laquelle
se rattachent, immédiatement ou médiatement, toutes
les propriétés essentielles de la divinité. A. Beck, Die
Trinitûtslehre des hl. Hilarius von Poitiers, c. n. Parmi
ces propriétés, celles qui sembleraient, à première
vue, s'opposer à toute dictinction en Dieu, ne sont
pas moins accentuées que les autres; telles la simpli-
cité et l'unité : divinum et œternum nihil nisi unum
esse cl indi//ercns; lolum in co quod est, unum est; ex
simplicilate perfectus. De Trinitale, I, 4; VII, 27;
IX, 01, col. 28, 223, 330.
Ainsi conçu, Dieu est l'Être souverainement par-
fait et heureux de lui-même, qui crée le monde par
pure bonté, pour communiquer aux autres quelque
chose de sa propre béatitude, ex optima ac bencvola
bcatitudine. In ps. il, 14, col. 269. Ce n'est pas le Dieu
des seuls É\angiles, comme le voulaient les mani-
chéens ; c'est le Dieu de la Loi et des Évangiles, les
deux Testaments ayant un même auteur. In p-.LXU, 9;
CXXXVU, 7, col. 448, 788. Dieu sage et bienveillant,
dont la prescience, non moins que la providence,
s'étend à tout. Inps. CXXl, 10; CXXXVIII, 41, col. 665,
813. C'est faire également preuve d'impiété, que de
2417
IIILAIRE (SAINT
2418
nier son existence, ou de ne pas le reconnaître pour
l'auteur du monde, livré dès lors à l'évolution fortuite
de forces nécessaires et aveugles. In p -. VIII, 2; ixv, 7,
col. 251, 427. A ces erreurs, Hilaire oppose la notion
de Dieu créateur, c'est-à-dire de qui tous les autres
êtres tiennent leur origine, ayant été tirés par lui dn
néant : ipsum a nemine, sed ex eo onviia; marient ex
nihilo su.bstitu.la, d gratiam ex eo quod sunt, creatori sno
debent.Inps.LXIlI,^; CXLVlil, 5, col. 411, 881. D'où le
caractère de contingence absolue qui s'attache à tout
ce qui n'est pas Dieu : quia illa ex conditione crcalionis
suie, id est proj( cta de nihilo, habeant id in se necessitatis
ut non sint. In Mallh., xxvi, 3, col. 1057. Aussi rien de
ce qui a été créé ne peut-il subsister sans qu'une action
divine continue lui conserve l'existence. In p:. XCI, 7,
col. 498.
Cortingent par nature, le monde ne peut être, de
droit, éternel; il ne l'est pas davantage en fait : et per
trmpus quidem non ambiquum est quin ea, quœ nunc
cœperint, anle non fuerinl. Les anges furent créés
d'abord dans le premier ciel, avant les temps et les
siècles. De Trinilale, XII, 6,37, col. 442, 456; Contra
Auxenl., 6, col. 612. Vint ensuite le monde sensible,
dont Dieu produisit toutes les parties instantanément,
par un sim. le Fiat, sans qu'il y ait à mettre une dis-
tinction entre le commencement et la conso- mation
de chaque œuvre, In p\ CXVIII, lilt. x, 4, 7, col. 5( 5 sq.,
mais non pas en ce sens que toutes les parties aient été
produites simultanément ; car les paroles du De Tri-
nilale, I, 40, col. 458 sq : cicli, lerrœ cœterorumque
elcmentorum creatio ne levi sallem momento opendionis
discernilur, où l'on a prétendu lire le contraire, s'appli-
quent, dans le contexte, à la création active, réellement
instantanée, puisqu'il n'y a succession ni dans la pensée
ni dans la volonté ni dans l'action divine. Enfin le roi
du monde sensible parut, l'homme, dont la foi mation
présente une particularité: elle nous est dépeinte dans
la Genèse comme n'étant pas due à un simple Fiai,
mais cem e luisant d'abord l'objet d'une délibération
préalable, puis accomplie par les mains divines, et
accomplie en trois actes successifs : création de l'âme,
production du corps formé de la terre et vivification
de ce dernier par son union à l'âme. Rapportant, arl i •
trairement d'ailleurs, Gen.,i, 27, à la création de l'âme,
et Gen., n, 7, à la formation et à la vivification du
corps, Hilaire regarde ces deux dernières actions
comme ayant eu lieu longtemps après la première,
longe postea. Inps. CXVIII, lit t . x, 1,4-6; CXXIX,5, col.
563 sq., 721.
Les anges sont des êtres spirituels, nalurœ spirilales,
virilités spiritales, dont les propriétés sont symbolisées
par les appellations scripturaires d'esprit et de Jeu.
In ps. CXXXVI.5, col. 786 sq. ; De Trinilale, 11, il, col.
136. Hilaire suppose constamment l'existence d'anges
bons et d'anges m mvais, appelant les uns anges célestes
ou .simplement anges, les autres anges prévaricateurs
ou dînions, esprits malins et puissances de l'air. In
Mallh., v, 11; xi, 5 ;7nps.zxra, 24, col. 948, 980, 460.
Une fois il fait mention d' « anges pris de passion pour
les filles des hommes », mais sans rien préciser et d'une
façon incidente, à propos d'un détail contenu dans le
livre apocryphe d'Hénoch et dont il ne veut pas tenir
compte. In ps. CXXXII, 6, col. 748 sq. Aux appellations
d'anges, archanges, trônes, etc., correspondent des
ministères dilïérents.'7/i ps. CXVIII. litt. m, 10, col. 522.
Dieu se sert de ces bienheureux esprits dans le gouver-
nement de l'Église militante et particulièrement pour
assister les fidèles, non qu'il ait besoin d'un concours
étranger, mais en faveur des hommes, trop faibles pour
marcher seuls vers le but à atteindre et surtout pour
lutter avantageusement contre les esprits mauvais.
In ps.CXXIV.ÏT.CXXIX.7 ;cxxxiv, 17; CX'XXVII, 5, col.
682, 722, 761, 786. Présents à la fois au ciel, auprès de
Dieu, et sur la terre, auprès de nous, les anges président
à nos prières et présentent nos désirs au Seigneur, mais
ils témoignent aussi contre les pécheurs. In ps.cvni S;
In Mallh., xvm, 5, ccl. 507. 1020. lis introduisent les
justes dans l'éternel repos. In ps. lvii. 6, 7, col. 372.
Dans une lettre adressée au pape saint Grégoire,
Epist., 1. III, epist. liv, P. L., t. lxxvii, col. 602,
l'évêque Lieinianus semble attribuer à l'évêque de
Poitiers d'avoir, avec Origène, cru les astres animés et
d'en avoir fait des esprits. Rien ne justifie cette impu-
tation. Coustant, Prœf. gen., n. 29, col. 24 sq.; Ceillier,
op. cit., t. îv, p. Mi.
L'homme se compose d'une double substance : l'une
extérieure et terrestre, qui est le corps ou la chair;
l'autre intérieure et céleste, qui est l'âme raisonnable,
immortelle, incorporelle et suivant laquelle l'homme a
été fait à l'image de Dieu. Inps. lui. 8; cxvill, litt. x,
67; CX.T/.i',4-6, col. 342, 5 56, 720 sq. En ce qui concerne
la spiritualité, une controverse existe sur la pensée du
saint docteur à cause de l'épithète de corporelle qu'il
donne à l'âme, //; p •. CXVIII, litt. xix, 8. col. 629, et
surtout à cause de cette atlirmation plus générale, In
Matth., v, 8, col. 946 : Nihil est quod non in substantia
sua et creationc cirporeum sit; et omnium, sive in cœlo
sine in terra, sive visibilium sive invisibilium, elementa
jormata sunt. Nam et animarum species, sive obtincn-
tium corpora, sive corporibus exsulantium, corpoream
tamen nalurœ suie subslanliam sortiuntur, quia omne
quod crealum est, in aliquo sit necesse est. Claude Ma-
mert, prêtre viennois (f vers 474), a trouvé là l'une des
deux erreurs qu'il attribue au docteur gaulois: unum,
quod nihil incorporeum crealum dixit. De statu ani-
marum, 1. II, c. ix, n. 3, P. L., t. lui, col. 752. Opinion
partagée par divers critiques, tels qu'Érasme, Schultes,
récemment Fôrster, Zur Théologie des Hilarius, p. 670,
et, pour le seul commentaire sur saint Matthieu,
Watson, op. cit., p. vu. D'autres opposent avec raison
les passages des deux commentaires où les âmes
humaines sont appelées, non moins que les anges, des
natures ou substances spirituelles : In Matth., ix, 20,
col. 974, in subslaUiam spirilualis animse; In ps. CXXIX,
4, col. 720, quarum (naturarum) alla spiritulis. Il
semble donc cpie, dans les textes objectés, saint Hilaire
ait pris, comme d'autres Pères anciens, les termes
corporidis et corporcum dans un sens large, pour
indiquer soit le rapport de l'âme au corps auquel elle
est unie, soit toutes les réalités qui concourent à l'exis-
tence concrète d'une nature créée n'ayant pas l'absolue
simplicité de la nature divine. Coustant, Prœf. gen.,
n. 255 sq., col. 120, et notes sur les textes objectés
col. 629, 945; Petau, De Deo, 1. II, c. i, n. 15; De
angelis, 1. I, c. n, n. 11 ; c. m, n. 12, éc it Thomas, t. i,
p. 170; t. iv, p. 12, 19; Noël Alexandre, Historia eccle-
siastica, Lucques,1734, t. iv, c. vi, a. 13, n. 4, p. 138.
L'origine de l'âme humaine donne lieu à une autre
controverse. Tous, rem irquc le saint docteur, nous
sommes naturellement portés à croire que les âmes ont
Dieu pour auteur. In ps. LXII, 3, col. 602. Mais s'agit-il
d'une action créatrice'? Il importe de distinguer entre
l'âme du premier homme et celles de ses descendants.
On ne peut douter qu'au jugement d'Hilaire, l'âme
d'Adam ait été l'objet d'une action strictement créa-
trice, In ps. LXIII, 9, ex a'Jlalu Dei ortam; LXVII, 22;
CXVIII, litt. x, n. 7, col. 111, 458, 566. Plusieurs textes
semblent appliquer la même doctrine aux autres âmes,
en particulier De Trinilale, X, 20, 22, col. 358 sq. :
Cum anima omnis opus Dei sit..., quœ utique nunquam
ab liomine gignenlium originibus prœbetur. Cf. In
Matth., x, 24, col. 976 : In naluram animœ, quœ ex
ajflatu Dei venit. Aussi le docteur gaulois est -il commu-
nément rangé parmi les partisans du créalianisme
strie enien1 e:. te nu. Watson, op. cit., p. lxviii; J.
Schwane, Dogmengeschichte, 2° édit., t. n, p. 423;
2419
HILAIRE (SAINT'
2420
Fôstcr, op. cit., p. i 71. Celte manière de voir n'a pas
paru certaine au l)r A. Beck, Die Lettre tics ht. Ililarius
von Poitiers utul Teriullian's ùber die Enlslchung der
Seelen, dans Philosophisches Jahrbuch, Fulda, 1900,
t. xin, p. 37-44. D'après l'évêque de Poitiers, pense-t-il,
les i.mes des descendants d'Adam ne seraient pas
créées immédiatement par Dieu; car, bien que les
âmes ne soient point transmises par voie de génération,
comme les corps, néanmoins celui qui engendre produit
tout entier l'être, semblable à lui-même, dont il est le
père. De Trinitatc, VII, 28; X, 19-22, col. 224, 357.
De là vient que le saint docteur a cité, parmi les mys-
tères de l'ordre naturel, l'origine de l'âme avec d'autres
productions non créatrices, telle que la formation du
corps. In ps. XCI, 3, 4 ; CXXIX, 1, col. 495 sq., 719. Mais
cette interprétation de la doctrine hilarienne reste fort
contestable. Dans le second passage invoqué, le seul
qui ait une réelle importance, l'auteur du De Trinitatc
soutient que Notre-Seigneur, cemme homme, nous est
consubstantiel, quoiqu'il ne tienne activement d'Adam
ni son corps ni son âme, l'un et l'autre ayant été pro-
duits par le Saint-Esprit. Il ajoute: Quasi vero si lanhun
■ex Virgine [assumpsissel corpus, mots omis dans lé.li-
tion de Migne], assumpsisset quoque ex cadem et ani-
mant, cum anima omnis opus Dei sit, carnis vero
generatio semper ex carne sit, etc. Phrase dont voici le
sens : « Comme si, dans l'hypothèse où Jésus-Christ
aurait tenu son corps de la Vierge seule (c'est-à-dire
sans l'opération du Saint-Esprit), il aurait aussi reçu
d'elle son âme ; car toute âme est l'œuvre de Dieu, alors
que la chair est toujours engendrée de la chair. »
Rétablie ainsi, l'argumentation d'Hilaire confirme, en
réalité, la production immédiate de l'âme humaine
par Dieu. Coustant, Prœjat. gcn., n. 250, col. 118.
Destiné à partager la béatitude même de Dieu, mais
devant en mériter ici-bas la possession en faisant un
bon usage de sa liberté et en se servant des créatures
pour connaître et vénérer son créateur, l'homme avait
été d'abord constitué dans un état privilégié de justice,
de félicité et de paix. In p.. Il, 15 s. ; CXVIII, litt. x, 1,
col. 270, 564. Hilaire fait allusion à ces heureux débuts
quand il parle de notre vie actuelle, sujette à tant de
misères, comme venant d'Adam, mais n'ayant pas
commencé avec lui : ab Adam namque ista icepil, non
cum Adam inchoata est. In ps. cxlv, 2 ; cf. cxlix, 3, col.
865, 886. Si le saint docteur n'établit pas de ligne de
démarcation entre ce qui, dans l'ensemble des dons
primitifs, se rattachait à la nature ou revenait à la
grâce, il n'en suppose pas moins évidemment l'exis-
tence de cette dernière. Quand il considère l'œuvre
de la réparation, il y voit le recouvrement de la per-
fection primitive, et notamment de la grâce : Sed
rursum Dei gratta imperlita gentibus, postquam in
aquee lavacro fons vivus cffluxil. In Matth., xn, 23,
col. 992. L'homme atteindra le terme suprême de sa
destinée quand, par la pleine connaissance de Dieu,
il obtiendra la consommation de l'image divine en son
âme. £j Trinilate, IX, 49, col. 432 sq.
m. Trinité. ■ — L'analyse des écrits dogmatiques de
saint Hilaire nous a donné une idée générale de son
enseignement sur le mystère fondamental de la foi
chrétienne. Plusieurs points de cet enseignement ont
été attaqués. Érasme et quelques autres s'en prirent
d'abord à la doctrine relative au Saint-Esprit, dont
l'évêque de Poitiers n'aurait pas nettement, ou du
moins expressément, affirmé la divinité. De nos jours,
l'attaque a porté plutôt sur la personnalité ou distinc-
tion réelle de la même personne. Comme, d'après
Hilaire lui-même, le terme à' Esprit S inl s'applique
soit au Père, soit au Fils, ceux des théologiens protes-
tants qui ont prétendu découvrir dans les premiers
siècles de l'Église une croyance « binilaire », par oppo-
sition à la croyance « trinitaire », ont été naturellement
portés à interpréter en ce sens la doctrine d'Hilaire,
soit en général, soit dans son commentaire sur saint
Matthieu, composé avant qu'il n'eût subi l'influence
de la théologie orientale; voir, par exemple, Loofs, art.
Ililarius von Poitiers, dans RcalencijklopàJie fiir pro-
leslantische Théologie und Kirche, 3e édit., t. vm,
p. 60 sq. Si ces critiques étaient fondées, ce ne serait
pas seulement la personne du Saint-Esprit, ce serait
la notion même de la Trinité chrétienne qui serait en
cause.
L'enseignement relatif à la personne du Fils a donr.é
lieu à une attaque non moins grave. Elle se rattache
a une thèse singulièrement audacieuse : la doctrine de
la consubstanlialité, entendue dans le sens où elle a
fini par prévaloir dans l'Église, aurait eu pour père
Basile d'Ancyre, le chef du parti homôousien. Voir
Arianisme, t. i, col. 1839; Basile d'Ancyre, t. n,
col. 462 sq. Saint Hilaire qui, pendant son exil, entre-
tint des relations d'amitié avec cet évêque, aurait l'un
des premiers subi son influence, assimilé 1'ôp.ooûato;
nicéen à I'ôlioio'jct'.oç basilien et, de la sorte, « trouvé
dans l'interprétation homoïousienne de YôpooÙGios le
point de jonction de la théologie orientale et des lor-
mules occidentales ». J. Gummerus, Die Homôusia-
nische Partie bis zum Tode des Constantius, Leipzig,
1900, p. 114; ouvrage analysé et discuté par G. Ras-
neur dans la Revue d'histoire ecclésiastique, Lou-
vain, 1903, t. iv, p. 189-260, 411-431 : L'homoio:-
sianisme dans ses rapports avec l'orthodoxie, deux arti-
cles, dont le second porte directement sur la question
hilarienne. Les preuves apportées sont : la parenté
doctrinale d'Hilaire et des homéousiens; son attitude
à leur égard pendant son stjour en Asie Mineure;
surtout le traité De synodis. Car l'évêque de Poitiers
y justifie ou excuse les multiples professions de foi
émises en Orient depuis le concile de Nicée; il y
accepte ou laisse passer des formules qui s'arrêtent à
l'unité spécifique du Père et du Fils, ou qui subor-
donnent le premier au second, ou qui attribuent la
génération du Verbe à la volonté du Père; enfin il y
défend expressément l'ôuccoûato;, c. lxxii sq. ■ — Telle
est l'attaque. Ce qu'elle vaut, un exposé succinct du
véritable enseignement de saint Hilaire le fera voir.
lu Croyance trinitaire. — Dans le commentaire sur
saint Matthieu, n, 6, col. 927, l'évêque de Poitiers
signale la manifestation symbolique des trois per-
sonnes divines au baptême de Notre-Seigneur. Plus
loin, xin, 6, col. 991 sq., il applique mystiquement au
« mystère de la foi, celui du Père, du Fils et du Saint-
Esprit en leur unité », la parabole du levain qu'une
femme prend et mêle dans trois mesures de farine.
Mais c'est à la formule baptismale, Matth., xxvm,
19, qu'il rattache l'expression distincte et le fonde-
ment principal du « mystère de la Trinité régénéra-
trice » : Baplizare jussit in nomine Patris et Filii et
Spirilus Sancti, id est, in con/essione et Auctnris, et
Unigeniti,et Doni. De Trinilate, I, 36; II. 1, col. 48-50.
Ou encore, « mystère de la Triade », sacramenlum
Triadis quœ a nostris Trinitas est nuncupala. In-
strurlio psalm., 1 3, col. 210. Qu'aux yeux du saint doc-
teur le Père, le Fils et le Saint-Esprit soient des réalités
distinctes ou des termes subsistants, la chose est mani-
feste par cela' seul qu'aux sabelliens, réduisant ces
termes à trois déni minai ions diverses d'une seule et
même personne, il oppose la foi catholique, d'après
laquelle aux trois noms correspondent des réalités
distinctes. De Trinilate, I, 21 ; II, 5, col. 39. 54. Aussi,
parlant des trois hypostascs que les eusébiens affir-
mèrent en 311 au synode d'Antioche in encœniis, voir
Arianisme, t. i, col. 1810, il justifie l'expression en
l'interprétant dans le sens, plus accessible à des
esprits latins, de trois personnes ayant chacune leur
subsistance propre : tres substanlias esse dixerunl.
2421
HILAIRE (SAINT)
2422
subsislenlium personas per substanlias edocentes. De
syn., 32, col. 504. Les trois n'en restent pas moins un
par la nature, la substance ou l'essence, ternies syno-
nymes dans le style hUarien. De syn., 12, col. 490; cf.
Th. de Régnon, Études de théologie positive sur la
sainte Trinité, Paris, 1892, lr» série, p. 219. Il y a donc
en Dieu, sous le rapport de l'unité, opposition entre la
notion de nature et celle de personne : non persona
Deus unus est, sed naturel. De syn., 69, col. 526; De
Trinitale, V, 10, col. 135. Entre les personnes elles-
mêmes il y a distinction, mais il n'y a pas union, il y a
seulement unité de substance : unum sunt, non unione
personœ, sed substantiœ unitatc. De Trinitulc, IV, 42,
col. 128. Comme la nature ou la substance, et par con-
séquent la divinité n'est pas multipliée, il ne peut être
question, pour un catholique, de plusieurs dieux. Ibid.,
1, 38 ; De syn., 56, col. 49, 519. Ainsi conçue, la Trinité
comprend essentiellement trois personnes proprement
divines, homogènes, consubstantielles ; c'est la Trinité
orthodoxe, diamét ralement opposée à la Trinité arienne,
composée de personnes hétérogènes dont l'excellence
intrinsèque et la dignité décroissaient au fur et à
mesure qu'on s'éloignait du premier ternie. Voir
Aiuavisme, t. i, col. 1787.
2° Consubslanlialilé du Père et du Fils : Hilaire fut-il
homéousianisle ? — Que le Père et le Fils soient deux
personnes réellement distinctes, dont la seconde tienne
de ses rapports à la première ses propriétés et ses
appellations : progenies ingeniti, unus ex uno, verus a
vero, vivus a vivo, perfectus a perfeeto, virtutis virlus,
sapientiœsapienlia, qloriu gloriir. imago invisibilis Dei,
forma Patris ingeniti, De Trinitale, II, 8, col. 57; que
le Fils ne soit pas un être créé, c'est-à-dire tiré du
néant, et, par le fait même passant à un moment
donné de la non-existence à l'existence; mais qu'il ait
été engendré par le Père de sa propre substance et de
toute éternité; que, semblable au Père en substance,
il soit, comme lui, vraiment et proprement Dieu;
c'est la thèse même de saint Hilaire dans le De Trini-
tale. Mais cette doctrine est déjà réellement contenue
dans le commentaire sur saint Matthieu. On y lit,
par exemple, xvi, 4, col. 1008, que le Fils est éternel
comme le Père, cuisit ex œlernitate parenlis œlernilas ;
qu'il est Dieu de Dieu, sans que pour cela il y ait deux
dieux, ex Deo Deus unus in ul roque. Si, dans un autre
e.idro.t, xx:ci, 3, col. 1607, on peut relever cette expres-
sion moins heureuse : pencs quem eral anlequam nasce-
relur, il suffit, pour écarter toute méprise, d'ajouter les
mots qui suivent : eamdem scilicet œlernilatem esse et
gignentis et geniti. D'après le contexte, le saint docteur
a directement en vue les ariens qui niaient l'éternité
du Fils et le tenaient pour une créature tirée du néant;
à rencontre, il aiïirme que le Verbe était Dieu dès le
commencement, qu'il n'a pas été tiré du néant, mais
qu'il est né « de ce qui, antérieurement à sa naissance
[logiquement parlant], était en celui qui lui a donné
naissance »; en d'autres termes, il est né de l'éternelle
substance du Père, dont il partage l'éternité. Qu'une
telle génération soit pour nous incompréhensible, ce
n'est pas Hilaire qui en disconviendra. Th. de Régnon,
op. cit., 3e série, t. i, p. 265.
A toute génération proprement dite s'attache l'idée
de similitude ou égalité de nature entre le générateur et
l'engendré. De Trinitale, V, 37; IX, 44 ; De syn., 17,
20, col. 15;., 347, 493,496. Prise en soi, cette considé-
ration mène directement à l'unité spécifique du Père
et du Fils ; sous ce rapport, elle est déjà décisive contre
l'arianisme strict ; d'où l'usage qu'en a fait l'évêque de
Poitiers, comme les autres Pères, saint Athanase en
particulier. Mais eu Dieu, la conséquence va plus loin,
jusqu'à la consubstantialité parfaite, jusqu'à l'unité
numérique ou indentitô de substance, exprimée par
J'ôo.oo'jaioç nicéert; car l'Être suprême étant essen-
tiellement un, éternel, simple, immuable, infini, la
nature divine n'est pas plus susceptible d'être multi-
pliée numériquement que de l'être spécifiquement.
Th. de Régnon, op. cil., lre série, p. 372 sq. Pour les
mêmes raisons, saint Hilaire exclut une génération du
Verbe où interviendrait l'idée de fractionnement, de
perte, de diminution, de scission, d'extension ou dila-
tation, de transfusion, d'émission, de passibilité. De
Trinitale, III, 3, 17; VI, 35, col. 77, 86, 185. Cette
génération ne peut être que la communication, faite au
Fils par le Père, d'une seule et même substance, possé-
dée tout entière par celui qui la donne et tout entière
par celui qui la reçoit : Quod in Paire est, hoc et in
Filio est, et uterque unum; du m et Pater nilùl ex suis
amittil in Filio, et Filius lotum sumit ex Pâtre quod
Filius est; lotum a loto, Deum et Filium. De Trinitale,
III, 3; VII, 41; VIII, 52, col. 77, 234, 276; cf. In
Matth., xvi, 4, col. 1008.
L'unité de substance que cette doctrine contient,
est manifestement l'unité numérique : Absolute Pater
Deus et Filius Deus unum s uni, non unione personœ,
sed substantiœ uniiate; per generationem nalivitalemque
imitas ejusdem in ulroque nalurœ; inlellige unitatem,
dum non divid.ua natura est. De Trinitale, IV, 42;
VII, 41; IX, 66, col. 128, 234, 336. Hilaire se sert
parfois, il est vrai, d'analogies empruntées à des unions
qui ne supposent pas l'unité numérique de substance;
telle, par exemple, l'union qui existe entre Jésus-Christ
et les communiants ou entre les fidèles eux-mêmes. Il
s'en sert pour répondre aux ariens, qui prétendaient
réduire l'Ego et Pater unum sumus, Joa., x, 30, à une
simple union morale ou de volonté, en s'appuyant sur
cet autre texte, xvn, 21 : Ut omnes unum sint, sicul
tu, Pater, in me, et ego in te. Même l'union qu'on allègue,
répond-il, n'est pas une simple union des volontés, car
le lien qui unit les fidèles entre eux est, dans son prin-
cipe, la foi cl le baptême, réalités communes à tous et
distinctes de leurs volontés particulières; encore moins
l'union entre Jésus-Christ et les communiants est-elle
uneunion purement morale, puisqu'elle a pour principe
et pour lien le corps du Seimieur, réellement et physi-
quement un dans tous les commu liants. De Trinitale,
VIII, 7, 8, 16, col. 241, 21 s; Coustant, Prtef. gen.,
n. 77-79, col. 43 sq. Mais en se servant de ces analogies,
le saint docteur ne prétend nullement assimiler à ces
sortes d'unions l'unité qui existe entre la première et
la seconde personne de la Trinité; cette unité transcen-
dante, il la distingue m me expressément de l'unité
spécifique qui, seule, se rencontre dans les deux termes
de la génération lu m une : Non est corporalium natu-
rarutn isla conditio, ul insint sibi invicem, ut subsis-
tentis nalurœ habeant per/eetam unitatem, ul manens
Unigenili nalivitas a paternse divinitatis sil intepara-
bilis veritate; Unigenito tantum istud Deo proprium est.
De Trinitale, VII, 41, col. 234.
Rien de plus propre à confirmer la réelle pensée
d'Hilaire, que sa doctrine de la circuminsession. Si ce
terme, qui est de latinité scolastique, ne se lit pas dans
ses écrits, il n'en faut pas moins compter parmi les
vérités que le saint évêque a le plus et le m'eux
exploitées, la chose dont ce terme est l'expression,
c'est-à-dire l'existence du Père et du Fils l'un dans
l'autre, Joa., xiv, 10, avec ses conséquences: insépara-
Lilité du Père et du Fils dans l'action, Joa., v, 19;con-
naissance adéquate qu'ils ont l'un de l'autre, Matth.,
xi, 27; Joa., x, 15 ; visibilité du Père dans le Fils, Joa..
xiv, 7, 9. Mais d'où viennent toutes ces propriétés? De
l'unité de substance ou de nature. Ainsi en est-il pour
l'existence des deux l'un dans l'autre : Alium in alio,
quia non aliud in ulroque; unu [ides est Palrem in Filio,
cl Filium in Pâtre per inseparabilis nalurœ unitatem
conflteri, non confusam, scu indiscretam. De TrinilaU ,
III, 4; VIII, 41, col. 78, 267. De même, pour la cor.-
2423
HILA1RE [SAINT1
2424
iiïce mutuelle : Cognilio allerius in allero est,
quia non differt aller cib altero nalura; et pour l'insé-
parabilité dans l'action : Conscientia in se natures
paternes, quse in se operalur opérante. De Trinilale,
VI 1,5; IX, 45, col. 203, 318.
Des théologiens protestants, comme Dorner, Ent-
wicklungsgeschichte der Lehre von d, r Person Chrisli,
t. i, p. 900 fq., et Fôrster, op. cit., p. ( 5!, oit prétendu
voir dans quelques texl.es relatifs à la connaissance
mutuelle du Père et du Fils, notamm ait In Matth., xi,
12, col. 983 sq., et De Trinilale, II, 3, col. 52, «une
sorte de construction spéculative de la Trinité, partant
de lidée de la conscience de soi-même en Dieu », à
savoir, d'une conscience consistant, pour le Père et le
Fils, dans la connaissance qu'ils ont l'un de l'autre.
(est là une interprétation arbitraire, dépendante de
conceptions philosophiques, mo lernes et systéma-
tiques, sur les rapports entre la conscience et la per-
sonnalité. Dans le premier texte, Ililaire commente
ainsi le Nemo novit Filium, nisi Pater, etc. : Eamdem
ulriusque in mutua cognitione esse substantiam docet;
c'est tout simplement trouver, dans la connaissance par-
faite que le Père et le Fils ont 1 un de l'autre, la preuve
de leur unité de substance. Dans l'autre texte on lit :
Pater aulem quomodo eril, si non quod in se subslanliœ
atque nalurœ est, agnoscal in Filio? Le raisonnement
revient à ceci : Ce minent le Père, considéré comme tel,
existera-t-il, s'il n'a pas un Fils, et un Fils dans lequel
il reconnaisse sa propre substance et sa nature ? D'après
ce texte et autres semblables, si l'on voulait songer à
une construction spéculative de la Trinité, c'est aux
notions de paternité et de filiation, caractéristiques de
la première et de la seconde personne, qu'il faudrait
recourir; l'aboutissant logique serait la doctrine augus-
tinienne des personnes divines, d'un côté, s identifiant
dans l'absolu, nature, essence, substance, divinité, etc.,
tle l'autre, constituées en m'me temps que distinguées,
dans leur personnalité, par les propriétés d'origine
active ou passive, qui sont d'ordre relatif. Mais l'évêque
de Poitiers n'a pas tiré lui-m'me ces conséquences, soit
qu'il ne les ait pas distinctement perçues, soit que,
luttant contre les ariens, il ait jugé préférable de ne pas
entrer dans le domaine des constructions spéculatives,
comme il a jugé préférable d'éviter, en général, les
tei mes techniques ou spécifiquement philosophiques.
Th. de Régnon, op. cit., 3e série, t. i, p. 542.
L'ô;jlooj3'.&; du symbole de Nicée signifiant que le
Fils est consubslantiel au Père, Ililaire ne pouvait qu'en
être le partisan, du jour où il le connut. Dans ses écrits
dogmatiques, il le défend contre les attaques et les
fausses interprétations des adversaires. De Trinilate,
IV, 4, 6; De stjn., 67-76, col. 98 sq., 525 sq. Mais le fait
que d'abord, comme il nous l'a dit lui mime, il ait
tenu l'idée exprimée par le mot sans connaître ce
dernier; le fait que plus tard encore, par exemple, dans
le IIe et le III livre du De Trinitale, il ait exposé la
doctrine orthodoxe sans employer la formule nicéenne,
prouve qu'il savait distinguer entre le dogme, qui est
un, et l'expression du dot me, qui peut être multiple,
quand des équivalents réels existent. Cette considé-
ration explique comment, sans être lui mêm * homéou-
sien, le saint évêque a pu admettre la foimule g>;j.oio'jct.oç,
a' une substance semblable; foimule susceptible d'un
sens faux et d'un sens exact. On peut vouloir, en
l'employant, animer la similitude en niant l'unité ou
l'identité eie substance entre le Père et le Fils; la
formule est alors hétérodoxe, car la multiplication
m mérique de la substance divine entraîne, de soi, le
dithéisme ou le trithéisme. Mais on peut aussi vouloir
simplement aîïhmer que le Fils est semblable au l'ère
quant à la substance, pour accentuer la réalité sub-
stantielle de l'un et de l'autre ou le caractère d'imagedu
Férc, qui convient au Fils d'après les saintes Écritures;
dans ce cas, l'unité ou identité de substance n'est pas
niée, elle est m'me virtuellement affirmée par epii-
conque oppose rôij-oioôcto; à l'àvo'ixoio; êtes ariens et
rejette en m'me temps le dithéisme ou le trithéisme.
Le procédé d'Hilaire, dans le traité De synodis, con-
siste précisément à montrer aux heméousiens qu'il leur
est impossible de soutenir logiquement l'ôjAOïoûaioç de
la seconde façon sans admettre 1'ôu.ooûaio; entendu
sainement, dans le sens où les Pères de Nicée l'avaient
pris: Quid fid.m mn m il homoousion damnas, qui m
per homoiousii p;ofcs>ior>em non pot. s roi piobaie?
De stin., 88, col. 540. Abstraction faite eles détails
l'argumentation peut se résumer en ces quelques mots :
dans le Père et le Fils, Dieu l'un et l'autre, pas de
similitude quant à la substance sans égalité de nature;
pas d'égalité de nature sans unité ou identité de nature.
Th. de Régnon, op. cil.,lTe série, p. 374 sq. ; G. Rasneur,
loc. cit., p. 12 1. Raisonner ainsi, ce n'est pas chercher
dans la doctrine homéousienne l'interprétation exacte
de l'ciijLoojaio;, comme le prétend Gummerus; c'est,
au contraire, prendre pour mesure l'ôjAooûaio; et
relever 1' ôaoïoûatoç au mime niveau.
Qu'on puisse signaler eles affinités entre la théologie
hilarienne et la théologie homéousienne, il n'y a pas
lieu de s'en étonner; mais les points de doctrine habi-
tuellement allégués ne sont, ni en eux m mes, ni dans
leur origine, exclusivement ou spécifiquement hemé-
ousiens. Par exemple, Hilaire attribue la génération du
Fils non pas seulement à la nature, mais à la volonté
du Père, ut voluit qui potuit, De Trinilale, III, 4, col.
77; mais cette manière de voir n'est pas propre aux
homéousiens, elle se rencontre aussi chez eles nicéens
et, dans leur pensée, tend uniquement à rejeter une
génération où le Père agirait comme sormis à une sorte
de coaction. Voir Arianismk, t. i, col. 1814. De mèm.\
saint Hilaire applicjue le Pater major me est, Joa., xiv,
28, à Jésus-Christ considéré dans ses deux natures,
De Trinilale, IX, 54, col. 237 sq.; In ps. cxxxvm,
17, col. 801; m lis cette interprétation, qui est égale-
ment celle d'autres auteurs postnicéens pleinement
orthodoxes, ne cache aucune arrière-pensée de subor-
dinatianisme, car il s'agit d'une prééminence ou pré-
séance u'orure purement relatif, fondée sur ta propriété
que possède le Père d'être en lui-même l'Innascible et,
par rapport au Fils, le Principe ; comme, par ailleurs, le
Père communique toute sa substance au Fils, il n'en
résulte dans celui-ci ni différence de nature ni véritable
infériorité : Minor jam non est, cui unum esse donatur;
liccl paternœ nuncupalionis proprielai différai, tam n
natura non differt. De Trinitale, ÎX, 51, col. 325;//! ps.
CXXXYIII, 17, col. 801. Cf. Baltzer, Die Théologie des
ni. ttilurius, p. 23 sq; Th. de Régnon, op. cit., 3e série,
t. i, p. 170.
Toutefois, puisqu'il s'agit surtout du De synodis, il
importe de distinguer le problème doctrinal et le pro-
blème critique, ou la croyance d'Hilaire et son inter-
prétation des formules homéousiennes. Écrivant pour
rapprocher les évêques d'Orient et d'Occident, le saint
docteur a pu être entraîné par son désir de conciliation
et par ses sympathies personnelles à juger trop favo-
rablement les symboles orientaux, à laisser dans
l'ombre les côtés défectueux et à mettre en relief les
côtés acceptables. La supposition est d'autant plus
fondée que saint Athanase, composant un an plus tard
un écrit de même titre, porta sur quelques-unes eles
formules homéousiennes un jugement plus sévère.
Voir t. i, col. 1831 sq. ; Valois, note 93 sur Socrate,
H. E., n, 29, P. G., t. lxvii, col. 279. Mais il faut aussi
reconnaître que la différence d'appréciation s'explique
en grande partie par la diversité des buts et des cir-
constances. L'Athanase de l'Occident composa son
écrit avant le concile de Rimini, alors que le parti
boméousien, franchement opposé au parti anoméen et
2425
HILAIRE (SAINT)
2426
jouissant de la faveur impériale, semblait promettre
un retour à la pleine orthodoxie ; l'Athanase de l'Orient
composa le sien après le même concile, dont le résultat
avait été l'écrasement du parti homéousien et la su-
prématie du parti homéen avec l'intrusion d'un credo
impérial : le temps n'était plus aux ménagements ni
aux essais de conciliation. Coustant, Prie/, in librum
de synodis, 13-17, col. 476 sq. ; Th. de Régnon, op. cil.,
3e série, t. i, p. 247. Et pourtant, aux jugements
sévères sur les symboles se joint, chez l'évêque
d'Alexandrie, une attitude conciliante à l'égard des
lioméousiens et de leur mot d'ordre. Voir t. i, col. 1831.
Du reste, Hilaire n'avertit-il pas lui-même ses lec-
teurs, De syn., 8, col. 484, de ne pas se prononcer avant
d'avoir pris connaissance de tout son écrit? Or, à la
fin, il exhorte de toutes ses forces les lioméousiens à
se rallier simplement à la foi de Nicée. N'était-ce pas
laisser entendre que, s'il les croyait en bonne voie,
il ne les croyait cependant pas arrivés au terme? Il
eut l'occasion de s'expliquer là-dessus. Il avait écrit,
De syn., 78, col. 530 : Quanlam spem revocandse verse
fldei altulislis, constanter audacis perfidise impelum
retundendo! La phrase ayant été critiquée, il répliqua
dans ses Apologctica responsa, 4, P. L., t. x, col. 546 :
« Je n'ai pas parlé de retour à la vraie foi, mais ex-
primé seulement l'espoir qu'ils donnaient de ce re-
tour : non enim cos veram fidem, sed spem revocandse
fldei atlulisse dixi. » Dès lors, on peut se demander si,
dans les interprétations bénignes du saint évêque,
il n'y avait pas parfois une manière délicate de favo-
riser le retour complet des lioméousiens, en leur fai-
sant comprendre quel sens ils devaient donner à leurs
formules pour les rendre acceptables.
3° Esprit-Saint : personnalité et divinité. — Hilaire
a spécialement traité de la troisième personne de la
Trinité dans trois endroits du De Trinitate, II, 29-35,
col. 69-75; VIII, 19-31, col. 250-260; XII, 55-57, col.
469-472. La doctrine est beaucoup moins développée
que pour les deux autres personnes, et cette circon-
stance a donné lieu aux attaques rapportées col. 2419.
En ce qui concerne la distinction réelle et la person-
nalité, la vraie pensée du docteur gaulois ressort plei-
nement de sa croyance trinitaire. Dans ses écrits,
avant comme après l'exil, il présente le Saint-Esprit
comme rentrant dans la Trinité chrétienne au même
titre que le Père et le Fils; c'est à propos du Saint-
Esprit, joint aux deux autres clans la formule fonda-
mentale de notre foi, qu'il a dit : « Nous n'avons qu'un
tout imparfait, s'il manque quelque chose au tout. »
De Trinitate, II, 29, col. 69. Ce qu'il prétend soutenir,
c'est une Trinité non miins opposée au modalisme de
Sabellius qu'au subordinatianisme d'Arius ; Trinité
où le Saint-Esprit ne doit se confondre ni avec le Père,
qui seul est innascible, ni avec le Fils, qui envoie
l'Esprit Paraclet. De Trinitate, II, 4-5; De syn., 32,
53-55, col. 52 sq., 504, 519. Quand il établit que le
Saint-Esprit existe, les raisons apportées vont à prou-
ver qu'il existe comme troisième terme d'une Trinité
réelle et comme sujet de propriétés convenant à un
être subsistant : il tient son origine du Père et du Fils,
Pâtre et Filio auctoribus confilendus est; il est envoyé,
do.iné, reçu, obtenu. De Trinitate, II, 29, col. 69. Il
procède du Père, et tient du Fils tout ce qu'il a; il est
du Père par le Fils, q ii ex le per unigenilum luum est.
Ibid., VIII, 20; XII, 57, col. 251, 472. La procession
ab ulroque est équivalemment contenue dans ces affir-
mations; elle serait même formellement exprimée
dans le fragment qui se lit, P. L., t. x, col. 726 : ambo
unum principium Spiritus Sancti sunt, si l'authenticité
de ce fragment était acquise. La dénomination de
Spiritus Sanctus s'applique parfois, il est vrai, au Père
et au Fils, mais il n'y a en cela, remarque Hilaire, rien
qui doive troubler, in quo nihil scrupuli est, puisque
les deux noms composants, esprit et saint, conviennent
réellement aux trois personnes. Coustant, Prsef. yen.,
68, col. 39; Th. de Régnon, op. cit., 3e série, t. n,
p. 292 sq. Nulle difficulté contre la personnalité dis-
tincte de celui auquel cette dénomination est spécia-
lement attribuée, du moment où cette personnalité
distincte est établie par ailleurs ; et elle l'est, notam-
ment par le titre de Don et d'Esprit Paraclet, qui nous
est envoyé par le Père et le Fils. De Trinitate, II, 30-
32 ; VIII, 25, col. 70 sq., 254.
La divinité du Saint-Esprit est contenue dans cette
doctrine comme la conclusion dans les prémisses. La
pensée d'Hilaire se confirme quand, revenant sur le
sujet, comme si, parmi les lioméousiens d'alors,
l'erreur des pneumatomaques avait eu déjà des parti-
sans, il refuse catégoriquement de mettre l'Esprit-
Saint au nombre des créatures. L'Écriture, qui nous
montre l'Esprit procédant du Père, Joa., xv, 26, ne
nous a pas révélé le mode de cette procession, comme
elle l'a fait pour la seconde personne en la proclamant
engendrée; mais il suffit que l'Esprit Paraclet soit du
Père par le Fils, qu'il soit l'Esprit de Dieu et que,
comme tel, il pénètre jusqu'aux profondeurs de Dieu,
I Cor., n, 10, pour que nous devions refuser de voir en
lui un être créé : Nulla te nisi res tua pénétrai... Tuum
est quidquid te init. De Trinitate, XII, 55, col. 469. Cela
étant, pourquoi saint Hilaire n'a-t-il jamais expressé-
ment donné au Saint-Esprit l'appellation de Dieu ?
Question secondaire, dont on peut dire ce qu'il dit lui-
même : Neque sit mihi inutilis pugna verborum. Ibid.,
56, col. 471. Peut-être l'exilé d'Asie Mineure a-t-il
délibérément évité l'emploi d'un terme qui, n'étant
pas encore appliqué à la troisième personne dans les
symboles officiels, aurait pu créer de nouvelles diffi-
cultés, soit entre lui et les lioméousiens, soit entre les
lioméousiens eux-mêmes. Coustant, Prsef. in lib. de
Trinitate, 12-16, col. 14 sq.
Il reste que, sur le Saint-Esprit comme sur le Fils
Hiliire a proposa et défendu la doctrine catholique,
telle qu'elle était énoncée de son temps, et que son
enseignement ne mérite pas les critiques sévères qu'on
lui a parfois adressées, suivant la juste nrmrque de
A. Beck, op. cit., p. 236. Entre le commentaire sur
saint Matthieu et les écrits composés pendant ou après
l'exil, il y a progrès manifeste, progrès dû en partie
à l'étude de la théologie orieitale; mais ce progrès
n'accuse pas une différence de doctrine, il porte seu-
lement sur une intelligence plus profonde, une expo-
sition plus ample et une expression plus circonspecte
d'un même fond doctrinal.
iv. Jésus-christ. — Saint Hilaire, défendant contre
les ariens la consubstantialité du Fils de Dieu, se
trouvait par le fait même en face de la personne de
Jésus-Christ, celui-ci n'étant rien autre que le Fils de
Dieu né d'une Vierge pour le rachat du genre humain.
De Trinitate, II, 24, col. 66. « Mystère de notre salut »,
dont le docteur gaulois parle avec la conviction la
plus intime et la piété la plus profonde. Nul sujet où il
ait marqué davantage l'empreinte de son esprit
chercheur et original ; nul sujet aussi où il ait donné
plus de prise à la critique. Soit, à titre d'exemple, cette
affirmation massive de E. Cunitz, dans Y Encyclopédie
des sciences religieuses, art. Hilaire de Poitiers, Paris,
1879 t. vi, p. 245 : « On n'a pu s'accorder jusqu'à ce
jour sur la q les ion, si les idées qu'Hilaire professa
sur la cliristolo|ie, et eu particulier sur la nature de
Jésus-Christ, sont conformes ou non au dogme catho-
lique. » Il importe de dégager les grandes lignes de
son enseignement, avant d'examiner en détail les
points incriminés.
1° Doctrine chrislologique. — - Toutes les affirma-
tions capitales de la foi catholique relativement au
Verbe incarné, en particulier celles qui, plus tard, ont
2427
H IL AIRE f SAINT
2428
été solennellement proclamées contre le nestoria-
nisme et l'eatv chianisme, se rencontrent, et souvent
formulées avec beaucoup de netteté, dans les écrits
de l'évèque de Poitiers. Le terme d'incarnation, de-
venu classique chez les latins, ne s'y trouve point ;
le mystère est désigné par des expressions équiva-
lentes, comme sacramentum corporaiionis, myslerium
assumptœ carnis, mysterium dispensationis evangeliese ;
mais, habituellement, le saint docteur parle d'une
façon plus concrète en considérant l'union du Fils
de Dieu a la chair, assumptio carnis, au corps, as-
sumplio corporis, ou à notre nature signifiée par le
tenue d'homme, assumptus homo ab unigenito Dei.
In ps. lxviii, 25, col. 486. L'unité d'être ou de per-
sonne physique est fortement accentuée : Unus alquc
idem Dominus Jésus Christus, Verbum caro factum.
I c Trinilale. X, 62, col. 391. Jésus-Christ, c'est donc
le Fils unique du Père éternel, subsistant d'abord
comme Dieu, puis simultam ment comme Dieu et
• comme homme, mais ne faisant, après comme avant
l'incarnation, qu'un seul Fils de Dieu, fils naturel
et non pas adoptif : Hic et verus cl proprius est Filius,
origine, non adoplione : natus est, non ut esset alii s et
alii s, sed ut ante l ominem Deus, suscipiens homincm
homo et Deus posset intelligi. De Trinilale, III, 1 1 ; X,
22, col. 82, 360. Si, dans un passage objecté au procès
canonique pour le doctorat, De Trinilate, II, 27, col. 68,
le mot d'adoption apparaît, il suffit de répondre que
ce mot ne tombe pas sur un être concret, considéré
comme sujet d'une filiation adoptive, mais unique-
ment sur la chair, en tant que prise gratuitement,
et, dans ce sens, adoptée par le Fils de Dieu, carnis
humililas adoplalur. C'est en vertu de cette unité
d'être ou de personne que toutes les actions et toutes
les merveilles opérées par Jésus-Christ sont d'un
Dieu : omnia opéra Chrisli omnesque cjus villutes i i
Dei esse lai dandas. In Mallh., vm, 2, col. ! 59. Cf. De
Trinilate, IX, 5, col. 284.
La divinité de Jésus-Christ découle de son identité
personnelle avec le Verbe. Hilaire la prouve, en outre,
De Trinilale, 1. III-IV, par les nombreux témoignages
de la sainte I criture qui la supposent ou l'expriment,
preuve largement développée et déjà presque aussi
complète que dans nos cours actuels d'apologétique.
Les théophai ies elles-mêmes servent au saint doc-
teur pour établir la divinité, en même temps que la
distinction du Père et du Fils, par exemple, 1. IV, 42;
1. V, 17, col. 128, 139. Mais la divinité n'absorbe pas
l'humanité; les deux natures coexistent, sans se con-
fondre et sans cesser d'être parfaites, chacune en son
espèce ; Jésus-Christ est aussi vraiment homme qu'il
est vraiment Dieu, et réciproquement : habens in se
tolum verumque quod homo est, et totum verumque quod
Deus est. De Trinilate, X, 19, col. 357. In ps. L1V, 2,
col. 348. Comme homme, il possède une nature hu-
maine réelle et semblable à la nôtre : non aliéna oui
simulutœ naturas hominem adsumpsit, li; ps. cxxx\ ni.
3, col. 793; par conséquent, il se compose d'un corps
et d'une âme comme les nôtres : carnis alquc anima:
homo, nostri corporis alquc animœ homo. De Trinilale,
X, 19, col. 357 ; In ps. un, 8, col. 342. Les erreurs
arienne et apollinariste, d'après lesquelles le Verbe
lui-même aurait tenu lieu, en Jésus-Christ, d'âme,
ou du moins d'âme raisonnable, sont formellement
rejetées. De Trinilale, X, 22, 50 sq., col. 359, 383.
A cette dualité de natures complètes se rattache
une double personnalité, au sens juridique et moral
du mot : non con/undenda persona divinitatis et cor-
poris est. In p.'. cxxxriu, 5, col. 795. C'est , sous un autre
apect, le Christus spiritus et le Christus Jcsus. De
Tiinitale, VIII, 46, col. 271. D'où la nécessite, quand
il s'agit du Verbe incarné, de distinguer ce qui, dans
les saintes Lettres, se rapporte au Dieu et ce qui se
rapporte à l'homme; en outre, quand il s'agit de
l'homme, il faut distinguer encore ce qui convient au
Christ Jésus, vivant ici-bas d'une vie mortelle et pas-
sible, de ce qui convient au même vivant au ciel d'une
vie glorieuse. En négligeant ces distinctions, les ariens
se font, contre la divinité de Jésus-Christ, une arme
de ce qui prouve uniquement la réalité de son incar-
nation ou de sa vie mortelle et passible. /// ps. Lir,2 ;
CXXXVin, 2, 3, 20, col. 348,793 sq., 802; De Trinilate,
X, 62, col. 391.
Jésus-Christ, le Fils de Dieu fait homme, est roi
et prêtre éternel. In Mallh., i, 1, col. 919. Son
royaume est d'ordre spirituel et concerne la Jérusalem
céleste; son sacerdoce, figuré par celui d'Aaron et
mieux encore par celui de Melchisédech, est supérieur
au sacerdoce lévitique : Jésus-Christ est, par excel-
lence, le prince des prêtres, le souverain prêtre.
In ps. 11,24, 26; CXVin, litt. m, 7; exix, prol., 5, col.
275 sq., 520, 644 sq. L'onction royale et sacerdotale,
qu'il a reçue comme homme, a pour fondement la
divinité même. In p.' . CXXXII, 4, col. 747 ; De Trinilale,
XI, 18 sq., col. 412 sq. Surtout. Jésus-Christ est sau-
veur et rédempteur; c'est pour remplir cet office qu'il
s'est fait homme et qu'il est venu parmi nous. In
Mallh., xvi, 9, col. 1011 : De Trinilale, VI, 43; X, 15,
col. 194, 353; In ps. li, 9, col. 314. En s'incarnant, il
s'est en quelque sorte uni tout le genre humain, à
titre de second Adam : naturam scilicet in se tolius
humani generis assumens; Adam c cœlis secundus.
In ps.Ll, 17 ; lxviii, 23 ; In Matth., iv, 12, col. 318, 484,
935. Comme Dieu homme, il est médiateur naturel
entre Dieu et les hommes : illo ipso inler Dcum et ho-
mines MED1ATOR1S sacramcnlo ulrumque unus existens.
De Trinitale, IX, 3, col. 283.
Hilaire ne fait pas la théorie de l'œuvre rédemp-
trice; il se contente de la décrire par ses effets multi-
ples, qui s'étendent à l'âme et au corps : et animes et
corporis est redemplor. In Matth., ix, 18, ! 73. Dans
cette description, il s'inspire manifestement des sain-
tes Écritures, par exemple, Inps.LXVin, 14; cxxxr,
15; CXXXVin, 26, col. 478, 776, 805; De Trinilate, I,
13, col. 35. Incidemment, il parle du démon qui, en
faisant mourir l'innocent, commit un abus de pou-
voir, où il trouva sa propre condamnation, Inpt. lxviii,
8, col. 475 ; simple manière de concevoir et d'exprimer
un des effets de l'œuvre rédemptrice, le triomphe de
Jésus-Christ brisant <■ par sa mort la puissance de
celui qui a l'empire de la mort, c'est-à-dire du diable ».
Heb., n, 14. Ailleurs, le saint évêque suppose que
l'empire exercé sur les hemmes par les démons ne re-
posait pas sur la justice et le droit, mais venait d'une
usurpation coupable de ces esprits pervers, ex injusto
alque peccatore et perverso jure dominanlium. In ps. il,
31, col. 280, Plus importants sont les caractères attri-
bués à l'action médiatrice du Sauveur. Caractère
d'oeuvre satisfaetohe dans la Passion, vflicio quidim
ipsa satisjaclura pcenali, et de sacrifice dans l'offrande
sanglante que Jésus-Christ a faite de lui-même sur la
croix, hosliam se ipse Deo T'alri volunlaric offerendo.
Inps. liii,12,13; CXLIX, 3,co\. 344 sq., 886. Caractère
de restauration totale dans la rédemption prise en
son ensemble, en tant qu'elle comprend non seulement
les souffrances et la mort, mais encore la résurrec-
tion et les autres mystères glorieux du nouvel Adam,
puisqu'on lui, chef de l'humanité rachetée et primier-
né d'entre les morts, c'est l'homme, image de Dieu,
qui est ramené à sa condition primitive et atteint
sa perfection dernière. De Trinilale, XI, 49, col. 432 sq.
Au titre de médiateur entre Dieu et les hemmes
se rattache une autre fonction : Jésus-Christ a été
pour nous un témoin des choses célestes, et il nous a
fait connaître Dieu. In Matth., xxm, 6, col. 1047;
De Trinilate, III, 9, 22, col. 80, 90. Hilaire accentue
2429
IIILAIRE (SAINT]
2430
encore plus celte pensée, quand il dit que la connais-
sance de Dieu vient de Dieu seul et que, si le Fils de
Dieu ne s'était pas fait homme, l'homme n'aurait
pu connaître Dieu. De Trinitate, I, 18, col. 38; in ps.
CXI. m, 8, col. 847. Assertion dont quelques partisans
de l'incarnation en toute hypothèse se sont emparés,
en la rapprochant d'un autre passage, où il est ques-
tion d'une loi générale de progrès qui s'impose à notre
nature et la porte à désirer toujours une perfection
plus grande: naturœergo nosliœ nécessitas in augmenlum
semper mundi lege provecla, non imprudenter projectum
naturœ potioris exspeelat. De Trinitate, IX, 4, col. 283.
Voir, par exemple, Watson, op. cit., p. lxi\, lxxii, et
su tout F. M. Risi, Sul molivo primario délia incarna-
zionedclVerbo, Rome, 1898, t. m, n. 146-173, p. 124 sq.
Mais y a-t-il vraiment un rapj ort objectif entre les
textes du docteur gaulois et la théorie spéciale d'une
incarnation indépendante, en son existence, de tout
péché V La connaissance de Dieu que le Fils de Dieu
avait le privilège exclusif de nous communiquer ne
doit pas s'entendre d'une connaissance quelconque,
comme si, en dehors de l'incarnation, Dieu eût été
complètement ignoré des hommes : cette supposition
est contraire à la doctrine générale de saint Hilaire,
car, s'il proclame Dieu inénarrable, il nie en même
temps qu'on puisse l'ignorer : ut, licel non ignorabilem,
lumen inenarrabilem scias. De Trinitate, II, 7, col. 57.
11 s'agit d'une connaissance surnaturelle en son objet
e1 spéciale en son mode, celle que le Fils de Dieu, vi-
vant au sein du Père et son image parfaite, peut nous
donner de tout ce qui en Dieu surpasse absolument
les forces propres de notre esprit ; telles, la nature et
la vie intime de Dieu ; en particulier ses relations de
paternité à l'égard, soit du Fils unique qu'est Jésus-
Christ, soit des fils d'adoption que nous sommes. De
Trinitate, III, 17, col. 85 sq. De tels textes, sous la
plume de l'évêque de Poitiers comme sous celle des
autres Pères, sont un pur écho des mystérieuses pa-
roles de Jésus : « Personne ne connaît le Père si ce
n'est le Fils, et celui à qui le Fils a daigné le révéler »,
Matth., xi, 27 ; ou encore : « Philippe, qui m'a vu, a
vu aussi le Père. » Joa., xiv, 9. L argument tiré d'une
tendance générale et constante au progrès n'est pas
plus eli cace. Hilaire n'invoque pas cette tendance
comme exigeant ou prouvant par elle-même le fait
de l'incarnation; il l'invoque seulement, le contexte
en témoigne, pour montrer que l'idée d'un Dieu
naissant homme et en même temps restant ce qu'il
était auparavant, n'a rien qui puisse ébranler notre
espérance, puisque, < ans l'hypothèse Dieu n'est nul-
lement diminué et que, de son côté, notre nature ne
sort pas des lois qui la régissent en attendant du
fait même de son union avec une nature supérieure
un accroissement de perfection. Mais déjà nous tou-
chons aux problèmes où la spéculation se mêle à la
doctrine proprement dite et qui méritent un examen
spécial.
2 Le dépouillement du Christ (kénose). - — Celte
notion apparaît fréquemment dans le De Trinitate et.
dans VExposilio in psalmos. Habituellement exprimé
par les termes équivalents d'exinanire ou evacuare,
littéralement, vider, d'après la force de la formule
grecque, èxévtoaev éauT(5v, ce dépouillement porte sur
la « forme de Dieu », a laquelle le Christ renonce,
par opposition à la « forme de serviteur », dont
il se revêt : se ex forma Dei exinaniens cl formam
se vi suscipiens, De Trinitate, VIII, 45, col. 270; se
de forma Dei évacuons, formam servi assumons. In ps,
CXLiii, 7, col. 846. Parfois, par abréviation ou con-
struction elliptique, Hilaire parle du Dieu qui s'est
vidé de lui-même, ou du Christ qui s'est anéanti : ex
mysterio évacuait a se Dei; exinanîentis se humilil s.
De Trinitate, IX, 14; X, 48, col. 293, 432. Il consi-
dère ce dépouillement comme nécessaire, la « forme
de Dieu » n'étant pas compatible avec la « forme de
serviteur » que le Christ devait prendre en s'incar-
nant, non convenienle sibi formas ulriusque concursu.
De Trinitate, IX, 14, col. 292. Cf. l.n ps. lxviii, 25, col.
485. La mission rédemptrice achevée, la « forme de
serviteur » cesse, et la « forme de Dieu » reparaît dans
le Christ glorifié. Amplification originale de la doc-
trine de saint Paul, Phil., n, 5 : Hoc senlite in vobis
quod et in Chrislo Jesu, qui cum in forma Dei esset,
non rapinam arbitratus est esse se œqualem Deo, sed
semetipsum exinanivit, formam servi accipiens. Ce que
le docteur gaulois entend par les mots : non rapinam
arbitratus est, etc., il l'explique ailleurs par cette pé-
riphrase : Manens enim in forma Dei, non vi aliqua
sibi ac rapina, id quod erat, pra'sumendum exislimavit,
scilicet ut Deo esset œqualis. In ps. cxvni, litt. xiv, 10,
col. 539 sq. Cf. De Trinitate, VIII, 45, col. 270 : non
sibi rapiens esse se œqualem Deo. Ce qui donne cette
interprétation du verset paulinien : « Étant dans la
forme de Dieu, il n'a pas jugé devoir s'arroger de
force, comme l'on ferait d'une proie, l'égalité avec
Dieu ; mais il s'est vidé (de la forme de Dieu), pre-
nant la forme de serviteur. » Interprétation semblable
en substance à celle de la plupart des Pères grecs.
F. Prat, La théologie de saint Paul, Paris, 1909, t. i,
p. 445 sq.
Toute cette doctrine a trait à ce qu'Hilaire appelle
la dispensalio, c'est-à-dire l'économie de la rédemp-
tion, ou l'ensemble des dispositions providentielles
qui concernent ce mystère. 11 s'en suit, pour le Verbe
incarné, un état d'obscurité, d'humilité, d'infirmité,
qu'entraînait sa qualité de second Adam, appelé à
réparer les ruines causées par le premier. Qu'entend
le saint docteur par la « forme de Dieu », dont le Verbe.
en s'incarnant, s'est dépouillé ? Cette question est
d'autant plus importante que. suivant la propre remar-
que de l'évêque de Poitiers, les ariens abusaient de
ce qui, dans l'Écriture, est dit du Fils comme homme,
pour porter atteinte à sa divinité. £)e Trinitate, IX, 15,
col. 293. Des théologiens protestants ont prétendu
trouver dans Hilaire leur théorie de la kénose, théorie
d'après laquelle le Verbe, en se faisant hemme, se
serait temporairement dépouillé des attributs divins,
de quelques-uns du moins, ou même de sa person-
nalité divine; d'où cette description humoristique
d'Aug. Sabatier, Esquisse d'une philosophie de la re-
ligion, 5e édit., Paris, 1898, p. 179 sq. : « Kénose,
c'est-à-dire la théorie suivant laquelle le dieu, préexis-
tant et éternel, se suicide en s'incarnant pour renaître
progressivement et se retrouver dieu à la fin de sa vie
terrestre. » Sur la théorie en général, voir F. Lichten-
berger, dans Encyclopédie des sciences religieuses, t. m,
p. 152; Cii. Hodge, Sy. tenu tic th ologn, 1 oiu'res, 1 87 ! ,
1. n, p. '31 ;q.; F. Prat, op. cit., t. n, p. 239; sur
l'application à saint Hilaire: Loofs, art. Kcnosis, dans
Realencyklopadie fur protestantische Théologie und
Kirche,X. x, p. 254; J. B. Wirthmi lier, Die Lehredeshl.
Hilarius von Poitiers iiber die Srlbstcntàusserung Christi,
préface, Ratisbonne, 1865. Qu'il suffise de signaler deux
des principaux fauteurs de cette singulière théorie :
Dorner, EntinicktungsgeschicMe der Lehre von der Per-
son Christi. 2e édit., t. i, p. 1047, et G. Thomasius,
Christi Person und Werke. 2e édit., Erlangen, 1857.
IIe part., p. 175. Le premier s'attache à une phrase
où ce verset du psalmiste : in finis sum in limo
pro}undi et non est substantia, est ainsi commenté par
Hilaire : Non utique substantia quœ assumpla habe-
batur, sed quœ se ipsam inaniens hauserat. In ps.
lxviii, 4, col. 472. Prenant le mot substantia dans le
sens de personnalité (constituée par la conscience
de soi-même), Dorner conclut que, d'après le docteur
gaulois, le Verbe s'incarnant s'est dépouillé de sa
2431
I-1ILAIRE (SAINT'
2432
personnalité, et par le fait même de sa conscience
di\ inc. Thomasius s'appuie sur un autre passage,
De Trinitate, XI, 48, col. 431, où il est question de la
vertu illimitée du Fils de Dieu comme s'ét <nt res-
treinte, autant que l'exigeait l'humble condition du
corps humain qu'il s'était approprié; donc le Verbe,
en s'incarnant, s'est dépouillé de ses attributs divins
d'ordre relatif : toute-puissance, omniscience, ubi-
quité.
Indépendamment des fausses suppositions qu'elles
renferment, ces interprétations sont incompatibles
avec la doctrine générale du saint évêque sur l'im-
mutabilité divine et sur la consubstantialité parfaite
du Père et du Fils. Qu'elles soient également con-
traires à sa réelle pensée sur le dépouillement du
Christ, c'est chose démontrée par beaucoup d'au-
teurs : soit catholiques, comme Co stant, P. L.,\. ix,
col. 292, 485; Wirthm lier, op. cit; Baltzer, Die
Christologie des hl. Hilarius von Poitiers, p. 5 sq. ; soit
protestants, comme Ch. Gore, Dissertations on subjecls
connected with Ihe incarnation, Londres, 1895, p. 147 sq. ;
Loofs, art. Kenosis, op. cit., p. 254. La « forme de
Dieu », dont le Verbe se dépouille en s'incarnant,
ne peut être ni la personnalité divine, ni la nature
divine considérée soit en elle-même, soit dans ses pro-
priétés absolues ou relatives, puisque Hilaire affirme
expressément la permanence intégrale de l'une et de
l'autre : evacualio fonnœ non est abolitio naturse, quia
qui se évacuât, non caret sese, et qui accipit, manel,
De Trinitate, IX, 14, col. 293; ita ut naturœ poste-
rions adjectio nullam defeclionem naturœ anlerioris
afferret. Inp . liv, 2, col. 348- L'ubiquité du Verbe ne
subit pas plus d'éclipsé que sa nature ou sa puissance :
in forma servi manens, ab omni intra extraque cseli
mundique circulo cseli ac mundi Dominus non abfuit.
De Trinitate, X, 16, col. 355. Le seul changement
qu'il y ait, c'est dans l'état oi la manière d'être:
non virtutis nalurœque damno, sed habitas demutatione.
De Trinitate, IX, 38, col. 309. Entendez la condition
ou la manière d'être de Dieu considérée pour ainsi
dire par le dehors, c'est-à-dire l'état de gloire propre
à une personne divine. Le point de départ, où le dé-
pouillement commence, a pour contre-partie le point
d'arrivée, où le dépouillement cesse, en d'autres termes
le retour du Christ à l'état de gloire dont jouit le
Père: in naturœ paternœ gloriam, ab ea per dispen-
sationem evacuatus, assumilur, De Trinitate, IX, 41,
col. 315, ad resumendam gloriam Dci Patris. In ps.
cxxxvm, 5, col. 795.
Mais ce dépouillement de l'état de gloire propre à
une personne divine doit-il s'entendre dans un sens
absolu, comme si le Verbe ne l'eût i4 s possédé effec-
tivement, du jour où il se fit homme et tant que dura
sa mission ici-bas ? Tout autre est la pensée de
l'évèque de Poitiers. L'incompatibilité qu'il dit exister
entre la « forme de Dieu » et la « forme de serviteur »,
non conveniente sibi formée ulri sque concursu, s'ap-
plique au Christ, considéré comme subsistant dans
la nature humaine, Chrislus Jésus, Chrislus homo,
et non pas au Christ considéré comme subsistant
dans la nature divine, Chrislus spiritus; car, so s
ce dernier aspect, le Christ est essentiellement dans
la même « forme » que le Père, dont il est, comme
Fils, l'image parfaite : Quam enim signaveral Dcus,
aliud prse'erquam Dei forma esse non potuit: nec se-
parari polest a Dei forma, cum in ea sit, De Trinitate,
VIII, 45, 47, col. 270 sq. ; aboleri aulem Dei forma,
ut lanlum servi essel forma, non potuit. I i ps. LXVIII, 25 ;
cxxxvm, 2, col. 485, 793. Dans le texte allégué par
Dorner : Non utique substanlia... quse se ipsam ina-
niens hauserat, il suffit d'achever la lect re de la
phrase, pour comprendre que l'assertion doit s'en-
tendre dans le sens purement relatif de non-existence
apparente : nullo aulem mo 'o se caruil, qui se ipsum
exinanivit évacuons; nec tamen idipsum videbalur
exstare. Aussi le saint docteur afQrme-t-il la coexistence
des deux « formes » dans l'unique personne du Verbe
incarné : Unum eumdemque non Dei defeclione, sed
hominis assumplione profilenlis et in forma Dei per
naluram divinam, et in forma servi ex conceplione
Spiritus Sancti secundum habilum hominis repertum
fuisse. De Trinitate, X, 22, col. 360.
L'unité de personne et la dualité de natures, sou-
lignées dans ce dernier texte, donnent véritablement
la clef du problème. Subsistant dans la nature divine,
comme Fils et Verbe, le Christ est essentiellement
dans la « forme de Dieu », c'est-à-dire dans l'état
de gloire propre à une personne divine, mais ne se
manifestant pleinement qu'a i ciel; subsistant dans
une nature humaine semblable à la nôtre, il fut et il
apparut ici-bas dans « la forme de serviteur », c'est-
à-dire dans un état d'obscurité, d'humilité et d'in-
firmité. Faute d'avoir tenu compte de cette distinc-
tion ou d'en avoir compris la portée, des auteurs
n'ont vu que des incohérences dans les divers pas-
sages du docteur gaulois; d'autres ont jugé sa doc-
trine beaucoup plus compliquée qu'elle ne l'est en
réalité.
Un dernier passage, De Trinitate, IX, 38, col. 310,
confirmera l'explication donnée en la complétant. Saint
Hilaire y parle de l'unité ou égalité entre le Père et
le Fils comme brisée par l'incarnation, puis rétablie
par la résurrection et l'ascension du Sauveur. Il veut
dire qu'avant l'incarnation le Fils était purement
et simplement, en toute sa personne, dans la « forme
< e Dieu », sur un pied de parfaite égalité avec le
Père, vivant comme lui dans l'état de gloire propre
à une personne divine: en s'unissant à la nature
humaine telle qu'il l'a prise, il change de condition,
il cesse d'être purement et simplement, en toute sa
personne, dans la « forme de Dieu », car, en tant que
subsistant dans la nature humaine, il est dans la
« forme de serviteur ». S'il demande au Père de pos-
séder la gloire dont il jouissait auprès de lui avant la
création du monde, c'est donc qu'en sa condition
actuelle, il n'est pas tout entier en posses ion de cette
prérogative : non erat idipsum lotus, quod i t fieret
precabalur. In pi. n, 27, col. 277 L'unité, l'égalité se
rétablissent seulement le jour où, son humanité étant
souverainement glorifiée, le Fils se retrouve, purement
e si iplement, en toute sa personne, dans la « forme
de Dieu », dans l'éclat qui convient à une personne
divine et qui contraste merveilleusement avec l'obscu-
rité, l'humilité et l'infirmité, dont il fut enveloppé
ici-bas. En ce sens Hilaire a pu dire du Christ glorifié
qu'il est désormais Dieu tout entier, et non pas en
partie seulement; non ex parte Deus, sed Deus lotus,
De Trinitate, XI, 40, col. 425; qu'i reprend, en toute
sa personne, la « forme de Dieu », l'égalité avec le
Père, dont il s'était dépouillé pendant sa vie mortelle,
conformément à l'économie de la rédemption : nunc
donalio nominis formœ reddidit œqualilalcm, De Tri-
nitate, IX, 54, col. 324; et rursum in gl ria Dei Palris
est, forma videlicel servi in gloriam ejus cujus forma
ante manebat proficienie. Inps. cxxxvm, 19, col. 802.
Cette doctrine suppose manifestement, dans le Fils
de Dieu fait homme et vivant ici-bas, une certaine
limitation, en particulier une limitation de puissance;
mais celte limitation ne porte point sur la puissance
divine du Verbe prise en elle-même, elle porte uni-
quement sur l'exercice de cette puissance par rapport
à la sainte humanité du Sauveur; le Verbe, en la
prenant, ne l'a pas dotée des prérogati s réservées
au temps de la glorification suprême : se ipsum exina-
niens, est intra se latens, et intra suam ipse vacuefaclus
polestutem. De Trinitate, XI, 48, col. 432. La limita-
2433
HILAIRE (SAINT;
2434
tion s'étend-elle aussi à la science humaine du Christ?
La question se pose à propos du texte : De die autem
Mo vel hora nemo scit; neque angeli in cselo, neque
Filius nisi Pater, Marc, xm, 32, objecté par les
ariens. Il faudrait répondre par raflirmative s'il était
prouvé que, d'après Hilaire, Notre-Seigneur s'attribue
une ignorance réelle; mais la preuve n'est pas faite.
Dans le long passage où il discute l'objection arienne,
le saint évèque nie catégoriquement une telle igno-
rance. De Trinitate, IX, 58-75, col. 328-342. Il ne
nous dit pas, il est vrai, s'il entend parler de Jésus-
Christ à la fois comme Dieu et comme homme; la
plupart des considérations qu'il propose s'appliquent
même au Dieu; mais quelques-unes valent aussi de
l'homme, celle-ci par exemple, n. 59, col. 329 : Hanc
Me diem ignorât, cujus et in se lempus est, et per sacra-
mentum ejus est ? Etenim adventus sui dies iste est,
de quo apost 'lus (Col., ni, 4) ait : Cum autcm Christus
appartient vita vestra, tune et vos cum eo apparebilis
in gloria. Les textes qu'on peut opposer sont ineffi-
caces. Les deux principaux, De Trinitate, IX, 73,
Non ergo, et X, 8, col. 348, sont d'une authenticité
plus que douteuse. Si, dans un autre endroit, le com-
mentateur rattache au dépouillement du Christ
l'ignorance dont il a fait profession : qui se forma Dei
évacuons ac formam servi assumens, infirmum naturce
nostree hominem usque ad ignoratie diei atque
horœ scienliam sit professus, In ps. cxlii, 2, col. 838,
rien n'indique qu il s agisse dune ignorance réelle
ou intérieure, et non pas d'une ig orance apparente
ou extérieure : non ignorationis infn mitalem, sed
tacendi dispens.tion m. De Trinitate, X, 8, col. 348. Cf.
A. Beck, op. cit., p. 200 sq., 210.
3° Durée de l'union hypostalique. — Nul doute que
saint Hilaire ne soutienne, en principe, la perpétuité
de l'union entre le Verbe et la nature humaine qu'il a
prise : naturam carnis nostrse jam inseparabilem sibi
homo natus assumpsil, mansuro in seternum in Deo
homine. De Trinitate, VII, 13; IX, 7, col. 246, 286. Il
y avait là, dans les principes du saint docteur, une
condition essentielle à l'œuvre rédemptrice ici-bas,
et la glorification suprême de Jésus-Christ, succédant
à la période de dépouillement, n'exigeait pas moins
impérieusement la présence au ciel de son humanité
sainte, puisque cette glorification devait avoir pour
sujet l'Homme-Dieu : cum glorifica:i se rogat, non
utique natune Dei, sed assumptioni humanitalis hoc
proficil.De Trinitate, X, 7, col. 348; In ps. cxliii, 17,
col. 846.
Quelques textes n'en ont pas moins donné lieu à deux
difficultés d'inégale importance. La première est
d'une portée restreinte, car elle concerne le seul corps
du Sauveur, pour le court espace de temps qu'il resta
privé de vie et mis au tombeau. Séparé alors de l'âme,
le fut-il aussi du Verbe? Hilaire semble l'affirmer
dans son interprétation du premier cri jeté par Notre-
Seigneur en croix, un peu avant sa mort : Clamor
vero ad Deum, corporis vox est, recedentis a se VerbiDei
contestata dissidium, In Malth., xxxi, 6, col. 1074 sq. ;
cf. In ps. liv, 12, 361 : ipsehuic emortuo et intra sepul-
chrum reliclo corpori divinœ naturse sunt tribui con-
sortium. Il y eut don<- abandon du corps par le Verbe.
Mais s'agit-il d'un abandon absolu, en vertu duquel
le Verbe aurait suspendu momentanément son union
personnelle avec le corps mourant, ou s'agit-il seu-
lement d'un abandon relatif, consistant en ce que le
Verbe, acceptant la séparation de son âme et de son
corps, aurait par le fait même livré à la mort ce der ;ier,
cui discessio immortalis animie mors est? Inps.cxxxi,9,
col. 734. Pris en lui-même, le texte peut s'interpréter
et a été, de fait, interprété dans les deux sens; mais
la seconde interprétation, donnée par Coustant,
P. L.,t. ix, col. 1073, note g; Wirthmiïller, op. cit.,
D1CT. DE THÉOL. CATH.
p. 71, et autres, trouve un point d'appui positif dans
cet autre passage, De Trinitate, IX, 62, col. 391 :
Habes in conquerenle ad mortem relictum se esse, quia
homo est. Du reste, quoi qu'il en soit de la glo>e con^
tenue dans le commentaire sur saint Matthieu, c'est
dans le traité De Trinitate, postérieur en date et pro-
prement théologique, qu'il faut chercher la pensée
définitive de l'évêque de Poitiers. Elle n'est pas dou-
teuse, car il affirme avec beaucoup de relief l'unité
d'être ou l'identité personnelle entre le Christ et son
corps inanimé : spoliata enim caro Christus est morluus;
neque alius est commendans spiritum et exspirans, ne-
que alius est sepultus et resurgens, De Trinitate, IX,
11 ; X, 63, col. 290, 392; cf. In ps. cxxxi, 9, col. 734 :
unigenito et in corpore manenti Deo (mors) requies fuit.
Sur toute cette question, voir Coustant, Prasf. gen.,
c. iv, § 4, n. 160-181, col. 78 sq.
L'autre difficulté, d'une portée plus générale et
largement traitée par le même écrivain, § 5, n. 182-
187, 191-194, col. 87-95, se rapporte à l'humanité glo-
rifiée. Saint Hilaire distingue trois états du Christ :
antehominem, in homine, post hominem. Inps. cxxxvui,
19, col. 802 ; De Trinitate, IX, 6, col. 285. Dans le pre-
mier, Jésus-Christ est Dieu, ante hominem .Deus; dans
le second, il est Homme-Dieu, homo et Deus ; dans le
troisième, il se retrouve simplement Dieu, nunc Deus
tai.tum. De Trinitate, X, 22 ; X I, 40, col. 360, 425. Serait-
ce que l'humanité glorifiée disparaîtrait, absorbée par
la divinité ? Dans ce cas, l'union hypostatique dispa-
raîtrait aussi, pour faire place à une confusion de na-
ture, comme dans la doctrine monophysite. Des
textes comme celui-ci : susceptus homo in naturam di-
viniialis accepius, In ps. ixr, 12, col. 429, sembleraient,
au premier aspect, présenter ce sens. Après ce qui a
été dit ci-dessus du dépouillement du Christ, la diffi-
culté se réduit à une question de terminologie. L'état
dénommé par Hilaire post hominem ne signifie rien
autre chose que l'état du Sauveur glorifié, alors
qu'ayant quitté la « forme de serviteur », revêtue
ici-bas, il a repris au ciel, en toute sa personne, la
« forme de Dieu », l'état de gloire propre à quelqu'un
qui est Dieu. Le nunc Deus tanlum signifie qu'au ciel
Jésus-Christ est purement et simplement en « forme
de Dieu », De Trinitate, IX, 38, col. 310; il ne signifie
nullement que la nature humaine disparaît. Voici en
effet l'explication qui suit immédiatement, XI, 40 :
non abjecto corpore, sed ex subjcclione translate ; neque
per defectionem abolite, sed ex clarificatione mutalo;
cf. IX, 6, col. 285 : tolus homo, totus Deus. Ce qui dispa-
raît, ce n'est pas la nature humaine prise en elle-même;
ce sont toutes les imperfections qui s'attachent à cette
nature non glorifiée et que la « forme de serviteur » sup-
pose : ut in Dei virlutem et spiritus incorruptionem
transformata carnis corruptio absorberetur, De Trini-
tate, III, 16, col. 85; corruplionis scilicet natura per
profectum incorruptionis absorpla. In ps. cxxxvm, 23,
col. 804. Rien de plus propre à confirmer cette conclu-
sion, que la manière dont le docteur gaulois interprète
le texte de saint Paul, ICor., xv, 24-25 iDeinde finis,
cum tradiderit regnum Deo et Patri, etc., dont Marcel
d'Ancyre, au rapport d'Eusèbe, Contra Marcellum, n,
4, P. G., t. xxiv, col. 314 sq., abusait étrangement
pour soutenir qu'après le jugement dernier, le Verbe
se dépouillerait de la nature humaine. Les mots :
Deinde finis, etc., signifient la consommation ou
l'état définitif des élus, et non pas la fin du Christ en
tant qu'homme ; le Christ restera chef, dans son huma-
nité glorifiée, de tous les élus glorifiés avec lui. De
Trinitate, XI, 39, col. 424 ; In ps. ix, 4 ; lxi, 5, col. 393,
424. Voir Coustant, loc. cit., § 6, col. £5 sq.
4° Conception de Jésus-Christ; virginité et maternité
de Marie. — Que Jésus-Christ, Fils de Dieu, ait été
conçu et enfanté par Marie, et par Marie vierge, c'est
VI. — 77
2435
HILAIRE (SAINT
2436
là un thème qui revient trop fréquemment dans les
écrits de l'évêque de Poitiers pour qu'il soit nécessaire
de nous y arrêter. Ce n'est pas seulement la virgi-
nité de Marie concevant et enfantant qu'il aflïrme, c'est
aussi la virginité après l'enfantement ou la virai ni lé
perpétuelle qu'il professe et défend contre ceux qui
l'attaquaient; dans les «frères de Jésus » il voit des
enfants de saint Joseph, nés d'un premier mariage.
In Matth., i, 3, 4, col. 921 sq. La maternité de Marie
est une conséquence de sa conception et de son enfan-
tement; aussi est-elle appelée par Hilaire mère de
Jésus, mère du Christ, ibid., et ailleurs, De Trinitate,
II, 26, col. 67 : mère du Fils de Dieu. Son rôle par rap-
port au Verbe, en tant qu'homme, fut exactement
celui d'une mère dans la conception, la gestation et la
mise au jour de son fruit : quœ officio usa malerno, sexus
sui naturam in conceptu et partu hominis exsecuta est.
De Trinitate, X, 17, col. 356. Nulle difficulté pour les
deux derniers actes; mais il n'en va pas de même
pour le premier. Comme le saint docteur attribue
aussi au Saint-Esprit la conception du Sauveur, ex
conceptu Spiritus Sancli Virgo progenuit, De Trini-
tate, X, 35, col. 371, deux questions interviennent :
que faut-il entendre ici par l'Esprit-Saint, et quel
rôle Hilaire attribue-t-il à celui que cette appella-
tion désigne? L'une et l'autre de ces questions ont
donné lieu à des controverses sérieuses.
En plusieurs endroits, la conception de Jésus-Christ
est attribuée au Saint-Esprit en des termes qui sem-
blaient faire de celui-ci le sujet de l'incarnation, par
exemple, De Trinitate, II, 26, col. 67 : Spiritus Sanc-
tus desuper veniens Virginis inleriora sanctificavii, et
in his spirans naturse se humanx carnis inmiscuit, et
id quod alienum a se erai, vi sua ac potestate prœsumpsit.
La conclusion serait rigoureuse si, dans ce texte, l'ap-
pellation de Spiritus Sanctus désignait la troisième
personne de la Trinité. Mais cette interprétation est
formellement contraire à l'enseignement du docteur
gaulois; pour lui, comme pour tout catholique, c'est
la seconde personne de la Trinité, le Verbe, le Fils
unique de Dieu qui s'est incarné : Verbum Deus caro
facturn: natus Unigenitus Deus ex virgine homo, De
Trinitate, I, 33; VIII, 5, col. 33, 284; Dei Filio in
filium hominis ex partu virginis nalo. In ps. Lin, 5, col.
340. La phrase incriminée s'explique, en général,
par l'élasticité, déjà signalée, de l'appellation Spiritus
Sanctus, en particulier, par ce fait que saint Hilaire,
comme beaucoup d'autres Pères anciens, rapporte à
la seconde personne le verset évangélique, Luc, i, 35 :
Spiritus Sanctus superveniet in te, et virlus Alsissimi
obumbrabit tibi. Cf. Coustant, Praef. g*n., 58 61, col.
351; Baltzer. Die Théologie des hl. Hilarius, p. 46,
not. 2. Dans cette hypothèse, c'est le Verbe ou le Fils
qui s'est formé lui-même le corps et toute la nature
humaine dont il allait se revêtir : per Verbum caro
factus, In Matlh., n, 5. col. 927 ; Dei Filius natus ex
Virgine est et Spirilu Sancto, ipso sibi in hac opcralione
famulante, et sua, videlicet Dei, inumbranle virtule,
corporis sibi initia consevit et exordia carnis institu.it;
assumpla sibi per se ex Virgine carne; sed ut per
se sibi assumpsil ex Virgine corpus, ita ex se sibi
animam assumpsit. De Trinitate, II, 24; X, 15, 22,
col. 66, 357.
Deux choses, pourtant, sont à distinguer : l'action
productrice de la nature humaine du Christ, et le
rapport personnel d'union qui doit exister entre les
deux termes de l'incarnation, à savoir le Verbe et
la nature humaine. Ce rapport personnel d'union est
propre, exclusivement propre à la seconde personne
de la Trinité, car c'est le Verbe qui s'incarne, c'est le
Fils de Dieu qui devient fils de l'homme ; de là, dans
les textes précédents, ces formules expressives : ipso
sibi in hac operalione famulante; sibi initia c nsevil ;
sibi assumpsit. La production de la nature humaine
du Christ se ramène à une autre notion, celle de cau-
salité efficiente ; Hilaire lui-même y voit un terme
de la puissance et de l'action divine : et sua, videlicet
Dei, inumbranle virtule; angélus efficienliam divinœ
operationis oslendil; si enim conceptum carnis nisi
ex Deo Virgo non habuit, De Trinitate, II, 24, 26;
X, 22, col. 66 sq, 359 ; ex Spiritu scilicet et Deo natus.
In ps. cxxu, 3, col. 669. Comme la puissance et l'action
divines sont communes aux trois personnes, la pro-
duction de la sainte humanité leur est aussi commune.
Elle peut néanmoins s'attribuer à la seconde per-
sonne à un titre spécial, à cause du rapport intime qui
existe entre cet effet et le mystère de l'incarnation.
De même, l'appellation de Spiritus Sanctus, appropriée
maintenant à la troisième personne, peut également
s'appliquer à la seconde, puisque, considéré dans sa
nature divine, le Fils est lui-même Esprit et Saint.
De Trinitate, III, 30, col. 71. Cf. Coustant, Prsef. gen.,
62 65, col. 37 sq.
L'autre question, relative au rôle joué par le Verbe
dans la conception de sa propre humanité, trouve
dans ce qui précède un commencement de solution.
L'évêque de Poitiers attribue formellement au Verbe
un rôle de causalité efficiente. Mais dans quelle mesure?
Deux interprétations opposées sont en présence. On
peut concevoir le Verbe comme cause efficiente de sa
nature humaine par voie de création proprement dite,
en sorte que le corps du Christ, non moins que son
âme, soit produit indépendamment de toute matière
préexistante. Dans cette hypothèse, Marie ne serait
pas cause dans la conception de Jésus ; son rôle se
bornerait à recevoir et à porter dans son sein l'em-
bryon humain créé par le Verbe, puis à mettre au
jour l'enfant divin. Au xne siècle, un prévôt du nom
de Jean, Joannes prsepositus, engagé dans une contro-
verse avec le prémontré Philippe de Harvengt, abbé
de Bonne-Espérance en Hainaut (f 1183), entendit
ainsi diverses assertions de saint Hilaire, celles-ci
entre autres : Neque Maria corpori originem dédit;
ipse enim corporis sui origo est, De Trinitate, X, 16, 18,
col. 355 sq. ; il les attaqua comme contraires à la
doctrine de l'Église catholique, qui voit dans la chair
de Marie, vraie mère de Jésus, la matière dont le corps
de celui-ci fut formé. Philippe de Harvengt, Epist.,
xxn, xxiv, P. L., t. cciii, col. 170, 172. L'attaque fut
renouvelée à plusieurs reprises, au xvie siècle, par
Érasme, au xixe par Baur, Die christliche Lehre von
der Dreieinigkeit, Tubingue, 1841, t. i, p. 686, et quel-
ques autres, notamment Watson, op. cit., p. lxxi sq.
Ce dernier auteur expose avec plus de développe-
ment ce qu'il croit être la pensée de l'évêque de Poi-
tiers. D'après les textes déjà cités et quelques autres,
De Trinitate, II, 25; III 19, col. 66, 87 : in corpusculi
humant formam sanctse Virginis utero inserlus accrescil
et cerlo non suscepit (Virgo) quod edidit, aucune portion
de la substance de Marie ne serait entrée dans la com-
position du corps humain de Jésus. Deux théories
d'Hilaire sont invoquées à titre d'argument confir-
matif. La première, d'ordre théologique, vient du
parallélisme que le saint docteur établit, selon l'apôtre,
1 Cor., xv, 47, entre le premier et le second Adam :
l'un et l'autre sont l'œuvre immédiate du Christ, avec
cette différence qu'au lieu d'être terrestre, le corps
du second est céleste, comme devant son origine à
l'action du Saint-Esprit, et non point à des éléments
terrestres, non terrenis inchoatum corpus elemenlis.
De Trinitate, X, 17, 44, col. 356, 378. L'autre théorie,
d'ordre physiologique, se rattache à une explication
de la génération, contraire à celle d'Aristote, et dont
témoigne Eschyle, Euménidrs, vers 658 sq., quand il
nous montre Apollon déchargeant d'un parricide
Oreste, meurtrier de Clytemnestre, sur ce motif que la
437
HILAIRE (SAINT)
2438
mère n'est pas l'auteur, mais seulement la nourrice
•de l'embryon humain :
Où/. £<JTi [J.Tj-cr]p rj x£y.Xïi|j.6Vou xéxvou
tox.e'j;. xp'jyo; oï K'jaaTo; vso<j7co'pou.
Conformément à cette explication, Hilaire tient que,
dans la génération, le corps de l'entant doit au père
toute sa substance; à la femme revient la fonction,
purement subsidiaire, de recevoir l'embryon dans son
sein, d'en aider le développement et de le mettre au
jour. Marie ayant rempli cette fonction par rapport
à Jésus, l'évêque de Poitiers a pu dire qu'elle a été sa
mère au même titre que les autres femmes sont mères
de leurs enfants. De Trinitate, X, 16, col. 355.
Si cette interprétation était exacte, une objection
grave existerait contre la doctrine d'Hilaire sur la
maternité de Marie; car cette maternité dépend fina-
lement de ce fait, que Marie ait conç i Jésus réellement,
c'est-à-dire de sa propre substance: ce qui faisait dire
à saint Irénée, Cont. hser., II, 32, n. 1, P. G., t. vu, col.
955 sq. : Errant igilur, qui dicunl eum nihil ex Vir-
gine accepisse: si enim non accepit ab homine substan-
liam carnis, nequc homo faclus est,neque filins hominis.
Argumentation d'autant plus pressante que Jésus-
Christ n'ayant pas eu de père en tant qu'homme, il
n'a pu entrer dans la famille humaine, comme rejeton
d'Adam et notre frère, qu'en tenant sa chair de Marie.
Heureusement l'interprétation qui fait dire le con-
traire à saint Hilaire, est de tout point inacceptable,
■comme l'ont montré, d'abord Philippe de Harvengt,
dans ses lettres au prévôt Jean, Epist.,v,vi, vm, P. L.,
t. ccin, col. 36, 46, 57,; cf. xxv, lettre de Hunald, col.
174, puis, d'une façon plus complète, Coustant, Preel.
gzn., c. iv, § 1, col. 30 sq., et ceux qui, récemment,
ont étudié le problème de près ; tels, parmi les catho-
liques, Wirthmùller, op. cit., p. 55 sq. ; Baltzer, Die
Christologie des ht. Hitarins, p. 184; parmi les protes-
tants, Dorner, op. cit., t. i, p. 1042; Fôrster, op. cit.,
p. 660 sq.
Hilaire nous présente, en effet, la chair et le corps
de Jésus-Christ, non pas seulement comme portés et
mis au jour par la Vierge, mais comme conçus, engen-
drés, pris d'elle: assumpta per se sibi ex virgine carne;
ex virgine conceptum (corpus); quod generatur ex vir-
gine, De Trinilale, X, 15, 35, col. 353 sq., 371; naturœ
noslrœ sibi ex virgine corpus assumens. In ps. cxvm,
litt. xiv, 8, col. 592. Corrélativement, Marie nous
apparaît comme engendrant d'elle-même la chair et
le corps du Sauveur : caro perfectam ex se carneni
generans; perjeclum ipsa de suis non inminuta gene-
ravit; gcnuit exsc corpus. DeTrinitate, 111,19; X, 35,
col. 87, 371. Par là, et par là seulement, s'explique
la relation de consanguinité que le saint docteur
établit entre Jésus-Christ d'une part, de l'autre ses
ancêtres juifs et même tous les descendants d'Adam
déchu : ex David semine procrcandum, In Matlh.,
xxm, 8, col. 1047; de Judx frutice; a vitiis eorum,
qui sibi secundum carnem consanguinei habcbantur,
alienus. In ps. LXVII, 28; hXVlil, 10, col. 463, 476.
C'est à tort qu'on fait appel au parallélisme entre
le premier et le second Adam, sous le rapport de la
formation immédiate par Dieu, en supposant dans
les deux cas une création proprement dite. Non seule-
ment ce parallélisme n'est pas affirmé dans les
textes allégués, mais il est positivement contraire à
la doctrine de l'évêque de Poitiers ; d'après lui,
comme d'après la sainte Écriture, le corps du
premier Adam ne fut pas proprement créé, c'est-
à-dire tiré du néant, mais il fut formé du limon
terrestre : nam sumitur pulvis, et lerrena materies
formatur in hominem, aut prwparatur. In ps. CXVI1I, litt.
x, 7, col. 566. De même, le corps du second Adam
ne fut pas proprement créé, mais il fut formé de la
Vierge. Aussi, dans un passage où il distingue expres-
sément le corps et l'âme de Jésus-Christ, Hilaire
s'exprime-t-il d'une façon différente, suivant qu'il
s'agit de l'un et de l'autre; il dit le corps pris de la
Vierge, mais non pas l'âme : ut per se sibi assumpsit
ex Virgine corpus, ila ex se sibi animam assumpsit.
De Trinitate, X, 22, col. 359.
C'est à tort également qu'on invoque une théorie
de la génération humaine rivale de la théorie aristo-
télicienne. La question n'est pas de savoir si ces deux
théories ont existé chez les anciens, mais s'il y a des
raisons positives d'attribuer à l'évêque de Poitiers
la théorie qu'on prétend. Non seulement ces raisons
n'existent pas, mais la doctrine du saint ne cadre
nullement avec cette attribution.
La fausse supposition d'un corps proprement créé
étant écartée, que signifient les textes où le saint
docteur reporte au seul Verbe l'origine ou l'existence
du corps humain qu'il s'est uni ? La réponse est dans
ce texte : Genuil ex se corpus, sed quod conceptum esscl
ex Spirilu. De Trinitate, X, 35, col. 371. Dans la géné-
ration normale il ne suffit pas que la femme ait en
elle-même une parcelle de substance susceptible de
devenir un embryon humain; il faut que l'homme
intervienne, exerçant un rôle actif et prépondérant,
en sorte que, finalement, on doit lui attribuer l'origine
" ou l'existence de l'être engendre. Dans la génération
humaine, mais surnaturelle du Christ, l'homme n'in-
tervient point ; le Verbe supplée, par un acte de sa
vertu toute-puissante, à ce qui manque de ce côté-là;
c'est donc au Verbe, et au Verbe seul, qu'il faut attri-
buer l'origine ou l'existence de l'embryon humain,
qu'il forme en vivifiant, par l'adjonction d'une âme
qu'il crée, la parcelle de substance corporelle emprun-
tée à Marie. On ne trouve rien de plus ni rien de moins
dans les passages où sont exclus, dans la génération
divine ou humaine du Christ, les elementa originis
nostrse, De Trinitate, VI, 35, col. 185; cf. III, 19, col.
87; c'est-à-dire, l'apport fourni par l'homme dans
la génération naturelle, mais non pas l'apport fourni
par Marie comme par les autres mères. De même dans
un autre texte, mal compris parfois : Et quamvis tan-
tum ad nalivitatem carnis ex se darct (Maria), quantum
ex se feminse edendorum corporum susceptis originibus
impenderent, non tamen Jésus Chrislus per humanœ
conceptionis coaluit naturam. De Trinitate, X, 15, col.
354. Le sens n'est pas hypothétique : « Quand même
elle donnerait... » ; il est positif, mais avec opposition
entre le premier et le second membre de phrase :
« Et quoiqu'elle donnât d'elle-même..., cependant
Jésus-Christ n'a pas été soumis, dans sa conception,
aux lois communes de la génération humaine. » C'est
dans le même sens, eu égard à l'origine ou à la cause
efficiente comme aussi à la personne du Verbe s'unis-
sant un corps humain, et non pas eu égard à la con-
stitution intime de ce corps, que saint Hilaire parle
de corps céleste, comme il parle de conception céleste,
De Trinitate, X, 18, 35, col. 356 sq., 371, ou encore
du second Adam venu des cieux: Et cum ait secundum
hominem de cselo, originem ejus ex supervenientis in
Virginem Sancti Spiritus aditu testatus est. Ibid., 17,
col. 356. Cf. Coustant, Prœf. gen., n. 72, 73, col. 41.
Il est seulement vrai que, dans la pensée d'Hilaire,
le corps de l'Homme-Dieu possède, en vertu de son
origine transcendante, des propriétés ou perfections
spéciales ; de là une nouvelle question, non moins
délicate et plus difficile que la précédente.
5° Sensibilité et possibilité du Christ. — Conçu
d'une vierge par l'opération du Saint-Esprit, l'Homme-
Dieu ne tombait nullement sous la loi du péché: Solus
extra peccalum. In ps. cxxxriu, 47, col. 815. Son corps
n'a rien des vices qui s'attachent aux nôtres; sa
chair n'est pas une chair de péché, mais ressemble
2439
MILAIRE (SAINT)
2 440
seulement à notre chair dépêché. De Trinilate, X, 25,
col. 364 sq. Les misères propres à nos corps, engen-
dres selon la loi du péché, sont étrangères au corps
dont la conception fut surnaturelle : extra lerreni
est corporis mala, non terrenis inchoatum elementis.
De Trinitate, X, 44, col. 378. Quelle est la portée de
cette dernière affirmation? Car il y a des affections
qui sont, prises en elles-mêmes, indépendantes de
toute idée de péché ou de vice; tels les maux physi-
ques ou infirmités corporelles d'ordre commun :
faim et soif, fatigue et sommeil, souffrance et mort ;
telles encore les passions dans le sens large du mot :
crainte, tristesse, douleur, avec les larmes qui peu-
vent en être la conséquence ou l'expression. Jésus-
Christ fut-il soumis à ces affections, et de quelle
manière ? La doctrine de saint Hilaire sur ces divers
points, en particulier sur la douleur en Jésus-Christ,
donne lieu à des objections spéciales; il importe de
procéder avec d'autant plus de discrétion que beau-
coup d'auteurs appliquent trop facilement à ces
diverses affections des textes du saint docteur dont
la portée est plus restreinte.
1. En général, Jésus-Christ fut-il soumis aux infirmités
et affections humaines; et de quelle manière ? — La
réponse à la question de fait n'offre aucune difficulté.
Hilaire attribue nettement au Sauveur nos infir-
mités physiques : nalurœ nostrse infirmilales homo
natus assumens. In ;>s. CXXXVIII, 3, col. 794. Ailleurs, il
entre dans le détail : « Né d'une vierge, il s'était
avancé du berceau et de l'enfance jusqu'à l'âge parfait ;
il avait vécu en homme, passant par le sommeil, la
faim et la soif, la fatigue et les larmes ; maintenant
il va être tourné en dérision, flagellé, crucifié. » De
Trinitate, III, 10, col. 81. La mort devait s'ajouter,
comme dernier complément de cette vie humaine :
ad explendam q idem hominis naturam, etiam morli se...
subjecil. In ps. lui, 14, col. 346. Ces affections, en parti-
culier la flagella ion, le crucifiement et la mort,
disent manifestement souffrance physique : Passus
quidem est Dominus Jésus Christus, dum cœditur,
dum suspendilur, dum cruciflgitur, dum morilur. De
Trinilate, X, 23, col. 362. Ainsi, passion physique
ou organique, suivant le sens que le saint évêque
donne lui-même à ce mot : Passio esleorum quse sunt
illata perpessio. De syn., 49, col. 516. Ce qui vaut des
infirmités physiques vaut aussi de l'âme. Hilaire ne
pouvait méconnaître une doctrine expressément en-
seignée par les saintes Lettres, qui nous montrent
Jésus-Christ soumis à la crainte et à la tristesse, ou
versant des larmes. Matth., xxvi, 37 sq. ; Marc, xiv,
33 sq. ; Luc, xix, 41 ; Joa., xi, 35. Il ne l'a pas mé-
connue : mœstus fuit et flevil; jlet interdum, et ingemis-
cit, et tristis est, In ps. lui, 7 ; lxvui, 12, col. 341, 377 ;
tout cela réellement: vere Jesum Chrislum flevissenon
dubium est. De Trinitate, X, 55, col. 387.
Mais de quelle manière Jésus-Christ fut-il soumis
aux infirmités physiques et aux affections communes
de notre nature ? Autrement que nous. Une première
différence concerne l'objet des affections de l'âme;
Hilaire n'admet pas que, dans l'Homme-Dieu, la tris-
tesse, la crainte, les larmes aient porté sur ses propres
maux, comme sa mort ou les humiliations et les souf-
frances de la Passion : nec meluendi de se in eum infir-
milalem incidisse aliquam ; non ergo sibi tristis est,
neque sibi orat. De Trinitate, X, 10, 37, col. 350, 373.
D'après le texte évangôlique, Jésus fut triste jusqu'à
la mort, mais non pas à cause de la mort; sa tristesse
venait des apôtres et de nous. Ibid., 36 sq., 41, col.
371 sq., 376. Il ne deman< a pas que le calice s'éloi-
gnât de sa propre personne, mais qu'il passât à ses
disciples et qu'ils le bussent avec lui : transilum calicis
non sibi, sed suis deprecatur. In Matth., xxxi, 5,
col. 1068. De même pour les larmes : ce n'est pas sur
lui-même que Jésus a pleuré, mais sur nous : ut flens
non sibi flerel..., sed nobis. De Trinilate, X, 24, 55 sq.,
63, col. 364, 387 sq., 392.
Une autre différence tient à la modalité des infir-
milés physiques et des affections de l'âme : elles ne
s'imposaient pas au Christ comme elles s'imposent
à nous; en lui, elles étaient volontaires à un double
titre. D'abord, préalablement, car le Fils de Dieu n'est
pas susceptible de ces infirmités et de ces affections
dans sa nature propre, celle qu'il tient de son Père
céleste, mais seulement dans la nature humaine qu'il
a faite sienne librement, en la prenant par condescen-
dance pour sauver le genre humain. Tel est le sens,
et l'unique sens, comme l'affirme justement Coustant,
Piœf. gen., n. 144-147, col. 70 sq., d'un certain nombre
de textes, tels que ceux-ci : his omnibus non natura,
sed ex assumptione subjectus, In pi. Lin, 7, col. 341
(édit. Zingerle, p. 140) ; non fuit ergo unigenilo Dei
naturalis inftrmilas,sed assumpta ; suscepilcrgo infir-
mitates, quia homo nascitur. In ps. cxxxvm, 3, col. 475,
794. C'est dans le même sens, semble-t-il, qu'Hilaire
a dit du Verbe qu'il a voulu pâtir, sans être passible :
pâli voluil et passibile esse non petuit. De syn., 49, col.
516. En second lieu, ces infirmités et ces affections
furent volontaires même si l'on considère Jésus-Christ
en tant qu'homme; car il n'était pas nécessairement
soumis aux causes, agents ou forces, qui les produisent,
tenant de son origine surnaturelle et de son union
personnelle avec le Verbe une vertu capable de faire
échec à ces causes, s'il le voulait et quand il le vou-
lait : dum pati vull. quod pâli ei non licet ; ut sitiens
silim non polalurus depellerel, et e uriens non se cibo
escse alicujus expleret..., vel cum polum et cibum accepit,
non se necessitati corporis, sed consuetudini tribuit. De
Trinitate, IX, 7; X, 24, col. 286, 364; potensnon mori,
etiam timorem in se mortis ingruentem non renuit;
extra necessitatem et limoris posilus et doloris; permis-
sum corpus passioni est, sed permissa sibi, dominala
mors non fuit. Inps. LIV, 6; lxvui, i; CXXXIX, 14, col.
350, 471, 821.
Ces textes et autres du même genre ne sont pas
sans difficulté ; dans la controverse déjà signalée
entre Philippe de Harvengt et le prévôt Jean, ils
donnèrent lieu à discussion. Le prévôt soutenait
qu'en Jésus-Christ la passibilité est naturelle, bien
qu'acceptée volontairement. Epist., xxiv, P. L.,t. cem,
col. 173. L'abbé de Bonne-Espérance, invoquant les
textes de saint Hilaire, voyait dans l'impassibilité
la condition naturelle de l'Homme-Dieu; l'infirmité
physique et la souffrance ne pouvaient donc exister
dans son corps et dans son âme qu'en vertu d'une
intervention spéciale et miraculeuse du Verbe, prœter
natun m cl permiroculum. Epist. ,xxv, Hunaldiadpiw-
po Hum, P. L., t. ce ni, col. 175 sq. Voir t. vi, col. 1015-
1016. Les vues de Philippe de Harvengt se retrou-
vent dans Baur, op. cit., t. i, p. 689;Watson, op. cit.,
p. lxxv, et quelques autres. Mais cette interpréta-
tion est loin de s'imposer. Les textes qu'on invoque
prouvent uniquement que le Verbe pouvait toujours
soustraire sa nature humaine à l'influence des lois
qui régissent la nôtre. Ainsi en fut-il, par exemple,
pendant les quarante jours de jeûne au désert; la
faim se fit seulement sentir quand, ce temps étant
écoulé, le Verbe ramena son corps aux conditions
normales de notre vie : Vi tus illi qu dri ginl di rum
non mota jejunio, naturœ suœ hominem dereliquil. In
Matth., m, 2, col. 928. C'est donc que, laissée à elle-
même, la nature humaine du Sauveur était vraiment
susceptible d'éprouver, comme nous, le besoin d'ali-
ments. La même idée se retrouve expressément ail-
leurs : Qui se somno et lassitudini sœpe commiserity
etiam usque ad sitis et esuritionis necessitatem. In ps.
lxvui, 6, col. 474; cf. Baltzer, Die Christologie
2441
HILAIRE (SAINT;
2442
des M. Hilarius, p. 24 sq. ; Wirthmuller, op. cit.,
p. 61 sq.
Toutefois, une distinction est possible; distinction
qu'Hilaire n'a pas exprimée, mais que la synthèse
de sa doctrine paraît suggérer. Le Verbe a pu douer
sa nature humaine, corps et âme, d'une vertu ou force
spéciale, limmunisant en principe contre toute
infirmité, mais n'étant ni nécessairement ni toujours
en acte. Dans cette hypothèse, les infirmités peuvent
se dire naturelles ou surnaturelles, suivant qu'on les
considère par rapport à la nature humaine du Christ,
prise en elle-même, dans ses éléments constitutifs,
ou par rapport à cette même nature envisagée comme
unie au Verbe et possédant, à ce titre, une vertu ou
force supérieure, mais d'ordre surnaturel. Telle fut,
au fond, la distinction proposée, au xne siècle, par
Hunald, choisi pour arbitre par Philippe de Harvengt
et le prévôt Jean : Ex natura namque humanitatis
pulat (Philippus) illum conlraxisse, quod nos ex gratia
credimus eum habuisse; quomodo prœter naluram et
per miraculum dolu.it, qui dolendi potentiel carnali non
caruit? Epist., xxv, P. L., t. cem, col. 176, 179. Voir
t. vi, col. 1016-1017.
2. En particulier, Jésus-Christ fut-il, ici-bas, soumis
à la douleur ? — Question complexe et difficile, ne
serait-ce qu'à cause de la multiplicité des opinions,
provoquées d'ailleurs par les antilogies que présente,
à première vue, l'ensemble des textes hilariens. Un
exposé succinct du problème est nécessaire pour com-
prendre le point précis de la difficulté et sa réelle
portée.
a) Le problème. — Saint Hilaire traite plus directe-
ment la question de la douleur en Jésus-Christ au
livre dizième De Trinitate; toutefois il ne l'envisage
que d'une façon spéciale, en vue des ariens. Ceux-ci
niaient la divinité de celui qui, dans les Écritures,
est appelé Fils; ils le regardaient comme un esprit
créé qui tenait lieu d'âme en Jésus-Christ, et dès lors
toutes les affections attribuées à celui-ci dans les
saintes Lettres retombaient directement sur le Verbe,
considéré dans sa nature propre. Aussi, pour prouver
que le Verbe ou le Fils était d'une nature inférieure
à celle du Dieu suprême, ils partaient des textes
êvangéliques relatifs à Notre-Seigneur, où il s'agit
de crainte et de douleur : comment serait-il vrai Dieu,
puisqu'il nous apparaît sans cette puissance sûre
d'elle-même qui bannit la crainte et sans cette incor-
ruptibilité de l'esprit où la douleur n'a point de place?
ut quitimuitet doluil,non fuerit inea potestatis securi-
iate quse non timet, vel in ea spiritus incorruptionc quse
non dolel. Il s'agit donc d'une crainte et d'une dou-
leur qui atteignent l'esprit; crainte mêlée de tris-
tesse et de douleur anxieuse, qui va jusqu'à se trahir
par de profonds gémissements, sous le coup de la
peine corporelle endurée : et humanee passionis trepi-
daverit metu, et ad corporalis pœme congemuerit atro-
■citatem.De Trinitate, X, 9. col. 349; cf. I, 31, col. 45 sq.
Idée déjà exprimée avec non moins de relief dans le
commentaire sur saint Matthieu, xxxi, 1-3, col. 1066 :
et ideo in eo doloris anxietas, ideo spiritus passio cum
corporis passione, ideo melus mords.
Pour répondre à la difficulté, il ne suffit pas de faire
appel à la distinction classique entre Jésus-Christ
Dieu et Jésus-Christ homme; c'eût été, dans l'occur-
Tence, une pétition de principe, tant qu'on n'aurait
pas fait d'abord admettre à l'adversaire la divinité
du Verbe. Le docteur gaulois prend une autre voie;
répondant ad hominem, il s'efforce de montrer aux
ariens qu'ils interprètent mal les textes évangéliques
«n supposant dans Jésus-Christ des sentiments de
crainte, de tristesse, de douleur qui auraient porté
sur ses propres maux, blessures, souffrances et mort.
C'est ainsi qu'il est amené à étudier de plus près la
douleur en Jésus-Christ : « Mais peut-être a-t-il craint
les peines corporelles, et les liens des cordes qui de-
vaient le serrer violemment, et les blessures faites
par les clous qui devaient le tenir suspendu à la croix?
Voyons donc quel corps fut celui du Christ homme,
pour que la douleur ait pu l'atteindre en sa chah-
blessée, attachée et suspendue à la coix. » De Trini-
tate, X, 13, col. 352. Suit immédiatement un passage
curieux et d'une grande portée, où l'évêque de Poi-
tiers explique, non pas précisément ce qu'est la dou-
leur corporelle, mais comment ou dans quelles condi-
tions elle existe en nous. « Telle est la nature des corps,
qu'étant unis à l'âme qui les vivifie et leur commu-
nique sa faculté de sentir, ils ne sont plus une matière
inerte et insensible; touchés, ils sentent; blessés, ils
éprouvent de la douleur... Sous l'influence de l'âme
qui les possède et les pénètre, ils sont, en effet, suscep-
tibles d'impressions diverses, agréables ou pénibles.
Quand donc il y a douleur dans les corps percés ou
blessés, l'âme sensible qui leur est unie reçoit le sen-
timent de la douleur : cum igitur compuncta aul
effossa corpora dolent, sensum doloris transfusa; in eu
animée sensus admitlit. Enfin, la douleur infligée au
corps s'étend jusqu'à l'os; mais, quand on coupe
l'extrémité des ongles, les doigts restent insensibles,
et s'il arrive qu'un membre, tombant en corruption,
cesse d'être chair vive, on pourra couper ou brûler,
sans qu'elle éprouve de douleur, cette chair qui n'est
plus unie à l'âme. Ou encore, s'il faut, pour une rai-
son grave, tailler dans le vif et qu'à l'aide d'un nar-
cotique on assoupisse la vigueur de l'âme, en sorte
qu'absorbée par l'action violente des sucs administrés,
elle perde le souvenir et le sentiment, on peut couper
les membres sans qu'ils ressentent la douleur et,
quelque profonde que soit la plaie faite par la bles-
sure, la chair demeure insensible, comme l'âme elle-
même, dont le sens est comme engourdi. Ainsi c'est
par le corps, uni à une âme faible, que le sens de cette
dernière, faii.Ie lui aussi, est atteint par la douleur. »
Hilaire distingue, on le voit, entre l'impression
douloureuse qu'éprouve le corps soumis à un mal
physique et le sentiment formel de la douleur qui, par
contre-coup, résulte dans l'âme unie au corps; mais ce
contre-coup n'a lieu que si l'âme unie au corps est faible
et, comme telle, douée d'un sens faible. De là cette
conclusion que le saint docteur tire aussitôt, n. 15,
col. 363 : Si la nature humaine de Jésus-Christ, consi-
dérée dans ses éléments constitutifs, le corps et l'âme,
a été soumise dans sa formation aux mêmes condi-
tions que les nôtres, c'est chose naturelle que Jésus-
Christ ait senti la douleur propre a nos corps ; mais,
s'il a été lui-même l'auteur immédiat de son corps
et de son âme, les impressions qui furent en lui ont
dû répondre à la condition et à la perfection spéciale
de son corps et de son âme, secundum anima; corpo-
risque naluram necesse est et passionum fuisse naturam.
C'est la seconde hypothèse qui est la vraie; en vertu
de sa conception surnaturelle et de son union person-
nelle au Verbe divin, Jésus-Christ fut exempt, en son
corps et en son âme, de l'infirmité qui s'attache aux
nôtres par suite de leur origine vicieuse : animi et
corporis nostri perfectus est nalus ; habuit enim corpus,
sed originis suse proprium, neque ex vitiis humanœ
conceplionis existais; nec est in vitiosa hominis infir-
milate, qui Christus est. De Trinitate, X, 15, 25, col. 354,
364, 366.
Ces principes une fois posés et développés, l'évêque
de Poitiers en fait l'application aux souffrances en-
durées par le Sauveur; il dissocie alors les deux idées
de passion et de douleur : In quo (Jesu Christo), quam-
i>is aut ictus incideret, aut vulnus descenderet, aut nodi
concurrerent, aut suspensio elevaret, afferrenl quidem
liœc impetum passionis, non lamen dolorem passionis
2443
HILAIRE (SAINT)
2444
inferrent... Passas quidem est Dominas Jésus, dum
cœditur, dum suspendilur, dum crucifigitur, dum
moritur; sed in corpus Domini irruens passio, née
non fuit passio, nec lamen naturam passionis exseruit,
dum et pœnali ministerio desœvit, et virtus corporis sine
sensu pœnœ vim pœnœ in se desasvientis excepit, n. 23,
col. 361 sq.
Abstraction faite de ce que les mots : virtus corporis,
peuvent signifier, ce qui ressort nettement de ce pas-
sage, c'est la distinction et l'opposition entre deux
séries d'affections : d'un côté, la passion physique ou
organique, la peine entendue dans le même sens, l'une
et l'autre considérées sous leur aspect agressif, impetus
passionis, vis pœnse, pcenale ministerium; de l'autre
côté, la douleur comme contre-coup de la passion
physique, la peine sentie ou ressentie et, par suite, la
passion et la peine agissant suivant leur nature ou
leur propriété, dolor passionis, sensus pœnœ, naturam
passionis exscrens passio. De ces deux séries d'affec-
tions, la première est admise en Jésus-Christ, la se-
conde est rejetée : habens ad patiendum quidem corpus,
et passus est;, sed naturam non habens ad dolendum,
n. 23, cf. 35, col. 361 sq.,371. Et cela, en vertu de la
perfection propre à la nature humaine de l'Homme-
Dieu, et tout d'abord à son âme qui pénètre et régit
son corps comme force immanente: Si dominici corporis
sota ista nalura sil, ut sua virtute, sua anima feratur
in humidis, et insistât in liquidis,etexstructatranscurrat
quid per naturam humani corporis conceplam ex Spi-
ritu carnem judicamus ? Ibid., col. 363.
Qu'il n'y ait pas là, pour saint Hilaire, une idée
secondaire et lancée en passant, mais une idée délibé-
rément admise et jugée importante, le soin et l'insis-
tance qu'il met à développer sa pensée l'indiquent
suffisamment; car il la reprend sous diverses formes
au cours du même livre, surtout quand il établit,
n. 44, col. 378, un rapprochement entre Jésus-Christ
pendant sa Passion et certains martyrs qui, dominant
la faiblesse de leur nature par le saint enthousiasme
de la foi et de l'espérance, cessaient de sentir leurs
souffrances et, au milieu des tourments, se réjouis-
saient : sui quoque sensus ac spiritus corpus efficitur
ut pati se desinat sentire quod patilur. Fait d'où le
saint docteur tire un argument a fortiori : El quid nobis
de natura dominici corporis, et descendenlis de cœlo filii
hominis adhuc sermo sit ?
Même doctrine dans les autres écrits d'avant ou
d'après l'exil. Dans le commentaire sur saint Matthieu,
xxxn, 7, col. 1069, Notre-Seigneurnous est présenté
priant pour ses disciples, afin qu'ils boivent le calice
d'amertume comme il le boit lui-même, sine spei
diffulentia, sine sensu dploris, sine metu mortis. La
distinction entre la passion et la douleur, entre la
peine et le sentiment de la peine, se retrouve expres-
sément dans le commentaire sur les Psaumes : Et
quanquam passio illa non fueril conditionis etgeneris,
quia indemutabilem Dci naturam nulla vis injuriosse
perturbalionis offenderet, lamen susccpta voluntarie
est, offïcio quidem ipsa satisfaclura pœnali, non lamen
pœnœ. sensu lœsura patientem... Suscipiens nalurales
ingruentium in se passionem (quibus dolorem palien-
tibus necesse est infcrri) virlutes, ipse lamen a naturœ suœ
virtute non exciditutdoleret. In ps. Lin, 12, col. 344. De
même : Suscepil ergo infirmilales, quia homo nascitur;
et putatur dolere quia patilur, caret vero doloribus
ipse, quia Deus est. El cum habitat in nobis, cumquc
inflrmilates noslras suscipit, et cum susceplis infirmita-
libus non dolet. In ps. cxxxviu, 3, col. 794.
Les textes qui précèdent ne contiennent pas tous
les éléments du problème; d'autres s'ajoutent qui
rendent un son différent, et parfois même contraire,
en sorte qu'on peut ramener le tout à quatre séries :
a. Textes où la douleur est niée, par exemple, en
dehors des exemples déjà donnés : quo sensu ralionis
intelligit Dominum nostrum Jesum Chrislum... vulnera
non permittentem dolori, vulneratum dolere? De Tri-
nitate, X, 33, col. 370 ; non vis, impie hœreic.,et tran-
scunle palmas clavo Christus non dolueril? Ibid., 45,
col. 379; (3. Textes où la douleur est affirmée : qui
et flevit, et doluil, De Trinitate, X, 56, col. 388; et dolet
ipse quidem, In ps. lxvui, 1, col. 471; y. Textes où la
douleur est en même temps niée et affirmée, ce qui
suppose une diversité d'aspects : Et pro nobis dolet,
non et doloris noslri dolet sensu, De Trinitate, X, 47,
col. 381; 3. Textes, déjà cités, où la distinction et
l'opposition existent entre pati et dohre. Dès lors, il
est facile de comprendre combien sérieusement se
pose ce problème : d'après saint Hilaire, Jésus-Christ
fut-il ici-bas soumis à la douleur?
b) Les opinions ou interprétations. — On en compte
trois générales. — a. Les uns, prenant dans un sens
absolu les textes exclusifs de la douleur, ont jugé que
le docteur gaulois, trompé par une conception trop ab-
straite de la perfection due à la nature humaine du
Verbe incarné, n'a réellement pas admis dans l'Homme-
Dieu le sentiment de la douleur corporelle. Telle fut
l'opinion de Claudien Mamert, De statu animœ, 1. II,
c. ix, n. 3, P. L.,t. lui, col. 754; il relève chez Hilaire
cette assertion inexacte : nihil doloris Chrislum in
passione sensisse. Voir t. vi, col. 1013. La même
opinion fut soutenue, au moyen âge, par Bérenger et
par le prévôt Jean dans sa controverse avec Philippe
de Harvengt. Epist., xxn, xxm, xxiv, P. L., t. cciii,
col. 170-174; cf. dom Berlière, Philippe de Harvengt?
abbé de Bonne-Espérance, c. iv, dans la Revue béné-
dictine, Maredsous, 1892, t. ix, p. 200 sq. Au rapport
de saint Bonaventure et de saint Thomas, In IV Sent,
1. III, dist. XV, q. ii, a. 3, expos, text., Guillaume-
d'Auvergne, évêque de Paris, partagea le même avis
seulement en ce qui concerne le traité De Trinitate,
car il estimait qu'il y avait eu rétractation dans un
ouvrage postérieur; opinion reprise par Petau, De
incarnatione, 1. X, c. v, n. 5-6, où il identifie avec le
commentaire sur les Psaumes l'ouvrage où l'auteur
du De Trinitate se serait corrigé en attribuant, au
moins implicitement, la douleur à l'Homme-Dieu,,
notamment In ps. lx Vin, 4-5, col. 472 sq. D'autres s'en
tiennent à l'interprétation rigoureuse de Claudien
Mamert; tels, pour citer quelques noms parmi beau-
coup, Érasme dans la préface à son édition des œuvrer
de saint Hilaire; Baronius-Pagi, Annales, an. 563,
n. 4, t. x, p. 214; plus récemment, Watson, op. cit.r
p. lxxiii sq.; Baltzer, Die Christologie des hl. Hilarius,
p. 23-32, avec cette remarque toutefois qu'Hilaire
admet le Christus dolet, en attachant à ce dernier mot
l'idée de passion ou souffrance objective ; G. Bauschen,
Die Lehre des hl. Hilarius von Poitiers ùberdie Leidens-
fàhigkcit Christi, dans Theologische Quarlalschrifl,
Tubingue, 1905, t. lxxxvii, p. 424-438; dom Laurent
Janssens, Summa theol., t. iv, p. 542 sq., concluant,
p. 552 : Credimus proin mentem S. Hilarii ab < phtharlo-
doketarum excessu non tantopere distare.
b. A rencontre de cette première opinion s'en pré-
sente une autre qui nie l'erreur attribuée au saint
docteur; les textes incriminés doivent s'entendre-
de Jésus-Christ en tant que Dieu. Ce fut l'interpréta-
tion de Lnnfranc contre Bérenger, Epist., l, ad Regi-
naldum, P. L., t. cl, col. 545 : Virlus corporis, id est,
divinilas assumens ipsum corpus, sine sensu pœnœ,
quantum ad ipsam allinct, vim pœnœ, id est, in carne
assumpta, desœvientis excepit. Coustant, Piœf. gen.,
n. 123-137, col. 63 sq., a suivi la même interpréta-
tion, non pour tous les textes, mais pour quel-
ques-uns, comme De Trinitate, X, 23, 48, où virtus
corporis est le sujet; ces textes doivent s'expliquer
par les passages correspondants des commentaires-
2445
IIILAIRE (SAINT;
2446
sur saint Matthieu et sur les Psaumes, où il s'agit
manifestement de Jésus-Christ considéré dans sa
nature divine : quod dolorem divinitatis nalura non
sentit. In ps. LUT, 12, col. 344. Il faut également tenir
compte des erreurs que l'Athanase de l'Occident
avait en vue, erreurs des ariens, qui prétendaient
attribuer au Verbe lui-même les affections de crainte,
de tristesse et de douleur. Beaucoup d'auteurs se
sont ralliés à cette seconde opinion; tels de nos jours
Franzelin, De Verbo incarnato, th. xlii, schol. 1 ;
Stentrup, Chrislologia, th. lvi, t. n, p. 896 sq.; Hurter,
Thcologiœ dogmatkœ compendium, lleédit., Inspruck,
1903, t. m, p. 399; Ch. Pesch, De Verbo incarnato,
3«-" édit., Fribourg-en-Brisgau, 1909, n. 228, où la
solution est donnée pour commune.
c. Une troisième opinion s'ajoute, qui tient une
sorte de milieu entre les précédentes : saint Hilaire
écarte bien la douleur de Jésus-Christ, même en
tant qu'homme, mais il l'écarté dans un sens relatif,
et non pas absolu, c'est-à-dire entendue telle qu'elL
existe en nous, avec les diverses imperfections qui
l'accompagnent et qui sont une suite du péché ori-
ginel, notamment avec le caractère de souffrance qui
s'impose et qui trouble. Philippe de Harvengt pro-
posait déjà cette interprétation, en disant de l'évêque
de Poitiers : Hujus eum infirmitalis non crédit exsti-
tisse, ut scilicet invitus quidquam molestiœ vel in anima
vel incorpore paterelur.Episl., \,P.L., t. cem, col. 40.
Ce fut, en substance, la solution préférée des grands
docteurs scolastiques, comme saint Thomas, loc.
cit. : Solutio Magistri consista in hoc quod simpliciter
noluit removere a Chrislo dolorem, sed tria quse sunt
circa dolorem: primo dominium doloris...; secundo
meritum doloris...; tertio necessitatem doloris.
Coustant met aussi à profit cette interprétation
pour expliquer une partie des textes hilariens, loc. cit.,
n. 131-136, col. 66 sq. De même Hurter dans son édi-
tion du traité De Trinitale, Sanclorum Palrum opus-
cula selecta, 2e série, t. iv, notes sur les passages diffi-
ciles du livre Xe, p. 454, 463 sq., 466, 468, 473. Ajou-
tons le suffrage d'auteurs récents, soit protestants,
comme Dorner et Fôrster, soit catholiques, comme
Wirthmùller, Schwane et spécialement A. Beck, Die
Lehre des hl. Hilarius von Poitiers ùber die Leidens-
fàhigkeil Chrisii, et autres articles signalés dans la
bibliographie. D'après ce dernier écrivain, la question
traitée par Hilaire au livre Xe De Trinitate porterait
sur la cause, et non pas sur l'existence de la douleur
en Jésus-Christ : une seule force pouvait agir natu-
rellement sur le corps de l'Homme-Dieu, la force
même du Verbe; toute autre force ne pouvait
exercer d'influence que d'une façon éventuelle et
dépendante; d'où il suit que le sentiment de la dou-
leur n'était possible en Jésus-Christ qu'en vertu
d'une volonté positive de la part du Verbe. Le Dr Beck
se contente cependant d'une volonté antécédente,
venant de ce que le Verbe a pris librement un corps
semblable au nôtre, tandis que Dorner, Forster,
Wirthmùller et autres exigent, dans chaque circon-
stance, un acte de volonté formel et distinct.
Le principal fondement de cette troisième inter-
prétation se tire de la combinaison ou de la concilia-
tion de deux séries de textes : d'un côté, la douleur
est positivement attribuée à l'Homme-Dieu ; de
l'autre, dans les textes où elle est niée, on trouve
des termes restrictifs qui réduisent implicitement
la négation à un sens relatif: assumptacaro... passio-
num est permissa naturis, nec tamen ita ut passionum
conficeretur injuriis, n. 24, col. 364; quam igitur
infirmitatem dominatam hujus corpori credis, cujus
titntam habuit natura virlutem? n. 27, col. 367; extra
corporis noslri infirmitatem est (corpus illud), quod
spiritalis conceptionis sumpsit exordium, n. 35, col. 371;
et pro nobis dolet, non et doloris nostri dolet sensui ne-
scil in Christo apostolus trepidalionem doloris, n. 47, 48,
col. 381. D'ailleurs, pour répondre à l'objection arienne,
ne suffisait-il pas d'exclure de l'Homme-Dieu une
douleur qui eût été ou nécessaire, ou méritée, ou
dominatrice et troublante ?
c) Conclusions. - — Le lecteur ne s'étonnera pas
que, dans une question si complexe et si discutée,
il soit nécessaire de procéder par degrés, en allant
du plus certain au moins certain. Et d'abord, quoi qu'il
en soit d'une exclusion absolue de la douleur, saint
Hilaire l'écarté incontestablement de l'Homme-Dieu
dans le sens relatif qui vient d'être expliqué. Les textes
invoqués et les arguments apportés par les partisans
de la troisième opinion prouvent surabondamment
cette première assertion. Mais, en réalité, le saint
docteur n'exclut pas la douleur d'une façon absolue,
puisqu'il l'affirme en termes catégoriques dans la
seconde série de textes signalés ci-dessus, col. 2443, sq.
La douleur attribuée par Hilaire à f Homme-Dieu
est souvent une douleur purement spirituelle, indé-
pendante de toute douleur corporelle ; ainsi en est-il
de la douleur que le Sauveur ressentit pour les péchés'
ou pour les maux des hommes. Mais cette interpré-
tation ne convient pas à tous les passages ; parfois
il s'agit manifestement de la douleur corporelle :
Percussus ergo est Dominus, peccala nostra suscipiens,
et pro nobis dolens, ut in eo usquead infirmitatemcrucis
morlisque percusso, sanitas nobis per resurrectionem
ex mortuis redderetur... Hune igitur ita a Deo perseculi
sunt, super dolorem vulnerum dolorem persecutionis
hujus addenles. Inps. lviii, 23, col. 484. Beste à con-
cilier les deux séries de textes apparemment contra-
dictoires, ceux qui affirment et ceux qui nient la
douleur en Jésus-Christ.
Cette conciliation ne peut pas s'obtenir par
une simple distinction entre Jésus-Christ en tant
qu'homme et Jésus-Christ en tant que Dieu, comme
si la douleur n'était exclue que de la nature divine.
Même quand il s'agit de certains textes qui semblent
décisifs aux tenants de la seconde opinion, par exem-
ple, In ps. LUI, 12 col. 344 : quod dolorem divinitatis
natura non sentit, on peut se demander s'il est bien
vrai qu'ils écartent la douleur du Verbe considéré
uniquement dans sa nature, ou s'ils ne l'écartent
pas plutôt du Verbe considéré dans toute sa personne,
du Verbe en tant que Dieu, premièrement et dans un
sens absolu, du Verbe en tant qu'Homme-Dieu, secon-
dairement et dans un sens relatif. En tout cas, l'in-
terprétation ne tient pas, si l'on considère l'ensemble
des textes, et non pas tels ou tels en particulier. C'est
au Verbe en tant qu'homme qu'Hilaire attribue ces
affections : pâli passus est, vim pœnœ in se desœvientes
excepit, et refuse les autres : non tamen dolorem pas-
sionis injerrent; et virtus corporis sine sensu pœnœ vim
pœnœ in se desœvientis excepit. Dans ce dernier texte,
l'expression virtus corporis ne doit pas s'entendre
du Verbe, considéré dans sa nature divine, comme
saint Thomas le faisait déjà remarquer, loc. cit. : Sed
huic non consonant verba auctoritaiis, quœ jaciunl men-
iioncm de Chrisii carne. Vainement fait-on appel aux
passages où l'évêque de Poitiers donne au Verbe
divin l'appellation de Virtus ou de Virtus œterna;
ce sont là des appellations notablement différentes
de cette autre : virtus corporis, prise dans le contexte
et déterminée d'ailleurs par divers passages du même
livre : At vero si dominici corporis sola ista nalura sit,
ut sua virlute, sua anima feralur in humidis; cujus
(corporis) lantam habuit natura virlutem; quod si hœc
in Christi corpore virtus fuit; nempe et Allissimi virtus
virlutem corporis, quod ex conceptione Spirilus virgo
gignebat, admiscuit. De Trinitale, X, 23, 27, 28, 44,
col. 363, 367, 368, 378. Il s'agit d'une vertu propre
2447
HILAIRE (SAINT:
2448
à la nature humaine du Christ et qu'elle doit à sa
conception surnaturelle et à son union personnelle avec
le Verbe, soit qu'on assimile cette vertu à une force
dont le Verbe pouvait user ou ne pas user, à son gré,
pour protéger sa sainte humanité contre la souffrance
et la douleur, soit qu'on considère cette vertu comme
affectant intrinsèquement cette humanité en la ren-
dant naturellement incapable des mêmes affections.
D'ailleurs dans les circonstances où le docteur gau-
lois écrivait, la distinction proposée, entre Jésus-
Christ comme Dieu et Jésus-Christ comme homme,
aurait été, on l'a déjà vu, inefficace, puisque les ariens
ne niaient pas l'impassibilité de la nature divine,
mais niaient l'existence d'une nature divine dans la
personne de Jésus-Christ.
L'explication des différents textes et la solution
des antilogies ne peuvent pas s'obtenir non plus par
le simple rejet d'une douleur qui ne serait pas volon-
taire de la part du Sauveur; car Hilaire n'écarte
pas moins toute souffrance, toute passion physique
qui ne serait pas volontaire, et cependant quand il
oppose patiet dolere, il admet l'un et écarte l'autre.
Il semble qu'il faille recourir à une distinction impli-
citement contenue dans la doctrine du saint évêque
et condensée pour ainsi dire dans cette assertion :
Et pro nobis dolel, non et doloris nostri dolet sensu. Il y
eut dans l'Homme-Dieu douleur endurée pour nous,
mais sans le sentiment qui s'attache à notre douleur.
Pour trouver dans Hilaire lui-même le fondement de
cette solution, il faut revenir au passage capital, De
Trinitate, X, 14, où il a essayé d'expliquer philoso-
phiquement la genèse de la douleur en nous : Cum
igitur compuncla aul effossa corpora dolent, sensum
doloris transfusée in ea animse sensus admittit. Il y a
donc d'abord douleur physique, organique, qui est
douleur du corps vivifié par l'âme ; c'est ce que le saint
docteur appelle ailleurs passio avec l'idée annexe de
coup reçu, de violence exercée, de peine infligée,
impetus passionis, vis pœnœ, pœnale ministerium.
Ensuite il y a, par répercussion naturelle, douleur
dans l'âme, quand celle-ci est faible, douleur inté-
rieure qui dit réaction contre le mal physique ou la
lésion organique et accompagnée de malaise et de tris-
tesse ou de crainte, suivant que le mal est actuelle-
ment subi ou appréhendé comme futur. Quand Hilaire
parle de la douleur corporelle et qu'il l'affirme : pro
nobis dolet, et dolet ipse quidem, il s'agit de la douleur
physique ou de l'impression pénible qui affecte le
corps vivifié par l'âme, quand il est blessé, percé,
atteint de quelque façon dans son intégrité. Quand,
parlant encore de la douleur corporelle, le saint doc-
teur écarte de Jésus-Christ le sensus doloris ou le
dolere en opposition au pati, il s'agit, non plus de
l'impression pénible qui se produit dans l'organe
ou le corps atteint, mais du sentiment de la douleur
qui, par contre-coup, serait provoqué dans l'âme de
l'Homme-Dieu en y produisant les mêmes effets qu'en
nous. Cette seconde acception, spéciale et restreinte,
des mots dolere, sensus doloris, s'explique par l'état
de la controverse: dans leur attaque les ariens partaient
<Ic l'existence en Notre-Seigneur d'une douleur non
purement physique, mais surtout morale, comme on
l'a vu ci-dessus, col. 2441.
Pourquoi, admettant en Jésus-Chrisl la douleur phy-
sique, saint Hilaire écarte-t-il de son âme le sentiment
de la douleur, sentiment qu'il semble même, par sa
manière de parler, identifier avec la douleur formelle
et qu'en tout cas il considère comme une infirmité
de notre nature, indigne de l'Homme-Dieu? Peut-être
faut-il attribuer cette manière de parler et de voir
à une influence philosophique. Saint Augustin rap-
porte, De civitate Dei, XIV, 15, P. L., t. xli, col. 424,
cette définition de la douleur, empruntée sans doute
aux stoïciens : Dolor carnis tantummodo ojfensio est
animse ex corpore, et queedam ab ejus passione dissensio;
sicut animée dolor, quee tristilia nuncupatur, dissensio
ab his quee nobis nolenlibus accidunt. Cette notion
supposée, si, par hypothèse, il y avait passion physique,
impetus passionis, vis pœnee, sans qu'il y eût, de la
part de l'âme, dissentiment ni, par suite, réaction,
le sentiment de la douleur ou la douleur formelle
n'existerait plus, à proprement parler. Cette hypo-
thèse n'est-elle pas celle d'Hilaire? Comme il n'a
jamais dit expressément ce qu'il entend par le sensus
doloris, cette considération reste conjecturale; mais
elle trouve un sérieux point d'appui dans le fait
qu'Hilaire s'arrête presque toujours à l'aspect moral,
beaucoup plus qu'à l'aspect physique de la douleur
corporelle. Aussi, dans le procès du doctorat, un
défenseur du saint évêque jugea-t-il opportun de
faire le rapprochement suivant : « Remarquez d'abord
que, dans l'opinion des anciens philosophes, la con-
stance du sage ne peut être atteinte par aucune peine,
par aucune douleur; leur opinion a été traduite en
formules qui semblent exprimer que le sage ne sent
ni fatigue, ni douleur. Est invulnérable, dit Sénèque,
non ce qui n'est pas frappé, mais ce qui n'est pas
blessé. Peu importe au sage que des traits lui soient
lancés, puisqu'il n'est pénétrable à aucun d'eux... Or,
saint Hilaire s'est servi des mêmes images pour ex-
primer la vertu du Christ : « Les coups dont il fut
« frappé, les blessures dont il fut déchiré, les meur-
« trissures du crucifiement eurent l'impétuosité de la
« souffrance, sans en avoir la douleur, de même que
« le trait qui traverse l'eau, le feu ou qui frappe l'air,
« ne peut y produire son effet naturel. » Je ne nie pas,
ajoute Sénèque, que le sage souffre; nous ne voulons
pas dire qu'il ait la dureté de la pierre, car il n'y aurait
pas de vertu à supporter ce qu'on ne sent pas; mais
les traits qu'il reçoit, il les émousse, il les guérit, il les
comprime. Saint Hilaire dit également « que la chair
« assumée, l'homme tout entier est livré aux souffrances
« naturelles, non toutefois de sorte à être accablé par
« elles. » Ainsi, d'après saint Hilaire, le Christ a reçu
l'impétuosité de la souffrance, sans le sentiment de
cette souffrance, de la même manière que Sénèque
a dit que le sage, inaccessible à la douleur, debout et
sans trouble, maître de soi-même, demeure dans une
haute placidité. » Correspondance de Rome, 4e année
(1851), t. i, p. 236.
Entendue de la sorte, la doctrine de l'évêque de
Poitiers ne se rapproche pas, autant que l'ont pré-
tendu les partisans de la première opinion, du docé-
tisme ou de l'aphthartodocétisme, puisque Hilaire ad-
mettait et défendait, non seulement la réalité de la
nature humaine dans l'Homme-Dieu, mais encore
l'existence en lui de la souffrance et même, d'après
l'explication proposée, de la douleur physique. Est-ce
à dire que cette doctrine est de tout point recevable?
Nullement. L'auteur du De Trinitate s'est fait une
idée trop abstraite de la perfection propre à l'huma-
nité du Sauveur; il a considéré trop exclusivement
la dignité de l'union hypostatique et n'a pas tenu
suffisamment compte de l'état d'infirmité physique
auquel, par condescendance et pour nous racheter,
le nouvel Adam a voulu se soumettre. Aussi s'est-il
trompé quand il a écarté de Jésus-Christ toute crainte
et toute tristesse qui aurait eu pour objet ses propres
maux, ses souffrances et sa mort ; de même, quand il
a repoussé, comme une infirmité indigne de l'Homme-
Dieu, tout sentiment de douleur morale que la dou-
leur physique ou matérielle aurait provoquée. De
là des interprétations forcées et inadmissibles de
certains textes scripturaires, tels que Matth., xxvi,
38 sq. L'erreur, d'ordre secondaire et portant sur un
point qui n'avait pas encore été suffisamment éclairci,
2449
HILAIRE fSAINT
2450
trouve son excuse dans les circonstances de temps et
de lieu où l'auteur écrivit.
v. grâce et péché. — - La doctrine de saint Hilaire
sur la grâce est intimement liée à sa doctrine sur le
péché. Comme les écrivains sacrés, il a coutume d'en-
visager l'homme tel qu il est maintenant, dans l'état
de nature déchue, exilé de cette bienheureuse « Sion, où
l'on vit sans convoitise, sans douleur, sans crainte,
sans péché. » In ps. cxxxvi,5, col. 779. L'origine de
cette déchéance est dans le péché du premier père,
qui s'étend à tous ses descendants : In unius Adee
errore omne hominum genus aberravit. In Matth.,
xvni, 6, col. 1020. En s'avouant conçu dans l'iniquité,
le prophète royal associe manifestement à sa propre
naissance l'idée de péché : Scil sub peccati origine...
se esse nalum. In ps.cxvm, litt. xxn,6, col.641. De là
cette loi d'infirmité et dépêché qui demeure en nous,
même après le baptême : manente in nobis eliam se-
cundum apostolum et origine et lege peccati. Inps. lviii '..
4 ; cxviii, litt. xv, col. 375, 601 sq. Concupiscence
pour le corps, ignorance pour l'âme, tels en sont les
effets généraux qui, sans être eux-mêmes péché pro-
prement dit, nous portent cependant au péché, In
Matth., ix, 23, col. 976 ; In ps. cxviii, litt. i, 8, col.
507: ipsa Ma vitiorum nostrorum incentiva; litt. iv,
8, col. 530 : qua (lenlatione) tanquam per viam ad pec-
catum itur. Aussi ni la bonté parfaite, qui fut l'apa-
nage du premier homme en son état premier, ni la
pleine observation des commamiements ne se ren-
contrent maintenant en personne ici-bas. In ps./,//, 11;
cxviii, litt. m, 6, col. 329, 520.
A cette infirmité de notre nature déchue se rattache
le rôle médicinal de la grâce. Sans employer le mot,
Hilaire suppose la chose, quand il proclame la néces-
sité de la prière et du secours divin qu'elle implore
pour surmonter les tentations qui viennent de la
chair, du monde et du démon, ou, d'une façon géné-
rale, pour accomplir, et même connaître nos devoirs.
In ps. lxiii, 6; CXVIII, litt. i, 12; litt. x, 17, 18; litt.
xv,6; cxxxvni, 15, col. 409, 509, 569,601 sq., 790. Il
n'affirme pas en termes moins illimités ni moins nets
le rapport de dépendance intime et absolue que
l'homme conserve en tout vis-à-vis de Dieu : si non
in omnibus opus est Dei misericordia, etiam omnia
nobis tanquamex nostro sintvindicemus, In ps. CXXIII, 2,
col. 675. Affirmation qui semble dépasser déjà l'idée
d'un secours purement médicinal; en tout cas, c'est
une grâce d'une vertu supérieure, élevant les facultés
ou sanctifiant l'âme, que l'évêque de Poitiers suppose
en maint endroit, par exemple, quand il considère le
secours divin comme nécessaire à l'intelligence et à la
volonté en vue des actes que les adultes doivent pro-
duire pour mériter la vie éternelle. In ps. cxviii, litt. i,
12-15; litt. x, 15, col. 509 sq., 569 sq.; ou, quand il
montre Dieu convertissant miséricordieusement le
pécheur « et lui rendant le principe de nouveaux
biens », In ps. cxxv, 8, col. 689 ; ou, quand il associe
à l'idée de la justification et du baptême celle de
régénération ou de rénovation intérieure, de robe
nuptiale, de temple divin orné de sainteté, In Matth.,
ix, 24, col. 976 : cum ergo innovamur baptismi lavacro ;
xxn, 7, col. 1044 : vestitus autem nuplialis est gloria
Spiritus Sancti; In ps. lxiv,Q, col. 416: ornandum hoc
Dei iemplum est sanctitate atque justifia; CXVIII, litt.
m, 16, col. 525 : regenerationis gratiam.
Hilaire n'affirme pas seulement la nécessité de la
grâce, il en affirme aussi la gratuité, par opposition
aux œuvres de la loi et de la nature : Si justifia juisset
ex lege, venia per gratiam necessaria non fuisset. In
Matth., ix, 2, col. 963. Le salut nous vient de la mi-
séricorde divine; gratuit pour tous est le don de la
foi, gratuit le don de la justification et de la rémis-
sion des péchés : Salus nostra ex misericordia Dei est;
gratuilam gratiam Deus omnibus ex fidei justifications
donavil; dono gratise, vilee anlerioris crimina omit-
tuntur. In ps. cxviii, litt. vi, 2, col. 543; In Matth.,
xx, 7; xxi, 6, col. 543, 1030, 1043. La foi est essen-
| tiellement à la base de la justification : fides enim sola
justifleat. In Matth., vin, 6, col. 961. Elle est égale-
ment à la base de tout acte méritoire, en sorte que,
sans elle, rien ne peut avoir de valeur pour le salut.
In ps. xiv, 8; lxiv, 3; cxxxvi, 12, col. 304, 414, 783.
Si grande même, au jugement du saint docteur, est
l'excellence de la foi (considérée sans doute comme
vertu) que jamais elle ne cessera, pas plus que l'espé-
rance, à plus forte raison, la charité. Fragm. hist., r,
1, col. 627. Néanmoins la foi seule ne suffit point, ni
la prière seule, In ps. cxviii, prolog., 4 ; cxxxm, 5, col.
502, 751 sq. ; à l'une et à l'autre, il faut joindre les
bonnes œuvres, comme un aliment qui entretient la
vie de l'âme : habemus hic cibum spiritualem, animam
nostram in vitam alentem, bona scilicet opéra. In ps.
cxxvin, 6, col. 706. Il y a même une certaine con-
nexion entre la pratique des bonnes œuvres et la con-
naissance de la doctrine : nisi fidelium operum usus
prœcesserit,doctrinœ cognitio non apprehendetur. In ps.
cxviii, litt. ii, 10, col. 516. Appuyées sur la grâce et
la foi du Christ, les bonnes œuvres deviennent mé-
ritoires et, sous les conditions requises, donnent droit
à la récompense promise : nos vero salutem tanquam
debitum postulamus; pactum denarium tanquam de-
bitum postulat. In ps. cxviii, litt. xix, 3 ; cxxx, 1 1 , col.
626, 725. Hilaire semble même concevoir l'élection
des hommes à la gloire comme dépendante des mérites
prévus : Non res indiscreli judicii electio est, sed ex
merili deleclu facta discrelio est. In ps. LXIV, 5, col. 415.
Don de la bienveillance divine, la grâce n'en est
pas moins destinée à tous par celui qui est venu ici-
bas pour tous et qui, ayant soin du genre humain,
n'a pas cessé d'appeler, en tous temps, tous les
hommes à l'observation de la loi. In Matlh., ix, 2 ;
xx, 5, col. 962, 1029. La voie du salut est ouverte
à tous : omnibus enim palet aditus ad salutem. De
mysteriis, 14, édit. Gamurrini, p. 15. De lui-même,
Dieu ne repousse ni ne rejetle personne; seules notre
résistance et notre négligence peuvent mettre obstacle
à ses dons. Adam, repentant, a été pardonné et glo-
rifié dans le Christ. In ps. cxviii, litt. n, 3; exix, 4,
col. 512, 468. L'existence du libre arbitre ressort
manifestement de toute cette doctrine. Hilaire accen-
tue fortement cette vérité, qu'il s'agisse d'Adam
déchu et de ses descendants. In ps.//, 16; cxF///,litt.
xxn, 4, col. 270, 641. Aussi l'homme qui pèche est-il
toujours responsable et inexcusable. In pu. cxl, 6, 10,
col. 827, 830. Si Dieu connaît d'avance l'usage que
nous ferons de notre liberté, ceci témoigne de la per-
fection de sa science, et non pas d'une loi de néces-
sité qui s'imposerait au pécheur et le porterait irré-
sistiblement au mal : ipso potius hoc sciente, quam
aliquo ad necessitalem genilo naturamque peccati.
In ps. lvii, 3, col. 269.
Cette vive préoccupation de sauvegarder le mérite
et la liberté n'aurait-elle pas mené trop loin le doc-
teur gaulois ? L'accusation a été formulée, même
par des catholiques, comme dom Ceillier, op. cit., t. iv,
p. 72 : « On trouve sur cette matière plusieurs propo-
sitions, en différents endroits de ses ouvrages, qui
font de la peine et qui ne paraissent pas s'accorder
avec la doctrine de saint Augustin, qui est celle de
l'Église. » Abstraction faite des propositions qui,
lues dans le contexte, sont irrépréhensibles, et d'au-
tres qui ne peuvent être sérieusement incriminées
que sous l'influence de préjugés d'école, celles-là
méritent d'être signalées, où le commencement de
l'acte salutaire et la volonté de croire paraissent ré-
servés à l'homme, la part de Dieu venant après: Est
2451
HILAIRE (SAINT
2452
ergo a nobis cum oramus, exordium, ut munus ab eo
s/7... Est quidcm in fuie manendi a Deo munus, sed
incipiendi a nobis origo est. Et voluntas nosùa hoc
proprium ex se habere débet, ut velil; Deus incipienli
incrementum dabit... Divinœ misericordiœ est, ut vo-
lentes adjuvet, incipientes confirmet, adeuntes recipiat;
ex nobis autcminilium est,utilleperftciat,Inps.cxvill,
litt. v, 12; litt. xiv, 20; litt. xv, 10, col. 538 sq.,598,
610. Ces phrases ne rendent-elles pas un son semi-
pélagien ? Elles le rendraient si, en affirmant que le
commencement de l'acte salutaire ou la volonté de
croire vient de nous, le saint docteur entendait parler
d'une volonté ou d'une action indépendante de toute
grâce, même prévenante. Mais sa doctrine générale
ne permet pas de faire cette supposition, et il suffit
d'ailleurs de considérer attentivement le contexte de
ces phrases, qui visent une objection fataliste, païenne
ou manichéenne, pour se îendre compte qu'Hilaire
songe uniquement à sauvegarder le caractère de li-
berté et, dans un certain sens, d'initiative personnelle
qui revient à l'homme dans l'acte de foi, comme dans
la prière et toute autre action méritoire. C'est dans
le même sens que, parlant ailleurs de la bienheu-
reuse éternité, inaccessible pourtant, d'après sa propre
doctrine, aux mérites de la loi et de la nature, il dit :
De noslro igitur est beala Ma seternitas promerenda,
prœstandumque est aliquid ex proprio ut bonum veli-
mus, malum omne vitemus, totoque affectu prœceplis
cœlestibus obtemperemus. In Matth., vi, 5, col. 953.
C'est dans le même sens encore que, parlant de ceux
qui devaient croire au Fils, le saint évêque n'admet
pas qu'ils aient reçu de celui-ci la volonté, entendant
manifestement par là une volonté de croire qui serait
comme implantée de toute pièce en eux, ne laissant
pas de placé à ce que l'idée même de mérite suppose
d'initiative personnelle : quœ (voluntas), si data esset,
non haberet fldes prœmium, cum fidem nobis nécessitas
affixœ voluntalis intcrret. De Trinilate, VIII, 12, col.
244. Voir Coustant, Prœf. gen.. § 9, n. 261-262,
col. 123 sq. ; Noël Alexandre, Hist. eccl., t. v, diss.
XXII, p. 372.
VI. sacrements, église. — L'œuvre de la sanctifi-
cation des âmes s'opère par les sacrements de l'Église :
sanclificalas sacramenlis Ecclesiœ animas. In ps. CXXXI,
23, col. 741. Hilaire n'explique pas, il est vrai, ce
qu'il entend ici par ce terme de sacrements ; mais nous
rencontrons dans ses écrits plusieurs des rites carac-
téristiques de la vie chrétienne, auxquels ce terme
s'applique depuis longtemps dans un sens spécial et
réservé.
1° Baptême. — A la base de l'édifice, comme « pre-
mier degré dans la voie du salut », vient le « sacre-
ment du baptême, de la nouvelle naissance, de la
régénération », où, grâce à la vertu de la parole,
Matth., xxvn, 19, et de l'eau que le Sauveur a consa-
crée par son propre baptême, nous sommes lavés de
nos péchés, héréditaires ou personnels, dépouillés
du vieil homme, renouvelés en Jésus-Christ et faits
enfants adoptifs de Dieu. Inslruciio psalm,. n ; In ps.
LXUI, 7, 11; lxv, 1, col. 239, 410, 412, 428 ; In Matth.,
ix, 24, col. 976; De Trinitale, VI, 44; De njn., 85,
col. 193, 538. Un est le baptême, comme est une la
foi du Christ, sans laquelle il n'y a ni régénération,
ni baptême. Ad Constant, n, 6, col. 567. Cependant
le baptême d'eau ne nous élève pas à un tel degré de
pureté, qu'il n'y ait plus lieu à des compli ments ou
perfectionnements ultérieurs, soit par la descente du
Saint-Esprit, soit par l'épreuve du feu après la mort,
soit par la mort elle-même ou par le martyre sanglant.
In ps. cxvill, litt. ni, 5, col. 519.
2° Confirmation. — Que peut signifier, dans ce der-
nier texte, cette descente du Saint-Esprit jointe à
une sanctification qui perfectionne l'œuvre du bap-
tême ? La réponse parait donnée par Hilaire dans
son commentaire sur saint Matthieu, alors que, traitant
du baptême de Notre-Seigneur sur les bords du Jour-
dain, il montre dans la descente visible de l'Esprit
sous forme de colombe le symbole visible de ce qui
s'opère en ceux qui reçoivent le baptême chrétien :
ut ex eis quœ consummabantur in Christo, cognosce-
remus, post aquœ lavacrum, et de cœlestibus portis
Sanctum in nos Spiritum involare, et cœlestis nos unc-
tione perfundi. In Matth., n, 6, col. 927. Or, dans le
même commentaire, iv, 27, col. 927, cette descente
du Saint-Esprit, qui vient après le baptême, se trouve
comprise avec le baptême lui-même sous le terme de
sacrement, mais emplo\ é au pluriel : in baptismi et
Spiritus sacramentis. Les deux choses équivalent pour
le chrétien à ce que furent pour les apôtres le baptême
d'eau et la descente du Saint-Esprit, au jour de la
Pentecôte, sous forme de langues de feu : sacramento
aquœ ignisque perfecti. In Matth., n, 10, col. 934 sq.
Le « sacrement de l'Esprit » revient donc, en sub-
stance, à notre sacrement de confirmation. Peut-être
y aurait-il encore une allusion au même rite dans
ces lignes, écrites à propos de l'imposition des mains
faite par Jésus sur la tête des enfants : Munus enim
et donum Spiritus Sancti per impositioivm manus et
precatienem, cessante legis opère, erat gentibus largien-
dum. In Matth., xix, 3, col. 1024. Voir Coustant,
notes sur ces divers passages.
3° Eucharistie. — Nombreux sont les passages où
l'évêque de Poitiers mentionne la sainte eucharistie :
sacramenlum sancti cibi, sacramenlum potus cœlestis,
In Matth., ix, 3, col. 963; sacramenlum communicalœ
carnis et sanguinis, De Trinitate, VIII, 15, col. 247;
divinœ communionis sacramentum. In ps. lxviii, 17,
col. 480. Parlant de saintes hosties profanées par des
hérétiques, il lance cette exclamation indignée : In
ipsum Chrislum manus missœl Contra Constant, II,
col. 585. Quand Notre-Seigneur consacra son corps
et son sang, Judas avait quitté le cénacle, indigne
qu'il était de participer au divin mystère. In Matth.,
xxx, 2, col. 1065. Déjà nettes en elles-mêmes, ces
expressions tirent une portée plus grande encore du
célèbre passage, De Trinitate, VIII, 13-17, col. 245 sq.,
où, voulant établir que l'union des fidèles entre eux
n'est pas une simple union morale ou des volontés,
mais qu'elle repose sur un fondement réel et physique,
le docteur gaulois fait appel au corps et au sang de
Jésus-Christ, envisagé comme lien ou principe d'unité
entre les fidèles : Si enim vere Verbum caro factum
est, et vere nos Verbum carnem cibo dominico sumimus,
quomodo non naturaliler manere in nobis existimandus
est, qui et naturam carnis nostrœ jam inseparabilem
sibi homo natus assumpsit, et naturam carnis suœ ad
naluram œlernitatis sub sacramento nobis communicandœ
carnis admiscuit? lia enim omnes unum sumus, quia
et in Christo Paler est, et Christus in nobis est Rappe-
lant ensuite les paroles du Sauveur, Joa., vi, 56 sq. :
« Ma chair est vraiment une nourriture, et mon sang
est vraiment un breuvage. Celui qui mange ma chair
et boit mon sang demeure en moi et moi en lui », il
conclut : De veritate carnis et sanguinis non relictus
est ambigendi locus. Nunc enim et ipsius Domini pro-
fessione, et fuie nostra vere caro est, et vere sanguis est
El hœc accepta atque hausta id efficiunt, ut et nos in
Christo, et Christus in nobis sii. Anne hoc veritas non
est ? Affirmations vigoureuses, dont les champions de
la vérité catholique ont su tirer parti contre les enne-
mis de la présence réelle; par exemple, au xne siècle,
contre Bérenger, Guitmond, archevêque d'Aversa,
De corporis et sanguinis Christi veritate in eucharistia,
1. III, P. L., t. cxlix, col. 1474 sq. ; au xvie et au xvne
siècle, contre les novateurs, les cardinaux Bellarmin,
De sacramento eucharisliœ, 1. II, c. xn, et Du Perron,
2453
HILAIRE (SAINT
2454
Traité du saint sacrement de l'eucharistie, 1. II, c. xi,
Paris, 1622, p. 263 sq.
A la nature de l'eucharistie répond le merveilleux
effet, qui est lui propre, de nous préparer à l'union
parfaite avec Dieu au ciel, en nous faisant vivre dès
ici-bas d'une vie divine, dont Jésus-Christ lui-même
est directement le principe : cibus, in quo ad Dei con-
sortium prœparamur per communionem sancti cor-
poris; cujus hsec virtus est, ut ipse vivens eos qui se
accipiant vivificet. In ps. lxiv, 14 ; cxxvn, 10, col. 421,
709. Aussi rien ne s'oppose à ce qu'Hilaire soit réelle-
ment l'auteur d'une phrase relative à la communion
quotidienne, qui lui est attribuée par les Pères du
VIe concile de Tolède, c. x, P. L., t. x, col. 725 : Quid
enim tam vult Deus, ut quotidie Christus habitet in
nobis, qui est panis vitse et panis e cœlo? et quia quoti-
diana oratio est, quotidie quoque ut dctur, oralur.
Sacrement, l'eucharistie est aussi sacrifice. Les do-
cuments historiques conservés dans YOpus historicum
nous montrent rapprochées et associées les idées d'autel
et de sacrifice, de prêtres consacrant et portant sus-
pendu au cou le corps du Seigneur, et ce saint corps
désigné lui-même, par métonymie, sous l'appellation
de sacrifice : disturbati altaris in ipso sacrificiorum
tempore; consecratum Domini corpus ad sacerdolum
colla suspensum ; saa ifium a s:mclis et integris sa-
ccrdotibus confeclum. Fragm., Il, 66; ni, 9, col. 643,
665. Dans ses propres écrits, Hilaire associe égale-
ment les idées de prêtre et d'autel : protraxtrunt de
allario sacerdoles, Contra Constant., II, col. 589; il
parle de la table des sacrifices, d'après saint Paul,
I Cor., x, 21, du sacrifice d'action de grâces et de lou-
ange qui a remplacé l'obi ition sanglante des anciennes
victimes, et de l'immolation, dans la nouvelle loi, de
l'Agneau au sang rédempteur. In pu LXIII, 19, 26;
ex vin, litt. xvin, 8, col. 482, 486, 624. Enfin, à propos
des paroles prophétiques de Jacob, Gen., xxvn, 27 :
Ecce odor filii mei, sicut odor agri pleni quem benedixit
Deus, il remarque que les biens spirituels dont nous
jouissons maintenant, en particulier le grand sacre-
ment de l'unité et de l'espérance chrétienne, ont été
jadis manifestés à l'aide de noms empruntés à des
choses corporelles et communes, puis il ajoute ces
mots qui semblent une allusion à quelque reste de
la discipline du secret : quod scientes intelligent, In ps.
cxxi, 12, col. 666 ; à rapprocher d'une allusion au
néophyte dont l'instruction spirituelle n'est pas
encore achevée : nondum tamen formatas fidei, non-
dum doctrinis spiritualibus eruditum. In ps. lxiii, 7,
col. 410.
4° Autres sacrements. — Us ne sont ras mentionnés
dans les écrits de l'évêque de Poitiers sous la déno-
mination de sacrements; mais, pour plusieurs, les
éléments essentiels s'y trouvent implicitement.
1 . Pénitence. — Ainsi en est-il pour la pénitence ; car
le pouvoir de lier et de délier, donné aux apôtres,
Matth., xvin, 18, est entendu du pouvoir de remettre
et de retenir les péchés, de telle sorte qu'en cas de
rémission, il y ait sentence de pardon ratifiée au ciel :
ut quos in terris ligaverint, id est, peccalorum nodis
innexos reliquerint, et quos solverint, confessione vide-
licel veniœ receperint in salutem, hi apostolicœ senten-
tise in cselis quoque aut soluti sint evit ligati. In Matth.,
xvin, 8, col. 1021. La confession des péchés apparaît
fréquemment dans le commentaire sur les Psaumes,
comme moyen d'obtenir le pardon : confitendum est
crimen, ut obtinealur et venia; ubi peccati confessio
est, ibi et justifleatio a Deo est, In p". cxrin, litt. ni, 19 ;
cxxv, 10, col. 526, 690 ; mais la généralité du mot
et parfois le contexte même ne permettent pas
de songer à la confession sacramentelle ; tout au
plus pourrait-il y avoir une allusion voilée à la
pratique chrétienne dans des textes comme celui-
| ci : Nihil occullum, nihil clausum, nihil obligalum
sub Dei confessione in corde relinendum est. In ps. LXI,
6, col. 398.
2. Ordre. — Saint Hilaire enseigne le pouvoir d'ordre
conféré aux apôtres et aux prêtres du Nouveau Tes-
tament : pouvoir de consacrer et d'administrer le
pain céleste, In Matth., xiv, 10, col. 1000 ; pouvoir
de poser, comme seuls ministres légitimes, l'acte au
sacrifice, sacrificii opus sine presbytero esse non po-
tuit, Fragm., n, 16, col. 643 ; d'une façon plus géné-
rale, pouvoir d'exercer le ministère divin de la justi-
fication. In ps. cxxxriil, 34, col. 810. Ce pouvoir se
transmet par une ordination en règle, réservée à l'é-
vêque et accompagnée d'une effusion de l'Esprit-
Saint, De syn., 91, col. 544 : ordinati enim ab his sumus ;
Contra Constant., 27, col. 602 : a quo sacerdotium
sumpsit; In ps. LXVII, 12, col. 451 ; Sancloque Spiritu
irrigali. Autant d'allusions au rite sacramentel, sans
que ce rite soit jamais décrit ni même énoncé d'une
façon déterminée.
3. Mariage. — Il n'est question du mariage qu'in-
cidemment. Avec saint Paul, Hilaire y voit un état
bon et licite, quoique inférieur en mérite à l'état de
virginité et de sainte viduité. In ps. cxviii, litt. xiv, 4 ;
cxxrn, 7, felix Ma et beata virginitas; cxxxi, 24,
quanta viduarum dignitas..., col. 596, 707, 742. Dans
le commentaire sur saint Matthieu, les paroles de-
Notre-Seigneur, rapportées par cet évangéliste, v, 32 :
Qui dimiscrit uxorem suam, excepta fornicalionis causa,
facit eam meechari, sont interprétées en ces termes :
nullam aliam causam desinendi a conjugio prœscribens,
quam quse virum prostiluix uxoris societate pollueret.
In Matth., v, 22, col. 940. Est-ce à dire que, dans ce
cas, la dissolution du mariage est absolue, y compris
le lien même? Beaucoup ont entendu en ce sens l'as-
sertion du saint docteur, mais en dépassant, semble-
t-il, la portée certaine des termes employés, desinendi
a conjugio; il peut s'agir, non pas de l'union consi-
dérée en droit ou du lien, mais de l'union considérée
en fait, et cessant sans préjudice du lien, par la sépa-
ration complète et perpétuelle des conjoints. Cous-
tant, note sur ce passage ; Noël Alexandre, Hisl.
eccl., t. iv, p. 138.
5° Église. — Au-dessus des sacrements, dont elle
est la dépositaire et la dispensatrice, apparaît l'Église,
société des fidèles intimement unis, concordem fide-
lium ccelum, In ps. cxxxi, 23, col. 741, « fondée par
Notre-Seigneur et affermie par les apôtres. » De Tri-
nitate, VII, 4, col. 202. Héritière des noms qui conve-
naient à l'antique Sion, «mont du Seigneur, maison
du Seigneur, sainte cité du grand roi », etc., l'Église
se caractérise mieux encore, pour l'évêque de Poitiers,
par ses rapports au Christ, dont elle est l'épouse, la
bouche et surtout le corps mystique. In ps. cxxvil, 8;
OXXViii, 9, 29, col. 708, 715, 807. A ces rapports elle
doit cette infaillibilité dans la foi, que l'auteur du
De Trinilate invoque si souvent contre les hérétiques,,
avec autant d'assurance que de fierté : evangelica
atque apostolica Ecclesiœ fldes nescit, pia Ecclesiœ
fldes damnât, De Trinilate, VI, 9, 10, col. 163 sq.; de
même, cette assistance continuelle contre les tem-
pêtes qui l'assaillent, comme jadis la barque montée
par le Sauveur. In Matth., vu, 9; xiv, 13 sq., col.
957, 1001 sq. Singulier spectacle, celui de cette Église
dont le propre est de vaincre quand on la frappe, de
briller davantage quand on l'attaque, de progresser
quand on l'abandonne 1 De Trinitale, VII, 4, col. 202.
L'Église est une, una omnium; une comme corps
du Christ et une dans sa foi. De Trinilate, VII, 4, col.
202 ; In ps. CXXI, 5, col. 662. Ceux qui se séparent d'elle
ou qu'elle retranche de sa communion deviennent
par le fait même étrangers au Christ et tombent sous,
l'empire du démon. In p:. cxviii, litt. xvi, 5, col. 607
!455
HILAIRE (SAINT;
245G
Nulle intelligence vraie de la parole divine en dehors
d'elle : nulle voie pour aller au ciel qui ne doive passer
par ce mont de Dieu; point de repos en dehors de
cette arche. In Matth., xiii, 1, col. 993; In ps. cxlvi,4;
CZLVI, 12, col. 301, 874. D'ailleurs, si l'iïglise est une
en elle-même, elle n'en est pas moins, par destination,
universelle; tous les hommes sont appelés à en faire
partie, et ses progrès dans le monde sont admirables,
bien que tous ne répondent pas à l'appel. In Matth.,
vu, 10, col. 958; In ps.LXVll, 20, col. 457. Elle contient,
du reste, des membres d'inégale valeur, justes et pé-
cheurs, purs et impurs. In ps. i, 4; lu, 13; In Matth.,
n xxiii, 8, col. 252, 331 sq., 1075.
Une et catholique, l'Église est encore essentielle-
ment hiérarchique. Comme l'antique synagogue, elle
comprend des prêtres et des ministres sacrés, puis le
reste du peuple, cui non sacerdoiii, ncque ministerii,
sed timoris ofjlcium est. In ps. cxxxiv, 27, col. 766 sq.
llilaire nomme expressément les évêques, les prêtres
et les diacres, en ajoutant les clercs, sans préciser
davantage : cum râpèrent episcopos, presbyteros et
diaconos, et omnes clericos in cxsilium mittercnt. Fragm.,
n, 11, col. 640. Les évêques sont les princes du peuple
chrétien. In Matth., xxvm, 1, col. 1058. Ils sont les
yeux de l'Église, comme les apôtres dont ils ont re-
cueilli la succession. Inps. cxxxvin, 34, col. 810. Pour
comprendre quelle haute idée le saint docteur avait
de sa charge et des devoirs qui s'y attachent, il suffit
de lire la description de l'évêque, d'après saint Paul.
De Trinitate, VII, 1, col. 236. Notable est le témoi-
gnage qu'il rend à la foi et à la primauté de saint
Pierre : primus credidit, et apostolatus est princeps.
In Matth., vi, 6, col. 956. Mais c'est surtout la pro-
fession de foi en la divinité de Jésus-Christ, émise
par l'apôtre auprès de Césarée, et la magnifique ré-
plique du Sauveur qui provoquent l'admiration
d'Hilaire : O in nuncupatione novi nominis felix
Ecclesiœ fundamcntum, dignaquc sedificalionis illius
petra, quse injernas leges et omnia mortis claustra dis-
solverent ! O bcatus cœli janitor, cujus arbitrio claves
seterni adilus traduntur, cujus terrestre judicium
prœjudicata auctorilas sil in cselo : ut quse in terris aul
ligala sinl aut soluta, statuli cjusdcm conditionem
obtineant et in cselo ! In Matth., xvi, 7, col. 1010.
Cf. De Trinitate, VI, 20, 36, 38, col. 172, 1861; In ps.
CXXXI, 4, col. 730. Mais Pierre n'aurait-il pas, en re-
niant son Maître, perdu ces prérogatives ? Dans son
premier ouvrage, l'évêque de Poitiers semble presque
excuser la faute : et vere prope jam sine piaculo ho-
minem negabat, quem Dei filium primus cognoverat,
In Matth., xxxn, 4, col. 1071; mais dans le commen-
taire sur les Psaumes, il y va plus franchement et se
contente de dire que Notre-Seigneur pardonna sim-
plement une faiblesse immédiatement pleurée : et
neganti quidem claves tamcn rcgni cselorum non adcmil.
In ps. m, 12, col. 330.
La croyance à la communion des saints se mani-
feste dans les écrits d'Hilaire : d'une façon générale,
par la dénomination d'Église appliquée à la société
des fidèles ici-bas et au ciel, Ecclesia vel quœ nunc est,
vel quse cril sanclorum, In ps. CXXXII, 6, col. 748 ; plus
particulièrement, par la vénération rendue aux re-
liques des saints et au sang des martyrs, dont la vertu
était souvent attestée par des faits miraculeux.
Contra Constant., II. col. 584. Quelques articles du
symbole primitif se dégagent d'allusions aux points
de foi que les adultes devaient professer avant de
recevoir le baptême : prius confitenlur credere se in
Dei Filio et in passione ac resurrectione ejus; et re-
nascens non conjessus es ex Maria Filium Dei natum?
In Matth., xv, 8, col. 1006 ; De Trinitate, IX, 51,
col. 322. Voirdom Ceillier, op. cit., p. 78 sq.,pour quel-
ques autres usages des temps primitifs.
ru. escb {TOLOGIE. — La doctrine de saint Hilaire
sur les tins dernières est, dans son ensemble, scripturaire.
Elle présente cependant sur plusieurs points ce que
dom Constant appelle, Prsej. gen., §5, col. 87, des ma-
nières de parler spéciales, singulares loculiones, qui
ont donné lieu à des attaques et demandent quelques
explications.
1° Mort. — La mort, décrétée par Dieu contre
notre premier père en cas de désobéissance, vient
par le fait même de la loi du péché, ex lege peccati
consequitur, et revêt pour tous les descendants d'Adam
un caractère pénal, nobis pcenalis demutatio est. In ps.
LXI, 18; lxii, 6; cxxxi, 9, col. 318 sq.. 404, 734.
Quelques-uns, comme Hénoch, Élie, Moïse, Jean
l'Évangéliste, ont-ils échappé, provisoirement du
moins, à l'application de la loi commune? Pure ques-
tion de fait, que le saint docteur ne touche qu'en
passant et d'une façon peu ferme, en rapportant les
opinions courantes. In Matth., xx, 10, col. 1032 ;
De Trinitate, VI, 39, col. 189. Personnellement, il
ne semble pas douter de la mort de Moïse, comme le
montre dom Coustant, In Matth., loc. cit., note d ;
pour saint Jean, il se contente de rapporter ce qui
est dit dans l'Évangile, Joa., xxi, 22, 23, sans se pro-
noncer nettement pour l'une ou l'autre des deux in-
terprétations concevables : sic usque ad adventum
Domini manens, et sub sacramento divinœ volunlalis
relictus et depulatus, dum non neque non mori dicitur
et mancre. De Trinitate, loc. cil. Quoi qu'il en soit de
ce point secondaire, Hilaire enseigne catégorique-
ment que le temps de l'épreuve, et par conséquent du
mérite et du démérite, cesse avec la mort : tune enim
ex merito prseterilse voluntalis lex jam constituta aut
quielis aut peense excedenlium ex corpore suscipit vo-
luntatem. In ps. li, 23. Cf. liv, 10; cxlii, 8, 9, col. 323,
343, 840. Cette loi établie, dont l'alternative est le
repos ou la peine, trouve son application aussitôt
après la mort, comme on le voit par la parabole du
pauvre Lazare et du mauvais riche, placés immédia-
tement l'un dans le séjour des bienheureux et le sein
d'Abraham, l'autre dans le lieu des supplices : quorum
unum angeli in sedibus beatorum et in Abrahse sinu
locaverunt, alium slalim peenœ regio suscepit. In ps. //,
48; cf. CXXii, 11, col. 290, 673. Pour les damnés,
c'est la peine du feu subie dès lors : absorbet ignis
etiam antequam resurgant. In ps. LVII, 5, col. 371.
2° Vision béatifique. - — ■ La vision immédiate de
Dieu est, d'après saint Hilaire, la grande récom-
pense et la suprême perfection des élus. In Matth.,
iv, 7, col. 933; In ps. cxviil, litt. vin. 7; cxxi, 1, col.
554, 661. Mais les âmes des justes jouissent-elles de
cette vision dès qu'elles entrent au ciel? La réponse
affirmative semble une conclusion légitime; car le
saint docteur promet au bon larron, avec l'entrée
au paradis, la possession de la pleine béatitude, et
consummalœ beatitudinis delicias promillens. De Tri-
nitate, IX, 34, col. 370. Il affirme que les âmes bien-
heureuses, étant dans le Christ, se reposent par le
fait même en Dieu, ergo hi qui in Christo erunt, erunt
in Dei requic, et que « la face de Dieu, c'est-à-dire
le Christ, image du Dieu invisible, leur est intimement
présente, unicuique sanclo adcril. » In ps. XCI, 9 ; CLXII,
9, col. 499, 840. Deux sortes de textes peuvent faire
obstacle : d'abord, ceux où la vision de Dieu semble
rattachée à l'avènement glorieux du Christ ou au
jugement dernier : cum judicii die aderil, cum visi-
bilis nobis in gloria paternse majeslatis assistel, tune
nos faciei suse lumine illuminabit. In ps. cxviii, litt.
xvu, 12, col. 619; tradel aulem Deo Palri regnum, et
tune quos regnum Deo tradiderit, Deum videbunt. De
Trinitate, XI, 39, col. 424. A ces textes s'en ajoutent
d'autres, où les fidèles sont présentés comme mis en
réserve sous la garde du Seigneur et placés provisoi-
!457
HILAIRE (SAINT)
2458
rement dans le sein d'Abraham : tempus vero mortis
habet intérim unumquemque suis legibus, dum ad ju-
dicium unumquemque aut Abraham réservât, aut
pœna; per custodiam Domini fidèles omnes rescrvabun-
tur, in sinu scilicct intérim Abrahœ collocati. In ps. II, 48 ;
cxx, 16, col. 290, 060. Mais ces textes s'opposent-ils
réellement à la jouissance immédiate de la vision
intuitive ? Parfois il est question des justes morts
avant la venue de Notre-Seigneur, alors que l'entrée
du ciel restait fermée aux enfants d'Adam; ainsi en
est-il probablement dans le texte objecté du Ps. cxx;
cf. cxvui, litt. xi, 3; cxxxviii, 22, col. 572 sq., 804.
Le « sein d'Abraham » est une expression biblique
dont le sens est large et varie nécessairement, suivant
qu'on considère l'état des âmes avant ou après l'as-
cension du Sauveur. L'idée de réserve, appliquée aux
âmes bienheureuses, s'explique aisément eu égard
au jugement dernier, qui suppose la résurrection des
corps et qui seul, par conséquent, amènera pour
l'homme tout entier, corps et âme, l'état définitif
de glorification, et peut, dans le même sens, s'appeler
le jour où se fera l'éternelle rétribution de la béatitude
ou du châtiment : judicii enim dies vel beatitudinis
relribulio est œterna, vel pœnse. In ps. il, 48, col. 290.
Aussi, dans la première série des textes objectés, ce
n'est pas précisément de la vision de Dieu prise en
elle-même qu'il s'agit, mais de la vision de Notre-
Seigneur apparaissant dans son humanité glorieuse aux
hommes ressuscites ou de la vision de Dieu consommée
en tous ceux qui doivent en jouir pendant l'éternité.
Coustant, Prœf. gen., n. 210-218, col. 101 sq. ;
Muratori, De paradiso, regnique cœlestis gloria non
cxspectata corporum resurrectione, Vérone, 1738, c. xi,
p. 98 sq. ; xn, p. 107 sq.
3° Résurrection. — Toute cette doctrine contient
évidemment celle de l'universelle résurrection des
corps, fondée sur l'universelle rédemption : cum
omnis caro redempla sil in Christo ul rcsurgal. In ps. LV,
7, col. 360. Résurrection très différente pour les justes
et pour les pécheurs, comme l'enseigne saint Paul,
I Cor., xv, 51 sq. : glorieuse pour les premiers, humi-
liante et douloureuse pour les autres, adeo ul confun-
danlur; resumplo ad pœnas cor pore puniendos. In ps.Lll,
16 sq. ; lv, 9, col. 334, 361. Il y aura restauration
des mêmes corps qui auront préexisté : confracta
reparabit, non ex alia aliqua, sed ex veteri atque ipsa
originis suas maleri i. In ps. n, 41 ; cf. lv, 12, col. 285 sq.,
362. Quelle difficulté en cette restauration pour celui
qui, au début, a pu former entièrement ces mêmes
corps ? In Matth.,x, 20, col. 974 ; In ps. LXill, 9 ; CXXII,
5, col. 411, 670. Les corps ressuscites auront la stature
de l'homme parfait ; mais demander quels en seront
la forme et le sexe, ou grâce à quels aliments ils de-
meureront éternels, c'est poser des questions non
seulement oiseuses, mais injurieuses envers Dieu,
dont la providence et la puissance sont également sans
bornes. In Matth., v, 8-10; xxm, 3-4, col. 946 sq., 1045.
4° Dernier avènement et jugement. — Après la ré-
surrection des corps, auront lieu le second avènement
du Christ et le jugement dernier, l'un et l'autre rap-
pelés ou décrits par l'évêque de Poitiers d'après les
données évangéliques. In Matth., xxvi, 1, col. 1056; De
Trinitale, III, 16, col. 85; In ps. cxvin, litt. xvn, 12,
col. 619. Deux questions s'y rattachent, qui sont loin
de présenter chez le docteur gaulois toute la netteté
désirable. La première concerne ceux qui seront jugés.
En plusieurs endroits, les hommes apparaissent par-
tagés en deux groupes : d'un côté, les croyants et les
incroyants, les fidèles et les infidèles, les pieux et les
impies, en entendant par là ceux qui sont tels pure-
ment ou simplement; de l'autre, ceux qui tiennent le
milieu, où la foi et l'infidélité, la piété et l'impiété
s'entremêlent : gui medii sint, ex utroque admixti,
| nculri tamen proprie. Hilaire semble affirmer que ces
derniers seuls auront à subir un jugement : in eus
I ergo judicium est, quod jam et in incredulis aclum est,
et in credentes non necessarium est; inlelligitur in eos
reliquum esse judicium, qui pro gestorum qualitate
inler peccala ftdemque sint judicandi. In ps. I, 16-17;
lvii, 7, col. 259 sq., 373. Si, dans ces textes, il fallait
entendre le jugement dans le sens ordinaire du mot,
il s'ensuivrait que les justes et les impies seraient
soustraits à tout jugement, soit particulier, soit uni-
versel, car les raisons alléguées ne valent pas moins
contre l'un que contre l'autre; nous serions en face
d'une erreur grave, attribuée de fait à l'évêque de
Poitiers, comme l'indique dom Co stant, n. 220, col.
106. Mais cette supposition introduit dans sa doctrine
une réelleincohérence, : uisqu'il enseigne formellement,
à plusieurs reprises, que tous comparaîtront devant
le tribunal du Christ et seront jugés par lui : cum
omnis caro redempla in Christo sil, et omnem assister?
anle tribunal ejus nece se sit; judicalurus ipse de omni-
bus. In ps. LVi,l, col. 630; De Trinitale, VI, 3, col. 159.
La conciliation est à chercher là où dom Coustant
la place, n. 226, col. 108 sq., à savoir dans le sens
spécial qu'Hilaire attache au mot et à l'idée de juge-
ment, en partant du verset 5 du Ps. i, qu'il explique
en ce passage : Proplerea non résurgent impii in ju-
dicium, et en s'inspirant aussi de Joa., m, ■ 18, qu'il
cite, n. 15, col. 259 : Qui crédit in me, non judicatur;
qui autcm non crédit, jam judicatus est. Par jugement,
il n'entend pas ici une simple sentence, énonçant
purement et simplement le salut ou la damnation
par l'application d'une loi préexistante et contenant
expressément le cas en question; il entend une sen-
tence précédée d'un examen qui porte sur un cas
complexe, non contenu expressément dans la loi, où
il y a du pour et du contre, et par conséquent sujet
à discussion. Voici, en effet, la raison qu'il donne
pour exclure le jugement dans le cas des croyants et
des incroyants purement et simplement tels : Quid
enim necesse est judi are credcntem ? judicium enim ex
ambiguis rébus existit, et ambiguilate adempta, judicii
non desideralur examen : ex quo ne infidèles quidern
necesse est judicari, quia ambiguilas, quin infidèles
sint, non resedit, n. 17, col. 259. Le jugement est déjà
porté dans l'Évangile, Joa., ni, 18; il s'agit seulement
de constater le fait et d'appliquer la sentence. C'est
dans le même sens qu'Hilaire dit de Notre-Seigneur,
par allusion à Luc, xn, 9 : Negantcs se non jam judi-
cabit utique, sed negabit. De Trinitale, VI, 3, col. 159.
Négation qui sera précisément la sentence de répro-
bation, le Nescio vos. Matth., xxv, 2. Et ceci fait dire
au saint docteur que le juste est jugé dès ici-bas,
puisque les anges le conduisent dans le sein d'Abra-
ham : juslo tamen jam in terris, quia per angelos in
Abrahse sinum deduclus sit, judicalo, secundum illud :
Qui crédit in me, non judicatur, sed transit de morte in
vitam ; qui autemnon crédit, jam judicatus est. Il s'agit
évidemment, dans ce dernier cas, du jugement par-
ticulier. Coustant, n. 222, col. 107. Mais qu'est le
jugement universel, sinon la manifestation et comme
une sorte de ré, étition publique du jugement parti-
culier? Il n'es' donc pas nécessaire de supposer avec
le même auteur, n. 228. col. 110, que le sort des
hommes compris dans le groupe intermédiaire ne
sera fixé qu'au second avènement du Sauveur. Cette
assertion n'est pas de saint Hilaire; il résulte seule-
ment de ce qui précède que, d'après lui, ces hommes
ne seront pas jugés de la même façon que les autres,
soit immédiatement après leur mort, soit à la fin du
monde.
L'autre question se rapporte à ce que saint Hilaire
appelle « le feu du jugement ». Une première fois, il y
fait allusion, en s'appuyant sur I Cor., ni, 15 : Mulli
2459
HILAIRE (SAINT
2460
secimdum apostolum lanquam per ignem erunt sah>i,
cum dcfsecatis et peruslis vitiis, ut argentum igni-
lum, probabiles judicentur. Inps.Lix, 11, col.389. Il y
revient à propos du baptême quand, déniant à ce
sacrement la vertu de nous conférer une pureté abso-
lument parfaite, il énumère plusieurs sortes de puri-
fications ultérieures, en particulier celle que le feu du
jugement opère, quse judicii igné nos decoquet. In ps.
cxvin, litt. m, 5, col. 519. Plus loin, n. 12, col. 522 sq.,
il parle encore du jour et du feu du jugement,
pour en exciter la crainte : An cum ex omni otioso
verbo rationem simus prœstiluri, dicm judicii concu-
piscemus, in quo nobis est ille indefessus ignis subeun-
dus (al. obeundus), in quo subeunda sunt gravia
illa cxpiandse a pcccatis animse supplicia ? Le saint
évêque ajoute, à titre d'argument confirmatif : Beatœ
Mariée animam gladius perlransibil, ut rcvelentur
multorum cordium cogilationes. Luc, n, 35. Si in
judicii scveritatem capax Ma Dei Virgo ventura est,
desiderare quis audebit a Deo judicari ?
D'après ce dernier texte, il semble que la Mère de
Dieu elle-même n'aurait pas échappé au feu du ju-
gement. Mais de quel jugement et de quel feu s'agit-
il ? Le défenseur de saint Hilaire au procès du doc-
torat résume comme il suit l'explication donnée par
dom Constant, Prsef. gen., § 8, col. 211 sq. : «Comme
on dit dans la Genèse que Dieu plaça à la porte du
paradis un chérubin armé d'un glaive de feu ; en outre,
saint Paul ayant dit que les œuvres de tout homme
seront éprouvées par le feu : les anciens Pères de
l'Église crurent que personne n'entrerait au paradis
qu'en passant par ce glaive. Ils enseignèrent en même
temps que les saints ne seraient pas atteints par ce
feu, dont la violence serait plus ou moins sensible à
raison des souillures que chacun devrait expier. Puis-
que les Pères se croyaient obligés par l'autorité de
l'Écriture à reconnaître là une loi générale pour tous
les hommes, quel tort a saint Hilaire de n'avoir pas
établi une exception en faveur de la Mère de Dieu, et
d'avoir cru qu'elle passerait par un feu qui devait
toarner à la gloire des saints? En se servant de cet
exemple pour montrer l'immutabilité de la loi, il in-
dique clairement qu'il considère la Mère de Dieu
comme la plus sainte et la plus noble des créatures. »
Correspondance de Rome, loc. cit., p. 236.
Ces considérations suffisent pour montrer que la
doctrine exprimée par l'évêque de Poitiers ne présente
rien d'incompatible avec l'honneur de Marie. Mais
est -il certain qu'en parlant du glaive qui devait trans-
percer l'âme de la Vierge, il ait eu réellement en vue
le glaive du feu porté par le chérubin gardien de l'en-
trée du paradis? En rapportant les paroles du vieil-
lard Simôon, il a pu songer à l'interprétation d'Origène,
In Lucam, homil. xvn, P. G., t. xm, col. 1845, inter-
prétation d'ailleurs inadmissible, d'après laquelle des
légers mouvements de doute auraient traversé l'âme
de Marie au temps de la Passion; on comprendrait
mieux alors pourquoi et comment le saint docteur a
pu considérer la Vierge comme soumise à la rigueur
du jugement divin. Quant au feu du jugement, destiné
à purifier les âmes, expiandœ a peccatis animse sup-
plicia, il semble s'identifier avec le feu du purgatoire,
mais jouant un double rôle, suivant une conception
d'Origène, In Exod., homil. vi, 4; In ps. xxxvi, 1,
P. G., t. xu, col. 354, 1337, qu'Hilaire aurait adoptée
en la rattachant à l'enseignement de saint Paul,
I Cor., m, 13, 15 : d'abord, éprouver les âmes, et unius-
cu jusque opus quale sit ignis probabil; puis, les puri-
fier quand il y a lieu : si cujus opus arseril, detrimen-
lum patidur; ipse autan salvus erit, sic tamen quasi
per ignem. Voir t. v, col. 2242-2243.
5° Éternité. — Après le jugement dernier, c'est la
double élernité, qui commence pour les hommes res-
suscites. Éternité de malheur pour les damnés; car
ils ne seront pas annihilés, non in nihildm dissoluti,
In ps. i, 14, col. 258, mais ils retourneront en enfer pour
y souffrir comme auparavant, non plus seulement
dans leurs âmes, mais aussi dans leurs corps. In ps.
lxix, 3, col. 491. Hilaire insiste sur la peine du feu
qui n'aura jamais de fin : corporalis et ipsis selernilas
dcstinabitur, ut ignis œterni in ipsis sit a-lerna ma-
teries. In J\Iatth.,i\, 12, col. 949. Cf. Jn p,. li, 19; ly,
4, col. 320, 439 : inextinguibilis ignis cremalurus;
selemum igncm œlemis pcenis prœparalum. Éternité
de bonheur pour les élus, glorifiés dans leurs corps
comme dins leurs âmes. Piises en dehors de tout
contexte et de la terminologie hilarienne, quelques
expressions pourraient suggérer l'idée d'une sorte
de transformation substantielle du corps humain,
par exemple : nisi glorificato in naturam spiritus
corpore, vilœ verse in nobis non potest esse natura;
mais, dans ce texte comme dans une foule d'autres,
le mot de nature n'a nullement son sens premier
d'essence ou élément spécifique; il s'applique aux
qualités et à l'état d'un être. Hiliire veut simplement
parier d'un changement de condition dans les corps
ressuscites des élus, corps qui, de mortels, de corrup-
tibles, d'infirmes, de pesants, deviennent immortels,
incorruptibles, lumineux, agiles, à la manière des es-
prits : posl demulationem resurreclionis, tcrreni cor-
poris nostri efjecta gloriosiore natura. Ibid., 4, col. 519.
Quelque chose disparaît assurément, puisque la résur-
rection nous est présentée comme « la fin de la vie
humaine et de la mort », De Trinitale, XI, 43, col. 428 ;
mais ce qui disparaît, ce ne sont pas les corps pris en
eux-mêmes ou dans leur substance, ce sont les corps
tels qu'ils sont ici-bas, avec leurs vices et leurs im-
perfections : hoc nobis erit regnum Dei, cum omnibus
vitiorum nostrorum acuLis conlusis, labes erit corporeœ
infirmilatis absorpta; peccati lege resoluta, cum dc-
mulalionis gloriosœ profectu, selernilas animse corporis-
que jam sine peccati corpore rependclur. In ps. Il, 42;
lxii, 6, col. 287, 404. C'est, en substance, la doctrine
même de saint Paul, I Cor., xv, 42-44. Co. stant,
n. 189, 193 sq., col. 91, 94 sq. Pour la connexion qui
existe entre cet état définitif des bienheureux,"' où le
péché est vaincu, où la mort est anéantie, où l'ennemi
ne règne plus », In ps. n, 42, col. 287, et ce que le saint
docteur appelle le royaume de Dieu, en tant que dis-
tinct du royaume du Christ, voir ci-dessus, col. 2456.
VI II. CONCLUSION : ORTHODOXIE, THÉOLOGIE, 1UJLE PRO-
VIDENTIEL. — Saint Jérôme savait ce qu'il disait
quand il écrivait à Lseta, Epist., cvn,12, P. L.,t. xxn,
col. 877 : Athanasii epislolas et Hilarii libros inofjcnso
decurrat pede; Morum tractatibus, Morum dclectelur
ingeniis, in quorum libris pietas fidei non vacilict. Rien
ne permet d'incriminer l'orthodoxie de l'évêque de
Poitiers, en entendant par là la conformité de
croyance et d'enseignement aux doctrines définies ou
tenues expressément par l'Église catholique. La plu-
part des erreurs qui lui ont été attribuées ne sont
pas réelles ; celles qui le sont, très peu nombreuses,
portent sur des points secondaires, qui n'avaient
encore été ni sanctionnés par le magistère ecclésias-
tique ni élucidés par les maîtres. Il suffît, du reste,
de jeter les yeux sur les éloges recueillis par doni
Constant, sous le titre de Selecta vclcrum testimonia
de sancto Hilario, P. h., t. ix, col. 203-208, pour voir
en quelle estime le docteur gaulois était tenu par
des hommes tels que saint Jérôme et saint Augustin.
De quel respect témoignent ces lignes de l'évêque
d'Hippone : Ecclcsiœ calholiese adversus hsereticos
acerrimum dejensorem venerandum quis ignoret Hila-
rium episcopum Gallum ? Contra Julianum, 1. I,
c. m, n. 9, P. L., t. xliv, col. 645. Et cet autre pas-
sage, où le même docteur invoque contre son adver-
2461
II ILAIRE (SAINT) — HILAIRE DE PARIS
2462
saire pélagien l'autorité du saint évoque : Calholicus
loquitur, insignis Ecclesiarum doctor loquilur, Hilarius
loquitur. Ibid., 1. III, c. vin, n. 28, col. 693. En confir-
mant ofiiciellement le titre de doctor Ecclesié à l'é-
vêque de Poitiers, Pie IX n'a fait que ratifier le ju-
gement d'Augustin.
Si de la croyance proprement dite nous passons
à la théologie, considérée comme science qui explique
et coordonne les vérités de la foi, le principal mérite
et la note caractéristique d'Hilaire, c'est d'avoir
entrepris le premier la fusion ou la conciliation de
deux courants qui, jusqu'alors, étaient restés diver-
gents. Il y avait, d'un côté, le courant latin, de carac-
tère positif et plutôt moral, un peu fruste dans ses
conceptions et ses formules. Tertullien, Novatien et
Cyprien en étaient les principaux représentants. De
l'autre côté, apparaissait le courant grec, plus riche
et d'allure plus spéculative, qui se rattachait surtout
à Origène. En s'inspirant de l'un et de l'autre, Hilaire
fut initiateur, comme il le fut aussi sur le terrain de
l'exégèse et de l'hymnographie chrétienne. Il ne
cite pas, il est vrai, les auteurs qu'il utilise, et les
sources de sa théologie n'ont été qu'imparfaitement
étudiées; nul doute pourtant que le douhle fonds ne
se manifeste dans l'ensemble de ses écrits, ceux
d'avant et ceux d'après l'exil. Exceptionnellement, à
propos de l'oraison dominicale, deux Pères sont cités :
saint Cyprien, uir sanclœ mémorise, et Tertullien, dont
Hilaire dit que, par sa défection, il a enlevé beaucoup
d'autorité à ses écrits, d'ailleurs recommandables,
consequens error hominis delraxii scriplis proba-
bilibus aucloritatcm. In Matth., v, 1, col. 943. Sans
être nommé, Origène est largement utilisé, au moins
dans le commentaire sur les Psaumes, et des rémi-
niscences d'autres Pères grecs, par exemple, de saint
Athanase, se rencontrent incidemment. Mais dans
les emprunts qu'il fait, l'évêque de Poitiers reste
personnel, soit par le développement ou le tour de la
pensée, soit par la liberté qu'il prend de choisir, et,
au besoin, de corriger ce qu'il utilise. Watson, op. cit.,
Introd., c. i, p. v sq., xv sq., xlii sq. Par cette initia-
tive opportune, Hilaire procura un double avantage
à la théologie occidentale : il l'enrichit de nouveaux
et féconds éléments, en même temps il contribua à
préciser et à fixer la terminologie dogmatique de
l'avenir. Mais il subit le sort commun des initiateurs :
ceux qui vinrent après lui et profitèrent de ses tra-
vaux le dépassèrent, soit par le génie, comme les
Augustin, soit par le style et la clarté, comme les
Ambroise et les Léon; leur gloire éclipsa la sienne.
Pourrait-on sans injustice oublier ce qu'ils lui
doivent, et méconnaître l'influence indirecte qu'il a,
par leur entremise, exercée?
Quant au rôle providentiel d'Hilaire, il est tout
entier résumé dans le titre d'Athanase de l'Occident,
dont la postérité l'a honoré. Qu'il ait mérité ce titre
comme évêque, par l'attitude ferme et vaillante qu'il
prit dès le début dans la controverse arienne, par ses
luttes viriles, par son exil fructueux, par son action
à la fois réconfortante et pacifiante sur ses collègues
gaulois, la première partie de cette étude l'a suffisam-
ment montré. Ce même titre, il ne le mérite pas moins
comme docteur, puisque son œuvre maîtresse et sa
gloire la plus pure, c'est d'avoir, comme le grand
évêque d'Alexandrie, défendu héroïquement la divi-
nité du Verbe avec la pleine conscience de l'impor-
tance souveraine qui s'attache, dans la religion chré-
tienne, à ce dogme vital et central : recolens hoc vel
prsecipue sibi salulare esse, non solum in Deum credi-
disse, sed etiam in Deum Patrem ; neque in Christo
tanlum sperasse, sed in Christo Dei Filio; neque in
crealura, sed in Deo creatore ex Deo nato. De Trinilale,
I, 17, col. 37. A tous ces titres, l'Église de France peut
être fière de celui que Dorner, op. cit., p. 1037, a rangé
parmi les Pères « les plus difficiles à comprendre,
mais aussi les plus originaux et les plus profonds » et
que, d'un autre point de vue, Petau a parfaitement
caractérisé, De incarnatione, 1. X, c. v, n. 1 : Galli-
canœ quondam Ecclesise decus et columna.
I. Auteurs catholiques. — Dom Coustant, Prœfatio
generalis, n. 40 sq., P. L., t. ix, col. 29-126; dom Ceillicr,
Histoire générale des auteurs sacrés et ecclésiastiques, nouv.
édit., Paris, 1865, t. iv, c. i, a. 12; Noël Alexandre, Historia
ecclesiastica Veteris Novique Testamenti, Lucques, 1734,
t. iv, c. vi, a. 13, p. 135 sq. ; Correspondance de Rome,
4e année, 1851, t. i, p. 233-237 : confirmation du titre de
docteur, en honneur de saint Hilaire, évêque de Poitiers;
Hugo Laemmer, Cœlestis urbs Jérusalem. Aphorismen,
Fribourg-en-Brisgau, 1866, p. 113-148 : Beilage. Die Auf-
nahme des hl. Hilarius von Poitiers indus Album der Kirchen-
lehrer; R. P. Largent, Saint Hilaire, Paris, 1902, II« part.,
c. ii; J. Schwane, Dogmengeschichte, 2e édit., Fribourg-en-
Brisgau, 1895, t. ii, passim, voir Index, p. 887, au mot
Hilarius; J. B. Wirthmuller, Die Lehre des hl. Hilarius von
Poitiers ùber die Selbstentàusserung Christi vertheidigt gegen
die Entstellungen neuerer protestantischen Theologen, Ratis-
bonne, 1865; Dr Baltzer, Die Théologie des St. Hilarius von
Poitiers (programme de cours), Rottvveil, 1879; Id., Die
Christologie des hl. Hilarius von Poitiers (Festschrift),
Rottvveil, 1889 ; A. Beck, Die Trinilàtslehre des hl. Hilarius
von Poitiers, Mayence, 1903, dans la collection Forschungen
zur christlichen Lileralur und Dogmengeschichte, de Ehrhard
et Kirch, t. m, fasc. 2 et 3; Id., Die Lehre des hl. Hilarius
von Poitiers (und Tertullian' s) iiber die Entstehung der Seelen,
dans Philosoi>hisches Jahrbuch, Fulda, 1900, t.xin, p. 37-44 ;
Id., Kirchliche Studien und Quellen, Amberg, 1903, p. 82-
102 : Die Lehre des St. Hilarius von Poitiers iiber die Leidens-
fàhigkeit des Leibes Christi; G. Rauschen, Die Lehre des
hl. Hilarius von Poitiers ùber die Leidensfàhigkeit Christi
(contre le précédent), dans Theologische Quartalschrift,
Tubingue, 1905, t. lxxxvii, p. 424-439 ; A.Beck,Die£e/ire
des St. Hilarius von Poitiersùber die Leidensfàhigkeit Christi
(réplique), dans Zeitschrift fur katholischc Théologie, Ins-
pruck, 1906, t. xxx, p. 108-122; 'ibid., p. 295-305, nouvelle
réponse de Rauschen, et p. 305-310, nouvelle réplique
de Beck.
II. Auteurs protestants. — E. W. Watson, op. cil.,
Introd., c. II, Oxford, 1899; J. A. Dorner, Entwicklungs-
geschichle der Lehre von der Pcrson Christi von den àlteslen
Zeilen bis auf die neueste dargeslellt, 2e édit., Stuttgart,
1845, part. I, p. 1037 sq.; Th. Fôrster, Zur Théologie des
Hilarius, dans Theologische Studien und Kritiken, Gotha,
1888, t. lxi, p. 645-686; en plus, quelques autres ouvrages
cités au cours de cette étude.
X. Le Bachelet.
3. HILAIRE DE PARIS, dans le siècle François-
Eugène Mongin, né à Paris le 23 novembre 1831, était
prêtre, docteur en théologie et en droit canon quand il
entra au noviciat des frères mineurs capucins de la pro-
vince de France le 2 août 1859. Après la division en
trois provinces, il demeura dans celle de Lyon. Pendant
plusieurs années il remplit les fonctions de lecteur, dont
il fut déchargé afin de lui donner plus de temps pour ses
travaux. Dieu lui avait donné une intelligence vérita-
blement supérieure et l'avait enrichi de talents, mais le
sens pratique lui faisait défaut et il manqua d'équilibre
dans sa vie comme dans ses ouvrages. La discipline
régulière, qui aurait dû le préserver des écarts, fut
insuffisante et il était obligé, en 1904, de quitter sa
famille religieuse, dont il aurait pu être une des gloires.
Accueilli comme hôte par les franciscains irlandais de
Saint-Isidore à Rome et envoyé par eux dans le cou-
vent solitaire de Castel Sant'Elia, au diocèse de Nepi et
Sutri, il y menait une vie de calme et de travail qu'un
douloureux accident vint brusquement interrompre.
Le 18 juillet 1904, il prenait un bain dans une rivière
près de Nepi, avec un jeune prêtre; l'un des deux
appela l'autre à son secours : ils périrent ensemble et
le lendemain on retrouva leurs corps enlacés dans une
étreinte qui avait été mortelle. Voici les principaux
ouvrages qui ont donné une certaine notoriété au nom
2463
HILAIRE DE PARTS
ITILARION
2464
du P. Hilaire de Paris. 11 avait conçu le plan d'une
théologie universelle dans laquelle il rapporterait tout
au mystère de la sainte Trinité, cause exemplaire et
finale de toute la science théologique : montrant toutes
les sciences humaines régies dans leurs principes par la
théologie et ramenées par elles à la gloire de la sainte
Trinité. Le plan était grandiose et l'entreprise qualifiée
de colossale. On l'encouragea à se mettre à l'œuvre et
en 1867 il annonçait que le icr volume était sous presse.
En même temps il débutait par le Cur Deus hamo. Dis-
sirlalio de motivo incarnationis, in-8°, Lyon, 1867.
Abandonnant l'opinion scotiste, l'auteur suivait celle
de saint Thomas. En 1886. il faisait paraître sous le
titre : Cur Deus homo ou motif de V incarnation, une
analyse du premier traité, suivie de deux lettres sur le
même sujet, in-12, Currière. Revenons à la Thcologia
universaïis, qui devait compter 15 volumes, mais dont
les trois premiers seuls furent publiés, in-8°, Lyon,
1868-1871. Le i« renferme la Préface, une Introductio
de theologia in génère et un Prologus de theologia univer-
sali. Le nc et le me traitent de la Prœparatio universaïis
iheologiœ, ou théologie polémique. Effrayé peut-être
par les proportions que prenait son travail, l'auteur
n'alla pas plus loin dans cet ordre de matières et passa
à d'autres travaux. En 1870, a l'époque du concile,
le P. Hilaire se rendit à Rome, théologien de l'évêque de
Genève, le futur cardinal Mermillod; à cette occa-
sion il pub'ia avant la définition dogmatique une Dis-
serlatio brevis de dogmate infallibilitatis romani pon-
tificis, in-12, Lyon, 1870; elle fut suivie de trois autres
opuscules, De concilio Vaticano; De particularismo,
hoc est de gallicanismo et italianismo; De duplici italia-
nismo, in-12, Lyon, 1870, qui furent de nouveau
publiés dans le volume intitulé : De dogmaticis defini-
tionibus et de unanimitate morali, in-8°, Fribourg, 1871.
Presque simultanément il faisait paraître deux ouvra-
ges, non sans mérite : Eegula fralrum minorum juxta
romanorum poniificum décréta et documenta explanala,
in-4°, Lyon, 1870; Exposition de la règle des frères
mineurs avec l'histoire de la pauvreté, in-12, ibid., 1872,
mais dans lesquels ne manquent pas les exagérations et
les opinions hasardées, qui plus tard motivèrent leur
condamnation par le Saint-Office, quand l'auteur mérita
les sévérités de Rome (12 juin 1895). Avant que
Léon XIII ne réformât la règle du tiers-ordre, les supé-
rieurs des trois familles du premier ordre franciscain se
préoccupaient, de commun accord, de faire trancher
différentes questions controversées et d'arriver à la
rédaction d'un Manuel général, qui pût servir de base
aux ouvrages de vulgarisation ou de dévotion. Dans ce
but, les supérieurs du P. Hilaire firent appel à son éru-
dition et il composa un Liber terlii ordinis, que suivirent
leManualcei \eLiberde chordigeris,3 in-4°, Rome, 1881-
1883, imprimés à peu d'exemplaires pour les Congréga-
tions romaines qu'intéressait la question. Plus tard,
quand ce travail fut devenu inutile par suite des modi-
fications de Léon XIII, il les utilisa et publia le
Liber terlii ordinis S. Francisci Assisiensis, gr. in-8°, à
deux colonnes, de 900 pages, Genève et Paris, 1888, qui
est la mine la plus riche à exploiter pour l'histoire du
tiers-ordre franciscain, ses privilèges et l'explication
de sa règle. Notre-Dame de Lourdes et l'immaculée
conception, in-8°, Lyon, 1880, est un travail d'un genre
tout différent, qui nous montre le génie de l'auteur mis
en éveil par cette inscription qu'il avait lue autour de la
tête radieuse de la statue de la Madone de Lourdes :
« Je suis l'Immaculée Conception. » Pourquoi, se
demandait-il, cette forme abstraite et non pas : « Je
suis la Vierge immaculée »? Il en profita pour donner
un volume que l'on peut qualifier de traité théologique
complet sur le dogme de l'immaculée conception. Dif-
férentes revues théologiques se faisaient un honneur de
compter le P. Hilaire parmi leurs rédacteurs : la Science
catholique, novembre-décembre 1887 et janvier 1888,
publiait : Oà est le ciel ? Méditation d'un philosophe.
Les Nouvelles annales de philosophie ct.tholique, impri-
mées à Nancy, éditaient en 1889 deux aitres disser-
tations, l'une L'animcdion immédiate réfutée, l'autre le
Sijstème du ciel, dans laquelle il se donne la tâche de
faire concorder les données de l'astronomie avec la
théologie. Il fut moins bien inspiré en publiant dans
la même revue. Garches, 1891, Les sentiments d'un
philosophe sur la scholastique en général et sur saint
Thomas en particulier, qui furent condamnés par le
Saint-Office (21 février 1894). Nous sommes arrivés à
la période douloureuse de la vie du P. Hilaire, dont
nous n'avons pas à parler ici. Dans la retraite que nous
avons dite il prépara l'édition de l'ouvrage anonyme
intitulé : Seraphicœ législations textus originales, in-8°,
Quaracchi, 1897; Rome, 1901, dans lequel sont publiés
d'après les originaux les principaux documents ponti-
ficaux qui forment la législation des trois ordres fran-
ciscains. Mentionnons encore les Prselectiones theologia'
dogmatiese ad methodum scholasticam redactœ de l'abbé
Dubillard, professeur au séminaire de Besançon, plus
tard cardinal-archevêque de Chambérv, 4 in-8°,
Paris et Besançon, 1884-1885, éditées comme le déclare
l'auteur, prœhabitis cl plurimum conferentibus in dog-
matica speciali tractatibus theologicis R. P. Hilarii
Parisiensis; il avait eu, en effet, communication des
traités demeurés manuscrits du docte capucin.
M. Buchberger, Kirchliches Handlexikon, Munich, 1907,
1. 1, col. 1968; Analecta ord. min., 1. 1, p. 382 ; Hurter, Nomen-
clator, Inspruck, 1913, t. v, col. 1524 et 2056, note.
P. Edouard d'Alençon.
4. HILAIRE DE SEXTEN (Catterer), frère
mineur capucin de la province du Tyrol septentrional,
né le 15 décembre 1839, entré en religion le 19 août
1858, ordonné prêtre en 1862, commença par se livrer
aux travaux du ministère des âmes. Au bout de dix ans
ses supérieurs, qui l'avaient averti de se préparer à
cette fonction, lui confiaient la chaire de théologie
morale, qu'il devait occuper pendant vingt-cinq ans
au couvent de Méran. Cédant aux instances du minis-
tre général, il finit par publier un Compendium theo-
logiœ moralis juxta probalissimos auctores, ad usum
confredrum theologorum terlii anni, 2 in-8°, Méran, 1889.
Il le continua par le Traclatus pastoralis de sacramenlis,
ad usum theologorum quarti anni et cleri in cura ani-
marum, in-8°, Mayence, 1895, auquel fit suite le Trac-
tatus de censuris ecclcsiasticis, cum appendice de irre-
gularilcde, in-8°, ibid., 1898. Le P. Hilaire publia en
outre de nombreuses solutions de cas de conscience et
des dissertations de théologie morale et pastorale dans
la revue Limer Quartalschrifl. Après une vie bien rem-
plie et consacrée uniquement à la gloire de Dieu et au
salut des âmes, le bon religieux mourait dans son cou-
vent de Méran le 20 octobre 1899. Il étai ^depuis 1882
examinateur synodal du diocèse de Trente et avait été
pendant trois ans ministre de sa province du Tyrol,
de 1889 à 1892.
M. Buchberger, Kirchliches Handlexikon, Munich, 1907,
t. i, col. 1968; Hurter, Nomenclator, Inspruck, 1913, t. v,
col. 2056.
P. Edouard d'Alençon.
1. HILARION. moine bénédictin de la congréga-
tion de Sainte- Justine, qui vivait à Vérone, au
couvent des Saints-Nazaire-et-Celse, dans la seconde
moitié du xve siècle, et qui mourut à Rhodes en se ren-
dant en Terre Sainte, dans les premières années du
siècle suivant. Un de ses compatriotes, Virgilio Zava-
rise, a résumé son œuvre littéraire dans les deux ver*
suivants :
Hilarion monachus quoque, Fontanella propago.
Optimus interpres, vates, orator et idem.
2465
HILARION — HILDEBERT DE LAVARDIN
2466
C'est surtout comme traducteur qu'Hilarion est
connu. On lui doit d'abord la version des Instructions
de l'archimandrite Dorothée, dédiée à Olivier Carafa,
cardinal-évêque de Naples (1458-1484). Théophile
Raynaud la trouvait, il est vrai, aperle misera et men-
dosissima, Hagiologium lugdunense, au t. vm des
œuvres complètes, Lyon, 1662, p. 21; mais Joseph
Scaliger en jugeait autrement, De emendalione tem-
porum, p. xxvni des Prolégomènes; aussi figure-t-elle
dans la 2e édition des Orthodoxographa, Bâle, 1569,
p. 198, et dans Y Auctarium de Fronton Le Duc, Paris,
1624, t. i, p. 742; puis dans toutes les éditions succes-
sives de la Bibliotheca Palrum de Paris, de Cologne et
de Lyon, dans celle de Galand, t. xn, p. 371, et enfin
dans Migne, P. G., t. lxxxviii, col. 1611-1844. Appelé
à Rome par Sixte IV (1471-1484), Hilarion exécuta,
pour la grande édition des œuvres de saint Jean Da- |
mascène par Fabro, la traduction de la Dialectique
du saint docteur, et cette collaboration est rappelée
en tète de l'ouvrage par une épigramme due à un com-
patriote du traducteur, le Véronais Celso. C'est sans
doute durant son séjour à Rome que notre moine
élabora, en le dédiant à Sixte IV, le Compendium des
livres d'Aristote conservé dans le manuscrit 3009 de
la bibliothèque Vaticane, ainsi que le Compendium de
la Rhétorique d'Hermogène, imprimé successive-
ment à Venise, à Fribourg et à Strasbourg. Par contre,
le Legendarium nonnullorum sanclorum, paru à Milan,
en 1494, comme supplément à Jacques de Voragine,
ne provient pas de notre Hilarion, mais d'un homo-
nyme, bénédictin lui aussi, mort à Mantoue en 1521.
C'est ce qu'a prouvé Armellini, Bibliotheca benedicto-
tassinensis, 1731, t. i, p. 223, contrairement à l'asser-
tion de Fabricius, d'Oudin et d'autres, parmi lesquels
on est surpris de rencontrer le docte Scipione Maftei,
dans sa Verona illustrala, 2e édit., Milan, 1825, t. in,
p. 219-220. Comme œuvre originale, Hilarion nous a
laissé en grec un petit traité sur les azymes, intitulé :
Oralio dialectica de pane grœcorum mijstico, et lali-
norum azgmo. Publié pour la première fois, d'après
un manuscrit de Leyde, par Jean Meursius, dans ses
Divina varia, Leyde, 1619, puis dans les œuvres com-
plètes du même Meursius, parues à Florence par les
soins de Jean Lami, t. vin, p. 779, il a été traduit en
latin par Léon Allatius, qui l'inséra dans sa Grsecia
orthodoxa, t. i, p. 655-662, d'où Migne l'en a tiré,
P. G., t. clviii, col. 977-984. L'opuscule d'Hilarion
est exclusivement dirigé contre un vieux pamphlet
composé sur le même sujet, au temps de Michel
Cérulaire, par un moine rageur de Studium, Nicétas
Stethatos, et que le hasard d'une rencontre avait
mis entre les mains de notre auteur. Hilarion en
réfute les puérils arguments et s'efforce de prouver
que l'usage latin se réclame de l'exemple même
du Christ, qui a célébré la Pàque avec du pain
azyme. Mais plus équitable que le fougueux polé-
miste qu'il avait entrepris de réfuter, il s'abstient
de condamner l'usage contraire des Orientaux et
termine par ces belles paroles, qui devraient domi-
ner toute discussion en cette matière : Et hœc scripsi
vobis, grœci amicissimi, non panem veslrum, quem
adorons œque ac noslra azijma revercor incusans ;
sed exponens, neque probe, neque ut christianum
addecet, vos gercre, dum latinorum azijma dicto faclo-
que lœditis, injuriaque afficitis. Nicolas Comnène
Papadopoli, Prœnotiones mystagogiese ex jure canonico,
Padoue, 1697, p. 361, mentionne encore, comme étant
d'Hilarion, un Liber de processione Spiritus Sancli.
Mais on sait de combien d'auteurs et d'ouvrages ima-
ginaires l'ex-jésuite crétois a enrichi la littérature
byzantine. Nous tiendrons donc, jusqu'à preuve du
contraire, cet autre traité pour non avenu.
f L. Petit.
DICT. DE THÉOL. CATH
2. HILARION, abbé bénédictin, né à Gênes et'mort
à Saint-Martin de Pegli vers 1591. Il fit profession de
la vie religieuse à l'abbaye de Saint-Nicolas de Bus-
chetto le 21 mars 1533 et se fit remarquer comme
orateur sacré. Après avoir été prieur et abbé de son
monastère, il se retira à Saint-Martin de Pegli, paroisse
dépendante de son abbaye. Il publia : De latissimo
avaritise dominatu libri quatuor, in-4°, Brescia, 1567;
De cambiis libri duo, in-4°, Brescia, 1567; l'auteur
n'admet pas la licéité des opérations du change;
Commenlaria scu animadversiones in sacrosancta
quatuor Evangelia ad verum chrislianismum continen-
dum non inulilia, in-4°, Brescia, 1567. On a encore
de cet auteur plusieurs volumes de sermons. Une série
de 17 discours formant un tiaité de La fréquente com-
munion se trouve à la suite de Sermoni fatti aile
monache di Brescia, in-4°, Brescia, 1565.
M. Armellini, Bibliotheca benedictino-cassinensis, in-fol..
Assise, part. III, p. 226; Ziegelbauer, Historia rei literiariw
ordinis S. Benedicti, t. iv, p. 46; [doin François], Bibliothèque
générale des écriuains de l'ordre de Saint-Benoit, t. i, p. 497.
B. Heurtebize.
3. HILARION DE MOGLÉNA, que le Répertoire
des sources historiques d'Ulysse Chevalier désigne
vaguement comme évêque Meglinen., était évêque
de Mogléna, la Meglen ou Moglen des Bulgares,
dans les montagnes de même nom (en turc Karadj-
Ova), au nord-est du lac d'Ostrovo; le titulaire du
siège réside actuellement à Florina, au 187e kilomètre
de la voie ferrée de Salonique à Monastir. Mention
d'Hilarion est faite dans ce dictionnaire parce que s'a
vie fut presque exclusivement consacrée à lutter
contre les manichéens, les arméniens et surtout les
bogomiles, qui peuplaient toute la région de Monastir,
la Bitolia des Slaves et la Pélagonia des textes grecs
du moyen âge. Il en convertit quelques-uns; contre
les récalcitrants, il recourut au bras séculier, et l'em-
pereur Manuel donna ordre de les chasser tous du pays.
Il mourut le 21 octobre 1164, et son nom figure parmi
les saints du calendrier des Églises slaves. Sa vie a été
écrite par Euthyme, le dernier patriarche bulgare de
Tirnovo. et traduite en allemand par E. Kaluzniacki :
Werke des Pcdriarches von Bulgaricn Euthijmius (1375-
1393) nach den besten Handschriflen, in-8°, Vienne
1901, p. 27-58. Avant cette excellente publication
nous n'en possédions qu'un résumé, donné par les
bollandistes dans les Acla sanctorum, octobris t. ix,
p. 405-408, et par Martinov, Annus ecclesiaslicus grœco-
slavicus, in-fol., Bruxelles, 1864, p. 253-257.
f L. Petit.
HILDEBERT DE LAVARDIN.— I. Vie. II.Écrits.
I. Vie. — Il naquit à Lavardin, près de Montoire,
ancien diocèse du Mans (Loir-et-Cher) en 1056. Il ne
fut pas moine à Cluny, quoi qu'en ait écrit l'éditeur de
ses œuvres, dom Beaugendre. C'est au Mans qu'il dut,
selon toute vraisemblance, se former aux études.
L'école de cette ville était alors florissante. L'évoque
Hoel (1085-1097) lui en confia la direction, en atten-
dant de lui conférer la dignité d'archidiacre (1092).
La meilleure partie du clergé et le peuple se trou-
vèrent d'accord pour l'élever à l'épiscopat (1097). Cette
élection se fit à rencontre d'Hélie, comte du Maine, et
de Guillaume Le Roux, roi d'Angleterre; elle fut éga-
lement désapprouvée par des membres du clergé qui ne
craignirent pas de porter contre Hiklebert des accusa-
tions graves et fausses devant saint Yves, évêque de
Chartres. Le nouvel évêque du Mans eut ainsi à s'af-
franchir lui-même de la servitude de l'investiture. Il le
fit avec prudence et sans faiblesse. Il put soustraire
aux patrons laïcs un certain nombre d'églises et les
faire rentrer dans le patrimoine commun. Malgré ses
démêlés pénibles avec le roi d'Angleterre et le comte du
Maine, il s'occupa très activement de son diocèse. Les
VI.
78
24G7
HILDEBERT DE LAVARDIN
HILDEGARDE (SAINTE
2468-
intérêts spirituels réclamaient ses soins autant que les
intérêts temporels. Au retour d'un voyage qu'il fit à
Rome (1107) et dans les Deux-Siciles, où Roger, fils
de Robert Guiscard, lui fit le meilleur accueil, il eut à
réprimer les excès de langue du prédicant Henri,
disciple de Pierre de Bruis, qui ameutait les fidèles
contre le clergé. Voir col. 2178. Ilréussit à faire achever
la construction de son église cathédrale.
A la mort de Gilbert, archevêque de Tours, Hilde-
bert recueillit sa succession (1125). Il eut à résister
dès le début aux empiétements du roi Louis le Gros sur
l'administration de son Église. Ce prince prétendait lui
imposer contre tout droit un doyen et un archidiacre
de son chapitre cathédral. Sa constance et sa modé-
ration finirent par triompher des rigueurs employées
contre lui dans le but de fléchir sa volonté. Au milieu
de ces difficultés, il chercha toujours un appui dû côté
du souverain pontife et de son légat. Il eut le chagrin
de ne pouvoir mettre un terme, après la mort de Bau-
dri, évêque de Dol (1130), aux prétentions métropoli-
taines de cette Église. Le pape Honorius II l'avait
chargé précédemment, sur la demande de Conan, duc
de Bretagne, d'assembler avec son légat, Girard d'An-
goulême, un concile pour remédier aux désordres qui
troublaient cette province et qui eut lieu à Nantes en
1127. Voir Mansi, ConciL, t. xxi, col. 351. Il dédia
pendant ce voyage l'église abbatiale de Saint-Sauveur
de Redon. A la mort d'LIonorius II, sa bonne foi se
laissa surprendre par Gérard d'Angoulême, partisan
de Pierre de Léon, l'antipape Anaclet. Mais saint Ber-
nard eut tôt fait de le gagner à la cause du pape légi-
time. Innocent II. Hildebert mourut le 18 décem-
bre 1133.
Ce fut l'un des meilleurs évêques de son temps.
Doux, affable, toujours disposé à rendre service, com-
patissant envers les pauvres et les affligés, dévoué au
maintien de la discipline et des bonnes mœurs, à
l'instruction des clercs et des fidèles, sincèrement atta-
ché aux lois de l'Église, prêt à tous les sacrifices pour
la défense de ses droits, généreux envers les monastères
et les églises, il s'attira l'estime de saint Anselme, de
saint Hugues de Cluny, de saint Bernard et des person-
nages les plus vertueux. Bien que plusieurs écrivains lui
aient décerné le titre de saint, il n'a jamais été l'objet
d'un culte liturgique ni au Mans ni à Tours. Bien qu'il
ait joué un rôle considérable au Mans et à Tours, sa
renommée comme évêque n'égale pas devant la posté-
rité celle que lui ont value ses écrits. Sa réputation fut
incontestée jusqu'au xive siècle. Les maîtres le propo-
saient à l'admiration et à l'imitation de la jeunesse des
écoles. Ses vers passaient pour des chefs-d'œuvre de la
littérature chrétienne; on le surnommait egregius ver-
sificator. On apprenait ses lettres par cœur.
II. Écrits. — Baluze prépara une édition des œuvres
d'Hildebert, qu'il ne put achever. Les matériaux réunis
par lui sont conserves à la Bibliothèque nationale
parmi ses notes, CXX. Dom Eeaugendre fut plus heu-
reux; son édition parut à Paris en 1708. Le chanoine
Bourassé l'a publiée de nouveau avec des suppléments
dans la P. L. de Migne en 1854. L'édition de dom
Beaugendre a été sévèrement critiquée par ses con-
frères, auteurs de l'Histoire littéraire de la France, 1754,
t. xi, par l'augustin Xyste Schier, Dissertalio de Hil-
deberli operibus, eorum genuitate, inlegritale,edilionibus,
in-4°, Vienne, 1767, par Victor Leclerc, en 1841, dans
?es remarques sur l'Histoire littéraire, 2e édit., t. xi,
p. 20-2G, et par Hauréau. Nous manquons d'une édi-
tion à laquelle on puisse se fer.
Hauréau a fait de ses poésies une étude conscien-
cieuse. Son examen porte sur les Carmina miscellanea,
édités par Beaugendre, les pièces de même nature
imprimées ailleurs ou restées manuscrites. La critique
qu'il a faite des 141 sermons que lui avait attribués
dom Eeaugendre a été désastreuse : 54 appartiennent
à Geoffroy Babion, 25 à Pierre Lombard, 24 à Pierre
Comestor, 7 à Maurice de Sully, 21 ne peuvent être
attribués à personne, 2 font double emploi, 4 peuvent
être d'Hildebert, 4 lui appartiennent sûrement. La
Bibliothèque des Pères ne lui en avait attribué que trois.
Dom Beaugendre a publié en premier lieu les lettres
classées suivant leur objet en trois livres; le Ier com-
prend les lettres de piété et de morale; le IIe, celles-
qui ont trait au dogme et à la discipline; le IIIe, la cor-
respondance d'amitié. C'est l'un des meilleurs monu-
ments littéraires du xne siècle : la langue est excel-
lente, les pensées fines; il y a beaucoup à prendre pour
l'histoire. Nous n'avons rien de mieux dans ses écrits.
On les a fréquemment copiées. Ses opuscules, que l'édi-
teur donne après les sermons, comprennent une Vie de
sainte Radegonde et une autre de saint Hugues, abbé
de Cluny, dont l'authenticité ne semble pas douteuse;
un dialogue en prose, en vers, De quœrimonia et con-
flictu carnis et spiritus, un Tractatus theologicus, où
l'on trouve un exposé de la doctrine chrétienne basé
sur l'Écriture et les Pères, qui est un essai de la mé-
thode destinée à renouveler sous le nom de scolastique
l'enseignement de la théologie, et quelques opuscules
liturgiques. Les poèmes occupent dans le recueil de ses
œuvres la place la plus importante. On y trouve quel-
ques proses et des épitaphes.
Dom Beaugendre, Venerabilis Hildeberti Turonensis
archiepiscopi opéra, tam édita quam inedita, in-fo!., Paris,
1708; P. L., t. clxxi, col. 1-1463; Histoire littéraire de la-
France, Paris, 1869, t. xi, p. 250-412; dom Ceillier, Histoire
générale des auteurs ecclésiastiques, t. xiv, p. 207-225;
Hauréau, Histoire littéraire du Maine, t. vi, p. 117-159;
Notice sur les mélanges poétiques d'Hildebert de Lavardin,
dans les Notices et extraits des manuscrits, t. xxvm b,
p. 289-448; Notice sur les sermons attribués à Hildebert de
Lavardin, ibid., t. xxxn b, p. 107-166; de Déservillers, Un-
évêque au XIIe siècle. Hildebert et son temps, in-8°, Paris,
1877; Dieudonné, Hildebert de Lavardin, évêque du Mans,
archevêque de Tours (1056-1133), sa vie, ses lettres, in-8°,
Paris, 1898; Franz Barth, Hildebert von Lavardin (7056-
1133) und dos kirchliche Slellenbestzungsrecht, in-8°, Stutt-
gart, 1906; Realencyclopàdie fur protestanlische Théologie
und Kirche, t. vm, p. 67-71.
J. Besse.
HILDEBRAND. Voir Grégoire VII (saint), col.
1791-1804.
HILDEGARDE (Sainte). — I. Vie. II. Œuvres-
I. Vie. — Sainte Hildegarde naquit à Bôckelheim
(diocèse de Mayence), vers l'an 1100, à peu près sûre-
ment en 1098. Elle fut la dixième enfant de la famille;
cette circonstance décida ses parents à l'offrir à Dieu,,
qui, sous la loi ancienne, exigeait la dîme. Quand elle
eut huit ans, ils la présentèrent à Jutta (Judith), fille
du comte de Spanheim, laquelle s'était retirée près
du monastère de Disenberg, au mont Saint-Disibode
(Disibodenberg), pour y vivre en recluse, et voyait
des imitatrices de son exemple se grouper autour
d'elle. Jutta admit Hildegarde comme oblate sous la
règle de saint Benoît. Au bout de sept années de noviciat,
Hildegarde reçut le voile. Après la mort de Jutta
(1136), elle assuma la direction de la petite commu-
nauté. En 1147, ou peut-être en 1149 ou 1150, elle
partit avec dix-huit religieuses et vint se fixer à Bingen,
au mont Saint-Rupert (Rupertsberg). C'est à ce mo-
ment qu'elle commença de devenir illustre. Sa gloire a
rejailli sur Bingen, dont le nom est devenu inséparable
du sien; elle est appelée communément sainte Hilde-
garde de Bingen.
L'influence d'Hildegarde fut extraordinaire. On s'en
rend compte par sa correspondance, qui la montre en
rapports avec des papes, des cardinaux, des arche-
vêques, des évêques, des abbés, de simples moines, des
rois, des ducs, des gens de toute condition et de divers-
2469
HILDEGARDE (SAINTE'
2470
pays. De partout les visiteurs accouraient demander
ses conseils. Elle entreprit, en dépit d'une santé misé-
rable, des voyages sans nombre dans l'Allemagne.
L'édification et la reforme du peuple chrétien, et surtout
des monastères, donnent l'explication de tant de lettres
et de courses. Bien que vouée à la vie contemplative
par sa profession et par son attrait intime, Dieu, dit
P. Franche, Sainte Hildegarde, Paris, 1903, p. 69,
« lui confia un ministère public. Il en fit son porte-
messages, sa voyageuse à travers les consciences, la
redresseuse des torts commis à son égard, celle qui
devait réveiller les âmes de leurs oublis épais et de leurs
sommeils profonds. »
Parmi des difficultés venues du dehors et du dedans,
Hildegarde gouverna sagement son monastère et lui
imprima un essor remarquable. En 1165, elle fonda, à
Eibingen, sur l'autre rive du Rhin ■ — la rive droite ■ — ■
à une lieue de Saint-Rupert et presque aux portes de
Rudesheim. une nouvelle maison sous le vocable de
s;<int Gisilbert (Gilbert). Elle fit des miracles. Ces
prodiges, si providentiels qu'ils soient, s'effacent devant
le miracle permanent de sa carrière « d'apôtre puisant
directement ses inspirations à même le ciel... Là est...
sa forme de sainteté à elle, et dont les miracles ordi-
naires ne sont que les avenues communes à tous. »
P. Franche, Sainte Hildegarde,]). 192,193. Le miracle
est aussi dans cette humilité qui fut « comme son am-
biance et son atmosphère ». La liturgie exerça sur
Hildegarde une action décisive; «elle est, par sa
spiritualité, dit dom M. Festugière, La liturgie catho-
lique, dans la Revue de philosophie, Paris, 1913, t. xxn,
p. 770, une vraie moniale de la vraie tradition; elle
vit du bréviaire et de la messe chantée conventuelle-
ment. »
Hildegarde mourut le 17 septembre 1179. Des guéri-
sons se produisirent sur sa tombe, et le concours des
pèlerins fut tel que les religieuses étaient troublées
dans la récitation de l'office et leurs exercices de règle.
L'archevêque de Mayence enjoignit à la sainte de ne
plus accomplir de miracles extérieurs en ce lieu de sa
sépulture. Elle obéit; à partir de ce moment, son
intercession n'obtint plus que des faveurs spirituelles.
En 1233, Grégoire IX ordonna de procéder à une
enquête de canonisation. Cette tentative n'aboutit
point; Innocent IV et Jean XXII la recommencèrent
sans résultat. On n'est pas fixé sur la nature des
obstacles que rencontra une canonisation en apparence
si facile; on sait seulement que Grégoire IX jugea le
premier procès fautif et en prescrivit un second. En
tout cas, dès le xme siècle, la fête d'Hildegarde fut
célébrée à l'abbaye de Gembloux; au xive siècle elle
paraît dans le bréviaire bénédictin. Des martyrologes
particuliers l'honorent, au moins à partir du xve siècle,
et son nom est inscrit dans le martyrologe romain, à la
date du 17 septembre.
II. Œuvres. — 1° Liste, chronologie, sujet, état
du texte. — Le premier en date (1141-1151) et le plus
important des ouvrages de sainte Hildegarde est le
Scivias (abréviation de Sci vias Domini; cf. sur ce
titre l'explication d'Hildegarde dans le fragment de
la lettre De modo visitalionis suœ publié par les bollan-
distes, Analecta bollandiana, Bruxelles, 1882, t. i,
p. 599). Dans le préambule du Liber vitœ meritorum,
cf. Pitra, Analecta sacra, Mont-Cassin, 1882, t. vm,
p. 7-8, elle dit que, de 1159 à 1164, elle composa les
Subtilitates diversarum nalurarum creaturarum, la
Sgmphonia harmonise cselesiium rcvelationum, YIgnota
lingua, et des lettres, cum quibusdam aliis exposilio-
nibus. Ces derniers mots peuvent désigner les Exposi-
tiones quorumdam Evangeliorum, VExplanatio regulœ
sancti Benedicii, VExplanatio symboli sancli Athanasii.
Le Liber vitœ meritorum fut écrit de 1159 à 1164;
le Liber divinorum operum de 1164 à 1170 au plus tôt.
Les deux Vies de saint Disibode et de saint Rupert
sont des environs de 1173. On ignore la date du Liber
composites medicinœ de segritudinum causis,signis atque
curis, de diverses œuvres liturgiques, poétiques, musi-
cales. Des nombreuses lettres que nous possédons il
n'en est guère qu'on puisse estimer antérieures à 1148;
en général, les dates précises manquent. Sur la chrono-
logie des lettres échangées entre la sainte et Guibert
de Gembloux, cf. H. Herwegen, Les collaborateurs de
sainte Hildegarde, dans la Revue bénédictine, Mared-
sous, 1904, t. xxi, p. 382-388. La lettre qui contient les
XXXVIII quseslionum sotutiones est de 1177.
Le Scivias, le Liber vitœ meritorum et le Liber
divinorum operum forment une trilogie insigne. Dans le
Scivias, Hildegarde fait œuvre dogmatique. C'est
plutôt la moraliste qui apparaît avec le Liber vitœ
meritorum. Le Liber divinorum operum est d'ordre
scientifique; rattachons-y les Subtilitates diversarum
naturarum creaturarum ou Liber simplicis medicinœ, et
le Liber compositœ medicinœ, qui embrassent toute
l'histoire naturelle au point de vue de la médecine
pratique. L'Ignota lingua est « une sorte de volapiick »,
et peut-être « un travestissement des deux langues que
possédait Hildegarde, l'allemand et le latin, amalgamés
au gré de la fantaisie ou d'après une méthode déter-
minée de substitution de voyelles et de diphtongues
à d'autres. » P. Franche, Sainte Hildegarde, p. 96.
Nous n'avons pas, malheureusement, cette editionem
vere principem, omnibus numeris absolulam, que le
cardinal Pitra, Analecta sacra, t. vm, p. xix; cf. p.n,
600, appelait de ses vœux. L'édition du Scivias par
Lefèvre d'Étaples (1513), reproduite par Migne, est
défectueuse; les variantes fournies par Pitra, p. 503-
517, 600-603, et la nouvelle édition d'A. Damoiseau
(1893), l'ont améliorée, mais sans conduire à un texte
de tout repos. Pitra, par un choix de variantes, p. 603-
607, a montré combien laisse à désirer le texte du Liber
divinorum operum, des lettres et des Carmina, donné
par Migne. Les Expositiones quorumdam Evangeliorum
n'offrent probablement pas le texte d'Hildegarde, mais
des rédactions de ses religieuses écrivant dans le calme
de leur cellule ce qu'elles avaient entendu au chapitre.
Entre le texte de l'édition de 1533 des Subtilitates
diversarum naturarum creaturarum et celui d'un manu-
scrit du xvc siècle qu'a utilise le nouvel éditeur, le
D' Daremberg (dans la Palrologie de Migne), il y a con-
tinuellement non seulement des variantes de détails,
mais encore des changements substantiels; l'écrit origi-
nal a été indignement revu, augmenté et défiguré.
La fameuse lettre Ad prœlatos Moguntinenses, P. L.,
t. cxcvn, col. 218-243, renferme dix pièces différentes
cousues bout à bout. L'authenticité de quelques
lettres n'est pas très sûre. P. von Winterfeld, Die vier
Papslbriefe in der Briefsammlung der h} Hildegard,
dans Ncues Archiv der Gesellschaft fur altère deulsche
Gesrhichtskunde, Hanovre, 1901, t. xxvin, p. 237-244,
a prouvé que les trois lettres de papes qui ouvrent le
recueil des lettres d'Hildegarde, dans P. L., t. cxcvn,
col. 145, 150-151, 153, sont apocryphes.
On a faussement attribué à Hildegarde le Spéculum
futurorum temporum ou Pentachronon (ainsi désigné
parce qu'il est divisé en cinq temps, qui commencent
en 1100); c'est une chaîne des prophéties de la sainte,
que Gebenon, prieur d'Everbach, composa en 1220.
Plusieurs prophéties apocryphes ont été imprimées
sous le nom d'Hildegarde. Cf. F. -A. Reuss, P. L.,
t. cxcvn, col. 143; Pitra, p. xxn. Une prétendue
Revelalio Hildcgardis de Iralribus quatuor mendicanlium
ordinum, où l'apostat C. Oudin, Commentarius de
scriptoribus Ecclesiœ antiquis, Leipzig, 1722, t. ij,
col. 1572, si hostile pourtant aux révélations des
femmes, admirait la peinture tracée d'avance des
méfaits des ordres mendiants et des jésuites, est une
2471
I1ILDEGARDE (SAINTE)
2472
supercherie grossière, qui pourrait remonter au temps
des luttes de Guillaume de Saint-Amour contre les
dominicains et les franciscains et qui aurait subi des
changements dans la suite. Cf. Papcbroch, Acta
sanclorum, 3e édit., Paris, 1865, martii t. i, p. 665-
666; Stilting, ibid., septembris t. v, p. 676; J.-G.-V.
Engelhardt, Observationes de prophetia in fralres
minores falso adscripla, Erlangen, 1833.
2° La composition des œuvres. — Dès l'âge de trois
ans, Hildegarde vécut habituellement dans le monde
ries visions surnaturelles. En 1141, un trait de feu parti
du ciel entr'ouvert pénétra son cerveau et son cœur.
< A l'instant, je recevais l'intelligence du sens des
Livres saints, c'est-à-dire du psautier, de l'Évangile et
des autres livres catholiques de l'Ancien et du Nouveau
Testament », raconte-t-elle, préface du Scivias, dans
Pitra, Analecta sacra, t. vin, p. 504. En même temps
une voix d'en haut lui disait : « Cendre de cendre,
pourriture de pourriture, dis et écris ce que tu vois et
entends. » Hildcgarde, par humilité, ne voulait pas
écrire. Mais la voix insistait, et la maladie fondit sur
elle jusqu'à ce qu'elle obéît. Or, sa culture littéraire
se bornait à savoir lire et écrire, ainsi qu'à une con-
naissance élémentaire du latin. Elle eut donc besoin de
collaborateurs pour suppléer aux insuffisances de sa
formation intellectuelle.
Le premier collaborateur d'Hildegarde, comme l'a
établi dom H. Herwegen, de qui nous résumons ici les
belles études publiées par la Revue bénédictine, Mared-
sous, 1904, t. xxi, fut Volmar, moine de Disibodenberg,
plus tard premier prœposilus (chargé de la direction
des moniales et de l'administration des biens) du
monastère de Rupertsberg, le confident le plus intime
de la sainte abbesse. Il corrigea les expressions d'Hil-
degarde « suivant les règles de la grammaire, mais sans
chercher à les revêtir des ornements du style », dit-elle.
Pitra, p. 432-433. En même temps que Volmar, deux
filles spirituelles d'Hildegarde prêtaient leur main à
son œuvre ; tandis que Volmar avait la charge de gram-
mairien, elles tenaient la plume et écrivaient sous la
dictée de leur mère et amie. Hildegarde allègue, en
tête de ses écrits mystiques, le « témoignage » de Vol-
mar et des deux moniales. Ce témoignage paraît être
« non pas en faveur de la sainte, mais plutôt du lecteur
à qui sont proposés des mystères si sublimes. Il doit
avoir la certitude que l'auteur n'était pas sans témoin,
quand il écrivait des choses aussi sublimes, que ces
1 rmoins avaient confiance en la sainte et se portaient
garants de ce qu'elle proposait ». Le moine et les mo-
niales « attestent donc que l'abbesse ne se hâta point
de publier ses révélations, mais qu'alors enfin elle se
mit à écrire lorsque Dieu par une maladie la contrai-
gnit à obéir. » Revue bénédictine, t. xxi, p. 201, 307.
Après la mort de Volmar, Louis, abbé de Saint-
Eucher de Trêves, et Wescelin. prévôt de Saint-André
rie Cologne, lui succédèrent comme collaborateurs de
la sainte. Mais leurs occupations ne leur permettaient
pas de séjourner longtemps à Rupertsberg. Pendant
leur absence, ils se firent remplacer par les moines
Codefroy et Thierry, les biographes d'Hildegarde. Pour
ia collaboration de Louis et de Wescelin, nous avons un
texte qui ne laisse pas de doute; pour celle de Godefroy
! t de Thierry, nous avons des probabilités. La tâche
des uns et des autres doit être placée entre la mort de
Volmar (plutôt après qu'avant 1170, cf. Revue béné-
dictine, t. xxi, p. 386-388) et l'arrivée de Guibert de
Gembloux (1177). Leur collaboration ne fut qu'occa-
sionnelle, tandis que celles de Volmar et du moine de
Gembloux s'exercèrent d'une façon continue (celle-ci
de 1177 à la mort de la sainte en 1179).
Hildegarde avait appelé Guibert uniquement pour
avoir un correcteur assidu. Quelle fut la nature de cette
collaboration ? « Ce n'est pas sans quelque appréhen-
sion que l'on voit un homme dont le style manque abso-
lument de simplicité et de naturel, un homme possédé
de la manie de corriger et de changer, devenir le colla-
borateur de notre sainte. » Il tenta tous les efforts pour
qu'elle lui permît de revêtir ses écrits des ornements du
style, ainsi qu'il s'exprime. Elle céda enfin à ses ins-
tances, mais en marquant deux restrictions : elle
exigeait de conserver pleinement le sens du moins
quant aux visions, salva, sicut prœmisi, quantum ad
visiones pcilinet, sensuum quos posuerim inlcgrilate,
et la permission se limitait aux écrits qu'elle avait
jusqu'à ce jour adressés à Guibert ou qu'elle lui adres-
serait à l'avenir. « Guibert a-t-il bien rempli ce mandat,
a-t-il fidèlement observé ces restrictions? Pour autant
que les textes permettent de juger, nous croyons devoir
répondre affirmativement », conclut dom Herwegen.
Revue bénédictine, t. xxi, p. 393; cf. p. 393-396.
3° Valeur des révélations. — Sainte Hildegarde, dans
la lettre De modo visitationis suœ, cf. Pitra, p. 331-334,
s'explique sur le caractère de ses visions. Elle était
plongée dans une lumière, qu'elle appelle « l'ombre de
la lumière vivante ». Et, ut sol, luna et stellse in aquis
apparent, dit-elle, ila scriplurœ, sermones, virtules et
quœdam opéra hominum formata mihi in illo resplen-
clcnl. Ses sens, cependant, agissaient dans leur sphère
propre. C'est en parfait état de veille, les yeux ouverts,
le jour et la nuit, qu'elle recevait ses visions. Quand il
plaisait à Dieu, son âme montait sur les hauteurs du
firmament et allait au milieu des peuples divers habi-
tant des pays éloignés. Parfois, et non fréquemment,
dans cette lumière elle voyait une autre lumière, quse
Lux vivens mihi nominala est, ajoute-t-elle, et quando,
et quomodo illam videam proferre non valeo ; atque
intérim, dum illam video, omnis tristilia et omnis
anguslia a me auferlur, ita ut tune velut mores simplicis
pucllœ et non vetulœ mulieris habeam.
Telles que ses écrits nous les livrent, les visions
d'Hildegarde sont des visions-images. Elles suivent
toujours le même processus : dans la lumière qui luit
en elle, comme sur un écran, une image lui apparaît
de forme matérielle et agrandie. C'est une montagne,
un coin de firmament, un abîme, un édifice, une tour,
une silhouette de bête ou d'homme ou de monstre
(ces dernières sont particulièrement saisissantes).
«La sainte voit donc: elle ne saisit pas tout d'abord.
Alors, du foyer de lumière, une voix s'exhale qui
explique la signification symbolique et mystique de la
projection. Nous étions avec la voyante devant une
énigme, et l'énigme se change en un tableau d'où se
dégage l'enseignement doctrinal, historique, prophé-
tique, ou moral. » Franche, Sainte Hildegarde, p. 160-
161. L'Écriture est abondamment mise à contribution,
mais sans qu'Hildegarde cesse d'être originale dans le
tour de ses expressions et la forme de ses images.
Du reste, elle décrit et elle explique à la façon de
son temps, qui aime l'allégorie, se plaît aux subtilités,
ne redoute pas les crudités du style et, « si facilement,
éparpille la grimace dans la splendeur des formes archi-
tecturales. N'oublions pas, dit justement Franche,
p. 160, que Dieu agit sur des instruments humains
qu'il pourrait transposer, mais dont il respecte les
données et les aptitudes, évitant de les dénaturer et
de les délocaliser. Hildegarde résume en elle tout
l'esprit religieux, toute la mystique du moyen âge. »
C'est se tromper lourdement que de qualifier d'« élu-
cubrations d'une femme malade » et de « visions ob-
scures, biscornues et incohérentes », comme l'a fait
A. Mobilier, dans la Revue historique, Paris, 1904.
t. lxxxv, p. 88, les révélations de la bénédictine de
Bingen, sous prétexte qu'elles portent la marque de
leur siècle, que certains des matériaux qui servent à
traduire sa pensée sont pour nous hors d'usage. Certes,
il y a profit, pour comprendre Hildegarde, à la replacer
2473
HILDEGARDE (SAINTE)
2474
dans son milieu, comme A. Molinier y invite, à rappro-
cher de ses œuvres, par exemple, « la biographie de
sainte Marie d'Oignies par Jacques de Vitry, les lettres
d'Olivier le scolastique, ou encore le De Andchristo
de Géroh de Reichersperg et le De duabus civitatibus
d'Otto de Freisingen », à étudier « le mouvement
mystique dont l'Allemagne et principalement les
vallées du Rhin et de la Meuse furent alors le théâtre ».
Mais, loin de la diminuer, ces comparaisons mettent en
valeur la beauté de ses écrits et ce qu'ils gardent de
jeune, de vivant, de splendide, en dépit de détails
vieillis et de conceptions surannées. Stilting, Acla
sanctorum, septembris t. v, p. 655, se déclarait stupé-
fait de ce qu'une femme ignorante et dépourvue
d'études, consultée sur les questions les plus difficiles
de la théologie et de l'Écriture, eût donné sans hésita-
tion des réponses parfaites. Là est, en effet, la mer-
veille : une moniale, qui sait à peine lire et écrire, en
même temps qu'elle est la bonne conseillère des plus
illustres de ses contemporains, publie un ensemble de
travaux aux vastes proportions qui sont « une Somme
de toute la science du moyen âge », et qui, « à travers
les faiblesses manifestes qui sont la part humaine de
cette œuvre », étincellent de beautés, devancent de
beaucoup, en matière scientifique, les connaissances du
xiie siècle, et évoluent dans les sphères du dogme « avec
une sûreté de vue bien merveilleuse quand on pense
que cette humble religieuse n'eut pas de maîtres
humains. » Franche, Sainte Hildegarde, p. 158, 159, 163.
L'Église a-t-elle approuvé les ouvrages de sainte
Hildegarde? Ne tenons pas compte des lettres d'appro-
bation des trois papes, Eugène III, Anastase IV et
Adrien IV, qui se lisent dans Migne et qui ont été
reconnues apocryphes. Si la lettre d'Eugène III n'est
pas authentique, les moines Godefroy et Thierry,
Vila sanclse Hildegardis, 1. I, c. i, n. 5, P. L., t. cxcvn,
col. 95, nous apprennent qu'il y eut une lettre de ce
pape encourageant la sainte à écrire quœcumque pcr
Spirilum Sanclum cognovissel; elle fut rédigée à la
suite d'une enquête de délégués pontificaux et de la
lecture par Eugène IV du commencement du Scivias
(probablement vers la fin de 1147'!. Sur le rôle de saint
Rernard, cf. E. Vacandard, Vie de saint Bernard,
Paris, 1895, t. n, p. 318-319, 322, 324. On a cru qu'Hil-
degarde vint à Paris et à Tours, qu'elle confia ses
ouvrages à Maurice de Sully, afin qu'il les fît examiner
par les maîtres de l'université, et que Guillaume
d'Auxerre les «rendit en affirmant quela doctrine d'Hil-
degarde était celle des maîtres» mu gistrorumsenlentia, et
que dans ses ouvrages non esse verba humana sed divina.
Cf. les Acla inquisilionis de virtulibus et miraculis s
sanclse Hildegardis (du temps de Grégoire IX), n. 9,
dans Acla sanctorum, septembris t. v, p. 699. Ce voyage
d'Hildegarde semble légendaire. Cf. E. Vacandard,
op. cit., t. ii, p. 326; Franche, Sainte Hildegarde,
p. 79-82. Il est possible que Guibert de Gembloux,
qui alla à Saint-Martin de Tours vers 1180, ait consulté
les professeurs en renom de Paris sur les œuvres d'Hil-
degarde et que, plus tard, par une confusion assez natu-
relle, peut-être par l'inadvertance d'un copiste, on ait
attribué à Hildegarde elle-même cette consultation et
ce voyage. Grégoire IX, « qui fut un pape de doctrine »,
dit Franche, p. 163, soumit, avec la vie et les miracles
de la sainte, « ses écrits à un examen rigoureux, à
une sévère discussion, sans qu'on y relevât une erreur
— témoignage... probant... de l'orthodoxie de sa théo-
logie, puisqu'il émane de l'autorité doctrinale. » En
réalité, nous n'avons pas une déclaration explicite de
Grégoire IX. Nous savons seulement qu'il ordonna de
reprendre le procès de canonisation à cause des vices
de forme de la première enquête. Cf. Acta sanctorum,
septembris t. v, p. 678. Tout porte à croire que
les ouvrages d'Hildegarde subirent à leur honneur
l'épreuve de l'examen en vue du culte public à rendre
à leur auteur; rien de positif ne l'établit.
Bref, toute l'approbation officielle des révélations de
sainte Hildegarde se réduit à l'encouragement à écrire
tout ce que lui faisait connaître le Saint-Esprit, qui lui
vint du pape Euglne III dans les circonstances que
nous avons dites (Benoît XIV, De servorum Dei
beatificatione et beatorum canonizationc, 1. II, c. xxv,
n. 3; c. xxxu, n. 11; 1. III, c. ult., n. 18, Bassano, 1767,
t. ii, p. 118, 139, 278, n'en mentionne pas d'autre),
et à l'inscription de son nom dans le martyrologe
romain. C'est moins que l'Église n'a fait pour une sainte
Brigitte et une sainte Thérèse; c'est assez pour attri-
buer une haute valeur aux révélations hildegardiennes.
Quand l'Église approuve des révélations privées, elle
ne les impose pas à la foi des fidèles; c'est un laissez-
passer qu'elle donne, non une déclaration positive
d'authenticité. A plus forte raison en va-t-il de la
sorte quand elle se prononce comme dans le cas pré-
sent. La liberté de l'adhésion reste donc entière;
mais, à la suite de l'assentiment relatif de l'Église, on
est fortement incliné à admettre l'existence de dons sur-
naturels lorsqu'une femme illettrée, qui s'affirme éclairi e
d'en haut, traite magnifiquement des plus hautes
questions, et que, par ailleurs — c'est le cas pour Hilde-
garde — elle est une merveille de vie humble et sainte.
4° Les prophéties. — Faut-il attribuer des prophéti' s
à Hildegarde? Ses contemporains le firent. Au xma
siècle, Gebenon d'Everbach recueillit, sous le titre de
Spéculum juturorum temporum, tout ce que la sainte
de prsesenti statu Ecclesise et de juturis temporibus usque
ad Antichristum et de ipso Antichristo prophelavit.
Pitra, p. 483. Le bollandiste Stilting, au xvme siècle,
se complut à relever toutes les prophéties qui lui
parurent accomplies. Cf. Pitra, p. xvi-xvn. Au xixe siè-
cle, Gôrres, La mystique divine, naturelle et diabolique,
trad. C. Sainte-Foi, Paris, 1855, t. i, p. 468, vit dans
des faits récents la réalisation de ce qu'elle avait
annoncé. Il y a mieux; un anonyme, dans un article
intitulé : Le passé, le présent et l'avenir de l'Église,
publié par la Revue du monde catholique, Paris, 1874,
t. xl, p. 23-31, prétendit, développant une pensée de
Gebenon, dans Pitra, p. 488, qu'Hildegarde est l'aigle
de l'Apocalypse, vm, 13, l'aigle second succédant direc-
tement à saint Jean, qui fut l'aigle premier, que l'esprit
prophétique se serait éteint jusqu'à elle et encore après,
sainte Brigitte et sainte Catherine de Sienne n'étant
que des prophètes partiels, qu'elle a contemplé les
destinées de l'Église. Sans adopter « cette hypothèse
intéressante sans doute, mais peut-être un peu con-
fiante », et tout en jugeant que, si Dieu lui a révélé
le mystère, « il ne lui a pas transmis le verbe qui éclaire
ces ténébreuses régions de l'avenir », Franche admet
que les écrits d'Hildegarde « contiennent l'annonce
du protestantisme » et que, dans sa lettre au clergé de
Cologne, en particulier, P. L., t. cxcvn, col. 244-253.
il est aisé de saisir « tout le dessin de la Réforme •>.
Sainte Hildegarde, p. 171, 129, 131; cf. p. 181.
Un mot de Gebenon aide à ramener ces interpréta-
tions à de justes limites. Des lecteurs sont rebutés par
l'obscurité des livres d'Hildegarde; ils ne comprennent
pas, dit le bon prieur d'Everbach, quod hoc est argumen-
tum verse prophétise, omnes enim prophétie obscure loqui
quasi in usu habent. Pitra, p. 485. La vérité, c'est que les
prédictions d'Hildegarde, sans en excepter celles qu'on
a appliquées au protestantisme, sont si obscures et,
d'ordinaire, formulées en des termes si vagues, si géné-
raux, que nous ne pouvons en faire état avec certitude.
Où l'on signale, par exemple, le portrait des luthériens
il serait aussi légitime de distinguer celui des cathares.
Incapables de discerner sûrement l'accomplissement des
prophéties hildegardiennes dans les siècles écoulés entre
la sainte et nous, plus encore ne sommes-nous pas en
2475
HILDEGARDE (SAINTE'
2476
mesure de déchiffrer «race à elle l'énigme des temps
futurs et de la fin du monde. Constatons seulement que,
à la différence de tant d'écrivains de tous les âges et
spécialement du sien, Hildegarde ne crut pas à l'immi-
nence de l'arrivée de l'Antéchrist. Dies mœroris et
tristilias nondum adsunt, dit-elle. Liber divinorum
operum, pari. III, vis. x, n. 15, P. L., t. cxcvu, col.
1017. Cf. Gebenon, dans Pitra, p. 484,488. Que si elle
dit ailleurs, Scivias, 1. III, visio xi, P. L., t. cxcvu,
col. 716, que l'Antéchrist in brcvissimo tempore vcniet,
elle signifie par là que, l'incarnation ayant eu lieu au
sixième âge du monde, qui correspond à la partie du
jour qui s'écoule de none à vêpres (depuis 3 heures du
soir jusqu'à 6 heures), et conc lorsque le monde courait
déjà à son déclin, le septième âge est venu, celui qui cor-
respond à la chute du jour, le dernier de la vie de l'huma-
nité, quelle que soit la durée de cet âge, connue de Dieu
seul. Cf. col. 714-716. Cf. encore sa correspondance avec
sainte Elisabeth de Schonau, P.L.,t. cxcvu, col. 215-217.
5° La théologie. — Un exposé méthodique et complet
de la théologie d'Hildegarde serait d'un grand prix.
Le Scivias, à lui seul, est un traité dogmatique qui
passe en revue Dieu dans son unité et sa trinité, les
anges, l'homme, la déchéance et le relèvement, l'An-
cien Testament et le Nouveau, l'eucharistie et les
sacrements. l'Église et les fins dernières. Force nous
est de nous borner à des indications rapides.
Voici un aperçu des données doctrinales de la longue
lettre composite Ad prsclatos Moguntinenses. Sur
l'eucharistie, après avoir signalé la pratique de la com-
munion à peu près mensuelle dans son monastère,
P. L., t. cxcvu, col. 219, elle formule le dogme de la
transsubstantiation et emploie le mot, col. 224. Voir
t. v. col. 1291. A propos de la corruption des espèces
eucharistiques par la moisissure ou de leur manduca-
tion par des animaux, elle dit : ista iamen in sacramento
visibili vel sola specie exteriori sunt, virtuie et gralia
ipsius sacramenti illibala et incorrupia divinitus
conservala, col. 225; sa solution de ce problème, qui
avait embarrassé tant de ses contemporains et de ses
prédécesseurs, n'est pas entièrement heureuse. Elle
s'exprime exactement sur le cas d'une messe où, par
négligence, le vin aurait manqué dans le calice, col. 225.
Si quelqu'un ne peut recevoir la communion à cause du
péril de vomissement, elle veut que le prêtre mette
l'eucharistie sur la tête et le cœur du malade en implo-
rant pour lui la grâce divine, col. 227. Ailleurs, surtout
dans le Scivius, 1. II, vis. vi, elle reprend ce beau sujet
de l'eucharistie, non sans exagérer l'importance de
l'eau, qu'elle semble égaler à celle du pain et du vin,
col. 532. La communion normale des adultes qu'elle
mentionne est la communion sous les deux espèces,
nisi prœ simplicilale accipienlis sacerdos timeat peri-
culum ef/usionis; s'il en est ainsi, le communiant, à
l'instar des enfants, ne recevra que l'espèce du pain.
Le célébrant doit employer les paroles et les vêtements
qui furent en usage dans l'antiquité. Celui qui est en
état de péché mortel est tenu, avant de célébrer, à
confesser sa faute à un prêtre, col. 533 ; cf. col. 535.
La loi du célibat s'impose à lui, quoiqu'il y ait eu de
bonnes raisons pour qu'elle ne fût pas imposée aux
premiers temps de l'Église, col. 543-544.
Revenons à la lettre Ad pnelulos Moguntinenses. Elle
offre des vues intéressantes sur nos premiers parents,
L'état d'innocence et la chute. Ne nous arrêtons pas à
cette thèse, qu'Adam et Eve péchèrent et furent expul-
sés du paradis terrestre le jour même de leur création,
col. 222-223; cf. col. 530; Hildegarde l'a en commun
avec Dante, Paradiso, xxvi, 139-112, et nombre de
théologiens. Voyons plutôt la belle théorie sur la
musique sacrée, le chant liturgique. D'après J.-K. Huys-
mans, En rouir, 5e édit., Paris, 1895, p. 429, Hilde-
garde définirait excellemment l'art : « une réminis-
cence à moitié effacée d'une condition primitive dont
nous sommes déchus depuis l'Éden. » Sous cette forme,
la définition n'est pas d'Hildegarde; l'idée est bien
d'elle. Avant sa faute, dit-elle, Adam partageait le
chant des anges. Le péché rompit le charme, brisa les
cordes; de ces harmonies angéliques l'homme ne garda
que ce souvenir vague, indéfini, que nous avons, au
réveil, des images qui ont visité nos songes. Mais Dieu
rendit aux prophètes quelque chose des clartés intellec-
tuelles et des suaves harmonies qui avaient été le lot
d'Adam avant l'exil. Instruits par l'Esprit de Dieu,
ces prophètes ont composé des cantiques et des
psaumes et fabriqué toutes sortes d'instruments de
musique. A leur exemple, les sages ont inventé, par
un art humain, divers genres d'instruments de musique,
pour chanter au gré de l'âme essentiellement musicale,
symphonialis est anima, et rappeler cet Adam in eu jus
voce sonus omnis harmonise et totius musiese artis,
antequam delinqueret, suavitas erat. Le démon est
hostile au chant qui vient du Saint Esprit, et s'efforce
de supprimer ou de troubler, dans le cœur de tout
homme et aussi dans le cœur de l'Église, la confession
et la beauté de la louange divine. Malheur à qui impose
silence, sans de graves raisons, à ces chants de louanges 1
Consortio angelicarum laudum in cselo carebunt qui
Deum in terris décore suse laudis injuste spoliaverunl,
col. 221. Ce thème reparaît plus d'une fois dans les
œuvres d'Hildegarde. Dieu, dit-elle, Liber vitee meri-
lorum, part. V, c. lxxvii, dans Pitra, p. 217, doit
être loué par les hommes comme il l'est par les anges,
quoniam et homo in duabus partibus apparel, scilicet
quod Deum laudat et quod bona opéra in se ostendit...,
nam homo per laudem angelicus est, et per sancta opéra
homo est. Et, part. IV, c. xlvi, De planctu et symphonia
animœ, p. 171, elle a cette phrase exquise : Anima
hominis sijmphoniam in se habet, et symphonizans est,
unde eliam mulloties planclus educit cum symphoniam
audit, quoniam de patria in exilium se mismm meminit.
Ce n'est pas seulement le langage des anges, c'est encore
celui des animaux que l'homme a cessé de comprendre
en péchant; les éléments ont été viciés à la suite du
péché originel. Cf. Liber vitse meritorum, part. III, c. i-ii,
xxiii, lxxx; part. IV,c.lii, dans Pitra, p. 105-106, 116,
141, 173; Liber divinorum operum, part. III, vis. x,
n. 20, P. L., t. cxcvu, col. 1022: Subtililales diversarum
nalurarum creaturarum, 1. VIII, prœf., col. 1337-1340.
Dans la lettre Ad prœlalos Moguntinenses, enfin, il
est question des hérétiques, c'est-à-dire des cathares
principalement sinon exclusivement, semble-t-il, et,
s'adressant aux rois et aux princes, Hildegarde dit :
Populum istum ab Ecclesia, facullatibus suis privatum,
expellendo, et non occidendo, e/fugate, quoniam forma
Dei sunt, col. 232-233. Voir encore contre les cathares
une lettre de 1163, dans Pitra, p. 348-351, et une lettre
au clergé de Cologne, P. L., t. cxcvu, col. 248-253.
Cf. Gebenon, dans Pitra, p. 487.
Recueillons, çà et là, quelques opinions d'Hildegarde.
Les âmes de ceux qui sont morts sans baptême et sans "
faute grave, mais avec des fautes légères, habitent une
région ténébreuse où elles souffrent la peine de la
fumée; celles de ceux qui sont morts sans faute légère,
les enfants par conséquent, sont dans les ténèbres, mais
ne souffrent pas de la fumée. Liber vitse meritorum,
part. VI, c. ix, dans Pitra, p. 224-225. Le feu de l'enfer
n'a pas la même nature que le feu terrestre, et le feu
du purgatoire de igné gehennœ accensus non est. xxxvm
qusestionum soluliones, q. xxxm, P. L., t. cxcvu,
col. 1051-1052. Les âmes des élus ne jouiront d'une
béatitude parfaite qu'après le jugement universel,
quand elles auront été réunies à leurs corps. Liber vitse
meritorum, part. I, c. xxx, l; part. II, c. xxxvi, dans
Pitra, p. 21, 29, 78-79. En attendant, ajoute-t-elle.
part. V, c. lxxix, p. 217-218, terreslris paradisus
2477
HILDEGARDE (SAINTE)
2478
purgatis et de pœnis [purgatorii] ereplis mox dalus est;
lux autem illa cœleslis, quam homo nec intueri nec discer-
nere potesl, gloriosis et virtuosis animabus, quarum
virtuies ex vi divinitalis proccsserunt, mox prseparata
est. Hildegarde se range donc parmi les partisans du
délai de la vision béatifique ou, plutôt, du délai de la
plénitude de la vision réservée aux justes; cf. part. II,
•c. xxxiv-xxxvi. p. 77-79; on sait que l'Église ne s'était
pas encore prononcée définitivement là-dessus. Voir
t. ii, col. 657-696. El!e admet que Dieu créa simultané-
ment la matière de toutes les choses célestes et ter-
restres, et que les six jours de la Genèse sex opéra sunl,
quia incceptio et compkiio singuli cujusque operis dies
dicitur. xxxvm quœslionum solutiones, q. i, P. L.,
t. cxcvn, col. 1040. Elle donne au mot rationalitas les
sens divers de « Verbe », « inspiration divine », « foi
chrétienne », » âme humaine », « créature raisonnable »,
etc. Cf. Pitra, p. 75, note 4; p. 249, note 2; A. Da-
moiseau, Documenta quœdam sacrée Scripturse cum
doctrina sanclœ Hildegardis de rationalitale collata,
Gênes, 1894. Elle paraît exclure l'immaculée concep-
tion de Marie. XXXVIU quœstionum solutiones, q. xxn,
P. L., t. cxcvn, col. 1047; cf. pourtant le Scivias,
1. II, vis. m, col. 457. Elle exige la confession pour la
rémission des péchés. Si quelqu'un n'a pas un prêtre
à qui se confesser au moment de la mort, tune alii
homini quem eodem tempore opportunum habet ea mani-
lestei; s'il n'a personne à qui les manifester, qu'il les
confesse à Dieu coram démentis cum quibus eliam illa
perpetravit. Scivias, 1. II, vis. vi, col. 549.
De ces opinions de sainte Hildegarde quelques-unes
sont simplement curieuses ou ont été abandonnées.
Le plus souvent elle suit le grand courant de la tradition
catholique et touche à la théologie en théologien con-
sommé. Citons-en un exemple mémorable. Un maître
de l'université de Paris, Odon, plus tard abbé d'Ours-
camp et cardinal-évêque de Frascati, consulta la béné-
dictine de Bingen sur la doctrine de Gilbert de la
Porrée et de beaucoup, plurimi, affirmant que « la pater-
nité et la divinité n'est pas Dieu ». Hildegarde répon-
dit par une lettre où elle expose magistralement la
doctrine qui allait être sanctionnée par l'Église. Cf.P.L.,
t. cxcvn, col. 351-353, et, mieux, Pitra, p. 539-541.
6" Les sciences. — La partie scientifique de l'œuvre
d'Hildegarde est inégale. « A côté de faits très bien
observés, d'idées neuves, d'aperçus féconds, on ren-
contre, dit A. Battandier, Revue des questions histo-
riques, Paris, 1883, t. xxxm, p. 4*16, des recettes ridi-
cules, des raisonnements presque absurdes et de véri-
tables puérilités, pour ne rien dire de plus. » Cf., par
■exemple, ce qu'elle raconte du lion, de l'ours, de l'âne.
Subtililates diversarum naturarum creaturarum, c. ni,
iv, ix, P. L., t. cxcvn, col. 1314-1317, 1320. Des
lacunes il faut rendre responsables, plus encore que
la sainte, la science de son temps et, sans doute, aussi
les altérations des copistes. Les mérites sont notables.
Dans sa préface des Subtilitates, F.-A. Reuss, P. L.,
t. cxcvn, col. 1121-1122, écrit : « 11 est certain qu'Hil
di^arde connaissait beaucoup de choses ignorées par les
docteurs du moyen âge, et que les chercheurs de notre
siècle, après les avoir retrouvées, ont présentées comme
nouvelles. » Mais tout cela n'apparaît que par une
longue étude. Hildegarde n'est pas un écrivain facile;
■elle a son style, sa terminologie, bien à elle. Deux
excès sont à éviter : d'une part, n'envisager que les
éléments défectueux de ses œuvres scientifiques, et,
d'autre part, donner à des expressions obscures, impré-
cises, une portée qu'elles n'ont pas et lui attribuer des
découvertes qu'elle ne soupçonna point. A. Battandier,
Revue des questions historiques, t. xxxm, p. 415-420,
signale quelques-uns des points qui ont été mis en
lumière par la science moderne et que la sainte aurait
devinés ou aperçus : l'action chimique et magnétique
des différentes substances sur les organes du corps
humain; les lois de l'attraction universelle; le soleil,
et non la terre, au centre du firmament; la circulation
du sang, etc. Peut-être pourrait-on voir, dans un
passage du Scivias, 1. III, vis. xn, P. L., t. cxcvn,
col. 730, où il est dit que, le monde fini, le soleil, la lune
et les étoiles seront immobiles, quia finilo mundo
jam in immutabililate sunl, un lointain pressentiment
de cette conclusion qu'on a tirée de la loi de la dégra-
dation de l'énergie, à savoir que l'univers tend vers une
fin qui n'est pas le néant, mais le repos. Voir t. v, col.
2549-2550. Cf., sur la partie scientifique des œuvres de
la sainte, les monographies citées dans notre biblio-
graphie et les ouvrages indiqués par E. Michael, Ge-
schichle des deutschen Volkes vom dreizehnten Jahrhun-
dert bis zum Ausgang des Mittelalters, Fribourg-en-
Brisgau, 1903, t. m, p. 421, note 1.
I. Œuvres. — La Patrologie latine, t. cxcvn, contient :
145 lettres, col. 145-382; le Scivias, col. 383-738 (d'après
l'édition défectueuse de Lefèvre d'Étaples, Liber trium
spiritualium virorum Hermœ, Uguetini et fratris Roberti,
et trium spiritualium virginum Hildegardis, Elisabelhœ et
Mechtildis, Paris, 1513) ; le Liber divinorum operum simplicis
hominis, col. 741-1038; les Triginta oclo quœstionum solu-
tiones, col. 1037-1054; l'Explanatio regulœ sancti Benedicli,
col. 1053-1066; l'Explanatio sgmboli sancti Athanasii,
col. 1005-1084; la Vita sancti Ruperti, col. 1083-1094; la
Vila sancti Disibodi, col. 1095-1116; la Physica ou Subtili-
tates diversarum naturarum creaturarum, col. 1125-1352. Les
Analecta sacra Spicilegio Solesmensi parata, t. vin, Nova
sanctx H ildegardis opéra, Mont-Cassin, 1882, du cardinal
Pitra contiennent: le Liber Dite merilorum, p. 1-244; les
Expositiones quorumdam Evangeliorum, p. 245-327 ; 145 nou-
velles lettres, p. 328-440, 518-582 (d'Hildegarde, ou adres-
sées à Hildegarde, ou relatives à Hildegarde; dans le nombre,
le préambule de la Vita sancti Disibodi, p. 352-357; l'épi-
logue de la Vila sancti Ruperti, p. 358-368; la lettre De
excellentia beati Martini episcopi, p. 369-378); les Carmina,
p. 441-467; des fragments du Liber composite medicinœ de
œgritudinum Causis, signis atque curis, p. 468-482; des
variantes et suppléments aux écrits d'Hildegarde déjà
édités, p. 489-495, 503-507, 600-607; des fragments de
YIgnota lingua, p. 497-502. Pour la langue inconnue et les
chants, voir J.-P. Schmelzeis, Dos Leben und Wirkenderheil.
Hildegardis nach den Quellen dargestelt, nebst einem Anhang
liildegard'scher Lieder mit ihren Melodien, Fribourg-en-Bris-
gau, 1879 (donne, avec un fac-similé, cinq de ces cantiques
traduits en musique ordinaire); F. W. E. Roth, Die Lieder
und die unbekannle Sprache der heil. Hildegardis, dans les
Fontes rerum Nassaicarum, Geschichtsquellen von Nassau,
Wiesbaden, 1880, t. l, fasc. 3; A. Damoiseau, Novœ edilionis
operum omnium sanctx Hildegardis experimenlum, Sampier-
darena, 1893-1895, a publié une nouvelle édition du Scivias.
Les bollandistes, Analecta bollandiana, Bruxelles, 1882, t. i,
p. 598-600, ont imprimé un texte plus complet et des
variantes pour la lettre De modo visitationis sua', éditée
par Pitra, p. 331-334. P. Kaiser a édité le Liber composite
medicinœ de œgrititdinum causis, signis atque curis sous ce
titre : Hildegardis causœ et curœ, Leipzig, 1903. Dom H. Her-
wegen, Revue bénédictine, Maredsous, 1904, t. xxi, p. 308-
309, a édité un épilogue, probablement écrit après coup,
du Liber divinorum operum. Les lettres anciennement
connues ont été traduites en allemand par L. Clarus (VolcU),
Ratisbonne, 1854; le Scivias a été traduit en français (sur
le texte de l'édition de 1513) par R. Chamonal, Paris, 1912.
Mentionnons enfin le Spéculum fulurorum temporum, extrait
des œuvres d'Hildegarde par Gebenon, prieur d'Everbach
(1120), publié fragmentairement par Pitra, p. 483-488.
H. Sources. — Nous n'avons pas la biographie de
la sainte qu'avait écrite son premier collaborateur, le moine
Volmar. Mais nous possédons la biographie commencée
par le moine Godefroy et continuée par le moine Thierry,
P. L., t. cxcvn, col. 91-130, et celle de Guibert de Gem-
bloux, dans Pitra, p. 407-414 : compléter les lettres de
Guibert de Gembloux relatives à cette biographie publiées
dans Pitra, p. 405-407, 414-415, par les textes publiés dans
les .4na/ecfa bollandiana, Bruxelles, 1882, t. i, p. 600-608.
Une Vie en forme de leçons pour l'office public (au nombre
de huit) a été publiée par Pitra, p. 434-438. Cf., sur les
anciennes Vies d'Hildegarde, les bollandistes, Bibliotheca
i hagiographicalatinaantiquœ etmediœœtatis, Bruxelles, 1898-
>79
HILDEGARDE (SA INTE) — HILTON OU HYLTON
2'iKO
1S99, t. i, p. 585-5SG, et, sur quelques-unes des questions qui
se posent au sujet de ces Vies, H. Herwegen, Revue béné-
dictine, Maredsous, 190-4, t. xxi, p. 396-402; G. Sommer-
feldt, Zu den Lebensbescltreibungen der Hildegardis von
Bingen, dans le Neues Archiv, Hanovre, 1910, t. xxxv,
p. 572-5S1. Les Acta inquisitionis de virtutibus et miraculis
sanctte Hildegardis (lors du procès de canonisation, en 1233)
ont été publiés, d'après une copie incomplète, dans les Acta
sanctorum, septembris t. v, p. 697-700 (reproduction dans
P. L., t. cxcvn, col. 131-140), et, d'après l'original des trois
chanoines de Mayence enquêteurs, par P. Bruder, dans les
Analecta bollandiana, Bruxelles, 1883, t. n, p. 118-129.
J. Stilting, Acta sanctorum, septembris t. v, p. 467-673, a
groupé quelques témoignages anciens concernant la sainte;
on peut y joindre celui de sainte Elisabeth de Schônau,
dans W. Preger, Geschichte der deutschen Mystik im Mitlel-
alter, Leipzig, 1874, t. i, p. 33-34.
III. Travaux. — ■ C. Henriquez, Lilia Cistercii sive sacra-
rum virginum cisterciencium origo, instituta et res geslœ,
Douai, 1633, t. i, p. 286-338; J.-A. Fabricius, Bibliotheca
latina mediœ et infimse œtatis, Hambourg, 1735, t. ni, p. 770-
780; J. Stilting, De sancta Hildegarde virgine commentarius
prsevius, dans les Acta sanctorum, septembris t. v, Anvers,
1753, p. 629-679, reproduit dans P. L., t. cxcvn, col. 9-90;
dom R. Ceillier, Histoire générale des auteurs sacrés et ecclé-
siastiques, Paris, 1763, t. xxm, p. 95-106; J. C. Dahl, Die
heil. Hildegardis, Aebtissin in dem Kloster Rupertsberg bei
Bingen, Mayence, 1832; F. A. Reuss, De libris physicis
sanetœ Hildegardis commentalio historico-medica, Wurz-
bourg, 1835; Der heil. Hildegard Subtililatum diversarum
naturarum crealurarum libri IX, die wertlwollste Urkunde
deulscher Natur und Heilkunde aus dem Mittelalter, wissen-
schaftlich gewiirdigt, dans les Annalen des Vereins fur nassau-
nische Altertumskunde und Geschichtsforschung, Wiesbaden,
1859, t. vi, p. 50-106; C. Jessen, XJeber Ausgaben und
Handschriften der medicinischnaturhisloricben Werke der
heil. Hildegard, dans les Sitzungsberichte der K. Akademie
der Wissenschaflen, Math.-natur. Classe, Vienne, 1862,
t. xlv, p. 97-116; Deutschlands ersle Naturforscherin, dans
l'nsere Zeit, Leipzig, 1881, t. i, p. 305-310; W. Preger,
Geschichte der deutschen Mystik im Mittelalter, Leipzig,
1874, t. i, p. 13-27, 29-37; J.-P. Schmelzeis, Die Werke
der heil. Hildegardis und ihr neuesler Kritiker, dans les
Historisch-politische Blàller, Munich, 1875, t. lxxvi, p. 604-
628, 659-689; Dos Leben und Wirken der heil. Hildegardis,
Fribourg-en-Brisgau, 1879; Kirchenlexikon, 2e édit., Fri-
bourg-en-Brisgau, 1888, t. v, col. 2061-2074; Richaud,
Sainte Hildegarde, sa vie et ses œuvres, étude théologique,
Aix, 1876; A. von der Linde, Die Handschriften der K. Lan-
desbibliolek in Wiesbaden, Wiesbaden, 1877; J.-B. Pitra,
Analecta sacra, Mont-Cassin, 1882, t. vin, p. i-xxn; A. Bat-
tandier, Sainte Hildegarde, sa vie et ses œuvres, dans la
Revue des questions historiques, Paris, 1883, t. xxxin,
p. 395-425 ; J. Martinov, dans la Revue du monde catholique,
3« série, Paris, 1884, t. xxiv, p. 839-854; L. Aubineau,
Épaves, Paris, 1886, p. 368-393; F. W. E. Roth, Zur
Bibliographie der heil. Hildegardis, dans Quartalblàtler des
historischen Vereins fur das Grossherzogthum Hessen,
Darmstadt, 1886, p. 221-233; 1887, p. 76-86; Die Codices
des Scivias der heil. Hildegardis O. S. B. in Heidelberg,
Wiesbaden und Rom in ihrem Verhàltniss zu einander und
der Editio princeps 1513, ibid., 1887, p. 18-25; Beitràge zur
Biographie der Hildegard von Bingen, O. S. B., sowie zur
Beurtheilung ihrer Visionen, dans Zeitschrift fur kirchliche
Wissenschaft und kirchliches Leben, Leipzig, 1888, t. ix,
p. 453-471 ; H. Delehaye, Guibert, abbé de Florennes et
de Gembloux, dans la Revue des questions historiques, Paris,
1899, t. XL VI, p. 5-90; E. Vacandard, Vie de saint Ber-
nard, abbé de Clairvaux, Paris, 1895, t. n, p. 317-327;
Benrath, Realencyklopàdie, 3" édit., Leipzig, 1900, t. VIII,
p. 71-72; P. Kaiser, Die naturwissenschaftlichen Studien
der Hildegard von Bingen, Berlin, 1901; P. Franche, Sainte
Hildegarde, Paris, 1903; dom H. Herwegen, Les collabora-
teurs de sainte Hildegarde, dans la Revue bénédictine, Paris,
1904, t. xxi, p. 192-203, 302-315, 381-403; cf. Analecta
bollandiana, Bruxelles, 1905, t. xxiv, p. 302-304; Die heil.
Hildegard von Bingen und das Oblateninslitut, dans les
Studien und Miltheilungen zur Geschichte des Benediktinor-
dens und seiner Zweige, Salzbourg, 1912, t. xxxin, p. 543-
552; J. May, Die heilige Hildegard von Bingen aus dem
Orden des h. Benedikt (1098-111 U), Kempten, 1911; L. Bail-
let, Le miniatures du Scivias de sainte Hildegarde conservé
à la bibliothèque de Wiesbaden, Paris, 1912 (extrait des
Monuments et mémoires publiés par l'Académie des inscrip-
tions et belles-lettres, Paris, 1912, t. xix); J. Gmelch, Die
Kompositionen der heiligen Hildegard (70 chants du ms. de
Wiesbaden reproduits par la phototypie), Dusseldorf, 1913 ;
Francesca Maria Steele,37ie life and visions o/ St. Hildegarde,
Londres, 1914.
F. Vernet.
HILTON ou HYLTON Walter (Gautier), écrivai î
ascétique anglais, chanoine de Thurgarton. dans le
Nottingham, décédé le 6 mars 1395. Depuis le xvie siè-
cle jusqu'à nos jours, on a dit et répété qu'il avait été
religieux de la chartreuse de Shene, dans le Surreyshire,
au diocèse de Winchester, et qu'il y était mort vers
1440. Mais, outre que cette maison d'enfants de saint
Bruno ne date que de 1414, des preuves certaines éta-
blissent qu'il n'a jamais été chartreux. C'est d'abord
l'absence de son nom dans les listes des défunts annon-
cés à tout l'ordre, chaque année, par la carte du cha-
pitre général. C'est ensuite la déclaration expresse
qu'il fit qu'il n'était pas religieux dans la lettre De
origine rcligionis, où il loue l'ordre des chartreux. 11
est vraisemblable que la qualité de chartreux et la
fausse date de sa mort proviennent de ce que le plus
ancien et peut-être le plus complet recueil de ses
œuvres porte la souscription finale qu'il fut copié le
29 novembre 1433 permanus magistri Joannis Dygoun
reclusi Bethlchem de Shene. Ce recueil se trouve actuel-
lement à la bibliothèque du collège de la Madeleine,
à Oxford, sous le n. 2234, 95. Cf. Puyol, Descriptions
bibliographiques des manuscrits du livre De imitatione
Chrisii, Paris, 1898, p. 327, n. 5. Ainsi, parce que le
chartreux de Shene, Jean Dygoun, eut soin de recueil-
lir les œuvres de W. Hilton, on a présumé que celui-ci
florissait, vers la même époque, dans le même monas-
tère. Mais, en Angleterre, depuis quelques années, on a
justement protesté contre cette supposition. Cf. The
scale of perfection de Hilton, publiée par le R. P. Guy,
bénédictin, ainsi que l'édition faite par le P. Dalgairns
et la préface de M. Ingram à sa publication des an-
ciennes traductions anglaises de l' Im ilat ion, Londres^
1893, p. x.
Cependant si la vie de W. Hilton est obscure, sa répu-
tation est, au contraire, très grande. Il est, en effet,
célèbre à double titre, dont l'un est mérité, l'autre sera
encore longtemps problématique. Ses compatriotes le
considérèrent avec raison comme un des meilleurs
maîtres de la vie intérieure à cause des œuvres spiri-
tuelles qu'il écrivit. Son Échelle de la perfection, au juge-
ment du B. Thomas More, était un des trois livres ascé-
tiques dont la lecture fréquente pouvait entretenir la
dévotion dans le peuple anglais. Cf. Puyol, L'auteur
du livre De imitatione Christi, irc section, Paris, 1899,
p. 447. Mais si cette estime est fondée, il n'en est pas de
même de l'honneur qu'on lui fait en le mettant au
nombre des auteurs présumés des quatre livres, ou de
quelques-uns des livres, qui forment l'ouvrage immor-
tel de l'Imitation de Jésus-Christ. A notre avis, il serait
téméraire de répéter encore que W. Hilton a autant
de droits au titre d'auteur de l'Imitation qu'en a
Thomas a Kempis. Depuis que la critique a établi qu'il
était mort en 1395, et, partant, n'a pu vivre dans la
chartreuse de Shene fondée en 1414, dix-neuf ans après
son décès, la question est devenue plus compliquée.
Aucun des manuscrits anglais favorables à cette opi-
nion n'est antérieur à 1400, et il est certain que les par-
tisans de Thomas a Kempis n'accepteront pas la con-
clusion suivante formulée par Mgr Puyol : « Hilton a
fait (?) une recension et, sans doute, une traduction de
l'Imitation, mais il ne l'a pas composée. » Op. cit.,
p. 340, note 3.
M. Éd. Bernard a donné le catalogue des œuvres de
Hilton avec l'indication des bibliothèques où, de-
son temps, elles se trouvaient manuscrites : 1° Scala
perfectionis, in-fol. Londres 1494 in-4° 1507, 1059
2481
HILTON OU IIYLTON WALTER — HINCMAR
2482
trad. anglaise par le R. P. Guy, Londres, 1869; par le
P. Dalgairns... Morozzo appelle cet ouvrage Scala
spirilualis et dit qu'il se trouve ms. à Oxford, au collège
de la Madeleine. Cependant Baie et Fabricius ont
marqué ces deux traités spirituels comme étant des
ouvrages distincts; 2° De castitale et munditia sacer-
dotum, lib. I, ms. à Gand chez les dominicains et dans
l'abbaye Isaacensi, d'après Morozzo. Il y a trois édi-
tions d'un ouvrage anonyme ayant le même titre et
faussement attribué à saint Bonaventure : Liber de
castitate et munditia saccrdotum et cœterorum altaris
ministrorum, Leipzig, 1491, 1498 et 1499. Cf. Hain,
Repertorium, n. 3504-3505; Opéra S. Bonaventurœ,
Quarracchi (Florence), t. vm-(1898), Prolegomena,
p. cxvi.n. 18; 3° W. de Hilton Epistohv, recueil ms. du
British Muséum de Londres, indiqué dans le Diction-
naire des manuscrits de Migne, t. n, col. 123, n. 115;
4° Traciatus de nobilitate animœ, divisé en deux livres,
dont le Ier a 93 chapitres et le IIe en a 47; une copie
ms. sur papier, datée de 1498, se trouve à la biblio-
thèque publique de Marseille, sous le n. 729; 5° Epis-
iola magislri W. Hilton de utilitale et prœrogativis reli-
gionis, et prœcipue ordinis carlusiensis ad magislrum
Jo. Torpe. Cette lettre se trouve à présent réunie à
plusieurs autres traités de W. Hilton, dans le codex ms.
du collège de la Madeleine d'Oxford, n. 2234.93. Elle
a été mal intitulée par les anciens bibliographes. Ainsi
Fabricius donne le titre : De origine religionis d'après
Pits, et deux fois De utilitale religionis selon Baie;
Morozzo la partage en trois livres divers intitulés :
De origine religionis, De utilitale ejusdem, De prsero-
gativa religionis et a noté les bibliothèques où, de son
temps, on pouvait les trouver; 6° A dévote book, ms.
de 1608 existant à la bibliothèque royale de Bruxelles,
dite de Bourgogne, sous le n. 2545, et contenant la
traduction anglaise d'un traité ascétique de W. Hilton
dont le titre n'a pas étéautrementspécifié; 7° De conso-
lalione in tribulationibus ad magislrum Joannem Torpe;
8° De remediis contra lentalioncs carnis. Dans un recueil
ms. in-fol. de la Bibliothèque nationale de Paris se
trouve l'ouvrage de W. Hilton intitulé : Liber doctrinal
contra tribulaliones et carnis lentationes, qui probable-
ment a été formé par la réunion des deux livres pré-
cédents. Cf. l'art. Hilton, dans la Biographie univer-
selle de Michaud; 9° Baculus contemplalionis, ms.
latin; 10° De conlemplalione ad mulierem quamdam
devotam, ouvrage anglais et peut-être aussi en latin,
ms. au collège Saint-Benoît, à Cambridge; 11° Pro
sacris imaginibus, ou De tolerandis imaginibus, ms.
au collège de Lincoln à Oxford; 12° De modo sancte
vivendi, ms. à Zutphen, chez les frères mineurs;
13° De communi vita ad laicum; 14° De ascensionibus
spiritualibus ; 15° De idolo cordis; 16° De musica eccle-
siastica, et plusieurs autres traités qui, selon Morozzo,
se trouvaient ms. à la bibliothèque publique d'Oxford.
L'ouvrage De musica ecclesiastica commence comme
le Ier livre de l'Imitation par les paroles de l'Évangile :
Qui sequilur me, etc., et, en Angleterre, les manuscrits
cartusiens de Y Imitation ne donnent à cet ouvrage
d'autre titre que celui de Musica ecclesiastica. Cepen-
dant ces codices anglais ne contiennent pas uniformé-
ment les quatre livres de l'Imitaiion, comme on peut
le voir dans la liste suivante. Sur le continent, il y a un
autre manuscrit, également carlusicn, qui renferme les
trois premiers livres. C'est le codex appelé Burgensis II,
c'est-à-dire second ms. de l'Imitation provenant de
r ancienne chartreuse du Val-de-Grâces, près de Bruges,
en Belgique. Il se trouve à présent à la bibliothèque
royale de Bruxelles, dite de Bourgogne, sous le n. 15131
ou 15138. Quoi qu'il en soit des droits de W. Hilton
au titre d'auteur de l'Imitation ou de la plus ancienne
traduction anglaise de ce livre, divers critiques les lui
ont attribués.
Henri Warthon, Usserii de scripluris vernaculis Auc-
tarium, 1690; le docteur Lee, dans la préface de sa tra-
duction anglaise des opuscules de Thomas a Kempis,
1710; "Woldebrand Vogt, Conjecturée de auclore libri De
imitatione Christi, dans l'Apparalus lillerarius Sociela-
tis colligentium, collectio II; Weckel, 1. 118, p. 376 sq. :
cf. Mgr Puyol, L'auteur du livre de V Imitation de Jésus-
Christ, ne section, Paris, 1900, p. 151; Fabricius,
Bibliolheca latina médise et inflmœ œtalis, t. ni, p. 108;
Coolidge, Notes and queries, mars 1881; cf. Mgr Puyol,
loc. cit., p. 153; Jean-Charles Ingram, dans son étude
sur les trois plus anciennes traductions anglaises de
l'Imitation, Londres, 1893, a attribué à W. Hilton la
plus ancienne des versions faites en Angleterre. Cf.
Puyol, op. cit., ire section, Paris, 1899, p. 341. Selon
M. de Grégory, il y a eu autrefois des imitât ionistes qui
n'ont attribué à W. Hilton que le seul IVe livre de
l'Imitation, en s'appuyant sur le titre suivant d'un des
deux codices mss appartenant au monastère de Saint-
Micbel de Venise, et signalés par Mittarelli : Incipit
dévolus traciatus de sacramento altaris a quodam mona-
cho ordinis cartusiensis.
Mgr Puyol a publié la liste des manuscrits qui con-
tiennent l'Imitation sous le titre de De musica ecclesias-
tica. Descriptions bibliographiques des manuscrits... du
livre De imitatione Christi, Paris, 1898.
Outre les imitationistes, Pits, Baie, Possevin, Gesner,
Petrejus, Morozzo, Oudin, Fabricius, les Biographies de
Michaud et de Didot.
S. Auto re.
1. HINCMAR, archevêque de Reims, naquit vers
l'an 806. Il appartenait à une ancienne et noble famille
de France. Sérieux et bien doué, l'enfant fut envoyé
à l'abbaye de Saint-Denis où, sous la direction de
l'abbé Hildwin, il reçut une éducation remarquable.
A la cour de Louis le Pieux, où il avait suivi Hildwin,
Hincmar s'initia à l'an de gouverner. Mais ce n'est
qu'en 834, après avoir accompagné son protecteur dans
son exil en Saxe, qu'il entra officiellement au service de
l'empereur.
A la mort de Louis le Pieux, il s'attacha à la fortune
de Charles le Chauve, dont il resta toujours un sujet
dévoué et incorruptible. Sa loyauté vis-à-vis de son
roi devait lui valoir l'hostilité tenace de l'empereur
Lothaire. Au sujet de cette longue lutte, voir Lesne,
Hincmar et l'empereur Lothaire, élude sur l'Église de
Reims au j.re siècle, Paris, 1905.
Cependant, malgré certaines oppositions, Hincmar
fut élu au siège métropolitain de Reims, vacant depuis
la déposition d'Ebbon, par les évoques des provinces
de Reims et de Sens, réunis au concile de Beauvais
(18 avril 845). Aussitôt il mit sa jeune énergie à réfor-
mer l'Église soumise à sa juridiction, surtout au concile
de Meaux (847), à réorganiser son diocèse et à recon-
quérir les biens ecclésiastiques aliénés.
L'opposition qu'il ne cessa de manifester aux préten-
tions de l'empereur, dès le début de son épiscopat, lui
causa de graves ennuis. Lothaire, en effet, désirant
avoir à Reims, dont dépendait une partie de son terri-
toire, un homme gagné à son ambition, voulut dépossé-
der Hincmar de son siège. On trouva facilement un
prétexte. Hincmar avait déposé un certain nombre de
clercs, comme illégitimement ordonnés par Ebbon
après sa réintégration anticanonique de 840. Ebbon
se saisit de cette occasion pour remettre en question
la légitimité de sa déposition et les clercs réclamèrent
contre la mesure qui les frappait. Les prétentions
d'Ebbon ne trouvèrent point d'appui à Rome et les
évêques de la Gaule les repoussèrent. Quant aux récla-
mations des clercs, elles aboutirent à la déclaration du
concile de Soissons (853), que leur ordination était
invalide et leur déposition régulière. Léon IV refusa
de sanctionner cette décision, mais elle obtint l'appro-
2483
IIINCMAR
2484
bation de Benoît III, sous cette réserve toutefois, que
le rapport d'Hincmar reposait sur l'exacte vérité.
C'était la victoire définitive d'Hincmar. Cf. L. Sallet,
Les réordinations, Paris, 1907. p. 129-137.
Entre temps avait éclaté la lutte de la double pré-
destination que souleva Gottescale. Entendu et con-
damné au concile de Mayence (848), le moine saxon
fut ensuite livré à Hincmar, son métropolitain, auquel
incombait le soin de le punir et de le ramener à la
véritable doctrine. Enfermé à Hautvillers, Gottescale,
isolé de la lutte, ne put continuer lui-même sa propa-
gande, mais il trouva des collaborateurs. Cependant la
bataille ne reprit qu'à l'occasion d'un écrit d'Hincmar
sur les théories de. Gottescale et intitulé : Ad reclusos
et simplices in Remensi parochia, P. L.,t. cxn, col. 1519.
Cet opuscule provoqua une réponse pleine de vigueur
et d'esprit due à la plume de Ratramne, moine de
Corbie.
Dédaignant une controverse avec un simple moine
ou incapable de lui répondre, Hincmar fit appel à des
■concours amicaux. Nous possédons les réponses de
Loup de Ferrières, Epist., cxxix, ad Ilincmarum,
P. L., t. exix, col. 606-608, et de Prudence de Troyes,
P. L., t. cxv, col. 971-1018. Leur exposé de la doctrine
ne le satisfit point, car il ne cadrait pas avec ses théo-
ries et même les contredisait souvent. 11 sollicita alors
le secours de Raban Maur, qui, prétextant son grand
âge et l'inutilité de la discussion, se récusa. Aban-
donné de ce côté et poussé par de nouvelles attaques,
il s'adressa à Jean Scot, qui, dès 851, écrivit son De
divina prœdeslinalione, P. L., t cxxn, col. 355-440.
Ce livre où les sophismes abondent déchaîna une véri-
table tempête contre son auteur et son instigateur et
provoqua une réponse passionnée de Prudence de
Troyes, P. L., t. cxv, col. 1009-1376, et une autre
d'un anonyme de la province de Lyon, P. L., t. exix,
col. 101-250. L'appui qu'Hincmar trouva dans Amolon
de Lyon, qui condamna de nombreuses propositions
tirées des théories de Gottescale, Epist. ad Gofhcs-
ch deum, P. L., t. cxvi, col. 8 1-96, fut passager, et, l'ar-
chevêque étant mort, Hincmar reçut de Lyon un écrit
où sa personne et ses théories étaient malmenées,
P. L., t. cxxi, col. 985-1068.
Au fond, la querelle n'était qu'une question de mots
•et les deux camps ne s'écartaient point de l'orthodoxie.
Hincmar et ses amis se plaçaient sur le terrain pratique
•et moral et défenda'ent avec âpreté la liberté et la
possibilité pour chacun d'opérer son salut, les autres
se lançaient dans des théories spéculatives, voulant
préserver de la moindre atteinte lr toute-puissance
absolue de Dieu. Mais dans l'ardeur de la lutte les uns
et les autres s'accusaient réciproquement ou de
semi-pélagianisme ou de prédestinatianisme.
Bientôt la lutte, jusqu'ici purement littéraire, allait
continuer dans les conciles. Au synode de Quierzy
(853), convoqué en toute hâte par Charles le Chauve,
qui voulait mettre un terme à ces vaines discussions,
les quelques prélats présents formulèrent leur doctrine
en quatre articles. De Lyon arriva bientôt la réponse
à la définition conciliaire et cela sous forme d'une
critique acerbe de chacun des articles. P. L., t. cxxi,
col. 1083-1134. Mais ce n'était qu'un prélude. Les
évêques des provinces de Lyon, Vienne et Arles,
rassemblés au concile à Valence (8 janvier 855), pu-
blièrent 23 canons, rédigés par Ebbon, évêque de
Grenoble et neveu de l'ancien archevêque de Reims.
Six de ces canons sont une riposte directe aux quatre
articles de Quierzy.
Obligé de se défendre, Hincmar prit la plume et
rédigea un ouvrage en trois livres dont il ne reste que
la dédicace au roi. P. L., t. cxxv, col. 49-56. Bientôt
il (tait l'objet d'une nouvelle attaque de Prudence de
Troyes. Epist. ad Wenil, P. L., t. cxv, col. 1365-1368.
Visé à nouveau par les conciles de Langres et de
Savonières (859), Hincmar composa pour sa défense
son grand ouvrage : De prœdestinatione Dei et libero
arbitrio, P. L., t. cxxv, col. 55-474, qui n'est qu'une
compilation de textes empruntés à l'Écriture et aux
Pères, où l'ordre et la clarté font presque totalement
défaut. Il est à peu près nul au point de vue théolo-
gique. Toute son argumentation, qui revient, sous
mille formes différentes, consiste en ceci : que si Dieu
prédestine les méchants à l'enfer, il est lui-même l'au-
teur du péché, puisque c'est le péché qui mérite l'enfer.
Il semble confondre la prescience de Dieu et la pré-
destination, qui n'en est qu'une conséquence.
Enfin, au concile de Thusey (octobre 860) une récon-
ciliation au moins apparente se produisit entre les
adversaires et la lutte cessa.
Dès le début de la controverse sur la prédestination,
Hincmar s'était élevé contre la formule trina deitas,
comme contraire à la foi et équivalente de deitas
triplex. Il l'avait remplacée par summa deitas dans
l'hymne Sanctorum meritis inchjla gaudia, du commun
de plusieurs martyrs. Des protestations véhémentes
se produisirent contre ce changement arbitraire, sur-
tout parmi les moines,et l'un d'eux, Ratramne, écrivit
contre Hincmar un ouvrage entier, perdu aujourd'hui.
Encouragé par l'exemple du moine de Corbie, Gottes-
cale publia plusieurs écrits dont l'un seulement nous a
été conservé par Hincmar, qui le cite. Certaines de ses
expressions prêtaient à la critique et avaient des ten-
dances ariennes. L'occasion s'offrait bonne à Hincmar
pour attaquer son vieil adversaire. Aussi écrivit-il
contre lui sa Collectio ex sacris Scripluris et orthodoxo-
rum dictis de una et non trina deitate, sanctse videlicel
et inscparabilis trinilalis unilate ad refellendas Gothes-
chalci blasphemias cjusque nsenias refutandas, P. L..
t. cxxv, col. 473-618, rédigée probablement entre 864
et 868. L'auteur, au lieu de développer les principes
de la doctrine, s'attache pas à pas aux affirmations
de son adversaire et les réfute les unes après les autres.
Cette méthode l'oblige à de multiples répétitions, iné-
vitables, mais fatigantes. De plus, comme toujours,
son argumentation consiste uniquement dans un
amoncellement de citations patristiques et passe
souvent à côté de la question sans la toucher. En fait
de raisonnement, il ne connaît que le principe d'auto-
rité.
On ne sait point si, après l'apparition de cet ouvrage,
la lutte continua. Mais il est probable qu'Hincmar
fit le nécessaire pour que le prisonnier d'Hautvillers
fût réduit au silence.
Ces deux questions de la prédestination et de la
formule trina deitas sont les seules où Hincmar ait
cherché à faire preuve de connaissances théologiques.
Il est même probable que. sans l'occasion que lui fournit
Gottescale, il se serait peu intéressé aux controverses
dogmatiques. Voir col. 1500-1502.
Cependant on peut glaner çà et là dans ses écrits
quelques-unes de ses idées sur des points particuliers.
Ainsi il croit au changement réel du pain et du vin au
corps et au sang du Christ et s'élève contre les théories
de Scot, qui ne voit dans l'eucharistie qu'une figure ou
un mémorial. Sirmond, Hincmari opéra, Paris, 1645,
t. i, p. 767; t. ii, p. 97 sq., 141, 844. Comme Radbert,
il semble croire que la communion ne nourrit pas seule-
ment l'âme, mais aussi le corps, Sirmond, t. il, p. 844;
Carmen ad B. M. V., vers 45 sq., et comme lui il con-
fesse l'identité du corps eucharistique du Christ avec
celui qui fut attaché à la croix, Sirmond, t. h, p. 90,
844, et que la messe est le renouvellement quotidien
du sacrifice de la croix. Sirmond, t. n, p. 90,97. Ses
théories sur ces différents points devaient être déve-
loppées dans son ouvrage sur les sacrements, aujour-
d'hui perdu. Il admet que le Christ a quitté le sein de
2485
HINCMAR
2486
la Vierge, non d'une façon naturelle, mais clauso
utero. Sirmond, t. i, p. 631, 762, 767. Il composa aussi
un livre sur la vénération des images du Sauveur et
■des saints, mais le titre seul nous en a été conservé.
A part ces quelques détails on ne trouve point chez
Hincmar des conceptions théologiques particulières.
Il est un théologien positif qui ne s'appuie que sur
l'autorité des Pères et de l'histoire.
Hincmar eut deux occasions de montrer ses vastes
connaissances du droit canon. La première lui fut
fournie par les évêques. de Lorraine qui, en 860, lui
posèrent d'abord vingt-trois questions, puis sept
autres au sujet de la répudiation par Lothaire de son
épouse Teutberge. Il fit droit à leur demande et écrivit
son De divorlio Lolharii et Teutbergse, P. L., t. cxxv,
■col. 623, où, sans se laisser influencer par la person-
nalité de l'époux qui était en jeu, il posa avec clarté
et précision les règles sévères de la doctrine. On le sent
sur son propre terrain. Ses décisions sont basées sur la
Bible et ses exégètes et sur le droit canon. Il s'appuie
même sur certaines pratiques de la vie quotidienne qui
témoignent d'une superstition incroyable. Interrog.
15, P. L., t. cxxv, col. 716 sq. Cf. Neues Archiv der
Gesellschafl fur altère Gcschichtskunde, 1905, p. 693-
701 ; Revue des questions historiques, 1905, p. 5-58.
Vers la même époque parut aussi son ouvrage : De
coeicndo et cxstirpando raptu viduarum, pucllarum
ac sanctimonialium, P. L., t. cxxv, col. 1077, adressé
au roi.
Mais nulle part ne s'étale avec autant d'ampleur et
de suite sa science du droit canon que dans son
Opuseulum LV capitulorum, P. L., t. cxxvi, col. 290-
494, dans lequel il combat son neveu, Hincmar de
Laon, qui, à l'aide du pseudo-Isidore, réclamait
l'indépendance des évêques vis-à-vis de leur métro-
politain. Il est regrettable que dans cette lutte il ne se
soit pas contenté de la plume, mais qu'il ait procédé
avec une certaine cruauté à l'égard de l'évèque révolté.
Aussi est-il jugé par les auteurs de l'Histoire littéraire
de la France avec une sévérité compréhensible.
Dans ses théories sur les relations du pouvoir ecclé-
siastique et du pouvoir civil, il est nettement pour la
subordination du second vis-à-vis du premier. Cf.
M. X. Arquillière, art. Gallicanisme, dans le Diction-
naire apologétique de la foi catholique, Paris, 1911, t. il,
col. 240-241.
Mais tous ces travaux ecclésiastiques n'absorbèrent
point son activité intellectuelle. Les questions pure-
ment politiques l'occupèrent aussi. C'est ainsi qu'il
écrivit : De régis persona et regio ministerio, P. L.,
t. cxxv, col. 833 ; De fide Carolo régi servanda, col. 961;
Pro institulione Carlomanni, col. 993.
Il s'essaya aussi dans la versification et nous avons
de lui quelques poèmes.
Des nombreuses lettres d'Hincmar il ne reste
qu'environ 80. Mais leur importance dépasse celle
d'une correspondance privée, car beaucoup traitent
de questions religieuses et politiques et s'adressent au
roi, au pape ou à des synodes et agitent de grands
problèmes. P. L., t. cxxvi, col. 9 sq.
Hincmar fut aussi historien. Ce titre, cependant, il ne
le mérite point par la Vie de saint Rémi. P. L., t. cxxv,
col. 1129, qu'il écrivit en 878. Elle n'est, en effet, qu'un
ouvrage d'édification et un développement souvent
subjectif de la Vie composée par Fortunat. C'est une
œuvre historique tout à fait inférieure.
Il se montre sous un jour meilleur dans les Annales
de Sainl-Bertin, dont il fut le continuateur de 861 à 882.
Il mêle aux faits des considérations générales qui
témoignent d'une ampleur de vue considérable et
d'un esprit pénétrant. Mais on y retrouve son style
compliqué et maniéré, qui nuit à la clarté de l'expo-
sition.
Sa vie extrêmement agitée s'acheva le 21 dé-
cembre 882. 11 avait composé lui-même les vers qui
devaient orner son tombeau.
Flodoard, Historia Remcnsis ecclesiœ libri III, dans
Monumenta Germaniœ, Scriplores, t. un, p. 475 sq. ; Histoire
littéraire de la France, t. v, p. 544-594 ; Gess, Merkwiïrdig-
keilen aus déni Leben und den Schriften Hinkmars, 1806 ;
C. Diez, De Hincmari vita et ingenio, Sens, 1859 ; Noorden,
Hinkmar, Erzbischof von Reims..., Bonn, 1863 ; Loupot,
Hincmar, archevêque de Reims, sa vie, ses œuvres, son
influence, Reims, 1869; Vidieu, Hincmar de Reims, Paris,
1879; Sdraleck, Hinkmars von Reims kanonistisches Gutach-
ten ùber die Ehescheidung des Kônigs Lothar II, Fribourg-
en-Brigsau, 1881; Schrors, Hinkmar von Reims, sein Leben
und seine Schriften, Fribourg-en-Brisgau, 1884; Gundlach,
dans Zeitschrift fur Kircliengeschichte, t. x, p. 93-258;
Lesne, Hincmar et l'empereur Lothaire, étude sur l'Église
de Reims au IXe siècle, Paris, 1905; Manitius, Ilandbuchder
klassischen Altcrtumswissenchaft, Munich, 1911; Hurter No-
menclator, Inspruck, 1903, t. i, col. 801-806. Sur les querelles
avec Gottescale, Mabillon, .4c/a sanctorum ordinis S.Rene-
dicli, t. iv 6, p. lviii-lxxiv ; H. Freystedt, dans Zeitschrift
fur Kirchengeschichle, 1897, t. xvni a, p. 161 et 529, et dans
Zeitschrift fur wissenschuflliche Théologie, 1892, t. xxxvi ;
Hefele Histoire des conciles, trad. Leclercq, Paris, 1911,
t. iv a, passim, spécialement p. 197-206, 220-227, 232-237.
H. Netzer.
2. HINCMAR, évêque de Laon, naquit dans le
Boulonnais. Il était par sa mère le neveu de l'arche-
vêque de Reims, Hincmar, qui se chargea de son édu-
cation. A la mort de Pardule, évêque de Laon et grand
ami de sou oncle, le jeune clerc fut élevé à l'épiscopat
et succéda à Pardule (début de 858).
Sa vie peut se résumer dans la lutte qu'il soutint
contre son oncle. L'évèque de Laon, en effet, s'éleva
contre les prétentions d'Hincmar de Reims qui ten-
daient à augmenter de plus en plus la dépendance des
suffragants vis-à-vis du métropolitain. Il revendiqua
àprement le droit des évêques en s'appuya nt sur
le pseudo-Isidon . Emprisonné quelque temps par
Charles le Chauve pour avoir défendu les biens ecclé-
siastiques contre les usurpations royales et avoir
refusé de reconnaître la compétence des tribunaux
civils dans les conflits ave; les évêques, il jeta l'inter-
dit sur son diocèse pour la durée de sa captivité. Son
oncle leva cette peine et la lutte sourde allait devenir
violente.
Elle éclata à l'occasion de la fête célébrée à Gondre-
ville pour la prise de possession de la Lorraine par
Charles (novembre 869). Hincmar de Laon y publia
pour sa défense une collection de textes tirés du pseudo-
Isidore, P. L., t. cxxiv, col. 1001-1026. Son oncle
lui répondit par son Opuseulum LV capitulorum,
P. L., t. cxxvi, col. 290-494, dans lequel il porte une
foule d'accusations contre son neveu. Toutes les
tentatives de réconciliation furent vaines et Tévêque
de Laon reprit la plume contre son métropolitain pour
l'attaquer de la façon la plus acérée. P. L., t. cxxiv,
col. 1027-1070.
Le synode de Douzy (août 871), que présidait
Hincmar de Reims, appela la cause à son tribunal.
L'évèque de Laon fut déposé et privé du droit de
remplir toute fonction sacerdotale.
Adrien II, à qui Hincmar en avait appelé, demanda
la revision du procès et exigea de surseoir à la nomi-
nation d'un successeur. L'archevêque de Reims et
les évêques français protestèrent contre cette décision
du pape, qui cessa toute intervention dans l'affaire.
Jean VIII, à l'occasion du couronnemsnt de Charles le
Chauve (Noël 875), approuva la déposition d'Hincmar,
qui fut exilé et emprisonné un certain temps. Le
comte Bezon de Vienne lui fit crever les yeux et ce
n'est que sur l'intervention, auprès de Jean VIII,
des évêques réunis en concile à Troyes (août 878)
que son sort fut adouci. On lui rendit une partie des
24S7
HINCMAR _ HIPPOLYTE (SAINT,
2488
revenus du diocèse, et il lui fut permis de célébrer la
niasse pontiiicalement. 11 mourut l'année suivante.
Cellot, Vila Hincmari junioris, dans son Concilinm Duzia-
ccnse, Paris, 1658, p. 1-60; P. L., t. c&.mv. col. 967-97S;
Histoire littéraire de la France, t. v, p. 522; Schrôrs, oans le
J-'irchenlexikon; Hetele, Histoire des conciles, trad. Leclerrq,
Paris, 1911, t. iv b, p. 613-619; Hurter, Nomenclator,
Iuspruck, 1903, t. i, col. 806-807.
H. Netzer.
HIPPOLYTE (Saint).— I. Sa personne. II. Ses
œuvres. III. Sa théologie.
I. Sa personne. — Nulle personnalité de l'ancienne
Église chrétienne n'est restée aussi longtemps et aussi
profondément mystérieuse que celle d'Hippolyte. A
vrai dire, c'est seulement depuis le milieu du xixe siècle
qu'elle commence à s'éclairer. Groupés par les critiques,
les renseignements épars dans l'antiquité ecclésiastique
nous permettent de faire revivre cette première grande
apparition de la théologie occidentale au début du
111e siècle. Nous commençons à entrevoir en Hippolyte
un docteur aussi illustre et plus informé que son con-
temporain Origène, un homme d'Église d'allure aussi
hautaine que les plus grands évêques du me siècle,
un antipape qui, durant plusieurs années, élève chaire
contre chaire dans la communauté romaine, un confes-
seur et un martyr enfin, qui rachète, par son sacrifice
et sa pénitence un peu tardive, les égarements passa-
gers où l'a entraîné son orgueil.
Or, tout cela, les premiers historiens et les premiers
critiques ecclésiastiques l'ont ignoré à peu près complè-
tement. Moins d'un siècle après la mort d'Hippolyte,
Eusèbe, qui dans la bibliothèque de Jérusalem avait
trouvé les œuvres du docteur romain, en donnait un
catalogue volontairement incomplet; mais s'il con-
naissait le caractère épiscopal d'Hippolyte, il ne pou-
vait dire de quelle Église il avait été le chef. H. /•;.,
1. VI, c- xx et xxn. Cinquante ans plus tard, saint Jé-
rôme complétait dans le De viris illustribus, 61, le cata-
logue des œuvres d'Hippolyte donné par Eusèbe; dans
ses commentaires sur les Écritures, il citait à plusieurs
reprises le premier exégète occidental; dans plusieurs
de ses lettres il y faisait allusion, mais, tout comme
Eusèbe, il avouait son ignorance relativement au siège
épiscopal occupé par Hippolyte. Voir la collection com-
plète des références de saint Jérôme, dans Lightfoot,
The apostolic Fathers, part. I, Londres, 1890, t. n,
p. 329-331, et dans Harnack, Geschichie der allchristli-
chen Lillcratur, t. i, p. 611. Si les érudits les plus consi-
dérables du ive siècle sont si maigrement renseignés
sur la personne d'Hippolyte, comment s'étonner que
les écrivains moins érudits de l'ancienne littérature
chrétienne aient ignoré complètement, sinon les écrits,
au moins le personnage du docteur romain ?
Chose, curieuse, c'est en Occident, à Rome, sur le
théâtre même de son activité, qu'Hippolyte a été le
plus méconnu. Écrites en grec, à une époque où le latin
prenait dans l'Église romaine une place de plus en plus
considérable, ses œuvres seraient bientôt illisibles pour
le commun des théologiens; émanées d'un schisma-
tique, elles devaient soulever contre elles pas mal de
préjugés. Ces deux circonstances expliquent à peine
l'oubli profond dans lequel sont tombées en Occident
les productions d'Hippolyte. Au dire de saint Jérôme,
saint Ambroise, pour la rédaction de son Hcxaméron,
aurait mis largement à contribution Hippolyte. Episl.,
lxxxiv, P. L., t. xxn, col. 743. Saint Jérôme lui-
même, quelquefois en les citant, très souvent peut-être
sans le dire, a utilisé les œuvres de son prédécesseur.
Le pape Gélase (492-496), en recueillant les témoi-
gnages relatifs à la double nature du Christ, a cité
d'Hippolyte un fragment de quelques lignes (texte
dans de Lagarde, p. 30-31; cf. Biblioihcca Palrum
Lugduncnsis, t. vin, p. 704). Et c'est tout pour l'Occi-
dent, puisque l'on ne peut faire état de l'utilisation
par le donatiste Tichonius du commentaire sur l'Apo-
calypse. Et pendant que les érudits achevaient de
perdre le souvenir des œuvres d'Hippolyte, la légende
s'exerçait en paix sur sa mémoire. Dans l'inscription
à l'endroit même de sa sépulture, le pape Damase
(366-384) fait de l'antipape de 218 un prêtre attaché
au schisme de Novat (après 251). Le te'xte est dans
De Rossi, Inscriptiones chrislianze urbis Romœ, Rome,
1887, t. ii, p. 82. Prudence s'empare de cette donnée
fantaisiste de Damase, et en fait le thème d'un des-
plus beaux poèmes du Péri Stephanon. De passione
sancti Hippohjti, P. L., t. lx, col. 530-556. Mais voici
qui est mieux. Le roman composé au vie siècle sur le
martyre de saint Laurent, fait une place à Hippolyte.
Mais ce dernier a quitté la toge du docteur pour la
chlamyde du soldat; il est devenu vicaire du préfet de
Rome. Chargé en cette qualité de la garde du diacre
romain, il se convertit à la vue des miracles opérés par
Laurent, et meurt martyr avec sa nourrice Concordia
et dix-huit autres personnes. Texte du martyre dans
de Lagarde, p. v-xm. C'est sous ce déguisement
qu'Hippolyte figure aujourd'hui encore au bréviaire
romain et au martyrologe, le 13 août. Un peu aupa-
ravant la confusion s'était encore établie entre notre
docteur et un martyr du même nom enterré à Porto.
C'est ce qui explique le titre d'évêque de Porto (epi-
scopus Porluensis), attribué à Hippolyte par plusieurs
documents. Le Porto dont il est ici question est évi-
demment le Portus romanus de l'embouchure du Tibre,
à quelque distance d'Ostie. On a demandé comment le
pape Gélase a pu faire d'Hippolyte un évèque de
Bostra en Arabie, et comment, encouragés par cette
distraction singulière, quelques critiques modernes
sont allés chercher jusqu'au sud de l'Arabie, aux
environs d'Aden, un Portus romanus où ils pussent
situer cet évêque en disponibilité. De tous les Occiden-
taux, le Chronographe de 354 est le seul à fournir sur le
compte d'Hippolyte des renseignements exacts, encore
que très certainement incompris de lui-même et de ses
lecteurs. Dans sa liste des évêques romains, première
ébauche du Liber pontiftcalis, il donne à propos du
pape Pontien le renseignement suivant : Eo temporc,
Ponlianus episcopus et Hippolylus prcsbylcr exules sunt
deporlali in Sardinia in insula vocina ( = nociva),
Severo et Quintiano coss. (en 235) in eadem insula
discinctus est (il démissionna) VI kal. octobr. et loco ejus
ordinalus est Anlheros xi kal. dec. coss. suprascriplis ;
et dans la liste des dépositions- de martyrs, on lit aux
ides d'août : Hippolyti in Tiburtina et Pontiani in
Callisti. Monumenla Germanise historica, Auclorcs
anliquissimi, t. ix, p. 74-75, 72.
Sans mieux connaître le personnage d'Hippolyte,
les Orientaux, à partir du ive siècle, ont fréquemment
cité les ouvrages de notre docteur. Apollinaire de
Laodicée le mentionne à propos de Daniel, n et vu.
Mai, Scriptorum vcterum nova collectio, t. i b, p. 173.
Épiphane le cite, Hser., xxxi, 33, P. G., t. xli, col.
540, et lui emprunte une bonne partie des renseigne-
ments contenus dans le Panarion. Palladius (vers 421)
consigne dans l'Histoire Lausiaque un récit qu'il a lu
dans Hippolyte, un homme, dit-il, de la génération
apostolique. P. G., t. xxxm, col. 12-51. L' Eranistes
de Théodoret (en 446) donne à diverses reprises plu-
sieurs citations d'Hippolyte, évêque et martyr. P. G.,
t. lxxxiii, col. 85, 172, 176, 284, 332, 401 (en tout
dix-sept citations et quelques références). Vers 500,
André de Césarée, dans son commentaire sur l'Apoca-
lypse, fait appel à plusieurs reprises à Hippohlc.
Cramer, Calenie in Apocahjpsim, p. 176. Cyrille de
Scythopolis, en 555, dans la Vita sancli Euthymii,
Cotelier, Ecclcsise grœcœ monumenta, t. iv, p. 82, s'en
rapporte aux données chronographiques du docteur
2489
HIPPOLYTE (SAINT;
2490
romain. A peu près à la même époque, Léonce de
Byzance mentionne parmi les Pères anténicéens
Ignace, Irénée, Justin, et les évêques romains Clément
et Hippolyte. P. G., t. lxxxvi, col. 1213. Quelques
années plus tard, vers 578, Eustrate de Constantinople
renvoie au commentaire sur Daniel composé par Hip-
polyte, martyr et évêque de Rome. Vers la fin du
vie siècle, Etienne Gobar, au dire de Photius, Bibliotheca,
cod. 232, P. G., t. cm, col. 1104-1105, cite à trois re-
prises l'autorité d'Hippolyte. On trouvera dans
Harnack et dans Lightfoot, loc. cit., les autres réfé-
rences des auteurs byzantins, assez nombreuses entre
le vne et le xne siècle. Les plus importantes sont celles
données par Photius. Le célèbre érudit analyse som-
mairement, Bibliotheca, cod. 48, P. G., t. cm, col. 84-
85, un ouvrage intitulé: EUpt toû Traytoç, ou encore Ilept
Tïjç xou zavTo; aÎTta;, ou encore Ilspi xfjç tou rcavrà; oûaîaç,
attribué par certains manuscrits au juif Josèphe.
Il n'a pas de peine à montrer l'inexactitude de cette
attribution, et, cherchant à identifier l'auteur, il
hasarde le nom de Caius, un prêtre (?) qui résidait à
Rome et à qui l'on attribuait également le Labyrinthe.
A la fin de ce dernier traité, sur lequel nous revien-
drons, l'auteur déclarait avoir également composé un
livre sur l'essence de l'univers. L'attribution (fautive
d'ailleurs) à Caius du Labyrinthe entraînait donc
aussi la composition par ce même auteur du Ilepi to3
-avTôç. Le cod. 121 de la Bibliothèque, ibid., col. 401,
donne le signalement d'un ouvrage qui est marqué
expressément comme étant d'Hippolyte, un disciple
d' Irénée. C'est un traité contre trente-deux hérésies,
commençant par les dosithéens et allant jusqu'à Noët
et les noétiens. Enfin le cod. 202, ibid., col. 673, men-
tionne le commentaire d'Hippolyte, évêque et martyr,
sur Daniel et le traité sur le Christ et l'Antéchrist dont
Photius analyse rapidement le contenu.
On voit par ces diverses références que les Byzantins
n'avaient pas complètement perdu de vue le grand
docteur romain. Au xive siècle, Nicéphore Calliste, H. E.,
1. IV, 31, P. G., t. cxlv, col. 1052, pouvait donner un
catalogue de ses œuvres plus complet que ceux d'Eu-
sèbe ou de saint Jérôme. Les Orientaux de diverses
langues avaient traduit depuis longtemps les ouvrages
d'Hippolyte; c'est partiellement par des versions
syriaques, arabes, arméniennes, coptes, slavonnes,
géorgiennes, que nous pouvons aujourd'hui restituer
une partie de l'œuvre de cet écrivain. A la fin du
xme siècle, le nestorien Ebed-Jesu, au n. 7 de son
catalogue, signalait les œuvres principales d'Hippo-
lyte, dans Assémani, Bibliotheca orientalis, t. m, p. 15;
il est très vraisemblable que les œuvres signalées
étaient à l'époque traduites en syriaque. Un siècle
avant lui, Denys Barsalibi, dans un commentaire
encore inédit sur l'Apocalypse, citait cinq fragments
d'un ouvrage d'Hippolyte contre Caius.
C'est au xvie siècle qu'une découverte inattendue
attire soudainement l'attention des critiques ecclésias-
tiques sur Hippolyte et son œuvre. En 1551, on mit
au jour dans le Cimetière d'Hippolyte, sur la voie
Tiburtine, une statue représentant le docteur romain,
en costume de philosophe, assis sur une cathedra de
forme antique. La tête de la statue avait disparu;
mais sur diverses surfaces du siège on pouvait lire des
inscriptions qu'on a fini par identifier. Voir dans P. G.,
t. x, col. 881-885, une reproduction de la statue, d'ail-
leurs fortement restaurée, telle qu'on la voit au musée
du Latran; pour les inscriptions, le meilleur texte dans
Harnack, Altchristliche Litteratur, p. 606-610. La sta-
tue est certainement du me siècle; elle a été érigée peu
de temps sans doute après la mort d'Hippolyte, peut-
être même de son vivant, par les admirateurs du
maître. Ils n'ont pas voulu que la postérité ignorât les
titres du docteur à leur reconnaissance, et ils ont gravé,
d'abord sur les deux côtés du siège, le cycle pascal
imaginé par Hippolyte, ensuite sur la partie incurvée
du dossier, à main droite d'un observateur regardant
dans la même direction que la statue, une liste, volon-
tairement incomplète, de ses ouvrages. La sagacité
des épigraphistes et des critiques s'est exercée sur cette
liste, sans jamais la tirer complètement au clair. C'est
en combinant les données de l'inscription avec celles
que fournissaient Eusèbe, Jérôme et Nicéphore Cal-
liste qu'on a commencé à se rendre un compte plus
exact de l'activité d'Hippolyte. En 1716 et 1718
J. A. Fabricius donnait une première édition d'en-
semble, que Migne a reproduite, P. G., t. x, col-
261-962. Mais l'on peut dire que, si le théologien com-
mençait à réapparaître dans ces fragments souvent
informes, l'homme restait toujours aussi profondément
inconnu; et les conjectures allaient leur train sur le
compte de ce mystérieux personnage.
Seule la publication des Philosophoumena, 1851, per-
mettrait de retracer d'une manière certaine les phases
principales de l'activité d'Hippolyte. Ce nom est appli-
qué, d'une manière fort impropre d'ailleurs, à un
traité contre les hérésies dont la principale caractéris-
tique est de rattacher chacune des erreurs contre le
dogme chrétien à un système philosophique grec,
préalablement bafoué. Le Ier livre, exposé des opi-
nions philosophiques, était connu et publié depuis
1710, par J. Gronovius, Thésaurus grœcarum antiqui-
tatum, t. x. En 1842, Minoides Mynas découvrit au
Mont-Athos et apporta en France une partie considé-
rable (peut-être tout le reste) de l'ouvrage conservé
dans un manuscrit du xive siècle. Le tout fut publié,
sous les auspices de Villemain, par E. Miller, qui attri-
bua à Origène la paternité de l'œuvre : Origenis Phi-
losophoumena, sive omnium hœresium refutatio, Oxford,
1851. Cette attribution fut vite contestée. Dès le
début du traité, l'auteur se donnait comme évêque;
il avait pris une part active aux discussions qui
avaient eu lieu à Rome lors de l'apparition du moda-
lisme; il s'était posé en adversaire du pape Zéphyrin,
en rival du pape Calliste. Aucun de ces traits ne pou-
vait convenir à Origène, dont la vie est si connue. A
qui attribuer les Philosophoumena ? Divers noms
furent mis en avant : Tertullien, dont la situation à
Carthage rappelait assez celle de l'auteur à Rome; le
prêtre (?) Caius, auquel Photius attribuait, bien
qu'avec des restrictions, la composition d'un Laby-
rinthe. Or l'auteur des Philosophoumena commence
son Xe livre en déclarant qu'il vient de détruire, dans
les livres précédents, le labyrinthe des hérésies; il fait
allusion, 1. X, p. 32, à un traité Llspl T7jç tou ^xvtoç oùai'a?
antérieurement composé par lui-même. Et Photius
avait lu en plusieurs manuscrits le nom de Caius à la
marge d'un traité du même nom. Dôllinger eut le
mérite de montrer dès 1853 que ces diverses hypo-
thèses devaient être écartées; résolument il désignait
Hippolyte comme le seul auteur possible des Philoso-
phoumena. Presque aussitôt sa démonstration rallia
l'ensemble des critiques. A la suite de la découverte
de l'épitaphe damasienne dont il a été question plus
haut, J.-B. De Rossi, il est vrai, contesta les principales
conclusions de Dôllinger. Hippolyte, partisan du
schisme de Donat, martyr dans une persécution qui
ne pouvait être antérieure à celle de Valérien, ne pou-
vait guère s'identifier avec un docteur romain, en
pleine floraison à l'époque de Zéphyrin, auteur d'un
schisme sous le pontificat de Calliste. Cette argumen-
tation, qui a pour point de départ la vérité des faits
rapportés par Damase, a, pendant quelques années,
empêché plusieurs critiques de se rallier à la thèse
de Dôllinger. Mgr Duchesne, dans son cours auto-
graphié sur les Origines chrétiennes, t. n, p. 332-352,
hésite encore à se prononcer pour l'attribution à
2491
HIPPOLYTE (SAINT)
2492
Hippolyte des Philosophoumena, et, sans se rallier
pleinement aux vues de De Rossi, il déclare que « la
tradition monumentale, liturgique, légendaire, qui se
développa autour du tombeau d'Hippolyte, ne per-
met pas d'affirmer qu'on ait eu à Rome au ive siècle
le moindre souvenir d'une attitude schismatique prise
par le docteur en face des papes ses contemporains. »
Mais à présent toutes les hésitations semblent définiti-
vement levées. La comparaison entre les ouvrages les
plus authentiques d'Hippolyte et les Philosophoumena
met en évidence une parenté d'expressions et de pen-
sées qui, à elle seule, autoriserait l'identification.
D'autre part, une fois que l'on a dans le texte de Pho-
tius remplacé par le nom d'Hippolyte celui de Caius
si timidement avancé par la critique, tout s'éclaire
dans les données de la tradition. Enfin et surtout
l'attribution des Philosophoumena à Hippolyte per-
met de relier d'une manière infiniment simple tous
les renseignements que nous possédons par ailleurs
sur le docteur romain. Dès lors comment faire état des
simples conjectures énoncées avec tant d'hésitation
par l'inscription damasienne ? Aussi Mgr Duchesne
attribue-t-il catégoriquement à Hippolyte la compo-
sition des Philosophoumena, dans son Histoire ancienne
de l'Église, Paris, 1906, t. i, p. 313.
Et voici la reconstitution du personnage d'Hippo-
lyte qui semble actuellement la plus plausible. Durant
le premier quart du ine siècle, le prêtre Hippolyte est
incontestablement la personnalité la plus marquante
de la communauté romaine. De ses origines nous ne
savons rien; Photius affirme par deux fois qu'il a été
disciple d'Irénée, mais il est bien difficile de tirer quel-
que chose de ce renseignement un peu tardif et peut-
être conjectural. Ce qu'il y a de certain, c'est que, vers
212, Origène venant à Rome assiste à une prédication
d'Hippolyte et celui-ci trouve le moyen de glisser un
éloge bien senti de son émule alexandrin. La capitale
de l'empire était à cette époque le théâtre de luttes
ardentes entre diverses tendances chrétiennes qui
toutes, par leur exagération, peuvent conduire à de
graves erreurs. Le problème trinitaire se posait avec
beaucoup d'acuité. Des deux notions de l'unité divine
et de la trinité des personnes, laquelle devrait l'empor-
ter? On spéculait beaucoup à cette époque, dans le
milieu romain, sur la monarchie divine, tant et si bien
que, pour la sauvegarder, certains, comme Théodote
de Byzance, Théodote le banquier et plus tard Arté-
mon, en étaient arrivés à sacrifier délibérément la divi-
nité de Jésus. Une telle doctrine différait trop du
christianisme authentique pour pouvoir se produire
longtemps sans attirer sur elle l'attention et les condam-
nations de l'autorité ecclésiastique. Tandis que le pape
Victor excommuniait Théodote, le prêtre Hippolyte
combattait avec énergie une doctrine si contraire à la
tradition chrétienne.
Mais presque aussitôt, d'autres chrétiens se mirent à
sauvegarder d'une manière toute différente l'unité,
la monarchie divine. Repoussant de toutes leurs
forces la théologie du Logos, qui avait son point de
départ dans le IVe Évangile et qui s'était développée
surtout par l'effort des apologistes, ils ne voulaient
admettre qu'une différence purement nominale entre
le Père et le Fils. Ces idées modalistes avaient déjà
subi deux échecs, l'un à Carthage, où Praxéas, leur
plus illustre représentant, avait été excommunié,
l'autre à Smyrne, où Noët avait encouru une condam-
nation du même genre, quand elles vinrent tenter la
fortune à Rome. Elles se présentaient en opposition
extrême avec la doctrine théodotienne qui venait
d'être condamnée; peut-être les échecs subi, à Car-
thage et à Smyrne avaient-ils rendu leurs partisans
plus modérés dans l'expression de leur pensée. Tou-
jours est-il que ces monarchiens d'un nouveau genre I
n'excitèrent d'abord aucune répulsion dans la masse
des fidèles. Le pape Zéphyrin, qui ne semble pas avoir
été très versé dans les subtilités théologiques, n'y vit
pas malice, lui non plus. 11 permit de fréquenter l'école
fondée par Cléomène, un des disciples de Noët. Phi-
losopha 1. IX, 6. Bref, pendant quelques années à.
Rome, on ne parla plus que de monarchie.
La prépondérance d'une telle doctrine ne faisait
pas l'affaire d'un docteur comme Hippolyte, tout
pénétré de la doctrine philosophico-théologique du
Logos. De toutes ses forces il résistait aux nouveaux
docteurs, leur arrachait parfois l'aveu de leurs erreurs,
mais les voyait très vite revenir à leurs idées premières.
Il avait entrepris tout spécialement d'éclairer Sabel-
lius, mais celui-ci, séduit, au dire d'Hippolyte, par les
belles paroles de l'archidiacre Calliste, oubliait très
vite les leçons reçues et retournait aux dogmes de
Cléomène. Il aurait fallu, d'après le prêtre romain,
une énergique intervention de l'autorité ecclésias-
tique. Or, Zéphyrin ne savait plus où donner de la tête.
Conseillé par Calliste, il faisait des professions de foi
que n'auraient pas désavouées Noët et ses disciples :
« Moi, disait-il, je ne connais qu'un seul Dieu, Jésus-
Christ, et, en dehors de lui, aucun autre qui soit né et
qui ait souffert»: Èyto oloa é'va ôsov Xpiaxàv ' Irjaouv xal
7rXvjV a'jxou é'xepov oùSÉva yîvrÎTOv xaî ^aOr]Tov. Il est
vrai qu'aussitôt il ajoutait : « Ce n'est pas le Père qui
est mort, mais le Fils » : où y ô riaTTjp àraÔavEV, àXÀà â
Yioç. Mais quand Hippolyte le pressait un peu vive-
ment, Zéphyrin ne pouvait s'empêcher de lui faire
remarquer le dithéisme latent dans ses formules :
àraxâXêt ï)|i£{ S'.âsouç. Philosoph., 1. IX, 11.
La discussion allait s'exaspérant de plus en plus.
La colère d'Hippolyte visait nettement, derrière le pape
en charge, son conseiller Calliste. Nous n'avons pas à
discuter ici les accusations portées contre ce dernier
par l'auteur des Philosophoumena. Voir t. n, col. 1384-
1387. Ce qu'il y a de trop certain, c'est que, le jour où
Calliste fut élu pour remplacer Zéphyrin, Hippolyte,
déçu peut-être dans ses ambitions, en tout cas fort
irrité contre son ancien adversaire, n'hésita pas à se
séparer de la communion du pape légitime. Il déclara
qu'il ne voulait avoir aucun rapport avec un pontife
fauteur d'hérésie; il fonda une Église en face de la com-
munauté romaine, et semble y avoir réuni un certain
nombre d'adhérents. Calliste, de son côté, ne voulut
pas qu'il fût dit qu'on se séparait de lui à cause de ses
doctrines; il excommunia Sabellius. Mais rejeter le
modalisme, ce n'était point, tant s'en faut, adhérer
pleinement à la théologie du Logos professée par
Hippolyte. Ce dernier persévéra donc dans son schisme.
Durant tout le pontificat de Calliste, il ne cessa d'atta-
quer avec la dernière injustice les actes, même les plus
raisonnables, de son rival, et sa rancune s'exhala
dans les Philosophoumena, dont la partie relative à
Calliste est un véritable pamphlet. Cette attitude
d'Hippolyte persévéra sous les deux successeurs • de
Calliste, Urbain et Pontien. Heureusement pour
l'honneur d'Hippolyte, la persécution vint mettre un
terme à cette situation sans issue. L'édit porté par
Maximin le Thrace, dès son arrivée au pouvoir, proscri-
vait les chefs des Églises comme responsables de l'en-
seignement de l'Évangile. Le pape Pontien fut arrêté;
Hippolyte l'antipape ne tarda pas à le rejoindre en
prison; l'un et l'autre furent frappés de condamnation
capitale : ils furent déportés aux mines de Sardaigne.
Dans les misères du bagne les deux confesseurs finirent
par se réconcilier; et, s'il faut en croire la tradition
rapportée par Damase, Hippolyte donna à ses adhé-
rents le conseil de se rallier à l'Église légitime. Ce qu'iL
y a de certain, c'est que, une fois la paix rendue à
l'Église, le pape Fabien obtint de faire transférer à
Rome les corps des deux confesseurs. Pontien fut
2493
HIPPOLYTE (SAINT
2494
enterré dans la catacombe de Calliste; Hippolytc, dans
une crypte de la voie Tiburtine. C'est là que ses admi-
rateurs lui élevèrent la statue découverte au xvie siècle.
C'est là aussi que, vingt ans plus tard, fut enterré le
diacre Laurent. La proximité des deux tombeaux faci-
litera plus tard la confusion des souvenirs, à une
époque où avait complètement disparu des esprits la
grande mémoire de l'illustre docteur romain.
Sur le personnage d'Hippolyte tous les travaux antérieurs
à 1851 sont à négliger complètement. Les études les plus
importantes sur le sujet sont les suivantes : I. Dôllinger,
Hippolylus wid Kallistus oder die Rômische Kirche in der
ersten Hàlfle des III Jahrhunderts, Ratisbonne, 1853; H. Chr.
Wordsworth, St. Hippolytus and the Church of Rome in the
early part of the n/century, Londres, 1853 et 1880; F. C. Over-
beck, Quœstionum Hippolylearum spécimen, Iéna, 1864;
Cruice, Études sur de nouveaux documents historiques emprun-
tés à l'ouvrage récemment découvert des Philosophumena,
Paris, 1853 ; Histoire de l'Église de Rome sous les pontificats de
Victor, de Zéphyrin et de Calliste, Paris, 1856.
La question est rouverte par De Rossi, nombreux articles
dans le Bullellino di archeologia christiana, dont on retrou-
vera le relevé exact dans Lightfoot, p. 308. Contre les vues
émises par De Rossi, Funk, Zur Ilippolytusfrage, dans His-
torisch-polilische Blàtter, 1882, t. lxxxix, p. 889-896; pour
De Rossi, Allard, Les dernières persécutions du III' siècle,
2« édit., Paris, 1898, p. 369-377.
Un résumé très complet de la question d'Hippolyte dans
Lightfoot, The apostolic Fathers, part. I, Londres, 1890, t. u,
p. 316-477; Lightfoot reste encore hésitant sur le person-
nage d'Hippolyte. Les dernières hésitations sont levées par
G. Ficker, Studien zur Hippolylirage, Leipzig, 1893, et sur-
tout par H. Achelis, Hippolytstudien, Leipzig, 1897, dans
Texte und Untersuchungen, t. xvi, fasc. 4. Une bonne re-
constitution de la vie d'Hippolyte dans Duchesne, Histoire
ancienne de V Église, t. i, p. 292-323.
II. Ses œuvres. ■ — ■ En s'aidant des catalogues
fournis par Eusèbe, saint Jérôme, Ebed-Jésu et Nicé-
phore Calliste, en contrôlant ces listes par les données
de l'inscription mutilée de la statue, en ajoutant les
références éparses dans l'ancienne littérature chré-
tienne, tant grecque et latine qu'orientale, on arrive
non sans peine à un inventaire à peu près complet des
œuvres d'Hippolyte. Mais la chronologie de cet en-
semble d'ouvrages est encore loin d'être arrêtée. Voir
un inventaire et un classement chronologique dans
A. d'Alès, La théologie de saint Hippolyte, Paris, 1906,
p. xlvii sq. A défaut de l'ordre chronologique, irréali-
sable, on adoptera ici l'ordre logique.
Éditions d'ensemble. — La première fut donnée par
J.-A. Fabricius, S. Hippolyti episcopi et martyris opéra
grœce et latine, Hambourg, 1716, t. i; 1718, t. n; Gallandi,
Bibliotheca veterum Patrum, Venise, 1766, t. n;P. G., t. x,
reproduit, partiellement, Fabricius; P. A. de Lagarde,
Hippolyti romani qux (eruntur omnia grœce, Leipzig et
Londres, 1858, édition faite un peu hâtivement comme
de Lagarde l'a reconnu lui-même. Il l'a complétée dans les
Analecta syriaca, Leipzig et Londres, 1858, p. 73-91, et dans
Ad analecta sua appendix, p. 24-28; collection de textes
orientaux dans Pitra, Analecta sacra, Paris, 18S3, t. iv
(par Paulin Martin). L'Académie des sciences de Berlin a
commencé la publication des oeuvres d'Hippolyte, dans Die
Griechischen christlichen Schri/tstcller der ersten drei Jahrhun-
derte; nous la désignerons par le mot édition de Berlin.
1° Œuvres de polémique. — 1. Philosophoumena,
titre incorrect et qu'il faudrait remplacer par celui de
Kaxà Ttauûv aipéastuv eXe-p/o;, réfutation de toutes les
hérésies. Ce livre n'a pas d'attestation en dehors de
Photius, qui le nomme le Labyrinthe, et l'attribue,
par simple conjecture, au prêtre (?) Caius. Nous avons
dit plus haut les circonstances de sa publication. On
admet d'ordinaire que l'ouvrage, tel que nous le possé-
dons, est incomplet, les 1. II et III auraient entière-
ment disparu. M. d'Alès a contesté cette idée généra-
lement admise. D'après lui, et son hypothèse semble
fort plausible, le 1. IV de Miller devrait se subdiviser
de la manière suivante. Les n. 1-27 formeraient le I. II,
consacré aux mystères du paganisme; mutilé au début
et à la fin, le livre serait néanmoins conservé en très
grande partie. Le 1. III, mutilé lui aussi à ses deux
extrémités, serait représenté néanmoins par un frag-
ment respectable, comprenant les n. 28-48. Enfin
les n. 49-51 seraient la partie principale du 1. IV de
l'original. Op. cit., p. 80 sq.
Si l'on admet cette hypothèse, on voit qu'il s'en faut
de peu que nous ne possédions l'ouvrage entier d'Hip-
polyte. Le but de l'auteur est nettement indiqué dès
le début; il s'agit de montrer que les hérésies ne tirent
leur origine ni de l'Écriture ni de la tradition, mais
simplement des philosophies païennes (èx Soy^âttov
cpiXoao«pouu.év(ov), des mystères et de l'astrologie. En
conséquence, les quatre premiers livres exposent les
théories hellènes; à partir du 1. V sont décrites les
hérésies que l'auteur s'efforce, par un procédé souvent
artificiel, de rattacher à un des systèmes de philosophie
ancienne. Les renseignements fournis par Hippolyte
sont loin d'avoir tous une égale valeur. Ses connais-
sances sur la philosophie grecque sont des plus super-
ficielles et empruntées à quelque compilation sans
autorité. Les théories gnostiques sont exposées le plus
souvent d'après saint Irénée, et l'auteur a bien marqué
la filiation des divers systèmes. Le 1. V est celui qui
laisse l'impression la plus trouble. Les notices consa-
crées aux naasséniens, pérates, séthiens et au gno-
stique Justin, demandent à être examinées de très près :
on a été jusqu'à soutenir qu'en cet endroit Hippolyte
avait été la dupe d'un faussaire qui lui aurait commu-
niqué, moyennant finance, des renseignements ima-
ginaires sur des sectes peut-être inexistantes (Salmon,
Stâhelin). Mais le dernier mot n'est pas encore dit
dans cette controverse. Les débuts du 1. IX exposent
longuement les conflits d'Hippolyte avec le moda-
lisme; c'est la partie la plus personnelle, mais aussi la
plus contestable, de tout l'ouvrage, celle où s'exhale
toute la rancune d'Hippolyte contre Calliste. Le der-
nier livre s'ouvre par une récapitulation des erreurs
mentionnées plus haut et se termine par une admi-
rable synthèse de l'enseignement chrétien.
Éditions. — Pour l'édition de Gronovius, voir plus haut;
elle a été reproduite par le bénédictin De la Rue dans l'édi-
tion des œuvres complètes d'Origène. Première édition
complète: E. Miller, Origenis philosophumena, Oxford,1851.
Il faut lui préférer celle de L.Duncker et F. G. Schneidewin.
S. Hippolyti episcopi et martyris Refutationis omnium
hœresium librorum decem quœ supersunt, Gœttingue, 1859.
Elle est reproduite dans P. G., t. xvi c (dans les œuvres
d'Origène). P. Cruice, Philosophumena sive hœresium
omnium confutatio, opus Origcni adscriplum, Paris, 1860.
Excellente édition du 1. I, au point de vue de l'histoire de
la philosophie grecque, dans H. Diels, Doxographi grieci,
Berlin, 1879, p. 551-576. On attend incessamment l'appari-
tion de l'édition de Wendland dans le Corpus de Berlin.
Sur la question relative au 1. V, G. Salmon, The Cross.
Références in the Philosophumena, dans Hermathena, t. v,
(1885), p. 389-402; et H. Stâhelin, Die gnoslichen Quellen
Hippolyts, dans Texte und Untersuchungen, t. vi, fasc. 3. En
sens contraire : de Faye, Revue de l'histoire des religions,
1902, t. xlvi, p. 161 sq.
Bonwetsch a voulu démontrer que la finale certainement
inauthentique de YÉpitre à Diognèle (c. xi-xn) était un
fragment d'une œuvre d'Hippolyte. D'autres critiques ont
prétendu en retrouver la place dans les lacunes des Phi-
losophoumena. Les références dans Bardenhewer, Altkir-
chliche Litteralur, t. n, p. 512.
2. Sûvray^a r.pùi àridcua; toc; aîpétjeiç, traité contre
toutes les hérésies. Il est mentionné par Eusèbe, saint
Jérôme, Nicéphore; Photius le décrit comme étant
la réfutation de 32 hérésies. Bibliolh., cod. 121. Hip-
polyte lui-même y fait allusion dans le début des Philo-
sophoumena. Ce traité est perdu, sauf peut-être la finale
que beaucoup de critiques reconnaissent dans un écrit
2495
HIPPOLYTE (SA\NT
2496
d'Hippolyte intitulé : 'Ou'.Àia e!ç Tr;v oupsaiv NotjtoutivÔç.
Mais ] ipsius a montré que l'on peut reconstituer le
squelette tout au moins de l'ouvrage en rapprochant
l'une de l'autre trois hérésiologies : le Libellus adversus
omîtes hœreses qui se lit à la suite du De prsescriptione
hœreticorum de Tertullien, le Panarion d'Épiphane et
le De hœrcsibns de Philastrius de Brescia.
Quant à Y Homélie contre Noët, Bardenhewer se
refuse à y voir une partie du Syntagma, elle est beau-
coup trop longue pour rentrer dans le cadre restreint de
cet ouvrage. Harnack, Chronologie, t. n, p. 221, a pro-
posé une explication qui semble satisfaisante. Hip-
polyte aurait composé un syntagma assez développé
dont aurait fait partie, comme conclusion, cette homé-
lie. Il aurait également rédigé, suivant une méthode
qui se retrouve au 1. X des Philosophoumena, un
abrégé de son ouvrage. C'est cet abrégé seul qu'aurait
connu le pseudo-Tertullien, tandis qu'Épiphane aurait
eu en main le texte complet d'Hippolyte, et que Phi-
lastrius aurait mis en œuvre d'une part l'abrégé,
d'autre part les renseignements complémentaires qu'il
trouvait dans Épiphane, sans en connaître la source.
Le Syntagma avec sa finale contre Noët serait de
l'époque où les conflits avec les monarchiens n'avaient
pas encore toute leur acuité. Duchesne, Origines chré-
tiennes, t. Il, p. 304; Harnack, Chronologie, loc. cil.
Le texte de V Homélie contre Noët dans de Lagarde, p. 43-
57. Pour la reconstruction du Syntagma, l'ouvrage capital
est Lipsius.Zur Quellenkritik des Epiphanios, Vienne, 1865,
p. 33-70; Die Quellen der altesten Ketzergescltichte neu un-
tersucht, Leipzig, 1875.
3. E7C0u8<xau,a /.axa T7,ç ApT£p.covo; aîpsasjoç, traité
contre l'hérésie d'Artémon. Eusèbe, H. E., 1. V,
c. xxviu, donne de copieux extraits d'un traité dont il
ne cite pas l'auteur, contre Artémon, un monarchien
dynamiste. Les critiques sont à peu près d'accord pour
considérer ces fragments comme appartenant à ce livre
d'Hippolyte, intitulé : le Labyrinthe et que Photius,
sur la foi d'une remarque marginale, attribuait à
Caius. Où ils diffèrent, c'est sur le contenu du livre.
Bardenhewer veut y voir une attaque contre le monar-
chianisme sous toutes ses formes, aussi bien la forme
dynamiste (les deux Théodote, Artémon), que la forme
modaliste ou patripassienne (Noët, Praxéas, Sabellius).
11 croit donc devoir rapporter à ce Petit labyrinthe
aussi bien Y Homélie contre Noël que le fragment contre
Artémon. Harnack est d'un autre avis. Pour lui, le
Petit labyrinthe était exclusivement dirigé contre lemo-
narchianisme dynamiste. Il y a trop de différence entre
l'opinion d'un Théodote et celle d'un Noët pour qu'on
en puisse faire l'objet d'une même réfutation. Le Petit
labyrinthe est donc identique au Sîtou8atju,a xonk ttjç
' \-.TiucDvo; aîpéaeioç; il daterait de 230, après les
Philosophoumena. Chronologie, t. il, p. 224. C'est aussi
l'opinion que semble adopter Duchesne, Histoire
ancienne de l'Église, t. I, p. 303.
Le texte des fragments dans Eusèbe, H. E., 1. "V, c. xxvm.
4. npoçMaozî'jJva, traité contre IVIarcion. Ilestsignalé
par Eusèbe, saint Jérôme, Nicéphore. Était-ce le titre
original? C'est douteux. Quelques critiques ont voulu
l'identifier avec le Ilepl tàyaOou y.a!. r.odîv -o zav.dv, men-
tionné sur la statue. Ce n'est pas impossible; les spécu-
lations sur l'origine du mal étaient un point important
de la doctrine de Marcion. Il ne s'est rien conservé de
ce traité.
5. La statue mentionne aussi un traité intitulé :
Ilepi /ivî;u:"iv kizoaxoXwi] -apâôoa'.ç. Ces mots s'ap-
pliquent-ils à un seul écrit ou à deux? En l'absence de
tout renseignement sur le contenu, les conjectures les
plus diverses ont été émises. Les uns y voient un écrit
dirigé contre le montanisme; d'autres, une compilation
canonique dont les éléments sont entrés plus tard dans
le 1. VIII des Constitutions apostoliques. Achelis a
voulu distinguer une àizovto'ÏMr^ zapàoosiç qu'il iden-
tifie avec les Canons d'Hippolyte (voir plus loin),
et un ITsci yapta[j.âxtov, pamphlet dirigé contre le pape
Zéphyrin. W. H. Frère a repris la question, Early
ordination service-, dans Jotrnal of th ological itudies,
1914-1915, t. xvi, p. 323-271, et a démontré, d'après
les documents apparentés, l'existence de deux écrits
différents : un traité des charismes, ou des dons spi-
rituels, et une tradition apostolique sur les ordinations,
qui, selon lui, serait conservée dans les Canons d'Hip-
polyte. Ed. Schwartz, dès 1910, et dom K. Connolly,
en 1916, ont reconnu la distinction des deux ouvrages
en identifiant toutefois la Tradition apostolique sur
les ordinations avec YOrdonnance ecclésiastique égyp-
tienne. Voir plus loin.
6. A la ligne qui précède, la statue fait mention d'un
ouvrage intitulé : Ta ûrap tou zoera ' I<i>ocvvï)v EùayyeXt'o'j
xal 'AiîoxaXiStJiEMç, que le nestorien Ebed-Jesu signale
comme une défense de l'Apocalypse et du quatrième
Évangile. Le titre indique assez que l'œuvre était
dirigée contre ceux qui, pour des raisons plus théolo-
giques que critiques, contestaient l'origine apostolique
des écrits johanniques, et que saint Épiphane appellera
plus tard les Aloges. Il semble ne s'en être rien conservé
en dehors de quelques fragments utilisés par saint Épi-
phane. Hser., li. L'ouvrage daterait des débuts du
me siècle (Harnack, Duchesne).
7. KsçâXaia y.atà Tafou, Capila adversus Caium. Ils
sont mentionnés par Ebed-Jesu comme un ouvrage
distinct du précédent. Quelques fragments ont été
retrouvés dans un ms. d'un commentaire sur l'Apo-
calypse du monophysite Bar-Salibi (vers 1170). Le
prêtre romain Caius, tout en acceptant le IVe Évangile,
rejetait l'origine apostolique de l'Apocalypse, sur-
tout en haine du montanisme, qui cherchait dans ce
livre un appui pour ses théories. Dans un dialogue
contre Proclus, il critiquait vivement certains passages
de l'Apocalypse en leur opposant des passages contra-
dictoires, au moins en apparence, tirés des Évangiles.
Voir t. il, col. 1311. Des Capila d'Hippolyte, si l'on
en juge par les fragments conservés, devaient être
consacrés à résoudre ces apparentes antinomies. L'ou-
vrage serait de peu postérieur au précédent.
Le texte des Capita en syriaque et en anglais, dans
J. Gwynn, Hippolytus and bis Heads against Caius, dans
Hermathena, 1888, t. vi, p. 397-418; cf. 1890, t. vu, p. 137-
150; dans A. Harnack, Die Gwijnnschen Kajus-und Hip-
polylusfragmente, dans Texte und Untersuchungen, t. VI,
fasc. 3, p. 121-133, et dans Zahn, Geschichle des Neutesto-
mentlichen Kanons, t. n, p. 973-991 ; surtout dans l'édi-
tion de Berlin, Hippolytus, t. i b, p. 241-247.
8. Le Katà Brjptovoç y.x\ "HXixo; tSv aipexiy.cov -:y.
OsoXoyt'aç y.a.1 tjapzwdEioç zaxà otocj(£Îov Xoyoç, cité par
Anastase l'Apocrisiaire, P. L., t. cxxix, col. 664 sq .
comme étant d'Hippolyte, évêque de Porto, et dont les
fragments ont été réunis par de Lagarde, p. 57-63,
est certainement inauthentique. La question de son
origine et de sa date est encore loin d'être résolue.
2° Écrits apologétiques et dogmatiques. — 1. Un
traité 1 1 e p ï irjç toC ttcxvtoç oùaiaç, probablement iden-
tique au IIpoç "EXXrjva; /.ai Tcpo; lIXaTtova yj x.a.1 rcepi tou
ravxo; de la statue, est mentionné par Hippolyte lui-
même à la fin des Philosphoumcna, 1. X, 32, par saint
Jérôme, Epist., lxx, P. L., 1. x\u, col. 667, et par
Photius, Biblioleca, cod. 48. Un passage important
s'en est conservé dans les Sacra parallela, attribués
à saint Jean Damascène. Il devait contenir l'exposé
des idées philosophiques d'Hippolyte relativement a
la création, et la synthèse qu'il opposait aux conjec-
tures de Platon et des autres philosophes grecs.
2497
HIPPOLYTE (SAINT)
2498
Texte dans l'édition de Lagarde, p. 68-73; mieux dans
Holl, Fragmente vornicànischen Kirchenvàter aus den Sacra
Parallela, Leipzig, 1899, p. 137-143, dans Texte und Unter-
suchungen, t. xx, fasc. 2.
2. L"Ano8eixTWT) -po; ' IouSaiou; n'est garantie que
par le témoignage des mss qui la donnent, et son
authenticité est loin d'être admise par tous. Harnack y
verrait volontiers un fragment d'un ouvrage d'Hippo-
lyte, mais remanié par un monophysite.
Texte dans de Lagarde, p. 63-68.
3. L'ArdoeiÇiç Ix xôiv àyûov ypaçûv Jtepî Xp'.atou xal
zepï tou 'AvTi/pîaxou, ou par abréviation le traité sur
V Antéchrist, mentionné par saint Jérôme et Nicéphore,
utilisé par Apollinaire de Laodicée, par André de Cé-
sarée, cité par Germain de Constantinople, P. G.,
t. xcvm, col. 417, est le seul ouvrage d'Hippolyte
qui nous ait été conservé au complet. Il semble avoir
été composé en 202, au moment où parurent les pre-
miers édits de persécution de Septime-Sévère. Beau-
coup de chrétiens s'imaginèrent alors que la fin du
monde était proche, et que l'Antéchrist allait bientôt
se manifester. Un ami d'Hippolyte a consulté le doc-
teur sur ces points difficiles. Le livre est la réponse à
cette consultation. C'est l'exposé le plus complet, rela-
tivement à l'Antéchrist, 'de toute l'ancienne littérature
chrétienne. Il faut en distinguer soigneusement le
traité Ilepl (juvTsXêîaç tou xo'au.ou, De consummatione
mundi, compilation tardive.
Les anciennes éditions sont toutes dépassées par celle de
Berlin, t. i b, p. 1-47. Pour l'établissement du texte, il con-
viendra de tenir compte de divers fragments arméniens,
syriaques, arabes et grégoriens, signalés ultérieurement.
Recension dans Bardenhewer, Altkirchliche Litteratur, t. n,
p. 522, et Achelis, Hippolytstudien, Texte und Vntersuchungen,
p. 90-92. Texte du De consummatione mundi, dans l'édition
de Berlin, t. i b, p. 289-303.
4. Dans la partie la plus douteuse de l'inscription
''st signalé un Ilepl Qsoù xal aapxo; àvaatâaEto; que
connaissent également saint Jérôme et Nicéphore, et
dont Anastase le Sinaïte donne un court fragment.
P. G., t. lxxxix, col. 301. Six fragments en ont été
conservés dans divers mss. syriaques où ils se donnent
comme extraits d'un sermon à l'impératrice Mammée
sur la résurrection des corps. Autant qu'on en peut
juger par ces courts extraits, Hippolyte répondait dans
cet ouvrage aux questions de son auguste correspon-
dante, qui lui avait demandé des éclaircissements sur ce
point important de la dogmatique chrétienne.
Le texte au mieux dans l'édition de Berlin, 1. 1, p. 251-254.
5. On a voulu identifier avec l'écrit précédent le
npoTpsTï-uxôç Jjpôç EeSripeïvav, signalé lui aussi par
la statue. La distance qui sépare ces deux titres ne
permet guère de les identifier; la découverte des
fragments syriaques du LTepl àvaaxâaeo^ a achevé de
ruiner l'hypothèse de l'identification. Il ne subsiste
rien du lIpoTpETTTixoç.
6. Dans son catalogue Ebed-Jesu mentionne un
titre qu'on a traduit en grec Ilepl oîxovoui'aç et
qu'Assémani avait commenté en lisant : De dispensa-
iione, hoc est de ceconomia Chrisli in carne seu de
mysterio incarnationis. Aucune autre attestation.
7. Un manuscrit géorgien de Schatberd, découvert
par Man, contient, entre autres traités d'Hippolyte
attestés par ailleurs, une dissertation « sur la foi » dont
l'authenticité est loin d'être établie. Le texte géorgien
est une traduction de l'arménien; il a été traduit en
russe par Karlelar, du russe en allemand parBonwetsch.
C'est sous cette forme qu'on le trouvera dans Texte und
Untersuchungen, t. xxxi, fasc. 2, Die unler Hippolyts
Namen uberlieferle Schrifl ùber den Glauben.
DICT. DE THÉOL. CATH.
3° Écrits exégêliques. — Hippolyte est le plus ancien
des grands exégètes de l'Occident, il semble que sa
sagacité se soit exercée sur presque tous les livres de la
Bible. Malheureusement, c'est aussi la partie de son
œuvre qui a le plus souffert du temps ; sauf le Commen
taire, sur Daniel, il ne nous reste que des fragments
informes de cette énorme production exégétique.
Ils peuvent suffire à la rigueur à caractériser la manière
d'Hippolyte. Comme le remarque fort justement
Photius, il ne pratique pas encore l'exégèse qui s'at-
tache à expliquer mot par mot le texte sacré. Ses
commentaires seraient plutôt une suite de dissertations
sur les passages principaux des Livres saints. Sans
craindre l'allégorie où se complaisait à la même époque
l'école alexandrine, Hippolyte témoigne cependant
de plus de sobriété, et s'attache davantage au sens
grammatical et historique. Voici la liste des titres,
des fragments ou des ouvrages conservés.
1. Ancien Testament. — a) Des parties de la Genèse
ont été certainement commentées par Hippolyte, bien
qu'il semble prématuré de parler d'une exposition
complète de ce livre. Bardenhewer croit pouvoir rame-
ner à quatre les passages sur lesquels s'est exercé notre
exégète : a. la création; b. le paradis et la chute; c. la
bénédiction d'Isaac; d. la bénédiction de Jacob. De
tout ceci, il ne reste que des fragments, réunis au
mieux dans l'édition de Berlin, t. i b, p. 49-81, 87-97,
mais qui doivent être complétés par les morceaux
arméniens et géorgiens récemment découverts. Ils sont
dans Bonwetsch : Drei georgisch erhallene Schri/ten von
Hippolytus : Der Segen Jakobs, der Segen Moses', die
Erzàhlung von David und Goliath, dans Texte und
Vntersuchungen, t. xxvi, fasc. 1. Le texte grec de la
bénédiction de Jacob a été retrouvé sous le nom
d'Irénée et publié dans la même collection, t. xxxvm,
fasc. 1, par Diobonoutis, Constantin etBeïs, Hippolyts
Schrijt ùber der Scgnungen Jakobs.
b) Saint Jérôme mentionne un commentaire sur
l'Exode; mais il a pu se tromper et traduire d'une
manière inexacte l'expression d'Eusèbe sîç ti Liera
£?ar)'[iEpov. En fait, il ne reste actuellement aucune
trace d'un commentaire sur ce livre, pas plus que sur
le Lévitique. Eusèbe pensait probablement à des
explications sur les Nombres (c. xxii-xxm, épisode de
Balaam) et sur le Deutéronome (c. xxxm, bénédiction
de Moïse), dont il subsiste quelques fragments; on les
trouvera aux mêmes endroits que les fragments sur la
Genèse: édit. de Berlin, t. i b, p. 82-84, 97-119;
Bonwetsch, p. 47-78.
c) On y trouvera également un fragment sur Ruth :
ex T7Jç âpixrivsiaç ' PoûO, découvert récemment par Achelis
dans un ms. de l'Athos : édit. de Berlin, t. i b, p. 120.
</) Du commentaire sur les Rois, il subsiste quatre
citations relatives à l'épisode d'Elcana et d'Anne,
conservées par Théodoret; une fort belle homélie sur
David et Goliath, que viennent de nous rendre des
versions arménienne et géorgienne; un fragment sur
la pythonisse d'Endor, sîç ÈYyajTpi(j.uOov, mentionné
par la statue et retrouvé dans les Chaînes. Textes dans
l'édition de Berlin, ibid., p. 121-123, et, pour les nou-
velles découvertes, dans Bonwetsch, /oc. cit., p. 79-93.
e) La statue signale également un commentaire sur
les Psaumes, dont parlent aussi saint Jérôme et Nicé-
phore, et dont Théodoret a tiré plusieurs citations. Ces
passages sont tout ce qui nous reste de certainement
authentique. La plupart des scolies recueillies dans les
Chaînes par Bandini (17G4), de Magistris (1795),
Pitra (1883) et mises sous le nom d'Hippolyte ne peu-
vent être conservées. Pour l'examen de ces passages,
édition de Berlin, ibid., p. 127-153, et Achelis, Hippo-
lytstudien, p. 124-137.
/) Un commentaire surles Proverbes, IlEpi IIapoiu.'.c3v,
est mentionné par saint Jérôme, Nicéphore et Suidas,
VI,— 79
2499
HIPPOLYTE (SAINT)
250»
Lexikon, édit. Bcrnhardy, p. 1058. De nombreuses
citations en sont conservées dans les Chaînes, et ont
été recueillies par Achelis pour l'édition de Berlin,
ibid., p. 157-175. Au dire de Bardenhewer, cette
édition serait, sur ce point, défectueuse; on y aurait
admis des textes contestables, tandis qu'on en excluait
des textes authentiques, en particulier le fragment re-
latif à Proverbes, ix, 1-5, et qui interprétait le texte
sacré dans le sens eucharistique. Ce passage se retrouve
sous le nom d'Hippolyte dans le Quœstiones et res-
ponsiones d'Anastase le Sinaïte, P. G., t. lxxxix,
col. 593. D'après Harnack, Chronologie, p. 247, ce
fragment est interpolé dans ses deux recensions, celle
d'Anastase le Sinaïte et celle qui est donnée par de La-
garde; mais il a certainement un noyau authentique.
Textes à chercher dans de Lagarde, p. 196-200, et
dans l'édition de Berlin.
g) Saint Jérôme mentionne un commentaire sur
l'Ecclésiaste, dont un fragment relatif à l'Eccle., n, 10,
est donné par Achelis, édit. de Berlin, ibid., p. 179.
Sans se prononcer sur l'authenticité, Harnack estime
que cette scolie n'est pas sans intérêt.
h) Un commentaire sur le Cantique, sî; to àau,a,
est signalé par Eusèbe, saint Jérôme, Georges le
Syncelle, Chronographia, édit. de Bonn, p. 674, Ana-
stase le Sinaïte, P. G., t. lxxxix, col. 592. Il a été
publié par Bonwetsch dans l'édition de Berlin, t. i,
p. 343-374, à l'aide de fragments entièrement dispersés.
Un peu plus tard, Marr découvrit un manuscrit géor-
gien qui semble bien donner au complet le commen-
taire sur le Cantique. Bonwetsch a mis cette découverte
à la portée des lecteurs occidentaux. Hippolyts Kom-
menlar zumHohenliedauj GrundvonN. Marrs Ausgabe
des grusinischen Textes herausgegeben, dans Texte
und Untersuchungen, t. xxm, fasc. 2.
0 Théodoret cite quelques lignes d'un commentaire
d'Hippolyte sur le début d'Isaïe : h. to3 Ào'you tou et;
àpy7]v tou 'Hœou'ou, qui est également signalé par saint
Jérôme. Il n'en existe pas d'autres traces. Texte dans
de Lagarde, p. 142, et dans l'édition de Berlin, t. i b,
p. 180. — Aucune trace d'une œuvre sur Jérémie.
/) Eusèbe connaissait également un commentaire
sur des parties d'Ézéchiel, s't'ç [xspr] tou ' ltÇv/.rfl. Il
en subsisterait un fragment anonyme dans Anastase le
Sinaïte, P. G., t. lxxxix, col. 596, et un important
fragment syriaque sur Ézéch., i, 5-10, où se trouve la
comparaison entre les quatre évangélistes et les ani-
maux fantastiques d'Ézéchiel. Texte syriaque dans
Pitra, Analecta sacra, t. iv,p. 41-47; trad. latine, p. 311-
317; trad. allemande dans l'édition de Berlin, t. i b,
p. 183 sq.
k) De tous les commentaires d'Hippolyte, le plus lu
a été incontestablement celui de Daniel, eîç tov AavirfX,
mentionné par saint Jérôme, Georges le Syncelle,
Ebed-Jesu, Nicéphore, conservé à l'état plus ou moins
complet par un grand nombre de mss, et qu'il a été
possible de publier à peu près intégralement en grec.
Il comprend quatre livres; le Ier commente Dan., i,
et l'histoire de Susanne (Dan., xm); le IIe, Dan., n
et m, avec le cantique des trois jeunes hommes; le
IIIe, Dan., iv-vi; le IVe enfin, Dan., vn-xn. Il ne
manque donc au commentaire pour être complet que
l'épisode de Bel et du dragon (Dan., xiv); il est très
vraisemblable qu'Hippolyte ne l'a point expliqué,
car il n'en subsiste point de traces. Écrit sous le coup
de la persécution de 202, le commentaire est à rap-
procher du Traité sur l'Antéchrist. Dans ce dernier,
Hippolyte n'avait pas cherché à calculer l'époque pro-
bable du second avènement de Jésus; ici, au contraire,
par égard pour l'indiscrétion humaine, le docteur con-
sent à préciser les circonstances du dernier jugement.
L'empire romain doit disparaître avant la venue du
séducteur. Mais il lui reste encore longtemps à vivre.
Car Jésus étant venu sur terre l'an 3500 du monde,
et le monde devant durer 6 000 ans (chaque millé-
naire correspondant à un des jours de la création),
c'est seulement au terme du sixième millénaire que
paraîtra l'Antéchrist. On voit combien les préoccu-
pations eschatologiques dominent notre auteur.
WTJne première édition critique du texte avait été donnée
par O. Bardenhewer, Des heiligen Hlppolytus von Rom
Kommentar zum Buch Daniel, Fribourg-en-Brisgau, 1877;
elle est toujours à consulter, même après l'apparition de
l'édition de Berlin, t. i a, p. 1-340, qui donne à la fois le
texte grec (établi d'après de nombreux mss, dont la liste est
pourtant incomplète) et une traduction allemande de la
version slave. Les fragments syriaques ne sont utilisés-
que dans l'apparat critique et dans une traduction alle-
mande. On le trouvera avec une traduction latine dans
Pitra, Analecta sacra, t. iv, p. 47-51, 317-320.
I) Du commentaire sur Zacharie, signalé et proba-
blement utilisé par saint Jérôme, il ne subsiste rien.
2. Nouveau Testament. — Les écrits exégétiques
sur le Nouveau Testament ne sont probablement
que des homélies sur des péricopes évangéliques.
L'ouvrage sur l'Apocalypse mériterait seul le nom de
commentaire.
a) Sur la foi de saint Jérôme, Achelis a cru pourtant
devoir attribuer à Hippolyte un commentaire sur saint
Matthieu. Il considère comme en faisant partie un cer-
tain nombre de scolies rassemblées dans les Cnaînes-
et qui toutes se rapportent à Matth., xxiv, c'est-à-dire
à un passage eschatologique. C'est au même chapitre
qu'appartient le texte d'Hippolyte cité par Denys
Barsalibi et publié par Gwynn, Hippolytus on St. Mat-
thew, xxiv, 15-22, dans Hermathena, 1890, t. vu, p. 137-
150. Mais Achelis l'a restitué aux Capita adversus
Caium.
L'existence d'un commentaire sur Matthieu reste
donc incertaine. Au cas où on l'admettrait, c'est à cet
ouvrage qu'il conviendrait de rapporter le Xo'yoi; eî; ir^v
tôSv TaXâvxcûv 8tavo[j.riv, explication de la parabole des
talents, citée par Théodoret, P. G., t. lxxxiii, col. 172.
Texte dans l'édition de Berlin, t. i b, p. 197-209; cf.
Achelis, Hippolytstudien, p. 163-169.
b) Un Xôyo; etç toù; oûo XrjaTixç, dont Théodoret cite
trois fragments, a été également rapporté à un prétendu
commentaire sur l'Évangile de saint Luc, dont nous
n'avons pas d'autres nouvelles. Je ne sais pourquoi
Achelis veut en faire une explication de Joa., xix, 31.
Nous sommes vraisemblablement en présence d'une
homélie sur Luc, xxm, 39 sq. Édit. de Berlin, t. i b,.
p. 211.
c) On lit parmi les œuvres attribuées à saint Chry-
sostome, P. G., t. lxii, col. 775-778, une homélie
ïtç tov -£Tpa7][j.epov AaÇapov, qui dans plusieurs mss
arméniens porte comme inscription : B. Hippolyti
Bostrorum episcopi ex commenlario in Evangelium
Johannis et in resurrectionem Lazari. L'authenticité
de ce texte ne serait pas contestable, d'après Harnack,
Chronologie, t. n, p. 253. Mais de là à conclure à l'exis-
tence d'un commentaire sur le IVe Évangile, il y a loin
encore.
Texte grec dans l'édition de Berlin, t. i b, p. 211-227;
texte arménien avec trad. latine dans Pitra, Analecta sacra^
t. n, p. 226-231 ; t. iv, p. 64-68, 331-335.
d) Il est vraisemblable qu'en dehors du traité contre
les Aloges où il défendait l'Apocalypse, Hippolyte a
composé un autre écrit, peut-être un commentaire sur
ce livre. Il est nommé par saint Jérôme, et on pense en
avoir retrouvé des traces dans des citations d'André
de Crète, de Jacques d'Édesse, mais surtout dans un
commentaire arabe sur l'Apocalypse rédigé en Egypte
au xme siècle et qui est peut-être l'œuvre du jacobite
Ben-Assal.
2501
HIPPOLYTE (SAINT)
2502
Les citations d'André de Crète, dans Achelis, Hippolyt-
studien, p. 182-184. La citation de Jacques d'Édesse, tra-
duite en allemand, dans l'édition de Berlin, t. i b, p. 236;
les passages du commentaire arabe dans la même édition,
p. 231-236, sont, paraît-il, inutilisables à cause des fautes de
traduction. Ils ont été publiés en arabe par de Lagarde,
Ad analecta sua syriaca appendix, Leipzig et Londres, 1858.
ur ce commentaire arabe lui-même, Ewald, Abhandlungen
zurorientalischen und biblischen Literatur, part. I, Gœttingue,
1832, p. 1-11.
4° Clironographie et droit ecclésiastique. — 1. La liste
de la statue mentionne un travail intitulé : 'Auo'oeiÇi;
ypovtovTou ITâcr/a xai xà (peut-être xaxà xa) èv tu nîvocxi.
11 s'agit évidemment du comput pascal imaginé par
Hippolyte, et des tables gravées d'autre part sur la
statue. En dehors de ces tables, il ne subsiste que
quelques fragments grecs et syriaques. Le cycle pascal
commençait à la première année d'Alexandre-Sévère
(222); il parut une merveille aux contemporains d'Hip-
polyte, obligés jusque-là d'emprunter aux juifs alexan-
drins leur comput pascal. En réalité, Hippolyte eut le
tort de s'imaginer qu'il pouvait s'improviser astro-
nome. Il raille dans les Philosophoumena les calculs,
moins fantaisistes qu'il ne pensait, des astronomes
grecs; les siens devaient se trouver, bien vite, encore
plus sujets à caution. Tel qu'il l'avait calculé, son cycle
lunaire contenait une grosse erreur qui le mit bientôt
en désaccord avec la lune et le rendit impropre au
calcul de la Pàque. Vingt et un ans plus tard, en 243,
un auteur inconnu essaya de le corriger, sans en modi-
iier le principe. Il exposa son système dans le De
pascha computus qui figure parmi les œuvres apo-
cryphes de saint Cyprien, P. L., t. iv, col. 937-974.
Le texte des tables provisoirement, dans P. G., t. x,
col. 875-884; le fragment cité par le Clironicon pascale,
également dans P. G., t. xcn, col. 80. Un examen critique
du cycle d'Hippolyte dans la Chronique d'Elias de Nisibe se
trouvera dans Pitra, Analecta sacra, t. iv, p. 56, 324.
De ce comput pascal, Harnack, Allchrislliche Lille-
ratur, t. v, p. 625; Chronologie, t. il, p. 233, distingue
un traité Oepi. tou à-p'ou-xay a, dont un fragment est cité
par le concile de Latran en 649, Labbe et Cossart,
Concil., t. vi, col. 288, et deux autres dans le Livre
de Timolhée JElure contre le concile de Clialcédoine.
Pitra, Analecta sacra, t. iv, p. 55 sq., 323 sq. Achelis a
donné place à ces fragments dans l'édition de Berlin,
t. i a, p. 267 sq.; leur authenticité, d'après Harnack,
ne serait pas contestable.
2. Une 'A^û'oei?'.; jçpo'vwv, c'est-à-dire une chronique,
est signalée par la statue, et par Hippolyte lui-même.
Philosophoumena, 1. X, 30. Le texte grec passait pour
avoir entièrement disparu quand Bauer en découvrit
des passages importants dans un ms. de Madrid. L'in-
térêt de ce texte, qui est très fragmentaire, vient sur-
tout de ce qu'il confirme les hypothèses sur trois
adaptations latines que l'on supposait dérivées de la
chronique d'Hippolyte. Il s'agit : a) de la chronique
dite Liber generationis hominum, qui va de la création
du monde à l'an 234; b) de la Chronica Herosii, qui
forme une des parties de l'écrit anonyme appelé le
Chronographe de l'an 354; c) enfin du Chronicon
Alexandrinum de Mommsen, plus ordinairement dési-
gné sous le nom de Barbants Scaligeri. Quelques docu-
ments byzantins fournissent aussi un contingent
appréciable à la reconstitution de la chronique d'Hip-
polyte. Le tout témoigne d'un effort pour harmoniser
les données bibliques avec l'histoire générale. Hippo-
lyte d'ailleurs n'y est pas plus original que dans ses
autres œuvres. C'est à Jules Africain et probablement
aussi à la Chronographie de Clément d'Alexandrie,
Strom., I, 21, P. G., t. vm, col. 820-889, qu'il a emprunté
les grandes lignes de son travail.
Les fragments du texte grec original et des adaptations
latines correspondantes, dans A. Bauer, Die Chronik des
Hippolytos im Matritensis grœcus, 121, dans Texte und
Untersuchungen, t. xxix, fasc. 1. Les trois chroniques la-
tines, dans Monumenta Germaniœ historica, Auctores anti-
quissimi, t. ix
3. On lit dans une lettre de saint Jérôme : De sabbato
quod quœris, utrum jejunandum sit, et de eucharistia,
an accipienda quolidie... scripsil quidem et Hippolytus
vir discrlissimus, et carptim diversi scriptores e variis
auctoribus edidere. Episl., lxxi, 6, P. L., t. xxn,
col. 672. Au dire des critiques, cette phrase suppose
qu'Hippolyte avait rédigé quelque ouvrage sur les
usages, sinon sur les lois ecclésiastiques. En fait, le
nom d'Hippolyte se lit en tête de trois collections
d'ordonnances soi-disant apostoliques : à) Les Consti-
tuliones per Hippolytum, qui, à quelques expressions
près, reproduisent presque mot pour mot le VIIIe livre
des Constitutions apostoliques; b) l'Ordonnance ecclé-
siastique égyptienne (jEgyplische Kirchenordnung), qui
subsiste en des traductions copte, éthiopienne, arabe,
et dont une vieille version latine intitulée : Canones
sanclorum aposlolorum per Hippolytum donne aussi des
fragments importants; c) enfin les Canons d'Hippolyte
en arabe, qui traitent en 38 numéros des consécrations,
des divers degrés de la hiérarchie ecclésiastique, du
baptême, des jeûnes, de l'agape, de l'eucharistie, des
diverses réunions du culte, de la prière, des sépultures.
Ces trois collections sont étroitement apparentées,
mais leurs relations ne sont pas exprimées de la même
manière par les divers critiques. Pour Achelis, les
Canons d'Hippolyte seraient une œuvre authentique
du docteur romain, et ne seraient pas différents de
l'AjroaToÀ'.y.T) Tiapocooa'.; mentionnée par la statue; de ce
texte primitif dériveraient successivement l'Ordon-
nance ecclésiastique égyptienne, les Canones per Hippo-
lytum, enfin le VIIIe livre des Constitutions aposto-
liques. Funk renverse complètement cet ordre, prend
comme point de départ les Constitutions apostoliques,
et comme dernier terme les Canons d'Hippolyte. Son
opinion était de plus en plus adoptée; elle excluait
la composition directe par Hippolyte des recueils
actuellement existants ; mais rien n'empêchait d'attri-
buer au docteur romain l'idée première d'avoir ras-
semblé les usaçes et les lois ecclésiastiques, et entre les
opinions extrêmes d'Achelis et de Funk, divers au-
teurs avaient proposé des compromis.
La question est débattue dans les deux sens par Achelis,
Die àltesten Quellen des Orientalischen Kirchenrechts. I. Die
Canones Hippolyti, dans Texte und Untersuchungen, t. vi,
fasc. 4 (Leipzig, 1891), et par Funk, Die Apostolischen
Konstitutionen, Rottenbourg, 1891. Voir t. ni, col. 1529-
1534. J. Wordsworth, The ministry o/ grâce, Londres, 1901.
p. 21, admit à la base de tous ces écrits une ancienne
Ordonnance de l'Église, qui est perdue. II fut suivi par
A. N. Maclean, The ancient Church Orders, Cambridge, 1910,
et par Frère, loc. cit. Cette conclusion fut discutée par
C. H. Turner, dans le Journal of theological studies, 1914-
1915, t. xvi, p. 542-547. V. Bartlet, ibid., 1916, t. xvn.
p. 248-256, a repris l'opinion d'Achelis et rapporté l'ori-
gine de l'ancienne Ordonnance ecclésiastique, en Syrie,
au milieu du m" siècle. Voir encore A. Nairne, ibid.,
p. 398-399.
Cependant, dès 1910, la question avait reçu une
solution différente. Edouard Schwartz, Ucber die
pscudoapostolischen Kirchenordnungen, dans Schriften
der wissenschafllichen Gesellschaft in Stras burg, in-4°,
Strasbourg, n. 6, avait brièvement rattaché I'Ajco-
ffToXtxi) roxpâSoai: de la statue distincte du Ihpî yapi-
au-âxtov, de l'Ordonnance ecclésiastique égyptienne, qui
était l'œuvre de saint Hippolyte et représentait ainsi
les pratiques de Borne. Ces conclusions, indiquées
seulement en passant, reçurent bon accueil en Aile-
"2503
HIPPOLYTE (SAINT)
2504
magne et ailleurs. Leur auteur les renforça dans un
compte rendu de l'ouvrage de Th. Schermann, Weihe-
rituale der rômischen Kirche am Schlusse des ersten
Jahrhundcrts, publié dans Oriens christianus, 1915,
nouv. série, t. n, fasc. 2, p. 347-354.
Il était réservé à dom René-Hugues Connolly,
bénédictin anglais de l'abbaye de Downside, de
donner une démonstration solide des conclusions
suggérées par Schwartz. The so-called egyptlan
Church order and derived documents, dans Texls and
studies de Robinson, Cambridge, 1916, t. vin, n. 4.
Par la comparaison des textes des prières de l'ordi-
nation d'un évêque dans les Canons d'Hippolyte,
l'Épilomé du VIIR livre des Constitutions apostoli-
ques, ces Constitutions elles-mêmes, l'Ordonnance
ecclésiastique égyptienne et le Testament de N.-S. Jésus-
Christ, dom Connolly a constaté, p. 11-54, une iden-
tité parfaite entre l'Épilomé et l'Ordonnance, un ac-
cord fréquent de cette Ordonnance avec les Constitu-
tions apostoliques, là où celles-ci diffèrent des Canons
d'Hippohjte et du Testament. Les deux premiers écrits
sont donc en contact immédiat et il est impossible
d'interposer entre eux les trois autres documents,
quoique les Constitutions apostoliques aient eu un
contact avec l'Ordonnance égyptienne plus direct que
les Canons d'Hippohjte et le Testament. Quelle est
maintenant la priorité des Constitutions apostoliques
et de l'Ordonnance ? Les Constitutions présentant le
caractère d'un texte développé ou interpolé, la
priorité en somme doit être accordée à l'Ordonnance,
dont l'Épilomé n'est qu'un abrégé. L'Ordonnance
doit donc être considérée comme la source première
de toute cette littérature. Connolly, p. 54-134.
Deux documents, rattachés au nom d'Hippolyte
par leur titre, l'Épilomé et les Canons, dérivent ainsi
parallèlement de l'Ordonnance égyptienne. La men-
tion d'Hippolyte ne proviendrait-elle pas de la source
commune ? N'y aurait-il pas quelque indice que cette
source, l'Ordonnance égyptienne, aurait autrefois été
attribuée à saint Hippolyte ? C'est ici qu'intervient
la distinction, mentionnée plus haut, entre le Ilspi
7apt<ru.dtTtov et L''AîtocToXoà] ^apâooaiç, inscrits sur
la même ligne de la statue. Cette distinction est
établie par la comparaison des documents qui déri-
vent de l'Ordonnance égyptienne. En effet, parmi les
sous-titres du texte grec de l'Épilomé, on lit les deux
suivants : A'.oasxaXta itov ctYtû)v à~oiTÔ/.")v r.ip. yaotc-
ixdttov; AiarâEnç t<ov àytcjv owtoaToXwv r.tpl yeipoTovtûv
Bià I--oÀuxo'j. Ces titres ne sont que des développe-
ments de la ligne précitée de la statue et le second
assigne au Ihpt'/.E'. Potoviûv le caractère d'une tradition
apostolique, qu'il rattache expressément à saint Hip-
polyte. Or, le prologue des fragments latins de l'Ordon
nance égyptienne fournit le lien qui existait entre ces
deux développements des titres, des dons divins et
d'une tradition apostolique. E. Hnuler, Didascalia apos-
tolorum fragmenta veronensia latina, Leipzig, 1900,
p. 101-103. Les Constitutions apostoliques, 1. VIII, 3,
établissent le même rapprochement, mais sans nommer
Hippolyte. Ce nom a sans doute été empruntée l'Or-
donnanceégyplienne par l'auteurde V Épitomé. L'Ordon-
nance elle-même présente ce qu'ellecontient surlesordi-
nations comme une tradition apostolique. On peut
en conclure que 1'' A^oiTo/.ixr, icapâSoaiç de la statue
désigne l'écrit du docteur romain sur les ordinations,
qui nous a été conservé dans la soi-disant Ordonnance
ecclésiastique égyptienne, Connolly, p. 135-149.
L'ancienne 'AjcootoX'.xy] 7capâ8o3tç de saint Hip-
polyte, ainsi reconstituée, est un document du plus
haut prix pour l'histoire de la théologie et de la disci-
pline romaine dans la première moitié du me siècle.
Hippolyte a décrit ce qu'il avait sous les yeux ; eût-
il mis à cette description son empreinte personnelle,
qu'il resterait néanmoins un témoin tout particuliè-
rement qualifié. 11 y aura toutefois à déterminer à
quelle époque de sa vie, avant ou pendant son schisme,
il a composé cet ouvrage et quelle influence ont pu
exercer sur sa rédaction les circonstances de la vie
de l'auteur.
Voir R. H. Connolly, The ordination prmjers of Hip-
polytus, dans Journal of theological studies, 1916, t. xvm,
p. 55-58; A. d' Aies, dans les Recherches de science religieuse,
Paris, 1918, t. vin, p. 132-138.
5° Homélies et odes. — 1. Il est incontestable qu'Hip-
polyte a prononcé de très nombreuses homélies; on
peut même affirmer que ses commentaires sur l'Écri-
ture étaient primitivement des homélies. En dehors
des fragments déjà cités l'on connaît au moins de nom
plusieurs homélies de notre docteur.
Saint Jérôme mentionne, De viris ill., 61, une ^poi-
oiAiXîa de laude Domini Salvcdoris, in qua prsesente
Origene se loqui in ecclesia significal. Ce séjour d'Ori-
gène à Rome est à situer en l'an 212. Il ne reste rien
de cette homélie.
Nous avons signalé plus haut l'homélie rspifou râoya
distincte du comput pascal et dont quelques fragments
se sont conservés.
On possède au complet, en grec et clans une version
syriaque, le texte d'une homélie intitulée : Ao'yo; etç xà
àyia 6sotpâveia. C'est en réalité un discours à propos
d'un baptême illustre. L'authenticité est bien dou-
teuse; Achelis attribue la paternité de l'œuvre à quel-
que évêque oriental du ive ou du v« siècle. Batiffol
n'hésite pas à en faire honneur à Nestorius. Cependant
on a voulu en ces dernières années en démontrer l'au-
thenticité, pour la plus grande gloire d'Hippolyte.
Texte grec : de Lagarde, p. 36-43 ; édition de Berlin, t. i l>,
p. 257-263. Texte syriaque dans Pitra, Analecta sacra, t. rv,
col. 57-61. Discussion sur l'authenticité : Achelis, Hippolyt-
Studien, p. 194-202; Batiffol, Hippolytea, dans Revue biblique,
1898, t. vu, p. 119-121; Sermons de Nestorius, ibid., 1900,
t. ix, p. 341-344. Pour l'authenticité, F. Hôfler, 'Iuitio-
XÛtou e!; ta âyix ôeoçàvsia, Munich, 1904.
2. Aux lignes 21 et 22 de l'inscription, on a cru lire :
ùiBoct (s)!; ;:âcja; t<xç ypacpaç, odes sur toutes les Écri-
tures. Lightfoot voulait y voir des résumés en vers sur
les écrits de l'Ancien et du Nouveau Testament; le
canon dit de Muratori ne serait autre chose qu'une
mauvaise traduction latine d'une composition mé-
trique de ce genre, que Lightfoot ne craignit pas de
restituer. C'est une conjecture hardie. Batiffol propo-
sait de lire cntouoai et voyait dans le texte une indica-
tion sur l'ensemble des travaux scripturaires d'Hippo-
lyte.
Il paraîtrait qu'il faut lire non pas wSaî s!;, mais
simplement à)Sat : a; les deux points devant le S signi-
fiant que la lettre est prise avec sa valeur numérique :
200. Cette lecture est susceptible à son tour d'une
double interprétation : a) deux cents odes. (Voilà)
tous les écrits (d'Hippolyte); b) des odes. (Soit) deux
cents écrits. En ce dernier cas, le chiffre de deux cents
se rapporterait à tout l'ensemble de l'œuvre d'Hippo-
lyte. Les deux interprétations ont chacune leur diffi-
culté. Et ce petit problème n'est encore pas résolu;
il reste qu'il faut lire wSat; mais la postérité n'a pas
conservé le souvenir de travaux poétiques d'Hippo-
lyte
Sur cette question, Lightfoot, The apostolic Fathers.
I. Clément of Rome, Londres, 1850, t. n, p. 405-413; Batiffol,
Les prétendues Odse in Scripturas de saint Hippolyte, dans la
Revue biblique, 1896, t. v, p. 268-271.
Si l'on veut essayer de fixer au moins provisoire-
ment la physionomie intellectuelle d'Hippolyte, on
peut prendre le cadre proposé par d'Alès et distinguer
dans son activité trois phases. La première est celle de
2505
HIPPOLYTE (SAINT)
2506
travaux scripturaires, homélies et commentaires, tels
que nous avons essayé de les recenser. Nous pouvons
la juger surtout à l'aide de trois ouvrages qui nous
sont conservés à peu près dans leur intégrité, le Traité
sur l'Antéchrist, le Commentaire sur Daniel et le Com-
mentaire sur le Cantique des cantiques. La seconde
phase est surtout caractérisée par les luttes entreprises
contre les ennemis de la foi : successivement les gnos-
tiques, les monarchiens, les aloges et tous ceux qui s'y
rattachent sont attaqués et mis en déroute par Hippo-
lyte. Le S'jvxaypt.a 7tpôç ftâjaç xàç aîpéaeiç, que l'on peut
reconstruire dans ses grandes lignes, le Traité contre
Arlémon, les Capita contra Caium nous permettent de
restituer assez exactement cette deuxième phase. La
troisième, la moins honorable pour Hippolyte, est
celle de sa lutte personnelle contre Zéphyrin et Calliste.
Nous la jugerons au mieux par les Philosophoumena.
C'est à ces diverses œuvres ainsi classées qu'il faut
demander maintenant la synthèse des doctrines d' Hip-
polyte; mais, avant de l'aborder, disons un mot de
l'écrivain lui-même. Photius, un bon juge, avait déjà
remarqué que le style de notre auteur est « clair, dis-
tingué, sans recherche, bien qu'on ne puisse pas le
qualifier d'attique. » Bibliotheca, cod. 121, à propos du
Hùvxaypva; cf. 202, à propos du Commentaire sur Da-
niel. En fait, Hippolyte n'est point un styliste, mais
si la diction est d'ordinaire simple et unie, elle atteint
quelquefois à l'éloquence, la phrase devient nom-
breuse, rythmée; la finale des Philosophoumena est
à ce point de vue fort remarquable. Quand la rancune
d'Hippolyte s'exhale, elle trouve facilement le mot
tranchant, la coupe de phrase incisive; les détails se
présentent avec une vivacité sans pareille aux yeux
de l'auteur; la narration des antécédents de Calliste
est, malgré toute son injustice et sa partialité, un petit
chef-d'œuvre. C'est l'art de la composition qui a le
plus manqué à notre auteur, aussi bien qu'à tous ses
contemporains, païens ou chrétiens.
III. Sa. théologie. — 1° Synthèse de l'enseignement
d'Hippolyte. — Dans les dernières pages des Philoso-
phoumena, Hippolyte, après avoir montré les erreurs
débitées par la philosophie païenne et les hérétiques
qui s'en sont inspirés, cherche à ébaucher une synthèse
de la doctrine chrétienne, 1. X, 32-34. C'est aux chré-
tiens que l'humanité, en quête de vérité, doit s'adresser
pour trouver la connaissance véritable de Dieu, du
monde, de la vertu. Le principe fondamental de cette
connaissance, c'est la croyance en un seul Dieu, prin-
cipe unique et éternel créateur, qui par sa volonté a
tout créé du néant, £7tonr)<je xà ovxa où/, ovxa 7rpoxEpov.
Voilà, pour débuter, la claire réfutation de l'éternité
de la matière, enseignée par les Grecs, et du dualisme
où sont venus échouer tant de systèmes hérétiques.
C'est en produisant au dehors de lui le Verbe, sa rai-
son immanente, que Dieu commença l'œuvre de la
création. C'est le Verbe, le Logos divin, qui donne à
chaque individu sa nature et son existence, suivant
les décrets immuables de Dieu, xauxa Aôyw sOT)tj.toûpyet.
(ô Geo;), êxéptoç yc'vveaÛat [aï] Suvâpieva rj wç syÉvsxo.
Les anges sont des créatures de Dieu, de nature ignée,
sans sexe : jy. :xjpô; eiva'. àyysAouç ôp-oXoyw, /.ai où xoû-
xo'.ç 7tapêtvat OrjXeiâç. Au-dessus de toute la création
(visible), Dieu place comme chef l'homme, lequel n'est
ni Dieu, ni ange; si l'homme veut devenir Dieu, il n'a
qu'à obéir aux ordres de son créateur; trouvé fidèle
dans les petites choses, il recevra ainsi une magnifique
récompense.
Aussi bien le mal existe dans le monde; mais Dieu
n'en est pas l'auteur. Le mal a pour origine la volonté
humaine défaillante. La loi cependant a été donnée à
l'homme pour le préserver du mal, et dans un vigou-
reux raccourci Hippolyte montre les invitations adres-
sées à l'hcmme par tant d'intermédiaires, les pa-
triarches, Moïse, les prophètes, tous illuminés par
l'action du Verbe de Dieu. C'est lui qui, par tant de
moyens, poursuit l'homme, ne voulant point l'en-
chaîner par une inexorable nécessité, mais l'appelant
à profiter par un libre choix de la sainte liberté : où jita
àvayy.rjçoo'jÀaytoyojv, àÀÀ' s^'ÈÀsuOept'av éxouaîco 7Cpoaipêd£i.
/.aX<3v. Finalement, c'est le Verbe lui-même que le Père
envoya sur la terre, non plus pour parler par les pro-
phètes, mais pour se manifester lui-même. Né de la
Vierge, il a voulu passer par les divers âges de la vie
humaine, afin d'être lui-même la loi pour tous les âges.
Pour bien montrer que Dieu n'a rien créé de mauvais
en soi, il a voulu prendre un corps pétri du même limon
que nous, xoSxov avOpto^ov l'apuv Ix xou y.aO'fjjjLàç œupâ[iaxo;
yeyovéva'.. Afin de ne point paraître autre que nous,
il a supporté la fatigue, il a voulu avoir faim, avoir soif,
il a eu sommeil, il n'a pas rejeté la souffrance, il a obéi
à la mort, mais aussi il a manifesté sa résurrection; il
recommençait ainsi en lui-même ce qui se passa en
l'homme, afin que toi, non plus, dans la souffrance, tu
ne désespères pas, mais que, reconnaissant ta condi-
tion, tu attendes avec confiance ce que tu peux un
jour posséder par lui.
« Telle est, continue le docteur dans un beau mouve-
ment d'éloquence, telle est la vraie doctrine sur la divi-
nité; Grecs, Barbares, Chaldéens, Assyriens,... je vous
conseille d'y venir pour connaître la vraie doctrine et
éviter les châtiments de l'enfer. C'est en croyant au
Dieu véritable que tu pourras les éviter, que tu auras
part à l'immortalité; qu'au royaume des cieux tu
deviendras le compagnon de Dieu et le cohéritier du
Christ, sar) os ô(jL'.X7jxri; 6sou xai auy-/:Àr|povô'pioç Xpiaxdç.
Affranchi des passions, des souffrances, de tous les
maux, te voilà déifié, yéyovoc; yàp 6sô;. C'est le Christ,
Dieu parfait, ô y.axà jxâvxo>v Geoç, qui a décidé de laver
le péché des hommes, de rénover pleinement l'homme
ancien; ayant imité la bonté de celui qui est bon, tu
lui deviendras semblable et tu seras honoré par lui,
car Dieu ne s'appauvrit pas, en te faisant Dieu pour
sa gloire. »
Il n'est guère d'écrivains de l'ancienne Église qui
nous aient laissé une synthèse aussi compréhensive de
l'enseignement chrétien. Sans nous attarder à en
reprendre tous les éléments, nous allons examiner ceux
qui présentent le plus de difficultés à raison de leur
différence avec la doctrine aujourd'hui courante.
2° Doctrine trinitaire. — C'est évidemment la théorie
du Logos qui demande à être étudiée de plus près.
Hippolyte ne l'a point créée de toutes pièces et l'on
retrouverait aisément dans saint Justin tous les élé-
ments de son système, mais la lutte avec les diverses
tendances hérétiques mentionnées plus haut a forcé
le docteur romain à préciser quelques-unes des don-
nées de l'apologiste, et cette précision même n'a pas
été sans nuire à la vérité, voire à l'orthodoxie de la
théorie.
Qu'il faille distinguer dans le Sauveur un double
élément, l'un divin, l'autre humain, c'est ce dont
Hippolyte est persuadé comme toute l'ancienne Église.
Et c'est la foi de l'ancienne Église que le docteur
romain oppose aux novateurs qui, de Théodote à
Artémon, prétendent que le Christ est tout simple-
ment un homme. Contre Artémon; Eusèbe, H. E., v,
28. Où la difficulté commence, c'est quand il s'agit
d'apprécier les relations entre cet clément divin et la
personne même du Père. En d'autres termes, le pro-
blème qui se posait avec une acuité croissante à l'é-
poque d'Hippolyte était beaucoup moins le problème
christologique que le problème trinitaire. La sainte
Écriture, le Nouveau Testament en particulier, en
fournissait les données : la distinction en Dieu de trois
noms, et donc aussi de trois réalités distinctes; et en
même temps l'affirmation la plus absolue de la foi
2507
HIPPOLYTE (SAINT)
2508
monothéiste transmise à l'Église par Israël. C'est
contre cette apparente antinomie que se heurtait la
perspicacité des docteurs, qui voulaient épuiser jus-
qu'au bout en cette délicate matière les droits de la
raison humaine. A l'époque d'Hippolyte deux doc-
trines se trouvent en présence. La première accen-
tuait d'une manière dangereuse pour la distinction
des personnes l'unité divine. La seconde, celle de
notre auteur, semblait porter atteinte à cette même
unité, pour mieux sauvegarder la distinction des per-
sonnes. Si l'on pense qu'à cette époque la terminologie,
plus tard classique en la matière, est à peine ébauchée,
que les diiïérents termes d'essence, de substance, d'hy-
postase, de personne n'ont point encore été soigneuse-
ment délimités, on comprendra que la bonne foi de
plusieurs des combattants soit hors de cause, alors
même que leurs expressions s'éloignent considérable-
ment de ce qui sera plus tard l'orthodoxie.
Telle pourtant qu'elle est rapportée dans les Philo-
sophoumena, 1. X, 6-10, la doctrine de Noët et de ses
disciples devait paraître suspecte même aux esprits
les moins sagaces et les moins prévenus. Selon eux,
le Père et le Fils s'identifient complètement, tov ocutov
uîôv elvai Xéyet xaî rcaTÉpa. Avant que le Père ne
s'incarnât, il s'appelait à juste titre le Père; mais
quand il lui plut de naître parmi nous, il devint le
Fils, Yevvï]8etç ô ufôç èyÉveto auxo; éautou. Il y a donc
identité absolue entre le Père et le Fils, seuls les noms
les différencient. C'est le Père qui a souffert sur la
croix (d'où le nom de patripassiens donnés par nous
aux docteurs de cette école); celui qui a été percé de
clous, c'est bien le Dieu de l'univers, le Père, t)âoi; xaxa-
naYÉvxa toutov tov twv SXiov 6eov /.aï rcaxÉpa sivai Xeyouctiv.
A en croire Hippolyte, dont le témoignage ici est
manifestement entaché de partialité, Calliste, alors
qu'il n'était que diacre de Zéphyrin, aurait partagé
plus ou moins expressément les idées de l'école patri-
passienne. Devenu pape, il aurait sans doute excom-
munié Sabellius, un des maîtres les plus en vue de
l'école; mais la profession dé foi que lui prête Hippo-
lyte est loin de corriger complètement l'erreur du
modalisme. Nous la rapportons ici, moins pour la
discuter, que pour faire saisir, par antithèse, la doctrine
que lui oppose Hippolyte.
« Le même Verbe, aurait dit Calliste, est identique au Fils,
identique au Père; ce sont là deux noms différents, mais ils
s'appliquent à un esprit unique, indivisible. On ne peut donc
dire : autre chose est le Père, autre chose est le Fils, oûx aXXo
EÏvai uïTEpa, aXXo 5è uldv, ils ne sont qu'une seule et même
chose, êv 8s v.ai tô aùtô CiTtàp/etv; tout est plein de l'esprit
divin, le monde supérieur et le monde inférieur. L'esprit
incarné dans la Vierge n'est pas autre que le Père, mais il est
identique avec lui. C'est ainsi qu'il est écrit : « Ne crois-tu
pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ? »
Ce que l'on voit, c'est-à-dire l'homme, c'est le Fils, mais
l'esprit contenu dans le Fils, c'est le Père: tô pv PXetcôjaevov
otceo ètrriv av8pcùltoç, toûto eïvcct tov uîôv, tô 6e èv tw ulû
ytopTieèv riveima, toûto slvat tov Ttaxâpa. Car, dit-il, je ne
dirais pas deux dieux, le Père et le Fils, mais un seul. Le
Père qui est en lui s'étant adjoint la chair, l'a divinisée en se
l'unissant et l'a faite un avec lui. Ainsi le Père et le Fils
s'appellent un seul Dieu, et ce Dieu étant une seule per-
sonne ne peut être deux. Ainsi le Père a souffert en même
temps que le Fils (a compati au Fils, crv|j.7;E7iov6Evai :m
uîÛ), car il ne veut pas dire que le Père a souffert (c'est-à-
dire il ne veut pas être patripassien) et qu'il est une seule
personne (avec le Fils) pour échapper au blasphème contre
le Père. »
Il n'est pas discutable que cette doctrine soit nette-
ment modaliste. Franzelin, qui voulait en défendre
l'orthodoxie, a été obligé pour y réussir de remplacer
par des points la phrase la plus compromettante : « Ce
que l'on voit, c'est-à-dire l'homme, c'est le Fils, mais
l'Esprit qui est contenu dans le Fils, c'est le Père. »
De Deo trino secundum personas, Rome, 18G9, p. 149-
150. M. d'Alès n'est pas plus heureux quand il écrit :
« Donc Hippolyte échoue dans sa tentative pour trou-
ver Calliste en défaut. En voulant le convaincre d'hé-
résie, il n'a réussi qu'à mettre dans sa bouche une
série de propositions très acceptables. La première, il
est vrai, fait exception. » La théologie de saint Hippo-
lyte, p. 15. Cette doctrine est proprement la même
que celle combattue par Tertullien à la fin de son
traité Contre Praxéas, et que Franzelin estime, à juste
titre, hérétique. Que Calliste l'ait proposée, c'est une
autre affaire, et il faudrait être bien partial pour accep-
ter d'emblée cette accusation unique, venue d'un
adversaire acharné. Voir t. u, col. 1337-1338.
Quoi qu'il en soit d'ailleurs, c'est à rencontre de ces
théories, patripassionisme brutal de Noët, patripas-
sionisme mitigé attribué à tort ou à raison à Calliste,
qu'Hippolyte élabore son système personnel. Il est
exposé dans l'Homélie contre Noël, finale du Synlagma.
et dans les deux derniers livres des Philosophoumena.
Le premier texte serre de moins près la question, mais
il est important à signaler comme marquant la pre-
mière étape de la pensée d'Hippolyte.
« 10. Dieu étant simple, sans aucun être qui lui fût con-
temporain, voulut créer le monde. Il le conçut, le voulut, et
par sa parole il le produisit; çÔEYS-â^evoç inoir^gv ; le monde
aussitôt existe devant lui, selon sa volonté; rien n'est co-
éternel à Dieu. Il n'y avait rien en dehors de lui : mais tout
en étant seul, il était multiple, |j.ôvo; (iv itoXûç t,v, car il
n'était pas sans Parole, sans Sagesse, sans Puissance, sans
Conseil, Ôiàoyoç, ao"Oço;, àSvvaTOÇ, àêo'JXE'jTO;. Tout était
en lui, et lui était tout. Quand il le voulut, et comme il le
voulut, au temps déterminé par lui il fit paraître, eSe'.-;:, sa
Parole, tov Xôyov <xxizo-j, par laquelle il a tout fait. Dès qu'il
veut il fait, dès qu'il projette il accomplit, dés qu'il parle
il montre l'effet de sa parole, dès qu'il se met à façonner il
fait éclater sa Sagesse. Car tout ce qui a été fait résulte de sa
Parole et de sa Sagesse; par sa Parole il crée, par sa Sagesse
il ordonne. Il créa donc comme il le voulut, car il était Dieu.
Mais comme chef, conseiller et instrument de création, il
engendrait le Verbe. Ce Verbe qu'il avait en lui à l'état invi-
sible, il le rend visible en prononçant le premier mot. C'est
une lumière qui naît d'une lumière, il le tire de lui pour en
faire le maître de la création. C'est son intelligence à lui;
jusque-là il n'était visible qu'à Dieu seul, invisible au monde,
il le fait voir alors au monde afin qu'en le voyant, le monde
puisse être sauvé. — 11. De cette façon, il y eut un autre
par rapport à Dieu, xcù outoiç itapcffrato a-JT(ô ItEpov. Mais
en disant autre, je ne dis pas deux Dieux; j'entends comme
une lumière produite par une lumière, comme une eau qui
sort d'une source, un rayon qui s'échappe du soleil. La
puissance est une; elle vient de l'être qui est tout; le Père
est tout, xo 6e itâv Ttaxrtf, c'est de lui que vient la puissance
Verbe, fijvaij.iç Xôyoç. Le Verbe est l'intelligence qui, appa-
raissant dans le monde, s'est montrée comme Fils de Dieu.
Tout vient de lui; lui seul procède du Père. »
C'est la doctrine classique des apologistes du ne siè-
cle; mais Hippolyte, dans son exposition, a soigneuse-
ment évité la formule malsonnante : le Verbe est un
autre Dieu, employée par saint Justin. Dialogus cum
Tryphone, 56, P. G., t. vi, col. 597. Il exprime aussi
avec plus de netteté la doctrine des deux états succes-
sifs du Verbe, l'état immanent, éternel, Xdyo; èvBiocGsto;,
et l'état extérieur, temporel, coordonné à la création
du monde, Xôyoç Tcpoyopixo'ç.
Notre auteur reviendra avec plus de netteté encore
sur cette distinction dans la finale des Philosophoumena,
1. X, 33, et il mettra en un relief plus fort l'évolution
du Verbe en trois phases distinctes. Par là même il
accentue la partie la plus contestable de sa théorie, à
savoir, cette conception d'un changement dans les
rapports entre le Verbe et Dieu. De tout temps le
Verbe existe en Dieu, dont il est la pensée immanente.
La personnalité du Verbe se dégage dans la prolation
(génération) qui produit hors de Dieu cette pensée
immanente Cette génération est rapidement caracté-
risée : « Dieu engendre premièrement de lui-même sa
2509
HIPPOLYTE (SAINT]
2510
Parole, non point un simple son, où Xôyov io; tpcovrlv,
mais la pensée immanente de l'univers, aXX'èvSiàOsxov
cou -av-o; Xoyiafxôv. C'est le seul qu'il n'engendre point
du néant, car le Père est lui-même l'être, et c'est de lui
que procède l'engendré. Ainsi proféré ou produit, le
Verbe crée le monde, dont il porte en lui-même l'exem-
plaire, et il le crée suivant la volonté du Père, dont il est
l'exécuteur. Le monde est tiré du néant, il n'est donc
pas Dieu, il est donc périssable; le Verbe, au contraire,
étant de Dieu, est Dieu lui-même, il est l'essence de
Dieu, toutou ô Xôyo; txo'vo; à? aÙTou, 810 xaï Oeoç, ouata
'j-iy/ui-i 6eou. Cette génération du Verbe est libre d'une
liberté absolue; c'est quand il le veut, et comme il le
veut, que le Père exprime son Verbe. Enfin l'incarna-
tion confère plus spécialement au Verbe le titre de Fils.
On voit immédiatement les très graves défauts de
'la théorie. Outre qu'elle introduit dans les relations
divines un changement incompatible avec l'immuta-
bilité de l'Être éternel, elle ne laisse pas d'inquiéter
au point de vue de l'égalité des personnes divines. Il y
a chez Hippolyte, comme chez tous les partisans de la
théorie philosophique du Logos, un subordinatianisme
latent, et qui se révèle par occasion. A ce point de vue
une phrase des Philosophoumena mérite d'être relevée.
« L'homme, dit l'auteur, n'est ni Dieu, ni ange, qu'on
ne s'y trompe pas : s'il avait voulu te faire Dieu, il le
pouvait; tu as l'exemple du Logos. Ayant voulu te
faire homme, il t'a fait ainsi, s', yàc Oso'v as T]0£Àr|a£
vTotfjaai, Èoûvaxo* l'/stç toù AdyouTO 7:àca&£iyua- av6pcjj7iov
ôéXiov, avOp")-ov ne èrcowiaev, X, 33. 11 semblerait donc
que c'est par un choix libre et volontaire que Dieu
attribue au Logos la dignité divine.
Rien de plus dangereux ne se peut imaginer; et l'on
se demande si Zéphyrin et Calliste n'avaient pas rai-
son quand ils signalaient le dithéisme impliqué dans
les formules d'Hippolyte. Ce dernier avait beau pro-
tester qu'il n'admettait pas deux dieux, la théorie à
laquelle il s'attachait aboutissait toujours à un déve-
loppement divin où l'unité de la substance ne se trou-
vait guère en sûreté. Et si l'on ajoute que, dans tout ce
développement, la personne du Saint-Esprit ne joue
qu'un rôle extrêmement effacé, on verra tout ce qui
manque à la théologie d'Hippolyte pour être la doc-
trine trinitaire de l'avenir. Elle est l'aboutissant de la
systématisation proposée par Justin, Tatien, Athéna-
gore, Théophile, mais elle en marque aussi le point
d'arrêt. Ce sera dans une autre direction que s'élabo-
rera au ive siècle la théologie de la Trinité.
3° Autres questions théologiques. — Pénétré comme
il l'était de l'influence continuelle exercée par le Verbe
dans le monde créé par lui et sans cesse conservé par
son action, Hippolyte n'avait point de peine à admettre
la doctrine de l'inspiration prophétique et celle de
l'inerrance de l'Écriture sainte, qui en est la consé-
quence. (Les textes rassemblés très complètement
dans d'Alès, p. 111.) Il n'y a donc aucune différence
à mettre dans le respect que l'on accorde à l'Ancien
et au Nouveau Testament. Le canon de l'Ancien Tes-
tament reçu par Hippolyte est celui des juifs helléni-
sants ; notre docteur met sur le même pied toutes les
parties du livre de Daniel. D'ailleurs, ni le texte
hébreu, ni le canon palestinien ne le préoccupent. C'est
aux Septante qu'il s'adresse et, pour Daniel, à Théodo-
tion. Son canon du Nouveau Testament présente
encore quelque flottement. L'Épître aux Hébreux
n'est pas attribuée à saint Paul; il n'y a pas de trace
des Épîtres de Jean et de Jude (mais cette circon-
stance peut tenir à l'état très fragmentaire de la tradi-
tion littéraire). Quelques apocryphes semblent cités
sur le même pied que les écrits canoniques. Mais les
grandes lignes du canon d'Hippolyte répondent assez
exactement à ce que l'on sait par ailleurs du canon
romain au ine siècle.
Le concept de la rédemption est à rapprocher de
celui de l'inspiration scripturaire. Sans doute, la mort
du Christ a une importante signification dans l'his-
toire religieuse de l'humanité, et Hippolyte reprend
fidèlement les expressions pauliniennes sur la mort
rédemptrice : 8>.à Oavâxou Oâvaxov vixrjja;, dit-il du Christ.
De Antichristo, 26, t. i, p. 19. Il n'en reste pas moins
que la spéculation de notre docteur voit surtout l'ac-
tion rédemptrice dans cette connaissance de Dieu
ménagée par le Verbe divin soit dans la nature, soit
dans l'histoire, soit dans la loi et les prophètes, soit
enfin dans l'Évangile : àXrjûsta Iv tco xo'<t[j.ci) tpavsï; kXi\-
Ôsiav èût'SaÇiLv. In Daniel., iv, 41, t. i, p. 292.
C'est l'Église qui continue sur la terre cette œuvre
de rédemption. Elle est la sainte assemblée de ceux
qui vivent dans la justice, la maison spirituelle de Dieu,
l'assemblée des saints, r\ xXijaiç twv àyîtov. In Daniel.,
i, 14, ibid., p. 23. Cette conception très élevée de l'É-
glise explique, si elle ne les justifie pas complètement,
les reproches adressés par Hippolyte à l'administra-
tion ecclésiastique de Calliste. Ce dernier estimait à
juste titre qu'un rigorisme trop étroit, bon peut-être
dans une petite communauté fervente, était impos-
sible dans l'Église chrétienne telle que l'avaient faite
de longues années de paix. Pour la rémission des péchés
en particulier, l'ancienne discipline qui refusait à
jamais le pardon de certaines fautes était incompa-
tible avec la nouvelle organisation de l'Église du
me siècle. Sous peine de réduire la communauté chré-
tienne à n'être plus composée que de catéchumènes,
il fallait d'urgence pourvoir à la réconciliation de ceux
que la faiblesse entraînait à des fautes considérées
jusque-là comme excluant de l'Église. Hippolyte,
comme Tertullien d'ailleurs, en fit à Calliste un grief.
Philosoph., 1. IX, 12. Dans l'espèce, la mesure prise
par le pontife était autrement sage que l'attitude
outrée du docteur. Autant en faut-il dire de la question
des mariages clandestins, autorisés par Calliste entre
des femmes de condition noble et des chrétiens de
condition tout à fait inférieure, esclaves ou affranchis,
malgré la loi civile. C'est la première fois, ce n'est pas
la dernière, qu'on voit le droit canonique ne pas ad-
mettre toutes les théories de la législation séculière; et
l'on ne peut faire un grief au pape d'avoir donné sur
ce point une solution libératrice. Quant aux accusa-
tions formulées par Hippolyte sur la facilité déplo-
rable de Calliste à réconcilier des évêques coupables,
ou à autoriser dans le clergé l'usage du mariage ou
même la bigamie successive, il faut, avant de les impu-
ter au compte du pontife, se demander jusqu'à quel
point la passion a défiguré les faits allégués par un
adversaire. Voir t. n, col. 1338-1342. Sans être mon-
taniste, Hippolyte nous apparaît comme un rigoriste
outré dans sa conception de l'Église.
Cette Église a reçu du Christ la dispensation des
sacrements. Le baptême est la source qui fait jaillir
dans l'Église le breuvage d'immortalité, par lui nous
participons à la grâce du Christ. In Ruth, édit. de Ber-
lin, t. i b, p. 120. Il est le sceau que le Sauveur donne
aux siens et auquel l'Antéchrist opposera un autre
sceau. De Antichristo, c. vi, ibid., p. 8. L'eucharistie
est le gage laissé à l'Église par le Christ, comme Juda
avait laissé à Thamar son anneau, son bracelet et son
bâton, « et nous recevons son corps, et son sang est le
gage de la vie éternelle pour quiconque s'en approche
avec humilité. » In Gen., xxxvin, 19, ibid., p. 36.
Quand la Sagesse de Dieu s'écrie : « Venez, mangez
mon pain, buvez le vin que je vous ai préparé, » elle ne
désigne rien d'autre que la chair divine du Sauveur,
et son sang précieux qu'il nous donne à manger et à
boire pour la rémission de nos péchés. In Prov., ix,
1-5, édit. de Lagarde, p. 199. C'est le vin, délicieux
par-dessus tout, que nous a préparé le Christ. In Cant.
2511
HIPPOLYTE (SAINT) — HIRSCHER
2512
i, 4, dans Texte und Untersuchungen, t. xxin, fasc. 2,
p. 31 : la chair céleste à laquelle l'humanité régénérée
souhaite d'unir sa propre chair. In Canl., m, 4, ibid.,
p. 66; c'est le sacrifice nouveau offert aujourd'hui
parmi toutes les nations, et dont l'avènement de
l'Antéchrist amènera la suppression. In Daniel., édit.
de Berlin, t. ia, p. 280; cf. De Antichristo, t.i b, p. 27.
Les doctrines eschatologiques d'Hippolyte sont
également un curieux mélange des idées anciennes qui
persévéraient dans l'Église et de conceptions plus
nouvelles. La crise montaniste avait sauvé l'idée, tou-
jours subsistante depuis les origines, de l'imminence
des derniers temps ; le millénarisme, d'autre part, tel
qu'y avaient adhéré Irénée et Justin, avait encore bien
des partisans. A rencontre, des esprits avertis comme
Caius rejetaient rigoureusement tout cet illuminisme
et leurs négations n'allaient pas sans porter quelque
atteinte à l'inspiration de l'Apocalypse. Hippolyte
essaya une voie moyenne entre le mysticisme d' Irénée,
dont il procède, et l'agnosticisme qui se révélait dans
Caius. Sans être très éloignée, la fin des temps n'est
pas encore imminente. C'est à quoi tendent les dé-
monstrations du Commentaire sur Daniel et du traité
De V Antéchrist.
Quand les temps seront accomplis, se manifestera
définitivement le jugement de Dieu. Alors les saints
entreront en possession du royaume de Dieu. Ce der-
nier n'est point conçu d'après les idées millénaristes
et Hippolyte interprète à rencontre des conceptions
d' Irénée le fameux passage de l'Apocalypse, xx, 2-5,
qui a donné naissance à toutes ces théories. Les mille
ans dont il est question sont un chiffre symbolique
qui marque seulement la splendeur du règne éternel
promis aux justes. Capita contra Caium,èàit. de Berlin,
t. i b, p. 246-247. Le dernier jugement mettra immé-
diatement les justes en possession du règne éternel.
In Daniel., t. i a, p. 222. En attendant cette grande
manifestation de la justice divine, les âmes de tousles
morts, bons et méchants, sont enfermées dans l'qcSinç,
dont le traité Contre les Grecs ou De la cause de l'uni-
vers, -spi Tfj; ioù ;:avTÔ; ouata;, contient une assez
longue description. Deux demeures y sont détermi-
nées, l'une pour les justes, l'autre pour les pécheurs.
Celle des justes est à droite; c'est le sein d'Abraham, où
ils vivent dans la jouissance des biens visibles et
l'attente des biens éternels. A gauche est la demeure
des pécheurs, séparée de l'autre par un infranchissable
abîme. Elle est située aux abords de la géhenne; ils
peuvent apercevoir les flammes qui doivent les tortu-
rer un jour dans leur corps. C'est le commencement de
leur expiation. Au jour marqué par Dieu aura lieu la
résurrection générale, les corps des justes seront revê-
tus d'immortalité et de gloire, ceux des pécheurs renaî-
tront avec toutes leurs maladies et leurs misères pour
le châtiment. Adv. Grsecos, édit. de Lagarde, p. 68-73.
On voit ce qui manque encore à l'eschatologie d'Hip-
polyte pour être définitive. Sur ce point, comme sur
d'autres, l'évolution de la théologie est commencée;
elle est encore loin d'être achevée. Disciple d' Irénée,
formé par les écrits des apologistes, il résume le passé
dont il a rejeté plus d'un héritage, il prépare un avenir
qui n'est encore qu'en espérance. C'est la signification
principale de son œuvre, pour autant que nous pou-
vons la restituer. Est-ce à dire que de nouvelles décou-
vertes ne viendront pas un jour changer la physiono-
mie, encore trop incertaine.de ce grand docteur romain?
Sur la doctrine d'Hippolyte, voir surtout A. d'Alès, La
théologie de saint Hippolyte, Paris, 1906, et la très remar-
quable synthèse de Bonwetsch, dans Realencyclopàdie fur
protestantische Théologie und Kirche, t. vin, p. 132-135;
Duchesne, Les origines chrétiennes (autographie), t. n,
p. 284-296, 303-320.
E. Amann.
HIQU/EUS. Voir Hickey, col. 2358-2359.
HIRSCHER 'Jean-Baptiste, théologien de l'école
catholique de Tubingue, naquit le 20 janvier 1788,
à Altergarten (Wurtemberg), d'une famille de culti-
vateurs. Après deux années d'études théologiques
à Fribourg-en-Brisgau (1807-1809), il fut ordonné
prêtre en 1810. En 1812, il devint répétiteur au sémi-
naire d'Ellwangen, où il eut Mœhler comme élève.
En 1817, il obtint la chaire de théologie morale et de
pastorale à l'université de Tubingue, et il y enseigna
pendant vingt ans. En 1837, il passa à Fribourg-en-
Brisgau, où il eut la chaire de morale jusqu'en 1863.
Il était devenu chanoine du chapitre en 1839 et
doyen en 1850. Comme sa doctrine était discutée,
il refusa d'être coadjuteur des évêques de Fribourg
et de Rottenbourg. 11 mourut à Fribourg, le 4 sep-
tembre 1865. C'était un prêtre d'une conscience sûre,
d'une piété ardente, mais d'une intelligence par-
fois aventurée. Son esprit se complaisait dans les-
considérations pratiques plutôt que dans les spécu-
lations théoriques. Ses débuts comme publiciste ne
furent pas heureux. Sa brochure : Missœ genuinam
nolionem eruere e jusque celebrani.'se rectam melhodunt
monstrare lentavit J.-B. Hirscher. Accedunl duœ for-
mula; missales linijua vernacula exaratœ, Tubingue,
1821, contenait des doctrines nouvelles et proposait
des réformes. La messe y était envisagée comme un
acte public de la communauté; aussi l'auteur deman-
dait-il la suppression des messes privées, la commu-
nion sous les deux espèces et l'emploi de la langue vul-
gaire au lieu du latin. Deux messes, rédigées en alle-
mand, illustraient la théorie par un programme pra-
tique. La brochure fut condamnée par la S. C. de
l'Index, le 20 janvier 1823. Une version allemande,
faite par Diepold, parut en 1838. Le converti Hurter et
I le baron von Rinck, son ami, reprochèrent plus tard à
Hirscher de ne pas s'être soumis à cette condamna-
tion. Dans une lettre, du 5 janvier 1845, à Hurter, il
répondit qu'il avait écrit à Rome qu'il croyait à la doc-
trine catholique du concile de Trente sur l'eucharistie,
et que ses écrits postérieurs étaient corrects au sujet
de la messe. Hurter et de Rynck ne trouvèrent pas la
justification suffisante. H. Hurter, Fried. von Hurter und
seine Zeil, 1876, t. n, p. 70-73. Hirscher réussit mieux
dans ses ouvrages sur la prédication et le catéchisme.
Il voulait ramener la prédication à l'explication de
l'Évangile, que les fidèles liront et que les prêtres
commenteront en chaire. Les homélies remplaceront
utilement les thèmes abstraits de la morale naturelle
qui manquent d'efficacité, et elles ne dureront qu'un
quart d'heure : Ueber das Verhàllniss des Evangeliums
zu den theologischen Scholastik der neueslen Zeit im
katholischen Deutschland. Zugleich als Beitrag zur
Katechetik, Tubingue, 1823. Autres ouvrages, visant
à la pratique pastorale: Die kalholische Lehre vont
Ablasse mit besonderer Bilcksicht auf ihre pratische
Bedeulung, Tubingue, 1826; 2e édit., 1830; 3e, 1835;
4e, 1844; 6e, 1855; trad. franc., Paris 1855: Ansichlen
von dem Jubilâum und unmassgcblische Andeutungen
zu einerzweckmassigen Feyerdesselben, Tubingue, 1826 ;
2° édit., 1830; Belrachtungen liber sâmmlliche Evan-
gelien der Fasten mit Einschluss der Leidengeschichtr,
Fur Seelsorqer und jeden gebildelen Chrisien, Tubingue,
1829; 2' édit., 1830; 3e, 1832; 4e, 1839; 7e, 1843;" 8%
1848 ; Katechetik, oder : Der Beruf des Seelsorgcrs die ihm
anverlraunle Jugend im Chrislenthum zu unterrichlen
und zu erziehen nach seinem ganzem Umfange darge-
slelll. Zugleich tin Beitrag zur Théorie eines christka-
tholischen Kalechismus,Tuhm£uc, 1831 ; 2e édit., 1832 .-
3e, 1834; 4e augmentée et retouchée, 1840. Il y
critiquait la manière dont se faisait alors le caté-
chisme.
2513
HIRSCHER
IIIZLER
2514
Son cours de morale eut une portée plus vaste : Die
christliche Moral als Lehre von der Verwirklichung des
i/iitllichen Reichcs in der Menschcil, 3 in-8°, Tubingue,
1835-1837; 2e édit., 1836; 3e, 1838 ; 5e, 1851. Il fut
remanié et amélioré à chaque édition: mais il n'a pas
la forme classique des manuels; c'est plutôt une série
de considérations pieuses et de méditations sur la vie
chrétienne. La morale chrétienne était, pour l'auteur, la
réalisation du règne de Dieu dans l'humanité, et il
publiait un catéchisme historique de ce règne, depuis
la création jusqu'à son épanouissement complet dans
le ciel. Le P. Kleutgen l'a souvent critiqué dans sa
Théologie der Vorzeil, t. v. Au t. ir, Hirscher y reprit
«es vues sur la prédication populaire. Il joignit de
nouveau l'exemple à la théorie, et il publia une série
d'homélies : Belrachlungen ùber die sonntâglichen
Evangelien des Kirchenjahrcs. I. Die Evangelien vom
Advent bis Ostern enthaltend, Tubingue, 1837; 2e édit.,
1839 ; 3', 1841 ; II, après la Pentecôte, 1843 ; 5e édit.,
1818, 1852; ûber die sonnlûglichen Episleln, 2 vol.,
1860, 1862. A l'enseignement de la religion se rattache
aussi Die Gcschiehte Jesu Chrisli des Sohnes Gotlcs und
Wcltheilandes, Tubingue, 1839; 2e édit., 1840. Le théo-
ricien de la catéchétique publia deux catéchismes :
Kalechismus der christkcilholischen Religion, Carlsruhe
■et Fribourg-en-Brisgau, 1842 ; Der kleinere Katechis-
mus der christkulholischen Religion, ibid., 1845, qui
eurent plusieurs éditions, de 1845 à 1862. Le petit
catéchisme fut accepté dans l'archidiocèse de Fribourg
■et conservé jusqu'à la mort de l'auteur. Le P. Kleutgen
les a encore critiqués. Voir V. Thalhofer, Enlwicklung
des katholischen Kalechismus in Deutschland von Cani-
sius bis Deharb", p. 114-116, 144-151. La brochure :
Nachlrag zur Verstûndigung ùber der von mir heraus-
gegebsn Kalechismus, Fribourg-en-Brisgau, 1843, traite
de l'importance du catéchisme. Les Beitràge zur
Homihtik und Katechelik, 1832, ont été traduits en
français sous ce titre : Traité sur les homélies et les
catéchismes, Besançon, 1859. Hirscher a puissamment
influé sur le réveil de la théologie pastorale en Alle-
magne.
Il se lança encore dans l'étude des questions sociales
de son temps. Il publia d'abord, en trois fascicules, des
Erôrterungen ùber die grossen rcligiosen Frgcn der
Gegemvart, Fribourg-en-Brisgau, 1846, 1855, 1857 ;
2e édit., 1865. Il y expose les principes des relations
entre l'Église et l'État, et il propose librement ses vues
personnelles sur des réformes à introduire dans l'Église.
On lui reprochait son esprit de conciliation avec le gou-
vernement. Il traita !e même sujet: Die kirchlichen
Zùstande der Gegemvart, Tubingue, 1849, d'après l'ou-
vrage de Lorente: Projet d'une constitution religieuse,
1820. Ses projets furent critiqués par Dieringer et
Heinrich dans Der Katholik; ces articles furent réunis
en brochure : Die kùchliche Reform, eine Beleuchtung
der H irschef schen Schrift : die kirchlichen Zuslande,
etc., Mayence, 1849, et l'ouvrage fut mis à l'Index par
décret du 25 octobre 1849. Hirscher se soumit à la
condamnation du saint-siège et rétracta ses erreurs.
11 répliqua toutefois à ses adversaires : Aniworl an die
Gegner meiner Schrift, 2 éditions en 1850. Malgré ses
vues libérales, il soutint fortement l'archevêque de
Fribourg-en-Brisgau dans le conflit qu'il eut avec le
pouvoir politique du duché de Bade, et son exemple
entraîna le clergé,^ qui pourtant le suspectait, dans
l'obéissance à l'archevêque. A cette affaire se rap-
portent les ouvrages suivants : Die Bistumsynode, 1849 ;
Zur Orientirung ùber den derzeitigen Kirchenstreil,
1854.
Signalons encore Dus 'Leben der seligsten Jungfrau
Maria, 1859 ; 7e édit., 1899 ; Selbstàuschungen, 1865.
Hirscher fut un des fondateurs et des collaborateurs
de la Theologische Quarlalschri/t. Ses articles traitent
de la pastorale et de la prédication. Voir Ed. Vermeil,
Jean-Adam Mœhler et l'école catholique de Tubingue
(1815-1840), etc., Paris, 1913, p. 479, 480, 486, pour
les articles publiés de 1819 à 1840. Rolfus a édité :
Nachgelassene kleinere Schri/len de Hirscher, Fribourg-
en-Brisgau, 186k
Tiibinger theologische Quartalschrift, 1866, p. 298 sq. ;
B. Wôrner et B. Gams, J. A. Molher. Ein Lebensbild, Batis-
bonne, 1866, p. 124-130; courte préface de Bolfus, op. cit. ;
Badisclie Biographien, Carlsruhe, 1881, t. i, p. 372-377;
Lauchert, dans la Revue internationale de théologie, 1894,
p. 627-656 ; 1895, p. 260-280, 723-738 ; 1896, p. 151-174;
Kirchenlexikon, 2° édit., t. vi, col. 28-34; Allgemeine
deutsche Biographie, Leipzig, 1880, t. xn, p. 470-472;
Realencyklopàdie fur protestanlische Théologie und Kirche,
3» édit., 1900, t. vm, p. 145-146 ; G. Goyau, L'Allemagne
religieuse, le catholicisme, Paris, 1905, t. in, p. 273-276;
Catholic eneyelopedia, New York, 1910, t. vu, p. 363-365;
M. Buchberger, Kirchliches Handlexikon, Munich, 1907,
t. i, col. 1987; Hurter, Nomenclator, 3e édit., Inspruck,
1912, t. v, col. 1385-1388 ; Ed. Vermeil, op. cit., p. 331-333,
338-340, 365-368, 479-480, 486, 488-489 ; H. Beusch, Der
Index der verbotencn Biicher, Bonn, 1885, t. n, p. 1112-1113.
E. Mangenot.
H IZLER Jacques, moraliste allemand, né à Kicklin-
gen, dans le diocèse d'Augsbourg, le 4 novembre 1712,
reçu au noviciat de la Compagnie de Jésus le 13 sep-
tembre 1730, enseigna la philosophie et la théologie
morale à Augsbourg, puis la théologie dogmatique à
Inspruck. II se fit remarquer par la clarté et la rigou-
reuse précision de ses décisions en matière morale. On
a de lui plusieurs importants ouvrages : Instiluliones
theologiœ moralis de obligalione restituendi, Augsbourg,
1755; De virtutibus thcologicis, fîde, spe et charitate,
Ingolstadt, 1758; Institutiones theologiœ moralis de
sacramenlis in génère, Augsbourg, 1756 ; Ingolstadt,
1759; Quœstio lacti an major fides sit habenda probabi-
listis aut antiprobabilislis in adlegandis auctoribus
eorumque doctrinis, ibid., 1759. Le P. Hizler mourut à
Kicklingen le 13 août 1785, après avoir été recteur de
Mindelheim et supérieur du pensionnat de Dillingen.
Après la suppression de la Compagnie de Jésus en
1773, il avait continué en Bavière sa vie apostolique
dans les plus humbles exercices du ministère des âmes,
toujours fidèle aux moindres règles de son institut.
Sommerrogel, Bibliothèque de la C1' de Jésus, t. IV,
col. 397; Hurter, Nomenclator, 3e édit., Inspruck, 1912,
t. v, col. 549.
P. Bernard.
LISTE DES COLLABORATEURS
DU TOME SIXIÈME
MM.
Amann, aumônier au collège Stanislas à Paris, puis
professeur de patrologie et d'histoire ecclésiastique
à la Faculté de théologie catholique à Strasbourg
(Bas-Rhin).
Atdjan, mékithariste à Saint-Lazare de Venise (Italie).
Autore (le R. P. dom), chartreux, à la Chartreuse
de Florence, puis prieur de la Gertosa di S. Martino
sopra Napoli (Italie).
Bareille, ancien professeur de patrologie à l'Institut
catholique de Toulouse.
Bernard, à Paris.
Besse (le R. P. dom), bénédictin, prieur de Ligugé,
à Chevetogne (Belgique).
Bigot, curé de Saizerais (Meurthe-et-Moselle).
Bonet-Maury, à Paris (f en 1919).
Bouché, professeur de théologie à la Faculté de
théologie de Lille.
Cayré (le R. P.), des augustins de l'Assomption, à
la maison de Kadi-Keuï, à Constantinople.
Clerval, professeur d'histoire ecclésiastique à l'In-
stitut catholique de Paris (t le 26 octobre 1918).
Constantin, aumônier du lycée Henri-Poincaré, de
Nancy.
Coulon (le R. P.), des frères prêcheurs, professeur à
Y Angelica, à Rome.
Dolhagaray, chanoine pénitencier à Bayonne (f 13
janvier 1918).
Doublet, professeur de philosophie au lycée de Nice.
Dubruel, à Toulouse.
Dutilleul (le R. P.), de la Compagnie de Jésus,
professeur d'histoire ecclésiastique au scolasticat
d'Enghien (Belgique).
Edouard d'Alençon (le R. P.), des frères mineurs
capucins, archiviste de l'ordre, à Rome, puis à
Paris.
Forget, professeur de théologie à l'Université de
Louvain (Belgique).
Gardeil (le R. P.), des frères prêcheurs, à Paris.
Garriguet, ancien supérieur du grand séminaire de
La Rochelle.
Gatard (le R. P. dom), bénédictin, à l'abbaye de
Farnborough (Angleterre).
MM.
Ghellinck (le R. P. de), de la Compagnie de Jésus,
bibliothécaire au Collège théologique de Louvain
(Belgique).
Godefroy, professeur au grand séminaire de Nancy,
puis supérieur à Bosserville (Meurthe-et-Moselle).
Godet, à Rosnay (Vendée) (f le 2 juillet 1913).
Goyau, à Paris.
Harent (le R. P.), de la Compagnie de Jésus, pro-
fesseur de théologie au scolasticat d'Ore Place
(Angleterre).
Heurtebize (le R. P. dom), bénédictin de Solesmes
à Ryde (île de Wight).
Humbert, professeur à Paris.
Ingold, à Colmar (Haut-Rhin).
Janin (le R. P.), des augustins de l'Assomption, à la
maison de Kadi-Keuï, à Constantinople.
Jugie (le R. P.), des augustins de l'Assomption, à
la maison de Kadi-Keuï, à Constantinople.
Largent, professeur honoraire à l'Institut catholique
de Paris.
Le Bachelet (le R. P.), de la Compagnie de Jésus,
professeur de théologie au scolasticat d'Ore Place
(Angleterre).
Lévesque, professeur d'Écriture sainte au séminaire
de Saint-Sulpice, à Paris.
Mandonnet (le R. P.), des frères prêcheurs, profes-
seur de théologie à l'Université de Fribourg (Suisse).
Merlin (le R. P.), augustin, à Madrid (Espagne),
puis curé à Saint- Épain (Indre-et-Loire).
Michel, professeur de théologie aux Facultés catho-
liques de Lille.
Milon, prêtre de la Mission, ancien secrétaire général
de la congrégation, à Paris.
Moncelle, professeur au collège de la Malgrange,
à Jarville (Meurthe-et-Moselle).
Netzer, à Paris.
Oblet, supérieur du grand séminaire, puis curé-archi-
prêtre de la cathédrale de Nancy.
Ortolan (le R. P.), des oblats de Marie-Immaculée,
à Rome.
Palmieri (le R. P.), augustin, à Rome, puis à Phila-
delphie (États-Unis d'Amérique).
LISTE DES COLLABORATEURS
MM.
Pernin (le R. P.), des oblats de Saint-François de
Sales, supérieur provincial, à Albano Laziale (Italie).
Petit (S. G. Mgr), des augustins de l'Assomption,
archevêque latin d'Athènes (Grèce).
Pisani, chanoine théologal, professeur à l'Institut
catholique de Paris.
Salaville (le R. P.), des augustins de l'Assomption,
supérieur du grand séminaire latin d'Athènes (Grèce).
Salembier, professeur d'histoire ecclésiastique aux
Facultés catholiques de Lille (| le 30 octobre 1918).
Servais (le R. P.), carme déchaussé, professeur de
théologie au scolasticat de Bruxelles (Belgique).
Thouvenin, professeur de théologie au grand sémi-
naire de Nancy, puis aumônier de l'hospice de
Ludres (Meurthe-et-Moselle).
MM.
Tobac, professeur d'Écriture sainte au grand sémi-
naire de Malines (Belgique).
Toussaint, professeur de droit canon aux Facultés
catholiques de Lille.
Vacandard, aumônier du lycée Corneille, à Rouen
(Seine- Inférieure).
Van der Meersch, professeur de théologie au grand
séminaire de Bruges (Belgique).
Vernet, professeur d'histoire ecclésiastique au grand
séminaire de Saint-Paul-Trois-Chàteaux (Drôme)et
à l'Institut catholique de Lyon.
Villien, professeur de droit canonique à l'Institut
catholique de Paris.
Vogt, professeur à l'Université de Fribourg, curé à
Genève (Suisse).
'-
-y
Documen* ron prêté
Ncn-cireulaifng îtem
U D* / OF OTTAWA
COU ROW MOD ULESHELF BOX POS C
333 11 10 01 16 05 4
HoL.
■;;r ;:.,;, /vvW'i,/'i(;«;,^!ji!^.-i"':.:':;' /•< fi
■''.!.."
MKJSJ''
yri
0MHH&
fSwAuQraf